Oow. Cs> ^ C> I
Digitized by the Internet Archive
in 2010 with funding from
University of Ottawa
http://www.archive.org/details/lamarinemilitaOOIaco
LA MARINE MILITAIRE
DE LA FRANCE
sous LE
RÈGNE DE LOUIS XV
DU MÊME AUTEUR
Antonin le Pieux et son temps. Essai sur l'histoire de
l'empire romain au milieu du deuxième siècle (138-161.)
Ouvrage couronné par l'Académie française. Paris, Thorin, 1888; in-8.
L'Éducation politique de Louis XIV. Ouvrage couronné par
l'Académie française. Paris, Hachktts, 1898; in-8,
La Marine militaire de la France sous le règne de Louis XVI.
Ouvrage couronné par l'Académie des science» morales et politiques.
Paris, Champion, 1905; in-8.
Un utopiste inconnu. Les Codicilles de Louis XIII. Paris,
Émile-Paul, 1903: in-8.
P. Clodius Pulcher. (Tirage à part de la Revue historique.) Paris, 1889;
in-8.
Louis XIV. La Monarchie absolue. Gouvernement, adminis-
tration, société. (Lavisse et Rambaud, Histoire générale..., t. VI,
chap. IV.) Paris, Arm. Colin, i895.
Une curiosité calligraphique et polyglotte de la Bibliothèque
nationale, avec deux dessins inédits de Sébastien Le Clerc.
(Tirage à part de la Revue des Études historiques.) Paris, 1900; in-8.
La îffarine militaire et son rôle dans la grandeur de la
France, i'ari-;, au sièg^ de la Ligue maritime française, 1901.
« Le Maître de la mer. m Paris, au siège de la Ligue maritime fran-
çaise, 1901.
Voyage de Louis XVî à Cherbourg, 1786. (Tirage à part de la
Revue des Études historiques.) Paris, 1906, in-8.
Histoire romaine (en coUaboratioa avec P. Guir.aud). Paris, Alcan,
in-1:.^ Duuzièiiie éditioi), 1902.
Histoire ancienne et du moyen âge (en collaboration avec P. Gui-
RAUD). Paris, Alcan, in-12. Deuxième édition, 1907.
Lectures historiques, pour la classe de rliétorique. Paris, Hachette,
ia-i2. Uualrième édition, 1U05.
LA MARINK MILITAIRE
DE LA FRANGE
sous
LE RÈGNE DE LOUIS XV
PAR
G. LAOOUR-GAYET
Docteur es lettres
Professeur à l'École supérieure de Marine,
« Le bien do la marine ne doit pas être
perdu un moment de vue, sans quoi c'est
jouer le sort et les avantages du royaume. »
"Vice-Amiral de Conflans.
« La marine opérera le salut du royaume
ou sa décadence. »
Duc de Choisbi;l.
OUVRAGK COURONNÉ
PAR l'académie des SCIENCES MORALES ET POLITIQUES.
Deuxième édition, revue et augmentée.
PARIS
LIBRAIRIE ANCIENNE HONORÉ CHAMPION, I^ÏDITRUR
5, QUAI MALAQUAIS, 5
1910
^l SIBLICTHECA
^*
) no
AU VICE-AMIRAL BIENAIMÉ
ANCIEN DIRECTEUR DE l'ÉCOLE SUPÉRIKURK DE MARINE
AU VICE-AMIRAL GERVAIS
ANCIEN MEMBRE DU CONSEIL SUPÉRIEUR DI LA. MARINE
HOMMAGE RESPECTUEUX ET RECONNAISSANT
AVANT-PROPOS
Le cours d'histoire maritime de la France que nous
avons l'honneur de professer devant les lieutenants de
vaisseau de l'Ecole supérieure de Marine avait pour sujet,
en l'année 1900, le règne de Louis XV. Plusieurs auditeurs
ont exprimé Je désir de voir paraître en volume les confé-
rences qu'ils avaient entendues. Nous répondons à ce
désir en publiant le présent ouvrage.
L'histoire maritime de la France n'occupe, ni dans
l'opinion, ni dans l'enseignement, la part à laquelle elle a
droit. Du règne de Louis XIV ou du règne de Louis XVI,
quelques rares noms de marins sont restés dans la mémoire
des Français. Pour l'espace de près d'un siècle qui sépare
l'âge des Du Quesne et des Tourville de l'âge des d'Orvil-
liers et des Sufîren, ou plus précisément pour le règne de
Louis XV, nos annales maritimes n'éveillent en général
que des idées peu précises. Cependant, cette histoire
existe: la marine du règne de Louis XV a travaillé, elle a
lutté, elle a souffert. L'histoire de ses efforts et de ses souf-
frances est un drame d'un intérêt poignant, dans lequel la
marine d'aujourd'hui et notre politique navale peuvent
toujours puiser des leçons. Aussi des officiers de l'Ecole
supérieure ont pensé qu'il était utile de faire connaître à
leurs camarades et au public l'histoire de notre marine
VIII AVANT-PROPOS
militaire pendant le règne de Louis XV. Nous souhaitons
que les pages qui suivent répondent à leur intention
patriotique.
Les chapitres de ce livre ont eu pour point de départ
nos conférences de Tannée 1900 ; mais ils sont loin d'en
être la simple reproduction. Refondus, révisés, augmentés
de beaucoup de documents, ils pourront paraître nouveaux,
dans une certaine mesure, aux auditeurs quienontconnu
la première ébauche.
îlls ont été écrits directement sur les pièces originales
des Archives de la Marine. Les histoires générales de la
marine ont peu de valeur pour cette partie du dix-huitième
siècle ; môme l'histoire particulière due à Tofficier qui
devait trouver à Hanoï la mort d'un héros ^ n'offre qu'une
utilité restreinte. Seules^ les études dans lesquelles le com-
mandant Ghabaud-Arnault a interprété, avec un remar-
quable esprit de clarté, les documents dont il disposait*,
constituent une œuvre d'un réel mérite; nous les avons
souvent consultées avec profit.
Etudiant à Paris même l'histoire de notre passé mari-
time, nous avions la facilité de consulter les pièces offi-
cielles qui s'y rapportent ; VÉtat .sommaire des Archives de
la Marine antérieures à la Révolution ^, qui est l'œuvre de
M. D. Neuville, permet désormais au travailleur de
1. Henri Rivière, Histoire maritime de la France au dix-huitième
siècle (Paris, 1855). L'ouvrage est annoncé en deux volumes ; mais un seul
a paru, qui a été publié aubsi ious ce titre plus exact :Z.a Marine française
B0U8 Louis XV.
2. Ch. Chabaud-Arnault, capitaine de frégate on retraite : Études his-
toriques sur la m,arine militaire de la France. L'ensemble for/iie une
longue série d'articles de la Revue maritime et coloniale. Neuf articles
intéressent le règne de Louis XV ; ils sont aux tomes CIX,CX, CXI, CXIV,
CXV, CXVll, CXVlll, années 1891-1893.
3. P&rii, 1808.
AVANT-PROPOS IX
s'orienter dans les diverses séries de ce riche dépôt. Au
ministère de la Marine, et surtout aux Archives nationales,
où se trouve déposée aujourd'hui la majeure partie des
archives maritimes de l'ancien régime*, nous avons
dépouillé les documents du règne de Louis XV. Ils nous
ont fourni un grand nombre de pièces intéressantes, et ils
constituent d'un bout à l'autre la trame de cet ouvrage '.
Grâce à ces documents d'archives, on a pu mettre sous
les yeux du lecteur, dans plusieurs appendices, la compo-
sition des plus importantes escadres et les états de service
d'environ cinq cents officiers de marine. Cette partie du
travail était longue et minutieuse; on a tout fait pour
échapper aux chances d'erreurs qu'elle présentait. Du
moins, la confection de ces listes ne nous a point paru
ingrate. En nous fournissant l'occasion de dépouiller les
dossiers individuels des officiers, elle nous a permis de
recueillir, daus ces documents personnels, beaucoup de
données historiques. Il faut ajouter que ces dossiers indi-
viduels font connaître sur les traditions et les sentiments
de l'ancien corps de la marine des détails du plus haut
intérêt, que les instructions el les relations officielles ne
fournissent pas d'ordinaire.
Une conclusion bien claire ressort de l'histoire navale
du règne de Louis XV : c'est que les destinées véritables
1. Notre confrère de la Société des Etudes historiques, M. Henri Cour-
teault, archiviste aux Archives nationales, a facilité no» recherches par son
extrême obligeance ; nous tenons à l'en remercier.
2. Abréviations employées dans les notes :
A. G. : Archives historiques de la Guerre ;
A. M. : Archives de la Marine ;
A. N. : Archives nationales ;
R. M. G. : Revue maritime et coloniale»
Voir à la p , 486 la liste des autres abréviations.
X AVAiNT-PKOPOS
de la France ne se jouèrent pas à cette époque sur les
champs de bataille du conlînenc, mais sui* les ciiamps de
bataille maritimes. Bien que les données des problèmes
historiques aient changé depuis le dix-huitième siècle ou
plutôt bien qu^elles aient paru changer, la puissance navale
de la France demeure toujours une coudilion essentielle
de sa grandeur dans le monde. La rocompen.^e la plus
chère de l'auteur de ce livre serait que rhisioire, mieux
connue, de Ja marine du [lass'^ roiirnit aux lecteurs des
raisons nouvelles d'aimer la mariue du présent.
Décembre 1904.
Eu faisant paraître, au bout de Sfpt ans, une deuxième
édition de cet ouvrage, nous Tavous soumise à la révision
la plus attentive. Les Additions et les Correclious ont été
fondues dans le texte ; quelques indlcatious nouvelles ont
été empruntées au.T Aichives de la Mariue ou à îles publi-
cations récentes. On a (out iail pour que le livre parut
répondre encoi'e davuuîage h la haute récompense que
i institut tui a accordée et à la laveur avec laquelle il a été
accueilli parles amis de l'iiisloiieet delà marine.
Seplembie 1909.
LA
MARINE MILITAIRE DE LA FRANCE
sous LE RÈGNE DE LOUIS XV
CHAPITRE PREMIER
ROLE DE LA MARINE DANS LA GRANDEUR POLITIQUE
DE l'ancienne FRANCE
La Cardinal d'Ossat. — Richelieu. — Colbert. — Les vicissitudes de
la marine sous Louis XIV. — Préjugés contre la marine et les
colonies sous Louis XV.
Dans une poésie sur le Commerce, couronnée en
1755 par l'Académie française, Lemierre a écrit ce vers
qui, mieux peut-être que la Veuve du Malabar, a sauvé
son nom de l'oubli :
Le trident de Neptune est le sceptre du monde.
Huit ans plus tard, la France perdait le « trident » de
Neptune » et elle parut sur le point de perdre aussi le
« sceptre du monde ». Le vers fameux que son auteur
ravi appelait le vers du siècle, c'est la traduction dans
deux images concises de la parole que l'antiquité attri-
buait à Thémistocle et qui était bien à sa place sur les
lèvres du vainqueur de Salamine : le peuple quiyeut
dominer sur la terre doit commencer par dominer sur
la mer.
Z LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
Puisque cette vérité a été souvent méconnue dans
l'histoire de la France, puisque son oubli est la cause
essentielle, pour ne pas dire unique, de la décadence de
notre marine depuis le traité d'Utrecht jusqu'au traité de
Paris, il n'est pas hors de propos de rappeler par quelles
vicissitudes elle est passée dans notre pays.
Nous ne remonterons pas plus loin que les premières
années du xvif siècle. On peut, sans doute, citer des évé-
nements antérieurs à cette époque qui seraient de nature
à mettre en évidence le rôle de la marine dans les des-
tinées de la France ; en particulier, on est en droit de
dire que la guerre de Cent ans, avec son cortège de
maux et de hontes, eût été impossible si les premiers
Valois avaient songé à se rendre maîtres de la Manche.
Mais il est difficile d'avancer que la France ait été réel-
lement une puissance maritime, digne de ce nom, avant
l'âge des Richelieu et des Colbert'. L'exposé de ces idées
générales aura le double avantage de résumer quelques
grandes leçons du passé et de servir d'introduction à
l'histoire de la marine militaire du règne de Louis XV.
Avant Richelieu qui traça, d'une main ferme et sûre,
le programme de notre puissance navale, un autre
homme d'Eglise, contemporain et ami de Henri IV, le
cardinal d'Ossat, avait écrit ces hgnes, d'une admirable
clairvoyance : <( Et c'est un de mes anciens regrets, et
un des plus notables et honteux manquements du pre-
mier royaume de la chrétienté, flanqué de deux mers et
situé par la nature au plus beau et avantageux endroit
de l'Europe pour faire et pour aider et empêcher toutes
grandes entreprises, tant par mer que par terre ; c'est
i . Voir notre ouvrage, de publication prochaine ; La Marine milU<*li-e
(le la France sous les règnes de Louis XIII et de Louis XIV.
LA MARINE DANS LA GRANDEUR DE l' ANCIENNE FRANCE, 3
dis-je, un de mes anciens regrets de voir que ce
royaume se manque à lui même. »
D'Ossat ne fait que constater un fait géograpliique qui
a été maintes fois relevé en faveur de la France mari-
time, cette position de notre pays à cheval sur la Médi-
terranée et sur l'Océan. Que cette situation ait des avan-
tages ; — que ce soit une bonne fortune d'avoir une
large fenêtre sur la mer qui fut jusqu'au xvi^ siècle le
centre à peu près unique de l'activité commerciale, et
qui, depuis le percement de l'isthme de Suez, est des-
tinée certainement à être une route très disputée dans
les guerres mariTimes de l'avenir ; — que ce soit
une autre bonne fortune de regarder sur l'océan
qui, depuis les voyages de Christophe Colomb et surtout
depuis l'émancipation des deux Amériques, commande
les plus grandes routes commerciales du monde et qui
fut le champ clos où tant de fois se mesurèrent les
Espagnols, les Français, les Anglais et les Hollandais ;
— qu'il soit nécessaire par suite, et d'une nécessité iné-
luctable, d'avoir des ports et des escadres et sur la Médi-
terranée et sur l'Océan, ou comme disaient nos pères, au
Levant et au Ponant : cela paraît trop évident pour qu'il
y ait à y insister.
Ce qu'on oublie trop souvent d'ajouter, c'est que ces
avantages ne sont pas sans de grands inconvénients,
comme la dispersion de nos forces navales et la difficulté
de leur concentration. Pendant deux siècles continus, au
xvf et au xvIl^ nos rois eurent à lutter contre l'Espagne.
Vers l'époque où finissait la rivalité franco-espagnole,
c'était la rivalité franco-anglaise qui commençait, et les
Anglais s'établissaient à Gibraltar et à Minorque. Ainsi
la porte unique par laquelle nos escadres du Ponant et
du Levant peuvent se donner la main s'est trouvée de
tout temps en la possession de nos ennemis et de nos
4 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
rivaux. Puis, que la route est longue et qu'elle a été
parfois périlleuse entre Toulon et Brest ! L'histoire du
XVII® et du xviii^ siècle fournit maint exemple des diffi-
cultés de cette circumnavigation, quand il s'est agi de
ce projet, toujours tenté, jamais réalisé, d'une descente
en Angleterre ; sous Louis XIV, le glorieux désastre de
la Hougue fut en grande partie le résultat de cette cause.
^ Mais, si la France n'a pas l'avantage des Iles Britan-
niques, dont toutes les mers se touchent et forment une
ceinture continue, il n'est pas moins certain que le car-
dinal d'Ossat avait raison de s'indigner qu'on eût encore
si peu compris les destinées maritimes de notre pays, et
que le cardinal Richelieu était en droit d'écrire quelques
années plus tard : « Il semhle que la nature ait voulu
offrir l'empire de la mer à la France pour 1 avantageuse
situation de ses deux côtes, également pourvues d'excel-
lents ports aux mers Océane et Méditerranée. »
Dans son Testament politique^ Richelieu raconte que
Antonio Ferez, réfugié auprès de Henri IV, et voulant
payer à celui-ci la généreuse hospitalité qu'il en avait
reçue, lui « donna en trois mots trois conseils qui ne
sont pas de petite considération : Roma, Consejo^ Pie-
lago. » Laissant de côté les avantages de décisions
prises après une enquête approfondie et impénétrable
ou les bienfaits d'une paix religieuse loyalement obser-
vée, le cardinal se borne, dans le chapitre intitulé « De
la puissance sur la mer », à commenter le dernier mot
du ministre espagnol. On lui emprunte le passage
suivant ; un lecteur non prévenu pourrait croire qu'il
n'a pas été écrit il y a plus de deux siècles et demi, car
il a été vérifié au cours de notre histoire par bien d'autres
événements que ceux du règne de Henri IV ou de
Louis XIII.
« Jamais un grand Etat ne doit être en état de recevoir
LA MARINE DANS LA GRANDEUR DE l' ANCIENNE FRANCE. 5
une injure sans pouvoir en prendre revanche. El
partant, l'Angleterre étant située comme elle est, si la
France n'était puissante en vaisseaux, elle [l'Angle-
terre] pourrait entreprendre à son préjudice ce que bon
lui semblerait sans crainte du retour. Elle pourrait em-
pêcher nos pêches, troubler notre commerce, et faire,
en gardant l'embouchure de nos grandes rivières^ payer
tel bon droit que bon lui semblerait, aux marchands.
Elle pourrait descendre impunément dans nos îles et
même dans nos côtes. Enfin, la situation du pays natal
de cette nation orgueilleuse lui ôtant tout lieu de craindre
les plus grandes puissances de la terre, l'ancienne envie
qu'elle a contre ce royaume lui donnerait apparemment
lieu de tout oser, lorsque notre faiblesse nous ôterait
tout moyen de rien entreprendre à son préjudice. »
Peu après le début de son ministère, lors de cette
assemblée des notables de 1626 qui fut pour lui le moyen
de faire connaître à la partie la plus éclairée de la
France les grandes lignes de l'œuvre qu'il projetait,
Richelieu, qui voulait secouer la torpeur de la nation,
n'avait pas manqué de faire rappeler par le garde des
sceaux notre infériorité maritime. « Nos voisins, disait
Michel de Marillac, vous ôtent la pêche des molues aux
Terres-Neuves (on voit que l'interminable débat entre
la France et l'Angleterre sur la pêche à Terre-Neuve
est bien antérieur au traité d'Utrecht) ; et, par l'aide de
plusieurs de nos voisins, on a déjà retranché de beau-
coup la pêche des harengs ; on vous a ôté celle des
baleines en Spilsbergue, et peu à peu ce qui reste à la
France se perdra si nous demeurons davantage en cet
endormissement. En quoi nous sommes d'autant plus
blâmables que nous avons dans le royaume toutes les
commodités nécessaires pour nous rendre forts sur
mer. » C'est encore à cette assemblée de 1026 que fui
G LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
prononcée une phrase d'une concision lapidaire, chère
aux défenseurs de la politique maritime, car elle résume
à merveille les deux parties essentielles du rôle de la
marine : <( On ne peut, sans la mer, ni profiter de la
paix ni soutenir la guerre. »
A propos de l'inten^ention des Anglais dans la lutte
entre Louis XIII et ses sujets de la Rochelle, le Mer-
cure Irançais^ qui était certainement dans cette circons-
tance lecho direct de la pensée du cardinal, publiait
un long Discours <( pour montrer qu'il est expédient au
roi pour le bien et la sûreté de son Etat de se rendre
fort et puissant sur mer, sans avoir besoin du secours
de ses voisins ». L'auteur anonyme, mais officiel, du
Discours parle en patriote qui souffre de voir la France
manquer à ses destinées maritimes. « Ce manquement,
dit-il, ou cette faiblesse dessus l'Océan nous fait mal au
cœur... Dieu a logé la France au lieu le plus commode
et avec les plus grands avantages de mer ; ...il lui a
voulu donner pour main droite l'Océan et pour gauche
la Méditerranée, et moyen par là de se servir puis-
samment de toutes les deux pour sa défense nécessaire
et une juste offensive, étant provoquée... »
Avec quarante vaisseaux dans les ports du Ponant,
bien outillés, bien équipés, toujours en état de prendre
la mer, avec un corps de trente galères toujours réuni
à Marseille ou à Toulon, Richelieu affirmait à Sa Ma-
jesté qu'elle en aurait « suffisamment pour se garantir de
toute injure et se faire craindre dans toutes les mers par
ceux qui jusques à présent y ont méprisé ses forces. »
El il tint parole ; car ce ne fut pas un vain titre pour lui
que celui de grand maître, chef et surintendant général
de la navigation et commerce. La France maritime
reconnaissante salue dans le cardinal-duc l'un des
hommes qui ont le plus fait pour elle.
LA MARINE DANS LA GRANDEUR DE l'ANCIENNE FRANCE. 7
Ce que le grand cardinal avait entrevu avec une admi-
rable netteté, ce qu'il avait commencé à exécuter du côté
de la mer, — et cela au milieu des préoccupations des^
guerres continentales, — Colbert, venu vingt ans
environ plus tard, le reprit, l'agrandit, le réalisa aussi
bien dans les détails que dans l'ensemble.
Le ministre de génie, à qui la France dut, en quelques
années à peine, des arsenaux comme Dunkerque, Brest,
Rochefort et Toulon ; — qui fît de la construction des
navires une industrie nationale ; — qui introduisit dans
le recrutement des équipages la grande idée du devoir
patriotique et les principes d'une administration régu-
lière, — qui mit sur mer les escadres des Beaufort
et des Du Quesne, et prépara celles des Château-Renault
et des Tourville; — qui jeta les bases de l'admirable
Ordonnance de 1689, introduisant l'ordre et la suite
dans les idées là où avaient régné avant lui la fantaisie
et l'incohérence : ce ministre est resté sans contredit le
plus grand administrateur dont la France maritime se
glorifie.
Non seulement Colbert, qui se survécut sept ans à lui-
même dans la personne d'un fils digne de recevoir son
héritage, donna à la France la plus belle des marines
alors connues, capable de tenir tête aux marines com-
binées de l'Angleterre et de la Hollande et de les
vaincre ; mais encore il comprit qu'une marine militaire,
à laquelle ne correspond pas un développement parallèle
du commerce maritime et de la pêche, qui n'a pas pour
s'appuyer, au loin des côtes de la patrie, des comptoirs
de commerce ou des postes militaires, en un mot des
colonies, n'est qu'une marine de luxe, manquant de
base, destinée tôt ou tard à disparaître. Le commandant
Mahan, de la marine des Etats-Unis, dans son livre
récent et déjà classique sur Vlnlluence de la puissance
8 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
marilime dans Vhlstoire, a fait de ce grand Français un
magnifique éloge ; à propos de son œuvre, il compare
justement la puissance maritime à une chaîne formée
^ de trois anneaux, la marine militaire, le commerce mari-
time, les colonies ^ Ce sont bien là, en effet, les trois
anneaux que Colbert forgea d'un vigoureux effort pen-
dant tout son ministère ; en les soudant l'un à l'autre,
il donna à la France cette suprématie maritime si
ardemment souhaitée par Richelieu.
« La jalousie de Louvois, dit Saint-Simon, écrasa la
marine. » Le conseiller de Louis XIV qui, d'accord avec
le successeur de Seignelay, parlait de remplacer nos
navires de guerre par des régiments chargés de défendre
les côtes, avait, certes, une singulière conception de nos
intérêts maritimes ; dans sa passion aveugle pour l'ar-
mée de terre, il ne réfléchissait pas que le commerce
extérieur et les colonies lui fournissaient les millions
nécessaires à ses régiments des Pays-Bas ou d'Alle-
magne, et que sans une marine militaire, forte et res-
pectée, il n'y a ni colonies ni commerce sur mer. Mais
la jalousie de Louvois fut loin d'être la seule cause de
cette décadence maritime, si douloureuse à constater
après le prodigieux effort de Colbert et de Seignelay.
La politique est la vraie coupable, elle qui, dans la
seconde moitié du règne de Louis XIV, réduisit peu à
peu la France, maritime et continentale, au rôle presque
exclusif de puissance continentale.
Louis XIV avait commis une grande faute en essayant
de ruiner la Hollande, dont les escadres auraient pu se
joindre aux siennes contre les escadres anglaises. La
révolution de 1688, en portant sur le trône d'Angleterre
1. Page 85 de la traduction française du capitaine de vaisseau E. BoissE ;
Paris. 1899.
LA MARINE DANS LA GRANDEUR DE l' ANCIENNE FRANCE. 9
le slathouder Guillaume d'Orange, fut la vengeance de
nos ennemis et un coup terrible pour notre politique
étrangère. Jusqu'alors l'habileté diplomatique du grand
roi avait trouvé le moyen de conjurer les effets de
l'orgueil et de la jalousie britanniques qui provoquaient
les inquiétudes patriotiques de Richelieu. 11 avait su
gagner à ses intérêts les Stuarts restaurés en 1660 ; si
bien que, durant vingt-huit ans ou d'alliance intime ou
de neutralité bienveillante, Charles II et Jacques II
n'avaient pas paru s'apercevoir qu'une puissance mari-
time de premier ordre dominait à présent sur les mers
où, quelques années à peine auparavant, les escadres
de Cromwell avaient régné en maîtresses. Mais à partir
de 1688, sous la vigoureuse impulsion de Guillaume III,
la Grande-Bretagne revint à sa politique traditionnelle
pour n'en plus dévier jamais. C'était une nouvelle guerre
de Cent ans ou de Cent vingt-cinq ans qui commençait :
Château-Renault en tira le premier coup de canon dans
la baie de Bantry et Wellington le dernier sur le champ
de bataille de Waterloo.
Le roi Très Chrétien releva d'abord le défi que lui
jetait la fortune ; l'enjeu de la lutte qui commençait était
sur la mer, puisque la mer seule pouvait ouvrir la route de
Londres : ce fut sur la mer qu'il essaya de triompher.
Dans une campagne presque continue de dix ans. Du
Quesne venait de lui donner la domination de la Médi-
terranée. Avec un ministre comme Seignelay et un
amiral comme Tourville, il voulut conquérir aussi l'em-
pire de la Manche. Après avoir triomphé sur mer de la
coalition des Espagnols et des Hollandais, il s'agissait
à présent de triompher sur mer de la coalition des An-
glais et des Hollandais.
Ce fut une courte entreprise de quatre ans, vigoureu-
sement commencée et conduite, mais tout à coup aban-
10 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
donnée sans raison vraiment sérieuse. On y peut voir en
raccourci, dans le débarquement en Irlande, dans la
brillante et en partie stérile victoire du cap Béveziers,
dans les savantes manœuvres de la campagne du large,
dans le projet de descente en Angleterre brusquement
interrompu par la bataille de la Hougue, la première
application de ces tentatives contre TAngleterre qui
reviennent si souvent dans l'histoire du xmu^ siècle. La
bataille de la Hougue, dont nous avons tant de droits
d'être fiers, ne fut pas la ruine de notre marine : certes
non. Mais elle fut la ruine de notre politique maritime,
ce qui fut pis. Louis XIV n'avait plus à ses côtés un
Seignelay pour lui redire que Londres était le vrai
objectif de notre politique ; les constructions maritimes,
les armements répétés des flottes de Brest et de Toulon
avaient coûté très cher et n'avaient rien rapporté. On
ne voulut pas voir que la cause de ces échecs était dans
la maladresse d'un roi détrôné, qui fut lui-même, à Lon-
donderry, à Drogheda, à Saint-Yast, le mauvais génie
de sa propre cause, ou encore dans la dispersion impru-
dente de nos forces militaires occupées de tous les côtés à
la fois, sur mer, aux Pays-Bas, sur le Rhin, en Piémont,
en Catalogne. La marine n'avait pas réussi ; la marine
fut délaissée, en attendant le jour où elle fut sacrifiée ;
on ne tint plus compte du rôle qu'elle devait jouer dans
la politique générale d'un pays comme la France. En ce
sens, la bataille de la Hougue eut des conséquences
vraiment désastreuses.
La grande guerre était finie, elle cédait la place à la
guerre de courses. L'audace des Jean Bart, des Forbin,
des Pointis, des Nesmond, des Cassard, des Ducasse,
des Du Guay-Trouin devait certes, jusqu'à la fin du
règne, infliger à l'ennemi des pertes cruelles ; mais elle
ne put jamais l'atteindre dans ses œuvres vives, elle ne
LA MARINE DANS LA GRANDEUR DE l'aNCIENNE FRANCE. 11
put même pas toujours mettre nos côtes à l'abri des
insultes des Anglais. Car le temps était arrive ou les
dangers maritimes dont le patriotisme de Richelieu
s'était alarmé n'étaient plus des chimères. Faut-il rap-
peler, dans l'espace de trois ans à peine, la tentative du
bombardement de Saint-Malo en 1693, la tentative de
débarquement à Camaret en 1694, le bombardement
avec la destruction totale de Dieppe en 1695, les bom-
bardements vers la même époque du Havre et de Calais ?
Versailles était trop loin de la mer pour qu'on y fît
attention à ces épisodes douloureux. On n'y avait des
yeux que pour les trophées que le Tapissier de Notre-
Dame ramassait à Fleurus et à Steinkerque, ou pour les
victoires de Câlinât en Piémont. Aussi, quand il s'agit
de traiter, Louis XIV dut reconnaître comme roi de la
Grande-Bretagne l'usurpateur de 1688. Ce jour-là la mer
triomphait de la terre, la Grande-Bretagne de la France,
parce que nous avions commis la grande faute de ne
pas laisser la guerre sur le théâtre même où les con-
ditions géographiques de notre pays l'avaient d'abord
placée.
Enfin, en 1700, s'ouvrait la succession d'Espagne ;
elle ne fut que trop, suivant le mot classique, le « pivot »
de la politique de Louis XIV : pour elle il avait, depuis
quarante ans, échafaudé bien des combinaisons, préparé
bien des traités de partage ; pour elle il venait de faire,
à Turin et à Ryswick, des sacrifices qui n'étaient pas
tous nécessaires. Or, cette succession si enviée, que la
fortune faisait tomber tout entière entre les mains de son
petit-fils, Philippe d'Anjou, se composait de morceaux
dispersés, qui à l'exception d'un seul, purement conti-
nental, le Milanais, tiraient de la mer une grande part
de leur importance politique et de leurs richesses, ou
qui ne pouvaient être en relations mutuelles que par la
12 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
mer : ainsi le royaume de Naples, la Sicile, la Sar-
daigne, les Baléares, l'Espagne, les Pays-Bas, les
Canaries, les Philippines, la majeure partie des Antilles
et des deux Amériques. Etant donnée celte situation
avant tout maritime de l'héritage espagnol, pouvait-on
imaginer que Louis XIV irait chercher la consécration
des droits de son petit-fils sur les champs de bataille du
Brabant, de la Flandre, de la Bavière, du Milanais et
de la Castille ? C'est pourtant la faute qui fut commise
' et qui, pour le malheur de la France épuisée, se pro-
longea pendant douze ans. Cette faute était devenue
nécessaire, depuis que Louis XIV, oublieux des pre-
mières années de son règne et de ses plus belles gloires,
avait sacrifié de parti pris la marine à l'armée de terre.
Si un Château-Renault n'avait pas essayé dans la baie
de Vigo de sauver les galions de la flotte espagnole, si
un comte de Toulouse n'avait pas livré la bataille de
Vêlez Malaga, si un Du Guay-Trouin n'avait pas traversé
tout l'Atlantique avec une escadre de corsaires pour
enlever et mettre à rançon Rio de Janeiro-, on aurait
pu croire que la marine n'existait plus dans la patrie des
Colbert et des Seignelay, des Du Ouesne et des Tour-
ville.
Cependant, tandis que la coalition européenne nous
chassait tour à tour de l'Allemagne, de l'Italie, des Pays-
Bas, entamait même nos frontières et se voyait déjà
sur la route de Paris si l'épée victorieuse de Villars ne
l'avait pas arrêtée à Denain, la mer appartenait sans
conteste à nos ennemis. Les Anglais prenaient à ^-evers
l'empire des Bourbons; un siècle à l'avance, c'é'iait la
tactique qui devait leur réussir contre l'empire cde Na-
2. Sur cette expédition de 1711, voir les documents publiés par, le lieute-
nant de vaisseau Maur. Delpeuch, Historique du « Du Guay^^irouin ».'
Farls, 1901. Cf. Norman, The Corsairs of France, Londres, 1887 h cliap. iv.
/■
i
s
{
i
LA MARINE DANS LA GRANDEUR DE l'aNCIENNE FRANCE. 13
poléon. Ils débarquaient en Portugal et, en remontant
la vallée du Tage, ils essayaient de s'ouvrir la route de
Madrid ; là du moins Berwick leur barra la route à
Almanza. Mais ils se jetaient sur Gibraltar, qui passait
pour imprenable et qui le fut en effet, hélas ! depuis
cette année 1704 ; ils se jetaient sur Minorque et sur son
havre excellent, Port-Mahon ; ils débarquaient à Barce-
lone les troupes de l'archiduc Charles, l'ennemi de Phi-
lippe V ; ils tentaient une descente sur les côtes du Lan-
guedoc ; ils bloquaient et bombardaient Toulon.
Comment s'empêcher de penser encore au Testament
de Richelieu, quand on voit les insultes des Anglais sur
les côtes de France commencer à partir du jour où
Louis XIV avait fermé les yeux aux intérêts maritimes
du royaume, et ne plus arrêter jusqu'à la paix d'Utrecht?
Que cette faute nous coûta cher ! Sans doute l'orgueil
dynastique du grand roi fut. satisfait ; son petit-fils avait
obtenu la couronne d'Espagne, mais à quel prix et
pour lui et pour nous ! L'héritage espagnol réduit à la
péninsule, Dunkerque démoli, les clefs du Canada et
celles de la Méditerranée livrées aux Anglais : telle fut
la triste fm d'un règne où la marine avait été pendant
vingt-cinq ans un élément si fécond de notre grandeur
politique, où elle ne demandait qu'à le rester et où elle
avait fini par être vouée à un abandon à peu près
complet.
On verra aux chapitres suivants dans quelle déca-
dence agonisait notre marine vers 1715, et combien la
pohtique de la Régence et du ministère de Fleury fut
plus coupable que la politique de la seconde partie du
règne de Louis XIV. Celle-ci pécha par une erreur
d'optique, que certaines conditions de la pohtique
continentale peuvent faire comprendre jusqu'à un cer-
14 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
tain point ; mais que dire de celle-là qui, volontairement,
sciemment, délibérément, poussa le mépris de nos
intérêts nationaux jusqu'à sacrifier, de e'aieté de cœur,
nos ports, nos navires, notre organisation maritime,
pour gagner les bonnes grâces de nos pires ennemis,
devenus tout à coup nos meilleurs amis ? Que peut-on
imaginer de plus antipatriotique et de plus malheureux ?
Cependant ce mensonge d'une amitié franco-anglaise,
conclue dès le lendemain du traité d'Utrecht et à de
pareilles conditions, ne pouvait pas durer longtemps.
La politique imagine parfois des combinaisons contre
lesquelles le sentiment national et l'intérêt national
finissent par se révolter. Vingt-cinq ans environ plus
tard, la France et l'Angleterre, que tant de querelles
mettaient aux prises dans les mers de l'Europe et aux
colonies, recommençaient la lutte, l'une pour sa re-
vanche, l'autre pour sa suprématie définitive.
Mais les leçons de l'histoire sont lettre morte pour
ceux qui s'obstinent à ne pas comprendre. Le gouver-
nement de Louis XV n'avait plus cependant à compter
avec la question de l'héritage espagnol et ses compli-
cations continentales. Alors il im.agina de chercher en
Bohême, en Thuringe ou en Saxe la solution du conflit
avec l'Angleterre. Pendant sept ans, il fit le jeu de Frédé-
ric II contre Marie-Thérèse ; puis, pendant sept autres
années, il fit le jeu de Marie-Thérèse contre Frédéric II :
c'est ce qui, dans l'un et dans l'autre cas d'ailleurs, s'ap-
pelle travailler pour le roi de Prusse. Frédéric II parlait
un jour de ces batailles que nous livrions sur les bords de
la Moldau ou du Main, alors que nos vrais ennemis
étaient sur les bords de la Tamise, de l'Hudson ou du
Godavérv, et il disait : « C'est comme si on les avait
livrées sur les bords du Scamandre. » Que de vérité
dans ce mot d'une amère ironie ! Jusqu'à Choiseul et
LA MARINE DANS LA GRANDEUR DE L\\NCIENNE FRANCE. 15
jusqu'à Louis XVI, ce fut un peu le caractère de toute
l'histoire de la France au xvm^ siècle, de se passer sur
les bords du ruisseau qui coulait près de l'ancienne
Troie.
Même dans ces jours d'aveugfement politique, notre
marine a une histoire. On la verra à l'œuvre ; on verra
que ni ses ministres ni ses amiraux n'ont été, pour la
plupart, les personnages frivoles, incapables, insou-
ciants que l'histoire conventionnelle a pris l'habitude
de représenter. On verra, par l'exposé de nombreux
projets de descente en Angleterre, encore inédits pour
la plupart, avec quelle persévérance les hommes du
métier songeaient à la question anglaise. Mais on verra
aussi qu'il y a dans l'histoire de ce passé, illustré de
tant d'actions d'éclat et riche de tant de combinaisons
militaires, je ne sais quoi d'irritant et de décourageant :
c'est de savoir que tous ces efforts individuels pour faire
de la France une puissance militaire et coloniale se
heurtèrent pendant si longtemps au mauvais vouloir
ou à l'indifférence de ceux qui avaient la direction géné-
rale de la politique.
En 1752, au moment où Dupleix, réduit cependant à
ses seules forces, était en train de fonder au Dekhan et
au Bengale un empire franco-indien, un commissaire
du roi près la compagnie des Indes, fidèle écho des
idées de Versailles, écrivait : <( On ne veut pas se rendre
une puissance politique dans l'Inde ; on ne veut que quel-
ques établissements en petit nombre pour aider et proté-
ger le commerce : point de victoires, point de conquêtes,
beaucoup de marchandises et quelque augmentation de
dividende ^ », comme si l'on pouvait avoir beaucoup de
3. Lettre d'ET. de Silhouette, du 13 septembre 1752 : Doneaud du
Plan, Ilisloire de la Compagnie française des Indes, R. M. C.,t. CI, p. 546.
16 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
marchandises et quelque augmentation de dividende
sans conquêtes et sans victoires, et comme si des
victoires dans l'Hindoustan étaient possibles sans une
forte marine. L'Inde, comme on l'a dit avec raison, est
un don de la puissance navale ^. En dépit de tout ce
qu'elle doit à Clive et à Waren Hastings, l'Angleterre
n'aurait jamais été maîtresse de l'Hindoustan^ si elle
n'avait commencé par être maîtresse de la mer. Car, si
les colonies sont nécessaires à une marine, une puis-
sante marine est encore plus nécessaire aux colonies,
car elle est la condition même de leur existence. Mais
comment faire comprendre ces vérités à Berryer, mi-
nistre de la marine ? Bougainville était venu lui de-
mander, de la part de l'héroïque Montcalm, les navires
qui pouvaient encore sauver le Canada aux abois.
« Monsieur, lui répondit le ministre, quand la maison
brûle, on ne s'occupe pas des écuries. »
Les Français qui conduisaient l'opinion publique par-
tageaient ou encourageaient les idées des gouvernants
et entretenaient dans le public les mêmes préjugés
contre la marine et les colonies. (( Les princes, selon
Montesquieu, ne doivent pas songer à peupler de grands
pays par les colonies ; l'effet des colonies est d'affaiblir
le pays d'où on les tire, sans peupler ceux où on les
envoie. »
Ce prétendu axiome, démenti par toute notre histoire,
que le Français n'a pas le génie colonisateur, ou cet
autre que les entreprises coloniales sont des folies, on
en trouverait l'écho dans maints passages de Voltaire.
« Vous connaissez l'Angleterre, demande un per-
sonnage de Candide ; y est-on aussi fou qu'en France ?
/i. Expression d'un officier anglais. Eardley-Wilmot : lï. M. C, t. CXI,
p. 132.
LA MARINE DANS LA GRANDEUR DE l'aNCIENNE FRANCE. 17
^ C'est une autre espèce de folie, dit Martin. Vous
savez que ces deux nations sont en guerre pour quelques
arpents de neige vers le Canada, et qu'elles dépensent
pour cette belle guerre beaucoup plus que tout le Canada
ne vaut. De vous dire précisément s'il y a plus de gens
à lier dans un pays que dans un autre, c'est ce que mes
faibles lumières ne me permettent pas. » Le 6 sep-
tembre 1762, Voltaire écrivait au comte de Choiseul :
(( J'entends la voix de beaucoup d'étrangers : tous
disent qu'on doit vous bénir si vous faites la paix, à
quelque prix que ce soit. Permettez-moi donc, Moi-
seigneur, de vous en faire mon compliment. Je suis
comme le public, j'aime beaucoup mieux la paix que
le Canada, et je crois que la France peut être heureuse
sans Québec. Vous nous donnez précisément ce dont
nous avons besoin. Nous vous devons des actions de
grâces ^ ...)>
Il faut ajouter que le mépris de Voltaire pour le
Canada était fait en partie de ses préférences pour la
Louisiane ^. En réalité, il nous tenait pour incapables
de rien fonder au delà des mers. Fonder une colonie,
écrit-il à un intendant de Sainte-Lucie, « ce n'est pas
où les Français réussissent le mieux. Nous aurons tou-
jours cent filles d'opéra contre une Didon"^. » Ce n'est
pas comme <( nos ennemis les Anglais, qui entendent
mieux la marine et le commerce que messieurs les Pa-
risiens s. »
5. Choiseul lui-même était à l'unisson de son oorrèepondant ; il lui anno»-
çait la perte du Canada sur ce ton d'élégant badlnage : « Si vous comptiez
sur nous pour les fourrures de cet hiver, je vous avertis que c'est en Angle-
terre qu'il faut vous adresser. » P. Calmettes, Choiseul et Voltaire, d'après
les lettres inédites du duc de Choiseul à Voltaire. Paris, 1902.
6. Voir sa lettre à Tronchîu du 5 mai 1758 et sa lettre à d'Argen-
tal du 1" novembre 1760. ,
7. A Chardon, lettre du 2 février 1767.
8. A Tronchin, lettre du 5 mai 1758.
2
18 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
Mais ces Parisiens ou ces Français, qui entendent si
mal la marine et le commerce, sait-on ce qu'ils avaient
fait au Canada et aux Antilles, à une époque où l'on
semblait ignorer l'existence de ces colonies ? Le Canada
avait, en 1688, 11000 habitants ; en 1721, 25 000 ; en
1759, 54 000. C'était peu encore pour peupler les im-
mensités du Saint-Laurent et des Grands Lacs ; mais
quelle merveilleuse vitalité de cette population dont le \
nombre quintuple en deux tiers de siècle ! A la Marti-
nique, à la Guadeloupe, à Saint-Domingue, de 1701 à
1754, c'est un accroissement de 61 000 blancs et de
296 000 noirs, et une population totale de 414 000 habi-
tants contre 245 000 dans les Antilles anglaises ^.
Que signifient les chiffres pour ceux qui volontai-
rement se mettent un bandeau sur les yeux ? Nos
colonies ont été prises, notre marine a été vaincue. Quoi
d'étonnant, si l'on n'a rien fait pour sauver nos colonies
et faire triompher notre marine ! Peu importe : colonies
et marine sont enveloppées dans la même réprobation ;
elles ne sont pas plus faites pour les Français que les
Français pour elles. Il y a intérêt à citer encore Vol-
taire, puisqu'il était le représentant le plus illustre de
l'opinion qui passait pour éclairée.
Dans le Précds du siècle de Louis XV ^^ nos désastres
maritimes de la guerre de Sept ans lui inspirent cette
réflexion : « Jamais les Anglais n'ont eu tant de supé-
riorité sur mer ; mais ils en eurent dans tous les temps...
Quelle est la raison de cette supériorité continuelle ?
N'est-ce pas que les Anglais ont un besoin essentiel de
la mer, dont les Français peuvent à toute force se
passer, et que les nations réussissent toujours, comme
9. Chiffres empruntés aux statistiques officielles publiées par L. Des-
champs, Histoire de la question coloniale en France, 1891 ; p. 234-235.
10. Cl)apitre xxxv.
LA MARINE DANS LA GRANDEUR DE l'aNCIENNE FRANCE. 19
on l'a déjà dit ^^, dans les choses qui leur sont abso-
lument nécessaires?... )> Voici enfin un mot cruel de sa
correspondance ^^ : « On a bien raison de dire de la
France :
Non illi imperium pelagi. »
Qu'on mesure à présent toute la profondeur de l'évo-
lution qui s'était opérée en un siècle et demi dans les
esprits : d'une part, Richelieu, qui écrit pour « repré
senter l'intérêt que le roi a d'être puissant sur la mer » ;
d'autre part, Voltaire qui n'accorde à la France d'autre
ambition que d'être une puissance continentale et qui
affirme que l'empire de la mer n'est point pour elle.
L'écrivain qui faisait à la France l'application malen-
contreuse d'un vers de YEnéide ne vécut pas assez long-
temps pour voir à quel point il s'était trompé. Quel
démenti la guerre d'Amérique ne devait-elle pas donner
bientôt à cette affirmation irréfléchie ! Chaque fois que
la France a voulu s'occuper sérieusement des choses de
la mer, elle a été capable sinon d'enlever toujours à ses
rivaux le (( trident de Neptune », du moins de le leur
disputer et de les obliger à en partager la possession
avec elle. ]\Iais on compte les fois dans son histoire où
elle a su se garder de l'obsession exclusive des ques-
tions continentales, où elle a su comprendre que, même
pour des questions qui paraissent purement continen-
tales, la solution se trouve bien souvent dans la pos-
session de la Méditerranée ou de l'Océan.
En exposant ces idées générales, on a voulu donner
à l'avance l'explication de nos revers et de nos succès
sur mer au cours du xvm^ siècle. Deux textes inédits, du
11. Dans son panégyrique de Louis XV (1748)
12. A Chardon, 3 avril 1767.
20 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
milieu du règne de Louis XV, peuvent servir ici de con-
clusion.
« Lorsqu'on a dit que la France ne devait pas être
une puissance maritime, — est-ce que celte hérésie n'a
pas encore reparu de nos jours ? — on connaissait bien
peu l'influence que la mer a sur la terre ; il faut qu'elle
le devienne, puisque c'est sur mer qu'on l'outrage. Et
il faut renoncer à être longtemps respecté sur terre Si
on ne se met pas en état de donner la loi par mer ^^... »
Cette citation est empruntée à un mémoire anonyme,
écrit vers 1750 : Moyens proposés pour agir le plus
nllensivement possible contre les Anglais et pour ra-
nimer en France le goût pour la marine.
Voici encore la même idée sous une autre forme :
« Le bien de la marine ne doit pas être perdu un moment
de vue, sans quoi c'est jouer le sort et les avantages du
royaume. )> Cette phrase se trouve dans une lettre que
le maréchal de Conflans écrivait au duc d'Aiguillon le
27 septembre 1757 i^. C'était deux ans avant la bataille
qui devait rendre tristement célèbre le nom du maréchal.
S'il fut un mauvais manœuvrier dans les parages de
Belle-Ile, du moins disait-il pleinement la vérité dans
cette lettre privée ; et n'aurait-il pas été en droit de
faire remonter une partie de la responsabilité de son
désastre au gouvernement imprévoyant qui, au lieu de
s'occuper du « bien de la marine >>, avait trop souvent
regardé vers les bords du Scamandre » ?
13. A. M.. B* 300, fol. 5!.
14. A. M. B* 7''i, fol, 1U4.
CHAPITRE II
INSTITUTION DU CONSEIL DE MARINE.
Etat de la marine en 1715. — Disgrâce de Jérôme de Pontchartrain. ~
Composition du Conseil de Marine.
Il ne semble pas que l'on puisse juger de deux ma-
nières la régence de Philippe II, duc d'Orléans. Ban-
queroute financière, banqueroute morale, banqueroute
politique, c'est sous les auspices de cette triple faillite
nationale que s'ouvrit le règne de l'arrière-petit-fils de
Louis le Grand : triste école pour former un prmce
absolu au sentiment de ses devoirs comme homme et
comme roi. Mais, sans songer à plaider les circonstances
atténuantes pour une époque qui n'en mérite pas, il
faut du moins constater que la succession transmise
par Louis XIV à Louis XV, ou plutôt au Régent, était
singulièrement lourde et obérée. La justice veut qu'avant
d'exposer tout le mal que la Régence fit à notre marine
militaire, on constate d'abord l'état dans lequel se trou-
vaient nos escadres, nos ports, nos équipages vers
l'année 1715.
Il est difficile d'exprimer par un chiffre précis la
valeur de notre effectif naval à cette époque. Les statis-
tiques ne concordent guère : l'une indique — pour 1712
22 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
— quatre-vingt-seize vaisseaux de 44 à 110 canons, plus
vingt-neuf autres bâtiments de nature diverse, soit en
tout cent vingt-cinq unités navales ^ ; une autre parle
— pour 1715 même — de quarante vaisseaux en tout 2.
Ce second chiffre peut être trop faible, mais le premier
est certainement trop fort, car il est trop voisin du chiffre
officiel de cent cinq vaisseaux de ligne et vingt-quatre
vaisseaux de cinquième rang, sans parler de divers
bâtiments secondaires et de quarante galères 3, qui
représente l'effectif de l'armée navale de la France en
1690, sous le ministère de Seignelay, à l'époque de sa
plus grande splendeur. Il faut ajouter, à propos de ce
matériel naval comme de bien des choses, que les
chiffres n'ont de sens que si l'on peut se rendre compte
de la valeur intrinsèque des objets qu'ils représentent :
cent vingt-cinq bâtiments peuvent être cent vingt-cinq
non-valeurs, et quarante bâtiments peuvent composer
des escadres de premier ordre.
Or, dans la flotte royale de la fin du grand règne, la
quantité n'était certainement pas compensée par la qua-
lité. On peut le deviner avec le système d'abandon pro-
gressif qui fut, sous le ministère des deux Pontchartrain,
le caractère de notre administration maritime et qui est
attesté par les chiffres de jour en jour décroissants
des états financiers de la Marine. En réalité, tous les
faits que l'on peut citer dans l'histoire de nos escadres
vers 1715 confirment la vérité générale de la triste pein-
ture que le maréchal de Villars, gouverneur de la Pro-
Tence, faisait en 1716 des ports de cette province et
1. BLANCHARD, Répcrloire générai des lois, décrets... sur la marine, 1849;
p. 698.
2. [Bajot], Revue de la marine française, an IX ; tableau à la fin du
Tolume.
3. r;tat sommaire des Archives de la Marine, 1898, p. 609 et suiv.
INSTITUTION DU CONSEIL DE MARINE. 23
qu'il rapporte dans les lignes suivantes de ses Mé-
moires * :
(( Le maréchal de Villars employait les jours qu'il
avait de libres à aller voir Toulon, la principauté de
Martigues... et quelques villes de Provence où le besoin
de sa présence et la curiosité le conduisaient. Il vit avec
douleur la destruction de cette redoutable marine qui
avait triomphé des puissances maritimes unies, c'est-à-
dire de l'Angleterre et de la Hollande. En effet, il
trouva à Toulon près de trente vaisseaux entièrement
abandonnés, citadelles flottantes dont quelques-unes
portaient cent vingt pièces de canon, et qui auparavant
allaient porter la gloire du roi, celle de la nation et la
terreur de nos armes jusqu'aux extrémités de la terre.
L'état des galères à Marseille était également déplo-
rable : il y en avait quarante dans ce port dont aucune
ne pouvait mettre à la mer, quoiqu'elles eussent le même
nombre de troupes et de forçats. Le maréchal de
Villars fut sensiblement touché à ce spectacle, et l'on ne
pouvait guère s'intéresser à la gloire du nom français,
qu'il avait si heureusement rétablie, sans ressentir le
malheur de voir la nation forcée pour longtemps de re-
noncer à triompher sur la mer comme sur la terre. »
Voltaire ne s'abandonnait donc pas à un mensonge
de poète quand il écrivait dans la Henriade, précisément
à l'époque de la Régence :
L'Océan se demande, en ses grottes profondes,
Où sont tes pavillons qui flottaient sur ses ondes.
Que faire de ces vaisseaux qui pourrissaient à Tou-
lon ? Un moment on songea à les vendre pour en tirer
4. Édition du marguis de Vogué (Société de l'histoire de France), t. IV,
p. 84-85.
OA
LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
un dernier parti et se procurer quelques maigres
ressources. La Régence faillit offrir à l'Europe ce spec-
tacle, la marine du grand roi mise à l'encan. Il y eut, en
effet, des pourparlers pour vendre au pape quatre
vaisseaux, que le Saint-Siège entendait prêter à Venise,
une fois de plus en guerre avec les Turcs. Il y en eut
aussi, pour le même objet, avec la république de Gênes :
que durent en penser les ombres de Seignelay et de
Du Quesne ? Ces marchés, d'ailleurs, n'aboutirent pas,
pour des raisons qui ne sont pas connues ; mais ce ne
fut certainement pas le fait d'un sentiment de révolte
patriotique à l'idée de vendre notre matériel de guerre
à des puissances secondaires, car on regretta plus tard,
paraît-il, que le marché n'eût pas été conclu ^.
Quoi de plus tristement éloquent sur l'affreuse misère
dans laquelle se mouraient les officiers, les équipages
et les vaisseaux, que ces dépêches officielles, envoyées
de Brest ou de Toulon au Conseil de Régence ou au
Conseil de Marine quelques jours après la mort de
Louis XIV !
« Il représente — c'est la dépêche d'un intendant de
la marine à Brest, en date du 18 septembre 1715 — que
le corps de la marine à Brest n'a plus aucune ressource
pour subsister et que les officiers attendent avec impa-
tience les secours qui leur ont été promis. » En marge
du registre où est retranscrite cette dépêche, on trouve
cette réponse, que l'on peut lire, à peu près toujours
la même, presque à chaque page : « Décision du Conseil
de Régence : Son Altesse Royale a destiné des fonds
pour les dépenses de la marine et les fera délivrer le
plus promptement possible ^. »
Du port de Toulon, du 15 septembre : « Les gardiens,
5. V. BRUN, Guerres maritimes de la France, I86I ; t. I, p. 154-155.
6. A. M. B' 1, fol. 8.
INSTITUTION DU CONSEIL DE MARINE. 25
canonniers et apprentis canonniers n'ont rien reçu de
cette année ; quelques-uns sont morts de faim et de
misèi'e ; les officiers des deux espèces [l'épée et la plumej
sont à peu près dans le même cas. » En marge : « Le
Conseil estime qu'il est nécessaire de leur envoyer au
plus tôt de l'argent, ce service étant très pressé. Son
Altesse Royale y pourvoira le plus promptement qu'il
se pourra. »
Du même lieu, à la même date, voici une dépêche
qui, par un détail d'habillement, permet de sonder la
profondeur de cette misère : « Les officiers de son dépar-
tement [Toulon] sont dans une si grande misère qu'il ne
croit pas, dit l'intendant, que la plupart puissent prendre
le deuil [du feu roi]. Il serait juste de les soulager le plus
promptement qu'il sera possible. » En marge : « Le
Conseil ne peut que représenter l'extrême besoin de
fonds. Mgr le duc d'Orléans a ordonné des fonds qui
seront remis incessamment"^. »
Continuons l'exposé de ces tristesses. Le bailli de
Bellefontaine » écrit de Toulon, le 6 octobre : (( 11 ne
peut trop représenter la misère des officiers et l'état
fâcheux des vaisseaux, dont on a beaucoup de peine
d'en tenir plusieurs à flot ; ils dépérissent de manière
qu'il sera impossible de les radouber, et s'il faut attendre
l'arrangement des Conseils pour envoyer des fonds,
ces vaisseaux seront absolument perdus. » On passe la
réponse.
Du chevalier de Vattaii, capitaine de la compagnie
des gardes, c'est-à-dire des élèves-officiers de Toulon ^ :
7. A. M., B' 1, fol. 296.
8. Jacques-Auguste, bailli de Bellefontaine de La Malmaison. De
Paris, E., 31 mars 1665; L., 1667; C, 12 déc. 1673; CE., 1" janv. 1703; LG.»
G oct. 1712 ; -|- 23 janv. 1720, Toulon. A. M., C 161.
9. Le bailli de Vattan. De Normandie. G., 24 déc. 1680 ; L., 1" janv. 1691 ;
C, 1" janv. 1703; commandant des gardes-marine de Toulon, 17 avr. 1714 ;
CE., 27 mars 1728 ; ^ 1" août 1738, Toulon. A. M., C 161.
26
LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
(( La misère des gardes est si grande que quelques-uns
ne vont point aux salles faute de souliers et ne vivent
que de charité. Il n'ose les mettre en prison, n'ayant pas
de quoi s'y nourrir. Cependant cette tolérance est pré-
judiciable au service et à la discipline qu'il doit leur
faire observer ; cette troupe est la seule — il ne semble
pas que cette affirmation soit exacte — qui ne touche
point de prêt depuis plusieurs années. Il sérail juste de
leur faire donner trois mois. » La réponse ne varie pas :
« Le Conseil y pourvoira le plus tôt qu'il se pourra i°. »
Même détresse chez les professeurs, avec les détails
qui seraient comiques s'ils n'étaient point aussi tristes.
« Le maître d'hydrographie, écrit le commandant des
gardes à Rochefort, n'a plus de sphère, plus de compas
ni de cartes... Le maître d'escrime n'a plus que deux
fleurets et point de sandales... »
C'est probablement à cause de cette misère que le
Conseil de Marine autorisait, en 1716, le mariage d'un
garde de Toulon avec une « vieille veuve » (sic), âgée de
soixante-huit ans. Le commandant de la compagnie
avait écrit à ce sujet : « La vieille veuve offre de faire
au garde une donation de tout son bien, qui est au moins
de vingt mille livres, qui est une espèce de fortune pour
ce jeune homme dans la mauvaise situation de ses
affaires ^^. » Mais des expédients de cette nature n'étaient,
ni à la portée ni au goût de tout le monde. Aussi les
officiers continuaient de mourir de faim en attendant
l'arriéré de leur solde.
L'intendant Vauvré, membre du Conseil de Marine ^^
10. A. M., B' fol. 322, 325.
11. Histoire de l'Ecole navale et des institutions qui l'ont précédée, par un
ancien officier, 1889 ; p. 74, 83.
12. Louis Girardin, seigneur de Vauvré. E., 1665 ; commissaire ordinaire
de la marine, janv. 1670 ; commissaire général à Rochefort, 1673 ; intendant
à Toulon, 1680 ; conseillôr du Conseil de Marine ; mort à Paris, 29 sept. 1724.
INSTITUTION DU CONSEIL DE MARINE. 27
écrivait à l'administrateur du port de Toulon : « Un de
mes étonnements est de voir la constance des officiers
de tous rangs et comme ils peuvent subsister. Mgr le
comte de Toulouse, M. le maréchal d'Estrées et nous,
ne cessons de représenter leur malheureuse situation ;
mais quelque pitié qu'elle fasse à M. le duc d'Orléans,
nous voyons qu'il est dans l'impossibilité d'y remé-
dieras. »
Dans un mémoire de 1710, Fénelon avait fait de la
situation de la France une effrayante peinture : « C'est
une vie de bohèmes et non pas de gens qui gouvernent.
Il paraît une banqueroute universelle de la nation. »
Dans sa fameuse lettre à Louis XIV, écrite environ
quinze ans plus tôt, il disait déjà : « La France entière
n'est plus qu'un grand hôpital désolé et sans provi-
sions. )) Hôpital ou cimetière, c'est l'image qui vient à
l'esprit, quand on se rend compte, documents en mains,
de cette prodigieuse misère des hommes et des choses
dans la marine française à la fin du règne de Louis XIV.
A qui faire remonter la responsabilité d'une situation
si triste ? Les Mémoires de Saint-Simon rapportent —
avec cette abondance de détails et cette satisfaction
débordante qui sont familières au terrible annaliste quand
il s'agit de personnages dont il a fait ses victimes, —
que le P"* octobre 1715 et le lendemain il y eut deux
séances au Conseil de Régence, en présence du secré-
staire d'Etat de la marine, Jérôme de Pontchartrain, pour
examiner la situation de son département. Le maréchal
d'Estrées lut le premier un mémoire où l'administration
de Pontchartrain était prise à partie ; puis le comte de
A. M., C 161 ; Etat sommaire des Archives de la Marine antérieures d la
Mévolution, p. 83, 377.
13. Brun, Guerres maritimes..., t. I, p. 152.
28 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
Toulouse en Lut un autre (( le plus amer, le plus cruel
qui fut jamais» ; l'amiral de France y montrait « que
de propos délibéré, il — Ponchartrain, qui assistait à
la lecture de ces actes d'accusation — avait ruiné la ma-
rine, et très nettement qu'il ne s'y était rien moins que
ruiné lui-même. »
L'accusé ne pouvait rester sous le coup de ces impu-
tations. Il composa, lui aussi, un mémoire sur son admi-
nistration : évitant les personnalités et la discussion des
menus détails, il s'efforça d'y présenter les choses sous
un tout autre jour et de plaider sa cause, surtout,
semble-t-il, en vue de la postérité. Voici quelques pas-
sages de ce plaidoyer inédit, conservé aux Archives de
la Marine ^^ :
« A considérer la marine et les galères de France
dans l'état où elles sont aujourd'hui par rapport à celui
auquel elles étaient en 1690, lors de la mort de M. de
Seignelay, et celui auquel elles se trouvaient en 1699
lorsque mon père fut fait chancelier de France, il n'y a
personne qui ne me condamne d'avoir laissé périr entre
mes mains à ce point deux corps aussi respectables, et
les personnes qui seraient les plus prévenues en ma
faveur ne pourraient me justifier de négligence si on
en demeurait à l'extérieur ; mais, quand on voudra bien
considérer les malheurs arrivés à la marine pendant le
temps que j'en ai été chargé, le défaut de fonds conti-
nuel, je me flatte que l'on sera encore plus étonné de
voir qu'elles subsistent que de les voir déchues. » Le
secrétaire d'Etat imputait avant tout cette décadence
aux expédients financiers auxquels il avait été réduit,
par le refus des contrôleurs généraux de lui venir en
aide ; il expHquait à quelles combinaisons désastreuses
14. G 127, fol. 4-9.
INSTIT'JTION DU CONSEIL DE MARINE. 29
il s'était trouvé acculé. En concluant, il rappelait
(( toute la peine et tout le travail qu'il a fallu se donner
pour soutenir pendant quinze années entières — quoique
mal — toutes les parties d'un service tel que celui-là,
sans argent, sans secours et avec toutes les contra-
dictions imaginables de toute part. )> Ces « contradic-
tions » auxquelles faisait allusion le ministre en
disgrâce, c'était bien la vraie cause de la ruine de la
marine ; et par ce mot il faut entendre non pas les
conflits de personnes, comme les contestations de Pont-
chartrain avec le comte de Toulouse, mais l'orientation
purement continentale de la politique de Louis XIV
dans les vingt dernières années de son règne.
Il ne s'agissait pas de tenir compte des arguments
justificatifs du ministre ; il s'agissait de se débarrasser
d'une personne dont la présence au Conseil de Régence
était « insupportable » à toute une cabale ; ^1 fallait ne
pas se laisser (( salir par cette araignée venimeuse que
chacun souhaitait dehors ». Saint-Simon, qui parle
ainsi, se chargea de l'affaire ; il proposa à son ami le
Régent de demander à Pontchartrain la démission de
sa charge de secrétaire d'Etat et de l'attribuer sur-le-
champ, comme un moyen de gagner le grand-père, au
jeune Maurepas, fils aîné de « l'araignée venimeuse » ;
en attendant que Maurepas, qui n'avait que quinze ans,
fût en âge de faire les fonctions de sa charge, on le ferait
suppléer par son parent, le marquis de La Vrillière.
L'expédient fut approuvé par le Régent ; le lendemain,
4 novembre, Saint-Simon avait amené le chancelier
Ponchartrain à faire démissionner son fils, et la substi-
tution des personnes était accomplie. Laissons Saint-
Simon croire que <( cette nouvelle répandit la joie dans
Paris et après dans les provinces », quand on apprit le
sort de cet « ex-baclia si rude et si superbe » ; laissons
30 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
le s'applaudir <( d'avoir perdu Pontchartrain et sauvé
sa charge à son fils. » Voyons plutôt ce que le nouveau
gouvernement décida pour la marine.
Dans ses conversations avec le Régent, qui forment
comme un programme complet de réorganisation poli-
tique, Saint-Simon n'avait pas manqué de le presser
« de songer, autant que les finances le pourraient porter,
au rétablissement de la marine » ; il se rappelait avec
douleur le temps peu éloigné où le feu roi avait disputé
l'empire de la mer à l'Angleterre et à la Hollande réunies,
avait remporté des succès et des victoires, et voici que
depuis quelques années l'Angleterre couvrait la mer de
ses vaisseaux et y donnait la loi à toutes les puissances.
Les moyens de restauration qu'il proposait n'étaient
d'ailleurs que des palliatifs impuissants, comme cela
est arrivé plus d'une fois à cet écrivain admirable, si
perspicace à voir le mal, si éloquent à le décrire, et
souvent si chimérique dans les remèdes qu'il imaginait.
Il parlait d'augmenter l'émulation dans la marine,
d'augmenter pour elle le nombre des récompenses, de
lui affecter, — ce qui n'eût été d'ailleurs qu'une œuvre
d'administration bien entendue, — le gouvernement de
tous les ports et de tous leurs états-majors. En attendant
l'examen de ces questions de détail, on dota tout de suite
l'administration de la Marine de l'un de ces conseils
que l'on regardait alors comme le remède souverain
contre les abus de l'omnipotence ministérielle
C'était, disait-on, une des idées du feu duc de Bour-
gogne, le père du jeune Louis XV, de mettre un terme
à « la tyrannie que ces cinq rois de France Lie contrôleur
et les secrétaires d'Etat] exerçaient... sous le nom du
roi véritable, » et de les précipiter de « l'insupportable
hauteur où ils étaient montés. » A cet effet, une décla-
INSTITUTION DU CONSEIL DE MARINE. 31
ration du 15 septembre 1715 portait établissement de
sept conseils de gouvernement, non compris le Conseil
de Régence. Une ordonnance du 3 novembre organisait
spécialement le Conseil de Marine ; quelques mois plus
tard, le 11 juillet 1716, une nouvelle ordonnance, formait
le règlement définitif de ce conseil. Voici les points inté-
ressants de cette charte administrative en trente ar-
ticles 1^.
Le Conseil de Marine se tiendra dans une des salles
du palais du Louvre deux fois par semaine et même plus
souvent, selon que la multiplicité des affaires l'exigera.
— Il sera composé du maréchal d'Estrées, président^ ;
du maréchal de Tessé,, du marquis de Coëtlogon, du
marquis d'Asfeld, du comte de Champigny, des sieurs
Renau, FerrancI, Bonrepaus, Vauvré, conseillers ; du
sieur de La Chapelle, secrétaire. — Le comte de Tou-
louse, amiral de France, y assistera toutes les fois qu'il le
jugera à propos. — Le Conseil sera chargé de tout ce qui
concerne la marine du Levant et du Ponant, les galères,
les consulats, les colonies, pays et concessions des Indes
orientales et occidentales et d'Afrique, les fortifications
des places maritimes ci-après dénommées... — Les affaires
seront préparées par le comte de Toulouse d'accord
avec le président, puis délibérées dans le Conseil et
décidées à la pluralité des voix, la voix du comte de
Toulouse étant prépondérante en cas de partage. — Le
comte de Toulouse et le président rendront compte au
Régent des affaires sur lesquelles il sera nécessaire de
recevoir ses ordres.
La composition du Conseil, qui avait été arrêtée entre
le duc d'Orléans et Saint-Simon, est la meilleure preuve
15. A. M., A' 51 ; B' 7, fol. 24-32. (Cette ordonnance ne figure pas dans le
Recueil des ancievnes lois françaises d'ISAMBERT.) Cf. L'Etat de la France,
année 1718 ; t. III.
32 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
que le haut personnel de la marine se composait encore,
même en ces jours de détresse, d'hommes d'une réelle
valeur.
Le comte de Toulouse ^^ ce bâtard royal, qui a trouvé
grâce devant Saint-Simon, méritait, moins par sa
fonction d'amiral de France que par les quahtés dont
il avait fait preuve à la bataille de Velez-Malaga, le titre
de chef du Conseil ; il suivait avec intérêt et compétence
les questions maritimes ; il aimait à s'en entretenir avec
le marquis de Villette, dont les Mémoires furent rédigés
à son intention i"^, ou avec le secrétaire de ses comman-
dements, M. de Valincour, auteur de divers écrits sur
la marine et dont on aura à parler plus loin. De lui-
même on a conservé un intéressant Mémoire sur la
marine^ de 1724, qui est à l'honneur de son sens poli-
tique et de ses qualités d'administrateur.
Victor-Marie d'Estrées, le second vice-amiral et ma-
réchal de ce nom i^, avait été chargé, en 1692, du com-
mandement de l'escadre de Toulon, qui devait rejoindre
Tourville pour la descente en Angleterre ; il avait eu,
avec le comte de Toulouse, une part glorieuse à la
journée de Malaga. « Homme droit, d'honneur, sachant
et connaissant bien la marine ^^ » : c'est ainsi que le
définit Saint-Simon.
IG. Louis-Alexandre de Bourbon, comte de Toulouse, fils légitimé de
Louis XIV et de M°" de Montespan, né à Versailles, le 6 juin 1678 ; mort à
Rambouillet, le 1" décembre 1737 ; nommé amiral de France le 23 no-
vembre 1683.
17. Philippe de Valois, marquis de Villette, né en 163-2; capitaine de
vaisseau. 12 mars 1672 ; chef d'escadre, 1" Janvier 1686 ; lieutenant général,
1" novembre 1689 ; mort en 1707. Voir la notice de Monmerqué. en tête
de son édition des Mémoires du marquis de Villette, 1844. (Publication de
la Société de l'histoire de France.)
18. Fils du vice-amiral et maréchal Jean d'Estrées ; né le 30 novembre 1660,
mort le 28 décembre 1737. Du vivant de son père, 11 avait porté le nom de
maréchal de Cœuvres.
19. Quand il rapportait au Conseil de Régence les affaires du Conseil de
Marine, il manquait de méthode, d'après ce passage de Saint-Simon
INSTITUTION DU CONSEIL DE MARINE. 33
Tessé 20, Coëtlogon 21, d'Asfeld 22, Champigny 23 étaient
des officiers de mérite, avec de brillants états de ser-
vice. Benaii d'Eliçagaray , dit le petit Renau 2^, était cet
ingénieur de la marine que l'invention des galiotes à
bombes avait rendu justement célèbre.
Les trois autres conseillers appartenaient à la
(( plume ». Girardin de Vauvré était peut-être le meilleur
intendant de la marine ; Ferrand était un maître des
requêtes ; d'Usson de Bonrepaus, intendant général,
qui avait été le principal collaborateur de Colbert pour
la création du service des classes et le premier directeur
de ce service, s'était toujours montré un administrateur
hors de pair. Pour le secrétaire, La Chapelle 25, c'était
un ancien commis de Pontchartrain, que celui-ci avait
chassé de ses bureaux et que Saint-Simon fit choisir
par esprit de représailles.
Bref, il eût été difficile de trouver des noms se recom-
mandant mieux que ceux des onze personnes qui, à
titres divers, composaient le nouveau Conseil, et on ne
peut qu'applaudir à ces choix. Cependant on peut
{Mémoires, édition de 1873 ; t. XII, p. 262) : « La Vrillière le comparait
plaisamment, mais trop justement, à une bouteille d'encre fort pleine,
qu'on verse tout à coup et qui tantôt ne fait que d'égoutter, tantôt ne
Jette rien, tantôt vomit de {sic) flaques et de gros bourbillons épais. » La
même comparaison se trouve aussi au t. III, p. 376.
20. René de Froulay, comte de Tessé ; né vers 1650 ; maréchal de
France (1703) ; général des galères (1712) ; mort le 30 mai 1725. Il était entré
au Conseil de Marine comme général des galères. Saint-Simon rapporte
{Mémoires, année 1717 ; t. XII, p. 97) que le dépit de voir Tallart entrer
au Conseil de Régence amena Téssé à se retirer du Conseil de Marine
« Mais il se garda bien d'en rendre les appointements. Ce vide ne fit aucune
sensation. »
21. Vice-amiral du Levant et maréchal de France, Alain-Emmanuel de
Coëtlogon, né en 1646, mort le 7 juin 1730.
22. Le marquis d'Asfeld, maréchal de France, mort le 7 mai 1743.
23. Antoine Boschard, comte de Champigny, lieutenant général des
armées navales, mort le 23 octobre 1720
24. Né dans le Béarn en 1652 ; mort le 30 septembre 1719,
25. Sur Henri de Bessat de La Chapelle, voir l'Etat sommaire des Archives
de la Marine, p. 39, note 1.
3
34 LA MARINE MILITAIRE SOUS LO^ IS XV.
s'étonner de ne pas trouver sur cette liste le nom de
Du Guay-Trouin, le corsaire devenu chef d'escadre qui,
au temps de notre plus grande misère navale, avait
rendu les armes du roi victorieuses au bout du monde.
Cet oubli s'explique peut-être par le préjugé contre les
officiers « bleus )>, qui régnait alors dans le corps de
la marine et dont l'histoire du xviii^ siècle n'offre que
de trop fréquents et fâcheux exemples ; du moins, il fut
réparé, dans une certaine mesure, quelques années plus
tard.
Le Régent fit entrer en 1723 l'illustre Malouin, avec
quelques autres officiers de marine, dans le Conseil des
Indes. Dubois lui demanda alors des mémoires sur le
commerce et la marine. Après la mort du premier mi-
nistre, le duc d'Orléans continua à le consulter, mais
sans tenir grand compte de ses conseils, car Du Guay-
Trouin ne cessait de représenter l'utilité d'entretenir
une marine qui fût toujours prête et capable de nous
faire respecter sur mer ^^.
26.
Vie de M. Du Guay-Trouin écrite de sa main Paris, 1884, p. 212.
CHAPITRE III
LA MARINE ET LA POLITIQUE EXTÉRIEURE DE LA RÉGENCE,
Les économies du Conseil de Marine. — Le revirement de la politique
extérieure. — La tentative du Prétendant. — Dubois aux Affaires
étrangères. — La question de Dunkerque. — La Triple .'Mliance
— Guerre entre la France et l'Espagne. — Le Dépôt des cartes et
plans.
La situation de la marine, que le Conseil eut à exa-
miner tout de suite, était lamentable, les témoignages
déjà rapportés ne le montrent que trop ; cependant, elle
n'était pas absolument désespérée. Le corps des officiers
avait toujours sa même capacité professionnelle et son
même dévouement patriotique ; si trop de bâtiments
étaient hors de service, beaucoup d'autres n'avaient
besoin que de réparations ou d'entretien ; malgré
l'abandon où on les avait laissés, nos arsenaux n'étaient
pas complètement dégarnis. La restauration de la
marine n'était donc pas impossible ; mais pour atteindre
cette fin, indispensable à la vraie grandeur du pays,
deux conditions étaient nécessaires : les moyens maté-
riels et surtout la volonté énergique de réagir. Or, on
n'avait pas d'argent et moins encore de désir de faire
quoi que ce fût pour la marine.
« Le Conseil y pourvoira le plus tôt qu'il se pourra. »
C'était, comme on l'a vu la réponse de style que le Con-
36 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XY-
seil opposait à toutes les demandes d'argent, même les
plus urgentes. Dans l'épuisement irrémédiable où se
trouvaient les finances, il ne put jamais y <( pourvoir »,
et il prit le parti d'affecter à la Marine des sommes qui
pouvaient lui permettre peut-être d'agoniser encore pen-
dant quelques années, mais non certes de revivre. Pour
mieux comprendre l'écart avec le passé, rappelons que
vers 1662 la dépense moyenne annuelle pour les ser-
vices maritimes était d'environ trois millions ; elle s'était
élevée très vite à une dizaine, puis à une douzaine de
millions ; pendant les dix années de la guerre de la
ligue d'Augsbourg, elle avait été de vingt-cinq millions
par an, souvent plus : ainsi, en 1691, — c'est le chiffre
maximum, — de 33 430 000 livres. Après avoir fléchi,
à la suite de la paix de Ryswick, jusqu'à une douzaine
de millions, les dépenses remontèrent encore à plus de
trente millions en 1705, puis en 1707, elle retombèrent
à quatorze ^ Ces chiffres pourront paraître encore élevés
si l'on songe aux misères atroces de la guerre de la
Succession d'Espagne.
Dès ses premières séances, le Conseil de Marine
décida qu'à partir de 1716 les fonds de la Marine ne
seraient plus que de huit millions et qu'il en serait
accordé d'extraordinaires pour les armements lorsqu'il
y aurait lieu d'en faire ; par armements, il fallait en-
tendre non les campagnes en temps de guerre, mais la
mise en état des navires pour le service ordinaire du
temps de paix. Sur ce total de huit millions la moitié n'in-
téressait pas le budget propre de la Marine, car un million
et demi de livres étaient affectées aux galères et deux
millions et demi aux colonies. Les quatre millions
1. Chiffres pris dans l'Etat sommaire des Archives de la Marine, p. 609
ei suiv.
LA MARINE ET LA POLITIQUE DE LA RÉGENCE. 37
restants suffisaient à peine aux dépenses indispensables,
solde des officiers et des troupes, entretien des hôpilaux,
comptabilité des ports, etc. Sur une cinquantaine de
vaisseaux qui existaient en 1715, on pouvait tout au
plus en entretenir quelques-uns, de manière à les em-
pêcher de devenir tout à fait hors de service ; quant à
en construire de nouveaux pour remplacer les non-
valeurs, il n'y fallait point songer.
Maurepas, qui donne ces tristes détails dans ses Ré-
flexions sur le commerce et sur la marine 2, ajoute cette
remaraue : « Parmi les motifs qui ont pu porter à ré-
duire ainsi la marine, j'ai reconnu que l'économie y
avait beaucoup moins de part que le système politique
que l'on s'était formé pendant la Régence, de ne point
donner de jalousie aux puissances maritimes, surtout
à la Grande-Bretagne. » C'était mettre le doigt sur la
plaie.
Il faut, en effet, chercher dans la politique extérieure
du Régent, devenue comme une tradition pour les mi-
nistres qui le suivirent, la vraie explication de cette
ruine si longue de la marine française. Au bout de près
de deux siècles, il semble qu'on éprouve comme une
honte patriotique d'exposer ces défaillances de la
France ; on songe malgré soi au mot du Discours ano-
nyme de 1626, rapporté dans notre premier chapitre :
« Ce manquement... nous fait mal au cœur. » Et il ne
s'agit pas ici d'un «manquement» dû à cette inintelligence
de nos intérêts maritimes qui pesa sur la France jusque
vers Richelieu : il s'agit d'un abandon de notre marine,
calculé, volontaire, systématique, pour le plus grand
plaisir et profit de nos voisins d'outre-Manche. Avant de
2. Mémoire de 1745. A. M., G 127, fol. 29 et suiv.
38 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
travailler pour le roi de Prusse, le gouvernement de
Louis XV devait commencer par travailler pour le roi
d'Angleterre. Pourrait-on imaginer un pire système de
politique étrangère ?
Nous avons reproché à Louis XIV d'avoir renoncé,
après la bataille de la Hougue, à continuer la grande
guerre sur mer et à conquérir la route de Londres pour
se frayer celle de Bruxelles, de Vienne, de Milan, de
Madrid. Du moins, il n'avait cessé de comprendre de
quel poids l'inimitié de l'Angleterre pesait sur notre
politique, depuis la fatale révolution de 1688. Pour en
conjurer les effets désastreux, il avait imaginé d'opposer
à la puissance anglaise une sorte de coalition continen-
tale par l'union de la France et de l'Espagne ; de là,
ses efforts désespérés pendant treize ans, et en partie
couronnés de succès, pour assurer à son petit-fils la
succession des Habsbourg d'Espagne. Quelle devait donc
être notre attitude politique après la paix d'Utrecht ?
A l'égard de l'Angleterre, une attitude de réserve,
comme il convient à une grande puissance que la for-
tune a momentanément trahie et qui se recueille en
attendant et en préparant le jour de la réparation ; à
l'égard de l'Espagne, devenue notre alliée par la force
des choses, ayant besoin de nous comme nous avions
besoin d'elle, une attitude de bienveillance et d'amitié.
"^ Ce qui arriva, on ne le sait que trop ; le Régent fut le
meilleur ami de l'Angleterre et le pire ennemi de l'Es-
^ pagne.
Que le Régent n'ait pas conservé avec Philippe V les
relations qu'avait eues Louis XIV : on peut le com-
prendre jusqu'à un certain point, tout en le regrettant
pour nos intérêts nationaux. Mais comment expliquer
ce brusque revirement à l'égard de l'Angleterre, qui est
resté comme un scandale de notre histoire extérieure ?
LA MARINE ET LA POLITIQUE DE LA RÉGENCE. 39
Le passé ne parlait-il pas d'une manière assez claire ?
Un ami intime du Régent, qui eut toujours le mérite
du franc parler et que ses préjugés aristocratiques
n'aveuglèrent jamais sur les vrais intérêts de notre poli-
tique nationale, le duc de Saint-Simon, a expliqué à
plusieurs reprises pourquoi « ce joug anglais » lui était
« insupportable ». Ecoutons cette leçon d'histoire, dont
le Régent fit si mal son profit.
« L'expérience de plusieurs siècles doit avoir appris
ce qu'est l'Angleterre à la France : ennemie de pré-
tentions à nos ports et à nos provinces, ennemie d'em-
pire de la mer, ennemie de voisinage, ennemie de com-
merce, ennemie de colonies, ennemie de forme de
gouvernement ;... et ce qu'elle a de commun avec le
reste de l'Europe, ce qui l'a unie avec les autres puis-
sances contre la nôtre, et qui en maintient l'union, la
jalousie extrême de voir l'Espagne dans la maison de
France, et la terreur que toute l'Europe conçoit de ce
que pourrait l'union des deux branches royales pour
leur commune grandeur... La même expérience apprend
aussi que la France a toujours eu tout à craindre de
l'Angleterre, tant qu'elle [l'Angleterre] a été paisible au
dedans... »
« Ce n'est pas, dit encore Saint-Simon dans un
autre passage et toujours à propos de la politique du
duc d'Orléans, qu'il ne fût à propos de bien vivre avec
l'Angleterre comme avec tout le reste de l'Europe,
mais toutefois sans y compter jamais, et beaucoup moins
se livrer à elle et se mettre dans sa dépendance ; mais
se conduire avec elle honnêtement, sans bassesse, et
intérieurement la considérer toujours comme une enne-
mie naturelle, qui ne se cachait pas depuis de longues
années de vouloir détruire notre commerce et de
s'opposer avec audace et acharnement à tout ce que la
40 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
France a de temps en temps essayé de faire sur ses
propres côtes en faveur de sa marine... Il fallait donc,
dans un royaume flanqué de deux mers et qui borde la
Manche si près et vis-à-vis de l'Angleterre, ... porter toute
son application à relever la marine et à se mettre peu à
peu en état de se faire considérer à la mer... Il fallait exci-
ter l'Espagne au même soin et au même empressement
d'avoir une bonne marine et se mettre conjointement
en état de ne plus recevoir la loi de l'Angleterre..., et
par cela favoriser sous main toute invasion, tous
troubles domestiques en Angleterre le plus qu'il serait
possible, et il n'y avait lors qu'à le vouloir... C'était là
le vrai, le grand, le solide intérêt de la France ^. »
Ces citations ne paraîtront pas trop longues : elles
tracent avec une merveilleuse perspicacité la ligne de
conduite que la France aurait dû suivre vis-à-vis de sa
rivale. Quand Saint-Simon écrivait qu'il n'y avait qu'à
le vouloir ou qu'à laisser faire pour provoquer en Angle-
terre ces troubles domestiques dont le contre-coup eût
pu amener la rupture de la paix d'Utrecht, il faisait
allusion à un projet auquel, dit-il, le feu roi avait songé,
et que la mort seule l'avait empêché d'exécuter. En
1714, la mort de la reine Anne pouvait amener une res-
tauration jacobite. Puisque la politique de l'Angleterre
avait retiré de la révolution de 1688 tous les avantages
qu'elle renfermait, les sympathies nationales allaient
peut-être revenir au dernier enfant de Jacques II, que
le droit héréditaire désignait comme le successeur ré-
gulier de sa sœur Anne Stuart ; l'étranger, le prince
allemand, l'électeur de Hanovre George de Brunswick-
Lunebourg, qu'une parenté très éloignée appelait au
trône de la Grande-Bretagne, ne pouvait passer pour
3 Saint-Simon, Mémoires (édition de 1873), t. XV, p. 328, 307.
LA MARINE ET LA POLITIQUE DE LA RÉGENCE. 41
représenter le sentiment national. La fortune semblait
donc sourire au chevalier de Saint-George, que ses par-
tisans appelaient Jacques III depuis la mort de son
père ; pour l'histoire, il ne fut jamais que le Prétendant,
car, malgré ses tentatives répétées, il ne put jamais
recouvrer le trône des Stuarts.
Déjà, en 1708, à l'occasion de l'union de l'Ecosse
avec l'Angleterre, le Prétendant avait tenté une des-
cente en Ecosse ; le chevalier de Forbin l'avait conduit
de Dunkerque à la côte d'Edimbourg, mais sans pou-
voir débarquer ; cette tentative, qui consista en une
double traversée de la mer du Nord, avait duré en tout
trois semaines, du 19 mars au 7 avril. Le prince, qui
vivait à Saint-Germain, ne cessait de penser à 1 hcosse,
et ce royaume même ne se consolait pas de n'être plus
qu'une province anglaise. Pour lui, il savait qu'il pou*
vait compter sur la protection secrète, peut-être même
sur les secours efficaces du grand roi. La mort de
Louis XIV et la froideur du Régent ne l'arrêtèrent point.
Il partit déguisé de Bar, traversa Paris ; en passant par
Nonancourt, il échappa, grâce à l'intelligence et au
dévouement de la maîtresse de poste, — il faut lire dans
Saint-Simon les détails de ce curieux épisode, — à une
tentative d'assassinat préparée par l'ambassadeur d'An-
gleterre ; il feignit de s'embarquer en Bretagne, puis
il courut prendre la mer à Dunkerque le 26 décem-
bre 1715. Mais ce qui aurait pu être une tentative gran-
diose n'était plus, avec l'abstention systématique et l'op-
position même du Régent, que l'aventure d'un prétendant
sans argent et sans soldats. Après avoir touché à
quelques ports d'Ecosse, Peterhead, Dundee, Perth, il
dut s'embarquer à Montrose sur un petit bâtiment fran-
çais ; le 4 février 1716, il était de retour à Gravelines,
et de là il allait se fixer à Avignon. Au cours de cette
42 LA M/VRINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
équipée malheureuse, le contre-amiral Byng s'était pré-
senté devant le Havre pour réclamer les vaisseaux du
Prétendant qui s'y trouvaient ; le duc d'Orléans avait
refusé de les livrer, mais il avait donné ordre qu on les
déchargeât : cette conduite, dit un historien ^, était
(( plutôt faible que modérée ».
Cette faiblesse, — pour ne pas employer une autre
expression, — était le résultat d'une polHique qui
s'accusa dès les premiers jours de la Régence et qui
allait sacrifier les intérêts du pays aux ambitions égoïstes
et d'ailleurs irréalisées du duc d'Orléans.
La clause de la renonciation réciproque des Bourbons
de France et d'Espagne aux couronnes d'Espagne et
de France, à laquelle Louis XIV avait tant résisté et
l'Angleterre tant tenu, ouvrait à la maison d'Orléans
l'accès du trône de France ; que ce jeune enfant, d'une
santé délicate, qui s'appelait Louis XV vînt à mourir,
Philippe II d'Orléans devenait, de par le traité
d'Utrecht, Philippe VII, roi de France et de Navarre.
De là, son intérêt tout personnel à maintenir un traité,
avantageux pour lui, mais désastreux pour le pays, à
cause des conditions humiliantes qu'il nous avait im-
posées. Pour le nouveau roi d'Angleterre George P"",
l'intérêt de maintenir le traité d'Utrecht, auquel il devait
en partie sa couronne royale, était le même, avec cette
différence, toute à son avantage, qu'en faisant respecter
le traité de 1713, il flattait l'orgueil national et servait
les vrais intérêts maritimes de sa patrie d'adoption.
Si le maintien du traité d'Utrecht était pour le Régent
une question d'intérêt personnel et pour le roi d'Angle-
terre une question d'intérêt national, la destruction de
4. Sainte-Croix, Histoire des progrès de la puissance navale de l'Angle-
lerre, i786 ; t. II, p. 150.
LA MARINE ET LA POLITIOT JE DE LA RÉGENCE. 43
ces mêmes traités était pour le roi d'Espagne une
question d'intérêt personnel et surtout d'intérêt national.
Philippe V pouvait songer à recouvrer ses droits éven-
tuels à la couronne de France, dont le rétablissement
n'aurait pas eu lieu, d'ailleurs, sans des complications
de tout genre ; mais, avant tout, il devait avoir le désir
de fermer les deux blessures qui saignaient aux flancs
de l'Espagne, à Gibraltar et à xMinorque. Aussi Phi-
lippe V et son ministre Alberoni restèrent les ennemis
irréconciliables dés Anglais, tandis que le Régent et
son ami Dubois devinrent les meilleurs amis des Anglais.
Saint-Simon a tracé de l'abbé Dubois un « crayon »
inoubliable ; retenons seulement ce détail : il l'accuse
d'avoir reçu de l'Angleterre une pension secrète et
annuelle de quarante mille livres sterling. Un historien
contemporain qui a étudié avec beaucoup de détail et
d'après les archives anglaises les relations politiques
du Régent et de George 1^\ déclare qu'il n'y a pas de
trace de cette pension dans les documents britanniques,
si secrets soient-ils, et qu'on doit reléguer avec certi-
tude cette légende parmi les calomnies dont l'histoire
est émaillée ^. On avouera que l'absence des reçus de
Dubois dans les archives de Londres n'empêchera pas
d'affirmer la bassesse du personnage à qui le Régent
avait confié la politique étrangère. Admettons qu'il n'ait
■pas été vénal, ce qu'on aura peine à croire, quelques
documents bien authentiques resteront sa honte éter-
nelle et celle du prince qu'il représentait.
Les Anglais, qui connaissaient le <( drôle », avaient
beaucoup intrigué auprès du Régent pour le porter aux
Aiiaires étrangères et pour empêcher Torcy de re-
5. WiESENER. Le Régent, l'abbé Dubois et les Anglais, d'après les sources
britanniques, 1891-1893 ; t. I, p. 260-261 ; t. II, p. 220-224.
44 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
prendre ce poste, où il avait montré de si éminentes et
de si patriotiques qualités ; ils réussirent. Le 24 sep-
tembre 1718, Dubois était nommé secrétaire d'Etat aux
Affaires étrangères. Alors, quel concert de félicitations
mutuelles à Paris et à Londres !
Le 25 septembre, le lendemain même de cette nomi-
nation : <( Mon premier soin, écrit Dubois à lord Stair,
ambassadeur d'Angleterre à Paris, est de vous rendre
compte de ma destination et des dispositions où je suis
pour m'en servir pour l'intérêt commun de nos maî-
tres... » Le 29 septembre, George P'" faisait écrire à
Dubois : <( Le Roi... m'a donné l'ordre de vous en féli-
citer de sa part et de vous dire que c'est la meilleure
nouvelle qu'il ait reçue depuis longtemps... C'est pour
le coup que je m'attends à voir cultiver un même intérêt
dans les deux royaumes et que ce ne sera plus qu'un
même ministère. Il pourra y avoir bien du bruit, mais
nous l'écouterons comme les vaisseaux qui sont dans
un bon port entendent le bruit des vents contre les
roches qui les assurent. — Cette image empruntée à la
marine, que Dubois et le Régent étaient en train de tuer
chez nous, donne une saveur de plus à ce billet. —
Pour ma joie particulière, mon cher abbé, je ne vous
en dirai rien, car il m'est impossible de la décrire comme
je la sens. »
Le P"" octobre, avant d'avoir reçu de Craggs ces lignes
dithyrambiques, Dubois lui écrivait proprio molu :
« Si je ne suivais que les mouvements de ma reconnais-
sance et que je ne fusse pas retenu par le respect, je
prendrais la liberté d'écrire à Sa Majesté Britannique
pour la remercier de la place dont Mgr le Régent m'a
gratifié, puisque je ne la dois qu'à l'envie qu'il a eue de
n'employer personne aux affaires communes à la France
et à l'Angleterre qui ne fût agréable au roi de la Grande-
LA MARINE ET LA POLITIQUE DE LA RÉGENCE. 45
Bretagne. Ce motif m'est si glorieux qu'il ne me reste
rien à désirer que les moyens de marquer au Roi com-
bien je suis touché de la confiance dont il m'honore. Je
supplie Votre Excellence de m'aider à lui faire connaître
mes respectueux sentiments sur ce sujet et mon zèle
pour tout ce qui pourra contribuer à l'affermissement
de la bonne intelligence. » Peu importe, après cette
lettre à Londres qu'on n'ait pas trouvé les reçus des
quarante mille livres sterling au nom de Dubois !
Le 14 octobre, billet de Dubois à lord Stanhope,
ministre de George P"* : « ...Effectivement, je vous dois
jusqu'à la place que j'occupe, dont je souhaite avec
passion de faire usage selon votre cœur, c'est-à-dire
pour le service de Sa Majesté Britannique, dont les
intérêts me seront toujours sacrés ^. »
Volontiers, nous répéterions ici le jugement de Lé-
montey : « J'ai sauvé de l'oubli ces lignes si voisines de
la trahison comme un avertissement aux princes qui se
sentiraient assez lâches pour recevoir leurs ministres
des mains de l'étranger », en ajoutant que cet étranger
avait été de tout temps et était encore ici, sous les dehors
de l'amitié, notre pire ennemi. Car il est temps de savoir
à quel prix cette alliance scandaleuse avait été conclue ;
nous revenons ainsi, après cette parenthèse nécessaire,
à notre histoire maritime.
Remise à l'Angleterre en 1712, la ville de Dunkerque
avec sa citadelle et son port, l'un des premiers ouvrages
et l'un des chefs-d'œuvre de Vauban, n'avait été rendue
à la France qu'à la condition d'être démantelée, selon
l'article ix du traité d'Utrecht. Louis XIV avait loya-
lement exécuté ces conditions, qu'on peut juger plus
6. Toutes ces lettres sont données par Wiesener, Ibid., t. II, p. 265-268.
46 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
humiliantes que la cession même d'une ville ; car il y a
je ne sais quoi d'odieux pour un souverain à subir sur
son propre territoire la loi de l'étranger. La démolition
de tous les travaux militaires et maritimes de Dun-
kerque, le rasement des fortifications et des écluses, le
comblement des bassins et des canaux, toute celte
œuvre de destruclion était terminée le 6 août 1714, et
avait coûté plus d'un demi-million (580 000 livres).
Louis XIV songea alors à tirer parti du port voisin de
Mardick ; comment a-t-on pu l'en critiquer en France,
sous le prétexte que ce « frauduleux Dunkerque » était
une (( violation indéniable sinon de la lettre, du moins
de l'esprit des conventions solennelles d'Utrecht "' ? »
L'esprit de ces conventions exigeait-il que la France ne
se contentât pas de ruiner de ses propres mains, à ses
frais, une de ses plus belles positions maritimes, une de
ses plus nécessaires ? Exigeait-il encore qu'elle s'en-
gageât à ne jamais la remplacer? Laissons aux con-
seillers du roi d'Angleterre ou à ceux du Régent cette
interprétation singulièrement abusive d'un texte suffi-
samment rigoureux par lui-même.
Louis XIV avait donc repris le plan d'un ingénieur
espagnol, qui, en 1653, avait proposé de tracer à l'ouest
de Dunkerque un canal parallèle à la plage, se retour-
nant à angle droit à la hauteur du fort de Mardick pour
déboucher dans la mer au moyen d'une écluse. L'exé-
cution de ces travaux fut immédiatement entreprise et
le canal dit de Mardick avec deux écluses, l'une de
quarante-quatre pieds de large, l'autre de vingt-six,
était terminé en janvier 1715 ^. Restait à construire le
7. WlESENER, Ibid., t. I, p. 6-7.
8. Voir dans les Ports maritimes de la France (publication du Ministère
des Travaux publics; 1874 et années suivantes), t. I, p. 25 et suiv., le plan
et les détails de ces travaux. — La question des fortifications et du port
LA MARINE ET LA POLITIQUE DE LA RÉGENCE. 47
port de Mardick, dont le devis représentait trente-cinq
millions.
Le grand roi étant mort sur ces entrefaites et le Régent
se tournant de plus en plus vers l'Angleterre, le gouver-
nement de George P'* commença par exiger, comme con-
dition sine qua non d'une alliance possible, la destruc-
tion de tous les travaux de Mardick et l'abandon de tous
les travaux ultérieurs. Le Régent et Dubois, qui vou-
laient à tout prix l'union avec l'Angleterre, se résignè-
rent sans douleur à ce sacrifice ; dès le mois de sep-
tembre 1716, cette victoire était acquise aux Anglais.
M. d'Iberville, notre envoyé à Londres, avait dû se
borner à obtenir l'autorisation d'un simple canal d'écou-
lement avec une écluse de seize pieds en tout. Les négo-
ciateurs anglais étaient dans la joie ; il n'y avait pas,
disaient-ils avec raison, de plan « plus efficace pour la
mise hors de service du port ^. »
Quelques semaines plus tard, l'alliance anglo-fran-
çaise était signée à la Haye, le 4 janvier 1717, sous le
nom de Triple Alliance, car les Provinces-Unies se
posaient aussi en garantes de la paix d'Utrecht. On ne
saurait dire de cette triste convention si elle fut plus
dommageable à nos vrais intérêts ou plus humiliante
pour l'honneur national. Tous les travaux de Mardick
durent être détruits, sauf le canal d'écoulement et la
petite écluse de seize pieds qu'on avait bien voulu
nous accorder ; les Anglais et les Hollandais, exigeant
des garanties auxquelles ils n'avaient pas pensé à
Utrecht, s'adjugèrent le droit d' <( envoyer des commis-
saires sur les lieux pour être témoins oculaires de l'exé-
cution de cet article ». Cette fois, la ruine de Dunkerque
de Dunkerque au xviii* siècle est exposée en détail par M. A. de Saint-
Léger, La Flandre maritime et Dunkerque, 1900 ; p. 309 et suiv.
9. WIESENER, IMd., t. I, p. xa7, 322. 324.
48 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
était bien complète ; la ville elle-même devint un foyer
pestilentiel avec les miasmes putrides qui se dégageaient
du vieux port, désormais sans écoulement, et le silence
se fit pour près d'un siècle sur ces quais en ruines où
Jean Bart et Forbin avaient tant de fois recruté les
équipages de leurs corsaires. Après ce coup que la
France recevait en plein cœur, le renvoi du Prétendant,
d'Avignon en Italie, et l'expulsion de ses partisans pou-
vaient passer pour de simples piqûres d'épingles.
Voilà les conditions criminelles de cette alhance ; en
voici les conséquences, plus criminelles encore.
La première de toutes, c'était la rupture de la France
et de l'Espagne. L'Angleterre l'appelait de tous ses
vœux, car c'était pour elle la meilleure garantie de la
possession de Gibraltar et de Minorque. Avec quelle
sûreté, quelle suite, quelle rapidité le gouvernement bri-
tannique marchait à la conquête de l'empire des mers !
La Hollande avait eu jadis une marine redoutable ; l'An-
gleterre l'avait à peu près annulée ou confisquée pour
elle, en réduisant les Provinces-Unies à ne plus être,
suivant le mot de Frédéric II, qu'une chaloupe dans le
sillage d un navire de guerre. La France pouvait songer
à sa revanche maritime ; l'Angleterre coupait court à
toute idée belliqueuse en garantissant à Philippe d'Or-
léans ses droits éventuels au trône et en portant Dubois
au ministère des Affaires étrangères. L'Autriche était
devenue une puissance maritime en recevant le royaume
de Naples et la Sardaigne dans le partage de la suc-
cession espagnole ; l'Angleterre, sous prétexte de lui
maintenir ces acquisitions, l'inféodait à sa politique par
la Quadruple Alliance de 1718 et paraissait faire en
son nom la police de la Méditerranée. Restait l'Espagne,
où un ministre trop entreprenant peut-être, mais certes
LA MARINE ET LA POLITIQUE DE LA RÉGENCE. 49
énergique et patriote, le cardinal Alberoni, venait de
commencer une restauration complète des finances, des
, manufactures, de l'armée, consacrant surtout ses eiïorts
à la réfection de la marine, ouvrant des chantiers, appe-
lant des ouvriers de Toulon, lançant des escadres sur
mer, donnant un moment à Philippe V l'illusion d'un
nouveau Colbert ; pour parer à ce danger qui était réel,
l'Angleterre avait l'alliance du Régent.
Saint-Simon revint encore une fois à la charge auprès
de son ami, au cours de ces conversations politiques
qu'il avait avec lui dans sa petite loge de l'Opéra. Il lui
montra les dangers de cette politique, contraire à toutes
nos traditions et à tous nos intérêts ; il lui répéta que
l'Angleterre et le roi George, <( sous les trompeuses
apparences d'une feinte amitié, étaient nos plus anciens
et plus naturels ennemis ;... que l'intérêt si grand, si
évident, si naturel de notre union avec l'Espagne, nous
était appris par leur acharnement à tout tenter pour la
rompre... » Peine perdue : le Régent était décidé à se
faire l'exécuteur des vengeances anglaises. Pour ôter
toute jalousie au roi George, il avait commencé par
laisser tomber entièrement notre propre marine ; pour
donner à cette bonne amitié avec l'Angleterre un gage
indubitable, il fallait à présent, comme le dit encore
Saint-Simon, « anéantir à forfait la marine d'Espagne
en brûlant ses vaisseaux dans ses ports et ses chantiers. »
Dès le milieu de l'année 1717, Alberoni avait préludé
à son œuvre de revanche par un coup d'éclat : une
escadre espagnole, créée de toutes pièces, avait en deux
mois, sous les ordres du marquis de Leyde, enlevé la
Sardaigne à l'Empereur. Quelles espérances pouvaient
s'ouvrir à ce moment devant l'Espagne et la France, si
elles avaient su unir leur politique et leurs escadres !
Mais Dubois ne songeait qu'à appeler les Anglais dans
50 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
la Méditerranée ; ce fut en partie sur ses instances aue
les vingt vaisseaux de l'amiral Byng quittèrent Ports-
mouth, le 15 juin 1718, avec l'assentiment complet du
Régent, pour empêcher Alberoni de reconquérir la
Sicile après avoir reconquis la Sardaigne. Car le mar-
quis de Leyde venait d'occuper Palerme et il bloquait
Messine. Byng arrive ; le 11 août 1718, dans les eaux
du cap Passero, il détruit en quelques heures la flotte
espagnole ; ce qui ne devait pas, d'ailleurs, empêcher
le marquis de Leyde de s'emparer de Messine à la fin
de septembre. Byng, à son retour en Angleterre, était
créé vicomte Torrington.
Quant au Régent, cette victoire des Anglais, rem-
portée dans des parages illustrés par Du Quesne, lui
inspirait une lettre de chaudes félicitations à George P"" :
(( Les bonnes intentions de Votre Majesté pour le repos
public méritent que le ciel favorise les soins qu'elle
prend pour le procurer ; et tous ceux qui ont fait des
liaisons avec elle doivent redoubler de zèle pour con-
courir à la perfection de son ouvrage i°. » (8 septem-
bre 1718.)
La politique du Régent se chargea bientôt de com-
menter cette lettre. En prenant pour prétexte l'affaire
dite de la conspiration de Cellamare, Philippe d'Or-
léans déclarait la guerre à Philippe V, en janvier 1719.
Le duc de Berwick, malgré son origine et malgré le sou-
venir d'Almanza, accepta de conduire cette guerre,
déshonorante pour son nom et pour le nom français.
Le 16 juin, il faisait capituler Fontarabie ; le V août,
Saint-Sébastien. Puis il fit brûler dans un petit port
près de Bilbao, nommé Santona, trois gros vaisseaux
espagnols de 72 canons qui étaient sur les chantiers,
10. WIESENEB, Ibid., t. II. p. 265.
LA MARINE ET LA POLITIQUE DE LA RÉGENCE. 51
prêts à être lancés à la mer, sans parler des cordages et
des bois de construction pour une valeur de plus de
cinquante mille écus. L'Angleterre avait transporté nos
troupes sur le littoral de la Biscaye pour hâter le succès
de cette triste besogne. Puis, comme elle avait résolu de
la renouveler dans la baie de Vigo, elle embarqua à
Saint-Sébastien les troupes françaises qui allèrent
renouveler leurs stupides dévastations à Vigo et à Pon-
tevedra en Galice (octobre), sous les yeux et à la plus
grande joie des Anglais. De son côté, Berwick portait
l'invasion en Catalogne et faisait le siège de la Seu-
d'Urgel et de Rosas. Pour concourir à cette dernière
opération, le vaisseau VInvincible et la frégate la Vesiale
furent armés au port de Toulon avec quelques bâti-
ments de transport, au prix de mille difficultés maté-
rielles. L'expédition maritime n'eut d'ailleurs pas de
succès ; les mauvais temps d'octobre et de novembre
obligèrent la petite escadre de Toulon à lever le blocus,
après avoir perdu vingt-six tartanes, et à rentrer au port.
L'Angleterre avait atteint son but : la marine renais-
sante de l'Espagne était ruinée ; la disgrâce d'Alberoni,
survenue peu après, et l'amitié du Régent lui garan-
tissaient pour longtemps les résultats de sa politique ;
elle n'avait plus rien à craindre pour Gibraltar et pour
M inorque.
« Dès qu'il était intérieurement résolu de laisser de
plus en plus tomber le peu qu'il restait de marme, le
Conseil qui en portait le nom était fort vide et très inu-
tile. » Rien de plus vrai que cette remarque découragée
de Saint-Simon ; à parcourir les cinquante-six registres
manuscrits qui contiennent les délibérations du Conseil
de Marine, de novembre 1715 à décembre 1721 ^\ on ne
11, A. M. B' 1-56.
62 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
s'en convainc que trop aisément. Ce ne sont que des
questions de détail, des affaires vues par le petit côté,
sans idées générales, le tout donnant l'impression de je
ne sais quoi de décousu et de stérile. C'est à peine si
dans ce fatras de choses médiocres et terre à terre, on
peut signaler une ou deux délibérations ; et encore elles
ne portent et ne peuvent porter que sur des points
secondaires, car le mot d'ordre était de ne rien faire qui
pût donner une ombre de jalousie à George V^ et à ses
ministres.
Ainsi, en 171G, on institua, à côté des trois compagnies
des gardes de la marine, — cette sorte d'école navale
qui remontait à Colbert, — une compagnie nouvelle,
celle des gardes du pavillon amiral. Cette compagnie,
recrutée parmi les trois autres, était partagée en deux
détachements, de quarante gardes chacun, l'un à Brest,
l'autre à Toulon, pour assurer le service d'honneur de
l'amiral de France, tant en Ponant qu'en Levant ^2.
Une autre décision, plus intéressante, du 19 no-
vembre 1720, portait création, à Paris, d'un dépôt pour
la conservation et la garde des cartes, plans, journaux,
mémoires, etc., concernant la navigation, sous l'admi-
nistration et la surveillance d'un officier de vaisseau :
telle fut l'origine du Dépôt des cartes et plans ou, sui-
vant l'expression actuelle, du Service hydrographique
de la Marine.
L'histoire des faits proprement maritimes pendant
celte époque de paix à tout prix est encore plus vide.
Il n'y a rien à dire de Tirest, si ce n'est qu'en huit
ans, de 1715 à 1723, on y mit en chantier deux vaisseaux
de ligne. A Toulon, il y eut bien quelques apparences
1-3. Voir l'Histoire de l'Ecole navale et des inslitutions q^il l'ont précédée,
p. 74 et suiv.
LA MARINE ET LA POLITIQUE DE LA RÉGENCE. 53
de vie maritime, mais combien fugitives et insigni-
fiantes !
De 1717 à 1719, le chef d'escadre Du Quesne-Monnier,
neveu de l'illustre amiral, faisait deux croisières contre
les Barbaresques : ses forces se composaient en tout
d'un vaisseau et d'une frégate; il fallut lui renouveler en
entier ce matériel au cours de sa campagne de deux ans.
— En 1719, ce fut la petite expédition de Rosas, qui
aboutit à un échec complet. — En 1720, YMenry et le
Toulouse partaient de Toulon pour la Louisiane ; un
jésuite, le P. Laval, professeur d'hydrographie des offi-
ciers et gardes de la marine du port de Toulon, em-
barqué sur le Toulouse « en qualité de mathématicien »,
a laissé une description intéressante de cette expédition
au long cours, qui fut surtout un voyage d'études ^^.
Elle fut marquée aussi par quelques faits de guerre,
comme la reprise de Pensacola en Floride, due au chef
d'escadre Desnos Champmeslin, qui croisait à la même
époque aux Antilles ^^ La peste qui ruina en 1720 Mar-
seille et Toulon acheva de tuer la marine provençale.
Cependant, au milieu de toutes ces misères, la création
par Law d'une Compagnie d'Occident, en 1717, et sur-
tout de la fameuse Compagnie des Indes, en 1719, donna
à notre commerce maritime un essor merveilleux. Le
(( Système », qui a ruiné tant de spéculateurs de la rue
Quincampoix et qui en a enrichi quelques-uns, avait
ouvert à notre commerce d'outre-mer des débouchés
dans toutes les directions. Travaux au port de Louis-
bourg et dans l'île du Cap Breton, pour remplacer nos
13. Voyage de la Louisiane, fait par ordre du roy en l'année nîO.. ,
par le P. Laval, de la Compagnie de Jésus, professeur royal de mathéma-
tiques et maître d'hydrographie des officiers et garOes de la marine du
port de Toulon. Paris, 1728 ; in-4» ; avec cartes et planches.
14. Chabaud-Arnault donne quelques détails sur cette croisière de
Champmeslin dans ses Etudes historiques : R. M. C, t. CIX.
54 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
postes perdus de FAcadie et de Terre-Neuve ; — fon-
dation de la Nouvelle-Orléans aux bouches du Missis-
sipi ; — établissements à Saint-Vincent et à Sainte-
Lucie ; — seconde et définitive occupation de l'île
Maurice, qui reçut le nom d'île de France ; — déve-
loppement du port de Lorient, devenu notre premier
port de commerce : c'étaient là autant de preuves de
cette vitalité économique que les guerres de la fin du
règne de Louis XIV n'étaient pas parvenues à épuiser.
Mais sans des escadres de guerre, a quel sort étaient
réservées ces colonies nouvelles d'Afrique et d'Asie ?
Ni Dubois ni Philippe d'Orléans ne s'étaient posé
cette question ou n'avaient songé à y répondre quand ils
moururent, à quatre mois d'intervalle, en août et en
décembre 1723. Devenus tour à tour premier minisTre
du jeune Louis XV majeur, ils étaient restés fidèles
jusqu'à leur dernier jour à cette amitié avec la Grande-
Bretagne qui nous fut certainement plus fatale qu'une
guerre ouverte. Leur politique néfaste avait mis la
France aux pieds de l'Angleterre et livré notre marine
à sa merci.
CHAPITRE IV
LE COMTE DE TOULOUSE ET VALINCOUR : LEURS MEMOIRES
SUR LA MARINE
La carrière du comte de Toulouse. — Raisons de son mémoire au roi
sur la marine. — Analyse de ce mémoire. — De l'emploi des diverses
unités navales. — De la nécessité des constructions maritimes. —
Valincour. — Analyse de son mémoire sur la marine.
Philippe d'Orléans et Dubois avaient ete les mauvais
génies de la marine française. Partisans à tout prix de
l'alliance anglaise, — l'un pour conserver les chances
d'avènement au trône que lui avait données le traité
d'Utrecht, l'autre pour obtenir le chapeau de cardinal
par l'appui que le roi prolestant d'Angleterre pourrait
lui donner auprès de l'empereur, — ils n'avaient vu
d'autre moyen de s'assurer cette alliance que de lui sacri-
fier complètement l'honneur et les intérêts vitaux du
pays. La France, depuis 1715, marchait à la remorque
de l'Angleterre ; elle ne semblait plus avoir d'idées à
elle, de volonté propre ; on eût dit qu'en toutes choses
elle allait demander le mot d'ordre à Londres. Dubois
avait promis, comme on se le rappelle, de faire usage de
sa place « pour le service de Sa Majesté Britannique,
dont les intérêts lui seront toujours sacrés. » Ce pro-
gramme avait été suivi à la lettre. Comme rien ne pou-
vait plus plaire au roi d'Angleterre, à ses ministres et
à son peuple que la ruine de notre marine, le Régent et
56 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
Dubois avaient commencé par détruire les travaux de
Mardick ; puis, ayant réduit à un chiffre ridiculement
infime les dépenses maritimes, ils s'étaient bornés à
quelques armements insignifiants. Quelques années
encore d'un pareil régime, et l'on pouvait affirmer que
la marine française, à moitié morte déjà de tant de
coups qu'elle avait reçus, finirait à brève échéance par
périr tout à fait.
Aussi, en voyant disparaître presque en même temps
les deux hommes qui avaient voué à l'abandon nos
arsenaux et nos chantiers et semblaient avoir résolu la
destruction de notre puissance navale, les rares Français
qui s'intéressaient à la marine, qui croyaient qu'elle
était un élément essentiel de la force et de la prospé-
rité du pays, pensèrent le moment venu de réagir contre
ces errements aussi criminels que funestes. C'est certai-
nement à cette idée patriotique qu'ont obéi les auteurs
de deux mémoires parus en 1724 et 1725.
Le comte de Toulouse avait toujours montré un goût
éclairé pour tout ce qui touchait à la mer. Créé amiral
de France à l'âge de cinq ans, en 1G83, il avait songé à
se rendre digne de ce titre qui lui avait été si prématuré.
Ne laissant échapper aucune occasion de s'instruire, il
avait fait sa société de personnes, comme le marquis de
Villette, avec lesquelles il pouvait s'entretenir des choses
ynaritimes. Appelé, en vertu de son titre, à commander
les escadres royales au début de la guerre de la Suc-
cession d'Espagne, il avait soutenu, en 1704, à la hau-
teur de Malaga, un glorieux combat contre une flotte
anglo-hollandaise, très supérieure en nombre ; il avait
fait preuve à cette journée non seulement de fermeté,
mais encore de qualités réelles de tacticien. Deux ans
plus tard, obligé par sa santé et peut-être aussi par ses
LE COMTE DE TOULOUSE ET VALINCOUR. 57
rapports difficiles avec Pontchartrain de quitter le ser-
vice, il n'avait cessé de s'intéresser à sa carrière de
marin. On avait remarqué, — et le fait est à son élop^e,
— qu'il était resté en dehors de toutes les intrigues de
cour qui troublèrent la fin du règne de son père et le
début du règne de Louis XV, bien différent en cela de
son frère le duc du Maine, dont la conduite avait été si
remuante en ces moments critiques pour les bâtards
royaux. Celui-ci, privé peu à peu par le Hcgent des
titres et de la situation exceptionnelle qu'il devait à la
tendresse du feu roi, avait dû se retirer dans sa petite
cour de Sceaux ; entraîné par sa femme dans la conspi-
ration de Cellamare, il avait été traité en prisonnier
d'Etat. Le comte de Toulouse, au contraire, avait gardé
sa situation à la cour de Louis XV. Lors de la consti-
tution du Conseil de Marine, il en avait été nommé chef,
et il avait rempli ces fonctions nouvelles avec une grande
régularité ; il n'avait pas manqué de préparer les
affaires avec le président, le maréchal d'Estrées, d'as-
sister aux séances, de se mêler aux discussions ; mais
que faire dans ce Conseil pendant ces années si vides
pour la marine ? Aussi avait-il pu se rendre compte,
mieux que personne, de la situation lamentable dans
laquelle notre puissance navale achevait d'agoniser ;
il fallait à tout prix remédier à une pareille situation, si
l'on voulait prévenir une ruine complète, après laquelle
il serait trop tard de se lamenter.
Le mieux était de s'adresser directement au jeune roi.
L'esprit vif et éveillé du souverain semblait annoncer un
prince désireux de se rendre compte par lui-même de la
situation du royaume ; il était piès d'avoir quinze ans ;
le moment était venu de l'entretenir d'une partie essen-
tielle de ce « métier de roi », glorieusement exercé par
son bisaïeul. Dans ces circonstances fort opportunes,
58 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
un an environ après la mort du Régent, au moment où
le règne personnel de Louis XV semblait sur le point de
commencer, le comte de Toulouse, avec l'autorité qui
s'attachait à son âge, — il avait alors quarante-six ans,
— à son titre d'amiral de France, à sa carrière de marin,
à ses fonctions récentes de chef du Conseil royal de
Marine, rédigea à l'usage du roi, son petit-neveu, en
novembre 1724, un mémoire sur la marine.
On sait par Saint-Simon que le comte de Toulouse
avait lu au Conseil de Régence, dans une de ses pre-
mières séances, un mémoire où il dévoilait les fautes,
peut-être même les malversations de Pontchartrain ; cet
acte d'accusation ne s'est pas conservé. Les passages
suivants de l'opuscule de 1724 pourront donner lieu de
regretter la perte du mémoire de 1715.
« 20 î^ovembre 17241.
(( L'honneur que j'ai d'être revêtu de la charge
d'Amiral de France, qui m'a fait commander plusieurs
fois les armées navales, et l'honneur que j'ai eu d'être
à la tête du Conseil de Marine, qui m'a fait entrer dans
le détail de tout ce qui peut regarder le service de la
marme, ne me permettent pas de garder le silence et de
taire ce que je crois nécessaire pour le service du Roi
et le bien de l'Etat, que je regarde comme une même
chose, sur une matière où mon inclination et mon de-
voir me font réfléchir aepuis longtemps, et où je dois
par l'application que j'y ai eue, avoir acquis quelque
expérience. »
Il ne semble pas que le comte de Toulouse ait voulu
poser devant le jeune roi la question de l'utilité d'une
1. Ce mémoire, retrouvé par Monmerquê dans les papiers de Valincour,
a été publié par lui, en tête de son édition des Mémoires du marquis de
Villette, p. Lxiii-Lxviii ; voir ci-dessus, p. 32.
LE COMTE DE TOULOUSE ET VALINCOUR. 59
marine de guerre, comme s'il lui répugnait de plaider
l'évidence et de paraître seulement admettre l'existence
de certaines objections ; mais la façon discrète dont il
faisait allusion au rôle de la marine prouve que ce débat,
qui mettait en jeu l'existence même d'un organe essen-
tiel de la vie nationale, était à l'ordre du jour. En plein
règne de Louis XIV, alors que notre marine venait de
se couvrir de gloire et que notre hostilité avec l'Angle-
terre en faisait le pivot de toutes nos combinaisons mili-
taires, il s'était rencontré un ministre de la Marine pour
proposer de remplacer les navires de guerre par des ré-
giments d'infanterie et de cavalerie. Il ne faut donc pas
trop s'étonner si, au lendemain des malheurs de la fin
du règne de Louis XIV, et après les années de la Ré-
gence, où la marine militaire venait d'être sacrifiée, des
esprits superficiels et découragés avaient admis la possi-
bihté pour la France de ne plus être qu'une puissance
continentale. Pour l'amiral de France, il se bornait à
dire :
(( Il suffit de connaître la situation de la France et des
pays qu'elle possède au delà des mers, — on se rappelle
que la vigoureuse impulsion de la Compagnie des Indes
paraissait constituer à ce moment même un nouvel em-
pire colonial, — pour ne pas mettre en doute qu'une
marine florissante lui est nécessaire, tant pour protéger
le commerce que pour défendre les côtes, et être en état
même de faire les entreprises qui se pourraient trouver
convenables, où le concours de la marine est néces-
saire. »
Ces quelques mots suffisent à montrer que l'auteur du
Mémoire estimait que depuis quelques mois les temps
étaient changés pour la France maritime ; parler d'une
marine qui devait défendre nos côtes, qui pouvait avoir
sa part dans les entreprises de politique générale,
60 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
c'était dire qu'il fallait en finir avec la politique de la
Triple Alliance et ses conséquences funestes.
La seule controverse au sujet de la marine, à laquelle
le comte de Toulouse acceptait de se mêler, était la
question, discutée de tout temps, de l'utilité propre et
de l'emploi stratégique des diverses unités navales. C'est
le débat qui a recommencé de nos jours sur les mérites
respectifs des cuirassés et des torpilleurs.
L'opinion publique, qui juge parfois avec une ex-
trême rapidité, s'était prise chez nous, il y a quelques
années, d'un vif engouement pour de nouveaux engins
maritimes de combat ou mieux de destruction : les uns,
les torpilleurs, glissant comme invisibles à la surface
des flots, les autres, les sous-marins, semblant sortie
tout à coup du fond de la mer comme des génies mal-
faisants, insaisissables, irrésistibles. On put croire à
un moment que les lourds cuirassés, de marche lente,
d'évolutions difficiles, étaient condamnés à mort, puis-
qu'ils semblaient ne pouvoir échapper à la poursuite
audacieuse de leurs nouveaux ennemis. A quoi bon alors
immobiliser des sommes énormes dans la construction
de ces géants maritimes, dans l'armement de leur
artillerie compliquée, si pour les mallions que coûte
un cuirassé on peut se procurer je ne sais combien de
sous-marins ou de torpilleurs ? On voyait déjà les
guerres maritimes de l'avenir résolues par des esca-
drilles de torpilleurs, courant les mers, coulant les
navires de guerre de l'ennemi et ses navires de com-
merce, rendant les opérations impossibles aux escadres
les plus puissantes, car les escadres devaient être comme
prises de panique et paralysées dans leurs mouvements.
Les marins de profession, tout en reconnaissant les
premiers les services que les engins nouveaux devaient
rendre à l'art de la guerre navale, comprirent que le
LE COMTE DE TOULOUSE ET VALINCOUR. 61
rôle stratégique des torpilleurs, — qui demandent tou-
jours des conditions de temps et de mer spéciales, qui
sont plus ou moins prisonniers des côtes dont ils doi-
vent défendre l'accès, — était tout différent du rôle stra-
tégique des grands bâtiments. La condition même de
ceux-ci les réserve à peu près seuls au rôle de Foffensive,
ils ont pour mission de rechercher en pleine mer l'ennemi,
de le détruire, de procéder à des débarquements ; en un
mot, ils représentent la grande guerre maritime, non
moins nécessaire et légitime que la guerre d'embuscade.
Aussi les escadres de cuirassés de haute mer et de croi-
seurs ne cessent-elles de s'accroître, en nombre et en
tonnage, à côté des flottilles de petits bâtiments, que cer-
tains spécialistes appellent « la poussière navale »; comme
elles ont les unes et les autres leur action et leur rôle pro-
pres, elles ont droit les unes et les autres à l'existence. La
sagesse en matière de constructions navales peut avoir
de commun avec la vertu d'être un milieu entre deux
extrêmes.
L'exemple de ces controverses contemporaines entre
spécialistes est de nature à mieux faire comprendre la
question de stratégie maritime que le comte de Tou-
louse signalait à l'attention de Louis XV ; si les termes
apparents du problème ne sont pas les mêmes, les
données essentielles du problème sont au fond à peu
près identiques.
« Il s'est rencontré quelquefois, dit-il, des avis dif-
férents sur l'usage le plus utile qu'on pouvait faire des
vaisseaux ; les uns ont prétendu que des armées navales
étaient d'une grande dépense et de peu d'utilité, — ce
sont les escadres de cuirassés dont quelques écrivains
ont tant médit de nos jours, — qu'il valait mieux dis-
perser les vaisseaux en escadres particulières, pour
croiser tantôt dans un endroit, tantôt dans un autre,
62 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
selon les flottes marchandes que l'on attend des pays
éloignés, » — ce sont à peu près les flottilles de tor-
pilleurs, disposées en vigies sur le pourtour des côtes
pour courir sus à l'ennemi.
Il comparait, au point de vue des services à en at-
tendre, les grandes armées navales et les petites escadres ;
chacun de ces systèmes d'armement maritime avait
ses avantages propres. Ce qu'il faut comprendre, en
effet, comme dans le débat théorique entre le cuirassé
et le torpilleur, c'est que les deux moyens d'action sont
aussi nécessaires l'un et l'autre à une marine mili-
taire qui veut pleinement répondre à sa raison d'être.
« Voilà en abrégé les avis difféi'ents, sur quoi on pour-
rait s'étendre beaucoup davantage, mais qui prouvent
que la France ne peut se passer d'un nombre consi-
dérable de vaisseaux, à quelque usage que l'on juge à
propos de les employer. » La raison veut que le maté-
riel naval se compose de deux types d'unités de combat :
d'une part, les vaisseaux à trois ponts destinés à agir
ensemble ; d'autre part, les frégates légères destinées
à agir seules ou à former des escadrilles volantes.
« Pour parler sans prévention, je crois qu'il y a des
occurences où les armées navales ne conviennent point,
comme il y en a aussi où elles sont absolument indis-
pensables. »
Après avoir concilié les deux thèses en présence, en
faisant à chacune sa part, le comte de Toulouse mon-
trait dans quelle erreur on tomberait en assimilant,
pour la levée et la préparation militaire, les forces de
terre et les forces de mer ; sous le prétexte que les pre-
mières pouvaient être mises en état dans un temps
relativement court, on prétendait qu'il devait en être de
même des secondes : il était inutile par suite d'immobiliser
à l'avance dans les arsenaux tout un capital impro-
LE COMTE DE TOULOUSE ET VALINCOUR. 63
ductif. Cela montre que les institutions maritimes ont
subi dans le passé des attaques analogues à celles de
nos jours, car c'est encore un reproche que l'on entend
parfois adresser au budget de la marine d'absorber des
sommes énormes que l'on dit inutiles au moment même
où elles sont employées. Il n'en va nullement, dit le
comte de Toulouse, des escadres comme des armées
de terre ; le roi peut lever des troupes en un temps
très rapide, (( au lieu que toute sa puissance et ses
(résors ne peuvent construire d'un jour à l'autre le
nombre de vaisseaux de la qualité nécessaire. Il faut
donc s'y prendre de loin, si l'on pense comme moi qu'il
y ait des occasions où les armées navales soient utiles. »
Cela encore est une vérité qui paraîtra évidente, et
le comte de Toulouse reconnaît qu'il ne dit <( rien de
nouveau » ; mais l'évidence n'a-t-elle pas besoin parfois
d'être démontrée à ceux qui ne veulent point la voir ?
et n'était-il pas en droit d'attirer l'attention du jeune
roi sur ces sortes d'axiomes, puisqu'il avait appris que
ces fonds si parcimonieusement distribués à la marine
depuis une dizaine d'années, il était question de les ré-
duire encore ? Les dépenses ordinaires correspondaient
aux besoins courants, solde des équipages, entretien du
matériel, etc.; mais il s'agissait aussi de construire des
vaisseaux dont la France avait besoin et par conséquent
de ne pas diminuer l'argent de la marine.
Le comte de Toulouse rapportait qu'il avait fait
adopter par le duc d'Orléans un plan de restauration
maritime ; il faut croire que le Régent avait fmi par
ouvrir les yeux sur le mal qu'il avait fait à la France.
L'amiral de France lui avait montré qu'on devait cons-
truire suffisamment de navires pour être en état d'avoir,
— il ne disait pas en combien de temps, — une armée
navale de cinquante vaisseaux de ligne, à savoir quatre
64 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
de cent canons, six de quatre-vingt-dix, vingt de
soixante-quatorze, vingt de soixante-quatre, sans
compter les bâtiments d'un rang inférieur. L'exécution
de ce projet avait été commencée : le roi avait actuel-
lement trente vaisseaux construits ou devant être
achevés dans l'été prochain. Ce qui avait été com-
mencé devait être fini ; aussi il n'y aurait rien de plus
malheureux à tous égards que la diminution des fonds.
Il était facile de deviner ce qui en résulterait de fâcheux :
les constructions abandonnées, les ouvriers dispersés,
et enfin, ce qui serait le plus triste, « tout espoir perdu
de voir jamais à la France une marine, je ne dis pas
comme elle l'a eue, mais comme tout homme qui voudra
réfléchir conviendra qu'elle ne peut se dispenser de
l'avoir. »
Il paraît que les adversaires de la marine s'appuyaient
sur un singulier sophisme : à quoi bon une flotte,
puisque la France ne pourra jamais être la maîtresse
de la mer contre l'Europe entière ? A quoi bon une
armée, aurait-on pu leur dire, puisque la France ne
pourra jamais être maîtresse de la terre contre l'Eu-
rope entière ? « La réponse est aisée à faire. La France
n'aura-t-elle jamais de guerre que ce ne soit contre
toute l'Europe ? Et ne suffit-il pas que, pourvu qu'elle
ait pour elle une puissance maritime, — j'entends l'Es-
pagne ou la Hollande, — elle soit en état de tenir contre
d'autres? Je ne parle point de l'Angleterre, parce que,
étant la plus forte sur mer, si elle était pour nous, la
chose serait sans difficulté. »
Voici la conclusion de ce mémoire : on remarquera
ce ton de simplicité et de franchise, de nature à faire
impression sur l'esprit du jeune roi.
(( Je crois avoir touché tous les points que je me suis
proposé ; je ne présume point assez de moi pour penser
LE COMTE DE ÎOULOUSE ET VALINCOUR. 65
que mes idées sont meilleures que celles des autres ;
mais, s'agissant d'une chose à quoi j'ai tant de raisons
d'être attaché et dont je prévois la perte, je crois, en
disant ce que je pense, m'acquitter du devoir d'honnête
homme et du sujet le plus attaché au Roi, ce que je
serai toute ma vie. »
'L'autre mémoire sur la marine, qu'on a signalé au
début de ce chapitre, n'était pas destiné à passer sous
les yeux de Louis XV, et il n'y a pas lieu de supposer
qu'il lui ait été communiqué. Il avait été composé
pour le comte de Toulouse lui-même par le secrétaire
de ses commandements, comme si l'amiral de France
avait désiré avoir à sa disposition le résumé des argu-
ments à opposer aux adversaires systématiques de la
puissance navale du royaume.
Henri du Trousset, sieur de Valincour, ami intime de
Racine, qu'il remplaça à l'Académie française, et de
Boileau, qui lui dédia la satire sur l'Honneur, histo-
riographe de France, joignait aux fonctions de secré-
taire général de la marine celles de sécrétante des com-
mandements de M. le comte de Toulouse. Saint-Simon
en parle dans ces termes ^ : <( C'était un homme d'infi-
niment d'esprit et qui savait extraordinairement,
d'ailleurs un répertoire d'anecdotes de cour,... un
homme doux, gai, salé sans vouloir l'être,... qui avait
su conserver la confiance du roi, être considéré de
]\l°^° de Maintenon et ne lui être point suspect en de-
meurant publiquement attaché à M°^^ de Montespan
jusqu'à sa mort et à tous les siens après elle. M. le
comte de Toulouse avait aussi toute confiance en
lui... » Placé par i\r^ de Montespan auprès de l'amiral
2. Mémoires, édition Boislisle, t. VI, p. 180.
66 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
de France dès sa première jeunesse, il avait présidé
pour ainsi dire à son éducation maritime. Il savait
extraordinairement, suivant le mot de Saint-Simon ;
on peut se faire une idée de cette science dans un Traité
sur les prises et dans un autre sur l Etablissement des
congés, c'est-à-dire du droit de navigation, dans la
Méditerranée et dans VOcéan, composés tous deux pour
l'usage du comte de Toulouse ^. On y voit que les ques-
tions les plus épineuses du droit maritime lui étaient
familières, et l'on comprend qu'il ait été chargé par
Colbert et Seignelay de réunir les matériaux de la
grande Ordonnance sur la marine de 1689.
Sur le désir du comte de Toulouse, il devait com-
poser une Histoire de la navigation ; il lui était aisé
d'en réunir tous les éléments, comme secrétaire général
de la marine. On ne sait si cet ouvrage avait été rédigé.
Un incendie, resté célèbre dans l'histoire des lettres fran-
çaises, détruisit la magnifique bibliothèque de livres et
de manuscrits qu'il avait réunie dans sa maison de
Saint-Cloud. Valincour était un sage, qui se borna à
dire en apprenanT ce désastre : « Je n'aurais guère pro-
filé de mes livres, si je ne savais pas les perdre. » Le
Mémoire sur la marine de France a été retrouvé dans
les rares papiers qui échappèrent à l'incendie ^ ; il est
de nature à faire regretter la perle de ce que Vahncour
avait pu écrire sur notre histoire navale. Composé en
1725, ce mémoire, comme celui du comte de Toulouse,
appartient à celte période où l'on put croire que la
France, après la mort du duc d'Orléans, allait enfin
secouer sa torpeur marilime.
3. Eugène Sue les a publiés au tome IV, p. -40-58, de son Histoire de la
marine française, io3G.
4. Publié par Monmerqué, en lèie des Mémoires du marquis de ViLlettc,
LE COMTE DE TOULOUSE ET VALINCOUR. 6?
« Le ro3^aume de France est une péninsule envi-
ronnée, dans plus de moitié de son étendue, de l'Océan
et de la Méditerranée, et par conséquent la mer lui
peut être très utile durant la paix et très pernicieuse
durant la guerre. Donc il a besoin d'avoir en tout temps
une marine bien entretenue. »
Nécessité d'une marine en temps de paix, nécessité
d'une marine en temps de guerre : ce sont les deux
premiers points de cet écrit, où les idées et les faits sont
présentés avec beaucoup de netteté et de méthode.
A propos de la marine marchande, quelques détails
montraient combien elle avait encore besoin d'être en-
couragée, malgré l'impulsion que lui avait donnée la
Compagnie des Indes. Du port de Saint-Malo on avait
vu sortir dans une seule matinée, sous le règne du feu
roi, soixante et un bâtiments de tout tonnage, dont cin-
quante avaient armé pour la pêche de la morue et de
la baleine, et onze pour les colonies d'Amérique ou
les Indes orientales ; dans ce même port de Saint-Malo,
il y avait à présent cent cinquante vaisseaux sur la
vase, qui pourrissaient faute d'emploi. Bayonne, la Ro-
chelle, Dieppe, n'étaient pas dans une situation moins
triste ; les ports se ruinaient et se comblaient faute d'en-
tretien, et bientôt ils ne seraient plus en état de recevoir
des vaisseaux.
Pour montrer qu'une marine militaire était néces
saire à la sécurité de nos côtes, Valincour rappelait
que, lors des débarquements des Anglais sur les côtes
de Bretagne et de Normandie, au cours de la guerre
de la ligue d'Augsbourg, les milices des gardes-côtes
n'avaient rendu que des services à peu près illusoires.
Dans la guerre de la Succession d'Autriche et dans la
guerre de Sept ans, combien de fâcheux exemples de
ce genre viendront se joindre à ceux du règne pr^
e-
<^S LA xMARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
cèdent ! Faire marcher des troupes de terre pour s'op-
poser à des débarquemenls, c'était affaiblir les gar-
nisons ; c'était les affaiblir inutilement, car les troupes
détachées arrivaient toujours trop tard, et elles ne pou-
vaient pas rendre à l'ennemi le dommage qu'il avait
fait ; c'était encore les affaiblir pour un mal, à cause
dos dégâts commis par les gens de guerre à l'aller et
au retour. Valincour n'était donc pas partisan des opé-
rations combinées des armées de terre et de mer ; selon
lui, la défense des côtes n'appartenait qu'à la marine,
parce que la marine pouvait seule assurer efficacement
ce service.
Grand admirateur de Richelieu et de Colbert, dont il
résumait rapidement l'œuvre féconde, le secrétaire
général de la marine constatait avec douleur que la
France maritime avait désappris les traditions que ces
ministres lui avaient léguées. Bien loin de songer,
comme les Anglais et les Hollandais, à rendre notre
commerce plus prospère que celui de nos voisins et
nos flottes plus redoutables, nous semblions ne plus
avoir souci ni de notre marine, ni de nos colonies, ni
de notre commerce.
« Nos colonies manquent de tout, n'ont ni forts en
état de défense ni soldats en nombre suffisant et sont
hors d'état de résister à un coup de main. Il n'y a pas
une seule batterie en état ; les canons sont à terre et les
affûts pourris. »
Valincour faisait remonter la responsabilité de cette
situation si compromise au « jeune homme de vingt-
quatre ans » qui dirigeait la marine, « de bon esprit, qui
a de très bonnes intentions, mais qui ne sait pas de
quelle couleur est la mer. » Après avoir fait le procès
de Maurepas, il prenait à partie son grand-père et son
père, Louis et Jérôme de Pontchartrain, c'est-à-dire
LE COMTE DE TOULOUSE ET VALINCOUR. 69
l'administration de la marine depuis la mort de Sei-
gnelay. (( Voilà par où la marine de France est tombée
peu à peu dans l'anéantissement où elle est au-
jourd'hui, et cela plus par incapacité de ses ministres
et par mauvais gouvernement que faute d'argent. >^
Quelle que fût la cause de cet état de choses il y
avait un mal auquel on devait remédier sans retard, car
il entraînait derrière lui des maux de tout genre : c'était
la ruine matérielle de nos ports. « Il n'y a rien dans le
royaume qui soit plus important que la conservation
des ports et rien à quoi on donne moins d'attention...
Les officiers d'amirauté en écrivent, les négociants s'en
plaignent comme de la ruine totale du commerce. On
écrit au bout de six mois à un ingénieur d'en faire son
procès-verbal ; il le fait bien ou mal, selon qu'il a plus
ou moins de capacité ; on trouve que la somme qu'il
demande est trop forte ; on laisse là le procès-verbal, p.l
le port continue à se ruiner. Ce qui coûterait aujourd'hui
vingt mille écus en coûtera demain quarante mille, et
dans un an deux cent mille. » Les lenteurs paperas-
sières et les économies mal entendues que l'on reproche
parfois à notre administration n'étaient pas ignorées
de l'administration de l'ancien régime.
(c Voilà, dit encore Valincour, l'état où sont la plu-
part des ports du royaume, qui ressemble par cet en-
droit à une maison en décret qu'on laisse périr, faute
de réparations. » Comme preuve des conséquences
fâcheuses de cet abandon, il citait l'exemple des arma-
teurs basques de Ciboure et de Saint-Jean-de-Luz :
comme ils ne pouvaient plus faire hiverner leurs navires
dans le port de Rayonne, ils étaient obligés de les mettre
au port du Passage et d'acquitter de ce chef des droits
aux Espagnols. Il terminait par cette remarque où il
avait pleinement raison : « Le moindre port ruiné fait
70 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
perdre cfiaque année au roi et au royaume dix fois
plus qu'il n'en coûterait pour le réparer. »
Nous avons déjà parlé de ce sentiment rétrospectif
de tristesse que fait naître trop souvent la lecture des
documents de notre histoire maritime du xviii® siècle.
Il est triste, en effet, de voir que les plus belles paroles
restèrent sans effet ou que les plans les mieux combinés
échouèrent dans l'indifférence, parce que le gouver-
nement n'était pas à l'unisson des Français de bonne
volonté qui lui soumettaient des mémoires sur la res-
tauration de la marine ou des projets maritimes contre
l'Angleterre. On peut déjà éprouver quelque chose de
ce sentiment, en pensant que ces deux mémoires,
marqués au coin du bon sens et de la vérité, qui ne par-
laient ni d'aventures lointaines ni de folies héroïques,
mais qui réclamaient simplement des réformes néces-
saires et d'une évidence indiscutable, ne rencontrèrent
aucun écho. S'ils n'avaient pas été conservés par une
sorte de hasard, on ne pourrait en soupçonner l'exis-
tence, car rien ne fut changé ni dans notre système
politique ni dans la situation de notre marine.
Cependant il y avait intérêt à parler des écrits du
comte de Toulouse et de Valincour, que n'ont point
connus les historiens de notre marine. Dans cet affais-
sement des caractères et dans cette décadence matérielle
qui caractérisèrent trop longtems le règne de Louis XV,
c'est un devoir de rendre justice aux Français qui eurent
le sentiment de la grandeur de la France et des vrais
intérêts de sa marine.
CHAPITRE V
LA POLITIQUE MARITIME DE MONSIEUR LE DUC
ET DU CARDINAL DE FLEURY
Monsieur le Duc premier ministre. — La marquise de Prie. — Fleury
premier ministre. — Ses relations avec Horace Walpole. — Va-
lincour et son mémoire sur i'état de l'Europe. — L'alliance anglaise,
societas leonina. — Cassard enfermé à Ham. — La situation mari-
time à la mort de Fleury.
Le duc d'Orléans était mort d'une attaque d'apoplexie
en quelques instants, le 2 décembre 1723. Ses intimes
n'en furent point surpris : ils connaissaient « l'air pe-
sant », « l'air hébété », « la langue épaisse » de ce mal-
heureux prince, que la débauche avait usé avant l'âge
et qui, parfois, le matin, à son lever, donnait l'illusion
d'un vieillard en enfance. Saint-Simon, qui avait lu la
mort sur ces traits décomposés, avait songé à s'occuper
à l'avance de la désignation de son successeur, car la
majorité de Louis XV à treize ans révolus, aux termes
de la vieille ordonnance de Charles V, n'était qu'une
fiction légale. Le jeune roi, malgré sa précocité, ne
pouvait encore gouverner en personne, et le duc d'Or-
léans ne devait sûrement pas vivre jusqu'à l'âge de sa
majorité intellectuelle. Saint-Simon s'était ouvert de
cette éventualité au précepteur du roi, Fleury, évêque
de Fréjus, qui vivait en grande confiance auprès de son
élève ; il lui avait donné le conseil de s'assurer de cette
succession de premier ministre au moment même où
"2 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
elle serait vacante. Il trouva un homme très modeste,
qui déclarait que la place était au-dessus de son état,
qu'elle ne pouvait revenir qu'à une personne, ^Monsieur
le Duc. Saint-Simon de se récrier, de peindre Monsieur
le Duc sous les plus noires couleurs, de lui représenter
ce qu'était le personnage : « une bêtise presque stupide,
une opiniâtreté indomptable, une fermeté inflexible, un
intérêt insatiable et des entours aussi intéressés que
lui^... )) Fleury se borna à sourire ; son parti était pris.
Quelques semaines plus tard, les pressentiments
funèbres de Saint-Simon sur le duc d'Orléans étaient
réalisés. A la même heure, l'évêque de Fréjus disait à
Sa Majesté qu'elle ne pouvait mieux faire que de prier
Monsieur le Duc, qui était présent, de se charger du
poids de toutes les affaires et de prendre la place de
premier ministre comme l'avait eue le duc d'Orléans.
Le roi fit un signe de tête ; Monsieur le Duc prêta aus-
. sitôt le serment de sa charge. Louis XV avait un nou-
veau premier ministre, l'Angleterre un nouvel ami, et
1 notre marine, par suite, un ennemi de plus.
Louis-Henri, duc de Bourbon, dit Monsieur le Duc,
arrière-petit-fils du grand Condé et premier prince du
sang, âgé à cette époque de trente et un ans, n'était
guère connu que pour avoir été l'un des familiers du
Régent et pour s'être prodigieusement enrichi avec les
actions du Mississipi ; pour lui et pour d'autres princes
de sa famille, elles avaient été <( plus que les mines du
Potosi. » Son court ministère de trois ans, trop long
pour les intérêts de notre marine, ne fut guère que la
prolongation des scandales de la Régence et de la détes-
table politique de cette époque.
M Monsieur le Duc, dit Saint-Simon, fut un homme
1. Mémoires, édition de 1873. t. xix, p. 162.
MONSIEUR LE DUC ET FLEUHY. 73
fait exprès pour la fortune de l'Angleterre. » Il vivait
dans une liaison publique avec la marquise de Prie.
« Avec de la beauté, l'air et la taille de nymphe », cette
femme fut alors « la Médée de la France ». Les Anglais
avaient pu croire leur situation perdue à Paris après la
mort successive de Dubois et du duc d'Orléans : la for-
tune leur réservait la marquise de Prie. Bien vite au
courant de la domination absolue qu'elle exerçait sur le
premier ministre, ils se hâtèrent de la gagner ; ce n'était .
qu'une affaire d'argent, qui fut bientôt conclue. La pen-
sion de quarante mille livres sterling qui avait été servici
à Dubois fut désormais servie à la marquise.
Pour l'Angleterre, ce fut un million placé chaque
année à de gros intérêts. Mené par M"° de Prie,
Monsieur le Duc marcha toujours, par rapport à l'iVn-
gleterre sur les traces de son prédécesseur. Les consé-
quences sont faciles à deviner pour notre marine ; ce
furent trois nouvelles années de silence et, pour ainsi
dire, de mort à ajouter aux huit années précédentes,
où le duc d'Orléans avait dirigé les affaires.
En 1725, un événement inattendu servit à merveille
les intérêts de l'Angleterre. Monsieur le Duc, pour
rendre sa situation plus forte à la cour, avait imaginé
de marier le roi à sa guise et de faire épouser à cet
enfant de quinze ans Marie Leczinska, qui en avait
vingt-deux. Avant de conclure ce mariage, il avait
fallu renvoyer à la cour de Philippe V la jeune infante
d'Espagne, qui était élevée au Louvre depuis quelques
années, pour être un jour la femme de Louis XV. Car
un rapprochement politique s'était fait entre Paris et
Madrid, après le renvoi d'Alberoni ; l'Angleterre avait
pu le voir sans inquiétude, à présent que la France,
d'accord avec elle, avait travaillé et réussi à détruire
la marine de l'Espagne ; des fiançailles entre une fille
74 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
de Philippe V et son cousin le roi Très Chrétien avaient
été conclues, comme un symbole visible de la récon-
ciliation des deux branches de la maison de Bourbon.
Aussi ce brusque renvoi de l'infante fut pour l'Espagne
une cruelle injure ; prêt à recommencer la guerre pour
venger cet affront personnel, Philippe V se rapprocha
aussitôt de son ancien ennemi l'empereur Charles VI.
Pour se garder de l'orage qu'il avait follement pro-
voqué, Monsieur le Duc ne vit qu'un moyen, se jeter
de plus en plus dans les bras de l'Angleterre. Il serait
difficile de dire qu'il sacrifia la marine plus qu'il ne
l'avait déjà fait ; du moins, il était bien clair qu'aussi
longtemps que l'ami de la marquise de Prie et des An-
glais serait aux affaires, l'heure de la résurrection ne
viendrait pas pour la marine française.
Allait-elle enfin sonner, quand au milieu de l'année
1726, Monsieur le Duc reçut l'ordre de se retirer sur-
le-champ à Chantilly, et que l'évêque de Fréjus reçut
à peu près à la fois les rênes du gouvernement et la
pourpre cardinalice? Le nouveau cardinal et premier
ministre était-il de la grande famille des d'Ossat et des
Richelieu qui, cardinaux comme lui, avaient eu un sen-
timent si profond de la grandeur maritime de la France ?
Il ne fallut pas longtemps pour se convaincre que rien
n'était changé. C'était toujours le même vent qui
soufflait à Versailles ; il venait toujours des côtes d'An-
gleterre, et il ne pouvait pas apporter à la France mari-
time le signal de sa régénération.
Tout manquait à Fleury pour jouer les Richelieu,
aussi bien dans la politique étrangère que dans la ma-
rine ; à dire vrai, il n'y songea jamais. Son grand âge,
— il avait soixante-treize ans quand il prit le pouvoir,
et il ne le quitta qu'avec la vie, à quatre-vingt-dix ans,
MONSIEUR LE DUC ET FLEURY. 75
— l'influence des traditions politiques établies depuis
une dizaine d'années, ses relations personnelles avec
Horace Walpole, son amour excessif de l'économie,
assez voisin de l'avarice : tout contribuait à le con-
vaincre qu'il n'y avait qu'à laisser la marine en proie
à sa décadence.
Fleury avait trouvé le gouvernement, suivant le mot
de Saint-Simon, (( entièrement monté au ton de l'Angle-
terre. » Sa Majesté britannique était alors représentée
à Paris par un ambassadeur fort habile, souple, insi-
nuant, flatteur, Horace Walpole, frère de Robert, qui
fut à Londres pendant de longues années l'homme de
confiance et le premier ministre des rois de la maison de
Hanovre. En diplomate qui avait du flair et qui était au
courant des intrigues de cour, Horace Walpole avait
ménagé Fleury depuis quelque temps (( comme un
homme qui pointait ». Il s'était empressé d'aller lui
rendre visite à Issy, lors de cette disgrâce apparente
qui précéda son élévation subite ; par cette simple dé-
marche, rhabde Anglais s'était dévoué « personnel
le ment le cardinal à un point qui est inexprimable ».
Le nouveau premier ministre n'avait pas les goûts el
les besoins d'argent d'un cardinal Dubois ou d'une mar-
quise de Prie ; simple, désintéressé, économe, il con-
tinua aux affaires la vie modeste qu'il avait menée
jusque-là. Ajoutons à ce propos qu'il traita trop souvent
la fortune de l'Etat comme il traitait la sienne propre,
aussi économe des deniers publics que des siens. « Il
excellait aux ménages de collège et de séminaire, et
qu'on me pardonne ce mol bas, au ménage des bouts de
chandelle. » L'économie sans doute avait son prix après
la banqueroute et les folies de la Régence ; mais les
finances d'un grand Etat demandent parfois à être
maniées par d'autres que par un petit comptable, met-
^6 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
tant tous ses scrupules à bien tenir ses écritures, et
des économies de bouts de chandelle n'ont jamais per-
mis de constituer une flotte de guerre. Quoi qu'il en soit,
avec un ministre qui n'était pas dévoré par la soif de
l'argent, l'Angleterre pouvait désormais faire et fit l'éco-
nomie de son million annuel. Horace Walpole s'y prit
d'une autre manière.
Fleury avait un défaut, k trop commun, dit Saint-
Simon qui généralise, à ceux qui occupent de grandes
places... ; il prenait aisément les hommages, les
avances, les louanges, les fausses protestations des
étrangers et des souverains, pour réels et pour estime
de sa personne, pour confiance en lui, même pour
amitié véritable, sans songer qu'il ne les devait qu'à
l'importance de sa place et au besoin qu'ils avaient de
lui ou au désir de le gagner et de le tromper. » Cette
leçon de sagesse politique que donne Saint-Simon con-
vient à tous les temps ; avec quelle réserve les hommes
publics ne doivent-ils pas accepter les ouvertures et
les flatteries de l'étranger, surtout quami cet étranger
est, quoi qu'il puisse arriver, un ennemi naturel ! Auprès
de Fleury, le manège ne réussit que trop ; pendant ce
ministère sénile de près de dix-sept ans, on eut le droit
de dire que la France fut la dupe de toutes les puis-
sances de l'Europe, l'une après l'autre.
La situation modeste dans laquelle Fleury s'était tou-
jours renfermé, malgré son ambition cachée et son
entregent, soit comme évoque de Frcjus, soit comme
précepteur du roi, l'ignorance où il était et de la poli-
tique générale et du rôle nécessaire de notre marine
quand il prit tout à coup les affaires, sa timidité natu-
relle, le persuadèrent trop vite et trop complètement
que ses flatteurs étaient des amis sincères de lui-même
et de la France ; il ne crut qu'en eux, il ne jura plus
MO]\SlEim LE DUC l'T FLEURY. 77
que par eux. De telle sorte que << l'infatuation la plus
imbécile » aboutit pour notre pays et sa marine au
même résultat que l'égoïsme du Régent, que la vénalité
de Dubois, que l'immoralité de la marquise de Prie.
Triste époque que ce quart de siècle où nos hommes
d'Etat, de gaieté de cœur, par intérêt ou par sottise,
n'eurent d'autre politique que de faire le jeu de nos
ennemis !
Fleury fut comme ensorcelé par Horace Walpole.
Joignant à ses respects, à ses hommages, à ses ado-
rations ceux de son frère, qui dirigeait alors souve-
rainement l'Angleterre, l'habile ambassadeur le per-
suada sans peine qu'ils ne se conduisaient tous deux
que par ses conseils ; il le flatta de ce rôle de protecteur
de la paix européenne, qui convenait à son âge, à son
rang, à son caractère, et dont la meilleure garantie
était le maintien de l'entente cordiale entre Versailles
et Londres.
Or les Walpole éîaient les chefs de ce parti whig qui
avait appelé Guillaume III, qui régnait de nouveau en
Angleterre depuis la maison de Hanovre, et les whigs
(( les plus envenimés ennemis de la France », avaient
un triple objet, <( qu'ils remplirent triplement et com-
plètement » : empêcher à tout prix que la France ne
I élevât sa marine ; empêcher avant tout la restauration
de Dunkerque, qui avait été sous le règne de Louis XIV
ce que Flessingue devait être sous le règne de Napoléon,
le pistolet chargé au cœur de l'Angleterre, de Dun-
kerque qu'ils avaient brisé en morceaux et qu'ils pen-
saient bien ne voir jamais renaître ; par suite, conserver
l'empire de la mer et le commerce maritime, « en
sapant doucement ce qui nous en restait ». Voilà le
premier objet, qui suffisait à consacrer notre ruine. Le
second était d'aigrir le plus possible les rapports entre
'78 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
Versailles et Madrid, pour prévenir les effets que l'union
de la politique et des flottes de la maison de Bourbon
pouvait avoir pour Gibraltar, Minorque et les colonies.
Le troisième, qui n'avait qu'une répercussion indirecte
sur notre marine, était de maintenir l'union de l'Angle-
terre et de l'Autriche, ce qui était encore un moyen
indirect de brider la France.
Pour comprendre à quel point Fleury se laissa duper
par ses bons amis d'Angleterre, il faut reproduire
l'anecdote que Saint-Simon a racontée en deux passages
de ses Mémoires ^.
(( Je lui dis donc un jour ce que je pensais là-dessus,
les inconvénients solides dans lesquels il se laissait
entraîner, et beaucoup de choses sur les affaires... Sur
sa confiance en Walpole, en son frère et aux Anglais
dominants, il se mit à sourire. « Vous ne savez pas tout,
« me répondit-il, savez-vous bien ce qu'Horace a fait pour
« moi ? » et me fit valoir celte visite [à Issy] comme un
trait héroïque d'attachement et d'amitié, qui levait pour
toujours tout scrupule. Puis continuant : (( Savez-vous,
« me dit-il, qu'il me montre toutes ses dépêches, que
« je lui dicte les miennes, qu'il n'écrit que ce que je
(( veux ; voilà un intrinsèque qu'on ignore, et que je
(( veux bien vous confier. Horace est mon ami intime,
(( il a toute confiance en moi, mais je dis, aveugle ;
(( c'est un très habile homme ; il me rend compte de
(( tout ; il n'est qu'un avec Robert, qui est un des plus
<( habiles hommes de l'Europe, et qui gouverne tout en
(( Angleterre ; nous nous concertons, nous faisons tout
« ensemble, et nous laissons dire. » Je demeurai stupé-
fait, mais encore moins de la chose que de l'air de com-
plaisance et de repos, et de conjouissance en lui-même
2. Edition de 1873, t. V, p. 309 ; t. XV, p. 32C.
MONSIEUR LE DUC ET FLEURY. 79
avec laquelle il me le disait. Je ne laissai pas d'insister,
et de lui demander qui l'assurait qu'Horace ne reçût et
n'écrivît doubles dépêches, et ne le trompât ainsi bien
aisément ? Autre sourire d'applaudissement en soi :
« Je le connais bien, me répondit-il, c'est un des plus
(( honnêtes hommes, des plus francs et des plus inca-
« pables de tromper qu'il y ait peut-être au monde. »
Et de là à battre la campagne en exemples et en faits... »
Avec un aveuglement poussé à ce point inimaginable,
les mémoires raisonnes ne pouvaient avoir plus de prise
sur Fleury que les conversations amicales. Valincour,
dont il a été question au chapitre précédent, avait com-
posé pour le cardinal un Mémoire sur Vêlai de l'Eu-
rope en 1726^, c'est-à-dire quand il venait de prendre
les affaires en mains et que l'Angleterre voulait nous
entraîner à une nouvelle guerre contre l'Espagne. Le
premier minisire pouvait y toucher du doigt tout ce
qu'il y avait d'onéreux dans l'alliance anglaise.
« La première et aussi la plus inviolable règle de toute
société, est que les pertes et les profits y soient com-
muns. Dès qu'il est évident que tout le profit est d'un
côté et tout le dommage de l'autre, la société est rom-
pue, et par le droit divin, et par le droit des gens, et
par le droit civil, qui appelle cette sorte de société
societatem leoninam. Or, que peut gagner la France
dans la guerre où les Anglais veulent l'engager? Rien.
Que peut-elle perdre? Tout, et se perdre elle-même.
Que peuvent perdre les Anglais ? Rien ; on n'ira pas les
attaquer dans leur île ni prendre Londres. Que peuvent-
ils gagner ? Tout ce qu'ils souhaitent : détruire et faire
périr les forces maritimes et le commerce de la France,
de la Hollande et de l'Espagne ; s'assurer l'empire de
3. Publié par MoNAiERQUÉ en tête des Mémoires du marquis de VUletU.
p. XLViT-XLix. Voir ci-dessus, p. 32.
l
80 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
la mer, dont ils se mettent visiblement en possession.
Ils chassent à force ouverte nos pêcheurs de morue de
dessus le grand banc ; ils font trembler l'Europe et
l'Amérique à la vue de trois escadres qu'ils ont armées
et qu'ils ont fait agir, sans en donner aucune partici-
pation à la France, à qui ils proposent de tout sacrifier
pour eux... »
Fleury put lire encore ce passage, si vrai et si triste,
où l'on devine l'homme politique qui sait voir et com-
prendre :
« Ces Anglais, qui sont si fort nos amis, ne seront-ils
jamais nos ennemis? ne l'ont-ils jamais été?... Cette
amitié, qu'ils nous vendent si cher, durera-t-elle plus
longtemps que l'utilité qu'ils en retirent ? et s'ils
viennent à se tourner contre nous dans le fort d'une
guerre où ils nous auront engagés, où en serons-nous ?
Notre marine détruite ; pas un vaisseau à mettre à la
mer ; la plupart des officiers hors d'état de servir ; les
côtes exposées, les ports ruinés faute de réparations ;
nos colonies d'Amérique n'ayant pas de quoi faire la
moindre résistance et pouvant être enlevées d'un coup
de main... »
La guerre de la France et de l'Angleterre contre l'Es-
pagne, dont le patriotisme clairvoyant de Valincour
s'alarmait avec raison, n'éclata pas, et il faut en féli-
citer l'habileté de Fleury ; mais suffisait-il d'avoir évité
une faute qui aurait fait le jeu de nos amis d'aventure ?
Ne fallait-il pas peu à peu se soustraire à cette alliance,
qui avait tous les caractères d'une tutelle ruineuse et
humiliante? Se conduire avec l'Angleterre honnêtement,
sans bassesse, et intérieurement la considérer toujours
comme une ennemie naturelle : on n'aurait pu mieux
caractériser que par ces paroles déjà citées ce qu'aurait
dû êlre notre ligne de conduite vis-à-vis de la Grande-
MONSIEUR LE DUC ET FLEURY. 81
Bretagne, ni mieux caractériser aussi, par le contraire,
ce qu'elle fut sous le ministère de Fleury.
Le 31 décembre 1720, une tempête et une marée
extraordinaires, comme il y en a par les vents du nord-
ouest sur les plages de la mer du Nord, avaient détruit
le grand batardeau construit en 1714 pour barrer l'accès
du port de Dunkerque. L'ouragan semblait avoir tra-
vaillé pour la malbeureuse ville. Ses habitants se mirent
à l'œuvre en silence ; avec les matériaux des anciens
forts qu'on avait démolis en vertu des traités d'Utrechl
et de la Triple Alliance, ils construisirent de petites
levées le long de l'ancien chenal, ils y creusèrent une
rigole qui débouchait à la mer, quelques navires mar-
chands se risquèrent par cette voie nouvelle et péné-
trèrent dans le port : Dunkerque allait renaître. Mais
l'Angleterre veillait, elle réclama, elle rappela les
traités : Louis XV donna l'ordre, en 1730, de raser les
petites chaussées en pierre ; le canal, que plus rien ne
protégeait, se combla peu à peu. De nouveau Dunkerque
était mort. Fleury avait obéi à la mise en demeure des
Anglais.
Cependant, nos alliés avaient entrepris à nos portes,
dans ces îles de Jersey et de Guernesey d'où tant de
corsaires devaient sortir au cours du siècle, des tra-
vaux de défense, ports, fortifications, magasins. Fleury
ne fit aucune représentation. Bien mieux, comme les
Anglais devaient tirer leurs matériaux de construction
d'Angleterre et que ces transports étaient parfois pé-
rilleux, il leur permit de les prendre tous en France,
d'où les commodités de transport étaient plus grandes.
Qu'on mette en parallèle Dunkerque et Jersey : une
alliance à de telles conditions, c'est bien ce que Yalin-
cour appelait une sodeias leonina.
La complaisance incroyable de Fleury pour les An-
82 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
glais, la crainte de les blesser, lui fermaient les oreilles
à toutes les demandes d'argent pour le rétablissement
de la marine et le développement du commerce ; en
quoi son anglophilie et son avarice s'entendaient à mer-
veille. Un conseiller d'Etat, Fagon, qui était à la tête
ilu commerce et dont Saint-Simon a recueilli les do-
léances, ne cessai l de se plaindre et de demander les
l^nds nécessaires : peine perdue. ]\Iaurepas, le ministre
de la Marine, n'était pas plus heureux. « Pour protéger,
dit-il, cette source de richesses [le commerce], il fallait
augmenter les dépenses de la marine ; et tant que M. le
cardinal a été en place, il s'est refusé — pour des rai-
sons qui lui sont personnelles et dont il ne rend compte
à personne qu'au roi — de se prêter à cette augmen-
tation de nos forces navales^... » Quand Maurepas lui
montrait l'importance de la marine et la nécessité de la
soutenir par de larges subventions : <( Vous êtes
orfèvre, monsieur Josse, » était la réponse ordinaire
du cardinal.
L'ami des Anglais n'avait parfois pas plus d'égards
pour nos marins que pour notre marine. On connaît la
fin lamentable de Cassard, l'héroïque Nantais, dont le
nom est porté aujourd'hui par un de nos croiseurs, et
dont Du Guay-Trouin disait un jour devant lui aux
courtisans de Versailles : « Saluez, Messieurs, saluez
très bas M. Cassard, un des plus grands corsaires que
la France ait produits. »
Le glorieux compagnon de Pointis dans l'expédition
de Carthagène, le hardi capitaine qui, à la tête d'une
frégate et de deux corvettes, dispersait aux Sorlingues
en 1708 un convoi anglais de trente-cinq voiles et captu-
/t. Mémoire et Considérations générales sur le commerce de France pré-
<icrilccs à S. M., par M. le comte de Maurepas, sans date. Publié dans les
Mémoires de Maurepas. t. III, p. 194-245,
MONSIEUR LE DUC ET FLEURY. 83
rait cinq navires, qui, en 1709, escortant un convoi de
blé avec deux bâtiments de la marine royale, tenait
tête sur les côtes d'Afrique pendant vingt-quatre heures
à quinze navires de guerre anglais, les forçait à la fuite
et sauvait son convoi ; — le corsaire qui, en digne
émule de Du Guay-Trouin, rééditait à sa manière, en
1712, au cours de quelques semaines, la campagne de
Rio de Janeiro, prenait Praia et Santiago aux Por-
tugais dans l'archipel du Cap Vert, enlevait aux An-
glais l'île de Montserrat dans les petites Antilles, appa-
raissait devant Surinam et y levait sur les Hollandais
une contribution de huit cent mille florins, faisait des
razzias à Saint-Eustache et à Curaçao, dispersait à son
retour une escadre anglaise, lui prenait quelques
vaisseaux et ramenait toutes ses prises comme un triom-
phateur chargé des dépouilles opimes ; — le héros qu6
Louis XIV avait nommé lieutenant de frégate, capitaine
de frégate, capitaine de vaisseau, chevalier de Saint-
Louis, bien qu'il ne fût pas de la marine royale : Jacques
Cassard, ruiné comme tant d'autres marins par la paix
d'Utrecht et surtout par l'alliance franco-anglaise, était
réduit à la misère. Depuis longtemps, des négociants
de Marseille refusaient de lui payer des sommes aui lui
étaient dues ; avec ses navires il avait, en 1709, sauvé un
de leurs convois, et il leur réclamait le prix de l'ar-
mement de ses bâtiments de course. De là, procès de-
vant le parlement d'Aix, avec toutes les lenteurs et
tous les frais qui achevèrent de ruiner et d'exaspérer le
malheureux.
Rebuté de tous les côtés, il crut qu'à Versailles il
pourrait solliciter le ministre au nom de ses glorieux
services et de cette croix, décernée par le grand roi,
qui brillait en bonne place sur sa poitrine de marin. A
Versailles, comme à Marseille et comme à Aix, il fui
84 LA. MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
éconduit. Alors la^ colère et rindignation débordèrent ;
il exprima tout crûment au premier ministre les sen-
timents que lui dictaient et ces dénis de justice, et sa
misère présente, et le souvenir de ses exploits. Fleury
vit comme une insulte personnelle dans l'explosion d'une
âme profondément malheureuse. Cassard fut arrêté et
mis au château de Ham : c'était en 1736 ^. Le brave qui
avait été l'honneur de la France et la terreur de nos
ennemis de Portugal, de Hollande et d'Angleterre, avait
ces Invalides pour fm de sa carrière. Cassard ne sortit
jamais de sa prison, il y resta jusqu'à sa mort (21 jan-
vier 1740), c'est-à-dire pendant trois ans et six mois.
Le règne de Louis XV fut bien dur à quelques-uns de
nos marins et de nos coloniaux. Cassard, traité comme
un criminel d'Etat, meurt en prison après de longs mois
de captivité ; La Bourdonnais, enfermé trois ans et
demi à la Bastille, en sort acquitté, mais mourant ; Du-
pleix, le grand homme, meurt dans une profonde dé-
iresse ; le comte de Lally, déshonoré par ses juges,
essaie de se tuer et, à demi-mort, est traîné à l'échafaud.
Il faut revenir à Fleury pour juger les résultats de sa
politique et de la pohtique de son prédécesseur, du
moins en ce qui concerne la marine. Empruntons encore
à Saint-Simon un passage, écrit peu de temps après la
mort du cardinal ^.
« Ce qui résulte de tout ce qu'on vient de voir, c'est
que la marine de France se trouve radicalement dé-
truite, son commerce par conséquent, tous les magasins
épuisés, les constructions impossibles ; qu'elle ne peut
5. L'ordre de son arrestation est du 5 février 1736. Il fut mis au sémi-
naire de Notre-Dame des Vertus, puis au mois de juillet au château de
Ilam. Voir Norman, The Corsairs of France (Londres, 18S7), chap. m ; L4
NicoLLTÈRE-TEiJEiRO, JacQucs Cassard. Vannes. 1S90.
6. Edition de 1873, t. XV. p. 330.
MONSIEUR LE DUC ET FLEURY. 85
hasarder de vaisseaux à la mer qu'ils ne soient pour-
chassés, en quelque endroit que ce soit, de toute la vaste
étendue des mers de l'un et de l'autre monde ; que ses
ports et ses côtes sont exactement bloqués, ses meil-
leures colonies enlevées, ce qui lui en reste menacé et
à la discrétion des Anglais, quand il leur plaira d'en
prendre sérieusement la peine. Nul contrepoids à la
puissance maritime de l'Angleterre, qui couvre toutes les
mers de ses navires. La Hollande, qui en gémit intérieu-
rement, n'ose pas même le montrer. L'Espagne ne
pourra de longtemps se relever de la fatale assistance
que nous avons prêtée à l'Angleterre de ruiner sa ma-
rine et d'estropier son commerce et ses établissements
des Indes ; et il faudrait à la France trente ans de paix
et du plus sage gouvernement pour remonter sa marine
au point que Colbert et Seignelay l'ont laissée. C'est,
avec bien d'autres maux, ce que la France doit aux pre-
miers ministres qui l'ont gouvernée depuis la mort du
feu roi. Ainsi l'Angleterre triomphe de notre ineptie... »
Quelques traits de cette peinture sont peut-être trop
poussés au noir, comme on le verra à propos de l'admi-
nistration de Maurepas et des faits de guerre maritime
de cette époque. Mais l'on sait dès maintenant pourquoi
le ministre de la Marine ne put jamais prendre que des
demi-mesures, pourquoi nos marins furent trop long-
temps condamnés à des besognes incomplètes, décou-
sues, stériles. C'est qu'ils vivaient pour leur malheur
sous le gouvernement de Monsieur le Duc et sous le
gouvernement du cardinal Fleury, « également empoi-
sonnés de l'Angleterre » '^.
7. saint-Simon, édition de 1873. t. XIV, p. 36.
CHAPITRE VI
MAUREPAS, SECRÉTAIRE d'ÉTAT DE LA MARIKE
Réputation traditionnelle de légèreté de Maurepas. — Sa carrière. - -
Conditions politiques et financières de son administration maritime.
— Suppression des galères. — Réilexions sur le commerce et sur
la marine. — Travaux dans les ports. — Constructions navales. —
Travaux scientifiques.
Dans son Mémoire sur la marine de France, composé
en 1725 pour le comte de Toulouse, Valincour parle en
ces termes du secrétaire d'Etat de la Marine, qui était
alors en fonctions, et de sa manière d'administrer :
(( ...Un jeune homme de vingt-quatre ans, de bon
esprit, qui a de très bonnes intentions, mais qui ne sait
pas de quelle couleur est la mer ni comment est fait un
vaisseau ; qui, depuis qu'il est en place, n'a fait autre
chose que d'examiner si d'un écrivain on peut faire un
commissaire, ou si d'un garde-marine il faut faire un
enseigne, et si on enverra celui-ci à Toulon et celui-là
à Rochefort. Du reste, il ne prendra conseil de qui que
ce soit ; les officiers de guerre seront exclus de toutes
les délibérations, mais il s'enfermera avec quatre
commis qui n'en savent pas plus que lui et qui n'ont pas
tant d'esprit. C'est avec eux qu'il dressera le projet de
la campagne qui va s'ouvrir et les instructions pour la
MAUREPAS, SECRÉTAIRE d'ÉTAT DE LA MARINE. S7
flotte, si l'on en peut avoir une, et qu'il prescrira au
général la conduite qu'il doit tenir. »
Cette appréciation sévère et ironique pourrait être
regardée comme un écho de l'inimitié dont le comte de
Toulouse avait poursuivi le père de Maurepas et que
Valmcour, secrétaire des commandements de l'amiral
de France, devait naturellement partager ; mais il faut
reconnaître qu'elle cadre assez bien avec d'autres té-
moignages qui ont valu à Maurepas une réputation de
frivolité et d'insouciance, restée comme inséparable de
son nom.
Ce jeune homme de vingt-quatre ans, qui a de l'esprit
et de bonnes intentions, mais qui ne sait rien et ne veut
pas prendre conseil, fait penser à l'avance au vieillard
devenu premier ministre de Louis XVI, que Marmontel
a représenté « aimant ses aises et son repos, évitant tout
ce qui pouvait attrister ses soupers ou inquiéter son
sommeil )>. Ce aue l'on sait d'ordinaire de lui, c'est qu'il
aimait les bons mots, qu'il tournait joliment l'épi-
gramme, qu'il avait formé un volumineux recueil de
chansons où toute l'histoire de son temps est racontée
en couplets spirituellement tournés et d'où la note licen-
cieuse n'est pas toujours absente. On a aussi sous son
nom des Mémoires en quatre volumes, que l'on dit avoir
été rédigés sous ses yeux, lors de son exil à Bourges,
par son secrétaire de confiance, M. Salle ^ ; ces Mé-
moires ne sont pas pour donner une idée très précise de
son rôle comme administrateur. Ce qui y tient, en effet,
le plus de place, ce sont des anecdotes sur lui-même
ou sur divers personnages et incidents de la cour de
Louis XV ; il en résulte que les pages de ces Mémoires
1. Mémoires du comte de Maurepas, ministre de la Marine, Paris, 1791.
88 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
ont parfois le caractère léger et décousu d'un recueil
d'ana.
Une chose frappe cependant dans cette suite d'histo-
riettes et de couplets, c'est qu'il s'y mêle un nombre
assez grand de pièces originales sur la marine et le
commerce, qui offrent un intérêt véritable pour l'his-
toire administrative. Aussi l'on en vient à se demander
si le ministre n'aurait pas été fait lui-même à l'image
de ses Mémoires, s'il n'aurait pas été un mélange de
sérieux et de frivole, et si la légèreté de son caractère
n'aurait pas fait tort à sa réputation, en empêchant de
distinguer ce qu'il avait pu concevoir et exécuter d'utile
au cours de sa longue administration maritime.
Saint-Simon, qui ne pèche point par bienveillance à
l'égard des ministres, parle de Maurepas en ces termes :
« Il a bien dépassé son maître [La Vrillière] et bien pro-
fité des leçons de son grand-père [le chancelier de Pont-
chartrainj, duquel il tient beaucoup. Il exerce encore
aujourd'hui cette charge avec tout l'esprit, l'agrément
et la capacité possible. — Remarquons ce dernier trait,
qui se rapporte au mérite même de l'administrateur et
non aux qualités séduisantes de l'homme privé. — Il
est de plus ministre d'Etat. La louange pour lui serait
bien médiocre, si je disais qu'il est de bien loin le
meilleur que le roi ait eu dans son conseil depuis la
mort de M. le duc d'Orléans. »
L'auteur de la Vie privée de Louis XV ^ qui parle
avec tant de sévérité des hommes et des choses de ce
règne^ et en particulier de la marine, porte cette appré-
ciation sur le secrétaire d'Etat à la Marine : « Nous
osons croire que la postérité, plus équitable [que les
2 Vie vrivée de Louis XV ou Principaux Evénements, ParticulariUs et
Anecdotes de son ngne [par Moufle d'Angerville] ; Londres. 1781.
4 vol. in-12.
MAUREPAS, SECRÉTAIRE d'ÉTAT DE LA MARINE. 89
contemporains], regardera le comte de Maurepas comme
le meilleur minisire que la marine ait eu sous
Louis XV 3. Si l'on considère l'état de faiblesse où il la
trouva au commencement de la guerre, le défaut de
fonds qui lui manquèrent toujours dans ce temps mal-
heureux, on sera surpris des choses qu'il fit avec si
peu de moyens. » Le seul vice d'administration qu'il lui
reproche, c'est d'avoir manqué d'énergie dans les pu-
nitions ; il aurait voulu le voir agir à l'égard de quelques
mutins, comme les Anglais devaient le faire à l'égard
de Byng, qui était infiniment moins coupable ; « mais
cette mollesse funeste était moins la sienne que celle
du maître et du gouvernement )>.
Ces deux jugements de Saint-Simon et de Moufle
d'Angerville paraissent difficiles à concilier avec le ju-
gement de Valincour et l'opinion de la plupart des
historiens ^ ; mais certains hommes ne joignent-ils pas
à des capacités réelles des apparences de frivolité? Le
plaisir de placer un bon mot ou de conter une anecdote
un peu libre ne les empêche pas d'avoir des habitudes
sérieuses de travail. Il semble que tel ait été le cas de
Maurepas, qui vaut mieux que sa réputation ; il porte
dans l'histoire la peine de sa légèreté d'esprit, trop
grande sans doute, surtout chez un homme public, mais
qui n'atteignit pas toujours en lui le fond du caractère.
Comme ministre de la Marine, il ne manqua pas d'idées,
il introduisit des améliorations utiles ; s'il ne fit pas
3. L'auteur anonyme, mais d'esprit très indépendant, qui a écrit les
Considérations sur la constitution de la marine militaire de France
(Londres, r/56), parle ainsi de IMaurepas (p. 57) : v.- i
« Tout le corps respecte et chérit en lui son amour pour le bien, la
justice et l'ordre, en même temps qu'il admire ses rares talents pour le
ministère. »
/i. CHAnAUD-ARNAULT en a déjà appelé du jugement sévère porté par
Henri Martin sur Maurepas, ministre de la INIarine ; voir R. M. C, t. CX,
p. 49 et suiv.
90 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
beaucoup, il fît du moins beaucoup plus qu'on ne pour-
rait le croire en ne le jugeant qu'à la surface et en son-
geant aux circonstances dans lesquelles il se trouvait.
Jean-Frédéric Phélypeaux, comte de Maurepas et de
Ponlchartrain, baron de Beyne, né en 1701, avait été
nommé secrétaire d'Etat de la i\larine à l'âge de qua-
torze ans, quand le Régent avait renvoyé son père,
Jérôme comte de Pontchartrain ; on a vu comment Saint-
Simon s'était fait lui-même l'exécuteur de cette singu-
lière substitution de personnes, dont il avait eu la pre-
mière idée, oubliant ainsi son mépris superbe à l'égard
des « bourgeois porphyrogénètes )>. Remarquons en
passant que si l'expression peut s'appliquer à une fa-
mille de ministres, c'est bien à la dynastie des Phély-
peaux qu'elle convient : la place de secrétaire d'Etat,
entrée dans cette famille en 1610, s'y maintint comme
une propriété ininterrompue jusqu'en 1775.
L'apprenti-ministre de 1715 avait été placé sous la
tutelle de son parent le marquis de La Vrillière ^, qui
devait, tout en formant celui qui en avait le titre, faire
les fonctions de ministre de la Marine ; d'ailleurs, l'exis-
tence du Conseil de Marine, et mieux encore l'abandon
systématique de nos forces navales, qui faisait partie
de notre politique, ne laissaient à peu près rien à faire
au secrétaire d'Etat de la Marine, quel qu'il fût. En
1718, Maurepas épousa la fille de La Vrillière ; dès lors
il partagea l'exercice de sa charge avec son beau-père,
qui paraphait ses signatures. Enhn, à la proclamation
de la majorité de Louis XY, en février 1723, le secrétaire
d'Etat, émancipé de la tutelle de son beau-père, com-
mença à faire en personne les fonctions de sa charge,
5. Louis Phélypeaux, marciuis de La Vrillière. né eu 1672, secrétaire
d'Etat de la Maison du roi. mort en 1725.
l
MAUREPAS, SECRÉTAIRE d'ÉTAT DE LA MARINE. 91
en joignant au département de la Marine celui de la
Maison du roi. Plus tard, il fut ministre, c'est-à-dire
membre du conseil du roi, et il put avoir ainsi une part
d'influence dans la politique du règne.
Le 24 avril 1749, un incident futile de la vie de cour,
mais qui est en harmonie avec cette époque de frivo-
lité et de corruption, amena brusquement sa disgrâce.
Maurepas avait déjà fait des couplets sur la marquise
de Pompadour, dont le roi avait bien voulu rire ; un
jour, la favorite trouva à Marly un quatrain qui n'était
pas pour lui plaire. Il fut mis sur le compte de Mau-
repas, qui prétendit d'ailleurs que l'auteur de ces vers
était son propre ennemi le duc de Richelieu^. M™^ de
Pompadour demanda et obtint sur l'heure le renvoi du
prétendu coupable. Maurepas devait rester exilé de la
cour jusqu'à l'avènement de Louis XVI. A cette date,
un retour inattendu de faveur lui valut la place de pre-
mier ministre, certainement trop lourde pour ses épaules
de vieillard ; il devait mourir en fonctions, en 1781, à
quatre-vingts ans passés.
Pour parler d'une manière équitable du rôle de Mau-
repas comme ministre de la Marine pendant cette longue
période de vingt-six ans, de 1723 à 1749, il ne faut pas
perdre de vue les conditions politiques et les conditions
financières de son administration ; les unes et les autres
furent aussi fâcheuses que possible.
Jusqu'à la mort de Fleury, le système de l'alliance an-
glaise prévalut à Versailles ; il avait pour condition pre-
6. Dans les Mémoires de Maurepas, t. IV. p. 213-221, on trouve ce docu-
ment : « Mémoire contre M. de Maurepas remis par le maréchal de Riche-
lieu à M»' de Pompadour. qui le donna au Roi, lequel l'appela lihelle, en
le rendant à M. de Maurepas qui l'a méprisé et n'y a pas répondu. » Ce
mémoire reproche à Maurepas de gouverner « despotiquement » la manne
d'en avoir écarté le comte de Toulouse, de négliger le matériel, etc.
92 LA MARINE MIUTAIRE SOUS LOUIS XV.
mière l'abandon de notre marine, et l'on sait avec quelle
facilité le cardinal s'y résigna. Lorsque l'ami d'Horace
Walpole ne fut plus aux affaires, il fallut bien ouvrtr
les yeux à l'évidence et admettre l'existence de cette
hostilité naturelle entre la France et l'Angleterre, dont
Saint-Simon avait si souvent entretenu le Régent,
puisque aussi bien la guerre avait éclaté comme d'elle-
même entre les marines et les colonies des deux nations.
Mais cette guerre fut faite un peu à l'aventure, sans plan
d'ensemble, au hasard des événements quotidiens. N'au-
rait-il pas fallu avant tout chasser les Anglais de la
Méditerranée peur rendre la liberté à nos escadres du
Levant, qui étaient comme captives à Toulon depuis
que les Anglais étaient maîtres de Gibraltar et de Mi-
norque, rétablir à tout prix le port de Dunkerque,
appuyer le prétendant Stuart, soutenir de toute notre
puissance maritime nos colons du Canada et nos mar-
chands de l'Hindoustan ? On songea bien à exécuter
quelques parties de ce programme, qui était comme im-
posé par les circonstances, mais le peu qui fut exécuté
ou plutôt entrepris le fut d'une manière décousue et par
suite stérile.
Ce qui fit presque toujours défaut à la France pendant
le long règne de Louis XV, ce fut une volonté forte, ca-
pable d'embrasser de vastes desseins et d'en imposer
l'exécution. Le roi aimait à entendre ses ministres lui
parler de combinaisons politiques ; il eut même à son
service, dans la dernière partie de son règne, tout un
vaste système de diplomatie secrète, et il employa le
chef de cette politique occulte, le comte de Broglie, à
préparer un plan de guerre contre l'Angleterre, qui
peut passer pour un chef-d'œuvre de conscience et de
sagacité. Mais il semble qu'il ait toujours suffi au dilet-
tantisme de ce prince intelligent et sans énergie d'avoir
MAUREPAS, SECRÉTAIRE d'ÉTAT DE LA MARINE. 93
amusé son ennui par la connaissance de ce qu'il eût
fallu faire ; quant à donner l'ordre d'exécution, cela de-
mandait un effort de volonté qui était au-dessus de son
apathie. Dans un mémoire sur notre marine et
notre commerce comme il en rédigea plusieurs, Mau-
repas montrait de quel avantage était pour les Anglais
la possession de Port-Mahon et de Gibraltar, a II ne
nous convient point, disait-il, ni au reste de l'Europe
que ces deux places leur restent », et il parlait des
moyens de <( tenir les Anglais en crainte et en échec...,
de leur faire appréhender une descente ». Quel fut le
sort de ce mémoire? « M. de Maurepas a remis le pré-
sent mémoire au roi, il a même couru à la cour, mais
l'on n'en a pas fait davantage". » Combien de projets,
des plus nécessaires et des plus pratiques, périrent de
même dans cette atmosphère d'indifférence où Louis XV
passa tout son règne !
Les Mémoires de Maurepas fournissent quelques ren-
seignements sur l'exiguïté des fonds qui étaient destinés
à la marine. On se rappelle qu'après 1715 ces fonds
n'avaient plus été que de huit millions ; tout ce que
Maurepas avait pu obtenir de l'esprit d'économie de
Fleury, c'était un miUion de plus. Dans un rapport lu
au conseil royal du commerce le 3 octobre 1730, il
expose en détail lemploi des « neuf millions que Votre
Majesté veut bien donner à la marine tous les ans «. »
7 MAURjEPAS. « Mémoire et Considérations générales sur le commerce de
France présentés à S. M... » (sans date), au tome III de ses Mémoires,
3' édition ; p. 194, 241.
On pourrait rapprocher de ce Mémoire de Maurepas l'Essai sur la
Marine et sur le commerce, par M. D*" ; Amsterdam, 1743. L auteur.
Deslandes, commissaire général de la marine à Rochefort, puis à Brest,
y démontrait limportance de la marine dans l'histoire générale et spécia-
lement dans l'histoire de la France. « La marine..., c'est la colonne, le
soutien de l'État. » ^. * _ ^4. ^„ i.
8. MAUREPAS, « Extrait de l'état des affaires du département de la
Marine... en 1730, » au tome III de ses Mémoires, p. 118-122.
94 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
Les galères absorbaient seize cent mille livres ; c'était
beaucoup pour une marine d'une nature toute spéciale.
Sans doute elle avait eu ses jours de gloire, mais elle
ne répondait plus que d'une manière très imparfaite aux
nécessités nouvelles de la guerre navale ; à présent,
cette guerre se faisait surtout loin des côtes, en pleine
mer, à des distances et dans des conditions où les na-
vires à rames étaient dans l'impossibilité de jouer aucun
rôle.
Notons tout de suite, à propos des galères, une dé-
cision radicale prise par Maurepas. Le 16 juin 1748, la
mort du chevalier d'Orléans, fds naturel de l'ancien
Régent, général des galères et grand prieur de France,
lui permit d'exécuter une mesure qui s'imposait, car le
peu d'utilité des galères dans la guerre de la succession
d'Autriche, même quand il s'était agi de la défense des
côtes de Provence, en avait démontré la nécessité. Le
27 septembre 1748, une ordonnance royale porta réunion
du corps des galères à celui de la marine ; les galères
furent désarmées, leur état-major versé dans l'état-
major de la marine royale, les chiourmes réparties entre
les ports de Toulon, Marseille et Brest, pour être em-
ployées aux travaux les plus pénibles des arsenaux ^. —
Plus tard, une ordonnance de 1767 établit aussi un
bagne au port de Rochefort. — Le jour où fut prise
cette mesure très utile, le galérien cessa d'être un ma-
telot, ce qu'il n'aurait jamais dû être, pour devenir un
forçat, ce qui était la conséquence naturelle ac sa con-
damnation judiciaire.
9. Sur les avantages de la réunion des deux marines, voir une note du
10 juillet 1748, donnée dans l'Etat sommaire des Archives de la Marine.
p. 237. — Le bailli de Mirabeau, qui avait servi sur les galôres du roi et
de l'ordre de Malte, écrivit alors deux mômoires pour démontrer l'utilité
de la marine des galères à côté de la marine des vaisseaux. Loménie,
Ces Mirabeau, t. I, p. 171.
MAUREPAS, SECRÉTAIRE d'ÉTAT DE LA MARINE. 95
En ajoutant aux seize cent mille livres absorbées par
les galères les dépenses pour les colonies, qui, au point
de vue financier et administratif, se confondaient avec
la marine, soit 1 700 000 livres, — les appointements et
pensions des officiers de plume, la solde des troupes,
soit pour ces divers chapitres, 2 157 157 livres, — les
pensions de l'ordre de Saint-Louis, les dépenses se-
crètes, le service des classes, les dépenses des hôpitaux,
les loyers des magasins, les frais d'entretien des fanaux,
c'est-à-dire des phares, et d'autres menues dépenses,
Maurepas arrivait au total de 6 596 421 livres. Il restait
donc de disponible, pour la construction, l'entretien et
le radoub des vaisseaux, la somme de 2 403 579 livres.
Voici comment on employait cette somme de moins
de deux millions et demi, qui paraîtrait bien misérable
à nos ingénieurs des constructions navales.
En 1728, en fixant à neuf millions les fonds de la ma-
rine, le roi avait ordonné que le nombre des vaisseaux,
du premier au sixième rang, serait fixé à cinquante-
quatre, non compris les bâtiments de rang inférieur ;
c'étaient à peu près les effectifs dont parlait le comte de
Toulouse dans son mémoire de 1724. Ce plan avait été
exécuté presque en entier ; car cinquante et un vaisseaux
figuraient alors sur les états officiels, et les trois autres
devaient être achevés dans un an. Une fois le total de
cinquante-quatre vaisseaux atteint, les constructions de-
vaient toujours continuer à raison de trois vaisseaux
par an, à cause de l'usure constante du matériel qui
faisait que le vaisseau le mieux entretenu ne pouvait
durer qu'une vingtaine d'années au plus. Or, ces frais
annuels et nécessaires de construction, entretien, ra-
doub, montaient à dix-neuf cent mille livres. Il ne restait
que 415 579 livres pour les achats de munitions et mar-
chandises, pour les fournitures des arsenaux, pour l'en-
96 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
tretien des formes, chenaux, fosses, quais, hangars, etc.
Dans ces conditions, on ne pouvait songer à employer
la somme la plus minime pour les armements Aussi le
roi avait décidé que des fonds extraordinaires seraient
accordés tous les ans à la marine à proportion du
nombre et du rang des vaisseaux qu'il ferait armer.
Quant à ces fonds d'armement, ils n'étaient pas repré-
sentés par un chiffre déterminé, précisément à cause du
caractère extraordinaire qu'on leur assignait.
Dans un mémoire de Tannée 1745, Maurepas s'éle-
vait avec juste raison contre celle thèse financière, que
des fonds destinés à l'armement pour le temps de paix
fussent qualifiés d'extraordinaires. Comme ils n'étaient
pas prévus sur les dépenses inscrites, les contrôleurs
généraux des finances ne voulaient pas ou ne pouvaient
pas les avancer dans ces années d'économie à tout prix,
et par suite les navires n'étaient jamais armés. (( C'est
là, dit le ministre, ce qui a occasionné les difficultés
que la marine a toujours trouvées à obtenir des fonds
pour armier. C'est ce qui la rend en quelque sorte dépen-
dante des finances et qui est absolument contraire à
l'ordre et à la bonne règle ; c'est aussi ce qui a causé en
partie l'épuisement où elle est tombée... » En 1740, les ar-
mements demandaient huit millions, il n'en fut accordé
que six ; en 1744, quand il n'y avait plus de doutes à avoir
sur notre rupture avec l'Angleterre, Maurepas deman-
dait vingt millions pour mettre la marine sur le pied
de guerre ; il en obtint dix, et ainsi de suite ^^. Il aurait
été en droit de répéter à peu près ce que son père avait
dit à sa décharge dans son mémoire justificatif de 1715 :
10. Voir le mômoire écrit au nom du comte de Maurepas en 1745 et les
chiffres donnés dans l'Etat sommaire des Archives de la Marine, p. 615-616 ;
en rapprocher les chiffres donnés par ?»r\RGRY, qui ne sont pas tout à fait
concordants : n. M. C. t. LXVIII, p. 102.
MAUREPAS, SECRÉTAIRE d'ÉTAT DE LA MARINE. 97
quand on voudra bien considérer et les idées politiaues
régnantes et l'insuffisance de fonds continuelle, l'on
sera encore plus étonné de voir la marine subsister que
de la voir déchue.
Les Archives de la Marine possèdent un long mé-
moire de Maurepas de l'année 1745, intitulé Réilexions
sur le commerce et la marine ^^ ; il est tout à fait de na-
ture à corriger l'impression fâcheuse que pourraient
donner les Mémoires imprimés sous son nom, avec
leurs anecdotes souvent suspectes et leurs couplets
assez lestes. Dans ce début, l'on ne reconnaît pas la fri-
volité du Maurepas de la tradition :
« Depuis vingt-trois ans que le roi m'a confié le dé-
partement de la Marine et celui du commerce maritime,
j'ai eu occasion de faire beaucoup de réflexions sur ces
deux parties de mon administration. L'application que
j'y ai apportée durant une longue paix ne m'avait pas
encore donné toutes les connaissances et l'expérience
que la guerre présente m'a fait acquérir. L'usage que
j'en fais journellement ne satisferait pas entièrement
mon zèle, si je les réservais pour moi seul ; il m'a en-
gagé à jeter sur le papier des réflexions qui, n'ayant
pour objet que la gloire du roi et le bien du royaume,
peuvent servir autant pour l'avenir que pour le présent.
Je m'y suis porté d'autant plus volontiers que personne
ne m'a paru avoir des idées bien justes des forces na-
vales et du commerce relativement aux avantages que
l'Etat en retire. »
Il est inutile d'exposer ici les arguments par lesquels
Maurepas établit ces trois propositions : le commerce
fait la richesse et par suite la puissance des Etats ; les
forces navales sont indispensables pour la protection
U. A. M.. G 127 ; fol. 12-63.
98 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
du commerce et la défense d'un Etat maritime ; les
forces navales ne sont pas moins nécessaires pour la
conservation des colonies. Ce sont des raisons de bon
sens, qui prouvent du moins que ce ministre de la Ma-
rine comprenait les besoins multiples auxquels répond
et répond seule une flotte puissante.
On remarquera seulement la phrase suivante ; elle
peut faire comprendre, par son ton de demi-affirmation,
à quels préjugés politiques et militaires on se heurtait
alors, en parlant de porter sur la mer le théâtre d'une
guerre maritime. <( Je crois pouvoir avancer que c'est
principalement par mer qu'on doit faire la guerre à une
puissance maritime. — N'oublions pas que ceci était
écrit en 1745, quand nous étions en guerre ouverte avec
l'Angleterre. — Je conviens qu'en France les forces de
terre sont nécessaires et exigent de grandes dépenses
en temps de guerre ; mais les forces navales le sont-elles
moins quand il y a guerre contre une puissance mari-
time, et ne méritent-elles pas d'être préférées du mo-
ment qu'elles servent à procurer par le commerce de
mer des revenus à l'Etat, sans lesquels on ne pourrait
entretenir même les forces de terre ? »
Citons encore ce passage tout à l'honneur de la clair-
voyance de son auteur : <( J'ai souvent entendu dire à
des ministres étrangers que notre marine était trop né-
gligée ;... qu'il vaudrait beaucoup mieux que le roi eût
cinquante mille hommes de troupes de moins et cin-
quante vaisseaux de plus ; qu'on ne pouvait imaginer
l'effet que cette augmentation de vaisseaux produirait
dans les cours étrangères ; que ce serait le moyen le
plus sûr de se faire craindre et respecter, de se pro-
curer des alliés, et de prévenir les guerres que l'agran-
dissement de notre commerce et la faiblesse de nos
forces navales pourraient nous occasionner. » Les pro-
MAUREPAS, SECRÉTAIRE d'ÉTAT DE LA MARINE. 99
grès continus de la Compagnie des Indes et la stagnation
de notre marine de guerre ne justifiaient que trop cette
dernière observation.
La marine dont parlait Maurepas n'était pas une ma-
rine de parade ; elle devait toujours être au travail, pro-
mener sur les mers en temps de paix le pavillon de
Sa Majesté, de fréquentes croisières étant le moyen par
excellence d'entretenir les navires, de former les équi-
pages, de nous faire respecter. Les officiers, disait-il,
(c n'acquerront jamais dans un port les qualités qui
constituent un bon officier»; ce qu'il leur faut avant
tout, c'est la pratique de la vie maritime en pleine mer.
Suffren aurait souscrit des deux mains à cette affir-
mation.
En rappelant que Louis XIV, en 1682, avait fixé à
cent vingt le nombre des navires de guerre, Maurepas
disait que soixante vaisseaux, toujours entretenus en
temps de paix, pouvaient suffire, à condition de faire
de la France le centre d'une coalition maritime contre
la Grande-Bretagne, « qui s'arroge le titre fastueux de
maîtresse de la mer ». Cette coalition se produirait
d'elle-même, car la situation des puissances maritimes
vis-à-vis de l'Angleterre ne différait pas de la situation
de la France à son égard.
Pour la mise en état de cette force permanente de
soixante vaisseaux, dont quarante dans les ports du Po-
nant et vingt à Toulon, il fallait, d'une part, un fonds
permanent de vingt millions par an, représentant les
dépenses normales de construction, d'entretien et d'ar-
mement ; il fallait, d'autre part, pendant les deux
années qui suivraient la paix un fonds extraordinaire
de vingt millions, à affecter spécialement à l'achat de
canons, armes, munitions, approvisionnements et tra-
vaux dans les arsenaux. On armerait chaque année
B:3UOTh'£CA
^■'tavleras'.s
100 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
quinze vaisseaux ; ainsi chaque vaisseau ferait sa croi-
sière tous les quatre ans. En attendant ces jours heu-
reux, où la France aurait une marine au complet, bien
entretenue, avec des officiers instruits et des équipages
entraînés par des armements réguHers, il fallait s'occu-
per des dépenses de la guerre en cours et fournir à la
marine des fonds suffisants pour qu'elle pût se servir
des forces qui lui restaient.
Tels sont les points les plus intéressants de ce rap-
port ; très étudié dans tous ses détails, il dénote en Mau-
repas une connaissance approfondie de la question, soit
qu'il se place au point de vue de la politique générale
en montrant le rôle nécessaire et les avantages de la
marine, soit qu'il insiste sur la nécessité de la pratique
de la mer pour la formation des équipages et des états-
majors, soit encore qu'il parle, à un point de vue tech-
nique, de remploi des fonds, des constructions navales
et des armements. Les Réilexions sur le commerce et
sur la marine sont l'œuvre d'un esprit méthodique, in-
telligent, clairvoyant, aimant son métier ; ce n'est pas
sous cet aspect que l'histoire a l'habitude de représenter
le comte de Maurepas.
Le ministre qui ne savait pas (( de quelle couleur était
îa mer », entendit se rendre compte des choses et faire
en personne l'apprentissage de son métier ; en 1727, il
visita lui-même les ports de Brest et de Rochefort. Ce
voyage fut comme la préface d'une entreprise de restau-
ration de nos ports maritimes.
Brest surtout paraît avoir attiré son attention. Le
comte de Conflans devait dire un jour au duc d'Ai-
guillon : « Vous savez. Monsieur le Duc, la conséquence
dont est le port de Brest... Nous devons... regarder
Brest comme la prunelle de l'œil et le seul maintien de
MAUREPAS, SECRÉTAIRE d'ÉTAT DE LA MARINE. 101
toute notre puissance, sans quoi le royaume deviendrait
aussi misérable que du temps des anciens Gaulois ^^, »
Maurepas avait déjà senti de quel intérêt il était de dé-
velopper cette grande position stratégique, sur l'impor-
tance de laquelle il ne pouvait y avoir qu'un avis, bien
qu'on la laissât peu à peu dépérir, avec les idées qui
régnaient alors à Versailles. L'intendant Jacques Bigot
de La Motte lui avait écrit, le 9 novembre 1736, à propos
de l'arsenal de la Bretagne ^^ .- « Les nations maritimes
en connaissent tout le prix, et après la démolition de
Dunkerque, le plus grand avantage qui puisse leur
arriver, c'est de voir le port do Brest négligé, et dans
une situation à devenir inutile à la France, si on le
laisse plusieurs années dans l'état où il est. » Il deman-
dait, en 1738, pour le département de Brest, un peu plus
de douze cent mille livres ; on lui en accorda un peu
moins de sept cent mille. Cependant, même avec cet
esprit de lésinerie qui caractérise le gouvernement de
Fleury, Maurepas put faire exécuter à Brest de nom-
breux travaux d'entretien et de transformation ; ils
furent l'œuvre d'un habile ingénieur, Choquet de Lindu,
qui fut employé dans ce port pendant de longues
années ^^.
On fit aussi des travaux à Toulon, où Ton établit no-
tamment une nouvelle machine à mater, des forges pour
la marine et la fabrication des ancres ; — à Rochefort,
12 A M. B* 74, fol. 101. (Lettre du 27 septembre 1757.)
13. Cité par Margry. R. M. C, t. LXVII. p. 319.
14 Voir aux Archives de la Marine, C 25, loL 96, 98. le « Mémoire des
services du sieur Choquet de Lindu, capitaine de brûlot, ingénieur en chef
des fortifications maritimes du port et arsenal de Brest, lequel a com-
mencé à servir en 1734 par être officier d'administration et ensuite ingé-
nieur sous les ordres de feu M. OUivier, chevalier de Saint-Louis, qu'il a
remplacé en 1746. et a exécuté les ouvrages ci-après... •> Suit une longue
liste de travaux, qui va de 1738 à 1783. Choquet de Lindu prit sa retraite
en 1782 après plus de quarante ans de services. Il reçut la croix de Saint-
Louis en 1785, à 72 ans.
102 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
OÙ l'arsenal fut entouré d'un mur continu ; — à
Bayonne, où l'ingénieur Touros et le capitaine de port
Moisset enfermèrent l'Adour entre deux grandes mu-
railles de pierre pour lui donner un plus grand tirant
d'eau et créer ainsi un port de refuge sur la côte inhos-
pitalière du golfe de Gascogne ; — à Cherbourg, où
l'on reprit en 1738, sur les vives instances de M. de
Caux, directeur des fortifications, une partie des projets
de Vauban : on construisit, à l'embouchure de la Di-
vette, un bassin avec quais, deux jetées, une écluse, un
pont tournant. Ce furent les premiers organes d'un port
.marchand, mais d'un port non fortifié et qui devait
faire, quelques années plus tard, l'expérience cruelle
de cette absence de fortifications.
En même temps qu'il refaisait, avec ses maigres res-
sources, ou qu'il complétait l'outillage des ports, Mau-
repas se préoccupait des problèmes qui se rattachent à
la construction des navires. Suivant les conseils de
Du Guay Trouin, et pour répondre aux idées politiques
d'après lesquelles il semblait que la France ne dût plus
livrer de batailles rangées, il ne mit pas en chantier de
type supérieur à celui du vaisseau de soixante-quatorze
canons ; entre le lourd vaisseau à trois ponts et la fré-
gate légère, c'était un type mixte qui pouvait réunir les
avantages des deux autres.
Il entendait aussi suivre les progrès de la construction
navale à l'étranger. A cet effet, un ingénieur des cons-
tructions navales ou, d'après l'expression du temps, un
maître de la charpenterie du roi, qui avait une légitime
réputation d'habileté, Biaise Ollivier, fut chargé d'une
enquête en Angleterre et en Hollande ; il en revint, au
bout de cinq mois, avec un recueil très intéressant
d'observations techniques, de notes, de croquis, que
l'on conserve encore à la bibhothèque du port de Brest.
MAUREPAS, SECRÉTAIRE d'ÉTAT DE LA MARINE. 103
En fondant d'une manière fort ingénieuse nos principes
de construction avec ceux qu'il avait observés dans les
chantiers de la Tamise et du Zuiderzée, il donna à la
carène une forme nouvelle, il distribua autrement les
batteries ; bref, il créa un type nouveau et à peu près
parfait, que les Anglais, à leur tour, s'empressèrent de
copier. Le Chameau, flûte de six cent cinquante ton-
neaux, construite sur ses plans et excellente marcheuse,
passait aux yeux d'un grand ingénieur, Duhamel Du
Monceau, comme le dernier mot de l'art des construc-
tions navales.
Désireux d'assurer à toutes nos constructions mariti-
mes l'unité de direction, Maurepas créait le P' août 1739,
en faveur de Duhamel du Monceau i^ l'inspection
générale de la Marine pour le Ponant et le Levant.
Membre de l'Académie des Sciences, plus tard de l'Aca-
démie de Marine, auteur d'un Traité de la labrique des
manœuvres pour les vaisseaux ou VArt de la corderie
perlectionné l^ auteur des Eléments de Varchiiedure
navale ou Traité pratique de la construction des vais-
seaux ^'^, sans parler d'autres ouvrages techniques, Du-
hamel Du Monceau, par ses inspections fécondes, se-
conda de la manière la plus heureuse les intentions de
Maurepas. Il fit établir à Paris, en 1741, une école pu-
blique de constructions navales, par où durent passer
tous les futurs maîtres charpentiers de nos arsenaux.
(( Ayant remarqué, dit-il, dans mes différentes tournées,
que la plupart des constructeurs travaillaient au hasard
et sans principes, et que faute d'être suffisamment ins-
truits, ils manquaient beaucoup de vaisseaux, je pro-
posai au ministre, en 1741, l'établissement d'une petite
15 Henri-Louis Duhamel Du Monceau, né en 1700, mort en 1781.
16 Paris, 1747 ; 2 voL in-4.
17. Seconde édition : Paris. 1757 ; in-4.
104 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
école de la Marine à Paris, où on leur enseignerait les
mathématiques, la physique et la manière de calculer
leurs plans de vaisseaux, pour connaître, avant la cons-
truction, les bonnes ou les mauvaises qualités des
vaisseaux qu'ils se proposaient de construire ^^. » Telle
fut la première forme de notre Ecole d'application du
Génie maritime.
Des écoles de chirurgie pour former des chirurgiens
de la marine furent établies sous ce ministère à Roche-
fort, à Brest et à Toulon ; l'école de Brest (1740) reçut
son règlement de Duhamel Du Monceau i^.
Un grand mérite de Maurepas fut d'avoir ouvert à la
marine française la carrière des sciences. Membre ho-
noraire de l'Académie des Sciences en 1725, il avait dû
peut-être cet honneur prématuré au souvenir de son
grand-père qui avait réorganisé cette académie ^o ; la
fréquentation de ses savants confrères put du moins le
convaincre des avantages pratiques de la culture scien-
tifique. Pour déterminer la figure exacte de la forme de
la terre, question qui est en rapports si étroits avec la
navigation, il fit accepter par Fleury le projet de me-
yirer un degré du méridien sous le pôle et un autre
sous l'Equateur. Deux missions de savants français,
restées célèbres dans l'histoire des sciences, furent en-
voyées à cet effet, en 1733, au Pérou avec Bouguer,
Godin, La Gondamine ; en 1736, en Laponie avec Mau-
pertuis, Clairault, Cf^mus, Le Monnier.
Vers la même époque, un cartographe de grande va-
is. Etat sommaire des Archives de la Marine, p. 398. — Alf. Donneaud,
La Marine française du XVIII* siècle au point de vue de l'administration
9i des pronrès scientifiQues (R. M. C, t. XXI, p. 474 et suiv.), a étudié
rinfluence de Maurepas sur le procès des constructions navales.
19. État sommaire des Archives de la Marine, p. 403.
50. En 1736. il fut aussi membre honoraire de l'Académie des Inscriptions.
Toir son éloge par Dupuy, dans l'Histoire de l'Académie des Inscriptions
et Belles-Lettres, t. XLY, 1793, p. 146-159.
MAUREPAS, SECRETAIRE D ETAT DE LA MARINE 105
leur, attaché au Dépôt des cartes et plans, dont la
création remontait à la Régence, Jacques-Nicolas Bellin,
ingénieur du roi et hydrographe de la marine, com-
mençait la publication de son Neptune ; ce fut le pre-
mier recueil vraiment scientifique de cartes maritimes
mis à la disposition de nos officiers 21. Maurepas donnait
l'impulsion à ces divers travaux : il voulait avoir dans
les officiers de marine non seulement d'excellents ma-
nœuvriers, mais encore des savants versés dans les ma-
thématiques et dans leurs applications à la navigation.
Aussi doit-il être regardé comme le précurseur de cette
renaissance scientifique de la marine française, dont la
manifestation la plus célèbre fut, sous le ministère de
son successeur, la fondation de l'Académie de Marine.
Il faut encore signaler au moins deux mesures impor-
tantes qui furent prises par Maurepas. Il réorganisa
l'administration centrale de la marine, en réunissant en
un seul service, appelé la Police des ports, les deux
services jusqu'alors distincts de la marine du Ponant
et de la marine du Levant. D'autre part, il réforma le sys-
tème des classes : un règlement nouveau, du 10 mai 1728,
adoucit les rigueurs des ordonnances de Colbert
et de Seignelay, en accordant aux inscrits des diverses
classes une plus grande liberté pour leurs embarque-
ments sur les navires de la marine marchande.
Ce résumé des idées de Maurepas sur la marine et de
ses principales réformes administratives paraîtra sans
doute de nature à détruire ou à ébranler sa réputation
trop accréditée d'homme léger. La frivolité était chez
lui comme une écorce, qui a nui à l'appréciation de ses
qualités réelles et de son mérite de ministre de la Ma-
21. Le Neptune français, de BeUin, paru en 1753, se rapporte à la
France ; son Hydrographie française, qui avait commencé à paraître
en 1752, comprend toutes les mers du globe.
106 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
rine. Tout en restant loin d'administrateurs comme
Colbert ^ et Seignelay ou comme Choiseul, le troisième
membre de la dynastie des Pontchartrain occupe une
place honorable dans l'histoire de notre administration
maritime ; on pourra même être tenté d'avoir pour lui
des sentiments de sincère estime, si l'on ne perd pas de
vue les circonstances si peu favorables avec lesquelles
il fut aux prises pendant toute la durée de son ministère.
22. Maurepas avait fait rédiger par ses bureaux, sous le nom de « Prin-
cipes sur la marine », une sorte de résumé de l'histoire de ses prédé-
cesseurs. L'auteur de ces ^< Principes », Pidansat de Mairobert, secrétaire
du roi, y rendait un légitime hommage au génie de Colbert :
« De tous les ministres des derniers temps, M. Colbert est celui dont les
dépêches y fournissent le plus de matière [à l'étude des questions mari-
times], soit parce qu'il était un de ceux qui avaient le cœur et l'esprit le
plus remplis de ces grands principes, soit parce qu'il a été le plus dans
le cas d'en faire usage, et que c'est sous son ministère qu'ils ont eu un
plus grand succès. » Cité par P. Clément, Lettres, Instructions et Mémoires
de Colbert, t. m, 2' partie, p. 707.
CHAPITRE VII
CAMPAGNES MARITIMES DE 1723 A 1736
Prospérité économique de la France maritime à l'époque de Fleury.
— Croisières aux Antilles. — Affaire de Mahé. — Affaire de Moka.
— Croisières contre les Barbaresques. — Les dernières années
de Du Guay-Trouin. — Campagne dans la Baltique : le comte de
Plélo.
Après avoir expliqué comment la politique de Fleury
fut fatale à notre marine militaire, après avoir revisé le
jugement sévère trop souvent porté sur Maurepas, il est
temps de voir notre marine à la mer ; même en ces
années de paix à outrance et d'alliance franco-anglaise,
elle put ajouter quelques pages intéressantes à sa glo-
rieuse histoire. En février 1742 la chute de Robert Wal-
pole et son remplacement par lord Carteret, partisan
d'une guerre ouverte contre la France, en janvier 1743
la mort de Fleury rompirent les relations soi-disant
amicales qui existaient entre Londres et Versailles.
Jusqu'au jour de cette rupture, nos marins n'eurent
pour satisfaire leur activité que quelques opérations peu
importantes aux colonies, quelques croisières dans la
Méditerranée et une campagne dans la Baltique ; celle-
ci aurait pu être une grande chose, glorieuse à la France
et à sa marine, mais elle fut mal engagée et brusquement
interrompue.
108 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
Dans un passage intéressant de ses Réllexions sur le
commerce et sur la marine, Alaurepas, feignant de rap-
porter l'opinion des ministres étrangers, montrait l'éclo-
sion à brève échéance d'une guerre coloniale comme le
résultat fatal de notre richesse commerciale, qui devait
provoquer la jalousie de nos rivaux, et de notre misère
maritime, qui devait leur permettre de la satisfaire. La
création de la Compagnie des Indes par Lav;^ en 1719
avait imprimé à notre marine marchande et à notre acti-
vité coloniale un élan extraordinaire ; la déconfiture du
Système et les crises financières qui en furent la con-
séquence ne l'avaient point arrêté. Le quart de siècle
de paix maritime qui coûta si cher à notre politique eut
du moins cet avantage de donner à nos ports de com-
merce et à nos établissements d'outre-mer une prospé-
rité plus grande peut-être encore qu'aux meilleurs jours
de l'administration de Colbert.
Une statistique de 1730 i compte à cette date 3 707 na-
vires de tout tonnage et 19 472 matelots pour le cabo-
tage, 1 200 bateaux et 7 000 matelots pour la pêche
côtière, 124 bateaux et 2 523 matelots pour la pêche du
hareng, 296 navires et 7 489 matelots pour la pêche de la
morue, 37 navires et 5 422 matelots pour la pêche de la
baleine, soit en tout 5 364 bâtiments marchands ou
pêcheurs de toute nature, montés par 41 906 hommes
d'équipage. Notre commerce avec l'Espagne et le Por-
tugal occupait par an plus de deux cents navires ; sept
cent vingt-six de nos bâtiments étaient entrés en 1729
dans les ports d'Italie ou des échelles du Levant. Notre
commerce des Antilles ou des îles à sucre, suivant l'ex-
pression du temps, demandait à lui seul trois cent seize
navires d'environ 40 000 tonneaux et de 8 421 matelots.
1. Voir Chabaud-Arnault, n. M. C, t. CX. p. BO et suiv.
CAMPAGNES MARITIMES DE 1723 A 1736. 109
Dans les mers de l'Asie, le progrès avait été aussi ra-
pide ; l'île Bourbon, l'île de France, nos comptoirs de
Pondichéry et de Chandernagor étaient autre chose que
des curiosités géographiques. C'étaient des organes
commerciaux, bien constitués, vivaces, donnant de
sérieux bénéfices.
Aussi quelle métarmophose en quelques années à
Lorient, au port de la Compagnie ! A l'entrée de
l'estuaire formé par le Blavet et le Scorff, au havre de
Port-Louis, la première Compagnie des Indes avait eu
son port d'attache à partir de 1664 ; elle avait ensuite
occupé divers terrains sur la rive droite du Scorff, au-
près de la presqu'île du Faouëdic. Ce fut le port
d'Orient ou de Lorient, qui correspond aujourd'hui à
une partie du port militaire ; car Seignelay avait bientôt
utilisé pour la marine de guerre les chantiers de la
Compagnie, et vers 1690 les établissements de la ma-
rine marchande avaient à peu près complètement dis-
paru des bords du Scorff. Les malheurs de la fin d\
règne de Louis XIV enveloppèrent dans la même ruim
Lorient et Port-Louis, jusqu'au jour où la Compagnie
des Indes, entièrement réorganisée sous la Régence el
ayant absorbé toutes les autres compagnies de coni
merce, reprit possession des chantiers du Faouëdic
Lorient était créé à nouveau, pour ne plus périr. D(
1714 à 1719, on y avait importé en tout pour deuJ
millions de marchandises, soit moins de cinq cent milk
francs par an ; de 1734 à 1736, on en importa pour dix-
huit millions, soit six miUions par an. Jusque vers 1740,
lors du début de la guerre de la Succession d'Autriche,
la prospérité matérielle de Lorient n'avait cessé de
s'accroître. Enrichie par la traite des nègres et l'exploi-
tation de ses colonies à sucre, par le cabotage d'Inde
en Inde, la nouvelle Compagnie des Indes pouvait re*
110 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
prendre avec plus de raison l'orgueilleuse devise de sa
devancière : Florebo quocumque lerar.
Mais cette prospérité commerciale ne pouvait durer
— faut-il le dire encore ? — que si nos navires de guerre
promenaient d'une manière régulière le pavillon du roi
dans les mers lointaines d'où la Compagnie tirait ses
revenus ^. Or nos marchands n'avaient guère à compter
que sur eux-mêmes pour faire respecter leurs comptoirs
et leurs convois.
C'est tout au plus si dans les Antilles Maurepas pou-
vait entretenir, avec les pauvres ressources dont il dis-
posait, une division navale bien modeste, qui se compo-
sait en tout de deux frégates et d'une corvette ; et encore
ce petit effectif n'était pas toujours au complet. Cepen-
dant il était nécessaire de protéger nos navires dans ces
parages rançonnés par des écumeurs de mer de tout^,
nationalité ; la mer des Antilles n'avait cessé d'être le
domaine de la flibuste. Le capitaine La Jonquière de La
Pommarède, à la tête de trois petits bâtiments de guerre,
avait été chargé d'y diriger pendant quelque temps une
croisière, qui n'avait pas été stérile. La nomination de
deux officiers énergiques, le comte de La Rochalart,
qui appartenait à une vieille famille de marins 3, le futur
chef d'escadre Champigny de Noroy \ le premier comme
gouverneur de Saint-Domingue, le second comme gou-
verneur des îles au Vent, avait été une mesure excel-
2. Ces rapports nécessaires entre la marine de commerce et la marine
de guerre ont inspiré à Rudyard Kipling, le poète de l'impérialisme
anglais, un petit poème de son volujne de vers, The Seven Seas. Il est
intitulé : The liner she's a lady. « Le paquebot est une grande dame... Le
cuirassé est son mari et toujours il veille à ses côtés. »
3. Gaspard Gousset, comte de La Rochalart Dardain. Volontaire,
26 mars 1675 ; G., 1" déc. 1676 ; L., 1" janv. 1684 ; C, 1" janv. 1689 ; CE.,
13 janv. 1720 ; LG., 8 juin 1730 ; VA. du Levant, 1" janv. 1745- ; -J- 7 janv. 1745,
Rochefort. A. M.. C 161.
4. Champigny de Noroy, frère de l'intendant mort à Brest. G., 3 févr. 1693 ;
CF., 25 nov. 1712; gouverneur de la Martinique, 1* nov. 1720; C,
17 mars 1727; CE., 1" janv. 1745; 4, mai 1754. A. M.. C 166.
CAMPAGNES MARITIMES DE 1723 A 1736 111
lente ; en 1722, Champigny avait chassé de la Marti-
nique les Anglais qui s'en étaient emparés. Mais le
voisinage de la Jamaïque et la fréquence des croisières
anglaises réclamaient impérieusement la mise en état
de défense de nos colonies des Antilles ; on ne vit que
trop dans les guerres du milieu du siècle tout ce qu'il
nous en coûta de n'y avoir jamais songé que d'une
manière très imparfaite.
Sur les côtes de l'océan Indien, deux expéditions
militaires sont contemporaines du ministère de Mau-
repas.
La Compagnie des Indes avait fondé, en 1721, un
comptoir sur la côte de Malabar, à Mahé, à la suite
d'un contrat en bonne et due forme passé par son agent
M. Mollandin avec un chef indigène ; de là, selon
l'expression d'un document de l'époque, « la rage » des
Anglais établis dans le voisinage. A force d'intriguer
auprès de Bayanor, le prince qui avait traité avec nous,
ils l'amenèrent à nous rendre la position intenable ;
bref, nos marchands furent expulsés de leur comptoir en
1725. La Compagnie résolut aussitôt de se faire rendre
raison par la force. Le gouverneur de Pondichéry,
M. de Beauvollier de Courchant, chargea d'une démons-
tration mihtaire le chevalier de Pardaillan-Gondrin,
enseigne des vaisseaux du roi, chevalier de Saint-Louis,
qui fut mis à la tête d'une escadre de quatre vaisseaux,
la Vierge de Grâce, la Danaé, le Triton, la Badine, et
de deux brigantins, le Diligent et le Petit Triton ; le
chevalier de La Farelle, qui était major des ville et
citadelle de Pondichéry, reçut le commandement d'un
corps de débarquement de quatre cents hommes.
L'escadre prit la mer à Pondichéry le 18 octobre 1725 ;
elle fit escale au comptoir hollandais de Cochin,
112 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
puis — le 24 novembre — à Calicut, où l'agent de la
Compagnie des Indes avait préparé du matériel de
guerre, qu'on n'eut plus qu'à embarquer. Le 29 no-
vembre, Pardaillan jetait l'ancre dans la rade de Mahé.
On construisit alors trois radeaux en vue du débar-
quement, chacun avec deux pièces de canon de quatre ;
pour protéger les soldats, les pièces de canon furent
« épaulées et bastinguées de balles de coton sur le de-
vant ». Le 2 décembre, le débarquement eut lieu ; la
messe avait été dite « une heure avant le jour )>. L'affaire
fut assez chaude ; nous eûmes dix-sept morts et vingt-
quatre blessés, mais le lendemain le pavillon du roi
flottait de nouveau à Mahé. Les Mémoires du chevalier
de La Farelle^ rapportent à ce propos un détail, qui
prend son intérêt si l'on se rappelle que l'alliance franco-
anglaise était alors dans toute sa force. « Ni la poudre
ni les boulets ne manquaient aux ennemis. M. Adam,
directeur anglais à Tellichéry, leur en fournissait,...
selon l'engagement qu'il en avait fait avec le prince
contre qui nous faisions la guerre. » Pardaillan et La
Farelle eurent à repousser pendant de longues semaines
les indigènes qui vinrent les assaillir dans leur con-
quête. Enfin, le 8 octobre 1726, un nouveau traité était
conclu : la Compagnie gardait la concession de son
comptoir et obtenait des avantages pour le commerce du
poivre.
A cet épisode se rattache une question assez obscure *.
La Bourdonnais, qui était alors au service de la Com-
pagnie des Indes, a parlé de cette expédition dans ses
Mémoires, en s'en attribuant tout le mérite ; notamment,
5, Mémoires du chevalier de La Farelle sur la prise de Mahé, nî5, mis
en ordre et publiés par E. Lennel he la Farelle, Paris. 1887.
6. Voir rarticle de M. E. L. de la Farelle, « Mahé de La Bourdonnais
et la Compagnie des Indes », publié dans l'Hermine (Rennes), numéro du
20 septembre 1905.
CAMPAGNES MARITIMES DE 1723 A 1736. 113
il présente comme sienne l'invention des radeaux bas-
lingués avec des balles de coton. Or le rapport de Par-
daillan, commandant en chef de l'expédition, qui rend
mérite à chacun de ses subordonnés, ne donne même
pas le nom de La Bourdonnais ^
Sur un autre point, le territoire de Moka, la Com-
pagnie avait des difficultés avec l'iman arabe du pays,
au sujet des taxes payées par les marchandises qu'im-
portaient nos navires ; elle les résolut à coups de canon.
M. de La Garde-Jazier, de Saint-Malo, neveu de Du
Guay-Trouin, depuis plusieurs années au service de la
Compagnie, partit de Pondichéry, le 22 octobre 1736,
avec quatre vaisseaux, dont l'un, le Comte de Maurepas,
portait son pavillon. Arrivé le 25 janvier (1737) dans
la rade de Moka, il procéda à un bombardement en
règle, puis à un débarquement : Moka fut pris. Le
21 juin, il mettait à la voile, et un mois après, il
mouillait à Pondichéry ; son expédition avait « entiè-
rement rétabli l'honneur et le crédit de la nation fran-
çaise qui était depuis longtemps avili dans une grande
partie de l'Inde ^ ».
Au cours de son séjour à Moka, La Garde-Jazier
avait obtenu de l'iman un traité en règle ; avec le droit
pour les Français de s'établir à Moka, d'y arborer le
pavillon du roi, d'y trafiquer de toutes les manières,
Moka était un comptoir français. Il ne semble pas qu'on
se soit jamais occupé de ce traité de 1737. Si la France
l'avait fait respecter, elle serait aujourd'hui maîtresse
d'une escale de premier ordre sur la route des Indes.
7. Il y aurait d'autre part une double erreur à dire, comme on le fait
parfois, que le corsaire de Saint-Malo emprunta son nom au comptoir de
Malabar ou encore qu'il lui donna le sien,
8. [Abbé DESFONTAiNES,] Relation de l'expédition de Moka en l'année
17 37... ; Paris. 1739.
114 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
Djibouti sur la côte d'Afrique, Cheik-Saïd en Arabie,
uù nous nous bornons à avoir des prétentions plato-
niques, Moka sur la mer Rouge, dont nous n'avons rien
fait, malgré l'acte énergique de La Garde-Jazier : voilà
les vraies clefs du détroit de Bab-el-Mandeb. Les An-
glais en ont trouvé d'autres au même endroit, Périm et
Aden, et ils les gardent.
Dans la Méditerranée, les Barbaresques continuaient
leurs brigandages. Si les terribles bombardements des
Du Quesne et des d'Estrées n'avaient pas détruit la pira-
terie, comment la France aurait-elle pu faire respecter
son pavillon par ces brigands incorrigibles, à présent
qu'elle semblait se désintéresser du rôle glorieux qu'elle
avait joué à l'époque du grand roi ? Cependant, malgré
la pauvreté de nos forces navales, on fit encore quelques
courses <( en Alger » ; la chasse aux Barbaresques en-
tretint ainsi un peu de vie maritime au port de Toulon.
En 1727, on avait songé à une opération combinée des
escadres du Levant et du Ponant pour agir contre Alger
et Tunis. Le marquis d'O 9, avec six vaisseaux du port
de Brest, devait se joindre, dans les eaux de Formen-
tera, au chef d'escadre M. de Mons^^^, venu de Toulon
avec cinq vaisseaux. L'audace incroyable des corsaires
tunisiens ne permit pas d'attendre que cette concen-
tration fût effectuée ; en avril, ils étaient venus mouiller
aux îles d'Hyères, et de là ils rançonnaient les côtes
provençales. Le Tigre, l'un des vaisseaux de M. de
Mons, leur prit un navire de trente-huit canons, puis
9. Claude-Gabriel marquis d'O de Villers. Volontaire, 29 mars 1673 ; L.,
V janv. 1682 ; C. 5 avril 1687 ; CE, 1" avril 1702 ; LG., 27 déc. 1707 ;
j- 17 mars 1728, Paris. A. M., C 161.
10. Joseph de Mons. De Guienne. Volontaire, 26 mars 1672 ; G.,
20 avril 1673; L., 26 Janv. 1680; C, 1* nov, 1689; CE., 10 déC. 1720;
f 2 OCt. 1731. A. M., C 161.
CAMPAGNES MARITIMES DE 1723 A 1736. 115
notre petite escadre fit voile pour Tunis. Au lieu d'agir,
M. de Mons se mit à parlementer : il fut complètement
joué par le bey, obligé à restituer sa prise et ne put
rien obtenir. En quittant Tunis, il rencontra la division
venue de Brest ; malgré l'arrivée de ce renfort, il se
borna à faire devant Alger une démonstration aussi
stérile que devant Tunis. Le 16 septembre, cette croi-
sière infructueuse se terminait par la rentrée de l'escadre
à Toulon. ,
L'année suivante (1728), un chef plus énergique,
M. de Grandpré " fit une démonstration plus sérieuse.
Parti de Toulon avec deux vaisseaux, quatre frégates,
une flûte, trois galiotes à bombes et deux galères, il
mouillait en juin devant Tunis ; le bey consentit aussi-
tôt à verser une indemnité de cent mille livres. « Nous
aurions bien souhaité un peu de guerre », écrivait un
jeune officier, fâché sans doute de voir les choses s'ar-
ranger aussi vite ; quelques jours après, ses goûts
belliqueux étaient satisfaits.
Le 16 juillet, Grandpré jetait l'ancre devant Tripoli ;
le bey ayant refusé toute satisfaction, le bombardement
commença le 20, pour durer six jours sans interniption ;
deux mille bombes tombèrent sur la ville. <( Jamais on
n'a mieux bombardé, écrivait le chef d'escadre ; la ville
barbaresque a été mise sens dessus dessous 12. » Le bey
terrifié se déclara prêt à traiter, mais il demanda
d'autres négociateurs que ces marins qui l'avaient dure-
ment traité. Grandpré reprit la mer le V juillet : il était
de retour à Toulon le V septembre.
L'année 1731 vit une nouvelle croisière de quatre
vaisseaux, VEspérance, le Léopard, le Toulouse, VAl-
cyon. La présence de Du Guay-Trouin, qui la com-
11. Nicolas de Grandpré. G., l" déc. 1G76 ; C, l" janv. 1696; CG..
1" nov. 1705 : CE., 27 mars 1728; -|- 27 oct. 1731. Toulon. A. M.. C 161.
12 Sur VAstrée, commandant le chevalier de Gouyon, qui prit part a
116 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
mandait comme lieutenant général des armées navales
de Sa Majesté, — son pavillon flottant à bord de
VEspérance, de soixante-douze canons, — paraissait
devoir lui donner un intérêt tout particulier ; mais ce ne
fut qu'une promenade militaire. Parti de Toulon le
3 juin, Du Guay-Trouin était devant Alger après qua-
torze jours de traversée et obligeait le dey, sans avoir
tiré d'ailleurs un coup de canon, à recevoir un consul
dont il ne voulait pas. C'est ce que l'emphase de Thomas
a traduit ainsi dans l'éloge du héros malouin : « Alger,
tu frémis à la vue du pavillon français. Les foudres qui,
sous Louis XIV, t'avaient presque réduite en cendres,
fument encore ! » A Tunis, Du Guay-Trouin fit remettre
en liberté des prisonniers. A Tripoli, où il était le
13 juillet, il fut très bien accueilH du bey qui se rappe-
lait la croisière de M. de Grandpré ; il y eut échange de
visites, dîners et bal à bord de notre escadre, saluts de
coups de canon, cris de : Vive le roi ! La campagne se
termina par une visite aux échelles du Levant, à Chypre,
Rhodes, etc. ; le l*"" novembre. Du Guay-Trouin rentrait
à Toulon. Le marquis d'Antin, dont la mère, veuve du
marquis de Gondrin, s'était remariée au comte de Tou-
louse, prit part à cette expédition comme capitaine de
vaisseau en second, embarqué sur VEspérance ; il en
rédigea un journal très détaillé i^, avec plans des na-
ce bombardement, servait comme garde-marine Du Chaffault de Besné, le
futur lieutenant généraL — Le marquis de Caylus, capitaine de vaisseau,
était sur le Saint-Esprit. — Le chevalier de Nesmond était en second sur
le Griffon, commandant M. de Vienne. [Le marquis de Vienne de Busse-
roUes. G., 20 févr. 1680 ; L., 1" janv. 1691 ; C, 10 juin 1706 ; CG., 1" déc. 1727 ;
gouverneur général à Saint-Domingue, 5 févr. 1731 ; -J- 4 févr. 1732, Saint-
Domingue. A. M., C 161.] Le Griffon est appelé par erreur le Grafton sur
quelques étals de la Marine. — D'Orves Martini était en second sur
l'Alcyon, commandant M. de Saint-Germain. [De Saint-Germain. G.,
1" févr. 1692 ; M., 25 janv. 1712 ; inspecteur, 10 mars 1734 ; RCE.
1" avril 1744, A. M., C 161.]
13 Ce Journal, accompagné de cartes et de tableaux, est conservé en
manuscrit (n» 7242) à la bibliothèque du Service hydrographique de la
Marine. — Voir aussi A. M., B* 41.
CAMPAGNES MARITIMES DE 1723 A 1736 117
■vires, relations géographiques et commerciales des pays
visités, vues des monuments antiques, etc.
Il fallut encore envoyer de nouvelles croisières contre
les Barbaresques. En 1734, le chef d'escadre M. de
Court La Bruyère parut devant Alger, avec neuf vais-
seaux. (( Que voulez-vous, lui dit le dey, la guerre ou
la paix ? ,Te suis prêt à l'une comme à l'autre. » Comme
on ne songeait pas à pousser les choses à bout, il fallut
subir cette insolence. En juillet 1737, le marquis d'Antin
conduisit une escadre de deux vaisseaux et trois frégates
devant un autre nid de pirates africains, à Salé port du
Maroc, et fit remettre en liberté sept cent cinquante et
un prisonniers chrétiens.
Quelques années plus tard, notre marine éprouva un
échec assez grave sur les côtes de Tunisie. Un voyageur
et naturaliste de Marseille, André Peyssonnel, frère de
l'archéologue, avait signalé, à la fm du règne de
Louis XIV, l'importance militaire et économique de l'île
de Tabarca sur les côtes de Tunisie ^*. Pour mettre un
terme aux pirateries des Tunisiens, un lieutenant de
vaisseau, Saurin de Murât, proposa à Maurepas de s'en
emparer. L'idée fut acceptée et le coup de main tenté,
dans la nuit du 3 au 4 juillet 1742, avec deux hrigantins,
V Assuré et Ylnconnu, et onze coralines génoises ; mais,
trahi par le Maure qui le guidait, Saurin de Mural
donna contre des forces nombreuses ; en moins d'une
heure, il perdit deux officiers et près de cent hommes.
Grièvement blessé lui-même et abandonné de sa flottille,
il fut mis neuf mois en prison et sept mois à la chaîne.
Pour ne pas compromettre la France auprès de la Ré-
gence de Tunis, le brave Saurin avait déclaré que cette
14. Ses rapports sur Tabarca. de 1713-1715, sont donnés par A. Spont. Les
Français à Tunis. (Revue des Questions historiques, l*' janvier 1900.)
118 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
tentative était « sans aveu et de son seul mouvement
d'ambition ».
Du Guay-Trouin, qui avait commandé l'expédition de
1731, avait passé trois ans environ au port de Toulon.
La décadence maritime de cette ville l'avait convaincu
de la nécessité de faire un vigoureux effort pour res-
taurer la marine. Il écrivait à Maurepas (26 décembre
1732) qu'il était de la gloire du roi et du bien de l'Etat
d'armer au moins quarante-cinq vaisseaux. <( Cette dé-
pense... donnera plus de crainte et de respect à nos
plus puissants voisins que ne feraient cinquante mille
hommes par terre ^^. » Pour arriver à ses fins, il adres-
sait à Fleury les flatteries les plus audacieuses (P"" jan-
vier 1733) ; (( Votre Eminence connaît toute l'importance
de la marine, qu'elle a toujours honorée de ses bontés
et de son estime... La gloire de Votre Eminence en
recevra un nouveau lustre, si, après avoir sauvé le port
de Toulon par les expédients que je lui propose, vous
voulez encore relever la marine dans le cours de votre
ministère et augmenter par là le respect des nations les
plus éloignées pour la personne du roi et pour le nom
français. » On a vu que ces paroles restèrent sans écho.
Pour leur auteur, il put croire à un moment qu'une
brillante campagne allait s'ajouter à sa glorieuse car-
rière. Il avait été appelé à Brest pour y surveiller l'ar-
mement d'une escadre de quinze voiles qu'on devait
envoyer dans la Baltique contre les Russes. Tout à la
joie « d'aller terminer sa carrière sur le champ
d'honneur » et de donner « quelque vigoureux coup de
collier avant de mourir )>, il écrivait à Maurepas, le
5 avril 1734 : « Vous pouvez compter que je les traiterai
16. Cette lettre de Du Guay-Trouln et les suivantes sont empruntées aux
études de Marort : R. M. C., t. LXII, LXIII, LXIV.
CAMPAGNES MARITIMES DE 1723 A 1736 119
à toute outrance et je m'en fais un sensible plaisir
d'avance. » Ce plaisir, il ne put jamais le goûter en
réalité. L'escadre qu'il avait armée ^^ — son pavillon
était sur le Neptune, de soixante-dix canons, — et dont
il avait entraîné les équipages, en les tenant en haleine
par des exercices continuels, ne quitta pas la rade de
Brest ; en octobre arriva l'ordre de désarmer.
En 1735, encore un faux espoir ; on parlait d'armer
vingt vaisseaux. Souffrant cruellement de la goutte, il
écrivait au ministre, le 25 juillet : (( Le meilleur spéci-
fique pour ma santé est une prompte occasion de tirer
l'épée et de me venger de toutes mes souffrances sur
les ennemis de Sa Majesté. » Aidé d'officiers d'un réel
mérite, comme Du Bois de La Motte et Des Herbiers de
L'Etanduère, qui venaient de rédiger des instructions
détaillées pour les manœuvres à bord i'', il avait remis
de nouveau l'escadre en état ; mais les préliminaires de
la paix de Vienne étaient signés en octobre, et Du Guay-
Trouin dut une seconde fois procéder au désarmement
de ses vaisseaux. Ce fut le dernier événement de sa
carrière et de sa vie ; il mourait un an plus tard, le
17 septembre 1736.
La campagne à laquelle Du Guay-Trouin brûlait de
joindre l'escadre de Brest se passait sur les parages
lointains de la Baltique. Jean Bart le premier, en 1697,
avait promené les couleurs du roi sur cette mer ignorée
des Français, quand il s'était agi de conduire en Po-
logne le prince de Conti, qui venait d'être élu roi de ce
pays ; Conti n'avait pu que débarquer à Danzig, il avait
16. Bart, fils du fameux chef d'escadre, y commandait l'Ardent.
17. Nous donnons à TAppendice I ce règlement de 1734, qu'il peut être
intéressant de comparer avec les règlements analogues qui ont été depuis
en vigueur à bord de nos bâtiments de guerre.
120 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
été obligé de revenir bientôt après en France. En 1733,
l'histoire se répétait presque trait pour trait.
Depuis ces jours lointains ^^, le pavillon français s'est
montré dans les eaux de la Baltique, à propos d'événe-
ments bien divers de notre histoire contemporaine. En
1854, l'escadre de l'amiral Parseval-Deschênes bom-
bardait et prenait Bomarsund dans les îles d'Aland ;
c'était un contre-coup inattendu et peu nécessaire de la
question d'Orient. — En 1870, au début de la guerre
d'Allemagne, l'escadre de Bouët-Willaumez croisa pen-
dant deux mois dans la Baltique, mais pour se borner
à un simple blocus ; ce n'était ni sur les côtes de Prusse
ni sur mer que nos marins devaient, en cette année tra-
gique, se battre et mourir pour la défense de la patrie.
— En 1891, aux mois de juillet et d'août, c'était une
mission de paix qui amenait dans la Baltique le pavillon
de la France. Un amiral, qui avait pris part comme
aspirant à l'expédition de Bomarsund, conduisait alors
notre escadre à Copenhague, à Stockholm, à Cronstadt
enfin, on se rappelle au milieu de quelles manifestations
d'enthousiasme qui firent tressaillir nos cœurs ; il rece-
vait à bord du Marengo, aux accents de la marche de
Sambre-et-Meuse, l'empereur Alexandre III ; il avait
18. En 1739, le marquis d'Antin, vice-amiral du Ponant, conduisit à
Stockholm et à Copenhague une division de quatre vaisseaux, — le Bourhon,
commandant d'Antin, le Fleuron, commandant de Barailh, VElisabeth,
commandant de Nesmond, VArdent, commandant d'Épinay, — pour
téiroigner aux cours de Suède et de Danemark les sentiments de sym-
pathie de la cour de France. Voir le Journal de la campagne de Suède et
de Danemark, 18 mai-S4 septembre nS9, par le chevalier de Follignt,
publié par A. de Blangy, Caen, 1904. L'auteur de ce Journal, Guillaume-
Louis-Alexandre de Bordes de Folligny était alors capitaine en second du
Fleuron ; il fut nommé commandeur de Saint-Louis le 23 avril 1757, quand
Il était chef d'tfcadre.
larmi les détails anecdotiques de ce Journal, on relève celui-ci (p. 75),
nui intéresse la personne d'un futur amiral : « H [Frédéric I", roi de
Suède] nous a dit qu'il était bien aise de voir à nos visages que l'air du
pays nous était bon apparemment : l'embonpoint de Du Chatfault noua
attirait ce compliment. »
CAMPAGNES MARITIMES DE 1723 A 1736 121
attaché son nom à l'alliance de la France et de la
Russie. — En 1895, les escadres française et russe, bien
unies, bord à bord, assistaient pendant quelques heures
aux fûtes de l'ouverture du canal de Kiel.
Autres temps, autre histoire. En 1733, Stanislas Lec-
zinski était candidat au trône de Pologne ; il était diffi-
cile que la France ne le soutînt pas contre son compé-
titeur saxon, soit à cause de l'alliance personnelle que
le mariage de Louis XV avait créée entre lui et les
Bourbons, soit à cause de l'intérêt pour la France
d'avoir un ami à Varsovie. Pour le conduire dans son
royaume, la seule route praticable était la mer i^ ; c'était
à la marine que revenait l'honneur de faire respecter au
loin notre politique. Mais l'Angleterre pouvait s'alarmer
d'une manifestation maritime trop considérable, et
Fleury songeait trop à ce qui aurait pu altérer la cor-
diale entente et donner de l'ombrage à ses bons amis
les Walpole. Il se borna à envoyer quelques navires et
quelques soldats ; c'était assez pour engager la France,
c'était trop peu pour faire réussir l'expédition. Du
moins, l'effet de cette manœuvre fausse et pusillanime
disparut dans l'éclat d'un acte d'héroïsme admirable.
Le 20 septembre 1733, l'escadre du comte de La
Luzerne-Briqueviïle, lieutenant général des armées na-
vales, forte de neuf vaisseaux et de cinq frégates 20,
partie de Brest le 31 août, mouillait à Copenhague ; elle
portait quinze cents hommes de troupes sous les ordres
du chevalier Rochon de La Peyrouse, comte de La
Motte. Son arrivée remplit de joie notre ambassadeur
en Danemark, le comte Bréhan de Plélo, vaillant soldat,
19 Le Conquérant, M. de Luynes commandant, d'Orves Martini capi-
taine en second, avait d'abord mené en Pologne, pour déjouer les ennemis
de Leczinski, un faux roi Stanislas (1733).
20. Voir l'Appendice II.
122 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
littérateur aimable, diplomate habile, qui aimait la
France et la marine de toute son énergie de gentilhomme
breton. Il s'empressa de présenter nos marins à cette
cour du Nord, qui ne connaissait encore d'autre marine
étrangère que celle des Anglais. Ce fut pour lui une
heure de joie patriotique ; on en entend encore l'écho,
dans la lettre qu'il écrivit de Copenhague le 6 octobre
173321 :
« Je n'aurais jamais cru, mon cher comte, que l'am-
bassade de Danemark pût me procurer des moments
aussi brillants et aussi agréables que ceux que j'ai
depuis trois mois... Je ne vous parle de notre joie à
tous. Cela passe toute expression. Le 25, j'eus l'honneur
de présenter au roi [Christian VI] et à toute la maison
royale de Danemark deux cent quatre-vingts gen-
tilshommes français, la plupart des plus beaux noms et des
plus aimables figures qu'on puisse voir... Je suis charmé
de notre marine. On avait grand tort de ne pas pro-
duire un corps comme celui-là... Quelle joie d'ailleurs
pour tout cœur français de voir qu'enfin nous regagnons
la gloire et la considération qui nous sont dues ! J'au-
rais bien voulu que vous eussiez été témoin de ce qui
se passa le jour que j'allais apprendre à l'escadre
l'élection du roi de Pologne et celui que je présentai ces
messieurs à la cour de Danemark. Vous eussiez été en-
chanté de ce spectacle. »
L'enchantement ne dura guère. Le 8 octobre, La
Luzerne recevait l'ordre de revenir en France ; puisque
Stanislas était arrivé dans son royaume, à quoi bon
promener notre pavillon dans la Baltique ? Les poli-
tiques qui ne veulent point agir trouvent toujours des
21 Cette lettre et les suivantes sont empruntées au livre de Rathkry,
Le Comte de Plélo, Paris, 1876. — Voir aussi A. M., B* 41, pour les divers
événements des croisières de la Baltique en 1733 et 1734.
CAMPAGNES MARITIMES DE 1723 A 1736. 123
raisons ; une croisière dans la Baltique, ce serait une
bravade inutile à l'égard des Russes. Plélo courut à
Elseneur pour retenir La Luzerne ; celui-ci se retrancha
derrière les ordres de Versailles. « Il est fâcheux, écri^
vait Plélo à un ami, d'avoir à faire à des gens timides,
irrésolus, qui ne pensent point à la grande. Un Du
Guay-Trouin m'aurait secondé autrement. » « Dans cer-
taines occasions, disait-il encore, il faut savoir aller
contre les ordres de son maître pour le mieux servir,
surtout quand, depuis ces ordres, il s'est passé des évé-
nements imprévus. » Stanislas, en effet, à peine arrivé
en Pologne, avait été obligé de s'enfermer dans Danzig.
Tout ce que Plélo put obtenir, ce fut de conserver trois
frégates, VArgonaute, VAstrée, la Méduse, sous le
commandement de M. Perrot de Fercourt ; mais de nou-
veaux ordres arrivèrent. Plélo dut laisser partir les fré-
gates ; elles rentrèrent en effet à Brest pour y désarmer.
Or le général russe Lacy investissait, le 20 février
(1734), la ville de Danzig, qui représentait tout le
royaum.e du malheureux Stanislas ; une escadre russe
venait prendre part au siège ; la Russie, qui n'était
établie sur les bords de la Baltique que depuis quelques
années, y avait déjà une marine. A ce moment on parut
avoir en France des velléités belliqueuses ; Du Guay-
Trouin recevait l'ordre d'armer quinze vaisseaux à
Brest ; on envoyait en avant-garde une division de deux
vaisseaux, YAGhille, de soixante-deux canons, sous les
ordres de M. de Barailh, lieutenant de vaisseau 2'^ la
Gloire, de quarante canons, capitaine le comte Charry
22. De Barail ou De Barailh. Fils d'un juge de Monclar d'Agenais.
« Homme zélé, mais violent et entreprenant, voulant faire le métier des
autres, surtout des intendants, commissaires, etc., avec lesquels 11 a eu
différentes prises à ce sujet. » G., 1" mars 1689 ; L., 25 nov. 1712 ; C, 1737 ;
CE. 1" mai 1741 ; LG.. 7 févr. 1750 ; VA., 25 août 1753 ; j- 25 août 1762.
A. M., C 165. 166.
124 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
des Gouttes ^^, avec environ dix-huit cents hommes des
régiments de Périgord, Blésois et la Marche, comman-
dés encore par La Peyrouse de La Motte.
Il ne fallait pas se borner à cette manifestation impuis-
sante. Le l'" mai, Plélo écrivait au ministre des Affaires
étrangères : « Envoyez-nous donc au plus vite une
flotte ; nous ne devons plus compter que sur nous-
mêmes. Je voudrais bien surtout que M. Du Guay-
Trouin eût ce commandement ; son nom seul vaut une
escadre. D'ailleurs, il nous faut un homme audacieux
qui n'ait pas envie de revoir Brest de sitôt. » Il ne savait
pas, lui qui demandait une escadre de vingt à vingt-cinq
vaisseaux et un corps de quinze à vingt mille hommes,
que l'escadre de Brest ne prendrait jamais la mer ; oe
n'était qu'un mirage, pour satisfaire à peu de frais les
partisans de Stanislas sans inquiéter les Anglais.
On connaît cette triste histoire. Barailh mouillait
devant Danzig le 11 mai et débarquait nos soldats au
fort de Weichselmunde ; mais le comte de La Motte dé-
clarait la position intenable et se rembarquait, malgré
les protestations de Barailh ; celui-ci, le 15 au matin,
quatre jours après son arrivée, devait remettre à la
voile. Le malheureux officier écrivait dans son rapport
(20 mai 1734) : « Il est des circonstances dans ce qui
s'est passé qui font horreur par la honte que la nation
a soufferte. J'en suis exempt à mon particulier auss'i
bien que les vaisseaux du roi... » Monti, notre ambassa-
deur auprès de Stanislas, jetait de Danzig ce cri de
désespoir (19 mai) : « ...Un secours si longtemps
attendu, qui faisait tant d'honneur au roi... Il ne part
de France que pour devenir la risée de toute l'Europe...
23. Clément Charry comte Des Gouttes. De Moulins. G., 10 avril 1704 ;
L., 25 nov. 1712; LGM.. 21 avril 1757; C, 1" oct. 1731; péri dans l'embra-
sement du Fleuron, qu'il commandait. 2 févr. 1745. Brest. A. M., C 161.
CAMPAGNES MARITIMES DE 1723 A 1736 125
Je vous envoie la lettre ouverte pour M. Du Guay-
Trouin. Au nom de Dieu, qu'il vienne et qu'il n'écoute
pas les mauvais propos que M. de La Motte et autres lui
tiendront : ils en seront responsables à Dieu, au roi,
à la nation. Jamais la Vistule n'avait vu de drapeaux
français ; il faut qu'ils ne viennent que pour luir.
Plaignez-moi... »
Ce ne fut pas Du Guay-Trouin qui vint, ce fut Plélo.
Trois autres navires, le Fleuron, le Brillant et VAstrée,
étaient arrivés à Copenhague, sous les ordres de M. de
Beauharnais de Beaumont, capitaine de vaisseau^*.
Plélo les réunit à la petite division de Barailh et somma
le comte de La Motte de le suivre « au nom du roi, votre
maître et le mien, dont je tiens ici la place ».
Le 20 mai, il écrivit trois lettres au roi et une au
garde des sceaux ; il écrivit aussi une lettre à sa jeune
femme, qui allait être bientôt mère et que, maigre sa
profonde tendresse, il avait tenue dans l'ignorance de
ses projets 2& : « ...Je serais indigne du nom de Français
et de votre amour, si je ne faisais ce que je dois en
cette occasion. J'ai le cœur trop serré pour vous en
dire davantage. Amour, devoir, gloire, que de maux
vous me causez !... Il ne s'agit que de faire passer nos
gens à Danzig... De là je viens vous retrouver pour ne
plus vous quitter de ma vie. » Dans les papiers de la
comtesse de Plélo, on a trouvé ce brouillon de ré-
ponse : « Quelques maux que vous me fassiez souffrir,
mon cher amant, je ne blâme point ce que vous avez
fait ; il me suffit que vous l'avez cru nécessaire, mais
songez à n'en pas trop faire... Revenez bientôt. Soyez
24. Claude de Beauharnais de Beaumont. D'Orléans. G., 1*' janv. 1691 ;
L., 1" juil. 1703; CF., 25 nov. 1712; C, 17 mars 1727; -|- 17 janv. 1738, à
La Boèche ou La Chaussée, près d'Orléans. A. M., C 161.
25. La comtesse de Plélo était sœur de la comtesse de Maurepas.
126 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
persuadé que mon sort est altaché au vôtre, et que je
me porterai bien dès que je pourrai vous embrasser et
vous dire moi-même que je vous adore et vous adorerai
jusqu'au dernier moment de ma vie... »
Le 24 mai, Barailh était de nouveau devant Danzig, il
y débarquait Plélo, le comte de La Motte et leur petite
troupe ; les matelots poussèrent sept fois le cri : Vive
le roi ! et l'escadre tira treize coups de canon. Le len-
demain Plélo, qui ne pensait qu'à l'escadre de Brest,
écrivait à Du Guay-Trouin d'accourir en toute hâte à
l'embouchure de la Vistule ; cette lettre n'arriva à Brest
que le 11 juin. Le jour même Du Guay-Trouin écrivait
au ministre de la Marine, beau-frère de Plélo : (( Je
voudrais qu'il m'en eût coûté un bras et m'être trouvé
dans la mer Baltique, même avec les seuls vaisseaux qui
y étaient... Si j'y avais été, monseigneur, comptez que
je serais tué ou que j'aurais pénétré dans Danzig. »
Le 27 mai, Plélo, marchant à côté du drapeau du
bataillon de Blésois, symbole du devoir et de la patrie
absente, montait à l'assaut des retranchements ennemis.
Décimées par un feu épouvantable, nos troupes devaient
battre en retraite 2*. Le corps de Plélo, criblé de bles-
sures, gisait à l'eiitrée du camp des Russes ; le malheu-
reux avait trente-cinq ans.
A cette nouvelle, la division de Barailh, qui croisait
du côté de Pillau, cingla vers le milieu de la Baltique,
dans l'attente de l'escadre de Du Guay-Trouin, tant de
fois annoncée et qui ne partit jamais. Deux de ses na-
vires, la Gloire et le Fleuron, capturèrent une frégate
26. Le comte René de Chateaubriand, père de l'écrivain, prit part, comme
TOlontaire — il avait alors environ quinze ans — à l'expédition de Danzig ;
il reçut deux blessures au combat où fut tué Plélo ; il en avait conservé
« rancune au cœur contre les polissons russes ». — Pendant la guerre de
Sept ans. il arma en course cinq navires de Saint-Malo. Mémoires d'outre-
tomhe, édition Biré, t. I, p. 17. 192. 454.
CAMPAGNES MARITIMES DE 1723 A 1736 127
russe de trente-six canons, le Mittau ; M. de Parsevaux,
lieutenant de vaisseau ^\ en prit le commandement. Le
10 juin, Barailh rentrait à Copenhague. Un mois plus
tard, le 9 juillet, Danzig capitulait, après cent trente-
cinq jours de siège. Barailh, qui n'avait plus rien à
faire, repartit, la douleur dans l'âme : il était de retour
à Brest le 24 août (1734). De cette triste campagne il
ramenait le Mittau, qui devait être échangé avec son
équipage contre les soldats français pris au fort de
Weichselmunde.
Dans la chapelle de Saint-Bihi, paroisse de Plélo,
près de Sainl-Brieuc, où la comtesse de Plélo avait rap-
porté le cercueil de son mari, on lit une longue inscrip-
tion funèbre : ...Sparge lauris sepulcrum, viator, et be-
nedic nomini armorico... « Passant, couvre de lauriers
ce tombeau et glorifie le nom breton... » La France glo-
rifiera toujours le nom de Plélo : il personnifie ce qu'il
y a de plus noble dans l'âme humaine, l'amour de la
patrie poussé jusqu'au sacrifice de soi-même.
27. René Kéramel de Parsevaux. De Bretagne. G., 18 févr. 1699; L.,
25 nov. 1712 ; -J- 17 janv. 1750, Brest. A. M., C 161.
CHAPITRE VIII
PRÉLIMINAIRES DE LA RUPTURE ENTRE LA FRANCE
ET L'ANGLETERRE
Mémoire sur les moyens de faire la guerre à V Angleterre. — Rupture
entre l'Espagne et l'Angleterre. — Armements maritimes en France.
— Le duc de Penthièvre le marquis d'Antin. — Croisière française
aux Antilles. — Le chevalier d'Epinay à Saint-Domingue ; le che-
valier de Caylus au détroit de Gibraltar. — Guerre continentale et
maritime.
L'alliance de la France et de l'Angleterre, telle que le
Régent l'avait comprise et que Fleury l'avait maintenue,
avait pour la France tous les caractères d'un contrat
léonin, selon l'expression même de Valincour. En-
chaînée comme elle l'était à l'Angleterre, obligée, pour
ménager les susceptibilités de son alliée, de renoncer
à sa puissance maritime, la France n'avait plus sa
liberté d'action. Les affaires de la succession de Pologne
n'avaient que trop mis en lumière cette dépendance
humiliante. Si les armements répétés de l'escadre de
Du Guay-Trouin à Brest n'avaient été qu'une comédie,
si le ministre n'avait pas envoyé une flotte dans la Bal-
tique pour venger Plélo et ses compagnons là où ils
étaient tombés, c'est que l'alliance anglaise paralysait
tous nos mouvements. Dans des conditions aussi oné-
reuses, cette alliance ne pouvait pas durer ; tôt ou tard
PRÉLIMINAIRES DE LA RUPTURE AVEC l'aNGLETERRE. 129
elle devait disparaître, et le jour de sa rupture devait
être aussi le jour de l'ouverture immédiate des hosti-
lités. Trop de questions mettaient aux prises l'Angle-
terre et la France pour que les deux puissances res-
tassent neutres l'une à l'égard de l'autre ; la neutralité
n'aurait pas été moins mensongère que la prétendue
amitié. Aussi, pour quiconque ne se laissait pas duper
par les apparences, la guerre contre l'Angleterre devait
éclater à brève échéance ; il fallait s'y préparer et ne
point se laisser surprendre par les événements.
C'est dans cet esprit que fut composé un Mémoire sur
les moyens de laire la guerre à V Angleterre d'une ma-
nière qui soit avantageuse à la France, ou pour prévenir
que le roi d'Angleterre ne nous la déclare i. La date de
ce mémoire, 28 octobre 1734, montre qu'il fut écrit au
lendemain de ces tristes événements qui venaient de se
passer aux embouchures de la Vistule.
L'auteur ne s'est pas nommé, il se borne à dire de
lui-même et de son écrit : « Il est du devoir de tout bon
Français de songer sans cesse à ce qui peut la faire
finir [la guerre] à notre avantage ou à la presser si
vigoureusement que nos ennemis soient forcés à de-
mander la paix... S'il [ce mémoire] contient quelque
chose qui puisse servir au bien de l'Etat, l'auteur sera
suffisamment récompensé du plaisir qu'il aura d'avoir
pu être utile à sa patrie ; il ne demande rien au delà,
pas même de sortir de son obscurité. » Malgré le soin
qu'il met à ne pas parler de lui-même dans ce mémoire
(( destiné pour le ministère », on peut supposer qu'il
appartient au corps de la marine ; en effet, le conseil
qu'il donne d'attaquer directement l'Angleterre, et les
détails stratégiques de son mémoire révèlent un homme
1. A. M., B* 300, fol. 27-37.
130 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
du métier. Qui sait si ce « bon Français », qui ne de-
mandait pas même à sortir de son obscurité, n'appar-
tenait pas à cet état-major de Du Guay-Trouin pour qui
la déconvenue dut être cruelle, quand l'ordre de désar-
mement arriva à Brest ?
Une guerre s'est allumée depuis plus d'un an entre
le roi de France et l'empereur ; l'Angleterre seule est
capable de soutenir efficacement l'empereur ; l'intérêt
du roi est donc d'attaquer directement l'Angleterœ.
Qu'on ne se laisse pas arrêter par la grandeur appa-
rente de notre rivale. <( Sous ces beaux dehors, on en
découvrira aisément la faiblesse. C'est la statue de
Nabuchodonosor : la tête est d'or, tandis que les pieds
sont de terre. Aussi rien n'est plus aisé que de la dé-
truire. »
Laissons de côté ce que notre auteur pense du roi
d'Angleterre, à qui « ses peuples ne font pas même
l'honneur de le haïr », de Robert Walpole, détesté des
Anglais malgré son rare mérite, et que « la plupart des
seigneurs seraient charmés d'envoyer sur l'échafaud » ;
voyons les moyens d'action qu'il compte employer. Il
est curieux de le voir discuter, dès 1734, l'utihté des
deux moyens principaux auxquels les faiseurs de projets
reviendront si souvent, quand la guerre ouverte aura
éclaté entre la France et l'Angleterre, à savoir le rôle
à donner au Prétendant et le concours à attendre de
l'Espagne ; c'est surtout à ce titre que ce mémoire
'gnoré d'un précurseur anonyme mérite d'être tiré de
l'oubli.
Il nest pas d'avis de lancer le Prétendant sur l'Angle-
terre ; «( la seule idée de recevoir un roi de la main des
Français par force d'armes » peut faire tout manquer.
Ce qu'il conseille, c'est tout un système de croisières
sur les diflérenles mers, avec les escadi^es combinées de
PRÉLIMINAIRES DE LA RUPTURE AVEC l'aNGLETERRE. 131
la France et de l'Espagne, chacun des Etats alliés pou
vant fournir quarante-cinq vaisseaux de ligne. Des
croisières, et pas de grande bataille : les batailles na-
vales peuvent tout compromettre, et les plus brillantes
ne rappoi'tent rien, témoin la victoire de Tourville au
cap Béveziers. Cette idée stratégique est très contes-
table, puisqu'elle est en contradiction avec le principe
de la grande guerre navale ; c'est du moins celle de la
plupart des auteurs de projets contre l'Angleterre au
xviii^ siècle. Ajoutons que ce fut aussi en partie la
conception de Napoléon, car il entrait dans le plan des
opérations du camp de Boulogne de disperser les
escadres anglaises et non de conquérir le passage de
vive force.
Donc, en 1734, on mettra à Dunkerque six vaisseaux
de ligne français ; — à Brest, vingt vaisseaux de ligne
français et vingt espagnols, avec une armée de dix
mille hommes dans le voisinage, prête à l'embarque-
ment ; — dans l'Atlantique, en croisière, pour garder
les côtes de l'Amérique, six vaisseaux français et six
espagnols ; — enfin, pour le service des escortes et la
protection des côtes de la Méditerranée, trois vaisseaux
français et neuf espagnols, sans parler des galères de
France et d'Espagne.
A cette dissémination des forces navales sur toutes les
mers, l'auteur voit de grands avantages. En supposant
aux Anglais, dit-il, cent vaisseaux de ligne, — ce qui
est beaucoup plus qu'ils n'en peuvent réunir et encore
moins armer, à cause de leur pénurie d'équipages, —
ils ne pourront ni se garantir de nos coups ni porter
secours à l'empereur. Obligés à faire des dépenses
excessives pour garder leurs côtes et leurs mers de tous
les côtés à la fois, sans pouvoir nous faire du mal, ils
en seront promptiemenl réduits à demander la paix.
132 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
Comme la plupart des auteurs de plans stratégiques,
notre auteur ne parle que des avantages de son système
et ne se préoccupe pas des difficultés politiques, finan-
cières ou militaires inhérentes à sa combinaison. C'était
d'abord un soudain revirement dans notre politique,
puisqu'il fallait non seulement rompre avec l'Angle-
terre, dont nous avions fait notre meilleure amie, mais
encore nous servir de la marine espagnole, dont nous
nous étions fait naguère un jeu stupide de détruire les
vaisseaux ; il est vrai que ces fâcheux souvenirs étaient
à peu près oubliés, car la France et l'Espagne com-
battaient à présent sous les mêmes drapeaux pour la
conquête de territoires italiens. L'armement de forces
aussi considérables était-il possible avec les ressources
dont Louis XV et Philippe V pouvaient alors disposer ?
Comment se ferait la réunion des vaisseaux français et
espagnols ? Combien de temps dureraient ces croisières
en pleine mer ? Les Anglais, au lieu de se tenir sim-
plement sur la défensive, comme on le supposait, n'au-
raient-ils pas l'idée de fondre sur nos côtes ? Ne pour-
raient-ils pas enlever cette division de six vaisseaux que
notre auteur faisait croiser vers Dunkerque, sans re-
marquer qu'elle n'avait pas un point d'appui sur la côte
de Flandre où le Régent et Fleury avaient accumulé les
ruines par ordre de l'Angleterre ? Au fond, deux affir-
mations se dégagent avec netteté de ce mémoire : une
guerre maritime entre la France et l'Angleterre était
inévitable ; pour la faire avec succès, la marine fran-
çaise devait combiner ses opérations avec la marine
espagnole.
Six ans environ plus tard, celle double éventualité
s'était réalisée. Déjà en 1727, la guerre maritime avait
failli éclater entre l'Espagne et l'Angleterre, à propos
PRÉLIMINAIRES DE LA RUPTURE AVEC l'aNGLETERRE. 133
de Gibraltar, dont la perte était certainement le coup
le plus cruel que l'Espagne eût reçu au traité d'Utrecht.
Lorsque l'escadre du marquis d'O, venant de Brest,
avait passé le détroit pour se joindre à l'escadre de
M. de Mons, elle avait vu de loin les galiotes espagnoles
qui bombardaient la pointe d'Europe ; c'était le premier
essai d'une opération militaire que l'on devait reprendre
pendant la guerre de l'Indépendance américaine, sur
un plan grandiose, avec les forces combinées de l'Es-
pagne et de la France, et qui ne réussit jamais. Le siège
de Gibraltar de 1727 avait été bientôt arrêté grâce à
l'intervention pacifique de Fleury ; mais en 1739, le
ministre de la paix maritime et de l'alliance anglaise
ne put pas faire triompher de nouveau son système
d'inertie. Malgré lui, la guerre éclata entre Madrid et
Londres, et malgré lui il dut cette fois faire armer nos
escadres.
Ce qui amena la rupture de 1739 entre l'Espagne et
l'Angleterre, ce fut le privilège de la compagnie an-
glaise de la traite des nègres (asienio) dans les colonies
espagnoles, et surtout l'interprétation singulièrement
abusive que les Anglais donnaient à la clause du
« vaisseau de permission ^ ». Las d'être fraudés sans
cesse par les corsaires anglais, les gouverneurs es-
pagnols d'Amérique se décidèrent à user de repré-
sailles. Voltaire a raconté la fameuse aventure, légen-
daire peut-être, de ce patron de navire Jenkins, à qui
le capitaine d'un garde-côte espagnol avait fendu le
nez et coupé les oreilles, et qui vint montrer ses bles-
sures en plein parlement. (( Messieurs, dit-il, quand on
2. Canga Argûelles, Diccîonario de hacienda, Londres, IS'Se, donne, au
mot « Asiento de negros », le texte de la convention hispano-anglaise
de 1713 sur le monopole de la vente des nègres. Cf. Dahlgren, Les Rela-
tions commerciales et maritimes entre la France et les côtes de l'océan
PaciMue, Paris, 1909 ; t. I, p. 722 et suiv.
134 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
m'eut ainsi mutilé, on me menaça de la mort : je
l'attendis ; je recommandai mon âme à Dieu et ma ven-
geance à ma patrie. )> Dans le parlement et dans le
peuple, il n'y eut qu'un cri d'indignation et de ven-
geance. (( La mer libre ou la guerre ! » disait le peuple,
qui trouvait tout naturel que l'Espagne subît toutes les
vexations et que les corsaires anglais fissent fortune.
Un membre du parlement prononça cette fanfaronnade :
« Où est le temps où un ministre de la guerre disait qu'il
ne fallait pas qu'on osât tirer un coup de canon en Eu-
rope sans la permission de l'Angleterre ? »
Devant cette explosion de fanatisme belliqueux, le
pacifique Walpole dut céder : la guerre fut déclarée à
l'Espagne. Elle débuta bien pour les Anglais ; car l'ami-
ral Vernon prenait et ruinait, sur la côte de l'isthme de
Panama, un peu à l'est du port actuel de Colon, le port
de Porto-Bello, qui était alors l'un des plus grands en-
trepôts du commerce de l'Amérique espagnole (P"" dé-
cembre 1739). Il est vrai que peu après il éprouvait un
grave échec devant Carlhagène des Indes, qui lui
résista mieux que quarante-trois ans plus tôt à Pointis.
Les Anglais avaient frappé à l'avance, en l'honneur de
Vernon, une médaille avec l'exergue : <( 11 a pris Car-
lhagène )) ; il leur fallut effacer cette légende prématurée
et mensongère.
Fleury ne songeait nullement à rompre avec l'Angle-
terre, bien que l'occasion fût séduisante de soutenir la
marine d'Espagne et de briser du même coup les chaînes
d'une alliance onéreuse ; du moins, if fallait protéger
notre marine marchande contre les corsaires anglais
qui commençaient à courir les mers et qui étaient tout
prêts, comme ils le prouvèrent plus d'une fois, à con-
fondre le pavillon des Bourbons de France avec le pa-
villon des Bourbons d'Espagne.
PRÉLIMINAIRES DE LA RUPTURE AVEC l'aNGLETERRE. 135
C'était surtout dans les eaux de la mer des Antilles
qu'il était important de veiller à nos intérêts maritimes ;
cette région, où les Anglais possédaient la Jamaïque,
depuis l'époque de Cromwell, et où se trouvaient les
ports les plus riches de l'Amérique espagnole, parais-
sait destinée à être le principal théâtre des hostilités.
Notre marine put alors se féliciter d'avoir à sa tête le
comte de Maurepas. Si elle mit rapidement deux
escadres en état, à Toulon et à Brest, si elle remporta
au début quelques succès, elle le dut avant tout au mi-
nistre qui, malgré la pénurie financière et les obstacles
politiques, n'avait cessé de construire des navires, d'en
armer, d'entretenir des équipages, le tout à peu de
frais, sans bruit, mais avec suite et d'une manière utile.
Le 25 août 1740, une escadre de douze vaisseaux
et d'une tartane sortait du port de Toulon ; le chef
d'escadre, M. de La Rochalart, avait son pavillon sur
le Ferme. Le V septembre, une force encore plus
grande, de quatorze vaisseaux et cinq frégates, sortait
du port de Brest, sous les ordres du vice-amiral d'An-
tin. Il fallait remonter jusqu'au règne de Louis XIV pour
retrouver le souvenir, dans l'un ou l'autre de ces ports,
d'armements aussi importants. Suivant l'expression d'un
historien du xviii® siècle, « cet effort étonna la Grande-
Bretagne» .
Il y avait eu récemment des mutations importantes
dans le haut personnel de la marine royale. Le comte
de Toulouse, amiral de France, était mort en 1737, à
cinquante-neuf ans, sans avoir jamais exercé en mer un
commandement effectif depuis l'année 1706. Marié en
1723 à Victoire de Noailles, il en avait eu un fils, Louis
de Bourbon, duc de Penlhièvre ; dès 1734, celui-ci avait
eu le litre d'amiral de France, et à la mort de son père,
il avait hérité complètement de sa charge.
136 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
Le nouvel amiral de France, qui avait douze ans en
1737, avait eu pour gouverneur le marquis de Par-
daillan 3, pour sous-gouverneurs M. de Lizardais ^ et
M. de La Clue, tous trois appartenant à la marine et qui
l'avaient élevé en vue des fonctions de sa charge. Ce-
pendant il n'y eut jamais rien de maritime dans la vie
du duc de Penthièvre. Le beau-père de la princesse de
Lamballe, le grand-père du duc de Chartres Louis-
Philippe (le futur roi des Français), eut sa part aux
opérations continentales de la guerre de la Succession
d'Autriche, il se fit surtout connaître et aimer par sa
bienfaisance ; mais il n'appartint jamais à la marine
que par le haut titre qu'il porta.
Sa mère avait épousé en premières noces Louis de
Pardaillan, marquis de Gondrin, fils aîné du duc d'An-
lin, qui était lui-même le fils du marquis et de la mar-
quise de Montespan. De son premier mariage, la com^
tesse de Toulouse avait eu un fils, Antoine-François de
Pardaillan de Gondrin, marquis d'Antin ; par son père,
celui-ci était le petit-neveu de l'amiral de France ; par
sa mère, lors de son second mariage, il en devint le
beau-fils. Cette double parenté explique que d'Antin
ait obtenu en 1731, à vingt-deux ans, la charge de vice-
amiral du Ponant, dont le maréchal d'Estrées s'était
démis en sa faveur. Il faut ajouter qu'il avait toujours
servi dans la marine ; il avait fait campagne dans la
Méditerranée, en 1731, sous les ordres de Du Guay-
Trouin, dans la Baltique, en 1733, sous les ordres de
La Luzerne ; il avait un goût très vif pour la carrière
3. D'Osères de Pardailhan. D'Angoumois. G., l"" mai 1705 ; L, 17 mars 1727 ;
C, 1" oct. 1731 ; gouverneur de M. de Penthièvre ; commandant des gardes
du pavillon à Toulon, l" févr. 1734 ; tué commandant l'Aquilon, 6 août 1741.
A. M., C 161. — Il est probable que c'est le même que l'enseigne de vais-
seau Pardaillan, cité ci-dessus, p. 111, à propos de l'expédition de Mahé.
4. Lizardais. De Bretagne. G., 3 mai 1706 ; C, 1" mai 1741 ; CA..
17 févr. 1750; -|- 12 déc, 1753, Rochefort. A. M.. C 161.
PRÉLIMINAIRES DE LA RUPTURE AVEC l'aNGLETERRE. 137
maritime, il se tenait au courant des progrès de la
marine à l'étranger et surtout en Angleterre. Bref, malgré
son âge jeune encorCj trente et un ans, quand il comman-
dait l'escadre de Brest, cet officier général avait de
l'expérience et une réelle valeur. On ne pouvait pas en
dire autant de son collègue, le marquis de Sainte-Maure,
vice-amiral du Levant ^ ; il n'était guère connu que pour
avoir échoué un jour le Fougueux, de soixante-qua-
torze canons, sur un rocher en rade de Rochefort, et
pour s'en être consolé par ce mot, que son vaisseau ser-
virait de balise.
En quittant Brest (septembre 1740), le marquis d'An-
lin détacha six navires pour croiser vers les côtes
d'Espagne. Avec les autres, quatorze environ, il cingla
vers les Antilles ; il mouillait le 21 octobre à la Marti-
nique, et le 7 novembre à Saint-Domingue. Dans cette
dernière relâche, il était rejoint, le 15 décembre, par
huit des vaisseaux de l'escadre de Toulon sous les
ordres de La Rochalart. Il avait ainsi des forces assez
imposantes. 11 fut cependant comme réduit à l'inaction,
soit parce que la fièvre jaune avait éclaté dans ses équi-
pages, soit parce qu'une escadre anglaise de vingt-cinq
voiles, partie d'Angleterre en novembre avec l'amiral
Ogle, venait de rallier à la Jamaïque les sept vaisseaux
de l'amiral Vernon, soit encore parce que ses ins-
tructions lui disaient de protéger les Espagnols sans
attaquer les Anglais, à moins d'hostilités directes de
leur part. Ces hostilités avaient eu lieu : une de nos cor-
vettes, la Fée, avait été enlevée entre la Martinique et
Saint-Domingue ; mais d'Antin avait manqué Tocca-
sion d'attaquer Vernon, dont les forces étaient à pré-
5. Charles d'Augé, marquis de Sainte-Maure. Du Médoc. E., 1" mars 1673 ;
C, 12 janv. 1682; CE., 8 oct. 1712; LG., 1" nov. 1720; VA. du Levant,
8 juin 1730 ; -f 23 sept. 1744, Paris, rue Férou. A. M., C 161.
138 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
sent plus que quadruplées par l'arrivée de son collègue.
11 avait reçu lui-même un léger renfort. Le comte de
Roquefeuil ^ qu'il avait envoyé à sa sortie de Brest sur
les côtes d'Espagne et qui était rentré ensuite en
France, arrivait à Saint-Domingue le 8 janvier 1741,
avec quatre vaisseaux.
Le vice-amiral, qui avait à compter avec l'état sani-
taire de ses équipages et avec le texte de ses ins-
tructions, crut qu'il avait suffisamment rempli l'objet
de sa mission, car sa présence avait protégé les
vaisseaux et les colonies de l'Espagne. Il laissa en
station aux Antilles six vaisseaux avec Roquefeuil, qui
devait y rester jusqu'au printemps ; lui-même reprit la
mer dès le 7 février. La division de La Rochalart rallia
le port de Toulon ; d'Antin rentra à Brest le 18 avril.
Ce fut pour y mourir, six jours plus tard, à trente-
deux ans ^
Un malheur, d'une autre nature, avait marqué le
retour de cette expédition. Le Bourbon, de soixante-
quatorze canons, commandé par le marquis de Boulain-
villiers ^ avait coulé, à la hauteur d'Ouessant, dans des
circonstances particulièrement dramatiques. Déjà de
nombreuses voies d'eau avaient retardé sa marche ; le
12 avril, il devint impossible de faire fonctionner les
6. Comte de Roquefeuil, « qui était officier de grande réputation ».
D'Avignon. G., 20 mars 1681; L., 1" janv. 1691; C, 1" janv. 1703; CE.,
25 ma.rs 1708 ; LG., 1" mai 1741 ; -|- 8 mars 1744, en mer, « à une lieue du
cap de Godéteur (?), d'une goutte remontée ». A. M., C 161 ; B^ 56.
7. Le marquis d'Antin « mourut avant-hier au soir d'une suite de la
grande maladie qu'il a eue à l'Amérique, dont il n'a jamais pu bien se
remettre. Je ne doute pas que tous les contretemps qu'il a eus dans le
cours de sa campagne n'y aient beaucoup contribué, de même que le
chagrin d'avoir vu mourir un aussi grand nombre de ses officiers et
équipages, et que son escadre n'était continuellement qu'un hôpital ». La
Jonquière au ministre ; Brest, 26 avril 1741, A. M., B* 50, fol. 261. —
D'Antin mourut des suites d'une hydrocèle.
8. Boulainvilliers. G., 1" févr. 1703; L., 17 mars 1727; C, 1" avril 1728;
péri, commandant le Bourbon, 12 avril 1741. A. M., C 161.
PRÉLIMINAIRES DE LA RUPTURE AVEC l'aNGLETERRE. 139
pompes ; le commandant vit que son navire était perdu ^.
Voulant sauver son fils, qui était à son bord, il le fit
descendre dans la chaloupe avec vingt-trois officiers et
marins, sous le prétexte d'aller chercher des secours.
Une demi-heure après, en présence de ceux qui avaient
été sauvés, le Bourbon disparaissait dans les flots avec
le marquis de Boulainvilliers et le reste de l'équipage ^^.
Cette catastrophe, le résultat en apparence stérile de
l'expédition, la mort même du vice-amiral, qui fut entou-
rée d'un certain mystère ^i, fournirent des armes aux
ennemis du ministre de la Marine. Dans un mémoire où
il faisait le procès de toute l'administration de la marine,
le maréchal de Richelieu disait de cette expédition,
avec une exagération singulière : « L'armement de
M. d'Antin pouvait décider du sort de la France et de
l'Europe. Il a échoué par des fautes capitales, dans les-
quelles un ministre tant soit peu éclairé ne serait point
tombé. Nos vaisseaux ont été envoyés sans être dou-"
blés, et on a négligé de faire suivre l'armement de mois
en mois, comme les Anglais le pratiquent toujours en
pareil cas, par des bâtiments chargés de vivres et de
rafraîchissements. M. d'Antin était prêt de dévoiler le
mystère d'iniquité, qu'il était en état de faire valoir. La
fortune de M. de Maurepas l'a tué, et sa cabale a rejeté
sur le mort toutes les fautes dont il ne pouvait se jus-
9. Le Bourbon n'était en service que depuis 1739. « On a à présent
l'expérience que le Bourbon, qui n'avait point encore été à la mer, est un
très bon vaisseau. » Folltgny, Journal de la campagne de Suède, p. 9.
10. Dans la note qu'il rédigea, après la campagne d'Amérique, sur Bou-
lainvilliers de Croy, capitaine de pavillon du Languedoc, d'Estaing rap-
pelle « la conduite de son père qui s'immola sur le Bourbon, qui ne
voulut point at)andonner ce vaisseau coulant sous ses pieds, qui nomma
froidement ceux qu'il arrachait à une mort certaine en les faisant embar-
quer dans le canot ou dans la chaloupe où il ne voulut point entrer,
parce que son devoir de capitaine l'en empêchait, et parce que, s'il eût
abandonné son vaisseau, la foule qu'il n'aurait pu contenir aurait
submergé les deux embarcations ». A. M., B* 169.
11. CoRRE, L'Ancien Corps de la marine, p. 218.
N
140 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
tifier 1^. » On ne voit pas que le ministre ait jamais
songé à faire un crime à la mémoire du vice-amiral
d'une expédition qui avait promené le drapeau du roi
dans des mers qui ne le voyaient que bien rarement, et
qui, sans combat, avait amené les Anglais à suspendre
leurs hostilités. Ni Maurepas ni d Antin n'étaient cou-
pables, mais bien le premier ministre qui, ici comme
dans l'expédition de la Baltique, ne faisait les choses
qu'à moitié, c'est-à-dire les faisait mal.
A la campagne du vice-amiral d'Antin dans les An-
tilles se rattache le souvenir d'un épisode militaire
doublement instructif ; il donne la mesure de la bonne
foi de nos prétendus alliés et il montre la nécessité pour
des marins d'être toujours prêts et vigilants quand ils
sont sur mer.
Le 18 janvier 1741, une division de quatre vaisseaux
portant le pavillon du roi, — V Ardent (soixante-quatre
canons), le Mercure (cinquante-six), capitaine Des Her-
biers de l'Etanduère, le Diamant (cinquante), capitaine
le chevalier de Piosin ^^ la Parfaïte (quarante-quatre),
capitaine d'Estourmelles l^ — croisait, sous les ordres du
chevalier d'Epinay ^^ dans les parages du cap Tiburon,
au sud-ouest de Saint-Domingue. Une escadre de six
gros vaisseaux anglais, — deux de soixante-quatorze
canons, trois de soixante-quatre, un de cinquante, —
est signalée vers six heures du matin. D'une part, deux
cent quatorze bouches à feu ; de l'autre, trois cent
12. Rapporté par Maurepas, Mémoires, t. IV. p. 216.
13. Mandelot de Laucez servait en second sur le Diamant ; un brevet de
pension de mille livres (mai 1741) rappelle qu'il s'était distingué dans ce
combat. A. M., C\
14. Le commandeur d'Estourmelles. G., 30 avril 1707; L., 25 nov. 1712;
C, 17 mars 1727 ; CE., 1'' janv. 1745; R., 1" mars 1747. A. M., C 161, C\
15. Marquis d'Épinay Beaugroult. G., 26 avril 1692; C, 17 mars 1727;
CE.. 1" janv. 1745 ; LG., 17 mai 1751 ; -|- 4 janv. 1752. A. M., C 166.
PRÉLIMINAIRES DE LA RUPTURE AVEC l'aNGLETERRE. 141
quatre-vingt-dix. D'Epinay, qui se dirigeait vers les
Cayes, ne change pas sa marche : il se borne à réunir
sous sa main sa petite escadre.
Un vaisseau anglais s'approche d'un de nos navires.
Un court dialogue s'échange avec le porte-voix. « D'où
vient ce navire ? — De France. — Où va le navire ? —
A la mer. » L'Anglais continue tout seul : « Nous vou-
lons vous parler. Vous ne répondez point ? vous ne dites
rien ? » Là-dessus, une canonnade soudaine crible le
Diamant de projectiles. D'Epinay riposte ; malgré la
disproportion des forces, il tient tête à ses déloyaux
ennemis. Le chevalier de Roquefeuil, officier à bord du
Diamant, écrivait à propos de ce combat : « Nous étions
tous résolus de nous défendre et de périr plutôt que de
nous rendre. Jamais on ne s'est battu avec tant de
fureur ^^ ! » Cependant le Diamant avait beaucoup souf-
fert : il avait reçu quatre-vingts coups de canon dans la
coque et plus de cinq cents dans les voiles et dans les
mâts. Le lendemain matin, 19, d'Epinay, malgré ses
avaries, ses pertes en morts et en blessés, était en hgne,
prêt à un nouveau combat, quand le commandant an-
glais envoya un officier lui porter des excuses <c sur
cette méprise ; que, par la manœuvre qu'il avait tenue,
on l'avait pris pour Espagnol ; que, bien loin qu'il y
eût interruption de commerce entre les couronnes de
France et d'Angleterre, jamais elles n'avaient été en
meilleure intelHgence ». Le commandant d'Epinay, sans
prêter à ces singulières excuses plus d'attention qu'elles
ne méritaient, se borna à répondre, en soldat qui a
conscience de son droit et de sa force, qu'il continuait
10. Cette lettre, « du cap do Tiberon, de l'île Saint-Domingue, à bord du
Diamant, 1g 19 Janvier 1741 », a été publiée dans le Carnet hUlorique et
littéraire, t. III, 1899. p. 109-113. Sur ce combat du 18 janvier (et non du U,
comme il est dit par erreur dans le Carnet), vnir A. M., B* 50.
142 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
sa route sur les Cayes et que <( s'il leur prenait envie
d'y mettre obstacle, on recommencerait sur nouveaux
frais 1'^ ».
On pourrait croire que le mot d'ordre de la marine
anglaise en cette année 1741 était de courir sus à nos
bâtiments, d'essayer de les détruire et, en cas d'insuccès,
de mettre cette attaque avortée sur le compte d'une con-
fusion entre le pavillon français et le pavillon espagnol.
En voici un second exemple, environ six mois plus tard.
Le chevalier de Caylus, le comte de Pardaillan, le
baron Saurin de Murât revenaient des Antilles à Toulon
avec le Borée^ V Aquilon et la Flore ; en traversant le
détroit de Gibraltar, le 5 août (1741), ils rencontrèrent,
dans les eaux du cap Spartel, une division anglaise, de
quatre vaisseaux et d'une frégate, qui naviguait sous
pavillon hollandais. Le commandant anglais, Barclay,
détache une embarcation vers V Aquilon ; Pardaillan
fait connaître sa nationalité. Les Anglais répondent par
le feu de leurs canons ; dès la première bordée, Par-
daillan est tué. Un combat s'engage en pleine nuit ; il
dure trois heures. Barclay, dont l'escadre est endom-
magée, se retire ; il envoie dire à Caylus qu'il avait pris
ses vaisseaux pour des vaisseaux espagnols. Caylus
répond avec ironie qu'il n'est point fâché de cette
erreur ; elle avait un peu exercé ses jeunes gens ^^,
qui souhaitaient depuis longtemps de voir le feu.
Voilà donc les fruits de la politique maritime de
Fleury. Il avait cultivé l'alliance anglaise avec un soin
17. Maurepas fit donner à d'Êpinay, à l'occasion de ce combat, une
pension de 1 500 livres et une de i ^30 à chacun dfes trois autres comman-
dants. Etat sommaire des Archives de la Marine, p. 329.
18. Le chevalier, plus tard bailli de Mirabeau, alors enseigne de vais-
seau, avait vaillamjcient commandé la mousqueterie d-u Oxjrèe. — - Lfe cSieva-
11er de Carné élail ensblgne sur le mCme vaîsselau.
143 PRÉLIMINAIRES DE LA RUPTURE AVEC l'aNGLETERRE.
jaloux ; ce qu'il en recueillait, c'étaient des injures gra-
tuites à notre pavillon ; il avait trop oublié qu'un Etat
qui ne se fait pas respecter de son allié se condamne de
lui-même au mépris de celui-ci.
Mais Fleury ne regardait pas du côté de la mer ; âgé
alors de près de quatre-vingt-dix ans, il réservait toute
son attention aux affaires du continent. La succession
d'Autriche s'était ouverte en octobre 1740 ; n'ayant pas
la force de résister à un parti qui le poussait à la
guerre, il engagea la France dans cette querelle, pour
lui faire jouer le jeu de l'électeur de Bavière et du roi
de Prusse. Comment s'imaginer, après ce qui se passait
sur mer depuis deux ans environ, que cette guerre n'au-
rait pas de répercussion maritime ? L'alliance anglaise,
ou ce qu'on appelait de ce nom, durerait-elle toujours ?
La chute de Robert Walpole, en janvier 1742, fut un
premier coup porté à son optimisme ; mais il s'enfonça
de plus en plus dans les affaires continentales. Maurice
de Saxe entrait à Prague, Belle-Isle faisait un empe-
reur ; c'en était assez pour oublier la marine, s'il y avait
jamais songé. Cependant les affaires de Bohême prirent
bien vite une fâcheuse tournure ; il fallut évacuer
Prague. A la mort de Fleury (janvier 1743), l'horizon
politique de la France était bien assombri ; une coalition
continentale se formait en faveur de l'Autriche, c'est-à-
dire contre nous ; sur mer, la guerre était déclarée en
fait entre la France et l'Angleterre.
De ces deux guerres, la guerre continentale et la
guerre maritime, la première, au début du moins, ne
nous intéressait que d'une manière indirecte, car il ne
s'agissait pas de nous, mais de nos alliés d'Allemagne ;
la seconde, au contraire, se présentait tout de suite sous
son véritable aspect, celui d'un duel qui mettait en jeu
Texislence de notre marine et Tindépendance de nos
144 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
colonies. Faut-il dire que le gouvernement et l'opinion
donnèrent toute leur attention à la première et se désin-
téressèrent à peu près de la seconde ? Celle-ci cepen-
dant allait se faire sur toutes les mers, Méditerranée,
mer du Nord, golfe de Gascogne, dans nos colonies
d'Amérique et d'Asie ; et nulle part ces campagnes mari-
times ne le cédèrent, ni en utilité politique ni en intérêt
dramatique, aux campagnes de Franconie, des Pays-
Bas et du Milanais.
CHAPITRE IX
PREMIÈRE GUERRE MARITIME ENTRE LA FRANCE ET L'ANGLE-
TERRE. — 1° LA MÉDITERRANÉE
De Court La Bruyère commandant l'escadre de Toulon. — Sa jonc-
tion avec les Espagnols. — Matthews sur les côtes de Provence.
— Bataille de Toulon (1744). — Maurepas à Toulon. — Les Anglais
aux îles de Lérins. — Belle-Isle et Bompar à Toulon.
Les Anglais et les Espagnols n'avaient pas besoin de
se poursuivre jusqu'aux Antilles ; ils se rencontraient
chaque jour dans les parages de Gibraltar et de Mi-
norque, puisque la perte de ces deux positions ne per-
mettait plus aux vaisseaux espagnols de naviguer en
•paix même dans la Méditerranée. Les bâtiments des
deux nations se donnaient la chasse jusque dans les
eaux françaises. Au début de l'année 1741, un combat
avait eu lieu dans les eaux du cap Cépet, c'est-à-dire
à l'entrée même de la grande rade de Toulon, entre
deux corsaires de Majorque et un navire anglais, qui
avait pris feu et fait explosion. 11 fallait donc armer à
Toulon, même si l'on ne songeait qu'à faire respecter
nos côtes. Maurepas donna l'ordre de mettre à la mer,
en juillet 1741, une escadre de douze vaisseaux ; le
commandement en fut donné au lieutenant général de
Court La Bruyère.
Le duc de Richelieu parlait ainsi de cette escadre et
10
146 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
de son chef : <( L'on vient de faire un armement... Le
général a été choisi pour le prix des petites fêtes qu'il
avait données à M""^ de M[aurepas] dans sa guinguette.
Indépendamment de l'incapacité de M. de Court, les
vaisseaux étaient pourris et hors d'état de tenir la mer,
et l'armement, sous la plus belle apparence, était dans
l'essentiel si défectueux qu'il ne pouvait qu'échouer,
ainsi qu'il l'a fait ^ » L'officier général qui commandait
l'escadre de Toulon avait d'autres titres à la désignation
du ministre que ses relations de société avec la comtesse
de Maurepas. Après avoir fait la grande guerre avec
Du Ouesne et Tourville, la guerre de course avec Jean
Bart, il avait été capitaine de pavillon du comte de
Toulouse à bord du Foudroyant, lors de la bataille de
Malaga ; ses états de service étaient fort honorables,
mais ils s'arrêtaient à l'année 1707. Quand il prit le
commandement de l'escadre de Toulon, il y avait trente-
quatre ans qu'il n'avait pas servi à la mer, sauf sa ré-
cente croisière contre les Barbaresques ; il avait alors
soixante-quinze ans.
Le rajeunissement des cadres ne préoccupait pas à
cette époque l'administration de la marine, car de
Court n'était pas le seul vieillard à la tête de nos
escadres. Lorsque le lieutenant général comte de Ro-
quefeuil, qui commandait l'escadre de Brest, mourut en
mer sur son vaisseau, en 1744, il comptait soixante-
deux ans de services.
Le maréchal de Rochambeau rapporte que son grand-
oncle, le chevalier de Rochambeau, qui venait de faire
deux croisières avec une escadre de six bâtiments, mal
carénés d'ailleurs, coulant bas et manquant de tout,
avait été cassé par Maurepas en 1744 : il avait relâché
1. Mémoire cité par Madeepas, Mémoires, L IV, p. 217.
PREMIÈRE GUERRE MARITIME. — LA MÉDITERRANÉE. 14Î
à tort à Malaga et permis ainsi à une escadre anglaise
de ravitailler Gibraltar, dont les Espagnols faisaient le
siège. Tous les Rochambeau étaient dans la douleur ;
le futur vainqueur de Yorktov^^n ne partageait peut-être
pas les sentiments de colère des siens contre la décision
ministérielle. Les états de service de <( mon vieil oncle »,
dit-il, « avaient été fort brillants » ; mais il était « abso-
lument usé, ayant eu déjà deux attaques d'apoplexie ^ ».
De Court n'était pas, malgré son grand âge, dans ce
triste état de santé.
Ses douze vaisseaux prirent la mer à Toulon le 12 oc-
tobre 1741 ; ils cinglèrent vers Barcelone et Carthagène :
là, ils se réunirent à l'escadre espagnole de don José de
Navarro. C'est la première en date des opérations com-
binées entre les marines de France et d'Espagne dont la
guerre d'Amérique offrira plus d'un exemple. Les deux
escadres escortèrent, en suivant les côtes de Provence
et de Ligurie, un convoi militaire que Philippe V faisait
passer en Italie et qui, grâce à cette double protection,
put heureusement arriver à Spezzia (février 1742). De
Court et Navarro, après avoir subi un violent coup de
vent, qui dispersa quelques navires jusqu'en Corse,
étaient de retour à Toulon le 22 février.
Il en était grand temps pour les seize vaisseaux espa-
gnols ; leur délabrement ne leur permettait pas de tenir
la mer davantage ; le dénuement des équipages faisait
pitié ; nus, misérables, décimés par les maladies, les
matelots du roi Catholique auraient eu besoin de longs
mois de repos. On caréna tant bien que mal les navires ;
2. Rochambeau « passe généralement dans le corps de la marine pour
un homme fort extraordinaire dans ses idées ; il s'écarte de temps en
temps du bon sens ». (Brest, 6 juillet 1744.) En lui retirant son comman-
dement (novembre 1744), Maurepas lui fit accorder 4 500 livres h titre rt<^
demi-solde. A. M., B* 56. fol, 311-319,.
148 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
on refît un peu les équipages Triste préface à la guerre
qui allait commencer.
A ce moment même, Walpole tombait du pouvoir. Le
premier soin de son successeur, Carteret, fut d'envoyer
dans la Méditerranée une escadre de vingt-huit vais-
seaux, avec l'amiral Matthews : le 27 avril (1742), elle
mouillait en face de Toulon et y établisasait une croi-
sière rigoureuse. Elle prétendait ne bloquer que
l'escadre de Navarro, car la paix n'était pas officiel-
lement rompue entre Paris et Londres ; en fait, elle
bloquait tout aussi bien l'escadre française. Matthev^^s
faisait saisir nos bâtiments de commerce jusque dans
les eaux du cap Cépet ; en juin, dans le port même de
Saint-Tropez, il faisait brûler cinq galères espagnoles
qui s'y étaient réfugiées, et dont les carcasses devaient
boucher l'entrée du port jusqu'en 1748 ; le 15 décembre,
il menaçait de mettre le feu à Saint-Tropez, si l'on n'en
faisait pas sortir deux bâtiments espagnols. Que ne
pouvait-il pas se permettre avec la longanimité éton-
nante de notre gouvernement ? Il mouillait à son aise
aux îles d'Hyères, il y établissait un campement à Port-
Cros pour ses malades, il y recevait ses convois de
Mahon, il y carénait ses navires, il y faisait des exer-
cices de tir. En avril et en juin 1743, des batteries du
cap Cépet tirèrent quelques coups de canon sur un bri-
gantin et sur un croiseur anglais qui poursuivaient des
bâtiments français ; Matthews se plaignit, on lui ré-
pondit par des explications et les deux affaires se termi-
nèrent par des politesses réciproques. Sait-on combien
de temps dura cette croisière inconcevable et ce blocus
non déguisé de notre grand port provençal ? Tout près
de deux ans, exactement vingt-deux mois, d'avril 1742
à février 1744.
Cependant on avait fait à Toulon quelques préparatifs
PREmÈRE GUERRE MARITIME. — LA MÉDITERRANÉE. 149
de défense. Le marquis de Mirepoix, gouverneur de la
Provence, avait fait mettre les batteries en état ; l'amiral
Navarro, fort inquiet de l'audace des Anglais, avait fait
passer son escadre de la petite rade dans le port même ;
de Court avait armé en brûlots deux petits navires mar-
chands de deux cents tonneaux ; il avait construit, pour
barrer la rade, une estacade formée de deux, puis de
quatre chaînes de mâts, mais la violence de la mer
l'avait à peu près brisée, et c'eût été une défense bien
imparfaite, si Matthews avait voulu forcer la passe. A
la fin de 1742, de nouveaux renforts avaient porté les
forces anglaises à trente-huit vaisseaux.
La mort de Fleury, le 29 janvier 1743, parut ne rien
changer d'abord à nos rapports avec l'Angleterre, tou-
jours amicaux en apparence. Cependant c'était le roi
d'Angleterre en personne que le duc de Noailles ren-
contrait à la bataille de Dettingen; c'était lui qui, dans
son propre camp, à Worms, nouait une coalition contre
nous. La France ne rompit pas encore; elle se borna à
signer une alliance avec l'Espagne (15 octobre 1743),
sorte de pacte de famille, par lequel Louis XV s'enga-
geait à procurer un établissement en Italie à l'infant
don Philippe. Il fut dans la destinée de notre politique
étrangère sous le règne de Louis XV de ne travailler
jamais que pour autrui, roi d'Angleterre, roi de Prusse,
infants d'Espagne, archiduchesse d'Autriche ; n'avions-
nous donc pas nos intérêts propres, ceux de notre ma-
rine et de nos colonies? Enfm, l'ordre fut donné à de'
Court de protéger ouvertement la sortie de l'escadre
espagnole. Celle-ci aurait pu sortir vers le mois de
juillet et d'août (1743). Mathews, avec une partie de sa
flotte, s'était porté alors devant Gênes, pour y saisir
quelques chébecs qui transportaient de l'artillerie pour
les Espagnols ; mais Navarro ne put ou ne voulut appa-
150
LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
reiller à temps ; il était toujours enfermé dans le port,
quand les Anglais vinrent reprendre leur blocus.
L'armement des deux escadres combinées ne se fit
pas sans beaucoup de lenteurs et de difficultés. Maurepas,
impatient, gourmandait l'intendant ; celui-ci, M. de
Villeblanche, protestait dé son activité et rejetait la
cause des retards sur le vagabondage et la désertion des
équipages, qui étaient en effet de véritables fléaux. Ce
fut seulement au mois de janvier 1744 qu'on commença
à parler du jour de la sortie ; de Court fit détruire ce
qui restait de l'estacade et dirigea une courte reconnais-
sance du côté d'Hyères. Matthews, qui avait un excel-
lent service de surveillance, ne manqua pas de saluer
l'amiral français, à Fétonnement de celui-ci, de onze
coups de canon : c'était le salut de parade, ironique
peut-être ici, qui précède le duel.
Le 19 février au soir, les escadres alliées firent un pre-
mier appareillage, pour mouiller sous le fort Sainte-
Marguerite ; puis le 22 au matin, par la brise
d'est, elles sortirent tout à fait de la grande
rade et mirent le cap au sud. En tête, l'avant-
garde française, de neuf vaisseaux, était com-
mandée par le chef d'escadre Cabaret, qui portait un
nom illustre dans notre marine ; il montait ïEspérance,
de soixante-quatorze canons. Au centre, le corps de
bataille, de sept vaisseaux français et de trois vaisseaux
espagnols, était sous les ordres du lieutenant général
de Court ; son pavillon flottait sur le Terrible, de
soixante-quatorze canons, dont le commandant était le
capitaine de vaisseau La Jonquière. En queue, l'arrière-
garde espagnole, de neuf vaisseaux, était commandée
par l'amiral Navarro ; il montait le Real-Felipe^ de
cent dix canons, vaisseau d'aspect superbe, qui se con-
PRElvnÈRE GUERRE MARITIME. — LA MÉDITERRANÉE. 151
duisit 1res bravement au feu. Les alliés comptaient donc
vingt-huit voiles, soit seize françaises et douze espa-
gnoles 3.
L'ordre de marche était de ne laisser aucun inter-
valle entre les navires, chaque vaisseau devant être au plus
à soixante toises du précédent, de la proue à la poupe,
soit cent vingt mètres. On peut se demander comment
les capitaines pouvaient tenir leurs bâtiments à une
aussi faible distance les uns des autres et éviter les
abordages ; de Court affirme du moins que les Français
marchaient dans cet ordre, mais que l'arrière-garde ne
l'observait pas.
Matthews, qui était aux îles d'Hyères avec trente-
trois vaisseaux et neuf frégates, avait commencé son
appareillage le 19 ; le 22, il prit la môme direction que
les alliés, en ayant le précieux avantage du vent. Les
Anglais marchaient ainsi : le contre-amiral Rowley en
tête, Matthews au centre, sur le Namur^ de quatre-vingt-
dix canons, le vice-amiral Lestock à l'arrière-garde.
Les Franco-Espagnols avaient une légère avance ;
aussi, lorsque le contact des deux armées navales se
fit, sous le cap Sicié, vers une heure et demie de l'après-
midi, les deux lignes de bataille ne coïncidaient pas
dans toute leur longueur. Trois vaisseaux du centre
anglais, Norlolk, Namur, Marlborough, se trouvaient
à portée de canon de notre arrière-garde, soit des quatre
vaisseaux espagnols, Poder, Constante, Real-Felipe,
Isabella.
L'amiral anglais remarqua que les Espagnols mar-
chaient avec peu d'ordre ; cette division de quatre vais-
seaux était à peu près isolée, le centre français étant
3. Voir l'Appendice III. — Saffren, qui était garde-marine à Toulon depuis
le 30 octot)re 1743, était embarqué sur le Solide ; ce fut sa première cam-
pagne. Il avait quatorze ans et demi.
152 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
à deux milles en avant du Poder^ le reste de l'arrière-
garde espagnole étant à un bon mille en arrière de
VIsabella. Il ouvrit contre elle une terrible canonnade ;
mais lui-même n'était soutenu ni par son arrière-garde
(Lestock), qui n'était pas encore en ligne, ni par son
avant-garde (Rcwley), qui était à la hauteur du centre
français. Quand l'action était déjà engagée entre les
Anglais et les Espagnols, les Français et les Anglais,
qui étaient cependant à portée, ne se servaient point de
leur artillerie, peut-être en vertu de cette fiction que la
guerre n'était point officiellement déclarée entre les
deux couronnes et qu^ la mission des Français était
simplement de faire sortir l'escadre espagnole ; mais il
est des cas où les boulets partent tout seuls, comme on
le vit bientôt ici.
Toute l'action était entre les trois vaisseaux anglais
(deux cent soixante canons) et les quatre vaisseaux es-
pagnols (trois cent douze canons). Un vaisseau de
l'avant-garde anglaise, le Berwick, de soixante-dix ca-
nons, commandé par l'énergique capitaine Hawke, le
futur vainqueur de Quiberon, vint se joindre à la di-
vision de Matlhews. Un violent duel d'artillerie éclata
alors entre le Berwick et le Poder, qui était à peu près
isolé entre notre centre et le Constante ; il dura deux
heures et se fit presque bord à bord. Le commandant
espagnol dut amener son pavillon, il avait deux cents
hommes hors de combat ^.
Le feu était terrible dans les parages du Real-Felipe.
Ce vaissseau fit une résistance admirable et, en fin de
4. La vigoureuse conduite de Hawke, qui avait tranché dans cette
circonstance avec l'indécision des commandants anglais, lui valut le grade
de contre-amiral, dont George II lui-même eut la première idée. Burrows,
The FAfe of Edward lord Hawke, Londres, 1883. — La biographie militaire
de Hawke fait partie du livre de Mahan, Types of naval offlcers, Londres,
1902.
PREMIÈRE GUERRE MARITIME. — LA MÉDITERRANÉE. 153
compte, victorieuse, grâce à ses cent dix pièces, grâce
surtout à son commandant, le Français de Lage de
Cueilly, qui était alors au service du roi Catho-
lique et qui devait commander l'escadre du roi Très-
Chrétien dans la Méditerranée en 1745 et 1746 5. Il a
laissé un récit très détaillé du duel du Real-Felipe et
des vaisseaux anglais. Il en fut lui-même le héros, car
il eut le commandement du vaisseau pendant presque
toute la durée du combat ; l'amiral don Navarro, qui
avait été blessé, avait disparu <( à fond de cale », ce
qui ne devait pas l'empêcher de se faire donner par
Philippe V le titre de marquis de la Vittoria.
De Lage, qui avait parfois une fougue endiablée,
raconte un épisode amusant. Au moment où la bataille
allait s'engager, l'aumônier commença une exhortation,
« qui allait devenir longue, si je ne l'eusse interrompue.
Je montai sur un banc à côté de lui, et après avoir
tourné mon chapeau en l'air et poussé deux cris de
Vive le Roi ! je dis : <( Messieurs, l'aumônier nous
(( absout de tout ce que nous avons fait. Je lui ai con-
« seillé d'aller à la cale où son devoir l'appelle. )> Autre
épisode d'une autre nature. Matthews, croyant avoir
réduit au silence le vaisseau espagnol, lança un brûlot
contre lui ; les survivants du Real-Felipe parlaient de se
rendre. « Vous avez donc oublié, s'écrie de Lage, que
je suis ici. » Un coup bien pointé atteignit le brûlot, qui
fît explosion et coula.
Cependant de Court, qui avait échangé une canon-
nade assez molle d'ailleurs, de deux heures et demie
5. Son séjour au port de Toulon à cette date fut marqué par de nom-
breuses difficultés avec les officiers et les équipages, à cause de sa dureté
dans le commandement et surtout de la violence presque sauvage qu'il
apportait au recrutement des matelots. — Il fut aussi chef d'escadre à
titre temporaire à Dunkerque en 1747. Etat sommaire des Archives de la
Marine, p. 335.
154 LA MARINE MILITAÎRE SOUS LOUIS XV.
environ, avec Rowley, fit signe à l'avant-garde et au
centre de revirer de bord pour aller au secours du Real-
Felipe. Ce mouvement s'exécuta avec assez de lenteur,
mais avec succès, et, détail curieux, sans avoir été con-
trarié par Rowley, qui procéda à un mouvement ana-
logue. De Court, qui à présent était au vent, vint s'inter-
poser entre les Espagnols et le centre anglais. Un
officier de V Aquilon^ l'enseigne Tayac de Calvimont^
envoyé avec soixante hommes à bord du Poder^ reprit
ce vaisseau à l'Anglais Vernon ; il fallut d'ailleurs le
faire sauter le lendemain, parce qu'il était hors d'état
d'être sauvé. Cette manœuvre de l'amiral français, la
tombée de la nuit, l'épuisement de la petite division de
Matthews, dont le Marlborough était en fort mauvais
état, mirent fin à la bataille, les deux armées restant
d'ailleurs à proximité. Le Beal-Feîipe était sauvé ; sur
un équipage d'un millier d'hommes, il avait deux cent
trente-huit morts et deux cent soixante-deux blessés.
Le lendemain, 23 février, un vaisseau espagnol, VHer-
cule, de soixante canons, qui faisait partie de cette
extrême arrière-garde espagnole restée, on ne sait
pourquoi, spectatrice oisive de la bataille, était aux
prises avec les Anglais ; mais de Court fit le signal de
gagner le large et l'ennemi cessa la poursuite. Les
Franco-Espagnols renoncèrent au projet primitif de
gagner Gênes, car il leur aurait fallu traverser la ligne
ennemie ; ils mirent le cap sur l'Espagne et gagnèrent
sans encombre Alicante, puis Carthagène. Matthews
alla relâcher à Mahon pour se radouber. Quant à de
Court, après avoir mis en sûreté l'escadre de don Na-
varro, il rentrait à Toulon le L3 avril ; il avait capturé
au retour quatre bâtiments de commerce anglais.
6. Tayac de Calvimont. De Guyenne. G., 25 nov. 1732; E., l" mai 1741;
R. 1760. A. M.. C 168.
PREAflÈRE GUERRE MARITIME. — LA MÉDITERRANÉE. 155
Telle est celte bataille navale de Toulon, du 22 fé-
vrier 1744'^. Chacune des deux armées pouvait s'attri-
buer la victoire. Les Anglais avaient empêché les alliés
de gagner le port de Gênes ; les alliés étaient sortis de
Toulon et, à l'exception d'un vaisseau, avaient sauvé
tous leurs vaisseaux. Action décousue, bataille indécise.
Après la bataille, les officiers généraux de chaque
escadre s'imputèrent mutuellement la responsabilité de
leur insuccès. Malthews accusa Lestock d'être resté tout
le temps avec son arrière-garde en dehors de l'action ;
Lestock fut acquitté. Quant à l'amiral anglais, coupable
de n'avoir vaincu qu'à demi, on parvint à lui reprocher
diverses fautes de tactique, à peu près autant, dit de
Lage, que les Espagnols lui avaient tiré de coups de
canon ; après un long procès, un conseil d'enquête le
déclara incapable de servir.
De Court faillit être traité aussi mal et aussi injuste-
ment. Malgré sa belle manœuvre qui lui avait permis
de reprendre le Poder et de sauver le Real-Felipe, les
Espagnols, à leur retour, prétendirent que, loin de les
avoir secourus, il leur avait laissé porter tout le poids de
la bataille et qu'il les avait sacrifiés. Philippe V, qui
avait fait don Navarro lieutenant général et marquis
avec une pension de 4 000 livres, transmit à Louis XV
les plaintes de son amiral. Le 23 avril, dix jours après
son retour, de Court recevait l'ordre de remettre le
commandement de l'escadre à Cabaret et de se retirer
dans sa terre de Gournay ; on lui reprochait encore de
n'avoir pas capturé, quand il regagnait Toulon, deux
7. Chabaud-Arnault en a fait une étude critique et détaillée, U. M. C,
t. ex, p. 379-390. On a suivi en partie son récit, en le complétant ou en le
corrigeant par divers documents, ainsi la Relation du combat naval qui
s'est donné sur les côtes de Provence, le Si février 1744, entre les escadres
combinées de France et d'Espagne et les Anglais [par M. de Court], et
les Mémoires da M. de Lage de Cut;illy, Amsterdam, 1746. Cf. A. M., B* 56.
156 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV. -^
vaisseaux anglais mouillés aux îles d'Hyères et de
n'avoir pas escorté un convoi qui devait conduire des
munitions au prince de Conti sur la frontière du Var.
De Lage, dans ses Mémoires, justifie complètement
le vieil amiral des singuliers reproches de nos alliés ^.
Pour celui-ci, on comprend que, dans sa Relation, il ait
exprimé crûment la vérité : « L'on peut dire... qu'un
peu plus d'ordre dans les Espagnols aurait empêché
M. Matthews de les attaquer. Voilà ce qui a attiré au
général français la haine de ces Espagnols ou qui
étaient à fond de cale pour de légères blessures, ou qui
se sont tenus trop loin des coups pour en juger, ou qui
ont abandonné sans ordre leur général. » Exilé dans
sa belle maison de Gournay, de Court continua à y
donner des fêtes ; il fut relevé de sa disgrâce par le
successeur de Maurepas, de qui il reçut, en 1750, le
titre, d'ailleurs honorifique, de vice-amiral du Ponant
et la grande croix de Saint-Louis ; il mourut le
19 août 1752, à quatre-vingt-six ans et demi.
La bataille de Toulon avait amené, le 15 mars suivant,
la déclaration officielle de guerre de Louis XV à
George IL Les Français et les Anglais étaient dès lors
directement aux prises sur la Méditerranée, où ils ne
s'étaient pas rencontrés depuis quarante ans, depuis la
journée de Malaga. La guerre maritime devait y durer
quatre ans, jusqu'à la paix d'Aix-la-Chapelle ; mais elle
se borna à des opérations secondaires, et la journée du
22 février n'eut pas de lendemains dignes d'elle.
Le bruit courut, après la bataille de Toulon, que les
Anglais avaient résolu de bombarder Marseille par
8. Le chevalier de Mirabeau, qui avait pris part à la bataille de Toulon
comme enseigne et qui y fut blessé au pied, écrivit à ce propos deux
mémoires en faveur de l'amiral français. Lomênie. Les Mirabeau, t. I,
p 149, 168.
PREMIÈRE GUERRE MARITIME. — LA MÉDITERRANÉE. 157
mer ; on se hâta d'armer dans ce port une division na-
vale de quatre gros bateaux, portant chacun douze
pierriers, de deux galères et d'un brûlot, sous les ordres
du chevalier de Fontette, capitaine de galère ^. Sage pré-
caution sans doute, mais en harmonie avec cette con-
ception vicieuse de la tactique purement défensive, qui
fut en honneur dans la marine française pendant
presque tout le règne de Louis XV et qui fut si domma-
geable à nos populations maritimes. D'ailleurs les An-
glais se bornèrent à apparaître à plusieurs reprises
dans la rade de Marseille, sans faire aucune tentative
de bombardement.
Maurepas se rendit à Toulon à la fin de mai (1744),
pour voir par lui-même l'état des forces navales du Le-
vant et remédier à certains maux, dont le moindre
n'était pas la désertion trop fréquente des équipages.
A son voyage se rattachent diverses mesures. Le chef
d'escadre Cabaret étant mort, peu après avoir succédé
à de Court, le ministre prit le parti de ne pas le rem-
placer dans son commandement supérieur, mais de
partager l'escadre en plusieurs divisions, de quatre à
cinq bâtiments chacune ; elles furent commandées par
le comte de Vaudreuil, le chevalier de Piosin, le che-
valier de Caylus, La Jonquière de La Pommarède. L'idée
était bonne au point de vue militaire ; elle permit de
faire des croisières heureuses, à Malte, à Tunis, dans le
Levant, à Cibraltar et à Cadix. Elle permit encore de
soutenir, par quelques convois maritimes, les opérations
de terre que l'infant don Philippe et le prince de Conti
faisaient alors à la frontière du Var.
En avril, ils franchissaient le Var et entraient à Nice ;
il y eut une affaire très chaude à l'occupation de Ville-
9. Chevalier de Fontette. GE., 1705 ; capitaine de galère. 1" oct. 1732 ;
CE., 1" Janv. 1754 ; •{■ 15 mars 1767. A. M., C 166.
158 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
franche. Matthews, après avoir relâché à Port-Mahon,
était revenu mouiller dans cette rade et y avait débarqué
une partie de ses équipages pour renforcer l'armée pié-
montaise ; l'attaque des Franco-Espagnols fut si vive
que l'amiral et ses matelots faillirent être pris. L'escadre
anglaise dut s'empresser de quitter un mouillage où
elle n'était plus en sûreté.
Cependant la difficulté de recruter les équipages res-
tait très grande ; cette question, vitale entre toutes, que
Golbert avait cru résoudre avec le système des classes,
fut, au cours du xvnf siècle, un des gros obstacles au
progrès de notre marine. A Toulon, elle se compliquait
d'un état de misère permanent, conséquence d'une
situation hygiénique déplorable. En 1744, les trois
quarts des Toulonnais avaient été atteints d'une épi-
démie de fièvres infectieuses. Aussi, quand le chevalier
de Piosin mit à la mer le 22 août, ses équipages étaient
loin d'être au complet.
Maurepas, frappé de ce désordre et d'autres encore
pendant son séjour à Toulon, voulut y remédier par
une institution nouvelle (janvier 1745) ; on peut y voir
l'origine des fonctions de nos préfets maritimes. Jus-
qu'alors le comm.andement de la marine dans chaque
port militaire appartenait à l'officier général le plus
ancien qui était présent au port ; c'était, par suite, une
fonction essentiellement temporaire, dans laquelle le
titulaire, qui n'était là qu'en passant, ne pouvait jamais
entreprendre une œuvre de longue haleine. Désormais,
ce commandement constitua un emploi spécial et fixe ;
l'esprit de suite devint possible dans les divers services
militaires qui intéressaient les ports. Le premier com-
mandant de la marine au port de Toulon fut d'Orves
Martini, chef d'escadre, qui avait jadis servi avec Châ-
teau-Renault.
PREMIÈRE GUERRE MARITIME. — LA MÉDITERRANÉE. 159
En 1745, le V avril, une escadre anglaise de seize
vaisseaux et de quatre galiotes apparaissait encore de-
vant Toulon et courait le long de la côte jusqu'à Gênes,
en bombardant Savone et San-Remo. « Ces messieurs,
écrivait d'Orves, tonnent volontiers sur les choux. » Il
fallut mettre Toulon en état de défense : on arma quinze
cents matelots pour le service des batteries ; on donna
à chaque ouvrier de l'arsenal une sorte de livret de
mobilisation, qui lui indiquait sa place aux batteries de
la rade en cas d'alarme ; on fît même des simulacres de
branle-bas de combat ; mais pour défendre un port, il
faut une escadre de croiseurs capables de tenir l'ennemi
à distance, et Toulon n'en possédait point. Tout ce que
l'on put faire, ce fut de donner un vaisseau et deux fré-
gates, VOrillamme, la Diane et la Volage, à M. de Lage,
qui était devenu la terreur des matelots provençaux
pour sa singulière manière de les recruter et de les
traiter. La Volage soutint dans les eaux de Rosas un
duel victorieux contre un vaisseau anglais de soixante-
quatorze canons : épisode glorieux, mais sans consé-
quences militaires pour notre sécurité dans la Méditer-
ranée.
En 1746, la France maritime put se croire revenue
aux heures douloureuses de la guerre de la Succession
d'Espagne. Les Anglais débarquaient à Lorient ; ils se
montraient encore devant Toulon, qui, sur terre, était
aussi menacé par une armée austro-piémontaise. 11 sem-
blait que le siège de 1707 allait recommencer. On se
hâta de lever deux mille paysans pour des travaux de
terrassement ; on construisit de nouveaux ouvrages ;
on fit venir quatre galères de Marseille ; on embossa
six vaisseaux dans la petite rade, à la hauteur du Mou-
rillon, en les entourant d'un blindage solide ; on em-
balla tous les papiers administratifs pour les transporter
160 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
à Arles, comme en 1707. Tout cela était la meilleure
preuve que Toulon était à la merci d'un coup de main
et qu'on n'avait pas plus préparé la défense fixe que la
défense mobile. Une escadre anglaise de vingt vaisseaux
et de deux galiotes à bombes vint bombarder les îles
Sainte-Marguerite et Saint-Honorat, à la hauteur de
Cannes ; le commandant français Aubry y capitula le
16 décembre 1746. De là, les vaisseaux anglais se por-
tèrent devant Antibes et bombardèrent le port durant
quinze jours (janvier 1747) ; ils savaient bien qu'on
ne viendrait pas les déranger par mer.
Le maréchal de Belle-Isle, arrivé à Toulon le 1" dé-
cembre, y organisa une petite armée ; il prit l'offensive
îe 19 janvier (1747). Il parvint à faire lever le siège d'An-
tibes aux Anglais (3 février) et il rejeta les Austro-
Piémontais au delà du Var.
On s'occupa ensuite de reprendre les îles de Lérins.
Avec la pénurie du port de Toulon et les menaces ré-
pétées des Anglais, il fut très difficile d'armer une flot-
tille de quelques galères et bateaux pêcheurs. Pour
faire arriver des secours à Gênes, alors insurgée contre
l'Autriche, et pour éviter les Anglais qui croisaient vers
Monaco, on était obligé de faire passer les tartanes
d'Antibes par Calvi ou même par le détroit de Boni-
facio. Aussi fallut-il près de cinq mois au capitaine de
vaisseau Bompar pour réunir les navires qui devaient
transporter les soldats de Chevert à quelques heures
à peine de Toulon. Bompar prenait enfin la mer le
22 avril ; le bombardement des îles Lérins ne commen-
çait que le 11 mai ; le 27, la descente avait lieu avec
succès et Chevert faisait cinq cents prisonniers. Le
rapport officiel sur cette affaire, inséré dans la Gazette,
ne faisait pas mention du rôle de la marine, à laquelle
cependant le maréchal de Belle-Isle avait rendu justice.
PREMIÈRE GUERRE MARITIME. — LA MEDITERRANEE. 161
M. d'Orves se plaignît avec raison de ce silence ; les
marins voulurent y voir une manœuvre désagréable de
leurs camarades de l'armée de terre, jaloux peut-être
de la supériorité avec laquelle les <( bombardiers » des
équipages de la flotte avaient exécuté leur tir.
Bompar commandait encore en 1748 trois vaisseaux,
le Conquérant, le Content, VOrillanime, qu'on venait
d'armer à Toulon à destination des Indes ; mais il ne dé-
passa pas Cadix, car la paix d'Aix-la-Chapelle allait être
signée. Il en était temps ; l'épuisement du port de
Toulon en matéreil, en matelots, en approvisionne-
ments de tout genre était extrême.
Il
CHAPITRE X
PREMIÈRE GUERRE MARITIME ENTRE LA FRANCE ET l'aNGLE-
TERRE. — 2° LA MANCHE ET LA AŒR DU NORD
Le cardinal de Tencin et la restauration jacobite. — Charles-Edouard,
Maurice de Saxe, Roquefeuil. — Charles-Edouard en Ecosse. —
Abandon d un nouveau projet de descente.
Depuis la journée du 22 février 1744, l'escadre de
Toulon avait été réduite à une défensive qui, trop sou-
vent, fut bien modeste et peu heureuse. Dans la Manche
et dans la mer du Nord, notre marine donna à un mo-
ment l'illusion d'une plus grande audace ; elle se pré-
para à transporter nos soldats en Grande Bretagne.
C'était le premier essai de ces projets de débarquement
en Angleterre qui hantèrent la pensée de nos marins
et de nos hommes d'Etat au xviii^ siècle, mais ce ne fut
qu'un essai, qui sortit à peine de la période initiale
d'exécution.
Le gouvernement de Louis XV en revenait par la
force des choses à l'idée de Louis XIV, à celle dont
Saint-Simon avait maintes fois entretenu le Régent, à
une restauration jacobite. On attribuait ce revirement
politique au cardinal de Tencin, qui avait été jadis
l'homme de confiance du cardinal Dubois ; entré au
conseil en 1742, guettant peut-être la successix)n pro-
PREMIÈRE GUERRE MARITIME. — LA MANCHE. 163
chaine de Fleury, il voulut se signaler par une idée
grandiose, dont l'exécution eût terminé la guerre par un
coup de massue et aurait été la revanche, depuis si
longtemps attendue, de la révolution de 1688. Il renou-
vela, dit-on, dans le conseil la scène de Mithridate à
ses enfants, qui ne fut que trop souvent de circonstance
au cours de notre histoire maritime.
Attaquons dans leurs murs ces conquérants si fiers ;
Qu'ils tremblent, à leur tour, pour leurs propres foyers.
Annibal l'a prédit, croyons-en ce grand homme :
Jamais on ne vaincra les Romains que dans Rome.
Il montra dans le fils du Prétendant, dans le prince
de Galles Charles-Edouard, l'homme jeune (il était né
en 1720), plein d'ardeur, de confiance en lui-même et
dans sa cause, soutenu à l'avance par les jacobites des
trois royaumes prêts à prendre les armes, qui n'avait
besoin que de quelques bateaux et de quelques soldats
pour passer au royaume de ses pères ; là, il se chargeait
du reste. « Il faut que ma tête tombe ou qu'elle so^'*
couronnée », avait dit le vaillant prince, il était homme
à tenir sa parole. La cause était facile à plaider ; Tencin
la développa avec chaleur, et la fit accepter du conseil.
L'expédition d'Angleterre fut décidée ^ Le comte de
Maurepas pour la Marine, le comte d'Argenson pour la
Guerre furent chargés, en novembre 1743, de combiner
1. Le capitaine d'artiUerie J; Colin, de la section historique de l'état-
major de l'armée, a étudié, d'après les archives de la Guerre, de la
Marine et des Affaires étrangères, le projet de descente de 1743 1744 ;
Louis XV et les JacoMtes. Le projet de débarquement en Angleterre de
niS-na -, paris, 1901. on y voit que la première idée du projet fut due à
Jacques III, qu'elle remontait à la fin de 1737, et que lord Sempill fut l'agent
le plus actif des négociations entre les Jacobites et la cour de Versailles,
où il traita tour à tour avec Fleury et Amelot. On y trouve aussi des
détails sur l'organisation du corps expéditionnaire et le rôle de Maurice
de Saxe. Cf. P. Coquelle, Les Projets de descente en Angleterre, d'après
les archives des Affaires étrangères (Extrait de la Revue d'histoire diplo-
matique), Paris, 1902 ; p. 21-35.
Pour la Dartiô projweoaeût oaarltime du projet jaxx^hite, voir A. M.,
B* 56.
164 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
les moyens d'exécution. Voici les grandes lignes
du projet, telles qu'elles étaient arrêtées dans les pre-
mières semaines de 1744.
Charles-Edouard, parti de Rome dans le plus grand
mystère, à l'insu même cle son père et de son frère,
devait s'embarquer à Dunkerque ou dans le voisinage,
puisque ce port était toujours en ruines. Une plage nue,
le long d'une côte à peu près déserte et de navigation
dangereuse, était peu convenable pour une base d'opé-
rations maritimes ; mais on avait voulu choisir l'endroit
le plus voisin des côtes anglaises. Seize bataillons d'in-
fanterie et quatre escadrons de dragons y prendraient
la mer sur trente-deux bâtiments de transport, qu'on
préparait dans les ports de Normandie et qui se réuni-
rent, en effet, peu à peu à Dunkerque, à la fm de
février ; le comte Maurice de Saxe commandait le corps
expéditionnaire. Cependant le comte de Roquefeuil,
lieutenant général, sorti de Brest avec vingt-quatre
vaisseaux ou frégates, devait croiser dans la Manche
à la hauteur de Portsmouth, de manière à attirer sur
lui l'attention et les forces des Anglais :un de ses officiers,
le chef d'escadre de Barailh, qui avait vaillamment servi
dans la campagne de la Baltique de 1734, serait détaché
en avant avec quatre vaisseaux et une frégate, pour
protéger l'embarquement et la traversée du convoi. Le
lieu de débarquement, choisi à l'inspection de la carte
et non après une reconnaissance de terrain, était l'es-
tuaire de la Tamise, le plus près possible de Londres.
A la fm de février (1744), tout était prêt. La bataille
de Toulon, toute récente, justifiait amplement ce projet.
A sa sortie de Brest (6 février), l'escadre de Roquefeuil,
forte en tout de dix-neuf vaisseaux 2, avait été retenue
2. Roquefeuil montait le Superbe, de soixante-quatorze canons, que com-
mandait le chevalier de I«Jesinond ; il avait pour capitaine de pavillon
PREMIÈRE GUERRE MARITIME. — LA MANCHE. 165
par les vents, dans les parages du cap Lizard pendant
une dizaine de jours ; puis elle avait pu s'avancer au
milieu de la Manche, et la division de Barailh, composée
des vaisseaux le Dauphin Royal, le Mars, le Content^
V Argonaute, et de la frégate la Médée, mouillait à Ca-
lais le 29 février. Le comte de Saxe, qui venait d'arriver
à Calais, augurait mal du concours de cette force na-
vale. Le 8 mars, il écrivait au comte d'Argenson, mi-
nistre de la Guerre : (( J'ai parlé à des officiers de
l'escadre de M. de Barailh. Elle est pitoyablement
équipée. Les matelots qui la composent sont plus
propres à conduire une charrette qu'à naviguer. Que
voulez-vous que fasse M. de Barailh avec un pareil équi-
page et quatre vaisseaux, si nous en trouvons dans
notre chemin ? )>
Cependant Maurice de Saxe, d'accord avec Bart, fils
du célèbre marin, qui commandait alors la marine à
Dunkerque, avec le titre de chef d'escadre, avait fait
commencer l'emxbarquement sans retard : opération
toujours délicate et lente, si elle n'a pas été mûrement
préparée dans ses moindres détails, et que la nature de
la côte rendait ici particulièrement compliquée et dan-
gereuse. Il fallait, en effet, procéder à un double em-
barquement. Les soldats montaient d'abord sur des
Nouailles d'Aymé, qui ramena le Superbe à Brest après la mort du lieu-
tenant général. [Louis de Nouailles d'Aymé. De Brest. Fils d'un ancien
lieutenant de port. « Bon officier, qui a eu le commandement des troupes
pour l'expédition contre les sauvages Natchez, à la Louisiane, en 1739. >»
G., 29 mai 1697 ; C, 1" avril 1738 ; -|- 16 mars 1755. A. M., C 166.] Le major
de l'escadre, embarqué sur le même vaisseau, était BuUion de Montlouet.
[BuUion de Montlouet. De Paris. Fils d'un lieutenant de vaisseau. G.,
1" octobre 1705 ; M., 1" mai 1741 ; CE, 1" janvier 1754 ; -J- 21 avril 1772,
Brest. A. M., C 166.] — Le chevalier de Camilly, chef d'escadre, comman-
dait le Neptune. [Pierre de Blouet, chevalier de Camilly. De Normandie.
CM. G., 1689; CE, 10 mars 1734; LG., 1" janv. 1745; VA., 17 mal 1751;
•j- 22 juill. 1753. A. M., C 166.] — Le marquis d'Épinay, le vaillant marin
du combat du cap Tiburon, commandait le Lys. — Le marquis de La Galis-
sonnièrc commandait la Gloire. — Desnos Champmeslin commandait le
Fleuron, sur lequel servait son fils comme lieutenant de vaisseau.
166 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
bateaux pêcheurs et des bélandres, puis ils étaient trans-
bordés dans les bâtiments de transport mouillés au
large. Au moindre coup de vent ou à la moindre attaque,
ce va-et-vient devait produire un désastre. Dans la nuit
du 6 au 7 mars, une violente tempête jeta à la côte
onze bâtiments ou bélandres, noyant des soldats, ava-
riant le matériel, compromettant une expédition pré-
parée à la légère.
Roquefeuil, de son côté, était arrivé dans le voisi-
nage du pas de Calais 3, quand il apprit la présence aux
Dunes, entre Douvres et la Tamise, de vingt-cinq vais-
seaux de guerre de l'amiral Norris ; grâce aux vents
d'ouest, ils étaient sortis de Portsmouth sans être
aperçus de Roquefeuil, dont l'escadre, battue des vents
et réduite à treize vaisseaux, tenait très mal la mer.
Aux Dunes, Norris s'était réuni à des vaisseaux sortis
de la Tamise ; il était maître du passage. Roquefeuil
réunit ses capitaines en conseil de guerre, le 6 mars ;
leur avis unanime, fondé sur la supériorité des forces
anglaises, fut « d'appareiller avec le jusant et de faire
l'impossible pour éviter les ennemis^ ». Rref, l'expé-
dition était manquée, et cela sans combat, par une série
de fautes dues à l'irréflexion : mauvais choix de la
saiboti, mauvais choix du lieu d'embarquement, pro-
cédés d'embarquement détestables, lenteur générale
dans les opérations.
Sur un ordre de d'Argenson, daté du 8 mars, le comte
de Saxe fit débarquer sa petite armée. Nouveau
malheur. Le 11 et le 12, les vents jetèrent à la côte
huit bâtiments. Cette petite armée et cette petite flotte
3. Dans sa dépôcho du 5 mars M^i^i, Roquefciul dit que l'escadre a relâché
« à la pointe de Vùré. à la côte d'An?let( rre, peu distante... du pas de
Calais ». Il est probable qu'il d(^sipne ainsi le cap Berry, à l'entrée de
Tor Hay, et assez loin du pas de Calais proprement dit.
4. A. M., B* 56, fol. 140.
PREMIÈRE GUERRE MARITIME. — LA MANCHE. 107
avaient beaucoup plus souffert de la mer que si elles
avaient fait une longue traversée. Enfin le 13 mars, le
débarquement était terminé. Maurice de Saxe était de
retour à Paris le 21. Comme il fallait donner une com-
pensation à un général qui avait failli faire de grandes
choses, il reçut le 26 le bâton de maréchal de France.
Heureusement, c'était le paiement à l'avance de l'admi-
rable campagne qui allait le couvrir de gloire aux Pays-
Bas, mais qui, malgré Fontenoy, ne devait pas le con-
duire à Londres.
Quant au vieil amiral Roquefeuil, âgé alors de près
de quatre-vingts ans, qui avait rêvé peut-être de re-
prendre les glorieuses campagnes des Château-Renault
et des Tourville, il mourait subitement en mer le 8 mars,
à la fm de cette pénible et stérile croisière. Le chevalier
de Camilly, commandant du Neptune, prit le comman-
dement de l'escadre, et nos vaisseaux tristement ren-
trèrent à Brest, du 10 au 19 mars.
Lorsqu'on réfléchit à la rapidité extrême avec la-
quelle on renonça à ce projet, on se demande si l'on doit
croire à la sincérité de ceux qui y travaillèrent. La ma-
rine n'était-elle pas comme sacrifiée à l'avance et réduite
à n'être qu'un instrument de mirage, comme dans les
armements successifs et inutiles de l'escadre de Du
Guay-Trouin en 1734 et en 1735? Saint-Simon paraît
bien avoir dit vrai, à propos de ces tentatives de restau-
ration jacobite dont on s'entretint si souvent sous le
règne de Louis XV : « En aucun temps on n'en a jamais
fait que de misérables et très rares semblants. »
Seul, un homme avait conservé la foi en cette entre-
prise, le malheureux prince de vingt-quatre ans qui, de
ses yeux, à Calais et à Dunkerque, avait vu l'embar-
quement, le débarquement, la ruine et l'abandon de
168 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
l'expédition. Sans demander de nouveau son concours
au roi Très Chrétien, à qui la gloire de Fontenoy fai-
sait oublier et Toulon et Dunkerque et Louisbourg et
Pondichéry, il traita secrètement avec un armateur
nantais, d'origine irlandaise, nommé Walsh, qui lui
prêta une frégate de dix-huit canons. Il s'embarqua à
Saint-Nazaire, le 12 juin 1745 ; il avait pour toute es-
corte un vaisseau de la marine royale, ÏElisabeih, de
soixante-quatre canons, armé en course par un arma-
teur de Dunkerque. Comment il aborda en Ecosse,
appela à lui les highlanders, souleva le pays tout entier,
écrasa à Preston Pans, aux portes d'Edimbourg, toute
une armée anglaise, quelle panique régna dans l'An-
gleterre quand il fut arrivé, le 4 décembre, à Derby, à
trente lieues de Londres : il n'y a pas à raconter ici
cette aventure si célèbre ^. C'était à présent à la France
à soutenir ce prétendant héroïque en lui faisant passer
une flotte et une armée. Tencin le lui avait dit : à lui de
débarquer d'abord en Ecosse et Louis XV ne pourrait
pas ne pas venir à son aide.
Le moment était unique. Jamais il n'y en eut de pareil
dans les guerres entre la France et l'Angleterre, même
aux heures les plus glorieuses de la Révolution et de
l'Empire. Les Anglais venaient d'être écrasés à Fon-
tenoy ; chez eux, aux portes de la capitale, un ennemi
invincible, qui avait pour lui les sympathies de tout un
peuple, semblait tenir à sa merci la maison de Hanovre.
Que la France reprît le projet de 1744 et qu'avertie par
l'expérience elle l'exécutât dans de meilleures condi-
tions : le jour où les Français débarqueraient sur le
sol de la Grande-Bretagne, Charles-Edouard entrerait
5. E'ie a Hé étudiée à nouveau par Ch. Sandford Terry, The Rlstng
of 1745. Voir Rfivue historique, t. LXXV, p. 251.
PREMIÈRE GUERRE MARITIME. — V V M^ ;:,HE. 169
à Londres et George II retournerait à sa i.iodeste prin-
cipauté d'Allemagne.
Il semblait qu'on voulût faire grand. « Jire, disait le
maréchal de Noailles à Louis XV, si Vof e Majesté veut
vraiment dire la messe à Londres, i' aut y envoyer
trente mille hommes pour la servir. -■ C'était près de
trente mille hommes que le duc de ::i helieu et Lowen-
dal avaient réunis aux environs de filais, où l'on faisait
tous les préparatifs d'une descent :. Voltaire rédigea le
manifeste officiel par lequel le rc 1 Ce France déclarait
« à tous les fidèles des trois roy miaes de Grande-Bre-
tagne » qu'il croyait « de son de\o\r de secourir à la fois
un prince digne du trône de f es ancêtres et une nation
généreuse, dont la plus spj'ie partie rappelle enfin le
prince Charles Stuart daTi? sa patrie. »
Nos vaisseaux par les vents semblaient être appelés . . .
Pendant soixante-douze heures, depuis la nuit du 31 dé-
cembre 1745 jusqu'au 3 janvier suivant, le vent ne cessa
de souffler du sud-sud-ouest, nettoyant la route devant
nous et nous portant à la côte de Kent. L'amiral Vernon,
qui croisait dans la Manche, se voyait perdu. Le 31 dé-
cembre, j1 écrivait au commandant du fort de Deal que
si vent et le temps continuaient à être aussi favorables
à la descente, il lui serait impossible d'empêcher les
Français de passer et qu'il eût à veiller lui-même à sa
propre sécurité.
Et les Français ne partirent point ! Les troupes étaient
toujours prêtes à s'embvirquer incessamment, et même,
paraît-il, elles s'embarquaient quelquefois. Un jeune en-
seigne, qui devait illustrer la marine du règne de
Louis XVI, Guichen, avait été détaché de l'artillerie de
Dunkerque pour passer dans l'armée de Richelieu à
170 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
Boulogne. Avec un corsaire de dix canons il avait donné
la chasse aux découvertes ennemies jusque sur les côtes
anglaises. Un jour, aux environs d'Ambleteuse, à la tête
de trois corsaires, il rencontra plusieurs bâtiments an-
glais, dont trois vaisseaux de guerre de soixante à
soixante-dix canons. Il se replia aussitôt sur Boulogne,
poursuivi par toutes les forces ennemies. Comme la mer
était basse, il s'embossa sous les canons d'un petit fort
à l'entrée du port. Dans cette situation critique, il sou-
tint pendant deux heures un violent combat, jusqu'au
moment où la marée montante lui permit de gagner
l'entrée de la Liane. Cette brillante affaire, qui s'était
passée sous les yeux de Richelieu et de toute l'armée,
valut au brave Guichen d'être promu lieutenant de vais-
seau le P"" janvier 1746. Il fut alors chargé de faire
sortir la Galalée du port de Gravelines ; la mission était
fort difficile à cause du peu de profondeur du chenal
obstrué par les vases et de la présence d'un grand
nombre de vaisseaux ennemis ; il y réussit cependant.
Mais c'était pour mener cette frégate au Havre et y
prendre la conduite d'une flotte qu'il escorta jusqu'à
Brest.
Seule, une flottille de sept bâtiments, portant environ
sept cents hommes, avait pris la mer à Dunkerque, au
mois de novembre (1745) ; elle avait débarqué à Mont-
rose, sur les côtes de l'Ecosse, le 7 décembre. Un offi-
cier de cette petite troupe, l'enseigne de vaisseau Ros-
madec de Saint-Allouarn, qui devait périr à la bataille
de M. de Confions, avait repoussé avec succès, lors du
débarquement, plusieurs attaques des vaisseaux de
Byng ; il s'était même emparé d'un sloop de quatorze
canons, qui était la découverte de l'amiral. Mais per-
sonne chez nous ne fit attention à cet épisode. Quand
Sainl-Allouarn repassa en France, en février 1746, pour
PREMIÈRE GUERRE MARITIME. — LA MANCHE. 171
y porter la nouvelle des victoires du Prétendant, le
projet jacobite n'intéressait plus ni Louis XV, ni ses mi-
nistres, ni Richelieu. Le 15 février 1746, le maréchal
de Saxe écrivait à d'Argenson que le maréchal de Ri-
chelieu venait de l'informer des « obstacles insurmon-
tables qui se sont trouvés à l'exécution de son passage
en Angleterre » et qu'il lui avait remis les troupes des-
tinées à cette entreprise.
11 y eut bien encore quelques épisodes d'histoire ma-
ritime, comme le combat victorieux que deux corsaires
nantais, le Mars et la Bellone, sous les ordres des capi-
taines Lory et Rouillée, de la marine marchande, sou-
tinrent dans les eaux de l'Ecosse, le 14 mai (1746),
contre trois frégates et une goélette anglaise ^. Mais
que pouvaient des corsaires pour sauver une cause
irréparablement perdue ? Repoussé au nord de l'Ecosse
par le duc de Cumberland, Charles-Edouard avait livré
sa dernière bataille à Culloden, le 27 avril. Alors com-
mença sa dramatique et romanesque odyssée ; elle ne
se termina qu'au port de Saint-Pol-de-Léon, où il par-
vint à aborder le 10 octobre, après mille dangers. Ses
malheurs n'étaient point finis ; le gouvernement de
Louis XV lui réservait la suprême injure. Le 10 dé-
cembre 1748, il était arrêté à l'Opéra, mis en prison,
conduit hors de France. Ainsi l'avait exigé George II,
reJevenu notre ami par la paix d'Aix-la-Chapelle.
Louis XV avait obéi.
On trouvera dans les mémoires du temps l'écho vi-
bi-ant de Tindignalion des Français à la nouvelle de ce
6. A. M., B' 64 ; Lapeyrouse Bon'fils, Histoire de la marine française,
t. II p. -283 et .uiv — L'idée d'un débarquement entre Douvres et Charham
se retrouve dans une lettre, très peu détaillée d'ailleurs, qu'un enseigne
de vaisseau, Mesedern adressait de Brest au ministre, le 21 décembre 1746.
Il y parle d'une descente à faire avec vin'/t et un vaisseaux et deux
ga'iotes à bombes ; il faudra réunir à Boulogne « tout ce qui est naisésaire
Cs2c; pour faire le siège de Londres. » A. M., B* 300, fol. 39,
172
LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
scandale. Bornons-nous ici à apprécier le rôle militaire
du gouvernement dans la tentative de Charles-Edouard.
Par un aveuglement volontaire, il perdit, en quelques
semaines, l'occasion unique que lui offrait un concours
de circonstances toutes exceptionnellement favorables ;
en ne faisant pas sortir nos escadres de leurs ports, il
amena lui-même la ruine de la cause qui devait lui
donner la vraie victoire. Aussi sommes-nous en droit de
répéter le jugement de Saint-Simon : « L'entreprise
échouée du prince de Galles, en 1746, est une chose qui
ne peut avoir de nom. »
CHAPITRE XI
PREMIÈRE GUERRE MARITIME ENTRE LA FRANCE ET l'aNGLE-
TERRE. — 3° LES COTES DE l'aTLANTIQUE
Les Anglais à Lorient. — La Jonquière, Saint-Georges. — Combat du
cap Ortegal. — Des Herbiers de L'Elanduère. —Combat du cap Fi-
nis terre.
L'expédition du Prétendant avait provoqué en Angle-
terre une véritable panique. Elle avait montré que ce
qui avait failli réussir à un aventurier plein d'audace,
accompagné à peine d'une poignée de partisans, aurait
eu un succès complet avec une armée régulière ; la
Grande-Bretagne se sentait à la merci d'une invasion.
Quand les Anglais cessèrent de trembler pour eux-
mêmes, — et pour cela il ne fallut pas moins que les
odieuses boucheries qui suivirent la bataille de Cul-
loden, — ils ne songèrent plus qu'à rendre aux Français
la terreur qu'ils avaient éprouvée et à descendre sur
leurs côtes. Vers la fm de 1746, ils apparaissaient en
Provence, menaçaient Toulon, enlevaient les îles de
Lérins. A la même époque, ils débarquaient devant
Lorient ; là aussi, le succès faillit couronner leur auda-
cieuse entreprise.
Le plan de campagne était bien combiné ; frapper la
France maritime en Provence et en Bretagne, c'était la
174 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
frapper dans ses parties vitales. En Bretagne en parti-
culier, c'était lui causer un grand dommage matériel ;
Lorient était Tentrepôt commercial de la compagnie
des Indes ; ses magasins regorgeaient de marchandises.
Rien ne semblait plus facile que de s'en saisir ; l'es-
tuaire du Blavet et du Scorff n'était défendu par aucun
ouvrage militaire capable de résistance sérieuse. Maî-
tresse de cette position et toujours sûre de se ravitailler
par mer, une armée anglaise pouvait pousser des
pointes à l'intérieur du pays et mettre la Bretagne à
contribution. Ce projet fut confié au contre-amiral Les-
tock, qui avait très mollement secondé l'amiral Mat-
thews à la bataille de Toulon ; ici encore, il allail faire
preuve d'une assez singulière maladresse.
Il prit la mer à Plymouth le 26 septembre 1746, avec
neuf vaisseaux de ligne et une quarantaine de bâti-
ments de transport ; huit mille hommes environ de
troupes régulières étaient embarqués sous les ordres
du général Jacques de Saint-Clair. Le 30 septembre,
Lestock croisait à la hauteur de l'île de Groix. Les ha-
bitants de Port-Louis et de Lorient, qui attendaient vers
cette date la division française du comte de iVlacnemara ^,
furent très surpris à l'apparition de ces forces considé-
l'ables ; ils ne pouvaient se défendre qu'avec quelques
compagnies de gardes-côtes, gens de bonne volonté
1. Comte de Macnemara. D'origine irlandaise; né en France. »< Très aisé
par le mariage qu'il a fait avec une Irlandaise de l'Amérique. » Page du
duc de Bourbon. G., 5 avril 1708 ; M., 10 mars 1734 ; commandant des
gardes-marine à Rochefort, l"^ avril 1745; CE., 1" avril 1748; LG.,
1" sept. 1752 ; VA. du Levant, 17 oct. 1756 ; -|- 18 oct. 1756, Rochefort. A. M.,
C'165, 166.
Son frère cadet, Claude-Matthieu de Macnemara, « aussi fort à son aise
par son mariage avec une Américaine ». G., 20 oct. 1708 ; L., 1" avril 1738 ;
C, 1" janv. 1746; R., 15 janv. 1762; -|- déc. 1766. A. M., C 165. Il eut trois
fils dans la marine.
Cf. Eugène Fobqxies, Histoire d'un Sepi irlandaU : le§ Macnamara,
P^rls, 1901.
PREMIÈRE GUERRE MARITIME. — LATLANTIQUE. 175
sans doule, mais nullement préparés à leur rôle, et
n'ayant pour le plus grand nomure d'autres armes que
des fourches. Quant à la défense navale, elle n'existait
pas ; aucun navire de guerre n'était là pour protéger
ces parages, qu'il était cependant si nécessaire de
garder ; à Brest même, on ne semblait pas s'être aperçu
du passage de cette cinquantaine de voiles.
Les Anglais, qui croyaient sans doute la région mieux
défendue ne songèrent pas à pénétrer directement à
Lorient par le chenal maritime ; on ne voit pas ce qui
aurait pu sérieusement les empêcher de débarquer sur
les quais mêmes du Scorff ; leur manque d'audace devait
les faire échouer. Le P'" octobre au matin, Lestock
mouillait à trois lieues environ à l'ouest de l'estuaire,
sur la côte à peu près déserte et d'accès assez facile qui
s'étend entre la pointe du Talut et l'anse du Pouldu.
Après avoir nettoyé le rivage par une courte canon-
nade, à laquelle il ne paraît pas qu'on ait répondu, il
mettait à terre cinq mille hommes, et le lendemain deux
mille quatre cents hommes, avec le matériel d'artillerie
destiné au siège. Saint-Clair établissait son camp à
l'embouchure de la rivière de Quimperlé et y publiait
une proclamation, datée du 29 septembre, pour obliger
les habitants à se soumettre aux réquisitions militaires.
Le colonel marquis de L'Hôpital commandait à Lo-
rient, avec quatorze cents hommes au plus de troupes
médiocres ; il fit faire quelques travaux pour mettre la
ville en état de défense ; on tira des pièces de canon et
des mortiers de l'arsenal pour en garnir les remparts ;
mais, frappé peut-être de l'insufTisance de ces prépa-
ratifs, le gouverneur ne paraît pas avoir eu des dispo-
sitions très belliqueuses. Comme un parlementaire an-
glais s'était présenté, le 3 octobre, devant la ville, on lut
aussitôt d'avis de signer avec lui une h'êve ; le 7 oc-
176 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
tobre, ii la suite de quelques engagements livrés sous
les murs, cette trêve se changeait en un projet de capi-
tulation» effective. Ce jour-là, vers neuf heures du soir,
L'ir; ital sortit de la ville, pour convenir des derniers
articles avec les Anglais ; mais il n'y avait plus ni An-
glais, ni camp, ni personne. Les tambours des mili-
cifîns. selon une anecdote, au lieu de battre la chamade,
avai'/nt battu la générale ; Saint-Clair avait craint une
irurprise et avait couru se rembarquer.
î! îureux d'en être quitte à si bon compte, L'Hôpital
ne songea pas à le poursuivre. Lorient fut ainsi délivré
saiiS combat, au moment même où l'ennemi prenait la
tîîite devant la capitulation qu'on lui apportait. La belle
();:casion pour une escadre française de profiter de sa
[,anique et de lui fermer le chemin du retour! Mais la
i;ôte était encore moins défendue sur mer que sur terre,
et Lestock put reprendre tout son monde à bord.
Pour se consoler de cette singulière mésaventure,
l'amiral anglais croisa pendant quelques jours devant
Ouiberon, dont la plage découverte reçut quelques vo-
lées de canon, devant Belle-Ile, dont le gouverneur
Saint- Hilaire répondit par un refus à une demande de
capitulation ; il fit une descente aux îles Houat et
Hoëdik. Puis, le 23 octobre, il remettait à la voile pour
l'Angleterre 2.
Cet épisode de Lorient, qui n'eut rien d'héroïque ni
pour les assaillants ni pour les défenseurs, dévoilait
avec une triste éloquence notre état de désorganisation
n^ilitaire. Une escadre anglaise, sans songer à se dissi-
muler, avait débarqué à son aise une armée de huit
mille hommes ; ayant manqué son but simplement par
2. Voir Ch. Bougouin, Descente des Anglais en Bretagne et siège de
Lorient en 1746, dans le Bulletin de la Société archéologique de tuantes.
187a
PREMIÈRE GUERRE MARITIME. — l' ATLANTIQUE. 177
le fait d'une stupide méprise, elle avait repris la mer,
croisé pendant quelques jours dans les mêmes parages ;
enfin, sans se presser, comme si elle venait de procéder
à des manœuvres de débarquement et d'embarquement,
elle était rentrée dans ses ports. Or, à aucun moment,
elle n'avait rencontré personne. Lorient n'était pas dé-
fendu, c'était déjà une grande faute ; mais n'aurait-on pas
pu la réparer dans une certaine mesure, en faisant sortir
des vaisseaux de Brest ou de Rochefort pour déranger les
Anglais dans leurs opérations ? Ou bien l'on n'y pensa
pas, ou plutôt l'on n'eut aucun moyen de le faire. En-
couragés par une négligence si coupable, nos ennemis
ne devaient pas se faire faute de recommencer dans la
guerre suivante.
Un mois environ après le départ de Lestock, un
violent combat se livra entre Français et Anglais dans
les eaux mêmes de Port-Louis. La Renommée, comman-
dée par Kersaint de Coëtnempren, rentrait en France,
après la désastreuse expédition du duc d'Anville en
Acadie ^. Un coup de vent l'ayant séparée de l'escadre,
elle vint donner au milieu des forces navales de l'amiral
Anson. Pendant onze heures, elle soutint un duel d'ar-
tillerie contre une frégate de trente-six canons et un
vaisseau de soixante-dix ; s'étant débarrassée de ses
ennemis, elle entra saine et sauve à Port-Louis (30 no-
vembre 1746). Un enseigne de l'état-major de Kersaint
avait eu « la joue dépouillée d'un coup de canon, qui
coupa son chapeau au ras de la tête ^. » L'officier de la
Renommée qui vit la mort de si près s'appelait La
Motte-Picquet.
3. Jean-Baptiste-Louis-Frédéric de Roye de La Rochefoucauld, duc d'An-
ville Né le 17 août 1709. LG. des galères en survivance de son père.
7 déc. 1720 ; LG., 1" janv. 1745 ; -|- 27 sept. 1746. à Î3ord du Northumberlana,
à Chibouctou. A. M., C 16L
f A, ^., C 198.
178 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
La Renommée fut moins heureuse l'année suivante.
Commandée par Saint-Allouarn l'aîné, alors lieutenant
de vaisseau, elle avait quitté Rochefort, le 20 septembre,
pour conduire à son poste le comte de Conflans, qui
venait d'être nommé gouverneur général de Saint-Do-
mingue. A cinquante lieues d'Ouessant, elle livra trois
combats au Dover, de quarante-quatre canons, du capi-
taine Sherley ^. Obligée de se rendre (24 septem-
bre 1747), elle fut conduite à Plymouth. Trois mois plus
tard, grâce en partie à l'intervention du maréchal de
Saxe, le comte de Conflans obtint d'être échangé et put
rentrer en France.
On s'était décidé à organiser, en 1747, une division
volante pour protéger les côtes de l'Atlantique ^. Elle
comprenait deux frégates, de vingt-quatre canons cha-
cune, la Mutine, du chevalier Du Dresnay des Roches,
la Galalée, du chevalier de Tourville, petit-fils du
grand marin, et deux corvettes, la Badine et VEspion,
Etablie en croisière entre les Glénans et l'île d'Yeu,
elle s'empara de plusieurs corsaires ennemis ; le
22 juin, elle captura une frégate de vingt-deux canons,
le Duc de Cumberland, qui s'était échouée sur les ro-
chers des Glénans.
Le 3 octobre, à six lieues au large de la pointe des
Baleines (île de Ré), la Mutine et la Galatée furent atta-
quées par un vaisseau de cinquante-six canons et une
frégate de trente. Le combat dura deux heures à portée
de canon et plus d'une heure à portée de pistolet ; l'en-
nemi se lassa d'une attaque qui restait impuissante,
malgré sa supériorité, et les deux petites frégates purent
5. Ou Sirlhey. A. M.. B* 61, fol. 24, 29.
6. De 1744 à 1748, la guerre de course fut faite avec activité par les
corsaires basques, bayonnais et gascons. Ducéré, Histoire maritime de
Rayonne ; les corsaires sous l'ancien ré(iime. Bayonne 1895 ; p. 234 et suiv.
PREMIÈRE GUERRE MARITIME. — l'aTLANTIOUE. 179
gagner Rochefort. Cette action très méritoire valut
aussitôt (18 octobre 1747) la croix de Saint-Louis aux
deux enseignes qui commandaient la Mutine et la Ga-
latée. La récompense était exceptionnelle "^ ; car c'était
comme une règle dans la Marine que pour être cheva-
lier de Saint-Louis, il fallait être au moins lieutenant
de vaisseau.
En 1747, les eaux de l'Atlantique, dans le voisinage
des caps Ortegal et Finisterre, furent, à cinq mois de
distance, le théâtre de deux combats très honorables
pour notre marine, mais où la supériorité brutale du
nombre donna la victoire aux Anglais.
Un vaillant marin, qui avait été capitaine de pavillon
du Terrible à la bataille de Toulon et qui avait été
promu chef d'escadre en 1746, après quarante-neuf ans
de services, La Jonquière de La Pommarède, avait été
chargé de conduire au Canada, dont il venait d'être
nommé gouverneur général, un convoi d'une trentaine
de transports ; trois vaisseaux de ligne et deux frégates,
armés à Brest, formaient l'élément militaire de cette
expédition s. La Jonquière, monté sur le Sérieux^ de
soixante-quatre canons, quitta sans difficulté les côtes
de Bretagne, mais les mauvais temps l'obligèrent à se
replier sur le mouillage de l'île d'Aix ; il y était encore
à la fm du mois de mars, quand il fut rejoint par une
autre division et un convoi sortis de Lorient.
La compagnie des Indes, alors directement aux prises
7. Rosmadec de Saint-AUouarn fut fait aussi chevalier de Saint-Louis
(17 février 1746), tout en n'étant qu'enseigne de vaisseau. C'était la récom-
pense de son rôle brillant à Montrose ; voir ci-dessus, p. 170. De mémo,
l'enseigne de Marnière reçut la croix de Saint-Louis pour sa conduite à
bord d3 la Gloire ; voir ci-dessous, p. 182.
8. Voir l'Appendice IV. — JJombreux documents sur le combat de La
.Tonquiôre : A. M., B* 61.
180 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
avec les Anglais sur les côtes de Coromandel, venait
d'obtenir du ministre trois vaisseaux de guerre, Vlnvin-
cible, le Jason et le Lys, pour protéger un convoi d'une
quinzaine de voiles qu'elle destinait à FHindoustan. Ces
forces étaient sous les ordres d'un Malouin, le capitaine
de vaisseau chevalier Grout de Saint-Georges ^ qui
montait lui-même YInvincible, de soixante-quatorze ca-
nons ; il avait parmi ses officiers le capitaine de frégate
Bouvet de Lozier, aussi d'origine malouine, appartenant
à cette dynastie des Bouvet si connue dans nos fastes
maritimes ^^. Celui-ci, né en 1706, avait fait en 1738 et
1739 un voyage d'exploration dans les mers australes ;
il était à présent embarqué sur le Lys, de soixante-
quatre canons. Le 27 mars 1747, cette division et son
convoi quittaient le port de Lorient ; ils furent aussitôt
assaillis et dispersés par un violent coup de vent. Tandis
que Bouvet de Lozier, avec le Lys et quatre autres bâ-
timents, continuait sa route et arrivait, au bout de
quelques semaines, sur les côtes du Brésil, le chevalier
de Saint-Georges, avec le reste de ses navires, relâchait
à l'île d'Aix.
Après avoir réparé leurs vaisseaux, que ces bour-
rasques avaient malmenés, La Jonquière et Sanit-
Georges reprirent la mer le 10 mai. Ils devaient na-
viguer de conserve jusqu'à la hauteur des côtes de
Galice ; ils se sépareraient ensuite, La Jonquière pour
gagner Québec, Saint-Georges pour gagner Pondi-
chréy, en ralliant sur sa route la division de Bouvet de
Lozier.
9. Jacques-François Grout, chevalier de Saint-Georges, chef d'escadre de
la compagnie des Indes, fit la campagne de 1747 avec le brevet de capitaine
des vaisseaux du roi. A. M., C^
10. Sur la famille des Bouvet, voir E. Fabre, Biographies et récits mari-
times, 1885.
PREMIÈRE GUERRE MARITIME. — l'aTLANTIQUE. 181
Quatre jours après leur départ, le 14 mai, les deux
divisions françaises, dont la marche était retardée par les
deux convois qu'elles avaient à protéger, rencontrèrent,
par le travers du cap Ortegal, l'escadre de l'amiral
anglais George Anson, qui s'était fait connaître ré-
cemment par une audacieuse croisière dans le Paci-
fique. Les forces anglaises se composaient de quatorze
vaisseaux de ligne et d'une frégate, portant neuf cent
quarante-quatre bouches à feu de gros calibre. La Jon-
quière et Saint-Georges ne pouvaient leur opposer que
cinq vaisseaux et deux frégates, armés en tout de quatre
cent trente-six pièces, d'un calibre inférieur. La Jon-
quière, loin de songer à se dérober, se prépara bra-
vement au combat. Il avait eu le temps d'envoyer son
convoi en avant, sous la protection de YEmeraude, que
commandait son neveu La Jonquière Taffanel ; celui-ci,
se plaçant à l'arrière-garde de la flotte, parvint à la
soustraire tout à fait à l'ennemi, quand la bataille s'en-
gagea vers quatre heures du soir. Escorté par VEme-
raude, le convoi du Canada devait arriver sain et sauf
à destination.
La disproportion des forces rendit l'action assez dé-
cousue. La Jonquière n'avait plus, après le départ de
VEmeraude, que six bâtiments disponibles, car il ne
pouvait faire fond sur cinq navires de la compagnie
armés en guerre ; il ne songea plus qu'à faire acheter
chèrement leur victoire aux vaisseaux anglais. Notre
courte ligne fut bientôt coupée ; chaque navire se dé-
fendit comme il put, et la bataille se" transforma en une
série de combats isolés. Deux navires de la compagnie
prirent la fuite dès les premiers coups de canon, deux
autres se rendirent ; du moins l'infériorité de leur ar-
mement ne leur permettait point de lutter. Le Jason
amena son pavillon avec une rapidité que ses cinquante
r
182 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
Dièces de canon auraient pu rendre moins grande. Mais
à côté de ces défections, que d'épisodes glorieux !
Le Rubis, commandé par le lieutenant de frégate Mac-
Carthy, n'était qu'une frégate de vingt-six pièces ; deux
grands vaisseaux, le Pembroke et le Nollingham,
s'étaient accrochés à ses flancs ; elle leur tint tête jusqu'à
re qu'elle eût été complètement désemparée et sur le
point de couler à fond.
La Gloire, qw portait bien son nom, soutint un ter-
rible duel de trois heures contre le Windsor, le Bristol,
le Prince George ; ce dernier, qui était le vaisseau
amiral, n'avait pas moins de quatre-vingt-dix pièces. Le
commandant de la Gloire, le chevalier de Salies, eut la
tête emportée par un boulet dès le début de l'action ;
à ses côtés se trouvait le jeune chevalier de Grasse du
Bar, le futur officier général de la guerre d'Amérique,
qui servait alors comme enseigne : il fut grièvement
blessé à la tête ^^ L enseigne de vaisseau de Mar-
nière ^^ prit la place du commandant Salies ; quand il
dut se rendre, cent soixante-quinze morts étaient cou-
chés sur le pont et les provisions avaient été épuisées
jusqu'à la dernière cartouche. La croix de Saint-Louis
récompensa l'admirable résistance du jeune officier.
Le Diamant, du capitaine Hocquart de Blincourt,
n'était plus qu'une épave lorsque quatre vaisseaux an-
glais s'en emparèrent, après trois heures d'une épouvan-
table canonnade, pour l'abandonner et le couler bas^^.
Les deux chefs d'escadre étaient dignes de commander
11 Grasse rappelait cette circonstance en 1754 pour obtenir une pension
du roi. Après le combat, il fut trois mois prisonnier en Angleteri-e. A. M.,
C dossier Grasse.
12. De Marnière G.. 30 juill. 1733; E, 1" mai 1741 ; L., l" avril 1748; C.
14 déc. 1756; B., 25 mars 1765; -J- 18 mars 1771, Brest. A. M., C 167.
13 Hocquart de Blincourt fut trois fois prisonnier des Anglais : en 1744,
1747, 1755, comme commandant de la Mèdée, du Diamant, de l'Alcide
A. M., C 166.
PREMIÈRE GUERRE MARITIME. — l'atLANTIQUE. 183
à d'aussi vaillants officiers. La Jonquière prolongea
pendant plus de trois heures la résistance du Sérieux
contre le Namur, le Deuonshire et le Falkland. Un
violent orage, accompagné de coups de tonnerre, vint
ajouter encore au désordre d'une action si confuse. La
Jonquière en profita pour se placer, par un vigoureux
coup de barre, entre le Devonshire et le Namur et les
foudroyer tour à tour de ses bordées ; mais le Sérieux
avait trois mètres d'eau dans la cale, ses batteries sub-
mergées ou détruites, sa mâture fracassée. Tous les
officiers étaient tués ou hors de combat : La Jonquière
avait reçu un coup de feu à travers le corps ; le comte
d'Aubigny était grièvement blessé à la jambe ; le com-
mandant en second, La Clocheterie, avait eu la mort
d'un héros ^^. Force fut au Sérieux d'amener son pa-
villon.
VInvincible, du chevalier de Saint-Georges, tenait
encore ; tous les Anglais tournèrent le feu contre le
vaisseau qui portait toujours fièrement les couleurs du
roi Très Chrétien. On rapporte que Saint-Georges, qui
n'avait plus de projectiles, fit charger ses canons avec
son argenterie ; ce fut comme sa dernière gargousse,
avant de livrer aux Anglais les débris fumants dont se
composait son navire.
Ce combat du 14 mai 1747 nous coûtait environ huit
cents hommes et tous les navires de guerre qui avaient
pris part à l'action. « Je n'ai jamais vu une meilleure
conduite, écrivait un capitaine anglais, que celle du
14 « M. d'Aubigny, commandant le Sérieux, certifie que le feu sieur de
La Clocheterie, ayant reçu un coup de canon qui lui ayant (sic) emporté
les deux gras de Jambes, Il avait demandé, étant tombé du coup, à être
relevé et mis sur la lisse du fronteau du château d'avant, encourageant
les officiers mariniers, matelots et soldats à tenir bon, et de ne point
descendre à l'amphithéâtre pour être pansé ; qu'ayant été placé où il dési-
rait, un instant après il avait été haché à morceaux par une salve de
coups de canon chargés à mitraille. « A. M., C\ dossier La Clocheterie.
184 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
Commodore français ; et, pour dire la vérité, tous les
officiers de cette nation ont montré un grand courage ;
aucun d'eux ne s'est rendu que quand il leur a été abso-
lument impossible de manœuvrer. » Que n'aurait-on pu
attendre de ces officiers et de leurs équipages, si on leur
avait donné le moyen de se battre à armes égales et non
dans la proportion d'un contre trois !
Cependant, la même faute était commise cinq mois
plus tard, toujours pour la même cause, le manque
d'argent ; Maurepas ne pouvait obtenir pour la Marine
que quelques rares sommes, laissées disponibles par les
opérations des armées de terre.
Il s'agissait de conduire aux Antilles un grand convoi
de deux cent cinquante-deux voiles, qui avait été réuni
sur les côtes de l'Aunis. On avait d'abord songé à ne
lui donner qu'une faible escorte, avec le Neptune du
chevalier de Fromentière et quelques bâtiments légers.
Le comte de Conflans, qui devait être pris lui-même par
les Anglais trois mois plus tard, attira l'attention du
ministre sur le danger de faire sortir de grandes flottes
marchandes dans les conditions critiques où était la na-
vigation du golfe de Gascogne.
(( Le grand nombre de vaisseaux anglais qui infestent
nos côtes me fait réfléchir aux difficultés qu'il y aurait
que M. de Fromentière pût sauver une flotte aussi nom-
breuse que celle qu'il aura à conduire, à moins que
M. de L'Etanduère ne l'escorte avec son escadre jusqu'en
dehors des caps et que le départ de la flotte ne soit dans
une saison plus avancée... Les ennemis, ne s'occupant
plus que du soin de couvrir nos côtes, nous ôtent l'espé-
rance de sauver aucune flotte ni vaisseau de guerre, à
moins d'un hasard singulier. L'aventure de M. de La
Jonquière nous en fournit un triste exemple. Il serait
PREMIÈRE GUERRE MARITIME. — l' ATLANTIQUE. 185
plus avantageux que le commerce risquât moins jusqu'à
la paix que d'aventurer tant de biens. Cela fait à nos
ennemis redoubler leurs efforts par la certitude de la
réussite ^^. »
Maurepas crut parer aux dangers que Conflans pré-
voyait d'un œil si perspicace, en mettant le convoi de
l'Aunis sous la protection d'une escadre forte de huit
vaisseaux de guerre et d'une frégate ^^.
Le chef d'escadre à qui l'on confiait cette mission pé-
rilleuse, Des Herbiers de L'Etanduère, âgé alors de
soixante-cinq ans, avait servi sous les ordres du comte
de Toulouse, de Pointis, de Du Casse, de Du Guay-
Trouin ; il avait pris part avec celui-ci à l'expédition de
Rio de Janeiro et il avait été son capitaine de pa-
villon lors des armements de l'escadre de Brest en 1734
et 1735 ; capitaine de vaisseau sur le Mercure, il avait
figuré avec honneur dans le beau combat que le che-
valier d'Epinay avait soutenu en 1741 dans les eaux de
Saint-Domingue. Il montait à présent, pour sa vingt-
troisième et dernière campagne, le Tonnant, de quatre-
vingts canons et sept cent cinquante hommes.
L'appareillage se fit de l'île d'Aix le 17 octobre. Après
un arrêt d'un jour devant la Rochelle, on reprit la mer.
Le 25, à quatre-vingt-huit lieues au nord du cap Finis-
terre, le Castor, commandant d'Orsonville, qui mar-
chait en éclaireur, signala une escadre anglaise de qua-
torze vaisseaux de guerre ; elle était sous les ordres de
sir Edouard Hawke, qui avait été, en 1744, le très habile
lieutenant de Matthews à la bataille de Toulon et qui
devait vaincre, en 1759, le maréchal de Conflans dans
15. Conflans au ministre ; de Brest, 14 juin 1747. A. M., C^ dossier
Conflans-Brienne.
16. Voir l'Appendice V. — Nombreux documents sur le combat de
L'Etanduère : A. M., B* 61. Cf. Relation de tout ce qui s'est passé dans la
flotte de M. de L'Etanduère, a. 1. n. d.
186 LA MARLNE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
les eaux de Quiberon. Comme La Jonquière, L'Etan-
duère se préoccupa avant tout de faire filer les bâtiments
du convoi ; la manœuvre prit un temps considérable,
mais elle réussit à peu près en entier, grâce à la position
que notre chef d'escadre avait prise entre ses navires
de transports et l'ennemi. Cependant les Anglais, dont
les forces étaient près de deux fois supérieures aux
nôtres, avaient ouvert un feu terrible ; ils ne se servaient
que de mitraille et de boulets rames, de manière à fra-
casser nos mâts et nos agrès. « J^ous ne pouvions ré-
pondre de la même façon, le mauvais usage étant éta-
bli de ne nous donner que quatre coups par canon de
cette sorte de munitions, ce qui fut bientôt consommé. »
Les Français tirèrent dix-huit cent quarante-deux coups
de canon ; les Anglais, environ quatre mille, dont beau-
coup, il est vrai, ne portèrent pas, à cause de l'état hou-
leux de la mer.
Nos huit vaisseaux furent bientôt dans une position
affreuse. Le commandant du Neptune^ Fromentière, et
le second ayant été tués, le lieutenant Kerlérec de Ker-
vasegan prit le commandement et prolongea la résis-
tance pendant plusieurs heures; quand le Neptune se
rendit, au moment de couler bas, il était ras comme un
ponton ; sept officiers et près de trois cents hommes
étaient morts. Le Terrible, commandant le comte Du
Guay, eut un moment à lutter contre six vaisseaux an-
glais ; il dut se rendre aussi. Le Monarque, sur lequel
périt le commandant La Bédoyère, le Fougueux, de Du
Vignau, le Severn i'^, de Du Rouret, le Trident, de
d'Amblimont, tcus les quatre entièrement désemparés,
furent réduits à ce triste sort.
Malgré une canonnade d'une violence inouïe, qui se
17. Le Severn était un ancien bâtiment anglais, capturé par Conflans
en 1746 ; voir p. 200.
\
PREMIÈRE GUERRE MARITIME. — l'aTLANTIQUE. 187
prolongea toute la journée depuis onze heures jusque
vers huit heures du soir, deux vaisseaux tenaient tête
encore à l'ennemi : le Tonnant, de L'Etanduère, et Vln-
trépide, de Vaudreuil. Le commandant de Vlntrépide
avait fait preuve d'autant de vaillance que d'habileté :
il avait traversé la ligne anglaise et était parvenu à se
ranger auprès du chef d'escadre. II avait été admira-
blement secondé par ses officiers : d'Isle Beauchesne,
enseigne des gardes-marine, lui avait proposé la ma-
nœuvre hardie qui lui fît tant d'honneur ; à la première
batterie, le lieutenant Beaulieu de Tivas, à la seconde,
le lieutenant de Sades, avaient pointé les pièces sans
un instant de répit. La nuit ayant mis fin au combat,
les deux vaisseaux français restèrent bord à bord, prêts
à recommencer, malgré leur état misérable ; le Tonnant
était presque entièrement démâté et Vlntrépide ne valait
guère mieux. Le lendemain matin, les ennemis, qui
avaient été très malmenés eux-mêmes, avaient disparu.
Alors le Tonnant se fit remorquer par Vlntrépide à une
centaine de lieues à l'ouest d'Ouessant, dans des pa-
rages peu fréquentés ; il y resta jusqu'au 29 à se
regréer entièrement. Quand la carcasse fut à peu près
redevenue un vaisseau, le Tonnant, toujours accom-
pagné de Vlntrépide, rentra au port de Brest.
De toute l'escadre de L'Etanduère, seuls le Tonnant
et Vlntrépide s'étaient soustraits à l'ennemi. La frégate
le Castor, après avoir erré cinq jours sur l'Océan, donna
coup sur coup (30 octobre) contre une frégate et contre
deux gros vaisseaux ; elle se défendit vaillamment ;
mais, toute désemparée, elle dut, elle aussi, amener son
pavillon.
« On a lieu d'espérer, dit la Relation française, que
malgré notre désastre, qui pourrait être plus grand, on
rendra justice au corps. » Les Anglais furent les premiers
188 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
à reconnaître tout ce qui s'était dépensé d'héroïsme et
de science manœuvrière dans cette terrible journée du
25 octobre 1747. « Jamais vaisseaux, écrivait un de
leurs officiers, ne se battirent mieux que ne le firent en
cette circonstance les vaisseaux français et ne vendirent
plus chèrement leur hberté. » « On nous écrit d'Angle-
terre, disait L'Etanduère, que leur première joie s'est
changée en deuil, à la vue du nombre de blessés qu'ils
ont débarqués. Ils appellent le Tonnant l'Enfer. En effet,
jamais vaisseau n'a fait aussi longtemps un feu si sou-
tenu. » Suffren, qui avait pris part à cette bataille
comme garde-marine, à bord du Monarque, et qui fut
ensuite trois mois prisonnier en Angleterre, déclarait
que « c'était l'une des plus glorieuses actions qui eussent
jamais été livrées sur mer ».
Certes Suffren disait vrai ; mais que de vérité aussi
dans cette réflexion découragée, qui est de L'Etanduère
ou de quelqu'un écrivant en son nom ^^ ! <( Si comme
nous l'espérons, elle [la flotte marchande] a le bonheur
de se sauver, nous serons en partie consolés de la perte
de nos vaisseaux, destinés à se sacrifier pour le soutien
du commerce. Un peu plus d'égalité les mettrait mieux
à l'abri de l'insulte ; mais nous n'y compterons que
lorsque le roi voudra bien fournir à M. le comte de Mau-
repas les moyens de rétablir la marine sur le pied que
nous savons qu'il désire qu'elle soit, et qu'on soit un
peu plus persuadé en France de la nécessité d'en avoir
une. »
18. Relation de tout ce qui s'est passé dans la flotte de M. de L'Etan-
duère.
CHAPITRE XII
PREMIÈRE GUERRE MARITIME ENTRE LA FRANCE ET l'aNGLE-
TERRE. — 4" LE CANADA ET LES ANTILLES
Importance de l'île Royale. — Perte de Louisbourg. — Expédition de
d'Anville, d'Esiourmelles, La Jonquière. — Beaussier de l'Isle. —
Croisières aux Antilles : Conllans, Du Bois de La Motte, Guichen.
Quittons les côtes de France pour suivre nos marins
en Amérique ou dans l'Hindoustan. L'histoire de ces
parages lointains offre une étroite ressemblance avec
celle dont les mers de l'Europe étaient alors le théâtre :
beaucoup d'héroïsme dépensé en pure perte par des offi-
ciers qu'on charge de remplir une mission avec des
moyens insuffisants, qu'on ne soutient pas s'ils réus-
sissent, qu'on semble désavouer s'ils échouent.
La guerre maritime aux colonies ne pouvait avoir et
n'eut en aucune manière le caractère d'une surprise. Un
simple coup d'œil sur la carte suffit à le montrer. Les
mêmes adversaires qui se disputaient en Europe l'em-
pire de la Manche et de la Méditerranée se trouvaient en
contact dans l'Amérique du Nord, aux Antilles, dans
l'Hindoustan ; les territoires français et anglais dans
ces diverses régions étaient ainsi disposés que le déve-
loppement de l'une de ces puissances coloniales avait
pour condition première la ruine de l'autre puissance, s
Que les Français de l'Inde ou du Nouveau-Monde dus-
190 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
sent être vaincus par leurs voisins d'Angleterre, cela
certes n'était pas écrit ; il y a tout lieu de croire que le
contraire serait arrivé, si l'on avait voulu donner à la
marine un peu de l'attention et des millions que l'on
prodiguait alors aux affaires continentales. Mais ce que
l'on pouvait affirmer à l'avance, c'est qu'une guerre écla-
terait partout où les deux peuples avaient des rapports
de voisinage, et que ce serait une guerre à mort, car
les nécessités géographiques et économiques le vou-
laient ainsi. Le devoir de notre gouvernement était de
se préparer à des événements inévitables, et, pour cela,
de mettre nos colonies en état de défense, de les relier
à la métropole par de nombreuses et puissantes es-
cadres. Il est inutile de dire qu'il ne fit rien ou à peu
près rien. L'histoire maritime d'outre-mer et l'histoire
de nos colonies à l'époque des guerres de la Succession
d'Autriche et de Sept ans, c'est l'histoire privée, pour
ainsi dire, de quelques chefs d'escadre et administra-
teurs, de quelques soldats héroïques ; ce n'est en rien
l'exposé d'une entreprise gouvernementale.
Un des points les plus vulnérables de la France colo-
niale était notre colonie du Saint-Laurent ou de la Nou-
velle-France. Ces vastes territoires que Jacques Cartier
avait entrevus scus le règne de François I", que Cham-
plain avait commencé à coloniser à l'époque de Ren-
ri IV, par lesquels nos missionnaires, nos trappeurs,
nos marchands pénétraient jusqu'à la région des Grands
Lacs, étaient comme bloqués depuis le traité d'Utrecht.
La cession aux Anglais de Terre-Neuve et de l'Acadie
avait eu pour conséquence non seulement de nous faire
perdre des territoires qui avaient par eux-mêmes une
valeur réelle et qui étaient de fructueuses stations de
pêche, mais encore et surtout de livrer à nos ennemis la
PREMIÈRE GUERRE MARITIME. — LE CANADA. 191
roule même du Saint-Laurent et de Québec. Cependant
la France avait conservé dans ces parages une position
de grande valeur, l'île Royale, aujourd'hui du Cap
Breton.
Située au nord-est de l'Acadie, dont elle n'est sé-
parée que par un étroit bras de mer de seize cents
mètres, divisée en deux parties par un fiord de quatre-
vingts kilomètres de long qui forme dans sa partie cen-
trale une mer profonde et sûre, ayant des côtes très
poissonneuses et, dans la partie qui regarde l'Atlan-
tique, toujours libres de glaces, possédant des champs
propres à la culture des céréales et d'abondantes forêts
d'une exploitation facile, cette île, qui avait été fré-
quentée de tous temps par nos pêcheurs de morue, avait
reçu, après le traité d'Utrecht, une partie de la popu-
lation de l'Acadie qui fuyait la domination anglaise.
Une colonie importante n'avait pas tardé à se déve-
lopper autour du port de Eouisbourg, qui, dès la Ré-
gence, était devenu comme l'avant-port de Québec et
l'un des grands marchés du Canada. Placé à la pointe
orientale de l'île, au pied du cap Breton, Louisbourg
était un poste de vigie, d'où l'on surveillait à la fois
l'Atlantique et le golfe du Saint-Laurent. Aussi fallait-il
en faire une place de guerre de premier ordre, si l'on
voulait déjouer les convoitises des Anglais et garder
en temps de guerre le libre accès de Québec. Bien qu'on
eût dépensé plusieurs millions à l'île Royale, on n'avait
pas mis la place en un état de défense suffisant : Louis-
bourg continua à n'être qu'un grand entrepôt de mar-
chandises, fréquenté à peu près uniquement par la flotte
marchande de la compagnie des Indes. On vit bien vite,
dès que la paix fut rompue entre Paris et Londres, ce
que nous coûta cette imprévoyance.
En 1745, les habitants de la Nouvelle-Angleterre, qui
192 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
depuis longtemps guettaient cette proie, résolurent de
s'en emparer. Ils venaient d'apprendre qu'il y avait eu
à Louisbourg une mutinerie militaire assez grave. La
petite garnison française avait été chargée de réparer
les fortifications de la place ; ne recevant pas la solde
spéciale à laquelle ce travail lui donnait droit, elle
s'était révoltée contre le gouverneur, M. Du Chambon ;
le vrai coupable était l'intendant Bigot de La Motte,
dont les malversations avaient empêché le paiement des
troupes. Les Anglais d'Amérique armèrent à leurs frais
une armée de quatre à cinq mille hommes et des bâti-
ments de transport ; il leur fallait le concours de
quelques vaisseaux de guerre. Le gouvernement de
Londres, secoriclant leur zèle, envoya en Amérique le
Commodore Warren avec quatre vaisseaux.
L'arrivée inattendue de ces forces devant Louisbourg,
vers la mi-avril 174o, eut pour résultat de faire rentrer
aussitôt la garnison dans le devoir ; mais l'insuffisance
des fortifications et le manque des munitions n'étaient
pas des maux qui pouvaient se réparer de même. Les
Anglais purent descendre à terre sans obstacle, tourner
contre la place les batteries des ouvrages extérieurs et
commencer les opérations d'un siège ; ce n'était plus
qu'une question de temps, car aucun danger ne les me-
naçait du côté de la mer. Le 26 juin 1745, au bout de
cinquante jours de tranchée ouverte, Louisbourg, qui
s'était vaillamment défendu et qui avait été éventré par
les bombes, dut ouvrir ses portes. Quand on connut ce
malheur en France, on jugea sans doute que la journée
de Fontenoy, du 11 mai 1T45, l'avaif racheté à l'avance.
Tout ce que Maurepas avait pu faire en apprenant le
départ de l'escadre de Warren, ç'^avait été d'armer pour
Louisbourg un vaisseau de soixante-dix canons, le Vigi-
lant^ commandé par JVL de La Maisonfort Boidescourt.
PREMIÈRE GUERRE MARITIME. — LE CANADA. 193
Sur le point d'entrer dans le port de File Royale, le Vi-
gilanl avait été attaqué par un corsaire, qui lui lâcha
quelques coups de canon et prit la fuite ; au lieu de né-
gliger cet ennemi, M. de La Maisonfort se mit à sa
poursuite. Il se jeta ainsi dans une anse voisine où
l'escadre anglaise était cachée ; iFfut pris avant d'avoir
pu songer à se défendre et sans avoir rien débarqué
(1745).
Après avoir occupé Louisbourg, les Anglais y lais-
sèrent flotter le pavillon français. Plusieurs navires de
la compagnie des Indes, qui n'étaient pas au courant
du piège, vinrent se livrer d'eux-mêmes ; les Anglais
firent ainsi un butin de vingt-cinq millions de francs.
Résolus à se servir de l'île Royale comme d'une base
d'opérations contre la Nouvelle-France, ils avaient im-
posé à la population et à la garnison l'obligation de
quitter le pays et de rentrer en France. Quelques mois
plus tard, en effet, des navires anglais jetaient sur les
côtes de Bretagne les malheureux défenseurs de Louis-
bourg.
Maurepas n'avait pu rien faire pour sauver Louis-
bourg ; il songea à le reprendre. Le laisser aux mains
des ennemis, c'était du même coup leur abandonner
Québec, car l'entrée du golfe du Saint-Laurent était
désormais barrée pour nous, avec les Anglais à Terre-
Neuve et à l'île Royale : entre le cap Raye et le cap Nord
il y a à peine vingt-cinq lieues. Le plan de Maurepas
était d'enlever aux Anglais leur conquête récente, de
leur reprendre même Port-Royal, notre ancienne capi-
tale de l'Acadie, à qui ils avaient donné le nom d'Anna-
polis, puis de ravager les côtes de la Nouvelle-Angle-
terre en détruisant Boston. Dix vaisseaux de ligne, trois
frégates, trois bombardes, une soixantaine de navires
de transport, un corps de trois mille cinq cents soldats
13
194 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
furent réunis pour cette expédition ; mais le manque
d'argent et les lenteurs administratives amenèrent de
longs retards.
Ce fut seulement un an après la chute de Louisbourg
que nos navires quittèrent la rade de l'île d'Aix, le
22 juin 1746. Ils étaient sous les ordres de La Roche-
foucauld, duc d'Anville, fils d'un lieutenant général des
galères et de la fdle du célèbre Du Casse ; lui-même
lieutenant général des galères, il avait fait sa carrière
surtout sur la xMéditerranée. Il avait parmi ses lieute-
nants d'Estourmelles, commandant du Trident^ La Jon-
quière de La Pommarède, commandant du Northumber-
land 1, Kersaint, commandant de la Renommée ^. Dans
les rangs des jeunes officiers, on comptait le chevalier
de Mirabeau, lieutenant de vaisseau sur le Mars, à qui
cette désastreuse expédition devait fournir de nombreux
arguments contre la « plume » ; — La Motte-Picquet,
enseigne sur la Renommée ; — Suffren, garde-marine
sur le T rident
Des malheurs de tout genre devaient marquer la cam-
pagne de d'Anville. Il fallut relâcher d'abord aux
Açores, où les vents contraires retinrent les Français
pendant plusieurs jours. Vers le 15 septembre, on arri-
vait en vue de l'Acadie ; là, un terrible ouragan dispersa
l'escadre et le convoi. Deux frégates commandées par
Marquessac et par Des Roches 3, rejetées jusqu'au mi-
1. Le Northuviherland fut aussi commandé dans cette expédition par
Périer l'aîné ; il le fat en 1747, au Canada, par son frère, Périer de Salvert.
Périer l'aîné. Du Ha\T"e. Fils du capitaine de port de Dunkerque. « Un
des bons officiers du roi, sachant bien son métier. » G., 8 avril 1704 ; C,
1" avril 173S ; CE., 17 mai 1751; LG., 17 avril 1757; -f 1*' avril 176G, Brest.
A. M., C IGl, 1G6.
2. « L'équipage de la Renommée était comix)sé de tout ce qu'il y avait
de plus mauvais en matelot; pas un seul de passable. » Considérations
sur la constitution de la marine militaire de France, p. 4o.
3. 11 s'agit probablement du comte Jean-Gabriel-Cécile Du Dresnay Des
Roches, frère aîné du major du Soleil Royal, dans l'escadre de Conflans.
PREMIÈRE GUERRE MARITIME. — LE CANADA. 195
lieu de l'Atlantique, n'eurent d'autre recours que de
regagner Brest ; elles y arrivaient le 10 octobre, après
avoir tenu la mer pendant cent quatorze jours continus ;
les équipages étaient morts ou mourants de faim ; les
huit compagnies du régiment de Ponthieu qu'elles dé-
barquèrent étaient dans un état lamentable.
De l'autre côté de l'Atlantique, la situation était aussi
douloureuse. D'Anville était arrivé à rallier à peu près
tout son convoi vers la baie de Chibouctou, aujourd'hui
Halifax, sur la côte orientale de l'Acadie ; il y mouillait
le 17 septembre. Mais ses navires étaient transformés
en autant d'hôpitaux ; une terrible épidémie de scorbut,
comme l'ignorance ou l'oubli des plus élémentaires pres-
criptions de l'hygiène en faisait tant éclater alors, aval*
enlevé en quelques jours huit cents soldats, quinze cents
matelots ^. Les survivants étaient épuisés et hors d'état de
combattre. D'Anville était un jour sur son gaillard
d'arrière, quand il tomba foudroyé par une attaque
d'apoplexie. D'Eslourmelles le remplaça ; mais il eut un
accès de fièvre chaude et une grave blessure l'obligea
de renoncer presque tout de suite au commandement^.
Après avoir croisé pendant un mois environ dans ces
parages de mort. La Jonquière réunit quatre vaisseaux
de guerre et quelques bâtiments de transport, tout ce
qui restait de disponible, pour tenter un coup de main
sur Annapolis. En doublant le cap Sable pour pénétrer
dans la baie Française, vers les derniers jours d'oc-
tobre, une nouvelle tempête accabla ses navires ; l'épi-
(Voir l'Appendice X.) G., 1" janv. 1730; L., 1746; C, 1757; R., 1762;
4- 13 nov. 1772, Martinique. A. M., C\
k. « Il n'est pas douteux que ce ne soit là [la mauvaise qualité des
vivres] la cause de la mortalité qui se mit dans l'escadre de feu monsieur le
duc d'Anville, les vivres que l'on embarqua étant tous gâtés. » Considé-
rations sur la constitution de la marine militaire de France, p. 38.
5. Sur ces circonstances douloureuses, voir Corre, L'Ancien Corps de la
marine, p. 216,
196 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
demie continuait son œuvre meurtrière. Toute expé-
dition était devenue impossible. La Jonquière revint à
Brest, en y ramenant en tout deux vaisseaux ; d'autres
navires parvinrent à rallier Rochefort vers la même
époque, pour y débarquer huit cents scorbutiques.
Aucun malheur ne devait manquer à cette campagne.
A l'époque où l'on supposait que d'Anville tentait son
opération sur Louisbourg, les Anglais manquaient d'en-
lever Lorient et croisaient sur les côtes bretonnes. Un
officier du port de Brest, Beaussier de L'Isle, sortit avec
la Subtile, de vingt-six canons et cent quatre-vingts
hommes d'équipage, pour tenir la mer dans les parages
d'Ouessant et empêcher les Français, au retour de leur
expédition de tomber entre les mains des Anglais. La
Subtile fit une pénible croisière de trente-quatre jours ;
le 30 novembre, elle donna contre deux navires enne-
mis, le Portland, de cinquante canons, et le Winchelsea,
de vingt-quatre. La vaillante petite frégate ne songea
pas à fuir ; elle ne se rendît que lorsqu'elle fut éventrée
par les boulets et sur le point de couler bas.
Après avoir débarqué à Brest ses malades et les dé-
bris de son matériel, La Jonquière vint à Versailles
rendre compte au ministre de cette malheureuse cam-
pagne. Maurepas lui adressa cette réponse, toute à
l'honneur de l'un et de l'autre : « Qand les événements
commandent, ils peuvent bien diminuer la gloire des
chefs ; mais ils ne diminuent ni leurs travaux ni leurs
mérites. » Maurepas répétait à peu près à l'infortuné
chef d'escadre les paroles que Philippe II avait adres-
sées à l'amiral de l'Invincible Armada ; mais n'eût-Tl
pas été possible de prévenir en partie ces malheurs en
agissant avec plus de rapidité dès le début des événe-
ments qui avaient menacé Louisbourg?
PREMIÈRE GUERRE MARITIME. — LES ANTILLES. 197
La guerre maritime entre les Français et les Anglais
avait commencé aux Antilles avant la rupture officielle
de la paix, lorsque le duc d'Antin y avait conduit une
escadre pour protéger les colonies de l'Espagne. Elle
s'y continua jusqu'à la cessation générale des hostilités,
en offrant d'ailleurs plutôt le caractère de croisières que
de batailles.
Les Anglais étaient maîtres de la Jamaïque ; les
Français de Saint-Domingue et de la plupart des îles
au Vent. Les occasions de se rencontrer se présentaient
aux uns et aux autres de mille manières, sans compter
que les îles à sucre, suivant le nom général que l'on
donnait aux Antilles, offraient de nombreuses ressources
à la marine des deux pays. Dès le début des hostilités,
les Anglais venaient d'occuper les îles Saint-Barthélémy
et Saint-Martin.
Hubert de Brienne, comte de Conflans, alors capi-
taine de vaisseau, partit de Brest en 1744, avec leContenl
et le Mars, capitaine Périer l'aîné, à destination de
Saint-Domingue, la seule de nos Antilles qui, au cours
du xviii^ siècle, ne devait pas être prise par les Anglais ;
céiait, il est vrai, pour la perdre nous-mêmes un jour.
Conflans, qui devait finir sa carrière à la bataille du
20 novembre 1759, servait dans la marine depuis trente-
huit ans ; il avait été sous les ordres de Du Casse, de
Du Guay-Trouin, de La Rochalart ; ses états de ser-
vice le désignaient comme un officier d'avenir. Son rôle
aux Antilles au cours de cette guerre devait contribuer
à le mettre en lumière ; sa promotion au rang de chef
d'escadre en 1748, puis de lieutenant général en 1752,
fut la juste récompense de son habileté.
Arrivé sur les côtes de Portugal, à soixante-dix lieues
environ au nord-ouest des îles Berlenga, Conflans ren-
contra un vaisseau anglais de soixante-dix canons, lô
198 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
Norihumberland. Après un combat violent de deux
heures, où il fut dangereusement blessé et où le Mars
le soutint très bien, il parvint à s'en emparer
(19 mai 1744). Le chevalier de Poulconcq ^, lieutenant
sur le Mars, fut chargé de conduire cette prise à Brest ;
elle y fut incorporée, en conservant son nom, dans les
cadres de la flotte française ^ Deux officiers de Conflans
s'étaient particulièrement distingués dans cette affaire ;
le lieutenant Kerjan à la première batterie, le lieutenant
des gardes-marine Bidé de Chézac à la seconde ; leur
chef obtint pour eux la croix de Saint-Louis.
Conflans était rentré à Brest après le combat des Ber-
lenga. Sur le Norihumberland, il passa en 1745 aux An-
tilles. Il se rencontra à la Martinique avec le chevalier
de Caylus, qui était parti de Toulon au mois de sep-
tembre précédent. Après avoir ravitaillé nos établis-
sements et réuni un grand convoi, il reprit la mer, et
rentra à Brest à la fm de juillet (1745). De son côté, le
chevalier de Glandevez ramenait une partie de l'escadre
'et du convoi aux ports de Marseille et de Toulon.
En 1745, deux autres croisières parcoururent encore
la mer des Antilles. Des Herbiers de L'Etanduère était,
au mois de mai, dans les eaux de Saint-Domingue.
Macnemara, qui commandait alors les gardes-marine
à Rochefort, apparaissait aux îles d'Amérique, avec
cinq vaisseaux et deux frégates ; il soutint fort
habilement l'honneur du pavillon, obligeant plu-
sieurs navires ennemis à prendre la fuite, mais sans
perdre de vue l'objet de sa mission, que certains offi-
ciers regardaient parfois comme un sorte de dérogation
à leurs fonctions militaires, l'escorte de navires de com-
6. Chevalier de Poulconcq. De Bretagne. G., 15 juill. 1705 ; L. 1" avril 1738 ;
C. 1" janv. 1746 ; R., 1757. A. M., C 1G6.
7. Conflans a laissé sur ce combat un rapport très intéressant ; il est daté
de Brest, 5 juin 1744. A. M., B' 56.
PREMIÈRE GUERRE MARITIME. — LES ANTILLES. 199
merce. Comme L'Etanduère avait tenu en respect les
flottes de Towsend et de Davers sans livrer combat,
Macnemara avait écarté les vaisseaux du commodore
Lee ; il était de retour en France au début de 174G.
Le capitaine Du Guay avait été moins heureux. Il con-
voyait avec deux vaisseaux, le Magnanime et le Rubis^
une flotte de quarante-trois navires marchands, quand
il fut chassé, dans les eaux de Fort-Royal (Martinique),
par les huit vaisseaux, les trois frégates et les deux
bricks de Towsend ; il put sauver vingt-sept navires
et se sauver lui-même (octobre 1745). Avec une pareille
disproportion de forces, il avait droit de regarder
comme une victoire de n'avoir pas éprouvé de pertes
plus grandes.
Conflans avait reçu, à la fm de 1745, le comman-
dement d'une escadre de quatre bâtiments, le Terrible,
le Neptune, V Alcyon, la Gloire ; il avait la mission de
conduire aux Antilles une flotte de deux cent cinquante
voiles, très richement chargée et portant six mille
honmies. Il partit de l'île d'Aix, le 29 avril 1746 ; il
montait le Terrible, ayant pour capitaine en second Du
Rouret de Saint-Estève. Après quarante-huit jours de
traversée, il abordait à la Martinique (15 juin) ; malheu-
reusement une épidémie s'était mise dans les équipages
du Terrible et du Neptune, il avait débarqué plus de
huit cents malades. Après avoir recomplété ses équi-
pages, il remit à la voile de Fort-Royal, le 3 juillet.
En doublant le Môle Saint-Nicolas sur les côtes de
Saint-Domingue, il dispersa l'escadre de Davers, forte
de cinq vaisseaux, d'une frégate et d'une dizaine de
corsaires. Trois jours après il entrait au Cap avec sa
flotte, sans être autrement inquiété.
Il reprit la mer le 7 septembre ; ses instructions lui
disaient de rallier dans le nord de l'Atlantique l'escadre
200 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
de d'Anville, qui était partie, vers la même époque, pour
l'expédition de Louisbourg; mais il ne la rencontra
point et revint en France. Dans cette croisière de retour,
il donna la chasse, auprès du banc de Terre-Neuve, à
un convoi ennemi de soixante-dix navires et de deux
vaisseaux de ligne. En trois heures, il enleva le Severn,
de cinquante canons, coula un navire de commerce, en
captura vingt et mit en fuite l'autre vaisseau anglais
(29 octobre). Le 6 novembre, l'habile commandant était
de retour à Brest.
Vers la même époque. Du Bois de La Motte, alors
capitaine de vaisseau, ne se conduisait pas avec moins
de bonheur. Parti de France, en octobre 1746, avec le
Magnanime, VAlcide et V Arc-en-ciel, pour escorter un
convoi, il arriva sans accident jusqu'aux Antilles ;
attaqué entre la Martinique et Saint-Domingue par le
Commodore Digby Dent, il lui tint tête ; sans avoir perdu
un bâtiment, il débarqua au Cap, le 8 décembre. Son
retour, en avril et mai 1747, fut marqué par deux ren-
contres très disputées. Auprès de la Martinique, le
5 avril, dans un combat acharné de quatre heures et
demie, il eut encore à repousser Digby Dent. Sur les
côtes de France, il donna dans l'escadre du commodore
Fox, forte de neuf vaisseaux de guerre. Il put passer
cependant et conduire sa petite division navale et
soixante-quatre navires de son convoi marchand jusque
dans la rade de Brest.
Guichen se signalait aussi par une croisière auda-
cieuse. Commandant la Sirène comme lieutenant de
vaisseau, il avait été envoyé à Saint-Domingue, de com-
pagnie avec VAlalanie, de Du Chaffault de Besné (1747).
La Sirène avait une marche supérieure ; étant presque
toujours en avant, elle livra de nombreux combats aux
corsaires qui pullulaient entre Saint-Domingue, Cuba
PREMIÈRE GUERRE MARITIME. — LES ANTILLES. 201
et la Jamaïque. Un jour, Guichen et Du Chaffault, pour
éviter une escadre de cinq vaisseaux, dont un de cent
dix pièces de canon, se retirèrent à Port-de-Paix ; ils
avaient descendu à terre six canons de VAtalante^ pour
former une batterie. Le lendemain, grâce à cette forti-
fication improvisée, ils repoussèrent l'ennemi, en lui
infligeant des pertes sérieuses. Détaché tout seul à
Saint-Louis par M. de Chatenoy, commandant de Saint-
Domingue, Guichen y arriva à temps pour prendre sous
son escorte six navires marchands, qui portaient une
riche cargaison. Il sut se dérober aux Anglais et prendre
la mer avec son convoi à destination de Brest, a Ce que
j'ai exécuté, dit-il lui-même, avec tout le bonheur pos-
sible, dans le temps le plus critique. )> L'année suivante,
il était fait chevalier de Saint-Louis.
Les circonstances réclamaient à Saint-Domingue un
marin énergique. Conflans, que sa dernière campagne
avait mis en évidence, reçut en 1747 (26 mai) le gou-
vernement des îles sous le Vent. Tombé entre les mains
des Anglais le 24 septembre \ il put cependant gagner le
Cap, capitale de son gouvernement, dans les premiers
jours d'août 1748 ; il y avait été conduit par Vlntrépide,
du capitaine de vaisseau BuUion de Montlouet. V Intré-
pide était de retour à Brest, en novembre, après trente-
six jours de traversée.
Dira-t-on que c'était une marine inexpérimentée et en
décadence, comme on est trop souvent porté à le croire
de la marine de Louis XV, que la marine qui se mon-
trait si bonne manœuvrière et si vaillante dans ces
croisières répétées ? Sans doute, elle ne fut pas tou-
jours heureuse ; quoi de plus triste que l'expédition du
8. Voir ci-dessus, p. 178.
202 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
duc d'Anville, où l'escadre fut détruite par la tempêta
et par les épidémies, sans avoir pu exécuter sa mission
militaire ! Mais que manquait-il pour conduire au succès
ces chefs de mérite et ces équipages pleins de bravoure ?
La volonté bien arrêtée de faire à la marine sa part
dans la politique générale et la grandeur du pays. On
se servait de la marine pour des opérations intéres-
santes, mais secondaires en somme, comme ces croi-
sières des Antilles. Pour les opérations décisives, comme
le débarquement en Angleterre, l'expédition de Louis-
bourg, la campagne dans les mers de l'Hindoustan, on
semblait ne l'employer qu'à contre-cœur ; on ne lui don-
nait que des moyens d'action insuffisants, qui d'avance
paraissaient la vouer à la défaite.
f
CHAPITRE XIII
PREMIÈRE GUERRE MARITIME ENTRE LA FRANCE ET L*ANGLE-
TERRE. — 5° l'océan INDIEN
La Bourdonnais à l'île de France. — La flotte de la Compagnie des
Indes. — Départ de La Bourdonnais pour l'Hindoustan. — Batailles
navales. — Siège de Madras. — Bouvet de Lozier. — Traité d'Aix-
la-Chapelle.
(( Paris et Londres sont rivaux en Europe ; Madras
et Pondichéry le sont encore plus dans l'Asie, parce
que ces deux villes marchandes sont plus voisines, si-
tuées toutes deux dans la même province,... faisant
toutes deux le même commerce, divisées par la religion,
par la jalousie, par l'intérêt et par une antipathie natu-
relle. Cette gangrène, apportée d'Europe, s'augmente et
se fortifie sur les côtes de l'Inde ^ » Il n'y avait, en
effet, qu'à considérer la situation réciproque de Pondi-
chéry et de Madras, de Chandernagor et de Calcutta
pour comprendre que la coexistence de deux empires
coloniaux, l'un français, l'autre anglais, situés côte à
côte dans le Coromandel ou le Bengale, était impos-
sible. L'Inde ne pouvait pas être partagée entre la
1. Voltaire, Fragments historiques sur l'Inde, art. III. Ci. sa lettre à
M. Gilly, décembre 1764 : « Je ne sais, Monsieur, comment l'éditeur du
livre dont vous me faites l'honneur de me parler a mis huit lieues au lieu
de vingt-huit pour marquer la distance de Pondichéry à Madras. Pour
moi, je voudrais qu'il y en eût deux cents ; nous serions plus loin des
Anglais. »
204 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
France et rAnglelerre ; elle devait être à 1 une ou à
l'autre.
Cette question avait sa solution sur mer. Les victoires
à l'intérieur de l'Hindoustan ne pouvaient être rem-
portées et surtout ne pouvaient être exploitées que par
la puissance qui serait capable de tirer de l'Europe ses
instruments de conquête, qui posséderait la route des
Indes, dont les flottes militaires, en un mot, seraient
maîtresses de la mer. Au début de la lutte, la France
avait des chances de succès très sérieuses, à cause de
certains avantages géographiques, ou à cause des qua-
lités exceptionnelles de ses champions.
La compagnie des Indes avait eu la main très heu-
reuse en occupant l'île de France en 1721 ; sur la longue
route du Cap à Ceylan, c'était une relâche excellente.
Celte position, dont la valeur naturelle était déjà très
grande, s'accrut encore beaucoup en importance quand
son gouvernement et celui de l'île voisine, l'île Bourbon,
furent donnés en 1735 à Mahé de La Bourdonnais.
Entré comme lieutenant au service de la compagnie
des Indes en 1718, à dix-neuf ans, La Bourdonnais était
à sa place dans ce gouvernement des Mascareignes, qui
allait lui permettre, en quelques années, d'exercer ses
meilleures qualités d'organisateur et de marin. Il com-
prit l'intérêt exceptionnel de l'île de France au point de
vue commercial et militaire ; mais il fallait commencer
par compléter l'œuvre de la nature. Des deux ports
alors fréquentés, Port-Sud-Est et Port Nord-Ouest, le
second était dans des conditions particulièrement favo-
rables ; il le transforma, il en fit un port de premier
ordre et une ville, Port-Louis : c'est toujours la capi-
tale de Maurice. L'île de France devint ainsi la citadelle
de la France dans l'océan Indien et la clef de l'Hin-
doustan.
PREMIÈRE GUERRE MARITIME. — l'oCÉAN INDIEN. 205
Un peu plus tard, en 1744, l'occupation par un agent
de la compagnie, Lazare Picault, des archipels au nord-
est de Madagascar et de l'île qu'il baptisait Mahé, en
l'honneur du gouverneur des îles de France et de
Bourbon, nous donnait encore une relâche précieuse
sur la route des Indes. L'océan Indien appartenait alors
sans conteste à la France.
Dès 1740, La Bourdonnais, qui prévoyait, comme la
plupart des marins, une rupture imminente avec l'An-
gleterre, proposait à Maurepas une grande opération
maritime, digne de son audace de Malouin et de la haine
qu'il portait aux Anglais. Il parlait d'aller surprendre
le commerce britannique dans les mers de l'extrême
Orient, par une croisière vers les détroits de Malacca
et de la Sonde ; c'était, disait-il, « le plus grand coup ^
qu'on eût jamais fait sur mer ». Maurepas approuva
l'idée, mais il ne voulut pas engager dans une opération
de ce genre les vaisseaux du roi ; d'autre part, les di-
recteurs de la compagnie, qui se leurraient du vain
espoir de rester en paix avec leurs concurrents, ne con-
sentirent pas aux frais de cette expédition, qui eût pu
d'un seul coup ruiner nos rivaux. Notons que ce projet
d'une croisière dans le détroit de la Sonde devait repa-
raître en 1765 dans les mémoires militaires du comte
de Broglie, avec le nom de son premier auteur.
Malgré tout, il fallait bien songer à la guerre. La
Bourdonnais avait quitté Lorient, le 5 avril 1741, avec
la commission de capitaine de frégate de la marine
royale ; il emmenait cinq vaisseaux de la compagnie
armés en guerre, douze cents marins et cinq cents sol-
dats. Le matériel et les équipages de la compagnie
n'avaient qu'une valeur médiocre. Obligée de conciher
les intérêts du commerce et ceux de la sûreté militaire,
la compagnie avait fait construire sur ses chantiers, et
206 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
notamment à Lorient, de gros navires, — elle en avail
trente-cinq en 1744, — qui étaient d'un type intermé-
diaire entre le transport de commerce et le vaisseau de
guerre. En fait, c'étaient pour la plupart de médiocres
marcheurs, incapables en outre, à cause de leurs mu-
railles trop légères, de porter une puissante artillerie
et de résister à un feu prolongé. Les officiers de ces
navires manquaient souvent de connaissances militaires ;
ils avaient du moins une grande expérience des ma-
nœuvres nautiques. Un livre classique au xviii^ siècle.
Le Manœuvrier ou Essai sur la théorie et la pratique
des mouvemenls du navire et des évolutions navales^
paru en 1765, et dédié au duc de Choiseul, a pour au-
teur Bourde de Villehuet, (( officier des vaisseaux de
la compagnie des Indes ». Recrutés dans la bourgeoisie
ou dans la petite noblesse, ces officiers de la marine
marchande étaient mal vus des officiers de la marine
royale : de là, une malveillance et un mépris réci-
proques, dont le contre-coup se fit fâcheusement sentir,
à plusieurs reprises, dans les opérations combinées
entre les deux flottes.
Quant à la composition des équipages, c'était certai-
nement la partie la plus défectueuse dans les institutions
de la compagnie. Recrutés d'éléments impurs, dans le
rebut de la population des ports de mer, ne rachetant
pas leur ignorance du métier par cette idée du dévoue-
ment au roi et de la fidélité au drapeau qui, du plus
obscur matelot de la flotte royale, pouvait faire un héros,
ces équipages étaient, au point de vue militaire, autant
de non-valeurs, quand ils n'étaient pas autant
d'obstacles insurmontables. Personne n'en a parlé plus
sévèrement que La Bourdonnais. Lors de cette tra-
versée de l'année 1741, « je trouvai, dit-il, que les trois
quarts des matelots n'avaient jamais navigué, et presque
PREMIÈRE GUERRE MARITIME. — l'oCÉAN INDIEN. 207
tous, jusqu'aux soldats, ignorant ce que c'était qu'un
canon et qu'un fusil... » ; et autre part : « Ces gens-là,
quand je ne suis plus à leur tête, sont tout au plus bons
à se défendre lorsqu'on les attaque ; leur vrai métier,
c'est de charger des ballots et de conduire la barque. »
C'est sur cette matière ingrate que La Bourdonnais
exerça à plusieurs reprises ses admirables qualités d'or-
ganisateur. Comment son art de manier les hommes et
sa persévérance à toute épreuve parvinrent à faire de
ces recrues ignorantes et indisciplinées mieux que des
marins et des soldats passables ; comment, avec des
équipages de cette origine, il put vaincre les équipages
réguliers des navires de guerre anglais : c'est une
œuvre aussi digne d'éloges et de reconnaissance que
celle qu'il accomplit à l'île de France. Dans ces longues
traversées de Lorient à Port-Louis, de Port-Louis à
Pondichéry, qui demandaient alors des mois, presque
des années, où il y avait tant de jours perdus, il ne
cessait de faire travailler ses officiers et ses équipages
de mille manières : manœuvres à bord, exercice du
mousquet, tir au canon, manœuvres d'ensemble ; les
voyages au long cours étaient avec lui un cours vivant
et permanent de tactique et de stratégie navales. En
1741, il avait relâché à l'île Grande, sur les côtes du
Brésil, pour y exercer les matelots et les soldats ; ce
furent vingt-deux jours d'exercices et d'entraînement
continus. Quand il arriva à Port-Louis, le 14 août 1741,
quatre mois et demi environ après son départ de Lo-
rient, il commençait à avoir des équipages qui méri-
taient ce nom.
La préparation n'était pas finie. Après un mois de
relâche, il reprit la mer ; il arriva à Pondichéry le
30 septembre. De là, il se porta devant Mahé qui, de-
puis dix-huit mois, était bloqué par les indigènes sou-
208 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
levés contre nous et secrètement soutenus par les An-
glais ; ces opérations se terminèrent, le 4 décembre, par
la délivrance de Mahé et, en février 1742, par un traité
de paix signé avec les Naïres. Enfin, en mars, il revint
mouiller aux îles de France et de Bourbon. Or, au
cours de cette croisière, pas un jour ne s'était passé
sans manœuvres ou exercices quelconques. La Bour-
donnais avait enfin des états-majors, des marins, des
soldats, des cancnniers.
De retour aux Mascareignes, il avait armé en guerre,
en prévision de la rupture facile à prévoir, tous les na-
-vires qui passaient à Port-Louis. Mais alors arriva un
ordre de France de désarmer et de renvoyer les navires
en Europe. C'est ici que l'on peut saisir sur le vif les
contradictions et les inconséquences du gouvernement
de Louis XV, qui se traînait à la remorque des évé-
nements, voulait et ne voulait pas, commençait tout, ne
finissait rien, et laissait ses agents se tirer d'affaires
;omme ils pouvaient. La Bourdonnais, découragé, ren-
voya ses navires et offrit sa démission. Une lettre du con-
trôleur général Orry survint sur ces entrefaites ; elle
lui exprimait le désir (( qu'il n'ait pu exécuter en entier
les ordres qui lui avaient été donnés ». Or, les ordres
avaient été exécutés. Nouvelles dépêches, pour lui
donner à l'avance la commission de gouverneur général,
(( s'il arrivait quelque chose à Dupleix », puis pour lui
annoncer la rupture avec l'Angleterre, jamais pour l'in-
former du départ d'une escadre.
Au milieu de ce désarroi, La Bourdonnais, ne comp-
tant plus que sur lui-même, poussa énergiquement
ses préparatifs militaires, malgré ses médiocres
ressources. En 1745, Dupleix faisait appel à son con-
cours. L'Angleterre venait d'envoyer dans l'Inde, où la
France n'avait elle-même aucun navire de guerre, le
PREMIÈRE GUERRE MARITIME. — l'ocÉAN INDIEN. 209
Commodore Barnett avec trois vaisseaux de ligne et une
frégate ; Pondichéry, notre capitale du Coromandel,
pouvait être enlevé par un coup de main. La Bourcon-
nais fut plein de joie à l'idée d'aller canonner les An-
glais ; la guerre, il la préparait depuis cinq ans envi-
ron ; il était prêt à la faire, bien et vite. Pour ses rap-
ports avec Dupleix, comment prévoir que la défiance,
que la jalousie, que la haine allaient les envenimer?
Jusque-là, entre ces deux Français, qui aimaient
leur pays, qui le servaient avec un égal dévoue-
ment, qui voulaient sa grandeur maritime et co-
loniale, la confiance avait été réciproque et sans
arrière-pensée. Quel malheur que le manque d'at-
tributions bien définies entre le gouverneur gé-
néral de la compagnie et le chef d'escadre, destinés
à agir ensemble, ait permis à l'ambition personnelle de
chacun d'eux de se faire jour ! La Bourdonnais n'aurait
pas été jeté à la Bastille, Dupleix n'aurait pas été désa-
voué et réduit à la misère, peut-être même le drapeau
français flotterait-il encore sur l'Hindoustan.
Les forces navales de Port-Louis ne se composaient
que de quelques méchantes frégates ; récemment, un
navire de la compagnie, le Saini-Géran, venait de se
perdre sur les récifs de l'île d'Ambre, causant la mort
d'une jeune fille, M"^ Mallet, la Virginie du roman de
Bernardin de Saint-Pierre. Le 29 janvier 1746, une
escadre de cinq vaisseaux armés en guerre était arrivée
de Lorient ; un seul d'ailleurs, V Achille, de soixante-
quatorze canons et de sept cent quatre-vingts hommes
d'équipage, commandant d'Obry, pouvait être quahfié
de vaisseau de ligne. A la vue de ce secours qu'il atten-
dait depuis si longtemps. La Bourdonnais crut qu'il
allait enfin châtier l'audace des Anglais ; depuis deux
14
210 LA MARINE MILITAIRE SOUS LÔlJlS XV.
ans que la guerre existait, ils causaient impunément bien
des dommages à notre commerce dans l'Inde.
Aidé de son lieutenant, le xMalouin Bouvet de Pré-
court 2, il se hâta d'armer tous les navires dont il pou-
vait disposer, neuf en tout : ï Achille, six petits vais-
seaux, deux frégates. A mesure que chaque navire
était prêt, il l'expédiait à Sainte-Marie-de-Madagascar
pour embarquer des vivres. L'escadre achevait ses der-
niers préparatifs à ce lieu de ralliement, quand, le 4 et
le 5 avril, elle fut assaillie par un cyclone, comme il
s'en produit souvent dans cette région de l'océan In-
dien. V Achille fut entièrement démâté, tous les navires
souffrirent beaucoup ; aucun n'était complètement
perdu, mais on ne pouvait plus songer à reprendre la
mer dans un pareil état. La ténacité de La Bourdon-
nais et ses facultés exceptionnelles d'organisateur ou
mieux de créateur allaient s'affirmer une fois de plus.
Ces navires sans mâts, sans agrès, qui ne gouver-
naient plus, qui faisaient eau de toutes parts, il les rallia
au nord de Sainte-Marie, dans la baie d'Antongil, où la
compagnie avait essayé, en 1733, de fonder un établis-
sement. Là, il relâcha pendant quarante-trois jours,
Construire un quai sur cette côte marécageuse pour y
faire atterrir ses navires, établir des chantiers, des
forges, une corderie, tracer une route pour aller cher-
cher des arbres dans les forêts de l'intérieur, réparer
chacun de ses navires depuis la quille jusqu^au pavillon,
avoir de nouveau une flotte toute neuve et bien en état :
voilà le tour de force prodigieux qu'il accomplit, en un
mois et demi, dans ces parages déserts où il avait failli
périr.
Le 22 mai, sa division navale étaft en mer. Alors ce
2. Cousin de Bouvet de Lozier.
PREMIÈRE GUERRE MARITIME. — l'oCÉAN INDIEN. 211
fut l'exercice du canon, de la mousqueterie, de l'abor-
dage, fait deux fois par jour à bord de chaque navire.
Le 29 juin, à la hauteur de Ceylan, La Bourdonnais
reçut des dépêches alarmantes de Dupleix. « Depuis
deux ans le nom français était absolument méprisé dans
l'Inde ; les Anglais, fiers du ravage qu'ils y faisaient
impunément, étaient venus nous narguer dans la rade
de Pondichéry ; même, par fanfaronnade, ils y avaient
envoyé sonder jusque sous le canon de la citadelle ;
enfin, depuis un mois, une escadre anglaise, commandée
par M. Peyton, croisait du fort Saint-David à Ceylan,
dans l'attente de notre arrivée ; cette escadre était com-
posée de six vaisseaux. )> Trois navires de commerce
français venaient d'être enlevés par l'ennemi.
Le 6 juillet, La Bourdonnais découvrit l'escadre an-
glaise à huit lieues environ au large de la côte, entre la
pointe Caliméré et le comptoir hollandais de Nega-
patam. Meilleurs voiliers que nos navires, les vaisseaux
anglais gardèrent l'avantage du vent. Le combat ne fut
guère qu'une canonnade ; le feu fut très violent autour
de V Achille, qui ne fut soutenu que par quatre navires,
car les autres n'avaient pu entrer en ligne.
On a sur cette campagne de 1746 une intéressante
relation 3, due à M. de Rostaing ; cet officier, qui s'était
embarqué à Lorient en 1741, à vingt-cinq ans, comme
capitaine, sur l'escadre de La Bourdonnais, et qui devait
mourir lieutenant général en 1793, après une longue et
féconde carrière d'artilleur, commandait alors l'ar-
tillerie de notre escadre. La précision de son
tir fut pour beaucoup dans le succès de la
journée. « Toute mon artillerie, dit-il , était gar-
nie de platines de fusils appliquées à côté de la
3. R. M. C, t. LXVII.
212 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
lumière, par le moyen desquelles et d'un bout de ligne
attaché à la gâchette, que le pointeur tirait à propos
lorsque le mouvement du navire mettait la pièce vis-à-
vis de l'objet, on faisait partir le feu aussi promptement
que le coup d'œil. Cette invention, dont M. de La Bour-
donnais a renouvelé l'usage, n'a pas peu contribué à la
vivacité de notre feu ; aussi Peyton nous a-t-il rendu la
justice de convenir que, quoique vieux guerrier, il n'en
avait jamais vu de pareil à celui qui était sorti de
V Achille. » La nuit mit fm à la canonnade et nous permit
de réparer nos avaries, qui étaient sérieuses. Le len-
demain, nous restions seuls ; l'ennemi avait fui du côté
du sud.
VAchille portait des fonds considérables, un million
de piastres ou cinq millions trois cent mille livres de
France et du matériel de toute nature. Aussi La Bour-
donnais, sans donner la chasse aux Anglais, se hâta de
gagner Pondichéry ; il mouillait en rade le 8 juillet, à
onze heures du soir. « La joie que répandit notre arri-
vée fut vive et générale. »
Après avoir débarqué son précieux chargement, libre
à présent de faire le marin à sa guise, il remit à la voile
le 4 août à la recherche de Peyton, qui s'était réfugié
à Ceylan dans les eaux hollandaises de Trincomali. On
entra au port de Negapatam, mais sans saluer les Hol-
landais, à cause de la protection qu'ils donnaient à nos
ennemis et parce qu'ils affectaient de rendre deux coups
de moins à notre pavillon. Cependant, La Bourdonnais
voulut bien accepter, après avoir obtenu la promesse
des ravitaillements nécessaires à ses navires, une invi-
tation à dîner pour lui et ses officiers. Au moment de se
mettre à table, on signala l'approche de cinq vaisseaux
au sud. « Nous remerciâmes donc le gouverneur hol-
landais de son dîner, et nous volâmes à bord, où nous
PREMIÈRE GUERRE MARITIME. — l'oCÉAN INDIEN. 213
fûmes reçus avec des acclamations de joie et des cris
réitérés de : Vive le Roi ! que la vue de l'ennemi exci-
tait parmi les équipages. » Par une ruse de corsaire,
La Bourdonnais arbora le pavillon hollandais. « Mais
quand les Anglais furent à portée de nous reconnaître
avec des lunettes d'approche, ils ne jugèrent pas à pro-
pos de mordre à l'hameçon. » Le signal fut fait de
donner la chasse ; seul, Y Achille était bon voilier, les
autres navires n'étaient que « des coffres chargés de
monde et de canons ». Il fallut donc renoncer à cette
occasion, qui « ne nous a échappé que faute d'avoir des
vaisseaux faits pour la guerre ». On relâcha encore
deux jours à Negapatam et l'on rentra à Pondichéry le
23.
Ce second séjour dans les eaux de notre capitale in-
dienne fut employé à préparer les opérations du siège
de Madras ; c'était depuis longtemps la grande pensée
de Dupleix, et il ne pouvait la réaliser qu'avec le con-
cours d'une escadre. Une maladie de La Bourdonnais
faillit d'abord tout arrêter ; du 28 août au 4 septembre,
la flotte fut commandée par M. de La Portebarré, qui fit
quelques prises jusque dans les eaux de Madras. Le
chef d'escadre étant guéri, l'appareillage eut lieu le
12 septembre, dans la direction du nord.
L'opération du débarquemenf se fit sans difficultés,
le 14, à Coublon et à Saint-Thomé ; les premiers tra-
vaux du siège furent aussitôt entrepris et le bombar-
dement commença le 18. Le « Londres-Indien » — c'est
le nom fastueux que les Anglais donnaient à la ville de
Madras — avait mis toute sa confiance dans l'escadre
de l'amiral Peyton ; mais la canonnade du 6 juillet, la
chasse devant Negapatam, la mâle assurance de La
Bourdonnais avaient porté leurs fruits : Peyton ne fit rien
et Madras succombait dès le 21 septembre. <( Nous pou-
214 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
vons dire, écrit Roslaing, avoir bien joui de tout le plai-
sir de la vengeance ; mais que nous eussions pu la
pousser loin ! Que la fortune nous offrait une belle
et facile occasion pour immortaliser la gloire de la
nation dans l'Inde ! »
Les événements qui suivirent, les différends entre Du-
pleix et La Bourdonnais au sujet du sort de Madras, le
rachat accordé par le second et refusé par le premier,
les conflits d'attributions, les froissements de caractère,
les obstinations, les haines d'homme à homme, toutes
ces tristesses, qui finirent par nous coûter si cher, n'ap-
partiennent pas à l'histoire proprement dite de notre
marine. Bornons-nous à rappeler quelques faits.
Assailli au mouillage de Madras, le 13 octobre, par
un cyclone, dans lequel se perdirent le Duc d'Orléans,
la Marie-itcrlrude et d'autres navires, La Bourdonnais
avait remis à la voile le 23. Il ne s'arrêta que deux jours
à Pondichéry. Il y avait trouvé trois vaisseaux, qui
venaient d'arriver de France le 8 octobre, le Centaure,
le Mars et le Brillant, — cent quatre-vingts canons et
treize cent soixante hommes, — sous les ordres du com-
mandant d'Ordelin. Avec ce renfort, il pouvait achever
ce qu'il avait si bien commencé, en détruisant les der-
niers comptoirs et navires anglais. Mais son parti était
pris ; il ne voulait plus avoir aucun rapport avec Dupleix
ni lui laisser les vaisseaux, dont le commandement, aux
termes de sa commission, n'appartenait qu'à lui. Le
29 octobre, il partit donc de la rade de Pondichéry en
emmenant toute son escadre, soit sept vaisseaux,
V Achille, le Lys, le Sumatra, le Saint-Louis, très fati-
gués de cette longue croisière, et les trois vaisseaux de
d'Ordelin, qui n'avaient fait qu'apparaître pendant vingt
jours sur les côtes du Coromandel. D'Ordelin fit pen-
dant quelque temps une croisière au nord de Sumatra ;
PREMIÈRE GUERRE MARITIME. — : l'OCÉAN INDIEN. 215
le 6 décembre, il jetait l'ancre à Achem (Atchin), sur
les côtes de Sumatra. Quant à La Bourdonnais, la rage
au cœur, ayant laissé à Pondichéry un ennemi qui ne
devait pas lui pardonner, il mouillait le 10 décembre à
Port-Louis, avec sa petite escadre qui avait été si vail-
lamment à la peine et qui ne devait pas être à l'honneur.
Le successeur de La Bourdonnais dans l'océan In-
dien fut un autre Malouin, Bouvet de Lozier. On a déjà
vu comment celui-ci, parti de Lorient le 27 mars 1747,
avait été séparé de son chef d'escadre, le chevalier de
Saint-Georges, par une violente tempête ; Saint-Georges
relâchait à l'île d'Aix, puis en sortait pour partager
l'héroïsme et l'infortune de La Jonquière, tandis que
Bouvet de Lozier, plus heureux, gagnait, sans avoir
rencontré l'ennemi, l'île de Sainte-Catherine sur les
côtes du Brésil ; sa division se composait du Lys et de
quatre autres navires. N'ayant reçu aucunes nouvelles,
il reprenait la mer le 9 août ; deux mois plus tard, le
12 octobre, il touchait à la rade de Port-Louis.
Depuis quelques mois la situation avait bien changé
sur les côtes du Coromandel. Un nouvel amiral anglais,
Griffin, avait ressaisi l'empire du golfe du Bengale, que
notre marine ne songeait plus à lui disputer. Dupleix
pouvait perdre Madras ; il courait même le risque d'être
assiégé dans Pondichéry. Il fit demander du secours à
Port-Louis par le capitaine d'Ordelin, qui arrivait à l'île
de France en décembre, quand Bouvet de Lozier y était
depuis deux mois environ. Les îles de France et de
Bourbon avaient alors pour gouverneur Pierre David,
qui mérita, par son habileté d'administrateur et son zèle
patriotique, de succéder à La Bourdonnais. Pour ré-
pondre à l'appel de Dupleix, Pierre David mit en ar-
mement tous les navires disponibles sur la rade de
Port-Louis ; il les envoyait au fur et à mesure se rallier
216 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
à Foule Pointe, sur la côte de Madagascar, entre Tama-
tave et Sainte-Marie. Il fallait se hâter ; on venait d'ap-
prendre que Boscawen était parti d'Angleterre, le
28 novembre 1747, avec six vaisseaux de ligne, deux
galiotes à bombes, une vingtaine de transports et près
de quatre mille hommes, à destination des Indes. Malgré
toute l'activité de Pierre David, Bouvet de Lozier ne put
prendre la mer à Foule Pointe que le 23 mai 1748 ; il
avait sept vaisseaux, le Lys, VApollon, YAnglesey, le
Mars, le Brillant, le Centaure, la Cybèle, en tout trois
cent vingt-huit canons et deux inille cent dix hommes.
La campagne de Bouvet de Lozier est un vrai chef-
d'œuvre d'habileté manœuvrière : il sut se glisser, invi-
sible et insaisissable, au milieu des escadres anglaises,
exécuter toute sa mission et revenir sain et sauf avec
tout son monde. Le 15 juin, il était dans les eaux de
Ceylan ; il franchit le détroit de Palk, et s'avança avec
beaucoup d'ordre et de prudence le long de Negapatam,
Karikal, Tranquebar. La Cybèle, envoyée en avant-
garde, découvrit, le 20 juin, dans la baie de Goudelour
(Cuddalore), Tescadre de Griffin, mouillée sur deux
lignes en angle obtus, protégeant de ses dix vaisseaux
et de ses quatorze cent soixante-dix canons une flotte
marchande d'une quinzaine de voiles. Bouvet songea
un moment à fondre sur elle ; mais la disproportion des
forces était vraiment trop grande, il pouvait perdre
dans ce coup de main les soixante mille marcs d'argent,
les munitions et les hommes que Dupleix attendait avec
anxiété. Continuant sa route, Bouvet fila au large devant
Goudelour et Pondichéry ; le surlendemain, 22 juin, à
deux heures de l'après-midi, il mouillait devant Madras.
Débarquer l'argent, le convoi, quatre cents hommes, ce
fut pour cet habile manœuvrier l'affaire de huit heures.
Le même jour, à dix heures du soir, il reprenait le
PREMIÈRE GUERRE MARITIME. — l'oCÉAN INDIEN. 217
large. Il y avait à compter avec les Anglais, qui étaient
toujours au mouillage de Goudelour, et avec les vents
qui n'étaient pas favorables, car la mousson du retour,
la mousson du nord-est, ne souffle qu'en septembre.
Tandis que Griffm explorait, sans le rencontrer nulle
part, tous les parages de la côte de Coromandel et
d'Orissa, il utilisait les moindres coups de vent ; bref,
le 25 juillet, il était de retour à l'île de France. Dans
son rapport à Maurepas il parlait ainsi de sa croisière :
« Nous pourrions dire, avec les Israélites de la mer
Rouge, que nous avons été portés comme sur les ailes
des aigles. )> La croix de Saint-Louis, qu'il recevait
quelques mois plus tard, fut la juste récompense de son
audace et de son habileté.
Les secours que Bouvet de Lozier avait débarqués à
Madras, dans l'après-midi du 22 juin, étaient arrivés
juste à temps pour Dupleix ; ils avaient été acheminés
par terre de Madras à Pondichéry. Il ne s'agissait plus,
en effet, pour Dupleix, de garder sa conquête, mais
bien de sauver sa propre capitale.
Boscawen, avec ses forces imposantes, était arrivé,
le 4 juillet 1748, devant Port-Louis ; il avait trouvé une
île bien fortifiée et un gouverneur très énergique ; au
bout de trois jours d'attaque, il renonça à avoir raison
de la résistance de Pierre David. Il continua sa route
vers l'Hindoustan ; le 4 août, il mouillait à Goudelour.
Dans cet intervalle du 4 juillet au 4 août, sa flotte et celle
de Bouvet de Lozier s'étaient croisées sans se rencontrer.
Il commença aussitôt, par terre et par mer, le siège de
Pondichéry. Dupleix, qui n'avait aucun secours à attendre
de la mer, résista avec une admirable énergie ; contre
toutes les prévisions, il triompha de l'ennemi. Ouvert
le 30 août, soutenu par un feu terrible, le siège était
levé le 6 octoBre ; quelques jours plus tard, l'escadre
218 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
de Boscawen disparaissait au large. Elle avait échoué
devant Port-Louis et devant la côte du Coromandel.
Dans cette vie de Dupleix où les tristesses et les joies
se sont tant de fois mélangées, ce fut peut-être le plus
beau moment pour son orgueil patriotique ; Pondichéry
venait d'être sauvé, sauvé par lui, et Madras était tou-
jours entre ses mains ^.
Le grand homme put croire un moment qu'on allait
enfin faire attention à l'œuvre de géant qu'il venait de
commencer avec ses seules ressources. Sortant de son
apathie, le gouvernement avait mis à la mer, à Brest, en
janvier 1748, une escadre de trois vaisseaux et de
quelques petits bâtiments, sous les ordres du marquis
d'Albert Du Chesne, chevalier de Malte. Ses instruc-
tions lui disaient de rallier l'escadre de Port-Louis, de
tenter un coup de main sur Bombay et Ceylan et de se
mettre à la disposition du gouverneur général de la
compagnie des Indes. Qu'advint-il de ces beaux projets?
D'Albert et son vaisseau le Magnanime furent pris par
les Anglais ; le reste de sa division se dispersa sur
l'Atlantique. Le capitaine Kersaint avec VAlcide arriva
le premier à Port-Louis, le 28 juin ; ce fut pour con-
courir à la défense de l'île contre Boscawen. Les autres
bâtiments rallièrent trop tard l'île de France pour que
Kersaint ait pu prendre part à la défense de Pondi-
chéry.
Du moins, après le départ de Boscawen et le retour
de Bouvet de Lozier, Kersaint avait pu réunir et armer
sept vaisseaux. Il prenait la mer en janvier 1749 ; le
4. M. CuLTRu, l'auteur de Dupleix (Paris, 1901), a essayé d'établir que
Jusqu'en l'?49 Dupleix n'avait songé qu'à des opérations commerciales, et
qu'il n'avait eu de plan arrêté pour la domination des Français dans
l'Inde qu'au momeni même de son rappel. Cette thèse, qu'il n'y a pas à
discuter ici, ne change rien à l'opinion que Dupleix avait, dès ce moment,
sur rimi>ortance de Madras.
PREMIÈRE GUERRE MARITIME. l'oCÉAN INDIEN. 219
9 février, il jetait l'ancre devant Pondichéry. Dupleix
avait enfin à sa disposition la force navale qui était la
condition première et comme la base de l'empire franco-
indien qu'il entrevoyait dans son imagination depuis
les rives du Gange jusqu'au cap Comorin.
Ni Dupleix ni Kersaint ne savaient à cette date que
la paix avait été signée entre les puissances belligé-
rantes, à Aix-la-Chapelle, le 18 octobre 1748. Un pléni-
potentiaire français avait déclaré au congrès que son
maître « voulait faire la paix, non en marchand, mais
en roi ». On sut bien vite le sens de cette parole.
Content d'avoir travaillé pour le roi de Prusse, pour
le roi d'Espagne et les siens, Louis XV, dans son admi-
rable désintéressement, ne voulait rien pour lui-même.
Les Pays-Bas belges qu'il tenait en entier, il les rendait ;
deux belles citadelles de Hollande où Maurice de Saxe
et Lowendal avaient planté les fleurs de lis, Maastricht
et Bergen-op-Zoom, il les rendait ; Madras, ce port
ignoré du Coromandel, qu'un marchand de la com-
pagnie des Indes avait occupé de son chef en provoquant
bien des ennuis et à son roi et à la compagnie, il le ren-
dait : il ne voulait point déplaire à George IL Sur le
désir du roi d'Angleterre, il s'engageait à démolir
quelques batteries établies au débouché dans la mer du
petit chenal de Dunkerque, de même qu'il allait faire
arrêter quelques semaines plus tard, en plein Opéra,
le prétendant Charles-Edouard. Que George II consentît
de son côté à nous rendre Louisbourg, et le traité était
signé.
Ainsi fut conclue celte paix stupide. Au mois
d'août 1749, Dupleix dut restituer Madras aux Anglais.
Pourrait-on imaginer une pareille aberration? Maîtres
de tous les Pays-Bas, d'Anvers, des embouchures de
1
220 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
l'Escaut, nous avions entre les mains des gages ines-
timables ; malgré leur voracité coloniale, les Anglais
auraient donné tous les Louisbourg et tous les Madras,
pour nous déloger de ces côtes de la mer du Nord où
ils nous voyaient avec terreur. Mais on rendit les Pays-
Bas et on se borna à l'échange des deux ports colo-
niaux. Or, recouvrer Louisbourg, ce n'était certes pas
sauver Québec ; et restituer Madras, c'était sûrement
perdre Pondichéry.
« Le peuple en général, dit Barbier dans son Journal,
n'est pas bien content de cette paix, dont cependant il
avait grand besoin... On dit que dans les halles les
harengères en se querellant se disent : Tu es bête
comme la paix. » Le mot des harengères peut être le
jugement de l'histoire et surtout de l'histoire maritime.
CHAPITRE XIV
LES SECRÉTAIRES d'ÉTAT DE LA MARINE DE 1749 A 1761
La marine en 1748. — Le secrétaire d'Etat Rouillé. — Travaux mari-
times. — L'Académie de Marine ; Bigot de Morogues. — École d'hy-
drographie. — Le secrétaire d'Etat Machault d'Arnouville. — Consi-
dérations sur la constitution de la marine militaire de la France. —
Préparatifs de la guerre maritime. — Le secrétaire dEtat Moras. —
Les officiers bleus. — Le secrétaire d'Etat Massiac. — Le secré-
taire d'Etat BeiTyer.
On a déjà corrigé le passage du Précis du siècle de
Louis XV où Voltaire avance qu'au moment de la paix
d'Aix-la-Chapelle la France n'avait plus qu'un seul
vaisseau de guerre ^ La vérité est que notre marine
était loin d'être anéantie.
Notre flotte marchande et notre flotte militaire, la
première surtout, avaient subi de grandes pertes. Un
mémoire du mois d'octobre 1745 évaluait à près de cent
quatre-vingt-dix millions de francs les pertes de notre
marine de commerce ^. Notre commerce colonial, vers
1715, ne montait pas à vingt millions de livres par an ;
grâce à la paix qui dura un quart de siècle et qui eut
du moins ce précieux avantage de provoquer l'essor de
la compagnie des Indes, il s'était élevé, vers 1742, à
1. Voir JAL, Dictionnaire critique : « Assertion (Une) de Voltaire. »
2. Mémoire de M. Fournier (octobre 1745), reproduit par Makgry.
«. M. C. t. LXVIII, p. 93-95.
222 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
près de cent cinquante millions ; il occupait alors envi-
ron six cents vaisseaux. Plus de la moitié de cette flotte
marchande était tombée aux mains de l'ennemi ; le
seul port de Marseille avait éprouvé un dommage supé-
rieur à une douzaine de millions. La pêche au banc de
Terre-Neuve, qui avait employé jusqu'à cent vingt na-
vires et huit à dix mille hommes, n'occupait plus qu'une
dizaine de navires ; la perte de Louisbourg avait amené
la ruine complète de cette grande industrie maritime.
Si ce mémoire parle d'une perte d'environ cent quatre-
vingt-dix millions vers la fin de l'année 1745, il est cer-
tain que ce chiffre aurait dû être fortement majoré en
1748, car l'insuffisance du matériel dans la marine
royale n'avait pas permis d'accorder partout à notre
commerce une protection efficace. Il est certain, d'autre
part, que nos convois n'avaient cessé de sillonner
l'Atlantique, à destination des Antilles et même de l'Hin-
doustan ; notre domaine colonial était resté entier,
et les blessures qu'il avait reçues pouvaient se guérir.
Notre flotte marchande disposait encore d'un grand
nombre de navires, et grâce à la paix ce nombre allait
rapidement s'accroître.
Quant à la flotte militaire, ses pertes au cours de la
guerre avaient été d'une quarantaine d'unités, soit
vingt-trois vaisseaux, neuf frégates, six corvettes, trois
grosse flûtes ; il ne faut pas porter au passif de cette
guerre vingt-sept vaisseaux qui étaient devenus hors de
service, car ils auraient été réduits à cette condition
aussi bien en temps de paix. En 1748, les effectifs de
l'armée navale comprenaient encore trente vaisseaux
en bon état, dont neuf à la mer, vingt et un dans les
ports, sans compter dix-neuf frégates légères et dix
navires qui étaient en construction. Le port de Toulon,
à lui seul, possédait dix vaisseaux, de soixante-qua-
I
LES SECRÉTAIRES D ETAT DE LA MARINE DE 1749 A 1761 . 223
torze à cinquante-quatre canons, deux frégates, six
bâtiments de rang inférieur ; les chantiers de Toulon
contenaient quatre vaisseaux et une frégate. Avec ce
total de quarante-cinq à cinquante bâtiments de haut
bord, la marine militaire était loin du chiffre légendaire
d'un vaisseau auquel Voltaire la réduisait.
Il faut ajouter que ces effectifs n'étaient pas sensible-
ment inférieurs à ceux du début de la guerre. Quelques
bâtiments avaient été perdus, comme dans les combats
des escadres de La Jonquière et de i'Etanduère ou dans
les croisières des Antilles ; mais la marine n'avait pas
éprouvé de désastre ; la bataille de Toulon, la seule
bataille rangée qui avait été livrée au cours de la guerre,
sans parler des combats victorieux de La Bourdonnais
sur les côtes du Coromandel, ne lui avait pas fait perdre
un seul navire.
D'autre part, Maurepas avait toujours fait mettre en
chantier des unités nouvelles ; en 1747 encore, trois vais-
seaux étaient sortis des chantiers de Toulon. Le ministre
se plaignait de la parcimonie avec laquelle on lui mesu-
rait les fonds de la marine, maintenant surtout que la
guerre était terminée ; mais, comme il avait toutes les
raisons de croire que le traité d'Aix-la-Chapelle n'était
qu'une trêve, il avait préparé, dès la signature de la
paix, un plan de reconstitution de notre marine de
guerre : il comptait avoir en dix ans environ cent dix
vaisseaux et cinquante-quatre frégates. Il eut à peine le
temps de jeter ces projets sur le papier. Le 30 avril 1749,
la mauvaise humeur et la toute-puissance de M""^ de Pom-
padour l'obligeaient brusquement à résigner ses fonc-
tions de secrétaire d'État et de ministre : il était exilé à
Bourges.
L'histoire de l'administration maritime de la France au
224 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
cours du règne de Louis XV pourrait se répartir en trois
périodes. Pendant la première moitié du règne, c'est le
^ong ministère de Maurepas, qui commença nominale-
ment en 1715, effectivement en 1726 ; on a déjà vu qu'il
valut beaucoup mieux que la réputation qu'il a d'ordi-
naire. Vers la fin, de 1761 à 1770, c'est la trop courte et
féconde période où le duc de Choiseul et le duc de Praslin
entreprirent avec une admirable énergie la restauration
de notre puissance navale. Dans l'intervalle, de 1749
à 1761, c'est la période des ministres éphémères, dont
certains ne sont guère connus que par leur nom. La
période pendant laquelle, en douze ans à peine, le minis-
tère de la Marine fut géré par cinq ministres, — de
valeur très inégale d'ailleurs, — Rouillé, Machault,
Moras, Massiac, Berryer, fut précisément celle où l'admi-
nistration maritime aurait eu besoin plus que jamais
d'une direction unique et vigoureuse : car ce fut l'époque
préparatoire de la guerre de Sept ans et l'époque des
années décisives de cette guerre fatale.
Quand Maurepas reçut l'ordre de se démettre de ses
emplois, le département de la Marine fut donné à un
conseiller d'État, Antoine-Louis de Rouillé, comte de
Jouy ; comme rien ne le désignait à ce poste, on dit, en
jouant sur le mot, qu'on donnait la marine à conduire à
un routier. « Ce ministre Rouillé, il faut l'avouer, était
le plus inepte secrétaire d'État que jamais roi de France
ait eu et le pédant le plus ignorant qui fût dans la robe ^. ))
Voltaire n'avait sans doute pas oublié, quand il écrivait
ces paroles méprisantes, qu'à l'époque où Rouillé était
chargé du département de la librairie, un inconnu, qui
était bien en cour, lui avait été préféré à lui-même pour
3. VOLTAIRE, Mémoires pour servir à la me de M. de Voltaire, écrits
par lui-même, 1759.
LES SECRÉTAIRES d'ÉTAT DE LA MARINE DE 1749 A 1761 . 225
la rédaction de notices sur la vie et les pièces de Molière ;
l'affront remontait à 1734, mais il est de ceux qu'un
homme de lettres n'oublie pas.
Rouillé appartenait à une famille connue dans la robe.
Agé de soixante ans au moment où il succédait à Mau-
repas, il avait rempli déjà de nombreuses fonctions admi-
nistratives, tour à tour conseiller au parlement de Paris,
maître des requêtes au conseil d'État, intendant du com-
merce, directeur de la librairie, conseiller d'État, con-
seiller de la compagnie des Indes. Dans ces divers postes,
il avait montré des qualités d'ordre, de vigilance, d'exac-
titude, de bonne et honnête gestion ; ce furent les mêmes
qu'il apporta au ministère de la Marine. Plein de bonne
volonté, mais se sentant peu préparé à ses fonctions nou-
velles, il eut le mérite de ne pas vouloir diriger la marine
par ses seules lumières ; il se donna un collaborateur
dans la personne d'un homme du métier, qui était un
administrateur bien au courant et fort capable, Le Nor-
mant de Mézy, intendant de la marine à Rochefort*. Il
faut faire remonter à ce conseiller modeste le mérite de
quelques mesures qui font du ministère de Rouillé une
période intéressante de notre administration maritime.
Le gouvernement avait commis la grande faute, après
la paix de 1748, de réduire beaucoup les fonds de la
marine. Ainsi, en 1750, Rouillé ne pouvait disposer que
de 14 900 000 francs pour les fonds ordinaires, — de
2 650 000 francs pour les fonds extraordinaires, c'est-
à-dire pour les armements, lesquels constituaient la
dépense la plus nécessaire même en temps de paix, —
de 100 000 francs pour les fonds secrets, — soit en tout
4. Sébastien-François-Ange Le Nonnant de Méty, né à DiTnkerque )«
20 novembre 1702, intendant des armées naraJes. Voir VBtat sommaire
des Archives de la Marine, p. 179, 874, 375.
15.
22Ô LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
de 17 650 000 francs ^ Cependant, il poursuivit avec
beaucoup de méthode l'exécution des plans de construc-
tion de Maurepas. De 1749 à 1754, on construisit ou on
répara trente-huit vaisseaux de ligne. En 1754, notre
flotte de guerre comprenait, d'après les états officiels,
cinquante-sept vaisseaux :
5 de P' rang (de 90 à 110 canons),
22 de 2^ rang (de 70 à 80 canons),
23 de 3^ rang (de 54 à 66 canons),
7 de 4^ rang (de 46 à 50 canons).
Aux vaisseaux il fallait ajouter vingt-quatre frégates (de
24 à 40 canons), des corvettes, des galiotes à bombes, des
flûtes, des chebecs, et quelques galères qui n'avaient pas
encore été désarmées, malgré la suppression de ces der-
niers bâtiments. On arrivait ainsi à un ensemble de cent
dix à cent quinze unités navales ^.
Louis XV parut à un moment sortir de sa torpeur de
Versailles pour prendre part à la vie maritime et en
stimuler le réveil par sa présence. M"*^ de Pompadour lui
avait suggéré de faire une visite au Havre ; le roi y passa
deux jours (19 et 20 septembre 1749). Le commandant du
port, le capitaine de vaisseau Villers Franssures, chercha
à donner à l'auguste visiteur une idée de la marine. Il lui
fit visiter le Chariot Volant, flûte de six cents tonnes et
de trente-six canons, le plus gros navire sans doute de
l'arsenal du Havre, qui, baptisé de nouveau en souvenir
de cette visite, devint le Chariot Royal ; il le fit assister
à diverses manœuvres, à une joute, au lancement de trois
navires marchands, à un simulacre de combat naval, qui
valut au vainqueur, le lieutenant de vaisseau Dupuis,
I. Voir les chiffres sur la période 1750-1770 donnés dans l'Etat sommaire
éit Archives de la Marine, p. 616-617.
6. Voir, à l'Appendice VI, un état comparé des marines de France et
d'Angleterre en 1751.
LES SECRÉTAIRES d'ÉTAT DE LA MARINE DE 1749 A 1761 . 227
d'être promu capitaine de vaisseau '^. En réalité, cette
visite officielle fut bien frivole, frivole, suivant le mot
d'un historien, comme celle qui l'avait proposée. Deux
jours passés au port du Havre : voilà, dans ce règne de
cinquante-neuf ans, à peu près toute la part personnelle
prise par le souverain, d'une manière apparente, à la
vie maritime du pays.
Les officiers de la marine secondaient avec une patrio-
tique ardeur les intentions du ministre. Quelques jours
après la nomination de Rouillé, le chevalier de Piosin,
qui commandait en second la marine au port de Toulon,
lui écrivait, le 11 mai 1749, à propos du lancement de
ÏOrphée, qui venait d'avoir lieu dans ce port : « C'est un
beau navire de guerre, de soixante-quatre canons, et qui,
selon les règles de la construction, ne peut être que bon ;
mais ce qui me plaît infiniment, c'est d'avoir, monsei-
gneur, dans l'idée que vous ne serez pas longtemps dans
votre ministère sans en représenter une soixantaine
d'autres aux Anglais, depuis cette force jusqu'à celle de
quatre-vingt-dix. Je le souhaite pour votre gloire et
pour que notre infortunée marine puisse prendre sa
revanche. »
La pénurie financière était toujours le grand mal de
la marine. On parvenait à construire des vaisseaux, mais
on ne pouvait pas toujours les armer. La lettre suivante
de l'intendant de Toulon (juillet 1753) laisse deviner bien
des misères, sans parler de celles qu'elle met au grand
jour. (( J'aurais été fort embarrassé pour la levée des
marins à embarquer sur les deux chebecs le Requin et le
7. Dupiiis. « A presque toujours armé avec permission sur les vaisseaux
de la compagnie des Indes et pour les particuliers. » G., 28 juin 1705;
L., 1*' mal 1741 ; C, 20 septembre 17i9 ; commandant la marine à Port-
Louis, 14 janvier 1753; -j- 27 juillet 1760, Port-Louis. A. M., C 166. —
Cf. « Un voyage de Louis XV au Havre-de-Grâce en 1749 », dans La
France maritime, de Gréhan, t. il, 1852, p. 354 et suiv.
228 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
Rusé, sans un petit capital qui a été remboursé à mon
premier domestique et que je me suis fait prêter. La ville
est épuisée par les sommes considérables que le roi y
doit, et les trésoriers généraux, par leurs remises
inexactes, laissent le port dépourvu d'argent. »
Cependant un grand progrès fut réalisé sous ce minis-
tère pour les fournitures d'artillerie. Jusqu'alors nos
canons de marine étaient souvent achetés en Angleterre
ou en Suède. En 1750, la création du grand établissement
de Ruelle sur les bords de la Tourne, due au général
marquis de Montalembert, affranchit notre marine des
sommes considérables qu'elle payait à l'étranger. Peu
après, en 1752, le Bernois Jean Maritz, commissaire des
fontes à la fonderie de Strasbourg, dota nos arsenaux
d'une invention fort utile. Il avait imaginé une machine
à forer les canons qui étaient coulés pleins et travaillés au
tour ; on eut ainsi des pièces d'une construction à peu
près irréprochable, puisque l'âme en occupait exacte-
ment la partie centrale. Le successeur de Rouillé devait
nommer Maritz (18 février 1755) « inspecteur général
de la fabrication des canons destinés au service de la
marine », et lui donner le cordon de Saint-Michel ^.
Avec ses faibles ressources financières, Rouillé ne
pouvait mettre en état de défense les colonies. Aussi dut-
il se borner à faire réédifier tant bien que mal les forti-
fications de Louisbourg, qui avaient été détruites lors du
siège de 1746 ; elles ne devaient pas être, mieux que par
le passé, en mesure de supporter une nouvelle attaque.
A l'égard de Dupleix et de sa politique, il partageait les
préjugés de la Compagnie des Indes, de l'opinion et du
gouvernement ; c'est lui-même qui contresigna l'ordre
fatal donné à Godeheu de faire arrêter le gouverneur
8. A. M., B' 78 : divers documents sur le sieur Maritz,
LES SECRÉTAIRES D ETAT DE LA MARINE DE 1749 A 1761 . 229
général de la Compagnie et de le faire embarquer sur le
premier vaisseau à destination de la France. Du moins,
un mérite appartient à Rouillé : c'est d'avoir continué la
tradition de Maurepas, en encourageant dans la marine
un mouvement de renaissance scientifique ; il y contribua
officiellement par la création de l'Académie de Marine.
Cette institution eut des origines analogues à celles de
l'Académie française ; ce fut comme une société privée
que la protection du pouvoir transforma en une société
officielle.
Le vicomte Bigot de Morogues, ffis d'un intendant de
la marine à Brest, et qui devait terminer lui-même sa
carrière avec le grade de lieutenant général des armées
navales, s'était fait connaître par des ouvrages scienti-
fiques sur la marine et sur l'artillerie. Il avait publié
en 1737 et dédié à Maurepas un Essai de Vapplicalion
des lorces centrales aux eflels de la poudre à canon ^.
Parmi ses nombreux ouvrages, la Tactique navale ou
Traité des Evolutions et des Signaux^ parue en 17G3, a
conservé un intérêt documentaire pour l'histoire de la
tactique maritime ; publié l'année du traité de Paris,
dédié à Choiseul, qui avait alors les deux départements
de la Guerre et de la Marine, ce gros ouvrage in-4°,
accompagné de quarante-neuf planches, se proposait,
dit la dédicace, de répondre à une partie des vues du
ministre qui voulait faire refleurir la marine. Comme le
livre de Bouguer, De la Manœuvre des vaisseaux...
(Paris, 1757), qui est plutôt de caractère mathématique,
ou comme Le Manœuvrier, déjà cité, de Bourde de Ville-
huet (Paris, 1765), qui a surtout un caractère pratique,
9. En 1752, l'année de la fondation de l'Académie de Marine, Bigot
de Morogues fut nommé commissaire général de l'artillerie.
230 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
la Tactique navale est l'un de ces ouvrages qui prépa-
rèrent dans le silence nos victoires de la guerre d'Amé-
rique.
Il faut ajouter que chez Bigot de Morogues, comme
chez beaucoup d'officiers de marine, le savant se dou-
blait d'un homme d'action. Lors de la préparation des
projets de descente en Angleterre qui se fit en 1759, il
avait été désigné pour conduire une division navale à la
côte occidentale d'Ecosse ; la malheureuse bataille des
Cardinaux empêcha l'exécution de ce projet. A cette
bataille même, le Magnilique, qu'il commandait comme
capitaine de vaisseau fit, durant trois heures, une éner-
gique résistance, qui permit à notre arrière-garde de se
rallier et à lui-même de gagner en sûreté l'île d'Aix.
Le goût de Bigot de Morogues pour les études scienti-
fiques lui avait inspiré, quand il était en résidence au
port de Brest, de réunir chez lui plusieurs de ses cama-
rades de la marine et de l'artillerie pour discuter les
questions techniques de leur profession. En 1750, comme
le ministre Rouillé était venu faire une visite à Brest, il
lui demanda de donner à cette réunion privée une exis-
tence officielle, afin d'en étendre l'influence et de provo-
quer le goût des recherches dans le corps de la marine.
Sur le rapport favorable d'une commission, qui comptait
parmi ses membres Duhamel Du Monceau, inspecteur
de la marine, Rouillé fit paraître, le 30 juillet 1752, un
règlement en trente-cinq articles, qui instituait une
Académie de marine, ayant son siège à Brest.
L'Académie se composait de soixante-quinze membres,
académiciens honoraires, académiciens libres, académi-
ciens ordinaires (ceux-ci au nombre de trente, tous de la
marine et la moitié environ du département de Brest) et
académiciens adjoints. Parmi les académiciens libres, on
relève les noms du comte de La Galissonnière, chef
LES SECRÉTAIRES D ETAT DE LA MARINE DE 1749 A 1761. 231
d'escadre des armées navales, chargé du Dépôt des
cartes, plans et journaux de la marine, de trois membres
de l'Académie des Sciences, Duhamel Du Monceau,
Camus, Bouguer ; parmi les académiciens ordinaires,
les noms de huit capitaines de vaisseau, dont Bigot de
Morogues, le premier directeur de l'Académie, de neuf
lieutenants de vaisseau, dont d'Orvilliers, du port de
Rochefort, Missiessy ^o, du port de Toulon, de quatre
ingénieurs, dont Choquet de Lindu, qui fut, au milieu du
xvm^ siècle, comme le Vauban du port de Brest.
Ces listes sont intéressantes à divers égards. On voit le
titre d'académicien porté par des officiers de tout grade :
chef d'escadre, capitaines, lieutenants, enseignes ; — par
des officiers de plume : commissaires généraux, commis-
saires, écrivains ; — par des membres de l'Académie des
Sciences, qui représentaient la science pure ; — par des
praticiens rompus à l'art de la construction : construc-
teurs des vaisseaux du roi et sous-constructeurs, ingé-
nieurs de la marine et sous-ingénieurs, dessinateurs.
C'était un esprit singulièrement large et fécond que celui
qui avait présidé à ces choix ; loin d'avoir le caractère
jalousement fermé de la plupart des corps de ce genre,
l'Académie de Marine s'ouvrait à toutes les capacités d«
moment où elles se rapportaient à la mer. Comme on l'a
dit avec raison ^i, « c'était un lien de fraternité entre les
différentes parties de ce grand tout, même les plus subal-
ternes, jusque-là très discordantes. C'était un chef-lieu
d'émulation, où devaient se former un jour des géné-
raux, des administrateurs, des officiers de port, des cons-
10. Missiessy. Fils d'un consul de Toulon, anobli par Louis XIV. G.,
22 mars 1732; L., 1*' janvier 1746; C, 15 mai 1756; B., 25 mars 1765;
RCE., 14 mars 1776. A. M., C 167.
11. Vie privée de Louis XV, 1781 ; t. II, p. 3ii.
232 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
tructeurs, en un mot tous ceux qui ont quelque fonction
à remplir dans les arsenaux de la marine )>.
L'Académie tenait une séance hebdomadaire de deux
heures ; elle devait s'y occuper de « tout ce qui a rapport
à la marine ». En fait, les académiciens traitèrent les
questions les plus variées d'architecture navale et hydrau-
lique, de manœuvre, installation et arrimage des vais-
seaux, d'astronomie nautique, d'artillerie, de physique,
de médecine, d'hydrographie, de mathématiques pures
et appliquées. L'objet principal de la docte assemblée
devait être la composition d'un dictionnaire de marine,
« aussi ample et aussi complet qu'il sera possible, soit
par l'exacte définition de chaque terme, soit par l'expli-
cation claire et précise des différentes idées qu'il com-
porte, soit enfin par les dissertations à insérer dans tous
les articles importants qui en seront susceptibles ». Cette
vaste encyclopédie navale fut, en effet, commencée, mais
elle ne fut ni terminée ni publiée. Les séances, au début,
avaient été d'abord très régulières et remplies par la
lecture de nombreux et importants mémoires ; mais elles
devinrent ensuite plus espacées, moins pleines, et la
guerre de Sept ans acheva de les désorganiser : les
académiciens quittèrent alors leurs cabinets de travail
pour monter à bord de leurs bâtiments. La dernière
séance se tint le 8 septembre 1765 ; il n'y avait que huit
membres présents.
Choiseul-Praslin, qui encouragea par tous les moyens
le réveil maritime de la France, réorganisa l'Académie
par le règlement du 24 avril 1769 ^^^ et se proposa de lui
« donner une forme solide et permanente ». Il la plaça,
comme toutes les grandes académies du royaume, sous
la protection directe du roi : de là le nom, qui fut officiel
12. A. M. A' 104.
LES SECRÉTAIRES d'ÉTAT DE LA MARINE DE 1749 A 1761 . 233
à partir de cette époque, d'Académie royale. Affiliée
en 1771 par un règlement de l'abbé Terray et du ministre
Boynes à l'Académie des Sciences, elle compta des
membres communs aux deux académies, comme Duha-
mel Du Monceau, Lalande, Bezout et Borda, dont le nom
est si connu de tous nos officiers de marine, et qui était
alors lieutenant de vaisseau et de port à Brest ^^. La
guerre d'Amérique suspendit encore les séances ; elles
reprirent ensuite et se continuèrent avec assez de régu-
larité, malgré la révolution et l'émigration ; en 1793, il
y eut encore cinq séances. Un décret de la Convention
frappa de mort, le 8 août 1793, l'Académie royale de
Marine, comme toutes les académies de l'ancienne
monarchie.
L'Académie de Marine, qui a trouvé de nos jours son
historien ^^ a provoqué des critiques au xviii® siècle
comme de notre temps. On a reproché aux travaux
qu'elle avait inspirés d'avoir un caractère plus théorique
que pratique ; il est certain que l'unique volume qu'elle
fit paraître, en 1773, se compose de vingt mémoires où
dominent les questions d'astronomie abstraite et de
mathématiques transcendantes. Mais on ne voit pas où
est le mal d'avoir répandu dans l'élite de nos officiers le
goût des fortes études, alors que ce goût n'empêcha
jamais les Bigot de Morogues, les d'Orvilliers, les Mis-
13. Jean-Charles, chevalier de Borda. Né le 4 mai 1733, à Dax. LP. surnu-
méraire, l" octobre 1767 ; C, 13 mars 1779 ; inspecteur des constructions
et de l'Ecole des élèves ingénieurs à Paris, 24 octobre 17S4 ; 4- 20 fé-
Trier 1799, Paris. Dans le brevet du 22 octobre 1767, par lequel le duc de
Praslin l'attacha au service de la marine, comme lieutenant de port
•urnuméraire, on lit ces mots : « M. le chevalier de Borda, ingénieur
ordinaire du roi, qui, par ses talents pour tout ce qui est du ressort de
la géométrie et de la mécanique, peut devenir utile pour les diverses
♦pérations qui s'exécutent dans les ports. » A. M., C 178, C\
14. Voir les nombreux articles qui lui ont été consacrés par M. Alf. Do-
JÏBAU DU PLAN, professeur à l'Ecole navale, R. M. C, années 1879-1882.
234 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
siessy, les Borda et leurs camarades moins connus
d'accomplir tout leur devoir de marin.
La très utile institution de Bigot de Morogues et de
Rouillé avait eu immédiatement sa répercussion dans la
diffusion générale des études maritimes. Il y eut alors
une sorte d'engouement pour l'enseignement de l'hydro-
graphie et des mathématiques, a Tout Paris a vu comme
moi, disait en 1759 Digard de Kerguette, un des meil-
leurs professeurs de l'époque, deux cents personnes au
moins suivre pendant plusieurs années les leçons de
M. de Prémontal... J'ai vu la même foule assister à celles
que j'ai données pendant les quatre dernières années de
ma résidence à Paris. » Des chaires d'hydrographie se
fondèrent dans beaucoup de collèges, à Rouen, à la
Rochelle, à Toulouse ; à Marseille, les jésuites avaient
une école d'hydrographie très prospère, à laquelle était
joint un observatoire qui a laissé un nom dans la science.
Le Traité de pilotage de Bouguer, dont le père avait
aussi professé l'hydrographie au Croisic, devint l'ouvrage
classique des écoles d'hydrographie.
Le gouvernement seconda d'une manière officielle ce
que les particuliers avaient entrepris et ce qui répondait
aux préoccupations d'une partie du public. En 1765,
Choiseul organisa des écoles royales publiques d'hydro-
graphie à Brest, Rochefort et Toulon, à côté de celles
qui servaient aux gardes de la marine et du pavillon.
En 1786, le maréchal de Castries fit une refonte complète
de cet enseignement ; il fut désormais représenté dans
tous les ports de mer et la plupart des grandes villes, et
placé sous l'autorité de deux inspecteurs i^. Ces détails,
qui n'appartiennent plus au ministère Rouillé, sont
15. Voir « Les Etablissements scientifiques de l'ancienne marine »,
article de D. Neuville, dans la Revue Tnaritime et coloniale, 1882.
LES SECRÉTAIRES d'ÉTAT DE LA MARINE DE 1749 A 1761 . 235
cependant à leur place ici ; ils se rattachent, en effet, à
cette renaissance scientifique dont le- signal avait été
donné par la fondation de l'Académie de Marine.
Rouillé s'était appliqué à ses fonctions avec zèle et
avec succès ; il avait certainement rendu des services à
la marine, quand, par le fait de convenances person-
nelles, on imagina de le faire passer aux Affaires étran-
gères (30 juillet 1754) ; on lui donna pour successeur au
département de la Marine Machault d'Arnouville, qui
quittait à ce moment le contrôle général des finances. Ce
nouveau ministre fut en fonctions deux ans et demi,
jusqu'au 9 février 1757.
Le nom de Machault est à juste titre l'un des plus
estimés dans l'histoire administrative du règne de
Louis XV. Sa carrière fut celle des personnages les plus
distingués de la robe, tour à tour conseiller au parlement
de Paris, maître des requêtes au conseil d'État, intendant
du Hainaut, contrôleur général, ministre, garde des
sceaux, secrétaire d'État de la marine. Dans toutes ces
fonctions il fit preuve du même esprit de sagesse et de
fermeté, ayant au plus haut degré le sens de l'adminis-
tration. Il arriva au déparlement de la Marine au moment
même où les querelles qui se produisaient dans les soli-
tudes des forêts de l'Ohio et la mort d'un ofiîcier français,
Jumonville, le 28 mai 1754, présageaient une rupture
imminente avec l'Angleterre ; aussi n'eut-il plus qu'une
idée, mettre nos escadres sur le pied de guerre et hâter les
armements. Pour l'année 1755, il put disposer d'un crédit
total de 31326 000 francs, près du double de celui
qu'avait eu Rouillé en 1750. II en profita pour imprimer
la plus vigoureuse énergie aux travaux de construction.
II calculait que pour avoir soixante vaisseaux de ligne
toujours en état d'être armés, il fallait en compter quatre-
236 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
vingts présents dans les ports ; il évaluait, en effet, à un
quart le nombre des vaisseaux à radouber ou à cons-
truire pendant que les autres étaient à la mer.
Un mémoire contemporain évalue nos forces au début
de l'année 1755 à soixante-trois vaisseaux de ligne ; mais
de ce total on devait déduire trois vaisseaux hors de ser-
vice et condamnés, trois autres enlevés par les Anglais
avant toute déclaration de guerre, quatre qui étaient sur
les chantiers et à peine commencés, huit qui avaient
besoin d'une refonte générale ; les quarante-cinq vais-
seaux restants étaient loin d'avoir tout ce qui était néces-
saire à leur armement. L'influence d'un ministre intel-
ligent et énergique changea en quelques semaines cet
état de choses. La plus grande activité régna dans tous
les arsenaux ; cinq escadres furent armées à Brest, à
Rochefort, à Toulon ; d'immenses provisions de muni-
tions navales furent réunies dans la plupart des ports,
de manière à permettre un peu partout le ravitaillement
des bâtiments de guerre.
Sur neuf cent quatorze officiers d'épée dont se compo-
sait en 1755 le corps royal de la marine, il y en avait
environ sept cents qui étaient à terre, sans autre occu-
pation que de monter dans l'année huit ou dix gardes de
vingt-quatre heures. Les officiers de plume, au nombre
de cinq cent soixante-trois ^^, avaient envahi à peu près
toutes les fonctions, dans les arsenaux et dans les ports
aussi bien que dans l'administration centrale. Bien qu'il
appartînt lui-m.ême à la plume, le ministre était con-
vaincu que le système de compliquer les affaires par des
écritures de toute nature n'avait guère d'autre effet que
de multiplier les places inutiles et de gaspiller le temps
16. Ce chiffre et le précédent sont empruntés aux Considérations sur
la constitution de la marine militaire de France, p. 8, 33.
LES SECRÉTAIRES D ETAT DE LA MARINE DE 1749 A 1761 . 237
de tout le monde. « Je n'ai jamais conçu, a écrit Malouet
dans ses Mémoires sur l'administration de la marine,
qu'on ait pu accoutumer les ministres au spectacle et à
l'ennui de ces monceaux de papiers, de ces immenses
portefeuilles, qui sont pour eux le tonneau des Danaïdes.
J'ai ouï dire à un secrétaire de M. de Machault qu'on ne
voyait sur son bureau d'autres papiers qu'un petit cahier
qui se renouvelait tous les mois et contenait l'état des
fonds, celui des approvisionnements en masse et la situa-
tion des vaisseaux. » Beaucoup moins préoccupé d'écrire
que d'agir, le ministre rappela à l'activité tous les officiers
de marine, remettant chacun à sa vraie place, l'officier
à son bord, l'écrivain à son bureau.
Il était nécessaire, en effet, de réagir contre l'impor-
tance excessive que le corps des officiers de plume avait
prise dans la marine française. Un écrit anonyme, dédié
au ministre, les Considérations sur ta constitution de la
marine militaire de la France i"^, insistait, à cette époque
même, sur les graves inconvénients qui en résultaient.
La France, dit l'auteur des Considérations, doit avoir,
de toute nécessité, une marine de guerre, « assez puis-
sante pour protéger notre commerce, conserver nos colo-
nies, favoriser, selon les occasions, nos entreprises par
terre et par mer, et faire échouer celles que les ennemis
pourraient faire sur nos côtes ou ailleurs ». Des deux
éléments dont se compose la marine, officiers d'épée et
officiers de plume, l'élément le moins propre à l'action
est devenu l'élément dominateur. Le dessein de
17. Londres, 1756. Le titre des Considérations est suivi de cette citation
de Martial : Parcere personis, dicere de vitlis.
L'ouvrage a été attrtbué à Jean-Baptiste de Secondât, ûls de Montos'
quieu. M. Céleste, bibliothécaire de la ville de Bordeaux, Qui a eu l'obli-
geance de faire à notre intention des recherches aux archives de la
Brède, et qui a étudié en détail les écrits de Secondât, estime qu'il n'y a
aucune raison de voir en lui l'auteur de ces considérations.
238 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
Louis XIV, SOUS le règne de qui la marine a joui d'un si
grand éclat, était « de donner toute l'autorité au mili-
taire )) ; mais la plume, qui a vu quadrupler le nombre de
ses membres, a fini par tout accaparer, jusqu'au com-
mandement et à la police des arsenaux, au détail des
classes, des construclions, de l'artillerie, des armements.
L'auteur, qui paraît très bien renseigné sur tout ce qui
louche à l'organisation maritime, cite à ce propos des
exemples caractéristiques, d'où il résulte que les officiers
d'épée avaient des attributions de plus en plus réduites.
(( Ne semble-t-il pas que ce soit l'esprit de vertige et de
déraison qui ait amené la marine à cet état de renverse-
ment ? » Sans une réaction immédiate, il estimait que
c'était à brève échéance la perte totale de la marine mili-
taire )) ; pour y remédier, il proposait toute une refonte de
notre organisation navale.
La réaction que souhaitait l'auteur des Considérations
se fit, pour ainsi dire, d'elle-même et par la force des
choses, quand la guerre éclata avec l'Angleterre,
L'énergie du ministre sut imprimer à la marine de
guerre une vigoureuse impulsion ; les officiers d'épée
répondirent à 1 effort qu'on leur demandait, et les défauts
que les années de paix avaient rendus sensibles dispa-
rurent en partie avec les premiers coups de canon.
Les résultats de la campagne de 1756 montrèrent que
la volonté du ministre avait porté ses fruits ; un succès
éclatant avait couronné son œuvre. Après cet admirable
réveil de notre marine, auquel le nom de Machault doit
demeurer attaché aussi bien que le nom de La Galisson-
nière, il fallait se hâter de porter la guerre sur d'autres
théâtres maritimes, il fallait envoyer des escadres au
Canada et dans l'Hindoustan, réunir à Brest un corps
expéditionnaire pour menacer l'Angleterre, qui ne son-
geait plus, au lendemain de la bataille de Minorque, qu'à
LES SECRÉTAIRES d'ÉTAT DE LA MARINE DE 1749 A 1761 . 239
défendre ses propres foyers. Machault, qui parlait le
langage de la raison et du bon sens, était partisan de la
guerre exclusivement maritime. Mais un vent de folie
avait traversé les conseils de Louis XV : au moment
même de notre campagne de Minorque, la France signait
à Versailles, le P'" mai 1756, un traité d'alliance avec
l'Autriche.
De la part de Marie-Thérèse qui avait besoin de nos
soldats pour reprendre la Silésie à Frédéric II, le renver-
sement des alliances, comme on appela cette soudaine
évolution de la diplomatie européenne, était un chef-
d'œuvre d'habileté politique ; de la part de Louis XV,
c'était, par le fait des circonstances, la combinaison la
plus funeste et la plus sotte que l'on pût imaginer. En
quoi nos opératrons contre Frédéric II, heureuses ou
non, pouvaient-elles résoudre les questions maritimes et
coloniales, qui étaient pour nous des questions de vie
ou de mort ? N'allait-on pas, une fois de plus, sacrifier la
mer à la terre, l'Océan au Scamandre ? Combien
Machault avait raison de s'opposer à cette décision, dont
l'entourage de M"° de Pompadour triomphait alors avec
tant de bruit et que l'histoire ne saurait trop sévèrement
juger, au nom des véritables intérêts de la France !
Jamais notre politique maritime ne s'était posée avec
une évidence aussi manifeste, puisqu'à cette date la
France avait le rare bonheur d'être libre de toute compli-
cation continentale ; ce fut alors que, d'elle-même et de
gaieté de cœur, elle se jeta dans les combinaisons les
plus singulières et les plus inattendues. A partir de ce
jour, la guerre qui avait si brillamment commencé dans
les eaux de Minorque ne fut plus pour elle, en Alle-
magne, sur l'Océan, aux colonies, qu'un tissu d'aventures
lamentables.
Machault, qui avait prévu le mal et qui aurait pu, dans
240 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
une certaine mesure, le conjurer, tomba du pouvoir dès
la seconde année de la guerre. L'attentat de Damiens
fut l'occasion de sa chute et de celle du ministre de
la Guerre, le comte d'Argenson. M""^ de Pompadour,
éloignée de la cour au milieu de l'émotion qu'on avait
éprouvée à la pensée du danger couru par Louis le Bien-
aimé, était revenue, au bout de quelques jours, plus puis-
sante que jamais ; elle reprochait aux deux ministres leur
attitude au moment où l'on avait cru à sa disgrâce. Dès
sa rentrée triomphante, elle exigea leur renvoi : deux
lettres de cachet exilèrent, en effet, le même jour, P"" fé-
vrier 1757, d'Argenson et Machault. Cette mesure bru-
tale pouvait désorganiser les services de l'armée et de la
marine, au moment même où la guerre s'engageait au
cœur de l'Allemagne et sur toutes les mers ; peu impor-
tait, si la vengeance de l'irascible marquise avait été
satisfaite. La vie publique de Machault était terminée ;
ce sage ministre mourut en 1794, à quatre-vingt-douze
ans, dans la prison des Madelonnettes ; sa mort avait
devancé de quelques jours la sentence du tribunal révo-
lutionnaire.
La marine devait aller pendant quelque temps encore
de l'élan qui lui avait été imprimé par Machault. Aussi la
présence au ministère de Moras, puis de Massiac, ne
causa pas aussitôt tout le mal qu'on aurait pu redouter
avec des administrateurs incapables.
De Peirenc, marquis de Moras, qui reçut le départe-
ment de la Marine en février 1757, on a dit qu'il semblait
qu'on eût choisi à M. de Machault le successeur le plus
inepte, afin de le faire regretter davantage. Il était déjà
contrôleur général des Finances ; on réunit pour lui les
deux charges des finances et de la marine, dont une seule
aurait suffi à accabler des épaules autrement robustes ;
LES SECRÉTAIRES d'ÉTAT DE LA MARINE DE 1749 A 1761 . 241
on prétendait qu'ayant les fonds à sa disposition, il ne
laisserait pas les arsenaux et les escadres manquer du
nerf de la guerre. C'était la combinaison sous laquelle
Louis XIV avait déjà écrasé l'honnête et malheureux
Chamillard. Du moins ce fut pendant les deux années
1758 et 1759 que la marine eut à sa disposition les
sommes de beaucoup les plus considérables de tout le
règne de Louis XV, 42 370 149 francs en 1758, 56 903 954
en 1759.
En des temps ordinaires, M. de Moras aurait pu être
un ministre suffisant ; car il ne manquait pas d'une cer-
taine expérience des affaires, il avait le désir de bien
faire, de l'application, de l'honnêteté ; mais ces qualités
moyennes ne pouvaient tenir lieu de génie et de volonté.
L'homme que les circonstances réclamaient à cette
époque au ministère de la Marine aurait dû joindre les
talents administratifs d'un Colbert à l'intelligence d'un
Richelieu. Il serait cruel de dire que M. de Moras ne
rappela ni l'un ni l'autre de ces illustres prédécesseurs.
Mais il serait injuste de ne pas lui tenir compte des diffi-
cultés de toute nature, politiques, financières, adminis-
tratives, auxquelles il ne cessa de se heurter ; elles
auraient pu avoir raison d'une intelligence plus haute et
d'une volonté plus énergique.
Un fait peut donner une idée des obstacles qu'il ren-
contrait, quand il prit une mesure qui, loin d'être criti-
quable, est une des plus louables de son administration.
Pour faire la guerre aux Anglais, Moras accueillait les
officiers bleus, c'est-à-dire les officiers des bâtiments de
corsaires ou de la marine marchande, qui se recomman-
daient par leurs états de service ; afin de donner à ces
braves gens un stimulant de plus, il voulait les faire
entrer, à titre auxiliaire et provisoire, jusqu'à la fin de la
guerre, dans les rangs de la marine royale, en leur défi-
le
242 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
vranl des brevets de capitaine de frégate, de lieutenant
de frégate, de capitaine de brûlot ou d'autres analogues.
Les oiTiciers rouges ou les officiers du corps royal de la
marine se crurent lésés dans leurs droits ; le chef
d'escadre Du Guay, commandant de la marine à Brest,
se fit l'écho de leurs réclamations égoïstes. Il s'attira cette
réponse du ministre, en date du 24 juin 1757 ^^ :
« Le désir que vous avez de voir constamment les
officiers de vaisseau pris dans la noblesse du royaume ne
doit-il pas céder aux besoins du service ? Cette vue géné-
rale, adoptée trop strictement, priverait souvent le roi de
la faculté de se procurer des sujets de distinction très
utiles. Les grades intermédiaires ont toujours été
regardés comme le moyen de se les procurer, et c'est à
cet établissement que la marine a dû les Du Guay-Trouin,
les Bart et plusieurs autres officiers, dont la réputation
peut faire, pour tout ce qui sert le roi, un juste motif
d'émulation. Je ne vous dissimulerai pas qu'en mainte-
nant avec la plus grande attention la règle établie, qui
n'admet à la place des gardes de la marine que des
sujets tirés de la noblesse, je profiterai de toutes les occa-
sions d'attacher à ce service des sujets d'un autre état,
qui l'auraient mérité par des actions de valeur ou par
des talents reconnus. Mais était-il nécessaire, monsieur,
que vous me fissiez une réflexion vague et générale, qui
m'a conduit à cette discussion, dans une circonstance où,
forcé par le manque d'officiers, je vous marquais qu'il
était indispensable d'employer sur les frégates ou cor-
vettes des navigateurs estimés, avec des grades conve-
nables à leur état et dont la durée est bornée au seul
temps de la campagne ? »
Qui ne donnerait aujourd'hui complètement raison au
18. Citée par Chabaud-Aenault, R. M. C-, t. CXIT, p. 484.
LES SECRÉTAIRES D ETAT DE LA MARINE DE 1749 A 1761. 243
ministre contre le chef d'escadre ? Mais qui ne connaît
aussi la puissance de certains préjugés et de l'esprit de
corps ?
Malgré les millions que le ministre avait pu trouver
pour la marine, l'obligation de faire face à la fois aux
charges écrasantes des campagnes de terre et de mer ne
permettait pas d'assurer le fonctionnement régulier de
tous les services maritimes. Pour le paiement de la solde,
Moras en fut réduit à recourir au procédé de Jérôme de
Pontchartrain, à la vente d'une partie du matériel qu'on
disait hors de service ; puis, un jour où il s'agit d'armer
à Toulon huit vaisseaux, il se trouva que deux cents
canons, sur lesquels on avait compté, ne figuraient plus
dans l'arsenal. Depuis que Machault n'était plus là, la
marine était en proie à la désorganisation. Incapable de
remédier à toutes ces difficultés, auxquelles venaient
s'ajouter les malheurs de nos campagnes maritimes,
Moras prit le parti de donner lui-même sa démission, le
27 mai 1758 : son ministère avait duré seize mois.
Le successeur de Moras ne resta que cinq mois aux
affaires ; cependant la marine militaire l'avait accueilli
avec assez de faveur, car M. de Massiac, lieutenant
général des armées navales, qui avait été tout récemment
commandant de la marine à Toulon, appartenait non à
la plume, mais à l'épée.
Un esprit nouveau semblait souffler alors dans la haute
administration. On venait de nommer à la Guerre (20 fé-
vrier 1758) le maréchal de Belle-Isle ; de même, on
voulut mettre à la tête de la Marine un homme de la car-
rière. On avait parlé du chevalier de Mirabeau, capi-
taine de vaisseau, ancien gouverneur de la Guadeloupe,
inspecteur général des côtes de Picardie, qui avait en
tête plusieurs projets de réforme pour la marine ; mais
S44 LA MARINE MILITAIRE SOUb LOUIS XV.
d'après lui, le bruit de son nom u ne servit qu'à éveiller
tous les scorpions du pays où l'on devait craindre de
voir un homme instruit à la tête de cette besogne ». Pour
M. de Massiac, ce furent ses qualités négatives qui le
firent choisir, si l'on en croit l'anecdote rapportée dans
la Vie privée de Louis XV,
Quand il fut question de donner un successeur à
M. de I\loras et de le choisir parmi les ofîiciers d'épée,
on tint conseil chez M"^ de Pompadour, en dépouillant
les listes des olliciers généraux de l'Almanach royal.
Aucun nom ne convenait. L'un était trop vieux, l'autre
n'avait jamais servi ; celui-ci étail prisonnier, celui-là
était aux colonies ; un tel était dévot, un tel bouffon, un
troisième sans naissance» un quatrième s'entendait à la
marine comme un maître des requêtes. Quelqu'un pro-
nonça le nom de M. de Massiac, homme sage, froid, point
présomptueux, docile, dont on ferait tout ce qu'on vou-
drait. La favorite approuva, surtout quand le même
donneur d'avis ajouta qu'on adjoindrait un second au
futur ministre dans la personne de M. Le Normant de
Alézy, ancien intendant de Rochefort, alors intendant des
armées navales, qui avait l'honneur d'appartenir à la
marquise, puisqu'il était un parent de son mari. Bien
qu'on ne s'attendît pas à voir rappeler dans la circons-
tance ces rapports de parenté, la combinaison fui
adoptée séance tenante. La marquise était flattée d'avoir
proposé au roi un ministre, qui fut pendant quelques
jours l'idole de la cour, et de lui avoir adjoint quelqu'un
de sa famille. Massiac fut nommé secrétaire d'État de la
Marine le V" juin 1758. En prenant possession de son
dé^iartement, le nouveau ministre fit adresser cette cir-
culaire aux commandants des ports (7 juin 1758) *' :
19. A. M. B' 78, fol. 7.
LES SECRÉTAIRES d'ÉTAT DE LA MARINE DE 1749 A 1761 . 245
« Le roi voulant bien me faciliter les moyens de rem-
plir toutes les fonctions de la charge de secrétaire d'Étal
au département de la Marine que Sa Majesté m'a confiée,
Elle a fait choix, pour m'aider dans ce ministère, dont
les détails sont extrêmement étendus, de M. Le Normant
de Mézy, intendant des armées navales, dont le mérite
est parfaitement connu de toute la marine. Sa Majesté a
réuni en sa faveur l'intendance des classes et celle des
armées navales, avec le titre d'intendant général de la
Marine et des Colonies. L'intention de Sa Majesté est
que dans les cas où je ne pourrai pas traiter directement
les affaires avec vous et vous mander ses décisions, les
lettres que M. Le Normant de Mézy vous écrira aient le
même effet que les miennes propres et que vous puissiez
vous adresser à lui comme à moi-même. Vous devez être
persuadé que je donnerai la môme attention à l'objet de
vos lettres et de vos mémoires que si vous m'en aviez
écrit directement. »
Un ministère à deux têtes n'était pas une nouveauté :
Le Normant de Mézy avait déjà été le collaborateur
presque ofïiciel de Rouillé ; mais la première combi-
naison avait réuni deux hommes de plume, qui avaient
mille raisons de s'entendre et de s'aider. La combinaison
nouvelle réunissait un olficier d'épée et un officier de
plume, qui eurent toutes les occasions d'entrer en anta-
gonisme. M. de Alassiac, « naturellement indolent, caco-
chyme, vaporeux », occupé avant tout de sa toilette et de
sa santé, et M. Le Normant, administrateur vigilant el
actif, dont la longue expérience s'appuyait sur plusieurs
missions aux colonies, eurent les rapports les plus désa-
gréables. Le ministre était mal marié ; sa femme était
une joueuse de profession, qui attira chez elle les brelan-
diers de la capitale et donna à l'hôtel du ministère de la
Marine les dehors d'un tripot.
246 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
Cependant tous les malheurs fondaient sur M. de Mas-
siac : c'est le moment de la perte de Louisbourg, de la
perte de Gorée, de la campagne malheureuse du comte
d'Aché dans l'Inde, de la triple descente des Anglais sur
nos côtes, à Cancale, à Cherbourg, à Saint-Cast. Après
avoir été Fidole de la favorite et de la cour, Massiac
devint un objet de colère et d'indignation. Au bout de
cinq mois il était remercié (V novembre). Il se réserva
pour vengeance de remettre en personne son portefeuille
au roi. Louis XV fut, paraît-il, plus décontenancé que lui-
même ; c'était la première fois qu'il voyait la figure d'un
ministre disgracié.
Après le court et pitoyable essai du ministère d'un
officier d'épée, on revint aux maîtres des requêtes : Ber-
ryer fut nommé secrétaire d'État de la Marine, au
moment même où le duc de Choiseul recevait les Affaires
étrangères (V novembre 1758).
Il y eut un mouvement de stupeur, en un temps cepen-
dant où l'opinion publique était devenue bien indifférente
en matière de ministres comme en d'autres matières.
Voulait-on, de parti pris, perdre la marine et les colonies
en les confiant à ce moment critique, qui pouvait être et
qui fut le moment suprême, à un administrateur qui
n'avait d'autre titre que d'avoir été lieutenant de police
et d'avoir montré dans ces fonctions un caractère brutal,
grossier et, ce qui est pis, incapable ? Son plus grand
mérite était d'avoir un dévouement servile pour la favo-
rite ; connaissant le personnage, M""^ de Pompadour
l'avait fait entrer au conseil des dépêches, puis au conseil
d'État, pour avoir un espion à ses gages. Pour se pousser
à la Marine, Berryer avait inventé de flatter le maréchal
de Belle-Isle, alors ministre de la Guerre ; celui-ci
s'imagina qu'il pourrait trouver en lui le collaborateur
LES SECRÉTAIRES d'ÉTAT DE LA MARINE DE 1749 A 1761 . 247
•qu'il cherchait pour l'exécution du grand projet de débar-
quement en Angleterre qui occupait alors tous les
hommes du métier. La double protection de la favorite
et du maréchal valut ainsi à l'ancien lieutenant de police
d'être placé à la tête de l'administration sur laquelle
reposaient à ce moment la fortune et la grandeur de la
patrie.
Le duc de Belle-Isle revint promptement de son illu-
sion. Si Berryer avait beaucoup d'ignorance, il avait
encore plus de présomption et d'entêtement ; une fois en
place, il entendit, comme souvent les incapbles et les
vaniteux, faire tout par lui-même et de lui-même. Il avait
été question de lui adjoindre pour collaborateurs le
chevalier de Mirabeau et le baron de Narbonne. Le
chevalier rapporte que le ministre leur avait dit en par-
lant de ses fonctions nouvelles : « Je n'y vois qu'un étang,
mais avec votre secours j'espère relever la marine. » On
devait leur donner un traitement de vingt-cinq mille
livres ; mais, au bout de deux mois, le ministre fit com-
prendre qu'il ne voulait personne avec lui "2^. Cette fois
encore le chevalier ne fit que côtoyer le ministère ; il dut
entrer un peu de ressentiment dans la manière dont il a
représenté Berryer : « vilain sac à charbon », ennemi
« par nature de tout ce qui est honnête », « son âme est
aussi noire que sa peau^^ ».
Les procédés d'administration de Berryer, qu'il avait
empruntés à sa lieutenance de police, étaient de ne voir
les choses que par les petits côtés et d'accorder une foi
sans limite aux rapports d'agents subalternes, de telle
20. Dans le dossier personnel du comte ou baron Narbonne-Pelet-Melguiel,
11 est (luestlon de ses « deux mois ou environ d'adjonction au ministère »,
et de « plusieurs mémoires sur la marine, plans d'administration et
tableaux économiques que les ministres du roi lui avaient demandés »,
A. M., C\
21. LoMÉNiE, Les Mirapenu, t. I, ch. xii.
248 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
manière que la délation et l'espionnage devinrent ses
moyens ordinaires. Certes il y avait des abus à punir
dans l'administration de la marine, en particulier dans
les bureaux du ministère ; mais le ministre le fît avec une
réelle brutalité, en ne s'occupant jamais que de questions
accessoires. Aussi l'on put dire qu'il ne voyait autour de
lui que des voleurs à punir, et qu'il oubliait qu'il avait
aussi à faire la guerre aux Anglais. Or c'étaient les
années des malheurs irréparables : défaite de Lagos,
désastre des Cardinaux, nouvelle descente des Anglais,
perte du Canada^ perte des Antilles, perte de Pondichéry.
Le ministre ne s'inquiétait pas pour si peu. Si les colonies
et la marine étaient ruinées, tant pis pour elles. On con-
naît sa réponse à Bougainville, qui était venu lui
demander du secours au nom de Montcalm, à la veille de
perdre le Canada : « Monsieur, quand le feu est à la
maison, on ne s'occupe pas des écuries. » Mais il y a
aussi la réponse que l'on prête à Bougainville : <( On ne
dira pas, Monsieur, que vous parlez comme un cheval. »
On pourrait l'appliquer, par antiphrase, à bien des
actes de ce ministre néfaste. En 1761, quand il fut à bout
de ressources, il se résigna très aisément à cette idée que
la France ne pouvait plus disputer à l'Angleterre
l'empire de la mer. Au moment où « il ne pouvait plus
être armé aucun navire pour le compte du roi », ordre
fut donné de vendre au commerce tous les agrès et appa-
raux des magasins ; il se trouva que les magasins de
Brest furent bientôt aussi vides que son port. Rien de
plus naturel, puisque la France n'avait désormais aucun
besoin d'une marine.
Il n'y avait qu'un cri dans le corps des officiers contre
un ministre justement détesté ; seule, sa servilité à l'égard
de la favorite le maintenait aux affaires. Cependant un
acte d'insubordination manifeste et d'insolence des
LES SECRÉTAIRES D ETAT DE LA MARINE DE 1749 A 1761. 249
officiers consolida pour quelque temps sa situation très
ébranlée. A la suite du désastre de Quiberon, plusieurs
vaisseaux de l'escadre de M. de Conflans étaient allés
s'enfermer à l'intérieur de la Vilaine ; le ministre donna
aux officiers l'ordre formel de reprendre la mer. Ils
répondirent par une lettre où le mépris perçait à chaque
ligne. Le corps de la marine prit parti pour les coupables.
Mais les secrétaires d'Etat sentirent que sacrifier Ber-
ryer à un pareil moment, c'était s'offrir eux-mêmes aux
coups de tous les mutins. Aussi le ministre, soutenu par
ses collègues, cassa les auteurs de la lettre, sans les
déférer à un conseil de guerre, et il envoya le principal
coupable au château de Saumur22, Cet acte de vigueur
prolongea de quelques mois sa carrière de ministre.
Il faut reconnaître à Berryer le mérite d'une économie
sévère. Il y avait beaucoup de laisser aller dans la comp-
tabilité maritime, pour les journées d'ouvriers dans les
ports, les frais de voyage, l'entretien du matériel et
d'autres dépenses très difficiles à estimer avec une préci-
sion absolue. A force de menacer, de tonner, ce ministre
terrible, qui vérifiait tous les comptes avec des yeux
d'inquisiteur et de policier, parvint à réduire à plus de la
moitié, et même à moins, tel chapitre des dépenses de
son administration. Là encore son art d'éplucher les
comptes et son besoin de gronder à tort et à travers
s'attaquaient à des détails infimes. N'ordonna-t-il pas de
supprimer les chats entretenus dans les magasins de
Toulon pour la destruction des rats, parce que la nour-
riture des chats figurait aux dépenses du port pour
douze sous par jour? Passe encore pour le budget des
chats ; mais celui des vieux employés du port demandait
à être traité avec des moyens moins draconiens. A l'inten-
22. Voir ci-dessous, p. 370.
250 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
dant de Toulon, qui appuyait une demande de pension
pour un de ses subordonnés, il répondait sans ambages :
« Je demande quelle raison il y a parce qu'un bomme
a joui pendan'. trente ans d'un état fort doux et d'un bon
traitement pour qu'on ne puisse pas s'en défaire sans
obligations envers lui, quand cela convient à de meilleurs
arrangements. »
Cependant la marquise de Pompadour sentit qu'elle
ne pouvait pas soutenir plus longtemps son ministre
contre la réprobation unanime ; alors elle imagina de le
changer de département et elle en fit un garde des sceaux
(13 octobre 1761). Berryer avait fini par avoir le senti-
ment de son impuissance radicale et — il faut le dire à
sa louange — de la nécessité de restaurer enfin la marine.
Le 20 août 1761, il écrivait ce billet à Choiseul, en lui
adressant un plan d'utilisation de nos forces maritimes :
« J'ai absolument besoin que vous m'aidiez ; il n'y a
qu'avec du temps et des moyens très abondants et dis-
posés avec beaucoup d'ordre et d'économie que l'on
pourra parvenir à rétablir cette malheureuse machine,
qu'il semble que tout a conspiré d'anéantir, et dont per-
sonne ne sent mieux que vous la nécessité, surtout dans
les circonstances où nous nous trouvons ^3. » C'était
abdiquer à l'avance entre les mains de Ihomme néces-
saire. Le 15 octobre, le duc de Choiseul recevait le porte-
feuille de Berryer ; la marine avait enfin un ministre.
On ne jugera pas que ce court aperçu de l'histoire des
ministres de la Marine de 1749 à 1761 soit en dehors de
l'histoire de notre marine militaire. Raconter nos mal-
heurs de la guerre de Sept ans sans commencer par cette
préface, ce serait décrire le mal sans en exposer la cause
23. A. M. B* 100, fol. 30.
LES SECRÉTAIRES d'ÉTAT DE LA MARINE DE 1749 A 1761 . 251
essentielle. Où pouvaient être l'unité de vues et la conti-
nuité des efforts avec ces secrétaires d'Etat venus de
n'importe où et qui ne firent que traverser le ministère ?
Tous ne furent pas incapables ou néfastes, comme Mas-
siac ou Berryer ; mais les meilleurs, comme Machault et
Rouillé, eurent à peine le temps d'ébaucher quelques
projets. Une administration digne de ce nom est celle qui
sait prévoir, organiser, diriger ; alors elle est comme
l'âme qui anime le corps. Pendant les années où une
main intelligente et énergique aurait dû tracer à la
marine son programme et lui donner tous les moyens
d'action, la marine n'eut presque jamais ni moyens
d'action ni programme. Aussi, rien de plus stérile et de
plus décousu que son histoire au cours de cette triste
guerre. Tout ce qu'elle put faire, ce fut de mourir et de
sauver l'honneur.
CHAPITRE XV
PRÉLIMINAIRES DE LA GUERRE MARITIME DE SEPT ANS
Conflits coloniaux de la France et de l'Angleterre. — Les escadres de
Macnemara et de Du Bois de La Motte. — VAlcide et le Lys ; attentat
de Boscawen. — VOpiniâtre et VEspérance. — La déclaration de
guerre. — La France et l'Angleterre vers 1755. — Projets de guerre
maritime contre l'Angleterre.
Si une guerre fut jamais facile à prévoir, ce fut celle
qui éclata en 1755 entre la France et l'Angleterre ; de
combien d'incidents belliqueux ne fut-elle pas précédée !
Malgré le désaveu du gouvernement, Dupleix avait
repris son œuvre dans l'Inde, et il allait se heurter de
nouveaux aux Anglais, ses voisins et ses ennemis. En
Amérique, soit aux Antilles, soit dans l'Acadie, soit dans
la vallée de l'Ohio, plusieurs territoires étaient restés en
contestation dans l'état de Vuti possidetis ; des commis-
saires des deux nations devaient trancher le débat après
enquête sur les lieux. En 1750, nos commissaires La
Galissonnière et Silhouette avaient établi, dans un excel-
lent mémoire, très documenté et bien déduit, les droits
historiques de la France sur l'Acadie et sur Sainte-Lucie.
Les Anglais, sûrs de l'impunité, sûrs d'être soutenus
jusqu'au bout par le gouvernement et par l'opinion,
employaient d'autres armes que les documents de chan-
cellerie. Un capitaine de leur nation détruisait de son
autorité les inscriptions que Du Bois de La Motte, gou-
PRÉLIMINAIRES DE LA GUERRE DE SEPT ANS. 253
verneur des îles sous le Vent, avait fait placer pour
affirmer les droits du roi Très Chrétien, et les balles de
quelques miliciens de Virginie mettaient à mort Jumon-
ville et ses compagnons. La presse anglaise ne gardait
aucune mesure dès qu'il s'agissait de la France ; Londres
était inondé de pamphlets où tout ce qui avait trait à nos
prétentions dans l'Amérique du Nord était présenté avec
les insinuations les plus mensongères et les plus bles-
santes. Le propos odieux d'un homme d'Etat anglais :
« Si nous voulions être justes envers les Français, nous
n'aurions pas pour trente ans d'existence », ne paraît
pas invraisemblable, quand on pense à la violence des
passions antifrançaises qui régnaient alors de l'autre
côté de la Manche.
Chez nos compatriotes, en particulier chez les officiers
de marine, la haine de l'Anglais était par excellence la
manifestation du patriotisme. Un mot courait chez les
officiers de l'escadre de Brest, auquel d'ailleurs les événe-
ments fournissaient plus d'un commentaire : « Foi bri-
tannique, foi punique. » Un Français allait raconter les
événements maritimes du début de la guerre sous ce titre^
auquel il se conforma avec rigueur au cours de ses huit
chapitres : Parallèle de la conduite des Carthaginois à
Végard des Romains pendant la seconde guerre punique
avec la conduite de V Angleterre à Végard de la France
dans la guerre... jusqu'au mois de décembre 1756^.
Machault était alors secrétaire d'État de la Marine ; il
suivait avec une patriotique vigilance tous les événements
de l'agitation coloniale. Quand il sut que le commodore
Keppel venait de transporter dans la Nouvelle-Angleterre
(janvier 1755) l'armée avec laquelle Braddock allait
1. Ouvrage anonyme de l'abbé Seran de la Tour, 1757, in-12.
254 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
envahir la Nouvelle-France, il se décida à faire passer
des secours au Canada.
Une escadre de six vaisseaux, — le Formidable, vais-
seau amiral, le Héros, le Palmier, VEveillé, Vlnllexible,
V Aigle, — et de trois frégates, — V Améthyste, la Sirène,
VHéroïne, — fut armée en guerre à Brest. Dès le 3 jan-
vier, le lieutenant général Macnemara ^ avait été désigné
pour en prendre le commandement. A cette escadre
devaient s'en joindre deux autres : l'une de sept bâti-
ments, sous les ordres de Du Bois de La Motte, chef
d'escadre, chargée de transporter au Canada douze batail-
lons avec le baron de Dieskau ; l'autre, de onze bâti-
ments, sous les ordres de Beaussier de L'Isle, capitaine
de port. L'ensemble de ces forces navales comprenait
vingt-sept voiles. Mais autant par mesure politique que
par mesure d'économie, le gouvernement de Louis XV,
qui semblait avoir toujours peur de donner de l'ombrage
à ses ennemis et de paraître rompre avec eux, s'était
borné à ne munir de tous leurs canons que trois vais-
seaux de l'escadre de Du Bois de La flotte ; les autres
étaient armés en flûte, avec vingt-deux canons seule-
ment.
La mission de Macnemara était d'escorter dans le golfe
de Gascogne les dix-huit bâtiments du convoi du Canada.
Ses instructions, du 10 avril 1755, n'étaient pas de nature
à exciter son ardeur belliqueuse. « Vous devez éviter,
s'il est possible, la rencontre des escadres anglaises.
Supposé que vous les rencontriez, vous vous tiendrez
sur vos gardes relativement aux manœuvres qu'elles
feront, et si elles vous donnent lieu de supposer qu'elles
en veulent venir à une attaque, je trouverai bon que vous
cherchiez à l'éviter autant qu'il sera possible, sans com-
2. Le comte de Macnemara, dit Macnemara l'aîné.
PRÉLIMINAIRES DE LA GUERRE DE SEPT ANS. 255
promettre l'honneur de mon pavillon ^. » Ce ton de pru-
dence excessive et singulière n'était pas celui d'un
gouvernement qui voulait la guerre à tout prix.
Pour Macnemara, il paraissait peu disposé à ouvrir les
hostilités ; on disait qu'il ne dissimulait pas ses inquié-
tudes, qu'il avait fait son testament, qu'il avait débarqué
son argenterie. Ce qui est certain, c'est qu'il ne fit qu'une
courte apparition sur mer. Parti de la pointe Saint-
Mathieu le 3 mai 1755, il était de retour à Brest dès le 20
du même mois. Il demanda alors à être relevé de son
commandement, à cause de son triste état de santé. Le
comte Du Guay, nommé à sa place, reprit la mer avec la
même escadre de neuf bâtiments ; il se borna à croiser
sur les côtes de France.
Resté à la tête de dix-huit voiles après le départ de
Macnemara, Du Bois de La Motte, qui montait YEntre-
prenant, avait continué la traversée de l'Atlantique. Une
escadre anglaise, commandée par Boscawen, épiait tous
ses mouvements ; elle était décidée à frapper un coup
digne d'un gouvernement de pirates ^ ; le succès et notre
pusillanimité le justifièrent complètement.
Le 8 juin 1755, à vingt-cinq lieues dans le nord-est du
cap Race (Terre-Neuve), Boscawen intimait l'ordre de
saluer le pavillon anglais à trois de nos vaisseaux,
séparés de l'escadre, VAlcide, commandant Hocquart de
Blincourt, le Lys, commandant Lorgeril l'aîné ^, le Dau-
3. Ricii. Waddtin'Gton, Louis XV et le renversemenl des alliances, 1896,
p. 106.
4. « ...La manière plus que pirate avec laquelle les Anglais commen-
cèrent la guerre en 1755... » Vei'gennes à M. de Guines, 29 juillet 1775.
DONIOL, Histoire de la participation de la France à l'établissement de*
Etats-Unis d'Amérique, tome I, p. 96.
5. Voir l'Appendice VII.
256 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
phiii Royal, commandant M. de Montalais^ Sur leur
refus, le combat s'engagea et dura plusieurs heures ; le
Dauphin Royal, bon marcheur, put s'échapper et
atteindre Louisbourg ; moins heureux, tout en ayant
aussi bien fait leur devoir, YAlcide et le Lys durent
amener leur pavillon. Un passage du rapport du cheva-
lier de Lorgeril "^ expose dans quelles conditions déloyales
cette triste affaire fut engagée.
« Je ne puis me refuser à dire un mot du parlementage
qu'il y eut entre YAlcide et le Dunkirk (de soixante
canons, capitaine Howe), immédiatement avant d'en
venir aux prises.
« M. Hocquart lui fit crier de sa galerie par trois fois :
<( Sommes-nous en paix ou en guerre ? » Il répondit par
trois fois : « Nous n'entendons pas. » M. Hocquart prit
lui-même le porte-voix et lui répéta deux fois la même
question : « Sommes-nous en paix ou en guerre ? »
M. Hault (Howe) lui répondit bien distinctement : « La
V T>aix ! La paix ! » Sur cela, les deux capitaines se firent
mutuellement quelques autres questions indifférentes, et
ils n'eurent l'un et l'autre que le temps de passer sur leurs
gaillards qu'on entendit de YAlcide très distinctement
sortir de la bouche du capitaine Hault : « Pire ! » (Feu !)
Il fut sur-le-champ obéi. »
Boscawen, dans son rapport, n'a goint songé à dissi-
muler son rôle d'agresseur ; il a écrit cette phrase, qui
donne bien à l'affaire du 8 juin son caractère de guet-
apens. « A midi environ, le capitaine Hov^^e, dans le Dun-
kirk, fut en travers du dernier {YAlcide) ; voyant que le
vaisseau français ne diminuait pas ses voiles, je fis le
6. Le chevalier de Suffren servait comme enseigne à bord du Dauphin
noyai ; c'était sa dixième campagne.
7. A. M., B« 68. fol. 267.
PRÉLIMINAIRES DE LA GUERRE DE SEPT ANS. 257
signal de combat, qui fut de suite obéi par le capitaine
Howe. ))
Le combat s'était engagé presque bord à bord. Howe
avait attendu, au milieu de ces « parlementages » avec
Hocquart, de se trouver à une portée de pistolet, et il
avait lâché tout à coup la bordée de ses deux batteries.
Cette première volée désempara VAlcide^ lui cassant son
gouvernail et une partie de sa mâture ^. Hocquart avait
riposté de tous ses canons ; mais il avait eu cinq vais-
seaux accrochés à ses flancs. De son côté, le Lys, avant
de se rendre, avait soutenu une lutte inégale contre trois
vaisseaux ennemis ; il ne portait en tout que vingt-deux
canons.
A la nouvelle de la capture de VAlcidc et du Lys dans
ces circonstances odieuses, le ministre Newcastle
exprima son désappointement que l'affaire n'eût pas
mieux réussi ^ : « Ce pauvre Boscawen n'a pas eu de
chance ; il n'a pris que deux vaisseaux ; d'autres se sont
échappés à la faveur du brouillard. Nous ne savons point
où est allé le reste de l'escadre. Probablement le gros
des troupes et l'amiral ont remonté le Sainl-Laurent.
Malheureusement ce genre d'accident ne peut être évité, i)
Du Bois de La Motte, qui n'avait pas eu alors connais-
sance de ce combat, avait débarqué son convoi à Québec,
tandis que son collègue Périer de Salvert, commandant
du Bizarre, s'arrêtait à Louisbourg. Jugeant sans doute
que le plus sage était de différer la vengeance, puisque
l'infériorité de son armement ne lui permettait pas de
8. Tués à bord de l'Alcide le 8 juin 1755 : Laubépin, enseigne : [de
Roanne; neveu du chef d'escadre des galères; G., 1" janvier 1741; E.,
1" janvier 1746, A. M., C 169] ; — Hoccfuaxt, enseigne, fils de l'intendant
de Brest et neveu du capitaine de vaisseau; — Robinauli, brigadier des
gardes-marine ; — M. de Rostalng, colonel commandant- les troupes en
second, passager ; — et environ <ïuatre- vingts hommes de l'équipage, la
plupart de la première volée du DunkirH.
9. R. Waddinoton, Louis XV et le renversement des alliances, p. lia.
17
258 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
punir l'attentat, il reprit la route de la France ; il était
de retour à Brest le 21 septembre, sans avoir tiré un coup
de canon.
Pourquoi les Anglais auraient-ils montré quelque
pudeur à l'égard d'ennemis qui ne pouvaient ou qui ne
voulaient rien faire? VOpiniâtre^ commandé par M. de
Moëlien ^o, regagnait la France avec les autres bâtiments.
Chassé par un vaisseau anglais, il fut attaqué en vue de
Penmarch, par un senau de douze canons et une frégate
de trente-six (20 septembre). Il n'avait que ses vingt-deux
pièces pour se défendre, car il était armé en flûte : il par-
vint cependant à se débarrasser de ses agresseurs. Il
avait tiré cinq cent vingt-trois coups de canon.
Un mois et demi environ plus tard, le 11 novembre, au
large du golfe de Gascogne, un vaisseau anglais,
YOîlord, de soixante-dix canons et de cinq cent vingt
hommes, qui faisait partie de l'escadre de l'amiral West,
se jetait sur un vaisseau en retard de l'escadre de Du Bois
de La Motte, \ Espérance ; ce bâtiment aurait dû être
armé de soixante-quatorze canons, mais il n'en portait que
vingt-deux. VEspéranee, suivant les termes d'un rapport
officiel, était « plus propre par ses défauts et sa vétusté
à faire un bâtiment de transport qu'un vaisseau de
défense ^1 ». Cependant son commandant, le vicomte de
Bouville, résista près de cinq heures ; il avait obligé
deux fois VOvlord à s'éloigner ; mais le vaisseau anglais
était revenu à la charge avec une fureur nouvelle, sou-
tenu dans ce dernier assaut par le Buckingham de West.
Bouville dut se rendre *- , V Espérance n'était plus qu'une
10. De Moëlien. De Bretagne. G., IS octobre 1719; L. 1" mai 1741; C.
23 mal 1754 ; -|- 1786, Brest A. M., C 167.
11. A. M. B" 68. fol. 293.
12. Ses lieutcnnnls de vaisseau étalent Rosmadec de Saint-AUouajn,
Plessis Boterel. HeussaJ d'Ouessant
PRÉLIMINAIRES DE LA GUERRE DE SEPT ANS. 259
épave, que l'ennemi dut brûler en pleine mer. VOrlord
se hâta de ramener ses prisonniers à Plymouth ; criblé
de coups de boulet, il faisait eau de toutes parts. Bou-
ville refusa sa liberté ; il disait avoir été la proie des
pirates et il offrit avec hauteur sa rançon. Le vaillant
commandant, qui devait être plus tard chef d'escadre,
resta deux ans dans les prisons anglaises.
Cependant l'amirauté anglaise faisait ou laissait com-
mettre un nouvel acte de brigandage maritime. Comme
à un signal donné et sans déclaration de guerre, trois
cents navires de commerce français étaient enlevés sur
toutes les mers d'un gigantesque coup de filet, au mois
de novembre 1755 ^^.. C'était une perte matérielle d'une
trentaine de millions ; d'autre part, en y comprenant les
équipages de VAlcide, du Lys et de YEspérance, c'était
une perte d'environ six mille ofTiciers et matelots, et
quinze cents soldats.
Louis XV fit informer nos colonies d'Amérique de la
capture de YAlcide et du Lys ^^ : il rappela son ambassa-
deur en Angleterre ; il adressa un manifeste au roi
d'Espagne, dans l'espoir de l'amener à unir ses escadres
à celles de la France ; il donna l'ordre au comte Du Guay,
qui avait remplacé Macnemara, de combattre les vais-
seaux de guerre anglais.
là. La Vie privée (le Louis XV, t. HT, appendice it, p. 30-2-3!S, donii;^ :n
liste détaillée des trois cents « vaisseaux français pris par les Anglais
avant la déclaration de guerre ».
14. Le chevalier de JMonteil, enseigne de vaisseaux et sous-aide n^ajor
à Brest, fut chargé de cette mission avec la corvette l'Anémone. Ce
passage d'une de ses lettres (Fort-Royal de la Martinique, 22 octobre 1755'.
est un triste témoignage de l'ignorance de certains offlciei*s :
« Vous pouvez juger de l'embarras que ce premier accident [survenu au
grand mcât] me causait, en y joignant l'inquiétude que Je devais natu-
rellement avoir pour l'atterrage aux côtes de la Guyane, où aucun rie
nous n'avait jamais été et sur lesquelles je u'avais que très peu de
notions. Il m'a fallu chercher Cayenne è, peu près comme les premiers
qui découvrirent des terres... » A. M., B* 68, fol. 372.
260 I.A MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
Tout ce que Du Guay put faire, ce fut de s'emparer,
auprès de Brest, d'une frégate anglaise, le Blanklord.
Mais avec son esprit d'inconséquence, le gouvernement
français jugea que, pour une capture unique, il pouvait
se montrer bon prince : il fit reconduire en Angleterre la
frégate saisie. Puis, comme une escadre anglaise de huit
vaisseaux croisait alors dans la Méditerranée, ordre fut
donné au port de Toulon, si elle y touchait, de lui fournir
les approvisionnements dont elle avait besoin ! Quos
vult perdere, demenlat Jupiter... C'était encore, sous une
autre forme, le mot de Fontenoy : <( Tirez, Messieurs les
Anglais!... Nous ne tirons jamais les premiers. » La
guerre ne devait être officiellement déclarée entre Paris
et Londres qu'en l'année 1756, au cours de l'expédition
de Minorque.
En réponse à la déclaration de guerre que le gouver-
nement anglais avait adressée à la France le 13 mai 1756,
le gouvernement français fit paraître, le 15 mai, une
déclaration concernant les armements en course. La
déclaration ofiTicielle de guerre parut seulement le
9 juin 1756. Voici quelques passages du manifeste du
gouvernement de Louis XV ^^ :
« Toute l'Europe sait que le roi d'Angleterre a été,
en 1754, l'agresseur des possessions du Roi dans l'Ame-
rique septentrionale et qu'au mois de juin de l'année
dernière, la marine anglaise, au mépris du droit des
gens et de la foi des traités, a commencé à exercer contre
les vaisseaux de Sa Majesté et contre la navigation et
le commerce de ses sujets les hostilités les plus vio-
lentes.
« Le Roi, justement offensé de cette infidélité et de
l'insulte faite à son pavillon, n'a suspendu pendant huit
15. A. M., A' 88.
PRÉLIMINAIRES DE LA GUERRE DE SEPT ANS. 261
mois les effets de son ressentiment et ce qu'il devait à la
dignité de sa couronne que par la crainte d'exposer
TEurope aux malheurs d'une nouvelle guerre.
« C'est dans une vue si salutaire que la France n'a
d'abord opposé aux procédés injurieux de l'Angleterre
que la conduite la plus modérée.
(( Tandis que la marine anglaise enlevait, par les
violences les plus odieuses et quelquefois par les plus
lâches artifices, les vaisseaux français qui naviguaient
avec confiance sous la sauvegarde de la foi publique,
Sa Pvlajesté renvoyait en Angleterre une frégate dont la
marine française s'était emparée, et les bâtiments anglais
continuaient tranquillement leur commerce dans les
ports de France...
« Il serait inutile d'entrer dans un détail plus étendu
des motifs qui ont forcé le roi à envoyer un corps de ses
troupes dans l'île Minorque et qui obligent aujourd'hui
Sa Majesté à déclarer la guerre au roi d'Angleterre,
comme elle la lui déclare par mer et par terre... »
La disproportion des forces entre la France et l'Angle-
terre était moins grande à ce moment que nos revers
postérieurs pourraient le faire supposer. En ne comptant
que sur les navires armés et immédiatement disponibles,
Machault pouvait mettre en ligne quarante-cinq vais-
seaux et une trentaine de frégates. L'Angleterre avait
quatre-vingt-neuf vaisseaux et soixante-dix frégates ;
mais il faut réduire ces chiffres à soixante et à cinquante
environ, pour ne compter que les navires qui étaient en
état de prendre la mer dès le début des hostilités. Nos
équipages, recrutés par le système des classes, dont les
vexations seules continuaient de subsister alors que les
avantages avaient à peu près disparu, étaient trop sou-
vent incomplets et de qualité médiocre ; mais les équi-
262 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
pages anglais, recrutés par le procédé barbare de la
presse, le cédaient sûrement aux nôtres pour la valeur
morale et souvent aussi pour les qualités profession-
nelles. Pour notre corps d'officiers, on a le droit de dire,
sans faux orgueil national, qu'il ne le cédait en rien, ni
pour la valeur, ni pour la science manœuvrière, au corps
des officiers britanniques ; on peut même avancer que
les mérites de premier ordre de plusieurs de nos chefs
compensaient l'infériorité, d'ailleurs plus apparente que
réelle, de nos effectifs.
Seulement l'Angleterre avait deux avantages, dont l'un
nous fit défaut de plus en plus, et dont l'autre nous
manqua à peu près toujours.
Elle eut de l'argent en abondance. Mettant tous les mil-
lions dont elle disposait dans la construction et l'arme-
ment de ses navires, elle put entretenir à la fois pendant
cinq à six ans des escadres de vingt à trente voiles sur la
Manche, sur le golfe de Gascogne, sur la Méditerranée,
sur la mer des Indes, sur la mer des Antilles, dans le
golfe du Saint-Laurent. Elle eut, ce qui vaut mieux que
toutes les escadres, l'unité de direction, la persévérance
dans les efforts, la volonté absolue de réussir là où était
l'enjeu de la guerre, sur mer et aux colonies. Au début
même de la guerre, en 1756, quelques semaines après la
victoire de La Galissonnière, William Pitt, le futur lord
Chatham, devenait secrétaire d'Etat, et, en fait, ministre
dirigeant. On eût dit que, nouvel Annibal, il avait prêté
dès l'enfance un serment de mort contre la puissance
ennemie de la grandeur maritime de sa patrie ; lui aussi
n'eut au cœur qu'une passion, mais atroce, la haine de
la France. Satisfaire cette haine à tout prix, sans se
laisser détourner par aucune autre question, ne voir
dans son horizon politique que les côtes de France, du
Canada, de l'Hindoustan et la mer qui les unit, voilà ce
PRÉLIMINAIRES DE LA GUERRE DE SEPT ANS. 263
qui fit la grandeur de cet homme d'État et ce qui donna
la victoire à son pays.
La France n'avait pas un William Pitt à sa tête ; mais
que d'officiers obscurs et d'hommes politiques inconnus
dont les bonnes volontés ne demandaient qu'à être
employées dans la guerre contre l'Angleterre ! Sus à
l'Anglais ! Il semble qu'on entende ce cri de guerre sortir
des mémoires et projets de toute nature que l'administra-
tion de la Marine a conservés dans ses archives, aux
environs des années 1750-1755.
Voici un passage d'un mémoire anonyme dont le titre
même est intéressant : Moyens proposés pour agir le plus
ollensivement possible contre les Anglais et pour ranimer
en France le goût pour la marine. « Si la guerre s'allume,
il serait bien à désirer que l'on tentât quelque entreprise
hardie contre les Anglais et pareille à peu près à celle
que les Hollandais exécutèrent lorsqu'ils allèrent brûler
les vaisseaux de guerre des Anglais dans la Tamise. De
pareilles entreprises ne réussissent pas toujours ; mais,
quand elles sont couronnées de succès, elles réveillent
merveilleusement l'audace d'une nation ; et si elles
échouent, elles font au moins voir à l'ennemi de quoi l'on
est capable, et en indiquant quel chemin il aurait fallu
prendre pour réussir mieux, elles déterminent d'autres
à tenter la même aventure ^^. »
Descendre en Angleterre, c'était là, en effet, toute la
guerre. Le vers de Milhridate résumait encore, comme
en 1744, tous nos projets mihtaires :
On ne vaincra jamais les Romains que dans Rome.
Pour cela, il fallait se servir de tous nos moyens, « non
16. A. M., B* 3Û0, fol. 57.
264 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
à demi, mais dans toute leur étendue ». L'opération
d'une descente est difficile ; elle n'est pas impossible, si
l'on veut s'y appliquer sérieusement. Et quel résultat !
<( Du moment qu'il y aurait une compagnie de grenadiers
l'rançais qui aurait mis le pied en Angleterre, ils [les
Anglais] sentent que tout serait à Londres dans la confu-
sion et la consternation. » C'est Silhouette, le futur
ministre, qui s'exprimait ainsi, dans un mémoire du mois
de novembre 1755, qu'il avait remis à Machault^'^. Il ne
touchait d'ailleurs qu'en passant aux questions propre-
ment techniques ; le but principal de l'auteur était avant
tout d'établir l'utilité, la nécessité, la possibilité d'une
descente et de réfuter ceux <( qui, de prime abord,
frondent cet expédient, sans examen et sans discussion ».
Il se bornait à indiquer un projet de concentration de
soixante mille hommes sur les côtes de France, de Brest
à Dunkerque.
Idées d'un Français sur la nécessité, les moyens et les
suites d'une descente dans la Grande-Bretagne : ce
mémoire non signé est daté de Dresde, V^ mars 1756. Le
lieu d'origine donne lieu de supposer que l'auteur pou-
vait être un réfugié qui n'avait pas perdu l'amour de sa
patrie, ou du moins un Français établi à l'étranger.
Comme beaucoup de documents de même nature, celui-
ci se trouve conservé aux Archives nationales ^^ dans la
17. A. M., B* 8-2, fol. 4-10. ■■ Ce projet est excellent. Il est de M. de
Silhouette. Il l'avait donné en 1756 à M. de Machault et à M. de Sé-
chelles. »
18. A. N., AF IV '597. — Ce document a déjà été signalé, comme plu-
sieurs autres sur le même sujet, par l'Anglais William P. Egerton,
auteur de quatre articles publiés en 1867 dans la Revue contemporaine
sous ce titre : Projets d'invasion française en Angleterre, d'après des
documents originaux et inédits. Egerton garde un silence prudent sur
la « collection particulière, riche en mémoires originaux sur l'histoire
des deux nations pendant le dernier siècle », où 11 a pu consulter ces
documents, et sur le nom du « propriétaire que de hautes convenances
m'interdisent de nommer ». La collection en question avait été formée
avec le produit des déprédations dont les Archives de la Marine furent
PRÉLIMINAIRES DE LA GUERRE DE SEPT ANS. 265
série des projets qui lurent recopiés soit pour le Comité
de Salut public, soit pour le Premier Consul, lors de la
préparation de l'expédition d'Irlande et du camp de Bou-
logne. Le Français de Dresde parle d'une descente de
cinquante mille hommes à opérer du côté de Douvres.
Comme il avoue ne pas connaître le pays et n'avoir fait
son projet que d'après une carte, son mémoire rentre,
comme le dit une note, c( dans la classe des ouvrages
spéculatifs ». Une idée de cet auteur devait être essayée
en 1803 : celles des « galiotes-écuries », pouvant trans-
porter chacune vingt-cinq chevaux avec leurs cavaliers
et tout le matériel d'harnachement.
Vivant de Maissagues, qui doit être un officier de
marine, est l'auteur d'un projet écrit en 1756 ^^, qui a
peul-être inspiré les projets arrêtés officiellement en 1758
et en 1759, mais non exécutés. D'après l'auteur de ce
mémoire, la restauration des Stuarts a toujours de
grandes chances de succès, à condition d'être vigoureu-
sement soutenue par une armée de soixante-dix mille
hommes : il la répartit en cinq divisions, à Dunkerque,
Calais, Dieppe, Cherbourg, Brest, et il la transporte sur
les côtes ennemies en partie avec des bateaux pêcheurs.
La division de Brest, la plus nombreuse — dix-huil mille
hommes — et formée de deux corps, débarquera sur les
deux rives du canal de Bristol, à des points qui sont indi-
qués, et occupera Bristol. La division de Cherbourg
descendra sur les deux côtés de la péninsule de Rorlland,
notamment à Bridport. « Les pêcheurs de Cherbourg
connaissent cette côte aussi bien que celle qu'ils habitent.
trop longtemps victimes il y a envlpon un demi-siècle. Il faut ajouter
que tous les documents analysés par Egerton figurent encore aux
Archives, soit en original, soit en copie, sans parler de beaucoup d'autres
de même nature gui n'avaient pas été soustraits et qu'il n'a pu connaître
par conséquent, puisqu'il ne s'était servi pour son étude que de la col-
lection de l'amateur (?) anglais.
19. A. M., B* 74, fol. 2-10.
266 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
C'est une des plus belles plages du monde pour faire un
débarquement. On y peut partout échouer sur le sable. »
La division de Dieppe débarquera auprès de Chichester
et du cap Béveziers et poussera une pointe sur Ports-
mouth. Les divisions de Dunkerque et de Calais descen-
dront vers Rye, pour aller, de là, occuper Cantorbéry et
détruire les arsenaux de Chatham. L'auteur parle encore
de coups de main à tenter en Ecosse sur Aberdeen et sur
Glasgow.
Le mémoire, ou plutôt l'analyse qui s'en est conservée,
entre dans de nombreux détails topographiques et suit
de près les opérations de chaque corps d'armée. Cepen-
dant il saute aux yeux que ce projet est trop vaste, qu'il
éparpille beaucoup trop nos forces, en répartissant
l'attaque sur quatre points principaux trop distants les
uns des autres 20, et qu'il ne tient à peu près aucun compte
de la question du passage de la Manche. Or, si ce n'est
pas là le problème tout entier, c'est du moins la partie la
plus importante et la plus épineuse du problème.
L'imagination des inventeurs, qui n'est jamais en
défaut, s'était attaquée à la question même de la tra-
versée. Celui-ci, un gentilhomme piémontais, le chevalier
de Quart, avait inventé une machine merveilleuse ^i ;
depuis six mois qu'il la faisait manœuvrer, elle n'avait
jamais eu un à-coup. Il s'engageait à faire passer cent
mille hommes en moins de deux fois vingt-quatre heures ;
car, (( à mesure que ces vaisseaux ennemis approcheront
de ma machine de la portée du canon, seraient-ils cent
à la fois, ils seront tous ou pris ou coulés à fond... » En
20. Un projet, joint à une lettre signée du nom d'Edouard Bouvier,
du 14 avril 1756, étudie avec assez de détails le débarquement à Mounts
Bay, dans la région du cap Lizard, d'une armée de cinquante-cinq mille
hommes partie de Brest. A. M., B* 68, foL 80-83.
21. A. M. B' 300, fol. 94. 18 octobre 1756.
PRÉLIMINAIRES DE LA GUERRE DE SEPT ANS. 267
quoi consistait cette invention infernale ? On ne saurait
le dire. Il ne paraît pas, en effet, que Alachault ait avancé
à l'ingénieur piémontais l'argent qu'il demandait pour
construire un modèle en grand.
Un autre avait inventé un canot de liège, avec lequel il
se faisait fort d'aller incendier les vaisseaux de guerre
anglais à Portsmouth et à Plymouth ; il avait expéri-
menté sa machine sur la Seine, auprès de Sèvres ; on
aurait dit « saint Pierre marchant sur les eaux ». En
marge de cette lettre, il y a une note qui paraît être de
l'écriture de Berryer : « Si cela pouvait s'exécuter, cela
serait très bon 22. »
On aurait pu mettre la même apostille sur la lettre
d'un maître charpentier du port de Toulon ; il proposait
un pont se pliant en trois parties pour débarquer
n'importe où, même sur les rochers les plus escarpés ^3.
Revenons à des projets plus sérieux. Celui-ci est de
1755 ou très peu postérieur à cette date : Mémoire sur
ce que peut auiourd'hui la France contre V Angleterre et
sur le plan de conduite que semblent tracer à la France
les circonstances présentes pour repousser et punir les
outrages et les violences quelle a reçues de la part de
V Angleterre ^^
Ce mémoire, très long et très méthodique, semble
plutôt l'œuvre d'un homme politique que d'un soldat ; il
y est question cependant d'opérations militaires, et, à cet
égard même, il renferme plusieurs idées intéressantes.
L'auteur insiste surtout sur la détresse financière de
l'Angleterre, — qui est pour lui l'explication des brigan-
dages de 1755, — sur la désunion de ses habitants, où il
voit un gage de sa prochaine dissolution. A côté des
22. A. M. B* 300, fol. 159. 1759.
23. A. M. B* 300, fol. 272, 1762.
24. A. M. B* 299 ; trente-trois feuillets non numérotés.
268 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
Jacobites, il compte sur les « nationaux ou bons patriotes
qui... sentent que l'Etat court à sa ruine et qu'il ne peut
trouver son salut qu'en changeant la forme du gouverne-
ment et conséquemment qu'en secouant le joug de la
maison de Hanovre... » En revanche, l'état présent de la
France lui fait concevoir les espérances les plus opti-
mistes, à condition de rétablir la marine dans l'état où
elle se trouvait avant la bataille de la Hougue. Le gou-
vernement de Louis XV doit reprendre avec Charles-
Edouard l'exécution de la grande idée dont Louis XIV
s'est occupé depuis 1688 jusqu'à sa mort : ce sera du
même coup réduire l'Angleterre à l'impuissance et faire
« sauter sa banque ». La France, (( dispensée de faire la
guerre par terre, ainsi que toutes les apparences semblent
le promettre », va pouvoir consacrer toute son attention
et toutes ses ressources au rétablissement de sa marine.
Pour 1757, elle peut avoir plus de quatre-vingts vaisseaux
de haut bord, sans compter les frégates. Il est sage de
ne pas faire grand fond sur la jonction des vaisseaux de
la Méditerranée et de l'Océan, car l'opération est tou-
jours très longue et très aléatoire. La descente devra être
faite avec la division navale de l'Océan ; on pourra faire
armer une escadre espagnole au Ferrol, pour détourner
l'attention des Anglais. Tous les préparatifs doivent être
enveloppés du plus profond mystère. Très préoccupé de
son idée de faire sauter la banque d'Angleterre, l'auteur
propose de faire une campagne contre les fonds publics
anglais, à Amsterdam, à Genève et à Berne. Ses rela-
tions personrelles avec les agents jacobites le mettent à
même d'être très bien renseigné. Mais il faut saisir au
plus vite « une occasion si précieuse, parce que des
siècles entiers peuvent ne pas suffire pour la repro-
duire... » Une gloire plus grande que celle de Louis XIV
attend Louis XV, s'il exécute ce projet.
PRÉLIMINAIRES DE LA GUERRE DE SEPT ANS. 269
Le gouvernement et le ministre de la Marine ne regar-
daient pas à ce moment du côté de la Manche, toute leur
attention se tournait vers la Méditerranée ; mais ils
allaient bientôt être libres de commencer l'exécution du
grand projet. La marine et l'armée, rivalisant de gloire
et de bonheur, venaient de frapper deux coups retentis-
sants. Le 20 mai 1756, dans les eaux de Port-Mahon, La
Galissonnière arrêtait et repoussait l'escadre de Byng ;
le 30 juin, Richelieu faisait capituler le fort Saint-Phi-
lippe. La France avait arraché aux Anglais l'île de
Minorque.
CHAPITRE XVI
GUERRE MARITIME DE SEPT ANS SUR LA MÉDITERRANÉE.
1° LA GALISSONNIÈRE
Projet sur Minorque. — Richelieu. — La Galissonnière. — Préparatifs
de l'expédition. — Débarquement à Minorque. — Instructions de La
Galissonnière. — Arrivée de Byng. — Bataille du 20 mai 1756. —
Conséquences de la victoire de La Galissonnière. — Lès Français à
Minorque jusqu'à la fin de la guerre.
Frédéric II parlait, non sans ironie peut-être, de la
léthargie stoïque avec laquelle le gouvernement de
Louis XV supportait depuis de longs mois les insolences
du gouvernement de George II. Enfm, le ministère se
décida à sortir de sa torpeur, plus digne en vérité d'Épi-
cure que du Portique, et il prépara pour la campagne
de 1756 un vaste plan d'opérations.
On pouvait s'en tenir à des opérations purement mari-
times ou plutôt coloniales, en transportant au Canada,
où la guerre avait commencé, des forces capables de
résister à celles que les Anglais concentraient dans la
Nouvelle-Angleterre. On pouvait songer à une campagne
dans le Hanovre, en admettant que la conquête de cet
électorat, propriété personnelle du roi de la Grande-
Bretagne, dût être un moyen d'obtenir la restitution de
nos vaisseaux de guerre et de commerce ; mais ce projet
pouvait être inefficace et, ce qui est pis, dangereux. Inef-
GUERRE DE SEPT ANS. — LA GALISSONNIÈRE. 271
fîcace, car la nation anglaise ne confondait pas ses inté-
rêts vitaux avec les vues égoïstes des Hanovriens que le
hasard avait mis à sa tête ; aussi ne devait-elle jamais
consentir à la combinaison politique qui mettrait dans
l'un des plateaux de la balance l'empire des mers et des
colonies et dans l'autre l'intégrité du petit électorat de
Hanovre. Dangereux, car envoyer des soldats français
aux bords du Weser, dans la situation où se trouvait
l'Allemagne, sur ce terrain tout semé de chausse-trapes,
où l'incendie silésien couvait toujours sous la cendre et
pouvait, à la moindre étincelle, amener une conflagra-
tion générale, c'était s'engager dans le terrible engrenage
de la politique continentale ; c'était, en un mot, le vrai
moyen d'oublier la mer une fois encore. On pouvait enfin
combiner les opérations de terre et de mer, préparer une
armée pour le Hanovre, envoyer des troupes au Canada,
organiser un armement maritime sur les côtes de l'Océan
et de la Méditerranée.
Ce fut à ce dernier projet que Ton s'arrêta. Le sort des
projets trop vastes est qu'ils ne peuvent pas être exécutés
dans toutes leurs parties ; leur effet ordinaire est de
disperser et de gaspiller les forces en engageant partout
une action qu'il est impossible de soutenir partout. Du
moins, le ministère eut la main heureuse en confiant les
deux commandements les plus importants à des géné-
raux actifs et entreprenants. Le 30 décembre 1755, le
maréchal de Belle-Isle recevait le commandement général
de toutes les côtes de la Manche et de l'Océan, depuis
Dunkerque jusqu'à Bayonne ; le lendemain, le maréchal
de Richelieu était ap])elc à la même situation pour toutes
les côtes de la Méditerranée, de Port-Vendres à Antibes.
On ne saurait dire à qui revient le mérite d'avoir donné
l'idée de l'expédition de Minorque. Machault, alors secré-
taire d'État de la Marine, qui s'occupa avec tant de zèle
272 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
(le nos intérêts maritimes, en fut-il l'inspirateur? On a
parlé aussi du maréchal de Richelieu, qui devait réaliser
l'opération avec un succès complet, ou encore du vieux
maréchal de Noailles, qui était membre du Conseil
depuis 1743. En réalité, l'idée de chasser les Anglais de
la mer où les hasards de la guerre de la Succession
d'Espagne les avaient établis en deux positions maî-
tresses, aussi menaçantes pour la France que pour
l'Espagne, cette idée était tellement naturelle qu'elle
devait se présenter à quiconque, en France, se souvenait
du traité d'Utrecht ou jetait les yeux sur une carte de la
Méditerranée. Pour qu'on n'y eût pas songé plus tôt, il
avait fallu toutes les aberrations de notre politique étran-
gère pendant vingt-cinq ans ou la manière décousue et
inconsidérée dont les hostilités maritimes avaient été
conduites dans la dernière guerre. Le gouvernement, si
longtemps aveugle, se décidait à ouvrir les yeux ; il
voyait clair enfin. Déloger les Anglais de ]\linorque où
ils étaient depuis 1708, c'était débarrasser nos côtes de
Languedoc et de Provence du plus dangereux des voisi-
nages, en attendant le jour, prochain sans doute, où l'on
pourrait frapper l'ennemi au cœur et débarquer aux rives
de la Tamise.
L'expédition qui se préparait à Toulon avait à sa tête
deux officiers généraux, dont la vie, la carrière et le
caractère n'avaient aucun point de contact ; devenus
frères d'armes, ils allaient être associés à la même gloire,
chacun dans sa sphère.
L'un est trop connu, surtout par ses aventures
galantes, ses intrigues de courtisan et ses dilapidations
dans le Hanovre, pour qu'il y ait à en parler ici ; du
moins, le vieillard qui se mariait pour la troisième fois
à quatre-vingt-quatre ans et qui, à l'âge de quatre-vingt-
GUERRE DE SEPT ANS. — LA GALISSONNIÈRE. 273
douze ans où il mourut, passait encore pour le cavalier
le plus aimable et le plus séduisant de son siècle, fut, à
plusieurs reprises, au cours de sa carrière accidentée,
un soldat énergique et heureux. Avant les campagnes de
Minorque et du Hanovre, qui coup sur coup firent de
lui un général aussi populaire et aussi glorieux que Mau-
rice de Saxe, le duc de Richelieu avait déjà de brillants
états de service ; Fontenoy et Gênes rappelaient deux
belles pages de sa vie. En défendant victorieusement
Gênes contre les Autrichiens il avait gagné le bâton de
maréchal.
L'autre n'avait ni ses grâces extérieures ni sa célébrité ;
petit, bossu, ne payant pas d'apparence, il avait reçu un
jour des sauvages du Canada ce singulier compliment :
« Fait comme tu l'es, il faut que tu aies bien de l'esprit
pour que notre père t'ait envoyé ici. » Mais le marin trop
peu connu dont le nom tout à coup fut sur toutes les
lèvres, méritait pleinement la gloire qui le rendit célèbre
quelques jours avant sa mort.
Roland-Michel Barin, marquis de La Galissonnière,
était né à Rochefort en 1693 ; la Galissonnière est le nom
d'une terre, voisine de Nantes, qui avait été érigée en
marquisat en 1658 pour l'un de ses ancêtres, Jacques
Barin, maître des requêtes de l'hôtel du roi. Son grand-
père maternel, Michel Bégon, parent lui-même du mar-
quis de Seignelay, avait été, comme intendant du Havre,
des ils d'Amérique, des galères, de Rochefort et de la
Rochelle, un des administrateurs les plus distingués de
la marine et des colonies sous le règne de Louis XIV.
L'un de ses oncles fut intendant du Canada. Un autre
oncle et un cousin moururent sur les vaisseaux du roi.
Son père, mort en 1737, avait été commandant de la
marine à Rochefort et lieutenant général des armées
navales, après avoir combattu à Béveziers, à la Hougue,
18
274 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
à Vigo. Le futur vainqueur de Minorque appartenait h
une famille où l'on connaissait et où l'on aimait la
marine.
Sa carrière avait été régulière et lente. Garde de la
marine en 1710 à dix-sept ans, enseigne en 1712, lieute-
nant de vaisseau en 1726, il avait quarante-cinq ans
quand il fut promu capitaine en 1738, l'année qui suivit
la mort de son père. Il appartint successivement aux
escadres de Gabaret, de Court La Bruyère, de Roque-
feuil, de Rochambeau. Nommé commissaire général de
l'artillerie à Rochefort iP'^ février 1745), il exerça ces
fonctions pendant deux ans ; en 1747, il fut envoyé à
Québec, comme gouverneur de la Nouvelle-France.
C'était pendant ces années critiques où la perte de
Louisbourg semblait présager la perte de la colonie du
Saint-Laurent tout entière. La Galissonnière manquait
des moyens matériels qui lui auraient permis de protéger
le Canada par mer, puisque le gouvernement avait
renoncé à envoyer des forces navales de l'autre côté de
l'Atlantique ; mais il songea à conjurer les dangers pré-
sents et futurs de notre colonie, en reliant par une série
de postes, le long de la vallée de l'Ohio, nos établisse-
ments du Saint-Laurent à ceux du Mississipi. Quel avenir
pour la colonisation française, si Montréal et la Nouvelle-
Orléans avaient pu être rattachés par une ligne de points
fortifiés et de comptoirs, comme ils le sont aujourd'hui
par une chaîne ininterrompue de cités prospères ! Les
colonies anglaises auraient été enfermées entre les Alle-
ghanys et la mer ; la régTon du Saint-Laurent, des
Grands Lacs, du Mississipi, où flottent aujourd'hui le
drapeau anglais ou le drapeau américain, verrait flotter
le drapeau français. Tout cela était possible, sans la
maladresse des conditions de la paix d'Aix-la-Chapelle,
sans la mollesse avec laquelle le gouvernement fit valoir
GUERRE DE SEPT ANS. — LA GALISSONNIÈRE. 275
nos droits. Cependant les arguments historiques et autres
ne lui faisaient pas défaut. Il n'avait qu'à se servir du
mémoire que La Galissonnière lui-même et Silhouette,
le futur contrôleur général, avaient rédigé en 1750 sur
la question des frontières franco-anglaises dans l'Amé-
rique du Nord. On sait que la guerre naquit de cette
question même, mais comme un incendie naît accidentel-
lement d'une étincelle.
Lorsque la guerre éclata, La Galissonnière n'était plus
en Amérique. Rappelé en France en 1750, il avait été
chargé du Dépôt des cartes, plans et journaux de la
marine et promu chef d'escadre. Bien que sur les états
officiels son nom soit accompagné de la mention u à la
cour », il y a lieu de douter qu'on l'ait souvent vu à la
cour même et que les familiers du roi aient entendu
parler de lui. Au moins, les hommes du métier le connai.s-
saient et l'appréciaient. « Officiel' de beaucoup d'esprit
et savant, sachant bien son métier et attaché au ser-
vice ^ » : cette note est jointe à la liste officielle de ses
états de service. Il avait organisé plusieurs missions
scientifiques, celle de Chabert Cogolin dans l'Amérique
du Nord, celle d'un autre marin, Bory 2, sur les côtes
d'Espagne et de Portugal, celle encore de l'astronome La
Caille au cap de Bonne-Esperance. Deux campagnes
d'études faites dans la Méditerranée en 1754 et en 1755
avaient montré sa science manœuvrière ; il avait rompu
ses officiers et ses équipages aux évolutions de la tac-
tique, et il avait expérimenté une nouvelle méthode de
signaux par pavillons. Machault avait justement récom-
pensé le mérite, en le nommant lieutenant général des
1. A. M., C 165.
2. Borî^ G.. 14 avril 1734 ; L., 17 mai 1751 ; C, 17 avril 1757 ; gouverneur
et lieutenant {rénéral des îles sous le Vent, 13 février 1761 ; RCE..
27 mars 1766. A, M., C 168.
276 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
armées navales (25 septembre 1755), et en l'adjoignant,
quelques mois après, au duc de Richelieu comme chef
maritime de l'expédition de Minorque. La Galissonnière
avait alors soixante-trois ans et quarante-six ans de
services.
Tels étaient les deux hommes, le général et le marin, à
qui le gouvernement confiait la plus grande expédition
maritime qu'on eût vue en France depuis les campagnes
de Du Ouesne et de Tourville. « Ces deux hommes, sui-
vant la remarque heureuse d'un historien 3, donnaient
ensemble l'image la plus fidèle de cet incomparable
siècle. Richelieu en représentait les grâces légères, la
galanterie impertinente, l'intrigue sans scrupule, tous
les défauts et les travers, avec ces deux qualités qui font
tout pardonner dans notre pays, le courage et l'esprit.
La Galissonnière en représentait, comme le marquis de
Montcalm au Canada, l'honnêteté vigoureuse, la droi-
ture morale, le dévouement absolu au devoir, toutes ces
hautes vertus militaires de l'ancienne France qui doivent
rester l'exemple de la France nouvelle. »
Le succès de l'expédition de Minorque a tenu non seu-
lement à la valeur et à la science des chefs ; il a tenu
encore à l'art avec lequel elle fut préparée. Ici tout le
mérite revient au comte d'Argenson et surtout à
Machault, les ministres de la Guerre et de la Marine. Les
instructions du roi au duc de Richelieu ne sont datées
que du 16 mars 1756, et celles à La Galissonnière que
du 22 mars ; mais, dès la fin du mois d'août précédent,
ordre avait été donné au commandant du port de Toulon,
M. de Massiac, le futur ministre, et à l'intendant, M. de
3. E. GuiLLON, Port-Mahon. La France à Minorque sous Louis XV.
Paris, 1894
GUERRE DE SEPT ANS. — LA GALISSONNIÈRE. 277
Villeblanche, de procéder à rarmement de douze vais-
seaux, La rareté des fonds, la difficulté de trouver des
ouvriers, — on en fît venir de Nice et de Gênes, — la
difficulté d'avoir des matelots, — Machault leur fit donner
une prime de six à douze livres et leur fit payer la solde
entière à partir du jour de leur entrée à bord et non à
partir du jour du départ, — la difficulté de réunir les
approvisionnements et les munitions nécessaires, avec la
présence au mouillage de Villefranche des corsaires
anglais : tous ces obstacles demandèrent bien des
semaines.
Ce qu'il y eut de remarquable dans cette période pré-
paratoire, et ce qui contribua beaucoup à assurer le
succès final, c'est que le secret fut gardé de la manière
la plus impénétrable entre trois ou quatre personnes.
Sous les prétextes Tes plus divers on dirigea vers Mar-
seille et Toulon vingt-cinq bataillons avec des parcs
d'artillerie, des bestiaux, des vivres, des munitions ; les
officiers qui conduisaient ces convois ignoraient,
quelques jours avant le départ, dans quelle direction ils
allaient prendre la mer. Rochambeau, qui était alors
colonel, raconte ceci dans ses Mémoires : « J'avais passé
dans la journée [le 15 mars] à Toulon, où M. de Massiac,
commandant de la marine, me demanda sérieusement ce
que voulaient dire tous ces bruits qui couraient d'une
entreprise sur Mahon ; je crus qu'il me persiflait. Je lui
répondis qu'il devait être mieux instruit du secret des
opérations maritimes qu'un simple colonel de l'armée de
terre. M. de Massiac me protesta de très bonne foi qu'il
n'avait encore reçu aucun ordre. »
Le comte de Maillebois qui, avec M. Du xMesnil était
l'un des deux lieutenants généraux de l'expédition, arriva
à Toulon le 20 mars ; le 22, il y fut rejoint par le duc de
Richelieu. Ils étaient passés par Marseille, où se prépa-
278 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
rail la concentration du matériel, de la cavalerie, des
vivres ; ils apportaient les derniers ordres à M, de Char-
ron, commissaire ordonnateur de la marine, qui avait
déployé la plus intelligente activité ; en quelques jours,
tout fut terminé. Maillebois était désireux d'avoir de La
Galissonnière des réponses précises sur la date du
départ, sur telle et telle opération ; c'est l'impatience des
officiers de l'armée de terre, toujours prêts à rejeter sur
la marine, comme si elle ne dépendait pas des vents, de
la mer et d'une foule de conditions matérielles, la respon-
sabilité tout entière des opérations combinées. Comme
l'écrivait le chef maritime au ministre (22 mars) : « Il s'en
faut bien que je lui aie répondu aussi positivement qu'il
m'a paru le désirer. Notre métier est rempli d'incerti-
tudes et ceux qui n'y sont pas accoutumés en sont tou-
jours étonnés... » Sous la plume de La Galissonnière,
qui, disait-il, craignait toujours « plus de trop assurer
que trop peu », cette phrase n'était que l'expression de sa
modestie naturelle ; mais elle traduisait une vérité géné-
rale, trop souvent oubliée de ceux qui, dans le silence du
cabinet, combinent des projets maritimes.
Tout fut prêt aux premiers jours d'avril, et dans les
meilleures conditions. Quelques actes de vigueur à
l'égard de matelots manquants ou déserteurs eurent pour
effet de maintenir les équipages bien au complet. Les
vaisseaux étaient en parfait état. L'intendant écrivait le
4 avril: « Jamais vaisseaux n'ont été mieux armés, de
l'aveu de la plupart des capitaines et des personnes
impartiales. »
L'embarquement des troupes de terre, environ douze
mille hom.mes, se fit du 4 au 8 avril sur les vaisseaux de
guerre et sur cent soixante-seize bâtiments de transport ;
ceux-ci étaient arrivés de Marseille.
L'escadre de La Galissonnière se composait de douze
GUERRE DE SEPT ANS. — LA GALISSONNIÈRE. 279
vaisseaux de ligne et de cinq frégates^. Le Foudroyant,
de quatre-vingts canons, vaisseau amiral, avait à bord le
duc de Richelieu et sa maison ; le nombre des officiers
et des domestiques de toute nature embarqués à bord du
Foudroyant peut donner une idée du luxe et des embarras
matériels qui faisaient alors partie de toutes les opéra-
tions militaires. La Couronne, de soixante-quatorze
canons, était commandée par le chef d'escadre La Clue,
et le Redoutable, de soixante-quatorze, par le chef
d'escadre Glandevez ^ ; Maillebois était embarqué sur la
Couronne, Du Mesnil sur le Redoutable. Les dix-sept
vaisseaux de l'escadre et les cent soixante-seize bâtiments
de toute grandeur qui formaient le convoi, en tout cent
quatre-vingts voiles, avaient été formés dans la grande
rade de Toulon en trois divisions.
Le 10 avril, à la pointe du jour, dans un ordre parfait,
l'appareillage se fit par une brise du nord ; mais ce fui
un faux départ. Le vent étant sauté au sud-ouest, il fallut
dès le 11 relâcher aux îles d'Hyères ; heureusement le
retard ne fut que d'un jour.
Pendant cette journée de calme, Rochambeau était
4. Voir l'Appendice VIII.
Nombreux documents sur l'expédition de Minorgue : A. M., B* 69-71.
Les lettres de M. de Courcy, commissaire de la marine à la suite de
l'escadre, du 15 février 1756 au 9 janvier 1757, abondent en détails sur
les préparatifs et sur l'expédition même : B* 71. Le même volume con-
tient un curieux journal de campagne du Lloji, avec de nombreuses
planches en couleurs, qui est l'œuvre de Fleurieu, alors garde-marine
à bord de ce vaisseau. — Charles-Pierre d'Eveux de Fleurieu. Né à Lyon.
1© 5 juillet 1738 ; G., 15 décembre 1755 ; enseigne de port, 1" juillet 1765 ;
L., 1" octobre 1773 ; inspecteur en second du Dépôt des cartes et plans
Se la marine, 36 février 1775 ; RC. et directeur des ports et arsenaux,
1" novembre 1776 ; ministre de la marine, 25 octobre 1790-15 avril 1791 ;
-j. 18 août 1810. A. M., C 172 ; Chassérieu, Notice sur le comte de Fleu-
rieu, 1856.
5. Le volume B* 71 renferme une analyse du journal du Redoutable.
Cf. R. DE CisTERNES, La Campagne de Minorque d'après le journal du
commandeur de Glandevez. Paris, 1899.
280 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
allé au vaisseau amiral avec la chaloupe aux nouvelles.
« Le maréchal de Richelieu jouait au wisk (sic) avec
M. Du Mesnil ; M. de La Galissonnière était à une fenêtre,
près de la plume qui sert de girouette. « Combien
« croyez-vous, lui disait le maréchal, que durera ce vent
« contraire ? Car assurément nous donnons bien le temps
(( à toutes les flottes anglaises d'arriver dans la Médi-
« terranée. — Monsieur le maréchal, lui répondit La
(( Galissonnière, il m'est arrivé de revenir en trois jours
« du détroit de Gibraltar, où j'avais mis trois mois pour
« aller ; voilà tous les calculs que l'on peut faire sur
« mer. » Le maréchal ne demanda pas son reste... »
Cependant le 12, le vent s'étant remis au nord, la flotte
fît voile vent arrière.
Il y eut quelques incidents de traversée, d'ailleurs peu
graves, à cause des sautes fréquentes du vent ; ainsi, deux
bâtiments du convoi furent abordés par le Triton ; le 13,
l'escadre mit en panne pour permettre au convoi en partie
dispersé de se rallier. Bref, le 18 avril, jour de Pâques,
six jours après le départ des îles d'Hyères, sans avoir
aperçu une voile ennemie, La Galissonnière arrivait
devant Minorque ; il s'établissait à l'ouest de l'île, à
l'opposé de Port-Mahon, dans le canal entre Majorque
et Minorque. La descente commençait aussitôt, le même
jour à sept heures du soir ; elle continuait avec beau-
coup de régularité et sans incident notable pendant toute
la nuit.
« C'est un des plus beaux spectacles que j'aie vus de
ma vie ^. Notre escadre mouilla en croissant, ayant der-
rière elle tous les vaisseaux de transport. Les côtes de
Majorque et de Minorque étaient couvertes de peuple...
Je distinguai avec une lunette beaucoup de femmes, ce
6 RÔCHAMBEAU. Mémoires.
GUERRE DE SEPT ANS. — LA GALISSONNIÈRE. 281
qui ne me donna pas d'opinion de la résistance qu'on
nous opposerait à la descente... Les femmes et les enfants
venaient au-devant de nous et nous aidaient à passer les
crevasses des rochers ; ils étaient tous catholiques et
n'aimaient pas les Anglais... »
Il faut avouer qu'il y eut beaucoup de bonheur dans le
débarquement du corps expéditionnaire ; avec la tra-
versée, c'est toujours la partie la plus périlleuse de ce
genre d'opérations. La Galissonnière n'avait pas ren-
contré d'escadre ennemie pour lui disputer la liberté du
passage ; il ne rencontra pas la moindre troupe pour
s'opposer à sa descente. Nos états-majors, à la Marine
comme à la Guerre, n'avaient rien arrêté sur le lieu même
du débarquement, par le fait de l'ignorance où ils étaient
de la nature des côtes et des défenses intérieures de l'île.
« Cette ignorance des côtes, suivant le témoignage du
prince Frédéric de Wurtemberg, qui avait été autorisé
à suivre la campagne sur le désir du roi de Prusse, tenait
à ce que la marine française, à moins de se trouver en
cas d'extrême détresse, n'osait pas mouiller près des
côtes appartenant à l'Angleterre. » On avait parlé de
divers endroits, mais sans s'arrêter à aucun, de la rade
de Fornells au nord de l'île, de l'île d'Ayre, au sud-est,
dans le voisinage immédiat de Port-Mahon, là même où
les Anglais avaient débarqué en 1708. Le vent nous ayant
poussés vers la baie de Ciudadela, que les Anglais avaient
négligé de garder, puis étant tombé quand nous étions
dans ces parages, nous avions pu débarquer sans coup
férir.
Sur les fortifications mêmes de Mahon, Richelieu
n'était pas mieux renseigné. Tout ce qu'on avait pu
trouver au Dépôt de la marine, ê'était un vieux plan
antérieur à la conquête anglaise. Richelieu l'avait montré
à Toulon à un capitaine de navire marchand qui connais-
282 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
sait la région ; ce plan, lui dit celui-ci, ne ressemble pas
plus au fort Saint-Philippe que la Bastille ne ressemble
à une bonne place de guerre.
En deux jours, le 19 et le 20 avril, le débarquement
était terminé. Les troupes traversèrent l'île par Mer-
cadal et Alayor ; le prince de Beauveau, maréchal de
camp, qui courait à l'avant-garde, entra dans Mahon dès
le 22, sans avoir rencontré personne. Le gouverneur
anglais Blackney n'avait eu que le temps de se retirer au
fort Saint-Philippe. De là, il avait écrit à Richelieu, en
feignant l'étonnement et en lui demandant dans quelle
intention il débarquait ainsi dans l'île, quand la paix
n'était pas rompue entre son souverain et Sa Majesté
Très Chrétienne. Richelieu se borna à répondre :
« ...Je puis assurer Votre Excellence qu'elle [mon
intention] est absolument pareille à celle des flottes
de Sa Majesté Britannique à l'égard de nos bâtiments
français. »
Après être resté jusqu'au 24, soit six jours, au mouil-
lage de Ciudadela pour y achever le débarquement de
l'artillerie et du matériel, La Galissonnière avait remis à
la voile pour venir croiser devant le port de Mahon. Mais
le 21 avril, soit seulement trois jours après l'arrivée des
Français dans les eaux de Minorque, le contre-amiral
Edgecumbe, qui venait de conduire à Mahon dix bâti-
ments de commerce français capturés lors de la grande
razzia faite sur les mers, avait eu le temps de prendre le
large avec ses cinq vaisseaux de guerre ; du moins, il
avait abandonné ses prises, qui devaient retomber entre
les mains des Français. Dans ces circonstances, la con-
duite du commandant de l'escadre fut jugée avec quelque
sévérité. Pourquoi ne pas avoir laissé quelques frégates
à la surveillance du débarquement, qui s'effectuait sans
difficultés, et ne pas être venu tout de suite établir une
GUERRE DE SEPT ANS. — LA GALISSONNIÈRE. 283
croisière à l'entrée de l'étroit goulet qui forme le port de
Mahon ?
Ce reproche était parvenu au ministre ; il écrivit à La
Galissonnière, en lui faisant des observations sur sa
conduite militaire depuis l'arrivée dans les eaux de
Minorque. Celui-ci répondit par une lettre en date du
14 mai 1756, à bord du Foudroyant ; piqué au vif par ces
critiques, il fit tout pour s'en disculper, en rappelant à
ce sujet le texte formel de ses instructions.
« Monseigneur, J'ai été vivement touché de la lettre
que vous m'avez fait l'honneur de m' écrire le 5 de ce
mois, au sujet des vaisseaux anglais sortis du port de
Mahon, deux ou trois jours après l'arrivée du convoi à
Citadella (sic). Quand je n'aurais eu d'autre mission que
celle de prendre ces vaisseaux, il y a beaucoup d'appa-
rence que je n'y aurais pas réussi. » On aura quelque
peine à comprendre ce peu de confiance de La Galisson-
nière en lui-même ; comment n'aurait-il pas pu capturer
avec douze vaisseaux et cinq frégates les cinq bâtiments
d'Edgecumbe ? « Mais, continue-t-il, suivant mes instruc-
tions, je n'ai pas même dû l'entreprendre. »
Les instructions officielles, en date du 22 mars, por-
taient en effet ceci : « L'objet dont il doit perpétuellement
s'occuper est... la conservation des forces que Sa Majesté
destine pour cette expédition. C'est vers cet objet que Sa
Majesté veut... qu'il dirige toutes les combinaisons qu'il
aura à faire par les différents partis qu'il aura à prendre,
soit avant son départ de Toulon, soit dans sa route pour
se rendre à Minorque, soit durant le séjour qu'il pourra
faire sur les côtes ou dans les ports de cette île, soit pour
son retour en Provence. » Autre part, il était dit :
« L'intention de Sa Majesté est que son escadre et ses
troupes ne soient pas compromises contre des forces trop
supérieures. » Enfin, dans une lettre du roi à La Galis-
284 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
sonnière, du 22 avril aussi, la même préoccupation se
faisait jour : « Mon intention est que vous vous occupiez
principalement de la conservation de mon escadre et des
troupes que j'ai destinées pour cette entreprise... » Une
idée essentielle se dégage de ces documents, qui
s'explique par cette défiance exagérée de l'ennemi où
nous avait conduits plus d'un quart de siècle de politique
pusillanime et de stratégie expectante : il ne fallait pas
compromettre l'expédition par un engagement « contre
des forces trop supérieures », il fallait avant tout « con-
server » l'escadre et les troupes.
Dans sa réponse au ministre, La Galissonnière rappelle
ces textes et les commente de la manière la plus étroite.
Il a été chargé, dit-il, de protéger la descente, de ne
quitter la plage du débarquement qu'après avoir appris
du maréchal qu'il était en état d'attaquer les forts de
Mahon, de ne pas séparer ses vaisseaux ; il devait
s'occuper avant tout de conserver ensemble toutes les
forces de l'expédition.
On ne pourra s'empêcher de trouver que si le lieute-
nant général des armées navales était couvert par le texte
même de ses instructions, il aurait pu s'en affranchir,
dans la circonstance présente, sans manquer ni à l'esprit
ni à la lettre même de ces documents. Deux recomman-
dations essentielles lui étaient faites : ne pas compro-
mettre son escadre contre des forces trop supérieures,
conserver toutes les forces de l'expédition ; elles n'au-
raient pas été transgressées, ni l'une ni l'autre, puisque
le débarquement se fit sans aucun obstacle, s'il avait
détaché quelques vaisseaux pour le blocus de Mahon.
Mais si, d'une part, les instructions officielles étaient trop
timides, si elles se réduisaient à peu près à des ordres
négatifs en recommandant avant tout ce qu'il ne fallait
pas faire, il est certain, d'autre part, que les temps
GUERRE DE SEPT ANS. — LA GALISSONNIÈRE. 285
n'étaient pas encore venus de la stratégie navale qui
comprendra que le meilleur moyen de conserver une
escadre, c'est de détruire les forces ennemies qui peuvent
lui être opposées. Le commandant français, malgré ses
qualités personnelles, subissait l'influence des errements
de son époque.
La Galissonnière avait commencé sa croisière au large
de Port-Mahon le 24 avril. Richelieu, de son côté, avait
entrepris les travaux de siège ; ils présentaient de très
grandes diflicultés, à cause du terrain rocailleux sur
lequel étaient établis les divers ouvrages du fort Saint-
Philippe ; ce fut seulement le 11 mai que les batteries de
m.ortiers furent en état de commencer leur tir. Richelieu
n'était pas sans inquiétude sur l'issue finale ; il écrivit à
plusieurs reprises en France, pour faire venir de Mar*
seille et de Perpignan des renforts d'artillerie. Il fallait
se hâter, car les communications par mer pouvaient
devenir difficiles d'un moment à l'autre. Le 18 mai, un
avis de La Galissonnière le prévenait qu'une escadre
anglaise était depuis la veille au soir en vue de Palma,
capitale de l'île de Majorque.
Habituée, depuis la mort de Louis XIV, à ne plus
compter avec la rivalité maritime de la France, n'ayant
pas pris garde, au cours de la guerre précédente, à divers
épisodes qui attestaient cependant le réveil de notre puis-
sance navale, fière des trophées faciles qu'elle devait au
brigandage de Boscawen, l'Angleterre avait été surprise
par les événements de Minorque. Le mystère dont avaient
été entourés les préparatifs de Toulon, quelques rensei-
gnements mal interprétés, avaient donné lieu de croire
au ministère Newcastle qu'il s'agissait soit d'un coup de
main sur la Corse, soit d'une descente dans la Manche.
Pour parer à toute éventualité, on avait décidé, au der-
286 LA MARINE IVULITAIRE SOLS LOUIS XV.
nier moment, d'envoyer dans la Méditerranée une escadre
de onze vaisseaux et un corps de quatre mille hommes.
L'amiral John Byng, quatrième fils du vainqueur de la
bataille du cap Passero, mis à la tête de ces forces, prit
la mer de la rade de Spithead le 6 avril, au moment même
où se faisait à Toulon l'embarquement fmal. Il n'arriva à
Gibraltar que le 2 mai, quatorze jours après l'arrivée des
Français à Ciudadela. Il y fut rejoint par Edgecumbe,
qui lui apprit les événements de Minorque. Le dépit d'être
arrivé trop tard et d'être engagé dans une affaire qui
prenait une mauvaise tournure, lui dicta une lettre au
ministre (4 mai), où il l'accusait à mots couverts de négli-
gence et où il semblait le rendre responsable à l'avance
de ce qui allait se passer. Cette lettre aurait été par-
donnée à un amiral victorieux ; à un amiral vaincu, elle
devait coûter la vie.
Le 8 mai, Byng avait remis à la voile de Gibraltar.
iVvec la division d'Edgecumbe, il avait en tout treize
vaisseaux de ligne, quatre frégates et une corvette. Son
pavillon flottait sur le Ramillies, de quatre-vingt-dix
canons, qui ne devait pas être toujours un nom de vic-
toire anglaise ; celui du contre-amiral Edgecumbe, sur
le Lancaster, de soixante-quatre ; celui du contre-amiral
Temple-West, sur le Buckingham^ de soixante-huit.
Contrarié par les vents, il n'était arrivé que le 17 au soir
dans les eaux de Majorque ; le 19, il était en vue de
Minorque, du côté du sud. Le drapeau anglais flottait
toujours sur le fort Saint-Philippe : il était temps encore
de débarquer le corps de quatre mille hommes qu'il
amenait d'Angleterre.
La Galissonnière, depuis quarante-huit heures, avait
manœuvré avec beaucoup d'habileté. Averti le 17 au soir,
par la frégate la Gracieuse, de l'approche des Anglais, il
était resté auprès de la côte, vers le nord-est de l'île, se
GTŒRRE DE SEPT ANS. — LA GALISSONNIÈRE. 287
préoccupant de garder l'avantage du vent pour le moment
où les Anglais le rejoindraient. Il avait demandé des
soldats à Richelieu pour renforcer ses équipages. Le
maréchal lui avait envoyé aussitôt treize compagnies
d'embarquement, le 18 mai ; mais trois seulement purent
arriver aux vaisseaux de l'escadre. Montées sur de mau-
vaises tartanes et ballottées par une mer assez forte,
plusieurs de ces compagnies durent regagner la côte ;
il y en eut même trois qui s'égarèrent vers le sud et furent
prises par les Anglais.
Dans la journée du 19, vers onze heures du matin, les
deux escadres furent en vue, Byng arrivant par l'île
d'Ayre, La Galissonnière croisant vers le nord et ayant
l'avantage du vent. Une brume assez épaisse et le désa-
vantage de la position de Byng tinrent celui-ci à distance
jusque vers le milieu de la journée du lendemain.
Le 20, vers midi, le vent changea ; il passa au sud-
ouest, en donnant ainsi tout à coup l'avantage à Byng.
Celui-ci en profita aussitôt pour mettre le cap au sud-€st
et filer à une faible distance au sud des Français ; puis,
quand ses vaisseaux furent par le travers des nôtres, ils
virèrent de bord. Ainsi s'expliquent ces mots de La Galis-
sonnière '^ : (c L'arrière-garde des ennemis était devenue
avant-garde par un mouvement qu'ils avaient fait. » Les
deux escadres étaient disposées en deux lignes à peu
près parallèles, orientées environ de l'ouest à l'est, per-
pendiculairement à la côte, les Français au nord. Der-
rière la ligne anglaise, il y avait l'île d'Ayre ; derrière
la ligne française, le port de Mahon et le cap Mola. Les
forces étaient à peu près égales : douze vaisseaux, cinq
frégates, neuf cent trente-quatre canons chez les Fran-
7. Le rapport de La Galissonnière. en date du 22 mai 1756, a été publié
par Chassériau, Précis historique de la marine française, t. I, p. 152-Ié4.
288 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
çais ; treize vaisseaux, quatre frégates, une corvette,
huit cent cinquante canons chez les Anglais.
D'après le rapport de La Galissonnière, le combat
commença à deux heures et demie et finit à cinq heures
et demie. L'amiral français, toujours modeste, mais très
véridique, caractérise ainsi l'action avec beaucoup de
justesse : « Ils en ont profité (de l'avantage du vent) pour
nous attaquer sans s'engager, et l'escadre du roi les a
reçus de façon à leur faire craindre de trop s'exposer en
l'approchant davantage. » A aucun moment, rien ne
donna l'idée de ces corps à corps où Suffren et Nelson
devaient exceller un jour.
Les cmq vaisseaux de la gauche anglaise, commandés
par Temple-West, étant revenus brusquement au vent,
avaient engagé vigoureusement l'action contre la droite
française, commandée par Glandevez. West réussit en
partie, car notre avant-garde, suivant le mot de La Galis-
sonnière, fut « assez maltraitée ». D'autre part, il s'était
trop porté vers le nord ; il courait par suite le risque
d'être détaché du centre anglais. Aussi, avec beaucoup
de prudence, il serra le vent pour rallier le gros de
l'escadre.
Au centre et à la droite des Anglais, l'affaire se
dessinait mal. Ulntrepid, qui formait le sixième vais-
seau de la ligne anglaise, s'étant mis tout à coup à
culer, il y eut du désordre chez l'ennemi ; plusieurs vais-
seaux s'abordèrent, la ligne fut sur le point de se rompre.
C'était peut-être le moment précis à saisir de notre part
pour prendre ^hardiment l'offensive. La Galissonnièrfe
avait sous la main huit vaisseaux intacts, à savoir son
centre et son arrière-garde, celle-ci commandée par La
Clue ; avec ces forces il pouvait se glisser entre les vais-
seaux de West et de Byng. Ce coup d'audace n'était pas
exempt de danger ; la manœuvre par laquelle West
GUERRE DE SEPT ANS. — LA GALISSONNIÈRE. 289
s'était replié sur Byng permettait, en effet, à celui-ci de
disposer encore de toute son escadre. La Galissonnière
eut l'intention, à ce qu'il semble, de tenter ce mouvement :
comme pour offrir la bataille à l'ennemi, il sortit deux
fois de la ligne en portant secours à l'un de ses navires,
V Hippopotame^ qui dérivait du côté des Anglais. Mais
Byng se rappelait que Matthev^s, l'amiral de la bataille
de Toulon, avait été condamné pour avoir rompu sa
ligne ; pour éviter le même reproche, il ne sortit pas de
ses positions. La Galissonnière, de son côté, très préoc-
cupé de ne pas laisser couper son arrière-garde, main-
tint avec le plus grand ordre la ligne de ses vaisseaux.
Les Anglais, dit-il, <( la trouvèrent si serrée et en
essuyèrent un si grand feu, qu'ils s'en éloignèrent assez
promptement ». La conservation d'une ligne rigide était
encore considérée comme le but suprême de la tactique
navale.
Au bout de trois heures employées ainsi en manœuvres
et en canonnades, sans qu'il y ait eu à proprement
parler contact entre les deux lignes, sauf entre les vais-
seaux de West et ceux de Glandevez, les deux escadres
se trouvèrent hors de la portée de canon. Aussitôt, les
Anglais virèrent du côté du sud. La Galissonnière voulut
leur donner la chasse. (( Mais ces quatre vaisseaux
[l'avant-garde], entre autres le Redoutable, étaient hors
d'état de le faire, suivant ce qu'ils m'ont fait savoir
depuis. Plusieurs même... étaient si fort sous le vent
qu'ils ne pouvaient plus exécuter mon signal d'une façon
utile. Ainsi les ennemis continuèrent leur bordée qui les
portait au large, et nous la nôtre, qui nous a menés ce
matin à la vue et fort proche de l'entrée de Mahon, qui
est l'objet dont je dois m'occuper. » L'amiral français
n'avait point poursuivi l'ennemi au delà de Tîle d'Ayre
Les pertes en matériel et en hommes, après cet enga-
19
290 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
gement de trois heures, étaient peu importantes. Un seul
de nos navires, le Sage, avait souffert quelques avaries.
Comme les vaisseaux anglais s'étaient dérobés assez rapi-
dement à notre tir, La Galissonnière pensait qu'il y en
avait eu « de fort incommodés, mais nous n'avons rien
vu qui ne se puisse réparer ». Les pertes des Français
étaient de trente-huit morts et de cent quatre-vingt-quatre
blessés ; celles des Anglais, de quarante-cinq morts et
de cent soixante-deux blessés.
La bataille navale du 20 mai 1756 est restée justement
célèbre, et par l'éclat qu'elle jeta sur notre marine, et
pri.r les conséquences militaires qu'elle rendit possibles ;
mii's on voit qu'elle se réduisit à des opérations assez
simples et fort courtes. Byng n'avait pas fait preuve
d'une grande énergie au cours de l'action ; il s'était borné
à un rôle à peu près passif, alors qu'une attaque vigou-
reuse, comme celle que West avait engagée dès le début,
pouvait seule lui donner quelques chances de percer la
ligne française et d'arriver jusqu'à Port-Mahon. De plus,
il avait accordé trop d'importance peut-être à l'accident
de Vlntrepid et il avait donné bien précipitamment le
signal de la retraite.
Le chevalier de Mirabeau, qui avait pris part à la
journée comme capitaine en second de VOrphée », appré-
ciait crûment les opérations des Anglais, dans une lettre
qu'il adressait à son frère ^ : <( Ils n'ont que bien médio-
crement soutenu devant notre canon la fierté dont ils ont
usé envers nos marchands... Ils ont manœuvré comme
des cochons, ce qui fait que nous les avons étrillés. »
En .ait, les choses s'étaient passées d'une manière beau-
8. Sar lo même vaisseau servait le chevalier de Snffren ; embarqué à
Toulon comme enseigne, 11 fut promu lieutenant le 15 mal ; c'était sa
onzième campagne.
9. LOMÉNiK, Les Mirabeau, t. I, p. 225.
GUERRE DE SEPT ANS. — LA GALISSONNIÈRE. 291
coup moins brutale. Les Anglais avaient été tenus à dis-
tance ; ils n'avaient pas été « étrillés ».
Où Byng fut surtout coupable, c'est de s'être complè-
tent ent dérobé après cette première attaque ; au lieu de
réparer ses avaries en mer et de tenter un nouveau coup
de main soit sur Port-Mahon, soit sur un autre point de
l'île, il se retira vers Gibraltar, sans essayer rien de plus
pour la délivrance de Minorque.
De notre part, la résistance de l'avant-garde aurait pii
être plus longue. Sans la fermeté avec laquelle La Galis-
sonnière avait rallié son centre et ses ailes, tenu l'ennerol
à distance non seulement par son tir, mais encore par la
rigidité même de sa ligne de combat, cet épisode du début
de l'action aurait pu avoir des conséquences fâcheuses-
Suivant toujours de la manière la plus fidèle le texte de
ses instructions, il n'avait pas voulu, par une poursuite
trop lointaine, courir le risque de découvrir Port-Mahon ;
satisfait d'avoir victorieusement résisté et contraint son
ennemi à la fuite, sans l'avoir détruit, ni même sans
l'avoir entamé, il était venu reprendre aussitôt son poste
de vigie dans les eaux du cap Mola. Aussi avait-il le droit
d'écrire au maréchal de Richelieu comme il le fit : « J'ai
préféré votre gloire à la mienne et le principal objet de
votre mission à l'honneur particulier que j'aurais pu
retirer en poursuivant quelques vaisseaux ennemis qui
m'ont paru très maltraités. » Cette abnégation peut être
digne d'éloges, comme sa fermeté et sa présence d 'esprit
au cours du combat ; mais il aurait encore mieux
servi la gloire et la mission de Richelieu, puisqu'il
s'effaçait modestement devant lui, en se donnant tout
entier à la poursuite et à la destruction de l'escadre en
nemie.
Richelieu et ses officiers avaient suivi de loin le combat
292 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
à l'aide de bonnes lunettes. « Messieurs, avait dit le maré-
chal, il se joue là un jeu bien intéressant. Si M. de La
Galissonnière bat l'ennemi, nous continuerons notre siège
en pantoufles ; mais s'il est battu, il faudra avoir recours
à l'escalade, aux derniers expédients. » Le siège ne se
continua pas <( en pantoufles », car il y eut peu d'actions
de ce genre aussi savantes et aussi meurtrières. Mais
dans la boutade du maréchal, il y avait une grande part
de vérité ; la victoire sur terre n'était possible et ses
conséquences ne devaient être durables qu'autant que
la mer appartiendrait aux Français.
Le 29 juin, malgré la résistance très énergique de la
garnison, le fort Saint-Philippe avait capitulé. Le gou-
verneur Blackney avait obtenu les honneurs de la
guerre ; tous les prisonniers, au nombre de quatre mille
cent soixante-dix-huit, devaient être conduits à Gibraltar
sur des bâtiments français. Leur départ eut lieu, en effet,
le 9 juillet.
Le rembarquement de nos troupes avait précédé celui
des Anglais. La Galissonnière, à qui le combat du 20 mai
avait donné la liberté et non la maîtrise de la mer, tenait
à ce que la nouvelle de la dérobade de l'ennemi n'arrivât
à Gibraltar que lorsque ses propres vaisseaux seraient en
sûreté. Déjà, à plusieurs reprises, il avait averti le maré-
chal du danger qu'il pourrait courir, et par suite l'expé-
dition tout entière, devant des forces supérieures en
nom.bre ; car on s'attendait toujours à un retour offensif
des Anglais. Richelieu avait complètement ravitaillé
l'escadre, dont les provisions s'épuisaient rapidement.
Le 5 juin, La Galissonnière avait écrit à Machault pour
lui demander d'une manière pressante l'envoi de cinq
bons vaisseaux, mais les ressources insuffisantes du port
de Toulon et la rapidité des événements n'avaient permis
de ne lui en envoyer que deux, V Achille, de soixante-
GUERRE DE SEPT ANS. — LA GAL^??ONMÈRE. 293
quatre canons, et VHector, de soixante-quatorze, qui
rallièrent l'escadre le 2 et le 5 juillet.
Richelieu laissait dans l'île M. de Lannion, maréchal
de camp, comme gouverneur, avec onze bataillons en six
régiments. L'embarquement du reste de nos troupes
avait commencé dès le 4 juillet. Le 7, le maréchal mon-
tait à bord du Foudroyant ; le 8, l'escadre prenait la mer.
Le 18, elle jetaft l'ancre en rade de Toulon. Quelques
bâtiments de transport, que les vents contraires avaient
dispersés dans diverses directions, rallièrent un peu plus
lard. Le 21 juillet, le dernier navire était rentré sain et
sauf au port de Toulon. L'expédition de Minorque avait
duré trois mois en tout : elle aurait mérité qu'on renou-
velât en son honneur la devise que Louis XIV avait fait
graver sur une médaille de Turenne : Vis et Celeriias.
Les mémoires de l'époque sont pleins des démonstra-
tions d'allégresse qui éclatèrent partout, à Toulon, à
Marseille, à Lyon, dans toutes les villes du royaume aussi
bien que dans la capitale et à la cour. La Galissonnière
reçut la grand'croix de l'ordre de Saint-Louis, avec une
pension de huit mille livres, dont six mille réversibles
sur sa femme, qui allait bien prochainement jouir de ce
triste avantage. Le rapport du ministre appréciait son
rôle de la manière la plus exacte : <( Le zèle et la pru-
dence qu'il a fait paraître non seulement dans la conduite
de son escadre, mais encore dans la direction du convoi
destiné pour le transport des troupes de Sa Majesté
qu'on a fait passer à Minorque ; la manière dont il a favo-
risé le débarquement ; le combat qu'il a rendu contre
l'escadre anglaise ; l'attention suivie qu'il a donnée pour
protéger le siège du fort Saint-Philippe et à ne quitter
sa croisière jusqu'à l'entière reddition de l'île de
Minorque, d'où il a ramené les troupes de Sa Majesté à
LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
Toulon, sont des services trop marqués pour ne pas lui
procurer une marque authentique de la satisfaction de
Sa Majesté. »
Aussitôt après son retour, La Galissonnière avait
désarmé ses navires et réarmé en même temps une nou-
lelle escadre. A la fm d'août, il était prêt à reprendre la
mer avec seize vaisseaux de ligne, six frégates, deux
Brûlots. Mais il ne se soutenait encore que par un effort
extraordinaire de volonté ; très souffrant avant cette
eampagne, s'étant embarqué contre l'avis formel de ses
médecins, cette croisière de trois mois, où il avait fallu
¥eiller à tant de choses, avait achevé de l'épuiser. Au
mois d'août, il écrivait de Toulon au ministre : « Quant
i moi, monseigneur, je ne vous dissimulerai pas que je
iniis extrêmement fatigué et que je ne me remettrais de
longtemps en état de soutenir une croisière un peu
longue, si je ne profitais un peu de l'intervalle que j'ai
pour jouir de la terre. Ce qui ne s'accorde guère avec les
détails infinis d'écriture où il faudrait entrer... » Sa cor-
respondance s'arrête au 19 septembre ; à bout de forces,
t! avait dû passer le commandement de l'escadre qu'on
armait à M. de Massiac, promu à cette époque lieutenant
général.
Il prit la route de Paris ; ce voyage, le dernier, lui
réservait quelques heures de joie, au milieu des témoi-
gnages de reconnaissance et de respect qui lui étaient
prodigués partout où il passait. Mais son mal était sans
espoir ; atteint d'hydropisie, il subit une ponction à Aix,
qui ne le soulagea que pour quelques jours ; de nouveau,
3 fut forcé de s'arrêter à Montereau ; il y mourut le
26 octobre 1756. Louis XV était alors à Fontainebleau ;
en apprenant la mort de La Galissonnière, il dit : « C'est
dommage, je lui destinais le bâton de maréchal. » Il eût
été en des mains dignes de le porter et de l'illustrer ; le
GUERRE DE SEPT ANS. — LA GALISSONNIÈRE. 295
mélange de prudence et de fermeté dont il avait fait
preuve dans cette campagne, ses qualités d'organisateur
et d'homme d'action faisaient de lui le chef le plus en
vue pour l'expédition d'Angleterre. Sa mort survenue
dans de pareilles circonstances était de toutes manières
un deuil patriotique pour la marine et pour la France.
Revenons à l'île de Minorque. Le surlendemain du
jour où La Galissonnière et Richelieu venaient de quitter
les lieux témoins de leur double victoire, une escadre de
vingt et un vaisseaux anglais apparaissait devant Port-
Malion ; elle était commandée par un nouvel officier
général, l'amiral Edouard Hawke. Il était trop tard pour
se mettre à la poursuite de La Galissonnière : Hawke,
d'autre part, ne disposait pas de troupes de débarque-
ment : il se borna donc à établir un blocus.
Ce n'était plus Byng qui commandait l'escadre
anglaise. Peu après son retour à Gibraltar, il avait reçu
l'onire de rentrer en Angleterre pour expliquer sa con-
duite. Notre victoire avait provoqué au delà de la
Manche une sorte de stupeur : les Français étaient donc
capables d'arracher le trident de Neptune à ceux qui,
par un fol orgueil, s'en regardaient comme les seuls
possesseurs. Comme cela arrive parfois aux peuples à
qui une prospérité trop longue et trop facile a fait oublier
les progrès de leursi voisins, le premier malheur des
Anglais, en leur ouvrant brusquement les yeux, leur
donna une sensation d'épouvante. <( La nation, suivant le
mot de Burke, tremblait sous une honteuse terreur
panique, trop publique pour que nous puissions la
cacher, trop fatale dans ses conséquences pour que nous
puissions l'oublier. » L'Angleterre se sentait détestée de
toute l'Europe, là même où il semblait qu'elle comptait
des amis, et elle devinait la joie que causaient ses revers.
I
296 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
Après la victoire de La Galissonnière, notre secrétaire
d'ambassade à Madrid écrivait au ministre (31 mai 1756) :
(( Tous les ministres étrangers, à l'exception de
l'ambassadeur de Hollande, m'ont fait compliment sur
la déroute de l'amiral Byng. L'ambassadeur de Portugal
m'a témoigné plusieurs fois combien il était charmé de
l'abaissement de l'orgueil des Anglais, me disant en
propres termes que toutes les puissances leur verraient
perdre avec la plus grande satisfaction le ton impérieux
qu'ils avaient pris et l'empire qu'ils voulaient s'arroger
sur les mers. « Quant à nous, ajouta-t-il, vous savez que
« nous sommes sous leur joug et nous n'osons rien dire,
u parce que nous n'avons pas de forces à leur opposer.
« Nous sommes obligés de dissimuler notre faiblesse,
(( mais nous ne la sentons pas moins... » On se deman-
dait si l'Angleterre n'allait pas perdre tout d'un coup cet
empire qu'elle devait moins à sa force réelle qu'à sa
brutalité et à la terreur qu'elle inspirait aux petits.
Chesterfield, <( le lord des beaux esprits et le bel esprit
des lords », oublia un moment ses dissertations sur
l'étiquette, sur la galanterie, sur le parfait homme du
monde, pour s'écrier avec un désespoir profond : « C'en
est fait, nous ne sommes plus une nation 1 » Newcastle,
poursuivi par les clameurs des patriotes, quittait le
ministère ; le règne de William Pitt, court, mais terrible
pour la France, allait commencer. En prenant la direc-
tion des affaires, son premier mot fut celui-ci : « Mon
intention est de sortir l'Angleterre de l'état d'énervement
où elle se trouve et qui permet à vingt mille Français de
la troubler. » Il ne devait que trop tenir parole. Au milieu
de cette surexcitation des esprits, le malheureux Byng
était sacrifié à l'avance ; il fallait à l'opinion publique et
à la politique une victime expiatoire. Convaincu par la
cour martiale de Portsmouth de n'avoir pas fait pendant
GUERRE DE SEPT ANS. — LA. GALISSONNIERE. 297
ie combat tout ce qu'il aurait pu faire, — formule ter-
rible, digne du Comité de salut public et du Tribunal
révolutionnaire, — il fut condamné à mort. Les juges
l'avaient recommandé à la clémence royale ; Richelieu
avait envoyé une déclaration en sa faveur. Le roi et ses
ministres crurent que le salut public justifiait cett3 exécu-
tion, barbare et inutile. Byng fut fusillé à bord du
Monarch, le 14 mars 1757. \
Ce n'était pas en vue de la reprise possible de Port-
Mahon qu'il était nécessaire de retremper les esprits en
Angleterre par cet acte d'énergie sauvage. La France
fut la première à oublier sa conquête. La Galissonnière
était mort ; Richelieu était parti pour la campagne de
Hanovre ; la malheureuse alliance autrichienne nous
enfonçait de plus en plus dans les affaires allemandes.
Qui songeait encore à Port-Mahon et au comte de Lan-
nion qu'on avait abandonné au milieu de la Méditer-
ranée, comme plus tard Bonaparte devait abandonner
Vaubois à Malte ? Ici cependant rien ne ressemblait à
Aboukir. Loin de là ; la Méditerranée était libre, ou
plutôt elle semblait nous appartenir. Le 2 novembre 1756,
le marquis de Castries débarquait trois mille six cents
hommes à Calvi et à Saint-Florent, sur les côtes de la
Corse ; il était parti d'Antibes sous l'escorte de trois
frégates et de deux chebecs que commandait M. Mar-
quisan ^^ ; car, bien avant Choiseul, la France, alliée à
Gênes, était intervenue, à maintes reprises, dans les
démêlés de la République et de ses sujets insulaires.
Quelle admirable position nous avions au cœur de la
Méditerranée avec ce beau triangle, dont les sommets,
10. Nombreux documents sur cette expédition ; en particulier. lettres
de M. Sibon, capitaine de port à Toulon : A. M., B* 72. — Dans la divi-
sion navale de Marquisan. Chabert Cogolln commandait la Topaze.
298 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
formés de rades de premier ordre, s'appellent Toulon,
Port-Mahon, Saint-Florent !
Avant d'aller à ]\Iinorque, on s'était demandé ce qu'on
ferait de cette île, quand elle aurait été conquise. Paris-
Duverney, moins connu comme intendant de l'Ecole
militaire et homme politique que comme financier, avait
adressé au comte d'Argenson, ministre de la Guerre, un
Mémoire sur Vusage quon doit faire de Vile de Minorque
après la conquête (mars 1756). Peu optimiste, mais juste-
ment clairvoyant, il disait que l'Angleterre ne pourrait
pas être assez malheureuse, au cours de la guerre qui
commençait, pour ne pas obtenir, lors de la signature de
la paix, la restitution de Port-Mahon. « C'est une vérité
essentielle de laquelle il faut nécessairement partir. »
Son avis était de combler le port, pour que les Anglais
ne pussent plus s'en servir. La Galissonnière estimait à
un million de francs ces travaux de comblement ; peut-
être était-ce beaucoup, car le goulet d'entrée entre le
fort Saint-Philippe et le lazaret a, dans sa partie la plus
étroite, au plus trois cents mètres. Richelieu avait été
d'avis aussi que ce projet devait être écarté ; à quoi bon
détruire les avantages d'une position exceptionnelle, si
la France pouvait s'en emparer ?
Maîtres de Minorque, nous ne songeâmes pas, en effet,
à en combler le port ; mais Mahon avait été un don de
la puissance navale et ne pouvait rester notre bien que
grâce à la puissance navale. Sans une bonne escadre
pour nettoyer les côtes de l'île, surveiller les vaisseaux
qui venaient de Gibraltar et surtout garder ses commu-
nications avec Toulon, le plus habile gouverneur était
condamné à l'avance à remettre un jour Minorque aux
Anglais. L'histoire de l'administration militaire et civile
du comte de Lannion et du marquis de Frémeur, qui le
remplaça pendant quelque temps, et que secondèrent des
GUERRE DE SEPT ANS. — LA GALISSONNIÈRE. 299
officiers d'un réel mérite, comme le comte de Maudave,
est intéressante en elle-même ; elle méritait d'être tirée
de l'oubli, comme on l'a fait dans un livre récent ". Mais
elle est la meilleure preuve que la possession de Minorque
et de Port-Mahon ne dépendait pas des canons du fort
Saint-Philippe ; elle dépendait de l'empire de la mer.
Après avoir croisé un mois environ (juillet-août 1756)
dans les parages du cap Mola et de l'île d'Ayre, après
avoir capturé quelques tartanes de Palma ou de Barce-
lone qui apportaient des provisions aux Français, Hawke
s'était éloigné. Quelques frégates purent alors entrer à
Port-Mahon, où la question du ravitaillement se posa dès
le premier jour d'une manière inquiétante. On avait
songé à établir des relations, à cause du voisinage, avec
Majorque, avec la côte de Valence et avec la Catalogne ;
mais la proximité de Gibraltar permit aux Anglais de
mettre toute cette région en un état de blocus à peu près
permanent, et il fut impossible à notre colonie de
Minorque d'avoir des relations suivies avec les caboteurs
espagnols.
Au milieu de 1757, la garnison française put craindre
un danger plus sérieux. Quatorze vaisseaux anglais se
présentèrent devant Mahon. Une frégate française, la
Nym.phe, dut se jeter à la côte, dans une anse de
Majorque ; son commandant, M. de L'Isle Calian, fut
réduit à la brûler pour ne pas la laisser prendre par
l'ennemi (20 juin 1757) ; une autre, la Juiion, avait
éprouvé de si graves avaries qu'on dut la désarmer et la
vendre. L'escadre anglaise se montra ensuite devant
Toulon, fit une descente à Bormes, un peu à l'est
d'Hyères, et y enleva quelques bestiaux. Il était heureux
qu'elle se fût bornée à cette manifestation, qu'on ne pou-
11. GuiLLON, ouvrage cité.
/
300 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
vait songer à réprimer : il y avait en tout, dans la rade
de Toulon, six vaisseaux sous le commandement de La
Clue. Huit autres, qui étaient dans le port, reçurent
aussitôt l'ordre d'armer ; mais il manquait plus de deux
cents canons et un très grand nombre d'hommes d'équi-
page. Les Anglais disparurent à leur aise, comme ils
étaient venus.
Il n'y aurait pas d'intérêt à poursuivre davantage l'his-
toire maritime de notre occupation de Minorque et à
noter les rares convois de vivres, de munitions, les
quelques détachements de soldats, qui pénétrèrent de
loin en loin dans la rade de Port-Mahon. Français et
Anglais semblaient se désintéresser de la question de
Minorque. Chez nous, où la victoire de La Galissonnière
avait été saluée par tant de joie, l'enthousiasme était
tombé, on ne s'intéressait plus à la marine, qui était déci-
dément trop malheureuse ; on savait bien qu'il faudrait
rendre Minorque. Chez les Anglais, leurs victoires répé-
tées sur toutes les mers les avaient convaincus qu'au
moment de la paix ils reprendraient Minorque d'un
simple trait de plume ; ce n'était pas la peine de faire les
frais d'une expédition spéciale.
Lors de la signature du pacte de famille (15 août 1761),
la France s'engageait à restituer Minorque à l'Espagne,
le jour où cette puissance déclarerait la guerre à l'Angle-
terre ; mais les malheurs de tous genres qui accablèrent
les alliés à la fm de la guerre de Sept ans rendirent cette
promesse vaine. Les articles xn et xxiv du traité de Paris
enjoignaient à la France de restituer à Sa Majesté Bri-
tannique, dans un délai de trois mois, l'île de Minorque
et le fort Saint-Philippe, « dans le même état où ils se
sont trouvés lorsque la conquête en a été faite par les
armes du Roi Très Chrétien, et avec l'artillerie qui y
I
GUERRE DE SEPT ANS. — LA GALISSONNIÈRE. 301
était lors de la prise de ladite île et dudit fort. » Le
4 juin 1763, le lieutenant général Pusignieu, qui avait
remplacé le comte de Lannion, mort à Mahon au mois
d'octobre précédent, faisait la remise officielle de la place
et de l'île à l'amiral Brest. Le lendemain, il partait pour
Toulon, emmenant sur deux vaisseaux, le Tonnant et
YHector, sur la frégate la Chimère, tout ce qui restait de
la garnison française.
La Chimère, c'est un nom symbolique pour cette expé-
dition de 1756 : la marine et l'armée y avaient fait vail-
lamment leur devoir, elle avait fait battre d'enthousiasme
le cœur de la France, et elle se terminait dans le plus
lamentable avortement. Que reste-t-il pour rappeler
aujourd'hui le souvenir de cette belle page, trop peu
connue ^ ? « Porl-Mahon » est le nom d'une rue de Paris ;
la mayonnaise est le nom d'une sauce, la sauce à la
Mahon !
12. La Galissonnière était le nom d'un cuirassé de croisière ; il a été
rayé de la liste de la flotte en 1894. Sa dernière campagne avait été celle
de rExtrême-Orient (1884-1885), où il faisait partie de l'escadre de
'.'amiral Courbet.
CHAPITRE XVII
GUERRE MARITIME DE SEPT ANS SUR LA MÉDITERRANÉE.
2° LA CLUE
La Clue et Du Quesne à Carthagène. — Projet de jonction des escadres
de La Clue et de Conilans. — Bataille navale de Lagos. — M. de Sa-
bran Grammont.
L'expédition de ^linorque, les deux campagnes de
M. de La Clue, toutes deux malheureuses : c'est là toute
l'histoire de notre marine de guerre dans la Méditerranée
pendant la guerre de Sept ans.
Le 8 novembre 1757, La Clue Sabran, monté sur
l'Océan, appareillait de la rade des îles d'Hyères avec
une escadre de six vaisseaux. Depuis la journée de
Minorque, où il avait commandé l'arrière-garde de La
Galissonnière, ce chef d'escadre était rentré au port de
Toulon ; avec la difficulté de recruter des équipages, il
lui avait fallu attendre près d'un an pour armer ces six
vaisseaux. Il avait la mission de les conduire à Saint-
Domingue, puis à Louisbourg ; mais il ne devait pas
même sortir de la Méditerranée. A la nouvelle que
l'escadre anglaise du vice-amiral Osborne gardait le
détroit de Gibraltar, il était allé s'abriter à Carthagène ;
il y attendait des renforts qui devaient venir de Toulon.
On continuait, en effet, à armer dans ce port. Deux
vaisseaux et une frégate furent prêts d'abord et sortirent
GUERRE DE SEPT ANS. — LA CLUE. 303
SOUS les ordres de M. de Motheux ; partis le 13 jan-
vier 1758, ils rejoignaient heureusement à Carthagène
l'escadre de La Clue. Le chef d'escadre Du Quesne de
Menneville devait suivre ; mais pour pouvoir armer trois
vaisseaux et une frégate, on n'eut d'autres ressources que
de prendre les équipages de la division de M. de Sabran,
quand elle rentra du Levant à la fin de février.
Il faut lire les rapports des intendants du port de
Toulon pour voir à quel point l'indiscipline et la déser-
tion étaient alors les fléaux de la marine provençale. Il
faut entendre aussi les paroles énergiques du chevalier
de Mirabeau à M. de Moras, quand il refusa le comman-
dement d'une petite escadre qu'on devait armer à Tou-
lon 1 : « C'est, monsieur, que ma vie est au roi, et non
pas mon honneur. On a manqué de parole aux matelots
d'une manière inouïe. Le défaut de paiement de ces
misérables est une cruauté, excusée ici par la nécessité,
sans doute, mais marquée par des détails qui font frémir
quand on les a sous les yeux, et qui ont rendu le mécon-
tentement universel sur cette côte. L'armement de M. Du
Quesne lui a manqué dans la main devant l'ennemi ; je
ne puis ni ne veux m'exposer à un pareil sort. »
Du Quesne et sa petite division étaient arrivés le
27 février devant Carthagène. La Clue, qui disposait à
ce moment d'un ensemble de treize voiles, voulut réparer
ces longs retards et reprendre la mer dès le lendemain
même. Mais la brise écarta du mouillage les quatre
navires de Du Quesne et les fit donner contre l'escadre
d'Osborne, qui rôdait dans ces parages. L'action se passa
si vite, dans la malinée du 28 février, que La Clue n'eut
pas le temps de sortir de Carthagène pour y prendre
part. VOrphée, de soi:sanle-quatre canons, dut se rendre
1 LOMÉNiE, Les Mirabeau, t. I, p. 237.
304 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
presque tout de suite. Le Foudroyant, de quatre-vingts
cenons, malgré son nom, malgré le souvenir de La Galis-
sonnière, malgré le nom de son commandant, petit-
neveu du grand Du Quesne, ne fit pas non plus toute la
résistance dont il était capable ; il amena son pavillon au
Monmouth, d'une artillerie mxoins puissante ; c'était, dit
un historien, Goliath vaincu par David. Les deux autres
bâtiments furent plus heureux. La frégate la Pléiade put
regagner Toulon et VOrillamme se retirer à Garthagène.
La joie des Anglais fut grande d'avoir entre leurs mains
le commandant du Foudroyant, qui avait été leur pire
ennemi dans son gouvernement du Canada.
Tout ce que La Clue pouvait désirer à présent, c'était
de procurer aux dix bâtiments qui lui restaient le sort
de la Pléiade. Devant les dix-huit vaisseaux, les six
frégates et les deux corvettes qu'Osborne et Saunders
faisaient croiser auprès de Gibraltar, c'eût été folie de
songer à forcer le détroit. Le ministre donna ordre à La
Clue de rentrer à Toulon ; il y était de retour le
26 avril 1758, six mois environ après son départ. Cette
triste campagne nous avait coûté deux vaisseaux ; elle
avait montré que, malgré Minorque, dont nous ne faisions
rien, nous étions prisonniers dans la Méditerranée, que
les escadres anglaises pouvaient parcourir en toute
liberté.
Cependant, à n'importe quel prix, il fallait sortir de
cette prison maritime. Dans l'état d'épuisement où était
la France, une seule chose pouvait encore la sauver, la
descente en Angleterre des escadres combinées de Toulon
et de Brest. C'était le grand projet tant de fois esquissé ;
le moment était bien tardif, les circonstances peu favo-
rables ; mais c'était la chance suprême. Choiseul, Belle-
Isle, Berryer, estimèrent que, malgré tout, il fallait la
GUERRE DE SEPT ANS. — LA CLUE. 305
tenter, ou sinon signer tout de suite la paix aux condi-
tions dictées par le vainqueur. La Clue reçut la mission
périlleuse de conduire à Brest, pour les joindre à
l'escadre de M. de Conflans, les douze vaisseaux et les
trois frégates du port de Toulon. La campagne précé-
dente avait révélé chez lui des qualités assez médiocres
pour un commandant en chef ; mais l'état-majot*, qui
s'appauvrissait comme toute la marine, n'offrait pas le
choix entre beaucoup d'officiers généraux.
La Clue n'avait pu mettre à la voile que le 5 août 1759.
Pendant les mois de mai et de juin, les amiraux Brode-
rick et Boscawen, avec vingt-trois vaisseaux et frégates,
étaient venus pousser les reconnaissances les plus auda-
cieuses sur les côtes de Provence. Les Anglais, à la diffé-
rence des commandants français qui ne sortaient que de
loin en loin pour de courtes croisières, tenaient toujours
la mer et insultaient partout les côtes de France. A l'anse
des Sablettes, c'est-à-dire à la porte même de Toulon,
Broderick et Boscawen avaient isolé et canonné, cinq
heures durant, deux bâtiments français, VOiseau et la
Pléiade. Sans avoir été inquiétés eux-mêmes, ils avaient
fini par se retirer. Quand La Clue eut à peu près ses équi-
pages au complet et qu'il vit la mer libre, il mit à la
voile 2 ; son vaisseau était l'Océan, de quatre-vingts
canons.
La traversée de la Méditerranée se fit sans incidents ;
mais le 17 août, dans les eaux de Gibraltar, qui nous
furent si souvent fatales, l'escadre française fut décou-
verte par Boscawen : il attendait sa proie. La Clue s'ima-
gina qu'une marche rapide lui permettrait d'échapper à
cet adversaire, à qui l'attentat de 1755, la prise de Louis-
2. Voir rAppendice IX. — Documents sur cette campagne : A. M.,
B* 90, et dossier La Clue.
20
306 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
bourg en 1758 et sa croisière toute récente sur les côtes
de Provence avaient fait une réputation de singulière
audace. L'Océan était, en effet, bon marcheur ; poussé
par le vent d'est, il avait des chances de n'être pas
rejoint. Malheureusement, dans les opérations de ce
genre, rinégaliîé de vitesse est aussi fâcheuse pour les
bons marcheurs, qui sont rapidement isolés, que pour les
mauvais marcheurs, qui se font prendre tout de suite.
Pour tromper Boscawen, Y Océan avait éteint ses feux
d3 poupe. Les commandants français, qui ne pouvaient
plus voir leur chef, ne comprirent pas le signal qui leur
fut fait, au milieu de la nuit (17-18 août), de forcer de
voiles et de continuer dans la direction ouest-nord-ouest.
Un ordre antérieur avait indiqué la relâche et le rallie-,
ment à Cadix ; cinq vaisseaux et trois frégates de notre
arrière-garde, — le Fantasque, le Lion, le Triton, le
Fier, VOrillamme, la Chimère, la Minerve, la Gracieuse,
— que Boscawen avait commencé à canonner le 18 août,
à partir de trois heures du matin, prirent le parti de se
conformer à cet ordre. Ils errèrent tout un jour à la
recherche de Y Océan ; convaincus qu'ils le retrouveraient
à Cadix, ils y abordèrent le 19. Ils y furent aussitôt
blcqués par Broderick. Ce fut seulejxient quatre mois et
demi plus tard, le 2 janvier 1760, qu'ils purent s'échapper,
sous le commandement de Castillon cadet, pour ramener
en France les équipages des vaisseaux brûlés à Lagos ;
ils étaient de retour à Toulon le 17 janvier (1760).
Quant à La Clue, dont les forces étaient réduites dans
la matinée du 18 août à sept vaisseaux en tout, il avait
a présent derrière lui toute l'escadre ennemie. Les Fran-
çais s'avançaient sur une ligne, attaqués sur les deux
bords par les Anglais. L'Océan se défendit avec une
extrême vigueur ; en une demi-heure, il démâta le
Namur, de cent quatre canons, de Boscawen, qui était
GUERRE DE SEPT ANS. — LA CLUE. 307
venu se mettre par son travers à une portée de fusil ;
l'amiral anglais dut passer avec son pavillon sur le
Newark. V Océan avait lui-même beaucoup souffert ;
toutes ses manœuvres étaient coupées ; il avait près de
cent blessés, environ quatre-vingt-dix morts, dont six
officiers. La Clue une jambe cassée, l'autre grièvement
blessée, avait dû se faire remplacer à un moment par le
comte de Carné Marcein.
Cependant, cinq vaisseaux anglais s'étaient acharnés
contre le Centaure, de soixante-quatorze canons, com-
mandant M. de Sabran Grammont, qui avait été canonné
le premier : deux cents morts ou blessés, trois cents bou-
lets dans la coque, son commandant couvert de neuf
blessures, la mâture entièrement rasée, tel fut pour
l'héroïque vaisseau le résiiltaf d'un combat de cinq
heures. De Gibraltarj où il avait été conduit prisonnier,
M de Sabran adressa un rapport au ministre, le
26 août 1759, sur le combat soutenu par le Centaure.
Dans sa simplicité, c'est une des plus belles pages de
notre histoire navale.
J'avais pris, dit-il, toutes mes dispositions <( pour
pouvoir faire la plus longue résistance qu'il me serait
possible et donner par là le temps à l'escadre de s'éloi-
gner, pendant que j'occupais le plus grand nombre des
ennemis... Pendant que je faisais aux ennemis tout le
mal que je pouvais, ils m'en faisaient encore davantage.
Sur les six heures, toutes mes manœuvres étaient
hachées, mes voiles emportées ou criblées de coups, ma
; grande vergue brisée... Mon maître calfat vint m'avertir
• que j'avais quatre pieds d'eau dans la cale et qu'il y avait
! nombre de voies d'eau. L'état où je me voyais réduit ne
I fit rien changer à la résolution que j'avais prise de t^ir
1 bon jusqu'à la dernière extrémité. Je voyais avec quelque
' satisfaction notre escadre s'éloigner et la plus grande
308 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
partie de celle des Anglais décidée à ne pas les poursuivre
que je ne fusse rendu. Je me flattais qu'une défense
opiniâtre de ma part pourrait les sauver. Si j'ai réussi,
c'est un bien grand adoucissement à mes peines... A sept
heures et demie, comme la nuit allait commencer, mon
calfat revint pour m'avertir que j'avais plus de six pieds
d'eau dans la cale, qu'elle augmentait à chaque instant,
et qu'une partie de mes poudres était mouillée : je me
rendis. »
Après avoir fait l'éloge de ses officiers. Provençaux
comme lui-même, qui furent blessés à ses côtés, le capi-
taine en second Castellane La Valette le jeune, les lieute-
nants Faudran de Taillade, Raimondis Canaux, Guiran
de La Brillane, Gantés, Sabran ajoutait :
« Quant à mon équipage, il est difficile, j'ose même
dire impossible que l'on puisse être mieux armé que je
l'étais, et qu'on trouve ailleurs plus de bravoure et de
fermeté dans le soldat et dans le matelot. Ils étaient tous
animés du même esprit. Pas un seul n'a quitté son poste,
et tous ont combattu avec la valeur la plus déterminée.
« J'ai défendu, monseigneur, mon vaisseau autant
qu'il m'a été possible. J'ai tenu jusqu'au dernier moment.
Je n'ai amené le pavillon que lorsque le danger était
pressant ; j'ai cru ne devoir pas sacrifier autant de braves
gens que ceux que j'avais sous mes ordres et qui avaient
si bien fait leur devoir. Si j'ai pu mériter votre estime,
mon malheur m'en paraîtra moins grand. »
Tandis que ces admirables marins du Centaure
s'offraient en sacrifice pour le salut de l'armée navale,
la chasse continuait toujours ; VOcéan et ses matelots se
bornaient à échanger de loin quelques coups de canon.
Dans la nuit du 18 au 19, nouvelle désagrégation de nos
forces de plus en plus réduites. Le Guerrier, soixante-
quatorze canons, de M. de Rochemore La Devèze,
GUERRE DE SEPT ANS. — LA CLUE.
3O9
s'échappa au nord-ouest, gagna Lisbonne, puis Roche-
fort ; chemin faisant, il avait rançonné pour troij miUo
livres sterhng un navire anglais, la Galère de Gênes. Le
Souverain^ soixante-quatorze canons, de M. de Pannat,
s'échappa au sud-ouest jusqu'aux Canaries ; il devait
tenir la mer pendant près de deux mois ; le 10 octobre,
quand il rentrait à Rochefort, il livrait encore un combat.
Quoi de plus décousu que la bataille de M. de La Clue !
Elle durait depuis environ quarante-huit heures : le
chef ne savait ni donner ni faire respecter un ordre
d'ensemble, et chacun ne pensait plus qu'à assurer soi-
même son propre salut. Ce n'était plus une escadre qui
combattait ; c'étaient des vaisseaux isolés qui se déro-
baient dans toutes les directions.
Le 19 au matin, il n'y avait plus autour de VOcéan que
le Redoutable (soixante-quatorze canons, M. de Saint-
Aignan), le Téméraire (soixante-quatorze canons, M. de
Castillon) et le Modeste (soixante-quatre canons, M. Du
Lac de Montvert). C'était toute l'escadre de l'amiral fran-
çais. La Clue ne songea plus qu'à se réfugier dans les
eaux neutres du Portugal ; il alla s'embosser entre la
baie de Lagos et le cap Saint-Vincent. Boscawen se sou-
ciait peu de la neutralité des eaux portugaises ; il devi-
nait à l'avance que Pitt pardonnerait tout à sa belle
victoire et qu'il suffirait, d'écrire au petit Portugal une
lettre, non d'excuses, mais d'explications : de minimis
non curât prœtor. Donc l'amiral anglais fondit sur sa
proie. VOcéan et le Redoutable essayèrent encore de
lui échapper en se jetant à la côte ; ils furent pris et
brûlés ; le comte de Carné Marcein, dix officiers, cent
soixante hommes de l'Océan, qui n'avaient pas eu le
temps de fuir, furent faits prisonniers ; pour La Clue, il
avait pu se faire transporter à Lagos. Les deux derniers
310 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
vaisseaux français, le Modeste et le Téméraire, furent
amarinés par l'ennemi.
Ainsi se termina dans les eaux de Lagos, qui lui
donna son nom, cette terrible chasse de trois jours (17-
19 août 1759), commencée dans les eaux de Gibraltar.
Les mêmes lieux ne voient pas toujours les mêmes
scènes. C'était à la hauteur de Lagos que Tourville avait
frappé sur une flotte anglo-hollandaise un des plus beaux
coups de sa glorieuse carrière ; mais les temps n'étaient
plus où l'on pouvait, comme en 1693, inscrire sur une
médaille cette belle devise : A la splendeur maritime de
la France.
L'opinion publique fut sévère en France pour les
officiers de la bataille de Lagos, sauf pour M. de Sabran,
qui fut fêté à Toulon, à Paris, à la cour, honoré d'une
pension du roi. Sabran est un nom à retenir, comme le
dit avec raison un bon juge, le commandant Mahan : la
défense du Centaure montre tout ce que peut faire une
arrière-garde pour retarder une poursuite. Mais pour les
camarades du héros, on alla jusqu'à parler de « couar-
dise », de « désaffection à la patrie », d' « oubli du
devoir ». L'écho de cette opinion et, ce qui est plus inté-
ressant, de l'opinion des vainqueurs se retrouve dans
deux lettres de M. Abbe, chirurgien-major du Centaure,
fait prisonnier par les Anglais et emmené à Gibraltar.
". Je ne saurais vous celer la conversation que je viens
d'avoir avec le lieutenant anglais qui a mis le feu à
l'Océan. Cet homme m'a assuré que s'il avait été capable
ae faire une aussi mauvaise manœuvre et une aussi petite
défense que nos vaisseaux l'ont faite, il se serait pendu
sur-le-champ. Il est certain qu'il a raison... Si le roi veut
avoir une marine, qu'il commence par avoir de meilleurs
marins et surtout de meilleurs soldais... Je n'ai vu, au
GUERRE DE SEPT ANS. — LA CLUE. 311
contraire, dans la conduite du commandant du Centaure
que de la valeur et de l'héroïsme...
« Les Anglais tiennent ici les propos les plus humi-
liants contre notre nation... Ils regardent nos officiers
comme des moucherons et ils les désignent par le terme
de cadets de famille qui craignent la fumée de la poudre.
Ils n'exceptent de cette classe que M. de Sabran...
M. de Sabran a reçu à Gibraltar tous les honneurs
auxquels il pouvait s'attendre de la part de gens qui nous
détestent. Gela prouve que les Anglais, tout nos ennemis
qu'ils sont, respectent la valeur et la chérissent. » Un
officier anglais avait dit au chirurgien-major <( que sa
nation avait des grandes obligations à Louis XV de faire
construire d'aussi beaux vaisseaux, parce qu'elle était
assurée de s'en emparer bien vite, si on ne prenait pas
des arrangements pour les mieux conduire... On dit pis
que pendre de M. de Saint-Aignan et de nombre d oilîciers
subalternes... Groyez-moi : employez tous vos soins à
engager le ministre de faire bâtir un vaste monastère,
où il y ait bon feu, grande chère et bien du plaisir, pour
y retirer la meilleure partie de ses officiers de marine, et
qu'il se retourne de tout un autre sens pour tâcher de
les troquer contre d'autres. Sans quoi, tout est dit. »
Rentré en France, après être resté environ quatre mois
en Portugal et en Espagne pour se guérir de ses bles-
sures, I-^a Glue essaya de justifier sa propre conduite en
accusant auprès du ministre les capitaines qui avaient
fait route pour Gadix. « Je leur demande qui est-ce qui
a pu les induire en erreur. Je n'ai fait qu'une même route
et un seul signal. Pourquoi ont-ils quitté leurs rangs
dans les colonnes où ils doivent marcher ? Je ne dis rien
des frégates qui marchent sans ordres. Je n'ai plus qu'un
mot à vous dire, monseigneur : les six plus anciens capi-
taines se sont tenus dans leurs rangs et ne m'ont point
312 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
quitté. Ce sont les cinq derniers qui se sont écartés,
lesquels doivent être condamnés. C'est peut-être la
première fois de la vie que l'on a voulu rendre respon-
sable le commandant d'une escadre de la séparation de
ses vaisseaux. J'espère, monseigneur, que lorsque ces
messieurs seront rendus en France, vous leur deman-
derez les raisons de leur séparation ; je vous dirai les
miennes, et vous nous jugerez ^. »
Deux ans plus tard, le 22 décembre 1761, La Clue
faisait parvenir au duc de Choiseul, qui venait de prendre
le ministère de la Marine, un récit détaillé de sa malheu-
reuse campagne ; il disait encore que le désastre était
arrivé parce que la moitié de ses vaisseaux l'avait aban-
donné. (( Je suis persuadé, monseigneur, que vous me
trouverez malheureux, mais point coupable. Il est des
événements à la guerre que la prudence humaine ne
peut pas prévoir. C'est ici un malheur arrivé par le
caprice seul de la fortune. J'espère que lorsque vous
serez informé de la vérité, vous me ferez la grâce de
m'accorder votre estime. » Choiseul ne tint pas longtemps
rigueur au malheureux chef d'escadre ; quand La Clue
prit sa retraite en 1764, il reçut les provisions de lieute-
nant général.
La Clue imputait le désastre à la fortune. La vraie
cause de son malheur était dans un série de fausses
manœuvres et surtout dans l'absence d'une direction maî-
tresse. Il n'y avait pas à invoquer des causes honteuses :
parmi les capitaines, les uns s'étaient retirés à Cadix,
parce qu'ils s'étaient trompés de route ; les autres
s'étaient dérobés, parce qu'ils s'étaient sentis isolés. La
Clue n'avait été ni lâchement abandonné ni trahi par ses
officiers. Mais ni La Clue ni ses officiers n'avaient l'habi-
3. D'Aix, le 21 décembre 1759.
GUERRE DE SEPT ANS. LA CLUE. 313
tude de manœuvrer en escadre, puisqu'ils ne naviguaient
pour ainsi dire jamais. Leur infériorité professionnelle,
en face d'un ennemi très exercé, explique le sauve-qui-
peut qui caractérise ces tristes journées.
Le projet de descente était devenu impossible, puis-
qu'il dépendait de la jonction des deux escadres de la
Méditerranée et du Ponant ; la campagne de 1759 était
donc fmie. Non, hélas ! Elle allait avoir bientôt une
journée plus douloureuse encore, la bataille du 20 no-
vembre, la bataille de M. de Conflans.
On peut lire aux Archives de la Marine un plan de
campagne pour l'année 1762, annoté de la main du duc
de Choiseul ^ : il y est question de plusieurs croisières à
établir dans la Méditerranée ; mais toute l'ambition du
moment, qui ne fut pas même réalisée, était de protéger
notre commerce sur la côte de Barbarie et de donner la
chasse aux navires anglais qui viendraient pour s'y ravi-
tailler.
Un autre mémoire, beaucoup plus intéressant, est
intitulé : Reconnaissance de Gibraltar, laite au mois
d'avril 1762, d'après laquelle on hasarde quelques obser-
vations sur les moyens de former une entreprise utile sur
cette lorteresse s. C'est une enquête topographique très
détaillée, suivie de tout un projet d'attaque. Gibraltar et
Minorque : c'étaient bien là les données essentielles de
la question maritime sur la Méditerranée. La Galisson-
nière avait victorieusement résolu la première partie du
problème ; où était, où sera un autre La Galissonnière
pour en résoudre de même la seconde partie ?
4. B* 104.
5. A. M., B* 182. fol, 3-16.
CHAPITRE XVIII
GUERRE MARITIME DE SEPT ANS SUR L ATLANTIQUE.
V PROJETS CONTRE LES ILES NORMANDES
L'escadre de Brest. — Le duc d'Aiguillon, gouverneur de la Bretagne.
— Les îles normandes. — Projets contre Jersey.
La guerre qui se lit sur la Méditerranée de 1756 à 1763
svait débuté par l'expédition de Minorque ; après ce
grand coup frappé par notre marine, les campagnes de
la Méditerranée n'avaient plus offert que des événements
d'une importance secondaire, qui ne se rattachaient que
d'une manière indirecte à l'histoire militaire de cette mer.
Port-Mahon avait été un début plein de promesses, mais
ces promesses ne s'étaient point réalisées.
Les campagnes de la Manche et de l'Atlantique, pen-
dant la guerre de Sept ans, n'eurent pas même cette
aurore chargée d'espérances. Pendant trois ans environ,
de 1756 à 1759, sur nos côtes de Normandie, de Bretagne
et d'Aunis, on songea à un grand projet contre l'Angle-
terre. Quand on se décida à en tenter l'exécution, après
je ne sais combien de retards et de contretemps, ce fut
pour éprouver un grand désastre ; ce désastre ruina tout
ce qu'on avait préparé et il nous mit dans la dure néces-
sité de différer jusqu'à une guerre future la reprise de
cette idée militaire. Sur l'Océan, tout avait été subor-
GUERRE DE SEPT ANS. — LES ILES NORMANDES. 315
dcnné à une tentative ; la ruine de cette tentative amena
la ruine de notre marine.
A l'époque où l'on armait à Toulon, dans les premiers
mois de 1756, l'escadre de La Galissonnière, une autre
escadre était équipée dans la rade de Brest ; elle se com-
posait de douze vaisseaux de ligne et de quatre frégates,
sous les ordres de M. de Conflans, lieutenant général, et
du chevalier de Bauffremont, chef d'escadre. Elle immo-
bilisait dans la Manche une partie des forces des Anglais,
par la crainte qu'elle leur inspirait d'une descente pro-
chaine. Malheureusement, l'escadre de Brest et le projet
de descente ne devaient être pendant trois ans qu'un
épouvantail chimérique : les vaisseaux de M. de Conflans
ne sortirent de la rade qu'en 1759. Cela seul est une
preuve de l'imprévoyance ou de l'inintelligence qui pré-
sidait à nos hostilités avec les Anglais.
Au moment même où la guerre maritime commen-
çait, rien n'était prêt sur les côtes de Bretagne, ni pour
prendre l'offensive contre les ennemis, ni même pour
prévenir leurs tentatives de descentes. Le chevalier de
La Cardonnie avait été chargé, en 1756, d'élever dans l'île
d'Ouessant quelques ouvrages fortifiés ; on n'avait pas
pris d'autre mesure pour défendre les approches de
Brest.
Quel triste témoignage à cet égard que la lettre sui-
vante ! Elle est datée du Croisic, le 24 mars 1756, et
adressée au maréchal de Belle-Isle i, qui exerçait, depuis
le 30 décembre précédent, le commandement général de
toutes les côtes de l'Océan.
« Nous ne sommes nullement prêts à les recevoir [les
Anglais], et je vois avec douleur que nous n'y serons pas
1. A. M., B* 74, fol. 55.
316 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
de longtemps. Je n'ai jamais plaint ni mes peines ni mes
pas, mais il est triste de se donner bien des mouvements
inutilement et d'être chargé d'une besogne qui sera tou-
jours mauvaise, quelques soins qu'on prenne pour la
rendre bonne... Il n'y a aucune batterie dans la province
qui soit armée ; du Poitou à Brest et de Brest en Nor-
mandie, il n'y a pas une livre de poudre sur la côte, un
boulet, ni un affût... Il faut tout demander à Brest, qui
n'est pas fort bien approvisionné, et qui, de plus, ne peut
rien donner sans ordre du ministre. Si cet arrangement
subsiste, il est impossible que nous soyons en état de
nous défendre avant la fm de l'année... N'ayez point
d'inquiétude sur nous, monsieur le maréchal ; nous
lâcherons de vous prouver que nous sommes dignes de
vous, et j'espère que si l'occasion se présente, vous ne
nous désavouerez pas pour vos enfants... Mais aidez-
nous, je vous conjure, et donnez-nous les moyens de vous
faire honneur. »
L'auteur de cette lettre était mieux placé que personne
pour savoir la vérité sur la désorganisation matérielle
où se trouvait alors la défense de nos côtes de l'Océan ;
il n'est autre que le duc d'Aiguillon, gouverneur de la
province de Bretagne. Le nom de cet arrière-petit-neveu
du cardinal de Richelieu fait penser tout de suite à
l'adversaire du parlement de Bretagne et au successeur
de Choiseul, sur le compte duquel l'histoire a trop faci-
lement peut-être accueilli les accusations de ses ennemis ;
il ne rappelle pas assez d'ordinaire le nom du vaillant
officier qui avait servi en Piémont dans la guerre de la
Succession d'Autriche et qui, appelé au gouvernement
de la Bretagne, consacra toute son énergie à préparer
la guerre contre les Anglais. Marié à la fille du comte
de Plélo, le général qui, malgré les méchants propos de
ses ennemis, se couvrit de gloire à Sainl-Cast, était digne
GUERRE DE SEPT ANS. LES ILES NORMANDES. 317
d'appartenir à la famille du héros qui se fît tuer à Danzig.
Il faut parcourir sa correspondance conservée aux
Archives de la Marine pour savoir tout ce qu'il mit d'intel-
ligence et d'opiniâtreté à poursuivre un but qu'il ne put
atteindre, car les circonstances ne lui permirent jamais
d'exécuter ses desseins. La reconnaissance de la patrie
ne va pas seulement à ceux qui ont combattu pour sa
gloire ; elle va aussi à ceux qui, sans avoir eu ce bonheur,
ont tout fait pour préparer la victoire ou conjurer les
désastres. A ce titre, elle ira au duc d'Aiguillon, quand
on connaîtra mieux son rôle militaire comme gouver-
neur de la Bretagne à l'époque de la guerre de Sept ans.
Environ un an et demi après l'ouverture des hostilités,
la situation n'avait pas sensiblement changé ; l'escadre
de Brest était toujours en état d'armement, et, en fait,
elle n'était pas encore prête à prendre la mer. Le comte
de Conflans informait le duc d'Aiguillon de cette triste
situation, dans une lettre écrite de Brest le 27 sep-
tembre 1757 :
« Si mon escadre avait été armée et composée comme
on me l'avait dit, jamais les ennemis n'auraient osé sortir
de leurs ports ; il fallait à cor et à cris de l'argent pour
remplir cet objet et le préméditer de longue main. On
aurait pu avoir les hommes, les canons, la poudre et les
ustensiles qui manquent. Mais au lieu de cela, on a laissé
faire la course, et l'intérêt particulier l'a emporté sur ce
qui était juste et raisonnable pour le bien de l'État et
nous a fait perdre sept à huit mille matelots, qui nous
seraient à présent bien nécessaires 2. Ce n'est pas
manque, monsieur, que je n'aie représenté bien des fois
2. Au 1" janvier 1757, on comptait à Bayonne 31 bâtiments de corsaires
et 14 à Saint-Jean-de Luz. Ces 45 bâtiments étaient armé^ de 552 pièces de
canon ; ils étaier-t montés par 7 103 hommes. Ducéré, Histoire maritime
de Bayonne ; les corsaires sous l'ancien régime ; 1895 ; p. 269.
318 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
toules ces choses et les malheurs qui en pourraient
résulter. Le bien de la marine ne doii pas être perdu un
moment de vue, sans quoi c'est jouer le sort et les avan-
tages du royaume ^. »
Le port de Brest fut encore témoin, pendant les
années 1756, 1757, 1758, de ce spectacle qu'il avait offert
en 1734 et en 1735, quand on avait fait semblant d'armer
les vaisseaux de Du Guay-Trouin ; c'étaient à présent les
vaisseaux de M. de Conflans qui servaient à ces manifes-
tations platoniques. Les Anglais ne les prenaient plus au
sérieux ; en France, ceux qui s'intéressaient à la marine
en souffraient cruellement pour leurs espérances déçues
qI leur patriotisme humilié. On ne pouvait plus invoquer,
comme à l'épogue de la Succession de Pologne, le désir
de ménager nos alliés d'Angleterre ; les masques étaient
lombes : c'était partout, en Europe, sur mer, aux colo-
nies, la guerre ouverte entre les Anglais et les Français.
Mais l'argent manquait ; ce qui manquait surtout, c'était
la volonté énergique de tirer parti, dune manière
sérieuse, des ressources dont on pouvait encore disposer.
Dans ces premières années, notre situation maritime sur
l'Océan, sans répondre ni aux nécessités de la guerre ni
à l'état réel de notre marine, était loin d'être désespérée ;
mais à quoi aboutir avec des tergiversations perpétuelles ?
On ne dira jamais assez à quel point le manque d'une
volonté forte et persévérante fut fatal à notre marine pen-
dant ces années décisives.
Chaque été « l'envie de fournir de l'étoffe à nos gaze-
tiers » faisait parler d'armements au port de Brest.
En 1758 il était encore question d'armer le Soleil Royal
3. A. M,, B" 74, fol. 103-104. Conflans ajoutait en post-scriptura : « Je
viens de m'ouvrir à vous, monsieur le duc, avec confiance. Je vous prie
de brûler ma lettre, quand vous l'aurez lue. »
GUERRE DE SEPT ANS. — LES ILES NORMANDES. 319
« ce magnifique vaisseau qu'on paraît avoir consacré à
représenter tous les étés dans cette rade, malgré le désir
extrême que M. de Confians a toujours eu d'en faire un
meilleur usage ; mais voilà infailliblement tout ce à quoi
aboutiront tous ces grand mouvements, à moins que
quelque génie créateur n'intervienne pour forcer tous les
obstacles que la misère des temps va opposer désormais
à tous nos projets, vilaine perspective à tous égards, et
qui ne peut que nous procurer des événements bien
opposés à ceux par lesquels nous avions commencé cette
guerre ^. »
La France avait inauguré la guerre dans la Méditer-
ranée par l'expédition de Minorque ; on put croire qu'elle
allait l'inaugurer de même dans la Manche par une expé-
dition contre les îles Normandes, qui aurait été la préface
de l'expédition d'Angleterre. Quand Philippe Auguste
avait confisqué la Normandie à Jean-sans-Terre, il avait
omis de mettre la main sur les îles qui en formaient une
dépendance géographique et historique. Charles V, qui
a tant fait pour délivrer la France des Anglais, essaya de
réparer la faute de son prédécesseur ; à un moment,
en 1368, des mercenaires espagnols au service de la
France avaient occupé Guernesey. Mais le règne de
Charles V et plus tard la guerre de Cent ans se termi-
nèrent, sans que les îles Normandes eussent fait retour
à la Normandie.
Tant que la France s'enferma dans les questions de
politique continentale, elle n'eut pas trop à se préoccuper
des conséquences de la négligence de Philip]>e Auguste
et de l'insuccès de Charles V ; mais, à partir du jour où
4. Notes anonymes sur Brest, V f-^'^vrier-lO mars 1758. A. M., B* 74, fol. 121
et suiv.
320 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
elle songea à dominer sur la Manche, elle apprit à ses
dépens quelle faute elle avait faite de laisser à ses rivaux
des positions aussi importantes et aussi voisines. Il suffit
de jeter les yeux sur la carte pour comprendre la valeur
militaire de cet archipel, qui s'avance comme un coin
entre le Cotentin et la Bretagne, surveille à la fois Gran-
ville et Saint-Malo, coupe les communications entre
Cherbourg et Brest. Jersey est à peine à vingt-cinq ou
trente kilomètres de la côte française et Aurigny, à une
quinzaine de kilomètres environ du cap de la Hague.
D'autre part, cette proximité, si dangereuse pour les côtes
de France, paraissait mettre ces îles à la merci d'un coup
de main ; quelques heures suffisaient à des corsaires
malouins pour partir des bords de la Rance et apparaître
devant Saint-Hélier. Aussi peut-on s'étonner qu'il faille
arriver jusqu'aux premières années de la guerre de Sept
ans pour entendre parler d'une expédition sur Jersey ;
et encore, ce ne fut qu'un projet, qui n'entra jamais dans
la phase d'exécution. On n'en connaîtrait rien sans
quelques documents conservés aux Archives de la
Marine.
Elles renferment une instruction pour le duc d'Aiguil-
lon, signée du roi et du maréchal duc de Belle-Isle (Ver-
sailles, 23 novembre 1756) : le gouverneur de Bretagne
était chargé d'exécuter sur l'île de Jersey une entreprise
dont il avait lui-même tracé à l'avance le projet 5. II
s'agissait de transporter à Saint-Hélier un corps de six
mille hommes ; le départ était fixé au 18 janvier suivant
(1757), l'attaque devait avoir lieu dans la nuit du 18 au 19.
On comptait si bien sur le succès que le duc d'Aiguillon
était invité à préparer dès lors une entreprise sur Guer-
nesey, qui devait suivre la première.
5, A. M.. B * 74. fol. 14-17.
GUERRE DE SEPT ANS. — LES ILES NORMANDES. 32l
Divers documents se rapportent à cette affaire. Il en
résulte que, malgré l'instruction du 23 novembre, les
préparatifs militaires n'étaient pas terminés et que
l'adhésion du ministre de la Marine, — à cette époque
Machault d'Arnouville, — sans lequel l'opération deve-
nait irréalisable, était loin d'être assurée. Bientôt
d'Aiguillon était informé qu'il ne pouvait compter sur le
concours d'un hardi corsaire, François Thurot, qui, dans
le plan primitif, devait prendre part à l'expédition avec
deux frégates. Vivement contrarié à cette mauvaise nou-
velle, il écrivit à Belle-Isle, le 24 décembre :
(( Vous imaginerez aisément toute la peine que j'en
ressens, vu que notre expédition est totalement manquée
si nous ne les avons pas, et j'en suis d'autant plus fâché
que plus j'entre dans les détails de cette opération, plus
je suis informé de l'état actuel de ces îles, plus je connais
la possibilité, la facilité et comme la certitude du succès.
Si j'étais moins jeune, si je ne craignais point de passer
pour téméraire, je vous proposerais encore de hasarder
l'entreprise avec la simple escorte de trois corsaires de
vingt-quatre canons, qui sont actuellement armés à
Saint-Malo ou, du moins, qui le seront avant le 20 jan-
vier, et il y a dix contre un à parier que je réussirais,
pourvu que le secret continue à être gardé comme il Fa
été jusqu'à présent. » Il proposait de différer la date du
départ jusqu'au 4 février, de manière à permettre à
Thurot de se procurer l'argent, les canons, les munitions
qui lui faisaient défaut. Cette lettre très pressante se
terminait ainsi : « Donnez-moi l'ordre de partir. Guidé
par votre étoile, animé par le désir de vous plaire et de
travailler à votre gloire, j'arriverai et je réussirai.
Décidez, ordonnez, et j'exécuterai. »
A cette date, le projet tout entier était abandonné à
Versailles, par le fait de l'opposition du ministre ; Belle-
21
f 322 LA MARINE MiOTAIRE SOUS LOUIS XV.
Isle en informait d'Aiguillon, dans une lettre du 20 dé-
cembre 17o6, sans donner d'ailleurs les raisons de
Machault. « Je vois, lui disait-il, que les nouvelles que
vous veniez de recevoir de Jersey étaient très satisfai-
santes et que tout nous promettait le succès de cette expé-
dition. Vous aurez vu, par la lettre que je vous écrivis
hier, comme pense le ministère à ce sujet et combien il
€sl agréable de former des projets. Votre lettre augmente
l'humeur que j'avais déjà, mais je suis trop vieux pour
ne pas la réprimer. )> Cependant Belle-Isle tenait à en
appeler du ministre de la Marine au roi. « Je vais mettre
votre lettre dans ma poche, je vous promets d'en faire la
lecture au roi avant qu'il sait vingt-quatre heures. Je sais
bien que cela ne changera pas la disposition, mais je suis
bien aise de confirmer dans l'esprit de Sa Majesté que
ce projet n'était pas une vision. »
Le gouvernement renonçait donc au projet de descente
à Jersey ; mais pour les marins de Saint-Malo et de
Granville, c'était comme une idée fixe de tenter de
détruire le repaire des contrebandiers et des corsaires
qui infestaient les côtes de la Bretagne et du Cotentin.
En mai 1756, un négociant de Granville, Quinette de La
Hogue, adressait au ministre divers documents sur un
projet d'expédition rx)ntre Jersey ^. Deux ans et demi
plus tard, en décembre 1758, des armateurs de Saint-
Malo proposaient d'exécuter cette entreprise avec sept
ou huit navires armés en course ; ils offraient de se
charger de tous les frais de transport, armements, etc.
Le rapport qui fut rédigé sur cette proposition dans les
bureaux de la Marine n'était pas d'avis d'y donner suite.
Si cette conquête réussit, elle « ne fera qu'une légère
sensation en Angleterre... Nous devons plutôt, pour le
6 A. M.. B * 300, foL 79 et sulv.
GUERRE DE SEPT ANS. LES ILES NORMANDES. 323
présent, songer à défendre nos possessions que chercher
à en acquérir de nouvelles '\ » C'était toujours cette atti-
tude, purement défensive, qui devait coûter si cher à la
marine et au pays.
Du moins, en tentant cette expédition, on ne se lançait
pas dans l'inconnu. Les moindres accidents de la topo-
graphie des îles avaient été soigneusement relevés dans
des cartes et plans de toute nature ; les endroits les plus
favorahles au débarquement, les points fortifiés avaient'
été décrits dans les enquêtes les plus détaillées ; les devis
les plus minutieux avaient été dressés pour établir toutes
les dépenses. Quand on parcourt aujourd'hui ces dos-
siers, pour la plupart si bien informés et si précis, on a
peine à comprendre qu'on n'ait jamais rien tenté, car
le succès paraissait immanquable ^ ; mais il faut tenir
compte de l'épuisement de notre marine et surtout de
l'incohérence de notre politique.
Malgré tout, le duc d'Aiguillon revenait toujours à
cette idée. Les Archives possèdent, à la date de 1759, un
dossier volumineux, composé de notes et de brouillons
écrits de sa main, entrant dans les détails les plus circons-
tanciés sur les divers services militaires qui devaient
concourir à l'expédition. Le maréchal de Belle-Isle, à
qui il soumettait ces projets, pouvait d'autant mieux les
soutenir qu'il était à présent ministre de la Guerre ; il
les approuva, mais seulement dans une certaine mesure.
Il rappelait au gouverneur de la Bretagne, dans une lettre
du 9 janvier 1759, combien il avait regretté, deux années
auparavant, que « des intrigues » aient fait manquer ce
projet. Pour le moment, il était d'avis de se borner à
« une simple in^uption d'un coup de main sans établis-
7. A. M., B* 74, fol. 35 et suiv.
8. Voir, en particulier, les documents réunis dans Le volume B " &2, îol. 115
et suiv.
324 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
sèment » ; il ne fallait pas se laisser détourner par une
expédition secondaire en somme, quoique intéressante,
d'une entreprise bien autrement importante, le grand
projet sur l'Angleterre, qui était à la veille d'être réalisée.
Du moins, que l'on exécute « une incursion brillante et
qui fasse payer au double à l'ennemi les dommages qu'il
nous a faits en Bretagne... »
Même réduit à ces proportions modestes, le projet sur
Jersey ne put être exécuté, faute de quatre frégates que
le ministre Berryer ne put pas ou ne voulut pas prêter.
]^jme ^^ Pompadour ne put vaincre à cet égard l'opposi-
tion de Berryer, qui était cependant tout à sa dévotion.
« Et enfin le résultat est que le diable se mêle de cette
affaire, que voilà la troisième fois qu'elle manque et qu'il
faut y renoncer, du moins pour cette année. Je ne puis
assez vous dire combien j'en suis fâché et le plaisir que
je me faisais de l'incursion que vous auriez faite, et je
partageais de tout mon cœur avec vous celui de la ven-
geance. »
Belle-Isle comprenait et partageait le désappointement
de d'Aiguillon : <( Je vous passe les premières vingt-
quatre heures d'humeur, mais il ne faut pas qu'elle aille
plus loin. » Comme pour le consoler de ce mécompte, il
lui montrait tout ce qu'il y avait encore à faire pour
mettre Brest en état de défense. On craint, disait-il, une
attaque des Anglais sur cette ville pour le mois de mars,
(( le ministère anglais étant averti que toutes les batteries
du port, de la rade et des parties collatérales sont désar-
mées et qu'une partie des troupes sont éloignées... Le
succès de l'ennemi dans cette partie nous porterait un
coup mortel, qui serait totalement irréparable ^. » Pour-
9 A. M., B* 7'i. Lettres de Belle-lsle du 9 janvier 1759, du 25 et du
29 Janvier, du "^ février.
GUERRE DE SEPT ANS. — LES ILES NORMANDES. 325
rait-on imaginer quelque chose de plus triste que cet
aveu découragé : Brest à la merci d'un coup de main,
ses remparts sans canons et incapables de résistance,
alors que la guerre maritime durait déjà depuis trois
ans ! D'ailleurs, le danger qu'on craignait pour Brest ne
se produisit pas ; les Anglais ne tentèrent point de
débarquer sur cette partie des côtes de Bretagne. Ce fut
sur mer que la France éprouva quelques mois plus tard,
dans les eaux de Quiberon, le désastre qu'elle redoutait
sur terre.
CHAPITRE XIX
GUERRE MARITIME DE SEPT ANS Sim l' ATLANTIQUE,
2° DESCENTES DES ANGLAIS
L'espionnage anglais. — Les Anglais devant Rochefort. — Seconde
tentative de descente à Rochefort. — Tentative contre Saint-Malo. —
Les Anglais à Cherbourg. — Les Anglais à Saint-Cast.
Tandis que quelques Français, isolés et désapprouvés
à l'avance par le gouvernement, préparaient dans l'ombre
de modestes projets d'expédition qu'on n'exécutait
jamais, le gouvernement anglais lançait des corps de
débarquement sur les côtes françaises de la Manche et
de l'Océan. Pendant quatre ans environ, de 1757 à 1761,
les populations maritimes de l'Aunis, de la Normandie
et de la Bretagne vécurent dans des alarmes continuelles.
A lire les récits de ces descentes audacieuses, où l'enva-
hisseur ne reçut qu'une seule fois la leçon qu'il méritait,
on pourrait croire qu'on était retourné aux années dou-
loureuses du moyen âge, où les hommes du Nord
venaient s'établir aux embouchures de nos fleuves et ran-
çonner nos côtes.
Les Anglais étaient admirablement renseignés sur la
situation militaire de nos provinces maritimes ; un ser-
vice d'espionnage très bien organisé leur permit d'atta-
quer à coup sûr les parties vulnérables. Avant la rupture
officielle de la paix d'Aix-la-Chapelle, le gouvernement
britannique, convaincu que la guerre avec la France
GUERRE DE SEPT ANS. — DESCENTES DES ANGLAIS. 327
renaîtrait au moindre prétexte, et résolu lui-même à la
rouvrir à la première occasion, avait eu soin de s'enquérir
de l'état des côtes de France. Comme l'espionnage qui
se fait avec le plus de profit et le moins de danger est
celui qui agit, pour ainsi dire, au grand jour et sous
l'apparence de visites officielles, des officiers anglais,
affichant ouvertement leur qualité, demandaient à visiter
nos ports de guerre pour une raison quelconque ; reçus
avec courtoisie, conduits partout par des gouverneurs
trop confiants, ils notaient des yeux tout ce qui était de
nature à les intéresser ; au retour de leurs visites, ils
s'empressaient de rédiger un rapport que l'amirauté
angioise mettait en lieu sûr pour s'en servir au moment
favorable.
Les choses ne se passèrent pas autrement pour notre
port de Rochefort, qui faillit à deux reprises tomber dans
les mains des Anglais.
En 1754, le capitaine anglais Clark, venant de
Gibraltar, avait fait une sorte de reconnaissance de notre
lit! oral ; il avait voulu (( voir, disait-il, l'état des fortifi-
cations des principales villes de France )>. Le récit de sa
visite à l'arsenal de Rochefort montre que le gouverneur
de cette place avait une singulière facilité à accueillir des
visites qiie la qualité seule du visiteur aurait dû rendre
suspectes.
(( Je voulais juger si, en cas de rupture, on pourrait
faire réussir quelques tentatives... J'avais ouï dire que
Rochefort, quoique une place de grande importance,
avait été négligé. Je m'y rendis et j'allai en uniforme
voir le gouverneur. Je m'annonçai venant de Gibraltar
et repassant en Angleterre. J'ajoutai que ma curiosité
me poussait à voir la place, le port et les vaisseaux. Il
fut très poli ; on me montra tout. Je montai à bord d«
six vaisseaux nouvellement construits et un ingénieur
328 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
m'accompagna autour de la place. Je fus surpris de
trouver que, quoiqu'il y ait un bon rempart avec un revê-
tement, la plus grande partie n'était flanquée qu'avec des
redans, qu'il n'y avait point d'ouvrages extérieurs, point
de chemin couvert... L'ingénieur m'a dit que cette place
était restée dans cet état depuis soixante-dix à quatre-
vingts ans. Je n'ai point de plan de la place, je n'ai même
rien par écrit ; on m'avait assez parlé de toute la ville, et
j'ai même trouvé fort extraordinaire qu'on me laissât
aller partout et voir tout... » A la fin de cette lettre, le
capitaine Clark soumettait ses observations personnelles
en vue de l'attaque d'une place qu'il connaissait à mer-
veille. Les Anglais n'étaient pas moins bien renseignés
sur le port de Brest ; ils possédaient sur la rade un plan
très exact, daté de 1757 i.
Les résultats de l'enquête du capitaine Clark avaient
été portés à la connaissance de William Pitt, secrétaire
d'État, en juillet 1757 ; deux mois plus tard, les Anglais
débarquaient sur les côtes de l'Aunis. L'endroit était
bien choisi ; les renseignements, malheureusement trop
exacts, de Clark, avaient été confirmés par ceux d'un
traître, le pilote Thierry, qui connaissait tous les détails
de la navigation dans ces parages : il avait indiqué les
moyens de tenter un coup de main sur l'île d'Aix, la plage
de Fouras et les chantiers de Rochefort.
Le 7 septembre 1757, une flotte anglaise mit à la voile
de Spithead. Forte de dix-sept vaisseaux de ligne et
d'environ soixante-cinq bâtiments de transport, elle était
sous les ordres des amiraux Hawke, Knowles, Brode-
rick ; le premier, qui commandait en chef, devait être,
deux ans plus tard, le vainqueur de M. de Conflans. Un
corps de débarquement, d'une dizaine de mille hommes,
1. A. M., B* 94, fol. 106-107 : traduction de la lettre de ClarK, connue
seulement en 1760.
GUERRE DE SEPT ANS. — DESCENTES DES ANGLAIS. 329
était commandé par le général Mordaunt. C'était certes
plus qu'il n'en fallait pour assurer le succès. On com-
mençait à peine, en 1757, à travailler aux fortifications
de l'île d'Aix ; pour celles de Rochefort, elles étaient
toujours dans l'état où Clark les avait vues ; à Fouras,
qui commande l'entrée même de la Charente, il n'y avait
pas une batterie en état et au plus trois cents hommes de
troupes.
Sans avoir rencontré aucun navire de guerre, ni dans
la Manche ni dans les parages de la Bretagne, au cours
d'une traversée qui ne dura cependant pas moins de treize
jours, la flotte anglaise était signalée le 20 septembre au
soir dans les eaux du pertuis d'Antioche. Deux vaisseaux
français, le Prudent et le Capricieux, qui étaient en rade,
n'eurent que le temps de se retirer dans l'embouchure
de la Charente. L'apparition inattendue de forces aussi
considérables paralysa l'énergie des défenseurs de Roche-
fort. Le commandant de la marine, M. de Guébriant
Eudes, et l'intendant de la marine, Ruis Embito de La
Chesnardière ^\ furent beaucoup plus occupés de mettre
en lieu sûr les documents officiels, les papiers de l'inten-
dance et leurs effets personnels, que de travailler à la
défense de la place ; on aurait dit qu'ils étaient con-
vaincus que la reddition de la place était fatale et qu'ils
ne songeaient qu'à obtenir une capitulation dans les
conditions les moins défavorables.
Si les défenseurs de Rochefort péchèrent par excès de
prudence ou plutôt par pusillanimité, les Anglais
péchèrent par défaut d'audace et de rapidité ; ils man-
quaient aussi en partie du matériel nécessaire à l'opéra-
2. Ruls Embito de La Chesnardière. Fils d'un lieutenant de vaisseau.
Commis à la cour, l" Janvier 1720 ; commissaire à Rochefort. 1" Jan-
vier 1732 ; Intendant à Rochefort, 12 juin 1757 ; à Brest, l" décembre 1770 ;
-|- 29 mai 1776, âgé d'environ 71 ans, à Brest. Etat sommaire des Archives
de la Marine, p. 123.
330 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
lion de la descente. Arrivée au pertuis d'Antioche le
mardi 20 septembre, leur escadre ne mouilla que qua-
rante-huit heures après, le jeudi 22, devant Fouras. Le
petit fort de Fouras était commandé par M. Du Pin de
Belugard, capitaine de vaisseau 3, qui avait à sa dispo-
sition quelques soldats et sept cents gardes-côtes ;
M. de Langeron, lieutenant général, vint augm.enter
cete petite garnison, le vendredi 23 au matin, avec des
soldats de la m.arine et des Suisses ; il avait laissé en
arrière huit cents hommes, à la position du Vergeroux,
en amont de l'embouchure de la rivière. Toutes ces forces
étaient bien insuffisantes pour s'opposer au débarque-
ment d'un corps de dix mille hommes ; cependant la fer-
meté de M. de Langeron, son habileté à éparpiller son
monde, pour grossir aux yeux des assaillants le nombre
de ses troupes, en imposèrent à l'ennemi : rien ne fut
tenté du côté de Fouras.
Le 23, à midi, quelques vaisseaux anglais ouvrirent le
feu devant l'île d'Aix ; l'un d'eux, le Magnanime, courut
à un moment un danger assez sérieux, car il faillit
s'échouer sur une roche ^. Mais cet accident ne nous
servit en rien ; les seize canons qui composaient la bat-
terie de l'île furent promptement réduits au silence.
L'attaque de l'île d'Aix et sa reddition avaient demandé
cinq heures en tout.
A Rochefort, on vivait dans les alarmes, sans rien
faire d'ailleurs contre le danger grandissant. Dans la
nuit du 25, on s'attendit à chaque minute à voir arriver
l'ennemi. C'était à l'époque des plus fortes marées, le
3. Du Pin de Belugard. Du Lyonnais. Fils d'un capitaine de vaisseau.
D'abord, officier d'infanterie; LA., 10 rlécemlire 1720; C. t" avril 17VS ; R.,
15 janvier 1762. A. M., C ' 166.
4. Le commanfl.'int dn Afagnanime étaif Richard Howe, qui devait jouer
un rôle Important dans la guerre d'Amérique et livrer la bataille du
13 prairial aji II (affaire du Vengeur).
GUERRE DE SEPT ANS. — DESCENTES DES ANGLAIS. 331
vent était à souhait ; du balcon de l'intendance, on pou-
vait, grâce au clair de lune, distinguer toutes les évolu-
tions des Anglais. Plusieurs de leurs vaisseaux s'étaient
approchés du platin d'Angoulin, comme pour procéder
au débarquement sur la plage de Chatelaillon. Cependant
la nuit se passa, la marée descendit, et les Anglais
n'avaient point bougé. Ces alarmes se renouvelèrent
encore le 26, le 27 et le 28. A mesure qu'elles se repro-
duisaient, elles devenaient moins vives, car les retards
des Anglais ne pouvaient s'expliquer que par la peur
qu'ils avaient eux-mêmes de tomber dans un piège. On
eut le temps d'élever quelques retranchements, de poster
quelques troupes à Fouras, à Angoulin, à Soubise. Plus
la descente des Anglais tardait, plus il y avait de chances
qu'elle échouât.
Enfin, après six jours entiers perdus depuis la prise de
l'île d'Aix, une galioie anglaise vint attaquer Fouras dans
la nuit du 28 au 29 septembre. Langeron avait à sa dispo-
sition deux chaloupes canonnières, qui tinrent l'ennemi
en respect. Le général anglais, qui fit preuve d'une
singulière timidité, conclut de la résistance de Fouras
que le débarquement y était impossible. Bref, le 30 sep-
tembre, les navires anglais, qui étaient dispersés depuis
leur arrivée entre l'île d'Aix et la Charente, se réunirent
de nouveau en escadre, et, le 1" octobre, ils reprirent
tous la haute mer. Tout le résultat de la « besogne très
plate des Anglais ^ » pendant les dix jours où ils avaient
croisé sur les côtes de l'Aunis et de la Saintonge, avait
été de détruire les batteries de l'île d'Aix et de s'emparer
5. Mot du mai-guis de Mirabeau ; il était campé à Chatelaillon, « en-
touré, dit-il, de figures de gardes-côtes qui eussent dotiné à Callot des
idées pour les caricatures militaires ». Loménie, Les Mirabeau, t. I.
p. 243-244. — Sur cette campagne navale des Anglais : Tulau, « La flotte
anglaise sur les côtes d'Aunis et de Saintonge », dans la Revue maritime
et coloniale, 1892.
332 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
de quelques canons. En regagnant Portsmouth, la flotte
anglaise perdit un navire, par le travers du cap Lizard,
qui fut pris par un corsaire de Dunkerque.
On comprend que cet avortement ridicule ait causé en
Angleterre un dépit d'autant plus vif qu'il n'avait d'autre
cause que la maladresse des généraux mêmes. Mordaunt
fut mis en accusation ; bien que sa responsabilité parût
beaucoup plus engagée que celle de Byng dans l'affaire
de Port-Mahon, le procès se termina par un acquittement.
La délivrance inespérée de Rochefort n'avait pas tenu
à une autre cause qu'à l'inaction des Anglais ; s'ils
s'étaient donné la peine de descendre de leurs vaisseaux,
Rochefort eût été perdu sans ressources. De ces tristes
événements il se dégageait pour nous une leçon bien
claire : il fallait à tout prix fortifier les îles et les pointes
de terre qui protègent l'accès de la Charente et fortifier
aussi le port même de Rochefort. On n'y songea qu'en
partie, car on se borna à reconstruire les ouvrages de
l'île d'Aix, sans rien faire de plus, ni pour la défense fixe,
ni pour la défense mobile. Les Anglais pouvaient recom-
mencer leur tentative ; ils ne manquèrent point de le
faire, mais sans réussir mieux la seconde fois que la
première.
Le 4 avril 1758, Hawke se montrait de nouveau devant
l'île d'Aix ; son escadre, forte de sept vaisseaux et de
trois frégates, ne portait pas cette fois de troupes de
débarquement ; il s'agissait moins d'occuper Rochefort
que d'insulter nos côtes. Cinq vaisseaux de ligne, deux
frégates et une quarantaine de navires de commerce
étaient au mouillage de l'île d'Aix lors de cette seconde
apparition de l'ennemi. Comme il n'y avait pour nos
bâtiments aucune rade de refuge, ils n'eurent d'autre
parti que d'aller s'échouer à la côte. Les navires de
commerce gagnèrent les bancs de vase qui entourent l'île
GUERRE DE SEPT ANS. — DESCENTES DES ANGLAIS. 333
Madame ; les navires de guerre songèrent à atteindre
Rochefort ; la marée faisant défaut, ils s'échouèrent
auprès de Fouras. Hawke n'eut pas le temps de tirer
profit de cet accident. M. de Langeron, un des rares
officiers qui avaient montré de l'énergie dans l'affaire de
Tannée précédente, tira en quelques heures nos navires
de ce mauvais pas ; il les fit délester pendant la nuit ; ils
purent ainsi, à la marée suivante, remonter la Charente
jusqu'à Rochefort ; pour le moment, ils étaient soustraits
à l'ennemi. Hawke, d'ailleurs, se horna à cette courte
démonstration et à une nouvelle destruction des ouvrages
de l'île d'Aix ; le 7 avril, au bout de trois jours, il disparut
au large pour reprendre sa croisière dans le golfe de
Gascogne.
Battant en tous sens la région de l'Atlantique entre
l'île d'Ouessant et le cap Ortegal, l'amiral anglais mit en
état de blocus à peu près toute l'étendue de nos côtes de
l'Atlantique. Les convois marchands sortis de Bordeaux
et de la Rochelle furent interceptés par son escadre.
Un vaisseau anglais, le Dorselshire, faisant partie d'une
division de six vaisseaux de guerre, enleva même, entre
Lorientet Brest, le 29 avril 1758, un vaisseau de soixante-
quatre canons, le Raisonnable, qui venait de sortir des
chantiers de la marine royale. On prétendait que le
chevalier de Rohan, qui le commandait, avait amené son
pavillon sans beaucoup de résistance. Cependant le
ministre de la Marine, M. de Massiac, adressa au capi-
taine du Raisonnable, qui fut deux mois prisonnier en
Angleterre, des félicitations officielles ^ : « On ne pouvait
6. A. M., B* 80. fol. 31. 9 juin 1758. — Pépin de Belle-Isle [de Saint-
Malo. L., 1" octobre 1747 ; C, 17 avril 1757 ; RCE., 1" septembre 1767.
A. M., C 1Ô7.] était capitaine en second du Raisonnable.
334 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
perler plus loin la résistance et l'intrépidité. Si vous avez
succombe, ce n'est que sous le poids des forces infiniment
supérieures. »
L'héroïsme, même condamné à l'impuissance, est la
rrngon qui adoucit l'amertume de la délaite. En 1756, le
17 mai, à la hauteur de Rochefort, deux capitaines fran-
çais, M. de Maiirville et M. de Lizardais, commandant
V Aquilon, de quarante-huit canons, et la Fidèle, de vingt-
six, s'étaient couverts de gloire, en luttant, il est vrai, à
conditions égales, contre le Colchesler, de cinquante
pièces, et le Lynx, de vingt. Les adversaires s'étaient
séparés, après une action de plusieurs heures, à bout de
forces et de munitions ; V Aquilon n'avait plus de sabords ;
son capitaine s'était conduit en héros. Le bras droit
emporté par un boulet, il n'avait cessé de commander la
manœuvre. « Courage ! criait-il, grand feu ! Je défends
d'amener'''. »
Pendant l'année 1758 où Hawke faisait sa seconde
incursion sur les côtes de l'Aunis, deux tentatives contre
Saint-Malo et ses environs, une tentative contre Cher-
bourg s, montrèrent combien étaient justifiées les inquié-
tudes que le duc d'Aiguillon exprimait à Belle-Isle dès
le début de la guerre.
Saint-Malo, la cité des corsaires, a toujours eu la gloire
de provoquer les colères des Anglais. Ayant sans doute
entendu parler des projets contre Jersey qui se prépa-
7 II reçut uDrt gratification de 2 000 livres et une pension de 1 500
« pour lui procurer les secours dont il a besoin pour rétablir Ba santé
après l'amputation qui lui a été faite du bras. Il a six enfants et est
pauvre ». A. M., dossier Maurvdle.
8. Sur les descentes des Anglais en 1758, divers documents : A. M.,
B* 78. Cf. HiPPEAU, Le Gouvernement de Normandie au XVII* et au
XVlir siècie, t. I, cliap. ii ; abbé Paris- Jallobert, Descente des
Anglais à Cancale en 1758. Rennes, 1888.
GUERRE DE SEPT ANS. — DESCENTES DES ANGLAïa. 335
raient alors sur les bords de la Rance, pensant venger
en une fois toutes les injures qu'ils avaient reçues de la
ville de Du Guay-Trouin, les Anglais avaient réuni des
lorces considérables, cent vingt voiles et un corps de
débarquement de seize mille hommes, sous les ordres des
amiraux Anson, Hawke, Know^les, tous trois connus
comme de hardis marins, et d'un général, héritier d'un
grand nom, le duc de Marlborough.
Le dimanche 4 juin 1758, la flotte ennemie, naviguant
avec autant de sécurité que sur les côtes mêmes de
l'Angleterre, vint mouiller vis-à-vis du cap Fréhel ; le
lendemain, elle se transporta dans la baie de Cancale. Il
n'y avait à cet endroit que quelques fortifications sans
valeur ; aussi les Anglais puren-t débarquer à leur aise,
(piand la marée le leur permit, au petit havre d'e la Houle,
dans la soirée du même jour 5 juin. De là, sans coup
férir, ils occupèrent Cancak. Après avoir publié un mani-
feste, daté de Cancale, pour avertir les habitants de se
soumettre aux réquisitions militaires, Marlborough se
mit en marche vers les embouchures de la Rance.
Le marquis de La Châtre, qui commandait à Saint-
Malo, n'avait en tout que deux mille hommes, dragons
et gardes-côtes ; il s'enferma dans la place, résolu à se
défendre jusqu'à la mort. Saint-Servan, ville ouverte,
n'avait pu être mis en état de défense. Marlborough y
pénétra, mit le feu à un vaisseau de cinquante canons et
à deux frégates qui étaient sur les chantiers, à une ving-
taine de corsaires, à une soixantaine de navires de com-
merce, aux magasins ; ces dégâts coûtèrent à la malheu-
reuse ville une douzaine de millions. Retiré ensuite dans
son camp de Paramé, Marlborough envoya à Saint-Malo
une sommation de capituler, puis il fit mine de se pré-
parer à un assaut. Cependant le duc d'Aiguillon rassem-
336 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
blait quelques troupes à Dinan. Comme la position des
Anglais n'était rien moins que sûre et que la destruction
de Saint-Servan pouvait être regardée comme un prix
suffisant de cette expédition, Marlborough se replia du
côté de Cancale, en achevant de tout ravager sur son
passage.
Le dimanche 11 juin, le rembarquement des Anglais se
fit à Cancale, toujours dans les conditions de tranquillité
qui donnent à ces descentes audacieuses le caractère de
manœuvres régulières. Puis l'escadre anglaise appareilla
le 17 et elle resta en vue jusqu'au 22. Le bruit courut
qu'elle allait se porter sur Granville, dont le port renfer-
mait à ce moment soixante-dix navires de commerce et
de pêche ; mais les Anglais n'exécutèrent pas ce nouveau
coup de main. On se demande ce qui eût bien pu les
empêcher de renouveler à cet endroit leurs exploits de
Saint-Servan, puisqu'il n'y avait pas un seul navire de
guerre pour s'opposer au débarquement.
Après avoir ruiné Saint-Servan, les Anglais songèrent
à ruiner Cherbourg. En 1738, sur les vives instances de
M. de Caux, directeur des fortifications, on s'était décidé
à entreprendre, aux embouchures de la Divette, les tra-
vaux qui avaient été projetés par Vauban dès 1686, quand
il avait voulu tirer parti de cette position « audacieuse ».
Il ne s'agissait à cette époque que de l'établissement
d'un port de commerce avec un chenal d'accès, des
écluses et deux jetées ; mais ces travaux modestes firent
ombrage aux Anglais, qui ne voulaient pas admettre que
la France pût avoir une station maritime au milieu de
la Manche, à six heures de l'île de Wight.
Dans les premiers jours d'août 1758, l'escadre de
Richard Tlowe rôda devant les côtes nord du Cotentin ;
elle portait un corps de débarquement de six mille
GUERRE DE SEPT ANS. — DESCENTES DES ANGLAIS. 837
hommes, sous les ordres du général Thomas Bligh.
Comme la France n'avait pas un seul vaisseau dans ces
parages et que les quatre mille gardes-côtes réunis sous
les ordres du comte de Raymond, maréchal de camp, ne
pouvaient s'opposer sur une côte non fortifiée à la
descente d'une flotte de guerre, les Anglais eurent tout
le temps de choisir l'endroit le plus propice à l'exécution
de leur projet. Après être restés en vue du 2 au 7 août,
ils descendirent le 7 et le 8 dans les parages de la pointe
de Ouerqueville, à l'ouest de Cherbourg. De là, l'armée
de Bligh se porta sur cette ville ; elle ne fut pas défendue ;
M. de Raymond l'avait évacuée pour se retirer au sud,
sur Valogne. Les Anglais restèrent à Cherbourg et dans
les localités voisines environ une semaine, jusqu'au
16 août.
Ce séjour fut employé par eux à détruire méthodique-
ment tous les travaux maritimes qui étaient en cour?
d'exécution, à combler le chenal en y jetant de gros blocs
et en y coulant un navire, à enclouer les canons et les
mortiers qu'on n'avait pas eu le temps d'évacuer, à incen-
dier une vingtaine de navires de commerce ; l'ensemble
de ces dommages, dont une partie ne pouvait être réparée
avant plusieurs années, se montait à environ cinq mil-
lions de livres. Cependant le maréchal de Luxembourg
avait été envoyé pour reprendre Cherbourg ; les Anglais
s'embarquèrent, sans l'attendre, dans la nuit du 15 au
16 août. Leur besogne était terminée : Cherbourg était
réduit à un monceau de ruines et de cendres.
Moins de trois semaines plus tard, la même escadre et
le même corps de débarquement se montraient dans les
eaux de Saint-Malo pour recommencer le coup de main
du mois de juin précédent, qui n'avait qu'en partie
réussi. Cette fois encore, Howe renonça à attaquer de
front du côté de la mer le port de la Rance. En juin, il
338 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
avait débarqué du côté de l'est, dans la baie de Cancale ;
en septembre, il débarqua du côté de l'ouest, vers le cap
Fréhel. Faut-il constater une fois encore que pas un seul
bâtiment de guerre français ne vint gêner ces opérations ?
Le 3 septembre 1758, la flotte de Howe, forte de cent
cinq voiles, était signalée au cap Fréliel ; le soir, elle
mouillait à l'est du fort de la Latte. Le lendemain matin,
4 septembre, les troupes de Bligli opéraient leur débar-
quement à l'embouchure de la petite rivière de Saint-
Briac. Tandis que les bâtiments de Howe restaient au
mouillage dans la baie de Saint-Cast, Bligh établissait
son camp entre Saint-Briac et Dinan, pour préparer ses
démonstrations contre Saint-Malo. Cette opération avait
pour condition le passage de la Rance à Dinan. Heureu-
sement pour nous, le duc d'Aiguillon, qui montra dans
ces circonstances critiques autant d'activité que d'intelli-
gence, — on peut s'en convaincre en parcourant sa cor-
respondance dans les Archives de la Marine, — était
accouru à la première heure de Brest à Lamballe et avait
jeté des troupes à Dinan. Les descentes répétées des
Anglais avaient provoqué dans toute la Bretagne une
explosion de douleur patriotique. « Boirons-nous assez
de ce calice d'humiliation, disait le chevalier de Mira-
beau, et pouvons-nous espérer une fin aux insultes et aux
injures ? » Les gentilshommes bretons écrivaient de toute
part à d'Aiguillon pour lui demander de servir sous ses
ordres.
Bligh, se sentant trop en l'air du côté de Saint-Briac,
voulut se replier vers l'ouest, du côté de Saint-Cast. Au
cours de ce mcuvement, d'Aiguillon, qui avait eu le temps
de réunir à Lamballe quelques bataillons de troupes régu-
lières et quelques régiments de milice, se porta vers le
nord pour jeter les Anglais à la mer. Il les surprit le
11 septembre sur la plage de Saint-Cast, au moment où
GUERRE DE SEPT ANS. — DESCENTES DES ANGLAIS. 339
ils commençaient à s'embarquer. L'aflaïre fut conduite
avec la plus graade vigueur. Le chevalier de Mirabeau,
dans la lièvre de la victoire, écrivait à son frère : (c Nous
avons peigné les Anglais... Pour trois cents hommes
environ blessés ou tués, nous leur en avons fait laisser à
l'engrais de la plage de Saint-Cast environ mille ou douze
cents, et de plus autour de huit à sept cents prisonniers.
Je m'en porte très bien. » L'escadre de Howe, mouillée au
large, n'avait pas pu participer à l'action, elle se borna
à recueillir les vaincus et elle s'empressa de quitter cette
côte où l'audace de l'Angleterre avait enfin reçu sa puni-
tion.
La journée du Ll septembre 1758 fut saluée en Bre-
tagne et dans toute la France par de grandes manifesta-
tions de joie. Des chants patriotiques furent composés
pour la circonstance. Le duc d'Aiguillon, qui eut jusqu'à
la fin tout le mérite de cette action brillante, quoi que la
calomnie ait pu prétendre plus tard à cet égard, fut alors
le héros du jour.
(( Je doute fort, écrivait Voltaire dans une de ses
lettres (2 octobre 1758), qu'on ait tué trois mille hommes
aux Anglais auprès de Saint-Malo ; mais j'avoue que je
le souhaite. Cela n'est pas humain ; mais peut-on avoir
pitié des pirates ? » Les Bretons avaient toutes les raisons
d'être fiers de cette victoire, et l'on comprend que le sou-
venir en ait été conservé par une colonne élevée cent ans
plus tard au sommet des dunes de Saint-Cast. Les côtes
de Bretagne allaient être pour quelque temps à l'abri des
incursions des « pirates » ; mais la vraie protection des
côtes, la seule qui puisse être efficace ou du moins
qui puisse prévenir les descentes des flottes ennemies,
consiste dans l'emploi d'escadres croisant en pleine mer
ou à proximité du rivage. Dans aucune de ces circons-
tances, ni à Cancale, ni à Cherbourg, ni à Sainl-Cast, la
340 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
marine n'avait été appelée à remplir sa mission. L'escadre
française était restée à l'ancre dans la rade de Brest,
paralysée par sa propre impuissance ; car depuis deux
ans que la guerre durait, elle n'était pas encore prête à
prendre la mer.
CHAPITRE XX
GUERRE MARITIME DE SEPT ANS SUR LATLANTIQUE.
3° CAMPAGNE DE 1759
Projets de descente en Angleterre. — Plan de la campagne de 1759. —
Le maréchal de Conflans. — La sortie de Brest. — La bataille de
Quiberon ou des Cardinaux. — Le chef d'escadre Bauffremont. —
Les Anglais à Belle-Ile. — Les vaisseaux de la Vilaine. — Croisière
de Thurot. — Nouveaux projets de descente en Angleterre.
L'année 1758 avait été féconde en malheurs militaires
pour la France maritime. Aux descentes si souvent répé-
tées des Anglais sur les côtes de la Saintonge, du Cotentin
et de la Bretagne, s'était ajoutée la perte de Louisbourg,
qui présageait celle de Montréal. Il semblait que la
France renonçait à faire sortir ses escadres, elle qui,
deux ans plus tôt, avait fait si brillante figure, lors de
l'expédition de Minorque. Le gouvernement, tiraillé en
sens divers par les affaires d'Allemagne et par les affaires
maritimes, tout porté d'ailleurs à donner aux premières
la plus grande partie de son attention, attendait toujours
je ne sais quelle occasion pour agir sur mer ; mais des
Français qui comprenaient que l'Océan était dans ces
circonstances le véritable théâtre de la lutte, harcelaient
le ministère de projets, comme s'ils s'étaient entendus
pour le faire sortir de son inexplicable torpeur.
Bigot de Morogues, le fondateur de l'Académie de
Marine, proposait d'armer au plus tôt les vingt-cinq vais-
342 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
seaux de ligne et les frégates qui restaient inutiles dans
les ports de Brest, Rocheiort et Lorient, et de les faire
sortir à tout prix ; car les vaisseaux qui restaient dans
la rade de Brest n'étaient qu'un vain épouvantait. On for-
merait ainsi plusieurs escadres ; on les enverrait croiser
sur les côtes de l'Irlande et de l'Angleterre, en particulier
pour brûler les navires charbonniers de Newcastle, ou
sur les côtes de l'Irlande et de l'Angleterre, en particulier
saires du roi de Prusse. Une forte escadre, de dix-huit à
vingt vaisseaux, resterait dans la Manche pour menacer
les ports anglais et faciliter ainsi le succès des autres
croisières. L'auteur de ce projet n'avait pas d'autre idée
que de rendre aux Anglais le mal qu'ils nous avaient fait,
en insultant et en pillant leurs côtes, sans songer à une
descente en règle. Dans la Manche où il n'y ^, dit-il, de
rade bien praticable qu'à la Hougue et à "^Ymkerque, il
parlait de la rade d'Ambleteuse comme d'une position
dont la marine devrait tirer parti ^ C'est la première fois,
croyons-nous, qu'un marin signalait cette position ;
Napoléon devait en faire, environ quarante ans plus tard,
l'une des bases de son expédition d'Angleterre.
On en revenait, par la force des choses, à l'idée d'un
débarquement dans les îles britanniques ; car c'était le
vrai moyen de nous venger en une fois et de finir la
guerre. « Les Anglais sont nos seuls et véritables
ennemis, disait avec raison un mémoire de juillet 1759 ^.
C'est en portant la guerre chez eux que nous pouvons
les forcer à faire la paix ; c'est le seul moyen d'en faire
1. A. M., B' 3ia 31 Janvier 1759.
2. A. M., B' 82, fol. 11-19. — Dp ce mémoire on peut en rapprocher un
autre, du 26 juin 1759 ; il démontrait « que la France n'a de véritables
ennemis que les Anglais..., que la guerre que nous faisons en .Allemagne
est ruineuse en hommes et en argent... », que la descente en Angleterre
ftst la seule solution, de la guerre. A. M., B* 83, fol. 14.
GUERRE DE SEPT ANS. CAMPAGNE DE 1759. 343
une honorable... » Mais que d'avis différents, et sur les
moyens d'action, et sur le but à atteindre !
Dans un mémoire adressé au maréchal de Conflans, le
5 août 1759, M. de Mac-Carthy recommandait un débar-
quement en Irlande vers Kinsale, dans le voisinage de
Cork ; l'opération était d'un succès assuré pour un corps
de douze à quinze mille hommes, car cette armée devait
être aussitôt soutenue par le concours matériel et moral
des Irlandais ^.
Un autre mémoire ^ qui est aussi de l'année 1759,
parle d'une descente en Irlande, mais comme d'une diver-
sion ou plutôt d'une préface de l'expédition principale.
Celle-ci pourra se faire avec le concours de l'Espagne,
mais elle devra être effectuée en une seule fois et sur un
seul point. L'auteur, qui invoque le souvenir du maréchal
de Saxe, recommande vivement, comme préférable à
toutes les autres positions, la partie de la côte d'Essex
qui est comprise entre la rivière Crouch et la baie de
Maldon ; la côte est à proximité de Dunkerque, d'un
abord facile, et la distance jusqu'à Londres n'est que de
onze lieues, à travers un pays plat. Ce mémoire très
développé devait plus tard être remis à Bourrienne, pour
le faire passer sous les yeux du Premier Consul.
Cette idée qui était dans l'air, et que d'autres mémoires
encore présentent sous des formes différentes ^ c'était
au gouvernement à lui donner un corps, à la préciser, à
l'exécuter. Le maréchal de Belle-Isle, alors ministre de
la Guerre, y pensait depuis longtemps ; s'il avait aidé
Berryer à devenir ministre de la Marine, c'est qu'il avait
3. A. M., B" 83, fol. 36 et suiv. — Voir un autre mémoire sur une expé-
dition en Irlande de la même époque (4 avril 1759) : A. N.. AF m 186b;
dossier 857 n" 5. Deux autres exemplaires : A. G., Angleterre I ter.
4. A. N., AF IV 1597.
5. Voir un mémoire, du 14 août 1759, sur une triple expédition de Dun-
kerque, de Bretagne et du Havre, à l'aide de bateaux plats : A. M.,
B* 82, fol. 20-24.
344 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
cru trouver en lui le collaborateur qui lui était néces-
saire. Bien qu'il se fût vite aperçu de son erreur, il per
sista dans son projet. Choiseul l'approuvait, et il était le
personnage le plus influent du Conseil. L'adhésion de
Choiseul devait entraîner celle de Berryer.
La première idée de Belle-Isle, conforme au projet de
Bigot de Morogues, avait été de réunir, entre Boulogne
et Ambleteuse, une flottille de bateaux plats pour trans-
porter cinquante mille hommes. En vue de ce projet, il
avait commencé à faire établir une centaine de bouches à
feu le long de cette partie de la côte du Boulonnais. Mais,
comme les travaux d'Ambleteuse auraient demandé beau-
coup de temps et d'argent, le maréchal renonça à cette
combinaison pour adopter la suivante.
Grâce à l'alliance autrichienne, nous pouvions disposer
à ce moment de la côte des Pays-Bas. De là, l'idée de
réunir en Flandre un corps d'une vingtaine de mille
hommes, qu'on dirigerait par terre sur Ostende ; cette
armée devait être sous les ordres de Chevert. Le lieu de
débarquement était celui-là même que l'on vient d'indi-
quer, d'après un mémoire anonyme de 1759 : la baie de
Maldon ou l'embouchure de la Blackwaler, sur la côte
d'Essex, avec sa vaste étendue de plage et la facilité
d'arriver très vite à Londres, distant à peine d'une
dizaine de lieues. L'idée avait un grand mérite : elle était
nouvelle, elle déjouait par suite les prévisions des
Anglais, habitués à être sur leurs gardes dans la Manche
et ne se défiant pas d'une attaque venue d'Ostende.
D'Ostende à la Blackwater, il s'agissait de traverser un
bras de mer de quarante lieues de large au plus. Mais
comment le traverser? C'est ici que le projet se com-
plique de données qui devaient en rendre l'exécution bien
hasardée.
Une autre armée, aussi de vingt mille hommes, devait
GUERRE DE SEPT ANS. — CAMPAGNE DE 1759. 346
être réunie en Bretagne, sous les ordres du duc d'Aiguil-
lon ; son objectif serait le golfe de la Clyde, sur les côtes
occidentales de l'Ecosse ^. Elle y serait conduite par une
escadre de trente-cinq à quarante vaisseaux de ligne,
laquelle serait formée à Brest par la réunion des escadres
de la Méditerranée et de l'Atlantique. Après avoir
débarqué vers Glasgow le corps du duc d'Aiguillon,
l'escadre devait contourner par les Orcades les côtes
septentrionales de l'Ecosse, passer dans la mer du Nord,
se rabattre sur Ostende et couvrir la traversée du corps
de Chevert. Il avait été question aussi de n'envoyer en
Ecosse, avec d'Aiguillon, qu'une petite division navale,
tandis que le gros de l'escadre croiserait dans la Manche,
pour concourir par une diversion à l'opération de Che-
vert. Enfm une division de frégates, sortie de Dunkerque
sous les ordres du corsaire Thurot, devait se jeter sur
l'Irlande.
En résumé, l'attaque principale, dirigée par Chevert
sur les côtes d'Essex, devait être soutenue par deux diver-
sicns, l'une en Ecosse avec d'Aiguillon, l'autre en Irlande
avec Thurot. Des trois parties de ce plan trop compliqué,
la dernière seulement, l'expédition d'Irlande, fut exécutée
et fut sur le point de réussir.
On avait commencé à parler de ces projets à la fm
de 1758 ; mais la refonte du plan d'ensemble, le mauvais
état du matériel, la pénurie des fonds, amenèrent de très
nombreux retards. Ce fut seulement aux mois d'août et
de septembre 1759 que les instructions officielles furent
envoyées aux officiers généraux qui devaient commander
l'expédition '''.
6. Sur le projet de descente en Ecosse, nombreux documents de 1759 :
A. M., B* 84, 85.
7. Sur la campagne même de M. de Conflans, très nombreux documents :
A. M., B* 86, 87, 88.
346 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
Du V août 1759, pouvoir donné au duc d'Aiguillon, en
souvenir de son rôle dans l'affaire de Saint-Cast, comme
lieutenant général commandant l'armée qui doit s'embar-
quer pour passer dans la Grande-Bretagne. — Du
26 août, instructions à M. de Conflans d'une part, et
d'autre part à Bigot de Morogues ; celui-ci doit prendre
le commandement de six vaisseaux détachés de l'armée
navale de Brest pour servir d'escorte au convoi que le
duc d'Aiguillon fait rassembler au Morbihan, à destina-
tion de la Grande-Bretagne. — Du 10 septembre,
mémoire politique pour indiquer au duc d'Aiguillon la
conduite à suivre après son débarquement en Ecosse, si
la cour de Londres fait des ouvertures d'accommode-
ment ; le roi lui rappelle qu'il n'a voulu prendre aucune
sorte d'engagement avec la maison de Stuart^. — Du
13 septembre, instruction militaire ru duc d'Aiguillon,
signée du maréchal de Belle-Isle. Aussitôt après son
débarquement dans les parages du golfe de la Clyde, il
devra s'empresser de marcher sur le château d'Edim-
bourg, pour en faire sa principale place d'armes. On
l'informe aussi des préparatifs qui se font sur les côtes
de Normandie et de Flandre, pour une seconde expédi-
tion sous les ordres du maréchal prince de Soubise :
singulière idée de donner au vaincu de Rosbach le com-
mandement, même nominal, d'une affaire de cette impor-
tance !
Du 15 septembre, lettre du roi, contresignée Berryer,
(( à Monsieur Bigot de Morogues, capitaine de mes vais-
seaux, commandant le Magnilique ». Pour conduire les
troupes du duc d'Aiguillon à la côte occidentale d'Ecosse,
8. Un mémoire anonyme de 1759 (A. M., B' 82, fol. 56 et suiv.) expose
les raisons du roi de ne pas lier partie avec le Prétendant :
« Ce prince n'a pas la tête assez bien faite pour que l'on puisse diriger
une entreprise considérable sur ses avis... Il est entouré de personnes
des deux sexes très suspectes et qui, vraLsemblablcment, le trahissent... »
GUERRE DE SEPT ANS. — CAMPAGNE DE 1759. 347
il doit doubler l'Irlande, passer par le cap Cantyre et
gagner l'entrée du golfe de la Clyde, vers Irvine. Là, en
s'informant auprès des pilotes et des pêcheurs, il déter-
minera, d'accord avec le duc d'Aiguillon, le lieu précis
de la descente. Si celte descente ne peut s'effectuer, il
verra à tourner l'Ecosse par le nord, pour venir débar-
quer le corps de d'Aiguillon à la côte orientale : après
quoi, il regagnera lui-même le port de Dunkerque. En
cas d'échec, il devra brûler ses vaisseaux et se jeter à la
côte, pour servir sous d'Aiguillon. En somme, cette
instruction du 15 septembre, qui donnait les derniers
ordres, est un vrai modèle d'instruction non précise, où
rien n'avait été nettement prévu, où tout était plus ou
moins abandonné au hasard.
Cependant tous les préparatifs semblaient terminés.
Les listes d'embarquement des officiers étaient dressées ;
un chiffre avait été convenu avec Bigot de Morogues ; on
avait imprimé le tableau des signaux maritimes qui
devaient être « observés par l'escadre et la flotte du
roi )). Vers cette date, milieu de septembre 1759, il n'y
avait plus qu'à quitter le ]\lorbihan et à cingler vers
l'Ecosse,
Mais, précisément à cette date, l'expédition, trop long-
temps différée, ne pouvait plus être tentée. L'Angleterre.
au courant de nos desseins, surveillait depuis de longues
semaines toutes nos côtes. Le commodore Boys était en
croisière devant Dunkerque, le contre-amiral Rodney
devant la Normandie, les amiraux Hawke et Hardy
devant Brest, dont l'escadre était le pivot de ces combi-
naisons. Le commodore Duff surveillait la région du
Morbihan ; aussi le lieu d'embarquement n'était pas
moins exposé à présent aux coups de l'ennemi que la
région de la Rance, à laquelle on avait renoncé à cause
du voisinage des îles anglaises. Enfin, Boscawen et Bro-
348 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
derick avaient été détachés dans la Méditerranée pour
immobiliser l'escadre de Toulon. Boscawen allait bientôt
porter à l'expédition le coup fatal, le jour où il détruisit
dans la baie de Lagos l'escadre de M. de La Clue. Il ne
pouvait plus s'agir à présent de combiner les escadres de
la Méditerranée et de l'Atlantique ; car il n'y avait plus,
depuis ces journées du 17-19 août 1759, d'escadre de la
Méditerranée.
Que faire alors ? Licencier l'armée de d'Aiguillon
réunie au Morbihan, désarmer une fois de plus l'escadre
de Brest ou les corsaires de Dunkerque, c'était, après
tant de préparatifs, l'aveu radical de notre impuissance
navale et comme la capitulation sans appel de la France
maritime. Si le plan ne pouvait plus être exécuté dans
son ensemble, on pouvait le modifier, de manière à tirer
parti de l'escadre de Brest, intacte encore et toujours
prête à prendre la mer. Belle-Isle, Choiseul, Berryer,
furent ainsi amenés à se rallier à un nouveau projet de
campagne maritime ; on ne saurait leur en faire un crimxe,
car on était trop avancé pour reculer. La partie devait
être plus dure à jouer ; mais les espérances d'une victoire
navale ne nous étaient pas encore absolument interdites,
et seule une victoire navale pouvait nous conduire à une
paix honorable.
Il n'y avait pas de raisons de ne pas avoir confiance
dans le comte de Conflans. Ses états de service parlaient
pour lui ; dans la dernière guerre, il avait dirigé plu-
sieurs croisières avec succès et il avait capturé aux
Anglais deux vaisseaux de ligne. Sa promotion à la vice-
amirauté en 1756 avait été la récompense de cinquante
années de services sur mer fort honorables. Quant au
bâton de maréchal de France qui lui avait été donné
en 1758, c'était à la fois un hommage rendu à la marine
et le prix anticipé de la victoire qu'on était en droit
GUERRE DE SEPT ANS. — CAMPAGNE DE 1759. 349
d'attendre de lui. Avant la journée de Port-Mahon, la
carrière de La Galissonnière, quel que fût le mérite per-
sonnel de l'homme, ne se recommandait pas par des
titres exceptionnels. Pourquoi M. de Conflans n'aurait-
il pas, lui aussi, son heure de gloire ? L'ordre fut donc
donné au comte de Conflans de faire prendre la mer à
l'escadre de Brest.
A la date du 14 octobre 1759, c'est-à-dire deux mois
environ après la défaite de Lagos, Louis XV adressait
au maréchal comte de Conflans une nouvelle lettre pour
modifier les instructions du 26 août précédent. On voit,
d'après cette lettre, que le maréchal avait proposé d'aller
combattre les escadres ennemies qui croisaient sur les
côtes de Bretagne ; il se chargeait ensuite lui-même
d'escorter, avec l'armée navale tout entière, la flotte du
Morbihan, jusqu'à ce qu'elle pût gagner sans danger,
sous la protection de quelques navires, le lieu de sa desti-
nation. Le roi acceptait ce plan, sans faire aucune objec-
tion.
« Je vous fais cette lettre pour vous dire que je laisse
à votre expérience et à votre courage de profiter de toutes
les circonstances que vous croirez être favorables pour
aller attaquer les escadres et vaisseaux qui tiennent les
croisières d'Ouessant et de Belle-Isle. Et ensuite, soit
que vous jugiez à propos de rentrer à Brest pour en
ressortir peu après, ou que vous continuiez de tenir la
mer, je vous laisse également le maître d'aller vous-même
prendre l'escorte de la flotte du Morbihan, lorsqu'elle
sera en état de mettre à la voile. Je vous prescris seule-
ment de ne point perdre de vue que le point principal de
toutes nos opérations présentes doit être la plus grande
sûreté de la flotte du Morbihan... Mon intention est tou-
jours qu'en vous séparant de la flotte pour revenir à
350 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
Brest, vous destiniez six vaisseaux, avec quelques
frégates et corvettes, pour l'accompagner jusqu'au lieu
du débarquement... Je suis persuadé que vous sente:/,
toute l'importance d'une pareille expédition, dont le
succès vous est en entier confié et sera aussi utile à l'État
que glorieux pour vous^... »
Après cette lettre, Conflans n'avait plus qu'à quitter la
rade de Brest sur l'heure même ; il ne pouvait plus
dire, comme d'Aiguillon l'avait rapporté à Belle-Isle
(13 août 1759), qu'il n'était ni instruit ni consulté, et que
c'était le service de la Guerre qui voulait conduire une
opération de la Marine ; il avait proposé ses idées, on les
avait acceptées telles quelles. Il avait eu raison de pro-
tester contre le morcellement de ses forces navales, qu'on
avait d'abord voulu lui imposer, et il avait obtenu de
sortir avec tous ses vaisseaux pour aller chercher à Qui-
beron le corps expéditionnaire du duc d'Aiguillon. Quant
à cette - conception malheureuse, de faire sortir une
escadre de Brest pour aller embarquer une armée dans
le Morbihan, quand il était tout aussi simple de réunii
cette armée à Brest même et non à Vannes, il l'avait
acceptée sans y faire d'opposition ; peut-être était-il satis-
fait, comme d'Aiguillon lui-même, qu'on eût évité ainsi
les conflits qui auraient pu se produire entre le comman-
dant en chef des forces navales et le commandant en chef
des foi'ces de terre.
Quoi qu'il en soit, il avait accepté d'exécuter ce plan, il
avait eu le temps d'en examiner tous les détails à
l'avance ; son départ ne pouvait être à présent qu'une
question d'heures et non de jours. Une nouvelle insulte
faite à nos côtes par les Anglais réclamait un prompt
9. Eci-it à Versailles le 14 octobre 1759. Signature autogvnplie : I.oris.
A. M., B' 87, foL 185-186.
GUERRE DE SEPT ANS. — CAMPAGNE DE 1759. 351
châtiment : en juillet, le contre-amiral Rodney était venu
bombarder le Havre, il avait couvert la ville d'une pluie
de projectiles pendant cinquante-deux heures continues ;
les habitants avaient dû s'enfuir, et d'énormes dommages
avaient été causés aux navires de commerce et aux maga-
sins. Les Anglais avaient reparu le 30 août aux embou-
chures de la Seine ; cette fois ils avaient été tenus à
distance par des chaloupes canonnières et des pontons
armés de gros canons, de l'invention du chevalier de
Mirabeau ^°.
Au moment où le maréchal recevait la lettre du roi,
l'Océan semblait concourir lui-même au succès de sa
sortie. Une violente tempête, qui avait éclaté le
12 octobre, avait forcé l'escadre anglaise de Hawke,
fatiguée d'ailleurs de six mois de croisière dans ces
parages dangereux, à prendre le large. A cette époque
tardive de l'année, par les mauvais temps de l'automne,
la campagne pouvait être regardée comme terminée.
Aussi Hawke avait pris le parti de regagner Plymouth.
Il était revenu quelques jours plus tard ; mais, ie 10 no-
vembre, une nouvelle tempête l'avait obligé à se réfugier
à Torbay. La mer était libre. Sortir de Brest, rallier le
convoi du Morbihan, le conduire en pleine mer, le diriger
vers l'Ecosse : tout cela était possible à présent à un
amiral décidé à agir vite et à profiter sur l'heure d'un
moment de négligence de la part de l'ennemi. Cependant
les jours, les semaines se succédaient, et l'escadre de
Brest restait toujours à l'ancre. Pourquoi M. de Conflans
ne se décidait-il pas à sortir ?
La réponse se trouve dans les lettres répétées qu'il
adressait au ministre à cette époque même, en octobre et
10. HiPPEAU, Le Gouvernement de Normandie..., t. I, chap iii ;'Lom.énib
Les Mirabeau, t. I, chap. xin.
352 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
en novembre. On y constate, en effet, et ses propres hési-
tations et le défaut de préparation matérielle de son
escadre, qui justifie largement ses hésitations ; car les
équipages, condamnés depuis trois ans environ à l'immo-
bilité dans la rade, n'étaient pas entraînés, ils n'avaient
pas pris part à des manœuvres d'escadre ; quant aux bâti-
ments, à l'exception de quelques vaisseaux, comme le
vaisseau-amiral le Soleil Royal, magnifique bâtiment de
quatre-vingts canons, qui passait pour le dernier mot de
la construction navale, ils n'avaient que de médiocres
qualités de marche et de combat. Guébriant, qui montait
yOrient, déclarait, après la bataille, qu'il avait manqué
<( totalement de gens de manœuvre, n'en ayant pas trente
qui méritassent le nom de matelots ^^ J'en avais fait mes
plaintes à monsieur le maréchal et à M. Hocquart (l'inten-
dant de la marine), avant de partir de Brest, et ce n'a été
que par le secours de mon état-major et par leurs soins
que j'ai pu manœuvrer ».
Le 5 novembre, Conflans écrivait à Berryer que, pour
ne pas anéantir le projet du Morbihan, il éviterait tout
engagement général. « Comme cependant, malgré toute
la prudence que je puis avoir, je pourrais être attaqué
par toutes les forces ennemies, nonobstant toutes mes
précautions, je ne peux vous dire autre chose, sinon que,
dans ce cas, je combattrai avec toute la gloire possible ;
mais c'est ce que je chercherai à éviter... » Ce dési^
d'éviter à tout prix une grande bataille, si peu en har-
monie avec la vraie conception de la stratégie navale,
n'est-ce pas à l'avance l'explication des manœuvres,
IJ. Même témoignage dans Le Coup d'œil du citoyen ou Moyens de
rétablir la marine en France, opuscule anonyme d'un officier : « J'ai
vu embarquer sur les vaisseaux du roi des vieillards, des bateliers de
rivière et des gens qui n'avaient jamais vu la mer, et cela pour compléter
les équipages de quelques vaisseaux qui mirent à la voile pour combattr»
et qui ne parurent devant l'ennemi que pour le fuir. »
GUERRE DE SEPT ANS. — CAMPAGNE DE 1759. 353
incompréhensibles en elles-mêmes, qu'il devait faire
après la sortie de Brest ?
L'armement et les réparations n'étaient jamais ter-
minés. Dans une lettre du 7 novembre, il écrivait encore
au ministre : « Je ne vois ni argent, ni bois, ni ouvriers,
ni vivres ; sans doute que vous avez pris des arrange-
ments pour remédier à tous ces incidents. » Quel triste
présage, à une pareille date, pour l'expédition que la
France maritime attendait depuis si longtemps !
Enfin, le 14 novembre, M. de Conflans sortait du port
de Brest. Son armée navale se composait de vingt et un
vaisseaux, répartis en trois divisions, sous les chefs
d'escadre Budes de Guébriant, Bauffremont, Saint-André
Du Verger ^^. Il n'avait, pour reconnaître sa route, que
cinq frégates ou corvettes ; ce nombre était certainement
insuffisant, car il lui fallait à la fois éclairer sa mai^zhî
du côté du Morbihan et faire surveiller les parages
d'Ouessant, dans la crainte du retour offensif des Anglais ;
cette surveillance n'eut pas lieu.
Les premiers jours de la sortie se passèrent sans inci-
dent ; mais le mouvement ne se dessinait qu'avec beau-
coup de lenteur. Le 19 novembre au soir, cinq jours après
sa sortie, Conflans croisait encore à vingt-trois lieues
dans le sud-ouest de Belle-Ile. La mer, il est vrai, était
mauvaise, et le gros temps l'obligeait à se tenir au large.
Le vent, à cette date, passa à l'ouest. Alors, dit Conflans
dans sa relation au ministre ^^ « je fis signal à l'armée de
servir et je dirigeai la route sur Belle-Ile, afin d'entrer
12. Voir l'AppendiCvi X.
13. Lettre de M le maréchal de Conflans (24 novembre 1759). S. 1. n. d.
Reproduite par Troude, Batailles navales de la France, t. I, p. 3S5 et suiv.
Cf. La Nicollière-ïeijeiro. Combat de Belle-Ile ou des Cardinaux, NaïUos,
187S ; — De Veillechèze, « Saint-Goustan... au Croisic », Bulletin de la
Société archéologique de Nantes, 1908. (Documents sur Hawke.)
354 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
le lendemain dans le Morbihan pour suivre les ordres du
roi et me conformer à ce que vous m'aviez particulière-
ment marqué dans votre lettre du 5 de ce mois. Le vent
augmenta considérablement dans la nuit... ; je fus même
obligé de faire très peu de voiles, dans la crainte de me
trouver trop tôt sur la terre. » A la pointe du jour, il était
en vue des quatre ou cinq bâtiments de la division du
Commodore Duff, qui surveillait cette partie de la côte. Il
leur fit aussitôt donner la chasse, sa supériorité numé-
rique lui permettait de le faire sans peine. Quelques
heures encore, il abordait au Morbihan ; le moment était
décisif.
A cette heure même, matinée du 20 novembre 1759, les
vigies signalaient une escadre de vingt-trois vaisseaux
de ligne et de neuf bâtiments inférieurs, en tout trente-
deux bâtiments, qui arrivait du nord-ouest, toutes voiles
dehors. C'était l'escadre de Hawke. Ayant donné quelques
jours de repos à ses bâtiments dans les eaux de Plymouth,
toujours tenu par ses frégates au courant de ce qui se
passait à Brest, Hawke était accouru de Torbay, à la
première nouvelle de la sortie de M. de Conflans ; il ne
l'avait connue que le 17 novembre. Il avait enfin devant
lui cette proie qu'il avait guettée, sans pouvoir l'atteindre,
durant tant de semaines. C'était la juste récompense de
son énergie et de sa décision ; la supériorité du nombre
et surtout son esprit d'offensive devaient achever ce que
sa rapidité admirable avait si bien commencé.
Conflans, avant sa sortie de Brest, était résolu à éviter
une bataille générale. Aussi, à la vue de ces trente-deux
voiles, il ne songea qu'à mettre en sûreté sa propre
escadre, bien qu'elle ne fût pas sensiblement inférieure
en nombre. « Tout alors me détermina à prendre la route
du Morbihan, d'hantant que le vent, dans la position où
nous nous trouvions, ne me permettait pas de relâcher
GUERRE DE SEPT ANS. — CAMPAGNE DE 1759. 355
en aucun autre lieu, et je n'avais pas lieu de croire qu«
si j'y entrais le premier avec vingt et un vaisseaux,
l'ennemi osât m'y poursuivre, malgré sa supériorité, qui
devait elle-même embarrasser ses mouvements dans un
endroit aussi resserré. » Il était, en effet, assez naturel
de supposer que l'amiral anglais observerait les Fran-
çais à distance, à cause des conditions d'accès très difTi-
cites en ces parages ; mais Hawke, en digne précurseur
de Nelson, disait : « Là où il y a place pour l'ennemi,
il y a place aussi pour moi. » Comment Conflans, d'autre
part, espérait-il passer avec toute son escadre, par un
groj temps, à travers un golfe étroit tout hérissé d'écueils,
et mouiller dans le dédale des bras du Morbihan, même
s'il n'avait pas eu à sa poursuite le plus acharné des
ennemis ?
Le mouvement de dérobade avait commencé aussitôt,
le vent soufflant avec force de l'ouest-nord-ouest ; le
Soleil Royal marchait en tête. Comme dans toutes les
manœuvres de ce genre, l'inégalité de vitesse des bâti-
ments qui prennent chasse amène un allongement excessif
de leur ligne de retraite. Vers deux heures et demie de
l'après-midi, le Soleil Royal, qui était excellent mar-
cheur, atteignait les rochers des Cardinaux ; ils font
partie des récifs de l'île de Hoëdik, entre Belle-Ile et le
Croisic. De là vient le nom de bataille des Cardinaux,
donné parfois à la bataille du 20 novembre. A ce moment,
notre arrière-garde, composée de quatre vaisseaux, était
isolée en arrière, à huit ou dix milles, et aux prises avec
neuf vaisseaux ennemis. Conflans, qui avait commis une
première faute, de ne pas régler la marche de son bâti-
ment sur celle du reste de l'escadre, en commit alors une
beaucoup plus grande, celle de ne pas virer de bord
immédiatement pour courir au danger ; il était temps
peut-être encore de sauver l'arrière-garde, avant que
356 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
tous les vaisseaux de Hawke fussent entrés en ligne.
Réduite à elle-même, complètement isolée et entourée,
l'arrière-garde française fit une admirable résistance. Le
combat que le chef d'escadre Saint-André Du Verger
dirigea, pendant plusieurs heures, de la passerelle du
Formidable est une des pages les plus honorables de
notre histoire maritime. Ce vaillant officier eut la tête
emportée ; son frère, Saint-André l'aîné, qui était capi-
taine en second, fut coupé en deux par un boulet. Le
Formidable dut se rendre ; ce n'était plus qu'une car-
casse, couverte de cadavres, éventrée par les boulets i^.
Deux autres vaisseaux avaient coulé à pic. Le Thésée,
de soixante-quatorze canons, avait essuyé, sans grands
dommages, quatre volées d'un vaisseau anglais de même
force ; il avait énergiquement riposté par ses canons de
tribord, quand survint tout à coup un grain très violent.
On neut pas le temps de rentrer les canons et de fermer
les sabords. La mer pénétra avec tant d'abondance que
le Thésée coula en un instant ^^. Le commandant Ker-
saint de Coëtnempren, l'un des plus brillants officiers de
la marine royale, l'état-major et tout l'équipage furent
engloutis ; sur six cent cinquante hommes, vingt-deux
seulement parvinrent à se sauver.
Presque en même temps, le Superbe, commandé par
M. de Montalais, était coulé par une bordée de l'ennemi,
et se perdait corps et biens ; les gardes-côtes de la région
de Pontcroix, pauvres laboureurs embarqués sur ce
vaisseau, périrent tous, avec le commandant et les
14. La Péroase, alors garde-marine à bord du Formidable, fut blessé
d'une rontusioi au ventre et au bras, et fait prisonnier. — Galaup de La
Pôrouse. Du diocèse d'Albi. Parent du capitaine de vaisseau La Jonquière.
G., 19 novembre 1756; L., 4 avril 1777; C, à prendre rang, 4 avril 1780;
pris rang. 9 mat 1781, A. M., C ' 173.
15. Déposition du charpentier Mathieu Dostes. de Recouvrance, recueilli
avec .sept matelots par un canot anglais. A. M., B* 88, fol. 250.
fgM
GUERRE DE SEPT ANS. — CAMPAGNE DE 1759. 357
officiers. Celle affreuse journée devail plonger dans le
deuil la Brelagne enlière pour de longs mois ; les Irois
vaisseaux qui furent coulés, le Thésée, le Superbe et le
Juste, n'avaient pour matelots que des Bretons.
Seul des quatre vaisseaux de l'arrière-garde, le Héros,
de M. de Sanzay, avait pu s'échapper ; il avait à un
moment amené son pavillon, puis il l'avait hissé de nou-
veau.
Conflans a essayé de justifier son rôle pendant cette
partie de l'action en disant que la vivacité de la riposte
de l'arrière-garde lui avait donné lieu d'espérer qu'elle
pourrait elle-même se tirer d'affaire. « La nécessité de
marquer la route et les mouvements que je voulais faire
exécuter m'avaient obligé de rester jusque-là à la tête,
et je n'avais pas encore combattu. Je revirai de bord pour
me mettre au milieu de la ligne et, en même temps, à
portée de combattre l'ennemi, qui se multipliait considé-
rablement. Je dis à Vlntrépide, qui me suivait immédia-
tement, de faire de même. »
Il était trop tard ; l'arrière-garde était perdue ; la
distance trop grande et la mer de plus en plus mauvaise
rendirent inutile le tir des canonniers du Soleil Royal.
Conflans songea alors à revirer de bord de nouveau,
dans l'intention de doubler le plateau du Four, à la hau-
teur du Croisic, de sortir de la baie et de se faire suivre
au large par l'armée navale. Mais la nuit, qui survient
de bonne heure à celte époque de l'année, mit fin à cette
première journée. Français et Anglais mouillèrent à peu
près en ligne, à une cerlaine distance de la côte. Conflans
avait encore sous ses ordres dix-sept vaisseaux, en y
comprenant le Héros.
Le lendemain, 21 novembre, vers six heures du malin,
une manœuvre inexplicable allait tout à coup paralyser
l'aclion de Conflans : huit vaisseaux prirent le large et
358 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
s'éloignèrent du côté du sud, sans s'occuper du reste de
l'escadre. Les conséquences de ce mouvement devaient
être désastreuses : Confians, avec neuf vaisseaux, se
trouvait isolé devant toute l'escadre anglaise. Sur cet
épisode de la bataille, qui pour bien des contemporains
perdit de réputation le chef d'escadre Bauiïremont, il est
nécessaire d'entendre l'accusation et la défense.
On écrivit de Rochefort au ministre ^^ : « La voix
générale est que, sans une jalousie de la part de M. Baut-
fremont, qui ne voulut pas écouter les signaux du maré-
chal, son comm^andant, nous aurions réussi... M. de Baul-
fremont a beau donner des mémoires dans les gazettes,
il ne se lavera jamais de cela. Ou il est un ignorant, ou
il est un traître. S'il est ignorant, il ne mérite pas de
commandement. Si c'est par traiterie {sic) ou jalousie, il
mérite punition... Il est si blâmable que M. de Gué-
briant... assure qu'il prit un porte-voix... et qu'il lui
cria : « Ne voyez-vous pas les signaux du commandant ? »
Il répliqua, en levant le bras, que non, qu'il ne le voyait
pas, voulant dire : Je ne veux pas le voir ; ce qui fit que
les antres ne purent y remédier. »
La défense, elle est dans plusieurs lettres de Bauffre-
mont 1". Le 21 novembre, c'est-à-dire le soir même du
second jour de la bataille, il informait Berryer que le
Tonnant venait d'arriver à l'île d'Aix avec le Magnifique,
de Bigot de Morogues ; il y avait trouvé cinq autres vais-
seaux, qui y étaient déjà mouillés depuis quelques
heures : V Orient, le Northumbeiiand, le Dauphin Royal,
le Solitaire et le Bizarre. Pendant la nuit qui avait suivi
le combat, nuit du 20 au 21, il avait perdu de vue le Soleil
16. 2 février 1760 A. M., B* 94, fol. 71 et suiv. — Cette lettre, d'une rédac-
tion fort incorrecte, est signée « de La TuUay ». Ce n'est pas le chevalier
de La TuUaye, lieutenant d'artillerie du 17 mai 1751 : car, de 1758 à 1762,
11 fit partie de l'escadre de d'Aché dans les Indes.
17. A. M.. B* 88.
GUERRE DE SEPT ANS. — CAMPAGNE DE 1759. 359
Royal. Son pilote lui avait représenté le danger de rester
au milieu des récifs de ces parages. <( Sur cet avertisse-
ment, je jugeai que M. de Conflans, à qui ses pilotes
n'auraient pas manqué de dire la même chose, prendrait
le parti de venir au vent pour doubler la terre et gagner
le large. C'est le parti que je pris et le seul qu'il y eût à
prendre, dans la position gênante où nous étions sur la
terre. Les vaisseaux que j'ai trouvés ici ont pris le même
parti, et je suis surpris de n'y avoir pas rencontré le
Soleil Royal et nos autres vaisseaux. »
Le ministre ayant envoyé l'ordre aux vaisseaux de
Rochefort de partir incessamment pour Brest, Bauiïre-
mont répondit (V décembre) pour montrer les inconvé-
nients de cette nouvelle traversée. (< D'ailleurs, après
avoir représenté les inconvénients comme je les ressens
dans ma conscience, je suis fait pour obéir à tous les
ordres qu'on me donnera. J'irai gaiement partout, tou-
jours avec zèle, et je me flatte que je me tirerai comme
un autre des obstacles qui ne seront pas insurmon-
tables. » Il revenait sur la journée du 2L « La première
chose que l'on doive faire après un combat qui n'est pas
heureux est de se mettre en sûreté dans le port dont le
chemin est le plus libre. Malgré les obstacles, je me tiens
encore mieux ici que si j'étais dans la Vilaine. Je n'ai eu
et je n'aurai jamais pour règle dans toute ma conduite
que le bien du service. Je me suis rencontré dans mes
idées sur ma relâche avec tous les capitaines expéri-
mentés, qui ont pris le même parti. Il serait dur d'avoir
à me justifier d'avoir bien fait, et huit vaisseaux qui se
trouvent en sûreté ici ^^ doivent faire plaisir assurément,
bien loin qu'on en puisse être fâché de les y voir, et je
IS Le huitième était l'Intrépide, Qui était venu mouiRer le 22 novembre
dans la rade de l'île d'Aix.
360 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
suis persuadé, monsieur, que vous êtes trop juste pour
ne pas le penser, quoique vous ne me fassiez pas l'hon-
neur de me le dire. » -1
En 1762, comme une lieutenance générale était vacante
dans la marine, Bauffremont la sollicita pour lui-même
auprès du ministre Choiseul, avec qui il avait des rap-
ports de parenté. On lui fit savoir que la nomination
siérait suspendue pour le moment. « Je ne peux m'en
prendre, répondit le chef d'escadre, qu'à la fâcheuse
étoile qui domine depuis si longtemps sur le nom de i
Bauffremont. » Dans cette longue lettre ^^, écrite pour
détruire les préventions du ministre et réfuter « les plus ?
lâches calomnies et les plus odieuses », il exposait le |
rôle, secondaire à ses yeux, qu'il avait joué dans la |
journée du 21 novembre 1759. « Je n'ai jamais vu, et |
c'est peut-être la première fois, — ce coup nous était |
réservé, — qu'on s'en soit pris, dans une affaire malheu- 'i
reuse, à ceux qui ne commandaient pas. » La partie la
plus intéressante de son plaidoyer est celle où il s'efforce
d'établir, par le tableau des divisions et la constatation
des jours et heures des arrivées à l'île d'Aix, qu'il n'est
pas responsable du départ des sept autres vaisseaux.
(( Je me retirai seul à Rochefort. Je n'y menai point
ma division, comme on l'a voulu dire très faussement. »
De sa division, il n'y avait à Rochefort que deux vais-
seaux : l'un, le Northumberland, était arrivé six heures
avant le Tonnant ; l'autre, Vlntrépide, vingt-quatre
heures après ; dans sa route, il n'avait vu aucun de ces m
deux vaisseaux, « qui ont pris d'eux-mêmes leur parti, "
forcés par la nécessité et circonstance. » Des cinq autres
vaisseaux, trois, VOrient 20, le Dauphin Royal et le Soli-
19 Paris, 9 septembre 1762. A. M., B* 88. fol. 224-229.
20. Guébriant explique le départ de l'Orient presque dans les mêmes
termes que Bauffremont pour le Tonnant. 'L'Orient, matelot d'arrière du
GUERRE DE SEPT ANS. — CAMPAGNE DE 1759. 361
taire appartenaient à la première division (Guébriant) ;
deux, le Magnilique et le Bizarre, à la troisième (Saint-
André). (( C'est donc à tort qu'on veut que j'aie mené
toute ma division, qui était la seconde, à Rochefort, et
très improprement et pour me nuire par cette fausseté
manifeste, qu'on a voulu appeler ces vaisseaux réunis la
division de M. de Bauff remont. » On a accordé des
grâces à presque tous les officiers qui avaient pris, de
leur côté, le parti de gagner Rochefort, par l'impossibi-
lité où l'on était d'aller à Brest par le gros vent contraire
qui soufflait. « Il n'y a que moi seul que, depuis ce temps,
on laisse dans la disgrâce... Je n'ai point su qu'on ait
cassé le col à tous ceux qui étaient à Crefeld et à Minden.
Pourquoi donc s'en prendre à moi si le succès de l'affaire
du Morbihan n'a pas répondu aux vœux de la cour et de
la nation ? Je ne commandais pas ; aussi, avec justice,
on ne peut s'en prendre à moi de rien... »
(( Je ne commandais pas. » C'est Bauffremont lui-même
qui, dans son inconscience, prononce sa condamnation.
Puisqu'il ne commandait pas, il n'avait qu'à obéir, c'est-
à-dire à rester aux ordres de M. de Conflans. Qu'il ait
aperçu ou non les signaux du maréchal, son devoir strict
était de ne pas perdre de vue le Soleil Royal. D'autre
part, Bauffremont ne s'était pas rappelé qu'il était chef
d'escadre ; placé à la tête d'une division de sept vaisseaux
de ligne, il ne devait faire aucun mouvement, surtout
dans un parti aussi grave, sans en informer toute sa
division. Il n'a pas pensé un moment à ses obligations
Soleil Royal, avait tiré les derniers coups de canon de la journée du
20 novembre. Au milieu de la nuit, il perdit de vue le maréchal ; il était
alors à une lieue à l'ouest-sud-ouest de l'île Dumet. Sur les conseils de
ses pilotes, il tint le vent pour doubler ces parages dangereux. « Faisant
cette route, j'ai eu connaissance de plusieurs de nos vaisseaux faisant
même route, parmi lesquels j'ai reconnu le Tonnant... » Il ne parle pas de
la conversation qu'il aurait eue au porte- voix avec Bauffremont. — Lettre
du 22 novembre 1759, en rade de l'île d'Aix. A. M., B* 88, fol. 245.
362 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
impérieuses vis-à-vis de son chef et vis-à-vis de ses
subordonnés. Il ne faut pas dire que Bauff remont a péché
contre l'honneur, mais qu'il a péché contre la discipline.
Comme les sept autres capitaines, coupables eux aussi,
qui gagnèrent Rochefort de leur propre décision, il avaii
oublié cette règle absolue : sur le champ de bataille
l'initiative de tout subordonné est absorbée par la volonté
suprême du commandant en chef. C'est là tout son
crime ; il est déjà suffisamment grand.
Revenons à M. de Conflans. Dans la matinée du
21 novembre, il n'y avait plus autour du Soleil Royal que
huit vaisseaux. Peut-on songer à blâmer M. de Conflans,
qui, déjà depuis la veille, songeait à se dérober, d'avoir
voulu fuir à ce moment, quand la fuite était dès lors le
seul moyen de sauver ses derniers bâtiments ? Il pouvait
gagner ou la Vilaine ou la Loire. Dans la soirée du 21,
sept vaisseaux, — le Brillant, le Dragon, VËveillé, le
Glorieux, Vlnflexible, le Robuste, le Sphinx, — et quatre
bâtiments légers, — la Vestale, la Calypso, V Aigrette, la
Noire ^, — mouillaient à l'entrée de la Vilaine ; puis, la
marée aidant, ils franchissaient la barre de cette rivière
et allaient s'échouer à l'intérieur. Ceux-ci, pour le
moment, étaient sauvés, mais ils n'étaient pas au bout de
leurs malheurs.
Quant à nos derniers vaisseaux, harcelés par les bor-
dées des Anglais, ils firent force de voiles pour gagner
la baie du Crcisic, par une mer toujours très mauvaise.
Le Juste, dont les deux capitaines, les deux frères de
Saint-Allouarn, avaient été tués dans l'action, s'était
perdu dès le 20, à l'entrée de la Loire, avec tout son
équipage, lorsque le nouveau commandant. Du Châtel
Taneguy, essayait de pénétrer dans ce fleuve. Le Héros,
21. La ciTitralèma frégate, l'Hébé, n'avait pu suivre l'escadre, ayant été
désemparée, le 18, par un abordage avec le Robuste.
GUERRE DE SEPT ANS. — CAMPAGNE DE 1759. 363
du vicomte de Sanzay, seul survivant, avec le vaisseau-
amiral, du combat de la veille, se jeta à la côte, au
Croisic ; auprès de lui vint aussi s'échouer le Soleil
Royal.
Le 22, le temps étant devenu plus maniable, Hawkc
s'approcha du Croisic ; la veille, il avait perdu trois
navires dans ces parages infestés de récifs. A la vue de
l'ennemi, Conflans fit évacuer et incendier le Soleil Royal
et le Héros ; on n'avait pas eu le temps de sauver la
magnifique artillerie du Soleil Royal. L'escadre française
était à ce moment ou détruite ou dispersée, presque sans
avoir combattu. Hawke n'avait plus rien à faire sur cette
côte dangereuse, il reprit le large.
Tel est cet ensemble d'opérations fatales qui dura trois
jours, du 20 au 22 novembre ; on l'appelle d'ordinaire la
bataille de M. de Conflans, « du nom, dit un historien, du
lâche maréchal, sans doute pour que le souvenir ne s'en
perdît pas et qu'il restât à jamais l'exécration de la posté-
rité ^ ». Qu'on reproche des grosses fautes au malheu-
reux amiral, soit ; mais il ne ressort nullement du récit
de ces tristes journées qu'il doive être flétri au nom de
l'honneur militaire. Il y a bien plus de vérité dans ces
lignes d'un inconnu, qui écrivait de Rochefort, le 25 no-
vembre ^3 : (( Voici une suite de ce que nous voyons depuis
longtemps : des bévues, des preuves d'ignorance et enfin
des sottises, beaucoup de bonne volonté, point de capa-
cité, beaucoup de bravoure, point de tête, et de la pré-
somption sans méfiance. Voilà un raccourci de ce qui
vient de se passer. »
Le crime de Bauffremont fut de n'avoir pas obéi ; le
22. [MOUFLE d'Angerville], Vie privée de Louis XV, t. III, p. 214.
23. A. M., B* 86, fol. 317.
364 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
crime du maréchal de Conflans fut de n'avoir pas com-
mandé et d'avoir perdu la tête, au moment le plus
critique. Sorti de Brest avec une extrême lenteur, il
n'éclaire pas sa route. Arrivé sur le théâtre même de ses
opérations, il est en proie à une indécision perpétuelle :
il veut chasser l'ennemi, puis se réfugier dans le Mor-
bihan, puis gagner le large. Réduit à échouer son vais-
seau, il eut le très grand tort de le détruire en entier,
avant que l'attaque même de Hawke ne lui en eût fait une
nécessité inévitable.
Préoccupé avant tout d'embarquer le convoi du Mor-
bihan, M. de Conflans avait voulu éviter la bataille géné-
rale et avait tout sacrifié à cette idée. Comme il l'écrivait
à d'Aiguillon, du jour et du lieu même de son débarque-
ment (le Croisic, 21 novembre), l'inégalité des forces en
était la cause : <( Il ne faut pas se mettre dans l'esprit
de faire quelque chose d'avantageux avec une infériorité
aussi marquée Cela devrait bien corriger des entreprises
qu'on n'a pas assez combinées. »
En même temps, il avait écrit à Berryer : « Je suis
fâché, monsieur, d'avoir à vous annoncer cette triste nou-
velle ; mais vous pouvez assurer le roi que je m'y suis
comporté avec fermeté et sagesse, n'ayant jamais eu pour
but que d'exécuter les ordres de Sa Majesté pour par-
venir à faire réussir le projet du Morbihan. Mais ce
combat, qui a été inévitable, anéantit celui prémédité
(sic) ; c'est à quoi on devrait s'attendre quand les forces
sont aussi inférieures, surtout dans une saison qui
l'aurait, malgré cela, rendu impraticable... »
Il ne viendra à l'idée de personne de comparer notre
grand Tourville et le maréchal de Conflans ; mais ne
peut-on pas remarquer certaines analogies entre la
bataille de la Hougue et la bataille des Cardinaux ? Dans
l'admirable journée du 29 mai 1692, Tourville avait lutté
GUERRE DE SEPT ANS. — CAMPAGNE DE 1759. 365
un contre deux, sans se laisser entamer ; comme cet effort
héroïque ne pouvait se prolonger, il avait fait le signal
à son escadre, qu'il avait toute sous la jffiain, de prendre
chasse. Obligé de s'échouer à Saint-Vast, il avait brûlé
le Soleil Royal et les vaisseaux qui s'étaient échoués à
ses côtés. Le vaisseau-amiral de M. de Conflans portait
le môme nom que celui de Tourville ; il finit comme lui,
mais il n'avait pas eu, pour consoler ses malheurs, une
nouvelle journée du 29 mai. Conflans avait moins songé
à se battre le 20 novembre qu'à se mettre à l'abri pour
protéger le convoi. Tout à coup s'étant vu seul, il avait
cru qu'en se dérobant de nouveau il pourrait conserver
au roi quelques vaisseaux de premier ordre. Le Croisic
lui parut un abri sûr : ce fut une autre rade de Saint-
Vast. Mais la journée de Saint-Vast la Hougue avait été
précédée de la journée de la Hague, et la journée ,du
Croisic fut précédée de la journée des Cardinaux.
Le gouvernement ne fit point comparaître devant un
conseil d'enquête l'amiral, plus malheureux certainement
que coupable, pas plus d'ailleurs que le chef d'escadre
Bauffremont ; on se borna à faire attendre à celui-ci
jusqu'en 1764 la lieutenance générale qu'il avait sollicitée
en 1762. La sévérité n'était pas alors dans nos mœurs ;
à présent que notre marine était morte, il semblait qu'on
reculât devant un procès qui aurait pu avoir pour unique
résultat d'étaler au grand jour notre désorganisation
politique et militaire. Conflans quitta la marine ; il vécut,
à peu près oublié, jusqu'en 1777.
La bataille des Cardinaux fut le tombeau de la marine
de la France sous le règne de Louis XV. La descente en
Angleterre fut immédiatement abandonnée, car elle était
dès lors mafériellement impossible. Berryer écrivit
aussitôt à d'Aiguillon : a Je ne vous dirai point, mon-
sieur, combien j'ai été pénétré de douleur aux tristes
366 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
nouvelles du désastre de l'escadre de Brest. M. le maré-
chal de Belle-Isle vous écrit que le roi a pris le parti de
suspendre l'expédition particulière. » (Versailles, 25 no-
vembre 1759.) Il fallut licencier les troupes du Morbihan,
qui périssaient d'inaction depuis de longues semaines ; il
fallut renoncer aussi à tout projet du côté de la Manche
et de la mer du Nord. Ce sacrifice était la ruine de toutes
nos espérances et de notre dernière chance de salut ;
mais quelque douloureux qu'il lût, il était peut-être moins
cruel encore que toutes les humiliations qu'il nous fallut
subir de nouveau sur toutes nos côtes. Nous ne pouvions
plus nous y opposer : depuis les journées de Lagos et de
Ouiberon, la France n'avait plus d'escadres ni sur la
Méditerranée ni sur l'Océan. <( A quoi, s'écriait le cheva-
lier de Mirabeau, est réservé ce malheureux pays ! Dieu
veuille y mettre la main ! J'en ai pleuré et j'en pleure
encore. »
Hawke, dont la hardiesse méthodique et raisonnée fait
à l'avance penser au génie militaire de Nelson, exploita
merveilleusement sa victoire, en semant la terreur sur
toutes les côtes du golfe de Gascogne. 11 apparut, le
29 novembre, sur cette rade de Rochefort, qui lui était
familière ; il avait espéré enlever la division de huit vais-
seaux qui s'était réfugiée auprès de l'île d'Aix ; mais ils
eurent le temps de remonter en rivière, et il renonça à
pousser sa pointe plus avant. Il courut ensuite devaM le
Croisic et menaça de bombarder la ville et les villages
voisins, sous prétexte que les Français s'opposaient à
l'enlèvement de la magnifique artillerie du Soleil Royal.
La ferme attitude du duc d'Aiguillon et de son subor-
donné, le marquis de Broc, coupa court à ces prétentions
léonines. Le Soleil Royal ne s'était pas rendu, il n'avait
pas été pris ; l'ennemi ne pouvait avoir aucun droit sur
GUERRE DE SEPT ANS. — CAMPAGNE DE 1759. 367
ses canons. Ces dernières épaves du vaisseau-amiral
restèrent, en effet, entre nos mains. Hawke réclamait
aussi comme prisonnier de guerre l'équipage du Héros,
par la raison que le vaisseau de M. de Sanzay avait, à
un moment, amené son pavillon. 11 lui fut répondu, par
une consultation d'officiers généraux et de capitaines de
vaisseau 2^, que le Héros n'avait pas été amariné, et qu'il
était du droit des gens que tout prisonnier qui n'a pas
engagé sa parole a le droit de s'évader.
Les Anglais avaient mieux à faire qu'à réclamer des
canons ou des prisonniers : ils pouvaient à leur aise
recommencer leurs opérations de descente. Dans la nuit
du 12 au 13 juillet 1760, ils débarquaient à l'embouchure
de l'Orne et détruisaient les batteries de Sallenelles et
d'Ouistreham ^. Deux jours plus tard, le 15 juillet, neuf
vaisseaux, de l'escadre de Rodney, bombardaient Port-
en-Bessin, où s'étaient réfugiés cinq bateaux plats qui
transportaient des bois de la marine du Havre à Brest.
Mais le mieux pour les Anglais était de s'établir dans nos
îles de l'Océan : ils n'y manquèrent point. Ce fut d'abord
l'île d'Yen, où ils ne firent d'ailleurs qu'une descente ; ce
fut ensuite Belle-Ile, dont ils furent maîtres pendant deux
ans 26.
S'il était nécessaire de donner une preuve de la ruine
24. Consultation rédigée par d'Auhigny, Roqiiefcuil, La Touche Tréville,
Breugnon, Bory. A. M., B " 88, fol. 26G et suiv.
25. A cet épisode est resté attaché le souvenir du « général » Cabieu, un
brave sergent garde côte de la paroisse d'Ouistreham. Hippeau, Le Gouver-
nement de Nom andie..., t. I, p. 437.
26 En 1759, Je lieutenant de vaisseau J. de Calvimont, qui croisait avec
le Stock auprès de la tour de Cordouan, détruisit plusieurs corsaires
anglais à l'entrée de la Gironde. Ducéré, Les Corsaires sous l'ancien
régime, p. 249.
D'autres épisodes sur la défense des côtes de Bretagne, en janvier 1761,
sont indiqués par Bremond d'.4rs. Les Marins frajiçais dans les derniers
combats livrés auix Anglais..., Vannes, 1900.
368 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
complète de notre marine depuis le désastre des Cardi-
naux, on n'en pourrait trouver de plus tristement
éloquente que la manière dont Belle-Ile fut prise par les
Anglais.
Le 7 avril 1761, le chevalier de Sainte-Croix, brigadier
des armées du roi, commandant militaire de Belle-Ile,
aperçut, au large de la « côte sauvage », environ vingt-
cinq bâtiments de guerre et une centaine de transports ;
c'était la flotte de l'amiral Keppel, qui amenait un corps
de débarquement de près de dix mille hommes. Sainte-
Croix, qui n'avait pour défendre l'île que deux régiments
et quelques bataillons de milice, ne pouvait empêcher les
Anglais d'aborder. Dès le 8 avril, ils débarquaient dans
une anse auprès de Locmaria, à l'angle sud-est de l'île.
L'énergique commandant avait fait prendre à ses hommes
d'excellentes positions de combat ; aussi les Anglais, à
peine débarqués, se heurtèrent à une résistance dont ils
ne purent triompher : le jour même de leur descente,
ils perdirent quatre cents prisonniers. Craignant de
courir à un désastre, Keppel suspendit provisoirement
l'attaque ; il se borna à croiser en vue de Locmaria, après
avoir rembarqué tout son monde. Il ne se passa rien
d'autre jusqu'au 22. Dans cet intervalle de quatorze jours,
du 8 au 22 avril, le temps ne manqua certes pas pour
expédier de Lorient, qui est à quelques heures à peine,
à défaut d'une escadre pour disputer la mer aux Anglais
— d'escadre, nous n'en avions plus, — quelques bâti-
ments qui auraient pu jeter au port du Palais des
hommes, des munitions, des vivres. Cela même, on ne le
fit pas, on n'essaya pas de le faire ; peut-être ne le pou-
vait-on pas.
Cependant, Keppel avait pu faire demander du renfort
^n Angleterre ; le 21, il recevait six nouveaux vaisseaux
de guerre et deux mille quatre cents hommes de plus. Le
GUERRE DE SEPT ANS. — CAMPAGNE DE 1759. 369
22, il recommença sa tentative sur Locmaria. Soutenus
par un feu très violent, auquel Sainte-Croix ne pouvait
rien opposer, quatre mille hommes débarquèrent ;
malgré tous les efforts des Français, ils s'établissaient à
la pointe de l'île. Les Anglais purent alors descendre à
terre leur matériel d'artillerie. Le 29, le siège de la cita-
delle du Palais commençait par terre et par mer. Un récit
du temps rapporte, dans tous ses détails, l'énergique
résistance de M. de Sainte-Croix^. La poignée de Fran-
çais qui était au Palais fit des prodiges d'héroïsme,
n'ayant d'autre espoir que dans un secours qui viendrait
du dehors. Leur résistance se prolongea jusqu'au 7 juin,
soit pendant quarante jours. Pendant ces six longues
semaines, rien ne fut tenté pour venir au secours de ces
braves gens, que quatre petites lieues à peine séparaient
de Ouiberon. Un corsaire de Morlaix, Cornic-Duchêne 2^,
proposa, dit-on, au duc d'Aiguillon, de lancer des brûlots
sur les vaisseaux de Keppel ; on ne lui permit pas d'exé-
cuter son idée, ou les Anglais ne lui en laissèrent pas le
temps. Le 7 juin, Sainte-Croix capitulait avec tous les
honneurs de la guerre ; il sortait du Palais tambours
battants, drapeaux déployés, mèches allumées ; ses
troupes furent reconduites en France. C'est avec raison
que les Parisiens firent fête au vaillant défenseur de Belle-
Ile ; le chevaher de Sainte-Croix devint le héros du jour.
Mais quelle tristesse de n'avoir rien pu faire au cours de
ce blocus, qui se prolongea pendant deux mois entiers,
en vue même de nos côtes 1
Les Anglais étaient établis à quelques heures du
Croisic, de Lorient, de Brest ; ils avaient au milieu de
27 Journal de Belle-lsle depuis le 8 avril /76/... Brest. 1761. Cf. A. M.,
2i>. Sur Cornic Ducliêne, voir notre Marine militaire sous Louis XVI,
p. 673.
21
370 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
l'Océan un camp de refuge, d'où ils pouvaient infester
impunément les côtes du golfe de Gascogne ; bloquée
d'un côté par Jersey, de l'autre par Belle-Ile, la Bretagne
semblait réservée à l'invasion. Voilà les hontes et les
tristesses qu'il nous fallut supporter jusqu'à la fin de la
guerre. Ce ne fut qu'à la paix de Paris, deux ans plus
tard, que les Anglais consentirent à nous rendre leur
conquête, en échange de Port-Alahon.
A Tépoque où l'audace des Anglais, servie par notre
impuissance, leur permettait de s'emparer de Belle-Ile,
l'escadre de Boscaw^en croisait en permanence devant
l'embouchure de la Vilaine. A la suite de la bataille de
Quiberon, sept vaisseaux et quatre frégates s'étaient
retirés à l'intérieur de ce fleu\e ; les vents contraires et
la présence des Anglais les avaient empêchés d'en sortir.
Berryer, toujours préoccupé de faire des économies,
parlait de faire désarmer des bâtiments devenus inutiles.
Les officiers protestèrent. Le ministre leur répondit
sèchement « de ne pas ajouter de folles dépenses à un
très grand mal ». Nouvelle protestation, bruyante et col-
lective, des officiers ; ils demandèrent à être déférés
devant un conseil de guerre, <( seul juge compétent,
disaient-ils, pour juger des laits dénaturés par d'indé-
centes et fausses relations ». C^ conflit entre le ministre
et les officiers se termina par la cassation des officiers et
l'internement au château de Saumur de l'un d'eux,
M. Villars de La Brosse, iaut-eur de la lettre au
ministre ^^.
Cependant, Berryer promit le grade de capitaine de
vaisseau aux officiers qui se chargeraient de faire sortir
les navires. Deux lieutenants de la marine royale accep-
29. Enfermé en vertu d'un ordre du roi du 14 février 1760, Villars de La
Brosse fut remis en liberté par un ordre du 1" décembre 1761.
GUERRE DE SEPT ANS. — CAMPAGNE DE 1759. 371
tèrent, le chevalier de Ternay et le comte d'Hector ^o^
ainsi que deux officiers de la compagnie des Indes,
Marion Du Fresne 3i et Duboux-Desages, ce qui devait
amener encore une nouvelle protestation des officiers
rouges. Le chevalier d'Arsac de Ternay, alors lieutenant
de vaisseau, montra dans cette lâche ingrate les qualités
de décision et d'énergie qui devaient marquer, en 1762,
son expédition à Terre-Neuve et, en 1780, son expédition
des Etats-Unis ; car c'est à lui que devait revenir l'hon-
neur de conduire en Amérique les troupes de Rocham-
beau. Pour tromper les Anglais, il avait fait remonter les
navires le plus haut possible dans la Vilaine et il les
avait désarmés, dans l'intention de les réarmer deux par
deux et de tenter plusieurs sorties partielles. Le vent
le contraria longtemps ; il écrivait, le 15 février 1760 :
(( La ressource des marins est de jurer contre les vents
lorsqu'ils s'opposent à leurs projets ; c'est précisément le
cas où je me trouve actuellement. » A un moment, pour
terroriser les vaisseaux de Boscawen qui étaient toujours
au mouillage, il eut l'idée de lancer sur eux le feu gré-
geois, dont un inventeur prétendait avoir retrouvé le
secret. « Je traite l'Anglais comme un chien enragé, qui
est à ma porte, prêt à me déchirer à ma sortie, et je ne
connais rien de sacré contre un pareil ennemi... Ce
serait une vraie joie pour moi de repaître mes yeux de
l'embrasement de quelque navire s'^... »
Enfin, le 6 et le 7 janvier 1761, favorisés par une forte
brume, qui leur permit de passer à deux portées de fusil
30. Charles-Jean, comte d'Hector. Fils d'un enseigne. Né à Fontenay-le-
Comte, 22 juillet 1722. G.. 1" janvier 1741 ; L., 11 février 1756 ; C, 15 jan-
vier 1762; CE., 4 mai 1779; commandant de la marine fi Brest, 25 dé-
cembre 1779; LG., 14 août 1782; -{- 18 août 1808, Angleterre. A. M., C lc9.
31 Nicolas-Thomas Marion Du Fresne, né à Saint-Malo le 22 décembre 1729,
disparu en juin 1772 dans l'île Matonaro (Océanie). Etat sommaire des
Archives de la Marine, p. 225.
32. Lettres du 11 et du 20 avril 1760. Dossier Ternay.
372 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
des Anglais sans être aperçus, Ternay et d'Hector purent
prendre la mer avec le Dragon et le Brillant ; deux fré-
gates encore les suivaient. Trois bâtiments de ce petit
convoi arrivèrent à Brest, le 10 janvier, avec une avance
de vingt-quatre heures sur les Anglais. Le quatrième, la
frégate la Vestale 33^ que commandait alors l'enseigne de
vaisseau Boisberthelot 3^, avait été pris par ï Unicom, le
9 janvier.
Ternay et d'Hector retournèrent à la Vilaine et renou-
velèrent leur exploit. Le 28 novembre, ils faisaient sortir,
au milieu d'un violent orage, le Robuste et Y Ë veillé. Ce
fut toute une odyssée que la traversée de ces deux bâti-
ments, courant jusqu'à la Corogne, assaillis ensuite par
un terrible coup de vent, tombant au milieu des Anglais,
parvenant enfin à atterrir à Brest le 16 janvier 1762. Un
peu plus tard, en avril 1762, nos derniers navires purent
sortir de la Vilaine ; le Glorieux, commandé par d'Hector,
désarmait à Brest le 7 mai. Le blocus de la Vilaine avait
duré deux ans et demi. Ternay et d'Hector furent promus
capitaines de vaisseau ; Ternay reçut en outre une pen-
«ôon de trois mille livres.
On se rappelle que le projet d'invasion des îles Britan-
niques, arrêté au milieu de l'année 1759, comprenait,
outre les deux grandes armées de d'Aiguillon et de
Chevert, formées dans le Morbihan et dans les Flandres,
33. Du Couëdi:. le futur héros de la Surveillante, était garde-marine sur
la Vestale ; pris dans ce combat, il fut prisonnier en Angleterre jusqu'au
14 juillet 1761. — Louis-Charles Du Couëdic de Kergoaler. Petit-fils du
capitaine de la noblesse du département de Quimper. Né le 17 juillet 1740,
au château de Kerguelenen, diocèse de Quimper ; G., 24 août 1756 ; L.,
4 avril 1777 ; C, 11 octobre 1779 ; 4- 7 janvier 1780, à Brest, des suite*^ des
blessures qu'il reçut dans le combat de la Suneillante contre le Québec
(7 octobre 1779). A. M., C ' 173. C\
34. Chevalier de Boisberthelot. Neveu de Boisberthelot de Beaucourt,
gouverneur de Montréal. G., 12 décembre 1755; E., 15 janvier 1762; L.,
24 mars 1772 ; C, 1" février 1777 ; R., 21 novembre 1777. A. M., C ' 172.
GUERRE DE SEPT ANS. — CAMPAGNE DE 1759. 373
un détachement d'environ huit cents hommes qui devait
prendre la mer à Dunkerque sur la petite escadre du cor-
saire Thurot. Ce vaillant marin, qui faillit renouveler les
exploits des Jean Bart et des Du Guay-Trouin, qui valut
encore quelques heures de gloire à notre marine agoni-
sante, mériterait d'être plus connu.
Des légendes ont couru de bonne heure sur sa famille,
qui passait pour irlandaise ; ce qui est certain, c'est que
lui-même, François Thurot, était né loin de la mer, à
Nuits, en Bourgogne ^5. Il avait commencé la course de
bonne heure. Les corsaires n'avaient, en effet, cessé
d'armer à Dunkerque ^e, où des travaux importants,
exécutés depuis 1753, avaient fait renaître la vie mari-
time ; le traité de Paris devait, une fois encore, vouer
Dunkerque à la mort. Thurot s'était fait connaître par
des actes d'une hardiesse singulière 37. Prisonnier des
Anglais, il s'était évadé tout seul dans un canot, et il
avait ainsi regagné Calais. Au début de la guerre, il avait
armé deux frégates, le Maréchal de BeAle-Isle et le Chau-
velin, de trente canons et de quatre cents hommes, et deux
corvettes, avec lesquelles il était parti de Saint-Malo le
16 juillet 1757- Sa croisière avait duré dix-neuf mois sans
interruption, marqués par je ne sais combien de prises
et d'engagements sur les côtes de Norvège, d'Ecosse,
d'Irlande, des Pays-Bas. Quand il fut rentré désarmer à
Dunkerque (février 1759), le maréchal de Belle-Isle, qui
35. « Le 21 juiUet 1727, d'après Tacte do baptême dont un extrait est à
son dossier. » [D. Neuville,] Etat sommaire des Archives de la Marine,
p. 687. Le dossier de Thurot manque actuellement aux Archives de la
Marine.
36 L'ouvrage suivant, porté sur le catalogue de la Bibliothèque natio-
nale : BRiANSiAux DE MiLLEViLLE, Armements en course à Dunkerque
durant la guerre de 1756 jusqu'en nsî (Paris, 1765, in-fol.), n'a pas pu
être retrouvé à la Bibliothèque nationale.
37. Dans une lettre écrite de Dieppe, le 21 juillet 1756, Thurot raconte en
détail les courses qu'il vient de faire sur les côtes d'Angleterre. A. M.,
B* 72, fol. 48-50.
374 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
le connaissait d'ailleurs de longue date, avait pensé aus-
sitôt à le faire entrer dans son grand projet. Il le char-
geait d'une expédition au nord de l'Irlande, pour former
dans ce pays un parti de mécontents et préparer une
descente, soit en Irlande, soit en Ecosse. Ses ordres
étaient signés le 17 juin 1759.
Trompant la surveillance du commodore Boys qui
bloquait nos côtes de Picardie et de Flandre, Thurot
s'était échappé de Dunkerque, — avec cinq frégates, de
quarante-quatre à dix-huit canons, et une découverte
de huit canons, — le 15 octobre, c'est-à-dire quand
on attendait chaque jour la sortie de Brest de l'escadre
de M. de Conilans. Le désastre de Ouiberon, survenu
quelques semaines plus tard, devait rendre stérile tout
ce que Thurot pourrait faire.
Sa croisière fut très pénible ; les mauvais temps le
rejetèrent à Gœteborg, puis à Bergen. Le V janvier 1760,
il mouiUait aux îles Fàr-OEer, au nord de l'Ecosse ; il y
passait environ quatre semaines. En février, il apparais-
sait sur les côtes nord de l'Irlande, devant la baie de
Londonderry. La mésintelligence qui existait entre lui
et M. de Flobert, brigadier d'infanterie commandant le
petit corps expéditionnaire, mésintelhgence qui alla
jusqu'aux menaces et aux injures ^s, empêcha de rien
tenter. Thurot fit une pointe vers l'embouchure de îa
Clyde ; puis, tout à coup, revenant sur l'Irlande, il
débarqua, le 21 février, sur la côte nord du golfe de Bel-
38 Un curieux écho de cette mésintelligence se trouve dans une lettre
adressée à « Ma chère cousine », dont l'auteur ne peut être qu'un membre
du petit corps d'expédition. « ... Un fol, enorgueilli de la faveur et de la
confiance du mir.istre, qu'il avait abusé par ses projets chimériques : voilà
le sieur Thui^ot, l'homme de confiance de la cour, homme sans aucun
talent ni principes, audacieux, insolent... Il est très heureux d'avoir trouvé
une mort glorieuse dans les combats, qu'il ne devait trouver qu'à la
potence. Cela ne pouvait lui manquer, si en France on rend justice. »
A. M., B' 94, fol. U7.
5
GUERRE DE SEPT ANS. — CAMPAGNE DE 1759. 37
fast et à quatre lieues à peine de là, à Carricklergus. Cette
ville fut prise ; mais on y perdit deux ou trois jours à faire
bonne chère et on n'avait pas les moyens d'enlever une
grande place comme Belfast. Il fallut donc reprendre la
mer, après avoir renouvelé la provision de vivres.
Quelques jours plus tard, le 28 février 17G0, par le tra-
vers de l'île de Man, Thurot, qui n'avait plus que trois
bâtiments, fatigués par cette dure campagne, rencontra
trois frégates anglaises, en parfait état, sous les ordres
du Commodore Elliot. Deux de ses navires prirent la
fuite ; resté seul avec le Maréchal de Belle-Isle, Thurot
courut bravement à cette lutte inégale ; son souhait était
d'être tué sur le champ de bataille, il fut exaucé. Il avait
à peine trente-deux ans et demi ^s. Rien n'échappa à ce
combat fatal ; les navires qui s'étaient enfuis furent pris
aussi par les Anglais.
Telle fut la triste fm des projets de descente. On ne doit
pas donner à l'heureux coup de main de l'audacieux cor-
saire une importance exagérée ; il ne faut pas non plus
le rabaisser outre mesure. On est en droit de dire que la
descente de Thurot à Carrickfergus aurait pu provoquer
une révolution en Irlande sans le désastre qui avait
anéanti, trois mois auparavant, Fescadre de M. de Confians.
Après tant de malheurs, la France, dont les escadres
étaient détruites, les ports bloqués, les colonies perdues,
n'avait plus qu'à attendre dans le deuil le jour où le vain-
queur lui dicterait la paix. Mais il semble que ce soit le
propre de notre marine, si souvent malheureuse et si vail-
lante, si souvent blessée à mort et toujours renaissant à
39. On peut corsulter sur Thurot les relations imprimées de Tassin (1760),
du marquis de Bragelongne, major du corps d'expédition (1778), et sa
Vie [par Maret]. 1791. Pour sa dernière croisière : A. M., B^ 361, B* 90
et 94 Cf. Norman, The Corsairs of France, 1887 ; ch. v ; Ducéré, Les Cor-
saires sous l'ancien régime, p. 256 et suiv.
376 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
la vie, de travailler et d'espérer toujours : spes contra
spem.
Le duc de Grillon, qui a pu avoir une part personnelle
dans les projets de 1759, rapporte qu'après l'affaire de
M. de Conflans il proposa la construction de chaloupes
canonnières d'un faible tirant d'eau et d'un prix modique,
— vingt-quatre mille francs pièce, — pour faire des
pointes sur les côtes anglaises. Selon lui, le projet fut
goûté du roi et du duc de Choiseul ; mais l'influence de
y^me çjg Pompadour, dont il n'avait pas sollicité l'inter-
vention, le fit rejeter au conseil. « M. de Grillon, dit-il lui-
même, fut alors encore plus autorisé à croire qu'il était,
dans ce temps, plus nuisible en France d'être maladroit
courtisan que mauvais citoyen ^^. » Il passa peu après au
service de l'Espagne ; il devait y renouveler un jour^
l'exploit de Richelieu et y mériter le beau titre de duc de
Mahon.
L'emploi de bateaux plats, qui, pour le chevalier de
Mirabeau, étaient de « plats bateaux », était recommandé
aussi dans des mémoires intéressants, rédigés par le chef
d'escadre d'Aubigny et le capitaine de vaisseau La
Touche de Tréville au moment même où M. de Gonflans
allait sortir de Brest. Ils avaient été chargés, en
octobre 1759, d'une enquête technique sur l'état de nos
ports, du Havre à Dunkerque^^. Ce passage d'une de
leurs lettres (27 novembre 1759) montre tout ce qu'on
pouvait encore demander à la France, si on savait diriger
ses élans généreux : « Nous venons de voir... dans la
tournée qui nous a été ordonnée... les cœurs et les esprits
tournés vers l'Angleterre. Gitoyens et soldats ont une
40 Mémoires militaires, p. 214-218.
41. A. M., B* 74, foL 41 et sulv. Un autre exemplaire : A. G., Angleterre,
1. — La Touche de Tréville avait déjà présenté (6 juin 1759) un projet,
d'ailleurs très sommaire, pour un débarquement aux environs de Douvres.
A. M.. B* 82, fol. 33.
GUERRE DE SEPT ANS. — CAMPAGNE DE 1759. 377
ardeur égale ; chaque sujet veut contribuer par la faculté
qui lui est propre ; en un mot, c'est un feu que la ven-
geance attise et qu'il est important pour le salut de l'Etat
de ne pas laisser éteindre. » Ils avaient dressé un devis
d'armement très détaillé ; ils parlaient de quarante vais-
seaux, de vingt-quatre prames à cent cinquante marins,
de deux cent cinquante-deux bateaux plats à douze
marins, etc.
Peu après, à la date du 8 février 1760, un réfugié
jacobite, capitaine au régiment d'Ogilvy, nommé Goold,
faisait connaître les résultats d'une enquête personnelle
dont il avait été chargé par Chevert en vue d'examiner
les points les plus favorables à une descente ^2. II conseil-
lait beaucoup de porter l'attaque principale sur la rive
gauche de la Tamise, ce qui avait l'avantage de frapper
l'Angleterre en un point où elle ne se croyait point vulné-
rable. Il indiquait Maldon, mais surtout Walton, un peu
au sud de Harwich, sur la côte plate du Suffolk, comme
des endroits très propices. « L'auteur de ce mémoire a
été lui-même à Walton, et un capitaine de navire lui a
dit qu'il était le lieu le plus commode de toute la côte
d'Angleterre, qu'il était surpris que l'on n'eût pas encore
tenté une descente dans cet endroit, et que, s'il était Fran-
çais, il y aurait déjà débarqué. Cette observation mérite
un grand secret, d'autant que les Anglais paraissent
n'avoir aucune inquiétude pour cette partie. »
Parmi les nombreux projets soumis à cette époque au
ministre *3, il en est un dont on regrettera de ne pas
42. A. N., AF rv 1597.
43. Beaucoup de ces projeta se trouvent au volume B * 100. Le chevalier
de Trévllle, de Carpentras, demande cent millions ï)our embarquer cinq
corps de dix mille hommes à Toulon, à Bordeaux, à Rochefort, à Brest,
au Havre. — Kerguelen Trémarec, enseigne de vaisseau, le futur décou-
vreur des terres australes, propose le plan d'une guerre de course avec
trente petites frégates de dix-huit canons. [Keirguelen de Trémarec. De
378 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
connaître l'auteur, car il présente un intérêt tout spécial,
soit au point de vue stratégique, soit au point de vue
historique. Il est intitulé : Mémoire sur la conduite quon
peut tenir par rapport à Vexpédition d' Angleterre depuis
la délaite de M. le maréchal de Conllans^^. Il port^ la
date de 1760.
Malgré le malheureux combat de la baie de Quiberon,
il ne faut pas abandonner le projet primitif, qui est seul
capable de procurer la paix ; il faut en modifier les détails
d'exécution. On doit songer avant tout à tromper les
Anglais et à leur faire disperser leurs forces navales.
L'auteur devinant le Pacte de famille qui ne fut signé
qu'en août 1761, envoie l'escadre de Cadix à Brest et à
Rochefort. Il fait équiper des vaisseaux à Rochefort et
à Toulon ; il fait descendre près de la mer ceux de la
Vilaine. Les Anglais seront ainsi obligés de tenir la mer
un peu partout, au milieu de l'hiver, avec une trentaine
de vaisseaux de ligne et de frégates. Cela n'est d'ailleurs
qu'un moyen de gagner du temps jusqu'à la campagne
prochaine, qui doit être la dernière.
En vue de cette campagne, le mémoire passe la revue
de toutes nos forces navales. Il compte quarante-huit
vaisseaux, soit vingt-six qui étaient armés et vingt-deux
qui pouvaient l'être d'ici à l'été. Peut-être y a-t-il de
l'optimisme dans ces calculs ; mais ce qui paraîtra tout
à fait remarquable, c'est la manière dont ces forces
devaient être utilisées.
Qnimper. G., 6 juillet J750; L., î" mai 1763; C, 25 juillet 1772.] — Une
dame Piérard, qui se crualifle « amie de madame Du Haussay », c'est-à-
dire de la femme de chambre de la marquise de Pompadour, propose au
ministre (à cette date, 4 novembre 1761, c'était Choiseul) de faire acheter
par les Hollandais cinquante vaisseaux dans les ports d'Angleterre, qu'on
armerait ensuite contre les Anglais. « Sil mestois permis de maboucher
avec votre grandeur je lui prouveroit que cest non seuUement le plus -u-dis
projet mais le plus beaux et le plus digne d'elle... » Elle fait suivre sa
lettre d'un devis explicatif.
44. Deux exemplaires : B * 86, fol. 324-332 ; B * 94, fol. 54-64.
GUERRE DE SEPT ANS. — CAMPAGNE DE 1759. 379
Une escadre, partie de Toulon, ira faire la conquête de
Gorée, puis mouillera au Ferrol en juillet. Deux escadres,
parties de l'île d'Aix et de Brest, se rejoindront à la
Martinique pour reprendre la Guadeloupe et faire une
démonstration sur la Jamaïque ; elles seront de retour
au Ferrol en juillet. Les trois escadres réunies s'augmen-
teront encore des vaisseaux restés à Brest, et toutes
ensemble pourront assurer, au mois d'août, le succès de
la descente du duc d'Aiguillon.
Ne croirait-on pas lire, quarante ans environ à l'avance,
le plan de Napoléon tracé dans ses grandes lignes? Le
projet du camp de Boulogne offre avec celui-ci une
analogie saisissante ; on sait, d'autre part, que Napoléon
fît consulter un très grand nombre de documents anté-
rieurs. Aussi est-on en droit de supposer qu'il avait été
frappé de ce moyen de disperser sur l'Océan les escadres
britanniques et de concentrer les escadres de France et
d'Espagne ; il songea à s'en servir, quand il s'agit de faire
traverser la Manche à César et à sa fortune.
A la fm de son mémoire, notre auteur déconseillait,
non sans raison, de faire débarquer en Ecosse le corps
du duc d'Aiguillon ; son objectif devait être la baie de
Torbay, et de là Plymouth. Nous ne le suivrons pas dans
les considérations stratégiques qu'il développe à ce sujet ;
selon lui, l'opération principale, que le prince de Soubise
devait encore à cette date tenter sur la côte de Kent, en
sera rendue plus facile. Notre intention a été surtout de
signaler dans l'auteur de ces pages inédites un précur-
seur inconnu de Napoléon.
En 1762 on pensait toujours à une descente aux embou-
chures de la Tamise. Un mémoire proposait de se servir
de l'escadre espagnole du Ferrol, pour lui faire con-
tourner par le nord les îles Britanniques ; elle devait venir
380 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
prendre à Dunkerque quarante mille hommes pour les
débarquer ensuite dans le voisinage de Londres *^.
De son côté, le ministère paraissait travailler à un nou-
veau projet contre Jersey et à une nouvelle descente en
Irlande. Le projet sur l'Irlande, de 1762, amena même
uno correspondance assez active contre Choiseul et
d'Aiguillon ; il était question d'y employer seize mille
hommes ^^. Mais on peut s€ demander si le ministre et
le gouverneur de la Bretagne ne songeaient pas mutuel-
lement à se faire illusion. Tous deux savaient que la
France était épuisée et que la paix lui réservait les pires
conditions.
45. A. N., AF IV 1597, et A. G,, Angleterre, 1. Projet daté du 7 juin 1762
et signé : d'Heguerty. Un autre projet, signé du même nom, avait examiné,
à la date du 3 février 1759, l'hypothèse d'un débarquement en Angleterre,
à défaut d'un débarquement en Irlande. A. M., B* 82, fol. 46 et suiv.
46 A. M., B* 100, fol. 154 et suiv. ; fol. 312-321. — Choiseul se faisait
adresser à la même époque (16 juin 1762), par le marquis de Vallière, direc-
teur général de l'artillerie, un rapport sur les conditions d'un siège de
Gibraltar par terre. A. G., Angleterre, 1 quater.
CHAPITRE XXI
GUERRE MARITIME DE SEPT ANS AU CANADA
ET AUX ANTILLES
Campagnes au Canada de Beaussier et de Du Bois de La Motte. —
Perte de Louisbourg. — Le corsaire Vauquelain. — Expédition de
Ternay à Terre-Neuve. — Croisières aux Antilles. — VAtalante et
le Warwick. — Perte de la Guadeloupe et de la Martinique. — Projets
contre le Brésil.
On a insisté sur le récit des campagnes maritimes de
l'Océan et de la Manche et sur l'exposé des projets qui
s'y rapportent ; car ces mers étaient le théâtre par excel-
lence de la guerre maritime. Comme le disaient d'Au-
bigny et La Touche de Tréville en 1759, si l'entreprise
contre l'Angleterre venait à manquer, tout était manqué ;
si elle venait à réussir, tout était sauvé et réparé ; c'était
à Londres seulement qu'on pouvait reconquérir nos colo-
nies. L'histoire maritime de la guerre de Sept ans en
Amérique et en Asie peut se raconter plus brièvement.
Ce n'est pas que les campagnes de Montcalm et de Lally
ne méritent d'être exposées en détail ; mais la marine
proprement dite n'y joua qu'un rôle bien secondaire. Son
effacement fut la vraie cause des malheurs de ces hommes
héroïques et de la perte de notre empire colonial.
Machault, qui avait préparé avec tant d'habileté l'expé-
dition de Minorque, avait songé aussi, dès le début de la
382 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
guerre, à ravitailler nos colonies d'Amérique. A la même
époque où La Galissonnière et Richelieu s'embarquaient
à Toulon, à destination du Port-Mahon, le chef d'escadre
Périer l'aîné et le capitaine de vaisseau d'Aubigny
prenaient la mer, à l'île d'Aix, pour aller faire une croi-
sière à la Martinique et à Saint-Domingue. De son côté,
Beaussier de L'Isle, capitaine de port à Brest, quittait
cette ville avec trois vaisseaux armés en flûte et trois
frégates, sur lesquels avaient pris place le nouveau gou-
verneur du Canada, le marquis de Montcalm, et un corps
expéditionnaire de quinze cents hommes. La traversée
de cette petite escadre et le débarquement (avril-mai 1756)
se firent sans incident notable ; mais le retour faillit être
marqué par un malheur.
Beaussier venait de quitter l'île de Louisbourg, lorsque
son navire le Héros, percé pour soixante-quatorze pièces,
mais n'en portant que quarante-six, fut assailli par deux
vaisseaux anglais, le Gralton et le Nottingham (26 juil-
let 1756). Il se défendit d'une manière admirable ; au
bout de six heures de combat, les assaillants finirent par
le laisser et par prendre chasse. « Ce combat fit un hon-
neur infini à M. Beaussier, » dit Guichen, qui y avait pris
part, comme capitaine de vaisseau embarqué en second
sur le Héros.
Au cours de cette affaire très disputée, deux ofiiciers
français, M. de Montalais, qui commandait ÏUlusire^
Froger de La Rigaudière, qui commandait la Licorne,
avaient joué un rôle au moins singulier. Invoquant le
calme ou je ne sais quelle cause, ils avaient assisté au
combat à une faible dislance, sans rien tenter pour venir
au secours de leur chef. Faut-il croire, comme on les en
accusa, que leur morgue d'officiers rouges se soit fait
une joie cruelle de laisser un officier de port, un roturier,
aux prises avec un ennemi plus fort que lui ? De retour
GUERRE DE SEPT ANS. — LE CANADA. 383
en France, ils furent déférés à un conseil d'enquête, que
présidait le comte Du Guay, commandant la marine à
Brest ; l'affaire n'eut pas de suite, grâce à des témoi-
gnages de complaisance. Cependant la conduite de
Frcger de La Rigaudière parut justifier l'accusation ; le
malheureux capitaine de la Licorne fut trouvé pendu dans
le grenier de sa maison.
Après avoir conduit heureusement Montcalm au
Canada, il s'agissait de rester en communication avec lui
et, avant tout, de veiller à la défense de l'île Royale ;
Louisbourg était la clef même du Saint-Laurent et de
Québec. Machault y avait pourvu. Avant sa malencon-
treuse disgrâce, il avait préparé trois expéditions, qui
partirent, en effet, pour Louisbourg ^ Le chevalier de
Bauff remont, chef d'escadre, sorti de Brest le 30 jan-
vier 1757, avait d'abord cinglé vers Saint-Domingue ;
sur sa route, il avait capturé le Greenwich. de cinquante
canons ; après avoir terminé sa mission aux Antilles, il
était arrivé à Louisbourg le 23 mai. Trois semaines plus
tard, le 15 juin, il y était rejoint par le capitaine Du
Revest, qui était sorti de Toulon, le 18 mars, avec
ïHector et trois autres vaisseaux et avait heureusement
franchi le détroit de Gibraltar, malgré l'escadre anglaise
de Saunders. Enfin, le 19 juin, arrivait le lieutenant
général Du Bois de La Motte, sorti de Brest le 3 mai,
avec neuf vaisseaux et deux frégates ; Guichen, qui com-
mandait le Formidable, avait eu, au cours de la traversée,
la principale direction de cette escadre.
On ne pouvait pas souhaiter une concentration plus
rapide et plus heureuse. Du Bois de La Motte, qui allait
commander toutes ces forces réunies, se trouvait à la
4 Voir l'Appendice XI.
384 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
tête de dix-huit vaisseaux et de cinq frégates. Son indé-
cision, plutôt que ses soixante-quatorze ans, ne lui per-
mettait pas d'en tirer parti. Il fit ravitailler Québec par
deux Vaisseaux, qui rentrèrent ensuite directement en
France, puis il fit travailler aux fortifications de Louis-
bourg.
Cependant un grand armement de quinze vaisseaux et
de trois mille cinq cents hommes se préparait à Halifax
contre l'île Royale ; les amiraux Holburn et Hardy, qui
le commandaient, apparurent devant Louisbourg le
19 août (1757). Devant le grand déploiement de nos
forces, ils ne tentèrent rien et se bornèrent à une croi-
sière. De son côté, Du Bois de La Motte gardait la défen-
sive, trop prudemment peut-être. Le 24 septembre, un
terrible coup de vent assaillit l'escadre anglaise, qui était
au large, et lui fit beaucoup de mal ; un vaisseau fut
complètement perdu, une dizaine furent désemparés. Le
5 octobre, Holburn était de retour à Halifax, d'où il
s'empressait de regagner l'Europe.
Du Bois de La Motte n'avait pas profité du m.alheur
des Anglais ; la tempête et les maladies de ses équipages
l'avaient retenu à Louisbourg. Jugeant qu'il avait rempli
l'objet essentiel de sa mission en ravitaillant le Canada et
l'île Royale, il ne songea qu'à regagner la France au plus
tôt. Il remit à la mer le 30 octobre. Divers incidents
fâcheux, des coups de vent, la prise de deux frégates par
les Anglais, marquèrent son retour ; mais le pis de tout,
ce fut la déplorable situation sanitaire de ses équipages.
Rentré à Brest le 23 novembre (1757), il y débarqua quatre
mille malades, qui portèrent l'infection dans toute la
ville ; il en mourait cinquante à quatre-vingts par jour.
Les précautions d'hygiène les plus élémentaires étaient
alors complètement méconnues dans la marine ; les entre-
ponts, qu'on n'aérait, pour «^'nsi dire, jamais au cours
GUERRE DE SEPT ANS. — LE CANADA. 385
de ces longues traversées, servaient à loger pêie-mêk
les équipages et les bestiaux. Les hommes périssaient par
des épidémies continuelles de typhus et de scorbut, bien
plus meurtrières que le feu de l'ennemi. Celle-ci est restée
tr,istement célèbre ; après avoir détruit tous les équi-
pages de Du Bois de La Motte, elle coûta plus do dix
mille âmes à la ville de Brest.
Pour le vieil ofïîcier général, qui avait été jadis le irère
d'armes de Du Guay-Trouin, ce lut sa dernière cam-
pagne. Sans parler du fléau qui y mit fm, elle était loin
d'avoir donné tout ce qu'on pouvait en attendre au début.
A tout prix, il fallait ravitailler Louisbourg, qui était
l'objectif principal des Anglais. Dans les premiers mois
de 1758, trois petites divisions navales partirent de l'îb
d'Aix et de Brest, avec le capitaine marquis Des Gouttes,
Beaussier de L'Isle, le capitaine Du Chaffault de Besné -.
Que pouvaient ces forces insuffisantes, composées de
quelques bâtiments, contre les forces formidables des
Anglais, vingt vaisseaux de ligne, dix-huit frégates, cent
navires de transport, douze mille hommes ? C'est avec ces
effectifs que Boscawen arrivait devant Louisbourg le
2 juin 1758. Des Gouttes et Beaussier avaient coulé quatre
bâtiments à l'entrée du port, ils en avaient embossé cinq
en arrière du barrage, tandis que le capitaine de vais-
seau chevalier de Drucourt, gouverneur de l'île Royale ^,
prenait, avec sa petite garnison de trois mille hommes,
les meilleures dispositions de défense. Arrivé trop tard
pour pénétrer dans le port. Du Chaffault avait du moins
débarqué ses troupes sur un autre point de la côte, puis
il avait gagné Québec avec tous ses vaisseaux.
L'énergie des défenseurs de l'île Royale ne pouvait
2 Voir l'Appendice XII.
3. Drucourt. G., 11 avril 1719 ; L., 1" mai 1741 ; C, 17 mai 1751 ; gouver-
neur de l'île Royale, l'' février 1754 ; -j- 2S août 1762. A. M., C ' 166.
25
386 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
rien contre la supériorité matérielle de l'ennemi ; la
chute de Louisbourg était certaine, si on n'envoyait pas
en Amérique une puissante escadre. Or, à la même date,
nos ports de l'Océan étaient bloqués, les Anglais descen-
daient sur nos côtes ; l'escadre de M. de Conflans,
enfermée dans la rade de Brest, était réservée pour le
grand projet sur l'Angleterre. Tout ce que l'on put faire,
ce fut d'envoyer à Louisbourg le Formidable, de quatre-
vingts canons, avec le chevalier de Blénac-Courbon, chef
d'escadre, Guichen, capitaine de vaisseau, et un officier
d'artillerie très estimé, M. de Villepatour. Mais Blénac
ne songea même pas à forcer la ligne du blocus et rentra
presque aussitôt en France.
Un corsaire de Dieppe, Vauquelain, avait eu plus
d'audace ou plus de bonheur^ ; avec sa frégate VAré-
thuse, de trente canons, il était parvenu à franchir les
lignes de Boscawen et il avait pris à la défense une part
vigoureuse. Drucourt l'avait chargé de faire connaître
en France son triste sort ; VAréthuse avait forcé une
seconde fois la croisière anglaise, et avait gagné
Bayonne. Il était trop tard : dix jours seulement après
son départ, le 27 juillet 1758, Drucourt livrait à l'amiral
Boscawen et au major général Amherst ses remparts en
ruines. Au cours du siège, les cinq vaisseaux de la divi-
sion de Beaussier avaient été incendiés ou pris.
L'escadre de Du Chaffault était repartie de Québec le
18 septembre. Arrivée dans les eaux d'Ouessant, elle
livra combat, le 27 octobre, à neuf vaisseaux anglais de
l'escadre de Boscawen. Malgré son infériorité numé-
rique, elle les tint en respect ; mais elle fut obligée de se
séparer. Le Dragon, de Du Chaffault, mouilla, le 31, sur
la rade des Basques, près de l'île d'Aix ; le Sphinx et le
4. Gravier, Notice sur Jean Vauquelain... Paris, 1885.
GUERRE DE SEPT ANS. — LE CANADA. 387
Hardi entrèrent à Brest ; le Belliqueux s'égara jusque
dans le canal de Bristol. Le commandant de ce vaisseau,
M. de Martel, qui n'avait plus de vivres, eut la naïveté
de se présenter à Bristol, en parlementaire, pour s'y
ravitailler ; il se fit prendre avec tout son équipage, sans
avoir tiré un coup de fusil (8 novembre) ^. Le ministre
Berryer fît rayer des listes de la marine le capitaine du
Belliqueux.
Pour la seconde fois en treize ans, les Anglais venaient
de trouver à Louisbourg les clefs de Québec ; ils étaient
résolus à s'en servir tout de suite. Dès la campagne sui-
vante, la flotte de Tamiral Saunders, forte de vingt-deux
vaisseaux et de trente frégates, portant les dix mille sol-
dats de l'armée de Wolfe, mouillait devant la capitale du
Canada.
Tout entier à son projet d'expédition contre la Grande-
Bretagne, qui était loin d'être une conception déraison-
nable, si elle avait pu être exécutée, le ministère ne fit
rien pour les vaillantes troupes de Montcalm, enfermées
dans Québec ; on connaît la i^ponse de Berryer à la
demande de secours que lui apportait Bougainville. En i
1758, lors du siège de Louisbourg, tîuelques secours insi- j
gnifiants avaient été conduits de France à Québec, par
Beaussier de Châteauvert et par Du Chaffault. En 1759,
il n'arriva pas au Saint-Laurent un seul bâtiment de la
marine royale. Seuls, quelques corsaires, comme le capi-
taine Canon, de Dieppe, et Vauquelain, qui commandait
alors VAtalanfe, avaient introduit de faibles secours à
Québec. Montcalm n'avait plus qu'à se faire tuer ; la
bataille du 13 septembre 1759 coûta la vie à ce chef
5. Un officier du BelUqueux, le chevalier Bellot La Houssaye, originaire
<lû BLaye, gardf-marine du is féviner 1744, lieutenant de vaisseau du
17 avril 1757, mourut à Bristol le 29 janvier 1759. A. M., G ' 170.
388 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
héroïque. Arrivé trois ans plus tôt au Canada plein
d'espoir, il y avait débuté par de grands succès, mais il
avait été bientôt réduit à l'impuissance par l'accroisse-
ment continu des forces anglaises et par l'abandon systé-
matique de son gouvernement.
Québec avait capitulé le jour même de la mort de Mont-
calm. Une poignée de Français, avec le comte de Vau-
dreuil, tint un an encore dans Montréal ; quand Montréal
eut capitulé à son tour (8 septembre 1760), le dernier
morceau de la Nouvelle-France était devenu la proie des
Anglais.
Le souvenir de Vauquelain et de ses deux frégates,
VAtalante et la Pomone, se rattache aux dernières heures
de l'agonie du Canada. Ayant pu sauver ses deux bâti-
ments lors de la capitulation de Québec, il était resté dans
le voisinage de cette ville, et avait causé des alarmes
continuelles à la garnison anglaise. Après maints
épisodes, il avait été obligé d'échouer VAtalante à la
Pointe-aux-Trembles (juin 1760). Canonné à bout portant
par deux frégates anglaises, il cloua son pavillon au
tronçon du mât qui lui restait, il jeta son épée dans le
Saint-Laurent pour n'avoir pas à la rendre, et il vint se
coucher au milieu de ses morts et de ses blessés, au pied
du drapeau. L'attitude héroïque de Vauquelain, c'est le
symbole de la France maritime et coloniale dans ces
jours de tristesse et de mort.
L'Amérique du Nord réservait cependant à notre
marine une heure de joie, à la veille même du traité de
Paris. Le chevalier de Ternay, qui avait si habilement
reconduit à Brest les vaisseaux de la Vilaine, avait été
chargé par Choiseul, alors ministre de la Marine, d'une
expédition à Terre-Neuve. Parti de Brest, le 8 mai 1762,
avec deux vaisseaux, une frégate, deux flûtes et cinq cent
GUERRE DE SEPT ANS. — LES ANTILLES. 389
soixante-dix hommes que commandait le colonel d'Haus-
sonville ^ il arrivait le 20 juin devant Terre-Neuve ; en
trois jours, d'Haussonville était maître de Saint-Jean. De
son côté, Ternay allait détruire les pêcheries des Anglais,
il capturait ou coulait quatre cent soixante navires de
tout tonnage, il faisait éprouver à l'ennemi un dommage
de plus d'un million de livres sterling. Cependant le
12 septembre, six vaisseaux anglais, neuf transports et
quinze cents hommes arrivaient d'Halifax dans la Nou-
velle-Ecosse. D'Haussonville se laissa enfermer dans
Saint-Jean ; il dut y capituler au bout de deux jours.
Ternay eut le temps de s'échapper. « Le Robuste et
VËveillé, écrivait-il dès le 9 juillet, ne sont pas sortis de
la Vilaine pour venir se faire capturer à Saint-Jean, ou
du moins il en coûterait cher aux Anglais. » Près des
côtes de France, il fut chassé par deux divisions
anglaises ; mais il enleva un corsaire de vingt-six canons
et se réfugia quelques jours à la Corogne. Le 20 jan-
vier 1763, il rentrait au port de Brest, avec toute sa petite
escadre et une frégate anglaise qu'il avait capturée à
Saint-Jean. Cette courte et brillante campagne fut un
éclair de succès au milieu des malheurs de la fm de la
guerre.
L'histoire navale des Antilles offre à peu près les
mêmes caractères qu'au Canada : on commence par
envoyer quelques escadres, puis on n'envoie plus que
quelques navires, qui arrivent trop tard et par groupes
trop faibles. (( Ayez pour premier principe de ne point
envoyer vos vaisseaux par paquets... Faites en sorte de
ne plus retomber dans le même cas, ou vous perdrez
tout. » Ces mots d'un mémoire anonyme, rédigé vers
6. Voir l'Appendice XIII.
300 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
1760 '^, ne s'appliquent que trop justement à notre manière
d'opérer aux Antilles.
Machault avait envoyé, au début de 1756, le chef
d'esoatlre Périer l'aîné à Saint-Domingue et le capitaine
d'Aubigny aux îles du Vent. Ces deux croisières, qui
avaient pour but de ravitailler nos îles à sucre, se firent
avec bonheur. Une action d'éclat marqua, en particu-
lier, la croisière de la division de M. d'Aubigny. Le
11 mars 1756, dans les eaux de la Martinique, une de ses
frégates, YAtalante^ de trente-six canons, capitaine Du
Chaffault de Besné, donna vigoureusement la chasse à
un vaisseau anglais, le Warwick, de soixante-quatre
pièces ®. Ce fut, comme on l'a dit, le combat du lion et
du moucheron. VAtalante, excellente marcheuse et
évoluant à merveille, se maintint derrière les hanches du
Warwick, à peu près à l'abri de son artillerie puissante
et ne lâchant elle-même ses bordées qu'à coup sûr. Au
bout de cinq heures de ce singulier duel, le gros vaisseau
du capitaine Shudham, qui ne gouvernait plus, dut
amener son pavillon. Le capitaine de la glorieuse petite
frégate reçut le commandement du Warwick pour le
conduire à Brest.
Le ministre Machault fît encore partir de Brest (fin
novembre 1756) trois vaisseaux, deux frégates et une cor-
vette sous les ordres de Kersaint de Coëtnempren, qui
montait V Intrépide. Cette petite escadre commença par
7. A. M.. B ♦ 81t.
8. Les lieutenants Baraudin et Du Chaffaut de Besné de La Forest ser-
raienr Sur l'Ataïante
Baraudin. De Touraine. « Il sait la langue anglaise et a traduit les
ordonnances de la marine de cette nation. » G.. 16 mal 1738 ; E., 1" Jan-
vier 174G ; passé à Londres pour se perfectionner dans la langue anglaise ;
L., 11 février 1756; C, 18 août 1767; B., 14 mars 177G ; RCE., 4 avril 1780;
A. M., C 168.
Du Chaffault de Besné de La Forest. Fils du capitaine du Tonnant (Appen
dlce V). « Riche, » G., 1" janvier 1741; L., Il février 1756; -j- 14 no-
vembre 1758. A. M., C ' 169.
GUERRE DE SEPT ANS. — LES ANTILLES. 391
détruire (février 1757) les comptoirs anglais de Séné-
gambie et du Bénin et par capturer dans ces parages de
nombreux négriers ; puis, elle gagna les Antilles. L'un
des officiers de Kersaint, le capitaine de Caumont,
s'arrêta à la Martinique ; Kersaint alla à Saint-
Domingue. Dans les eaux du Cap, il livra, le 20 oc-
tobre 1757, un violent combat à la division anglaise du
capitaine Forrest, qu'il contraignit à s'éloigner. Ayant
refait son escadre et réuni un grand convoi marchand,
il repartit le 12 novembre pour arriver heureusement,
un mois plus tard, sur les côtes de France ^.
Cette croisière bien conduite, qui avait duré environ
treize mois, est comme le dernier grand fait de notre
histoire navale aux Antilles. Ces îles semblent dès lors
vouées à l'abandon ; seuls, nos corsaires, qui renouve-
laient les exploits des flibustiers, continuèrent à tenir la
mer et firent le plus grand mal à la marine anglaise. Il y
en eut jusqu'à cent quatre-vingts armés à la fois. Grâce
à leur faible tirant d'eau, qui leur permettait de se retirer
dans les plus petites criques, ces petits bâtiments fon-
daient à l'miproviste sur les convois ennemis. Au cours
de cette guerre, ils firent quatorze cents prises. L'un de
ces hardis marins, le capitaine Mores, enleva tout un
convoi escorté par deux vaisseaux de guerre ; son plus
fort navire était un brigantin de douze petits canons.
Tandis que deux petites divisions navales, comprenant
en tout cinq voiles, commandées par les capitaines Kéru-
soret Le Borgne ^^ et Bidé de Maurville, montraient
encore à Saint-Domingue et à la Martinique les couleurs
9. L'un de ses vaisseaux, l'Opiniâtre, capitaine M. de Moëlien, sombra
dans le port de Brest, dans la nuit du 13 au 14 janvier 1758. Le conseil de
guerre punit d'interdiction temix)i'aire deux lieutenants de l'Otnniâtre, le
chevalier de Rcusse] Préville et le chevalier de Landemont.
10 Kérusoret Le Borgne. G., 5 janvier 1722; L., 17S8 ; C, n-iS ; CE, l76-'i ;
-J- novembre 1770. Sa veuve se remaria avec le comte d'Kcctor. A. M., C,
392 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
royales de France (août et septembre 1758), Pitt envoyait
aux Antilles dix vaisseaux de ligne et huit mille hommes.
Après s'être ravitaillés à la Jamaïque, le commodore
Moore et le général Hopson arrivèrent, le 14 janvier 1759,
devant la baie de Fort-Royal à la Martinique. Maurville
eut le temps d'embosser son vaisseau le Florissant sous
les canons de la citadelle ; l'énergie de son feu obligea
l'ennemi à renoncer au débarquement.
De là, les Anglais se portèrent à la Guadeloupe. Le
commandant français M. de Nadau n'avait que des
forces insuffisantes ; mais il semble avoir justement
mérité, par son manque d'énergie, la dégradation et
l'emprisonnement auxquels il fut condamné après la perte
de l'île. Moore, sans coup férir, débarqua à Basse-Terre
le 22 janvier (1759) ; Barrington, moins heureux, échoua
devant la Pointe-à-Pitre. Alors les Anglais établirent le
blocus général de la Guadeloupe. Ce fut seulement au
bout de trois mois que le gouverneur de la Martinique,
le marquis de Beauharnais Beaumont", se décida à
venir au secours de cette île, distante à peine de quelques
heures de mer. Dès le 8 mars, huit vaisseaux et trois
frégates étaient arrivés à Fort-Royal, venant de Brest
avec M. de Bompar, chef d'escadre ; mais ces forces
considérables perdirent six semaines à la Martinique.
Quand Beauharnais et Bompar prirent la mer le 24 avril,
la Guadeloupe était à bout de ressources ; le 23, la Basse-
Terre avait été occupée tout entière, et le P"" mai, la
Grande-Terre capitulait à son tour. L'escadre de la Mar-
tinique n'était sortie que pour assister, impuissante, à
ce double désastre. Bompar termina sa campagne stérile
11. Marquis de Beauharnais Beaumont. De Rochefort. Fils du capitaine
de vaisseau (p. 125), neveu du lieutenant général. G., 8 juillet 1729 ; L.,
1" mai llU ; C, 17 mai 1751 ; gouverneur lieutenant général des îles du
Vent (à la lïartinique), l*" novembre 1756 ; CE., 16 septembre 1764. A. M.,
C ' 166.
GUERRE DE SEPT ANS. — LES ANTILLES. 393
en ravitaillant Saint-Domingue ; il était de retour à Brest
à la fin de 1759 ^K
La Dominique, sans défense, fut occupée en 1761. Les
Anglais se tournèrent alors vers la Martinique. Le 7 jan-
vier 1762, cinquante navires de guerre avec les amiraux
Douglas et Rodney — celui-ci est le futur vainqueur des
Saintes — et cent cinquante transports conduisaient
devant Fort-Royal l'armée du général Monkton. Le com-
mandant général des îles du Vent était alors un créole, le
capitaine de vaisseau Le Vassor de La Touche. Son
caractère impérieux avait rendu ses rapports difficiles
avec les colons : cela même paralysa en partie ses moyens
de défense. Dès le 28 janvier, il s'était retiré sur Saint-
Pierre ; il abandonnait ainsi Fort-Royal, qui capitula le
4 février ; lui-même signait une suspension d'armes le
13 février et promettait de se rendre s'il n'était pas
secouru le V mars. A cette date, il livrait l'île entière aux
Anglais ^^. Huit jours seulement plus tard, le chef
d'escadre Blénac Courbon, à la tête d'une dizaine de
vaisseaux de guerre, était en vue de Fort-Royal. Dans
la crainte d'être enlevé par les Anglais, qui, outre la
Guadeloupe, la Dominique et la Martinique, avaient
encore occupé la Grenade, Sainte-Lucie, Tabago, Saint-
Vincent, il s'empressa de cingler vers Saint-Domingue.
Le 17 mars, il y débarquait cinq mille cinq cents hommes.
Grâce à ce renfort, le Cap échappait au sort de la
Havane, qui tombait, au mois de juillet, aux mains des
Anglais. Blénac rentrait en France peu après. A la fin de
la guerre, la France n'avait conservé de tout son empire
des Antilles que sa seule colonie de Saint-Domingue.
12. En mai 1760, le Diadème, du commandant Breugnon, qui quittait la
Martinique avec un convoi à destination de la France, parvint à se débar-
rasser, grâce au tir de son artillerie, d'une division anglaise de quatre
voiles.
13 Lettre sur la prise de la Martinique par les Anglais en 1762. S. 1. n. d.
394 LA MARINE AflLITAlRE SOUS LOUIS XV-
Choiseul, qui dirigeait depuis le 15 octobre 1761 le
ministère de la Marine, ne voulut pas rester sous le coup
de ces humiliations répétées. Il avait envoyé à Terre-
Neuve le chevalier de Ternay, dont l'expédition avait été
suffisamment heureuse. De même, il songea à un grand
armement dirigé contre la baie de Tous-les-Saints et le
port de Rio de Janeiro au Brésil.
Beaussier de L'Isle, capitaine de port faisant fonction
de chef d'escadre, devait commander cette expédition,
forte de neuf vaisseaux de ligne, dont le Royal Louis, de
cent seize canons, et de dix transports ; les troupes
devaient être sous les ordres du compte d'Eslaing, lieute-
nant général, qui connaissait déjà Rio de Janeiro et qui
avait reçu à l'avance les provisions de vice-roi du Brésil.
La lettre du roi, investissant Beaussier de L'Isle du com-
mandement en chef, était signée le 30 septembre 1762 ;
d'autres ordres sont du 11 et du 20 octobre. Dans une
lettre à d'Estaing, le ministre lui rappelait, à propos de
l'attaque de Rio de Janeiro, « l'exemple du fameux sieur
Du Guay-Trouin, qui a rendu autrefois des services si
importants à cette monarchie ». En 1762, comme en 1710,
la France voulait se venger sur le Portugal, allié de
l'Angleterre, des coups qu'elle avait reçus de l'Angle-
terre.
Confiée à Beaussier et à d'Estaing, l'expédition du
Brésil pouvait aboutir à une opération glorieuse pour nos
armes ; mais au moment même où on la préparait, on
parlait aussi de préliminaires de paix. « Si le duc de
Praslin, dit d'Estaing, avait pu retarder de quatre jours
la signature des préliminaires, les richesses de Rio de
Janeiro et les mines du Brésil appartenaient indubita-
blement au roi. » En novembre, Beaussier recevait l'ordre
de garder ses vaisseaux dans la rade de Brest et de
GUERRE DE SEPT ANS. — LES ANTILLES. 395
débarquer les troupes ; en décembre, de faire passer les
vaisseaux de la rade dans le port. Bientôt après ils furent
désarmés ; il ne restait plus rien du projet sur le Brésil
que les documents qui se rapportaient à sa préparation ^^.
14. A. M., B * 104 et 105. Dossier d'Estaing.
CHAPITRE XXII
GUERRE MARITIME DE SEPT ANS DANS l'hINDOUSTAN
Le comte d'Aché. — Bouvel de Lozier, Bouvet de Précourt. — Bataiiles
navales de Goudelour, de Karikal, de Porto-Novo. — Croisière du
comte d'Estaing. — Traité de Paris.
En 1754, le gouvernement de Louis XV, cédant aux
plaintes réitérées de la compagnie des Indes, rappelait
Dupleix de Pondichéry. Il désavouait officiellement ses
desseins, car il écrivait à notre ambassadeur à Londres :
« Nous envisageons ces projets comme des chimères et
des visions. » Il détruisait matériellement les résultats
que Dupleix avait obtenus, lorsqu'il faisait signer par le
nouveau gouverneur général Godeheu le traité désas-
treux de 1754, où les deux compagnies rivales abandon-
naient mutuellement leurs conquêtes. Le sacrifice ne
coûtait guère à nos ennemis, qui ne possédaient à peu
près rien en dehors de leurs comptoirs ; à nous, il nous
coûtait la majeure partie de la côte de Coromandel et de
l'intérieur du Dekhan. Depuis cette décision fatale, la
compagnie avait repris le courant des opérations com-
merciales qui lui permettaient de végéter tant bien que
mal ; elle avait renoncé à toute idée de conquête et d'orga-
nisation militaire. Moins de deux ans après, la guerre
éclatait entre la France et l'Angleterre, et les trésors de
Golconde, c'est-à-dire l'empire de l'Hindoustan, deve-
GUERRE DE SEPT ANS. — L'hINDOUSTAN. 397
naient tout de suite l'un des plus gros enjeux de cette
lutte sans merci.
« Toute ma politique, disait le comte de Lally, consiste
dans ces cinq mots, ils sont sacramentels : plus d'Anglais
dans la péninsule ! » Certes, Lally avait raison ; pas plus
que le Canada, l'Hindoustan ne pouvait se partager entre
les Anglais et les Français, il devait être aux uns ou aux
autres. Mais le sort de l'Inde, comme celui du Canada,
dépendait de la possession de la mer. C'était dans les
eaux du golfe de Bengale, et non sous les murs de Pon-
dichéry et de Calcutta, que devait se disputer la domina-
tion de l'Hindoustan. Pas d'empire colonial sans une
puissante marine de guerre : cette conclusion se dégage
encore avec une douloureuse évidence de ce dernier cha-
pitre de notre histoire maritime pendant la guerre de
Sept ans.
Au moment de la rupture avec l'Angleterre, Machaull
avait fait choix de deux officiers généraux pour com-
mander dans les Indes les vaisseaux et les troupes du roi,
le comte d'Aché et le comte de Lally.
Sans se recommander au choix du ministre par des
titres exceptionnels, le chef d'escadre d'Aché n'était pas
dénué de mérite ; cependant, il avait contre lui sa morgue
et son humeur peu accommodante. Il avait accepté cette
mission difficile dans l'espoir d'arriver plus tôt à la cor-
nette, mais il regardait comme au-dessous de soi de
commander à des marchands et de combattre pour des
marchands. Entre lui et le comte de Lally, qui avait le
commandement général de l'expédition, les attributions
de pouvoir étaient loin d'être définies avec précision ;
c'était préparer à l'avance le retour des scènes déplo-
rables qui avaient mutuellement paralysé La Bourdon-
nais et Dupleix. Avant même le départ, la mésintelhgence
398 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
éclata entre les deux officiers généraux, au point que
d'Aché envoya sa démission.
On peut dire à sa décharge qu'après lui avoir donné
à commander pour cette expédition trois vaisseaux du
r. roi, on ne lui en avait laissé qu'un seul, le Zodiaque, par
suite de ces circonstances, que rapporte d'Estaing ^.
D'Aché devait partir de Brest avec le Zodiaque, le
Superbe, le Belliqueux, et deux frégates, dont la Guir-
lande. Au moment du signal du départ, la Guirlande
n'appareilla pas. « Son commandant n'était pas à bord ;
jeune homme et amoureux, il avait passé la nuit à Brest.
Son second, simple garde de la marine, faisait semblant
de ne pouvoir lever son ancre pour attendre le comman-
dant de sa frégate. » La Guirlande, qui était restée immo-
bile, fut abordée par le Belliqueux ; le Zodiaque, de
d'Aché, accourut sur le lieu de l'accident ; dans cette
manœuvre, il démâta d'un mât et menaça de couler : bref,
le départ ne put avoir lieu. Le nouveau ministre retira
du service des Indes le Superbe et le Belliqueux. Le
Zodiaque, parti seul deux mois après, manqua les mous-
sons et arriva trop tard. « On peut donc, conclut
d'Estaing, mettre la perte des Indes dans le nombre des
grands événements arrivés par de petites causes. Cela
prouve qu'il n'existe pas de petites erreurs en disci-
pline. »
Le commandant du Zodiaque avait refusé d'escorter
avec un seul vaisseau une division composée d'une dizaine
de vaisseaux et de frégates de la compagnie, qui, pour
être armés en guerre, étaient en fait d'assez piètres instru-
ments de combat. C'était le second coup de tôte de
d'Aché dans sa carrière de marin ; en 1748, il avait déjà
refusé de commander VAlcide, sous le prétexte, tout à
1. A. M. Dossier d'Estaing.
GUERRE DE SEPT ANS. — LHINDOUSTAN. 399
fait injustifié, que ce vaisseau ne pouvait pas tenir la mer.
Celte nouvelle incartade méritait une leçon ; mais le
ministre qui avait succédé à Machault, M. de Moras,
recevait la loi de son personnel, au lieu de la lui donner.
D'Aché ayant récrit qu'il retirait sa démission, on se
borna à lui laisser son commandement. C'est sous ces
fâcheux auspices qu'il quitta le port de Lorient, le
3 mai 1757.
Une division d'avant-garde, formée de trois vaisseaux
de la compagnie et de deux bataillons du roi, était partie
dès le 6 mars, sous les ordres du chevalier de Soupire ;
arrivée à l'île de France, elle se grossit de trois vaisseaux,
qui avaient été préparés par Bouvet de Lozier, alors gou-
verneur de l'île Bourbon et capitaine de frégate. Prenant
le commandement de tout le cunvoi, Bouvet de Lozier fit
preuve encore de ces qualités de rapidité et de décision
qui avaient signalé sa campagne de 1748. Parti de Foule
Pointe, sur les côtes de Madagascar, le P"^ août (1757), il
cinglait le 22 en vue des côtes du Malabar. Sans s'effrayer
de la présence de deux escadres anglaises, l'une vers
Bombay, l'autre vers les embouchures du Gange, il
courut à Pondichéry, y débarqua soldats, argent, muni*
tions, et reprit la mer ; le 11 octobre, il mouillait à la
rade de Port-Louis, dans l'attente de l'escadre du comte
d'Aché. Ce fut le dernier commandement à la mer de cet
habile marin ; il devait quitter en 1763 le gouvernement
de l'île Bourbon, après avoir accompli dans cette île,
même pendant ces années de misère, l'œuvre de coloni-
sation la plus intelligente et la plus fructueuse.
Parti de Lorient le 3 mai (1757), d'Aché n'avait rallié
l'île de France que le 16 décembre, mettant sept mois et
demi à une traversée qui, dans les circonstances favo-
rables, n'en demandait que quatre ou six au plus pour
400 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
des navires marchant en escadre. Or la victoire, comme
bien souvent, devait être à celui qui arriverait le premier
sur le lieu du combat. Dès le mois de mars, Robert Clive
et l'amiral Watson avaient enlevé notre comptoir de
Chandernagor sur le Gange ; en août, une nouvelle
escadre était partie d'Angleterre avec le commodore
Stevens. D'Aché avait eu tout contre lui : des vents con-
traires, une épidémie de scorbut, ce fléau des anciennes
escadres, qui lui avait enlevé trois cents hommes et l'avait
fait relâcher pendant six semaines à Rio de Janeiro, sans
pouvoir d'ailleurs descendre à terre ; les habitants qui
se rappelaient l'expédition de Du Guay-Trouin avaient
refusé de laisser débarquer les équipages, mais les temps
et les hommes étaient bien changés.
D'Aché avait repris la mer à Rio le 21 septembre. Pour
éviter le Cap pendant les mauvais temps de l'équinoxe,
il avait fait de longs détours vers le sud. Arrivé à Port-
Louis le 16 décembre, il fallut donner du repos aux équi-
pages et refaire les approvisionnements. Pendant trois
mois environ il parcourut les eaux de l'île de France et
de l'île Bourbon, exerçant ses équipages, comme l'avait
fait La Bourdonnais, mais laissant passer, sans la voir,
l'escadre de Stevens, qui se réunissait à l'escadre de
Pocock dans les eaux de Madras le 24 mars 1758 ; il
n'arrivait lui-même que plus d'un mois plus tard (28 avril)
en vue de la côte du Coromandel. Ainsi il avait fallu une
année entière au chef d'escadre pour aller de Brest à
Pondichéry ; les malheurs militaires de Lally et ceux de
d'Aché ont leur cause première dans cette interminable
navigation.
Tout de suite, on paya les conséquences de tant de len-
teurs, car nous avions à présent devant nous les escadres
réunies de Pocock et de Stevens, celle-ci partie d'Europe
trois mois plus tard que d'Aché et arrivée en Asie un
GUERRE DE SEPT ANS. — l'hINDOUSTAN. 401
mois plus tôt. Le 28 avril (1758), d'Aché croisait devant
les positions anglaises de Goudelour et de Saint-David.
Lally, pour qui ces douze mois de navigation avaient été
une torture morale continue, décida de faire aussitôt le
siège de Goudelour. Il laissa d'Aché devant cette place et
se fit conduire à Pondichéry avec la Diligente et le Comte
de Provence. Avec une rapidité inconnue à son chef
d'escadre, il y prit les quelques centaines d'hommes dis-
ponibles et les conduisit par terre devant Goudelour
(29 avril). Le siège allait commencer par terre et par mer,
quand le jour même l'escadre de l'amiral Pocock appa-
raissait à la hauteur de cette place.
Le combat du 29 avril 1758 se livra dans des conditions
à peu près égales, neuf vaisseaux français avec quatre
cent dix canons, huit vaisseaux anglais avec quatre cent
soixante-deux canons ; en fait, la supériorité matérielle
était à nos ennemis. Tous leurs vaisseaux étaient des bâti-
ments de la marine royale ; chez nous, le Zodiaque seul
était un vrai vaisseau de guerre, de soixante-quatorze
canons, et tous nos bâtiments étaient encombrés de
soldats, dont la présence compliquait beaucoup les
manœuvres. Aussi l'action fut très décousue de notre
côté.
Le vaisseau amiral anglais, le Yarmouth (soixante-
quatre canons), mit le cap sur le Zodiaque. Si d'Aché
n'était qu'un médiocre chef d'escadre, à son bord il était
un bon officier : par la supériorité de son tir, il obligea
le Yarmouth à s'éloigner. Il avait été très énergiquement
soutenu à l'avant-garde par deux officiers de la compa-
gnie, Cristy-Pallière, capitaine du Vengeur, et Bouvet de
Précourt, capitaine du Bien-Aimé ; celui-ci, digne de
l'illustre famille de marins à laquelle il appartenait, avait
donné la chasse la veille à deux frégates anglaises et les
avait forcées à s'échouer à la côte, où leurs équipages les
26
402 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
avaient incendiées. Malheureusement, notice arrière-garde
montra une impardonnable mollesse ; le Duc de Bour-
gogne, commandé par d'Après de Aiannevillelte, marin
très instruit qui ne fut ce jour-là qu'un médiocre soldat ^,
se borna à canonner l'ennemi à distance. Le Comte de
Provence et la Diligente, qui revenaient de Pondichéry,
étaient signalés au loin ; leur arrivée pouvait nous donner
la victoire. Mais on avait beaucoup souffert de part et
d'autre, et les deux escadres se séparèrent, les Ao'iglais
dans la direction de Negapatam, les Français dans la
direction de Pondichéry. Un malheur marqua notre
retraite. Le Bien-Aimé, de Bouvet de Précourt, fut poussé
à la côte et s'y perdit ; Bouvet passa alors au- comman-
dement du Duc de Bourgogne. Ce fut toute la punition
de Mannevillette, à qui d'Aché reprochait de la froideur
dians le combat de la veille. Plus énergique, Pocock fai-
sait casser par une cour martiale les officiers de son
arrière-garde qui lui avaient paru ne pas faire tout leur
devoir. Le 6 mai, huit jours environ après cette bataille
à peu près indécise, d'Aché mouillait devant Pondichéry.
Cependant la bataille navale de Goudelour, en éloi-
gnant Pocock, avait permis à Lally d'assiéger Goudelour
par terre ; le 3 mai, il était maître de cette place. Fidèle
à son idée, il commence aussitôt le siège du fort Saint-
David et demande de nouveau à d'Aché le concours de
ses navires. Celui-ci invoque le délabrement de ses équi-
pages et, ce qui n'était que trop vrai, le manque d'appro-
visionnements maritimes dans l'arsenal de Pondichéry ;
enfin, il cède, quoique de très mauvaise grâce, parce que
Lally avait menacé de le faire arrêter. Il apparaît devant
2.' Ii'api^èSicie Ma-nnevillette. Né au Havre le 13 février 1707; capitaine des
vrj-sC'Oiix de ia compagnie des Indes; inspecteur et garde du Dépôt des
cartes, plans et journaux de l'Inde à Lorient ; auteur du Neptune oriental ;
•^ 1'^ mswps 1780, Lorient. A. M., C\
GUERRE DE SEPT ANS. — l'hINDOLSTAN. 403
le fort Saint-David le 2 juin ; le même jour cette place
capitulait, sans que Pocock, qui rôdait dans ces parages,
se fût approché de la côte.
A présent, il s'agissait du siège de Madras. D'Aché s'y
refuse, sous prétexte d'établir une croisière vers Ceylan
et d'y capturer des navires de commerce. Lally insiste.
D'Aché s'obstine et part. Lally lui envoie, par la côte, un
courrier qui le rejoint à Karikal, pour le sommer de
revenir à Pondichéry. D'Aché revient en effet (17 juin) ;
mais Lally parlant toujours d'une opération combinée
pour le siège de Madras, il déclare qu'il ne fera plus rien,
à moins qu'on ne lui assure un ravitaillement de quatre
mois de vivres
Au milieu de ces allées et venues et de ces tiraillements
déplorables, le siège de Madras ne se faisait point, et
Pocock, qui avait eu tout le temps de réparer son escadre
se montrait, le 27 juillet, devant la rade de Pondichéry.
L'insécurité de cette rade imposait à d'Aché de ne pas
accepter le combat à cet endroit ; il sortit, en effet, dès
le 28 juillet. Après avoir manœuvré pendant quelques
jours pour se donner l'avantage du vent, les deux flottes
se rencontrèrent, le 3 août, à la hauteur de Karikal.
Ce combat du 3 août 1758, le second que d'Aché livrait
sur la côte du Coromandel, fut court et violent, sans
donner de grands résultats. D'Aché, à qui il fallait la
fièvre de la bataille pour le tirer pendant quelques heures
de son indécision et de son apathie ordinaires, avait
imaginé, avec ses huit navires, d'ailleurs de qualité
médiocre, de couper en deux la ligne des sept vaisseaux
anglais. La manœuvre était audacieuse ; elle pouvait
réussir si la brise continuait à nous favoriser comme au
début de l'action ; une brusque saute de vent eut pour
résultat de nous mettre sous le vent des Anglais, en nous
plaçant entre eux et la côte. Pocock en profite pour nous
404 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
attaquer ; les pointeurs anglais tirent dans les batteries ;
les pointeurs français, suivant une fâcheuse habitude du
temps, tirent dans les mâts. Atteints dans leurs œuvres
vives, nos vaisseaux souffrent beaucoup. Le Comte de
Provence est en feu et sur le point d'être pris par le com-
modore Stevens ; il est sauvé par le Duc- de Bourgogne,
du brave Bouvet de Précourt, qui vient se placer entre
lui et les assaillants. Le feu s'est mis aussi au Zodiaque
et menace la soute aux poudres. D'Aché, dont le navire
ne gouverne plus, fait le signal de la retraite ; les Anglais,
très maltraités eux-mêmes, ne songent pas à le pour-
suivre. Le lendemain 4 août, il mouillait devant Pondi-
chéry et Pocock devant Karikal.
Bien qu'indécises, les deux batailles navales de Goude-
lour et de Karikal prouvaient que nous pouvions disputer
la mer aux Anglais ; jusqu'ici le succès avait été pour
nous, qui leur avions pris deux places. Aussi Lally revient
à l'idée qui l'obsède, le siège de Madras ; il fait demander
de nouveau le concours de d'Aché par le comte d'Estaing,
qui était alors brigadier d'infanterie. Nouveau refus de
d'Aché, qui oppose aux protestations de la colonie les
déhbérations d'un conseil de guerre, conformes à son
désir et fondées sur l'épuisement de son escadre ; il donne
pour raisons à son départ la nécessité de conserver une
escadre qui devait être, d'après lui-même, le salut des
établissements français dans l'Inde. C'est peine perdue
que de vouloir lui démontrer que le salut doit être à côté
du danger, et que le danger n'est pas à Port-Louis, mais
à Pondichéry. Il met à la voile de Pondichéry le 3 sep-
tembre 1758. Le 13 octobre suivant, il terminait dans les
eaux de l'île de France cette campagne d'environ neuf
mois, qui avait été à peu près stérile ^.
3. De l'Ile de France, le 30 octobre 1758, d'Aché adressa un long rapport
au ministre; il a été publié dans la Vie privée de Louis XV, t. IV, p. 322.
GUERRE DE SEPT ANS. — l'hINDOUSTAN. 405
D'Aché aurait pu se faire pardonner son départ intem-
pestif s'il n'avait fait que toucher à Port-Louis juste le
temps de ravitailler ses vaisseaux et de compléter ses
équipages, que ces deux combats avaient diminués
d'environ un millier d'hommes ; mais il ne reparut au
Coromandel qu'un an plus tard, en septembre 1759. Il
n'était pas seul coupable, il faut bien le dire, de ce retard
qui devait être fatal à Lally. L'administration de la
Marine avait envoyé d'Aché dans les Indes sans rien faire
pour assurer son ravitaillement. Alors qu'il aurait dû se
refaire largement à Port-Louis en vivres, en munitions,
en matériel, il ne put qu'y constaîer le manque à peu
près complet de tout ce qui lui était nécessaire. <( Nous
manquons de tout, écrivait d'Aché au ministre lors de
son retour à l'île de France ; les hommes même nous
manqueront. Comment faire la guerre ? Je pars de l'Inde,
parce qu'il n'y a rien ; j'arrive ici, et je me trouve encore
plus dans l'embarras. » Il dut envoyer douze de ses bâti-
ments chercher des vivres jusque chez les Hollandais du
Cap de Bonne-Espérance.
Cependant, un chef énergique, soucieux de sa mission,
se rappelant qu'il tenait en grande partie entre ses mains
le sort de son collègue de l'armée de terre, aurait montré
plus de diligence. En entrant à Port-Louis, il avait trouvé
un autre chef d'escadre, Froger de L'Éguille, qui lui
amenait de France trois vaisseaux du roi et plusieurs
vaisseaux de la compagnie ; le nouveau venu était un
chef actif, avec qui notre fortune maritime aurait pu
changer ; « il était plus propre que qui que ce soit pour
conduire cette expédition, » selon d'Aché, qui se disait
lui-même « excédé ». Mais il ne venait pas pour relever
d'Aché de son commandement. Celui-ci se borna à
et suiv. Voir dans le même tome, p. 357 et suiv., une autre relation des
combats du 29 avril et du 3 août 1758. ^
406 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
envoyer à PoDdichéry une seule frégate, la Fidèle, avec
un million sur les deux que L'Ëguille avait apportés de
France, et, dit-on, dix-neuf soldats en tout. Lui-même
appareillait le 17 juillet (1759), mais pour aller armer sur
la côte de Madagascar. Enfm, vers le milieu d'août, il
cinglait vers l'Hindoustan, comme décidé à l'avance à
reprendre son rôle passif de la campagne précédente.
Au cours de ces longs mois d'absence et d'inaction,
Lally avait entrepris le siège de Madras ; mais Pocock,
maître de la mer, l'avait obligé à y renoncer dès le 16 fé-
vrier (1759). En avril, le général français perdait ]\Iazuli-
patam. Dès lors, il allait être enfermé dans Pondichéry,
sans espoir d'en sortir, à moins qu-e le victoire ne lui
arrivât par mer. Son sort, c'est-à-dire le sort de l'Inde
française, dépendait plus que jamais de la conduite de
d'Aché.
Le chef d'escadre français avait touché à Batacolo, sur
la côte sud de Ceylan, le 30 août. Le 10 septembre (1759),
à la hauteur de Porto-Novo, dans ces parages où devait
s'illustrer quelque vingt ans plus tard le bailli de Suffren,
il rencontrait l'escadre de Pocock.
Du côté de d'Aché, onze vaisseaux, mais quatre seule-
ment de la marine royale, avec sept cents canons ^ ; du
côté de Pocock, neuf vaisseaux, mais tous de la marine
de guerre, avec six cents canons : telles étaient les forces
des deux ennemis à cette troisième rencontre. Ce fut
comme une nouvelle édition des deux batailles précé-
dentes. Pocock avait lancé ses navires à l'attaque de nos
trois divisions : Froger de L'Éguille, à l'avant-garde,
avec le Minotaure ; d'Aché, au centre, avec le Zodiaque ;
de Ruis, à l'arrière-garde, avec V Illustre. Lui-même,
4. Voir l'Appendice XIV.
GUERRE DE SEPT ANS. l'hINDOUSTAN. 407
sur le Yarmouth, avait engagé un furieux corps à corps
avec le Zodiaque. D'Aché, qui dans un combat payait
bravement de sa personne, avait reçu de graves bles-
sures, elles l'obligèrent à renoncer au commandement ;
l'ofiicier" qui le remplaça ne crut pas pouvoir soutenir
plus longtemps une terrible canonnade qui durait bord
à bord depuis deux heures ; il donna le signal de la
retraite. Pocock ne pouvait s'attribuer la victoire ; il nous
avait contraints à nous dérober, mais il dut renoncer à
nous poursuivre, à cause de ses graves avaries. Aucun
navire n'avait été pris ou coulé de part et d'autre. Pour
la troisième fois, la fortune était restée indécise ; cepen-
dant elle avait permis encore à d'Aché d'atteindre son
but ; le 15 septembre, il mouillait à Pondichéry et y
débarquait une centaine de soldats et huit cent mille
livres.
Lally avait à présent à portée de la main cette force
navale qu'il attendait depuis un an et qui, si elle ne suffi-
sait pas pour assurer sa victoire, en était du moins la
première condition. C'est alors qu'éclata dans toute son
inconscience l'entêtement inintelligent et inexcusable du
chef d'escadre. A peine arrivé, il déclare qu'il va repartir,
sa mission étant terminée. Lally lui répond qu'elle com-
mence à peine ; par tous les arguments, il veut faire luire
la lumière à ces yeux obstinément fermés. D'Aché n'a
qu'une réponse : il partira. Il part, en effet, dès le sur-
lendemain 17 septembre, avec ses onze bâtiments. Le
conseil supérieur de Pondichéry et tous les membres de
la nation française, réunis en corps, rédigent, le même
jour, une déclaration solennelle, le déclarant seul respon-
sable de la perte imminente de la colonie. Cette protes-
tation vigoureuse, ce « protêt national », comme dit un
historien du xvaf siècle, lui est signifié en mer quelques
jours plus tard. Il consent à revenir à Pondichérv, mais
408 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
seulement pour y débarquer environ neuf cents hommes.
Il reprend la mer le 27 septembre, sans rien vouloir
entendre et donnant pour toute raison que l'état de son
escadre ne lui permet pas d'affronter une nouvelle
bataille.
Il ne devait plus reparaître dans les eaux du golfe du
Bengale ; cependant, depuis son second retour à Port-
Louis (15 novembre 1759) jusqu'à la capitulation de
l'héroïque Lally à Pondichéry, après un blocus de neuf
mois (15 janvier 1761), il s'écoula exactement quatorze
mois. Certes, ce n'est pas le temps qui fit défaut au chef
d'escadre. Mais tout devient argument à un chef qui a
décidé de n'agir qu'à sa tête. Ce fut d'abord un terrible
coup de vent qui, en janvier 1760, jeta à la côte de l'île
de France trente-deux bâtiments et désempara l'escadre
française, déjà en assez triste état ; ce fut ensuite le pré-
texte de protéger les Mascareignes contre une expédition
anglaise qu'on disait se préparer en Europe. Bref, il
laissa agoniser jusqu'à leur dernière heure les défenseurs
de Pondichéry ; une nouvelle escadre anglaise, com-
mandée par l'amiral Cornish, put bloquer à son aise la
capitale française et permettre à la famine d'accomplir
son œuvre de mort. D'Aché était à l'ancre à Port-Louis,
en pleine sécurité ; il n'en bougea que pour partir pour
la France, en décembre 1760, à la veille du jour où l'Inde
française ne devait plus être qu'un douloureux souvenir.
Pris à partie par Lally et voulant faire oublier
sa double retraite et son inaction de plus d'un an, aussi
criminelle l'une que l'autre, d'Aché fit cause commune
avec les accusateurs du malheureux officier général. Le
défenseur de Pondichéry périt sur l'échafaud, on sait
dans quelles conditions atroces ; le chef d'escadre, qui
paraît n'avoir jamais eu conscience de sa responsabi-
lité, arriva à la vice-amirauté. Nous n'avons pas à réviser
GUERRE DE SEPT ANS. — l'hINDOUSTAN. 409
ici la sentence qui conduisit Lally à la place de Grève ;
l'histoire en a fait justice depuis longtemps. Bornons-
nous à rappeler une parole que nous avons déjà citée :
l'Inde est un don de la puissance navale, et ce qui est
vrai pour l'Inde est vrai pour toute colonie. Si le gou-
vernement de Louis XV a perdu tout le domaine de la
France d'outre-mer, c'est parce qu'il n'a pas voulu voir
l'intérêt national là où il était, ou parce qu'il a voulu
atteindre un but sans se préoccuper suffisamment des
moyens nécessaires.
Cependant, il faut dire que sous M. de Massiac, on
avait songé à intercepter les relations commerciales des
Anglais avec les Indes, en établissant une croisière dans
les eaux de Sainte-Hélène. Ce projet avait été présenté
par un Malouin, qui avait été au service de la compagnie
hollandaise des Indes, M. Marchis ; le ministre l'avait
accepté, et il avait adjoint à l'expédition M. de Marnière,
capitaine de vaisseau. Composée d'un vaisseau et de deux
frégates, (( l'expédition secrète » partit de Brest en sep-
tembre 1758. Mal conduite, interrompue par des querelles
entre Marnière et Marchis, elle ne donna aucun résultat ^^
Au milieu des tristesses de notre histoire maritime
dans l'Hindoustan, un homme de cœur, qui n'était pas
un marin, mais à qui la marine allait devoir, sous le
règne de Louis XVI, les campagnes de Rhode-Island, de
la Grenade et de Savannah, montra ce qu'on peut faire
avec les moyens les plus faibles, quand on est résolu à
s'en servir.
Le comte d'Estaing, brigadier d'infanterie dans l'armée
de Lally, pris par les Anglais, puis relâché par eux,
5. Mémoire à ce sujet, reproduit dans la Vie privée de Louis XV, t. IV,
p. 275-309.
410 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
résolut de se faire marin par haine de nos ennemis. Il
arma tant bien que mal à l'île de France deux bâtiments
de la compagnie ; avec ces forces improvisées, chef
d'escadre improvisé lui-même, il prit la mer le V" sep-
tembre 1759. La capture d'un vaisseau de Bombay inau-
gure sa croisière ; il court ensuite à i\lascate, y entre par
surprise sous pavillon anglais et y enlève un vaisseau
anglais de six cents tonnes et d'une cargaison de deux
millions. De là, il se présente devant Bender-Abbas, où
les Anglais avaient obtenu des Persans de construire un
fort ; il enlève une frégate anglaise, commence le siège
du fort, et en deux jours, il oblige le gouverneur Dou-
glas à capituler (14 octobre 1759). 11 cingle ensuite vers
Sumatra, où il prend, pille, détruit le fort de Natal et
tous les établissements qui composaient le gouvernement
anglais de cette île (février 1760). Plus tard, il rentrait en
triomphe à Port-Louis avec ses deux bâtiments et ses
prises. Cette croisière, d'une singulière audace, n'avait
pas duré moins de vingt-deux mois.
D'Estaing avait alors en tête un autre projet, s'emparer
de l'île de Sainte-Hélène, étape précieuse sur la route des
Indes. Froger de L'Eguille, qui commandait alors
l'escadre française dans les Indes, partageait cette idée ;
mais, dit d'Estaing, il a craignit de faire ce que ses
instructions n'avaient pu ni prévoir ni dire ». Le retour
en Europe du futur vice-amiral es mers d'Asie et d'Amé-
rique faiUit mal tourner pour lui. Embarqué sur un
navire marchand qu'il ne commandait pas, il fut pris par
les Anglais. Fouillé jusque « dans les talons de ses sou-
liers », il fut jeté à Plymouth « dans le cachot le plus
indécent et le plus humide », gardé par des soldats baïon-
6. Texte des huit articles de cette capitulation : B. M. C, t. XII, p. 169-171.
— Sur ces croisières de d'Estaing, divers documents : A. M., dossier
d'Estaing.
GUERRE DE SEPT ANS. — l'hINDOUSTAN. 411
nette au canon, qui l'éveillaient d'heure en heure. Enfin,
malgré toutes les invectives que les papiers publics
d'Angleterre vomissaient contre lui, il fut remis en liberté
et renvoyé en France.
Promu lieutenant général dans l'armée de terre,
d'Estaing voulait entrer aussi dans la hiérarchie régu-
lière de la marine ; en octobre 1762, à propos de l'expé-
dition du Brésil qu'il organisait, il obtint le brevet de chef
d'escadre. Sa qualité d' « intrus )> le fit regarder d'un œil
défavorable par ses nouveaux camarades ; il était trop
tard alors pour qu'il pût justifier, par sa conduite à la
mer, la faveur exceptionnelle qui venait de lui être
accordée.
Les premières négociations pour la paix avaient com-
mencé à Fontainebleau en novembre 1762 ; elles ne pou-
vaient aboutir qu'à la consécration de toutes nos fautes
et de tous nos malheurs. Nous n'avions d'autre gage en
mains que l'île de Minorque ; il nous fallut rendre la con-
quête de Richelieu et de La Galissonnière pour recouvrer
Belle-Ile. Le traité de Paris fut signé le 10 février 1763.
La paix de 1748, où Louis XV avait traité non en mar-
chand, mais en roi, avait été pour les contemporains la
paix stupide. La paix de 1763, par laquelle la France
coloniale des Champlain, des Richelieu, des Colbert et
des Dupleix, était réduite à deux postes de pêche dans les
eaux de Terre-Neuve, à Saint-Domingue et à quelques
petites Antilles, à l'îlot de Gorée, aux Mascareignes, à
quelques comptoirs du Coromandel, la paix qui nous
obligeait à payer de notre argent des commissaires de
Sa Majesté Britannique établis à demeure à Dunkerque
pour veiller à la destruction de nombreux travaux mari-
times exécutés depuis une dizaine d'années ; — cette
paix fut pour l'opinion publique la paix honteuse.
CHAPITRE XXIII
LES SECRÉTAIRES d'ÉTAT DE LA MARINE DE 1761 A 1774
Le duc de Choiseul. — Le duc de Pretslin. — Offre de vaisseaux au roi.
— Travaux maritimes. — Constructions navales. — Ordonnance
de 1765. — Renaissance dans la marine : écrits et campagnes scienti-
tiques. — Boynes. — Ordonnance de 1772. — L'escadre d'évolutions
de 1772. — L'Ecole du Havre. — Acquisition de la Corse. —
Choiseul et l'Angleterre.
(( Vous me confiâtes la direction de la marine en 1761,
au mois d'octobre. Vous savez, sire, en quel état était
cette marine. Le peu qui restait dans les magasins était à
l'encan ; on n'avait pas de quoi ni radouber ni équiper les
bâtiments qui avaient échappé au combat de M. de Con-
flans ; le port de Toulon n'était pas mieux que celui de
Brest depuis le combat de M. de La Clue ; les vaisseaux
étaient abandonnés, les magasins vides ; la marine devait
partout et n'avait pas un sou de crédit... La finance ne
pouvait rien me fournir ; j'imaginai le don gratuit des
vaisseaux. Je risquai ce moyen vis-à-vis des états du Lan-
guedoc qui se tenaient. Il réussit, et de là tous les corps
de l'État, qui, deux ans avant, avaient porté leur vais-
selle à la monnaie d'assez mauvaise grâce, s'émurent au
point, par mes insinuations, que j'eus librement dix-huit
millions dans l'année pour la marine de Votre Majesté...
La paix se fît. Alors je songeai à apprendre la marine... »
LES MINISTRES DE LA MARINE DE 1761 A 1774. 413
Celui qui parle ainsi, dans un mémoire au roi de 1765 i,
— qui est une sorte d'exposé de toute sa politique et de
tout^ son administration, — est, comme on l'a compris,
le duc de Choiseul. Après toutes les défaillances et les
tristesses que l'on vient de raconter, c'est une consolation
patriotique d'avoir à parler de l'homme qui n'eut d'autre
idée que de rendre la vie à notre marine agonisante et
de lui préparer une revanche glorieuse.
Le duc de Choiseul avait déjà fait preuve d'une grande
souplesse d'esprit quand il succéda, le 15 octobre 1761,
au ministre Berryer. Après avoir suivi la carrière des
armes, il avait dirigé les ambassades de Rome et de
Vienne ; ses relations avec M""® de Pompadour lui avaient
valu, en 1758, le département des Affaires étrangères, à
la place de Beinis. Lors de la mort du vieux maréchal
de Belle-Isle, il avait joint à ce portefeuille celui de la
Guerre (27 janvier 1761). Regardé comme l'homme néces-
saire, pouvant seul réparer tout le mal que Berryer avait
fait, il avait reçu encore le département de la Marine. 11
est vrai qu'il venait de passer au comte de Choiseul, plus
tard duc de Praslin, le portefeuille des Affaires étran-
gères. Deux ministères à diriger à la fois, comme la
Guerre et la Marine, et cela au cours d'une guerre désas-
treuse qui durait depuis cinq ans : la tâche était lourde,
même pour un homme qui était dans la pleine force de
l'âge, — Choiseul avait quarante-deux ans en 1761, — et
qui avait de rares qualités d'assimilation, de travail et
de volonté. L'ouvrier fut digne de l'œuvre à accom-
plir.
La réunion dans les mêmes mains des portefeuilles de
la Guerre et de la Marine était une nouveauté adminis-
1. Publié par Ch. Giraud, d'après une copie ayant appartenu au chan-
celier Pasquier, dans le Journal des Savants, 1881.
414 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
trative, qui pouvait se justifier par divers arguments. Les
deux services ayant le même objet, la protection mili-
taire du pays, il y avait intérêt à prévenir tout conflit entre
Les deux directions et à leur assurer Ja plus grande unité
de vues. D'autre part, les dépenses de la Marine ayant
été jusqu'alors sacrifiées aux dépenses de la Guerre, on
pouvait compter que la répartition des londs se ferait
désormais d'une manière mieux en rapport avec chaque
service, si le mJme ministre arrêtait à la fois les états
financiers des deux départements. Cependant les avan-
tages possibles de cette combinaison ministérielle ne
durèrent pas plus de cinq ans. Le 7 avril 1766, les deux
ministères étaient séparés de nouveau, pour ne plus être
réunis.. Tout en gardant le département de la Guerre,
Choiseul reprenait le département des Affaires étran-
gères ; quant au secrétariat d'Etat de la Marine, il passait
au duc de Praslin.
Le nouveau ministre de la Marine était le cousin du
duc de Choiseul ; entre les deux cousins, il y eut toujours
une étroite intimité de rapports personnels et une grande
communauté de vues politiques et administratives. Aussi
les quatre années du ministère de Praslin forment la
suite ininterrompue des cinq années du ministère de Choi-
seul. En rendant à chacun des deux cousins ce qui lui
appartient en propre, on exposera dans son ensemble
l'œuvre administrative de ces neuf années. Grande en
elle-même, l'œuvre des deux Choiseul devient plus
grande encore si on la compare à ce qui la précéda et la
suivit.
Pour parler avec équité de Choiseul comme ministre de
la Marine, il faut se rappeler, comme il le rappelait lui-
même au roi, la situation désespérée de tous nos services
maritimes à la fin de l'année 1761. Nous n'avions plus
LES MINISTRES DE LA MARINE DE 1761 A 1774. 415
d'escadres m sur la Méditerranée ni sur l'Océan. Thomas
lerminail ainsi son Eloge de Du Guay-Trouin, publié en
1761 : (c Ah ! s'il revivait aujourd'hui, s'il errait parmi
nos ports et nos arsenaux, quelle serait sa douleur ! Fran-
çais, s'écrierait-il, que sont devenus ces vaisseaux que jai
commandés?... Mes yeux cherchent en vain : je naper-
çois qm- des ruines. Un triste silence règne dans vos
portsv.. » Cette figure de rhétorique n'était que l'expres-
sion de la vérité. Le chevaher de Mirabeau ne parlait pas
autrement à son frère dans cette lettre, écrite de Brest le
9 juin 1760 : « Jérémie ne serait qu'un bouffon auprès de
moi, si je te disais le crèvecœur que j'ai tous les matins
en ouvrant ma fenêtre qui donne sur le port. L'air de
mort et de désolation qui y règne me fait gémir. Un
silence affreux ! Une solitude dévastée ! Je ne sais que te
dii^e, mais tout ceci va bien mal. »
Pour la situation militaire, on se rappelle qu'elle était
désespérée. Les Anglais étaient établis en maîtres à Belle-
Ile, au Canada, aux Antilles, au Sénégal, dans l'Hin-
doustan. Cependant, la seule arrivée aux affaires d'un
homme énergique, parlant ouvertement de restaurer la
marine, avait suffi pour provoquer dans le pays un admi-
rable élan de patriotisme.
Choiseul avait imaginé de faire proposer aux états du
Languedoc par leur président, le cardinal de La Roche-
Aymon, archevêque de Narbonne, d'offrir un vaisseau au
roi ; l'argent fut voté par acclamation. L'exemple fut suivi
partout en France et dans toutes les classes de la société.
Etals du Languedoc, de Bourgogne, de Flandre, d'Artois,
parlement de Bordeaux, municipalité de Paris, chambre
de commerce de Marseille, corporations des marchands
de Paris, fermiers généraux, receveurs de finances, régis-
seurs des postes, chevaliers de l'ordre du Saint-Esprit :
tous les corps de l'Etat rivalisèrent de générosité. Le
416 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
clergé offrit encore un million pour le même objet 2. Le
ministre put ainsi avoir en quelques mois, avec les dons
volontaires des provinces, des villes et des corporations,
quinze vaisseaux de ligne, de quarante-quatre à quatre-
vingt-dix canons. Les noms de plusieurs de nos vais-
seaux, qui s'illustrèrent dans la guerre d'Amérique,
comme le Languedoc^ la Bretagne, la Bourgogne, le
Marseillais, VArtésien, le Citoyen, le Saint-Esprit, et
autres du même genre, rappellent ces dons de l'époque
de Choiseul.
Ce qui donne à cette souscription nationale un carac-
tère tout particulier d'enthousiasme patriotique, c'est que
la somme de treize millions de livres, qui fut réunie en
quelques semaines, comprenait des offrandes de simples
particuliers, sans attaches avec l'administration. « M. de
Choiseul m'a dit, écrit le baron de Besenval, qu'il rece-
vait journellement des lettres de particuliers qui lui
offraient de l'argent. Il en eut une, entre autres, d'un
simple gentilhomme de Champagne... qui lui mandait
que, n'étant pas riche et ayant des enfants, il n'était pas
trop en état de donner ; que, cependant, comme ils étaient
encore en bas âge, il pouvait se passer de mille écus qu'il
avait amassés et qu'il les lui envoyait pour être employés
au service du roi... »
Grâce à ces contributions volontaires, la situation
matérielle de la marine était moins déplorable à la signa-
ture de la paix qu'on ne pourrait le croire. L'ennemi nous
avait pris, au cours de la guerre, dix-huit vaisseaux et
trente-sept frégates ; nous avions perdu, par le feu, les
naufrages ou d'autres causes encore, dix-neuf vaisseaux
et autant de frégates, soit une perte totale de quatre-
2. En 1771, lea Malouins prêtèrent trente millions à Louis XV. Château
fcRiAND, Mémoires d'outre-tombe
LES MINISTRES DE LA MARINE DE 1761 A 1774. 417
vingt-treize bâtiments, portant environ trois mille huit
cent quatre-vingts canons ; mais nos forces navales com-
prenaient encore une quarantaine de vaisseaux et une
dizaine de frégates, auxquels il faut ajouter les quinze
vaisseaux donnés par le pays. C'étaient comme des
épaves arrachées à la fureur de la tempête. Le grand
mérite de Choiseul fut de reconstituer une flotte avec ces
débris et de ramener la vie sur les chantiers, dans les
ports, dans les arsenaux. Les dépenses de la marine
étaient de 20 064 556 livres en 1763, l'année de la signa-
ture de la paix ; l'année suivante, elles avaient diminué
de quatre millions : on peut trouver que c'est peu avec
le désarmement des navires, le licenciement des équi-
pages et toutes les économies nécessaires ; mais peu
à peu, en pleine paix, les dépenses augmentèrent,
et finirent par s'élever en 1770 à la somme de
26 540 000 hvres.
Aux trois arsenaux maritimes de la France, Brest,
Rochefort et Toulon, Choiseul et Praslin en ajoutèrent
deux autres : l'un d'eux, celui de Marseille, rétabli pour
les galères et la construction des navires, par décision du
28 janvier 1762, ne conserva que quelque temps ce carac-
tère ; l'autre, Lorient, est resté l'un des grands établisse-
ments de notre marine de guerre.
La compagnie des Indes, victime elle-même de l'inin-
telligence avec laquelle elle avait sacrifié Dupleix, avait
été ruinée par la guerre ; réduite à quelques misérables
comptoirs, n'ayant à peu près plus de navires de com-
merce, ne pouvant plus en construire, dans l'impossibihté
où elle était de contracter un emprunt, elle était à la veille
de la faillite, quand un édit royal, du 13 août 1769, sus-
pendit son privilège et proclama la liberté du commerce
maritime au delà du cap de Bonne-Espérance. Elle céda
alors à la couronne le port et l'arsenal de Lorient
27
418 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
(26 avril 1770) ; l'intendant Clugny de Nuys ^ en prit pos-
session au nom du roi.
Les grands établissements maritimes des rives du
Scorff reprirent ainsi le caractère exclusif d'établis-
sement militaire qu'ils avaient eu, environ quatre-
vingts ans plus tôt, sous l'administration de Seignelay.
Le matériel naval que la Compagnie cédait à l'Etat
comprenait vingt vaisseaux et quatorze frégates ;
il y avait bien des non-valeurs parmi ces bâtiments, cons-
truits surtout en vue d'un service commercial. Le plus
grand avantage de la marine dans cette opération, c'était
l'occupation d'une position de valeur, servant d'étape
entre Brest et Rochefort, permettant de protéger Belle-
Ile, la Vilame et la Loire.
De grands travaux furent exécutés à Brest à l'époque
du duc de Praslin. L'ingénieur Choquet de Lindu, qui
fut pour la capitale maritime de la Bretagne comme un
second Vauban et qui consacra toute sa vie à la doter
d'établissements militaires, remplaça, vers cette époque,
par de solides édifices de granit les vieux bâtiments de
l'époque de Colbert.
Le duc de Praslin s'occupa aussi des améliora-
tions à introduire au port de Toulon. Depuis long-
temps, les ingénieurs de la marine réclamaient la
construction d'un bassin de radoub dans ce port ; on était
parfois obligé de démolir les vaisseaux de l'escadre de la
Méditerranée, faute de pouvoir les radouber à Toulon
même. De nombreux projets furent présentés pour la
eonstructioii d'un bassin ; celui qui fut accepté, dû au
commissaire ordonnateur et constructeur de la marine^
a ClTigny de Nuys. Intendant à Saint-Domingue. 1" janvier 1760 ; inten-
dant à Brest, 18 novembre 1765 ; intendant général de la marine ; adjoint
au ministre, du 13 novembre 1770 au 8 avril 1771 ; contrôleur général après
Turgot. Stat aommctire des Archives de la Marine, p. t26, 374.
LES MINISTRES DE LA MARINE DE 1761 A 1774. 419
Groignard, ne fut exécuté que de 1774 à 1779. Du moins,
Praslin put faire construire tout de suite de vastes han-
gars pour abriter les bois de construction.
La question de l'approvisionnement des bois était alors
le grand obstacle aux travaux de réfection de la flotte ;
on avait laissé tomber en désuétude les ordonnances pré-
voyantes qui réservaient à la marine les plus beaux arbres
des forêts du royaume. Choiseul s'efforça de les remettre
en vigueur ; il s'occupa aussi, comme devait le faire
encore son cousin, d'assurer à la marine des approvision-
neai-ents à l'étranger. Des marchés furent passés en Italie
et en Turquie pour la fourniture de bois de chêne au port
de Toulon. Dans les Pyrénées il y avait encore de grandes
réserves forestières, mais à peu près inutilisables à cause
du manque des voies d'accès. Choiseul, qui avait pro-
voqué comme une fièvre maritime jusque dans les coins
les plus reculés de la France, fît offrir au roi par les états
de Bigorre les bois de construction de la province, les
états prenant en outre à leur charge les frais d'abatage et
de charroi. On loua beaucoup l'activité de l'intendant du
Béarn, M. d'Étigny, qui avait fait couper dans la haute
vallée du gave d'Aspe de magnifiques bois de mâture :
le gave avait été rendu navigable sur vingt-quatre lieues.
Quand le premier convoi de troncs d'arbres arriva aux
quais de Bayonne, il fut reçu aux acclamations des habi-
tants et au bruit du canon.
Dans un mémoire de 1763, Choiseul avait dressé tout
un programme de constructions navales ; il voulait que
la France eût au début d'une guerre quatre-vingts vais-
seaux de hgne et quarante-cinq frégates ; c'étaient des
forces, disait-il, u capables de faire respecter le pavillon
du roi par la marine d'Angleterre, quoique supérieure en
nombre ». Malgré le zèle des deux cousins, ce programme
n'avait point été complètement réalisé ; en 1771, au len-
420 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
demain de leur commune disgrâce, notre flotte de guerre
comprenait soixante-quatre vaisseaux et une cinquan-
taine de frégates ou corvettes en état de prendre la mer,
sans compter les bâtiments sur les chantiers. C'étaient
des instruments de combats tout prêts pour la guerre de
la revanche. Choiseul, qui n'était plus aux affaires depuis
longtemps, quand éclata la guerre d'Amérique, eut du
moins la joie d'assister aux victoires de la flotte nou-
velle, dont il avait été le premier créateur.
Le restaurateur de la marine avait compris qu'il ne
suffisait pas de mettre des munitions dans les magasins
et des vaisseaux dans les ports ; il fallait réformer la cons-
titution même de la marine militaire. Elle remontait tou-
jours à l'ordonnance de 1681, digne sans doute du génie
administratif de Colbert, mais qui, avec le temps, avait
laissé apparaître quelques défauts ; en outre, son appli-
cation suscitait plus d'un conflit entre les deux pouvoirs
qui se partageaient la marine, la plume et l'épée. Pour
devenir le réformateur de nos institutions maritimes,
Choiseul voulut faire d'abord sa propre instruction. « Je
songeai, dit-il lui-même au roi dans son mémoire de 1765,
à apprendre la marine que je ne savais pas. Je me fis
instruire par un homme précieux qui est dans les
bureaux et qui s'appelle Truguet. J'appris les plus petits
détails... »
L'éducateur du ministre devait être, en effet, un
conseiller plein d'expérience : toute sa vie, depuis 1722,
s'était passée dans les bureaux, et depuis 1761, il diri-
geait la « Police des ports ».
Les Archives de la Marine possèdent un double témoi-
gnage de cet intelligent apprentissage, qui est tout à
l'honneur de Choiseul. Ce sont deux mémoires du milieu
de l'année 1763, où l'on trouve l'ébauche de tout ce qu'il
LES MINISTRES DE LA MARINE DE 1761 A 1774. 421
fit OU comptait faire pour la marine. L'un de ces mémoires
débute ainsi * :
« Il faut un grand courage, une suite de réflexions et
beaucoup de connaissances pour entreprendre de changer
la forme de notre constitution maritime, qui, de l'aveu et
de l'expérience de tout le monde, est dans un état d'affai-
blissement qui la rend coûteuse et inutile au service du
roi et de l'État. »
Quelques années plus tôt, le chevalier de Mirabeau ne
voyait de salut pour la marine que dans un bouleverse-
ment radical, de fond en comble. « Tout ce que l'on pour-
rait faire pour la marine, c'est greffer sur un tronc
pourri... A quoi servirait de panser un ulcère sur une
jambe quand la gangrène est dans le sang? »
Choiseul, qui connaissait le mal, conservait plus
d'espoir.
({ Je m.e sens le courage de vaincre tous les obstacles
pour ce nouvel établissement ; j'ai réfléchi, avec la plus
grande attention, aux différents plans qui m'ont été
fournis, je connais mon insuffisance dans la partie mari-
time ; mais je réfléchis que, malgré mon peu de pratique
du service de la mer et la faible théorie que j'ai acquise
sur cet objet, je suis cependant chargé de la direction de
ce département et qu'il est plus utile au service du roi
que la marine que je dirige aille d'après mes connais-
sances que d'après des principes que je n'entendrais
pas... »
Le ministre parle des différents plans qui lui furent
fournis. Il avait demandé à M. Rodier, premier commis
de la marine, et à M. Truguet, de lui dresser un mémoire
sur ce sujet, complet et très simple, ainsi qu'un état
4 A. M., G 127. — Cf. rétude de M. L. BATIFFOL : R. M. C, t. CXVIII,
p. 31-48.
422 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOLIS XV.
détaillé et précis de nos forces navales. Ce fut comme le
canevas général des deux mémoires de 1763, ainsi
divisés : établissement des ports, administration des
ports, service des officiers. L'un de ces mémoires porte
sur le recto, outre les observations de Rodier, les apos-
tilles de quatre officiers de marine auxquels le ministre
l'avait soumis, Roquefeuil, Fabry, Bory, Morogues. De
ces travaux préparatoires sortit un projet d'ordonnance,
qui fut tiré à vingt-cinq exemplaires, pour être commu-
niqué à des conseillers désignés par le ministre et pris
en dehors des bureaux. Enfin, le projet primitif et toutes
les observations recueillies furent refondus dans l'Ordon-
nance royale du 25 mars 1765 ; c'était le nouveau code
administratif de la marine de guerre.
Le système de Colbert, maintenu par Seignelay et ses
successeurs, avait donné pour l'administration des arse-
naux la prééminence aux pouvoirs de l'intendant ; il en
était résulté ce que Choiseul appelait « un corps d'admi-
nistrateurs qui n'était pas destiné à l'action et qui prépa-
rait les moyens, sans connaître les effets ; un corps
d'officiers militaires destinés à l'action, et éloignés de la
connaissance de tous les moyens. » Le système de Choi-
seul relevait l'autorité des officiers de marine dans leurs
fonctions à terre ; il s'efforçait de distinguer le plus pos-
sible les attributions militaires des attributions civiles, en
limitant l'action de l'intendant au domaine de la « plume »
proprement dit. D'ailleurs, pour relever d-ans l'opinion
la situation des agents civils, le ministre leur faisait
porter l'uniforme et leur donnait la dénomination
d'officiers d'administration de la marine. Cependant la
(( plume », obligée désormais à partager avec 1' « épée »,
sinon à lui abandonner un domaine où elle régnait
presque en souveraine depuis Louis XIV, accueillit avec
LES MINISTRES DE LA MARINE DE 1761 A 1774. 423
un vif mécontentement une ordonnance qui paraissait
viser surtout l'autorité des intendants.
D'autre part, les officiers d'épée, craignant d'être
menacés dans leurs privilèges, n'étaient pas très favo-
rables au ministre novateur ; on lui prêtait, en effet,
l'intention de faire entrer dans les cadres de la marine
royale tous les officiers, corsaires ou marchands, qui
s'étaient signalés dans la dernière guerre. Ce qui est cer-
tain, c'est qu'il songeait à réformer et à rajeunir les
cadres, comme le montre ce passage de son mémoire au
roi de 1765 :
« Je fus étonné du nombre d'officiers instruits et
d'esprit que je trouvai dans un corps abâtardi. J'en fis
venir une certaine quantité à Versailles. Nous avons eu,
pendant tout un hiver, sur toutes les parties de la marine,
des conversations raisonnées. J'y ai puisé beaucoup de
lumières... Je crois, sire, que les officiers de la marine
de Votre Majesté ont infiniment plus de connaissances
que ceux de la marine de Louis XIV n'en avaient... Je
pense qu'il faut avancer les jeunes gens ; il y en a de la
première distinction et qui feront honneur au siècle... »
Cependant, que faisait Louis XV pour soutenir son
ministre contre les réclamations de la « plume )> ou les
protestations des offiiciers « abâtardis », menacés d'être
réformés ? Choiseul lui avait tenu dans ce même mémoire
le langage le plus viril : « Je dois dire à Votre Majesté
que cette partie, la marine, opérera le salut du royaume
ou sa décadence ; de sorte qu'il est bien effrayant de voir
la négligence avec laquelle Votre Majesté et tout ce qui
l'entoure la considèrent. J'ose ajouter que je pense si
différemment que, si j'avais du crédit, je représenterais
à Votre Majesté qu'il serait de son devoir de roi de faire
au printemps prochain un voyage à Brest. Les quatre
jours qu'elle passerait dans le port y feraient un effet
424 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
décisif en bien, peut-être pour un siècle. » Le roi ne sortit
pas de son apathie, pas plus pour aller à Brest que pour
faire taire les adversaires du ministre. On prétend qu'il
lui tint un jour ce propos : <( Mon cher Choiseul, vous êtes
aussi fou que vos prédécesseurs : ils m'ont tous dit qu'ils
voulaient une marine ; il n'y aura jamais en France
d'autre marine que celle du peintre Vernet. »
Dépité d'être si peu compris, Choiseul abandonna un
département où il se heurtait à trop d'obstacles, pour
reprendre celui des Affaires étrangères (7 avril 1766). On
sait déjà que ce départ n'était qu'une fausse retraite,
puisqu'il passait le portefeuille de la Marine à un autre
lui-même, au duc de Praslin.
Il y aurait encore à signaler plus d'un point intéressant
dans les réformes administratives de Choiseul. Comme il
avait à la fois la direction de la Guerre et de la Marine,
il imagina de fusionner les troupes de l'armée de terre et
de la flotte, en faisant servir les régiments d'infanterie
sur les vaisseaux. Il justifiait cette idée malencontreuse
et dont l'application ne dura que peu de temps par des
raisons d'économie et par des arguments militaires.
« Cette union des deux armes, disait-il, est essentielle à
établir petit à petit, parce que les ennemis de la France
sont les Anglais et qu'il faut employer le génie de toutes
les forces de la nation contre eux. »
Choiseul, qui remit un peu d'ordre dans l'avancement
jusqu'alors assez irrégulier des officiers, se préoccupa à
juste titre d'assurer un bon recrutement des cadres ; à cet
effet, l'ordonnance du 14 septembre 1764 reconstitua les
compagnies des gardes de la marine et du pavillon, qui
représentaient l'École navale de l'ancienne marine Le
savant Bezout, de l'Académie des Sciences, fut nommé
examinateur des gardes de la marine ; à l'usage de ces
LES MINISTRES DE LA MARINE DE 1761 A 1774. 425
jeunes gens, qui pouvaient commencer à quatorze ans
leur apprentissage maritime, il rédigea un Cours de
mathématiques, en six volumes, qui comprenait l'en-
semble des connaissances scientifiques qu'on leur deman-
dait pour le grade d'enseigne de vaisseau.
L'impulsion donnée par le ministre aux constructions
maritimes l'amena à s'occuper de la situation adminis-
trative desi constructeurs. L'Ordonnance de 1765 leur
donna officiellement le titre d'ingénieurs constructeurs ;
une hiérarchie fut établie dans ce corps spécial, depuis
les élèves ingénieurs jusqu'à l'ingénieur en chef. Les
ingénieurs dépendaient de l'intendant ; mais tous les tra-
vaux de construction et de refonte des vaisseaux étaient
arrêtés dans chaque arsenal par un conseil de construc-
tion, plus tard conseil de marine, composé d'officiers de
marine.
Le duc de Praslin maintint les diverses réformes de
son prédécesseur et, en particulier, la grande Ordon-
nance du 25 mars 1765, qui avait été l'occasion de sa
démission. Ce qui appartient en propre au nouveau
ministre, c'est la reconstitution, en 1769, de l'Académie
de Marine ^. Cette idée très heureuse répondait au besoin
de travail personnel et de recherches scientifiques qui se
manifestait depuis nos malheurs de la guerre de Sept ans
dans l'élite des officiers de marine, et elle contribua à le
répandre dans la masse tout entière.
Les officiers de l'armée de mer s'étaient mis courageu-
sement au travail après le traité de Paris. Bigot de
Morcgues, qui fut, comme on le sait, le promoteur d'une
renaissance scientifique parmi ses camarades et le pre-
mier fondateur de l'Académie de Marine, publiait, en
1763, sa Tactique navale ou Traité des Evolutions et des
5. Voir ci-dessus p. ^32.
426 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
Signaux. « Je m'estimerais heureux, disait-il dans sa
dédicace à Choiseul, si l'ouvrage que vous me permettez
de publier, répondant à une partie de vos \aies, pouvait
être utile à la jeune noblesse sur laquelle la nouvelle
marine fonde ses nouvelles espérances... » Un officier de
la compagnie des Indes, Bourde de Villehuet, dédiait
aussi à Choiseul, en 1765, le Manœuvrier ou Essai sur la
théorie et la pratique des mouvements du navire et des
évolutions navales ; de caractère avant tout pratique, le
Manœuvrier fut un livre très répandu chez les gens du
métier. Dans sq préface, Bourde parlait de la nécessité
de l'étude et des avantages pour l'éducation du marin de
combiner la théorie et la pratique ; à ce propos, il écri-
vait ces lignes, auxquelles les actes et les travaux de nos
officiers de marine pourraient fournir un abondant com-
mentaire : (( Le véritable honneur n'est point ce sentiment
oisif qui sommeille languissamment dans les âmes. îl
consiste, dans un homme de mer, à se distinguer autant
par l'intelligence et la supériorité des talents que par la
bravoure et l'intrépidité. »
Ces années de travail virent aussi les campagnes scien-
tifiques qui firent tant d'honneur à nos marins. Bougain-
ville, commandant la Boudeuse^, abordait à Tahiti en
1768 et faisait le premier voyage autour du monde qui ait
été exécuté par un Français. Un peu plus tard, de 1771
à 1774, Kerguelen de Trémarec, lieutenant, puis capi-
taine de vaisseau, faisait ses deux campagnes d'explora-
tion dans l'océan Indien, au cours desquelles il crut avoir
découvert un continent austral. Non moins intéressants
à un point de vue spécial sont les voyages d'études de
Fkurieu et de Borda.
6. L'ancien aide de camp de Montcalm fut nommé capitaine de vaisseau
le 15 juin 1763; CE., 8 décembre 1779. A. M., C ' 178.
LES MINISTRES DE LA MARINE DE 1761 A 1774. 427
Le premier, alors enseigne de port, fut chargé, avec
l'astronome Pingre, de vérifier à diverses latitudes, dans
des climats froids, chauds, tempérés, secs, humides, les
horloges marines du constructeur Berthoud ; le lieute-
nant de vaisseau Du Maitz de Goimpy "^ les avait déjà
expérimentées dans une campagne navale en 1764. La
campagne de Fleurieu se fit à bord de la frégate 17sis,
en 1769, pendant une dizaine de mois ; elle eut pour
résultat l'introduction des chronomètres dans la marine :
le problème de la détermination en mer des longitudes
était enfm résolu ®.
Le chevalier de Borda, qui s'était fait connaître par
plusieurs ouvrages sur l'art nautique, avait été admis
en 1767 par Praslin dans le corps de la marine. En 1771
et 1772, étant alors lieutenant de vaisseau, il fit, en com-
pagnie de l'astronome Pingre, une longue croisière dans
l'Atlantique nord sur la Flore, que commandait Verdun
de La Crenne ^ ; elle leur servit à vérifier plusieurs
méthodes et instruments pour la détermination des lati-
tudes et longitudes.
Aussi, quand Praslin restaurait l'Académie de Marine
de Bigot de Morogues et lui donnait le caractère d'une
institution royale, il donnait satisfaction à cet esprit nou-
veau qui inspirait le corps des officiers et qui eut bientôt
sa récompense dans les victoires de la guerre d'Amé-
rique.
Une mesure d'un autre ordre, non moins utile, — on
sait combien la marine du temps perdit d'hommes par le
7. Comte du Maitz de Goimpy Feugiiières. Descendant de M. de Pas de
Feuquières. G., 22 Janvier 1746; L., 17 avril 1757; C, 18 février 1772; CE.,
90 août 1784. A. M., C ' 170.
8. Voii* rétude de M. Légal, lioutenant de vaisseau : Introduction, des
chronomètres dans la marine française. Historique du voyage de l'Isis
[R. M. C, t. LVIII, 1878).
9. Marquis de Verdun de La Crenne. De l'évêché d'Avranches. G.,
5 avril 1756 ; L., 27 novembre 1765 ; C, 13 mars 1779. A. M., C ' 173.
428 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
manque de précautions sanitaires et de soins médicaux,
— fut la fondation d'écoles de médecine navale, pour la
préparation des médecins et chirurgiens de la marine ;
elles furent instituées dans nos trois grands ports de
gueire, à Brest, Rochefort et Toulon (Règlement du
V mars 1768).
Lorsque Choiseul fut brutalement congédié, après
douze ans de ministère, il entraîna le même jour dans sa
disgrâce le duc de Praslin (24 décembre 1770). Pendant
un intérim de trois mois et demi, la Marine fut confiée au
contrôleur général des finances, labbé Terray, qui n'eut
d'ailleurs pas le temps de lui faire du mal. En avril 1771
elle passa à un homme de robe, étranger à ce départe-
ment, qui avait beaucoup de qualités privées, mxais dont
le principal titre à cette faveur assez inattendue était
d'être un grand ennemi de l'administration du duc de
Choiseul : c'était Pierre-Etienne Bourgeois de Boynes.
Mercy-Argenteau disait de lui, en 1772, qu'il passait à
juste titre pour la meilleure tête qu'il y eût alors dans le
ministère de Versailles. Il resta en fonctions jusqu'à la
mort de Louis XV ; au début du règne suivant, le 23 juil-
let 1774, il céda la place à Turgot, qui ne fut d'ailleurs
que son successeur temporaire.
Comme Choiseul, Boynes voulut faire son éducation
spéciale, car il ne savait rien de ses nouvelles fonctions ;
mais c'était pour pouvoir détruire sciemment l'œuvre de
son prédécesseur. Il s'aida des lumières d'un ancien
ofïîcier bleu, nommé Boux ^^, d'un réel mérite, qui avait
fini par entrer dans le grand corps comme lieutenant de
vaisseau. Quand il se crut suffisamment instruit des
réformes à introduire, il fit paraître l'Ordonnance du
10. Boux. LF.. 1758; CB, 26 janvier 1765; L., 1" février 1770; C,
«4 mars 1772. A. M., G ' 174.
LES MINISTRES DE LA MARINE DE 1761 A 1774. 429
18 février 1772. Elle se résume en ceci : la création de
huit régiments ou brigades, dont l'ensemble formait le
corps royal de la marine ; à chaque régiment devaient
être attachés plusieurs vaisseaux et frégates et un certain
nombre de compagnies d'artillerie ".
En distribuant les officiers de marine en huit régi-
ments, en décrétant que l'avancement se ferait désormais
par régiment, le ministre avait voulu détruire l'esprit de
corps, avec lequel les secrétaires d'État de la Marine,
pour la plupart étrangers au corps, avaient eu si souvent
à compter. Le résultat, c'est qu'il mit tout le monde contre
lui, aussi bien les officiers de plume que les officiers
d'épée. Les premiers, dont les attributions avaient été
déjà sensiblement diminuées par l'Ordonnance de 1765,
se considérèrent comme frustrés de tout pouvoir ; car les
nouveaux colonels et les nouveaux commandants de
bataillons, c'est-à-dire les anciens chefs d'escadre et les
anciens capitaines de vaisseau, devaient avoir la haute
main sur les bâtiments, magasins et ateliers, aussi bien
que sur leurs hommes. Quant aux officiers d'épée, l'assi-
milation qu'on faisait de leurs fonctions aux fonctions,
bien différentes en effet, de leurs camarades de terre,
leur fut profondément désagréable ; ils protestaient sur-
tout contre l'article de l'ordonnance qui établissait que
les places vacantes dans un régiment ne pourraient être
données qu'aux officiers du même régiment. M. de Bom-
par, qui commandait la marine au port de Toulon, fit
entendre les plus énergiques représentations pour que le
corps de la marine fût rétabli tel qu'il était auparavant ;
il offrit même sa démission, qui d'ailleurs ne fut pas
acceptée.
11. V. Brttn a analysé les principales parties de cette ordonnance
Guerres maritimet de France, Port de Toulon, t. I, p. 512 et suiv.
430 LA MAHINE MILITAIRE SOUS LOLIS XV.
Le ministre tint bon ; il essaya, par diverses circu-
laires, de corriger ou d'expliquer son ordonnance. Voici
un passage des instructions, en date du 25 sep-
tembre 1772, adressées au comte d'Estaing, cbargé de
l'inspection générale de la marine et du commandement
du port de Brest :
« Sa Majesté a jugé convenable d'affecter à chacune
des parties de sa marine les soldats qui lui étaient néces-
saires pour compléter ses armements, afin que, exercés
au service de ses vaisseaux, ils puissent en mieux remplir
les différentes parties, et qu'accoutumés au moins à
toutes les basses manœuvres et au service de l'artillerie,
le nombre des matelots nécessaires aux armements pût
être proportionnellement diminué.
« Mais l'intention de Sa Majesté n'a jamais été que les
divisions des officiers et des troupes de sa marine pussent
être en aucun temps assimilées à des régiments d'infan-
terie... Sa Majesté lui permet même d'annoncer que ce
nom de régiment sera changé en celui de brigade, et que
deux brigades seront réunies pour former une division.
En sorte qu'il y en aura trois à Brest, sous la dénomina-
tion de division amirale, vice-amirale et contre -amirale^
et une seule à Toulon ^^. »
Les exphcations du ministre, c'était parfois Vobscurum
per obscurius. Ne disait-il pas dans une de ses instruc-
tions, comme un théologien conciliant qui aurait tenter
d'accorder le sacerdoce et l'empire : « Le parti le plus
sage est de laisser dans le nuage les bornes exactes des
deux autorités » ? C'était un moyen, si l'on veut, de
résoudre les conflits entre la plume et l'épée. La malen-
contreuse ordonnance de 1772 vécut à peine deux ans ;
12 A. M., dossier d'Estaing. — Voir, à TAppendice XV, la répartition
officielle, pour l'année 1773, des officiers et des vaisseaux entre les huit
brigades du corps royal de la Marine.
LES HIINISTRES DE LA MARINE DE 1761 A 1774. 431
le 8 novembre 1774, elle était annulée par le successeur
de Turgot, M. de Sarline, qui revenait au régime de
l'ordonnance de Choiseul.
Tout n'-est pas cependant à critiquer dans ks réformes
ou créations de M. de Boyaes. On doit le louer d'avoir
constitué, sous les ordres du comte d'Orvilliers, le futur
lieutenant général de la guerre d'Amérique, une escadre
d'évolutions^, composée de trois vaisseaux, de six fré-
gates, de trois corvettes et de trois cotres i^. Elle sortit
de Brest le 28 mai (1772) et y rentra le 6 septembre. Pen-
dant plus de trois mois, elle croisa dans le golfe de Gas-
cogne, sur les côtes de Portugal, dans les eaux de
Belle-Ile et de Quiberon, où elle fit des exercices de tir
au canon.
Le journal de l'escadre d'Orvilliers ^^ permet de se
rendre compte de la manière dont on comprenait la stra-
tégie navale à la veille de la révolution radicale que
Suffren allait opérer. Manœuvrier de premier ordre,
d'Orvilliers excelle, comme presque tous les hommes de
mer de son temps, comme l'impeccable Guichen en par-
ticulier, à faire évoluer ses navires, à les aligner, à les
faire virer, en un mot à leur faire exécuter tous les mou-
vements qu'on peut demander à un chef bien entraîné et
rompu à des exercices de tout genre. Tout cela correct,
élégant, joli à l'œil, artistique même si l'on veut, mais
en réalité pas stratégique. Du moins, c'est cette stratégie
toute de parade, frivole, superficielle, qui prête à la plu-
part des batailles navales du xviu^ siècle je ne sais quoi
de compassé et de monotone, et qui les fait ressembler,
si l'on peut dire, à des parties de quadrille bien réglées,
13. Voir l'Appendice XVL
14. A. M., B * 118
432 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
OÙ tous les mouvements sont connus à l'avance et exémtés
d'après la formule. Ce qui donne aujourd'hui de l'intérêt
et de la vie à nos grandes manœuvres d'escadre, c'est le
thème choisi par le commandant en chef : telle attaque
de l'ennemi à repousser sur tel point, tel débarquement
à opérer sur les côtes du pays ennemi ; c'est encore la
liberté accordée aux chefs des divisions et aux comman-
dants des vaisseaux, de diriger eux-mêmes, de leur
propre initiative, leurs unités navales, du moment où ils
se renferment dans les lignes tracées par le commandant
en chef. Des exercices militaires ainsi compris doivent
former des hommes de guerre. Des évolutions, comme
celles de la campagne de 1772, qui consistent seulement
à effectuer des changements de position, peuvent être
intéressantes, comme elles sont nécessaires ; mais elles
ne peuvent former que des manœuvriers.
Les notes de d'Orvilliers sur quelques-uns de ses
officiers méritent d'être citées, soit à cause du nom de
l'officier, soit à cause de la nature de l'appréciation.
« Du Chaffault, chef d'escadre. — Est bien au-dessus
de mon suffrage. Je désire avoir mérité le sien.
(( Breugnon, chef d'escadre. — L'exactitude à tenir
un poste et les fines manœuvres n'ont distingué ni son
vaisseau ni sa division.
« La Touche Tréville (Terpsichore). — A bien
manœuvré. Les qualités supérieures de sa frégate lui ont
facilité les mouvements compliqués des évolutions. Il m'a
paru d'ailleurs ne point craindre les vaisseaux et les
approcher avec confiance.
(( Comte de Grasse (Isis). — Est le capitaine de
l'escadre qui a le mieux manœuvré, et quoique sa frégate
soit très inférieure en qualité, il a néanmoins donné à ses
manœuvres toute la précision et le brillant possible.
Ses abordages fréquents dans la campagne semblent
LES MINISTRES DE LA MARINE DE 1761 A 1774. 433
demander quelque chose de plus parfait à son coup d'œil,
mais ils prouvent sa sécurité à approcher les vaisseaux ;
et, lorsque le roi me confiera des escadres, je choisirai
toujours des capitaines qui préféreront le risque dun
abordage à l'abandon de leur poste et à la certitude de
faire manquer un mouvement...
(( La Motte-Picquet {Cerl-volant). — Est le seul qui
puisse disputer à M. le comte de Grasse la plus grande
attention à tenir son poste et à manœuvrer avec préci-
sion. Il a tiré tout le parti possible de son très mauvais
bâtiment. Des généraux seraient sans excuses de ne pas
entreprendre les plus grandes choses avec des capitaines
d'un pareil mérite.
« M. de La Clocheterie, lieutenant de vaisseau et aide-
major de l'escadre. — Officier de cette première classe
qui doit fournir les meilleurs capitaines. (C'est le futur
héros de la Belle Poule.) Il mérite l'attention du ministre
et d'être essayé par des commandements. »
De retour à Brest, d'Orvilliers reçut la dignité de com-
mandeur de l'ordre de Saint-Louis. En proposant au roi
cette nomination, le ministre avait employé cette formule
d'éloge, assez banale : <( Il a donné dans cette campagne
les preuves de son expérience reconnue. »
Boynes, qui avait fait faire cette campagne d'évolu-
tions, eut encore une idée heureuse, quand il établit au
Havre une École royale de marine, « pour y instruire et
exercer, tant dans la théorie que dans la pratique, les
jeunes gens qui se destinent au service de la mer )> (ordon-
nance du 29 août 1773) ; la grande nouveauté de cette
école, c'est qu'il ne fallait aucune preuve de noblesse
pour y entrer. Le ministre fit faire aux élèves, en 1774,
une croisière dans la Manche. Une petite division navale
fut formée avec la corvette VHirondelle, de seize canons,
28
434 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
capitaine M. de Saint-Cézaire, commandant FÉcole, lieu-
tenant M. de Malide^^, et avec le lougre VEspiègle, de
six canons, lieutenants le marquis de Laubépin ^^ et
M. de Bavre ^'^. Des trente élèves de l'École, vingt-deux
furent répartis sur la corvette et huit sur le lougre.
Boynes songeait à fonder une seconde école dans un
port de la Méditerranée ; mais il tomba bientôt. Un des
premiers actes de M. de Sartine fut de supprimer l'École
du Havre par l'ordonnance du 2 mars 1775, et de rétablir
sur ses anciennes bases l'institution des gardes de la
marine. Ainsi, l'utile comme le chimérique, rien à peu
près ne subsista de l'œuvre administrative du dernier
secrétaire d'État de la marine sous le règne de Louis XV.
Il reste à rappeler les quelques faits qui composent
l'histoire agissante de notre marine pendant les minis-
tères de Choiseul, de Praslin et de Boynes.
II n'y a pas à parler ici des tentatives de colonisation
qui furent faites soit dans la Guyane par le chevalier
Turgot, soit à Madagascar par le comte de Maudave, qui
réoccupa, de 1768 à 1770, notre ancien étabHssement de
Fort-Dauphin, ou par l'aventurier Beniowsky, qui
débarqua en 1774 à la baie d'Antongil avec un bâtiment
et trois cents hommes ; ces tentatives furent sans résultat
et la marine n'y joua point de rôle.
Le fait qui domine notre histoire maritime dans cette
dernière période du règne, c'est l'acquisition de la Corse ;
ce fut d'ailleurs à peu près uniquement l'œuvre de la
15 De Malide. Fils d'un capicuin© «uk (gardes-françaises. G., 4 juillet 1754-,
L., 18 août 1767 ; R., 20 janvier 1776. A. M., C ' 171.
16. Marquis de Laubépin. De Franche-Comté. G., 17 septembre 1751 ; L.,
1" octobre 1764 ; C, 4 avril 1777. A, M., C 171.
17. De Bavre. De Boulogne-sur-Mer. G., 12 décembre 1755 ; L., !•' oc-
tobre 1773 ; C, 4 avril 1780-, R. avec le grade de brigadier, 16 janvier 1786.
A. M., C 172.
LES MINISTRES DE LA MARINE DE 1761 A 1774. 435
diplomatie et de l'armée de terre. La marine n'eut d'autre
mission que de transporter dans l'île un corps de débar-
quement, aucune force ne lui en ayant jamais disputé les
approches. Choiseul et Praslin eurent le mérite dt
dénouer par une intervention énergique la question
corse, dans laquelle la France était engagée depuis l«
ministère de Fleury. Par le traité de Compiègn«
(7 août 1764), Choiseul avait obtenu de la république de
Gênes d'occuper temporairement la Corse révoltée ; par
le traité de Versailles (15 mai 1768), Gênes fit à la France
l'abandon déguisé de tous ses droits de souveraineté.
L'île fut alors occupée en quelques mois.
Dans un mémoire au roi de 1770, Choiseul fait ressortir
ainsi la valeur de cette conquête ^^ :
(( L'Angleterre a senti mieux qu'on ne l'a senti en
France ^^ l'avantage de cette acquisition ; elle a vu qu'en
temps de guerre cette île était un point essentiel pour le
soutien du commerce de la France dans le Levant ; elle
a prévu que cette possession consolidée procurerait à
Votre Majesté le moyen facile de donner la loi à toutes
les côtes d'Italie... Je crois que la Corse peut assurer à
Votre Majesté et à l'Espagne cette domination dans la
Méditerranée et que cette île est plus essentielle au
royaume... que ne l'aurait été une île en Amérique... Les
Anglais ont vu, ainsi que vous, sire, les avantages de la
Corse... La Corse était sous la domination de Votre
18. Mémoires de M. le duc de Choiseul (1790), t. I, p. 103 et suiv.
19. M. de Massiac, le futur ministre de la Marine, avait, en 1756, cette
singulière opinion sut l'inutilité maTitlme de la Corse : « Je ne vois
aucun objet qui puisse attirer les Anglais en Corse. Il n'y a pas un seul
port utile à la retraite des vaisseaux ; ils courraient des risques dans 1«
golle d'Ajaccio : le mouillage de Saint-Florent n'est pas bon, et Calvi ne
peut les contenir. Les ports de cette île ne sont propres qu'aux petits
bâtiments. Les Anglais les connaissent parfaitement et ne les ont jamai«
désirés. » V. Brun, Guerres maritimes de la France, Port de Toulon, t. I,
p. 392.
436 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
Majesté avant qu'ils eussent le temps de penser aux;
moyens de s'y opposer... » Ce fut, en effet, le triomphe
de la diplomatie de Choiseul d'avoir si bien intimidé,
séduit et endormi la cour de Londres qu'elle ne bougea
pas ; l'Angleterre se borna pour le moment à donner
asile à Paoli, en attendant qu'elle pût se servir de lui.
Mais les marins anglais comprirent l'importance mili-
taire de ce vaste camp retranché qui commande la Médi-
terranée occidentale, et dont Nelson devait dire un jour :
« Donnez-moi le golfe de Saint-Florent avec deux fré-
gates, et je me charge d'empêcher que pas un vaisseau
ne sorte de Marseille ou de Toulon. »
Le dey de Tunis ne voulait pas reconnaître l'annexion
de la Corse à la France ; car la piraterie barbaresque
avait tout intérêt à nous éloigner du cœur de la Médi-
terranée. Il sollicita l'appui des Anglais, il parla même
de leur céder Tabarca. Une double expédition maritime
de M. de Broves en 1769 et 1770, marquée par le bom-
bardement de Bizerte et de Sousse, l'obligea à renoncer
à ses alliances suspectes et à reconnaître les faits accom-
plis
Suivant la vieille tradition de la marine, il y avait tou-
jours des expéditions contre les Barbaresques et des
campagnes dans la Méditerranée orientale. En 1766, le
lieutenant général Bauff remont fit une campagne aux
jilchelles du Levant et sur les côtes de Barbarie, avec deux
vaisseaux, le Protecteur et VAltier, capitaines Broves et
Missiessy, et deux frégates, la Sultane et la Chimère,
capitaines Grasse Briançon et Tressemanes. En 176c
et 1764, le chevalier de Fabry croisa sur les côtes d'Algei
et du Maroc. Une expédition du chef d'escadre Du Chaf
fault contre le port de Larache (el Araïch) offre plu:
d'intérêt que ces croisières inoffensives.
Une escadre, composée du vaisseau de ligne VUtile e
LES MINISTRES DE LA MARINE DE 1761 A 1774. 437
de quinze frégates, chebecs, galioles^o, était partie de
Chef de Baie, le 12 avril 1765, pour aller châtier les
pirates marocains. Salé fut bombardé pendant plusieurs
jours. On alla ensuite devant Larache, qu'on commença
par bombarder. Le 27 juin, seize chaloupes furent
envoyées à terre ; accueillies par un feu terrible, elles
perdirent trois cents hommes. Le surlendemain, Du Chaf-
fault appareillait pour Mogador ; il était de retour à l'île
d'Aix le 23 octobre, sans avoir vengé nos morts ni délivré
nos prisonniers. Le chevalier de Suffren avait pris part à
cette malheureuse campagne comme commandant du
chebec le Singe ; en 1767, il fit partie d'une ambassade
que VUnion^ du comte de Breugnon, conduisait au Maroc,
pour y convenir d'un traité. Il aurait voulu que la France
obtînt un établissement aux îles Zaffarines ; d'après lui,
c'aurait été un bon comptoir de commerce, mais surtout
une excellente station militaire « en cas de guerre avec
les Anglais ».
Suffren fit encore, en 1772 et 1773, avec la frégate la
Mignonne, une croisière aux Échelles du Levant, à
Smyrne, Saïda, Tripoli, pour la protection de nos natio-
naux. Il rencontra, dans les eaux de l'Archipel, plusieurs
bâtiments de guerre russes ; car, depuis la journée de
Tchesmé, un nouveau pavillon maritime était apparu
dans la Méditerranée.
Choiseul avait au plus haut degré le sentiment de la
fierté nationale ; ses actes et son langage apprirent à
l'Angleterre que, même après la paix de Paris, elle avait
à compter avec nous. Des publicistes anglais préten-
daient qu'une clause secrète du traité de 1763 avait fixé
le nombre des vaisseaux de guerre que l'Angleterre dai-
20. Voir l'ApïKjudice XVII.
438 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
gnait permettre à la France. Sans s'occuper de ce men-
songe, qui devait être officiellement démenti plus tard,
Choiseui restaura en quelques mois les forces maritimes
de la France, au point de justifier pleinement les craintes
de William Pitt, qui, dans son opposition désespérée aux
préliminaires de 1762, avait prononcé ces paroles hai-
neuses :
« Vous laissez à la France la possibilité de rétablir sa
marine. »
A propos de la démolition des travaux de Dunkerque,
que Pitt appelait encore « un monument éternel du joug
imposé à la France », un conflit se produisit en 1764
entre les commissaires des deux nations. Le duc de Rich-
mond, ambassadeur d'Angleterre, vint pour cette affaire
dans le cabinet de Choiseui ; ne pouvant rien répondre
aux arguments qu'on lui objectait, il se mit à parler des
<( complaisances » de son gouvernement pour le nôtre.
« Qu'appelez-vous, monsieur l'ambassadeur, des com-
plaisances ? répliqua M. de Choiseui en se levant. Sachez
que le roi mon maître ne veut de complaisance d'aucune
puissance de l'Europe, encore moins de l'Angleterre que
de toute autre... » Richmond s'excusa sur sa connais-
sance imparfaite de la langue française, et la contestation
fut réglée sur l'heure comme nous le désirions 21.
Le 31 mai 1769, l'intendant de la marine à Brest,
M. de Clugny, signalait la présence dans cette ville, où
Ton faisait précisément alors de grands travaux mari-
times, d'un jeune Anglais, M. Gordon, qui se disait
officier r] 'infanterie et u ayant l'air tout à fait suspect » ;
il fut arrêté et convaincu d'avoir essayé de se procurer
par de l'argent des documents sur les services militaires
du port, la destination des armements, etc. Gordon eut
21. RocHAMBEAu, Mémoires, t. I, p. 213-214.
LES MINISTRES DE LA MARINE DE 17C1 A 1774. 439
la têt« tranchée, sans que le ministère anglais ait fait
mine d'excuser ou de couvrir son espion ^^.
Tout entier à son idée de recommencer à brève
échéance la guerre maritime avec l'Angleterre, Choiseul
était resté fidèle à l'alliance espagnole qu'il avait inau-
gurée en 1761 avec le Pacte de famille. Les débuts de
cette politique avaient été désastreux pour les deux États
alliés et la France avait dû céder la Louisiane à l'Espagne
en compensation des pertes qu'elle lui avait fait subir.
Cependant l'union des marines de France et d'Espagne
pouvait seule permettre aux deux couronnes de travailler
à leur commune revanche. En 1770, Choiseul et Praslin
crurent que l'Espagne allait leur fournir l'occasion d'une
guerre maritime. Un conflit venait de s'élever entre
Madrid et Londres pour la possession des îles Falkland ;
une flotte espagnole, venue de Buenos-x\yres, s'était
emparée de Port-Egmont et en avait chassé les Anglais.
On préparait à Londres de grands armements ; Choiseul
en préparait en France : la guerre était imminente. C'est
à ce moment critique que Louis XV exila à la fois son
ministre des Affaires étrangères et son ministre de la
Marine. Un accord se fit alors entre Londres et Madrid ;
le roi d'Espagne, qui se sentait isolé, désavoua son
amiral et rendit les îles Falkland.
Mais ce serait exposer d'une manière incomplète
l'œuvre de restauration maritime qui correspond aux
deux ministères de Choiseul et de Praslin que de ne pas
parler des divers projets militaires qui furent alors pro-
posés ou arrêtés contre l'Angleterre. Le plus complet, et
22. Nombreux documents sur cette affaire d'espionnage : A. M., B' 584-
585. — Un ofllcier anglais, le capitaine Corner, nt, d'octobre à décembre 1764,
un voyage à Brest et dans les principaux ports de France, comme agent
secret de l'amirauté anglaise. Il en rapporta un mémoire très détaillé..
dat4 du 8 mai 1765. G 193.
440 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
à tous égards le plus remarquable, avait été approuvé
— le croirait-on ? — par le souverain qui congédiait en
Choiseul l'ennemi le plus intelligent et le plus énergique
que les Anglais avaient rencontré en France depuis le
règne de Louis XIV.
CHAPITRE XXIV
LES PROJETS MARITIMES DU MINISTÈRE DE CHOISEUL
Choiseul et les colonies anglaises d'Amérique. — Conseils de M. Durand,
ministre à Londres. — Possibilité d'une descente en Angleterre. —
Les Rayons de Grant de Blairfmdy. — Le débarquement en Irlande.
— La traversée de la Manche. — Projet Béville. — Projet de Choiseul
et Grimaldi.
Pendant les douze années du règne de Louis XV où
Choiseul dirigea, soit simultanément, soit tour à tour, les
ministères des Affaires étrangères, de la Guerre et de la
Marine, toute sa politique fut mspirée par la même idée :
préparer la revanche de la France sur l'Angleterre. Qu'il
groupât autour du tronc français les branches espagnole
et napolitaine des Bourbons, qu'il rédigeât de nouvelles
ordonnances pour l'armée ou pour la marine, qu'il sur-
veillât tous les menus incidents de la politique exté-
rieure, c'était toujours en vue de rendre la France plus
forte et de la tenir prête le jour où elle se mesurerait de
nouveau avec sa rivale.
En attendant cette heure, et pour s'opposer aux « pré-
tentions des Anglais à être les rois des mers et à réaliser
à leur profit le fantôme de la monarchie universelle ^ »,
1. Choiseul au comte de Guerchy, ambassadeur à Londres, juillet 1768.
C. DE WiTT. Thomas Jefferson, 1861, p. 49. Cet ouvrage renferme de nom-
breux extraits de la correspondance diplomatique de Choiseul qui se
rapportent à ses desseins sur l'Angleterre.
442 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
le mieux, semblait-il, était de souffler sur le feu qui cou-
vait dans les colonies anglaises de l'Amérique du Nord.
Dès l'année 1764, un an à peine après la paix, Choiseul
avait envoyé dans ces colonies un agent secret, M. de
Pontleroy, lieutenant de vaisseau au département de
Rochefort 2 ; car il avait deviné tout de suite la gravité
de ces premiers tiraillements qui devaient aboutir à la
séparation définitive des futurs États-Unis et de l'Angle-
terre. M. de Pontleroy avait eu deux missions en Amé-
rique, en 1764 et 1766 ; il y avait séjourné sous le nom de
Bef.ulieu, en faisant preuve d'autant d'intelligence que
de prudence. Il avait pris du service à bord d'un navire
marchand américain, ce qui lui avait permis de faire une
reconnaissance très détaillée de la côte. Dans la corres-
pondance de nos agents à Londres à cette époque, on
retrouve très fréquemment la mention de son nom et
des rapports qu'il avait fait parvenir sur la situation mili-
taire et économique des colonies anglaises.
Ainsi Choiseul était renseigné de première main à cet
égard ; mais l'occasion d'une intervention directe sem-
blait se dérober toujours. On avait déjà cru, à plusieurs
reprises, à une rupture immédiate entre les Anglais
d'Amérique et les Anglais de la Grande-Bretagne ; la
prudence des uns, l'esprit de concession des autres,
retardaient toujours cette solution qu'on sentait irrépa-
rable. D'autre part, un autre agent secret de Choiseul en
Amérique, le colonel de Kalb, spécialement chargé
d'une enquête politique, l'informait que si les Américains
étaient prêts à se révolter, ils ne voulaient pas secouer la
domination des Anglais par le moyen d'une puissance
2. Beaulieu de Pontleroy, de Marseille, garde-marine du S'i février 1746,
lieutenant de vaisseau du l" janvier 1701, f<fcure sur les ^lats de la Marine
(G ' 170) avec cette mention : « 1763. Congé absolu simulé, 20 décembre, pour
voyage. — 1764-1 77i. Absent. »
LES PROJETS MARITIMES DU MINISTÈRE DE CHOISEUL. 443
étrangère. Dans ces conditions, la France devait se
garder d'une intervention intempestive, qui pouvait tout
perdre et se borner à surveiller les affaires d'Amérique
pour pouvoir s'y mêler au moment propice. Mais l'on
pouvait toujours songer à une action directe contre
l'Angleterre, en l'attaquant chez elle, corps à corps,
comme on en avait déjà eu maintes fois le projet sous le
règne de Louis XV.
Cette idée d'attaquer l'Angleterre en Angleterre
est souvent développée dans la correspondance de
M. Durand, ministre de France à Londres ; les lettres de
cet agent très habile et fort au courant des choses
anglaises sont remarquables par l'ardeur avec laquelle il
insiste auprès de son chef pour une lutte directe. Porter
la guerre, disait-il, de l'autre côté de la Manche, c'était
faire connaître à l'ennemi les maux immédiats de la
guerre, auxquels il restait toujours étranger, et lui en
donner le dégoût. « Nos guerres avec lui dureraient
moins, si tant de citoyens de Londres que la guerre
enrichit et qui la désirent voyaient de près les horreurs
qu'elle entraîne après soi 3... »
Une descente sur les côtes anglaises produirait en
quelques heures une panique fmancière qui mettrait le
pays à la merci de l'envahisseur. Il suffisait de se rap-
peler les embarras de la Banque d'Angleterre au temps
de l'invasion de Charles-Edouard, quand George II, à
bout de ressources et comme frappé d'impuissance, avait
été à la veille de s'embarquer pour ses Etats d'Allemagne.
<( Voilà, monseigneur, ce qui échappe à des yeux étran-
gers, qui ne voient en Angleterre que des flottes immenses
et des magasins prodigieux. Ces dehors en imposent, et
3. Lettre du 3 août 1766. C. de Witt, ÎMd.
444 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
peu de gens songent qu'un rien, qu'un faux bruit, que
l'audace seule de Fennemi, embarrassent le crédit,
mettent le désordre dans une machine compliquée et
décèlent une faiblesse qui n'est bien connue que des inté-
ressés... » On songe involontairement à l'image biblique,
le colosse aux pieds d'argile, dont le souvenir avait déjà
été évoqué, en 1734, dans un mémoire sur l'Angleterre ^.
Comme toute la force défensive de l'Angleterre con-
siste dans sa marine, il faut se servir des flottes combi-
nées de la France et de l'Espagne pour attirer, par
d'habiles diversions, une partie des escadres anglaises
sur des points éloignés de la métropole. « L'Angleterre,
attaquée alors dans les parties qui lui donnent la vie,
serait sans force et sans vertu. » Mais ces expéditions
lointaines des alliés ne doivent être que des stratagèmes
de guerre ; on peut ravager les colonies ennemies, pour
dégarnir en partie la Manche et faciliter la descente, qui
est le vrai objectif de l'entreprise ; on ne doit pas songer
à les conquérir. — M. Durand savait peut-être que tout
récemment Choiseul avait demandé à d'Estaing un rap-
port sur une expédition contre la Jamaïque ^. — Les colo-
nies ne sont que des branches, pour ainsi dire, parasites :
on peut les détacher du tronc sans qu'il en meure ; c'est
au cœur qu'il faut viser. Il est curieux de voir notre
ministre se couvrir de l'autorité d'un grand homme
d'État anglais pour recommander à Choiseul ces combi-
naisons stratégiques. « Ces notions, monseigneur, ont
été puisées en grande partie dans des conversations que
j'ai eues autrefois avec milord Bolingbroke. Puissent-
elles ne pas vous déplaire ^ î »
4. Voir ci-dessu«, p. 130.
5. A. M., B * 195. Février 1765.
6. Lettre du 2j août 1766.
LES PROJETS MARITIMES DU MINISTÈRE DE CHOISEUL. 445
Au mois de décembre 1770, c'est-à-dire peu de jours
avant sa brusque disgrâce, Choiseul recevait un mémoire
intitulé : Essai d'un projet de descente en Angleterre ;
l'auteur, M. de Béville, qui mourut maréchal de camp "^5
avait été chargé par Choiseul^ d'une enquête militaire
sur les côtes de l'Angleterre ^. En tête de son Essai, il
examinait à fond cette question, qui était en effet la con-
dition première du problème : une descente en Angleterre
est-elle praticable ? Et il la résolvait en mettant sous les
yeux du ministre des arguments analogues à ceux de
M. Durand. Il rapportait, comme un fait avéré, qu'au
commencement de la dernière guerre, le gouvernement
anglais avait soumis cette question à un conseil d'ami-
raux, et que ceux-ci avaient expressément déclaré qu'ils
ne répondraient jamais d'empêcher une descente, même
avec deux fois plus de forces navales à opposer à l'ennemi.
7. Pierre-François de Béville. Né à Paris, le 21 juin 1721. Fils d'un mar-
chand drapier de la rue Saint-Denis. Lieutenant au régiment de Lowendal,
9 juin 1746 ; rang de lieutenant-colonel de dragons, 27 avril 1761 ; briga-
dier, 5 septembre 1778 ; maréchal général des logis de l'armée en Amérique
septentrionale, mars 1780 ; maréchal de camp, 5 décembre 1781. Archives
administratives de la Guerre : dossier Béville.
8. Cet Essai, dont on reparlera plus loin, se trouve aux Archives natio-
nales (AF IV 1597j, parmi les documents réunis sous le Consulat en vue de
la descente en Angleterre, n ne porte pas de nom d'auteur ; mais la lettre
suivante, qui le précède, indique qu'il est de M. de Béville.
« Pont. Départ-, du Calvados, le 28 vend, an 12. [21 octobre 1803.]
« Général premier Consul,
« Permettez qu'un ancien militaire vous offre le fruit des veilles et des
travaux de son père, mort maréchal de camp au service de France. C'est
une reconnaissance d'une partie de l'Angleterre, suivie d'un projet de
descente, le tout accompagné de plans levés sur les lieux avec soin. Ce
travail fut ordonné, en 1770, par le duc de Choiseul... Je m'estimerai
heureux si le plus grand général de l'Europe daigne les accueillir, y
reconnaître le zèle qui animait leur auteur pour la gloire de sa patrie et
applaudir aux vues qu'il avait pour abaisser l'orgeuil {sic) de ses ennemis.
« Salut et respect.
« Charles Béville,
« Ancien colonel, adjudant général. »
Suit, avant l'Essai, qui est de décembre 1770, une note de M. de Béville,
de 1768, sur la reconnaissance de trois points du canal de Bristol.
446 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
Les exemples abondaient des terreurs paniques que les
menaces de descente avaient toujours causées aux
Anglais. Même en 1761, quand le désastre de Quiberon
avait fait avorter tous nos projets offensifs sur l'Angle-
terre, l'impression de la frayeur qu'ils avaient fait naître
était encore si forte que l'amiral Boscawen jeta l'alarme
dans Londres, qu'il y eut une grande inquiétude à la
cour et une grande baisse des fonds publics, parce qu'on
avait signalé vers Douvres l'apparition d'une cinquan-
taine de voiles : or, c'étaient des navires marchands
hollandais et des navires charbonniers anglais. Comme
l'a dit un grand homme de mer, notre amiral Jean de
Vienne, « les Anglais ne sont jamais plus faibles que chez
eux... » Ils ont le sentiment de cette faiblesse intérieure,
ils sentent très bien qu'une descente amènerait une per-
turbation terrible dans les finances et, par suite, dans le
gouvernement ; aussi, ils vivent dans un état continu
d'alarmes. C'est, pour tous les ennemis de l'Angleterre,
le meilleur argument en faveur du succès d'une descente.
Choiseul s'était rallié assez vite aux idées de
M. Durand, que le plaidoyer de M. de Béville exprimait];
encore avec plus de précision. Les réformes qu'il avait
accomplies au ministère de la Marine et que son cousin
continuait dans le même esprit, le développement ininter-
rompu des constructions navales, la continuité de nos
bons rapports avec l'Espagne avaient donné, en quelques
années, à la marine et à la politique de la France, une
solidité qui permettait d'entreprendre de gi'andes choses.
Il n'y avait plus qu'à étudier dans les bureaux de l'état-
major un projet de descente, et pour cela, charger, avant
tout, un agent éprouvé de faire une enquête topogra-
phique le long des côtes anglaises.
Depuis la révolution de 1688 et les diverses tentatives
LES PROJETS MARITIMES DU MINISTÈRE DE CHOISEUL. 447
de restauration qui avaient suivi, il y avait en France,
soit à la cour, soit à l'arnif^e, un assez grand nombre
d'Écossais ou d'Irlandais, jacobites ardents, à qui les
malheurs répétés de Jacques II, du Prétendant et de
Charles-Edouard n'avaient rien enlevé de leur foi et de
leurs espérances. C'est à l'un d'eux que Choiseul donna
cette mission de confiance : il s'appelait Grant de Blair-
fîndy, était Écossais et servait en France comme lieute-
nant-colonel d'infanterie.
Choiseul, qui dirigeait alors les Affaires étrangères, lui
fît remettre, à la date du 11 avril 1767, une « Instruction
particulière et secrète », qui contenait un programme
fort étendu. Blairfmdy devait, en effet, « connaître tous
les points de la côte d'Angleterre où il peut être possible
de débarquer, en distinguant ceux qui ne peuvent servir
que pour de petits bâtiments de ceux où il deviendrait
facile d'y faire aborder des vaisseaux )>. Il devait, en
outre, faire une enquête détaillée à l'intérieur du pays sur
Vétat des routes, les ressources matérielles, l'esprit des
habitants, les forces militaires.
Grâce à sa connaissance de la langue et des mœurs
anglaises, Blairfmdy put faire son enquête dans le pays
sans donner lieu à aucun soupçon. Après un premier
séjour en Angleterre, car il dut y séjourner à plusieurs
reprises, il commença à rédiger ses rapports au ministre,
étant à Dieppe, en mai et juin 1768. L'ensemble de ses
mémoires, qui est fort volumineux, est divisé en treize
parties, qui portent le nom bizarre de Rayons^ chacune
i'elles correspondant à peu près à une région géogra-
phique déterminée.
Blairfmdy ne se borne pas à mettre sous les yeux de
Choiseul les résultats matériels de son enquête topogra-
phique, qui avait été faite avec beaucoup de détails et
qu'accompagnent quelques plans minutieusement levés ;
448 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
il expose en outre ses propres idées en vue des mesures à
prendre pour une descente. Il y a, dans cette partie de
ses mémoires, plusieurs points qui méritent d'être
signalés, ainsi ce qu'il dit de la position d'Ambleteuse ;
Bigot de Morogues en avait le premier indiqué la valeur,
dans son projet de 1759. Et ceci paraîtra d'autant plus
intéressant que les papiers de Blairfmdy sont passés plus
tard sous les yeux de Napoléon quand il préparait, à
l'époque du Consulat, l'expédition d'Angleterre ^.
r. faut, dit-il, que les vaisseaux de guerre et les fré-
gates s'assemblent dans la rade d'Ambleteuse, c qui est
la seule propre pour cela de toute la côte, distante de
celle d'Angleterre de six à sept lieues. Le mémoire de
M. le marquis de Courtanvaux, avec le plan qui en a été
levé par le sieur Ozanne dans ma présence, démontrera
amplement ce que j'avance à l'égard de cette position
heureuse. » Il est de toute nécessité, ajoute-t-il, de cons-
truire à cet endroit << un port de roi », c'est-à-dire un
port pour des vaisseaux de guerre. <( L'emplacement
d'Ambleteuse est, sans difficulté, le plus beau qu'il est
possible de trouver depuis Ostende jusqu'à Antibes. »
C'est donc dans ce port et dans les ports voisins, Bou-
logne, Audresselles, Wissant, Sangatte et Calais, que se
réuniront les bâtiments pour le transport d'une armée de
cinquante mille hommes.
Le lieu de débarquement est le port de Deal, sur la
côte de Kent, d'une grande facilité d'accès. Les Anglais
ne songeront pas à défendre ce point, d'autant moins
que leur attention sera attirée d'un autre côté par de faux
préparatifs faits à Brest, à Saint-Malo et en Normandie.
Nous ne suivrons pas Blairfindy dans l'étude des opéra-
9. Us sont aux Archives nationales : AF iv 1597. — Plusieurs copies des
mémoires de Blairfindy : A, G., Angleterre, l ter.
LES PROJETS MARITIMES DU MINISTÈRE DE CHOISEUL. 449
lions qui doivent avoir lieu après le débarquement et
l'occupation des trois châteaux de Deal, Walmer et San-
down ; l'indication, minutieusement détaillée d'ailleurs,
des divers cantonnements et des trois grands magasins
de Sandwich, Canterbury et Rochester, ainsi que le plan,
très étudié aussi, de la grande bataille à livrer dans la
plaine de Wimbleton, n'intéressent pas les opérations
maritimes. Et, d'une manière générale, on peut repro-
cher à ce colonel d'infanterie de s'occuper plus de la
terre que de la mer, dans un programme militaire où le
premier rôle, — on ne dit pas le seul, — appartient sans
conteste à la mer.
Relevons encore cette idée, qui fait partie du second
Rayon. Une autre descente devra être faite, en même
temps que la première, sur les côtes de Sussex avec
vingt-quatre mille hommes. Pour ces opérations, Blair-
fîndy conseille de n'employer que des bateaux pêcheurs ;
ce sont d'excellents voiliers, avec lesquels on peut
aborder partout et transporter cent et même deux cents
soldats ; il donne le relevé de ces bateaux à employer
dans les ports de Dieppe, Saint-Valéry, Fécamp. L'expé-
dition doit se faire très secrètement, sans aucun appareil,
en pleine paix ; on déclarera la guerre aux Anglais après
avoir débarqué chez eux. Les Anglais n'ont-ils pas com-
mencé en 1754 et 1755 par faire main basse sur tous nos
vaisseaux en pleine paix ? On peut compter qu'ils sont
prêts encore à faire de même, dès que notre marine leur
donnera de nouveau de l'ombrage. C'est à nous de les
prévenir.
Choiseul chargea M. de Bourcet, lieutenant général,
d'examiner en détail les résultats de l'enquête de Blair-
findy et ses propositions stratégiques. Le rapportée ce^
officier général, en date du 15 avril 1770, fut très favo-
rable au travail de son collègue ; il concluait en conseil-
29
450 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
lant fortement la descente en Angleterre, telle qu'elle était
présentée, tout en désapprouvant une entreprise en
Irlande, qui était proposée dans le douzième Rayon. La
disgrâce de Chois€ul coupa court aux espérances que le
colonel écossais avait pu concevoir pour l'exécution de
ses idées. Il devait les représenter plus tard à deux
ministres de Louis XVI, le maréchal Du Muy et le mar-
quis de Castries, à une époque où la préparation d'une
descente n'était plus un mystère pour personne ; mais il
ne paraît pas qu'on y ait fait attention alors. Comme tant
d'autres projets, les Rayons de Blairfmdy étaient destinés
à rester dans le silence des archives.
La question d'une descente en Irlande s'est toujours
rattachée aux projets de débarquement en Angleterre.
Fallait-il en faire l'opération principale ou l'opération
secondaire ? Les avis des hommes du métier ne diffé-
raient guère que sur ce point ; peu la rejetaient tout à
fait, comme M. de Bourcet.
Un mémoire anonyme i^, de juin 1769, consacré à cette
question, et reposant sur une connaissance approfondie
de l'Irlande, est d'avis qu'une descente dans cette île ne
doit jamais être qu'une opération secondaire, destinée à
venir à l'appui de l'opération principale, laquelle doit se
faire en Angleterre. L'opinion est intéressante, car on
voit à certains détails techniques qu'elle émane d'un
officier de marine. Pour la diversion en Irlande, cet
officier faisait partir un corps expéditionnaire de Brest
et de Morlaix et le faisait débarquer dans la baie de
Greenore, à Ballytraman, près Wexford ; de là il le con-
duisait par plusieurs étapes jusqu'à Dublin. Lui aussi
affirmait que la ruine des Anglais était certaine, et qu'ils
10 A. N.. AF in 186B : dossier 857. n» 6.)0 n08 S]> li/SVB'li U/3 Oklfi'l
LES PROJETS MARITIMES DU MINISTÈRE DE CHOISEUL. 451
le savaient bien eux-mêmes, si des troupes françaises
descendaient dans leur île. Mais pour exécuter « cette
résolution qui, seule, ferait respecter nos armes dans les
siècles les plus reculés », pour faire perdre une bonne
fois à nos voisins « cette habitude de venir nous inquiéter
chez nous », il y avait avant tout à résoudre une donnée
du problème, qui en était la condition même et qui ne
regardait que la marine : c'était la traversée de la
Manche. Comment l'exécuter ?
Un marin remettait à Choiseul, en 1769, un mémoire
où il proposait, pour la solution de cette partie du pro-
blème, de construire des bâtiments de transport d'un
nouveau type. Puisque nous n'avions pas le nombre de
navires suffisant à opposer aux Anglais, il fallait changer
les conditions de la guerre. Ainsi avait fait, dans
l'ancienne Rome, le consul Duilius ; en accrochant avec
son « corbeau » un vaisseau carthaginois et en le rendant
immobile, il avait transformé les combats de mer en com-
bats de terre. Notre marin ne demandait pas de restaurer
les corbeaux de Duilius ; remontant plus loin encore dans
ses souvenirs d'histoire érudite, il proposait de construire
des navires ayant « à peu près la grandeur et le poids
des trières employées pendant la guerre du Péloponnèse
ou des premiers liburnes ». Ces petits bâtiment^,' iri^ii*-^
chant à la voile ou à la rame, auraient de pré'cïeâS îàvaîi-
tages de mobilité et de rapidité ; avec deux ëenfe 'ôii
deux cent cinquante liburnes réunies eiilre Dunkerque W
Morlaix, on pouvait débarquer quarante/ à ^'ciri^ùan^^^^
mille soldats aux environs d Arundell dans le Sûssex". Le
restaurateur des tri^reaet des liburnes modifia plus tard
la construction de ses navires, d'après les indications de
l'ingénieur Groignard, et présenta de nouveau, cette fois
à M. de Sartine, le projet que, dans sa modestie d'inven-
teur, il qualifiait de « grand ».^tr{( sublime » ; mais les
452 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
liburnes du capitaine de frégate Le Roy de La Grange ^^
n'eurent pas plus de succès en 1777 qu'en 1769 i^. Le
type des bâtiments de la guerre du Péloponnèse était
sans doute hors de saison ; mais n'était-ce pas à la même
idée nautique que devait se conformer Napoléon quand
il prit le parti de passer la Manche avec une fioltilie de
coquilles de noix ?
On a déjà parlé du projet de descente de M. de Béville.
V Essai qu'il présenta à Choiseul, à la suite de la mission
dont il avait été chargé, est fort étendu avec ses quinze
sections et ses trois mémoires justificatifs ^^ ; il révèle un
auteur intelligent, méthodique, très bien renseigné sur
l'état intérieur et les forces de l'Angleterre.
Une descente est-elle praticable ? On sait qu'il résout
cette première question par l'affirmative.
Doit-elle se faire avec le concours de l'Espagne ? Oui,
mais de manière cependant que l'opération espagnole
soit absolument distincte et séparée de l'opération fran-
çaise ; il serait même à souhaiter que l'opération espa-
gnole se réduisît à une simple démonstration. Nous ne
discuterons pas cette opinion, à laquelle les divers projets
du temps touchent plus ou moins ; on peut, en effet,
apporter des arguments théoriques sur les avantages ou
les inconvénients de la réunion de forces militaires de
divers pays. Nous rappellerons seulement l'expérience
malheureuse qui fut faite en 1779, lors de la tentative de
descente en Angleterre des escadres réunies de France
et d'Espagne ^^ ; elle est de nature à faire proscrire d'une
11. 'Le Roy dô La Grange. G., l" août 1741 ; L., il février 1756; CA.,
15 janvier I363î ÇF.ftV octobre 1764; C. 15 novembre 1771; RCE., 25 oo
tobre 1782. A. M., C ' 169.
12. A. M., B * 160; f(A: $40-243. ^i^ 3r-.' :< ^ ..' .o;.._
13-, A. N., Af IV. 1597,. ^ .—:• ^;.r> -u,,-..- ^^ ,
14. Voir dans notre Marine mtiitaire tous Louïs XVI, Jes chapitre* xiJ-
XIV :-« La Campagne dis la Manche en iTTtL » ' ;:3.i;:ii: !
LES PROJETS MARITIMES PU MINISTÈRE DE CHOISEUL. 453
manière absolue les opérations combinées entre des
marines de pays différents, du moins si l'on songe à les
confondre sous un même commandement pour une action
commune.
Où doit se faire la descente ? Sur cette partie fort inté-
ressante du problème stratégique, les controverses des
faiseurs de projets sont sans fm ; faut-il débarquer dans
le Kent ou dans la Cornouaille, prendre Londres de face
ou à revers ? Les arguments paraissent excellents de part
et d'autre ; mais certes, le meilleur aurait été celui du
marin ayant fait débarquer un corps français sur un
point quelconque du sol britannique. Pour Béville, qui
parle sciemment, après avoir fait la reconnaissance
d'une partie de la côte anglaise, les points de débarque-
ment sont les ports de Lime en Dorset, de Dartmouth en
Devon, de Fowey et de Looe en Cornouaille. Là, les
Anglais ne sont pas sur leurs gardes comme dans le
Sussex, le Kent, l'Essex, d'où ils surveillent le pas de
Calais et les côtes françaises. « Un homme sous les
armes, dit-il, s'occupe d'effacer et de garantir son cœur,
sans songer à ses cuisses ou à ses jambes. Or c'est ici,
— et que l'on me pardonne cette expression, — c'est ici
un croc en ïambe qu'il faut donner à l'Angleterre et par
lequel on sera bien plus sûr de la renverser. »
De ces quatre points de débarquement, l'armée, qui
comprendra trente mille hommes, marchera sur Bristol
par des étapes qui sont indiquées ; elle n'aura pas de
peine à occuper ce grand port de commerce, dont la chute
produira dans Londres une panique inexprimable. <( A
quarante lieues de Londres, ce serait comme si l'on
menaçait de livrer aux flammes la Cité de Londres même.
Bientôt tous les corps de la ville de Londres importune-
raient de leurs cris et le roi d'Angleterre et le parlement
pour acheter la paix à quelque prix que ce fût ; c'est
454 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
alors que l'on reconnaîtrait la justesse de ce très ancien
dicton sur la nation anglaise : Anglica gens pessima
ridens, optima flens... »
D'où l'expédition doit-elle partir? Le lieu d'embarque-
ment est déterminé par le lieu de la descente ; c'est donc
à la hauteur de la Comouaille, sur les côtes de la Bre-
tagne, qu'il faut réunir le corps d'expédition. On ne peut
demander une côte plus propice ; des flottilles de bateaux
pêcheurs peuvent se disperser et s'abriter aux embou-
chures des rivières de Pontrieux, de Tréguier, de Mor-
laix, de Saint-Pol-de-Léon. On prendra huit jours de
vivres par bateau. On n'embarquera pas de chevaux, ce
qui sera un grand embarras de moins, si l'on peut en
effet, comme l'assure Béville, monter les cavaliers en
Cornouaille.
A quelle époque doit-on partir? Le choix du moment
dépend de la manière dont on effectuera le passage. Faut-
il demander le concours militaire d'une escadre et con-
quérir la Manche de haute lutte par une bataille ? Non,
répond sans hésitation notre officier. Une grande bataille
sur mer est toujours ruineuse pour les vaisseaux qui la
livrent, non moins que pour le convoi qu'ils doivent
protéger ; aussi l'avantage d'une escadre pour convoyer
une flotte de ce genre est illusoire. « Qu'une fausse
gloire ne nous aveugle pas. Les dieux eux-mêmes,
quand Homère les met aux prises avec les mortels, ne
dédaignent pas de porter leurs coups du sein des nuages
qui les enveloppent et de combattre Ajax à la faveur des
ténèbres. Passons en Angleterre comme des contreban-
diers ; nous y trouverons assez de quoi faire les conqué-
rants. » Pour jouer ce rôle de contrebandier, il faut
attendre les vents et les laisser disperser les vaisseaux
anglais. Dans un long mémoire sur les retardemenls
causés lors de la dernière guerre aux navires anglais
LES PROJETS MARITIMES DU MINISTÈRE DE CHOISEUL. 455
sortant des ports d'Angleterre, mémoire où l'histoire se
combine avec la météorologie, Béville établit que les
vents dominants dans la Manche sont les vents du sud et
du sud-ouest ; ils régnent surtout en automne et vers
la fin de l'hiver. C'est un de ces deux moments qu'il faut
choisir. Avec les vents du sud, les brumes et les longues
nuits, la flottille bretonne, réduite à elle-même, sans vais-
seaux ni frégates, passera la Manche, sans que son
projet soit démasqué. Pour le retour, une fois la paix
dictée à Bristol ou à Londres, il se fera sur les vaisseaux
anglais portant pavillon du roi Très Chrétien.
Tandis que M. de Béville rédigeait, sur l'ordre de
Choiseul, ce programme séduisant, Choiseul lui-même
jetait sur le papier les grandes lignes d'un plan d'opéra-
tions combinées entre les escadres française et espa-
gnole ; il l'avait arrêté, d'accord avec Grimaldi, le ministre
des Affaires étrangères du roi Catholique ^^. Il comptait
qu'en 1770, la France aurait quatre-vingts vaisseaux et
quarante frégates disponibles ; il faisait ainsi la réparti^
tion de ces forces :
Trente vaisseaux à Brest, pour constituer une escadre
puissante en vue du débarquement en Angleterre ;
Douze vaisseaux à Rochefort, pour couvrir la région
entre Loire et Gironde et prévenir les descentes anglaises
qui nous avaient paralysés dans la guerre précédente ;
Six vaisseaux et quatre frégates, pour croiser dans le
golfe de Gascogne, ayant leur point d'appui dans les
ports espagnols ;
Quatorze vaisseaux à Toulon, formant l'escadre de la
15. SÉGUR-DuPEYRON, La France, V Angleterre et VEspagne après la guerre
de Sept ans (1866). p. 77 et suiv. Cf. Doniol, Histoire de la participation de
la France à l'établissement des Etats-Unis d'Amérique, t. I, p. 143-144 ;
t. II, p. 161-164.
456 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
Méditerranée, où nous avions à présent la Corse à
défendre ;
Six vaisseaux à Port-Louis, formant la division de
Tocéan Indien ;
Douze vaisseaux à la Martinique, pour la garde des
Antilles.
Les trente vaisseaux de Brest seraient renforcés de
vingt vaisseaux que fournirait l'Espagne, et avec cette
puissante escadre, on frapperait enfin le grand coup.
Un projet de conquête du Portugal pour le compte
de l'Espagne, conquête qui atteindrait indirectement
l'Angleterre, se rattachait encore à ce vaste plan d'opéra-
tions maritimes.
Il n'y avait plus à présent qu'à choisir. Choiseul se
trouvait en présence de trois programmes qu'on pouvait
dire officiels : celui de Blairfindy, traversée d'Ambleteuse
dans le Kent ; celui de Béville, traversée des ports
bretons dans la Cornouaille ; celui des ministères de
Versailles et de Madrid, jonction à Brest des escadres
franco-espagnoles. Hélas ! la somme énorme de travail
que représentaient ces enquêtes et ces projets avait été
dépensée en vain, puisque Choiseul fut brusquement
congédié. Son successeur, qui était cependant l'auteur
àe plusieurs projets sur Jersey et le héros de Saint-Cast,
sembla prendre pour mot d'ordre de ne plus rien faire,
de ne plus rien préparer i^. Un historien du temps, peu
favorable cependant à Louis XV et ennemi des Anglais,
16. Toutefois, même alors, le ministre de la Marine faisait faire des
enquêtes sï)éciales en Angleterre. Les états de services de M. de Bavre
renferment cette note, à la date du 1" janvier 1772 : « Est passé en Angle-
terre, — il était brigadier des gardes-marine, — par permission du ministre,
pour prendre connaissances des forces navales et de la situation de chaque
port. Cet officier, sachant très bien parler l'anglais, est revenu, en a rap-
porté des cartes et des plans très intéressants. En juillet, rendu compte
de sa mission. A eu une gratification extraordinaire de 2 700 liv. » A. M.,
C 179.
LES PROJETS MARITIMES DU MINISTÈRE DE CHOISEUL. 457
l'auteur de la Vie privée de Louis XV, parlant du renvoi
de Choiseul, regarde comme un « bonheur réel... l'expul-
sion de ce ministre brouillon et turbulent », qui songeait
à replonger la France dans la guerre et dont la retraite
devint le sceau de la paix. Pour nous, mieux renseignés,
nous regarderons comme un malheur national le départ
du ministre qui, pour pouvoir déchirer un jour le honteux
traité de Paris, avait dépensé depuis sept ans tant d'intel-
ligence et d'énergie.
CHAPITRE XXV
LE PROJET DU COMTE DE BROGLIE
Le Secret du Roi. — Le comte de Broglie. — Enquêtes préparatoires
pour le projet. — Le projet définitif. — Communication du projet à
Choiseul. — Nouvelle rédaction du projet sous Louis XVI. — Con-
clusion.
Il reste à parler d'un dernier projet de guerre maritime
contre l'Angleterre, le mieux étudié et le plus complet,
croyons-nous, qu'on ait jamais rédigé ; jusqu'ici, on ne
le connaît, au point de vue proprement militaire, que
par quelques indications assez vagues ^ : c'est le projet
du comte de Broglie. On pourrait jusqu'à un certain
point l'appeler aussi le projet de Louis XV, car Louis XV
donna directement l'ordre de le préparer, il fut tenu au
courant des travaux de tout genre qui s'y rapportaient,
il fut seul à connaître les résultats d'une enquête pour-
suivie pendant plusieurs années. Comment Louis XV,
malgré son apathie invincible, a-t-il pu s'associer d'une
manière volontaire et toute personnelle à un projet qui
devait avoir pour conséquence la revanche maritime de
la France ? Il faut expliquer en quelques mots ce qui, au
premier abord, pourrait paraître incroyable.
L'expression, devenue classique, de Secret du roi,
1. L'analyse, d'ailleurs Incomplète, que l'Anglais Egerton (ci-dessus,
p. 264, n. 1) en a donnée dans la lievue contcm/poraine , 15 janvier 1867,
semble être passée à peu près inaperçue.
LE PROJET DU COMTE DE BROGLIE. 459
désigne la correspondance secrète que Louis XV entre-
tint, pendant plus de vingt ans, à l'insu de ses ministres,
avec des agents de confiance choisis par lui-même et que
lui seul connaissait ; l'histoire de cette diplomatie
occulte, mais singulièrement bien informée et clair-
voyante, a été exposée, il y a quelques années, par un
écrivain, homme d'État lui-même, que des liens de famille
rattachaient à l'agent le plus actif de ces informations
clandestines, au comte de Broglie. C'est dans le livre si
attrayant et si neuf de M. le duc de Broglie ^ qu'on peut
suivre, presque au jour le jour, la trame de ce travail
souterrain qui se déroule, à peu près ininterrompue, de
la paix d'Aix-la-Chapelle jusqu'à la fin du règne, à côté
de la politique officielle des ministres en place, à côté
aussi des scandales de la vie privée du souverain. C'est
là qu'on peut voir à découvert le triste caractère de
Louis XV, goûtant une jouissance de dilettante à savoir
mieux la vérité que ses ministres, à mieux connaître la
situation diplomatique de l'Europe, mais se gardant bien
de faire quoi que ce fût pour traduire en actes les avis
qu'il sollicitait et qu'il approuvait ; pour ce roi intelli-
gent, mais pervers, incapable d'une volonté continue et
efficace, il y avait une jouissance plus grande que de
savoir ce qu'il devait faire, c'était de le savoir et de ne
pas le faire.
Charles-François, comte de Broglie, frère cadet du
duc et maréchal de Broglie, lui-même brigadier des
armées du roi, avait commencé, à trente-deux ans,
l'apprentissage de la diplomatie secrète, quand il avait
2. Le Secret du Roi. Paris, 1879. — Le duc de Broglie n'a pas manqué de
parler (t. II, p. 90 et suiv.) du plan de guerre contre l'Angleterre qui avait
été composé par son parent ; il a donné les plus curieux détails sur le
chevalier d'Êon, avec qui le comte de Broglie se trouva en relations pour
ce travail ; mais il n'était pas dans son sujet d'exposer en quoi consistait
le projet lui-même, considéré au point de vue militaira
460 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
été question, en 1752, de préparer l'élection au trône de
Pologne du prince de Conti. Après avoir traversé des
péripéties de toute nature, au milieu desquelles il avait
fait preuve d'un esprit aussi perspicace que fécond en
ressources, après avoir été à un moment exilé avec son
frère au château de Broglie, sans avoir perdu d'ailleurs
la confiance de son singulier maître, il avait détourné
son attention du drame qui se préparait en Pologne pour
la donner à celui qui venait de se dénouer par le traité
de Paris et dont l'écho avait douloureusement retenti
dans son cœur de Français et de soldat. Moins de deux
mois après ce traité, il proposait à Louis XV, dont il avait
pu cependant sonder déjà toute l'indifférence et tout
l'égoïsme, de préparer un vaste plan de campagne mari-
time contre l'Angleterre. Séduit par ce qu'il y avait de
singulièrement hardi, de téméraire même dans une
pareille idée, à un pareil moment, se faisant à l'avance
comme un malin plaisir de triompher in petto de Choi-
seul, sur un terrain où le ministre de la Marine et de la
Guerre paraissait n'avoir point de maître, le roi accepta
la proposition Dès le 7 avril 1763, sans qu'un mot ait
transpiré de ce projet, qui ne devait être connu que de
quelques très rares initiés et pas des ministres, il ordonna
au comte de Broglie de se mettre à l'œuvre.
Exposons à présent, d'après les documents manus-
crits 3, la genèse et les résultats de ce travail.
3 Le dossier di projet du comte de Broglie occupe en entier trois gros
registres des Archives de la Marine : B * 297-299. Broglie envoya plus tard
à Louis XVI (17 décembre 1777) son « Plan de guerre contre l'Angleterre
rédigé, par les ordres du feu roi, dans les années 1763, 1764, 1765 et 1766...,
et refondu et adapté aux circonstances actuelles... » De cette seconde
édition, il y a deux copies aux Archives de la Marine (B* 132, B* 135) et
quatre copies aux Archives nationales, parmi les papiers réunis sous le
Consulat pour l'expédition d'Angleterre (AF iv 1597). L'une des copies des
Archives nationales porte cette note : « Ce cahier restera sous la garde
LE PROJET DTJ COMTE DE BROGLIE. 461
Avec l'activité incroyable que cet esprit extraordinaire
apportait à tout ce qu'il entreprenait, le comte de Bro-
glie, aussitôt qu'il eut reçu l'agrément du roi, commença
à préparer la réalisation de son idée. Elle ne lui appa-
raissait encore à lui-même que sous une forme bien
indéterminée. Il savait du moins qu'il ne s'agissait pas
d'improviser dans le silence du cabinet un plan de guerre
contre l'Angleterr-e, comme un rêveur peut imaginer
à priori telles combinaisons politiques ou militaires. Il
s'agissait de réunir avant tout, soit en Angleterre, soit
en France, tous les éléments d'une connaissance exacte
des deux pays, au point de vue de leurs côtes, de leurs
marines, de leurs ressources financières et militaires de
toute nature ; quand tous les éléments de cette vaste
enquête seraient réunis, alors seulement, on pourrait
combiner les diverses parties du problème à résoudre ;
et pour que le plan pût aboutir à un succès éclatant, il
fallait tout combiner, tout prévoir, le fort et le faible, de
manière à ne laisser à l'imprévu et au hasard que la part
seule que l'intelligence humaine ne peut jamais leur
dérober. C'était donc un travail de longue haleine à
entreprendre ; en fait, il demanda d'abord quatre années
continues, de 1763 à 1766.
particulière du directeur du dépôt général de la Marine, qui ne pourra le
ccmmuniquer ou délivrer des copies que sur un ordre par écrit du ministre
do la Guerre. Le 1"' nivôse l'an IV° de la république. Aubert Dubayet. »
Cette recommandation spéciale et le nombre même des exemplaires sont
des preuves de l'importance exceptionnelle du document.
Le duc de Broglie (Secret du Roi, t. II, p. 90) parle d'un exemplaire du
second manuscrit qui se trouve dans les papiers de famille du comte de
Broglie. Les Archives des Affaires étrangères possèdent un exemplaire de
la rédaction refondue pour Louis XVI (Mémoires et documents, Angleterre,
53). Les archives du ministère de la Guerre possèdent cinq copies com-
plètes de la même rédaction, et plusieurs copies incomplètes (Angleterre,
1 bis) Up exerçiplaire du projet se trouve encore dans une collection parti-
culière à ParjLs, Enfin, Egerton s'est servi d'une copie du règne de
Louis XVi, provenant des archives françaises,, poui son article de la
Revue contemporaine.
462 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
A qui confier les enquêtes préparatoires ? Certes, nul
n'était plus capable que Broglie lui-même de cette mis-
sion qui demandait autant de décision et de prudence
que de perspicacité ; mais il était le dernier à pouvoir
l'exécuter. Son nom, son passé, sa situation d'officier,
ne lui permettaient pas de garder l'incognito dans des
voyages qui pouvaient durer plusieurs mois et ne pou-
vaient manquer d'éveiller les soupçons ; or, le secret
absolu était la première condition du succès possible. Il
fallait donc demander à des collaborateurs cette première
partie du travail ; lui-même resterait dans le silence de
sa retraite au château de Broglie, tenant entre ses mains
et faisant mouvoir tous les fils de cette enquête mysté-
rieuse ; plus que jamais, son travail occulte mériterait le
nom de Secret du Roi.
Le comte, qui eut, depuis la première heure jusqu'à la
dernière, la direction unique de cette vaste entreprise,
proposa à Louis XV de charger M. de La Rozière de la
reconnaissance à faire sur les côtes anglaises ; c'était un
ingénieur et officier de mérite, qui avait fait partie de la
mission scientifique de l'abbé de La Caille dans l'Afrique
australe, il venait de servir avec éclat dans la dernière
guerre comme capitaine de dragons, il était en relations
personnelles avec les membres de la famille de Broglie ^.
Le comte adressa au roi des instructions pour cet agent
4. Louis-François Carlet, marquis de La Rozière. Ne au Pont-d' Arches
(Champagne), le 10 octobre 1733. Lieutenant au régiment de Touraine-
infanterie, 13 avril 1748 ; aide de camp du maréchal de Broglie, 1758 ;
brigadier de dragons et commandant en second à Saint-Malo, 12 no-
vembre 1770 ; maréchal de camp, 5 décembre 1781 ; créé marquis en 1779 ;
émigré en 1791 ; -|- 7 avril 1808, Lisbonne. Dans plusieurs de ses lettres il
donne cette adresse : « Hôtel de Broglie, rue de Varenne » ; ce qui est une
preuve de ses relations étroites avec la famille de Broglie. Une longue,
lettre qu'il adressa à Choiseul, — de Broglie. le 20 janvier 1764, — se
rapporte aux incidents de son séjour en Angleterre. Archives administra-
tives de la Guerre : dossier La Rozière. — Divers mémoires attribués à |
La Rozière, ou réunis par lui, sur la reconnaissance des côtes anglaises ou ^
sur des projets de descente : A. G., Angleterre, i. '
LE PROJET DU COMTE DE BROGLIE. 463
secret, qu'il datait à l'avance de Compiègne, le 26 juil-
let 1763 ; le roi se borna à mettre au bas, sans signer
d'ailleurs, le mot « Approuvé ». Quelques passages de
ce document sont de nature à faire comprendre les condi-
tions de la mission et les intentions de l'auteur du projet.
« Les événements malheureux de la dernière guerre
entre la France et l'Angleterre, dont les suites fâcheuses
ont nécessité des sacrifices considérables pour obtenir la
paix ; le ton de despotisme et d'arrogance que les Anglais,
enflés de leurs succès, ont pris pendant et depuis le cours
de cette négociation ; enfin, les preuves trop multipliées
qu'ils ont données qu'ils abuseraient toujours de leur
supériorité de forces sur mer pour empêcher l'augmen-
tation de la marine du roi et le soutien du peu de colonies
françaises échappé à leur avidité, ont déterminé Sa
Majesté à chercher dans ,^a sagesse et l'étendue de ses
lumières un moyen nouveau qui, pour réussir, exige un
travail assidu de quelques années... Il est... fort à
craindre que l'injustice et les vexations des Anglais ne
rallument la guerre entre les deux nations, et il s'agit de
se préparer à la faire avec le succès qu'on peut se pro-
mettre des mesures bien combinées... Sa Majesté porte
ses vues sur l'Angleterre. C'est là qu'elle aperçoit la
possibilité de vaincre son ennemi... Une descente en
Angleterre est donc l'objet qu'elle se propose... » Une des
raisons qui, dans la précédente guerre, se sont opposées
à l'exécution de ce projet, « a été le défaut des connais-
sances locales, tant des côtes britanniques les plus voi-
sines de notre continent que du pays où l'on aurait à
opérer, après être parvenu à un heureux débarque-
ment... »
M. de La Rozière devra étudier avec soin tçute la
région comprise entre l'embouchure de la Tamise et les
côtes de la Cçrnouaille ; on j lui signale en outre le port
464 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
de Tilbury, sur la rive gauche de l'embouchure de la
Tamise, à quelques lieues de Londres, parce qu'il n'y a
aucun obstacle entre ce point et la capitale. Il rapportera
un mémoire détaillé sur la situation des ports, arsenaux,
chantiers, magasins, la distribution des troupes. Il
s'informera aussi, en passant à Calais et à Dunkerque,
de la durée des opérations d'embarquement, des opinions
sur l'utilité des bateaux plats, de la possibilité de perfec-
tionner les signaux, etc. Il devra s'entendre avec le sieur
d'Éon, « se concerter avec lui dans toutes les circons-
tances et lui communiquer généralement tout son tra-
vail. Il conviendra avec lui de la tournure qu'il sera à
propos de donner à son séjour en Angleterre, tant vis-à-
vis de la cour et des habitants du pays, que vis-à-vis de
l'ambassadeur de France, que Sa Majesté, pour des rai-
sons particulières, n'a pas cru devoir admettre au secret
de la présente commission... »
Nous n'avons pas à parler ici de l'étrange personnage
auprès de qui La Rozière était accrédité, le chevaher ou
la chevalière d'Eon, car les contemporains ont différé
d'avis sur le sexe de ce diplomate de fantaisie et de ce
capitaine de dragons qui porta pendant quelque temps
des vêtements de femme ; on trouvera dans le Secret du
Roi l'histoire véritable de cette manière d'aventurier,
dégagée de tout ce que la légende avait ajouté de scanda-
leux et d'invraisemblable à une existence déjà suffisam-
ment accidentée. Avec le romanesque et le bizarre de sa
vie privée, le chevalier, d'ailleurs fort intelligent, sem-
blait fait pour les petites intrigues et les petits papiers
du service de renseignements secrets où se complaisait
Louis XV ; mais il y avait peut-être quelque imprudence,
de la part d'un esprit réfléchi comme le comte de Broglie,
à faire de cet écervelé le dépositaire d'un pareil secret î
LE PROJET DU COMTE DE BROGLIE. 465
elle faillit coûter cher au projet lui-même et à ceux qui
y prirent part 5.
L'instruction donnée à M. de La Rozière entre dans les
plus minutieuses recommandations sur les précautions à
prendre pour rendre le secret impénétrable : ne rien dire
au secrétaire, le sieur Nardin, qu'il était autorisé à
emmener pour la levée des plans, les copies, etc. ; ne rien
garder chez soi des documents ayant trait à la mission ;
n'en parler à âme qui vive, sauf au comte de Broglie,
au chevalier d'Éon, aux sieurs Durand et Tercier, autres
agents du Secret du roi ; faire passer les lettres par
d'Eon, toujours toutes chiffrées en entier et avec un
cachet uniquement réservé à cette correspondance.
Bien pénétré de l'esprit de cette instruction, ayant eu
sans doute le loisir de la commenter dans des entretiens
personnels avec le comte, M. de La Rozière se rendit
aussitôt en Angleterre ; il avait un traitement de mille
livres par mois ^. Sa mission secrète fut malheureuse-
5. D ailleurs, le projet ne parait pas avoir été jamais découvert par les
Anglais, pas plus à ce moment que dans la suite. A ce propos, le dossier
contient la note suivante, qui n'est point signée ; elle doit dater de 1804-
1805.
« Il paraît bien évident que M. de La Rozière a été fidèle, avant et pen-
dant son émigration, au Secret du roi. Car les Anglais, avant les projets
de l'Empereur [Napoléon I"], n'avaient pas même pensé à fortifier la partie
indiquée de leur île comme seule vulnérable. D'un autre côté, il paraît
que les premiers travaux, les brouillons, ont été brûlés en Angleterre par
La Rozière et d'Éon. Il paraît enfin qui ni d'Éon ni La Rozière n'ont trahi
les secrets du roi, car d'Éon vieillit à Londres en repos, et La Bastide,
conservateur des documents, est mort de vieillesse et de besoin.
« Je me trouve donc seul nanti de ce dépôt si précieux que, quoique La
Bastide ait été emprisonné quand il l'a offert au Directoire, je ne dois
rien négliger pour le faire parvenir de suite dans les mains de Sa Majesté
Impériale, me tirant, comme je le pourrai, des dangers et positions cri-
tiques et menaçantes où d'Éon, La Rozière et La Bastide se sont trouvés.
« On m'a assuré que les Anglais, menacés par Sa Majesté Impériale
d'une descente, avaient fortifié cette partie de leurs côtes. »
A. M., B" 297, fol. 13.
6. Louis XV au comte de Broglie, 28 avril 1763. Boutaric, Correspondance
secrète inédite de Louis XV, t. I, p. 292. Cette Correspondance renferme
quelques pièces qui se rapportent au projet du comte de Broglie.
30
463 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
ment interrompue, avant la fm de la même année, par
les querelles indécentes que l'impertinent chevalier
d'Eon eut alors avec notre ambassadeur, le comte de
Guerchy ; craignant que le secret ne fût découvert au
milieu de tant de scandales et de sottises, La Rozière
s'était hâté de quitter un terrain dangereux, non sans
avoir brûlé tous ses brouillons et la copie de son instruc-
tion. Cependant, il avait eu le temps de reconnaître dans
le plus grand détail trente lieues de côtes depuis South
Foreland dans le Kent jusqu'à Beachy Head dans le
Sussex. En faisant part de ces résultats au comte de Bro-
glie, dans une longue lettre du 14 décembre 1763, il ajou-
tait quelques considérations pohtiques et militaires, car
elles répondaient à ses pensées intimes et à ses plus
chères espérances.
(( Les Anglais, enorgueillis des succès qu'ils ont eus
pendant la guerre dernière, attribuent, avec raison, tous
leurs avantages à la supériorité de leur marine. Ils ne
cessent de s'occuper de la conserver et ils donneront, s'il
le faut, jusqu'à leur dernier sol pour se l'assurer... La
France sans marine ne peut que décliner, c'est une vérité
qui n'est que trop prouvée ; mais, puisqu'on ne peut
espérer de relever cette marine de l'anéantissement où
elle est par aucun moyen qui ne soit bientôt connu des
Anglais, et ne donne lieu à une rupture ouverte de leur
part, et que nous en avons un sûr et particulier pour
reprendre la supériorité sur cette nation, que ne devons-
nous pas faire pour le perfectionner et en accélérer
l'exécution ?
(( J'ose avancer... que l'exécution d'une descente en
Angleterre est non seulement possible, mais qu'elle sera
même facile, du moment que Sa Majesté en aura réelle-
ment la volonté et qu'il lui plaira de prendre les moyens
préparatoires à un projet aussi vaste... »
LE PROJET DU COMTE DE BROGLIE. 467
Le 12 juillet 1764, le comte de Broglie faisait parvenir
au roi, — dans un étui de fer-blanc fermé d'un cadenas
dont le roi devait garder la clef lui-même, — la carte
détaillée des trente lieues de côtes et des itinéraires sur
Londres que La Rozière avait relevés ; une petite carte
générale de l'Angleterre y était jointe pour se rendre
compte de l'éloignement des différents points de la côte
à la capitale.
Il s'agissait à présent de faire faire, en vue de rembar-
quements, la reconnaissance des côtes de France. Bro-
glie était convaincu qu'elle prouverait la possibilité et
même la facilité de l'exécution du projet. « Un royaume
comme celui-ci est si abondant en ressources de tout
genre qu'il ne faut que s'en occuper sérieusement pour
les trouver. »
La Rozière fut encore chargé de cette enquête ; elle
commença à Dunkerque et finit à Antibes, ayant duré
environ sept mois.
Dans une très longue dépêche, du 23 février 1765, Bro-
glie communiquait au roi les grands résultats de l'enquête
secrète qui venait d'être faite dans tous les ports du
royaume. <( Votre Majesté verra peut-être avec étonne-
ment... que sa marine militaire et marchande n'est pas
dans l'anéantissement où ses ennemis la désirent et la
croient et où toute l'Europe et les Français même la sup-
posent. Heureuse erreur qu'il est bien important d'entre-
tenir. » En attendant le plan général du projet, dont la
confection demandera plusieurs mois, il présente pour
le moment au roi ce qu'il en appelle « le prospectus ».
Comme pour faire une fois de plus la leçon à son
auguste lecteur et le convaincre de la nécessité de ces
opérations futures, il expose d'abord quelques vues géné-
rales.
468 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
(( Je commencerai, sire, par établir comme une
maxime reconnue pour incontestable que tout Etat qui se
réduit à une simple défensive commence dès lors à
déchoir, qu'il perd chaque jour de sa considération... Cet
État est, de plus, obligé de multiplier ses forces pour
parer de tous côtés, puisque l'opinion que ses ennemis
conçoivent alors de sa faiblesse et de son épuisement les
enhardit à augmenter de prétentions et les détermine
même à l'attaque... La conséquence naturelle de ce prin-
cipe est que le seul moyen de sortir de la position où se
trouve la France vis-à-vis de l'Angleterre, si peu propor-
tionnée à la dignité de sa couronne et à la force réelle de
sa puissance, est de former un plan général bien réfléchi,
dont le but serait d'abaisser son arrogance... » Voici
donc les grandes lignes de ce plan général.
S'entendre avec les Espagnols, mais pour leur
demander plutôt des fausses attaques que des opérations
décisives ; réunir une escadre espagnole à la Havane
pour faire des 'démonstrations contre la Nouvelle-Angle-
terre et la Jamaïque ; en réunir une autre en Espagne
pour menacer Gibraltar.
Faire nous-mêmes deux séries d'opérations : d'abord,
deux diversions avec la flotte de la Méditerranée, l'une
vers Minorque, l'autre à l'île de France, « pour y exécuter
un ancien projet de M. de Là Bourdonnais », une croi-
sière vers le détroit de la Sonde ; ensuite et enfin, « le
grand projet, qui sera la gloire du règne de Votre
Majesté, le salut de son Etat et la mettra à portée de ne
plus songer qu'à faire le bonheur de ses peuples ».
Peu à peu les lignes de ce projet gigantesque, qui
embrassait les deux mondes, se précisèrent dans l'esprit
de son auteur. Quelques mois plus tard (juin 1765), il
envoyait au roi deux mémoires « sur la disposition gêné-
LE PROJET DU COMTE DE BROGLIE. 469
raie du projet » : l'un se rapportait à la France, l'autre
à l'Espagne.
La partie espagnole du projet comprend quatre opéra-
tions : siège de Gibraltar, attaque de la Jamaïque,
descente en Irlande, envoi d'une armée d'observation sur
la frontière du Portugal.
La partie française en comprend quatre aussi : diver-
sion en Ecosse, diversion sur Mahon, envoi d'une escadre
à l'île de France, rassemblement d'une armée d'observa-
tion en Flandre.
Mais ce sont là comme des parties accessoires. « Le but
principal... doit être la descente en Angleterre... C'est à
Londres qu'il faut aller. Toutes les autres expéditions
projetées entre les deux couronnes, indépendamment du
succès qu'on doit en attendre, ont essentiellement pour
objet d'étourdir l'ennemi, de surprendre son attention et
de diviser ses forces, de manière qu'il ne puisse empê-
cher le trajet de la flotte et son débarquement sur les
côtes d'Angleterre. » A maintes reprises et sous toutes
les formes, Broglie revient, avec une ténacité d'apôtre,
à cette idée : pour abattre l'Angleterre, il faut un grand
coup, et c'est seulement en Angleterre que ce grand coup
peut être frappé.
En vue du passage, il examine en détail la question
des préparatifs matériels : forces de terre et de mer,
vivres, munitions, etc. Il entre enfin dans les détails
d'exécution. On armera à Brest vingt-six vaisseaux et
quatre frégates ; à Rochefort, huit vaisseaux, six fré-
gates et six prames. On réunira les bâtiments de trans-
port en divers points de la côte, de Dunkerque à
Bayonne. (Plus tard, dans le projet définitif, toute la
flottille des transports devait être, et à juste raison,
réunie dans la Manche.) L'escadre de Brest rejoindra
l'escadre de Rcchefort partie la première, pour marcher
470 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
ensemble jusqu'à la hauteur de Plymouth. L'escadre de
Rochefort restera en croisière devant ce port. Celle de
Brest continuera jusque par le travers du canal de Ports-
mouth. Alors se fera le passage des transports en quatre
divisions, portant un ensemble de soixante mille hommes
et devant atterrir entre Dunge Ness et Beachy Head,
respectivement devant Rye, Winchelsey, Hastings,
Pevensey. Les opérations du débarquement ayant été
effectuées d'après les instructions spéciales de cette
partie du projet, l'armée se mettra en route sur Londres ;
en huit marches, dont les détails sont minutieusement
indiqués, elle arrivera jusqu'à l'intérieur de la capitale
anglaise.
Un état estimatif évalue à environ trente-trois millions
la dépense nécessaire au transport de l'armée.
Quand on en est arrivé à cet endroit, dans la lecture
des papiers du comte de Broglie conservés aux archives
de la Marine, on est fort étonné de rencontrer, à la date
de mars 1768, un mémoire du comte au duc de Choiseul,
dans lequel il lui expose ses projets sur la descente en
Angleterre*^. Sans lui dire en aucune manière qu'il ait
été chargé par Louis XV de quoi que ce fût ni qu'il ait
jamais communiqué ses plans au roi, il apprend au
ministre ce qu'il a fait lui-même et met à sa disposition
cet ensemble de travaux préparatoires en souhaitant
qu'il puisse lui être utile.
Que s'était-il donc passé pour que le secret fût révélé
par Broglie lui-même au ministre à qui il avait été sur-
tout question de le cacher ? Le comte, dégoûté sans doute
de rédiger toujours des projets qui ne servaieitt qu'à la
7. « Mémoire du comte de Broglie au duc de Choiseul ; il lui explique
les causes de son inaction apparente et lui expose ses projets sur la
descente. — Mars 1769. » (B * 297.) — « 1769 » est un lapsus ; les diverses
instructions, rédigées à la suite de ce mémoire et que l'on va citer, portent
toutes la date de 1768.
LE PROJET DU COMTE DE BROGLIE. 471
distraction stérile du roi, alors qu'un mot de lui aurait
^ sulFi pour les faire exécuter, avait déjà demandé à son
maître de le laisser communiquer au ministre ses propres
travaux. Le ministre travaillait de son côté à des projets
^ contre l'Angleterre ; ne valait-il pas mieux unir tous ces
^ efforts pour le bien du pays ? D'autre part, Broglie ne se
faisait pas la moindre illusion que Louis XV le sacrifie-
rait sans hésitation à la colère et à la jalousie du ministre,
si celui-ci venait à découvrir une correspondance dont
le secret commençait à s'ébruiter. Aussi il y avait intérêt,
et pour l'exécution de ces plans qui lui avaient coûté tant
de peine et pour lui-même, à mettre Choiseul au courant
de ce qui s'était fait. Louis XV n'y avait pas consenti
tout de suite ; il lui en coûtait de renoncer à son « amu-
sette )), dont le mystère même constituait le plus grand
charme pour son esprit blasé. Broglie, cependant, dut
insister et il finit, comme on vient de le voir, par obtenir
la permission qu'il demandait.
Sans se donner le plaisir d'approfondir auprès du
comJe le mystère dont il n'était dupe qu'en partie, Choi-
seul accepta la communication des documents précieux
qui lui était faite d'une manière inattendue. Il prit le
parti de les contrôler et de les compléter par une nou-
velle enquête, plus générale encore, entreprise avec les
ressources officielles de l'administration. De là, diverses
instructions, signées de son nom et transmises par le
comte de Broglie à plusieurs agents, Hugel, Mesnil-
Durand, Béville, La Rozière, d'Ormay, pour la recon-
naissance des différentes parties des côtes de France
(août 1768) ; ces rapports devaient être tenus dans le
plus grand secret ; ils seraient remis au comte qui les
ferait passer au duc ^.
8. Ces diverses Instructions sont au volume B * 298. Elles sont signées du
âuc de Choiseul à divers jours du mois d'août 1768. et envoyées au comte
472 LA MARINE AHLITAIRE SOUS LOUIS XV.
Broglie et Choiseul, qui depuis plusieurs années pour-
suivaient le même but par des voies parallèles, qui
n'avaient au cœur que la haine de l'Angleterre et la pas-
sion de la revanche, ne pouvaient que s'applaudir tous
deux de la forme nouvelle que prenait le projet anglais.
De tant d'efforts mis en commun il allait sortir je ne sais
quoi de grand, dont le succès serait comme certain.
Hélas ! nous ne savons que trop ce qu'il advint. Choiseul
fut soudainement congédié, et les idées de revanche
disparurent dans sa chute.
Pour le chef de la correspondance secrète, il n'était
plus question d'entretenir encore son maître d'une expé-
dition en Angleterre. La fin de ce triste règne fut dure
pour lui ; le duc d'Aiguillon, avec qui il était en rapports
difficiles, l'avait fait exiler à Ruffec ; il n'obtint de
revenir à la cour qu'après la mort de Louis XV et le
renvoi de l'auteur de son exil.
Une aurore nouvelle paraissait alors se lever sur la
France. Le nouveau roi aimait la marine ; on ne parlait
que de réformes ; on entendait gronder l'orage qui allait
éclater avec fracas de l'autre côté de l'Atlantique. Le
comte de Broglie, toujours infatigable, écrivit au comte
de Saint-Germain, ministre de la Guerre, pour l'instruire
du travail qu'il avait fait en vue de la préparation d'une
descente en Angleterre 9. Mais voici que les insurgents
d'Amérique venaient de faire capituler une armée
anglaise à Saratoga ; le gouvernement de Louis XVI ne
pouvait pas tarder davantage de céder aux vœux de
de Broglie, pour que celui-ci les fasse parvenir aux intéressés. Ces docu-
ments attestent d'une manière certaine l'existence des relations qui
s'établirent alors entre le chef officiel du ministère et le chef de la diplo-
matie secrète ; elles n'enlevaient pas d'ailleurs au comte de Broglie la
direction du projet, mais elles donnaient au projet un caractère nouveau.
9. Lettre du 10 février 1776. B * 297.
LE PROJET DU COMTE DE BROGLIE. 473
l'opinion publique et à ses propres désirs. Le moment
était venu où la France allait enfin rompre avec sa rivale.
Broglie reprit une fois encore son plan de guerre contre
l'Angleterre ; après l'avoir, suivant ses propres expres-
sions, « refondu et adapté aux circonstances actuelles »,
il l'adressa au roi le 17 décembre 1777 lo.
Les mémoires que Broglie soumettait à Louis XVI
étaient précédés de ce qu'il appelle un « Mémoire d'expo-
sition ». Il y explique pourquoi « il prend la liberté de
présenter à Sa Majesté ses spéculations politiques et mili-
taires sur les affaires présentes... Ce fut dès 1763 même,
c'est-à-dire presque au moment de la paix, que le comte
de Broglie... proposa au feu roi de préparer ce grand
travail... Il savait que le roi gardait dans son cœur
l'ancien souvenir des injures de l'Angleterre... » Le
projet qui avait été composé pour Louis XV n'avait pas
été fait, (( comme se font trop ordinairement tous les tra-
vaux de ce genre, dans le cabinet et sur des spéculations
vagues et incertaines, mais sur les lieux et appuyé par
des calculs démonstratifs. Des officiers furent envoyés en
Angleterre ; ils reconnurent la possibilité de la descente,
les points de débarquement, les moyens de subsistance,
les marches, les camps, les positions, enfin toutes les
opérations possibles, jusqu'au delà de Londres. Ensuite
on calcula, on combina, sur nos côtes mêmes, tous les
moyens que nous avions pour exécuter le projet, les lieux
où devaient se rassembler les troupes, les ports où il
convenait de les embarquer, la quantité de bâtiments que
chacun d'eux pouvait fournir, les agrès qu'il fallait pré-
parer, l'artillerie, les munitions, les vivres, le nombre et
l'espèce de troupes nécessaires , tout enfin, jusqu'au
10. La lettre au comte de Saint-Germain et des passages du mémoire
adressé à Louis XVI ont été publiés par Doniol, Participation de la
France à l'établissement des Etats-Unis, t. Il, p. 668 et suiv.
474 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
calcul des vents, des marées, entra dans ce plan qu'on
accompagna en même temps de cartes ii, tableaux de
dépenses, et autres pièces propres à donner à la possi-
bilité du succès le dernier degré de probabilité...
(( Tel fut le travail immense remis par le comt^ de
Broglie entre les mains du feu roi. Ce prince n'en a pas
tiré le parti dont il était susceptible... Sa sagacité, qui
lui faisait en toute occasion apercevoir les meilleurs
partis, — on remarquera ce jugement sur Louis XV
adressé à Louis XVI, — n'était malheureusement pas, si
on ose le dire, accompagnée du caractère qui les exécute ;
ainsi, aucune des mesures préparatoires indiquées par
le comte de Broglie ne fut prise...
(( C'est cet ancien travail examiné, refondu, appliqué
dans le plus grand détail aux possibilités actuelles, qu'il
prend la liberté de mettre sous les yeux de Sa Majesté...
Il s'agit aujourd'hui d'un intérêt majeur, de celui de
l'État et de la gloire du roi. Dans cette grande crise, le
comte de Broglie croirait son silence coupable, et il a
regardé le travail suivant comme une dette envers sa
conscience et envers son maître. »
Le projet qui était soumis à Louis XVI ne diffère que
par des détails, qu'on peut dire secondaires, du projet
qui avait été soumis à Louis XV ; les grandes lignes n'ont
pas varié, les opérations, tant réelles que simulées, sont
les mêmes. Mais les moindres parties du programme ont
pris une précision extrême : vaisseaux, hommes,
11 II est fréquemment question de ces cartes dans les Mémoires de Bro-
glie ; on y renvoie aussi à « l'atlas du sieur de La Rozière ». Ces documents
cartographiques sont aujourd'hui dispersés. Une carte, à très grande
échelle, représente la côte anglaise entre Folkestone et Hastings et la région
intérieure voisine ; mesurant 132 centimètres sur 96, dessinée à la main,
en couleur, elle donne, dans un extrême détail et avec beaucoup de clarté,
les moindres accidents de terrain. (Deux exemplaires : A. M., B * 299 ;
A. N. IV 1597. Ce second exemplaire est en très mauvais état.) On a, d'autre
part, vingt planches et trois cartes, « composant l'atlas qui a servi à la
rédaction du mémoire » de La Rozière : A. G.. Angleterre, 1.
LE PROJET DU COMTE DE BROGLIE. 475
chevaux, tout est calculé à une unité près. Deux grands
tableaux, composés par le comte de Broglie i^, résument,
avec une très grande lucidité et les calculs les plus précis,
les volumineux mémoires dont leur auteur les avait fait
précéder.
Le tableau 1 offre le projet dans son ensemble : opéra-
tions françaises et espagnoles, moyens de défense des
Anglais. Les opérations des alliés n'auront jamais pour
résultat de combiner leurs escadres ; Broglie déconseille
ces actions combinées entre amiraux de divers pays, où
le temps se passe en discussions réciproques et où
chacun s'en remet à son voisin. Donc aux Espagnols,
l'entreprise sur Gibraltar, la diversion aux Antilles, la
descente en Irlande ; aux Français, la diversion sur
Mahon, la diversion sur l'océan Indien, la diversion en
Ecosse, la descente en Angleterre, qui est l'opération
capitale et décisive, que toutes les autres ont pour unique
mission de faciliter. Ce tableau donne, dans le plus grand
détail, l'indication de toutes les forces de terre et de mer
dont les Anglais peuvent disposer sur les différents points
menacés ^^ : calcul bien nécessaire, indispensable même,
cependant presque toujours négligé par les auteurs des
projets de ce genre, trop portés à ne pas tenir compte
des forces de l'ennemi.
Le Tableau II concerne l'ensemble des opérations de
la descente : armée de terre, armée navale, flotte de
transport, ports de rassemblement. L'armée navale,
composée de quarante vaisseaux, de vingt frégates et de
bâtiments légers, sera rassemblée en totalité à Brest.
C'est une des parties du projet auxquelles l'auteur tient
12. A. M., B * 299. Ils sont reproduits ici pour la première fois.
13. On ne reproduit pas ici de longues « Observations » qui figurent au
dos de ce tableau ; elles ont pour but de démontrer l'exactitude de tous le»
calculs gui ont servi à le composer.
476
LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
TABLEAU I
TABLEAU DES DIFFERENTES EXPEDITIONS ET OPERATIONS, TANT
SIF A CONCERTER, ENTRE LA FRANCE ET L'ESPAGNE CONTRE
LE NOMBRE DE VAISSEAUX ET DE TROUPES QUE LES DEUX
SERAIENT DANS LA NÉCESSITÉ D'Y OPPOSER.
POUR CE QUI CONCERNE LA FRANCE
I. La descente en Angleterre.
II. La diversion en Ecosse.
III. Diversion sur la Méditerranée,
menaçant Mahon et s'effectuant
ensuite dans les Grandes Indes.
IV. Renfort envoyé à l'île de France
par divers détachera ents partis
de divers ports, qui produiront
successivement l'efifet de com-
mencer à y donner de l'inquié-
tude aux Anglais.
Totaux .
POUR CE QUI CONCERNE L ESPAGNE
I. Entreprise sur Gibraltar.
II. Diversion en Amérique, ayant
pour objet de défendre les îles
et d'attaquer la Jamaïque, si
les Anglais se dégarnissent dans
cette partie du monde.
III. Descente en Irlande et dans le
canal de Bristol.
Totaux. . .
NOMBRE DE VAISSEAU
ET FRÉGATES
40 vaisseaux.
20 frégates.
6 frégates.
10 vaisseaux.
10 frégates , sans
compter les ché-
becks, etc.
50 vaisseaux.
36 frégates.
NOMBRE
DE TROUPES
60 000 h.
800 h.
15 000 11.
1500 11.
Escadres de Cadix
et de Carthagène
réunies :
12 vaisseaux.
8 frégates.
15 vaisseaux.
10 frégates.
Flotte du Ferrol :
15 vaisseaux de ligne.
10 frégates.
42 vaisseaux.
28 frégates.
77 300 b.
Camp de Saint-
Roch et de Cadix
destiné au siège :
20 000 h.
12 000 h.
15 000 h.
47 000 h.
LE PROJET DU COMTE DE BROGLIE.
477
TABLEAU I
REELLES QUE SIMULÉES, QUI FORMENT LE PROJET GÉNÉRAL OFFEN-
L'ANGLETERRE, D'APRÈS LES MEMOIRES CI-JOINTS, OU L'ON VOIT
COURONNES Y EMPLOIERAIENT, ET CELUI QUE LES ANGLAIS
FORCES QUE l'aNGLETERRE SERAIT DANS LA NÉCESSITÉ d'aVOIR POUR PARER
A CES DIVERSES OPÉRATIONS, TANT SIMULÉES QUE REELLES
Dans l'Océan et dans la Manche,
pour faire face à la flotte de Brest :
45 vaisseaux et 25 frégates.
6 frégates.
Tant pour assurer Mahon et Gi-
braltar que pour défendre la Méditer-
ranée.
15 vaisseaux.
Aux Indes orientale», au moins :
6 vaisseaux.
Ils y en ont déjà 4.
On suppose que les Anglais enver-
ront 15 vaisseaux pour défendre la
Méditerranée ; ainsi, il n'y a rien à
répéter ici pour cet objet.
Pour faire face à la flotte espagnole,
qui doit constamment tenir à la Ha-
vane et menacer la Jamaïque, au
moins :
20 vaisseaux sans compter les frégates.
Au moins 15 vaisseaux au cap du
Finisterre pour observer la flotte du
Ferrol.
En Angleterre, relativement aux di-
vers pointa menacés :
40 000 hommes.
5 ou 6 000 hommes.
A Mahon :
4 500 hommes.
101 vaisseaux de ligne, sans compter
les frégates.
Garnison de Gibraltar
4 000 hommes.
A la Jamaïque et dans les autres
Antilles anglaises, au moins :
8 000 hommes.
En Irlande :
10 000 hommes.
72 000 hommes.
478
LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
TABLEAU II
ÉTAT ET REPARTITION DE LA FLOTTE DESTINEE A
ANGLETERRE SUIVANT LE ti
ARMEE DE TERRE
80 bataillons à 650 hommes
chacun 52 000 h.
10 compagnies de chasseurs,
détachées des garnisons
de Flandre, destinées à
former un corps d'avant-
garde. 1 500 h.
30 escadrons, dont 25 de dra-
gons et 5 de hussards à
100 hommes chacun, dont
50 hommes montés. 3 000 h.
2 régiments d'artillerie avec
les détachements néces-
saires d'ouvriers et de
mineurs. 2 500 h.
59 000 h.
1 général en chef
12 lieutenants généraux.
24 maréchaux de camp.
1 état-major général pro-
portionné.
ARMEE NAVALE
RASSEMBLÉE EN TOTALITÉ A BREST
40 vaisseaux.
20 frégates.
Corvettes, prames et autres bâti
ments légers en proportion.
ESCADR.K DE DIVISION
RASSEMBLÉE A DUNKSRQUE
6 frégates seront destinées à menacer
lei côtes d'Ecosse et la côte orientale
d'Angleterre, et porteront 700 à 800
hommes de débarquement, tiré» par
détachement des garnisons de Flan-
dre.
I
RÉPARTITION DE L'ARMEE SUl
PREMIERE DIVISION
Dunkerque. 60
Calais. 40 ) 130 bâtiments.
Boulogne. 30
115 bâtiments porteront 14 ba-
taillons. 9 100 h.
1 régitnent de hussards monté
en entier et 530 chevaux. 530 h.
Les 15 bâtiments restants seront
pour l'artillerie, les vivres et les mu-
nitions.
DEUXIEME DIVISION
Dieppe. 100
Le Havre. 100
200 bâtiments.
180 bâtiments porteront
28 bataillons 18 200 h.
2 régiments de dragons
et 500 chevaux. 1 000 h.
20 bâtiments serviront pour l'ar-
tillerie, les vivres et le» hôpitaux.
LE PROJET DU COMTE DE BROGLIE.
TABLEAU II
479
TRANSPORTh-R UNE ARMEE DE DÉBA-.QUEMENT EN
PLAN D'EXPÉDITION CI-JOINT
BATIMENTS DE TRANSPORT
RASSEMBLÉS EN 4 POINTS, AINSI QU'lL SUIT CI-APRÈS
La possibilité de rassembler ce nombre de bâtiments est prouvée par le tableau
général de la reconnaissance des moyens de tous les ports qui fut faite par ordre
du feu roi, en même temps qu'on dressa le projet; ce tableau existe avec l'an-
cien projet entre les mains de Sa Majesté.
PORTS DE RASSEMBLEMENT
1" division
Dunkerque.
Calais.
Boulogne.
2« division
Dieppe.
Le Havre.
3e division
Honfleur.
Cherbourg.
4* division
Saint-Malo.
Morlaix.
NOMBRE DES BATIMENTS DE TRANSPORT
DANS CHAQUE PORT DE RASSEMBLEMENT
Dunkerque. 60
Calais. 40
Boulogne. 30
130
Dieppe.
Le Havre
100
100
200
Honfleur. 50
Cherbourg. 60
100
Saint-Malo. 100
Morlaix, 50
150
Nota. — On a estimé le port de chaque bâtiment de transport à 150 tonneaux
l'un portant l'autre.
LES BATIMENTS DE TRANSPORT
TROISIEME DIVISION
Honfleur. 50
Cherbourg. 60
95 bâtiments porteront
14 bataillons,
1 régiment de dragons,
110 bâtiments.
9100 h.
500 h.
Les 15 bâtiments restants serviront
pour l'artillerie, les vivres, le» hôpitaux
et les équipages.
QUATRIEME DIVISION
Saint-Malo.
Morlaix.
100
50
150 bâtiments.
135 bâtiments porteront
24 bataillons, 15 600 h.
2 régiments de dragons
et 500 chevaux. 1 000 h.
Les 15 bâtiments restants seront
pour l'artillerie, les vivres, les hôpi-
taux.
480 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
le plus. Louis XIV, pendant les deux années de triomphe
où il eut l'empire de la mer, disposa de grosses escadres
et les tint ensemble ; si des officiers de la marine fran-
çaise sont opposés à la combinaison des grandes armées
navales, c'est qu'ils ont le désir d'obtenir un commande-
ment particulier et d'agir isolément. A cet égard, les
idées de Broglie a^ aient évolué depuis le premier projet ;
car il parlait alors de deux escadres : l'une à Brest,
l'autre à Rochefoi 1 1^, qui devaient d'ailleurs se réunir
pendant quelque temps.
Le corps expéditionnaire, de soixante mille hommes,
formera quatre divisions, qui s'embarqueront : la pre-
mière, à Dunkerque, Calais, Boulogne ; la deuxième à
Dieppe, au Havre ; la troisième à Honfleur, Cherbourg ;
la quatrième à Saint-Malo, Morlaix.
Les bâtiments de transport, en nombre déterminé pour
chacun des neuf ports, sont au nombre total de cinq cent
quatre-vingt-dix, d'un tonnage moyen de cent cinquante
tonnes.
Pour les lieux de débarquement, ce sont toujours
les mêmes. Dès que l'escadre de Brest sera venue s'établir
par le travers du canal de Portsmouth, après avoir battu
l'escadre anglaise, les quatre divisions de transport met-
tront à la voile et débarqueront dans le Sussex, à Rj^e,
Winchelsey, Hastings, Pevensey. Ces points réunissent
tous les avantages qu'on peut désirer : proximité de la
France, facilité du débarquement, facilité de la marche
sur Londres, où l'on arrivera en huit étapes. Ainsi
l'ennemi sera abattu d'un seul coup, et la guerre terminée
dans une campagne de quelques semaines.
14. Ces deux escadres figurent dans un tableau qu'on n'a pas reproduit
et qui appartieni à la première rédaction ; les ports de rassemblement et
la répartition des forces de terre y sont d'ailleurs indiqués comme dans
le Tableau II. — On n'a pas reproduit non plus un tableau intitulé « Réca-
pitulation )) et accompagné d' « Observations » -. il répète à peu près le
LE PROJET DU COMTE DE BROGLIE. 481
Aux considérations très intéressantes par lesquelles
Broglie terminait son mémoire, empruntons encore
quelques mots. Pour apprendre à Louis XVI comment
on préparait une victoire, il lui rappelait l'exemple de
Louis XIV. (( Dans ces beaux jours, dit-il, c'était par la
sage prévoyance de M. de Louvois, — ajoutons : de Col-
bert et de Seignelay, — c'était par cette abondance de
moyens bien préparés en tout genre et en tout temps que
nous prévenions toujours nos ennemis. Les armées fran-
çaises avaient alors cet avantage sur toutes les armées
étrangères. Nous l'avons perdu, nos voisins ne l'ont pas
laissé échapper... »
Après avoir adressé ces documents au roi et d'autres
encore, Broglie put croire que le jour de l'exécution était
enfin venu, car on parlait de réunir un corps d'expédition
de soixante mille hommes et de faire concourir les forces
navales de la France et de l'Espagne à la grande opéra-
tion. Mais il n'entre pas dans le cadre de ce livre
d'exposer des faits de politique et de guerre qui appar-
tiennent au règne de Louis XVI i^.
Il avait été cruel au comte de Broglie, qui comptait
être le chef d'état-major de l'expédition d'Angleterre,
d'être comme exilé en Lorraine avec le gouvernement des
Trois-Evêchés, quand on commença à exécuter ses
plans ; il lui fut plus cruel de voir qu'une fois encore on
n'avait fait qu'un simulacre. Le dessein qui avait été
depuis quinze ans sa pensée constante, qu'il avait conçu,
préparé, retouché de manière à le porter à son point de
perfection, ce dessein patriotique n'était donc qu'un rêve
Tableau I, sauf quelques modifications dans les chiffres de vaisseaux et
d'hommes se rapportant aux opérations secondaires.
15. On peut voir sur cette question notre Marine militaire de la France
ious le règne de Louis XVI.
31
482 LA MARINE MILITAIRE SOUS LOUIS XV.
qui ne se réaliserait jamais ! De tous les déboires qui
abreuvèrent la vie de ce grand Français, dont le génie fut
enfoui dans des besognes secrètes et stériles, y en eut-il
de plus amer ? Il mourut peu après, en 1781, à soixante-
deux ans. Que n'aurait pas pu faire cet homme <( de fer
et de feu », si Louis XV, qui connaissait mieux que per-
sonne ses capacités exceptionnelles, l'avait appelé à sa
vraie place, aux Affaires étrangères ou à la Marine ?
L'histoire de la marine militaire du règne de Louis XV
a de cruelles tristesses ; elle offre aussi bien des noms et
des faits chers à notre patriotisme. Le lecteur jugera
peut-être que ces pages, trop peu connues, méritaient
d'être mises en lumière ; pour le comte de 'Broglie en
particulier, c'est réparer en partie 'l'injustice de l'histoire
maritime à son égard que de faire connaître son projet à
tous ceux qui aiment la France et sa marine.
Quand on revit les heures douloureuses que notre
marine a trop souvent vécues de 1715 à 1774, on pense
au mot de Thiers : « Qui dit marine dit temps, patience,
volonté. » Le temps n'avait pas manqué au long règne
de Louis XV. La patience n'avait pas manqué à tous
ceux, ministres ou officiers, qui voulurent tirer la marine
de sa léthargie. Ce qui avait manqué, c'était la volonté
de celui que sa naissance plaçait au gouvernail. Com-
bien elle était vraie, la lettre que Bernis adressait, au
début de la guerre de Sept ans, à son futur successeur !
Elle fait toucher du doigt le mal dont notre marine et la
France elle-même faillirent mourir.
« J'ai parlé avec la plus grande force à Dieu et à ses
saints ; on ouvre de grands yeux tristes, et tout est dit.
Il me semble être le ministre des Affaires étrangères des
limbes — un mot qu'on pourrait appliquer à Broglie —
LE PROJET DU COMTE DE BROGLIE. 483
Voyez, mon cher comte, si vous pouvez plus que moi
exciter le principe de vie qui s'éteint chez nous. L'indis-
cipline est partout, personne n'est obéi, on demande à
Belle-Isle et à Duverney des mémoires et des plans qui
ne sont pas suivis. L'apathie est complète. Il n'y a pas
d'exemple qu'on joue si gros jeu avec la même indiffé-
rence qu'on jouerait une partie de quadrille. Dieu veuille
nous envoyer une volonté quelconque ou quelqu'un qui
en ait pour nous ! »
APPENDICE
ABRÉVIATIONS EMPLOYÉES DANS L'APPENDICE
B
Brigadier des armées.
LF
C
Capitaine de vaisseau.
LG
CA
Capitaine d'artillerie.
LGM
CB
Capitaine de brûlot.
ce
Capitaine commandant.
LGP
CE
Chef d'escadre.
CF
Capitaine de frégate.
LP
CG
Commissaire général d'artil-
M
lerie.
R
CM
Chevalier de Malte.
RC
CP
Capitaine de port.
CPN
Capitaine de pavillon.
RCE
es
Commandant en second.
E
Enseigne de vaisseau
RLG
EG
Enseigne des gardes-marine.
G
Garde-marine.
VA
GE
Garde de l'étendard.
0
L
Lieutenant de vaisseau.
h
LA
Lieutenant d'artillerie.
t
LC
Lieutenant commandant.
t
Lieutenant de frégate.
Lieutenant général.
Lieutenant des gardes-ma-
rine.
Lieutenant des gardes du pa-
villon.
Lieutenant de port.
Major.
Retiré.
Retiré avec les provisions de
capitaine de vaisseau.
Retiré avec les provisions de
chef d'escadre.
Retiré avec les provisions de
lieutenant général.
Vice-amiral.
Canons.
Hommes.
Tonneaux.
Mort.
TABLE DES FONCTIONS DES OFFICIERS MARINIERS. 487
TABLE DES DIFFÉRENTES FONCTIONS DES OFFICIERS MARINIERS, MA-
g| TELOTS ET SOLDATS DANS TOUTES SORTES DE CAS. — A BORD DU
W NEPTUNE, 1734».
€ M. de L'Étanduère, capitaine de pavillon, et le comte Du Bois de
La Motte, mon lieutenant en pied, ont travaillé à dresser une table
qui règle avec tant d'ordre les différentes fonctions des officiers ma^
riniers, matelots et soldats dans toutes sortes de cas que, la jugeant
nécessaire et instructive pour les officiers majors, je l'ai fait im-
primer et je compte avoir l'honneur de vous en envoyer un exem-
plaire, aussitôt que cette table aura été remplie de tous les noms de
l'équipage du Neptune^. » Du Guay-Trouin au ministre, 11 juin' 1734.
DISPOSITION POUR APPAREILLER ^
Î2 officiers mariniers, \
2 pilotes extraordinaires, > 22 h,
18 matelots. )
Sur le gaillard d'ar- j 14 officiers mariniers. \ ^^ ,
rière (49 matelots. j
14 officiers mariniers. ) , /. » )
A la coursive. ... ^ 32 matelots. j * > 66 h.
2<* soldats pour la garde. )
r, , -11 , ,, . 1 4 officiers mariniers. | ,. ,
Sur le gaillard d avant. { ,^ , , , > ^6 h.
° ' 42 matelots. )
A reporter. 197 h.
1. Ci-dessus, p. 119. — A. M., B^ 42, fol. 40-108.
2. On peut rapprocher de cette table des tables analogues dressées pour
l'escadre de La Galissonnière (22 juin 1756) : Disposition de combat pour le
vaisseau le Foudroyant, 80 c, 805 h. employés; pour des vaisseaux de
74 c, 668 h. ; 64 c, 512 h.; 50 c, 397 h. A. M., B* 70, fol. 190-193.
3. Ces tables donnent en outre le nom, la paie et les fonctions particulièret
de chaque officier marinier et matelot.
488
APPENDICE I.
Au grand cabestan, en )
bas. . I
Au grand cabestan, en i
haut ..,....)
A tenir dessous à la
tournevire
lit pour faire passer la
tournevire en avant.
A la fosse aux câble?,
A prendre les gar-
cettes sur le câble.
Dans les hunes. . .
Aux bossoirs, pour pa-
rer et crocher le ca-
pon.crocherlacapo-
nière,< pour traverser
l'ancre, faire hisser
la bouée, et à touie
la fonction des bos-
semans
Report. .
14 officiers mariniers.
24 liialelols.
50 soldats.
13 officiers mariniers.
22 matelots.
50 soldats.
17 h.
. 197 h,
38 h.
35 h.
V bossem;uis,
4 matelots.
88 h
85 h,
} .-
20 h
3 h. (et 5 mousses).
)
•J officiers mariniers.
1
31 h
29 matelots.
1
2 officiers mariniers.
20 matelots.
22 h
à la hune d'artimon. ,
10 j
à la trrande hune . . .
. 10 [
24 h
a la hune de misaine.
. 4 \
6 h,
4^3 h.
DISPOSITION POUR LES QUARTS
Quart de bâbord.
Sur la dunette 16 off. raar. el. mat.
Sur le gaillard
d'arrière 64 —
A la coursive 45 —
Sur le gaillard
d'avant 70 —
195
60 soldats.
Total des gens employés sur les quart
Gens exempts de quarts à cause de leurs emplois particuliers. 92
602
Quart de tribord.
Total
16 off. mar.
et m
at.
32
6i —
128
45 —
90
70 -.
140
195
390
60 soldats.
120
s . ,
510
TABLE DES FONCTIONS DES OFFICIERS MARINIERS
489
A la 1" batterie.
A la 2" batterie.
A la 3' batterie.
A la manœuvre
A la mousqueterie
A fond de cale.
DISPOSITION POUn LE COMBAT
3 gardes du pavillon.
2 maîtres caiionniers.
4 h.pourlepassagedespoudres.
182 h.à I3c., 14 h. parc, de 36.
3 gardes du pavillon.
1 maître canonnier.
2 h.pourlepassagedespoudres.
140 h. à 14 c., 10h.parc.de 18.
I second canonnier.
40 h. A 8 c, 5 h. par c. de 8.
II à la dunetie.
22 au gaillard d'arrière.
•21 à la coursive.
25 au gaillard d'avant.
28 à la dunette.
30 au gaillard d'arrière.
12 à la coursive.
30 au gaillard d'avant.
7 dans la soute à poudre der-
rière.
6 dans le couloir des soutes.
10 à la cale au vin
12 à la cale à l'eau
6 à la fosse au lion .
4 à la soute aux poudres
d'avant.
NOMBRE d'hommes POUR L ABORDAGE
De la Ir* batterie,
De la 2* batterie
De la 3» batterie.
De la manœuvre.
De la mousqueterie
des 3 c. du î,'aillard d'avant
des 5 c. du gai lard d'arrière
de la dunette. . . •
du gaillard d'arrière.
de la coursive . . .
du gaillard 'l'avant. ,
de la dunette. . .
du gaillard d'arrière
de la coursive. . .
du gaillard d'avant.
191 h
146 h
41 h.
79 h.
iOO h.
3
9
7
9
14
12
5
14
45 h
602 h,
27 h,
28 h.
8h
28 h
45 h,
136 h,
490 APPENDICE I.
RÉCAPITULATION DES FONCTIONS
Uniquement pour suivre les officiers et exécuter leurs ordres,
armés, savoir les soldats de leurs armes, les autres de sabres,
haches d'armes, plusieurs avec des pistolets. . 109
Pour faire ouverture sur les gaillards du vaisseau ennemi,
afin d'y pouvoir jeter des grenades, armés de haches de char-
pentiers et de sabres . 7
Pour se ghsser le long des percintes du vaisseau ennemi et
couper les itagues des sabords, afin que, si on vient à le déborder,
11 ne les puisse ouvrir facilement, armés id. . 3
Pour jeter des grenades dans les ouvertures faites sur les gail-
ards du vaisseau e nnem, équipés de gibernes dans lesquelles il
y a deux grenades et de leurs armes. (Ils peuvent en outre mettre
une grenade dans leur poche, si on le jugea propos.), .... 17
136
Il y a de plus 14 grenadiers nommés pour jeter des grenades dans
le vaisseau ennemi sans sauter à bord, destinés aussi à y faire passer
un plus grand nombre d'armes, de gargousiers, de grenades, et à y
sauter à l'abordage, en cas qu'on fasse un second détachement.
[Une dernière table est intitulée : Disposition des armes de re-
change pour le combat.]
»^0fÊ^Ê^i^Ê^*^o^>^'\^>,^»^
ESCADRE DE LA LUZERNE.
491
H
ESCADRE DE LA LUZERNE*
Neuf vaisseaux :
Le Fleuron 60 c.
Le Conquérant 70
Le Saint-Louis 62
Le Toulouse 60
Le Mercure 56
V Heureux 60
Le Triton 60
Le Tigre 5t>
Cinq frégates :
Le Griffon
La Gloire
L'Argonaute
VAstrée
La Méduse
46
46
44
30
15
LG. : comte de La Luzerne*
CPN : Bart3.
CE. : chevalier de Luynes *.
es. : d'Orves Martini ^
ce. : Rochambeau *.
ce. : de Montlaur^.
ce. : chevalier de Gouyon*.
ce. : marquis d'Antin^.
ce. : Radouayio.
ce. : Piosin»».
ce. : Nesmond ".
ce. : Fouilleuse 13.
ce. : Fercourt**.
ce. : de La Jaille *^
LC. : Périer de Salvert **.
J. Ci-tiessus, p. 121. — A. M., B* 41.
2. Briqueville, comte, puis marquis de La Luzerne. Originaire de Nor-
mandie. G., 15janv. 1680; E.,27avr. 1681; L., l"janv. 1682; C., l«'janv.
1689; CE , 5 août 1715; LG., 1" mars 1727; VA. du Ponant, 2 mai 1741;
f 29janv. 1746, Paris. C^ 161.
3. François-Cornil Bart, fils du fameux Jean Bart, mort chef d'escadre;
de Dunkerque. G., l^" janv. 1692; C., 25 nov. 1712, commandant la marine
à Dunkerque, 28 juil. 1731; CE., 1" mai 1741; LG., 7 févr. 1750; VA.,
1" sept. 1752; f 22 avr. 1755. C» 166.
4. Charles-Hercule d'Albert, chevalier de Luynes. G., 23 avr. 1688;
E., 1" janv. 1689; L., 1" juil. 1690; C, 1" janv. 1693; commandant des
gardes du pavillon, 6 mai 1716; chargé du Bureau des cartes et plans,
20 janv. 1720; CE., 18 mai 1722; f 30 janv. 1734, Paris. C* 161.
5. D'Orves Martini. De Provence, c Bon officier qui a bien servi. » G.,
492 APPENDICE II.
22 nov. 1689; C, 17 mars 1727; CE. et commandant la marine à Toulon,
1»^ janv. 1745; LG., 17 mai 1751 ; f 21 déc. 1751. Ci 166.
6. César-Gabriel de Vimeur, seigneur de Vendôme Rochambeau. G.,
15 mars 1689; E., 1'^ janv. 1692; CB., 1" janv. 1703; CF., l"janv. 1705;
C, 3 sept. 1712; CE., 1" mai 1741 ; R. et exilé, 2 déc. J744; f 28 août 1749»
Vendôme. C' 161.
7. De Montlaur. De Languedoc. G., 24 mai 1685; E., 1" avr. 1690; L.,
l"janv. 1703; CF., 25 janv. 1712; C, 17 mars 1727: f 5 sept. 1736, Toulon.
C< 161.
8. Jean, chevalier de Gouyon Beaufort (seize officiers du nom de Gouyon) ;
de Normandie. G., l"janv. 1690; E., 1" janv. 1692; L., h^ janv. 1703; CF.,
13 avr. 1707; C, 25 janv. 1712; f 8 fév. 1734. Brest. C^ 161.
9. Antoine-François de Pardaillan de Gondrin, marquis d'Antin ; de
Paris." G., 27 janv. 17^7; E., 5 avr. 1728; L., 1" avr. 1729; C. et VA. du
Ponant en survivance, 21 avr. 1731; CE., 21 avr. 1735; LG., 24 avr. 1738;
VA. en pied, 28 déc. 1737; f 24 avr. 1741, Brest. CA J61.
10. Renault de Radouay. G., 8 févr. 1689; E., 1» janv. 1692; L., l"janv.
1696; CF., I" janv. 1703; C, 12 ja iv. 1706; CE., 23 août 1738; f comman-
dant le Bourbon, 3 janv. 1740, Brest. C^ 161.
11. Piosin. De Provence. CM. « Bon officier général, ayant très bien
servi. » G,, le>- déc. 1689; C, 17 mars 1727; CE., 1" janv. 1745; comman-
dant la marine en second à Toulon, 1" nov. 1746; -|- 3 avr. 1751. C* 166.
12. Brie, chevalier de Nesiaond, fils du marquis de Nesmond, mort lieu-
tenant général de la marine à la Havane en 1702 ; de Bordeaux. G.,
1" janv. 1690; C, 17 août 1727; CE., 1" janv. 1745; f 23 avr. 1751. C* 166.
13. Charles de Fouilleuse. G., 20 déc. 1687; L., 1" nov. 1705; C, 17 mars
1727; CE., 1" janv. 1745; f 8 mars 1750, Brest. C* 161.
14. Nicolas Perrot de Fercourt; de Paris. G., 17 avr. 1685; L., 1" janv.
1692; C, 25 janv. 1712; CE., 24 janv. 1742; f 12 oct. 1744, Brest. C^ 161..
15. De La Jaille. G., 31 juil. 1689; L., 23 avr. 1703; C, 17 mars 1727;
f 5 fév. 1741, Brest. Ci 161. -^
16 Périer de Salvert. Fils du feu capitaine de port de Dunkerque ; frère
de Périer l'aîné; « bon officier, sachant bien son métier ». Volontaire sur
les vaisseaux du roi, 1702; G., 10 mai 1705; E., 16 août 1721; L., l*»" avr.
1730; C, 1*' mai 1741; CE., 1*' sept. 1752; inspecteur du Dépôt des cartes
et plans, 14 nov. 1756; f 7 avr. 1757, Versailles. C* 161, 166.
ESCADRE DE DE COURT.
493
III
ESCADRE DE DE COURT*
Seize vaisssaux
Le Terrible
74 c.
LG.
CPN
L'Espérance
74
CE.
ce. ;
Le Ferme
74
ce.
Le Duc d'Orléans
74
ce. :
Le Saint-Esprit
74
ce. ;
Le Borèe
64
ce. :
Le Trident
64
ce.
Le Solide
64
ce.
Le Sérieux
64
ce.
L'Éole
64
ce.
Le Toulouse
64
ce. :
VHeureux
64
ce. :
Le Diamant
50
ce. :
VAquilon
50
ce.
Le Tigre
50
ce.
L'Alcyon
50
ce.
Quatre f régal
;es :
Le Zéphyr
30
ce.
L'Atalante
30
ce. :
La Volage
30
ce.
La Flore
30
LC.
Trois brûlots,
une flûte
serval
de Court La Bruyère 2.
: La Jonquière de la Pommarède'.
: Gabaret le jeune*.
: d'Héricourl^.
: Narbonne de Sorgues^.
d'Orves Martini.
chevalier de Piosin.
comte Marquèze de La Garde 7.
: chevalier de Caylus^.
; commandeur de Châteauneuf
Thomas^.
: de Cheylns^^
; chevaher d'Albert^^.
: d'Astour^2^
Gravier*^.
Massiac'^
; Du Qiiesne^".
: Saurin baron de JWurat^^'.
: Mandelot de Laucez*'.
chevalier de Glandevez*^.
dî; La Clue Sabran ^9.
chevalier de Bauffremont^o.
Bompar 21.
servant d'hôpita', deux tartanes.
1. Ci-dessus, p. 15L — A. M., B* 56. Cf. Brun: Guerres maritimes de
la France^ Port de Totdon, I, p. 298.
2. Claude-Elisée de Court La Bruyère ; de Bourgogne. A été gouverneur
de M. le duc d'Orléans, régent. Né le 15 févr. 1666; G., 8 janv. r684 ;
494 APPENDICE III.
L., l^janv. 1689; C, 1" sept. 1G95 ; CE., 5 août 1715; LG., 27 mars 1728 ;
VA., 7 févr. 1750; f 19 août 1752, Gouraay. C^ 165, 166, C\
3. La Jonquière de La Poramarède. De Languedoc. « Est un des bons
officiers généraux du roi. Officier fort à son aise et de très grande taille. »
G., l"sept. 1697; E., 1" janv. 1703; CB., 25 févr. 1712; L., 7 févr. 1720;
C, P'oct. 1731; gouverneur général du Canada, CE., 1" mars 1746; pri-
sonnier, 1747-48; au Canada, 1749-52 , f mars 1752, Québec. Ci 165, 166, C^.
4. Gabaret le jeune. Second fils de Louis Gabaret, capitaine de vaisseau,
tué à Tabago, 3 mars 1677. G., 22 fév. 1688; E., 1" janv. 1692; CB.,
1" janv. 1703; C, 1" nov. 1705; CE., 1" oct. 1736 ; f 21 juin 1744, Toulon.
Quinze officiers du nom de Gabaret. C^ 161.
5. D'Héricourt. G., ïô mars 1692; E., 12 nov. 1706; L., 17 mars 1727;
C, l"avr. 1738; f 9juil. 1753, Toulon. Ci 161.
6. Narbonne de Sorgues. G., 21 déc. 1683; E., 10 janv. 1687; L., l"janv.
1692; CF., 13 fév. 1709; C, 17 mars 1727; R., l"janv. 1745; f 6 févr. 1745,
Toulon. Cl 161.
7. Comte Marquèze de La Garde. Sicilien. G., 2 fév, 1689; E., 1er janv.
1696; L., 1" nov. 1705; C, 17 mars 1727; f 28 sept. 1744, Toulon. Neuf
officiers du nom de Marquèze. C* 161.
8. Chevalier de Caylus, puis marquis de Caylus de Pardaillan, quand il
eut quitté l'ordre de Malte. Colonel d'infanterie ; C, 10 mars 1727 ; gouver-
neur général des îles du Vent, 1"" mai 1745; CE., 1" mars 1746; -J- 12 mai
1750, la Martinique. Ci ]66.
9. Commandeur de Châteauneuf Thomas. Treize de ce nom dans la
marine et les galères. CM. G., 12 mars 1703; C, 24 sept. 1728; CE., 1" avr.
1748; f 26 oct. 1759. Ci ]66.
10. De Cheylus. De Paris. G., 11 févr. 1691 ; L., 15 avr. 1704; C, 1" oct.
1731; f 1" nov. 1744, Toulon. Ci 161.
11. Antoine, chevalier, puis marquis d'Albert Du Chesne ; en 1746, il
quitta l'ordre de Malte pour se marier. G., 20 mars 1703 ; E., 27 sept. 1707 ;
L., 17 mars 1727; C, l^"" oct. 1731: chargé du Dépôt des cartes et plans et
journaux à Paris, 10 mars 1734; CE., déc. 1747; mort d'apoplexie, 9 févr.
1751, Paris. Cl 161, C'.
12. D'Astour. G., 21 mars 1699; E., l*' janv. 1703; L., 17 mars 1727;
C, 1er avr. 1738; CG., 17 févr. 1750; R., 1" févr. 1753. Ci 161.
13. Gravier. G. 1*' févr. 1692; E., 1" janv. 1703; L., 25 nov. 1712; CF.,
l"mai 1732; C, 1" déc. 1735; CG., 17 févr. 1750; K,, 25 juil. 1754. Ci 161
14. Claude-Louis, marquis de Massiac. « Fils d'un ingénieur de Brest;
a beaucoup gagné dans les armements qu'il a faits pour la compagnie [des
IndesJ et même pour le roi ; bon officier. » G., 28 avr. 1704; C, 1" avr. 1738;
CE., 17 mai 1751 ; LG., 1" oct. 1756; secrétaire d'État, l" juin 1758; VA..
4 nov. 1764; f 15 août 1770, Paris. Ci 166.
15. Louis-Marie Du Quesne-Monnier, petit-neveu du grand Du Quesne;
second fils d'Ahraham Du Quesne- Monnier, chef d'escadre, commandant
au port de Toulon, mort à Toulon le 17 nov. 1726. Né en 1693 ; G., 8 avr.
1709; E., 25 nov. 1712; L.,'17 mars 1727; C, 1" avr. 1738; f 8 nov. 1747,
Toulon. Cl 161 ; Jal, Abraham Du Quesne, t. II. p. 575.
16. Saurin, baron de Murât. De Languedoc. « Bon et brave officier, j
G., 16 févr. 1692: E., 1" févr. 1704; C, 1" avr. 1738; f 16 mai 1754. Ci 166.
ESCADRE DE DE COURT. 495
17. Mandelot de Laucez. De Bourgogne. « Bon officier et qui a bien servi >.
G., 10 mars 1692; L., 17 mars 1727; C, 1" avr. 1738; f 27 févr. 1758.
Cl 166.
18. Chevalier de Glandevez. De Provence. CM. Plus tard, commandeur
de Glandevez, Six de ce nom dans la marine et les galères. G., 16 sept. 1702;
E., 25 nov. 1712; C, 1" avr. 1741; CE., ier sept. 1752; commandant la
marine à Toulon, 8janv. 1754; RLG., 16 sept. 1764. Ci 166.
19. De La Clue Sabran. De Provence. Avait été fort protégé par le comte
de Toulouse. G., 25 avr. 1715; E., 17 mars 1727 ; L., 15 mars 1734; C,
l'"^ janv. 1742; CE., 25 sept. 1755; commandant la marine à Toulon, 1758;
RLG., 1er avr. 1764. Ci 165, 166, C .
20. Chevalier de Bauffremont, prince de Listenois. CM. Il quitta l'ordre
pour se marier. G., 19 avr. 1731; L., 1" juil. 1735; C, K juin 1742 ; CE.,
25 sept. 1755; LG., 1»' oct. 1764; VA. du Levant, 6 févr. 1777; f 13 nov.
1781. Cl 166.
21. Bompar. De Provence. G., 8 mai 1713; L., 1" avr. 1738 ; C, l"jauT.
1746; gouverneur général des îles du Vent, 25 mai 1750 ; CE., 1" janv. 1757;
commandant la marine à Toulon, 15 févr. 1762; LG., lo"" oct. 1764. Ci 166.
496
APPENDICE IV.
IV
ESCADRE DE LA JONQUIÊRE*
Trois vaisseaux
Le Sérieux
deux frégates
Le Diamant
La Gloire
VÉmeraude
Le Rubis
64 c.
56
46
24
26
CE. ; LaJonquière de la Pommarède.
ce. : comte d'Aubigny^.
es. : Isaac Chadeau de La Clocheterie^.
L. : Odon des Gouttes-*, de Biéda^, Froger
de La Rigaudière^.
ce. : Hocquart de Blincourf.
es. : La Villéoa».
L. : chevalier de Farcevaux 9, Tréderii Du
Dresnec ^^.
LC. : chevalier de Salies**.
LC. : La Jonquière Taffanel*^.
LC. : Mac-Carthyi3.
L Ci-dessus, p. 179. — A. M., B*61.
2. Comte d'Aubigny. Fils d'un enseigne, neveu duchef d'escadre Gabaret.
G., 14avr. 1713; L., l^r avr. 1738; C, 1»^ janv. 1746; CE., 1" janv. 1757 ;
LG , 1" oct. 1764; VA., 16 févr. 1780; f 25 mars 1781, Rocbefort. C* 166.
3. Isaac Chadeau de La Cloclieterie, De Rocheforl. Fils d'un capitaine
de briîlot, petit-fils d'un capitaine de vaisseau, père du héros de la Belle
Poule. G., 30 juil. 1713; L., 1" mai 1741 ; tué sur le Sérieux, 14 mai 1747.
Sa veuve, Catherine Daniaud, obtint des lettres de noblesse pour ses cinq
enfants; en demandant cet honneur (janv. 1748), elle rappelait que trois
Chadeau de La Clocheterie avaient servi de père en fils dans la marine pen-
dant plus de cent ans, et pendant quatre-vingt-onze années consécu-
tives. C.
4. Odon des Gouttes. Du Bourbonnais. Fils d'un lieutenant de vaisseau
mort au service. G., 11 mai 1722 ; L., 1" mai 1741; C, 17 mai 1751;
t 12 janv. 1754. C^ 166.
5. De Bréda. De Picardie; né à Saint-Domingue. Fils d'un lieutenant
de roi, mort à Saint-Domingue. « Fort à son aise. » G., 20 mars 1730 ; L.,
1»' janv. 1746 ; C, 15 mai 1756 ; R., 1" oct. 1760. C* 167.
6. Froger de La Rigaudière. De Marennes. Fils d'un lieutenant de vais-
ESCADRE DE LA JONQUIÈRE. 497
seau mort au service. G., 3 avr. 1734; L., lerjanv. 1747; C, 1«' sept. 1756;
f 16 nov. 175Ô. Cl 167.
7. Hocquart de Blincourt. Du Maine. Fils de l'intendant de Toulon,
frère de l'intendant de Brest, du fermier général et du trésorier de l'artil-
lerie. G., 12 mars 1717; E., 17 mars 1727; G., 1" janv. 1746 ; RCE., 1761;
f avr. 177^. Ci 166.
8. La Villéon. De Bretagne. G., 1*^ juil. 1716; L., 1" mai 1741; C,
17 mai 1751 ; f 21 févr. 1762. Ci 166.
9. Chevalier de Parcevaux. G., 18 oct. 1718; L., ie"- mai 1741 ; C, 17 mai
1751 ; CE., 16 sept. 1764. Ci 166.
10. Trédern Du Dresnec. De Bretagne. G., 25 févr. 1722 ; L., 1" mai 1741 ;
C, 23 mai 1754 ; R., 1762. Ci 167.
11. Chevalier de Salies. G., 14 janv. 1721; E., 1" oct. 1731; tué sur la
Gloire, 14 mai 1747. Désigné d'abord pour le commandement de YÉme-
raude, il était passé, avec son état-major, au commandement de la Gloire.
Cl 161, C''.
12. Clément de Tatfanel de La Jonquière, né aux Graisses, diocèse d'Albi,
le 13 sept. 1706; neveu du chef d'escadre La Jonquière de La Pommarède.
G., 27juil. 1732; E., 1«^ avr. 1738; L., l^r janv, 1746; G., 19 déc. 1755;
CE., 15 août 1771 ; LG., 1" juil. 1780. Ci 167, C.
Le second de l'Émeraude, Laccary, originaire du Languedoc, était neveu
de M^' de La Jonquière, femme du chef d'escadre. G., 11 juin 1733
E., l^r mai 1741 ; L., 15 févr. 1752 ; C, 17 avr. 1757 ; CE., 9 nov. 1776
directeur de l'arsenal de Rochefort, 1^»- déc. 1777 ; LG., pr avr. 1781.
Cl 168.
13. Mac-Carthy. D'origine irlandaise. CP. à Québec; LF., 1er avr. 1745 ;
CB., 1" avr. 1748; L., l"' mars 1751 ; C, 17 ;avr. 1757; f 24 janv. 1765,
Paris. Cl 167.
498
APPENDICE Y
ESCADRE DE L'ÉTANDUÊREl
Huit vaisseaux, une frégate
Le Tonnant 80 c. 750 h.
Le Monarque 74
Le Terrible 74 620
Vlntrépide 74 620
Le Trident 64
Le Fougueux 64
Le Neptune 58 580
Le Severn 50
Le Castor
28
CE.
: Des Herbiers de l'Étanduère*.
es.
: Du Chaffault».
M.
: Le Vassor de La Touche*.
L.
: Bart^, chevalier Fouquet^,
de iMartel^, d'Astorg d'Au-
barède^.
ce.
: La Bédoyère^.
es.
: Saint-André l'aîné i».
L.
: Kerjankerjan l'aîné^*, che-
valier Du Bos l'aîné**.
ce.
: comte Du Guay^^,
L.
: de Guidy'*, Keremar de
Boischateau ^^.
ce.
: Rigaud l'aîné, comte de Vau-
dreuiP^.
L.
: La Girouardière *', Beaulieu
de Tivas^s^ deSades^^.
ce.
: marquis d'Amblimont*^.
ce.
: Du Vi-jnau^i.
es.
: Porter 22.
L.
: de Kersa Du Boisgelin'^, vi-
comte de RoquefeuiP*.
ce.
: chevalier de Fromentière^^
L.
: Kerlérec de Kervaségan^^,
I.orgeril l'aîné^'.
ce.
: DuRouretdeSaint-Estève".
L.
: Chiffrevas2».
LC.
: Orsonville^<*.
L Ci-dessus, p. 185. — A. M., B^ 61.
2. Henri-François Des Herbiers, marquis de l'Étanduère, né à Angers en
1682, d'une ancienne famille du Poitou alliée aux Du Chaôaut ; fils d'un
ESCADRE DE l'ÉTANDUÈRE. 499
capitaine de vaisseau. « Un des bons officiers du roi, qui a toujours été très
zélé et appliqué à son métier. » G., 8 juil. 1697; E., 1" janv. 1703; L.,
l"nov. 1705; C, 17 mars 1727; CE., !•' janv. 1745; f 26 mars 1750.
Cl 165, 166.
3. Du Chaffault. D'Angoumois ; deux fils et un frère au service. G.,
12 juil. 1706; E., 17 mars 1727; L,, 1" juU. 1735; C. 1" janv. 1745;
•}• 8 mai 1753. Ci 165, 166.
4. Le Vassor de La Touche, a Originaire de la Martinique. Bon et brave
officier, sachant bien son métier, grand, bien fait et d'une belle figure, fai-
sant honneur au service. A deux frères au service de la marine et de»
colonies, et son aîné retiré major à Saint-Domingue. » En déc. 1764 il a
demandé à n'être employé gur les registres que sous le nom de La Touche.
Page de Mgr l'Amiral; G., 19 avr. 1726 ; E., 10 juin 1734 ; L., 1" mai 1741 ;
C, 17 mai 1751 ; commandant général des îles du Vent, 25 janv. 1760;
CE., 15 août 1771; commandant de la marine à Rochefort, 1*' juil. 1775;
LG., 1" mars 1779; f 13 avr. 1781, Paris. Ci 165, 166, C'.
5. Bart. De Dunkerque; fils du lieutenant général et petit-fils du fameux
Jean Bart. G., déc. 1722; L., 1" oct. 1741; C, P^ avr. 1748; gouverneur
lieutenant général à Saint-Domingue, U' oct. 1756; CE., le>- avr. 1764
f 1784. Cl 166.
6. Chevalier Fouquet. Petit cousin de l'ancien surintendant des finances ;
il commandait la second© batterie du Tonnant. G., 27 mai 1729; L., l"janv.
1746; C, 23 mai 1754; CE., 15 août 1771; LG., 1er juil. 1780; f 10 févr.
1781, Brest. C^ 167.
7. De Martel. Du Poitou; né à Rochefort, fils d'un lieutenant de vaisseau
mort au service et neveu de deux commandeurs. G., 8 mai 1730 ; L., 1" janv.
1746 ; C, 15 mai 1756; rayé des listes, 26 mars 1760. Ci 167.
8. D'Astorg d'Aubarède. CM. G., 16 mai 1732; L., 1" janv. 1746; C,
14nov. 1756; ^9 déc. 1757. C^ 167.
9. Alexis Huchet de La Bédoyère. G., 1*' oct. 1702. E., 24 juin 1709;
L., 17 mars 1727; C, 1«' avr. 1738; tué sur le Monarque, 25 oct. 1747
Cl 161.
10. Saint-André l'aîné. De Rochefort; frère de Saint-André Du Verger;
fils d'un capitaine de vaisseau, mort au service. G., 17 avr. 1713; C, l'^janv.
1746. Les deux frères furent tués, le 20 nov. 1759, sur le Formidahle, qui
était commandé par le cadet. Ci 166.
11. Kerjankerjan l'aîné. De Bretagne. G., 11 mars 1719; L., 1»" mai 1741 ;
R., 1754. Cl 167.
12. Chevalier Du Bos l'aîné. De Bretagne. G., 15 août 1728; L., l^'janv.
1746; C, 15 mai 1756; f 13 avr. 1758. Ci 167.
13. Comte Du Guay. Né à Saint-Malo, fils de l'intendant de Dunkerque.
Page de la chambre du roi; G., 6 sept. 1707; E., 23 juil. 1710; L., 17 mars
1727; C, 1" avr. 1738; commandant des gardes-mariuo, 26 mai 1747; CE.,
17 mai 1751; commandant la marine à Brest, 5 janv. 1752; LG., 17 avr.
1757; f 9 sept. 1760. Ci 165, 166.
14. De Guidy. De Toulon ; fils d'un enseigne de vaisseau mort au service.
G., 12 mars 1717; L., 1" mai 1741; C, 23 mai 1754; R., 15 janv. 11621
Cl 167.
500 APPENDICE V.
15. Keremar de Boischateau. De Bretagne. G., 17 févr. 1732; L., 1" janv.
1/46; C, 15 mai 1756; R., 26 avr. 1767. C^ 167.
16. Rigaud l'aîné, comte de Vaudreuil. c Né en Canada; fils du capitaine
de vaisseau et gouverneur général de Canada, homme de bien et de vertu,
qui a eu le malheur de perdre en 1729 la flûte l'Éléphant qu'il commandait
dans le fleuve Saint-Laurent... Ils sont quatre frèrei?, dont trois servent dans
la marine ou aux colonies, et l'autre est major des gardes françaises. »
Expectative d'enseigne en Canada, 8 mai 1695; L., 28 juin 1713; C, l"avr.
1738; CE., 1" avr. 1748; LG., 25 août 1753 ; f 27 nov. 1763, Tours.
31 165, 166.
Le commandant de V Intrépide avait à son bord son fils aîné, Rigaud,
marquis deVaudreuii, né à Rochefort. G., 24 mars 1740; E., 1" janv. 1746;
L., 23 mai 1754; CF., 1^^ oct. 1764, C, 27 nov. 1765; CE., le-- juil. 1779;
LG., 14 août 1782. C^ 168.
Son second fils, Rigaud, comte de Vaudreuil, né à Rochefort^ était
embarqué en 1747, comme enseigne, sur VÊmeraude, de La Jonquière
Taffanel (Appendice IV). G., 30 mars 1743; E., 1" janv. 1746; L., il févr.
1756; C, 15 nov. 1771; directeur général du port de Rochefort, l" juil.
1781; CE., 12 janv. 1782. C^ 169.
17. La Girouardière. G., 1" mars 1713; E., 17 mars 1727; L., 1" avr.
1738; C, ierjanv. 1746; R., 15 janv. 1762. C* 166.
18. Beaulieu de Tivas. « Originaire de Chartres; descendant du sieur
TivHS, capitaine de vaisseau, surnommé le Brave; allié à M. le duc de Sully.
Il y a huit officiers de ce nom dans la marine, t) G., 31 août 1716; L.,
1er janv. 1742 ; C, 23 mai 1754; R., 15 janv. 1762. Ci 167.
19. De Sades. De Provence; fils d'an enseigne de vaisseau. G., 2 avr. 1730;
L., ler janv. 1746; C, 15 mai 1756 ; CE., 9 nov. 1776; f 18 sept. 1780, à la
mer, à bord du Triomphant (escadre de Guichen). Ci 167.
20. (L Claude Fuschamberg, dit Renard, marquis d'Amblimont, originaire
de Saxe, établi depuis en Champagne, né à Paris... Habile officier, sachant
son métier et la manœuvre des vaisseaux, et fort riche. Fils d'un ancien
chef d'escadre et gouverneur général aux Iles, qui a rendu des services
signalés. i> G., 1705; C, 1" a\r. 1738; CE., 1" janv. 1754; y 30 oct. 1772.
Cl 166.
21. Du Vignau. Du Béarn; fils d'un capitaine de frégate mort au service.
G., 3févr. 1715; C, 1" janv. 1746; y 18 sept. 1755. Ci 166.
22. Porter. « Originaire irlandais. Né à Saint-Malo. Très bon officier. Bon
gentilhomme. A du bien pour soutenir son état avec décence. » G., 21 mars
1715; L., P^ avr. 1738; C, 1" janv. 1747; f l"avr. 1756. Ci 166.
23. De Kersa Du Boisgelin. De Bretagne. G., 8 mars 1719; L., l" mai
1741 ; C, 23 mai 1754; f 5 mars 1762. Ci 167.
24. Vicomte de Roquefeuil. Né à Brest. Fils cadet du lieutenant général,
mort le 8 mars 1744. G., 6 nov. 1733; L., 1"- janv. 1746; C, 1" oct. 1754;
CE., 15 août 1771. Ci 167.
Le fils aîné du lieutenant général, né à Brest, était comte de Roquefeuil.
G., l*r mai 1727; L., 1" mai 1741; C, P^ janv. 1746; CE., 1" janv. 1761 ;
LG., 3 août 1766; VA., P'janv. 1781 ; f l"juil. 1782, Bourbonne-les-Bains.
Cl 166.
ESCADRE DE L ÉTANDUERE. 501
25. Chevalier de Fromentière. G., 16 avr. 1703; E., 7 juin 1707; L.,
17 mars 1727 ; C, 1" avr. 1738 ; tué sur le Neptune, 25 oct. 1747. C* 161.
26. Kerlérec de Kervaségan, De Quimper. G., 29 avr. 1720; L., l" mai
1741; C, 17 mai 1751; gouverneur de la Louisiane, l" avr. 1762; rayé des
listes, 4 août 1769. Ci 165, 166.
27. Lorgeril l'aîné. De Normandie. G., 1" sept. 1725; E., 18 févr. 1733;
L., 10 oct. 1743; C, 23 mai 1754; R., 15 janv. 1762. Ci 165, 167.
A la même bataille prit part, comme enseigne, à bord du Severn, le
chevalier de Lorgeril. Originaire de Normandie. G., 10 janv. 1734; E.,
1" mai 1741; L., 17 mai 1751; C, 17 avr. 1757; R., 11 août 1764. Ci 168.
28. Du Rouret de Saint-Estève. De Provence. G., 30 mai 1703; G.,
l«'janv. 1742; f 6 nov. 1753. Ci 166.
29. Chitfrevas. De Normandie. G., 14 mai 1727; L., 10 oct. 1743; C,
23 mai 1754 ; périt sur le Superbe, 20 nov. 1759. Ci 167.
30. Orsonville. De Normandie; fils d'un lieutenant de vaisseau, mort en
1715. (On trouve aussi le nom du commandant du Castor écrit : d'Esson-
ville.) G., 22 avr. 1713; L., 1" mai 1741; C, 17 mai 1751; f 26 juin 1758.
€1 166.
■^
502 APPENDICE VI.
B.
VI
MARINES DE FRANCE ET D'ANGLETERRE
VAISSEAUX EXISTANT ET EN CONSTRUCTION
AU 1" JANVIER 1751 *
MOMBRB DB TAISSBÀUX
En France : En Angleterre
A. Il y avait en janvier 1740. ... 41 120
Il en a été construit depuis 1740
jwsques et y compris 1750. . . 46 94
Prises incorporées dans la ma-
rine 1 12
88 226
C. Vaisseaux devenus hors de ser-
vice pris ou péris 50 110
D. Nombre de vaisseaux au 1" jan-
vier 1751 38 116
E. Vaisseaux en construction. . . 22 21
60 137
1. Ci-dessus, p. 22<5. — Les chiffres donnés dans cet état sont expliqués
dans un mémoire spécial qui est à la suite : A. M., B^^ 11. Le même carton
contient des documents sur la comparaison des forces navales françaises,
anglaises et espagnoles, à diverses dates, notamment, pour la France et
l'Angleterre, aux années 1740 et 1750.
l' c( ALGIDE )) ET LE « LYS )) EN 1755. 503
VII
h'ALCIDE ET LE LYS EN 17551
Alcide ce. : Hocquart de Blincourt.
es. : chevalier de Parcevaux.
L. : bailli Desnos Champmeslin 2, Folligny 3, de Courserac*,
marquis de Gras Préville ^,
Lys ce. : Lorgeril l'aîné.
!.. : de Bremoy^, chevalier de Lorgeril, Du Rosel de Beau-
manoir'^, de Thoranc^.
1. Ci-dessus, p. 255.
2. Baiili Desnos Charapmeslin. Petit-fils du chef d'escadre et vice-roi à
l'Amérique (p. 53); petit-neveu du comte de Champmeslin, lieutenant
général ; fils du capitaine de vaisseau du Fleuron (p. 165), chef d'escadre:
neveu du lieutenant de vaisseau, mort en 1730; frère du comte Desnos
Champmeslin, lieutenant de vaisseau du Fleuron [G., 1" janv. 1727; L.,
1" mai 1741 ; C, 17 mai 1751 ; f 27 avr. 1754] ; frère du chevalier de Malte,
mort enseigne de vaisseau. G., 15 déc. 1731 ; L., l*"^ janv. 1746; C, 15 mai
1756; CE., 9 nov. 1776; RLG., 1" nov. 1786. C* 166, 167.
3. Folligny. De Coutances; neveu du chef d'escadre (p. 120). G., 15 mars
1730; L , 1" janv. 17J6; C, 15 mai 1756; R., 16 sept. 1764. C^ 167.
4. De Courserac. D'Angoulême. G., 16 déc. 1731; L., 1" janv. 1746; C,
15 mai 1756; -|- 17 nov. 1774, à sa campagne, près Saint- Jean-d'Angély .
Cl 167.
5. Marquis de Gras Préville. De Provence. GE., 20 avr. 1733 ; L., 23 mai
1754; RC, 16 sept. 1764. C* 168.
6. De Bremoy. Né à Brest; fils d'un lieutenant de vaisseau, mort au ser-
vice. G., 4 avr. 1734; EG., 10 oct. 1743; LGM., 17 mai 1751 ; C, 17 avr.
1757; R., 14 mars 1776. C* 168.
7. Du Rosel de Beaumanoir. De Bretagne. G., 7 avr. 1732; L., 17 mai
1752; C, 17 avr. 1757: R., 15 janv. 1762. Ci 167.
8. De Thoranc. De Toulon. G., 6 juil. 1735; L., 23 mai 1754; C.,27 nov.
1765; RCE., 19 oct. 1781. Ci 168.
504
APPENDICE VIII.
VIII
ESCADRE DE LA GALISSONNIÊREi
Douze vaisseaux :
Le Foudroyant 1966
t.
80 c 800 h.
La Couronne
1360 t.
74 c. 680 h.
Le Redoutable
1583 t.
74 c. 680 h.
LG. :
CPN.
es. :
L. :
CE.
es.
L.
CE.,
es.
L.
Téméraire
1580 t.
74 c. 660 h.
ce.
es.
L.
marquis de laGalissonnière'.
: Froger de l'Éguille^.
de Drée de La Serrée*,
de risle Taulanne ^, La Gua-
rigue iSavigny ^, Castellane
Saint-Jeurs"', Faucher^, che-
valier de Forbin d'Oppède^,
chevalier de Fabry *<', La
Poype de Vertrieux**, Fau-
dran de Taillade *2.
troisième commandant : de
La Clue Sabrau.
Cabanoux *^.
de Saqui Destourès **, Man-
delot *5, marquis de Chateau-
neuf Thomas ^^, chevalier de
Tressemanes Brunet*''.
deuxième commandant
commandeur de Glandevez.
chevalier de Marcouville *^.
de Broves <^, chevalier d'As-
torg d'Aubarède, de Rai-
mondis Canaux ^o, de Grasse
Briançon l'aîné 2*.
de Beaumont Le Maître'',
de Castillon'3.
Cheylus, Ségur Cabanac'»,
Castellane La Valette le ca-
det", de Blotrier26.
ESCADRE DE LA GALISSONNIÈRE.
505
Le Guerrier
Le Lion
I
Le Sage
Le Triton
VHippopotame
14,^0 t.
74 c. 660 h.
1242 !.
64 c. 440 h.
ce.
es.
L.
U50 t.
64 c. 440 h.
ce.
es.
L.
U30 t.
64 c. 440 h.
ce.
es.
L.
Le Content
1200 t.
64 c. 440 h.
ce.
es.
L.
VOrphée
1180 t.
64 c. 440 h.
ce.
es.
L.
ce.
es.
L.
1030 t.
50 c. 450 h.
ce.
es.
L.
: Villars de La Brosse". •
: de Motheux2«.
: MftyronnetSaint-Marc29, Gra-
vier l'aîné 30, Le Gendre d'Avi-
raj3', de Venel le jenne
La Comté Pigache^s.
32
: marquis de Saint-AigiianS*.
: de Venel l'aîné ^s.
: chevaîirr de Beaudouvin 36^
de iMoy •", Monierde Fausse^»,
de Grasse de Limermont^^
: Du Revest4<>.
: Castillon cadet ^K
: chevalier d'Urre^^^^ cheva-
lier de Castellane Majastres ^3.
chevalier d'Albert Saint-Hip-
polyte le cadet'''».
: de Sabran Gramrnont*^.
: comfe de Grimaldi^e.
: chevalier de Beaucouse",
Foucault *8, de Peirolles ''•9.
: bailli de Raimond d'Eaux ^o.
chevalier de Mirabeau ^^
Boades de Monthrun^s^ Cas-
tellane La Valette «3, d'Ar-
baud de Jouques »*, Massilian
le cadet ^*.
Mercier ^^.
Colbert de Turgis".
Montcalm Saint-Véran ss^ de
Fabrègues l'aîné 59, Je Dupi-
gnet Guelton^o, Le Baron de
Faugères^^
: Rochemore La Devèze^^^
: Nas de Tourris l'aîné ^3.
: chevalier de Massilian l'aï-
506
APPENDICE Vin.
né^*, Narbonne Pelet^*, comte
de Barjeton Verelause^^.
Le Fier
1100 t.
50 c. 340 h.
ce.
es.
L.
: d'Erville67.
: de Gotho l'aîné ^^.
: Barras de Saint-Laurent*',
Novarin l'aîné '^, marquis de
La Valette 71.
Cinq
frégates
:
La Junon
780 t.
40 c. 300 h.
ce.
L.
: Beaussierde LaChaulanne'*.
: Gaufridy'^^^Saint-AndréMont-
La Rose
290 t.
30 c. 240 h.
ce.
L.
méjan '*.
: Pastour de Gostebelle'^.
: Taurin Dannat l'aîné '« d'Or-
La Gracieuse
450 t.
24 c. 240 h.
ce.
L.
La Topaze
400 t.
24 c. 200 h.
LC.
La Nymphe
450 t.
20 c. 180 h.
LG.
L.
ligues raîné'^7^ chevalier de
Tressemanes ''^ , Pontevès
Maubousquet'Q.
Marquisat! ^o.
Mablan d'Ayminy ^^ de Ma-
rin ^2, Dandoque ^^.
comte de Garné Marceia^*".
deL'lsle Calians^.
de Goy Le Bègue ^^.
Total des canons et des hommes d'équipage des douze vaisseaux
de ligne et des cinq frégates partis de Toulon le 11 avril 1756 :
Canons 934
Hommes d'équipages. 7530
Le convoi comprenait les bâtiments de transport suivants :
Pour les troupes (en outre, deux compagnies étant embarquées sur
chacun des vaisseaux, et cent volontaires sur chacune des frégates,
sauf sur la Nymphe) 49
Pour l'artillerie 13
Pour les poudres et effets d'artillerie 11
Pour les chevaux 8 \ ,„,
Pour les vivres et effets des hôpitaux 37
Pour les bœufs 47
Pour les moutons 5
Pour l'eau et le fourrage pour les bœufs et les moutons 6
ESCADRE DE LA GALISSONNIÊRE . 507
193 voiles.
Récapitulation :
Bâtiments de guerre. . 17
Bâtiments de transport. 176
Aux dix-sept bâtiments de guerre partis de Toulon le 1 i avril 1756
il faut ajouter deux vaisseaux et une frégate qui ne rejoignirent l'es-
cadre que plus tard;
VHector, 74 c, 620 h. (N'a rejoint l'escadre que le 5 juillet.)
ce. : de Vilarzel d'HélieS^
es. : de Dannat Montmaur^*.
L. : Truguet^^, Saint-André Montméjan^o, chevalier de Tresse-
manes Ghasteuipi, baron de Glandevez Gastellet^^.
U Achille, 64 c, 620 h. (N'a rejoint l'escadre que le 2 juillet,)
ce. : de Pannat93.
es. : d'Agays*.
L. : Jousselin de Marigny^^, chevalier de Taurin cadet ^^, cheva-
lier de Glandevez 97.
L'Hirondelle y 18 c, 100 h. (N'a rejoint l'escadre que le 30 avril.)
LC. : marquis de Chabert Cogolin^s.
L. : Beaussier99.
1. Ci-des3U8, p. 279. — A. M., B* 70, fol. 34 : Liste générale des vais-
seaux da roi et des bâtiments de transport pour l'expédition de l'île de
Minorque, B*^ 71 : liste des officiers composant les élats-majors des bâti-
ments de l'escadre aux ordres de M le comte de La Galissonnière.
2. Roland-Michel Barin, comte ou marquis de La Galissonnière, fils d'un
ancien lieutenant général de la marine; né à Rochefort, le 10 nov. 1693 ;
G., 1" nov. 1710; E., 25 nov. 1712; L., 7 mai 1726; C., 1" avr. 1738;
commissaire général d'artillerie, !"■ févr. 1745; commandant général au
Canada, 1*' mai 1747; préposé au Dépôt des plans, l"' janv. 1750; CE.,
7 févr. 1750; LG., 25 sept. 1755: f 26 oct. 1756, Moniei-eau. C* 165. (Le
dossier du vainqueur de Byng manque actuellement aux Archives de la
Marine).
3. Froger de L'Eguille. « De Marennes. Fils d'un ancien lieutenant de
vaisseau quia très bien servi. » G., 5 sept. 1722 ; L., !•' mai 1741; C,
17 mai 1752 ; CE., son rang à la promotion, 21 déc. 1757; CE, 1" janv. 1761 ;
LG., 5 nov. 1766 ; f 5 sept. 1772. Ci 166.
4. De Drée de La Serrée. Cadet d'une maison de Bourgogne ; neveu du
chef d'escadre Digoine du Palais, qui a commandé la marine à Brest.
G., 27 déc. 1718; L., 1" mai 1741 ; C, 23 mai 1754; R., 24 mars 1761.
Cl 167.
5. De l'Isle Taulanne. G., 24 janv. 1732; L., 1" avr. 1748; C, 17 avr.
1757; RCE., 26 sept. 1777. C^ 167.
6. La Guarigue Savigny. De la Martinique G., 1*' juin 1732; L., 1" avr.
1748; C, 17 avr. 1757; RCE., 14 mars 1776. C^ 167,
7. Castellane Saint- Jeurs. De] Provence. Quatorze de ce nom dans la
508 APPENDICE VIII.
m
arine et les galères. G., l*"- févr. 1733; L., 1er avr. 1748; C, 17 avr. 1757;
B., 25 mars 1765 ; f 5 sept. 1766. Toulon. C* 167.
8. Faucher. G., 26 mars 1734; LA, 17 mai 1751; C, 17 avr. 1757; CE.,
9 nov. 1776; RLG., 27 août 1786. C^ 168.
9. Chevalier de Forbin d'Oppède. De Provence; dix de ce nom dans la
marine ou les galères. CM. G., 1«' mai 1738, L., 17 mai 1751; C, 17 avr.
1757; CE., 9 nov. 1776; R., l^r nov. 17^6. C* 168.
10. Louis de Fabry de Fabrègues, dit le chevalier de Fabry, né à Aup»
(Provence), 25 août 1715. G., 17 mai 1734; aide-major, 1751; C, 17 avr.
1757; CE., 9 nov. 1776; directeur général de l'arsenal de Toulon, 1" déc.
1776; commandant la marine à Toulon, 17 nov. 1781 ; LG., 12 janv. 1782.
Cl 168.
11. La Poype de Vertrieux. G , 13 juil. 1738; L., 11 févr. 1756; C,
18 août 1767; B., 14 mars 1776; interdit, 22 janv. -2 déc. 1780; RCE.
1*' mai 1781. C* 168.
12. Faudran de Taillade. GE , 15 août 1740; L., 11 févr. 1756; C, 15 nov,
1771. Cl 169.
13. Cabanoux. De Provence. G., 13 asr. 1719; L., 1" mai 1741: C,
17 mai 1751; RCE., 16 sept. 1764. C* 166.
14. De Saqui Destourès. G., 7 août 1720; L., 1" mai 1741; C, 10 août
1756; B., 25 mars 1765; R., 22 févr. 1744. C* 167
15. Mandelot. De Toulon; neveu de Mandelot de Laucez. G., 6 avr. 1729;
L., IT janv. 1746; C, 15 mai 1756. C* 167.
16. Marquis de Châteauneuf Thomas. De Provence; neveu du comman-
deur et frère aîné du chevalier. G., 24 janv. 1732; L,, 1^^ janv. 1746; C,
14 nov. 1756; R., 1er déc. 1761. Ci 167, C .
17. Chevalier de Tressemanes Bruuet. CM. G., 6 juil. 1735; L., 23 mai
1754; RC, 16 sep. 1764. Ci 168.
18. Chevalier de Marcouville. De Normandie, G., 11 janv. 1715; L.,
1" mai 1741; C, 23 mai 1754; R., 15 janv. 1762. Ci 167.
19. Jean-Joseph de Rafélis, comte de Broves, né au château de Broves,
près de Fréjus, le 8 juil. 1715; neveu du commandeur de Glandevez. G,,
21 janv. 1730; L., I" janv. 1746; C, 15 mai 1756: CE., 15 nov. 1771; LG,,
le' mars 1779; f 12 nov. 1782. Ci 167.
20. De Raimondis Canaux. De Provence. Six de ce nom dans la marin»
ouïes galères. GE., 15 août 1740; L., 11 févr. 1756; R., !•' avr. 1764.
C* 169.
21. De Grasse Briançon l'aîné. D'Entrevaux (Provence); neveu de MM. de
Glandevez. G., 5 mai 1738; L., 23 mai 1754; C, 27 nov. 1765; f 30 juil.
1772, Toulon Ci 168,
22. De Beau mont Le Maître. De Provence. Trois de ce nom dans la
marine et les galères. G., 1er juin 1704; L., 1*' juil. 1735; C, l"janv, 1746;
R., 15 janv. 1762. Ci 166.
23. De Castillon. De Provence. Six de ce nom dans la marine ou les
galères. G., l'^janv. 1720; L., l*r mai 1741; C, 17 mai 1751. Ci 166.
24. Ségur Cabanac.CM., GE., 13 févr, 1733; L., 17 mai 1751; C, 17 avr.
1757; f 18 nov. 1758, Rochefort. Ci 167.
25. Castellane La Valette le cadet. Do Provence. Quatorze de ce nom
ESCADRE DE LA GALISSONNIERE. 509
dans la marine ou les galères. G., 10 mai 1732; L., 17 mai 1751; C, 17 avr.
1757; B., 5 sept. 1766. C* 167.
26. De Blolfier. G., 30 mai 1702; L., 17 mai 1742; C, 17 avr. 1757; B.,
26 avr. 1767; R., 14 mars 1776. C^ 168.
27. Villars de La Brosse. Né à Rochefort; fils d'un ancien lieutenant de
vaisseau mort au service. G., 27 sept. 1718; LA., 1" mai 1741; CA., l"janv.
1746; CG., 25 juil. 1754; B., 25 mars 1765; CE., 15 août 1771; f 19 juin
1776, Rochefort. C^ 166.
28. De Motheux. De Provence. Fils d'un capitaine de vaisseau. G.,
10 avr. 1714; L., 1" avr. 1738 ; C, 1er avr. 1748; R., 15 janv. 1762. Ci 166.
29. Meyronnet Saint-Marc. G., 20 févr. 1733; LA., 17 mai 1751; C,
17 avr. 1757; B., 18 août 1767 ; f 21 août 1773, Toulon. C^ lo8.
30. Gravier l'aîné. Fils aîné du capitaine de vaisseau et commissaire
général d'artillerie; petit-fils d'un capitaine de vaisseau; neveu d'un com-
missaire général de la marine. G., 6 juil. 1735; L., 23 mai 1754; RC.
16 sept. 1764. C* 168.
31. Le Gendre d'Aviray. De Paris G., 11 avr. 1737; L., 23 mai 1754;
R , le.- févr. 1762. Ci 168.
32. De Venel le jeune. Frère de Venel l'aîné. G , 5 mai 1738; LA.,
11 fé^r. 1756; C, 18 août 1767; R., 13 juil. 1776. Ci 168.
33. La Comté Pigache. De Valognes (Normandie). G., 11 juin 1733; L.,
17 mai 1751; C, 17 avr. 1757; R., 24 déc. 1764. Ci 168.
34. Paul-Hippolyte de Beauvillier, marquis de La Ferté Saint-Aignan,fils
du duc de Saint-Aignan, commandant la marine à Toulon et à Marseille;
né 26déc. 1712, Versailles. GE., 4 oct. 1728 ; L., 1" mai 1741 ; C, 1" janv.
1746; CE., 1er oct. 1764; LG., 24 sept. 1769; VA., 17 nov. 1781; | 30 nov.
1788. Cl 166.
35. De Venel l'aîné. Frère de Venel le jeune. G., 17 mars 1722; L.,
le^ janv. 1742; C, 23 mai 1754; R., 16 sept. 1764. Ci 167.
36. Chevalier de Beaudouvin. Six de ce nom au service du roi. G.,
24 déc. 1719; L., 10 oct. 1743; C, 17 avr. 1757; R., 14 janv. 1762.
Cl 167.
37. De Moy. Fils du consul de Livourne. G., 27 fé\r. 1736; L., 17 mai
1751; C, 17 avr. 1757; K., 11 août 1764. Ci 168.
38. Monier de Fausse. G., 1" janv. 1741 ; L., 11 févr. 1756; f 31 janv.
1761; Çi 169.
39. Etienne, comte de Grasse de Limerraont. De Limermont près Beau-
vais; né 21 févr. 1725. G., 1" mai 1741; L., 11 févr. 1756; CF., 1" oct.
1764; C. 15 nov. 1771; RCE., 2ù déc. 1782; f 3 août 1790. Ci 169, C\
40. Du Revest. De Provence. Fils d'un lieutenant de vaisseau mort en 1729
G., 15 mai 1716; L., 1»' avr. 1738; C, 1er n^ai 1717; M., 1" août 1750;
f 31 déc. 1757, Brest. Ci 166.
41. Castillon cadet. « Ci-devant l'aîné des jumeaux » {sic). G., 30 mars
1722; L., 1»^ mai 1741; C, 17 mai 1751; B., 25 mars 1765; R., 1772.
Cl 166.
42. Chevalier d'Urre. CM. Neveu du chevalier de Pilles, chef d'escadre
des galères. GE., mai 1730; L., 17 mai 1751. Ci 167.
43. Chevalier de Castellane Majastres. De Provence. Quatorze de ce nom
510 APPENDICE VIII.
dans la marine ou les galères. G., 25 sept. 1738; L., 11 février 175Ô ;
+ 17 août 1761, Rochefort. C* 168.
44. Chevalier d'Albert Saint-d'Hippolyte le cadet, De Provence. Parent dm
marquis d'Albert, chef d'escadre. CM. G., 1»' janv. 1741 ; L., 11 févr. 1756;
C, 15nov. 1771; CE., 12 janv. 1782. C* 169.
45. De Sabran Grammont. De Provence. Seize de ce nom dans la marine
ouïes galères. G., 24 sept. 1718; C, 1" avr. 1748; CE., 1" oct. 1764;
RLG., 4 nov. 1774. C^ 166.
46. Comte de Grimaldi. De Sicile. Huit de ce nom dans la marine, les
galères et les colonies. GE., 1" juin 1728 ; C, 23 mai 1754; CE., 15 août
1771 ; 1 1*' juin 1774, Toulon. C^ 167.
47. Chevalier de Beaucouse. De Provence. Son père et son oncle morti
au service. CM. G., 25 janv. 1734 ; L., 17 mai 1751. C* 168.
48. Foucault. « Se prétend descendu du maréchal de ce nom comte Du
Daugnon. » G., 30 mars 1733 ; L., 1»^ avr. 1748 ; C, 17 avr. 1757 ; R.,
15 janv. 1762. C* 167.
49. De PeiroUes. D'Aix-en-Provence. G., 14 juil. 1741; L., 11 févr. 1756;
R., 5 nov. 1766. C* 169.
50. Bailli de Raimond d'Eaux. « Et non pas le chevalier d'Eaux de Ray-
mondis. » De Provence ; fils d'un ancien lieutenant de vaisseau. Six de ce
nom dans la marine et les galères. G., 11 août 1722 ; C, l*»" avr. lliti ; CE.,
l"oct. 1764; LG., 6 févr. 1777; VA., 5 déc. 1788. C* 166.
51. Riqueti, chevalier, puis bailli de Mirabeau; de l'ordre de Malte;
frère de l'Ami des hommes; né le 8 oct. 1717, Pertuis (Provence). GE.,
7 mai 1730; L., 1*' janv., 1746 ; C, 1" mars 1752; gouverneur de la Gua-
deloupe, 1*' sept. 1752; inspecteur général des côte» de Picardie, 14 nov.
1756; R., ler avr. 1764;; f 1794, Malte. C* 166; Loménie, Les Mira-
beau, t. 1.
52. Boades de Montbrun. De Provence. G., 17 janv. 1725; L., 10 oct.
1743; R., 24 mars 1758. C* 167.
53. Castellane La Valette. De Provence. Deux frères de ce nom : l'aîné,
G., 25 févr. 1729 ; L., 1" janv. 1746; le cadet, G., 14 mai 1732 ; L., 17 mai
1751. Cl 165.
54. D'Arbaud de Jouques. De Provence. Sept de ce nom dans la marine
et les galères. G., 6juil. 1735; L., 23 mai 1754; C, 15 janv. 1762; gou-
verneur général de la Guadeloupe, 24 oct. 1775; CE., 1^'juin 1778; LO.,
12 janv. 1782. C* 168.
55. Massilian le cadet. Du comtat d'Avignon. Frère de Massilian l'aîné.
G., 15 sept. 1738; L., 11 févr. 1756; R., 25 juil. 1758. C* 168.
56. Antoine Mercier, de Paris; fils de la nourrice du roi. G., 11 nov.
1729; L., 1" avr. 1738; C, 1" avr. 1748; CE., 18 août 1767; t9 oct. 1785,
Saint-Thiébault (Lorraine). C* 166.
57. Colbert de Turgis. Né à Toulon; fils d'un capitaine de vaisseau.
G., 5 oct. 1718; L., 1»' mai 1741; C, 23 mai 1754; RCE., 24 déc. 1764.
Ci 167.
58. Montcalm Saint- Véran. Un de s«s frères tué au combat de M. de
L'Étanduère, 25 oct. 1747. G., 18 mars 1733; L., 17 mai 1751; C, 17 avr.
1757; R., 8 mai 1760. C^ 168.
ESCADRE DE LA GALISSONNIÈRE. 511
59. De Fabrègues laîné. De Provence. Cinq de ce nom dans la marine.
G., 7oct. 1:32 ; L., 17 mai 1751; C, 17 avr. 1757; B., 11 oct. 1768; R.,
12 févr. 1774. C* 168.
60. De Dupignet Guelton. D'Aix-en-Provence. Fils d'un conseiller au
Parlement; G., 14 juil. 1741 ; L., 11 févr. 1756; tué à l'attaque du fort Saint-
Philippe, 28 juin 1756. G* 169.
61. Le Baron de Faugères. G , 30 oct. J743; L., 11 févr. 1756; R.,
]6 nov. 1764; nommé chef des classes à Cette, 17 juin 1786. C* 169.
62. Rochemore La Devèze. De Languedoc. Fils et neveu de deux lieute-
nants de vaisseau. G., 6 nov. 1718; L., 1" mai 1741; C, 17 mai 1751; CE.,
l*'oct. 1764; RLG., 1776. Ci 166.
63. Nas de Tourris laîné. De Toulon. Fils d'un ancien enseigne de vais-
seau ; son oncle mort au service, à Saint-Domingue. G., 4 mai 1723 ; L.,
l"janv. 1746; C, 23 mai 1754; B., 25 mars 1765; R., 18 août 1772.
C* 167.
64. Chevalier de Massilian l'aîné. Du Comtat d'Avignon. Frère de Mas-
»ilian le cadet. G., 27 févr. 1725; L., 10 oct. 1743; R., 24 mars 1758.
C* 167.
65. Narbonne Pelet. G., 5 mai 1738; L., 11 févr. 1756; C., 18 août 1767;
f 8 déc. 1775, à la mer. Qi 168.
66. Comte de Barjeton Verelause. Maison originaire d'Angleterre, éta-
blie dans le duché d'Uzès ^Languedoc), souis Louis Xll. G., !«'' janv.
1741 ; L., 11 févr. 1750 ; CF., 27 nov. 1765; C, 18 féyrier 1772 ; f 18 nov.
1772. C* 169.
67. D'Erville. Parent du comte de Nouilles et du président Hénault. G.,
21 nov. 1718 ; L., 1" mai 1741 ; C, 17 mai 1751 ; R., 1»' avr. 1759. C^ 166.
68. De Goiho l'aîné. De Marseille. Fils aîné d'un ancien lieutenant de
galère. GE., 30 déc. 1722; C, 23 mai 1754; B., 25 mars 1765 ; R., 2 févr.
1774; f 5 août 1781. C^ 167.
69. Barras de Saint-Laurent. « Il y en a eu quatre au service de ce nom,
dont un chef d'escadre et un capitaine de galère. » G., 17 mai 1734; L.,
23 mai 1754; C, 15 janv. 1762; CE., !•' juin 1778; LG., 12 janv. 1782;
VA., 1" janv. 1792. C* 168.
70. Novarin l'aîné. De Thor (Comtat). G., 30 juin 1734 ; L., 23 mai 1754;
t 3 avr. 1761. C^ 168.
71. Marquis de La Valette. De Provence. Dix de ce nom dans la marine.
G., 7 oct. 1743; L., 11 févr. 1756; RC, 19 juil. 1764. C* 169.
72. Beaussier de La Chaulanne. S'appelait d'abord Beaussier de Quiez,
De Toulon; fils d'un ancien lieutenant de vaisseau mort au service. G.,
10 nov. 1721 ; L., 1" mai 1741; C, 23 mai 1754; R., 15 mai 1762. C* 167.
73. Gaufridy. De la Ciotat. G. 17 févr. 1720; L., 1" janv. 1746; C,
15 mai 1756; f 2 déc. 1757. C* 167.
74. Saint-André Montméjan. GE., 7 nov. 1733; L., 23 mai 1754; R.,
11 mai 1762. C* 168.
75. Pas^our de Costebelle. De Languedoc. Fils d'un ancien gouverneur
mort à l'île Royale en 1717. G., 16 juil. 1723; L., 10 00t. 1743; C, 23 mai
1754; B., 25 mars 1765. C^ 167.
76. Taurin Dannat l'aîné. De Provence. Frère de Dannat Montmaur et
512 APPENDICE VIII.
du chevalier de Taurin. G., 11 avr. 1734; L., 23 mai 1754; f 1" noY. 1762,
Cl 168.
77. D'Ortigues l'aîné. De Marseille. G., 6 juil. 1735; L., 23 mai 1754;
f 5 sept. 1761. Cl 168.
78. Cheyalier de Tressemanes. De Provence. CM. G., 7 oct. 1738; L.
11 févr. 1756; C, 18 août 1767. Ci 168.
79. Ponlevès Maubousquet. De ProTence. Seize de ce nom dans la
marine et les galères. G., 3 avr. 1739; L., 11 févr. 1756; y 5 août 1756„
Cl 169.
80. Marquisan. De Provence. Fils d'un lieutenant de vaisseau mort au
service en H."^?. LA., 1" janv. 174(5; C, 23 mai 1754; CA., janv. 1755;
B., 25 mars 1767; f 27 mars 1775, Toulon. Ci 167.
81. Mab'an d'Ayminy. G., 14 mai 1732; L., 17 mai 1751; G., 17 avr.
1757; -{- 1" mai 1757. Ci 167.
82. De Marin. De Provence. G., 5 mai 1738 ; L., 11 févr. 1756; C,
18 août 1767; CE., l'^févr. 1781. Ci 168.
83. Dandoque. G., 22 mai 1738; L., 11 févr. 1756; f 2 oct. 1761. Ci 168.
84. Comte de Carné Marcein. G., 14 juin 1730; L., 1»' janv. 1746; C,
15 mai 1756; B., 25 mars 1765; f 22 déc. 1771, Brest. Ci 167.
85. De L'Isle Calian. G., 14 mai 1732; L., 17 mai 1751; C, 17 avr. 1757;
RCE.,2-2mai 1778. Ci 167.
86. De Goy Le Bègue. Fils d'un lieutenant de vaisseau. G., 10 mai 1733,
L., 23 mai 1754; KC, 11 août 1764. Ci 168.
87. De Vilarzel d'Hélie. De Provence. G. 10 févr. 1706; L., P' juil.
1730; C, 1" janv. 1746; CE., 10 août 175^; f 17 août 1760, Montpellier.
Cl 166.
88. De Dannat Montmaur. De Provence. Fils d'un lieutenant de vais-
seau; quatre oncles paternels morts au service de la marine, dont trois
tués à la mer; deux frères aînés morts au service, l'un de ses blessures;
deux frères dans la marine : Taurin Dannat et le chevalier de Taurin. G.,
6 nov. 1718; L., 1^' avr. 1738; C, 1"^ avr. 1748; R., 15 janv. 1762. Ci 166.
89. Truguet, Fils d'uu écrivain mort au service; frère de Laurent Tru-
gutt, premier commis, directeur du Dépôt des Archives de la Marine de
1754 à 1761. LP. 1" janv. 1746; CP., 10 août 1756; major général de
marine, l*' janv. 1774. Ci 167.
90. Saint-André Montméjan. De Port-Sainte-Marie (^Guienne). Fils d'un
lieutenant de vaisseau. G., 7 mars 1720; L., 1" mai 1741. Ci 165.
91. Chevalier de Tressemanes Chasteuil. De Provence. CM. G., 14 juil .
1741; L., 15 mai 1756; CF., 27 nov. 1765; C, 18 févr. 1772; RCE., 3 déc.
1784. Cl 169.
92. Baron de Glandevez Castellet. De Provence. GE., 15 août 1740; L.,
11 févr. 1756; RC, l"" oct. 1764. Ci 169.
93. DePannat. De Provence. G,, 25 janv. 1720; L., W mai 1741; C.,
17 rnai 1751; CE., 1" oct. 1764. Ci 166.
94. D'Agay. De Provence. G., 5 mars 1730; L., le'janv. 1746; C, 14 nov.
1756; B.,25 mars 1765; K., 20 mai 1774. Ci 167.
95. Jousselin de Marigny. D'Auvergne. F'ils d'un capitaine de frégate. G.,
11 déc. 1732; L., 17 mai 1751; C, 17 avr 1757; R., 1762. Ci 168.
ESCADRE DE LA GALISSONNIÈRE. 513
96 Chevalier de Taurin cadet. Frère de Taurin Dannat l'aîné et de
Dannat Montmaur. G., 21 avr. 1734; L., 23 mai 1754; f 15 déc. 1757. Ci 168
97. Chevalier de Glandevez. D'Entrevaux (Provence); neveu du comman-
deur de Glandevez. CM. G., 14 juil. 1741; L., 11 févr. 1756; C, 18 févr.
1772; CE., 20 août 1784. C* 169.
98. Marquis de Chabert Cogolin. De Provence. Fils d'un enseigne de
vaisseau. G., 14 juil. 1741; L., 11 févr. 1756; CF., 1" oct. 1764; C, 15 nov.
1771 ; adjoint au Dépôt des plans de la marine, 1773; CE., 12 janv. 1782.
Cl 165, 169.
99. Jérôme Beaussier, De Toulon. Cousin des capitaines de port de
Toulon et de Br«st. Aide-marine et d'équipage, 4 nov. 1737; L. et LP.,
26 févr. 1756; f 20 mars 1758, Toulon. Ci 161, 169.
33
514
APPENDICE IX.
IX
ESCADRE DE LA CLUE*
Douze vaisseaux .
W Océan 80 c.
Le Centaure
74
Le ïledouiable
74
Le Téméraire
Le Guerrier
Le Souverain
74
1\
74
CE. : de La due Sabran.
GS. : comte de Camé iMarcein, chevalier
de Laugier Beaucouse^.
L. : d'Arbaud de Jouques, GasLellaae
Majastres, Monier de Fausse, che-
valier de Glaridevez, chevalier de
Suffren^, de Loménie*.
GG. : de Sabran Grammont.
GS. : G'AStellane La Valette le jeune
L. : Faudran de Taillade, Rairaondis
Ganaux, Guiran de La Brillane^,
(le Gaulés ^.
GG. : marquis de Lci Ferté Saint-Ai-
grian.
GS. : chevalier de Grasse du Barp.
L. : de Venel le jeune, chevalier de
Fressemanes, chevaher d'Albert
Saint-Hippolyte le cadet, de
SelveS.
GG. : de Gastillon.
L. : de PeiroUes, chevalier de Tour-
non ^^ Saint-Gézaire*'*, Giapier
Saint-Tropez ".
GG. : Rochemore La Devèze.
\.. : Narbonne Pelet, chevalier de Vil-
lage-Villevieille*^ de Boades^^
GG. : de Pannat.
GS. : Saint-Julien^*.
L. : chevalier de Ghateauneuf Tho-
mas ^^, Barras de Saint-Laurent,
Gravier d'Ortières ^^, comte de
Barjeton Verelause.
ESCADRE DE LA GLUE.
515
Le Modeste
Le Fantasque
Le Lion
Le Triton
64 c. GG.
64
64
r,4
Le Fier
VOriflamme
Trois frégates
La Chimère
La Minerve
La Gracieuse
50
50
26
26
24
GG.
GS.
L.
GG.
L.
GG.
GS.
L.
GG.
GS.
L.
GG.
L.
GG.
GG.
GG.
L.
Du Lac de Montvert ^'.
de Grasse Briançon l'aîné, che-
valier de Gastellane Grimaud*^,
chevalier de Raimondis^^.
Gastillon cadet,
de Fabrègucs l'aîné.
Le Baron de Faugères, baron de
Glandevez Gas^ellet,
Golhert de Turgis.
La Poype de Verlrieux, Périer de
Salvert fils^o, Giraud d'Agay ^i.
de Venel l'aîné.
La Gomté Pigache.
chevalier d'Albert Saint-Hippo-
lyte^^, d'Ortigues l'aîné, chevalier
de Vento Des Pennes ^^.
Marquisan.
Meyronuet Saint-Marc.
Lort de Vériguan^^ Gatelin La
Gardées.
Dabon26.
comte de Framont".
Faucher.
chevalier de Forbin d'Oppède.
chevalier de Fabry.
de Grasse de Limernoiont.
1. Ci-dessus, p. 305. —A. M., B* 90.
2. Chevalier de Laugier Beaucouse. De Provence. Fili d'un enseigne de
vaisseau, neveu de M. de La Clue. CM. G., 31 déc. 1735; LA., 17 mai 1751;
C, 17 avr. 1757;'RCE., 2 août 1783; f 7 août 1784, Marseille. C^ 168.
3. Pierre-André de SurtVen de Saint-Tropez, chevalier, puis bailli de
Malte. Né le 17 juillet 1729 à Saint-Cannat (Provence). G., 30 cet. 1743 ;
E., 1" avr. 1748; L., 15 mai 1756; CF., 18 août 1767; C, 18 févr. 1772;
CE., 12 janv. 1782; LG., 8 févr. 1783; VA., 4 avr. 1784; f 8 déc. 1788,
Paris. Cl 169, C"^.
4. De Loménie. GE., 1730; LP., !«' nov. 1757; f 28 avr. 1767. C^ 170.
5. Guiran de La Brillane. D'Aix-en-Provence. CM. G., 18 juil. 1741;
L., 15 mai 1756; C, 15 nov. 1771; commandant général des îles de France
et de Bourbon, 23 déc. 1775; CE., 26 déc. 1778; f 1789, île de France.
G* 169.
6. De Gantés. G., 12 janv. 1746; L., 17 avr. 1757; C, 24 mars 1772; R.,
19 oct. 1781. Cl 170.
516 APPENDICE IX.
7. Chevalier de Grasse du Bar. De Provence. CM. GE,, mai 1730; L.,
l«janv. 1749; C, 17 avr. 1757; f août 1759, Quelfes, auprès de Faro (Por-
tugal). Cl 167.
8. De Selve. De Provence. Fils d'un capitaine de vaisseau mort au ser-
vice. G., 18 juin 1742; L., 15 mai 1756; CF., 1«' févr. 1770; C, 18 févr.
1772. Cl 169.
9. Chevalier de Tournon. De Provence. G., 30oct. 1743; L., 15 mai 1756,
R., 7 févr. 1768. C* 169.
10. Saint-Cézaire. De Saint-Cézaire, près Grasse (Provence). G., 17 mars
1744; L., 15 mai 1756; C, 18 févr. 1772; commandant TÉcole royale du
Havre, 1*' déc. 1773; B., 7 mars 1781; tué au combat de la Dominique,
12 avr. 1782. Ci 169.
11. Clapier Saint-Tropez. D'Hyères. G., 24 févr. 1746; L., 17 avr. 1757;
C, 24 mars 1772; R., 18 août 1772; Ci 170.
12. Chevalier de Village-Villevieilie. De Provence. CM. G., 3 déc. 1475;
L., 17 avr. 1757; tué 17 août 1759. Ci 169.
13. De Boades. De Provence. G., 12 janv. 1746; L., 17 avr. 1757; C,
24 mars 1776; CE., 20 août 1784. Ci 169.
14. Saint-Julien. Fils d'un ancien lieutenant de vaisseau mort au service.
G., 24 janv. 1732; L., 1" avr. 1748; C, 17 avr. 1757; RCE., 14 mars 1776;
f 23 mai 1784, Brest. Ci 167.
15. Chevalier de Chateauneuf Thomas. De Provence. Neveu du comman-
deur et frère cadet du marquis. CM. G., 21 avr. 1734; L., 23 mai 1754; R,,
19 mars 1763. Ci 168.
16. Gravier d'Ortières. De Toulcn. Frère de Gravier l'aîné. G., Il juillet
1738; L., 11 févr. 1756; CF., 18 août 1767; f 22 févr. 1771, Toulon. Ci 168.
17. Du Lac de Montvert. De Languedoc. Fils d'un lieutenant de vaigseau
mort au service. G., 4 mai 1723; L., 10 oct. 1743; CA., i" nov. 1752; CG.,
17 avr. 1757; R., 15 janv. 1762. Ci 166.
18. Chevalier de Castellane Grimaud. De Provence. CM. G., 1" janv.
1741; L., 11 févr. 1756; R., 16 sept. 1764. Ci 199.
19. Chevalier de Raimondis. De Provence. Six de ce nom dans la marine
ouïes gali^res. G., 3 déc 1745; L., 17 avr. 1757; C, 18 févr. 177:^; CE.,
20 août 1784. Ci 169.
20. Périer de Salvert fils. Fils de Périer de Salvert; neveu de Périer
l'aîné; gendre de Bigot de Morogues. G., 9 avr. 1745; L., 15 mai 1756; C,
24 mars 1772; R., 16 déc. 1786. Ci 169.
21. Giraud d'Agay. « 11 sait l'espagnol et l'anglais. » G., 12 janv. 1746;
L., 17 avr. 1757; C, 24 mars 1772; R., 18 août 1772. Ci 169.
22. Chevalier d'Albert Saint-Hippolyte. De Provence. Parent du marquis
d'Albert. CM. G., 5 mai 1734; L., 23 mai 1754; R., 16 janv. 1763. Ci 168.
23. Chevalier de Vente des Pennes. De Provence. CM. GE., 15 avr. 1738;
L., 23 mai 1754; C, 18 août 1767; R., 26 sept. 1777. C* 168.
24. Lort de Vériguan. De Montpellier. G., 1" janv. 1741; L., 11 févr.
1756; CF., 27 nov. 1765; -j- 4 mai 1769. Ci 169.
25. Catclin La Garde. De Toulon. Fils d'un lieutenant de vaisseau mort
au service. G., 4 sept. 1741; L., 15 mai 1756; C, 18 févr. 1772; f 18 mars
1778, Toulon. C* 169.
ESCADRE DE LA GLUE. 517
26. Dabon. Du Dauphiné, diocèse de Gap. Neveu du marquis de Rou-
Troy, lieutenant général de la marine, mort en 1744; parent de M. de Feu-
quières, gouverneur général de la Martinique, mort chef d'escadre. G.,
29 nov. 1727; L., 1" janv, 1749; C, 23 mai 1754; CE., 15 nov. 1771; LO.,
l«r juil. 1780. C* 167.
27. Comte de Framont. De Mende en Gévaudan. G., 11 atr. 1748; L.,
18 avr. 1757; G., 24 mars 1772; f oct. 1785. Ci 170.
518
APPENDICE X.
X
ESCADRE DE M. DE CONFLANS*
Vingt et un vaisseaux formant trois divisions
Le Soleil Royal
U Orient
Le Glorieux
i^^ DIVISION
80 c 950 II. Maréchal de Conflans^.
CPN. : Bidé de Chézac3.
es. : chevalier de Lescoët *.
C. en troisième : Boulainvilliers
de Croy^.
M. : Du Dresnay Des Roches 6.
Aide-major : chevalier Du Bos le
cadet 7.
L. : Heussafd'Ouessant*, mar-
quis de Bénouville s, de La
Biochaye ^^, Tronjoly **,
d'Esclabissac ^^^ chevalier
(le Montazet Almavin ^3, de
Sorel 1^, de Cypières *^.
80 750 CE. : chevalier de Guébriant Bu-
des 16.
es. : chevalier Nogérée de La
Fillière l'aîné*',
L. : Bigot *^, chevalier de
Brach*^, Basterot de La
Barrière 2<^, Turpin Du
Breuil", de Lage de Vo-
lude^^.
74 650 ce. : Villars de La Brosse.
es. : Beaulieu deTivas.
L. : Mauclerc Du Bouchet ",
Veissière de Larivaux La
Barre ^-s, Luppé de La
Motte^^jChevalier de Muin'®.
ESCADRE DE M. DE CONFLANS.
519
Le Robuste
74 G
650 h.
ce.
es.
L.
: Fragnier de Vienne 2'.
: Deshayes de Cry^^.
: Longchamps Montandre^*,
Girardiu^o^ Kerven Kersu-
liec^i.
Le Dauphin Royal
70
630
ce.
es.
L.
: chevalier d'Urlubh^ Fa-
gosse^-.
: de Chièvres ^.
: La Touche Beauregard 3^,
GottevilleBelIe-Isle3^Dau-
bentou^, Des Touches ^7.
Le Dragon
64
450
ce.
es.
L.
: Le Vasâor de La Touche.
: Lizardais38.
: Du Sault39, comte de Che-
risey*o, Vaulmeniei'*^ Cil-
lart de Suville''^ de Se-
guiran*3.
Le Solitaire
64
450
ce.
es.
L.
: vicomte de Langle'*'*.
: de Gouvello''".
: chevalier de Gouandour**,
Du Brcil chevalier de
Hays^', La Grandière*^
2* DIVISION
Le Tonnant
80
800
CE. :
es.
L. :
chevalier de Bauffiemont.
Saiiit-Victoret*9.
de Mirande Guériu^o, Ker-
Vlntrépide
74 650
ce.
es.
L.
Le Thésée
74
650
ce.
es.
L.
Le Northumberland
70
630
ce.
es.
tanguys^, de Beausset**,
comte de Durfort Du ras 5*,
d'Heguerty ^^.
: Chasteloger^'.
: bandanne de Lincourt**.
: Du Guélambert*'', de Du-
clesraeur^^, Du Bois de La
Motte Rabeau^*, La Bou-
cherie Fromenîeau*^^.
: KersaiutdeCoëtnempren®*.
: Plessis Boterel^'.
: Du Mène Lézurec^^, Lon-
gueval^-*, marquis de Jons**,
chevalier de iordat^®.
: Belingaut de Kerbabut*^.
: Tredern Du Dresnec.
520
APPENDICE X.
Le Superbe
70 p.. 63(; h,
LÊveillé
64 450
Le Brillatit
64 450
L.
ce.
es.
L.
ce.
es.
L.
ce.
es.
L.
de.Ianvry l'aîné^^^ chevalier
de Belingan t de Kerbabiit^',
deLaFitte^o, de Va^san'^
Montalais'^^.
Chiffrevas.
chevalier de Carné ^^, Saint-
Pern'^^, Touronec de Corc-
quer'^, de Larnage^^.
La Prévalais deLaRocbe''^.
chevaher de Lorgeril.
chevalier de Keranstref^^^
comte de Montecler''^, Ca-
telan raîDé**>, Penfente-
nyo^'. — Comte de Sou-
lange ^^.
Keremar de Boi^chateau.
de La Monneraye^s.
Portmartin^'*, Du Plessis
Parscau^^, Saint-Légif-r de
La Sausaye^^j Géraldine',
— Saint-Denis de Vieux-
Pont^s, chevalier Roussel
de Préville cadet^s.
3* DIVISION
Le Formidable
80 800
Le Magnifique
74 650
Le Héros
74 650
CE.
es.
L.
ce.
es.
L.
ce.
es.
L.
Saint-André du Verger^o
Saint-André l'aîné.
De Ménildot de Rid^au-
ville^', Penandreff de Ker-
sauson^^^ chevalier d'Ar-
gouges93, chevalier Rous-
sel de Préville 9^, chevaher
de Coataudon ^^.
Bigot de Morogues^^.
Herpiii^'.
Huon de Kermadec^^ j(er-
jankerjan99, Villers Frans-
sures de Brissaucourt^'^*^,
Villers de Grassy^^'*.
vicomte de Sanzay *^2.
LaVilleblanche^o3.
Le Mouton Du Manoir i*'*.
ESCADRE DE M. DE GONFLANS.
521
Le Juste
70 c. 630 h.
Vlnflexihle
64 450
Le Sphinx
64 450
Le Bizarre
64 450
Cinq frégates ou corvettes :
UHébé
La Vestale
VAigrette^ la CalypsOy la Noire.
Marencein de Chivrey*^^,
Saint-Prix ^'^^j chevalier de
Villers Franssures ^^'^.
CG. : Saint-AUouarn l'aîné i»».
es. : Kosmadec de Saint-Al-
louarn ^09.
L. : chevalier Du Châtel Ta-
neguy"^, La Boullaye^^*,
chevalier de Kerjeanmol "2,
Périer de Montplaisir *'^-
Trémigon ^K
CG. : Tan -rède chevalier de Cau-
mont **5,
CS. : Laccary.
L. : chevalier de Ternay d'Ar-
sac **^, chevalier Chabot**',
Beaupoil Sainfce-Aulaire de
La iJixmerie **8, Repen-
tigny 119.
CG. : de Gouyon chevalier de
Coutance La Selle ^^o.
CS. : Jousselin de Marigny.
L. : Bouiii de La Villebou-
quais 121, L'Épine Grain-
ville i^', chevalier de Bal-
leroy i^a, La Touche Beau-
regard de Telincourt ***,
— Kèriou Le Borgne *2^,
chevalier Prévost de Tra
versay i^*'.
CG. : Prince de Montba'on che-
valier de Rohan ^^'^.
CS. : Foucault.
L. : chevalierde Landeraonti**,
Valmenier Cacquaray '*^,
Dampierre Cugniaci^^,Gou-
berti3i.
LC. : LagadeckMesedern deKer-
loury *^2.
LC. : chevalier de Montfiqueti33,
1, Ci-d08»U8, p. 353. — Nombreux états de cette escadre : A. M., B* 88.
522 APPENDICE X.
2. Chevalier, puis comte de Cooflans-Brienne. « Bon officier, sachant son
métier et brave, mais un peu vif et haut sur sa naissance ; prétend descendre
des rois de Jérusalem. » G., 13 févr. 1706: h]., 25 nov. 1712, L., 17 mars
1727; LGM., 1*^ nov. 1731 ; chevalier de Saint-Louis, 25 juil. 1732; C, 10 mars
1734; commandant des gardes-marine de Brest, l^r déc. 1741 ; gouverneur
général des îles sous le Vent (Saint-Domingue), 26 mai 1747; CE., 1" avril
1748; LG., 1" sept. 1752; VA. es mers du Levant, 14 nov. 1756; maréchal
de France, 18 mars 1758; chevalier de Saint-Lazare ; -|- 27 janv. 1777, Paris.
Le 7 pluviôse an XII (28 janvier 1804), Marie-Rose Fougen, «: veuve de
l'ex-maréchal et vice-amiral de Conflans », âuée de soixante-dix ans, sans
ressources et infirme, qui n'avait plus rien touché, depuis 1792, de sa pen-
sion de six raille livres, ni de ses biens à Saint-Domingue, obtint du Pre-
mier Consul un secours de trois mille francs ; le 7 messidor suivant (6 juil-
let 1804), un décret impérial lui alloua une pension viagère de mille francs.
et 165, 166. C7.
3. Bidé de Chézac. De la Rochelle. Fils d'un lieutenant de vaisseau mort
au service; petit-neveu des intendants de la marine, de Lou\igny et Bigot
de La Motte ; cousin germain du capitaine de vaisseau Bidé de Maurville.
G., 12 déc. 1721 ; L., 1« mai 1741; C, 17 mai 1751 ; f 23 mai 1764. C* 166.
4. Chevalier de Lescoet. De Bretagne. Fils du capitaine de vaisseau. G.,
12 janv. 1734, L., 17 mai 1751; C, 17 avr. 1757; f 16 avr. 1766, Brest. C^
168.
5. Boulainvilliers de Croy. De Brest. Fils du capitaine de vaisseau péri
avec le Bourlon (p. 139). G., 23 déc. 1735; L., 17 mai 1751 ; C, 17 avr. 1757;
CE., 5 mai 1780. C^ 168.
6. François-Julien Du Dresnay Des Roches. De Firetagne. Fils cadet
d'un capitaine de vaisseau mort en 17J7. G., 15 avr. 1734; C, 17 avr. 1757;
gouverneur général des îles de France et de Bourbon, 22 juil. 1768 ; CE.,
9 nov. 1776; f 12 août 1786, Paris. C^ 168.
7. Chevalier Du Bos le cadet. D'Auvergne. Frère du chevalier Du Bos
l'aîné. G., 21 avr. 1734; aide-major, 17 mai 1751; C, 15 janv. 1762; B.,
18 août 1772; f 22 janv. 1786, Brest. Ci 168.
8. Charles-Gabriel Heussaf d'Ouessant. G., 4 avr. 1734; L., 23 mai 1754;
RC, 16 sept. 1764. Ci 168.
9. Marquis de Bénouvilie. De Normandie. G., 2 mai 1738; aide-major,
11 févr. 1756; R., 15 janv. 1762. Ci 168.
10. De La Biochaye. G., 5 nov. 1743; L., 15 mai 1756; C, 18 févr. 1772;
R., 3 déc. 1784. Ci 169.
11. Tronjoly. Neveu de M. de Frémeur, lieutenant général des armées du
roi. G., 17 sept. 1735; L., 11 févr. 1756; C, 11 août 1767; B., 14 mars 1776.
Cl 168.
12. D'Esclabissac. G., 30 août 1738; L., 11 févr. 1756; R., 1764. Ci 168.
13. Chevalier de Montazet Amalvin. D'Agen. CM. G., 25 juil. 1741; L.,
11 févr. 1756 ; R. 1" mai 1765. Ci 169.
14. De Sorel. De Normandie. Fils du capitaine de vaisseau. G., 10 janv.
1746; L., 17 avr. 1757; f 8 déc. 1765, Brest, Ci 170.
15. De Cypières. GE., 18 mars 1743; LGP ; 17 juill. 1757; R., 13 août
1765. Cl 170.
ESCADRE DE M. DE CONFLANS. 523
16. Chevalier de Guébriant Budes. De Bretagno. G., 1*^ nov. 1716; L.,
1»' juil. 1735; C, 1" janv, 1746; commandant de la marine à Rochefort,
1756; CE., 1" janv. 1757 ; f 4 août 17(i0. C^ 166.
17. Chevalier Nogérée de La Fillière l'aîné. De Rochefort. Fils d'un lieu-
tenant de vaisseau mort en 1727; frère d'un lieutenant de vaisseau mort en
1758 8ur V Alcyon qu'il commandait. G., 25 mars 1716; L., 1« mai 1741. C*
165, C\
18. Bigot. De Bordeaux. Fils d'un conseiller au parlement de Bordeaux,
petit-fils de M. Lambert, inspecteur général de la marine à Bordeaux; frère
de Bigot de La Motte, intendant du Canada; parent du marquis de Puisieux,
secrétaire d'Etat des affaires étrangères. G., 5 juil. 1735; L., 23 mai 1754;
C, 27 nov. 1765: R., 1778. C* 168.
19. Chevalier de Brach. De Rochefort. Fils d'un capitaine de frégate mort
au service; un frère aîné dans la marine. G., 3 mai 1738; L., 11 févr. 1756;
C, 18 août 1767; B., 14 mars 1767; f 24 oct. 1780, Cadix. Ci 168.
20. Basterot de La Barrière. De Bordeaux. Fils d'un enseigne de vaisseau
mort au service. G., 23 sept. 1738; L., 11 févr. 1756; C, 18 août 1767; R.,
20 janv. 1776; f 1783. C* 168.
21. Charles Turpin Du Breuil. Né le 22 février 1726, à Saint-Jean-d'Angély ;
a quitté l'ordre de Malte pour épouser, le 3 févr. 1743, Elisabeth-Julie de
Macnemara, fille du commandant de la marine à Rochefort. G., 1" janv.
1741; L. 11 févr. 1756; CF., 1*' oct. 1764; f 30 juil. 1168, aux eaux de
Bagnères. C^ 169.
22. De Lage de Volude. De Poitou. G., 24 juil. 1742; L., 11 févr. 1756;
CF., 1*' oct. 1764; 2 août 1766, Paris C* 169.
23. Mauclerc Du Bouchet. De Saintonge. Petit-fils d'un commissaire
général de la marine mort au Port-Louis. Fils aîné du capitaine de vaisseau,
ancien capitaine de port à Toulon. Deux frères : l'un officier, l'autre com-
missaire de marine. G., 6 juil. 1735; L., 23 mai 1754; C, 27 nov. 1765;
f 5 mai 1775. C* 168.
24. Veissière de Larivaux La Barre. De Saintonge. Fils du capitaine
garde-côte de Royan. G., 15 juil. 1741 ; L., 11 févr. 1756; R., 15 janv. 1762.
Cl 169.
25. Luppé de La Motte. De Guyenne. Fils d'un lieutenant de frégate mort
au service en 1753. G., 21 déc. 1745; L., 17 avr. 1757; f 3 nov. 1764, Roche-
fort. Cl 169.
26. Chevalier de Muin. Petit-fils et petit-neveu d'un intendant de la marine
et d'un capitaine de vaisseau morts au service. G., 21 nov. 1743; L,, 15 mai
1756; C, 18 févr. 1772. Ci 169.
27. Fragniei- de Vienne. De Champagne. G., 12 sept. 1718; L., 1" avr.
1738; C, l^'avr. 1748; RCE., 16 sept. 1764. Ci 166.
28. Deshayes de Cry. De Normandie. G., 9 nov. 1733; L., 17 mai 1751;
C, 17 avr. 1757; CE., 9 nov. 1776; LG., 12 janv. 1782. Ci 168.
29 Longchamps Montandre. Petit-fils d'un capitaine de vaisseau. G.,
4 avr. 1734; LA., 17 mai 1751; tué sur le Diadème, d© M. de Breugnon,
aux Antilles, 16 mai 1760. C* 168.
30. Girardiu. Originaire des Iles. G., 5 août 1741; L., 11 févr. 1756;
f 6 août 1761, Rochefort. Ci 169.
524
APPENDICE X.
31. Kerven Kersuliec. G., 25 nov. 1745 ; L., 17 avr. 1757 ; f J3 févr. 1766,
Brest. Cl 169.
32. Chevalier d'Urtubie Fagosse. D'Orogne, près Bayonne. Fils et nevea
de capitaines de vaisseau. G., 23 juil. 1724; L., le' mai 1741 ; C, 1" avr, 1748,
CE., 1" oct. n64; f 31 mai 1767. C* 166.
33. De Chièvres. De Saintonge. Neveu du chevalier de Bretauville, capi-
taine de vaisseau. G., 17 avr. 1732; L., 1" avr. 1748; C, 17 avr. 1757; R.,
15 janv. 1762. C* 167. — Le rôle du Dauphin Royal (C« 285) porte, à côté
de son nom : a Débarqué le 10 novembre 1759 », et n'indique pas de rem-
plaçant.
34. La Touche Beauregard. De la Martinique. Frère aîné de La Touche
Beauregard de Telincourt : ci-dessous, note 124. G., 4 juil. 1735. LA.,
23 mai 1754; C, 15 janv. 1762; tué à Larache, 27 juin 1765. C* 168.
35. Gotteville Belle-Isle. De Normandie. Fils d'un lieutenant de vaisseau.
G., 10 janv. 1742; L., 15 mai 1756; R., 15 mars 1769 Ci 169.
36. Daubenton. Fils du commissaire général et premier commis de la
marine. G., 6 juil. 1742; L., 15 mai 1756; C, 18 févr. 1772; directeur d'ar-
tillerie, 1" déc. 1776; f 26 mai 1782, Rochefort. Ci 169.
37. Des Touches. G., 28 déc. 1743 ; L., 15 mai 1756 ; C, 18 févr. 1772 ;
CE., 20 août 1784. Ci 169.
38. Lizardais. Fils du capitaine de vaisseau et commissaire général d'ar-
tillerie, mort le 12 décembre 1753. G., 19 oct. 1737; C, 17 avr. 1757 ; colonel
d'artillerie, 25 févr. 1765; f 12 juin 1769, Brest. Ci 168.
39. Du Sault. De Bordeaux. Fils d'un conseiller au parlement ; neveu
d'un lieutenant de vaisseau. G., 4 juil. 1?35; L., 23 mai 1754 ; f 8 mars 1760.
Qi 168.
40. Comte de Cherisey. G., 30 juin 1742 ; L., 11 févr. 1756; C, 15 nov.
1771 ; B., 9 nov. 1776. Ci 169.
41. Valmenier. L., 17 avr. 1757; R., 15 janv. 1762. Ci 170.
42. Cillart de Suville. De Bretagne. Fils d'un capitaine de dragons. G.,
2 mars 1746; L., 1" janv. 1761; C, 4 avr. 1777; B., 26 mai 1782. 11 ne fut
embarqué sur le Draaon que dans la Vilaine ; il passa ensuite sur le Robuste.
Cl 170.
43. De Seguiran. De Marseille. Fils d'un chef d'escadre; petit-fils d'un
capitaine de galères, GE., 1" janv. 1746; L„ 1*^ janv. 1761; R., 18 août 1772.
Môme embarquement que le précédent. Ci 170.
44. Vicomte de Langle. De Brest. Fils d*an lieutenant de vaisseau retiré
en 1727. G., 6 févr. 1730; L., 1" janv. 1746. C, 15 mai. 1756; R., 16 sept.
1764. Cl 167.
45. De Gouvello. G., 16 déc. 1731 ; L., 1« janv. 1746. Ci 165.
46. Chevalier de Gouandour, Ci-devant Penzé de Moëlien, De Bretagne.
G., 3 juil. 1735; L., 23 mai 1754; C, 27 nov. 1765; RCE., 19 oct. 1781 ;
t 8 avr. 1785, Quimper. Ci 168,
47. Du Breil chevalier de Rays. De Saint-Brieuc. G., 1" janv. 1741: L.,
11 févr. 1756; C, 18 août 1767; CE., 18 févr. 1781 ; f 13 sept. 1790, Brest.
Cl 168.
48. La Grandière. De Brest. Fils d'un lieutenant de vaisseau. G,, 26 nov.
1745; L,, 17 avr. 1757; C, 24 mars 1772; CE., 20 août 1784. Ci 169.
ESCADRE DE M. DE GONFLANS. 525
49. Saint- Victoret. De Provence. G., 9 sept. 1732; L. 17 mai 1751; C,
17 avr. 1757; B., 28 janv. 1767. Ci 167.
50. De Mirando Guérin. G., 3 avr. 1734; L.,23 mai 1754 ;RC., 16 sept.
1764. Cl 168.
51. Kertanguy. De Bretagne. G., 1" janv. 1741 ; L., 15 févr. 1756; R.,
13 août 1765. c'i 169.
52. De Beausset. De Marseille. Neveu de M. de Villeneuve, ambassadeur
à Constantinople. G., 5 mai 1738 ; L., 23 mai 1754; C, 1"^ févr. 17c2 ; CE.,
4 mai 1779 ; LG., 20 août 1784. Ci 168.
53. Comte de Durfort Duras. Son frère aîné mourut en 1742, sur le Rubis,
au Canada. Parent du comte de Maurepas. G., 5 mai 1743 ; L., 11 févr. 1756;
C, 18 août 1767 ; RCE., 9 août 1782. Ci 169.
54. D'Heguerty ou dHyguerty. De Paris ; fils d'un commerçant irlandais ;
« fort à son aise. » G., 21. mai 1745 ; L., 17 avr. 1757; CB., 15 août 1771 ;
R., 1«' janv. 1770. Ci 165, 169.
55. Chasteloger. G., 1" avr. 1715; L. 1»' avr. 1738 ; C, 1" janv. 1746 ; CE.,
1-' janv. 1761 ; f 5 déc. 1763. Ci 166.
56. Dandanne de Lincourt. G., 13 juil. 1732; L., 17 mai 1751 ; C, 17 a\T.
1757; f 28 mni 1763. Ci 168.
57. Du Guélambert. CB., 1" avr. 1748; L., 17 mai 1751; mort des bles-
sures qu'il reçut dans le combat livré par le Courageux qu'il commandait,
25 août 1761. Ci 168.
58. De Duclesmeur. De Brest. « Fils d'un lieutenant de vaisseau, mort en
1744. Sa grand'mère avait épousé M. de Fercourt, chef d'escadre. Aîné fort à
son aise. » G., 12 juil. 1741; L., 11 févr. 1756; C, 18 févr. 1772; RCE.
20 mars 1784. Ci 169.
59. Du Bois de La Motte Rabeau. G., 25 nov. 1745; L., 17 avr. 1757; R ,
18 août 1767; f 25 oct. 1768. Ci 169, C^.
60. La Boucherie Fromanteau. De Saintonge. G., 15 sept. J738; LA.,
23 mai 1754; CA., 15 janv. 1762. Ci 168.
61. Guy-François Kersaint de Coëtnempren. Né en 1707 au manoir de
Kersaint, près Morlaix. G., 20 févr. 1722; L., l*"" mai 1741; C, 1er janv. 1747;
f 20 nov. 1759, sur le Thésée. Parmi ses quatre fils, trois furent officiers
de marine. « 11 nous a laissés sept enfants sans pain, dit l'un de ses Ois,
sous les yeux d'une mère respectable, qui par ses soins nous a tous élevés. »
Cl 166, C\
62. Plessis Boterel. G., 14 mai 1732 ; L., 17 mai 1751 ; C, 17 avr. 1757;
f 20 nov. 1759, sur le Thésée. Ci 168.
63. Du Mené Lézurec. De Bretagne. Fils d'un capitaine général garde-
côte ; neveu de M. de Rozily, major de la marine. G., 19 janv. 1746; L.,
17 avr. 1757 ; f 20 nov. 1759, sur le Thésée. Ci 170.
64. Lcngueval. De Guyenne. G., 22 avr. 1746 ; L., 17 avr. 1757; f 20 nov.
1759, sur le Thésée. Cl 170.
65. Marquis de Jons. G., 27 juin 1746; L., 17 avr. 1757 ; f 20 nov. 1759,
sur le Thésée. Ci 170.
66. Chevalier de Lordat. De Provence. Fils et neveu de deux aides-majors
de la marine. CM. G., 23 juin 1746; L., 17 avr. 1757; f 20 nov. 1759, sur le
Thésée. Cl 170.
526 APPENDICE X.
67. Belingant de Kerbabut. De Bretagne. G , 18 oct. 1718 ; L., 1*' avr. 1738;
C, 1" avr. 1748; CE., lô sept. 1764; f 4 avr. 1775, Lannion. Ci 166.
68. De Janvry l'aîûé. De Brest. Fils aîné du lieutenant de vaisseau mort
le 7 mai 1749. G., 3 juil. 1735; L., 23 mai 1754 ; C, 15 janv. 1762 ; B., 22 févr.
1774 ; f 25 mars 1777, Brest. Ci 168,
69. Chevalier de Belingant de Kerbabut. De Bretagne. Frère du capitaine
du 1" avril 1748. G., 30 juil. 1735; L.,11 févr. 1753; R., 15janv. 1762. Ci 168.
70. De La Fitte. De Niort. Fils d'un lieutenant de vaisseau mort au ser-
vice. G., 26 sept. 1735, L., 23 mai 175t ; RC, 16 sept. 1764. Ci 168.
71. De Vassan. De Brest. Fils du lieutenant de vaisseau mort au service
en 1753. G., 8 juin 1742; L., 15 mai 1756; C, 24 mars 1772 ; R., 21 mars
1779. Cl 169.
72. Montalais. G., 22 mai 1713; L., 1" mai 1741 ; C, 17 mai 1751; péri
avec le Superbe, 20 nov. 1759. Ci 166.
Son fils {G., 21 févr. 1746; E., 23 mai 1754) périt avec lui. Ci 170.
73. Chevalier de Carné. G., 30 mai 1738; L., 17 mai 1751; péri, 20 nov.
1759. Cl 168.
74. Saint-Pern. De Bretagne. G., 22 sept. 1738 ; L., 23 mai 1754 ; péri,
20 nov. 1759. Ci 168.
75. Touronec de Gorcquer. De Lesneven, près Brest. G., 9 oct, 1738; L,,
11 févr. 1756; péri, 20 nov. 1759. Ci 168.
76. De Larnage. Né aux Iles. Fils du feu gouverneur général de Saint-
Domingue. G., 3 mai 1738 ; L., 23 mai 1754 ; péri 20 nov. 1759. Ci 168.
77. La Prévalais de La Roche. De Bretagne. Fils d'un ancien lieutenant
de vaisseau. G., 3 m?i 1729 ; L., l^r janv. 1746; C, 15 mai 1756; CE., 9 nov.
1776 ; directeur général de l'arsenal de Brest, 16 nov. 1776; f 26 déc. 1766,
Rennes. Ci 167.
78. Chevalier de Keranstret. De Bretagne. Fils d'un ancien enseigne. G.,
10 janv. 1742; L., 15 mai 1756 ; CF., 18 août 1767; f 31 juil. 1771. Ci 169.
79. Comte de Montecler. Du Maine. G., 15 déc. 1743; L., 17 avr. 1757;
C, 18 févr., 1772; B., 7 mars 1781 ; t 25 mars 1784, Quimper. Ci 169.
80. Catelan Taîné. G., 6 nov. 1743; L., 15 mai 1756; C, 24 mars 1772;
R.,29 mars 1777. Ci 169.
81. Penfentenyo. De Bretagne. G., 30 mars 1756; L., 17 avr. 1757; R.,
23 mars 1762. Ci 170.
82. Comte de Soulange. Du Bas Poitou. G., 11 févr. 1751; L., 1" janv.
1761 ; C, 4 avr. 1777; directeur général de l'arsenal de Toulon, 1" janv.
1785. 11 ne fut embarqué sur Y Éveillé que dans la Vilaine. Ci 171.
83. De La Monneraye. Du département de Brest. G., 1733 ; L., 1748; C,
1757 ; f l^' févr. 1760. C.
84. Pcrtmartin. G., 4 juil. 1735 ; L., 23 mai 1754; R., 15 janv. 1762. Ci 168.
85. Du Plessis Parscau. De Bre'.agne. Fils aîné d'un ancien enseigne. G.,
15 déc. 1743; L., 15 mai 1756 ; C, 18 févr. 1772 ; CE., 20 août 1784 ; f 7 mai
1786 Cl 169. — Son fils, contre-amiral en 1827, fut le beau-frère do Chateau-
briand.
86. Saint-Légier de La Sausaye. De Saintonge. Fils du capitaine de vais-
seau mort en 1753. G., 10 janv. 1742; L., 15 mai 1756 ; R., 27 nov. 1765. C*
169.
ESCADRE DE M. DE GONFLANS. 527
87. G^raldin. Fils d'un capitaine de vaisseau mort au service. G., 2 juil.
1745; L., 17 avr. 1757; f mars 1765, Paris. Ci 169.
88. Saint-Denis de Vieuxpont. G., 12 nov. 1743; L., 15 mai J756; C,
18 févr. 1772; RCE., 29 août 1783; f 19 mars 1784, Vannes. 11 ne fut embar-
qué sur le Brillant que dans la Vilaine. G* 169.
89. Chevalier Roussel de Préville ca let. Troisième fils du capitaine de
vaisseau commandant la marine à Calais. G., 10 févr. 1746; L., 17 avr. 1757;
C, 24 mars 1772; f oct. 1779. Même embarquement que le précédent.
C* 170.
90. Saint-André du Verger. Frère de Saint- André l'aîné. G., 20 nov. 1715;
C, l^r janv. 1746 ; CG., 25 juil. 1754 ; CE., 1^^ janv. 1757 ; tué, 20 nov. 1759.
C^ 166.
91. De Ménildot de Rideauville. De Normandie. CM. G., 10 janv. 1734;
L., 17 mai 1751 ; C, 15 janv. 1762; R., 1" févr. 1763. Ci 168.
92. Penandretf de Kersauson. De Bretagne. Fils du capitaine de vaisseau
retiré le 14 juin 1762. G., 7 mai 1732; L., 23 mai 1754. Ci 168.
93. Chevalier d'Argouges. 11 a eu quatre parenti dans la marine. G.
30 août 1738; L., 23 mai 1754; tué, 20 nov. 1759. Ci 168.
94. Chevalier Roussel de Préville. Second fils du capitaine de vaisseau
commandant la marine à Calais. G., 12 juil. 1741 ; L., 11 févr. 1756 ; CF.
27 nov. 1765; R., 1" févr. 1770. Ci 169.
95. Chevalier de Coataudon. De Bretagne. G., 10 janv. 1746; L., 17 avr.
1757; péri, 20 nov. 1759. Ci 169.
96. Sébastien- François Bigot, vicomte de Morogues Du Havre. Fils de
l'intendant de Brest. Entré dans le régiment royal d'artillerie, févr. 1723.
Passé dans la marine, sous-lieutenant d'artillerie, 19 sept. 1736 ; CA., 1" janv.
1746; CG., 1«»^ nov. 1752; inspecteur général garde-côte de Bretagne. 11 févr
1756; CE., 1" avr. 1764; inspecteur général d'artillerie, 1" janv 1767; LG.,
15 août 1771; -f- 26 août 1781, à soixante-dix-huit ans, à son château de
Villefayer, en Sologne. Ci 165-166.
97. Herpin. De Luçon. Petit-neveu de M. Herpin, capitaine de port à
Brest, do M. de Terran, lieutenant de port à Brest, et de M. Gabaret, lieu-
tenant général. G., 19 janv. 1733; CA,, 17 avr. 1757; B., 25 mars 1765;
t 11 oct. 1768. Cl 167.
98. Huon de Kermadec. Troisième fils d'un capitaine de vaisseau qui a
servi cinquante-six ans. Deux frères dans la marine. (L'aîné : G., 1731 ; L.,
1748 ; R., l'^juin 1752. — Le second : G., 1742 ; E., 1748.) G., 26 nuv. 1745 .
L., 15 mai 1756; C , 18 févr. 1772; RCE., 24 déc. 1784. Ci 165, 169.
99. Kerjankerjan. De Bretagne. Neveu de Kerjankerjan l'aîné. G., 26 nov^
1745 ; L., 17 avr. 1757 ; C, 24 mars 1772; R., 12 avr, 1777. Ci 169.
100. Villers Franssures de Brissaucourt. Troisième fils du chef d'escadre
du 1*' janvier 1754, commandant la marine au Havre. Deux frères ilans la
marine. (L'aîné : G., 3 mai 1738 ; L., 23 mai 1754; f 23 déc. 1757. — Le
second ci- dessous, note 107.) G.. 26 nov. 1745 ; L., 17 avr. 1757 ; C, 24 mars
1772 ; R., 20 janv. 1776. Ci li8, 169.
101. Villers de Grassy. Fils d'un président du parlement de Paris ; cousin
germain du chef d'escadre Champigny. G., 24 janv, 1746 ; L., 17 avr. 1757
cassé et condamné à un an de prison par le conseil de guerre de Brest;
528 APPENDICE X.
le 6 févr. 1762, pour sa conduite lors de la prise de l'Achille (17 juil. 1761),
commandé par le chevalier de Modène pour des particuliers. C* 170.
102. Vicomte de Sanzay. G., 28 juin 1713; L., 1" avr. 1738; C, 1" avr.
1748 ; t 14 nov. 1762. C^ 166.
103. La Villeblanche. G., 31 mai 1738; L., 17 mai 1751 ; C, 17 avr. 1757;
B., 1" sept. 1767; commandant de la brigade de Rochefort, 1" mai 1772.
Cl 168.
104. Le Mouton du Manoir. De Normandie. G., 1" févr. 1734; L., 23 mai
1754; R., 5 févr., 1761. Ci 168.
105. Marencein de Chivrey. G., 1" janv. 1741; L., 11 févr. 1756; R., l"juil.
1763. Cl 169.
106. Saint-Prix. De Brest Fils du capitaine de vaisseau. G., 1*"" janv. 1741 ;
L., 11 févr. 1756; C, 24 mars 1772; f 6 févr. 1777, Brest. Ci 169.
107. Chevalier de Villers Franssures. Deux frères dans la marine ; voir
ci-dessus, note 100. G , 14 mars 1744 ; L., 15 mai 1756; R., 15 janv. 1762.
Cl 169
108. Saint- Allouarn l'aîné. De Bretagne. Petit-neveu du chef d'escadre;
neveu du maréchal de Coëclogon ; frère aîné du suivant. G., 13 mars 1720 ;
L., 1«^ mai 1741; C, P^ avr. 1748 ; tué, 20 nov. 1759. Ci 166.
Son fils, Saint-Àllouarn, fit partie de l'expédition de Kerguelen aux terres
australes. G., 4 juil. 1754; L., P' oct. 1764; f 1772. Ci 171.
\0'.\ Rosmadec de Saint-Allouarn. Frère de Saint-Allouarn l'aîné. G.,
11 mai 1732; L., 17 mai 1751 ; C, 17 avr. 1757; péri, 20 nov. 1759. Ci 167.
110. Chevalier Du Châtel Tanneguy. Originaire de l'Amérique. G., 4 avr.
1734; L., 17 mai 1751 ; péri 20 nov. 1759. Ci 168.
111. La Boullaye. De Landerneau. 1" juin 1734 ; L., 23 mai 1754; -{- 3 déc.
1759. Cl 168.
112. Chevalier de Kerjeanmol. Frère du lieutenant de vaisseau, gouver-
neur d'Ouessant, mort le 14 févr. 1763. G., 4 avr. 1734; L., 11 fé\T. 1756 ;
péri, 21 nov. 1759. Ci 168.
113. Périei- de Montplaisir. Second fils de Périer l'aîné. G., 9 avr. 1745;
L., 15 mai 1756 ; péri, 21 nov. 1759. Ci 16i, 169.
114. Trémigon. Fils aîné du capitaine de vaisseau. Deux frères dans la
marine. G., 17 févr. 1746; L., 17 avr. 1757; LA., 15 mai 1757; péri, 20 nov.
1759. Cl 170.
115. Tancrède chevalier de Caumont. Frère du marquis capitaine de vais-
seau; gendre du vice-amiral La Roclialart. G., 16 mai 1724 ; L., 1" mai 1741 ;
C, 17 mai 1751 ; CE., 16 sept. 1764. Ci 166.
116. Chevalier de Ternay d'Arsac. Né à Ternay, près Loudun, le 31 janv_
1723. CM. G., 30 oct. 1738; L., 11 fevr. 1756; C, 10 janv. 1761 ; comman-
dant général des îles de France et de Bourbon, 16 août 1771 ; CE., 9 nov.
1776; t 15 déc. 1780, Newport (Rhode Island). Ci 165, 168, C^. Cf. deux
notices de H. de Fontaine de Resbecq, R. M. (7., t. XL et LXXIIl.
117. Chevalier Chabot. Du Poitou. Fils d'un enseigne; frère cadet du
lieutenant de vaisseau de 1748. CM. G., 17 mars 1736 ; L., il févr. 1756; R.,
16 sept. 1764. Ci 168.
118. Beaupoil Sainte-Aulaire de La Dixmerie. De Saintonge. G., 6 févr.,
1740; L., 11 févr. 1756; R., 1" oct. 1761. Ci 169.
ESCADRE DE M. DE GONFLANS. 529
119. Repentigny. Du Canada; huit officiers de ce nom au Canada. G.,
16 juin 1742 ; L., 15 mai 1756 ; CF., 18 août 1767 ; f 16 janv. 1769. C^ 169.
120. De Gouyon chevalier de Coutance La Selle. De Normandie. Seize offi-
ciers du nom de Gouyon dans la marine. G., 18 janv. 1730; L., 1" janv.
1746; C, 15 mai 1756; R., 15 janv. 1762. Ci 166.
121. Bouin de La Villebouquais. De Bretagne. Fils d'un conseiller au
parlement ; frère d'un conseiller ; neveu de M. de Viarmes, intendant de
Bretagne. G., 15 juil. 1741 : L , 11 févr. 1756 ; LA., 1" nov. 1756; R., 1" avr.
1764. Cl 169.
122. L'Épine Grainville. G., 30 oct. 1743 ; L., 15 mai 1756 ; R., 15 janv.
1762. Cl 169.
123. Chevalier de Balleroy. Fils du lieutenant général gouverneur du duc
de Chartres. « Bien allié des côtés paternel et maternel. Sa mère est de la
maison de Gouyon. Cadet d'une maison très riche de Normandie. » G.,
27 janv 1742 ; L., 15 mai 1756 ; C, 18 févr. 1772 ; CE., 20 août 1784. Ci
169.
121. La Touche Beauregard de Telincourt. De la Martinique. Frère cide
de La Touche Beauregard; ci-dessus, note 34. G., 5 août 1741 ; L., 15 ma
1756; CF., 27 nov. 1765; R., 15 mars 1769. Ci 169.
125. Kériou Le Borgne. De Vif-B'ézensac . Neveu de M. de Kérusoret
Le Borgne. G., 8 avr. 1748; L., 15 janv. 1762; péri sur la côte des Landes,
déc, 1768. 11 ne fut embarqué sur le Sphinx que dans la Vilaine, en 1762,
Cl 170.
126. Chevalier Prévost de Traversay. Neveu de M. de Lizardais ; frère
cadet du capitaine de vaisseau du 18 février 1772, mort à Saint-Domingue
en 1776. G., 1" avr. 1748 ; L., 1" janv. 1761 ; noyé, févr. 1767. Même embar-
quement que le précédent. C^ 170.
127. Prince de Montbazon chevalier de Rohan. CM. G., 15 juin 1745 ; L.,
17 mai 1751 ; C, 14 nov. 1756; CE., 1" oct. 1764; gouverneur des îles sous
le Vent, 1" janv. 1766; LG., 24 juin 1771 ; VA. es mers du Ponant, 11 mar^
1784. Cl 168.
128. Chevalier de Landemont. Du Maine. Neveu de feu M. de Ricouar
intendant de la marine. G., 3 déc. 1742 ; L., 17 avr. 1757; R., 18 oct. 1765.
Cl 169.
129. Valmenier Cacqueray. De Rochefort. Petit-fils d'un enseigne et lieu-
tenant de roi à la Martinique; son frère aîné, tué au combat de M. de
L'Étanduère. G., 21 mai 1745; L., 17 avr. 1757; C, 18 févr. 1772; CE.,
20 août 1784. Ci 169.
130. Dampierre Cugniac. De Meaux. « N'est pas riche. » Huit de ce nom
dans la marine. G., 25 avr. 1746; L., 17 avr. 1757 ; noyé à la Martinique
commandant la Bayonnaise, 3 août 1765. Ci 170.
131. François-Germain Goubert. LP.,9 juil. 1751 ; L., 23 juil. 1758 ; CF.,
27 nov. 1765 ; C, 15 nov. 1771 ; directeur du port à Rochefort, l" avr. 1780 ;
RCE., 19 oct. 1781. Cl 168.
132. Lagadcck Mesedern de Kerloury. De Bretagne. G., 29 mai 1734; L.,
23 mai 1754; rayé des listes, 12 févr. 1761. Ci 168.
133. CheYilier de Montfiquet. G., 1" janv. 1741 ; L., 11 févr. 1756 ; f 2 oct.
1761, sur le Palmier, par accident. Ci 169.
34
530
APPENDICE XI.
XI
ARME-MEKT6 i OUR LE CANADA EN 1757
I
Le Tonnant
80
Le Déjenseur
74
Le Diadème
74
VÉveillé
64
L'Inflexible
64
BaufFremont.
chevalier de Blénac Courbon ^.
Rosily de Méros 3.
de Merville *.
Le Gardeur de Tilly^. — De Sartres
de Saint-Laurent 6.
La Brime
32
II
L'Hector
74
Du Revest.
V Achille
64
De Pannat.
Le Vaillant
64
Saurin de Murât '.
Le Sage
64
Dabon.
III
Le Formidable
80
Du Bois de La Motte 8, lieutenant
généraL
Guichen 9.
Le Duc de Bourgogne
80
comte d'Aubigny.
Le Héros
74
Chasteloger.
Le Glorieux
74
Chavagnac ^^.
Le Dauphin Royal
74
D'Uturbie Fagosse.
Le Superbe
74
marquis de Ghoiseul Praslin **.
Le Belliqueux
64
D'Orvilliers ".
Le Bizarre
64
Montalais.
Le Célèbre
64
La Jonquière Taffanel,
Deux frégates.
1. Ci-dessus, p. 363. -
- Trodde,
Batailles navàUs de la France, t. It
p. 34L
ARMEMENTS POUR LE CANADA EN 1757. 531
2. Chevalier de Blénac Courbon. De Saintonge. Petit-fils d'un ancien
capitaine de vaisseau mort gouverneur général des Iles ; fils et neveu de
six capitaines de vaisseau morts au service. G., 30 août 1725 ; L., l" juil.
1735 ; C, 1*' janv. 1746; CE., 1" janv. 1757; commandant la marine à Brest,
15 févr. 1758 ; LG., 1" cet. 1764; f 23 août 1766, Brest. Ci 166.
3. Rosily de Méros. De Bretagne. G., 7 mai 1720; E., 1" mars 1727 ; aide,
major, 1" avr. 1738 ; major, 1" févr. 1747, inspecteur général des troupes,
21 janv. 1758; CE., 1" oct. 1764 ; f 30 avr. 1771, Brest. C* 166.
4. De Merville. De Normandie. G., 30 avr. 1721 ; C, 17 mai 1751 ; 5 août
1763. Cl 166.
5. Le Gardeur de Tilly. Originaire du Canada ; né à Rochefort. Fils d'un
lieutenant de vaisseau mort au service. G., 13 avr. 1713 ; L., 1" avr. 1738 ;
C, 1" avr, 1748 ; -}- 3 mars 1757, en mer. Ci 166.
6. De Sartres de Saint-Laurent. De Languedoc. G., 19 oct. 1719; L,
l** mai 1741 ; C, 23 mai 1754; a pris le commandement de Vlnflexibl
après la mort de Le Gardeur de Tilly ; f 6 déc. 1764, Rochefort. Ci 166.
7. Saurin de Murât. Du Languedoc. Fils du capitaine de vaisseau mort
le 16 mai 1754. G., 12 févr. 1729; L., 1" mai 1741 ; C, 17 mai 1751 ;-[- 20 déc.
1757. Cl 166.
8. Emmanuel-Auguste de Cahideuc, comte Du Bois de La Motte. De
Bretagne. « Un des bons et braves officiers du roi, qui en a donné des
preuves en plusieurs occasions. » G., 8 nov. 1698; L., 17 mars 1727; C,
1" avr. 1738; CE. et gouverneur des îles sous le Vent, 1" janv. 1751; LG.,
25 s«pt. 1755; VA., 13 oct. 1762 ; f 23 oct. 1764, dans sa 82^ année, à Rennes
Cl 165, 166, C7.
9. Luc-Urbain Du Bouexic, comte de Guichen. Né à Fougères, 21 juin
1712. G., 18 avr. 1730; L., 1" janv. 1746; C, 15 mai 1756; B.,25 mars 176B;
CE., 9 nov. 1776; LG., 1" mars 1779; commandant la marine à Brest
13 déc. 1779 ; f 13 janv. 1790, Morlaix. Ci 167, C.
10. Chavagnac. D'Auvergne. Neveu du chef d'escadre. G., 6 mai 1720 ; L.,
1" avr. 1738; C, 1" avr, 1748 ; f 22 déc. 1757. Ci 166.
11. Marquis de Choiseul Praslin. Fils du capitaine de vaisseau et neveu
du gouverneur de Saint-Domingue. G., 29 févr. 1732 ; L., 1*"^ janv. 1746; C,
mai 1741 ; f 17 sept. 1760, Rennes. Ci 166.
12. Louis Guillouet, comte d'Orvilliers. Frère, fils et petit-fils de gouver-
neurs de la Guyane. Né à Moulins, le 26 mars 1710. Servit d'abord dam
les troupes des colonies à Cayenne. G., 5 avr. 1728; LGM., 10 oct. 1743;
C, 23 mai 1754 ; CE., 1" oct. 1764 ; commandant la marine à Brest, 1775
LG., 6 févr. 1777; R., 20 sept. 1779; f 14 avr. 1792, Moulins. Ci 167, C\
532
APPENDICE XII.
XII
ARMEMENTS POUR LOUISBOURG EN 175^
Le Prudent
I
74 c. marquis Gharry Des Gouttes ^
chevalier Dapchon^.
11
V Entreprenant
74 c.
Beaussier de L'Isle ^.
Le Célèbre
armé en flûte
chevalier de Marolles °.
Le Capricieux
—
chevalier de Tourville^.
Le Bienfaisant
—
De Gourserac.
La Garde Payau'.
La Comète
frégate
chevalier de Lorgeril.
Le Dragon
Le Belliqueux
Le Sphinx
Le Hardi
Le Zéphyr
Le Brillant
64 c.
64 c.
armé en flûte
frégate
G'^ des Indes
III
comte Du Ghafïaut de Besné
de Martel.
de Vendes Turgot^.
La Touche de Tréville <o.
Ternay d'Arsac.
de Saint-Médard *^
1. Ci-dessus, p. 385. - A. M., B* 80.
2. Marquis Charry des Gouttes. De Moulins. Fils aîné du comte Des
Gouttes, mort commandant Des gardes-marine à Rochefort ; petit-neveu d'un
lieutenant général de la marine et grand priear d'Aquitaine ; cinq cousins
morts au serNice. G., 25 mai 1725 ; L., 1" mai 1741 ; C., l"' janv. 1746 ; RCE.,
16 sept. 1764. CJ 166.
3. Chevalier Dapchon. Du Bourbonnais. Trois frères de ce nom au ser-
vice. G., 4 avr. 1740 ; L., 11 févr. 1756; C, l" févr. 1770 ; CE., 1" avr. 1781
Cl 169.
4. Beaussier de L'Isle. De Toulon. Fils du capitaine de port de Toulon.
LP., 1" mars 1739; CP., 1" jany. 1749; CE., 1*' cet. 1764; f 4 juin 1765.
A RMEMENTS POUR LOUISBOURG EN 1758. 533
C* 166. — Sur la famille des Beaussier, articles de Margry : R. M. C,
t. LXII, LXIII, LXVll, LXVIII.
5. Chevalier de Marolles. De Brest. Fils d'un capitaine de vaisseau G.,
12 août 1728 ; L., V^ janv. 1746 ; C, 23 mai 1754 ; B., 25 mars 1765 ; f 28 juil.
1770. C* 167.
6. Chevalier de Tourville. Petit-fils du vice-amiral. G., 2 mai 1738; E.,
1" mai 1741 ; chevalier de Saint-Louis, 18 oct. 1747; L., 25 août 1749; C,
18 juil. 1756; f 9 oct. 1758, en Angleterre. G* 167.
7. La Garde Payan. De Bretagne. « Peu de bien. » G., 10 janv. 1746; L.,
17 avr. 1757; tué, juil. 1758, Louisbourg. Qi 170.
8. Comte Du Chaffault de Besné. Quatre de ce nom dans la marine : son
frère et deux neveux. Né à Nantes, le 29 févr. 1708, G., 15 nov. 1725; L.,
1*^ janv. 1746; C, 23 mai 1754 ; CE., 1" oct. 1764; colonel du régiment de
Rochefort, l" mai 1772 ; LG., 6 févr. 1777 ; il figure comme amiral, et non
vice-amiral, sur la revue du 15 mars 1792, en compagnie du duc d'Orléan
(Philippe-Égalité) et de d'Estaing ; ce ne fut d'ailleurs pour lui qu'un titre
honorifique d'après cette apostille : « a marqué que son âge et ses infirmités
ne lui permettaient plus d'offrir son zèle et ses services. » {État sommaire
des Archives de la marine, p. 180, 194.) Du Chaffault de Besné mourut le
29 juin 1794, à Nantes. Ci 167. C. Cf. Beauchet-Fillbau, Dictionnaire
historique et généalogique des familles du Poitou, 1892 ; S. de La Nicol-
lière-Teijeiro. Un amiral nantais. Comte Du Chaffault de Besné, Vannes,
1894.
9. De Vendes Turgot. De Caen. G., 10 juin 1730; L., l"janv. 1746; C,
15 mai 1756 ; B., 25 mars 1765: R., 14 mars 1776. C^ 166.
10. La Touche de Tréville. Originaire des lies. Fils d'un garde-marine
mort aux Iles. « Fort bon officier, entendant bien le détail et la discipline
de la compagnie des cadets. » Cadet à Rochefort, 27 nov. 1730; E., 1*' avr.
1741 ; L., 1"' avr. 1748; commandant des cadets, 1748; C, 7 févr. 1757; B.,
25 mars 1765 ; CE., 9 nov. 1776 ; inspecteur des classes de la marine, 12 nov.
1776; LG., 16 févr. 1781; commandant de la marine à Rochefort, 19 avr.
1781 ; R.,2 nov. 1786. Sa veuve reçut de Napoléon 1", le 25 avril 1806, une
pension de deux .mille francs. C^ 165, 167, C.
L'un de ses frères, Le Vassor de La Touche, avait été son prédécesseur
immédiat dans le commandement de la marine à Rochefort. Le vice-amiral
Le Vassor de La Touche Tréville, mort sur le Bucentaure en 1804, était le
fils de ce frère.
11. De Saint-Médard . Capitaine de la compagnie des Indes.
534
APPENDICE XIII.
XÏII
EXPÉDITION DE TERRE-NEUVE EN 1762 ^
Le Robmte
VÉvnllé
La Licorne
La Garonne
La Biche
vaisseau Ternay d'Arsac.
Nepveu ^.
— MonteiP.
chevalier d'Arcy*.
frégate Gillart de Suville.
La Motte Vauvert^.
flûte.
1. Ci-dos3U8, p. 389. — A. M., B^ 104.
2. Nepveu. Du Maine. « Est aisé. » G., 22janv. 1746; L., 17 avr. 1757; R.,
19 juin 1771. C^ 170.
3. Chevalier (appelé quelquefois baron) de Monteil. G., 15 août 1741;
L., 11 févr. 1756; C, 2 mars 1762; CE., 4 mai 1779; LG., 8 févr. 1783.
Cl 169.
4. Hippolyte Thomas-Marie chevalier d'Arcy. Fils d'un lieutenant de
raisseau; un frère, lieutenant de vaisseau, mort au service. G., 11 mars 1746;
L., 1»^ janv. 1761; RC, 8 juin 1777. C^ 170.
5. La Motte Vauvert. De l'évêché de Saint-Malo. Neveu de M. Saint-Pern,
lieutenant général. G., 6 juiL 1750; L., 1" janv. 1761; C, 3 fév. 1776;
cassé et rayé des listes, le 21 mars 1779, pour avoir frété pour le commerce
à l'île de Franco et à Pondichéry. C^ 171.
ESCADRE DE d'aGHÉ, 10 SEPTEMBRE 4759.
535
XIV
ESCADRE DE DACHÉ AU COMBAT DU 10 SEPTEMBRE 1759 «
I. — Vaisseaux du roi
Le Zodiaque
74 c.
Le Minotaure
L'Illustre
V Actif
75
64
64
CE.
M.
L.
CE.
L.
ce.
L.
GG.
L.
Gomte d'Aché «.
Monteil '.
de Gotho cadet*,Saint-Légei^.
— Blossac chevalier de La
Bourdonnaye*', Du Deffais^.
Froger de l'Éguille.
chevalier de La Tullaye^,
Gaudion d'Ardillières de La
Tallerie^, Peynier^o.
deRuis^i.
chevalier de Gours Lussai-
saignet^2^ chevalier de La
Gardonnie*^.
D'Isle Beauchesne ^*.
chevalier de Réals *5, Du
Groizet chevalier de Retz*^,
de Gourselas *'.
II. — Vaisseaux de la compagnie
Le Centaure
68
Surville aîné.
Le Comte de Provence
58
La Ghaise.
Le Vengeur
54
Gristy Pallière.
Le Saint-Louis
54
Joannis.
Le Duc d'Orléans
54
Surville cadet.
Le Duc de Bourgogne
54
Mahy.
Le Fortuné
54
Beaulieu.
536 APPENDICE XIV.
III. — Frégates
La Sylphide 30 c.
La Pénélope 30
L Ci-dessus, p. 406. — A. M., etTaouDE, Batailles navales de la France,
t. I, p. 408.
2. Anne-Antoine comte d'Aché. Né à Arbois le 10 oct. 1702. A eu quatre
parents dans la marine, dont un chef d'escadre. G., 17 août 1717; C, 10 octo-
bre 1743; CE., 10 août 1756; LG., ler juil. 1761 ; VA. es mers du Ponant,
24 août 1770; t 11 févr. 1780, Brest. Ci 165, 166, C.
3. Le baron de Monteil, faisant fonction de major sur le Zodiaque, com-
manda aussi la Sylphide au cours de cette campagne. C* 169.
4. De Gotho cadet. Frère de Gotho l'aîné. GE., 15 mai 1737 ; L., 23 mai 1754 ;
tué, 10 sept. 1759. Ci 168.
5. Saint-Léger. G., 9 avr. 1745; L., 15 mai 1756; f 1762, Saint-Domingue.
Embarqué d'abord sur le Alinotaure, il était passé sur le Zodiaque ; au
combat du 10 sept. 1759, il remplaça d'Aché et Gotho, l'un blessé, l'autre
tué. Cl 169.
6. Blossac chevalier de La Bourdonnaye. CM. GE., 2S juil. 1741 ; L.,
15 mai 1756; tué, 29 avr. 1758. Ci 169.
7. Du Defifais. G., 13 janv. 1744; L , 15 mai 1756; tué, 3 août 1758. Ci 169.
8. Chevalier de La Tallaye. G., 19 juil. 1738; LA., 17 mai 1751; C,
15 janv. 1762; directeur d'artillerie, 30 nov. 1776; f mars 1778, Brest. Ci 168.
9. Gaudion d'Ardillières de La Tallerie. De Rochefort. Fils d'un trésorier
de ce port. G., 30 oct. 1743; L., 15 mai 1756; tué, 10 sept. 1759. Ci 169.
10. Peynier. GE., 24 sept. 1744; L., 17 avr. 1757; C, 24 mars 1772; CE.,
11 mars 1784. Ci 170.
11. De Ruis. De Port-Louis. Fils d'un ancien lieutenant de vaisseau; frère
du contrôleur de Rochefort et du commissaire de la marine. G., 10 juin 1734;
C, 17 avr. 1757; cassé, 11 mai 1762; rétabli, 1764. Ci 168.
12. Chevalier de Cours Lussaignet. G., 15 déc. 1745; L., 17 avr. 1757;
cassé, 11 mai 17ô2. Ci 169.
13. Jacques de Boutier, chevalier de La Cardonnie, De Villeneuve d'Agen.
Né, 1727. G ,12 janv. 1746; E., 17 mai 1751; L., 17 avr. 1757; C, 18 févr. 1772;
CE., 20 août 1784; R., 1" déc. 1784; f nov. 1791. Saint-Domingue, Ci 170.
Cf. H. DE Fontaine de Resbecq, R. M. C, t. XLll.
14. D'isle Beauchesne. De Saintonge. G., 3 avr. 1734; C, 17 avr. 1757;
CE., 9 noY. 1776; f 23 déc. 1776, Paris. Ci 168.
15. Chevalier de Réals. De Rochefort. Deuxième fils du capitaine de vais-
seau mort aa service le 16 nov. 1752, Us sont quatre frères au service. G.,
1" janv. 1741; L., 11 févr. 1756; C, 15 nov. 1771; RCE., 7 janv. 1782.
Cl 169.
16. Du Croizet chevalier de Retz. D'Auvergne. G., 15 sept. 1741; L.,
15 mai i756; CF., 18 août 1767; C, ISfévr. 1772; RCE., 16 déc. 1786. Ci 169.
17. De Gourselas. De la Martinique. Fils d'un capitaine de vaisseau mort
au service. G., 21 mai 1745; L., 17 avr. 1757; R., 18 août 1774 Ci 169.
ÉTAT ABRÉGÉ DE LA MARINE. — ANNÉE 1773. 537
XV
ÉTAT ABRÉGÉ DE LA MARINE DU ROI. - ANNÉE 11131
I. LISTE GiÏNÉRALE DES OFFICIERS DE LA MARINE
Amiral
1734. M. le duc de Penthièvre.
Vice-amiraux : 2
1756. Comte de Gontlans Brieniie. maréchal de France en 1758,
VA. es mers du Levant.
1770. Comte d'Aché,VA. es mers du Ponant.
Lieutenants généraux : 9
1763. Comte d'Kstaing^, commandant la marine à Brest.
1764. Prince de Baufîremont Listenois.
Comte d'Aubigny.
De Bompar, commandant la marine à Toulon.
1766 Comte de Roquefeuil.
1. Ci-dessus, p. 430. - A. M., G 35, G 36.
2 Charles-Henri-Théodat d'Estaing Du Saillans, comte d'Estaing. Né au
château de Ravel (dépt du Puy-de-Dôme), le 28 nov. 1729. Mousquetaire,
5 nov 1745; eolonel du régiment de Rouergue, 1" janv. 1748; brigadier,
18 nov. 1756; maréchal de camp, 20 fé.r. 1761 ; lieutenant général des armées
de terre, 25 juil. 1762; CE., l'^ oct. 1762; LG. et gouverneur des îles sous
le Vent,' 27 déc. 1763; inspecteur général et commandant de la marme à
Brest 18 août 1772; VA. es mers d'Asie et d'Amérique, 6 févr. 1777; amiral
de France, 6 mars 1792; décapité, 28 avr. 1794, Paris. Sa femme était une
petite-fille du vice-amiral et maréchal de France Château-Renault. C^ 174,
C. Cf. DoNiOL, Histoire de la participation delà France à VétaUissement
des États-Unis d'Amérique, t. III, p. 197.
538
APPENDICE XV.
1769.
1771.
Marquis de Saint-Aignan.
Comte de Gousages La Rochefoucauld ^
Chevalier prince de Rohan.
Vicomte de Morogues.
Chefs d'escadre : 22
1754
De Franssures Villers ^.
Marquis Du Quesne Meuneville ^.
1764
De Maurville-*, commandant la
marine à Uochefort.
Bailli de Raimond d'Eaux.
Sabran de Grammont.
Rochemore La Devèze.
Comte de Pannat,
Vicomte de Bouvilie^.
D'Orvilliers.
Du Chaffault de Besné.
1767
Mercier.
Commandeur de Glandevez ca-
det 6, commandant la marine
à Marseille.
1. Comte de Cousages La Rochefoucauld. G,, 1" févr. 1735; L., 1" fév,
1746;C.,le^janv. 1747; CE., 1er oct. 1764; LG., 21 sept. 1769; VA. es mers
du Ponant, 7 juil, 1782: -{- 7 mars 1784, Paris. 11 n'exerça aucun comman-
dement depuis 1760. Ci 166.
2. De i^'ranssures Villers. De Compiègne. « Bon officier, fort sag« et
sachant bien son métier. » G., 21 mai 1705; L., 10 mars 1734; C, 1*'' mai 1741 ;
CE., l«'janv. 1754; f 5 mars 1775, le Havre. C^ 16d, C.
3. Ange Du Quesne, seigneur de Meuneville, troisième fils de Du Quesne -
Monnier. Né à Toulon, originaire de Dieppe. G., 13 janv. 1714; L., 1741 ;
C, 25 août 1749; gouverneur lieutenant général de la Nouvelle- France,
1«^ mars 1752; CE., 25 sept. 1755; RLG., 8 avr. 1776; f 17 sept. 1778, An-
ton/ (Seine). C* 166. Cf. Jal, Ahrahayn Du Quesne, t. Il, p. 575.
4. Hippolyte Bernard Bidé de Maurville, né le 29 janv. 1701. G., 1715;
CE., 1764; commandant la marine à Rochefort, 1772; LG., 1775 ; f 29 janv.
1784. Ses cinq fils furent officiers de marine. C.
5. Jubert de Bouville; « se fait appeler le vicomte de Bouville, d D'Or-
léans. Fils d'un intendant d'Orléans qui avait été garde de la marine.
G., 31 déc. 1721; L., 1" mai 1741; C, 17 mai 1751; CE., l'^ oct. 1764.
C* 166. Cf. la Notice sur le vicomte de Bouville, par H. de Fontaine db
Resbkcq, Paris, 1873.
6. Commandeur de Glandevez cadet. De Provence. Six de ce nom dans
la marine ou les galères. De l'ordre de Malte. GE., 18 août 1713; L.,
l*'avr. 1740; C, P' janv. 1749; CE., 18 août 1767; t31 mars 1774, Mar-
seille. Cl 166.
ÉTAT ABRÉGÉ DE LA MARINE. — ANNÉE 1773. 539
1767
De Breugnon*, commandant la
marine à Brest.
1771
ViJlais de La Brosse.
De La Touche 2.
Dabon.
Chevalier Fouquet.
1771
Comte de Grimaldi.
Vicomte de Roquefeuil, comman-
dant les gardes du pavillon.
La Jonquière Taffanel.
De Voutron^.
De Broves.
DÉPAHTEMENT DU PONANT
DIVISIOM AMIRAf.E
Composée des brigades de Brest et de Saint-Malo.
Capitaines de vaisseau : 44
BRIGADES
3
a «
d ce
c w
©._,
© >
a 0
Ô ^3
II
t3
CQ .
0 ■«
.£ «
.
0
a,
®
zn
V
6
•0
«a
0}
0
c
'3
'a.
c3
a
2. i
te "^
<o 0
1*
<
0
Brest
Saint-Malo ....
39
38
2
4
39
37
2
3
1
1
1
1
40
40
124
124
77
6
76
5
2
2
80
248
1. Pierre-Claude Haudenau comte de Breugnon. Fils d'un chef d'escadre.
G., 4 janv. 1733; L., 17 mai 1751; C, 17 avr. 1757; CE., 18 août 1767; a
commandé la marine à Breit, 8 nov. 1772-12 févr. 1775 ; LG., 1" mars 1779.
Cl 168.
2. 11 s'agit de Le Vassor de La Touche.
3. Hubert-Henri-Nicolas de Voutron. Porté sur les listes depuis 1778 soui
le nom de comte ^e Voutron. Né à Rochefort, 1714. Fils d'un ancien lieute-
n ant de vaisseau; petit-neveu du chef d'escadre Du Quesne Guitton. G.,
26 mai 1729; L., 1" janv. 1746; C, 15 mai 1756; B., 25 mars 1765; CE.,
25 août 1771, J+ 16 sept. 1780, Rochefort. Ci 167. C^.
540
APPENDICE XV.
DIVISION VICE-AMIRALE
Composée des brigades de Rochefort et de Bordeaux.
Capitaines de vaisseaux : 35
BRIGADES
a ®
« >
ta .
ce
« 2
.2 <D
0
CL
®
Ta
a>
■tJ
<3
©
03
a
3
c
ce
73 ■t:
0
<;
a.
0
1^
Rochefort ....
38
4
36
2
1
1
40
122
Bordeaux ....
34
3
36
3
2
>
39
117
72
7
72
5
3
1
79
239
DIVISION CONTRE-AMIRALE
Composée des brigades de Rayonne et du Havre.
Capitaines de vaisseaux : 44
BRIGADES
s
a ®
C !»
©.^
© >
m .
Se
3
3
w ©
ai
li d
a bD
© V©
.£ ©
'M
©
00
©
T3
6
•*»
<s
©
•0
©
1
'Su
0
.2 «5
-S-
© ©
1^
•<
0
Eh
Bayoïnie .....
Le Havre
36
38
74
38
38
3
3
1
2
1
»
1
40
40
122
124
6
76
6
3
80
246
ÉTAT ABRÉGÉ DE LA MARINE. ANNÉE 1773. 541
DÉPARTEMENT DU LEVANT
DIVISION AMIRALE
Comprenant les brigades de Toulon et de Marseille.
Capitaines de vaisseaux : 52
BRIGADES
3
^ «5
C ®
es !»
a a>
^«
05 •
•P
c3 es
o -ai
.2 o
o
©
ai
<D
'H
OT
g
'S
a.
ci
a
° 6
>■£:
0) ^^
1»
H
' O
Eh
Toulon
Marseille. . . .
46
47
4
4
39
39
2
1
2
2
1
1
40
40
134
134
93
8
78
3
4
2
80
268
Récapitulation
Amiral 1
Vice-amiraux 2
Lieutenants généraux 9
Chefs d'escadre 22
Capitaines de vaisseau 175
Lieutenants de vaisseau 316
Capitaines de brûlot 27
Enseignes de vaisseau . 302
Lieutenants de frégate 19
Aides de port 12
Capitaines de flûte 6
Gardes du pavillon et de la marine. 319
Officiers d'épée 1210
542
APPENDICE XV.
II. LISTE DES VAISSEAUX SUIVANT LEUR REPARTITION ENTRB
LES HUIT BRIGADES DU CORPS ROYAL DE MARINE.
BRIGADE DE BREST.
Yaiiieaix. Ganong. ConitructiiB,
Là Bretagne 100 1766
La Victoire 74 1770
Le Glorieux 74 1756
Le Sceptre 74 1747
Le Protée 64 1770
Le Roland 64 1749
Le Lion 64 1749
Le Ferme. ..... 56 1763
Le Fier 50 1746
BRIGADE DE SAINT-MALO.
Vaitieaax. Caneas. Conitr.
Le Duc de Bourgogne . 80 1751
Le Diligent 74 1763
Le Minotaure. ... 74 1757
V Actif 74 1752
Le Fendant 64 1755
Le Sphinx 64 1755
VArtésien 64 1765
V Hippopotame ... 50 1749
BRIGADE DE ROCHEFORT.
BRIGADE DE ]
BORDEAUX.
La Couronne .... 80
1749
Le Saint-Esprit ... 80
1765
Les Six Corps, . .
.
74
1762
Le Conquérant .
74
1745
Le Robuste. . . .
74
1758
VOrient . . .
74
1756
Le Palmier. . . .
74
17G2
Le Protecteur .
. 64
1751
Le Vengeur. . .
64
1757
Le Bizarre . ,
64
1763
Le Brillant, . .
64
1757
Wnion . . .
. 64
1763
Le Réfléchi , . . .
64
1757
VIndien . . .
. 64
1768
VAmphion . . .
50
1748
Le Mars . . .
. 64
1769
Le Bordelais .
. 56
1763
BRIGADE DE BAYONNE.
BRIGADE DU HAVRE.
La Ville de Paris . . 90
1758
Le Royal Louis ... 116
1759
Le Citoyen . . .
. 74
1764
Le Bien-Aimé. ... 74
1769
Le Diadème, . ,
. 74
1756
Le Zodiaque ... 74
1756
Vlntrépide . . .
. 74
1747
Le Dauphin Royal. . 70
1738
L'Actionnaire, .
64
1747
Le Northwnberland . 68
1744
L'Éveillé ....
. 64
1752
V Alexandre .... 64
1770
Le Solitaire. . .
. 64
1758
Le Triton 64
1746
Le Flamand. . .
. 56
1763
Le Saint- Michel
•
. 60
1741
ÉTAT ABRÉGÉ DE LA MARINE. — ANNÉE 1773. 543
BRIGADE DE TOULON.
Vaiiseaux.
Le Languedoc.
Le César . . .
Le Marseillais .
Le Protecteur^
Le Guerrier .
Le Fantasque.
Le Hardi. . .
Le Caton. . .
GanoDi. Coastruction
80
74
74
74
74
64
64
64
1763
1767
1763
1757
1751
1756
1748
1770
BRIGADE DE MARSEILLE.
Vaisseaux. Ganoni. Constrnct
Le Tonnant 80 1740
Le Destin 74 1770
La Bourgogiie. ... 74 1763
Le Zélé 74 1762
Le Souverain .... 74 1755
Le Vaillant. .... 64 1752
La Provence .... 64 1752
Le Sagittaire. ... 50 1700
Récapitulation des vaisseaux et autres bâtiments.
><
s
ai
^
«
GO
m
CO
x;
a
-tJ
BRIGADES
ri
O
H
"3
9
•m
u
5
3
O
es
»
«s
»
1
o
1
o
H
Brest
19
Saint-Maio
8
4
4
:»
:»
»
1
1
18
Rocheforl
8
4
2
»
»
H
3
1
18
Bordeaux
9
4
3
1
»
»
2
2
20
Bayonne
8
5
2
»
»
»
2
\8
Le Havre
8
5
2
))
»
))
2
2
19
Toulon
8
5
1
3
1
1
»
9
19
Marseille
8
66
4
36
1
18
3
6
1
2
2
3
11
8
19
150
I. Cette liste officielle donne deux fois le nom du Protecteur, dans la
brigade de Bordeaux et dans la brigade de Toulon. On ne voit pas par quel
nom de vaisseau remplacer le nom du vaisseau de Bordeaux. Pour le nom
du vaisseau de Toulon, il est exact.
544 APPENDICE XV.
m. LISTE GÉNÉRALE DES OFFICIERS d'aDMINISTRATION DE LA MARINE.
Intendants de la marine 6^
Intendants des colonies 2
Commissaires généraux de la marine. ... 14
Inspecteur de la marine i^
Commissaires ordinaires de la marine. ... 68
Commissaires aux classes 31
Gardes magasins 8
Sou?-commissaires de la marine et des
classes 122
Ingénieurs constructeurs en chef 4^
Ingénieurs constructeurs ordinaires 12
Sous-ingénieurs constructeurs 11
Ingénieurs des ouvrages des ports et arse-
naux 11
Officiers d'administration . . , 290
1. 1749. Paris. Hocquart, ayant Tinspection générale des classes. Frère
du capitaine de vaisseau Hocquart de Blincourt.
1764. La cour. Rodier, en survivance.
175"?. Brest. De Ruis Embito de La Chesnardière.
1760. Paris. Pellerin, intendant des armées navales.
1771. Rochefort. Daubenton.
1772. Toulon. Bourgeois de Gueudreville. Frère du ministre Bourgeois
de Boynes.
2. Duhamel Du Monceau.
3. Rochefort. Clairain Deslauriers. — Brest. Ollivier. — Lorient. Groi-
gnard. — Toulon. Coulomb.
ESCADRE d'Évolutions de 1772.
545
XVI
ESCADRE D'ÉVOLUTION DE 17721.
Vaisseaux :
VAîfxandre 64 c,
Le Fier
50
L'Hcppopotame bO
Général de l'escadre : D'Orvilliers.
CPN. : Marchainville comte Du Bosc*.
es. : marquis de Vaudreuil.
CE. : Du Chaffault de Besné.
CPN. : Laccary.
es. : comte de Vaudreuil.
CE.: comte de Breugnon.
CPN. : Boulainvilliers de Croy.
es. : De Beausset.
Frégates
La Terpsichore
30 c.
ce.
: La Touche Tréville.
es.
: De Chérisey.
La Dédaigneuse
26
ce.
commandeur Desnos Champmeslin^
es.
Du Breil chevalier de Rays.
La Tourterelle
26
ce.
. vicomte de Rochechouart*.
es.
: chevalier de Dampierre*.
U Aurore
26
ce.
: De La Tullaye.
es.
: chevalier de Réals,
VOiseau
26
ce.
: De Plas6.
es.
: Basterot de La Barrière.
VAigrette
26
ce.
: Boisseau de La Galernerie^.
es.
: chevalier de Retz.
Corvettes
',
L7st5
16 c.
ce.
: chevalier de Grasse Du Bar".
Le Cerf-volant 16
Le Serin 14
ce. : La Motte-Picquet9.
ce. : marquis de Nieul Ponte ^o.
35
546 APPENDICE XVI.
Cotres :
Le Moucheron, le Lévrier, la Vuce.
1. Ci-dessus, p. 431. — A. M., B* 118.
2. Marchainville comte Du Bosc. De Normandie, a Fort à son aise. »
G., 27 nov. 1730; L., 1" avr. 1748; C, 17 avr. 1757; B., 25 mars 1765;
f 8 sept. 1772, Brest. C^ 167.
3. Plus tard bailli. Voir p. 503.
4. Vicomte de Rochechouart. G., 1" janv. 1741; L., 17 mai 1751; C,
17 avr. 1757; CE., 9 nov. 1776; LG., 12 janv. 1782. C^ 168.
5. Chevalier de Dampierre. CM. Huit de ce nom dans la marine. G.,
11 déc. 1743. L., 15 mai 1756; 18 févr. 1772; CE., 20 août 1784. Ci 169.
6. DePias. De Provence. G.,j4 mai 1732; L., 1" avr. 1748 ;C., 17 avr. 1757;
B. 25 mars 1765. C^ 167.
7. Boisseau de La Galernerie. De Saintonge. G., 3 avr. 1734; L.,l7mai 1751;
C, 15 jauv. 1762; CE., P^ juin 1778; R., 21 juin 1784. C^ 168,
8. François-Joseph-Paul, cheyalier de Grasse Du Bar, plus tard comte de
Grasse. Trois de ce nom dans la marine et les galères. Né au Bar-sur-
Loup, diocèse de Grasse, le 13 sept. 1722. CM. Quitté l'Ordre pour se marier.
G., 22 juil. 1734; L., 23 mai 1754; C, 15 janv. 1762; commandant de la
brigade de Saint-Malo, 10 mars 1773; CE., l«^juin 1778; LG., 22 mars 1781;
f 11 janv. 1788. Paris. C^ 165, 168, C. — Dans la campagne d'Amérique,
Grasse se titrait lui-même : François-Joseph-Paul de Grasse, des princes
souverains d'Antibes, marquis de Grasse-Tilly.
9. Jean-Guillaume-Toussaint de La Motte-Picquet de La Vinoyère. Fils
d'un conseiller au parlement de Renues. Né le l" nov. 1720, à Rennes ;
G., 11 juil, 1735; L., 23 mai 1754, C, 15 janv. 1762; CE.. 1»^ juin 1778.
LG., 12 janv. 1732; f 10 juin 1791, Brest. C^ 168. C^.
10. Marquis de Nieul Ponte. De Saintonge. G., 22janv. 1746; L., 17 avr. 1757,
C, 18 févr. 1772; CE., 20 août 1784. C^ 170.
EXPÉDITION DU MAROC EN 1765.
547
XVII
EXPÉDITION DU MAROC EN 17651.
Vlltile
60 c.
La Terpsichore 30
VHéroine
30
La Licor7ie
26
La Chimère
26
La Gracieuse
La Pléiade
La Topaze
La Biche
Le Singe
chebec
Le Caméléon
—
Le Renard
—
Le Séduisant
—
La Salamandre
galiote
L'FAna
—
VHirondelle
barque
Le Danube
flûte
CE. : Du Chaffault de Resné.
es. : La Touche Beauregard.
Marchainville comte Du Bosc.
chevalier de Grasse Du Bar.
comte de Breugnon,
chevalier de Laugier Beaucouse.
chevalier Dapchon.
chevalier de Sémerville^.
comte de Barjeton Verelause.
chevalier Roussel de Préville,
chevaher de Suffren.
comte de Framont.
Desmichels Champorcin'.
comte de Damas*.
Du Bour^uet'^.
DeVialis^.
Beaussier Châteauverf.
baron de Bombelle^.
1. Ci-dessus, p. 437. — A. M., B* 109.
2. Chevalier de Sémerville. De Normandie. Fils cadet d'un enseigne
de vaisseau. G., 12 août 1735; L., 11 fév. 1756; C, 18 févr. 177^; R.,
22 mai 1775. C^ 168.
3. Desmichels Champorein. De Provence. G., 14janv. 1742; L., 15mai 1756 ;
CF., 18 août 1707; C, 18 févr. 1772; tué, 6 juil. 1779, au combat de la
Grenade. C^ 169.
4. Comte de Damas. De Provence. Cinq de ce nom dans la marine. G.,
24 fév. 1746; L., 17 avr. 1757; C, 24 mars 1772; f 1784. C^ 170.
5. Du Bourguet. G., 21 nov. 1743; L.,15 mai 1756; C, 18 févr. 1772; R.,
22 févr. 1774. C* 169.
La Sala'inandre avait pour lieutenant le chevalier de Clavières : G.,
18 sept. 1751 ; L., 1»' oct. 1764; C, 4 avr. 1777; f 31 janv. 1784, Goa (Inde).
a Gentilhomme d'une des plus anciennes races militaires du Vivarais, rési-
548
APPENDICE XVII.
dant à Tournon. Plusieurs parents dans la marine. A eu trente officiers
de son nom et de sa même maison tués dans le régiment d'Auvergne. »
Cl 171.
6. De Vialis. Fils aîné de l'ingénieur en chef de Toulon. « Ils sont trois
frères au service. N'est pas riche. » G., 12 janv. 1746; L., 17 avr. 1757; C,
24 mars 1772 ; f 8 août 1783, Fort-Royal (Martinique). C* 170.
7. Beaussier Chàteauvert. Porté sur les listes, jusqu'à la décision du
16 mai 1768, sous le nom de Beaussier Montauban. Aide de port, juin 1746;
LP., 17 avr. 1757; C, 24 mars 1772; R., 21 mars 1779. C* 170.
8. Baron de Bombelle. De la Louisiane. Neveu du lieutenant général. G.,
9 juil. 1750; L., 1" oct. 1764; C, 4 avr. 1777; directeur des constructions,
19 oct. 1781 ; directeur de l'artillerie, 28 déc. 1782; f 26 avr. 1783, Roche-
fort. La flûte le Danube, qu'il commandait en 1765, avait porté des vivres à
l'escadre de Du Chaffault à Cadix ; de là, elle avait touché à Sainte-Croix de
Ténériffe. C^ 171. — M. de Bombelle, a comme administrateur n'a personne
qui puisse lui être comparé ». B* 183, fol. 181.
TABLE ALPHABETIQUE
DES NOMS DE PERSONNES
Astérisque : mention la plus importante. — Noms en italique : auteurs cités.
Abbe, 310.
AcHÉ f comte d'), 246, 358, 397-408,
*535, 537.
Adam, 112.
Agay (d*), *507.
AaxY. Voir Giraud.
Aiguillon duc (d'), 20, 100, 316, 317,
320-324, 334,335, 338, 339, 345-348,
350, 364-366, 372, 379,380, 456, 472.
Alberoni, 43, 49-51, 73.
Albbrt (Antoine, chevalier, puis
marquis d') Du Chesne, 218, *493,
510, 516.
Albert (Charles-Hercule d'), cheva-
lier de LuYNES, 121, *491.
Albert (chevalier d') Saint-Hippo-
LYTE. *515.
Albert (chevalier d') Saint-Hippo-
LYTE le cadet, *505, 514.
Albert (marquis d'). Voir Albert
(Antoine d').
Alexandre III, de Russie, 120.
Amalvin. Voir Montazet.
Amblimont (marquis d'), 186, *498.
Amelot, 163.
Amherst, 386.
Angerville. Voir Moufle.
Anne, reine d'Angleterre, 40.
Anson (George), 177, 181, 335.
Antin (duc d'), 136.
Antin (Antoine-François de Par-
daillan de Gondrin, marquis d'),
petit-fils du précédent, 116, 117,
120, 135-140, 197, *491.
Anville (Jean-Baptiste- Louis-Fré-
déric de RoYE de La Rochefou-
cauld, duc d'), *I77, 194-196, 200,
202.
Après (d') de Mannevillette, *402.
Arbaud d') de Jouques, *505, 514.
Arcy (chevalier d'), *534.
Ardillières (d'). Voir La Tal-
LERIE.
Aroenson (comte d'), 163, 165, 166,
171, 240, 276, 298.
Arokntkau. Voir Mercy.
Aroouoks (chevalier d'), *520.
Arnouville. Voir Machault.
Arsac (d'). Voir Ternay.
Asfeld (marquis d'), 31, 33.
Astorq (chevalier d') d'AusARÈDE,
*498, 504.
AsTOUR (d'), *493.
Aubarède (d'). Voir Astorg (d').
Aubert Dubayet, 461.
Aubigny (comte d'), 183, 367, 376,
381, 382, 390, +496, 530. 537.
Aubry, 160.
550
TABLE ALPHABETIQUE.
AuGÉ (d'). Voir Sainte-Maure.
AviRAY (d'). Voir Le Gendre.
Aymé (d'). Voir Nouailles.
Ayminy (d'). Voir Mablan.
Aymon. Voir La Roche.
Bajot, 22.
Ballwroy (chevalier de), *52L
Bar AIL (ou Barailh) (de), 120, *123,
124-127, 164, 165.
Baraudin, *390.
Barbier, 220.
Barclay, 142.
Barin (Jacques), 273.
Barin. Voir La Galissonnière.
Barjeton (comte de) Verelausf,
♦506, 514, 547.
Barnett, 209.
Barras de Saint-Laurent, *506, 514.
Barrington, 392.
Bart (Jean), 48, 119, 146, 242,
373, 499.
Bart (François-Cornil), fils dn pré-
cédent, 119, 165, *491.
Bart, fils du précédent, *498.
Basterot de La Barrière, *518,
545.
Batiffol, 421.
Bauffremont (chevalier de), prince
de Ltstenois, 315, 353, 358-362,
363, 365, 383, 436, *493, 519, 530,
537.
Bavre (de), *434, *456.
Bayanor, 111.
Bbauchesne. Voir Islb (d').
Beauchet-Filleau, 533.
Beaucourt. Voir Boisberthelot.
Beaucouse (chevalier de), *505.
Beaucouse Voir. Laugier.
Beaudouvin (chevalier de), *505.
Beaufort. Voir Gouyon.
Beaugroult. Voir Épinay (d').
Beauharnais deBEAUMONT (Claude
de), *125.
Beauharnais Beaumont (marquis
de), fils du précédent, ^392.
Beaulieu, 535.
Beaulieu. Voir Pontleroy.
Beaulieu de Tivas, 187, *498, 518.
Beaumont (de) Le Maître *504.
Beaumont. Voir Beauharnais.
Beaupoil Sainte-Aulaire de La
Dixmerie, *521.
Beauregard. Voir La Touche.
Beausset (de), *519, 545.
Beaussîer. (Jérôme)j ^507.
Beaussier Chateauvert, appelé
d'abord Beaussier Montauban,
387, *547.
Beaussier de L'Islf, 196, 254, 382,
385, 394, *532.
Beaussier de Quiez, puis de La
Chaulanne, *506.
Beauveau (prince de), 282.
Beauvillier. Voir Saint-Aignan.
Beauvollier (de) de Courchant,
111.
Bégon (Michel), 273.
Belingant de Kerbabut, *519.
Belingant (chevalier) de Kerbabut,
frère du précédent, *520.
Bellefontaine (bailli de) de La
Malmaison, *25.
Belle-Isle (maréchal duc de), 143,
160, 243,247, 271,304, 315,320,321,
323, 324, 334, 343, 344, 346, 348,
350, 366, 373, 483.
Belle-Isle. Voir Gotteville, Pépin.
Bellin (Jacques -Nicolas), 105.
Bellot La Houssaye, *387.
Belugard. Voir Du Pin.
Beniowsky, 434.
Bénouville (marquis de), *518.
Bernardin de Saint-Pierre, 209.
Bernis, 413^ 482.
Berryer, 16, 224, 24t)-251, 267, 304,
324, 344, 348, 352, 358, 364, 365,
370, 387, 413.
Berthoud, 427.
Berwick (maréchal de), 13, 50, 51.
Besiinval (baron de), 416.
Besné. Voir Du Chaffault.
Béville (de), '445, 446, 452, 455,
456, 471.
NOMS DE PERSONNES.
551
BÉviLLE (Charles), fils du précédent,
445.
Bkzout, 233, 424.
BiDK de CiiÉzAC 198, *518.
BiDÉ. Voir Maurville.
Bigot, *518.
Bigot de La Motte, 101, 192, 522,
523.
Bigot de Morogues, 229-231, 233,
341, 344, 316, 347, 358, 422, 425,
427, 448, 516, *520, 538.
Blackney, 282, 292.
Blairfindy. Voir Grant,
Blanchard, 22.
Blangy (de), 1?0.
Blénac (chevalier de) Courbon, 386)
393, *530.
Bligii (Thomas), 337, 338.
Blincourt. Voir Hocquart.
Blossac. Voir La Bourdonnaye.
Blotfier (de), *504.
Blouet. Voir Camilly.
Boades (de), *514.
Boades de MoNTBRUN, *505.
BOILEAU, 65.
BoiSBERTHELOT (chevalier de), ♦372.
Boisuerthelot de Beaucourt, 372.
BOISCHATEAU. Voif KÉREMAR.
Boisdkscourt. Voir La Maisonfort.
BoisGELiN. Voir Kersa (de).
Boisseau de La Galernerie, *545.
Bolingbroke, 444.
BoMBEL'.E (baron de), *547.
BoMPAR (de), 160, 161, 392, 429, *4Ç3,
537,
Bonaparte. Voir Napoléon I*"*,
BoNREPAUS (d'Usson de), 31, 33.
Borda, *233, 427.
Bordes. Voir Folliony-
Bory, *275, 3B7, 422.
Boscawen, 218-218, 255-257,285, 305,
306, 309, 348, 370, 371, 385, 386,
446.
Boschard. Voir Champigny.
Boterel. Voir Plessis.
Bouet-Willaumez, 120.
BouoAiNviLLE 16, 248, 387, *426.
Bougouin, 176.
Bouquer, 104, 229, 231, 234.
BouiN de La Villebouquais, *521.
Boulainvilliers (marquis de), *138,
139.
BouLLAiNviLLiERS de Croy, fils du
précédent, 139, *518, 545.
Bourbon. Voir Conti, Monsieur le
Duc, Penthièvre.
Bourcet (de), 449, 450.
BouRDÉ (de) ViLLHUET, 206, 229,
426.
Bourgeois. Voir Boynes, Gueudre-
VILLE.
Bourgogne (duc de), 30.
BOURRIENNE, 343.
Bou tarie, 465.
BouTiER.Voir La Cardonnie.
Bouvet de Lozier, 180, 210, 215-218,
399.
Bouvet de Précourt, cousin du pré-
cédent, 210, 401, 402, 404.
Bouvier (Edouard), 265.
Bouville (Jubert, vicomte de), 258,
259, *538.
Boux, *428.
Boynes (Pierre-Etienne Bourgeois
de), 233, 428, 431, 433, 434, 544.
Boys, 347, 374.
Brach (chevalier de), *518.
Braddock, 253.
Bragelongne, 375.
Bréda (de), *496.
Bréhan. Voir Plélo.
Brémond d'Ars, 367.
Brémoy (de), *503.
Brest (amiral), 301.
Bret au ville (chevalier de), 524.
Breugnon (Pierre-Claude Haude-
nau, comte de), 367, 393, 432, 437,
523, *539, 545, 547.
Briançon. Voir Grasse.
Briansiaux de Milleviîle, 373.
Brie. Voir Nesmond.
Brienne. Voir Conflans.
Briqueville. Voir La Luzerne.
Brissaucourt. Voir Villers.
Broc (marquis de), 367.
Broderick, 305, 306, 328, 347.
552
TABLE ALPHABETIQUE.
BRoaLiE (Charles-François, comte
de), 92, 205, 458-462, 464-475, 481,
482.
Broglie (maréchal duc d«), 459^
462.
Broglie (duc de), 459, 461.
Broves (Jean-Joseph de Rafélis,
comte de), 436, *504, 539.
Brun, 24, 27, 429, 435, 493.
Brunet. Veir Tressemanes.
BUDES. Voir GUÉBRIANT.
BULLION de MONTLOUET, *165, 201.
BuRKE, 295.
Burrows, 152.
BussEROLLES. Voir Vienne.
Byng (contre-amiral), vicomte Tor.-
RYNGTON, 50, 42.
Byng, fils du précédent, 89, 170,
286-291, 295-297, 332.
C
Cabanac. Voir Ségur.
Cabanoux, *504.
Cabieu, 36-'.
Cacqueray. Voir Valmenier.
Cahideuc (de). Voir Du Bois de
La Motte.
Calian. Voir L'Isle.
Calmettes, 17.
Calvimont, Voir Tayac.
Camilly (Pierre de Blouet, cheva-
lier de\ *165, 167.
Camus, 104, 231.
Canaux. Voir Raimondis.
Canga Argûeîîes, 133.
Canon, 387.
Carlet. Voir La Rozière.
Carné (chevalier de), 142, *520.
Carné (comte de) Marcein, 307,
*506, 514.
Carteret (lord), 106, 148.
Cartier (Jacques), 190.
Cassard, 82-84.
Castellane (chevalier de) Gri-
MAUD, *515.
Castellane La Valette, *605.
Castellane La Valette le cadet,
308, *504, 514.
Castellane (chevalier de) Majàs-
tres, *505, 514.
Castellanne Saint-Jeurs, *504.
Castellet. Voir Glandevbz.
Castillon (de), 309, *o04, 514.
Castillon (cadet), 306, *505, 515.
Castries (maréchal marquis de),
234, 297, 450.
Catklan l'aîné, *520.
Catelin La Garde, *515.
Caumont. Voir Tancrède.
Caux (de), 102, 336.
Caylus (chevalier, puis marquis de)
de Pardaillan, 116, 142, 157, 198,
*493.
Cellamark, 50, 57.
Chabaud-Arnault, viii, 53, 89, 108,
155, 242.
Chabbrt (marquis de) Cooolin,
275, 297, *507.
Chabot (chevalier), *521.
Chadeau. Voir La Clocheterie.
Chamillart, 241.
Champigny iBoschard, comte de),
31, *33.
Champigny deNoROY, *110, 111, 527.
Champlain, 190.
Champmeslin (comte de), 503.
Champmeslin. Voir Desnos.
Champorcin. Voir Dksmichels.
Charles II, roi d'Angleterre, 9.
Charles VI, empereur d'Allemagne,
74.
Charles-Edouard, 163, 164, 167-172,
219, 268, 346, 443.
Charron (de), 278.
Charry. Voir Des Gouttes.
Chassérieu, 279, 287.
Chasteloger *519, 530.
Chasteuil. Voir Tressemanes.
Chateaubriand (comte René de),
126.
Chateaubriand (vicomte René de)
fils du précédent, 416, 526.
Chateauneuf (commandeur de)
Thomas, *493.
NOMS DE PERSONNES.
553
Chateauneuf (marquis de) Tho-
mas, nereu du précédent, *504.
Chateaunel'f (chevalier de) Thomas,
frère cadet du précédent, *514,
Château-Renault, 9, 11, 158, 167,
537.
Chatbauvert. Voir Beaussier.
Chatenoy (de), 201.
Chatham (lord). Voir Pitt.
Chavagnac, *530.
Chérisey (comte de), *519, 545.
Chksterfield, 296.
Chevert, 160, 344, 345, 372, 377.
Chkylus (de), *493, 504.
Chézac. Voir Bidé.
Chièvres (de), *519.
Chiffrevas, *498, 520.
Chivrey. Voir Marencein.
Choïseul (duc de), 17, 106, 224, 229^
234, 246, 250. 304, 312, 313, 344^
348, 360, 376, 378, 380, 388, 3 9i,
413-417, 419-424, 428, 434-442,
444-447, 449-452, 455-457, 460,
462, 470-472.
Choiseul-Praslin, 17, 224, 232, 233,
394, 413, 414, 417, 418, 424, 425,
427, 428, 434, 439.
Choïseul (marquis de) Praslin ,
Choquet de Lindu, *101, 231, 418.
Christian VI, de Danemark, 122.
Cillart de Suville, *519, 534.
Cisternes {R. de), 279.
Clairain Deslauriers, 544.
Clairault, 104.
Clark, 327-329.
Clapier Saint-Tropez, *514.
Clayières (chevalier de), *547.
Clément (P.), 106.
Clive (Robert), 400.
Cluony de NuYS, *418, 438.
CoATAUDON (chevalier de), *520.
CoiiTLOGON (marquis de), 31, *33,
528.
CvËTNBMPREN. Voir KeRSAINT.
Cœuvres (maréchal de), 32.
CoaoLiN. Voir Chabert.
Colbert, 7, 8, 33, 49, 52, 66, 68, 85,
105, 106, 108, 158, 450, 422,
481.
Colbert de Turgis, *505, 515.
Colin {capitaine J.), 163.
Conflans (Hubert de Brienne,
comte de), 20, 100, 178, 184-186, 197-
199, 201, 305, 315, 317, 318, 345,
346, 348-359, 361-365, 375, 376,
*518, 537.
Considérations sur la... marine^
89, 194, 195, 236-238.
CoNTi (François-Louis de Bourbon,
prince de), 119.
CoNTi (Louis-François de Bourbon,
prince de), pptit-fils du précé-
dent, 156, 157, 460.
Coquelle, 163.
Cornic-Duchène, 369.
Corner, 439,
Cornish, 408.
Corre, 139, 195.
Costebelle. Voir Pastour.
Coulomb, 544.
Coup {Le) d'œil du citoyen, 352.
Courbet (amiral), 301.
CouRBON. Voir Blénac.
CouHCHANT. Voir Beauvollier.
CouRCY (de), 279.
Cours (chevalier de) Lussaignet»
*535.
Courserac (de), *503, 532.
Court (de) La Bruyîîre, 117, 145-
147, 149-151, 153-157, *493.
Courtanvaux (marquis de), 448.
Cousages. Voir La Rochefoucauld.
COUTANCE. Voir GOUYON.
Craggs, 44.
Crillon-Mahon (duc de), 376.
Cristy-Pallière, 401, 535.
Cromwell, 9, 135.
Croy. Voir Boulainvilliers.
Cry. Voir Deshayes.
Cueilly. Voir Lage (de).
CuoNiAC. Voir Dampierre.
Cultru, 218.
Cumberland (duc de), 171.
Cypières (de), *518.
554
TABLE ALPHABETIQUE.
Dabon, *515, 530, 539.
Dahlgren, 133.
Damas (comte de), *547.
Damiens, 240.
Dampierre (chevalier de), *545.
Dampierre Cugniac, *521.
Dandanne de Lincourt, *519.
Dandoque, *506.
Daniaud (Catherine), 496.
Dannat (de) Montmaur, *507, 513.
Dannat. Voir Taurin.
Dapchon (chevalier), *532, 547.
Dardjn. Voir La Rochalart.
Daubenton, *519.
Daubenton, intendant de la ma-
rine, 544.
Davers, 199.
David (Pierre), 215, 217.
Delpeuch, 12.
Dent. Voir Digby.
Desages. Voir Duboux.
Deschamps, 18.
Deschênes. Voir Parseval.
Desfontaines, 113.
Des Gouttes (comte Charry), *124,
532.
Des Gouttes (marquis Charry),
385, *532.
Des Gouttes. Voir Odon.
Deshayes de Cry, *519.
Des Herbiers. Voir L'Étanduère.
Deslandes, 93.
Deslauriers. Voir Clairain.
Desmichels Champorcin, *547.
Desnos Champmeslin, 53.
Desnos Champmeslin, fils du pré-
cédent, 165.
Desnos (comte) Champmeslin, fils
aîné du précédent, *503.
Desnos (bailli i Champmeslin, frère
cadet du précédent, *503, 545.
Des Pennes. Voir Vento.
Des Roches, 194.
Des Roches. Voir Du Dresnay.
Des Touches, *519.
Destourès. Voir Saqui.
DiESKAu (baron de), 254.
Digard de Kerguette, 234.
DiGBY Dent, 200.
DiGoixE Du Palais, 507.
Doneaud du Plan, 15, 104, 233.
Doniol, 255, 455, 473, 537.
Dostes (Matthieu), 356.
Douglas (amiral), 393.
Douglas, gouverneur de Bender-
Abbas, 410.
Drée (de) de La Serrée, *504.
Drucourt (chevalier de), *385, 386.
Du Bar. Voir Grasse.
Dubayet, Voir Aubert.
Dubois i cardinal). 34, 43-45, 47-49,
54, 55, 73, 75, 77, 162.
Du Bois de La Motte (Emmanuel-
Auguste de Cahideuc, comte), 119,
200, 252, 254, 255, 257, 258, 383-
385, 487, *530.
Du Bois de La Motte Rabeau,*519.
Du Bos (chevalier) l'aîné, *498, 522.
Du Bos (chevalier) le cadet, frère du
précédent, *518.
Du Bosc (Marchainville, comte),
*545, 547.
Du Bouchet. Voir Mauclerc.
Du BouExic. Voir Guichen.
Du BOURGUET, 547.
Duboux-Desages, 371.
Du Breil chevalier de Rays, *519.
545.
Du Breuil. Voir Turpin.
Du Casse, 185, 194, 197.
Ducéré, 178, 317, 367, 375.
Du Chaffault, *498.
Du Chaffault (comte) de Besné,
116, 120, 200, 201, 385-387, 390,
432, 436, 437, *532, 538, 545, 547,
548.
Du Chaffault de Besné de La Fo-
rest, *390.
Du Chambon, 192.
Du Chatel (chevalier) Tanequy,
362, *521.
Duchêne. Voir Cornic.
NOMS DE PERSONNES.
555
Du Chesne. Voir Albert (Antoine,
marquis d').
DucLESMEUR (de), *519.
Du CouËDic de Kergoaler, *372,
D Croizet chevalier de Retz, *53o,
545.
Du Oaugnon (maréchal comte),
510.
Du Deffais, *535,
Du Dresnay Des Roches l'aîné
(comte), *194.
Du Dresnay Des Roches le cadet,
178, *518.
Du Dresnec. Voir Trédern.
DuFP, 347, 354.
Dufresne-Marion, *371.
Du GuAY (comte), 186, 199, 242, 255,
259, 260, 383, *498.
Du Guay-Troiin, 12, 34, 82, 102,
113, 115, 116, 118, 119, 123-126,
128, 130, 136, 167, 185, 197, 242,
373, 385, 394, 415, 487.
Du Guélambert, *519.
Duhamel Du Monceau, 103-104, 230,
231, 233,514.
Du Haussay (Mme), 378.
DuiLius, 451.
Du Lac de Monttert, 309, *515.
Du Maitz de Goimpy FEUQuiisRES,
*427.
Du Manoir. Voir Le Mouton.
Du Mené Lézurec, *519.
Du Mesnil, 277, 279.
Du Monceau. Voir Duhamel.
Du Muy (maréchal), 450.
Du Palais. Voir Digoine.
DupiGNET (de) Guelton, *505.
Du Pin de Belugaru, *330.
DuPLEix, 15, 84, 208, 209, 211, 213-
219, 228, 254, 396, 417.
Du Plkssis Parscau, *520.
Dupuis, *226.
Dupuy, 104.
Du QuESNE, 9, 24, 50, 146, 304, 494.
Du QuESNE Guitton, 539.
Du QuESNE Menneville (marqnis
Ange), troisième fils du suivant,
303, *538.
Du Quesne-Monnier (Abraham),
neveu de Du Quesne, 53, *494.
Du Quesne-Monnier (Louis-Marie),
second fils du précédent, *493.
Durand, 443-446, 465.
Durand. Voir Mesnil.
Duras. Voir Durfort.
Du Revest, 383, *505, 530.
Durfort (comte de) Duras, *519.
Du RosEL de Beaumanoir, *503.
Du RouRET de Saint-E.stève, 186,
199, *498.
Du Saillans. Voir Estaing (d').
Du Sault, *519.
Du Trousset. Voir Valincour.
Du Verger. Voir Saint-André.
DuvERNEY. Voir Paris.
Du Vignau, 186, *498.
E
Eardley-Wilmot, 16.
Eaux (d'). Voir Raymond.
Edgecumbe, 282, 283, 286.
Egerton {W. P.), 264, 459, 461.
Éliçagaray. Voir Renau.
Elliot, 375.
Embito. Voir Ruis.
Éon (chevalier d'), 459, 464-466.
UiPiNAY (marquis d') Beaugroult,
120, *140, 141, 142, 165, 185.
Erville (d'), *506.
Esclabissac (d'), *518.
Essonville (d'), 475. Voir Orson-
ville.
Estaing (Charles- Henri -Théodat
d'EsTAiNG Du Saillans, comte
d'), 139, 394, 398, 404, 409-411, 430,
444, 533, *537.
Estourmelles (d'), *140, 194, 195.
EsTRÉES (Jean, maréchal d'), 32,
114.
EsTRÉEs (Victor -Marie, maréchal
d"», fils du précédent, 27, 31, *32,
57, 136.
État de la France, 31.
556
TABLE ALPHABETIQUE.
État sommaire des Archives de la
Marine, 22, 27, 33, 36, 91, 104,
142, 153, 329, 371, 373, 418, 533.
Étigny (d'), 419.
ÉvEux (d'). Voir Fleurieu.
F
Fahre, 180.
Fabrèoues (de) l'aîné, *505, 515.
Fabrèoues, Voir Fabry.
Fabry (Louis) de Fabrèoues, dit le
chevalier de Fabry, 422, 436,*504,
515.
Fagon, 82.
Fagosse. Voir Urtubie.
Faucher, *504, 515.
Faudran de Taillade, 308, *504,
514.
Faugères. Voir Le Baron.
Fausse. Voir Monier.
Fénelon, 27.
Fercourt (Nicolas Perrot de), 123,
*491, 525.
Ferrand, 31, 33.
Feuquières (de), 517.
Feuquières. Voir Du Maitz, Pas.
Fleukieu (d'ÉvEux de), *279, 427.
Fleury (cardinal de), 71, 72, 74-82,
84, 85, 91, 93, 101, 107, 118, 121,
128, 132-134, 142, 143, 149, 162, 163.
Flobert (M. de), 374.
Folliony, *503.
FoLLiGNY (de Bordes de), *120, 139.
Fontaine de Resbecq, 528, 536, 538.
FoNTETTE (chevalier de), *157.
FûRBiN (chevalier de), 41, 48.
FoRBiN (chevalier de) d'OppÈDE,
*504, 515.
Forgues Eug.), 174.
FORREST, 391.
Foucault, *505, 521.
Fougen (Marie-Rose), 522.
FouiLLEusE (Charles de), *491.
FouQUET (chevalier), *498, 539.
Fournies, 221.
Fox, 200.
Fraonier de Vienne, *519.
Framont (comte de), *515, 547.
Franssures. Voir Villers.
Frédéric I", de Suède, 120.
Frédéeic II, 14, 48, 239, 270, 281.
Frédéric de Wurtembrrg, 281.
Frémeur (marquis de), 298, 522.
FROGERdeLA Rigaudière, 382,383,
*496.
Froger de L'Éguille, 405, 406, 410,
*504.
Fromenteau. Voir La Boucherie.
Fromentière (chevalier de), 184.
186, *498.
Froulay. Voir Tessr.
G
Gabaret (Louis), 494.
Gabaret le jeune, second fils du
précédent, 150, 155, 157, *493, 496.
Gabaret, lieutenant général, 527.
Galalp. Voir La Pérouse.
Gantes (de), 308, *514.
Gaudion. Voir La Tallerib.
Gaufridy, *506.
George 1", 40, 42-44, 47, 49, 50,
52, 55.
George II, 149, 152, 156, 169, 171,
219, 443.
GÉRALDIN, *o20,
GlRARDIN, *519.
GiRARDiN. Voir Vauvré.
Giraud {Ch.), 413.
GiRAUD d'Agay, *515.
Glandevez (chevalier de),*507, 514
Glandevez (chevalier, puis comman-
deur de), 198, 279, 288, 289, *493,
504, 513.
Glandevez cadet (commandeur de),
*538.
Glandevez (baron de) Castellkt,
*507, 515.
Godeheu, 228, 396.
Godin, 104.
GoiMPY. Voir Du Maitz.
GoNDRiN (marquis de), 116.
Gondrin. Voir Antin (d';, Pardail-
LAN.
NOMS DE PERSONNES.
557
GooLD, 377.
GoRCQUER. Voir Touronec.
Gordon, 438.
GoTHo (de) l'aîné, *506, 536.
GoTHo (de) cadet, frère du précé-
dent, *535.
GoTTEviLLE Belle-Isle, *519.
GouANDOUR (chevalier de), appelé
d'abord Penzb de Moelien, *519.
Goubert, *521.
GouRSELAS (de), *535.
Gousset. Voir La Rochalart.
GouvELLO (de), *519.
GouYON Beaufort (Jean, chevalier
de), 115, *491.
GouYON (de), chevalier de Coutance
La Selle, *120.
GoY (de) Le Bègue, *506.
Grainville. Voir L'Épine.
Grammont. Voir Sabran.
Grandpré (Nicolas de),*115, 116.
Grant de Blaifindy 447-450, 456.
Gras Préville (marquis de),
*503.
Grasse (de) Briançon l'aîné, 436,
*504, 515.
Grasse (de) de Limermont, *505,
515.
Grasse (chevalier de) Du Bar, *514.
Grasse (François-Joseph-Paul, che-
valier de) Du Bar, plus tard comte
de Grasse, 182, 432, 433, *545.
Grasse-Tilly (marquis de), le même
que le précédent.
Grassy, Voir Villers.
Gravier, 386.
Gravier, *493.
Gravier l'aîné, fils du précédent,
*505, 516.
Gravier d'ÛRTiÈRES, frère du pré-
cédent, *514.
Gréhan, 227.
Griffin, 215-217.
Grima LDI (comte de), *505, 539.
Grimaldi (marquis de), 455.
Grimaud. Voir Castellane
Groionard, 418, 451, 544.
Grout. Voir Saint-Georges.
Guébriant (chevalier de) Budes, 329,
353, 358, 361, *518.
Guelton. Voir Dupignet.
GuERCHY (comte de), 441, 466,
GuÉRiN. Voir Mirande.
Gueudreville (Bourgeois de), 544.
GuicHEN (Luc-Urbain Du Bouexic,
comte de), 169, 200, 201, 382, 383,
385, 431, 500, *530.
GuiDY (de), *498.
Guillaume IIl d'ÛRANOE, 7, 9, 77.
Guillon, 276, 299.
GuiLLOUET. Voir Orvilliers (d').
GuiRAN de La Brillane, 308, *5l4.
Guitton. Voir Du Quesne.
Hardy, 347, 384.
Haudenau. Voir Breugnon.
Haussonville (d'), 389.
IIawke (Edouard), 152, 185, 295,
299, 328, 332, 333, 335, 347, 353-
356, 363, 364, 366, 367.
Hixtor (comte d'), *31l, 372.
Heouerty (d') ou Hyguerty (d'),
380, *519.
IIÉLiE (d'). Voir Vilarzel.
Hénault (président), 511.
HÉRICOURT (d*), *493.
Herpin, 527.
Herpin, petit-neveu du précédent,
*520.
Ueussaf d'OuEssANT, 258, *518.
Hippeau, 334, 351, 367.
Histoire de VEcole navale, 2Q, 52
IIocquart, de Blincourt, 182, 2*5-
257, *496, 503, 544.
HocQUART, frère du précédent, 352,
544.
HocQUART, fils du précédent, 257.
Holburn, 384.
HopsoN, 392.
HowE (Richard), 256, 257, 330, 336-
338.
HucuET. Voir La Bédoyère.
IIUGEL, 471.
558
TABLE ALPHABETIQUE.
HuON de Kermadec, *520.
Hyquerty (d'). Voir Heouerty (d').
Iberville (d'), 47.
Isarribert, 31,
IsLE (d') Beauchesne, 187, =^535.
Kersaint de CoktnempreN; 177,
194, 218,219,356, 390, 391, ^19.
Kersauson, Voir Penandreff.
Kersuliec. Voir Kerven.
Kertanguy, *d19.
Kérusoret Le Borgne, *391, 529.
Kervaseqan. Voir Kerlérec.
Kerven Kersuliec, *519.
Kipling, 110.
Knowles, 328, 335,
Jacques II, 9, 10, 40.
Jacques -Edouard (Jacques III).
Voir Prétendant (le).
Jal, 221, 538.
Janvry (de) l'aîné, *520.
Jaziek. Voir La Garde.
Jenkins, 133.
JOANNIS, 535.
JoNs (marquis de), *519.
JouQUEs. Voir Arbaud (d').
Jousselin de Mariqny, *507, 521.
JOUY. Voir ROUILLB.
JUBERT. Voir BOUVILLE.
JUMONVILLE, 235, 253.
K
Kalb, 442.
Keppel, 253, 368, 369.
Kéramel. Voir Parsevaux.
Keranstret (chevalier de), *520.
Kerbabut. Voir Belingant.
Kéremar de Boischateau, *498, 520.
Kergoaler. Voir Du Couëidic.
Kerguelen de Trémarec, *377, 426,
528.
Kerguette. Voir Digard.
Kériou Le Borgne, *521.
Kerjan, 198.
Kerjankerjan l'aîné, *498, 527.
Kerjankerjan, neveu du précédent,
*520.
Kerjeanmol (chevalier de), *521.
Kerlérec de Kervaségan, 186, *498.
Kerloury. Voir Lagadeck.
Kermadec. Voir Huon.
Kbrsa (de) Du Boisgelin, *498.
La Barre. Voir Veissière.
La Barrière. Voir Basterot.
La Bastide, 465.
La Bédoyère (Huciiet de), 186,
*498.
La Biochaye (de\ *518.
La Boucherie Fromanteau, *519.
La Boullaye, *521.
La Bourdonnais (Mahé de), 84, 112.
113, 204-215, 468.
La Bourdonnaye (Blossac cheva-
lier de), *535.
La Brillane. Voir Guiran.
La Brosse. Voir Villars.
La Bruyère. Voir Court (de).
La Caille, 275, 462.
La Cardonnie (Jacques de Boutier,
chevalier de), 315, *535.
Laccary, *497, 521, 545.
La Chaise, 535.
La Chapelle, 31, 33.
La Châtre (marquis de), 335.
La Chaulanne. Voir Beaussier.
La Chesnardière. Voir Ruis.
La CLOCHETERiE(Isaac Chadeau de),
183, *496.
La Clocheterie (Jean-Isaac-Timo-
thée Chadeau de), fils du précé-
dent, 433.
La Clue (de) Sabran, 136, 279, 288,
302-307, 309, 311, 312, 348, *493,
504, 514, 515.
La Comté Pigache, *505, 515.
La Condamine, 104.
Lacour-Gayet {G.), 369, 452, 481.
NOMS DE PERSONNES.
559
La Crenne. Voir Verdun.
Lacy, 123.
La Devèze, Voir Rochemore.
La Dixmkrih:. Voir Beaupoil.
La Farelle, 111, 112.
La Farelle {Lennel de), 112.
La Ferté. Voir Saint-Aignan.
La Fillière. Voir Nogérée.
La Fittk (de), *520
La Forest, Voir Du Chaffault.
Lagadeck MfistiDERN de Kerloury,
*52l.
La Galernbrie. Voir Boisseau.
La Galissonnière (Roland-Michel
Barin, comte ou marquis de), 165,
230, 238, 252, *273-275, 276, 278,
280-29«, 300, 304, 313, 349, 487,
*504.
La Garde (de; Jazikr, 113,111.*
La Garde Payan, *532.
La Garde. Voir Marquèzë.
Laoe (de) de Cueilly, 153, 155, 156,
159.
Laoe (de) de Volude, *518.
La Girouardière, *498.
La Grandiére, *519.
La Grange. Voir La Roy.
La Guarigue Savigny, *504.
La IloGUE. Voir Quineïte.
La Houssaye. Voir Bbllot.
La J aille (de), *491.
La Jonquière de La Pommarède,
110, 138, 150, 157, 179-181, 183,
184, 186, 195, 196, 215, 356, *493,
496, 497.
La Jonquière (M'Ji* de), femme du
précédent, 497.
La JoNQUiiiRE Taffanel, 181,*496,
500, 530, 539.
Lalande, 233.
Lally (comte de), 84, 381, 397, 400-
409.
La Luzerne (Briqubville, comte,
puis marquis de), 121-123,136, *491.
La Maisonfort (de) Boisdescourt,
192, 193.
La MaljVlaison. Voir Bellefon-
TAINE.
Lamballe (princesse de), 136.
Lambert, 523.
La Monneraye (de), *520.
La Motte. Voir Du Bois, La Pey-
ROUSE, LUPPÉ.
La Mottk-Picquet de La Vinoyère,
177, 194, 433, *545.
La Motte Vauvert, *534.
Landbmont (chevalier de), 391, *521.
Langeron (de), 330, 331, 333.
Langle (vicomte de), *519.
La Nicollière-Teijeiro, 84, 353, 533.
Lannion (comte de), 293, 297, 298,
301.
La Pérousb (Galaup de), *356.
La Peyrouse (Rochon de), comte
de La Motte, 121, 124-126.
Lapeyrouse Bon fils, 171.
La Po\LMARi:DE. Voir La Jonquière.
La Portebarré (de), 213.
La Poypk de Vertrikux, *504, 515.
La Prévalais de La Roche, *520.
La Rigaudière. Voir Frooer.
Larivaux. Voir Vkissière.
Larnage (de), *520.
La Rochalart Dardain (Gaspard
Gousset, comte de), *liO, 135,137,
138, 197, 528.
La Roche. Voir La Prévalais.
La Roche-Aymon (cardinal de), 415.
La Rochefoucauld. Voir Anvillb
(d').
La Rochefoucauld (comte de Cou-
sages de), *538.
La RoziÈRE (Carlet, marquis de),
*462, 463-467, 471, 474.
La Sausays. Voir Saint-Légier.
La Selle. Voir Gouyon.
La Serrée. Voir Drée (de).
La Tallerie (Gaudion d'ARDiL-
LiÈRKS de), *535.
La Touche Beauregard, *519, 529,
547.
La Touche Beauregard de Telin-
court, frère cadet du précédent,
*521, 524.
La Touche de Tréville, 367, 376,
381, 432, *532, 545.
560
TABLE ALPHABÉTIQUE.
La Touche Tréville (Le Vassor
de), neveu du précédent, 533.
La Touche. Voir Le Vassor.
La Tullay (de), S58.
La Tullaye (chevalier de), 358, *535,
545.
Laubépin, *257.
Laubépin (marquis de), ♦434.
Laucez. Voir Mandelot.
Laugier (chevalier de) Beaucousb,
*514, 547.
Laval (Le P.), 53.
La Valette (marquis de), *506.
La Valette. Voir Castellane.
La Villebranche. *520.
La Villebouquais. Voir Boum.
La Villéon, *496,
La Vlnoyère. Voir La Motte-Pic-
QUET
La VRiLi.naiE (Louis Phélypeaux,
marquis de), 29, 33, 88, *90.
Law, 53, 108.
Le Baron de Faugères, *505,
515.
Le BiiGUE. Voir Goy.
Le Borgne. Voir Kériou, Kéru-
SORET.
Leczinsk[. Voir Stanislas.
Lke, 199.
Légal, 427.
Le Gardeur de Tilly. *530, 531.
Le Gendre d'AviRAY, *505.
L'Éguille. Voir Froger.
Le Maître. Voir Beaumont.
Lemierre, 1.
Le Monnier, 104.
Lémontey , 45.
Le Mouton Du Manoir, *520.
Le Normant de Mézy, *225, 244,
245.
L'Épine Grainville, *521.
Le Roy de La Grange, ^452.
Lescoët (chevalier de), *518.
Lestock, 151, 152, 155, 174, 175.
L'ÉTANDuiiRE (Des Herbiers de),
119, 140, 184-188, 198, 199, 487,
*498, 510, 529.
Le Vassor de La Touche, 393, *498,
519, 533, 539.
Lbyde (marquis de), 49, 50.
Lézurec. Voir Du Mène.
L'Hôpital (marquis de), 175, 176.
Limermont. Voir Grasse.
Lincourt. Voir Dandanne.
LiNDU. Voir Choquet.
L'IsLE (de) Calian, 299, *506.
l*IsLE (de) Taulanne, *504.
L'IsLE, Voir Beaussier .
LisTENOis. Voir Bauffremont.
LizARDAis (de), *136, 529.
LizARDAis (de), fils du précédent
334, *519.
Loménie, 94, 156, 247, 290, 303, 331
351, 510.
Loménie tde), *514.
lonchamps montandre, *519.
Longueval, *519.
LoRDAT (Chevalier de), *519.
Lorgeril l'aîné, 255, 256, *498,
503.
Lorgeril (chevalier de), 256, *501,
503, 520, 532.
LoRT de Vériguan, *515.
LORY, 171.
Louis XIV, 8-13, 29, 38, 41, 42, 45^
46, 83, 99, 162, 241, 268, 480^
481.
Louis XV, 42, 57, 61, 65, 71, 72,89,
92, 132, 149, 169, 171, 219, 226,
239, 240, 246, 259, 260, 268, 294,
311, 349, 350, 411,423,439, 458-460,
462, 464, 470-474, 482, 510.
Louis XVI, 87, 91, 460, 461, 472-474,
481.
Louis-Philippe, duc de Chartres,
136.
Lou VIGNY (de), 522.
Louvois, 8, 481.
Lowendal, 169.
LoziER. Voir Bouvet.
LuppÉ de La Motte, ♦SIS.
LussAiGNET. Voir Cours.
Luxembourg (maréchal de), 337.
LuYNES (chevalier de). Voir Albert
(Charles-Hercule d').
NOMS DE PERSONNES.
561
M
MABLA.N d'AvMINY, *506.
Mac-Carthy, 182, 343, *496.
Machault d'ARNOuviLLE, 224, 235,
237-240, 243, 251, 253, 264, 267,
271, 276, 277, 283, 292, 321, 322,
380, 383, 390.
Macnemara l'aîné (comte de), *174,
198, 254, 255, 259.
Macnemara le cadel (Claude-Mat-
thieu de), *174.
Macnemara (Elisabeth-Julie de), 523.
Mahan {commandant), 7, 152, 310.
Maiié. Voir La Bourdonnais.
Mahon. Voir Grillon.
Mahy, 535.
Maillebois (comte de), 277-279.
Maine (duc du), 57.
Maintenon (Mme de), 65.
Maissagues. Voir Vivant.
Majastres. Voir Castellane.
Malidk (de), +434.
Mallet (W), 209.
Malouet, 237.
Mandklot de Laucez, 140, *493, 508.
Mandelot, neveu du précédent,
*50t.
Mannevillette. Voir Après.
Marcein. Voir Carné.
Marchainvillb. Voir Du Bosc.
Marciiis, 409.
Marcouvills (chevalier de), *504.
Marrncein de Chivrey, *521.
Mareij, 375.
Marynj, 96, 118, 221, 533.
Marie Leczinska, 73.
Marik-Thérèse, impératrice, 14,
239.
Mariony. Voir Jousselin,
Mauillac (Michel de), 5.
Marin (de), *506.
Mari ON. Voir Dufresnr.
Maritz (Jean), 228.
Mari.borouqh (duc de), 335, 336.
Marmontel, 87.
MARNiisRE (de), 179, *182, 409.
Marolles (chevalier de), *532.
Marquessac, 194.
Marquèze (comte) de La Garde,
*493.
Marquisan, 297, *506, 515.
Martel (de), 387, *498, 532.
Martini. Voir Orves (d').
M Assi AC ( Claude-Louis , marquis de >
221, 210, 243-246, 251, 276, 277,
294, 333, 409, 435, *493.
Massilian (chevalier de) l'aîné, *505.
Massilian le cadet, frère du précé-
dent, *505.
Matthbws, 148-156, 158, 174, 185,
289.
Maubouquet. Voir Pontevès.
Mauclerc Du Bouchet, *518.
Maudave (comte de), 299, 434.
Maupertuis, 104.
Maurepas (Jean-Frédéric Phély-
PEAUX, comte de), 29, 37, 68, 82,
85-89, *90, 91-108, 110, 117, 118,
135, 139, 142, 145, 150, 156, 157,
163, 184, 185, 186, 192, 193, 196,
205, 223-225, 229, 525.
Maurepas (comtesse de), 125, 146.
Maurice de Saxe, 143, 163-167, 171,
178, 343.
Maurville (Hippolyte-Bernard Bidé
de), 334, 391, 522, *538.
Melguiel. Voir Narbonnb.
Ménildot (de) de Rideauville, *520.
Menneville. Voir Du Quesne.
Mercier, *50c, 538.
Mercy-Argbnteau, 428.
Mkros. Voir Rosily.
Merville (de), *530.
Mesedern. Voir Lagadeck.
Mesnil-Durand, 471.
Meyronnkt Saint-Marc, *505, 515.
MÉZY. Voir Le Normant.
Mirabeau (Riqueti, chevalier, puis
bailli de), 94, 142, 156, 194, 243,
247, 290, 303, 331, 338, 339, 351,
366, 376, 415, 421, ^505.
MiRANDE (de) GUÉRIN, *519.
MiREPOix (marquis de), 149.
MissiESSY, *231, 436.
3t>
562
TABLE ALPHABETIQUE.
MoDÈNE (chevalier de), 528.
MoËLlEN. Voir GOUANDOUR.
MoËLiEN (de^, *258, 391.
MoissET, 102.
MOLLANDIN, 111.
MoNiER de Fausse, 490, ♦SOS, 514.
MONKTON, 393.
Monmerqué, 32, 58, 66, 79.
MoNNiKR. Voir Du Quesne.
MoNs (Jose[_,hde), *114, 115, 133.
Monsieur le Duc (Louis-Henri, duc
de Bourbon, dit), 72-74, 85.
MoNTALAis (de,, 256, 356, 382, *520,
530.
MoNTALAis, fils du précédent, 526.
MoNTALEMBERT (marquis de), 228.
MONTANDRE. Voir LoNGCHAMPS.
MoNTAUBAN. Voir Beaussier.
MoNTAZET (chevalier de) Amalvin.
*518.
MoNTBAzoN (prince de), chevalier de
RoHAN, 333, *521, 538.
MONTBRUN. Voir BOADES.
MoNTCALM, 16, 248, 276, 381-383,
387.
MoNTCALM Saint-Véran, *505.
MoNTECLKR (comte de), *520.
Monteil (chevalier ou baron de),
259. *534, 535.
MoNTESPAN (M""' de), 65, 136.
Montesquieu, 16.
MoNTFiQUET (chevalicr de), *521.
MoNTi, 124.
MoNTLAUR (de), *491.
MONTLOUET. Voir BULLION.
MoxTMAUR. Voir Dannat.
MoNïMÉJAN. Voir Saint-André.
MONTPLAISIR. Voir PÉRIER.
MoNTVERT. Voir Du Lac.
MooRE, 392.
Moras (de Peirenc, marquis de),
224, 240-243, 303, 399.
Mordaunt, 329, 332.
MoKÈs, 391.
MoROGUES. Voir Bigot.
Motiieux (de), 303, *505.
Mou/le d'Ange^-oille, 88, 89, 231, 259,
363, 404, 409, 457.
MoY (de), *505.
MuiN (chevalier de), *518.
MuRAT. Voir Saurin.
N
Nabuchodonosor, 130.
Nadau (de), 392.
Napoléon 1", 77, 131, 265, 297, 342,
343, 379, 445, 448, 452, 465, 522^
533.
Narbonne-Pelet-Melguiel (comte
ou baron de), *247, *506, 514.
Narbonne. Voir Sûrgues.
Nardin, 465.
Nas de TouRRis l'aîné, *505.
Navarro (don José de), 147-150,
153-155.
Nelson, 288, 355, 366, 436.
Nepveu, *534.
Nesmond (marquis de), 492.
Nesmond (Brib, chevalier de), fils
du précédent, 116, 120, 164, *491.
Neuville, viii, 234. Voir État som-
maire.
Newcastle, 257, 285, 296.
Nieul (marquis de) Ponte, *545.
No ailles (comte de), 511.
NoAiLLES (maréchal de), 149, 169,
271.
NoAiLLKs (Victoire de), 135.
NoGÉaÉE (chevalier) de La Fillièrk
l'aîné, *518.
Norman, 12, 84, 375.
NoROY. Voir Champigny.
NoRRis, 166.
Nouailles d'AYMÉ, *165.
NovARiN l'aîné, *506.
NuYS. Voir Cluonv.
0 (marquis d') de Villers, *114, 133.
Obry (d'), 209.
Odon Des Gouttes, *496.
Ogle, 137.
Ollivier (Biaise), 101, 102,544.
NOMS DE PERSONNES.
563
Opï'Ède (d'). Voir Forbin.
Ordelin (d'), 214, 215.
Orléans (f"HiLipPE II, duc d'), le Ré-
gent, 21, 27, 29, 31, 34, 37-39, 41-
44, 46, 48-50, 54, 55, 58, 63, 71-73,
77, 88, 128, 132, 162, 493.
Orléans (chevalier d'), fils du précé-
dent, 94.
Orléans (duc d') (Philippe- Égalité),
533.
Ormay 'd'), 471.
Orry, 208.
Orsonville (d'), 185, *498.
Ortières (d*). Voir Gravier.
Ortigues (d') l'aîné, *506, 515.
Orves (d') Martini, 116, 121, 158,
159, 16l', *491, 493.
Orvilliers (Louis Guillouet, comte
d'), 231, 431-433, ^530, 538, 545.
OSBORNK, 301-303.
Osères (d'). Voir Pardaillan,
OssAT (cardinal d'), 2-4, 74.
Ouessant. Voir Heussaf.
OZANNE, 448.
Pallière. Voir Cristy.
Pannat (comte del, 309, *507, 514,
530, 538.
Paoli, 436.
Parcbvaux (chevalier de), *496, 503.
Pardaillan (d'OsÈRES, comte ou
marquis de), gouverneur du duc
de Penthièvre, *13ô", 142,
Pardaillan (Louis de), marquis de
GONDRIN, 136.
Pardaillan-Gondrin, 111-113.
Pardaillan. Voir Antin (d'),CAYLUS.
Paris-Duvkrnev, 298, 483.
Paris-Jallobert, 334.
Parscau. Voir Du Plessis.
Parseval-Deschènes, 120.
Parsevaux (René Kéramel de),
*127.
Pas de Feuquières, 427.
PaSTOUR de COSTEBELLE, *506.
Payan. Voir La Garde.
Peirenc (de). Voir Moras.
Peirolles (de), *505, 514.
Pelet. Voir Narbonne.
Pellerin, 544.
Penandreff de Kersauson, *520.
Penfentenyo, *520.
Penthièvre (Louis de Bourbon, duc
de), n35, 136, 537.
Penzé de MoiiLiEN. Voir Gouandour.
Pépin de Belle-Isle, *333.
Perez (Antonio), 4.
PÉRiER l'aîné, *194, 197, 382, 390,
492, 516, 528.
PériePv de MoNTPLAisiR, second fils
de Périer l'aîné, *521.
PÉRIER de Salvert, frère de Périer
l'aîné, 194, 257, *491, 516.
Périer de Salvert, fils du précé-
dent, *515.
Perrot. Voir Fercourt.
Peynikr, *535.
Peyssonnel (André), 117.
Peyton, 211-213.
Phélypeaux. Voir La Vrillière,
Maurepas, Ponciiartrain.
Philippe V, 11, 38, 43, 49, 50, 73,
74, 132, 147, 153, 155.
Philippe (infant don), 149, 157.
PiCAULT (Lazare^ 205.
PiCQUET. Voir La Motte.
Pidansai de Mairohert, 106.
Piérard (M-"'), 378.
PiGACHE. Voir La Comté.
Pilles (chevalier de), 509.
PiNGRÉ, 427.
PiosiN (chevalier de), 140, 157, 158,
227, *491, 493.
PiTT (William), lord Chatham, 262,
296, 309, 328, 438.
Plas (de), *545.
Plélo (Bréhan de), 121-128, 316.
Plélo (comtesse de), 125, 127.
Plessis Boterel, 258, *519,
PococK, 401-404, 406, 407.
PoiNTis, 82, 134, 185.
PoMPADOUR (marquise de), 91, 223,
226, 239, 240, 244, 246, 250, 324,
376, 378, 413.
564
TABLE ALPHABETIQUE.
PONTCHARTRAIN (Louis PhÉLYPEAUX,
comte de), 22, 28, 29, 68, 88.
PoNTCHARTRAiN (Jérôme Phély-
PEAUX, comte de), fils du précé-
dent, 22, 27-30, 33, 57, 58, 68, 87,
90, 243.
PONTK. Voir NiEUL.
PoNTEViiS Maubousquet, *506.
PoNTLEROY (Beaulieu de), *442.
Porter, *498.
portmartin, *520.
Ports marithnes de la Finance, 46.
PouLcoNCQ (chevalier de), *198.
Praslin. Voir Choiseul.
Précourt. Voir Bouvet.
Prémontal (M. de;, 234.
Prétendant (le) ou le chevalier de
Saint-Georoe (Jacques-Edouard),
41, 42, 48, 130, 163.
Préville. Voir Roussel.
Prévost (chevalier) de Traversay,
*521.
Prie (marquise de\ 73-75,77.
PuisiEUx (marquis de), 523.
PUSIGNIEU, 301.
Q
Quart i chevalier de), 2t56.
QuiEz. Voir Beaussier.
Quinette de La Hogue, 322.
R
Rabeau. Voir Du Bois.
Racine, 65.
Radouay (Renault de), *491.
Rafélis. Voir Broves.
Raimond (bailli de) d'EAUx, *505, 538.
Raîmondis (chevalier de), *515.
Raimondis (de) Canaux, 308, *504,
514.
Rathery, 122.
Raymond (comte de), 337.
Rays (de). Voir Du Breil.
Réals (chevalier de), *535, 545.
Régent (le). Voir Orléans (;ducd').
Renau d'ÉLiçAG aray, dit le petit Re-
Dau, 31, •33.
Renault. Voir Radouay.
Rf.pentiony, *521,
Retz (chevalier de). Voir Du Croizbt.
Richelieu (cardinal de), 2, 4-6, 8,
11, 19, 37, 68, 74.
Richelieu (maréchal duc de), 91,
139, 145, 169-171, 271 273, 277,
279-282, 285, 287, 291-293, 295, 297,
298.
RiCHMOND (duc de), 438,
Ricouart (de), 529.
Rideauville. Voir Ménildot.
RiGAUD. Voir Vaudreuil.
RiQUETi. Voir Mirabeau.
Rivièr {Henri), viii.
ROBINAULT, 257.
RociiAMBEAU (César-Gabriel de Vi-
MEUR, seigneur de Vendôme), 146,
147,*491.
RocHAMBEAU (comte de), maréchal
de France, 146, 277, 280, 371, 438.
RocHECHOUART (vicomto de), *545.
RocHEMORE La Devèze, 308, *505,
514, 538.
Rochon. Voir La Peyrousb.
Rodier, 421, 544.
RoDNEY, 347, 351, 367, 393.
ROHAN. Voir MONTBAZON.
RoQUEFEUiL (comte d'^), *138, 146,
164, 166, im.
RoQUEFEUiL (comte de), fils aîné du
précédent, 367, 422, *500, 537.
ROQUEFEUIL (vicomte de), frère cadet
du précédent), 141, *498, 539.
RosiLY de Méros, *530
RosMADEC. Voir Saint-Allouarn.
RosTAiNG (de), colonel, 257,
RosTAiNG (de), lieutenant général,
211, 214.
Rouillé (Antoine-Louis de), comte •
de JouY, 224, 225, 227-230, 234,
235, 245, 251.
ROUILLÉE, 171.
Roussel (chevalier) de Prévillb,
391, *520, 547.
Roussel (chevalier) de Prévillb ca-
det, frère du précédent, *520.
Rouvroy (marquis de), 517.
NOMS DE PERSONNES.
565
RowLEY, 151, 152, 154.
RoYB. Voir Anville {d').
RoziLY (de), 525.
Ruis (de), 381, *535.
Ruis Embito de La. Cheswardière,
*329, 544.
S
Sabran de Grammont, 303, 307, 308,
310, 311, *505, 514, 538.
Sabran. Voir La Clue (de).
Sades (de), 187, *498.
Sainï-Aignan (duc de)^ 509.
Saint-Aignan (Paul-Hippolyte de
Beauvillier, marquis de La
Ferté), fils du précédent, 309,
311, *505, 514, 538.
Saint-Allouarn l'ainé, 178, 3(52,
*521.
Saint-Allouarn, fils du précédent,
*528.
Saint-Allouarn (Rosmadec de),
frère de Saint-Allouarn l'aîné, 170,
179, 258, 362, *521.
Saint-André l'aîné, 356, *498, 520,
527.
Saint-andré Du Verger, frère du
précédent, 353, 356, 361, 499, *520.
Saint-André Montméjan, *506.
Saint-André Montméjan, *507.
Saint-Cézaire (de), 434, *514.
Saint-Clair (Jacques de), 174-176.
SAINT-Df-NIS de VlEUXPONT, *520.
Saint-Estkve. Voir Rouret.
Saint-Geokge (le chevalier de). Voir
PsÉTb-NDANT (le).
Saint-Georges (Grout, chevalier
de), *180, 181, 183, 215.
Saint-Germain (de), *116.
Saint-Germain (comte de), 472, 473.
Saint-Hilaire, 176.
Saint-Hippolyte. Voir Albert (che-
valier d').
Saint-Jeurs.. Voir Castellane.
Saint-Julip^n, *514.
Saint-Laurent. Voir Barras, Sar-
TRKS.
Saint-Lbobr, *535,
Saint-Léger {A . de), 47.
Saint-Légier de La Sausaye, *520.
Saint-Marc. Voir Meyronnet.
Saint-Médard (de), 532.
Saint-Pern, *520.
Saint-Pern (de), lieutenant géné-
ral, 534.
Saint-Pierre. Voir Bernardin.
Saint-Prix, *521,
Saint-Simon, 29, 31-33, 39-41, 43, 49,
51, 58, 65, 71, 72, 76, 78, 82, 84,
88, 89, 90, 92, 162, 167, 172.
Saint-Tropez. Voir Clapmir, S»r-
FRBN.
Saint-Véran. Voir Montcalm.
Saint-Vigtorbt, *519.
Saintb-Aulaire. Voir Beaupoil.
Sainte-Croix, 42.
Sainte-Croix (chevalier de), 368,
369.
Sainte-Maure (Charles i'Aueé, m«r-
quis de), *137.
Salies (chevalier de), 182, *496.
Salle, 87.
Salvert. Voir Périer.
Sandford Terrxj, 168.
Sanzay (vicomte de), 357, 363, 367
*520.
Saqui (de) Destourès, *504.
Sartine (de), 431, 434, 451.
Sartres (de) de Saint-Laurent,
*530.
Saunders, 304, 388, 387. •
Saurin, baron de Murât, 142, *493.
Saurin de MuRAT,fîls du précédent,
117, *530.
Savignv. Voir La Guarioub.
Séchelles (,de), 264.
Secondât, 237.
Séol^iran (de), *519.
Ségur Cabanac, *504.
Ségur-Dupeyron, 455.
Seignelay, 8, 9, 22, 24, 28, m, 86,
105, 109, 273. 418, 422, 481.
Selve (de), *514.
SÉMERViLLE {chevalicr de), *547.
Sempill (lord), 163.
566
TABLE ALPHABETIQUE.
Seran de La TouVi 253.
Sherley, 178.
Shudham, 390.
SiBON, 297. •
Silhouette. 15, 252, 264, 275.
SiRLHEY, 178.
SoREL (de), *518.
SoRGUES (Narbonne de), *493.
SouBisE (maréchal, prince de), 346,
379.
S ou LANGE (comte de), *520.
Soupire (chevalier de\ 3^9.
Spont, 117.
Stair (lord), 44.
Stanhope (lord), 45,
Stanislas Lecz!Nski, 121-124.
Stevens, 400, 404.
Sue (Eugène), 66.
SuFFREN (chevalier do) de Saint-
Tropez, 99, 151, 188, 194, 256, 288,
290, 406, 431, 437, *514, 547.
Sully (duc de), 500.
Surville aîné, 535.
SuRViLLE cadet, 535.
Suville. Voir Cillart.
Taffanel. Voir La Jonquière.
Taillade. Voir Faudran.
Tancrède, chevalier de Caumont.
391, *521.
Taneguy. Voir Du Chatel.
Taulanne. Voir L'Isle.
Taurin (chevalier de) cadet, *507,
512.
Taurin Dannat l'aîné, frère du pré-
cédent, *506, 513.
Tayac de Calvimont, *154.
Telincoukt. Voir La Touche.
Temple-West, 258, 286, 288-290.
Tencin (cardinal de), 162, 163, 168.
Tercier, 465.
Ternay (chevalier de) d'ARSAC, 371,
372, 388, 389, *521, 532, 534.
Terran (de), 527.
Tbrray (abbé), 233, 428.
Tessé (Froulay, maréchal de), 31,
*33.
Thémistocle, 1.
Thierry, 328.
Thiers, 482.
Thoman, 116, 414.
Thomas. Voir Chateauneuf.
Thoranc (de), *503.
Thurot (François. ,321, 345, 373-375.
TiLLY. Voir Grasse, Le Gardeur.
TiVAS, Voir Beadlieu.
Tivas le Brave, 500.
Torcy, 43.
Torrington. Voir Byng.
Toulouse (comte de), 12, 27-29, 31,
*32, *56, *57, 58, GO-66, 70, 86, 87,
91, 95, 116, *135, 146, 185, 495, 499.
TouRNON (chevalier de), *514.
TouRONEC de GoRCQUER, *520.
TouROS, 102.
TouRRis. Voir Nas.
TouRTiLLE, 9, 32, 131, 146, 167,310,
364.
TouRViLLE (chevalier de), petit-fils
du précédent, 178, *532.
TOWSEND, 199.
Traversay. Voir Prévost.
Trédern Du Dresnec, *496, 519.
Trémarec. Voir Kkrguelen.
Trémigon, *521.
Tressemanes ichevalier de), 436,
*506, 514.
Tressemanes (chevalier de) Brunet,
*504.
Tressemannes (chevalier de) Chas-
TEUIL, *507.
Tréville (chevalier de), 377.
Tréville. Voir La Touche.
Tronjoly, *518.
Troude, 353, 530, 536.
Truguet, *507.
Truguet (Laurent), frère du précé-
dent, 420, 421, 512.
Tulau, 331.
Turenne, 293.
Turgis. Voir Colbert.
Tu ROOT, 418, 428, 431.
Turgot (chevalier), 434.
NOMg DE PERSONNES.
567
TuRGOT. Voir Vendes.
TuRPiN Du Breuil, *518.
U
Urre (chevalier d'), *505.
Urtubie (chevalier d') Fagosse, *519,
530.
UssoN (d'). Voir Bonrbpaus.
Valincour (Henri Du Trousset de),
32, 58, 65-70, 79-81, 86, 87, 89, 128.
Vallière (marquis de), 380.
Valmenier, *519.
Valmenier Cacqueray, *521.
Valois, Voir Villettk.
Vassan (de), *520.
Vattan (chevalier, puis bailli de), *25 .
Vauban, 45, 102, 336, 418.
Vaueois, 297.
Vaudreuil (RiGAUD l'aîné, comte
de), 157, 187, 3^8, *498.
Vaudreuil (Rigaud, marquis de) ,
ûls aîné du précédent, *500, 545.
Vaudreuil (Rigaud, comte de), frère
cadet du précédent, *500, 545.
Vauquelain, 386-388.
Vauvert. Voir La Motte.
Vauvré (Girardin de), *31, 26, 33.
Veissière de Larivaux La Barre,
*518.
Vendes (de) Turgot, *532.
Vendôme. Voir Rochambeau.
Venel (de) l'aîné, *505, 515.
Venel ^de) le jeune, *505, 509, 514.
Vento (chevalier de)DES PENNas,*515.
Verdun de La Crenne, *427.
Verelausk. Voir Barjeton.
Vergennes, 255.
Vériguan. Voir Lort.
Vernet, 424.
Vbrnon (amiral), 134, 137, 169.
Vernon, 154.
Vertrieux. Voir La Poypb.
ViALfs (de), *547.
ViARMES (de), 529.
Vie de Du Guay-Trouin, 34.
Vieîlechèze {de), 353.
Vienne (Jean de), 446.
Vienne (marquis de) de Busssh-
rolles, *116.
Vienne. Voir Fragnier.
ViEuxpoNT. Voir Saint-Denis.
Vilarzel (de) d'HÉLiE, *507.
Village (chevalier de) Villevieille,
*514.
Villars (maréchal de), 12, 22, 23.
ViLLARS de La Brosse, 370, *505,
518, 539.
ViLLEBLANCHE (de\ 150, 277.
Villehuet. Voir Bourde.
Villeneuve (de), 525.
Villepatour. (de), 386.
Villers (de). Voir 0 (d').
Villers (de Franssurks), 226, *538.
Villers (chevalier de) Franssures,
fils du précédent, *521.
ViLLBRS Franssures de Brissau-
couRT, frère du précédent, *520,
Villers de Grassv, *520.
ViLLETTB (Philippe de Valois, mar-
quis de), *32, 56.
Villevieille. Voir Village.
ViMEUR. Voir Rochambeau.
Vivant de Maissagues, 265.
Voltaire, 16-19, 23, 133, 169, 203,
221, 223, 224, 339.
VoLUDE. Voir Lage (de).
Voutron (de), *539.
W
Waddington (R.), 255, 257.
Walpole (Horace), 75-79, 92.
Walpole (Robert), 75, 77, 78, 106,
130, 134, 143, 148.
Walsh, 168.
Warren, 192.
Watson, 400.
Wellington, 9.
West, Voir Temple-West.
Wiesener, 43, 45-47, 50.
Willaumez. Voir Bouet.
Witt{C. de), 441,443.
Wolfe, 387.
TABLE ALPHABÉTIQUE
DES NOMS DE NAVIRES
FRANÇAIS
VAchiîle, 123, 292, *507, 528, =^530.
L'Achille (C* des Indes), 209, 211-
214.
L'Actif, *535, 542.
L^ Actionnaire, 542.
L'Aigle, 254.
L'Aigrette, 362, 521, *545.
VAlcide, 182. 200,218,255-257,259,
398, *503.
L'Alcyon, 115, 116, 199, 493, 523.
L'Alexandre, 542, *545.
L'Altier, 436.
L'Améthyste, 254.
L'Amphion, 542.
L''Anémone, 259.
L'^ri^Zeset/ (C'« des Indes), 216.
U Apollon {O' des Indes), 216.
L'Aquilon, 136, 142, 154, 334, *493.
L' Arc-en-ciel, 200,
L'Ardent, 119, 120, 140.
L'Aréthuse, 386.
L'^?'^oîiau{e, 123, 165, *491.
UArtésien, 416, 542.
L'.4ssMr^, 117.
L'Astrée, 115, 123, 125, *491.
L'Atalante 200, 201,390, *493.
LU^aZawte (capit. Vauquelain), 387
388.
L'Auroj'e, *545.
La Badine, 178.
La Badine (C* des Indes), 111.
La Bayonnaise, 529.
La ^eZZe PowZe, 433, 496.
Le Belliqueux, 387, 398, *530, *532.
La Bellone, 171.
La Biche, 534, *547.
Le Bien- Aimé, 542.
Le Bien-Aimé (C*e des Indes), 401,
402.
Le Bienfaisant, *532.
Le Z?izarre, 257, 358, 361, *521, *530,
542.
Le Bordelais, 542.
Le Borée, 142, *493.
La Boudeuse, A2Q.
Le Bourbon, 120, 138, 139,492, 522,
531.
La Bourgogne, 416, 543.
La Bretagne, 416, 542.
Le Brillant, 125, 362, 372, *520, 527,
*532, 542.
Le Brillant (C'e des Indes), 214,
216, 532.
La Brune, 530.
Le Bucentaure, 533.
La Calypso, 362, 521.
Le Caméléon, *547.
Le Capricieux, 329, *532.
Le Casfor, 185, 187, *498, 501.
Le Caton, 543.
Le Célèbre, *530, *532.
Le Centaure, 307,308,310,311, *514.
Le Centaure (€'• des Indes , 214,
216, 535.
Le Cerf. volant, 433, *545.
Le César, 543.
Le Chameau, 103.
NOMS DE BATEAUX.
569
Le Chariot Hoyal, 226.
Le Chariot Volant, 226.
Le Chauvelin, 373.
La C/iim ère, 30 1,306, 436,*515,*547.
Le Citoyen, 416, 542.
La Comète, *532.
Le Comte de Maurepas (C» des
Indes), 113.
Le Comte de Provence{0^ des Indes),
401, 402, 404, 535.
Le Conquérant, 121, 161, *491, 542.
Le Content, 161, 165, 197, *505.
Le Courageux, 525.
La Couronne, 279, *504, 542.
La Cybèle (C" des Indes), 216.
Ldi Danaé (C'« des Indes), 111.
Le Danube, *547, 548.
Le Dauphin Royal, 165, 256, 358,
360, *519, 524, *530, 542.
La Dédaigneuse, *545.
Le Défenseur, *530.
Le Destin, 543.
Le Diadème, 393, 523, *530, 542.
Le Diamant, 140, 141, 182, *493, *496.
La Diane, 159.
Le Diligent, 542.
Le Diligent (C* des Indes), 111.
La Diligente, 401, 402.
Le Dragon, 362, 372, 386, *519, 524,
*532.
Le Duc de Bourgogne, *530, 542.
Le Duc de Bourgogne (0'° des In-
des), 402, 404, 535.
Le Duc d'Orléans, *493.
Le Duc d'Orléans (C'e des Indes),
214,535.
L'Éléphant, 500.
VÉlisaheth, 120, 167.
L'Émeraude, 181, *496, 497, 500.
L'Entreprenant, 255, *532.
L'Éole, *493.
L'Espérance, 115, 116, 150, 258, 259,
*493.
L'Espiègle, 434.
L'Espion, 178.
L'Etna, *547.
L'Éveillé, 254, 362, 372, 389, *520,
526, *53C, *534, 542.
Le Fantasque, 306, *blb, 543.
La Fée, 137.
Le Fendant, 542.
Le Ferme 135, *493, 542.
La Fidèle, 334, 406.
Le Fier, 306, *506, *515, 542, *545.
Le Flamand, 542.
Le Fleuron, 120, 124-126, 165, *491,
503.
La Flore, 142, 427, *493.
Le Florissant, 392.
Le Formidable, 254, 356, 383, 386,
499, *520, *530.
Le Fortuné (C'e des Indes), 535.
Le Foudroyant, 146, 279, 283, 293,
304, 487, *504.
Le Fougueux, 137, 186, ^498.
La Galatée, 170, 178, 179.
La Garonne, 534.
La Gloire, 123, 126, 165, 179, 182,
199, *491, *496, 497.
Le Glorieux, 362, 372, *518, *530,
542.
La Gracieuse, 286, 306, ♦506, *515,
*547.
Le Grafton, 116.
Le Griffon, 116, *491.
Le Guerrier, 308, *505, *514, 543.
La Guirlande, 398,
Le Hardi, 387, *532, 543.
L'Hébé,'iÇ>2,*:>2\.
L'Hector, 2^-3, 301, 383, *507, *530.
L'Henry, 53.
L'Héroïne, 254, *5 17,
Le Héros, 254, 357, 362, 363, 367,
382, *520, *530.
L'Heureux, *491, *493.
L'Hippopotame, 289, *505, 542, *545.
L'Hirondelle, 433, *507, *547.
L'Illustre, 3H2. 406, ^535.
L'Inconnu, 117.
L'Indien, 542.
L'Inflexible, 254, 362, *521, *530,
531.
L'Intrépide, 187, 201, 357, 360, 390,
*498, 500, *519, 542.
L'Invincible, b\, 180, 183.
L'Isis, 427, 432, *545.
570
TABLE ALPHABETIQUE.
. Le Jason, 180, 181.
La Junon, 299, *506.
Le Juste, 357, 362, *521.
Le La Galissonnière, 301.
Le Languedoc, 139, 416, 543.
Le Léopard, 115.
Le Lévrier, 546.
La Licorne, 382, 383, *534, *547.
Le Lio7i, 279, 306, *505, *515, 542.
Le Ltjs, 165, 180, 214-216, 255-257,
259, *503.
Le Magnanime, 199, 200, 218.
Le Magnifique, 230, 346,358,361, *520.
Le Maréchal de Belle-Isle, 373, 375.
Le Marengo, 120.
La Marie-Gertrude (C'^ des Indes),
214.
Le Mars, 165, 171, 197, 198, 542.
Le MarsiO' des Indes), 214,216.
hQ Marseillais, 416, 543.
La Médée, 165, 182.
La Méduse, 123, *491.
Le Mercure, 140, 185, *491.
La Mignonne, 437.
La Minerve, 306, *515.
Le Mmotaj^re, 406, *535, 536, 542.
Le Modeste, 3U9, 310, *515.
Le Monarque, 186, 188, *498, 499.
Le Moucheron, 546.
La Mutine, 178, 179.
Le Neptune, 119, 165, 167, 184, 186,
199, *487, *498.
La Noire, 362, 521.
Le Northumherland, 177, 194, 198,
358, 360, *519, 542.
La Nymphe, 299, *506.
L'Oceaw, 302, 305, 306-310, *514.
UOiseau, 305, *545.
L'Opiniâtre, 258, 391.
L'Orient, 352, 358, 360, *518, 542.
L'Oriflamme, 159, 161, 304, 306, *515.
L'Orphée, 227, 290, 303, *505.
Le Palmier, 254, 529, 542.
La Parfaite, 140.
La Pénélope, 536.
Le Petit Triton {O* des Indes), 111.
La Pléiade, 304, 305, ♦547.
La Pomone, 388.
Le Protecteur, 436, 542, 543.
Le Pilotée, 542.
La Provence, 543.
Le Prudent, 329, *532.
La Pwce, 545.
Le Raisonnable, 333.
Le MedoutaUe, 279, 289, 309, *504,
*514.
Le Réfléchi, 542.
Le Renard, *547.
La Renommée, 177, 178, 194.
Le Requin, 221 .
Le Robuste, 362, 372, 389, *519,524,
*534, 542.
Le Roland, 542.
La i?ose, *506.
Le Royal Louis, 394, 542.
Le iÏM&is, 182, 199, ^496, 525.
Le Rusé, 228.
Le Sage, 290, *o05, *530.
Le Sagittaire^ 543.
Le Saint-Esprit, 116,416, *493,542.
Le Saint-Géran (C'des Indes), 209.
Le Saint-Louis, *491.
Le Saint-Louis (C'e des Indes), 214,
535.
Le Saint-Michel, 542.
La Salainandre, *547.
Le Sceptre, 542.
Le Séduisant, *547.
Le Sérieux, 179, 183, *493, 496.
Le Serin, *545.
Le Seuern, 186, 200, *498, 500.
Le Singe, 437, *547.
La Sirène, 200, 254.
Les Six Corps, 542.
Le Soleil Royal, 318, 352, 355, 357-
359, 361-363, 365, 366, *518.
Le Solide, 151, *493.
Le Solitaire, 358, 360, *519, 542.
Le Souverain, 309, *514, 543.
Le Sphinx, 362, 386, *521, 529, *532,
542.
La Subtile, 196.
La Sultane, 436.
Le Sumatra \0^ des Indes), 214.
Le Superbe, 164, 165, 356, 357, 398,
501, *520, 526, *530.
NOMS DE BATEAUX.
571
La Surveillante, 372.
La Sylphide, 536.
Le Téméraire, 309, 310, *504, *514.
La Terpsichore, 432, *545, *547.
Le Terrible, 150, 179, 186, 199, *493,
*49S.
Le Thésée, 356, 357, *519, 525.
Le Tigre, 114, *491,*493.
Le Tonnant, 185, 187, 188, 301, 358,
360, *498, 499, *519, *530, 543.
La Topaze, 297, *506, *547.
Le Toulouse, 53,115, *491, *493.
La Tourterelle, *545.
Le Trident, 186, 194, *493, *498.
Le Triomphant, 500.
Le Triton, 280, 306,*491,*505, *515,
542.
Le Triton (C'» des Indes), 111.
U Union, 437, 542.
V Utile, 436, *547.
Le Vaillant, *530, 543.
Le Vengeur, 330, 542.
Le Vengeur (C* des Indes), 401, 535.
La Vestale, 51, 362, 372, *521.
La Victoire, 542.
La Vierge de Grâce (C* des Indes),
m.
Le Vigilant, 192, 193.
La Ville de Paris, 5 12.
La Volage, 159, *493.
Le Zélé, 543.
Le Zéphir, *493, *532.
Le Zodiaque, S9S, 401, 404,406,407,
*535, 536, 542.
ANGLAIS
Le Berwick, 152.
Le Blankford, 260.
Le Bristol, 1S2.
Le Buckingharn, 258, 286.
Le Colchester, 334.
Le Devonshire, 183.
Le Dorsetshire, 333.
Le Dover, 178.
Le Duc de Cumberland, 178.
Le Dunkirk, 256, 257.
Le Falkland, 183.
La Galère de Gênes, 309.
Le Grafton, 382.
Le Greenwich, 383.
L'Intrepid, 288, 290.
Le Lancaster, 286.
Le Lynx, 334.
Le Magnanime, 330.
Le Marlborough, 151, 154 .
Le Monarch, 297.
Le Monmouth, 304,
Le Namur, 151, 183, 306.
Le Newark, 307.
Le Norfolk, 151.
Le Nottingham, 182, 382.
L'Orford, 258, 259.
Le Pembroke, 182.
Le Portland, 196.
Le Prince George, 182.
Le Qu^&ec, 372.
Le Ramillies, 286.
L' Unicom, 372.
Le Warwick, 390.
Le Winchelsea, 196.
Le PTincZsor, 182.
Le Farmou^/i, 401, 407.
ESPAGNOLS
Le Constante, 151, 152.
L'Hercule, 154.
L'Jsa&eZZa, 151, 152.
Le Poder, 151, 152, 154.
Le JîeaZ Felipe, 150-155.
RUSSE
Le Mittau, 127.
TABLE ALPHABÉTIQUE
DES PRINCIPAUX NOMS GÉOGRAPHIQUES
Acadie, 252.
Aix (île d'), 328-333.
Alger, 114-117, 436.
Ambleteuse, 342, 344, 448.
Angoulin, 331.
Annapolis. Voir Port-Royal.
Antibes, 160.
Antilles françaises, 389-393.
Antongil (baie d'), 210, 434.
Ayre (île d'), 281,287.
Bantry (baie de), 9.
Bayonne, 67, 69, 102, 419.
Belle-lie, 20, 176, 367-370, 411.
Bender-Abbas, 410.
Berlenga (îles), 197.
Berry icap), 166.
Béveziers (bataille du cap), 10, 131.
Bizerte, 436.
Bomarsund, 120.
Brest, 24, 94, 100-102,'104, 316, 324,
328, 384, 385, 417, 418, 424, 428,
430.
Bristol, 387.
Calais, 11.
Camaret, 11.
Cancale, 2i6, 335, 336.
Cap Breton (île du). Voir Royale
(île).
Cardinaux (bataille des), 353-366.
Carrickfergus, 374, 375.
Carthagène, 302-304.
Carihagèno des Indes, 82, 134.
Cayenne, 259.
Cépet (cap), 145, 148.
Cherbourg, 102, 246, 335, 336.
Chibouctou, aujourd'hui Halifax,
177, 195.
Ciboure, 69.
Ciudadela, 281-283.
Corse, 285, 297, 434-436.
Cronstadt, 120,
Culloden, 171, 173.
Danzig, 119, 123-127, 317.
Dieppe, 11.
Dominique (la), 393.
Dunkerque, 13, 45-47, 77, 81,92, 101,
219, 373, 438.
Falkland (îles), 439.
Finisierre (bataille du cap), 185-
188.
Flessingue, 77.
Fornells, 281.
Fort-Dauphin, 434.
Fort-Koyal. Voir Martinique.
Foule-Pointe, 216, 399.
Fouras, 328-331.
France (îie ;de), 54, 204, 207, 215,
218.
Gênes, 24, 149, 435.
Gibraltar, 13, 48,51,92, 133,313.
Glénans (les), 178.
Godéteur (?) (cap de), 138.
Gorée, 245.
Goudelour, 216, 217, 401, 402.
Guadeloupe (las 18, 392, 393.
Guernesey, 81, 319 =
PRINCIPAUX NOMS GEOGRAPHIQUES.
573
Halifax. Voir Chibouctou.
Houat et Hoëdik (îles), 176, 355.
Jamaïque (la), 444.
Jersey, 81,320, 322,380.
Karikal, 403, 404.
Lagos (bataille de), 305-310.
La Havane, 393
La Hougue (bataille de), 4, 10, 38,
26S, 364.
Larache, 436, 437.
Le Croisic, 362, 364-366.
Le Havre, 11, 226, 351, 433, 434.
Le Passage, 69.
Lérins (îles de), 160, 172.
Levant (échelles du), 436, 437.
Londres, 9, 79, 168, 469.
Lorient, 109, 173-177, 196, 417.
Louisbourg, 191-193, 196, 200, 220,
228, 246, 382-385, 532.
Louisiane (lai, 165, 439.
Madagascar, 434.
Madras, 203, 213, 214, 217-220, 400,
403, 406.
Mahé, 111, 112, 207, 208.
Mahé (île), 205.
Majorque, 280, 285.
Malaga. Voir Vêlez.
Malte, 297.
Man (île de), 375.
Mardick, 46, 47, 56.
Marseille, 23, 94, 156, 222, 234,
415.
Martigucs, 23.
Martinique (la), 18, 111, 198, 199,
391-393.
Mascate, 410.
Minorque, 13, 48, 51, 92, 271, 272,
276, 280-286, 291, 293, 298, 300,
304, 411.
Mogador, 437.
Moka, 113, 114.
Montréal, 388.
Natchez (les), 165.
Negapalam, 211, 212.
Ortegal (combat du cap), 179-184.
Ouistreham, 367.
Passero (bataille du cap), 50.
Penmarc'h, 258.
Pensacola, 53.
Péré (pointe de), 166.
Pondichéry, 203, 207, 209, 211-215,
218, 220, 400-404.
Pontcroix, 356.
Port-Egmont, 439.
Port-en-Bessin, 367.
Port-Louis, 109, 174, 177.
Port-Louis. Voir France (île de).
Port-Mahon. Voir Minorque.
Porto-Novo, 406.
Port-Royal, plus tard Annapolis,
193.
Québec, 220, 257, 384, 385.
Quiberon, 176.
Quimperlé, 175.
Rio de Janeiro, 12, 83, 185, 394,
400.
Rochefort, 26, 94, 100, 101, 104,327-
330, 332, 333, 366, 417, 428.
Royale (île), aujourd'hui du cap Bre-
ton, 191-193. Voir Louisbourg.
Ruelle, 228.
Sablettes (anse des), 305.
Saint-Bai'thélemy (île), 197.
Saint-Cast, 246, 338, 339.
Saint-David (fort), 401, 403.
Saint-Domingue, 18, 199-201, 393.
Saint-Florent, 297, 298, 435, 436.
Saint-Jean-de-Luz, 69.
Saint-Malo, 11, 67, 334, 335, 337.
Saint-Martin (île), 197.
Saint-Philippe (fort), 282, 285, 286,
292, 293, 2H8, 299.
Saint-Servan, 335, 336.
Saint-Tropez, 148.
Sainte-Catherine (île), 215.
Sainte-Hélène (île), 409, 410.
Sainte-Lucie, 252.
Sainte-Marie-de-Madagascar, 210.
Salé. 117, 437.
Sallenelles, 367.
Scamandre (le), 14, 20, 239.
Sousse, 436.
Sumatra, 215, 410.
Tabarca, 117,436.
Tahiti, 426.
Terre-Neuve, 3^8, 389.
574
TABLE ALPHABETIQUE.
Tiburon (bataille du cap), 140.
Toulon, 13, 23, 24, 94, 101, 104,
118, 157, 159, 222, 417, 418, 428,
430.
Toulon (bataille navale de), 150-
155.
Tripoli, 115, 116.
Tunis, 114-116, 436.
Velez-Malaga (bataille de), 12, 32,
56, 146.
Vigo (baie de), 12.
Vilaine (la), 249, 359, 362, 370-â72.
Villefranche, 157.
Waterloo, 9.
Yeu (île d'), 178, 367.
Zaffarines (îles), 437.
TABLE DES MATIÈRES
Avant-propos 7ii
CHAPITRE PREMIER
ROLE DE LA MARINE DANS L\ GRANDEUR POLITIQUE DE l'aNCIENNE FRANCE
Le cardinal d'Ossat. — Richelieu, — Colbert. — Les vicissitudes de
la marine sous Louis XIV. — Préjugés contre la marine et les co-
lonies sous Louis XV 1
CHAPITRE II
LNSTITUTION DU CONSEIL DE MARINE
Etat de la marine en 1715. — Disgrâce de Jérôme de Pontchartrain.
— Composition du Conseil de Marine 21
CHAPITRE III
LA MARINE ET LA POLITIQUE EXTÉRIEURE DE LA REGENCE
Les économies du Conseil de Marine. — Le revirement de la politique
extérieure. — La tentative du Prétendant. — Dubois aux Affaires
étrangères. — La question de Dunkerque. — La Triple Alliance.
— Guerre entre la France et l'Espagne. — Le Dépôt des cartes et
plans 35
CHAPITRE IV
LE COMTE DE TOULOUSE ET VALINCOUR ! LEURS MÉMOIRES SUR LA MARINE
La carrière du comte de Toulouse. — Raisons de son mémoire au
roi sur la marine. — Analyse de ce mémoire. — De l'emploi des
diverses unités navales. — De la nécessité des constructions mari-
timee. — Valincour. -- Analyse de son mémoire sur la marine, , 15
576 TABLE DES MATIERES.
CHAPITRE V
LA POLITIQDK MARITIME DE MONSIEUR LE DUC ET DU CARDINAL DE FLEURY
Monsieur le Duc premier ministre. — La marquise de Prie. — Fleury
premier ministre. — Ses relations avec Horace Walpole. — Valin-
cour et son mémoire sur l'état de l'Europe. L'alliance anglaise,
societas îeonina. — Cassard enfermé à Ham. — La situation maritime
à la mort de Fleury 71
CHAPITRE VI
MADREPAS, SECRÉTAIRE d'ÉTAT DE LA MARINE
Réputation traditionnelle de légèreté de Maurepas. — Sa carrière. —
Conditions politiques et financières de son administration maritime.
Suppression des galères. — Réflexions sur le commerce et sur la
marine. — Travaux dans les ports. — Constructions navales. —
Travaux scientifiques 86
CHAPITRE VH
CAMPAGNES MARITIMES DE 1723 A 1736
Prospérité économique de la France maritime à l'époque de Fleury.
— Croisières aux Antilles. — Affaire de Mahé. — Affaire de Moka.
Croisières contre les Barbaresques. — les dernières années de
Du Guay-Trouin. — Campagnes dans la Baltique : le comte de
Plélo 107
CHAPITRE VHI
PRÉLIMINAIRES DE LA RUPTURE ENTRE LA FRANCE ET l'aNGLETERRE
Mémoire sur les moyens de faire la guerre à l'Angleterre. — Rup-
ture entre l'Espagne et l'Angleterre. — Armements maritimes en
France. — Le duc de Penthièvre; le marquis d'Antin. — Croisière
française aux Antilles. — Le chevalier d'Épinay à Saint-Domingue;
le chevalier de Caylus au détroit de Gibraltar. — Guerre continen-
tale et maritime
128
CHAPITBE IX
PREMIÈRE GUERRE MARITIME ENTRE IA FRANCE ET l'aNGLETERRE
i° LA MÉDITERRANÉE
De Court La Bruyère commandant l'escadre de Toulon. — Sa jonc-
tic a avec les Espagnols. — [Matthews sur les côtes de Provence. —
Bataille de Toulon (1744). — Maurepas à Toulon. — Les Anglais
aux îles de Lérins. — Belle-lsle et Bompar à Toulon 145
TABLE DES MATIÈRES. 577
CHAPITRE X
PREMIÈRE GUERRE MARITIME ENTRE LA FRANCE ET L'ANGLETEBRK
2* LA MANCHE KT LA MER DU NORD
Le cardinal de Tencin et la restauration jacobite, — Charles-Edouard,
Maurice de Saxe, Roquefeuil. — Charles-Edouard en Ecosse. —
Abandon d'un nouveau projet de descente. 162
CHAPITRE XI
PREMIÈRE GUERRE MARITIME ENTRE LA FRANCE ET l'aNGLETERRE
3* LES COTES DB 1-' ATLANTIQUE
Les Anglais à Lorient. — La Jonquière, Saint-Georges. — Combat
du cap Ortegal. — Des Herbiers de L'Étanduère. — Combat du cap
Finisterre. 173
CHAPITRE XIl
PREMIÈRE GUERRE MARITIME ENTRE LA FRANCE ET l'aNGLETEURE
4* LE CANADA ST LES ANTILLES
Importance de l'île Royale. — Perte de Louisbourg, — Expédition de
d'Anville, d'Estourmelles, La Jonquière. — Beaussier de L*Isle. —
Croisières aux Antilles : Conflans, Du Bois de La Motte, Guichen. 18'J
CHAPITRE XIII
PREMIERE GUERRE MARITIME ENTRE LA FRANCE ET l'aNGLETBRRE
5» l'océan INDIEN
La Bourdonnais à l'île de France. — La flotte de la compagnie des
Indes. — Départ de La Bourdonnais pour l'Hindoustan. — Batail-
les navales. — Siège de Madras. — Bouvet de Lozier. — Traité
d'Aix-la-Chapelle. -203
CHAPITRE XIV
LE SECRÉTAIRE D'ÉTAT DB LA MARINE DE 1749 A 1761
La marine en 1748. — Le secrétaire d'État Rouillé, — Travaux ma-
ritimes. — L'Académie de Marine; Bigot de Morogues. — Ecol«
d'hydrographie. — Le secrétaire d'État Machault d'Arnouville. -^
Considérât iona sur la constitution de la marine militaire de la
france. — Préparatifs de la guerre maritime. — Le secrétaire
d'État Moras. — Les officiers bleus. — Le secrétaire d'État Massiac.
— r Le secrétaire d'État Berryer. , 221
37
578 TABLE DES MATIERES.
CHAPITRE XV
PRÉLIMINAIRES DE LA GUERRE MARITIME DE SEPT ANS
Conflits coloniaux de la France et de l'Angleterre. — Les escadres de
Macnemara et de Du Bois de La Motte. — UAlcide et le Lys;
attentat de Boscawen. — L'Opiniâtre et YEspérance. — La France
et l'Angleterre vers 1755. — Projets de guerre maritime contre l'An-
gleterre 252
CHAPITRE XVI
GUERRE MARITIME DE SEPT ANS SUR LA MÉDIT1<:RRANÉE. 1** LA GALISSONNIÈRE
Projet sur Minorque. — Richelieu. — La Galissonnière. — Prépara-
tifs de l'expédition. — Débarquement à Minorque. — Instructions
de La Galissonnière. — Arrivée de Byng. — Bataille du 20 mai
1756. — Conséquences de la victoire de La Galissonnière. — Les
Français à Minorque jusqu'à la fin de la guerre 27#
CHAPITRE XVII
GUERRE MARITIME DE SEPT ANS SUR LA MEDlTSaRANÉE. 2* LA GLUE
La Clue et Du Quesne à Carthagène. — Projet de jonction des esca-
dres de La Clue et de Gonflans. — Bataille navale de Lagos. —
M. de Sabran Grammont 302
CHAPITRE XVIII
GUERRE MARITIME DE SEPT ANS SCil L' ATLANTIQUE
4* PROJETS CONTRE LES ILES NORMANDES
L'escadre de Brest. — Le duc d'Aiguillon, gouverneur de la Bretagne.
— Les îles normandes. — Projets contre Jersey . • 314
CHAPITRE XIX
GUERRE MARITIME DE SEPT ANS SUR l'aTLANTIQUE
2* DESCENTES DES ANGLAIS
L'espionnage anglais. — Les Anglais devant Rochefort,. — Seconde
entative de descente à Rochefort. — Tentative contre Saint-Malo.
Anglais à Cherbourg. — Les Anglais à Saint-Cast. . . . 326
TABLE DES MATIERES. 579
CHAPITRE XX
GU[^RRE MARITIME DE SEPT APiS SUR l'aTLANTIQUE
3° CAMPAGNE DE 1759
Projets de descente en Angleterre. — Plan de la campagne de 1759.
— Le maréchal de Conflans. — La sortie de Brest. — La bataille de
Quiberon on des Cardinaux. — Le chef d'escadre Bauffremont. —
Les Anglais à Belle-Ile. — Les vaisseaux de la Vilaine. — Croi-
sière de Thurot. — Nouveaux projets de descente en Angleterre. . 341
CHAPITRE XXI
GUERRE MARITIME DE SEPT ANS AU CANADA ET AUX ANTILLES
Campagnes au Canada de Beaussier et de Du Bois de La Motte. —
Perte de Louisbourg. — Le corsaire Vauquelain. — Expédition de
Ternay à Terre-Neuve. — Croisières aux Antilles. — UAtalante et
le Warwick, — Perte de la Guadeloupe et de la Martinique. —
Projets contre le Brésil 381
CHAPITRE XXII
GUERRE MARITIME DE SEPT ANS DANS l'bINDOUSTAN
Le comte d'Aché. — Bouvet de Lozier, Bouvet de Précourt. — Ba-
tailles navales de Goudelour, de Karikal, de Porto-Novo. — Croi-
sière du comte d'Estaing. Traité de Paris 396
CHAPITRE XXHI
I.E SECRÉTAIRE d'ÉTAT DE LA MARINE DE 1761 A 1774
Le duc de Choiseul. — Le duc de Praslin. — OlTre de vaisseaux au
roi. — Travaux maritimes. — Constructions navales. — Ordon-
nance de 1765. — Renaissance dans la marine : écrits et campagnes
scientifiques. — Boynes. — Ordonnauce de 1772. — L'escadre
d'évolutions de 1772. — L'École du Havre. — Acquisition de la
Corse. — Choiseul et l'Angleterre
CHAPITRE XXIV
LES PROJETS MARITIMES DU MINISTÈRE DE CHOISEUL
Choiseul et les colonies anglaises d'Amérique. — Conseils de M. Du-
rand, ministre à Londres. — Possibilité d'une descente en Angle-
terre. — Les Rayons de Grant de Blairlmdy. — Le débarquement
en Irlande. — La traversée de la Manche. — Projet Béville. — Pro-
jet de Choiseul et Grimaldi ^
-v
■S-
37.
2i30 128
580 TABLE DES MATIÈRES.
CHAPITRE XXV
LE PROJET DU COMTE DE BROGLIE
Le Secret du Roi. — Le comte de Broglie. — Enquêtes préparatoires
pour le projet. — Le projet définitif. — Communications du projet
à Choiseul. — Nouvelle rédaction du projet sous Louis XVI. —
Conclneion 458
APPENDICE
irêvîations employées dans l'Appendice 486
I
Table des différentes fonctions des officiers mariniers, matelots et sol-
dats dans toutes sortes de cas. — A bord du iVepiuwe, 1734. . . . 487
II
Sseadre de La Luzerne 491
III
Eflcadre de de Court, 493
17
Sscadre de La Jonquière 496
Y
Sscadre de L'Étanduère 498
VI
Harines de France et d'Angleterre. Vaisseaux existant et enconstmc-
tioB an î^f janvier 1751 502
Vît
ITAlcide et le Lys en 1755 503
VIII
Escadre de La Galissonnière 504
IX
Escadre de La Clue 514
<^ r,iver£;jta.s
TABLE DES MATIERES.
581
X
Escadre de M. de Conflans ^1^
XI
Armements pour le Canada en 1757 ^30
Armements pour Loui^boul•g en 1758 5"^*
XIII
Expédition de Terre-Neuve en 1702 ^34
XIV
Escadre de d'Achc au c^ mbat du 10 septembre 1759 535
XV
État abrégé de la marine du roi. — Année 1773 537
XVI
Escadre d'évolutions de 1772 ^^^
XVII
Expédition du Maroc en 1765 547
Tables
I. Table alphabétique des noms de personnes 549
II. Table alphabétique des noms de bateaux 568
III. Table alphabétique des principaux noms géographiques .... 572
Imp. de J. Dumoulin, à Paris. 118.8.09
Lo Bibliothèque
Université d'Ottawa
Echéonce
I
The Library
University of Ottawa
Dote due
mvi
kc~2
23 '^
"£0^^
JAN26B8Î
FEB ^
'^80:'
W 1988
noo
&
1 7 AVR.
'-^
J3 OCT.
w
jJiC:
.17 /^VR. 1993
1 ^ AVR. 1993
Û3^
n3
hAR
iQQ^mR z g m?
1990 p
iss
AVR. 199a
m
^^. Î9S»
19^- Nd\^Uûm!
r