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Full text of "La marine militaire de la France sous le règne de Louis XV"

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in  2010  with  funding  from 

University  of  Ottawa 


http://www.archive.org/details/lamarinemilitaOOIaco 


LA  MARINE  MILITAIRE 


DE  LA  FRANCE 

sous    LE 

RÈGNE  DE  LOUIS  XV 


DU  MÊME  AUTEUR 


Antonin    le    Pieux    et    son    temps.    Essai    sur    l'histoire    de 
l'empire  romain  au  milieu    du   deuxième   siècle   (138-161.) 

Ouvrage  couronné  par  l'Académie  française.  Paris,   Thorin,   1888;  in-8. 

L'Éducation    politique    de    Louis    XIV.     Ouvrage    couronné    par 

l'Académie  française.  Paris,  Hachktts,  1898;  in-8, 

La  Marine  militaire  de  la  France  sous  le  règne  de  Louis  XVI. 

Ouvrage   couronné  par    l'Académie  des  science»   morales  et   politiques. 
Paris,  Champion,  1905;  in-8. 

Un   utopiste  inconnu.    Les    Codicilles    de    Louis  XIII.    Paris, 
Émile-Paul,  1903:  in-8. 

P.  Clodius  Pulcher.  (Tirage  à  part  de  la  Revue  historique.)  Paris,  1889; 
in-8. 

Louis  XIV.  La  Monarchie  absolue.  Gouvernement,  adminis- 
tration,   société.   (Lavisse  et  Rambaud,    Histoire  générale...,  t.  VI, 

chap.  IV.)  Paris,  Arm.  Colin,  i895. 

Une  curiosité  calligraphique  et  polyglotte  de  la  Bibliothèque 
nationale,  avec  deux  dessins  inédits  de  Sébastien  Le  Clerc. 

(Tirage  à  part  de  la  Revue   des  Études  historiques.)  Paris,   1900;  in-8. 

La    îffarine   militaire  et    son  rôle   dans    la    grandeur   de    la 

France,   i'ari-;,  au  sièg^  de  la  Ligue  maritime  française,  1901. 

«  Le  Maître  de  la  mer.  m  Paris,  au  siège  de  la  Ligue  maritime  fran- 
çaise, 1901. 

Voyage  de  Louis  XVî  à  Cherbourg,    1786.    (Tirage  à  part   de  la 
Revue  des  Études  historiques.)  Paris,  1906,  in-8. 

Histoire    romaine  (en  coUaboratioa   avec  P.  Guir.aud).    Paris,    Alcan, 

in-1:.^  Duuzièiiie  éditioi),  1902. 

Histoire  ancienne  et  du  moyen  âge  (en  collaboration  avec  P.  Gui- 
RAUD).  Paris,  Alcan,  in-12.  Deuxième  édition,  1907. 

Lectures  historiques,  pour  la  classe  de  rliétorique.  Paris,  Hachette, 

ia-i2.  Uualrième  édition,  1U05. 


LA  MARINK  MILITAIRE 


DE  LA  FRANGE 


sous 


LE  RÈGNE  DE  LOUIS  XV 


PAR 


G.   LAOOUR-GAYET 

Docteur  es  lettres 
Professeur  à  l'École  supérieure  de  Marine, 


«  Le   bien   do  la  marine  ne  doit  pas  être 
perdu   un   moment  de  vue,   sans  quoi  c'est 
jouer  le  sort  et  les  avantages  du  royaume.  » 
"Vice-Amiral  de  Conflans. 

«   La  marine  opérera  le  salut  du  royaume 
ou  sa  décadence.  » 

Duc  de  Choisbi;l. 

OUVRAGK    COURONNÉ 
PAR   l'académie   des    SCIENCES    MORALES   ET   POLITIQUES. 


Deuxième  édition,  revue  et  augmentée. 


PARIS 
LIBRAIRIE  ANCIENNE   HONORÉ  CHAMPION,    I^ÏDITRUR 

5,  QUAI   MALAQUAIS,    5 

1910 
^l    SIBLICTHECA 


^* 


)  no 


AU  VICE-AMIRAL  BIENAIMÉ 

ANCIEN    DIRECTEUR  DE   l'ÉCOLE   SUPÉRIKURK    DE   MARINE 


AU  VICE-AMIRAL  GERVAIS 

ANCIEN   MEMBRE    DU   CONSEIL   SUPÉRIEUR   DI   LA.   MARINE 

HOMMAGE  RESPECTUEUX  ET  RECONNAISSANT 


AVANT-PROPOS 


Le  cours  d'histoire  maritime  de  la  France  que  nous 
avons  l'honneur  de  professer  devant  les  lieutenants  de 
vaisseau  de  l'Ecole  supérieure  de  Marine  avait  pour  sujet, 
en  l'année  1900,  le  règne  de  Louis  XV.  Plusieurs  auditeurs 
ont  exprimé  Je  désir  de  voir  paraître  en  volume  les  confé- 
rences qu'ils  avaient  entendues.  Nous  répondons  à  ce 
désir  en  publiant  le  présent  ouvrage. 

L'histoire  maritime  de  la  France  n'occupe,  ni  dans 
l'opinion,  ni  dans  l'enseignement,  la  part  à  laquelle  elle  a 
droit.  Du  règne  de  Louis  XIV  ou  du  règne  de  Louis  XVI, 
quelques  rares  noms  de  marins  sont  restés  dans  la  mémoire 
des  Français.  Pour  l'espace  de  près  d'un  siècle  qui  sépare 
l'âge  des  Du  Quesne  et  des  Tourville  de  l'âge  des  d'Orvil- 
liers  et  des  Sufîren,  ou  plus  précisément  pour  le  règne  de 
Louis  XV,  nos  annales  maritimes  n'éveillent  en  général 
que  des  idées  peu  précises.  Cependant,  cette  histoire 
existe:  la  marine  du  règne  de  Louis  XV  a  travaillé,  elle  a 
lutté,  elle  a  souffert.  L'histoire  de  ses  efforts  et  de  ses  souf- 
frances est  un  drame  d'un  intérêt  poignant,  dans  lequel  la 
marine  d'aujourd'hui  et  notre  politique  navale  peuvent 
toujours  puiser  des  leçons.  Aussi  des  officiers  de  l'Ecole 
supérieure  ont  pensé  qu'il  était  utile  de  faire  connaître  à 
leurs  camarades  et  au  public  l'histoire  de  notre  marine 


VIII  AVANT-PROPOS 

militaire  pendant  le  règne  de  Louis  XV.  Nous  souhaitons 
que  les  pages  qui  suivent  répondent  à  leur  intention 
patriotique. 

Les  chapitres  de  ce  livre  ont  eu  pour  point  de  départ 
nos  conférences  de  Tannée  1900  ;  mais  ils  sont  loin  d'en 
être  la  simple  reproduction.  Refondus,  révisés,  augmentés 
de  beaucoup  de  documents,  ils  pourront  paraître  nouveaux, 
dans  une  certaine  mesure,  aux  auditeurs  quienontconnu 
la  première  ébauche. 

îlls  ont  été  écrits  directement  sur  les  pièces  originales 
des  Archives  de  la  Marine.  Les  histoires  générales  de  la 
marine  ont  peu  de  valeur  pour  cette  partie  du  dix-huitième 
siècle  ;  môme  l'histoire  particulière  due  à  Tofficier  qui 
devait  trouver  à  Hanoï  la  mort  d'un  héros  ^  n'offre  qu'une 
utilité  restreinte.  Seules^  les  études  dans  lesquelles  le  com- 
mandant Ghabaud-Arnault  a  interprété,  avec  un  remar- 
quable esprit  de  clarté,  les  documents  dont  il  disposait*, 
constituent  une  œuvre  d'un  réel  mérite;  nous  les  avons 
souvent  consultées  avec  profit. 

Etudiant  à  Paris  même  l'histoire  de  notre  passé  mari- 
time, nous  avions  la  facilité  de  consulter  les  pièces  offi- 
cielles qui  s'y  rapportent  ;  VÉtat  .sommaire  des  Archives  de 
la  Marine  antérieures  à  la  Révolution  ^,  qui  est  l'œuvre  de 
M.    D.    Neuville,   permet   désormais    au   travailleur   de 

1.  Henri  Rivière,  Histoire  maritime  de  la  France  au  dix-huitième 
siècle  (Paris,  1855).  L'ouvrage  est  annoncé  en  deux  volumes  ;  mais  un  seul 
a  paru,  qui  a  été  publié  aubsi  ious  ce  titre  plus  exact  :Z.a  Marine  française 
B0U8  Louis  XV. 

2.  Ch.  Chabaud-Arnault,  capitaine  de  frégate  on  retraite  :  Études  his- 
toriques sur  la  m,arine  militaire  de  la  France.  L'ensemble  for/iie  une 
longue  série  d'articles  de  la  Revue  maritime  et  coloniale.  Neuf  articles 
intéressent  le  règne  de  Louis  XV  ;  ils  sont  aux  tomes  CIX,CX,  CXI,  CXIV, 
CXV,  CXVll,  CXVlll,  années  1891-1893. 

3.  P&rii,  1808. 


AVANT-PROPOS  IX 

s'orienter  dans  les  diverses  séries  de  ce  riche  dépôt.  Au 
ministère  de  la  Marine,  et  surtout  aux  Archives  nationales, 
où  se  trouve  déposée  aujourd'hui  la  majeure  partie  des 
archives  maritimes  de  l'ancien  régime*,  nous  avons 
dépouillé  les  documents  du  règne  de  Louis  XV.  Ils  nous 
ont  fourni  un  grand  nombre  de  pièces  intéressantes,  et  ils 
constituent  d'un  bout  à  l'autre  la  trame  de  cet  ouvrage  '. 

Grâce  à  ces  documents  d'archives,  on  a  pu  mettre  sous 
les  yeux  du  lecteur,  dans  plusieurs  appendices,  la  compo- 
sition des  plus  importantes  escadres  et  les  états  de  service 
d'environ  cinq  cents  officiers  de  marine.  Cette  partie  du 
travail  était  longue  et  minutieuse;  on  a  tout  fait  pour 
échapper  aux  chances  d'erreurs  qu'elle  présentait.  Du 
moins,  la  confection  de  ces  listes  ne  nous  a  point  paru 
ingrate.  En  nous  fournissant  l'occasion  de  dépouiller  les 
dossiers  individuels  des  officiers,  elle  nous  a  permis  de 
recueillir,  daus  ces  documents  personnels,  beaucoup  de 
données  historiques.  Il  faut  ajouter  que  ces  dossiers  indi- 
viduels font  connaître  sur  les  traditions  et  les  sentiments 
de  l'ancien  corps  de  la  marine  des  détails  du  plus  haut 
intérêt,  que  les  instructions  el  les  relations  officielles  ne 
fournissent  pas  d'ordinaire. 

Une  conclusion  bien  claire  ressort  de  l'histoire  navale 
du  règne  de  Louis  XV  :  c'est  que  les  destinées  véritables 

1.  Notre  confrère  de  la  Société  des  Etudes  historiques,  M.  Henri  Cour- 
teault,  archiviste  aux  Archives  nationales,  a  facilité  no»  recherches  par  son 
extrême  obligeance  ;  nous  tenons  à  l'en  remercier. 

2.  Abréviations  employées  dans  les  notes  : 
A.  G.  :  Archives  historiques  de  la  Guerre  ; 
A.  M.  :  Archives  de  la  Marine  ; 

A.  N.  :  Archives  nationales  ; 

R.  M.  G.  :  Revue  maritime  et  coloniale» 

Voir  à  la  p ,  486  la  liste  des  autres  abréviations. 


X  AVAiNT-PKOPOS 

de  la  France  ne  se  jouèrent  pas  à  cette  époque  sur  les 
champs  de  bataille  du  conlînenc,  mais  sui*  les  ciiamps  de 
bataille  maritimes.  Bien  que  les  données  des  problèmes 
historiques  aient  changé  depuis  le  dix-huitième  siècle  ou 
plutôt  bien  qu^elles  aient  paru  changer,  la  puissance  navale 
de  la  France  demeure  toujours  une  coudilion  essentielle 
de  sa  grandeur  dans  le  monde.  La  rocompen.^e  la  plus 
chère  de  l'auteur  de  ce  livre  serait  que  rhisioire,  mieux 
connue,  de  Ja  marine  du  [lass'^  roiirnit  aux  lecteurs  des 
raisons  nouvelles  d'aimer  la  mariue  du  présent. 

Décembre  1904. 

Eu  faisant  paraître,  au  bout  de  Sfpt  ans,  une  deuxième 
édition  de  cet  ouvrage,  nous  Tavous  soumise  à  la  révision 
la  plus  attentive.  Les  Additions  et  les  Correclious  ont  été 
fondues  dans  le  texte  ;  quelques  indlcatious  nouvelles  ont 
été  empruntées  au.T  Aichives  de  la  Mariue  ou  à  îles  publi- 
cations récentes.  On  a  (out  iail  pour  que  le  livre  parut 
répondre  encoi'e  davuuîage  h  la  haute  récompense  que 
i  institut  tui  a  accordée  et  à  la  laveur  avec  laquelle  il  a  été 
accueilli  parles  amis  de  l'iiisloiieet  delà  marine. 

Seplembie  1909. 


LA 

MARINE  MILITAIRE  DE  LA  FRANCE 

sous    LE    RÈGNE    DE    LOUIS    XV 


CHAPITRE    PREMIER 

ROLE  DE  LA  MARINE  DANS  LA  GRANDEUR  POLITIQUE 
DE  l'ancienne  FRANCE 


La  Cardinal  d'Ossat.  —  Richelieu.  —  Colbert.  —  Les  vicissitudes  de 
la  marine  sous  Louis  XIV.  —  Préjugés  contre  la  marine  et  les 
colonies  sous  Louis  XV. 

Dans  une  poésie  sur  le  Commerce,  couronnée  en 
1755  par  l'Académie  française,  Lemierre  a  écrit  ce  vers 
qui,  mieux  peut-être  que  la  Veuve  du  Malabar,  a  sauvé 
son  nom  de  l'oubli  : 

Le  trident  de  Neptune  est  le  sceptre  du  monde. 

Huit  ans  plus  tard,  la  France  perdait  le  «  trident  »  de 
Neptune  »  et  elle  parut  sur  le  point  de  perdre  aussi  le 
«  sceptre  du  monde  ».  Le  vers  fameux  que  son  auteur 
ravi  appelait  le  vers  du  siècle,  c'est  la  traduction  dans 
deux  images  concises  de  la  parole  que  l'antiquité  attri- 
buait à  Thémistocle  et  qui  était  bien  à  sa  place  sur  les 
lèvres  du  vainqueur  de  Salamine  :  le  peuple  quiyeut 
dominer  sur  la  terre  doit  commencer  par  dominer  sur 
la  mer. 


Z  LA  MARINE  MILITAIRE  SOUS  LOUIS  XV. 

Puisque  cette  vérité  a  été  souvent  méconnue  dans 
l'histoire  de  la  France,  puisque  son  oubli  est  la  cause 
essentielle,  pour  ne  pas  dire  unique,  de  la  décadence  de 
notre  marine  depuis  le  traité  d'Utrecht  jusqu'au  traité  de 
Paris,  il  n'est  pas  hors  de  propos  de  rappeler  par  quelles 
vicissitudes  elle  est  passée  dans  notre  pays. 

Nous  ne  remonterons  pas  plus  loin  que  les  premières 
années  du  xvif  siècle.  On  peut,  sans  doute,  citer  des  évé- 
nements antérieurs  à  cette  époque  qui  seraient  de  nature 
à  mettre  en  évidence  le  rôle  de  la  marine  dans  les  des- 
tinées de  la  France  ;  en  particulier,  on  est  en  droit  de 
dire  que  la  guerre  de  Cent  ans,  avec  son  cortège  de 
maux  et  de  hontes,  eût  été  impossible  si  les  premiers 
Valois  avaient  songé  à  se  rendre  maîtres  de  la  Manche. 
Mais  il  est  difficile  d'avancer  que  la  France  ait  été  réel- 
lement une  puissance  maritime,  digne  de  ce  nom,  avant 
l'âge  des  Richelieu  et  des  Colbert'.  L'exposé  de  ces  idées 
générales  aura  le  double  avantage  de  résumer  quelques 
grandes  leçons  du  passé  et  de  servir  d'introduction  à 
l'histoire  de  la  marine  militaire  du  règne  de  Louis  XV. 

Avant  Richelieu  qui  traça,  d'une  main  ferme  et  sûre, 
le  programme  de  notre  puissance  navale,  un  autre 
homme  d'Eglise,  contemporain  et  ami  de  Henri  IV,  le 
cardinal  d'Ossat,  avait  écrit  ces  hgnes,  d'une  admirable 
clairvoyance  :  <(  Et  c'est  un  de  mes  anciens  regrets,  et 
un  des  plus  notables  et  honteux  manquements  du  pre- 
mier royaume  de  la  chrétienté,  flanqué  de  deux  mers  et 
situé  par  la  nature  au  plus  beau  et  avantageux  endroit 
de  l'Europe  pour  faire  et  pour  aider  et  empêcher  toutes 
grandes  entreprises,  tant  par  mer  que  par  terre  ;  c'est 


i .   Voir  notre  ouvrage,  de  publication  prochaine  ;   La  Marine  milU<*li-e 
(le  la  France  sous  les  règnes  de  Louis  XIII  et  de  Louis  XIV. 


LA  MARINE  DANS  LA  GRANDEUR  DE  l' ANCIENNE  FRANCE,   3 

dis-je,    un    de    mes    anciens    regrets    de    voir    que    ce 
royaume  se  manque  à  lui  même.  » 

D'Ossat  ne  fait  que  constater  un  fait  géograpliique  qui 
a  été  maintes  fois  relevé  en  faveur  de  la  France  mari- 
time, cette  position  de  notre  pays  à  cheval  sur  la  Médi- 
terranée et  sur  l'Océan.  Que  cette  situation  ait  des  avan- 
tages ;  —  que  ce  soit  une   bonne    fortune   d'avoir   une 
large  fenêtre  sur  la  mer  qui  fut  jusqu'au  xvi^  siècle  le 
centre  à  peu  près  unique  de  l'activité  commerciale,  et 
qui,  depuis  le  percement  de  l'isthme  de  Suez,  est  des- 
tinée certainement  à  être  une  route  très  disputée  dans 
les  guerres    mariTimes    de    l'avenir  ;    —    que    ce    soit 
une    autre    bonne    fortune    de    regarder    sur    l'océan 
qui,  depuis  les  voyages  de  Christophe  Colomb  et  surtout 
depuis  l'émancipation  des  deux  Amériques,  commande 
les  plus  grandes  routes  commerciales  du  monde  et  qui 
fut  le  champ  clos  où  tant    de    fois    se    mesurèrent    les 
Espagnols,  les  Français,  les  Anglais  et  les  Hollandais  ; 
—  qu'il  soit  nécessaire  par  suite,  et  d'une  nécessité  iné- 
luctable, d'avoir  des  ports  et  des  escadres  et  sur  la  Médi- 
terranée et  sur  l'Océan,  ou  comme  disaient  nos  pères,  au 
Levant  et  au  Ponant  :  cela  paraît  trop  évident  pour  qu'il 
y  ait  à  y  insister. 

Ce  qu'on  oublie  trop  souvent  d'ajouter,  c'est  que  ces 
avantages  ne  sont  pas  sans  de  grands  inconvénients, 
comme  la  dispersion  de  nos  forces  navales  et  la  difficulté 
de  leur  concentration.  Pendant  deux  siècles  continus,  au 
xvf  et  au  xvIl^  nos  rois  eurent  à  lutter  contre  l'Espagne. 
Vers  l'époque  où  finissait  la  rivalité  franco-espagnole, 
c'était  la  rivalité  franco-anglaise  qui  commençait,  et  les 
Anglais  s'établissaient  à  Gibraltar  et  à  Minorque.  Ainsi 
la  porte  unique  par  laquelle  nos  escadres  du  Ponant  et 
du  Levant  peuvent  se  donner  la  main  s'est  trouvée  de 
tout  temps  en  la  possession  de  nos  ennemis  et  de  nos 


4  LA  MARINE  MILITAIRE  SOUS  LOUIS  XV. 

rivaux.  Puis,  que  la  route  est  longue  et  qu'elle  a  été 
parfois  périlleuse  entre  Toulon  et  Brest  !  L'histoire  du 
XVII®  et  du  xviii^  siècle  fournit  maint  exemple  des  diffi- 
cultés de  cette  circumnavigation,  quand  il  s'est  agi  de 
ce  projet,  toujours  tenté,  jamais  réalisé,  d'une  descente 
en  Angleterre  ;  sous  Louis  XIV,  le  glorieux  désastre  de 
la  Hougue  fut  en  grande  partie  le  résultat  de  cette  cause. 
^  Mais,  si  la  France  n'a  pas  l'avantage  des  Iles  Britan- 
niques, dont  toutes  les  mers  se  touchent  et  forment  une 
ceinture  continue,  il  n'est  pas  moins  certain  que  le  car- 
dinal d'Ossat  avait  raison  de  s'indigner  qu'on  eût  encore 
si  peu  compris  les  destinées  maritimes  de  notre  pays,  et 
que  le  cardinal  Richelieu  était  en  droit  d'écrire  quelques 
années  plus  tard  :  «  Il  semhle  que  la  nature  ait  voulu 
offrir  l'empire  de  la  mer  à  la  France  pour  1  avantageuse 
situation  de  ses  deux  côtes,  également  pourvues  d'excel- 
lents ports  aux  mers  Océane  et  Méditerranée.  » 

Dans  son  Testament  politique^  Richelieu  raconte  que 
Antonio  Ferez,  réfugié  auprès  de  Henri  IV,  et  voulant 
payer  à  celui-ci  la  généreuse  hospitalité  qu'il  en  avait 
reçue,  lui  «  donna  en  trois  mots  trois  conseils  qui  ne 
sont  pas  de  petite  considération  :  Roma,  Consejo^  Pie- 
lago.  »  Laissant  de  côté  les  avantages  de  décisions 
prises  après  une  enquête  approfondie  et  impénétrable 
ou  les  bienfaits  d'une  paix  religieuse  loyalement  obser- 
vée, le  cardinal  se  borne,  dans  le  chapitre  intitulé  «  De 
la  puissance  sur  la  mer  »,  à  commenter  le  dernier  mot 
du  ministre  espagnol.  On  lui  emprunte  le  passage 
suivant  ;  un  lecteur  non  prévenu  pourrait  croire  qu'il 
n'a  pas  été  écrit  il  y  a  plus  de  deux  siècles  et  demi,  car 
il  a  été  vérifié  au  cours  de  notre  histoire  par  bien  d'autres 
événements  que  ceux  du  règne  de  Henri  IV  ou  de 
Louis  XIII. 
«  Jamais  un  grand  Etat  ne  doit  être  en  état  de  recevoir 


LA  MARINE  DANS  LA  GRANDEUR  DE  l' ANCIENNE  FRANCE.   5 

une  injure  sans  pouvoir  en  prendre  revanche.  El 
partant,  l'Angleterre  étant  située  comme  elle  est,  si  la 
France  n'était  puissante  en  vaisseaux,  elle  [l'Angle- 
terre] pourrait  entreprendre  à  son  préjudice  ce  que  bon 
lui  semblerait  sans  crainte  du  retour.  Elle  pourrait  em- 
pêcher nos  pêches,  troubler  notre  commerce,  et  faire, 
en  gardant  l'embouchure  de  nos  grandes  rivières^  payer 
tel  bon  droit  que  bon  lui  semblerait,  aux  marchands. 
Elle  pourrait  descendre  impunément  dans  nos  îles  et 
même  dans  nos  côtes.  Enfin,  la  situation  du  pays  natal 
de  cette  nation  orgueilleuse  lui  ôtant  tout  lieu  de  craindre 
les  plus  grandes  puissances  de  la  terre,  l'ancienne  envie 
qu'elle  a  contre  ce  royaume  lui  donnerait  apparemment 
lieu  de  tout  oser,  lorsque  notre  faiblesse  nous  ôterait 
tout  moyen  de  rien  entreprendre  à  son  préjudice.  » 

Peu  après  le  début  de  son  ministère,  lors  de  cette 
assemblée  des  notables  de  1626  qui  fut  pour  lui  le  moyen 
de  faire  connaître  à  la  partie  la  plus  éclairée  de  la 
France  les  grandes  lignes  de  l'œuvre  qu'il  projetait, 
Richelieu,  qui  voulait  secouer  la  torpeur  de  la  nation, 
n'avait  pas  manqué  de  faire  rappeler  par  le  garde  des 
sceaux  notre  infériorité  maritime.  «  Nos  voisins,  disait 
Michel  de  Marillac,  vous  ôtent  la  pêche  des  molues  aux 
Terres-Neuves  (on  voit  que  l'interminable  débat  entre 
la  France  et  l'Angleterre  sur  la  pêche  à  Terre-Neuve 
est  bien  antérieur  au  traité  d'Utrecht)  ;  et,  par  l'aide  de 
plusieurs  de  nos  voisins,  on  a  déjà  retranché  de  beau- 
coup la  pêche  des  harengs  ;  on  vous  a  ôté  celle  des 
baleines  en  Spilsbergue,  et  peu  à  peu  ce  qui  reste  à  la 
France  se  perdra  si  nous  demeurons  davantage  en  cet 
endormissement.  En  quoi  nous  sommes  d'autant  plus 
blâmables  que  nous  avons  dans  le  royaume  toutes  les 
commodités  nécessaires  pour  nous  rendre  forts  sur 
mer.  »  C'est  encore  à  cette  assemblée  de  1026  que  fui 


G  LA  MARINE  MILITAIRE  SOUS  LOUIS  XV. 

prononcée  une  phrase  d'une  concision  lapidaire,  chère 
aux  défenseurs  de  la  politique  maritime,  car  elle  résume 
à  merveille  les  deux  parties  essentielles  du  rôle  de  la 
marine  :  <(  On  ne  peut,  sans  la  mer,  ni  profiter  de  la 
paix  ni  soutenir  la  guerre.  » 

A  propos  de  l'inten^ention  des  Anglais  dans  la  lutte 
entre  Louis  XIII  et  ses  sujets  de  la  Rochelle,  le  Mer- 
cure Irançais^  qui  était  certainement  dans  cette  circons- 
tance lecho  direct  de  la  pensée  du  cardinal,  publiait 
un  long  Discours  <(  pour  montrer  qu'il  est  expédient  au 
roi  pour  le  bien  et  la  sûreté  de  son  Etat  de  se  rendre 
fort  et  puissant  sur  mer,  sans  avoir  besoin  du  secours 
de  ses  voisins  ».  L'auteur  anonyme,  mais  officiel,  du 
Discours  parle  en  patriote  qui  souffre  de  voir  la  France 
manquer  à  ses  destinées  maritimes.  «  Ce  manquement, 
dit-il,  ou  cette  faiblesse  dessus  l'Océan  nous  fait  mal  au 
cœur...  Dieu  a  logé  la  France  au  lieu  le  plus  commode 
et  avec  les  plus  grands  avantages  de  mer  ;  ...il  lui  a 
voulu  donner  pour  main  droite  l'Océan  et  pour  gauche 
la  Méditerranée,  et  moyen  par  là  de  se  servir  puis- 
samment de  toutes  les  deux  pour  sa  défense  nécessaire 
et  une  juste  offensive,  étant  provoquée...  » 

Avec  quarante  vaisseaux  dans  les  ports  du  Ponant, 
bien  outillés,  bien  équipés,  toujours  en  état  de  prendre 
la  mer,  avec  un  corps  de  trente  galères  toujours  réuni 
à  Marseille  ou  à  Toulon,  Richelieu  affirmait  à  Sa  Ma- 
jesté qu'elle  en  aurait  «  suffisamment  pour  se  garantir  de 
toute  injure  et  se  faire  craindre  dans  toutes  les  mers  par 
ceux  qui  jusques  à  présent  y  ont  méprisé  ses  forces.  » 
El  il  tint  parole  ;  car  ce  ne  fut  pas  un  vain  titre  pour  lui 
que  celui  de  grand  maître,  chef  et  surintendant  général 
de  la  navigation  et  commerce.  La  France  maritime 
reconnaissante  salue  dans  le  cardinal-duc  l'un  des 
hommes  qui  ont  le  plus  fait  pour  elle. 


LA  MARINE  DANS  LA  GRANDEUR  DE  l'ANCIENNE  FRANCE.      7 

Ce  que  le  grand  cardinal  avait  entrevu  avec  une  admi- 
rable netteté,  ce  qu'il  avait  commencé  à  exécuter  du  côté 
de  la  mer,  —  et  cela  au  milieu  des  préoccupations  des^ 
guerres  continentales,  —  Colbert,  venu  vingt  ans 
environ  plus  tard,  le  reprit,  l'agrandit,  le  réalisa  aussi 
bien  dans  les  détails  que  dans  l'ensemble. 

Le  ministre  de  génie,  à  qui  la  France  dut,  en  quelques 
années  à  peine,  des  arsenaux  comme  Dunkerque,  Brest, 
Rochefort  et  Toulon  ;  —  qui  fît  de  la  construction  des 
navires  une  industrie  nationale  ;  —  qui  introduisit  dans 
le  recrutement  des  équipages  la  grande  idée  du  devoir 
patriotique  et  les  principes  d'une  administration  régu- 
lière, —  qui  mit  sur  mer  les  escadres  des  Beaufort 
et  des  Du  Quesne,  et  prépara  celles  des  Château-Renault 
et  des  Tourville;  —  qui  jeta  les  bases  de  l'admirable 
Ordonnance  de  1689,  introduisant  l'ordre  et  la  suite 
dans  les  idées  là  où  avaient  régné  avant  lui  la  fantaisie 
et  l'incohérence  :  ce  ministre  est  resté  sans  contredit  le 
plus  grand  administrateur  dont  la  France  maritime  se 
glorifie. 

Non  seulement  Colbert,  qui  se  survécut  sept  ans  à  lui- 
même  dans  la  personne  d'un  fils  digne  de  recevoir  son 
héritage,  donna  à  la  France  la  plus  belle  des  marines 
alors  connues,  capable  de  tenir  tête  aux  marines  com- 
binées de  l'Angleterre  et  de  la  Hollande  et  de  les 
vaincre  ;  mais  encore  il  comprit  qu'une  marine  militaire, 
à  laquelle  ne  correspond  pas  un  développement  parallèle 
du  commerce  maritime  et  de  la  pêche,  qui  n'a  pas  pour 
s'appuyer,  au  loin  des  côtes  de  la  patrie,  des  comptoirs 
de  commerce  ou  des  postes  militaires,  en  un  mot  des 
colonies,  n'est  qu'une  marine  de  luxe,  manquant  de 
base,  destinée  tôt  ou  tard  à  disparaître.  Le  commandant 
Mahan,  de  la  marine  des  Etats-Unis,  dans  son  livre 
récent  et  déjà  classique  sur  Vlnlluence  de  la  puissance 


8  LA  MARINE  MILITAIRE  SOUS  LOUIS  XV. 

marilime  dans  Vhlstoire,  a  fait  de  ce  grand  Français  un 
magnifique  éloge  ;  à  propos  de  son  œuvre,  il  compare 
justement  la  puissance  maritime  à  une  chaîne  formée 
^  de  trois  anneaux,  la  marine  militaire,  le  commerce  mari- 
time, les  colonies  ^  Ce  sont  bien  là,  en  effet,  les  trois 
anneaux  que  Colbert  forgea  d'un  vigoureux  effort  pen- 
dant tout  son  ministère  ;  en  les  soudant  l'un  à  l'autre, 
il  donna  à  la  France  cette  suprématie  maritime  si 
ardemment  souhaitée  par  Richelieu. 

«  La  jalousie  de  Louvois,  dit  Saint-Simon,  écrasa  la 
marine.  »  Le  conseiller  de  Louis  XIV  qui,  d'accord  avec 
le  successeur  de  Seignelay,  parlait  de  remplacer  nos 
navires  de  guerre  par  des  régiments  chargés  de  défendre 
les  côtes,  avait,  certes,  une  singulière  conception  de  nos 
intérêts  maritimes  ;  dans  sa  passion  aveugle  pour  l'ar- 
mée de  terre,  il  ne  réfléchissait  pas  que  le  commerce 
extérieur  et  les  colonies  lui  fournissaient  les  millions 
nécessaires  à  ses  régiments  des  Pays-Bas  ou  d'Alle- 
magne, et  que  sans  une  marine  militaire,  forte  et  res- 
pectée, il  n'y  a  ni  colonies  ni  commerce  sur  mer.  Mais 
la  jalousie  de  Louvois  fut  loin  d'être  la  seule  cause  de 
cette  décadence  maritime,  si  douloureuse  à  constater 
après  le  prodigieux  effort  de  Colbert  et  de  Seignelay. 
La  politique  est  la  vraie  coupable,  elle  qui,  dans  la 
seconde  moitié  du  règne  de  Louis  XIV,  réduisit  peu  à 
peu  la  France,  maritime  et  continentale,  au  rôle  presque 
exclusif  de  puissance  continentale. 

Louis  XIV  avait  commis  une  grande  faute  en  essayant 
de  ruiner  la  Hollande,  dont  les  escadres  auraient  pu  se 
joindre  aux  siennes  contre  les  escadres  anglaises.  La 
révolution  de  1688,  en  portant  sur  le  trône  d'Angleterre 


1.  Page  85  de  la  traduction  française  du  capitaine  de  vaisseau  E.  BoissE  ; 
Paris.  1899. 


LA  MARINE  DANS  LA  GRANDEUR  DE  l' ANCIENNE  FRANCE.   9 

le  slathouder  Guillaume  d'Orange,  fut  la  vengeance  de 
nos  ennemis  et  un  coup  terrible  pour  notre  politique 
étrangère.  Jusqu'alors  l'habileté  diplomatique  du  grand 
roi  avait  trouvé  le  moyen  de  conjurer  les  effets  de 
l'orgueil  et  de  la  jalousie  britanniques  qui  provoquaient 
les  inquiétudes  patriotiques  de  Richelieu.  11  avait  su 
gagner  à  ses  intérêts  les  Stuarts  restaurés  en  1660  ;  si 
bien  que,  durant  vingt-huit  ans  ou  d'alliance  intime  ou 
de  neutralité  bienveillante,  Charles  II  et  Jacques  II 
n'avaient  pas  paru  s'apercevoir  qu'une  puissance  mari- 
time de  premier  ordre  dominait  à  présent  sur  les  mers 
où,  quelques  années  à  peine  auparavant,  les  escadres 
de  Cromwell  avaient  régné  en  maîtresses.  Mais  à  partir 
de  1688,  sous  la  vigoureuse  impulsion  de  Guillaume  III, 
la  Grande-Bretagne  revint  à  sa  politique  traditionnelle 
pour  n'en  plus  dévier  jamais.  C'était  une  nouvelle  guerre 
de  Cent  ans  ou  de  Cent  vingt-cinq  ans  qui  commençait  : 
Château-Renault  en  tira  le  premier  coup  de  canon  dans 
la  baie  de  Bantry  et  Wellington  le  dernier  sur  le  champ 
de  bataille  de  Waterloo. 

Le  roi  Très  Chrétien  releva  d'abord  le  défi  que  lui 
jetait  la  fortune  ;  l'enjeu  de  la  lutte  qui  commençait  était 
sur  la  mer,  puisque  la  mer  seule  pouvait  ouvrir  la  route  de 
Londres  :  ce  fut  sur  la  mer  qu'il  essaya  de  triompher. 
Dans  une  campagne  presque  continue  de  dix  ans.  Du 
Quesne  venait  de  lui  donner  la  domination  de  la  Médi- 
terranée. Avec  un  ministre  comme  Seignelay  et  un 
amiral  comme  Tourville,  il  voulut  conquérir  aussi  l'em- 
pire de  la  Manche.  Après  avoir  triomphé  sur  mer  de  la 
coalition  des  Espagnols  et  des  Hollandais,  il  s'agissait 
à  présent  de  triompher  sur  mer  de  la  coalition  des  An- 
glais et  des  Hollandais. 

Ce  fut  une  courte  entreprise  de  quatre  ans,  vigoureu- 
sement commencée  et  conduite,  mais  tout  à  coup  aban- 


10  LA  MARINE  MILITAIRE  SOUS  LOUIS  XV. 

donnée  sans  raison  vraiment  sérieuse.  On  y  peut  voir  en 
raccourci,  dans  le  débarquement  en  Irlande,  dans  la 
brillante  et  en  partie  stérile  victoire  du  cap  Béveziers, 
dans  les  savantes  manœuvres  de  la  campagne  du  large, 
dans  le  projet  de  descente  en  Angleterre  brusquement 
interrompu  par  la  bataille  de  la  Hougue,  la  première 
application  de  ces  tentatives  contre  TAngleterre  qui 
reviennent  si  souvent  dans  l'histoire  du  xmu^  siècle.  La 
bataille  de  la  Hougue,  dont  nous  avons  tant  de  droits 
d'être  fiers,  ne  fut  pas  la  ruine  de  notre  marine  :  certes 
non.  Mais  elle  fut  la  ruine  de  notre  politique  maritime, 
ce  qui  fut  pis.  Louis  XIV  n'avait  plus  à  ses  côtés  un 
Seignelay  pour  lui  redire  que  Londres  était  le  vrai 
objectif  de  notre  politique  ;  les  constructions  maritimes, 
les  armements  répétés  des  flottes  de  Brest  et  de  Toulon 
avaient  coûté  très  cher  et  n'avaient  rien  rapporté.  On 
ne  voulut  pas  voir  que  la  cause  de  ces  échecs  était  dans 
la  maladresse  d'un  roi  détrôné,  qui  fut  lui-même,  à  Lon- 
donderry,  à  Drogheda,  à  Saint-Yast,  le  mauvais  génie 
de  sa  propre  cause,  ou  encore  dans  la  dispersion  impru- 
dente de  nos  forces  militaires  occupées  de  tous  les  côtés  à 
la  fois,  sur  mer,  aux  Pays-Bas,  sur  le  Rhin,  en  Piémont, 
en  Catalogne.  La  marine  n'avait  pas  réussi  ;  la  marine 
fut  délaissée,  en  attendant  le  jour  où  elle  fut  sacrifiée  ; 
on  ne  tint  plus  compte  du  rôle  qu'elle  devait  jouer  dans 
la  politique  générale  d'un  pays  comme  la  France.  En  ce 
sens,  la  bataille  de  la  Hougue  eut  des  conséquences 
vraiment  désastreuses. 

La  grande  guerre  était  finie,  elle  cédait  la  place  à  la 
guerre  de  courses.  L'audace  des  Jean  Bart,  des  Forbin, 
des  Pointis,  des  Nesmond,  des  Cassard,  des  Ducasse, 
des  Du  Guay-Trouin  devait  certes,  jusqu'à  la  fin  du 
règne,  infliger  à  l'ennemi  des  pertes  cruelles  ;  mais  elle 
ne  put  jamais  l'atteindre  dans  ses  œuvres  vives,  elle  ne 


LA  MARINE  DANS  LA  GRANDEUR  DE  l'aNCIENNE  FRANCE.    11 

put  même  pas  toujours  mettre  nos  côtes  à  l'abri  des 
insultes  des  Anglais.  Car  le  temps  était  arrive  ou  les 
dangers  maritimes  dont  le  patriotisme  de  Richelieu 
s'était  alarmé  n'étaient  plus  des  chimères.  Faut-il  rap- 
peler, dans  l'espace  de  trois  ans  à  peine,  la  tentative  du 
bombardement  de  Saint-Malo  en  1693,  la  tentative  de 
débarquement  à  Camaret  en  1694,  le  bombardement 
avec  la  destruction  totale  de  Dieppe  en  1695,  les  bom- 
bardements vers  la  même  époque  du  Havre  et  de  Calais  ? 
Versailles  était  trop  loin  de  la  mer  pour  qu'on  y  fît 
attention  à  ces  épisodes  douloureux.  On  n'y  avait  des 
yeux  que  pour  les  trophées  que  le  Tapissier  de  Notre- 
Dame  ramassait  à  Fleurus  et  à  Steinkerque,  ou  pour  les 
victoires  de  Câlinât  en  Piémont.  Aussi,  quand  il  s'agit 
de  traiter,  Louis  XIV  dut  reconnaître  comme  roi  de  la 
Grande-Bretagne  l'usurpateur  de  1688.  Ce  jour-là  la  mer 
triomphait  de  la  terre,  la  Grande-Bretagne  de  la  France, 
parce  que  nous  avions  commis  la  grande  faute  de  ne 
pas  laisser  la  guerre  sur  le  théâtre  même  où  les  con- 
ditions géographiques  de  notre  pays  l'avaient  d'abord 
placée. 

Enfin,  en  1700,  s'ouvrait  la  succession  d'Espagne  ; 
elle  ne  fut  que  trop,  suivant  le  mot  classique,  le  «  pivot  » 
de  la  politique  de  Louis  XIV  :  pour  elle  il  avait,  depuis 
quarante  ans,  échafaudé  bien  des  combinaisons,  préparé 
bien  des  traités  de  partage  ;  pour  elle  il  venait  de  faire, 
à  Turin  et  à  Ryswick,  des  sacrifices  qui  n'étaient  pas 
tous  nécessaires.  Or,  cette  succession  si  enviée,  que  la 
fortune  faisait  tomber  tout  entière  entre  les  mains  de  son 
petit-fils,  Philippe  d'Anjou,  se  composait  de  morceaux 
dispersés,  qui  à  l'exception  d'un  seul,  purement  conti- 
nental, le  Milanais,  tiraient  de  la  mer  une  grande  part 
de  leur  importance  politique  et  de  leurs  richesses,  ou 
qui  ne  pouvaient  être  en  relations  mutuelles  que  par  la 


12  LA  MARINE  MILITAIRE  SOUS  LOUIS  XV. 

mer  :  ainsi  le  royaume  de  Naples,  la  Sicile,  la  Sar- 
daigne,  les  Baléares,  l'Espagne,  les  Pays-Bas,  les 
Canaries,  les  Philippines,  la  majeure  partie  des  Antilles 
et  des  deux  Amériques.  Etant  donnée  celte  situation 
avant  tout  maritime  de  l'héritage  espagnol,  pouvait-on 
imaginer  que  Louis  XIV  irait  chercher  la  consécration 
des  droits  de  son  petit-fils  sur  les  champs  de  bataille  du 
Brabant,  de  la  Flandre,  de  la  Bavière,  du  Milanais  et 
de  la  Castille  ?  C'est  pourtant  la  faute  qui  fut  commise 
'  et  qui,  pour  le  malheur  de  la  France  épuisée,  se  pro- 
longea pendant  douze  ans.  Cette  faute  était  devenue 
nécessaire,  depuis  que  Louis  XIV,  oublieux  des  pre- 
mières années  de  son  règne  et  de  ses  plus  belles  gloires, 
avait  sacrifié  de  parti  pris  la  marine  à  l'armée  de  terre. 
Si  un  Château-Renault  n'avait  pas  essayé  dans  la  baie 
de  Vigo  de  sauver  les  galions  de  la  flotte  espagnole,  si 
un  comte  de  Toulouse  n'avait  pas  livré  la  bataille  de 
Vêlez  Malaga,  si  un  Du  Guay-Trouin  n'avait  pas  traversé 
tout  l'Atlantique  avec  une  escadre  de  corsaires  pour 
enlever  et  mettre  à  rançon  Rio  de  Janeiro-,  on  aurait 
pu  croire  que  la  marine  n'existait  plus  dans  la  patrie  des 
Colbert  et  des  Seignelay,  des  Du  Ouesne  et  des  Tour- 
ville. 

Cependant,  tandis  que  la  coalition  européenne  nous 
chassait  tour  à  tour  de  l'Allemagne,  de  l'Italie,  des  Pays- 
Bas,  entamait  même  nos  frontières  et  se  voyait  déjà 
sur  la  route  de  Paris  si  l'épée  victorieuse  de  Villars  ne 
l'avait  pas  arrêtée  à  Denain,  la  mer  appartenait  sans 
conteste  à  nos  ennemis.  Les  Anglais  prenaient  à  ^-evers 
l'empire  des  Bourbons;  un  siècle  à  l'avance,  c'é'iait  la 
tactique  qui  devait  leur  réussir  contre  l'empire   cde  Na- 

2.  Sur  cette  expédition  de  1711,  voir  les  documents  publiés  par,  le  lieute- 
nant de  vaisseau  Maur.  Delpeuch,  Historique  du  «  Du  Guay^^irouin  ».' 
Farls,  1901.  Cf.  Norman,  The  Corsairs  of  France,  Londres,  1887  h  cliap.  iv. 

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LA  MARINE  DANS  LA  GRANDEUR  DE  l'aNCIENNE  FRANCE.   13 

poléon.  Ils  débarquaient  en  Portugal  et,  en  remontant 
la  vallée  du  Tage,  ils  essayaient  de  s'ouvrir  la  route  de 
Madrid  ;  là  du  moins  Berwick  leur  barra  la  route  à 
Almanza.  Mais  ils  se  jetaient  sur  Gibraltar,  qui  passait 
pour  imprenable  et  qui  le  fut  en  effet,  hélas  !  depuis 
cette  année  1704  ;  ils  se  jetaient  sur  Minorque  et  sur  son 
havre  excellent,  Port-Mahon  ;  ils  débarquaient  à  Barce- 
lone les  troupes  de  l'archiduc  Charles,  l'ennemi  de  Phi- 
lippe V  ;  ils  tentaient  une  descente  sur  les  côtes  du  Lan- 
guedoc ;  ils  bloquaient  et  bombardaient  Toulon. 

Comment  s'empêcher  de  penser  encore  au  Testament 
de  Richelieu,  quand  on  voit  les  insultes  des  Anglais  sur 
les  côtes  de  France  commencer  à  partir  du  jour  où 
Louis  XIV  avait  fermé  les  yeux  aux  intérêts  maritimes 
du  royaume,  et  ne  plus  arrêter  jusqu'à  la  paix  d'Utrecht? 
Que  cette  faute  nous  coûta  cher  !  Sans  doute  l'orgueil 
dynastique  du  grand  roi  fut. satisfait  ;  son  petit-fils  avait 
obtenu  la  couronne  d'Espagne,  mais  à  quel  prix  et 
pour  lui  et  pour  nous  !  L'héritage  espagnol  réduit  à  la 
péninsule,  Dunkerque  démoli,  les  clefs  du  Canada  et 
celles  de  la  Méditerranée  livrées  aux  Anglais  :  telle  fut 
la  triste  fm  d'un  règne  où  la  marine  avait  été  pendant 
vingt-cinq  ans  un  élément  si  fécond  de  notre  grandeur 
politique,  où  elle  ne  demandait  qu'à  le  rester  et  où  elle 
avait  fini  par  être  vouée  à  un  abandon  à  peu  près 
complet. 

On  verra  aux  chapitres  suivants  dans  quelle  déca- 
dence agonisait  notre  marine  vers  1715,  et  combien  la 
pohtique  de  la  Régence  et  du  ministère  de  Fleury  fut 
plus  coupable  que  la  politique  de  la  seconde  partie  du 
règne  de  Louis  XIV.  Celle-ci  pécha  par  une  erreur 
d'optique,  que  certaines  conditions  de  la  pohtique 
continentale  peuvent  faire  comprendre  jusqu'à  un  cer- 


14  LA  MARINE  MILITAIRE  SOUS  LOUIS  XV. 

tain  point  ;  mais  que  dire  de  celle-là  qui,  volontairement, 
sciemment,  délibérément,  poussa  le  mépris  de  nos 
intérêts  nationaux  jusqu'à  sacrifier,  de  e'aieté  de  cœur, 
nos  ports,  nos  navires,  notre  organisation  maritime, 
pour  gagner  les  bonnes  grâces  de  nos  pires  ennemis, 
devenus  tout  à  coup  nos  meilleurs  amis  ?  Que  peut-on 
imaginer  de  plus  antipatriotique  et  de  plus  malheureux  ? 
Cependant  ce  mensonge  d'une  amitié  franco-anglaise, 
conclue  dès  le  lendemain  du  traité  d'Utrecht  et  à  de 
pareilles  conditions,  ne  pouvait  pas  durer  longtemps. 
La  politique  imagine  parfois  des  combinaisons  contre 
lesquelles  le  sentiment  national  et  l'intérêt  national 
finissent  par  se  révolter.  Vingt-cinq  ans  environ  plus 
tard,  la  France  et  l'Angleterre,  que  tant  de  querelles 
mettaient  aux  prises  dans  les  mers  de  l'Europe  et  aux 
colonies,  recommençaient  la  lutte,  l'une  pour  sa  re- 
vanche, l'autre  pour  sa  suprématie  définitive. 

Mais  les  leçons  de  l'histoire  sont  lettre  morte  pour 
ceux  qui  s'obstinent  à  ne  pas  comprendre.  Le  gouver- 
nement de  Louis  XV  n'avait  plus  cependant  à  compter 
avec  la  question  de  l'héritage  espagnol  et  ses  compli- 
cations continentales.  Alors  il  im.agina  de  chercher  en 
Bohême,  en  Thuringe  ou  en  Saxe  la  solution  du  conflit 
avec  l'Angleterre.  Pendant  sept  ans,  il  fit  le  jeu  de  Frédé- 
ric II  contre  Marie-Thérèse  ;  puis,  pendant  sept  autres 
années,  il  fit  le  jeu  de  Marie-Thérèse  contre  Frédéric  II  : 
c'est  ce  qui,  dans  l'un  et  dans  l'autre  cas  d'ailleurs,  s'ap- 
pelle travailler  pour  le  roi  de  Prusse.  Frédéric  II  parlait 
un  jour  de  ces  batailles  que  nous  livrions  sur  les  bords  de 
la  Moldau  ou  du  Main,  alors  que  nos  vrais  ennemis 
étaient  sur  les  bords  de  la  Tamise,  de  l'Hudson  ou  du 
Godavérv,  et  il  disait  :  «  C'est  comme  si  on  les  avait 
livrées  sur  les  bords  du  Scamandre.  »  Que  de  vérité 
dans  ce  mot  d'une  amère  ironie  !  Jusqu'à  Choiseul  et 


LA  MARINE  DANS  LA  GRANDEUR  DE  L\\NCIENNE  FRANCE.    15 

jusqu'à  Louis  XVI,  ce  fut  un  peu  le  caractère  de  toute 
l'histoire  de  la  France  au  xvm^  siècle,  de  se  passer  sur 
les  bords  du  ruisseau  qui  coulait  près  de  l'ancienne 
Troie. 

Même  dans  ces  jours  d'aveugfement  politique,  notre 
marine  a  une  histoire.  On  la  verra  à  l'œuvre  ;  on  verra 
que  ni  ses  ministres  ni  ses  amiraux  n'ont  été,  pour  la 
plupart,  les  personnages  frivoles,  incapables,  insou- 
ciants que  l'histoire  conventionnelle  a  pris  l'habitude 
de  représenter.  On  verra,  par  l'exposé  de  nombreux 
projets  de  descente  en  Angleterre,  encore  inédits  pour 
la  plupart,  avec  quelle  persévérance  les  hommes  du 
métier  songeaient  à  la  question  anglaise.  Mais  on  verra 
aussi  qu'il  y  a  dans  l'histoire  de  ce  passé,  illustré  de 
tant  d'actions  d'éclat  et  riche  de  tant  de  combinaisons 
militaires,  je  ne  sais  quoi  d'irritant  et  de  décourageant  : 
c'est  de  savoir  que  tous  ces  efforts  individuels  pour  faire 
de  la  France  une  puissance  militaire  et  coloniale  se 
heurtèrent  pendant  si  longtemps  au  mauvais  vouloir 
ou  à  l'indifférence  de  ceux  qui  avaient  la  direction  géné- 
rale de  la  politique. 

En  1752,  au  moment  où  Dupleix,  réduit  cependant  à 
ses  seules  forces,  était  en  train  de  fonder  au  Dekhan  et 
au  Bengale  un  empire  franco-indien,  un  commissaire 
du  roi  près  la  compagnie  des  Indes,  fidèle  écho  des 
idées  de  Versailles,  écrivait  :  <(  On  ne  veut  pas  se  rendre 
une  puissance  politique  dans  l'Inde  ;  on  ne  veut  que  quel- 
ques établissements  en  petit  nombre  pour  aider  et  proté- 
ger le  commerce  :  point  de  victoires,  point  de  conquêtes, 
beaucoup  de  marchandises  et  quelque  augmentation  de 
dividende  ^  »,  comme  si  l'on  pouvait  avoir  beaucoup  de 


3.  Lettre  d'ET.   de  Silhouette,   du   13   septembre  1752   :   Doneaud  du 
Plan,  Ilisloire  de  la  Compagnie  française  des  Indes,  R.  M.  C.,t.  CI,  p.  546. 


16  LA  MARINE  MILITAIRE  SOUS  LOUIS  XV. 

marchandises  et  quelque  augmentation  de  dividende 
sans  conquêtes  et  sans  victoires,  et  comme  si  des 
victoires  dans  l'Hindoustan  étaient  possibles  sans  une 
forte  marine.  L'Inde,  comme  on  l'a  dit  avec  raison,  est 
un  don  de  la  puissance  navale  ^.  En  dépit  de  tout  ce 
qu'elle  doit  à  Clive  et  à  Waren  Hastings,  l'Angleterre 
n'aurait  jamais  été  maîtresse  de  l'Hindoustan^  si  elle 
n'avait  commencé  par  être  maîtresse  de  la  mer.  Car,  si 
les  colonies  sont  nécessaires  à  une  marine,  une  puis- 
sante marine  est  encore  plus  nécessaire  aux  colonies, 
car  elle  est  la  condition  même  de  leur  existence.  Mais 
comment  faire  comprendre  ces  vérités  à  Berryer,  mi- 
nistre de  la  marine  ?  Bougainville  était  venu  lui  de- 
mander, de  la  part  de  l'héroïque  Montcalm,  les  navires 
qui  pouvaient  encore  sauver  le  Canada  aux  abois. 
«  Monsieur,  lui  répondit  le  ministre,  quand  la  maison 
brûle,  on  ne  s'occupe  pas  des  écuries.  » 

Les  Français  qui  conduisaient  l'opinion  publique  par- 
tageaient ou  encourageaient  les  idées  des  gouvernants 
et  entretenaient  dans  le  public  les  mêmes  préjugés 
contre  la  marine  et  les  colonies.  ((  Les  princes,  selon 
Montesquieu,  ne  doivent  pas  songer  à  peupler  de  grands 
pays  par  les  colonies  ;  l'effet  des  colonies  est  d'affaiblir 
le  pays  d'où  on  les  tire,  sans  peupler  ceux  où  on  les 
envoie.  » 

Ce  prétendu  axiome,  démenti  par  toute  notre  histoire, 
que  le  Français  n'a  pas  le  génie  colonisateur,  ou  cet 
autre  que  les  entreprises  coloniales  sont  des  folies,  on 
en  trouverait  l'écho  dans  maints  passages  de  Voltaire. 

«  Vous  connaissez  l'Angleterre,  demande  un  per- 
sonnage de  Candide  ;  y  est-on  aussi  fou  qu'en  France  ? 


/i.  Expression  d'un  officier  anglais.  Eardley-Wilmot  :  lï.  M.  C,  t.  CXI, 
p.  132. 


LA  MARINE  DANS  LA  GRANDEUR  DE  l'aNCIENNE  FRANCE.   17 

^  C'est  une  autre  espèce  de  folie,  dit  Martin.  Vous 
savez  que  ces  deux  nations  sont  en  guerre  pour  quelques 
arpents  de  neige  vers  le  Canada,  et  qu'elles  dépensent 
pour  cette  belle  guerre  beaucoup  plus  que  tout  le  Canada 
ne  vaut.  De  vous  dire  précisément  s'il  y  a  plus  de  gens 
à  lier  dans  un  pays  que  dans  un  autre,  c'est  ce  que  mes 
faibles  lumières  ne  me  permettent  pas.  »  Le  6  sep- 
tembre 1762,  Voltaire  écrivait  au  comte  de  Choiseul  : 
((  J'entends  la  voix  de  beaucoup  d'étrangers  :  tous 
disent  qu'on  doit  vous  bénir  si  vous  faites  la  paix,  à 
quelque  prix  que  ce  soit.  Permettez-moi  donc,  Moi- 
seigneur,  de  vous  en  faire  mon  compliment.  Je  suis 
comme  le  public,  j'aime  beaucoup  mieux  la  paix  que 
le  Canada,  et  je  crois  que  la  France  peut  être  heureuse 
sans  Québec.  Vous  nous  donnez  précisément  ce  dont 
nous  avons  besoin.  Nous  vous  devons  des  actions  de 
grâces  ^  ...)> 

Il  faut  ajouter  que  le  mépris  de  Voltaire  pour  le 
Canada  était  fait  en  partie  de  ses  préférences  pour  la 
Louisiane  ^.  En  réalité,  il  nous  tenait  pour  incapables 
de  rien  fonder  au  delà  des  mers.  Fonder  une  colonie, 
écrit-il  à  un  intendant  de  Sainte-Lucie,  «  ce  n'est  pas 
où  les  Français  réussissent  le  mieux.  Nous  aurons  tou- 
jours cent  filles  d'opéra  contre  une  Didon"^.  »  Ce  n'est 
pas  comme  <(  nos  ennemis  les  Anglais,  qui  entendent 
mieux  la  marine  et  le  commerce  que  messieurs  les  Pa- 
risiens s.  » 


5.  Choiseul  lui-même  était  à  l'unisson  de  son  oorrèepondant  ;  il  lui  anno»- 
çait  la  perte  du  Canada  sur  ce  ton  d'élégant  badlnage  :  «  Si  vous  comptiez 
sur  nous  pour  les  fourrures  de  cet  hiver,  je  vous  avertis  que  c'est  en  Angle- 
terre qu'il  faut  vous  adresser.  »  P.  Calmettes,  Choiseul  et  Voltaire,  d'après 
les  lettres  inédites  du  duc  de  Choiseul  à  Voltaire.  Paris,  1902. 

6.  Voir  sa  lettre  à  Tronchîu  du  5  mai  1758  et  sa  lettre  à  d'Argen- 
tal  du  1"  novembre  1760.  , 

7.  A  Chardon,  lettre  du  2  février  1767. 

8.  A  Tronchin,  lettre  du  5  mai  1758. 

2 


18  LA  MARINE  MILITAIRE  SOUS  LOUIS  XV. 

Mais  ces  Parisiens  ou  ces  Français,  qui  entendent  si 
mal  la  marine  et  le  commerce,  sait-on  ce  qu'ils  avaient 
fait  au  Canada  et  aux  Antilles,  à  une  époque  où  l'on 
semblait  ignorer  l'existence  de  ces  colonies  ?  Le  Canada 
avait,  en  1688,  11000  habitants  ;  en  1721,  25  000  ;  en 
1759,  54  000.  C'était  peu  encore  pour  peupler  les  im- 
mensités du  Saint-Laurent  et  des  Grands  Lacs  ;  mais 
quelle  merveilleuse  vitalité  de  cette  population  dont  le  \ 
nombre  quintuple  en  deux  tiers  de  siècle  !  A  la  Marti- 
nique, à  la  Guadeloupe,  à  Saint-Domingue,  de  1701  à 
1754,  c'est  un  accroissement  de  61  000  blancs  et  de 
296  000  noirs,  et  une  population  totale  de  414  000  habi- 
tants contre  245  000  dans  les  Antilles  anglaises  ^. 

Que  signifient  les  chiffres  pour  ceux  qui  volontai- 
rement se  mettent  un  bandeau  sur  les  yeux  ?  Nos 
colonies  ont  été  prises,  notre  marine  a  été  vaincue.  Quoi 
d'étonnant,  si  l'on  n'a  rien  fait  pour  sauver  nos  colonies 
et  faire  triompher  notre  marine  !  Peu  importe  :  colonies 
et  marine  sont  enveloppées  dans  la  même  réprobation  ; 
elles  ne  sont  pas  plus  faites  pour  les  Français  que  les 
Français  pour  elles.  Il  y  a  intérêt  à  citer  encore  Vol- 
taire, puisqu'il  était  le  représentant  le  plus  illustre  de 
l'opinion  qui  passait  pour  éclairée. 

Dans  le  Précds  du  siècle  de  Louis  XV  ^^  nos  désastres 
maritimes  de  la  guerre  de  Sept  ans  lui  inspirent  cette 
réflexion  :  «  Jamais  les  Anglais  n'ont  eu  tant  de  supé- 
riorité sur  mer  ;  mais  ils  en  eurent  dans  tous  les  temps... 
Quelle  est  la  raison  de  cette  supériorité  continuelle  ? 
N'est-ce  pas  que  les  Anglais  ont  un  besoin  essentiel  de 
la  mer,  dont  les  Français  peuvent  à  toute  force  se 
passer,  et  que  les  nations  réussissent  toujours,  comme 


9.  Chiffres   empruntés   aux  statistiques   officielles   publiées  par   L.    Des- 
champs, Histoire  de  la  question  coloniale  en  France,  1891  ;  p.  234-235. 

10.  Cl)apitre  xxxv. 


LA  MARINE  DANS  LA  GRANDEUR  DE  l'aNCIENNE  FRANCE.    19 

on  l'a  déjà  dit  ^^,  dans  les  choses  qui  leur  sont  abso- 
lument nécessaires?...  )>  Voici  enfin  un  mot  cruel  de  sa 
correspondance  ^^  :  «  On  a  bien  raison  de  dire  de  la 
France  : 

Non  illi  imperium  pelagi.  » 

Qu'on  mesure  à  présent  toute  la  profondeur  de  l'évo- 
lution qui  s'était  opérée  en  un  siècle  et  demi  dans  les 
esprits  :  d'une  part,  Richelieu,  qui  écrit  pour  «  repré 
senter  l'intérêt  que  le  roi  a  d'être  puissant  sur  la  mer  »  ; 
d'autre  part,  Voltaire  qui  n'accorde  à  la  France  d'autre 
ambition  que  d'être  une  puissance  continentale  et  qui 
affirme  que  l'empire  de  la  mer  n'est  point  pour  elle. 

L'écrivain  qui  faisait  à  la  France  l'application  malen- 
contreuse d'un  vers  de  YEnéide  ne  vécut  pas  assez  long- 
temps pour  voir  à  quel  point  il  s'était  trompé.  Quel 
démenti  la  guerre  d'Amérique  ne  devait-elle  pas  donner 
bientôt  à  cette  affirmation  irréfléchie  !  Chaque  fois  que 
la  France  a  voulu  s'occuper  sérieusement  des  choses  de 
la  mer,  elle  a  été  capable  sinon  d'enlever  toujours  à  ses 
rivaux  le  ((  trident  de  Neptune  »,  du  moins  de  le  leur 
disputer  et  de  les  obliger  à  en  partager  la  possession 
avec  elle.  ]\Iais  on  compte  les  fois  dans  son  histoire  où 
elle  a  su  se  garder  de  l'obsession  exclusive  des  ques- 
tions continentales,  où  elle  a  su  comprendre  que,  même 
pour  des  questions  qui  paraissent  purement  continen- 
tales, la  solution  se  trouve  bien  souvent  dans  la  pos- 
session de  la  Méditerranée  ou  de  l'Océan. 

En  exposant  ces  idées  générales,  on  a  voulu  donner 
à  l'avance  l'explication  de  nos  revers  et  de  nos  succès 
sur  mer  au  cours  du  xvm^  siècle.  Deux  textes  inédits,  du 

11.  Dans  son  panégyrique  de  Louis  XV  (1748) 

12.  A  Chardon,  3  avril  1767. 


20  LA  MARINE  MILITAIRE  SOUS  LOUIS  XV. 

milieu  du  règne  de  Louis  XV,  peuvent  servir  ici  de  con- 
clusion. 

«  Lorsqu'on  a  dit  que  la  France  ne  devait  pas  être 
une  puissance  maritime,  —  est-ce  que  celte  hérésie  n'a 
pas  encore  reparu  de  nos  jours  ?  —  on  connaissait  bien 
peu  l'influence  que  la  mer  a  sur  la  terre  ;  il  faut  qu'elle 
le  devienne,  puisque  c'est  sur  mer  qu'on  l'outrage.  Et 
il  faut  renoncer  à  être  longtemps  respecté  sur  terre  Si 
on  ne  se  met  pas  en  état  de  donner  la  loi  par  mer  ^^...  » 
Cette  citation  est  empruntée  à  un  mémoire  anonyme, 
écrit  vers  1750  :  Moyens  proposés  pour  agir  le  plus 
nllensivement  possible  contre  les  Anglais  et  pour  ra- 
nimer  en  France  le  goût  pour  la  marine. 

Voici  encore  la  même  idée  sous  une  autre  forme  : 
«  Le  bien  de  la  marine  ne  doit  pas  être  perdu  un  moment 
de  vue,  sans  quoi  c'est  jouer  le  sort  et  les  avantages  du 
royaume.  )>  Cette  phrase  se  trouve  dans  une  lettre  que 
le  maréchal  de  Conflans  écrivait  au  duc  d'Aiguillon  le 
27  septembre  1757  i^.  C'était  deux  ans  avant  la  bataille 
qui  devait  rendre  tristement  célèbre  le  nom  du  maréchal. 
S'il  fut  un  mauvais  manœuvrier  dans  les  parages  de 
Belle-Ile,  du  moins  disait-il  pleinement  la  vérité  dans 
cette  lettre  privée  ;  et  n'aurait-il  pas  été  en  droit  de 
faire  remonter  une  partie  de  la  responsabilité  de  son 
désastre  au  gouvernement  imprévoyant  qui,  au  lieu  de 
s'occuper  du  «  bien  de  la  marine  >>,  avait  trop  souvent 
regardé  vers  les  bords  du  Scamandre  »  ? 

13.  A.  M..  B*  300,   fol.   5!. 

14.  A.   M.   B*  7''i,   fol,   1U4. 


CHAPITRE  II 


INSTITUTION   DU   CONSEIL   DE   MARINE. 


Etat  de  la  marine  en  1715.  —  Disgrâce  de  Jérôme  de  Pontchartrain.  ~ 
Composition  du  Conseil  de  Marine. 

Il  ne  semble  pas  que  l'on  puisse  juger  de  deux  ma- 
nières la  régence  de  Philippe  II,  duc  d'Orléans.  Ban- 
queroute financière,  banqueroute  morale,  banqueroute 
politique,  c'est  sous  les  auspices  de  cette  triple  faillite 
nationale  que  s'ouvrit  le  règne  de  l'arrière-petit-fils  de 
Louis  le  Grand  :  triste  école  pour  former  un  prmce 
absolu  au  sentiment  de  ses  devoirs  comme  homme  et 
comme  roi.  Mais,  sans  songer  à  plaider  les  circonstances 
atténuantes  pour  une  époque  qui  n'en  mérite  pas,  il 
faut  du  moins  constater  que  la  succession  transmise 
par  Louis  XIV  à  Louis  XV,  ou  plutôt  au  Régent,  était 
singulièrement  lourde  et  obérée.  La  justice  veut  qu'avant 
d'exposer  tout  le  mal  que  la  Régence  fit  à  notre  marine 
militaire,  on  constate  d'abord  l'état  dans  lequel  se  trou- 
vaient nos  escadres,  nos  ports,  nos  équipages  vers 
l'année  1715. 

Il  est  difficile  d'exprimer  par  un  chiffre  précis  la 
valeur  de  notre  effectif  naval  à  cette  époque.  Les  statis- 
tiques ne  concordent  guère  :  l'une  indique  —  pour  1712 


22  LA  MARINE  MILITAIRE  SOUS  LOUIS  XV. 

—  quatre-vingt-seize  vaisseaux  de  44  à  110  canons,  plus 
vingt-neuf  autres  bâtiments  de  nature  diverse,  soit  en 
tout  cent  vingt-cinq  unités  navales  ^  ;  une  autre  parle 

—  pour  1715  même  —  de  quarante  vaisseaux  en  tout  2. 
Ce  second  chiffre  peut  être  trop  faible,  mais  le  premier 
est  certainement  trop  fort,  car  il  est  trop  voisin  du  chiffre 
officiel  de  cent  cinq  vaisseaux  de  ligne  et  vingt-quatre 
vaisseaux  de  cinquième  rang,  sans  parler  de  divers 
bâtiments  secondaires  et  de  quarante  galères  3,  qui 
représente  l'effectif  de  l'armée  navale  de  la  France  en 
1690,  sous  le  ministère  de  Seignelay,  à  l'époque  de  sa 
plus  grande  splendeur.  Il  faut  ajouter,  à  propos  de  ce 
matériel  naval  comme  de  bien  des  choses,  que  les 
chiffres  n'ont  de  sens  que  si  l'on  peut  se  rendre  compte 
de  la  valeur  intrinsèque  des  objets  qu'ils  représentent  : 
cent  vingt-cinq  bâtiments  peuvent  être  cent  vingt-cinq 
non-valeurs,  et  quarante  bâtiments  peuvent  composer 
des  escadres  de  premier  ordre. 

Or,  dans  la  flotte  royale  de  la  fin  du  grand  règne,  la 
quantité  n'était  certainement  pas  compensée  par  la  qua- 
lité. On  peut  le  deviner  avec  le  système  d'abandon  pro- 
gressif qui  fut,  sous  le  ministère  des  deux  Pontchartrain, 
le  caractère  de  notre  administration  maritime  et  qui  est 
attesté  par  les  chiffres  de  jour  en  jour  décroissants 
des  états  financiers  de  la  Marine.  En  réalité,  tous  les 
faits  que  l'on  peut  citer  dans  l'histoire  de  nos  escadres 
vers  1715  confirment  la  vérité  générale  de  la  triste  pein- 
ture que  le  maréchal  de  Villars,  gouverneur  de  la  Pro- 
Tence,   faisait  en  1716  des  ports   de    cette   province    et 


1.  BLANCHARD,  Répcrloire  générai  des  lois,  décrets...  sur  la  marine,  1849; 
p.    698. 

2.  [Bajot],  Revue  de  la  marine  française,  an  IX  ;  tableau  à  la  fin  du 
Tolume. 

3.  r;tat  sommaire  des  Archives  de  la  Marine,  1898,  p.  609  et   suiv. 


INSTITUTION   DU    CONSEIL   DE   MARINE.  23 

qu'il  rapporte  dans  les  lignes  suivantes  de  ses  Mé- 
moires *  : 

((  Le  maréchal  de  Villars  employait  les  jours  qu'il 
avait  de  libres  à  aller  voir  Toulon,  la  principauté  de 
Martigues...  et  quelques  villes  de  Provence  où  le  besoin 
de  sa  présence  et  la  curiosité  le  conduisaient.  Il  vit  avec 
douleur  la  destruction  de  cette  redoutable  marine  qui 
avait  triomphé  des  puissances  maritimes  unies,  c'est-à- 
dire  de  l'Angleterre  et  de  la  Hollande.  En  effet,  il 
trouva  à  Toulon  près  de  trente  vaisseaux  entièrement 
abandonnés,  citadelles  flottantes  dont  quelques-unes 
portaient  cent  vingt  pièces  de  canon,  et  qui  auparavant 
allaient  porter  la  gloire  du  roi,  celle  de  la  nation  et  la 
terreur  de  nos  armes  jusqu'aux  extrémités  de  la  terre. 
L'état  des  galères  à  Marseille  était  également  déplo- 
rable :  il  y  en  avait  quarante  dans  ce  port  dont  aucune 
ne  pouvait  mettre  à  la  mer,  quoiqu'elles  eussent  le  même 
nombre  de  troupes  et  de  forçats.  Le  maréchal  de 
Villars  fut  sensiblement  touché  à  ce  spectacle,  et  l'on  ne 
pouvait  guère  s'intéresser  à  la  gloire  du  nom  français, 
qu'il  avait  si  heureusement  rétablie,  sans  ressentir  le 
malheur  de  voir  la  nation  forcée  pour  longtemps  de  re- 
noncer à  triompher  sur  la  mer  comme  sur  la  terre.  » 

Voltaire  ne  s'abandonnait  donc  pas  à  un  mensonge 
de  poète  quand  il  écrivait  dans  la  Henriade,  précisément 
à  l'époque  de  la  Régence  : 

L'Océan  se  demande,  en  ses  grottes  profondes, 
Où  sont  tes  pavillons  qui  flottaient  sur  ses  ondes. 

Que  faire  de  ces  vaisseaux  qui  pourrissaient  à  Tou- 
lon ?  Un  moment  on  songea  à  les  vendre  pour  en  tirer 


4.  Édition  du  marguis  de  Vogué  (Société  de  l'histoire  de  France),  t.  IV, 
p.   84-85. 


OA 


LA  MARINE  MILITAIRE  SOUS  LOUIS  XV. 


un  dernier  parti  et  se  procurer  quelques  maigres 
ressources.  La  Régence  faillit  offrir  à  l'Europe  ce  spec- 
tacle, la  marine  du  grand  roi  mise  à  l'encan.  Il  y  eut,  en 
effet,  des  pourparlers  pour  vendre  au  pape  quatre 
vaisseaux,  que  le  Saint-Siège  entendait  prêter  à  Venise, 
une  fois  de  plus  en  guerre  avec  les  Turcs.  Il  y  en  eut 
aussi,  pour  le  même  objet,  avec  la  république  de  Gênes  : 
que  durent  en  penser  les  ombres  de  Seignelay  et  de 
Du  Quesne  ?  Ces  marchés,  d'ailleurs,  n'aboutirent  pas, 
pour  des  raisons  qui  ne  sont  pas  connues  ;  mais  ce  ne 
fut  certainement  pas  le  fait  d'un  sentiment  de  révolte 
patriotique  à  l'idée  de  vendre  notre  matériel  de  guerre 
à  des  puissances  secondaires,  car  on  regretta  plus  tard, 
paraît-il,  que  le  marché  n'eût  pas  été  conclu  ^. 

Quoi  de  plus  tristement  éloquent  sur  l'affreuse  misère 
dans  laquelle  se  mouraient  les  officiers,  les  équipages 
et  les  vaisseaux,  que  ces  dépêches  officielles,  envoyées 
de  Brest  ou  de  Toulon  au  Conseil  de  Régence  ou  au 
Conseil  de  Marine  quelques  jours  après  la  mort  de 
Louis  XIV  ! 

«  Il  représente  —  c'est  la  dépêche  d'un  intendant  de 
la  marine  à  Brest,  en  date  du  18  septembre  1715  —  que 
le  corps  de  la  marine  à  Brest  n'a  plus  aucune  ressource 
pour  subsister  et  que  les  officiers  attendent  avec  impa- 
tience les  secours  qui  leur  ont  été  promis.  »  En  marge 
du  registre  où  est  retranscrite  cette  dépêche,  on  trouve 
cette  réponse,  que  l'on  peut  lire,  à  peu  près  toujours 
la  même,  presque  à  chaque  page  :  «  Décision  du  Conseil 
de  Régence  :  Son  Altesse  Royale  a  destiné  des  fonds 
pour  les  dépenses  de  la  marine  et  les  fera  délivrer  le 
plus  promptement  possible  ^.  » 

Du  port  de  Toulon,  du  15  septembre  :  «  Les  gardiens, 


5.  V.  BRUN,  Guerres  maritimes  de  la  France,  I86I  ;  t.  I,  p.  154-155. 

6.  A.   M.   B'   1,  fol.  8. 


INSTITUTION  DU    CONSEIL   DE   MARINE.  25 

canonniers  et  apprentis  canonniers  n'ont  rien  reçu  de 
cette  année  ;  quelques-uns  sont  morts  de  faim  et  de 
misèi'e  ;  les  officiers  des  deux  espèces  [l'épée  et  la  plumej 
sont  à  peu  près  dans  le  même  cas.  »  En  marge  :  «  Le 
Conseil  estime  qu'il  est  nécessaire  de  leur  envoyer  au 
plus  tôt  de  l'argent,  ce  service  étant  très  pressé.  Son 
Altesse  Royale  y  pourvoira  le  plus  promptement  qu'il 
se  pourra.  » 

Du  même  lieu,  à  la  même  date,  voici  une  dépêche 
qui,  par  un  détail  d'habillement,  permet  de  sonder  la 
profondeur  de  cette  misère  :  «  Les  officiers  de  son  dépar- 
tement [Toulon]  sont  dans  une  si  grande  misère  qu'il  ne 
croit  pas,  dit  l'intendant,  que  la  plupart  puissent  prendre 
le  deuil  [du  feu  roi].  Il  serait  juste  de  les  soulager  le  plus 
promptement  qu'il  sera  possible.  »  En  marge  :  «  Le 
Conseil  ne  peut  que  représenter  l'extrême  besoin  de 
fonds.  Mgr  le  duc  d'Orléans  a  ordonné  des  fonds  qui 
seront  remis  incessamment"^.  » 

Continuons  l'exposé  de  ces  tristesses.  Le  bailli  de 
Bellefontaine  »  écrit  de  Toulon,  le  6  octobre  :  ((  11  ne 
peut  trop  représenter  la  misère  des  officiers  et  l'état 
fâcheux  des  vaisseaux,  dont  on  a  beaucoup  de  peine 
d'en  tenir  plusieurs  à  flot  ;  ils  dépérissent  de  manière 
qu'il  sera  impossible  de  les  radouber,  et  s'il  faut  attendre 
l'arrangement  des  Conseils  pour  envoyer  des  fonds, 
ces  vaisseaux  seront  absolument  perdus.  »  On  passe  la 
réponse. 

Du  chevalier  de  Vattaii,  capitaine  de  la  compagnie 
des  gardes,  c'est-à-dire  des  élèves-officiers  de  Toulon  ^  : 

7.  A.   M.,  B'   1,  fol.   296. 

8.  Jacques-Auguste,  bailli  de  Bellefontaine  de  La  Malmaison.  De 
Paris,  E.,  31  mars  1665;  L.,  1667;  C,  12  déc.  1673;  CE.,  1"  janv.  1703;  LG.» 
G  oct.  1712  ;  -|-  23  janv.  1720,  Toulon.  A.  M.,  C  161. 

9.  Le  bailli  de  Vattan.  De  Normandie.  G.,  24  déc.  1680  ;  L.,  1"  janv.  1691  ; 
C,  1"  janv.  1703;  commandant  des  gardes-marine  de  Toulon,  17  avr.  1714  ; 
CE.,  27  mars  1728  ;  ^  1"  août  1738,  Toulon.  A.  M.,  C  161. 


26 


LA  MARINE  MILITAIRE  SOUS  LOUIS  XV. 


((  La  misère  des  gardes  est  si  grande  que  quelques-uns 
ne  vont  point  aux  salles  faute  de  souliers  et  ne  vivent 
que  de  charité.  Il  n'ose  les  mettre  en  prison,  n'ayant  pas 
de  quoi  s'y  nourrir.  Cependant  cette  tolérance  est  pré- 
judiciable au  service  et  à  la  discipline  qu'il  doit  leur 
faire  observer  ;  cette  troupe  est  la  seule  —  il  ne  semble 
pas  que  cette  affirmation  soit  exacte  —  qui  ne  touche 
point  de  prêt  depuis  plusieurs  années.  Il  sérail  juste  de 
leur  faire  donner  trois  mois.  »  La  réponse  ne  varie  pas  : 
«  Le  Conseil  y  pourvoira  le  plus  tôt  qu'il  se  pourra  i°.  » 

Même  détresse  chez  les  professeurs,  avec  les  détails 
qui  seraient  comiques  s'ils  n'étaient  point  aussi  tristes. 
«  Le  maître  d'hydrographie,  écrit  le  commandant  des 
gardes  à  Rochefort,  n'a  plus  de  sphère,  plus  de  compas 
ni  de  cartes...  Le  maître  d'escrime  n'a  plus  que  deux 
fleurets  et  point  de  sandales...  » 

C'est  probablement  à  cause  de  cette  misère  que  le 
Conseil  de  Marine  autorisait,  en  1716,  le  mariage  d'un 
garde  de  Toulon  avec  une  «  vieille  veuve  »  (sic),  âgée  de 
soixante-huit  ans.  Le  commandant  de  la  compagnie 
avait  écrit  à  ce  sujet  :  «  La  vieille  veuve  offre  de  faire 
au  garde  une  donation  de  tout  son  bien,  qui  est  au  moins 
de  vingt  mille  livres,  qui  est  une  espèce  de  fortune  pour 
ce  jeune  homme  dans  la  mauvaise  situation  de  ses 
affaires  ^^.  »  Mais  des  expédients  de  cette  nature  n'étaient, 
ni  à  la  portée  ni  au  goût  de  tout  le  monde.  Aussi  les 
officiers  continuaient  de  mourir  de  faim  en  attendant 
l'arriéré  de  leur  solde. 

L'intendant  Vauvré,  membre  du  Conseil  de  Marine  ^^ 


10.  A.   M.,  B'   fol.   322,   325. 

11.  Histoire  de  l'Ecole  navale  et  des  institutions  qui  l'ont  précédée,  par  un 
ancien  officier,  1889  ;  p.  74,  83. 

12.  Louis  Girardin,  seigneur  de  Vauvré.  E.,  1665  ;  commissaire  ordinaire 
de  la  marine,  janv.  1670  ;  commissaire  général  à  Rochefort,  1673  ;  intendant 
à  Toulon,  1680  ;  conseillôr  du  Conseil  de  Marine  ;  mort  à  Paris,  29  sept.  1724. 


INSTITUTION   DU    CONSEIL   DE   MARINE.  27 

écrivait  à  l'administrateur  du  port  de  Toulon  :  «  Un  de 
mes  étonnements  est  de  voir  la  constance  des  officiers 
de  tous  rangs  et  comme  ils  peuvent  subsister.  Mgr  le 
comte  de  Toulouse,  M.  le  maréchal  d'Estrées  et  nous, 
ne  cessons  de  représenter  leur  malheureuse  situation  ; 
mais  quelque  pitié  qu'elle  fasse  à  M.  le  duc  d'Orléans, 
nous  voyons  qu'il  est  dans  l'impossibilité  d'y  remé- 
dieras. » 

Dans  un  mémoire  de  1710,  Fénelon  avait  fait  de  la 
situation  de  la  France  une  effrayante  peinture  :  «  C'est 
une  vie  de  bohèmes  et  non  pas  de  gens  qui  gouvernent. 
Il  paraît  une  banqueroute  universelle  de  la  nation.  » 
Dans  sa  fameuse  lettre  à  Louis  XIV,  écrite  environ 
quinze  ans  plus  tôt,  il  disait  déjà  :  «  La  France  entière 
n'est  plus  qu'un  grand  hôpital  désolé  et  sans  provi- 
sions. ))  Hôpital  ou  cimetière,  c'est  l'image  qui  vient  à 
l'esprit,  quand  on  se  rend  compte,  documents  en  mains, 
de  cette  prodigieuse  misère  des  hommes  et  des  choses 
dans  la  marine  française  à  la  fin  du  règne  de  Louis  XIV. 

A  qui  faire  remonter  la  responsabilité  d'une  situation 
si  triste  ?  Les  Mémoires  de  Saint-Simon  rapportent  — 
avec  cette  abondance  de  détails  et  cette  satisfaction 
débordante  qui  sont  familières  au  terrible  annaliste  quand 
il  s'agit  de  personnages  dont  il  a  fait  ses  victimes,  — 
que  le  P"*  octobre  1715  et  le  lendemain  il  y  eut  deux 
séances  au  Conseil  de  Régence,  en  présence  du  secré- 
staire  d'Etat  de  la  marine,  Jérôme  de  Pontchartrain,  pour 
examiner  la  situation  de  son  département.  Le  maréchal 
d'Estrées  lut  le  premier  un  mémoire  où  l'administration 
de  Pontchartrain  était  prise  à  partie  ;  puis  le  comte  de 

A.  M.,  C  161  ;  Etat  sommaire  des  Archives  de  la  Marine  antérieures  d  la 
Mévolution,  p.  83,  377. 

13.  Brun,  Guerres  maritimes...,  t.  I,  p.  152. 


28  LA  MARINE  MILITAIRE  SOUS  LOUIS  XV. 

Toulouse  en  Lut  un  autre  ((  le  plus  amer,  le  plus  cruel 
qui  fut  jamais»  ;  l'amiral  de  France  y  montrait  «  que 
de  propos  délibéré,  il  —  Ponchartrain,  qui  assistait  à 
la  lecture  de  ces  actes  d'accusation  —  avait  ruiné  la  ma- 
rine, et  très  nettement  qu'il  ne  s'y  était  rien  moins  que 
ruiné  lui-même.  » 

L'accusé  ne  pouvait  rester  sous  le  coup  de  ces  impu- 
tations. Il  composa,  lui  aussi,  un  mémoire  sur  son  admi- 
nistration :  évitant  les  personnalités  et  la  discussion  des 
menus  détails,  il  s'efforça  d'y  présenter  les  choses  sous 
un  tout  autre  jour  et  de  plaider  sa  cause,  surtout, 
semble-t-il,  en  vue  de  la  postérité.  Voici  quelques  pas- 
sages de  ce  plaidoyer  inédit,  conservé  aux  Archives  de 
la  Marine  ^^  : 

«  A  considérer  la  marine  et  les  galères  de  France 
dans  l'état  où  elles  sont  aujourd'hui  par  rapport  à  celui 
auquel  elles  étaient  en  1690,  lors  de  la  mort  de  M.  de 
Seignelay,  et  celui  auquel  elles  se  trouvaient  en  1699 
lorsque  mon  père  fut  fait  chancelier  de  France,  il  n'y  a 
personne  qui  ne  me  condamne  d'avoir  laissé  périr  entre 
mes  mains  à  ce  point  deux  corps  aussi  respectables,  et 
les  personnes  qui  seraient  les  plus  prévenues  en  ma 
faveur  ne  pourraient  me  justifier  de  négligence  si  on 
en  demeurait  à  l'extérieur  ;  mais,  quand  on  voudra  bien 
considérer  les  malheurs  arrivés  à  la  marine  pendant  le 
temps  que  j'en  ai  été  chargé,  le  défaut  de  fonds  conti- 
nuel, je  me  flatte  que  l'on  sera  encore  plus  étonné  de 
voir  qu'elles  subsistent  que  de  les  voir  déchues.  »  Le 
secrétaire  d'Etat  imputait  avant  tout  cette  décadence 
aux  expédients  financiers  auxquels  il  avait  été  réduit, 
par  le  refus  des  contrôleurs  généraux  de  lui  venir  en 
aide  ;  il  expHquait  à  quelles  combinaisons  désastreuses 

14.   G  127,  fol.  4-9. 


INSTIT'JTION   DU    CONSEIL   DE    MARINE.  29 

il  s'était  trouvé  acculé.  En  concluant,  il  rappelait 
((  toute  la  peine  et  tout  le  travail  qu'il  a  fallu  se  donner 
pour  soutenir  pendant  quinze  années  entières  —  quoique 
mal  —  toutes  les  parties  d'un  service  tel  que  celui-là, 
sans  argent,  sans  secours  et  avec  toutes  les  contra- 
dictions imaginables  de  toute  part.  )>  Ces  «  contradic- 
tions »  auxquelles  faisait  allusion  le  ministre  en 
disgrâce,  c'était  bien  la  vraie  cause  de  la  ruine  de  la 
marine  ;  et  par  ce  mot  il  faut  entendre  non  pas  les 
conflits  de  personnes,  comme  les  contestations  de  Pont- 
chartrain  avec  le  comte  de  Toulouse,  mais  l'orientation 
purement  continentale  de  la  politique  de  Louis  XIV 
dans  les  vingt  dernières  années  de  son  règne. 

Il  ne  s'agissait  pas  de  tenir  compte  des  arguments 
justificatifs  du  ministre  ;  il  s'agissait  de  se  débarrasser 
d'une  personne  dont  la  présence  au  Conseil  de  Régence 
était  «  insupportable  »  à  toute  une  cabale  ;  ^1  fallait  ne 
pas  se  laisser  ((  salir  par  cette  araignée  venimeuse  que 
chacun  souhaitait  dehors  ».  Saint-Simon,  qui  parle 
ainsi,  se  chargea  de  l'affaire  ;  il  proposa  à  son  ami  le 
Régent  de  demander  à  Pontchartrain  la  démission  de 
sa  charge  de  secrétaire  d'Etat  et  de  l'attribuer  sur-le- 
champ,  comme  un  moyen  de  gagner  le  grand-père,  au 
jeune  Maurepas,  fils  aîné  de  «  l'araignée  venimeuse  »  ; 
en  attendant  que  Maurepas,  qui  n'avait  que  quinze  ans, 
fût  en  âge  de  faire  les  fonctions  de  sa  charge,  on  le  ferait 
suppléer  par  son  parent,  le  marquis  de  La  Vrillière. 
L'expédient  fut  approuvé  par  le  Régent  ;  le  lendemain, 
4  novembre,  Saint-Simon  avait  amené  le  chancelier 
Ponchartrain  à  faire  démissionner  son  fils,  et  la  substi- 
tution des  personnes  était  accomplie.  Laissons  Saint- 
Simon  croire  que  <(  cette  nouvelle  répandit  la  joie  dans 
Paris  et  après  dans  les  provinces  »,  quand  on  apprit  le 
sort  de  cet  «  ex-baclia  si  rude  et  si  superbe  »  ;  laissons 


30  LA  MARINE  MILITAIRE  SOUS  LOUIS  XV. 

le  s'applaudir  <(  d'avoir  perdu  Pontchartrain  et  sauvé 
sa  charge  à  son  fils.  »  Voyons  plutôt  ce  que  le  nouveau 
gouvernement  décida  pour  la  marine. 

Dans  ses  conversations  avec  le  Régent,  qui  forment 
comme  un  programme  complet  de  réorganisation  poli- 
tique,   Saint-Simon  n'avait  pas  manqué  de  le  presser 
«  de  songer,  autant  que  les  finances  le  pourraient  porter, 
au  rétablissement  de  la  marine  »  ;  il  se  rappelait  avec 
douleur  le  temps  peu  éloigné  où  le  feu  roi  avait  disputé 
l'empire  de  la  mer  à  l'Angleterre  et  à  la  Hollande  réunies, 
avait  remporté  des  succès  et  des  victoires,  et  voici  que 
depuis  quelques  années  l'Angleterre  couvrait  la  mer  de 
ses  vaisseaux  et  y  donnait  la  loi  à  toutes  les  puissances. 
Les  moyens  de  restauration    qu'il    proposait    n'étaient 
d'ailleurs  que  des  palliatifs    impuissants,    comme    cela 
est  arrivé  plus  d'une  fois  à  cet  écrivain   admirable,    si 
perspicace  à  voir  le  mal,  si  éloquent  à   le    décrire,    et 
souvent  si  chimérique  dans  les  remèdes  qu'il  imaginait. 
Il  parlait    d'augmenter    l'émulation    dans    la    marine, 
d'augmenter  pour  elle  le  nombre  des  récompenses,   de 
lui  affecter,  —  ce  qui  n'eût  été  d'ailleurs  qu'une  œuvre 
d'administration  bien  entendue,  —  le  gouvernement  de 
tous  les  ports  et  de  tous  leurs  états-majors.  En  attendant 
l'examen  de  ces  questions  de  détail,  on  dota  tout  de  suite 
l'administration  de  la  Marine  de  l'un    de    ces    conseils 
que  l'on  regardait  alors  comme    le    remède    souverain 
contre  les  abus  de  l'omnipotence  ministérielle 

C'était,  disait-on,  une  des  idées  du  feu  duc  de  Bour- 
gogne, le  père  du  jeune  Louis  XV,  de  mettre  un  terme 
à  «  la  tyrannie  que  ces  cinq  rois  de  France  Lie  contrôleur 
et  les  secrétaires  d'Etat]  exerçaient...  sous  le  nom  du 
roi  véritable,  »  et  de  les  précipiter  de  «  l'insupportable 
hauteur  où  ils  étaient  montés.  »  A  cet  effet,  une  décla- 


INSTITUTION   DU    CONSEIL   DE   MARINE.  31 

ration  du  15  septembre  1715  portait  établissement  de 
sept  conseils  de  gouvernement,  non  compris  le  Conseil 
de  Régence.  Une  ordonnance  du  3  novembre  organisait 
spécialement  le  Conseil  de  Marine  ;  quelques  mois  plus 
tard,  le  11  juillet  1716,  une  nouvelle  ordonnance,  formait 
le  règlement  définitif  de  ce  conseil.  Voici  les  points  inté- 
ressants de  cette  charte  administrative  en  trente  ar- 
ticles 1^. 

Le  Conseil  de  Marine  se  tiendra  dans  une  des  salles 
du  palais  du  Louvre  deux  fois  par  semaine  et  même  plus 
souvent,  selon  que  la  multiplicité  des  affaires  l'exigera. 
—  Il  sera  composé  du  maréchal  d'Estrées,  président^  ; 
du  maréchal  de  Tessé,,  du  marquis  de  Coëtlogon,  du 
marquis  d'Asfeld,  du  comte  de  Champigny,  des  sieurs 
Renau,  FerrancI,  Bonrepaus,  Vauvré,  conseillers  ;  du 
sieur  de  La  Chapelle,  secrétaire.  —  Le  comte  de  Tou- 
louse, amiral  de  France,  y  assistera  toutes  les  fois  qu'il  le 
jugera  à  propos.  —  Le  Conseil  sera  chargé  de  tout  ce  qui 
concerne  la  marine  du  Levant  et  du  Ponant,  les  galères, 
les  consulats,  les  colonies,  pays  et  concessions  des  Indes 
orientales  et  occidentales  et  d'Afrique,  les  fortifications 
des  places  maritimes  ci-après  dénommées...  —  Les  affaires 
seront  préparées  par  le  comte  de  Toulouse  d'accord 
avec  le  président,  puis  délibérées  dans  le  Conseil  et 
décidées  à  la  pluralité  des  voix,  la  voix  du  comte  de 
Toulouse  étant  prépondérante  en  cas  de  partage.  —  Le 
comte  de  Toulouse  et  le  président  rendront  compte  au 
Régent  des  affaires  sur  lesquelles  il  sera  nécessaire  de 
recevoir  ses  ordres. 

La  composition  du  Conseil,  qui  avait  été  arrêtée  entre 
le  duc  d'Orléans  et  Saint-Simon,  est  la  meilleure  preuve 


15.  A.  M.,  A'  51  ;  B'  7,  fol.  24-32.  (Cette  ordonnance  ne  figure  pas  dans  le 
Recueil  des  ancievnes  lois  françaises  d'ISAMBERT.)  Cf.  L'Etat  de  la  France, 
année  1718  ;  t.  III. 


32  LA  MARINE  MILITAIRE  SOUS  LOUIS  XV. 

que  le  haut  personnel  de  la  marine  se  composait  encore, 
même  en  ces  jours  de  détresse,  d'hommes  d'une  réelle 
valeur. 

Le  comte  de  Toulouse  ^^  ce  bâtard  royal,  qui  a  trouvé 
grâce  devant  Saint-Simon,  méritait,  moins  par  sa 
fonction  d'amiral  de  France  que  par  les  quahtés  dont 
il  avait  fait  preuve  à  la  bataille  de  Velez-Malaga,  le  titre 
de  chef  du  Conseil  ;  il  suivait  avec  intérêt  et  compétence 
les  questions  maritimes  ;  il  aimait  à  s'en  entretenir  avec 
le  marquis  de  Villette,  dont  les  Mémoires  furent  rédigés 
à  son  intention  i"^,  ou  avec  le  secrétaire  de  ses  comman- 
dements, M.  de  Valincour,  auteur  de  divers  écrits  sur 
la  marine  et  dont  on  aura  à  parler  plus  loin.  De  lui- 
même  on  a  conservé  un  intéressant  Mémoire  sur  la 
marine^  de  1724,  qui  est  à  l'honneur  de  son  sens  poli- 
tique et  de  ses  qualités  d'administrateur. 

Victor-Marie  d'Estrées,  le  second  vice-amiral  et  ma- 
réchal de  ce  nom  i^,  avait  été  chargé,  en  1692,  du  com- 
mandement de  l'escadre  de  Toulon,  qui  devait  rejoindre 
Tourville  pour  la  descente  en  Angleterre  ;  il  avait  eu, 
avec  le  comte  de  Toulouse,  une  part  glorieuse  à  la 
journée  de  Malaga.  «  Homme  droit,  d'honneur,  sachant 
et  connaissant  bien  la  marine  ^^  »  :  c'est  ainsi  que  le 
définit  Saint-Simon. 


IG.  Louis-Alexandre  de  Bourbon,  comte  de  Toulouse,  fils  légitimé  de 
Louis  XIV  et  de  M°"  de  Montespan,  né  à  Versailles,  le  6  juin  1678  ;  mort  à 
Rambouillet,  le  1"  décembre  1737  ;  nommé  amiral  de  France  le  23  no- 
vembre 1683. 

17.  Philippe  de  Valois,  marquis  de  Villette,  né  en  163-2;  capitaine  de 
vaisseau.  12  mars  1672  ;  chef  d'escadre,  1"  Janvier  1686  ;  lieutenant  général, 
1"  novembre  1689  ;  mort  en  1707.  Voir  la  notice  de  Monmerqué.  en  tête 
de  son  édition  des  Mémoires  du  marquis  de  Villette,  1844.  (Publication  de 
la  Société  de  l'histoire  de  France.) 

18.  Fils  du  vice-amiral  et  maréchal  Jean  d'Estrées  ;  né  le  30  novembre  1660, 
mort  le  28  décembre  1737.  Du  vivant  de  son  père,  11  avait  porté  le  nom  de 
maréchal  de  Cœuvres. 

19.  Quand  il  rapportait  au  Conseil  de  Régence  les  affaires  du  Conseil  de 
Marine,    il    manquait    de    méthode,    d'après    ce    passage    de    Saint-Simon 


INSTITUTION   DU    CONSEIL   DE    MARINE.  33 

Tessé  20,  Coëtlogon  21,  d'Asfeld  22,  Champigny  23  étaient 
des  officiers  de  mérite,  avec  de  brillants  états  de  ser- 
vice. Benaii  d'Eliçagaray  ,  dit  le  petit  Renau  2^,  était  cet 
ingénieur  de  la  marine  que  l'invention  des  galiotes  à 
bombes  avait  rendu  justement  célèbre. 

Les  trois  autres  conseillers  appartenaient  à  la 
((  plume  ».  Girardin  de  Vauvré  était  peut-être  le  meilleur 
intendant  de  la  marine  ;  Ferrand  était  un  maître  des 
requêtes  ;  d'Usson  de  Bonrepaus,  intendant  général, 
qui  avait  été  le  principal  collaborateur  de  Colbert  pour 
la  création  du  service  des  classes  et  le  premier  directeur 
de  ce  service,  s'était  toujours  montré  un  administrateur 
hors  de  pair.  Pour  le  secrétaire,  La  Chapelle  25,  c'était 
un  ancien  commis  de  Pontchartrain,  que  celui-ci  avait 
chassé  de  ses  bureaux  et  que  Saint-Simon  fit  choisir 
par  esprit  de  représailles. 

Bref,  il  eût  été  difficile  de  trouver  des  noms  se  recom- 
mandant mieux  que  ceux  des  onze  personnes  qui,  à 
titres  divers,  composaient  le  nouveau  Conseil,  et  on  ne 
peut  qu'applaudir  à    ces    choix.    Cependant    on    peut 


{Mémoires,  édition  de  1873  ;  t.  XII,  p.  262)  :  «  La  Vrillière  le  comparait 
plaisamment,  mais  trop  justement,  à  une  bouteille  d'encre  fort  pleine, 
qu'on  verse  tout  à  coup  et  qui  tantôt  ne  fait  que  d'égoutter,  tantôt  ne 
Jette  rien,  tantôt  vomit  de  {sic)  flaques  et  de  gros  bourbillons  épais.  »  La 
même  comparaison  se  trouve  aussi  au  t.  III,  p.  376. 

20.  René  de  Froulay,  comte  de  Tessé  ;  né  vers  1650  ;  maréchal  de 
France  (1703)  ;  général  des  galères  (1712)  ;  mort  le  30  mai  1725.  Il  était  entré 
au  Conseil  de  Marine  comme  général  des  galères.  Saint-Simon  rapporte 
{Mémoires,  année  1717  ;  t.  XII,  p.  97)  que  le  dépit  de  voir  Tallart  entrer 
au  Conseil  de  Régence  amena  Téssé  à  se  retirer  du  Conseil  de  Marine 
«  Mais  il  se  garda  bien  d'en  rendre  les  appointements.  Ce  vide  ne  fit  aucune 
sensation.   » 

21.  Vice-amiral  du  Levant  et  maréchal  de  France,  Alain-Emmanuel  de 
Coëtlogon,  né  en  1646,  mort  le  7  juin  1730. 

22.  Le  marquis  d'Asfeld,  maréchal  de  France,  mort  le  7  mai  1743. 

23.  Antoine    Boschard,    comte    de    Champigny,    lieutenant    général    des 
armées  navales,  mort  le  23  octobre  1720 

24.  Né  dans  le  Béarn  en  1652  ;  mort  le  30  septembre  1719, 

25.  Sur  Henri  de  Bessat  de  La  Chapelle,  voir  l'Etat  sommaire  des  Archives 
de  la  Marine,  p.  39,  note  1. 

3 


34  LA  MARINE  MILITAIRE  SOUS  LO^  IS  XV. 

s'étonner  de  ne  pas  trouver  sur  cette  liste  le  nom  de 
Du  Guay-Trouin,  le  corsaire  devenu  chef  d'escadre  qui, 
au  temps  de  notre  plus  grande  misère  navale,  avait 
rendu  les  armes  du  roi  victorieuses  au  bout  du  monde. 
Cet  oubli  s'explique  peut-être  par  le  préjugé  contre  les 
officiers  «  bleus  )>,  qui  régnait  alors  dans  le  corps  de 
la  marine  et  dont  l'histoire  du  xviii^  siècle  n'offre  que 
de  trop  fréquents  et  fâcheux  exemples  ;  du  moins,  il  fut 
réparé,  dans  une  certaine  mesure,  quelques  années  plus 
tard. 

Le  Régent  fit  entrer  en  1723  l'illustre  Malouin,  avec 
quelques  autres  officiers  de  marine,  dans  le  Conseil  des 
Indes.  Dubois  lui  demanda  alors  des  mémoires  sur  le 
commerce  et  la  marine.  Après  la  mort  du  premier  mi- 
nistre, le  duc  d'Orléans  continua  à  le  consulter,  mais 
sans  tenir  grand  compte  de  ses  conseils,  car  Du  Guay- 
Trouin  ne  cessait  de  représenter  l'utilité  d'entretenir 
une  marine  qui  fût  toujours  prête  et  capable  de  nous 
faire  respecter  sur  mer  ^^. 


26. 


Vie  de  M.  Du  Guay-Trouin  écrite  de  sa  main Paris,  1884,  p.  212. 


CHAPITRE  III 

LA  MARINE  ET  LA  POLITIQUE  EXTÉRIEURE  DE  LA  RÉGENCE, 


Les  économies  du  Conseil  de  Marine.  —  Le  revirement  de  la  politique 
extérieure.  —  La  tentative  du  Prétendant.  —  Dubois  aux  Affaires 
étrangères.  —  La  question  de  Dunkerque.  —  La  Triple  .'Mliance 
—  Guerre  entre  la  France  et  l'Espagne.  —  Le  Dépôt  des  cartes  et 
plans. 


La  situation  de  la  marine,  que  le  Conseil  eut  à  exa- 
miner tout  de  suite,  était  lamentable,  les  témoignages 
déjà  rapportés  ne  le  montrent  que  trop  ;  cependant,  elle 
n'était  pas  absolument  désespérée.  Le  corps  des  officiers 
avait  toujours  sa  même  capacité  professionnelle  et  son 
même  dévouement  patriotique  ;  si  trop  de  bâtiments 
étaient  hors  de  service,  beaucoup  d'autres  n'avaient 
besoin  que  de  réparations  ou  d'entretien  ;  malgré 
l'abandon  où  on  les  avait  laissés,  nos  arsenaux  n'étaient 
pas  complètement  dégarnis.  La  restauration  de  la 
marine  n'était  donc  pas  impossible  ;  mais  pour  atteindre 
cette  fin,  indispensable  à  la  vraie  grandeur  du  pays, 
deux  conditions  étaient  nécessaires  :  les  moyens  maté- 
riels et  surtout  la  volonté  énergique  de  réagir.  Or,  on 
n'avait  pas  d'argent  et  moins  encore  de  désir  de  faire 
quoi  que  ce  fût  pour  la  marine. 

«  Le  Conseil  y  pourvoira  le  plus  tôt  qu'il  se  pourra.  » 
C'était,  comme  on  l'a  vu  la  réponse  de  style  que  le  Con- 


36  LA  MARINE  MILITAIRE  SOUS  LOUIS  XY- 

seil  opposait  à  toutes  les  demandes  d'argent,  même  les 
plus  urgentes.  Dans  l'épuisement  irrémédiable  où  se 
trouvaient  les  finances,  il  ne  put  jamais  y  <(  pourvoir  », 
et  il  prit  le  parti  d'affecter  à  la  Marine  des  sommes  qui 
pouvaient  lui  permettre  peut-être  d'agoniser  encore  pen- 
dant quelques  années,  mais  non  certes  de  revivre.  Pour 
mieux  comprendre  l'écart  avec  le  passé,  rappelons  que 
vers  1662  la  dépense  moyenne  annuelle  pour  les  ser- 
vices maritimes  était  d'environ  trois  millions  ;  elle  s'était 
élevée  très  vite  à  une  dizaine,  puis  à  une  douzaine  de 
millions  ;  pendant  les  dix  années  de  la  guerre  de  la 
ligue  d'Augsbourg,  elle  avait  été  de  vingt-cinq  millions 
par  an,  souvent  plus  :  ainsi,  en  1691,  —  c'est  le  chiffre 
maximum,  —  de  33  430  000  livres.  Après  avoir  fléchi, 
à  la  suite  de  la  paix  de  Ryswick,  jusqu'à  une  douzaine 
de  millions,  les  dépenses  remontèrent  encore  à  plus  de 
trente  millions  en  1705,  puis  en  1707,  elle  retombèrent 
à  quatorze  ^  Ces  chiffres  pourront  paraître  encore  élevés 
si  l'on  songe  aux  misères  atroces  de  la  guerre  de  la 
Succession  d'Espagne. 

Dès  ses  premières  séances,  le  Conseil  de  Marine 
décida  qu'à  partir  de  1716  les  fonds  de  la  Marine  ne 
seraient  plus  que  de  huit  millions  et  qu'il  en  serait 
accordé  d'extraordinaires  pour  les  armements  lorsqu'il 
y  aurait  lieu  d'en  faire  ;  par  armements,  il  fallait  en- 
tendre non  les  campagnes  en  temps  de  guerre,  mais  la 
mise  en  état  des  navires  pour  le  service  ordinaire  du 
temps  de  paix.  Sur  ce  total  de  huit  millions  la  moitié  n'in- 
téressait pas  le  budget  propre  de  la  Marine,  car  un  million 
et  demi  de  livres  étaient  affectées  aux  galères  et  deux 
millions  et    demi    aux    colonies.    Les    quatre    millions 


1.  Chiffres  pris  dans  l'Etat  sommaire  des  Archives  de  la  Marine,  p.  609 
ei  suiv. 


LA  MARINE  ET  LA  POLITIQUE  DE  LA  RÉGENCE.     37 

restants  suffisaient  à  peine  aux  dépenses  indispensables, 
solde  des  officiers  et  des  troupes,  entretien  des  hôpilaux, 
comptabilité  des  ports,  etc.  Sur  une  cinquantaine  de 
vaisseaux  qui  existaient  en  1715,  on  pouvait  tout  au 
plus  en  entretenir  quelques-uns,  de  manière  à  les  em- 
pêcher de  devenir  tout  à  fait  hors  de  service  ;  quant  à 
en  construire  de  nouveaux  pour  remplacer  les  non- 
valeurs,  il  n'y  fallait  point  songer. 

Maurepas,  qui  donne  ces  tristes  détails  dans  ses  Ré- 
flexions sur  le  commerce  et  sur  la  marine  2,  ajoute  cette 
remaraue  :  «  Parmi  les  motifs  qui  ont  pu  porter  à  ré- 
duire ainsi  la  marine,  j'ai  reconnu  que  l'économie  y 
avait  beaucoup  moins  de  part  que  le  système  politique 
que  l'on  s'était  formé  pendant  la  Régence,  de  ne  point 
donner  de  jalousie  aux  puissances  maritimes,  surtout 
à  la  Grande-Bretagne.  »  C'était  mettre  le  doigt  sur  la 
plaie. 

Il  faut,  en  effet,  chercher  dans  la  politique  extérieure 
du  Régent,  devenue  comme  une  tradition  pour  les  mi- 
nistres qui  le  suivirent,  la  vraie  explication  de  cette 
ruine  si  longue  de  la  marine  française.  Au  bout  de  près 
de  deux  siècles,  il  semble  qu'on  éprouve  comme  une 
honte  patriotique  d'exposer  ces  défaillances  de  la 
France  ;  on  songe  malgré  soi  au  mot  du  Discours  ano- 
nyme de  1626,  rapporté  dans  notre  premier  chapitre  : 
«  Ce  manquement...  nous  fait  mal  au  cœur.  »  Et  il  ne 
s'agit  pas  ici  d'un  «manquement»  dû  à  cette  inintelligence 
de  nos  intérêts  maritimes  qui  pesa  sur  la  France  jusque 
vers  Richelieu  :  il  s'agit  d'un  abandon  de  notre  marine, 
calculé,  volontaire,  systématique,  pour  le  plus  grand 
plaisir  et  profit  de  nos  voisins  d'outre-Manche.  Avant  de 

2.  Mémoire  de  1745.  A.  M.,  G  127,  fol.  29  et  suiv. 


38  LA  MARINE  MILITAIRE  SOUS  LOUIS  XV. 

travailler  pour  le  roi  de  Prusse,  le  gouvernement  de 
Louis  XV  devait  commencer  par  travailler  pour  le  roi 
d'Angleterre.  Pourrait-on  imaginer  un  pire  système  de 
politique  étrangère  ? 

Nous  avons  reproché  à  Louis  XIV  d'avoir  renoncé, 
après  la  bataille  de  la  Hougue,  à  continuer  la  grande 
guerre  sur  mer  et  à  conquérir  la  route  de  Londres  pour 
se  frayer  celle  de  Bruxelles,  de  Vienne,  de  Milan,  de 
Madrid.  Du  moins,  il  n'avait  cessé  de  comprendre  de 
quel  poids  l'inimitié  de  l'Angleterre  pesait  sur  notre 
politique,  depuis  la  fatale  révolution  de  1688.  Pour  en 
conjurer  les  effets  désastreux,  il  avait  imaginé  d'opposer 
à  la  puissance  anglaise  une  sorte  de  coalition  continen- 
tale par  l'union  de  la  France  et  de  l'Espagne  ;  de  là, 
ses  efforts  désespérés  pendant  treize  ans,  et  en  partie 
couronnés  de  succès,  pour  assurer  à  son  petit-fils  la 
succession  des  Habsbourg  d'Espagne.  Quelle  devait  donc 
être  notre  attitude  politique  après  la  paix  d'Utrecht  ? 
A  l'égard  de  l'Angleterre,  une  attitude  de  réserve, 
comme  il  convient  à  une  grande  puissance  que  la  for- 
tune a  momentanément  trahie  et  qui  se  recueille  en 
attendant  et  en  préparant  le  jour  de  la  réparation  ;  à 
l'égard  de  l'Espagne,  devenue  notre  alliée  par  la  force 
des  choses,  ayant  besoin  de  nous  comme  nous  avions 
besoin  d'elle,  une  attitude  de  bienveillance  et  d'amitié. 

"^  Ce  qui  arriva,  on  ne  le  sait  que  trop  ;  le  Régent  fut  le 
meilleur  ami  de  l'Angleterre  et  le  pire  ennemi  de  l'Es- 

^  pagne. 

Que  le  Régent  n'ait  pas  conservé  avec  Philippe  V  les 
relations  qu'avait  eues  Louis  XIV  :  on  peut  le  com- 
prendre jusqu'à  un  certain  point,  tout  en  le  regrettant 
pour  nos  intérêts  nationaux.  Mais  comment  expliquer 
ce  brusque  revirement  à  l'égard  de  l'Angleterre,  qui  est 
resté  comme  un  scandale  de  notre  histoire  extérieure  ? 


LA  MARINE  ET  LA  POLITIQUE  DE  LA  RÉGENCE.     39 

Le  passé  ne  parlait-il  pas  d'une  manière  assez  claire  ? 
Un  ami  intime  du  Régent,  qui  eut  toujours  le  mérite 
du  franc  parler  et  que  ses  préjugés  aristocratiques 
n'aveuglèrent  jamais  sur  les  vrais  intérêts  de  notre  poli- 
tique nationale,  le  duc  de  Saint-Simon,  a  expliqué  à 
plusieurs  reprises  pourquoi  «  ce  joug  anglais  »  lui  était 
«  insupportable  ».  Ecoutons  cette  leçon  d'histoire,  dont 
le  Régent  fit  si  mal  son  profit. 

«  L'expérience  de  plusieurs  siècles  doit  avoir  appris 
ce  qu'est  l'Angleterre  à  la  France  :  ennemie  de  pré- 
tentions à  nos  ports  et  à  nos  provinces,  ennemie  d'em- 
pire de  la  mer,  ennemie  de  voisinage,  ennemie  de  com- 
merce, ennemie  de  colonies,  ennemie  de  forme  de 
gouvernement  ;...  et  ce  qu'elle  a  de  commun  avec  le 
reste  de  l'Europe,  ce  qui  l'a  unie  avec  les  autres  puis- 
sances contre  la  nôtre,  et  qui  en  maintient  l'union,  la 
jalousie  extrême  de  voir  l'Espagne  dans  la  maison  de 
France,  et  la  terreur  que  toute  l'Europe  conçoit  de  ce 
que  pourrait  l'union  des  deux  branches  royales  pour 
leur  commune  grandeur...  La  même  expérience  apprend 
aussi  que  la  France  a  toujours  eu  tout  à  craindre  de 
l'Angleterre,  tant  qu'elle  [l'Angleterre]  a  été  paisible  au 
dedans...  » 

«  Ce  n'est  pas,  dit  encore  Saint-Simon  dans  un 
autre  passage  et  toujours  à  propos  de  la  politique  du 
duc  d'Orléans,  qu'il  ne  fût  à  propos  de  bien  vivre  avec 
l'Angleterre  comme  avec  tout  le  reste  de  l'Europe, 
mais  toutefois  sans  y  compter  jamais,  et  beaucoup  moins 
se  livrer  à  elle  et  se  mettre  dans  sa  dépendance  ;  mais 
se  conduire  avec  elle  honnêtement,  sans  bassesse,  et 
intérieurement  la  considérer  toujours  comme  une  enne- 
mie naturelle,  qui  ne  se  cachait  pas  depuis  de  longues 
années  de  vouloir  détruire  notre  commerce  et  de 
s'opposer  avec  audace  et  acharnement  à  tout  ce  que  la 


40  LA  MARINE  MILITAIRE  SOUS  LOUIS  XV. 

France  a  de  temps  en  temps  essayé  de  faire  sur  ses 
propres  côtes  en  faveur  de  sa  marine...  Il  fallait  donc, 
dans  un  royaume  flanqué  de  deux  mers  et  qui  borde  la 
Manche  si  près  et  vis-à-vis  de  l'Angleterre, ...  porter  toute 
son  application  à  relever  la  marine  et  à  se  mettre  peu  à 
peu  en  état  de  se  faire  considérer  à  la  mer...  Il  fallait  exci- 
ter l'Espagne  au  même  soin  et  au  même  empressement 
d'avoir  une  bonne  marine  et  se  mettre  conjointement 
en  état  de  ne  plus  recevoir  la  loi  de  l'Angleterre...,  et 
par  cela  favoriser  sous  main  toute  invasion,  tous 
troubles  domestiques  en  Angleterre  le  plus  qu'il  serait 
possible,  et  il  n'y  avait  lors  qu'à  le  vouloir...  C'était  là 
le  vrai,  le  grand,  le  solide  intérêt  de  la  France  ^.  » 

Ces  citations  ne  paraîtront  pas  trop  longues  :  elles 
tracent  avec  une  merveilleuse  perspicacité  la  ligne  de 
conduite  que  la  France  aurait  dû  suivre  vis-à-vis  de  sa 
rivale.  Quand  Saint-Simon  écrivait  qu'il  n'y  avait  qu'à 
le  vouloir  ou  qu'à  laisser  faire  pour  provoquer  en  Angle- 
terre ces  troubles  domestiques  dont  le  contre-coup  eût 
pu  amener  la  rupture  de  la  paix  d'Utrecht,  il  faisait 
allusion  à  un  projet  auquel,  dit-il,  le  feu  roi  avait  songé, 
et  que  la  mort  seule  l'avait  empêché  d'exécuter.  En 
1714,  la  mort  de  la  reine  Anne  pouvait  amener  une  res- 
tauration jacobite.  Puisque  la  politique  de  l'Angleterre 
avait  retiré  de  la  révolution  de  1688  tous  les  avantages 
qu'elle  renfermait,  les  sympathies  nationales  allaient 
peut-être  revenir  au  dernier  enfant  de  Jacques  II,  que 
le  droit  héréditaire  désignait  comme  le  successeur  ré- 
gulier de  sa  sœur  Anne  Stuart  ;  l'étranger,  le  prince 
allemand,  l'électeur  de  Hanovre  George  de  Brunswick- 
Lunebourg,  qu'une  parenté  très  éloignée  appelait  au 
trône  de  la  Grande-Bretagne,   ne  pouvait  passer  pour 

3    Saint-Simon,  Mémoires  (édition  de  1873),  t.  XV,  p.  328,  307. 


LA   MARINE    ET   LA   POLITIQUE   DE    LA    RÉGENCE.  41 

représenter  le  sentiment  national.  La  fortune  semblait 
donc  sourire  au  chevalier  de  Saint-George,  que  ses  par- 
tisans appelaient  Jacques  III  depuis  la  mort  de  son 
père  ;  pour  l'histoire,  il  ne  fut  jamais  que  le  Prétendant, 
car,  malgré  ses  tentatives  répétées,  il  ne  put  jamais 
recouvrer  le  trône  des  Stuarts. 

Déjà,  en  1708,  à  l'occasion  de  l'union  de  l'Ecosse 
avec  l'Angleterre,  le  Prétendant  avait  tenté  une  des- 
cente en  Ecosse  ;  le  chevalier  de  Forbin  l'avait  conduit 
de  Dunkerque  à  la  côte  d'Edimbourg,  mais  sans  pou- 
voir débarquer  ;  cette  tentative,  qui  consista  en  une 
double  traversée  de  la  mer  du  Nord,  avait  duré  en  tout 
trois  semaines,  du  19  mars  au  7  avril.  Le  prince,  qui 
vivait  à  Saint-Germain,  ne  cessait  de  penser  à  1  hcosse, 
et  ce  royaume  même  ne  se  consolait  pas  de  n'être  plus 
qu'une  province  anglaise.  Pour  lui,  il  savait  qu'il  pou* 
vait  compter  sur  la  protection  secrète,  peut-être  même 
sur  les  secours  efficaces  du  grand  roi.  La  mort  de 
Louis  XIV  et  la  froideur  du  Régent  ne  l'arrêtèrent  point. 
Il  partit  déguisé  de  Bar,  traversa  Paris  ;  en  passant  par 
Nonancourt,  il  échappa,  grâce  à  l'intelligence  et  au 
dévouement  de  la  maîtresse  de  poste,  —  il  faut  lire  dans 
Saint-Simon  les  détails  de  ce  curieux  épisode,  —  à  une 
tentative  d'assassinat  préparée  par  l'ambassadeur  d'An- 
gleterre ;  il  feignit  de  s'embarquer  en  Bretagne,  puis 
il  courut  prendre  la  mer  à  Dunkerque  le  26  décem- 
bre 1715.  Mais  ce  qui  aurait  pu  être  une  tentative  gran- 
diose n'était  plus,  avec  l'abstention  systématique  et  l'op- 
position même  du  Régent,  que  l'aventure  d'un  prétendant 
sans  argent  et  sans  soldats.  Après  avoir  touché  à 
quelques  ports  d'Ecosse,  Peterhead,  Dundee,  Perth,  il 
dut  s'embarquer  à  Montrose  sur  un  petit  bâtiment  fran- 
çais ;  le  4  février  1716,  il  était  de  retour  à  Gravelines, 
et  de  là  il  allait  se  fixer  à  Avignon.  Au  cours  de  cette 


42  LA  M/VRINE  MILITAIRE  SOUS  LOUIS  XV. 

équipée  malheureuse,  le  contre-amiral  Byng  s'était  pré- 
senté devant  le  Havre  pour  réclamer  les  vaisseaux  du 
Prétendant  qui  s'y  trouvaient  ;  le  duc  d'Orléans  avait 
refusé  de  les  livrer,  mais  il  avait  donné  ordre  qu  on  les 
déchargeât  :  cette  conduite,  dit  un  historien  ^,  était 
((  plutôt  faible  que  modérée  ». 

Cette  faiblesse,  —  pour  ne  pas  employer  une  autre 
expression,  —  était  le  résultat  d'une  polHique  qui 
s'accusa  dès  les  premiers  jours  de  la  Régence  et  qui 
allait  sacrifier  les  intérêts  du  pays  aux  ambitions  égoïstes 
et  d'ailleurs  irréalisées  du  duc  d'Orléans. 

La  clause  de  la  renonciation  réciproque  des  Bourbons 
de  France  et  d'Espagne  aux  couronnes  d'Espagne  et 
de  France,  à  laquelle  Louis  XIV  avait  tant  résisté  et 
l'Angleterre  tant  tenu,  ouvrait  à  la  maison  d'Orléans 
l'accès  du  trône  de  France  ;  que  ce  jeune  enfant,  d'une 
santé  délicate,  qui  s'appelait  Louis  XV  vînt  à  mourir, 
Philippe  II  d'Orléans  devenait,  de  par  le  traité 
d'Utrecht,  Philippe  VII,  roi  de  France  et  de  Navarre. 
De  là,  son  intérêt  tout  personnel  à  maintenir  un  traité, 
avantageux  pour  lui,  mais  désastreux  pour  le  pays,  à 
cause  des  conditions  humiliantes  qu'il  nous  avait  im- 
posées. Pour  le  nouveau  roi  d'Angleterre  George  P"", 
l'intérêt  de  maintenir  le  traité  d'Utrecht,  auquel  il  devait 
en  partie  sa  couronne  royale,  était  le  même,  avec  cette 
différence,  toute  à  son  avantage,  qu'en  faisant  respecter 
le  traité  de  1713,  il  flattait  l'orgueil  national  et  servait 
les  vrais  intérêts  maritimes  de  sa  patrie  d'adoption. 

Si  le  maintien  du  traité  d'Utrecht  était  pour  le  Régent 
une  question  d'intérêt  personnel  et  pour  le  roi  d'Angle- 
terre une  question  d'intérêt  national,  la  destruction  de 

4.  Sainte-Croix,  Histoire  des  progrès  de  la  puissance  navale  de  l'Angle- 
lerre,  i786  ;  t.  II,  p.  150. 


LA   MARINE   ET   LA   POLITIOT JE   DE    LA    RÉGENCE.  43 

ces  mêmes  traités  était  pour  le  roi  d'Espagne  une 
question  d'intérêt  personnel  et  surtout  d'intérêt  national. 
Philippe  V  pouvait  songer  à  recouvrer  ses  droits  éven- 
tuels à  la  couronne  de  France,  dont  le  rétablissement 
n'aurait  pas  eu  lieu,  d'ailleurs,  sans  des  complications 
de  tout  genre  ;  mais,  avant  tout,  il  devait  avoir  le  désir 
de  fermer  les  deux  blessures  qui  saignaient  aux  flancs 
de  l'Espagne,  à  Gibraltar  et  à  xMinorque.  Aussi  Phi- 
lippe V  et  son  ministre  Alberoni  restèrent  les  ennemis 
irréconciliables  dés  Anglais,  tandis  que  le  Régent  et 
son  ami  Dubois  devinrent  les  meilleurs  amis  des  Anglais. 

Saint-Simon  a  tracé  de  l'abbé  Dubois  un  «  crayon  » 
inoubliable  ;  retenons  seulement  ce  détail  :  il  l'accuse 
d'avoir  reçu  de  l'Angleterre  une  pension  secrète  et 
annuelle  de  quarante  mille  livres  sterling.  Un  historien 
contemporain  qui  a  étudié  avec  beaucoup  de  détail  et 
d'après  les  archives  anglaises  les  relations  politiques 
du  Régent  et  de  George  1^\  déclare  qu'il  n'y  a  pas  de 
trace  de  cette  pension  dans  les  documents  britanniques, 
si  secrets  soient-ils,  et  qu'on  doit  reléguer  avec  certi- 
tude cette  légende  parmi  les  calomnies  dont  l'histoire 
est  émaillée  ^.  On  avouera  que  l'absence  des  reçus  de 
Dubois  dans  les  archives  de  Londres  n'empêchera  pas 
d'affirmer  la  bassesse  du  personnage  à  qui  le  Régent 
avait  confié  la  politique  étrangère.  Admettons  qu'il  n'ait 
■pas  été  vénal,  ce  qu'on  aura  peine  à  croire,  quelques 
documents  bien  authentiques  resteront  sa  honte  éter- 
nelle et  celle  du  prince  qu'il  représentait. 

Les  Anglais,  qui  connaissaient  le  <(  drôle  »,  avaient 
beaucoup  intrigué  auprès  du  Régent  pour  le  porter  aux 
Aiiaires   étrangères   et   pour   empêcher   Torcy    de    re- 


5.  WiESENER.  Le  Régent,  l'abbé  Dubois  et  les  Anglais,  d'après  les  sources 
britanniques,  1891-1893  ;  t.  I,  p.  260-261  ;  t.  II,  p.  220-224. 


44  LA  MARINE  MILITAIRE  SOUS  LOUIS  XV. 

prendre  ce  poste,  où  il  avait  montré  de  si  éminentes  et 
de  si  patriotiques  qualités  ;  ils  réussirent.  Le  24  sep- 
tembre 1718,  Dubois  était  nommé  secrétaire  d'Etat  aux 
Affaires  étrangères.  Alors,  quel  concert  de  félicitations 
mutuelles  à  Paris  et  à  Londres  ! 

Le  25  septembre,  le  lendemain  même  de  cette  nomi- 
nation :  <(  Mon  premier  soin,  écrit  Dubois  à  lord  Stair, 
ambassadeur  d'Angleterre  à  Paris,  est  de  vous  rendre 
compte  de  ma  destination  et  des  dispositions  où  je  suis 
pour  m'en  servir  pour  l'intérêt  commun  de  nos  maî- 
tres... »  Le  29  septembre,  George  P'"  faisait  écrire  à 
Dubois  :  <(  Le  Roi...  m'a  donné  l'ordre  de  vous  en  féli- 
citer de  sa  part  et  de  vous  dire  que  c'est  la  meilleure 
nouvelle  qu'il  ait  reçue  depuis  longtemps...  C'est  pour 
le  coup  que  je  m'attends  à  voir  cultiver  un  même  intérêt 
dans  les  deux  royaumes  et  que  ce  ne  sera  plus  qu'un 
même  ministère.  Il  pourra  y  avoir  bien  du  bruit,  mais 
nous  l'écouterons  comme  les  vaisseaux  qui  sont  dans 
un  bon  port  entendent  le  bruit  des  vents  contre  les 
roches  qui  les  assurent.  —  Cette  image  empruntée  à  la 
marine,  que  Dubois  et  le  Régent  étaient  en  train  de  tuer 
chez  nous,  donne  une  saveur  de  plus  à  ce  billet.  — 
Pour  ma  joie  particulière,  mon  cher  abbé,  je  ne  vous 
en  dirai  rien,  car  il  m'est  impossible  de  la  décrire  comme 
je  la  sens.  » 

Le  P""  octobre,  avant  d'avoir  reçu  de  Craggs  ces  lignes 
dithyrambiques,  Dubois  lui  écrivait  proprio  molu  : 
«  Si  je  ne  suivais  que  les  mouvements  de  ma  reconnais- 
sance et  que  je  ne  fusse  pas  retenu  par  le  respect,  je 
prendrais  la  liberté  d'écrire  à  Sa  Majesté  Britannique 
pour  la  remercier  de  la  place  dont  Mgr  le  Régent  m'a 
gratifié,  puisque  je  ne  la  dois  qu'à  l'envie  qu'il  a  eue  de 
n'employer  personne  aux  affaires  communes  à  la  France 
et  à  l'Angleterre  qui  ne  fût  agréable  au  roi  de  la  Grande- 


LA  MARINE  ET  LA  POLITIQUE  DE  LA  RÉGENCE.     45 

Bretagne.  Ce  motif  m'est  si  glorieux  qu'il  ne  me  reste 
rien  à  désirer  que  les  moyens  de  marquer  au  Roi  com- 
bien je  suis  touché  de  la  confiance  dont  il  m'honore.  Je 
supplie  Votre  Excellence  de  m'aider  à  lui  faire  connaître 
mes  respectueux  sentiments  sur  ce  sujet  et  mon  zèle 
pour  tout  ce  qui  pourra  contribuer  à  l'affermissement 
de  la  bonne  intelligence.  »  Peu  importe,  après  cette 
lettre  à  Londres  qu'on  n'ait  pas  trouvé  les  reçus  des 
quarante  mille  livres  sterling  au  nom  de  Dubois  ! 

Le  14  octobre,  billet  de  Dubois  à  lord  Stanhope, 
ministre  de  George  P"*  :  «  ...Effectivement,  je  vous  dois 
jusqu'à  la  place  que  j'occupe,  dont  je  souhaite  avec 
passion  de  faire  usage  selon  votre  cœur,  c'est-à-dire 
pour  le  service  de  Sa  Majesté  Britannique,  dont  les 
intérêts  me  seront  toujours  sacrés  ^.  » 

Volontiers,  nous  répéterions  ici  le  jugement  de  Lé- 
montey  :  «  J'ai  sauvé  de  l'oubli  ces  lignes  si  voisines  de 
la  trahison  comme  un  avertissement  aux  princes  qui  se 
sentiraient  assez  lâches  pour  recevoir  leurs  ministres 
des  mains  de  l'étranger  »,  en  ajoutant  que  cet  étranger 
avait  été  de  tout  temps  et  était  encore  ici,  sous  les  dehors 
de  l'amitié,  notre  pire  ennemi.  Car  il  est  temps  de  savoir 
à  quel  prix  cette  alliance  scandaleuse  avait  été  conclue  ; 
nous  revenons  ainsi,  après  cette  parenthèse  nécessaire, 
à  notre  histoire  maritime. 

Remise  à  l'Angleterre  en  1712,  la  ville  de  Dunkerque 
avec  sa  citadelle  et  son  port,  l'un  des  premiers  ouvrages 
et  l'un  des  chefs-d'œuvre  de  Vauban,  n'avait  été  rendue 
à  la  France  qu'à  la  condition  d'être  démantelée,  selon 
l'article  ix  du  traité  d'Utrecht.  Louis  XIV  avait  loya- 
lement exécuté  ces  conditions,    qu'on   peut   juger   plus 

6.  Toutes  ces  lettres  sont  données  par  Wiesener,  Ibid.,  t.  II,  p.  265-268. 


46  LA  MARINE  MILITAIRE  SOUS  LOUIS  XV. 

humiliantes  que  la  cession  même  d'une  ville  ;  car  il  y  a 
je  ne  sais  quoi  d'odieux  pour  un  souverain  à  subir  sur 
son  propre  territoire  la  loi  de  l'étranger.  La  démolition 
de  tous  les  travaux  militaires  et  maritimes  de  Dun- 
kerque,  le  rasement  des  fortifications  et  des  écluses,  le 
comblement  des  bassins  et  des  canaux,  toute  celte 
œuvre  de  destruclion  était  terminée  le  6  août  1714,  et 
avait  coûté  plus  d'un  demi-million  (580  000  livres). 
Louis  XIV  songea  alors  à  tirer  parti  du  port  voisin  de 
Mardick  ;  comment  a-t-on  pu  l'en  critiquer  en  France, 
sous  le  prétexte  que  ce  «  frauduleux  Dunkerque  »  était 
une  ((  violation  indéniable  sinon  de  la  lettre,  du  moins 
de  l'esprit  des  conventions  solennelles  d'Utrecht  "'  ?  » 
L'esprit  de  ces  conventions  exigeait-il  que  la  France  ne 
se  contentât  pas  de  ruiner  de  ses  propres  mains,  à  ses 
frais,  une  de  ses  plus  belles  positions  maritimes,  une  de 
ses  plus  nécessaires  ?  Exigeait-il  encore  qu'elle  s'en- 
gageât à  ne  jamais  la  remplacer?  Laissons  aux  con- 
seillers du  roi  d'Angleterre  ou  à  ceux  du  Régent  cette 
interprétation  singulièrement  abusive  d'un  texte  suffi- 
samment rigoureux  par  lui-même. 

Louis  XIV  avait  donc  repris  le  plan  d'un  ingénieur 
espagnol,  qui,  en  1653,  avait  proposé  de  tracer  à  l'ouest 
de  Dunkerque  un  canal  parallèle  à  la  plage,  se  retour- 
nant à  angle  droit  à  la  hauteur  du  fort  de  Mardick  pour 
déboucher  dans  la  mer  au  moyen  d'une  écluse.  L'exé- 
cution de  ces  travaux  fut  immédiatement  entreprise  et 
le  canal  dit  de  Mardick  avec  deux  écluses,  l'une  de 
quarante-quatre  pieds  de  large,  l'autre  de  vingt-six, 
était  terminé  en  janvier  1715  ^.  Restait  à  construire  le 


7.  WlESENER,   Ibid.,   t.    I,   p.   6-7. 

8.  Voir  dans  les  Ports  maritimes  de  la  France  (publication  du  Ministère 
des  Travaux  publics;  1874  et  années  suivantes),  t.  I,  p.  25  et  suiv.,  le  plan 
et  les  détails  de  ces  travaux.  —  La  question  des  fortifications  et  du  port 


LA  MARINE  ET  LA  POLITIQUE  DE  LA  RÉGENCE.     47 

port  de  Mardick,  dont  le  devis  représentait  trente-cinq 
millions. 

Le  grand  roi  étant  mort  sur  ces  entrefaites  et  le  Régent 
se  tournant  de  plus  en  plus  vers  l'Angleterre,  le  gouver- 
nement de  George  P'*  commença  par  exiger,  comme  con- 
dition sine  qua  non  d'une  alliance  possible,  la  destruc- 
tion de  tous  les  travaux  de  Mardick  et  l'abandon  de  tous 
les  travaux  ultérieurs.  Le  Régent  et  Dubois,  qui  vou- 
laient à  tout  prix  l'union  avec  l'Angleterre,  se  résignè- 
rent sans  douleur  à  ce  sacrifice  ;  dès  le  mois  de  sep- 
tembre 1716,  cette  victoire  était  acquise  aux  Anglais. 
M.  d'Iberville,  notre  envoyé  à  Londres,  avait  dû  se 
borner  à  obtenir  l'autorisation  d'un  simple  canal  d'écou- 
lement avec  une  écluse  de  seize  pieds  en  tout.  Les  négo- 
ciateurs anglais  étaient  dans  la  joie  ;  il  n'y  avait  pas, 
disaient-ils  avec  raison,  de  plan  «  plus  efficace  pour  la 
mise  hors  de  service  du  port  ^.  » 

Quelques  semaines  plus  tard,  l'alliance  anglo-fran- 
çaise était  signée  à  la  Haye,  le  4  janvier  1717,  sous  le 
nom  de  Triple  Alliance,  car  les  Provinces-Unies  se 
posaient  aussi  en  garantes  de  la  paix  d'Utrecht.  On  ne 
saurait  dire  de  cette  triste  convention  si  elle  fut  plus 
dommageable  à  nos  vrais  intérêts  ou  plus  humiliante 
pour  l'honneur  national.  Tous  les  travaux  de  Mardick 
durent  être  détruits,  sauf  le  canal  d'écoulement  et  la 
petite  écluse  de  seize  pieds  qu'on  avait  bien  voulu 
nous  accorder  ;  les  Anglais  et  les  Hollandais,  exigeant 
des  garanties  auxquelles  ils  n'avaient  pas  pensé  à 
Utrecht,  s'adjugèrent  le  droit  d'  <(  envoyer  des  commis- 
saires sur  les  lieux  pour  être  témoins  oculaires  de  l'exé- 
cution de  cet  article  ».  Cette  fois,  la  ruine  de  Dunkerque 


de  Dunkerque  au  xviii*  siècle  est  exposée  en  détail  par  M.  A.  de  Saint- 
Léger,  La  Flandre  maritime  et  Dunkerque,  1900  ;  p.  309  et  suiv. 
9.  WIESENER,  IMd.,  t.  I,  p.  xa7,  322.  324. 


48  LA  MARINE  MILITAIRE  SOUS  LOUIS  XV. 

était  bien  complète  ;  la  ville  elle-même  devint  un  foyer 
pestilentiel  avec  les  miasmes  putrides  qui  se  dégageaient 
du  vieux  port,  désormais  sans  écoulement,  et  le  silence 
se  fit  pour  près  d'un  siècle  sur  ces  quais  en  ruines  où 
Jean  Bart  et  Forbin  avaient  tant  de  fois  recruté  les 
équipages  de  leurs  corsaires.  Après  ce  coup  que  la 
France  recevait  en  plein  cœur,  le  renvoi  du  Prétendant, 
d'Avignon  en  Italie,  et  l'expulsion  de  ses  partisans  pou- 
vaient passer  pour  de  simples  piqûres  d'épingles. 

Voilà  les  conditions  criminelles  de  cette  alhance  ;  en 
voici  les  conséquences,  plus  criminelles  encore. 

La  première  de  toutes,  c'était  la  rupture  de  la  France 
et  de  l'Espagne.  L'Angleterre  l'appelait  de  tous  ses 
vœux,  car  c'était  pour  elle  la  meilleure  garantie  de  la 
possession  de  Gibraltar  et  de  Minorque.  Avec  quelle 
sûreté,  quelle  suite,  quelle  rapidité  le  gouvernement  bri- 
tannique marchait  à  la  conquête  de  l'empire  des  mers  ! 
La  Hollande  avait  eu  jadis  une  marine  redoutable  ;  l'An- 
gleterre l'avait  à  peu  près  annulée  ou  confisquée  pour 
elle,  en  réduisant  les  Provinces-Unies  à  ne  plus  être, 
suivant  le  mot  de  Frédéric  II,  qu'une  chaloupe  dans  le 
sillage  d  un  navire  de  guerre.  La  France  pouvait  songer 
à  sa  revanche  maritime  ;  l'Angleterre  coupait  court  à 
toute  idée  belliqueuse  en  garantissant  à  Philippe  d'Or- 
léans ses  droits  éventuels  au  trône  et  en  portant  Dubois 
au  ministère  des  Affaires  étrangères.  L'Autriche  était 
devenue  une  puissance  maritime  en  recevant  le  royaume 
de  Naples  et  la  Sardaigne  dans  le  partage  de  la  suc- 
cession espagnole  ;  l'Angleterre,  sous  prétexte  de  lui 
maintenir  ces  acquisitions,  l'inféodait  à  sa  politique  par 
la  Quadruple  Alliance  de  1718  et  paraissait  faire  en 
son  nom  la  police  de  la  Méditerranée.  Restait  l'Espagne, 
où  un  ministre  trop  entreprenant  peut-être,  mais  certes 


LA  MARINE  ET  LA  POLITIQUE  DE  LA  RÉGENCE.     49 

énergique  et  patriote,  le  cardinal  Alberoni,  venait  de 
commencer  une  restauration  complète  des  finances,  des 
,  manufactures,  de  l'armée,  consacrant  surtout  ses  eiïorts 
à  la  réfection  de  la  marine,  ouvrant  des  chantiers,  appe- 
lant des  ouvriers  de  Toulon,  lançant  des  escadres  sur 
mer,  donnant  un  moment  à  Philippe  V  l'illusion  d'un 
nouveau  Colbert  ;  pour  parer  à  ce  danger  qui  était  réel, 
l'Angleterre  avait  l'alliance  du  Régent. 

Saint-Simon  revint  encore  une  fois  à  la  charge  auprès 
de  son  ami,  au  cours  de  ces  conversations  politiques 
qu'il  avait  avec  lui  dans  sa  petite  loge  de  l'Opéra.  Il  lui 
montra  les  dangers  de  cette  politique,  contraire  à  toutes 
nos  traditions  et  à  tous  nos  intérêts  ;  il  lui  répéta  que 
l'Angleterre  et  le  roi  George,  <(  sous  les  trompeuses 
apparences  d'une  feinte  amitié,  étaient  nos  plus  anciens 
et  plus  naturels  ennemis  ;...  que  l'intérêt  si  grand,  si 
évident,  si  naturel  de  notre  union  avec  l'Espagne,  nous 
était  appris  par  leur  acharnement  à  tout  tenter  pour  la 
rompre...  »  Peine  perdue  :  le  Régent  était  décidé  à  se 
faire  l'exécuteur  des  vengeances  anglaises.  Pour  ôter 
toute  jalousie  au  roi  George,  il  avait  commencé  par 
laisser  tomber  entièrement  notre  propre  marine  ;  pour 
donner  à  cette  bonne  amitié  avec  l'Angleterre  un  gage 
indubitable,  il  fallait  à  présent,  comme  le  dit  encore 
Saint-Simon,  «  anéantir  à  forfait  la  marine  d'Espagne 
en  brûlant  ses  vaisseaux  dans  ses  ports  et  ses  chantiers.  » 

Dès  le  milieu  de  l'année  1717,  Alberoni  avait  préludé 
à  son  œuvre  de  revanche  par  un  coup  d'éclat  :  une 
escadre  espagnole,  créée  de  toutes  pièces,  avait  en  deux 
mois,  sous  les  ordres  du  marquis  de  Leyde,  enlevé  la 
Sardaigne  à  l'Empereur.  Quelles  espérances  pouvaient 
s'ouvrir  à  ce  moment  devant  l'Espagne  et  la  France,  si 
elles  avaient  su  unir  leur  politique  et  leurs  escadres  ! 
Mais  Dubois  ne  songeait  qu'à  appeler  les  Anglais  dans 


50  LA  MARINE  MILITAIRE  SOUS  LOUIS  XV. 

la  Méditerranée  ;  ce  fut  en  partie  sur  ses  instances  aue 
les  vingt  vaisseaux  de  l'amiral  Byng  quittèrent  Ports- 
mouth,  le  15  juin  1718,  avec  l'assentiment  complet  du 
Régent,  pour  empêcher  Alberoni  de  reconquérir  la 
Sicile  après  avoir  reconquis  la  Sardaigne.  Car  le  mar- 
quis de  Leyde  venait  d'occuper  Palerme  et  il  bloquait 
Messine.  Byng  arrive  ;  le  11  août  1718,  dans  les  eaux 
du  cap  Passero,  il  détruit  en  quelques  heures  la  flotte 
espagnole  ;  ce  qui  ne  devait  pas,  d'ailleurs,  empêcher 
le  marquis  de  Leyde  de  s'emparer  de  Messine  à  la  fin 
de  septembre.  Byng,  à  son  retour  en  Angleterre,  était 
créé  vicomte  Torrington. 

Quant  au  Régent,  cette  victoire  des  Anglais,  rem- 
portée dans  des  parages  illustrés  par  Du  Quesne,  lui 
inspirait  une  lettre  de  chaudes  félicitations  à  George  P""  : 
((  Les  bonnes  intentions  de  Votre  Majesté  pour  le  repos 
public  méritent  que  le  ciel  favorise  les  soins  qu'elle 
prend  pour  le  procurer  ;  et  tous  ceux  qui  ont  fait  des 
liaisons  avec  elle  doivent  redoubler  de  zèle  pour  con- 
courir à  la  perfection  de  son  ouvrage  i°.  »  (8  septem- 
bre 1718.) 

La  politique  du  Régent  se  chargea  bientôt  de  com- 
menter cette  lettre.  En  prenant  pour  prétexte  l'affaire 
dite  de  la  conspiration  de  Cellamare,  Philippe  d'Or- 
léans déclarait  la  guerre  à  Philippe  V,  en  janvier  1719. 
Le  duc  de  Berwick,  malgré  son  origine  et  malgré  le  sou- 
venir d'Almanza,  accepta  de  conduire  cette  guerre, 
déshonorante  pour  son  nom  et  pour  le  nom  français. 
Le  16  juin,  il  faisait  capituler  Fontarabie  ;  le  V  août, 
Saint-Sébastien.  Puis  il  fit  brûler  dans  un  petit  port 
près  de  Bilbao,  nommé  Santona,  trois  gros  vaisseaux 
espagnols  de  72  canons  qui  étaient   sur  les    chantiers, 

10.   WIESENEB,   Ibid.,   t.   II.  p.   265. 


LA  MARINE  ET  LA  POLITIQUE  DE  LA  RÉGENCE.     51 

prêts  à  être  lancés  à  la  mer,  sans  parler  des  cordages  et 
des  bois  de  construction  pour  une  valeur  de  plus  de 
cinquante  mille  écus.  L'Angleterre  avait  transporté  nos 
troupes  sur  le  littoral  de  la  Biscaye  pour  hâter  le  succès 
de  cette  triste  besogne.  Puis,  comme  elle  avait  résolu  de 
la  renouveler  dans  la  baie  de  Vigo,  elle  embarqua  à 
Saint-Sébastien  les  troupes  françaises  qui  allèrent 
renouveler  leurs  stupides  dévastations  à  Vigo  et  à  Pon- 
tevedra  en  Galice  (octobre),  sous  les  yeux  et  à  la  plus 
grande  joie  des  Anglais.  De  son  côté,  Berwick  portait 
l'invasion  en  Catalogne  et  faisait  le  siège  de  la  Seu- 
d'Urgel  et  de  Rosas.  Pour  concourir  à  cette  dernière 
opération,  le  vaisseau  VInvincible  et  la  frégate  la  Vesiale 
furent  armés  au  port  de  Toulon  avec  quelques  bâti- 
ments de  transport,  au  prix  de  mille  difficultés  maté- 
rielles. L'expédition  maritime  n'eut  d'ailleurs  pas  de 
succès  ;  les  mauvais  temps  d'octobre  et  de  novembre 
obligèrent  la  petite  escadre  de  Toulon  à  lever  le  blocus, 
après  avoir  perdu  vingt-six  tartanes,  et  à  rentrer  au  port. 
L'Angleterre  avait  atteint  son  but  :  la  marine  renais- 
sante de  l'Espagne  était  ruinée  ;  la  disgrâce  d'Alberoni, 
survenue  peu  après,  et  l'amitié  du  Régent  lui  garan- 
tissaient pour  longtemps  les  résultats  de  sa  politique  ; 
elle  n'avait  plus  rien  à  craindre  pour  Gibraltar  et  pour 
M  inorque. 

«  Dès  qu'il  était  intérieurement  résolu  de  laisser  de 
plus  en  plus  tomber  le  peu  qu'il  restait  de  marme,  le 
Conseil  qui  en  portait  le  nom  était  fort  vide  et  très  inu- 
tile. »  Rien  de  plus  vrai  que  cette  remarque  découragée 
de  Saint-Simon  ;  à  parcourir  les  cinquante-six  registres 
manuscrits  qui  contiennent  les  délibérations  du  Conseil 
de  Marine,  de  novembre  1715  à  décembre  1721  ^\  on  ne 

11,   A.   M.   B'    1-56. 


62  LA  MARINE  MILITAIRE  SOUS  LOUIS  XV. 

s'en  convainc  que  trop  aisément.  Ce  ne  sont  que  des 
questions  de  détail,  des  affaires  vues  par  le  petit  côté, 
sans  idées  générales,  le  tout  donnant  l'impression  de  je 
ne  sais  quoi  de  décousu  et  de  stérile.  C'est  à  peine  si 
dans  ce  fatras  de  choses  médiocres  et  terre  à  terre,  on 
peut  signaler  une  ou  deux  délibérations  ;  et  encore  elles 
ne  portent  et  ne  peuvent  porter  que  sur  des  points 
secondaires,  car  le  mot  d'ordre  était  de  ne  rien  faire  qui 
pût  donner  une  ombre  de  jalousie  à  George  V^  et  à  ses 
ministres. 

Ainsi,  en  171G,  on  institua,  à  côté  des  trois  compagnies 
des  gardes  de  la  marine,  —  cette  sorte  d'école  navale 
qui  remontait  à  Colbert,  —  une  compagnie  nouvelle, 
celle  des  gardes  du  pavillon  amiral.  Cette  compagnie, 
recrutée  parmi  les  trois  autres,  était  partagée  en  deux 
détachements,  de  quarante  gardes  chacun,  l'un  à  Brest, 
l'autre  à  Toulon,  pour  assurer  le  service  d'honneur  de 
l'amiral  de  France,  tant  en  Ponant  qu'en  Levant  ^2. 

Une  autre  décision,  plus  intéressante,  du  19  no- 
vembre 1720,  portait  création,  à  Paris,  d'un  dépôt  pour 
la  conservation  et  la  garde  des  cartes,  plans,  journaux, 
mémoires,  etc.,  concernant  la  navigation,  sous  l'admi- 
nistration et  la  surveillance  d'un  officier  de  vaisseau  : 
telle  fut  l'origine  du  Dépôt  des  cartes  et  plans  ou,  sui- 
vant l'expression  actuelle,  du  Service  hydrographique 
de  la  Marine. 

L'histoire  des  faits  proprement  maritimes  pendant 
celte  époque  de  paix  à  tout  prix  est  encore  plus  vide. 

Il  n'y  a  rien  à  dire  de  Tirest,  si  ce  n'est  qu'en  huit 
ans,  de  1715  à  1723,  on  y  mit  en  chantier  deux  vaisseaux 
de  ligne.  A  Toulon,  il  y  eut  bien  quelques  apparences 

1-3.  Voir  l'Histoire  de  l'Ecole  navale  et  des  inslitutions  q^il  l'ont  précédée, 
p.  74  et  suiv. 


LA  MARINE  ET  LA  POLITIQUE  DE  LA  RÉGENCE.     53 

de  vie  maritime,   mais  combien    fugitives    et    insigni- 
fiantes ! 

De  1717  à  1719,  le  chef  d'escadre  Du  Quesne-Monnier, 
neveu  de  l'illustre  amiral,  faisait  deux  croisières  contre 
les  Barbaresques  :  ses  forces  se  composaient  en  tout 
d'un  vaisseau  et  d'une  frégate;  il  fallut  lui  renouveler  en 
entier  ce  matériel  au  cours  de  sa  campagne  de  deux  ans. 
—  En  1719,  ce  fut  la  petite  expédition  de  Rosas,  qui 
aboutit  à  un  échec  complet.  —  En  1720,  YMenry  et  le 
Toulouse  partaient  de  Toulon  pour  la  Louisiane  ;  un 
jésuite,  le  P.  Laval,  professeur  d'hydrographie  des  offi- 
ciers et  gardes  de  la  marine  du  port  de  Toulon,  em- 
barqué sur  le  Toulouse  «  en  qualité  de  mathématicien  », 
a  laissé  une  description  intéressante  de  cette  expédition 
au  long  cours,  qui  fut  surtout  un  voyage  d'études  ^^. 
Elle  fut  marquée  aussi  par  quelques  faits  de  guerre, 
comme  la  reprise  de  Pensacola  en  Floride,  due  au  chef 
d'escadre  Desnos  Champmeslin,  qui  croisait  à  la  même 
époque  aux  Antilles  ^^  La  peste  qui  ruina  en  1720  Mar- 
seille et  Toulon  acheva  de  tuer  la  marine  provençale. 

Cependant,  au  milieu  de  toutes  ces  misères,  la  création 
par  Law  d'une  Compagnie  d'Occident,  en  1717,  et  sur- 
tout de  la  fameuse  Compagnie  des  Indes,  en  1719,  donna 
à  notre  commerce  maritime  un  essor  merveilleux.  Le 
((  Système  »,  qui  a  ruiné  tant  de  spéculateurs  de  la  rue 
Quincampoix  et  qui  en  a  enrichi  quelques-uns,  avait 
ouvert  à  notre  commerce  d'outre-mer  des  débouchés 
dans  toutes  les  directions.  Travaux  au  port  de  Louis- 
bourg  et  dans  l'île  du  Cap  Breton,  pour  remplacer  nos 


13.  Voyage  de  la  Louisiane,  fait  par  ordre  du  roy  en  l'année  nîO..  , 
par  le  P.  Laval,  de  la  Compagnie  de  Jésus,  professeur  royal  de  mathéma- 
tiques et  maître  d'hydrographie  des  officiers  et  garOes  de  la  marine  du 
port  de  Toulon.  Paris,  1728  ;  in-4»  ;  avec  cartes  et  planches. 

14.  Chabaud-Arnault  donne  quelques  détails  sur  cette  croisière  de 
Champmeslin  dans  ses  Etudes  historiques  :  R.  M.  C,  t.  CIX. 


54  LA  MARINE  MILITAIRE  SOUS  LOUIS  XV. 

postes  perdus  de  FAcadie  et  de  Terre-Neuve  ;  —  fon- 
dation de  la  Nouvelle-Orléans  aux  bouches  du  Missis- 
sipi  ;  —  établissements  à  Saint-Vincent  et  à  Sainte- 
Lucie  ;  —  seconde  et  définitive  occupation  de  l'île 
Maurice,  qui  reçut  le  nom  d'île  de  France  ;  —  déve- 
loppement du  port  de  Lorient,  devenu  notre  premier 
port  de  commerce  :  c'étaient  là  autant  de  preuves  de 
cette  vitalité  économique  que  les  guerres  de  la  fin  du 
règne  de  Louis  XIV  n'étaient  pas  parvenues  à  épuiser. 
Mais  sans  des  escadres  de  guerre,  a  quel  sort  étaient 
réservées  ces  colonies  nouvelles  d'Afrique  et  d'Asie  ? 

Ni  Dubois  ni  Philippe  d'Orléans  ne  s'étaient  posé 
cette  question  ou  n'avaient  songé  à  y  répondre  quand  ils 
moururent,  à  quatre  mois  d'intervalle,  en  août  et  en 
décembre  1723.  Devenus  tour  à  tour  premier  minisTre 
du  jeune  Louis  XV  majeur,  ils  étaient  restés  fidèles 
jusqu'à  leur  dernier  jour  à  cette  amitié  avec  la  Grande- 
Bretagne  qui  nous  fut  certainement  plus  fatale  qu'une 
guerre  ouverte.  Leur  politique  néfaste  avait  mis  la 
France  aux  pieds  de  l'Angleterre  et  livré  notre  marine 
à  sa  merci. 


CHAPITRE  IV 

LE    COMTE   DE    TOULOUSE    ET   VALINCOUR    :    LEURS    MEMOIRES 

SUR  LA  MARINE 


La  carrière  du  comte  de  Toulouse.  —  Raisons  de  son  mémoire  au  roi 
sur  la  marine.  —  Analyse  de  ce  mémoire.  —  De  l'emploi  des  diverses 
unités  navales.  —  De  la  nécessité  des  constructions  maritimes.  — 
Valincour.  —  Analyse  de  son  mémoire  sur  la  marine. 

Philippe  d'Orléans  et  Dubois  avaient  ete  les  mauvais 
génies  de  la  marine  française.  Partisans  à  tout  prix  de 
l'alliance  anglaise,  —  l'un  pour  conserver  les  chances 
d'avènement  au  trône  que  lui  avait  données  le  traité 
d'Utrecht,  l'autre  pour  obtenir  le  chapeau  de  cardinal 
par  l'appui  que  le  roi  prolestant  d'Angleterre  pourrait 
lui  donner  auprès  de  l'empereur,  —  ils  n'avaient  vu 
d'autre  moyen  de  s'assurer  cette  alliance  que  de  lui  sacri- 
fier complètement  l'honneur  et  les  intérêts  vitaux  du 
pays.  La  France,  depuis  1715,  marchait  à  la  remorque 
de  l'Angleterre  ;  elle  ne  semblait  plus  avoir  d'idées  à 
elle,  de  volonté  propre  ;  on  eût  dit  qu'en  toutes  choses 
elle  allait  demander  le  mot  d'ordre  à  Londres.  Dubois 
avait  promis,  comme  on  se  le  rappelle,  de  faire  usage  de 
sa  place  «  pour  le  service  de  Sa  Majesté  Britannique, 
dont  les  intérêts  lui  seront  toujours  sacrés.  »  Ce  pro- 
gramme avait  été  suivi  à  la  lettre.  Comme  rien  ne  pou- 
vait plus  plaire  au  roi  d'Angleterre,  à  ses  ministres  et 
à  son  peuple  que  la  ruine  de  notre  marine,  le  Régent  et 


56  LA  MARINE  MILITAIRE  SOUS  LOUIS  XV. 

Dubois  avaient  commencé  par  détruire  les  travaux  de 
Mardick  ;  puis,  ayant  réduit  à  un  chiffre  ridiculement 
infime  les  dépenses  maritimes,  ils  s'étaient  bornés  à 
quelques  armements  insignifiants.  Quelques  années 
encore  d'un  pareil  régime,  et  l'on  pouvait  affirmer  que 
la  marine  française,  à  moitié  morte  déjà  de  tant  de 
coups  qu'elle  avait  reçus,  finirait  à  brève  échéance  par 
périr  tout  à  fait. 

Aussi,  en  voyant  disparaître  presque  en  même  temps 
les  deux  hommes  qui  avaient  voué  à  l'abandon  nos 
arsenaux  et  nos  chantiers  et  semblaient  avoir  résolu  la 
destruction  de  notre  puissance  navale,  les  rares  Français 
qui  s'intéressaient  à  la  marine,  qui  croyaient  qu'elle 
était  un  élément  essentiel  de  la  force  et  de  la  prospé- 
rité du  pays,  pensèrent  le  moment  venu  de  réagir  contre 
ces  errements  aussi  criminels  que  funestes.  C'est  certai- 
nement à  cette  idée  patriotique  qu'ont  obéi  les  auteurs 
de  deux  mémoires  parus  en  1724  et  1725. 

Le  comte  de  Toulouse  avait  toujours  montré  un  goût 
éclairé  pour  tout  ce  qui  touchait  à  la  mer.  Créé  amiral 
de  France  à  l'âge  de  cinq  ans,  en  1G83,  il  avait  songé  à 
se  rendre  digne  de  ce  titre  qui  lui  avait  été  si  prématuré. 
Ne  laissant  échapper  aucune  occasion  de  s'instruire,  il 
avait  fait  sa  société  de  personnes,  comme  le  marquis  de 
Villette,  avec  lesquelles  il  pouvait  s'entretenir  des  choses 
ynaritimes.  Appelé,  en  vertu  de  son  titre,  à  commander 
les  escadres  royales  au  début  de  la  guerre  de  la  Suc- 
cession d'Espagne,  il  avait  soutenu,  en  1704,  à  la  hau- 
teur de  Malaga,  un  glorieux  combat  contre  une  flotte 
anglo-hollandaise,  très  supérieure  en  nombre  ;  il  avait 
fait  preuve  à  cette  journée  non  seulement  de  fermeté, 
mais  encore  de  qualités  réelles  de  tacticien.  Deux  ans 
plus  tard,  obligé  par  sa  santé  et  peut-être  aussi  par  ses 


LE    COMTE    DE    TOULOUSE    ET    VALINCOUR.  57 

rapports  difficiles  avec  Pontchartrain  de  quitter  le  ser- 
vice, il  n'avait  cessé  de  s'intéresser  à  sa  carrière  de 
marin.  On  avait  remarqué,  —  et  le  fait  est  à  son  élop^e, 
—  qu'il  était  resté  en  dehors  de  toutes  les  intrigues  de 
cour  qui  troublèrent  la  fin  du  règne  de  son  père  et  le 
début  du  règne  de  Louis  XV,  bien  différent  en  cela  de 
son  frère  le  duc  du  Maine,  dont  la  conduite  avait  été  si 
remuante  en  ces  moments  critiques  pour  les  bâtards 
royaux.  Celui-ci,  privé  peu  à  peu  par  le  Hcgent  des 
titres  et  de  la  situation  exceptionnelle  qu'il  devait  à  la 
tendresse  du  feu  roi,  avait  dû  se  retirer  dans  sa  petite 
cour  de  Sceaux  ;  entraîné  par  sa  femme  dans  la  conspi- 
ration de  Cellamare,  il  avait  été  traité  en  prisonnier 
d'Etat.  Le  comte  de  Toulouse,  au  contraire,  avait  gardé 
sa  situation  à  la  cour  de  Louis  XV.  Lors  de  la  consti- 
tution du  Conseil  de  Marine,  il  en  avait  été  nommé  chef, 
et  il  avait  rempli  ces  fonctions  nouvelles  avec  une  grande 
régularité  ;  il  n'avait  pas  manqué  de  préparer  les 
affaires  avec  le  président,  le  maréchal  d'Estrées,  d'as- 
sister aux  séances,  de  se  mêler  aux  discussions  ;  mais 
que  faire  dans  ce  Conseil  pendant  ces  années  si  vides 
pour  la  marine  ?  Aussi  avait-il  pu  se  rendre  compte, 
mieux  que  personne,  de  la  situation  lamentable  dans 
laquelle  notre  puissance  navale  achevait  d'agoniser  ; 
il  fallait  à  tout  prix  remédier  à  une  pareille  situation,  si 
l'on  voulait  prévenir  une  ruine  complète,  après  laquelle 
il  serait  trop  tard  de  se  lamenter. 

Le  mieux  était  de  s'adresser  directement  au  jeune  roi. 
L'esprit  vif  et  éveillé  du  souverain  semblait  annoncer  un 
prince  désireux  de  se  rendre  compte  par  lui-même  de  la 
situation  du  royaume  ;  il  était  piès  d'avoir  quinze  ans  ; 
le  moment  était  venu  de  l'entretenir  d'une  partie  essen- 
tielle de  ce  «  métier  de  roi  »,  glorieusement  exercé  par 
son  bisaïeul.  Dans  ces  circonstances  fort  opportunes, 


58  LA  MARINE  MILITAIRE  SOUS  LOUIS  XV. 

un  an  environ  après  la  mort  du  Régent,  au  moment  où 
le  règne  personnel  de  Louis  XV  semblait  sur  le  point  de 
commencer,  le  comte  de  Toulouse,  avec  l'autorité  qui 
s'attachait  à  son  âge,  —  il  avait  alors  quarante-six  ans, 
—  à  son  titre  d'amiral  de  France,  à  sa  carrière  de  marin, 
à  ses  fonctions  récentes  de  chef  du  Conseil  royal  de 
Marine,  rédigea  à  l'usage  du  roi,  son  petit-neveu,  en 
novembre  1724,  un  mémoire  sur  la  marine. 

On  sait  par  Saint-Simon  que  le  comte  de  Toulouse 
avait  lu  au  Conseil  de  Régence,  dans  une  de  ses  pre- 
mières séances,  un  mémoire  où  il  dévoilait  les  fautes, 
peut-être  même  les  malversations  de  Pontchartrain  ;  cet 
acte  d'accusation  ne  s'est  pas  conservé.  Les  passages 
suivants  de  l'opuscule  de  1724  pourront  donner  lieu  de 
regretter  la  perte  du  mémoire  de  1715. 

«  20  î^ovembre  17241. 

((  L'honneur  que  j'ai  d'être  revêtu  de  la  charge 
d'Amiral  de  France,  qui  m'a  fait  commander  plusieurs 
fois  les  armées  navales,  et  l'honneur  que  j'ai  eu  d'être 
à  la  tête  du  Conseil  de  Marine,  qui  m'a  fait  entrer  dans 
le  détail  de  tout  ce  qui  peut  regarder  le  service  de  la 
marme,  ne  me  permettent  pas  de  garder  le  silence  et  de 
taire  ce  que  je  crois  nécessaire  pour  le  service  du  Roi 
et  le  bien  de  l'Etat,  que  je  regarde  comme  une  même 
chose,  sur  une  matière  où  mon  inclination  et  mon  de- 
voir me  font  réfléchir  aepuis  longtemps,  et  où  je  dois 
par  l'application  que  j'y  ai  eue,  avoir  acquis  quelque 
expérience.  » 

Il  ne  semble  pas  que  le  comte  de  Toulouse  ait  voulu 
poser  devant  le  jeune  roi  la  question  de   l'utilité   d'une 


1.  Ce  mémoire,  retrouvé  par  Monmerquê  dans  les  papiers  de  Valincour, 
a  été  publié  par  lui,  en  tête  de  son  édition  des  Mémoires  du  marquis  de 
Villette,  p.  Lxiii-Lxviii  ;  voir  ci-dessus,  p.  32. 


LE    COMTE    DE    TOULOUSE    ET    VALINCOUR.  59 

marine  de  guerre,  comme  s'il  lui  répugnait  de  plaider 
l'évidence  et  de  paraître  seulement  admettre  l'existence 
de  certaines  objections  ;  mais  la  façon  discrète  dont  il 
faisait  allusion  au  rôle  de  la  marine  prouve  que  ce  débat, 
qui  mettait  en  jeu  l'existence  même  d'un  organe  essen- 
tiel de  la  vie  nationale,  était  à  l'ordre  du  jour.  En  plein 
règne  de  Louis  XIV,  alors  que  notre  marine  venait  de 
se  couvrir  de  gloire  et  que  notre  hostilité  avec  l'Angle- 
terre en  faisait  le  pivot  de  toutes  nos  combinaisons  mili- 
taires, il  s'était  rencontré  un  ministre  de  la  Marine  pour 
proposer  de  remplacer  les  navires  de  guerre  par  des  ré- 
giments d'infanterie  et  de  cavalerie.  Il  ne  faut  donc  pas 
trop  s'étonner  si,  au  lendemain  des  malheurs  de  la  fin 
du  règne  de  Louis  XIV,  et  après  les  années  de  la  Ré- 
gence, où  la  marine  militaire  venait  d'être  sacrifiée,  des 
esprits  superficiels  et  découragés  avaient  admis  la  possi- 
bihté  pour  la  France  de  ne  plus  être  qu'une  puissance 
continentale.  Pour  l'amiral  de  France,  il  se  bornait  à 
dire  : 

((  Il  suffit  de  connaître  la  situation  de  la  France  et  des 
pays  qu'elle  possède  au  delà  des  mers,  —  on  se  rappelle 
que  la  vigoureuse  impulsion  de  la  Compagnie  des  Indes 
paraissait  constituer  à  ce  moment  même  un  nouvel  em- 
pire colonial,  —  pour  ne  pas  mettre  en  doute  qu'une 
marine  florissante  lui  est  nécessaire,  tant  pour  protéger 
le  commerce  que  pour  défendre  les  côtes,  et  être  en  état 
même  de  faire  les  entreprises  qui  se  pourraient  trouver 
convenables,  où  le  concours  de  la  marine  est  néces- 
saire. » 

Ces  quelques  mots  suffisent  à  montrer  que  l'auteur  du 
Mémoire  estimait  que  depuis  quelques  mois  les  temps 
étaient  changés  pour  la  France  maritime  ;  parler  d'une 
marine  qui  devait  défendre  nos  côtes,  qui  pouvait  avoir 
sa  part    dans    les    entreprises    de    politique    générale, 


60  LA  MARINE  MILITAIRE  SOUS  LOUIS  XV. 

c'était  dire  qu'il  fallait  en  finir  avec  la  politique  de  la 
Triple  Alliance  et  ses  conséquences  funestes. 

La  seule  controverse  au  sujet  de  la  marine,  à  laquelle 
le  comte  de  Toulouse  acceptait  de  se  mêler,  était  la 
question,  discutée  de  tout  temps,  de  l'utilité  propre  et 
de  l'emploi  stratégique  des  diverses  unités  navales.  C'est 
le  débat  qui  a  recommencé  de  nos  jours  sur  les  mérites 
respectifs  des  cuirassés  et  des  torpilleurs. 

L'opinion  publique,  qui  juge  parfois  avec  une  ex- 
trême rapidité,  s'était  prise  chez  nous,  il  y  a  quelques 
années,  d'un  vif  engouement  pour  de  nouveaux  engins 
maritimes  de  combat  ou  mieux  de  destruction  :  les  uns, 
les  torpilleurs,  glissant  comme  invisibles  à  la  surface 
des  flots,  les  autres,  les  sous-marins,  semblant  sortie 
tout  à  coup  du  fond  de  la  mer  comme  des  génies  mal- 
faisants, insaisissables,  irrésistibles.  On  put  croire  à 
un  moment  que  les  lourds  cuirassés,  de  marche  lente, 
d'évolutions  difficiles,  étaient  condamnés  à  mort,  puis- 
qu'ils semblaient  ne  pouvoir  échapper  à  la  poursuite 
audacieuse  de  leurs  nouveaux  ennemis.  A  quoi  bon  alors 
immobiliser  des  sommes  énormes  dans  la  construction 
de  ces  géants  maritimes,  dans  l'armement  de  leur 
artillerie  compliquée,  si  pour  les  mallions  que  coûte 
un  cuirassé  on  peut  se  procurer  je  ne  sais  combien  de 
sous-marins  ou  de  torpilleurs  ?  On  voyait  déjà  les 
guerres  maritimes  de  l'avenir  résolues  par  des  esca- 
drilles de  torpilleurs,  courant  les  mers,  coulant  les 
navires  de  guerre  de  l'ennemi  et  ses  navires  de  com- 
merce, rendant  les  opérations  impossibles  aux  escadres 
les  plus  puissantes,  car  les  escadres  devaient  être  comme 
prises  de  panique  et  paralysées  dans  leurs  mouvements. 

Les  marins  de  profession,  tout  en  reconnaissant  les 
premiers  les  services  que  les  engins  nouveaux  devaient 
rendre  à  l'art  de  la  guerre  navale,   comprirent  que  le 


LE    COMTE    DE    TOULOUSE    ET    VALINCOUR.  61 

rôle  stratégique  des  torpilleurs,  —  qui  demandent  tou- 
jours des  conditions  de  temps  et  de  mer  spéciales,  qui 
sont  plus  ou  moins  prisonniers  des  côtes  dont  ils  doi- 
vent défendre  l'accès,  —  était  tout  différent  du  rôle  stra- 
tégique des  grands  bâtiments.  La  condition  même  de 
ceux-ci  les  réserve  à  peu  près  seuls  au  rôle  de  Foffensive, 
ils  ont  pour  mission  de  rechercher  en  pleine  mer  l'ennemi, 
de  le  détruire,  de  procéder  à  des  débarquements  ;  en  un 
mot,  ils  représentent  la  grande  guerre  maritime,  non 
moins  nécessaire  et  légitime  que  la  guerre  d'embuscade. 
Aussi  les  escadres  de  cuirassés  de  haute  mer  et  de  croi- 
seurs ne  cessent-elles  de  s'accroître,  en  nombre  et  en 
tonnage,  à  côté  des  flottilles  de  petits  bâtiments,  que  cer- 
tains spécialistes  appellent  «  la  poussière  navale  »;  comme 
elles  ont  les  unes  et  les  autres  leur  action  et  leur  rôle  pro- 
pres, elles  ont  droit  les  unes  et  les  autres  à  l'existence.  La 
sagesse  en  matière  de  constructions  navales  peut  avoir 
de  commun  avec  la  vertu  d'être  un  milieu  entre  deux 
extrêmes. 

L'exemple  de  ces  controverses  contemporaines  entre 
spécialistes  est  de  nature  à  mieux  faire  comprendre  la 
question  de  stratégie  maritime  que  le  comte  de  Tou- 
louse signalait  à  l'attention  de  Louis  XV  ;  si  les  termes 
apparents  du  problème  ne  sont  pas  les  mêmes,  les 
données  essentielles  du  problème  sont  au  fond  à  peu 
près  identiques. 

«  Il  s'est  rencontré  quelquefois,  dit-il,  des  avis  dif- 
férents sur  l'usage  le  plus  utile  qu'on  pouvait  faire  des 
vaisseaux  ;  les  uns  ont  prétendu  que  des  armées  navales 
étaient  d'une  grande  dépense  et  de  peu  d'utilité,  —  ce 
sont  les  escadres  de  cuirassés  dont  quelques  écrivains 
ont  tant  médit  de  nos  jours,  —  qu'il  valait  mieux  dis- 
perser les  vaisseaux  en  escadres  particulières,  pour 
croiser  tantôt  dans  un  endroit,   tantôt  dans  un  autre, 


62  LA  MARINE  MILITAIRE  SOUS  LOUIS  XV. 

selon  les  flottes  marchandes  que  l'on  attend  des  pays 
éloignés,  »  —  ce  sont  à  peu  près  les  flottilles  de  tor- 
pilleurs, disposées  en  vigies  sur  le  pourtour  des  côtes 
pour  courir  sus  à  l'ennemi. 

Il  comparait,  au  point  de  vue  des  services  à  en  at- 
tendre, les  grandes  armées  navales  et  les  petites  escadres  ; 
chacun  de  ces  systèmes  d'armement  maritime  avait 
ses  avantages  propres.  Ce  qu'il  faut  comprendre,  en 
effet,  comme  dans  le  débat  théorique  entre  le  cuirassé 
et  le  torpilleur,  c'est  que  les  deux  moyens  d'action  sont 
aussi  nécessaires  l'un  et  l'autre  à  une  marine  mili- 
taire qui  veut  pleinement  répondre  à  sa  raison  d'être. 
«  Voilà  en  abrégé  les  avis  difféi'ents,  sur  quoi  on  pour- 
rait s'étendre  beaucoup  davantage,  mais  qui  prouvent 
que  la  France  ne  peut  se  passer  d'un  nombre  consi- 
dérable de  vaisseaux,  à  quelque  usage  que  l'on  juge  à 
propos  de  les  employer.  »  La  raison  veut  que  le  maté- 
riel naval  se  compose  de  deux  types  d'unités  de  combat  : 
d'une  part,  les  vaisseaux  à  trois  ponts  destinés  à  agir 
ensemble  ;  d'autre  part,  les  frégates  légères  destinées 
à  agir  seules  ou  à  former  des  escadrilles  volantes. 
«  Pour  parler  sans  prévention,  je  crois  qu'il  y  a  des 
occurences  où  les  armées  navales  ne  conviennent  point, 
comme  il  y  en  a  aussi  où  elles  sont  absolument  indis- 
pensables. » 

Après  avoir  concilié  les  deux  thèses  en  présence,  en 
faisant  à  chacune  sa  part,  le  comte  de  Toulouse  mon- 
trait dans  quelle  erreur  on  tomberait  en  assimilant, 
pour  la  levée  et  la  préparation  militaire,  les  forces  de 
terre  et  les  forces  de  mer  ;  sous  le  prétexte  que  les  pre- 
mières pouvaient  être  mises  en  état  dans  un  temps 
relativement  court,  on  prétendait  qu'il  devait  en  être  de 
même  des  secondes  :  il  était  inutile  par  suite  d'immobiliser 
à  l'avance  dans  les  arsenaux  tout  un   capital   impro- 


LE    COMTE    DE    TOULOUSE    ET    VALINCOUR.  63 

ductif.  Cela  montre  que  les  institutions  maritimes  ont 
subi  dans  le  passé  des  attaques  analogues  à  celles  de 
nos  jours,  car  c'est  encore  un  reproche  que  l'on  entend 
parfois  adresser  au  budget  de  la  marine  d'absorber  des 
sommes  énormes  que  l'on  dit  inutiles  au  moment  même 
où  elles  sont  employées.  Il  n'en  va  nullement,  dit  le 
comte  de  Toulouse,  des  escadres  comme  des  armées 
de  terre  ;  le  roi  peut  lever  des  troupes  en  un  temps 
très  rapide,  ((  au  lieu  que  toute  sa  puissance  et  ses 
(résors  ne  peuvent  construire  d'un  jour  à  l'autre  le 
nombre  de  vaisseaux  de  la  qualité  nécessaire.  Il  faut 
donc  s'y  prendre  de  loin,  si  l'on  pense  comme  moi  qu'il 
y  ait  des  occasions  où  les  armées  navales  soient  utiles.  » 

Cela  encore  est  une  vérité  qui  paraîtra  évidente,  et 
le  comte  de  Toulouse  reconnaît  qu'il  ne  dit  <(  rien  de 
nouveau  »  ;  mais  l'évidence  n'a-t-elle  pas  besoin  parfois 
d'être  démontrée  à  ceux  qui  ne  veulent  point  la  voir  ? 
et  n'était-il  pas  en  droit  d'attirer  l'attention  du  jeune 
roi  sur  ces  sortes  d'axiomes,  puisqu'il  avait  appris  que 
ces  fonds  si  parcimonieusement  distribués  à  la  marine 
depuis  une  dizaine  d'années,  il  était  question  de  les  ré- 
duire encore  ?  Les  dépenses  ordinaires  correspondaient 
aux  besoins  courants,  solde  des  équipages,  entretien  du 
matériel,  etc.;  mais  il  s'agissait  aussi  de  construire  des 
vaisseaux  dont  la  France  avait  besoin  et  par  conséquent 
de  ne  pas  diminuer  l'argent  de  la  marine. 

Le  comte  de  Toulouse  rapportait  qu'il  avait  fait 
adopter  par  le  duc  d'Orléans  un  plan  de  restauration 
maritime  ;  il  faut  croire  que  le  Régent  avait  fmi  par 
ouvrir  les  yeux  sur  le  mal  qu'il  avait  fait  à  la  France. 
L'amiral  de  France  lui  avait  montré  qu'on  devait  cons- 
truire suffisamment  de  navires  pour  être  en  état  d'avoir, 
—  il  ne  disait  pas  en  combien  de  temps,  —  une  armée 
navale  de  cinquante  vaisseaux  de  ligne,  à  savoir  quatre 


64  LA  MARINE  MILITAIRE  SOUS  LOUIS  XV. 

de  cent  canons,  six  de  quatre-vingt-dix,  vingt  de 
soixante-quatorze,  vingt  de  soixante-quatre,  sans 
compter  les  bâtiments  d'un  rang  inférieur.  L'exécution 
de  ce  projet  avait  été  commencée  :  le  roi  avait  actuel- 
lement trente  vaisseaux  construits  ou  devant  être 
achevés  dans  l'été  prochain.  Ce  qui  avait  été  com- 
mencé devait  être  fini  ;  aussi  il  n'y  aurait  rien  de  plus 
malheureux  à  tous  égards  que  la  diminution  des  fonds. 
Il  était  facile  de  deviner  ce  qui  en  résulterait  de  fâcheux  : 
les  constructions  abandonnées,  les  ouvriers  dispersés, 
et  enfin,  ce  qui  serait  le  plus  triste,  «  tout  espoir  perdu 
de  voir  jamais  à  la  France  une  marine,  je  ne  dis  pas 
comme  elle  l'a  eue,  mais  comme  tout  homme  qui  voudra 
réfléchir  conviendra  qu'elle  ne  peut  se  dispenser  de 
l'avoir.  » 

Il  paraît  que  les  adversaires  de  la  marine  s'appuyaient 
sur  un  singulier  sophisme  :  à  quoi  bon  une  flotte, 
puisque  la  France  ne  pourra  jamais  être  la  maîtresse 
de  la  mer  contre  l'Europe  entière  ?  A  quoi  bon  une 
armée,  aurait-on  pu  leur  dire,  puisque  la  France  ne 
pourra  jamais  être  maîtresse  de  la  terre  contre  l'Eu- 
rope entière  ?  «  La  réponse  est  aisée  à  faire.  La  France 
n'aura-t-elle  jamais  de  guerre  que  ce  ne  soit  contre 
toute  l'Europe  ?  Et  ne  suffit-il  pas  que,  pourvu  qu'elle 
ait  pour  elle  une  puissance  maritime,  —  j'entends  l'Es- 
pagne ou  la  Hollande,  —  elle  soit  en  état  de  tenir  contre 
d'autres?  Je  ne  parle  point  de  l'Angleterre,  parce  que, 
étant  la  plus  forte  sur  mer,  si  elle  était  pour  nous,  la 
chose  serait  sans  difficulté.  » 

Voici  la  conclusion  de  ce  mémoire  :  on  remarquera 
ce  ton  de  simplicité  et  de  franchise,  de  nature  à  faire 
impression  sur  l'esprit  du  jeune  roi. 

((  Je  crois  avoir  touché  tous  les  points  que  je  me  suis 
proposé  ;  je  ne  présume  point  assez  de  moi  pour  penser 


LE    COMTE    DE    ÎOULOUSE    ET    VALINCOUR.  65 

que  mes  idées  sont  meilleures  que  celles  des  autres  ; 
mais,  s'agissant  d'une  chose  à  quoi  j'ai  tant  de  raisons 
d'être  attaché  et  dont  je  prévois  la  perte,  je  crois,  en 
disant  ce  que  je  pense,  m'acquitter  du  devoir  d'honnête 
homme  et  du  sujet  le  plus  attaché  au  Roi,  ce  que  je 
serai  toute  ma  vie.  » 

'L'autre  mémoire  sur  la  marine,  qu'on  a  signalé  au 
début  de  ce  chapitre,  n'était  pas  destiné  à  passer  sous 
les  yeux  de  Louis  XV,  et  il  n'y  a  pas  lieu  de  supposer 
qu'il  lui  ait  été  communiqué.  Il  avait  été  composé 
pour  le  comte  de  Toulouse  lui-même  par  le  secrétaire 
de  ses  commandements,  comme  si  l'amiral  de  France 
avait  désiré  avoir  à  sa  disposition  le  résumé  des  argu- 
ments à  opposer  aux  adversaires  systématiques  de  la 
puissance  navale  du  royaume. 

Henri  du  Trousset,  sieur  de  Valincour,  ami  intime  de 
Racine,   qu'il  remplaça   à  l'Académie  française,    et  de 
Boileau,   qui  lui  dédia  la  satire  sur  l'Honneur,   histo- 
riographe de  France,  joignait  aux  fonctions  de  secré- 
taire général  de  la  marine  celles  de  sécrétante  des  com- 
mandements de  M.  le  comte  de  Toulouse.  Saint-Simon 
en  parle  dans  ces  termes  ^  :  <(  C'était  un  homme  d'infi- 
niment   d'esprit    et    qui     savait     extraordinairement, 
d'ailleurs  un    répertoire    d'anecdotes    de    cour,...    un 
homme  doux,  gai,  salé  sans  vouloir  l'être,...  qui  avait 
su  conserver  la  confiance  du  roi,    être    considéré    de 
]\l°^°  de  Maintenon  et  ne  lui  être  point  suspect  en  de- 
meurant publiquement  attaché  à    M°^^    de    Montespan 
jusqu'à  sa  mort  et  à  tous  les  siens  après  elle.  M.  le 
comte   de  Toulouse   avait    aussi    toute    confiance    en 
lui...  »  Placé  par  i\r^  de  Montespan  auprès  de  l'amiral 

2.   Mémoires,  édition  Boislisle,  t.   VI,  p.   180. 


66  LA  MARINE  MILITAIRE  SOUS  LOUIS  XV. 

de  France  dès  sa  première  jeunesse,  il  avait  présidé 
pour  ainsi  dire  à  son  éducation  maritime.  Il  savait 
extraordinairement,  suivant  le  mot  de  Saint-Simon  ; 
on  peut  se  faire  une  idée  de  cette  science  dans  un  Traité 
sur  les  prises  et  dans  un  autre  sur  l Etablissement  des 
congés,  c'est-à-dire  du  droit  de  navigation,  dans  la 
Méditerranée  et  dans  VOcéan,  composés  tous  deux  pour 
l'usage  du  comte  de  Toulouse  ^.  On  y  voit  que  les  ques- 
tions les  plus  épineuses  du  droit  maritime  lui  étaient 
familières,  et  l'on  comprend  qu'il  ait  été  chargé  par 
Colbert  et  Seignelay  de  réunir  les  matériaux  de  la 
grande  Ordonnance  sur  la  marine  de  1689. 

Sur  le  désir  du  comte  de  Toulouse,  il  devait  com- 
poser une  Histoire  de  la  navigation  ;  il  lui  était  aisé 
d'en  réunir  tous  les  éléments,  comme  secrétaire  général 
de  la  marine.  On  ne  sait  si  cet  ouvrage  avait  été  rédigé. 
Un  incendie,  resté  célèbre  dans  l'histoire  des  lettres  fran- 
çaises, détruisit  la  magnifique  bibliothèque  de  livres  et 
de  manuscrits  qu'il  avait  réunie  dans  sa  maison  de 
Saint-Cloud.  Valincour  était  un  sage,  qui  se  borna  à 
dire  en  apprenanT  ce  désastre  :  «  Je  n'aurais  guère  pro- 
filé de  mes  livres,  si  je  ne  savais  pas  les  perdre.  »  Le 
Mémoire  sur  la  marine  de  France  a  été  retrouvé  dans 
les  rares  papiers  qui  échappèrent  à  l'incendie  ^  ;  il  est 
de  nature  à  faire  regretter  la  perle  de  ce  que  Vahncour 
avait  pu  écrire  sur  notre  histoire  navale.  Composé  en 
1725,  ce  mémoire,  comme  celui  du  comte  de  Toulouse, 
appartient  à  celte  période  où  l'on  put  croire  que  la 
France,  après  la  mort  du  duc  d'Orléans,  allait  enfin 
secouer  sa  torpeur  marilime. 


3.  Eugène  Sue  les  a  publiés  au  tome  IV,  p.  -40-58,  de  son  Histoire  de  la 
marine  française,  io3G. 

4.  Publié  par  Monmerqué,  en  lèie  des  Mémoires  du  marquis  de  ViLlettc, 


LE    COMTE    DE    TOULOUSE    ET    VALINCOUR.  6? 

«  Le  ro3^aume  de  France  est  une  péninsule  envi- 
ronnée, dans  plus  de  moitié  de  son  étendue,  de  l'Océan 
et  de  la  Méditerranée,  et  par  conséquent  la  mer  lui 
peut  être  très  utile  durant  la  paix  et  très  pernicieuse 
durant  la  guerre.  Donc  il  a  besoin  d'avoir  en  tout  temps 
une  marine  bien  entretenue.  » 

Nécessité  d'une  marine  en  temps  de  paix,  nécessité 
d'une  marine  en  temps  de  guerre  :  ce  sont  les  deux 
premiers  points  de  cet  écrit,  où  les  idées  et  les  faits  sont 
présentés  avec  beaucoup  de  netteté  et  de  méthode. 

A  propos  de  la  marine  marchande,  quelques  détails 
montraient  combien  elle  avait  encore  besoin  d'être  en- 
couragée, malgré  l'impulsion  que  lui  avait  donnée  la 
Compagnie  des  Indes.  Du  port  de  Saint-Malo  on  avait 
vu  sortir  dans  une  seule  matinée,  sous  le  règne  du  feu 
roi,  soixante  et  un  bâtiments  de  tout  tonnage,  dont  cin- 
quante avaient  armé  pour  la  pêche  de  la  morue  et  de 
la  baleine,  et  onze  pour  les  colonies  d'Amérique  ou 
les  Indes  orientales  ;  dans  ce  même  port  de  Saint-Malo, 
il  y  avait  à  présent  cent  cinquante  vaisseaux  sur  la 
vase,  qui  pourrissaient  faute  d'emploi.  Bayonne,  la  Ro- 
chelle, Dieppe,  n'étaient  pas  dans  une  situation  moins 
triste  ;  les  ports  se  ruinaient  et  se  comblaient  faute  d'en- 
tretien, et  bientôt  ils  ne  seraient  plus  en  état  de  recevoir 
des  vaisseaux. 

Pour  montrer  qu'une  marine  militaire  était  néces 
saire  à  la  sécurité  de  nos  côtes,  Valincour  rappelait 
que,  lors  des  débarquements  des  Anglais  sur  les  côtes 
de  Bretagne  et  de  Normandie,  au  cours  de  la  guerre 
de  la  ligue  d'Augsbourg,  les  milices  des  gardes-côtes 
n'avaient  rendu  que  des  services  à  peu  près  illusoires. 
Dans  la  guerre  de  la  Succession  d'Autriche  et  dans  la 
guerre  de  Sept  ans,  combien  de  fâcheux  exemples  de 
ce  genre  viendront  se  joindre  à  ceux    du    règne    pr^ 


e- 


<^S  LA  xMARINE  MILITAIRE  SOUS  LOUIS  XV. 

cèdent  !  Faire  marcher  des  troupes  de  terre  pour  s'op- 
poser à  des  débarquemenls,  c'était  affaiblir  les  gar- 
nisons ;  c'était  les  affaiblir  inutilement,  car  les  troupes 
détachées  arrivaient  toujours  trop  tard,  et  elles  ne  pou- 
vaient pas  rendre  à  l'ennemi  le  dommage  qu'il  avait 
fait  ;  c'était  encore  les  affaiblir  pour  un  mal,  à  cause 
dos  dégâts  commis  par  les  gens  de  guerre  à  l'aller  et 
au  retour.  Valincour  n'était  donc  pas  partisan  des  opé- 
rations combinées  des  armées  de  terre  et  de  mer  ;  selon 
lui,  la  défense  des  côtes  n'appartenait  qu'à  la  marine, 
parce  que  la  marine  pouvait  seule  assurer  efficacement 
ce  service. 

Grand  admirateur  de  Richelieu  et  de  Colbert,  dont  il 
résumait  rapidement  l'œuvre  féconde,  le  secrétaire 
général  de  la  marine  constatait  avec  douleur  que  la 
France  maritime  avait  désappris  les  traditions  que  ces 
ministres  lui  avaient  léguées.  Bien  loin  de  songer, 
comme  les  Anglais  et  les  Hollandais,  à  rendre  notre 
commerce  plus  prospère  que  celui  de  nos  voisins  et 
nos  flottes  plus  redoutables,  nous  semblions  ne  plus 
avoir  souci  ni  de  notre  marine,  ni  de  nos  colonies,  ni 
de  notre  commerce. 

«  Nos  colonies  manquent  de  tout,  n'ont  ni  forts  en 
état  de  défense  ni  soldats  en  nombre  suffisant  et  sont 
hors  d'état  de  résister  à  un  coup  de  main.  Il  n'y  a  pas 
une  seule  batterie  en  état  ;  les  canons  sont  à  terre  et  les 
affûts  pourris.  » 

Valincour  faisait  remonter  la  responsabilité  de  cette 
situation  si  compromise  au  «  jeune  homme  de  vingt- 
quatre  ans  »  qui  dirigeait  la  marine,  «  de  bon  esprit,  qui 
a  de  très  bonnes  intentions,  mais  qui  ne  sait  pas  de 
quelle  couleur  est  la  mer.  »  Après  avoir  fait  le  procès 
de  Maurepas,  il  prenait  à  partie  son  grand-père  et  son 
père,   Louis  et  Jérôme    de    Pontchartrain,    c'est-à-dire 


LE    COMTE    DE    TOULOUSE    ET    VALINCOUR.  69 

l'administration  de  la  marine  depuis  la  mort  de  Sei- 
gnelay.  ((  Voilà  par  où  la  marine  de  France  est  tombée 
peu  à  peu  dans  l'anéantissement  où  elle  est  au- 
jourd'hui, et  cela  plus  par  incapacité  de  ses  ministres 
et  par  mauvais  gouvernement  que  faute  d'argent.  >^ 

Quelle  que  fût  la  cause  de  cet  état  de  choses  il  y 
avait  un  mal  auquel  on  devait  remédier  sans  retard,  car 
il  entraînait  derrière  lui  des  maux  de  tout  genre  :  c'était 
la  ruine  matérielle  de  nos  ports.  «  Il  n'y  a  rien  dans  le 
royaume  qui  soit  plus  important  que  la  conservation 
des  ports  et  rien  à  quoi  on  donne  moins  d'attention... 
Les  officiers  d'amirauté  en  écrivent,  les  négociants  s'en 
plaignent  comme  de  la  ruine  totale  du  commerce.  On 
écrit  au  bout  de  six  mois  à  un  ingénieur  d'en  faire  son 
procès-verbal  ;  il  le  fait  bien  ou  mal,  selon  qu'il  a  plus 
ou  moins  de  capacité  ;  on  trouve  que  la  somme  qu'il 
demande  est  trop  forte  ;  on  laisse  là  le  procès-verbal,  p.l 
le  port  continue  à  se  ruiner.  Ce  qui  coûterait  aujourd'hui 
vingt  mille  écus  en  coûtera  demain  quarante  mille,  et 
dans  un  an  deux  cent  mille.  »  Les  lenteurs  paperas- 
sières et  les  économies  mal  entendues  que  l'on  reproche 
parfois  à  notre  administration  n'étaient  pas  ignorées 
de  l'administration  de  l'ancien  régime. 

(c  Voilà,  dit  encore  Valincour,  l'état  où  sont  la  plu- 
part des  ports  du  royaume,  qui  ressemble  par  cet  en- 
droit à  une  maison  en  décret  qu'on  laisse  périr,  faute 
de  réparations.  »  Comme  preuve  des  conséquences 
fâcheuses  de  cet  abandon,  il  citait  l'exemple  des  arma- 
teurs basques  de  Ciboure  et  de  Saint-Jean-de-Luz  : 
comme  ils  ne  pouvaient  plus  faire  hiverner  leurs  navires 
dans  le  port  de  Rayonne,  ils  étaient  obligés  de  les  mettre 
au  port  du  Passage  et  d'acquitter  de  ce  chef  des  droits 
aux  Espagnols.  Il  terminait  par  cette  remarque  où  il 
avait  pleinement  raison  :  «  Le  moindre  port  ruiné  fait 


70  LA  MARINE  MILITAIRE  SOUS  LOUIS  XV. 

perdre  cfiaque  année  au  roi  et  au  royaume  dix  fois 
plus  qu'il  n'en  coûterait  pour  le  réparer.  » 

Nous  avons  déjà  parlé  de  ce  sentiment  rétrospectif 
de  tristesse  que  fait  naître  trop  souvent  la  lecture  des 
documents  de  notre  histoire  maritime  du  xviii®  siècle. 
Il  est  triste,  en  effet,  de  voir  que  les  plus  belles  paroles 
restèrent  sans  effet  ou  que  les  plans  les  mieux  combinés 
échouèrent  dans  l'indifférence,  parce  que  le  gouver- 
nement n'était  pas  à  l'unisson  des  Français  de  bonne 
volonté  qui  lui  soumettaient  des  mémoires  sur  la  res- 
tauration de  la  marine  ou  des  projets  maritimes  contre 
l'Angleterre.  On  peut  déjà  éprouver  quelque  chose  de 
ce  sentiment,  en  pensant  que  ces  deux  mémoires, 
marqués  au  coin  du  bon  sens  et  de  la  vérité,  qui  ne  par- 
laient ni  d'aventures  lointaines  ni  de  folies  héroïques, 
mais  qui  réclamaient  simplement  des  réformes  néces- 
saires et  d'une  évidence  indiscutable,  ne  rencontrèrent 
aucun  écho.  S'ils  n'avaient  pas  été  conservés  par  une 
sorte  de  hasard,  on  ne  pourrait  en  soupçonner  l'exis- 
tence, car  rien  ne  fut  changé  ni  dans  notre  système 
politique  ni  dans  la  situation  de  notre  marine. 

Cependant  il  y  avait  intérêt  à  parler  des  écrits  du 
comte  de  Toulouse  et  de  Valincour,  que  n'ont  point 
connus  les  historiens  de  notre  marine.  Dans  cet  affais- 
sement des  caractères  et  dans  cette  décadence  matérielle 
qui  caractérisèrent  trop  longtems  le  règne  de  Louis  XV, 
c'est  un  devoir  de  rendre  justice  aux  Français  qui  eurent 
le  sentiment  de  la  grandeur  de  la  France  et  des  vrais 
intérêts  de  sa  marine. 


CHAPITRE  V 

LA    POLITIQUE   MARITIME    DE    MONSIEUR    LE    DUC 
ET    DU    CARDINAL    DE    FLEURY 


Monsieur  le  Duc  premier  ministre.  —  La  marquise  de  Prie.  —  Fleury 
premier  ministre.  —  Ses  relations  avec  Horace  Walpole.  —  Va- 
lincour  et  son  mémoire  sur  i'état  de  l'Europe.  —  L'alliance  anglaise, 
societas  leonina.  —  Cassard  enfermé  à  Ham.  —  La  situation  mari- 
time à  la  mort  de  Fleury. 


Le  duc  d'Orléans  était  mort  d'une  attaque  d'apoplexie 
en  quelques  instants,  le  2  décembre  1723.  Ses  intimes 
n'en  furent  point  surpris  :  ils  connaissaient  «  l'air  pe- 
sant »,  «  l'air  hébété  »,  «  la  langue  épaisse  »  de  ce  mal- 
heureux prince,  que  la  débauche  avait  usé  avant  l'âge 
et  qui,  parfois,  le  matin,  à  son  lever,  donnait  l'illusion 
d'un  vieillard  en  enfance.  Saint-Simon,  qui  avait  lu  la 
mort  sur  ces  traits  décomposés,  avait  songé  à  s'occuper 
à  l'avance  de  la  désignation  de  son  successeur,  car  la 
majorité  de  Louis  XV  à  treize  ans  révolus,  aux  termes 
de  la  vieille  ordonnance  de  Charles  V,  n'était  qu'une 
fiction  légale.  Le  jeune  roi,  malgré  sa  précocité,  ne 
pouvait  encore  gouverner  en  personne,  et  le  duc  d'Or- 
léans ne  devait  sûrement  pas  vivre  jusqu'à  l'âge  de  sa 
majorité  intellectuelle.  Saint-Simon  s'était  ouvert  de 
cette  éventualité  au  précepteur  du  roi,  Fleury,  évêque 
de  Fréjus,  qui  vivait  en  grande  confiance  auprès  de  son 
élève  ;  il  lui  avait  donné  le  conseil  de  s'assurer  de  cette 
succession  de  premier  ministre  au  moment  même  où 


"2  LA    MARINE    MILITAIRE    SOUS    LOUIS    XV. 

elle  serait  vacante.  Il  trouva  un  homme  très  modeste, 
qui  déclarait  que  la  place  était  au-dessus  de  son  état, 
qu'elle  ne  pouvait  revenir  qu'à  une  personne,  ^Monsieur 
le  Duc.  Saint-Simon  de  se  récrier,  de  peindre  Monsieur 
le  Duc  sous  les  plus  noires  couleurs,  de  lui  représenter 
ce  qu'était  le  personnage  :  «  une  bêtise  presque  stupide, 
une  opiniâtreté  indomptable,  une  fermeté  inflexible,  un 
intérêt  insatiable  et   des   entours   aussi   intéressés   que 
lui^...  ))  Fleury  se  borna  à  sourire  ;  son  parti  était  pris. 
Quelques    semaines    plus    tard,    les    pressentiments 
funèbres  de  Saint-Simon  sur  le  duc  d'Orléans  étaient 
réalisés.  A  la  même  heure,  l'évêque  de  Fréjus  disait  à 
Sa  Majesté  qu'elle  ne  pouvait  mieux  faire  que  de  prier 
Monsieur  le  Duc,  qui  était  présent,   de  se  charger  du 
poids  de  toutes  les  affaires  et  de  prendre  la  place  de 
premier  ministre  comme  l'avait  eue  le  duc  d'Orléans. 
Le  roi  fit  un  signe  de  tête  ;  Monsieur  le  Duc  prêta  aus- 
.  sitôt  le  serment  de  sa  charge.  Louis  XV  avait  un  nou- 
veau premier  ministre,  l'Angleterre  un  nouvel  ami,  et 
1  notre  marine,  par  suite,  un  ennemi  de  plus. 

Louis-Henri,  duc  de  Bourbon,  dit  Monsieur  le  Duc, 
arrière-petit-fils  du  grand  Condé  et  premier  prince  du 
sang,  âgé  à  cette  époque  de  trente  et  un  ans,  n'était 
guère  connu  que  pour  avoir  été  l'un  des  familiers  du 
Régent  et  pour  s'être  prodigieusement  enrichi  avec  les 
actions  du  Mississipi  ;  pour  lui  et  pour  d'autres  princes 
de  sa  famille,  elles  avaient  été  <(  plus  que  les  mines  du 
Potosi.  »  Son  court  ministère  de  trois  ans,  trop  long 
pour  les  intérêts  de  notre  marine,  ne  fut  guère  que  la 
prolongation  des  scandales  de  la  Régence  et  de  la  détes- 
table politique  de  cette  époque. 

M  Monsieur  le  Duc,  dit  Saint-Simon,  fut  un  homme 

1.  Mémoires,  édition  de  1873.  t.   xix,  p.   162. 


MONSIEUR    LE    DUC    ET    FLEUHY.  73 

fait  exprès  pour  la  fortune  de  l'Angleterre.  »  Il  vivait 
dans  une  liaison  publique  avec  la  marquise  de  Prie. 
«  Avec  de  la  beauté,  l'air  et  la  taille  de  nymphe  »,  cette 
femme  fut  alors  «  la  Médée  de  la  France  ».  Les  Anglais 
avaient  pu  croire  leur  situation  perdue  à  Paris  après  la 
mort  successive  de  Dubois  et  du  duc  d'Orléans  :  la  for- 
tune leur  réservait  la  marquise  de  Prie.  Bien  vite  au 
courant  de  la  domination  absolue  qu'elle  exerçait  sur  le 
premier  ministre,  ils  se  hâtèrent  de  la  gagner  ;  ce  n'était . 
qu'une  affaire  d'argent,  qui  fut  bientôt  conclue.  La  pen- 
sion de  quarante  mille  livres  sterling  qui  avait  été  servici 
à  Dubois  fut  désormais  servie  à  la  marquise. 

Pour  l'Angleterre,  ce  fut  un  million  placé  chaque 
année  à  de  gros  intérêts.  Mené  par  M"°  de  Prie, 
Monsieur  le  Duc  marcha  toujours,  par  rapport  à  l'iVn- 
gleterre  sur  les  traces  de  son  prédécesseur.  Les  consé- 
quences sont  faciles  à  deviner  pour  notre  marine  ;  ce 
furent  trois  nouvelles  années  de  silence  et,  pour  ainsi 
dire,  de  mort  à  ajouter  aux  huit  années  précédentes, 
où  le  duc  d'Orléans  avait  dirigé  les  affaires. 

En  1725,  un  événement  inattendu  servit  à  merveille 
les  intérêts  de  l'Angleterre.  Monsieur  le  Duc,  pour 
rendre  sa  situation  plus  forte  à  la  cour,  avait  imaginé 
de  marier  le  roi  à  sa  guise  et  de  faire  épouser  à  cet 
enfant  de  quinze  ans  Marie  Leczinska,  qui  en  avait 
vingt-deux.  Avant  de  conclure  ce  mariage,  il  avait 
fallu  renvoyer  à  la  cour  de  Philippe  V  la  jeune  infante 
d'Espagne,  qui  était  élevée  au  Louvre  depuis  quelques 
années,  pour  être  un  jour  la  femme  de  Louis  XV.  Car 
un  rapprochement  politique  s'était  fait  entre  Paris  et 
Madrid,  après  le  renvoi  d'Alberoni  ;  l'Angleterre  avait 
pu  le  voir  sans  inquiétude,  à  présent  que  la  France, 
d'accord  avec  elle,  avait  travaillé  et  réussi  à  détruire 
la  marine  de  l'Espagne  ;  des  fiançailles  entre  une  fille 


74  LA  MARINE  MILITAIRE  SOUS  LOUIS  XV. 

de  Philippe  V  et  son  cousin  le  roi  Très  Chrétien  avaient 
été  conclues,  comme  un  symbole  visible  de  la  récon- 
ciliation des  deux  branches  de  la  maison  de  Bourbon. 
Aussi  ce  brusque  renvoi  de  l'infante  fut  pour  l'Espagne 
une  cruelle  injure  ;  prêt  à  recommencer  la  guerre  pour 
venger  cet  affront  personnel,  Philippe  V  se  rapprocha 
aussitôt  de  son  ancien  ennemi  l'empereur  Charles  VI. 
Pour  se  garder  de  l'orage  qu'il  avait  follement  pro- 
voqué, Monsieur  le  Duc  ne  vit  qu'un  moyen,  se  jeter 
de  plus  en  plus  dans  les  bras  de  l'Angleterre.  Il  serait 
difficile  de  dire  qu'il  sacrifia  la  marine  plus  qu'il  ne 
l'avait  déjà  fait  ;  du  moins,  il  était  bien  clair  qu'aussi 
longtemps  que  l'ami  de  la  marquise  de  Prie  et  des  An- 
glais serait  aux  affaires,  l'heure  de  la  résurrection  ne 
viendrait  pas  pour  la  marine  française. 

Allait-elle  enfin  sonner,  quand  au  milieu  de  l'année 
1726,  Monsieur  le  Duc  reçut  l'ordre  de  se  retirer  sur- 
le-champ  à  Chantilly,  et  que  l'évêque  de  Fréjus  reçut 
à  peu  près  à  la  fois  les  rênes  du  gouvernement  et  la 
pourpre  cardinalice?  Le  nouveau  cardinal  et  premier 
ministre  était-il  de  la  grande  famille  des  d'Ossat  et  des 
Richelieu  qui,  cardinaux  comme  lui,  avaient  eu  un  sen- 
timent si  profond  de  la  grandeur  maritime  de  la  France  ? 
Il  ne  fallut  pas  longtemps  pour  se  convaincre  que  rien 
n'était  changé.  C'était  toujours  le  même  vent  qui 
soufflait  à  Versailles  ;  il  venait  toujours  des  côtes  d'An- 
gleterre, et  il  ne  pouvait  pas  apporter  à  la  France  mari- 
time le  signal  de  sa  régénération. 

Tout  manquait  à  Fleury  pour  jouer  les  Richelieu, 
aussi  bien  dans  la  politique  étrangère  que  dans  la  ma- 
rine ;  à  dire  vrai,  il  n'y  songea  jamais.  Son  grand  âge, 
—  il  avait  soixante-treize  ans  quand  il  prit  le  pouvoir, 
et  il  ne  le  quitta  qu'avec  la  vie,  à  quatre-vingt-dix  ans, 


MONSIEUR    LE    DUC    ET    FLEURY.  75 

—  l'influence  des  traditions  politiques  établies  depuis 
une  dizaine  d'années,  ses  relations  personnelles  avec 
Horace  Walpole,  son  amour  excessif  de  l'économie, 
assez  voisin  de  l'avarice  :  tout  contribuait  à  le  con- 
vaincre qu'il  n'y  avait  qu'à  laisser  la  marine  en  proie 
à  sa  décadence. 

Fleury  avait  trouvé  le  gouvernement,  suivant  le  mot 
de  Saint-Simon,  ((  entièrement  monté  au  ton  de  l'Angle- 
terre. »  Sa  Majesté  britannique  était  alors  représentée 
à  Paris  par  un  ambassadeur  fort  habile,  souple,  insi- 
nuant, flatteur,  Horace  Walpole,  frère  de  Robert,  qui 
fut  à  Londres  pendant  de  longues  années  l'homme  de 
confiance  et  le  premier  ministre  des  rois  de  la  maison  de 
Hanovre.  En  diplomate  qui  avait  du  flair  et  qui  était  au 
courant  des  intrigues  de  cour,  Horace  Walpole  avait 
ménagé  Fleury  depuis  quelque  temps  ((  comme  un 
homme  qui  pointait  ».  Il  s'était  empressé  d'aller  lui 
rendre  visite  à  Issy,  lors  de  cette  disgrâce  apparente 
qui  précéda  son  élévation  subite  ;  par  cette  simple  dé- 
marche, rhabde  Anglais  s'était  dévoué  «  personnel 
le  ment  le  cardinal  à  un  point  qui  est  inexprimable  ». 

Le  nouveau  premier  ministre  n'avait  pas  les  goûts  el 
les  besoins  d'argent  d'un  cardinal  Dubois  ou  d'une  mar- 
quise de  Prie  ;  simple,  désintéressé,  économe,  il  con- 
tinua aux  affaires  la  vie  modeste  qu'il  avait  menée 
jusque-là.  Ajoutons  à  ce  propos  qu'il  traita  trop  souvent 
la  fortune  de  l'Etat  comme  il  traitait  la  sienne  propre, 
aussi  économe  des  deniers  publics  que  des  siens.  «  Il 
excellait  aux  ménages  de  collège  et  de  séminaire,  et 
qu'on  me  pardonne  ce  mol  bas,  au  ménage  des  bouts  de 
chandelle.  »  L'économie  sans  doute  avait  son  prix  après 
la  banqueroute  et  les  folies  de  la  Régence  ;  mais  les 
finances  d'un  grand  Etat  demandent  parfois  à  être 
maniées  par  d'autres  que  par  un  petit  comptable,  met- 


^6  LA  MARINE  MILITAIRE  SOUS  LOUIS  XV. 

tant  tous  ses  scrupules  à  bien  tenir  ses  écritures,  et 
des  économies  de  bouts  de  chandelle  n'ont  jamais  per- 
mis de  constituer  une  flotte  de  guerre.  Quoi  qu'il  en  soit, 
avec  un  ministre  qui  n'était  pas  dévoré  par  la  soif  de 
l'argent,  l'Angleterre  pouvait  désormais  faire  et  fit  l'éco- 
nomie de  son  million  annuel.  Horace  Walpole  s'y  prit 
d'une  autre  manière. 

Fleury  avait  un  défaut,  k  trop  commun,  dit  Saint- 
Simon  qui  généralise,  à  ceux  qui  occupent  de  grandes 
places...  ;  il  prenait  aisément  les  hommages,  les 
avances,  les  louanges,  les  fausses  protestations  des 
étrangers  et  des  souverains,  pour  réels  et  pour  estime 
de  sa  personne,  pour  confiance  en  lui,  même  pour 
amitié  véritable,  sans  songer  qu'il  ne  les  devait  qu'à 
l'importance  de  sa  place  et  au  besoin  qu'ils  avaient  de 
lui  ou  au  désir  de  le  gagner  et  de  le  tromper.  »  Cette 
leçon  de  sagesse  politique  que  donne  Saint-Simon  con- 
vient à  tous  les  temps  ;  avec  quelle  réserve  les  hommes 
publics  ne  doivent-ils  pas  accepter  les  ouvertures  et 
les  flatteries  de  l'étranger,  surtout  quami  cet  étranger 
est,  quoi  qu'il  puisse  arriver,  un  ennemi  naturel  !  Auprès 
de  Fleury,  le  manège  ne  réussit  que  trop  ;  pendant  ce 
ministère  sénile  de  près  de  dix-sept  ans,  on  eut  le  droit 
de  dire  que  la  France  fut  la  dupe  de  toutes  les  puis- 
sances de  l'Europe,  l'une  après  l'autre. 

La  situation  modeste  dans  laquelle  Fleury  s'était  tou- 
jours renfermé,  malgré  son  ambition  cachée  et  son 
entregent,  soit  comme  évoque  de  Frcjus,  soit  comme 
précepteur  du  roi,  l'ignorance  où  il  était  et  de  la  poli- 
tique générale  et  du  rôle  nécessaire  de  notre  marine 
quand  il  prit  tout  à  coup  les  affaires,  sa  timidité  natu- 
relle, le  persuadèrent  trop  vite  et  trop  complètement 
que  ses  flatteurs  étaient  des  amis  sincères  de  lui-même 
et  de  la  France  ;  il  ne  crut  qu'en  eux,  il  ne  jura  plus 


MO]\SlEim    LE    DUC    l'T    FLEURY.  77 

que  par  eux.  De  telle  sorte  que  <<  l'infatuation  la  plus 
imbécile  »  aboutit  pour  notre  pays  et  sa  marine  au 
même  résultat  que  l'égoïsme  du  Régent,  que  la  vénalité 
de  Dubois,  que  l'immoralité  de  la  marquise  de  Prie. 
Triste  époque  que  ce  quart  de  siècle  où  nos  hommes 
d'Etat,  de  gaieté  de  cœur,  par  intérêt  ou  par  sottise, 
n'eurent  d'autre  politique  que  de  faire  le  jeu  de  nos 
ennemis  ! 

Fleury  fut  comme  ensorcelé  par  Horace  Walpole. 
Joignant  à  ses  respects,  à  ses  hommages,  à  ses  ado- 
rations ceux  de  son  frère,  qui  dirigeait  alors  souve- 
rainement l'Angleterre,  l'habile  ambassadeur  le  per- 
suada sans  peine  qu'ils  ne  se  conduisaient  tous  deux 
que  par  ses  conseils  ;  il  le  flatta  de  ce  rôle  de  protecteur 
de  la  paix  européenne,  qui  convenait  à  son  âge,  à  son 
rang,  à  son  caractère,  et  dont  la  meilleure  garantie 
était  le  maintien  de  l'entente  cordiale  entre  Versailles 
et  Londres. 

Or  les  Walpole  éîaient  les  chefs  de  ce  parti  whig  qui 
avait  appelé  Guillaume  III,  qui  régnait  de  nouveau  en 
Angleterre  depuis  la  maison  de  Hanovre,  et  les  whigs 
((  les  plus  envenimés  ennemis  de  la  France  »,  avaient 
un  triple  objet,  <(  qu'ils  remplirent  triplement  et  com- 
plètement »  :  empêcher  à  tout  prix  que  la  France  ne 
I  élevât  sa  marine  ;  empêcher  avant  tout  la  restauration 
de  Dunkerque,  qui  avait  été  sous  le  règne  de  Louis  XIV 
ce  que  Flessingue  devait  être  sous  le  règne  de  Napoléon, 
le  pistolet  chargé  au  cœur  de  l'Angleterre,  de  Dun- 
kerque qu'ils  avaient  brisé  en  morceaux  et  qu'ils  pen- 
saient bien  ne  voir  jamais  renaître  ;  par  suite,  conserver 
l'empire  de  la  mer  et  le  commerce  maritime,  «  en 
sapant  doucement  ce  qui  nous  en  restait  ».  Voilà  le 
premier  objet,  qui  suffisait  à  consacrer  notre  ruine.  Le 
second  était  d'aigrir  le  plus  possible  les  rapports  entre 


'78  LA  MARINE  MILITAIRE  SOUS  LOUIS  XV. 

Versailles  et  Madrid,  pour  prévenir  les  effets  que  l'union 
de  la  politique  et  des  flottes  de  la  maison  de  Bourbon 
pouvait  avoir  pour  Gibraltar,  Minorque  et  les  colonies. 
Le  troisième,  qui  n'avait  qu'une  répercussion  indirecte 
sur  notre  marine,  était  de  maintenir  l'union  de  l'Angle- 
terre et  de  l'Autriche,  ce  qui  était  encore  un  moyen 
indirect  de  brider  la  France. 

Pour  comprendre  à  quel  point  Fleury  se  laissa  duper 
par  ses  bons  amis  d'Angleterre,  il  faut  reproduire 
l'anecdote  que  Saint-Simon  a  racontée  en  deux  passages 
de  ses  Mémoires  ^. 

((  Je  lui  dis  donc  un  jour  ce  que  je  pensais  là-dessus, 
les  inconvénients  solides  dans  lesquels  il  se  laissait 
entraîner,  et  beaucoup  de  choses  sur  les  affaires...  Sur 
sa  confiance  en  Walpole,  en  son  frère  et  aux  Anglais 
dominants,  il  se  mit  à  sourire.  «  Vous  ne  savez  pas  tout, 
«  me  répondit-il,  savez-vous  bien  ce  qu'Horace  a  fait  pour 
«  moi  ?  »  et  me  fit  valoir  celte  visite  [à  Issy]  comme  un 
trait  héroïque  d'attachement  et  d'amitié,  qui  levait  pour 
toujours  tout  scrupule.  Puis  continuant  :  ((  Savez-vous, 
«  me  dit-il,  qu'il  me  montre  toutes  ses  dépêches,  que 
«  je  lui  dicte  les  miennes,  qu'il  n'écrit  que  ce  que  je 
((  veux  ;  voilà  un  intrinsèque  qu'on  ignore,  et  que  je 
((  veux  bien  vous  confier.  Horace  est  mon  ami  intime, 
((  il  a  toute  confiance  en  moi,  mais  je  dis,  aveugle  ; 
((  c'est  un  très  habile  homme  ;  il  me  rend  compte  de 
((  tout  ;  il  n'est  qu'un  avec  Robert,  qui  est  un  des  plus 
<(  habiles  hommes  de  l'Europe,  et  qui  gouverne  tout  en 
((  Angleterre  ;  nous  nous  concertons,  nous  faisons  tout 
«  ensemble,  et  nous  laissons  dire.  »  Je  demeurai  stupé- 
fait, mais  encore  moins  de  la  chose  que  de  l'air  de  com- 
plaisance et  de  repos,  et  de  conjouissance  en  lui-même 

2.  Edition  de  1873,  t.  V,  p.  309  ;  t.  XV,  p.  32C. 


MONSIEUR    LE    DUC    ET    FLEURY.  79 

avec  laquelle  il  me  le  disait.  Je  ne  laissai  pas  d'insister, 
et  de  lui  demander  qui  l'assurait  qu'Horace  ne  reçût  et 
n'écrivît  doubles  dépêches,  et  ne  le  trompât  ainsi  bien 
aisément  ?  Autre  sourire  d'applaudissement  en  soi  : 
«  Je  le  connais  bien,  me  répondit-il,  c'est  un  des  plus 
((  honnêtes  hommes,  des  plus  francs  et  des  plus  inca- 
«  pables  de  tromper  qu'il  y  ait  peut-être  au  monde.  » 
Et  de  là  à  battre  la  campagne  en  exemples  et  en  faits...  » 

Avec  un  aveuglement  poussé  à  ce  point  inimaginable, 
les  mémoires  raisonnes  ne  pouvaient  avoir  plus  de  prise 
sur  Fleury  que  les  conversations  amicales.  Valincour, 
dont  il  a  été  question  au  chapitre  précédent,  avait  com- 
posé pour  le  cardinal  un  Mémoire  sur  Vêlai  de  l'Eu- 
rope en  1726^,  c'est-à-dire  quand  il  venait  de  prendre 
les  affaires  en  mains  et  que  l'Angleterre  voulait  nous 
entraîner  à  une  nouvelle  guerre  contre  l'Espagne.  Le 
premier  minisire  pouvait  y  toucher  du  doigt  tout  ce 
qu'il  y  avait  d'onéreux  dans  l'alliance  anglaise. 

«  La  première  et  aussi  la  plus  inviolable  règle  de  toute 
société,  est  que  les  pertes  et  les  profits  y  soient  com- 
muns. Dès  qu'il  est  évident  que  tout  le  profit  est  d'un 
côté  et  tout  le  dommage  de  l'autre,  la  société  est  rom- 
pue, et  par  le  droit  divin,  et  par  le  droit  des  gens,  et 
par  le  droit  civil,  qui  appelle  cette  sorte  de  société 
societatem  leoninam.  Or,  que  peut  gagner  la  France 
dans  la  guerre  où  les  Anglais  veulent  l'engager?  Rien. 
Que  peut-elle  perdre?  Tout,  et  se  perdre  elle-même. 
Que  peuvent  perdre  les  Anglais  ?  Rien  ;  on  n'ira  pas  les 
attaquer  dans  leur  île  ni  prendre  Londres.  Que  peuvent- 
ils  gagner  ?  Tout  ce  qu'ils  souhaitent  :  détruire  et  faire 
périr  les  forces  maritimes  et  le  commerce  de  la  France, 
de  la  Hollande  et  de  l'Espagne  ;  s'assurer  l'empire  de 

3.  Publié  par  MoNAiERQUÉ  en  tête  des  Mémoires  du  marquis  de  VUletU. 
p.   XLViT-XLix.   Voir  ci-dessus,   p.  32. 


l 


80  LA  MARINE  MILITAIRE  SOUS  LOUIS  XV. 

la  mer,  dont  ils  se  mettent  visiblement  en  possession. 
Ils  chassent  à  force  ouverte  nos  pêcheurs  de  morue  de 
dessus  le  grand  banc  ;  ils  font  trembler  l'Europe  et 
l'Amérique  à  la  vue  de  trois  escadres  qu'ils  ont  armées 
et  qu'ils  ont  fait  agir,  sans  en  donner  aucune  partici- 
pation à  la  France,  à  qui  ils  proposent  de  tout  sacrifier 
pour  eux...  » 

Fleury  put  lire  encore  ce  passage,  si  vrai  et  si  triste, 
où  l'on  devine  l'homme  politique  qui  sait  voir  et  com- 
prendre : 

«  Ces  Anglais,  qui  sont  si  fort  nos  amis,  ne  seront-ils 
jamais  nos  ennemis?  ne  l'ont-ils  jamais  été?...  Cette 
amitié,  qu'ils  nous  vendent  si  cher,  durera-t-elle  plus 
longtemps  que  l'utilité  qu'ils  en  retirent  ?  et  s'ils 
viennent  à  se  tourner  contre  nous  dans  le  fort  d'une 
guerre  où  ils  nous  auront  engagés,  où  en  serons-nous  ? 
Notre  marine  détruite  ;  pas  un  vaisseau  à  mettre  à  la 
mer  ;  la  plupart  des  officiers  hors  d'état  de  servir  ;  les 
côtes  exposées,  les  ports  ruinés  faute  de  réparations  ; 
nos  colonies  d'Amérique  n'ayant  pas  de  quoi  faire  la 
moindre  résistance  et  pouvant  être  enlevées  d'un  coup 
de  main...  » 

La  guerre  de  la  France  et  de  l'Angleterre  contre  l'Es- 
pagne, dont  le  patriotisme  clairvoyant  de  Valincour 
s'alarmait  avec  raison,  n'éclata  pas,  et  il  faut  en  féli- 
citer l'habileté  de  Fleury  ;  mais  suffisait-il  d'avoir  évité 
une  faute  qui  aurait  fait  le  jeu  de  nos  amis  d'aventure  ? 
Ne  fallait-il  pas  peu  à  peu  se  soustraire  à  cette  alliance, 
qui  avait  tous  les  caractères  d'une  tutelle  ruineuse  et 
humiliante?  Se  conduire  avec  l'Angleterre  honnêtement, 
sans  bassesse,  et  intérieurement  la  considérer  toujours 
comme  une  ennemie  naturelle  :  on  n'aurait  pu  mieux 
caractériser  que  par  ces  paroles  déjà  citées  ce  qu'aurait 
dû  êlre  notre  ligne  de  conduite  vis-à-vis  de  la  Grande- 


MONSIEUR    LE    DUC    ET    FLEURY.  81 

Bretagne,  ni  mieux  caractériser  aussi,  par  le  contraire, 
ce  qu'elle  fut  sous  le  ministère  de  Fleury. 

Le  31  décembre  1720,   une  tempête    et    une    marée 
extraordinaires,  comme  il  y  en  a  par  les  vents  du  nord- 
ouest  sur  les  plages  de  la  mer  du  Nord,  avaient  détruit 
le  grand  batardeau  construit  en  1714  pour  barrer  l'accès 
du  port  de  Dunkerque.  L'ouragan  semblait  avoir  tra- 
vaillé pour  la  malbeureuse  ville.  Ses  habitants  se  mirent 
à  l'œuvre  en  silence  ;  avec  les  matériaux  des  anciens 
forts  qu'on  avait  démolis  en  vertu  des  traités  d'Utrechl 
et  de  la  Triple  Alliance,    ils    construisirent    de    petites 
levées  le  long  de  l'ancien  chenal,  ils  y  creusèrent  une 
rigole  qui  débouchait  à  la  mer,  quelques  navires  mar- 
chands se  risquèrent  par  cette  voie   nouvelle   et    péné- 
trèrent dans  le  port  :  Dunkerque  allait  renaître.  Mais 
l'Angleterre    veillait,    elle    réclama,    elle    rappela    les 
traités  :  Louis  XV  donna  l'ordre,  en  1730,  de  raser  les 
petites  chaussées  en  pierre  ;  le  canal,  que  plus  rien  ne 
protégeait,  se  combla  peu  à  peu.  De  nouveau  Dunkerque 
était  mort.  Fleury  avait  obéi  à  la  mise  en  demeure  des 
Anglais. 

Cependant,  nos  alliés  avaient  entrepris  à  nos  portes, 
dans  ces  îles  de  Jersey  et  de  Guernesey  d'où  tant  de 
corsaires  devaient  sortir  au  cours  du  siècle,  des  tra- 
vaux de  défense,  ports,  fortifications,  magasins.  Fleury 
ne  fit  aucune  représentation.  Bien  mieux,  comme  les 
Anglais  devaient  tirer  leurs  matériaux  de  construction 
d'Angleterre  et  que  ces  transports  étaient  parfois  pé- 
rilleux, il  leur  permit  de  les  prendre  tous  en  France, 
d'où  les  commodités  de  transport  étaient  plus  grandes. 
Qu'on  mette  en  parallèle  Dunkerque  et  Jersey  :  une 
alliance  à  de  telles  conditions,  c'est  bien  ce  que  Yalin- 
cour  appelait  une  sodeias  leonina. 

La  complaisance  incroyable  de  Fleury  pour  les  An- 


82  LA  MARINE  MILITAIRE  SOUS  LOUIS  XV. 

glais,  la  crainte  de  les  blesser,  lui  fermaient  les  oreilles 
à  toutes  les  demandes  d'argent  pour  le  rétablissement 
de  la  marine  et  le  développement  du  commerce  ;  en 
quoi  son  anglophilie  et  son  avarice  s'entendaient  à  mer- 
veille. Un  conseiller  d'Etat,  Fagon,  qui  était  à  la  tête 
ilu  commerce  et  dont  Saint-Simon  a  recueilli  les  do- 
léances, ne  cessai  l  de  se  plaindre  et  de  demander  les 
l^nds  nécessaires  :  peine  perdue.  ]\Iaurepas,  le  ministre 
de  la  Marine,  n'était  pas  plus  heureux.  «  Pour  protéger, 
dit-il,  cette  source  de  richesses  [le  commerce],  il  fallait 
augmenter  les  dépenses  de  la  marine  ;  et  tant  que  M.  le 
cardinal  a  été  en  place,  il  s'est  refusé  —  pour  des  rai- 
sons qui  lui  sont  personnelles  et  dont  il  ne  rend  compte 
à  personne  qu'au  roi  —  de  se  prêter  à  cette  augmen- 
tation de  nos  forces  navales^...  »  Quand  Maurepas  lui 
montrait  l'importance  de  la  marine  et  la  nécessité  de  la 
soutenir  par  de  larges  subventions  :  <(  Vous  êtes 
orfèvre,  monsieur  Josse,  »  était  la  réponse  ordinaire 
du  cardinal. 

L'ami  des  Anglais  n'avait  parfois  pas  plus  d'égards 
pour  nos  marins  que  pour  notre  marine.  On  connaît  la 
fin  lamentable  de  Cassard,  l'héroïque  Nantais,  dont  le 
nom  est  porté  aujourd'hui  par  un  de  nos  croiseurs,  et 
dont  Du  Guay-Trouin  disait  un  jour  devant  lui  aux 
courtisans  de  Versailles  :  «  Saluez,  Messieurs,  saluez 
très  bas  M.  Cassard,  un  des  plus  grands  corsaires  que 
la  France  ait  produits.  » 

Le  glorieux  compagnon  de  Pointis  dans  l'expédition 
de  Carthagène,  le  hardi  capitaine  qui,  à  la  tête  d'une 
frégate  et  de  deux  corvettes,  dispersait  aux  Sorlingues 
en  1708  un  convoi  anglais  de  trente-cinq  voiles  et  captu- 

/t.  Mémoire  et  Considérations  générales  sur  le  commerce  de  France  pré- 
<icrilccs  à  S.  M.,  par  M.  le  comte  de  Maurepas,  sans  date.  Publié  dans  les 
Mémoires  de  Maurepas.  t.  III,  p.  194-245, 


MONSIEUR   LE   DUC    ET    FLEURY.  83 

rait  cinq  navires,  qui,  en  1709,  escortant  un  convoi  de 
blé  avec  deux  bâtiments  de  la    marine    royale,    tenait 
tête  sur  les  côtes  d'Afrique  pendant  vingt-quatre  heures 
à  quinze  navires  de  guerre  anglais,  les  forçait  à  la  fuite 
et  sauvait  son  convoi  ;  —  le    corsaire    qui,    en    digne 
émule  de  Du  Guay-Trouin,  rééditait  à  sa  manière,  en 
1712,  au  cours  de  quelques  semaines,  la  campagne  de 
Rio  de  Janeiro,  prenait  Praia   et    Santiago    aux    Por- 
tugais dans  l'archipel  du  Cap  Vert,   enlevait  aux  An- 
glais l'île  de  Montserrat  dans  les  petites  Antilles,  appa- 
raissait devant  Surinam  et  y  levait  sur  les  Hollandais 
une  contribution  de  huit  cent  mille  florins,   faisait  des 
razzias  à  Saint-Eustache  et  à  Curaçao,  dispersait  à  son 
retour  une    escadre    anglaise,     lui    prenait    quelques 
vaisseaux  et  ramenait  toutes  ses  prises  comme  un  triom- 
phateur chargé  des  dépouilles  opimes  ;  —  le  héros  qu6 
Louis  XIV  avait  nommé  lieutenant  de  frégate,  capitaine 
de  frégate,   capitaine  de  vaisseau,   chevalier  de  Saint- 
Louis,  bien  qu'il  ne  fût  pas  de  la  marine  royale  :  Jacques 
Cassard,  ruiné  comme  tant  d'autres  marins  par  la  paix 
d'Utrecht  et  surtout  par  l'alliance  franco-anglaise,  était 
réduit  à  la  misère.  Depuis  longtemps,  des    négociants 
de  Marseille  refusaient  de  lui  payer  des  sommes  aui  lui 
étaient  dues  ;  avec  ses  navires  il  avait,  en  1709,  sauvé  un 
de  leurs  convois,  et  il  leur  réclamait   le   prix   de   l'ar- 
mement de  ses  bâtiments  de  course.  De  là,  procès  de- 
vant le  parlement  d'Aix,   avec  toutes    les    lenteurs    et 
tous  les  frais  qui  achevèrent  de  ruiner  et  d'exaspérer  le 
malheureux. 

Rebuté  de  tous  les  côtés,  il  crut  qu'à  Versailles  il 
pourrait  solliciter  le  ministre  au  nom  de  ses  glorieux 
services  et  de  cette  croix,  décernée  par  le  grand  roi, 
qui  brillait  en  bonne  place  sur  sa  poitrine  de  marin.  A 
Versailles,  comme  à  Marseille  et  comme  à  Aix,   il  fui 


84  LA.   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 

éconduit.  Alors  la^  colère  et  rindignation  débordèrent  ; 
il  exprima  tout  crûment  au  premier  ministre  les  sen- 
timents que  lui  dictaient  et  ces  dénis  de  justice,  et  sa 
misère  présente,  et  le  souvenir  de  ses  exploits.  Fleury 
vit  comme  une  insulte  personnelle  dans  l'explosion  d'une 
âme  profondément  malheureuse.  Cassard  fut  arrêté  et 
mis  au  château  de  Ham  :  c'était  en  1736  ^.  Le  brave  qui 
avait  été  l'honneur  de  la  France  et  la  terreur  de  nos 
ennemis  de  Portugal,  de  Hollande  et  d'Angleterre,  avait 
ces  Invalides  pour  fm  de  sa  carrière.  Cassard  ne  sortit 
jamais  de  sa  prison,  il  y  resta  jusqu'à  sa  mort  (21  jan- 
vier 1740),  c'est-à-dire  pendant  trois  ans  et  six  mois. 

Le  règne  de  Louis  XV  fut  bien  dur  à  quelques-uns  de 
nos  marins  et  de  nos  coloniaux.  Cassard,  traité  comme 
un  criminel  d'Etat,  meurt  en  prison  après  de  longs  mois 
de  captivité  ;  La  Bourdonnais,  enfermé  trois  ans  et 
demi  à  la  Bastille,  en  sort  acquitté,  mais  mourant  ;  Du- 
pleix,  le  grand  homme,  meurt  dans  une  profonde  dé- 
iresse  ;  le  comte  de  Lally,  déshonoré  par  ses  juges, 
essaie  de  se  tuer  et,  à  demi-mort,  est  traîné  à  l'échafaud. 

Il  faut  revenir  à  Fleury  pour  juger  les  résultats  de  sa 
politique  et  de  la  pohtique  de  son  prédécesseur,  du 
moins  en  ce  qui  concerne  la  marine.  Empruntons  encore 
à  Saint-Simon  un  passage,  écrit  peu  de  temps  après  la 
mort  du  cardinal  ^. 

«  Ce  qui  résulte  de  tout  ce  qu'on  vient  de  voir,  c'est 
que  la  marine  de  France  se  trouve  radicalement  dé- 
truite, son  commerce  par  conséquent,  tous  les  magasins 
épuisés,  les  constructions  impossibles  ;  qu'elle  ne  peut 

5.  L'ordre  de  son  arrestation  est  du  5  février  1736.  Il  fut  mis  au  sémi- 
naire de  Notre-Dame  des  Vertus,  puis  au  mois  de  juillet  au  château  de 
Ilam.  Voir  Norman,  The  Corsairs  of  France  (Londres,  18S7),  chap.  m  ;  L4 
NicoLLTÈRE-TEiJEiRO,  JacQucs  Cassard.  Vannes.  1S90. 

6.  Edition  de  1873,  t.  XV.  p.  330. 


MONSIEUR   LE   DUC    ET    FLEURY.  85 

hasarder  de  vaisseaux  à  la  mer  qu'ils  ne  soient  pour- 
chassés, en  quelque  endroit  que  ce  soit,  de  toute  la  vaste 
étendue  des  mers  de  l'un  et  de  l'autre  monde  ;  que  ses 
ports  et  ses  côtes  sont  exactement  bloqués,  ses  meil- 
leures colonies  enlevées,  ce  qui  lui  en  reste  menacé  et 
à  la  discrétion  des  Anglais,  quand  il  leur  plaira  d'en 
prendre  sérieusement  la  peine.  Nul  contrepoids  à  la 
puissance  maritime  de  l'Angleterre,  qui  couvre  toutes  les 
mers  de  ses  navires.  La  Hollande,  qui  en  gémit  intérieu- 
rement, n'ose  pas  même  le  montrer.  L'Espagne  ne 
pourra  de  longtemps  se  relever  de  la  fatale  assistance 
que  nous  avons  prêtée  à  l'Angleterre  de  ruiner  sa  ma- 
rine et  d'estropier  son  commerce  et  ses  établissements 
des  Indes  ;  et  il  faudrait  à  la  France  trente  ans  de  paix 
et  du  plus  sage  gouvernement  pour  remonter  sa  marine 
au  point  que  Colbert  et  Seignelay  l'ont  laissée.  C'est, 
avec  bien  d'autres  maux,  ce  que  la  France  doit  aux  pre- 
miers ministres  qui  l'ont  gouvernée  depuis  la  mort  du 
feu  roi.  Ainsi  l'Angleterre  triomphe  de  notre  ineptie...  » 
Quelques  traits  de  cette  peinture  sont  peut-être  trop 
poussés  au  noir,  comme  on  le  verra  à  propos  de  l'admi- 
nistration de  Maurepas  et  des  faits  de  guerre  maritime 
de  cette  époque.  Mais  l'on  sait  dès  maintenant  pourquoi 
le  ministre  de  la  Marine  ne  put  jamais  prendre  que  des 
demi-mesures,  pourquoi  nos  marins  furent  trop  long- 
temps condamnés  à  des  besognes  incomplètes,  décou- 
sues, stériles.  C'est  qu'ils  vivaient  pour  leur  malheur 
sous  le  gouvernement  de  Monsieur  le  Duc  et  sous  le 
gouvernement  du  cardinal  Fleury,  «  également  empoi- 
sonnés de  l'Angleterre  »  '^. 

7.  saint-Simon,  édition  de  1873.  t.  XIV,  p.  36. 


CHAPITRE  VI 

MAUREPAS,    SECRÉTAIRE   d'ÉTAT   DE    LA    MARIKE 


Réputation  traditionnelle  de  légèreté  de  Maurepas.  —  Sa  carrière.  -  - 
Conditions  politiques  et  financières  de  son  administration  maritime. 
—  Suppression  des  galères.  —  Réilexions  sur  le  commerce  et  sur 
la  marine.  —  Travaux  dans  les  ports.  —  Constructions  navales.  — 
Travaux  scientifiques. 


Dans  son  Mémoire  sur  la  marine  de  France,  composé 
en  1725  pour  le  comte  de  Toulouse,  Valincour  parle  en 
ces  termes  du  secrétaire  d'Etat  de  la  Marine,  qui  était 
alors  en  fonctions,  et  de  sa  manière  d'administrer  : 

((  ...Un  jeune  homme  de  vingt-quatre  ans,  de  bon 
esprit,  qui  a  de  très  bonnes  intentions,  mais  qui  ne  sait 
pas  de  quelle  couleur  est  la  mer  ni  comment  est  fait  un 
vaisseau  ;  qui,  depuis  qu'il  est  en  place,  n'a  fait  autre 
chose  que  d'examiner  si  d'un  écrivain  on  peut  faire  un 
commissaire,  ou  si  d'un  garde-marine  il  faut  faire  un 
enseigne,  et  si  on  enverra  celui-ci  à  Toulon  et  celui-là 
à  Rochefort.  Du  reste,  il  ne  prendra  conseil  de  qui  que 
ce  soit  ;  les  officiers  de  guerre  seront  exclus  de  toutes 
les  délibérations,  mais  il  s'enfermera  avec  quatre 
commis  qui  n'en  savent  pas  plus  que  lui  et  qui  n'ont  pas 
tant  d'esprit.  C'est  avec  eux  qu'il  dressera  le  projet  de 
la  campagne  qui  va  s'ouvrir  et  les  instructions  pour  la 


MAUREPAS,    SECRÉTAIRE   d'ÉTAT    DE    LA    MARINE.  S7 

flotte,  si  l'on  en  peut  avoir  une,  et  qu'il  prescrira  au 
général  la  conduite  qu'il  doit  tenir.  » 

Cette  appréciation  sévère  et  ironique  pourrait  être 
regardée  comme  un  écho  de  l'inimitié  dont  le  comte  de 
Toulouse  avait  poursuivi  le  père  de  Maurepas  et  que 
Valmcour,  secrétaire  des  commandements  de  l'amiral 
de  France,  devait  naturellement  partager  ;  mais  il  faut 
reconnaître  qu'elle  cadre  assez  bien  avec  d'autres  té- 
moignages qui  ont  valu  à  Maurepas  une  réputation  de 
frivolité  et  d'insouciance,  restée  comme  inséparable  de 
son  nom. 

Ce  jeune  homme  de  vingt-quatre  ans,  qui  a  de  l'esprit 
et  de  bonnes  intentions,  mais  qui  ne  sait  rien  et  ne  veut 
pas  prendre  conseil,  fait  penser  à  l'avance  au  vieillard 
devenu  premier  ministre  de  Louis  XVI,  que  Marmontel 
a  représenté  «  aimant  ses  aises  et  son  repos,  évitant  tout 
ce  qui  pouvait  attrister  ses  soupers  ou  inquiéter  son 
sommeil  )>.  Ce  aue  l'on  sait  d'ordinaire  de  lui,  c'est  qu'il 
aimait  les  bons  mots,  qu'il  tournait  joliment  l'épi- 
gramme,  qu'il  avait  formé  un  volumineux  recueil  de 
chansons  où  toute  l'histoire  de  son  temps  est  racontée 
en  couplets  spirituellement  tournés  et  d'où  la  note  licen- 
cieuse n'est  pas  toujours  absente.  On  a  aussi  sous  son 
nom  des  Mémoires  en  quatre  volumes,  que  l'on  dit  avoir 
été  rédigés  sous  ses  yeux,  lors  de  son  exil  à  Bourges, 
par  son  secrétaire  de  confiance,  M.  Salle  ^  ;  ces  Mé- 
moires ne  sont  pas  pour  donner  une  idée  très  précise  de 
son  rôle  comme  administrateur.  Ce  qui  y  tient,  en  effet, 
le  plus  de  place,  ce  sont  des  anecdotes  sur  lui-même 
ou  sur  divers  personnages  et  incidents  de  la  cour  de 
Louis  XV  ;  il  en  résulte  que  les  pages  de  ces  Mémoires 

1.  Mémoires  du  comte  de  Maurepas,  ministre  de  la  Marine,  Paris,  1791. 


88  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 

ont  parfois  le  caractère  léger  et  décousu  d'un  recueil 
d'ana. 

Une  chose  frappe  cependant  dans  cette  suite  d'histo- 
riettes et  de  couplets,  c'est  qu'il  s'y  mêle  un  nombre 
assez  grand  de  pièces  originales  sur  la  marine  et  le 
commerce,  qui  offrent  un  intérêt  véritable  pour  l'his- 
toire administrative.  Aussi  l'on  en  vient  à  se  demander 
si  le  ministre  n'aurait  pas  été  fait  lui-même  à  l'image 
de  ses  Mémoires,  s'il  n'aurait  pas  été  un  mélange  de 
sérieux  et  de  frivole,  et  si  la  légèreté  de  son  caractère 
n'aurait  pas  fait  tort  à  sa  réputation,  en  empêchant  de 
distinguer  ce  qu'il  avait  pu  concevoir  et  exécuter  d'utile 
au  cours  de  sa  longue  administration  maritime. 

Saint-Simon,  qui  ne  pèche  point  par  bienveillance  à 
l'égard  des  ministres,  parle  de  Maurepas  en  ces  termes  : 
«  Il  a  bien  dépassé  son  maître  [La  Vrillière]  et  bien  pro- 
fité des  leçons  de  son  grand-père  [le  chancelier  de  Pont- 
chartrainj,  duquel  il  tient  beaucoup.  Il  exerce  encore 
aujourd'hui  cette  charge  avec  tout  l'esprit,  l'agrément 
et  la  capacité  possible.  —  Remarquons  ce  dernier  trait, 
qui  se  rapporte  au  mérite  même  de  l'administrateur  et 
non  aux  qualités  séduisantes  de  l'homme  privé.  —  Il 
est  de  plus  ministre  d'Etat.  La  louange  pour  lui  serait 
bien  médiocre,  si  je  disais  qu'il  est  de  bien  loin  le 
meilleur  que  le  roi  ait  eu  dans  son  conseil  depuis  la 
mort  de  M.  le  duc  d'Orléans.  » 

L'auteur  de  la  Vie  privée  de  Louis  XV  ^  qui  parle 
avec  tant  de  sévérité  des  hommes  et  des  choses  de  ce 
règne^  et  en  particulier  de  la  marine,  porte  cette  appré- 
ciation sur  le  secrétaire  d'Etat  à  la  Marine  :  «  Nous 
osons  croire  que  la  postérité,    plus    équitable   [que   les 

2  Vie  vrivée  de  Louis  XV  ou  Principaux  Evénements,  ParticulariUs  et 
Anecdotes  de  son  ngne  [par  Moufle  d'Angerville]  ;  Londres.  1781. 
4  vol.  in-12. 


MAUREPAS,    SECRÉTAIRE    d'ÉTAT   DE    LA   MARINE.  89 

contemporains],  regardera  le  comte  de  Maurepas  comme 
le  meilleur  minisire  que  la  marine  ait  eu  sous 
Louis  XV  3.  Si  l'on  considère  l'état  de  faiblesse  où  il  la 
trouva  au  commencement  de  la  guerre,  le  défaut  de 
fonds  qui  lui  manquèrent  toujours  dans  ce  temps  mal- 
heureux, on  sera  surpris  des  choses  qu'il  fit  avec  si 
peu  de  moyens.  »  Le  seul  vice  d'administration  qu'il  lui 
reproche,  c'est  d'avoir  manqué  d'énergie  dans  les  pu- 
nitions ;  il  aurait  voulu  le  voir  agir  à  l'égard  de  quelques 
mutins,  comme  les  Anglais  devaient  le  faire  à  l'égard 
de  Byng,  qui  était  infiniment  moins  coupable  ;  «  mais 
cette  mollesse  funeste  était  moins  la  sienne  que  celle 
du  maître  et  du  gouvernement  )>. 

Ces  deux  jugements  de  Saint-Simon  et  de  Moufle 
d'Angerville  paraissent  difficiles  à  concilier  avec  le  ju- 
gement de  Valincour  et  l'opinion  de  la  plupart  des 
historiens  ^  ;  mais  certains  hommes  ne  joignent-ils  pas 
à  des  capacités  réelles  des  apparences  de  frivolité?  Le 
plaisir  de  placer  un  bon  mot  ou  de  conter  une  anecdote 
un  peu  libre  ne  les  empêche  pas  d'avoir  des  habitudes 
sérieuses  de  travail.  Il  semble  que  tel  ait  été  le  cas  de 
Maurepas,  qui  vaut  mieux  que  sa  réputation  ;  il  porte 
dans  l'histoire  la  peine  de  sa  légèreté  d'esprit,  trop 
grande  sans  doute,  surtout  chez  un  homme  public,  mais 
qui  n'atteignit  pas  toujours  en  lui  le  fond  du  caractère. 
Comme  ministre  de  la  Marine,  il  ne  manqua  pas  d'idées, 
il  introduisit  des  améliorations  utiles  ;  s'il  ne    fit    pas 


3.  L'auteur  anonyme,  mais  d'esprit  très  indépendant,  qui  a  écrit  les 
Considérations  sur  la  constitution  de  la  marine  militaire  de  France 
(Londres,  r/56),  parle  ainsi  de  IMaurepas  (p.  57)   :  v.-         i 

«  Tout  le  corps  respecte  et  chérit  en  lui  son  amour  pour  le  bien,  la 
justice  et  l'ordre,  en  même  temps  qu'il  admire  ses  rares  talents  pour  le 
ministère.  » 

/i.  CHAnAUD-ARNAULT  en  a  déjà  appelé  du  jugement  sévère  porté  par 
Henri  Martin  sur  Maurepas,  ministre  de  la  INIarine  ;  voir  R.  M.  C,  t.  CX, 
p.  49  et  suiv. 


90  LA   MARINE   MILITAIRE   SOUS   LOUIS   XV. 

beaucoup,  il  fît  du  moins  beaucoup  plus  qu'on  ne  pour- 
rait le  croire  en  ne  le  jugeant  qu'à  la  surface  et  en  son- 
geant aux  circonstances  dans  lesquelles  il  se  trouvait. 

Jean-Frédéric  Phélypeaux,  comte  de  Maurepas  et  de 
Ponlchartrain,  baron  de  Beyne,  né  en  1701,  avait  été 
nommé  secrétaire  d'Etat  de  la  i\larine  à  l'âge  de  qua- 
torze ans,  quand  le  Régent  avait  renvoyé  son  père, 
Jérôme  comte  de  Pontchartrain  ;  on  a  vu  comment  Saint- 
Simon  s'était  fait  lui-même  l'exécuteur  de  cette  singu- 
lière substitution  de  personnes,  dont  il  avait  eu  la  pre- 
mière idée,  oubliant  ainsi  son  mépris  superbe  à  l'égard 
des  «  bourgeois  porphyrogénètes  )>.  Remarquons  en 
passant  que  si  l'expression  peut  s'appliquer  à  une  fa- 
mille de  ministres,  c'est  bien  à  la  dynastie  des  Phély- 
peaux qu'elle  convient  :  la  place  de  secrétaire  d'Etat, 
entrée  dans  cette  famille  en  1610,  s'y  maintint  comme 
une  propriété  ininterrompue  jusqu'en  1775. 

L'apprenti-ministre  de  1715  avait  été  placé  sous  la 
tutelle  de  son  parent  le  marquis  de  La  Vrillière  ^,  qui 
devait,  tout  en  formant  celui  qui  en  avait  le  titre,  faire 
les  fonctions  de  ministre  de  la  Marine  ;  d'ailleurs,  l'exis- 
tence du  Conseil  de  Marine,  et  mieux  encore  l'abandon 
systématique  de  nos  forces  navales,  qui  faisait  partie 
de  notre  politique,  ne  laissaient  à  peu  près  rien  à  faire 
au  secrétaire  d'Etat  de  la  Marine,  quel  qu'il  fût.  En 
1718,  Maurepas  épousa  la  fille  de  La  Vrillière  ;  dès  lors 
il  partagea  l'exercice  de  sa  charge  avec  son  beau-père, 
qui  paraphait  ses  signatures.  Enhn,  à  la  proclamation 
de  la  majorité  de  Louis  XY,  en  février  1723,  le  secrétaire 
d'Etat,  émancipé  de  la  tutelle  de  son  beau-père,  com- 
mença à  faire  en  personne  les  fonctions  de  sa  charge, 

5.  Louis   Phélypeaux,   marciuis   de   La   Vrillière.   né   eu    1672,    secrétaire 
d'Etat  de  la  Maison  du  roi.  mort  en  1725. 


l 


MAUREPAS,    SECRÉTAIRE   d'ÉTAT    DE    LA   MARINE.  91 

en  joignant  au  département  de  la  Marine  celui  de  la 
Maison  du  roi.  Plus  tard,  il  fut  ministre,  c'est-à-dire 
membre  du  conseil  du  roi,  et  il  put  avoir  ainsi  une  part 
d'influence  dans  la  politique  du  règne. 

Le  24  avril  1749,  un  incident  futile  de  la  vie  de  cour, 
mais  qui  est  en  harmonie  avec  cette  époque  de  frivo- 
lité et  de  corruption,  amena  brusquement  sa  disgrâce. 
Maurepas  avait  déjà  fait  des  couplets  sur  la  marquise 
de  Pompadour,  dont  le  roi  avait  bien  voulu  rire  ;  un 
jour,  la  favorite  trouva  à  Marly  un  quatrain  qui  n'était 
pas  pour  lui  plaire.  Il  fut  mis  sur  le  compte  de  Mau- 
repas, qui  prétendit  d'ailleurs  que  l'auteur  de  ces  vers 
était  son  propre  ennemi  le  duc  de  Richelieu^.  M™^  de 
Pompadour  demanda  et  obtint  sur  l'heure  le  renvoi  du 
prétendu  coupable.  Maurepas  devait  rester  exilé  de  la 
cour  jusqu'à  l'avènement  de  Louis  XVI.  A  cette  date, 
un  retour  inattendu  de  faveur  lui  valut  la  place  de  pre- 
mier ministre,  certainement  trop  lourde  pour  ses  épaules 
de  vieillard  ;  il  devait  mourir  en  fonctions,  en  1781,  à 
quatre-vingts  ans  passés. 

Pour  parler  d'une  manière  équitable  du  rôle  de  Mau- 
repas comme  ministre  de  la  Marine  pendant  cette  longue 
période  de  vingt-six  ans,  de  1723  à  1749,  il  ne  faut  pas 
perdre  de  vue  les  conditions  politiques  et  les  conditions 
financières  de  son  administration  ;  les  unes  et  les  autres 
furent  aussi  fâcheuses  que  possible. 

Jusqu'à  la  mort  de  Fleury,  le  système  de  l'alliance  an- 
glaise prévalut  à  Versailles  ;  il  avait  pour  condition  pre- 

6.  Dans  les  Mémoires  de  Maurepas,  t.  IV.  p.  213-221,  on  trouve  ce  docu- 
ment :  «  Mémoire  contre  M.  de  Maurepas  remis  par  le  maréchal  de  Riche- 
lieu à  M»'  de  Pompadour.  qui  le  donna  au  Roi,  lequel  l'appela  lihelle,  en 
le  rendant  à  M.  de  Maurepas  qui  l'a  méprisé  et  n'y  a  pas  répondu.  »  Ce 
mémoire  reproche  à  Maurepas  de  gouverner  «  despotiquement  »  la  manne 
d'en  avoir  écarté  le  comte  de  Toulouse,  de  négliger  le  matériel,  etc. 


92  LA   MARINE   MIUTAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 

mière  l'abandon  de  notre  marine,  et  l'on  sait  avec  quelle 
facilité  le  cardinal  s'y  résigna.  Lorsque  l'ami  d'Horace 
Walpole  ne  fut  plus  aux  affaires,  il  fallut  bien  ouvrtr 
les  yeux  à  l'évidence  et  admettre  l'existence  de  cette 
hostilité  naturelle  entre  la  France  et  l'Angleterre,  dont 
Saint-Simon  avait  si  souvent  entretenu  le  Régent, 
puisque  aussi  bien  la  guerre  avait  éclaté  comme  d'elle- 
même  entre  les  marines  et  les  colonies  des  deux  nations. 
Mais  cette  guerre  fut  faite  un  peu  à  l'aventure,  sans  plan 
d'ensemble,  au  hasard  des  événements  quotidiens.  N'au- 
rait-il pas  fallu  avant  tout  chasser  les  Anglais  de  la 
Méditerranée  peur  rendre  la  liberté  à  nos  escadres  du 
Levant,  qui  étaient  comme  captives  à  Toulon  depuis 
que  les  Anglais  étaient  maîtres  de  Gibraltar  et  de  Mi- 
norque,  rétablir  à  tout  prix  le  port  de  Dunkerque, 
appuyer  le  prétendant  Stuart,  soutenir  de  toute  notre 
puissance  maritime  nos  colons  du  Canada  et  nos  mar- 
chands de  l'Hindoustan  ?  On  songea  bien  à  exécuter 
quelques  parties  de  ce  programme,  qui  était  comme  im- 
posé par  les  circonstances,  mais  le  peu  qui  fut  exécuté 
ou  plutôt  entrepris  le  fut  d'une  manière  décousue  et  par 
suite  stérile. 

Ce  qui  fit  presque  toujours  défaut  à  la  France  pendant 
le  long  règne  de  Louis  XV,  ce  fut  une  volonté  forte,  ca- 
pable d'embrasser  de  vastes  desseins  et  d'en  imposer 
l'exécution.  Le  roi  aimait  à  entendre  ses  ministres  lui 
parler  de  combinaisons  politiques  ;  il  eut  même  à  son 
service,  dans  la  dernière  partie  de  son  règne,  tout  un 
vaste  système  de  diplomatie  secrète,  et  il  employa  le 
chef  de  cette  politique  occulte,  le  comte  de  Broglie,  à 
préparer  un  plan  de  guerre  contre  l'Angleterre,  qui 
peut  passer  pour  un  chef-d'œuvre  de  conscience  et  de 
sagacité.  Mais  il  semble  qu'il  ait  toujours  suffi  au  dilet- 
tantisme de  ce  prince  intelligent  et  sans  énergie  d'avoir 


MAUREPAS,    SECRÉTAIRE   d'ÉTAT   DE    LA   MARINE.  93 

amusé  son  ennui  par  la  connaissance  de  ce  qu'il  eût 
fallu  faire  ;  quant  à  donner  l'ordre  d'exécution,  cela  de- 
mandait un  effort  de  volonté  qui  était  au-dessus  de  son 
apathie.  Dans  un  mémoire  sur  notre  marine  et 
notre  commerce  comme  il  en  rédigea  plusieurs,  Mau- 
repas  montrait  de  quel  avantage  était  pour  les  Anglais 
la  possession  de  Port-Mahon  et  de  Gibraltar,  a  II  ne 
nous  convient  point,  disait-il,  ni  au  reste  de  l'Europe 
que  ces  deux  places  leur  restent  »,  et  il  parlait  des 
moyens  de  <(  tenir  les  Anglais  en  crainte  et  en  échec..., 
de  leur  faire  appréhender  une  descente  ».  Quel  fut  le 
sort  de  ce  mémoire?  «  M.  de  Maurepas  a  remis  le  pré- 
sent mémoire  au  roi,  il  a  même  couru  à  la  cour,  mais 
l'on  n'en  a  pas  fait  davantage".  »  Combien  de  projets, 
des  plus  nécessaires  et  des  plus  pratiques,  périrent  de 
même  dans  cette  atmosphère  d'indifférence  où  Louis  XV 
passa  tout  son  règne  ! 

Les  Mémoires  de  Maurepas  fournissent  quelques  ren- 
seignements sur  l'exiguïté  des  fonds  qui  étaient  destinés 
à  la  marine.  On  se  rappelle  qu'après  1715  ces  fonds 
n'avaient  plus  été  que  de  huit  millions  ;  tout  ce  que 
Maurepas  avait  pu  obtenir  de  l'esprit  d'économie  de 
Fleury,  c'était  un  miUion  de  plus.  Dans  un  rapport  lu 
au  conseil  royal  du  commerce  le  3  octobre  1730,  il 
expose  en  détail  lemploi  des  «  neuf  millions  que  Votre 
Majesté  veut  bien  donner  à  la  marine  tous  les  ans  «.  » 

7  MAURjEPAS.  «  Mémoire  et  Considérations  générales  sur  le  commerce  de 
France  présentés  à  S.  M...  »  (sans  date),  au  tome  III  de  ses  Mémoires, 
3'  édition  ;   p.   194,  241. 

On  pourrait  rapprocher  de  ce  Mémoire  de  Maurepas  l'Essai  sur  la 
Marine  et  sur  le  commerce,  par  M.  D*"  ;  Amsterdam,  1743.  L  auteur. 
Deslandes,  commissaire  général  de  la  marine  à  Rochefort,  puis  à  Brest, 
y  démontrait  limportance  de  la  marine  dans  l'histoire  générale  et  spécia- 
lement dans  l'histoire  de  la  France.  «  La  marine...,  c'est  la  colonne,  le 

soutien  de  l'État.  »  ^.       *  _  ^4.    ^„    i. 

8.  MAUREPAS,  «  Extrait  de  l'état  des  affaires  du  département  de  la 
Marine...  en  1730,  »  au  tome  III  de  ses  Mémoires,  p.  118-122. 


94  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 

Les  galères  absorbaient  seize  cent  mille  livres  ;  c'était 
beaucoup  pour  une  marine  d'une  nature  toute  spéciale. 
Sans  doute  elle  avait  eu  ses  jours  de  gloire,  mais  elle 
ne  répondait  plus  que  d'une  manière  très  imparfaite  aux 
nécessités  nouvelles  de  la  guerre  navale  ;  à  présent, 
cette  guerre  se  faisait  surtout  loin  des  côtes,  en  pleine 
mer,  à  des  distances  et  dans  des  conditions  où  les  na- 
vires à  rames  étaient  dans  l'impossibilité  de  jouer  aucun 
rôle. 

Notons  tout  de  suite,  à  propos  des  galères,  une  dé- 
cision radicale  prise  par  Maurepas.  Le  16  juin  1748,  la 
mort  du  chevalier  d'Orléans,    fds    naturel    de    l'ancien 
Régent,  général  des  galères  et  grand  prieur  de  France, 
lui  permit  d'exécuter  une  mesure  qui  s'imposait,  car  le 
peu  d'utilité  des  galères  dans  la  guerre  de  la  succession 
d'Autriche,  même  quand  il  s'était  agi  de  la  défense  des 
côtes  de  Provence,  en  avait  démontré  la  nécessité.  Le 
27  septembre  1748,  une  ordonnance  royale  porta  réunion 
du  corps  des  galères  à  celui  de  la  marine  ;  les  galères 
furent  désarmées,   leur    état-major    versé    dans    l'état- 
major  de  la  marine  royale,  les  chiourmes  réparties  entre 
les  ports  de  Toulon,  Marseille  et  Brest,  pour  être  em- 
ployées aux  travaux  les  plus  pénibles  des  arsenaux  ^.  — 
Plus  tard,  une  ordonnance    de    1767    établit    aussi    un 
bagne  au  port  de  Rochefort.  —  Le  jour   où   fut   prise 
cette  mesure  très  utile,  le  galérien  cessa  d'être  un  ma- 
telot, ce  qu'il  n'aurait  jamais  dû  être,  pour  devenir  un 
forçat,  ce  qui  était  la  conséquence  naturelle  ac  sa  con- 
damnation judiciaire. 


9.  Sur  les  avantages  de  la  réunion  des  deux  marines,  voir  une  note  du 
10  juillet  1748,  donnée  dans  l'Etat  sommaire  des  Archives  de  la  Marine. 
p.  237.  —  Le  bailli  de  Mirabeau,  qui  avait  servi  sur  les  galôres  du  roi  et 
de  l'ordre  de  Malte,  écrivit  alors  deux  mômoires  pour  démontrer  l'utilité 
de  la  marine  des  galères  à  côté  de  la  marine  des  vaisseaux.  Loménie, 
Ces  Mirabeau,  t.  I,  p.  171. 


MAUREPAS,    SECRÉTAIRE    d'ÉTAT    DE    LA   MARINE.  95 

En  ajoutant  aux  seize  cent  mille  livres  absorbées  par 
les  galères  les  dépenses  pour  les  colonies,  qui,  au  point 
de  vue  financier  et  administratif,  se  confondaient  avec 
la  marine,  soit  1  700  000  livres,  —  les  appointements  et 
pensions  des  officiers  de  plume,  la  solde  des  troupes, 
soit  pour  ces  divers  chapitres,  2  157  157  livres,  —  les 
pensions  de  l'ordre  de    Saint-Louis,    les    dépenses    se- 
crètes, le  service  des  classes,  les  dépenses  des  hôpitaux, 
les  loyers  des  magasins,  les  frais  d'entretien  des  fanaux, 
c'est-à-dire  des  phares,   et  d'autres  menues  dépenses, 
Maurepas  arrivait  au  total  de  6  596  421  livres.  Il  restait 
donc  de  disponible,  pour  la  construction,  l'entretien  et 
le  radoub  des  vaisseaux,  la  somme  de  2  403  579  livres. 
Voici  comment  on  employait  cette  somme  de  moins 
de  deux  millions  et  demi,  qui  paraîtrait  bien  misérable 
à  nos  ingénieurs  des  constructions  navales. 

En  1728,  en  fixant  à  neuf  millions  les  fonds  de  la  ma- 
rine, le  roi  avait  ordonné  que  le  nombre  des  vaisseaux, 
du  premier  au  sixième  rang,  serait   fixé    à    cinquante- 
quatre,  non  compris  les  bâtiments  de  rang  inférieur  ; 
c'étaient  à  peu  près  les  effectifs  dont  parlait  le  comte  de 
Toulouse  dans  son  mémoire  de  1724.  Ce  plan  avait  été 
exécuté  presque  en  entier  ;  car  cinquante  et  un  vaisseaux 
figuraient  alors  sur  les  états  officiels,  et  les  trois  autres 
devaient  être  achevés  dans  un  an.  Une  fois  le  total  de 
cinquante-quatre  vaisseaux  atteint,  les  constructions  de- 
vaient toujours  continuer  à  raison  de  trois  vaisseaux 
par  an,  à  cause  de  l'usure  constante    du    matériel    qui 
faisait  que  le  vaisseau  le  mieux    entretenu    ne   pouvait 
durer  qu'une  vingtaine  d'années  au  plus.  Or,  ces  frais 
annuels  et  nécessaires  de  construction,    entretien,    ra- 
doub, montaient  à  dix-neuf  cent  mille  livres.  Il  ne  restait 
que  415  579  livres  pour  les  achats  de  munitions  et  mar- 
chandises, pour  les  fournitures  des  arsenaux,  pour  l'en- 


96  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 

tretien  des  formes,  chenaux,  fosses,  quais,  hangars,  etc. 
Dans  ces  conditions,  on  ne  pouvait  songer  à  employer 
la  somme  la  plus  minime  pour  les  armements  Aussi  le 
roi  avait  décidé  que  des  fonds  extraordinaires  seraient 
accordés  tous  les  ans  à  la  marine  à  proportion  du 
nombre  et  du  rang  des  vaisseaux  qu'il  ferait  armer. 
Quant  à  ces  fonds  d'armement,  ils  n'étaient  pas  repré- 
sentés par  un  chiffre  déterminé,  précisément  à  cause  du 
caractère  extraordinaire  qu'on  leur  assignait. 

Dans  un  mémoire  de  Tannée  1745,   Maurepas  s'éle- 
vait avec  juste  raison  contre  celle  thèse  financière,  que 
des  fonds  destinés  à  l'armement  pour  le  temps  de  paix 
fussent  qualifiés  d'extraordinaires.  Comme  ils  n'étaient 
pas  prévus  sur  les  dépenses  inscrites,   les  contrôleurs 
généraux  des  finances  ne  voulaient  pas  ou  ne  pouvaient 
pas  les  avancer  dans  ces  années  d'économie  à  tout  prix, 
et  par  suite  les  navires  n'étaient  jamais  armés.  ((  C'est 
là,   dit  le  ministre,   ce  qui  a  occasionné  les  difficultés 
que  la  marine  a  toujours  trouvées  à  obtenir  des  fonds 
pour  armier.  C'est  ce  qui  la  rend  en  quelque  sorte  dépen- 
dante des  finances  et  qui    est    absolument    contraire  à 
l'ordre  et  à  la  bonne  règle  ;  c'est  aussi  ce  qui  a  causé  en 
partie  l'épuisement  où  elle  est  tombée...  »  En  1740,  les  ar- 
mements demandaient  huit  millions,  il  n'en  fut  accordé 
que  six  ;  en  1744,  quand  il  n'y  avait  plus  de  doutes  à  avoir 
sur  notre  rupture  avec  l'Angleterre,   Maurepas  deman- 
dait vingt  millions  pour  mettre  la  marine  sur  le  pied 
de  guerre  ;  il  en  obtint  dix,  et  ainsi  de  suite  ^^.  Il  aurait 
été  en  droit  de  répéter  à  peu  près  ce  que  son  père  avait 
dit  à  sa  décharge  dans  son  mémoire  justificatif  de  1715  : 


10.  Voir  le  mômoire  écrit  au  nom  du  comte  de  Maurepas  en  1745  et  les 
chiffres  donnés  dans  l'Etat  sommaire  des  Archives  de  la  Marine,  p.  615-616  ; 
en  rapprocher  les  chiffres  donnés  par  ?»r\RGRY,  qui  ne  sont  pas  tout  à  fait 
concordants  :  n.  M.  C.  t.  LXVIII,  p.  102. 


MAUREPAS,    SECRÉTAIRE   d'ÉTAT   DE    LA   MARINE.  97 

quand  on  voudra  bien  considérer  et  les  idées  politiaues 
régnantes  et  l'insuffisance  de  fonds  continuelle,  l'on 
sera  encore  plus  étonné  de  voir  la  marine  subsister  que 
de  la  voir  déchue. 

Les  Archives  de  la  Marine  possèdent  un  long  mé- 
moire de  Maurepas  de  l'année  1745,  intitulé  Réilexions 
sur  le  commerce  et  la  marine  ^^  ;  il  est  tout  à  fait  de  na- 
ture à  corriger  l'impression  fâcheuse  que  pourraient 
donner  les  Mémoires  imprimés  sous  son  nom,  avec 
leurs  anecdotes  souvent  suspectes  et  leurs  couplets 
assez  lestes.  Dans  ce  début,  l'on  ne  reconnaît  pas  la  fri- 
volité du  Maurepas  de  la  tradition  : 

«  Depuis  vingt-trois  ans  que  le  roi  m'a  confié  le  dé- 
partement de  la  Marine  et  celui  du  commerce  maritime, 
j'ai  eu  occasion  de  faire  beaucoup  de  réflexions  sur  ces 
deux  parties  de  mon  administration.  L'application  que 
j'y  ai  apportée  durant  une  longue  paix  ne  m'avait  pas 
encore  donné  toutes  les  connaissances  et  l'expérience 
que  la  guerre  présente  m'a  fait  acquérir.  L'usage  que 
j'en  fais  journellement  ne    satisferait    pas   entièrement 
mon  zèle,  si  je  les  réservais  pour  moi  seul  ;  il  m'a  en- 
gagé à  jeter  sur  le  papier  des  réflexions  qui,  n'ayant 
pour  objet  que  la  gloire  du  roi  et  le  bien  du  royaume, 
peuvent  servir  autant  pour  l'avenir  que  pour  le  présent. 
Je  m'y  suis  porté  d'autant  plus  volontiers  que  personne 
ne  m'a  paru  avoir  des  idées  bien  justes  des  forces  na- 
vales et  du  commerce  relativement  aux  avantages  que 
l'Etat  en  retire.  » 

Il  est  inutile  d'exposer  ici  les  arguments  par  lesquels 
Maurepas  établit  ces  trois  propositions  :  le  commerce 
fait  la  richesse  et  par  suite  la  puissance  des  Etats  ;  les 
forces  navales  sont  indispensables  pour  la  protection 

U.  A.  M..  G  127  ;  fol.  12-63. 


98  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 

du  commerce  et  la  défense  d'un  Etat  maritime  ;  les 
forces  navales  ne  sont  pas  moins  nécessaires  pour  la 
conservation  des  colonies.  Ce  sont  des  raisons  de  bon 
sens,  qui  prouvent  du  moins  que  ce  ministre  de  la  Ma- 
rine comprenait  les  besoins  multiples  auxquels  répond 
et  répond  seule  une  flotte  puissante. 

On  remarquera  seulement  la  phrase  suivante  ;  elle 
peut  faire  comprendre,  par  son  ton  de  demi-affirmation, 
à  quels  préjugés  politiques  et  militaires  on  se  heurtait 
alors,  en  parlant  de  porter  sur  la  mer  le  théâtre  d'une 
guerre  maritime.  <(  Je  crois  pouvoir  avancer  que  c'est 
principalement  par  mer  qu'on  doit  faire  la  guerre  à  une 
puissance  maritime.  —  N'oublions  pas  que  ceci  était 
écrit  en  1745,  quand  nous  étions  en  guerre  ouverte  avec 
l'Angleterre.  —  Je  conviens  qu'en  France  les  forces  de 
terre  sont  nécessaires  et  exigent  de  grandes  dépenses 
en  temps  de  guerre  ;  mais  les  forces  navales  le  sont-elles 
moins  quand  il  y  a  guerre  contre  une  puissance  mari- 
time, et  ne  méritent-elles  pas  d'être  préférées  du  mo- 
ment qu'elles  servent  à  procurer  par  le  commerce  de 
mer  des  revenus  à  l'Etat,  sans  lesquels  on  ne  pourrait 
entretenir  même  les  forces  de  terre  ?  » 

Citons  encore  ce  passage  tout  à  l'honneur  de  la  clair- 
voyance de  son  auteur  :  <(  J'ai  souvent  entendu  dire  à 
des  ministres  étrangers  que  notre  marine  était  trop  né- 
gligée ;...  qu'il  vaudrait  beaucoup  mieux  que  le  roi  eût 
cinquante  mille  hommes  de  troupes  de  moins  et  cin- 
quante vaisseaux  de  plus  ;  qu'on  ne  pouvait  imaginer 
l'effet  que  cette  augmentation  de  vaisseaux  produirait 
dans  les  cours  étrangères  ;  que  ce  serait  le  moyen  le 
plus  sûr  de  se  faire  craindre  et  respecter,  de  se  pro- 
curer des  alliés,  et  de  prévenir  les  guerres  que  l'agran- 
dissement de  notre  commerce  et  la  faiblesse  de  nos 
forces  navales  pourraient  nous  occasionner.  »  Les  pro- 


MAUREPAS,    SECRÉTAIRE   d'ÉTAT   DE   LA   MARINE.  99 

grès  continus  de  la  Compagnie  des  Indes  et  la  stagnation 
de  notre  marine  de  guerre  ne  justifiaient  que  trop  cette 
dernière  observation. 

La  marine  dont  parlait  Maurepas  n'était  pas  une  ma- 
rine de  parade  ;  elle  devait  toujours  être  au  travail,  pro- 
mener sur  les  mers  en  temps  de  paix  le  pavillon  de 
Sa  Majesté,  de  fréquentes  croisières  étant  le  moyen  par 
excellence  d'entretenir  les  navires,  de  former  les  équi- 
pages, de  nous  faire  respecter.  Les  officiers,  disait-il, 
(c  n'acquerront  jamais  dans  un  port  les  qualités  qui 
constituent  un  bon  officier»;  ce  qu'il  leur  faut  avant 
tout,  c'est  la  pratique  de  la  vie  maritime  en  pleine  mer. 
Suffren  aurait  souscrit  des  deux  mains  à  cette  affir- 
mation. 

En  rappelant  que  Louis  XIV,  en  1682,  avait  fixé  à 
cent  vingt  le  nombre  des  navires  de  guerre,  Maurepas 
disait  que  soixante  vaisseaux,  toujours  entretenus  en 
temps  de  paix,  pouvaient  suffire,  à  condition  de  faire 
de  la  France  le  centre  d'une  coalition  maritime  contre 
la  Grande-Bretagne,  «  qui  s'arroge  le  titre  fastueux  de 
maîtresse  de  la  mer  ».  Cette  coalition  se  produirait 
d'elle-même,  car  la  situation  des  puissances  maritimes 
vis-à-vis  de  l'Angleterre  ne  différait  pas  de  la  situation 
de  la  France  à  son  égard. 

Pour  la  mise  en  état  de  cette  force  permanente  de 
soixante  vaisseaux,  dont  quarante  dans  les  ports  du  Po- 
nant et  vingt  à  Toulon,  il  fallait,  d'une  part,  un  fonds 
permanent  de  vingt  millions  par  an,  représentant  les 
dépenses  normales  de  construction,  d'entretien  et  d'ar- 
mement ;  il  fallait,  d'autre  part,  pendant  les  deux 
années  qui  suivraient  la  paix  un  fonds  extraordinaire 
de  vingt  millions,  à  affecter  spécialement  à  l'achat  de 
canons,  armes,  munitions,  approvisionnements  et  tra- 
vaux dans  les  arsenaux.    On    armerait    chaque    année 

B:3UOTh'£CA 

^■'tavleras'.s 


100  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 

quinze  vaisseaux  ;  ainsi  chaque  vaisseau  ferait  sa  croi- 
sière tous  les  quatre  ans.  En  attendant  ces  jours  heu- 
reux, où  la  France  aurait  une  marine  au  complet,  bien 
entretenue,  avec  des  officiers  instruits  et  des  équipages 
entraînés  par  des  armements  réguHers,  il  fallait  s'occu- 
per des  dépenses  de  la  guerre  en  cours  et  fournir  à  la 
marine  des  fonds  suffisants  pour  qu'elle  pût  se  servir 
des  forces  qui  lui  restaient. 

Tels  sont  les  points  les  plus  intéressants  de  ce  rap- 
port ;  très  étudié  dans  tous  ses  détails,  il  dénote  en  Mau- 
repas  une  connaissance  approfondie  de  la  question,  soit 
qu'il  se  place  au  point  de  vue  de  la  politique  générale 
en  montrant  le  rôle  nécessaire  et  les  avantages  de  la 
marine,  soit  qu'il  insiste  sur  la  nécessité  de  la  pratique 
de  la  mer  pour  la  formation  des  équipages  et  des  états- 
majors,  soit  encore  qu'il  parle,  à  un  point  de  vue  tech- 
nique, de  remploi  des  fonds,  des  constructions  navales 
et  des  armements.  Les  Réilexions  sur  le  commerce  et 
sur  la  marine  sont  l'œuvre  d'un  esprit  méthodique,  in- 
telligent, clairvoyant,  aimant  son  métier  ;  ce  n'est  pas 
sous  cet  aspect  que  l'histoire  a  l'habitude  de  représenter 
le  comte  de  Maurepas. 

Le  ministre  qui  ne  savait  pas  ((  de  quelle  couleur  était 
îa  mer  »,  entendit  se  rendre  compte  des  choses  et  faire 
en  personne  l'apprentissage  de  son  métier  ;  en  1727,  il 
visita  lui-même  les  ports  de  Brest  et  de  Rochefort.  Ce 
voyage  fut  comme  la  préface  d'une  entreprise  de  restau- 
ration de  nos  ports  maritimes. 

Brest  surtout  paraît  avoir  attiré  son  attention.  Le 
comte  de  Conflans  devait  dire  un  jour  au  duc  d'Ai- 
guillon :  «  Vous  savez.  Monsieur  le  Duc,  la  conséquence 
dont  est  le  port  de  Brest...  Nous  devons...  regarder 
Brest  comme  la  prunelle  de  l'œil  et  le  seul  maintien  de 


MAUREPAS,    SECRÉTAIRE   d'ÉTAT   DE    LA   MARINE.        101 

toute  notre  puissance,  sans  quoi  le  royaume  deviendrait 
aussi  misérable  que  du  temps  des  anciens  Gaulois  ^^,  » 
Maurepas  avait  déjà  senti  de  quel  intérêt  il  était  de  dé- 
velopper cette  grande  position  stratégique,  sur  l'impor- 
tance de  laquelle  il  ne  pouvait  y  avoir  qu'un  avis,  bien 
qu'on  la  laissât  peu  à  peu  dépérir,  avec  les  idées  qui 
régnaient  alors  à  Versailles.  L'intendant  Jacques  Bigot 
de  La  Motte  lui  avait  écrit,  le  9  novembre  1736,  à  propos 
de  l'arsenal  de  la  Bretagne  ^^  .-  «  Les  nations  maritimes 
en  connaissent  tout  le  prix,  et  après  la  démolition  de 
Dunkerque,  le  plus  grand  avantage  qui  puisse  leur 
arriver,  c'est  de  voir  le  port  do  Brest  négligé,  et  dans 
une  situation  à  devenir  inutile  à  la  France,  si  on  le 
laisse  plusieurs  années  dans  l'état  où  il  est.  »  Il  deman- 
dait, en  1738,  pour  le  département  de  Brest,  un  peu  plus 
de  douze  cent  mille  livres  ;  on  lui  en  accorda  un  peu 
moins  de  sept  cent  mille.  Cependant,  même  avec  cet 
esprit  de  lésinerie  qui  caractérise  le  gouvernement  de 
Fleury,  Maurepas  put  faire  exécuter  à  Brest  de  nom- 
breux travaux  d'entretien  et  de  transformation  ;  ils 
furent  l'œuvre  d'un  habile  ingénieur,  Choquet  de  Lindu, 
qui    fut   employé    dans    ce    port    pendant    de    longues 

années  ^^. 

On  fit  aussi  des  travaux  à  Toulon,  où  Ton  établit  no- 
tamment une  nouvelle  machine  à  mater,  des  forges  pour 
la  marine  et  la  fabrication  des  ancres  ;  —  à  Rochefort, 

12    A    M.  B*  74,  fol.  101.   (Lettre  du  27  septembre  1757.) 

13.  Cité  par  Margry.  R.  M.  C,  t.  LXVII.  p.  319. 

14  Voir  aux  Archives  de  la  Marine,  C  25,  loL  96,  98.  le  «  Mémoire  des 
services  du  sieur  Choquet  de  Lindu,  capitaine  de  brûlot,  ingénieur  en  chef 
des  fortifications  maritimes  du  port  et  arsenal  de  Brest,  lequel  a  com- 
mencé à  servir  en  1734  par  être  officier  d'administration  et  ensuite  ingé- 
nieur sous  les  ordres  de  feu  M.  OUivier,  chevalier  de  Saint-Louis,  qu'il  a 
remplacé  en  1746.  et  a  exécuté  les  ouvrages  ci-après...  •>  Suit  une  longue 
liste  de  travaux,  qui  va  de  1738  à  1783.  Choquet  de  Lindu  prit  sa  retraite 
en  1782  après  plus  de  quarante  ans  de  services.  Il  reçut  la  croix  de  Saint- 
Louis  en  1785,  à  72  ans. 


102  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 

OÙ  l'arsenal  fut  entouré  d'un  mur  continu  ;  —  à 
Bayonne,  où  l'ingénieur  Touros  et  le  capitaine  de  port 
Moisset  enfermèrent  l'Adour  entre  deux  grandes  mu- 
railles de  pierre  pour  lui  donner  un  plus  grand  tirant 
d'eau  et  créer  ainsi  un  port  de  refuge  sur  la  côte  inhos- 
pitalière du  golfe  de  Gascogne  ;  —  à  Cherbourg,  où 
l'on  reprit  en  1738,  sur  les  vives  instances  de  M.  de 
Caux,  directeur  des  fortifications,  une  partie  des  projets 
de  Vauban  :  on  construisit,  à  l'embouchure  de  la  Di- 
vette,  un  bassin  avec  quais,  deux  jetées,  une  écluse,  un 
pont  tournant.  Ce  furent  les  premiers  organes  d'un  port 
.marchand,  mais  d'un  port  non  fortifié  et  qui  devait 
faire,  quelques  années  plus  tard,  l'expérience  cruelle 
de  cette  absence  de  fortifications. 

En  même  temps  qu'il  refaisait,  avec  ses  maigres  res- 
sources, ou  qu'il  complétait  l'outillage  des  ports,  Mau- 
repas  se  préoccupait  des  problèmes  qui  se  rattachent  à 
la  construction  des  navires.  Suivant  les  conseils  de 
Du  Guay  Trouin,  et  pour  répondre  aux  idées  politiques 
d'après  lesquelles  il  semblait  que  la  France  ne  dût  plus 
livrer  de  batailles  rangées,  il  ne  mit  pas  en  chantier  de 
type  supérieur  à  celui  du  vaisseau  de  soixante-quatorze 
canons  ;  entre  le  lourd  vaisseau  à  trois  ponts  et  la  fré- 
gate légère,  c'était  un  type  mixte  qui  pouvait  réunir  les 
avantages  des  deux  autres. 

Il  entendait  aussi  suivre  les  progrès  de  la  construction 
navale  à  l'étranger.  A  cet  effet,  un  ingénieur  des  cons- 
tructions navales  ou,  d'après  l'expression  du  temps,  un 
maître  de  la  charpenterie  du  roi,  qui  avait  une  légitime 
réputation  d'habileté,  Biaise  Ollivier,  fut  chargé  d'une 
enquête  en  Angleterre  et  en  Hollande  ;  il  en  revint,  au 
bout  de  cinq  mois,  avec  un  recueil  très  intéressant 
d'observations  techniques,  de  notes,  de  croquis,  que 
l'on  conserve  encore  à  la  bibhothèque  du  port  de  Brest. 


MAUREPAS,    SECRÉTAIRE   d'ÉTAT   DE    LA   MARINE.        103 

En  fondant  d'une  manière  fort  ingénieuse  nos  principes 
de  construction  avec  ceux  qu'il  avait  observés  dans  les 
chantiers  de  la  Tamise  et  du  Zuiderzée,  il  donna  à  la 
carène  une  forme  nouvelle,  il  distribua  autrement  les 
batteries  ;  bref,  il  créa  un  type  nouveau  et  à  peu  près 
parfait,  que  les  Anglais,  à  leur  tour,  s'empressèrent  de 
copier.  Le  Chameau,  flûte  de  six  cent  cinquante  ton- 
neaux, construite  sur  ses  plans  et  excellente  marcheuse, 
passait  aux  yeux  d'un  grand  ingénieur,  Duhamel  Du 
Monceau,  comme  le  dernier  mot  de  l'art  des  construc- 
tions navales. 

Désireux  d'assurer  à  toutes  nos  constructions  mariti- 
mes l'unité  de  direction,  Maurepas  créait  le  P'  août  1739, 
en  faveur  de  Duhamel  du  Monceau  i^  l'inspection 
générale  de  la  Marine  pour  le  Ponant  et  le  Levant. 
Membre  de  l'Académie  des  Sciences,  plus  tard  de  l'Aca- 
démie de  Marine,  auteur  d'un  Traité  de  la  labrique  des 
manœuvres  pour  les  vaisseaux  ou  VArt  de  la  corderie 
perlectionné  l^  auteur  des  Eléments  de  Varchiiedure 
navale  ou  Traité  pratique  de  la  construction  des  vais- 
seaux ^'^,  sans  parler  d'autres  ouvrages  techniques,  Du- 
hamel Du  Monceau,  par  ses  inspections  fécondes,  se- 
conda de  la  manière  la  plus  heureuse  les  intentions  de 
Maurepas.  Il  fit  établir  à  Paris,  en  1741,  une  école  pu- 
blique de  constructions  navales,  par  où  durent  passer 
tous  les  futurs  maîtres  charpentiers  de  nos  arsenaux. 
((  Ayant  remarqué,  dit-il,  dans  mes  différentes  tournées, 
que  la  plupart  des  constructeurs  travaillaient  au  hasard 
et  sans  principes,  et  que  faute  d'être  suffisamment  ins- 
truits, ils  manquaient  beaucoup  de  vaisseaux,  je  pro- 
posai au  ministre,  en  1741,  l'établissement  d'une  petite 

15  Henri-Louis  Duhamel  Du  Monceau,  né  en  1700,  mort  en  1781. 

16  Paris,  1747  ;  2  voL  in-4. 

17.  Seconde  édition  :  Paris.  1757  ;  in-4. 


104  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 

école  de  la  Marine  à  Paris,  où  on  leur  enseignerait  les 
mathématiques,  la  physique  et  la  manière  de  calculer 
leurs  plans  de  vaisseaux,  pour  connaître,  avant  la  cons- 
truction, les  bonnes  ou  les  mauvaises  qualités  des 
vaisseaux  qu'ils  se  proposaient  de  construire  ^^.  »  Telle 
fut  la  première  forme  de  notre  Ecole  d'application  du 
Génie  maritime. 

Des  écoles  de  chirurgie  pour  former  des  chirurgiens 
de  la  marine  furent  établies  sous  ce  ministère  à  Roche- 
fort,  à  Brest  et  à  Toulon  ;  l'école  de  Brest  (1740)  reçut 
son  règlement  de  Duhamel  Du  Monceau  i^. 

Un  grand  mérite  de  Maurepas  fut  d'avoir  ouvert  à  la 
marine  française  la  carrière  des  sciences.  Membre  ho- 
noraire de  l'Académie  des  Sciences  en  1725,  il  avait  dû 
peut-être  cet  honneur  prématuré  au  souvenir  de  son 
grand-père  qui  avait  réorganisé  cette  académie  ^o  ;  la 
fréquentation  de  ses  savants  confrères  put  du  moins  le 
convaincre  des  avantages  pratiques  de  la  culture  scien- 
tifique. Pour  déterminer  la  figure  exacte  de  la  forme  de 
la  terre,  question  qui  est  en  rapports  si  étroits  avec  la 
navigation,  il  fit  accepter  par  Fleury  le  projet  de  me- 
yirer  un  degré  du  méridien  sous  le  pôle  et  un  autre 
sous  l'Equateur.  Deux  missions  de  savants  français, 
restées  célèbres  dans  l'histoire  des  sciences,  furent  en- 
voyées à  cet  effet,  en  1733,  au  Pérou  avec  Bouguer, 
Godin,  La  Gondamine  ;  en  1736,  en  Laponie  avec  Mau- 
pertuis,  Clairault,  Cf^mus,  Le  Monnier. 

Vers  la  même  époque,  un  cartographe  de  grande  va- 


is. Etat  sommaire  des  Archives  de  la  Marine,  p.  398.  —  Alf.  Donneaud, 
La  Marine  française  du  XVIII*  siècle  au  point  de  vue  de  l'administration 
9i  des  pronrès  scientifiQues  (R.  M.  C,  t.  XXI,  p.  474  et  suiv.),  a  étudié 
rinfluence  de  Maurepas  sur  le  procès  des  constructions  navales. 

19.  État  sommaire  des  Archives  de  la  Marine,  p.  403. 

50.  En  1736.  il  fut  aussi  membre  honoraire  de  l'Académie  des  Inscriptions. 
Toir  son  éloge  par  Dupuy,  dans  l'Histoire  de  l'Académie  des  Inscriptions 
et  Belles-Lettres,  t.  XLY,  1793,  p.  146-159. 


MAUREPAS,    SECRETAIRE    D  ETAT    DE    LA    MARINE  105 

leur,  attaché  au  Dépôt  des  cartes  et  plans,  dont  la 
création  remontait  à  la  Régence,  Jacques-Nicolas  Bellin, 
ingénieur  du  roi  et  hydrographe  de  la  marine,  com- 
mençait la  publication  de  son  Neptune  ;  ce  fut  le  pre- 
mier recueil  vraiment  scientifique  de  cartes  maritimes 
mis  à  la  disposition  de  nos  officiers  21.  Maurepas  donnait 
l'impulsion  à  ces  divers  travaux  :  il  voulait  avoir  dans 
les  officiers  de  marine  non  seulement  d'excellents  ma- 
nœuvriers, mais  encore  des  savants  versés  dans  les  ma- 
thématiques et  dans  leurs  applications  à  la  navigation. 
Aussi  doit-il  être  regardé  comme  le  précurseur  de  cette 
renaissance  scientifique  de  la  marine  française,  dont  la 
manifestation  la  plus  célèbre  fut,  sous  le  ministère  de 
son  successeur,  la  fondation  de  l'Académie  de  Marine. 

Il  faut  encore  signaler  au  moins  deux  mesures  impor- 
tantes qui  furent  prises  par  Maurepas.  Il  réorganisa 
l'administration  centrale  de  la  marine,  en  réunissant  en 
un  seul  service,  appelé  la  Police  des  ports,  les  deux 
services  jusqu'alors  distincts  de  la  marine  du  Ponant 
et  de  la  marine  du  Levant.  D'autre  part,  il  réforma  le  sys- 
tème des  classes  :  un  règlement  nouveau,  du  10  mai  1728, 
adoucit  les  rigueurs  des  ordonnances  de  Colbert 
et  de  Seignelay,  en  accordant  aux  inscrits  des  diverses 
classes  une  plus  grande  liberté  pour  leurs  embarque- 
ments sur  les  navires  de  la  marine  marchande. 

Ce  résumé  des  idées  de  Maurepas  sur  la  marine  et  de 
ses  principales  réformes  administratives  paraîtra  sans 
doute  de  nature  à  détruire  ou  à  ébranler  sa  réputation 
trop  accréditée  d'homme  léger.  La  frivolité  était  chez 
lui  comme  une  écorce,  qui  a  nui  à  l'appréciation  de  ses 
qualités  réelles  et  de  son  mérite  de  ministre  de  la  Ma- 

21.  Le  Neptune  français,  de  BeUin,  paru  en  1753,  se  rapporte  à  la 
France  ;  son  Hydrographie  française,  qui  avait  commencé  à  paraître 
en  1752,  comprend  toutes  les  mers  du  globe. 


106  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 

rine.  Tout  en  restant  loin  d'administrateurs  comme 
Colbert  ^  et  Seignelay  ou  comme  Choiseul,  le  troisième 
membre  de  la  dynastie  des  Pontchartrain  occupe  une 
place  honorable  dans  l'histoire  de  notre  administration 
maritime  ;  on  pourra  même  être  tenté  d'avoir  pour  lui 
des  sentiments  de  sincère  estime,  si  l'on  ne  perd  pas  de 
vue  les  circonstances  si  peu  favorables  avec  lesquelles 
il  fut  aux  prises  pendant  toute  la  durée  de  son  ministère. 


22.  Maurepas  avait  fait  rédiger  par  ses  bureaux,  sous  le  nom  de  «  Prin- 
cipes sur  la  marine  »,  une  sorte  de  résumé  de  l'histoire  de  ses  prédé- 
cesseurs. L'auteur  de  ces  ^<  Principes  »,  Pidansat  de  Mairobert,  secrétaire 
du  roi,  y  rendait  un  légitime  hommage  au  génie  de  Colbert  : 

«  De  tous  les  ministres  des  derniers  temps,  M.  Colbert  est  celui  dont  les 
dépêches  y  fournissent  le  plus  de  matière  [à  l'étude  des  questions  mari- 
times], soit  parce  qu'il  était  un  de  ceux  qui  avaient  le  cœur  et  l'esprit  le 
plus  remplis  de  ces  grands  principes,  soit  parce  qu'il  a  été  le  plus  dans 
le  cas  d'en  faire  usage,  et  que  c'est  sous  son  ministère  qu'ils  ont  eu  un 
plus  grand  succès.  »  Cité  par  P.  Clément,  Lettres,  Instructions  et  Mémoires 
de  Colbert,  t.  m,  2'  partie,  p.  707. 


CHAPITRE  VII 

CAMPAGNES  MARITIMES  DE  1723  A  1736 


Prospérité  économique  de  la  France   maritime  à   l'époque  de  Fleury. 

—  Croisières  aux  Antilles.  —  Affaire  de   Mahé.  —  Affaire  de  Moka. 

—  Croisières  contre  les  Barbaresques.  —  Les  dernières  années 
de  Du  Guay-Trouin.  —  Campagne  dans  la  Baltique  :  le  comte  de 
Plélo. 

Après  avoir  expliqué  comment  la  politique  de  Fleury 
fut  fatale  à  notre  marine  militaire,  après  avoir  revisé  le 
jugement  sévère  trop  souvent  porté  sur  Maurepas,  il  est 
temps  de  voir  notre  marine  à  la  mer  ;  même  en  ces 
années  de  paix  à  outrance  et  d'alliance  franco-anglaise, 
elle  put  ajouter  quelques  pages  intéressantes  à  sa  glo- 
rieuse histoire.  En  février  1742  la  chute  de  Robert  Wal- 
pole  et  son  remplacement  par  lord  Carteret,  partisan 
d'une  guerre  ouverte  contre  la  France,  en  janvier  1743 
la  mort  de  Fleury  rompirent  les  relations  soi-disant 
amicales  qui  existaient  entre  Londres  et  Versailles. 
Jusqu'au  jour  de  cette  rupture,  nos  marins  n'eurent 
pour  satisfaire  leur  activité  que  quelques  opérations  peu 
importantes  aux  colonies,  quelques  croisières  dans  la 
Méditerranée  et  une  campagne  dans  la  Baltique  ;  celle- 
ci  aurait  pu  être  une  grande  chose,  glorieuse  à  la  France 
et  à  sa  marine,  mais  elle  fut  mal  engagée  et  brusquement 
interrompue. 


108  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 

Dans  un  passage  intéressant  de  ses  Réllexions  sur  le 
commerce  et  sur  la  marine,  Alaurepas,  feignant  de  rap- 
porter l'opinion  des  ministres  étrangers,  montrait  l'éclo- 
sion  à  brève  échéance  d'une  guerre  coloniale  comme  le 
résultat  fatal  de  notre  richesse  commerciale,  qui  devait 
provoquer  la  jalousie  de  nos  rivaux,  et  de  notre  misère 
maritime,  qui  devait  leur  permettre  de  la  satisfaire.  La 
création  de  la  Compagnie  des  Indes  par  Lav;^  en  1719 
avait  imprimé  à  notre  marine  marchande  et  à  notre  acti- 
vité coloniale  un  élan  extraordinaire  ;  la  déconfiture  du 
Système  et  les  crises  financières  qui  en  furent  la  con- 
séquence ne  l'avaient  point  arrêté.  Le  quart  de  siècle 
de  paix  maritime  qui  coûta  si  cher  à  notre  politique  eut 
du  moins  cet  avantage  de  donner  à  nos  ports  de  com- 
merce et  à  nos  établissements  d'outre-mer  une  prospé- 
rité plus  grande  peut-être  encore  qu'aux  meilleurs  jours 
de  l'administration  de  Colbert. 

Une  statistique  de  1730  i  compte  à  cette  date  3  707  na- 
vires de  tout  tonnage  et  19  472  matelots  pour  le  cabo- 
tage, 1 200  bateaux  et  7  000  matelots  pour  la  pêche 
côtière,  124  bateaux  et  2  523  matelots  pour  la  pêche  du 
hareng,  296  navires  et  7  489  matelots  pour  la  pêche  de  la 
morue,  37  navires  et  5  422  matelots  pour  la  pêche  de  la 
baleine,  soit  en  tout  5  364  bâtiments  marchands  ou 
pêcheurs  de  toute  nature,  montés  par  41  906  hommes 
d'équipage.  Notre  commerce  avec  l'Espagne  et  le  Por- 
tugal occupait  par  an  plus  de  deux  cents  navires  ;  sept 
cent  vingt-six  de  nos  bâtiments  étaient  entrés  en  1729 
dans  les  ports  d'Italie  ou  des  échelles  du  Levant.  Notre 
commerce  des  Antilles  ou  des  îles  à  sucre,  suivant  l'ex- 
pression du  temps,  demandait  à  lui  seul  trois  cent  seize 
navires  d'environ  40  000  tonneaux  et  de  8  421  matelots. 

1.  Voir  Chabaud-Arnault,  n.  M.  C,  t.  CX.  p.  BO  et  suiv. 


CAMPAGNES   MARITIMES    DE    1723    A    1736.  109 

Dans  les  mers  de  l'Asie,  le  progrès  avait  été  aussi  ra- 
pide ;  l'île  Bourbon,  l'île  de  France,  nos  comptoirs  de 
Pondichéry  et  de  Chandernagor  étaient  autre  chose  que 
des  curiosités  géographiques.  C'étaient  des  organes 
commerciaux,  bien  constitués,  vivaces,  donnant  de 
sérieux  bénéfices. 

Aussi  quelle  métarmophose    en    quelques    années    à 
Lorient,    au    port   de    la    Compagnie  !    A    l'entrée    de 
l'estuaire  formé  par  le  Blavet  et  le  Scorff,  au  havre  de 
Port-Louis,  la  première  Compagnie  des  Indes  avait  eu 
son  port  d'attache  à  partir  de  1664  ;  elle  avait  ensuite 
occupé  divers  terrains  sur  la  rive  droite  du  Scorff,  au- 
près de    la  presqu'île    du    Faouëdic.    Ce    fut    le    port 
d'Orient  ou  de  Lorient,  qui  correspond  aujourd'hui  à 
une  partie  du  port  militaire  ;  car  Seignelay  avait  bientôt 
utilisé  pour  la  marine  de   guerre   les   chantiers   de   la 
Compagnie,  et  vers  1690  les  établissements  de  la  ma- 
rine marchande  avaient  à  peu  près  complètement  dis- 
paru des  bords  du  Scorff.  Les  malheurs   de   la   fin   d\ 
règne  de  Louis  XIV  enveloppèrent  dans  la  même  ruim 
Lorient  et  Port-Louis,  jusqu'au  jour  où  la  Compagnie 
des  Indes,  entièrement  réorganisée  sous  la  Régence  el 
ayant  absorbé  toutes  les  autres  compagnies    de    coni 
merce,  reprit  possession  des    chantiers   du    Faouëdic 
Lorient  était  créé  à  nouveau,  pour  ne   plus   périr.    D( 
1714  à  1719,    on  y   avait  importé  en   tout  pour  deuJ 
millions  de  marchandises,  soit  moins  de  cinq  cent  milk 
francs  par  an  ;  de  1734  à  1736,  on  en  importa  pour  dix- 
huit  millions,  soit  six  miUions  par  an.  Jusque  vers  1740, 
lors  du  début  de  la  guerre  de  la  Succession  d'Autriche, 
la  prospérité  matérielle  de    Lorient    n'avait    cessé    de 
s'accroître.  Enrichie  par  la  traite  des  nègres  et  l'exploi- 
tation de  ses  colonies  à  sucre,  par  le  cabotage  d'Inde 
en  Inde,  la  nouvelle  Compagnie  des  Indes  pouvait  re* 


110  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 

prendre  avec  plus  de  raison  l'orgueilleuse  devise  de  sa 
devancière  :  Florebo  quocumque  lerar. 

Mais  cette  prospérité  commerciale  ne  pouvait  durer 
—  faut-il  le  dire  encore  ?  —  que  si  nos  navires  de  guerre 
promenaient  d'une  manière  régulière  le  pavillon  du  roi 
dans  les  mers  lointaines  d'où  la  Compagnie  tirait  ses 
revenus  ^.  Or  nos  marchands  n'avaient  guère  à  compter 
que  sur  eux-mêmes  pour  faire  respecter  leurs  comptoirs 
et  leurs  convois. 

C'est  tout  au  plus  si  dans  les  Antilles  Maurepas  pou- 
vait entretenir,  avec  les  pauvres  ressources  dont  il  dis- 
posait, une  division  navale  bien  modeste,  qui  se  compo- 
sait en  tout  de  deux  frégates  et  d'une  corvette  ;  et  encore 
ce  petit  effectif  n'était  pas  toujours  au  complet.  Cepen- 
dant il  était  nécessaire  de  protéger  nos  navires  dans  ces 
parages  rançonnés  par  des  écumeurs  de  mer  de  tout^, 
nationalité  ;  la  mer  des  Antilles  n'avait  cessé  d'être  le 
domaine  de  la  flibuste.  Le  capitaine  La  Jonquière  de  La 
Pommarède,  à  la  tête  de  trois  petits  bâtiments  de  guerre, 
avait  été  chargé  d'y  diriger  pendant  quelque  temps  une 
croisière,  qui  n'avait  pas  été  stérile.  La  nomination  de 
deux  officiers  énergiques,  le  comte  de  La  Rochalart, 
qui  appartenait  à  une  vieille  famille  de  marins  3,  le  futur 
chef  d'escadre  Champigny  de  Noroy  \  le  premier  comme 
gouverneur  de  Saint-Domingue,  le  second  comme  gou- 
verneur des  îles  au  Vent,  avait  été  une  mesure  excel- 

2.  Ces  rapports  nécessaires  entre  la  marine  de  commerce  et  la  marine 
de  guerre  ont  inspiré  à  Rudyard  Kipling,  le  poète  de  l'impérialisme 
anglais,  un  petit  poème  de  son  volujne  de  vers,  The  Seven  Seas.  Il  est 
intitulé  :  The  liner  she's  a  lady.  «  Le  paquebot  est  une  grande  dame...  Le 
cuirassé  est  son  mari  et  toujours  il  veille  à  ses  côtés.  » 

3.  Gaspard  Gousset,  comte  de  La  Rochalart  Dardain.  Volontaire, 
26  mars  1675  ;  G.,  1"  déc.  1676  ;  L.,  1"  janv.  1684  ;  C,  1"  janv.  1689  ;  CE., 
13  janv.  1720  ;  LG.,  8  juin  1730  ;  VA.  du  Levant,  1"  janv.  1745- ;  -J-  7  janv.  1745, 
Rochefort.  A.  M..  C  161. 

4.  Champigny  de  Noroy,  frère  de  l'intendant  mort  à  Brest.  G.,  3  févr.  1693  ; 
CF.,  25  nov.  1712;  gouverneur  de  la  Martinique,  1*  nov.  1720;  C, 
17  mars  1727;  CE.,  1"  janv.  1745;  4,  mai  1754.  A.  M..  C  166. 


CAMPAGNES   MARITIMES   DE    1723   A    1736  111 

lente  ;  en  1722,  Champigny  avait  chassé  de  la  Marti- 
nique les  Anglais  qui  s'en  étaient  emparés.  Mais  le 
voisinage  de  la  Jamaïque  et  la  fréquence  des  croisières 
anglaises  réclamaient  impérieusement  la  mise  en  état 
de  défense  de  nos  colonies  des  Antilles  ;  on  ne  vit  que 
trop  dans  les  guerres  du  milieu  du  siècle  tout  ce  qu'il 
nous  en  coûta  de  n'y  avoir  jamais  songé  que  d'une 
manière  très  imparfaite. 

Sur  les  côtes  de  l'océan  Indien,  deux  expéditions 
militaires  sont  contemporaines  du  ministère  de  Mau- 
repas. 

La  Compagnie  des  Indes  avait  fondé,  en  1721,  un 
comptoir  sur  la  côte  de  Malabar,  à  Mahé,  à  la  suite 
d'un  contrat  en  bonne  et  due  forme  passé  par  son  agent 
M.  Mollandin  avec  un  chef  indigène  ;  de  là,  selon 
l'expression  d'un  document  de  l'époque,  «  la  rage  »  des 
Anglais  établis  dans  le  voisinage.  A  force  d'intriguer 
auprès  de  Bayanor,  le  prince  qui  avait  traité  avec  nous, 
ils  l'amenèrent  à  nous  rendre  la  position  intenable  ; 
bref,  nos  marchands  furent  expulsés  de  leur  comptoir  en 
1725.  La  Compagnie  résolut  aussitôt  de  se  faire  rendre 
raison  par  la  force.  Le  gouverneur  de  Pondichéry, 
M.  de  Beauvollier  de  Courchant,  chargea  d'une  démons- 
tration mihtaire  le  chevalier  de  Pardaillan-Gondrin, 
enseigne  des  vaisseaux  du  roi,  chevalier  de  Saint-Louis, 
qui  fut  mis  à  la  tête  d'une  escadre  de  quatre  vaisseaux, 
la  Vierge  de  Grâce,  la  Danaé,  le  Triton,  la  Badine,  et 
de  deux  brigantins,  le  Diligent  et  le  Petit  Triton  ;  le 
chevalier  de  La  Farelle,  qui  était  major  des  ville  et 
citadelle  de  Pondichéry,  reçut  le  commandement  d'un 
corps  de  débarquement  de  quatre  cents  hommes. 

L'escadre  prit  la  mer  à  Pondichéry  le  18  octobre  1725  ; 
elle    fit    escale    au    comptoir    hollandais    de    Cochin, 


112  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 

puis  —  le  24  novembre  —  à  Calicut,  où  l'agent  de  la 
Compagnie  des  Indes  avait  préparé  du  matériel  de 
guerre,  qu'on  n'eut  plus  qu'à  embarquer.  Le  29  no- 
vembre, Pardaillan  jetait  l'ancre  dans  la  rade  de  Mahé. 
On  construisit  alors  trois  radeaux  en  vue  du  débar- 
quement, chacun  avec  deux  pièces  de  canon  de  quatre  ; 
pour  protéger  les  soldats,  les  pièces  de  canon  furent 
«  épaulées  et  bastinguées  de  balles  de  coton  sur  le  de- 
vant ».  Le  2  décembre,  le  débarquement  eut  lieu  ;  la 
messe  avait  été  dite  «  une  heure  avant  le  jour  )>.  L'affaire 
fut  assez  chaude  ;  nous  eûmes  dix-sept  morts  et  vingt- 
quatre  blessés,  mais  le  lendemain  le  pavillon  du  roi 
flottait  de  nouveau  à  Mahé.  Les  Mémoires  du  chevalier 
de  La  Farelle^  rapportent  à  ce  propos  un  détail,  qui 
prend  son  intérêt  si  l'on  se  rappelle  que  l'alliance  franco- 
anglaise  était  alors  dans  toute  sa  force.  «  Ni  la  poudre 
ni  les  boulets  ne  manquaient  aux  ennemis.  M.  Adam, 
directeur  anglais  à  Tellichéry,  leur  en  fournissait,... 
selon  l'engagement  qu'il  en  avait  fait  avec  le  prince 
contre  qui  nous  faisions  la  guerre.  »  Pardaillan  et  La 
Farelle  eurent  à  repousser  pendant  de  longues  semaines 
les  indigènes  qui  vinrent  les  assaillir  dans  leur  con- 
quête. Enfin,  le  8  octobre  1726,  un  nouveau  traité  était 
conclu  :  la  Compagnie  gardait  la  concession  de  son 
comptoir  et  obtenait  des  avantages  pour  le  commerce  du 
poivre. 

A  cet  épisode  se  rattache  une  question  assez  obscure  *. 
La  Bourdonnais,  qui  était  alors  au  service  de  la  Com- 
pagnie des  Indes,  a  parlé  de  cette  expédition  dans  ses 
Mémoires,  en  s'en  attribuant  tout  le  mérite  ;  notamment, 

5,  Mémoires  du  chevalier  de  La  Farelle  sur  la  prise  de  Mahé,  nî5,  mis 
en  ordre  et  publiés  par  E.  Lennel  he  la  Farelle,  Paris.  1887. 

6.  Voir  rarticle  de  M.  E.  L.  de  la  Farelle,  «  Mahé  de  La  Bourdonnais 
et  la  Compagnie  des  Indes  »,  publié  dans  l'Hermine  (Rennes),  numéro  du 
20  septembre  1905. 


CAMPAGNES   MARITIMES   DE    1723   A    1736.  113 

il  présente  comme  sienne  l'invention  des  radeaux  bas- 
lingués  avec  des  balles  de  coton.  Or  le  rapport  de  Par- 
daillan,  commandant  en  chef  de  l'expédition,  qui  rend 
mérite  à  chacun  de  ses  subordonnés,  ne  donne  même 
pas  le  nom  de  La  Bourdonnais  ^ 

Sur  un  autre  point,  le  territoire  de  Moka,  la  Com- 
pagnie avait  des  difficultés  avec  l'iman  arabe  du  pays, 
au  sujet  des  taxes  payées  par  les  marchandises  qu'im- 
portaient nos  navires  ;  elle  les  résolut  à  coups  de  canon. 
M.  de  La  Garde-Jazier,  de  Saint-Malo,  neveu  de  Du 
Guay-Trouin,  depuis  plusieurs  années  au  service  de  la 
Compagnie,  partit  de  Pondichéry,  le  22  octobre  1736, 
avec  quatre  vaisseaux,  dont  l'un,  le  Comte  de  Maurepas, 
portait  son  pavillon.  Arrivé  le  25  janvier  (1737)  dans 
la  rade  de  Moka,  il  procéda  à  un  bombardement  en 
règle,  puis  à  un  débarquement  :  Moka  fut  pris.  Le 
21  juin,  il  mettait  à  la  voile,  et  un  mois  après,  il 
mouillait  à  Pondichéry  ;  son  expédition  avait  «  entiè- 
rement rétabli  l'honneur  et  le  crédit  de  la  nation  fran- 
çaise qui  était  depuis  longtemps  avili  dans  une  grande 
partie  de  l'Inde  ^  ». 

Au  cours  de  son  séjour  à  Moka,  La  Garde-Jazier 
avait  obtenu  de  l'iman  un  traité  en  règle  ;  avec  le  droit 
pour  les  Français  de  s'établir  à  Moka,  d'y  arborer  le 
pavillon  du  roi,  d'y  trafiquer  de  toutes  les  manières, 
Moka  était  un  comptoir  français.  Il  ne  semble  pas  qu'on 
se  soit  jamais  occupé  de  ce  traité  de  1737.  Si  la  France 
l'avait  fait  respecter,  elle  serait  aujourd'hui  maîtresse 
d'une  escale  de  premier  ordre  sur  la  route  des  Indes. 

7.  Il  y  aurait  d'autre  part  une  double  erreur  à  dire,  comme  on  le  fait 
parfois,  que  le  corsaire  de  Saint-Malo  emprunta  son  nom  au  comptoir  de 
Malabar  ou  encore  qu'il  lui  donna  le  sien, 

8.  [Abbé  DESFONTAiNES,]  Relation  de  l'expédition  de  Moka  en  l'année 
17 37...  ;  Paris.  1739. 


114  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 

Djibouti  sur  la  côte  d'Afrique,  Cheik-Saïd  en  Arabie, 
uù  nous  nous  bornons  à  avoir  des  prétentions  plato- 
niques, Moka  sur  la  mer  Rouge,  dont  nous  n'avons  rien 
fait,  malgré  l'acte  énergique  de  La  Garde-Jazier  :  voilà 
les  vraies  clefs  du  détroit  de  Bab-el-Mandeb.  Les  An- 
glais en  ont  trouvé  d'autres  au  même  endroit,  Périm  et 
Aden,  et  ils  les  gardent. 

Dans  la  Méditerranée,  les  Barbaresques  continuaient 
leurs  brigandages.  Si  les  terribles  bombardements  des 
Du  Quesne  et  des  d'Estrées  n'avaient  pas  détruit  la  pira- 
terie, comment  la  France  aurait-elle  pu  faire  respecter 
son  pavillon  par  ces  brigands  incorrigibles,  à  présent 
qu'elle  semblait  se  désintéresser  du  rôle  glorieux  qu'elle 
avait  joué  à  l'époque  du  grand  roi  ?  Cependant,  malgré 
la  pauvreté  de  nos  forces  navales,  on  fit  encore  quelques 
courses  <(  en  Alger  »  ;  la  chasse  aux  Barbaresques  en- 
tretint ainsi  un  peu  de  vie  maritime  au  port  de  Toulon. 

En  1727,  on  avait  songé  à  une  opération  combinée  des 
escadres  du  Levant  et  du  Ponant  pour  agir  contre  Alger 
et  Tunis.  Le  marquis  d'O  9,  avec  six  vaisseaux  du  port 
de  Brest,  devait  se  joindre,  dans  les  eaux  de  Formen- 
tera,  au  chef  d'escadre  M.  de  Mons^^^,  venu  de  Toulon 
avec  cinq  vaisseaux.  L'audace  incroyable  des  corsaires 
tunisiens  ne  permit  pas  d'attendre  que  cette  concen- 
tration fût  effectuée  ;  en  avril,  ils  étaient  venus  mouiller 
aux  îles  d'Hyères,  et  de  là  ils  rançonnaient  les  côtes 
provençales.  Le  Tigre,  l'un  des  vaisseaux  de  M.  de 
Mons,  leur  prit  un  navire  de  trente-huit  canons,  puis 


9.  Claude-Gabriel  marquis  d'O  de  Villers.  Volontaire,  29  mars  1673  ;  L., 
V  janv.  1682  ;  C.  5  avril  1687  ;  CE,  1"  avril  1702  ;  LG.,  27  déc.  1707  ; 
j-  17  mars  1728,  Paris.  A.  M.,  C  161. 

10.  Joseph  de  Mons.  De  Guienne.  Volontaire,  26  mars  1672  ;  G., 
20  avril  1673;  L.,  26  Janv.  1680;  C,  1*  nov,  1689;  CE.,  10  déC.  1720; 
f  2  OCt.  1731.  A.  M.,  C  161. 


CAMPAGNES   MARITIMES   DE    1723   A    1736.  115 

notre  petite  escadre  fit  voile  pour  Tunis.  Au  lieu  d'agir, 
M.  de  Mons  se  mit  à  parlementer  :  il  fut  complètement 
joué  par  le  bey,  obligé  à  restituer  sa  prise  et  ne  put 
rien  obtenir.  En  quittant  Tunis,  il  rencontra  la  division 
venue  de  Brest  ;  malgré  l'arrivée  de  ce  renfort,  il  se 
borna  à  faire  devant  Alger  une  démonstration  aussi 
stérile  que  devant  Tunis.  Le  16  septembre,  cette  croi- 
sière infructueuse  se  terminait  par  la  rentrée  de  l'escadre 
à  Toulon.  , 

L'année  suivante  (1728),  un  chef  plus  énergique, 
M.  de  Grandpré  "  fit  une  démonstration  plus  sérieuse. 
Parti  de  Toulon  avec  deux  vaisseaux,  quatre  frégates, 
une  flûte,  trois  galiotes  à  bombes  et  deux  galères,  il 
mouillait  en  juin  devant  Tunis  ;  le  bey  consentit  aussi- 
tôt à  verser  une  indemnité  de  cent  mille  livres.  «  Nous 
aurions  bien  souhaité  un  peu  de  guerre  »,  écrivait  un 
jeune  officier,  fâché  sans  doute  de  voir  les  choses  s'ar- 
ranger aussi  vite  ;  quelques  jours  après,  ses  goûts 
belliqueux  étaient  satisfaits. 

Le  16  juillet,  Grandpré  jetait  l'ancre  devant  Tripoli  ; 
le  bey  ayant  refusé  toute  satisfaction,  le  bombardement 
commença  le  20,  pour  durer  six  jours  sans  interniption  ; 
deux  mille  bombes  tombèrent  sur  la  ville.  <(  Jamais  on 
n'a  mieux  bombardé,  écrivait  le  chef  d'escadre  ;  la  ville 
barbaresque  a  été  mise  sens  dessus  dessous  12.  »  Le  bey 
terrifié  se  déclara  prêt  à  traiter,  mais  il  demanda 
d'autres  négociateurs  que  ces  marins  qui  l'avaient  dure- 
ment traité.  Grandpré  reprit  la  mer  le  V  juillet  :  il  était 
de  retour  à  Toulon  le  V  septembre. 

L'année  1731  vit  une  nouvelle  croisière  de  quatre 
vaisseaux,  VEspérance,  le  Léopard,  le  Toulouse,  VAl- 
cyon.  La  présence  de  Du  Guay-Trouin,    qui    la    com- 

11.  Nicolas    de    Grandpré.    G.,    l"    déc.    1G76  ;    C,    l"    janv.    1696;    CG.. 
1"  nov.  1705  :  CE.,  27  mars  1728;  -|-  27  oct.  1731.  Toulon.  A.  M..  C  161. 
12   Sur  VAstrée,  commandant  le  chevalier  de  Gouyon,  qui  prit  part  a 


116  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS    LOUIS   XV. 

mandait  comme  lieutenant  général  des  armées  navales 
de  Sa  Majesté,  —  son  pavillon  flottant  à  bord  de 
VEspérance,  de  soixante-douze  canons,  —  paraissait 
devoir  lui  donner  un  intérêt  tout  particulier  ;  mais  ce  ne 
fut  qu'une  promenade  militaire.  Parti  de  Toulon  le 
3  juin,  Du  Guay-Trouin  était  devant  Alger  après  qua- 
torze jours  de  traversée  et  obligeait  le  dey,  sans  avoir 
tiré  d'ailleurs  un  coup  de  canon,  à  recevoir  un  consul 
dont  il  ne  voulait  pas.  C'est  ce  que  l'emphase  de  Thomas 
a  traduit  ainsi  dans  l'éloge  du  héros  malouin  :  «  Alger, 
tu  frémis  à  la  vue  du  pavillon  français.  Les  foudres  qui, 
sous  Louis  XIV,  t'avaient  presque  réduite  en  cendres, 
fument  encore  !  »  A  Tunis,  Du  Guay-Trouin  fit  remettre 
en  liberté  des  prisonniers.  A  Tripoli,  où  il  était  le 
13  juillet,  il  fut  très  bien  accueilH  du  bey  qui  se  rappe- 
lait la  croisière  de  M.  de  Grandpré  ;  il  y  eut  échange  de 
visites,  dîners  et  bal  à  bord  de  notre  escadre,  saluts  de 
coups  de  canon,  cris  de  :  Vive  le  roi  !  La  campagne  se 
termina  par  une  visite  aux  échelles  du  Levant,  à  Chypre, 
Rhodes,  etc.  ;  le  l*""  novembre.  Du  Guay-Trouin  rentrait 
à  Toulon.  Le  marquis  d'Antin,  dont  la  mère,  veuve  du 
marquis  de  Gondrin,  s'était  remariée  au  comte  de  Tou- 
louse, prit  part  à  cette  expédition  comme  capitaine  de 
vaisseau  en  second,  embarqué  sur  VEspérance  ;  il  en 
rédigea  un  journal  très  détaillé  i^,   avec  plans  des  na- 

ce  bombardement,  servait  comme  garde-marine  Du  Chaffault  de  Besné,  le 
futur  lieutenant  généraL  —  Le  marquis  de  Caylus,  capitaine  de  vaisseau, 
était  sur  le  Saint-Esprit.  —  Le  chevalier  de  Nesmond  était  en  second  sur 
le  Griffon,  commandant  M.  de  Vienne.  [Le  marquis  de  Vienne  de  Busse- 
roUes.  G.,  20  févr.  1680  ;  L.,  1"  janv.  1691  ;  C,  10  juin  1706  ;  CG.,  1"  déc.  1727  ; 
gouverneur  général  à  Saint-Domingue,  5  févr.  1731  ;  -J-  4  févr.  1732,  Saint- 
Domingue.  A.  M.,  C  161.]  Le  Griffon  est  appelé  par  erreur  le  Grafton  sur 
quelques  étals  de  la  Marine.  —  D'Orves  Martini  était  en  second  sur 
l'Alcyon,  commandant  M.  de  Saint-Germain.  [De  Saint-Germain.  G., 
1"  févr.  1692  ;  M.,  25  janv.  1712  ;  inspecteur,  10  mars  1734  ;  RCE. 
1"  avril  1744,  A.  M.,  C  161.] 

13  Ce  Journal,  accompagné  de  cartes  et  de  tableaux,  est  conservé  en 
manuscrit  (n»  7242)  à  la  bibliothèque  du  Service  hydrographique  de  la 
Marine.  —  Voir  aussi  A.  M.,  B*  41. 


CAMPAGNES   MARITIMES   DE    1723   A    1736  117 

■vires,  relations  géographiques  et  commerciales  des  pays 
visités,  vues  des  monuments  antiques,  etc. 

Il  fallut  encore  envoyer  de  nouvelles  croisières  contre 
les  Barbaresques.  En  1734,  le  chef  d'escadre  M.  de 
Court  La  Bruyère  parut  devant  Alger,  avec  neuf  vais- 
seaux. ((  Que  voulez-vous,  lui  dit  le  dey,  la  guerre  ou 
la  paix  ?  ,Te  suis  prêt  à  l'une  comme  à  l'autre.  »  Comme 
on  ne  songeait  pas  à  pousser  les  choses  à  bout,  il  fallut 
subir  cette  insolence.  En  juillet  1737,  le  marquis  d'Antin 
conduisit  une  escadre  de  deux  vaisseaux  et  trois  frégates 
devant  un  autre  nid  de  pirates  africains,  à  Salé  port  du 
Maroc,  et  fit  remettre  en  liberté  sept  cent  cinquante  et 
un  prisonniers  chrétiens. 

Quelques  années  plus  tard,  notre  marine  éprouva  un 
échec  assez  grave  sur  les  côtes  de  Tunisie.  Un  voyageur 
et  naturaliste  de  Marseille,  André  Peyssonnel,  frère  de 
l'archéologue,  avait  signalé,  à  la  fm  du  règne  de 
Louis  XIV,  l'importance  militaire  et  économique  de  l'île 
de  Tabarca  sur  les  côtes  de  Tunisie  ^*.  Pour  mettre  un 
terme  aux  pirateries  des  Tunisiens,  un  lieutenant  de 
vaisseau,  Saurin  de  Murât,  proposa  à  Maurepas  de  s'en 
emparer.  L'idée  fut  acceptée  et  le  coup  de  main  tenté, 
dans  la  nuit  du  3  au  4  juillet  1742,  avec  deux  hrigantins, 
V Assuré  et  Ylnconnu,  et  onze  coralines  génoises  ;  mais, 
trahi  par  le  Maure  qui  le  guidait,  Saurin  de  Mural 
donna  contre  des  forces  nombreuses  ;  en  moins  d'une 
heure,  il  perdit  deux  officiers  et  près  de  cent  hommes. 
Grièvement  blessé  lui-même  et  abandonné  de  sa  flottille, 
il  fut  mis  neuf  mois  en  prison  et  sept  mois  à  la  chaîne. 
Pour  ne  pas  compromettre  la  France  auprès  de  la  Ré- 
gence de  Tunis,  le  brave  Saurin  avait  déclaré  que  cette 

14.  Ses  rapports  sur  Tabarca.  de  1713-1715,  sont  donnés  par  A.  Spont.  Les 
Français  à  Tunis.  (Revue  des  Questions  historiques,  l*'  janvier  1900.) 


118  LA    MARINE    MILITAIRE    SOUS    LOUIS    XV. 

tentative  était  «  sans  aveu  et  de   son   seul   mouvement 
d'ambition  ». 

Du  Guay-Trouin,  qui  avait  commandé  l'expédition  de 
1731,  avait  passé  trois  ans  environ  au  port  de  Toulon. 
La  décadence  maritime  de  cette  ville  l'avait  convaincu 
de  la  nécessité  de  faire  un  vigoureux  effort  pour  res- 
taurer la  marine.  Il  écrivait  à  Maurepas  (26  décembre 
1732)  qu'il  était  de  la  gloire  du  roi  et  du  bien  de  l'Etat 
d'armer  au  moins  quarante-cinq  vaisseaux.  <(  Cette  dé- 
pense... donnera  plus  de  crainte  et  de  respect  à  nos 
plus  puissants  voisins  que  ne  feraient  cinquante  mille 
hommes  par  terre  ^^.  »  Pour  arriver  à  ses  fins,  il  adres- 
sait à  Fleury  les  flatteries  les  plus  audacieuses  (P""  jan- 
vier 1733)  ;  ((  Votre  Eminence  connaît  toute  l'importance 
de  la  marine,  qu'elle  a  toujours  honorée  de  ses  bontés 
et  de  son  estime...  La  gloire  de  Votre  Eminence  en 
recevra  un  nouveau  lustre,  si,  après  avoir  sauvé  le  port 
de  Toulon  par  les  expédients  que  je  lui  propose,  vous 
voulez  encore  relever  la  marine  dans  le  cours  de  votre 
ministère  et  augmenter  par  là  le  respect  des  nations  les 
plus  éloignées  pour  la  personne  du  roi  et  pour  le  nom 
français.  »  On  a  vu  que  ces  paroles  restèrent  sans  écho. 

Pour  leur  auteur,  il  put  croire  à  un  moment  qu'une 
brillante  campagne  allait  s'ajouter  à  sa  glorieuse  car- 
rière. Il  avait  été  appelé  à  Brest  pour  y  surveiller  l'ar- 
mement d'une  escadre  de  quinze  voiles  qu'on  devait 
envoyer  dans  la  Baltique  contre  les  Russes.  Tout  à  la 
joie  «  d'aller  terminer  sa  carrière  sur  le  champ 
d'honneur  »  et  de  donner  «  quelque  vigoureux  coup  de 
collier  avant  de  mourir  )>,  il  écrivait  à  Maurepas,  le 
5  avril  1734  :  «  Vous  pouvez  compter  que  je  les  traiterai 

16.  Cette  lettre  de  Du  Guay-Trouln  et  les  suivantes  sont  empruntées  aux 
études  de  Marort  :  R.  M.  C.,  t.  LXII,  LXIII,  LXIV. 


CAMPAGNES    MARITIMES    DE    1723    A    1736  119 

à  toute  outrance  et  je  m'en  fais  un  sensible  plaisir 
d'avance.  »  Ce  plaisir,  il  ne  put  jamais  le  goûter  en 
réalité.  L'escadre  qu'il  avait  armée  ^^  —  son  pavillon 
était  sur  le  Neptune,  de  soixante-dix  canons,  —  et  dont 
il  avait  entraîné  les  équipages,  en  les  tenant  en  haleine 
par  des  exercices  continuels,  ne  quitta  pas  la  rade  de 
Brest  ;  en  octobre  arriva  l'ordre  de  désarmer. 

En  1735,  encore  un  faux  espoir  ;  on  parlait  d'armer 
vingt  vaisseaux.  Souffrant  cruellement  de  la  goutte,  il 
écrivait  au  ministre,  le  25  juillet  :  ((  Le  meilleur  spéci- 
fique pour  ma  santé  est  une  prompte  occasion  de  tirer 
l'épée  et  de  me  venger  de  toutes  mes  souffrances  sur 
les  ennemis  de  Sa  Majesté.  »  Aidé  d'officiers  d'un  réel 
mérite,  comme  Du  Bois  de  La  Motte  et  Des  Herbiers  de 
L'Etanduère,  qui  venaient  de  rédiger  des  instructions 
détaillées  pour  les  manœuvres  à  bord  i'',  il  avait  remis 
de  nouveau  l'escadre  en  état  ;  mais  les  préliminaires  de 
la  paix  de  Vienne  étaient  signés  en  octobre,  et  Du  Guay- 
Trouin  dut  une  seconde  fois  procéder  au  désarmement 
de  ses  vaisseaux.  Ce  fut  le  dernier  événement  de  sa 
carrière  et  de  sa  vie  ;  il  mourait  un  an  plus  tard,  le 
17  septembre  1736. 

La  campagne  à  laquelle  Du  Guay-Trouin  brûlait  de 
joindre  l'escadre  de  Brest  se  passait  sur  les  parages 
lointains  de  la  Baltique.  Jean  Bart  le  premier,  en  1697, 
avait  promené  les  couleurs  du  roi  sur  cette  mer  ignorée 
des  Français,  quand  il  s'était  agi  de  conduire  en  Po- 
logne le  prince  de  Conti,  qui  venait  d'être  élu  roi  de  ce 
pays  ;  Conti  n'avait  pu  que  débarquer  à  Danzig,  il  avait 


16.  Bart,  fils  du  fameux  chef  d'escadre,  y  commandait  l'Ardent. 

17.  Nous  donnons  à  TAppendice  I  ce  règlement  de  1734,  qu'il  peut  être 
intéressant  de  comparer  avec  les  règlements  analogues  qui  ont  été  depuis 
en  vigueur  à  bord  de  nos  bâtiments  de  guerre. 


120  LA    MARINE   MILITAIRE    SOUS    LOUIS    XV. 

été  obligé  de  revenir  bientôt  après  en  France.  En  1733, 
l'histoire  se  répétait  presque  trait  pour  trait. 

Depuis  ces  jours  lointains  ^^,  le  pavillon  français  s'est 
montré  dans  les  eaux  de  la  Baltique,  à  propos  d'événe- 
ments bien  divers  de  notre  histoire  contemporaine.  En 
1854,  l'escadre  de  l'amiral  Parseval-Deschênes  bom- 
bardait et  prenait  Bomarsund  dans  les  îles  d'Aland  ; 
c'était  un  contre-coup  inattendu  et  peu  nécessaire  de  la 
question  d'Orient.  —  En  1870,  au  début  de  la  guerre 
d'Allemagne,  l'escadre  de  Bouët-Willaumez  croisa  pen- 
dant deux  mois  dans  la  Baltique,  mais  pour  se  borner 
à  un  simple  blocus  ;  ce  n'était  ni  sur  les  côtes  de  Prusse 
ni  sur  mer  que  nos  marins  devaient,  en  cette  année  tra- 
gique, se  battre  et  mourir  pour  la  défense  de  la  patrie. 
—  En  1891,  aux  mois  de  juillet  et  d'août,  c'était  une 
mission  de  paix  qui  amenait  dans  la  Baltique  le  pavillon 
de  la  France.  Un  amiral,  qui  avait  pris  part  comme 
aspirant  à  l'expédition  de  Bomarsund,  conduisait  alors 
notre  escadre  à  Copenhague,  à  Stockholm,  à  Cronstadt 
enfin,  on  se  rappelle  au  milieu  de  quelles  manifestations 
d'enthousiasme  qui  firent  tressaillir  nos  cœurs  ;  il  rece- 
vait à  bord  du  Marengo,  aux  accents  de  la  marche  de 
Sambre-et-Meuse,    l'empereur  Alexandre   III  ;   il   avait 


18.  En  1739,  le  marquis  d'Antin,  vice-amiral  du  Ponant,  conduisit  à 
Stockholm  et  à  Copenhague  une  division  de  quatre  vaisseaux,  —  le  Bourhon, 
commandant  d'Antin,  le  Fleuron,  commandant  de  Barailh,  VElisabeth, 
commandant  de  Nesmond,  VArdent,  commandant  d'Épinay,  —  pour 
téiroigner  aux  cours  de  Suède  et  de  Danemark  les  sentiments  de  sym- 
pathie de  la  cour  de  France.  Voir  le  Journal  de  la  campagne  de  Suède  et 
de  Danemark,  18  mai-S4  septembre  nS9,  par  le  chevalier  de  Follignt, 
publié  par  A.  de  Blangy,  Caen,  1904.  L'auteur  de  ce  Journal,  Guillaume- 
Louis-Alexandre  de  Bordes  de  Folligny  était  alors  capitaine  en  second  du 
Fleuron  ;  il  fut  nommé  commandeur  de  Saint-Louis  le  23  avril  1757,  quand 
Il  était  chef  d'tfcadre. 

larmi  les  détails  anecdotiques  de  ce  Journal,  on  relève  celui-ci  (p.  75), 
nui  intéresse  la  personne  d'un  futur  amiral  :  «  H  [Frédéric  I",  roi  de 
Suède]  nous  a  dit  qu'il  était  bien  aise  de  voir  à  nos  visages  que  l'air  du 
pays  nous  était  bon  apparemment  :  l'embonpoint  de  Du  Chatfault  noua 
attirait  ce  compliment.  » 


CAMPAGNES   MARITIMES   DE    1723   A    1736  121 

attaché  son  nom  à  l'alliance  de  la  France  et  de  la 
Russie.  —  En  1895,  les  escadres  française  et  russe,  bien 
unies,  bord  à  bord,  assistaient  pendant  quelques  heures 
aux  fûtes  de  l'ouverture  du  canal  de  Kiel. 

Autres  temps,  autre  histoire.  En  1733,  Stanislas  Lec- 
zinski  était  candidat  au  trône  de  Pologne  ;  il  était  diffi- 
cile que  la  France  ne  le  soutînt  pas  contre  son  compé- 
titeur saxon,  soit  à  cause  de  l'alliance  personnelle  que 
le  mariage  de  Louis  XV  avait  créée  entre  lui  et  les 
Bourbons,  soit  à  cause  de  l'intérêt  pour  la  France 
d'avoir  un  ami  à  Varsovie.  Pour  le  conduire  dans  son 
royaume,  la  seule  route  praticable  était  la  mer  i^  ;  c'était 
à  la  marine  que  revenait  l'honneur  de  faire  respecter  au 
loin  notre  politique.  Mais  l'Angleterre  pouvait  s'alarmer 
d'une  manifestation  maritime  trop  considérable,  et 
Fleury  songeait  trop  à  ce  qui  aurait  pu  altérer  la  cor- 
diale entente  et  donner  de  l'ombrage  à  ses  bons  amis 
les  Walpole.  Il  se  borna  à  envoyer  quelques  navires  et 
quelques  soldats  ;  c'était  assez  pour  engager  la  France, 
c'était  trop  peu  pour  faire  réussir  l'expédition.  Du 
moins,  l'effet  de  cette  manœuvre  fausse  et  pusillanime 
disparut  dans  l'éclat  d'un  acte  d'héroïsme  admirable. 

Le  20  septembre  1733,  l'escadre  du  comte  de  La 
Luzerne-Briqueviïle,  lieutenant  général  des  armées  na- 
vales, forte  de  neuf  vaisseaux  et  de  cinq  frégates  20, 
partie  de  Brest  le  31  août,  mouillait  à  Copenhague  ;  elle 
portait  quinze  cents  hommes  de  troupes  sous  les  ordres 
du  chevalier  Rochon  de  La  Peyrouse,  comte  de  La 
Motte.  Son  arrivée  remplit  de  joie  notre  ambassadeur 
en  Danemark,  le  comte  Bréhan  de  Plélo,  vaillant  soldat, 

19  Le  Conquérant,  M.  de  Luynes  commandant,  d'Orves  Martini  capi- 
taine en  second,  avait  d'abord  mené  en  Pologne,  pour  déjouer  les  ennemis 
de  Leczinski,  un  faux  roi  Stanislas  (1733). 

20.  Voir  l'Appendice  II. 


122  LA    MARINE    MILITAIRE    SOUS    LOUIS    XV. 

littérateur  aimable,  diplomate  habile,  qui  aimait  la 
France  et  la  marine  de  toute  son  énergie  de  gentilhomme 
breton.  Il  s'empressa  de  présenter  nos  marins  à  cette 
cour  du  Nord,  qui  ne  connaissait  encore  d'autre  marine 
étrangère  que  celle  des  Anglais.  Ce  fut  pour  lui  une 
heure  de  joie  patriotique  ;  on  en  entend  encore  l'écho, 
dans  la  lettre  qu'il  écrivit  de  Copenhague  le  6  octobre 
173321  : 

«  Je  n'aurais  jamais  cru,  mon  cher  comte,  que  l'am- 
bassade de  Danemark  pût  me  procurer  des  moments 
aussi  brillants  et  aussi  agréables  que  ceux  que  j'ai 
depuis  trois  mois...  Je  ne  vous  parle  de  notre  joie  à 
tous.  Cela  passe  toute  expression.  Le  25,  j'eus  l'honneur 
de  présenter  au  roi  [Christian  VI]  et  à  toute  la  maison 
royale  de  Danemark  deux  cent  quatre-vingts  gen- 
tilshommes français,  la  plupart  des  plus  beaux  noms  et  des 
plus  aimables  figures  qu'on  puisse  voir...  Je  suis  charmé 
de  notre  marine.  On  avait  grand  tort  de  ne  pas  pro- 
duire un  corps  comme  celui-là...  Quelle  joie  d'ailleurs 
pour  tout  cœur  français  de  voir  qu'enfin  nous  regagnons 
la  gloire  et  la  considération  qui  nous  sont  dues  !  J'au- 
rais bien  voulu  que  vous  eussiez  été  témoin  de  ce  qui 
se  passa  le  jour  que  j'allais  apprendre  à  l'escadre 
l'élection  du  roi  de  Pologne  et  celui  que  je  présentai  ces 
messieurs  à  la  cour  de  Danemark.  Vous  eussiez  été  en- 
chanté de  ce  spectacle.  » 

L'enchantement  ne  dura  guère.  Le  8  octobre,  La 
Luzerne  recevait  l'ordre  de  revenir  en  France  ;  puisque 
Stanislas  était  arrivé  dans  son  royaume,  à  quoi  bon 
promener  notre  pavillon  dans  la  Baltique  ?  Les  poli- 
tiques qui  ne  veulent  point  agir  trouvent  toujours  des 


21  Cette  lettre  et  les  suivantes  sont  empruntées  au  livre  de  Rathkry, 
Le  Comte  de  Plélo,  Paris,  1876.  —  Voir  aussi  A.  M.,  B*  41,  pour  les  divers 
événements  des  croisières  de  la  Baltique  en  1733  et  1734. 


CAMPAGNES   MARITIMES   DE    1723   A    1736.  123 

raisons  ;  une  croisière  dans  la  Baltique,  ce  serait  une 
bravade  inutile  à  l'égard  des  Russes.   Plélo  courut  à 
Elseneur  pour  retenir  La  Luzerne  ;  celui-ci  se  retrancha 
derrière  les  ordres  de  Versailles.  «  Il  est  fâcheux,  écri^ 
vait  Plélo  à  un  ami,  d'avoir  à  faire  à  des  gens  timides, 
irrésolus,  qui  ne  pensent  point  à    la    grande.    Un    Du 
Guay-Trouin  m'aurait  secondé  autrement.  »  «  Dans  cer- 
taines occasions,  disait-il  encore,    il    faut    savoir    aller 
contre  les  ordres  de  son  maître  pour  le  mieux  servir, 
surtout  quand,  depuis  ces  ordres,  il  s'est  passé  des  évé- 
nements imprévus.  »  Stanislas,  en  effet,  à  peine  arrivé 
en  Pologne,  avait  été  obligé  de  s'enfermer  dans  Danzig. 
Tout  ce  que  Plélo  put  obtenir,  ce  fut  de  conserver  trois 
frégates,    VArgonaute,    VAstrée,    la    Méduse,    sous    le 
commandement  de  M.  Perrot  de  Fercourt  ;  mais  de  nou- 
veaux ordres  arrivèrent.  Plélo  dut  laisser  partir  les  fré- 
gates ;  elles  rentrèrent  en  effet  à  Brest  pour  y  désarmer. 
Or  le  général  russe  Lacy  investissait,   le  20  février 
(1734),   la    ville    de    Danzig,    qui    représentait    tout    le 
royaum.e  du  malheureux  Stanislas  ;  une  escadre  russe 
venait  prendre  part  au  siège  ;    la    Russie,    qui    n'était 
établie  sur  les  bords  de  la  Baltique  que  depuis  quelques 
années,  y  avait  déjà  une  marine.  A  ce  moment  on  parut 
avoir  en  France  des  velléités  belliqueuses  ;  Du  Guay- 
Trouin  recevait  l'ordre  d'armer    quinze    vaisseaux    à 
Brest  ;  on  envoyait  en  avant-garde  une  division  de  deux 
vaisseaux,  YAGhille,  de  soixante-deux  canons,  sous  les 
ordres  de  M.  de  Barailh,   lieutenant  de  vaisseau  2'^   la 
Gloire,  de  quarante  canons,  capitaine  le  comte  Charry 

22.  De  Barail  ou  De  Barailh.  Fils  d'un  juge  de  Monclar  d'Agenais. 
«  Homme  zélé,  mais  violent  et  entreprenant,  voulant  faire  le  métier  des 
autres,  surtout  des  intendants,  commissaires,  etc.,  avec  lesquels  11  a  eu 
différentes  prises  à  ce  sujet.  »  G.,  1"  mars  1689  ;  L.,  25  nov.  1712  ;  C,  1737  ; 
CE.  1"  mai  1741  ;  LG..  7  févr.  1750  ;  VA.,  25  août  1753  ;  j-  25  août  1762. 
A.  M.,  C  165.  166. 


124  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 

des  Gouttes  ^^,  avec  environ  dix-huit  cents  hommes  des 
régiments  de  Périgord,  Blésois  et  la  Marche,  comman- 
dés encore  par  La  Peyrouse  de  La  Motte. 

Il  ne  fallait  pas  se  borner  à  cette  manifestation  impuis- 
sante. Le  l'"  mai,  Plélo  écrivait  au  ministre  des  Affaires 
étrangères  :  «  Envoyez-nous  donc  au  plus  vite  une 
flotte  ;  nous  ne  devons  plus  compter  que  sur  nous- 
mêmes.  Je  voudrais  bien  surtout  que  M.  Du  Guay- 
Trouin  eût  ce  commandement  ;  son  nom  seul  vaut  une 
escadre.  D'ailleurs,  il  nous  faut  un  homme  audacieux 
qui  n'ait  pas  envie  de  revoir  Brest  de  sitôt.  »  Il  ne  savait 
pas,  lui  qui  demandait  une  escadre  de  vingt  à  vingt-cinq 
vaisseaux  et  un  corps  de  quinze  à  vingt  mille  hommes, 
que  l'escadre  de  Brest  ne  prendrait  jamais  la  mer  ;  oe 
n'était  qu'un  mirage,  pour  satisfaire  à  peu  de  frais  les 
partisans  de  Stanislas  sans  inquiéter  les  Anglais. 

On  connaît  cette  triste  histoire.  Barailh  mouillait 
devant  Danzig  le  11  mai  et  débarquait  nos  soldats  au 
fort  de  Weichselmunde  ;  mais  le  comte  de  La  Motte  dé- 
clarait la  position  intenable  et  se  rembarquait,  malgré 
les  protestations  de  Barailh  ;  celui-ci,  le  15  au  matin, 
quatre  jours  après  son  arrivée,  devait  remettre  à  la 
voile.  Le  malheureux  officier  écrivait  dans  son  rapport 
(20  mai  1734)  :  «  Il  est  des  circonstances  dans  ce  qui 
s'est  passé  qui  font  horreur  par  la  honte  que  la  nation 
a  soufferte.  J'en  suis  exempt  à  mon  particulier  auss'i 
bien  que  les  vaisseaux  du  roi...  »  Monti,  notre  ambassa- 
deur auprès  de  Stanislas,  jetait  de  Danzig  ce  cri  de 
désespoir  (19  mai)  :  «  ...Un  secours  si  longtemps 
attendu,  qui  faisait  tant  d'honneur  au  roi...  Il  ne  part 
de  France  que  pour  devenir  la  risée  de  toute  l'Europe... 

23.  Clément  Charry  comte  Des  Gouttes.  De  Moulins.  G.,  10  avril  1704  ; 
L.,  25  nov.  1712;  LGM..  21  avril  1757;  C,  1"  oct.  1731;  péri  dans  l'embra- 
sement du  Fleuron,  qu'il  commandait.  2  févr.  1745.  Brest.  A.  M.,  C  161. 


CAMPAGNES   MARITIMES   DE    1723   A    1736  125 

Je  vous  envoie  la  lettre  ouverte  pour  M.  Du  Guay- 
Trouin.  Au  nom  de  Dieu,  qu'il  vienne  et  qu'il  n'écoute 
pas  les  mauvais  propos  que  M.  de  La  Motte  et  autres  lui 
tiendront  :  ils  en  seront  responsables  à  Dieu,  au  roi, 
à  la  nation.  Jamais  la  Vistule  n'avait  vu  de  drapeaux 
français  ;  il  faut  qu'ils  ne  viennent  que  pour  luir. 
Plaignez-moi...  » 

Ce  ne  fut  pas  Du  Guay-Trouin  qui  vint,  ce  fut  Plélo. 
Trois  autres  navires,  le  Fleuron,  le  Brillant  et  VAstrée, 
étaient  arrivés  à  Copenhague,  sous  les  ordres  de  M.  de 
Beauharnais  de  Beaumont,  capitaine  de  vaisseau^*. 
Plélo  les  réunit  à  la  petite  division  de  Barailh  et  somma 
le  comte  de  La  Motte  de  le  suivre  «  au  nom  du  roi,  votre 
maître  et  le  mien,  dont  je  tiens  ici  la  place  ». 

Le  20  mai,  il  écrivit  trois  lettres  au  roi  et  une  au 
garde  des  sceaux  ;  il  écrivit  aussi  une  lettre  à  sa  jeune 
femme,  qui  allait  être  bientôt  mère  et  que,  maigre  sa 
profonde  tendresse,  il  avait  tenue  dans  l'ignorance  de 
ses  projets 2&  :  «  ...Je  serais  indigne  du  nom  de  Français 
et  de  votre  amour,  si  je  ne  faisais  ce  que  je  dois  en 
cette  occasion.  J'ai  le  cœur  trop  serré  pour  vous  en 
dire  davantage.  Amour,  devoir,  gloire,  que  de  maux 
vous  me  causez  !...  Il  ne  s'agit  que  de  faire  passer  nos 
gens  à  Danzig...  De  là  je  viens  vous  retrouver  pour  ne 
plus  vous  quitter  de  ma  vie.  »  Dans  les  papiers  de  la 
comtesse  de  Plélo,  on  a  trouvé  ce  brouillon  de  ré- 
ponse :  «  Quelques  maux  que  vous  me  fassiez  souffrir, 
mon  cher  amant,  je  ne  blâme  point  ce  que  vous  avez 
fait  ;  il  me  suffit  que  vous  l'avez  cru  nécessaire,  mais 
songez  à  n'en  pas  trop  faire...  Revenez  bientôt.  Soyez 


24.  Claude  de  Beauharnais  de  Beaumont.  D'Orléans.  G.,  1*'  janv.  1691  ; 
L.,  1"  juil.  1703;  CF.,  25  nov.  1712;  C,  17  mars  1727;  -|-  17  janv.  1738,  à 
La  Boèche  ou  La  Chaussée,  près  d'Orléans.  A.  M.,  C  161. 

25.  La  comtesse  de  Plélo  était  sœur  de  la  comtesse  de  Maurepas. 


126  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS    LOUIS   XV. 

persuadé  que  mon  sort  est  altaché  au  vôtre,  et  que  je 
me  porterai  bien  dès  que  je  pourrai  vous  embrasser  et 
vous  dire  moi-même  que  je  vous  adore  et  vous  adorerai 
jusqu'au  dernier  moment  de  ma  vie...  » 

Le  24  mai,  Barailh  était  de  nouveau  devant  Danzig,  il 
y  débarquait  Plélo,  le  comte  de  La  Motte  et  leur  petite 
troupe  ;  les  matelots  poussèrent  sept  fois  le  cri  :  Vive 
le  roi  !  et  l'escadre  tira  treize  coups  de  canon.  Le  len- 
demain Plélo,  qui  ne  pensait  qu'à  l'escadre  de  Brest, 
écrivait  à  Du  Guay-Trouin  d'accourir  en  toute  hâte  à 
l'embouchure  de  la  Vistule  ;  cette  lettre  n'arriva  à  Brest 
que  le  11  juin.  Le  jour  même  Du  Guay-Trouin  écrivait 
au  ministre  de  la  Marine,  beau-frère  de  Plélo  :  ((  Je 
voudrais  qu'il  m'en  eût  coûté  un  bras  et  m'être  trouvé 
dans  la  mer  Baltique,  même  avec  les  seuls  vaisseaux  qui 
y  étaient...  Si  j'y  avais  été,  monseigneur,  comptez  que 
je  serais  tué  ou  que  j'aurais  pénétré  dans  Danzig.  » 

Le  27  mai,  Plélo,  marchant  à  côté  du  drapeau  du 
bataillon  de  Blésois,  symbole  du  devoir  et  de  la  patrie 
absente,  montait  à  l'assaut  des  retranchements  ennemis. 
Décimées  par  un  feu  épouvantable,  nos  troupes  devaient 
battre  en  retraite  2*.  Le  corps  de  Plélo,  criblé  de  bles- 
sures, gisait  à  l'eiitrée  du  camp  des  Russes  ;  le  malheu- 
reux avait  trente-cinq  ans. 

A  cette  nouvelle,  la  division  de  Barailh,  qui  croisait 
du  côté  de  Pillau,  cingla  vers  le  milieu  de  la  Baltique, 
dans  l'attente  de  l'escadre  de  Du  Guay-Trouin,  tant  de 
fois  annoncée  et  qui  ne  partit  jamais.  Deux  de  ses  na- 
vires, la  Gloire  et  le  Fleuron,  capturèrent  une  frégate 


26.  Le  comte  René  de  Chateaubriand,  père  de  l'écrivain,  prit  part,  comme 
TOlontaire  —  il  avait  alors  environ  quinze  ans  —  à  l'expédition  de  Danzig  ; 
il  reçut  deux  blessures  au  combat  où  fut  tué  Plélo  ;  il  en  avait  conservé 
«  rancune  au  cœur  contre  les  polissons  russes  ».  —  Pendant  la  guerre  de 
Sept  ans.  il  arma  en  course  cinq  navires  de  Saint-Malo.  Mémoires  d'outre- 
tomhe,  édition  Biré,  t.  I,  p.  17.  192.  454. 


CAMPAGNES   MARITIMES   DE    1723    A    1736  127 

russe  de  trente-six  canons,  le  Mittau  ;  M.  de  Parsevaux, 
lieutenant  de  vaisseau  ^\  en  prit  le  commandement.  Le 
10  juin,  Barailh  rentrait  à  Copenhague.  Un  mois  plus 
tard,  le  9  juillet,  Danzig  capitulait,  après  cent  trente- 
cinq  jours  de  siège.  Barailh,  qui  n'avait  plus  rien  à 
faire,  repartit,  la  douleur  dans  l'âme  :  il  était  de  retour 
à  Brest  le  24  août  (1734).  De  cette  triste  campagne  il 
ramenait  le  Mittau,  qui  devait  être  échangé  avec  son 
équipage  contre  les  soldats  français  pris  au  fort  de 
Weichselmunde. 

Dans  la  chapelle  de  Saint-Bihi,  paroisse  de  Plélo, 
près  de  Sainl-Brieuc,  où  la  comtesse  de  Plélo  avait  rap- 
porté le  cercueil  de  son  mari,  on  lit  une  longue  inscrip- 
tion funèbre  :  ...Sparge  lauris  sepulcrum,  viator,  et  be- 
nedic  nomini  armorico...  «  Passant,  couvre  de  lauriers 
ce  tombeau  et  glorifie  le  nom  breton...  »  La  France  glo- 
rifiera toujours  le  nom  de  Plélo  :  il  personnifie  ce  qu'il 
y  a  de  plus  noble  dans  l'âme  humaine,  l'amour  de  la 
patrie  poussé  jusqu'au  sacrifice  de  soi-même. 

27.  René  Kéramel   de   Parsevaux.    De   Bretagne.    G.,   18   févr.    1699;   L., 
25  nov.  1712  ;  -J-  17  janv.  1750,  Brest.  A.  M.,  C  161. 


CHAPITRE  VIII 

PRÉLIMINAIRES   DE   LA   RUPTURE    ENTRE    LA    FRANCE 
ET   L'ANGLETERRE 


Mémoire  sur  les  moyens  de  faire  la  guerre  à  V Angleterre.  —  Rupture 
entre  l'Espagne  et  l'Angleterre.  —  Armements  maritimes  en  France. 
—  Le  duc  de  Penthièvre  le  marquis  d'Antin.  —  Croisière  française 
aux  Antilles.  —  Le  chevalier  d'Epinay  à  Saint-Domingue  ;  le  che- 
valier de  Caylus  au  détroit  de  Gibraltar.  —  Guerre  continentale  et 
maritime. 

L'alliance  de  la  France  et  de  l'Angleterre,  telle  que  le 
Régent  l'avait  comprise  et  que  Fleury  l'avait  maintenue, 
avait  pour  la  France  tous  les  caractères  d'un  contrat 
léonin,  selon  l'expression  même  de  Valincour.  En- 
chaînée comme  elle  l'était  à  l'Angleterre,  obligée,  pour 
ménager  les  susceptibilités  de  son  alliée,  de  renoncer 
à  sa  puissance  maritime,  la  France  n'avait  plus  sa 
liberté  d'action.  Les  affaires  de  la  succession  de  Pologne 
n'avaient  que  trop  mis  en  lumière  cette  dépendance 
humiliante.  Si  les  armements  répétés  de  l'escadre  de 
Du  Guay-Trouin  à  Brest  n'avaient  été  qu'une  comédie, 
si  le  ministre  n'avait  pas  envoyé  une  flotte  dans  la  Bal- 
tique pour  venger  Plélo  et  ses  compagnons  là  où  ils 
étaient  tombés,  c'est  que  l'alliance  anglaise  paralysait 
tous  nos  mouvements.  Dans  des  conditions  aussi  oné- 
reuses, cette  alliance  ne  pouvait  pas  durer  ;  tôt  ou  tard 


PRÉLIMINAIRES  DE  LA  RUPTURE  AVEC  l'aNGLETERRE.  129 

elle  devait  disparaître,  et  le  jour  de  sa  rupture  devait 
être  aussi  le  jour  de  l'ouverture  immédiate  des  hosti- 
lités. Trop  de  questions  mettaient  aux  prises  l'Angle- 
terre et  la  France  pour  que  les  deux  puissances  res- 
tassent neutres  l'une  à  l'égard  de  l'autre  ;  la  neutralité 
n'aurait  pas  été  moins  mensongère  que  la  prétendue 
amitié.  Aussi,  pour  quiconque  ne  se  laissait  pas  duper 
par  les  apparences,  la  guerre  contre  l'Angleterre  devait 
éclater  à  brève  échéance  ;  il  fallait  s'y  préparer  et  ne 
point  se  laisser  surprendre  par  les  événements. 

C'est  dans  cet  esprit  que  fut  composé  un  Mémoire  sur 
les  moyens  de  laire  la  guerre  à  V Angleterre  d'une  ma- 
nière qui  soit  avantageuse  à  la  France,  ou  pour  prévenir 
que  le  roi  d'Angleterre  ne  nous  la  déclare  i.  La  date  de 
ce  mémoire,  28  octobre  1734,  montre  qu'il  fut  écrit  au 
lendemain  de  ces  tristes  événements  qui  venaient  de  se 
passer  aux  embouchures  de  la  Vistule. 

L'auteur  ne  s'est  pas  nommé,  il  se  borne  à  dire  de 
lui-même  et  de  son  écrit  :  «  Il  est  du  devoir  de  tout  bon 
Français  de  songer  sans  cesse  à  ce  qui  peut  la  faire 
finir  [la  guerre]  à  notre  avantage  ou  à  la  presser  si 
vigoureusement  que  nos  ennemis  soient  forcés  à  de- 
mander la  paix...  S'il  [ce  mémoire]  contient  quelque 
chose  qui  puisse  servir  au  bien  de  l'Etat,  l'auteur  sera 
suffisamment  récompensé  du  plaisir  qu'il  aura  d'avoir 
pu  être  utile  à  sa  patrie  ;  il  ne  demande  rien  au  delà, 
pas  même  de  sortir  de  son  obscurité.  »  Malgré  le  soin 
qu'il  met  à  ne  pas  parler  de  lui-même  dans  ce  mémoire 
((  destiné  pour  le  ministère  »,  on  peut  supposer  qu'il 
appartient  au  corps  de  la  marine  ;  en  effet,  le  conseil 
qu'il  donne  d'attaquer  directement  l'Angleterre,  et  les 
détails  stratégiques  de  son  mémoire  révèlent  un  homme 

1.  A.  M.,  B*  300,  fol.  27-37. 


130  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 

du  métier.  Qui  sait  si  ce  «  bon  Français  »,  qui  ne  de- 
mandait pas  même  à  sortir  de  son  obscurité,  n'appar- 
tenait pas  à  cet  état-major  de  Du  Guay-Trouin  pour  qui 
la  déconvenue  dut  être  cruelle,  quand  l'ordre  de  désar- 
mement arriva  à  Brest  ? 

Une  guerre  s'est  allumée  depuis  plus  d'un  an  entre 
le  roi  de  France  et  l'empereur  ;  l'Angleterre  seule  est 
capable  de  soutenir  efficacement  l'empereur  ;  l'intérêt 
du  roi  est  donc  d'attaquer  directement  l'Angleterœ. 
Qu'on  ne  se  laisse  pas  arrêter  par  la  grandeur  appa- 
rente de  notre  rivale.  <(  Sous  ces  beaux  dehors,  on  en 
découvrira  aisément  la  faiblesse.  C'est  la  statue  de 
Nabuchodonosor  :  la  tête  est  d'or,  tandis  que  les  pieds 
sont  de  terre.  Aussi  rien  n'est  plus  aisé  que  de  la  dé- 
truire. » 

Laissons  de  côté  ce  que  notre  auteur  pense  du  roi 
d'Angleterre,  à  qui  «  ses  peuples  ne  font  pas  même 
l'honneur  de  le  haïr  »,  de  Robert  Walpole,  détesté  des 
Anglais  malgré  son  rare  mérite,  et  que  «  la  plupart  des 
seigneurs  seraient  charmés  d'envoyer  sur  l'échafaud  »  ; 
voyons  les  moyens  d'action  qu'il  compte  employer.  Il 
est  curieux  de  le  voir  discuter,  dès  1734,  l'utihté  des 
deux  moyens  principaux  auxquels  les  faiseurs  de  projets 
reviendront  si  souvent,  quand  la  guerre  ouverte  aura 
éclaté  entre  la  France  et  l'Angleterre,  à  savoir  le  rôle 
à  donner  au  Prétendant  et  le  concours  à  attendre  de 
l'Espagne  ;  c'est  surtout  à  ce  titre  que  ce  mémoire 
'gnoré  d'un  précurseur  anonyme  mérite  d'être  tiré  de 

l'oubli. 

Il  nest  pas  d'avis  de  lancer  le  Prétendant  sur  l'Angle- 
terre ;  «(  la  seule  idée  de  recevoir  un  roi  de  la  main  des 
Français  par  force  d'armes  »  peut  faire  tout  manquer. 
Ce  qu'il  conseille,  c'est  tout  un  système  de  croisières 
sur  les  diflérenles  mers,  avec  les  escadi^es  combinées  de 


PRÉLIMINAIRES  DE  LA  RUPTURE  AVEC  l'aNGLETERRE.  131 

la  France  et  de  l'Espagne,  chacun  des  Etats  alliés  pou 
vant  fournir  quarante-cinq  vaisseaux  de  ligne.  Des 
croisières,  et  pas  de  grande  bataille  :  les  batailles  na- 
vales peuvent  tout  compromettre,  et  les  plus  brillantes 
ne  rappoi'tent  rien,  témoin  la  victoire  de  Tourville  au 
cap  Béveziers.  Cette  idée  stratégique  est  très  contes- 
table, puisqu'elle  est  en  contradiction  avec  le  principe 
de  la  grande  guerre  navale  ;  c'est  du  moins  celle  de  la 
plupart  des  auteurs  de  projets  contre  l'Angleterre  au 
xviii^  siècle.  Ajoutons  que  ce  fut  aussi  en  partie  la 
conception  de  Napoléon,  car  il  entrait  dans  le  plan  des 
opérations  du  camp  de  Boulogne  de  disperser  les 
escadres  anglaises  et  non  de  conquérir  le  passage  de 
vive  force. 

Donc,  en  1734,  on  mettra  à  Dunkerque  six  vaisseaux 
de  ligne  français  ;  —  à  Brest,  vingt  vaisseaux  de  ligne 
français  et  vingt  espagnols,  avec  une  armée  de  dix 
mille  hommes  dans  le  voisinage,  prête  à  l'embarque- 
ment ;  —  dans  l'Atlantique,  en  croisière,  pour  garder 
les  côtes  de  l'Amérique,  six  vaisseaux  français  et  six 
espagnols  ;  —  enfin,  pour  le  service  des  escortes  et  la 
protection  des  côtes  de  la  Méditerranée,  trois  vaisseaux 
français  et  neuf  espagnols,  sans  parler  des  galères  de 
France  et  d'Espagne. 

A  cette  dissémination  des  forces  navales  sur  toutes  les 
mers,  l'auteur  voit  de  grands  avantages.  En  supposant 
aux  Anglais,  dit-il,  cent  vaisseaux  de  ligne,  —  ce  qui 
est  beaucoup  plus  qu'ils  n'en  peuvent  réunir  et  encore 
moins  armer,  à  cause  de  leur  pénurie  d'équipages,  — 
ils  ne  pourront  ni  se  garantir  de  nos  coups  ni  porter 
secours  à  l'empereur.  Obligés  à  faire  des  dépenses 
excessives  pour  garder  leurs  côtes  et  leurs  mers  de  tous 
les  côtés  à  la  fois,  sans  pouvoir  nous  faire  du  mal,  ils 
en  seront  promptiemenl  réduits  à  demander  la  paix. 


132  LA   MARINE    MILITAIRE    SOUS    LOUIS    XV. 

Comme  la  plupart  des  auteurs  de  plans  stratégiques, 
notre  auteur  ne  parle  que  des  avantages  de  son  système 
et  ne  se  préoccupe  pas  des  difficultés  politiques,  finan- 
cières ou  militaires  inhérentes  à  sa  combinaison.  C'était 
d'abord  un  soudain  revirement  dans  notre  politique, 
puisqu'il  fallait  non  seulement  rompre  avec  l'Angle- 
terre, dont  nous  avions  fait  notre  meilleure  amie,  mais 
encore  nous  servir  de  la  marine  espagnole,  dont  nous 
nous  étions  fait  naguère  un  jeu  stupide  de  détruire  les 
vaisseaux  ;  il  est  vrai  que  ces  fâcheux  souvenirs  étaient 
à  peu  près  oubliés,  car  la  France  et  l'Espagne  com- 
battaient à  présent  sous  les  mêmes  drapeaux  pour  la 
conquête  de  territoires  italiens.  L'armement  de  forces 
aussi  considérables  était-il  possible  avec  les  ressources 
dont  Louis  XV  et  Philippe  V  pouvaient  alors  disposer  ? 
Comment  se  ferait  la  réunion  des  vaisseaux  français  et 
espagnols  ?  Combien  de  temps  dureraient  ces  croisières 
en  pleine  mer  ?  Les  Anglais,  au  lieu  de  se  tenir  sim- 
plement sur  la  défensive,  comme  on  le  supposait,  n'au- 
raient-ils pas  l'idée  de  fondre  sur  nos  côtes  ?  Ne  pour- 
raient-ils pas  enlever  cette  division  de  six  vaisseaux  que 
notre  auteur  faisait  croiser  vers  Dunkerque,  sans  re- 
marquer qu'elle  n'avait  pas  un  point  d'appui  sur  la  côte 
de  Flandre  où  le  Régent  et  Fleury  avaient  accumulé  les 
ruines  par  ordre  de  l'Angleterre  ?  Au  fond,  deux  affir- 
mations se  dégagent  avec  netteté  de  ce  mémoire  :  une 
guerre  maritime  entre  la  France  et  l'Angleterre  était 
inévitable  ;  pour  la  faire  avec  succès,  la  marine  fran- 
çaise devait  combiner  ses  opérations  avec  la  marine 
espagnole. 

Six  ans  environ  plus  tard,  celle  double  éventualité 
s'était  réalisée.  Déjà  en  1727,  la  guerre  maritime  avait 
failli  éclater  entre  l'Espagne  et  l'Angleterre,   à  propos 


PRÉLIMINAIRES  DE  LA  RUPTURE  AVEC  l'aNGLETERRE.  133 

de  Gibraltar,  dont  la  perte  était  certainement  le  coup 
le  plus  cruel  que  l'Espagne  eût  reçu  au  traité  d'Utrecht. 
Lorsque  l'escadre  du  marquis  d'O,  venant  de  Brest, 
avait  passé  le  détroit  pour  se  joindre  à  l'escadre  de 
M.  de  Mons,  elle  avait  vu  de  loin  les  galiotes  espagnoles 
qui  bombardaient  la  pointe  d'Europe  ;  c'était  le  premier 
essai  d'une  opération  militaire  que  l'on  devait  reprendre 
pendant  la  guerre  de  l'Indépendance  américaine,  sur 
un  plan  grandiose,  avec  les  forces  combinées  de  l'Es- 
pagne et  de  la  France,  et  qui  ne  réussit  jamais.  Le  siège 
de  Gibraltar  de  1727  avait  été  bientôt  arrêté  grâce  à 
l'intervention  pacifique  de  Fleury  ;  mais  en  1739,  le 
ministre  de  la  paix  maritime  et  de  l'alliance  anglaise 
ne  put  pas  faire  triompher  de  nouveau  son  système 
d'inertie.  Malgré  lui,  la  guerre  éclata  entre  Madrid  et 
Londres,  et  malgré  lui  il  dut  cette  fois  faire  armer  nos 
escadres. 

Ce  qui  amena  la  rupture  de  1739  entre  l'Espagne  et 
l'Angleterre,  ce  fut  le  privilège  de  la  compagnie  an- 
glaise de  la  traite  des  nègres  (asienio)  dans  les  colonies 
espagnoles,  et  surtout  l'interprétation  singulièrement 
abusive  que  les  Anglais  donnaient  à  la  clause  du 
«  vaisseau  de  permission  ^  ».  Las  d'être  fraudés  sans 
cesse  par  les  corsaires  anglais,  les  gouverneurs  es- 
pagnols d'Amérique  se  décidèrent  à  user  de  repré- 
sailles. Voltaire  a  raconté  la  fameuse  aventure,  légen- 
daire peut-être,  de  ce  patron  de  navire  Jenkins,  à  qui 
le  capitaine  d'un  garde-côte  espagnol  avait  fendu  le 
nez  et  coupé  les  oreilles,  et  qui  vint  montrer  ses  bles- 
sures en  plein  parlement.  ((  Messieurs,  dit-il,  quand  on 

2.  Canga  Argûelles,  Diccîonario  de  hacienda,  Londres,  IS'Se,  donne,  au 
mot  «  Asiento  de  negros  »,  le  texte  de  la  convention  hispano-anglaise 
de  1713  sur  le  monopole  de  la  vente  des  nègres.  Cf.  Dahlgren,  Les  Rela- 
tions commerciales  et  maritimes  entre  la  France  et  les  côtes  de  l'océan 
PaciMue,  Paris,  1909  ;  t.  I,  p.  722  et  suiv. 


134  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 

m'eut  ainsi  mutilé,  on  me  menaça  de  la  mort  :  je 
l'attendis  ;  je  recommandai  mon  âme  à  Dieu  et  ma  ven- 
geance à  ma  patrie.  )>  Dans  le  parlement  et  dans  le 
peuple,  il  n'y  eut  qu'un  cri  d'indignation  et  de  ven- 
geance. ((  La  mer  libre  ou  la  guerre  !  »  disait  le  peuple, 
qui  trouvait  tout  naturel  que  l'Espagne  subît  toutes  les 
vexations  et  que  les  corsaires  anglais  fissent  fortune. 
Un  membre  du  parlement  prononça  cette  fanfaronnade  : 
«  Où  est  le  temps  où  un  ministre  de  la  guerre  disait  qu'il 
ne  fallait  pas  qu'on  osât  tirer  un  coup  de  canon  en  Eu- 
rope sans  la  permission  de  l'Angleterre  ?  » 

Devant  cette  explosion  de  fanatisme  belliqueux,  le 
pacifique  Walpole  dut  céder  :  la  guerre  fut  déclarée  à 
l'Espagne.  Elle  débuta  bien  pour  les  Anglais  ;  car  l'ami- 
ral Vernon  prenait  et  ruinait,  sur  la  côte  de  l'isthme  de 
Panama,  un  peu  à  l'est  du  port  actuel  de  Colon,  le  port 
de  Porto-Bello,  qui  était  alors  l'un  des  plus  grands  en- 
trepôts du  commerce  de  l'Amérique  espagnole  (P""  dé- 
cembre 1739).  Il  est  vrai  que  peu  après  il  éprouvait  un 
grave  échec  devant  Carlhagène  des  Indes,  qui  lui 
résista  mieux  que  quarante-trois  ans  plus  tôt  à  Pointis. 
Les  Anglais  avaient  frappé  à  l'avance,  en  l'honneur  de 
Vernon,  une  médaille  avec  l'exergue  :  <(  11  a  pris  Car- 
lhagène ))  ;  il  leur  fallut  effacer  cette  légende  prématurée 
et  mensongère. 

Fleury  ne  songeait  nullement  à  rompre  avec  l'Angle- 
terre, bien  que  l'occasion  fût  séduisante  de  soutenir  la 
marine  d'Espagne  et  de  briser  du  même  coup  les  chaînes 
d'une  alliance  onéreuse  ;  du  moins,  if  fallait  protéger 
notre  marine  marchande  contre  les  corsaires  anglais 
qui  commençaient  à  courir  les  mers  et  qui  étaient  tout 
prêts,  comme  ils  le  prouvèrent  plus  d'une  fois,  à  con- 
fondre le  pavillon  des  Bourbons  de  France  avec  le  pa- 
villon des  Bourbons  d'Espagne. 


PRÉLIMINAIRES  DE  LA  RUPTURE  AVEC  l'aNGLETERRE.  135 

C'était  surtout  dans  les  eaux  de  la  mer  des  Antilles 
qu'il  était  important  de  veiller  à  nos  intérêts  maritimes  ; 
cette  région,  où  les  Anglais  possédaient  la  Jamaïque, 
depuis  l'époque  de  Cromwell,  et  où  se  trouvaient  les 
ports  les  plus  riches  de  l'Amérique  espagnole,  parais- 
sait destinée  à  être  le  principal  théâtre  des  hostilités. 
Notre  marine  put  alors  se  féliciter  d'avoir  à  sa  tête  le 
comte  de  Maurepas.  Si  elle  mit  rapidement  deux 
escadres  en  état,  à  Toulon  et  à  Brest,  si  elle  remporta 
au  début  quelques  succès,  elle  le  dut  avant  tout  au  mi- 
nistre qui,  malgré  la  pénurie  financière  et  les  obstacles 
politiques,  n'avait  cessé  de  construire  des  navires,  d'en 
armer,  d'entretenir  des  équipages,  le  tout  à  peu  de 
frais,  sans  bruit,  mais  avec  suite  et  d'une  manière  utile. 

Le  25  août  1740,  une  escadre  de  douze  vaisseaux 
et  d'une  tartane  sortait  du  port  de  Toulon  ;  le  chef 
d'escadre,  M.  de  La  Rochalart,  avait  son  pavillon  sur 
le  Ferme.  Le  V  septembre,  une  force  encore  plus 
grande,  de  quatorze  vaisseaux  et  cinq  frégates,  sortait 
du  port  de  Brest,  sous  les  ordres  du  vice-amiral  d'An- 
tin.  Il  fallait  remonter  jusqu'au  règne  de  Louis  XIV  pour 
retrouver  le  souvenir,  dans  l'un  ou  l'autre  de  ces  ports, 
d'armements  aussi  importants.  Suivant  l'expression  d'un 
historien  du  xviii®  siècle,  «  cet  effort  étonna  la  Grande- 
Bretagne»  . 

Il  y  avait  eu  récemment  des  mutations  importantes 
dans  le  haut  personnel  de  la  marine  royale.  Le  comte 
de  Toulouse,  amiral  de  France,  était  mort  en  1737,  à 
cinquante-neuf  ans,  sans  avoir  jamais  exercé  en  mer  un 
commandement  effectif  depuis  l'année  1706.  Marié  en 
1723  à  Victoire  de  Noailles,  il  en  avait  eu  un  fils,  Louis 
de  Bourbon,  duc  de  Penlhièvre  ;  dès  1734,  celui-ci  avait 
eu  le  litre  d'amiral  de  France,  et  à  la  mort  de  son  père, 
il  avait  hérité  complètement  de  sa  charge. 


136  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS    LOUIS   XV. 

Le  nouvel  amiral  de  France,  qui  avait  douze  ans  en 
1737,  avait  eu  pour  gouverneur  le  marquis  de  Par- 
daillan  3,  pour  sous-gouverneurs  M.  de  Lizardais  ^  et 
M.  de  La  Clue,  tous  trois  appartenant  à  la  marine  et  qui 
l'avaient  élevé  en  vue  des  fonctions  de  sa  charge.  Ce- 
pendant il  n'y  eut  jamais  rien  de  maritime  dans  la  vie 
du  duc  de  Penthièvre.  Le  beau-père  de  la  princesse  de 
Lamballe,  le  grand-père  du  duc  de  Chartres  Louis- 
Philippe  (le  futur  roi  des  Français),  eut  sa  part  aux 
opérations  continentales  de  la  guerre  de  la  Succession 
d'Autriche,  il  se  fit  surtout  connaître  et  aimer  par  sa 
bienfaisance  ;  mais  il  n'appartint  jamais  à  la  marine 
que  par  le  haut  titre  qu'il  porta. 

Sa  mère  avait  épousé  en  premières  noces  Louis  de 
Pardaillan,  marquis  de  Gondrin,  fils  aîné  du  duc  d'An- 
lin,  qui  était  lui-même  le  fils  du  marquis  et  de  la  mar- 
quise de  Montespan.  De  son  premier  mariage,  la  com^ 
tesse  de  Toulouse  avait  eu  un  fils,  Antoine-François  de 
Pardaillan  de  Gondrin,  marquis  d'Antin  ;  par  son  père, 
celui-ci  était  le  petit-neveu  de  l'amiral  de  France  ;  par 
sa  mère,  lors  de  son  second  mariage,  il  en  devint  le 
beau-fils.  Cette  double  parenté  explique  que  d'Antin 
ait  obtenu  en  1731,  à  vingt-deux  ans,  la  charge  de  vice- 
amiral  du  Ponant,  dont  le  maréchal  d'Estrées  s'était 
démis  en  sa  faveur.  Il  faut  ajouter  qu'il  avait  toujours 
servi  dans  la  marine  ;  il  avait  fait  campagne  dans  la 
Méditerranée,  en  1731,  sous  les  ordres  de  Du  Guay- 
Trouin,  dans  la  Baltique,  en  1733,  sous  les  ordres  de 
La  Luzerne  ;  il  avait  un  goût  très  vif  pour  la  carrière 

3.  D'Osères  de  Pardailhan.  D'Angoumois.  G.,  l""  mai  1705  ;  L,  17  mars  1727  ; 
C,  1"  oct.  1731  ;  gouverneur  de  M.  de  Penthièvre  ;  commandant  des  gardes 
du  pavillon  à  Toulon,  l"  févr.  1734  ;  tué  commandant  l'Aquilon,  6  août  1741. 
A.  M.,  C  161.  —  Il  est  probable  que  c'est  le  même  que  l'enseigne  de  vais- 
seau Pardaillan,  cité  ci-dessus,  p.  111,  à  propos  de  l'expédition  de  Mahé. 

4.  Lizardais.  De  Bretagne.  G.,  3  mai  1706  ;  C,  1"  mai  1741  ;  CA.. 
17  févr.  1750;  -|-  12  déc,  1753,  Rochefort.  A.  M..  C  161. 


PRÉLIMINAIRES  DE  LA  RUPTURE  AVEC  l'aNGLETERRE.  137 

maritime,  il  se  tenait  au  courant  des  progrès  de  la 
marine  à  l'étranger  et  surtout  en  Angleterre.  Bref,  malgré 
son  âge  jeune  encorCj  trente  et  un  ans,  quand  il  comman- 
dait l'escadre  de  Brest,  cet  officier  général  avait  de 
l'expérience  et  une  réelle  valeur.  On  ne  pouvait  pas  en 
dire  autant  de  son  collègue,  le  marquis  de  Sainte-Maure, 
vice-amiral  du  Levant  ^  ;  il  n'était  guère  connu  que  pour 
avoir  échoué  un  jour  le  Fougueux,  de  soixante-qua- 
torze canons,  sur  un  rocher  en  rade  de  Rochefort,  et 
pour  s'en  être  consolé  par  ce  mot,  que  son  vaisseau  ser- 
virait de  balise. 

En  quittant  Brest  (septembre  1740),  le  marquis  d'An- 
lin  détacha  six  navires  pour  croiser  vers  les  côtes 
d'Espagne.  Avec  les  autres,  quatorze  environ,  il  cingla 
vers  les  Antilles  ;  il  mouillait  le  21  octobre  à  la  Marti- 
nique, et  le  7  novembre  à  Saint-Domingue.  Dans  cette 
dernière  relâche,  il  était  rejoint,  le  15  décembre,  par 
huit  des  vaisseaux  de  l'escadre  de  Toulon  sous  les 
ordres  de  La  Rochalart.  Il  avait  ainsi  des  forces  assez 
imposantes.  11  fut  cependant  comme  réduit  à  l'inaction, 
soit  parce  que  la  fièvre  jaune  avait  éclaté  dans  ses  équi- 
pages, soit  parce  qu'une  escadre  anglaise  de  vingt-cinq 
voiles,  partie  d'Angleterre  en  novembre  avec  l'amiral 
Ogle,  venait  de  rallier  à  la  Jamaïque  les  sept  vaisseaux 
de  l'amiral  Vernon,  soit  encore  parce  que  ses  ins- 
tructions lui  disaient  de  protéger  les  Espagnols  sans 
attaquer  les  Anglais,  à  moins  d'hostilités  directes  de 
leur  part.  Ces  hostilités  avaient  eu  lieu  :  une  de  nos  cor- 
vettes, la  Fée,  avait  été  enlevée  entre  la  Martinique  et 
Saint-Domingue  ;  mais  d'Antin  avait  manqué  Tocca- 
sion  d'attaquer  Vernon,  dont  les  forces  étaient  à  pré- 

5.  Charles  d'Augé,  marquis  de  Sainte-Maure.  Du  Médoc.  E.,  1"  mars  1673  ; 
C,  12  janv.  1682;  CE.,  8  oct.  1712;  LG.,  1"  nov.  1720;  VA.  du  Levant, 
8  juin  1730  ;   -f  23  sept.  1744,   Paris,   rue  Férou.  A.  M.,   C   161. 


138  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 

sent  plus  que  quadruplées  par  l'arrivée  de  son  collègue. 

11  avait  reçu  lui-même  un  léger  renfort.  Le  comte  de 
Roquefeuil  ^  qu'il  avait  envoyé  à  sa  sortie  de  Brest  sur 
les  côtes  d'Espagne  et  qui  était  rentré  ensuite  en 
France,  arrivait  à  Saint-Domingue  le  8  janvier  1741, 
avec  quatre  vaisseaux. 

Le  vice-amiral,  qui  avait  à  compter  avec  l'état  sani- 
taire de  ses  équipages  et  avec  le  texte  de  ses  ins- 
tructions, crut  qu'il  avait  suffisamment  rempli  l'objet 
de  sa  mission,  car  sa  présence  avait  protégé  les 
vaisseaux  et  les  colonies  de  l'Espagne.  Il  laissa  en 
station  aux  Antilles  six  vaisseaux  avec  Roquefeuil,  qui 
devait  y  rester  jusqu'au  printemps  ;  lui-même  reprit  la 
mer  dès  le  7  février.  La  division  de  La  Rochalart  rallia 
le  port  de  Toulon  ;  d'Antin  rentra  à  Brest  le  18  avril. 
Ce  fut  pour  y  mourir,  six  jours  plus  tard,  à  trente- 
deux  ans  ^ 

Un  malheur,  d'une  autre  nature,  avait  marqué  le 
retour  de  cette  expédition.  Le  Bourbon,  de  soixante- 
quatorze  canons,  commandé  par  le  marquis  de  Boulain- 
villiers  ^  avait  coulé,  à  la  hauteur  d'Ouessant,  dans  des 
circonstances  particulièrement  dramatiques.  Déjà  de 
nombreuses  voies  d'eau  avaient  retardé  sa  marche  ;  le 

12  avril,  il  devint  impossible  de    faire    fonctionner   les 


6.  Comte  de  Roquefeuil,  «  qui  était  officier  de  grande  réputation  ». 
D'Avignon.  G.,  20  mars  1681;  L.,  1"  janv.  1691;  C,  1"  janv.  1703;  CE., 
25  ma.rs  1708  ;  LG.,  1"  mai  1741  ;  -|-  8  mars  1744,  en  mer,  «  à  une  lieue  du 
cap  de  Godéteur  (?),  d'une  goutte  remontée  ».  A.  M.,  C  161  ;  B^  56. 

7.  Le  marquis  d'Antin  «  mourut  avant-hier  au  soir  d'une  suite  de  la 
grande  maladie  qu'il  a  eue  à  l'Amérique,  dont  il  n'a  jamais  pu  bien  se 
remettre.  Je  ne  doute  pas  que  tous  les  contretemps  qu'il  a  eus  dans  le 
cours  de  sa  campagne  n'y  aient  beaucoup  contribué,  de  même  que  le 
chagrin  d'avoir  vu  mourir  un  aussi  grand  nombre  de  ses  officiers  et 
équipages,  et  que  son  escadre  n'était  continuellement  qu'un  hôpital  ».  La 
Jonquière  au  ministre  ;  Brest,  26  avril  1741,  A.  M.,  B*  50,  fol.  261.  — 
D'Antin  mourut  des  suites  d'une  hydrocèle. 

8.  Boulainvilliers.  G.,  1"  févr.  1703;  L.,  17  mars  1727;  C,  1"  avril  1728; 
péri,  commandant  le  Bourbon,  12  avril  1741.  A.  M.,  C  161. 


PRÉLIMINAIRES  DE  LA  RUPTURE  AVEC  l'aNGLETERRE.  139 

pompes  ;  le  commandant  vit  que  son  navire  était  perdu  ^. 
Voulant  sauver  son  fils,  qui  était  à  son  bord,  il  le  fit 
descendre  dans  la  chaloupe  avec  vingt-trois  officiers  et 
marins,  sous  le  prétexte  d'aller  chercher  des  secours. 
Une  demi-heure  après,  en  présence  de  ceux  qui  avaient 
été  sauvés,  le  Bourbon  disparaissait  dans  les  flots  avec 
le  marquis  de  Boulainvilliers  et  le  reste  de  l'équipage  ^^. 
Cette  catastrophe,  le  résultat  en  apparence  stérile  de 
l'expédition,  la  mort  même  du  vice-amiral,  qui  fut  entou- 
rée d'un  certain  mystère  ^i,  fournirent  des  armes  aux 
ennemis  du  ministre  de  la  Marine.  Dans  un  mémoire  où 
il  faisait  le  procès  de  toute  l'administration  de  la  marine, 
le  maréchal  de  Richelieu  disait  de  cette  expédition, 
avec  une  exagération  singulière  :  «  L'armement  de 
M.  d'Antin  pouvait  décider  du  sort  de  la  France  et  de 
l'Europe.  Il  a  échoué  par  des  fautes  capitales,  dans  les- 
quelles un  ministre  tant  soit  peu  éclairé  ne  serait  point 
tombé.  Nos  vaisseaux  ont  été  envoyés  sans  être  dou-" 
blés,  et  on  a  négligé  de  faire  suivre  l'armement  de  mois 
en  mois,  comme  les  Anglais  le  pratiquent  toujours  en 
pareil  cas,  par  des  bâtiments  chargés  de  vivres  et  de 
rafraîchissements.  M.  d'Antin  était  prêt  de  dévoiler  le 
mystère  d'iniquité,  qu'il  était  en  état  de  faire  valoir.  La 
fortune  de  M.  de  Maurepas  l'a  tué,  et  sa  cabale  a  rejeté 
sur  le  mort  toutes  les  fautes  dont  il  ne  pouvait   se   jus- 

9.  Le  Bourbon  n'était  en  service  que  depuis  1739.  «  On  a  à  présent 
l'expérience  que  le  Bourbon,  qui  n'avait  point  encore  été  à  la  mer,  est  un 
très  bon  vaisseau.  »  Folltgny,  Journal  de  la  campagne  de  Suède,  p.  9. 

10.  Dans  la  note  qu'il  rédigea,  après  la  campagne  d'Amérique,  sur  Bou- 
lainvilliers de  Croy,  capitaine  de  pavillon  du  Languedoc,  d'Estaing  rap- 
pelle «  la  conduite  de  son  père  qui  s'immola  sur  le  Bourbon,  qui  ne 
voulut  point  at)andonner  ce  vaisseau  coulant  sous  ses  pieds,  qui  nomma 
froidement  ceux  qu'il  arrachait  à  une  mort  certaine  en  les  faisant  embar- 
quer dans  le  canot  ou  dans  la  chaloupe  où  il  ne  voulut  point  entrer, 
parce  que  son  devoir  de  capitaine  l'en  empêchait,  et  parce  que,  s'il  eût 
abandonné  son  vaisseau,  la  foule  qu'il  n'aurait  pu  contenir  aurait 
submergé  les  deux  embarcations  ».  A.  M.,  B*  169. 

11.  CoRRE,  L'Ancien  Corps  de  la  marine,  p.  218. 


N 


140  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS    LOUIS   XV. 

tifier  1^.  »  On  ne  voit  pas  que  le  ministre  ait  jamais 
songé  à  faire  un  crime  à  la  mémoire  du  vice-amiral 
d'une  expédition  qui  avait  promené  le  drapeau  du  roi 
dans  des  mers  qui  ne  le  voyaient  que  bien  rarement,  et 
qui,  sans  combat,  avait  amené  les  Anglais  à  suspendre 
leurs  hostilités.  Ni  Maurepas  ni  d  Antin  n'étaient  cou- 
pables, mais  bien  le  premier  ministre  qui,  ici  comme 
dans  l'expédition  de  la  Baltique,  ne  faisait  les  choses 
qu'à  moitié,  c'est-à-dire  les  faisait  mal. 

A  la  campagne  du  vice-amiral  d'Antin  dans  les  An- 
tilles se  rattache  le  souvenir  d'un  épisode  militaire 
doublement  instructif  ;  il  donne  la  mesure  de  la  bonne 
foi  de  nos  prétendus  alliés  et  il  montre  la  nécessité  pour 
des  marins  d'être  toujours  prêts  et  vigilants  quand  ils 
sont  sur  mer. 

Le  18  janvier  1741,  une  division  de  quatre  vaisseaux 
portant  le  pavillon  du  roi,  —  V Ardent  (soixante-quatre 
canons),  le  Mercure  (cinquante-six),  capitaine  Des  Her- 
biers de  l'Etanduère,  le  Diamant  (cinquante),  capitaine 
le  chevalier  de  Piosin  ^^  la  Parfaïte  (quarante-quatre), 
capitaine  d'Estourmelles  l^ — croisait,  sous  les  ordres  du 
chevalier  d'Epinay  ^^  dans  les  parages  du  cap  Tiburon, 
au  sud-ouest  de  Saint-Domingue.  Une  escadre  de  six 
gros  vaisseaux  anglais,  —  deux  de  soixante-quatorze 
canons,  trois  de  soixante-quatre,  un  de  cinquante,  — 
est  signalée  vers  six  heures  du  matin.  D'une  part,  deux 
cent  quatorze  bouches  à    feu  ;    de    l'autre,    trois    cent 

12.  Rapporté  par  Maurepas,  Mémoires,  t.  IV.  p.  216. 

13.  Mandelot  de  Laucez  servait  en  second  sur  le  Diamant  ;  un  brevet  de 
pension  de  mille  livres  (mai  1741)  rappelle  qu'il  s'était  distingué  dans  ce 
combat.  A.  M.,  C\ 

14.  Le  commandeur  d'Estourmelles.  G.,  30  avril  1707;  L.,  25  nov.  1712; 
C,  17  mars  1727  ;  CE.,  1''  janv.  1745;  R.,  1"  mars  1747.  A.  M.,  C  161,  C\ 

15.  Marquis  d'Épinay  Beaugroult.  G.,  26  avril  1692;  C,  17  mars  1727; 
CE..  1"  janv.  1745  ;  LG.,  17  mai  1751  ;  -|-  4  janv.  1752.  A.  M.,  C  166. 


PRÉLIMINAIRES  DE  LA  RUPTURE  AVEC  l'aNGLETERRE.  141 

quatre-vingt-dix.  D'Epinay,  qui  se  dirigeait  vers  les 
Cayes,  ne  change  pas  sa  marche  :  il  se  borne  à  réunir 
sous  sa  main  sa  petite  escadre. 

Un  vaisseau  anglais  s'approche  d'un  de  nos  navires. 
Un  court  dialogue  s'échange  avec  le  porte-voix.  «  D'où 
vient  ce  navire  ?  —  De  France.  —  Où  va  le  navire  ?  — 
A  la  mer.  »  L'Anglais  continue  tout  seul  :  «  Nous  vou- 
lons vous  parler.  Vous  ne  répondez  point  ?  vous  ne  dites 
rien  ?  »  Là-dessus,  une  canonnade  soudaine  crible  le 
Diamant  de  projectiles.  D'Epinay  riposte  ;  malgré  la 
disproportion  des  forces,  il  tient  tête  à  ses  déloyaux 
ennemis.  Le  chevalier  de  Roquefeuil,  officier  à  bord  du 
Diamant,  écrivait  à  propos  de  ce  combat  :  «  Nous  étions 
tous  résolus  de  nous  défendre  et  de  périr  plutôt  que  de 
nous  rendre.  Jamais  on  ne  s'est  battu  avec  tant  de 
fureur  ^^  !  »  Cependant  le  Diamant  avait  beaucoup  souf- 
fert :  il  avait  reçu  quatre-vingts  coups  de  canon  dans  la 
coque  et  plus  de  cinq  cents  dans  les  voiles  et  dans  les 
mâts.  Le  lendemain  matin,  19,  d'Epinay,  malgré  ses 
avaries,  ses  pertes  en  morts  et  en  blessés,  était  en  hgne, 
prêt  à  un  nouveau  combat,  quand  le  commandant  an- 
glais envoya  un  officier  lui  porter  des  excuses  <c  sur 
cette  méprise  ;  que,  par  la  manœuvre  qu'il  avait  tenue, 
on  l'avait  pris  pour  Espagnol  ;  que,  bien  loin  qu'il  y 
eût  interruption  de  commerce  entre  les  couronnes  de 
France  et  d'Angleterre,  jamais  elles  n'avaient  été  en 
meilleure  intelHgence  ».  Le  commandant  d'Epinay,  sans 
prêter  à  ces  singulières  excuses  plus  d'attention  qu'elles 
ne  méritaient,  se  borna  à  répondre,  en  soldat  qui  a 
conscience  de  son  droit  et  de  sa  force,  qu'il  continuait 


10.  Cette  lettre,  «  du  cap  do  Tiberon,  de  l'île  Saint-Domingue,  à  bord  du 
Diamant,  1g  19  Janvier  1741  »,  a  été  publiée  dans  le  Carnet  hUlorique  et 
littéraire,  t.  III,  1899.  p.  109-113.  Sur  ce  combat  du  18  janvier  (et  non  du  U, 
comme  il  est  dit  par  erreur  dans  le  Carnet),  vnir  A.  M.,  B*  50. 


142  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS    LOUIS   XV. 

sa  route  sur  les  Cayes  et  que  <(  s'il  leur  prenait  envie 
d'y  mettre  obstacle,  on  recommencerait  sur  nouveaux 
frais  1'^  ». 

On  pourrait  croire  que  le  mot  d'ordre  de  la  marine 
anglaise  en  cette  année  1741  était  de  courir  sus  à  nos 
bâtiments,  d'essayer  de  les  détruire  et,  en  cas  d'insuccès, 
de  mettre  cette  attaque  avortée  sur  le  compte  d'une  con- 
fusion entre  le  pavillon  français  et  le  pavillon  espagnol. 
En  voici  un  second  exemple,  environ  six  mois  plus  tard. 

Le  chevalier  de  Caylus,  le  comte  de  Pardaillan,  le 
baron  Saurin  de  Murât  revenaient  des  Antilles  à  Toulon 
avec  le  Borée^  V Aquilon  et  la  Flore  ;  en  traversant  le 
détroit  de  Gibraltar,  le  5  août  (1741),  ils  rencontrèrent, 
dans  les  eaux  du  cap  Spartel,  une  division  anglaise,  de 
quatre  vaisseaux  et  d'une  frégate,  qui  naviguait  sous 
pavillon  hollandais.  Le  commandant  anglais,  Barclay, 
détache  une  embarcation  vers  V Aquilon  ;  Pardaillan 
fait  connaître  sa  nationalité.  Les  Anglais  répondent  par 
le  feu  de  leurs  canons  ;  dès  la  première  bordée,  Par- 
daillan est  tué.  Un  combat  s'engage  en  pleine  nuit  ;  il 
dure  trois  heures.  Barclay,  dont  l'escadre  est  endom- 
magée, se  retire  ;  il  envoie  dire  à  Caylus  qu'il  avait  pris 
ses  vaisseaux  pour  des  vaisseaux  espagnols.  Caylus 
répond  avec  ironie  qu'il  n'est  point  fâché  de  cette 
erreur  ;  elle  avait  un  peu  exercé  ses  jeunes  gens  ^^, 
qui  souhaitaient  depuis  longtemps  de  voir  le  feu. 

Voilà  donc  les  fruits  de  la  politique  maritime  de 
Fleury.  Il  avait  cultivé  l'alliance  anglaise  avec  un  soin 

17.  Maurepas  fit  donner  à  d'Êpinay,  à  l'occasion  de  ce  combat,  une 
pension  de  1 500  livres  et  une  de  i  ^30  à  chacun  dfes  trois  autres  comman- 
dants. Etat  sommaire  des  Archives  de  la  Marine,  p.  329. 

18.  Le  chevalier,  plus  tard  bailli  de  Mirabeau,  alors  enseigne  de  vais- 
seau, avait  vaillamjcient  commandé  la  mousqueterie  d-u  Oxjrèe.  — -  Lfe  cSieva- 
11er  de  Carné  élail  ensblgne  sur  le  mCme  vaîsselau. 


143  PRÉLIMINAIRES  DE  LA  RUPTURE  AVEC  l'aNGLETERRE. 

jaloux  ;  ce  qu'il  en  recueillait,  c'étaient  des  injures  gra- 
tuites à  notre  pavillon  ;  il  avait  trop  oublié  qu'un  Etat 
qui  ne  se  fait  pas  respecter  de  son  allié  se  condamne  de 
lui-même  au  mépris  de  celui-ci. 

Mais  Fleury  ne  regardait  pas  du  côté  de  la  mer  ;  âgé 
alors  de  près  de  quatre-vingt-dix  ans,  il  réservait  toute 
son  attention  aux  affaires  du  continent.  La  succession 
d'Autriche  s'était  ouverte  en  octobre  1740  ;  n'ayant  pas 
la  force  de  résister  à  un  parti  qui  le  poussait  à  la 
guerre,  il  engagea  la  France  dans  cette  querelle,  pour 
lui  faire  jouer  le  jeu  de  l'électeur  de  Bavière  et  du  roi 
de  Prusse.  Comment  s'imaginer,  après  ce  qui  se  passait 
sur  mer  depuis  deux  ans  environ,  que  cette  guerre  n'au- 
rait pas  de  répercussion  maritime  ?  L'alliance  anglaise, 
ou  ce  qu'on  appelait  de  ce  nom,  durerait-elle  toujours  ? 
La  chute  de  Robert  Walpole,  en  janvier  1742,  fut  un 
premier  coup  porté  à  son  optimisme  ;  mais  il  s'enfonça 
de  plus  en  plus  dans  les  affaires  continentales.  Maurice 
de  Saxe  entrait  à  Prague,  Belle-Isle  faisait  un  empe- 
reur ;  c'en  était  assez  pour  oublier  la  marine,  s'il  y  avait 
jamais  songé.  Cependant  les  affaires  de  Bohême  prirent 
bien  vite  une  fâcheuse  tournure  ;  il  fallut  évacuer 
Prague.  A  la  mort  de  Fleury  (janvier  1743),  l'horizon 
politique  de  la  France  était  bien  assombri  ;  une  coalition 
continentale  se  formait  en  faveur  de  l'Autriche,  c'est-à- 
dire  contre  nous  ;  sur  mer,  la  guerre  était  déclarée  en 
fait  entre  la  France  et  l'Angleterre. 

De  ces  deux  guerres,  la  guerre  continentale  et  la 
guerre  maritime,  la  première,  au  début  du  moins,  ne 
nous  intéressait  que  d'une  manière  indirecte,  car  il  ne 
s'agissait  pas  de  nous,  mais  de  nos  alliés  d'Allemagne  ; 
la  seconde,  au  contraire,  se  présentait  tout  de  suite  sous 
son  véritable  aspect,  celui  d'un  duel  qui  mettait  en  jeu 
Texislence  de  notre  marine  et  Tindépendance  de  nos 


144  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 

colonies.  Faut-il  dire  que  le  gouvernement  et  l'opinion 
donnèrent  toute  leur  attention  à  la  première  et  se  désin- 
téressèrent à  peu  près  de  la  seconde  ?  Celle-ci  cepen- 
dant allait  se  faire  sur  toutes  les  mers,  Méditerranée, 
mer  du  Nord,  golfe  de  Gascogne,  dans  nos  colonies 
d'Amérique  et  d'Asie  ;  et  nulle  part  ces  campagnes  mari- 
times ne  le  cédèrent,  ni  en  utilité  politique  ni  en  intérêt 
dramatique,  aux  campagnes  de  Franconie,  des  Pays- 
Bas  et  du  Milanais. 


CHAPITRE  IX 

PREMIÈRE  GUERRE  MARITIME  ENTRE  LA  FRANCE  ET  L'ANGLE- 
TERRE. —  1°    LA  MÉDITERRANÉE 


De  Court  La  Bruyère  commandant  l'escadre  de  Toulon.  —  Sa  jonc- 
tion avec  les  Espagnols.  —  Matthews  sur  les  côtes  de  Provence. 
—  Bataille  de  Toulon  (1744).  —  Maurepas  à  Toulon.  —  Les  Anglais 
aux  îles  de  Lérins.  —  Belle-Isle  et  Bompar  à  Toulon. 

Les  Anglais  et  les  Espagnols  n'avaient  pas  besoin  de 
se  poursuivre  jusqu'aux  Antilles  ;  ils  se  rencontraient 
chaque  jour  dans  les  parages  de  Gibraltar  et  de  Mi- 
norque,  puisque  la  perte  de  ces  deux  positions  ne  per- 
mettait plus  aux  vaisseaux  espagnols  de  naviguer  en 
•paix  même  dans  la    Méditerranée.    Les    bâtiments    des 
deux  nations  se  donnaient   la   chasse   jusque    dans   les 
eaux  françaises.  Au  début  de  l'année  1741,  un  combat 
avait  eu  lieu  dans  les  eaux  du  cap  Cépet,  c'est-à-dire 
à  l'entrée  même  de  la  grande  rade    de    Toulon,    entre 
deux  corsaires  de  Majorque  et  un  navire  anglais,   qui 
avait  pris  feu  et  fait  explosion.  11  fallait  donc  armer  à 
Toulon,  même  si  l'on  ne  songeait  qu'à  faire  respecter 
nos  côtes.  Maurepas  donna  l'ordre  de  mettre  à  la  mer, 
en  juillet  1741,    une   escadre    de    douze   vaisseaux  ;   le 
commandement  en  fut  donné  au  lieutenant  général  de 
Court  La  Bruyère. 

Le  duc  de  Richelieu  parlait  ainsi  de  cette  escadre  et 

10 


146  LA   MARINE   MILITAIRE   SOUS   LOUIS   XV. 

de  son  chef  :  <(  L'on  vient  de  faire  un  armement...  Le 
général  a  été  choisi  pour  le  prix  des  petites  fêtes  qu'il 
avait  données  à  M""^  de  M[aurepas]  dans  sa  guinguette. 
Indépendamment  de  l'incapacité  de  M.  de  Court,  les 
vaisseaux  étaient  pourris  et  hors  d'état  de  tenir  la  mer, 
et  l'armement,  sous  la  plus  belle  apparence,  était  dans 
l'essentiel  si  défectueux  qu'il  ne  pouvait  qu'échouer, 
ainsi  qu'il  l'a  fait  ^  »  L'officier  général  qui  commandait 
l'escadre  de  Toulon  avait  d'autres  titres  à  la  désignation 
du  ministre  que  ses  relations  de  société  avec  la  comtesse 
de  Maurepas.  Après  avoir  fait  la  grande  guerre  avec 
Du  Ouesne  et  Tourville,  la  guerre  de  course  avec  Jean 
Bart,  il  avait  été  capitaine  de  pavillon  du  comte  de 
Toulouse  à  bord  du  Foudroyant,  lors  de  la  bataille  de 
Malaga  ;  ses  états  de  service  étaient  fort  honorables, 
mais  ils  s'arrêtaient  à  l'année  1707.  Quand  il  prit  le 
commandement  de  l'escadre  de  Toulon,  il  y  avait  trente- 
quatre  ans  qu'il  n'avait  pas  servi  à  la  mer,  sauf  sa  ré- 
cente croisière  contre  les  Barbaresques  ;  il  avait  alors 
soixante-quinze  ans. 

Le  rajeunissement  des  cadres  ne  préoccupait  pas  à 
cette  époque  l'administration  de  la  marine,  car  de 
Court  n'était  pas  le  seul  vieillard  à  la  tête  de  nos 
escadres.  Lorsque  le  lieutenant  général  comte  de  Ro- 
quefeuil,  qui  commandait  l'escadre  de  Brest,  mourut  en 
mer  sur  son  vaisseau,  en  1744,  il  comptait  soixante- 
deux  ans  de  services. 

Le  maréchal  de  Rochambeau  rapporte  que  son  grand- 
oncle,  le  chevalier  de  Rochambeau,  qui  venait  de  faire 
deux  croisières  avec  une  escadre  de  six  bâtiments,  mal 
carénés  d'ailleurs,  coulant  bas  et  manquant  de  tout, 
avait  été  cassé  par  Maurepas  en  1744  :  il  avait  relâché 

1.  Mémoire  cité  par  Madeepas,  Mémoires,  L  IV,  p.  217. 


PREMIÈRE    GUERRE    MARITIME.  — LA    MÉDITERRANÉE.  14Î 

à  tort  à  Malaga  et  permis  ainsi  à  une  escadre  anglaise 
de  ravitailler  Gibraltar,  dont  les  Espagnols  faisaient  le 
siège.  Tous  les  Rochambeau  étaient  dans  la  douleur  ; 
le  futur  vainqueur  de  Yorktov^^n  ne  partageait  peut-être 
pas  les  sentiments  de  colère  des  siens  contre  la  décision 
ministérielle.  Les  états  de  service  de  <(  mon  vieil  oncle  », 
dit-il,  «  avaient  été  fort  brillants  »  ;  mais  il  était  «  abso- 
lument usé,  ayant  eu  déjà  deux  attaques  d'apoplexie  ^  ». 
De  Court  n'était  pas,  malgré  son  grand  âge,  dans  ce 
triste  état  de  santé. 

Ses  douze  vaisseaux  prirent  la  mer  à  Toulon  le  12  oc- 
tobre 1741  ;  ils  cinglèrent  vers  Barcelone  et  Carthagène  : 
là,  ils  se  réunirent  à  l'escadre  espagnole  de  don  José  de 
Navarro.  C'est  la  première  en  date  des  opérations  com- 
binées entre  les  marines  de  France  et  d'Espagne  dont  la 
guerre  d'Amérique  offrira  plus  d'un  exemple.  Les  deux 
escadres  escortèrent,  en  suivant  les  côtes  de  Provence 
et  de  Ligurie,  un  convoi  militaire  que  Philippe  V  faisait 
passer  en  Italie  et  qui,  grâce  à  cette  double  protection, 
put  heureusement  arriver  à  Spezzia  (février  1742).  De 
Court  et  Navarro,  après  avoir  subi  un  violent  coup  de 
vent,  qui  dispersa  quelques  navires  jusqu'en  Corse, 
étaient  de  retour  à  Toulon  le  22  février. 

Il  en  était  grand  temps  pour  les  seize  vaisseaux  espa- 
gnols ;  leur  délabrement  ne  leur  permettait  pas  de  tenir 
la  mer  davantage  ;  le  dénuement  des  équipages  faisait 
pitié  ;  nus,  misérables,  décimés  par  les  maladies,  les 
matelots  du  roi  Catholique  auraient  eu  besoin  de  longs 
mois  de  repos.  On  caréna  tant  bien  que  mal  les  navires  ; 


2.  Rochambeau  «  passe  généralement  dans  le  corps  de  la  marine  pour 
un  homme  fort  extraordinaire  dans  ses  idées  ;  il  s'écarte  de  temps  en 
temps  du  bon  sens  ».  (Brest,  6  juillet  1744.)  En  lui  retirant  son  comman- 
dement (novembre  1744),  Maurepas  lui  fit  accorder  4  500  livres  h  titre  rt<^ 
demi-solde.  A.  M.,  B*  56.  fol,  311-319,. 


148  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 

on  refît  un  peu  les  équipages   Triste  préface  à  la  guerre 
qui  allait  commencer. 

A  ce  moment  même,  Walpole  tombait  du  pouvoir.  Le 
premier  soin  de  son  successeur,  Carteret,  fut  d'envoyer 
dans  la  Méditerranée  une  escadre  de  vingt-huit  vais- 
seaux, avec  l'amiral  Matthews  :  le  27  avril  (1742),  elle 
mouillait  en  face  de  Toulon  et  y  établisasait  une  croi- 
sière rigoureuse.  Elle  prétendait  ne  bloquer  que 
l'escadre  de  Navarro,  car  la  paix  n'était  pas  officiel- 
lement rompue  entre  Paris  et  Londres  ;  en  fait,  elle 
bloquait  tout  aussi  bien  l'escadre  française.  Matthev^^s 
faisait  saisir  nos  bâtiments  de  commerce  jusque  dans 
les  eaux  du  cap  Cépet  ;  en  juin,  dans  le  port  même  de 
Saint-Tropez,  il  faisait  brûler  cinq  galères  espagnoles 
qui  s'y  étaient  réfugiées,  et  dont  les  carcasses  devaient 
boucher  l'entrée  du  port  jusqu'en  1748  ;  le  15  décembre, 
il  menaçait  de  mettre  le  feu  à  Saint-Tropez,  si  l'on  n'en 
faisait  pas  sortir  deux  bâtiments  espagnols.  Que  ne 
pouvait-il  pas  se  permettre  avec  la  longanimité  éton- 
nante de  notre  gouvernement  ?  Il  mouillait  à  son  aise 
aux  îles  d'Hyères,  il  y  établissait  un  campement  à  Port- 
Cros  pour  ses  malades,  il  y  recevait  ses  convois  de 
Mahon,  il  y  carénait  ses  navires,  il  y  faisait  des  exer- 
cices de  tir.  En  avril  et  en  juin  1743,  des  batteries  du 
cap  Cépet  tirèrent  quelques  coups  de  canon  sur  un  bri- 
gantin  et  sur  un  croiseur  anglais  qui  poursuivaient  des 
bâtiments  français  ;  Matthews  se  plaignit,  on  lui  ré- 
pondit par  des  explications  et  les  deux  affaires  se  termi- 
nèrent par  des  politesses  réciproques.  Sait-on  combien 
de  temps  dura  cette  croisière  inconcevable  et  ce  blocus 
non  déguisé  de  notre  grand  port  provençal  ?  Tout  près 
de  deux  ans,  exactement  vingt-deux  mois,  d'avril  1742 
à  février  1744. 

Cependant  on  avait  fait  à  Toulon  quelques  préparatifs 


PREmÈRE    GUERRE    MARITIME. — LA    MÉDITERRANÉE.  149 

de  défense.  Le  marquis  de  Mirepoix,  gouverneur  de  la 
Provence,  avait  fait  mettre  les  batteries  en  état  ;  l'amiral 
Navarro,  fort  inquiet  de  l'audace  des  Anglais,  avait  fait 
passer  son  escadre  de  la  petite  rade  dans  le  port  même  ; 
de  Court  avait  armé  en  brûlots  deux  petits  navires  mar- 
chands de  deux  cents  tonneaux  ;  il  avait  construit,  pour 
barrer  la  rade,  une  estacade  formée  de  deux,  puis  de 
quatre  chaînes  de  mâts,  mais  la  violence  de  la  mer 
l'avait  à  peu  près  brisée,  et  c'eût  été  une  défense  bien 
imparfaite,  si  Matthews  avait  voulu  forcer  la  passe.  A 
la  fin  de  1742,  de  nouveaux  renforts  avaient  porté  les 
forces  anglaises  à  trente-huit  vaisseaux. 

La  mort  de  Fleury,  le  29  janvier  1743,  parut  ne  rien 
changer  d'abord  à  nos  rapports  avec  l'Angleterre,  tou- 
jours amicaux  en  apparence.  Cependant  c'était  le  roi 
d'Angleterre  en  personne  que  le  duc  de  Noailles  ren- 
contrait à  la  bataille  de  Dettingen;  c'était  lui  qui,  dans 
son  propre  camp,  à  Worms,  nouait  une  coalition  contre 
nous.  La  France  ne  rompit  pas  encore;  elle  se  borna  à 
signer  une  alliance  avec  l'Espagne  (15  octobre  1743), 
sorte  de  pacte  de  famille,  par  lequel  Louis  XV  s'enga- 
geait à  procurer  un  établissement  en  Italie  à  l'infant 
don  Philippe.  Il  fut  dans  la  destinée  de  notre  politique 
étrangère  sous  le  règne  de  Louis  XV  de  ne  travailler 
jamais  que  pour  autrui,  roi  d'Angleterre,  roi  de  Prusse, 
infants  d'Espagne,  archiduchesse  d'Autriche  ;  n'avions- 
nous  donc  pas  nos  intérêts  propres,  ceux  de  notre  ma- 
rine et  de  nos  colonies?  Enfm,  l'ordre  fut  donné  à  de' 
Court  de  protéger  ouvertement  la  sortie  de  l'escadre 
espagnole.  Celle-ci  aurait  pu  sortir  vers  le  mois  de 
juillet  et  d'août  (1743).  Mathews,  avec  une  partie  de  sa 
flotte,  s'était  porté  alors  devant  Gênes,  pour  y  saisir 
quelques  chébecs  qui  transportaient  de  l'artillerie  pour 
les  Espagnols  ;  mais  Navarro  ne  put  ou  ne  voulut  appa- 


150 


LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 


reiller  à  temps  ;  il  était  toujours  enfermé  dans  le  port, 
quand  les  Anglais  vinrent  reprendre  leur  blocus. 

L'armement  des  deux  escadres  combinées  ne  se  fit 
pas  sans  beaucoup  de  lenteurs  et  de  difficultés.  Maurepas, 
impatient,  gourmandait  l'intendant  ;  celui-ci,  M.  de 
Villeblanche,  protestait  dé  son  activité  et  rejetait  la 
cause  des  retards  sur  le  vagabondage  et  la  désertion  des 
équipages,  qui  étaient  en  effet  de  véritables  fléaux.  Ce 
fut  seulement  au  mois  de  janvier  1744  qu'on  commença 
à  parler  du  jour  de  la  sortie  ;  de  Court  fit  détruire  ce 
qui  restait  de  l'estacade  et  dirigea  une  courte  reconnais- 
sance du  côté  d'Hyères.  Matthews,  qui  avait  un  excel- 
lent service  de  surveillance,  ne  manqua  pas  de  saluer 
l'amiral  français,  à  Fétonnement  de  celui-ci,  de  onze 
coups  de  canon  :  c'était  le  salut  de  parade,  ironique 
peut-être  ici,  qui  précède  le  duel. 

Le  19  février  au  soir,  les  escadres  alliées  firent  un  pre- 
mier appareillage,  pour  mouiller  sous  le  fort  Sainte- 
Marguerite  ;  puis  le  22  au  matin,  par  la  brise 
d'est,  elles  sortirent  tout  à  fait  de  la  grande 
rade  et  mirent  le  cap  au  sud.  En  tête,  l'avant- 
garde  française,  de  neuf  vaisseaux,  était  com- 
mandée par  le  chef  d'escadre  Cabaret,  qui  portait  un 
nom  illustre  dans  notre  marine  ;  il  montait  ïEspérance, 
de  soixante-quatorze  canons.  Au  centre,  le  corps  de 
bataille,  de  sept  vaisseaux  français  et  de  trois  vaisseaux 
espagnols,  était  sous  les  ordres  du  lieutenant  général 
de  Court  ;  son  pavillon  flottait  sur  le  Terrible,  de 
soixante-quatorze  canons,  dont  le  commandant  était  le 
capitaine  de  vaisseau  La  Jonquière.  En  queue,  l'arrière- 
garde  espagnole,  de  neuf  vaisseaux,  était  commandée 
par  l'amiral  Navarro  ;  il  montait  le  Real-Felipe^  de 
cent  dix  canons,  vaisseau    d'aspect  superbe,  qui  se  con- 


PRElvnÈRE    GUERRE    MARITIME. — LA    MÉDITERRANÉE.  151 

duisit  1res  bravement  au  feu.  Les  alliés  comptaient  donc 
vingt-huit  voiles,  soit  seize  françaises  et  douze  espa- 
gnoles 3. 

L'ordre  de  marche  était  de  ne  laisser  aucun  inter- 
valle entre  les  navires,  chaque  vaisseau  devant  être  au  plus 
à  soixante  toises  du  précédent,  de  la  proue  à  la  poupe, 
soit  cent  vingt  mètres.  On  peut  se  demander  comment 
les  capitaines  pouvaient  tenir  leurs  bâtiments  à  une 
aussi  faible  distance  les  uns  des  autres  et  éviter  les 
abordages  ;  de  Court  affirme  du  moins  que  les  Français 
marchaient  dans  cet  ordre,  mais  que  l'arrière-garde  ne 
l'observait  pas. 

Matthews,  qui  était  aux  îles  d'Hyères  avec  trente- 
trois  vaisseaux  et  neuf  frégates,  avait  commencé  son 
appareillage  le  19  ;  le  22,  il  prit  la  môme  direction  que 
les  alliés,  en  ayant  le  précieux  avantage  du  vent.  Les 
Anglais  marchaient  ainsi  :  le  contre-amiral  Rowley  en 
tête,  Matthews  au  centre,  sur  le  Namur^  de  quatre-vingt- 
dix  canons,  le  vice-amiral  Lestock  à  l'arrière-garde. 
Les  Franco-Espagnols  avaient  une  légère  avance  ; 
aussi,  lorsque  le  contact  des  deux  armées  navales  se 
fit,  sous  le  cap  Sicié,  vers  une  heure  et  demie  de  l'après- 
midi,  les  deux  lignes  de  bataille  ne  coïncidaient  pas 
dans  toute  leur  longueur.  Trois  vaisseaux  du  centre 
anglais,  Norlolk,  Namur,  Marlborough,  se  trouvaient 
à  portée  de  canon  de  notre  arrière-garde,  soit  des  quatre 
vaisseaux  espagnols,  Poder,  Constante,  Real-Felipe, 
Isabella. 

L'amiral  anglais  remarqua  que  les  Espagnols  mar- 
chaient avec  peu  d'ordre  ;  cette  division  de  quatre  vais- 
seaux était  à  peu  près  isolée,   le  centre  français  étant 

3.  Voir  l'Appendice  III.  —  Saffren,  qui  était  garde-marine  à  Toulon  depuis 
le  30  octot)re  1743,  était  embarqué  sur  le  Solide  ;  ce  fut  sa  première  cam- 
pagne. Il  avait  quatorze  ans  et  demi. 


152  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 

à  deux  milles  en  avant  du  Poder^  le  reste  de  l'arrière- 
garde  espagnole  étant  à  un  bon  mille  en  arrière  de 
VIsabella.  Il  ouvrit  contre  elle  une  terrible  canonnade  ; 
mais  lui-même  n'était  soutenu  ni  par  son  arrière-garde 
(Lestock),  qui  n'était  pas  encore  en  ligne,  ni  par  son 
avant-garde  (Rcwley),  qui  était  à  la  hauteur  du  centre 
français.  Quand  l'action  était  déjà  engagée  entre  les 
Anglais  et  les  Espagnols,  les  Français  et  les  Anglais, 
qui  étaient  cependant  à  portée,  ne  se  servaient  point  de 
leur  artillerie,  peut-être  en  vertu  de  cette  fiction  que  la 
guerre  n'était  point  officiellement  déclarée  entre  les 
deux  couronnes  et  qu^  la  mission  des  Français  était 
simplement  de  faire  sortir  l'escadre  espagnole  ;  mais  il 
est  des  cas  où  les  boulets  partent  tout  seuls,  comme  on 
le  vit  bientôt  ici. 

Toute  l'action  était  entre  les  trois  vaisseaux  anglais 
(deux  cent  soixante  canons)  et  les  quatre  vaisseaux  es- 
pagnols (trois  cent  douze  canons).  Un  vaisseau  de 
l'avant-garde  anglaise,  le  Berwick,  de  soixante-dix  ca- 
nons, commandé  par  l'énergique  capitaine  Hawke,  le 
futur  vainqueur  de  Quiberon,  vint  se  joindre  à  la  di- 
vision de  Matlhews.  Un  violent  duel  d'artillerie  éclata 
alors  entre  le  Berwick  et  le  Poder,  qui  était  à  peu  près 
isolé  entre  notre  centre  et  le  Constante  ;  il  dura  deux 
heures  et  se  fit  presque  bord  à  bord.  Le  commandant 
espagnol  dut  amener  son  pavillon,  il  avait  deux  cents 
hommes  hors  de  combat  ^. 

Le  feu  était  terrible  dans  les  parages  du  Real-Felipe. 
Ce  vaissseau  fit  une  résistance  admirable  et,  en  fin  de 

4.  La  vigoureuse  conduite  de  Hawke,  qui  avait  tranché  dans  cette 
circonstance  avec  l'indécision  des  commandants  anglais,  lui  valut  le  grade 
de  contre-amiral,  dont  George  II  lui-même  eut  la  première  idée.  Burrows, 
The  FAfe  of  Edward  lord  Hawke,  Londres,  1883.  —  La  biographie  militaire 
de  Hawke  fait  partie  du  livre  de  Mahan,  Types  of  naval  offlcers,  Londres, 
1902. 


PREMIÈRE    GUERRE    MARITIME.  — LA    MÉDITERRANÉE.  153 

compte,  victorieuse,  grâce  à  ses  cent  dix  pièces,  grâce 
surtout  à  son  commandant,  le  Français  de  Lage  de 
Cueilly,  qui  était  alors  au  service  du  roi  Catho- 
lique et  qui  devait  commander  l'escadre  du  roi  Très- 
Chrétien  dans  la  Méditerranée  en  1745  et  1746  5.  Il  a 
laissé  un  récit  très  détaillé  du  duel  du  Real-Felipe  et 
des  vaisseaux  anglais.  Il  en  fut  lui-même  le  héros,  car 
il  eut  le  commandement  du  vaisseau  pendant  presque 
toute  la  durée  du  combat  ;  l'amiral  don  Navarro,  qui 
avait  été  blessé,  avait  disparu  <(  à  fond  de  cale  »,  ce 
qui  ne  devait  pas  l'empêcher  de  se  faire  donner  par 
Philippe  V  le  titre  de  marquis  de  la  Vittoria. 

De  Lage,  qui  avait  parfois  une  fougue  endiablée, 
raconte  un  épisode  amusant.  Au  moment  où  la  bataille 
allait  s'engager,  l'aumônier  commença  une  exhortation, 
«  qui  allait  devenir  longue,  si  je  ne  l'eusse  interrompue. 
Je  montai  sur  un  banc  à  côté  de  lui,  et  après  avoir 
tourné  mon  chapeau  en  l'air  et  poussé  deux  cris  de 
Vive  le  Roi  !  je  dis  :  <(  Messieurs,  l'aumônier  nous 
((  absout  de  tout  ce  que  nous  avons  fait.  Je  lui  ai  con- 
«  seillé  d'aller  à  la  cale  où  son  devoir  l'appelle.  )>  Autre 
épisode  d'une  autre  nature.  Matthews,  croyant  avoir 
réduit  au  silence  le  vaisseau  espagnol,  lança  un  brûlot 
contre  lui  ;  les  survivants  du  Real-Felipe  parlaient  de  se 
rendre.  «  Vous  avez  donc  oublié,  s'écrie  de  Lage,  que 
je  suis  ici.  »  Un  coup  bien  pointé  atteignit  le  brûlot,  qui 
fît  explosion  et  coula. 

Cependant  de  Court,   qui  avait  échangé  une  canon- 
nade assez  molle  d'ailleurs,   de  deux  heures  et  demie 

5.  Son  séjour  au  port  de  Toulon  à  cette  date  fut  marqué  par  de  nom- 
breuses difficultés  avec  les  officiers  et  les  équipages,  à  cause  de  sa  dureté 
dans  le  commandement  et  surtout  de  la  violence  presque  sauvage  qu'il 
apportait  au  recrutement  des  matelots.  —  Il  fut  aussi  chef  d'escadre  à 
titre  temporaire  à  Dunkerque  en  1747.  Etat  sommaire  des  Archives  de  la 
Marine,  p.  335. 


154  LA   MARINE    MILITAÎRE    SOUS   LOUIS   XV. 

environ,  avec  Rowley,  fit  signe  à  l'avant-garde  et  au 
centre  de  revirer  de  bord  pour  aller  au  secours  du  Real- 
Felipe.  Ce  mouvement  s'exécuta  avec  assez  de  lenteur, 
mais  avec  succès,  et,  détail  curieux,  sans  avoir  été  con- 
trarié par  Rowley,  qui  procéda  à  un  mouvement  ana- 
logue. De  Court,  qui  à  présent  était  au  vent,  vint  s'inter- 
poser entre  les  Espagnols  et  le  centre  anglais.  Un 
officier  de  V Aquilon^  l'enseigne  Tayac  de  Calvimont^ 
envoyé  avec  soixante  hommes  à  bord  du  Poder^  reprit 
ce  vaisseau  à  l'Anglais  Vernon  ;  il  fallut  d'ailleurs  le 
faire  sauter  le  lendemain,  parce  qu'il  était  hors  d'état 
d'être  sauvé.  Cette  manœuvre  de  l'amiral  français,  la 
tombée  de  la  nuit,  l'épuisement  de  la  petite  division  de 
Matthews,  dont  le  Marlborough  était  en  fort  mauvais 
état,  mirent  fin  à  la  bataille,  les  deux  armées  restant 
d'ailleurs  à  proximité.  Le  Beal-Feîipe  était  sauvé  ;  sur 
un  équipage  d'un  millier  d'hommes,  il  avait  deux  cent 
trente-huit  morts  et  deux  cent  soixante-deux  blessés. 

Le  lendemain,  23  février,  un  vaisseau  espagnol,  VHer- 
cule,  de  soixante  canons,  qui  faisait  partie  de  cette 
extrême  arrière-garde  espagnole  restée,  on  ne  sait 
pourquoi,  spectatrice  oisive  de  la  bataille,  était  aux 
prises  avec  les  Anglais  ;  mais  de  Court  fit  le  signal  de 
gagner  le  large  et  l'ennemi  cessa  la  poursuite.  Les 
Franco-Espagnols  renoncèrent  au  projet  primitif  de 
gagner  Gênes,  car  il  leur  aurait  fallu  traverser  la  ligne 
ennemie  ;  ils  mirent  le  cap  sur  l'Espagne  et  gagnèrent 
sans  encombre  Alicante,  puis  Carthagène.  Matthews 
alla  relâcher  à  Mahon  pour  se  radouber.  Quant  à  de 
Court,  après  avoir  mis  en  sûreté  l'escadre  de  don  Na- 
varro,  il  rentrait  à  Toulon  le  L3  avril  ;  il  avait  capturé 
au  retour  quatre  bâtiments  de  commerce  anglais. 

6.  Tayac  de  Calvimont.  De  Guyenne.  G.,  25  nov.  1732;  E.,  l"  mai  1741; 
R.   1760.  A.   M..   C   168. 


PREAflÈRE    GUERRE    MARITIME.  — LA    MÉDITERRANÉE.  155 

Telle  est  celte  bataille  navale  de  Toulon,  du  22  fé- 
vrier 1744'^.  Chacune  des  deux  armées  pouvait  s'attri- 
buer la  victoire.  Les  Anglais  avaient  empêché  les  alliés 
de  gagner  le  port  de  Gênes  ;  les  alliés  étaient  sortis  de 
Toulon  et,  à  l'exception  d'un  vaisseau,  avaient  sauvé 
tous  leurs  vaisseaux.  Action  décousue,  bataille  indécise. 

Après  la  bataille,  les  officiers  généraux  de  chaque 
escadre  s'imputèrent  mutuellement  la  responsabilité  de 
leur  insuccès.  Malthews  accusa  Lestock  d'être  resté  tout 
le  temps  avec  son  arrière-garde  en  dehors  de  l'action  ; 
Lestock  fut  acquitté.  Quant  à  l'amiral  anglais,  coupable 
de  n'avoir  vaincu  qu'à  demi,  on  parvint  à  lui  reprocher 
diverses  fautes  de  tactique,  à  peu  près  autant,  dit  de 
Lage,  que  les  Espagnols  lui  avaient  tiré  de  coups  de 
canon  ;  après  un  long  procès,  un  conseil  d'enquête  le 
déclara  incapable  de  servir. 

De  Court  faillit  être  traité  aussi  mal  et  aussi  injuste- 
ment. Malgré  sa  belle  manœuvre  qui  lui  avait  permis 
de  reprendre  le  Poder  et  de  sauver  le  Real-Felipe,  les 
Espagnols,  à  leur  retour,  prétendirent  que,  loin  de  les 
avoir  secourus,  il  leur  avait  laissé  porter  tout  le  poids  de 
la  bataille  et  qu'il  les  avait  sacrifiés.  Philippe  V,  qui 
avait  fait  don  Navarro  lieutenant  général  et  marquis 
avec  une  pension  de  4  000  livres,  transmit  à  Louis  XV 
les  plaintes  de  son  amiral.  Le  23  avril,  dix  jours  après 
son  retour,  de  Court  recevait  l'ordre  de  remettre  le 
commandement  de  l'escadre  à  Cabaret  et  de  se  retirer 
dans  sa  terre  de  Gournay  ;  on  lui  reprochait  encore  de 
n'avoir  pas  capturé,  quand  il  regagnait  Toulon,  deux 

7.  Chabaud-Arnault  en  a  fait  une  étude  critique  et  détaillée,  U.  M.  C, 
t.  ex,  p.  379-390.  On  a  suivi  en  partie  son  récit,  en  le  complétant  ou  en  le 
corrigeant  par  divers  documents,  ainsi  la  Relation  du  combat  naval  qui 
s'est  donné  sur  les  côtes  de  Provence,  le  Si  février  1744,  entre  les  escadres 
combinées  de  France  et  d'Espagne  et  les  Anglais  [par  M.  de  Court],  et 
les  Mémoires  da  M.  de  Lage  de  Cut;illy,  Amsterdam,  1746.  Cf.  A.  M.,  B*  56. 


156  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV.  -^ 

vaisseaux  anglais  mouillés  aux  îles  d'Hyères  et  de 
n'avoir  pas  escorté  un  convoi  qui  devait  conduire  des 
munitions  au  prince  de  Conti  sur  la  frontière  du  Var. 

De  Lage,  dans  ses  Mémoires,  justifie  complètement 
le  vieil  amiral  des  singuliers  reproches  de  nos  alliés  ^. 
Pour  celui-ci,  on  comprend  que,  dans  sa  Relation,  il  ait 
exprimé  crûment  la  vérité  :  «  L'on  peut  dire...  qu'un 
peu  plus  d'ordre  dans  les  Espagnols  aurait  empêché 
M.  Matthews  de  les  attaquer.  Voilà  ce  qui  a  attiré  au 
général  français  la  haine  de  ces  Espagnols  ou  qui 
étaient  à  fond  de  cale  pour  de  légères  blessures,  ou  qui 
se  sont  tenus  trop  loin  des  coups  pour  en  juger,  ou  qui 
ont  abandonné  sans  ordre  leur  général.  »  Exilé  dans 
sa  belle  maison  de  Gournay,  de  Court  continua  à  y 
donner  des  fêtes  ;  il  fut  relevé  de  sa  disgrâce  par  le 
successeur  de  Maurepas,  de  qui  il  reçut,  en  1750,  le 
titre,  d'ailleurs  honorifique,  de  vice-amiral  du  Ponant 
et  la  grande  croix  de  Saint-Louis  ;  il  mourut  le 
19  août  1752,  à  quatre-vingt-six  ans  et  demi. 

La  bataille  de  Toulon  avait  amené,  le  15  mars  suivant, 
la  déclaration  officielle  de  guerre  de  Louis  XV  à 
George  IL  Les  Français  et  les  Anglais  étaient  dès  lors 
directement  aux  prises  sur  la  Méditerranée,  où  ils  ne 
s'étaient  pas  rencontrés  depuis  quarante  ans,  depuis  la 
journée  de  Malaga.  La  guerre  maritime  devait  y  durer 
quatre  ans,  jusqu'à  la  paix  d'Aix-la-Chapelle  ;  mais  elle 
se  borna  à  des  opérations  secondaires,  et  la  journée  du 
22  février  n'eut  pas  de  lendemains  dignes  d'elle. 

Le  bruit  courut,  après  la  bataille  de  Toulon,  que  les 
Anglais  avaient  résolu   de    bombarder    Marseille    par 


8.  Le  chevalier  de  Mirabeau,  qui  avait  pris  part  à  la  bataille  de  Toulon 
comme  enseigne  et  qui  y  fut  blessé  au  pied,  écrivit  à  ce  propos  deux 
mémoires  en  faveur  de  l'amiral  français.  Lomênie.  Les  Mirabeau,  t.  I, 
p    149,   168. 


PREMIÈRE    GUERRE    MARITIME.  — LA    MÉDITERRANÉE.  157 

mer  ;  on  se  hâta  d'armer  dans  ce  port  une  division  na- 
vale de  quatre  gros  bateaux,  portant  chacun  douze 
pierriers,  de  deux  galères  et  d'un  brûlot,  sous  les  ordres 
du  chevalier  de  Fontette,  capitaine  de  galère  ^.  Sage  pré- 
caution sans  doute,  mais  en  harmonie  avec  cette  con- 
ception vicieuse  de  la  tactique  purement  défensive,  qui 
fut  en  honneur  dans  la  marine  française  pendant 
presque  tout  le  règne  de  Louis  XV  et  qui  fut  si  domma- 
geable à  nos  populations  maritimes.  D'ailleurs  les  An- 
glais se  bornèrent  à  apparaître  à  plusieurs  reprises 
dans  la  rade  de  Marseille,  sans  faire  aucune  tentative 
de  bombardement. 

Maurepas  se  rendit  à  Toulon  à  la  fin  de  mai  (1744), 
pour  voir  par  lui-même  l'état  des  forces  navales  du  Le- 
vant et  remédier  à  certains  maux,  dont  le  moindre 
n'était  pas  la  désertion  trop  fréquente  des  équipages. 
A  son  voyage  se  rattachent  diverses  mesures.  Le  chef 
d'escadre  Cabaret  étant  mort,  peu  après  avoir  succédé 
à  de  Court,  le  ministre  prit  le  parti  de  ne  pas  le  rem- 
placer dans  son  commandement  supérieur,  mais  de 
partager  l'escadre  en  plusieurs  divisions,  de  quatre  à 
cinq  bâtiments  chacune  ;  elles  furent  commandées  par 
le  comte  de  Vaudreuil,  le  chevalier  de  Piosin,  le  che- 
valier de  Caylus,  La  Jonquière  de  La  Pommarède.  L'idée 
était  bonne  au  point  de  vue  militaire  ;  elle  permit  de 
faire  des  croisières  heureuses,  à  Malte,  à  Tunis,  dans  le 
Levant,  à  Cibraltar  et  à  Cadix.  Elle  permit  encore  de 
soutenir,  par  quelques  convois  maritimes,  les  opérations 
de  terre  que  l'infant  don  Philippe  et  le  prince  de  Conti 
faisaient  alors  à  la  frontière  du  Var. 

En  avril,  ils  franchissaient  le  Var  et  entraient  à  Nice  ; 
il  y  eut  une  affaire  très  chaude  à  l'occupation  de  Ville- 

9.  Chevalier  de  Fontette.   GE.,   1705  ;   capitaine  de  galère.   1"  oct.   1732  ; 
CE.,  1"  Janv.   1754  ;  •{■  15  mars  1767.  A.  M.,   C   166. 


158  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 

franche.  Matthews,  après  avoir  relâché  à  Port-Mahon, 
était  revenu  mouiller  dans  cette  rade  et  y  avait  débarqué 
une  partie  de  ses  équipages  pour  renforcer  l'armée  pié- 
montaise  ;  l'attaque  des  Franco-Espagnols  fut  si  vive 
que  l'amiral  et  ses  matelots  faillirent  être  pris.  L'escadre 
anglaise  dut  s'empresser  de  quitter  un  mouillage  où 
elle  n'était  plus  en  sûreté. 

Cependant  la  difficulté  de  recruter  les  équipages  res- 
tait très  grande  ;  cette  question,  vitale  entre  toutes,  que 
Golbert  avait  cru  résoudre  avec  le  système  des  classes, 
fut,  au  cours  du  xvnf  siècle,  un  des  gros  obstacles  au 
progrès  de  notre  marine.  A  Toulon,  elle  se  compliquait 
d'un  état  de  misère  permanent,  conséquence  d'une 
situation  hygiénique  déplorable.  En  1744,  les  trois 
quarts  des  Toulonnais  avaient  été  atteints  d'une  épi- 
démie de  fièvres  infectieuses.  Aussi,  quand  le  chevalier 
de  Piosin  mit  à  la  mer  le  22  août,  ses  équipages  étaient 
loin  d'être  au  complet. 

Maurepas,  frappé  de  ce  désordre  et  d'autres  encore 
pendant  son  séjour  à  Toulon,  voulut  y  remédier  par 
une  institution  nouvelle  (janvier  1745)  ;  on  peut  y  voir 
l'origine  des  fonctions  de  nos  préfets  maritimes.  Jus- 
qu'alors le  comm.andement  de  la  marine  dans  chaque 
port  militaire  appartenait  à  l'officier  général  le  plus 
ancien  qui  était  présent  au  port  ;  c'était,  par  suite,  une 
fonction  essentiellement  temporaire,  dans  laquelle  le 
titulaire,  qui  n'était  là  qu'en  passant,  ne  pouvait  jamais 
entreprendre  une  œuvre  de  longue  haleine.  Désormais, 
ce  commandement  constitua  un  emploi  spécial  et  fixe  ; 
l'esprit  de  suite  devint  possible  dans  les  divers  services 
militaires  qui  intéressaient  les  ports.  Le  premier  com- 
mandant de  la  marine  au  port  de  Toulon  fut  d'Orves 
Martini,  chef  d'escadre,  qui  avait  jadis  servi  avec  Châ- 
teau-Renault. 


PREMIÈRE    GUERRE    MARITIME.  —  LA    MÉDITERRANÉE.  159 

En  1745,  le  V  avril,  une  escadre  anglaise  de  seize 
vaisseaux  et  de  quatre  galiotes  apparaissait  encore  de- 
vant Toulon  et  courait  le  long  de  la  côte  jusqu'à  Gênes, 
en  bombardant  Savone  et  San-Remo.  «  Ces  messieurs, 
écrivait  d'Orves,  tonnent  volontiers  sur  les  choux.  »  Il 
fallut  mettre  Toulon  en  état  de  défense  :  on  arma  quinze 
cents  matelots  pour  le  service  des  batteries  ;  on  donna 
à  chaque  ouvrier  de  l'arsenal  une  sorte  de  livret  de 
mobilisation,  qui  lui  indiquait  sa  place  aux  batteries  de 
la  rade  en  cas  d'alarme  ;  on  fît  même  des  simulacres  de 
branle-bas  de  combat  ;  mais  pour  défendre  un  port,  il 
faut  une  escadre  de  croiseurs  capables  de  tenir  l'ennemi 
à  distance,  et  Toulon  n'en  possédait  point.  Tout  ce  que 
l'on  put  faire,  ce  fut  de  donner  un  vaisseau  et  deux  fré- 
gates, VOrillamme,  la  Diane  et  la  Volage,  à  M.  de  Lage, 
qui  était  devenu  la  terreur  des  matelots  provençaux 
pour  sa  singulière  manière  de  les  recruter  et  de  les 
traiter.  La  Volage  soutint  dans  les  eaux  de  Rosas  un 
duel  victorieux  contre  un  vaisseau  anglais  de  soixante- 
quatorze  canons  :  épisode  glorieux,  mais  sans  consé- 
quences militaires  pour  notre  sécurité  dans  la  Méditer- 
ranée. 

En  1746,  la  France  maritime  put  se  croire  revenue 
aux  heures  douloureuses  de  la  guerre  de  la  Succession 
d'Espagne.  Les  Anglais  débarquaient  à  Lorient  ;  ils  se 
montraient  encore  devant  Toulon,  qui,  sur  terre,  était 
aussi  menacé  par  une  armée  austro-piémontaise.  11  sem- 
blait que  le  siège  de  1707  allait  recommencer.  On  se 
hâta  de  lever  deux  mille  paysans  pour  des  travaux  de 
terrassement  ;  on  construisit  de  nouveaux  ouvrages  ; 
on  fit  venir  quatre  galères  de  Marseille  ;  on  embossa 
six  vaisseaux  dans  la  petite  rade,  à  la  hauteur  du  Mou- 
rillon,  en  les  entourant  d'un  blindage  solide  ;  on  em- 
balla tous  les  papiers  administratifs  pour  les  transporter 


160  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 

à  Arles,  comme  en  1707.  Tout  cela  était  la  meilleure 
preuve  que  Toulon  était  à  la  merci  d'un  coup  de  main 
et  qu'on  n'avait  pas  plus  préparé  la  défense  fixe  que  la 
défense  mobile.  Une  escadre  anglaise  de  vingt  vaisseaux 
et  de  deux  galiotes  à  bombes  vint  bombarder  les  îles 
Sainte-Marguerite  et  Saint-Honorat,  à  la  hauteur  de 
Cannes  ;  le  commandant  français  Aubry  y  capitula  le 
16  décembre  1746.  De  là,  les  vaisseaux  anglais  se  por- 
tèrent devant  Antibes  et  bombardèrent  le  port  durant 
quinze  jours  (janvier  1747)  ;  ils  savaient  bien  qu'on 
ne  viendrait  pas  les  déranger  par  mer. 

Le  maréchal  de  Belle-Isle,  arrivé  à  Toulon  le  1"  dé- 
cembre, y  organisa  une  petite  armée  ;  il  prit  l'offensive 
îe  19  janvier  (1747).  Il  parvint  à  faire  lever  le  siège  d'An- 
tibes  aux  Anglais  (3  février)  et  il  rejeta  les  Austro- 
Piémontais  au  delà  du  Var. 

On  s'occupa  ensuite  de  reprendre  les  îles  de  Lérins. 
Avec  la  pénurie  du  port  de  Toulon  et  les  menaces  ré- 
pétées des  Anglais,  il  fut  très  difficile  d'armer  une  flot- 
tille de  quelques  galères  et  bateaux  pêcheurs.  Pour 
faire  arriver  des  secours  à  Gênes,  alors  insurgée  contre 
l'Autriche,  et  pour  éviter  les  Anglais  qui  croisaient  vers 
Monaco,  on  était  obligé  de  faire  passer  les  tartanes 
d'Antibes  par  Calvi  ou  même  par  le  détroit  de  Boni- 
facio.  Aussi  fallut-il  près  de  cinq  mois  au  capitaine  de 
vaisseau  Bompar  pour  réunir  les  navires  qui  devaient 
transporter  les  soldats  de  Chevert  à  quelques  heures 
à  peine  de  Toulon.  Bompar  prenait  enfin  la  mer  le 
22  avril  ;  le  bombardement  des  îles  Lérins  ne  commen- 
çait que  le  11  mai  ;  le  27,  la  descente  avait  lieu  avec 
succès  et  Chevert  faisait  cinq  cents  prisonniers.  Le 
rapport  officiel  sur  cette  affaire,  inséré  dans  la  Gazette, 
ne  faisait  pas  mention  du  rôle  de  la  marine,  à  laquelle 
cependant  le  maréchal  de  Belle-Isle  avait  rendu  justice. 


PREMIÈRE    GUERRE    MARITIME.  — LA    MEDITERRANEE.  161 

M.  d'Orves  se  plaignît  avec  raison  de  ce  silence  ;  les 
marins  voulurent  y  voir  une  manœuvre  désagréable  de 
leurs  camarades  de  l'armée  de  terre,  jaloux  peut-être 
de  la  supériorité  avec  laquelle  les  <(  bombardiers  »  des 
équipages  de  la  flotte  avaient  exécuté  leur  tir. 

Bompar  commandait  encore  en  1748  trois  vaisseaux, 
le  Conquérant,  le  Content,  VOrillanime,  qu'on  venait 
d'armer  à  Toulon  à  destination  des  Indes  ;  mais  il  ne  dé- 
passa pas  Cadix,  car  la  paix  d'Aix-la-Chapelle  allait  être 
signée.  Il  en  était  temps  ;  l'épuisement  du  port  de 
Toulon  en  matéreil,  en  matelots,  en  approvisionne- 
ments de  tout  genre  était  extrême. 


Il 


CHAPITRE  X 

PREMIÈRE  GUERRE  MARITIME  ENTRE  LA  FRANCE  ET  l'aNGLE- 
TERRE.  —  2°  LA  MANCHE  ET  LA  AŒR  DU  NORD 


Le  cardinal  de  Tencin  et  la  restauration  jacobite.  —  Charles-Edouard, 
Maurice  de  Saxe,  Roquefeuil.  —  Charles-Edouard  en  Ecosse.  — 
Abandon  d  un  nouveau  projet  de  descente. 

Depuis  la  journée  du  22  février  1744,  l'escadre  de 
Toulon  avait  été  réduite  à  une  défensive  qui,  trop  sou- 
vent, fut  bien  modeste  et  peu  heureuse.  Dans  la  Manche 
et  dans  la  mer  du  Nord,  notre  marine  donna  à  un  mo- 
ment l'illusion  d'une  plus  grande  audace  ;  elle  se  pré- 
para à  transporter  nos  soldats  en  Grande  Bretagne. 
C'était  le  premier  essai  de  ces  projets  de  débarquement 
en  Angleterre  qui  hantèrent  la  pensée  de  nos  marins 
et  de  nos  hommes  d'Etat  au  xviii^  siècle,  mais  ce  ne  fut 
qu'un  essai,  qui  sortit  à  peine  de  la  période  initiale 
d'exécution. 

Le  gouvernement  de  Louis  XV  en  revenait  par  la 
force  des  choses  à  l'idée  de  Louis  XIV,  à  celle  dont 
Saint-Simon  avait  maintes  fois  entretenu  le  Régent,  à 
une  restauration  jacobite.  On  attribuait  ce  revirement 
politique  au  cardinal  de  Tencin,  qui  avait  été  jadis 
l'homme  de  confiance  du  cardinal  Dubois  ;  entré  au 
conseil  en  1742,   guettant  peut-être  la  successix)n  pro- 


PREMIÈRE   GUERRE   MARITIME.    —   LA    MANCHE.  163 

chaine  de  Fleury,  il  voulut  se  signaler  par  une  idée 
grandiose,  dont  l'exécution  eût  terminé  la  guerre  par  un 
coup  de  massue  et  aurait  été  la  revanche,  depuis  si 
longtemps  attendue,  de  la  révolution  de  1688.  Il  renou- 
vela, dit-on,  dans  le  conseil  la  scène  de  Mithridate  à 
ses  enfants,  qui  ne  fut  que  trop  souvent  de  circonstance 
au  cours  de  notre  histoire  maritime. 

Attaquons  dans  leurs  murs  ces  conquérants  si  fiers  ; 
Qu'ils  tremblent,  à  leur  tour,  pour  leurs  propres  foyers. 
Annibal  l'a  prédit,  croyons-en  ce  grand  homme  : 
Jamais  on  ne  vaincra  les  Romains  que  dans  Rome. 

Il  montra  dans  le  fils  du  Prétendant,  dans  le  prince 
de  Galles  Charles-Edouard,  l'homme  jeune  (il  était  né 
en  1720),  plein  d'ardeur,  de  confiance  en  lui-même  et 
dans  sa  cause,  soutenu  à  l'avance  par  les  jacobites  des 
trois  royaumes  prêts  à  prendre  les  armes,  qui  n'avait 
besoin  que  de  quelques  bateaux  et  de  quelques  soldats 
pour  passer  au  royaume  de  ses  pères  ;  là,  il  se  chargeait 
du  reste.  «  Il  faut  que  ma  tête  tombe  ou  qu'elle  so^'* 
couronnée  »,  avait  dit  le  vaillant  prince,  il  était  homme 
à  tenir  sa  parole.  La  cause  était  facile  à  plaider  ;  Tencin 
la  développa  avec  chaleur,  et  la  fit  accepter  du  conseil. 
L'expédition  d'Angleterre  fut  décidée  ^  Le  comte  de 
Maurepas  pour  la  Marine,  le  comte  d'Argenson  pour  la 
Guerre  furent  chargés,  en  novembre  1743,  de  combiner 

1.  Le  capitaine  d'artiUerie  J;  Colin,  de  la  section  historique  de  l'état- 
major  de  l'armée,  a  étudié,  d'après  les  archives  de  la  Guerre,  de  la 
Marine  et  des  Affaires  étrangères,  le  projet  de  descente  de  1743  1744  ; 
Louis  XV  et  les  JacoMtes.  Le  projet  de  débarquement  en  Angleterre  de 
niS-na  -,  paris,  1901.  on  y  voit  que  la  première  idée  du  projet  fut  due  à 
Jacques  III,  qu'elle  remontait  à  la  fin  de  1737,  et  que  lord  Sempill  fut  l'agent 
le  plus  actif  des  négociations  entre  les  Jacobites  et  la  cour  de  Versailles, 
où  il  traita  tour  à  tour  avec  Fleury  et  Amelot.  On  y  trouve  aussi  des 
détails  sur  l'organisation  du  corps  expéditionnaire  et  le  rôle  de  Maurice 
de  Saxe.  Cf.  P.  Coquelle,  Les  Projets  de  descente  en  Angleterre,  d'après 
les  archives  des  Affaires  étrangères  (Extrait  de  la  Revue  d'histoire  diplo- 
matique), Paris,   1902  ;   p.  21-35. 

Pour  la  Dartiô  projweoaeût  oaarltime  du  projet  jaxx^hite,  voir  A.  M., 
B*  56. 


164  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 

les  moyens  d'exécution.  Voici  les  grandes  lignes 
du  projet,  telles  qu'elles  étaient  arrêtées  dans  les  pre- 
mières semaines  de  1744. 

Charles-Edouard,  parti  de  Rome  dans  le  plus  grand 
mystère,  à  l'insu  même  cle  son  père  et  de  son  frère, 
devait  s'embarquer  à  Dunkerque  ou  dans  le  voisinage, 
puisque  ce  port  était  toujours  en  ruines.  Une  plage  nue, 
le  long  d'une  côte  à  peu  près  déserte  et  de  navigation 
dangereuse,  était  peu  convenable  pour  une  base  d'opé- 
rations maritimes  ;  mais  on  avait  voulu  choisir  l'endroit 
le  plus  voisin  des  côtes  anglaises.  Seize  bataillons  d'in- 
fanterie et  quatre  escadrons  de  dragons  y  prendraient 
la  mer  sur  trente-deux  bâtiments  de  transport,  qu'on 
préparait  dans  les  ports  de  Normandie  et  qui  se  réuni- 
rent, en  effet,  peu  à  peu  à  Dunkerque,  à  la  fm  de 
février  ;  le  comte  Maurice  de  Saxe  commandait  le  corps 
expéditionnaire.  Cependant  le  comte  de  Roquefeuil, 
lieutenant  général,  sorti  de  Brest  avec  vingt-quatre 
vaisseaux  ou  frégates,  devait  croiser  dans  la  Manche 
à  la  hauteur  de  Portsmouth,  de  manière  à  attirer  sur 
lui  l'attention  et  les  forces  des  Anglais  :un  de  ses  officiers, 
le  chef  d'escadre  de  Barailh,  qui  avait  vaillamment  servi 
dans  la  campagne  de  la  Baltique  de  1734,  serait  détaché 
en  avant  avec  quatre  vaisseaux  et  une  frégate,  pour 
protéger  l'embarquement  et  la  traversée  du  convoi.  Le 
lieu  de  débarquement,  choisi  à  l'inspection  de  la  carte 
et  non  après  une  reconnaissance  de  terrain,  était  l'es- 
tuaire de  la  Tamise,  le  plus  près  possible  de  Londres. 

A  la  fm  de  février  (1744),  tout  était  prêt.  La  bataille 
de  Toulon,  toute  récente,  justifiait  amplement  ce  projet. 
A  sa  sortie  de  Brest  (6  février),  l'escadre  de  Roquefeuil, 
forte  en  tout  de  dix-neuf  vaisseaux  2,  avait  été  retenue 

2.  Roquefeuil  montait  le  Superbe,  de  soixante-quatorze  canons,  que  com- 
mandait le  chevalier  de  I«Jesinond  ;  il  avait  pour  capitaine  de  pavillon 


PREMIÈRE    GUERRE  MARITIME.   —  LA   MANCHE.  165 

par  les  vents,  dans  les  parages  du  cap  Lizard  pendant 
une  dizaine  de  jours  ;  puis  elle  avait  pu  s'avancer  au 
milieu  de  la  Manche,  et  la  division  de  Barailh,  composée 
des  vaisseaux  le  Dauphin  Royal,  le  Mars,  le  Content^ 
V Argonaute,  et  de  la  frégate  la  Médée,  mouillait  à  Ca- 
lais le  29  février.  Le  comte  de  Saxe,  qui  venait  d'arriver 
à  Calais,  augurait  mal  du  concours  de  cette  force  na- 
vale. Le  8  mars,  il  écrivait  au  comte  d'Argenson,  mi- 
nistre de  la  Guerre  :  ((  J'ai  parlé  à  des  officiers  de 
l'escadre  de  M.  de  Barailh.  Elle  est  pitoyablement 
équipée.  Les  matelots  qui  la  composent  sont  plus 
propres  à  conduire  une  charrette  qu'à  naviguer.  Que 
voulez-vous  que  fasse  M.  de  Barailh  avec  un  pareil  équi- 
page et  quatre  vaisseaux,  si  nous  en  trouvons  dans 
notre  chemin  ?  )> 

Cependant  Maurice  de  Saxe,  d'accord  avec  Bart,  fils 
du  célèbre  marin,  qui  commandait  alors  la  marine  à 
Dunkerque,  avec  le  titre  de  chef  d'escadre,  avait  fait 
commencer  l'emxbarquement  sans  retard  :  opération 
toujours  délicate  et  lente,  si  elle  n'a  pas  été  mûrement 
préparée  dans  ses  moindres  détails,  et  que  la  nature  de 
la  côte  rendait  ici  particulièrement  compliquée  et  dan- 
gereuse. Il  fallait,  en  effet,  procéder  à  un  double  em- 
barquement.  Les  soldats  montaient  d'abord    sur    des 

Nouailles  d'Aymé,  qui  ramena  le  Superbe  à  Brest  après  la  mort  du  lieu- 
tenant général.  [Louis  de  Nouailles  d'Aymé.  De  Brest.  Fils  d'un  ancien 
lieutenant  de  port.  «  Bon  officier,  qui  a  eu  le  commandement  des  troupes 
pour  l'expédition  contre  les  sauvages  Natchez,  à  la  Louisiane,  en  1739.  >» 
G.,  29  mai  1697  ;  C,  1"  avril  1738  ;  -|-  16  mars  1755.  A.  M.,  C  166.]  Le  major 
de  l'escadre,  embarqué  sur  le  même  vaisseau,  était  BuUion  de  Montlouet. 
[BuUion  de  Montlouet.  De  Paris.  Fils  d'un  lieutenant  de  vaisseau.  G., 
1"  octobre  1705  ;  M.,  1"  mai  1741  ;  CE,  1"  janvier  1754  ;  -J-  21  avril  1772, 
Brest.  A.  M.,  C  166.]  —  Le  chevalier  de  Camilly,  chef  d'escadre,  comman- 
dait le  Neptune.  [Pierre  de  Blouet,  chevalier  de  Camilly.  De  Normandie. 
CM.  G.,  1689;  CE,  10  mars  1734;  LG.,  1"  janv.  1745;  VA.,  17  mal  1751; 
•j-  22  juill.  1753.  A.  M.,  C  166.]  —  Le  marquis  d'Épinay,  le  vaillant  marin 
du  combat  du  cap  Tiburon,  commandait  le  Lys.  —  Le  marquis  de  La  Galis- 
sonnièrc  commandait  la  Gloire.  —  Desnos  Champmeslin  commandait  le 
Fleuron,  sur  lequel  servait  son  fils  comme  lieutenant  de  vaisseau. 


166  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS    LOUIS   XV. 

bateaux  pêcheurs  et  des  bélandres,  puis  ils  étaient  trans- 
bordés dans  les  bâtiments  de  transport  mouillés  au 
large.  Au  moindre  coup  de  vent  ou  à  la  moindre  attaque, 
ce  va-et-vient  devait  produire  un  désastre.  Dans  la  nuit 
du  6  au  7  mars,  une  violente  tempête  jeta  à  la  côte 
onze  bâtiments  ou  bélandres,  noyant  des  soldats,  ava- 
riant le  matériel,  compromettant  une  expédition  pré- 
parée à  la  légère. 

Roquefeuil,  de  son  côté,  était  arrivé  dans  le  voisi- 
nage du  pas  de  Calais  3,  quand  il  apprit  la  présence  aux 
Dunes,  entre  Douvres  et  la  Tamise,  de  vingt-cinq  vais- 
seaux de  guerre  de  l'amiral  Norris  ;  grâce  aux  vents 
d'ouest,  ils  étaient  sortis  de  Portsmouth  sans  être 
aperçus  de  Roquefeuil,  dont  l'escadre,  battue  des  vents 
et  réduite  à  treize  vaisseaux,  tenait  très  mal  la  mer. 
Aux  Dunes,  Norris  s'était  réuni  à  des  vaisseaux  sortis 
de  la  Tamise  ;  il  était  maître  du  passage.  Roquefeuil 
réunit  ses  capitaines  en  conseil  de  guerre,  le  6  mars  ; 
leur  avis  unanime,  fondé  sur  la  supériorité  des  forces 
anglaises,  fut  «  d'appareiller  avec  le  jusant  et  de  faire 
l'impossible  pour  éviter  les  ennemis^  ».  Rref,  l'expé- 
dition était  manquée,  et  cela  sans  combat,  par  une  série 
de  fautes  dues  à  l'irréflexion  :  mauvais  choix  de  la 
saiboti,  mauvais  choix  du  lieu  d'embarquement,  pro- 
cédés d'embarquement  détestables,  lenteur  générale 
dans  les  opérations. 

Sur  un  ordre  de  d'Argenson,  daté  du  8  mars,  le  comte 
de  Saxe  fit  débarquer  sa  petite  armée.  Nouveau 
malheur.  Le  11  et  le  12,  les  vents  jetèrent  à  la  côte 
huit  bâtiments.  Cette  petite  armée  et  cette  petite  flotte 


3.  Dans  sa  dépôcho  du  5  mars  M^i^i,  Roquefciul  dit  que  l'escadre  a  relâché 
«  à  la  pointe  de  Vùré.  à  la  côte  d'An?let(  rre,  peu  distante...  du  pas  de 
Calais  ».  Il  est  probable  qu'il  d(^sipne  ainsi  le  cap  Berry,  à  l'entrée  de 
Tor  Hay,  et  assez  loin  du  pas  de  Calais  proprement  dit. 

4.  A.  M.,  B*  56,  fol.  140. 


PREMIÈRE   GUERRE    MARITIME.    —   LA   MANCHE.         107 

avaient  beaucoup  plus  souffert  de  la  mer  que  si  elles 
avaient  fait  une  longue  traversée.  Enfin  le  13  mars,  le 
débarquement  était  terminé.  Maurice  de  Saxe  était  de 
retour  à  Paris  le  21.  Comme  il  fallait  donner  une  com- 
pensation à  un  général  qui  avait  failli  faire  de  grandes 
choses,  il  reçut  le  26  le  bâton  de  maréchal  de  France. 
Heureusement,  c'était  le  paiement  à  l'avance  de  l'admi- 
rable campagne  qui  allait  le  couvrir  de  gloire  aux  Pays- 
Bas,  mais  qui,  malgré  Fontenoy,  ne  devait  pas  le  con- 
duire à  Londres. 

Quant  au  vieil  amiral  Roquefeuil,  âgé  alors  de  près 
de  quatre-vingts  ans,  qui  avait  rêvé  peut-être  de  re- 
prendre les  glorieuses  campagnes  des  Château-Renault 
et  des  Tourville,  il  mourait  subitement  en  mer  le  8  mars, 
à  la  fm  de  cette  pénible  et  stérile  croisière.  Le  chevalier 
de  Camilly,  commandant  du  Neptune,  prit  le  comman- 
dement de  l'escadre,  et  nos  vaisseaux  tristement  ren- 
trèrent à  Brest,  du  10  au  19  mars. 

Lorsqu'on  réfléchit  à  la  rapidité  extrême  avec  la- 
quelle on  renonça  à  ce  projet,  on  se  demande  si  l'on  doit 
croire  à  la  sincérité  de  ceux  qui  y  travaillèrent.  La  ma- 
rine n'était-elle  pas  comme  sacrifiée  à  l'avance  et  réduite 
à  n'être  qu'un  instrument  de  mirage,  comme  dans  les 
armements  successifs  et  inutiles  de  l'escadre  de  Du 
Guay-Trouin  en  1734  et  en  1735?  Saint-Simon  paraît 
bien  avoir  dit  vrai,  à  propos  de  ces  tentatives  de  restau- 
ration jacobite  dont  on  s'entretint  si  souvent  sous  le 
règne  de  Louis  XV  :  «  En  aucun  temps  on  n'en  a  jamais 
fait  que  de  misérables  et  très  rares  semblants.  » 

Seul,  un  homme  avait  conservé  la  foi  en  cette  entre- 
prise, le  malheureux  prince  de  vingt-quatre  ans  qui,  de 
ses  yeux,  à  Calais  et  à  Dunkerque,  avait  vu  l'embar- 
quement,  le  débarquement,    la  ruine  et  l'abandon  de 


168  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS    LOUIS   XV. 

l'expédition.  Sans  demander  de  nouveau  son  concours 
au  roi  Très  Chrétien,  à  qui  la  gloire  de  Fontenoy  fai- 
sait oublier  et  Toulon  et  Dunkerque  et  Louisbourg  et 
Pondichéry,  il  traita  secrètement  avec  un  armateur 
nantais,  d'origine  irlandaise,  nommé  Walsh,  qui  lui 
prêta  une  frégate  de  dix-huit  canons.  Il  s'embarqua  à 
Saint-Nazaire,  le  12  juin  1745  ;  il  avait  pour  toute  es- 
corte un  vaisseau  de  la  marine  royale,  ÏElisabeih,  de 
soixante-quatre  canons,  armé  en  course  par  un  arma- 
teur de  Dunkerque.  Comment  il  aborda  en  Ecosse, 
appela  à  lui  les  highlanders,  souleva  le  pays  tout  entier, 
écrasa  à  Preston  Pans,  aux  portes  d'Edimbourg,  toute 
une  armée  anglaise,  quelle  panique  régna  dans  l'An- 
gleterre quand  il  fut  arrivé,  le  4  décembre,  à  Derby,  à 
trente  lieues  de  Londres  :  il  n'y  a  pas  à  raconter  ici 
cette  aventure  si  célèbre  ^.  C'était  à  présent  à  la  France 
à  soutenir  ce  prétendant  héroïque  en  lui  faisant  passer 
une  flotte  et  une  armée.  Tencin  le  lui  avait  dit  :  à  lui  de 
débarquer  d'abord  en  Ecosse  et  Louis  XV  ne  pourrait 
pas  ne  pas  venir  à  son  aide. 

Le  moment  était  unique.  Jamais  il  n'y  en  eut  de  pareil 
dans  les  guerres  entre  la  France  et  l'Angleterre,  même 
aux  heures  les  plus  glorieuses  de  la  Révolution  et  de 
l'Empire.  Les  Anglais  venaient  d'être  écrasés  à  Fon- 
tenoy ;  chez  eux,  aux  portes  de  la  capitale,  un  ennemi 
invincible,  qui  avait  pour  lui  les  sympathies  de  tout  un 
peuple,  semblait  tenir  à  sa  merci  la  maison  de  Hanovre. 
Que  la  France  reprît  le  projet  de  1744  et  qu'avertie  par 
l'expérience  elle  l'exécutât  dans  de  meilleures  condi- 
tions :  le  jour  où  les  Français  débarqueraient  sur  le 
sol  de  la  Grande-Bretagne,   Charles-Edouard  entrerait 


5.  E'ie  a   Hé  étudiée  à  nouveau  par  Ch.  Sandford  Terry,  The  Rlstng 
of  1745.  Voir  Rfivue  historique,  t.  LXXV,  p.  251. 


PREMIÈRE    GUERRE    MARITIME.    —  V  V   M^  ;:,HE.  169 

à  Londres  et  George  II  retournerait  à  sa  i.iodeste  prin- 
cipauté d'Allemagne. 

Il  semblait  qu'on  voulût  faire  grand.  «  Jire,  disait  le 
maréchal  de  Noailles  à  Louis  XV,  si  Vof  e  Majesté  veut 
vraiment  dire  la  messe  à  Londres,  i'  aut  y  envoyer 
trente  mille  hommes  pour  la  servir.  -■  C'était  près  de 
trente  mille  hommes  que  le  duc  de  ::i  helieu  et  Lowen- 
dal  avaient  réunis  aux  environs  de  filais,  où  l'on  faisait 
tous  les  préparatifs  d'une  descent  :.  Voltaire  rédigea  le 
manifeste  officiel  par  lequel  le  rc  1  Ce  France  déclarait 
«  à  tous  les  fidèles  des  trois  roy  miaes  de  Grande-Bre- 
tagne »  qu'il  croyait  «  de  son  de\o\r  de  secourir  à  la  fois 
un  prince  digne  du  trône  de  f  es  ancêtres  et  une  nation 
généreuse,  dont  la  plus  spj'ie  partie  rappelle  enfin  le 
prince  Charles  Stuart  daTi?  sa  patrie.  » 

Nos  vaisseaux   par   les   vents   semblaient   être   appelés . . . 

Pendant  soixante-douze  heures,  depuis  la  nuit  du  31  dé- 
cembre 1745  jusqu'au  3  janvier  suivant,  le  vent  ne  cessa 
de  souffler  du  sud-sud-ouest,  nettoyant  la  route  devant 
nous  et  nous  portant  à  la  côte  de  Kent.  L'amiral  Vernon, 
qui  croisait  dans  la  Manche,  se  voyait  perdu.  Le  31  dé- 
cembre, j1  écrivait  au  commandant  du  fort  de  Deal  que 
si  vent  et  le  temps  continuaient  à  être  aussi  favorables 
à  la  descente,  il  lui  serait  impossible  d'empêcher  les 
Français  de  passer  et  qu'il  eût  à  veiller  lui-même  à  sa 
propre  sécurité. 

Et  les  Français  ne  partirent  point  !  Les  troupes  étaient 
toujours  prêtes  à  s'embvirquer  incessamment,  et  même, 
paraît-il,  elles  s'embarquaient  quelquefois.  Un  jeune  en- 
seigne, qui  devait  illustrer  la  marine  du  règne  de 
Louis  XVI,  Guichen,  avait  été  détaché  de  l'artillerie  de 
Dunkerque  pour  passer  dans  l'armée  de  Richelieu  à 


170  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 

Boulogne.  Avec  un  corsaire  de  dix  canons  il  avait  donné 
la  chasse  aux  découvertes  ennemies  jusque  sur  les  côtes 
anglaises.  Un  jour,  aux  environs  d'Ambleteuse,  à  la  tête 
de  trois  corsaires,  il  rencontra  plusieurs  bâtiments  an- 
glais, dont  trois  vaisseaux  de  guerre  de  soixante  à 
soixante-dix  canons.  Il  se  replia  aussitôt  sur  Boulogne, 
poursuivi  par  toutes  les  forces  ennemies.  Comme  la  mer 
était  basse,  il  s'embossa  sous  les  canons  d'un  petit  fort 
à  l'entrée  du  port.  Dans  cette  situation  critique,  il  sou- 
tint pendant  deux  heures  un  violent  combat,  jusqu'au 
moment  où  la  marée  montante  lui  permit  de  gagner 
l'entrée  de  la  Liane.  Cette  brillante  affaire,  qui  s'était 
passée  sous  les  yeux  de  Richelieu  et  de  toute  l'armée, 
valut  au  brave  Guichen  d'être  promu  lieutenant  de  vais- 
seau le  P""  janvier  1746.  Il  fut  alors  chargé  de  faire 
sortir  la  Galalée  du  port  de  Gravelines  ;  la  mission  était 
fort  difficile  à  cause  du  peu  de  profondeur  du  chenal 
obstrué  par  les  vases  et  de  la  présence  d'un  grand 
nombre  de  vaisseaux  ennemis  ;  il  y  réussit  cependant. 
Mais  c'était  pour  mener  cette  frégate  au  Havre  et  y 
prendre  la  conduite  d'une  flotte  qu'il  escorta  jusqu'à 
Brest. 

Seule,  une  flottille  de  sept  bâtiments,  portant  environ 
sept  cents  hommes,  avait  pris  la  mer  à  Dunkerque,  au 
mois  de  novembre  (1745)  ;  elle  avait  débarqué  à  Mont- 
rose,  sur  les  côtes  de  l'Ecosse,  le  7  décembre.  Un  offi- 
cier de  cette  petite  troupe,  l'enseigne  de  vaisseau  Ros- 
madec  de  Saint-Allouarn,  qui  devait  périr  à  la  bataille 
de  M.  de  Confions,  avait  repoussé  avec  succès,  lors  du 
débarquement,  plusieurs  attaques  des  vaisseaux  de 
Byng  ;  il  s'était  même  emparé  d'un  sloop  de  quatorze 
canons,  qui  était  la  découverte  de  l'amiral.  Mais  per- 
sonne chez  nous  ne  fit  attention  à  cet  épisode.  Quand 
Sainl-Allouarn  repassa  en  France,  en  février  1746,  pour 


PREMIÈRE   GUERRE   MARITIME.    —   LA    MANCHE.  171 

y  porter  la  nouvelle  des  victoires  du  Prétendant,  le 
projet  jacobite  n'intéressait  plus  ni  Louis  XV,  ni  ses  mi- 
nistres, ni  Richelieu.  Le  15  février  1746,  le  maréchal 
de  Saxe  écrivait  à  d'Argenson  que  le  maréchal  de  Ri- 
chelieu venait  de  l'informer  des  «  obstacles  insurmon- 
tables qui  se  sont  trouvés  à  l'exécution  de  son  passage 
en  Angleterre  »  et  qu'il  lui  avait  remis  les  troupes  des- 
tinées à  cette  entreprise. 

11  y  eut  bien  encore  quelques  épisodes  d'histoire  ma- 
ritime, comme  le  combat  victorieux  que  deux  corsaires 
nantais,  le  Mars  et  la  Bellone,  sous  les  ordres  des  capi- 
taines Lory  et  Rouillée,  de  la  marine  marchande,  sou- 
tinrent dans  les  eaux  de  l'Ecosse,  le  14  mai  (1746), 
contre  trois  frégates  et  une  goélette  anglaise  ^.  Mais 
que  pouvaient  des  corsaires  pour  sauver  une  cause 
irréparablement  perdue  ?  Repoussé  au  nord  de  l'Ecosse 
par  le  duc  de  Cumberland,  Charles-Edouard  avait  livré 
sa  dernière  bataille  à  Culloden,  le  27  avril.  Alors  com- 
mença sa  dramatique  et  romanesque  odyssée  ;  elle  ne 
se  termina  qu'au  port  de  Saint-Pol-de-Léon,  où  il  par- 
vint à  aborder  le  10  octobre,  après  mille  dangers.  Ses 
malheurs  n'étaient  point  finis  ;  le  gouvernement  de 
Louis  XV  lui  réservait  la  suprême  injure.  Le  10  dé- 
cembre 1748,  il  était  arrêté  à  l'Opéra,  mis  en  prison, 
conduit  hors  de  France.  Ainsi  l'avait  exigé  George  II, 
reJevenu  notre  ami  par  la  paix  d'Aix-la-Chapelle. 
Louis  XV  avait  obéi. 

On  trouvera  dans  les  mémoires  du  temps  l'écho  vi- 
bi-ant  de  Tindignalion  des  Français  à  la  nouvelle  de  ce 

6.  A.  M.,  B'  64  ;  Lapeyrouse  Bon'fils,  Histoire  de  la  marine  française, 
t.  II  p.  -283  et  .uiv  —  L'idée  d'un  débarquement  entre  Douvres  et  Charham 
se  retrouve  dans  une  lettre,  très  peu  détaillée  d'ailleurs,  qu'un  enseigne 
de  vaisseau,  Mesedern  adressait  de  Brest  au  ministre,  le  21  décembre  1746. 
Il  y  parle  d'une  descente  à  faire  avec  vin'/t  et  un  vaisseaux  et  deux 
ga'iotes  à  bombes  ;  il  faudra  réunir  à  Boulogne  «  tout  ce  qui  est  naisésaire 
Cs2c;  pour  faire  le  siège  de  Londres.  »  A.  M.,  B*  300,  fol.  39, 


172 


LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 


scandale.  Bornons-nous  ici  à  apprécier  le  rôle  militaire 
du  gouvernement  dans  la  tentative  de  Charles-Edouard. 
Par  un  aveuglement  volontaire,  il  perdit,  en  quelques 
semaines,  l'occasion  unique  que  lui  offrait  un  concours 
de  circonstances  toutes  exceptionnellement  favorables  ; 
en  ne  faisant  pas  sortir  nos  escadres  de  leurs  ports,  il 
amena  lui-même  la  ruine  de  la  cause  qui  devait  lui 
donner  la  vraie  victoire.  Aussi  sommes-nous  en  droit  de 
répéter  le  jugement  de  Saint-Simon  :  «  L'entreprise 
échouée  du  prince  de  Galles,  en  1746,  est  une  chose  qui 
ne  peut  avoir  de  nom.  » 


CHAPITRE  XI 

PREMIÈRE  GUERRE  MARITIME   ENTRE   LA   FRANCE   ET  l'aNGLE- 
TERRE.  —  3°  LES  COTES  DE  l'aTLANTIQUE 


Les  Anglais  à  Lorient.  —  La  Jonquière,  Saint-Georges.  —  Combat  du 
cap  Ortegal.  —  Des  Herbiers  de  L'Elanduère.  —Combat  du  cap  Fi- 
nis terre. 


L'expédition  du  Prétendant  avait  provoqué  en  Angle- 
terre une  véritable  panique.  Elle  avait  montré  que  ce 
qui  avait  failli  réussir  à  un  aventurier  plein  d'audace, 
accompagné  à  peine  d'une  poignée  de  partisans,  aurait 
eu  un  succès  complet  avec  une  armée  régulière  ;  la 
Grande-Bretagne  se  sentait  à  la  merci  d'une  invasion. 
Quand  les  Anglais  cessèrent  de  trembler  pour  eux- 
mêmes,  —  et  pour  cela  il  ne  fallut  pas  moins  que  les 
odieuses  boucheries  qui  suivirent  la  bataille  de  Cul- 
loden,  —  ils  ne  songèrent  plus  qu'à  rendre  aux  Français 
la  terreur  qu'ils  avaient  éprouvée  et  à  descendre  sur 
leurs  côtes.  Vers  la  fm  de  1746,  ils  apparaissaient  en 
Provence,  menaçaient  Toulon,  enlevaient  les  îles  de 
Lérins.  A  la  même  époque,  ils  débarquaient  devant 
Lorient  ;  là  aussi,  le  succès  faillit  couronner  leur  auda- 
cieuse entreprise. 

Le  plan  de  campagne  était  bien  combiné  ;  frapper  la 
France  maritime  en  Provence  et  en  Bretagne,  c'était  la 


174  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 

frapper  dans  ses  parties  vitales.  En  Bretagne  en  parti- 
culier, c'était  lui  causer  un  grand  dommage  matériel  ; 
Lorient  était  Tentrepôt  commercial  de  la  compagnie 
des  Indes  ;  ses  magasins  regorgeaient  de  marchandises. 
Rien  ne  semblait  plus  facile  que  de  s'en  saisir  ;  l'es- 
tuaire du  Blavet  et  du  Scorff  n'était  défendu  par  aucun 
ouvrage  militaire  capable  de  résistance  sérieuse.  Maî- 
tresse de  cette  position  et  toujours  sûre  de  se  ravitailler 
par  mer,  une  armée  anglaise  pouvait  pousser  des 
pointes  à  l'intérieur  du  pays  et  mettre  la  Bretagne  à 
contribution.  Ce  projet  fut  confié  au  contre-amiral  Les- 
tock,  qui  avait  très  mollement  secondé  l'amiral  Mat- 
thews  à  la  bataille  de  Toulon  ;  ici  encore,  il  allail  faire 
preuve  d'une  assez  singulière  maladresse. 

Il  prit  la  mer  à  Plymouth  le  26  septembre  1746,  avec 
neuf  vaisseaux  de  ligne  et  une  quarantaine  de  bâti- 
ments de  transport  ;  huit  mille  hommes  environ  de 
troupes  régulières  étaient  embarqués  sous  les  ordres 
du  général  Jacques  de  Saint-Clair.  Le  30  septembre, 
Lestock  croisait  à  la  hauteur  de  l'île  de  Groix.  Les  ha- 
bitants de  Port-Louis  et  de  Lorient,  qui  attendaient  vers 
cette  date  la  division  française  du  comte  de  iVlacnemara  ^, 
furent  très  surpris  à  l'apparition  de  ces  forces  considé- 
l'ables  ;  ils  ne  pouvaient  se  défendre  qu'avec  quelques 
compagnies   de   gardes-côtes,    gens   de   bonne   volonté 


1.  Comte  de  Macnemara.  D'origine  irlandaise;  né  en  France.  »<  Très  aisé 
par  le  mariage  qu'il  a  fait  avec  une  Irlandaise  de  l'Amérique.  »  Page  du 
duc  de  Bourbon.  G.,  5  avril  1708  ;  M.,  10  mars  1734  ;  commandant  des 
gardes-marine  à  Rochefort,  l"^  avril  1745;  CE.,  1"  avril  1748;  LG., 
1"  sept.  1752  ;  VA.  du  Levant,  17  oct.  1756  ;  -|-  18  oct.  1756,  Rochefort.  A.  M., 
C'165,   166. 

Son  frère  cadet,  Claude-Matthieu  de  Macnemara,  «  aussi  fort  à  son  aise 
par  son  mariage  avec  une  Américaine  ».  G.,  20  oct.  1708  ;  L.,  1"  avril  1738  ; 
C,  1"  janv.  1746;  R.,  15  janv.  1762;  -|-  déc.  1766.  A.  M.,  C  165.  Il  eut  trois 
fils  dans  la  marine. 

Cf.  Eugène  Fobqxies,  Histoire  d'un  Sepi  irlandaU  :  le§  Macnamara, 
P^rls,  1901. 


PREMIÈRE    GUERRE    MARITIME.    —    LATLANTIQUE.       175 

sans  doule,  mais  nullement  préparés  à  leur  rôle,  et 
n'ayant  pour  le  plus  grand  nomure  d'autres  armes  que 
des  fourches.  Quant  à  la  défense  navale,  elle  n'existait 
pas  ;  aucun  navire  de  guerre  n'était  là  pour  protéger 
ces  parages,  qu'il  était  cependant  si  nécessaire  de 
garder  ;  à  Brest  même,  on  ne  semblait  pas  s'être  aperçu 
du  passage  de  cette  cinquantaine  de  voiles. 

Les  Anglais,  qui  croyaient  sans  doute  la  région  mieux 
défendue  ne  songèrent  pas  à  pénétrer  directement  à 
Lorient  par  le  chenal  maritime  ;  on  ne  voit  pas  ce  qui 
aurait  pu  sérieusement  les  empêcher  de  débarquer  sur 
les  quais  mêmes  du  Scorff  ;  leur  manque  d'audace  devait 
les  faire  échouer.  Le  P'"  octobre  au  matin,  Lestock 
mouillait  à  trois  lieues  environ  à  l'ouest  de  l'estuaire, 
sur  la  côte  à  peu  près  déserte  et  d'accès  assez  facile  qui 
s'étend  entre  la  pointe  du  Talut  et  l'anse  du  Pouldu. 
Après  avoir  nettoyé  le  rivage  par  une  courte  canon- 
nade, à  laquelle  il  ne  paraît  pas  qu'on  ait  répondu,  il 
mettait  à  terre  cinq  mille  hommes,  et  le  lendemain  deux 
mille  quatre  cents  hommes,  avec  le  matériel  d'artillerie 
destiné  au  siège.  Saint-Clair  établissait  son  camp  à 
l'embouchure  de  la  rivière  de  Quimperlé  et  y  publiait 
une  proclamation,  datée  du  29  septembre,  pour  obliger 
les  habitants  à  se  soumettre  aux  réquisitions  militaires. 

Le  colonel  marquis  de  L'Hôpital  commandait  à  Lo- 
rient, avec  quatorze  cents  hommes  au  plus  de  troupes 
médiocres  ;  il  fit  faire  quelques  travaux  pour  mettre  la 
ville  en  état  de  défense  ;  on  tira  des  pièces  de  canon  et 
des  mortiers  de  l'arsenal  pour  en  garnir  les  remparts  ; 
mais,  frappé  peut-être  de  l'insufTisance  de  ces  prépa- 
ratifs, le  gouverneur  ne  paraît  pas  avoir  eu  des  dispo- 
sitions très  belliqueuses.  Comme  un  parlementaire  an- 
glais s'était  présenté,  le  3  octobre,  devant  la  ville,  on  lut 
aussitôt  d'avis  de  signer  avec  lui  une  h'êve  ;  le  7  oc- 


176  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS    LOUIS    XV. 

tobre,  ii  la  suite  de  quelques  engagements  livrés  sous 
les  murs,  cette  trêve  se  changeait  en  un  projet  de  capi- 
tulation» effective.  Ce  jour-là,  vers  neuf  heures  du  soir, 
L'ir;  ital  sortit  de  la  ville,  pour  convenir  des  derniers 
articles  avec  les  Anglais  ;  mais  il  n'y  avait  plus  ni  An- 
glais, ni  camp,  ni  personne.  Les  tambours  des  mili- 
cifîns.  selon  une  anecdote,  au  lieu  de  battre  la  chamade, 
avai'/nt  battu  la  générale  ;  Saint-Clair  avait  craint  une 
irurprise  et  avait  couru  se  rembarquer. 

î!  îureux  d'en  être  quitte  à  si  bon  compte,  L'Hôpital 
ne  songea  pas  à  le  poursuivre.  Lorient  fut  ainsi  délivré 
saiiS  combat,  au  moment  même  où  l'ennemi  prenait  la 
tîîite  devant  la  capitulation  qu'on  lui  apportait.  La  belle 
();:casion  pour  une  escadre  française  de  profiter  de  sa 
[,anique  et  de  lui  fermer  le  chemin  du  retour!  Mais  la 
i;ôte  était  encore  moins  défendue  sur  mer  que  sur  terre, 
et  Lestock  put  reprendre  tout  son  monde  à  bord. 

Pour  se  consoler  de  cette  singulière  mésaventure, 
l'amiral  anglais  croisa  pendant  quelques  jours  devant 
Ouiberon,  dont  la  plage  découverte  reçut  quelques  vo- 
lées de  canon,  devant  Belle-Ile,  dont  le  gouverneur 
Saint- Hilaire  répondit  par  un  refus  à  une  demande  de 
capitulation  ;  il  fit  une  descente  aux  îles  Houat  et 
Hoëdik.  Puis,  le  23  octobre,  il  remettait  à  la  voile  pour 
l'Angleterre  2. 

Cet  épisode  de  Lorient,  qui  n'eut  rien  d'héroïque  ni 
pour  les  assaillants  ni  pour  les  défenseurs,  dévoilait 
avec  une  triste  éloquence  notre  état  de  désorganisation 
n^ilitaire.  Une  escadre  anglaise,  sans  songer  à  se  dissi- 
muler, avait  débarqué  à  son  aise  une  armée  de  huit 
mille  hommes  ;  ayant  manqué  son  but  simplement  par 

2.  Voir  Ch.   Bougouin,   Descente  des  Anglais   en  Bretagne   et  siège  de 
Lorient  en  1746,  dans  le  Bulletin  de  la  Société  archéologique  de  tuantes. 

187a 


PREMIÈRE    GUERRE    MARITIME.    —    l' ATLANTIQUE.       177 

le  fait  d'une  stupide  méprise,  elle  avait  repris  la  mer, 
croisé  pendant  quelques  jours  dans  les  mêmes  parages  ; 
enfin,  sans  se  presser,  comme  si  elle  venait  de  procéder 
à  des  manœuvres  de  débarquement  et  d'embarquement, 
elle  était  rentrée  dans  ses  ports.  Or,  à  aucun  moment, 
elle  n'avait  rencontré  personne.  Lorient  n'était  pas  dé- 
fendu, c'était  déjà  une  grande  faute  ;  mais  n'aurait-on  pas 
pu  la  réparer  dans  une  certaine  mesure,  en  faisant  sortir 
des  vaisseaux  de  Brest  ou  de  Rochefort  pour  déranger  les 
Anglais  dans  leurs  opérations  ?  Ou  bien  l'on  n'y  pensa 
pas,  ou  plutôt  l'on  n'eut  aucun  moyen  de  le  faire.  En- 
couragés par  une  négligence  si  coupable,  nos  ennemis 
ne  devaient  pas  se  faire  faute  de  recommencer  dans  la 
guerre  suivante. 

Un  mois  environ  après  le  départ  de  Lestock,  un 
violent  combat  se  livra  entre  Français  et  Anglais  dans 
les  eaux  mêmes  de  Port-Louis.  La  Renommée,  comman- 
dée par  Kersaint  de  Coëtnempren,  rentrait  en  France, 
après  la  désastreuse  expédition  du  duc  d'Anville  en 
Acadie  ^.  Un  coup  de  vent  l'ayant  séparée  de  l'escadre, 
elle  vint  donner  au  milieu  des  forces  navales  de  l'amiral 
Anson.  Pendant  onze  heures,  elle  soutint  un  duel  d'ar- 
tillerie contre  une  frégate  de  trente-six  canons  et  un 
vaisseau  de  soixante-dix  ;  s'étant  débarrassée  de  ses 
ennemis,  elle  entra  saine  et  sauve  à  Port-Louis  (30  no- 
vembre 1746).  Un  enseigne  de  l'état-major  de  Kersaint 
avait  eu  «  la  joue  dépouillée  d'un  coup  de  canon,  qui 
coupa  son  chapeau  au  ras  de  la  tête  ^.  »  L'officier  de  la 
Renommée  qui  vit  la  mort  de  si  près  s'appelait  La 
Motte-Picquet. 

3.  Jean-Baptiste-Louis-Frédéric  de  Roye  de  La  Rochefoucauld,  duc  d'An- 
ville Né  le  17  août  1709.  LG.  des  galères  en  survivance  de  son  père. 
7  déc.  1720  ;  LG.,  1"  janv.  1745  ;  -|-  27  sept.  1746.  à  Î3ord  du  Northumberlana, 
à  Chibouctou.  A.  M.,  C  16L 

f  A,  ^.,  C  198. 


178  LA   MARINE    MILITAIRE    SOUS    LOUIS    XV. 

La  Renommée  fut  moins  heureuse  l'année  suivante. 
Commandée  par  Saint-Allouarn  l'aîné,  alors  lieutenant 
de  vaisseau,  elle  avait  quitté  Rochefort,  le  20  septembre, 
pour  conduire  à  son  poste  le  comte  de  Conflans,  qui 
venait  d'être  nommé  gouverneur  général  de  Saint-Do- 
mingue. A  cinquante  lieues  d'Ouessant,  elle  livra  trois 
combats  au  Dover,  de  quarante-quatre  canons,  du  capi- 
taine Sherley  ^.  Obligée  de  se  rendre  (24  septem- 
bre 1747),  elle  fut  conduite  à  Plymouth.  Trois  mois  plus 
tard,  grâce  en  partie  à  l'intervention  du  maréchal  de 
Saxe,  le  comte  de  Conflans  obtint  d'être  échangé  et  put 
rentrer  en  France. 

On  s'était  décidé  à  organiser,  en  1747,  une  division 
volante  pour  protéger  les  côtes  de  l'Atlantique  ^.  Elle 
comprenait  deux  frégates,  de  vingt-quatre  canons  cha- 
cune, la  Mutine,  du  chevalier  Du  Dresnay  des  Roches, 
la  Galalée,  du  chevalier  de  Tourville,  petit-fils  du 
grand  marin,  et  deux  corvettes,  la  Badine  et  VEspion, 
Etablie  en  croisière  entre  les  Glénans  et  l'île  d'Yeu, 
elle  s'empara  de  plusieurs  corsaires  ennemis  ;  le 
22  juin,  elle  captura  une  frégate  de  vingt-deux  canons, 
le  Duc  de  Cumberland,  qui  s'était  échouée  sur  les  ro- 
chers des  Glénans. 

Le  3  octobre,  à  six  lieues  au  large  de  la  pointe  des 
Baleines  (île  de  Ré),  la  Mutine  et  la  Galatée  furent  atta- 
quées par  un  vaisseau  de  cinquante-six  canons  et  une 
frégate  de  trente.  Le  combat  dura  deux  heures  à  portée 
de  canon  et  plus  d'une  heure  à  portée  de  pistolet  ;  l'en- 
nemi se  lassa  d'une  attaque  qui  restait  impuissante, 
malgré  sa  supériorité,  et  les  deux  petites  frégates  purent 


5.  Ou  Sirlhey.  A.  M..  B*  61,  fol.  24,  29. 

6.  De  1744  à  1748,  la  guerre  de  course  fut  faite  avec  activité  par  les 
corsaires  basques,  bayonnais  et  gascons.  Ducéré,  Histoire  maritime  de 
Rayonne  ;  les  corsaires  sous  l'ancien  ré(iime.  Bayonne  1895  ;  p.  234  et  suiv. 


PREMIÈRE    GUERRE    MARITIME.    —   l'aTLANTIOUE.       179 

gagner  Rochefort.  Cette  action  très  méritoire  valut 
aussitôt  (18  octobre  1747)  la  croix  de  Saint-Louis  aux 
deux  enseignes  qui  commandaient  la  Mutine  et  la  Ga- 
latée.  La  récompense  était  exceptionnelle  "^  ;  car  c'était 
comme  une  règle  dans  la  Marine  que  pour  être  cheva- 
lier de  Saint-Louis,  il  fallait  être  au  moins  lieutenant 
de  vaisseau. 

En  1747,  les  eaux  de  l'Atlantique,  dans  le  voisinage 
des  caps  Ortegal  et  Finisterre,  furent,  à  cinq  mois  de 
distance,  le  théâtre  de  deux  combats  très  honorables 
pour  notre  marine,  mais  où  la  supériorité  brutale  du 
nombre  donna  la  victoire  aux  Anglais. 

Un  vaillant  marin,  qui  avait  été  capitaine  de  pavillon 
du  Terrible  à  la  bataille  de  Toulon  et  qui  avait  été 
promu  chef  d'escadre  en  1746,  après  quarante-neuf  ans 
de  services,  La  Jonquière  de  La  Pommarède,  avait  été 
chargé  de  conduire  au  Canada,  dont  il  venait  d'être 
nommé  gouverneur  général,  un  convoi  d'une  trentaine 
de  transports  ;  trois  vaisseaux  de  ligne  et  deux  frégates, 
armés  à  Brest,  formaient  l'élément  militaire  de  cette 
expédition  s.  La  Jonquière,  monté  sur  le  Sérieux^  de 
soixante-quatre  canons,  quitta  sans  difficulté  les  côtes 
de  Bretagne,  mais  les  mauvais  temps  l'obligèrent  à  se 
replier  sur  le  mouillage  de  l'île  d'Aix  ;  il  y  était  encore 
à  la  fm  du  mois  de  mars,  quand  il  fut  rejoint  par  une 
autre  division  et  un  convoi  sortis  de  Lorient. 

La  compagnie  des  Indes,  alors  directement  aux  prises 


7.  Rosmadec  de  Saint-AUouarn  fut  fait  aussi  chevalier  de  Saint-Louis 
(17  février  1746),  tout  en  n'étant  qu'enseigne  de  vaisseau.  C'était  la  récom- 
pense de  son  rôle  brillant  à  Montrose  ;  voir  ci-dessus,  p.  170.  De  mémo, 
l'enseigne  de  Marnière  reçut  la  croix  de  Saint-Louis  pour  sa  conduite  à 
bord  d3  la  Gloire  ;  voir  ci-dessous,  p.   182. 

8.  Voir  l'Appendice  IV.  —  JJombreux  documents  sur  le  combat  de  La 
.Tonquiôre  :  A.  M.,  B*  61. 


180  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 

avec  les  Anglais  sur  les  côtes  de  Coromandel,  venait 
d'obtenir  du  ministre  trois  vaisseaux  de  guerre,  Vlnvin- 
cible,  le  Jason  et  le  Lys,  pour  protéger  un  convoi  d'une 
quinzaine  de  voiles  qu'elle  destinait  à  FHindoustan.  Ces 
forces  étaient  sous  les  ordres  d'un  Malouin,  le  capitaine 
de  vaisseau  chevalier  Grout  de  Saint-Georges  ^  qui 
montait  lui-même  YInvincible,  de  soixante-quatorze  ca- 
nons ;  il  avait  parmi  ses  officiers  le  capitaine  de  frégate 
Bouvet  de  Lozier,  aussi  d'origine  malouine,  appartenant 
à  cette  dynastie  des  Bouvet  si  connue  dans  nos  fastes 
maritimes  ^^.  Celui-ci,  né  en  1706,  avait  fait  en  1738  et 
1739  un  voyage  d'exploration  dans  les  mers  australes  ; 
il  était  à  présent  embarqué  sur  le  Lys,  de  soixante- 
quatre  canons.  Le  27  mars  1747,  cette  division  et  son 
convoi  quittaient  le  port  de  Lorient  ;  ils  furent  aussitôt 
assaillis  et  dispersés  par  un  violent  coup  de  vent.  Tandis 
que  Bouvet  de  Lozier,  avec  le  Lys  et  quatre  autres  bâ- 
timents, continuait  sa  route  et  arrivait,  au  bout  de 
quelques  semaines,  sur  les  côtes  du  Brésil,  le  chevalier 
de  Saint-Georges,  avec  le  reste  de  ses  navires,  relâchait 
à  l'île  d'Aix. 

Après  avoir  réparé  leurs  vaisseaux,  que  ces  bour- 
rasques avaient  malmenés,  La  Jonquière  et  Sanit- 
Georges  reprirent  la  mer  le  10  mai.  Ils  devaient  na- 
viguer de  conserve  jusqu'à  la  hauteur  des  côtes  de 
Galice  ;  ils  se  sépareraient  ensuite,  La  Jonquière  pour 
gagner  Québec,  Saint-Georges  pour  gagner  Pondi- 
chréy,  en  ralliant  sur  sa  route  la  division  de  Bouvet  de 
Lozier. 


9.  Jacques-François  Grout,  chevalier  de  Saint-Georges,  chef  d'escadre  de 
la  compagnie  des  Indes,  fit  la  campagne  de  1747  avec  le  brevet  de  capitaine 
des  vaisseaux  du  roi.  A.  M.,  C^ 

10.  Sur  la  famille  des  Bouvet,  voir  E.  Fabre,  Biographies  et  récits  mari- 
times, 1885. 


PREMIÈRE    GUERRE    MARITIME.    —    l'aTLANTIQUE.     181 

Quatre  jours  après  leur  départ,  le  14  mai,  les  deux 
divisions  françaises,  dont  la  marche  était  retardée  par  les 
deux  convois  qu'elles  avaient  à  protéger,  rencontrèrent, 
par  le  travers  du  cap  Ortegal,  l'escadre  de  l'amiral 
anglais  George  Anson,  qui  s'était  fait  connaître  ré- 
cemment par  une  audacieuse  croisière  dans  le  Paci- 
fique. Les  forces  anglaises  se  composaient  de  quatorze 
vaisseaux  de  ligne  et  d'une  frégate,  portant  neuf  cent 
quarante-quatre  bouches  à  feu  de  gros  calibre.  La  Jon- 
quière  et  Saint-Georges  ne  pouvaient  leur  opposer  que 
cinq  vaisseaux  et  deux  frégates,  armés  en  tout  de  quatre 
cent  trente-six  pièces,  d'un  calibre  inférieur.  La  Jon- 
quière,  loin  de  songer  à  se  dérober,  se  prépara  bra- 
vement au  combat.  Il  avait  eu  le  temps  d'envoyer  son 
convoi  en  avant,  sous  la  protection  de  YEmeraude,  que 
commandait  son  neveu  La  Jonquière  Taffanel  ;  celui-ci, 
se  plaçant  à  l'arrière-garde  de  la  flotte,  parvint  à  la 
soustraire  tout  à  fait  à  l'ennemi,  quand  la  bataille  s'en- 
gagea vers  quatre  heures  du  soir.  Escorté  par  VEme- 
raude,  le  convoi  du  Canada  devait  arriver  sain  et  sauf 
à  destination. 

La  disproportion  des  forces  rendit  l'action  assez  dé- 
cousue. La  Jonquière  n'avait  plus,  après  le  départ  de 
VEmeraude,  que  six  bâtiments  disponibles,  car  il  ne 
pouvait  faire  fond  sur  cinq  navires  de  la  compagnie 
armés  en  guerre  ;  il  ne  songea  plus  qu'à  faire  acheter 
chèrement  leur  victoire  aux  vaisseaux  anglais.  Notre 
courte  ligne  fut  bientôt  coupée  ;  chaque  navire  se  dé- 
fendit comme  il  put,  et  la  bataille  se"  transforma  en  une 
série  de  combats  isolés.  Deux  navires  de  la  compagnie 
prirent  la  fuite  dès  les  premiers  coups  de  canon,  deux 
autres  se  rendirent  ;  du  moins  l'infériorité  de  leur  ar- 
mement ne  leur  permettait  point  de  lutter.  Le  Jason 
amena  son  pavillon  avec  une  rapidité  que  ses  cinquante 


r 


182  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS    XV. 

Dièces  de  canon  auraient  pu  rendre  moins  grande.  Mais 
à  côté  de  ces  défections,  que  d'épisodes  glorieux  ! 

Le  Rubis,  commandé  par  le  lieutenant  de  frégate  Mac- 
Carthy,  n'était  qu'une  frégate  de  vingt-six  pièces  ;  deux 
grands  vaisseaux,  le  Pembroke  et  le  Nollingham, 
s'étaient  accrochés  à  ses  flancs  ;  elle  leur  tint  tête  jusqu'à 
re  qu'elle  eût  été  complètement  désemparée  et  sur  le 
point  de  couler  à  fond. 

La  Gloire,  qw  portait  bien  son  nom,  soutint  un  ter- 
rible duel  de  trois  heures  contre  le  Windsor,  le  Bristol, 
le  Prince  George  ;  ce  dernier,  qui  était  le  vaisseau 
amiral,  n'avait  pas  moins  de  quatre-vingt-dix  pièces.  Le 
commandant  de  la  Gloire,  le  chevalier  de  Salies,  eut  la 
tête  emportée  par  un  boulet  dès  le  début  de  l'action  ; 
à  ses  côtés  se  trouvait  le  jeune  chevalier  de  Grasse  du 
Bar,  le  futur  officier  général  de  la  guerre  d'Amérique, 
qui  servait  alors  comme  enseigne  :  il  fut  grièvement 
blessé  à  la  tête  ^^  L  enseigne  de  vaisseau  de  Mar- 
nière  ^^  prit  la  place  du  commandant  Salies  ;  quand  il 
dut  se  rendre,  cent  soixante-quinze  morts  étaient  cou- 
chés sur  le  pont  et  les  provisions  avaient  été  épuisées 
jusqu'à  la  dernière  cartouche.  La  croix  de  Saint-Louis 
récompensa  l'admirable  résistance  du  jeune  officier. 

Le  Diamant,  du  capitaine  Hocquart  de  Blincourt, 
n'était  plus  qu'une  épave  lorsque  quatre  vaisseaux  an- 
glais s'en  emparèrent,  après  trois  heures  d'une  épouvan- 
table canonnade,  pour  l'abandonner  et  le  couler  bas^^. 

Les  deux  chefs  d'escadre  étaient  dignes  de  commander 

11  Grasse  rappelait  cette  circonstance  en  1754  pour  obtenir  une  pension 
du  roi.  Après  le  combat,  il  fut  trois  mois  prisonnier  en  Angleteri-e.  A.  M., 
C  dossier  Grasse. 

12.  De  Marnière  G..  30  juill.  1733;  E,  1"  mai  1741  ;  L.,  l"  avril  1748;  C. 
14  déc.  1756;  B.,  25  mars  1765;  -J-  18  mars  1771,  Brest.  A.  M.,  C  167. 

13  Hocquart  de  Blincourt  fut  trois  fois  prisonnier  des  Anglais  :  en  1744, 
1747,  1755,  comme  commandant  de  la  Mèdée,  du  Diamant,  de  l'Alcide 
A.  M.,  C  166. 


PREMIÈRE    GUERRE    MARITIME.    —    l'atLANTIQUE.       183 

à  d'aussi  vaillants  officiers.  La  Jonquière  prolongea 
pendant  plus  de  trois  heures  la  résistance  du  Sérieux 
contre  le  Namur,  le  Deuonshire  et  le  Falkland.  Un 
violent  orage,  accompagné  de  coups  de  tonnerre,  vint 
ajouter  encore  au  désordre  d'une  action  si  confuse.  La 
Jonquière  en  profita  pour  se  placer,  par  un  vigoureux 
coup  de  barre,  entre  le  Devonshire  et  le  Namur  et  les 
foudroyer  tour  à  tour  de  ses  bordées  ;  mais  le  Sérieux 
avait  trois  mètres  d'eau  dans  la  cale,  ses  batteries  sub- 
mergées ou  détruites,  sa  mâture  fracassée.  Tous  les 
officiers  étaient  tués  ou  hors  de  combat  :  La  Jonquière 
avait  reçu  un  coup  de  feu  à  travers  le  corps  ;  le  comte 
d'Aubigny  était  grièvement  blessé  à  la  jambe  ;  le  com- 
mandant en  second,  La  Clocheterie,  avait  eu  la  mort 
d'un  héros  ^^.  Force  fut  au  Sérieux  d'amener  son  pa- 
villon. 

VInvincible,  du  chevalier  de  Saint-Georges,  tenait 
encore  ;  tous  les  Anglais  tournèrent  le  feu  contre  le 
vaisseau  qui  portait  toujours  fièrement  les  couleurs  du 
roi  Très  Chrétien.  On  rapporte  que  Saint-Georges,  qui 
n'avait  plus  de  projectiles,  fit  charger  ses  canons  avec 
son  argenterie  ;  ce  fut  comme  sa  dernière  gargousse, 
avant  de  livrer  aux  Anglais  les  débris  fumants  dont  se 
composait  son  navire. 

Ce  combat  du  14  mai  1747  nous  coûtait  environ  huit 
cents  hommes  et  tous  les  navires  de  guerre  qui  avaient 
pris  part  à  l'action.  «  Je  n'ai  jamais  vu  une  meilleure 
conduite,    écrivait  un  capitaine   anglais,    que  celle   du 

14  «  M.  d'Aubigny,  commandant  le  Sérieux,  certifie  que  le  feu  sieur  de 
La  Clocheterie,  ayant  reçu  un  coup  de  canon  qui  lui  ayant  (sic)  emporté 
les  deux  gras  de  Jambes,  Il  avait  demandé,  étant  tombé  du  coup,  à  être 
relevé  et  mis  sur  la  lisse  du  fronteau  du  château  d'avant,  encourageant 
les  officiers  mariniers,  matelots  et  soldats  à  tenir  bon,  et  de  ne  point 
descendre  à  l'amphithéâtre  pour  être  pansé  ;  qu'ayant  été  placé  où  il  dési- 
rait, un  instant  après  il  avait  été  haché  à  morceaux  par  une  salve  de 
coups  de  canon  chargés  à  mitraille.  «  A.  M.,  C\  dossier  La  Clocheterie. 


184  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 

Commodore  français  ;  et,  pour  dire  la  vérité,  tous  les 
officiers  de  cette  nation  ont  montré  un  grand  courage  ; 
aucun  d'eux  ne  s'est  rendu  que  quand  il  leur  a  été  abso- 
lument impossible  de  manœuvrer.  »  Que  n'aurait-on  pu 
attendre  de  ces  officiers  et  de  leurs  équipages,  si  on  leur 
avait  donné  le  moyen  de  se  battre  à  armes  égales  et  non 
dans  la  proportion  d'un  contre  trois  ! 

Cependant,  la  même  faute  était  commise  cinq  mois 
plus  tard,  toujours  pour  la  même  cause,  le  manque 
d'argent  ;  Maurepas  ne  pouvait  obtenir  pour  la  Marine 
que  quelques  rares  sommes,  laissées  disponibles  par  les 
opérations  des  armées  de  terre. 

Il  s'agissait  de  conduire  aux  Antilles  un  grand  convoi 
de  deux  cent  cinquante-deux  voiles,  qui  avait  été  réuni 
sur  les  côtes  de  l'Aunis.  On  avait  d'abord  songé  à  ne 
lui  donner  qu'une  faible  escorte,  avec  le  Neptune  du 
chevalier  de  Fromentière  et  quelques  bâtiments  légers. 
Le  comte  de  Conflans,  qui  devait  être  pris  lui-même  par 
les  Anglais  trois  mois  plus  tard,  attira  l'attention  du 
ministre  sur  le  danger  de  faire  sortir  de  grandes  flottes 
marchandes  dans  les  conditions  critiques  où  était  la  na- 
vigation du  golfe  de  Gascogne. 

((  Le  grand  nombre  de  vaisseaux  anglais  qui  infestent 
nos  côtes  me  fait  réfléchir  aux  difficultés  qu'il  y  aurait 
que  M.  de  Fromentière  pût  sauver  une  flotte  aussi  nom- 
breuse que  celle  qu'il  aura  à  conduire,  à  moins  que 
M.  de  L'Etanduère  ne  l'escorte  avec  son  escadre  jusqu'en 
dehors  des  caps  et  que  le  départ  de  la  flotte  ne  soit  dans 
une  saison  plus  avancée...  Les  ennemis,  ne  s'occupant 
plus  que  du  soin  de  couvrir  nos  côtes,  nous  ôtent  l'espé- 
rance de  sauver  aucune  flotte  ni  vaisseau  de  guerre,  à 
moins  d'un  hasard  singulier.  L'aventure  de  M.  de  La 
Jonquière  nous  en  fournit  un  triste  exemple.  Il  serait 


PREMIÈRE    GUERRE    MARITIME.    —    l' ATLANTIQUE.      185 

plus  avantageux  que  le  commerce  risquât  moins  jusqu'à 
la  paix  que  d'aventurer  tant  de  biens.  Cela  fait  à  nos 
ennemis  redoubler  leurs  efforts  par  la  certitude  de  la 
réussite  ^^.  » 

Maurepas  crut  parer  aux  dangers  que  Conflans  pré- 
voyait d'un  œil  si  perspicace,  en  mettant  le  convoi  de 
l'Aunis  sous  la  protection  d'une  escadre  forte  de  huit 
vaisseaux  de  guerre  et  d'une  frégate  ^^. 

Le  chef  d'escadre  à  qui  l'on  confiait  cette  mission  pé- 
rilleuse, Des  Herbiers  de  L'Etanduère,  âgé  alors  de 
soixante-cinq  ans,  avait  servi  sous  les  ordres  du  comte 
de  Toulouse,  de  Pointis,  de  Du  Casse,  de  Du  Guay- 
Trouin  ;  il  avait  pris  part  avec  celui-ci  à  l'expédition  de 
Rio  de  Janeiro  et  il  avait  été  son  capitaine  de  pa- 
villon lors  des  armements  de  l'escadre  de  Brest  en  1734 
et  1735  ;  capitaine  de  vaisseau  sur  le  Mercure,  il  avait 
figuré  avec  honneur  dans  le  beau  combat  que  le  che- 
valier d'Epinay  avait  soutenu  en  1741  dans  les  eaux  de 
Saint-Domingue.  Il  montait  à  présent,  pour  sa  vingt- 
troisième  et  dernière  campagne,  le  Tonnant,  de  quatre- 
vingts  canons  et  sept  cent  cinquante  hommes. 

L'appareillage  se  fit  de  l'île  d'Aix  le  17  octobre.  Après 
un  arrêt  d'un  jour  devant  la  Rochelle,  on  reprit  la  mer. 
Le  25,  à  quatre-vingt-huit  lieues  au  nord  du  cap  Finis- 
terre,  le  Castor,  commandant  d'Orsonville,  qui  mar- 
chait en  éclaireur,  signala  une  escadre  anglaise  de  qua- 
torze vaisseaux  de  guerre  ;  elle  était  sous  les  ordres  de 
sir  Edouard  Hawke,  qui  avait  été,  en  1744,  le  très  habile 
lieutenant  de  Matthews  à  la  bataille  de  Toulon  et  qui 
devait  vaincre,  en  1759,  le  maréchal  de  Conflans  dans 

15.  Conflans  au  ministre  ;  de  Brest,  14  juin  1747.  A.  M.,  C^  dossier 
Conflans-Brienne. 

16.  Voir  l'Appendice  V.  —  Nombreux  documents  sur  le  combat  de 
L'Etanduère  :  A.  M.,  B*  61.  Cf.  Relation  de  tout  ce  qui  s'est  passé  dans  la 
flotte  de  M.  de  L'Etanduère,  a.  1.  n.  d. 


186  LA    MARLNE    MILITAIRE    SOUS    LOUIS    XV. 

les  eaux  de  Quiberon.  Comme  La  Jonquière,  L'Etan- 
duère  se  préoccupa  avant  tout  de  faire  filer  les  bâtiments 
du  convoi  ;  la  manœuvre  prit  un  temps  considérable, 
mais  elle  réussit  à  peu  près  en  entier,  grâce  à  la  position 
que  notre  chef  d'escadre  avait  prise  entre  ses  navires 
de  transports  et  l'ennemi.  Cependant  les  Anglais,  dont 
les  forces  étaient  près  de  deux  fois  supérieures  aux 
nôtres,  avaient  ouvert  un  feu  terrible  ;  ils  ne  se  servaient 
que  de  mitraille  et  de  boulets  rames,  de  manière  à  fra- 
casser nos  mâts  et  nos  agrès.  «  J^ous  ne  pouvions  ré- 
pondre de  la  même  façon,  le  mauvais  usage  étant  éta- 
bli de  ne  nous  donner  que  quatre  coups  par  canon  de 
cette  sorte  de  munitions,  ce  qui  fut  bientôt  consommé.  » 
Les  Français  tirèrent  dix-huit  cent  quarante-deux  coups 
de  canon  ;  les  Anglais,  environ  quatre  mille,  dont  beau- 
coup, il  est  vrai,  ne  portèrent  pas,  à  cause  de  l'état  hou- 
leux de  la  mer. 

Nos  huit  vaisseaux  furent  bientôt  dans  une  position 
affreuse.  Le  commandant  du  Neptune^  Fromentière,  et 
le  second  ayant  été  tués,  le  lieutenant  Kerlérec  de  Ker- 
vasegan  prit  le  commandement  et  prolongea  la  résis- 
tance pendant  plusieurs  heures;  quand  le  Neptune  se 
rendit,  au  moment  de  couler  bas,  il  était  ras  comme  un 
ponton  ;  sept  officiers  et  près  de  trois  cents  hommes 
étaient  morts.  Le  Terrible,  commandant  le  comte  Du 
Guay,  eut  un  moment  à  lutter  contre  six  vaisseaux  an- 
glais ;  il  dut  se  rendre  aussi.  Le  Monarque,  sur  lequel 
périt  le  commandant  La  Bédoyère,  le  Fougueux,  de  Du 
Vignau,  le  Severn  i'^,  de  Du  Rouret,  le  Trident,  de 
d'Amblimont,  tcus  les  quatre  entièrement  désemparés, 
furent  réduits  à  ce  triste  sort. 

Malgré  une  canonnade  d'une  violence  inouïe,  qui  se 

17.  Le  Severn  était  un  ancien  bâtiment  anglais,  capturé  par  Conflans 
en  1746  ;  voir  p.  200. 


\ 


PREMIÈRE    GUERRE    MARITIME.    —    l'aTLANTIQUE.      187 

prolongea  toute  la  journée  depuis  onze  heures  jusque 
vers  huit  heures  du  soir,  deux  vaisseaux  tenaient  tête 
encore  à  l'ennemi  :  le  Tonnant,  de  L'Etanduère,  et  Vln- 
trépide,  de  Vaudreuil.  Le  commandant  de  Vlntrépide 
avait  fait  preuve  d'autant  de  vaillance  que  d'habileté  : 
il  avait  traversé  la  ligne  anglaise  et  était  parvenu  à  se 
ranger  auprès  du  chef  d'escadre.  II  avait  été  admira- 
blement secondé  par  ses  officiers  :  d'Isle  Beauchesne, 
enseigne  des  gardes-marine,  lui  avait  proposé  la  ma- 
nœuvre hardie  qui  lui  fît  tant  d'honneur  ;  à  la  première 
batterie,  le  lieutenant  Beaulieu  de  Tivas,  à  la  seconde, 
le  lieutenant  de  Sades,  avaient  pointé  les  pièces  sans 
un  instant  de  répit.  La  nuit  ayant  mis  fin  au  combat, 
les  deux  vaisseaux  français  restèrent  bord  à  bord,  prêts 
à  recommencer,  malgré  leur  état  misérable  ;  le  Tonnant 
était  presque  entièrement  démâté  et  Vlntrépide  ne  valait 
guère  mieux.  Le  lendemain  matin,  les  ennemis,  qui 
avaient  été  très  malmenés  eux-mêmes,  avaient  disparu. 
Alors  le  Tonnant  se  fit  remorquer  par  Vlntrépide  à  une 
centaine  de  lieues  à  l'ouest  d'Ouessant,  dans  des  pa- 
rages peu  fréquentés  ;  il  y  resta  jusqu'au  29  à  se 
regréer  entièrement.  Quand  la  carcasse  fut  à  peu  près 
redevenue  un  vaisseau,  le  Tonnant,  toujours  accom- 
pagné de  Vlntrépide,  rentra  au  port  de  Brest. 

De  toute  l'escadre  de  L'Etanduère,  seuls  le  Tonnant 
et  Vlntrépide  s'étaient  soustraits  à  l'ennemi.  La  frégate 
le  Castor,  après  avoir  erré  cinq  jours  sur  l'Océan,  donna 
coup  sur  coup  (30  octobre)  contre  une  frégate  et  contre 
deux  gros  vaisseaux  ;  elle  se  défendit  vaillamment  ; 
mais,  toute  désemparée,  elle  dut,  elle  aussi,  amener  son 
pavillon. 

«  On  a  lieu  d'espérer,  dit  la  Relation  française,  que 
malgré  notre  désastre,  qui  pourrait  être  plus  grand,  on 
rendra  justice  au  corps.  »  Les  Anglais  furent  les  premiers 


188  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS    LOUIS   XV. 

à  reconnaître  tout  ce  qui  s'était  dépensé  d'héroïsme  et 
de  science  manœuvrière  dans  cette  terrible  journée  du 
25  octobre  1747.  «  Jamais  vaisseaux,  écrivait  un  de 
leurs  officiers,  ne  se  battirent  mieux  que  ne  le  firent  en 
cette  circonstance  les  vaisseaux  français  et  ne  vendirent 
plus  chèrement  leur  hberté.  »  «  On  nous  écrit  d'Angle- 
terre, disait  L'Etanduère,  que  leur  première  joie  s'est 
changée  en  deuil,  à  la  vue  du  nombre  de  blessés  qu'ils 
ont  débarqués.  Ils  appellent  le  Tonnant  l'Enfer.  En  effet, 
jamais  vaisseau  n'a  fait  aussi  longtemps  un  feu  si  sou- 
tenu. »  Suffren,  qui  avait  pris  part  à  cette  bataille 
comme  garde-marine,  à  bord  du  Monarque,  et  qui  fut 
ensuite  trois  mois  prisonnier  en  Angleterre,  déclarait 
que  «  c'était  l'une  des  plus  glorieuses  actions  qui  eussent 
jamais  été  livrées  sur  mer  ». 

Certes  Suffren  disait  vrai  ;  mais  que  de  vérité  aussi 
dans  cette  réflexion  découragée,  qui  est  de  L'Etanduère 
ou  de  quelqu'un  écrivant  en  son  nom  ^^  !  <(  Si  comme 
nous  l'espérons,  elle  [la  flotte  marchande]  a  le  bonheur 
de  se  sauver,  nous  serons  en  partie  consolés  de  la  perte 
de  nos  vaisseaux,  destinés  à  se  sacrifier  pour  le  soutien 
du  commerce.  Un  peu  plus  d'égalité  les  mettrait  mieux 
à  l'abri  de  l'insulte  ;  mais  nous  n'y  compterons  que 
lorsque  le  roi  voudra  bien  fournir  à  M.  le  comte  de  Mau- 
repas  les  moyens  de  rétablir  la  marine  sur  le  pied  que 
nous  savons  qu'il  désire  qu'elle  soit,  et  qu'on  soit  un 
peu  plus  persuadé  en  France  de  la  nécessité  d'en  avoir 
une.  » 

18.  Relation  de  tout  ce  qui  s'est  passé  dans  la  flotte  de  M.  de  L'Etan- 
duère. 


CHAPITRE  XII 

PREMIÈRE  GUERRE  MARITIME  ENTRE  LA  FRANCE  ET  l'aNGLE- 
TERRE.  —  4"  LE  CANADA  ET  LES  ANTILLES 


Importance  de  l'île  Royale.  —  Perte  de  Louisbourg.  —  Expédition  de 
d'Anville,  d'Esiourmelles,  La  Jonquière.  —  Beaussier  de  l'Isle.  — 
Croisières  aux  Antilles  :  Conllans,  Du  Bois  de  La  Motte,  Guichen. 

Quittons  les  côtes  de  France  pour  suivre  nos  marins 
en  Amérique  ou  dans  l'Hindoustan.  L'histoire  de  ces 
parages  lointains  offre  une  étroite  ressemblance  avec 
celle  dont  les  mers  de  l'Europe  étaient  alors  le  théâtre  : 
beaucoup  d'héroïsme  dépensé  en  pure  perte  par  des  offi- 
ciers qu'on  charge  de  remplir  une  mission  avec  des 
moyens  insuffisants,  qu'on  ne  soutient  pas  s'ils  réus- 
sissent, qu'on  semble  désavouer  s'ils  échouent. 

La  guerre  maritime  aux  colonies  ne  pouvait  avoir  et 
n'eut  en  aucune  manière  le  caractère  d'une  surprise.  Un 
simple  coup  d'œil  sur  la  carte  suffit  à  le  montrer.  Les 
mêmes  adversaires  qui  se  disputaient  en  Europe  l'em- 
pire de  la  Manche  et  de  la  Méditerranée  se  trouvaient  en 
contact  dans  l'Amérique  du  Nord,  aux  Antilles,  dans 
l'Hindoustan  ;  les  territoires  français  et  anglais  dans 
ces  diverses  régions  étaient  ainsi  disposés  que  le  déve- 
loppement de  l'une  de  ces  puissances  coloniales  avait 
pour  condition  première  la  ruine  de  l'autre  puissance,  s 
Que  les  Français  de  l'Inde  ou  du  Nouveau-Monde  dus- 


190  LA    MARINE    MILITAIRE    SOUS    LOUIS    XV. 

sent  être  vaincus  par  leurs  voisins  d'Angleterre,  cela 
certes  n'était  pas  écrit  ;  il  y  a  tout  lieu  de  croire  que  le 
contraire  serait  arrivé,  si  l'on  avait  voulu  donner  à  la 
marine  un  peu  de  l'attention  et  des  millions  que  l'on 
prodiguait  alors  aux  affaires  continentales.  Mais  ce  que 
l'on  pouvait  affirmer  à  l'avance,  c'est  qu'une  guerre  écla- 
terait partout  où  les  deux  peuples  avaient  des  rapports 
de  voisinage,  et  que  ce  serait  une  guerre  à  mort,  car 
les  nécessités  géographiques  et  économiques  le  vou- 
laient ainsi.  Le  devoir  de  notre  gouvernement  était  de 
se  préparer  à  des  événements  inévitables,  et,  pour  cela, 
de  mettre  nos  colonies  en  état  de  défense,  de  les  relier 
à  la  métropole  par  de  nombreuses  et  puissantes  es- 
cadres. Il  est  inutile  de  dire  qu'il  ne  fit  rien  ou  à  peu 
près  rien.  L'histoire  maritime  d'outre-mer  et  l'histoire 
de  nos  colonies  à  l'époque  des  guerres  de  la  Succession 
d'Autriche  et  de  Sept  ans,  c'est  l'histoire  privée,  pour 
ainsi  dire,  de  quelques  chefs  d'escadre  et  administra- 
teurs, de  quelques  soldats  héroïques  ;  ce  n'est  en  rien 
l'exposé  d'une  entreprise  gouvernementale. 

Un  des  points  les  plus  vulnérables  de  la  France  colo- 
niale était  notre  colonie  du  Saint-Laurent  ou  de  la  Nou- 
velle-France. Ces  vastes  territoires  que  Jacques  Cartier 
avait  entrevus  scus  le  règne  de  François  I",  que  Cham- 
plain  avait  commencé  à  coloniser  à  l'époque  de  Ren- 
ri  IV,  par  lesquels  nos  missionnaires,  nos  trappeurs, 
nos  marchands  pénétraient  jusqu'à  la  région  des  Grands 
Lacs,  étaient  comme  bloqués  depuis  le  traité  d'Utrecht. 
La  cession  aux  Anglais  de  Terre-Neuve  et  de  l'Acadie 
avait  eu  pour  conséquence  non  seulement  de  nous  faire 
perdre  des  territoires  qui  avaient  par  eux-mêmes  une 
valeur  réelle  et  qui  étaient  de  fructueuses  stations  de 
pêche,  mais  encore  et  surtout  de  livrer  à  nos  ennemis  la 


PREMIÈRE    GUERRE    MARITIME.    —    LE    CANADA.         191 

roule  même  du  Saint-Laurent  et  de  Québec.  Cependant 
la  France  avait  conservé  dans  ces  parages  une  position 
de  grande  valeur,  l'île  Royale,  aujourd'hui  du  Cap 
Breton. 

Située  au  nord-est  de  l'Acadie,   dont    elle    n'est    sé- 
parée que  par  un  étroit  bras  de  mer    de    seize    cents 
mètres,  divisée  en  deux  parties  par  un  fiord  de  quatre- 
vingts  kilomètres  de  long  qui  forme  dans  sa  partie  cen- 
trale une  mer  profonde  et  sûre,  ayant    des    côtes    très 
poissonneuses  et,    dans  la  partie  qui  regarde  l'Atlan- 
tique, toujours  libres  de  glaces,  possédant  des  champs 
propres  à  la  culture  des  céréales  et  d'abondantes  forêts 
d'une  exploitation  facile,  cette  île,    qui    avait    été    fré- 
quentée de  tous  temps  par  nos  pêcheurs  de  morue,  avait 
reçu,  après  le  traité  d'Utrecht,  une  partie  de  la  popu- 
lation de  l'Acadie  qui  fuyait  la  domination   anglaise. 
Une  colonie  importante  n'avait  pas  tardé    à    se    déve- 
lopper autour  du  port  de  Eouisbourg,  qui,  dès  la  Ré- 
gence,  était  devenu  comme  l'avant-port  de  Québec  et 
l'un  des  grands  marchés  du  Canada.  Placé  à  la  pointe 
orientale  de  l'île,   au  pied  du  cap  Breton,   Louisbourg 
était  un  poste  de  vigie,  d'où  l'on  surveillait    à    la    fois 
l'Atlantique  et  le  golfe  du  Saint-Laurent.  Aussi  fallait-il 
en  faire  une  place  de  guerre  de  premier  ordre,  si  l'on 
voulait  déjouer  les  convoitises  des  Anglais  et  garder 
en  temps  de  guerre  le  libre  accès  de  Québec.  Bien  qu'on 
eût  dépensé  plusieurs  millions  à  l'île  Royale,  on  n'avait 
pas  mis  la  place  en  un  état  de  défense  suffisant  :  Louis- 
bourg  continua  à  n'être  qu'un  grand  entrepôt  de  mar- 
chandises, fréquenté  à  peu  près  uniquement  par  la  flotte 
marchande  de  la  compagnie  des  Indes.  On  vit  bien  vite, 
dès  que  la  paix  fut  rompue  entre  Paris  et  Londres,  ce 
que  nous  coûta  cette  imprévoyance. 
En  1745,  les  habitants  de  la  Nouvelle-Angleterre,  qui 


192  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS    LOUIS   XV. 

depuis  longtemps  guettaient  cette  proie,  résolurent  de 
s'en  emparer.  Ils  venaient  d'apprendre  qu'il  y  avait  eu 
à  Louisbourg  une  mutinerie  militaire  assez  grave.  La 
petite  garnison  française  avait  été  chargée  de  réparer 
les  fortifications  de  la  place  ;  ne  recevant  pas  la  solde 
spéciale  à  laquelle  ce  travail  lui  donnait  droit,  elle 
s'était  révoltée  contre  le  gouverneur,  M.  Du  Chambon  ; 
le  vrai  coupable  était  l'intendant  Bigot  de  La  Motte, 
dont  les  malversations  avaient  empêché  le  paiement  des 
troupes.  Les  Anglais  d'Amérique  armèrent  à  leurs  frais 
une  armée  de  quatre  à  cinq  mille  hommes  et  des  bâti- 
ments de  transport  ;  il  leur  fallait  le  concours  de 
quelques  vaisseaux  de  guerre.  Le  gouvernement  de 
Londres,  secoriclant  leur  zèle,  envoya  en  Amérique  le 
Commodore  Warren  avec  quatre  vaisseaux. 

L'arrivée  inattendue  de  ces  forces  devant  Louisbourg, 
vers  la  mi-avril  174o,  eut  pour  résultat  de  faire  rentrer 
aussitôt  la  garnison  dans  le  devoir  ;  mais  l'insuffisance 
des  fortifications  et  le  manque  des  munitions  n'étaient 
pas  des  maux  qui  pouvaient  se  réparer  de  même.  Les 
Anglais  purent  descendre  à  terre  sans  obstacle,  tourner 
contre  la  place  les  batteries  des  ouvrages  extérieurs  et 
commencer  les  opérations  d'un  siège  ;  ce  n'était  plus 
qu'une  question  de  temps,  car  aucun  danger  ne  les  me- 
naçait du  côté  de  la  mer.  Le  26  juin  1745,  au  bout  de 
cinquante  jours  de  tranchée  ouverte,  Louisbourg,  qui 
s'était  vaillamment  défendu  et  qui  avait  été  éventré  par 
les  bombes,  dut  ouvrir  ses  portes.  Quand  on  connut  ce 
malheur  en  France,  on  jugea  sans  doute  que  la  journée 
de  Fontenoy,  du  11  mai  1T45,  l'avaif  racheté  à  l'avance. 

Tout  ce  que  Maurepas  avait  pu  faire  en  apprenant  le 
départ  de  l'escadre  de  Warren,  ç'^avait  été  d'armer  pour 
Louisbourg  un  vaisseau  de  soixante-dix  canons,  le  Vigi- 
lant^ commandé  par  JVL  de  La  Maisonfort  Boidescourt. 


PREMIÈRE    GUERRE    MARITIME.    —    LE    CANADA.         193 

Sur  le  point  d'entrer  dans  le  port  de  File  Royale,  le  Vi- 
gilanl  avait  été  attaqué  par  un  corsaire,  qui  lui  lâcha 
quelques  coups  de  canon  et  prit  la  fuite  ;  au  lieu  de  né- 
gliger cet  ennemi,  M.  de  La  Maisonfort  se  mit  à  sa 
poursuite.  Il  se  jeta  ainsi  dans  une  anse  voisine  où 
l'escadre  anglaise  était  cachée  ;  iFfut  pris  avant  d'avoir 
pu  songer  à  se  défendre  et  sans  avoir  rien  débarqué 
(1745). 

Après  avoir  occupé  Louisbourg,  les  Anglais  y  lais- 
sèrent flotter  le  pavillon  français.  Plusieurs  navires  de 
la  compagnie  des  Indes,  qui  n'étaient  pas  au  courant 
du  piège,  vinrent  se  livrer  d'eux-mêmes  ;  les  Anglais 
firent  ainsi  un  butin  de  vingt-cinq  millions  de  francs. 
Résolus  à  se  servir  de  l'île  Royale  comme  d'une  base 
d'opérations  contre  la  Nouvelle-France,  ils  avaient  im- 
posé à  la  population  et  à  la  garnison  l'obligation  de 
quitter  le  pays  et  de  rentrer  en  France.  Quelques  mois 
plus  tard,  en  effet,  des  navires  anglais  jetaient  sur  les 
côtes  de  Bretagne  les  malheureux  défenseurs  de  Louis- 
bourg. 

Maurepas  n'avait  pu  rien  faire  pour  sauver  Louis- 
bourg  ;  il  songea  à  le  reprendre.  Le  laisser  aux  mains 
des  ennemis,  c'était  du  même  coup  leur  abandonner 
Québec,  car  l'entrée  du  golfe  du  Saint-Laurent  était 
désormais  barrée  pour  nous,  avec  les  Anglais  à  Terre- 
Neuve  et  à  l'île  Royale  :  entre  le  cap  Raye  et  le  cap  Nord 
il  y  a  à  peine  vingt-cinq  lieues.  Le  plan  de  Maurepas 
était  d'enlever  aux  Anglais  leur  conquête  récente,  de 
leur  reprendre  même  Port-Royal,  notre  ancienne  capi- 
tale de  l'Acadie,  à  qui  ils  avaient  donné  le  nom  d'Anna- 
polis,  puis  de  ravager  les  côtes  de  la  Nouvelle-Angle- 
terre en  détruisant  Boston.  Dix  vaisseaux  de  ligne,  trois 
frégates,  trois  bombardes,  une  soixantaine  de  navires 
de  transport,  un  corps  de  trois  mille  cinq  cents  soldats 

13 


194  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS    LOUIS   XV. 

furent  réunis  pour  cette  expédition  ;  mais  le  manque 
d'argent  et  les  lenteurs  administratives  amenèrent  de 
longs  retards. 

Ce  fut  seulement  un  an  après  la  chute  de  Louisbourg 
que  nos  navires  quittèrent  la  rade  de  l'île  d'Aix,  le 
22  juin  1746.  Ils  étaient  sous  les  ordres  de  La  Roche- 
foucauld, duc  d'Anville,  fils  d'un  lieutenant  général  des 
galères  et  de  la  fdle  du  célèbre  Du  Casse  ;  lui-même 
lieutenant  général  des  galères,  il  avait  fait  sa  carrière 
surtout  sur  la  xMéditerranée.  Il  avait  parmi  ses  lieute- 
nants d'Estourmelles,  commandant  du  Trident^  La  Jon- 
quière  de  La  Pommarède,  commandant  du  Northumber- 
land  1,  Kersaint,  commandant  de  la  Renommée  ^.  Dans 
les  rangs  des  jeunes  officiers,  on  comptait  le  chevalier 
de  Mirabeau,  lieutenant  de  vaisseau  sur  le  Mars,  à  qui 
cette  désastreuse  expédition  devait  fournir  de  nombreux 
arguments  contre  la  «  plume  »  ;  —  La  Motte-Picquet, 
enseigne  sur  la  Renommée  ;  —  Suffren,  garde-marine 
sur  le  T rident 

Des  malheurs  de  tout  genre  devaient  marquer  la  cam- 
pagne de  d'Anville.  Il  fallut  relâcher  d'abord  aux 
Açores,  où  les  vents  contraires  retinrent  les  Français 
pendant  plusieurs  jours.  Vers  le  15  septembre,  on  arri- 
vait en  vue  de  l'Acadie  ;  là,  un  terrible  ouragan  dispersa 
l'escadre  et  le  convoi.  Deux  frégates  commandées  par 
Marquessac  et  par  Des  Roches  3,  rejetées  jusqu'au  mi- 


1.  Le  Northuviherland  fut  aussi  commandé  dans  cette  expédition  par 
Périer  l'aîné  ;  il  le  fat  en  1747,  au  Canada,  par  son  frère,  Périer  de  Salvert. 

Périer  l'aîné.  Du  Ha\T"e.  Fils  du  capitaine  de  port  de  Dunkerque.  «  Un 
des  bons  officiers  du  roi,  sachant  bien  son  métier.  »  G.,  8  avril  1704  ;  C, 
1"  avril  173S  ;  CE.,  17  mai  1751;  LG.,  17  avril  1757;  -f  1*'  avril  176G,  Brest. 
A.  M.,  C    IGl,    1G6. 

2.  «  L'équipage  de  la  Renommée  était  comix)sé  de  tout  ce  qu'il  y  avait 
de  plus  mauvais  en  matelot;  pas  un  seul  de  passable.  »  Considérations 
sur  la  constitution  de  la  marine  militaire  de  France,  p.  4o. 

3.  11  s'agit  probablement  du  comte  Jean-Gabriel-Cécile  Du  Dresnay  Des 
Roches,  frère  aîné  du  major  du  Soleil  Royal,  dans  l'escadre  de  Conflans. 


PREMIÈRE    GUERRE    MARITIME.    —    LE    CANADA.  195 

lieu  de  l'Atlantique,  n'eurent  d'autre  recours  que  de 
regagner  Brest  ;  elles  y  arrivaient  le  10  octobre,  après 
avoir  tenu  la  mer  pendant  cent  quatorze  jours  continus  ; 
les  équipages  étaient  morts  ou  mourants  de  faim  ;  les 
huit  compagnies  du  régiment  de  Ponthieu  qu'elles  dé- 
barquèrent étaient  dans  un  état  lamentable. 

De  l'autre  côté  de  l'Atlantique,  la  situation  était  aussi 
douloureuse.  D'Anville  était  arrivé  à  rallier  à  peu  près 
tout  son  convoi  vers  la  baie  de  Chibouctou,  aujourd'hui 
Halifax,  sur  la  côte  orientale  de  l'Acadie  ;  il  y  mouillait 
le  17  septembre.  Mais  ses  navires  étaient  transformés 
en  autant  d'hôpitaux  ;  une  terrible  épidémie  de  scorbut, 
comme  l'ignorance  ou  l'oubli  des  plus  élémentaires  pres- 
criptions de  l'hygiène  en  faisait  tant  éclater  alors,  aval* 
enlevé  en  quelques  jours  huit  cents  soldats,  quinze  cents 
matelots  ^.  Les  survivants  étaient  épuisés  et  hors  d'état  de 
combattre.  D'Anville  était  un  jour  sur  son  gaillard 
d'arrière,  quand  il  tomba  foudroyé  par  une  attaque 
d'apoplexie.  D'Eslourmelles  le  remplaça  ;  mais  il  eut  un 
accès  de  fièvre  chaude  et  une  grave  blessure  l'obligea 
de  renoncer  presque  tout  de  suite  au  commandement^. 

Après  avoir  croisé  pendant  un  mois  environ  dans  ces 
parages  de  mort.  La  Jonquière  réunit  quatre  vaisseaux 
de  guerre  et  quelques  bâtiments  de  transport,  tout  ce 
qui  restait  de  disponible,  pour  tenter  un  coup  de  main 
sur  Annapolis.  En  doublant  le  cap  Sable  pour  pénétrer 
dans  la  baie  Française,  vers  les  derniers  jours  d'oc- 
tobre, une  nouvelle  tempête  accabla  ses  navires  ;  l'épi- 

(Voir  l'Appendice  X.)  G.,  1"  janv.  1730;  L.,  1746;  C,  1757;  R.,  1762; 
4-  13  nov.  1772,  Martinique.  A.  M.,  C\ 

k.  «  Il  n'est  pas  douteux  que  ce  ne  soit  là  [la  mauvaise  qualité  des 
vivres]  la  cause  de  la  mortalité  qui  se  mit  dans  l'escadre  de  feu  monsieur  le 
duc  d'Anville,  les  vivres  que  l'on  embarqua  étant  tous  gâtés.  »  Considé- 
rations sur  la  constitution  de  la  marine  militaire  de  France,  p.  38. 

5.  Sur  ces  circonstances  douloureuses,  voir  Corre,  L'Ancien  Corps  de  la 
marine,  p.  216, 


196  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 

demie  continuait  son  œuvre  meurtrière.  Toute  expé- 
dition était  devenue  impossible.  La  Jonquière  revint  à 
Brest,  en  y  ramenant  en  tout  deux  vaisseaux  ;  d'autres 
navires  parvinrent  à  rallier  Rochefort  vers  la  même 
époque,  pour  y  débarquer  huit  cents  scorbutiques. 

Aucun  malheur  ne  devait  manquer  à  cette  campagne. 
A  l'époque  où  l'on  supposait  que  d'Anville  tentait  son 
opération  sur  Louisbourg,  les  Anglais  manquaient  d'en- 
lever Lorient  et  croisaient  sur  les  côtes  bretonnes.  Un 
officier  du  port  de  Brest,  Beaussier  de  L'Isle,  sortit  avec 
la  Subtile,  de  vingt-six  canons  et  cent  quatre-vingts 
hommes  d'équipage,  pour  tenir  la  mer  dans  les  parages 
d'Ouessant  et  empêcher  les  Français,  au  retour  de  leur 
expédition  de  tomber  entre  les  mains  des  Anglais.  La 
Subtile  fit  une  pénible  croisière  de  trente-quatre  jours  ; 
le  30  novembre,  elle  donna  contre  deux  navires  enne- 
mis, le  Portland,  de  cinquante  canons,  et  le  Winchelsea, 
de  vingt-quatre.  La  vaillante  petite  frégate  ne  songea 
pas  à  fuir  ;  elle  ne  se  rendît  que  lorsqu'elle  fut  éventrée 
par  les  boulets  et  sur  le  point  de  couler  bas. 

Après  avoir  débarqué  à  Brest  ses  malades  et  les  dé- 
bris de  son  matériel,  La  Jonquière  vint  à  Versailles 
rendre  compte  au  ministre  de  cette  malheureuse  cam- 
pagne. Maurepas  lui  adressa  cette  réponse,  toute  à 
l'honneur  de  l'un  et  de  l'autre  :  «  Qand  les  événements 
commandent,  ils  peuvent  bien  diminuer  la  gloire  des 
chefs  ;  mais  ils  ne  diminuent  ni  leurs  travaux  ni  leurs 
mérites.  »  Maurepas  répétait  à  peu  près  à  l'infortuné 
chef  d'escadre  les  paroles  que  Philippe  II  avait  adres- 
sées à  l'amiral  de  l'Invincible  Armada  ;  mais  n'eût-Tl 
pas  été  possible  de  prévenir  en  partie  ces  malheurs  en 
agissant  avec  plus  de  rapidité  dès  le  début  des  événe- 
ments qui  avaient  menacé  Louisbourg? 


PREMIÈRE   GUERRE   MARITIME.    —   LES    ANTILLES.      197 

La  guerre  maritime  entre  les  Français  et  les  Anglais 
avait  commencé  aux  Antilles  avant  la  rupture  officielle 
de  la  paix,  lorsque  le  duc  d'Antin  y  avait  conduit  une 
escadre  pour  protéger  les  colonies  de  l'Espagne.  Elle 
s'y  continua  jusqu'à  la  cessation  générale  des  hostilités, 
en  offrant  d'ailleurs  plutôt  le  caractère  de  croisières  que 
de  batailles. 

Les  Anglais  étaient  maîtres  de  la  Jamaïque  ;  les 
Français  de  Saint-Domingue  et  de  la  plupart  des  îles 
au  Vent.  Les  occasions  de  se  rencontrer  se  présentaient 
aux  uns  et  aux  autres  de  mille  manières,  sans  compter 
que  les  îles  à  sucre,  suivant  le  nom  général  que  l'on 
donnait  aux  Antilles,  offraient  de  nombreuses  ressources 
à  la  marine  des  deux  pays.  Dès  le  début  des  hostilités, 
les  Anglais  venaient  d'occuper  les  îles  Saint-Barthélémy 
et  Saint-Martin. 

Hubert  de  Brienne,  comte  de  Conflans,  alors  capi- 
taine de  vaisseau,  partit  de  Brest  en  1744,  avec  leContenl 
et  le  Mars,  capitaine  Périer  l'aîné,  à  destination  de 
Saint-Domingue,  la  seule  de  nos  Antilles  qui,  au  cours 
du  xviii^  siècle,  ne  devait  pas  être  prise  par  les  Anglais  ; 
céiait,  il  est  vrai,  pour  la  perdre  nous-mêmes  un  jour. 
Conflans,  qui  devait  finir  sa  carrière  à  la  bataille  du 
20  novembre  1759,  servait  dans  la  marine  depuis  trente- 
huit  ans  ;  il  avait  été  sous  les  ordres  de  Du  Casse,  de 
Du  Guay-Trouin,  de  La  Rochalart  ;  ses  états  de  ser- 
vice le  désignaient  comme  un  officier  d'avenir.  Son  rôle 
aux  Antilles  au  cours  de  cette  guerre  devait  contribuer 
à  le  mettre  en  lumière  ;  sa  promotion  au  rang  de  chef 
d'escadre  en  1748,  puis  de  lieutenant  général  en  1752, 
fut  la  juste  récompense  de  son  habileté. 

Arrivé  sur  les  côtes  de  Portugal,  à  soixante-dix  lieues 
environ  au  nord-ouest  des  îles  Berlenga,  Conflans  ren- 
contra un  vaisseau  anglais  de  soixante-dix  canons,  lô 


198  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS    LOUIS   XV. 

Norihumberland.  Après  un  combat  violent  de  deux 
heures,  où  il  fut  dangereusement  blessé  et  où  le  Mars 
le  soutint  très  bien,  il  parvint  à  s'en  emparer 
(19  mai  1744).  Le  chevalier  de  Poulconcq  ^,  lieutenant 
sur  le  Mars,  fut  chargé  de  conduire  cette  prise  à  Brest  ; 
elle  y  fut  incorporée,  en  conservant  son  nom,  dans  les 
cadres  de  la  flotte  française  ^  Deux  officiers  de  Conflans 
s'étaient  particulièrement  distingués  dans  cette  affaire  ; 
le  lieutenant  Kerjan  à  la  première  batterie,  le  lieutenant 
des  gardes-marine  Bidé  de  Chézac  à  la  seconde  ;  leur 
chef  obtint  pour  eux  la  croix  de  Saint-Louis. 

Conflans  était  rentré  à  Brest  après  le  combat  des  Ber- 
lenga.  Sur  le  Norihumberland,  il  passa  en  1745  aux  An- 
tilles. Il  se  rencontra  à  la  Martinique  avec  le  chevalier 
de  Caylus,  qui  était  parti  de  Toulon  au  mois  de  sep- 
tembre précédent.  Après  avoir  ravitaillé  nos  établis- 
sements et  réuni  un  grand  convoi,  il  reprit  la  mer,  et 
rentra  à  Brest  à  la  fm  de  juillet  (1745).  De  son  côté,  le 
chevalier  de  Glandevez  ramenait  une  partie  de  l'escadre 
'et  du  convoi  aux  ports  de  Marseille  et  de  Toulon. 

En  1745,  deux  autres  croisières  parcoururent  encore 
la  mer  des  Antilles.  Des  Herbiers  de  L'Etanduère  était, 
au  mois  de  mai,  dans  les  eaux  de  Saint-Domingue. 
Macnemara,  qui  commandait  alors  les  gardes-marine 
à  Rochefort,  apparaissait  aux  îles  d'Amérique,  avec 
cinq  vaisseaux  et  deux  frégates  ;  il  soutint  fort 
habilement  l'honneur  du  pavillon,  obligeant  plu- 
sieurs navires  ennemis  à  prendre  la  fuite,  mais  sans 
perdre  de  vue  l'objet  de  sa  mission,  que  certains  offi- 
ciers regardaient  parfois  comme  un  sorte  de  dérogation 
à  leurs  fonctions  militaires,  l'escorte  de  navires  de  com- 

6.  Chevalier  de  Poulconcq.  De  Bretagne.  G.,  15  juill.  1705  ;  L.  1"  avril  1738  ; 
C.  1"  janv.  1746  ;  R.,  1757.  A.  M.,  C  1G6. 

7.  Conflans  a  laissé  sur  ce  combat  un  rapport  très  intéressant  ;  il  est  daté 
de  Brest,  5  juin  1744.  A.  M.,  B'  56. 


PREMIÈRE   GUERRE    MARITIME.    —    LES    ANTILLES.      199 

merce.  Comme  L'Etanduère  avait  tenu  en  respect  les 
flottes  de  Towsend  et  de  Davers  sans  livrer  combat, 
Macnemara  avait  écarté  les  vaisseaux  du  commodore 
Lee  ;  il  était  de  retour  en  France  au  début  de  174G. 

Le  capitaine  Du  Guay  avait  été  moins  heureux.  Il  con- 
voyait avec  deux  vaisseaux,  le  Magnanime  et  le  Rubis^ 
une  flotte  de  quarante-trois  navires  marchands,  quand 
il  fut  chassé,  dans  les  eaux  de  Fort-Royal  (Martinique), 
par  les  huit  vaisseaux,  les  trois  frégates  et  les  deux 
bricks  de  Towsend  ;  il  put  sauver  vingt-sept  navires 
et  se  sauver  lui-même  (octobre  1745).  Avec  une  pareille 
disproportion  de  forces,  il  avait  droit  de  regarder 
comme  une  victoire  de  n'avoir  pas  éprouvé  de  pertes 
plus  grandes. 

Conflans  avait  reçu,  à  la  fm  de  1745,  le  comman- 
dement d'une  escadre  de  quatre  bâtiments,  le  Terrible, 
le  Neptune,  V Alcyon,  la  Gloire  ;  il  avait  la  mission  de 
conduire  aux  Antilles  une  flotte  de  deux  cent  cinquante 
voiles,  très  richement  chargée  et  portant  six  mille 
honmies.  Il  partit  de  l'île  d'Aix,  le  29  avril  1746  ;  il 
montait  le  Terrible,  ayant  pour  capitaine  en  second  Du 
Rouret  de  Saint-Estève.  Après  quarante-huit  jours  de 
traversée,  il  abordait  à  la  Martinique  (15  juin)  ;  malheu- 
reusement une  épidémie  s'était  mise  dans  les  équipages 
du  Terrible  et  du  Neptune,  il  avait  débarqué  plus  de 
huit  cents  malades.  Après  avoir  recomplété  ses  équi- 
pages, il  remit  à  la  voile  de  Fort-Royal,  le  3  juillet. 
En  doublant  le  Môle  Saint-Nicolas  sur  les  côtes  de 
Saint-Domingue,  il  dispersa  l'escadre  de  Davers,  forte 
de  cinq  vaisseaux,  d'une  frégate  et  d'une  dizaine  de 
corsaires.  Trois  jours  après  il  entrait  au  Cap  avec  sa 
flotte,  sans  être  autrement  inquiété. 

Il  reprit  la  mer  le  7  septembre  ;  ses  instructions  lui 
disaient  de  rallier  dans  le  nord  de  l'Atlantique  l'escadre 


200  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 

de  d'Anville,  qui  était  partie,  vers  la  même  époque,  pour 
l'expédition  de  Louisbourg;  mais  il  ne  la  rencontra 
point  et  revint  en  France.  Dans  cette  croisière  de  retour, 
il  donna  la  chasse,  auprès  du  banc  de  Terre-Neuve,  à 
un  convoi  ennemi  de  soixante-dix  navires  et  de  deux 
vaisseaux  de  ligne.  En  trois  heures,  il  enleva  le  Severn, 
de  cinquante  canons,  coula  un  navire  de  commerce,  en 
captura  vingt  et  mit  en  fuite  l'autre  vaisseau  anglais 
(29  octobre).  Le  6  novembre,  l'habile  commandant  était 
de  retour  à  Brest. 

Vers  la  même  époque.  Du  Bois  de  La  Motte,  alors 
capitaine  de  vaisseau,  ne  se  conduisait  pas  avec  moins 
de  bonheur.  Parti  de  France,  en  octobre  1746,  avec  le 
Magnanime,  VAlcide  et  V Arc-en-ciel,  pour  escorter  un 
convoi,  il  arriva  sans  accident  jusqu'aux  Antilles  ; 
attaqué  entre  la  Martinique  et  Saint-Domingue  par  le 
Commodore  Digby  Dent,  il  lui  tint  tête  ;  sans  avoir  perdu 
un  bâtiment,  il  débarqua  au  Cap,  le  8  décembre.  Son 
retour,  en  avril  et  mai  1747,  fut  marqué  par  deux  ren- 
contres très  disputées.  Auprès  de  la  Martinique,  le 
5  avril,  dans  un  combat  acharné  de  quatre  heures  et 
demie,  il  eut  encore  à  repousser  Digby  Dent.  Sur  les 
côtes  de  France,  il  donna  dans  l'escadre  du  commodore 
Fox,  forte  de  neuf  vaisseaux  de  guerre.  Il  put  passer 
cependant  et  conduire  sa  petite  division  navale  et 
soixante-quatre  navires  de  son  convoi  marchand  jusque 
dans  la  rade  de  Brest. 

Guichen  se  signalait  aussi  par  une  croisière  auda- 
cieuse. Commandant  la  Sirène  comme  lieutenant  de 
vaisseau,  il  avait  été  envoyé  à  Saint-Domingue,  de  com- 
pagnie avec  VAlalanie,  de  Du  Chaffault  de  Besné  (1747). 
La  Sirène  avait  une  marche  supérieure  ;  étant  presque 
toujours  en  avant,  elle  livra  de  nombreux  combats  aux 
corsaires  qui  pullulaient  entre   Saint-Domingue,   Cuba 


PREMIÈRE   GUERRE    MARITIME.    —   LES    ANTILLES.       201 

et  la  Jamaïque.  Un  jour,  Guichen  et  Du  Chaffault,  pour 
éviter  une  escadre  de  cinq  vaisseaux,  dont  un  de  cent 
dix  pièces  de  canon,  se  retirèrent  à  Port-de-Paix  ;  ils 
avaient  descendu  à  terre  six  canons  de  VAtalante^  pour 
former  une  batterie.  Le  lendemain,  grâce  à  cette  forti- 
fication improvisée,  ils  repoussèrent  l'ennemi,  en  lui 
infligeant  des  pertes  sérieuses.  Détaché  tout  seul  à 
Saint-Louis  par  M.  de  Chatenoy,  commandant  de  Saint- 
Domingue,  Guichen  y  arriva  à  temps  pour  prendre  sous 
son  escorte  six  navires  marchands,  qui  portaient  une 
riche  cargaison.  Il  sut  se  dérober  aux  Anglais  et  prendre 
la  mer  avec  son  convoi  à  destination  de  Brest,  a  Ce  que 
j'ai  exécuté,  dit-il  lui-même,  avec  tout  le  bonheur  pos- 
sible, dans  le  temps  le  plus  critique.  )>  L'année  suivante, 
il  était  fait  chevalier  de  Saint-Louis. 

Les  circonstances  réclamaient  à  Saint-Domingue  un 
marin  énergique.  Conflans,  que  sa  dernière  campagne 
avait  mis  en  évidence,  reçut  en  1747  (26  mai)  le  gou- 
vernement des  îles  sous  le  Vent.  Tombé  entre  les  mains 
des  Anglais  le  24  septembre  \  il  put  cependant  gagner  le 
Cap,  capitale  de  son  gouvernement,  dans  les  premiers 
jours  d'août  1748  ;  il  y  avait  été  conduit  par  Vlntrépide, 
du  capitaine  de  vaisseau  BuUion  de  Montlouet.  V Intré- 
pide était  de  retour  à  Brest,  en  novembre,  après  trente- 
six  jours  de  traversée. 

Dira-t-on  que  c'était  une  marine  inexpérimentée  et  en 
décadence,  comme  on  est  trop  souvent  porté  à  le  croire 
de  la  marine  de  Louis  XV,  que  la  marine  qui  se  mon- 
trait si  bonne  manœuvrière  et  si  vaillante  dans  ces 
croisières  répétées  ?  Sans  doute,  elle  ne  fut  pas  tou- 
jours heureuse  ;  quoi  de  plus  triste  que  l'expédition  du 

8.  Voir  ci-dessus,  p.  178. 


202  LA   MARINE   MILITAIRE   SOUS   LOUIS   XV. 

duc  d'Anville,  où  l'escadre  fut  détruite  par  la  tempêta 
et  par  les  épidémies,  sans  avoir  pu  exécuter  sa  mission 
militaire  !  Mais  que  manquait-il  pour  conduire  au  succès 
ces  chefs  de  mérite  et  ces  équipages  pleins  de  bravoure  ? 
La  volonté  bien  arrêtée  de  faire  à  la  marine  sa  part 
dans  la  politique  générale  et  la  grandeur  du  pays.  On 
se  servait  de  la  marine  pour  des  opérations  intéres- 
santes, mais  secondaires  en  somme,  comme  ces  croi- 
sières des  Antilles.  Pour  les  opérations  décisives,  comme 
le  débarquement  en  Angleterre,  l'expédition  de  Louis- 
bourg,  la  campagne  dans  les  mers  de  l'Hindoustan,  on 
semblait  ne  l'employer  qu'à  contre-cœur  ;  on  ne  lui  don- 
nait que  des  moyens  d'action  insuffisants,  qui  d'avance 
paraissaient  la  vouer  à  la  défaite. 


f 


CHAPITRE  XIII 

PREMIÈRE  GUERRE  MARITIME  ENTRE   LA   FRANCE   ET  L*ANGLE- 
TERRE.  —  5°  l'océan  INDIEN 


La  Bourdonnais  à  l'île  de  France.  —  La  flotte  de  la  Compagnie  des 
Indes.  —  Départ  de  La  Bourdonnais  pour  l'Hindoustan.  —  Batailles 
navales.  —  Siège  de  Madras.  —  Bouvet  de  Lozier.  —  Traité  d'Aix- 
la-Chapelle. 

((  Paris  et  Londres  sont  rivaux  en  Europe  ;  Madras 
et  Pondichéry  le  sont  encore  plus  dans  l'Asie,  parce 
que  ces  deux  villes  marchandes  sont  plus  voisines,  si- 
tuées toutes  deux  dans  la  même  province,...  faisant 
toutes  deux  le  même  commerce,  divisées  par  la  religion, 
par  la  jalousie,  par  l'intérêt  et  par  une  antipathie  natu- 
relle. Cette  gangrène,  apportée  d'Europe,  s'augmente  et 
se  fortifie  sur  les  côtes  de  l'Inde  ^  »  Il  n'y  avait,  en 
effet,  qu'à  considérer  la  situation  réciproque  de  Pondi- 
chéry et  de  Madras,  de  Chandernagor  et  de  Calcutta 
pour  comprendre  que  la  coexistence  de  deux  empires 
coloniaux,  l'un  français,  l'autre  anglais,  situés  côte  à 
côte  dans  le  Coromandel  ou  le  Bengale,  était  impos- 
sible. L'Inde  ne  pouvait  pas    être    partagée    entre    la 

1.  Voltaire,  Fragments  historiques  sur  l'Inde,  art.  III.  Ci.  sa  lettre  à 
M.  Gilly,  décembre  1764  :  «  Je  ne  sais,  Monsieur,  comment  l'éditeur  du 
livre  dont  vous  me  faites  l'honneur  de  me  parler  a  mis  huit  lieues  au  lieu 
de  vingt-huit  pour  marquer  la  distance  de  Pondichéry  à  Madras.  Pour 
moi,  je  voudrais  qu'il  y  en  eût  deux  cents  ;  nous  serions  plus  loin  des 
Anglais.  » 


204  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS    LOUIS   XV. 

France  et  rAnglelerre  ;  elle  devait  être    à    1  une    ou    à 
l'autre. 

Cette  question  avait  sa  solution  sur  mer.  Les  victoires 
à  l'intérieur  de  l'Hindoustan  ne  pouvaient  être  rem- 
portées et  surtout  ne  pouvaient  être  exploitées  que  par 
la  puissance  qui  serait  capable  de  tirer  de  l'Europe  ses 
instruments  de  conquête,  qui  posséderait  la  route  des 
Indes,  dont  les  flottes  militaires,  en  un  mot,  seraient 
maîtresses  de  la  mer.  Au  début  de  la  lutte,  la  France 
avait  des  chances  de  succès  très  sérieuses,  à  cause  de 
certains  avantages  géographiques,  ou  à  cause  des  qua- 
lités exceptionnelles  de  ses  champions. 

La  compagnie  des  Indes  avait  eu  la  main  très  heu- 
reuse en  occupant  l'île  de  France  en  1721  ;  sur  la  longue 
route  du  Cap  à  Ceylan,  c'était  une  relâche  excellente. 
Celte  position,  dont  la  valeur  naturelle  était  déjà  très 
grande,  s'accrut  encore  beaucoup  en  importance  quand 
son  gouvernement  et  celui  de  l'île  voisine,  l'île  Bourbon, 
furent  donnés  en  1735  à  Mahé  de  La  Bourdonnais. 

Entré  comme  lieutenant  au  service  de  la  compagnie 
des  Indes  en  1718,  à  dix-neuf  ans,  La  Bourdonnais  était 
à  sa  place  dans  ce  gouvernement  des  Mascareignes,  qui 
allait  lui  permettre,  en  quelques  années,  d'exercer  ses 
meilleures  qualités  d'organisateur  et  de  marin.  Il  com- 
prit l'intérêt  exceptionnel  de  l'île  de  France  au  point  de 
vue  commercial  et  militaire  ;  mais  il  fallait  commencer 
par  compléter  l'œuvre  de  la  nature.  Des  deux  ports 
alors  fréquentés,  Port-Sud-Est  et  Port  Nord-Ouest,  le 
second  était  dans  des  conditions  particulièrement  favo- 
rables ;  il  le  transforma,  il  en  fit  un  port  de  premier 
ordre  et  une  ville,  Port-Louis  :  c'est  toujours  la  capi- 
tale de  Maurice.  L'île  de  France  devint  ainsi  la  citadelle 
de  la  France  dans  l'océan  Indien  et  la  clef  de  l'Hin- 
doustan. 


PREMIÈRE    GUERRE    MARITIME.    —    l'oCÉAN    INDIEN.    205 

Un  peu  plus  tard,  en  1744,  l'occupation  par  un  agent 
de  la  compagnie,  Lazare  Picault,  des  archipels  au  nord- 
est  de  Madagascar  et  de  l'île  qu'il  baptisait  Mahé,  en 
l'honneur  du  gouverneur  des  îles  de  France  et  de 
Bourbon,  nous  donnait  encore  une  relâche  précieuse 
sur  la  route  des  Indes.  L'océan  Indien  appartenait  alors 
sans  conteste  à  la  France. 

Dès  1740,  La  Bourdonnais,  qui  prévoyait,  comme  la 
plupart  des  marins,  une  rupture  imminente  avec  l'An- 
gleterre, proposait  à  Maurepas  une  grande  opération 
maritime,  digne  de  son  audace  de  Malouin  et  de  la  haine 
qu'il  portait  aux  Anglais.  Il  parlait  d'aller  surprendre 
le  commerce  britannique  dans  les  mers  de  l'extrême 
Orient,  par  une  croisière  vers  les  détroits  de  Malacca 
et  de  la  Sonde  ;  c'était,  disait-il,  «  le  plus  grand  coup  ^ 
qu'on  eût  jamais  fait  sur  mer  ».  Maurepas  approuva 
l'idée,  mais  il  ne  voulut  pas  engager  dans  une  opération 
de  ce  genre  les  vaisseaux  du  roi  ;  d'autre  part,  les  di- 
recteurs de  la  compagnie,  qui  se  leurraient  du  vain 
espoir  de  rester  en  paix  avec  leurs  concurrents,  ne  con- 
sentirent pas  aux  frais  de  cette  expédition,  qui  eût  pu 
d'un  seul  coup  ruiner  nos  rivaux.  Notons  que  ce  projet 
d'une  croisière  dans  le  détroit  de  la  Sonde  devait  repa- 
raître en  1765  dans  les  mémoires  militaires  du  comte 
de  Broglie,  avec  le  nom  de  son  premier  auteur. 

Malgré  tout,  il  fallait  bien  songer  à  la  guerre.  La 
Bourdonnais  avait  quitté  Lorient,  le  5  avril  1741,  avec 
la  commission  de  capitaine  de  frégate  de  la  marine 
royale  ;  il  emmenait  cinq  vaisseaux  de  la  compagnie 
armés  en  guerre,  douze  cents  marins  et  cinq  cents  sol- 
dats. Le  matériel  et  les  équipages  de  la  compagnie 
n'avaient  qu'une  valeur  médiocre.  Obligée  de  conciher 
les  intérêts  du  commerce  et  ceux  de  la  sûreté  militaire, 
la  compagnie  avait  fait  construire  sur  ses  chantiers,  et 


206  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 

notamment  à  Lorient,  de  gros  navires,  —  elle  en  avail 
trente-cinq  en  1744,  —  qui  étaient  d'un  type  intermé- 
diaire entre  le  transport  de  commerce  et  le  vaisseau  de 
guerre.  En  fait,  c'étaient  pour  la  plupart  de  médiocres 
marcheurs,  incapables  en  outre,  à  cause  de  leurs  mu- 
railles trop  légères,  de  porter  une  puissante  artillerie 
et  de  résister  à  un  feu  prolongé.  Les  officiers  de  ces 
navires  manquaient  souvent  de  connaissances  militaires  ; 
ils  avaient  du  moins  une  grande  expérience  des  ma- 
nœuvres nautiques.  Un  livre  classique  au  xviii^  siècle. 
Le  Manœuvrier  ou  Essai  sur  la  théorie  et  la  pratique 
des  mouvemenls  du  navire  et  des  évolutions  navales^ 
paru  en  1765,  et  dédié  au  duc  de  Choiseul,  a  pour  au- 
teur Bourde  de  Villehuet,  ((  officier  des  vaisseaux  de 
la  compagnie  des  Indes  ».  Recrutés  dans  la  bourgeoisie 
ou  dans  la  petite  noblesse,  ces  officiers  de  la  marine 
marchande  étaient  mal  vus  des  officiers  de  la  marine 
royale  :  de  là,  une  malveillance  et  un  mépris  réci- 
proques, dont  le  contre-coup  se  fit  fâcheusement  sentir, 
à  plusieurs  reprises,  dans  les  opérations  combinées 
entre  les  deux  flottes. 

Quant  à  la  composition  des  équipages,  c'était  certai- 
nement la  partie  la  plus  défectueuse  dans  les  institutions 
de  la  compagnie.  Recrutés  d'éléments  impurs,  dans  le 
rebut  de  la  population  des  ports  de  mer,  ne  rachetant 
pas  leur  ignorance  du  métier  par  cette  idée  du  dévoue- 
ment au  roi  et  de  la  fidélité  au  drapeau  qui,  du  plus 
obscur  matelot  de  la  flotte  royale,  pouvait  faire  un  héros, 
ces  équipages  étaient,  au  point  de  vue  militaire,  autant 
de  non-valeurs,  quand  ils  n'étaient  pas  autant 
d'obstacles  insurmontables.  Personne  n'en  a  parlé  plus 
sévèrement  que  La  Bourdonnais.  Lors  de  cette  tra- 
versée de  l'année  1741,  «  je  trouvai,  dit-il,  que  les  trois 
quarts  des  matelots  n'avaient  jamais  navigué,  et  presque 


PREMIÈRE    GUERRE    MARITIME.    —    l'oCÉAN    INDIEN.  207 

tous,  jusqu'aux  soldats,  ignorant  ce  que  c'était  qu'un 
canon  et  qu'un  fusil...  »  ;  et  autre  part  :  «  Ces  gens-là, 
quand  je  ne  suis  plus  à  leur  tête,  sont  tout  au  plus  bons 
à  se  défendre  lorsqu'on  les  attaque  ;  leur  vrai  métier, 
c'est  de  charger  des  ballots  et  de  conduire  la  barque.  » 

C'est  sur  cette  matière  ingrate  que  La  Bourdonnais 
exerça  à  plusieurs  reprises  ses  admirables  qualités  d'or- 
ganisateur. Comment  son  art  de  manier  les  hommes  et 
sa  persévérance  à  toute  épreuve  parvinrent  à  faire  de 
ces  recrues  ignorantes  et  indisciplinées  mieux  que  des 
marins  et  des  soldats  passables  ;  comment,  avec  des 
équipages  de  cette  origine,  il  put  vaincre  les  équipages 
réguliers  des  navires  de  guerre  anglais  :  c'est  une 
œuvre  aussi  digne  d'éloges  et  de  reconnaissance  que 
celle  qu'il  accomplit  à  l'île  de  France.  Dans  ces  longues 
traversées  de  Lorient  à  Port-Louis,  de  Port-Louis  à 
Pondichéry,  qui  demandaient  alors  des  mois,  presque 
des  années,  où  il  y  avait  tant  de  jours  perdus,  il  ne 
cessait  de  faire  travailler  ses  officiers  et  ses  équipages 
de  mille  manières  :  manœuvres  à  bord,  exercice  du 
mousquet,  tir  au  canon,  manœuvres  d'ensemble  ;  les 
voyages  au  long  cours  étaient  avec  lui  un  cours  vivant 
et  permanent  de  tactique  et  de  stratégie  navales.  En 
1741,  il  avait  relâché  à  l'île  Grande,  sur  les  côtes  du 
Brésil,  pour  y  exercer  les  matelots  et  les  soldats  ;  ce 
furent  vingt-deux  jours  d'exercices  et  d'entraînement 
continus.  Quand  il  arriva  à  Port-Louis,  le  14  août  1741, 
quatre  mois  et  demi  environ  après  son  départ  de  Lo- 
rient, il  commençait  à  avoir  des  équipages  qui  méri- 
taient ce  nom. 

La  préparation  n'était  pas  finie.  Après  un  mois  de 
relâche,  il  reprit  la  mer  ;  il  arriva  à  Pondichéry  le 
30  septembre.  De  là,  il  se  porta  devant  Mahé  qui,  de- 
puis dix-huit  mois,  était  bloqué  par  les  indigènes  sou- 


208  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 

levés  contre  nous  et  secrètement  soutenus  par  les  An- 
glais ;  ces  opérations  se  terminèrent,  le  4  décembre,  par 
la  délivrance  de  Mahé  et,  en  février  1742,  par  un  traité 
de  paix  signé  avec  les  Naïres.  Enfin,  en  mars,  il  revint 
mouiller  aux  îles  de  France  et  de  Bourbon.  Or,  au 
cours  de  cette  croisière,  pas  un  jour  ne  s'était  passé 
sans  manœuvres  ou  exercices  quelconques.  La  Bour- 
donnais avait  enfin  des  états-majors,  des  marins,  des 
soldats,  des  cancnniers. 

De  retour  aux  Mascareignes,  il  avait  armé  en  guerre, 
en  prévision  de  la  rupture  facile  à  prévoir,  tous  les  na- 
-vires  qui  passaient  à  Port-Louis.  Mais  alors  arriva  un 
ordre  de  France  de  désarmer  et  de  renvoyer  les  navires 
en  Europe.  C'est  ici  que  l'on  peut  saisir  sur  le  vif  les 
contradictions  et  les  inconséquences  du  gouvernement 
de  Louis  XV,  qui  se  traînait  à  la  remorque  des  évé- 
nements, voulait  et  ne  voulait  pas,  commençait  tout,  ne 
finissait  rien,  et  laissait  ses  agents  se  tirer  d'affaires 
;omme  ils  pouvaient.  La  Bourdonnais,  découragé,  ren- 
voya ses  navires  et  offrit  sa  démission.  Une  lettre  du  con- 
trôleur général  Orry  survint  sur  ces  entrefaites  ;  elle 
lui  exprimait  le  désir  ((  qu'il  n'ait  pu  exécuter  en  entier 
les  ordres  qui  lui  avaient  été  donnés  ».  Or,  les  ordres 
avaient  été  exécutés.  Nouvelles  dépêches,  pour  lui 
donner  à  l'avance  la  commission  de  gouverneur  général, 
((  s'il  arrivait  quelque  chose  à  Dupleix  »,  puis  pour  lui 
annoncer  la  rupture  avec  l'Angleterre,  jamais  pour  l'in- 
former du  départ  d'une  escadre. 

Au  milieu  de  ce  désarroi,  La  Bourdonnais,  ne  comp- 
tant plus  que  sur  lui-même,  poussa  énergiquement 
ses  préparatifs  militaires,  malgré  ses  médiocres 
ressources.  En  1745,  Dupleix  faisait  appel  à  son  con- 
cours. L'Angleterre  venait  d'envoyer  dans  l'Inde,  où  la 
France  n'avait  elle-même  aucun  navire   de   guerre,    le 


PREMIÈRE    GUERRE    MARITIME.    —    l'ocÉAN    INDIEN.    209 

Commodore  Barnett  avec  trois  vaisseaux  de  ligne  et  une 
frégate  ;  Pondichéry,  notre  capitale  du  Coromandel, 
pouvait  être  enlevé  par  un  coup  de  main.  La  Bourcon- 
nais  fut  plein  de  joie  à  l'idée  d'aller  canonner  les  An- 
glais ;  la  guerre,  il  la  préparait  depuis  cinq  ans  envi- 
ron ;  il  était  prêt  à  la  faire,  bien  et  vite.  Pour  ses  rap- 
ports avec  Dupleix,  comment  prévoir  que  la  défiance, 
que  la  jalousie,  que  la  haine  allaient  les  envenimer? 
Jusque-là,  entre  ces  deux  Français,  qui  aimaient 
leur  pays,  qui  le  servaient  avec  un  égal  dévoue- 
ment, qui  voulaient  sa  grandeur  maritime  et  co- 
loniale, la  confiance  avait  été  réciproque  et  sans 
arrière-pensée.  Quel  malheur  que  le  manque  d'at- 
tributions bien  définies  entre  le  gouverneur  gé- 
néral de  la  compagnie  et  le  chef  d'escadre,  destinés 
à  agir  ensemble,  ait  permis  à  l'ambition  personnelle  de 
chacun  d'eux  de  se  faire  jour  !  La  Bourdonnais  n'aurait 
pas  été  jeté  à  la  Bastille,  Dupleix  n'aurait  pas  été  désa- 
voué et  réduit  à  la  misère,  peut-être  même  le  drapeau 
français  flotterait-il  encore  sur  l'Hindoustan. 

Les  forces  navales  de  Port-Louis  ne  se  composaient 
que  de  quelques  méchantes  frégates  ;  récemment,  un 
navire  de  la  compagnie,  le  Saini-Géran,  venait  de  se 
perdre  sur  les  récifs  de  l'île  d'Ambre,  causant  la  mort 
d'une  jeune  fille,  M"^  Mallet,  la  Virginie  du  roman  de 
Bernardin  de  Saint-Pierre.  Le  29  janvier  1746,  une 
escadre  de  cinq  vaisseaux  armés  en  guerre  était  arrivée 
de  Lorient  ;  un  seul  d'ailleurs,  V Achille,  de  soixante- 
quatorze  canons  et  de  sept  cent  quatre-vingts  hommes 
d'équipage,  commandant  d'Obry,  pouvait  être  quahfié 
de  vaisseau  de  ligne.  A  la  vue  de  ce  secours  qu'il  atten- 
dait depuis  si  longtemps.  La  Bourdonnais  crut  qu'il 
allait  enfin  châtier  l'audace  des  Anglais  ;  depuis  deux 

14 


210  LA   MARINE    MILITAIRE    SOUS   LÔlJlS   XV. 

ans  que  la  guerre  existait,  ils  causaient  impunément  bien 
des  dommages  à  notre  commerce  dans  l'Inde. 

Aidé  de  son  lieutenant,  le  xMalouin  Bouvet  de  Pré- 
court 2,  il  se  hâta  d'armer  tous  les  navires  dont  il  pou- 
vait disposer,  neuf  en  tout  :  ï Achille,  six  petits  vais- 
seaux, deux  frégates.  A  mesure  que  chaque  navire 
était  prêt,  il  l'expédiait  à  Sainte-Marie-de-Madagascar 
pour  embarquer  des  vivres.  L'escadre  achevait  ses  der- 
niers préparatifs  à  ce  lieu  de  ralliement,  quand,  le  4  et 
le  5  avril,  elle  fut  assaillie  par  un  cyclone,  comme  il 
s'en  produit  souvent  dans  cette  région  de  l'océan  In- 
dien. V Achille  fut  entièrement  démâté,  tous  les  navires 
souffrirent  beaucoup  ;  aucun  n'était  complètement 
perdu,  mais  on  ne  pouvait  plus  songer  à  reprendre  la 
mer  dans  un  pareil  état.  La  ténacité  de  La  Bourdon- 
nais et  ses  facultés  exceptionnelles  d'organisateur  ou 
mieux  de  créateur  allaient  s'affirmer  une  fois  de  plus. 

Ces  navires  sans  mâts,  sans  agrès,  qui  ne  gouver- 
naient plus,  qui  faisaient  eau  de  toutes  parts,  il  les  rallia 
au  nord  de  Sainte-Marie,  dans  la  baie  d'Antongil,  où  la 
compagnie  avait  essayé,  en  1733,  de  fonder  un  établis- 
sement. Là,  il  relâcha  pendant  quarante-trois  jours, 
Construire  un  quai  sur  cette  côte  marécageuse  pour  y 
faire  atterrir  ses  navires,  établir  des  chantiers,  des 
forges,  une  corderie,  tracer  une  route  pour  aller  cher- 
cher des  arbres  dans  les  forêts  de  l'intérieur,  réparer 
chacun  de  ses  navires  depuis  la  quille  jusqu^au  pavillon, 
avoir  de  nouveau  une  flotte  toute  neuve  et  bien  en  état  : 
voilà  le  tour  de  force  prodigieux  qu'il  accomplit,  en  un 
mois  et  demi,  dans  ces  parages  déserts  où  il  avait  failli 
périr. 

Le  22  mai,  sa  division  navale  étaft  en  mer.  Alors  ce 

2.  Cousin  de  Bouvet  de  Lozier. 


PREMIÈRE    GUERRE    MARITIME.    —    l'oCÉAN    INDIEN.    211 

fut  l'exercice  du  canon,  de  la  mousqueterie,  de  l'abor- 
dage, fait  deux  fois  par  jour  à  bord  de  chaque  navire. 
Le  29  juin,  à  la  hauteur  de  Ceylan,  La  Bourdonnais 
reçut  des  dépêches  alarmantes  de  Dupleix.  «  Depuis 
deux  ans  le  nom  français  était  absolument  méprisé  dans 
l'Inde  ;  les  Anglais,  fiers  du  ravage  qu'ils  y  faisaient 
impunément,  étaient  venus  nous  narguer  dans  la  rade 
de  Pondichéry  ;  même,  par  fanfaronnade,  ils  y  avaient 
envoyé  sonder  jusque  sous  le  canon  de  la  citadelle  ; 
enfin,  depuis  un  mois,  une  escadre  anglaise,  commandée 
par  M.  Peyton,  croisait  du  fort  Saint-David  à  Ceylan, 
dans  l'attente  de  notre  arrivée  ;  cette  escadre  était  com- 
posée de  six  vaisseaux.  )>  Trois  navires  de  commerce 
français  venaient  d'être  enlevés  par  l'ennemi. 

Le  6  juillet,  La  Bourdonnais  découvrit  l'escadre  an- 
glaise à  huit  lieues  environ  au  large  de  la  côte,  entre  la 
pointe  Caliméré  et  le  comptoir  hollandais  de  Nega- 
patam.  Meilleurs  voiliers  que  nos  navires,  les  vaisseaux 
anglais  gardèrent  l'avantage  du  vent.  Le  combat  ne  fut 
guère  qu'une  canonnade  ;  le  feu  fut  très  violent  autour 
de  V Achille,  qui  ne  fut  soutenu  que  par  quatre  navires, 
car  les  autres  n'avaient  pu  entrer  en  ligne. 

On  a  sur  cette  campagne  de  1746  une  intéressante 
relation  3,  due  à  M.  de  Rostaing  ;  cet  officier,  qui  s'était 
embarqué  à  Lorient  en  1741,  à  vingt-cinq  ans,  comme 
capitaine,  sur  l'escadre  de  La  Bourdonnais,  et  qui  devait 
mourir  lieutenant  général  en  1793,  après  une  longue  et 
féconde  carrière  d'artilleur,  commandait  alors  l'ar- 
tillerie de  notre  escadre.  La  précision  de  son 
tir  fut  pour  beaucoup  dans  le  succès  de  la 
journée.  «  Toute  mon  artillerie,  dit-il  ,  était  gar- 
nie   de    platines    de    fusils    appliquées    à    côté    de    la 

3.  R.  M.  C,  t.  LXVII. 


212  LA    MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 

lumière,  par  le  moyen  desquelles  et  d'un  bout  de  ligne 
attaché  à  la  gâchette,  que  le  pointeur  tirait  à  propos 
lorsque  le  mouvement  du  navire  mettait  la  pièce  vis-à- 
vis  de  l'objet,  on  faisait  partir  le  feu  aussi  promptement 
que  le  coup  d'œil.  Cette  invention,  dont  M.  de  La  Bour- 
donnais a  renouvelé  l'usage,  n'a  pas  peu  contribué  à  la 
vivacité  de  notre  feu  ;  aussi  Peyton  nous  a-t-il  rendu  la 
justice  de  convenir  que,  quoique  vieux  guerrier,  il  n'en 
avait  jamais  vu  de  pareil  à  celui  qui  était  sorti  de 
V Achille.  »  La  nuit  mit  fm  à  la  canonnade  et  nous  permit 
de  réparer  nos  avaries,  qui  étaient  sérieuses.  Le  len- 
demain, nous  restions  seuls  ;  l'ennemi  avait  fui  du  côté 
du  sud. 

VAchille  portait  des  fonds  considérables,  un  million 
de  piastres  ou  cinq  millions  trois  cent  mille  livres  de 
France  et  du  matériel  de  toute  nature.  Aussi  La  Bour- 
donnais, sans  donner  la  chasse  aux  Anglais,  se  hâta  de 
gagner  Pondichéry  ;  il  mouillait  en  rade  le  8  juillet,  à 
onze  heures  du  soir.  «  La  joie  que  répandit  notre  arri- 
vée fut  vive  et  générale.  » 

Après  avoir  débarqué  son  précieux  chargement,  libre 
à  présent  de  faire  le  marin  à  sa  guise,  il  remit  à  la  voile 
le  4  août  à  la  recherche  de  Peyton,  qui  s'était  réfugié 
à  Ceylan  dans  les  eaux  hollandaises  de  Trincomali.  On 
entra  au  port  de  Negapatam,  mais  sans  saluer  les  Hol- 
landais, à  cause  de  la  protection  qu'ils  donnaient  à  nos 
ennemis  et  parce  qu'ils  affectaient  de  rendre  deux  coups 
de  moins  à  notre  pavillon.  Cependant,  La  Bourdonnais 
voulut  bien  accepter,  après  avoir  obtenu  la  promesse 
des  ravitaillements  nécessaires  à  ses  navires,  une  invi- 
tation à  dîner  pour  lui  et  ses  officiers.  Au  moment  de  se 
mettre  à  table,  on  signala  l'approche  de  cinq  vaisseaux 
au  sud.  «  Nous  remerciâmes  donc  le  gouverneur  hol- 
landais de  son  dîner,  et  nous  volâmes  à  bord,  où  nous 


PREMIÈRE    GUERRE    MARITIME.    —    l'oCÉAN    INDIEN.    213 

fûmes  reçus  avec  des  acclamations  de  joie  et  des  cris 
réitérés  de  :  Vive  le  Roi  !  que  la  vue  de  l'ennemi  exci- 
tait parmi  les  équipages.  »  Par  une  ruse  de  corsaire, 
La  Bourdonnais  arbora  le  pavillon  hollandais.  «  Mais 
quand  les  Anglais  furent  à  portée  de  nous  reconnaître 
avec  des  lunettes  d'approche,  ils  ne  jugèrent  pas  à  pro- 
pos de  mordre  à  l'hameçon.  »  Le  signal  fut  fait  de 
donner  la  chasse  ;  seul,  Y  Achille  était  bon  voilier,  les 
autres  navires  n'étaient  que  «  des  coffres  chargés  de 
monde  et  de  canons  ».  Il  fallut  donc  renoncer  à  cette 
occasion,  qui  «  ne  nous  a  échappé  que  faute  d'avoir  des 
vaisseaux  faits  pour  la  guerre  ».  On  relâcha  encore 
deux  jours  à  Negapatam  et  l'on  rentra  à  Pondichéry  le 
23. 

Ce  second  séjour  dans  les  eaux  de  notre  capitale  in- 
dienne fut  employé  à  préparer  les  opérations  du  siège 
de  Madras  ;  c'était  depuis  longtemps  la  grande  pensée 
de  Dupleix,  et  il  ne  pouvait  la  réaliser  qu'avec  le  con- 
cours d'une  escadre.  Une  maladie  de  La  Bourdonnais 
faillit  d'abord  tout  arrêter  ;  du  28  août  au  4  septembre, 
la  flotte  fut  commandée  par  M.  de  La  Portebarré,  qui  fit 
quelques  prises  jusque  dans  les  eaux  de  Madras.  Le 
chef  d'escadre  étant  guéri,  l'appareillage  eut  lieu  le 
12  septembre,  dans  la  direction  du  nord. 

L'opération  du  débarquemenf  se  fit  sans  difficultés, 
le  14,  à  Coublon  et  à  Saint-Thomé  ;  les  premiers  tra- 
vaux du  siège  furent  aussitôt  entrepris  et  le  bombar- 
dement commença  le  18.  Le  «  Londres-Indien  »  —  c'est 
le  nom  fastueux  que  les  Anglais  donnaient  à  la  ville  de 
Madras  —  avait  mis  toute  sa  confiance  dans  l'escadre 
de  l'amiral  Peyton  ;  mais  la  canonnade  du  6  juillet,  la 
chasse  devant  Negapatam,  la  mâle  assurance  de  La 
Bourdonnais  avaient  porté  leurs  fruits  :  Peyton  ne  fit  rien 
et  Madras  succombait  dès  le  21  septembre.  <(  Nous  pou- 


214  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS    LOUIS    XV. 

vons  dire,  écrit  Roslaing,  avoir  bien  joui  de  tout  le  plai- 
sir de  la  vengeance  ;  mais  que  nous  eussions  pu  la 
pousser  loin  !  Que  la  fortune  nous  offrait  une  belle 
et  facile  occasion  pour  immortaliser  la  gloire  de  la 
nation  dans  l'Inde  !  » 

Les  événements  qui  suivirent,  les  différends  entre  Du- 
pleix  et  La  Bourdonnais  au  sujet  du  sort  de  Madras,  le 
rachat  accordé  par  le  second  et  refusé  par  le  premier, 
les  conflits  d'attributions,  les  froissements  de  caractère, 
les  obstinations,  les  haines  d'homme  à  homme,  toutes 
ces  tristesses,  qui  finirent  par  nous  coûter  si  cher,  n'ap- 
partiennent pas  à  l'histoire  proprement  dite  de  notre 
marine.  Bornons-nous  à  rappeler  quelques  faits. 

Assailli  au  mouillage  de  Madras,  le  13  octobre,  par 
un  cyclone,  dans  lequel  se  perdirent  le  Duc  d'Orléans, 
la  Marie-itcrlrude  et  d'autres  navires,  La  Bourdonnais 
avait  remis  à  la  voile  le  23.  Il  ne  s'arrêta  que  deux  jours 
à  Pondichéry.  Il  y  avait  trouvé  trois  vaisseaux,  qui 
venaient  d'arriver  de  France  le  8  octobre,  le  Centaure, 
le  Mars  et  le  Brillant,  —  cent  quatre-vingts  canons  et 
treize  cent  soixante  hommes,  —  sous  les  ordres  du  com- 
mandant d'Ordelin.  Avec  ce  renfort,  il  pouvait  achever 
ce  qu'il  avait  si  bien  commencé,  en  détruisant  les  der- 
niers comptoirs  et  navires  anglais.  Mais  son  parti  était 
pris  ;  il  ne  voulait  plus  avoir  aucun  rapport  avec  Dupleix 
ni  lui  laisser  les  vaisseaux,  dont  le  commandement,  aux 
termes  de  sa  commission,  n'appartenait  qu'à  lui.  Le 
29  octobre,  il  partit  donc  de  la  rade  de  Pondichéry  en 
emmenant  toute  son  escadre,  soit  sept  vaisseaux, 
V Achille,  le  Lys,  le  Sumatra,  le  Saint-Louis,  très  fati- 
gués de  cette  longue  croisière,  et  les  trois  vaisseaux  de 
d'Ordelin,  qui  n'avaient  fait  qu'apparaître  pendant  vingt 
jours  sur  les  côtes  du  Coromandel.  D'Ordelin  fit  pen- 
dant quelque  temps  une  croisière  au  nord  de  Sumatra  ; 


PREMIÈRE    GUERRE    MARITIME.    — :    l'OCÉAN    INDIEN.    215 

le  6  décembre,  il  jetait  l'ancre  à  Achem  (Atchin),  sur 
les  côtes  de  Sumatra.  Quant  à  La  Bourdonnais,  la  rage 
au  cœur,  ayant  laissé  à  Pondichéry  un  ennemi  qui  ne 
devait  pas  lui  pardonner,  il  mouillait  le  10  décembre  à 
Port-Louis,  avec  sa  petite  escadre  qui  avait  été  si  vail- 
lamment à  la  peine  et  qui  ne  devait  pas  être  à  l'honneur. 

Le  successeur  de  La  Bourdonnais  dans  l'océan  In- 
dien fut  un  autre  Malouin,  Bouvet  de  Lozier.  On  a  déjà 
vu  comment  celui-ci,  parti  de  Lorient  le  27  mars  1747, 
avait  été  séparé  de  son  chef  d'escadre,  le  chevalier  de 
Saint-Georges,  par  une  violente  tempête  ;  Saint-Georges 
relâchait  à  l'île  d'Aix,  puis  en  sortait  pour  partager 
l'héroïsme  et  l'infortune  de  La  Jonquière,  tandis  que 
Bouvet  de  Lozier,  plus  heureux,  gagnait,  sans  avoir 
rencontré  l'ennemi,  l'île  de  Sainte-Catherine  sur  les 
côtes  du  Brésil  ;  sa  division  se  composait  du  Lys  et  de 
quatre  autres  navires.  N'ayant  reçu  aucunes  nouvelles, 
il  reprenait  la  mer  le  9  août  ;  deux  mois  plus  tard,  le 
12  octobre,  il  touchait  à  la  rade  de  Port-Louis. 

Depuis  quelques  mois  la  situation  avait  bien  changé 
sur  les  côtes  du  Coromandel.  Un  nouvel  amiral  anglais, 
Griffin,  avait  ressaisi  l'empire  du  golfe  du  Bengale,  que 
notre  marine  ne  songeait  plus  à  lui  disputer.  Dupleix 
pouvait  perdre  Madras  ;  il  courait  même  le  risque  d'être 
assiégé  dans  Pondichéry.  Il  fit  demander  du  secours  à 
Port-Louis  par  le  capitaine  d'Ordelin,  qui  arrivait  à  l'île 
de  France  en  décembre,  quand  Bouvet  de  Lozier  y  était 
depuis  deux  mois  environ.  Les  îles  de  France  et  de 
Bourbon  avaient  alors  pour  gouverneur  Pierre  David, 
qui  mérita,  par  son  habileté  d'administrateur  et  son  zèle 
patriotique,  de  succéder  à  La  Bourdonnais.  Pour  ré- 
pondre à  l'appel  de  Dupleix,  Pierre  David  mit  en  ar- 
mement tous  les  navires  disponibles  sur  la  rade  de 
Port-Louis  ;  il  les  envoyait  au  fur  et  à  mesure  se  rallier 


216  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS    LOUIS   XV. 

à  Foule  Pointe,  sur  la  côte  de  Madagascar,  entre  Tama- 
tave  et  Sainte-Marie.  Il  fallait  se  hâter  ;  on  venait  d'ap- 
prendre que  Boscawen  était  parti  d'Angleterre,  le 
28  novembre  1747,  avec  six  vaisseaux  de  ligne,  deux 
galiotes  à  bombes,  une  vingtaine  de  transports  et  près 
de  quatre  mille  hommes,  à  destination  des  Indes.  Malgré 
toute  l'activité  de  Pierre  David,  Bouvet  de  Lozier  ne  put 
prendre  la  mer  à  Foule  Pointe  que  le  23  mai  1748  ;  il 
avait  sept  vaisseaux,  le  Lys,  VApollon,  YAnglesey,  le 
Mars,  le  Brillant,  le  Centaure,  la  Cybèle,  en  tout  trois 
cent  vingt-huit  canons  et  deux  inille  cent  dix  hommes. 

La  campagne  de  Bouvet  de  Lozier  est  un  vrai  chef- 
d'œuvre  d'habileté  manœuvrière  :  il  sut  se  glisser,  invi- 
sible et  insaisissable,  au  milieu  des  escadres  anglaises, 
exécuter  toute  sa  mission  et  revenir  sain  et  sauf  avec 
tout  son  monde.  Le  15  juin,  il  était  dans  les  eaux  de 
Ceylan  ;  il  franchit  le  détroit  de  Palk,  et  s'avança  avec 
beaucoup  d'ordre  et  de  prudence  le  long  de  Negapatam, 
Karikal,  Tranquebar.  La  Cybèle,  envoyée  en  avant- 
garde,  découvrit,  le  20  juin,  dans  la  baie  de  Goudelour 
(Cuddalore),  Tescadre  de  Griffin,  mouillée  sur  deux 
lignes  en  angle  obtus,  protégeant  de  ses  dix  vaisseaux 
et  de  ses  quatorze  cent  soixante-dix  canons  une  flotte 
marchande  d'une  quinzaine  de  voiles.  Bouvet  songea 
un  moment  à  fondre  sur  elle  ;  mais  la  disproportion  des 
forces  était  vraiment  trop  grande,  il  pouvait  perdre 
dans  ce  coup  de  main  les  soixante  mille  marcs  d'argent, 
les  munitions  et  les  hommes  que  Dupleix  attendait  avec 
anxiété.  Continuant  sa  route,  Bouvet  fila  au  large  devant 
Goudelour  et  Pondichéry  ;  le  surlendemain,  22  juin,  à 
deux  heures  de  l'après-midi,  il  mouillait  devant  Madras. 
Débarquer  l'argent,  le  convoi,  quatre  cents  hommes,  ce 
fut  pour  cet  habile  manœuvrier  l'affaire  de  huit  heures. 

Le  même  jour,  à  dix  heures  du  soir,  il  reprenait  le 


PREMIÈRE    GUERRE    MARITIME.    —    l'oCÉAN    INDIEN.  217 

large.  Il  y  avait  à  compter  avec  les  Anglais,  qui  étaient 
toujours  au  mouillage  de  Goudelour,  et  avec  les  vents 
qui  n'étaient  pas  favorables,  car  la  mousson  du  retour, 
la  mousson  du  nord-est,  ne  souffle  qu'en  septembre. 
Tandis  que  Griffm  explorait,  sans  le  rencontrer  nulle 
part,  tous  les  parages  de  la  côte  de  Coromandel  et 
d'Orissa,  il  utilisait  les  moindres  coups  de  vent  ;  bref, 
le  25  juillet,  il  était  de  retour  à  l'île  de  France.  Dans 
son  rapport  à  Maurepas  il  parlait  ainsi  de  sa  croisière  : 
«  Nous  pourrions  dire,  avec  les  Israélites  de  la  mer 
Rouge,  que  nous  avons  été  portés  comme  sur  les  ailes 
des  aigles.  )>  La  croix  de  Saint-Louis,  qu'il  recevait 
quelques  mois  plus  tard,  fut  la  juste  récompense  de  son 
audace  et  de  son  habileté. 

Les  secours  que  Bouvet  de  Lozier  avait  débarqués  à 
Madras,  dans  l'après-midi  du  22  juin,  étaient  arrivés 
juste  à  temps  pour  Dupleix  ;  ils  avaient  été  acheminés 
par  terre  de  Madras  à  Pondichéry.  Il  ne  s'agissait  plus, 
en  effet,  pour  Dupleix,  de  garder  sa  conquête,  mais 
bien  de  sauver  sa  propre  capitale. 

Boscawen,  avec  ses  forces  imposantes,  était  arrivé, 
le  4  juillet  1748,  devant  Port-Louis  ;  il  avait  trouvé  une 
île  bien  fortifiée  et  un  gouverneur  très  énergique  ;  au 
bout  de  trois  jours  d'attaque,  il  renonça  à  avoir  raison 
de  la  résistance  de  Pierre  David.  Il  continua  sa  route 
vers  l'Hindoustan  ;  le  4  août,  il  mouillait  à  Goudelour. 
Dans  cet  intervalle  du  4  juillet  au  4  août,  sa  flotte  et  celle 
de  Bouvet  de  Lozier  s'étaient  croisées  sans  se  rencontrer. 
Il  commença  aussitôt,  par  terre  et  par  mer,  le  siège  de 
Pondichéry.  Dupleix,  qui  n'avait  aucun  secours  à  attendre 
de  la  mer,  résista  avec  une  admirable  énergie  ;  contre 
toutes  les  prévisions,  il  triompha  de  l'ennemi.  Ouvert 
le  30  août,  soutenu  par  un  feu  terrible,  le  siège  était 
levé  le  6  octoBre  ;  quelques  jours  plus  tard,   l'escadre 


218  LA   MARINE    MILITAIRE    SOUS    LOUIS    XV. 

de  Boscawen  disparaissait  au  large.  Elle  avait  échoué 
devant  Port-Louis  et  devant  la  côte  du  Coromandel. 
Dans  cette  vie  de  Dupleix  où  les  tristesses  et  les  joies 
se  sont  tant  de  fois  mélangées,  ce  fut  peut-être  le  plus 
beau  moment  pour  son  orgueil  patriotique  ;  Pondichéry 
venait  d'être  sauvé,  sauvé  par  lui,  et  Madras  était  tou- 
jours entre  ses  mains  ^. 

Le  grand  homme  put  croire  un  moment  qu'on  allait 
enfin  faire  attention  à  l'œuvre  de  géant  qu'il  venait  de 
commencer  avec  ses  seules  ressources.  Sortant  de  son 
apathie,  le  gouvernement  avait  mis  à  la  mer,  à  Brest,  en 
janvier  1748,  une  escadre  de  trois  vaisseaux  et  de 
quelques  petits  bâtiments,  sous  les  ordres  du  marquis 
d'Albert  Du  Chesne,  chevalier  de  Malte.  Ses  instruc- 
tions lui  disaient  de  rallier  l'escadre  de  Port-Louis,  de 
tenter  un  coup  de  main  sur  Bombay  et  Ceylan  et  de  se 
mettre  à  la  disposition  du  gouverneur  général  de  la 
compagnie  des  Indes.  Qu'advint-il  de  ces  beaux  projets? 
D'Albert  et  son  vaisseau  le  Magnanime  furent  pris  par 
les  Anglais  ;  le  reste  de  sa  division  se  dispersa  sur 
l'Atlantique.  Le  capitaine  Kersaint  avec  VAlcide  arriva 
le  premier  à  Port-Louis,  le  28  juin  ;  ce  fut  pour  con- 
courir à  la  défense  de  l'île  contre  Boscawen.  Les  autres 
bâtiments  rallièrent  trop  tard  l'île  de  France  pour  que 
Kersaint  ait  pu  prendre  part  à  la  défense  de  Pondi- 
chéry. 

Du  moins,  après  le  départ  de  Boscawen  et  le  retour 
de  Bouvet  de  Lozier,  Kersaint  avait  pu  réunir  et  armer 
sept  vaisseaux.  Il  prenait  la  mer  en  janvier  1749  ;  le 

4.  M.  CuLTRu,  l'auteur  de  Dupleix  (Paris,  1901),  a  essayé  d'établir  que 
Jusqu'en  l'?49  Dupleix  n'avait  songé  qu'à  des  opérations  commerciales,  et 
qu'il  n'avait  eu  de  plan  arrêté  pour  la  domination  des  Français  dans 
l'Inde  qu'au  momeni  même  de  son  rappel.  Cette  thèse,  qu'il  n'y  a  pas  à 
discuter  ici,  ne  change  rien  à  l'opinion  que  Dupleix  avait,  dès  ce  moment, 
sur  rimi>ortance  de  Madras. 


PREMIÈRE   GUERRE   MARITIME.    l'oCÉAN   INDIEN.         219 

9  février,  il  jetait  l'ancre  devant  Pondichéry.  Dupleix 
avait  enfin  à  sa  disposition  la  force  navale  qui  était  la 
condition  première  et  comme  la  base  de  l'empire  franco- 
indien  qu'il  entrevoyait  dans  son  imagination  depuis 
les  rives  du  Gange  jusqu'au  cap  Comorin. 

Ni  Dupleix  ni  Kersaint  ne  savaient  à  cette  date  que 
la  paix  avait  été  signée  entre  les  puissances  belligé- 
rantes, à  Aix-la-Chapelle,  le  18  octobre  1748.  Un  pléni- 
potentiaire français  avait  déclaré  au  congrès  que  son 
maître  «  voulait  faire  la  paix,  non  en  marchand,  mais 
en  roi  ».  On  sut  bien  vite  le  sens  de  cette  parole. 

Content  d'avoir  travaillé  pour  le  roi  de  Prusse,  pour 
le  roi  d'Espagne  et  les  siens,  Louis  XV,  dans  son  admi- 
rable désintéressement,  ne  voulait  rien  pour  lui-même. 
Les  Pays-Bas  belges  qu'il  tenait  en  entier,  il  les  rendait  ; 
deux  belles  citadelles  de  Hollande  où  Maurice  de  Saxe 
et  Lowendal  avaient  planté  les  fleurs  de  lis,  Maastricht 
et  Bergen-op-Zoom,  il  les  rendait  ;  Madras,  ce  port 
ignoré  du  Coromandel,  qu'un  marchand  de  la  com- 
pagnie des  Indes  avait  occupé  de  son  chef  en  provoquant 
bien  des  ennuis  et  à  son  roi  et  à  la  compagnie,  il  le  ren- 
dait :  il  ne  voulait  point  déplaire  à  George  IL  Sur  le 
désir  du  roi  d'Angleterre,  il  s'engageait  à  démolir 
quelques  batteries  établies  au  débouché  dans  la  mer  du 
petit  chenal  de  Dunkerque,  de  même  qu'il  allait  faire 
arrêter  quelques  semaines  plus  tard,  en  plein  Opéra, 
le  prétendant  Charles-Edouard.  Que  George  II  consentît 
de  son  côté  à  nous  rendre  Louisbourg,  et  le  traité  était 
signé. 

Ainsi  fut  conclue  celte  paix  stupide.  Au  mois 
d'août  1749,  Dupleix  dut  restituer  Madras  aux  Anglais. 
Pourrait-on  imaginer  une  pareille  aberration?  Maîtres 
de  tous  les  Pays-Bas,   d'Anvers,   des  embouchures  de 


1 


220  LA   MARINE    MILITAIRE    SOUS    LOUIS   XV. 

l'Escaut,  nous  avions  entre  les  mains  des  gages  ines- 
timables ;  malgré  leur  voracité  coloniale,  les  Anglais 
auraient  donné  tous  les  Louisbourg  et  tous  les  Madras, 
pour  nous  déloger  de  ces  côtes  de  la  mer  du  Nord  où 
ils  nous  voyaient  avec  terreur.  Mais  on  rendit  les  Pays- 
Bas  et  on  se  borna  à  l'échange  des  deux  ports  colo- 
niaux. Or,  recouvrer  Louisbourg,  ce  n'était  certes  pas 
sauver  Québec  ;  et  restituer  Madras,  c'était  sûrement 
perdre  Pondichéry. 

«  Le  peuple  en  général,  dit  Barbier  dans  son  Journal, 
n'est  pas  bien  content  de  cette  paix,  dont  cependant  il 
avait  grand  besoin...  On  dit  que  dans  les  halles  les 
harengères  en  se  querellant  se  disent  :  Tu  es  bête 
comme  la  paix.  »  Le  mot  des  harengères  peut  être  le 
jugement  de  l'histoire  et  surtout  de  l'histoire  maritime. 


CHAPITRE  XIV 

LES  SECRÉTAIRES  d'ÉTAT  DE  LA  MARINE  DE  1749  A  1761 


La  marine  en  1748.  —  Le  secrétaire  d'Etat  Rouillé.  —  Travaux  mari- 
times. —  L'Académie  de  Marine  ;  Bigot  de  Morogues.  —  École  d'hy- 
drographie. —  Le  secrétaire  d'Etat  Machault  d'Arnouville.  —  Consi- 
dérations sur  la  constitution  de  la  marine  militaire  de  la  France.  — 
Préparatifs  de  la  guerre  maritime.  —  Le  secrétaire  dEtat  Moras.  — 
Les  officiers  bleus.  —  Le  secrétaire  d'Etat  Massiac.  —  Le  secré- 
taire d'Etat  BeiTyer. 

On  a  déjà  corrigé  le  passage  du  Précis  du  siècle  de 
Louis  XV  où  Voltaire  avance  qu'au  moment  de  la  paix 
d'Aix-la-Chapelle  la  France  n'avait  plus  qu'un  seul 
vaisseau  de  guerre  ^  La  vérité  est  que  notre  marine 
était  loin  d'être  anéantie. 

Notre  flotte  marchande  et  notre  flotte  militaire,  la 
première  surtout,  avaient  subi  de  grandes  pertes.  Un 
mémoire  du  mois  d'octobre  1745  évaluait  à  près  de  cent 
quatre-vingt-dix  millions  de  francs  les  pertes  de  notre 
marine  de  commerce  ^.  Notre  commerce  colonial,  vers 
1715,  ne  montait  pas  à  vingt  millions  de  livres  par  an  ; 
grâce  à  la  paix  qui  dura  un  quart  de  siècle  et  qui  eut 
du  moins  ce  précieux  avantage  de  provoquer  l'essor  de 
la  compagnie  des  Indes,  il  s'était   élevé,  vers    1742,    à 

1.  Voir  JAL,  Dictionnaire  critique  :  «  Assertion  (Une)  de  Voltaire.  » 

2.  Mémoire    de    M.    Fournier    (octobre    1745),    reproduit    par    Makgry. 
«.  M.  C.  t.  LXVIII,  p.  93-95. 


222  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 

près  de  cent  cinquante  millions  ;  il  occupait  alors  envi- 
ron six  cents  vaisseaux.  Plus  de  la  moitié  de  cette  flotte 
marchande  était  tombée  aux  mains  de  l'ennemi  ;  le 
seul  port  de  Marseille  avait  éprouvé  un  dommage  supé- 
rieur à  une  douzaine  de  millions.  La  pêche  au  banc  de 
Terre-Neuve,  qui  avait  employé  jusqu'à  cent  vingt  na- 
vires et  huit  à  dix  mille  hommes,  n'occupait  plus  qu'une 
dizaine  de  navires  ;  la  perte  de  Louisbourg  avait  amené 
la  ruine  complète  de  cette  grande  industrie  maritime. 
Si  ce  mémoire  parle  d'une  perte  d'environ  cent  quatre- 
vingt-dix  millions  vers  la  fin  de  l'année  1745,  il  est  cer- 
tain que  ce  chiffre  aurait  dû  être  fortement  majoré  en 
1748,  car  l'insuffisance  du  matériel  dans  la  marine 
royale  n'avait  pas  permis  d'accorder  partout  à  notre 
commerce  une  protection  efficace.  Il  est  certain,  d'autre 
part,  que  nos  convois  n'avaient  cessé  de  sillonner 
l'Atlantique,  à  destination  des  Antilles  et  même  de  l'Hin- 
doustan  ;  notre  domaine  colonial  était  resté  entier, 
et  les  blessures  qu'il  avait  reçues  pouvaient  se  guérir. 
Notre  flotte  marchande  disposait  encore  d'un  grand 
nombre  de  navires,  et  grâce  à  la  paix  ce  nombre  allait 
rapidement  s'accroître. 

Quant  à  la  flotte  militaire,  ses  pertes  au  cours  de  la 
guerre  avaient  été  d'une  quarantaine  d'unités,  soit 
vingt-trois  vaisseaux,  neuf  frégates,  six  corvettes,  trois 
grosse  flûtes  ;  il  ne  faut  pas  porter  au  passif  de  cette 
guerre  vingt-sept  vaisseaux  qui  étaient  devenus  hors  de 
service,  car  ils  auraient  été  réduits  à  cette  condition 
aussi  bien  en  temps  de  paix.  En  1748,  les  effectifs  de 
l'armée  navale  comprenaient  encore  trente  vaisseaux 
en  bon  état,  dont  neuf  à  la  mer,  vingt  et  un  dans  les 
ports,  sans  compter  dix-neuf  frégates  légères  et  dix 
navires  qui  étaient  en  construction.  Le  port  de  Toulon, 
à  lui  seul,   possédait  dix  vaisseaux,    de  soixante-qua- 


I 


LES  SECRÉTAIRES  D  ETAT  DE  LA  MARINE  DE  1749  A  1761 .  223 

torze  à  cinquante-quatre  canons,  deux  frégates,  six 
bâtiments  de  rang  inférieur  ;  les  chantiers  de  Toulon 
contenaient  quatre  vaisseaux  et  une  frégate.  Avec  ce 
total  de  quarante-cinq  à  cinquante  bâtiments  de  haut 
bord,  la  marine  militaire  était  loin  du  chiffre  légendaire 
d'un  vaisseau  auquel  Voltaire  la  réduisait. 

Il  faut  ajouter  que  ces  effectifs  n'étaient  pas  sensible- 
ment inférieurs  à  ceux  du  début  de  la  guerre.  Quelques 
bâtiments  avaient  été  perdus,  comme  dans  les  combats 
des  escadres  de  La  Jonquière  et  de  i'Etanduère  ou  dans 
les  croisières  des  Antilles  ;  mais  la  marine  n'avait  pas 
éprouvé  de  désastre  ;  la  bataille  de  Toulon,  la  seule 
bataille  rangée  qui  avait  été  livrée  au  cours  de  la  guerre, 
sans  parler  des  combats  victorieux  de  La  Bourdonnais 
sur  les  côtes  du  Coromandel,  ne  lui  avait  pas  fait  perdre 
un  seul  navire. 

D'autre  part,  Maurepas  avait  toujours  fait  mettre  en 
chantier  des  unités  nouvelles  ;  en  1747  encore,  trois  vais- 
seaux étaient  sortis  des  chantiers  de  Toulon.  Le  ministre 
se  plaignait  de  la  parcimonie  avec  laquelle  on  lui  mesu- 
rait les  fonds  de  la  marine,  maintenant  surtout  que  la 
guerre  était  terminée  ;  mais,  comme  il  avait  toutes  les 
raisons  de  croire  que  le  traité  d'Aix-la-Chapelle  n'était 
qu'une  trêve,  il  avait  préparé,  dès  la  signature  de  la 
paix,  un  plan  de  reconstitution  de  notre  marine  de 
guerre  :  il  comptait  avoir  en  dix  ans  environ  cent  dix 
vaisseaux  et  cinquante-quatre  frégates.  Il  eut  à  peine  le 
temps  de  jeter  ces  projets  sur  le  papier.  Le  30  avril  1749, 
la  mauvaise  humeur  et  la  toute-puissance  de  M""^  de  Pom- 
padour  l'obligeaient  brusquement  à  résigner  ses  fonc- 
tions de  secrétaire  d'État  et  de  ministre  :  il  était  exilé  à 
Bourges. 

L'histoire  de  l'administration  maritime  de  la  France  au 


224  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS    LOUIS    XV. 

cours  du  règne  de  Louis  XV  pourrait  se  répartir  en  trois 
périodes.  Pendant  la  première  moitié  du  règne,  c'est  le 
^ong  ministère  de  Maurepas,  qui  commença  nominale- 
ment en  1715,  effectivement  en  1726  ;  on  a  déjà  vu  qu'il 
valut  beaucoup  mieux  que  la  réputation  qu'il  a  d'ordi- 
naire. Vers  la  fin,  de  1761  à  1770,  c'est  la  trop  courte  et 
féconde  période  où  le  duc  de  Choiseul  et  le  duc  de  Praslin 
entreprirent  avec  une  admirable  énergie  la  restauration 
de  notre  puissance  navale.  Dans  l'intervalle,  de  1749 
à  1761,  c'est  la  période  des  ministres  éphémères,  dont 
certains  ne  sont  guère  connus  que  par  leur  nom.  La 
période  pendant  laquelle,  en  douze  ans  à  peine,  le  minis- 
tère de  la  Marine  fut  géré  par  cinq  ministres,  —  de 
valeur  très  inégale  d'ailleurs,  —  Rouillé,  Machault, 
Moras,  Massiac,  Berryer,  fut  précisément  celle  où  l'admi- 
nistration maritime  aurait  eu  besoin  plus  que  jamais 
d'une  direction  unique  et  vigoureuse  :  car  ce  fut  l'époque 
préparatoire  de  la  guerre  de  Sept  ans  et  l'époque  des 
années  décisives  de  cette  guerre  fatale. 

Quand  Maurepas  reçut  l'ordre  de  se  démettre  de  ses 
emplois,  le  département  de  la  Marine  fut  donné  à  un 
conseiller  d'État,  Antoine-Louis  de  Rouillé,  comte  de 
Jouy  ;  comme  rien  ne  le  désignait  à  ce  poste,  on  dit,  en 
jouant  sur  le  mot,  qu'on  donnait  la  marine  à  conduire  à 
un  routier.  «  Ce  ministre  Rouillé,  il  faut  l'avouer,  était 
le  plus  inepte  secrétaire  d'État  que  jamais  roi  de  France 
ait  eu  et  le  pédant  le  plus  ignorant  qui  fût  dans  la  robe  ^.  )) 
Voltaire  n'avait  sans  doute  pas  oublié,  quand  il  écrivait 
ces  paroles  méprisantes,  qu'à  l'époque  où  Rouillé  était 
chargé  du  département  de  la  librairie,  un  inconnu,  qui 
était  bien  en  cour,  lui  avait  été  préféré  à  lui-même  pour 

3.  VOLTAIRE,  Mémoires  pour  servir  à  la  me  de  M.  de   Voltaire,  écrits 
par  lui-même,  1759. 


LES  SECRÉTAIRES  d'ÉTAT  DE  LA  MARINE  DE  1749  A  1761 .  225 

la  rédaction  de  notices  sur  la  vie  et  les  pièces  de  Molière  ; 
l'affront  remontait  à  1734,  mais  il  est  de  ceux  qu'un 
homme  de  lettres  n'oublie  pas. 

Rouillé  appartenait  à  une  famille  connue  dans  la  robe. 
Agé  de  soixante  ans  au  moment  où  il  succédait  à  Mau- 
repas,  il  avait  rempli  déjà  de  nombreuses  fonctions  admi- 
nistratives, tour  à  tour  conseiller  au  parlement  de  Paris, 
maître  des  requêtes  au  conseil  d'État,  intendant  du  com- 
merce, directeur  de  la  librairie,  conseiller  d'État,  con- 
seiller de  la  compagnie  des  Indes.  Dans  ces  divers  postes, 
il  avait  montré  des  qualités  d'ordre,  de  vigilance,  d'exac- 
titude, de  bonne  et  honnête  gestion  ;  ce  furent  les  mêmes 
qu'il  apporta  au  ministère  de  la  Marine.  Plein  de  bonne 
volonté,  mais  se  sentant  peu  préparé  à  ses  fonctions  nou- 
velles, il  eut  le  mérite  de  ne  pas  vouloir  diriger  la  marine 
par  ses  seules  lumières  ;  il  se  donna  un  collaborateur 
dans  la  personne  d'un  homme  du  métier,  qui  était  un 
administrateur  bien  au  courant  et  fort  capable,  Le  Nor- 
mant  de  Mézy,  intendant  de  la  marine  à  Rochefort*.  Il 
faut  faire  remonter  à  ce  conseiller  modeste  le  mérite  de 
quelques  mesures  qui  font  du  ministère  de  Rouillé  une 
période  intéressante  de  notre  administration  maritime. 

Le  gouvernement  avait  commis  la  grande  faute,  après 
la  paix  de  1748,  de  réduire  beaucoup  les  fonds  de  la 
marine.  Ainsi,  en  1750,  Rouillé  ne  pouvait  disposer  que 
de  14  900  000  francs  pour  les  fonds  ordinaires,  —  de 
2  650  000  francs  pour  les  fonds  extraordinaires,  c'est- 
à-dire  pour  les  armements,  lesquels  constituaient  la 
dépense  la  plus  nécessaire  même  en  temps  de  paix,  — 
de  100  000  francs  pour  les  fonds  secrets,  —  soit  en  tout 


4.  Sébastien-François-Ange  Le  Nonnant  de  Méty,  né  à  DiTnkerque  )« 
20  novembre  1702,  intendant  des  armées  naraJes.  Voir  VBtat  sommaire 
des  Archives  de  la  Marine,  p.  179,  874,  375. 

15. 


22Ô  LA   MARINE   MILITAIRE   SOUS   LOUIS   XV. 

de  17  650  000  francs  ^  Cependant,  il  poursuivit  avec 
beaucoup  de  méthode  l'exécution  des  plans  de  construc- 
tion de  Maurepas.  De  1749  à  1754,  on  construisit  ou  on 
répara  trente-huit  vaisseaux  de  ligne.  En  1754,  notre 
flotte  de  guerre  comprenait,  d'après  les  états  officiels, 
cinquante-sept  vaisseaux  : 

5  de  P'  rang  (de  90  à  110  canons), 

22  de  2^    rang  (de  70  à    80  canons), 

23  de  3^    rang  (de  54  à    66  canons), 
7  de  4^   rang  (de  46  à    50  canons). 

Aux  vaisseaux  il  fallait  ajouter  vingt-quatre  frégates  (de 
24  à  40  canons),  des  corvettes,  des  galiotes  à  bombes,  des 
flûtes,  des  chebecs,  et  quelques  galères  qui  n'avaient  pas 
encore  été  désarmées,  malgré  la  suppression  de  ces  der- 
niers bâtiments.  On  arrivait  ainsi  à  un  ensemble  de  cent 
dix  à  cent  quinze  unités  navales  ^. 

Louis  XV  parut  à  un  moment  sortir  de  sa  torpeur  de 
Versailles  pour  prendre  part  à  la  vie  maritime  et  en 
stimuler  le  réveil  par  sa  présence.  M"*^  de  Pompadour  lui 
avait  suggéré  de  faire  une  visite  au  Havre  ;  le  roi  y  passa 
deux  jours  (19  et  20  septembre  1749).  Le  commandant  du 
port,  le  capitaine  de  vaisseau  Villers  Franssures,  chercha 
à  donner  à  l'auguste  visiteur  une  idée  de  la  marine.  Il  lui 
fit  visiter  le  Chariot  Volant,  flûte  de  six  cents  tonnes  et 
de  trente-six  canons,  le  plus  gros  navire  sans  doute  de 
l'arsenal  du  Havre,  qui,  baptisé  de  nouveau  en  souvenir 
de  cette  visite,  devint  le  Chariot  Royal  ;  il  le  fit  assister 
à  diverses  manœuvres,  à  une  joute,  au  lancement  de  trois 
navires  marchands,  à  un  simulacre  de  combat  naval,  qui 
valut  au  vainqueur,  le  lieutenant  de  vaisseau  Dupuis, 


I.  Voir  les  chiffres  sur  la  période  1750-1770  donnés  dans  l'Etat  sommaire 
éit  Archives  de  la  Marine,  p.  616-617. 

6.  Voir,  à  l'Appendice  VI,  un  état  comparé  des  marines  de  France  et 
d'Angleterre  en  1751. 


LES  SECRÉTAIRES  d'ÉTAT  DE  LA  MARINE  DE  1749  A  1761 .  227 

d'être  promu  capitaine  de  vaisseau  '^.  En  réalité,  cette 
visite  officielle  fut  bien  frivole,  frivole,  suivant  le  mot 
d'un  historien,  comme  celle  qui  l'avait  proposée.  Deux 
jours  passés  au  port  du  Havre  :  voilà,  dans  ce  règne  de 
cinquante-neuf  ans,  à  peu  près  toute  la  part  personnelle 
prise  par  le  souverain,  d'une  manière  apparente,  à  la 
vie  maritime  du  pays. 

Les  officiers  de  la  marine  secondaient  avec  une  patrio- 
tique ardeur  les  intentions  du  ministre.  Quelques  jours 
après  la  nomination  de  Rouillé,  le  chevalier  de  Piosin, 
qui  commandait  en  second  la  marine  au  port  de  Toulon, 
lui  écrivait,  le  11  mai  1749,  à  propos  du  lancement  de 
ÏOrphée,  qui  venait  d'avoir  lieu  dans  ce  port  :  «  C'est  un 
beau  navire  de  guerre,  de  soixante-quatre  canons,  et  qui, 
selon  les  règles  de  la  construction,  ne  peut  être  que  bon  ; 
mais  ce  qui  me  plaît  infiniment,  c'est  d'avoir,  monsei- 
gneur, dans  l'idée  que  vous  ne  serez  pas  longtemps  dans 
votre  ministère  sans  en  représenter  une  soixantaine 
d'autres  aux  Anglais,  depuis  cette  force  jusqu'à  celle  de 
quatre-vingt-dix.  Je  le  souhaite  pour  votre  gloire  et 
pour  que  notre  infortunée  marine  puisse  prendre  sa 
revanche.  » 

La  pénurie  financière  était  toujours  le  grand  mal  de 
la  marine.  On  parvenait  à  construire  des  vaisseaux,  mais 
on  ne  pouvait  pas  toujours  les  armer.  La  lettre  suivante 
de  l'intendant  de  Toulon  (juillet  1753)  laisse  deviner  bien 
des  misères,  sans  parler  de  celles  qu'elle  met  au  grand 
jour.  ((  J'aurais  été  fort  embarrassé  pour  la  levée  des 
marins  à  embarquer  sur  les  deux  chebecs  le  Requin  et  le 

7.  Dupiiis.  «  A  presque  toujours  armé  avec  permission  sur  les  vaisseaux 
de  la  compagnie  des  Indes  et  pour  les  particuliers.  »  G.,  28  juin  1705; 
L.,  1*'  mal  1741  ;  C,  20  septembre  17i9  ;  commandant  la  marine  à  Port- 
Louis,  14  janvier  1753;  -j-  27  juillet  1760,  Port-Louis.  A.  M.,  C  166.  — 
Cf.  «  Un  voyage  de  Louis  XV  au  Havre-de-Grâce  en  1749  »,  dans  La 
France  maritime,  de  Gréhan,  t.  il,  1852,  p.  354  et  suiv. 


228  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS    LOUIS   XV. 

Rusé,  sans  un  petit  capital  qui  a  été  remboursé  à  mon 
premier  domestique  et  que  je  me  suis  fait  prêter.  La  ville 
est  épuisée  par  les  sommes  considérables  que  le  roi  y 
doit,  et  les  trésoriers  généraux,  par  leurs  remises 
inexactes,  laissent  le  port  dépourvu  d'argent.  » 

Cependant  un  grand  progrès  fut  réalisé  sous  ce  minis- 
tère pour  les  fournitures  d'artillerie.  Jusqu'alors  nos 
canons  de  marine  étaient  souvent  achetés  en  Angleterre 
ou  en  Suède.  En  1750,  la  création  du  grand  établissement 
de  Ruelle  sur  les  bords  de  la  Tourne,  due  au  général 
marquis  de  Montalembert,  affranchit  notre  marine  des 
sommes  considérables  qu'elle  payait  à  l'étranger.  Peu 
après,  en  1752,  le  Bernois  Jean  Maritz,  commissaire  des 
fontes  à  la  fonderie  de  Strasbourg,  dota  nos  arsenaux 
d'une  invention  fort  utile.  Il  avait  imaginé  une  machine 
à  forer  les  canons  qui  étaient  coulés  pleins  et  travaillés  au 
tour  ;  on  eut  ainsi  des  pièces  d'une  construction  à  peu 
près  irréprochable,  puisque  l'âme  en  occupait  exacte- 
ment la  partie  centrale.  Le  successeur  de  Rouillé  devait 
nommer  Maritz  (18  février  1755)  «  inspecteur  général 
de  la  fabrication  des  canons  destinés  au  service  de  la 
marine  »,  et  lui  donner  le  cordon  de  Saint-Michel  ^. 

Avec  ses  faibles  ressources  financières,  Rouillé  ne 
pouvait  mettre  en  état  de  défense  les  colonies.  Aussi  dut- 
il  se  borner  à  faire  réédifier  tant  bien  que  mal  les  forti- 
fications de  Louisbourg,  qui  avaient  été  détruites  lors  du 
siège  de  1746  ;  elles  ne  devaient  pas  être,  mieux  que  par 
le  passé,  en  mesure  de  supporter  une  nouvelle  attaque. 
A  l'égard  de  Dupleix  et  de  sa  politique,  il  partageait  les 
préjugés  de  la  Compagnie  des  Indes,  de  l'opinion  et  du 
gouvernement  ;  c'est  lui-même  qui  contresigna  l'ordre 
fatal  donné  à  Godeheu  de  faire  arrêter  le  gouverneur 

8.  A.  M.,  B'  78  :  divers  documents  sur  le  sieur  Maritz, 


LES  SECRÉTAIRES  D  ETAT  DE  LA  MARINE  DE  1749  A  1761 .  229 

général  de  la  Compagnie  et  de  le  faire  embarquer  sur  le 
premier  vaisseau  à  destination  de  la  France.  Du  moins, 
un  mérite  appartient  à  Rouillé  :  c'est  d'avoir  continué  la 
tradition  de  Maurepas,  en  encourageant  dans  la  marine 
un  mouvement  de  renaissance  scientifique  ;  il  y  contribua 
officiellement  par  la  création  de  l'Académie  de  Marine. 

Cette  institution  eut  des  origines  analogues  à  celles  de 
l'Académie  française  ;  ce  fut  comme  une  société  privée 
que  la  protection  du  pouvoir  transforma  en  une  société 
officielle. 

Le  vicomte  Bigot  de  Morogues,  ffis  d'un  intendant  de 
la  marine  à  Brest,  et  qui  devait  terminer  lui-même  sa 
carrière  avec  le  grade  de  lieutenant  général  des  armées 
navales,  s'était  fait  connaître  par  des  ouvrages  scienti- 
fiques sur  la  marine  et  sur  l'artillerie.  Il  avait  publié 
en  1737  et  dédié  à  Maurepas  un  Essai  de  Vapplicalion 
des  lorces  centrales  aux  eflels  de  la  poudre  à  canon  ^. 
Parmi  ses  nombreux  ouvrages,  la  Tactique  navale  ou 
Traité  des  Evolutions  et  des  Signaux^  parue  en  17G3,  a 
conservé  un  intérêt  documentaire  pour  l'histoire  de  la 
tactique  maritime  ;  publié  l'année  du  traité  de  Paris, 
dédié  à  Choiseul,  qui  avait  alors  les  deux  départements 
de  la  Guerre  et  de  la  Marine,  ce  gros  ouvrage  in-4°, 
accompagné  de  quarante-neuf  planches,  se  proposait, 
dit  la  dédicace,  de  répondre  à  une  partie  des  vues  du 
ministre  qui  voulait  faire  refleurir  la  marine.  Comme  le 
livre  de  Bouguer,  De  la  Manœuvre  des  vaisseaux... 
(Paris,  1757),  qui  est  plutôt  de  caractère  mathématique, 
ou  comme  Le  Manœuvrier,  déjà  cité,  de  Bourde  de  Ville- 
huet  (Paris,  1765),  qui  a  surtout  un  caractère  pratique, 

9.   En   1752,    l'année   de  la   fondation   de  l'Académie   de   Marine,    Bigot 
de  Morogues  fut  nommé  commissaire  général  de  l'artillerie. 


230  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 

la  Tactique  navale  est  l'un  de  ces  ouvrages  qui  prépa- 
rèrent dans  le  silence  nos  victoires  de  la  guerre  d'Amé- 
rique. 

Il  faut  ajouter  que  chez  Bigot  de  Morogues,  comme 
chez  beaucoup  d'officiers  de  marine,  le  savant  se  dou- 
blait d'un  homme  d'action.  Lors  de  la  préparation  des 
projets  de  descente  en  Angleterre  qui  se  fit  en  1759,  il 
avait  été  désigné  pour  conduire  une  division  navale  à  la 
côte  occidentale  d'Ecosse  ;  la  malheureuse  bataille  des 
Cardinaux  empêcha  l'exécution  de  ce  projet.  A  cette 
bataille  même,  le  Magnilique,  qu'il  commandait  comme 
capitaine  de  vaisseau  fit,  durant  trois  heures,  une  éner- 
gique résistance,  qui  permit  à  notre  arrière-garde  de  se 
rallier  et  à  lui-même  de  gagner  en  sûreté  l'île  d'Aix. 

Le  goût  de  Bigot  de  Morogues  pour  les  études  scienti- 
fiques lui  avait  inspiré,  quand  il  était  en  résidence  au 
port  de  Brest,  de  réunir  chez  lui  plusieurs  de  ses  cama- 
rades de  la  marine  et  de  l'artillerie  pour  discuter  les 
questions  techniques  de  leur  profession.  En  1750,  comme 
le  ministre  Rouillé  était  venu  faire  une  visite  à  Brest,  il 
lui  demanda  de  donner  à  cette  réunion  privée  une  exis- 
tence officielle,  afin  d'en  étendre  l'influence  et  de  provo- 
quer le  goût  des  recherches  dans  le  corps  de  la  marine. 
Sur  le  rapport  favorable  d'une  commission,  qui  comptait 
parmi  ses  membres  Duhamel  Du  Monceau,  inspecteur 
de  la  marine,  Rouillé  fit  paraître,  le  30  juillet  1752,  un 
règlement  en  trente-cinq  articles,  qui  instituait  une 
Académie  de  marine,  ayant  son  siège  à  Brest. 

L'Académie  se  composait  de  soixante-quinze  membres, 
académiciens  honoraires,  académiciens  libres,  académi- 
ciens ordinaires  (ceux-ci  au  nombre  de  trente,  tous  de  la 
marine  et  la  moitié  environ  du  département  de  Brest)  et 
académiciens  adjoints.  Parmi  les  académiciens  libres,  on 
relève  les  noms  du  comte  de  La  Galissonnière,    chef 


LES  SECRÉTAIRES  D  ETAT  DE  LA  MARINE  DE  1749  A  1761.  231 

d'escadre  des  armées  navales,  chargé  du  Dépôt  des 
cartes,  plans  et  journaux  de  la  marine,  de  trois  membres 
de  l'Académie  des  Sciences,  Duhamel  Du  Monceau, 
Camus,  Bouguer  ;  parmi  les  académiciens  ordinaires, 
les  noms  de  huit  capitaines  de  vaisseau,  dont  Bigot  de 
Morogues,  le  premier  directeur  de  l'Académie,  de  neuf 
lieutenants  de  vaisseau,  dont  d'Orvilliers,  du  port  de 
Rochefort,  Missiessy  ^o,  du  port  de  Toulon,  de  quatre 
ingénieurs,  dont  Choquet  de  Lindu,  qui  fut,  au  milieu  du 
xvm^  siècle,  comme  le  Vauban  du  port  de  Brest. 

Ces  listes  sont  intéressantes  à  divers  égards.  On  voit  le 
titre  d'académicien  porté  par  des  officiers  de  tout  grade  : 
chef  d'escadre,  capitaines,  lieutenants,  enseignes  ;  —  par 
des  officiers  de  plume  :  commissaires  généraux,  commis- 
saires, écrivains  ;  —  par  des  membres  de  l'Académie  des 
Sciences,  qui  représentaient  la  science  pure  ;  —  par  des 
praticiens  rompus  à  l'art  de  la  construction  :  construc- 
teurs des  vaisseaux  du  roi  et  sous-constructeurs,  ingé- 
nieurs de  la  marine  et  sous-ingénieurs,  dessinateurs. 
C'était  un  esprit  singulièrement  large  et  fécond  que  celui 
qui  avait  présidé  à  ces  choix  ;  loin  d'avoir  le  caractère 
jalousement  fermé  de  la  plupart  des  corps  de  ce  genre, 
l'Académie  de  Marine  s'ouvrait  à  toutes  les  capacités  d« 
moment  où  elles  se  rapportaient  à  la  mer.  Comme  on  l'a 
dit  avec  raison  ^i,  «  c'était  un  lien  de  fraternité  entre  les 
différentes  parties  de  ce  grand  tout,  même  les  plus  subal- 
ternes, jusque-là  très  discordantes.  C'était  un  chef-lieu 
d'émulation,  où  devaient  se  former  un  jour  des  géné- 
raux, des  administrateurs,  des  officiers  de  port,  des  cons- 


10.  Missiessy.  Fils  d'un  consul  de  Toulon,  anobli  par  Louis  XIV.  G., 
22  mars  1732;  L.,  1*'  janvier  1746;  C,  15  mai  1756;  B.,  25  mars  1765; 
RCE.,   14  mars   1776.   A.   M.,   C   167. 

11.  Vie  privée  de  Louis  XV,  1781  ;  t.  II,  p.  3ii. 


232  LA   MARINE    MILITAIRE    SOUS    LOUIS    XV. 

tructeurs,  en  un  mot  tous  ceux  qui  ont  quelque  fonction 
à  remplir  dans  les  arsenaux  de  la  marine  )>. 

L'Académie  tenait  une  séance  hebdomadaire  de  deux 
heures  ;  elle  devait  s'y  occuper  de  «  tout  ce  qui  a  rapport 
à  la  marine  ».  En  fait,  les  académiciens  traitèrent  les 
questions  les  plus  variées  d'architecture  navale  et  hydrau- 
lique, de  manœuvre,  installation  et  arrimage  des  vais- 
seaux, d'astronomie  nautique,  d'artillerie,  de  physique, 
de  médecine,  d'hydrographie,  de  mathématiques  pures 
et  appliquées.  L'objet  principal  de  la  docte  assemblée 
devait  être  la  composition  d'un  dictionnaire  de  marine, 
«  aussi  ample  et  aussi  complet  qu'il  sera  possible,  soit 
par  l'exacte  définition  de  chaque  terme,  soit  par  l'expli- 
cation claire  et  précise  des  différentes  idées  qu'il  com- 
porte, soit  enfin  par  les  dissertations  à  insérer  dans  tous 
les  articles  importants  qui  en  seront  susceptibles  ».  Cette 
vaste  encyclopédie  navale  fut,  en  effet,  commencée,  mais 
elle  ne  fut  ni  terminée  ni  publiée.  Les  séances,  au  début, 
avaient  été  d'abord  très  régulières  et  remplies  par  la 
lecture  de  nombreux  et  importants  mémoires  ;  mais  elles 
devinrent  ensuite  plus  espacées,  moins  pleines,  et  la 
guerre  de  Sept  ans  acheva  de  les  désorganiser  :  les 
académiciens  quittèrent  alors  leurs  cabinets  de  travail 
pour  monter  à  bord  de  leurs  bâtiments.  La  dernière 
séance  se  tint  le  8  septembre  1765  ;  il  n'y  avait  que  huit 
membres  présents. 

Choiseul-Praslin,  qui  encouragea  par  tous  les  moyens 
le  réveil  maritime  de  la  France,  réorganisa  l'Académie 
par  le  règlement  du  24  avril  1769  ^^^  et  se  proposa  de  lui 
«  donner  une  forme  solide  et  permanente  ».  Il  la  plaça, 
comme  toutes  les  grandes  académies  du  royaume,  sous 
la  protection  directe  du  roi  :  de  là  le  nom,  qui  fut  officiel 

12.  A.   M.  A'   104. 


LES  SECRÉTAIRES  d'ÉTAT  DE  LA  MARINE  DE  1749  A  1761 .  233 

à  partir  de  cette  époque,  d'Académie  royale.  Affiliée 
en  1771  par  un  règlement  de  l'abbé  Terray  et  du  ministre 
Boynes  à  l'Académie  des  Sciences,  elle  compta  des 
membres  communs  aux  deux  académies,  comme  Duha- 
mel Du  Monceau,  Lalande,  Bezout  et  Borda,  dont  le  nom 
est  si  connu  de  tous  nos  officiers  de  marine,  et  qui  était 
alors  lieutenant  de  vaisseau  et  de  port  à  Brest  ^^.  La 
guerre  d'Amérique  suspendit  encore  les  séances  ;  elles 
reprirent  ensuite  et  se  continuèrent  avec  assez  de  régu- 
larité, malgré  la  révolution  et  l'émigration  ;  en  1793,  il 
y  eut  encore  cinq  séances.  Un  décret  de  la  Convention 
frappa  de  mort,  le  8  août  1793,  l'Académie  royale  de 
Marine,  comme  toutes  les  académies  de  l'ancienne 
monarchie. 

L'Académie  de  Marine,  qui  a  trouvé  de  nos  jours  son 
historien  ^^  a  provoqué  des  critiques  au  xviii®  siècle 
comme  de  notre  temps.  On  a  reproché  aux  travaux 
qu'elle  avait  inspirés  d'avoir  un  caractère  plus  théorique 
que  pratique  ;  il  est  certain  que  l'unique  volume  qu'elle 
fit  paraître,  en  1773,  se  compose  de  vingt  mémoires  où 
dominent  les  questions  d'astronomie  abstraite  et  de 
mathématiques  transcendantes.  Mais  on  ne  voit  pas  où 
est  le  mal  d'avoir  répandu  dans  l'élite  de  nos  officiers  le 
goût  des  fortes  études,  alors  que  ce  goût  n'empêcha 
jamais  les  Bigot  de  Morogues,  les  d'Orvilliers,  les  Mis- 


13.  Jean-Charles,  chevalier  de  Borda.  Né  le  4  mai  1733,  à  Dax.  LP.  surnu- 
méraire, l"  octobre  1767  ;  C,  13  mars  1779  ;  inspecteur  des  constructions 
et  de  l'Ecole  des  élèves  ingénieurs  à  Paris,  24  octobre  17S4  ;  4-  20  fé- 
Trier  1799,  Paris.  Dans  le  brevet  du  22  octobre  1767,  par  lequel  le  duc  de 
Praslin  l'attacha  au  service  de  la  marine,  comme  lieutenant  de  port 
•urnuméraire,  on  lit  ces  mots  :  «  M.  le  chevalier  de  Borda,  ingénieur 
ordinaire  du  roi,  qui,  par  ses  talents  pour  tout  ce  qui  est  du  ressort  de 
la  géométrie  et  de  la  mécanique,  peut  devenir  utile  pour  les  diverses 
♦pérations  qui  s'exécutent  dans  les  ports.  »  A.  M.,  C  178,  C\ 

14.  Voir  les  nombreux  articles  qui  lui  ont  été  consacrés  par  M.  Alf.  Do- 
JÏBAU  DU  PLAN,  professeur  à  l'Ecole  navale,  R.  M.  C,  années  1879-1882. 


234  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 

siessy,    les  Borda  et  leurs  camarades  moins  connus 
d'accomplir  tout  leur  devoir  de  marin. 

La  très  utile  institution  de  Bigot  de  Morogues  et  de 
Rouillé  avait  eu  immédiatement  sa  répercussion  dans  la 
diffusion  générale  des  études  maritimes.  Il  y  eut  alors 
une  sorte  d'engouement  pour  l'enseignement  de  l'hydro- 
graphie et  des  mathématiques,  a  Tout  Paris  a  vu  comme 
moi,  disait  en  1759  Digard  de  Kerguette,  un  des  meil- 
leurs professeurs  de  l'époque,  deux  cents  personnes  au 
moins  suivre  pendant  plusieurs  années  les  leçons  de 
M.  de  Prémontal...  J'ai  vu  la  même  foule  assister  à  celles 
que  j'ai  données  pendant  les  quatre  dernières  années  de 
ma  résidence  à  Paris.  »  Des  chaires  d'hydrographie  se 
fondèrent  dans  beaucoup  de  collèges,  à  Rouen,  à  la 
Rochelle,  à  Toulouse  ;  à  Marseille,  les  jésuites  avaient 
une  école  d'hydrographie  très  prospère,  à  laquelle  était 
joint  un  observatoire  qui  a  laissé  un  nom  dans  la  science. 
Le  Traité  de  pilotage  de  Bouguer,  dont  le  père  avait 
aussi  professé  l'hydrographie  au  Croisic,  devint  l'ouvrage 
classique  des  écoles  d'hydrographie. 

Le  gouvernement  seconda  d'une  manière  officielle  ce 
que  les  particuliers  avaient  entrepris  et  ce  qui  répondait 
aux  préoccupations  d'une  partie  du  public.  En  1765, 
Choiseul  organisa  des  écoles  royales  publiques  d'hydro- 
graphie à  Brest,  Rochefort  et  Toulon,  à  côté  de  celles 
qui  servaient  aux  gardes  de  la  marine  et  du  pavillon. 
En  1786,  le  maréchal  de  Castries  fit  une  refonte  complète 
de  cet  enseignement  ;  il  fut  désormais  représenté  dans 
tous  les  ports  de  mer  et  la  plupart  des  grandes  villes,  et 
placé  sous  l'autorité  de  deux  inspecteurs  i^.  Ces  détails, 
qui    n'appartiennent   plus    au    ministère    Rouillé,    sont 


15.    Voir    «    Les    Etablissements    scientifiques    de    l'ancienne    marine    », 
article  de  D.  Neuville,  dans  la  Revue    Tnaritime  et  coloniale,  1882. 


LES  SECRÉTAIRES  d'ÉTAT  DE  LA  MARINE  DE  1749  A  1761 .  235 

cependant  à  leur  place  ici  ;  ils  se  rattachent,  en  effet,  à 
cette  renaissance  scientifique  dont  le-  signal  avait  été 
donné  par  la  fondation  de  l'Académie  de  Marine. 

Rouillé  s'était  appliqué  à  ses  fonctions  avec  zèle  et 
avec  succès  ;  il  avait  certainement  rendu  des  services  à 
la  marine,  quand,  par  le  fait  de  convenances  person- 
nelles, on  imagina  de  le  faire  passer  aux  Affaires  étran- 
gères (30  juillet  1754)  ;  on  lui  donna  pour  successeur  au 
département  de  la  Marine  Machault  d'Arnouville,  qui 
quittait  à  ce  moment  le  contrôle  général  des  finances.  Ce 
nouveau  ministre  fut  en  fonctions  deux  ans  et  demi, 
jusqu'au  9  février  1757. 

Le  nom  de  Machault  est  à  juste  titre  l'un  des  plus 
estimés  dans  l'histoire  administrative  du  règne  de 
Louis  XV.  Sa  carrière  fut  celle  des  personnages  les  plus 
distingués  de  la  robe,  tour  à  tour  conseiller  au  parlement 
de  Paris,  maître  des  requêtes  au  conseil  d'État,  intendant 
du  Hainaut,  contrôleur  général,  ministre,  garde  des 
sceaux,  secrétaire  d'État  de  la  marine.  Dans  toutes  ces 
fonctions  il  fit  preuve  du  même  esprit  de  sagesse  et  de 
fermeté,  ayant  au  plus  haut  degré  le  sens  de  l'adminis- 
tration. Il  arriva  au  déparlement  de  la  Marine  au  moment 
même  où  les  querelles  qui  se  produisaient  dans  les  soli- 
tudes des  forêts  de  l'Ohio  et  la  mort  d'un  ofiîcier  français, 
Jumonville,  le  28  mai  1754,  présageaient  une  rupture 
imminente  avec  l'Angleterre  ;  aussi  n'eut-il  plus  qu'une 
idée,  mettre  nos  escadres  sur  le  pied  de  guerre  et  hâter  les 
armements.  Pour  l'année  1755,  il  put  disposer  d'un  crédit 
total  de  31326  000  francs,  près  du  double  de  celui 
qu'avait  eu  Rouillé  en  1750.  II  en  profita  pour  imprimer 
la  plus  vigoureuse  énergie  aux  travaux  de  construction. 
II  calculait  que  pour  avoir  soixante  vaisseaux  de  ligne 
toujours  en  état  d'être  armés,  il  fallait  en  compter  quatre- 


236  LA   MARINE    MILITAIRE    SOUS    LOUIS    XV. 

vingts  présents  dans  les  ports  ;  il  évaluait,  en  effet,  à  un 
quart  le  nombre  des  vaisseaux  à  radouber  ou  à  cons- 
truire pendant  que  les  autres  étaient  à  la  mer. 

Un  mémoire  contemporain  évalue  nos  forces  au  début 
de  l'année  1755  à  soixante-trois  vaisseaux  de  ligne  ;  mais 
de  ce  total  on  devait  déduire  trois  vaisseaux  hors  de  ser- 
vice et  condamnés,  trois  autres  enlevés  par  les  Anglais 
avant  toute  déclaration  de  guerre,  quatre  qui  étaient  sur 
les  chantiers  et  à  peine  commencés,  huit  qui  avaient 
besoin  d'une  refonte  générale  ;  les  quarante-cinq  vais- 
seaux restants  étaient  loin  d'avoir  tout  ce  qui  était  néces- 
saire à  leur  armement.  L'influence  d'un  ministre  intel- 
ligent et  énergique  changea  en  quelques  semaines  cet 
état  de  choses.  La  plus  grande  activité  régna  dans  tous 
les  arsenaux  ;  cinq  escadres  furent  armées  à  Brest,  à 
Rochefort,  à  Toulon  ;  d'immenses  provisions  de  muni- 
tions navales  furent  réunies  dans  la  plupart  des  ports, 
de  manière  à  permettre  un  peu  partout  le  ravitaillement 
des  bâtiments  de  guerre. 

Sur  neuf  cent  quatorze  officiers  d'épée  dont  se  compo- 
sait en  1755  le  corps  royal  de  la  marine,  il  y  en  avait 
environ  sept  cents  qui  étaient  à  terre,  sans  autre  occu- 
pation que  de  monter  dans  l'année  huit  ou  dix  gardes  de 
vingt-quatre  heures.  Les  officiers  de  plume,  au  nombre 
de  cinq  cent  soixante-trois  ^^,  avaient  envahi  à  peu  près 
toutes  les  fonctions,  dans  les  arsenaux  et  dans  les  ports 
aussi  bien  que  dans  l'administration  centrale.  Bien  qu'il 
appartînt  lui-m.ême  à  la  plume,  le  ministre  était  con- 
vaincu que  le  système  de  compliquer  les  affaires  par  des 
écritures  de  toute  nature  n'avait  guère  d'autre  effet  que 
de  multiplier  les  places  inutiles  et  de  gaspiller  le  temps 


16.   Ce  chiffre  et  le  précédent  sont   empruntés  aux   Considérations  sur 
la  constitution  de  la  marine  militaire  de  France,  p.  8,  33. 


LES  SECRÉTAIRES  D  ETAT  DE  LA  MARINE  DE  1749  A  1761 .  237 

de  tout  le  monde.  «  Je  n'ai  jamais  conçu,  a  écrit  Malouet 
dans  ses  Mémoires  sur  l'administration  de  la  marine, 
qu'on  ait  pu  accoutumer  les  ministres  au  spectacle  et  à 
l'ennui  de  ces  monceaux  de  papiers,  de  ces  immenses 
portefeuilles,  qui  sont  pour  eux  le  tonneau  des  Danaïdes. 
J'ai  ouï  dire  à  un  secrétaire  de  M.  de  Machault  qu'on  ne 
voyait  sur  son  bureau  d'autres  papiers  qu'un  petit  cahier 
qui  se  renouvelait  tous  les  mois  et  contenait  l'état  des 
fonds,  celui  des  approvisionnements  en  masse  et  la  situa- 
tion des  vaisseaux.  »  Beaucoup  moins  préoccupé  d'écrire 
que  d'agir,  le  ministre  rappela  à  l'activité  tous  les  officiers 
de  marine,  remettant  chacun  à  sa  vraie  place,  l'officier 
à  son  bord,  l'écrivain  à  son  bureau. 

Il  était  nécessaire,  en  effet,  de  réagir  contre  l'impor- 
tance excessive  que  le  corps  des  officiers  de  plume  avait 
prise  dans  la  marine  française.  Un  écrit  anonyme,  dédié 
au  ministre,  les  Considérations  sur  ta  constitution  de  la 
marine  militaire  de  la  France  i"^,  insistait,  à  cette  époque 
même,  sur  les  graves  inconvénients  qui  en  résultaient. 

La  France,  dit  l'auteur  des  Considérations,  doit  avoir, 
de  toute  nécessité,  une  marine  de  guerre,  «  assez  puis- 
sante pour  protéger  notre  commerce,  conserver  nos  colo- 
nies, favoriser,  selon  les  occasions,  nos  entreprises  par 
terre  et  par  mer,  et  faire  échouer  celles  que  les  ennemis 
pourraient  faire  sur  nos  côtes  ou  ailleurs  ».  Des  deux 
éléments  dont  se  compose  la  marine,  officiers  d'épée  et 
officiers  de  plume,  l'élément  le  moins  propre  à  l'action 
est    devenu    l'élément    dominateur.     Le    dessein    de 


17.  Londres,  1756.  Le  titre  des  Considérations  est  suivi  de  cette  citation 
de  Martial  :  Parcere  personis,  dicere  de  vitlis. 

L'ouvrage  a  été  attrtbué  à  Jean-Baptiste  de  Secondât,  ûls  de  Montos' 
quieu.  M.  Céleste,  bibliothécaire  de  la  ville  de  Bordeaux,  Qui  a  eu  l'obli- 
geance de  faire  à  notre  intention  des  recherches  aux  archives  de  la 
Brède,  et  qui  a  étudié  en  détail  les  écrits  de  Secondât,  estime  qu'il  n'y  a 
aucune  raison  de  voir  en  lui  l'auteur  de  ces  considérations. 


238  LA  MARINE   MILITAIRE    SOUS    LOUIS   XV. 

Louis  XIV,  SOUS  le  règne  de  qui  la  marine  a  joui  d'un  si 
grand  éclat,  était  «  de  donner  toute  l'autorité  au  mili- 
taire ))  ;  mais  la  plume,  qui  a  vu  quadrupler  le  nombre  de 
ses  membres,  a  fini  par  tout  accaparer,  jusqu'au  com- 
mandement et  à  la  police  des  arsenaux,  au  détail  des 
classes,  des  construclions,  de  l'artillerie,  des  armements. 
L'auteur,  qui  paraît  très  bien  renseigné  sur  tout  ce  qui 
louche  à  l'organisation  maritime,  cite  à  ce  propos  des 
exemples  caractéristiques,  d'où  il  résulte  que  les  officiers 
d'épée  avaient  des  attributions  de  plus  en  plus  réduites. 
((  Ne  semble-t-il  pas  que  ce  soit  l'esprit  de  vertige  et  de 
déraison  qui  ait  amené  la  marine  à  cet  état  de  renverse- 
ment ?  »  Sans  une  réaction  immédiate,  il  estimait  que 
c'était  à  brève  échéance  la  perte  totale  de  la  marine  mili- 
taire ))  ;  pour  y  remédier,  il  proposait  toute  une  refonte  de 
notre  organisation  navale. 

La  réaction  que  souhaitait  l'auteur  des  Considérations 
se  fit,  pour  ainsi  dire,  d'elle-même  et  par  la  force  des 
choses,  quand  la  guerre  éclata  avec  l'Angleterre, 
L'énergie  du  ministre  sut  imprimer  à  la  marine  de 
guerre  une  vigoureuse  impulsion  ;  les  officiers  d'épée 
répondirent  à  1  effort  qu'on  leur  demandait,  et  les  défauts 
que  les  années  de  paix  avaient  rendus  sensibles  dispa- 
rurent en  partie  avec  les  premiers  coups  de  canon. 

Les  résultats  de  la  campagne  de  1756  montrèrent  que 
la  volonté  du  ministre  avait  porté  ses  fruits  ;  un  succès 
éclatant  avait  couronné  son  œuvre.  Après  cet  admirable 
réveil  de  notre  marine,  auquel  le  nom  de  Machault  doit 
demeurer  attaché  aussi  bien  que  le  nom  de  La  Galisson- 
nière,  il  fallait  se  hâter  de  porter  la  guerre  sur  d'autres 
théâtres  maritimes,  il  fallait  envoyer  des  escadres  au 
Canada  et  dans  l'Hindoustan,  réunir  à  Brest  un  corps 
expéditionnaire  pour  menacer  l'Angleterre,  qui  ne  son- 
geait plus,  au  lendemain  de  la  bataille  de  Minorque,  qu'à 


LES  SECRÉTAIRES  d'ÉTAT  DE  LA  MARINE  DE  1749  A  1761 .  239 

défendre  ses  propres  foyers.  Machault,  qui  parlait  le 
langage  de  la  raison  et  du  bon  sens,  était  partisan  de  la 
guerre  exclusivement  maritime.  Mais  un  vent  de  folie 
avait  traversé  les  conseils  de  Louis  XV  :  au  moment 
même  de  notre  campagne  de  Minorque,  la  France  signait 
à  Versailles,  le  P'"  mai  1756,  un  traité  d'alliance  avec 
l'Autriche. 

De  la  part  de  Marie-Thérèse  qui  avait  besoin  de  nos 
soldats  pour  reprendre  la  Silésie  à  Frédéric  II,  le  renver- 
sement des  alliances,  comme  on  appela  cette  soudaine 
évolution  de  la  diplomatie  européenne,  était  un  chef- 
d'œuvre  d'habileté  politique  ;  de  la  part  de  Louis  XV, 
c'était,  par  le  fait  des  circonstances,  la  combinaison  la 
plus  funeste  et  la  plus  sotte  que  l'on  pût  imaginer.  En 
quoi  nos  opératrons  contre  Frédéric  II,  heureuses  ou 
non,  pouvaient-elles  résoudre  les  questions  maritimes  et 
coloniales,  qui  étaient  pour  nous  des  questions  de  vie 
ou  de  mort  ?  N'allait-on  pas,  une  fois  de  plus,  sacrifier  la 
mer  à  la  terre,  l'Océan  au  Scamandre  ?  Combien 
Machault  avait  raison  de  s'opposer  à  cette  décision,  dont 
l'entourage  de  M"°  de  Pompadour  triomphait  alors  avec 
tant  de  bruit  et  que  l'histoire  ne  saurait  trop  sévèrement 
juger,  au  nom  des  véritables  intérêts  de  la  France  ! 
Jamais  notre  politique  maritime  ne  s'était  posée  avec 
une  évidence  aussi  manifeste,  puisqu'à  cette  date  la 
France  avait  le  rare  bonheur  d'être  libre  de  toute  compli- 
cation continentale  ;  ce  fut  alors  que,  d'elle-même  et  de 
gaieté  de  cœur,  elle  se  jeta  dans  les  combinaisons  les 
plus  singulières  et  les  plus  inattendues.  A  partir  de  ce 
jour,  la  guerre  qui  avait  si  brillamment  commencé  dans 
les  eaux  de  Minorque  ne  fut  plus  pour  elle,  en  Alle- 
magne, sur  l'Océan,  aux  colonies,  qu'un  tissu  d'aventures 
lamentables. 

Machault,  qui  avait  prévu  le  mal  et  qui  aurait  pu,  dans 


240  LA   MARINE    MILITAIRE    SOUS    LOUIS    XV. 

une  certaine  mesure,  le  conjurer,  tomba  du  pouvoir  dès 
la  seconde  année  de  la  guerre.  L'attentat  de  Damiens 
fut  l'occasion  de  sa  chute  et  de  celle  du  ministre  de 
la  Guerre,  le  comte  d'Argenson.  M""^  de  Pompadour, 
éloignée  de  la  cour  au  milieu  de  l'émotion  qu'on  avait 
éprouvée  à  la  pensée  du  danger  couru  par  Louis  le  Bien- 
aimé,  était  revenue,  au  bout  de  quelques  jours,  plus  puis- 
sante que  jamais  ;  elle  reprochait  aux  deux  ministres  leur 
attitude  au  moment  où  l'on  avait  cru  à  sa  disgrâce.  Dès 
sa  rentrée  triomphante,  elle  exigea  leur  renvoi  :  deux 
lettres  de  cachet  exilèrent,  en  effet,  le  même  jour,  P""  fé- 
vrier 1757,  d'Argenson  et  Machault.  Cette  mesure  bru- 
tale pouvait  désorganiser  les  services  de  l'armée  et  de  la 
marine,  au  moment  même  où  la  guerre  s'engageait  au 
cœur  de  l'Allemagne  et  sur  toutes  les  mers  ;  peu  impor- 
tait, si  la  vengeance  de  l'irascible  marquise  avait  été 
satisfaite.  La  vie  publique  de  Machault  était  terminée  ; 
ce  sage  ministre  mourut  en  1794,  à  quatre-vingt-douze 
ans,  dans  la  prison  des  Madelonnettes  ;  sa  mort  avait 
devancé  de  quelques  jours  la  sentence  du  tribunal  révo- 
lutionnaire. 

La  marine  devait  aller  pendant  quelque  temps  encore 
de  l'élan  qui  lui  avait  été  imprimé  par  Machault.  Aussi  la 
présence  au  ministère  de  Moras,  puis  de  Massiac,  ne 
causa  pas  aussitôt  tout  le  mal  qu'on  aurait  pu  redouter 
avec  des  administrateurs  incapables. 

De  Peirenc,  marquis  de  Moras,  qui  reçut  le  départe- 
ment de  la  Marine  en  février  1757,  on  a  dit  qu'il  semblait 
qu'on  eût  choisi  à  M.  de  Machault  le  successeur  le  plus 
inepte,  afin  de  le  faire  regretter  davantage.  Il  était  déjà 
contrôleur  général  des  Finances  ;  on  réunit  pour  lui  les 
deux  charges  des  finances  et  de  la  marine,  dont  une  seule 
aurait  suffi  à  accabler  des  épaules  autrement  robustes  ; 


LES  SECRÉTAIRES  d'ÉTAT  DE  LA  MARINE  DE  1749  A  1761 .  241 

on  prétendait  qu'ayant  les  fonds  à  sa  disposition,  il  ne 
laisserait  pas  les  arsenaux  et  les  escadres  manquer  du 
nerf  de  la  guerre.  C'était  la  combinaison  sous  laquelle 
Louis  XIV  avait  déjà  écrasé  l'honnête  et  malheureux 
Chamillard.  Du  moins  ce  fut  pendant  les  deux  années 
1758  et  1759  que  la  marine  eut  à  sa  disposition  les 
sommes  de  beaucoup  les  plus  considérables  de  tout  le 
règne  de  Louis  XV,  42  370  149  francs  en  1758,  56  903  954 
en  1759. 

En  des  temps  ordinaires,  M.  de  Moras  aurait  pu  être 
un  ministre  suffisant  ;  car  il  ne  manquait  pas  d'une  cer- 
taine expérience  des  affaires,  il  avait  le  désir  de  bien 
faire,  de  l'application,  de  l'honnêteté  ;  mais  ces  qualités 
moyennes  ne  pouvaient  tenir  lieu  de  génie  et  de  volonté. 
L'homme  que  les  circonstances  réclamaient  à  cette 
époque  au  ministère  de  la  Marine  aurait  dû  joindre  les 
talents  administratifs  d'un  Colbert  à  l'intelligence  d'un 
Richelieu.  Il  serait  cruel  de  dire  que  M.  de  Moras  ne 
rappela  ni  l'un  ni  l'autre  de  ces  illustres  prédécesseurs. 
Mais  il  serait  injuste  de  ne  pas  lui  tenir  compte  des  diffi- 
cultés de  toute  nature,  politiques,  financières,  adminis- 
tratives, auxquelles  il  ne  cessa  de  se  heurter  ;  elles 
auraient  pu  avoir  raison  d'une  intelligence  plus  haute  et 
d'une  volonté  plus  énergique. 

Un  fait  peut  donner  une  idée  des  obstacles  qu'il  ren- 
contrait, quand  il  prit  une  mesure  qui,  loin  d'être  criti- 
quable, est  une  des  plus  louables  de  son  administration. 
Pour  faire  la  guerre  aux  Anglais,  Moras  accueillait  les 
officiers  bleus,  c'est-à-dire  les  officiers  des  bâtiments  de 
corsaires  ou  de  la  marine  marchande,  qui  se  recomman- 
daient par  leurs  états  de  service  ;  afin  de  donner  à  ces 
braves  gens  un  stimulant  de  plus,  il  voulait  les  faire 
entrer,  à  titre  auxiliaire  et  provisoire,  jusqu'à  la  fin  de  la 
guerre,  dans  les  rangs  de  la  marine  royale,  en  leur  défi- 
le 


242  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS    LOUIS   XV. 

vranl  des  brevets  de  capitaine  de  frégate,  de  lieutenant 
de  frégate,  de  capitaine  de  brûlot  ou  d'autres  analogues. 
Les  oiTiciers  rouges  ou  les  officiers  du  corps  royal  de  la 
marine  se  crurent  lésés  dans  leurs  droits  ;  le  chef 
d'escadre  Du  Guay,  commandant  de  la  marine  à  Brest, 
se  fit  l'écho  de  leurs  réclamations  égoïstes.  Il  s'attira  cette 
réponse  du  ministre,  en  date  du  24  juin  1757  ^^  : 

«  Le  désir  que  vous  avez  de  voir  constamment  les 
officiers  de  vaisseau  pris  dans  la  noblesse  du  royaume  ne 
doit-il  pas  céder  aux  besoins  du  service  ?  Cette  vue  géné- 
rale, adoptée  trop  strictement,  priverait  souvent  le  roi  de 
la  faculté  de  se  procurer  des  sujets  de  distinction  très 
utiles.  Les  grades  intermédiaires  ont  toujours  été 
regardés  comme  le  moyen  de  se  les  procurer,  et  c'est  à 
cet  établissement  que  la  marine  a  dû  les  Du  Guay-Trouin, 
les  Bart  et  plusieurs  autres  officiers,  dont  la  réputation 
peut  faire,  pour  tout  ce  qui  sert  le  roi,  un  juste  motif 
d'émulation.  Je  ne  vous  dissimulerai  pas  qu'en  mainte- 
nant avec  la  plus  grande  attention  la  règle  établie,  qui 
n'admet  à  la  place  des  gardes  de  la  marine  que  des 
sujets  tirés  de  la  noblesse,  je  profiterai  de  toutes  les  occa- 
sions d'attacher  à  ce  service  des  sujets  d'un  autre  état, 
qui  l'auraient  mérité  par  des  actions  de  valeur  ou  par 
des  talents  reconnus.  Mais  était-il  nécessaire,  monsieur, 
que  vous  me  fissiez  une  réflexion  vague  et  générale,  qui 
m'a  conduit  à  cette  discussion,  dans  une  circonstance  où, 
forcé  par  le  manque  d'officiers,  je  vous  marquais  qu'il 
était  indispensable  d'employer  sur  les  frégates  ou  cor- 
vettes des  navigateurs  estimés,  avec  des  grades  conve- 
nables à  leur  état  et  dont  la  durée  est  bornée  au  seul 
temps  de  la  campagne  ?  » 

Qui  ne  donnerait  aujourd'hui  complètement  raison  au 

18.  Citée  par  Chabaud-Aenault,  R.  M.  C-,  t.   CXIT,  p.  484. 


LES  SECRÉTAIRES  D  ETAT  DE  LA  MARINE  DE  1749  A  1761.  243 

ministre  contre  le  chef  d'escadre  ?  Mais  qui  ne  connaît 
aussi  la  puissance  de  certains  préjugés  et  de  l'esprit  de 
corps  ? 

Malgré  les  millions  que  le  ministre  avait  pu  trouver 
pour  la  marine,  l'obligation  de  faire  face  à  la  fois  aux 
charges  écrasantes  des  campagnes  de  terre  et  de  mer  ne 
permettait  pas  d'assurer  le  fonctionnement  régulier  de 
tous  les  services  maritimes.  Pour  le  paiement  de  la  solde, 
Moras  en  fut  réduit  à  recourir  au  procédé  de  Jérôme  de 
Pontchartrain,  à  la  vente  d'une  partie  du  matériel  qu'on 
disait  hors  de  service  ;  puis,  un  jour  où  il  s'agit  d'armer 
à  Toulon  huit  vaisseaux,  il  se  trouva  que  deux  cents 
canons,  sur  lesquels  on  avait  compté,  ne  figuraient  plus 
dans  l'arsenal.  Depuis  que  Machault  n'était  plus  là,  la 
marine  était  en  proie  à  la  désorganisation.  Incapable  de 
remédier  à  toutes  ces  difficultés,  auxquelles  venaient 
s'ajouter  les  malheurs  de  nos  campagnes  maritimes, 
Moras  prit  le  parti  de  donner  lui-même  sa  démission,  le 
27  mai  1758  :  son  ministère  avait  duré  seize  mois. 

Le  successeur  de  Moras  ne  resta  que  cinq  mois  aux 
affaires  ;  cependant  la  marine  militaire  l'avait  accueilli 
avec  assez  de  faveur,  car  M.  de  Massiac,  lieutenant 
général  des  armées  navales,  qui  avait  été  tout  récemment 
commandant  de  la  marine  à  Toulon,  appartenait  non  à 
la  plume,  mais  à  l'épée. 

Un  esprit  nouveau  semblait  souffler  alors  dans  la  haute 
administration.  On  venait  de  nommer  à  la  Guerre  (20  fé- 
vrier 1758)  le  maréchal  de  Belle-Isle  ;  de  même,  on 
voulut  mettre  à  la  tête  de  la  Marine  un  homme  de  la  car- 
rière. On  avait  parlé  du  chevalier  de  Mirabeau,  capi- 
taine de  vaisseau,  ancien  gouverneur  de  la  Guadeloupe, 
inspecteur  général  des  côtes  de  Picardie,  qui  avait  en 
tête  plusieurs  projets  de  réforme  pour  la  marine  ;  mais 


S44  LA    MARINE    MILITAIRE    SOUb    LOUIS    XV. 

d'après  lui,  le  bruit  de  son  nom  u  ne  servit  qu'à  éveiller 
tous  les  scorpions  du  pays  où  l'on  devait  craindre  de 
voir  un  homme  instruit  à  la  tête  de  cette  besogne  ».  Pour 
M.  de  Massiac,  ce  furent  ses  qualités  négatives  qui  le 
firent  choisir,  si  l'on  en  croit  l'anecdote  rapportée  dans 
la  Vie  privée  de  Louis  XV, 

Quand  il  fut  question  de  donner  un  successeur  à 
M.  de  I\loras  et  de  le  choisir  parmi  les  ofîiciers  d'épée, 
on  tint  conseil  chez  M"^  de  Pompadour,  en  dépouillant 
les  listes  des  olliciers  généraux  de  l'Almanach  royal. 
Aucun  nom  ne  convenait.  L'un  était  trop  vieux,  l'autre 
n'avait  jamais  servi  ;  celui-ci  étail  prisonnier,  celui-là 
était  aux  colonies  ;  un  tel  était  dévot,  un  tel  bouffon,  un 
troisième  sans  naissance»  un  quatrième  s'entendait  à  la 
marine  comme  un  maître  des  requêtes.  Quelqu'un  pro- 
nonça le  nom  de  M.  de  Massiac,  homme  sage,  froid,  point 
présomptueux,  docile,  dont  on  ferait  tout  ce  qu'on  vou- 
drait. La  favorite  approuva,  surtout  quand  le  même 
donneur  d'avis  ajouta  qu'on  adjoindrait  un  second  au 
futur  ministre  dans  la  personne  de  M.  Le  Normant  de 
Alézy,  ancien  intendant  de  Rochefort,  alors  intendant  des 
armées  navales,  qui  avait  l'honneur  d'appartenir  à  la 
marquise,  puisqu'il  était  un  parent  de  son  mari.  Bien 
qu'on  ne  s'attendît  pas  à  voir  rappeler  dans  la  circons- 
tance ces  rapports  de  parenté,  la  combinaison  fui 
adoptée  séance  tenante.  La  marquise  était  flattée  d'avoir 
proposé  au  roi  un  ministre,  qui  fut  pendant  quelques 
jours  l'idole  de  la  cour,  et  de  lui  avoir  adjoint  quelqu'un 
de  sa  famille.  Massiac  fut  nommé  secrétaire  d'État  de  la 
Marine  le  V"  juin  1758.  En  prenant  possession  de  son 
dé^iartement,  le  nouveau  ministre  fit  adresser  cette  cir- 
culaire aux  commandants  des  ports  (7  juin  1758)  *'  : 

19.  A.   M.  B'  78,   fol.  7. 


LES  SECRÉTAIRES  d'ÉTAT  DE  LA  MARINE  DE  1749  A  1761 .    245 

«  Le  roi  voulant  bien  me  faciliter  les  moyens  de  rem- 
plir toutes  les  fonctions  de  la  charge  de  secrétaire  d'Étal 
au  département  de  la  Marine  que  Sa  Majesté  m'a  confiée, 
Elle  a  fait  choix,  pour  m'aider  dans  ce  ministère,  dont 
les  détails  sont  extrêmement  étendus,  de  M.  Le  Normant 
de  Mézy,  intendant  des  armées  navales,  dont  le  mérite 
est  parfaitement  connu  de  toute  la  marine.  Sa  Majesté  a 
réuni  en  sa  faveur  l'intendance  des  classes  et  celle  des 
armées  navales,  avec  le  titre  d'intendant  général  de  la 
Marine  et  des  Colonies.  L'intention  de  Sa  Majesté  est 
que  dans  les  cas  où  je  ne  pourrai  pas  traiter  directement 
les  affaires  avec  vous  et  vous  mander  ses  décisions,  les 
lettres  que  M.  Le  Normant  de  Mézy  vous  écrira  aient  le 
même  effet  que  les  miennes  propres  et  que  vous  puissiez 
vous  adresser  à  lui  comme  à  moi-même.  Vous  devez  être 
persuadé  que  je  donnerai  la  môme  attention  à  l'objet  de 
vos  lettres  et  de  vos  mémoires  que  si  vous  m'en  aviez 
écrit  directement.  » 

Un  ministère  à  deux  têtes  n'était  pas  une  nouveauté  : 
Le  Normant  de  Mézy  avait  déjà  été  le  collaborateur 
presque  ofïiciel  de  Rouillé  ;  mais  la  première  combi- 
naison avait  réuni  deux  hommes  de  plume,  qui  avaient 
mille  raisons  de  s'entendre  et  de  s'aider.  La  combinaison 
nouvelle  réunissait  un  olficier  d'épée  et  un  officier  de 
plume,  qui  eurent  toutes  les  occasions  d'entrer  en  anta- 
gonisme. M.  de  Alassiac,  «  naturellement  indolent,  caco- 
chyme, vaporeux  »,  occupé  avant  tout  de  sa  toilette  et  de 
sa  santé,  et  M.  Le  Normant,  administrateur  vigilant  el 
actif,  dont  la  longue  expérience  s'appuyait  sur  plusieurs 
missions  aux  colonies,  eurent  les  rapports  les  plus  désa- 
gréables. Le  ministre  était  mal  marié  ;  sa  femme  était 
une  joueuse  de  profession,  qui  attira  chez  elle  les  brelan- 
diers  de  la  capitale  et  donna  à  l'hôtel  du  ministère  de  la 
Marine  les  dehors  d'un  tripot. 


246  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 

Cependant  tous  les  malheurs  fondaient  sur  M.  de  Mas- 
siac  :  c'est  le  moment  de  la  perte  de  Louisbourg,  de  la 
perte  de  Gorée,  de  la  campagne  malheureuse  du  comte 
d'Aché  dans  l'Inde,  de  la  triple  descente  des  Anglais  sur 
nos  côtes,  à  Cancale,  à  Cherbourg,  à  Saint-Cast.  Après 
avoir  été  Fidole  de  la  favorite  et  de  la  cour,  Massiac 
devint  un  objet  de  colère  et  d'indignation.  Au  bout  de 
cinq  mois  il  était  remercié  (V  novembre).  Il  se  réserva 
pour  vengeance  de  remettre  en  personne  son  portefeuille 
au  roi.  Louis  XV  fut,  paraît-il,  plus  décontenancé  que  lui- 
même  ;  c'était  la  première  fois  qu'il  voyait  la  figure  d'un 
ministre  disgracié. 

Après  le  court  et  pitoyable  essai  du  ministère  d'un 
officier  d'épée,  on  revint  aux  maîtres  des  requêtes  :  Ber- 
ryer  fut  nommé  secrétaire  d'État  de  la  Marine,  au 
moment  même  où  le  duc  de  Choiseul  recevait  les  Affaires 
étrangères  (V  novembre  1758). 

Il  y  eut  un  mouvement  de  stupeur,  en  un  temps  cepen- 
dant où  l'opinion  publique  était  devenue  bien  indifférente 
en  matière  de  ministres  comme  en  d'autres  matières. 
Voulait-on,  de  parti  pris,  perdre  la  marine  et  les  colonies 
en  les  confiant  à  ce  moment  critique,  qui  pouvait  être  et 
qui  fut  le  moment  suprême,  à  un  administrateur  qui 
n'avait  d'autre  titre  que  d'avoir  été  lieutenant  de  police 
et  d'avoir  montré  dans  ces  fonctions  un  caractère  brutal, 
grossier  et,  ce  qui  est  pis,  incapable  ?  Son  plus  grand 
mérite  était  d'avoir  un  dévouement  servile  pour  la  favo- 
rite ;  connaissant  le  personnage,  M""^  de  Pompadour 
l'avait  fait  entrer  au  conseil  des  dépêches,  puis  au  conseil 
d'État,  pour  avoir  un  espion  à  ses  gages.  Pour  se  pousser 
à  la  Marine,  Berryer  avait  inventé  de  flatter  le  maréchal 
de  Belle-Isle,  alors  ministre  de  la  Guerre  ;  celui-ci 
s'imagina  qu'il  pourrait  trouver  en  lui  le  collaborateur 


LES  SECRÉTAIRES  d'ÉTAT  DE  LA  MARINE  DE  1749  A  1761 .  247 

•qu'il  cherchait  pour  l'exécution  du  grand  projet  de  débar- 
quement en  Angleterre  qui  occupait  alors  tous  les 
hommes  du  métier.  La  double  protection  de  la  favorite 
et  du  maréchal  valut  ainsi  à  l'ancien  lieutenant  de  police 
d'être  placé  à  la  tête  de  l'administration  sur  laquelle 
reposaient  à  ce  moment  la  fortune  et  la  grandeur  de  la 
patrie. 

Le  duc  de  Belle-Isle  revint  promptement  de  son  illu- 
sion. Si  Berryer  avait  beaucoup  d'ignorance,  il  avait 
encore  plus  de  présomption  et  d'entêtement  ;  une  fois  en 
place,  il  entendit,  comme  souvent  les  incapbles  et  les 
vaniteux,  faire  tout  par  lui-même  et  de  lui-même.  Il  avait 
été  question  de  lui  adjoindre  pour  collaborateurs  le 
chevalier  de  Mirabeau  et  le  baron  de  Narbonne.  Le 
chevalier  rapporte  que  le  ministre  leur  avait  dit  en  par- 
lant de  ses  fonctions  nouvelles  :  «  Je  n'y  vois  qu'un  étang, 
mais  avec  votre  secours  j'espère  relever  la  marine.  »  On 
devait  leur  donner  un  traitement  de  vingt-cinq  mille 
livres  ;  mais,  au  bout  de  deux  mois,  le  ministre  fit  com- 
prendre qu'il  ne  voulait  personne  avec  lui  "2^.  Cette  fois 
encore  le  chevalier  ne  fit  que  côtoyer  le  ministère  ;  il  dut 
entrer  un  peu  de  ressentiment  dans  la  manière  dont  il  a 
représenté  Berryer  :  «  vilain  sac  à  charbon  »,  ennemi 
«  par  nature  de  tout  ce  qui  est  honnête  »,  «  son  âme  est 
aussi  noire  que  sa  peau^^  ». 

Les  procédés  d'administration  de  Berryer,  qu'il  avait 
empruntés  à  sa  lieutenance  de  police,  étaient  de  ne  voir 
les  choses  que  par  les  petits  côtés  et  d'accorder  une  foi 
sans  limite  aux  rapports  d'agents  subalternes,  de  telle 


20.  Dans  le  dossier  personnel  du  comte  ou  baron  Narbonne-Pelet-Melguiel, 
11  est  (luestlon  de  ses  «  deux  mois  ou  environ  d'adjonction  au  ministère  », 
et  de  «  plusieurs  mémoires  sur  la  marine,  plans  d'administration  et 
tableaux  économiques  que  les  ministres  du  roi  lui  avaient  demandés  », 
A.  M.,   C\ 

21.  LoMÉNiE,  Les  Mirapenu,  t.  I,  ch.  xii. 


248  LA    MARINE   MILITAIRE    SOUS    LOUIS    XV. 

manière  que  la  délation  et  l'espionnage  devinrent  ses 
moyens  ordinaires.  Certes  il  y  avait  des  abus  à  punir 
dans  l'administration  de  la  marine,  en  particulier  dans 
les  bureaux  du  ministère  ;  mais  le  ministre  le  fît  avec  une 
réelle  brutalité,  en  ne  s'occupant  jamais  que  de  questions 
accessoires.  Aussi  l'on  put  dire  qu'il  ne  voyait  autour  de 
lui  que  des  voleurs  à  punir,  et  qu'il  oubliait  qu'il  avait 
aussi  à  faire  la  guerre  aux  Anglais.  Or  c'étaient  les 
années  des  malheurs  irréparables  :  défaite  de  Lagos, 
désastre  des  Cardinaux,  nouvelle  descente  des  Anglais, 
perte  du  Canada^  perte  des  Antilles,  perte  de  Pondichéry. 
Le  ministre  ne  s'inquiétait  pas  pour  si  peu.  Si  les  colonies 
et  la  marine  étaient  ruinées,  tant  pis  pour  elles.  On  con- 
naît sa  réponse  à  Bougainville,  qui  était  venu  lui 
demander  du  secours  au  nom  de  Montcalm,  à  la  veille  de 
perdre  le  Canada  :  «  Monsieur,  quand  le  feu  est  à  la 
maison,  on  ne  s'occupe  pas  des  écuries.  »  Mais  il  y  a 
aussi  la  réponse  que  l'on  prête  à  Bougainville  :  <(  On  ne 
dira  pas,  Monsieur,  que  vous  parlez  comme  un  cheval.  » 

On  pourrait  l'appliquer,  par  antiphrase,  à  bien  des 
actes  de  ce  ministre  néfaste.  En  1761,  quand  il  fut  à  bout 
de  ressources,  il  se  résigna  très  aisément  à  cette  idée  que 
la  France  ne  pouvait  plus  disputer  à  l'Angleterre 
l'empire  de  la  mer.  Au  moment  où  «  il  ne  pouvait  plus 
être  armé  aucun  navire  pour  le  compte  du  roi  »,  ordre 
fut  donné  de  vendre  au  commerce  tous  les  agrès  et  appa- 
raux des  magasins  ;  il  se  trouva  que  les  magasins  de 
Brest  furent  bientôt  aussi  vides  que  son  port.  Rien  de 
plus  naturel,  puisque  la  France  n'avait  désormais  aucun 
besoin  d'une  marine. 

Il  n'y  avait  qu'un  cri  dans  le  corps  des  officiers  contre 
un  ministre  justement  détesté  ;  seule,  sa  servilité  à  l'égard 
de  la  favorite  le  maintenait  aux  affaires.  Cependant  un 
acte    d'insubordination    manifeste    et    d'insolence    des 


LES  SECRÉTAIRES  D  ETAT  DE  LA  MARINE  DE  1749  A  1761.  249 

officiers  consolida  pour  quelque  temps  sa  situation  très 
ébranlée.  A  la  suite  du  désastre  de  Quiberon,  plusieurs 
vaisseaux  de  l'escadre  de  M.  de  Conflans  étaient  allés 
s'enfermer  à  l'intérieur  de  la  Vilaine  ;  le  ministre  donna 
aux  officiers  l'ordre  formel  de  reprendre  la  mer.  Ils 
répondirent  par  une  lettre  où  le  mépris  perçait  à  chaque 
ligne.  Le  corps  de  la  marine  prit  parti  pour  les  coupables. 
Mais  les  secrétaires  d'Etat  sentirent  que  sacrifier  Ber- 
ryer  à  un  pareil  moment,  c'était  s'offrir  eux-mêmes  aux 
coups  de  tous  les  mutins.  Aussi  le  ministre,  soutenu  par 
ses  collègues,  cassa  les  auteurs  de  la  lettre,  sans  les 
déférer  à  un  conseil  de  guerre,  et  il  envoya  le  principal 
coupable  au  château  de  Saumur22,  Cet  acte  de  vigueur 
prolongea  de  quelques  mois  sa  carrière  de  ministre. 

Il  faut  reconnaître  à  Berryer  le  mérite  d'une  économie 
sévère.  Il  y  avait  beaucoup  de  laisser  aller  dans  la  comp- 
tabilité maritime,  pour  les  journées  d'ouvriers  dans  les 
ports,  les  frais  de  voyage,  l'entretien  du  matériel  et 
d'autres  dépenses  très  difficiles  à  estimer  avec  une  préci- 
sion absolue.  A  force  de  menacer,  de  tonner,  ce  ministre 
terrible,  qui  vérifiait  tous  les  comptes  avec  des  yeux 
d'inquisiteur  et  de  policier,  parvint  à  réduire  à  plus  de  la 
moitié,  et  même  à  moins,  tel  chapitre  des  dépenses  de 
son  administration.  Là  encore  son  art  d'éplucher  les 
comptes  et  son  besoin  de  gronder  à  tort  et  à  travers 
s'attaquaient  à  des  détails  infimes.  N'ordonna-t-il  pas  de 
supprimer  les  chats  entretenus  dans  les  magasins  de 
Toulon  pour  la  destruction  des  rats,  parce  que  la  nour- 
riture des  chats  figurait  aux  dépenses  du  port  pour 
douze  sous  par  jour?  Passe  encore  pour  le  budget  des 
chats  ;  mais  celui  des  vieux  employés  du  port  demandait 
à  être  traité  avec  des  moyens  moins  draconiens.  A  l'inten- 

22.  Voir  ci-dessous,  p.  370. 


250  LA    MARINE    MILITAIRE    SOUS    LOUIS    XV. 

dant  de  Toulon,  qui  appuyait  une  demande  de  pension 
pour  un  de  ses  subordonnés,  il  répondait  sans  ambages  : 
«  Je  demande  quelle  raison  il  y  a  parce  qu'un  bomme 
a  joui  pendan'.  trente  ans  d'un  état  fort  doux  et  d'un  bon 
traitement  pour  qu'on  ne  puisse  pas  s'en  défaire  sans 
obligations  envers  lui,  quand  cela  convient  à  de  meilleurs 
arrangements.  » 

Cependant  la  marquise  de  Pompadour  sentit  qu'elle 
ne  pouvait  pas  soutenir  plus  longtemps  son  ministre 
contre  la  réprobation  unanime  ;  alors  elle  imagina  de  le 
changer  de  département  et  elle  en  fit  un  garde  des  sceaux 
(13  octobre  1761).  Berryer  avait  fini  par  avoir  le  senti- 
ment de  son  impuissance  radicale  et  —  il  faut  le  dire  à 
sa  louange  —  de  la  nécessité  de  restaurer  enfin  la  marine. 
Le  20  août  1761,  il  écrivait  ce  billet  à  Choiseul,  en  lui 
adressant  un  plan  d'utilisation  de  nos  forces  maritimes  : 
«  J'ai  absolument  besoin  que  vous  m'aidiez  ;  il  n'y  a 
qu'avec  du  temps  et  des  moyens  très  abondants  et  dis- 
posés avec  beaucoup  d'ordre  et  d'économie  que  l'on 
pourra  parvenir  à  rétablir  cette  malheureuse  machine, 
qu'il  semble  que  tout  a  conspiré  d'anéantir,  et  dont  per- 
sonne ne  sent  mieux  que  vous  la  nécessité,  surtout  dans 
les  circonstances  où  nous  nous  trouvons  ^3.  »  C'était 
abdiquer  à  l'avance  entre  les  mains  de  Ihomme  néces- 
saire. Le  15  octobre,  le  duc  de  Choiseul  recevait  le  porte- 
feuille de  Berryer  ;  la  marine  avait  enfin  un  ministre. 

On  ne  jugera  pas  que  ce  court  aperçu  de  l'histoire  des 
ministres  de  la  Marine  de  1749  à  1761  soit  en  dehors  de 
l'histoire  de  notre  marine  militaire.  Raconter  nos  mal- 
heurs de  la  guerre  de  Sept  ans  sans  commencer  par  cette 
préface,  ce  serait  décrire  le  mal  sans  en  exposer  la  cause 

23.   A.   M.   B*  100,   fol.   30. 


LES  SECRÉTAIRES  d'ÉTAT  DE  LA  MARINE  DE  1749  A  1761 .  251 

essentielle.  Où  pouvaient  être  l'unité  de  vues  et  la  conti- 
nuité des  efforts  avec  ces  secrétaires  d'Etat  venus  de 
n'importe  où  et  qui  ne  firent  que  traverser  le  ministère  ? 
Tous  ne  furent  pas  incapables  ou  néfastes,  comme  Mas- 
siac  ou  Berryer  ;  mais  les  meilleurs,  comme  Machault  et 
Rouillé,  eurent  à  peine  le  temps  d'ébaucher  quelques 
projets.  Une  administration  digne  de  ce  nom  est  celle  qui 
sait  prévoir,  organiser,  diriger  ;  alors  elle  est  comme 
l'âme  qui  anime  le  corps.  Pendant  les  années  où  une 
main  intelligente  et  énergique  aurait  dû  tracer  à  la 
marine  son  programme  et  lui  donner  tous  les  moyens 
d'action,  la  marine  n'eut  presque  jamais  ni  moyens 
d'action  ni  programme.  Aussi,  rien  de  plus  stérile  et  de 
plus  décousu  que  son  histoire  au  cours  de  cette  triste 
guerre.  Tout  ce  qu'elle  put  faire,  ce  fut  de  mourir  et  de 
sauver  l'honneur. 


CHAPITRE  XV 

PRÉLIMINAIRES  DE  LA  GUERRE  MARITIME  DE  SEPT  ANS 


Conflits  coloniaux  de  la  France  et  de  l'Angleterre.  —  Les  escadres  de 
Macnemara  et  de  Du  Bois  de  La  Motte.  —  VAlcide  et  le  Lys  ;  attentat 
de  Boscawen.  —  VOpiniâtre  et  VEspérance.  —  La  déclaration  de 
guerre.  —  La  France  et  l'Angleterre  vers  1755.  —  Projets  de  guerre 
maritime  contre  l'Angleterre. 

Si  une  guerre  fut  jamais  facile  à  prévoir,  ce  fut  celle 
qui  éclata  en  1755  entre  la  France  et  l'Angleterre  ;  de 
combien  d'incidents  belliqueux  ne  fut-elle  pas  précédée  ! 

Malgré  le  désaveu  du  gouvernement,  Dupleix  avait 
repris  son  œuvre  dans  l'Inde,  et  il  allait  se  heurter  de 
nouveaux  aux  Anglais,  ses  voisins  et  ses  ennemis.  En 
Amérique,  soit  aux  Antilles,  soit  dans  l'Acadie,  soit  dans 
la  vallée  de  l'Ohio,  plusieurs  territoires  étaient  restés  en 
contestation  dans  l'état  de  Vuti  possidetis  ;  des  commis- 
saires des  deux  nations  devaient  trancher  le  débat  après 
enquête  sur  les  lieux.  En  1750,  nos  commissaires  La 
Galissonnière  et  Silhouette  avaient  établi,  dans  un  excel- 
lent mémoire,  très  documenté  et  bien  déduit,  les  droits 
historiques  de  la  France  sur  l'Acadie  et  sur  Sainte-Lucie. 
Les  Anglais,  sûrs  de  l'impunité,  sûrs  d'être  soutenus 
jusqu'au  bout  par  le  gouvernement  et  par  l'opinion, 
employaient  d'autres  armes  que  les  documents  de  chan- 
cellerie. Un  capitaine  de  leur  nation  détruisait  de  son 
autorité  les  inscriptions  que  Du  Bois  de  La  Motte,  gou- 


PRÉLIMINAIRES   DE    LA   GUERRE   DE    SEPT   ANS.  253 

verneur  des  îles  sous  le  Vent,  avait  fait  placer  pour 
affirmer  les  droits  du  roi  Très  Chrétien,  et  les  balles  de 
quelques  miliciens  de  Virginie  mettaient  à  mort  Jumon- 
ville  et  ses  compagnons.  La  presse  anglaise  ne  gardait 
aucune  mesure  dès  qu'il  s'agissait  de  la  France  ;  Londres 
était  inondé  de  pamphlets  où  tout  ce  qui  avait  trait  à  nos 
prétentions  dans  l'Amérique  du  Nord  était  présenté  avec 
les  insinuations  les  plus  mensongères  et  les  plus  bles- 
santes. Le  propos  odieux  d'un  homme  d'Etat  anglais  : 
«  Si  nous  voulions  être  justes  envers  les  Français,  nous 
n'aurions  pas  pour  trente  ans  d'existence  »,  ne  paraît 
pas  invraisemblable,  quand  on  pense  à  la  violence  des 
passions  antifrançaises  qui  régnaient  alors  de  l'autre 
côté  de  la  Manche. 

Chez  nos  compatriotes,  en  particulier  chez  les  officiers 
de  marine,  la  haine  de  l'Anglais  était  par  excellence  la 
manifestation  du  patriotisme.  Un  mot  courait  chez  les 
officiers  de  l'escadre  de  Brest,  auquel  d'ailleurs  les  événe- 
ments fournissaient  plus  d'un  commentaire  :  «  Foi  bri- 
tannique, foi  punique.  »  Un  Français  allait  raconter  les 
événements  maritimes  du  début  de  la  guerre  sous  ce  titre^ 
auquel  il  se  conforma  avec  rigueur  au  cours  de  ses  huit 
chapitres  :  Parallèle  de  la  conduite  des  Carthaginois  à 
Végard  des  Romains  pendant  la  seconde  guerre  punique 
avec  la  conduite  de  V Angleterre  à  Végard  de  la  France 
dans  la  guerre...  jusqu'au  mois  de  décembre  1756^. 

Machault  était  alors  secrétaire  d'État  de  la  Marine  ;  il 
suivait  avec  une  patriotique  vigilance  tous  les  événements 
de  l'agitation  coloniale.  Quand  il  sut  que  le  commodore 
Keppel  venait  de  transporter  dans  la  Nouvelle-Angleterre 
(janvier  1755)    l'armée    avec    laquelle    Braddock    allait 

1.  Ouvrage  anonyme  de  l'abbé  Seran  de  la  Tour,   1757,   in-12. 


254  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 

envahir  la  Nouvelle-France,  il  se  décida  à  faire  passer 
des  secours  au  Canada. 

Une  escadre  de  six  vaisseaux,  —  le  Formidable,  vais- 
seau amiral,  le  Héros,  le  Palmier,  VEveillé,  Vlnllexible, 
V Aigle,  — et  de  trois  frégates,  —  V Améthyste,  la  Sirène, 
VHéroïne,  —  fut  armée  en  guerre  à  Brest.  Dès  le  3  jan- 
vier, le  lieutenant  général  Macnemara  ^  avait  été  désigné 
pour  en  prendre  le  commandement.  A  cette  escadre 
devaient  s'en  joindre  deux  autres  :  l'une  de  sept  bâti- 
ments, sous  les  ordres  de  Du  Bois  de  La  Motte,  chef 
d'escadre,  chargée  de  transporter  au  Canada  douze  batail- 
lons avec  le  baron  de  Dieskau  ;  l'autre,  de  onze  bâti- 
ments, sous  les  ordres  de  Beaussier  de  L'Isle,  capitaine 
de  port.  L'ensemble  de  ces  forces  navales  comprenait 
vingt-sept  voiles.  Mais  autant  par  mesure  politique  que 
par  mesure  d'économie,  le  gouvernement  de  Louis  XV, 
qui  semblait  avoir  toujours  peur  de  donner  de  l'ombrage 
à  ses  ennemis  et  de  paraître  rompre  avec  eux,  s'était 
borné  à  ne  munir  de  tous  leurs  canons  que  trois  vais- 
seaux de  l'escadre  de  Du  Bois  de  La  flotte  ;  les  autres 
étaient  armés  en  flûte,  avec  vingt-deux  canons  seule- 
ment. 

La  mission  de  Macnemara  était  d'escorter  dans  le  golfe 
de  Gascogne  les  dix-huit  bâtiments  du  convoi  du  Canada. 
Ses  instructions,  du  10  avril  1755,  n'étaient  pas  de  nature 
à  exciter  son  ardeur  belliqueuse.  «  Vous  devez  éviter, 
s'il  est  possible,  la  rencontre  des  escadres  anglaises. 
Supposé  que  vous  les  rencontriez,  vous  vous  tiendrez 
sur  vos  gardes  relativement  aux  manœuvres  qu'elles 
feront,  et  si  elles  vous  donnent  lieu  de  supposer  qu'elles 
en  veulent  venir  à  une  attaque,  je  trouverai  bon  que  vous 
cherchiez  à  l'éviter  autant  qu'il  sera  possible,  sans  com- 

2.  Le  comte  de  Macnemara,  dit  Macnemara  l'aîné. 


PRÉLIMINAIRES   DE   LA   GUERRE    DE    SEPT   ANS.  255 

promettre  l'honneur  de  mon  pavillon  ^.  »  Ce  ton  de  pru- 
dence  excessive  et  singulière  n'était  pas  celui  d'un 
gouvernement  qui  voulait  la  guerre  à  tout  prix. 

Pour  Macnemara,  il  paraissait  peu  disposé  à  ouvrir  les 
hostilités  ;  on  disait  qu'il  ne  dissimulait  pas  ses  inquié- 
tudes, qu'il  avait  fait  son  testament,  qu'il  avait  débarqué 
son  argenterie.  Ce  qui  est  certain,  c'est  qu'il  ne  fit  qu'une 
courte  apparition  sur  mer.  Parti  de  la  pointe  Saint- 
Mathieu  le  3  mai  1755,  il  était  de  retour  à  Brest  dès  le  20 
du  même  mois.  Il  demanda  alors  à  être  relevé  de  son 
commandement,  à  cause  de  son  triste  état  de  santé.  Le 
comte  Du  Guay,  nommé  à  sa  place,  reprit  la  mer  avec  la 
même  escadre  de  neuf  bâtiments  ;  il  se  borna  à  croiser 
sur  les  côtes  de  France. 

Resté  à  la  tête  de  dix-huit  voiles  après  le  départ  de 
Macnemara,  Du  Bois  de  La  Motte,  qui  montait  YEntre- 
prenant,  avait  continué  la  traversée  de  l'Atlantique.  Une 
escadre  anglaise,  commandée  par  Boscawen,  épiait  tous 
ses  mouvements  ;  elle  était  décidée  à  frapper  un  coup 
digne  d'un  gouvernement  de  pirates  ^  ;  le  succès  et  notre 
pusillanimité  le  justifièrent  complètement. 

Le  8  juin  1755,  à  vingt-cinq  lieues  dans  le  nord-est  du 
cap  Race  (Terre-Neuve),  Boscawen  intimait  l'ordre  de 
saluer  le  pavillon  anglais  à  trois  de  nos  vaisseaux, 
séparés  de  l'escadre,  VAlcide,  commandant  Hocquart  de 
Blincourt,  le  Lys,  commandant  Lorgeril  l'aîné  ^,  le  Dau- 


3.  Ricii.  Waddtin'Gton,  Louis  XV  et  le  renversemenl  des  alliances,  1896, 
p.    106. 

4.  «  ...La  manière  plus  que  pirate  avec  laquelle  les  Anglais  commen- 
cèrent la  guerre  en  1755...  »  Vei'gennes  à  M.  de  Guines,  29  juillet  1775. 
DONIOL,  Histoire  de  la  participation  de  la  France  à  l'établissement  de* 
Etats-Unis  d'Amérique,  tome  I,  p.   96. 

5.  Voir  l'Appendice  VII. 


256  LA   MARINE    MILITAIRE    SOUS    LOUIS    XV. 

phiii  Royal,  commandant  M.  de  Montalais^  Sur  leur 
refus,  le  combat  s'engagea  et  dura  plusieurs  heures  ;  le 
Dauphin  Royal,  bon  marcheur,  put  s'échapper  et 
atteindre  Louisbourg  ;  moins  heureux,  tout  en  ayant 
aussi  bien  fait  leur  devoir,  YAlcide  et  le  Lys  durent 
amener  leur  pavillon.  Un  passage  du  rapport  du  cheva- 
lier de  Lorgeril  "^  expose  dans  quelles  conditions  déloyales 
cette  triste  affaire  fut  engagée. 

«  Je  ne  puis  me  refuser  à  dire  un  mot  du  parlementage 
qu'il  y  eut  entre  YAlcide  et  le  Dunkirk  (de  soixante 
canons,  capitaine  Howe),  immédiatement  avant  d'en 
venir  aux  prises. 

«  M.  Hocquart  lui  fit  crier  de  sa  galerie  par  trois  fois  : 
<(  Sommes-nous  en  paix  ou  en  guerre  ?  »  Il  répondit  par 
trois  fois  :  «  Nous  n'entendons  pas.  »  M.  Hocquart  prit 
lui-même  le  porte-voix  et  lui  répéta  deux  fois  la  même 
question  :  «  Sommes-nous  en  paix  ou  en  guerre  ?  » 
M.  Hault  (Howe)  lui  répondit  bien  distinctement  :  «  La 
V  T>aix  !  La  paix  !  »  Sur  cela,  les  deux  capitaines  se  firent 
mutuellement  quelques  autres  questions  indifférentes,  et 
ils  n'eurent  l'un  et  l'autre  que  le  temps  de  passer  sur  leurs 
gaillards  qu'on  entendit  de  YAlcide  très  distinctement 
sortir  de  la  bouche  du  capitaine  Hault  :  «  Pire  !  »  (Feu  !) 
Il  fut  sur-le-champ  obéi.  » 

Boscawen,  dans  son  rapport,  n'a  goint  songé  à  dissi- 
muler son  rôle  d'agresseur  ;  il  a  écrit  cette  phrase,  qui 
donne  bien  à  l'affaire  du  8  juin  son  caractère  de  guet- 
apens.  «  A  midi  environ,  le  capitaine  Hov^^e,  dans  le  Dun- 
kirk, fut  en  travers  du  dernier  {YAlcide)  ;  voyant  que  le 
vaisseau  français  ne  diminuait  pas  ses  voiles,  je  fis  le 


6.  Le  chevalier  de  Suffren  servait  comme  enseigne  à  bord  du  Dauphin 
noyai  ;    c'était    sa    dixième    campagne. 

7.  A.  M.,  B«  68.  fol.  267. 


PRÉLIMINAIRES   DE    LA   GUERRE   DE    SEPT   ANS.  257 

signal  de  combat,  qui  fut  de  suite  obéi  par  le  capitaine 
Howe.  )) 

Le  combat  s'était  engagé  presque  bord  à  bord.  Howe 
avait  attendu,  au  milieu  de  ces  «  parlementages  »  avec 
Hocquart,  de  se  trouver  à  une  portée  de  pistolet,  et  il 
avait  lâché  tout  à  coup  la  bordée  de  ses  deux  batteries. 
Cette  première  volée  désempara  VAlcide^  lui  cassant  son 
gouvernail  et  une  partie  de  sa  mâture  ^.  Hocquart  avait 
riposté  de  tous  ses  canons  ;  mais  il  avait  eu  cinq  vais- 
seaux accrochés  à  ses  flancs.  De  son  côté,  le  Lys,  avant 
de  se  rendre,  avait  soutenu  une  lutte  inégale  contre  trois 
vaisseaux  ennemis  ;  il  ne  portait  en  tout  que  vingt-deux 
canons. 

A  la  nouvelle  de  la  capture  de  VAlcidc  et  du  Lys  dans 
ces  circonstances  odieuses,  le  ministre  Newcastle 
exprima  son  désappointement  que  l'affaire  n'eût  pas 
mieux  réussi  ^  :  «  Ce  pauvre  Boscawen  n'a  pas  eu  de 
chance  ;  il  n'a  pris  que  deux  vaisseaux  ;  d'autres  se  sont 
échappés  à  la  faveur  du  brouillard.  Nous  ne  savons  point 
où  est  allé  le  reste  de  l'escadre.  Probablement  le  gros 
des  troupes  et  l'amiral  ont  remonté  le  Sainl-Laurent. 
Malheureusement  ce  genre  d'accident  ne  peut  être  évité,  i) 

Du  Bois  de  La  Motte,  qui  n'avait  pas  eu  alors  connais- 
sance de  ce  combat,  avait  débarqué  son  convoi  à  Québec, 
tandis  que  son  collègue  Périer  de  Salvert,  commandant 
du  Bizarre,  s'arrêtait  à  Louisbourg.  Jugeant  sans  doute 
que  le  plus  sage  était  de  différer  la  vengeance,  puisque 
l'infériorité  de  son  armement  ne  lui  permettait  pas  de 

8.  Tués  à  bord  de  l'Alcide  le  8  juin  1755  :  Laubépin,  enseigne  :  [de 
Roanne;  neveu  du  chef  d'escadre  des  galères;  G.,  1"  janvier  1741;  E., 
1"  janvier  1746,  A.  M.,  C  169]  ;  —  Hoccfuaxt,  enseigne,  fils  de  l'intendant 
de  Brest  et  neveu  du  capitaine  de  vaisseau;  —  Robinauli,  brigadier  des 
gardes-marine  ;  —  M.  de  Rostalng,  colonel  commandant-  les  troupes  en 
second,  passager  ;  —  et  environ  <ïuatre- vingts  hommes  de  l'équipage,  la 
plupart  de  la  première  volée  du  DunkirH. 

9.  R.  Waddinoton,  Louis  XV  et  le  renversement  des  alliances,  p.  lia. 

17 


258  LA   MARINE   MILITAIRE   SOUS    LOUIS   XV. 

punir  l'attentat,  il  reprit  la  route  de  la  France  ;  il  était 
de  retour  à  Brest  le  21  septembre,  sans  avoir  tiré  un  coup 
de  canon. 

Pourquoi  les  Anglais  auraient-ils  montré  quelque 
pudeur  à  l'égard  d'ennemis  qui  ne  pouvaient  ou  qui  ne 
voulaient  rien  faire?  VOpiniâtre^  commandé  par  M.  de 
Moëlien  ^o,  regagnait  la  France  avec  les  autres  bâtiments. 
Chassé  par  un  vaisseau  anglais,  il  fut  attaqué  en  vue  de 
Penmarch,  par  un  senau  de  douze  canons  et  une  frégate 
de  trente-six  (20  septembre).  Il  n'avait  que  ses  vingt-deux 
pièces  pour  se  défendre,  car  il  était  armé  en  flûte  :  il  par- 
vint cependant  à  se  débarrasser  de  ses  agresseurs.  Il 
avait  tiré  cinq  cent  vingt-trois  coups  de  canon. 

Un  mois  et  demi  environ  plus  tard,  le  11  novembre,  au 
large  du  golfe  de  Gascogne,  un  vaisseau  anglais, 
YOîlord,  de  soixante-dix  canons  et  de  cinq  cent  vingt 
hommes,  qui  faisait  partie  de  l'escadre  de  l'amiral  West, 
se  jetait  sur  un  vaisseau  en  retard  de  l'escadre  de  Du  Bois 
de  La  Motte,  \  Espérance  ;  ce  bâtiment  aurait  dû  être 
armé  de  soixante-quatorze  canons,  mais  il  n'en  portait  que 
vingt-deux.  VEspéranee,  suivant  les  termes  d'un  rapport 
officiel,  était  «  plus  propre  par  ses  défauts  et  sa  vétusté 
à  faire  un  bâtiment  de  transport  qu'un  vaisseau  de 
défense  ^1  ».  Cependant  son  commandant,  le  vicomte  de 
Bouville,  résista  près  de  cinq  heures  ;  il  avait  obligé 
deux  fois  VOvlord  à  s'éloigner  ;  mais  le  vaisseau  anglais 
était  revenu  à  la  charge  avec  une  fureur  nouvelle,  sou- 
tenu dans  ce  dernier  assaut  par  le  Buckingham  de  West. 
Bouville  dut  se  rendre  *-  ,  V Espérance  n'était  plus  qu'une 

10.  De  Moëlien.   De  Bretagne.   G.,   IS  octobre   1719;   L.   1"  mai   1741;   C. 
23  mal  1754  ;  -|-  1786,  Brest  A.  M.,  C  167. 

11.  A.   M.   B"  68.  fol.   293. 

12.  Ses   lieutcnnnls    de    vaisseau    étalent    Rosmadec    de    Saint-AUouajn, 
Plessis  Boterel.  HeussaJ  d'Ouessant 


PRÉLIMINAIRES   DE    LA   GUERRE   DE    SEPT   ANS.  259 

épave,  que  l'ennemi  dut  brûler  en  pleine  mer.  VOrlord 
se  hâta  de  ramener  ses  prisonniers  à  Plymouth  ;  criblé 
de  coups  de  boulet,  il  faisait  eau  de  toutes  parts.  Bou- 
ville  refusa  sa  liberté  ;  il  disait  avoir  été  la  proie  des 
pirates  et  il  offrit  avec  hauteur  sa  rançon.  Le  vaillant 
commandant,  qui  devait  être  plus  tard  chef  d'escadre, 
resta  deux  ans  dans  les  prisons  anglaises. 

Cependant  l'amirauté  anglaise  faisait  ou  laissait  com- 
mettre un  nouvel  acte  de  brigandage  maritime.  Comme 
à  un  signal  donné  et  sans  déclaration  de  guerre,  trois 
cents  navires  de  commerce  français  étaient  enlevés  sur 
toutes  les  mers  d'un  gigantesque  coup  de  filet,  au  mois 
de  novembre  1755  ^^..  C'était  une  perte  matérielle  d'une 
trentaine  de  millions  ;  d'autre  part,  en  y  comprenant  les 
équipages  de  VAlcide,  du  Lys  et  de  YEspérance,  c'était 
une  perte  d'environ  six  mille  ofTiciers  et  matelots,  et 
quinze  cents  soldats. 

Louis  XV  fit  informer  nos  colonies  d'Amérique  de  la 
capture  de  YAlcide  et  du  Lys  ^^  :  il  rappela  son  ambassa- 
deur en  Angleterre  ;  il  adressa  un  manifeste  au  roi 
d'Espagne,  dans  l'espoir  de  l'amener  à  unir  ses  escadres 
à  celles  de  la  France  ;  il  donna  l'ordre  au  comte  Du  Guay, 
qui  avait  remplacé  Macnemara,  de  combattre  les  vais- 
seaux de  guerre  anglais. 

là.  La  Vie  privée  (le  Louis  XV,  t.  HT,  appendice  it,  p.  30-2-3!S,  donii;^  :n 
liste  détaillée  des  trois  cents  «  vaisseaux  français  pris  par  les  Anglais 
avant  la  déclaration  de  guerre  ». 

14.  Le  chevalier  de  JMonteil,  enseigne  de  vaisseaux  et  sous-aide  n^ajor 
à  Brest,  fut  chargé  de  cette  mission  avec  la  corvette  l'Anémone.  Ce 
passage  d'une  de  ses  lettres  (Fort-Royal  de  la  Martinique,  22  octobre  1755'. 
est  un  triste  témoignage  de  l'ignorance  de  certains  offlciei*s   : 

«  Vous  pouvez  juger  de  l'embarras  que  ce  premier  accident  [survenu  au 
grand  mcât]  me  causait,  en  y  joignant  l'inquiétude  que  Je  devais  natu- 
rellement avoir  pour  l'atterrage  aux  côtes  de  la  Guyane,  où  aucun  rie 
nous  n'avait  jamais  été  et  sur  lesquelles  je  u'avais  que  très  peu  de 
notions.  Il  m'a  fallu  chercher  Cayenne  è,  peu  près  comme  les  premiers 
qui  découvrirent  des  terres...   »  A.  M.,  B*  68,  fol.  372. 


260  I.A    MARINE    MILITAIRE    SOUS    LOUIS    XV. 

Tout  ce  que  Du  Guay  put  faire,  ce  fut  de  s'emparer, 
auprès  de  Brest,  d'une  frégate  anglaise,  le  Blanklord. 
Mais  avec  son  esprit  d'inconséquence,  le  gouvernement 
français  jugea  que,  pour  une  capture  unique,  il  pouvait 
se  montrer  bon  prince  :  il  fit  reconduire  en  Angleterre  la 
frégate  saisie.  Puis,  comme  une  escadre  anglaise  de  huit 
vaisseaux  croisait  alors  dans  la  Méditerranée,  ordre  fut 
donné  au  port  de  Toulon,  si  elle  y  touchait,  de  lui  fournir 
les  approvisionnements  dont  elle  avait  besoin  !  Quos 
vult  perdere,  demenlat  Jupiter...  C'était  encore,  sous  une 
autre  forme,  le  mot  de  Fontenoy  :  <(  Tirez,  Messieurs  les 
Anglais!...  Nous  ne  tirons  jamais  les  premiers.  »  La 
guerre  ne  devait  être  officiellement  déclarée  entre  Paris 
et  Londres  qu'en  l'année  1756,  au  cours  de  l'expédition 
de  Minorque. 

En  réponse  à  la  déclaration  de  guerre  que  le  gouver- 
nement anglais  avait  adressée  à  la  France  le  13  mai  1756, 
le  gouvernement  français  fit  paraître,  le  15  mai,  une 
déclaration  concernant  les  armements  en  course.  La 
déclaration  ofiTicielle  de  guerre  parut  seulement  le 
9  juin  1756.  Voici  quelques  passages  du  manifeste  du 
gouvernement  de  Louis  XV  ^^  : 

«  Toute  l'Europe  sait  que  le  roi  d'Angleterre  a  été, 
en  1754,  l'agresseur  des  possessions  du  Roi  dans  l'Ame- 
rique  septentrionale  et  qu'au  mois  de  juin  de  l'année 
dernière,  la  marine  anglaise,  au  mépris  du  droit  des 
gens  et  de  la  foi  des  traités,  a  commencé  à  exercer  contre 
les  vaisseaux  de  Sa  Majesté  et  contre  la  navigation  et 
le  commerce  de  ses  sujets  les  hostilités  les  plus  vio- 
lentes. 

«  Le  Roi,  justement  offensé  de  cette  infidélité  et  de 
l'insulte  faite  à  son  pavillon,  n'a  suspendu  pendant  huit 

15.    A.    M.,   A'   88. 


PRÉLIMINAIRES   DE    LA   GUERRE   DE    SEPT   ANS.  261 

mois  les  effets  de  son  ressentiment  et  ce  qu'il  devait  à  la 
dignité  de  sa  couronne  que  par  la  crainte  d'exposer 
TEurope  aux  malheurs  d'une  nouvelle  guerre. 

«  C'est  dans  une  vue  si  salutaire  que  la  France  n'a 
d'abord  opposé  aux  procédés  injurieux  de  l'Angleterre 
que  la  conduite  la  plus  modérée. 

((  Tandis  que  la  marine  anglaise  enlevait,  par  les 
violences  les  plus  odieuses  et  quelquefois  par  les  plus 
lâches  artifices,  les  vaisseaux  français  qui  naviguaient 
avec  confiance  sous  la  sauvegarde  de  la  foi  publique, 
Sa  Pvlajesté  renvoyait  en  Angleterre  une  frégate  dont  la 
marine  française  s'était  emparée,  et  les  bâtiments  anglais 
continuaient  tranquillement  leur  commerce  dans  les 
ports  de  France... 

«  Il  serait  inutile  d'entrer  dans  un  détail  plus  étendu 
des  motifs  qui  ont  forcé  le  roi  à  envoyer  un  corps  de  ses 
troupes  dans  l'île  Minorque  et  qui  obligent  aujourd'hui 
Sa  Majesté  à  déclarer  la  guerre  au  roi  d'Angleterre, 
comme  elle  la  lui  déclare  par  mer  et  par  terre...  » 

La  disproportion  des  forces  entre  la  France  et  l'Angle- 
terre était  moins  grande  à  ce  moment  que  nos  revers 
postérieurs  pourraient  le  faire  supposer.  En  ne  comptant 
que  sur  les  navires  armés  et  immédiatement  disponibles, 
Machault  pouvait  mettre  en  ligne  quarante-cinq  vais- 
seaux et  une  trentaine  de  frégates.  L'Angleterre  avait 
quatre-vingt-neuf  vaisseaux  et  soixante-dix  frégates  ; 
mais  il  faut  réduire  ces  chiffres  à  soixante  et  à  cinquante 
environ,  pour  ne  compter  que  les  navires  qui  étaient  en 
état  de  prendre  la  mer  dès  le  début  des  hostilités.  Nos 
équipages,  recrutés  par  le  système  des  classes,  dont  les 
vexations  seules  continuaient  de  subsister  alors  que  les 
avantages  avaient  à  peu  près  disparu,  étaient  trop  sou- 
vent incomplets  et  de  qualité  médiocre  ;  mais  les  équi- 


262  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS    LOUIS    XV. 

pages  anglais,  recrutés  par  le  procédé  barbare  de  la 
presse,  le  cédaient  sûrement  aux  nôtres  pour  la  valeur 
morale  et  souvent  aussi  pour  les  qualités  profession- 
nelles. Pour  notre  corps  d'officiers,  on  a  le  droit  de  dire, 
sans  faux  orgueil  national,  qu'il  ne  le  cédait  en  rien,  ni 
pour  la  valeur,  ni  pour  la  science  manœuvrière,  au  corps 
des  officiers  britanniques  ;  on  peut  même  avancer  que 
les  mérites  de  premier  ordre  de  plusieurs  de  nos  chefs 
compensaient  l'infériorité,  d'ailleurs  plus  apparente  que 
réelle,  de  nos  effectifs. 

Seulement  l'Angleterre  avait  deux  avantages,  dont  l'un 
nous  fit  défaut  de  plus  en  plus,  et  dont  l'autre  nous 
manqua  à  peu  près  toujours. 

Elle  eut  de  l'argent  en  abondance.  Mettant  tous  les  mil- 
lions dont  elle  disposait  dans  la  construction  et  l'arme- 
ment de  ses  navires,  elle  put  entretenir  à  la  fois  pendant 
cinq  à  six  ans  des  escadres  de  vingt  à  trente  voiles  sur  la 
Manche,  sur  le  golfe  de  Gascogne,  sur  la  Méditerranée, 
sur  la  mer  des  Indes,  sur  la  mer  des  Antilles,  dans  le 
golfe  du  Saint-Laurent.  Elle  eut,  ce  qui  vaut  mieux  que 
toutes  les  escadres,  l'unité  de  direction,  la  persévérance 
dans  les  efforts,  la  volonté  absolue  de  réussir  là  où  était 
l'enjeu  de  la  guerre,  sur  mer  et  aux  colonies.  Au  début 
même  de  la  guerre,  en  1756,  quelques  semaines  après  la 
victoire  de  La  Galissonnière,  William  Pitt,  le  futur  lord 
Chatham,  devenait  secrétaire  d'Etat,  et,  en  fait,  ministre 
dirigeant.  On  eût  dit  que,  nouvel  Annibal,  il  avait  prêté 
dès  l'enfance  un  serment  de  mort  contre  la  puissance 
ennemie  de  la  grandeur  maritime  de  sa  patrie  ;  lui  aussi 
n'eut  au  cœur  qu'une  passion,  mais  atroce,  la  haine  de 
la  France.  Satisfaire  cette  haine  à  tout  prix,  sans  se 
laisser  détourner  par  aucune  autre  question,  ne  voir 
dans  son  horizon  politique  que  les  côtes  de  France,  du 
Canada,  de  l'Hindoustan  et  la  mer  qui  les  unit,  voilà  ce 


PRÉLIMINAIRES   DE    LA   GUERRE   DE    SEPT   ANS.  263 

qui  fit  la  grandeur  de  cet  homme  d'État  et  ce  qui  donna 
la  victoire  à  son  pays. 

La  France  n'avait  pas  un  William  Pitt  à  sa  tête  ;  mais 
que  d'officiers  obscurs  et  d'hommes  politiques  inconnus 
dont  les  bonnes  volontés  ne  demandaient  qu'à  être 
employées  dans  la  guerre  contre  l'Angleterre  !  Sus  à 
l'Anglais  !  Il  semble  qu'on  entende  ce  cri  de  guerre  sortir 
des  mémoires  et  projets  de  toute  nature  que  l'administra- 
tion de  la  Marine  a  conservés  dans  ses  archives,  aux 
environs  des  années  1750-1755. 

Voici  un  passage  d'un  mémoire  anonyme  dont  le  titre 
même  est  intéressant  :  Moyens  proposés  pour  agir  le  plus 
ollensivement  possible  contre  les  Anglais  et  pour  ranimer 
en  France  le  goût  pour  la  marine.  «  Si  la  guerre  s'allume, 
il  serait  bien  à  désirer  que  l'on  tentât  quelque  entreprise 
hardie  contre  les  Anglais  et  pareille  à  peu  près  à  celle 
que  les  Hollandais  exécutèrent  lorsqu'ils  allèrent  brûler 
les  vaisseaux  de  guerre  des  Anglais  dans  la  Tamise.  De 
pareilles  entreprises  ne  réussissent  pas  toujours  ;  mais, 
quand  elles  sont  couronnées  de  succès,  elles  réveillent 
merveilleusement  l'audace  d'une  nation  ;  et  si  elles 
échouent,  elles  font  au  moins  voir  à  l'ennemi  de  quoi  l'on 
est  capable,  et  en  indiquant  quel  chemin  il  aurait  fallu 
prendre  pour  réussir  mieux,  elles  déterminent  d'autres 
à  tenter  la  même  aventure  ^^.  » 

Descendre  en  Angleterre,  c'était  là,  en  effet,  toute  la 
guerre.  Le  vers  de  Milhridate  résumait  encore,  comme 
en  1744,  tous  nos  projets  mihtaires  : 

On  ne  vaincra  jamais  les  Romains  que  dans  Rome. 
Pour  cela,  il  fallait  se  servir  de  tous  nos  moyens,  «  non 

16.   A.   M.,   B*  3Û0,  fol.   57. 


264  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS    LOUIS    XV. 

à  demi,  mais  dans  toute  leur  étendue  ».  L'opération 
d'une  descente  est  difficile  ;  elle  n'est  pas  impossible,  si 
l'on  veut  s'y  appliquer  sérieusement.  Et  quel  résultat  ! 
<(  Du  moment  qu'il  y  aurait  une  compagnie  de  grenadiers 
l'rançais  qui  aurait  mis  le  pied  en  Angleterre,  ils  [les 
Anglais]  sentent  que  tout  serait  à  Londres  dans  la  confu- 
sion et  la  consternation.  »  C'est  Silhouette,  le  futur 
ministre,  qui  s'exprimait  ainsi,  dans  un  mémoire  du  mois 
de  novembre  1755,  qu'il  avait  remis  à  Machault^'^.  Il  ne 
touchait  d'ailleurs  qu'en  passant  aux  questions  propre- 
ment techniques  ;  le  but  principal  de  l'auteur  était  avant 
tout  d'établir  l'utilité,  la  nécessité,  la  possibilité  d'une 
descente  et  de  réfuter  ceux  <(  qui,  de  prime  abord, 
frondent  cet  expédient,  sans  examen  et  sans  discussion  ». 
Il  se  bornait  à  indiquer  un  projet  de  concentration  de 
soixante  mille  hommes  sur  les  côtes  de  France,  de  Brest 
à  Dunkerque. 

Idées  d'un  Français  sur  la  nécessité,  les  moyens  et  les 
suites  d'une  descente  dans  la  Grande-Bretagne  :  ce 
mémoire  non  signé  est  daté  de  Dresde,  V^  mars  1756.  Le 
lieu  d'origine  donne  lieu  de  supposer  que  l'auteur  pou- 
vait être  un  réfugié  qui  n'avait  pas  perdu  l'amour  de  sa 
patrie,  ou  du  moins  un  Français  établi  à  l'étranger. 
Comme  beaucoup  de  documents  de  même  nature,  celui- 
ci  se  trouve  conservé  aux  Archives  nationales  ^^  dans  la 


17.  A.  M.,  B*  8-2,  fol.  4-10.  ■■  Ce  projet  est  excellent.  Il  est  de  M.  de 
Silhouette.  Il  l'avait  donné  en  1756  à  M.  de  Machault  et  à  M.  de  Sé- 
chelles.  » 

18.  A.  N.,  AF  IV  '597.  —  Ce  document  a  déjà  été  signalé,  comme  plu- 
sieurs autres  sur  le  même  sujet,  par  l'Anglais  William  P.  Egerton, 
auteur  de  quatre  articles  publiés  en  1867  dans  la  Revue  contemporaine 
sous  ce  titre  :  Projets  d'invasion  française  en  Angleterre,  d'après  des 
documents  originaux  et  inédits.  Egerton  garde  un  silence  prudent  sur 
la  «  collection  particulière,  riche  en  mémoires  originaux  sur  l'histoire 
des  deux  nations  pendant  le  dernier  siècle  »,  où  11  a  pu  consulter  ces 
documents,  et  sur  le  nom  du  «  propriétaire  que  de  hautes  convenances 
m'interdisent  de  nommer  ».  La  collection  en  question  avait  été  formée 
avec  le  produit  des  déprédations  dont  les  Archives  de  la  Marine  furent 


PRÉLIMINAIRES   DE    LA   GUERRE   DE    SEPT   ANS.  265 

série  des  projets  qui  lurent  recopiés  soit  pour  le  Comité 
de  Salut  public,  soit  pour  le  Premier  Consul,  lors  de  la 
préparation  de  l'expédition  d'Irlande  et  du  camp  de  Bou- 
logne. Le  Français  de  Dresde  parle  d'une  descente  de 
cinquante  mille  hommes  à  opérer  du  côté  de  Douvres. 
Comme  il  avoue  ne  pas  connaître  le  pays  et  n'avoir  fait 
son  projet  que  d'après  une  carte,  son  mémoire  rentre, 
comme  le  dit  une  note,  c(  dans  la  classe  des  ouvrages 
spéculatifs  ».  Une  idée  de  cet  auteur  devait  être  essayée 
en  1803  :  celles  des  «  galiotes-écuries  »,  pouvant  trans- 
porter chacune  vingt-cinq  chevaux  avec  leurs  cavaliers 
et  tout  le  matériel  d'harnachement. 

Vivant  de  Maissagues,  qui  doit  être  un  officier  de 
marine,  est  l'auteur  d'un  projet  écrit  en  1756  ^^,  qui  a 
peul-être  inspiré  les  projets  arrêtés  officiellement  en  1758 
et  en  1759,  mais  non  exécutés.  D'après  l'auteur  de  ce 
mémoire,  la  restauration  des  Stuarts  a  toujours  de 
grandes  chances  de  succès,  à  condition  d'être  vigoureu- 
sement soutenue  par  une  armée  de  soixante-dix  mille 
hommes  :  il  la  répartit  en  cinq  divisions,  à  Dunkerque, 
Calais,  Dieppe,  Cherbourg,  Brest,  et  il  la  transporte  sur 
les  côtes  ennemies  en  partie  avec  des  bateaux  pêcheurs. 
La  division  de  Brest,  la  plus  nombreuse  —  dix-huil  mille 
hommes  —  et  formée  de  deux  corps,  débarquera  sur  les 
deux  rives  du  canal  de  Bristol,  à  des  points  qui  sont  indi- 
qués, et  occupera  Bristol.  La  division  de  Cherbourg 
descendra  sur  les  deux  côtés  de  la  péninsule  de  Rorlland, 
notamment  à  Bridport.  «  Les  pêcheurs  de  Cherbourg 
connaissent  cette  côte  aussi  bien  que  celle  qu'ils  habitent. 

trop  longtemps  victimes  il  y  a  envlpon  un  demi-siècle.  Il  faut  ajouter 
que  tous  les  documents  analysés  par  Egerton  figurent  encore  aux 
Archives,  soit  en  original,  soit  en  copie,  sans  parler  de  beaucoup  d'autres 
de  même  nature  gui  n'avaient  pas  été  soustraits  et  qu'il  n'a  pu  connaître 
par  conséquent,  puisqu'il  ne  s'était  servi  pour  son  étude  que  de  la  col- 
lection de  l'amateur  (?)  anglais. 
19.  A.  M.,  B*  74,  fol.  2-10. 


266  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS    LOUIS   XV. 

C'est  une  des  plus  belles  plages  du  monde  pour  faire  un 
débarquement.  On  y  peut  partout  échouer  sur  le  sable.  » 
La  division  de  Dieppe  débarquera  auprès  de  Chichester 
et  du  cap  Béveziers  et  poussera  une  pointe  sur  Ports- 
mouth.  Les  divisions  de  Dunkerque  et  de  Calais  descen- 
dront vers  Rye,  pour  aller,  de  là,  occuper  Cantorbéry  et 
détruire  les  arsenaux  de  Chatham.  L'auteur  parle  encore 
de  coups  de  main  à  tenter  en  Ecosse  sur  Aberdeen  et  sur 
Glasgow. 

Le  mémoire,  ou  plutôt  l'analyse  qui  s'en  est  conservée, 
entre  dans  de  nombreux  détails  topographiques  et  suit 
de  près  les  opérations  de  chaque  corps  d'armée.  Cepen- 
dant il  saute  aux  yeux  que  ce  projet  est  trop  vaste,  qu'il 
éparpille  beaucoup  trop  nos  forces,  en  répartissant 
l'attaque  sur  quatre  points  principaux  trop  distants  les 
uns  des  autres  20,  et  qu'il  ne  tient  à  peu  près  aucun  compte 
de  la  question  du  passage  de  la  Manche.  Or,  si  ce  n'est 
pas  là  le  problème  tout  entier,  c'est  du  moins  la  partie  la 
plus  importante  et  la  plus  épineuse  du  problème. 

L'imagination  des  inventeurs,  qui  n'est  jamais  en 
défaut,  s'était  attaquée  à  la  question  même  de  la  tra- 
versée. Celui-ci,  un  gentilhomme  piémontais,  le  chevalier 
de  Quart,  avait  inventé  une  machine  merveilleuse  ^i  ; 
depuis  six  mois  qu'il  la  faisait  manœuvrer,  elle  n'avait 
jamais  eu  un  à-coup.  Il  s'engageait  à  faire  passer  cent 
mille  hommes  en  moins  de  deux  fois  vingt-quatre  heures  ; 
car,  ((  à  mesure  que  ces  vaisseaux  ennemis  approcheront 
de  ma  machine  de  la  portée  du  canon,  seraient-ils  cent 
à  la  fois,  ils  seront  tous  ou  pris  ou  coulés  à  fond...  »  En 


20.  Un  projet,  joint  à  une  lettre  signée  du  nom  d'Edouard  Bouvier, 
du  14  avril  1756,  étudie  avec  assez  de  détails  le  débarquement  à  Mounts 
Bay,  dans  la  région  du  cap  Lizard,  d'une  armée  de  cinquante-cinq  mille 
hommes  partie  de  Brest.  A.  M.,  B*  68,  foL  80-83. 

21.  A.  M.  B'  300,   fol.  94.   18  octobre  1756. 


PRÉLIMINAIRES   DE    LA   GUERRE   DE    SEPT   ANS.  267 

quoi  consistait  cette  invention  infernale  ?  On  ne  saurait 
le  dire.  Il  ne  paraît  pas,  en  effet,  que  Alachault  ait  avancé 
à  l'ingénieur  piémontais  l'argent  qu'il  demandait  pour 
construire  un  modèle  en  grand. 

Un  autre  avait  inventé  un  canot  de  liège,  avec  lequel  il 
se  faisait  fort  d'aller  incendier  les  vaisseaux  de  guerre 
anglais  à  Portsmouth  et  à  Plymouth  ;  il  avait  expéri- 
menté sa  machine  sur  la  Seine,  auprès  de  Sèvres  ;  on 
aurait  dit  «  saint  Pierre  marchant  sur  les  eaux  ».  En 
marge  de  cette  lettre,  il  y  a  une  note  qui  paraît  être  de 
l'écriture  de  Berryer  :  «  Si  cela  pouvait  s'exécuter,  cela 
serait  très  bon  22.  » 

On  aurait  pu  mettre  la  même  apostille  sur  la  lettre 
d'un  maître  charpentier  du  port  de  Toulon  ;  il  proposait 
un  pont  se  pliant  en  trois  parties  pour  débarquer 
n'importe  où,  même  sur  les  rochers  les  plus  escarpés  ^3. 

Revenons  à  des  projets  plus  sérieux.  Celui-ci  est  de 
1755  ou  très  peu  postérieur  à  cette  date  :  Mémoire  sur 
ce  que  peut  auiourd'hui  la  France  contre  V Angleterre  et 
sur  le  plan  de  conduite  que  semblent  tracer  à  la  France 
les  circonstances  présentes  pour  repousser  et  punir  les 
outrages  et  les  violences  quelle  a  reçues  de  la  part  de 
V Angleterre  ^^ 

Ce  mémoire,  très  long  et  très  méthodique,  semble 
plutôt  l'œuvre  d'un  homme  politique  que  d'un  soldat  ;  il 
y  est  question  cependant  d'opérations  militaires,  et,  à  cet 
égard  même,  il  renferme  plusieurs  idées  intéressantes. 
L'auteur  insiste  surtout  sur  la  détresse  financière  de 
l'Angleterre,  —  qui  est  pour  lui  l'explication  des  brigan- 
dages de  1755,  —  sur  la  désunion  de  ses  habitants,  où  il 
voit  un  gage  de  sa  prochaine  dissolution.  A  côté  des 


22.  A.  M.  B*  300,  fol.  159.  1759. 

23.  A.  M.  B*  300,  fol.  272,  1762. 

24.  A.  M.  B*  299  ;   trente-trois  feuillets  non  numérotés. 


268  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS    LOUIS    XV. 

Jacobites,  il  compte  sur  les  «  nationaux  ou  bons  patriotes 
qui...  sentent  que  l'Etat  court  à  sa  ruine  et  qu'il  ne  peut 
trouver  son  salut  qu'en  changeant  la  forme  du  gouverne- 
ment et  conséquemment  qu'en  secouant  le  joug  de  la 
maison  de  Hanovre...  »  En  revanche,  l'état  présent  de  la 
France  lui  fait  concevoir  les  espérances  les  plus  opti- 
mistes, à  condition  de  rétablir  la  marine  dans  l'état  où 
elle  se  trouvait  avant  la  bataille  de  la  Hougue.  Le  gou- 
vernement de  Louis  XV  doit  reprendre  avec  Charles- 
Edouard  l'exécution  de  la  grande  idée  dont  Louis  XIV 
s'est  occupé  depuis  1688  jusqu'à  sa  mort  :  ce  sera  du 
même  coup  réduire  l'Angleterre  à  l'impuissance  et  faire 
«  sauter  sa  banque  ».  La  France,  ((  dispensée  de  faire  la 
guerre  par  terre,  ainsi  que  toutes  les  apparences  semblent 
le  promettre  »,  va  pouvoir  consacrer  toute  son  attention 
et  toutes  ses  ressources  au  rétablissement  de  sa  marine. 
Pour  1757,  elle  peut  avoir  plus  de  quatre-vingts  vaisseaux 
de  haut  bord,  sans  compter  les  frégates.  Il  est  sage  de 
ne  pas  faire  grand  fond  sur  la  jonction  des  vaisseaux  de 
la  Méditerranée  et  de  l'Océan,  car  l'opération  est  tou- 
jours très  longue  et  très  aléatoire.  La  descente  devra  être 
faite  avec  la  division  navale  de  l'Océan  ;  on  pourra  faire 
armer  une  escadre  espagnole  au  Ferrol,  pour  détourner 
l'attention  des  Anglais.  Tous  les  préparatifs  doivent  être 
enveloppés  du  plus  profond  mystère.  Très  préoccupé  de 
son  idée  de  faire  sauter  la  banque  d'Angleterre,  l'auteur 
propose  de  faire  une  campagne  contre  les  fonds  publics 
anglais,  à  Amsterdam,  à  Genève  et  à  Berne.  Ses  rela- 
tions personrelles  avec  les  agents  jacobites  le  mettent  à 
même  d'être  très  bien  renseigné.  Mais  il  faut  saisir  au 
plus  vite  «  une  occasion  si  précieuse,   parce  que  des 
siècles  entiers  peuvent  ne  pas  suffire  pour  la  repro- 
duire... »  Une  gloire  plus  grande  que  celle  de  Louis  XIV 
attend  Louis  XV,  s'il  exécute  ce  projet. 


PRÉLIMINAIRES   DE    LA   GUERRE   DE    SEPT   ANS.  269 

Le  gouvernement  et  le  ministre  de  la  Marine  ne  regar- 
daient pas  à  ce  moment  du  côté  de  la  Manche,  toute  leur 
attention  se  tournait  vers  la  Méditerranée  ;  mais  ils 
allaient  bientôt  être  libres  de  commencer  l'exécution  du 
grand  projet.  La  marine  et  l'armée,  rivalisant  de  gloire 
et  de  bonheur,  venaient  de  frapper  deux  coups  retentis- 
sants. Le  20  mai  1756,  dans  les  eaux  de  Port-Mahon,  La 
Galissonnière  arrêtait  et  repoussait  l'escadre  de  Byng  ; 
le  30  juin,  Richelieu  faisait  capituler  le  fort  Saint-Phi- 
lippe. La  France  avait  arraché  aux  Anglais  l'île  de 
Minorque. 


CHAPITRE  XVI 

GUERRE  MARITIME  DE  SEPT  ANS  SUR  LA  MÉDITERRANÉE. 
1°    LA   GALISSONNIÈRE 


Projet  sur  Minorque.  —  Richelieu.  —  La  Galissonnière.  —  Préparatifs 
de  l'expédition.  —  Débarquement  à  Minorque.  —  Instructions  de  La 
Galissonnière.  —  Arrivée  de  Byng.  —  Bataille  du  20  mai  1756.  — 
Conséquences  de  la  victoire  de  La  Galissonnière.  —  Lès  Français  à 
Minorque  jusqu'à  la  fin  de  la  guerre. 

Frédéric  II  parlait,  non  sans  ironie  peut-être,  de  la 
léthargie  stoïque  avec  laquelle  le  gouvernement  de 
Louis  XV  supportait  depuis  de  longs  mois  les  insolences 
du  gouvernement  de  George  II.  Enfm,  le  ministère  se 
décida  à  sortir  de  sa  torpeur,  plus  digne  en  vérité  d'Épi- 
cure  que  du  Portique,  et  il  prépara  pour  la  campagne 
de  1756  un  vaste  plan  d'opérations. 

On  pouvait  s'en  tenir  à  des  opérations  purement  mari- 
times ou  plutôt  coloniales,  en  transportant  au  Canada, 
où  la  guerre  avait  commencé,  des  forces  capables  de 
résister  à  celles  que  les  Anglais  concentraient  dans  la 
Nouvelle-Angleterre.  On  pouvait  songer  à  une  campagne 
dans  le  Hanovre,  en  admettant  que  la  conquête  de  cet 
électorat,  propriété  personnelle  du  roi  de  la  Grande- 
Bretagne,  dût  être  un  moyen  d'obtenir  la  restitution  de 
nos  vaisseaux  de  guerre  et  de  commerce  ;  mais  ce  projet 
pouvait  être  inefficace  et,  ce  qui  est  pis,  dangereux.  Inef- 


GUERRE   DE    SEPT   ANS.   —   LA   GALISSONNIÈRE.         271 

fîcace,  car  la  nation  anglaise  ne  confondait  pas  ses  inté- 
rêts vitaux  avec  les  vues  égoïstes  des  Hanovriens  que  le 
hasard  avait  mis  à  sa  tête  ;  aussi  ne  devait-elle  jamais 
consentir  à  la  combinaison  politique  qui  mettrait  dans 
l'un  des  plateaux  de  la  balance  l'empire  des  mers  et  des 
colonies  et  dans  l'autre  l'intégrité  du  petit  électorat  de 
Hanovre.  Dangereux,  car  envoyer  des  soldats  français 
aux  bords  du  Weser,  dans  la  situation  où  se  trouvait 
l'Allemagne,  sur  ce  terrain  tout  semé  de  chausse-trapes, 
où  l'incendie  silésien  couvait  toujours  sous  la  cendre  et 
pouvait,  à  la  moindre  étincelle,  amener  une  conflagra- 
tion générale,  c'était  s'engager  dans  le  terrible  engrenage 
de  la  politique  continentale  ;  c'était,  en  un  mot,  le  vrai 
moyen  d'oublier  la  mer  une  fois  encore.  On  pouvait  enfin 
combiner  les  opérations  de  terre  et  de  mer,  préparer  une 
armée  pour  le  Hanovre,  envoyer  des  troupes  au  Canada, 
organiser  un  armement  maritime  sur  les  côtes  de  l'Océan 
et  de  la  Méditerranée. 

Ce  fut  à  ce  dernier  projet  que  Ton  s'arrêta.  Le  sort  des 
projets  trop  vastes  est  qu'ils  ne  peuvent  pas  être  exécutés 
dans  toutes  leurs  parties  ;  leur  effet  ordinaire  est  de 
disperser  et  de  gaspiller  les  forces  en  engageant  partout 
une  action  qu'il  est  impossible  de  soutenir  partout.  Du 
moins,  le  ministère  eut  la  main  heureuse  en  confiant  les 
deux  commandements  les  plus  importants  à  des  géné- 
raux actifs  et  entreprenants.  Le  30  décembre  1755,  le 
maréchal  de  Belle-Isle  recevait  le  commandement  général 
de  toutes  les  côtes  de  la  Manche  et  de  l'Océan,  depuis 
Dunkerque  jusqu'à  Bayonne  ;  le  lendemain,  le  maréchal 
de  Richelieu  était  ap])elc  à  la  même  situation  pour  toutes 
les  côtes  de  la  Méditerranée,  de  Port-Vendres  à  Antibes. 
On  ne  saurait  dire  à  qui  revient  le  mérite  d'avoir  donné 
l'idée  de  l'expédition  de  Minorque.  Machault,  alors  secré- 
taire d'État  de  la  Marine,  qui  s'occupa  avec  tant  de  zèle 


272  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 

(le  nos  intérêts  maritimes,  en  fut-il  l'inspirateur?  On  a 
parlé  aussi  du  maréchal  de  Richelieu,  qui  devait  réaliser 
l'opération  avec  un  succès  complet,  ou  encore  du  vieux 
maréchal  de  Noailles,  qui  était  membre  du  Conseil 
depuis  1743.  En  réalité,  l'idée  de  chasser  les  Anglais  de 
la  mer  où  les  hasards  de  la  guerre  de  la  Succession 
d'Espagne  les  avaient  établis  en  deux  positions  maî- 
tresses, aussi  menaçantes  pour  la  France  que  pour 
l'Espagne,  cette  idée  était  tellement  naturelle  qu'elle 
devait  se  présenter  à  quiconque,  en  France,  se  souvenait 
du  traité  d'Utrecht  ou  jetait  les  yeux  sur  une  carte  de  la 
Méditerranée.  Pour  qu'on  n'y  eût  pas  songé  plus  tôt,  il 
avait  fallu  toutes  les  aberrations  de  notre  politique  étran- 
gère pendant  vingt-cinq  ans  ou  la  manière  décousue  et 
inconsidérée  dont  les  hostilités  maritimes  avaient  été 
conduites  dans  la  dernière  guerre.  Le  gouvernement,  si 
longtemps  aveugle,  se  décidait  à  ouvrir  les  yeux  ;  il 
voyait  clair  enfin.  Déloger  les  Anglais  de  ]\linorque  où 
ils  étaient  depuis  1708,  c'était  débarrasser  nos  côtes  de 
Languedoc  et  de  Provence  du  plus  dangereux  des  voisi- 
nages, en  attendant  le  jour,  prochain  sans  doute,  où  l'on 
pourrait  frapper  l'ennemi  au  cœur  et  débarquer  aux  rives 
de  la  Tamise. 

L'expédition  qui  se  préparait  à  Toulon  avait  à  sa  tête 
deux  officiers  généraux,  dont  la  vie,  la  carrière  et  le 
caractère  n'avaient  aucun  point  de  contact  ;  devenus 
frères  d'armes,  ils  allaient  être  associés  à  la  même  gloire, 
chacun  dans  sa  sphère. 

L'un  est  trop  connu,  surtout  par  ses  aventures 
galantes,  ses  intrigues  de  courtisan  et  ses  dilapidations 
dans  le  Hanovre,  pour  qu'il  y  ait  à  en  parler  ici  ;  du 
moins,  le  vieillard  qui  se  mariait  pour  la  troisième  fois 
à  quatre-vingt-quatre  ans  et  qui,  à  l'âge  de  quatre-vingt- 


GUERRE   DE    SEPT   ANS.    —   LA   GALISSONNIÈRE.         273 

douze  ans  où  il  mourut,  passait  encore  pour  le  cavalier 
le  plus  aimable  et  le  plus  séduisant  de  son  siècle,  fut,  à 
plusieurs  reprises,  au  cours  de  sa  carrière  accidentée, 
un  soldat  énergique  et  heureux.  Avant  les  campagnes  de 
Minorque  et  du  Hanovre,  qui  coup  sur  coup  firent  de 
lui  un  général  aussi  populaire  et  aussi  glorieux  que  Mau- 
rice de  Saxe,  le  duc  de  Richelieu  avait  déjà  de  brillants 
états  de  service  ;  Fontenoy  et  Gênes  rappelaient  deux 
belles  pages  de  sa  vie.  En  défendant  victorieusement 
Gênes  contre  les  Autrichiens  il  avait  gagné  le  bâton  de 
maréchal. 

L'autre  n'avait  ni  ses  grâces  extérieures  ni  sa  célébrité  ; 
petit,  bossu,  ne  payant  pas  d'apparence,  il  avait  reçu  un 
jour  des  sauvages  du  Canada  ce  singulier  compliment  : 
«  Fait  comme  tu  l'es,  il  faut  que  tu  aies  bien  de  l'esprit 
pour  que  notre  père  t'ait  envoyé  ici.  »  Mais  le  marin  trop 
peu  connu  dont  le  nom  tout  à  coup  fut  sur  toutes  les 
lèvres,  méritait  pleinement  la  gloire  qui  le  rendit  célèbre 
quelques  jours  avant  sa  mort. 

Roland-Michel  Barin,  marquis  de  La  Galissonnière, 
était  né  à  Rochefort  en  1693  ;  la  Galissonnière  est  le  nom 
d'une  terre,  voisine  de  Nantes,  qui  avait  été  érigée  en 
marquisat  en  1658  pour  l'un  de  ses  ancêtres,  Jacques 
Barin,  maître  des  requêtes  de  l'hôtel  du  roi.  Son  grand- 
père  maternel,  Michel  Bégon,  parent  lui-même  du  mar- 
quis de  Seignelay,  avait  été,  comme  intendant  du  Havre, 
des  ils  d'Amérique,  des  galères,  de  Rochefort  et  de  la 
Rochelle,  un  des  administrateurs  les  plus  distingués  de 
la  marine  et  des  colonies  sous  le  règne  de  Louis  XIV. 
L'un  de  ses  oncles  fut  intendant  du  Canada.  Un  autre 
oncle  et  un  cousin  moururent  sur  les  vaisseaux  du  roi. 
Son  père,  mort  en  1737,  avait  été  commandant  de  la 
marine  à  Rochefort  et  lieutenant  général  des  armées 
navales,  après  avoir  combattu  à  Béveziers,  à  la  Hougue, 

18 


274  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS    LOUIS   XV. 

à  Vigo.  Le  futur  vainqueur  de  Minorque  appartenait  h 
une  famille  où  l'on  connaissait  et  où  l'on  aimait  la 
marine. 

Sa  carrière  avait  été  régulière  et  lente.  Garde  de  la 
marine  en  1710  à  dix-sept  ans,  enseigne  en  1712,  lieute- 
nant de  vaisseau  en  1726,  il  avait  quarante-cinq  ans 
quand  il  fut  promu  capitaine  en  1738,  l'année  qui  suivit 
la  mort  de  son  père.  Il  appartint  successivement  aux 
escadres  de  Gabaret,  de  Court  La  Bruyère,  de  Roque- 
feuil,  de  Rochambeau.  Nommé  commissaire  général  de 
l'artillerie  à  Rochefort  iP'^  février  1745),  il  exerça  ces 
fonctions  pendant  deux  ans  ;  en  1747,  il  fut  envoyé  à 
Québec,  comme  gouverneur  de  la  Nouvelle-France. 

C'était  pendant  ces  années  critiques  où  la  perte  de 
Louisbourg  semblait  présager  la  perte  de  la  colonie  du 
Saint-Laurent  tout  entière.  La  Galissonnière  manquait 
des  moyens  matériels  qui  lui  auraient  permis  de  protéger 
le  Canada  par  mer,  puisque  le  gouvernement  avait 
renoncé  à  envoyer  des  forces  navales  de  l'autre  côté  de 
l'Atlantique  ;  mais  il  songea  à  conjurer  les  dangers  pré- 
sents et  futurs  de  notre  colonie,  en  reliant  par  une  série 
de  postes,  le  long  de  la  vallée  de  l'Ohio,  nos  établisse- 
ments du  Saint-Laurent  à  ceux  du  Mississipi.  Quel  avenir 
pour  la  colonisation  française,  si  Montréal  et  la  Nouvelle- 
Orléans  avaient  pu  être  rattachés  par  une  ligne  de  points 
fortifiés  et  de  comptoirs,  comme  ils  le  sont  aujourd'hui 
par  une  chaîne  ininterrompue  de  cités  prospères  !  Les 
colonies  anglaises  auraient  été  enfermées  entre  les  Alle- 
ghanys  et  la  mer  ;  la  régTon  du  Saint-Laurent,  des 
Grands  Lacs,  du  Mississipi,  où  flottent  aujourd'hui  le 
drapeau  anglais  ou  le  drapeau  américain,  verrait  flotter 
le  drapeau  français.  Tout  cela  était  possible,  sans  la 
maladresse  des  conditions  de  la  paix  d'Aix-la-Chapelle, 
sans  la  mollesse  avec  laquelle  le  gouvernement  fit  valoir 


GUERRE   DE    SEPT   ANS.    —   LA   GALISSONNIÈRE.         275 

nos  droits.  Cependant  les  arguments  historiques  et  autres 
ne  lui  faisaient  pas  défaut.  Il  n'avait  qu'à  se  servir  du 
mémoire  que  La  Galissonnière  lui-même  et  Silhouette, 
le  futur  contrôleur  général,  avaient  rédigé  en  1750  sur 
la  question  des  frontières  franco-anglaises  dans  l'Amé- 
rique du  Nord.  On  sait  que  la  guerre  naquit  de  cette 
question  même,  mais  comme  un  incendie  naît  accidentel- 
lement d'une  étincelle. 

Lorsque  la  guerre  éclata,  La  Galissonnière  n'était  plus 
en  Amérique.  Rappelé  en  France  en  1750,  il  avait  été 
chargé  du  Dépôt  des  cartes,  plans  et  journaux  de  la 
marine  et  promu  chef  d'escadre.  Bien  que  sur  les  états 
officiels  son  nom  soit  accompagné  de  la  mention  u  à  la 
cour  »,  il  y  a  lieu  de  douter  qu'on  l'ait  souvent  vu  à  la 
cour  même  et  que  les  familiers  du  roi  aient  entendu 
parler  de  lui.  Au  moins,  les  hommes  du  métier  le  connai.s- 
saient  et  l'appréciaient.  «  Officiel'  de  beaucoup  d'esprit 
et  savant,  sachant  bien  son  métier  et  attaché  au  ser- 
vice ^  »  :  cette  note  est  jointe  à  la  liste  officielle  de  ses 
états  de  service.  Il  avait  organisé  plusieurs  missions 
scientifiques,  celle  de  Chabert  Cogolin  dans  l'Amérique 
du  Nord,  celle  d'un  autre  marin,  Bory  2,  sur  les  côtes 
d'Espagne  et  de  Portugal,  celle  encore  de  l'astronome  La 
Caille  au  cap  de  Bonne-Esperance.  Deux  campagnes 
d'études  faites  dans  la  Méditerranée  en  1754  et  en  1755 
avaient  montré  sa  science  manœuvrière  ;  il  avait  rompu 
ses  officiers  et  ses  équipages  aux  évolutions  de  la  tac- 
tique, et  il  avait  expérimenté  une  nouvelle  méthode  de 
signaux  par  pavillons.  Machault  avait  justement  récom- 
pensé le  mérite,  en  le  nommant  lieutenant  général  des 


1.  A.    M.,    C    165. 

2.  Borî^  G..  14  avril  1734  ;  L.,  17  mai  1751  ;  C,  17  avril  1757  ;  gouverneur 
et  lieutenant  {rénéral  des  îles  sous  le  Vent,  13  février  1761  ;  RCE.. 
27  mars  1766.  A,  M.,  C  168. 


276  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS    LOUIS   XV. 

armées  navales  (25  septembre  1755),  et  en  l'adjoignant, 
quelques  mois  après,  au  duc  de  Richelieu  comme  chef 
maritime  de  l'expédition  de  Minorque.  La  Galissonnière 
avait  alors  soixante-trois  ans  et  quarante-six  ans  de 
services. 

Tels  étaient  les  deux  hommes,  le  général  et  le  marin,  à 
qui  le  gouvernement  confiait  la  plus  grande  expédition 
maritime  qu'on  eût  vue  en  France  depuis  les  campagnes 
de  Du  Ouesne  et  de  Tourville.  «  Ces  deux  hommes,  sui- 
vant la  remarque  heureuse  d'un  historien  3,  donnaient 
ensemble  l'image  la  plus  fidèle  de  cet  incomparable 
siècle.  Richelieu  en  représentait  les  grâces  légères,  la 
galanterie  impertinente,  l'intrigue  sans  scrupule,  tous 
les  défauts  et  les  travers,  avec  ces  deux  qualités  qui  font 
tout  pardonner  dans  notre  pays,  le  courage  et  l'esprit. 
La  Galissonnière  en  représentait,  comme  le  marquis  de 
Montcalm  au  Canada,  l'honnêteté  vigoureuse,  la  droi- 
ture morale,  le  dévouement  absolu  au  devoir,  toutes  ces 
hautes  vertus  militaires  de  l'ancienne  France  qui  doivent 
rester  l'exemple  de  la  France  nouvelle.  » 

Le  succès  de  l'expédition  de  Minorque  a  tenu  non  seu- 
lement à  la  valeur  et  à  la  science  des  chefs  ;  il  a  tenu 
encore  à  l'art  avec  lequel  elle  fut  préparée.  Ici  tout  le 
mérite  revient  au  comte  d'Argenson  et  surtout  à 
Machault,  les  ministres  de  la  Guerre  et  de  la  Marine.  Les 
instructions  du  roi  au  duc  de  Richelieu  ne  sont  datées 
que  du  16  mars  1756,  et  celles  à  La  Galissonnière  que 
du  22  mars  ;  mais,  dès  la  fin  du  mois  d'août  précédent, 
ordre  avait  été  donné  au  commandant  du  port  de  Toulon, 
M.  de  Massiac,  le  futur  ministre,  et  à  l'intendant,  M.  de 


3.  E.    GuiLLON,    Port-Mahon.    La   France    à   Minorque    sous    Louis    XV. 

Paris,  1894 


GUERRE   DE   SEPT   ANS.    —   LA   GALISSONNIÈRE.         277 

Villeblanche,  de  procéder  à  rarmement  de  douze  vais- 
seaux, La  rareté  des  fonds,  la  difficulté  de  trouver  des 
ouvriers,  —  on  en  fît  venir  de  Nice  et  de  Gênes,  —  la 
difficulté  d'avoir  des  matelots,  —  Machault  leur  fit  donner 
une  prime  de  six  à  douze  livres  et  leur  fit  payer  la  solde 
entière  à  partir  du  jour  de  leur  entrée  à  bord  et  non  à 
partir  du  jour  du  départ,  —  la  difficulté  de  réunir  les 
approvisionnements  et  les  munitions  nécessaires,  avec  la 
présence  au  mouillage  de  Villefranche  des  corsaires 
anglais  :  tous  ces  obstacles  demandèrent  bien  des 
semaines. 

Ce  qu'il  y  eut  de  remarquable  dans  cette  période  pré- 
paratoire, et  ce  qui  contribua  beaucoup  à  assurer  le 
succès  final,  c'est  que  le  secret  fut  gardé  de  la  manière 
la  plus  impénétrable  entre  trois  ou  quatre  personnes. 
Sous  les  prétextes  Tes  plus  divers  on  dirigea  vers  Mar- 
seille et  Toulon  vingt-cinq  bataillons  avec  des  parcs 
d'artillerie,  des  bestiaux,  des  vivres,  des  munitions  ;  les 
officiers  qui  conduisaient  ces  convois  ignoraient, 
quelques  jours  avant  le  départ,  dans  quelle  direction  ils 
allaient  prendre  la  mer.  Rochambeau,  qui  était  alors 
colonel,  raconte  ceci  dans  ses  Mémoires  :  «  J'avais  passé 
dans  la  journée  [le  15  mars]  à  Toulon,  où  M.  de  Massiac, 
commandant  de  la  marine,  me  demanda  sérieusement  ce 
que  voulaient  dire  tous  ces  bruits  qui  couraient  d'une 
entreprise  sur  Mahon  ;  je  crus  qu'il  me  persiflait.  Je  lui 
répondis  qu'il  devait  être  mieux  instruit  du  secret  des 
opérations  maritimes  qu'un  simple  colonel  de  l'armée  de 
terre.  M.  de  Massiac  me  protesta  de  très  bonne  foi  qu'il 
n'avait  encore  reçu  aucun  ordre.  » 

Le  comte  de  Maillebois  qui,  avec  M.  Du  xMesnil  était 
l'un  des  deux  lieutenants  généraux  de  l'expédition,  arriva 
à  Toulon  le  20  mars  ;  le  22,  il  y  fut  rejoint  par  le  duc  de 
Richelieu.  Ils  étaient  passés  par  Marseille,  où  se  prépa- 


278  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 

rail  la  concentration  du  matériel,  de  la  cavalerie,  des 
vivres  ;  ils  apportaient  les  derniers  ordres  à  M,  de  Char- 
ron, commissaire  ordonnateur  de  la  marine,  qui  avait 
déployé  la  plus  intelligente  activité  ;  en  quelques  jours, 
tout  fut  terminé.  Maillebois  était  désireux  d'avoir  de  La 
Galissonnière  des  réponses  précises  sur  la  date  du 
départ,  sur  telle  et  telle  opération  ;  c'est  l'impatience  des 
officiers  de  l'armée  de  terre,  toujours  prêts  à  rejeter  sur 
la  marine,  comme  si  elle  ne  dépendait  pas  des  vents,  de 
la  mer  et  d'une  foule  de  conditions  matérielles,  la  respon- 
sabilité tout  entière  des  opérations  combinées.  Comme 
l'écrivait  le  chef  maritime  au  ministre  (22  mars)  :  «  Il  s'en 
faut  bien  que  je  lui  aie  répondu  aussi  positivement  qu'il 
m'a  paru  le  désirer.  Notre  métier  est  rempli  d'incerti- 
tudes et  ceux  qui  n'y  sont  pas  accoutumés  en  sont  tou- 
jours étonnés...  »  Sous  la  plume  de  La  Galissonnière, 
qui,  disait-il,  craignait  toujours  «  plus  de  trop  assurer 
que  trop  peu  »,  cette  phrase  n'était  que  l'expression  de  sa 
modestie  naturelle  ;  mais  elle  traduisait  une  vérité  géné- 
rale, trop  souvent  oubliée  de  ceux  qui,  dans  le  silence  du 
cabinet,  combinent  des  projets  maritimes. 

Tout  fut  prêt  aux  premiers  jours  d'avril,  et  dans  les 
meilleures  conditions.  Quelques  actes  de  vigueur  à 
l'égard  de  matelots  manquants  ou  déserteurs  eurent  pour 
effet  de  maintenir  les  équipages  bien  au  complet.  Les 
vaisseaux  étaient  en  parfait  état.  L'intendant  écrivait  le 
4  avril:  «  Jamais  vaisseaux  n'ont  été  mieux  armés,  de 
l'aveu  de  la  plupart  des  capitaines  et  des  personnes 
impartiales.  » 

L'embarquement  des  troupes  de  terre,  environ  douze 
mille  hom.mes,  se  fit  du  4  au  8  avril  sur  les  vaisseaux  de 
guerre  et  sur  cent  soixante-seize  bâtiments  de  transport  ; 
ceux-ci  étaient  arrivés  de  Marseille. 

L'escadre  de  La  Galissonnière  se  composait  de  douze 


GUERRE    DE    SEPT    ANS.    —    LA    GALISSONNIÈRE.  279 

vaisseaux  de  ligne  et  de  cinq  frégates^.  Le  Foudroyant, 
de  quatre-vingts  canons,  vaisseau  amiral,  avait  à  bord  le 
duc  de  Richelieu  et  sa  maison  ;  le  nombre  des  officiers 
et  des  domestiques  de  toute  nature  embarqués  à  bord  du 
Foudroyant  peut  donner  une  idée  du  luxe  et  des  embarras 
matériels  qui  faisaient  alors  partie  de  toutes  les  opéra- 
tions militaires.  La  Couronne,  de  soixante-quatorze 
canons,  était  commandée  par  le  chef  d'escadre  La  Clue, 
et  le  Redoutable,  de  soixante-quatorze,  par  le  chef 
d'escadre  Glandevez  ^  ;  Maillebois  était  embarqué  sur  la 
Couronne,  Du  Mesnil  sur  le  Redoutable.  Les  dix-sept 
vaisseaux  de  l'escadre  et  les  cent  soixante-seize  bâtiments 
de  toute  grandeur  qui  formaient  le  convoi,  en  tout  cent 
quatre-vingts  voiles,  avaient  été  formés  dans  la  grande 
rade  de  Toulon  en  trois  divisions. 

Le  10  avril,  à  la  pointe  du  jour,  dans  un  ordre  parfait, 
l'appareillage  se  fit  par  une  brise  du  nord  ;  mais  ce  fui 
un  faux  départ.  Le  vent  étant  sauté  au  sud-ouest,  il  fallut 
dès  le  11  relâcher  aux  îles  d'Hyères  ;  heureusement  le 
retard  ne  fut  que  d'un  jour. 

Pendant  cette  journée  de  calme,   Rochambeau  était 


4.  Voir  l'Appendice  VIII. 

Nombreux  documents  sur  l'expédition  de  Minorgue  :  A.  M.,  B*  69-71. 
Les  lettres  de  M.  de  Courcy,  commissaire  de  la  marine  à  la  suite  de 
l'escadre,  du  15  février  1756  au  9  janvier  1757,  abondent  en  détails  sur 
les  préparatifs  et  sur  l'expédition  même  :  B*  71.  Le  même  volume  con- 
tient un  curieux  journal  de  campagne  du  Lloji,  avec  de  nombreuses 
planches  en  couleurs,  qui  est  l'œuvre  de  Fleurieu,  alors  garde-marine 
à  bord  de  ce  vaisseau.  —  Charles-Pierre  d'Eveux  de  Fleurieu.  Né  à  Lyon. 
1©  5  juillet  1738  ;  G.,  15  décembre  1755  ;  enseigne  de  port,  1"  juillet  1765  ; 
L.,  1"  octobre  1773  ;  inspecteur  en  second  du  Dépôt  des  cartes  et  plans 
Se  la  marine,  36  février  1775  ;  RC.  et  directeur  des  ports  et  arsenaux, 
1"  novembre  1776  ;  ministre  de  la  marine,  25  octobre  1790-15  avril  1791  ; 
-j.  18  août  1810.  A.  M.,  C  172  ;  Chassérieu,  Notice  sur  le  comte  de  Fleu- 
rieu, 1856. 

5.  Le  volume  B*  71  renferme  une  analyse  du  journal  du  Redoutable. 
Cf.  R.  DE  CisTERNES,  La  Campagne  de  Minorque  d'après  le  journal  du 
commandeur  de  Glandevez.  Paris,  1899. 


280  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS    LOUIS   XV. 

allé  au  vaisseau  amiral  avec  la  chaloupe  aux  nouvelles. 
«  Le  maréchal  de  Richelieu  jouait  au  wisk  (sic)  avec 
M.  Du  Mesnil  ;  M.  de  La  Galissonnière  était  à  une  fenêtre, 
près  de  la  plume  qui  sert  de  girouette.  «  Combien 
«  croyez-vous,  lui  disait  le  maréchal,  que  durera  ce  vent 
«  contraire  ?  Car  assurément  nous  donnons  bien  le  temps 
((  à  toutes  les  flottes  anglaises  d'arriver  dans  la  Médi- 
«  terranée.  —  Monsieur  le  maréchal,  lui  répondit  La 
((  Galissonnière,  il  m'est  arrivé  de  revenir  en  trois  jours 
«  du  détroit  de  Gibraltar,  où  j'avais  mis  trois  mois  pour 
«  aller  ;  voilà  tous  les  calculs  que  l'on  peut  faire  sur 
«  mer.  »  Le  maréchal  ne  demanda  pas  son  reste...  » 
Cependant  le  12,  le  vent  s'étant  remis  au  nord,  la  flotte 
fît  voile  vent  arrière. 

Il  y  eut  quelques  incidents  de  traversée,  d'ailleurs  peu 
graves,  à  cause  des  sautes  fréquentes  du  vent  ;  ainsi,  deux 
bâtiments  du  convoi  furent  abordés  par  le  Triton  ;  le  13, 
l'escadre  mit  en  panne  pour  permettre  au  convoi  en  partie 
dispersé  de  se  rallier.  Bref,  le  18  avril,  jour  de  Pâques, 
six  jours  après  le  départ  des  îles  d'Hyères,  sans  avoir 
aperçu  une  voile  ennemie,  La  Galissonnière  arrivait 
devant  Minorque  ;  il  s'établissait  à  l'ouest  de  l'île,  à 
l'opposé  de  Port-Mahon,  dans  le  canal  entre  Majorque 
et  Minorque.  La  descente  commençait  aussitôt,  le  même 
jour  à  sept  heures  du  soir  ;  elle  continuait  avec  beau- 
coup de  régularité  et  sans  incident  notable  pendant  toute 
la  nuit. 

«  C'est  un  des  plus  beaux  spectacles  que  j'aie  vus  de 
ma  vie  ^.  Notre  escadre  mouilla  en  croissant,  ayant  der- 
rière elle  tous  les  vaisseaux  de  transport.  Les  côtes  de 
Majorque  et  de  Minorque  étaient  couvertes  de  peuple... 
Je  distinguai  avec  une  lunette  beaucoup  de  femmes,  ce 

6   RÔCHAMBEAU.   Mémoires. 


GUERRE   DE   SEPT   ANS.    —   LA   GALISSONNIÈRE.         281 

qui  ne  me  donna  pas  d'opinion  de  la  résistance  qu'on 
nous  opposerait  à  la  descente...  Les  femmes  et  les  enfants 
venaient  au-devant  de  nous  et  nous  aidaient  à  passer  les 
crevasses  des  rochers  ;  ils  étaient  tous  catholiques  et 
n'aimaient  pas  les  Anglais...  » 

Il  faut  avouer  qu'il  y  eut  beaucoup  de  bonheur  dans  le 
débarquement  du  corps  expéditionnaire  ;  avec  la  tra- 
versée, c'est  toujours  la  partie  la  plus  périlleuse  de  ce 
genre  d'opérations.  La  Galissonnière  n'avait  pas  ren- 
contré d'escadre  ennemie  pour  lui  disputer  la  liberté  du 
passage  ;  il  ne  rencontra  pas  la  moindre  troupe  pour 
s'opposer  à  sa  descente.  Nos  états-majors,  à  la  Marine 
comme  à  la  Guerre,  n'avaient  rien  arrêté  sur  le  lieu  même 
du  débarquement,  par  le  fait  de  l'ignorance  où  ils  étaient 
de  la  nature  des  côtes  et  des  défenses  intérieures  de  l'île. 
«  Cette  ignorance  des  côtes,  suivant  le  témoignage  du 
prince  Frédéric  de  Wurtemberg,  qui  avait  été  autorisé 
à  suivre  la  campagne  sur  le  désir  du  roi  de  Prusse,  tenait 
à  ce  que  la  marine  française,  à  moins  de  se  trouver  en 
cas  d'extrême  détresse,  n'osait  pas  mouiller  près  des 
côtes  appartenant  à  l'Angleterre.  »  On  avait  parlé  de 
divers  endroits,  mais  sans  s'arrêter  à  aucun,  de  la  rade 
de  Fornells  au  nord  de  l'île,  de  l'île  d'Ayre,  au  sud-est, 
dans  le  voisinage  immédiat  de  Port-Mahon,  là  même  où 
les  Anglais  avaient  débarqué  en  1708.  Le  vent  nous  ayant 
poussés  vers  la  baie  de  Ciudadela,  que  les  Anglais  avaient 
négligé  de  garder,  puis  étant  tombé  quand  nous  étions 
dans  ces  parages,  nous  avions  pu  débarquer  sans  coup 
férir. 

Sur  les  fortifications  mêmes  de  Mahon,  Richelieu 
n'était  pas  mieux  renseigné.  Tout  ce  qu'on  avait  pu 
trouver  au  Dépôt  de  la  marine,  ê'était  un  vieux  plan 
antérieur  à  la  conquête  anglaise.  Richelieu  l'avait  montré 
à  Toulon  à  un  capitaine  de  navire  marchand  qui  connais- 


282  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS  XV. 

sait  la  région  ;  ce  plan,  lui  dit  celui-ci,  ne  ressemble  pas 
plus  au  fort  Saint-Philippe  que  la  Bastille  ne  ressemble 
à  une  bonne  place  de  guerre. 

En  deux  jours,  le  19  et  le  20  avril,  le  débarquement 
était  terminé.  Les  troupes  traversèrent  l'île  par  Mer- 
cadal  et  Alayor  ;  le  prince  de  Beauveau,  maréchal  de 
camp,  qui  courait  à  l'avant-garde,  entra  dans  Mahon  dès 
le  22,  sans  avoir  rencontré  personne.  Le  gouverneur 
anglais  Blackney  n'avait  eu  que  le  temps  de  se  retirer  au 
fort  Saint-Philippe.  De  là,  il  avait  écrit  à  Richelieu,  en 
feignant  l'étonnement  et  en  lui  demandant  dans  quelle 
intention  il  débarquait  ainsi  dans  l'île,  quand  la  paix 
n'était  pas  rompue  entre  son  souverain  et  Sa  Majesté 
Très  Chrétienne.  Richelieu  se  borna  à  répondre  : 
«  ...Je  puis  assurer  Votre  Excellence  qu'elle  [mon 
intention]  est  absolument  pareille  à  celle  des  flottes 
de  Sa  Majesté  Britannique  à  l'égard  de  nos  bâtiments 
français.  » 

Après  être  resté  jusqu'au  24,  soit  six  jours,  au  mouil- 
lage de  Ciudadela  pour  y  achever  le  débarquement  de 
l'artillerie  et  du  matériel,  La  Galissonnière  avait  remis  à 
la  voile  pour  venir  croiser  devant  le  port  de  Mahon.  Mais 
le  21  avril,  soit  seulement  trois  jours  après  l'arrivée  des 
Français  dans  les  eaux  de  Minorque,  le  contre-amiral 
Edgecumbe,  qui  venait  de  conduire  à  Mahon  dix  bâti- 
ments de  commerce  français  capturés  lors  de  la  grande 
razzia  faite  sur  les  mers,  avait  eu  le  temps  de  prendre  le 
large  avec  ses  cinq  vaisseaux  de  guerre  ;  du  moins,  il 
avait  abandonné  ses  prises,  qui  devaient  retomber  entre 
les  mains  des  Français.  Dans  ces  circonstances,  la  con- 
duite du  commandant  de  l'escadre  fut  jugée  avec  quelque 
sévérité.  Pourquoi  ne  pas  avoir  laissé  quelques  frégates 
à  la  surveillance  du  débarquement,  qui  s'effectuait  sans 
difficultés,  et  ne  pas  être  venu  tout  de  suite  établir  une 


GUERRE   DE    SEPT   ANS.    —   LA   GALISSONNIÈRE.         283 

croisière  à  l'entrée  de  l'étroit  goulet  qui  forme  le  port  de 
Mahon  ? 

Ce  reproche  était  parvenu  au  ministre  ;  il  écrivit  à  La 
Galissonnière,  en  lui  faisant  des  observations  sur  sa 
conduite  militaire  depuis  l'arrivée  dans  les  eaux  de 
Minorque.  Celui-ci  répondit  par  une  lettre  en  date  du 
14  mai  1756,  à  bord  du  Foudroyant  ;  piqué  au  vif  par  ces 
critiques,  il  fit  tout  pour  s'en  disculper,  en  rappelant  à 
ce  sujet  le  texte  formel  de  ses  instructions. 

«  Monseigneur,  J'ai  été  vivement  touché  de  la  lettre 
que  vous  m'avez  fait  l'honneur  de  m' écrire  le  5  de  ce 
mois,  au  sujet  des  vaisseaux  anglais  sortis  du  port  de 
Mahon,  deux  ou  trois  jours  après  l'arrivée  du  convoi  à 
Citadella  (sic).  Quand  je  n'aurais  eu  d'autre  mission  que 
celle  de  prendre  ces  vaisseaux,  il  y  a  beaucoup  d'appa- 
rence que  je  n'y  aurais  pas  réussi.  »  On  aura  quelque 
peine  à  comprendre  ce  peu  de  confiance  de  La  Galisson- 
nière en  lui-même  ;  comment  n'aurait-il  pas  pu  capturer 
avec  douze  vaisseaux  et  cinq  frégates  les  cinq  bâtiments 
d'Edgecumbe  ?  «  Mais,  continue-t-il,  suivant  mes  instruc- 
tions, je  n'ai  pas  même  dû  l'entreprendre.  » 

Les  instructions  officielles,  en  date  du  22  mars,  por- 
taient en  effet  ceci  :  «  L'objet  dont  il  doit  perpétuellement 
s'occuper  est...  la  conservation  des  forces  que  Sa  Majesté 
destine  pour  cette  expédition.  C'est  vers  cet  objet  que  Sa 
Majesté  veut...  qu'il  dirige  toutes  les  combinaisons  qu'il 
aura  à  faire  par  les  différents  partis  qu'il  aura  à  prendre, 
soit  avant  son  départ  de  Toulon,  soit  dans  sa  route  pour 
se  rendre  à  Minorque,  soit  durant  le  séjour  qu'il  pourra 
faire  sur  les  côtes  ou  dans  les  ports  de  cette  île,  soit  pour 
son  retour  en  Provence.  »  Autre  part,  il  était  dit  : 
«  L'intention  de  Sa  Majesté  est  que  son  escadre  et  ses 
troupes  ne  soient  pas  compromises  contre  des  forces  trop 
supérieures.  »  Enfin,  dans  une  lettre  du  roi  à  La  Galis- 


284  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 

sonnière,  du  22  avril  aussi,  la  même  préoccupation  se 
faisait  jour  :  «  Mon  intention  est  que  vous  vous  occupiez 
principalement  de  la  conservation  de  mon  escadre  et  des 
troupes  que  j'ai  destinées  pour  cette  entreprise...  »  Une 
idée  essentielle  se  dégage  de  ces  documents,  qui 
s'explique  par  cette  défiance  exagérée  de  l'ennemi  où 
nous  avait  conduits  plus  d'un  quart  de  siècle  de  politique 
pusillanime  et  de  stratégie  expectante  :  il  ne  fallait  pas 
compromettre  l'expédition  par  un  engagement  «  contre 
des  forces  trop  supérieures  »,  il  fallait  avant  tout  «  con- 
server »  l'escadre  et  les  troupes. 

Dans  sa  réponse  au  ministre,  La  Galissonnière  rappelle 
ces  textes  et  les  commente  de  la  manière  la  plus  étroite. 
Il  a  été  chargé,  dit-il,  de  protéger  la  descente,  de  ne 
quitter  la  plage  du  débarquement  qu'après  avoir  appris 
du  maréchal  qu'il  était  en  état  d'attaquer  les  forts  de 
Mahon,  de  ne  pas  séparer  ses  vaisseaux  ;  il  devait 
s'occuper  avant  tout  de  conserver  ensemble  toutes  les 
forces  de  l'expédition. 

On  ne  pourra  s'empêcher  de  trouver  que  si  le  lieute- 
nant général  des  armées  navales  était  couvert  par  le  texte 
même  de  ses  instructions,  il  aurait  pu  s'en  affranchir, 
dans  la  circonstance  présente,  sans  manquer  ni  à  l'esprit 
ni  à  la  lettre  même  de  ces  documents.  Deux  recomman- 
dations essentielles  lui  étaient  faites  :  ne  pas  compro- 
mettre son  escadre  contre  des  forces  trop  supérieures, 
conserver  toutes  les  forces  de  l'expédition  ;  elles  n'au- 
raient pas  été  transgressées,  ni  l'une  ni  l'autre,  puisque 
le  débarquement  se  fit  sans  aucun  obstacle,  s'il  avait 
détaché  quelques  vaisseaux  pour  le  blocus  de  Mahon. 
Mais  si,  d'une  part,  les  instructions  officielles  étaient  trop 
timides,  si  elles  se  réduisaient  à  peu  près  à  des  ordres 
négatifs  en  recommandant  avant  tout  ce  qu'il  ne  fallait 
pas  faire,    il  est  certain,   d'autre  part,   que  les  temps 


GUERRE   DE    SEPT   ANS.    —   LA   GALISSONNIÈRE.         285 

n'étaient  pas  encore  venus  de  la  stratégie  navale  qui 
comprendra  que  le  meilleur  moyen  de  conserver  une 
escadre,  c'est  de  détruire  les  forces  ennemies  qui  peuvent 
lui  être  opposées.  Le  commandant  français,  malgré  ses 
qualités  personnelles,  subissait  l'influence  des  errements 
de  son  époque. 

La  Galissonnière  avait  commencé  sa  croisière  au  large 
de  Port-Mahon  le  24  avril.  Richelieu,  de  son  côté,  avait 
entrepris  les  travaux  de  siège  ;  ils  présentaient  de  très 
grandes  diflicultés,  à  cause  du  terrain  rocailleux  sur 
lequel  étaient  établis  les  divers  ouvrages  du  fort  Saint- 
Philippe  ;  ce  fut  seulement  le  11  mai  que  les  batteries  de 
m.ortiers  furent  en  état  de  commencer  leur  tir.  Richelieu 
n'était  pas  sans  inquiétude  sur  l'issue  finale  ;  il  écrivit  à 
plusieurs  reprises  en  France,  pour  faire  venir  de  Mar* 
seille  et  de  Perpignan  des  renforts  d'artillerie.  Il  fallait 
se  hâter,  car  les  communications  par  mer  pouvaient 
devenir  difficiles  d'un  moment  à  l'autre.  Le  18  mai,  un 
avis  de  La  Galissonnière  le  prévenait  qu'une  escadre 
anglaise  était  depuis  la  veille  au  soir  en  vue  de  Palma, 
capitale  de  l'île  de  Majorque. 

Habituée,  depuis  la  mort  de  Louis  XIV,  à  ne  plus 
compter  avec  la  rivalité  maritime  de  la  France,  n'ayant 
pas  pris  garde,  au  cours  de  la  guerre  précédente,  à  divers 
épisodes  qui  attestaient  cependant  le  réveil  de  notre  puis- 
sance navale,  fière  des  trophées  faciles  qu'elle  devait  au 
brigandage  de  Boscawen,  l'Angleterre  avait  été  surprise 
par  les  événements  de  Minorque.  Le  mystère  dont  avaient 
été  entourés  les  préparatifs  de  Toulon,  quelques  rensei- 
gnements mal  interprétés,  avaient  donné  lieu  de  croire 
au  ministère  Newcastle  qu'il  s'agissait  soit  d'un  coup  de 
main  sur  la  Corse,  soit  d'une  descente  dans  la  Manche. 
Pour  parer  à  toute  éventualité,  on  avait  décidé,  au  der- 


286  LA   MARINE   IVULITAIRE    SOLS    LOUIS   XV. 

nier  moment,  d'envoyer  dans  la  Méditerranée  une  escadre 
de  onze  vaisseaux  et  un  corps  de  quatre  mille  hommes. 

L'amiral  John  Byng,  quatrième  fils  du  vainqueur  de  la 
bataille  du  cap  Passero,  mis  à  la  tête  de  ces  forces,  prit 
la  mer  de  la  rade  de  Spithead  le  6  avril,  au  moment  même 
où  se  faisait  à  Toulon  l'embarquement  fmal.  Il  n'arriva  à 
Gibraltar  que  le  2  mai,  quatorze  jours  après  l'arrivée  des 
Français  à  Ciudadela.  Il  y  fut  rejoint  par  Edgecumbe, 
qui  lui  apprit  les  événements  de  Minorque.  Le  dépit  d'être 
arrivé  trop  tard  et  d'être  engagé  dans  une  affaire  qui 
prenait  une  mauvaise  tournure,  lui  dicta  une  lettre  au 
ministre  (4  mai),  où  il  l'accusait  à  mots  couverts  de  négli- 
gence et  où  il  semblait  le  rendre  responsable  à  l'avance 
de  ce  qui  allait  se  passer.  Cette  lettre  aurait  été  par- 
donnée  à  un  amiral  victorieux  ;  à  un  amiral  vaincu,  elle 
devait  coûter  la  vie. 

Le  8  mai,  Byng  avait  remis  à  la  voile  de  Gibraltar. 
iVvec  la  division  d'Edgecumbe,  il  avait  en  tout  treize 
vaisseaux  de  ligne,  quatre  frégates  et  une  corvette.  Son 
pavillon  flottait  sur  le  Ramillies,  de  quatre-vingt-dix 
canons,  qui  ne  devait  pas  être  toujours  un  nom  de  vic- 
toire anglaise  ;  celui  du  contre-amiral  Edgecumbe,  sur 
le  Lancaster,  de  soixante-quatre  ;  celui  du  contre-amiral 
Temple-West,  sur  le  Buckingham^  de  soixante-huit. 
Contrarié  par  les  vents,  il  n'était  arrivé  que  le  17  au  soir 
dans  les  eaux  de  Majorque  ;  le  19,  il  était  en  vue  de 
Minorque,  du  côté  du  sud.  Le  drapeau  anglais  flottait 
toujours  sur  le  fort  Saint-Philippe  :  il  était  temps  encore 
de  débarquer  le  corps  de  quatre  mille  hommes  qu'il 
amenait  d'Angleterre. 

La  Galissonnière,  depuis  quarante-huit  heures,  avait 
manœuvré  avec  beaucoup  d'habileté.  Averti  le  17  au  soir, 
par  la  frégate  la  Gracieuse,  de  l'approche  des  Anglais,  il 
était  resté  auprès  de  la  côte,  vers  le  nord-est  de  l'île,  se 


GTŒRRE   DE    SEPT   ANS.    —   LA   GALISSONNIÈRE.         287 

préoccupant  de  garder  l'avantage  du  vent  pour  le  moment 
où  les  Anglais  le  rejoindraient.  Il  avait  demandé  des 
soldats  à  Richelieu  pour  renforcer  ses  équipages.  Le 
maréchal  lui  avait  envoyé  aussitôt  treize  compagnies 
d'embarquement,  le  18  mai  ;  mais  trois  seulement  purent 
arriver  aux  vaisseaux  de  l'escadre.  Montées  sur  de  mau- 
vaises tartanes  et  ballottées  par  une  mer  assez  forte, 
plusieurs  de  ces  compagnies  durent  regagner  la  côte  ; 
il  y  en  eut  même  trois  qui  s'égarèrent  vers  le  sud  et  furent 
prises  par  les  Anglais. 

Dans  la  journée  du  19,  vers  onze  heures  du  matin,  les 
deux  escadres  furent  en  vue,  Byng  arrivant  par  l'île 
d'Ayre,  La  Galissonnière  croisant  vers  le  nord  et  ayant 
l'avantage  du  vent.  Une  brume  assez  épaisse  et  le  désa- 
vantage de  la  position  de  Byng  tinrent  celui-ci  à  distance 
jusque  vers  le  milieu  de  la  journée  du  lendemain. 

Le  20,  vers  midi,  le  vent  changea  ;  il  passa  au  sud- 
ouest,  en  donnant  ainsi  tout  à  coup  l'avantage  à  Byng. 
Celui-ci  en  profita  aussitôt  pour  mettre  le  cap  au  sud-€st 
et  filer  à  une  faible  distance  au  sud  des  Français  ;  puis, 
quand  ses  vaisseaux  furent  par  le  travers  des  nôtres,  ils 
virèrent  de  bord.  Ainsi  s'expliquent  ces  mots  de  La  Galis- 
sonnière '^  :  (c  L'arrière-garde  des  ennemis  était  devenue 
avant-garde  par  un  mouvement  qu'ils  avaient  fait.  »  Les 
deux  escadres  étaient  disposées  en  deux  lignes  à  peu 
près  parallèles,  orientées  environ  de  l'ouest  à  l'est,  per- 
pendiculairement à  la  côte,  les  Français  au  nord.  Der- 
rière la  ligne  anglaise,  il  y  avait  l'île  d'Ayre  ;  derrière 
la  ligne  française,  le  port  de  Mahon  et  le  cap  Mola.  Les 
forces  étaient  à  peu  près  égales  :  douze  vaisseaux,  cinq 
frégates,  neuf  cent  trente-quatre  canons  chez  les  Fran- 


7.  Le  rapport  de  La  Galissonnière.  en  date  du  22  mai  1756,  a  été  publié 
par  Chassériau,  Précis  historique  de  la  marine  française,  t.  I,  p.  152-Ié4. 


288  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS    LOUIS   XV. 

çais  ;  treize  vaisseaux,    quatre  frégates,    une   corvette, 
huit  cent  cinquante  canons  chez  les  Anglais. 

D'après  le  rapport  de  La  Galissonnière,  le  combat 
commença  à  deux  heures  et  demie  et  finit  à  cinq  heures 
et  demie.  L'amiral  français,  toujours  modeste,  mais  très 
véridique,  caractérise  ainsi  l'action  avec  beaucoup  de 
justesse  :  «  Ils  en  ont  profité  (de  l'avantage  du  vent)  pour 
nous  attaquer  sans  s'engager,  et  l'escadre  du  roi  les  a 
reçus  de  façon  à  leur  faire  craindre  de  trop  s'exposer  en 
l'approchant  davantage.  »  A  aucun  moment,  rien  ne 
donna  l'idée  de  ces  corps  à  corps  où  Suffren  et  Nelson 
devaient  exceller  un  jour. 

Les  cmq  vaisseaux  de  la  gauche  anglaise,  commandés 
par  Temple-West,  étant  revenus  brusquement  au  vent, 
avaient  engagé  vigoureusement  l'action  contre  la  droite 
française,  commandée  par  Glandevez.  West  réussit  en 
partie,  car  notre  avant-garde,  suivant  le  mot  de  La  Galis- 
sonnière, fut  «  assez  maltraitée  ».  D'autre  part,  il  s'était 
trop  porté  vers  le  nord  ;  il  courait  par  suite  le  risque 
d'être  détaché  du  centre  anglais.  Aussi,  avec  beaucoup 
de  prudence,  il  serra  le  vent  pour  rallier  le  gros  de 
l'escadre. 

Au  centre  et  à  la  droite  des  Anglais,  l'affaire  se 
dessinait  mal.  Ulntrepid,  qui  formait  le  sixième  vais- 
seau de  la  ligne  anglaise,  s'étant  mis  tout  à  coup  à 
culer,  il  y  eut  du  désordre  chez  l'ennemi  ;  plusieurs  vais- 
seaux s'abordèrent,  la  ligne  fut  sur  le  point  de  se  rompre. 
C'était  peut-être  le  moment  précis  à  saisir  de  notre  part 
pour  prendre  ^hardiment  l'offensive.  La  Galissonnièrfe 
avait  sous  la  main  huit  vaisseaux  intacts,  à  savoir  son 
centre  et  son  arrière-garde,  celle-ci  commandée  par  La 
Clue  ;  avec  ces  forces  il  pouvait  se  glisser  entre  les  vais- 
seaux de  West  et  de  Byng.  Ce  coup  d'audace  n'était  pas 
exempt  de   danger  ;   la  manœuvre   par   laquelle   West 


GUERRE   DE    SEPT   ANS.    —   LA   GALISSONNIÈRE.         289 

s'était  replié  sur  Byng  permettait,  en  effet,  à  celui-ci  de 
disposer  encore  de  toute  son  escadre.  La  Galissonnière 
eut  l'intention,  à  ce  qu'il  semble,  de  tenter  ce  mouvement  : 
comme  pour  offrir  la  bataille  à  l'ennemi,  il  sortit  deux 
fois  de  la  ligne  en  portant  secours  à  l'un  de  ses  navires, 
V Hippopotame^  qui  dérivait  du  côté  des  Anglais.  Mais 
Byng  se  rappelait  que  Matthev^s,  l'amiral  de  la  bataille 
de  Toulon,  avait  été  condamné  pour  avoir  rompu  sa 
ligne  ;  pour  éviter  le  même  reproche,  il  ne  sortit  pas  de 
ses  positions.  La  Galissonnière,  de  son  côté,  très  préoc- 
cupé de  ne  pas  laisser  couper  son  arrière-garde,  main- 
tint avec  le  plus  grand  ordre  la  ligne  de  ses  vaisseaux. 
Les  Anglais,  dit-il,  <(  la  trouvèrent  si  serrée  et  en 
essuyèrent  un  si  grand  feu,  qu'ils  s'en  éloignèrent  assez 
promptement  ».  La  conservation  d'une  ligne  rigide  était 
encore  considérée  comme  le  but  suprême  de  la  tactique 
navale. 

Au  bout  de  trois  heures  employées  ainsi  en  manœuvres 
et  en  canonnades,  sans  qu'il  y  ait  eu  à  proprement 
parler  contact  entre  les  deux  lignes,  sauf  entre  les  vais- 
seaux de  West  et  ceux  de  Glandevez,  les  deux  escadres 
se  trouvèrent  hors  de  la  portée  de  canon.  Aussitôt,  les 
Anglais  virèrent  du  côté  du  sud.  La  Galissonnière  voulut 
leur  donner  la  chasse.  ((  Mais  ces  quatre  vaisseaux 
[l'avant-garde],  entre  autres  le  Redoutable,  étaient  hors 
d'état  de  le  faire,  suivant  ce  qu'ils  m'ont  fait  savoir 
depuis.  Plusieurs  même...  étaient  si  fort  sous  le  vent 
qu'ils  ne  pouvaient  plus  exécuter  mon  signal  d'une  façon 
utile.  Ainsi  les  ennemis  continuèrent  leur  bordée  qui  les 
portait  au  large,  et  nous  la  nôtre,  qui  nous  a  menés  ce 
matin  à  la  vue  et  fort  proche  de  l'entrée  de  Mahon,  qui 
est  l'objet  dont  je  dois  m'occuper.  »  L'amiral  français 
n'avait  point  poursuivi  l'ennemi  au  delà  de  Tîle  d'Ayre 

Les  pertes  en  matériel  et  en  hommes,  après  cet  enga- 

19 


290  LA  MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS    XV. 

gement  de  trois  heures,  étaient  peu  importantes.  Un  seul 
de  nos  navires,  le  Sage,  avait  souffert  quelques  avaries. 
Comme  les  vaisseaux  anglais  s'étaient  dérobés  assez  rapi- 
dement à  notre  tir,  La  Galissonnière  pensait  qu'il  y  en 
avait  eu  «  de  fort  incommodés,  mais  nous  n'avons  rien 
vu  qui  ne  se  puisse  réparer  ».  Les  pertes  des  Français 
étaient  de  trente-huit  morts  et  de  cent  quatre-vingt-quatre 
blessés  ;  celles  des  Anglais,  de  quarante-cinq  morts  et 
de  cent  soixante-deux  blessés. 

La  bataille  navale  du  20  mai  1756  est  restée  justement 
célèbre,  et  par  l'éclat  qu'elle  jeta  sur  notre  marine,  et 
pri.r  les  conséquences  militaires  qu'elle  rendit  possibles  ; 
mii's  on  voit  qu'elle  se  réduisit  à  des  opérations  assez 
simples  et  fort  courtes.  Byng  n'avait  pas  fait  preuve 
d'une  grande  énergie  au  cours  de  l'action  ;  il  s'était  borné 
à  un  rôle  à  peu  près  passif,  alors  qu'une  attaque  vigou- 
reuse, comme  celle  que  West  avait  engagée  dès  le  début, 
pouvait  seule  lui  donner  quelques  chances  de  percer  la 
ligne  française  et  d'arriver  jusqu'à  Port-Mahon.  De  plus, 
il  avait  accordé  trop  d'importance  peut-être  à  l'accident 
de  Vlntrepid  et  il  avait  donné  bien  précipitamment  le 
signal  de  la  retraite. 

Le  chevalier  de  Mirabeau,  qui  avait  pris  part  à  la 
journée  comme  capitaine  en  second  de  VOrphée  »,  appré- 
ciait crûment  les  opérations  des  Anglais,  dans  une  lettre 
qu'il  adressait  à  son  frère  ^  :  <(  Ils  n'ont  que  bien  médio- 
crement soutenu  devant  notre  canon  la  fierté  dont  ils  ont 
usé  envers  nos  marchands...  Ils  ont  manœuvré  comme 
des  cochons,  ce  qui  fait  que  nous  les  avons  étrillés.  » 
En  .ait,  les  choses  s'étaient  passées  d'une  manière  beau- 

8.  Sar  lo  même  vaisseau  servait  le  chevalier  de  Snffren  ;  embarqué  à 
Toulon  comme  enseigne,  11  fut  promu  lieutenant  le  15  mal  ;  c'était  sa 
onzième  campagne. 

9.  LOMÉNiK,  Les  Mirabeau,  t.  I,  p.  225. 


GUERRE   DE    SEPT   ANS.    —   LA   GALISSONNIÈRE.         291 

coup  moins  brutale.  Les  Anglais  avaient  été  tenus  à  dis- 
tance ;  ils  n'avaient  pas  été  «  étrillés  ». 

Où  Byng  fut  surtout  coupable,  c'est  de  s'être  complè- 
tent ent  dérobé  après  cette  première  attaque  ;  au  lieu  de 
réparer  ses  avaries  en  mer  et  de  tenter  un  nouveau  coup 
de  main  soit  sur  Port-Mahon,  soit  sur  un  autre  point  de 
l'île,  il  se  retira  vers  Gibraltar,  sans  essayer  rien  de  plus 
pour  la  délivrance  de  Minorque. 

De  notre  part,  la  résistance  de  l'avant-garde  aurait  pii 
être  plus  longue.  Sans  la  fermeté  avec  laquelle  La  Galis- 
sonnière  avait  rallié  son  centre  et  ses  ailes,  tenu  l'ennerol 
à  distance  non  seulement  par  son  tir,  mais  encore  par  la 
rigidité  même  de  sa  ligne  de  combat,  cet  épisode  du  début 
de  l'action  aurait  pu  avoir  des  conséquences  fâcheuses- 
Suivant  toujours  de  la  manière  la  plus  fidèle  le  texte  de 
ses  instructions,  il  n'avait  pas  voulu,  par  une  poursuite 
trop  lointaine,  courir  le  risque  de  découvrir  Port-Mahon  ; 
satisfait  d'avoir  victorieusement  résisté  et  contraint  son 
ennemi  à  la  fuite,  sans  l'avoir  détruit,  ni  même  sans 
l'avoir  entamé,  il  était  venu  reprendre  aussitôt  son  poste 
de  vigie  dans  les  eaux  du  cap  Mola.  Aussi  avait-il  le  droit 
d'écrire  au  maréchal  de  Richelieu  comme  il  le  fit  :  «  J'ai 
préféré  votre  gloire  à  la  mienne  et  le  principal  objet  de 
votre  mission  à  l'honneur  particulier  que  j'aurais  pu 
retirer  en  poursuivant  quelques  vaisseaux  ennemis  qui 
m'ont  paru  très  maltraités.  »  Cette  abnégation  peut  être 
digne  d'éloges,  comme  sa  fermeté  et  sa  présence  d 'esprit 
au  cours  du  combat  ;  mais  il  aurait  encore  mieux 
servi  la  gloire  et  la  mission  de  Richelieu,  puisqu'il 
s'effaçait  modestement  devant  lui,  en  se  donnant  tout 
entier  à  la  poursuite  et  à  la  destruction  de  l'escadre  en 
nemie. 

Richelieu  et  ses  officiers  avaient  suivi  de  loin  le  combat 


292  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS    LOUIS   XV. 

à  l'aide  de  bonnes  lunettes.  «  Messieurs,  avait  dit  le  maré- 
chal, il  se  joue  là  un  jeu  bien  intéressant.  Si  M.  de  La 
Galissonnière  bat  l'ennemi,  nous  continuerons  notre  siège 
en  pantoufles  ;  mais  s'il  est  battu,  il  faudra  avoir  recours 
à  l'escalade,  aux  derniers  expédients.  »  Le  siège  ne  se 
continua  pas  <(  en  pantoufles  »,  car  il  y  eut  peu  d'actions 
de  ce  genre  aussi  savantes  et  aussi  meurtrières.  Mais 
dans  la  boutade  du  maréchal,  il  y  avait  une  grande  part 
de  vérité  ;  la  victoire  sur  terre  n'était  possible  et  ses 
conséquences  ne  devaient  être  durables  qu'autant  que 
la  mer  appartiendrait  aux  Français. 

Le  29  juin,  malgré  la  résistance  très  énergique  de  la 
garnison,  le  fort  Saint-Philippe  avait  capitulé.  Le  gou- 
verneur Blackney  avait  obtenu  les  honneurs  de  la 
guerre  ;  tous  les  prisonniers,  au  nombre  de  quatre  mille 
cent  soixante-dix-huit,  devaient  être  conduits  à  Gibraltar 
sur  des  bâtiments  français.  Leur  départ  eut  lieu,  en  effet, 
le  9  juillet. 

Le  rembarquement  de  nos  troupes  avait  précédé  celui 
des  Anglais.  La  Galissonnière,  à  qui  le  combat  du  20  mai 
avait  donné  la  liberté  et  non  la  maîtrise  de  la  mer,  tenait 
à  ce  que  la  nouvelle  de  la  dérobade  de  l'ennemi  n'arrivât 
à  Gibraltar  que  lorsque  ses  propres  vaisseaux  seraient  en 
sûreté.  Déjà,  à  plusieurs  reprises,  il  avait  averti  le  maré- 
chal du  danger  qu'il  pourrait  courir,  et  par  suite  l'expé- 
dition tout  entière,  devant  des  forces  supérieures  en 
nom.bre  ;  car  on  s'attendait  toujours  à  un  retour  offensif 
des  Anglais.  Richelieu  avait  complètement  ravitaillé 
l'escadre,  dont  les  provisions  s'épuisaient  rapidement. 
Le  5  juin,  La  Galissonnière  avait  écrit  à  Machault  pour 
lui  demander  d'une  manière  pressante  l'envoi  de  cinq 
bons  vaisseaux,  mais  les  ressources  insuffisantes  du  port 
de  Toulon  et  la  rapidité  des  événements  n'avaient  permis 
de  ne  lui  en  envoyer  que  deux,  V Achille,  de  soixante- 


GUERRE   DE   SEPT   ANS.    —   LA   GAL^??ONMÈRE.         293 

quatre  canons,   et  VHector,   de  soixante-quatorze,    qui 
rallièrent  l'escadre  le  2  et  le  5  juillet. 

Richelieu  laissait  dans  l'île  M.  de  Lannion,  maréchal 
de  camp,  comme  gouverneur,  avec  onze  bataillons  en  six 
régiments.  L'embarquement  du  reste  de  nos  troupes 
avait  commencé  dès  le  4  juillet.  Le  7,  le  maréchal  mon- 
tait à  bord  du  Foudroyant  ;  le  8,  l'escadre  prenait  la  mer. 
Le  18,  elle  jetaft  l'ancre  en  rade  de  Toulon.  Quelques 
bâtiments  de  transport,  que  les  vents  contraires  avaient 
dispersés  dans  diverses  directions,  rallièrent  un  peu  plus 
lard.  Le  21  juillet,  le  dernier  navire  était  rentré  sain  et 
sauf  au  port  de  Toulon.  L'expédition  de  Minorque  avait 
duré  trois  mois  en  tout  :  elle  aurait  mérité  qu'on  renou- 
velât en  son  honneur  la  devise  que  Louis  XIV  avait  fait 
graver  sur  une  médaille  de  Turenne  :  Vis  et  Celeriias. 

Les  mémoires  de  l'époque  sont  pleins  des  démonstra- 
tions d'allégresse  qui  éclatèrent  partout,  à  Toulon,  à 
Marseille,  à  Lyon,  dans  toutes  les  villes  du  royaume  aussi 
bien  que  dans  la  capitale  et  à  la  cour.  La  Galissonnière 
reçut  la  grand'croix  de  l'ordre  de  Saint-Louis,  avec  une 
pension  de  huit  mille  livres,  dont  six  mille  réversibles 
sur  sa  femme,  qui  allait  bien  prochainement  jouir  de  ce 
triste  avantage.  Le  rapport  du  ministre  appréciait  son 
rôle  de  la  manière  la  plus  exacte  :  <(  Le  zèle  et  la  pru- 
dence qu'il  a  fait  paraître  non  seulement  dans  la  conduite 
de  son  escadre,  mais  encore  dans  la  direction  du  convoi 
destiné  pour  le  transport  des  troupes  de  Sa  Majesté 
qu'on  a  fait  passer  à  Minorque  ;  la  manière  dont  il  a  favo- 
risé le  débarquement  ;  le  combat  qu'il  a  rendu  contre 
l'escadre  anglaise  ;  l'attention  suivie  qu'il  a  donnée  pour 
protéger  le  siège  du  fort  Saint-Philippe  et  à  ne  quitter 
sa  croisière  jusqu'à  l'entière  reddition  de  l'île  de 
Minorque,  d'où  il  a  ramené  les  troupes  de  Sa  Majesté  à 


LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS    LOUIS   XV. 

Toulon,  sont  des  services  trop  marqués  pour  ne  pas  lui 
procurer  une  marque  authentique  de  la  satisfaction  de 
Sa  Majesté.  » 

Aussitôt  après  son  retour,  La  Galissonnière  avait 
désarmé  ses  navires  et  réarmé  en  même  temps  une  nou- 
lelle  escadre.  A  la  fm  d'août,  il  était  prêt  à  reprendre  la 
mer  avec  seize  vaisseaux  de  ligne,  six  frégates,  deux 
Brûlots.  Mais  il  ne  se  soutenait  encore  que  par  un  effort 
extraordinaire  de  volonté  ;  très  souffrant  avant  cette 
eampagne,  s'étant  embarqué  contre  l'avis  formel  de  ses 
médecins,  cette  croisière  de  trois  mois,  où  il  avait  fallu 
¥eiller  à  tant  de  choses,  avait  achevé  de  l'épuiser.  Au 
mois  d'août,  il  écrivait  de  Toulon  au  ministre  :  «  Quant 
i  moi,  monseigneur,  je  ne  vous  dissimulerai  pas  que  je 
iniis  extrêmement  fatigué  et  que  je  ne  me  remettrais  de 
longtemps  en  état  de  soutenir  une  croisière  un  peu 
longue,  si  je  ne  profitais  un  peu  de  l'intervalle  que  j'ai 
pour  jouir  de  la  terre.  Ce  qui  ne  s'accorde  guère  avec  les 
détails  infinis  d'écriture  où  il  faudrait  entrer...  »  Sa  cor- 
respondance s'arrête  au  19  septembre  ;  à  bout  de  forces, 
t!  avait  dû  passer  le  commandement  de  l'escadre  qu'on 
armait  à  M.  de  Massiac,  promu  à  cette  époque  lieutenant 
général. 

Il  prit  la  route  de  Paris  ;  ce  voyage,  le  dernier,  lui 
réservait  quelques  heures  de  joie,  au  milieu  des  témoi- 
gnages de  reconnaissance  et  de  respect  qui  lui  étaient 
prodigués  partout  où  il  passait.  Mais  son  mal  était  sans 
espoir  ;  atteint  d'hydropisie,  il  subit  une  ponction  à  Aix, 
qui  ne  le  soulagea  que  pour  quelques  jours  ;  de  nouveau, 
3  fut  forcé  de  s'arrêter  à  Montereau  ;  il  y  mourut  le 
26  octobre  1756.  Louis  XV  était  alors  à  Fontainebleau  ; 
en  apprenant  la  mort  de  La  Galissonnière,  il  dit  :  «  C'est 
dommage,  je  lui  destinais  le  bâton  de  maréchal.  »  Il  eût 
été  en  des  mains  dignes  de  le  porter  et  de  l'illustrer  ;  le 


GUERRE   DE    SEPT   ANS.    —   LA   GALISSONNIÈRE.  295 

mélange  de  prudence  et  de  fermeté  dont  il  avait  fait 
preuve  dans  cette  campagne,  ses  qualités  d'organisateur 
et  d'homme  d'action  faisaient  de  lui  le  chef  le  plus  en 
vue  pour  l'expédition  d'Angleterre.  Sa  mort  survenue 
dans  de  pareilles  circonstances  était  de  toutes  manières 
un  deuil  patriotique  pour  la  marine  et  pour  la  France. 

Revenons  à  l'île  de  Minorque.  Le  surlendemain  du 
jour  où  La  Galissonnière  et  Richelieu  venaient  de  quitter 
les  lieux  témoins  de  leur  double  victoire,  une  escadre  de 
vingt  et  un  vaisseaux  anglais  apparaissait  devant  Port- 
Malion  ;  elle  était  commandée  par  un  nouvel  officier 
général,  l'amiral  Edouard  Hawke.  Il  était  trop  tard  pour 
se  mettre  à  la  poursuite  de  La  Galissonnière  :  Hawke, 
d'autre  part,  ne  disposait  pas  de  troupes  de  débarque- 
ment :  il  se  borna  donc  à  établir  un  blocus. 

Ce  n'était  plus  Byng  qui  commandait  l'escadre 
anglaise.  Peu  après  son  retour  à  Gibraltar,  il  avait  reçu 
l'onire  de  rentrer  en  Angleterre  pour  expliquer  sa  con- 
duite. Notre  victoire  avait  provoqué  au  delà  de  la 
Manche  une  sorte  de  stupeur  :  les  Français  étaient  donc 
capables  d'arracher  le  trident  de  Neptune  à  ceux  qui, 
par  un  fol  orgueil,  s'en  regardaient  comme  les  seuls 
possesseurs.  Comme  cela  arrive  parfois  aux  peuples  à 
qui  une  prospérité  trop  longue  et  trop  facile  a  fait  oublier 
les  progrès  de  leursi  voisins,  le  premier  malheur  des 
Anglais,  en  leur  ouvrant  brusquement  les  yeux,  leur 
donna  une  sensation  d'épouvante.  <(  La  nation,  suivant  le 
mot  de  Burke,  tremblait  sous  une  honteuse  terreur 
panique,  trop  publique  pour  que  nous  puissions  la 
cacher,  trop  fatale  dans  ses  conséquences  pour  que  nous 
puissions  l'oublier.  »  L'Angleterre  se  sentait  détestée  de 
toute  l'Europe,  là  même  où  il  semblait  qu'elle  comptait 
des  amis,  et  elle  devinait  la  joie  que  causaient  ses  revers. 


I 
296  LA  MARINE  MILITAIRE  SOUS  LOUIS  XV. 


Après  la  victoire  de  La  Galissonnière,  notre  secrétaire 
d'ambassade  à  Madrid  écrivait  au  ministre  (31  mai  1756)  : 

((  Tous  les  ministres  étrangers,  à  l'exception  de 
l'ambassadeur  de  Hollande,  m'ont  fait  compliment  sur 
la  déroute  de  l'amiral  Byng.  L'ambassadeur  de  Portugal 
m'a  témoigné  plusieurs  fois  combien  il  était  charmé  de 
l'abaissement  de  l'orgueil  des  Anglais,  me  disant  en 
propres  termes  que  toutes  les  puissances  leur  verraient 
perdre  avec  la  plus  grande  satisfaction  le  ton  impérieux 
qu'ils  avaient  pris  et  l'empire  qu'ils  voulaient  s'arroger 
sur  les  mers.  «  Quant  à  nous,  ajouta-t-il,  vous  savez  que 
«  nous  sommes  sous  leur  joug  et  nous  n'osons  rien  dire, 
u  parce  que  nous  n'avons  pas  de  forces  à  leur  opposer. 
«  Nous  sommes  obligés  de  dissimuler  notre  faiblesse, 
((  mais  nous  ne  la  sentons  pas  moins...  »  On  se  deman- 
dait si  l'Angleterre  n'allait  pas  perdre  tout  d'un  coup  cet 
empire  qu'elle  devait  moins  à  sa  force  réelle  qu'à  sa 
brutalité  et  à  la  terreur  qu'elle  inspirait  aux  petits. 

Chesterfield,  <(  le  lord  des  beaux  esprits  et  le  bel  esprit 
des  lords  »,  oublia  un  moment  ses  dissertations  sur 
l'étiquette,  sur  la  galanterie,  sur  le  parfait  homme  du 
monde,  pour  s'écrier  avec  un  désespoir  profond  :  «  C'en 
est  fait,  nous  ne  sommes  plus  une  nation  1  »  Newcastle, 
poursuivi  par  les  clameurs  des  patriotes,  quittait  le 
ministère  ;  le  règne  de  William  Pitt,  court,  mais  terrible 
pour  la  France,  allait  commencer.  En  prenant  la  direc- 
tion des  affaires,  son  premier  mot  fut  celui-ci  :  «  Mon 
intention  est  de  sortir  l'Angleterre  de  l'état  d'énervement 
où  elle  se  trouve  et  qui  permet  à  vingt  mille  Français  de 
la  troubler.  »  Il  ne  devait  que  trop  tenir  parole.  Au  milieu 
de  cette  surexcitation  des  esprits,  le  malheureux  Byng 
était  sacrifié  à  l'avance  ;  il  fallait  à  l'opinion  publique  et 
à  la  politique  une  victime  expiatoire.  Convaincu  par  la 
cour  martiale  de  Portsmouth  de  n'avoir  pas  fait  pendant 


GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  LA.  GALISSONNIERE.  297 

ie  combat  tout  ce  qu'il  aurait  pu  faire,  —  formule  ter- 
rible, digne  du  Comité  de  salut  public  et  du  Tribunal 
révolutionnaire,  —  il  fut  condamné  à  mort.  Les  juges 
l'avaient  recommandé  à  la  clémence  royale  ;  Richelieu 
avait  envoyé  une  déclaration  en  sa  faveur.  Le  roi  et  ses 
ministres  crurent  que  le  salut  public  justifiait  cett3  exécu- 
tion, barbare  et  inutile.  Byng  fut  fusillé  à  bord  du 
Monarch,  le  14  mars  1757.  \ 

Ce  n'était  pas  en  vue  de  la  reprise  possible  de  Port- 
Mahon  qu'il  était  nécessaire  de  retremper  les  esprits  en 
Angleterre  par  cet  acte  d'énergie  sauvage.  La  France 
fut  la  première  à  oublier  sa  conquête.  La  Galissonnière 
était  mort  ;  Richelieu  était  parti  pour  la  campagne  de 
Hanovre  ;  la  malheureuse  alliance  autrichienne  nous 
enfonçait  de  plus  en  plus  dans  les  affaires  allemandes. 
Qui  songeait  encore  à  Port-Mahon  et  au  comte  de  Lan- 
nion  qu'on  avait  abandonné  au  milieu  de  la  Méditer- 
ranée, comme  plus  tard  Bonaparte  devait  abandonner 
Vaubois  à  Malte  ?  Ici  cependant  rien  ne  ressemblait  à 
Aboukir.  Loin  de  là  ;  la  Méditerranée  était  libre,  ou 
plutôt  elle  semblait  nous  appartenir.  Le  2  novembre  1756, 
le  marquis  de  Castries  débarquait  trois  mille  six  cents 
hommes  à  Calvi  et  à  Saint-Florent,  sur  les  côtes  de  la 
Corse  ;  il  était  parti  d'Antibes  sous  l'escorte  de  trois 
frégates  et  de  deux  chebecs  que  commandait  M.  Mar- 
quisan  ^^  ;  car,  bien  avant  Choiseul,  la  France,  alliée  à 
Gênes,  était  intervenue,  à  maintes  reprises,  dans  les 
démêlés  de  la  République  et  de  ses  sujets  insulaires. 
Quelle  admirable  position  nous  avions  au  cœur  de  la 
Méditerranée  avec  ce  beau  triangle,  dont  les  sommets, 


10.  Nombreux  documents  sur  cette  expédition  ;  en  particulier.  lettres 
de  M.  Sibon,  capitaine  de  port  à  Toulon  :  A.  M.,  B*  72.  —  Dans  la  divi- 
sion navale  de  Marquisan.  Chabert  Cogolln  commandait  la  Topaze. 


298  LA   MARINE    MILITAIRE    SOUS    LOUIS    XV. 

formés  de  rades  de  premier  ordre,  s'appellent  Toulon, 
Port-Mahon,  Saint-Florent  ! 

Avant  d'aller  à  ]\Iinorque,  on  s'était  demandé  ce  qu'on 
ferait  de  cette  île,  quand  elle  aurait  été  conquise.  Paris- 
Duverney,  moins  connu  comme  intendant  de  l'Ecole 
militaire  et  homme  politique  que  comme  financier,  avait 
adressé  au  comte  d'Argenson,  ministre  de  la  Guerre,  un 
Mémoire  sur  Vusage  quon  doit  faire  de  Vile  de  Minorque 
après  la  conquête  (mars  1756).  Peu  optimiste,  mais  juste- 
ment clairvoyant,  il  disait  que  l'Angleterre  ne  pourrait 
pas  être  assez  malheureuse,  au  cours  de  la  guerre  qui 
commençait,  pour  ne  pas  obtenir,  lors  de  la  signature  de 
la  paix,  la  restitution  de  Port-Mahon.  «  C'est  une  vérité 
essentielle  de  laquelle  il  faut  nécessairement  partir.  » 
Son  avis  était  de  combler  le  port,  pour  que  les  Anglais 
ne  pussent  plus  s'en  servir.  La  Galissonnière  estimait  à 
un  million  de  francs  ces  travaux  de  comblement  ;  peut- 
être  était-ce  beaucoup,  car  le  goulet  d'entrée  entre  le 
fort  Saint-Philippe  et  le  lazaret  a,  dans  sa  partie  la  plus 
étroite,  au  plus  trois  cents  mètres.  Richelieu  avait  été 
d'avis  aussi  que  ce  projet  devait  être  écarté  ;  à  quoi  bon 
détruire  les  avantages  d'une  position  exceptionnelle,  si 
la  France  pouvait  s'en  emparer  ? 

Maîtres  de  Minorque,  nous  ne  songeâmes  pas,  en  effet, 
à  en  combler  le  port  ;  mais  Mahon  avait  été  un  don  de 
la  puissance  navale  et  ne  pouvait  rester  notre  bien  que 
grâce  à  la  puissance  navale.  Sans  une  bonne  escadre 
pour  nettoyer  les  côtes  de  l'île,  surveiller  les  vaisseaux 
qui  venaient  de  Gibraltar  et  surtout  garder  ses  commu- 
nications avec  Toulon,  le  plus  habile  gouverneur  était 
condamné  à  l'avance  à  remettre  un  jour  Minorque  aux 
Anglais.  L'histoire  de  l'administration  militaire  et  civile 
du  comte  de  Lannion  et  du  marquis  de  Frémeur,  qui  le 
remplaça  pendant  quelque  temps,  et  que  secondèrent  des 


GUERRE   DE    SEPT   ANS.    —   LA   GALISSONNIÈRE.         299 

officiers  d'un  réel  mérite,  comme  le  comte  de  Maudave, 
est  intéressante  en  elle-même  ;  elle  méritait  d'être  tirée 
de  l'oubli,  comme  on  l'a  fait  dans  un  livre  récent  ".  Mais 
elle  est  la  meilleure  preuve  que  la  possession  de  Minorque 
et  de  Port-Mahon  ne  dépendait  pas  des  canons  du  fort 
Saint-Philippe  ;  elle  dépendait  de  l'empire  de  la  mer. 

Après  avoir  croisé  un  mois  environ  (juillet-août  1756) 
dans  les  parages  du  cap  Mola  et  de  l'île  d'Ayre,  après 
avoir  capturé  quelques  tartanes  de  Palma  ou  de  Barce- 
lone qui  apportaient  des  provisions  aux  Français,  Hawke 
s'était  éloigné.  Quelques  frégates  purent  alors  entrer  à 
Port-Mahon,  où  la  question  du  ravitaillement  se  posa  dès 
le  premier  jour  d'une  manière  inquiétante.  On  avait 
songé  à  établir  des  relations,  à  cause  du  voisinage,  avec 
Majorque,  avec  la  côte  de  Valence  et  avec  la  Catalogne  ; 
mais  la  proximité  de  Gibraltar  permit  aux  Anglais  de 
mettre  toute  cette  région  en  un  état  de  blocus  à  peu  près 
permanent,  et  il  fut  impossible  à  notre  colonie  de 
Minorque  d'avoir  des  relations  suivies  avec  les  caboteurs 
espagnols. 

Au  milieu  de  1757,  la  garnison  française  put  craindre 
un  danger  plus  sérieux.  Quatorze  vaisseaux  anglais  se 
présentèrent  devant  Mahon.  Une  frégate  française,  la 
Nym.phe,  dut  se  jeter  à  la  côte,  dans  une  anse  de 
Majorque  ;  son  commandant,  M.  de  L'Isle  Calian,  fut 
réduit  à  la  brûler  pour  ne  pas  la  laisser  prendre  par 
l'ennemi  (20  juin  1757)  ;  une  autre,  la  Juiion,  avait 
éprouvé  de  si  graves  avaries  qu'on  dut  la  désarmer  et  la 
vendre.  L'escadre  anglaise  se  montra  ensuite  devant 
Toulon,  fit  une  descente  à  Bormes,  un  peu  à  l'est 
d'Hyères,  et  y  enleva  quelques  bestiaux.  Il  était  heureux 
qu'elle  se  fût  bornée  à  cette  manifestation,  qu'on  ne  pou- 

11.  GuiLLON,  ouvrage  cité. 


/ 


300  LA  MARINE  MILITAIRE  SOUS  LOUIS  XV. 

vait  songer  à  réprimer  :  il  y  avait  en  tout,  dans  la  rade 
de  Toulon,  six  vaisseaux  sous  le  commandement  de  La 
Clue.  Huit  autres,  qui  étaient  dans  le  port,  reçurent 
aussitôt  l'ordre  d'armer  ;  mais  il  manquait  plus  de  deux 
cents  canons  et  un  très  grand  nombre  d'hommes  d'équi- 
page. Les  Anglais  disparurent  à  leur  aise,  comme  ils 
étaient  venus. 


Il  n'y  aurait  pas  d'intérêt  à  poursuivre  davantage  l'his- 
toire maritime  de  notre  occupation  de  Minorque  et  à 
noter  les  rares  convois  de  vivres,  de  munitions,  les 
quelques  détachements  de  soldats,  qui  pénétrèrent  de 
loin  en  loin  dans  la  rade  de  Port-Mahon.  Français  et 
Anglais  semblaient  se  désintéresser  de  la  question  de 
Minorque.  Chez  nous,  où  la  victoire  de  La  Galissonnière 
avait  été  saluée  par  tant  de  joie,  l'enthousiasme  était 
tombé,  on  ne  s'intéressait  plus  à  la  marine,  qui  était  déci- 
dément trop  malheureuse  ;  on  savait  bien  qu'il  faudrait 
rendre  Minorque.  Chez  les  Anglais,  leurs  victoires  répé- 
tées sur  toutes  les  mers  les  avaient  convaincus  qu'au 
moment  de  la  paix  ils  reprendraient  Minorque  d'un 
simple  trait  de  plume  ;  ce  n'était  pas  la  peine  de  faire  les 
frais  d'une  expédition  spéciale. 

Lors  de  la  signature  du  pacte  de  famille  (15  août  1761), 
la  France  s'engageait  à  restituer  Minorque  à  l'Espagne, 
le  jour  où  cette  puissance  déclarerait  la  guerre  à  l'Angle- 
terre ;  mais  les  malheurs  de  tous  genres  qui  accablèrent 
les  alliés  à  la  fm  de  la  guerre  de  Sept  ans  rendirent  cette 
promesse  vaine.  Les  articles  xn  et  xxiv  du  traité  de  Paris 
enjoignaient  à  la  France  de  restituer  à  Sa  Majesté  Bri- 
tannique, dans  un  délai  de  trois  mois,  l'île  de  Minorque 
et  le  fort  Saint-Philippe,  «  dans  le  même  état  où  ils  se 
sont  trouvés  lorsque  la  conquête  en  a  été  faite  par  les 
armes  du  Roi  Très  Chrétien,  et  avec  l'artillerie  qui  y 


I 


GUERRE   DE    SEPT   ANS.    —   LA   GALISSONNIÈRE.         301 

était  lors  de  la  prise  de  ladite  île  et  dudit  fort.  »  Le 
4  juin  1763,  le  lieutenant  général  Pusignieu,  qui  avait 
remplacé  le  comte  de  Lannion,  mort  à  Mahon  au  mois 
d'octobre  précédent,  faisait  la  remise  officielle  de  la  place 
et  de  l'île  à  l'amiral  Brest.  Le  lendemain,  il  partait  pour 
Toulon,  emmenant  sur  deux  vaisseaux,  le  Tonnant  et 
YHector,  sur  la  frégate  la  Chimère,  tout  ce  qui  restait  de 
la  garnison  française. 

La  Chimère,  c'est  un  nom  symbolique  pour  cette  expé- 
dition de  1756  :  la  marine  et  l'armée  y  avaient  fait  vail- 
lamment leur  devoir,  elle  avait  fait  battre  d'enthousiasme 
le  cœur  de  la  France,  et  elle  se  terminait  dans  le  plus 
lamentable  avortement.  Que  reste-t-il  pour  rappeler 
aujourd'hui  le  souvenir  de  cette  belle  page,  trop  peu 
connue  ^  ?  «  Porl-Mahon  »  est  le  nom  d'une  rue  de  Paris  ; 
la  mayonnaise  est  le  nom  d'une  sauce,  la  sauce  à  la 
Mahon  ! 

12.  La  Galissonnière  était  le  nom  d'un  cuirassé  de  croisière  ;   il  a  été 

rayé  de  la  liste  de  la  flotte  en  1894.  Sa  dernière  campagne  avait  été  celle 

de  rExtrême-Orient  (1884-1885),  où  il  faisait  partie  de  l'escadre  de 
'.'amiral  Courbet. 


CHAPITRE  XVII 

GUERRE  MARITIME  DE  SEPT  ANS  SUR  LA  MÉDITERRANÉE. 

2°  LA  CLUE 


La  Clue  et  Du  Quesne  à  Carthagène.  —  Projet  de  jonction  des  escadres 
de  La  Clue  et  de  Conilans.  —  Bataille  navale  de  Lagos.  —  M.  de  Sa- 
bran  Grammont. 

L'expédition  de  ^linorque,  les  deux  campagnes  de 
M.  de  La  Clue,  toutes  deux  malheureuses  :  c'est  là  toute 
l'histoire  de  notre  marine  de  guerre  dans  la  Méditerranée 
pendant  la  guerre  de  Sept  ans. 

Le  8  novembre  1757,  La  Clue  Sabran,  monté  sur 
l'Océan,  appareillait  de  la  rade  des  îles  d'Hyères  avec 
une  escadre  de  six  vaisseaux.  Depuis  la  journée  de 
Minorque,  où  il  avait  commandé  l'arrière-garde  de  La 
Galissonnière,  ce  chef  d'escadre  était  rentré  au  port  de 
Toulon  ;  avec  la  difficulté  de  recruter  des  équipages,  il 
lui  avait  fallu  attendre  près  d'un  an  pour  armer  ces  six 
vaisseaux.  Il  avait  la  mission  de  les  conduire  à  Saint- 
Domingue,  puis  à  Louisbourg  ;  mais  il  ne  devait  pas 
même  sortir  de  la  Méditerranée.  A  la  nouvelle  que 
l'escadre  anglaise  du  vice-amiral  Osborne  gardait  le 
détroit  de  Gibraltar,  il  était  allé  s'abriter  à  Carthagène  ; 
il  y  attendait  des  renforts  qui  devaient  venir  de  Toulon. 

On  continuait,  en  effet,  à  armer  dans  ce  port.  Deux 
vaisseaux  et  une  frégate  furent  prêts  d'abord  et  sortirent 


GUERRE   DE    SEPT   ANS.    —    LA    CLUE.  303 

SOUS  les  ordres  de  M.  de  Motheux  ;  partis  le  13  jan- 
vier 1758,  ils  rejoignaient  heureusement  à  Carthagène 
l'escadre  de  La  Clue.  Le  chef  d'escadre  Du  Quesne  de 
Menneville  devait  suivre  ;  mais  pour  pouvoir  armer  trois 
vaisseaux  et  une  frégate,  on  n'eut  d'autres  ressources  que 
de  prendre  les  équipages  de  la  division  de  M.  de  Sabran, 
quand  elle  rentra  du  Levant  à  la  fin  de  février. 

Il  faut  lire  les  rapports  des  intendants  du  port  de 
Toulon  pour  voir  à  quel  point  l'indiscipline  et  la  déser- 
tion étaient  alors  les  fléaux  de  la  marine  provençale.  Il 
faut  entendre  aussi  les  paroles  énergiques  du  chevalier 
de  Mirabeau  à  M.  de  Moras,  quand  il  refusa  le  comman- 
dement d'une  petite  escadre  qu'on  devait  armer  à  Tou- 
lon 1  :  «  C'est,  monsieur,  que  ma  vie  est  au  roi,  et  non 
pas  mon  honneur.  On  a  manqué  de  parole  aux  matelots 
d'une  manière  inouïe.  Le  défaut  de  paiement  de  ces 
misérables  est  une  cruauté,  excusée  ici  par  la  nécessité, 
sans  doute,  mais  marquée  par  des  détails  qui  font  frémir 
quand  on  les  a  sous  les  yeux,  et  qui  ont  rendu  le  mécon- 
tentement universel  sur  cette  côte.  L'armement  de  M.  Du 
Quesne  lui  a  manqué  dans  la  main  devant  l'ennemi  ;  je 
ne  puis  ni  ne  veux  m'exposer  à  un  pareil  sort.  » 

Du  Quesne  et  sa  petite  division  étaient  arrivés  le 
27  février  devant  Carthagène.  La  Clue,  qui  disposait  à 
ce  moment  d'un  ensemble  de  treize  voiles,  voulut  réparer 
ces  longs  retards  et  reprendre  la  mer  dès  le  lendemain 
même.  Mais  la  brise  écarta  du  mouillage  les  quatre 
navires  de  Du  Quesne  et  les  fit  donner  contre  l'escadre 
d'Osborne,  qui  rôdait  dans  ces  parages.  L'action  se  passa 
si  vite,  dans  la  malinée  du  28  février,  que  La  Clue  n'eut 
pas  le  temps  de  sortir  de  Carthagène  pour  y  prendre 
part.  VOrphée,  de  soi:sanle-quatre  canons,  dut  se  rendre 

1   LOMÉNiE,  Les  Mirabeau,  t.  I,  p.  237. 


304  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS    LOUIS   XV. 

presque  tout  de  suite.  Le  Foudroyant,  de  quatre-vingts 
cenons,  malgré  son  nom,  malgré  le  souvenir  de  La  Galis- 
sonnière,  malgré  le  nom  de  son  commandant,  petit- 
neveu  du  grand  Du  Quesne,  ne  fit  pas  non  plus  toute  la 
résistance  dont  il  était  capable  ;  il  amena  son  pavillon  au 
Monmouth,  d'une  artillerie  mxoins  puissante  ;  c'était,  dit 
un  historien,  Goliath  vaincu  par  David.  Les  deux  autres 
bâtiments  furent  plus  heureux.  La  frégate  la  Pléiade  put 
regagner  Toulon  et  VOrillamme  se  retirer  à  Garthagène. 
La  joie  des  Anglais  fut  grande  d'avoir  entre  leurs  mains 
le  commandant  du  Foudroyant,  qui  avait  été  leur  pire 
ennemi  dans  son  gouvernement  du  Canada. 

Tout  ce  que  La  Clue  pouvait  désirer  à  présent,  c'était 
de  procurer  aux  dix  bâtiments  qui  lui  restaient  le  sort 
de  la  Pléiade.  Devant  les  dix-huit  vaisseaux,  les  six 
frégates  et  les  deux  corvettes  qu'Osborne  et  Saunders 
faisaient  croiser  auprès  de  Gibraltar,  c'eût  été  folie  de 
songer  à  forcer  le  détroit.  Le  ministre  donna  ordre  à  La 
Clue  de  rentrer  à  Toulon  ;  il  y  était  de  retour  le 
26  avril  1758,  six  mois  environ  après  son  départ.  Cette 
triste  campagne  nous  avait  coûté  deux  vaisseaux  ;  elle 
avait  montré  que,  malgré  Minorque,  dont  nous  ne  faisions 
rien,  nous  étions  prisonniers  dans  la  Méditerranée,  que 
les  escadres  anglaises  pouvaient  parcourir  en  toute 
liberté. 

Cependant,  à  n'importe  quel  prix,  il  fallait  sortir  de 
cette  prison  maritime.  Dans  l'état  d'épuisement  où  était 
la  France,  une  seule  chose  pouvait  encore  la  sauver,  la 
descente  en  Angleterre  des  escadres  combinées  de  Toulon 
et  de  Brest.  C'était  le  grand  projet  tant  de  fois  esquissé  ; 
le  moment  était  bien  tardif,  les  circonstances  peu  favo- 
rables ;  mais  c'était  la  chance  suprême.  Choiseul,  Belle- 
Isle,  Berryer,  estimèrent  que,  malgré  tout,  il  fallait  la 


GUERRE   DE    SEPT   ANS.    —   LA   CLUE.  305 

tenter,  ou  sinon  signer  tout  de  suite  la  paix  aux  condi- 
tions dictées  par  le  vainqueur.  La  Clue  reçut  la  mission 
périlleuse  de  conduire  à  Brest,  pour  les  joindre  à 
l'escadre  de  M.  de  Conflans,  les  douze  vaisseaux  et  les 
trois  frégates  du  port  de  Toulon.  La  campagne  précé- 
dente avait  révélé  chez  lui  des  qualités  assez  médiocres 
pour  un  commandant  en  chef  ;  mais  l'état-majot*,  qui 
s'appauvrissait  comme  toute  la  marine,  n'offrait  pas  le 
choix  entre  beaucoup  d'officiers  généraux. 

La  Clue  n'avait  pu  mettre  à  la  voile  que  le  5  août  1759. 
Pendant  les  mois  de  mai  et  de  juin,  les  amiraux  Brode- 
rick  et  Boscawen,  avec  vingt-trois  vaisseaux  et  frégates, 
étaient  venus  pousser  les  reconnaissances  les  plus  auda- 
cieuses sur  les  côtes  de  Provence.  Les  Anglais,  à  la  diffé- 
rence des  commandants  français  qui  ne  sortaient  que  de 
loin  en  loin  pour  de  courtes  croisières,  tenaient  toujours 
la  mer  et  insultaient  partout  les  côtes  de  France.  A  l'anse 
des  Sablettes,  c'est-à-dire  à  la  porte  même  de  Toulon, 
Broderick  et  Boscawen  avaient  isolé  et  canonné,  cinq 
heures  durant,  deux  bâtiments  français,  VOiseau  et  la 
Pléiade.  Sans  avoir  été  inquiétés  eux-mêmes,  ils  avaient 
fini  par  se  retirer.  Quand  La  Clue  eut  à  peu  près  ses  équi- 
pages au  complet  et  qu'il  vit  la  mer  libre,  il  mit  à  la 
voile  2  ;  son  vaisseau  était  l'Océan,  de  quatre-vingts 
canons. 

La  traversée  de  la  Méditerranée  se  fit  sans  incidents  ; 
mais  le  17  août,  dans  les  eaux  de  Gibraltar,  qui  nous 
furent  si  souvent  fatales,  l'escadre  française  fut  décou- 
verte par  Boscawen  :  il  attendait  sa  proie.  La  Clue  s'ima- 
gina qu'une  marche  rapide  lui  permettrait  d'échapper  à 
cet  adversaire,  à  qui  l'attentat  de  1755,  la  prise  de  Louis- 


2.  Voir   rAppendice   IX.    —   Documents   sur    cette   campagne    :    A.    M., 
B*  90,  et  dossier  La  Clue. 

20 


306  LA   MARINE    MILITAIRE    SOUS    LOUIS    XV. 

bourg  en  1758  et  sa  croisière  toute  récente  sur  les  côtes 
de  Provence  avaient  fait  une  réputation  de  singulière 
audace.  L'Océan  était,  en  effet,  bon  marcheur  ;  poussé 
par  le  vent  d'est,  il  avait  des  chances  de  n'être  pas 
rejoint.  Malheureusement,  dans  les  opérations  de  ce 
genre,  rinégaliîé  de  vitesse  est  aussi  fâcheuse  pour  les 
bons  marcheurs,  qui  sont  rapidement  isolés,  que  pour  les 
mauvais  marcheurs,  qui  se  font  prendre  tout  de  suite. 

Pour  tromper  Boscawen,  Y  Océan  avait  éteint  ses  feux 
d3  poupe.  Les  commandants  français,  qui  ne  pouvaient 
plus  voir  leur  chef,  ne  comprirent  pas  le  signal  qui  leur 
fut  fait,  au  milieu  de  la  nuit  (17-18  août),  de  forcer  de 
voiles  et  de  continuer  dans  la  direction  ouest-nord-ouest. 
Un  ordre  antérieur  avait  indiqué  la  relâche  et  le  rallie-, 
ment  à  Cadix  ;  cinq  vaisseaux  et  trois  frégates  de  notre 
arrière-garde,  —  le  Fantasque,  le  Lion,  le  Triton,  le 
Fier,  VOrillamme,  la  Chimère,  la  Minerve,  la  Gracieuse, 
—  que  Boscawen  avait  commencé  à  canonner  le  18  août, 
à  partir  de  trois  heures  du  matin,  prirent  le  parti  de  se 
conformer  à  cet  ordre.  Ils  errèrent  tout  un  jour  à  la 
recherche  de  Y  Océan  ;  convaincus  qu'ils  le  retrouveraient 
à  Cadix,  ils  y  abordèrent  le  19.  Ils  y  furent  aussitôt 
blcqués  par  Broderick.  Ce  fut  seulejxient  quatre  mois  et 
demi  plus  tard,  le  2  janvier  1760,  qu'ils  purent  s'échapper, 
sous  le  commandement  de  Castillon  cadet,  pour  ramener 
en  France  les  équipages  des  vaisseaux  brûlés  à  Lagos  ; 
ils  étaient  de  retour  à  Toulon  le  17  janvier  (1760). 

Quant  à  La  Clue,  dont  les  forces  étaient  réduites  dans 
la  matinée  du  18  août  à  sept  vaisseaux  en  tout,  il  avait 
a  présent  derrière  lui  toute  l'escadre  ennemie.  Les  Fran- 
çais s'avançaient  sur  une  ligne,  attaqués  sur  les  deux 
bords  par  les  Anglais.  L'Océan  se  défendit  avec  une 
extrême  vigueur  ;  en  une  demi-heure,  il  démâta  le 
Namur,  de  cent  quatre  canons,  de  Boscawen,  qui  était 


GUERRE   DE    SEPT   ANS.    —   LA    CLUE.  307 

venu  se  mettre  par  son  travers  à  une  portée  de  fusil  ; 
l'amiral  anglais  dut  passer  avec  son  pavillon  sur  le 
Newark.  V Océan  avait  lui-même  beaucoup  souffert  ; 
toutes  ses  manœuvres  étaient  coupées  ;  il  avait  près  de 
cent  blessés,  environ  quatre-vingt-dix  morts,  dont  six 
officiers.  La  Clue  une  jambe  cassée,  l'autre  grièvement 
blessée,  avait  dû  se  faire  remplacer  à  un  moment  par  le 
comte  de  Carné  Marcein. 

Cependant,  cinq  vaisseaux  anglais  s'étaient  acharnés 
contre  le  Centaure,  de  soixante-quatorze  canons,  com- 
mandant M.  de  Sabran  Grammont,  qui  avait  été  canonné 
le  premier  :  deux  cents  morts  ou  blessés,  trois  cents  bou- 
lets dans  la  coque,  son  commandant  couvert  de  neuf 
blessures,  la  mâture  entièrement  rasée,  tel  fut  pour 
l'héroïque  vaisseau  le  résiiltaf  d'un  combat  de  cinq 
heures.  De  Gibraltarj  où  il  avait  été  conduit  prisonnier, 
M  de  Sabran  adressa  un  rapport  au  ministre,  le 
26  août  1759,  sur  le  combat  soutenu  par  le  Centaure. 
Dans  sa  simplicité,  c'est  une  des  plus  belles  pages  de 
notre  histoire  navale. 

J'avais  pris,    dit-il,    toutes  mes   dispositions   <(   pour 
pouvoir  faire  la  plus  longue  résistance  qu'il  me  serait 
possible  et  donner  par  là  le  temps  à  l'escadre  de  s'éloi- 
gner, pendant  que  j'occupais  le  plus  grand  nombre  des 
ennemis...  Pendant  que  je  faisais  aux  ennemis  tout  le 
mal  que  je  pouvais,  ils  m'en  faisaient  encore  davantage. 
Sur    les    six    heures,    toutes    mes    manœuvres    étaient 
hachées,  mes  voiles  emportées  ou  criblées  de  coups,  ma 
;  grande  vergue  brisée...  Mon  maître  calfat  vint  m'avertir 
•  que  j'avais  quatre  pieds  d'eau  dans  la  cale  et  qu'il  y  avait 
!  nombre  de  voies  d'eau.  L'état  où  je  me  voyais  réduit  ne 
I  fit  rien  changer  à  la  résolution  que  j'avais  prise  de  t^ir 
1  bon  jusqu'à  la  dernière  extrémité.  Je  voyais  avec  quelque 
'  satisfaction  notre  escadre  s'éloigner  et  la  plus  grande 


308  LA   MARINE    MILITAIRE    SOUS    LOUIS    XV. 

partie  de  celle  des  Anglais  décidée  à  ne  pas  les  poursuivre 
que  je  ne  fusse  rendu.  Je  me  flattais  qu'une  défense 
opiniâtre  de  ma  part  pourrait  les  sauver.  Si  j'ai  réussi, 
c'est  un  bien  grand  adoucissement  à  mes  peines...  A  sept 
heures  et  demie,  comme  la  nuit  allait  commencer,  mon 
calfat  revint  pour  m'avertir  que  j'avais  plus  de  six  pieds 
d'eau  dans  la  cale,  qu'elle  augmentait  à  chaque  instant, 
et  qu'une  partie  de  mes  poudres  était  mouillée  :  je  me 
rendis.  » 

Après  avoir  fait  l'éloge  de  ses  officiers.  Provençaux 
comme  lui-même,  qui  furent  blessés  à  ses  côtés,  le  capi- 
taine en  second  Castellane  La  Valette  le  jeune,  les  lieute- 
nants Faudran  de  Taillade,  Raimondis  Canaux,  Guiran 
de  La  Brillane,  Gantés,  Sabran  ajoutait  : 

«  Quant  à  mon  équipage,  il  est  difficile,  j'ose  même 
dire  impossible  que  l'on  puisse  être  mieux  armé  que  je 
l'étais,  et  qu'on  trouve  ailleurs  plus  de  bravoure  et  de 
fermeté  dans  le  soldat  et  dans  le  matelot.  Ils  étaient  tous 
animés  du  même  esprit.  Pas  un  seul  n'a  quitté  son  poste, 
et  tous  ont  combattu  avec  la  valeur  la  plus  déterminée. 

«  J'ai  défendu,  monseigneur,  mon  vaisseau  autant 
qu'il  m'a  été  possible.  J'ai  tenu  jusqu'au  dernier  moment. 
Je  n'ai  amené  le  pavillon  que  lorsque  le  danger  était 
pressant  ;  j'ai  cru  ne  devoir  pas  sacrifier  autant  de  braves 
gens  que  ceux  que  j'avais  sous  mes  ordres  et  qui  avaient 
si  bien  fait  leur  devoir.  Si  j'ai  pu  mériter  votre  estime, 
mon  malheur  m'en  paraîtra  moins  grand.  » 

Tandis  que  ces  admirables  marins  du  Centaure 
s'offraient  en  sacrifice  pour  le  salut  de  l'armée  navale, 
la  chasse  continuait  toujours  ;  VOcéan  et  ses  matelots  se 
bornaient  à  échanger  de  loin  quelques  coups  de  canon. 
Dans  la  nuit  du  18  au  19,  nouvelle  désagrégation  de  nos 
forces  de  plus  en  plus  réduites.  Le  Guerrier,  soixante- 
quatorze    canons,    de    M.    de    Rochemore   La    Devèze, 


GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  LA  CLUE. 


3O9 


s'échappa  au  nord-ouest,  gagna  Lisbonne,  puis  Roche- 
fort  ;  chemin  faisant,  il  avait  rançonné  pour  troij  miUo 
livres  sterhng  un  navire  anglais,  la  Galère  de  Gênes.  Le 
Souverain^  soixante-quatorze  canons,  de  M.  de  Pannat, 
s'échappa  au  sud-ouest  jusqu'aux  Canaries  ;  il  devait 
tenir  la  mer  pendant  près  de  deux  mois  ;  le  10  octobre, 
quand  il  rentrait  à  Rochefort,  il  livrait  encore  un  combat. 
Quoi  de  plus  décousu  que  la  bataille  de  M.  de  La  Clue  ! 
Elle  durait  depuis  environ  quarante-huit  heures  :  le 
chef  ne  savait  ni  donner  ni  faire  respecter  un  ordre 
d'ensemble,  et  chacun  ne  pensait  plus  qu'à  assurer  soi- 
même  son  propre  salut.  Ce  n'était  plus  une  escadre  qui 
combattait  ;  c'étaient  des  vaisseaux  isolés  qui  se  déro- 
baient dans  toutes  les  directions. 

Le  19  au  matin,  il  n'y  avait  plus  autour  de  VOcéan  que 
le  Redoutable  (soixante-quatorze  canons,  M.  de  Saint- 
Aignan),  le  Téméraire  (soixante-quatorze  canons,  M.  de 
Castillon)  et  le  Modeste  (soixante-quatre  canons,  M.  Du 
Lac  de  Montvert).  C'était  toute  l'escadre  de  l'amiral  fran- 
çais. La  Clue  ne  songea  plus  qu'à  se  réfugier  dans  les 
eaux  neutres  du  Portugal  ;  il  alla  s'embosser  entre  la 
baie  de  Lagos  et  le  cap  Saint-Vincent.  Boscawen  se  sou- 
ciait peu  de  la  neutralité  des  eaux  portugaises  ;  il  devi- 
nait à  l'avance  que  Pitt  pardonnerait  tout  à  sa  belle 
victoire  et  qu'il  suffirait,  d'écrire  au  petit  Portugal  une 
lettre,  non  d'excuses,  mais  d'explications  :  de  minimis 
non  curât  prœtor.  Donc  l'amiral  anglais  fondit  sur  sa 
proie.  VOcéan  et  le  Redoutable  essayèrent  encore  de 
lui  échapper  en  se  jetant  à  la  côte  ;  ils  furent  pris  et 
brûlés  ;  le  comte  de  Carné  Marcein,  dix  officiers,  cent 
soixante  hommes  de  l'Océan,  qui  n'avaient  pas  eu  le 
temps  de  fuir,  furent  faits  prisonniers  ;  pour  La  Clue,  il 
avait  pu  se  faire  transporter  à  Lagos.  Les  deux  derniers 


310  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS    LOUIS   XV. 

vaisseaux  français,  le  Modeste  et  le  Téméraire,  furent 
amarinés  par  l'ennemi. 

Ainsi  se  termina  dans  les  eaux  de  Lagos,  qui  lui 
donna  son  nom,  cette  terrible  chasse  de  trois  jours  (17- 
19  août  1759),  commencée  dans  les  eaux  de  Gibraltar. 
Les  mêmes  lieux  ne  voient  pas  toujours  les  mêmes 
scènes.  C'était  à  la  hauteur  de  Lagos  que  Tourville  avait 
frappé  sur  une  flotte  anglo-hollandaise  un  des  plus  beaux 
coups  de  sa  glorieuse  carrière  ;  mais  les  temps  n'étaient 
plus  où  l'on  pouvait,  comme  en  1693,  inscrire  sur  une 
médaille  cette  belle  devise  :  A  la  splendeur  maritime  de 
la  France. 

L'opinion  publique  fut  sévère  en  France  pour  les 
officiers  de  la  bataille  de  Lagos,  sauf  pour  M.  de  Sabran, 
qui  fut  fêté  à  Toulon,  à  Paris,  à  la  cour,  honoré  d'une 
pension  du  roi.  Sabran  est  un  nom  à  retenir,  comme  le 
dit  avec  raison  un  bon  juge,  le  commandant  Mahan  :  la 
défense  du  Centaure  montre  tout  ce  que  peut  faire  une 
arrière-garde  pour  retarder  une  poursuite.  Mais  pour  les 
camarades  du  héros,  on  alla  jusqu'à  parler  de  «  couar- 
dise »,  de  «  désaffection  à  la  patrie  »,  d'  «  oubli  du 
devoir  ».  L'écho  de  cette  opinion  et,  ce  qui  est  plus  inté- 
ressant, de  l'opinion  des  vainqueurs  se  retrouve  dans 
deux  lettres  de  M.  Abbe,  chirurgien-major  du  Centaure, 
fait  prisonnier  par  les  Anglais  et  emmené  à  Gibraltar. 

".  Je  ne  saurais  vous  celer  la  conversation  que  je  viens 
d'avoir  avec  le  lieutenant  anglais  qui  a  mis  le  feu  à 
l'Océan.  Cet  homme  m'a  assuré  que  s'il  avait  été  capable 
ae  faire  une  aussi  mauvaise  manœuvre  et  une  aussi  petite 
défense  que  nos  vaisseaux  l'ont  faite,  il  se  serait  pendu 
sur-le-champ.  Il  est  certain  qu'il  a  raison...  Si  le  roi  veut 
avoir  une  marine,  qu'il  commence  par  avoir  de  meilleurs 
marins  et  surtout  de  meilleurs  soldais...  Je  n'ai  vu,  au 


GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  LA  CLUE.        311 

contraire,  dans  la  conduite  du  commandant  du  Centaure 
que  de  la  valeur  et  de  l'héroïsme... 

«  Les  Anglais  tiennent  ici  les  propos  les  plus  humi- 
liants contre  notre  nation...  Ils  regardent  nos  officiers 
comme  des  moucherons  et  ils  les  désignent  par  le  terme 
de  cadets  de  famille  qui  craignent  la  fumée  de  la  poudre. 
Ils  n'exceptent  de  cette  classe  que  M.  de  Sabran... 
M.  de  Sabran  a  reçu  à  Gibraltar  tous  les  honneurs 
auxquels  il  pouvait  s'attendre  de  la  part  de  gens  qui  nous 
détestent.  Gela  prouve  que  les  Anglais,  tout  nos  ennemis 
qu'ils  sont,  respectent  la  valeur  et  la  chérissent.  »  Un 
officier  anglais  avait  dit  au  chirurgien-major  <(  que  sa 
nation  avait  des  grandes  obligations  à  Louis  XV  de  faire 
construire  d'aussi  beaux  vaisseaux,  parce  qu'elle  était 
assurée  de  s'en  emparer  bien  vite,  si  on  ne  prenait  pas 
des  arrangements  pour  les  mieux  conduire...  On  dit  pis 
que  pendre  de  M.  de  Saint-Aignan  et  de  nombre  d  oilîciers 
subalternes...  Groyez-moi  :  employez  tous  vos  soins  à 
engager  le  ministre  de  faire  bâtir  un  vaste  monastère, 
où  il  y  ait  bon  feu,  grande  chère  et  bien  du  plaisir,  pour 
y  retirer  la  meilleure  partie  de  ses  officiers  de  marine,  et 
qu'il  se  retourne  de  tout  un  autre  sens  pour  tâcher  de 
les  troquer  contre  d'autres.  Sans  quoi,  tout  est  dit.  » 

Rentré  en  France,  après  être  resté  environ  quatre  mois 
en  Portugal  et  en  Espagne  pour  se  guérir  de  ses  bles- 
sures, I-^a  Glue  essaya  de  justifier  sa  propre  conduite  en 
accusant  auprès  du  ministre  les  capitaines  qui  avaient 
fait  route  pour  Gadix.  «  Je  leur  demande  qui  est-ce  qui 
a  pu  les  induire  en  erreur.  Je  n'ai  fait  qu'une  même  route 
et  un  seul  signal.  Pourquoi  ont-ils  quitté  leurs  rangs 
dans  les  colonnes  où  ils  doivent  marcher  ?  Je  ne  dis  rien 
des  frégates  qui  marchent  sans  ordres.  Je  n'ai  plus  qu'un 
mot  à  vous  dire,  monseigneur  :  les  six  plus  anciens  capi- 
taines se  sont  tenus  dans  leurs  rangs  et  ne  m'ont  point 


312  LA   MARINE    MILITAIRE    SOUS    LOUIS    XV. 

quitté.  Ce  sont  les  cinq  derniers  qui  se  sont  écartés, 
lesquels  doivent  être  condamnés.  C'est  peut-être  la 
première  fois  de  la  vie  que  l'on  a  voulu  rendre  respon- 
sable le  commandant  d'une  escadre  de  la  séparation  de 
ses  vaisseaux.  J'espère,  monseigneur,  que  lorsque  ces 
messieurs  seront  rendus  en  France,  vous  leur  deman- 
derez les  raisons  de  leur  séparation  ;  je  vous  dirai  les 
miennes,  et  vous  nous  jugerez  ^.  » 

Deux  ans  plus  tard,  le  22  décembre  1761,  La  Clue 
faisait  parvenir  au  duc  de  Choiseul,  qui  venait  de  prendre 
le  ministère  de  la  Marine,  un  récit  détaillé  de  sa  malheu- 
reuse campagne  ;  il  disait  encore  que  le  désastre  était 
arrivé  parce  que  la  moitié  de  ses  vaisseaux  l'avait  aban- 
donné. ((  Je  suis  persuadé,  monseigneur,  que  vous  me 
trouverez  malheureux,  mais  point  coupable.  Il  est  des 
événements  à  la  guerre  que  la  prudence  humaine  ne 
peut  pas  prévoir.  C'est  ici  un  malheur  arrivé  par  le 
caprice  seul  de  la  fortune.  J'espère  que  lorsque  vous 
serez  informé  de  la  vérité,  vous  me  ferez  la  grâce  de 
m'accorder  votre  estime.  »  Choiseul  ne  tint  pas  longtemps 
rigueur  au  malheureux  chef  d'escadre  ;  quand  La  Clue 
prit  sa  retraite  en  1764,  il  reçut  les  provisions  de  lieute- 
nant général. 

La  Clue  imputait  le  désastre  à  la  fortune.  La  vraie 
cause  de  son  malheur  était  dans  un  série  de  fausses 
manœuvres  et  surtout  dans  l'absence  d'une  direction  maî- 
tresse. Il  n'y  avait  pas  à  invoquer  des  causes  honteuses  : 
parmi  les  capitaines,  les  uns  s'étaient  retirés  à  Cadix, 
parce  qu'ils  s'étaient  trompés  de  route  ;  les  autres 
s'étaient  dérobés,  parce  qu'ils  s'étaient  sentis  isolés.  La 
Clue  n'avait  été  ni  lâchement  abandonné  ni  trahi  par  ses 
officiers.  Mais  ni  La  Clue  ni  ses  officiers  n'avaient  l'habi- 

3.  D'Aix,  le  21  décembre  1759. 


GUERRE  DE  SEPT  ANS.  LA  CLUE.        313 

tude  de  manœuvrer  en  escadre,  puisqu'ils  ne  naviguaient 
pour  ainsi  dire  jamais.  Leur  infériorité  professionnelle, 
en  face  d'un  ennemi  très  exercé,  explique  le  sauve-qui- 
peut  qui  caractérise  ces  tristes  journées. 

Le  projet  de  descente  était  devenu  impossible,  puis- 
qu'il dépendait  de  la  jonction  des  deux  escadres  de  la 
Méditerranée  et  du  Ponant  ;  la  campagne  de  1759  était 
donc  fmie.  Non,  hélas  !  Elle  allait  avoir  bientôt  une 
journée  plus  douloureuse  encore,  la  bataille  du  20  no- 
vembre, la  bataille  de  M.  de  Conflans. 

On  peut  lire  aux  Archives  de  la  Marine  un  plan  de 
campagne  pour  l'année  1762,  annoté  de  la  main  du  duc 
de  Choiseul  ^  :  il  y  est  question  de  plusieurs  croisières  à 
établir  dans  la  Méditerranée  ;  mais  toute  l'ambition  du 
moment,  qui  ne  fut  pas  même  réalisée,  était  de  protéger 
notre  commerce  sur  la  côte  de  Barbarie  et  de  donner  la 
chasse  aux  navires  anglais  qui  viendraient  pour  s'y  ravi- 
tailler. 

Un  autre  mémoire,  beaucoup  plus  intéressant,  est 
intitulé  :  Reconnaissance  de  Gibraltar,  laite  au  mois 
d'avril  1762,  d'après  laquelle  on  hasarde  quelques  obser- 
vations sur  les  moyens  de  former  une  entreprise  utile  sur 
cette  lorteresse  s.  C'est  une  enquête  topographique  très 
détaillée,  suivie  de  tout  un  projet  d'attaque.  Gibraltar  et 
Minorque  :  c'étaient  bien  là  les  données  essentielles  de 
la  question  maritime  sur  la  Méditerranée.  La  Galisson- 
nière  avait  victorieusement  résolu  la  première  partie  du 
problème  ;  où  était,  où  sera  un  autre  La  Galissonnière 
pour  en  résoudre  de  même  la  seconde  partie  ? 

4.  B*  104. 

5.  A.  M.,  B*  182.  fol,  3-16. 


CHAPITRE  XVIII 

GUERRE   MARITIME   DE    SEPT   ANS    SUR    L  ATLANTIQUE. 
V    PROJETS    CONTRE    LES   ILES   NORMANDES 


L'escadre  de  Brest.  —  Le  duc  d'Aiguillon,  gouverneur  de  la  Bretagne. 
—  Les  îles  normandes.  —  Projets  contre  Jersey. 


La  guerre  qui  se  lit  sur  la  Méditerranée  de  1756  à  1763 
svait  débuté  par  l'expédition  de  Minorque  ;  après  ce 
grand  coup  frappé  par  notre  marine,  les  campagnes  de 
la  Méditerranée  n'avaient  plus  offert  que  des  événements 
d'une  importance  secondaire,  qui  ne  se  rattachaient  que 
d'une  manière  indirecte  à  l'histoire  militaire  de  cette  mer. 
Port-Mahon  avait  été  un  début  plein  de  promesses,  mais 
ces  promesses  ne  s'étaient  point  réalisées. 

Les  campagnes  de  la  Manche  et  de  l'Atlantique,  pen- 
dant la  guerre  de  Sept  ans,  n'eurent  pas  même  cette 
aurore  chargée  d'espérances.  Pendant  trois  ans  environ, 
de  1756  à  1759,  sur  nos  côtes  de  Normandie,  de  Bretagne 
et  d'Aunis,  on  songea  à  un  grand  projet  contre  l'Angle- 
terre. Quand  on  se  décida  à  en  tenter  l'exécution,  après 
je  ne  sais  combien  de  retards  et  de  contretemps,  ce  fut 
pour  éprouver  un  grand  désastre  ;  ce  désastre  ruina  tout 
ce  qu'on  avait  préparé  et  il  nous  mit  dans  la  dure  néces- 
sité de  différer  jusqu'à  une  guerre  future  la  reprise  de 
cette  idée  militaire.  Sur  l'Océan,  tout  avait  été  subor- 


GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  LES  ILES  NORMANDES.   315 

dcnné  à  une  tentative  ;  la  ruine  de  cette  tentative  amena 
la  ruine  de  notre  marine. 

A  l'époque  où  l'on  armait  à  Toulon,  dans  les  premiers 
mois  de  1756,  l'escadre  de  La  Galissonnière,  une  autre 
escadre  était  équipée  dans  la  rade  de  Brest  ;  elle  se  com- 
posait de  douze  vaisseaux  de  ligne  et  de  quatre  frégates, 
sous  les  ordres  de  M.  de  Conflans,  lieutenant  général,  et 
du  chevalier  de  Bauffremont,  chef  d'escadre.  Elle  immo- 
bilisait dans  la  Manche  une  partie  des  forces  des  Anglais, 
par  la  crainte  qu'elle  leur  inspirait  d'une  descente  pro- 
chaine. Malheureusement,  l'escadre  de  Brest  et  le  projet 
de  descente  ne  devaient  être  pendant  trois  ans  qu'un 
épouvantail  chimérique  :  les  vaisseaux  de  M.  de  Conflans 
ne  sortirent  de  la  rade  qu'en  1759.  Cela  seul  est  une 
preuve  de  l'imprévoyance  ou  de  l'inintelligence  qui  pré- 
sidait à  nos  hostilités  avec  les  Anglais. 

Au  moment  même  où  la  guerre  maritime  commen- 
çait, rien  n'était  prêt  sur  les  côtes  de  Bretagne,  ni  pour 
prendre  l'offensive  contre  les  ennemis,  ni  même  pour 
prévenir  leurs  tentatives  de  descentes.  Le  chevalier  de 
La  Cardonnie  avait  été  chargé,  en  1756,  d'élever  dans  l'île 
d'Ouessant  quelques  ouvrages  fortifiés  ;  on  n'avait  pas 
pris  d'autre  mesure  pour  défendre  les  approches  de 
Brest. 

Quel  triste  témoignage  à  cet  égard  que  la  lettre  sui- 
vante !  Elle  est  datée  du  Croisic,  le  24  mars  1756,  et 
adressée  au  maréchal  de  Belle-Isle  i,  qui  exerçait,  depuis 
le  30  décembre  précédent,  le  commandement  général  de 
toutes  les  côtes  de  l'Océan. 

«  Nous  ne  sommes  nullement  prêts  à  les  recevoir  [les 
Anglais],  et  je  vois  avec  douleur  que  nous  n'y  serons  pas 

1.  A.   M.,   B*  74,  fol.   55. 


316  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS    LOUIS    XV. 

de  longtemps.  Je  n'ai  jamais  plaint  ni  mes  peines  ni  mes 
pas,  mais  il  est  triste  de  se  donner  bien  des  mouvements 
inutilement  et  d'être  chargé  d'une  besogne  qui  sera  tou- 
jours mauvaise,  quelques  soins  qu'on  prenne  pour  la 
rendre  bonne...  Il  n'y  a  aucune  batterie  dans  la  province 
qui  soit  armée  ;  du  Poitou  à  Brest  et  de  Brest  en  Nor- 
mandie, il  n'y  a  pas  une  livre  de  poudre  sur  la  côte,  un 
boulet,  ni  un  affût...  Il  faut  tout  demander  à  Brest,  qui 
n'est  pas  fort  bien  approvisionné,  et  qui,  de  plus,  ne  peut 
rien  donner  sans  ordre  du  ministre.  Si  cet  arrangement 
subsiste,  il  est  impossible  que  nous  soyons  en  état  de 
nous  défendre  avant  la  fm  de  l'année...  N'ayez  point 
d'inquiétude  sur  nous,  monsieur  le  maréchal  ;  nous 
lâcherons  de  vous  prouver  que  nous  sommes  dignes  de 
vous,  et  j'espère  que  si  l'occasion  se  présente,  vous  ne 
nous  désavouerez  pas  pour  vos  enfants...  Mais  aidez- 
nous,  je  vous  conjure,  et  donnez-nous  les  moyens  de  vous 
faire  honneur.  » 

L'auteur  de  cette  lettre  était  mieux  placé  que  personne 
pour  savoir  la  vérité  sur  la  désorganisation  matérielle 
où  se  trouvait  alors  la  défense  de  nos  côtes  de  l'Océan  ; 
il  n'est  autre  que  le  duc  d'Aiguillon,  gouverneur  de  la 
province  de  Bretagne.  Le  nom  de  cet  arrière-petit-neveu 
du  cardinal  de  Richelieu  fait  penser  tout  de  suite  à 
l'adversaire  du  parlement  de  Bretagne  et  au  successeur 
de  Choiseul,  sur  le  compte  duquel  l'histoire  a  trop  faci- 
lement peut-être  accueilli  les  accusations  de  ses  ennemis  ; 
il  ne  rappelle  pas  assez  d'ordinaire  le  nom  du  vaillant 
officier  qui  avait  servi  en  Piémont  dans  la  guerre  de  la 
Succession  d'Autriche  et  qui,  appelé  au  gouvernement 
de  la  Bretagne,  consacra  toute  son  énergie  à  préparer 
la  guerre  contre  les  Anglais.  Marié  à  la  fille  du  comte 
de  Plélo,  le  général  qui,  malgré  les  méchants  propos  de 
ses  ennemis,  se  couvrit  de  gloire  à  Sainl-Cast,  était  digne 


GUERRE  DE  SEPT  ANS.  LES  ILES  NORMANDES.   317 

d'appartenir  à  la  famille  du  héros  qui  se  fît  tuer  à  Danzig. 
Il  faut  parcourir  sa  correspondance  conservée  aux 
Archives  de  la  Marine  pour  savoir  tout  ce  qu'il  mit  d'intel- 
ligence et  d'opiniâtreté  à  poursuivre  un  but  qu'il  ne  put 
atteindre,  car  les  circonstances  ne  lui  permirent  jamais 
d'exécuter  ses  desseins.  La  reconnaissance  de  la  patrie 
ne  va  pas  seulement  à  ceux  qui  ont  combattu  pour  sa 
gloire  ;  elle  va  aussi  à  ceux  qui,  sans  avoir  eu  ce  bonheur, 
ont  tout  fait  pour  préparer  la  victoire  ou  conjurer  les 
désastres.  A  ce  titre,  elle  ira  au  duc  d'Aiguillon,  quand 
on  connaîtra  mieux  son  rôle  militaire  comme  gouver- 
neur de  la  Bretagne  à  l'époque  de  la  guerre  de  Sept  ans. 

Environ  un  an  et  demi  après  l'ouverture  des  hostilités, 
la  situation  n'avait  pas  sensiblement  changé  ;  l'escadre 
de  Brest  était  toujours  en  état  d'armement,  et,  en  fait, 
elle  n'était  pas  encore  prête  à  prendre  la  mer.  Le  comte 
de  Conflans  informait  le  duc  d'Aiguillon  de  cette  triste 
situation,  dans  une  lettre  écrite  de  Brest  le  27  sep- 
tembre 1757  : 

«  Si  mon  escadre  avait  été  armée  et  composée  comme 
on  me  l'avait  dit,  jamais  les  ennemis  n'auraient  osé  sortir 
de  leurs  ports  ;  il  fallait  à  cor  et  à  cris  de  l'argent  pour 
remplir  cet  objet  et  le  préméditer  de  longue  main.  On 
aurait  pu  avoir  les  hommes,  les  canons,  la  poudre  et  les 
ustensiles  qui  manquent.  Mais  au  lieu  de  cela,  on  a  laissé 
faire  la  course,  et  l'intérêt  particulier  l'a  emporté  sur  ce 
qui  était  juste  et  raisonnable  pour  le  bien  de  l'État  et 
nous  a  fait  perdre  sept  à  huit  mille  matelots,  qui  nous 
seraient  à  présent  bien  nécessaires  2.  Ce  n'est  pas 
manque,  monsieur,  que  je  n'aie  représenté  bien  des  fois 


2.  Au  1"  janvier  1757,  on  comptait  à  Bayonne  31  bâtiments  de  corsaires 
et  14  à  Saint-Jean-de  Luz.  Ces  45  bâtiments  étaient  armé^  de  552  pièces  de 
canon  ;  ils  étaier-t  montés  par  7  103  hommes.  Ducéré,  Histoire  maritime 
de  Bayonne  ;  les  corsaires  sous  l'ancien  régime  ;  1895  ;  p.  269. 


318  LA  MARINE   MILITAIRE   SOUS   LOUIS   XV. 

toules  ces  choses  et  les  malheurs  qui  en  pourraient 
résulter.  Le  bien  de  la  marine  ne  doii  pas  être  perdu  un 
moment  de  vue,  sans  quoi  c'est  jouer  le  sort  et  les  avan- 
tages du  royaume  ^.  » 

Le  port  de  Brest  fut  encore  témoin,  pendant  les 
années  1756,  1757,  1758,  de  ce  spectacle  qu'il  avait  offert 
en  1734  et  en  1735,  quand  on  avait  fait  semblant  d'armer 
les  vaisseaux  de  Du  Guay-Trouin  ;  c'étaient  à  présent  les 
vaisseaux  de  M.  de  Conflans  qui  servaient  à  ces  manifes- 
tations platoniques.  Les  Anglais  ne  les  prenaient  plus  au 
sérieux  ;  en  France,  ceux  qui  s'intéressaient  à  la  marine 
en  souffraient  cruellement  pour  leurs  espérances  déçues 
qI  leur  patriotisme  humilié.  On  ne  pouvait  plus  invoquer, 
comme  à  l'épogue  de  la  Succession  de  Pologne,  le  désir 
de  ménager  nos  alliés  d'Angleterre  ;  les  masques  étaient 
lombes  :  c'était  partout,  en  Europe,  sur  mer,  aux  colo- 
nies, la  guerre  ouverte  entre  les  Anglais  et  les  Français. 
Mais  l'argent  manquait  ;  ce  qui  manquait  surtout,  c'était 
la  volonté  énergique  de  tirer  parti,  dune  manière 
sérieuse,  des  ressources  dont  on  pouvait  encore  disposer. 
Dans  ces  premières  années,  notre  situation  maritime  sur 
l'Océan,  sans  répondre  ni  aux  nécessités  de  la  guerre  ni 
à  l'état  réel  de  notre  marine,  était  loin  d'être  désespérée  ; 
mais  à  quoi  aboutir  avec  des  tergiversations  perpétuelles  ? 
On  ne  dira  jamais  assez  à  quel  point  le  manque  d'une 
volonté  forte  et  persévérante  fut  fatal  à  notre  marine  pen- 
dant ces  années  décisives. 

Chaque  été  «  l'envie  de  fournir  de  l'étoffe  à  nos  gaze- 
tiers  »  faisait  parler  d'armements  au  port  de  Brest. 
En  1758  il  était  encore  question  d'armer  le  Soleil  Royal 


3.  A.  M,,  B"  74,  fol.  103-104.  Conflans  ajoutait  en  post-scriptura  :  «  Je 
viens  de  m'ouvrir  à  vous,  monsieur  le  duc,  avec  confiance.  Je  vous  prie 
de  brûler  ma  lettre,  quand  vous  l'aurez  lue.  » 


GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  LES  ILES  NORMANDES.   319 

«  ce  magnifique  vaisseau  qu'on  paraît  avoir  consacré  à 
représenter  tous  les  étés  dans  cette  rade,  malgré  le  désir 
extrême  que  M.  de  Confians  a  toujours  eu  d'en  faire  un 
meilleur  usage  ;  mais  voilà  infailliblement  tout  ce  à  quoi 
aboutiront  tous  ces  grand  mouvements,  à  moins  que 
quelque  génie  créateur  n'intervienne  pour  forcer  tous  les 
obstacles  que  la  misère  des  temps  va  opposer  désormais 
à  tous  nos  projets,  vilaine  perspective  à  tous  égards,  et 
qui  ne  peut  que  nous  procurer  des  événements  bien 
opposés  à  ceux  par  lesquels  nous  avions  commencé  cette 
guerre  ^.  » 

La  France  avait  inauguré  la  guerre  dans  la  Méditer- 
ranée par  l'expédition  de  Minorque  ;  on  put  croire  qu'elle 
allait  l'inaugurer  de  même  dans  la  Manche  par  une  expé- 
dition contre  les  îles  Normandes,  qui  aurait  été  la  préface 
de  l'expédition  d'Angleterre.  Quand  Philippe  Auguste 
avait  confisqué  la  Normandie  à  Jean-sans-Terre,  il  avait 
omis  de  mettre  la  main  sur  les  îles  qui  en  formaient  une 
dépendance  géographique  et  historique.  Charles  V,  qui 
a  tant  fait  pour  délivrer  la  France  des  Anglais,  essaya  de 
réparer  la  faute  de  son  prédécesseur  ;  à  un  moment, 
en  1368,  des  mercenaires  espagnols  au  service  de  la 
France  avaient  occupé  Guernesey.  Mais  le  règne  de 
Charles  V  et  plus  tard  la  guerre  de  Cent  ans  se  termi- 
nèrent, sans  que  les  îles  Normandes  eussent  fait  retour 
à  la  Normandie. 

Tant  que  la  France  s'enferma  dans  les  questions  de 
politique  continentale,  elle  n'eut  pas  trop  à  se  préoccuper 
des  conséquences  de  la  négligence  de  Philip]>e  Auguste 
et  de  l'insuccès  de  Charles  V  ;  mais,  à  partir  du  jour  où 


4.  Notes  anonymes  sur  Brest,  V  f-^'^vrier-lO  mars  1758.  A.  M.,  B*  74,  fol.  121 
et  suiv. 


320  LA  MARINE   MILITAIRE    SOUS    LOUIS   XV. 

elle  songea  à  dominer  sur  la  Manche,  elle  apprit  à  ses 
dépens  quelle  faute  elle  avait  faite  de  laisser  à  ses  rivaux 
des  positions  aussi  importantes  et  aussi  voisines.  Il  suffit 
de  jeter  les  yeux  sur  la  carte  pour  comprendre  la  valeur 
militaire  de  cet  archipel,  qui  s'avance  comme  un  coin 
entre  le  Cotentin  et  la  Bretagne,  surveille  à  la  fois  Gran- 
ville   et   Saint-Malo,    coupe   les   communications   entre 
Cherbourg  et  Brest.  Jersey  est  à  peine  à  vingt-cinq  ou 
trente  kilomètres  de  la  côte  française  et  Aurigny,  à  une 
quinzaine  de  kilomètres  environ  du  cap  de  la  Hague. 
D'autre  part,  cette  proximité,  si  dangereuse  pour  les  côtes 
de  France,  paraissait  mettre  ces  îles  à  la  merci  d'un  coup 
de  main  ;  quelques  heures  suffisaient  à  des  corsaires 
malouins  pour  partir  des  bords  de  la  Rance  et  apparaître 
devant  Saint-Hélier.  Aussi  peut-on  s'étonner  qu'il  faille 
arriver  jusqu'aux  premières  années  de  la  guerre  de  Sept 
ans  pour  entendre  parler  d'une  expédition  sur  Jersey  ; 
et  encore,  ce  ne  fut  qu'un  projet,  qui  n'entra  jamais  dans 
la   phase   d'exécution.    On   n'en   connaîtrait   rien   sans 
quelques    documents    conservés    aux    Archives    de    la 
Marine. 

Elles  renferment  une  instruction  pour  le  duc  d'Aiguil- 
lon, signée  du  roi  et  du  maréchal  duc  de  Belle-Isle  (Ver- 
sailles, 23  novembre  1756)  :  le  gouverneur  de  Bretagne 
était  chargé  d'exécuter  sur  l'île  de  Jersey  une  entreprise 
dont  il  avait  lui-même  tracé  à  l'avance  le  projet  5.  II 
s'agissait  de  transporter  à  Saint-Hélier  un  corps  de  six 
mille  hommes  ;  le  départ  était  fixé  au  18  janvier  suivant 
(1757),  l'attaque  devait  avoir  lieu  dans  la  nuit  du  18  au  19. 
On  comptait  si  bien  sur  le  succès  que  le  duc  d'Aiguillon 
était  invité  à  préparer  dès  lors  une  entreprise  sur  Guer- 
nesey,  qui  devait  suivre  la  première. 

5,  A.  M..  B  *  74.  fol.   14-17. 


GUERRE   DE    SEPT   ANS.    —   LES   ILES   NORMANDES.       32l 

Divers  documents  se  rapportent  à  cette  affaire.  Il  en 
résulte  que,  malgré  l'instruction  du  23  novembre,  les 
préparatifs  militaires  n'étaient  pas  terminés  et  que 
l'adhésion  du  ministre  de  la  Marine,  —  à  cette  époque 
Machault  d'Arnouville,  —  sans  lequel  l'opération  deve- 
nait irréalisable,  était  loin  d'être  assurée.  Bientôt 
d'Aiguillon  était  informé  qu'il  ne  pouvait  compter  sur  le 
concours  d'un  hardi  corsaire,  François  Thurot,  qui,  dans 
le  plan  primitif,  devait  prendre  part  à  l'expédition  avec 
deux  frégates.  Vivement  contrarié  à  cette  mauvaise  nou- 
velle, il  écrivit  à  Belle-Isle,  le  24  décembre  : 

((  Vous  imaginerez  aisément  toute  la  peine  que  j'en 
ressens,  vu  que  notre  expédition  est  totalement  manquée 
si  nous  ne  les  avons  pas,  et  j'en  suis  d'autant  plus  fâché 
que  plus  j'entre  dans  les  détails  de  cette  opération,  plus 
je  suis  informé  de  l'état  actuel  de  ces  îles,  plus  je  connais 
la  possibilité,  la  facilité  et  comme  la  certitude  du  succès. 
Si  j'étais  moins  jeune,  si  je  ne  craignais  point  de  passer 
pour  téméraire,  je  vous  proposerais  encore  de  hasarder 
l'entreprise  avec  la  simple  escorte  de  trois  corsaires  de 
vingt-quatre  canons,  qui  sont  actuellement  armés  à 
Saint-Malo  ou,  du  moins,  qui  le  seront  avant  le  20  jan- 
vier, et  il  y  a  dix  contre  un  à  parier  que  je  réussirais, 
pourvu  que  le  secret  continue  à  être  gardé  comme  il  Fa 
été  jusqu'à  présent.  »  Il  proposait  de  différer  la  date  du 
départ  jusqu'au  4  février,  de  manière  à  permettre  à 
Thurot  de  se  procurer  l'argent,  les  canons,  les  munitions 
qui  lui  faisaient  défaut.  Cette  lettre  très  pressante  se 
terminait  ainsi  :  «  Donnez-moi  l'ordre  de  partir.  Guidé 
par  votre  étoile,  animé  par  le  désir  de  vous  plaire  et  de 
travailler  à  votre  gloire,  j'arriverai  et  je  réussirai. 
Décidez,  ordonnez,  et  j'exécuterai.  » 

A  cette  date,  le  projet  tout  entier  était  abandonné  à 
Versailles,  par  le  fait  de  l'opposition  du  ministre  ;  Belle- 

21 


f  322  LA   MARINE    MiOTAIRE    SOUS    LOUIS    XV. 

Isle  en  informait  d'Aiguillon,  dans  une  lettre  du  20  dé- 
cembre 17o6,  sans  donner  d'ailleurs  les  raisons  de 
Machault.  «  Je  vois,  lui  disait-il,  que  les  nouvelles  que 
vous  veniez  de  recevoir  de  Jersey  étaient  très  satisfai- 
santes et  que  tout  nous  promettait  le  succès  de  cette  expé- 
dition. Vous  aurez  vu,  par  la  lettre  que  je  vous  écrivis 
hier,  comme  pense  le  ministère  à  ce  sujet  et  combien  il 
€sl  agréable  de  former  des  projets.  Votre  lettre  augmente 
l'humeur  que  j'avais  déjà,  mais  je  suis  trop  vieux  pour 
ne  pas  la  réprimer.  )>  Cependant  Belle-Isle  tenait  à  en 
appeler  du  ministre  de  la  Marine  au  roi.  «  Je  vais  mettre 
votre  lettre  dans  ma  poche,  je  vous  promets  d'en  faire  la 
lecture  au  roi  avant  qu'il  sait  vingt-quatre  heures.  Je  sais 
bien  que  cela  ne  changera  pas  la  disposition,  mais  je  suis 
bien  aise  de  confirmer  dans  l'esprit  de  Sa  Majesté  que 
ce  projet  n'était  pas  une  vision.  » 

Le  gouvernement  renonçait  donc  au  projet  de  descente 
à  Jersey  ;  mais  pour  les  marins  de  Saint-Malo  et  de 
Granville,  c'était  comme  une  idée  fixe  de  tenter  de 
détruire  le  repaire  des  contrebandiers  et  des  corsaires 
qui  infestaient  les  côtes  de  la  Bretagne  et  du  Cotentin. 
En  mai  1756,  un  négociant  de  Granville,  Quinette  de  La 
Hogue,  adressait  au  ministre  divers  documents  sur  un 
projet  d'expédition  rx)ntre  Jersey  ^.  Deux  ans  et  demi 
plus  tard,  en  décembre  1758,  des  armateurs  de  Saint- 
Malo  proposaient  d'exécuter  cette  entreprise  avec  sept 
ou  huit  navires  armés  en  course  ;  ils  offraient  de  se 
charger  de  tous  les  frais  de  transport,  armements,  etc. 
Le  rapport  qui  fut  rédigé  sur  cette  proposition  dans  les 
bureaux  de  la  Marine  n'était  pas  d'avis  d'y  donner  suite. 
Si  cette  conquête  réussit,  elle  «  ne  fera  qu'une  légère 
sensation  en  Angleterre...  Nous  devons  plutôt,  pour  le 

6    A.  M..  B  *  300,  foL  79  et  sulv. 


GUERRE  DE  SEPT  ANS.  LES  ILES  NORMANDES.   323 

présent,  songer  à  défendre  nos  possessions  que  chercher 
à  en  acquérir  de  nouvelles  '\  »  C'était  toujours  cette  atti- 
tude, purement  défensive,  qui  devait  coûter  si  cher  à  la 
marine  et  au  pays. 

Du  moins,  en  tentant  cette  expédition,  on  ne  se  lançait 
pas  dans  l'inconnu.  Les  moindres  accidents  de  la  topo- 
graphie des  îles  avaient  été  soigneusement  relevés  dans 
des  cartes  et  plans  de  toute  nature  ;  les  endroits  les  plus 
favorahles  au  débarquement,  les  points  fortifiés  avaient' 
été  décrits  dans  les  enquêtes  les  plus  détaillées  ;  les  devis 
les  plus  minutieux  avaient  été  dressés  pour  établir  toutes 
les  dépenses.  Quand  on  parcourt  aujourd'hui  ces  dos- 
siers, pour  la  plupart  si  bien  informés  et  si  précis,  on  a 
peine  à  comprendre  qu'on  n'ait  jamais  rien  tenté,  car 
le  succès  paraissait  immanquable  ^  ;  mais  il  faut  tenir 
compte  de  l'épuisement  de  notre  marine  et  surtout  de 
l'incohérence  de  notre  politique. 

Malgré  tout,  le  duc  d'Aiguillon  revenait  toujours  à 
cette  idée.  Les  Archives  possèdent,  à  la  date  de  1759,  un 
dossier  volumineux,  composé  de  notes  et  de  brouillons 
écrits  de  sa  main,  entrant  dans  les  détails  les  plus  circons- 
tanciés sur  les  divers  services  militaires  qui  devaient 
concourir  à  l'expédition.  Le  maréchal  de  Belle-Isle,  à 
qui  il  soumettait  ces  projets,  pouvait  d'autant  mieux  les 
soutenir  qu'il  était  à  présent  ministre  de  la  Guerre  ;  il 
les  approuva,  mais  seulement  dans  une  certaine  mesure. 
Il  rappelait  au  gouverneur  de  la  Bretagne,  dans  une  lettre 
du  9  janvier  1759,  combien  il  avait  regretté,  deux  années 
auparavant,  que  «  des  intrigues  »  aient  fait  manquer  ce 
projet.  Pour  le  moment,  il  était  d'avis  de  se  borner  à 
«  une  simple  in^uption  d'un  coup  de  main  sans  établis- 


7.  A.  M.,  B*  74,  fol.  35  et  suiv. 

8.  Voir,  en  particulier,  les  documents  réunis  dans  Le  volume  B  "  &2,  îol.  115 
et  suiv. 


324  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS    LOUIS   XV. 

sèment  »  ;  il  ne  fallait  pas  se  laisser  détourner  par  une 
expédition  secondaire  en  somme,  quoique  intéressante, 
d'une  entreprise  bien  autrement  importante,  le  grand 
projet  sur  l'Angleterre,  qui  était  à  la  veille  d'être  réalisée. 
Du  moins,  que  l'on  exécute  «  une  incursion  brillante  et 
qui  fasse  payer  au  double  à  l'ennemi  les  dommages  qu'il 
nous  a  faits  en  Bretagne...  » 

Même  réduit  à  ces  proportions  modestes,  le  projet  sur 
Jersey  ne  put  être  exécuté,  faute  de  quatre  frégates  que 
le  ministre  Berryer  ne  put  pas  ou  ne  voulut  pas  prêter. 
]^jme  ^^  Pompadour  ne  put  vaincre  à  cet  égard  l'opposi- 
tion de  Berryer,  qui  était  cependant  tout  à  sa  dévotion. 
«  Et  enfin  le  résultat  est  que  le  diable  se  mêle  de  cette 
affaire,  que  voilà  la  troisième  fois  qu'elle  manque  et  qu'il 
faut  y  renoncer,  du  moins  pour  cette  année.  Je  ne  puis 
assez  vous  dire  combien  j'en  suis  fâché  et  le  plaisir  que 
je  me  faisais  de  l'incursion  que  vous  auriez  faite,  et  je 
partageais  de  tout  mon  cœur  avec  vous  celui  de  la  ven- 
geance. » 

Belle-Isle  comprenait  et  partageait  le  désappointement 
de  d'Aiguillon  :  <(  Je  vous  passe  les  premières  vingt- 
quatre  heures  d'humeur,  mais  il  ne  faut  pas  qu'elle  aille 
plus  loin.  »  Comme  pour  le  consoler  de  ce  mécompte,  il 
lui  montrait  tout  ce  qu'il  y  avait  encore  à  faire  pour 
mettre  Brest  en  état  de  défense.  On  craint,  disait-il,  une 
attaque  des  Anglais  sur  cette  ville  pour  le  mois  de  mars, 
((  le  ministère  anglais  étant  averti  que  toutes  les  batteries 
du  port,  de  la  rade  et  des  parties  collatérales  sont  désar- 
mées et  qu'une  partie  des  troupes  sont  éloignées...  Le 
succès  de  l'ennemi  dans  cette  partie  nous  porterait  un 
coup  mortel,  qui  serait  totalement  irréparable  ^.  »  Pour- 


9  A.   M.,  B*  7'i.  Lettres  de  Belle-lsle  du  9  janvier  1759,  du  25  et  du 
29  Janvier,  du  "^  février. 


GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  LES  ILES  NORMANDES.   325 

rait-on  imaginer  quelque  chose  de  plus  triste  que  cet 
aveu  découragé  :  Brest  à  la  merci  d'un  coup  de  main, 
ses  remparts  sans  canons  et  incapables  de  résistance, 
alors  que  la  guerre  maritime  durait  déjà  depuis  trois 
ans  !  D'ailleurs,  le  danger  qu'on  craignait  pour  Brest  ne 
se  produisit  pas  ;  les  Anglais  ne  tentèrent  point  de 
débarquer  sur  cette  partie  des  côtes  de  Bretagne.  Ce  fut 
sur  mer  que  la  France  éprouva  quelques  mois  plus  tard, 
dans  les  eaux  de  Quiberon,  le  désastre  qu'elle  redoutait 
sur  terre. 


CHAPITRE  XIX 

GUERRE  MARITIME  DE  SEPT  ANS  Sim  l' ATLANTIQUE, 
2°    DESCENTES  DES  ANGLAIS 


L'espionnage  anglais.  —  Les  Anglais  devant  Rochefort.  —  Seconde 
tentative  de  descente  à  Rochefort.  —  Tentative  contre  Saint-Malo.  — 
Les  Anglais  à  Cherbourg.  —  Les  Anglais  à  Saint-Cast. 

Tandis  que  quelques  Français,  isolés  et  désapprouvés 
à  l'avance  par  le  gouvernement,  préparaient  dans  l'ombre 
de  modestes  projets  d'expédition  qu'on  n'exécutait 
jamais,  le  gouvernement  anglais  lançait  des  corps  de 
débarquement  sur  les  côtes  françaises  de  la  Manche  et 
de  l'Océan.  Pendant  quatre  ans  environ,  de  1757  à  1761, 
les  populations  maritimes  de  l'Aunis,  de  la  Normandie 
et  de  la  Bretagne  vécurent  dans  des  alarmes  continuelles. 
A  lire  les  récits  de  ces  descentes  audacieuses,  où  l'enva- 
hisseur ne  reçut  qu'une  seule  fois  la  leçon  qu'il  méritait, 
on  pourrait  croire  qu'on  était  retourné  aux  années  dou- 
loureuses du  moyen  âge,  où  les  hommes  du  Nord 
venaient  s'établir  aux  embouchures  de  nos  fleuves  et  ran- 
çonner nos  côtes. 

Les  Anglais  étaient  admirablement  renseignés  sur  la 
situation  militaire  de  nos  provinces  maritimes  ;  un  ser- 
vice d'espionnage  très  bien  organisé  leur  permit  d'atta- 
quer à  coup  sûr  les  parties  vulnérables.  Avant  la  rupture 
officielle  de  la  paix  d'Aix-la-Chapelle,  le  gouvernement 
britannique,    convaincu  que  la  guerre  avec  la  France 


GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  DESCENTES  DES  ANGLAIS.   327 

renaîtrait  au  moindre  prétexte,  et  résolu  lui-même  à  la 
rouvrir  à  la  première  occasion,  avait  eu  soin  de  s'enquérir 
de  l'état  des  côtes  de  France.  Comme  l'espionnage  qui 
se  fait  avec  le  plus  de  profit  et  le  moins  de  danger  est 
celui  qui  agit,  pour  ainsi  dire,  au  grand  jour  et  sous 
l'apparence  de  visites  officielles,  des  officiers  anglais, 
affichant  ouvertement  leur  qualité,  demandaient  à  visiter 
nos  ports  de  guerre  pour  une  raison  quelconque  ;  reçus 
avec  courtoisie,  conduits  partout  par  des  gouverneurs 
trop  confiants,  ils  notaient  des  yeux  tout  ce  qui  était  de 
nature  à  les  intéresser  ;  au  retour  de  leurs  visites,  ils 
s'empressaient  de  rédiger  un  rapport  que  l'amirauté 
angioise  mettait  en  lieu  sûr  pour  s'en  servir  au  moment 
favorable. 

Les  choses  ne  se  passèrent  pas  autrement  pour  notre 
port  de  Rochefort,  qui  faillit  à  deux  reprises  tomber  dans 
les  mains  des  Anglais. 

En  1754,  le  capitaine  anglais  Clark,  venant  de 
Gibraltar,  avait  fait  une  sorte  de  reconnaissance  de  notre 
lit! oral  ;  il  avait  voulu  ((  voir,  disait-il,  l'état  des  fortifi- 
cations des  principales  villes  de  France  )>.  Le  récit  de  sa 
visite  à  l'arsenal  de  Rochefort  montre  que  le  gouverneur 
de  cette  place  avait  une  singulière  facilité  à  accueillir  des 
visites  qiie  la  qualité  seule  du  visiteur  aurait  dû  rendre 
suspectes. 

((  Je  voulais  juger  si,  en  cas  de  rupture,  on  pourrait 
faire  réussir  quelques  tentatives...  J'avais  ouï  dire  que 
Rochefort,  quoique  une  place  de  grande  importance, 
avait  été  négligé.  Je  m'y  rendis  et  j'allai  en  uniforme 
voir  le  gouverneur.  Je  m'annonçai  venant  de  Gibraltar 
et  repassant  en  Angleterre.  J'ajoutai  que  ma  curiosité 
me  poussait  à  voir  la  place,  le  port  et  les  vaisseaux.  Il 
fut  très  poli  ;  on  me  montra  tout.  Je  montai  à  bord  d« 
six  vaisseaux  nouvellement  construits  et  un  ingénieur 


328  LA   MARINE    MILITAIRE    SOUS    LOUIS   XV. 

m'accompagna  autour  de  la  place.  Je  fus  surpris  de 
trouver  que,  quoiqu'il  y  ait  un  bon  rempart  avec  un  revê- 
tement, la  plus  grande  partie  n'était  flanquée  qu'avec  des 
redans,  qu'il  n'y  avait  point  d'ouvrages  extérieurs,  point 
de  chemin  couvert...  L'ingénieur  m'a  dit  que  cette  place 
était  restée  dans  cet  état  depuis  soixante-dix  à  quatre- 
vingts  ans.  Je  n'ai  point  de  plan  de  la  place,  je  n'ai  même 
rien  par  écrit  ;  on  m'avait  assez  parlé  de  toute  la  ville,  et 
j'ai  même  trouvé  fort  extraordinaire  qu'on  me  laissât 
aller  partout  et  voir  tout...  »  A  la  fin  de  cette  lettre,  le 
capitaine  Clark  soumettait  ses  observations  personnelles 
en  vue  de  l'attaque  d'une  place  qu'il  connaissait  à  mer- 
veille. Les  Anglais  n'étaient  pas  moins  bien  renseignés 
sur  le  port  de  Brest  ;  ils  possédaient  sur  la  rade  un  plan 
très  exact,  daté  de  1757  i. 

Les  résultats  de  l'enquête  du  capitaine  Clark  avaient 
été  portés  à  la  connaissance  de  William  Pitt,  secrétaire 
d'État,  en  juillet  1757  ;  deux  mois  plus  tard,  les  Anglais 
débarquaient  sur  les  côtes  de  l'Aunis.  L'endroit  était 
bien  choisi  ;  les  renseignements,  malheureusement  trop 
exacts,  de  Clark,  avaient  été  confirmés  par  ceux  d'un 
traître,  le  pilote  Thierry,  qui  connaissait  tous  les  détails 
de  la  navigation  dans  ces  parages  :  il  avait  indiqué  les 
moyens  de  tenter  un  coup  de  main  sur  l'île  d'Aix,  la  plage 
de  Fouras  et  les  chantiers  de  Rochefort. 

Le  7  septembre  1757,  une  flotte  anglaise  mit  à  la  voile 
de  Spithead.  Forte  de  dix-sept  vaisseaux  de  ligne  et 
d'environ  soixante-cinq  bâtiments  de  transport,  elle  était 
sous  les  ordres  des  amiraux  Hawke,  Knowles,  Brode- 
rick  ;  le  premier,  qui  commandait  en  chef,  devait  être, 
deux  ans  plus  tard,  le  vainqueur  de  M.  de  Conflans.  Un 
corps  de  débarquement,  d'une  dizaine  de  mille  hommes, 

1.  A.  M.,  B*  94,  fol.  106-107  :  traduction  de  la  lettre  de  ClarK,  connue 
seulement  en  1760. 


GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  DESCENTES  DES  ANGLAIS.       329 

était  commandé  par  le  général  Mordaunt.  C'était  certes 
plus  qu'il  n'en  fallait  pour  assurer  le  succès.  On  com- 
mençait à  peine,  en  1757,  à  travailler  aux  fortifications 
de  l'île  d'Aix  ;  pour  celles  de  Rochefort,  elles  étaient 
toujours  dans  l'état  où  Clark  les  avait  vues  ;  à  Fouras, 
qui  commande  l'entrée  même  de  la  Charente,  il  n'y  avait 
pas  une  batterie  en  état  et  au  plus  trois  cents  hommes  de 
troupes. 

Sans  avoir  rencontré  aucun  navire  de  guerre,  ni  dans 
la  Manche  ni  dans  les  parages  de  la  Bretagne,  au  cours 
d'une  traversée  qui  ne  dura  cependant  pas  moins  de  treize 
jours,  la  flotte  anglaise  était  signalée  le  20  septembre  au 
soir  dans  les  eaux  du  pertuis  d'Antioche.  Deux  vaisseaux 
français,  le  Prudent  et  le  Capricieux,  qui  étaient  en  rade, 
n'eurent  que  le  temps  de  se  retirer  dans  l'embouchure 
de  la  Charente.  L'apparition  inattendue  de  forces  aussi 
considérables  paralysa  l'énergie  des  défenseurs  de  Roche- 
fort.  Le  commandant  de  la  marine,  M.  de  Guébriant 
Eudes,  et  l'intendant  de  la  marine,  Ruis  Embito  de  La 
Chesnardière  ^\  furent  beaucoup  plus  occupés  de  mettre 
en  lieu  sûr  les  documents  officiels,  les  papiers  de  l'inten- 
dance et  leurs  effets  personnels,  que  de  travailler  à  la 
défense  de  la  place  ;  on  aurait  dit  qu'ils  étaient  con- 
vaincus que  la  reddition  de  la  place  était  fatale  et  qu'ils 
ne  songeaient  qu'à  obtenir  une  capitulation  dans  les 
conditions  les  moins  défavorables. 

Si  les  défenseurs  de  Rochefort  péchèrent  par  excès  de 
prudence  ou  plutôt  par  pusillanimité,  les  Anglais 
péchèrent  par  défaut  d'audace  et  de  rapidité  ;  ils  man- 
quaient aussi  en  partie  du  matériel  nécessaire  à  l'opéra- 

2.  Ruls  Embito  de  La  Chesnardière.  Fils  d'un  lieutenant  de  vaisseau. 
Commis  à  la  cour,  l"  Janvier  1720  ;  commissaire  à  Rochefort.  1"  Jan- 
vier 1732  ;  Intendant  à  Rochefort,  12  juin  1757  ;  à  Brest,  l"  décembre  1770  ; 
-|-  29  mai  1776,  âgé  d'environ  71  ans,  à  Brest.  Etat  sommaire  des  Archives 
de  la  Marine,  p.  123. 


330  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS    LOUIS   XV. 

lion  de  la  descente.  Arrivée  au  pertuis  d'Antioche  le 
mardi  20  septembre,  leur  escadre  ne  mouilla  que  qua- 
rante-huit heures  après,  le  jeudi  22,  devant  Fouras.  Le 
petit  fort  de  Fouras  était  commandé  par  M.  Du  Pin  de 
Belugard,  capitaine  de  vaisseau  3,  qui  avait  à  sa  dispo- 
sition quelques  soldats  et  sept  cents  gardes-côtes  ; 
M.  de  Langeron,  lieutenant  général,  vint  augm.enter 
cete  petite  garnison,  le  vendredi  23  au  matin,  avec  des 
soldats  de  la  m.arine  et  des  Suisses  ;  il  avait  laissé  en 
arrière  huit  cents  hommes,  à  la  position  du  Vergeroux, 
en  amont  de  l'embouchure  de  la  rivière.  Toutes  ces  forces 
étaient  bien  insuffisantes  pour  s'opposer  au  débarque- 
ment d'un  corps  de  dix  mille  hommes  ;  cependant  la  fer- 
meté de  M.  de  Langeron,  son  habileté  à  éparpiller  son 
monde,  pour  grossir  aux  yeux  des  assaillants  le  nombre 
de  ses  troupes,  en  imposèrent  à  l'ennemi  :  rien  ne  fut 
tenté  du  côté  de  Fouras. 

Le  23,  à  midi,  quelques  vaisseaux  anglais  ouvrirent  le 
feu  devant  l'île  d'Aix  ;  l'un  d'eux,  le  Magnanime,  courut 
à  un  moment  un  danger  assez  sérieux,  car  il  faillit 
s'échouer  sur  une  roche  ^.  Mais  cet  accident  ne  nous 
servit  en  rien  ;  les  seize  canons  qui  composaient  la  bat- 
terie de  l'île  furent  promptement  réduits  au  silence. 
L'attaque  de  l'île  d'Aix  et  sa  reddition  avaient  demandé 
cinq  heures  en  tout. 

A  Rochefort,  on  vivait  dans  les  alarmes,  sans  rien 
faire  d'ailleurs  contre  le  danger  grandissant.  Dans  la 
nuit  du  25,  on  s'attendit  à  chaque  minute  à  voir  arriver 
l'ennemi.  C'était  à  l'époque  des  plus  fortes  marées,  le 


3.  Du  Pin  de  Belugard.  Du  Lyonnais.  Fils  d'un  capitaine  de  vaisseau. 
D'abord,  officier  d'infanterie;  LA.,  10  rlécemlire  1720;  C.  t"  avril  17VS  ;  R., 
15  janvier  1762.  A.  M.,  C  '  166. 

4.  Le  commanfl.'int  dn  Afagnanime  étaif  Richard  Howe,  qui  devait  jouer 
un  rôle  Important  dans  la  guerre  d'Amérique  et  livrer  la  bataille  du 
13  prairial  aji  II  (affaire  du  Vengeur). 


GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  DESCENTES  DES  ANGLAIS.   331 

vent  était  à  souhait  ;  du  balcon  de  l'intendance,  on  pou- 
vait, grâce  au  clair  de  lune,  distinguer  toutes  les  évolu- 
tions des  Anglais.  Plusieurs  de  leurs  vaisseaux  s'étaient 
approchés  du  platin  d'Angoulin,  comme  pour  procéder 
au  débarquement  sur  la  plage  de  Chatelaillon.  Cependant 
la  nuit  se  passa,  la  marée  descendit,  et  les  Anglais 
n'avaient  point  bougé.  Ces  alarmes  se  renouvelèrent 
encore  le  26,  le  27  et  le  28.  A  mesure  qu'elles  se  repro- 
duisaient, elles  devenaient  moins  vives,  car  les  retards 
des  Anglais  ne  pouvaient  s'expliquer  que  par  la  peur 
qu'ils  avaient  eux-mêmes  de  tomber  dans  un  piège.  On 
eut  le  temps  d'élever  quelques  retranchements,  de  poster 
quelques  troupes  à  Fouras,  à  Angoulin,  à  Soubise.  Plus 
la  descente  des  Anglais  tardait,  plus  il  y  avait  de  chances 
qu'elle  échouât. 

Enfin,  après  six  jours  entiers  perdus  depuis  la  prise  de 
l'île  d'Aix,  une  galioie  anglaise  vint  attaquer  Fouras  dans 
la  nuit  du  28  au  29  septembre.  Langeron  avait  à  sa  dispo- 
sition deux  chaloupes  canonnières,  qui  tinrent  l'ennemi 
en  respect.  Le  général  anglais,  qui  fit  preuve  d'une 
singulière  timidité,  conclut  de  la  résistance  de  Fouras 
que  le  débarquement  y  était  impossible.  Bref,  le  30  sep- 
tembre, les  navires  anglais,  qui  étaient  dispersés  depuis 
leur  arrivée  entre  l'île  d'Aix  et  la  Charente,  se  réunirent 
de  nouveau  en  escadre,  et,  le  1"  octobre,  ils  reprirent 
tous  la  haute  mer.  Tout  le  résultat  de  la  «  besogne  très 
plate  des  Anglais  ^  »  pendant  les  dix  jours  où  ils  avaient 
croisé  sur  les  côtes  de  l'Aunis  et  de  la  Saintonge,  avait 
été  de  détruire  les  batteries  de  l'île  d'Aix  et  de  s'emparer 


5.  Mot  du  mai-guis  de  Mirabeau  ;  il  était  campé  à  Chatelaillon,  «  en- 
touré, dit-il,  de  figures  de  gardes-côtes  qui  eussent  dotiné  à  Callot  des 
idées  pour  les  caricatures  militaires  ».  Loménie,  Les  Mirabeau,  t.  I. 
p.  243-244.  —  Sur  cette  campagne  navale  des  Anglais  :  Tulau,  «  La  flotte 
anglaise  sur  les  côtes  d'Aunis  et  de  Saintonge  »,  dans  la  Revue  maritime 
et  coloniale,  1892. 


332  LA   MARINE    MILITAIRE    SOUS    LOUIS    XV. 

de  quelques  canons.  En  regagnant  Portsmouth,  la  flotte 
anglaise  perdit  un  navire,  par  le  travers  du  cap  Lizard, 
qui  fut  pris  par  un  corsaire  de  Dunkerque. 

On  comprend  que  cet  avortement  ridicule  ait  causé  en 
Angleterre  un  dépit  d'autant  plus  vif  qu'il  n'avait  d'autre 
cause  que  la  maladresse  des  généraux  mêmes.  Mordaunt 
fut  mis  en  accusation  ;  bien  que  sa  responsabilité  parût 
beaucoup  plus  engagée  que  celle  de  Byng  dans  l'affaire 
de  Port-Mahon,  le  procès  se  termina  par  un  acquittement. 

La  délivrance  inespérée  de  Rochefort  n'avait  pas  tenu 
à  une  autre  cause  qu'à  l'inaction  des  Anglais  ;  s'ils 
s'étaient  donné  la  peine  de  descendre  de  leurs  vaisseaux, 
Rochefort  eût  été  perdu  sans  ressources.  De  ces  tristes 
événements  il  se  dégageait  pour  nous  une  leçon  bien 
claire  :  il  fallait  à  tout  prix  fortifier  les  îles  et  les  pointes 
de  terre  qui  protègent  l'accès  de  la  Charente  et  fortifier 
aussi  le  port  même  de  Rochefort.  On  n'y  songea  qu'en 
partie,  car  on  se  borna  à  reconstruire  les  ouvrages  de 
l'île  d'Aix,  sans  rien  faire  de  plus,  ni  pour  la  défense  fixe, 
ni  pour  la  défense  mobile.  Les  Anglais  pouvaient  recom- 
mencer leur  tentative  ;  ils  ne  manquèrent  point  de  le 
faire,  mais  sans  réussir  mieux  la  seconde  fois  que  la 
première. 

Le  4  avril  1758,  Hawke  se  montrait  de  nouveau  devant 
l'île  d'Aix  ;  son  escadre,  forte  de  sept  vaisseaux  et  de 
trois  frégates,  ne  portait  pas  cette  fois  de  troupes  de 
débarquement  ;  il  s'agissait  moins  d'occuper  Rochefort 
que  d'insulter  nos  côtes.  Cinq  vaisseaux  de  ligne,  deux 
frégates  et  une  quarantaine  de  navires  de  commerce 
étaient  au  mouillage  de  l'île  d'Aix  lors  de  cette  seconde 
apparition  de  l'ennemi.  Comme  il  n'y  avait  pour  nos 
bâtiments  aucune  rade  de  refuge,  ils  n'eurent  d'autre 
parti  que  d'aller  s'échouer  à  la  côte.  Les  navires  de 
commerce  gagnèrent  les  bancs  de  vase  qui  entourent  l'île 


GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  DESCENTES  DES  ANGLAIS.   333 

Madame  ;  les  navires  de  guerre  songèrent  à  atteindre 
Rochefort  ;  la  marée  faisant  défaut,  ils  s'échouèrent 
auprès  de  Fouras.  Hawke  n'eut  pas  le  temps  de  tirer 
profit  de  cet  accident.  M.  de  Langeron,  un  des  rares 
officiers  qui  avaient  montré  de  l'énergie  dans  l'affaire  de 
Tannée  précédente,  tira  en  quelques  heures  nos  navires 
de  ce  mauvais  pas  ;  il  les  fit  délester  pendant  la  nuit  ;  ils 
purent  ainsi,  à  la  marée  suivante,  remonter  la  Charente 
jusqu'à  Rochefort  ;  pour  le  moment,  ils  étaient  soustraits 
à  l'ennemi.  Hawke,  d'ailleurs,  se  horna  à  cette  courte 
démonstration  et  à  une  nouvelle  destruction  des  ouvrages 
de  l'île  d'Aix  ;  le  7  avril,  au  bout  de  trois  jours,  il  disparut 
au  large  pour  reprendre  sa  croisière  dans  le  golfe  de 
Gascogne. 

Battant  en  tous  sens  la  région  de  l'Atlantique  entre 
l'île  d'Ouessant  et  le  cap  Ortegal,  l'amiral  anglais  mit  en 
état  de  blocus  à  peu  près  toute  l'étendue  de  nos  côtes  de 
l'Atlantique.  Les  convois  marchands  sortis  de  Bordeaux 
et  de  la  Rochelle  furent  interceptés  par  son  escadre. 
Un  vaisseau  anglais,  le  Dorselshire,  faisant  partie  d'une 
division  de  six  vaisseaux  de  guerre,  enleva  même,  entre 
Lorientet  Brest,  le  29  avril  1758,  un  vaisseau  de  soixante- 
quatre  canons,  le  Raisonnable,  qui  venait  de  sortir  des 
chantiers  de  la  marine  royale.  On  prétendait  que  le 
chevalier  de  Rohan,  qui  le  commandait,  avait  amené  son 
pavillon  sans  beaucoup  de  résistance.  Cependant  le 
ministre  de  la  Marine,  M.  de  Massiac,  adressa  au  capi- 
taine du  Raisonnable,  qui  fut  deux  mois  prisonnier  en 
Angleterre,  des  félicitations  officielles  ^  :  «  On  ne  pouvait 


6.  A.  M.,  B*  80.  fol.  31.  9  juin  1758.  —  Pépin  de  Belle-Isle  [de  Saint- 
Malo.  L.,  1"  octobre  1747  ;  C,  17  avril  1757  ;  RCE.,  1"  septembre  1767. 
A.  M.,  C  1Ô7.]  était  capitaine  en  second  du  Raisonnable. 


334  LA   MARINE    MILITAIRE    SOUS    LOUIS    XV. 

perler  plus  loin  la  résistance  et  l'intrépidité.  Si  vous  avez 
succombe,  ce  n'est  que  sous  le  poids  des  forces  infiniment 
supérieures.  » 

L'héroïsme,  même  condamné  à  l'impuissance,  est  la 
rrngon  qui  adoucit  l'amertume  de  la  délaite.  En  1756,  le 
17  mai,  à  la  hauteur  de  Rochefort,  deux  capitaines  fran- 
çais, M.  de  Maiirville  et  M.  de  Lizardais,  commandant 
V Aquilon,  de  quarante-huit  canons,  et  la  Fidèle,  de  vingt- 
six,  s'étaient  couverts  de  gloire,  en  luttant,  il  est  vrai,  à 
conditions  égales,  contre  le  Colchesler,  de  cinquante 
pièces,  et  le  Lynx,  de  vingt.  Les  adversaires  s'étaient 
séparés,  après  une  action  de  plusieurs  heures,  à  bout  de 
forces  et  de  munitions  ;  V Aquilon  n'avait  plus  de  sabords  ; 
son  capitaine  s'était  conduit  en  héros.  Le  bras  droit 
emporté  par  un  boulet,  il  n'avait  cessé  de  commander  la 
manœuvre.  «  Courage  !  criait-il,  grand  feu  !  Je  défends 
d'amener'''.  » 

Pendant  l'année  1758  où  Hawke  faisait  sa  seconde 
incursion  sur  les  côtes  de  l'Aunis,  deux  tentatives  contre 
Saint-Malo  et  ses  environs,  une  tentative  contre  Cher- 
bourg s,  montrèrent  combien  étaient  justifiées  les  inquié- 
tudes que  le  duc  d'Aiguillon  exprimait  à  Belle-Isle  dès 
le  début  de  la  guerre. 

Saint-Malo,  la  cité  des  corsaires,  a  toujours  eu  la  gloire 
de  provoquer  les  colères  des  Anglais.  Ayant  sans  doute 
entendu  parler  des  projets  contre  Jersey  qui  se  prépa- 


7  II  reçut  uDrt  gratification  de  2  000  livres  et  une  pension  de  1 500 
«  pour  lui  procurer  les  secours  dont  il  a  besoin  pour  rétablir  Ba  santé 
après  l'amputation  qui  lui  a  été  faite  du  bras.  Il  a  six  enfants  et  est 
pauvre  ».  A.  M.,  dossier  Maurvdle. 

8.  Sur  les  descentes  des  Anglais  en  1758,  divers  documents  :  A.  M., 
B*  78.  Cf.  HiPPEAU,  Le  Gouvernement  de  Normandie  au  XVII*  et  au 
XVlir  siècie,  t.  I,  cliap.  ii  ;  abbé  Paris- Jallobert,  Descente  des 
Anglais  à  Cancale  en  1758.  Rennes,  1888. 


GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  DESCENTES  DES  ANGLAïa.      335 

raient  alors  sur  les  bords  de  la  Rance,  pensant  venger 
en  une  fois  toutes  les  injures  qu'ils  avaient  reçues  de  la 
ville  de  Du  Guay-Trouin,  les  Anglais  avaient  réuni  des 
lorces  considérables,  cent  vingt  voiles  et  un  corps  de 
débarquement  de  seize  mille  hommes,  sous  les  ordres  des 
amiraux  Anson,  Hawke,  Know^les,  tous  trois  connus 
comme  de  hardis  marins,  et  d'un  général,  héritier  d'un 
grand  nom,  le  duc  de  Marlborough. 

Le  dimanche  4  juin  1758,  la  flotte  ennemie,  naviguant 
avec  autant  de  sécurité  que  sur  les  côtes  mêmes  de 
l'Angleterre,  vint  mouiller  vis-à-vis  du  cap  Fréhel  ;  le 
lendemain,  elle  se  transporta  dans  la  baie  de  Cancale.  Il 
n'y  avait  à  cet  endroit  que  quelques  fortifications  sans 
valeur  ;  aussi  les  Anglais  puren-t  débarquer  à  leur  aise, 
(piand  la  marée  le  leur  permit,  au  petit  havre  d'e  la  Houle, 
dans  la  soirée  du  même  jour  5  juin.  De  là,  sans  coup 
férir,  ils  occupèrent  Cancak.  Après  avoir  publié  un  mani- 
feste, daté  de  Cancale,  pour  avertir  les  habitants  de  se 
soumettre  aux  réquisitions  militaires,  Marlborough  se 
mit  en  marche  vers  les  embouchures  de  la  Rance. 

Le  marquis  de  La  Châtre,  qui  commandait  à  Saint- 
Malo,  n'avait  en  tout  que  deux  mille  hommes,  dragons 
et  gardes-côtes  ;  il  s'enferma  dans  la  place,  résolu  à  se 
défendre  jusqu'à  la  mort.  Saint-Servan,  ville  ouverte, 
n'avait  pu  être  mis  en  état  de  défense.  Marlborough  y 
pénétra,  mit  le  feu  à  un  vaisseau  de  cinquante  canons  et 
à  deux  frégates  qui  étaient  sur  les  chantiers,  à  une  ving- 
taine de  corsaires,  à  une  soixantaine  de  navires  de  com- 
merce, aux  magasins  ;  ces  dégâts  coûtèrent  à  la  malheu- 
reuse ville  une  douzaine  de  millions.  Retiré  ensuite  dans 
son  camp  de  Paramé,  Marlborough  envoya  à  Saint-Malo 
une  sommation  de  capituler,  puis  il  fit  mine  de  se  pré- 
parer à  un  assaut.  Cependant  le  duc  d'Aiguillon  rassem- 


336  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 

blait  quelques  troupes  à  Dinan.  Comme  la  position  des 
Anglais  n'était  rien  moins  que  sûre  et  que  la  destruction 
de  Saint-Servan  pouvait  être  regardée  comme  un  prix 
suffisant  de  cette  expédition,  Marlborough  se  replia  du 
côté  de  Cancale,  en  achevant  de  tout  ravager  sur  son 

passage. 

Le  dimanche  11  juin,  le  rembarquement  des  Anglais  se 
fit  à  Cancale,  toujours  dans  les  conditions  de  tranquillité 
qui  donnent  à  ces  descentes  audacieuses  le  caractère  de 
manœuvres  régulières.  Puis  l'escadre  anglaise  appareilla 
le  17  et  elle  resta  en  vue  jusqu'au  22.  Le  bruit  courut 
qu'elle  allait  se  porter  sur  Granville,  dont  le  port  renfer- 
mait à  ce  moment  soixante-dix  navires  de  commerce  et 
de  pêche  ;  mais  les  Anglais  n'exécutèrent  pas  ce  nouveau 
coup  de  main.  On  se  demande  ce  qui  eût  bien  pu  les 
empêcher  de  renouveler  à  cet  endroit  leurs  exploits  de 
Saint-Servan,  puisqu'il  n'y  avait  pas  un  seul  navire  de 
guerre  pour  s'opposer  au  débarquement. 

Après  avoir  ruiné  Saint-Servan,  les  Anglais  songèrent 
à  ruiner  Cherbourg.  En  1738,  sur  les  vives  instances  de 
M.  de  Caux,  directeur  des  fortifications,  on  s'était  décidé 
à  entreprendre,  aux  embouchures  de  la  Divette,  les  tra- 
vaux qui  avaient  été  projetés  par  Vauban  dès  1686,  quand 
il  avait  voulu  tirer  parti  de  cette  position  «  audacieuse  ». 
Il  ne  s'agissait  à  cette  époque  que  de  l'établissement 
d'un  port  de  commerce  avec  un  chenal  d'accès,  des 
écluses  et  deux  jetées  ;  mais  ces  travaux  modestes  firent 
ombrage  aux  Anglais,  qui  ne  voulaient  pas  admettre  que 
la  France  pût  avoir  une  station  maritime  au  milieu  de 
la  Manche,  à  six  heures  de  l'île  de  Wight. 

Dans  les  premiers  jours  d'août  1758,  l'escadre  de 
Richard  Tlowe  rôda  devant  les  côtes  nord  du  Cotentin  ; 
elle   portait   un   corps   de   débarquement    de   six   mille 


GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  DESCENTES  DES  ANGLAIS.   837 

hommes,  sous  les  ordres  du  général  Thomas  Bligh. 
Comme  la  France  n'avait  pas  un  seul  vaisseau  dans  ces 
parages  et  que  les  quatre  mille  gardes-côtes  réunis  sous 
les  ordres  du  comte  de  Raymond,  maréchal  de  camp,  ne 
pouvaient  s'opposer  sur  une  côte  non  fortifiée  à  la 
descente  d'une  flotte  de  guerre,  les  Anglais  eurent  tout 
le  temps  de  choisir  l'endroit  le  plus  propice  à  l'exécution 
de  leur  projet.  Après  être  restés  en  vue  du  2  au  7  août, 
ils  descendirent  le  7  et  le  8  dans  les  parages  de  la  pointe 
de  Ouerqueville,  à  l'ouest  de  Cherbourg.  De  là,  l'armée 
de  Bligh  se  porta  sur  cette  ville  ;  elle  ne  fut  pas  défendue  ; 
M.  de  Raymond  l'avait  évacuée  pour  se  retirer  au  sud, 
sur  Valogne.  Les  Anglais  restèrent  à  Cherbourg  et  dans 
les  localités  voisines  environ  une  semaine,  jusqu'au 
16  août. 

Ce  séjour  fut  employé  par  eux  à  détruire  méthodique- 
ment tous  les  travaux  maritimes  qui  étaient  en  cour? 
d'exécution,  à  combler  le  chenal  en  y  jetant  de  gros  blocs 
et  en  y  coulant  un  navire,  à  enclouer  les  canons  et  les 
mortiers  qu'on  n'avait  pas  eu  le  temps  d'évacuer,  à  incen- 
dier une  vingtaine  de  navires  de  commerce  ;  l'ensemble 
de  ces  dommages,  dont  une  partie  ne  pouvait  être  réparée 
avant  plusieurs  années,  se  montait  à  environ  cinq  mil- 
lions de  livres.  Cependant  le  maréchal  de  Luxembourg 
avait  été  envoyé  pour  reprendre  Cherbourg  ;  les  Anglais 
s'embarquèrent,  sans  l'attendre,  dans  la  nuit  du  15  au 
16  août.  Leur  besogne  était  terminée  :  Cherbourg  était 
réduit  à  un  monceau  de  ruines  et  de  cendres. 

Moins  de  trois  semaines  plus  tard,  la  même  escadre  et 
le  même  corps  de  débarquement  se  montraient  dans  les 
eaux  de  Saint-Malo  pour  recommencer  le  coup  de  main 
du  mois  de  juin  précédent,  qui  n'avait  qu'en  partie 
réussi.  Cette  fois  encore,  Howe  renonça  à  attaquer  de 
front  du  côté  de  la  mer  le  port  de  la  Rance.  En  juin,  il 


338  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 

avait  débarqué  du  côté  de  l'est,  dans  la  baie  de  Cancale  ; 
en  septembre,  il  débarqua  du  côté  de  l'ouest,  vers  le  cap 
Fréhel.  Faut-il  constater  une  fois  encore  que  pas  un  seul 
bâtiment  de  guerre  français  ne  vint  gêner  ces  opérations  ? 
Le  3  septembre  1758,  la  flotte  de  Howe,  forte  de  cent 
cinq  voiles,  était  signalée  au  cap  Fréliel  ;  le  soir,  elle 
mouillait  à  l'est  du  fort  de  la  Latte.  Le  lendemain  matin, 
4  septembre,  les  troupes  de  Bligli  opéraient  leur  débar- 
quement à  l'embouchure  de  la  petite  rivière  de  Saint- 
Briac.  Tandis  que  les  bâtiments  de  Howe  restaient  au 
mouillage  dans  la  baie  de  Saint-Cast,  Bligh  établissait 
son  camp  entre  Saint-Briac  et  Dinan,  pour  préparer  ses 
démonstrations  contre  Saint-Malo.  Cette  opération  avait 
pour  condition  le  passage  de  la  Rance  à  Dinan.  Heureu- 
sement pour  nous,  le  duc  d'Aiguillon,  qui  montra  dans 
ces  circonstances  critiques  autant  d'activité  que  d'intelli- 
gence, —  on  peut  s'en  convaincre  en  parcourant  sa  cor- 
respondance dans  les  Archives  de  la  Marine,  —  était 
accouru  à  la  première  heure  de  Brest  à  Lamballe  et  avait 
jeté  des  troupes  à  Dinan.  Les  descentes  répétées  des 
Anglais  avaient  provoqué  dans  toute  la  Bretagne  une 
explosion  de  douleur  patriotique.  «  Boirons-nous  assez 
de  ce  calice  d'humiliation,  disait  le  chevalier  de  Mira- 
beau, et  pouvons-nous  espérer  une  fin  aux  insultes  et  aux 
injures  ?  »  Les  gentilshommes  bretons  écrivaient  de  toute 
part  à  d'Aiguillon  pour  lui  demander  de  servir  sous  ses 
ordres. 

Bligh,  se  sentant  trop  en  l'air  du  côté  de  Saint-Briac, 
voulut  se  replier  vers  l'ouest,  du  côté  de  Saint-Cast.  Au 
cours  de  ce  mcuvement,  d'Aiguillon,  qui  avait  eu  le  temps 
de  réunir  à  Lamballe  quelques  bataillons  de  troupes  régu- 
lières et  quelques  régiments  de  milice,  se  porta  vers  le 
nord  pour  jeter  les  Anglais  à  la  mer.  Il  les  surprit  le 
11  septembre  sur  la  plage  de  Saint-Cast,  au  moment  où 


GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  DESCENTES  DES  ANGLAIS.      339 

ils  commençaient  à  s'embarquer.  L'aflaïre  fut  conduite 
avec  la  plus  graade  vigueur.  Le  chevalier  de  Mirabeau, 
dans  la  lièvre  de  la  victoire,  écrivait  à  son  frère  :  (c  Nous 
avons  peigné  les  Anglais...  Pour  trois  cents  hommes 
environ  blessés  ou  tués,  nous  leur  en  avons  fait  laisser  à 
l'engrais  de  la  plage  de  Saint-Cast  environ  mille  ou  douze 
cents,  et  de  plus  autour  de  huit  à  sept  cents  prisonniers. 
Je  m'en  porte  très  bien.  »  L'escadre  de  Howe,  mouillée  au 
large,  n'avait  pas  pu  participer  à  l'action,  elle  se  borna 
à  recueillir  les  vaincus  et  elle  s'empressa  de  quitter  cette 
côte  où  l'audace  de  l'Angleterre  avait  enfin  reçu  sa  puni- 
tion. 

La  journée  du  Ll  septembre  1758  fut  saluée  en  Bre- 
tagne et  dans  toute  la  France  par  de  grandes  manifesta- 
tions de  joie.  Des  chants  patriotiques  furent  composés 
pour  la  circonstance.  Le  duc  d'Aiguillon,  qui  eut  jusqu'à 
la  fin  tout  le  mérite  de  cette  action  brillante,  quoi  que  la 
calomnie  ait  pu  prétendre  plus  tard  à  cet  égard,  fut  alors 
le  héros  du  jour. 

((  Je  doute  fort,  écrivait  Voltaire  dans  une  de  ses 
lettres  (2  octobre  1758),  qu'on  ait  tué  trois  mille  hommes 
aux  Anglais  auprès  de  Saint-Malo  ;  mais  j'avoue  que  je 
le  souhaite.  Cela  n'est  pas  humain  ;  mais  peut-on  avoir 
pitié  des  pirates  ?  »  Les  Bretons  avaient  toutes  les  raisons 
d'être  fiers  de  cette  victoire,  et  l'on  comprend  que  le  sou- 
venir en  ait  été  conservé  par  une  colonne  élevée  cent  ans 
plus  tard  au  sommet  des  dunes  de  Saint-Cast.  Les  côtes 
de  Bretagne  allaient  être  pour  quelque  temps  à  l'abri  des 
incursions  des  «  pirates  »  ;  mais  la  vraie  protection  des 
côtes,  la  seule  qui  puisse  être  efficace  ou  du  moins 
qui  puisse  prévenir  les  descentes  des  flottes  ennemies, 
consiste  dans  l'emploi  d'escadres  croisant  en  pleine  mer 
ou  à  proximité  du  rivage.  Dans  aucune  de  ces  circons- 
tances, ni  à  Cancale,  ni  à  Cherbourg,  ni  à  Sainl-Cast,  la 


340  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS    LOUIS    XV. 

marine  n'avait  été  appelée  à  remplir  sa  mission.  L'escadre 
française  était  restée  à  l'ancre  dans  la  rade  de  Brest, 
paralysée  par  sa  propre  impuissance  ;  car  depuis  deux 
ans  que  la  guerre  durait,  elle  n'était  pas  encore  prête  à 
prendre  la  mer. 


CHAPITRE  XX 

GUERRE  MARITIME  DE  SEPT  ANS  SUR  LATLANTIQUE. 
3°    CAMPAGNE   DE    1759 


Projets  de  descente  en  Angleterre.  —  Plan  de  la  campagne  de  1759.  — 
Le  maréchal  de  Conflans.  —  La  sortie  de  Brest.  —  La  bataille  de 
Quiberon  ou  des  Cardinaux.  —  Le  chef  d'escadre  Bauffremont.  — 
Les  Anglais  à  Belle-Ile.  —  Les  vaisseaux  de  la  Vilaine.  —  Croisière 
de  Thurot.  —  Nouveaux  projets  de  descente  en  Angleterre. 

L'année  1758  avait  été  féconde  en  malheurs  militaires 
pour  la  France  maritime.  Aux  descentes  si  souvent  répé- 
tées des  Anglais  sur  les  côtes  de  la  Saintonge,  du  Cotentin 
et  de  la  Bretagne,  s'était  ajoutée  la  perte  de  Louisbourg, 
qui  présageait  celle  de  Montréal.  Il  semblait  que  la 
France  renonçait  à  faire  sortir  ses  escadres,  elle  qui, 
deux  ans  plus  tôt,  avait  fait  si  brillante  figure,  lors  de 
l'expédition  de  Minorque.  Le  gouvernement,  tiraillé  en 
sens  divers  par  les  affaires  d'Allemagne  et  par  les  affaires 
maritimes,  tout  porté  d'ailleurs  à  donner  aux  premières 
la  plus  grande  partie  de  son  attention,  attendait  toujours 
je  ne  sais  quelle  occasion  pour  agir  sur  mer  ;  mais  des 
Français  qui  comprenaient  que  l'Océan  était  dans  ces 
circonstances  le  véritable  théâtre  de  la  lutte,  harcelaient 
le  ministère  de  projets,  comme  s'ils  s'étaient  entendus 
pour  le  faire  sortir  de  son  inexplicable  torpeur. 

Bigot  de  Morogues,   le  fondateur  de  l'Académie  de 
Marine,  proposait  d'armer  au  plus  tôt  les  vingt-cinq  vais- 


342  LA   MARINE    MILITAIRE    SOUS    LOUIS    XV. 

seaux  de  ligne  et  les  frégates  qui  restaient  inutiles  dans 
les  ports  de  Brest,  Rocheiort  et  Lorient,  et  de  les  faire 
sortir  à  tout  prix  ;  car  les  vaisseaux  qui  restaient  dans 
la  rade  de  Brest  n'étaient  qu'un  vain  épouvantait.  On  for- 
merait ainsi  plusieurs  escadres  ;  on  les  enverrait  croiser 
sur  les  côtes  de  l'Irlande  et  de  l'Angleterre,  en  particulier 
pour  brûler  les  navires  charbonniers  de  Newcastle,  ou 
sur  les  côtes  de  l'Irlande  et  de  l'Angleterre,  en  particulier 
saires  du  roi  de  Prusse.  Une  forte  escadre,  de  dix-huit  à 
vingt  vaisseaux,  resterait  dans  la  Manche  pour  menacer 
les  ports  anglais  et  faciliter  ainsi  le  succès  des  autres 
croisières.  L'auteur  de  ce  projet  n'avait  pas  d'autre  idée 
que  de  rendre  aux  Anglais  le  mal  qu'ils  nous  avaient  fait, 
en  insultant  et  en  pillant  leurs  côtes,  sans  songer  à  une 
descente  en  règle.  Dans  la  Manche  où  il  n'y  ^,  dit-il,  de 
rade  bien  praticable  qu'à  la  Hougue  et  à  "^Ymkerque,  il 
parlait  de  la  rade  d'Ambleteuse  comme  d'une  position 
dont  la  marine  devrait  tirer  parti  ^  C'est  la  première  fois, 
croyons-nous,  qu'un  marin  signalait  cette  position  ; 
Napoléon  devait  en  faire,  environ  quarante  ans  plus  tard, 
l'une  des  bases  de  son  expédition  d'Angleterre. 

On  en  revenait,  par  la  force  des  choses,  à  l'idée  d'un 
débarquement  dans  les  îles  britanniques  ;  car  c'était  le 
vrai  moyen  de  nous  venger  en  une  fois  et  de  finir  la 
guerre.  «  Les  Anglais  sont  nos  seuls  et  véritables 
ennemis,  disait  avec  raison  un  mémoire  de  juillet  1759  ^. 
C'est  en  portant  la  guerre  chez  eux  que  nous  pouvons 
les  forcer  à  faire  la  paix  ;  c'est  le  seul  moyen  d'en  faire 


1.  A.  M.,   B'  3ia   31   Janvier  1759. 

2.  A.  M.,  B'  82,  fol.  11-19.  —  Dp  ce  mémoire  on  peut  en  rapprocher  un 
autre,  du  26  juin  1759  ;  il  démontrait  «  que  la  France  n'a  de  véritables 
ennemis  que  les  Anglais...,  que  la  guerre  que  nous  faisons  en  .Allemagne 
est  ruineuse  en  hommes  et  en  argent...  »,  que  la  descente  en  Angleterre 
ftst  la  seule  solution,  de  la  guerre.  A.  M.,  B*  83,  fol.  14. 


GUERRE  DE  SEPT  ANS. CAMPAGNE  DE  1759.    343 

une  honorable...  »  Mais  que  d'avis  différents,  et  sur  les 
moyens  d'action,  et  sur  le  but  à  atteindre  ! 

Dans  un  mémoire  adressé  au  maréchal  de  Conflans,  le 
5  août  1759,  M.  de  Mac-Carthy  recommandait  un  débar- 
quement en  Irlande  vers  Kinsale,  dans  le  voisinage  de 
Cork  ;  l'opération  était  d'un  succès  assuré  pour  un  corps 
de  douze  à  quinze  mille  hommes,  car  cette  armée  devait 
être  aussitôt  soutenue  par  le  concours  matériel  et  moral 
des  Irlandais  ^. 

Un  autre  mémoire  ^  qui  est  aussi  de  l'année  1759, 
parle  d'une  descente  en  Irlande,  mais  comme  d'une  diver- 
sion ou  plutôt  d'une  préface  de  l'expédition  principale. 
Celle-ci  pourra  se  faire  avec  le  concours  de  l'Espagne, 
mais  elle  devra  être  effectuée  en  une  seule  fois  et  sur  un 
seul  point.  L'auteur,  qui  invoque  le  souvenir  du  maréchal 
de  Saxe,  recommande  vivement,  comme  préférable  à 
toutes  les  autres  positions,  la  partie  de  la  côte  d'Essex 
qui  est  comprise  entre  la  rivière  Crouch  et  la  baie  de 
Maldon  ;  la  côte  est  à  proximité  de  Dunkerque,  d'un 
abord  facile,  et  la  distance  jusqu'à  Londres  n'est  que  de 
onze  lieues,  à  travers  un  pays  plat.  Ce  mémoire  très 
développé  devait  plus  tard  être  remis  à  Bourrienne,  pour 
le  faire  passer  sous  les  yeux  du  Premier  Consul. 

Cette  idée  qui  était  dans  l'air,  et  que  d'autres  mémoires 
encore  présentent  sous  des  formes  différentes  ^  c'était 
au  gouvernement  à  lui  donner  un  corps,  à  la  préciser,  à 
l'exécuter.  Le  maréchal  de  Belle-Isle,  alors  ministre  de 
la  Guerre,  y  pensait  depuis  longtemps  ;  s'il  avait  aidé 
Berryer  à  devenir  ministre  de  la  Marine,  c'est  qu'il  avait 

3.  A.  M.,  B"  83,  fol.  36  et  suiv.  —  Voir  un  autre  mémoire  sur  une  expé- 
dition en  Irlande  de  la  même  époque  (4  avril  1759)  :  A.  N..  AF  m  186b; 
dossier  857  n"  5.  Deux  autres  exemplaires   :  A.   G.,  Angleterre  I  ter. 

4.  A.  N.,  AF  IV  1597. 

5.  Voir  un  mémoire,  du  14  août  1759,  sur  une  triple  expédition  de  Dun- 
kerque, de  Bretagne  et  du  Havre,  à  l'aide  de  bateaux  plats  :  A.  M., 
B*   82,    fol.    20-24. 


344  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 

cru  trouver  en  lui  le  collaborateur  qui  lui  était  néces- 
saire. Bien  qu'il  se  fût  vite  aperçu  de  son  erreur,  il  per 
sista  dans  son  projet.  Choiseul  l'approuvait,  et  il  était  le 
personnage  le  plus  influent  du  Conseil.  L'adhésion  de 
Choiseul  devait  entraîner  celle  de  Berryer. 

La  première  idée  de  Belle-Isle,  conforme  au  projet  de 
Bigot  de  Morogues,  avait  été  de  réunir,  entre  Boulogne 
et  Ambleteuse,  une  flottille  de  bateaux  plats  pour  trans- 
porter cinquante  mille  hommes.  En  vue  de  ce  projet,  il 
avait  commencé  à  faire  établir  une  centaine  de  bouches  à 
feu  le  long  de  cette  partie  de  la  côte  du  Boulonnais.  Mais, 
comme  les  travaux  d'Ambleteuse  auraient  demandé  beau- 
coup de  temps  et  d'argent,  le  maréchal  renonça  à  cette 
combinaison  pour  adopter  la  suivante. 

Grâce  à  l'alliance  autrichienne,  nous  pouvions  disposer 
à  ce  moment  de  la  côte  des  Pays-Bas.  De  là,  l'idée  de 
réunir  en  Flandre  un  corps  d'une  vingtaine  de  mille 
hommes,  qu'on  dirigerait  par  terre  sur  Ostende  ;  cette 
armée  devait  être  sous  les  ordres  de  Chevert.  Le  lieu  de 
débarquement  était  celui-là  même  que  l'on  vient  d'indi- 
quer, d'après  un  mémoire  anonyme  de  1759  :  la  baie  de 
Maldon  ou  l'embouchure  de  la  Blackwaler,  sur  la  côte 
d'Essex,  avec  sa  vaste  étendue  de  plage  et  la  facilité 
d'arriver  très  vite  à  Londres,  distant  à  peine  d'une 
dizaine  de  lieues.  L'idée  avait  un  grand  mérite  :  elle  était 
nouvelle,  elle  déjouait  par  suite  les  prévisions  des 
Anglais,  habitués  à  être  sur  leurs  gardes  dans  la  Manche 
et  ne  se  défiant  pas  d'une  attaque  venue  d'Ostende. 
D'Ostende  à  la  Blackwater,  il  s'agissait  de  traverser  un 
bras  de  mer  de  quarante  lieues  de  large  au  plus.  Mais 
comment  le  traverser?  C'est  ici  que  le  projet  se  com- 
plique de  données  qui  devaient  en  rendre  l'exécution  bien 
hasardée. 

Une  autre  armée,  aussi  de  vingt  mille  hommes,  devait 


GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CAMPAGNE  DE  1759.    346 

être  réunie  en  Bretagne,  sous  les  ordres  du  duc  d'Aiguil- 
lon ;  son  objectif  serait  le  golfe  de  la  Clyde,  sur  les  côtes 
occidentales  de  l'Ecosse  ^.  Elle  y  serait  conduite  par  une 
escadre  de  trente-cinq  à  quarante  vaisseaux  de  ligne, 
laquelle  serait  formée  à  Brest  par  la  réunion  des  escadres 
de  la  Méditerranée  et  de  l'Atlantique.  Après  avoir 
débarqué  vers  Glasgow  le  corps  du  duc  d'Aiguillon, 
l'escadre  devait  contourner  par  les  Orcades  les  côtes 
septentrionales  de  l'Ecosse,  passer  dans  la  mer  du  Nord, 
se  rabattre  sur  Ostende  et  couvrir  la  traversée  du  corps 
de  Chevert.  Il  avait  été  question  aussi  de  n'envoyer  en 
Ecosse,  avec  d'Aiguillon,  qu'une  petite  division  navale, 
tandis  que  le  gros  de  l'escadre  croiserait  dans  la  Manche, 
pour  concourir  par  une  diversion  à  l'opération  de  Che- 
vert. Enfm  une  division  de  frégates,  sortie  de  Dunkerque 
sous  les  ordres  du  corsaire  Thurot,  devait  se  jeter  sur 
l'Irlande. 

En  résumé,  l'attaque  principale,  dirigée  par  Chevert 
sur  les  côtes  d'Essex,  devait  être  soutenue  par  deux  diver- 
sicns,  l'une  en  Ecosse  avec  d'Aiguillon,  l'autre  en  Irlande 
avec  Thurot.  Des  trois  parties  de  ce  plan  trop  compliqué, 
la  dernière  seulement,  l'expédition  d'Irlande,  fut  exécutée 
et  fut  sur  le  point  de  réussir. 

On  avait  commencé  à  parler  de  ces  projets  à  la  fm 
de  1758  ;  mais  la  refonte  du  plan  d'ensemble,  le  mauvais 
état  du  matériel,  la  pénurie  des  fonds,  amenèrent  de  très 
nombreux  retards.  Ce  fut  seulement  aux  mois  d'août  et 
de  septembre  1759  que  les  instructions  officielles  furent 
envoyées  aux  officiers  généraux  qui  devaient  commander 
l'expédition  '''. 

6.  Sur  le  projet  de  descente  en  Ecosse,  nombreux  documents  de  1759  : 
A.  M.,  B*  84,   85. 

7.  Sur  la  campagne  même  de  M.  de  Conflans,  très  nombreux  documents  : 
A.   M.,   B*   86,    87,    88. 


346  LA   MARINE    MILITAIRE    SOUS    LOUIS    XV. 

Du  V  août  1759,  pouvoir  donné  au  duc  d'Aiguillon,  en 
souvenir  de  son  rôle  dans  l'affaire  de  Saint-Cast,  comme 
lieutenant  général  commandant  l'armée  qui  doit  s'embar- 
quer pour  passer  dans  la  Grande-Bretagne.  —  Du 
26  août,  instructions  à  M.  de  Conflans  d'une  part,  et 
d'autre  part  à  Bigot  de  Morogues  ;  celui-ci  doit  prendre 
le  commandement  de  six  vaisseaux  détachés  de  l'armée 
navale  de  Brest  pour  servir  d'escorte  au  convoi  que  le 
duc  d'Aiguillon  fait  rassembler  au  Morbihan,  à  destina- 
tion de  la  Grande-Bretagne.  —  Du  10  septembre, 
mémoire  politique  pour  indiquer  au  duc  d'Aiguillon  la 
conduite  à  suivre  après  son  débarquement  en  Ecosse,  si 
la  cour  de  Londres  fait  des  ouvertures  d'accommode- 
ment ;  le  roi  lui  rappelle  qu'il  n'a  voulu  prendre  aucune 
sorte  d'engagement  avec  la  maison  de  Stuart^.  —  Du 
13  septembre,  instruction  militaire  ru  duc  d'Aiguillon, 
signée  du  maréchal  de  Belle-Isle.  Aussitôt  après  son 
débarquement  dans  les  parages  du  golfe  de  la  Clyde,  il 
devra  s'empresser  de  marcher  sur  le  château  d'Edim- 
bourg, pour  en  faire  sa  principale  place  d'armes.  On 
l'informe  aussi  des  préparatifs  qui  se  font  sur  les  côtes 
de  Normandie  et  de  Flandre,  pour  une  seconde  expédi- 
tion sous  les  ordres  du  maréchal  prince  de  Soubise  : 
singulière  idée  de  donner  au  vaincu  de  Rosbach  le  com- 
mandement, même  nominal,  d'une  affaire  de  cette  impor- 
tance ! 

Du  15  septembre,  lettre  du  roi,  contresignée  Berryer, 
((  à  Monsieur  Bigot  de  Morogues,  capitaine  de  mes  vais- 
seaux, commandant  le  Magnilique  ».  Pour  conduire  les 
troupes  du  duc  d'Aiguillon  à  la  côte  occidentale  d'Ecosse, 

8.  Un  mémoire  anonyme  de  1759  (A.  M.,  B'  82,  fol.  56  et  suiv.)  expose 
les  raisons  du  roi  de  ne  pas  lier  partie  avec  le  Prétendant   : 

«  Ce  prince  n'a  pas  la  tête  assez  bien  faite  pour  que  l'on  puisse  diriger 
une  entreprise  considérable  sur  ses  avis...  Il  est  entouré  de  personnes 
des  deux  sexes  très  suspectes  et  qui,  vraLsemblablcment,  le  trahissent...  » 


GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CAMPAGNE  DE  1759.    347 

il  doit  doubler  l'Irlande,  passer  par  le  cap  Cantyre  et 
gagner  l'entrée  du  golfe  de  la  Clyde,  vers  Irvine.  Là,  en 
s'informant  auprès  des  pilotes  et  des  pêcheurs,  il  déter- 
minera, d'accord  avec  le  duc  d'Aiguillon,  le  lieu  précis 
de  la  descente.  Si  celte  descente  ne  peut  s'effectuer,  il 
verra  à  tourner  l'Ecosse  par  le  nord,  pour  venir  débar- 
quer le  corps  de  d'Aiguillon  à  la  côte  orientale  :  après 
quoi,  il  regagnera  lui-même  le  port  de  Dunkerque.  En 
cas  d'échec,  il  devra  brûler  ses  vaisseaux  et  se  jeter  à  la 
côte,  pour  servir  sous  d'Aiguillon.  En  somme,  cette 
instruction  du  15  septembre,  qui  donnait  les  derniers 
ordres,  est  un  vrai  modèle  d'instruction  non  précise,  où 
rien  n'avait  été  nettement  prévu,  où  tout  était  plus  ou 
moins  abandonné  au  hasard. 

Cependant  tous  les  préparatifs  semblaient  terminés. 
Les  listes  d'embarquement  des  officiers  étaient  dressées  ; 
un  chiffre  avait  été  convenu  avec  Bigot  de  Morogues  ;  on 
avait  imprimé  le  tableau  des  signaux  maritimes  qui 
devaient  être  «  observés  par  l'escadre  et  la  flotte  du 
roi  )).  Vers  cette  date,  milieu  de  septembre  1759,  il  n'y 
avait  plus  qu'à  quitter  le  ]\lorbihan  et  à  cingler  vers 
l'Ecosse, 

Mais,  précisément  à  cette  date,  l'expédition,  trop  long- 
temps différée,  ne  pouvait  plus  être  tentée.  L'Angleterre. 
au  courant  de  nos  desseins,  surveillait  depuis  de  longues 
semaines  toutes  nos  côtes.  Le  commodore  Boys  était  en 
croisière  devant  Dunkerque,  le  contre-amiral  Rodney 
devant  la  Normandie,  les  amiraux  Hawke  et  Hardy 
devant  Brest,  dont  l'escadre  était  le  pivot  de  ces  combi- 
naisons. Le  commodore  Duff  surveillait  la  région  du 
Morbihan  ;  aussi  le  lieu  d'embarquement  n'était  pas 
moins  exposé  à  présent  aux  coups  de  l'ennemi  que  la 
région  de  la  Rance,  à  laquelle  on  avait  renoncé  à  cause 
du  voisinage  des  îles  anglaises.  Enfin,  Boscawen  et  Bro- 


348  LA   MARINE    MILITAIRE    SOUS    LOUIS    XV. 

derick  avaient  été  détachés  dans  la  Méditerranée  pour 
immobiliser  l'escadre  de  Toulon.  Boscawen  allait  bientôt 
porter  à  l'expédition  le  coup  fatal,  le  jour  où  il  détruisit 
dans  la  baie  de  Lagos  l'escadre  de  M.  de  La  Clue.  Il  ne 
pouvait  plus  s'agir  à  présent  de  combiner  les  escadres  de 
la  Méditerranée  et  de  l'Atlantique  ;  car  il  n'y  avait  plus, 
depuis  ces  journées  du  17-19  août  1759,  d'escadre  de  la 
Méditerranée. 

Que  faire  alors  ?  Licencier  l'armée  de  d'Aiguillon 
réunie  au  Morbihan,  désarmer  une  fois  de  plus  l'escadre 
de  Brest  ou  les  corsaires  de  Dunkerque,  c'était,  après 
tant  de  préparatifs,  l'aveu  radical  de  notre  impuissance 
navale  et  comme  la  capitulation  sans  appel  de  la  France 
maritime.  Si  le  plan  ne  pouvait  plus  être  exécuté  dans 
son  ensemble,  on  pouvait  le  modifier,  de  manière  à  tirer 
parti  de  l'escadre  de  Brest,  intacte  encore  et  toujours 
prête  à  prendre  la  mer.  Belle-Isle,  Choiseul,  Berryer, 
furent  ainsi  amenés  à  se  rallier  à  un  nouveau  projet  de 
campagne  maritime  ;  on  ne  saurait  leur  en  faire  un  crimxe, 
car  on  était  trop  avancé  pour  reculer.  La  partie  devait 
être  plus  dure  à  jouer  ;  mais  les  espérances  d'une  victoire 
navale  ne  nous  étaient  pas  encore  absolument  interdites, 
et  seule  une  victoire  navale  pouvait  nous  conduire  à  une 
paix  honorable. 

Il  n'y  avait  pas  de  raisons  de  ne  pas  avoir  confiance 
dans  le  comte  de  Conflans.  Ses  états  de  service  parlaient 
pour  lui  ;  dans  la  dernière  guerre,  il  avait  dirigé  plu- 
sieurs croisières  avec  succès  et  il  avait  capturé  aux 
Anglais  deux  vaisseaux  de  ligne.  Sa  promotion  à  la  vice- 
amirauté  en  1756  avait  été  la  récompense  de  cinquante 
années  de  services  sur  mer  fort  honorables.  Quant  au 
bâton  de  maréchal  de  France  qui  lui  avait  été  donné 
en  1758,  c'était  à  la  fois  un  hommage  rendu  à  la  marine 
et  le  prix  anticipé  de  la  victoire  qu'on  était  en  droit 


GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CAMPAGNE  DE  1759.    349 

d'attendre  de  lui.  Avant  la  journée  de  Port-Mahon,  la 
carrière  de  La  Galissonnière,  quel  que  fût  le  mérite  per- 
sonnel de  l'homme,  ne  se  recommandait  pas  par  des 
titres  exceptionnels.  Pourquoi  M.  de  Conflans  n'aurait- 
il  pas,  lui  aussi,  son  heure  de  gloire  ?  L'ordre  fut  donc 
donné  au  comte  de  Conflans  de  faire  prendre  la  mer  à 
l'escadre  de  Brest. 

A  la  date  du  14  octobre  1759,  c'est-à-dire  deux  mois 
environ  après  la  défaite  de  Lagos,  Louis  XV  adressait 
au  maréchal  comte  de  Conflans  une  nouvelle  lettre  pour 
modifier  les  instructions  du  26  août  précédent.  On  voit, 
d'après  cette  lettre,  que  le  maréchal  avait  proposé  d'aller 
combattre  les  escadres  ennemies  qui  croisaient  sur  les 
côtes  de  Bretagne  ;  il  se  chargeait  ensuite  lui-même 
d'escorter,  avec  l'armée  navale  tout  entière,  la  flotte  du 
Morbihan,  jusqu'à  ce  qu'elle  pût  gagner  sans  danger, 
sous  la  protection  de  quelques  navires,  le  lieu  de  sa  desti- 
nation. Le  roi  acceptait  ce  plan,  sans  faire  aucune  objec- 
tion. 

«  Je  vous  fais  cette  lettre  pour  vous  dire  que  je  laisse 
à  votre  expérience  et  à  votre  courage  de  profiter  de  toutes 
les  circonstances  que  vous  croirez  être  favorables  pour 
aller  attaquer  les  escadres  et  vaisseaux  qui  tiennent  les 
croisières  d'Ouessant  et  de  Belle-Isle.  Et  ensuite,  soit 
que  vous  jugiez  à  propos  de  rentrer  à  Brest  pour  en 
ressortir  peu  après,  ou  que  vous  continuiez  de  tenir  la 
mer,  je  vous  laisse  également  le  maître  d'aller  vous-même 
prendre  l'escorte  de  la  flotte  du  Morbihan,  lorsqu'elle 
sera  en  état  de  mettre  à  la  voile.  Je  vous  prescris  seule- 
ment de  ne  point  perdre  de  vue  que  le  point  principal  de 
toutes  nos  opérations  présentes  doit  être  la  plus  grande 
sûreté  de  la  flotte  du  Morbihan...  Mon  intention  est  tou- 
jours qu'en  vous  séparant  de  la  flotte  pour  revenir  à 


350  LA   MARINE    MILITAIRE    SOUS    LOUIS    XV. 

Brest,  vous  destiniez  six  vaisseaux,  avec  quelques 
frégates  et  corvettes,  pour  l'accompagner  jusqu'au  lieu 
du  débarquement...  Je  suis  persuadé  que  vous  sente:/, 
toute  l'importance  d'une  pareille  expédition,  dont  le 
succès  vous  est  en  entier  confié  et  sera  aussi  utile  à  l'État 
que  glorieux  pour  vous^...  » 

Après  cette  lettre,  Conflans  n'avait  plus  qu'à  quitter  la 
rade  de  Brest  sur  l'heure  même  ;  il  ne  pouvait  plus 
dire,  comme  d'Aiguillon  l'avait  rapporté  à  Belle-Isle 
(13  août  1759),  qu'il  n'était  ni  instruit  ni  consulté,  et  que 
c'était  le  service  de  la  Guerre  qui  voulait  conduire  une 
opération  de  la  Marine  ;  il  avait  proposé  ses  idées,  on  les 
avait  acceptées  telles  quelles.  Il  avait  eu  raison  de  pro- 
tester contre  le  morcellement  de  ses  forces  navales,  qu'on 
avait  d'abord  voulu  lui  imposer,  et  il  avait  obtenu  de 
sortir  avec  tous  ses  vaisseaux  pour  aller  chercher  à  Qui- 
beron  le  corps  expéditionnaire  du  duc  d'Aiguillon.  Quant 
à  cette  -  conception  malheureuse,  de  faire  sortir  une 
escadre  de  Brest  pour  aller  embarquer  une  armée  dans 
le  Morbihan,  quand  il  était  tout  aussi  simple  de  réunii 
cette  armée  à  Brest  même  et  non  à  Vannes,  il  l'avait 
acceptée  sans  y  faire  d'opposition  ;  peut-être  était-il  satis- 
fait, comme  d'Aiguillon  lui-même,  qu'on  eût  évité  ainsi 
les  conflits  qui  auraient  pu  se  produire  entre  le  comman- 
dant en  chef  des  forces  navales  et  le  commandant  en  chef 
des  foi'ces  de  terre. 

Quoi  qu'il  en  soit,  il  avait  accepté  d'exécuter  ce  plan,  il 
avait  eu  le  temps  d'en  examiner  tous  les  détails  à 
l'avance  ;  son  départ  ne  pouvait  être  à  présent  qu'une 
question  d'heures  et  non  de  jours.  Une  nouvelle  insulte 
faite  à  nos  côtes  par  les  Anglais  réclamait  un  prompt 


9.  Eci-it  à  Versailles  le  14  octobre  1759.   Signature  autogvnplie   :   I.oris. 
A.   M.,  B'  87,   foL   185-186. 


GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CAMPAGNE  DE  1759.    351 

châtiment  :  en  juillet,  le  contre-amiral  Rodney  était  venu 
bombarder  le  Havre,  il  avait  couvert  la  ville  d'une  pluie 
de  projectiles  pendant  cinquante-deux  heures  continues  ; 
les  habitants  avaient  dû  s'enfuir,  et  d'énormes  dommages 
avaient  été  causés  aux  navires  de  commerce  et  aux  maga- 
sins. Les  Anglais  avaient  reparu  le  30  août  aux  embou- 
chures de  la  Seine  ;  cette  fois  ils  avaient  été  tenus  à 
distance  par  des  chaloupes  canonnières  et  des  pontons 
armés  de  gros  canons,  de  l'invention  du  chevalier  de 
Mirabeau  ^°. 

Au  moment  où  le  maréchal  recevait  la  lettre  du  roi, 
l'Océan  semblait  concourir  lui-même  au  succès  de  sa 
sortie.  Une  violente  tempête,  qui  avait  éclaté  le 
12  octobre,  avait  forcé  l'escadre  anglaise  de  Hawke, 
fatiguée  d'ailleurs  de  six  mois  de  croisière  dans  ces 
parages  dangereux,  à  prendre  le  large.  A  cette  époque 
tardive  de  l'année,  par  les  mauvais  temps  de  l'automne, 
la  campagne  pouvait  être  regardée  comme  terminée. 
Aussi  Hawke  avait  pris  le  parti  de  regagner  Plymouth. 
Il  était  revenu  quelques  jours  plus  tard  ;  mais,  ie  10  no- 
vembre, une  nouvelle  tempête  l'avait  obligé  à  se  réfugier 
à  Torbay.  La  mer  était  libre.  Sortir  de  Brest,  rallier  le 
convoi  du  Morbihan,  le  conduire  en  pleine  mer,  le  diriger 
vers  l'Ecosse  :  tout  cela  était  possible  à  présent  à  un 
amiral  décidé  à  agir  vite  et  à  profiter  sur  l'heure  d'un 
moment  de  négligence  de  la  part  de  l'ennemi.  Cependant 
les  jours,  les  semaines  se  succédaient,  et  l'escadre  de 
Brest  restait  toujours  à  l'ancre.  Pourquoi  M.  de  Conflans 
ne  se  décidait-il  pas  à  sortir  ? 

La  réponse  se  trouve  dans  les  lettres  répétées  qu'il 
adressait  au  ministre  à  cette  époque  même,  en  octobre  et 


10.  HiPPEAU,  Le  Gouvernement  de  Normandie...,  t.  I,  chap    iii  ;'Lom.énib 
Les  Mirabeau,  t.  I,  chap.  xin. 


352  LA   MARINE    MILITAIRE    SOUS    LOUIS    XV. 

en  novembre.  On  y  constate,  en  effet,  et  ses  propres  hési- 
tations et  le  défaut  de  préparation  matérielle  de  son 
escadre,  qui  justifie  largement  ses  hésitations  ;  car  les 
équipages,  condamnés  depuis  trois  ans  environ  à  l'immo- 
bilité dans  la  rade,  n'étaient  pas  entraînés,  ils  n'avaient 
pas  pris  part  à  des  manœuvres  d'escadre  ;  quant  aux  bâti- 
ments, à  l'exception  de  quelques  vaisseaux,  comme  le 
vaisseau-amiral  le  Soleil  Royal,  magnifique  bâtiment  de 
quatre-vingts  canons,  qui  passait  pour  le  dernier  mot  de 
la  construction  navale,  ils  n'avaient  que  de  médiocres 
qualités  de  marche  et  de  combat.  Guébriant,  qui  montait 
yOrient,  déclarait,  après  la  bataille,  qu'il  avait  manqué 
<(  totalement  de  gens  de  manœuvre,  n'en  ayant  pas  trente 
qui  méritassent  le  nom  de  matelots  ^^  J'en  avais  fait  mes 
plaintes  à  monsieur  le  maréchal  et  à  M.  Hocquart  (l'inten- 
dant de  la  marine),  avant  de  partir  de  Brest,  et  ce  n'a  été 
que  par  le  secours  de  mon  état-major  et  par  leurs  soins 
que  j'ai  pu  manœuvrer  ». 

Le  5  novembre,  Conflans  écrivait  à  Berryer  que,  pour 
ne  pas  anéantir  le  projet  du  Morbihan,  il  éviterait  tout 
engagement  général.  «  Comme  cependant,  malgré  toute 
la  prudence  que  je  puis  avoir,  je  pourrais  être  attaqué 
par  toutes  les  forces  ennemies,  nonobstant  toutes  mes 
précautions,  je  ne  peux  vous  dire  autre  chose,  sinon  que, 
dans  ce  cas,  je  combattrai  avec  toute  la  gloire  possible  ; 
mais  c'est  ce  que  je  chercherai  à  éviter...  »  Ce  dési^ 
d'éviter  à  tout  prix  une  grande  bataille,  si  peu  en  har- 
monie avec  la  vraie  conception  de  la  stratégie  navale, 
n'est-ce   pas   à   l'avance  l'explication   des   manœuvres, 


IJ.  Même  témoignage  dans  Le  Coup  d'œil  du  citoyen  ou  Moyens  de 
rétablir  la  marine  en  France,  opuscule  anonyme  d'un  officier  :  «  J'ai 
vu  embarquer  sur  les  vaisseaux  du  roi  des  vieillards,  des  bateliers  de 
rivière  et  des  gens  qui  n'avaient  jamais  vu  la  mer,  et  cela  pour  compléter 
les  équipages  de  quelques  vaisseaux  qui  mirent  à  la  voile  pour  combattr» 
et  qui  ne  parurent  devant  l'ennemi  que  pour  le  fuir.  » 


GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CAMPAGNE  DE  1759.   353 

incompréhensibles   en   elles-mêmes,    qu'il    devait    faire 
après  la  sortie  de  Brest  ? 

L'armement  et  les  réparations  n'étaient  jamais  ter- 
minés. Dans  une  lettre  du  7  novembre,  il  écrivait  encore 
au  ministre  :  «  Je  ne  vois  ni  argent,  ni  bois,  ni  ouvriers, 
ni  vivres  ;  sans  doute  que  vous  avez  pris  des  arrange- 
ments pour  remédier  à  tous  ces  incidents.  »  Quel  triste 
présage,  à  une  pareille  date,  pour  l'expédition  que  la 
France  maritime  attendait  depuis  si  longtemps  ! 

Enfin,  le  14  novembre,  M.  de  Conflans  sortait  du  port 
de  Brest.  Son  armée  navale  se  composait  de  vingt  et  un 
vaisseaux,  répartis  en  trois  divisions,  sous  les  chefs 
d'escadre  Budes  de  Guébriant,  Bauffremont,  Saint-André 
Du  Verger  ^^.  Il  n'avait,  pour  reconnaître  sa  route,  que 
cinq  frégates  ou  corvettes  ;  ce  nombre  était  certainement 
insuffisant,  car  il  lui  fallait  à  la  fois  éclairer  sa  mai^zhî 
du  côté  du  Morbihan  et  faire  surveiller  les  parages 
d'Ouessant,  dans  la  crainte  du  retour  offensif  des  Anglais  ; 
cette  surveillance  n'eut  pas  lieu. 

Les  premiers  jours  de  la  sortie  se  passèrent  sans  inci- 
dent ;  mais  le  mouvement  ne  se  dessinait  qu'avec  beau- 
coup de  lenteur.  Le  19  novembre  au  soir,  cinq  jours  après 
sa  sortie,  Conflans  croisait  encore  à  vingt-trois  lieues 
dans  le  sud-ouest  de  Belle-Ile.  La  mer,  il  est  vrai,  était 
mauvaise,  et  le  gros  temps  l'obligeait  à  se  tenir  au  large. 
Le  vent,  à  cette  date,  passa  à  l'ouest.  Alors,  dit  Conflans 
dans  sa  relation  au  ministre  ^^  «  je  fis  signal  à  l'armée  de 
servir  et  je  dirigeai  la  route  sur  Belle-Ile,  afin  d'entrer 


12.  Voir  l'AppendiCvi  X. 

13.  Lettre  de  M  le  maréchal  de  Conflans  (24  novembre  1759).  S.  1.  n.  d. 
Reproduite  par  Troude,  Batailles  navales  de  la  France,  t.  I,  p.  3S5  et  suiv. 
Cf.  La  Nicollière-ïeijeiro.  Combat  de  Belle-Ile  ou  des  Cardinaux,  NaïUos, 
187S  ;  —  De  Veillechèze,  «  Saint-Goustan...  au  Croisic  »,  Bulletin  de  la 
Société  archéologique  de  Nantes,  1908.  (Documents  sur  Hawke.) 


354  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS    LOUIS   XV. 

le  lendemain  dans  le  Morbihan  pour  suivre  les  ordres  du 
roi  et  me  conformer  à  ce  que  vous  m'aviez  particulière- 
ment marqué  dans  votre  lettre  du  5  de  ce  mois.  Le  vent 
augmenta  considérablement  dans  la  nuit...  ;  je  fus  même 
obligé  de  faire  très  peu  de  voiles,  dans  la  crainte  de  me 
trouver  trop  tôt  sur  la  terre.  »  A  la  pointe  du  jour,  il  était 
en  vue  des  quatre  ou  cinq  bâtiments  de  la  division  du 
Commodore  Duff,  qui  surveillait  cette  partie  de  la  côte.  Il 
leur  fit  aussitôt  donner  la  chasse,  sa  supériorité  numé- 
rique lui  permettait  de  le  faire  sans  peine.  Quelques 
heures  encore,  il  abordait  au  Morbihan  ;  le  moment  était 
décisif. 

A  cette  heure  même,  matinée  du  20  novembre  1759,  les 
vigies  signalaient  une  escadre  de  vingt-trois  vaisseaux 
de  ligne  et  de  neuf  bâtiments  inférieurs,  en  tout  trente- 
deux  bâtiments,  qui  arrivait  du  nord-ouest,  toutes  voiles 
dehors.  C'était  l'escadre  de  Hawke.  Ayant  donné  quelques 
jours  de  repos  à  ses  bâtiments  dans  les  eaux  de  Plymouth, 
toujours  tenu  par  ses  frégates  au  courant  de  ce  qui  se 
passait  à  Brest,  Hawke  était  accouru  de  Torbay,  à  la 
première  nouvelle  de  la  sortie  de  M.  de  Conflans  ;  il  ne 
l'avait  connue  que  le  17  novembre.  Il  avait  enfin  devant 
lui  cette  proie  qu'il  avait  guettée,  sans  pouvoir  l'atteindre, 
durant  tant  de  semaines.  C'était  la  juste  récompense  de 
son  énergie  et  de  sa  décision  ;  la  supériorité  du  nombre 
et  surtout  son  esprit  d'offensive  devaient  achever  ce  que 
sa  rapidité  admirable  avait  si  bien  commencé. 

Conflans,  avant  sa  sortie  de  Brest,  était  résolu  à  éviter 
une  bataille  générale.  Aussi,  à  la  vue  de  ces  trente-deux 
voiles,  il  ne  songea  qu'à  mettre  en  sûreté  sa  propre 
escadre,  bien  qu'elle  ne  fût  pas  sensiblement  inférieure 
en  nombre.  «  Tout  alors  me  détermina  à  prendre  la  route 
du  Morbihan,  d'hantant  que  le  vent,  dans  la  position  où 
nous  nous  trouvions,  ne  me  permettait  pas  de  relâcher 


GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CAMPAGNE  DE  1759.    355 

en  aucun  autre  lieu,  et  je  n'avais  pas  lieu  de  croire  qu« 
si  j'y  entrais  le  premier  avec  vingt  et  un  vaisseaux, 
l'ennemi  osât  m'y  poursuivre,  malgré  sa  supériorité,  qui 
devait  elle-même  embarrasser  ses  mouvements  dans  un 
endroit  aussi  resserré.  »  Il  était,  en  effet,  assez  naturel 
de  supposer  que  l'amiral  anglais  observerait  les  Fran- 
çais à  distance,  à  cause  des  conditions  d'accès  très  difTi- 
cites  en  ces  parages  ;  mais  Hawke,  en  digne  précurseur 
de  Nelson,  disait  :  «  Là  où  il  y  a  place  pour  l'ennemi, 
il  y  a  place  aussi  pour  moi.  »  Comment  Conflans,  d'autre 
part,  espérait-il  passer  avec  toute  son  escadre,  par  un 
groj  temps,  à  travers  un  golfe  étroit  tout  hérissé  d'écueils, 
et  mouiller  dans  le  dédale  des  bras  du  Morbihan,  même 
s'il  n'avait  pas  eu  à  sa  poursuite  le  plus  acharné  des 
ennemis  ? 

Le  mouvement  de  dérobade  avait  commencé  aussitôt, 
le  vent  soufflant  avec  force  de  l'ouest-nord-ouest  ;  le 
Soleil  Royal  marchait  en  tête.  Comme  dans  toutes  les 
manœuvres  de  ce  genre,  l'inégalité  de  vitesse  des  bâti- 
ments qui  prennent  chasse  amène  un  allongement  excessif 
de  leur  ligne  de  retraite.  Vers  deux  heures  et  demie  de 
l'après-midi,  le  Soleil  Royal,  qui  était  excellent  mar- 
cheur, atteignait  les  rochers  des  Cardinaux  ;  ils  font 
partie  des  récifs  de  l'île  de  Hoëdik,  entre  Belle-Ile  et  le 
Croisic.  De  là  vient  le  nom  de  bataille  des  Cardinaux, 
donné  parfois  à  la  bataille  du  20  novembre.  A  ce  moment, 
notre  arrière-garde,  composée  de  quatre  vaisseaux,  était 
isolée  en  arrière,  à  huit  ou  dix  milles,  et  aux  prises  avec 
neuf  vaisseaux  ennemis.  Conflans,  qui  avait  commis  une 
première  faute,  de  ne  pas  régler  la  marche  de  son  bâti- 
ment sur  celle  du  reste  de  l'escadre,  en  commit  alors  une 
beaucoup  plus  grande,  celle  de  ne  pas  virer  de  bord 
immédiatement  pour  courir  au  danger  ;  il  était  temps 
peut-être  encore  de  sauver  l'arrière-garde,    avant  que 


356  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS    LOUIS   XV. 

tous  les  vaisseaux  de  Hawke  fussent  entrés  en  ligne. 

Réduite  à  elle-même,  complètement  isolée  et  entourée, 
l'arrière-garde  française  fit  une  admirable  résistance.  Le 
combat  que  le  chef  d'escadre  Saint-André  Du  Verger 
dirigea,  pendant  plusieurs  heures,  de  la  passerelle  du 
Formidable  est  une  des  pages  les  plus  honorables  de 
notre  histoire  maritime.  Ce  vaillant  officier  eut  la  tête 
emportée  ;  son  frère,  Saint-André  l'aîné,  qui  était  capi- 
taine en  second,  fut  coupé  en  deux  par  un  boulet.  Le 
Formidable  dut  se  rendre  ;  ce  n'était  plus  qu'une  car- 
casse, couverte  de  cadavres,  éventrée  par  les  boulets  i^. 

Deux  autres  vaisseaux  avaient  coulé  à  pic.  Le  Thésée, 
de  soixante-quatorze  canons,  avait  essuyé,  sans  grands 
dommages,  quatre  volées  d'un  vaisseau  anglais  de  même 
force  ;  il  avait  énergiquement  riposté  par  ses  canons  de 
tribord,  quand  survint  tout  à  coup  un  grain  très  violent. 
On  neut  pas  le  temps  de  rentrer  les  canons  et  de  fermer 
les  sabords.  La  mer  pénétra  avec  tant  d'abondance  que 
le  Thésée  coula  en  un  instant  ^^.  Le  commandant  Ker- 
saint  de  Coëtnempren,  l'un  des  plus  brillants  officiers  de 
la  marine  royale,  l'état-major  et  tout  l'équipage  furent 
engloutis  ;  sur  six  cent  cinquante  hommes,  vingt-deux 
seulement  parvinrent  à  se  sauver. 

Presque  en  même  temps,  le  Superbe,  commandé  par 
M.  de  Montalais,  était  coulé  par  une  bordée  de  l'ennemi, 
et  se  perdait  corps  et  biens  ;  les  gardes-côtes  de  la  région 
de  Pontcroix,  pauvres  laboureurs  embarqués  sur  ce 
vaisseau,    périrent   tous,    avec   le    commandant   et   les 


14.  La  Péroase,  alors  garde-marine  à  bord  du  Formidable,  fut  blessé 
d'une  rontusioi  au  ventre  et  au  bras,  et  fait  prisonnier.  —  Galaup  de  La 
Pôrouse.  Du  diocèse  d'Albi.  Parent  du  capitaine  de  vaisseau  La  Jonquière. 
G.,  19  novembre  1756;  L.,  4  avril  1777;  C,  à  prendre  rang,  4  avril  1780; 
pris  rang.  9  mat  1781,  A.  M.,  C  '  173. 

15.  Déposition  du  charpentier  Mathieu  Dostes.  de  Recouvrance,  recueilli 
avec  .sept  matelots  par  un  canot  anglais.  A.  M.,  B*  88,  fol.  250. 


fgM 


GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CAMPAGNE  DE  1759.   357 

officiers.  Celle  affreuse  journée  devail  plonger  dans  le 
deuil  la  Brelagne  enlière  pour  de  longs  mois  ;  les  Irois 
vaisseaux  qui  furent  coulés,  le  Thésée,  le  Superbe  et  le 
Juste,  n'avaient  pour  matelots  que  des  Bretons. 

Seul  des  quatre  vaisseaux  de  l'arrière-garde,  le  Héros, 
de  M.  de  Sanzay,  avait  pu  s'échapper  ;  il  avait  à  un 
moment  amené  son  pavillon,  puis  il  l'avait  hissé  de  nou- 
veau. 

Conflans  a  essayé  de  justifier  son  rôle  pendant  cette 
partie  de  l'action  en  disant  que  la  vivacité  de  la  riposte 
de  l'arrière-garde  lui  avait  donné  lieu  d'espérer  qu'elle 
pourrait  elle-même  se  tirer  d'affaire.  «  La  nécessité  de 
marquer  la  route  et  les  mouvements  que  je  voulais  faire 
exécuter  m'avaient  obligé  de  rester  jusque-là  à  la  tête, 
et  je  n'avais  pas  encore  combattu.  Je  revirai  de  bord  pour 
me  mettre  au  milieu  de  la  ligne  et,  en  même  temps,  à 
portée  de  combattre  l'ennemi,  qui  se  multipliait  considé- 
rablement. Je  dis  à  Vlntrépide,  qui  me  suivait  immédia- 
tement, de  faire  de  même.  » 

Il  était  trop  tard  ;  l'arrière-garde  était  perdue  ;  la 
distance  trop  grande  et  la  mer  de  plus  en  plus  mauvaise 
rendirent  inutile  le  tir  des  canonniers  du  Soleil  Royal. 
Conflans  songea  alors  à  revirer  de  bord  de  nouveau, 
dans  l'intention  de  doubler  le  plateau  du  Four,  à  la  hau- 
teur du  Croisic,  de  sortir  de  la  baie  et  de  se  faire  suivre 
au  large  par  l'armée  navale.  Mais  la  nuit,  qui  survient 
de  bonne  heure  à  celte  époque  de  l'année,  mit  fin  à  cette 
première  journée.  Français  et  Anglais  mouillèrent  à  peu 
près  en  ligne,  à  une  cerlaine  distance  de  la  côte.  Conflans 
avait  encore  sous  ses  ordres  dix-sept  vaisseaux,  en  y 
comprenant  le  Héros. 

Le  lendemain,  21  novembre,  vers  six  heures  du  malin, 
une  manœuvre  inexplicable  allait  tout  à  coup  paralyser 
l'aclion  de  Conflans  :  huit  vaisseaux  prirent  le  large  et 


358  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS    LOUIS    XV. 

s'éloignèrent  du  côté  du  sud,  sans  s'occuper  du  reste  de 
l'escadre.  Les  conséquences  de  ce  mouvement  devaient 
être  désastreuses  :  Confians,  avec  neuf  vaisseaux,  se 
trouvait  isolé  devant  toute  l'escadre  anglaise.  Sur  cet 
épisode  de  la  bataille,  qui  pour  bien  des  contemporains 
perdit  de  réputation  le  chef  d'escadre  Bauiïremont,  il  est 
nécessaire  d'entendre  l'accusation  et  la  défense. 

On  écrivit  de  Rochefort  au  ministre  ^^  :  «  La  voix 
générale  est  que,  sans  une  jalousie  de  la  part  de  M.  Baut- 
fremont,  qui  ne  voulut  pas  écouter  les  signaux  du  maré- 
chal, son  comm^andant,  nous  aurions  réussi...  M.  de  Baul- 
fremont  a  beau  donner  des  mémoires  dans  les  gazettes, 
il  ne  se  lavera  jamais  de  cela.  Ou  il  est  un  ignorant,  ou 
il  est  un  traître.  S'il  est  ignorant,  il  ne  mérite  pas  de 
commandement.  Si  c'est  par  traiterie  {sic)  ou  jalousie,  il 
mérite  punition...  Il  est  si  blâmable  que  M.  de  Gué- 
briant...  assure  qu'il  prit  un  porte-voix...  et  qu'il  lui 
cria  :  «  Ne  voyez-vous  pas  les  signaux  du  commandant  ?  » 
Il  répliqua,  en  levant  le  bras,  que  non,  qu'il  ne  le  voyait 
pas,  voulant  dire  :  Je  ne  veux  pas  le  voir  ;  ce  qui  fit  que 
les  antres  ne  purent  y  remédier.  » 

La  défense,  elle  est  dans  plusieurs  lettres  de  Bauffre- 
mont  1".  Le  21  novembre,  c'est-à-dire  le  soir  même  du 
second  jour  de  la  bataille,  il  informait  Berryer  que  le 
Tonnant  venait  d'arriver  à  l'île  d'Aix  avec  le  Magnifique, 
de  Bigot  de  Morogues  ;  il  y  avait  trouvé  cinq  autres  vais- 
seaux, qui  y  étaient  déjà  mouillés  depuis  quelques 
heures  :  V Orient,  le  Northumbeiiand,  le  Dauphin  Royal, 
le  Solitaire  et  le  Bizarre.  Pendant  la  nuit  qui  avait  suivi 
le  combat,  nuit  du  20  au  21,  il  avait  perdu  de  vue  le  Soleil 


16.  2  février  1760  A.  M.,  B*  94,  fol.  71  et  suiv.  —  Cette  lettre,  d'une  rédac- 
tion fort  incorrecte,  est  signée  «  de  La  TuUay  ».  Ce  n'est  pas  le  chevalier 
de  La  TuUaye,  lieutenant  d'artillerie  du  17  mai  1751  :  car,  de  1758  à  1762, 
11  fit  partie  de  l'escadre  de  d'Aché  dans  les  Indes. 

17.  A.  M..  B*  88. 


GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CAMPAGNE  DE  1759.   359 

Royal.  Son  pilote  lui  avait  représenté  le  danger  de  rester 
au  milieu  des  récifs  de  ces  parages.  <(  Sur  cet  avertisse- 
ment, je  jugeai  que  M.  de  Conflans,  à  qui  ses  pilotes 
n'auraient  pas  manqué  de  dire  la  même  chose,  prendrait 
le  parti  de  venir  au  vent  pour  doubler  la  terre  et  gagner 
le  large.  C'est  le  parti  que  je  pris  et  le  seul  qu'il  y  eût  à 
prendre,  dans  la  position  gênante  où  nous  étions  sur  la 
terre.  Les  vaisseaux  que  j'ai  trouvés  ici  ont  pris  le  même 
parti,  et  je  suis  surpris  de  n'y  avoir  pas  rencontré  le 
Soleil  Royal  et  nos  autres  vaisseaux.  » 

Le  ministre  ayant  envoyé  l'ordre  aux  vaisseaux  de 
Rochefort  de  partir  incessamment  pour  Brest,  Bauiïre- 
mont  répondit  (V  décembre)  pour  montrer  les  inconvé- 
nients de  cette  nouvelle  traversée.  (<  D'ailleurs,  après 
avoir  représenté  les  inconvénients  comme  je  les  ressens 
dans  ma  conscience,  je  suis  fait  pour  obéir  à  tous  les 
ordres  qu'on  me  donnera.  J'irai  gaiement  partout,  tou- 
jours avec  zèle,  et  je  me  flatte  que  je  me  tirerai  comme 
un  autre  des  obstacles  qui  ne  seront  pas  insurmon- 
tables. »  Il  revenait  sur  la  journée  du  2L  «  La  première 
chose  que  l'on  doive  faire  après  un  combat  qui  n'est  pas 
heureux  est  de  se  mettre  en  sûreté  dans  le  port  dont  le 
chemin  est  le  plus  libre.  Malgré  les  obstacles,  je  me  tiens 
encore  mieux  ici  que  si  j'étais  dans  la  Vilaine.  Je  n'ai  eu 
et  je  n'aurai  jamais  pour  règle  dans  toute  ma  conduite 
que  le  bien  du  service.  Je  me  suis  rencontré  dans  mes 
idées  sur  ma  relâche  avec  tous  les  capitaines  expéri- 
mentés, qui  ont  pris  le  même  parti.  Il  serait  dur  d'avoir 
à  me  justifier  d'avoir  bien  fait,  et  huit  vaisseaux  qui  se 
trouvent  en  sûreté  ici  ^^  doivent  faire  plaisir  assurément, 
bien  loin  qu'on  en  puisse  être  fâché  de  les  y  voir,  et  je 


IS   Le  huitième  était  l'Intrépide,  Qui  était  venu  mouiRer  le  22  novembre 
dans  la  rade  de  l'île  d'Aix. 


360  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 

suis  persuadé,  monsieur,  que  vous  êtes  trop  juste  pour 
ne  pas  le  penser,  quoique  vous  ne  me  fassiez  pas  l'hon- 
neur de  me  le  dire.  »  -1 

En  1762,  comme  une  lieutenance  générale  était  vacante 
dans  la  marine,  Bauffremont  la  sollicita  pour  lui-même 
auprès  du  ministre  Choiseul,  avec  qui  il  avait  des  rap- 
ports de  parenté.  On  lui  fit  savoir  que  la  nomination 
siérait  suspendue  pour  le  moment.  «  Je  ne  peux  m'en 
prendre,   répondit  le  chef  d'escadre,   qu'à  la  fâcheuse 
étoile  qui  domine  depuis  si  longtemps  sur  le  nom  de      i 
Bauffremont.  »  Dans  cette  longue  lettre  ^^,  écrite  pour 
détruire  les  préventions  du  ministre  et  réfuter  «  les  plus      ? 
lâches  calomnies  et  les  plus  odieuses  »,   il  exposait  le      | 
rôle,   secondaire  à  ses  yeux,   qu'il  avait  joué  dans  la      | 
journée  du  21  novembre  1759.  «  Je  n'ai  jamais  vu,  et      | 
c'est  peut-être  la  première  fois,  —  ce  coup  nous  était      | 
réservé,  —  qu'on  s'en  soit  pris,  dans  une  affaire  malheu-      'i 
reuse,  à  ceux  qui  ne  commandaient  pas.  »  La  partie  la 
plus  intéressante  de  son  plaidoyer  est  celle  où  il  s'efforce 
d'établir,  par  le  tableau  des  divisions  et  la  constatation 
des  jours  et  heures  des  arrivées  à  l'île  d'Aix,  qu'il  n'est 
pas  responsable  du  départ  des  sept  autres  vaisseaux. 

((  Je  me  retirai  seul  à  Rochefort.  Je  n'y  menai  point 
ma  division,  comme  on  l'a  voulu  dire  très  faussement.  » 
De  sa  division,  il  n'y  avait  à  Rochefort  que  deux  vais- 
seaux :  l'un,  le  Northumberland,  était  arrivé  six  heures 
avant  le  Tonnant  ;  l'autre,  Vlntrépide,  vingt-quatre 
heures  après  ;  dans  sa  route,  il  n'avait  vu  aucun  de  ces  m 
deux  vaisseaux,  «  qui  ont  pris  d'eux-mêmes  leur  parti,  " 
forcés  par  la  nécessité  et  circonstance.  »  Des  cinq  autres 
vaisseaux,  trois,  VOrient  20,  le  Dauphin  Royal  et  le  Soli- 

19   Paris,  9  septembre  1762.  A.  M.,  B*  88.  fol.  224-229. 
20.  Guébriant   explique  le  départ   de  l'Orient  presque  dans  les  mêmes 
termes  que  Bauffremont  pour  le  Tonnant.  'L'Orient,  matelot  d'arrière  du 


GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CAMPAGNE  DE  1759.    361 

taire  appartenaient  à  la  première  division  (Guébriant)  ; 
deux,  le  Magnilique  et  le  Bizarre,  à  la  troisième  (Saint- 
André).  ((  C'est  donc  à  tort  qu'on  veut  que  j'aie  mené 
toute  ma  division,  qui  était  la  seconde,  à  Rochefort,  et 
très  improprement  et  pour  me  nuire  par  cette  fausseté 
manifeste,  qu'on  a  voulu  appeler  ces  vaisseaux  réunis  la 
division  de  M.  de  Bauff remont.  »  On  a  accordé  des 
grâces  à  presque  tous  les  officiers  qui  avaient  pris,  de 
leur  côté,  le  parti  de  gagner  Rochefort,  par  l'impossibi- 
lité où  l'on  était  d'aller  à  Brest  par  le  gros  vent  contraire 
qui  soufflait.  «  Il  n'y  a  que  moi  seul  que,  depuis  ce  temps, 
on  laisse  dans  la  disgrâce...  Je  n'ai  point  su  qu'on  ait 
cassé  le  col  à  tous  ceux  qui  étaient  à  Crefeld  et  à  Minden. 
Pourquoi  donc  s'en  prendre  à  moi  si  le  succès  de  l'affaire 
du  Morbihan  n'a  pas  répondu  aux  vœux  de  la  cour  et  de 
la  nation  ?  Je  ne  commandais  pas  ;  aussi,  avec  justice, 
on  ne  peut  s'en  prendre  à  moi  de  rien...  » 

((  Je  ne  commandais  pas.  »  C'est  Bauffremont  lui-même 
qui,  dans  son  inconscience,  prononce  sa  condamnation. 
Puisqu'il  ne  commandait  pas,  il  n'avait  qu'à  obéir,  c'est- 
à-dire  à  rester  aux  ordres  de  M.  de  Conflans.  Qu'il  ait 
aperçu  ou  non  les  signaux  du  maréchal,  son  devoir  strict 
était  de  ne  pas  perdre  de  vue  le  Soleil  Royal.  D'autre 
part,  Bauffremont  ne  s'était  pas  rappelé  qu'il  était  chef 
d'escadre  ;  placé  à  la  tête  d'une  division  de  sept  vaisseaux 
de  ligne,  il  ne  devait  faire  aucun  mouvement,  surtout 
dans  un  parti  aussi  grave,  sans  en  informer  toute  sa 
division.  Il  n'a  pas  pensé  un  moment  à  ses  obligations 

Soleil  Royal,  avait  tiré  les  derniers  coups  de  canon  de  la  journée  du 
20  novembre.  Au  milieu  de  la  nuit,  il  perdit  de  vue  le  maréchal  ;  il  était 
alors  à  une  lieue  à  l'ouest-sud-ouest  de  l'île  Dumet.  Sur  les  conseils  de 
ses  pilotes,  il  tint  le  vent  pour  doubler  ces  parages  dangereux.  «  Faisant 
cette  route,  j'ai  eu  connaissance  de  plusieurs  de  nos  vaisseaux  faisant 
même  route,  parmi  lesquels  j'ai  reconnu  le  Tonnant...  »  Il  ne  parle  pas  de 
la  conversation  qu'il  aurait  eue  au  porte- voix  avec  Bauffremont.  —  Lettre 
du  22  novembre  1759,  en  rade  de  l'île  d'Aix.  A.  M.,  B*  88,  fol.  245. 


362  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS    XV. 

impérieuses  vis-à-vis  de  son  chef  et  vis-à-vis  de  ses 
subordonnés.  Il  ne  faut  pas  dire  que  Bauff remont  a  péché 
contre  l'honneur,  mais  qu'il  a  péché  contre  la  discipline. 
Comme  les  sept  autres  capitaines,  coupables  eux  aussi, 
qui  gagnèrent  Rochefort  de  leur  propre  décision,  il  avaii 
oublié  cette  règle  absolue  :  sur  le  champ  de  bataille 
l'initiative  de  tout  subordonné  est  absorbée  par  la  volonté 
suprême  du  commandant  en  chef.  C'est  là  tout  son 
crime  ;  il  est  déjà  suffisamment  grand. 

Revenons  à  M.  de  Conflans.  Dans  la  matinée  du 
21  novembre,  il  n'y  avait  plus  autour  du  Soleil  Royal  que 
huit  vaisseaux.  Peut-on  songer  à  blâmer  M.  de  Conflans, 
qui,  déjà  depuis  la  veille,  songeait  à  se  dérober,  d'avoir 
voulu  fuir  à  ce  moment,  quand  la  fuite  était  dès  lors  le 
seul  moyen  de  sauver  ses  derniers  bâtiments  ?  Il  pouvait 
gagner  ou  la  Vilaine  ou  la  Loire.  Dans  la  soirée  du  21, 
sept  vaisseaux,  —  le  Brillant,  le  Dragon,  VËveillé,  le 
Glorieux,  Vlnflexible,  le  Robuste,  le  Sphinx,  —  et  quatre 
bâtiments  légers,  —  la  Vestale,  la  Calypso,  V Aigrette,  la 
Noire  ^,  —  mouillaient  à  l'entrée  de  la  Vilaine  ;  puis,  la 
marée  aidant,  ils  franchissaient  la  barre  de  cette  rivière 
et  allaient  s'échouer  à  l'intérieur.  Ceux-ci,  pour  le 
moment,  étaient  sauvés,  mais  ils  n'étaient  pas  au  bout  de 
leurs  malheurs. 

Quant  à  nos  derniers  vaisseaux,  harcelés  par  les  bor- 
dées des  Anglais,  ils  firent  force  de  voiles  pour  gagner 
la  baie  du  Crcisic,  par  une  mer  toujours  très  mauvaise. 
Le  Juste,  dont  les  deux  capitaines,  les  deux  frères  de 
Saint-Allouarn,  avaient  été  tués  dans  l'action,  s'était 
perdu  dès  le  20,  à  l'entrée  de  la  Loire,  avec  tout  son 
équipage,  lorsque  le  nouveau  commandant.  Du  Châtel 
Taneguy,  essayait  de  pénétrer  dans  ce  fleuve.  Le  Héros, 

21.  La  ciTitralèma  frégate,  l'Hébé,  n'avait  pu  suivre  l'escadre,  ayant  été 
désemparée,  le  18,  par  un  abordage  avec  le  Robuste. 


GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CAMPAGNE  DE  1759.   363 

du  vicomte  de  Sanzay,  seul  survivant,  avec  le  vaisseau- 
amiral,  du  combat  de  la  veille,  se  jeta  à  la  côte,  au 
Croisic  ;  auprès  de  lui  vint  aussi  s'échouer  le  Soleil 
Royal. 

Le  22,  le  temps  étant  devenu  plus  maniable,  Hawkc 
s'approcha  du  Croisic  ;  la  veille,  il  avait  perdu  trois 
navires  dans  ces  parages  infestés  de  récifs.  A  la  vue  de 
l'ennemi,  Conflans  fit  évacuer  et  incendier  le  Soleil  Royal 
et  le  Héros  ;  on  n'avait  pas  eu  le  temps  de  sauver  la 
magnifique  artillerie  du  Soleil  Royal.  L'escadre  française 
était  à  ce  moment  ou  détruite  ou  dispersée,  presque  sans 
avoir  combattu.  Hawke  n'avait  plus  rien  à  faire  sur  cette 
côte  dangereuse,  il  reprit  le  large. 

Tel  est  cet  ensemble  d'opérations  fatales  qui  dura  trois 
jours,  du  20  au  22  novembre  ;  on  l'appelle  d'ordinaire  la 
bataille  de  M.  de  Conflans,  «  du  nom,  dit  un  historien,  du 
lâche  maréchal,  sans  doute  pour  que  le  souvenir  ne  s'en 
perdît  pas  et  qu'il  restât  à  jamais  l'exécration  de  la  posté- 
rité ^  ».  Qu'on  reproche  des  grosses  fautes  au  malheu- 
reux amiral,  soit  ;  mais  il  ne  ressort  nullement  du  récit 
de  ces  tristes  journées  qu'il  doive  être  flétri  au  nom  de 
l'honneur  militaire.  Il  y  a  bien  plus  de  vérité  dans  ces 
lignes  d'un  inconnu,  qui  écrivait  de  Rochefort,  le  25  no- 
vembre ^3  :  ((  Voici  une  suite  de  ce  que  nous  voyons  depuis 
longtemps  :  des  bévues,  des  preuves  d'ignorance  et  enfin 
des  sottises,  beaucoup  de  bonne  volonté,  point  de  capa- 
cité, beaucoup  de  bravoure,  point  de  tête,  et  de  la  pré- 
somption sans  méfiance.  Voilà  un  raccourci  de  ce  qui 
vient  de  se  passer.  » 

Le  crime  de  Bauffremont  fut  de  n'avoir  pas  obéi  ;  le 


22.  [MOUFLE  d'Angerville],  Vie  privée  de  Louis  XV,  t.  III,  p.  214. 

23.  A.   M.,   B*  86,   fol.   317. 


364  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 

crime  du  maréchal  de  Conflans  fut  de  n'avoir  pas  com- 
mandé et  d'avoir  perdu  la  tête,  au  moment  le  plus 
critique.  Sorti  de  Brest  avec  une  extrême  lenteur,  il 
n'éclaire  pas  sa  route.  Arrivé  sur  le  théâtre  même  de  ses 
opérations,  il  est  en  proie  à  une  indécision  perpétuelle  : 
il  veut  chasser  l'ennemi,  puis  se  réfugier  dans  le  Mor- 
bihan, puis  gagner  le  large.  Réduit  à  échouer  son  vais- 
seau, il  eut  le  très  grand  tort  de  le  détruire  en  entier, 
avant  que  l'attaque  même  de  Hawke  ne  lui  en  eût  fait  une 
nécessité  inévitable. 

Préoccupé  avant  tout  d'embarquer  le  convoi  du  Mor- 
bihan, M.  de  Conflans  avait  voulu  éviter  la  bataille  géné- 
rale et  avait  tout  sacrifié  à  cette  idée.  Comme  il  l'écrivait 
à  d'Aiguillon,  du  jour  et  du  lieu  même  de  son  débarque- 
ment (le  Croisic,  21  novembre),  l'inégalité  des  forces  en 
était  la  cause  :  <(  Il  ne  faut  pas  se  mettre  dans  l'esprit 
de  faire  quelque  chose  d'avantageux  avec  une  infériorité 
aussi  marquée  Cela  devrait  bien  corriger  des  entreprises 
qu'on  n'a  pas  assez  combinées.  » 

En  même  temps,  il  avait  écrit  à  Berryer  :  «  Je  suis 
fâché,  monsieur,  d'avoir  à  vous  annoncer  cette  triste  nou- 
velle ;  mais  vous  pouvez  assurer  le  roi  que  je  m'y  suis 
comporté  avec  fermeté  et  sagesse,  n'ayant  jamais  eu  pour 
but  que  d'exécuter  les  ordres  de  Sa  Majesté  pour  par- 
venir à  faire  réussir  le  projet  du  Morbihan.  Mais  ce 
combat,  qui  a  été  inévitable,  anéantit  celui  prémédité 
(sic)  ;  c'est  à  quoi  on  devrait  s'attendre  quand  les  forces 
sont  aussi  inférieures,  surtout  dans  une  saison  qui 
l'aurait,  malgré  cela,  rendu  impraticable...  » 

Il  ne  viendra  à  l'idée  de  personne  de  comparer  notre 
grand  Tourville  et  le  maréchal  de  Conflans  ;  mais  ne 
peut-on  pas  remarquer  certaines  analogies  entre  la 
bataille  de  la  Hougue  et  la  bataille  des  Cardinaux  ?  Dans 
l'admirable  journée  du  29  mai  1692,  Tourville  avait  lutté 


GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CAMPAGNE  DE  1759.   365 

un  contre  deux,  sans  se  laisser  entamer  ;  comme  cet  effort 
héroïque  ne  pouvait  se  prolonger,  il  avait  fait  le  signal 
à  son  escadre,  qu'il  avait  toute  sous  la  jffiain,  de  prendre 
chasse.  Obligé  de  s'échouer  à  Saint-Vast,  il  avait  brûlé 
le  Soleil  Royal  et  les  vaisseaux  qui  s'étaient  échoués  à 
ses  côtés.  Le  vaisseau-amiral  de  M.  de  Conflans  portait 
le  môme  nom  que  celui  de  Tourville  ;  il  finit  comme  lui, 
mais  il  n'avait  pas  eu,  pour  consoler  ses  malheurs,  une 
nouvelle  journée  du  29  mai.  Conflans  avait  moins  songé 
à  se  battre  le  20  novembre  qu'à  se  mettre  à  l'abri  pour 
protéger  le  convoi.  Tout  à  coup  s'étant  vu  seul,  il  avait 
cru  qu'en  se  dérobant  de  nouveau  il  pourrait  conserver 
au  roi  quelques  vaisseaux  de  premier  ordre.  Le  Croisic 
lui  parut  un  abri  sûr  :  ce  fut  une  autre  rade  de  Saint- 
Vast.  Mais  la  journée  de  Saint-Vast  la  Hougue  avait  été 
précédée  de  la  journée  de  la  Hague,  et  la  journée  ,du 
Croisic  fut  précédée  de  la  journée  des  Cardinaux. 

Le  gouvernement  ne  fit  point  comparaître  devant  un 
conseil  d'enquête  l'amiral,  plus  malheureux  certainement 
que  coupable,  pas  plus  d'ailleurs  que  le  chef  d'escadre 
Bauffremont  ;  on  se  borna  à  faire  attendre  à  celui-ci 
jusqu'en  1764  la  lieutenance  générale  qu'il  avait  sollicitée 
en  1762.  La  sévérité  n'était  pas  alors  dans  nos  mœurs  ; 
à  présent  que  notre  marine  était  morte,  il  semblait  qu'on 
reculât  devant  un  procès  qui  aurait  pu  avoir  pour  unique 
résultat  d'étaler  au  grand  jour  notre  désorganisation 
politique  et  militaire.  Conflans  quitta  la  marine  ;  il  vécut, 
à  peu  près  oublié,  jusqu'en  1777. 

La  bataille  des  Cardinaux  fut  le  tombeau  de  la  marine 
de  la  France  sous  le  règne  de  Louis  XV.  La  descente  en 
Angleterre  fut  immédiatement  abandonnée,  car  elle  était 
dès  lors  mafériellement  impossible.  Berryer  écrivit 
aussitôt  à  d'Aiguillon  :  a  Je  ne  vous  dirai  point,  mon- 
sieur, combien  j'ai  été  pénétré  de  douleur  aux  tristes 


366  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS    LOUIS   XV. 

nouvelles  du  désastre  de  l'escadre  de  Brest.  M.  le  maré- 
chal de  Belle-Isle  vous  écrit  que  le  roi  a  pris  le  parti  de 
suspendre  l'expédition  particulière.  »  (Versailles,  25  no- 
vembre 1759.)  Il  fallut  licencier  les  troupes  du  Morbihan, 
qui  périssaient  d'inaction  depuis  de  longues  semaines  ;  il 
fallut  renoncer  aussi  à  tout  projet  du  côté  de  la  Manche 
et  de  la  mer  du  Nord.  Ce  sacrifice  était  la  ruine  de  toutes 
nos  espérances  et  de  notre  dernière  chance  de  salut  ; 
mais  quelque  douloureux  qu'il  lût,  il  était  peut-être  moins 
cruel  encore  que  toutes  les  humiliations  qu'il  nous  fallut 
subir  de  nouveau  sur  toutes  nos  côtes.  Nous  ne  pouvions 
plus  nous  y  opposer  :  depuis  les  journées  de  Lagos  et  de 
Ouiberon,  la  France  n'avait  plus  d'escadres  ni  sur  la 
Méditerranée  ni  sur  l'Océan.  <(  A  quoi,  s'écriait  le  cheva- 
lier de  Mirabeau,  est  réservé  ce  malheureux  pays  !  Dieu 
veuille  y  mettre  la  main  !  J'en  ai  pleuré  et  j'en  pleure 
encore.  » 

Hawke,  dont  la  hardiesse  méthodique  et  raisonnée  fait 
à  l'avance  penser  au  génie  militaire  de  Nelson,  exploita 
merveilleusement  sa  victoire,  en  semant  la  terreur  sur 
toutes  les  côtes  du  golfe  de  Gascogne.  11  apparut,  le 
29  novembre,  sur  cette  rade  de  Rochefort,  qui  lui  était 
familière  ;  il  avait  espéré  enlever  la  division  de  huit  vais- 
seaux qui  s'était  réfugiée  auprès  de  l'île  d'Aix  ;  mais  ils 
eurent  le  temps  de  remonter  en  rivière,  et  il  renonça  à 
pousser  sa  pointe  plus  avant.  Il  courut  ensuite  devaM  le 
Croisic  et  menaça  de  bombarder  la  ville  et  les  villages 
voisins,  sous  prétexte  que  les  Français  s'opposaient  à 
l'enlèvement  de  la  magnifique  artillerie  du  Soleil  Royal. 
La  ferme  attitude  du  duc  d'Aiguillon  et  de  son  subor- 
donné, le  marquis  de  Broc,  coupa  court  à  ces  prétentions 
léonines.  Le  Soleil  Royal  ne  s'était  pas  rendu,  il  n'avait 
pas  été  pris  ;  l'ennemi  ne  pouvait  avoir  aucun  droit  sur 


GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CAMPAGNE  DE  1759.   367 

ses  canons.  Ces  dernières  épaves  du  vaisseau-amiral 
restèrent,  en  effet,  entre  nos  mains.  Hawke  réclamait 
aussi  comme  prisonnier  de  guerre  l'équipage  du  Héros, 
par  la  raison  que  le  vaisseau  de  M.  de  Sanzay  avait,  à 
un  moment,  amené  son  pavillon.  11  lui  fut  répondu,  par 
une  consultation  d'officiers  généraux  et  de  capitaines  de 
vaisseau  2^,  que  le  Héros  n'avait  pas  été  amariné,  et  qu'il 
était  du  droit  des  gens  que  tout  prisonnier  qui  n'a  pas 
engagé  sa  parole  a  le  droit  de  s'évader. 

Les  Anglais  avaient  mieux  à  faire  qu'à  réclamer  des 
canons  ou  des  prisonniers  :  ils  pouvaient  à  leur  aise 
recommencer  leurs  opérations  de  descente.  Dans  la  nuit 
du  12  au  13  juillet  1760,  ils  débarquaient  à  l'embouchure 
de  l'Orne  et  détruisaient  les  batteries  de  Sallenelles  et 
d'Ouistreham  ^.  Deux  jours  plus  tard,  le  15  juillet,  neuf 
vaisseaux,  de  l'escadre  de  Rodney,  bombardaient  Port- 
en-Bessin,  où  s'étaient  réfugiés  cinq  bateaux  plats  qui 
transportaient  des  bois  de  la  marine  du  Havre  à  Brest. 
Mais  le  mieux  pour  les  Anglais  était  de  s'établir  dans  nos 
îles  de  l'Océan  :  ils  n'y  manquèrent  point.  Ce  fut  d'abord 
l'île  d'Yen,  où  ils  ne  firent  d'ailleurs  qu'une  descente  ;  ce 
fut  ensuite  Belle-Ile,  dont  ils  furent  maîtres  pendant  deux 
ans  26. 

S'il  était  nécessaire  de  donner  une  preuve  de  la  ruine 


24.  Consultation  rédigée  par  d'Auhigny,  Roqiiefcuil,  La  Touche  Tréville, 
Breugnon,  Bory.  A.  M.,  B  "  88,  fol.  26G  et  suiv. 

25.  A  cet  épisode  est  resté  attaché  le  souvenir  du  «  général  »  Cabieu,  un 
brave  sergent  garde  côte  de  la  paroisse  d'Ouistreham.  Hippeau,  Le  Gouver- 
nement de  Nom  andie...,  t.  I,  p.  437. 

26  En  1759,  Je  lieutenant  de  vaisseau  J.  de  Calvimont,  qui  croisait  avec 
le  Stock  auprès  de  la  tour  de  Cordouan,  détruisit  plusieurs  corsaires 
anglais  à  l'entrée  de  la  Gironde.  Ducéré,  Les  Corsaires  sous  l'ancien 
régime,  p.  249. 

D'autres  épisodes  sur  la  défense  des  côtes  de  Bretagne,  en  janvier  1761, 
sont  indiqués  par  Bremond  d'.4rs.  Les  Marins  frajiçais  dans  les  derniers 
combats  livrés  auix  Anglais...,  Vannes,  1900. 


368  LA   MARINE    MILITAIRE    SOUS    LOUIS    XV. 

complète  de  notre  marine  depuis  le  désastre  des  Cardi- 
naux, on  n'en  pourrait  trouver  de  plus  tristement 
éloquente  que  la  manière  dont  Belle-Ile  fut  prise  par  les 
Anglais. 

Le  7  avril  1761,  le  chevalier  de  Sainte-Croix,  brigadier 
des  armées  du  roi,  commandant  militaire  de  Belle-Ile, 
aperçut,  au  large  de  la  «  côte  sauvage  »,  environ  vingt- 
cinq  bâtiments  de  guerre  et  une  centaine  de  transports  ; 
c'était  la  flotte  de  l'amiral  Keppel,  qui  amenait  un  corps 
de  débarquement  de  près  de  dix  mille  hommes.  Sainte- 
Croix,  qui  n'avait  pour  défendre  l'île  que  deux  régiments 
et  quelques  bataillons  de  milice,  ne  pouvait  empêcher  les 
Anglais  d'aborder.  Dès  le  8  avril,  ils  débarquaient  dans 
une  anse  auprès  de  Locmaria,  à  l'angle  sud-est  de  l'île. 
L'énergique  commandant  avait  fait  prendre  à  ses  hommes 
d'excellentes  positions  de  combat  ;  aussi  les  Anglais,  à 
peine  débarqués,  se  heurtèrent  à  une  résistance  dont  ils 
ne  purent  triompher  :  le  jour  même  de  leur  descente, 
ils  perdirent  quatre  cents  prisonniers.  Craignant  de 
courir  à  un  désastre,  Keppel  suspendit  provisoirement 
l'attaque  ;  il  se  borna  à  croiser  en  vue  de  Locmaria,  après 
avoir  rembarqué  tout  son  monde.  Il  ne  se  passa  rien 
d'autre  jusqu'au  22.  Dans  cet  intervalle  de  quatorze  jours, 
du  8  au  22  avril,  le  temps  ne  manqua  certes  pas  pour 
expédier  de  Lorient,  qui  est  à  quelques  heures  à  peine, 
à  défaut  d'une  escadre  pour  disputer  la  mer  aux  Anglais 
—  d'escadre,  nous  n'en  avions  plus,  —  quelques  bâti- 
ments qui  auraient  pu  jeter  au  port  du  Palais  des 
hommes,  des  munitions,  des  vivres.  Cela  même,  on  ne  le 
fit  pas,  on  n'essaya  pas  de  le  faire  ;  peut-être  ne  le  pou- 
vait-on pas. 

Cependant,  Keppel  avait  pu  faire  demander  du  renfort 
^n  Angleterre  ;  le  21,  il  recevait  six  nouveaux  vaisseaux 
de  guerre  et  deux  mille  quatre  cents  hommes  de  plus.  Le 


GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CAMPAGNE  DE  1759.   369 

22,  il  recommença  sa  tentative  sur  Locmaria.  Soutenus 
par  un  feu  très  violent,  auquel  Sainte-Croix  ne  pouvait 
rien  opposer,  quatre  mille  hommes  débarquèrent  ; 
malgré  tous  les  efforts  des  Français,  ils  s'établissaient  à 
la  pointe  de  l'île.  Les  Anglais  purent  alors  descendre  à 
terre  leur  matériel  d'artillerie.  Le  29,  le  siège  de  la  cita- 
delle du  Palais  commençait  par  terre  et  par  mer.  Un  récit 
du  temps  rapporte,  dans  tous  ses  détails,  l'énergique 
résistance  de  M.  de  Sainte-Croix^.  La  poignée  de  Fran- 
çais qui  était  au  Palais  fit  des  prodiges  d'héroïsme, 
n'ayant  d'autre  espoir  que  dans  un  secours  qui  viendrait 
du  dehors.  Leur  résistance  se  prolongea  jusqu'au  7  juin, 
soit  pendant  quarante  jours.  Pendant  ces  six  longues 
semaines,  rien  ne  fut  tenté  pour  venir  au  secours  de  ces 
braves  gens,  que  quatre  petites  lieues  à  peine  séparaient 
de  Ouiberon.  Un  corsaire  de  Morlaix,  Cornic-Duchêne  2^, 
proposa,  dit-on,  au  duc  d'Aiguillon,  de  lancer  des  brûlots 
sur  les  vaisseaux  de  Keppel  ;  on  ne  lui  permit  pas  d'exé- 
cuter son  idée,  ou  les  Anglais  ne  lui  en  laissèrent  pas  le 
temps.  Le  7  juin,  Sainte-Croix  capitulait  avec  tous  les 
honneurs  de  la  guerre  ;  il  sortait  du  Palais  tambours 
battants,  drapeaux  déployés,  mèches  allumées  ;  ses 
troupes  furent  reconduites  en  France.  C'est  avec  raison 
que  les  Parisiens  firent  fête  au  vaillant  défenseur  de  Belle- 
Ile  ;  le  chevaher  de  Sainte-Croix  devint  le  héros  du  jour. 
Mais  quelle  tristesse  de  n'avoir  rien  pu  faire  au  cours  de 
ce  blocus,  qui  se  prolongea  pendant  deux  mois  entiers, 
en  vue  même  de  nos  côtes  1 

Les   Anglais   étaient   établis   à   quelques   heures   du 
Croisic,  de  Lorient,  de  Brest  ;  ils  avaient  au  milieu  de 


27   Journal  de  Belle-lsle  depuis  le  8  avril  /76/...  Brest.  1761.  Cf.  A.  M., 

2i>.  Sur   Cornic  Ducliêne,    voir   notre   Marine   militaire   sous   Louis   XVI, 
p.   673. 

21 


370  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS    LOUIS   XV. 

l'Océan  un  camp  de  refuge,  d'où  ils  pouvaient  infester 
impunément  les  côtes  du  golfe  de  Gascogne  ;  bloquée 
d'un  côté  par  Jersey,  de  l'autre  par  Belle-Ile,  la  Bretagne 
semblait  réservée  à  l'invasion.  Voilà  les  hontes  et  les 
tristesses  qu'il  nous  fallut  supporter  jusqu'à  la  fin  de  la 
guerre.  Ce  ne  fut  qu'à  la  paix  de  Paris,  deux  ans  plus 
tard,  que  les  Anglais  consentirent  à  nous  rendre  leur 
conquête,  en  échange  de  Port-Alahon. 

A  Tépoque  où  l'audace  des  Anglais,  servie  par  notre 
impuissance,  leur  permettait  de  s'emparer  de  Belle-Ile, 
l'escadre  de  Boscaw^en  croisait  en  permanence  devant 
l'embouchure  de  la  Vilaine.  A  la  suite  de  la  bataille  de 
Quiberon,  sept  vaisseaux  et  quatre  frégates  s'étaient 
retirés  à  l'intérieur  de  ce  fleu\e  ;  les  vents  contraires  et 
la  présence  des  Anglais  les  avaient  empêchés  d'en  sortir. 
Berryer,  toujours  préoccupé  de  faire  des  économies, 
parlait  de  faire  désarmer  des  bâtiments  devenus  inutiles. 
Les  officiers  protestèrent.  Le  ministre  leur  répondit 
sèchement  «  de  ne  pas  ajouter  de  folles  dépenses  à  un 
très  grand  mal  ».  Nouvelle  protestation,  bruyante  et  col- 
lective, des  officiers  ;  ils  demandèrent  à  être  déférés 
devant  un  conseil  de  guerre,  <(  seul  juge  compétent, 
disaient-ils,  pour  juger  des  laits  dénaturés  par  d'indé- 
centes et  fausses  relations  ».  C^  conflit  entre  le  ministre 
et  les  officiers  se  termina  par  la  cassation  des  officiers  et 
l'internement  au  château  de  Saumur  de  l'un  d'eux, 
M.  Villars  de  La  Brosse,  iaut-eur  de  la  lettre  au 
ministre  ^^. 

Cependant,  Berryer  promit  le  grade  de  capitaine  de 
vaisseau  aux  officiers  qui  se  chargeraient  de  faire  sortir 
les  navires.  Deux  lieutenants  de  la  marine  royale  accep- 

29.  Enfermé  en  vertu  d'un  ordre  du  roi  du  14  février  1760,  Villars  de  La 
Brosse  fut  remis  en  liberté  par  un  ordre  du  1"  décembre  1761. 


GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CAMPAGNE  DE  1759.   371 

tèrent,  le  chevalier  de  Ternay  et  le  comte  d'Hector  ^o^ 
ainsi  que  deux  officiers  de  la  compagnie  des  Indes, 
Marion  Du  Fresne  3i  et  Duboux-Desages,  ce  qui  devait 
amener  encore  une  nouvelle  protestation  des  officiers 
rouges.  Le  chevalier  d'Arsac  de  Ternay,  alors  lieutenant 
de  vaisseau,  montra  dans  cette  lâche  ingrate  les  qualités 
de  décision  et  d'énergie  qui  devaient  marquer,  en  1762, 
son  expédition  à  Terre-Neuve  et,  en  1780,  son  expédition 
des  Etats-Unis  ;  car  c'est  à  lui  que  devait  revenir  l'hon- 
neur de  conduire  en  Amérique  les  troupes  de  Rocham- 
beau.  Pour  tromper  les  Anglais,  il  avait  fait  remonter  les 
navires  le  plus  haut  possible  dans  la  Vilaine  et  il  les 
avait  désarmés,  dans  l'intention  de  les  réarmer  deux  par 
deux  et  de  tenter  plusieurs  sorties  partielles.  Le  vent 
le  contraria  longtemps  ;  il  écrivait,  le  15  février  1760  : 
((  La  ressource  des  marins  est  de  jurer  contre  les  vents 
lorsqu'ils  s'opposent  à  leurs  projets  ;  c'est  précisément  le 
cas  où  je  me  trouve  actuellement.  »  A  un  moment,  pour 
terroriser  les  vaisseaux  de  Boscawen  qui  étaient  toujours 
au  mouillage,  il  eut  l'idée  de  lancer  sur  eux  le  feu  gré- 
geois, dont  un  inventeur  prétendait  avoir  retrouvé  le 
secret.  «  Je  traite  l'Anglais  comme  un  chien  enragé,  qui 
est  à  ma  porte,  prêt  à  me  déchirer  à  ma  sortie,  et  je  ne 
connais  rien  de  sacré  contre  un  pareil  ennemi...  Ce 
serait  une  vraie  joie  pour  moi  de  repaître  mes  yeux  de 
l'embrasement  de  quelque  navire  s'^...  » 

Enfin,  le  6  et  le  7  janvier  1761,  favorisés  par  une  forte 
brume,  qui  leur  permit  de  passer  à  deux  portées  de  fusil 


30.  Charles-Jean,  comte  d'Hector.  Fils  d'un  enseigne.  Né  à  Fontenay-le- 
Comte,  22  juillet  1722.  G..  1"  janvier  1741  ;  L.,  11  février  1756  ;  C,  15  jan- 
vier 1762;  CE.,  4  mai  1779;  commandant  de  la  marine  fi  Brest,  25  dé- 
cembre 1779;  LG.,  14  août  1782;  -{-  18  août  1808,  Angleterre.  A.  M.,  C  lc9. 

31  Nicolas-Thomas  Marion  Du  Fresne,  né  à  Saint-Malo  le  22  décembre  1729, 
disparu  en  juin  1772  dans  l'île  Matonaro  (Océanie).  Etat  sommaire  des 
Archives  de  la  Marine,  p.  225. 

32.  Lettres  du  11  et  du  20  avril  1760.  Dossier  Ternay. 


372  LA    MARINE    MILITAIRE    SOUS    LOUIS    XV. 

des  Anglais  sans  être  aperçus,  Ternay  et  d'Hector  purent 
prendre  la  mer  avec  le  Dragon  et  le  Brillant  ;  deux  fré- 
gates encore  les  suivaient.  Trois  bâtiments  de  ce  petit 
convoi  arrivèrent  à  Brest,  le  10  janvier,  avec  une  avance 
de  vingt-quatre  heures  sur  les  Anglais.  Le  quatrième,  la 
frégate  la  Vestale  33^  que  commandait  alors  l'enseigne  de 
vaisseau  Boisberthelot  3^,  avait  été  pris  par  ï Unicom,  le 
9  janvier. 

Ternay  et  d'Hector  retournèrent  à  la  Vilaine  et  renou- 
velèrent leur  exploit.  Le  28  novembre,  ils  faisaient  sortir, 
au  milieu  d'un  violent  orage,  le  Robuste  et  Y Ë veillé.  Ce 
fut  toute  une  odyssée  que  la  traversée  de  ces  deux  bâti- 
ments, courant  jusqu'à  la  Corogne,  assaillis  ensuite  par 
un  terrible  coup  de  vent,  tombant  au  milieu  des  Anglais, 
parvenant  enfin  à  atterrir  à  Brest  le  16  janvier  1762.  Un 
peu  plus  tard,  en  avril  1762,  nos  derniers  navires  purent 
sortir  de  la  Vilaine  ;  le  Glorieux,  commandé  par  d'Hector, 
désarmait  à  Brest  le  7  mai.  Le  blocus  de  la  Vilaine  avait 
duré  deux  ans  et  demi.  Ternay  et  d'Hector  furent  promus 
capitaines  de  vaisseau  ;  Ternay  reçut  en  outre  une  pen- 
«ôon  de  trois  mille  livres. 

On  se  rappelle  que  le  projet  d'invasion  des  îles  Britan- 
niques, arrêté  au  milieu  de  l'année  1759,  comprenait, 
outre  les  deux  grandes  armées  de  d'Aiguillon  et  de 
Chevert,  formées  dans  le  Morbihan  et  dans  les  Flandres, 


33.  Du  Couëdi:.  le  futur  héros  de  la  Surveillante,  était  garde-marine  sur 
la  Vestale  ;  pris  dans  ce  combat,  il  fut  prisonnier  en  Angleterre  jusqu'au 
14  juillet  1761.  —  Louis-Charles  Du  Couëdic  de  Kergoaler.  Petit-fils  du 
capitaine  de  la  noblesse  du  département  de  Quimper.  Né  le  17  juillet  1740, 
au  château  de  Kerguelenen,  diocèse  de  Quimper  ;  G.,  24  août  1756  ;  L., 
4  avril  1777  ;  C,  11  octobre  1779  ;  4-  7  janvier  1780,  à  Brest,  des  suite*^  des 
blessures  qu'il  reçut  dans  le  combat  de  la  Suneillante  contre  le  Québec 
(7  octobre  1779).  A.  M.,  C  '  173.  C\ 

34.  Chevalier  de  Boisberthelot.  Neveu  de  Boisberthelot  de  Beaucourt, 
gouverneur  de  Montréal.  G.,  12  décembre  1755;  E.,  15  janvier  1762;  L., 
24  mars  1772  ;  C,  1"  février  1777  ;  R.,  21  novembre  1777.  A.  M.,  C  '  172. 


GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CAMPAGNE  DE  1759.   373 

un  détachement  d'environ  huit  cents  hommes  qui  devait 
prendre  la  mer  à  Dunkerque  sur  la  petite  escadre  du  cor- 
saire Thurot.  Ce  vaillant  marin,  qui  faillit  renouveler  les 
exploits  des  Jean  Bart  et  des  Du  Guay-Trouin,  qui  valut 
encore  quelques  heures  de  gloire  à  notre  marine  agoni- 
sante, mériterait  d'être  plus  connu. 

Des  légendes  ont  couru  de  bonne  heure  sur  sa  famille, 
qui  passait  pour  irlandaise  ;  ce  qui  est  certain,  c'est  que 
lui-même,  François  Thurot,  était  né  loin  de  la  mer,  à 
Nuits,  en  Bourgogne  ^5.  Il  avait  commencé  la  course  de 
bonne  heure.  Les  corsaires  n'avaient,  en  effet,  cessé 
d'armer  à  Dunkerque  ^e,  où  des  travaux  importants, 
exécutés  depuis  1753,  avaient  fait  renaître  la  vie  mari- 
time ;  le  traité  de  Paris  devait,  une  fois  encore,  vouer 
Dunkerque  à  la  mort.  Thurot  s'était  fait  connaître  par 
des  actes  d'une  hardiesse  singulière  37.  Prisonnier  des 
Anglais,  il  s'était  évadé  tout  seul  dans  un  canot,  et  il 
avait  ainsi  regagné  Calais.  Au  début  de  la  guerre,  il  avait 
armé  deux  frégates,  le  Maréchal  de  BeAle-Isle  et  le  Chau- 
velin,  de  trente  canons  et  de  quatre  cents  hommes,  et  deux 
corvettes,  avec  lesquelles  il  était  parti  de  Saint-Malo  le 
16  juillet  1757-  Sa  croisière  avait  duré  dix-neuf  mois  sans 
interruption,  marqués  par  je  ne  sais  combien  de  prises 
et  d'engagements  sur  les  côtes  de  Norvège,  d'Ecosse, 
d'Irlande,  des  Pays-Bas.  Quand  il  fut  rentré  désarmer  à 
Dunkerque  (février  1759),  le  maréchal  de  Belle-Isle,  qui 

35.  «  Le  21  juiUet  1727,  d'après  Tacte  do  baptême  dont  un  extrait  est  à 
son  dossier.  »  [D.  Neuville,]  Etat  sommaire  des  Archives  de  la  Marine, 
p.  687.  Le  dossier  de  Thurot  manque  actuellement  aux  Archives  de  la 
Marine. 

36  L'ouvrage  suivant,  porté  sur  le  catalogue  de  la  Bibliothèque  natio- 
nale :  BRiANSiAux  DE  MiLLEViLLE,  Armements  en  course  à  Dunkerque 
durant  la  guerre  de  1756  jusqu'en  nsî  (Paris,  1765,  in-fol.),  n'a  pas  pu 
être  retrouvé  à  la  Bibliothèque  nationale. 

37.  Dans  une  lettre  écrite  de  Dieppe,  le  21  juillet  1756,  Thurot  raconte  en 
détail  les  courses  qu'il  vient  de  faire  sur  les  côtes  d'Angleterre.  A.  M., 
B*  72,  fol.  48-50. 


374  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 

le  connaissait  d'ailleurs  de  longue  date,  avait  pensé  aus- 
sitôt à  le  faire  entrer  dans  son  grand  projet.  Il  le  char- 
geait d'une  expédition  au  nord  de  l'Irlande,  pour  former 
dans  ce  pays  un  parti  de  mécontents  et  préparer  une 
descente,  soit  en  Irlande,  soit  en  Ecosse.  Ses  ordres 
étaient  signés  le  17  juin  1759. 

Trompant  la  surveillance  du  commodore  Boys  qui 
bloquait  nos  côtes  de  Picardie  et  de  Flandre,  Thurot 
s'était  échappé  de  Dunkerque,  —  avec  cinq  frégates,  de 
quarante-quatre  à  dix-huit  canons,  et  une  découverte 
de  huit  canons,  —  le  15  octobre,  c'est-à-dire  quand 
on  attendait  chaque  jour  la  sortie  de  Brest  de  l'escadre 
de  M.  de  Conilans.  Le  désastre  de  Ouiberon,  survenu 
quelques  semaines  plus  tard,  devait  rendre  stérile  tout 
ce  que  Thurot  pourrait  faire. 

Sa  croisière  fut  très  pénible  ;  les  mauvais  temps  le 
rejetèrent  à  Gœteborg,  puis  à  Bergen.  Le  V  janvier  1760, 
il  mouiUait  aux  îles  Fàr-OEer,  au  nord  de  l'Ecosse  ;  il  y 
passait  environ  quatre  semaines.  En  février,  il  apparais- 
sait sur  les  côtes  nord  de  l'Irlande,  devant  la  baie  de 
Londonderry.  La  mésintelligence  qui  existait  entre  lui 
et  M.  de  Flobert,  brigadier  d'infanterie  commandant  le 
petit  corps  expéditionnaire,  mésintelhgence  qui  alla 
jusqu'aux  menaces  et  aux  injures  ^s,  empêcha  de  rien 
tenter.  Thurot  fit  une  pointe  vers  l'embouchure  de  îa 
Clyde  ;  puis,  tout  à  coup,  revenant  sur  l'Irlande,  il 
débarqua,  le  21  février,  sur  la  côte  nord  du  golfe  de  Bel- 


38  Un  curieux  écho  de  cette  mésintelligence  se  trouve  dans  une  lettre 
adressée  à  «  Ma  chère  cousine  »,  dont  l'auteur  ne  peut  être  qu'un  membre 
du  petit  corps  d'expédition.  «  ...  Un  fol,  enorgueilli  de  la  faveur  et  de  la 
confiance  du  mir.istre,  qu'il  avait  abusé  par  ses  projets  chimériques  :  voilà 
le  sieur  Thui^ot,  l'homme  de  confiance  de  la  cour,  homme  sans  aucun 
talent  ni  principes,  audacieux,  insolent...  Il  est  très  heureux  d'avoir  trouvé 
une  mort  glorieuse  dans  les  combats,  qu'il  ne  devait  trouver  qu'à  la 
potence.  Cela  ne  pouvait  lui  manquer,  si  en  France  on  rend  justice.  » 
A.  M.,  B'  94,  fol.  U7. 


5 

GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CAMPAGNE  DE  1759.   37 

fast  et  à  quatre  lieues  à  peine  de  là,  à  Carricklergus.  Cette 
ville  fut  prise  ;  mais  on  y  perdit  deux  ou  trois  jours  à  faire 
bonne  chère  et  on  n'avait  pas  les  moyens  d'enlever  une 
grande  place  comme  Belfast.  Il  fallut  donc  reprendre  la 
mer,  après  avoir  renouvelé  la  provision  de  vivres. 
Quelques  jours  plus  tard,  le  28  février  17G0,  par  le  tra- 
vers de  l'île  de  Man,  Thurot,  qui  n'avait  plus  que  trois 
bâtiments,  fatigués  par  cette  dure  campagne,  rencontra 
trois  frégates  anglaises,  en  parfait  état,  sous  les  ordres 
du  Commodore  Elliot.  Deux  de  ses  navires  prirent  la 
fuite  ;  resté  seul  avec  le  Maréchal  de  Belle-Isle,  Thurot 
courut  bravement  à  cette  lutte  inégale  ;  son  souhait  était 
d'être  tué  sur  le  champ  de  bataille,  il  fut  exaucé.  Il  avait 
à  peine  trente-deux  ans  et  demi  ^s.  Rien  n'échappa  à  ce 
combat  fatal  ;  les  navires  qui  s'étaient  enfuis  furent  pris 
aussi  par  les  Anglais. 

Telle  fut  la  triste  fm  des  projets  de  descente.  On  ne  doit 
pas  donner  à  l'heureux  coup  de  main  de  l'audacieux  cor- 
saire une  importance  exagérée  ;  il  ne  faut  pas  non  plus 
le  rabaisser  outre  mesure.  On  est  en  droit  de  dire  que  la 
descente  de  Thurot  à  Carrickfergus  aurait  pu  provoquer 
une  révolution  en  Irlande  sans  le  désastre  qui  avait 
anéanti,  trois  mois  auparavant,  Fescadre  de  M.  de  Confians. 

Après  tant  de  malheurs,  la  France,  dont  les  escadres 
étaient  détruites,  les  ports  bloqués,  les  colonies  perdues, 
n'avait  plus  qu'à  attendre  dans  le  deuil  le  jour  où  le  vain- 
queur lui  dicterait  la  paix.  Mais  il  semble  que  ce  soit  le 
propre  de  notre  marine,  si  souvent  malheureuse  et  si  vail- 
lante, si  souvent  blessée  à  mort  et  toujours  renaissant  à 

39.  On  peut  corsulter  sur  Thurot  les  relations  imprimées  de  Tassin  (1760), 
du  marquis  de  Bragelongne,  major  du  corps  d'expédition  (1778),  et  sa 
Vie  [par  Maret].  1791.  Pour  sa  dernière  croisière  :  A.  M.,  B^  361,  B*  90 
et  94  Cf.  Norman,  The  Corsairs  of  France,  1887  ;  ch.  v  ;  Ducéré,  Les  Cor- 
saires sous  l'ancien  régime,  p.  256  et  suiv. 


376  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS    LOUIS   XV. 

la  vie,  de  travailler  et  d'espérer  toujours  :  spes  contra 
spem. 

Le  duc  de  Grillon,  qui  a  pu  avoir  une  part  personnelle 
dans  les  projets  de  1759,  rapporte  qu'après  l'affaire  de 
M.  de  Conflans  il  proposa  la  construction  de  chaloupes 
canonnières  d'un  faible  tirant  d'eau  et  d'un  prix  modique, 
—  vingt-quatre  mille  francs  pièce,  —  pour  faire  des 
pointes  sur  les  côtes  anglaises.  Selon  lui,  le  projet  fut 
goûté  du  roi  et  du  duc  de  Choiseul  ;  mais  l'influence  de 
y^me  çjg  Pompadour,  dont  il  n'avait  pas  sollicité  l'inter- 
vention, le  fit  rejeter  au  conseil.  «  M.  de  Grillon,  dit-il  lui- 
même,  fut  alors  encore  plus  autorisé  à  croire  qu'il  était, 
dans  ce  temps,  plus  nuisible  en  France  d'être  maladroit 
courtisan  que  mauvais  citoyen  ^^.  »  Il  passa  peu  après  au 
service  de  l'Espagne  ;  il  devait  y  renouveler  un  jour^ 
l'exploit  de  Richelieu  et  y  mériter  le  beau  titre  de  duc  de 
Mahon. 

L'emploi  de  bateaux  plats,  qui,  pour  le  chevalier  de 
Mirabeau,  étaient  de  «  plats  bateaux  »,  était  recommandé 
aussi  dans  des  mémoires  intéressants,  rédigés  par  le  chef 
d'escadre  d'Aubigny  et  le  capitaine  de  vaisseau  La 
Touche  de  Tréville  au  moment  même  où  M.  de  Gonflans 
allait  sortir  de  Brest.  Ils  avaient  été  chargés,  en 
octobre  1759,  d'une  enquête  technique  sur  l'état  de  nos 
ports,  du  Havre  à  Dunkerque^^.  Ce  passage  d'une  de 
leurs  lettres  (27  novembre  1759)  montre  tout  ce  qu'on 
pouvait  encore  demander  à  la  France,  si  on  savait  diriger 
ses  élans  généreux  :  «  Nous  venons  de  voir...  dans  la 
tournée  qui  nous  a  été  ordonnée...  les  cœurs  et  les  esprits 
tournés  vers  l'Angleterre.  Gitoyens  et  soldats  ont  une 

40   Mémoires  militaires,  p.  214-218. 

41.  A.  M.,  B*  74,  foL  41  et  sulv.  Un  autre  exemplaire  :  A.  G.,  Angleterre, 
1.  —  La  Touche  de  Tréville  avait  déjà  présenté  (6  juin  1759)  un  projet, 
d'ailleurs  très  sommaire,  pour  un  débarquement  aux  environs  de  Douvres. 
A.  M..  B*  82,  fol.  33. 


GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CAMPAGNE  DE  1759.    377 

ardeur  égale  ;  chaque  sujet  veut  contribuer  par  la  faculté 
qui  lui  est  propre  ;  en  un  mot,  c'est  un  feu  que  la  ven- 
geance attise  et  qu'il  est  important  pour  le  salut  de  l'Etat 
de  ne  pas  laisser  éteindre.  »  Ils  avaient  dressé  un  devis 
d'armement  très  détaillé  ;  ils  parlaient  de  quarante  vais- 
seaux, de  vingt-quatre  prames  à  cent  cinquante  marins, 
de  deux  cent  cinquante-deux  bateaux  plats  à  douze 
marins,  etc. 

Peu  après,  à  la  date  du  8  février  1760,  un  réfugié 
jacobite,  capitaine  au  régiment  d'Ogilvy,  nommé  Goold, 
faisait  connaître  les  résultats  d'une  enquête  personnelle 
dont  il  avait  été  chargé  par  Chevert  en  vue  d'examiner 
les  points  les  plus  favorables  à  une  descente  ^2.  II  conseil- 
lait beaucoup  de  porter  l'attaque  principale  sur  la  rive 
gauche  de  la  Tamise,  ce  qui  avait  l'avantage  de  frapper 
l'Angleterre  en  un  point  où  elle  ne  se  croyait  point  vulné- 
rable. Il  indiquait  Maldon,  mais  surtout  Walton,  un  peu 
au  sud  de  Harwich,  sur  la  côte  plate  du  Suffolk,  comme 
des  endroits  très  propices.  «  L'auteur  de  ce  mémoire  a 
été  lui-même  à  Walton,  et  un  capitaine  de  navire  lui  a 
dit  qu'il  était  le  lieu  le  plus  commode  de  toute  la  côte 
d'Angleterre,  qu'il  était  surpris  que  l'on  n'eût  pas  encore 
tenté  une  descente  dans  cet  endroit,  et  que,  s'il  était  Fran- 
çais, il  y  aurait  déjà  débarqué.  Cette  observation  mérite 
un  grand  secret,  d'autant  que  les  Anglais  paraissent 
n'avoir  aucune  inquiétude  pour  cette  partie.  » 

Parmi  les  nombreux  projets  soumis  à  cette  époque  au 
ministre  *3,  il  en  est  un  dont  on  regrettera  de  ne  pas 


42.  A.  N.,  AF  rv  1597. 

43.  Beaucoup  de  ces  projeta  se  trouvent  au  volume  B  *  100.  Le  chevalier 
de  Trévllle,  de  Carpentras,  demande  cent  millions  ï)our  embarquer  cinq 
corps  de  dix  mille  hommes  à  Toulon,  à  Bordeaux,  à  Rochefort,  à  Brest, 
au  Havre.  —  Kerguelen  Trémarec,  enseigne  de  vaisseau,  le  futur  décou- 
vreur des  terres  australes,  propose  le  plan  d'une  guerre  de  course  avec 
trente  petites  frégates  de  dix-huit  canons.   [Keirguelen  de  Trémarec.    De 


378  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS    LOUIS   XV. 

connaître  l'auteur,  car  il  présente  un  intérêt  tout  spécial, 
soit  au  point  de  vue  stratégique,  soit  au  point  de  vue 
historique.  Il  est  intitulé  :  Mémoire  sur  la  conduite  quon 
peut  tenir  par  rapport  à  Vexpédition  d' Angleterre  depuis 
la  délaite  de  M.  le  maréchal  de  Conllans^^.  Il  port^  la 
date  de  1760. 

Malgré  le  malheureux  combat  de  la  baie  de  Quiberon, 
il  ne  faut  pas  abandonner  le  projet  primitif,  qui  est  seul 
capable  de  procurer  la  paix  ;  il  faut  en  modifier  les  détails 
d'exécution.  On  doit  songer  avant  tout  à  tromper  les 
Anglais  et  à  leur  faire  disperser  leurs  forces  navales. 
L'auteur  devinant  le  Pacte  de  famille  qui  ne  fut  signé 
qu'en  août  1761,  envoie  l'escadre  de  Cadix  à  Brest  et  à 
Rochefort.  Il  fait  équiper  des  vaisseaux  à  Rochefort  et 
à  Toulon  ;  il  fait  descendre  près  de  la  mer  ceux  de  la 
Vilaine.  Les  Anglais  seront  ainsi  obligés  de  tenir  la  mer 
un  peu  partout,  au  milieu  de  l'hiver,  avec  une  trentaine 
de  vaisseaux  de  ligne  et  de  frégates.  Cela  n'est  d'ailleurs 
qu'un  moyen  de  gagner  du  temps  jusqu'à  la  campagne 
prochaine,  qui  doit  être  la  dernière. 

En  vue  de  cette  campagne,  le  mémoire  passe  la  revue 
de  toutes  nos  forces  navales.  Il  compte  quarante-huit 
vaisseaux,  soit  vingt-six  qui  étaient  armés  et  vingt-deux 
qui  pouvaient  l'être  d'ici  à  l'été.  Peut-être  y  a-t-il  de 
l'optimisme  dans  ces  calculs  ;  mais  ce  qui  paraîtra  tout 
à  fait  remarquable,  c'est  la  manière  dont  ces  forces 
devaient  être  utilisées. 

Qnimper.  G.,  6  juillet  J750;  L.,  î"  mai  1763;  C,  25  juillet  1772.]  —  Une 
dame  Piérard,  qui  se  crualifle  «  amie  de  madame  Du  Haussay  »,  c'est-à- 
dire  de  la  femme  de  chambre  de  la  marquise  de  Pompadour,  propose  au 
ministre  (à  cette  date,  4  novembre  1761,  c'était  Choiseul)  de  faire  acheter 
par  les  Hollandais  cinquante  vaisseaux  dans  les  ports  d'Angleterre,  qu'on 
armerait  ensuite  contre  les  Anglais.  «  Sil  mestois  permis  de  maboucher 
avec  votre  grandeur  je  lui  prouveroit  que  cest  non  seuUement  le  plus  -u-dis 
projet  mais  le  plus  beaux  et  le  plus  digne  d'elle...  »  Elle  fait  suivre  sa 
lettre  d'un  devis  explicatif. 
44.  Deux  exemplaires  :  B  *  86,  fol.  324-332  ;  B  *  94,  fol.  54-64. 


GUERRE  DE  SEPT  ANS.    —  CAMPAGNE  DE  1759.    379 

Une  escadre,  partie  de  Toulon,  ira  faire  la  conquête  de 
Gorée,  puis  mouillera  au  Ferrol  en  juillet.  Deux  escadres, 
parties  de  l'île  d'Aix  et  de  Brest,  se  rejoindront  à  la 
Martinique  pour  reprendre  la  Guadeloupe  et  faire  une 
démonstration  sur  la  Jamaïque  ;  elles  seront  de  retour 
au  Ferrol  en  juillet.  Les  trois  escadres  réunies  s'augmen- 
teront encore  des  vaisseaux  restés  à  Brest,  et  toutes 
ensemble  pourront  assurer,  au  mois  d'août,  le  succès  de 
la  descente  du  duc  d'Aiguillon. 

Ne  croirait-on  pas  lire,  quarante  ans  environ  à  l'avance, 
le  plan  de  Napoléon  tracé  dans  ses  grandes  lignes?  Le 
projet  du  camp  de  Boulogne  offre  avec  celui-ci  une 
analogie  saisissante  ;  on  sait,  d'autre  part,  que  Napoléon 
fît  consulter  un  très  grand  nombre  de  documents  anté- 
rieurs. Aussi  est-on  en  droit  de  supposer  qu'il  avait  été 
frappé  de  ce  moyen  de  disperser  sur  l'Océan  les  escadres 
britanniques  et  de  concentrer  les  escadres  de  France  et 
d'Espagne  ;  il  songea  à  s'en  servir,  quand  il  s'agit  de  faire 
traverser  la  Manche  à  César  et  à  sa  fortune. 

A  la  fm  de  son  mémoire,  notre  auteur  déconseillait, 
non  sans  raison,  de  faire  débarquer  en  Ecosse  le  corps 
du  duc  d'Aiguillon  ;  son  objectif  devait  être  la  baie  de 
Torbay,  et  de  là  Plymouth.  Nous  ne  le  suivrons  pas  dans 
les  considérations  stratégiques  qu'il  développe  à  ce  sujet  ; 
selon  lui,  l'opération  principale,  que  le  prince  de  Soubise 
devait  encore  à  cette  date  tenter  sur  la  côte  de  Kent,  en 
sera  rendue  plus  facile.  Notre  intention  a  été  surtout  de 
signaler  dans  l'auteur  de  ces  pages  inédites  un  précur- 
seur inconnu  de  Napoléon. 

En  1762  on  pensait  toujours  à  une  descente  aux  embou- 
chures de  la  Tamise.  Un  mémoire  proposait  de  se  servir 
de  l'escadre  espagnole  du  Ferrol,  pour  lui  faire  con- 
tourner par  le  nord  les  îles  Britanniques  ;  elle  devait  venir 


380  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 

prendre  à  Dunkerque  quarante  mille  hommes  pour  les 
débarquer  ensuite  dans  le  voisinage  de  Londres  *^. 

De  son  côté,  le  ministère  paraissait  travailler  à  un  nou- 
veau projet  contre  Jersey  et  à  une  nouvelle  descente  en 
Irlande.  Le  projet  sur  l'Irlande,  de  1762,  amena  même 
uno  correspondance  assez  active  contre  Choiseul  et 
d'Aiguillon  ;  il  était  question  d'y  employer  seize  mille 
hommes  ^^.  Mais  on  peut  s€  demander  si  le  ministre  et 
le  gouverneur  de  la  Bretagne  ne  songeaient  pas  mutuel- 
lement à  se  faire  illusion.  Tous  deux  savaient  que  la 
France  était  épuisée  et  que  la  paix  lui  réservait  les  pires 
conditions. 


45.  A.  N.,  AF  IV  1597,  et  A.  G,,  Angleterre,  1.  Projet  daté  du  7  juin  1762 
et  signé  :  d'Heguerty.  Un  autre  projet,  signé  du  même  nom,  avait  examiné, 
à  la  date  du  3  février  1759,  l'hypothèse  d'un  débarquement  en  Angleterre, 
à  défaut  d'un  débarquement  en  Irlande.  A.  M.,  B*  82,  fol.  46  et  suiv. 

46  A.  M.,  B*  100,  fol.  154  et  suiv.  ;  fol.  312-321.  —  Choiseul  se  faisait 
adresser  à  la  même  époque  (16  juin  1762),  par  le  marquis  de  Vallière,  direc- 
teur général  de  l'artillerie,  un  rapport  sur  les  conditions  d'un  siège  de 
Gibraltar  par  terre.  A.  G.,  Angleterre,  1  quater. 


CHAPITRE  XXI 

GUERRE   MARITIME   DE    SEPT   ANS   AU    CANADA 
ET   AUX   ANTILLES 


Campagnes  au  Canada  de  Beaussier  et  de  Du  Bois  de  La  Motte.  — 
Perte  de  Louisbourg.  —  Le  corsaire  Vauquelain.  —  Expédition  de 
Ternay  à  Terre-Neuve.  —  Croisières  aux  Antilles.  —  VAtalante  et 
le  Warwick.  —  Perte  de  la  Guadeloupe  et  de  la  Martinique.  —  Projets 
contre  le  Brésil. 

On  a  insisté  sur  le  récit  des  campagnes  maritimes  de 
l'Océan  et  de  la  Manche  et  sur  l'exposé  des  projets  qui 
s'y  rapportent  ;  car  ces  mers  étaient  le  théâtre  par  excel- 
lence de  la  guerre  maritime.  Comme  le  disaient  d'Au- 
bigny  et  La  Touche  de  Tréville  en  1759,  si  l'entreprise 
contre  l'Angleterre  venait  à  manquer,  tout  était  manqué  ; 
si  elle  venait  à  réussir,  tout  était  sauvé  et  réparé  ;  c'était 
à  Londres  seulement  qu'on  pouvait  reconquérir  nos  colo- 
nies. L'histoire  maritime  de  la  guerre  de  Sept  ans  en 
Amérique  et  en  Asie  peut  se  raconter  plus  brièvement. 
Ce  n'est  pas  que  les  campagnes  de  Montcalm  et  de  Lally 
ne  méritent  d'être  exposées  en  détail  ;  mais  la  marine 
proprement  dite  n'y  joua  qu'un  rôle  bien  secondaire.  Son 
effacement  fut  la  vraie  cause  des  malheurs  de  ces  hommes 
héroïques  et  de  la  perte  de  notre  empire  colonial. 

Machault,  qui  avait  préparé  avec  tant  d'habileté  l'expé- 
dition de  Minorque,  avait  songé  aussi,  dès  le  début  de  la 


382  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS    LOUIS    XV. 

guerre,  à  ravitailler  nos  colonies  d'Amérique.  A  la  même 
époque  où  La  Galissonnière  et  Richelieu  s'embarquaient 
à  Toulon,  à  destination  du  Port-Mahon,  le  chef  d'escadre 
Périer  l'aîné  et  le  capitaine  de  vaisseau  d'Aubigny 
prenaient  la  mer,  à  l'île  d'Aix,  pour  aller  faire  une  croi- 
sière à  la  Martinique  et  à  Saint-Domingue.  De  son  côté, 
Beaussier  de  L'Isle,  capitaine  de  port  à  Brest,  quittait 
cette  ville  avec  trois  vaisseaux  armés  en  flûte  et  trois 
frégates,  sur  lesquels  avaient  pris  place  le  nouveau  gou- 
verneur du  Canada,  le  marquis  de  Montcalm,  et  un  corps 
expéditionnaire  de  quinze  cents  hommes.  La  traversée 
de  cette  petite  escadre  et  le  débarquement  (avril-mai  1756) 
se  firent  sans  incident  notable  ;  mais  le  retour  faillit  être 
marqué  par  un  malheur. 

Beaussier  venait  de  quitter  l'île  de  Louisbourg,  lorsque 
son  navire  le  Héros,  percé  pour  soixante-quatorze  pièces, 
mais  n'en  portant  que  quarante-six,  fut  assailli  par  deux 
vaisseaux  anglais,  le  Gralton  et  le  Nottingham  (26  juil- 
let 1756).  Il  se  défendit  d'une  manière  admirable  ;  au 
bout  de  six  heures  de  combat,  les  assaillants  finirent  par 
le  laisser  et  par  prendre  chasse.  «  Ce  combat  fit  un  hon- 
neur infini  à  M.  Beaussier,  »  dit  Guichen,  qui  y  avait  pris 
part,  comme  capitaine  de  vaisseau  embarqué  en  second 
sur  le  Héros. 

Au  cours  de  cette  affaire  très  disputée,  deux  ofiiciers 
français,  M.  de  Montalais,  qui  commandait  ÏUlusire^ 
Froger  de  La  Rigaudière,  qui  commandait  la  Licorne, 
avaient  joué  un  rôle  au  moins  singulier.  Invoquant  le 
calme  ou  je  ne  sais  quelle  cause,  ils  avaient  assisté  au 
combat  à  une  faible  dislance,  sans  rien  tenter  pour  venir 
au  secours  de  leur  chef.  Faut-il  croire,  comme  on  les  en 
accusa,  que  leur  morgue  d'officiers  rouges  se  soit  fait 
une  joie  cruelle  de  laisser  un  officier  de  port,  un  roturier, 
aux  prises  avec  un  ennemi  plus  fort  que  lui  ?  De  retour 


GUERRE   DE    SEPT   ANS.    —   LE  CANADA.  383 

en  France,  ils  furent  déférés  à  un  conseil  d'enquête,  que 
présidait  le  comte  Du  Guay,  commandant  la  marine  à 
Brest  ;  l'affaire  n'eut  pas  de  suite,  grâce  à  des  témoi- 
gnages de  complaisance.  Cependant  la  conduite  de 
Frcger  de  La  Rigaudière  parut  justifier  l'accusation  ;  le 
malheureux  capitaine  de  la  Licorne  fut  trouvé  pendu  dans 
le  grenier  de  sa  maison. 

Après  avoir  conduit  heureusement  Montcalm  au 
Canada,  il  s'agissait  de  rester  en  communication  avec  lui 
et,  avant  tout,  de  veiller  à  la  défense  de  l'île  Royale  ; 
Louisbourg  était  la  clef  même  du  Saint-Laurent  et  de 
Québec.  Machault  y  avait  pourvu.  Avant  sa  malencon- 
treuse disgrâce,  il  avait  préparé  trois  expéditions,  qui 
partirent,  en  effet,  pour  Louisbourg  ^  Le  chevalier  de 
Bauff remont,  chef  d'escadre,  sorti  de  Brest  le  30  jan- 
vier 1757,  avait  d'abord  cinglé  vers  Saint-Domingue  ; 
sur  sa  route,  il  avait  capturé  le  Greenwich.  de  cinquante 
canons  ;  après  avoir  terminé  sa  mission  aux  Antilles,  il 
était  arrivé  à  Louisbourg  le  23  mai.  Trois  semaines  plus 
tard,  le  15  juin,  il  y  était  rejoint  par  le  capitaine  Du 
Revest,  qui  était  sorti  de  Toulon,  le  18  mars,  avec 
ïHector  et  trois  autres  vaisseaux  et  avait  heureusement 
franchi  le  détroit  de  Gibraltar,  malgré  l'escadre  anglaise 
de  Saunders.  Enfin,  le  19  juin,  arrivait  le  lieutenant 
général  Du  Bois  de  La  Motte,  sorti  de  Brest  le  3  mai, 
avec  neuf  vaisseaux  et  deux  frégates  ;  Guichen,  qui  com- 
mandait le  Formidable,  avait  eu,  au  cours  de  la  traversée, 
la  principale  direction  de  cette  escadre. 

On  ne  pouvait  pas  souhaiter  une  concentration  plus 
rapide  et  plus  heureuse.  Du  Bois  de  La  Motte,  qui  allait 
commander  toutes  ces  forces  réunies,  se  trouvait  à  la 

4  Voir  l'Appendice  XI. 


384  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 

tête  de  dix-huit  vaisseaux  et  de  cinq  frégates.  Son  indé- 
cision, plutôt  que  ses  soixante-quatorze  ans,  ne  lui  per- 
mettait pas  d'en  tirer  parti.  Il  fit  ravitailler  Québec  par 
deux  Vaisseaux,  qui  rentrèrent  ensuite  directement  en 
France,  puis  il  fit  travailler  aux  fortifications  de  Louis- 
bourg. 

Cependant  un  grand  armement  de  quinze  vaisseaux  et 
de  trois  mille  cinq  cents  hommes  se  préparait  à  Halifax 
contre  l'île  Royale  ;  les  amiraux  Holburn  et  Hardy,  qui 
le  commandaient,  apparurent  devant  Louisbourg  le 
19  août  (1757).  Devant  le  grand  déploiement  de  nos 
forces,  ils  ne  tentèrent  rien  et  se  bornèrent  à  une  croi- 
sière. De  son  côté,  Du  Bois  de  La  Motte  gardait  la  défen- 
sive, trop  prudemment  peut-être.  Le  24  septembre,  un 
terrible  coup  de  vent  assaillit  l'escadre  anglaise,  qui  était 
au  large,  et  lui  fit  beaucoup  de  mal  ;  un  vaisseau  fut 
complètement  perdu,  une  dizaine  furent  désemparés.  Le 
5  octobre,  Holburn  était  de  retour  à  Halifax,  d'où  il 
s'empressait  de  regagner  l'Europe. 

Du  Bois  de  La  Motte  n'avait  pas  profité  du  m.alheur 
des  Anglais  ;  la  tempête  et  les  maladies  de  ses  équipages 
l'avaient  retenu  à  Louisbourg.  Jugeant  qu'il  avait  rempli 
l'objet  essentiel  de  sa  mission  en  ravitaillant  le  Canada  et 
l'île  Royale,  il  ne  songea  qu'à  regagner  la  France  au  plus 
tôt.  Il  remit  à  la  mer  le  30  octobre.  Divers  incidents 
fâcheux,  des  coups  de  vent,  la  prise  de  deux  frégates  par 
les  Anglais,  marquèrent  son  retour  ;  mais  le  pis  de  tout, 
ce  fut  la  déplorable  situation  sanitaire  de  ses  équipages. 
Rentré  à  Brest  le  23  novembre  (1757),  il  y  débarqua  quatre 
mille  malades,  qui  portèrent  l'infection  dans  toute  la 
ville  ;  il  en  mourait  cinquante  à  quatre-vingts  par  jour. 
Les  précautions  d'hygiène  les  plus  élémentaires  étaient 
alors  complètement  méconnues  dans  la  marine  ;  les  entre- 
ponts, qu'on  n'aérait,  pour  «^'nsi  dire,  jamais  au  cours 


GUERRE   DE    SEPT   ANS.    —   LE   CANADA.  385 

de  ces  longues  traversées,  servaient  à  loger  pêie-mêk 
les  équipages  et  les  bestiaux.  Les  hommes  périssaient  par 
des  épidémies  continuelles  de  typhus  et  de  scorbut,  bien 
plus  meurtrières  que  le  feu  de  l'ennemi.  Celle-ci  est  restée 
tr,istement  célèbre  ;  après  avoir  détruit  tous  les  équi- 
pages de  Du  Bois  de  La  Motte,  elle  coûta  plus  do  dix 
mille  âmes  à  la  ville  de  Brest. 

Pour  le  vieil  ofïîcier  général,  qui  avait  été  jadis  le  irère 
d'armes  de  Du  Guay-Trouin,  ce  lut  sa  dernière  cam- 
pagne. Sans  parler  du  fléau  qui  y  mit  fm,  elle  était  loin 
d'avoir  donné  tout  ce  qu'on  pouvait  en  attendre  au  début. 

A  tout  prix,  il  fallait  ravitailler  Louisbourg,  qui  était 
l'objectif  principal  des  Anglais.  Dans  les  premiers  mois 
de  1758,  trois  petites  divisions  navales  partirent  de  l'îb 
d'Aix  et  de  Brest,  avec  le  capitaine  marquis  Des  Gouttes, 
Beaussier  de  L'Isle,  le  capitaine  Du  Chaffault  de  Besné  -. 
Que  pouvaient  ces  forces  insuffisantes,  composées  de 
quelques  bâtiments,  contre  les  forces  formidables  des 
Anglais,  vingt  vaisseaux  de  ligne,  dix-huit  frégates,  cent 
navires  de  transport,  douze  mille  hommes  ?  C'est  avec  ces 
effectifs  que  Boscawen  arrivait  devant  Louisbourg  le 
2  juin  1758.  Des  Gouttes  et  Beaussier  avaient  coulé  quatre 
bâtiments  à  l'entrée  du  port,  ils  en  avaient  embossé  cinq 
en  arrière  du  barrage,  tandis  que  le  capitaine  de  vais- 
seau chevalier  de  Drucourt,  gouverneur  de  l'île  Royale  ^, 
prenait,  avec  sa  petite  garnison  de  trois  mille  hommes, 
les  meilleures  dispositions  de  défense.  Arrivé  trop  tard 
pour  pénétrer  dans  le  port.  Du  Chaffault  avait  du  moins 
débarqué  ses  troupes  sur  un  autre  point  de  la  côte,  puis 
il  avait  gagné  Québec  avec  tous  ses  vaisseaux. 

L'énergie  des  défenseurs  de  l'île  Royale  ne  pouvait 

2   Voir  l'Appendice  XII. 

3.  Drucourt.  G.,  11  avril  1719  ;  L.,  1"  mai  1741  ;  C,  17  mai  1751  ;  gouver- 
neur de  l'île  Royale,  l''  février  1754  ;  -j-  2S  août  1762.  A.  M.,  C  '  166. 

25 


386  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 

rien  contre  la  supériorité  matérielle  de  l'ennemi  ;  la 
chute  de  Louisbourg  était  certaine,  si  on  n'envoyait  pas 
en  Amérique  une  puissante  escadre.  Or,  à  la  même  date, 
nos  ports  de  l'Océan  étaient  bloqués,  les  Anglais  descen- 
daient sur  nos  côtes  ;  l'escadre  de  M.  de  Conflans, 
enfermée  dans  la  rade  de  Brest,  était  réservée  pour  le 
grand  projet  sur  l'Angleterre.  Tout  ce  que  l'on  put  faire, 
ce  fut  d'envoyer  à  Louisbourg  le  Formidable,  de  quatre- 
vingts  canons,  avec  le  chevalier  de  Blénac-Courbon,  chef 
d'escadre,  Guichen,  capitaine  de  vaisseau,  et  un  officier 
d'artillerie  très  estimé,  M.  de  Villepatour.  Mais  Blénac 
ne  songea  même  pas  à  forcer  la  ligne  du  blocus  et  rentra 
presque  aussitôt  en  France. 

Un  corsaire  de  Dieppe,  Vauquelain,  avait  eu  plus 
d'audace  ou  plus  de  bonheur^  ;  avec  sa  frégate  VAré- 
thuse,  de  trente  canons,  il  était  parvenu  à  franchir  les 
lignes  de  Boscawen  et  il  avait  pris  à  la  défense  une  part 
vigoureuse.  Drucourt  l'avait  chargé  de  faire  connaître 
en  France  son  triste  sort  ;  VAréthuse  avait  forcé  une 
seconde  fois  la  croisière  anglaise,  et  avait  gagné 
Bayonne.  Il  était  trop  tard  :  dix  jours  seulement  après 
son  départ,  le  27  juillet  1758,  Drucourt  livrait  à  l'amiral 
Boscawen  et  au  major  général  Amherst  ses  remparts  en 
ruines.  Au  cours  du  siège,  les  cinq  vaisseaux  de  la  divi- 
sion de  Beaussier  avaient  été  incendiés  ou  pris. 

L'escadre  de  Du  Chaffault  était  repartie  de  Québec  le 
18  septembre.  Arrivée  dans  les  eaux  d'Ouessant,  elle 
livra  combat,  le  27  octobre,  à  neuf  vaisseaux  anglais  de 
l'escadre  de  Boscawen.  Malgré  son  infériorité  numé- 
rique, elle  les  tint  en  respect  ;  mais  elle  fut  obligée  de  se 
séparer.  Le  Dragon,  de  Du  Chaffault,  mouilla,  le  31,  sur 
la  rade  des  Basques,  près  de  l'île  d'Aix  ;  le  Sphinx  et  le 

4.  Gravier,  Notice  sur  Jean  Vauquelain...  Paris,  1885. 


GUERRE   DE    SEPT   ANS.    —   LE    CANADA.  387 

Hardi  entrèrent  à  Brest  ;  le  Belliqueux  s'égara  jusque 
dans  le  canal  de  Bristol.  Le  commandant  de  ce  vaisseau, 
M.  de  Martel,  qui  n'avait  plus  de  vivres,  eut  la  naïveté 
de  se  présenter  à  Bristol,  en  parlementaire,  pour  s'y 
ravitailler  ;  il  se  fit  prendre  avec  tout  son  équipage,  sans 
avoir  tiré  un  coup  de  fusil  (8  novembre)  ^.  Le  ministre 
Berryer  fît  rayer  des  listes  de  la  marine  le  capitaine  du 
Belliqueux. 

Pour  la  seconde  fois  en  treize  ans,  les  Anglais  venaient 
de  trouver  à  Louisbourg  les  clefs  de  Québec  ;  ils  étaient 
résolus  à  s'en  servir  tout  de  suite.  Dès  la  campagne  sui- 
vante, la  flotte  de  Tamiral  Saunders,  forte  de  vingt-deux 
vaisseaux  et  de  trente  frégates,  portant  les  dix  mille  sol- 
dats de  l'armée  de  Wolfe,  mouillait  devant  la  capitale  du 
Canada. 

Tout  entier  à  son  projet  d'expédition  contre  la  Grande- 
Bretagne,  qui  était  loin  d'être  une  conception  déraison- 
nable, si  elle  avait  pu  être  exécutée,  le  ministère  ne  fit 
rien  pour  les  vaillantes  troupes  de  Montcalm,  enfermées 
dans  Québec  ;  on  connaît  la  i^ponse  de  Berryer  à  la 
demande  de  secours  que  lui  apportait  Bougainville.  En  i 
1758,  lors  du  siège  de  Louisbourg,  tîuelques  secours  insi-  j 
gnifiants  avaient  été  conduits  de  France  à  Québec,  par 
Beaussier  de  Châteauvert  et  par  Du  Chaffault.  En  1759, 
il  n'arriva  pas  au  Saint-Laurent  un  seul  bâtiment  de  la 
marine  royale.  Seuls,  quelques  corsaires,  comme  le  capi- 
taine Canon,  de  Dieppe,  et  Vauquelain,  qui  commandait 
alors  VAtalanfe,  avaient  introduit  de  faibles  secours  à 
Québec.  Montcalm  n'avait  plus  qu'à  se  faire  tuer  ;  la 
bataille  du  13  septembre  1759  coûta  la  vie  à  ce  chef 

5.  Un  officier  du  BelUqueux,  le  chevalier  Bellot  La  Houssaye,  originaire 
<lû  BLaye,  gardf-marine  du  is  féviner  1744,  lieutenant  de  vaisseau  du 
17  avril  1757,  mourut  à  Bristol  le  29  janvier  1759.  A.  M.,  G  '  170. 


388  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 

héroïque.  Arrivé  trois  ans  plus  tôt  au  Canada  plein 
d'espoir,  il  y  avait  débuté  par  de  grands  succès,  mais  il 
avait  été  bientôt  réduit  à  l'impuissance  par  l'accroisse- 
ment continu  des  forces  anglaises  et  par  l'abandon  systé- 
matique de  son  gouvernement. 

Québec  avait  capitulé  le  jour  même  de  la  mort  de  Mont- 
calm.  Une  poignée  de  Français,  avec  le  comte  de  Vau- 
dreuil,  tint  un  an  encore  dans  Montréal  ;  quand  Montréal 
eut  capitulé  à  son  tour  (8  septembre  1760),  le  dernier 
morceau  de  la  Nouvelle-France  était  devenu  la  proie  des 
Anglais. 

Le  souvenir  de  Vauquelain  et  de  ses  deux  frégates, 
VAtalante  et  la  Pomone,  se  rattache  aux  dernières  heures 
de  l'agonie  du  Canada.  Ayant  pu  sauver  ses  deux  bâti- 
ments lors  de  la  capitulation  de  Québec,  il  était  resté  dans 
le  voisinage  de  cette  ville,  et  avait  causé  des  alarmes 
continuelles  à  la  garnison  anglaise.  Après  maints 
épisodes,  il  avait  été  obligé  d'échouer  VAtalante  à  la 
Pointe-aux-Trembles  (juin  1760).  Canonné  à  bout  portant 
par  deux  frégates  anglaises,  il  cloua  son  pavillon  au 
tronçon  du  mât  qui  lui  restait,  il  jeta  son  épée  dans  le 
Saint-Laurent  pour  n'avoir  pas  à  la  rendre,  et  il  vint  se 
coucher  au  milieu  de  ses  morts  et  de  ses  blessés,  au  pied 
du  drapeau.  L'attitude  héroïque  de  Vauquelain,  c'est  le 
symbole  de  la  France  maritime  et  coloniale  dans  ces 
jours  de  tristesse  et  de  mort. 

L'Amérique  du  Nord  réservait  cependant  à  notre 
marine  une  heure  de  joie,  à  la  veille  même  du  traité  de 
Paris.  Le  chevalier  de  Ternay,  qui  avait  si  habilement 
reconduit  à  Brest  les  vaisseaux  de  la  Vilaine,  avait  été 
chargé  par  Choiseul,  alors  ministre  de  la  Marine,  d'une 
expédition  à  Terre-Neuve.  Parti  de  Brest,  le  8  mai  1762, 
avec  deux  vaisseaux,  une  frégate,  deux  flûtes  et  cinq  cent 


GUERRE   DE   SEPT   ANS.    —   LES   ANTILLES.  389 

soixante-dix  hommes  que  commandait  le  colonel  d'Haus- 
sonville  ^  il  arrivait  le  20  juin  devant  Terre-Neuve  ;  en 
trois  jours,  d'Haussonville  était  maître  de  Saint-Jean.  De 
son  côté,  Ternay  allait  détruire  les  pêcheries  des  Anglais, 
il  capturait  ou  coulait  quatre  cent  soixante  navires  de 
tout  tonnage,  il  faisait  éprouver  à  l'ennemi  un  dommage 
de  plus  d'un  million  de  livres  sterling.  Cependant  le 
12  septembre,  six  vaisseaux  anglais,  neuf  transports  et 
quinze  cents  hommes  arrivaient  d'Halifax  dans  la  Nou- 
velle-Ecosse. D'Haussonville  se  laissa  enfermer  dans 
Saint-Jean  ;  il  dut  y  capituler  au  bout  de  deux  jours. 
Ternay  eut  le  temps  de  s'échapper.  «  Le  Robuste  et 
VËveillé,  écrivait-il  dès  le  9  juillet,  ne  sont  pas  sortis  de 
la  Vilaine  pour  venir  se  faire  capturer  à  Saint-Jean,  ou 
du  moins  il  en  coûterait  cher  aux  Anglais.  »  Près  des 
côtes  de  France,  il  fut  chassé  par  deux  divisions 
anglaises  ;  mais  il  enleva  un  corsaire  de  vingt-six  canons 
et  se  réfugia  quelques  jours  à  la  Corogne.  Le  20  jan- 
vier 1763,  il  rentrait  au  port  de  Brest,  avec  toute  sa  petite 
escadre  et  une  frégate  anglaise  qu'il  avait  capturée  à 
Saint-Jean.  Cette  courte  et  brillante  campagne  fut  un 
éclair  de  succès  au  milieu  des  malheurs  de  la  fm  de  la 
guerre. 

L'histoire  navale  des  Antilles  offre  à  peu  près  les 
mêmes  caractères  qu'au  Canada  :  on  commence  par 
envoyer  quelques  escadres,  puis  on  n'envoie  plus  que 
quelques  navires,  qui  arrivent  trop  tard  et  par  groupes 
trop  faibles.  ((  Ayez  pour  premier  principe  de  ne  point 
envoyer  vos  vaisseaux  par  paquets...  Faites  en  sorte  de 
ne  plus  retomber  dans  le  même  cas,  ou  vous  perdrez 
tout.   »  Ces  mots  d'un  mémoire  anonyme,  rédigé  vers 

6.  Voir  l'Appendice  XIII. 


300  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS    LOUIS    XV. 

1760  '^,  ne  s'appliquent  que  trop  justement  à  notre  manière 
d'opérer  aux  Antilles. 

Machault  avait  envoyé,  au  début  de  1756,  le  chef 
d'esoatlre  Périer  l'aîné  à  Saint-Domingue  et  le  capitaine 
d'Aubigny  aux  îles  du  Vent.  Ces  deux  croisières,  qui 
avaient  pour  but  de  ravitailler  nos  îles  à  sucre,  se  firent 
avec  bonheur.  Une  action  d'éclat  marqua,  en  particu- 
lier, la  croisière  de  la  division  de  M.  d'Aubigny.  Le 
11  mars  1756,  dans  les  eaux  de  la  Martinique,  une  de  ses 
frégates,  YAtalante^  de  trente-six  canons,  capitaine  Du 
Chaffault  de  Besné,  donna  vigoureusement  la  chasse  à 
un  vaisseau  anglais,  le  Warwick,  de  soixante-quatre 
pièces  ®.  Ce  fut,  comme  on  l'a  dit,  le  combat  du  lion  et 
du  moucheron.  VAtalante,  excellente  marcheuse  et 
évoluant  à  merveille,  se  maintint  derrière  les  hanches  du 
Warwick,  à  peu  près  à  l'abri  de  son  artillerie  puissante 
et  ne  lâchant  elle-même  ses  bordées  qu'à  coup  sûr.  Au 
bout  de  cinq  heures  de  ce  singulier  duel,  le  gros  vaisseau 
du  capitaine  Shudham,  qui  ne  gouvernait  plus,  dut 
amener  son  pavillon.  Le  capitaine  de  la  glorieuse  petite 
frégate  reçut  le  commandement  du  Warwick  pour  le 
conduire  à  Brest. 

Le  ministre  Machault  fît  encore  partir  de  Brest  (fin 
novembre  1756)  trois  vaisseaux,  deux  frégates  et  une  cor- 
vette sous  les  ordres  de  Kersaint  de  Coëtnempren,  qui 
montait  V Intrépide.  Cette  petite  escadre  commença  par 


7.  A.  M..  B  ♦  81t. 

8.  Les  lieutenants  Baraudin  et  Du  Chaffaut  de  Besné  de  La  Forest  ser- 
raienr  Sur  l'Ataïante 

Baraudin.  De  Touraine.  «  Il  sait  la  langue  anglaise  et  a  traduit  les 
ordonnances  de  la  marine  de  cette  nation.  »  G..  16  mal  1738  ;  E.,  1"  Jan- 
vier 174G  ;  passé  à  Londres  pour  se  perfectionner  dans  la  langue  anglaise  ; 
L.,  11  février  1756;  C,  18  août  1767;  B.,  14  mars  177G  ;  RCE.,  4  avril  1780; 
A.  M.,  C  168. 

Du  Chaffault  de  Besné  de  La  Forest.  Fils  du  capitaine  du  Tonnant  (Appen 
dlce  V).  «  Riche,  »  G.,  1"  janvier  1741;  L.,  Il  février  1756;  -j-  14  no- 
vembre 1758.  A.  M.,  C  '  169. 


GUERRE   DE   SEPT   ANS.    —   LES   ANTILLES.  391 

détruire  (février  1757)  les  comptoirs  anglais  de  Séné- 
gambie  et  du  Bénin  et  par  capturer  dans  ces  parages  de 
nombreux  négriers  ;  puis,  elle  gagna  les  Antilles.  L'un 
des  officiers  de  Kersaint,  le  capitaine  de  Caumont, 
s'arrêta  à  la  Martinique  ;  Kersaint  alla  à  Saint- 
Domingue.  Dans  les  eaux  du  Cap,  il  livra,  le  20  oc- 
tobre 1757,  un  violent  combat  à  la  division  anglaise  du 
capitaine  Forrest,  qu'il  contraignit  à  s'éloigner.  Ayant 
refait  son  escadre  et  réuni  un  grand  convoi  marchand, 
il  repartit  le  12  novembre  pour  arriver  heureusement, 
un  mois  plus  tard,  sur  les  côtes  de  France  ^. 

Cette  croisière  bien  conduite,  qui  avait  duré  environ 
treize  mois,  est  comme  le  dernier  grand  fait  de  notre 
histoire  navale  aux  Antilles.  Ces  îles  semblent  dès  lors 
vouées  à  l'abandon  ;  seuls,  nos  corsaires,  qui  renouve- 
laient les  exploits  des  flibustiers,  continuèrent  à  tenir  la 
mer  et  firent  le  plus  grand  mal  à  la  marine  anglaise.  Il  y 
en  eut  jusqu'à  cent  quatre-vingts  armés  à  la  fois.  Grâce 
à  leur  faible  tirant  d'eau,  qui  leur  permettait  de  se  retirer 
dans  les  plus  petites  criques,  ces  petits  bâtiments  fon- 
daient à  l'miproviste  sur  les  convois  ennemis.  Au  cours 
de  cette  guerre,  ils  firent  quatorze  cents  prises.  L'un  de 
ces  hardis  marins,  le  capitaine  Mores,  enleva  tout  un 
convoi  escorté  par  deux  vaisseaux  de  guerre  ;  son  plus 
fort  navire  était  un  brigantin  de  douze  petits  canons. 

Tandis  que  deux  petites  divisions  navales,  comprenant 
en  tout  cinq  voiles,  commandées  par  les  capitaines  Kéru- 
soret  Le  Borgne  ^^  et  Bidé  de  Maurville,  montraient 
encore  à  Saint-Domingue  et  à  la  Martinique  les  couleurs 


9.  L'un  de  ses  vaisseaux,  l'Opiniâtre,  capitaine  M.  de  Moëlien,  sombra 
dans  le  port  de  Brest,  dans  la  nuit  du  13  au  14  janvier  1758.  Le  conseil  de 
guerre  punit  d'interdiction  temix)i'aire  deux  lieutenants  de  l'Otnniâtre,  le 
chevalier  de  Rcusse]  Préville  et  le  chevalier  de  Landemont. 

10  Kérusoret  Le  Borgne.  G.,  5  janvier  1722;  L.,  17S8  ;  C,  n-iS  ;  CE,  l76-'i  ; 
-J-  novembre  1770.  Sa  veuve  se  remaria  avec  le  comte  d'Kcctor.  A.  M.,  C, 


392  LA   MARINE    MILITAIRE    SOUS    LOUIS   XV. 

royales  de  France  (août  et  septembre  1758),  Pitt  envoyait 
aux  Antilles  dix  vaisseaux  de  ligne  et  huit  mille  hommes. 
Après  s'être  ravitaillés  à  la  Jamaïque,  le  commodore 
Moore  et  le  général  Hopson  arrivèrent,  le  14  janvier  1759, 
devant  la  baie  de  Fort-Royal  à  la  Martinique.  Maurville 
eut  le  temps  d'embosser  son  vaisseau  le  Florissant  sous 
les  canons  de  la  citadelle  ;  l'énergie  de  son  feu  obligea 
l'ennemi  à  renoncer  au  débarquement. 

De  là,  les  Anglais  se  portèrent  à  la  Guadeloupe.  Le 
commandant  français  M.  de  Nadau  n'avait  que  des 
forces  insuffisantes  ;  mais  il  semble  avoir  justement 
mérité,  par  son  manque  d'énergie,  la  dégradation  et 
l'emprisonnement  auxquels  il  fut  condamné  après  la  perte 
de  l'île.  Moore,  sans  coup  férir,  débarqua  à  Basse-Terre 
le  22  janvier  (1759)  ;  Barrington,  moins  heureux,  échoua 
devant  la  Pointe-à-Pitre.  Alors  les  Anglais  établirent  le 
blocus  général  de  la  Guadeloupe.  Ce  fut  seulement  au 
bout  de  trois  mois  que  le  gouverneur  de  la  Martinique, 
le  marquis  de  Beauharnais  Beaumont",  se  décida  à 
venir  au  secours  de  cette  île,  distante  à  peine  de  quelques 
heures  de  mer.  Dès  le  8  mars,  huit  vaisseaux  et  trois 
frégates  étaient  arrivés  à  Fort-Royal,  venant  de  Brest 
avec  M.  de  Bompar,  chef  d'escadre  ;  mais  ces  forces 
considérables  perdirent  six  semaines  à  la  Martinique. 
Quand  Beauharnais  et  Bompar  prirent  la  mer  le  24  avril, 
la  Guadeloupe  était  à  bout  de  ressources  ;  le  23,  la  Basse- 
Terre  avait  été  occupée  tout  entière,  et  le  P""  mai,  la 
Grande-Terre  capitulait  à  son  tour.  L'escadre  de  la  Mar- 
tinique n'était  sortie  que  pour  assister,  impuissante,  à 
ce  double  désastre.  Bompar  termina  sa  campagne  stérile 

11.  Marquis  de  Beauharnais  Beaumont.  De  Rochefort.  Fils  du  capitaine 
de  vaisseau  (p.  125),  neveu  du  lieutenant  général.  G.,  8  juillet  1729  ;  L., 
1"  mai  llU  ;  C,  17  mai  1751  ;  gouverneur  lieutenant  général  des  îles  du 
Vent  (à  la  lïartinique),  l*"  novembre  1756  ;  CE.,  16  septembre  1764.  A.  M., 
C  '  166. 


GUERRE   DE    SEPT   ANS.    —   LES   ANTILLES.  393 

en  ravitaillant  Saint-Domingue  ;  il  était  de  retour  à  Brest 
à  la  fin  de  1759  ^K 

La  Dominique,  sans  défense,  fut  occupée  en  1761.  Les 
Anglais  se  tournèrent  alors  vers  la  Martinique.  Le  7  jan- 
vier 1762,  cinquante  navires  de  guerre  avec  les  amiraux 
Douglas  et  Rodney  —  celui-ci  est  le  futur  vainqueur  des 
Saintes  —  et  cent  cinquante  transports  conduisaient 
devant  Fort-Royal  l'armée  du  général  Monkton.  Le  com- 
mandant général  des  îles  du  Vent  était  alors  un  créole,  le 
capitaine  de  vaisseau  Le  Vassor  de  La  Touche.  Son 
caractère  impérieux  avait  rendu  ses  rapports  difficiles 
avec  les  colons  :  cela  même  paralysa  en  partie  ses  moyens 
de  défense.  Dès  le  28  janvier,  il  s'était  retiré  sur  Saint- 
Pierre  ;  il  abandonnait  ainsi  Fort-Royal,  qui  capitula  le 
4  février  ;  lui-même  signait  une  suspension  d'armes  le 
13  février  et  promettait  de  se  rendre  s'il  n'était  pas 
secouru  le  V  mars.  A  cette  date,  il  livrait  l'île  entière  aux 
Anglais  ^^.  Huit  jours  seulement  plus  tard,  le  chef 
d'escadre  Blénac  Courbon,  à  la  tête  d'une  dizaine  de 
vaisseaux  de  guerre,  était  en  vue  de  Fort-Royal.  Dans 
la  crainte  d'être  enlevé  par  les  Anglais,  qui,  outre  la 
Guadeloupe,  la  Dominique  et  la  Martinique,  avaient 
encore  occupé  la  Grenade,  Sainte-Lucie,  Tabago,  Saint- 
Vincent,  il  s'empressa  de  cingler  vers  Saint-Domingue. 
Le  17  mars,  il  y  débarquait  cinq  mille  cinq  cents  hommes. 
Grâce  à  ce  renfort,  le  Cap  échappait  au  sort  de  la 
Havane,  qui  tombait,  au  mois  de  juillet,  aux  mains  des 
Anglais.  Blénac  rentrait  en  France  peu  après.  A  la  fin  de 
la  guerre,  la  France  n'avait  conservé  de  tout  son  empire 
des  Antilles  que  sa  seule  colonie  de  Saint-Domingue. 

12.  En  mai  1760,  le  Diadème,  du  commandant  Breugnon,  qui  quittait  la 
Martinique  avec  un  convoi  à  destination  de  la  France,  parvint  à  se  débar- 
rasser, grâce  au  tir  de  son  artillerie,  d'une  division  anglaise  de  quatre 
voiles. 

13   Lettre  sur  la  prise  de  la  Martinique  par  les  Anglais  en  1762.  S.  1.  n.  d. 


394  LA   MARINE    AflLITAlRE    SOUS    LOUIS    XV- 

Choiseul,  qui  dirigeait  depuis  le  15  octobre  1761  le 
ministère  de  la  Marine,  ne  voulut  pas  rester  sous  le  coup 
de  ces  humiliations  répétées.  Il  avait  envoyé  à  Terre- 
Neuve  le  chevalier  de  Ternay,  dont  l'expédition  avait  été 
suffisamment  heureuse.  De  même,  il  songea  à  un  grand 
armement  dirigé  contre  la  baie  de  Tous-les-Saints  et  le 
port  de  Rio  de  Janeiro  au  Brésil. 

Beaussier  de  L'Isle,  capitaine  de  port  faisant  fonction 
de  chef  d'escadre,  devait  commander  cette  expédition, 
forte  de  neuf  vaisseaux  de  ligne,  dont  le  Royal  Louis,  de 
cent  seize  canons,  et  de  dix  transports  ;  les  troupes 
devaient  être  sous  les  ordres  du  compte  d'Eslaing,  lieute- 
nant général,  qui  connaissait  déjà  Rio  de  Janeiro  et  qui 
avait  reçu  à  l'avance  les  provisions  de  vice-roi  du  Brésil. 
La  lettre  du  roi,  investissant  Beaussier  de  L'Isle  du  com- 
mandement en  chef,  était  signée  le  30  septembre  1762  ; 
d'autres  ordres  sont  du  11  et  du  20  octobre.  Dans  une 
lettre  à  d'Estaing,  le  ministre  lui  rappelait,  à  propos  de 
l'attaque  de  Rio  de  Janeiro,  «  l'exemple  du  fameux  sieur 
Du  Guay-Trouin,  qui  a  rendu  autrefois  des  services  si 
importants  à  cette  monarchie  ».  En  1762,  comme  en  1710, 
la  France  voulait  se  venger  sur  le  Portugal,  allié  de 
l'Angleterre,  des  coups  qu'elle  avait  reçus  de  l'Angle- 
terre. 

Confiée  à  Beaussier  et  à  d'Estaing,  l'expédition  du 
Brésil  pouvait  aboutir  à  une  opération  glorieuse  pour  nos 
armes  ;  mais  au  moment  même  où  on  la  préparait,  on 
parlait  aussi  de  préliminaires  de  paix.  «  Si  le  duc  de 
Praslin,  dit  d'Estaing,  avait  pu  retarder  de  quatre  jours 
la  signature  des  préliminaires,  les  richesses  de  Rio  de 
Janeiro  et  les  mines  du  Brésil  appartenaient  indubita- 
blement au  roi.  »  En  novembre,  Beaussier  recevait  l'ordre 
de  garder  ses  vaisseaux  dans  la  rade  de  Brest  et  de 


GUERRE   DE    SEPT   ANS.    —   LES   ANTILLES.  395 

débarquer  les  troupes  ;  en  décembre,  de  faire  passer  les 
vaisseaux  de  la  rade  dans  le  port.  Bientôt  après  ils  furent 
désarmés  ;  il  ne  restait  plus  rien  du  projet  sur  le  Brésil 
que  les  documents  qui  se  rapportaient  à  sa  préparation  ^^. 

14.  A.  M.,  B  *  104  et  105.  Dossier  d'Estaing. 


CHAPITRE  XXII 

GUERRE  MARITIME  DE  SEPT  ANS  DANS  l'hINDOUSTAN 


Le  comte  d'Aché.  —  Bouvel  de  Lozier,  Bouvet  de  Précourt.  —  Bataiiles 
navales  de  Goudelour,  de  Karikal,  de  Porto-Novo.  —  Croisière  du 
comte  d'Estaing.  —  Traité  de  Paris. 

En  1754,  le  gouvernement  de  Louis  XV,  cédant  aux 
plaintes  réitérées  de  la  compagnie  des  Indes,  rappelait 
Dupleix  de  Pondichéry.  Il  désavouait  officiellement  ses 
desseins,  car  il  écrivait  à  notre  ambassadeur  à  Londres  : 
«  Nous  envisageons  ces  projets  comme  des  chimères  et 
des  visions.  »  Il  détruisait  matériellement  les  résultats 
que  Dupleix  avait  obtenus,  lorsqu'il  faisait  signer  par  le 
nouveau  gouverneur  général  Godeheu  le  traité  désas- 
treux de  1754,  où  les  deux  compagnies  rivales  abandon- 
naient mutuellement  leurs  conquêtes.  Le  sacrifice  ne 
coûtait  guère  à  nos  ennemis,  qui  ne  possédaient  à  peu 
près  rien  en  dehors  de  leurs  comptoirs  ;  à  nous,  il  nous 
coûtait  la  majeure  partie  de  la  côte  de  Coromandel  et  de 
l'intérieur  du  Dekhan.  Depuis  cette  décision  fatale,  la 
compagnie  avait  repris  le  courant  des  opérations  com- 
merciales qui  lui  permettaient  de  végéter  tant  bien  que 
mal  ;  elle  avait  renoncé  à  toute  idée  de  conquête  et  d'orga- 
nisation militaire.  Moins  de  deux  ans  après,  la  guerre 
éclatait  entre  la  France  et  l'Angleterre,  et  les  trésors  de 
Golconde,   c'est-à-dire  l'empire  de  l'Hindoustan,   deve- 


GUERRE   DE   SEPT   ANS.    —  L'hINDOUSTAN.  397 

naient  tout  de  suite  l'un  des  plus  gros  enjeux  de  cette 
lutte  sans  merci. 

«  Toute  ma  politique,  disait  le  comte  de  Lally,  consiste 
dans  ces  cinq  mots,  ils  sont  sacramentels  :  plus  d'Anglais 
dans  la  péninsule  !  »  Certes,  Lally  avait  raison  ;  pas  plus 
que  le  Canada,  l'Hindoustan  ne  pouvait  se  partager  entre 
les  Anglais  et  les  Français,  il  devait  être  aux  uns  ou  aux 
autres.  Mais  le  sort  de  l'Inde,  comme  celui  du  Canada, 
dépendait  de  la  possession  de  la  mer.  C'était  dans  les 
eaux  du  golfe  de  Bengale,  et  non  sous  les  murs  de  Pon- 
dichéry  et  de  Calcutta,  que  devait  se  disputer  la  domina- 
tion de  l'Hindoustan.  Pas  d'empire  colonial  sans  une 
puissante  marine  de  guerre  :  cette  conclusion  se  dégage 
encore  avec  une  douloureuse  évidence  de  ce  dernier  cha- 
pitre de  notre  histoire  maritime  pendant  la  guerre  de 
Sept  ans. 

Au  moment  de  la  rupture  avec  l'Angleterre,  Machaull 
avait  fait  choix  de  deux  officiers  généraux  pour  com- 
mander dans  les  Indes  les  vaisseaux  et  les  troupes  du  roi, 
le  comte  d'Aché  et  le  comte  de  Lally. 

Sans  se  recommander  au  choix  du  ministre  par  des 
titres  exceptionnels,  le  chef  d'escadre  d'Aché  n'était  pas 
dénué  de  mérite  ;  cependant,  il  avait  contre  lui  sa  morgue 
et  son  humeur  peu  accommodante.  Il  avait  accepté  cette 
mission  difficile  dans  l'espoir  d'arriver  plus  tôt  à  la  cor- 
nette, mais  il  regardait  comme  au-dessous  de  soi  de 
commander  à  des  marchands  et  de  combattre  pour  des 
marchands.  Entre  lui  et  le  comte  de  Lally,  qui  avait  le 
commandement  général  de  l'expédition,  les  attributions 
de  pouvoir  étaient  loin  d'être  définies  avec  précision  ; 
c'était  préparer  à  l'avance  le  retour  des  scènes  déplo- 
rables qui  avaient  mutuellement  paralysé  La  Bourdon- 
nais et  Dupleix.  Avant  même  le  départ,  la  mésintelhgence 


398  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 

éclata  entre  les  deux  officiers  généraux,  au  point  que 
d'Aché  envoya  sa  démission. 

On  peut  dire  à  sa  décharge  qu'après  lui  avoir  donné 
à  commander  pour  cette  expédition  trois  vaisseaux  du 
r.  roi,  on  ne  lui  en  avait  laissé  qu'un  seul,  le  Zodiaque,  par 
suite  de  ces  circonstances,  que  rapporte  d'Estaing  ^. 
D'Aché  devait  partir  de  Brest  avec  le  Zodiaque,  le 
Superbe,  le  Belliqueux,  et  deux  frégates,  dont  la  Guir- 
lande. Au  moment  du  signal  du  départ,  la  Guirlande 
n'appareilla  pas.  «  Son  commandant  n'était  pas  à  bord  ; 
jeune  homme  et  amoureux,  il  avait  passé  la  nuit  à  Brest. 
Son  second,  simple  garde  de  la  marine,  faisait  semblant 
de  ne  pouvoir  lever  son  ancre  pour  attendre  le  comman- 
dant de  sa  frégate.  »  La  Guirlande,  qui  était  restée  immo- 
bile, fut  abordée  par  le  Belliqueux  ;  le  Zodiaque,  de 
d'Aché,  accourut  sur  le  lieu  de  l'accident  ;  dans  cette 
manœuvre,  il  démâta  d'un  mât  et  menaça  de  couler  :  bref, 
le  départ  ne  put  avoir  lieu.  Le  nouveau  ministre  retira 
du  service  des  Indes  le  Superbe  et  le  Belliqueux.  Le 
Zodiaque,  parti  seul  deux  mois  après,  manqua  les  mous- 
sons et  arriva  trop  tard.  «  On  peut  donc,  conclut 
d'Estaing,  mettre  la  perte  des  Indes  dans  le  nombre  des 
grands  événements  arrivés  par  de  petites  causes.  Cela 
prouve  qu'il  n'existe  pas  de  petites  erreurs  en  disci- 
pline. » 

Le  commandant  du  Zodiaque  avait  refusé  d'escorter 
avec  un  seul  vaisseau  une  division  composée  d'une  dizaine 
de  vaisseaux  et  de  frégates  de  la  compagnie,  qui,  pour 
être  armés  en  guerre,  étaient  en  fait  d'assez  piètres  instru- 
ments de  combat.  C'était  le  second  coup  de  tôte  de 
d'Aché  dans  sa  carrière  de  marin  ;  en  1748,  il  avait  déjà 
refusé  de  commander  VAlcide,  sous  le  prétexte,  tout  à 

1.  A.  M.  Dossier  d'Estaing. 


GUERRE   DE    SEPT   ANS.    —   LHINDOUSTAN.  399 

fait  injustifié,  que  ce  vaisseau  ne  pouvait  pas  tenir  la  mer. 
Celte  nouvelle  incartade  méritait  une  leçon  ;  mais  le 
ministre  qui  avait  succédé  à  Machault,  M.  de  Moras, 
recevait  la  loi  de  son  personnel,  au  lieu  de  la  lui  donner. 
D'Aché  ayant  récrit  qu'il  retirait  sa  démission,  on  se 
borna  à  lui  laisser  son  commandement.  C'est  sous  ces 
fâcheux  auspices  qu'il  quitta  le  port  de  Lorient,  le 
3  mai  1757. 

Une  division  d'avant-garde,  formée  de  trois  vaisseaux 
de  la  compagnie  et  de  deux  bataillons  du  roi,  était  partie 
dès  le  6  mars,  sous  les  ordres  du  chevalier  de  Soupire  ; 
arrivée  à  l'île  de  France,  elle  se  grossit  de  trois  vaisseaux, 
qui  avaient  été  préparés  par  Bouvet  de  Lozier,  alors  gou- 
verneur de  l'île  Bourbon  et  capitaine  de  frégate.  Prenant 
le  commandement  de  tout  le  cunvoi,  Bouvet  de  Lozier  fit 
preuve  encore  de  ces  qualités  de  rapidité  et  de  décision 
qui  avaient  signalé  sa  campagne  de  1748.  Parti  de  Foule 
Pointe,  sur  les  côtes  de  Madagascar,  le  P"^  août  (1757),  il 
cinglait  le  22  en  vue  des  côtes  du  Malabar.  Sans  s'effrayer 
de  la  présence  de  deux  escadres  anglaises,  l'une  vers 
Bombay,  l'autre  vers  les  embouchures  du  Gange,  il 
courut  à  Pondichéry,  y  débarqua  soldats,  argent,  muni* 
tions,  et  reprit  la  mer  ;  le  11  octobre,  il  mouillait  à  la 
rade  de  Port-Louis,  dans  l'attente  de  l'escadre  du  comte 
d'Aché.  Ce  fut  le  dernier  commandement  à  la  mer  de  cet 
habile  marin  ;  il  devait  quitter  en  1763  le  gouvernement 
de  l'île  Bourbon,  après  avoir  accompli  dans  cette  île, 
même  pendant  ces  années  de  misère,  l'œuvre  de  coloni- 
sation la  plus  intelligente  et  la  plus  fructueuse. 

Parti  de  Lorient  le  3  mai  (1757),  d'Aché  n'avait  rallié 
l'île  de  France  que  le  16  décembre,  mettant  sept  mois  et 
demi  à  une  traversée  qui,  dans  les  circonstances  favo- 
rables, n'en  demandait  que  quatre  ou  six  au  plus  pour 


400  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 

des  navires  marchant  en  escadre.  Or  la  victoire,  comme 
bien  souvent,  devait  être  à  celui  qui  arriverait  le  premier 
sur  le  lieu  du  combat.  Dès  le  mois  de  mars,  Robert  Clive 
et  l'amiral  Watson  avaient  enlevé  notre  comptoir  de 
Chandernagor  sur  le  Gange  ;  en  août,  une  nouvelle 
escadre  était  partie  d'Angleterre  avec  le  commodore 
Stevens.  D'Aché  avait  eu  tout  contre  lui  :  des  vents  con- 
traires, une  épidémie  de  scorbut,  ce  fléau  des  anciennes 
escadres,  qui  lui  avait  enlevé  trois  cents  hommes  et  l'avait 
fait  relâcher  pendant  six  semaines  à  Rio  de  Janeiro,  sans 
pouvoir  d'ailleurs  descendre  à  terre  ;  les  habitants  qui 
se  rappelaient  l'expédition  de  Du  Guay-Trouin  avaient 
refusé  de  laisser  débarquer  les  équipages,  mais  les  temps 
et  les  hommes  étaient  bien  changés. 

D'Aché  avait  repris  la  mer  à  Rio  le  21  septembre.  Pour 
éviter  le  Cap  pendant  les  mauvais  temps  de  l'équinoxe, 
il  avait  fait  de  longs  détours  vers  le  sud.  Arrivé  à  Port- 
Louis  le  16  décembre,  il  fallut  donner  du  repos  aux  équi- 
pages et  refaire  les  approvisionnements.  Pendant  trois 
mois  environ  il  parcourut  les  eaux  de  l'île  de  France  et 
de  l'île  Bourbon,  exerçant  ses  équipages,  comme  l'avait 
fait  La  Bourdonnais,  mais  laissant  passer,  sans  la  voir, 
l'escadre  de  Stevens,  qui  se  réunissait  à  l'escadre  de 
Pocock  dans  les  eaux  de  Madras  le  24  mars  1758  ;  il 
n'arrivait  lui-même  que  plus  d'un  mois  plus  tard  (28  avril) 
en  vue  de  la  côte  du  Coromandel.  Ainsi  il  avait  fallu  une 
année  entière  au  chef  d'escadre  pour  aller  de  Brest  à 
Pondichéry  ;  les  malheurs  militaires  de  Lally  et  ceux  de 
d'Aché  ont  leur  cause  première  dans  cette  interminable 
navigation. 

Tout  de  suite,  on  paya  les  conséquences  de  tant  de  len- 
teurs, car  nous  avions  à  présent  devant  nous  les  escadres 
réunies  de  Pocock  et  de  Stevens,  celle-ci  partie  d'Europe 
trois  mois  plus  tard  que  d'Aché  et  arrivée  en  Asie  un 


GUERRE   DE    SEPT   ANS.    —   l'hINDOUSTAN.  401 

mois  plus  tôt.  Le  28  avril  (1758),  d'Aché  croisait  devant 
les  positions  anglaises  de  Goudelour  et  de  Saint-David. 
Lally,  pour  qui  ces  douze  mois  de  navigation  avaient  été 
une  torture  morale  continue,  décida  de  faire  aussitôt  le 
siège  de  Goudelour.  Il  laissa  d'Aché  devant  cette  place  et 
se  fit  conduire  à  Pondichéry  avec  la  Diligente  et  le  Comte 
de  Provence.  Avec  une  rapidité  inconnue  à  son  chef 
d'escadre,  il  y  prit  les  quelques  centaines  d'hommes  dis- 
ponibles et  les  conduisit  par  terre  devant  Goudelour 
(29  avril).  Le  siège  allait  commencer  par  terre  et  par  mer, 
quand  le  jour  même  l'escadre  de  l'amiral  Pocock  appa- 
raissait à  la  hauteur  de  cette  place. 

Le  combat  du  29  avril  1758  se  livra  dans  des  conditions 
à  peu  près  égales,  neuf  vaisseaux  français  avec  quatre 
cent  dix  canons,  huit  vaisseaux  anglais  avec  quatre  cent 
soixante-deux  canons  ;  en  fait,  la  supériorité  matérielle 
était  à  nos  ennemis.  Tous  leurs  vaisseaux  étaient  des  bâti- 
ments de  la  marine  royale  ;  chez  nous,  le  Zodiaque  seul 
était  un  vrai  vaisseau  de  guerre,  de  soixante-quatorze 
canons,  et  tous  nos  bâtiments  étaient  encombrés  de 
soldats,  dont  la  présence  compliquait  beaucoup  les 
manœuvres.  Aussi  l'action  fut  très  décousue  de  notre 
côté. 

Le  vaisseau  amiral  anglais,  le  Yarmouth  (soixante- 
quatre  canons),  mit  le  cap  sur  le  Zodiaque.  Si  d'Aché 
n'était  qu'un  médiocre  chef  d'escadre,  à  son  bord  il  était 
un  bon  officier  :  par  la  supériorité  de  son  tir,  il  obligea 
le  Yarmouth  à  s'éloigner.  Il  avait  été  très  énergiquement 
soutenu  à  l'avant-garde  par  deux  officiers  de  la  compa- 
gnie, Cristy-Pallière,  capitaine  du  Vengeur,  et  Bouvet  de 
Précourt,  capitaine  du  Bien-Aimé  ;  celui-ci,  digne  de 
l'illustre  famille  de  marins  à  laquelle  il  appartenait,  avait 
donné  la  chasse  la  veille  à  deux  frégates  anglaises  et  les 
avait  forcées  à  s'échouer  à  la  côte,  où  leurs  équipages  les 

26 


402  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 

avaient  incendiées.  Malheureusement,  notice  arrière-garde 
montra  une  impardonnable  mollesse  ;  le  Duc  de  Bour- 
gogne, commandé  par  d'Après  de  Aiannevillelte,  marin 
très  instruit  qui  ne  fut  ce  jour-là  qu'un  médiocre  soldat  ^, 
se  borna  à  canonner  l'ennemi  à  distance.  Le  Comte  de 
Provence  et  la  Diligente,  qui  revenaient  de  Pondichéry, 
étaient  signalés  au  loin  ;  leur  arrivée  pouvait  nous  donner 
la  victoire.  Mais  on  avait  beaucoup  souffert  de  part  et 
d'autre,  et  les  deux  escadres  se  séparèrent,  les  Ao'iglais 
dans  la  direction  de  Negapatam,  les  Français  dans  la 
direction  de  Pondichéry.  Un  malheur  marqua  notre 
retraite.  Le  Bien-Aimé,  de  Bouvet  de  Précourt,  fut  poussé 
à  la  côte  et  s'y  perdit  ;  Bouvet  passa  alors  au-  comman- 
dement du  Duc  de  Bourgogne.  Ce  fut  toute  la  punition 
de  Mannevillette,  à  qui  d'Aché  reprochait  de  la  froideur 
dians  le  combat  de  la  veille.  Plus  énergique,  Pocock  fai- 
sait casser  par  une  cour  martiale  les  officiers  de  son 
arrière-garde  qui  lui  avaient  paru  ne  pas  faire  tout  leur 
devoir.  Le  6  mai,  huit  jours  environ  après  cette  bataille 
à  peu  près  indécise,  d'Aché  mouillait  devant  Pondichéry. 
Cependant  la  bataille  navale  de  Goudelour,  en  éloi- 
gnant Pocock,  avait  permis  à  Lally  d'assiéger  Goudelour 
par  terre  ;  le  3  mai,  il  était  maître  de  cette  place.  Fidèle 
à  son  idée,  il  commence  aussitôt  le  siège  du  fort  Saint- 
David  et  demande  de  nouveau  à  d'Aché  le  concours  de 
ses  navires.  Celui-ci  invoque  le  délabrement  de  ses  équi- 
pages et,  ce  qui  n'était  que  trop  vrai,  le  manque  d'appro- 
visionnements maritimes  dans  l'arsenal  de  Pondichéry  ; 
enfin,  il  cède,  quoique  de  très  mauvaise  grâce,  parce  que 
Lally  avait  menacé  de  le  faire  arrêter.  Il  apparaît  devant 


2.'  Ii'api^èSicie  Ma-nnevillette.  Né  au  Havre  le  13  février  1707;  capitaine  des 
vrj-sC'Oiix  de  ia  compagnie  des  Indes;  inspecteur  et  garde  du  Dépôt  des 
cartes,  plans  et  journaux  de  l'Inde  à  Lorient  ;  auteur  du  Neptune  oriental  ; 
•^  1'^  mswps  1780,  Lorient.  A.  M.,  C\ 


GUERRE   DE    SEPT   ANS.    —    l'hINDOLSTAN.  403 

le  fort  Saint-David  le  2  juin  ;  le  même  jour  cette  place 
capitulait,  sans  que  Pocock,  qui  rôdait  dans  ces  parages, 
se  fût  approché  de  la  côte. 

A  présent,  il  s'agissait  du  siège  de  Madras.  D'Aché  s'y 
refuse,  sous  prétexte  d'établir  une  croisière  vers  Ceylan 
et  d'y  capturer  des  navires  de  commerce.  Lally  insiste. 
D'Aché  s'obstine  et  part.  Lally  lui  envoie,  par  la  côte,  un 
courrier  qui  le  rejoint  à  Karikal,  pour  le  sommer  de 
revenir  à  Pondichéry.  D'Aché  revient  en  effet  (17  juin)  ; 
mais  Lally  parlant  toujours  d'une  opération  combinée 
pour  le  siège  de  Madras,  il  déclare  qu'il  ne  fera  plus  rien, 
à  moins  qu'on  ne  lui  assure  un  ravitaillement  de  quatre 
mois  de  vivres 

Au  milieu  de  ces  allées  et  venues  et  de  ces  tiraillements 
déplorables,  le  siège  de  Madras  ne  se  faisait  point,  et 
Pocock,  qui  avait  eu  tout  le  temps  de  réparer  son  escadre 
se  montrait,  le  27  juillet,  devant  la  rade  de  Pondichéry. 
L'insécurité  de  cette  rade  imposait  à  d'Aché  de  ne  pas 
accepter  le  combat  à  cet  endroit  ;  il  sortit,  en  effet,  dès 
le  28  juillet.  Après  avoir  manœuvré  pendant  quelques 
jours  pour  se  donner  l'avantage  du  vent,  les  deux  flottes 
se  rencontrèrent,  le  3  août,  à  la  hauteur  de  Karikal. 

Ce  combat  du  3  août  1758,  le  second  que  d'Aché  livrait 
sur  la  côte  du  Coromandel,  fut  court  et  violent,  sans 
donner  de  grands  résultats.  D'Aché,  à  qui  il  fallait  la 
fièvre  de  la  bataille  pour  le  tirer  pendant  quelques  heures 
de  son  indécision  et  de  son  apathie  ordinaires,  avait 
imaginé,  avec  ses  huit  navires,  d'ailleurs  de  qualité 
médiocre,  de  couper  en  deux  la  ligne  des  sept  vaisseaux 
anglais.  La  manœuvre  était  audacieuse  ;  elle  pouvait 
réussir  si  la  brise  continuait  à  nous  favoriser  comme  au 
début  de  l'action  ;  une  brusque  saute  de  vent  eut  pour 
résultat  de  nous  mettre  sous  le  vent  des  Anglais,  en  nous 
plaçant  entre  eux  et  la  côte.  Pocock  en  profite  pour  nous 


404  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS    XV. 

attaquer  ;  les  pointeurs  anglais  tirent  dans  les  batteries  ; 
les  pointeurs  français,  suivant  une  fâcheuse  habitude  du 
temps,  tirent  dans  les  mâts.  Atteints  dans  leurs  œuvres 
vives,  nos  vaisseaux  souffrent  beaucoup.  Le  Comte  de 
Provence  est  en  feu  et  sur  le  point  d'être  pris  par  le  com- 
modore  Stevens  ;  il  est  sauvé  par  le  Duc-  de  Bourgogne, 
du  brave  Bouvet  de  Précourt,  qui  vient  se  placer  entre 
lui  et  les  assaillants.  Le  feu  s'est  mis  aussi  au  Zodiaque 
et  menace  la  soute  aux  poudres.  D'Aché,  dont  le  navire 
ne  gouverne  plus,  fait  le  signal  de  la  retraite  ;  les  Anglais, 
très  maltraités  eux-mêmes,  ne  songent  pas  à  le  pour- 
suivre. Le  lendemain  4  août,  il  mouillait  devant  Pondi- 
chéry  et  Pocock  devant  Karikal. 

Bien  qu'indécises,  les  deux  batailles  navales  de  Goude- 
lour  et  de  Karikal  prouvaient  que  nous  pouvions  disputer 
la  mer  aux  Anglais  ;  jusqu'ici  le  succès  avait  été  pour 
nous,  qui  leur  avions  pris  deux  places.  Aussi  Lally  revient 
à  l'idée  qui  l'obsède,  le  siège  de  Madras  ;  il  fait  demander 
de  nouveau  le  concours  de  d'Aché  par  le  comte  d'Estaing, 
qui  était  alors  brigadier  d'infanterie.  Nouveau  refus  de 
d'Aché,  qui  oppose  aux  protestations  de  la  colonie  les 
déhbérations  d'un  conseil  de  guerre,  conformes  à  son 
désir  et  fondées  sur  l'épuisement  de  son  escadre  ;  il  donne 
pour  raisons  à  son  départ  la  nécessité  de  conserver  une 
escadre  qui  devait  être,  d'après  lui-même,  le  salut  des 
établissements  français  dans  l'Inde.  C'est  peine  perdue 
que  de  vouloir  lui  démontrer  que  le  salut  doit  être  à  côté 
du  danger,  et  que  le  danger  n'est  pas  à  Port-Louis,  mais 
à  Pondichéry.  Il  met  à  la  voile  de  Pondichéry  le  3  sep- 
tembre 1758.  Le  13  octobre  suivant,  il  terminait  dans  les 
eaux  de  l'île  de  France  cette  campagne  d'environ  neuf 
mois,  qui  avait  été  à  peu  près  stérile  ^. 

3.  De  l'Ile  de  France,  le  30  octobre  1758,  d'Aché  adressa  un  long  rapport 
au  ministre;  il  a  été  publié  dans  la  Vie  privée  de  Louis  XV,  t.  IV,  p.  322. 


GUERRE   DE   SEPT   ANS.    —   l'hINDOUSTAN.  405 

D'Aché  aurait  pu  se  faire  pardonner  son  départ  intem- 
pestif s'il  n'avait  fait  que  toucher  à  Port-Louis  juste  le 
temps  de  ravitailler  ses  vaisseaux  et  de  compléter  ses 
équipages,  que  ces  deux  combats  avaient  diminués 
d'environ  un  millier  d'hommes  ;  mais  il  ne  reparut  au 
Coromandel  qu'un  an  plus  tard,  en  septembre  1759.  Il 
n'était  pas  seul  coupable,  il  faut  bien  le  dire,  de  ce  retard 
qui  devait  être  fatal  à  Lally.  L'administration  de  la 
Marine  avait  envoyé  d'Aché  dans  les  Indes  sans  rien  faire 
pour  assurer  son  ravitaillement.  Alors  qu'il  aurait  dû  se 
refaire  largement  à  Port-Louis  en  vivres,  en  munitions, 
en  matériel,  il  ne  put  qu'y  constaîer  le  manque  à  peu 
près  complet  de  tout  ce  qui  lui  était  nécessaire.  <(  Nous 
manquons  de  tout,  écrivait  d'Aché  au  ministre  lors  de 
son  retour  à  l'île  de  France  ;  les  hommes  même  nous 
manqueront.  Comment  faire  la  guerre  ?  Je  pars  de  l'Inde, 
parce  qu'il  n'y  a  rien  ;  j'arrive  ici,  et  je  me  trouve  encore 
plus  dans  l'embarras.  »  Il  dut  envoyer  douze  de  ses  bâti- 
ments chercher  des  vivres  jusque  chez  les  Hollandais  du 
Cap  de  Bonne-Espérance. 

Cependant,  un  chef  énergique,  soucieux  de  sa  mission, 
se  rappelant  qu'il  tenait  en  grande  partie  entre  ses  mains 
le  sort  de  son  collègue  de  l'armée  de  terre,  aurait  montré 
plus  de  diligence.  En  entrant  à  Port-Louis,  il  avait  trouvé 
un  autre  chef  d'escadre,  Froger  de  L'Éguille,  qui  lui 
amenait  de  France  trois  vaisseaux  du  roi  et  plusieurs 
vaisseaux  de  la  compagnie  ;  le  nouveau  venu  était  un 
chef  actif,  avec  qui  notre  fortune  maritime  aurait  pu 
changer  ;  «  il  était  plus  propre  que  qui  que  ce  soit  pour 
conduire  cette  expédition,  »  selon  d'Aché,  qui  se  disait 
lui-même  «  excédé  ».  Mais  il  ne  venait  pas  pour  relever 
d'Aché    de   son   commandement.    Celui-ci   se   borna    à 

et  suiv.  Voir  dans  le  même  tome,  p.  357  et  suiv.,  une  autre  relation  des 
combats  du  29  avril  et  du  3  août  1758.  ^ 


406  LA  MARINE  MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 

envoyer  à  PoDdichéry  une  seule  frégate,  la  Fidèle,  avec 
un  million  sur  les  deux  que  L'Ëguille  avait  apportés  de 
France,  et,  dit-on,  dix-neuf  soldats  en  tout.  Lui-même 
appareillait  le  17  juillet  (1759),  mais  pour  aller  armer  sur 
la  côte  de  Madagascar.  Enfm,  vers  le  milieu  d'août,  il 
cinglait  vers  l'Hindoustan,  comme  décidé  à  l'avance  à 
reprendre  son  rôle  passif  de  la  campagne  précédente. 

Au  cours  de  ces  longs  mois  d'absence  et  d'inaction, 
Lally  avait  entrepris  le  siège  de  Madras  ;  mais  Pocock, 
maître  de  la  mer,  l'avait  obligé  à  y  renoncer  dès  le  16  fé- 
vrier (1759).  En  avril,  le  général  français  perdait  ]\Iazuli- 
patam.  Dès  lors,  il  allait  être  enfermé  dans  Pondichéry, 
sans  espoir  d'en  sortir,  à  moins  qu-e  le  victoire  ne  lui 
arrivât  par  mer.  Son  sort,  c'est-à-dire  le  sort  de  l'Inde 
française,  dépendait  plus  que  jamais  de  la  conduite  de 
d'Aché. 

Le  chef  d'escadre  français  avait  touché  à  Batacolo,  sur 
la  côte  sud  de  Ceylan,  le  30  août.  Le  10  septembre  (1759), 
à  la  hauteur  de  Porto-Novo,  dans  ces  parages  où  devait 
s'illustrer  quelque  vingt  ans  plus  tard  le  bailli  de  Suffren, 
il  rencontrait  l'escadre  de  Pocock. 

Du  côté  de  d'Aché,  onze  vaisseaux,  mais  quatre  seule- 
ment de  la  marine  royale,  avec  sept  cents  canons  ^  ;  du 
côté  de  Pocock,  neuf  vaisseaux,  mais  tous  de  la  marine 
de  guerre,  avec  six  cents  canons  :  telles  étaient  les  forces 
des  deux  ennemis  à  cette  troisième  rencontre.  Ce  fut 
comme  une  nouvelle  édition  des  deux  batailles  précé- 
dentes. Pocock  avait  lancé  ses  navires  à  l'attaque  de  nos 
trois  divisions  :  Froger  de  L'Éguille,  à  l'avant-garde, 
avec  le  Minotaure  ;  d'Aché,  au  centre,  avec  le  Zodiaque  ; 
de  Ruis,    à  l'arrière-garde,    avec  V Illustre.   Lui-même, 

4.  Voir  l'Appendice  XIV. 


GUERRE    DE    SEPT    ANS.    l'hINDOUSTAN.  407 

sur  le  Yarmouth,  avait  engagé  un  furieux  corps  à  corps 
avec  le  Zodiaque.  D'Aché,  qui  dans  un  combat  payait 
bravement  de  sa  personne,  avait  reçu  de  graves  bles- 
sures, elles  l'obligèrent  à  renoncer  au  commandement  ; 
l'ofiicier"  qui  le  remplaça  ne  crut  pas  pouvoir  soutenir 
plus  longtemps  une  terrible  canonnade  qui  durait  bord 
à  bord  depuis  deux  heures  ;  il  donna  le  signal  de  la 
retraite.  Pocock  ne  pouvait  s'attribuer  la  victoire  ;  il  nous 
avait  contraints  à  nous  dérober,  mais  il  dut  renoncer  à 
nous  poursuivre,  à  cause  de  ses  graves  avaries.  Aucun 
navire  n'avait  été  pris  ou  coulé  de  part  et  d'autre.  Pour 
la  troisième  fois,  la  fortune  était  restée  indécise  ;  cepen- 
dant elle  avait  permis  encore  à  d'Aché  d'atteindre  son 
but  ;  le  15  septembre,  il  mouillait  à  Pondichéry  et  y 
débarquait  une  centaine  de  soldats  et  huit  cent  mille 
livres. 

Lally  avait  à  présent  à  portée  de  la  main  cette  force 
navale  qu'il  attendait  depuis  un  an  et  qui,  si  elle  ne  suffi- 
sait pas  pour  assurer  sa  victoire,  en  était  du  moins  la 
première  condition.  C'est  alors  qu'éclata  dans  toute  son 
inconscience  l'entêtement  inintelligent  et  inexcusable  du 
chef  d'escadre.  A  peine  arrivé,  il  déclare  qu'il  va  repartir, 
sa  mission  étant  terminée.  Lally  lui  répond  qu'elle  com- 
mence à  peine  ;  par  tous  les  arguments,  il  veut  faire  luire 
la  lumière  à  ces  yeux  obstinément  fermés.  D'Aché  n'a 
qu'une  réponse  :  il  partira.  Il  part,  en  effet,  dès  le  sur- 
lendemain 17  septembre,  avec  ses  onze  bâtiments.  Le 
conseil  supérieur  de  Pondichéry  et  tous  les  membres  de 
la  nation  française,  réunis  en  corps,  rédigent,  le  même 
jour,  une  déclaration  solennelle,  le  déclarant  seul  respon- 
sable de  la  perte  imminente  de  la  colonie.  Cette  protes- 
tation vigoureuse,  ce  «  protêt  national  »,  comme  dit  un 
historien  du  xvaf  siècle,  lui  est  signifié  en  mer  quelques 
jours  plus  tard.  Il  consent  à  revenir  à  Pondichérv,  mais 


408  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 

seulement  pour  y  débarquer  environ  neuf  cents  hommes. 
Il  reprend  la  mer  le  27  septembre,  sans  rien  vouloir 
entendre  et  donnant  pour  toute  raison  que  l'état  de  son 
escadre  ne  lui  permet  pas  d'affronter  une  nouvelle 
bataille. 

Il  ne  devait  plus  reparaître  dans  les  eaux  du  golfe  du 
Bengale  ;  cependant,  depuis  son  second  retour  à  Port- 
Louis  (15  novembre  1759)  jusqu'à  la  capitulation  de 
l'héroïque  Lally  à  Pondichéry,  après  un  blocus  de  neuf 
mois  (15  janvier  1761),  il  s'écoula  exactement  quatorze 
mois.  Certes,  ce  n'est  pas  le  temps  qui  fit  défaut  au  chef 
d'escadre.  Mais  tout  devient  argument  à  un  chef  qui  a 
décidé  de  n'agir  qu'à  sa  tête.  Ce  fut  d'abord  un  terrible 
coup  de  vent  qui,  en  janvier  1760,  jeta  à  la  côte  de  l'île 
de  France  trente-deux  bâtiments  et  désempara  l'escadre 
française,  déjà  en  assez  triste  état  ;  ce  fut  ensuite  le  pré- 
texte de  protéger  les  Mascareignes  contre  une  expédition 
anglaise  qu'on  disait  se  préparer  en  Europe.  Bref,  il 
laissa  agoniser  jusqu'à  leur  dernière  heure  les  défenseurs 
de  Pondichéry  ;  une  nouvelle  escadre  anglaise,  com- 
mandée par  l'amiral  Cornish,  put  bloquer  à  son  aise  la 
capitale  française  et  permettre  à  la  famine  d'accomplir 
son  œuvre  de  mort.  D'Aché  était  à  l'ancre  à  Port-Louis, 
en  pleine  sécurité  ;  il  n'en  bougea  que  pour  partir  pour 
la  France,  en  décembre  1760,  à  la  veille  du  jour  où  l'Inde 
française  ne  devait  plus  être  qu'un  douloureux  souvenir. 

Pris  à  partie  par  Lally  et  voulant  faire  oublier 
sa  double  retraite  et  son  inaction  de  plus  d'un  an,  aussi 
criminelle  l'une  que  l'autre,  d'Aché  fit  cause  commune 
avec  les  accusateurs  du  malheureux  officier  général.  Le 
défenseur  de  Pondichéry  périt  sur  l'échafaud,  on  sait 
dans  quelles  conditions  atroces  ;  le  chef  d'escadre,  qui 
paraît  n'avoir  jamais  eu  conscience  de  sa  responsabi- 
lité, arriva  à  la  vice-amirauté.  Nous  n'avons  pas  à  réviser 


GUERRE   DE    SEPT   ANS.    —   l'hINDOUSTAN.  409 

ici  la  sentence  qui  conduisit  Lally  à  la  place  de  Grève  ; 
l'histoire  en  a  fait  justice  depuis  longtemps.  Bornons- 
nous  à  rappeler  une  parole  que  nous  avons  déjà  citée  : 
l'Inde  est  un  don  de  la  puissance  navale,  et  ce  qui  est 
vrai  pour  l'Inde  est  vrai  pour  toute  colonie.  Si  le  gou- 
vernement de  Louis  XV  a  perdu  tout  le  domaine  de  la 
France  d'outre-mer,  c'est  parce  qu'il  n'a  pas  voulu  voir 
l'intérêt  national  là  où  il  était,  ou  parce  qu'il  a  voulu 
atteindre  un  but  sans  se  préoccuper  suffisamment  des 
moyens  nécessaires. 

Cependant,  il  faut  dire  que  sous  M.  de  Massiac,  on 
avait  songé  à  intercepter  les  relations  commerciales  des 
Anglais  avec  les  Indes,  en  établissant  une  croisière  dans 
les  eaux  de  Sainte-Hélène.  Ce  projet  avait  été  présenté 
par  un  Malouin,  qui  avait  été  au  service  de  la  compagnie 
hollandaise  des  Indes,  M.  Marchis  ;  le  ministre  l'avait 
accepté,  et  il  avait  adjoint  à  l'expédition  M.  de  Marnière, 
capitaine  de  vaisseau.  Composée  d'un  vaisseau  et  de  deux 
frégates,  ((  l'expédition  secrète  »  partit  de  Brest  en  sep- 
tembre 1758.  Mal  conduite,  interrompue  par  des  querelles 
entre  Marnière  et  Marchis,  elle  ne  donna  aucun  résultat  ^^ 

Au  milieu  des  tristesses  de  notre  histoire  maritime 
dans  l'Hindoustan,  un  homme  de  cœur,  qui  n'était  pas 
un  marin,  mais  à  qui  la  marine  allait  devoir,  sous  le 
règne  de  Louis  XVI,  les  campagnes  de  Rhode-Island,  de 
la  Grenade  et  de  Savannah,  montra  ce  qu'on  peut  faire 
avec  les  moyens  les  plus  faibles,  quand  on  est  résolu  à 
s'en  servir. 

Le  comte  d'Estaing,  brigadier  d'infanterie  dans  l'armée 
de  Lally,   pris  par  les  Anglais,   puis  relâché  par  eux, 


5.  Mémoire  à  ce  sujet,  reproduit  dans  la  Vie  privée  de  Louis  XV,  t.  IV, 
p.  275-309. 


410  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 

résolut  de  se  faire  marin  par  haine  de  nos  ennemis.  Il 
arma  tant  bien  que  mal  à  l'île  de  France  deux  bâtiments 
de  la  compagnie  ;  avec  ces  forces  improvisées,  chef 
d'escadre  improvisé  lui-même,  il  prit  la  mer  le  V"  sep- 
tembre 1759.  La  capture  d'un  vaisseau  de  Bombay  inau- 
gure sa  croisière  ;  il  court  ensuite  à  i\lascate,  y  entre  par 
surprise  sous  pavillon  anglais  et  y  enlève  un  vaisseau 
anglais  de  six  cents  tonnes  et  d'une  cargaison  de  deux 
millions.  De  là,  il  se  présente  devant  Bender-Abbas,  où 
les  Anglais  avaient  obtenu  des  Persans  de  construire  un 
fort  ;  il  enlève  une  frégate  anglaise,  commence  le  siège 
du  fort,  et  en  deux  jours,  il  oblige  le  gouverneur  Dou- 
glas à  capituler  (14  octobre  1759).  11  cingle  ensuite  vers 
Sumatra,  où  il  prend,  pille,  détruit  le  fort  de  Natal  et 
tous  les  établissements  qui  composaient  le  gouvernement 
anglais  de  cette  île  (février  1760).  Plus  tard,  il  rentrait  en 
triomphe  à  Port-Louis  avec  ses  deux  bâtiments  et  ses 
prises.  Cette  croisière,  d'une  singulière  audace,  n'avait 
pas  duré  moins  de  vingt-deux  mois. 

D'Estaing  avait  alors  en  tête  un  autre  projet,  s'emparer 
de  l'île  de  Sainte-Hélène,  étape  précieuse  sur  la  route  des 
Indes.  Froger  de  L'Eguille,  qui  commandait  alors 
l'escadre  française  dans  les  Indes,  partageait  cette  idée  ; 
mais,  dit  d'Estaing,  il  a  craignit  de  faire  ce  que  ses 
instructions  n'avaient  pu  ni  prévoir  ni  dire  ».  Le  retour 
en  Europe  du  futur  vice-amiral  es  mers  d'Asie  et  d'Amé- 
rique faiUit  mal  tourner  pour  lui.  Embarqué  sur  un 
navire  marchand  qu'il  ne  commandait  pas,  il  fut  pris  par 
les  Anglais.  Fouillé  jusque  «  dans  les  talons  de  ses  sou- 
liers »,  il  fut  jeté  à  Plymouth  «  dans  le  cachot  le  plus 
indécent  et  le  plus  humide  »,  gardé  par  des  soldats  baïon- 


6.  Texte  des  huit  articles  de  cette  capitulation  :  B.  M.  C,  t.  XII,  p.  169-171. 
—  Sur  ces  croisières  de  d'Estaing,  divers  documents  :  A.  M.,  dossier 
d'Estaing. 


GUERRE   DE    SEPT   ANS.    —   l'hINDOUSTAN.  411 

nette  au  canon,  qui  l'éveillaient  d'heure  en  heure.  Enfin, 
malgré  toutes  les  invectives  que  les  papiers  publics 
d'Angleterre  vomissaient  contre  lui,  il  fut  remis  en  liberté 
et  renvoyé  en  France. 

Promu  lieutenant  général  dans  l'armée  de  terre, 
d'Estaing  voulait  entrer  aussi  dans  la  hiérarchie  régu- 
lière de  la  marine  ;  en  octobre  1762,  à  propos  de  l'expé- 
dition du  Brésil  qu'il  organisait,  il  obtint  le  brevet  de  chef 
d'escadre.  Sa  qualité  d'  «  intrus  )>  le  fit  regarder  d'un  œil 
défavorable  par  ses  nouveaux  camarades  ;  il  était  trop 
tard  alors  pour  qu'il  pût  justifier,  par  sa  conduite  à  la 
mer,  la  faveur  exceptionnelle  qui  venait  de  lui  être 
accordée. 

Les  premières  négociations  pour  la  paix  avaient  com- 
mencé à  Fontainebleau  en  novembre  1762  ;  elles  ne  pou- 
vaient aboutir  qu'à  la  consécration  de  toutes  nos  fautes 
et  de  tous  nos  malheurs.  Nous  n'avions  d'autre  gage  en 
mains  que  l'île  de  Minorque  ;  il  nous  fallut  rendre  la  con- 
quête de  Richelieu  et  de  La  Galissonnière  pour  recouvrer 
Belle-Ile.  Le  traité  de  Paris  fut  signé  le  10  février  1763. 

La  paix  de  1748,  où  Louis  XV  avait  traité  non  en  mar- 
chand, mais  en  roi,  avait  été  pour  les  contemporains  la 
paix  stupide.  La  paix  de  1763,  par  laquelle  la  France 
coloniale  des  Champlain,  des  Richelieu,  des  Colbert  et 
des  Dupleix,  était  réduite  à  deux  postes  de  pêche  dans  les 
eaux  de  Terre-Neuve,  à  Saint-Domingue  et  à  quelques 
petites  Antilles,  à  l'îlot  de  Gorée,  aux  Mascareignes,  à 
quelques  comptoirs  du  Coromandel,  la  paix  qui  nous 
obligeait  à  payer  de  notre  argent  des  commissaires  de 
Sa  Majesté  Britannique  établis  à  demeure  à  Dunkerque 
pour  veiller  à  la  destruction  de  nombreux  travaux  mari- 
times exécutés  depuis  une  dizaine  d'années  ;  —  cette 
paix  fut  pour  l'opinion  publique  la  paix  honteuse. 


CHAPITRE  XXIII 

LES    SECRÉTAIRES    d'ÉTAT    DE    LA    MARINE    DE    1761     A    1774 


Le  duc  de  Choiseul.  —  Le  duc  de  Pretslin.  —  Offre  de  vaisseaux  au  roi. 
—  Travaux  maritimes.  —  Constructions  navales.  —  Ordonnance 
de  1765.  —  Renaissance  dans  la  marine  :  écrits  et  campagnes  scienti- 
tiques.  —  Boynes.  —  Ordonnance  de  1772.  —  L'escadre  d'évolutions 
de  1772.  —  L'Ecole  du  Havre.  —  Acquisition  de  la  Corse.  — 
Choiseul  et  l'Angleterre. 


((  Vous  me  confiâtes  la  direction  de  la  marine  en  1761, 
au  mois  d'octobre.  Vous  savez,  sire,  en  quel  état  était 
cette  marine.  Le  peu  qui  restait  dans  les  magasins  était  à 
l'encan  ;  on  n'avait  pas  de  quoi  ni  radouber  ni  équiper  les 
bâtiments  qui  avaient  échappé  au  combat  de  M.  de  Con- 
flans  ;  le  port  de  Toulon  n'était  pas  mieux  que  celui  de 
Brest  depuis  le  combat  de  M.  de  La  Clue  ;  les  vaisseaux 
étaient  abandonnés,  les  magasins  vides  ;  la  marine  devait 
partout  et  n'avait  pas  un  sou  de  crédit...  La  finance  ne 
pouvait  rien  me  fournir  ;  j'imaginai  le  don  gratuit  des 
vaisseaux.  Je  risquai  ce  moyen  vis-à-vis  des  états  du  Lan- 
guedoc qui  se  tenaient.  Il  réussit,  et  de  là  tous  les  corps 
de  l'État,  qui,  deux  ans  avant,  avaient  porté  leur  vais- 
selle à  la  monnaie  d'assez  mauvaise  grâce,  s'émurent  au 
point,  par  mes  insinuations,  que  j'eus  librement  dix-huit 
millions  dans  l'année  pour  la  marine  de  Votre  Majesté... 
La  paix  se  fît.  Alors  je  songeai  à  apprendre  la  marine...  » 


LES   MINISTRES   DE   LA   MARINE   DE    1761    A    1774.      413 

Celui  qui  parle  ainsi,  dans  un  mémoire  au  roi  de  1765  i, 
—  qui  est  une  sorte  d'exposé  de  toute  sa  politique  et  de 
tout^  son  administration,  —  est,  comme  on  l'a  compris, 
le  duc  de  Choiseul.  Après  toutes  les  défaillances  et  les 
tristesses  que  l'on  vient  de  raconter,  c'est  une  consolation 
patriotique  d'avoir  à  parler  de  l'homme  qui  n'eut  d'autre 
idée  que  de  rendre  la  vie  à  notre  marine  agonisante  et 
de  lui  préparer  une  revanche  glorieuse. 

Le  duc  de  Choiseul  avait  déjà  fait  preuve  d'une  grande 
souplesse  d'esprit  quand  il  succéda,  le  15  octobre  1761, 
au  ministre  Berryer.  Après  avoir  suivi  la  carrière  des 
armes,  il  avait  dirigé  les  ambassades  de  Rome  et  de 
Vienne  ;  ses  relations  avec  M""®  de  Pompadour  lui  avaient 
valu,  en  1758,  le  département  des  Affaires  étrangères,  à 
la  place  de  Beinis.  Lors  de  la  mort  du  vieux  maréchal 
de  Belle-Isle,  il  avait  joint  à  ce  portefeuille  celui  de  la 
Guerre  (27  janvier  1761).  Regardé  comme  l'homme  néces- 
saire, pouvant  seul  réparer  tout  le  mal  que  Berryer  avait 
fait,  il  avait  reçu  encore  le  département  de  la  Marine.  11 
est  vrai  qu'il  venait  de  passer  au  comte  de  Choiseul,  plus 
tard  duc  de  Praslin,  le  portefeuille  des  Affaires  étran- 
gères. Deux  ministères  à  diriger  à  la  fois,  comme  la 
Guerre  et  la  Marine,  et  cela  au  cours  d'une  guerre  désas- 
treuse qui  durait  depuis  cinq  ans  :  la  tâche  était  lourde, 
même  pour  un  homme  qui  était  dans  la  pleine  force  de 
l'âge,  —  Choiseul  avait  quarante-deux  ans  en  1761,  —  et 
qui  avait  de  rares  qualités  d'assimilation,  de  travail  et 
de  volonté.  L'ouvrier  fut  digne  de  l'œuvre  à  accom- 
plir. 

La  réunion  dans  les  mêmes  mains  des  portefeuilles  de 
la  Guerre  et  de  la  Marine  était  une  nouveauté  adminis- 


1.  Publié  par  Ch.  Giraud,  d'après  une  copie  ayant  appartenu  au  chan- 
celier Pasquier,  dans  le  Journal  des  Savants,  1881. 


414  LA   MARINE    MILITAIRE    SOUS    LOUIS    XV. 

trative,  qui  pouvait  se  justifier  par  divers  arguments.  Les 
deux  services  ayant  le  même  objet,  la  protection  mili- 
taire du  pays,  il  y  avait  intérêt  à  prévenir  tout  conflit  entre 
Les  deux  directions  et  à  leur  assurer  Ja  plus  grande  unité 
de  vues.  D'autre  part,  les  dépenses  de  la  Marine  ayant 
été  jusqu'alors  sacrifiées  aux  dépenses  de  la  Guerre,  on 
pouvait  compter  que  la  répartition  des  londs  se  ferait 
désormais  d'une  manière  mieux  en  rapport  avec  chaque 
service,  si  le  mJme  ministre  arrêtait  à  la  fois  les  états 
financiers  des  deux  départements.  Cependant  les  avan- 
tages possibles  de  cette  combinaison  ministérielle  ne 
durèrent  pas  plus  de  cinq  ans.  Le  7  avril  1766,  les  deux 
ministères  étaient  séparés  de  nouveau,  pour  ne  plus  être 
réunis..  Tout  en  gardant  le  département  de  la  Guerre, 
Choiseul  reprenait  le  département  des  Affaires  étran- 
gères ;  quant  au  secrétariat  d'Etat  de  la  Marine,  il  passait 
au  duc  de  Praslin. 

Le  nouveau  ministre  de  la  Marine  était  le  cousin  du 
duc  de  Choiseul  ;  entre  les  deux  cousins,  il  y  eut  toujours 
une  étroite  intimité  de  rapports  personnels  et  une  grande 
communauté  de  vues  politiques  et  administratives.  Aussi 
les  quatre  années  du  ministère  de  Praslin  forment  la 
suite  ininterrompue  des  cinq  années  du  ministère  de  Choi- 
seul. En  rendant  à  chacun  des  deux  cousins  ce  qui  lui 
appartient  en  propre,  on  exposera  dans  son  ensemble 
l'œuvre  administrative  de  ces  neuf  années.  Grande  en 
elle-même,  l'œuvre  des  deux  Choiseul  devient  plus 
grande  encore  si  on  la  compare  à  ce  qui  la  précéda  et  la 
suivit. 

Pour  parler  avec  équité  de  Choiseul  comme  ministre  de 
la  Marine,  il  faut  se  rappeler,  comme  il  le  rappelait  lui- 
même  au  roi,  la  situation  désespérée  de  tous  nos  services 
maritimes  à  la  fin  de  l'année  1761.  Nous  n'avions  plus 


LES  MINISTRES  DE  LA  MARINE  DE  1761  A  1774.   415 

d'escadres  m  sur  la  Méditerranée  ni  sur  l'Océan.  Thomas 
lerminail  ainsi  son  Eloge  de  Du  Guay-Trouin,  publié  en 
1761  :  (c  Ah  !  s'il  revivait  aujourd'hui,  s'il  errait  parmi 
nos  ports  et  nos  arsenaux,  quelle  serait  sa  douleur  !  Fran- 
çais, s'écrierait-il,  que  sont  devenus  ces  vaisseaux  que  jai 
commandés?...  Mes  yeux  cherchent  en  vain  :  je  naper- 
çois  qm-  des  ruines.  Un  triste  silence  règne  dans  vos 
portsv..  »  Cette  figure  de  rhétorique  n'était  que  l'expres- 
sion de  la  vérité.  Le  chevaher  de  Mirabeau  ne  parlait  pas 
autrement  à  son  frère  dans  cette  lettre,  écrite  de  Brest  le 
9  juin  1760  :  «  Jérémie  ne  serait  qu'un  bouffon  auprès  de 
moi,  si  je  te  disais  le  crèvecœur  que  j'ai  tous  les  matins 
en  ouvrant  ma  fenêtre  qui  donne  sur  le  port.  L'air  de 
mort  et  de  désolation  qui  y  règne  me  fait  gémir.  Un 
silence  affreux  !  Une  solitude  dévastée  !  Je  ne  sais  que  te 
dii^e,  mais  tout  ceci  va  bien  mal.  » 

Pour  la  situation  militaire,  on  se  rappelle  qu'elle  était 
désespérée.  Les  Anglais  étaient  établis  en  maîtres  à  Belle- 
Ile,  au  Canada,  aux  Antilles,  au  Sénégal,  dans  l'Hin- 
doustan.  Cependant,  la  seule  arrivée  aux  affaires  d'un 
homme  énergique,  parlant  ouvertement  de  restaurer  la 
marine,  avait  suffi  pour  provoquer  dans  le  pays  un  admi- 
rable élan  de  patriotisme. 

Choiseul  avait  imaginé  de  faire  proposer  aux  états  du 
Languedoc  par  leur  président,  le  cardinal  de  La  Roche- 
Aymon,  archevêque  de  Narbonne,  d'offrir  un  vaisseau  au 
roi  ;  l'argent  fut  voté  par  acclamation.  L'exemple  fut  suivi 
partout  en  France  et  dans  toutes  les  classes  de  la  société. 
Etals  du  Languedoc,  de  Bourgogne,  de  Flandre,  d'Artois, 
parlement  de  Bordeaux,  municipalité  de  Paris,  chambre 
de  commerce  de  Marseille,  corporations  des  marchands 
de  Paris,  fermiers  généraux,  receveurs  de  finances,  régis- 
seurs des  postes,  chevaliers  de  l'ordre  du  Saint-Esprit  : 
tous  les  corps  de  l'Etat  rivalisèrent  de  générosité.  Le 


416  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 

clergé  offrit  encore  un  million  pour  le  même  objet  2.  Le 
ministre  put  ainsi  avoir  en  quelques  mois,  avec  les  dons 
volontaires  des  provinces,  des  villes  et  des  corporations, 
quinze  vaisseaux  de  ligne,  de  quarante-quatre  à  quatre- 
vingt-dix  canons.  Les  noms  de  plusieurs  de  nos  vais- 
seaux, qui  s'illustrèrent  dans  la  guerre  d'Amérique, 
comme  le  Languedoc^  la  Bretagne,  la  Bourgogne,  le 
Marseillais,  VArtésien,  le  Citoyen,  le  Saint-Esprit,  et 
autres  du  même  genre,  rappellent  ces  dons  de  l'époque 
de  Choiseul. 

Ce  qui  donne  à  cette  souscription  nationale  un  carac- 
tère tout  particulier  d'enthousiasme  patriotique,  c'est  que 
la  somme  de  treize  millions  de  livres,  qui  fut  réunie  en 
quelques  semaines,  comprenait  des  offrandes  de  simples 
particuliers,  sans  attaches  avec  l'administration.  «  M.  de 
Choiseul  m'a  dit,  écrit  le  baron  de  Besenval,  qu'il  rece- 
vait journellement  des  lettres  de  particuliers  qui  lui 
offraient  de  l'argent.  Il  en  eut  une,  entre  autres,  d'un 
simple  gentilhomme  de  Champagne...  qui  lui  mandait 
que,  n'étant  pas  riche  et  ayant  des  enfants,  il  n'était  pas 
trop  en  état  de  donner  ;  que,  cependant,  comme  ils  étaient 
encore  en  bas  âge,  il  pouvait  se  passer  de  mille  écus  qu'il 
avait  amassés  et  qu'il  les  lui  envoyait  pour  être  employés 
au  service  du  roi...  » 

Grâce  à  ces  contributions  volontaires,  la  situation 
matérielle  de  la  marine  était  moins  déplorable  à  la  signa- 
ture de  la  paix  qu'on  ne  pourrait  le  croire.  L'ennemi  nous 
avait  pris,  au  cours  de  la  guerre,  dix-huit  vaisseaux  et 
trente-sept  frégates  ;  nous  avions  perdu,  par  le  feu,  les 
naufrages  ou  d'autres  causes  encore,  dix-neuf  vaisseaux 
et  autant  de  frégates,  soit  une  perte  totale  de  quatre- 


2.  En  1771,  lea  Malouins  prêtèrent  trente  millions  à  Louis  XV.  Château 
fcRiAND,  Mémoires  d'outre-tombe 


LES   MINISTRES   DE   LA   MARINE   DE    1761    A    1774.        417 

vingt-treize  bâtiments,  portant  environ  trois  mille  huit 
cent  quatre-vingts  canons  ;  mais  nos  forces  navales  com- 
prenaient encore  une  quarantaine  de  vaisseaux  et  une 
dizaine  de  frégates,  auxquels  il  faut  ajouter  les  quinze 
vaisseaux  donnés  par  le  pays.  C'étaient  comme  des 
épaves  arrachées  à  la  fureur  de  la  tempête.  Le  grand 
mérite  de  Choiseul  fut  de  reconstituer  une  flotte  avec  ces 
débris  et  de  ramener  la  vie  sur  les  chantiers,  dans  les 
ports,  dans  les  arsenaux.  Les  dépenses  de  la  marine 
étaient  de  20  064  556  livres  en  1763,  l'année  de  la  signa- 
ture de  la  paix  ;  l'année  suivante,  elles  avaient  diminué 
de  quatre  millions  :  on  peut  trouver  que  c'est  peu  avec 
le  désarmement  des  navires,  le  licenciement  des  équi- 
pages et  toutes  les  économies  nécessaires  ;  mais  peu 
à  peu,  en  pleine  paix,  les  dépenses  augmentèrent, 
et  finirent  par  s'élever  en  1770  à  la  somme  de 
26  540  000  hvres. 

Aux  trois  arsenaux  maritimes  de  la  France,  Brest, 
Rochefort  et  Toulon,  Choiseul  et  Praslin  en  ajoutèrent 
deux  autres  :  l'un  d'eux,  celui  de  Marseille,  rétabli  pour 
les  galères  et  la  construction  des  navires,  par  décision  du 
28  janvier  1762,  ne  conserva  que  quelque  temps  ce  carac- 
tère ;  l'autre,  Lorient,  est  resté  l'un  des  grands  établisse- 
ments de  notre  marine  de  guerre. 

La  compagnie  des  Indes,  victime  elle-même  de  l'inin- 
telligence avec  laquelle  elle  avait  sacrifié  Dupleix,  avait 
été  ruinée  par  la  guerre  ;  réduite  à  quelques  misérables 
comptoirs,  n'ayant  à  peu  près  plus  de  navires  de  com- 
merce, ne  pouvant  plus  en  construire,  dans  l'impossibihté 
où  elle  était  de  contracter  un  emprunt,  elle  était  à  la  veille 
de  la  faillite,  quand  un  édit  royal,  du  13  août  1769,  sus- 
pendit son  privilège  et  proclama  la  liberté  du  commerce 
maritime  au  delà  du  cap  de  Bonne-Espérance.  Elle  céda 
alors   à  la  couronne  le  port  et  l'arsenal  de  Lorient 

27 


418  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS    LOUIS   XV. 

(26  avril  1770)  ;  l'intendant  Clugny  de  Nuys  ^  en  prit  pos- 
session au  nom  du  roi. 

Les  grands  établissements  maritimes  des  rives  du 
Scorff  reprirent  ainsi  le  caractère  exclusif  d'établis- 
sement militaire  qu'ils  avaient  eu,  environ  quatre- 
vingts  ans  plus  tôt,  sous  l'administration  de  Seignelay. 
Le  matériel  naval  que  la  Compagnie  cédait  à  l'Etat 
comprenait  vingt  vaisseaux  et  quatorze  frégates  ; 
il  y  avait  bien  des  non-valeurs  parmi  ces  bâtiments,  cons- 
truits surtout  en  vue  d'un  service  commercial.  Le  plus 
grand  avantage  de  la  marine  dans  cette  opération,  c'était 
l'occupation  d'une  position  de  valeur,  servant  d'étape 
entre  Brest  et  Rochefort,  permettant  de  protéger  Belle- 
Ile,  la  Vilame  et  la  Loire. 

De  grands  travaux  furent  exécutés  à  Brest  à  l'époque 
du  duc  de  Praslin.  L'ingénieur  Choquet  de  Lindu,  qui 
fut  pour  la  capitale  maritime  de  la  Bretagne  comme  un 
second  Vauban  et  qui  consacra  toute  sa  vie  à  la  doter 
d'établissements  militaires,  remplaça,  vers  cette  époque, 
par  de  solides  édifices  de  granit  les  vieux  bâtiments  de 
l'époque  de  Colbert. 

Le  duc  de  Praslin  s'occupa  aussi  des  améliora- 
tions à  introduire  au  port  de  Toulon.  Depuis  long- 
temps, les  ingénieurs  de  la  marine  réclamaient  la 
construction  d'un  bassin  de  radoub  dans  ce  port  ;  on  était 
parfois  obligé  de  démolir  les  vaisseaux  de  l'escadre  de  la 
Méditerranée,  faute  de  pouvoir  les  radouber  à  Toulon 
même.  De  nombreux  projets  furent  présentés  pour  la 
eonstructioii  d'un  bassin  ;  celui  qui  fut  accepté,  dû  au 
commissaire  ordonnateur  et  constructeur  de  la  marine^ 


a  ClTigny  de  Nuys.  Intendant  à  Saint-Domingue.  1"  janvier  1760  ;  inten- 
dant à  Brest,  18  novembre  1765  ;  intendant  général  de  la  marine  ;  adjoint 
au  ministre,  du  13  novembre  1770  au  8  avril  1771  ;  contrôleur  général  après 
Turgot.  Stat  aommctire  des  Archives  de  la  Marine,  p.  t26,  374. 


LES   MINISTRES   DE    LA   MARINE   DE    1761    A    1774.       419 

Groignard,  ne  fut  exécuté  que  de  1774  à  1779.  Du  moins, 
Praslin  put  faire  construire  tout  de  suite  de  vastes  han- 
gars pour  abriter  les  bois  de  construction. 

La  question  de  l'approvisionnement  des  bois  était  alors 
le  grand  obstacle  aux  travaux  de  réfection  de  la  flotte  ; 
on  avait  laissé  tomber  en  désuétude  les  ordonnances  pré- 
voyantes qui  réservaient  à  la  marine  les  plus  beaux  arbres 
des  forêts  du  royaume.  Choiseul  s'efforça  de  les  remettre 
en  vigueur  ;  il  s'occupa  aussi,  comme  devait  le  faire 
encore  son  cousin,  d'assurer  à  la  marine  des  approvision- 
neai-ents  à  l'étranger.  Des  marchés  furent  passés  en  Italie 
et  en  Turquie  pour  la  fourniture  de  bois  de  chêne  au  port 
de  Toulon.  Dans  les  Pyrénées  il  y  avait  encore  de  grandes 
réserves  forestières,  mais  à  peu  près  inutilisables  à  cause 
du  manque  des  voies  d'accès.  Choiseul,  qui  avait  pro- 
voqué comme  une  fièvre  maritime  jusque  dans  les  coins 
les  plus  reculés  de  la  France,  fît  offrir  au  roi  par  les  états 
de  Bigorre  les  bois  de  construction  de  la  province,  les 
états  prenant  en  outre  à  leur  charge  les  frais  d'abatage  et 
de  charroi.  On  loua  beaucoup  l'activité  de  l'intendant  du 
Béarn,  M.  d'Étigny,  qui  avait  fait  couper  dans  la  haute 
vallée  du  gave  d'Aspe  de  magnifiques  bois  de  mâture  : 
le  gave  avait  été  rendu  navigable  sur  vingt-quatre  lieues. 
Quand  le  premier  convoi  de  troncs  d'arbres  arriva  aux 
quais  de  Bayonne,  il  fut  reçu  aux  acclamations  des  habi- 
tants et  au  bruit  du  canon. 

Dans  un  mémoire  de  1763,  Choiseul  avait  dressé  tout 
un  programme  de  constructions  navales  ;  il  voulait  que 
la  France  eût  au  début  d'une  guerre  quatre-vingts  vais- 
seaux de  hgne  et  quarante-cinq  frégates  ;  c'étaient  des 
forces,  disait-il,  u  capables  de  faire  respecter  le  pavillon 
du  roi  par  la  marine  d'Angleterre,  quoique  supérieure  en 
nombre  ».  Malgré  le  zèle  des  deux  cousins,  ce  programme 
n'avait  point  été  complètement  réalisé  ;  en  1771,  au  len- 


420  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 

demain  de  leur  commune  disgrâce,  notre  flotte  de  guerre 
comprenait  soixante-quatre  vaisseaux  et  une  cinquan- 
taine de  frégates  ou  corvettes  en  état  de  prendre  la  mer, 
sans  compter  les  bâtiments  sur  les  chantiers.  C'étaient 
des  instruments  de  combats  tout  prêts  pour  la  guerre  de 
la  revanche.  Choiseul,  qui  n'était  plus  aux  affaires  depuis 
longtemps,  quand  éclata  la  guerre  d'Amérique,  eut  du 
moins  la  joie  d'assister  aux  victoires  de  la  flotte  nou- 
velle, dont  il  avait  été  le  premier  créateur. 

Le  restaurateur  de  la  marine  avait  compris  qu'il  ne 
suffisait  pas  de  mettre  des  munitions  dans  les  magasins 
et  des  vaisseaux  dans  les  ports  ;  il  fallait  réformer  la  cons- 
titution même  de  la  marine  militaire.  Elle  remontait  tou- 
jours à  l'ordonnance  de  1681,  digne  sans  doute  du  génie 
administratif  de  Colbert,  mais  qui,  avec  le  temps,  avait 
laissé  apparaître  quelques  défauts  ;  en  outre,  son  appli- 
cation suscitait  plus  d'un  conflit  entre  les  deux  pouvoirs 
qui  se  partageaient  la  marine,  la  plume  et  l'épée.  Pour 
devenir  le  réformateur  de  nos  institutions  maritimes, 
Choiseul  voulut  faire  d'abord  sa  propre  instruction.  «  Je 
songeai,  dit-il  lui-même  au  roi  dans  son  mémoire  de  1765, 
à  apprendre  la  marine  que  je  ne  savais  pas.  Je  me  fis 
instruire  par  un  homme  précieux  qui  est  dans  les 
bureaux  et  qui  s'appelle  Truguet.  J'appris  les  plus  petits 
détails...  » 

L'éducateur  du  ministre  devait  être,  en  effet,  un 
conseiller  plein  d'expérience  :  toute  sa  vie,  depuis  1722, 
s'était  passée  dans  les  bureaux,  et  depuis  1761,  il  diri- 
geait la  «  Police  des  ports  ». 

Les  Archives  de  la  Marine  possèdent  un  double  témoi- 
gnage de  cet  intelligent  apprentissage,  qui  est  tout  à 
l'honneur  de  Choiseul.  Ce  sont  deux  mémoires  du  milieu 
de  l'année  1763,  où  l'on  trouve  l'ébauche  de  tout  ce  qu'il 


LES   MINISTRES   DE   LA   MARINE   DE    1761    A    1774.      421 

fit  OU  comptait  faire  pour  la  marine.  L'un  de  ces  mémoires 
débute  ainsi  *  : 

«  Il  faut  un  grand  courage,  une  suite  de  réflexions  et 
beaucoup  de  connaissances  pour  entreprendre  de  changer 
la  forme  de  notre  constitution  maritime,  qui,  de  l'aveu  et 
de  l'expérience  de  tout  le  monde,  est  dans  un  état  d'affai- 
blissement qui  la  rend  coûteuse  et  inutile  au  service  du 
roi  et  de  l'État.  » 

Quelques  années  plus  tôt,  le  chevalier  de  Mirabeau  ne 
voyait  de  salut  pour  la  marine  que  dans  un  bouleverse- 
ment radical,  de  fond  en  comble.  «  Tout  ce  que  l'on  pour- 
rait faire  pour  la  marine,  c'est  greffer  sur  un  tronc 
pourri...  A  quoi  servirait  de  panser  un  ulcère  sur  une 
jambe  quand  la  gangrène  est  dans  le  sang?  » 

Choiseul,  qui  connaissait  le  mal,  conservait  plus 
d'espoir. 

({  Je  m.e  sens  le  courage  de  vaincre  tous  les  obstacles 
pour  ce  nouvel  établissement  ;  j'ai  réfléchi,  avec  la  plus 
grande  attention,  aux  différents  plans  qui  m'ont  été 
fournis,  je  connais  mon  insuffisance  dans  la  partie  mari- 
time ;  mais  je  réfléchis  que,  malgré  mon  peu  de  pratique 
du  service  de  la  mer  et  la  faible  théorie  que  j'ai  acquise 
sur  cet  objet,  je  suis  cependant  chargé  de  la  direction  de 
ce  département  et  qu'il  est  plus  utile  au  service  du  roi 
que  la  marine  que  je  dirige  aille  d'après  mes  connais- 
sances que  d'après  des  principes  que  je  n'entendrais 
pas...  » 

Le  ministre  parle  des  différents  plans  qui  lui  furent 
fournis.  Il  avait  demandé  à  M.  Rodier,  premier  commis 
de  la  marine,  et  à  M.  Truguet,  de  lui  dresser  un  mémoire 
sur  ce  sujet,   complet  et  très  simple,   ainsi  qu'un  état 


4    A.  M.,  G  127.  —  Cf.  rétude  de  M.  L.  BATIFFOL  :  R.  M.  C,  t.  CXVIII, 
p.  31-48. 


422  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS    LOLIS   XV. 

détaillé  et  précis  de  nos  forces  navales.  Ce  fut  comme  le 
canevas  général  des  deux  mémoires  de  1763,  ainsi 
divisés  :  établissement  des  ports,  administration  des 
ports,  service  des  officiers.  L'un  de  ces  mémoires  porte 
sur  le  recto,  outre  les  observations  de  Rodier,  les  apos- 
tilles de  quatre  officiers  de  marine  auxquels  le  ministre 
l'avait  soumis,  Roquefeuil,  Fabry,  Bory,  Morogues.  De 
ces  travaux  préparatoires  sortit  un  projet  d'ordonnance, 
qui  fut  tiré  à  vingt-cinq  exemplaires,  pour  être  commu- 
niqué à  des  conseillers  désignés  par  le  ministre  et  pris 
en  dehors  des  bureaux.  Enfin,  le  projet  primitif  et  toutes 
les  observations  recueillies  furent  refondus  dans  l'Ordon- 
nance royale  du  25  mars  1765  ;  c'était  le  nouveau  code 
administratif  de  la  marine  de  guerre. 

Le  système  de  Colbert,  maintenu  par  Seignelay  et  ses 
successeurs,  avait  donné  pour  l'administration  des  arse- 
naux la  prééminence  aux  pouvoirs  de  l'intendant  ;  il  en 
était  résulté  ce  que  Choiseul  appelait  «  un  corps  d'admi- 
nistrateurs qui  n'était  pas  destiné  à  l'action  et  qui  prépa- 
rait les  moyens,  sans  connaître  les  effets  ;  un  corps 
d'officiers  militaires  destinés  à  l'action,  et  éloignés  de  la 
connaissance  de  tous  les  moyens.  »  Le  système  de  Choi- 
seul  relevait  l'autorité  des  officiers  de  marine  dans  leurs 
fonctions  à  terre  ;  il  s'efforçait  de  distinguer  le  plus  pos- 
sible les  attributions  militaires  des  attributions  civiles,  en 
limitant  l'action  de  l'intendant  au  domaine  de  la  «  plume  » 
proprement  dit.  D'ailleurs,  pour  relever  d-ans  l'opinion 
la  situation  des  agents  civils,  le  ministre  leur  faisait 
porter  l'uniforme  et  leur  donnait  la  dénomination 
d'officiers  d'administration  de  la  marine.  Cependant  la 
((  plume  »,  obligée  désormais  à  partager  avec  1'  «  épée  », 
sinon  à  lui  abandonner  un  domaine  où  elle  régnait 
presque  en  souveraine  depuis  Louis  XIV,  accueillit  avec 


LES    MINISTRES   DE    LA    MARINE    DE    1761    A    1774.       423 

un  vif  mécontentement  une  ordonnance  qui  paraissait 
viser  surtout  l'autorité  des  intendants. 

D'autre  part,  les  officiers  d'épée,  craignant  d'être 
menacés  dans  leurs  privilèges,  n'étaient  pas  très  favo- 
rables au  ministre  novateur  ;  on  lui  prêtait,  en  effet, 
l'intention  de  faire  entrer  dans  les  cadres  de  la  marine 
royale  tous  les  officiers,  corsaires  ou  marchands,  qui 
s'étaient  signalés  dans  la  dernière  guerre.  Ce  qui  est  cer- 
tain, c'est  qu'il  songeait  à  réformer  et  à  rajeunir  les 
cadres,  comme  le  montre  ce  passage  de  son  mémoire  au 
roi  de  1765  : 

«  Je  fus  étonné  du  nombre  d'officiers  instruits  et 
d'esprit  que  je  trouvai  dans  un  corps  abâtardi.  J'en  fis 
venir  une  certaine  quantité  à  Versailles.  Nous  avons  eu, 
pendant  tout  un  hiver,  sur  toutes  les  parties  de  la  marine, 
des  conversations  raisonnées.  J'y  ai  puisé  beaucoup  de 
lumières...  Je  crois,  sire,  que  les  officiers  de  la  marine 
de  Votre  Majesté  ont  infiniment  plus  de  connaissances 
que  ceux  de  la  marine  de  Louis  XIV  n'en  avaient...  Je 
pense  qu'il  faut  avancer  les  jeunes  gens  ;  il  y  en  a  de  la 
première  distinction  et  qui  feront  honneur  au  siècle...  » 

Cependant,  que  faisait  Louis  XV  pour  soutenir  son 
ministre  contre  les  réclamations  de  la  «  plume  )>  ou  les 
protestations  des  offiiciers  «  abâtardis  »,  menacés  d'être 
réformés  ?  Choiseul  lui  avait  tenu  dans  ce  même  mémoire 
le  langage  le  plus  viril  :  «  Je  dois  dire  à  Votre  Majesté 
que  cette  partie,  la  marine,  opérera  le  salut  du  royaume 
ou  sa  décadence  ;  de  sorte  qu'il  est  bien  effrayant  de  voir 
la  négligence  avec  laquelle  Votre  Majesté  et  tout  ce  qui 
l'entoure  la  considèrent.  J'ose  ajouter  que  je  pense  si 
différemment  que,  si  j'avais  du  crédit,  je  représenterais 
à  Votre  Majesté  qu'il  serait  de  son  devoir  de  roi  de  faire 
au  printemps  prochain  un  voyage  à  Brest.  Les  quatre 
jours  qu'elle  passerait  dans  le  port  y  feraient  un  effet 


424  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS    LOUIS   XV. 

décisif  en  bien,  peut-être  pour  un  siècle.  »  Le  roi  ne  sortit 
pas  de  son  apathie,  pas  plus  pour  aller  à  Brest  que  pour 
faire  taire  les  adversaires  du  ministre.  On  prétend  qu'il 
lui  tint  un  jour  ce  propos  :  <(  Mon  cher  Choiseul,  vous  êtes 
aussi  fou  que  vos  prédécesseurs  :  ils  m'ont  tous  dit  qu'ils 
voulaient  une  marine  ;  il  n'y  aura  jamais  en  France 
d'autre  marine  que  celle  du  peintre  Vernet.  » 

Dépité  d'être  si  peu  compris,  Choiseul  abandonna  un 
département  où  il  se  heurtait  à  trop  d'obstacles,  pour 
reprendre  celui  des  Affaires  étrangères  (7  avril  1766).  On 
sait  déjà  que  ce  départ  n'était  qu'une  fausse  retraite, 
puisqu'il  passait  le  portefeuille  de  la  Marine  à  un  autre 
lui-même,  au  duc  de  Praslin. 

Il  y  aurait  encore  à  signaler  plus  d'un  point  intéressant 
dans  les  réformes  administratives  de  Choiseul.  Comme  il 
avait  à  la  fois  la  direction  de  la  Guerre  et  de  la  Marine, 
il  imagina  de  fusionner  les  troupes  de  l'armée  de  terre  et 
de  la  flotte,  en  faisant  servir  les  régiments  d'infanterie 
sur  les  vaisseaux.  Il  justifiait  cette  idée  malencontreuse 
et  dont  l'application  ne  dura  que  peu  de  temps  par  des 
raisons  d'économie  et  par  des  arguments  militaires. 
«  Cette  union  des  deux  armes,  disait-il,  est  essentielle  à 
établir  petit  à  petit,  parce  que  les  ennemis  de  la  France 
sont  les  Anglais  et  qu'il  faut  employer  le  génie  de  toutes 
les  forces  de  la  nation  contre  eux.  » 

Choiseul,  qui  remit  un  peu  d'ordre  dans  l'avancement 
jusqu'alors  assez  irrégulier  des  officiers,  se  préoccupa  à 
juste  titre  d'assurer  un  bon  recrutement  des  cadres  ;  à  cet 
effet,  l'ordonnance  du  14  septembre  1764  reconstitua  les 
compagnies  des  gardes  de  la  marine  et  du  pavillon,  qui 
représentaient  l'École  navale  de  l'ancienne  marine  Le 
savant  Bezout,  de  l'Académie  des  Sciences,  fut  nommé 
examinateur  des  gardes  de  la  marine  ;  à  l'usage  de  ces 


LES   MINISTRES   DE    LA   MARINE   DE    1761    A    1774.      425 

jeunes  gens,  qui  pouvaient  commencer  à  quatorze  ans 
leur  apprentissage  maritime,  il  rédigea  un  Cours  de 
mathématiques,  en  six  volumes,  qui  comprenait  l'en- 
semble des  connaissances  scientifiques  qu'on  leur  deman- 
dait pour  le  grade  d'enseigne  de  vaisseau. 

L'impulsion  donnée  par  le  ministre  aux  constructions 
maritimes  l'amena  à  s'occuper  de  la  situation  adminis- 
trative desi  constructeurs.  L'Ordonnance  de  1765  leur 
donna  officiellement  le  titre  d'ingénieurs  constructeurs  ; 
une  hiérarchie  fut  établie  dans  ce  corps  spécial,  depuis 
les  élèves  ingénieurs  jusqu'à  l'ingénieur  en  chef.  Les 
ingénieurs  dépendaient  de  l'intendant  ;  mais  tous  les  tra- 
vaux de  construction  et  de  refonte  des  vaisseaux  étaient 
arrêtés  dans  chaque  arsenal  par  un  conseil  de  construc- 
tion, plus  tard  conseil  de  marine,  composé  d'officiers  de 
marine. 

Le  duc  de  Praslin  maintint  les  diverses  réformes  de 
son  prédécesseur  et,  en  particulier,  la  grande  Ordon- 
nance du  25  mars  1765,  qui  avait  été  l'occasion  de  sa 
démission.  Ce  qui  appartient  en  propre  au  nouveau 
ministre,  c'est  la  reconstitution,  en  1769,  de  l'Académie 
de  Marine  ^.  Cette  idée  très  heureuse  répondait  au  besoin 
de  travail  personnel  et  de  recherches  scientifiques  qui  se 
manifestait  depuis  nos  malheurs  de  la  guerre  de  Sept  ans 
dans  l'élite  des  officiers  de  marine,  et  elle  contribua  à  le 
répandre  dans  la  masse  tout  entière. 

Les  officiers  de  l'armée  de  mer  s'étaient  mis  courageu- 
sement au  travail  après  le  traité  de  Paris.  Bigot  de 
Morcgues,  qui  fut,  comme  on  le  sait,  le  promoteur  d'une 
renaissance  scientifique  parmi  ses  camarades  et  le  pre- 
mier fondateur  de  l'Académie  de  Marine,  publiait,  en 
1763,  sa  Tactique  navale  ou  Traité  des  Evolutions  et  des 

5.  Voir  ci-dessus  p.  ^32. 


426  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 

Signaux.  «  Je  m'estimerais  heureux,  disait-il  dans  sa 
dédicace  à  Choiseul,  si  l'ouvrage  que  vous  me  permettez 
de  publier,  répondant  à  une  partie  de  vos  \aies,  pouvait 
être  utile  à  la  jeune  noblesse  sur  laquelle  la  nouvelle 
marine  fonde  ses  nouvelles  espérances...  »  Un  officier  de 
la  compagnie  des  Indes,  Bourde  de  Villehuet,  dédiait 
aussi  à  Choiseul,  en  1765,  le  Manœuvrier  ou  Essai  sur  la 
théorie  et  la  pratique  des  mouvements  du  navire  et  des 
évolutions  navales  ;  de  caractère  avant  tout  pratique,  le 
Manœuvrier  fut  un  livre  très  répandu  chez  les  gens  du 
métier.  Dans  sq  préface,  Bourde  parlait  de  la  nécessité 
de  l'étude  et  des  avantages  pour  l'éducation  du  marin  de 
combiner  la  théorie  et  la  pratique  ;  à  ce  propos,  il  écri- 
vait ces  lignes,  auxquelles  les  actes  et  les  travaux  de  nos 
officiers  de  marine  pourraient  fournir  un  abondant  com- 
mentaire :  ((  Le  véritable  honneur  n'est  point  ce  sentiment 
oisif  qui  sommeille  languissamment  dans  les  âmes.  îl 
consiste,  dans  un  homme  de  mer,  à  se  distinguer  autant 
par  l'intelligence  et  la  supériorité  des  talents  que  par  la 
bravoure  et  l'intrépidité.  » 

Ces  années  de  travail  virent  aussi  les  campagnes  scien- 
tifiques qui  firent  tant  d'honneur  à  nos  marins.  Bougain- 
ville,  commandant  la  Boudeuse^,  abordait  à  Tahiti  en 
1768  et  faisait  le  premier  voyage  autour  du  monde  qui  ait 
été  exécuté  par  un  Français.  Un  peu  plus  tard,  de  1771 
à  1774,  Kerguelen  de  Trémarec,  lieutenant,  puis  capi- 
taine de  vaisseau,  faisait  ses  deux  campagnes  d'explora- 
tion dans  l'océan  Indien,  au  cours  desquelles  il  crut  avoir 
découvert  un  continent  austral.  Non  moins  intéressants 
à  un  point  de  vue  spécial  sont  les  voyages  d'études  de 
Fkurieu  et  de  Borda. 


6.  L'ancien  aide  de  camp  de  Montcalm  fut  nommé  capitaine  de  vaisseau 
le  15  juin  1763;  CE.,  8  décembre  1779.  A.  M.,  C  '  178. 


LES  MINISTRES  DE  LA  MARINE  DE  1761  A  1774.   427 

Le  premier,  alors  enseigne  de  port,  fut  chargé,  avec 
l'astronome  Pingre,  de  vérifier  à  diverses  latitudes,  dans 
des  climats  froids,  chauds,  tempérés,  secs,  humides,  les 
horloges  marines  du  constructeur  Berthoud  ;  le  lieute- 
nant de  vaisseau  Du  Maitz  de  Goimpy  "^  les  avait  déjà 
expérimentées  dans  une  campagne  navale  en  1764.  La 
campagne  de  Fleurieu  se  fit  à  bord  de  la  frégate  17sis, 
en  1769,  pendant  une  dizaine  de  mois  ;  elle  eut  pour 
résultat  l'introduction  des  chronomètres  dans  la  marine  : 
le  problème  de  la  détermination  en  mer  des  longitudes 
était  enfm  résolu  ®. 

Le  chevalier  de  Borda,  qui  s'était  fait  connaître  par 
plusieurs  ouvrages  sur  l'art  nautique,  avait  été  admis 
en  1767  par  Praslin  dans  le  corps  de  la  marine.  En  1771 
et  1772,  étant  alors  lieutenant  de  vaisseau,  il  fit,  en  com- 
pagnie de  l'astronome  Pingre,  une  longue  croisière  dans 
l'Atlantique  nord  sur  la  Flore,  que  commandait  Verdun 
de  La  Crenne  ^  ;  elle  leur  servit  à  vérifier  plusieurs 
méthodes  et  instruments  pour  la  détermination  des  lati- 
tudes et  longitudes. 

Aussi,  quand  Praslin  restaurait  l'Académie  de  Marine 
de  Bigot  de  Morogues  et  lui  donnait  le  caractère  d'une 
institution  royale,  il  donnait  satisfaction  à  cet  esprit  nou- 
veau qui  inspirait  le  corps  des  officiers  et  qui  eut  bientôt 
sa  récompense  dans  les  victoires  de  la  guerre  d'Amé- 
rique. 

Une  mesure  d'un  autre  ordre,  non  moins  utile,  —  on 
sait  combien  la  marine  du  temps  perdit  d'hommes  par  le 

7.  Comte  du  Maitz  de  Goimpy  Feugiiières.  Descendant  de  M.  de  Pas  de 
Feuquières.  G.,  22  Janvier  1746;  L.,  17  avril  1757;  C,  18  février  1772;  CE., 
90  août  1784.  A.  M.,  C  '  170. 

8.  Voii*  rétude  de  M.  Légal,  lioutenant  de  vaisseau  :  Introduction,  des 
chronomètres  dans  la  marine  française.  Historique  du  voyage  de  l'Isis 
[R.  M.  C,  t.  LVIII,  1878). 

9.  Marquis  de  Verdun  de  La  Crenne.  De  l'évêché  d'Avranches.  G., 
5  avril  1756  ;  L.,  27  novembre  1765  ;  C,  13  mars  1779.  A.  M.,  C  '  173. 


428  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS    XV. 

manque  de  précautions  sanitaires  et  de  soins  médicaux, 
—  fut  la  fondation  d'écoles  de  médecine  navale,  pour  la 
préparation  des  médecins  et  chirurgiens  de  la  marine  ; 
elles  furent  instituées  dans  nos  trois  grands  ports  de 
gueire,  à  Brest,  Rochefort  et  Toulon  (Règlement  du 
V  mars  1768). 

Lorsque  Choiseul  fut  brutalement  congédié,  après 
douze  ans  de  ministère,  il  entraîna  le  même  jour  dans  sa 
disgrâce  le  duc  de  Praslin  (24  décembre  1770).  Pendant 
un  intérim  de  trois  mois  et  demi,  la  Marine  fut  confiée  au 
contrôleur  général  des  finances,  labbé  Terray,  qui  n'eut 
d'ailleurs  pas  le  temps  de  lui  faire  du  mal.  En  avril  1771 
elle  passa  à  un  homme  de  robe,  étranger  à  ce  départe- 
ment, qui  avait  beaucoup  de  qualités  privées,  mxais  dont 
le  principal  titre  à  cette  faveur  assez  inattendue  était 
d'être  un  grand  ennemi  de  l'administration  du  duc  de 
Choiseul  :  c'était  Pierre-Etienne  Bourgeois  de  Boynes. 
Mercy-Argenteau  disait  de  lui,  en  1772,  qu'il  passait  à 
juste  titre  pour  la  meilleure  tête  qu'il  y  eût  alors  dans  le 
ministère  de  Versailles.  Il  resta  en  fonctions  jusqu'à  la 
mort  de  Louis  XV  ;  au  début  du  règne  suivant,  le  23  juil- 
let 1774,  il  céda  la  place  à  Turgot,  qui  ne  fut  d'ailleurs 
que  son  successeur  temporaire. 

Comme  Choiseul,  Boynes  voulut  faire  son  éducation 
spéciale,  car  il  ne  savait  rien  de  ses  nouvelles  fonctions  ; 
mais  c'était  pour  pouvoir  détruire  sciemment  l'œuvre  de 
son  prédécesseur.  Il  s'aida  des  lumières  d'un  ancien 
ofïîcier  bleu,  nommé  Boux  ^^,  d'un  réel  mérite,  qui  avait 
fini  par  entrer  dans  le  grand  corps  comme  lieutenant  de 
vaisseau.  Quand  il  se  crut  suffisamment  instruit  des 
réformes  à  introduire,   il  fit  paraître  l'Ordonnance  du 

10.  Boux.    LF..    1758;    CB,    26    janvier    1765;    L.,    1"    février    1770;    C, 
«4  mars  1772.  A.  M.,  G  '  174. 


LES  MINISTRES  DE  LA  MARINE  DE  1761  A  1774.   429 

18  février  1772.  Elle  se  résume  en  ceci  :  la  création  de 
huit  régiments  ou  brigades,  dont  l'ensemble  formait  le 
corps  royal  de  la  marine  ;  à  chaque  régiment  devaient 
être  attachés  plusieurs  vaisseaux  et  frégates  et  un  certain 
nombre  de  compagnies  d'artillerie  ". 

En  distribuant  les  officiers  de  marine  en  huit  régi- 
ments, en  décrétant  que  l'avancement  se  ferait  désormais 
par  régiment,  le  ministre  avait  voulu  détruire  l'esprit  de 
corps,  avec  lequel  les  secrétaires  d'État  de  la  Marine, 
pour  la  plupart  étrangers  au  corps,  avaient  eu  si  souvent 
à  compter.  Le  résultat,  c'est  qu'il  mit  tout  le  monde  contre 
lui,  aussi  bien  les  officiers  de  plume  que  les  officiers 
d'épée.  Les  premiers,  dont  les  attributions  avaient  été 
déjà  sensiblement  diminuées  par  l'Ordonnance  de  1765, 
se  considérèrent  comme  frustrés  de  tout  pouvoir  ;  car  les 
nouveaux  colonels  et  les  nouveaux  commandants  de 
bataillons,  c'est-à-dire  les  anciens  chefs  d'escadre  et  les 
anciens  capitaines  de  vaisseau,  devaient  avoir  la  haute 
main  sur  les  bâtiments,  magasins  et  ateliers,  aussi  bien 
que  sur  leurs  hommes.  Quant  aux  officiers  d'épée,  l'assi- 
milation qu'on  faisait  de  leurs  fonctions  aux  fonctions, 
bien  différentes  en  effet,  de  leurs  camarades  de  terre, 
leur  fut  profondément  désagréable  ;  ils  protestaient  sur- 
tout contre  l'article  de  l'ordonnance  qui  établissait  que 
les  places  vacantes  dans  un  régiment  ne  pourraient  être 
données  qu'aux  officiers  du  même  régiment.  M.  de  Bom- 
par,  qui  commandait  la  marine  au  port  de  Toulon,  fit 
entendre  les  plus  énergiques  représentations  pour  que  le 
corps  de  la  marine  fût  rétabli  tel  qu'il  était  auparavant  ; 
il  offrit  même  sa  démission,  qui  d'ailleurs  ne  fut  pas 
acceptée. 


11.  V.   Brttn  a   analysé  les  principales  parties  de  cette  ordonnance 
Guerres  maritimet  de  France,  Port  de  Toulon,  t.  I,  p.  512  et  suiv. 


430  LA  MAHINE   MILITAIRE    SOUS   LOLIS   XV. 

Le  ministre  tint  bon  ;  il  essaya,  par  diverses  circu- 
laires, de  corriger  ou  d'expliquer  son  ordonnance.  Voici 
un  passage  des  instructions,  en  date  du  25  sep- 
tembre 1772,  adressées  au  comte  d'Estaing,  cbargé  de 
l'inspection  générale  de  la  marine  et  du  commandement 
du  port  de  Brest  : 

«  Sa  Majesté  a  jugé  convenable  d'affecter  à  chacune 
des  parties  de  sa  marine  les  soldats  qui  lui  étaient  néces- 
saires pour  compléter  ses  armements,  afin  que,  exercés 
au  service  de  ses  vaisseaux,  ils  puissent  en  mieux  remplir 
les  différentes  parties,  et  qu'accoutumés  au  moins  à 
toutes  les  basses  manœuvres  et  au  service  de  l'artillerie, 
le  nombre  des  matelots  nécessaires  aux  armements  pût 
être  proportionnellement  diminué. 

«  Mais  l'intention  de  Sa  Majesté  n'a  jamais  été  que  les 
divisions  des  officiers  et  des  troupes  de  sa  marine  pussent 
être  en  aucun  temps  assimilées  à  des  régiments  d'infan- 
terie... Sa  Majesté  lui  permet  même  d'annoncer  que  ce 
nom  de  régiment  sera  changé  en  celui  de  brigade,  et  que 
deux  brigades  seront  réunies  pour  former  une  division. 
En  sorte  qu'il  y  en  aura  trois  à  Brest,  sous  la  dénomina- 
tion de  division  amirale,  vice-amirale  et  contre -amirale^ 
et  une  seule  à  Toulon  ^^.  » 

Les  exphcations  du  ministre,  c'était  parfois  Vobscurum 
per  obscurius.  Ne  disait-il  pas  dans  une  de  ses  instruc- 
tions, comme  un  théologien  conciliant  qui  aurait  tenter 
d'accorder  le  sacerdoce  et  l'empire  :  «  Le  parti  le  plus 
sage  est  de  laisser  dans  le  nuage  les  bornes  exactes  des 
deux  autorités  »  ?  C'était  un  moyen,  si  l'on  veut,  de 
résoudre  les  conflits  entre  la  plume  et  l'épée.  La  malen- 
contreuse ordonnance  de  1772  vécut  à  peine  deux  ans  ; 

12  A.  M.,  dossier  d'Estaing.  —  Voir,  à  TAppendice  XV,  la  répartition 
officielle,  pour  l'année  1773,  des  officiers  et  des  vaisseaux  entre  les  huit 
brigades  du  corps  royal  de  la  Marine. 


LES    HIINISTRES    DE    LA   MARINE    DE    1761    A    1774.       431 

le  8  novembre  1774,  elle  était  annulée  par  le  successeur 
de  Turgot,  M.  de  Sarline,  qui  revenait  au  régime  de 
l'ordonnance  de  Choiseul. 

Tout  n'-est  pas  cependant  à  critiquer  dans  ks  réformes 
ou  créations  de  M.  de  Boyaes.  On  doit  le  louer  d'avoir 
constitué,  sous  les  ordres  du  comte  d'Orvilliers,  le  futur 
lieutenant  général  de  la  guerre  d'Amérique,  une  escadre 
d'évolutions^,  composée  de  trois  vaisseaux,  de  six  fré- 
gates, de  trois  corvettes  et  de  trois  cotres  i^.  Elle  sortit 
de  Brest  le  28  mai  (1772)  et  y  rentra  le  6  septembre.  Pen- 
dant plus  de  trois  mois,  elle  croisa  dans  le  golfe  de  Gas- 
cogne, sur  les  côtes  de  Portugal,  dans  les  eaux  de 
Belle-Ile  et  de  Quiberon,  où  elle  fit  des  exercices  de  tir 
au  canon. 

Le  journal  de  l'escadre  d'Orvilliers  ^^  permet  de  se 
rendre  compte  de  la  manière  dont  on  comprenait  la  stra- 
tégie navale  à  la  veille  de  la  révolution  radicale  que 
Suffren  allait  opérer.  Manœuvrier  de  premier  ordre, 
d'Orvilliers  excelle,  comme  presque  tous  les  hommes  de 
mer  de  son  temps,  comme  l'impeccable  Guichen  en  par- 
ticulier, à  faire  évoluer  ses  navires,  à  les  aligner,  à  les 
faire  virer,  en  un  mot  à  leur  faire  exécuter  tous  les  mou- 
vements qu'on  peut  demander  à  un  chef  bien  entraîné  et 
rompu  à  des  exercices  de  tout  genre.  Tout  cela  correct, 
élégant,  joli  à  l'œil,  artistique  même  si  l'on  veut,  mais 
en  réalité  pas  stratégique.  Du  moins,  c'est  cette  stratégie 
toute  de  parade,  frivole,  superficielle,  qui  prête  à  la  plu- 
part des  batailles  navales  du  xviu^  siècle  je  ne  sais  quoi 
de  compassé  et  de  monotone,  et  qui  les  fait  ressembler, 
si  l'on  peut  dire,  à  des  parties  de  quadrille  bien  réglées, 


13.  Voir  l'Appendice  XVL 

14.  A.  M.,  B  *  118 


432  LA   MARINE    MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 

OÙ  tous  les  mouvements  sont  connus  à  l'avance  et  exémtés 
d'après  la  formule.  Ce  qui  donne  aujourd'hui  de  l'intérêt 
et  de  la  vie  à  nos  grandes  manœuvres  d'escadre,  c'est  le 
thème  choisi  par  le  commandant  en  chef  :  telle  attaque 
de  l'ennemi  à  repousser  sur  tel  point,  tel  débarquement 
à  opérer  sur  les  côtes  du  pays  ennemi  ;  c'est  encore  la 
liberté  accordée  aux  chefs  des  divisions  et  aux  comman- 
dants des  vaisseaux,  de  diriger  eux-mêmes,  de  leur 
propre  initiative,  leurs  unités  navales,  du  moment  où  ils 
se  renferment  dans  les  lignes  tracées  par  le  commandant 
en  chef.  Des  exercices  militaires  ainsi  compris  doivent 
former  des  hommes  de  guerre.  Des  évolutions,  comme 
celles  de  la  campagne  de  1772,  qui  consistent  seulement 
à  effectuer  des  changements  de  position,  peuvent  être 
intéressantes,  comme  elles  sont  nécessaires  ;  mais  elles 
ne  peuvent  former  que  des  manœuvriers. 

Les  notes  de  d'Orvilliers  sur  quelques-uns  de  ses 
officiers  méritent  d'être  citées,  soit  à  cause  du  nom  de 
l'officier,  soit  à  cause  de  la  nature  de  l'appréciation. 

«  Du  Chaffault,  chef  d'escadre.  —  Est  bien  au-dessus 
de  mon  suffrage.  Je  désire  avoir  mérité  le  sien. 

((  Breugnon,  chef  d'escadre.  —  L'exactitude  à  tenir 
un  poste  et  les  fines  manœuvres  n'ont  distingué  ni  son 
vaisseau  ni  sa  division. 

«  La  Touche  Tréville  (Terpsichore).  —  A  bien 
manœuvré.  Les  qualités  supérieures  de  sa  frégate  lui  ont 
facilité  les  mouvements  compliqués  des  évolutions.  Il  m'a 
paru  d'ailleurs  ne  point  craindre  les  vaisseaux  et  les 
approcher  avec  confiance. 

((  Comte  de  Grasse  (Isis).  —  Est  le  capitaine  de 
l'escadre  qui  a  le  mieux  manœuvré,  et  quoique  sa  frégate 
soit  très  inférieure  en  qualité,  il  a  néanmoins  donné  à  ses 
manœuvres  toute  la  précision  et  le  brillant  possible. 
Ses  abordages  fréquents  dans  la  campagne  semblent 


LES  MINISTRES  DE  LA  MARINE  DE  1761  A  1774.   433 

demander  quelque  chose  de  plus  parfait  à  son  coup  d'œil, 
mais  ils  prouvent  sa  sécurité  à  approcher  les  vaisseaux  ; 
et,  lorsque  le  roi  me  confiera  des  escadres,  je  choisirai 
toujours  des  capitaines  qui  préféreront  le  risque  dun 
abordage  à  l'abandon  de  leur  poste  et  à  la  certitude  de 
faire  manquer  un  mouvement... 

((  La  Motte-Picquet  {Cerl-volant).  —  Est  le  seul  qui 
puisse  disputer  à  M.  le  comte  de  Grasse  la  plus  grande 
attention  à  tenir  son  poste  et  à  manœuvrer  avec  préci- 
sion. Il  a  tiré  tout  le  parti  possible  de  son  très  mauvais 
bâtiment.  Des  généraux  seraient  sans  excuses  de  ne  pas 
entreprendre  les  plus  grandes  choses  avec  des  capitaines 
d'un  pareil  mérite. 

«  M.  de  La  Clocheterie,  lieutenant  de  vaisseau  et  aide- 
major  de  l'escadre.  —  Officier  de  cette  première  classe 
qui  doit  fournir  les  meilleurs  capitaines.  (C'est  le  futur 
héros  de  la  Belle  Poule.)  Il  mérite  l'attention  du  ministre 
et  d'être  essayé  par  des  commandements.  » 

De  retour  à  Brest,  d'Orvilliers  reçut  la  dignité  de  com- 
mandeur de  l'ordre  de  Saint-Louis.  En  proposant  au  roi 
cette  nomination,  le  ministre  avait  employé  cette  formule 
d'éloge,  assez  banale  :  <(  Il  a  donné  dans  cette  campagne 
les  preuves  de  son  expérience  reconnue.  » 

Boynes,  qui  avait  fait  faire  cette  campagne  d'évolu- 
tions, eut  encore  une  idée  heureuse,  quand  il  établit  au 
Havre  une  École  royale  de  marine,  «  pour  y  instruire  et 
exercer,  tant  dans  la  théorie  que  dans  la  pratique,  les 
jeunes  gens  qui  se  destinent  au  service  de  la  mer  )>  (ordon- 
nance du  29  août  1773)  ;  la  grande  nouveauté  de  cette 
école,  c'est  qu'il  ne  fallait  aucune  preuve  de  noblesse 
pour  y  entrer.  Le  ministre  fit  faire  aux  élèves,  en  1774, 
une  croisière  dans  la  Manche.  Une  petite  division  navale 
fut  formée  avec  la  corvette  VHirondelle,  de  seize  canons, 

28 


434  LA   MARINE   MILITAIRE   SOUS   LOUIS   XV. 

capitaine  M.  de  Saint-Cézaire,  commandant  FÉcole,  lieu- 
tenant M.  de  Malide^^,  et  avec  le  lougre  VEspiègle,  de 
six  canons,  lieutenants  le  marquis  de  Laubépin  ^^  et 
M.  de  Bavre  ^'^.  Des  trente  élèves  de  l'École,  vingt-deux 
furent  répartis  sur  la  corvette  et  huit  sur  le  lougre. 

Boynes  songeait  à  fonder  une  seconde  école  dans  un 
port  de  la  Méditerranée  ;  mais  il  tomba  bientôt.  Un  des 
premiers  actes  de  M.  de  Sartine  fut  de  supprimer  l'École 
du  Havre  par  l'ordonnance  du  2  mars  1775,  et  de  rétablir 
sur  ses  anciennes  bases  l'institution  des  gardes  de  la 
marine.  Ainsi,  l'utile  comme  le  chimérique,  rien  à  peu 
près  ne  subsista  de  l'œuvre  administrative  du  dernier 
secrétaire  d'État  de  la  marine  sous  le  règne  de  Louis  XV. 

Il  reste  à  rappeler  les  quelques  faits  qui  composent 
l'histoire  agissante  de  notre  marine  pendant  les  minis- 
tères de  Choiseul,  de  Praslin  et  de  Boynes. 

II  n'y  a  pas  à  parler  ici  des  tentatives  de  colonisation 
qui  furent  faites  soit  dans  la  Guyane  par  le  chevalier 
Turgot,  soit  à  Madagascar  par  le  comte  de  Maudave,  qui 
réoccupa,  de  1768  à  1770,  notre  ancien  étabHssement  de 
Fort-Dauphin,  ou  par  l'aventurier  Beniowsky,  qui 
débarqua  en  1774  à  la  baie  d'Antongil  avec  un  bâtiment 
et  trois  cents  hommes  ;  ces  tentatives  furent  sans  résultat 
et  la  marine  n'y  joua  point  de  rôle. 

Le  fait  qui  domine  notre  histoire  maritime  dans  cette 
dernière  période  du  règne,  c'est  l'acquisition  de  la  Corse  ; 
ce  fut  d'ailleurs  à  peu  près  uniquement  l'œuvre  de  la 


15  De  Malide.  Fils  d'un  capicuin©  «uk  (gardes-françaises.  G.,  4  juillet  1754-, 
L.,  18  août  1767  ;  R.,  20  janvier  1776.  A.  M.,  C  '  171. 

16.  Marquis  de  Laubépin.  De  Franche-Comté.  G.,  17  septembre  1751  ;  L., 
1"  octobre  1764  ;  C,  4  avril  1777.  A,  M.,  C  171. 

17.  De  Bavre.  De  Boulogne-sur-Mer.  G.,  12  décembre  1755  ;  L.,  !•'  oc- 
tobre 1773  ;  C,  4  avril  1780-,  R.  avec  le  grade  de  brigadier,  16  janvier  1786. 
A.  M.,  C     172. 


LES   MINISTRES   DE    LA   MARINE   DE    1761    A    1774.      435 

diplomatie  et  de  l'armée  de  terre.  La  marine  n'eut  d'autre 
mission  que  de  transporter  dans  l'île  un  corps  de  débar- 
quement, aucune  force  ne  lui  en  ayant  jamais  disputé  les 
approches.  Choiseul  et  Praslin  eurent  le  mérite  dt 
dénouer  par  une  intervention  énergique  la  question 
corse,  dans  laquelle  la  France  était  engagée  depuis  l« 
ministère  de  Fleury.  Par  le  traité  de  Compiègn« 
(7  août  1764),  Choiseul  avait  obtenu  de  la  république  de 
Gênes  d'occuper  temporairement  la  Corse  révoltée  ;  par 
le  traité  de  Versailles  (15  mai  1768),  Gênes  fit  à  la  France 
l'abandon  déguisé  de  tous  ses  droits  de  souveraineté. 
L'île  fut  alors  occupée  en  quelques  mois. 

Dans  un  mémoire  au  roi  de  1770,  Choiseul  fait  ressortir 
ainsi  la  valeur  de  cette  conquête  ^^  : 

((  L'Angleterre  a  senti  mieux  qu'on  ne  l'a  senti  en 
France  ^^  l'avantage  de  cette  acquisition  ;  elle  a  vu  qu'en 
temps  de  guerre  cette  île  était  un  point  essentiel  pour  le 
soutien  du  commerce  de  la  France  dans  le  Levant  ;  elle 
a  prévu  que  cette  possession  consolidée  procurerait  à 
Votre  Majesté  le  moyen  facile  de  donner  la  loi  à  toutes 
les  côtes  d'Italie...  Je  crois  que  la  Corse  peut  assurer  à 
Votre  Majesté  et  à  l'Espagne  cette  domination  dans  la 
Méditerranée  et  que  cette  île  est  plus  essentielle  au 
royaume...  que  ne  l'aurait  été  une  île  en  Amérique...  Les 
Anglais  ont  vu,  ainsi  que  vous,  sire,  les  avantages  de  la 
Corse...   La  Corse  était  sous  la  domination  de  Votre 


18.  Mémoires  de  M.  le  duc  de  Choiseul  (1790),  t.  I,  p.  103  et  suiv. 

19.  M.  de  Massiac,  le  futur  ministre  de  la  Marine,  avait,  en  1756,  cette 
singulière  opinion  sut  l'inutilité  maTitlme  de  la  Corse  :  «  Je  ne  vois 
aucun  objet  qui  puisse  attirer  les  Anglais  en  Corse.  Il  n'y  a  pas  un  seul 
port  utile  à  la  retraite  des  vaisseaux  ;  ils  courraient  des  risques  dans  1« 
golle  d'Ajaccio  :  le  mouillage  de  Saint-Florent  n'est  pas  bon,  et  Calvi  ne 
peut  les  contenir.  Les  ports  de  cette  île  ne  sont  propres  qu'aux  petits 
bâtiments.  Les  Anglais  les  connaissent  parfaitement  et  ne  les  ont  jamai« 
désirés.  »  V.  Brun,  Guerres  maritimes  de  la  France,  Port  de  Toulon,  t.  I, 
p.  392. 


436  LA   MARINE    MILITAIRE    SOUS    LOUIS    XV. 

Majesté  avant  qu'ils  eussent  le  temps  de  penser  aux; 
moyens  de  s'y  opposer...  »  Ce  fut,  en  effet,  le  triomphe 
de  la  diplomatie  de  Choiseul  d'avoir  si  bien  intimidé, 
séduit  et  endormi  la  cour  de  Londres  qu'elle  ne  bougea 
pas  ;  l'Angleterre  se  borna  pour  le  moment  à  donner 
asile  à  Paoli,  en  attendant  qu'elle  pût  se  servir  de  lui. 
Mais  les  marins  anglais  comprirent  l'importance  mili- 
taire de  ce  vaste  camp  retranché  qui  commande  la  Médi- 
terranée occidentale,  et  dont  Nelson  devait  dire  un  jour  : 
«  Donnez-moi  le  golfe  de  Saint-Florent  avec  deux  fré- 
gates, et  je  me  charge  d'empêcher  que  pas  un  vaisseau 
ne  sorte  de  Marseille  ou  de  Toulon.  » 

Le  dey  de  Tunis  ne  voulait  pas  reconnaître  l'annexion 
de  la  Corse  à  la  France  ;  car  la  piraterie  barbaresque 
avait  tout  intérêt  à  nous  éloigner  du  cœur  de  la  Médi- 
terranée. Il  sollicita  l'appui  des  Anglais,  il  parla  même 
de  leur  céder  Tabarca.  Une  double  expédition  maritime 
de  M.  de  Broves  en  1769  et  1770,  marquée  par  le  bom- 
bardement de  Bizerte  et  de  Sousse,  l'obligea  à  renoncer 
à  ses  alliances  suspectes  et  à  reconnaître  les  faits  accom- 
plis 

Suivant  la  vieille  tradition  de  la  marine,  il  y  avait  tou- 
jours des  expéditions  contre  les  Barbaresques  et  des 
campagnes  dans  la  Méditerranée  orientale.  En  1766,  le 
lieutenant  général  Bauff remont  fit  une  campagne  aux 
jilchelles  du  Levant  et  sur  les  côtes  de  Barbarie,  avec  deux 
vaisseaux,  le  Protecteur  et  VAltier,  capitaines  Broves  et 
Missiessy,  et  deux  frégates,  la  Sultane  et  la  Chimère, 
capitaines  Grasse  Briançon  et  Tressemanes.  En  176c 
et  1764,  le  chevalier  de  Fabry  croisa  sur  les  côtes  d'Algei 
et  du  Maroc.  Une  expédition  du  chef  d'escadre  Du  Chaf 
fault  contre  le  port  de  Larache  (el  Araïch)  offre  plu: 
d'intérêt  que  ces  croisières  inoffensives. 

Une  escadre,  composée  du  vaisseau  de  ligne  VUtile  e 


LES   MINISTRES   DE    LA   MARINE   DE    1761    A    1774.      437 

de  quinze  frégates,  chebecs,  galioles^o,  était  partie  de 
Chef  de  Baie,  le  12  avril  1765,  pour  aller  châtier  les 
pirates  marocains.  Salé  fut  bombardé  pendant  plusieurs 
jours.  On  alla  ensuite  devant  Larache,  qu'on  commença 
par  bombarder.  Le  27  juin,  seize  chaloupes  furent 
envoyées  à  terre  ;  accueillies  par  un  feu  terrible,  elles 
perdirent  trois  cents  hommes.  Le  surlendemain,  Du  Chaf- 
fault  appareillait  pour  Mogador  ;  il  était  de  retour  à  l'île 
d'Aix  le  23  octobre,  sans  avoir  vengé  nos  morts  ni  délivré 
nos  prisonniers.  Le  chevalier  de  Suffren  avait  pris  part  à 
cette  malheureuse  campagne  comme  commandant  du 
chebec  le  Singe  ;  en  1767,  il  fit  partie  d'une  ambassade 
que  VUnion^  du  comte  de  Breugnon,  conduisait  au  Maroc, 
pour  y  convenir  d'un  traité.  Il  aurait  voulu  que  la  France 
obtînt  un  établissement  aux  îles  Zaffarines  ;  d'après  lui, 
c'aurait  été  un  bon  comptoir  de  commerce,  mais  surtout 
une  excellente  station  militaire  «  en  cas  de  guerre  avec 
les  Anglais  ». 

Suffren  fit  encore,  en  1772  et  1773,  avec  la  frégate  la 
Mignonne,  une  croisière  aux  Échelles  du  Levant,  à 
Smyrne,  Saïda,  Tripoli,  pour  la  protection  de  nos  natio- 
naux. Il  rencontra,  dans  les  eaux  de  l'Archipel,  plusieurs 
bâtiments  de  guerre  russes  ;  car,  depuis  la  journée  de 
Tchesmé,  un  nouveau  pavillon  maritime  était  apparu 
dans  la  Méditerranée. 

Choiseul  avait  au  plus  haut  degré  le  sentiment  de  la 
fierté  nationale  ;  ses  actes  et  son  langage  apprirent  à 
l'Angleterre  que,  même  après  la  paix  de  Paris,  elle  avait 
à  compter  avec  nous.  Des  publicistes  anglais  préten- 
daient qu'une  clause  secrète  du  traité  de  1763  avait  fixé 
le  nombre  des  vaisseaux  de  guerre  que  l'Angleterre  dai- 

20.  Voir  l'ApïKjudice  XVII. 


438  LA  MARINE   MILITAIRE   SOUS   LOUIS   XV. 

gnait  permettre  à  la  France.  Sans  s'occuper  de  ce  men- 
songe, qui  devait  être  officiellement  démenti  plus  tard, 
Choiseui  restaura  en  quelques  mois  les  forces  maritimes 
de  la  France,  au  point  de  justifier  pleinement  les  craintes 
de  William  Pitt,  qui,  dans  son  opposition  désespérée  aux 
préliminaires  de  1762,  avait  prononcé  ces  paroles  hai- 
neuses : 

«  Vous  laissez  à  la  France  la  possibilité  de  rétablir  sa 
marine.  » 

A  propos  de  la  démolition  des  travaux  de  Dunkerque, 
que  Pitt  appelait  encore  «  un  monument  éternel  du  joug 
imposé  à  la  France  »,  un  conflit  se  produisit  en  1764 
entre  les  commissaires  des  deux  nations.  Le  duc  de  Rich- 
mond,  ambassadeur  d'Angleterre,  vint  pour  cette  affaire 
dans  le  cabinet  de  Choiseui  ;  ne  pouvant  rien  répondre 
aux  arguments  qu'on  lui  objectait,  il  se  mit  à  parler  des 
<(  complaisances  »  de  son  gouvernement  pour  le  nôtre. 
«  Qu'appelez-vous,  monsieur  l'ambassadeur,  des  com- 
plaisances ?  répliqua  M.  de  Choiseui  en  se  levant.  Sachez 
que  le  roi  mon  maître  ne  veut  de  complaisance  d'aucune 
puissance  de  l'Europe,  encore  moins  de  l'Angleterre  que 
de  toute  autre...  »  Richmond  s'excusa  sur  sa  connais- 
sance imparfaite  de  la  langue  française,  et  la  contestation 
fut  réglée  sur  l'heure  comme  nous  le  désirions  21. 

Le  31  mai  1769,  l'intendant  de  la  marine  à  Brest, 
M.  de  Clugny,  signalait  la  présence  dans  cette  ville,  où 
Ton  faisait  précisément  alors  de  grands  travaux  mari- 
times, d'un  jeune  Anglais,  M.  Gordon,  qui  se  disait 
officier  r] 'infanterie  et  u  ayant  l'air  tout  à  fait  suspect  »  ; 
il  fut  arrêté  et  convaincu  d'avoir  essayé  de  se  procurer 
par  de  l'argent  des  documents  sur  les  services  militaires 
du  port,  la  destination  des  armements,  etc.  Gordon  eut 

21.  RocHAMBEAu,  Mémoires,  t.  I,  p.  213-214. 


LES   MINISTRES   DE    LA   MARINE    DE    17C1    A    1774.      439 

la  têt«  tranchée,  sans  que  le  ministère  anglais  ait  fait 
mine  d'excuser  ou  de  couvrir  son  espion  ^^. 

Tout  entier  à  son  idée  de  recommencer  à  brève 
échéance  la  guerre  maritime  avec  l'Angleterre,  Choiseul 
était  resté  fidèle  à  l'alliance  espagnole  qu'il  avait  inau- 
gurée en  1761  avec  le  Pacte  de  famille.  Les  débuts  de 
cette  politique  avaient  été  désastreux  pour  les  deux  États 
alliés  et  la  France  avait  dû  céder  la  Louisiane  à  l'Espagne 
en  compensation  des  pertes  qu'elle  lui  avait  fait  subir. 
Cependant  l'union  des  marines  de  France  et  d'Espagne 
pouvait  seule  permettre  aux  deux  couronnes  de  travailler 
à  leur  commune  revanche.  En  1770,  Choiseul  et  Praslin 
crurent  que  l'Espagne  allait  leur  fournir  l'occasion  d'une 
guerre  maritime.  Un  conflit  venait  de  s'élever  entre 
Madrid  et  Londres  pour  la  possession  des  îles  Falkland  ; 
une  flotte  espagnole,  venue  de  Buenos-x\yres,  s'était 
emparée  de  Port-Egmont  et  en  avait  chassé  les  Anglais. 
On  préparait  à  Londres  de  grands  armements  ;  Choiseul 
en  préparait  en  France  :  la  guerre  était  imminente.  C'est 
à  ce  moment  critique  que  Louis  XV  exila  à  la  fois  son 
ministre  des  Affaires  étrangères  et  son  ministre  de  la 
Marine.  Un  accord  se  fit  alors  entre  Londres  et  Madrid  ; 
le  roi  d'Espagne,  qui  se  sentait  isolé,  désavoua  son 
amiral  et  rendit  les  îles  Falkland. 

Mais  ce  serait  exposer  d'une  manière  incomplète 
l'œuvre  de  restauration  maritime  qui  correspond  aux 
deux  ministères  de  Choiseul  et  de  Praslin  que  de  ne  pas 
parler  des  divers  projets  militaires  qui  furent  alors  pro- 
posés ou  arrêtés  contre  l'Angleterre.  Le  plus  complet,  et 

22.  Nombreux  documents  sur  cette  affaire  d'espionnage  :  A.  M.,  B'  584- 
585. —  Un  ofllcier  anglais,  le  capitaine  Corner,  nt,  d'octobre  à  décembre  1764, 
un  voyage  à  Brest  et  dans  les  principaux  ports  de  France,  comme  agent 
secret  de  l'amirauté  anglaise.  Il  en  rapporta  un  mémoire  très  détaillé.. 
dat4  du  8  mai  1765.  G  193. 


440  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 

à  tous  égards  le  plus  remarquable,  avait  été  approuvé 
—  le  croirait-on  ?  —  par  le  souverain  qui  congédiait  en 
Choiseul  l'ennemi  le  plus  intelligent  et  le  plus  énergique 
que  les  Anglais  avaient  rencontré  en  France  depuis  le 
règne  de  Louis  XIV. 


CHAPITRE  XXIV 

LES  PROJETS  MARITIMES  DU  MINISTÈRE  DE  CHOISEUL 


Choiseul  et  les  colonies  anglaises  d'Amérique.  —  Conseils  de  M.  Durand, 
ministre  à  Londres.  —  Possibilité  d'une  descente  en  Angleterre.  — 
Les  Rayons  de  Grant  de  Blairfmdy.  —  Le  débarquement  en  Irlande. 
—  La  traversée  de  la  Manche.  —  Projet  Béville.  —  Projet  de  Choiseul 
et  Grimaldi. 

Pendant  les  douze  années  du  règne  de  Louis  XV  où 
Choiseul  dirigea,  soit  simultanément,  soit  tour  à  tour,  les 
ministères  des  Affaires  étrangères,  de  la  Guerre  et  de  la 
Marine,  toute  sa  politique  fut  mspirée  par  la  même  idée  : 
préparer  la  revanche  de  la  France  sur  l'Angleterre.  Qu'il 
groupât  autour  du  tronc  français  les  branches  espagnole 
et  napolitaine  des  Bourbons,  qu'il  rédigeât  de  nouvelles 
ordonnances  pour  l'armée  ou  pour  la  marine,  qu'il  sur- 
veillât tous  les  menus  incidents  de  la  politique  exté- 
rieure, c'était  toujours  en  vue  de  rendre  la  France  plus 
forte  et  de  la  tenir  prête  le  jour  où  elle  se  mesurerait  de 
nouveau  avec  sa  rivale. 

En  attendant  cette  heure,  et  pour  s'opposer  aux  «  pré- 
tentions des  Anglais  à  être  les  rois  des  mers  et  à  réaliser 
à  leur  profit  le  fantôme  de  la  monarchie  universelle  ^  », 


1.  Choiseul  au  comte  de  Guerchy,  ambassadeur  à  Londres,  juillet  1768. 
C.  DE  WiTT.  Thomas  Jefferson,  1861,  p.  49.  Cet  ouvrage  renferme  de  nom- 
breux extraits  de  la  correspondance  diplomatique  de  Choiseul  qui  se 
rapportent  à  ses  desseins  sur  l'Angleterre. 


442  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS    LOUIS    XV. 

le  mieux,  semblait-il,  était  de  souffler  sur  le  feu  qui  cou- 
vait dans  les  colonies  anglaises  de  l'Amérique  du  Nord. 
Dès  l'année  1764,  un  an  à  peine  après  la  paix,  Choiseul 
avait  envoyé  dans  ces  colonies  un  agent  secret,  M.  de 
Pontleroy,  lieutenant  de  vaisseau  au  département  de 
Rochefort  2  ;  car  il  avait  deviné  tout  de  suite  la  gravité 
de  ces  premiers  tiraillements  qui  devaient  aboutir  à  la 
séparation  définitive  des  futurs  États-Unis  et  de  l'Angle- 
terre. M.  de  Pontleroy  avait  eu  deux  missions  en  Amé- 
rique, en  1764  et  1766  ;  il  y  avait  séjourné  sous  le  nom  de 
Bef.ulieu,  en  faisant  preuve  d'autant  d'intelligence  que 
de  prudence.  Il  avait  pris  du  service  à  bord  d'un  navire 
marchand  américain,  ce  qui  lui  avait  permis  de  faire  une 
reconnaissance  très  détaillée  de  la  côte.  Dans  la  corres- 
pondance de  nos  agents  à  Londres  à  cette  époque,  on 
retrouve  très  fréquemment  la  mention  de  son  nom  et 
des  rapports  qu'il  avait  fait  parvenir  sur  la  situation  mili- 
taire et  économique  des  colonies  anglaises. 

Ainsi  Choiseul  était  renseigné  de  première  main  à  cet 
égard  ;  mais  l'occasion  d'une  intervention  directe  sem- 
blait se  dérober  toujours.  On  avait  déjà  cru,  à  plusieurs 
reprises,  à  une  rupture  immédiate  entre  les  Anglais 
d'Amérique  et  les  Anglais  de  la  Grande-Bretagne  ;  la 
prudence  des  uns,  l'esprit  de  concession  des  autres, 
retardaient  toujours  cette  solution  qu'on  sentait  irrépa- 
rable. D'autre  part,  un  autre  agent  secret  de  Choiseul  en 
Amérique,  le  colonel  de  Kalb,  spécialement  chargé 
d'une  enquête  politique,  l'informait  que  si  les  Américains 
étaient  prêts  à  se  révolter,  ils  ne  voulaient  pas  secouer  la 
domination  des  Anglais  par  le  moyen  d'une  puissance 


2.  Beaulieu  de  Pontleroy,  de  Marseille,  garde-marine  du  S'i  février  1746, 
lieutenant  de  vaisseau  du  l"  janvier  1701,  f<fcure  sur  les  ^lats  de  la  Marine 
(G  '  170)  avec  cette  mention  :  «  1763.  Congé  absolu  simulé,  20  décembre,  pour 
voyage.  —  1764-1 77i.  Absent.  » 


LES  PROJETS  MARITIMES  DU  MINISTÈRE  DE  CHOISEUL.    443 

étrangère.  Dans  ces  conditions,  la  France  devait  se 
garder  d'une  intervention  intempestive,  qui  pouvait  tout 
perdre  et  se  borner  à  surveiller  les  affaires  d'Amérique 
pour  pouvoir  s'y  mêler  au  moment  propice.  Mais  l'on 
pouvait  toujours  songer  à  une  action  directe  contre 
l'Angleterre,  en  l'attaquant  chez  elle,  corps  à  corps, 
comme  on  en  avait  déjà  eu  maintes  fois  le  projet  sous  le 
règne  de  Louis  XV. 

Cette  idée  d'attaquer  l'Angleterre  en  Angleterre 
est  souvent  développée  dans  la  correspondance  de 
M.  Durand,  ministre  de  France  à  Londres  ;  les  lettres  de 
cet  agent  très  habile  et  fort  au  courant  des  choses 
anglaises  sont  remarquables  par  l'ardeur  avec  laquelle  il 
insiste  auprès  de  son  chef  pour  une  lutte  directe.  Porter 
la  guerre,  disait-il,  de  l'autre  côté  de  la  Manche,  c'était 
faire  connaître  à  l'ennemi  les  maux  immédiats  de  la 
guerre,  auxquels  il  restait  toujours  étranger,  et  lui  en 
donner  le  dégoût.  «  Nos  guerres  avec  lui  dureraient 
moins,  si  tant  de  citoyens  de  Londres  que  la  guerre 
enrichit  et  qui  la  désirent  voyaient  de  près  les  horreurs 
qu'elle  entraîne  après  soi  3...  » 

Une  descente  sur  les  côtes  anglaises  produirait  en 
quelques  heures  une  panique  fmancière  qui  mettrait  le 
pays  à  la  merci  de  l'envahisseur.  Il  suffisait  de  se  rap- 
peler les  embarras  de  la  Banque  d'Angleterre  au  temps 
de  l'invasion  de  Charles-Edouard,  quand  George  II,  à 
bout  de  ressources  et  comme  frappé  d'impuissance,  avait 
été  à  la  veille  de  s'embarquer  pour  ses  Etats  d'Allemagne. 
<(  Voilà,  monseigneur,  ce  qui  échappe  à  des  yeux  étran- 
gers, qui  ne  voient  en  Angleterre  que  des  flottes  immenses 
et  des  magasins  prodigieux.  Ces  dehors  en  imposent,  et 

3.  Lettre  du  3  août  1766.  C.  de  Witt,  ÎMd. 


444  LA   MARINE    MILITAIRE    SOUS    LOUIS    XV. 

peu  de  gens  songent  qu'un  rien,  qu'un  faux  bruit,  que 
l'audace  seule  de  Fennemi,  embarrassent  le  crédit, 
mettent  le  désordre  dans  une  machine  compliquée  et 
décèlent  une  faiblesse  qui  n'est  bien  connue  que  des  inté- 
ressés... »  On  songe  involontairement  à  l'image  biblique, 
le  colosse  aux  pieds  d'argile,  dont  le  souvenir  avait  déjà 
été  évoqué,  en  1734,  dans  un  mémoire  sur  l'Angleterre  ^. 
Comme  toute  la  force  défensive  de  l'Angleterre  con- 
siste dans  sa  marine,  il  faut  se  servir  des  flottes  combi- 
nées de  la  France  et  de  l'Espagne  pour  attirer,  par 
d'habiles  diversions,  une  partie  des  escadres  anglaises 
sur  des  points  éloignés  de  la  métropole.  «  L'Angleterre, 
attaquée  alors  dans  les  parties  qui  lui  donnent  la  vie, 
serait  sans  force  et  sans  vertu.  »  Mais  ces  expéditions 
lointaines  des  alliés  ne  doivent  être  que  des  stratagèmes 
de  guerre  ;  on  peut  ravager  les  colonies  ennemies,  pour 
dégarnir  en  partie  la  Manche  et  faciliter  la  descente,  qui 
est  le  vrai  objectif  de  l'entreprise  ;  on  ne  doit  pas  songer 
à  les  conquérir.  —  M.  Durand  savait  peut-être  que  tout 
récemment  Choiseul  avait  demandé  à  d'Estaing  un  rap- 
port sur  une  expédition  contre  la  Jamaïque  ^.  —  Les  colo- 
nies ne  sont  que  des  branches,  pour  ainsi  dire,  parasites  : 
on  peut  les  détacher  du  tronc  sans  qu'il  en  meure  ;  c'est 
au  cœur  qu'il  faut  viser.  Il  est  curieux  de  voir  notre 
ministre  se  couvrir  de  l'autorité  d'un  grand  homme 
d'État  anglais  pour  recommander  à  Choiseul  ces  combi- 
naisons stratégiques.  «  Ces  notions,  monseigneur,  ont 
été  puisées  en  grande  partie  dans  des  conversations  que 
j'ai  eues  autrefois  avec  milord  Bolingbroke.  Puissent- 
elles  ne  pas  vous  déplaire  ^  î  » 


4.  Voir  ci-dessu«,  p.  130. 

5.  A.  M.,  B  *  195.  Février  1765. 

6.  Lettre  du  2j  août  1766. 


LES  PROJETS  MARITIMES  DU  MINISTÈRE  DE  CHOISEUL.    445 

Au  mois  de  décembre  1770,  c'est-à-dire  peu  de  jours 
avant  sa  brusque  disgrâce,  Choiseul  recevait  un  mémoire 
intitulé  :  Essai  d'un  projet  de  descente  en  Angleterre  ; 
l'auteur,  M.  de  Béville,  qui  mourut  maréchal  de  camp  "^5 
avait  été  chargé  par  Choiseul^  d'une  enquête  militaire 
sur  les  côtes  de  l'Angleterre  ^.  En  tête  de  son  Essai,  il 
examinait  à  fond  cette  question,  qui  était  en  effet  la  con- 
dition première  du  problème  :  une  descente  en  Angleterre 
est-elle  praticable  ?  Et  il  la  résolvait  en  mettant  sous  les 
yeux  du  ministre  des  arguments  analogues  à  ceux  de 
M.  Durand.  Il  rapportait,  comme  un  fait  avéré,  qu'au 
commencement  de  la  dernière  guerre,  le  gouvernement 
anglais  avait  soumis  cette  question  à  un  conseil  d'ami- 
raux, et  que  ceux-ci  avaient  expressément  déclaré  qu'ils 
ne  répondraient  jamais  d'empêcher  une  descente,  même 
avec  deux  fois  plus  de  forces  navales  à  opposer  à  l'ennemi. 


7.  Pierre-François  de  Béville.  Né  à  Paris,  le  21  juin  1721.  Fils  d'un  mar- 
chand drapier  de  la  rue  Saint-Denis.  Lieutenant  au  régiment  de  Lowendal, 
9  juin  1746  ;  rang  de  lieutenant-colonel  de  dragons,  27  avril  1761  ;  briga- 
dier, 5  septembre  1778  ;  maréchal  général  des  logis  de  l'armée  en  Amérique 
septentrionale,  mars  1780  ;  maréchal  de  camp,  5  décembre  1781.  Archives 
administratives  de  la  Guerre  :  dossier  Béville. 

8.  Cet  Essai,  dont  on  reparlera  plus  loin,  se  trouve  aux  Archives  natio- 
nales (AF  IV  1597j,  parmi  les  documents  réunis  sous  le  Consulat  en  vue  de 
la  descente  en  Angleterre,  n  ne  porte  pas  de  nom  d'auteur  ;  mais  la  lettre 
suivante,  qui  le  précède,  indique  qu'il  est  de  M.  de  Béville. 

«  Pont.  Départ-,  du  Calvados,  le  28  vend,  an  12.  [21  octobre  1803.] 

«  Général  premier  Consul, 
«  Permettez  qu'un  ancien  militaire  vous  offre  le  fruit  des  veilles  et  des 
travaux  de  son  père,  mort  maréchal  de  camp  au  service  de  France.  C'est 
une  reconnaissance  d'une  partie  de  l'Angleterre,  suivie  d'un  projet  de 
descente,  le  tout  accompagné  de  plans  levés  sur  les  lieux  avec  soin.  Ce 
travail  fut  ordonné,  en  1770,  par  le  duc  de  Choiseul...  Je  m'estimerai 
heureux  si  le  plus  grand  général  de  l'Europe  daigne  les  accueillir,  y 
reconnaître  le  zèle  qui  animait  leur  auteur  pour  la  gloire  de  sa  patrie  et 
applaudir  aux  vues  qu'il  avait  pour  abaisser  l'orgeuil  {sic)  de  ses  ennemis. 
«  Salut  et  respect. 

«  Charles  Béville, 
«  Ancien  colonel,  adjudant  général.  » 

Suit,  avant  l'Essai,  qui  est  de  décembre  1770,  une  note  de  M.  de  Béville, 
de  1768,  sur  la  reconnaissance  de  trois  points  du  canal  de  Bristol. 


446  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 

Les  exemples  abondaient  des  terreurs  paniques  que  les 
menaces  de  descente  avaient  toujours  causées  aux 
Anglais.  Même  en  1761,  quand  le  désastre  de  Quiberon 
avait  fait  avorter  tous  nos  projets  offensifs  sur  l'Angle- 
terre, l'impression  de  la  frayeur  qu'ils  avaient  fait  naître 
était  encore  si  forte  que  l'amiral  Boscawen  jeta  l'alarme 
dans  Londres,  qu'il  y  eut  une  grande  inquiétude  à  la 
cour  et  une  grande  baisse  des  fonds  publics,  parce  qu'on 
avait  signalé  vers  Douvres  l'apparition  d'une  cinquan- 
taine de  voiles  :  or,  c'étaient  des  navires  marchands 
hollandais  et  des  navires  charbonniers  anglais.  Comme 
l'a  dit  un  grand  homme  de  mer,  notre  amiral  Jean  de 
Vienne,  «  les  Anglais  ne  sont  jamais  plus  faibles  que  chez 
eux...  »  Ils  ont  le  sentiment  de  cette  faiblesse  intérieure, 
ils  sentent  très  bien  qu'une  descente  amènerait  une  per- 
turbation terrible  dans  les  finances  et,  par  suite,  dans  le 
gouvernement  ;  aussi,  ils  vivent  dans  un  état  continu 
d'alarmes.  C'est,  pour  tous  les  ennemis  de  l'Angleterre, 
le  meilleur  argument  en  faveur  du  succès  d'une  descente. 
Choiseul  s'était  rallié  assez  vite  aux  idées  de 
M.  Durand,  que  le  plaidoyer  de  M.  de  Béville  exprimait]; 
encore  avec  plus  de  précision.  Les  réformes  qu'il  avait 
accomplies  au  ministère  de  la  Marine  et  que  son  cousin 
continuait  dans  le  même  esprit,  le  développement  ininter- 
rompu des  constructions  navales,  la  continuité  de  nos 
bons  rapports  avec  l'Espagne  avaient  donné,  en  quelques 
années,  à  la  marine  et  à  la  politique  de  la  France,  une 
solidité  qui  permettait  d'entreprendre  de  gi'andes  choses. 
Il  n'y  avait  plus  qu'à  étudier  dans  les  bureaux  de  l'état- 
major  un  projet  de  descente,  et  pour  cela,  charger,  avant 
tout,  un  agent  éprouvé  de  faire  une  enquête  topogra- 
phique le  long  des  côtes  anglaises. 

Depuis  la  révolution  de  1688  et  les  diverses  tentatives 


LES  PROJETS  MARITIMES  DU  MINISTÈRE  DE  CHOISEUL.  447 

de  restauration  qui  avaient  suivi,  il  y  avait  en  France, 
soit  à  la  cour,  soit  à  l'arnif^e,  un  assez  grand  nombre 
d'Écossais  ou  d'Irlandais,  jacobites  ardents,  à  qui  les 
malheurs  répétés  de  Jacques  II,  du  Prétendant  et  de 
Charles-Edouard  n'avaient  rien  enlevé  de  leur  foi  et  de 
leurs  espérances.  C'est  à  l'un  d'eux  que  Choiseul  donna 
cette  mission  de  confiance  :  il  s'appelait  Grant  de  Blair- 
fîndy,  était  Écossais  et  servait  en  France  comme  lieute- 
nant-colonel d'infanterie. 

Choiseul,  qui  dirigeait  alors  les  Affaires  étrangères,  lui 
fît  remettre,  à  la  date  du  11  avril  1767,  une  «  Instruction 
particulière  et  secrète  »,  qui  contenait  un  programme 
fort  étendu.  Blairfmdy  devait,  en  effet,  «  connaître  tous 
les  points  de  la  côte  d'Angleterre  où  il  peut  être  possible 
de  débarquer,  en  distinguant  ceux  qui  ne  peuvent  servir 
que  pour  de  petits  bâtiments  de  ceux  où  il  deviendrait 
facile  d'y  faire  aborder  des  vaisseaux  )>.  Il  devait,  en 
outre,  faire  une  enquête  détaillée  à  l'intérieur  du  pays  sur 
Vétat  des  routes,  les  ressources  matérielles,  l'esprit  des 
habitants,  les  forces  militaires. 

Grâce  à  sa  connaissance  de  la  langue  et  des  mœurs 
anglaises,  Blairfmdy  put  faire  son  enquête  dans  le  pays 
sans  donner  lieu  à  aucun  soupçon.  Après  un  premier 
séjour  en  Angleterre,  car  il  dut  y  séjourner  à  plusieurs 
reprises,  il  commença  à  rédiger  ses  rapports  au  ministre, 
étant  à  Dieppe,  en  mai  et  juin  1768.  L'ensemble  de  ses 
mémoires,  qui  est  fort  volumineux,  est  divisé  en  treize 
parties,  qui  portent  le  nom  bizarre  de  Rayons^  chacune 
i'elles  correspondant  à  peu  près  à  une  région  géogra- 
phique déterminée. 

Blairfmdy  ne  se  borne  pas  à  mettre  sous  les  yeux  de 
Choiseul  les  résultats  matériels  de  son  enquête  topogra- 
phique, qui  avait  été  faite  avec  beaucoup  de  détails  et 
qu'accompagnent  quelques  plans  minutieusement  levés  ; 


448  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS    LOUIS    XV. 

il  expose  en  outre  ses  propres  idées  en  vue  des  mesures  à 
prendre  pour  une  descente.  Il  y  a,  dans  cette  partie  de 
ses  mémoires,  plusieurs  points  qui  méritent  d'être 
signalés,  ainsi  ce  qu'il  dit  de  la  position  d'Ambleteuse  ; 
Bigot  de  Morogues  en  avait  le  premier  indiqué  la  valeur, 
dans  son  projet  de  1759.  Et  ceci  paraîtra  d'autant  plus 
intéressant  que  les  papiers  de  Blairfmdy  sont  passés  plus 
tard  sous  les  yeux  de  Napoléon  quand  il  préparait,  à 
l'époque  du  Consulat,  l'expédition  d'Angleterre  ^. 

r.  faut,  dit-il,  que  les  vaisseaux  de  guerre  et  les  fré- 
gates s'assemblent  dans  la  rade  d'Ambleteuse,  c  qui  est 
la  seule  propre  pour  cela  de  toute  la  côte,  distante  de 
celle  d'Angleterre  de  six  à  sept  lieues.  Le  mémoire  de 
M.  le  marquis  de  Courtanvaux,  avec  le  plan  qui  en  a  été 
levé  par  le  sieur  Ozanne  dans  ma  présence,  démontrera 
amplement  ce  que  j'avance  à  l'égard  de  cette  position 
heureuse.  »  Il  est  de  toute  nécessité,  ajoute-t-il,  de  cons- 
truire à  cet  endroit  <<  un  port  de  roi  »,  c'est-à-dire  un 
port  pour  des  vaisseaux  de  guerre.   <(   L'emplacement 
d'Ambleteuse  est,  sans  difficulté,  le  plus  beau  qu'il  est 
possible  de  trouver  depuis  Ostende  jusqu'à  Antibes.  » 
C'est  donc  dans  ce  port  et  dans  les  ports  voisins,  Bou- 
logne, Audresselles,  Wissant,  Sangatte  et  Calais,  que  se 
réuniront  les  bâtiments  pour  le  transport  d'une  armée  de 
cinquante  mille  hommes. 

Le  lieu  de  débarquement  est  le  port  de  Deal,  sur  la 
côte  de  Kent,  d'une  grande  facilité  d'accès.  Les  Anglais 
ne  songeront  pas  à  défendre  ce  point,  d'autant  moins 
que  leur  attention  sera  attirée  d'un  autre  côté  par  de  faux 
préparatifs  faits  à  Brest,  à  Saint-Malo  et  en  Normandie. 
Nous  ne  suivrons  pas  Blairfindy  dans  l'étude  des  opéra- 


9.  Us  sont  aux  Archives  nationales  :  AF  iv  1597.  —  Plusieurs  copies  des 
mémoires  de  Blairfindy  :  A,  G.,  Angleterre,  l  ter. 


LES  PROJETS  MARITIMES  DU  MINISTÈRE  DE  CHOISEUL.  449 

lions  qui  doivent  avoir  lieu  après  le  débarquement  et 
l'occupation  des  trois  châteaux  de  Deal,  Walmer  et  San- 
down  ;  l'indication,  minutieusement  détaillée  d'ailleurs, 
des  divers  cantonnements  et  des  trois  grands  magasins 
de  Sandwich,  Canterbury  et  Rochester,  ainsi  que  le  plan, 
très  étudié  aussi,  de  la  grande  bataille  à  livrer  dans  la 
plaine  de  Wimbleton,  n'intéressent  pas  les  opérations 
maritimes.  Et,  d'une  manière  générale,  on  peut  repro- 
cher à  ce  colonel  d'infanterie  de  s'occuper  plus  de  la 
terre  que  de  la  mer,  dans  un  programme  militaire  où  le 
premier  rôle,  —  on  ne  dit  pas  le  seul,  —  appartient  sans 
conteste  à  la  mer. 

Relevons  encore  cette  idée,  qui  fait  partie  du  second 
Rayon.  Une  autre  descente  devra  être  faite,  en  même 
temps  que  la  première,  sur  les  côtes  de  Sussex  avec 
vingt-quatre  mille  hommes.  Pour  ces  opérations,  Blair- 
fîndy  conseille  de  n'employer  que  des  bateaux  pêcheurs  ; 
ce  sont  d'excellents  voiliers,  avec  lesquels  on  peut 
aborder  partout  et  transporter  cent  et  même  deux  cents 
soldats  ;  il  donne  le  relevé  de  ces  bateaux  à  employer 
dans  les  ports  de  Dieppe,  Saint-Valéry,  Fécamp.  L'expé- 
dition doit  se  faire  très  secrètement,  sans  aucun  appareil, 
en  pleine  paix  ;  on  déclarera  la  guerre  aux  Anglais  après 
avoir  débarqué  chez  eux.  Les  Anglais  n'ont-ils  pas  com- 
mencé en  1754  et  1755  par  faire  main  basse  sur  tous  nos 
vaisseaux  en  pleine  paix  ?  On  peut  compter  qu'ils  sont 
prêts  encore  à  faire  de  même,  dès  que  notre  marine  leur 
donnera  de  nouveau  de  l'ombrage.  C'est  à  nous  de  les 
prévenir. 

Choiseul  chargea  M.  de  Bourcet,  lieutenant  général, 
d'examiner  en  détail  les  résultats  de  l'enquête  de  Blair- 
findy  et  ses  propositions  stratégiques.  Le  rapportée  ce^ 
officier  général,  en  date  du  15  avril  1770,  fut  très  favo- 
rable au  travail  de  son  collègue  ;  il  concluait  en  conseil- 

29 


450  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS    LOUIS   XV. 

lant  fortement  la  descente  en  Angleterre,  telle  qu'elle  était 
présentée,  tout  en  désapprouvant  une  entreprise  en 
Irlande,  qui  était  proposée  dans  le  douzième  Rayon.  La 
disgrâce  de  Chois€ul  coupa  court  aux  espérances  que  le 
colonel  écossais  avait  pu  concevoir  pour  l'exécution  de 
ses  idées.  Il  devait  les  représenter  plus  tard  à  deux 
ministres  de  Louis  XVI,  le  maréchal  Du  Muy  et  le  mar- 
quis de  Castries,  à  une  époque  où  la  préparation  d'une 
descente  n'était  plus  un  mystère  pour  personne  ;  mais  il 
ne  paraît  pas  qu'on  y  ait  fait  attention  alors.  Comme  tant 
d'autres  projets,  les  Rayons  de  Blairfmdy  étaient  destinés 
à  rester  dans  le  silence  des  archives. 

La  question  d'une  descente  en  Irlande  s'est  toujours 
rattachée  aux  projets  de  débarquement  en  Angleterre. 
Fallait-il  en  faire  l'opération  principale  ou  l'opération 
secondaire  ?  Les  avis  des  hommes  du  métier  ne  diffé- 
raient guère  que  sur  ce  point  ;  peu  la  rejetaient  tout  à 
fait,  comme  M.  de  Bourcet. 

Un  mémoire  anonyme  i^,  de  juin  1769,  consacré  à  cette 
question,  et  reposant  sur  une  connaissance  approfondie 
de  l'Irlande,  est  d'avis  qu'une  descente  dans  cette  île  ne 
doit  jamais  être  qu'une  opération  secondaire,  destinée  à 
venir  à  l'appui  de  l'opération  principale,  laquelle  doit  se 
faire  en  Angleterre.  L'opinion  est  intéressante,  car  on 
voit  à  certains  détails  techniques  qu'elle  émane  d'un 
officier  de  marine.  Pour  la  diversion  en  Irlande,  cet 
officier  faisait  partir  un  corps  expéditionnaire  de  Brest 
et  de  Morlaix  et  le  faisait  débarquer  dans  la  baie  de 
Greenore,  à  Ballytraman,  près  Wexford  ;  de  là  il  le  con- 
duisait par  plusieurs  étapes  jusqu'à  Dublin.  Lui  aussi 
affirmait  que  la  ruine  des  Anglais  était  certaine,  et  qu'ils 

10  A.  N..  AF  in  186B  :  dossier  857.  n»  6.)0  n08  S]>  li/SVB'li  U/3  Oklfi'l 


LES  PROJETS  MARITIMES  DU  MINISTÈRE  DE  CHOISEUL.  451 

le  savaient  bien  eux-mêmes,  si  des  troupes  françaises 
descendaient  dans  leur  île.  Mais  pour  exécuter  «  cette 
résolution  qui,  seule,  ferait  respecter  nos  armes  dans  les 
siècles  les  plus  reculés  »,  pour  faire  perdre  une  bonne 
fois  à  nos  voisins  «  cette  habitude  de  venir  nous  inquiéter 
chez  nous  »,  il  y  avait  avant  tout  à  résoudre  une  donnée 
du  problème,  qui  en  était  la  condition  même  et  qui  ne 
regardait  que  la  marine  :  c'était  la  traversée  de  la 
Manche.  Comment  l'exécuter  ? 

Un  marin  remettait  à  Choiseul,  en  1769,  un  mémoire 
où  il  proposait,  pour  la  solution  de  cette  partie  du  pro- 
blème, de  construire  des  bâtiments  de  transport  d'un 
nouveau  type.  Puisque  nous  n'avions  pas  le  nombre  de 
navires  suffisant  à  opposer  aux  Anglais,  il  fallait  changer 
les  conditions  de  la  guerre.  Ainsi  avait  fait,  dans 
l'ancienne  Rome,  le  consul  Duilius  ;  en  accrochant  avec 
son  «  corbeau  »  un  vaisseau  carthaginois  et  en  le  rendant 
immobile,  il  avait  transformé  les  combats  de  mer  en  com- 
bats de  terre.  Notre  marin  ne  demandait  pas  de  restaurer 
les  corbeaux  de  Duilius  ;  remontant  plus  loin  encore  dans 
ses  souvenirs  d'histoire  érudite,  il  proposait  de  construire 
des  navires  ayant  «  à  peu  près  la  grandeur  et  le  poids 
des  trières  employées  pendant  la  guerre  du  Péloponnèse 
ou  des  premiers  liburnes  ».  Ces  petits  bâtiment^,'  iri^ii*-^ 
chant  à  la  voile  ou  à  la  rame,  auraient  de  pré'cïeâS  îàvaîi- 
tages  de  mobilité  et  de  rapidité  ;  avec  deux  ëenfe  'ôii 
deux  cent  cinquante  liburnes  réunies  eiilre  Dunkerque  W 
Morlaix,  on  pouvait  débarquer  quarante/ à  ^'ciri^ùan^^^^ 
mille  soldats  aux  environs  d  Arundell  dans  le  Sûssex".  Le 
restaurateur  des  tri^reaet  des  liburnes  modifia  plus  tard 
la  construction  de  ses  navires,  d'après  les  indications  de 
l'ingénieur  Groignard,  et  présenta  de  nouveau,  cette  fois 
à  M.  de  Sartine,  le  projet  que,  dans  sa  modestie  d'inven- 
teur, il  qualifiait  de  «  grand  ».^tr{(  sublime  »  ;  mais  les 


452  LA  MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 

liburnes  du  capitaine  de  frégate  Le  Roy  de  La  Grange  ^^ 
n'eurent  pas  plus  de  succès  en  1777  qu'en  1769  i^.  Le 
type  des  bâtiments  de  la  guerre  du  Péloponnèse  était 
sans  doute  hors  de  saison  ;  mais  n'était-ce  pas  à  la  même 
idée  nautique  que  devait  se  conformer  Napoléon  quand 
il  prit  le  parti  de  passer  la  Manche  avec  une  fioltilie  de 
coquilles  de  noix  ? 

On  a  déjà  parlé  du  projet  de  descente  de  M.  de  Béville. 
V Essai  qu'il  présenta  à  Choiseul,  à  la  suite  de  la  mission 
dont  il  avait  été  chargé,  est  fort  étendu  avec  ses  quinze 
sections  et  ses  trois  mémoires  justificatifs  ^^  ;  il  révèle  un 
auteur  intelligent,  méthodique,  très  bien  renseigné  sur 
l'état  intérieur  et  les  forces  de  l'Angleterre. 

Une  descente  est-elle  praticable  ?  On  sait  qu'il  résout 
cette  première  question  par  l'affirmative. 

Doit-elle  se  faire  avec  le  concours  de  l'Espagne  ?  Oui, 
mais  de  manière  cependant  que  l'opération  espagnole 
soit  absolument  distincte  et  séparée  de  l'opération  fran- 
çaise ;  il  serait  même  à  souhaiter  que  l'opération  espa- 
gnole se  réduisît  à  une  simple  démonstration.  Nous  ne 
discuterons  pas  cette  opinion,  à  laquelle  les  divers  projets 
du  temps  touchent  plus  ou  moins  ;  on  peut,  en  effet, 
apporter  des  arguments  théoriques  sur  les  avantages  ou 
les  inconvénients  de  la  réunion  de  forces  militaires  de 
divers  pays.  Nous  rappellerons  seulement  l'expérience 
malheureuse  qui  fut  faite  en  1779,  lors  de  la  tentative  de 
descente  en  Angleterre  des  escadres  réunies  de  France 
et  d'Espagne  ^^  ;  elle  est  de  nature  à  faire  proscrire  d'une 

11. 'Le  Roy  dô  La  Grange.  G.,  l"  août  1741  ;  L.,  il  février  1756;  CA., 
15  janvier  I363î  ÇF.ftV  octobre  1764;  C.  15  novembre  1771;  RCE.,  25  oo 
tobre  1782.  A.  M.,  C  '  169. 

12.  A.  M.,  B  *  160;  f(A:  $40-243.  ^i^  3r-.'  :<  ^    ..'  .o;.._ 

13-,  A.  N.,  Af  IV.  1597,.     ^    .—:•       ^;.r>    -u,,-..-    ^^       , 

14.  Voir  dans  notre  Marine  mtiitaire  tous  Louïs  XVI,  Jes  chapitre*  xiJ- 
XIV  :-«  La  Campagne  dis  la  Manche  en  iTTtL  »       '      ;:3.i;:ii:  ! 


LES  PROJETS  MARITIMES  PU  MINISTÈRE  DE  CHOISEUL.  453 

manière  absolue  les  opérations  combinées  entre  des 
marines  de  pays  différents,  du  moins  si  l'on  songe  à  les 
confondre  sous  un  même  commandement  pour  une  action 
commune. 

Où  doit  se  faire  la  descente  ?  Sur  cette  partie  fort  inté- 
ressante du  problème  stratégique,  les  controverses  des 
faiseurs  de  projets  sont  sans  fm  ;  faut-il  débarquer  dans 
le  Kent  ou  dans  la  Cornouaille,  prendre  Londres  de  face 
ou  à  revers  ?  Les  arguments  paraissent  excellents  de  part 
et  d'autre  ;  mais  certes,  le  meilleur  aurait  été  celui  du 
marin  ayant  fait  débarquer  un  corps  français  sur  un 
point  quelconque  du  sol  britannique.  Pour  Béville,  qui 
parle  sciemment,  après  avoir  fait  la  reconnaissance 
d'une  partie  de  la  côte  anglaise,  les  points  de  débarque- 
ment sont  les  ports  de  Lime  en  Dorset,  de  Dartmouth  en 
Devon,  de  Fowey  et  de  Looe  en  Cornouaille.  Là,  les 
Anglais  ne  sont  pas  sur  leurs  gardes  comme  dans  le 
Sussex,  le  Kent,  l'Essex,  d'où  ils  surveillent  le  pas  de 
Calais  et  les  côtes  françaises.  «  Un  homme  sous  les 
armes,  dit-il,  s'occupe  d'effacer  et  de  garantir  son  cœur, 
sans  songer  à  ses  cuisses  ou  à  ses  jambes.  Or  c'est  ici, 
—  et  que  l'on  me  pardonne  cette  expression,  —  c'est  ici 
un  croc  en  ïambe  qu'il  faut  donner  à  l'Angleterre  et  par 
lequel  on  sera  bien  plus  sûr  de  la  renverser.  » 

De  ces  quatre  points  de  débarquement,  l'armée,  qui 
comprendra  trente  mille  hommes,  marchera  sur  Bristol 
par  des  étapes  qui  sont  indiquées  ;  elle  n'aura  pas  de 
peine  à  occuper  ce  grand  port  de  commerce,  dont  la  chute 
produira  dans  Londres  une  panique  inexprimable.  <(  A 
quarante  lieues  de  Londres,  ce  serait  comme  si  l'on 
menaçait  de  livrer  aux  flammes  la  Cité  de  Londres  même. 
Bientôt  tous  les  corps  de  la  ville  de  Londres  importune- 
raient de  leurs  cris  et  le  roi  d'Angleterre  et  le  parlement 
pour  acheter  la  paix  à  quelque  prix  que  ce  fût  ;  c'est 


454  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 

alors  que  l'on  reconnaîtrait  la  justesse  de  ce  très  ancien 
dicton  sur  la  nation  anglaise  :  Anglica  gens  pessima 
ridens,  optima  flens...  » 

D'où  l'expédition  doit-elle  partir?  Le  lieu  d'embarque- 
ment est  déterminé  par  le  lieu  de  la  descente  ;  c'est  donc 
à  la  hauteur  de  la  Comouaille,  sur  les  côtes  de  la  Bre- 
tagne, qu'il  faut  réunir  le  corps  d'expédition.  On  ne  peut 
demander  une  côte  plus  propice  ;  des  flottilles  de  bateaux 
pêcheurs  peuvent  se  disperser  et  s'abriter  aux  embou- 
chures des  rivières  de  Pontrieux,  de  Tréguier,  de  Mor- 
laix,  de  Saint-Pol-de-Léon.  On  prendra  huit  jours  de 
vivres  par  bateau.  On  n'embarquera  pas  de  chevaux,  ce 
qui  sera  un  grand  embarras  de  moins,  si  l'on  peut  en 
effet,  comme  l'assure  Béville,  monter  les  cavaliers  en 
Cornouaille. 

A  quelle  époque  doit-on  partir?  Le  choix  du  moment 
dépend  de  la  manière  dont  on  effectuera  le  passage.  Faut- 
il  demander  le  concours  militaire  d'une  escadre  et  con- 
quérir la  Manche  de  haute  lutte  par  une  bataille  ?  Non, 
répond  sans  hésitation  notre  officier.  Une  grande  bataille 
sur  mer  est  toujours  ruineuse  pour  les  vaisseaux  qui  la 
livrent,  non  moins  que  pour  le  convoi  qu'ils  doivent 
protéger  ;  aussi  l'avantage  d'une  escadre  pour  convoyer 
une  flotte  de  ce  genre  est  illusoire.  «  Qu'une  fausse 
gloire  ne  nous  aveugle  pas.  Les  dieux  eux-mêmes, 
quand  Homère  les  met  aux  prises  avec  les  mortels,  ne 
dédaignent  pas  de  porter  leurs  coups  du  sein  des  nuages 
qui  les  enveloppent  et  de  combattre  Ajax  à  la  faveur  des 
ténèbres.  Passons  en  Angleterre  comme  des  contreban- 
diers ;  nous  y  trouverons  assez  de  quoi  faire  les  conqué- 
rants. »  Pour  jouer  ce  rôle  de  contrebandier,  il  faut 
attendre  les  vents  et  les  laisser  disperser  les  vaisseaux 
anglais.  Dans  un  long  mémoire  sur  les  retardemenls 
causés  lors  de  la  dernière  guerre  aux  navires  anglais 


LES  PROJETS  MARITIMES  DU  MINISTÈRE  DE  CHOISEUL.  455 

sortant  des  ports  d'Angleterre,  mémoire  où  l'histoire  se 
combine  avec  la  météorologie,  Béville  établit  que  les 
vents  dominants  dans  la  Manche  sont  les  vents  du  sud  et 
du  sud-ouest  ;  ils  régnent  surtout  en  automne  et  vers 
la  fin  de  l'hiver.  C'est  un  de  ces  deux  moments  qu'il  faut 
choisir.  Avec  les  vents  du  sud,  les  brumes  et  les  longues 
nuits,  la  flottille  bretonne,  réduite  à  elle-même,  sans  vais- 
seaux ni  frégates,  passera  la  Manche,  sans  que  son 
projet  soit  démasqué.  Pour  le  retour,  une  fois  la  paix 
dictée  à  Bristol  ou  à  Londres,  il  se  fera  sur  les  vaisseaux 
anglais  portant  pavillon  du  roi  Très  Chrétien. 

Tandis  que  M.  de  Béville  rédigeait,  sur  l'ordre  de 
Choiseul,  ce  programme  séduisant,  Choiseul  lui-même 
jetait  sur  le  papier  les  grandes  lignes  d'un  plan  d'opéra- 
tions combinées  entre  les  escadres  française  et  espa- 
gnole ;  il  l'avait  arrêté,  d'accord  avec  Grimaldi,  le  ministre 
des  Affaires  étrangères  du  roi  Catholique  ^^.  Il  comptait 
qu'en  1770,  la  France  aurait  quatre-vingts  vaisseaux  et 
quarante  frégates  disponibles  ;  il  faisait  ainsi  la  réparti^ 
tion  de  ces  forces  : 

Trente  vaisseaux  à  Brest,  pour  constituer  une  escadre 
puissante  en  vue  du  débarquement  en  Angleterre  ; 

Douze  vaisseaux  à  Rochefort,  pour  couvrir  la  région 
entre  Loire  et  Gironde  et  prévenir  les  descentes  anglaises 
qui  nous  avaient  paralysés  dans  la  guerre  précédente  ; 

Six  vaisseaux  et  quatre  frégates,  pour  croiser  dans  le 
golfe  de  Gascogne,  ayant  leur  point  d'appui  dans  les 
ports  espagnols  ; 

Quatorze  vaisseaux  à  Toulon,  formant  l'escadre  de  la 


15.  SÉGUR-DuPEYRON,  La  France,  V Angleterre  et  VEspagne  après  la  guerre 
de  Sept  ans  (1866).  p.  77  et  suiv.  Cf.  Doniol,  Histoire  de  la  participation  de 
la  France  à  l'établissement  des  Etats-Unis  d'Amérique,  t.  I,  p.  143-144  ; 
t.  II,  p.  161-164. 


456  LA   MARINE   MILITAIRE   SOUS   LOUIS   XV. 

Méditerranée,    où  nous  avions  à  présent  la   Corse  à 
défendre  ; 

Six  vaisseaux  à  Port-Louis,  formant  la  division  de 
Tocéan  Indien  ; 

Douze  vaisseaux  à  la  Martinique,  pour  la  garde  des 
Antilles. 

Les  trente  vaisseaux  de  Brest  seraient  renforcés  de 
vingt  vaisseaux  que  fournirait  l'Espagne,  et  avec  cette 
puissante  escadre,  on  frapperait  enfin  le  grand  coup. 

Un  projet  de  conquête  du  Portugal  pour  le  compte 
de  l'Espagne,  conquête  qui  atteindrait  indirectement 
l'Angleterre,  se  rattachait  encore  à  ce  vaste  plan  d'opéra- 
tions maritimes. 

Il  n'y  avait  plus  à  présent  qu'à  choisir.  Choiseul  se 
trouvait  en  présence  de  trois  programmes  qu'on  pouvait 
dire  officiels  :  celui  de  Blairfindy,  traversée  d'Ambleteuse 
dans  le  Kent  ;  celui  de  Béville,  traversée  des  ports 
bretons  dans  la  Cornouaille  ;  celui  des  ministères  de 
Versailles  et  de  Madrid,  jonction  à  Brest  des  escadres 
franco-espagnoles.  Hélas  !  la  somme  énorme  de  travail 
que  représentaient  ces  enquêtes  et  ces  projets  avait  été 
dépensée  en  vain,  puisque  Choiseul  fut  brusquement 
congédié.  Son  successeur,  qui  était  cependant  l'auteur 
àe  plusieurs  projets  sur  Jersey  et  le  héros  de  Saint-Cast, 
sembla  prendre  pour  mot  d'ordre  de  ne  plus  rien  faire, 
de  ne  plus  rien  préparer  i^.  Un  historien  du  temps,  peu 
favorable  cependant  à  Louis  XV  et  ennemi  des  Anglais, 


16.  Toutefois,  même  alors,  le  ministre  de  la  Marine  faisait  faire  des 
enquêtes  sï)éciales  en  Angleterre.  Les  états  de  services  de  M.  de  Bavre 
renferment  cette  note,  à  la  date  du  1"  janvier  1772  :  «  Est  passé  en  Angle- 
terre, —  il  était  brigadier  des  gardes-marine,  —  par  permission  du  ministre, 
pour  prendre  connaissances  des  forces  navales  et  de  la  situation  de  chaque 
port.  Cet  officier,  sachant  très  bien  parler  l'anglais,  est  revenu,  en  a  rap- 
porté des  cartes  et  des  plans  très  intéressants.  En  juillet,  rendu  compte 
de  sa  mission.  A  eu  une  gratification  extraordinaire  de  2  700  liv.  »  A.  M., 
C  179. 


LES  PROJETS  MARITIMES  DU  MINISTÈRE  DE  CHOISEUL.    457 

l'auteur  de  la  Vie  privée  de  Louis  XV,  parlant  du  renvoi 
de  Choiseul,  regarde  comme  un  «  bonheur  réel...  l'expul- 
sion de  ce  ministre  brouillon  et  turbulent  »,  qui  songeait 
à  replonger  la  France  dans  la  guerre  et  dont  la  retraite 
devint  le  sceau  de  la  paix.  Pour  nous,  mieux  renseignés, 
nous  regarderons  comme  un  malheur  national  le  départ 
du  ministre  qui,  pour  pouvoir  déchirer  un  jour  le  honteux 
traité  de  Paris,  avait  dépensé  depuis  sept  ans  tant  d'intel- 
ligence et  d'énergie. 


CHAPITRE  XXV 

LE  PROJET  DU  COMTE  DE  BROGLIE 


Le  Secret  du  Roi.  —  Le  comte  de  Broglie.  —  Enquêtes  préparatoires 
pour  le  projet.  —  Le  projet  définitif.  —  Communication  du  projet  à 
Choiseul.  —  Nouvelle  rédaction  du  projet  sous  Louis  XVI.  —  Con- 
clusion. 


Il  reste  à  parler  d'un  dernier  projet  de  guerre  maritime 
contre  l'Angleterre,  le  mieux  étudié  et  le  plus  complet, 
croyons-nous,  qu'on  ait  jamais  rédigé  ;  jusqu'ici,  on  ne 
le  connaît,  au  point  de  vue  proprement  militaire,  que 
par  quelques  indications  assez  vagues  ^  :  c'est  le  projet 
du  comte  de  Broglie.  On  pourrait  jusqu'à  un  certain 
point  l'appeler  aussi  le  projet  de  Louis  XV,  car  Louis  XV 
donna  directement  l'ordre  de  le  préparer,  il  fut  tenu  au 
courant  des  travaux  de  tout  genre  qui  s'y  rapportaient, 
il  fut  seul  à  connaître  les  résultats  d'une  enquête  pour- 
suivie pendant  plusieurs  années.  Comment  Louis  XV, 
malgré  son  apathie  invincible,  a-t-il  pu  s'associer  d'une 
manière  volontaire  et  toute  personnelle  à  un  projet  qui 
devait  avoir  pour  conséquence  la  revanche  maritime  de 
la  France  ?  Il  faut  expliquer  en  quelques  mots  ce  qui,  au 
premier  abord,  pourrait  paraître  incroyable. 

L'expression,   devenue  classique,   de  Secret  du  roi, 


1.  L'analyse,  d'ailleurs  Incomplète,  que  l'Anglais  Egerton  (ci-dessus, 
p.  264,  n.  1)  en  a  donnée  dans  la  lievue  contcm/poraine ,  15  janvier  1867, 
semble  être  passée  à  peu  près  inaperçue. 


LE  PROJET  DU  COMTE  DE  BROGLIE.         459 

désigne  la  correspondance  secrète  que  Louis  XV  entre- 
tint, pendant  plus  de  vingt  ans,  à  l'insu  de  ses  ministres, 
avec  des  agents  de  confiance  choisis  par  lui-même  et  que 
lui  seul  connaissait  ;  l'histoire  de  cette  diplomatie 
occulte,  mais  singulièrement  bien  informée  et  clair- 
voyante, a  été  exposée,  il  y  a  quelques  années,  par  un 
écrivain,  homme  d'État  lui-même,  que  des  liens  de  famille 
rattachaient  à  l'agent  le  plus  actif  de  ces  informations 
clandestines,  au  comte  de  Broglie.  C'est  dans  le  livre  si 
attrayant  et  si  neuf  de  M.  le  duc  de  Broglie  ^  qu'on  peut 
suivre,  presque  au  jour  le  jour,  la  trame  de  ce  travail 
souterrain  qui  se  déroule,  à  peu  près  ininterrompue,  de 
la  paix  d'Aix-la-Chapelle  jusqu'à  la  fin  du  règne,  à  côté 
de  la  politique  officielle  des  ministres  en  place,  à  côté 
aussi  des  scandales  de  la  vie  privée  du  souverain.  C'est 
là  qu'on  peut  voir  à  découvert  le  triste  caractère  de 
Louis  XV,  goûtant  une  jouissance  de  dilettante  à  savoir 
mieux  la  vérité  que  ses  ministres,  à  mieux  connaître  la 
situation  diplomatique  de  l'Europe,  mais  se  gardant  bien 
de  faire  quoi  que  ce  fût  pour  traduire  en  actes  les  avis 
qu'il  sollicitait  et  qu'il  approuvait  ;  pour  ce  roi  intelli- 
gent, mais  pervers,  incapable  d'une  volonté  continue  et 
efficace,  il  y  avait  une  jouissance  plus  grande  que  de 
savoir  ce  qu'il  devait  faire,  c'était  de  le  savoir  et  de  ne 
pas  le  faire. 

Charles-François,  comte  de  Broglie,  frère  cadet  du 
duc  et  maréchal  de  Broglie,  lui-même  brigadier  des 
armées  du  roi,  avait  commencé,  à  trente-deux  ans, 
l'apprentissage  de  la  diplomatie  secrète,  quand  il  avait 


2.  Le  Secret  du  Roi.  Paris,  1879.  —  Le  duc  de  Broglie  n'a  pas  manqué  de 
parler  (t.  II,  p.  90  et  suiv.)  du  plan  de  guerre  contre  l'Angleterre  qui  avait 
été  composé  par  son  parent  ;  il  a  donné  les  plus  curieux  détails  sur  le 
chevalier  d'Êon,  avec  qui  le  comte  de  Broglie  se  trouva  en  relations  pour 
ce  travail  ;  mais  il  n'était  pas  dans  son  sujet  d'exposer  en  quoi  consistait 
le  projet  lui-même,  considéré  au  point  de  vue  militaira 


460  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS    LOUIS   XV. 

été  question,  en  1752,  de  préparer  l'élection  au  trône  de 
Pologne  du  prince  de  Conti.  Après  avoir  traversé  des 
péripéties  de  toute  nature,  au  milieu  desquelles  il  avait 
fait  preuve  d'un  esprit  aussi  perspicace  que  fécond  en 
ressources,  après  avoir  été  à  un  moment  exilé  avec  son 
frère  au  château  de  Broglie,  sans  avoir  perdu  d'ailleurs 
la  confiance  de  son  singulier  maître,  il  avait  détourné 
son  attention  du  drame  qui  se  préparait  en  Pologne  pour 
la  donner  à  celui  qui  venait  de  se  dénouer  par  le  traité 
de  Paris  et  dont  l'écho  avait  douloureusement  retenti 
dans  son  cœur  de  Français  et  de  soldat.  Moins  de  deux 
mois  après  ce  traité,  il  proposait  à  Louis  XV,  dont  il  avait 
pu  cependant  sonder  déjà  toute  l'indifférence  et  tout 
l'égoïsme,  de  préparer  un  vaste  plan  de  campagne  mari- 
time contre  l'Angleterre.  Séduit  par  ce  qu'il  y  avait  de 
singulièrement   hardi,    de   téméraire   même    dans   une 
pareille  idée,  à  un  pareil  moment,  se  faisant  à  l'avance 
comme  un  malin  plaisir  de  triompher  in  petto  de  Choi- 
seul,  sur  un  terrain  où  le  ministre  de  la  Marine  et  de  la 
Guerre  paraissait  n'avoir  point  de  maître,  le  roi  accepta 
la  proposition    Dès  le  7  avril  1763,  sans  qu'un  mot  ait 
transpiré  de  ce  projet,  qui  ne  devait  être  connu  que  de 
quelques  très  rares  initiés  et  pas  des  ministres,  il  ordonna 
au  comte  de  Broglie  de  se  mettre  à  l'œuvre. 

Exposons  à  présent,   d'après  les  documents  manus- 
crits 3,  la  genèse  et  les  résultats  de  ce  travail. 


3  Le  dossier  di  projet  du  comte  de  Broglie  occupe  en  entier  trois  gros 
registres  des  Archives  de  la  Marine  :  B  *  297-299.  Broglie  envoya  plus  tard 
à  Louis  XVI  (17  décembre  1777)  son  «  Plan  de  guerre  contre  l'Angleterre 
rédigé,  par  les  ordres  du  feu  roi,  dans  les  années  1763,  1764,  1765  et  1766..., 
et  refondu  et  adapté  aux  circonstances  actuelles...  »  De  cette  seconde 
édition,  il  y  a  deux  copies  aux  Archives  de  la  Marine  (B*  132,  B*  135)  et 
quatre  copies  aux  Archives  nationales,  parmi  les  papiers  réunis  sous  le 
Consulat  pour  l'expédition  d'Angleterre  (AF  iv  1597).  L'une  des  copies  des 
Archives  nationales  porte  cette  note  :  «  Ce  cahier  restera  sous  la  garde 


LE   PROJET   DTJ    COMTE   DE   BROGLIE.  461 

Avec  l'activité  incroyable  que  cet  esprit  extraordinaire 
apportait  à  tout  ce  qu'il  entreprenait,  le  comte  de  Bro- 
glie,  aussitôt  qu'il  eut  reçu  l'agrément  du  roi,  commença 
à  préparer  la  réalisation  de  son  idée.  Elle  ne  lui  appa- 
raissait encore  à  lui-même  que  sous  une  forme  bien 
indéterminée.  Il  savait  du  moins  qu'il  ne  s'agissait  pas 
d'improviser  dans  le  silence  du  cabinet  un  plan  de  guerre 
contre  l'Angleterr-e,  comme  un  rêveur  peut  imaginer 
à  priori  telles  combinaisons  politiques  ou  militaires.  Il 
s'agissait  de  réunir  avant  tout,  soit  en  Angleterre,  soit 
en  France,  tous  les  éléments  d'une  connaissance  exacte 
des  deux  pays,  au  point  de  vue  de  leurs  côtes,  de  leurs 
marines,  de  leurs  ressources  financières  et  militaires  de 
toute  nature  ;  quand  tous  les  éléments  de  cette  vaste 
enquête  seraient  réunis,  alors  seulement,  on  pourrait 
combiner  les  diverses  parties  du  problème  à  résoudre  ; 
et  pour  que  le  plan  pût  aboutir  à  un  succès  éclatant,  il 
fallait  tout  combiner,  tout  prévoir,  le  fort  et  le  faible,  de 
manière  à  ne  laisser  à  l'imprévu  et  au  hasard  que  la  part 
seule  que  l'intelligence  humaine  ne  peut  jamais  leur 
dérober.  C'était  donc  un  travail  de  longue  haleine  à 
entreprendre  ;  en  fait,  il  demanda  d'abord  quatre  années 
continues,  de  1763  à  1766. 


particulière  du  directeur  du  dépôt  général  de  la  Marine,  qui  ne  pourra  le 
ccmmuniquer  ou  délivrer  des  copies  que  sur  un  ordre  par  écrit  du  ministre 
do  la  Guerre.  Le  1"'  nivôse  l'an  IV°  de  la  république.  Aubert  Dubayet.  » 
Cette  recommandation  spéciale  et  le  nombre  même  des  exemplaires  sont 
des  preuves  de  l'importance  exceptionnelle  du  document. 

Le  duc  de  Broglie  (Secret  du  Roi,  t.  II,  p.  90)  parle  d'un  exemplaire  du 
second  manuscrit  qui  se  trouve  dans  les  papiers  de  famille  du  comte  de 
Broglie.  Les  Archives  des  Affaires  étrangères  possèdent  un  exemplaire  de 
la  rédaction  refondue  pour  Louis  XVI  (Mémoires  et  documents,  Angleterre, 
53).  Les  archives  du  ministère  de  la  Guerre  possèdent  cinq  copies  com- 
plètes de  la  même  rédaction,  et  plusieurs  copies  incomplètes  (Angleterre, 
1  bis)  Up  exerçiplaire  du  projet  se  trouve  encore  dans  une  collection  parti- 
culière à  ParjLs,  Enfin,  Egerton  s'est  servi  d'une  copie  du  règne  de 
Louis  XVi,  provenant  des  archives  françaises,,  poui  son  article  de  la 
Revue  contemporaine. 


462  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 

A  qui  confier  les  enquêtes  préparatoires  ?  Certes,  nul 
n'était  plus  capable  que  Broglie  lui-même  de  cette  mis- 
sion qui  demandait  autant  de  décision  et  de  prudence 
que  de  perspicacité  ;  mais  il  était  le  dernier  à  pouvoir 
l'exécuter.  Son  nom,  son  passé,  sa  situation  d'officier, 
ne  lui  permettaient  pas  de  garder  l'incognito  dans  des 
voyages  qui  pouvaient  durer  plusieurs  mois  et  ne  pou- 
vaient manquer  d'éveiller  les  soupçons  ;  or,  le  secret 
absolu  était  la  première  condition  du  succès  possible.  Il 
fallait  donc  demander  à  des  collaborateurs  cette  première 
partie  du  travail  ;  lui-même  resterait  dans  le  silence  de 
sa  retraite  au  château  de  Broglie,  tenant  entre  ses  mains 
et  faisant  mouvoir  tous  les  fils  de  cette  enquête  mysté- 
rieuse ;  plus  que  jamais,  son  travail  occulte  mériterait  le 
nom  de  Secret  du  Roi. 

Le  comte,  qui  eut,  depuis  la  première  heure  jusqu'à  la 
dernière,  la  direction  unique  de  cette  vaste  entreprise, 
proposa  à  Louis  XV  de  charger  M.  de  La  Rozière  de  la 
reconnaissance  à  faire  sur  les  côtes  anglaises  ;  c'était  un 
ingénieur  et  officier  de  mérite,  qui  avait  fait  partie  de  la 
mission  scientifique  de  l'abbé  de  La  Caille  dans  l'Afrique 
australe,  il  venait  de  servir  avec  éclat  dans  la  dernière 
guerre  comme  capitaine  de  dragons,  il  était  en  relations 
personnelles  avec  les  membres  de  la  famille  de  Broglie  ^. 
Le  comte  adressa  au  roi  des  instructions  pour  cet  agent 

4.  Louis-François  Carlet,   marquis  de  La  Rozière.   Ne   au  Pont-d' Arches 
(Champagne),   le  10   octobre   1733.    Lieutenant   au   régiment   de   Touraine- 
infanterie,   13  avril   1748  ;    aide  de  camp  du   maréchal  de  Broglie,   1758  ; 
brigadier   de   dragons   et    commandant    en   second   à    Saint-Malo,    12   no- 
vembre 1770  ;  maréchal  de  camp,  5  décembre  1781  ;  créé  marquis  en  1779  ; 
émigré  en  1791  ;  -|-  7  avril  1808,  Lisbonne.  Dans  plusieurs  de  ses  lettres  il 
donne  cette  adresse  :  «  Hôtel  de  Broglie,  rue  de  Varenne  »  ;  ce  qui  est  une 
preuve  de  ses  relations  étroites  avec  la  famille  de  Broglie.  Une  longue, 
lettre  qu'il  adressa  à   Choiseul,  —  de  Broglie.   le  20  janvier  1764,  —  se 
rapporte  aux  incidents  de  son  séjour  en  Angleterre.  Archives  administra- 
tives de  la  Guerre  :  dossier  La  Rozière.  —  Divers  mémoires  attribués  à  | 
La  Rozière,  ou  réunis  par  lui,  sur  la  reconnaissance  des  côtes  anglaises  ou  ^ 
sur  des  projets  de  descente  :  A.  G.,  Angleterre,  i.  ' 


LE  PROJET  DU  COMTE  DE  BROGLIE.         463 

secret,  qu'il  datait  à  l'avance  de  Compiègne,  le  26  juil- 
let 1763  ;  le  roi  se  borna  à  mettre  au  bas,  sans  signer 
d'ailleurs,  le  mot  «  Approuvé  ».  Quelques  passages  de 
ce  document  sont  de  nature  à  faire  comprendre  les  condi- 
tions de  la  mission  et  les  intentions  de  l'auteur  du  projet. 

«  Les  événements  malheureux  de  la  dernière  guerre 
entre  la  France  et  l'Angleterre,  dont  les  suites  fâcheuses 
ont  nécessité  des  sacrifices  considérables  pour  obtenir  la 
paix  ;  le  ton  de  despotisme  et  d'arrogance  que  les  Anglais, 
enflés  de  leurs  succès,  ont  pris  pendant  et  depuis  le  cours 
de  cette  négociation  ;  enfin,  les  preuves  trop  multipliées 
qu'ils  ont  données  qu'ils  abuseraient  toujours  de  leur 
supériorité  de  forces  sur  mer  pour  empêcher  l'augmen- 
tation de  la  marine  du  roi  et  le  soutien  du  peu  de  colonies 
françaises  échappé  à  leur  avidité,  ont  déterminé  Sa 
Majesté  à  chercher  dans  ,^a  sagesse  et  l'étendue  de  ses 
lumières  un  moyen  nouveau  qui,  pour  réussir,  exige  un 
travail  assidu  de  quelques  années...  Il  est...  fort  à 
craindre  que  l'injustice  et  les  vexations  des  Anglais  ne 
rallument  la  guerre  entre  les  deux  nations,  et  il  s'agit  de 
se  préparer  à  la  faire  avec  le  succès  qu'on  peut  se  pro- 
mettre des  mesures  bien  combinées...  Sa  Majesté  porte 
ses  vues  sur  l'Angleterre.  C'est  là  qu'elle  aperçoit  la 
possibilité  de  vaincre  son  ennemi...  Une  descente  en 
Angleterre  est  donc  l'objet  qu'elle  se  propose...  »  Une  des 
raisons  qui,  dans  la  précédente  guerre,  se  sont  opposées 
à  l'exécution  de  ce  projet,  «  a  été  le  défaut  des  connais- 
sances locales,  tant  des  côtes  britanniques  les  plus  voi- 
sines de  notre  continent  que  du  pays  où  l'on  aurait  à 
opérer,  après  être  parvenu  à  un  heureux  débarque- 
ment... » 

M.  de  La  Rozière  devra  étudier  avec  soin  tçute  la 
région  comprise  entre  l'embouchure  de  la  Tamise  et  les 
côtes  de  la  Cçrnouaille  ;  on j lui  signale  en  outre  le  port 


464  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS    LOUIS   XV. 

de  Tilbury,  sur  la  rive  gauche  de  l'embouchure  de  la 
Tamise,  à  quelques  lieues  de  Londres,  parce  qu'il  n'y  a 
aucun  obstacle  entre  ce  point  et  la  capitale.  Il  rapportera 
un  mémoire  détaillé  sur  la  situation  des  ports,  arsenaux, 
chantiers,  magasins,  la  distribution  des  troupes.  Il 
s'informera  aussi,  en  passant  à  Calais  et  à  Dunkerque, 
de  la  durée  des  opérations  d'embarquement,  des  opinions 
sur  l'utilité  des  bateaux  plats,  de  la  possibilité  de  perfec- 
tionner les  signaux,  etc.  Il  devra  s'entendre  avec  le  sieur 
d'Éon,  «  se  concerter  avec  lui  dans  toutes  les  circons- 
tances et  lui  communiquer  généralement  tout  son  tra- 
vail. Il  conviendra  avec  lui  de  la  tournure  qu'il  sera  à 
propos  de  donner  à  son  séjour  en  Angleterre,  tant  vis-à- 
vis  de  la  cour  et  des  habitants  du  pays,  que  vis-à-vis  de 
l'ambassadeur  de  France,  que  Sa  Majesté,  pour  des  rai- 
sons particulières,  n'a  pas  cru  devoir  admettre  au  secret 
de  la  présente  commission...  » 

Nous  n'avons  pas  à  parler  ici  de  l'étrange  personnage 
auprès  de  qui  La  Rozière  était  accrédité,  le  chevaher  ou 
la  chevalière  d'Eon,  car  les  contemporains  ont  différé 
d'avis  sur  le  sexe  de  ce  diplomate  de  fantaisie  et  de  ce 
capitaine  de  dragons  qui  porta  pendant  quelque  temps 
des  vêtements  de  femme  ;  on  trouvera  dans  le  Secret  du 
Roi  l'histoire  véritable  de  cette  manière  d'aventurier, 
dégagée  de  tout  ce  que  la  légende  avait  ajouté  de  scanda- 
leux et  d'invraisemblable  à  une  existence  déjà  suffisam- 
ment accidentée.  Avec  le  romanesque  et  le  bizarre  de  sa 
vie  privée,  le  chevalier,  d'ailleurs  fort  intelligent,  sem- 
blait fait  pour  les  petites  intrigues  et  les  petits  papiers 
du  service  de  renseignements  secrets  où  se  complaisait 
Louis  XV  ;  mais  il  y  avait  peut-être  quelque  imprudence, 
de  la  part  d'un  esprit  réfléchi  comme  le  comte  de  Broglie, 
à  faire  de  cet  écervelé  le  dépositaire  d'un  pareil  secret  î 


LE  PROJET  DU  COMTE  DE  BROGLIE.         465 

elle  faillit  coûter  cher  au  projet  lui-même  et  à  ceux  qui 
y  prirent  part  5. 

L'instruction  donnée  à  M.  de  La  Rozière  entre  dans  les 
plus  minutieuses  recommandations  sur  les  précautions  à 
prendre  pour  rendre  le  secret  impénétrable  :  ne  rien  dire 
au  secrétaire,  le  sieur  Nardin,  qu'il  était  autorisé  à 
emmener  pour  la  levée  des  plans,  les  copies,  etc.  ;  ne  rien 
garder  chez  soi  des  documents  ayant  trait  à  la  mission  ; 
n'en  parler  à  âme  qui  vive,  sauf  au  comte  de  Broglie, 
au  chevalier  d'Éon,  aux  sieurs  Durand  et  Tercier,  autres 
agents  du  Secret  du  roi  ;  faire  passer  les  lettres  par 
d'Eon,  toujours  toutes  chiffrées  en  entier  et  avec  un 
cachet  uniquement  réservé  à  cette  correspondance. 

Bien  pénétré  de  l'esprit  de  cette  instruction,  ayant  eu 
sans  doute  le  loisir  de  la  commenter  dans  des  entretiens 
personnels  avec  le  comte,  M.  de  La  Rozière  se  rendit 
aussitôt  en  Angleterre  ;  il  avait  un  traitement  de  mille 
livres  par  mois  ^.  Sa  mission  secrète  fut  malheureuse- 


5.  D  ailleurs,  le  projet  ne  parait  pas  avoir  été  jamais  découvert  par  les 
Anglais,  pas  plus  à  ce  moment  que  dans  la  suite.  A  ce  propos,  le  dossier 
contient  la  note  suivante,  qui  n'est  point  signée  ;  elle  doit  dater  de  1804- 
1805. 

«  Il  paraît  bien  évident  que  M.  de  La  Rozière  a  été  fidèle,  avant  et  pen- 
dant son  émigration,  au  Secret  du  roi.  Car  les  Anglais,  avant  les  projets 
de  l'Empereur  [Napoléon  I"],  n'avaient  pas  même  pensé  à  fortifier  la  partie 
indiquée  de  leur  île  comme  seule  vulnérable.  D'un  autre  côté,  il  paraît 
que  les  premiers  travaux,  les  brouillons,  ont  été  brûlés  en  Angleterre  par 
La  Rozière  et  d'Éon.  Il  paraît  enfin  qui  ni  d'Éon  ni  La  Rozière  n'ont  trahi 
les  secrets  du  roi,  car  d'Éon  vieillit  à  Londres  en  repos,  et  La  Bastide, 
conservateur  des  documents,  est  mort  de  vieillesse  et  de  besoin. 

«  Je  me  trouve  donc  seul  nanti  de  ce  dépôt  si  précieux  que,  quoique  La 
Bastide  ait  été  emprisonné  quand  il  l'a  offert  au  Directoire,  je  ne  dois 
rien  négliger  pour  le  faire  parvenir  de  suite  dans  les  mains  de  Sa  Majesté 
Impériale,  me  tirant,  comme  je  le  pourrai,  des  dangers  et  positions  cri- 
tiques et  menaçantes  où  d'Éon,  La  Rozière  et  La  Bastide  se  sont  trouvés. 

«  On  m'a  assuré  que  les  Anglais,  menacés  par  Sa  Majesté  Impériale 
d'une  descente,  avaient  fortifié  cette  partie  de  leurs  côtes.  » 

A.  M.,  B"  297,  fol.  13. 

6.  Louis  XV  au  comte  de  Broglie,  28  avril  1763.  Boutaric,  Correspondance 
secrète  inédite  de  Louis  XV,  t.  I,  p.  292.  Cette  Correspondance  renferme 
quelques  pièces  qui  se  rapportent  au  projet  du  comte  de  Broglie. 

30 


463  LA    MARINE    MILITAIRE    SOUS    LOUIS    XV. 

ment  interrompue,  avant  la  fm  de  la  même  année,  par 
les    querelles    indécentes    que    l'impertinent    chevalier 
d'Eon  eut  alors  avec  notre  ambassadeur,   le  comte  de 
Guerchy  ;  craignant  que  le  secret  ne  fût  découvert  au 
milieu  de  tant  de  scandales  et  de  sottises,  La  Rozière 
s'était  hâté  de  quitter  un  terrain  dangereux,  non  sans 
avoir  brûlé  tous  ses  brouillons  et  la  copie  de  son  instruc- 
tion. Cependant,  il  avait  eu  le  temps  de  reconnaître  dans 
le  plus  grand  détail  trente  lieues  de  côtes  depuis  South 
Foreland  dans  le  Kent  jusqu'à  Beachy  Head  dans  le 
Sussex.  En  faisant  part  de  ces  résultats  au  comte  de  Bro- 
glie,  dans  une  longue  lettre  du  14  décembre  1763,  il  ajou- 
tait quelques  considérations  pohtiques  et  militaires,  car 
elles  répondaient  à  ses  pensées  intimes  et  à  ses  plus 
chères  espérances. 

((  Les  Anglais,  enorgueillis  des  succès  qu'ils  ont  eus 
pendant  la  guerre  dernière,  attribuent,  avec  raison,  tous 
leurs  avantages  à  la  supériorité  de  leur  marine.  Ils  ne 
cessent  de  s'occuper  de  la  conserver  et  ils  donneront,  s'il 
le  faut,  jusqu'à  leur  dernier  sol  pour  se  l'assurer...  La 
France  sans  marine  ne  peut  que  décliner,  c'est  une  vérité 
qui  n'est  que  trop  prouvée  ;  mais,  puisqu'on  ne  peut 
espérer  de  relever  cette  marine  de  l'anéantissement  où 
elle  est  par  aucun  moyen  qui  ne  soit  bientôt  connu  des 
Anglais,  et  ne  donne  lieu  à  une  rupture  ouverte  de  leur 
part,  et  que  nous  en  avons  un  sûr  et  particulier  pour 
reprendre  la  supériorité  sur  cette  nation,  que  ne  devons- 
nous  pas  faire  pour  le  perfectionner  et  en  accélérer 
l'exécution  ? 

((  J'ose  avancer...  que  l'exécution  d'une  descente  en 
Angleterre  est  non  seulement  possible,  mais  qu'elle  sera 
même  facile,  du  moment  que  Sa  Majesté  en  aura  réelle- 
ment la  volonté  et  qu'il  lui  plaira  de  prendre  les  moyens 
préparatoires  à  un  projet  aussi  vaste...  » 


LE  PROJET  DU  COMTE  DE  BROGLIE.         467 

Le  12  juillet  1764,  le  comte  de  Broglie  faisait  parvenir 
au  roi,  —  dans  un  étui  de  fer-blanc  fermé  d'un  cadenas 
dont  le  roi  devait  garder  la  clef  lui-même,  —  la  carte 
détaillée  des  trente  lieues  de  côtes  et  des  itinéraires  sur 
Londres  que  La  Rozière  avait  relevés  ;  une  petite  carte 
générale  de  l'Angleterre  y  était  jointe  pour  se  rendre 
compte  de  l'éloignement  des  différents  points  de  la  côte 
à  la  capitale. 

Il  s'agissait  à  présent  de  faire  faire,  en  vue  de  rembar- 
quements, la  reconnaissance  des  côtes  de  France.  Bro- 
glie était  convaincu  qu'elle  prouverait  la  possibilité  et 
même  la  facilité  de  l'exécution  du  projet.  «  Un  royaume 
comme  celui-ci  est  si  abondant  en  ressources  de  tout 
genre  qu'il  ne  faut  que  s'en  occuper  sérieusement  pour 
les  trouver.  » 

La  Rozière  fut  encore  chargé  de  cette  enquête  ;  elle 
commença  à  Dunkerque  et  finit  à  Antibes,  ayant  duré 
environ  sept  mois. 

Dans  une  très  longue  dépêche,  du  23  février  1765,  Bro- 
glie communiquait  au  roi  les  grands  résultats  de  l'enquête 
secrète  qui  venait  d'être  faite  dans  tous  les  ports  du 
royaume.  <(  Votre  Majesté  verra  peut-être  avec  étonne- 
ment...  que  sa  marine  militaire  et  marchande  n'est  pas 
dans  l'anéantissement  où  ses  ennemis  la  désirent  et  la 
croient  et  où  toute  l'Europe  et  les  Français  même  la  sup- 
posent. Heureuse  erreur  qu'il  est  bien  important  d'entre- 
tenir. »  En  attendant  le  plan  général  du  projet,  dont  la 
confection  demandera  plusieurs  mois,  il  présente  pour 
le  moment  au  roi  ce  qu'il  en  appelle  «  le  prospectus  ». 

Comme  pour  faire  une  fois  de  plus  la  leçon  à  son 
auguste  lecteur  et  le  convaincre  de  la  nécessité  de  ces 
opérations  futures,  il  expose  d'abord  quelques  vues  géné- 
rales. 


468  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 

((  Je  commencerai,  sire,  par  établir  comme  une 
maxime  reconnue  pour  incontestable  que  tout  Etat  qui  se 
réduit  à  une  simple  défensive  commence  dès  lors  à 
déchoir,  qu'il  perd  chaque  jour  de  sa  considération...  Cet 
État  est,  de  plus,  obligé  de  multiplier  ses  forces  pour 
parer  de  tous  côtés,  puisque  l'opinion  que  ses  ennemis 
conçoivent  alors  de  sa  faiblesse  et  de  son  épuisement  les 
enhardit  à  augmenter  de  prétentions  et  les  détermine 
même  à  l'attaque...  La  conséquence  naturelle  de  ce  prin- 
cipe est  que  le  seul  moyen  de  sortir  de  la  position  où  se 
trouve  la  France  vis-à-vis  de  l'Angleterre,  si  peu  propor- 
tionnée à  la  dignité  de  sa  couronne  et  à  la  force  réelle  de 
sa  puissance,  est  de  former  un  plan  général  bien  réfléchi, 
dont  le  but  serait  d'abaisser  son  arrogance...  »  Voici 
donc  les  grandes  lignes  de  ce  plan  général. 

S'entendre  avec  les  Espagnols,  mais  pour  leur 
demander  plutôt  des  fausses  attaques  que  des  opérations 
décisives  ;  réunir  une  escadre  espagnole  à  la  Havane 
pour  faire  des  'démonstrations  contre  la  Nouvelle-Angle- 
terre et  la  Jamaïque  ;  en  réunir  une  autre  en  Espagne 
pour  menacer  Gibraltar. 

Faire  nous-mêmes  deux  séries  d'opérations  :  d'abord, 
deux  diversions  avec  la  flotte  de  la  Méditerranée,  l'une 
vers  Minorque,  l'autre  à  l'île  de  France,  «  pour  y  exécuter 
un  ancien  projet  de  M.  de  Là  Bourdonnais  »,  une  croi- 
sière vers  le  détroit  de  la  Sonde  ;  ensuite  et  enfin,  «  le 
grand  projet,  qui  sera  la  gloire  du  règne  de  Votre 
Majesté,  le  salut  de  son  Etat  et  la  mettra  à  portée  de  ne 
plus  songer  qu'à  faire  le  bonheur  de  ses  peuples  ». 

Peu  à  peu  les  lignes  de  ce  projet  gigantesque,  qui 
embrassait  les  deux  mondes,  se  précisèrent  dans  l'esprit 
de  son  auteur.  Quelques  mois  plus  tard  (juin  1765),  il 
envoyait  au  roi  deux  mémoires  «  sur  la  disposition  gêné- 


LE  PROJET  DU  COMTE  DE  BROGLIE.         469 

raie  du  projet  »  :  l'un  se  rapportait  à  la  France,  l'autre 
à  l'Espagne. 

La  partie  espagnole  du  projet  comprend  quatre  opéra- 
tions :  siège  de  Gibraltar,  attaque  de  la  Jamaïque, 
descente  en  Irlande,  envoi  d'une  armée  d'observation  sur 
la  frontière  du  Portugal. 

La  partie  française  en  comprend  quatre  aussi  :  diver- 
sion en  Ecosse,  diversion  sur  Mahon,  envoi  d'une  escadre 
à  l'île  de  France,  rassemblement  d'une  armée  d'observa- 
tion en  Flandre. 

Mais  ce  sont  là  comme  des  parties  accessoires.  «  Le  but 
principal...  doit  être  la  descente  en  Angleterre...  C'est  à 
Londres  qu'il  faut  aller.  Toutes  les  autres  expéditions 
projetées  entre  les  deux  couronnes,  indépendamment  du 
succès  qu'on  doit  en  attendre,  ont  essentiellement  pour 
objet  d'étourdir  l'ennemi,  de  surprendre  son  attention  et 
de  diviser  ses  forces,  de  manière  qu'il  ne  puisse  empê- 
cher le  trajet  de  la  flotte  et  son  débarquement  sur  les 
côtes  d'Angleterre.  »  A  maintes  reprises  et  sous  toutes 
les  formes,  Broglie  revient,  avec  une  ténacité  d'apôtre, 
à  cette  idée  :  pour  abattre  l'Angleterre,  il  faut  un  grand 
coup,  et  c'est  seulement  en  Angleterre  que  ce  grand  coup 
peut  être  frappé. 

En  vue  du  passage,  il  examine  en  détail  la  question 
des  préparatifs  matériels  :  forces  de  terre  et  de  mer, 
vivres,  munitions,  etc.  Il  entre  enfin  dans  les  détails 
d'exécution.  On  armera  à  Brest  vingt-six  vaisseaux  et 
quatre  frégates  ;  à  Rochefort,  huit  vaisseaux,  six  fré- 
gates et  six  prames.  On  réunira  les  bâtiments  de  trans- 
port en  divers  points  de  la  côte,  de  Dunkerque  à 
Bayonne.  (Plus  tard,  dans  le  projet  définitif,  toute  la 
flottille  des  transports  devait  être,  et  à  juste  raison, 
réunie  dans  la  Manche.)  L'escadre  de  Brest  rejoindra 
l'escadre  de  Rcchefort  partie  la  première,  pour  marcher 


470  LA   MARINE   MILITAIRE   SOUS   LOUIS   XV. 

ensemble  jusqu'à  la  hauteur  de  Plymouth.  L'escadre  de 
Rochefort  restera  en  croisière  devant  ce  port.  Celle  de 
Brest  continuera  jusque  par  le  travers  du  canal  de  Ports- 
mouth.  Alors  se  fera  le  passage  des  transports  en  quatre 
divisions,  portant  un  ensemble  de  soixante  mille  hommes 
et  devant  atterrir  entre  Dunge  Ness  et  Beachy  Head, 
respectivement  devant  Rye,  Winchelsey,  Hastings, 
Pevensey.  Les  opérations  du  débarquement  ayant  été 
effectuées  d'après  les  instructions  spéciales  de  cette 
partie  du  projet,  l'armée  se  mettra  en  route  sur  Londres  ; 
en  huit  marches,  dont  les  détails  sont  minutieusement 
indiqués,  elle  arrivera  jusqu'à  l'intérieur  de  la  capitale 
anglaise. 

Un  état  estimatif  évalue  à  environ  trente-trois  millions 
la  dépense  nécessaire  au  transport  de  l'armée. 

Quand  on  en  est  arrivé  à  cet  endroit,  dans  la  lecture 
des  papiers  du  comte  de  Broglie  conservés  aux  archives 
de  la  Marine,  on  est  fort  étonné  de  rencontrer,  à  la  date 
de  mars  1768,  un  mémoire  du  comte  au  duc  de  Choiseul, 
dans  lequel  il  lui  expose  ses  projets  sur  la  descente  en 
Angleterre*^.  Sans  lui  dire  en  aucune  manière  qu'il  ait 
été  chargé  par  Louis  XV  de  quoi  que  ce  fût  ni  qu'il  ait 
jamais  communiqué  ses  plans  au  roi,  il  apprend  au 
ministre  ce  qu'il  a  fait  lui-même  et  met  à  sa  disposition 
cet  ensemble  de  travaux  préparatoires  en  souhaitant 
qu'il  puisse  lui  être  utile. 

Que  s'était-il  donc  passé  pour  que  le  secret  fût  révélé 
par  Broglie  lui-même  au  ministre  à  qui  il  avait  été  sur- 
tout question  de  le  cacher  ?  Le  comte,  dégoûté  sans  doute 
de  rédiger  toujours  des  projets  qui  ne  servaieitt  qu'à  la 

7.  «  Mémoire  du  comte  de  Broglie  au  duc  de  Choiseul  ;  il  lui  explique 
les  causes  de  son  inaction  apparente  et  lui  expose  ses  projets  sur  la 
descente.  —  Mars  1769.  »  (B  *  297.)  —  «  1769  »  est  un  lapsus  ;  les  diverses 
instructions,  rédigées  à  la  suite  de  ce  mémoire  et  que  l'on  va  citer,  portent 
toutes  la  date  de  1768. 


LE  PROJET  DU  COMTE  DE  BROGLIE.         471 

distraction  stérile  du  roi,  alors  qu'un  mot  de  lui  aurait 
^  sulFi  pour  les  faire  exécuter,  avait  déjà  demandé  à  son 
maître  de  le  laisser  communiquer  au  ministre  ses  propres 
travaux.  Le  ministre  travaillait  de  son  côté  à  des  projets 
^  contre  l'Angleterre  ;  ne  valait-il  pas  mieux  unir  tous  ces 
^  efforts  pour  le  bien  du  pays  ?  D'autre  part,  Broglie  ne  se 
faisait  pas  la  moindre  illusion  que  Louis  XV  le  sacrifie- 
rait sans  hésitation  à  la  colère  et  à  la  jalousie  du  ministre, 
si  celui-ci  venait  à  découvrir  une  correspondance  dont 
le  secret  commençait  à  s'ébruiter.  Aussi  il  y  avait  intérêt, 
et  pour  l'exécution  de  ces  plans  qui  lui  avaient  coûté  tant 
de  peine  et  pour  lui-même,  à  mettre  Choiseul  au  courant 
de  ce  qui  s'était  fait.  Louis  XV  n'y  avait  pas  consenti 
tout  de  suite  ;  il  lui  en  coûtait  de  renoncer  à  son  «  amu- 
sette  )),  dont  le  mystère  même  constituait  le  plus  grand 
charme  pour  son  esprit  blasé.  Broglie,  cependant,  dut 
insister  et  il  finit,  comme  on  vient  de  le  voir,  par  obtenir 
la  permission  qu'il  demandait. 

Sans  se  donner  le  plaisir  d'approfondir  auprès  du 
comJe  le  mystère  dont  il  n'était  dupe  qu'en  partie,  Choi- 
seul accepta  la  communication  des  documents  précieux 
qui  lui  était  faite  d'une  manière  inattendue.  Il  prit  le 
parti  de  les  contrôler  et  de  les  compléter  par  une  nou- 
velle enquête,  plus  générale  encore,  entreprise  avec  les 
ressources  officielles  de  l'administration.  De  là,  diverses 
instructions,  signées  de  son  nom  et  transmises  par  le 
comte  de  Broglie  à  plusieurs  agents,  Hugel,  Mesnil- 
Durand,  Béville,  La  Rozière,  d'Ormay,  pour  la  recon- 
naissance des  différentes  parties  des  côtes  de  France 
(août  1768)  ;  ces  rapports  devaient  être  tenus  dans  le 
plus  grand  secret  ;  ils  seraient  remis  au  comte  qui  les 
ferait  passer  au  duc  ^. 

8.  Ces  diverses  Instructions  sont  au  volume  B  *  298.  Elles  sont  signées  du 
âuc  de  Choiseul   à  divers  jours  du  mois  d'août  1768.  et  envoyées  au  comte 


472  LA   MARINE    AHLITAIRE    SOUS    LOUIS    XV. 

Broglie  et  Choiseul,  qui  depuis  plusieurs  années  pour- 
suivaient le  même  but  par  des  voies  parallèles,  qui 
n'avaient  au  cœur  que  la  haine  de  l'Angleterre  et  la  pas- 
sion de  la  revanche,  ne  pouvaient  que  s'applaudir  tous 
deux  de  la  forme  nouvelle  que  prenait  le  projet  anglais. 
De  tant  d'efforts  mis  en  commun  il  allait  sortir  je  ne  sais 
quoi  de  grand,  dont  le  succès  serait  comme  certain. 
Hélas  !  nous  ne  savons  que  trop  ce  qu'il  advint.  Choiseul 
fut  soudainement  congédié,  et  les  idées  de  revanche 
disparurent  dans  sa  chute. 

Pour  le  chef  de  la  correspondance  secrète,  il  n'était 
plus  question  d'entretenir  encore  son  maître  d'une  expé- 
dition en  Angleterre.  La  fin  de  ce  triste  règne  fut  dure 
pour  lui  ;  le  duc  d'Aiguillon,  avec  qui  il  était  en  rapports 
difficiles,  l'avait  fait  exiler  à  Ruffec  ;  il  n'obtint  de 
revenir  à  la  cour  qu'après  la  mort  de  Louis  XV  et  le 
renvoi  de  l'auteur  de  son  exil. 

Une  aurore  nouvelle  paraissait  alors  se  lever  sur  la 
France.  Le  nouveau  roi  aimait  la  marine  ;  on  ne  parlait 
que  de  réformes  ;  on  entendait  gronder  l'orage  qui  allait 
éclater  avec  fracas  de  l'autre  côté  de  l'Atlantique.  Le 
comte  de  Broglie,  toujours  infatigable,  écrivit  au  comte 
de  Saint-Germain,  ministre  de  la  Guerre,  pour  l'instruire 
du  travail  qu'il  avait  fait  en  vue  de  la  préparation  d'une 
descente  en  Angleterre  9.  Mais  voici  que  les  insurgents 
d'Amérique  venaient  de  faire  capituler  une  armée 
anglaise  à  Saratoga  ;  le  gouvernement  de  Louis  XVI  ne 
pouvait  pas  tarder  davantage  de  céder  aux  vœux  de 


de  Broglie,  pour  que  celui-ci  les  fasse  parvenir  aux  intéressés.  Ces  docu- 
ments attestent  d'une  manière  certaine  l'existence  des  relations  qui 
s'établirent  alors  entre  le  chef  officiel  du  ministère  et  le  chef  de  la  diplo- 
matie secrète  ;  elles  n'enlevaient  pas  d'ailleurs  au  comte  de  Broglie  la 
direction  du  projet,  mais  elles  donnaient  au  projet  un  caractère  nouveau. 
9.  Lettre  du  10  février  1776.  B  *  297. 


LE  PROJET  DU  COMTE  DE  BROGLIE.         473 

l'opinion  publique  et  à  ses  propres  désirs.  Le  moment 
était  venu  où  la  France  allait  enfin  rompre  avec  sa  rivale. 
Broglie  reprit  une  fois  encore  son  plan  de  guerre  contre 
l'Angleterre  ;  après  l'avoir,  suivant  ses  propres  expres- 
sions, «  refondu  et  adapté  aux  circonstances  actuelles  », 
il  l'adressa  au  roi  le  17  décembre  1777  lo. 

Les  mémoires  que  Broglie  soumettait  à  Louis  XVI 
étaient  précédés  de  ce  qu'il  appelle  un  «  Mémoire  d'expo- 
sition ».  Il  y  explique  pourquoi  «  il  prend  la  liberté  de 
présenter  à  Sa  Majesté  ses  spéculations  politiques  et  mili- 
taires sur  les  affaires  présentes...  Ce  fut  dès  1763  même, 
c'est-à-dire  presque  au  moment  de  la  paix,  que  le  comte 
de  Broglie...  proposa  au  feu  roi  de  préparer  ce  grand 
travail...  Il  savait  que  le  roi  gardait  dans  son  cœur 
l'ancien  souvenir  des  injures  de  l'Angleterre...  »  Le 
projet  qui  avait  été  composé  pour  Louis  XV  n'avait  pas 
été  fait,  ((  comme  se  font  trop  ordinairement  tous  les  tra- 
vaux de  ce  genre,  dans  le  cabinet  et  sur  des  spéculations 
vagues  et  incertaines,  mais  sur  les  lieux  et  appuyé  par 
des  calculs  démonstratifs.  Des  officiers  furent  envoyés  en 
Angleterre  ;  ils  reconnurent  la  possibilité  de  la  descente, 
les  points  de  débarquement,  les  moyens  de  subsistance, 
les  marches,  les  camps,  les  positions,  enfin  toutes  les 
opérations  possibles,  jusqu'au  delà  de  Londres.  Ensuite 
on  calcula,  on  combina,  sur  nos  côtes  mêmes,  tous  les 
moyens  que  nous  avions  pour  exécuter  le  projet,  les  lieux 
où  devaient  se  rassembler  les  troupes,  les  ports  où  il 
convenait  de  les  embarquer,  la  quantité  de  bâtiments  que 
chacun  d'eux  pouvait  fournir,  les  agrès  qu'il  fallait  pré- 
parer, l'artillerie,  les  munitions,  les  vivres,  le  nombre  et 
l'espèce   de  troupes  nécessaires  ,  tout  enfin,    jusqu'au 

10.  La  lettre  au  comte  de  Saint-Germain  et  des  passages  du  mémoire 
adressé  à  Louis  XVI  ont  été  publiés  par  Doniol,  Participation  de  la 
France  à  l'établissement  des  Etats-Unis,  t.  Il,  p.  668  et  suiv. 


474  LA   MARINE    MILITAIRE    SOUS    LOUIS    XV. 

calcul  des  vents,  des  marées,  entra  dans  ce  plan  qu'on 
accompagna  en  même  temps  de  cartes  ii,  tableaux  de 
dépenses,  et  autres  pièces  propres  à  donner  à  la  possi- 
bilité du  succès  le  dernier  degré  de  probabilité... 

((  Tel  fut  le  travail  immense  remis  par  le  comt^  de 
Broglie  entre  les  mains  du  feu  roi.  Ce  prince  n'en  a  pas 
tiré  le  parti  dont  il  était  susceptible...  Sa  sagacité,  qui 
lui  faisait  en  toute  occasion  apercevoir  les  meilleurs 
partis,  —  on  remarquera  ce  jugement  sur  Louis  XV 
adressé  à  Louis  XVI,  —  n'était  malheureusement  pas,  si 
on  ose  le  dire,  accompagnée  du  caractère  qui  les  exécute  ; 
ainsi,  aucune  des  mesures  préparatoires  indiquées  par 
le  comte  de  Broglie  ne  fut  prise... 

((  C'est  cet  ancien  travail  examiné,  refondu,  appliqué 
dans  le  plus  grand  détail  aux  possibilités  actuelles,  qu'il 
prend  la  liberté  de  mettre  sous  les  yeux  de  Sa  Majesté... 
Il  s'agit  aujourd'hui  d'un  intérêt  majeur,  de  celui  de 
l'État  et  de  la  gloire  du  roi.  Dans  cette  grande  crise,  le 
comte  de  Broglie  croirait  son  silence  coupable,  et  il  a 
regardé  le  travail  suivant  comme  une  dette  envers  sa 
conscience  et  envers  son  maître.  » 

Le  projet  qui  était  soumis  à  Louis  XVI  ne  diffère  que 
par  des  détails,  qu'on  peut  dire  secondaires,  du  projet 
qui  avait  été  soumis  à  Louis  XV  ;  les  grandes  lignes  n'ont 
pas  varié,  les  opérations,  tant  réelles  que  simulées,  sont 
les  mêmes.  Mais  les  moindres  parties  du  programme  ont 
pris    une    précision    extrême     :    vaisseaux,     hommes, 

11  II  est  fréquemment  question  de  ces  cartes  dans  les  Mémoires  de  Bro- 
glie ;  on  y  renvoie  aussi  à  «  l'atlas  du  sieur  de  La  Rozière  ».  Ces  documents 
cartographiques  sont  aujourd'hui  dispersés.  Une  carte,  à  très  grande 
échelle,  représente  la  côte  anglaise  entre  Folkestone  et  Hastings  et  la  région 
intérieure  voisine  ;  mesurant  132  centimètres  sur  96,  dessinée  à  la  main, 
en  couleur,  elle  donne,  dans  un  extrême  détail  et  avec  beaucoup  de  clarté, 
les  moindres  accidents  de  terrain.  (Deux  exemplaires  :  A.  M.,  B  *  299  ; 
A.  N.  IV  1597.  Ce  second  exemplaire  est  en  très  mauvais  état.)  On  a,  d'autre 
part,  vingt  planches  et  trois  cartes,  «  composant  l'atlas  qui  a  servi  à  la 
rédaction  du  mémoire  »  de  La  Rozière  :  A.  G..  Angleterre,  1. 


LE  PROJET  DU  COMTE  DE  BROGLIE.         475 

chevaux,  tout  est  calculé  à  une  unité  près.  Deux  grands 
tableaux,  composés  par  le  comte  de  Broglie  i^,  résument, 
avec  une  très  grande  lucidité  et  les  calculs  les  plus  précis, 
les  volumineux  mémoires  dont  leur  auteur  les  avait  fait 
précéder. 

Le  tableau  1  offre  le  projet  dans  son  ensemble  :  opéra- 
tions françaises  et  espagnoles,  moyens  de  défense  des 
Anglais.  Les  opérations  des  alliés  n'auront  jamais  pour 
résultat  de  combiner  leurs  escadres  ;  Broglie  déconseille 
ces  actions  combinées  entre  amiraux  de  divers  pays,  où 
le  temps  se  passe  en  discussions  réciproques  et  où 
chacun  s'en  remet  à  son  voisin.  Donc  aux  Espagnols, 
l'entreprise  sur  Gibraltar,  la  diversion  aux  Antilles,  la 
descente  en  Irlande  ;  aux  Français,  la  diversion  sur 
Mahon,  la  diversion  sur  l'océan  Indien,  la  diversion  en 
Ecosse,  la  descente  en  Angleterre,  qui  est  l'opération 
capitale  et  décisive,  que  toutes  les  autres  ont  pour  unique 
mission  de  faciliter.  Ce  tableau  donne,  dans  le  plus  grand 
détail,  l'indication  de  toutes  les  forces  de  terre  et  de  mer 
dont  les  Anglais  peuvent  disposer  sur  les  différents  points 
menacés  ^^  :  calcul  bien  nécessaire,  indispensable  même, 
cependant  presque  toujours  négligé  par  les  auteurs  des 
projets  de  ce  genre,  trop  portés  à  ne  pas  tenir  compte 
des  forces  de  l'ennemi. 

Le  Tableau  II  concerne  l'ensemble  des  opérations  de 
la  descente  :  armée  de  terre,  armée  navale,  flotte  de 
transport,  ports  de  rassemblement.  L'armée  navale, 
composée  de  quarante  vaisseaux,  de  vingt  frégates  et  de 
bâtiments  légers,  sera  rassemblée  en  totalité  à  Brest. 
C'est  une  des  parties  du  projet  auxquelles  l'auteur  tient 


12.  A.  M.,  B  *  299.  Ils  sont  reproduits  ici  pour  la  première  fois. 

13.  On  ne  reproduit  pas  ici  de  longues  «  Observations  »  qui  figurent  au 
dos  de  ce  tableau  ;  elles  ont  pour  but  de  démontrer  l'exactitude  de  tous  le» 
calculs  gui  ont  servi  à  le  composer. 


476 


LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS    LOUIS   XV. 


TABLEAU    I 


TABLEAU  DES  DIFFERENTES  EXPEDITIONS  ET  OPERATIONS,  TANT 
SIF  A  CONCERTER,  ENTRE  LA  FRANCE  ET  L'ESPAGNE  CONTRE 
LE  NOMBRE  DE  VAISSEAUX  ET  DE  TROUPES  QUE  LES  DEUX 
SERAIENT  DANS  LA  NÉCESSITÉ  D'Y  OPPOSER. 


POUR    CE   QUI   CONCERNE   LA  FRANCE 


I.  La  descente  en  Angleterre. 


II.  La  diversion  en  Ecosse. 

III.  Diversion   sur    la    Méditerranée, 

menaçant  Mahon  et  s'effectuant 
ensuite  dans  les  Grandes  Indes. 

IV.  Renfort  envoyé  à  l'île  de  France 

par  divers  détachera  ents  partis 
de  divers  ports,  qui  produiront 
successivement  l'efifet  de  com- 
mencer à  y  donner  de  l'inquié- 
tude aux  Anglais. 


Totaux . 


POUR   CE   QUI   CONCERNE   L  ESPAGNE 


I.  Entreprise  sur  Gibraltar. 

II.  Diversion  en  Amérique,  ayant 
pour  objet  de  défendre  les  îles 
et  d'attaquer  la  Jamaïque,  si 
les  Anglais  se  dégarnissent  dans 
cette  partie  du  monde. 

III.  Descente   en  Irlande   et  dans   le 
canal  de  Bristol. 


Totaux.   .   . 


NOMBRE  DE    VAISSEAU 
ET    FRÉGATES 


40  vaisseaux. 

20  frégates. 

6  frégates. 

10  vaisseaux. 

10     frégates ,     sans 

compter  les  ché- 

becks,  etc. 


50  vaisseaux. 
36  frégates. 


NOMBRE 
DE      TROUPES 


60  000  h. 

800  h. 
15  000  11. 

1500  11. 


Escadres  de  Cadix 
et  de  Carthagène 
réunies  : 

12  vaisseaux. 
8  frégates. 
15  vaisseaux. 
10  frégates. 


Flotte  du  Ferrol  : 
15  vaisseaux  de  ligne. 
10  frégates. 


42  vaisseaux. 
28  frégates. 


77  300  b. 


Camp  de  Saint- 
Roch  et  de  Cadix 
destiné  au  siège  : 

20  000  h. 
12  000  h. 


15  000  h. 


47  000  h. 


LE  PROJET  DU  COMTE  DE  BROGLIE. 


477 


TABLEAU    I 


REELLES  QUE  SIMULÉES,  QUI  FORMENT  LE  PROJET  GÉNÉRAL  OFFEN- 
L'ANGLETERRE,  D'APRÈS  LES  MEMOIRES  CI-JOINTS,  OU  L'ON  VOIT 
COURONNES    Y    EMPLOIERAIENT,    ET    CELUI    QUE    LES    ANGLAIS 


FORCES  QUE  l'aNGLETERRE    SERAIT   DANS   LA  NÉCESSITÉ  d'aVOIR  POUR  PARER 
A   CES   DIVERSES    OPÉRATIONS,     TANT    SIMULÉES   QUE   REELLES 


Dans  l'Océan  et  dans  la  Manche, 
pour  faire  face  à  la  flotte  de  Brest  : 
45  vaisseaux  et  25  frégates. 

6  frégates. 

Tant  pour  assurer  Mahon  et   Gi- 
braltar que  pour  défendre  la  Méditer- 
ranée. 
15  vaisseaux. 

Aux  Indes  orientale»,  au    moins  : 
6  vaisseaux. 
Ils  y  en  ont  déjà  4. 


On  suppose  que  les  Anglais  enver- 
ront 15  vaisseaux  pour  défendre  la 
Méditerranée  ;  ainsi,  il  n'y  a  rien  à 
répéter  ici  pour  cet  objet. 

Pour  faire  face  à  la  flotte  espagnole, 
qui  doit  constamment  tenir  à  la  Ha- 
vane   et    menacer    la    Jamaïque,    au 
moins  : 
20  vaisseaux  sans  compter  les  frégates. 

Au  moins  15  vaisseaux  au  cap  du 
Finisterre  pour  observer  la  flotte  du 
Ferrol. 


En  Angleterre,  relativement  aux  di- 
vers pointa  menacés  : 
40  000  hommes. 

5  ou  6  000  hommes. 

A  Mahon  : 
4  500  hommes. 


101  vaisseaux  de  ligne,  sans  compter 
les  frégates. 


Garnison  de  Gibraltar 
4  000  hommes. 


A  la  Jamaïque  et  dans  les   autres 
Antilles  anglaises,  au  moins  : 
8  000  hommes. 


En  Irlande  : 
10  000  hommes. 


72  000  hommes. 


478 


LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS    XV. 


TABLEAU  II 


ÉTAT  ET  REPARTITION  DE  LA  FLOTTE  DESTINEE  A 

ANGLETERRE  SUIVANT  LE  ti 


ARMEE    DE  TERRE 


80  bataillons  à  650  hommes 

chacun  52  000  h. 

10  compagnies  de  chasseurs, 
détachées  des  garnisons 
de  Flandre,  destinées  à 
former  un  corps  d'avant- 
garde.  1  500  h. 

30  escadrons,  dont  25  de  dra- 
gons et  5  de  hussards  à 
100 hommes  chacun,  dont 
50  hommes  montés.  3  000  h. 

2  régiments  d'artillerie  avec 
les  détachements  néces- 
saires d'ouvriers  et  de 
mineurs.  2  500  h. 


59  000  h. 


1  général  en  chef 

12  lieutenants  généraux. 
24  maréchaux  de  camp. 
1  état-major   général    pro- 
portionné. 


ARMEE  NAVALE 
RASSEMBLÉE  EN  TOTALITÉ  A  BREST 


40  vaisseaux. 

20  frégates. 

Corvettes,    prames    et    autres    bâti 
ments  légers  en  proportion. 

ESCADR.K  DE  DIVISION 
RASSEMBLÉE   A  DUNKSRQUE 

6  frégates  seront  destinées  à  menacer 
lei  côtes  d'Ecosse  et  la  côte  orientale 
d'Angleterre,  et  porteront  700  à  800 
hommes  de  débarquement,  tiré»  par 
détachement  des  garnisons  de  Flan- 
dre. 


I 


RÉPARTITION  DE  L'ARMEE  SUl 


PREMIERE   DIVISION 


Dunkerque.     60 

Calais.  40  )  130  bâtiments. 

Boulogne.        30 
115  bâtiments  porteront  14  ba- 
taillons. 9 100  h. 
1  régitnent  de  hussards  monté 

en  entier  et  530  chevaux.      530  h. 
Les    15    bâtiments    restants    seront 
pour  l'artillerie,  les  vivres  et  les  mu- 
nitions. 


DEUXIEME   DIVISION 


Dieppe.         100 
Le  Havre.     100 


200  bâtiments. 


180     bâtiments     porteront 

28  bataillons  18  200  h. 

2  régiments    de  dragons 

et  500  chevaux.  1  000  h. 

20  bâtiments    serviront    pour    l'ar- 
tillerie, les  vivres  et  le»  hôpitaux. 


LE    PROJET   DU    COMTE   DE    BROGLIE. 
TABLEAU  II 


479 


TRANSPORTh-R    UNE     ARMEE     DE     DÉBA-.QUEMENT    EN 
PLAN  D'EXPÉDITION  CI-JOINT 


BATIMENTS    DE   TRANSPORT 
RASSEMBLÉS  EN  4   POINTS,    AINSI  QU'lL   SUIT   CI-APRÈS 


La  possibilité  de  rassembler  ce  nombre  de  bâtiments  est  prouvée  par  le  tableau 
général  de  la  reconnaissance  des  moyens  de  tous  les  ports  qui  fut  faite  par  ordre 
du  feu  roi,  en  même  temps  qu'on  dressa  le  projet;  ce  tableau  existe  avec  l'an- 
cien projet  entre  les  mains  de  Sa  Majesté. 


PORTS  DE   RASSEMBLEMENT 


1"  division 


Dunkerque. 

Calais. 

Boulogne. 


2«  division 


Dieppe. 
Le  Havre. 


3e  division 


Honfleur. 
Cherbourg. 


4*  division 


Saint-Malo. 
Morlaix. 


NOMBRE      DES      BATIMENTS      DE     TRANSPORT 
DANS    CHAQUE   PORT   DE   RASSEMBLEMENT 


Dunkerque.      60 
Calais.  40 

Boulogne.         30 


130 


Dieppe. 
Le  Havre 


100 
100 


200 


Honfleur.  50 

Cherbourg.        60 


100 


Saint-Malo.     100 
Morlaix,  50 


150 


Nota.  —  On  a  estimé  le  port  de  chaque  bâtiment  de  transport  à  150  tonneaux 
l'un  portant  l'autre. 


LES  BATIMENTS  DE  TRANSPORT 


TROISIEME    DIVISION 


Honfleur.  50 

Cherbourg.      60 

95    bâtiments    porteront 
14  bataillons, 
1  régiment  de  dragons, 


110  bâtiments. 


9100  h. 
500  h. 


Les  15  bâtiments  restants  serviront 
pour  l'artillerie,  les  vivres,  le»  hôpitaux 
et  les  équipages. 


QUATRIEME   DIVISION 


Saint-Malo. 
Morlaix. 


100 
50 


150  bâtiments. 


135    bâtiments    porteront 

24  bataillons,  15  600  h. 

2  régiments  de  dragons 

et  500  chevaux.  1  000  h. 

Les  15  bâtiments  restants  seront 
pour  l'artillerie,  les  vivres,  les  hôpi- 
taux. 


480  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS    LOUIS   XV. 

le  plus.  Louis  XIV,  pendant  les  deux  années  de  triomphe 
où  il  eut  l'empire  de  la  mer,  disposa  de  grosses  escadres 
et  les  tint  ensemble  ;  si  des  officiers  de  la  marine  fran- 
çaise sont  opposés  à  la  combinaison  des  grandes  armées 
navales,  c'est  qu'ils  ont  le  désir  d'obtenir  un  commande- 
ment particulier  et  d'agir  isolément.  A  cet  égard,  les 
idées  de  Broglie  a^  aient  évolué  depuis  le  premier  projet  ; 
car  il  parlait  alors  de  deux  escadres  :  l'une  à  Brest, 
l'autre  à  Rochefoi  1 1^,  qui  devaient  d'ailleurs  se  réunir 
pendant  quelque  temps. 

Le  corps  expéditionnaire,  de  soixante  mille  hommes, 
formera  quatre  divisions,  qui  s'embarqueront  :  la  pre- 
mière, à  Dunkerque,  Calais,  Boulogne  ;  la  deuxième  à 
Dieppe,  au  Havre  ;  la  troisième  à  Honfleur,  Cherbourg  ; 
la  quatrième  à  Saint-Malo,  Morlaix. 

Les  bâtiments  de  transport,  en  nombre  déterminé  pour 
chacun  des  neuf  ports,  sont  au  nombre  total  de  cinq  cent 
quatre-vingt-dix,  d'un  tonnage  moyen  de  cent  cinquante 
tonnes. 

Pour  les  lieux  de  débarquement,  ce  sont  toujours 
les  mêmes.  Dès  que  l'escadre  de  Brest  sera  venue  s'établir 
par  le  travers  du  canal  de  Portsmouth,  après  avoir  battu 
l'escadre  anglaise,  les  quatre  divisions  de  transport  met- 
tront à  la  voile  et  débarqueront  dans  le  Sussex,  à  Rj^e, 
Winchelsey,  Hastings,  Pevensey.  Ces  points  réunissent 
tous  les  avantages  qu'on  peut  désirer  :  proximité  de  la 
France,  facilité  du  débarquement,  facilité  de  la  marche 
sur  Londres,  où  l'on  arrivera  en  huit  étapes.  Ainsi 
l'ennemi  sera  abattu  d'un  seul  coup,  et  la  guerre  terminée 
dans  une  campagne  de  quelques  semaines. 

14.  Ces  deux  escadres  figurent  dans  un  tableau  qu'on  n'a  pas  reproduit 
et  qui  appartieni  à  la  première  rédaction  ;  les  ports  de  rassemblement  et 
la  répartition  des  forces  de  terre  y  sont  d'ailleurs  indiqués  comme  dans 
le  Tableau  II.  —  On  n'a  pas  reproduit  non  plus  un  tableau  intitulé  «  Réca- 
pitulation ))  et  accompagné  d'  «  Observations  »  -.  il  répète  à  peu  près  le 


LE  PROJET  DU  COMTE  DE  BROGLIE.         481 

Aux  considérations  très  intéressantes  par  lesquelles 
Broglie  terminait  son  mémoire,  empruntons  encore 
quelques  mots.  Pour  apprendre  à  Louis  XVI  comment 
on  préparait  une  victoire,  il  lui  rappelait  l'exemple  de 
Louis  XIV.  ((  Dans  ces  beaux  jours,  dit-il,  c'était  par  la 
sage  prévoyance  de  M.  de  Louvois,  —  ajoutons  :  de  Col- 
bert  et  de  Seignelay,  —  c'était  par  cette  abondance  de 
moyens  bien  préparés  en  tout  genre  et  en  tout  temps  que 
nous  prévenions  toujours  nos  ennemis.  Les  armées  fran- 
çaises avaient  alors  cet  avantage  sur  toutes  les  armées 
étrangères.  Nous  l'avons  perdu,  nos  voisins  ne  l'ont  pas 
laissé  échapper...  » 

Après  avoir  adressé  ces  documents  au  roi  et  d'autres 
encore,  Broglie  put  croire  que  le  jour  de  l'exécution  était 
enfin  venu,  car  on  parlait  de  réunir  un  corps  d'expédition 
de  soixante  mille  hommes  et  de  faire  concourir  les  forces 
navales  de  la  France  et  de  l'Espagne  à  la  grande  opéra- 
tion. Mais  il  n'entre  pas  dans  le  cadre  de  ce  livre 
d'exposer  des  faits  de  politique  et  de  guerre  qui  appar- 
tiennent au  règne  de  Louis  XVI  i^. 

Il  avait  été  cruel  au  comte  de  Broglie,  qui  comptait 
être  le  chef  d'état-major  de  l'expédition  d'Angleterre, 
d'être  comme  exilé  en  Lorraine  avec  le  gouvernement  des 
Trois-Evêchés,  quand  on  commença  à  exécuter  ses 
plans  ;  il  lui  fut  plus  cruel  de  voir  qu'une  fois  encore  on 
n'avait  fait  qu'un  simulacre.  Le  dessein  qui  avait  été 
depuis  quinze  ans  sa  pensée  constante,  qu'il  avait  conçu, 
préparé,  retouché  de  manière  à  le  porter  à  son  point  de 
perfection,  ce  dessein  patriotique  n'était  donc  qu'un  rêve 


Tableau  I,  sauf  quelques  modifications  dans  les  chiffres  de  vaisseaux  et 
d'hommes  se  rapportant  aux  opérations  secondaires. 

15.  On  peut  voir  sur  cette  question  notre  Marine  militaire  de  la  France 
ious  le  règne  de  Louis  XVI. 

31 


482  LA   MARINE   MILITAIRE    SOUS   LOUIS   XV. 

qui  ne  se  réaliserait  jamais  !  De  tous  les  déboires  qui 
abreuvèrent  la  vie  de  ce  grand  Français,  dont  le  génie  fut 
enfoui  dans  des  besognes  secrètes  et  stériles,  y  en  eut-il 
de  plus  amer  ?  Il  mourut  peu  après,  en  1781,  à  soixante- 
deux  ans.  Que  n'aurait  pas  pu  faire  cet  homme  <(  de  fer 
et  de  feu  »,  si  Louis  XV,  qui  connaissait  mieux  que  per- 
sonne ses  capacités  exceptionnelles,  l'avait  appelé  à  sa 
vraie  place,  aux  Affaires  étrangères  ou  à  la  Marine  ? 


L'histoire  de  la  marine  militaire  du  règne  de  Louis  XV 
a  de  cruelles  tristesses  ;  elle  offre  aussi  bien  des  noms  et 
des  faits  chers  à  notre  patriotisme.  Le  lecteur  jugera 
peut-être  que  ces  pages,  trop  peu  connues,  méritaient 
d'être  mises  en  lumière  ;  pour  le  comte  de  'Broglie  en 
particulier,  c'est  réparer  en  partie  'l'injustice  de  l'histoire 
maritime  à  son  égard  que  de  faire  connaître  son  projet  à 
tous  ceux  qui  aiment  la  France  et  sa  marine. 

Quand  on  revit  les  heures  douloureuses  que  notre 
marine  a  trop  souvent  vécues  de  1715  à  1774,  on  pense 
au  mot  de  Thiers  :  «  Qui  dit  marine  dit  temps,  patience, 
volonté.  »  Le  temps  n'avait  pas  manqué  au  long  règne 
de  Louis  XV.  La  patience  n'avait  pas  manqué  à  tous 
ceux,  ministres  ou  officiers,  qui  voulurent  tirer  la  marine 
de  sa  léthargie.  Ce  qui  avait  manqué,  c'était  la  volonté 
de  celui  que  sa  naissance  plaçait  au  gouvernail.  Com- 
bien elle  était  vraie,  la  lettre  que  Bernis  adressait,  au 
début  de  la  guerre  de  Sept  ans,  à  son  futur  successeur  ! 
Elle  fait  toucher  du  doigt  le  mal  dont  notre  marine  et  la 
France  elle-même  faillirent  mourir. 

«  J'ai  parlé  avec  la  plus  grande  force  à  Dieu  et  à  ses 
saints  ;  on  ouvre  de  grands  yeux  tristes,  et  tout  est  dit. 
Il  me  semble  être  le  ministre  des  Affaires  étrangères  des 
limbes  —  un  mot  qu'on  pourrait  appliquer  à  Broglie  — 


LE  PROJET  DU  COMTE  DE  BROGLIE.        483 

Voyez,  mon  cher  comte,  si  vous  pouvez  plus  que  moi 
exciter  le  principe  de  vie  qui  s'éteint  chez  nous.  L'indis- 
cipline est  partout,  personne  n'est  obéi,  on  demande  à 
Belle-Isle  et  à  Duverney  des  mémoires  et  des  plans  qui 
ne  sont  pas  suivis.  L'apathie  est  complète.  Il  n'y  a  pas 
d'exemple  qu'on  joue  si  gros  jeu  avec  la  même  indiffé- 
rence qu'on  jouerait  une  partie  de  quadrille.  Dieu  veuille 
nous  envoyer  une  volonté  quelconque  ou  quelqu'un  qui 
en  ait  pour  nous  !  » 


APPENDICE 


ABRÉVIATIONS  EMPLOYÉES  DANS  L'APPENDICE 


B 

Brigadier  des  armées. 

LF 

C 

Capitaine  de  vaisseau. 

LG 

CA 

Capitaine  d'artillerie. 

LGM 

CB 

Capitaine  de  brûlot. 

ce 

Capitaine  commandant. 

LGP 

CE 

Chef  d'escadre. 

CF 

Capitaine  de  frégate. 

LP 

CG 

Commissaire  général  d'artil- 

M 

lerie. 

R 

CM 

Chevalier  de  Malte. 

RC 

CP 

Capitaine  de  port. 

CPN 

Capitaine  de  pavillon. 

RCE 

es 

Commandant  en  second. 

E 

Enseigne  de  vaisseau 

RLG 

EG 

Enseigne  des  gardes-marine. 

G 

Garde-marine. 

VA 

GE 

Garde  de  l'étendard. 

0 

L 

Lieutenant  de  vaisseau. 

h 

LA 

Lieutenant  d'artillerie. 

t 

LC 

Lieutenant  commandant. 

t 

Lieutenant  de  frégate. 

Lieutenant  général. 

Lieutenant  des  gardes-ma- 
rine. 

Lieutenant  des  gardes  du  pa- 
villon. 

Lieutenant  de  port. 

Major. 

Retiré. 

Retiré  avec  les  provisions  de 
capitaine  de  vaisseau. 

Retiré  avec  les  provisions  de 
chef  d'escadre. 

Retiré  avec  les  provisions  de 
lieutenant  général. 

Vice-amiral. 

Canons. 

Hommes. 

Tonneaux. 

Mort. 


TABLE  DES  FONCTIONS  DES  OFFICIERS  MARINIERS.  487 


TABLE  DES  DIFFÉRENTES  FONCTIONS  DES  OFFICIERS  MARINIERS,  MA- 
g|  TELOTS  ET  SOLDATS  DANS  TOUTES  SORTES  DE  CAS.  —  A  BORD  DU 
W      NEPTUNE,  1734». 


€  M.  de  L'Étanduère,  capitaine  de  pavillon,  et  le  comte  Du  Bois  de 
La  Motte,  mon  lieutenant  en  pied,  ont  travaillé  à  dresser  une  table 
qui  règle  avec  tant  d'ordre  les  différentes  fonctions  des  officiers  ma^ 
riniers,  matelots  et  soldats  dans  toutes  sortes  de  cas  que,  la  jugeant 
nécessaire  et  instructive  pour  les  officiers  majors,  je  l'ai  fait  im- 
primer et  je  compte  avoir  l'honneur  de  vous  en  envoyer  un  exem- 
plaire, aussitôt  que  cette  table  aura  été  remplie  de  tous  les  noms  de 
l'équipage  du  Neptune^.  »  Du  Guay-Trouin  au  ministre,  11  juin' 1734. 

DISPOSITION    POUR   APPAREILLER ^ 

Î2  officiers  mariniers,  \ 

2  pilotes  extraordinaires,  >      22  h, 

18  matelots.  ) 

Sur  le  gaillard  d'ar-  j    14  officiers  mariniers.  \      ^^  , 

rière (49  matelots.  j 

14  officiers  mariniers.   )   , /.  »      ) 

A  la   coursive.    ...   ^    32  matelots.  j  *   >      66  h. 

2<*  soldats  pour  la  garde.  ) 

r,      ,       -11     ,  ,,         .    1      4  officiers  mariniers.  |      ,.  , 

Sur  le  gaillard  d  avant.  {    ,^        ,  ,  ,  >      ^6  h. 

°  '    42  matelots.  ) 


A  reporter. 197  h. 

1.  Ci-dessus,  p.  119.  —  A.  M.,  B^  42,  fol.  40-108. 

2.  On  peut  rapprocher  de  cette  table  des  tables  analogues  dressées  pour 
l'escadre  de  La  Galissonnière  (22  juin  1756)  :  Disposition  de  combat  pour  le 
vaisseau  le  Foudroyant,  80  c,  805  h.  employés;  pour  des  vaisseaux  de 
74  c,  668  h.  ;  64  c,  512  h.;  50  c,  397  h.  A.  M.,  B*  70,  fol.  190-193. 

3.  Ces  tables  donnent  en  outre  le  nom,  la  paie  et  les  fonctions  particulièret 
de  chaque  officier  marinier  et  matelot. 


488 


APPENDICE    I. 


Au  grand  cabestan,  en  ) 
bas.    . I 

Au  grand  cabestan,  en  i 
haut   ..,....) 

A  tenir  dessous  à  la 
tournevire 

lit  pour  faire  passer  la 
tournevire  en  avant. 

A  la  fosse  aux  câble?, 

A  prendre  les  gar- 
cettes  sur  le  câble. 

Dans  les    hunes.    .    . 

Aux  bossoirs,  pour  pa- 
rer et  crocher  le  ca- 
pon.crocherlacapo- 
nière,<  pour  traverser 
l'ancre,  faire  hisser 
la  bouée,  et  à  touie 
la  fonction  des  bos- 
semans 


Report.    . 

14  officiers  mariniers. 

24  liialelols. 

50  soldats. 

13  officiers  mariniers. 

22  matelots. 

50  soldats. 

17  h. 


.     197  h, 


38  h. 


35  h. 


V   bossem;uis, 
4  matelots. 


88  h 


85  h, 


}   .- 


20  h 


3  h.  (et  5  mousses). 

) 

•J  officiers  mariniers. 

1 

31  h 

29  matelots. 

1 

2  officiers   mariniers. 
20  matelots. 

22  h 

à  la  hune  d'artimon.    , 

10  j 

à  la  trrande  hune  .    .    . 

.     10  [ 

24  h 

a  la  hune   de   misaine. 

.       4  \ 

6  h, 


4^3  h. 


DISPOSITION    POUR    LES    QUARTS 
Quart  de  bâbord. 

Sur  la  dunette  16  off.  raar.  el.  mat. 
Sur  le  gaillard 

d'arrière  64  — 

A  la  coursive  45  — 

Sur  le  gaillard 

d'avant  70  — 

195 

60  soldats. 

Total  des  gens  employés  sur  les  quart 

Gens  exempts  de  quarts  à  cause  de  leurs  emplois  particuliers.        92 

602 


Quart  de  tribord. 

Total 

16  off.  mar. 

et  m 

at. 

32 

6i             — 

128 

45             — 

90 

70             -. 

140 

195 

390 

60  soldats. 

120 

s .    , 

510 

TABLE  DES  FONCTIONS  DES  OFFICIERS  MARINIERS 


489 


A  la   1"  batterie. 


A  la  2"  batterie. 


A  la  3'  batterie. 


A  la  manœuvre 


A  la  mousqueterie 


A  fond  de  cale. 


DISPOSITION    POUn    LE    COMBAT 

3  gardes  du  pavillon. 

2  maîtres  caiionniers. 

4  h.pourlepassagedespoudres. 
182  h.à  I3c.,  14  h.  parc,  de  36. 

3  gardes  du  pavillon. 

1  maître  canonnier. 

2  h.pourlepassagedespoudres. 
140  h.  à  14  c.,  10h.parc.de  18. 

I  second  canonnier. 
40  h.  A  8  c,  5  h.  par  c.  de  8. 

II  à  la  dunetie. 
22  au  gaillard  d'arrière. 
•21  à  la  coursive. 
25  au  gaillard  d'avant. 
28  à  la  dunette. 
30  au  gaillard  d'arrière. 
12  à  la  coursive. 
30  au  gaillard  d'avant. 

7  dans  la  soute  à  poudre  der- 
rière. 
6  dans  le  couloir  des  soutes. 
10  à  la  cale  au  vin 
12  à  la  cale  à  l'eau 
6  à  la  fosse  au  lion . 
4  à    la    soute    aux    poudres 
d'avant. 

NOMBRE   d'hommes     POUR   L  ABORDAGE 


De  la  Ir*  batterie, 
De  la  2*  batterie 

De  la  3»  batterie. 


De  la  manœuvre. 


De  la   mousqueterie 


des  3  c.  du  î,'aillard  d'avant 

des  5  c.  du  gai  lard  d'arrière 

de  la  dunette.    .    .    • 

du  gaillard  d'arrière. 

de  la  coursive     .    .    . 

du  gaillard 'l'avant.    , 

de  la  dunette.    .    . 

du  gaillard  d'arrière 

de  la  coursive.    .    . 

du  gaillard  d'avant. 


191  h 


146  h 


41  h. 


79  h. 


iOO  h. 


3 
9 
7 
9 

14 

12 

5 

14 


45  h 


602  h, 


27  h, 

28  h. 

8h 


28  h 


45  h, 


136  h, 


490  APPENDICE   I. 

RÉCAPITULATION   DES    FONCTIONS 

Uniquement  pour  suivre  les  officiers  et  exécuter  leurs  ordres, 
armés,  savoir  les  soldats  de  leurs  armes,  les  autres  de  sabres, 
haches  d'armes,  plusieurs  avec  des  pistolets.    . 109 

Pour  faire  ouverture  sur  les  gaillards  du  vaisseau  ennemi, 
afin  d'y  pouvoir  jeter  des  grenades,  armés  de  haches  de  char- 
pentiers et  de  sabres .         7 

Pour  se  ghsser  le  long  des  percintes  du  vaisseau  ennemi  et 
couper  les  itagues  des  sabords,  afin  que,  si  on  vient  à  le  déborder, 
11  ne  les  puisse  ouvrir  facilement,  armés  id.    . 3 

Pour  jeter  des  grenades  dans  les  ouvertures  faites  sur  les  gail- 
ards  du  vaisseau  e  nnem,  équipés  de  gibernes  dans  lesquelles  il 
y  a  deux  grenades  et  de  leurs  armes.  (Ils  peuvent  en  outre  mettre 
une  grenade  dans  leur  poche,  si  on  le  jugea  propos.),   ....       17 

136 

Il  y  a  de  plus  14  grenadiers  nommés  pour  jeter  des  grenades  dans 

le  vaisseau  ennemi  sans  sauter  à  bord,  destinés  aussi  à  y  faire  passer 

un  plus  grand  nombre  d'armes,  de  gargousiers,  de  grenades,  et  à  y 

sauter  à  l'abordage,  en  cas  qu'on  fasse  un  second  détachement. 

[Une  dernière  table  est  intitulée  :  Disposition  des  armes  de  re- 
change pour  le  combat.] 


»^0fÊ^Ê^i^Ê^*^o^>^'\^>,^»^ 


ESCADRE  DE  LA  LUZERNE. 


491 


H 


ESCADRE  DE  LA  LUZERNE* 


Neuf  vaisseaux  : 
Le  Fleuron  60  c. 

Le  Conquérant      70 

Le  Saint-Louis  62 

Le  Toulouse  60 

Le  Mercure  56 

V  Heureux  60 

Le  Triton  60 

Le  Tigre  5t> 

Cinq  frégates  : 


Le  Griffon 
La  Gloire 
L'Argonaute 
VAstrée 
La  Méduse 


46 
46 
44 
30 
15 


LG.  :  comte  de  La  Luzerne* 

CPN  :  Bart3. 

CE.  :  chevalier  de  Luynes  *. 

es.  :  d'Orves  Martini  ^ 

ce.  :  Rochambeau  *. 

ce.  :  de  Montlaur^. 

ce.  :  chevalier  de  Gouyon*. 

ce.  :  marquis  d'Antin^. 

ce.  :  Radouayio. 

ce.  :  Piosin»». 

ce.  :  Nesmond  ". 

ce.  :  Fouilleuse  13. 

ce.  :  Fercourt**. 

ce.  :  de  La  Jaille  *^ 

LC.  :  Périer  de  Salvert  **. 


J.  Ci-tiessus,  p.  121.  —  A.  M.,  B*  41. 

2.  Briqueville,  comte,  puis  marquis  de  La  Luzerne.  Originaire  de  Nor- 
mandie. G.,  15janv.  1680;  E.,27avr.  1681;  L.,  l"janv.  1682;  C.,  l«'janv. 
1689;  CE  ,  5  août  1715;  LG.,  1"  mars  1727;  VA.  du  Ponant,  2  mai  1741; 
f  29janv.  1746,  Paris.  C^  161. 

3.  François-Cornil  Bart,  fils  du  fameux  Jean  Bart,  mort  chef  d'escadre; 
de  Dunkerque.  G.,  l^"  janv.  1692;  C.,  25  nov.  1712,  commandant  la  marine 
à  Dunkerque,  28  juil.  1731;  CE.,  1"  mai  1741;  LG.,  7  févr.  1750;  VA., 
1"  sept.  1752;  f  22  avr.  1755.  C»  166. 

4.  Charles-Hercule  d'Albert,  chevalier  de  Luynes.  G.,  23  avr.  1688; 
E.,  1"  janv.  1689;  L.,  1"  juil.  1690;  C,  1"  janv.  1693;  commandant  des 
gardes  du  pavillon,  6  mai  1716;  chargé  du  Bureau  des  cartes  et  plans, 
20  janv.  1720;  CE.,  18  mai  1722;  f  30  janv.  1734,  Paris.  C*  161. 

5.  D'Orves   Martini.  De  Provence,  c  Bon  officier  qui  a  bien  servi.  »  G., 


492  APPENDICE   II. 

22  nov.  1689;  C,  17  mars  1727;  CE.  et  commandant  la  marine  à  Toulon, 
1»^  janv.  1745;  LG.,  17  mai  1751  ;  f  21  déc.  1751.  Ci  166. 

6.  César-Gabriel  de  Vimeur,  seigneur  de  Vendôme  Rochambeau.  G., 
15  mars  1689;  E.,  1'^  janv.  1692;  CB.,  1"  janv.  1703;  CF.,  l"janv.  1705; 
C,  3  sept.  1712;  CE.,  1"  mai  1741  ;  R.  et  exilé,  2  déc.  J744;  f  28  août  1749» 
Vendôme.  C'  161. 

7.  De  Montlaur.  De  Languedoc.  G.,  24  mai  1685;  E.,  1"  avr.  1690;  L., 
l"janv.  1703;  CF.,  25  janv.  1712;  C,  17  mars  1727:  f  5  sept.  1736,  Toulon. 
C<   161. 

8.  Jean,  chevalier  de  Gouyon  Beaufort  (seize  officiers  du  nom  de  Gouyon)  ; 
de  Normandie.  G.,  l"janv.  1690;  E.,  1"  janv.  1692;  L.,  h^  janv.  1703;  CF., 
13  avr.  1707;  C,  25  janv.  1712;  f  8  fév.  1734.  Brest.  C^  161. 

9.  Antoine-François  de  Pardaillan  de  Gondrin,  marquis  d'Antin  ;  de 
Paris."  G.,  27  janv.  17^7;  E.,  5  avr.  1728;  L.,  1"  avr.  1729;  C.  et  VA.  du 
Ponant  en  survivance,  21  avr.  1731;  CE.,  21  avr.  1735;  LG.,  24  avr.  1738; 
VA.  en  pied,  28  déc.  1737;  f  24  avr.  1741,  Brest.  CA  J61. 

10.  Renault  de  Radouay.  G.,  8  févr.  1689;  E.,  1»  janv.  1692;  L.,  l"janv. 
1696;  CF.,  I"  janv.  1703;  C,  12  ja  iv.  1706;  CE.,  23  août  1738;  f  comman- 
dant le  Bourbon,  3  janv.  1740,  Brest.  C^  161. 

11.  Piosin.  De  Provence.  CM.  «  Bon  officier  général,  ayant  très  bien 
servi.  »  G,,  le>-  déc.  1689;  C,  17  mars  1727;  CE.,  1"  janv.  1745;  comman- 
dant la  marine  en  second  à  Toulon,  1"  nov.  1746;  -|-  3  avr.  1751.  C*  166. 

12.  Brie,  chevalier  de  Nesiaond,  fils  du  marquis  de  Nesmond,  mort  lieu- 
tenant général  de  la  marine  à  la  Havane  en  1702  ;  de  Bordeaux.  G., 
1"  janv.  1690;  C,  17  août  1727;  CE.,  1"  janv.  1745;  f  23  avr.  1751.  C*  166. 

13.  Charles  de  Fouilleuse.  G.,  20  déc.  1687;  L.,  1"  nov.  1705;  C,  17  mars 
1727;  CE.,  1"  janv.  1745;  f  8  mars  1750,  Brest.  C*  161. 

14.  Nicolas  Perrot  de  Fercourt;  de  Paris.  G.,  17  avr.  1685;  L.,  1"  janv. 
1692;  C,  25  janv.  1712;  CE.,  24  janv.  1742;  f  12  oct.  1744,  Brest.  C^  161.. 

15.  De  La  Jaille.  G.,  31  juil.  1689;  L.,  23  avr.  1703;  C,  17  mars  1727; 
f  5  fév.    1741,  Brest.  Ci  161.  -^ 

16  Périer  de  Salvert.  Fils  du  feu  capitaine  de  port  de  Dunkerque  ;  frère 
de  Périer  l'aîné;  «  bon  officier,  sachant  bien  son  métier  ».  Volontaire  sur 
les  vaisseaux  du  roi,  1702;  G.,  10  mai  1705;  E.,  16  août  1721;  L.,  l*»"  avr. 
1730;  C,  1*'  mai  1741;  CE.,  1*'  sept.  1752;  inspecteur  du  Dépôt  des  cartes 
et  plans,  14  nov.  1756;  f  7  avr.  1757,  Versailles.  C*  161,  166. 


ESCADRE  DE  DE  COURT. 


493 


III 


ESCADRE  DE  DE  COURT* 


Seize  vaisssaux 


Le  Terrible 

74  c. 

LG. 
CPN 

L'Espérance 

74 

CE. 
ce.  ; 

Le  Ferme 

74 

ce. 

Le  Duc  d'Orléans 

74 

ce.  : 

Le  Saint-Esprit 

74 

ce.  ; 

Le  Borèe 

64 

ce.   : 

Le  Trident 

64 

ce. 

Le  Solide 

64 

ce. 

Le  Sérieux 

64 

ce. 

L'Éole 

64 

ce. 

Le  Toulouse 

64 

ce.  : 

VHeureux 

64 

ce.  : 

Le  Diamant 

50 

ce.  : 

VAquilon 

50 

ce. 

Le  Tigre 

50 

ce. 

L'Alcyon 

50 

ce. 

Quatre  f régal 

;es  : 

Le  Zéphyr 

30 

ce. 

L'Atalante 

30 

ce.  : 

La  Volage 

30 

ce. 

La  Flore 

30 

LC. 

Trois  brûlots, 

une  flûte 

serval 

de  Court  La  Bruyère 2. 
:  La  Jonquière  de  la  Pommarède'. 
:  Gabaret  le  jeune*. 
:  d'Héricourl^. 
:  Narbonne  de  Sorgues^. 

d'Orves  Martini. 

chevalier  de  Piosin. 

comte  Marquèze  de  La  Garde  7. 
:  chevalier  de  Caylus^. 
;  commandeur     de      Châteauneuf 

Thomas^. 
:  de  Cheylns^^ 
;  chevaher  d'Albert^^. 
:  d'Astour^2^ 

Gravier*^. 

Massiac'^ 
;  Du  Qiiesne^". 
:  Saurin  baron  de  JWurat^^'. 
:  Mandelot  de  Laucez*'. 


chevalier  de  Glandevez*^. 
dî;  La  Clue  Sabran  ^9. 
chevalier  de  Bauffremont^o. 
Bompar  21. 
servant  d'hôpita',  deux  tartanes. 


1.  Ci-dessus,  p.  15L  —  A.  M.,  B*  56.  Cf.  Brun:   Guerres  maritimes  de 
la  France^  Port  de  Totdon,  I,  p.  298. 

2.  Claude-Elisée  de  Court  La  Bruyère  ;  de  Bourgogne.  A  été  gouverneur 
de  M.    le  duc  d'Orléans,    régent.    Né  le  15  févr.  1666;  G.,  8  janv.  r684  ; 


494  APPENDICE  III. 

L.,  l^janv.  1689;  C,  1"  sept.  1G95  ;  CE.,  5  août  1715;  LG.,  27  mars  1728  ; 
VA.,  7  févr.  1750;  f  19  août  1752,  Gouraay.  C^  165,  166,  C\ 

3.  La  Jonquière  de  La  Poramarède.  De  Languedoc.  «  Est  un  des  bons 
officiers  généraux  du  roi.  Officier  fort  à  son  aise  et  de  très  grande  taille.  » 
G.,  l"sept.  1697;  E.,  1"  janv.  1703;  CB.,  25  févr.  1712;  L.,  7  févr.  1720; 
C,  P'oct.  1731;  gouverneur  général  du  Canada,  CE.,  1"  mars  1746;  pri- 
sonnier, 1747-48;  au  Canada,  1749-52 ,  f  mars  1752,  Québec.  Ci  165, 166,  C^. 

4.  Gabaret  le  jeune.  Second  fils  de  Louis  Gabaret,  capitaine  de  vaisseau, 
tué  à  Tabago,  3  mars  1677.  G.,  22  fév.  1688;  E.,  1"  janv.  1692;  CB., 
1"  janv.  1703;  C,  1"  nov.  1705;  CE.,  1"  oct.  1736  ;  f  21  juin  1744,  Toulon. 
Quinze  officiers  du  nom  de  Gabaret.  C^  161. 

5.  D'Héricourt.  G.,  ïô  mars  1692;  E.,  12  nov.  1706;  L.,  17  mars  1727; 
C,  l"avr.  1738;  f  9juil.  1753,  Toulon.  Ci  161. 

6.  Narbonne  de  Sorgues.  G.,  21  déc.  1683;  E.,  10  janv.  1687;  L.,  l"janv. 
1692;  CF.,  13  fév.  1709;  C,  17  mars  1727;  R.,  l"janv.  1745;  f  6  févr.  1745, 
Toulon.  Cl  161. 

7.  Comte  Marquèze  de  La  Garde.  Sicilien.  G.,  2  fév,  1689;  E.,  1er  janv. 
1696;  L.,  1"  nov.  1705;  C,  17  mars  1727;  f  28  sept.  1744,  Toulon.  Neuf 
officiers  du  nom  de  Marquèze.  C*  161. 

8.  Chevalier  de  Caylus,  puis  marquis  de  Caylus  de  Pardaillan,  quand  il 
eut  quitté  l'ordre  de  Malte.  Colonel  d'infanterie  ;  C,  10  mars  1727  ;  gouver- 
neur général  des  îles  du  Vent,  1""  mai  1745;  CE.,  1"  mars  1746;  -J-  12  mai 

1750,  la  Martinique.  Ci  ]66. 

9.  Commandeur  de  Châteauneuf  Thomas.  Treize  de  ce  nom  dans  la 
marine  et  les  galères.  CM.  G.,  12  mars  1703;  C,  24  sept.  1728;  CE.,  1"  avr. 
1748;  f  26  oct.  1759.  Ci  ]66. 

10.  De  Cheylus.  De  Paris.  G.,  11  févr.  1691  ;  L.,  15  avr.  1704;  C,  1"  oct. 
1731;  f  1"  nov.  1744,  Toulon.  Ci  161. 

11.  Antoine,  chevalier,  puis  marquis  d'Albert  Du  Chesne  ;  en  1746,  il 
quitta  l'ordre  de  Malte  pour  se  marier.  G.,  20  mars  1703  ;  E.,  27  sept.  1707  ; 
L.,  17  mars  1727;  C,  l^""  oct.  1731:  chargé  du  Dépôt  des  cartes  et  plans  et 
journaux  à  Paris,  10  mars  1734;  CE.,  déc.  1747;  mort  d'apoplexie,  9  févr. 

1751,  Paris.  Cl  161,  C'. 

12.  D'Astour.  G.,  21  mars  1699;  E.,  l*'  janv.  1703;  L.,  17  mars  1727; 
C,  1er  avr.  1738;  CG.,  17  févr.  1750;   R.,  1"  févr.  1753.  Ci  161. 

13.  Gravier.  G.  1*'  févr.  1692;  E.,  1"  janv.  1703;  L.,  25  nov.  1712;  CF., 
l"mai  1732;   C,  1"  déc.  1735;  CG.,  17  févr.  1750;  K,,  25  juil.  1754.  Ci  161 

14.  Claude-Louis,  marquis  de  Massiac.  «  Fils  d'un  ingénieur  de  Brest; 
a  beaucoup  gagné  dans  les  armements  qu'il  a  faits  pour  la  compagnie  [des 
IndesJ  et  même  pour  le  roi  ;  bon  officier.  »  G.,  28  avr.  1704;  C,  1"  avr.  1738; 
CE.,  17  mai  1751  ;  LG.,  1"  oct.  1756;  secrétaire  d'État,  l"  juin  1758;  VA.. 
4  nov.  1764;  f  15  août  1770,  Paris.  Ci  166. 

15.  Louis-Marie  Du  Quesne-Monnier,  petit-neveu  du  grand  Du  Quesne; 
second  fils  d'Ahraham  Du  Quesne- Monnier,  chef  d'escadre,  commandant 
au  port  de  Toulon,  mort  à  Toulon  le  17  nov.  1726.  Né  en  1693  ;  G.,  8  avr. 
1709;  E.,  25  nov.  1712;  L.,'17  mars  1727;  C,  1"  avr.  1738;  f  8  nov.  1747, 
Toulon.  Cl  161  ;  Jal,  Abraham  Du  Quesne,  t.  II.  p.  575. 

16.  Saurin,  baron  de  Murât.  De  Languedoc.  «  Bon  et  brave  officier,  j 
G.,  16  févr.  1692:  E.,  1"  févr.  1704;  C,  1"  avr.  1738;  f  16  mai  1754.  Ci  166. 


ESCADRE  DE    DE  COURT.  495 

17.  Mandelot  de  Laucez.  De  Bourgogne.  «  Bon  officier  et  qui  a  bien  servi  >. 
G.,  10  mars  1692;  L.,  17  mars  1727;  C,  1"  avr.  1738;  f  27  févr.  1758. 
Cl  166. 

18.  Chevalier  de  Glandevez.  De  Provence.  CM.  Plus  tard,  commandeur 
de  Glandevez,  Six  de  ce  nom  dans  la  marine  et  les  galères.  G.,  16  sept.  1702; 
E.,  25  nov.  1712;  C,  1"  avr.  1741;  CE.,  ier  sept.  1752;  commandant  la 
marine  à  Toulon,  8janv.  1754;  RLG.,  16  sept.  1764.  Ci  166. 

19.  De  La  Clue  Sabran.  De  Provence.  Avait  été  fort  protégé  par  le  comte 
de  Toulouse.  G.,  25  avr.  1715;  E.,  17  mars  1727  ;  L.,  15  mars  1734;  C, 
l'"^  janv.  1742;  CE.,  25  sept.  1755;  commandant  la  marine  à  Toulon,  1758; 
RLG.,  1er  avr.  1764.  Ci  165,  166,  C . 

20.  Chevalier  de  Bauffremont,  prince  de  Listenois.  CM.  Il  quitta  l'ordre 
pour  se  marier.  G.,  19  avr.  1731;  L.,  1"  juil.  1735;  C,  K  juin  1742  ;  CE., 
25  sept.  1755;  LG.,  1»'  oct.  1764;  VA.  du  Levant,  6  févr.  1777;  f  13  nov. 
1781.  Cl  166. 

21.  Bompar.  De  Provence.  G.,  8  mai  1713;  L.,  1"  avr.  1738  ;  C,  l"jauT. 
1746;  gouverneur  général  des  îles  du  Vent,  25  mai  1750  ;  CE.,  1"  janv.  1757; 
commandant  la  marine  à  Toulon,  15  févr.  1762;  LG.,  lo""  oct.  1764.  Ci  166. 


496 


APPENDICE  IV. 


IV 


ESCADRE  DE  LA  JONQUIÊRE* 


Trois  vaisseaux 
Le  Sérieux 


deux  frégates 


Le  Diamant 


La  Gloire 
VÉmeraude 
Le  Rubis 


64  c. 


56 


46 
24 
26 


CE.  ;  LaJonquière  de  la  Pommarède. 
ce.   :  comte  d'Aubigny^. 
es.    :  Isaac  Chadeau  de  La  Clocheterie^. 
L.      :  Odon  des  Gouttes-*,  de  Biéda^,  Froger 

de  La  Rigaudière^. 
ce.   :  Hocquart  de  Blincourf. 
es.   :  La  Villéoa». 
L.      :  chevalier  de  Farcevaux  9,  Tréderii  Du 

Dresnec  ^^. 
LC.  :  chevalier  de  Salies**. 
LC.  :  La  Jonquière  Taffanel*^. 
LC.  :  Mac-Carthyi3. 


L  Ci-dessus,  p.  179.  —  A.  M.,  B*61. 

2.  Comte  d'Aubigny.  Fils  d'un  enseigne,  neveu  duchef  d'escadre  Gabaret. 
G.,  14avr.  1713;  L.,  l^r  avr.  1738;  C,  1»^  janv.  1746;  CE.,  1"  janv.  1757  ; 
LG  ,  1"  oct.  1764;  VA.,  16  févr.  1780;  f  25  mars  1781,  Rocbefort.  C*  166. 

3.  Isaac  Chadeau  de  La  Cloclieterie,  De  Rocheforl.  Fils  d'un  capitaine 
de  briîlot,  petit-fils  d'un  capitaine  de  vaisseau,  père  du  héros  de  la  Belle 
Poule.  G.,  30  juil.  1713;  L.,  1"  mai  1741  ;  tué  sur  le  Sérieux,  14  mai  1747. 
Sa  veuve,  Catherine  Daniaud,  obtint  des  lettres  de  noblesse  pour  ses  cinq 
enfants;  en  demandant  cet  honneur  (janv.  1748),  elle  rappelait  que  trois 
Chadeau  de  La  Clocheterie  avaient  servi  de  père  en  fils  dans  la  marine  pen- 
dant plus  de  cent  ans,  et  pendant  quatre-vingt-onze  années  consécu- 
tives. C. 

4.  Odon  des  Gouttes.  Du  Bourbonnais.  Fils  d'un  lieutenant  de  vaisseau 
mort  au  service.  G.,  11  mai  1722  ;  L.,  1"  mai  1741;  C,  17  mai  1751; 
t  12  janv.  1754.  C^  166. 

5.  De  Bréda.  De  Picardie;  né  à  Saint-Domingue.  Fils  d'un  lieutenant 
de  roi,  mort  à  Saint-Domingue.  «  Fort  à  son  aise.  »  G.,  20  mars  1730  ;  L., 
1»'  janv.  1746  ;  C,  15  mai  1756  ;  R.,  1"  oct.  1760.  C*  167. 

6.  Froger  de  La  Rigaudière.  De  Marennes.  Fils  d'un   lieutenant  de  vais- 


ESCADRE  DE  LA  JONQUIÈRE.  497 

seau  mort  au  service.  G.,  3  avr.  1734;  L.,  lerjanv.  1747;  C,  1«'  sept.  1756; 
f  16  nov.  175Ô.  Cl  167. 

7.  Hocquart  de  Blincourt.  Du  Maine.  Fils  de  l'intendant  de  Toulon, 
frère  de  l'intendant  de  Brest,  du  fermier  général  et  du  trésorier  de  l'artil- 
lerie. G.,  12  mars  1717;  E.,  17  mars  1727;  G.,  1"  janv.  1746  ;  RCE.,  1761; 
f  avr.  177^.  Ci  166. 

8.  La  Villéon.  De  Bretagne.  G.,  1*^  juil.  1716;  L.,  1"  mai  1741;  C, 
17  mai  1751  ;  f  21  févr.  1762.  Ci  166. 

9.  Chevalier  de  Parcevaux.  G.,  18  oct.  1718;  L.,  ie"-  mai  1741  ;  C,  17  mai 
1751  ;  CE.,  16  sept.  1764.  Ci  166. 

10.  Trédern  Du  Dresnec.  De  Bretagne.  G.,  25  févr.  1722  ;  L.,  1"  mai  1741  ; 
C,  23  mai  1754  ;  R.,  1762.  Ci  167. 

11.  Chevalier  de  Salies.  G.,  14  janv.  1721;  E.,  1"  oct.  1731;  tué  sur  la 
Gloire,  14  mai  1747.  Désigné  d'abord  pour  le  commandement  de  YÉme- 
raude,  il  était  passé,  avec  son  état-major,  au  commandement  de  la  Gloire. 
Cl  161,  C''. 

12.  Clément  de  Tatfanel  de  La  Jonquière,  né  aux  Graisses,  diocèse  d'Albi, 
le  13  sept.  1706;  neveu  du  chef  d'escadre  La  Jonquière  de  La  Pommarède. 
G.,  27juil.  1732;  E.,  1«^  avr.  1738;  L.,  l^r  janv,  1746;  G.,  19  déc.  1755; 
CE.,  15  août  1771  ;  LG.,  1"  juil.  1780.  Ci  167,  C. 

Le  second  de  l'Émeraude,  Laccary,  originaire  du  Languedoc,  était  neveu 
de  M^'  de    La   Jonquière,    femme   du    chef  d'escadre.  G.,  11  juin  1733 
E.,  l^r  mai  1741  ;  L.,  15  févr.  1752  ;    C,  17  avr.    1757  ;    CE.,  9  nov.   1776 
directeur    de    l'arsenal    de    Rochefort,  1^»-  déc.  1777  ;    LG.,    pr  avr.  1781. 
Cl  168. 

13.  Mac-Carthy.  D'origine  irlandaise.  CP.  à  Québec;  LF.,  1er  avr.  1745  ; 
CB.,  1"  avr.  1748;  L.,  l"'  mars  1751  ;  C,  17  ;avr.  1757;  f  24  janv.  1765, 
Paris.  Cl  167. 


498 


APPENDICE   Y 


ESCADRE  DE  L'ÉTANDUÊREl 


Huit  vaisseaux,  une  frégate 
Le  Tonnant        80  c.       750  h. 


Le  Monarque      74 


Le  Terrible  74  620 


Vlntrépide  74  620 


Le  Trident  64 

Le  Fougueux       64 


Le  Neptune         58  580 


Le  Severn  50 


Le  Castor 


28 


CE. 

:  Des  Herbiers  de  l'Étanduère*. 

es. 

:  Du  Chaffault». 

M. 

:  Le  Vassor  de  La  Touche*. 

L. 

:  Bart^,   chevalier  Fouquet^, 

de  iMartel^,  d'Astorg   d'Au- 

barède^. 

ce. 

:  La  Bédoyère^. 

es. 

:  Saint-André  l'aîné  i». 

L. 

:  Kerjankerjan  l'aîné^*,  che- 

valier Du  Bos  l'aîné**. 

ce. 

:  comte  Du  Guay^^, 

L. 

:  de    Guidy'*,     Keremar    de 

Boischateau  ^^. 

ce. 

:  Rigaud  l'aîné,  comte  de  Vau- 

dreuiP^. 

L. 

:  La  Girouardière  *',  Beaulieu 

de  Tivas^s^  deSades^^. 

ce. 

:  marquis  d'Amblimont*^. 

ce. 

:  Du  Vi-jnau^i. 

es. 

:  Porter 22. 

L. 

:  de  Kersa  Du  Boisgelin'^,  vi- 

comte de  RoquefeuiP*. 

ce. 

:  chevalier  de  Fromentière^^ 

L. 

:  Kerlérec    de    Kervaségan^^, 

I.orgeril  l'aîné^'. 

ce. 

:  DuRouretdeSaint-Estève". 

L. 

:  Chiffrevas2». 

LC. 

:  Orsonville^<*. 

L  Ci-dessus,  p.  185.  —  A.  M.,  B^  61. 

2.  Henri-François  Des  Herbiers,  marquis  de  l'Étanduère,  né  à  Angers  en 
1682,  d'une  ancienne  famille  du  Poitou  alliée  aux   Du  Chaôaut  ;  fils  d'un 


ESCADRE    DE   l'ÉTANDUÈRE.  499 

capitaine  de  vaisseau.  «  Un  des  bons  officiers  du  roi,  qui  a  toujours  été  très 
zélé  et  appliqué  à  son  métier.  »  G.,  8  juil.  1697;  E.,  1"  janv.  1703;  L., 
l"nov.  1705;  C,  17  mars  1727;  CE.,  !•'  janv.  1745;  f  26  mars  1750. 
Cl  165,  166. 

3.  Du  Chaffault.  D'Angoumois  ;  deux  fils  et  un  frère  au  service.  G., 
12  juil.  1706;  E.,  17  mars  1727;  L,,  1"  juU.  1735;  C.  1"  janv.  1745; 
•}•  8  mai  1753.  Ci  165,  166. 

4.  Le  Vassor  de  La  Touche,  a  Originaire  de  la  Martinique.  Bon  et  brave 
officier,  sachant  bien  son  métier,  grand,  bien  fait  et  d'une  belle  figure,  fai- 
sant honneur  au  service.  A  deux  frères  au  service  de  la  marine  et  de» 
colonies,  et  son  aîné  retiré  major  à  Saint-Domingue.  »  En  déc.  1764  il  a 
demandé  à  n'être  employé  gur  les  registres  que  sous  le  nom  de  La  Touche. 
Page  de  Mgr  l'Amiral;  G.,  19  avr.  1726  ;  E.,  10  juin  1734  ;  L.,  1"  mai  1741  ; 
C,  17  mai  1751  ;  commandant  général  des  îles  du  Vent,  25  janv.  1760; 
CE.,  15  août  1771;  commandant  de  la  marine  à  Rochefort,  1*' juil.  1775; 
LG.,  1"  mars  1779;  f  13  avr.  1781,  Paris.  Ci  165,  166,  C'. 

5.  Bart.  De  Dunkerque;  fils  du  lieutenant  général  et  petit-fils  du  fameux 
Jean  Bart.  G.,  déc.  1722;    L.,  1"  oct.  1741;    C,  P^  avr.  1748;    gouverneur 
lieutenant    général  à  Saint-Domingue,    U'   oct.    1756;  CE.,    le>-  avr.   1764 
f  1784.  Cl  166. 

6.  Chevalier  Fouquet.  Petit  cousin  de  l'ancien  surintendant  des  finances  ; 
il  commandait  la  second©  batterie  du  Tonnant.  G.,  27  mai  1729;  L.,  l"janv. 
1746;  C,  23  mai  1754;  CE.,  15  août  1771;  LG.,  1er  juil.  1780;  f  10  févr. 
1781,  Brest.  C^  167. 

7.  De  Martel.  Du  Poitou;  né  à  Rochefort,  fils  d'un  lieutenant  de  vaisseau 
mort  au  service  et  neveu  de  deux  commandeurs.  G.,  8  mai  1730  ;  L.,  1"  janv. 
1746  ;  C,  15  mai  1756;  rayé  des  listes,  26  mars  1760.  Ci  167. 

8.  D'Astorg  d'Aubarède.  CM.  G.,  16  mai  1732;  L.,  1"  janv.  1746;  C, 
14nov.  1756;  ^9  déc.  1757.  C^  167. 

9.  Alexis  Huchet  de  La  Bédoyère.  G.,  1*'  oct.  1702.  E.,  24  juin  1709; 
L.,  17  mars  1727;  C,  1«'  avr.  1738;  tué  sur  le  Monarque,  25  oct.  1747 
Cl  161. 

10.  Saint-André  l'aîné.  De  Rochefort;  frère  de  Saint-André  Du  Verger; 
fils  d'un  capitaine  de  vaisseau,  mort  au  service.  G.,  17  avr.  1713;  C,  l'^janv. 
1746.  Les  deux  frères  furent  tués,  le  20  nov.  1759,  sur  le  Formidahle,  qui 
était  commandé  par  le  cadet.  Ci  166. 

11.  Kerjankerjan  l'aîné.  De  Bretagne.  G.,  11  mars  1719;  L.,  1»"  mai  1741  ; 
R.,  1754.  Cl  167. 

12.  Chevalier  Du  Bos  l'aîné.  De  Bretagne.  G.,  15  août  1728;  L.,  l^'janv. 
1746;  C,  15  mai  1756;  f  13  avr.  1758.  Ci  167. 

13.  Comte  Du  Guay.  Né  à  Saint-Malo,  fils  de  l'intendant  de  Dunkerque. 
Page  de  la  chambre  du  roi;  G.,  6  sept.  1707;  E.,  23  juil.  1710;  L.,  17  mars 
1727;  C,  1"  avr.  1738;  commandant  des  gardes-mariuo,  26  mai  1747;  CE., 
17  mai  1751;  commandant  la  marine  à  Brest,  5  janv.  1752;  LG.,  17  avr. 
1757;  f  9  sept.  1760.  Ci  165,  166. 

14.  De  Guidy.  De  Toulon  ;  fils  d'un  enseigne  de  vaisseau  mort  au  service. 
G.,  12  mars  1717;  L.,  1"  mai  1741;  C,  23  mai  1754;  R.,  15  janv.  11621 
Cl  167. 


500  APPENDICE    V. 

15.  Keremar  de  Boischateau.  De  Bretagne.  G.,  17  févr.  1732;  L.,  1"  janv. 
1/46;  C,  15  mai  1756;  R.,  26  avr.  1767.  C^  167. 

16.  Rigaud  l'aîné,  comte  de  Vaudreuil.  c  Né  en  Canada;  fils  du  capitaine 
de  vaisseau  et  gouverneur  général  de  Canada,  homme  de  bien  et  de  vertu, 
qui  a  eu  le  malheur  de  perdre  en  1729  la  flûte  l'Éléphant  qu'il  commandait 
dans  le  fleuve  Saint-Laurent...  Ils  sont  quatre  frèrei?,  dont  trois  servent  dans 
la  marine  ou  aux  colonies,  et  l'autre  est  major  des  gardes  françaises.  » 
Expectative  d'enseigne  en  Canada,  8  mai  1695;  L.,  28  juin  1713;  C,  l"avr. 
1738;  CE.,  1"  avr.  1748;  LG.,  25  août  1753  ;  f  27  nov.  1763,  Tours. 
31  165,  166. 

Le  commandant  de  V Intrépide  avait  à  son  bord  son  fils  aîné,  Rigaud, 
marquis  deVaudreuii,  né  à  Rochefort.  G.,  24  mars  1740;  E.,  1"  janv.  1746; 
L.,  23  mai  1754;  CF.,  1^^  oct.  1764,  C,  27  nov.  1765;  CE.,  le-- juil.  1779; 
LG.,  14  août  1782.  C^  168. 

Son  second  fils,  Rigaud,  comte  de  Vaudreuil,  né  à  Rochefort^  était 
embarqué  en  1747,  comme  enseigne,  sur  VÊmeraude,  de  La  Jonquière 
Taffanel  (Appendice  IV).  G.,  30  mars  1743;  E.,  1"  janv.  1746;  L.,  il  févr. 
1756;  C,  15  nov.  1771;  directeur  général  du  port  de  Rochefort,  l"  juil. 
1781;  CE.,  12  janv.  1782.  C^  169. 

17.  La  Girouardière.  G.,  1"  mars  1713;  E.,  17  mars  1727;  L.,  1"  avr. 
1738;  C,  ierjanv.  1746;  R.,  15  janv.  1762.  C*  166. 

18.  Beaulieu  de  Tivas.  «  Originaire  de  Chartres;  descendant  du  sieur 
TivHS,  capitaine  de  vaisseau,  surnommé  le  Brave;  allié  à  M.  le  duc  de  Sully. 
Il  y  a  huit  officiers  de  ce  nom  dans  la  marine,  t)  G.,  31  août  1716;  L., 
1er  janv.  1742  ;  C,  23  mai  1754;  R.,  15  janv.  1762.  Ci  167. 

19.  De  Sades.  De  Provence;  fils  d'an  enseigne  de  vaisseau.  G.,  2  avr.  1730; 
L.,  ler  janv.  1746;  C,  15  mai  1756  ;  CE.,  9  nov.  1776;  f  18  sept.  1780,  à  la 
mer,  à  bord  du  Triomphant  (escadre  de  Guichen).  Ci  167. 

20.  (L  Claude  Fuschamberg,  dit  Renard,  marquis  d'Amblimont,  originaire 
de  Saxe,  établi  depuis  en  Champagne,  né  à  Paris...  Habile  officier,  sachant 
son  métier  et  la  manœuvre  des  vaisseaux,  et  fort  riche.  Fils  d'un  ancien 
chef  d'escadre  et  gouverneur  général  aux  Iles,  qui  a  rendu  des  services 
signalés.  i>  G.,  1705;  C,  1"  a\r.  1738;  CE.,  1"  janv.  1754;  y  30  oct.  1772. 
Cl  166. 

21.  Du  Vignau.  Du  Béarn;  fils  d'un  capitaine  de  frégate  mort  au  service. 
G.,  3févr.  1715;  C,  1"  janv.  1746;  y  18  sept.  1755.  Ci  166. 

22.  Porter.  «  Originaire  irlandais.  Né  à  Saint-Malo.  Très  bon  officier.  Bon 
gentilhomme.  A  du  bien  pour  soutenir  son  état  avec  décence.  »  G.,  21  mars 
1715;  L.,  P^  avr.  1738;  C,  1"  janv.  1747;  f  l"avr.  1756.  Ci  166. 

23.  De  Kersa  Du  Boisgelin.  De  Bretagne.  G.,  8  mars  1719;  L.,  l"  mai 
1741  ;  C,  23  mai  1754;  f  5  mars  1762.  Ci  167. 

24.  Vicomte  de  Roquefeuil.  Né  à  Brest.  Fils  cadet  du  lieutenant  général, 
mort  le  8  mars  1744.  G.,  6  nov.  1733;  L.,  1"-  janv.  1746;  C,  1"  oct.  1754; 
CE.,  15  août  1771.  Ci  167. 

Le  fils  aîné  du  lieutenant  général,  né  à  Brest,  était  comte  de  Roquefeuil. 
G.,  l*r  mai  1727;  L.,  1"  mai  1741;  C,  P^  janv.  1746;  CE.,  1"  janv.  1761  ; 
LG.,  3  août  1766;  VA.,  P'janv.  1781  ;  f  l"juil.  1782,  Bourbonne-les-Bains. 
Cl  166. 


ESCADRE    DE    L  ÉTANDUERE.  501 

25.  Chevalier  de  Fromentière.  G.,  16  avr.  1703;  E.,  7  juin  1707;  L., 
17  mars  1727  ;  C,  1"  avr.  1738  ;  tué  sur  le  Neptune,  25  oct.  1747.  C*  161. 

26.  Kerlérec  de  Kervaségan,  De  Quimper.  G.,  29  avr.  1720;  L.,  l"  mai 
1741;  C,  17  mai  1751;  gouverneur  de  la  Louisiane,  l"  avr.  1762;  rayé  des 
listes,  4  août  1769.  Ci  165,  166. 

27.  Lorgeril  l'aîné.  De  Normandie.  G.,  1"  sept.  1725;  E.,  18  févr.  1733; 
L.,  10  oct.  1743;  C,  23  mai  1754;  R.,  15  janv.  1762.  Ci  165,  167. 

A  la  même  bataille  prit  part,  comme  enseigne,  à  bord  du  Severn,  le 
chevalier  de  Lorgeril.  Originaire  de  Normandie.  G.,  10  janv.  1734;  E., 
1"  mai  1741;  L.,  17  mai  1751;  C,  17  avr.  1757;  R.,  11  août  1764.  Ci  168. 

28.  Du  Rouret  de  Saint-Estève.  De  Provence.  G.,  30  mai  1703;  G., 
l«'janv.  1742;  f  6  nov.  1753.  Ci  166. 

29.  Chitfrevas.  De  Normandie.  G.,  14  mai  1727;  L.,  10  oct.  1743;  C, 
23  mai  1754  ;  périt  sur  le  Superbe,  20  nov.  1759.  Ci  167. 

30.  Orsonville.  De  Normandie;  fils  d'un  lieutenant  de  vaisseau,  mort  en 
1715.  (On  trouve  aussi  le  nom  du  commandant  du  Castor  écrit  :  d'Esson- 
ville.)  G.,  22  avr.  1713;  L.,  1"  mai  1741;  C,  17  mai  1751;  f  26  juin  1758. 
€1  166. 


■^ 


502  APPENDICE    VI. 


B. 


VI 


MARINES  DE  FRANCE  ET  D'ANGLETERRE 

VAISSEAUX    EXISTANT    ET    EN    CONSTRUCTION 

AU  1"  JANVIER  1751  * 


MOMBRB  DB  TAISSBÀUX 

En  France  :  En  Angleterre 
A.        Il  y  avait  en  janvier  1740.   ...             41  120 

Il  en  a  été  construit  depuis  1740 

jwsques  et  y  compris  1750.    .    .  46  94 
Prises  incorporées  dans  la  ma- 
rine                1  12 

88  226 

C.  Vaisseaux  devenus  hors  de  ser- 

vice pris  ou   péris 50  110 

D.  Nombre  de  vaisseaux  au  1"  jan- 

vier  1751 38  116 

E.  Vaisseaux  en   construction.   .   .  22  21 

60  137 

1.  Ci-dessus,  p.  22<5.  —  Les  chiffres  donnés  dans  cet  état  sont  expliqués 
dans  un  mémoire  spécial  qui  est  à  la  suite  :  A.  M.,  B^^  11.  Le  même  carton 
contient  des  documents  sur  la  comparaison  des  forces  navales  françaises, 
anglaises  et  espagnoles,  à  diverses  dates,  notamment,  pour  la  France  et 
l'Angleterre,  aux  années  1740  et  1750. 


l'    c(    ALGIDE    ))    ET   LE    «    LYS    ))    EN  1755.  503 


VII 


h'ALCIDE  ET  LE  LYS  EN   17551 


Alcide      ce.  :  Hocquart  de  Blincourt. 
es.  :  chevalier  de  Parcevaux. 

L.     :  bailli  Desnos  Champmeslin 2,  Folligny  3,  de  Courserac*, 
marquis  de  Gras  Préville ^, 
Lys  ce.  :  Lorgeril  l'aîné. 

!..     :  de  Bremoy^,  chevalier  de  Lorgeril,  Du  Rosel  de  Beau- 
manoir'^,  de  Thoranc^. 


1.  Ci-dessus,  p.  255. 

2.  Baiili  Desnos  Charapmeslin.  Petit-fils  du  chef  d'escadre  et  vice-roi  à 
l'Amérique  (p.  53);  petit-neveu  du  comte  de  Champmeslin,  lieutenant 
général  ;  fils  du  capitaine  de  vaisseau  du  Fleuron  (p.  165),  chef  d'escadre: 
neveu  du  lieutenant  de  vaisseau,  mort  en  1730;  frère  du  comte  Desnos 
Champmeslin,  lieutenant  de  vaisseau  du  Fleuron  [G.,  1"  janv.  1727;  L., 
1"  mai  1741  ;  C,  17  mai  1751  ;  f  27  avr.  1754]  ;  frère  du  chevalier  de  Malte, 
mort  enseigne  de  vaisseau.  G.,  15  déc.  1731  ;  L.,  l*"^  janv.  1746;  C,  15  mai 
1756;  CE.,  9  nov.  1776;  RLG.,  1"  nov.  1786.  C*  166,  167. 

3.  Folligny.  De  Coutances;  neveu  du  chef  d'escadre  (p.  120).  G.,  15  mars 
1730;  L  ,  1"  janv.  17J6;  C,  15  mai  1756;  R.,  16  sept.  1764.  C^  167. 

4.  De  Courserac.  D'Angoulême.  G.,  16  déc.  1731;  L.,  1"  janv.  1746;  C, 
15  mai  1756;  -|-  17  nov.  1774,  à  sa  campagne,  près  Saint- Jean-d'Angély . 
Cl  167. 

5.  Marquis  de  Gras  Préville.  De  Provence.  GE.,  20  avr.  1733  ;  L.,  23  mai 
1754;   RC,  16  sept.  1764.  C*  168. 

6.  De  Bremoy.  Né  à  Brest;  fils  d'un  lieutenant  de  vaisseau,  mort  au  ser- 
vice. G.,  4  avr.  1734;  EG.,  10  oct.  1743;  LGM.,  17  mai  1751  ;  C,  17  avr. 
1757;  R.,  14  mars  1776.  C*  168. 

7.  Du  Rosel  de  Beaumanoir.  De  Bretagne.  G.,  7  avr.  1732;  L.,  17  mai 
1752;  C,  17  avr.  1757:  R.,  15  janv.  1762.  Ci  167. 

8.  De  Thoranc.  De  Toulon.  G.,  6  juil.  1735;  L.,  23  mai  1754;  C.,27  nov. 
1765;  RCE.,  19  oct.  1781.  Ci  168. 


504 


APPENDICE    VIII. 


VIII 

ESCADRE  DE  LA  GALISSONNIÊREi 


Douze  vaisseaux  : 
Le  Foudroyant  1966 


t. 


80  c    800  h. 


La  Couronne 


1360  t. 
74  c.  680  h. 


Le  Redoutable 


1583  t. 

74  c.  680  h. 


LG.  : 
CPN. 
es.  : 
L.     : 


CE. 

es. 

L. 


CE., 

es. 

L. 


Téméraire 

1580  t. 

74  c.  660  h. 

ce. 

es. 

L. 

marquis  de  laGalissonnière'. 
:  Froger  de  l'Éguille^. 
de  Drée  de  La  Serrée*, 
de  risle  Taulanne  ^,  La  Gua- 
rigue  iSavigny  ^,  Castellane 
Saint-Jeurs"',  Faucher^,  che- 
valier de  Forbin  d'Oppède^, 
chevalier  de  Fabry  *<',  La 
Poype  de  Vertrieux**,  Fau- 
dran  de  Taillade  *2. 

troisième  commandant  :  de 
La  Clue  Sabrau. 
Cabanoux  *^. 

de  Saqui  Destourès  **,  Man- 
delot  *5,  marquis  de  Chateau- 
neuf  Thomas  ^^,  chevalier  de 
Tressemanes  Brunet*''. 

deuxième  commandant 
commandeur  de  Glandevez. 
chevalier  de  Marcouville  *^. 
de  Broves  <^,  chevalier  d'As- 
torg  d'Aubarède,  de  Rai- 
mondis  Canaux ^o,  de  Grasse 
Briançon  l'aîné  2*. 

de  Beaumont  Le  Maître'', 
de  Castillon'3. 
Cheylus,  Ségur   Cabanac'», 
Castellane  La  Valette  le  ca- 
det", de  Blotrier26. 


ESCADRE   DE    LA    GALISSONNIÈRE. 


505 


Le  Guerrier 


Le  Lion 


I 


Le  Sage 


Le  Triton 


VHippopotame 


14,^0  t. 

74  c.  660  h. 


1242  !. 
64  c.  440  h. 


ce. 

es. 

L. 


U50  t. 

64  c.  440  h. 

ce. 

es. 

L. 

U30  t. 

64  c.  440  h. 

ce. 

es. 

L. 

Le  Content 

1200  t. 

64  c.  440  h. 

ce. 

es. 

L. 

VOrphée 

1180  t. 

64  c.  440  h. 

ce. 
es. 

L. 

ce. 

es. 

L. 


1030  t. 

50  c.  450  h. 


ce. 

es. 

L. 


:  Villars  de  La  Brosse".    • 
:  de  Motheux2«. 

:  MftyronnetSaint-Marc29,  Gra- 
vier l'aîné  30,  Le  Gendre  d'Avi- 
raj3',  de  Venel  le  jenne 
La  Comté  Pigache^s. 


32 


:  marquis  de  Saint-AigiianS*. 

:  de  Venel  l'aîné  ^s. 

:  chevaîirr  de  Beaudouvin  36^ 
de  iMoy  •",  Monierde  Fausse^», 
de  Grasse   de  Limermont^^ 

:  Du  Revest4<>. 

:  Castillon  cadet  ^K 

:  chevalier  d'Urre^^^^  cheva- 
lier de  Castellane  Majastres  ^3. 
chevalier  d'Albert  Saint-Hip- 
polyte  le  cadet'''». 

:  de  Sabran  Gramrnont*^. 
:  comfe  de  Grimaldi^e. 
:  chevalier     de    Beaucouse", 
Foucault  *8,  de  Peirolles ''•9. 

:  bailli  de  Raimond  d'Eaux  ^o. 
chevalier  de  Mirabeau  ^^ 
Boades  de  Monthrun^s^  Cas- 
tellane  La  Valette  «3,  d'Ar- 
baud  de  Jouques  »*,  Massilian 
le  cadet  ^*. 

Mercier  ^^. 

Colbert  de  Turgis". 

Montcalm  Saint-Véran  ss^  de 

Fabrègues   l'aîné  59,  Je  Dupi- 

gnet  Guelton^o,  Le  Baron  de 

Faugères^^ 

:  Rochemore  La  Devèze^^^ 
:  Nas  de  Tourris  l'aîné  ^3. 
:  chevalier  de  Massilian  l'aï- 


506 


APPENDICE    Vin. 


né^*,  Narbonne  Pelet^*,  comte 
de  Barjeton  Verelause^^. 


Le  Fier 

1100  t. 
50  c.  340  h. 

ce. 
es. 

L. 

:  d'Erville67. 

:  de  Gotho  l'aîné  ^^. 

:  Barras   de   Saint-Laurent*', 

Novarin  l'aîné  '^,  marquis  de 

La  Valette  71. 

Cinq 

frégates 

: 

La  Junon 

780  t. 
40  c.  300  h. 

ce. 

L. 

:  Beaussierde  LaChaulanne'*. 
:  Gaufridy'^^^Saint-AndréMont- 

La  Rose 

290  t. 
30  c.  240  h. 

ce. 

L. 

méjan '*. 

:  Pastour  de  Gostebelle'^. 

:  Taurin  Dannat  l'aîné  '«  d'Or- 

La  Gracieuse 

450  t. 

24  c.  240  h. 

ce. 

L. 

La  Topaze 

400  t. 

24  c.  200  h. 

LC. 

La  Nymphe 

450  t. 

20  c.  180  h. 

LG. 
L. 

ligues  raîné'^7^  chevalier  de 

Tressemanes  ''^ ,      Pontevès 
Maubousquet'Q. 

Marquisat!  ^o. 

Mablan  d'Ayminy  ^^  de  Ma- 
rin ^2,  Dandoque  ^^. 

comte   de   Garné  Marceia^*". 

deL'lsle  Calians^. 
de  Goy  Le  Bègue  ^^. 

Total  des  canons  et  des  hommes   d'équipage   des  douze  vaisseaux 
de  ligne  et  des  cinq  frégates  partis  de  Toulon  le  11  avril  1756  : 

Canons 934 

Hommes    d'équipages.     7530 

Le  convoi  comprenait  les  bâtiments  de  transport  suivants  : 
Pour  les  troupes  (en  outre,  deux  compagnies  étant  embarquées  sur 
chacun  des  vaisseaux,  et  cent  volontaires  sur  chacune  des   frégates, 

sauf  sur  la  Nymphe) 49 

Pour   l'artillerie 13 

Pour  les  poudres  et  effets  d'artillerie 11 

Pour   les   chevaux 8    \    ,„, 

Pour  les  vivres  et  effets  des  hôpitaux 37 

Pour  les   bœufs 47 

Pour  les  moutons 5 

Pour  l'eau  et  le  fourrage  pour  les  bœufs  et  les  moutons        6 


ESCADRE  DE    LA    GALISSONNIÊRE .  507 


193  voiles. 


Récapitulation  : 
Bâtiments  de  guerre.  .  17 
Bâtiments  de  transport.     176 

Aux  dix-sept  bâtiments  de  guerre  partis  de  Toulon  le  1  i  avril  1756 
il  faut  ajouter  deux  vaisseaux  et  une  frégate  qui  ne  rejoignirent  l'es- 
cadre que  plus  tard; 

VHector,  74  c,  620  h.  (N'a  rejoint  l'escadre  que  le  5  juillet.) 

ce.  :  de  Vilarzel  d'HélieS^ 

es.   :  de  Dannat  Montmaur^*. 

L.  :  Truguet^^,  Saint-André  Montméjan^o,  chevalier  de  Tresse- 
manes  Ghasteuipi,  baron  de  Glandevez  Gastellet^^. 

U Achille,  64  c,  620  h.  (N'a  rejoint  l'escadre  que  le  2  juillet,) 

ce.  :  de  Pannat93. 

es.  :  d'Agays*. 

L.  :  Jousselin  de  Marigny^^,  chevalier  de  Taurin  cadet ^^,  cheva- 
lier de  Glandevez  97. 

L'Hirondelle  y  18  c,    100  h.   (N'a  rejoint  l'escadre  que  le  30  avril.) 
LC.  :  marquis  de  Chabert  Cogolin^s. 
L.     :  Beaussier99. 

1.  Ci-des3U8,  p.  279.  —  A.  M.,  B*  70,  fol.  34  :  Liste  générale  des  vais- 
seaux da  roi  et  des  bâtiments  de  transport  pour  l'expédition  de  l'île  de 
Minorque,  B*^  71  :  liste  des  officiers  composant  les  élats-majors  des  bâti- 
ments de  l'escadre  aux  ordres  de  M    le  comte  de  La  Galissonnière. 

2.  Roland-Michel  Barin,  comte  ou  marquis  de  La  Galissonnière,  fils  d'un 
ancien  lieutenant  général  de  la  marine;  né  à  Rochefort,  le  10  nov.  1693  ; 
G.,  1"  nov.  1710;  E.,  25  nov.  1712;  L.,  7  mai  1726;  C.,  1"  avr.  1738; 
commissaire  général  d'artillerie,  !"■  févr.  1745;  commandant  général  au 
Canada,  1*'  mai  1747;  préposé  au  Dépôt  des  plans,  l"'  janv.  1750;  CE., 
7  févr.  1750;  LG.,  25  sept.  1755:  f  26  oct.  1756,  Moniei-eau.  C*  165.  (Le 
dossier  du  vainqueur  de  Byng  manque  actuellement  aux  Archives  de  la 
Marine). 

3.  Froger  de  L'Eguille.  «  De  Marennes.  Fils  d'un  ancien  lieutenant  de 
vaisseau  quia  très  bien  servi.  »  G.,  5  sept.  1722  ;  L.,  !•'  mai  1741;  C, 
17  mai  1752  ;  CE.,  son  rang  à  la  promotion,  21  déc.  1757;  CE,  1"  janv.  1761  ; 
LG.,  5  nov.  1766  ;  f  5  sept.  1772.  Ci  166. 

4.  De  Drée  de  La  Serrée.  Cadet  d'une  maison  de  Bourgogne  ;  neveu  du 
chef  d'escadre  Digoine  du  Palais,  qui  a  commandé  la  marine  à  Brest. 
G.,  27  déc.  1718;  L.,  1"  mai  1741  ;  C,  23  mai  1754;  R.,  24  mars  1761. 
Cl  167. 

5.  De  l'Isle  Taulanne.  G.,  24  janv.  1732;  L.,  1"  avr.  1748;  C,  17  avr. 
1757;  RCE.,  26  sept.  1777.  C^  167. 

6.  La  Guarigue  Savigny.  De  la  Martinique  G.,  1*' juin  1732;  L.,  1"  avr. 
1748;  C,  17  avr.  1757;  RCE.,  14  mars  1776.  C^  167, 

7.  Castellane  Saint- Jeurs.   De]  Provence.   Quatorze    de   ce    nom  dans  la 


508  APPENDICE    VIII. 


m 


arine  et  les  galères.  G.,  l*"-  févr.  1733;  L.,  1er  avr.  1748;  C,  17  avr.  1757; 
B.,  25  mars  1765  ;  f  5  sept.  1766.  Toulon.  C*  167. 

8.  Faucher.  G.,  26  mars  1734;  LA,  17  mai  1751;  C,  17  avr.  1757;  CE., 
9  nov.  1776;  RLG.,  27  août  1786.  C^  168. 

9.  Chevalier  de  Forbin  d'Oppède.  De  Provence;  dix  de  ce  nom  dans  la 
marine  ou  les  galères.  CM.  G.,  1«'  mai  1738,  L.,  17  mai  1751;  C,  17  avr. 
1757;  CE.,  9  nov.  1776;  R.,  l^r  nov.  17^6.  C*  168. 

10.  Louis  de  Fabry  de  Fabrègues,  dit  le  chevalier  de  Fabry,  né  à  Aup» 
(Provence),  25  août  1715.  G.,  17  mai  1734;  aide-major,  1751;  C,  17  avr. 
1757;  CE.,  9  nov.  1776;  directeur  général  de  l'arsenal  de  Toulon,  1"  déc. 
1776;  commandant  la  marine  à  Toulon,  17  nov.  1781  ;  LG.,  12  janv.  1782. 
Cl  168. 

11.  La  Poype  de  Vertrieux.  G  ,  13  juil.  1738;  L.,  11  févr.  1756;  C, 
18  août  1767;  B.,  14  mars  1776;  interdit,  22  janv. -2  déc.  1780;  RCE. 
1*'  mai  1781.  C*  168. 

12.  Faudran  de  Taillade.  GE  ,  15  août  1740;  L.,  11  févr.  1756;  C,  15  nov, 

1771.  Cl  169. 

13.  Cabanoux.  De  Provence.  G.,  13  asr.  1719;  L.,  1"  mai  1741:  C, 
17  mai  1751;  RCE.,  16  sept.  1764.  C*  166. 

14.  De  Saqui  Destourès.  G.,  7  août  1720;  L.,  1"  mai  1741;  C,  10  août 
1756;  B.,  25  mars  1765;  R.,  22  févr.  1744.  C*  167 

15.  Mandelot.  De  Toulon;  neveu  de  Mandelot  de  Laucez.  G.,  6  avr.  1729; 
L.,  IT  janv.  1746;  C,  15  mai  1756.  C*  167. 

16.  Marquis  de  Châteauneuf  Thomas.  De  Provence;  neveu  du  comman- 
deur et  frère  aîné  du  chevalier.  G.,  24  janv.  1732;  L,,  1^^  janv.  1746;  C, 
14  nov.  1756;  R.,  1er  déc.  1761.  Ci  167,  C . 

17.  Chevalier  de  Tressemanes  Bruuet.  CM.  G.,  6  juil.  1735;  L.,  23  mai 
1754;  RC,  16  sep.  1764.  Ci  168. 

18.  Chevalier  de  Marcouville.  De  Normandie,  G.,  11  janv.  1715;  L., 
1"  mai  1741;  C,  23  mai  1754;  R.,  15  janv.  1762.  Ci  167. 

19.  Jean-Joseph  de  Rafélis,  comte  de  Broves,  né  au  château  de  Broves, 
près  de  Fréjus,  le  8  juil.  1715;  neveu  du  commandeur  de  Glandevez.  G,, 
21  janv.  1730;  L.,  I"  janv.  1746;  C,  15  mai  1756:  CE.,  15  nov.  1771;  LG,, 
le' mars  1779;  f  12  nov.  1782.  Ci  167. 

20.  De  Raimondis  Canaux.  De  Provence.  Six  de  ce  nom  dans  la  marin» 
ouïes  galères.  GE.,  15  août  1740;  L.,  11  févr.  1756;  R.,  !•'  avr.  1764. 
C*  169. 

21.  De  Grasse  Briançon  l'aîné.  D'Entrevaux  (Provence);  neveu  de  MM.  de 
Glandevez.  G.,  5  mai  1738;  L.,  23   mai    1754;  C,  27    nov.  1765;  f  30  juil. 

1772,  Toulon    Ci  168, 

22.  De  Beau  mont  Le  Maître.  De  Provence.  Trois  de  ce  nom  dans  la 
marine  et  les  galères.  G.,  1er  juin  1704;  L.,  1*'  juil.  1735;  C,  l"janv,  1746; 
R.,  15 janv.  1762.  Ci  166. 

23.  De  Castillon.  De  Provence.  Six  de  ce  nom  dans  la  marine  ou  les 
galères.  G.,  l'^janv.  1720;  L.,  l*r  mai  1741;  C,  17  mai  1751.  Ci  166. 

24.  Ségur  Cabanac.CM.,  GE.,  13  févr,  1733;  L.,  17  mai  1751;  C,  17  avr. 
1757;  f  18  nov.  1758,  Rochefort.  Ci  167. 

25.  Castellane  La  Valette  le   cadet.  Do   Provence.    Quatorze  de  ce  nom 


ESCADRE    DE    LA    GALISSONNIERE.  509 

dans  la  marine  ou  les  galères.  G.,  10  mai  1732;  L.,  17  mai  1751;  C,  17  avr. 
1757;  B.,  5  sept.  1766.  C*  167. 

26.  De  Blolfier.  G.,  30  mai  1702;  L.,  17  mai  1742;  C,  17  avr.  1757;  B., 
26  avr.  1767;  R.,  14  mars  1776.  C^  168. 

27.  Villars  de  La  Brosse.  Né  à  Rochefort;  fils  d'un  ancien  lieutenant  de 
vaisseau  mort  au  service.  G.,  27  sept.  1718;  LA.,  1"  mai  1741;  CA.,  l"janv. 
1746;  CG.,  25  juil.  1754;  B.,  25  mars  1765;  CE.,  15  août  1771;  f  19  juin 
1776,  Rochefort.  C^  166. 

28.  De  Motheux.    De    Provence.   Fils    d'un    capitaine  de    vaisseau.   G., 

10  avr.  1714;  L.,  1"  avr.  1738  ;  C,  1er  avr.  1748;  R.,  15  janv.  1762.  Ci  166. 

29.  Meyronnet  Saint-Marc.  G.,  20  févr.  1733;  LA.,  17  mai  1751;  C, 
17  avr.  1757;  B.,  18  août  1767  ;  f  21  août  1773,  Toulon.  C^  lo8. 

30.  Gravier  l'aîné.  Fils  aîné  du  capitaine  de  vaisseau  et  commissaire 
général  d'artillerie;  petit-fils  d'un  capitaine  de  vaisseau;  neveu  d'un  com- 
missaire général   de  la   marine.  G.,  6  juil.    1735;    L.,  23  mai    1754;  RC. 

16  sept.  1764.  C*  168. 

31.  Le  Gendre  d'Aviray.  De  Paris  G.,  11  avr.  1737;  L.,  23  mai  1754; 
R  ,  le.-  févr.  1762.  Ci  168. 

32.  De  Venel    le   jeune.    Frère    de   Venel   l'aîné.  G  ,  5  mai  1738;  LA., 

11  fé^r.  1756;  C,  18  août  1767;  R.,  13  juil.  1776.  Ci  168. 

33.  La  Comté  Pigache.  De  Valognes  (Normandie).  G.,  11  juin  1733;  L., 

17  mai  1751;  C,  17  avr.  1757;  R.,  24  déc.  1764.  Ci  168. 

34.  Paul-Hippolyte  de  Beauvillier,  marquis  de  La  Ferté  Saint-Aignan,fils 
du  duc  de  Saint-Aignan,  commandant  la  marine  à  Toulon  et  à  Marseille; 
né  26déc.  1712,  Versailles.  GE.,  4  oct.  1728  ;  L.,  1"  mai  1741  ;  C,  1"  janv. 
1746;  CE.,  1er  oct.  1764;  LG.,  24  sept.  1769;  VA.,  17  nov.  1781;  |  30  nov. 
1788.  Cl  166. 

35.  De  Venel  l'aîné.  Frère  de  Venel  le  jeune.  G.,  17  mars  1722;  L., 
le^  janv.  1742;  C,  23  mai  1754;  R.,  16  sept.  1764.  Ci  167. 

36.  Chevalier  de  Beaudouvin.  Six  de  ce  nom  au  service  du  roi.  G., 
24  déc.  1719;  L.,  10  oct.  1743;  C,  17  avr.  1757;  R.,  14  janv.  1762. 
Cl  167. 

37.  De  Moy.  Fils  du  consul  de  Livourne.  G.,  27  fé\r.  1736;  L.,  17  mai 
1751;  C,  17  avr.  1757;  K.,  11  août  1764.  Ci  168. 

38.  Monier  de  Fausse.  G.,  1"  janv.  1741  ;  L.,  11  févr.  1756;  f  31  janv. 
1761;  Çi  169. 

39.  Etienne,  comte  de  Grasse  de  Limerraont.  De  Limermont  près  Beau- 
vais;  né  21  févr.  1725.  G.,  1"  mai  1741;  L.,  11  févr.  1756;  CF.,  1"  oct. 
1764;  C.  15  nov.  1771;  RCE.,  2ù  déc.  1782;  f  3  août  1790.  Ci  169,  C\ 

40.  Du  Revest.  De  Provence.  Fils  d'un  lieutenant  de  vaisseau  mort  en  1729 
G.,  15  mai  1716;  L.,  1»' avr.  1738;  C,  1er  n^ai  1717;  M.,  1"  août  1750; 
f  31  déc.  1757,  Brest.  Ci  166. 

41.  Castillon  cadet.  «  Ci-devant  l'aîné  des  jumeaux  »  {sic).  G.,  30  mars 
1722;  L.,  1»^  mai  1741;  C,  17  mai  1751;  B.,  25  mars  1765;  R.,  1772. 
Cl  166. 

42.  Chevalier  d'Urre.  CM.  Neveu  du  chevalier  de  Pilles,  chef  d'escadre 
des  galères.  GE.,  mai  1730;  L.,  17  mai  1751.  Ci  167. 

43.  Chevalier  de  Castellane  Majastres.  De  Provence.  Quatorze  de  ce  nom 


510  APPENDICE   VIII. 

dans  la  marine  ou   les  galères.  G.,    25    sept.  1738;    L.,    11    février  175Ô  ; 
+  17  août  1761,  Rochefort.  C*  168. 

44.  Chevalier  d'Albert  Saint-d'Hippolyte  le  cadet,  De  Provence.  Parent  dm 
marquis  d'Albert,  chef  d'escadre.  CM.  G.,  1»'  janv.  1741  ;  L.,  11  févr.  1756; 
C,  15nov.  1771;  CE.,  12  janv.  1782.  C*  169. 

45.  De  Sabran  Grammont.  De  Provence.  Seize  de  ce  nom  dans  la  marine 
ouïes  galères.  G.,  24  sept.  1718;  C,  1"  avr.  1748;  CE.,  1"  oct.  1764; 
RLG.,  4  nov.  1774.  C^  166. 

46.  Comte  de  Grimaldi.  De  Sicile.  Huit  de  ce  nom  dans  la  marine,  les 
galères  et  les  colonies.  GE.,  1"  juin  1728  ;  C,  23  mai  1754;  CE.,  15  août 
1771  ;  1 1*' juin  1774,  Toulon.  C^  167. 

47.  Chevalier  de  Beaucouse.  De  Provence.  Son  père  et  son  oncle  morti 
au  service.  CM.  G.,  25  janv.  1734  ;  L.,  17  mai  1751.  C*  168. 

48.  Foucault.  «  Se  prétend  descendu  du  maréchal  de  ce  nom  comte  Du 
Daugnon.  »  G.,  30  mars  1733  ;  L.,  1»^  avr.  1748  ;  C,  17  avr.  1757  ;  R., 
15  janv.  1762.  C*  167. 

49.  De  PeiroUes.  D'Aix-en-Provence.  G.,  14  juil.  1741;  L.,  11  févr.  1756; 
R.,  5  nov.  1766.  C*  169. 

50.  Bailli  de  Raimond  d'Eaux.  «  Et  non  pas  le  chevalier  d'Eaux  de  Ray- 
mondis.  »  De  Provence  ;  fils  d'un  ancien  lieutenant  de  vaisseau.  Six  de  ce 
nom  dans  la  marine  et  les  galères.  G.,  11  août  1722  ;  C,  l*»"  avr.  lliti  ;  CE., 
l"oct.  1764;  LG.,  6  févr.  1777;  VA.,  5  déc.  1788.  C*  166. 

51.  Riqueti,  chevalier,  puis  bailli  de  Mirabeau;  de  l'ordre  de  Malte; 
frère  de  l'Ami  des  hommes;  né  le  8  oct.  1717,  Pertuis  (Provence).  GE., 
7  mai  1730;  L.,  1*'  janv.,  1746  ;  C,  1"  mars  1752;  gouverneur  de  la  Gua- 
deloupe, 1*'  sept.  1752;  inspecteur  général  des  côte»  de  Picardie,  14  nov. 
1756;  R.,  ler  avr.  1764;;  f  1794,  Malte.  C*  166;  Loménie,  Les  Mira- 
beau, t.  1. 

52.  Boades  de  Montbrun.  De  Provence.  G.,  17  janv.  1725;  L.,  10  oct. 
1743;  R.,  24  mars  1758.  C*  167. 

53.  Castellane  La  Valette.  De  Provence.  Deux  frères  de  ce  nom  :  l'aîné, 
G.,  25  févr.  1729  ;  L.,  1"  janv.  1746;  le  cadet,  G.,  14  mai  1732  ;  L.,  17  mai 
1751.  Cl  165. 

54.  D'Arbaud  de  Jouques.  De  Provence.  Sept  de  ce  nom  dans  la  marine 
et  les  galères.  G.,  6juil.  1735;  L.,  23  mai  1754;  C,  15  janv.  1762;  gou- 
verneur général  de  la  Guadeloupe,  24  oct.  1775;  CE.,  1^'juin  1778;  LO., 
12  janv.  1782.  C*  168. 

55.  Massilian  le  cadet.  Du  comtat  d'Avignon.  Frère  de  Massilian  l'aîné. 
G.,  15  sept.  1738;  L.,  11  févr.  1756;  R.,  25  juil.  1758.  C*  168. 

56.  Antoine  Mercier,  de  Paris;  fils  de  la  nourrice  du  roi.  G.,  11  nov. 
1729;  L.,  1"  avr.  1738;  C,  1"  avr.  1748;  CE.,  18  août  1767;  t9  oct.  1785, 
Saint-Thiébault  (Lorraine).  C*  166. 

57.  Colbert  de  Turgis.  Né  à  Toulon;  fils  d'un  capitaine  de  vaisseau. 
G.,  5  oct.  1718;  L.,  1»'  mai  1741;  C,  23  mai  1754;  RCE.,  24  déc.  1764. 
Ci  167. 

58.  Montcalm  Saint- Véran.  Un  de  s«s  frères  tué  au  combat  de  M.  de 
L'Étanduère,  25  oct.  1747.  G.,  18  mars  1733;  L.,  17  mai  1751;  C,  17  avr. 
1757;  R.,  8  mai  1760.  C^  168. 


ESCADRE    DE    LA    GALISSONNIÈRE.  511 

59.  De  Fabrègues  laîné.  De  Provence.  Cinq  de  ce  nom  dans  la  marine. 
G.,  7oct.  1:32  ;  L.,  17  mai  1751;  C,  17  avr.  1757;  B.,  11  oct.  1768;  R., 
12  févr.  1774.  C*  168. 

60.  De  Dupignet  Guelton.  D'Aix-en-Provence.  Fils  d'un  conseiller  au 
Parlement;  G.,  14  juil.  1741  ;  L.,  11  févr.  1756;  tué  à  l'attaque  du  fort  Saint- 
Philippe,  28  juin  1756.  G*  169. 

61.  Le  Baron  de  Faugères.  G  ,  30  oct.  J743;  L.,  11  févr.  1756;  R., 
]6  nov.  1764;  nommé  chef  des  classes  à  Cette,  17  juin  1786.  C*  169. 

62.  Rochemore  La  Devèze.  De  Languedoc.  Fils  et  neveu  de  deux  lieute- 
nants de  vaisseau.  G.,  6  nov.  1718;  L.,  1"  mai  1741;  C,  17  mai  1751;  CE., 
l*'oct.  1764;  RLG.,  1776.  Ci  166. 

63.  Nas  de  Tourris  laîné.  De  Toulon.  Fils  d'un  ancien  enseigne  de  vais- 
seau ;  son  oncle  mort  au  service,  à  Saint-Domingue.  G.,  4  mai  1723  ;  L., 
l"janv.  1746;  C,  23  mai  1754;  B.,  25  mars  1765;  R.,  18  août  1772. 
C*  167. 

64.  Chevalier  de  Massilian  l'aîné.  Du  Comtat  d'Avignon.  Frère  de  Mas- 
»ilian  le  cadet.  G.,  27  févr.  1725;  L.,  10  oct.  1743;  R.,  24  mars  1758. 
C*  167. 

65.  Narbonne  Pelet.  G.,  5  mai  1738;  L.,  11  févr.  1756;  C.,  18  août  1767; 
f  8  déc.  1775,  à  la  mer.  Qi  168. 

66.  Comte  de  Barjeton  Verelause.  Maison  originaire  d'Angleterre,  éta- 
blie dans  le  duché  d'Uzès  ^Languedoc),  souis  Louis  Xll.  G.,  !«''  janv. 
1741  ;  L.,  11  févr.  1750  ;  CF.,  27  nov.  1765;  C,  18  féyrier  1772  ;  f  18  nov. 
1772.  C*  169. 

67.  D'Erville.  Parent  du  comte  de  Nouilles  et  du  président  Hénault.  G., 
21  nov.  1718  ;  L.,  1"  mai  1741  ;  C,  17  mai  1751  ;  R.,  1»'  avr.  1759.  C^  166. 

68.  De  Goiho  l'aîné.  De  Marseille.  Fils  aîné  d'un  ancien  lieutenant  de 
galère.  GE.,  30  déc.  1722;  C,  23  mai  1754;  B.,  25  mars  1765  ;  R.,  2  févr. 
1774;  f  5  août  1781.  C^  167. 

69.  Barras  de  Saint-Laurent.  «  Il  y  en  a  eu  quatre  au  service  de  ce  nom, 
dont  un  chef  d'escadre  et  un  capitaine  de  galère.  »  G.,  17  mai  1734;  L., 
23  mai  1754;  C,  15  janv.  1762;  CE.,  !•' juin  1778;  LG.,  12  janv.  1782; 
VA.,  1"  janv.  1792.  C*  168. 

70.  Novarin  l'aîné.  De  Thor  (Comtat).  G.,  30  juin  1734  ;  L.,  23  mai  1754; 
t  3  avr.  1761.  C^  168. 

71.  Marquis  de  La  Valette.  De  Provence.  Dix  de  ce  nom  dans  la  marine. 
G.,  7  oct.  1743;  L.,  11  févr.   1756;  RC,  19  juil.  1764.  C*  169. 

72.  Beaussier  de  La  Chaulanne.  S'appelait  d'abord  Beaussier  de  Quiez, 
De  Toulon;  fils  d'un  ancien   lieutenant   de   vaisseau  mort   au  service.  G., 

10  nov.  1721  ;  L.,  1"  mai  1741;  C,  23  mai  1754;  R.,  15  mai  1762.  C*  167. 

73.  Gaufridy.  De  la  Ciotat.  G.  17  févr.  1720;  L.,  1"  janv.  1746;  C, 
15  mai  1756;  f  2  déc.  1757.  C*  167. 

74.  Saint-André  Montméjan.    GE.,    7   nov.  1733;    L.,  23    mai    1754;  R., 

11  mai  1762.  C*  168. 

75.  Pas^our  de  Costebelle.  De  Languedoc.  Fils  d'un  ancien  gouverneur 
mort  à  l'île  Royale  en  1717.  G.,  16  juil.  1723;  L.,  10  00t.  1743;  C,  23  mai 
1754;  B.,  25  mars  1765.  C^  167. 

76.  Taurin  Dannat  l'aîné.  De  Provence.  Frère  de   Dannat  Montmaur  et 


512  APPENDICE    VIII. 

du  chevalier  de  Taurin.  G.,  11  avr.  1734;  L.,  23  mai  1754;  f  1"  noY.  1762, 
Cl  168. 

77.  D'Ortigues  l'aîné.  De  Marseille.  G.,  6  juil.  1735;  L.,  23  mai  1754; 
f  5  sept.  1761.  Cl  168. 

78.  Cheyalier  de  Tressemanes.  De  Provence.  CM.  G.,  7  oct.  1738;  L. 
11  févr.  1756;  C,  18  août  1767.  Ci  168. 

79.  Ponlevès  Maubousquet.  De  ProTence.  Seize  de  ce  nom  dans  la 
marine  et  les  galères.  G.,  3  avr.  1739;  L.,  11  févr.  1756;  y  5  août  1756„ 
Cl  169. 

80.  Marquisan.  De  Provence.  Fils  d'un  lieutenant  de  vaisseau  mort  au 
service  en  H."^?.  LA.,  1"  janv.  174(5;  C,  23  mai  1754;  CA.,  janv.  1755; 
B.,  25  mars  1767;  f  27  mars  1775,  Toulon.  Ci  167. 

81.  Mab'an  d'Ayminy.  G.,  14  mai  1732;  L.,  17  mai  1751;  G.,  17  avr. 
1757;  -{-  1"  mai  1757.  Ci  167. 

82.  De  Marin.  De  Provence.  G.,  5  mai  1738  ;  L.,  11  févr.  1756;  C, 
18  août  1767;  CE.,  l'^févr.    1781.  Ci  168. 

83.  Dandoque.  G.,  22  mai  1738;  L.,  11  févr.  1756;  f  2  oct.  1761.  Ci  168. 

84.  Comte  de  Carné  Marcein.  G.,  14  juin  1730;  L.,  1»' janv.  1746;  C, 
15  mai  1756;  B.,  25  mars  1765;  f  22  déc.  1771,  Brest.  Ci  167. 

85.  De  L'Isle  Calian.  G.,  14  mai  1732;  L.,  17  mai  1751;  C,  17  avr.  1757; 
RCE.,2-2mai  1778.  Ci  167. 

86.  De  Goy  Le  Bègue.  Fils  d'un  lieutenant  de  vaisseau.  G.,  10  mai  1733, 
L.,  23  mai  1754;  KC,  11  août  1764.  Ci  168. 

87.  De  Vilarzel  d'Hélie.  De  Provence.  G.  10  févr.  1706;  L.,  P'  juil. 
1730;  C,  1"  janv.  1746;  CE.,  10  août  175^;  f  17  août  1760,  Montpellier. 
Cl  166. 

88.  De  Dannat  Montmaur.  De  Provence.  Fils  d'un  lieutenant  de  vais- 
seau; quatre  oncles  paternels  morts  au  service  de  la  marine,  dont  trois 
tués  à  la  mer;  deux  frères  aînés  morts  au  service,  l'un  de  ses  blessures; 
deux  frères  dans  la  marine  :  Taurin  Dannat  et  le  chevalier  de  Taurin.  G., 
6  nov.  1718;  L.,  1^' avr.  1738;  C,  1"^  avr.   1748;  R.,  15  janv.  1762.    Ci   166. 

89.  Truguet,  Fils  d'uu  écrivain  mort  au  service;  frère  de  Laurent  Tru- 
gutt,  premier  commis,  directeur  du  Dépôt  des  Archives  de  la  Marine  de 
1754  à  1761.  LP.  1"  janv.  1746;  CP.,  10  août  1756;  major  général  de 
marine,  l*'  janv.  1774.  Ci   167. 

90.  Saint-André  Montméjan.  De  Port-Sainte-Marie  (^Guienne).  Fils  d'un 
lieutenant  de  vaisseau.  G.,  7  mars  1720;  L.,  1"  mai  1741.  Ci  165. 

91.  Chevalier  de  Tressemanes  Chasteuil.  De  Provence.  CM.  G.,  14  juil . 
1741;  L.,  15  mai  1756;  CF.,  27  nov.  1765;  C,  18  févr.  1772;  RCE.,  3  déc. 
1784.  Cl  169. 

92.  Baron  de  Glandevez  Castellet.  De  Provence.  GE.,  15  août  1740;  L., 
11  févr.  1756;  RC,  l""  oct.  1764.  Ci   169. 

93.  DePannat.  De  Provence.  G,,  25  janv.  1720;  L.,  W  mai  1741;  C., 
17  rnai  1751;  CE.,  1"  oct.  1764.  Ci  166. 

94.  D'Agay.  De  Provence.  G.,  5  mars  1730;  L.,  le'janv.  1746;  C,  14  nov. 
1756;  B.,25  mars  1765;  K.,  20  mai  1774.  Ci  167. 

95.  Jousselin  de  Marigny.  D'Auvergne.  F'ils  d'un  capitaine  de  frégate.  G., 
11  déc.  1732;  L.,  17  mai  1751;  C,  17  avr    1757;  R.,  1762.  Ci  168. 


ESCADRE   DE   LA   GALISSONNIÈRE.  513 

96  Chevalier  de  Taurin  cadet.  Frère  de  Taurin  Dannat  l'aîné  et  de 
Dannat  Montmaur.  G.,  21  avr.  1734;  L.,  23  mai  1754;  f  15  déc.  1757.  Ci  168 

97.  Chevalier  de  Glandevez.  D'Entrevaux  (Provence);  neveu  du  comman- 
deur de  Glandevez.  CM.  G.,  14  juil.  1741;  L.,  11  févr.  1756;  C,  18  févr. 
1772;  CE.,  20  août  1784.  C*  169. 

98.  Marquis  de  Chabert  Cogolin.  De  Provence.  Fils  d'un  enseigne  de 
vaisseau.  G.,  14  juil.  1741;  L.,  11  févr.  1756;  CF.,  1"  oct.  1764;  C,  15  nov. 
1771  ;  adjoint  au  Dépôt  des  plans  de  la  marine,  1773;  CE.,  12  janv.  1782. 
Cl  165,  169. 

99.  Jérôme  Beaussier,  De  Toulon.  Cousin  des  capitaines  de  port  de 
Toulon  et  de  Br«st.  Aide-marine  et  d'équipage,  4  nov.  1737;  L.  et  LP., 
26  févr.  1756;  f  20  mars  1758,  Toulon.  Ci  161,  169. 


33 


514 


APPENDICE   IX. 


IX 


ESCADRE  DE  LA  CLUE* 


Douze  vaisseaux  . 
W Océan  80  c. 


Le  Centaure 


74 


Le  ïledouiable 


74 


Le  Téméraire 


Le  Guerrier 


Le  Souverain 


74 


1\ 


74 


CE.  :  de  La  due  Sabran. 

GS.  :  comte  de  Camé  iMarcein,  chevalier 
de  Laugier  Beaucouse^. 

L.  :  d'Arbaud  de  Jouques,  GasLellaae 
Majastres,  Monier  de  Fausse,  che- 
valier de  Glaridevez,  chevalier  de 
Suffren^,  de  Loménie*. 

GG.   :  de  Sabran  Grammont. 

GS.   :  G'AStellane  La  Valette  le  jeune 

L.  :  Faudran  de  Taillade,  Rairaondis 
Ganaux,  Guiran  de  La  Brillane^, 
(le  Gaulés  ^. 

GG.  :  marquis  de  Lci  Ferté  Saint-Ai- 
grian. 

GS.    :  chevalier  de  Grasse  du  Barp. 

L.  :  de  Venel  le  jeune,  chevalier  de 
Fressemanes,  chevaher  d'Albert 
Saint-Hippolyte  le  cadet,  de 
SelveS. 

GG.   :  de  Gastillon. 

L.  :  de  PeiroUes,  chevalier  de  Tour- 
non  ^^  Saint-Gézaire*'*,  Giapier 
Saint-Tropez  ". 

GG.   :  Rochemore  La  Devèze. 

\..  :  Narbonne  Pelet,  chevalier  de  Vil- 
lage-Villevieille*^  de  Boades^^ 

GG.   :  de  Pannat. 

GS.    :  Saint-Julien^*. 

L.  :  chevalier  de  Ghateauneuf  Tho- 
mas ^^,  Barras  de  Saint-Laurent, 
Gravier  d'Ortières  ^^,  comte  de 
Barjeton  Verelause. 


ESCADRE   DE   LA    GLUE. 


515 


Le  Modeste 


Le  Fantasque 


Le  Lion 


Le  Triton 


64  c.     GG. 


64 


64 


r,4 


Le  Fier 


VOriflamme 

Trois  frégates 
La  Chimère 
La  Minerve 
La  Gracieuse 


50 


50 


26 
26 

24 


GG. 
GS. 
L. 

GG. 
L. 

GG. 
GS. 
L. 


GG. 
GS. 
L. 

GG. 
L. 

GG. 
GG. 
GG. 
L. 


Du  Lac  de  Montvert  ^'. 
de  Grasse  Briançon  l'aîné,   che- 
valier de  Gastellane  Grimaud*^, 
chevalier  de  Raimondis^^. 
Gastillon  cadet, 
de  Fabrègucs  l'aîné. 
Le  Baron  de  Faugères,  baron  de 
Glandevez  Gas^ellet, 
Golhert  de  Turgis. 
La  Poype  de  Verlrieux,  Périer  de 
Salvert  fils^o,  Giraud  d'Agay  ^i. 
de  Venel  l'aîné. 
La  Gomté  Pigache. 
chevalier   d'Albert    Saint-Hippo- 
lyte^^,  d'Ortigues  l'aîné,  chevalier 
de  Vento  Des  Pennes ^^. 
Marquisan. 

Meyronuet  Saint-Marc. 
Lort  de   Vériguan^^  Gatelin   La 
Gardées. 
Dabon26. 
comte  de  Framont". 

Faucher. 

chevalier  de  Forbin  d'Oppède. 

chevalier  de  Fabry. 

de  Grasse  de  Limernoiont. 


1.  Ci-dessus,  p.  305.  —A.  M.,  B*  90. 

2.  Chevalier  de  Laugier  Beaucouse.  De  Provence.  Fili  d'un  enseigne  de 
vaisseau,  neveu  de  M.  de  La  Clue.  CM.  G.,  31  déc.  1735;  LA.,  17  mai  1751; 
C,  17  avr.  1757;'RCE.,  2  août  1783;   f  7  août  1784,  Marseille.  C^  168. 

3.  Pierre-André  de  SurtVen  de  Saint-Tropez,  chevalier,  puis  bailli  de 
Malte.  Né  le  17  juillet  1729  à  Saint-Cannat  (Provence).  G.,  30  cet.  1743  ; 
E.,  1"  avr.  1748;  L.,  15  mai  1756;  CF.,  18  août  1767;  C,  18  févr.  1772; 
CE.,  12  janv.  1782;  LG.,  8  févr.  1783;  VA.,  4  avr.  1784;  f  8  déc.  1788, 
Paris.  Cl  169,  C"^. 

4.  De  Loménie.  GE.,  1730;    LP.,  !«'  nov.  1757;  f  28  avr.  1767.  C^  170. 

5.  Guiran  de  La  Brillane.  D'Aix-en-Provence.  CM.  G.,  18  juil.  1741; 
L.,  15  mai  1756;  C,  15  nov.  1771;  commandant  général  des  îles  de  France 
et  de  Bourbon,  23  déc.  1775;  CE.,  26  déc.  1778;  f  1789,  île  de  France. 
G*  169. 

6.  De  Gantés.  G.,  12  janv.  1746;  L.,  17  avr.  1757;  C,  24  mars  1772;  R., 
19  oct.  1781.  Cl  170. 


516  APPENDICE   IX. 

7.  Chevalier  de  Grasse  du  Bar.  De  Provence.  CM.  GE,,  mai  1730;  L., 
l«janv.  1749;  C,  17  avr.  1757;  f  août  1759,  Quelfes,  auprès  de  Faro  (Por- 
tugal). Cl  167. 

8.  De  Selve.  De  Provence.  Fils  d'un  capitaine  de  vaisseau  mort  au  ser- 
vice. G.,  18  juin  1742;  L.,  15  mai  1756;  CF.,  1«'  févr.  1770;  C,  18  févr. 
1772.  Cl  169. 

9.  Chevalier  de  Tournon.  De  Provence.  G.,  30oct.  1743;  L.,  15  mai  1756, 
R.,  7  févr.  1768.  C*  169. 

10.  Saint-Cézaire.  De  Saint-Cézaire,  près  Grasse  (Provence).  G.,  17  mars 
1744;  L.,  15  mai  1756;  C,  18  févr.  1772;  commandant  TÉcole  royale  du 
Havre,  1*'  déc.  1773;  B.,  7  mars  1781;  tué  au  combat  de  la  Dominique, 
12  avr.  1782.  Ci  169. 

11.  Clapier  Saint-Tropez.  D'Hyères.  G.,  24  févr.  1746;  L.,  17  avr.  1757; 
C,  24  mars  1772;  R.,  18  août  1772;  Ci  170. 

12.  Chevalier  de  Village-Villevieilie.  De  Provence.  CM.  G.,  3  déc.  1475; 
L.,  17  avr.  1757;  tué  17  août  1759.  Ci  169. 

13.  De  Boades.  De  Provence.  G.,  12  janv.  1746;  L.,  17  avr.  1757;  C, 
24  mars  1776;  CE.,  20  août  1784.  Ci  169. 

14.  Saint-Julien.  Fils  d'un  ancien  lieutenant  de  vaisseau  mort  au  service. 
G.,  24  janv.  1732;  L.,  1"  avr.  1748;  C,  17  avr.  1757;  RCE.,  14  mars  1776; 
f  23  mai  1784,  Brest.  Ci  167. 

15.  Chevalier  de  Chateauneuf  Thomas.  De  Provence.  Neveu  du  comman- 
deur et  frère  cadet  du  marquis.  CM.  G.,  21  avr.  1734;  L.,  23  mai  1754;  R,, 

19  mars  1763.  Ci  168. 

16.  Gravier  d'Ortières.  De  Toulcn.  Frère  de  Gravier  l'aîné.  G.,  Il  juillet 
1738;  L.,  11  févr.  1756;  CF.,  18  août  1767;  f  22  févr.  1771,  Toulon.  Ci  168. 

17.  Du  Lac  de  Montvert.  De  Languedoc.  Fils  d'un  lieutenant  de  vaigseau 
mort  au  service.  G.,  4  mai  1723;  L.,  10  oct.  1743;  CA.,  i"  nov.  1752;  CG., 
17  avr.  1757;  R.,  15  janv.  1762.  Ci  166. 

18.  Chevalier  de  Castellane  Grimaud.  De  Provence.  CM.  G.,  1"  janv. 
1741;  L.,  11  févr.  1756;  R.,  16  sept.  1764.  Ci  199. 

19.  Chevalier  de  Raimondis.  De  Provence.  Six  de  ce  nom  dans  la  marine 
ouïes  gali^res.  G.,   3  déc    1745;    L.,  17  avr.  1757;   C,   18  févr.  177:^;  CE., 

20  août  1784.  Ci  169. 

20.  Périer  de  Salvert  fils.  Fils  de  Périer  de  Salvert;  neveu  de  Périer 
l'aîné;  gendre  de  Bigot  de  Morogues.  G.,  9  avr.  1745;  L.,  15  mai  1756;  C, 
24  mars  1772;  R.,  16  déc.  1786.  Ci  169. 

21.  Giraud  d'Agay.  «  11  sait  l'espagnol  et  l'anglais.  »  G.,  12  janv.  1746; 
L.,  17  avr.  1757;  C,  24  mars  1772;  R.,  18  août  1772.  Ci  169. 

22.  Chevalier  d'Albert  Saint-Hippolyte.  De  Provence.  Parent  du  marquis 
d'Albert.  CM.  G.,  5  mai  1734;  L.,  23  mai  1754;  R.,  16  janv.  1763.  Ci  168. 

23.  Chevalier  de  Vente  des  Pennes.  De  Provence.  CM.  GE.,  15  avr.  1738; 
L.,  23  mai  1754;  C,  18  août  1767;  R.,  26  sept.  1777.  C*  168. 

24.  Lort  de  Vériguan.  De  Montpellier.  G.,  1"  janv.  1741;  L.,  11  févr. 
1756;  CF.,  27  nov.  1765;  -j-  4  mai  1769.  Ci  169. 

25.  Catclin  La  Garde.  De  Toulon.  Fils  d'un  lieutenant  de  vaisseau  mort 
au  service.  G.,  4  sept.  1741;  L.,  15  mai  1756;  C,  18  févr.  1772;  f  18  mars 
1778,  Toulon.  C*  169. 


ESCADRE    DE    LA    GLUE.  517 

26.  Dabon.  Du  Dauphiné,  diocèse  de  Gap.  Neveu  du  marquis  de  Rou- 
Troy,  lieutenant  général  de  la  marine,  mort  en  1744;  parent  de  M.  de  Feu- 
quières,  gouverneur  général  de  la  Martinique,  mort  chef  d'escadre.  G., 
29  nov.  1727;  L.,  1"  janv,  1749;  C,  23  mai  1754;  CE.,  15  nov.  1771;  LO., 
l«r  juil.  1780.  C*  167. 

27.  Comte  de  Framont.  De  Mende  en  Gévaudan.  G.,  11  atr.  1748;  L., 
18  avr.  1757;  G.,  24  mars  1772;  f  oct.  1785.  Ci  170. 


518 


APPENDICE    X. 


X 


ESCADRE  DE  M.  DE  CONFLANS* 


Vingt  et  un  vaisseaux  formant  trois  divisions 


Le  Soleil  Royal 


U  Orient 


Le  Glorieux 


i^^   DIVISION 

80  c    950  II.     Maréchal  de  Conflans^. 
CPN.  :  Bidé  de  Chézac3. 
es.    :  chevalier  de  Lescoët  *. 
C.  en  troisième   :   Boulainvilliers 

de  Croy^. 
M.     :  Du  Dresnay  Des  Roches  6. 
Aide-major  :  chevalier  Du  Bos  le 

cadet  7. 

L.  :  Heussafd'Ouessant*,  mar- 
quis de  Bénouville  s,  de  La 
Biochaye  ^^,  Tronjoly  **, 
d'Esclabissac  ^^^  chevalier 
(le  Montazet  Almavin  ^3,  de 
Sorel  1^,  de  Cypières  *^. 
80  750  CE.  :  chevalier  de  Guébriant  Bu- 
des  16. 

es.  :  chevalier  Nogérée  de  La 
Fillière  l'aîné*', 

L.  :  Bigot  *^,  chevalier  de 
Brach*^,  Basterot  de  La 
Barrière  2<^,  Turpin  Du 
Breuil",  de  Lage  de  Vo- 
lude^^. 
74       650         ce.   :  Villars  de  La  Brosse. 

es.    :  Beaulieu  deTivas. 

L.  :  Mauclerc  Du  Bouchet  ", 
Veissière  de  Larivaux  La 
Barre  ^-s,  Luppé  de  La 
Motte^^jChevalier  de  Muin'®. 


ESCADRE    DE    M.    DE    CONFLANS. 


519 


Le  Robuste 

74  G 

650  h. 

ce. 
es. 

L. 

:  Fragnier  de  Vienne  2'. 

:  Deshayes  de  Cry^^. 

:  Longchamps  Montandre^*, 

Girardiu^o^  Kerven  Kersu- 

liec^i. 

Le  Dauphin  Royal 

70 

630 

ce. 
es. 

L. 

:  chevalier  d'Urlubh^  Fa- 
gosse^-. 

:  de  Chièvres  ^. 

:  La  Touche  Beauregard  3^, 
GottevilleBelIe-Isle3^Dau- 
bentou^,  Des  Touches  ^7. 

Le  Dragon 

64 

450 

ce. 

es. 

L. 

:  Le  Vasâor  de  La  Touche. 

:  Lizardais38. 

:  Du  Sault39,  comte  de  Che- 
risey*o,  Vaulmeniei'*^  Cil- 
lart  de  Suville''^  de  Se- 
guiran*3. 

Le  Solitaire 

64 

450 

ce. 
es. 

L. 

:  vicomte  de  Langle'*'*. 

:  de  Gouvello''". 

:  chevalier  de  Gouandour**, 
Du  Brcil  chevalier  de 
Hays^',  La  Grandière*^ 

2*    DIVISION 

Le  Tonnant 

80 

800 

CE.  : 

es. 

L.     : 

chevalier  de  Bauffiemont. 

Saiiit-Victoret*9. 

de  Mirande  Guériu^o,  Ker- 

Vlntrépide 


74       650 


ce. 
es. 

L. 


Le  Thésée 

74 

650 

ce. 

es. 

L. 

Le  Northumberland 

70 

630 

ce. 
es. 

tanguys^,  de  Beausset**, 
comte  de  Durfort  Du  ras  5*, 
d'Heguerty  ^^. 

:  Chasteloger^'. 

:  bandanne    de    Lincourt**. 

:  Du  Guélambert*'',  de  Du- 
clesraeur^^,  Du  Bois  de  La 
Motte  Rabeau^*,  La  Bou- 
cherie Fromenîeau*^^. 

:  KersaiutdeCoëtnempren®*. 

:  Plessis  Boterel^'. 

:  Du  Mène  Lézurec^^,  Lon- 
gueval^-*, marquis  de  Jons**, 
chevalier  de  iordat^®. 

:  Belingaut   de    Kerbabut*^. 

:  Tredern  Du  Dresnec. 


520 


APPENDICE    X. 


Le  Superbe 


70  p..  63(;  h, 


LÊveillé 


64       450 


Le  Brillatit 


64       450 


L. 


ce. 

es. 

L. 


ce. 
es. 

L. 


ce. 

es. 

L. 


de.Ianvry  l'aîné^^^  chevalier 
de  Belingan  t  de  Kerbabiit^', 
deLaFitte^o,  de  Va^san'^ 
Montalais'^^. 
Chiffrevas. 

chevalier  de  Carné  ^^,  Saint- 
Pern'^^,  Touronec  de  Corc- 
quer'^,  de  Larnage^^. 
La  Prévalais  deLaRocbe''^. 
chevaher  de  Lorgeril. 
chevalier  de  Keranstref^^^ 
comte  de  Montecler''^,  Ca- 
telan  raîDé**>,  Penfente- 
nyo^'.  —  Comte  de  Sou- 
lange  ^^. 

Keremar  de  Boi^chateau. 
de  La  Monneraye^s. 
Portmartin^'*,  Du  Plessis 
Parscau^^,  Saint-Légif-r  de 
La  Sausaye^^j  Géraldine', 
—  Saint-Denis  de  Vieux- 
Pont^s,  chevalier  Roussel 
de  Préville  cadet^s. 


3*     DIVISION 


Le  Formidable 


80       800 


Le  Magnifique 


74       650 


Le  Héros 


74       650 


CE. 

es. 

L. 


ce. 
es. 

L. 


ce. 
es. 

L. 


Saint-André    du   Verger^o 
Saint-André  l'aîné. 
De    Ménildot    de    Rid^au- 
ville^',  Penandreff  de  Ker- 
sauson^^^  chevalier    d'Ar- 
gouges93,  chevalier  Rous- 
sel de  Préville  9^,  chevaher 
de  Coataudon  ^^. 
Bigot  de  Morogues^^. 
Herpiii^'. 

Huon  de  Kermadec^^  j(er- 
jankerjan99,  Villers  Frans- 
sures  de  Brissaucourt^'^*^, 
Villers  de  Grassy^^'*. 

vicomte  de  Sanzay  *^2. 
LaVilleblanche^o3. 

Le  Mouton  Du  Manoir  i*'*. 


ESCADRE    DE    M.    DE    GONFLANS. 


521 


Le  Juste 


70  c.  630  h. 


Vlnflexihle 


64       450 


Le  Sphinx 


64       450 


Le  Bizarre 


64      450 


Cinq  frégates  ou  corvettes  : 
UHébé 

La  Vestale 

VAigrette^  la  CalypsOy  la  Noire. 


Marencein  de  Chivrey*^^, 
Saint-Prix  ^'^^j  chevalier  de 
Villers  Franssures  ^^'^. 

CG.  :  Saint-AUouarn  l'aîné  i»». 

es.  :  Kosmadec  de  Saint-Al- 
louarn  ^09. 

L.  :  chevalier  Du  Châtel  Ta- 
neguy"^,  La  Boullaye^^*, 
chevalier  de  Kerjeanmol  "2, 
Périer  de  Montplaisir  *'^- 
Trémigon  ^K 

CG.  :  Tan -rède  chevalier  de  Cau- 
mont  **5, 

CS.   :  Laccary. 

L.  :  chevalier  de  Ternay  d'Ar- 
sac  **^,  chevalier  Chabot**', 
Beaupoil  Sainfce-Aulaire  de 
La  iJixmerie  **8,  Repen- 
tigny  119. 

CG.  :  de  Gouyon  chevalier  de 
Coutance  La  Selle  ^^o. 

CS.   :  Jousselin  de  Marigny. 

L.  :  Bouiii  de  La  Villebou- 
quais  121,  L'Épine  Grain- 
ville  i^',  chevalier  de  Bal- 
leroy  i^a,  La  Touche  Beau- 
regard  de  Telincourt  ***, 
—  Kèriou  Le  Borgne  *2^, 
chevalier  Prévost  de  Tra 
versay  i^*'. 

CG.  :  Prince  de  Montba'on  che- 
valier de  Rohan  ^^'^. 

CS.    :  Foucault. 

L.  :  chevalierde  Landeraonti**, 
Valmenier  Cacquaray  '*^, 
Dampierre  Cugniaci^^,Gou- 
berti3i. 

LC.  :  LagadeckMesedern  deKer- 

loury  *^2. 
LC.  :  chevalier  de  Montfiqueti33, 


1,  Ci-d08»U8,  p.  353.  —  Nombreux  états  de  cette  escadre  :  A.  M.,  B*  88. 


522  APPENDICE    X. 

2.  Chevalier,  puis  comte  de  Cooflans-Brienne.  «  Bon  officier,  sachant  son 
métier  et  brave,  mais  un  peu  vif  et  haut  sur  sa  naissance  ;  prétend  descendre 
des  rois  de  Jérusalem.  »  G.,  13  févr.  1706:  h].,  25  nov.  1712,  L.,  17  mars 
1727;  LGM.,  1*^  nov.  1731  ;  chevalier  de  Saint-Louis, 25  juil.  1732;  C,  10  mars 
1734;  commandant  des  gardes-marine  de  Brest,  l^r  déc.  1741  ;  gouverneur 
général  des  îles  sous  le  Vent  (Saint-Domingue),  26  mai  1747;  CE.,  1"  avril 
1748;  LG.,  1"  sept.  1752;  VA.  es  mers  du  Levant,  14  nov.  1756;  maréchal 
de  France,  18  mars  1758;  chevalier  de  Saint-Lazare  ;  -|-  27  janv.  1777,  Paris. 

Le  7  pluviôse  an  XII  (28  janvier  1804),  Marie-Rose  Fougen,  «:  veuve  de 
l'ex-maréchal  et  vice-amiral  de  Conflans  »,  âuée  de  soixante-dix  ans,  sans 
ressources  et  infirme,  qui  n'avait  plus  rien  touché,  depuis  1792,  de  sa  pen- 
sion de  six  raille  livres,  ni  de  ses  biens  à  Saint-Domingue,  obtint  du  Pre- 
mier Consul  un  secours  de  trois  mille  francs  ;  le  7  messidor  suivant  (6  juil- 
let 1804),  un  décret  impérial  lui  alloua  une  pension  viagère  de  mille  francs. 
et  165,  166.  C7. 

3.  Bidé  de  Chézac.  De  la  Rochelle.  Fils  d'un  lieutenant  de  vaisseau  mort 
au  service;  petit-neveu  des  intendants  de  la  marine,  de  Lou\igny  et  Bigot 
de  La  Motte  ;  cousin  germain  du  capitaine  de  vaisseau  Bidé  de  Maurville. 
G.,  12  déc.  1721  ;  L.,  1«  mai  1741;  C,  17  mai  1751  ;  f  23  mai  1764.  C*  166. 

4.  Chevalier  de  Lescoet.  De  Bretagne.  Fils  du  capitaine  de  vaisseau.  G., 
12  janv.  1734,  L.,  17  mai  1751;  C,  17  avr.  1757;  f  16  avr.  1766,  Brest.  C^ 
168. 

5.  Boulainvilliers  de  Croy.  De  Brest.  Fils  du  capitaine  de  vaisseau  péri 
avec  le  Bourlon  (p.  139).  G.,  23  déc.  1735;  L.,  17  mai  1751  ;  C,  17  avr.  1757; 
CE.,  5  mai  1780.  C^  168. 

6.  François-Julien  Du  Dresnay  Des  Roches.  De  Firetagne.  Fils  cadet 
d'un  capitaine  de  vaisseau  mort  en  17J7.  G.,  15  avr.  1734;  C,  17  avr.  1757; 
gouverneur  général  des  îles  de  France  et  de  Bourbon,  22  juil.  1768  ;  CE., 
9  nov.  1776;  f  12  août  1786,  Paris.  C^  168. 

7.  Chevalier  Du  Bos  le  cadet.  D'Auvergne.  Frère  du  chevalier  Du  Bos 
l'aîné.  G.,  21  avr.  1734;  aide-major,  17  mai  1751;  C,  15  janv.  1762;  B., 
18  août  1772;  f  22  janv.  1786,  Brest.  Ci  168. 

8.  Charles-Gabriel  Heussaf  d'Ouessant.  G.,  4  avr.  1734;  L.,  23  mai  1754; 
RC,  16  sept.  1764.  Ci  168. 

9.  Marquis  de  Bénouvilie.  De  Normandie.  G.,  2  mai  1738;  aide-major, 
11  févr.  1756;  R.,  15  janv.  1762.  Ci  168. 

10.  De  La  Biochaye.  G.,  5  nov.  1743;  L.,  15  mai  1756;  C,  18  févr.  1772; 
R.,  3  déc.  1784.  Ci  169. 

11.  Tronjoly.  Neveu  de  M.  de  Frémeur,  lieutenant  général  des  armées  du 
roi.  G.,  17  sept.  1735;  L.,  11  févr.  1756;  C,  11  août  1767;  B.,  14  mars  1776. 
Cl  168. 

12.  D'Esclabissac.  G.,  30  août  1738;  L.,  11  févr.  1756;  R.,  1764.  Ci  168. 

13.  Chevalier  de  Montazet  Amalvin.  D'Agen.  CM.  G.,  25  juil.  1741;  L., 
11  févr.  1756  ;  R.  1"  mai  1765.  Ci  169. 

14.  De  Sorel.  De  Normandie.  Fils  du  capitaine  de  vaisseau.  G.,  10  janv. 
1746;  L.,  17  avr.  1757;  f  8  déc.  1765,  Brest,  Ci  170. 

15.  De  Cypières.  GE.,  18  mars  1743;  LGP  ;  17  juill.  1757;  R.,  13  août 
1765.  Cl  170. 


ESCADRE    DE   M.    DE    CONFLANS.  523 

16.  Chevalier  de  Guébriant  Budes.  De  Bretagno.  G.,  1*^  nov.  1716;  L., 
1»'  juil.  1735;  C,  1"  janv,  1746;  commandant  de  la  marine  à  Rochefort, 
1756;  CE.,  1"  janv.  1757  ;  f  4  août  17(i0.  C^  166. 

17.  Chevalier  Nogérée  de  La  Fillière  l'aîné.  De  Rochefort.  Fils  d'un  lieu- 
tenant de  vaisseau  mort  en  1727;  frère  d'un  lieutenant  de  vaisseau  mort  en 
1758  8ur  V Alcyon  qu'il  commandait.  G.,  25  mars  1716;  L.,  1«  mai  1741.  C* 
165,  C\ 

18.  Bigot.  De  Bordeaux.  Fils  d'un  conseiller  au  parlement  de  Bordeaux, 
petit-fils  de  M.  Lambert,  inspecteur  général  de  la  marine  à  Bordeaux;  frère 
de  Bigot  de  La  Motte,  intendant  du  Canada;  parent  du  marquis  de  Puisieux, 
secrétaire  d'Etat  des  affaires  étrangères.  G.,  5  juil.  1735;  L.,  23  mai  1754; 
C,  27  nov.  1765:  R.,  1778.  C*  168. 

19.  Chevalier  de  Brach.  De  Rochefort.  Fils  d'un  capitaine  de  frégate  mort 
au  service;  un  frère  aîné  dans  la  marine.  G.,  3  mai  1738;  L.,  11  févr.  1756; 
C,  18  août  1767;  B.,  14  mars  1767;  f  24  oct.  1780,  Cadix.  Ci  168. 

20.  Basterot  de  La  Barrière.  De  Bordeaux.  Fils  d'un  enseigne  de  vaisseau 
mort  au  service.  G.,  23  sept.  1738;  L.,  11  févr.  1756;  C,  18  août  1767;  R., 
20  janv.  1776;  f  1783.  C*  168. 

21.  Charles  Turpin  Du  Breuil.  Né  le  22  février  1726,  à  Saint-Jean-d'Angély  ; 
a  quitté  l'ordre  de  Malte  pour  épouser,  le  3  févr.  1743,  Elisabeth-Julie  de 
Macnemara,  fille  du  commandant  de  la  marine  à  Rochefort.  G.,  1"  janv. 
1741;  L.  11  févr.  1756;  CF.,  1*'  oct.  1764;  f  30  juil.  1168,  aux  eaux  de 
Bagnères.  C^  169. 

22.  De  Lage  de  Volude.  De  Poitou.  G.,  24  juil.  1742;  L.,  11  févr.  1756; 
CF.,  1*'  oct.  1764;  2  août  1766,  Paris  C*  169. 

23.  Mauclerc  Du  Bouchet.  De  Saintonge.  Petit-fils  d'un  commissaire 
général  de  la  marine  mort  au  Port-Louis.  Fils  aîné  du  capitaine  de  vaisseau, 
ancien  capitaine  de  port  à  Toulon.  Deux  frères  :  l'un  officier,  l'autre  com- 
missaire de  marine.  G.,  6  juil.  1735;  L.,  23  mai  1754;  C,  27  nov.  1765; 
f  5  mai  1775.  C*  168. 

24.  Veissière  de  Larivaux  La  Barre.  De  Saintonge.  Fils  du  capitaine 
garde-côte  de  Royan.  G.,  15  juil.  1741  ;  L.,  11  févr.  1756;  R.,  15  janv.  1762. 
Cl  169. 

25.  Luppé  de  La  Motte.  De  Guyenne.  Fils  d'un  lieutenant  de  frégate  mort 
au  service  en  1753.  G.,  21  déc.  1745;  L.,  17  avr.  1757;  f  3  nov.  1764,  Roche- 
fort. Cl  169. 

26.  Chevalier  de  Muin.  Petit-fils  et  petit-neveu  d'un  intendant  de  la  marine 
et  d'un  capitaine  de  vaisseau  morts  au  service.  G.,  21  nov.  1743;  L,,  15  mai 
1756;  C,  18  févr.  1772.  Ci  169. 

27.  Fragniei-  de  Vienne.  De  Champagne.  G.,  12  sept.  1718;  L.,  1"  avr. 
1738;  C,  l^'avr.  1748;  RCE.,  16  sept.  1764.  Ci  166. 

28.  Deshayes  de  Cry.  De  Normandie.  G.,  9  nov.  1733;  L.,  17  mai  1751; 
C,  17  avr.  1757;  CE.,  9  nov.  1776;  LG.,  12  janv.  1782.  Ci  168. 

29  Longchamps  Montandre.  Petit-fils  d'un  capitaine  de  vaisseau.  G., 
4  avr.  1734;  LA.,  17  mai  1751;  tué  sur  le  Diadème,  d©  M.  de  Breugnon, 
aux  Antilles,  16  mai  1760.  C*  168. 

30.  Girardiu.  Originaire  des  Iles.  G.,  5  août  1741;  L.,  11  févr.  1756; 
f  6  août  1761,  Rochefort.  Ci  169. 


524 


APPENDICE    X. 


31.  Kerven  Kersuliec.  G.,  25  nov.  1745  ;  L.,  17  avr.  1757  ;  f  J3  févr.  1766, 
Brest.  Cl  169. 

32.  Chevalier  d'Urtubie  Fagosse.  D'Orogne,  près  Bayonne.  Fils  et  nevea 
de  capitaines  de  vaisseau.  G.,  23  juil.  1724;  L.,  le'  mai  1741  ;  C,  1"  avr,  1748, 
CE.,  1"  oct.  n64;  f  31  mai  1767.  C*  166. 

33.  De  Chièvres.  De  Saintonge.  Neveu  du  chevalier  de  Bretauville,  capi- 
taine de  vaisseau.  G.,  17  avr.  1732;  L.,  1"  avr.  1748;  C,  17  avr.  1757;  R., 
15  janv.  1762.  C*  167.  —  Le  rôle  du  Dauphin  Royal  (C«  285)  porte,  à  côté 
de  son  nom  :  a  Débarqué  le  10  novembre  1759  »,  et  n'indique  pas  de  rem- 
plaçant. 

34.  La  Touche  Beauregard.  De  la  Martinique.  Frère  aîné  de  La  Touche 
Beauregard  de  Telincourt  :  ci-dessous,  note  124.  G.,  4  juil.  1735.  LA., 
23  mai  1754;  C,  15  janv.  1762;  tué  à  Larache,  27  juin  1765.  C*  168. 

35.  Gotteville  Belle-Isle.  De  Normandie.  Fils  d'un  lieutenant  de  vaisseau. 
G.,  10  janv.  1742;  L.,  15  mai  1756;  R.,  15  mars  1769   Ci  169. 

36.  Daubenton.  Fils  du  commissaire  général  et  premier  commis  de  la 
marine.  G.,  6  juil.  1742;  L.,  15  mai  1756;  C,  18  févr.  1772;  directeur  d'ar- 
tillerie, 1"  déc.  1776;  f  26  mai  1782,  Rochefort.  Ci  169. 

37.  Des  Touches.  G.,  28  déc.  1743  ;  L.,  15  mai  1756  ;  C,  18  févr.  1772  ; 
CE.,  20  août  1784.  Ci  169. 

38.  Lizardais.  Fils  du  capitaine  de  vaisseau  et  commissaire  général  d'ar- 
tillerie, mort  le  12  décembre  1753.  G.,  19  oct.  1737;  C,  17  avr.  1757  ;  colonel 
d'artillerie,  25  févr.  1765;  f  12  juin  1769,  Brest.  Ci  168. 

39.  Du  Sault.  De  Bordeaux.  Fils  d'un  conseiller  au  parlement  ;  neveu 
d'un  lieutenant  de  vaisseau.  G.,  4  juil.  1?35;  L.,  23  mai  1754  ;  f  8  mars  1760. 
Qi  168. 

40.  Comte  de  Cherisey.  G.,  30  juin  1742  ;  L.,  11  févr.  1756;  C,  15  nov. 
1771  ;  B.,  9  nov.  1776.  Ci  169. 

41.  Valmenier.  L.,  17  avr.  1757;  R.,  15  janv.  1762.  Ci  170. 

42.  Cillart  de  Suville.  De  Bretagne.  Fils  d'un  capitaine  de  dragons.  G., 
2  mars  1746;  L.,  1"  janv.  1761;  C,  4  avr.  1777;  B.,  26  mai  1782.  11  ne  fut 
embarqué  sur  le  Draaon  que  dans  la  Vilaine  ;  il  passa  ensuite  sur  le  Robuste. 
Cl  170. 

43.  De  Seguiran.  De  Marseille.  Fils  d'un  chef  d'escadre;  petit-fils  d'un 
capitaine  de  galères,  GE.,  1"  janv.  1746;  L„  1*^  janv.  1761;  R.,  18  août  1772. 
Môme  embarquement  que  le  précédent.  Ci  170. 

44.  Vicomte  de  Langle.  De  Brest.  Fils  d*an  lieutenant  de  vaisseau  retiré 
en  1727.  G.,  6  févr.  1730;  L.,  1"  janv.  1746.  C,  15  mai.  1756;  R.,  16  sept. 
1764.  Cl  167. 

45.  De  Gouvello.  G.,  16  déc.  1731  ;  L.,  1«  janv.  1746.  Ci  165. 

46.  Chevalier  de  Gouandour,  Ci-devant  Penzé  de  Moëlien,  De  Bretagne. 
G.,  3  juil.  1735;  L.,  23  mai  1754;  C,  27  nov.  1765;  RCE.,  19  oct.  1781  ; 
t  8  avr.  1785,  Quimper.  Ci  168, 

47.  Du  Breil  chevalier  de  Rays.  De  Saint-Brieuc.  G.,  1"  janv.  1741:  L., 
11  févr.  1756;  C,  18  août  1767;  CE.,  18  févr.  1781  ;  f  13  sept.  1790,  Brest. 
Cl  168. 

48.  La  Grandière.  De  Brest.  Fils  d'un  lieutenant  de  vaisseau.  G,,  26  nov. 
1745;  L,,  17  avr.  1757;  C,  24  mars  1772;  CE.,  20  août  1784.  Ci  169. 


ESCADRE    DE    M.    DE    GONFLANS.  525 

49.  Saint- Victoret.  De   Provence.  G.,  9   sept.  1732;  L.  17    mai  1751;  C, 

17  avr.  1757;  B.,  28  janv.  1767.  Ci  167. 

50.  De  Mirando  Guérin.  G.,  3  avr.  1734;  L.,23  mai  1754  ;RC.,  16  sept. 
1764.  Cl  168. 

51.  Kertanguy.  De  Bretagne.  G.,  1"  janv.  1741  ;  L.,  15  févr.  1756;  R., 
13  août  1765.  c'i  169. 

52.  De  Beausset.  De  Marseille.  Neveu  de  M.  de  Villeneuve,  ambassadeur 
à  Constantinople.  G.,  5  mai  1738  ;  L.,  23  mai  1754;  C,  1"^  févr.  17c2  ;  CE., 
4  mai  1779  ;  LG.,  20  août  1784.  Ci  168. 

53.  Comte  de  Durfort  Duras.  Son  frère  aîné  mourut  en  1742,  sur  le  Rubis, 
au  Canada.  Parent  du  comte  de  Maurepas.  G.,  5  mai  1743  ;  L.,  11  févr.  1756; 
C,  18  août  1767  ;  RCE.,  9  août  1782.  Ci  169. 

54.  D'Heguerty  ou  dHyguerty.  De  Paris  ;  fils  d'un  commerçant  irlandais  ; 
«  fort  à  son  aise.  »  G.,  21.  mai  1745  ;  L.,  17  avr.  1757;  CB.,  15  août  1771  ; 
R.,  1«'  janv.  1770.  Ci  165,  169. 

55.  Chasteloger.  G.,  1"  avr.  1715;  L.  1»'  avr.  1738  ;  C,  1"  janv.  1746  ;  CE., 
1-'  janv.  1761  ;  f  5  déc.  1763.  Ci  166. 

56.  Dandanne  de  Lincourt.  G.,  13  juil.  1732;  L.,  17  mai  1751  ;  C,  17  a\T. 
1757;  f  28  mni  1763.  Ci  168. 

57.  Du  Guélambert.  CB.,  1"  avr.  1748;  L.,  17  mai  1751;  mort  des  bles- 
sures qu'il  reçut  dans  le  combat  livré  par  le  Courageux  qu'il  commandait, 
25  août  1761.  Ci  168. 

58.  De  Duclesmeur.  De  Brest.  «  Fils  d'un  lieutenant  de  vaisseau,  mort  en 
1744.  Sa  grand'mère  avait  épousé  M.  de  Fercourt,  chef  d'escadre.  Aîné  fort  à 
son  aise.  »  G.,  12  juil.   1741;  L.,  11   févr.  1756;  C,  18  févr.  1772;   RCE. 
20  mars  1784.  Ci  169. 

59.  Du  Bois  de  La  Motte  Rabeau.  G.,  25  nov.  1745;  L.,  17  avr.  1757;  R  , 

18  août  1767;  f  25  oct.  1768.  Ci  169,  C^. 

60.  La  Boucherie  Fromanteau.  De  Saintonge.  G.,  15  sept.  J738;  LA., 
23  mai  1754;  CA.,  15  janv.  1762.  Ci  168. 

61.  Guy-François  Kersaint  de  Coëtnempren.  Né  en  1707  au  manoir  de 
Kersaint,  près  Morlaix.  G.,  20  févr.  1722;  L.,  l*""  mai  1741;  C,  1er  janv.  1747; 
f  20  nov.  1759,  sur  le  Thésée.  Parmi  ses  quatre  fils,  trois  furent  officiers 
de  marine.  «  11  nous  a  laissés  sept  enfants  sans  pain,  dit  l'un  de  ses  Ois, 
sous  les  yeux  d'une  mère  respectable,  qui  par  ses  soins  nous  a  tous  élevés.  » 
Cl  166,  C\ 

62.  Plessis  Boterel.  G.,  14  mai  1732  ;  L.,  17  mai  1751  ;  C,  17  avr.  1757; 
f  20  nov.  1759,  sur  le  Thésée.  Ci  168. 

63.  Du  Mené  Lézurec.  De  Bretagne.  Fils  d'un  capitaine  général  garde- 
côte  ;  neveu  de  M.  de  Rozily,  major  de  la  marine.  G.,  19  janv.  1746;  L., 
17  avr.  1757  ;  f  20  nov.  1759,  sur  le  Thésée.  Ci  170. 

64.  Lcngueval.  De  Guyenne.  G.,  22  avr.  1746  ;  L.,  17  avr.  1757;  f  20  nov. 
1759,  sur  le  Thésée.  Cl  170. 

65.  Marquis  de  Jons.  G.,  27  juin  1746;  L.,  17  avr.  1757  ;  f  20  nov.  1759, 
sur  le  Thésée.  Ci  170. 

66.  Chevalier  de  Lordat.  De  Provence.  Fils  et  neveu  de  deux  aides-majors 
de  la  marine.  CM.  G.,  23  juin  1746;  L.,  17  avr.  1757;  f  20  nov.  1759,  sur  le 
Thésée.  Cl  170. 


526  APPENDICE    X. 

67.  Belingant  de  Kerbabut.  De  Bretagne.  G  ,  18  oct.  1718  ;  L.,  1*'  avr.  1738; 
C,  1"  avr.  1748;  CE.,  lô  sept.  1764;  f  4  avr.  1775,  Lannion.  Ci  166. 

68.  De  Janvry  l'aîûé.  De  Brest.  Fils  aîné  du  lieutenant  de  vaisseau  mort 
le  7  mai  1749.  G.,  3  juil.  1735;  L.,  23  mai  1754  ;  C,  15  janv.  1762  ;  B.,  22  févr. 
1774  ;  f  25  mars  1777,  Brest.  Ci  168, 

69.  Chevalier  de  Belingant  de  Kerbabut.  De  Bretagne.  Frère  du  capitaine 
du  1"  avril  1748.  G.,  30 juil.  1735;  L.,11  févr.  1753;  R.,  15janv.  1762.  Ci  168. 

70.  De  La  Fitte.  De  Niort.  Fils  d'un  lieutenant  de  vaisseau  mort  au  ser- 
vice. G.,  26  sept.  1735,  L.,  23  mai  175t  ;  RC,  16  sept.  1764.  Ci  168. 

71.  De  Vassan.  De  Brest.  Fils  du  lieutenant  de  vaisseau  mort  au  service 
en  1753.  G.,  8  juin  1742;  L.,  15  mai  1756;  C,  24  mars  1772  ;  R.,  21  mars 
1779.  Cl  169. 

72.  Montalais.  G.,  22  mai  1713;  L.,  1"  mai  1741  ;  C,  17  mai  1751;  péri 
avec  le  Superbe,  20  nov.  1759.  Ci  166. 

Son  fils  {G.,  21  févr.  1746;  E.,  23  mai  1754)  périt  avec  lui.  Ci  170. 

73.  Chevalier  de  Carné.  G.,  30  mai  1738;  L.,  17  mai  1751;  péri,  20  nov. 
1759.  Cl  168. 

74.  Saint-Pern.  De  Bretagne.  G.,  22  sept.  1738  ;  L.,  23  mai  1754  ;  péri, 
20  nov.  1759.  Ci  168. 

75.  Touronec  de  Gorcquer.  De  Lesneven,  près  Brest.  G.,  9  oct,  1738;  L,, 
11  févr.  1756;  péri,  20  nov.  1759.  Ci  168. 

76.  De  Larnage.  Né  aux  Iles.  Fils  du  feu  gouverneur  général  de  Saint- 
Domingue.  G.,  3  mai  1738  ;  L.,  23  mai  1754  ;  péri  20  nov.  1759.  Ci  168. 

77.  La  Prévalais  de  La  Roche.  De  Bretagne.  Fils  d'un  ancien  lieutenant 
de  vaisseau.  G.,  3  m?i  1729  ;  L.,  l^r  janv.  1746;  C,  15  mai  1756;  CE.,  9  nov. 
1776  ;  directeur  général  de  l'arsenal  de  Brest,  16  nov.  1776;  f  26  déc.  1766, 
Rennes.  Ci  167. 

78.  Chevalier  de  Keranstret.  De  Bretagne.  Fils  d'un  ancien  enseigne.  G., 
10  janv.  1742;  L.,  15  mai  1756  ;  CF.,  18  août  1767;  f  31  juil.  1771.  Ci  169. 

79.  Comte  de  Montecler.  Du  Maine.  G.,  15  déc.  1743;  L.,  17  avr.  1757; 
C,  18  févr.,  1772;  B.,  7  mars  1781  ;  t  25  mars  1784,  Quimper.  Ci  169. 

80.  Catelan  Taîné.  G.,  6  nov.  1743;  L.,  15  mai  1756;  C,  24  mars  1772; 
R.,29  mars  1777.  Ci  169. 

81.  Penfentenyo.  De  Bretagne.  G.,  30  mars  1756;  L.,  17  avr.  1757;  R., 
23  mars  1762.  Ci  170. 

82.  Comte  de  Soulange.  Du  Bas  Poitou.  G.,  11  févr.  1751;  L.,  1"  janv. 
1761  ;  C,  4  avr.  1777;  directeur  général  de  l'arsenal  de  Toulon,  1"  janv. 
1785.  11  ne  fut  embarqué  sur  Y  Éveillé  que  dans  la  Vilaine.  Ci  171. 

83.  De  La  Monneraye.  Du  département  de  Brest.  G.,  1733  ;  L.,  1748;  C, 
1757  ;  f  l^'  févr.  1760.  C. 

84.  Pcrtmartin.  G.,  4  juil.  1735  ;  L.,  23  mai  1754;  R.,  15  janv.  1762.  Ci  168. 

85.  Du  Plessis  Parscau.  De  Bre'.agne.  Fils  aîné  d'un  ancien  enseigne.  G., 
15  déc.  1743;  L.,  15  mai  1756  ;  C,  18  févr.  1772  ;  CE.,  20  août  1784  ;  f  7  mai 
1786  Cl  169.  —  Son  fils,  contre-amiral  en  1827,  fut  le  beau-frère  do  Chateau- 
briand. 

86.  Saint-Légier  de  La  Sausaye.  De  Saintonge.  Fils  du  capitaine  de  vais- 
seau mort  en  1753.  G.,  10  janv.  1742;  L.,  15  mai  1756  ;  R.,  27  nov.  1765.  C* 
169. 


ESCADRE  DE  M.    DE  GONFLANS.  527 

87.  G^raldin.  Fils  d'un  capitaine  de  vaisseau  mort  au  service.  G.,  2  juil. 
1745;  L.,  17  avr.  1757;  f  mars  1765,  Paris.  Ci  169. 

88.  Saint-Denis  de  Vieuxpont.  G.,  12  nov.  1743;  L.,  15  mai  J756;  C, 
18  févr.  1772;  RCE.,  29  août  1783;  f  19  mars  1784,  Vannes.  11  ne  fut  embar- 
qué sur  le  Brillant  que  dans  la  Vilaine.  G*  169. 

89.  Chevalier  Roussel  de  Préville  ca  let.  Troisième  fils  du  capitaine  de 
vaisseau  commandant  la  marine  à  Calais.  G.,  10  févr.  1746;  L.,  17  avr.  1757; 
C,  24  mars  1772;  f  oct.  1779.  Même  embarquement  que  le  précédent. 
C*  170. 

90.  Saint-André  du  Verger.  Frère  de  Saint- André  l'aîné.  G.,  20  nov.  1715; 
C,  l^r  janv.  1746  ;  CG.,  25  juil.  1754  ;  CE.,  1^^  janv.  1757  ;  tué,  20  nov.  1759. 
C^  166. 

91.  De  Ménildot  de  Rideauville.  De  Normandie.  CM.  G.,  10  janv.  1734; 
L.,  17  mai  1751  ;  C,  15  janv.  1762;  R.,  1"  févr.  1763.  Ci  168. 

92.  Penandretf  de  Kersauson.  De  Bretagne.  Fils  du  capitaine  de  vaisseau 
retiré  le  14  juin  1762.  G.,  7  mai  1732;  L.,  23  mai  1754.  Ci  168. 

93.  Chevalier  d'Argouges.  11  a  eu  quatre  parenti  dans  la  marine.  G. 
30  août  1738;  L.,  23  mai  1754;  tué,  20  nov.  1759.  Ci  168. 

94.  Chevalier    Roussel   de  Préville.  Second  fils   du  capitaine  de  vaisseau 
commandant  la  marine  à  Calais.  G.,  12  juil.  1741  ;  L.,  11  févr.  1756  ;  CF. 
27  nov.  1765;  R.,  1"  févr.  1770.  Ci  169. 

95.  Chevalier  de  Coataudon.  De  Bretagne.  G.,  10  janv.  1746;  L.,  17  avr. 
1757;  péri,  20  nov.  1759.  Ci  169. 

96.  Sébastien- François  Bigot,  vicomte  de  Morogues  Du  Havre.  Fils  de 
l'intendant  de  Brest.  Entré  dans  le  régiment  royal  d'artillerie,  févr.  1723. 
Passé  dans  la  marine,  sous-lieutenant  d'artillerie,  19  sept.  1736  ;  CA.,  1"  janv. 
1746;  CG.,  1«»^  nov.  1752;  inspecteur  général  garde-côte  de  Bretagne.  11  févr 
1756;  CE.,  1"  avr.  1764;  inspecteur  général  d'artillerie,  1"  janv  1767;  LG., 
15  août  1771;  -f-  26  août  1781,  à  soixante-dix-huit  ans,  à  son  château  de 
Villefayer,  en  Sologne.  Ci  165-166. 

97.  Herpin.  De  Luçon.  Petit-neveu  de  M.  Herpin,  capitaine  de  port  à 
Brest,  do  M.  de  Terran,  lieutenant  de  port  à  Brest,  et  de  M.  Gabaret,  lieu- 
tenant général.  G.,  19  janv.  1733;  CA,,  17  avr.  1757;  B.,  25  mars  1765; 
t  11  oct.  1768.  Cl  167. 

98.  Huon  de  Kermadec.  Troisième  fils  d'un  capitaine  de  vaisseau  qui  a 
servi  cinquante-six  ans.  Deux  frères  dans  la  marine.  (L'aîné  :  G.,  1731  ;  L., 
1748  ;  R.,  l'^juin  1752.  —  Le  second  :  G.,  1742  ;  E.,  1748.)  G.,  26  nuv.  1745 . 
L.,  15  mai  1756;  C  ,  18  févr.  1772;  RCE.,  24  déc.  1784.  Ci  165,  169. 

99.  Kerjankerjan.  De  Bretagne.  Neveu  de  Kerjankerjan  l'aîné.  G.,  26  nov^ 
1745  ;  L.,  17  avr.  1757  ;  C,  24  mars  1772;  R.,  12  avr,  1777.  Ci  169. 

100.  Villers  Franssures  de  Brissaucourt.  Troisième  fils  du  chef  d'escadre 
du  1*'  janvier  1754,  commandant  la  marine  au  Havre.  Deux  frères  ilans  la 
marine.  (L'aîné  :  G.,  3  mai  1738  ;  L.,  23  mai  1754;  f  23  déc.  1757.  —  Le 
second  ci- dessous,  note  107.)  G..  26  nov.  1745  ;  L.,  17  avr.  1757  ;  C,  24  mars 
1772  ;  R.,  20  janv.  1776.  Ci  li8,  169. 

101.  Villers  de  Grassy.  Fils  d'un  président  du  parlement  de  Paris  ;  cousin 
germain  du  chef  d'escadre  Champigny.  G.,  24  janv,  1746  ;  L.,  17  avr.  1757 
cassé  et  condamné  à  un  an  de   prison  par  le  conseil  de  guerre  de  Brest; 


528  APPENDICE   X. 

le  6  févr.  1762,  pour  sa  conduite  lors  de  la  prise  de  l'Achille  (17  juil.  1761), 
commandé  par  le  chevalier  de  Modène  pour  des  particuliers.  C*  170. 

102.  Vicomte  de  Sanzay.  G.,  28  juin  1713;  L.,  1"  avr.  1738;  C,  1"  avr. 
1748  ;  t  14  nov.  1762.  C^  166. 

103.  La  Villeblanche.  G.,  31  mai  1738;  L.,  17  mai  1751  ;  C,  17  avr.  1757; 
B.,  1"  sept.  1767;  commandant  de  la  brigade  de  Rochefort,  1"  mai  1772. 
Cl  168. 

104.  Le  Mouton  du  Manoir.  De  Normandie.  G.,  1"  févr.  1734;  L.,  23  mai 
1754;  R.,  5  févr.,  1761.  Ci  168. 

105.  Marencein  de  Chivrey.  G.,  1"  janv.  1741;  L.,  11  févr.  1756;  R.,  l"juil. 
1763.  Cl  169. 

106.  Saint-Prix.  De  Brest  Fils  du  capitaine  de  vaisseau.  G.,  1*""  janv.  1741  ; 
L.,  11  févr.  1756;  C,  24  mars  1772;  f  6  févr.  1777,  Brest.  Ci  169. 

107.  Chevalier  de  Villers  Franssures.  Deux  frères  dans  la  marine  ;  voir 
ci-dessus,  note  100.  G  ,  14  mars  1744  ;  L.,  15  mai  1756;  R.,  15  janv.  1762. 
Cl  169 

108.  Saint- Allouarn  l'aîné.  De  Bretagne.  Petit-neveu  du  chef  d'escadre; 
neveu  du  maréchal  de  Coëclogon  ;  frère  aîné  du  suivant.  G.,  13  mars  1720  ; 
L.,  1«^  mai  1741;  C,  P^  avr.  1748  ;  tué,  20  nov.  1759.  Ci  166. 

Son  fils,  Saint-Àllouarn,  fit  partie  de  l'expédition  de  Kerguelen  aux  terres 
australes.  G.,  4  juil.  1754;  L.,  P'  oct.  1764;  f  1772.  Ci  171. 

\0'.\  Rosmadec  de  Saint-Allouarn.  Frère  de  Saint-Allouarn  l'aîné.  G., 
11  mai  1732;  L.,  17  mai  1751  ;  C,  17  avr.  1757;  péri,  20  nov.  1759.  Ci  167. 

110.  Chevalier  Du  Châtel  Tanneguy.  Originaire  de  l'Amérique.  G.,  4  avr. 
1734;  L.,  17  mai  1751  ;  péri  20  nov.  1759.  Ci  168. 

111.  La  Boullaye.  De  Landerneau.  1"  juin  1734  ;  L.,  23  mai  1754;  -{-  3  déc. 
1759.  Cl  168. 

112.  Chevalier  de  Kerjeanmol.  Frère  du  lieutenant  de  vaisseau,  gouver- 
neur d'Ouessant,  mort  le  14  févr.  1763.  G.,  4  avr.  1734;  L.,  11  fé\T.  1756  ; 
péri,  21  nov.  1759.  Ci  168. 

113.  Périei-  de  Montplaisir.  Second  fils  de  Périer  l'aîné.  G.,  9  avr.  1745; 
L.,  15  mai  1756  ;  péri,  21  nov.  1759.  Ci  16i,  169. 

114.  Trémigon.  Fils  aîné  du  capitaine  de  vaisseau.  Deux  frères  dans  la 
marine.  G.,  17  févr.  1746;  L.,  17  avr.  1757;  LA.,  15  mai  1757;  péri,  20  nov. 
1759.  Cl  170. 

115.  Tancrède  chevalier  de  Caumont.  Frère  du  marquis  capitaine  de  vais- 
seau; gendre  du  vice-amiral  La  Roclialart.  G.,  16  mai  1724  ;  L.,  1"  mai  1741  ; 
C,  17  mai  1751  ;  CE.,  16  sept.  1764.  Ci  166. 

116.  Chevalier  de  Ternay  d'Arsac.  Né  à  Ternay,  près  Loudun,  le  31  janv_ 
1723.  CM.  G.,  30  oct.  1738;  L.,  11  fevr.  1756;  C,  10  janv.  1761  ;  comman- 
dant général  des  îles  de  France  et  de  Bourbon,  16  août  1771  ;  CE.,  9  nov. 
1776;  t  15  déc.  1780,  Newport  (Rhode  Island).  Ci  165,  168,  C^.  Cf.  deux 
notices  de  H.  de  Fontaine  de  Resbecq,  R.  M.  (7.,  t.  XL  et  LXXIIl. 

117.  Chevalier  Chabot.  Du  Poitou.  Fils  d'un  enseigne;  frère  cadet  du 
lieutenant  de  vaisseau  de  1748.  CM.  G.,  17  mars  1736  ;  L.,  il  févr.  1756;  R., 
16  sept.  1764.  Ci  168. 

118.  Beaupoil  Sainte-Aulaire  de  La  Dixmerie.  De  Saintonge.  G.,  6  févr., 
1740;  L.,  11  févr.  1756;  R.,  1"  oct.  1761.  Ci  169. 


ESCADRE    DE    M.    DE    GONFLANS.  529 

119.  Repentigny.  Du  Canada;  huit  officiers  de  ce  nom  au  Canada.  G., 
16  juin  1742  ;  L.,  15  mai  1756  ;  CF.,  18  août  1767  ;  f  16  janv.  1769.  C^  169. 

120.  De  Gouyon  chevalier  de  Coutance  La  Selle.  De  Normandie.  Seize  offi- 
ciers du  nom  de  Gouyon  dans  la  marine.  G.,  18  janv.  1730;  L.,  1"  janv. 
1746;  C,  15  mai  1756;  R.,  15  janv.  1762.  Ci  166. 

121.  Bouin  de  La  Villebouquais.  De  Bretagne.  Fils  d'un  conseiller  au 
parlement  ;  frère  d'un  conseiller  ;  neveu  de  M.  de  Viarmes,  intendant  de 
Bretagne.  G.,  15  juil.  1741  :  L  ,  11  févr.  1756  ;  LA.,  1"  nov.  1756;  R.,  1"  avr. 
1764.  Cl  169. 

122.  L'Épine  Grainville.  G.,  30  oct.  1743  ;  L.,  15  mai  1756  ;  R.,  15  janv. 
1762.  Cl  169. 

123.  Chevalier  de  Balleroy.  Fils  du  lieutenant  général  gouverneur  du  duc 
de  Chartres.  «  Bien  allié  des  côtés  paternel  et  maternel.  Sa  mère  est  de  la 
maison  de  Gouyon.  Cadet  d'une  maison  très  riche  de  Normandie.  »  G., 
27  janv  1742  ;  L.,  15  mai  1756  ;  C,  18  févr.  1772  ;  CE.,  20  août  1784.  Ci 
169. 

121.  La  Touche  Beauregard  de  Telincourt.  De  la  Martinique.  Frère  cide 
de  La  Touche  Beauregard;  ci-dessus,  note  34.  G.,  5  août  1741  ;  L.,  15  ma 
1756;  CF.,  27  nov.  1765;  R.,  15  mars  1769.  Ci  169. 

125.  Kériou  Le  Borgne.  De  Vif-B'ézensac .  Neveu  de  M.  de  Kérusoret 
Le  Borgne.  G.,  8  avr.  1748;  L.,  15  janv.  1762;  péri  sur  la  côte  des  Landes, 
déc,  1768.  11  ne  fut  embarqué  sur  le  Sphinx  que  dans  la  Vilaine,  en  1762, 
Cl  170. 

126.  Chevalier  Prévost  de  Traversay.  Neveu  de  M.  de  Lizardais  ;  frère 
cadet  du  capitaine  de  vaisseau  du  18  février  1772,  mort  à  Saint-Domingue 
en  1776.  G.,  1"  avr.  1748  ;  L.,  1"  janv.  1761  ;  noyé,  févr.  1767.  Même  embar- 
quement que  le  précédent.  C^  170. 

127.  Prince  de  Montbazon  chevalier  de  Rohan.  CM.  G.,  15  juin  1745  ;  L., 
17  mai  1751  ;  C,  14  nov.  1756;  CE.,  1"  oct.  1764;  gouverneur  des  îles  sous 
le  Vent,  1"  janv.  1766;  LG.,  24  juin  1771  ;  VA.  es  mers  du  Ponant,  11  mar^ 
1784.  Cl  168. 

128.  Chevalier  de  Landemont.  Du  Maine.  Neveu  de  feu  M.  de  Ricouar 
intendant  de  la  marine.  G.,  3  déc.  1742  ;  L.,  17  avr.  1757;  R.,  18  oct.  1765. 
Cl  169. 

129.  Valmenier  Cacqueray.  De  Rochefort.  Petit-fils  d'un  enseigne  et  lieu- 
tenant de  roi  à  la  Martinique;  son  frère  aîné,  tué  au  combat  de  M.  de 
L'Étanduère.  G.,  21  mai  1745;  L.,  17  avr.  1757;  C,  18  févr.  1772;  CE., 
20  août  1784.  Ci  169. 

130.  Dampierre  Cugniac.  De  Meaux.  «  N'est  pas  riche.  »  Huit  de  ce  nom 
dans  la  marine.  G.,  25  avr.  1746;  L.,  17  avr.  1757  ;  noyé  à  la  Martinique 
commandant  la  Bayonnaise,  3  août  1765.  Ci  170. 

131.  François-Germain  Goubert.  LP.,9  juil.  1751  ;  L.,  23  juil.  1758  ;  CF., 
27  nov.  1765  ;  C,  15  nov.  1771  ;  directeur  du  port  à  Rochefort,  l"  avr.  1780  ; 
RCE.,  19  oct.  1781.  Cl  168. 

132.  Lagadcck  Mesedern  de  Kerloury.  De  Bretagne.  G.,  29  mai  1734;  L., 
23  mai  1754;  rayé  des  listes,  12  févr.  1761.  Ci  168. 

133.  CheYilier  de  Montfiquet.  G.,  1"  janv.  1741  ;  L.,  11  févr.  1756  ;  f  2  oct. 
1761,  sur  le  Palmier,  par  accident.  Ci  169. 

34 


530 


APPENDICE  XI. 


XI 


ARME-MEKT6  i  OUR  LE  CANADA  EN  1757 


I 


Le  Tonnant 

80 

Le  Déjenseur 

74 

Le  Diadème 

74 

VÉveillé 

64 

L'Inflexible 

64 

BaufFremont. 

chevalier  de  Blénac  Courbon  ^. 
Rosily  de  Méros  3. 
de  Merville  *. 

Le  Gardeur  de  Tilly^.  —  De  Sartres 
de  Saint-Laurent  6. 


La  Brime 


32 


II 


L'Hector 

74 

Du  Revest. 

V  Achille 

64 

De  Pannat. 

Le  Vaillant 

64 

Saurin  de  Murât  '. 

Le  Sage 

64 

Dabon. 
III 

Le  Formidable 

80 

Du  Bois  de  La  Motte  8,  lieutenant 

généraL 
Guichen  9. 

Le  Duc  de  Bourgogne 

80 

comte  d'Aubigny. 

Le  Héros 

74 

Chasteloger. 

Le  Glorieux 

74 

Chavagnac  ^^. 

Le  Dauphin  Royal 

74 

D'Uturbie  Fagosse. 

Le  Superbe 

74 

marquis  de  Ghoiseul  Praslin  **. 

Le  Belliqueux 

64 

D'Orvilliers  ". 

Le  Bizarre 

64 

Montalais. 

Le  Célèbre 

64 

La  Jonquière  Taffanel, 

Deux  frégates. 

1.  Ci-dessus,  p.  363.  - 

-  Trodde, 

Batailles   navàUs  de  la  France,  t.  It 

p.  34L 

ARMEMENTS   POUR  LE  CANADA  EN   1757.  531 

2.  Chevalier  de  Blénac  Courbon.  De  Saintonge.  Petit-fils  d'un  ancien 
capitaine  de  vaisseau  mort  gouverneur  général  des  Iles  ;  fils  et  neveu  de 
six  capitaines  de  vaisseau  morts  au  service.  G.,  30  août  1725  ;  L.,  l"  juil. 
1735  ;  C,  1*' janv.  1746;  CE.,  1"  janv.  1757;  commandant  la  marine  à  Brest, 
15  févr.  1758  ;  LG.,  1"  cet.  1764;  f  23  août  1766,  Brest.  Ci  166. 

3.  Rosily  de  Méros.  De  Bretagne.  G.,  7  mai  1720;  E.,  1"  mars  1727  ;  aide, 
major,  1"  avr.  1738  ;  major,  1"  févr.  1747,  inspecteur  général  des  troupes, 
21  janv.  1758;  CE.,  1"  oct.  1764  ;  f  30  avr.  1771,  Brest.  C*  166. 

4.  De  Merville.  De  Normandie.  G.,  30  avr.  1721  ;  C,  17  mai  1751  ;  5  août 
1763.  Cl  166. 

5.  Le  Gardeur  de  Tilly.  Originaire  du  Canada  ;  né  à  Rochefort.  Fils  d'un 
lieutenant  de  vaisseau  mort  au  service.  G.,  13  avr.  1713  ;  L.,  1"  avr.  1738  ; 
C,  1"  avr,  1748  ;  -}-  3  mars  1757,  en  mer.  Ci  166. 

6.  De  Sartres  de  Saint-Laurent.  De  Languedoc.  G.,  19  oct.  1719;  L, 
l**  mai  1741  ;  C,  23  mai  1754;  a  pris  le  commandement  de  Vlnflexibl 
après  la  mort  de  Le  Gardeur  de  Tilly  ;  f  6  déc.  1764,  Rochefort.  Ci  166. 

7.  Saurin  de  Murât.  Du  Languedoc.  Fils  du  capitaine  de  vaisseau  mort 
le  16  mai  1754.  G.,  12  févr.  1729;  L.,  1"  mai  1741  ;  C,  17  mai  1751  ;-[-  20  déc. 
1757.  Cl  166. 

8.  Emmanuel-Auguste  de  Cahideuc,  comte  Du  Bois  de  La  Motte.  De 
Bretagne.  «  Un  des  bons  et  braves  officiers  du  roi,  qui  en  a  donné  des 
preuves  en  plusieurs  occasions.  »  G.,  8  nov.  1698;  L.,  17  mars  1727;  C, 
1"  avr.  1738;  CE.  et  gouverneur  des  îles  sous  le  Vent,  1"  janv.  1751;  LG., 
25  s«pt.  1755;  VA.,  13  oct.  1762  ;  f  23  oct.  1764,  dans  sa  82^  année,  à  Rennes 
Cl  165,  166,  C7. 

9.  Luc-Urbain  Du  Bouexic,  comte  de  Guichen.  Né  à  Fougères,  21  juin 
1712.  G.,  18  avr.  1730;  L.,  1"  janv.  1746;  C,  15  mai  1756;  B.,25  mars  176B; 
CE.,  9  nov.  1776;  LG.,  1"  mars  1779;  commandant  la  marine  à  Brest 
13  déc.  1779  ;  f  13  janv.  1790,  Morlaix.  Ci  167,  C. 

10.  Chavagnac.  D'Auvergne.  Neveu  du  chef  d'escadre.  G.,  6  mai  1720  ;  L., 
1"  avr.  1738;  C,  1"  avr,  1748  ;  f  22  déc.  1757.  Ci  166. 

11.  Marquis  de  Choiseul  Praslin.  Fils  du  capitaine  de  vaisseau  et  neveu 
du  gouverneur  de  Saint-Domingue.  G.,  29  févr.  1732  ;  L.,  1*"^  janv.  1746;  C, 

mai  1741  ;  f  17  sept.  1760,  Rennes.  Ci  166. 

12.  Louis  Guillouet,  comte  d'Orvilliers.  Frère,  fils  et  petit-fils  de  gouver- 
neurs  de  la  Guyane.  Né  à  Moulins,  le  26  mars  1710.  Servit  d'abord  dam 
les  troupes   des  colonies  à  Cayenne.  G.,  5  avr.  1728;  LGM.,  10  oct.  1743; 
C,  23  mai  1754  ;  CE.,  1"  oct.  1764  ;  commandant  la  marine  à  Brest,  1775 
LG.,  6  févr.  1777;  R.,  20  sept.  1779;  f  14  avr.  1792,  Moulins.  Ci  167,  C\ 


532 


APPENDICE    XII. 


XII 


ARMEMENTS  POUR  LOUISBOURG  EN   175^ 


Le  Prudent 


I 


74  c.  marquis  Gharry  Des  Gouttes  ^ 

chevalier  Dapchon^. 


11 


V  Entreprenant 

74  c. 

Beaussier  de  L'Isle  ^. 

Le  Célèbre 

armé  en  flûte 

chevalier  de  Marolles  °. 

Le  Capricieux 

— 

chevalier  de  Tourville^. 

Le  Bienfaisant 

— 

De  Gourserac. 
La  Garde  Payau'. 

La  Comète 

frégate 

chevalier  de  Lorgeril. 

Le  Dragon 
Le  Belliqueux 
Le  Sphinx 
Le  Hardi 
Le  Zéphyr 
Le  Brillant 


64  c. 

64  c. 
armé  en  flûte 

frégate 
G'^  des  Indes 


III 

comte  Du  Ghafïaut  de  Besné 

de  Martel. 

de  Vendes  Turgot^. 

La  Touche  de  Tréville  <o. 

Ternay  d'Arsac. 

de  Saint-Médard  *^ 


1.  Ci-dessus,  p.  385.  -  A.  M.,  B*  80. 

2.  Marquis  Charry  des  Gouttes.  De  Moulins.  Fils  aîné  du  comte  Des 
Gouttes,  mort  commandant  Des  gardes-marine  à  Rochefort  ;  petit-neveu  d'un 
lieutenant  général  de  la  marine  et  grand  priear  d'Aquitaine  ;  cinq  cousins 
morts  au  serNice.  G.,  25  mai  1725  ;  L.,  1"  mai  1741  ;  C.,  l"'  janv.  1746  ;  RCE., 
16  sept.  1764.  CJ  166. 

3.  Chevalier  Dapchon.  Du  Bourbonnais.  Trois  frères  de  ce  nom  au  ser- 
vice. G.,  4  avr.  1740  ;  L.,  11  févr.  1756;  C,  l"  févr.  1770  ;  CE.,  1"  avr.  1781 
Cl  169. 

4.  Beaussier  de  L'Isle.  De  Toulon.  Fils  du  capitaine  de  port  de  Toulon. 
LP.,  1"  mars  1739;  CP.,  1"  jany.  1749;  CE.,  1*'  cet.  1764;  f  4  juin  1765. 


A  RMEMENTS  POUR  LOUISBOURG    EN    1758.  533 

C*  166.  —  Sur   la   famille  des   Beaussier,  articles    de   Margry  :  R.  M.  C, 
t.  LXII,  LXIII,  LXVll,  LXVIII. 

5.  Chevalier  de  Marolles.  De  Brest.  Fils  d'un  capitaine  de  vaisseau  G., 
12  août  1728  ;  L.,  V^  janv.  1746  ;  C,  23  mai  1754  ;  B.,  25  mars  1765  ;  f  28  juil. 
1770.  C*  167. 

6.  Chevalier  de  Tourville.  Petit-fils  du  vice-amiral.  G.,  2  mai  1738;  E., 
1"  mai  1741  ;  chevalier  de  Saint-Louis,  18  oct.  1747;  L.,  25  août  1749;  C, 
18  juil.  1756;  f  9  oct.  1758,  en  Angleterre.  G*  167. 

7.  La  Garde  Payan.  De  Bretagne.  «  Peu  de  bien.  »  G.,  10  janv.  1746;  L., 
17  avr.  1757;  tué,  juil.  1758,  Louisbourg.  Qi  170. 

8.  Comte  Du  Chaffault  de  Besné.  Quatre  de  ce  nom  dans  la  marine  :  son 
frère  et  deux  neveux.  Né  à  Nantes,  le  29  févr.  1708,  G.,  15  nov.  1725;  L., 
1*^  janv.  1746;  C,  23  mai  1754  ;  CE.,  1"  oct.  1764;  colonel  du  régiment  de 
Rochefort,  l"  mai  1772  ;  LG.,  6  févr.  1777  ;  il  figure  comme  amiral,  et  non 
vice-amiral,  sur  la  revue  du  15  mars  1792,  en  compagnie  du  duc  d'Orléan 
(Philippe-Égalité)  et  de  d'Estaing  ;  ce  ne  fut  d'ailleurs  pour  lui  qu'un  titre 
honorifique  d'après  cette  apostille  :  «  a  marqué  que  son  âge  et  ses  infirmités 
ne  lui  permettaient  plus  d'offrir  son  zèle  et  ses  services.  »  {État  sommaire 
des  Archives  de  la  marine,  p.  180,  194.)  Du  Chaffault  de  Besné  mourut  le 
29  juin  1794,  à  Nantes.  Ci  167.  C.  Cf.  Beauchet-Fillbau,  Dictionnaire 
historique  et  généalogique  des  familles  du  Poitou,  1892  ;  S.  de  La  Nicol- 
lière-Teijeiro.  Un  amiral  nantais.  Comte  Du  Chaffault  de  Besné,  Vannes, 
1894. 

9.  De  Vendes  Turgot.  De  Caen.  G.,  10  juin  1730;  L.,  l"janv.  1746;  C, 
15  mai  1756  ;  B.,  25  mars  1765:  R.,  14  mars  1776.  C^  166. 

10.  La  Touche  de  Tréville.  Originaire  des  lies.  Fils  d'un  garde-marine 
mort  aux  Iles.  «  Fort  bon  officier,  entendant  bien  le  détail  et  la  discipline 
de  la  compagnie  des  cadets.  »  Cadet  à  Rochefort,  27  nov.  1730;  E.,  1*'  avr. 
1741  ;  L.,  1"'  avr.  1748;  commandant  des  cadets,  1748;  C,  7  févr.  1757;  B., 
25  mars  1765  ;  CE.,  9  nov.  1776  ;  inspecteur  des  classes  de  la  marine,  12  nov. 
1776;  LG.,  16  févr.  1781;  commandant  de  la  marine  à  Rochefort,  19  avr. 
1781  ;  R.,2  nov.  1786.  Sa  veuve  reçut  de  Napoléon  1",  le  25  avril  1806,  une 
pension  de  deux  .mille  francs.  C^  165,  167,  C. 

L'un  de  ses  frères,  Le  Vassor  de  La  Touche,  avait  été  son  prédécesseur 
immédiat  dans  le  commandement  de  la  marine  à  Rochefort.  Le  vice-amiral 
Le  Vassor  de  La  Touche  Tréville,  mort  sur  le  Bucentaure  en  1804,  était  le 
fils  de  ce  frère. 

11.  De  Saint-Médard .  Capitaine  de  la  compagnie  des  Indes. 


534 


APPENDICE    XIII. 


XÏII 


EXPÉDITION   DE   TERRE-NEUVE  EN  1762  ^ 


Le  Robmte 

VÉvnllé 

La  Licorne 

La  Garonne 
La  Biche 


vaisseau    Ternay  d'Arsac. 
Nepveu  ^. 
—  MonteiP. 

chevalier  d'Arcy*. 
frégate     Gillart  de  Suville. 

La  Motte  Vauvert^. 
flûte. 


1.  Ci-dos3U8,  p.  389.  —  A.  M.,  B^  104. 

2.  Nepveu.  Du  Maine.  «  Est  aisé.  »  G.,  22janv.  1746;  L.,  17  avr.  1757;  R., 
19  juin  1771.  C^  170. 

3.  Chevalier  (appelé  quelquefois  baron)  de  Monteil.  G.,  15  août  1741; 
L.,  11  févr.  1756;  C,  2  mars  1762;  CE.,  4  mai  1779;  LG.,  8  févr.  1783. 
Cl  169. 

4.  Hippolyte  Thomas-Marie  chevalier  d'Arcy.  Fils  d'un  lieutenant  de 
raisseau;  un  frère,  lieutenant  de  vaisseau,  mort  au  service.  G.,  11  mars  1746; 
L.,  1»^  janv.  1761;  RC,  8  juin  1777.  C^  170. 

5.  La  Motte  Vauvert.  De  l'évêché  de  Saint-Malo.  Neveu  de  M.  Saint-Pern, 
lieutenant  général.  G.,  6  juiL  1750;  L.,  1"  janv.  1761;  C,  3  fév.  1776; 
cassé  et  rayé  des  listes,  le  21  mars  1779,  pour  avoir  frété  pour  le  commerce 
à  l'île  de  Franco  et  à  Pondichéry.  C^  171. 


ESCADRE  DE  d'aGHÉ,  10  SEPTEMBRE  4759. 


535 


XIV 


ESCADRE  DE  DACHÉ  AU  COMBAT  DU  10  SEPTEMBRE  1759  « 


I.  —  Vaisseaux  du  roi 


Le  Zodiaque 


74  c. 


Le  Minotaure 


L'Illustre 


V  Actif 


75 


64 


64 


CE. 

M. 

L. 


CE. 
L. 


ce. 

L. 


GG. 
L. 


Gomte  d'Aché  «. 

Monteil  '. 

de  Gotho  cadet*,Saint-Légei^. 

—  Blossac   chevalier   de  La 

Bourdonnaye*',  Du   Deffais^. 

Froger  de  l'Éguille. 

chevalier    de    La    Tullaye^, 

Gaudion  d'Ardillières   de   La 

Tallerie^,  Peynier^o. 

deRuis^i. 

chevalier   de   Gours    Lussai- 

saignet^2^   chevalier    de    La 

Gardonnie*^. 

D'Isle  Beauchesne  ^*. 

chevalier    de     Réals  *5,     Du 

Groizet  chevalier   de  Retz*^, 

de  Gourselas  *'. 


II.  —  Vaisseaux  de  la  compagnie 


Le  Centaure 

68 

Surville  aîné. 

Le  Comte  de  Provence 

58 

La  Ghaise. 

Le  Vengeur 

54 

Gristy  Pallière. 

Le  Saint-Louis 

54 

Joannis. 

Le  Duc  d'Orléans 

54 

Surville  cadet. 

Le  Duc  de  Bourgogne 

54 

Mahy. 

Le  Fortuné 

54 

Beaulieu. 

536  APPENDICE    XIV. 

III.  —   Frégates 

La  Sylphide  30  c. 

La  Pénélope  30 


L  Ci-dessus,  p.  406.  —  A.  M.,  etTaouDE,  Batailles  navales  de  la  France, 
t.  I,  p.  408. 

2.  Anne-Antoine  comte  d'Aché.  Né  à  Arbois  le  10  oct.  1702.  A  eu  quatre 
parents  dans  la  marine,  dont  un  chef  d'escadre.  G.,  17  août  1717;  C,  10  octo- 
bre 1743;  CE.,  10  août  1756;  LG.,  ler  juil.  1761  ;  VA.  es  mers  du  Ponant, 
24  août  1770;  t  11  févr.  1780,  Brest.  Ci  165,  166,  C. 

3.  Le  baron  de  Monteil,  faisant  fonction  de  major  sur  le  Zodiaque,  com- 
manda aussi  la  Sylphide  au  cours  de  cette  campagne.  C*  169. 

4.  De  Gotho  cadet.  Frère  de  Gotho  l'aîné.  GE.,  15  mai  1737  ;  L.,  23  mai  1754  ; 
tué,  10  sept.  1759.  Ci  168. 

5.  Saint-Léger.  G.,  9  avr.  1745;  L.,  15  mai  1756;  f  1762,  Saint-Domingue. 
Embarqué  d'abord  sur  le  Alinotaure,  il  était  passé  sur  le  Zodiaque  ;  au 
combat  du  10  sept.  1759,  il  remplaça  d'Aché  et  Gotho,  l'un  blessé,  l'autre 
tué.  Cl  169. 

6.  Blossac  chevalier  de  La  Bourdonnaye.  CM.  GE.,  2S  juil.  1741  ;  L., 
15  mai  1756;  tué,  29  avr.  1758.  Ci  169. 

7.  Du  Defifais.  G.,  13  janv.  1744;  L  ,  15  mai  1756;  tué,  3  août  1758.  Ci  169. 

8.  Chevalier  de  La  Tallaye.  G.,  19  juil.  1738;  LA.,  17  mai  1751;  C, 
15  janv.  1762;  directeur  d'artillerie,  30  nov.  1776;  f  mars  1778,  Brest.  Ci  168. 

9.  Gaudion  d'Ardillières  de  La  Tallerie.  De  Rochefort.  Fils  d'un  trésorier 
de  ce  port.  G.,  30  oct.  1743;  L.,  15  mai  1756;  tué,  10  sept.  1759.  Ci  169. 

10.  Peynier.  GE.,  24  sept.  1744;  L.,  17  avr.  1757;  C,  24  mars  1772;  CE., 
11  mars  1784.  Ci  170. 

11.  De  Ruis.  De  Port-Louis.  Fils  d'un  ancien  lieutenant  de  vaisseau;  frère 
du  contrôleur  de  Rochefort  et  du  commissaire  de  la  marine.  G.,  10  juin  1734; 
C,  17  avr.  1757;  cassé,  11  mai  1762;  rétabli,  1764.  Ci  168. 

12.  Chevalier  de  Cours  Lussaignet.  G.,  15  déc.  1745;  L.,  17  avr.  1757; 
cassé,  11  mai  17ô2.  Ci   169. 

13.  Jacques  de  Boutier,  chevalier  de  La  Cardonnie,  De  Villeneuve  d'Agen. 
Né,  1727.  G  ,12 janv.  1746;  E.,  17  mai  1751;  L.,  17  avr.  1757;  C,  18  févr.  1772; 
CE.,  20  août  1784;  R.,  1"  déc.  1784;  f  nov.  1791.  Saint-Domingue,  Ci  170. 
Cf.  H.  DE  Fontaine  de  Resbecq,  R.  M.  C,  t.  XLll. 

14.  D'isle  Beauchesne.  De  Saintonge.  G.,  3  avr.  1734;  C,  17  avr.  1757; 
CE.,  9  noY.  1776;  f  23  déc.  1776,  Paris.  Ci  168. 

15.  Chevalier  de  Réals.  De  Rochefort.  Deuxième  fils  du  capitaine  de  vais- 
seau mort  aa  service  le  16  nov.  1752,  Us  sont  quatre  frères  au  service.  G., 
1"  janv.  1741;  L.,  11  févr.  1756;  C,  15  nov.  1771;  RCE.,  7  janv.  1782. 
Cl  169. 

16.  Du  Croizet  chevalier  de  Retz.  D'Auvergne.  G.,  15  sept.  1741;  L., 
15  mai  i756;  CF.,  18  août  1767;  C,  ISfévr.  1772;  RCE.,  16  déc.  1786.  Ci  169. 

17.  De  Gourselas.  De  la  Martinique.  Fils  d'un  capitaine  de  vaisseau  mort 
au  service.  G.,  21  mai  1745;  L.,  17  avr.  1757;  R.,  18  août  1774  Ci  169. 


ÉTAT    ABRÉGÉ    DE  LA    MARINE.    —    ANNÉE    1773.  537 


XV 

ÉTAT  ABRÉGÉ  DE  LA  MARINE  DU  ROI.  -  ANNÉE  11131 


I.    LISTE   GiÏNÉRALE    DES    OFFICIERS   DE   LA   MARINE 

Amiral 
1734.     M.  le  duc  de  Penthièvre. 

Vice-amiraux  :  2 

1756.     Comte  de  Gontlans  Brieniie.  maréchal  de  France  en  1758, 

VA.  es  mers  du  Levant. 
1770.     Comte  d'Aché,VA.  es  mers  du  Ponant. 

Lieutenants  généraux  :  9 

1763.  Comte  d'Kstaing^,  commandant  la  marine  à  Brest. 

1764.  Prince  de  Baufîremont  Listenois. 
Comte  d'Aubigny. 

De  Bompar,  commandant  la  marine  à  Toulon. 
1766      Comte  de  Roquefeuil. 

1.  Ci-dessus,  p.  430.  -  A.  M.,  G  35,  G  36. 

2  Charles-Henri-Théodat  d'Estaing  Du  Saillans,  comte  d'Estaing.  Né  au 
château  de  Ravel  (dépt  du  Puy-de-Dôme),  le  28  nov.  1729.  Mousquetaire, 
5  nov  1745;  eolonel  du  régiment  de  Rouergue,  1"  janv.  1748;  brigadier, 
18  nov.  1756;  maréchal  de  camp,  20  fé.r.  1761  ;  lieutenant  général  des  armées 
de  terre,  25  juil.  1762;  CE.,  l'^  oct.  1762;  LG.  et  gouverneur  des  îles  sous 
le  Vent,' 27  déc.  1763;  inspecteur  général  et  commandant  de  la  marme  à 
Brest  18  août  1772;  VA.  es  mers  d'Asie  et  d'Amérique,  6  févr.  1777;  amiral 
de  France,  6  mars  1792;  décapité,  28  avr.  1794,  Paris.  Sa  femme  était  une 
petite-fille  du  vice-amiral  et  maréchal  de  France  Château-Renault.  C^  174, 
C.  Cf.  DoNiOL,  Histoire  de  la  participation  delà  France  à  VétaUissement 
des  États-Unis  d'Amérique,  t.  III,  p.  197. 


538 


APPENDICE    XV. 


1769. 


1771. 


Marquis  de  Saint-Aignan. 
Comte  de  Gousages  La  Rochefoucauld  ^ 
Chevalier  prince  de  Rohan. 
Vicomte  de  Morogues. 


Chefs  d'escadre  :  22 


1754 
De  Franssures  Villers  ^. 

Marquis  Du  Quesne  Meuneville  ^. 

1764 
De  Maurville-*,  commandant    la 

marine  à  Uochefort. 
Bailli  de  Raimond  d'Eaux. 
Sabran  de  Grammont. 
Rochemore  La  Devèze. 


Comte  de  Pannat, 

Vicomte  de  Bouvilie^. 

D'Orvilliers. 

Du  Chaffault  de  Besné. 

1767 

Mercier. 

Commandeur  de  Glandevez  ca- 
det 6,  commandant  la  marine 
à  Marseille. 


1.  Comte  de  Cousages  La  Rochefoucauld.  G,,  1"  févr.  1735;  L.,  1"  fév, 
1746;C.,le^janv.  1747;  CE.,  1er  oct.  1764;  LG.,  21  sept.  1769;  VA.  es  mers 
du  Ponant,  7  juil,  1782:  -{-  7  mars  1784,  Paris.  11  n'exerça  aucun  comman- 
dement depuis  1760.  Ci  166. 

2.  De  i^'ranssures  Villers.  De  Compiègne.  «  Bon  officier,  fort  sag«  et 
sachant  bien  son  métier.  »  G.,  21  mai  1705;  L.,  10  mars  1734;  C,  1*''  mai  1741  ; 
CE.,  l«'janv.  1754;  f  5  mars  1775,  le  Havre.  C^  16d,  C. 

3.  Ange  Du  Quesne,  seigneur  de  Meuneville,  troisième  fils  de  Du  Quesne - 
Monnier.  Né  à  Toulon,  originaire  de  Dieppe.  G.,  13  janv.  1714;  L.,  1741  ; 
C,  25  août  1749;  gouverneur  lieutenant  général  de  la  Nouvelle- France, 
1«^  mars  1752;  CE.,  25  sept.  1755;  RLG.,  8  avr.  1776;  f  17  sept.  1778,  An- 
ton/ (Seine).  C*  166.  Cf.  Jal,  Ahrahayn  Du  Quesne,  t.  Il,  p.  575. 

4.  Hippolyte  Bernard  Bidé  de  Maurville,  né  le  29  janv.  1701.  G.,  1715; 
CE.,  1764;  commandant  la  marine  à  Rochefort,  1772;  LG.,  1775  ;  f  29  janv. 
1784.  Ses  cinq  fils  furent  officiers  de  marine.  C. 

5.  Jubert  de  Bouville;  «  se  fait  appeler  le  vicomte  de  Bouville,  d  D'Or- 
léans. Fils  d'un  intendant  d'Orléans  qui  avait  été  garde  de  la  marine. 
G.,  31  déc.  1721;  L.,  1"  mai  1741;  C,  17  mai  1751;  CE.,  l'^  oct.  1764. 
C*  166.  Cf.  la  Notice  sur  le  vicomte  de  Bouville,  par  H.  de  Fontaine  db 
Resbkcq,  Paris,  1873. 

6.  Commandeur  de  Glandevez  cadet.  De  Provence.  Six  de  ce  nom  dans 
la  marine  ou  les  galères.  De  l'ordre  de  Malte.  GE.,  18  août  1713;  L., 
l*'avr.  1740;  C,  P'  janv.  1749;  CE.,  18  août  1767;  t31  mars  1774,  Mar- 
seille. Cl  166. 


ÉTAT   ABRÉGÉ    DE    LA   MARINE.    —    ANNÉE    1773.         539 


1767 
De  Breugnon*,  commandant  la 
marine  à  Brest. 
1771 
ViJlais  de  La  Brosse. 
De  La  Touche  2. 
Dabon. 
Chevalier  Fouquet. 


1771 
Comte  de  Grimaldi. 
Vicomte  de  Roquefeuil,  comman- 
dant les  gardes  du  pavillon. 
La  Jonquière  Taffanel. 
De  Voutron^. 
De  Broves. 


DÉPAHTEMENT  DU  PONANT 

DIVISIOM    AMIRAf.E 

Composée  des  brigades  de  Brest  et  de  Saint-Malo. 

Capitaines  de  vaisseau  :  44 


BRIGADES 

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Brest 

Saint-Malo  .... 

39 

38 

2 

4 

39 
37 

2 
3 

1 
1 

1 
1 

40 

40 

124 
124 

77 

6 

76 

5 

2 

2 

80 

248 

1.  Pierre-Claude  Haudenau  comte  de  Breugnon.  Fils  d'un  chef  d'escadre. 
G.,  4  janv.  1733;  L.,  17  mai  1751;  C,  17  avr.  1757;  CE.,  18  août  1767;  a 
commandé  la  marine  à  Breit,  8  nov.  1772-12  févr.  1775  ;  LG.,  1"  mars  1779. 
Cl  168. 

2.  11  s'agit  de  Le  Vassor  de  La  Touche. 

3.  Hubert-Henri-Nicolas  de  Voutron.  Porté  sur  les  listes  depuis  1778  soui 
le  nom  de  comte  ^e  Voutron.  Né  à  Rochefort,  1714.  Fils  d'un  ancien  lieute- 
n  ant  de  vaisseau;  petit-neveu  du  chef  d'escadre  Du  Quesne  Guitton.  G., 
26  mai  1729;  L.,  1"  janv.   1746;  C,  15  mai  1756;  B.,  25  mars    1765;  CE., 

25  août  1771,  J+  16  sept.  1780,  Rochefort.  Ci  167.  C^. 


540 


APPENDICE    XV. 


DIVISION    VICE-AMIRALE 

Composée  des  brigades  de  Rochefort  et  de  Bordeaux. 
Capitaines  de  vaisseaux  :  35 


BRIGADES 

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122 

Bordeaux    .... 

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3 

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39 

117 

72 

7 

72 

5 

3 

1 

79 

239 

DIVISION    CONTRE-AMIRALE 

Composée  des  brigades  de  Rayonne  et  du  Havre. 
Capitaines  de  vaisseaux  :  44 


BRIGADES 

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Le  Havre 

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1 

40 
40 

122 
124 

6 

76 

6 

3 

80 

246 

ÉTAT  ABRÉGÉ  DE  LA  MARINE.  ANNÉE  1773.    541 

DÉPARTEMENT  DU  LEVANT 

DIVISION     AMIRALE 

Comprenant  les  brigades  de  Toulon  et  de  Marseille. 
Capitaines  de  vaisseaux  :  52 


BRIGADES 

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39 
39 

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2 

1 
1 

40 
40 

134 
134 

93 

8 

78 

3 

4 

2 

80 

268 

Récapitulation 

Amiral 1 

Vice-amiraux 2 

Lieutenants  généraux 9 

Chefs  d'escadre 22 

Capitaines  de  vaisseau 175 

Lieutenants  de  vaisseau 316 

Capitaines  de  brûlot 27 

Enseignes  de  vaisseau .  302 

Lieutenants  de  frégate 19 

Aides  de  port 12 

Capitaines  de  flûte 6 

Gardes  du  pavillon  et  de  la  marine.  319 

Officiers  d'épée 1210 


542 


APPENDICE    XV. 


II.  LISTE  DES  VAISSEAUX  SUIVANT  LEUR  REPARTITION  ENTRB 
LES  HUIT  BRIGADES  DU  CORPS  ROYAL  DE  MARINE. 


BRIGADE  DE  BREST. 

Yaiiieaix.  Ganong.  ConitructiiB, 

Là  Bretagne 100  1766 

La  Victoire 74  1770 

Le  Glorieux 74  1756 

Le  Sceptre 74  1747 

Le  Protée 64  1770 

Le  Roland 64  1749 

Le  Lion 64  1749 

Le  Ferme.  .....       56  1763 

Le  Fier 50  1746 


BRIGADE  DE    SAINT-MALO. 

Vaitieaax.  Caneas.  Conitr. 

Le  Duc  de  Bourgogne .  80  1751 

Le  Diligent 74  1763 

Le  Minotaure.   ...  74  1757 

V  Actif 74  1752 

Le  Fendant 64  1755 

Le  Sphinx 64  1755 

VArtésien 64  1765 

V Hippopotame  ...  50  1749 


BRIGADE  DE  ROCHEFORT. 

BRIGADE   DE   ] 

BORDEAUX. 

La  Couronne  ....       80 

1749 

Le  Saint-Esprit ...       80 

1765 

Les  Six  Corps,  .   . 

. 

74 

1762 

Le  Conquérant  . 

74 

1745 

Le  Robuste.    .    .    . 

74 

1758 

VOrient  .   .    . 

74 

1756 

Le  Palmier.    .    .    . 

74 

17G2 

Le  Protecteur . 

.       64 

1751 

Le  Vengeur.  .   . 

64 

1757 

Le  Bizarre  .   , 

64 

1763 

Le  Brillant,   .    . 

64 

1757 

Wnion   .   .    . 

.       64 

1763 

Le  Réfléchi ,    .   .   . 

64 

1757 

VIndien  .    .    . 

.       64 

1768 

VAmphion  .   .   . 

50 

1748 

Le  Mars  .    .    . 

.       64 

1769 

Le  Bordelais  . 

.       56 

1763 

BRIGADE  DE  BAYONNE. 

BRIGADE  DU  HAVRE. 

La  Ville  de  Paris  .   .      90 

1758 

Le  Royal  Louis  ...     116 

1759 

Le  Citoyen  .   .   . 

.       74 

1764 

Le  Bien-Aimé.    ...       74 

1769 

Le  Diadème,   .   , 

.       74 

1756 

Le  Zodiaque  ...          74 

1756 

Vlntrépide  .   .   . 

.       74 

1747 

Le  Dauphin  Royal.    .       70 

1738 

L'Actionnaire,   . 

64 

1747 

Le  Northwnberland  .       68 

1744 

L'Éveillé  .... 

.       64 

1752 

V Alexandre    ....       64 

1770 

Le  Solitaire.  .   . 

.       64 

1758 

Le  Triton 64 

1746 

Le  Flamand.  .   . 

.       56 

1763 

Le  Saint- Michel 

• 

.       60 

1741 

ÉTAT    ABRÉGÉ   DE   LA    MARINE.    —    ANNÉE    1773.  543 


BRIGADE  DE  TOULON. 


Vaiiseaux. 

Le  Languedoc. 
Le  César  .  .  . 
Le  Marseillais . 
Le  Protecteur^ 
Le  Guerrier  . 
Le  Fantasque. 
Le  Hardi.  .  . 
Le  Caton.   .   . 


GanoDi.  Coastruction 


80 

74 
74 
74 
74 
64 
64 
64 


1763 
1767 
1763 
1757 
1751 
1756 
1748 
1770 


BRIGADE   DE  MARSEILLE. 

Vaisseaux.  Ganoni.  Constrnct 

Le  Tonnant 80  1740 

Le  Destin 74  1770 

La  Bourgogiie.    ...       74  1763 

Le   Zélé 74  1762 

Le  Souverain  ....       74  1755 

Le  Vaillant.   ....       64  1752 

La  Provence  ....       64  1752 

Le  Sagittaire.    ...       50  1700 


Récapitulation  des  vaisseaux  et  autres  bâtiments. 


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18 

Rocheforl 

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18 

Bordeaux 

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Bayonne  

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Le  Havre 

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19 

Toulon 

8 

5 

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3 

1 

1 

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9 

19 

Marseille 

8 
66 

4 
36 

1 

18 

3 

6 

1 
2 

2 
3 

11 

8 

19 

150 

I.  Cette  liste  officielle  donne  deux  fois  le  nom  du  Protecteur,  dans  la 
brigade  de  Bordeaux  et  dans  la  brigade  de  Toulon.  On  ne  voit  pas  par  quel 
nom  de  vaisseau  remplacer  le  nom  du  vaisseau  de  Bordeaux.  Pour  le  nom 
du  vaisseau  de  Toulon,  il  est  exact. 


544  APPENDICE    XV. 

m.    LISTE    GÉNÉRALE    DES   OFFICIERS    d'aDMINISTRATION    DE  LA    MARINE. 

Intendants  de  la  marine 6^ 

Intendants  des  colonies 2 

Commissaires  généraux  de  la  marine.    ...  14 

Inspecteur  de  la  marine i^ 

Commissaires  ordinaires  de  la  marine.    ...  68 

Commissaires  aux  classes 31 

Gardes  magasins 8 

Sou?-commissaires    de    la    marine    et    des 

classes 122 

Ingénieurs  constructeurs  en  chef 4^ 

Ingénieurs  constructeurs  ordinaires 12 

Sous-ingénieurs  constructeurs 11 

Ingénieurs  des  ouvrages  des    ports   et   arse- 
naux   11 

Officiers  d'administration  .    .   ,  290 


1.  1749.  Paris.  Hocquart,  ayant  Tinspection  générale   des  classes.  Frère 
du  capitaine  de  vaisseau  Hocquart  de  Blincourt. 

1764.  La  cour.  Rodier,  en  survivance. 

175"?.  Brest.  De  Ruis  Embito  de  La  Chesnardière. 

1760.  Paris.  Pellerin,  intendant  des  armées  navales. 

1771.  Rochefort.  Daubenton. 

1772.  Toulon.  Bourgeois  de   Gueudreville.   Frère  du  ministre  Bourgeois 
de  Boynes. 

2.  Duhamel  Du  Monceau. 

3.  Rochefort.  Clairain  Deslauriers.  —  Brest.   Ollivier.  —  Lorient.  Groi- 
gnard.  —  Toulon.  Coulomb. 


ESCADRE  d'Évolutions  de  1772. 


545 


XVI 


ESCADRE  D'ÉVOLUTION  DE  17721. 


Vaisseaux  : 
VAîfxandre         64  c, 


Le  Fier 


50 


L'Hcppopotame    bO 


Général  de  l'escadre  :  D'Orvilliers. 

CPN.  :  Marchainville  comte  Du  Bosc*. 

es.  :  marquis  de  Vaudreuil. 

CE.  :  Du  Chaffault  de  Besné. 

CPN.  :  Laccary. 

es.  :  comte  de  Vaudreuil. 

CE.:  comte  de  Breugnon. 

CPN.  :  Boulainvilliers  de  Croy. 

es.  :  De  Beausset. 


Frégates 

La  Terpsichore 

30  c. 

ce. 

:  La  Touche  Tréville. 

es. 

:  De  Chérisey. 

La  Dédaigneuse 

26 

ce. 

commandeur  Desnos  Champmeslin^ 

es. 

Du  Breil  chevalier  de  Rays. 

La  Tourterelle 

26 

ce. 

.  vicomte  de  Rochechouart*. 

es. 

:  chevalier  de  Dampierre*. 

U  Aurore 

26 

ce. 

:  De  La  Tullaye. 

es. 

:  chevalier  de  Réals, 

VOiseau 

26 

ce. 

:  De  Plas6. 

es. 

:  Basterot  de  La  Barrière. 

VAigrette 

26 

ce. 

:  Boisseau  de  La  Galernerie^. 

es. 

:  chevalier  de  Retz. 

Corvettes 

', 

L7st5 

16  c. 

ce. 

:  chevalier  de  Grasse  Du  Bar". 

Le  Cerf-volant    16 
Le  Serin  14 


ce.  :  La  Motte-Picquet9. 

ce.  :  marquis  de  Nieul  Ponte  ^o. 


35 


546  APPENDICE    XVI. 

Cotres  : 
Le  Moucheron,  le  Lévrier,  la  Vuce. 


1.  Ci-dessus,  p.  431.  —  A.  M.,  B*  118. 

2.  Marchainville  comte  Du  Bosc.  De  Normandie,  a  Fort  à  son  aise.  » 
G.,  27  nov.  1730;  L.,  1"  avr.  1748;  C,  17  avr.  1757;  B.,  25  mars  1765; 
f  8  sept.  1772,  Brest.  C^  167. 

3.  Plus  tard  bailli.  Voir  p.  503. 

4.  Vicomte  de  Rochechouart.  G.,  1"  janv.  1741;  L.,  17  mai  1751;  C, 
17  avr.  1757;  CE.,  9  nov.  1776;  LG.,  12  janv.  1782.  C^  168. 

5.  Chevalier  de  Dampierre.  CM.  Huit  de  ce  nom  dans  la  marine.  G., 
11  déc.  1743.  L.,  15  mai  1756;  18  févr.  1772;  CE.,  20  août  1784.  Ci  169. 

6.  DePias.  De  Provence.  G.,j4  mai  1732;  L.,  1"  avr.  1748  ;C.,  17  avr.  1757; 

B.  25  mars  1765.  C^  167. 

7.  Boisseau  de  La  Galernerie.  De  Saintonge.  G.,  3  avr.  1734;  L.,l7mai  1751; 

C,  15  jauv.  1762;  CE.,  P^  juin  1778;  R.,  21  juin  1784.  C^  168, 

8.  François-Joseph-Paul,  cheyalier  de  Grasse  Du  Bar,  plus  tard  comte  de 
Grasse.  Trois  de  ce  nom  dans  la  marine  et  les  galères.  Né  au  Bar-sur- 
Loup,  diocèse  de  Grasse,  le  13  sept.  1722.  CM.  Quitté  l'Ordre  pour  se  marier. 
G.,  22  juil.  1734;  L.,  23  mai  1754;  C,  15  janv.  1762;  commandant  de  la 
brigade  de  Saint-Malo,  10  mars  1773;  CE.,  l«^juin  1778;  LG.,  22  mars  1781; 
f  11  janv.  1788.  Paris.  C^  165,  168,  C.  —  Dans  la  campagne  d'Amérique, 
Grasse  se  titrait  lui-même  :  François-Joseph-Paul  de  Grasse,  des  princes 
souverains  d'Antibes,  marquis  de  Grasse-Tilly. 

9.  Jean-Guillaume-Toussaint  de  La  Motte-Picquet  de  La  Vinoyère.  Fils 
d'un  conseiller  au  parlement  de  Renues.  Né  le  l"  nov.  1720,  à  Rennes  ; 
G.,  11  juil,  1735;  L.,  23  mai  1754,  C,  15  janv.  1762;  CE..  1»^  juin  1778. 
LG.,  12  janv.  1732;  f  10  juin  1791,  Brest.  C^  168.  C^. 

10.  Marquis  de  Nieul  Ponte.  De  Saintonge.  G.,  22janv.  1746;  L.,  17  avr.  1757, 
C,  18  févr.  1772;  CE.,  20  août  1784.  C^  170. 


EXPÉDITION  DU   MAROC    EN   1765. 


547 


XVII 


EXPÉDITION  DU  MAROC  EN  17651. 


Vlltile 


60  c. 


La  Terpsichore   30 


VHéroine 

30 

La  Licor7ie 

26 

La  Chimère 

26 

La  Gracieuse 

La  Pléiade 

La  Topaze 

La  Biche 

Le  Singe 

chebec 

Le  Caméléon 

— 

Le  Renard 

— 

Le  Séduisant 

— 

La  Salamandre 

galiote 

L'FAna 

— 

VHirondelle 

barque 

Le  Danube 

flûte 

CE.  :  Du  Chaffault  de  Resné. 
es.  :  La  Touche  Beauregard. 
Marchainville  comte  Du  Bosc. 
chevalier  de  Grasse  Du  Bar. 
comte  de  Breugnon, 
chevalier  de  Laugier  Beaucouse. 
chevalier  Dapchon. 
chevalier  de  Sémerville^. 
comte  de  Barjeton  Verelause. 
chevalier  Roussel  de  Préville, 
chevaher  de  Suffren. 
comte  de  Framont. 
Desmichels  Champorcin'. 
comte  de  Damas*. 
Du  Bour^uet'^. 
DeVialis^. 

Beaussier  Châteauverf. 
baron  de  Bombelle^. 


1.  Ci-dessus,  p.  437.  —  A.  M.,  B*  109. 

2.  Chevalier  de  Sémerville.  De  Normandie.  Fils  cadet  d'un  enseigne 
de  vaisseau.  G.,  12  août  1735;  L.,  11  fév.  1756;  C,  18  févr.  177^;  R., 
22  mai  1775.  C^  168. 

3.  Desmichels  Champorein.  De  Provence.  G.,  14janv.  1742;  L.,  15mai  1756  ; 
CF.,  18  août  1707;  C,  18  févr.  1772;  tué,  6  juil.  1779,  au  combat  de  la 
Grenade.  C^  169. 

4.  Comte  de  Damas.  De  Provence.  Cinq  de  ce  nom  dans  la  marine.  G., 
24  fév.  1746;  L.,  17  avr.  1757;  C,  24  mars  1772;  f  1784.  C^  170. 

5.  Du  Bourguet.  G.,  21  nov.  1743;  L.,15  mai  1756;  C,  18  févr.  1772;  R., 
22  févr.  1774.  C*  169. 

La  Sala'inandre  avait  pour  lieutenant  le  chevalier  de  Clavières  :  G., 
18  sept.  1751  ;  L.,  1»'  oct.  1764;  C,  4  avr.  1777;  f  31  janv.  1784,  Goa  (Inde). 
a  Gentilhomme  d'une  des  plus  anciennes  races  militaires  du  Vivarais,  rési- 


548 


APPENDICE    XVII. 


dant  à  Tournon.  Plusieurs  parents  dans  la  marine.  A  eu  trente  officiers 
de  son  nom  et  de  sa  même  maison  tués  dans  le  régiment  d'Auvergne.  » 
Cl  171. 

6.  De  Vialis.  Fils  aîné  de  l'ingénieur  en  chef  de  Toulon.  «  Ils  sont  trois 
frères  au  service.  N'est  pas  riche.  »  G.,  12  janv.  1746;  L.,  17  avr.  1757;  C, 
24  mars  1772  ;  f  8  août  1783,  Fort-Royal  (Martinique).  C*  170. 

7.  Beaussier  Chàteauvert.  Porté  sur  les  listes,  jusqu'à  la  décision  du 
16  mai  1768,  sous  le  nom  de  Beaussier  Montauban.  Aide  de  port,  juin  1746; 
LP.,  17  avr.  1757;  C,  24  mars  1772;  R.,  21  mars  1779.  C*  170. 

8.  Baron  de  Bombelle.  De  la  Louisiane.  Neveu  du  lieutenant  général.  G., 
9  juil.  1750;  L.,  1"  oct.  1764;  C,  4  avr.  1777;  directeur  des  constructions, 
19  oct.  1781  ;  directeur  de  l'artillerie,  28  déc.  1782;  f  26  avr.  1783,  Roche- 
fort.  La  flûte  le  Danube,  qu'il  commandait  en  1765,  avait  porté  des  vivres  à 
l'escadre  de  Du  Chaffault  à  Cadix  ;  de  là,  elle  avait  touché  à  Sainte-Croix  de 
Ténériffe.  C^  171.  —  M.  de  Bombelle,  a  comme  administrateur  n'a  personne 
qui  puisse  lui  être  comparé  ».  B*  183,  fol.  181. 


TABLE  ALPHABETIQUE 

DES     NOMS     DE     PERSONNES 


Astérisque  :  mention  la  plus  importante.  —  Noms  en  italique  :  auteurs  cités. 


Abbe,  310. 

AcHÉ  f  comte  d'),  246,  358,  397-408, 
*535,  537. 

Adam,  112. 

Agay  (d*),  *507. 

AaxY.  Voir  Giraud. 

Aiguillon  duc  (d'),  20,  100,  316,  317, 
320-324,  334,335, 338,  339,  345-348, 
350, 364-366, 372,  379,380,  456,  472. 

Alberoni,  43,  49-51,  73. 

Albbrt  (Antoine,  chevalier,  puis 
marquis  d')  Du  Chesne,  218,  *493, 
510,  516. 

Albert  (Charles-Hercule  d'),  cheva- 
lier de  LuYNES,  121,  *491. 

Albert  (chevalier  d')  Saint-Hippo- 
LYTE.  *515. 

Albert  (chevalier  d')  Saint-Hippo- 
LYTE  le  cadet,  *505,  514. 

Albert  (marquis  d').  Voir  Albert 
(Antoine  d'). 

Alexandre  III,  de  Russie,  120. 

Amalvin.  Voir  Montazet. 

Amblimont  (marquis  d'),    186,  *498. 

Amelot,  163. 

Amherst,  386. 

Angerville.  Voir  Moufle. 

Anne,  reine  d'Angleterre,  40. 


Anson  (George),  177,  181,  335. 

Antin  (duc  d'),  136. 

Antin  (Antoine-François  de  Par- 
daillan  de  Gondrin,  marquis  d'), 
petit-fils  du  précédent,  116,  117, 
120,  135-140,  197,  *491. 

Anville  (Jean-Baptiste- Louis-Fré- 
déric de  RoYE  de  La  Rochefou- 
cauld, duc  d'),  *I77,  194-196,  200, 
202. 

Après  (d')  de  Mannevillette,  *402. 

Arbaud    d')  de  Jouques,  *505,  514. 

Arcy  (chevalier  d'),  *534. 

Ardillières    (d').    Voir     La    Tal- 

LERIE. 

Aroenson  (comte  d'),  163,   165,  166, 

171,  240,  276,  298. 
Arokntkau.  Voir  Mercy. 
Aroouoks  (chevalier  d'),  *520. 
Arnouville.  Voir  Machault. 
Arsac  (d').  Voir  Ternay. 
Asfeld  (marquis  d'),  31,  33. 
Astorq   (chevalier  d')    d'AusARÈDE, 

*498,  504. 
AsTOUR  (d'),  *493. 

Aubarède  (d').  Voir  Astorg  (d'). 

Aubert  Dubayet,  461. 

Aubigny  (comte    d'),    183,  367,  376, 

381,  382,  390,  +496,  530.  537. 

Aubry,  160. 


550 


TABLE    ALPHABETIQUE. 


AuGÉ  (d').  Voir  Sainte-Maure. 
AviRAY  (d').  Voir  Le  Gendre. 
Aymé  (d').  Voir  Nouailles. 
Ayminy  (d').  Voir  Mablan. 
Aymon.  Voir  La  Roche. 


Bajot,  22. 

Ballwroy  (chevalier  de),  *52L 

Bar  AIL  (ou  Barailh)  (de),  120,  *123, 

124-127,  164,  165. 
Baraudin,  *390. 
Barbier,  220. 
Barclay,  142. 
Barin  (Jacques),  273. 
Barin.  Voir  La  Galissonnière. 
Barjeton    (comte   de)    Verelausf, 

♦506,  514,  547. 
Barnett,  209. 

Barras  de  Saint-Laurent,  *506, 514. 
Barrington,  392. 
Bart    (Jean),    48,     119,     146,    242, 

373,  499. 

Bart  (François-Cornil),  fils  dn  pré- 
cédent, 119,  165,  *491. 

Bart,  fils  du  précédent,  *498. 

Basterot  de  La  Barrière,  *518, 
545. 

Batiffol,  421. 

Bauffremont  (chevalier  de),  prince 
de  Ltstenois,  315,  353,  358-362, 
363,  365,  383,  436,  *493,  519,  530, 
537. 

Bavre  (de),  *434,  *456. 

Bayanor,   111. 

Bbauchesne.  Voir  Islb  (d'). 

Beauchet-Filleau,  533. 

Beaucourt.  Voir  Boisberthelot. 

Beaucouse  (chevalier  de),  *505. 

Beaucouse  Voir.  Laugier. 

Beaudouvin  (chevalier  de),  *505. 

Beaufort.  Voir  Gouyon. 

Beaugroult.  Voir  Épinay  (d'). 

Beauharnais  deBEAUMONT  (Claude 
de),  *125. 

Beauharnais  Beaumont  (marquis 
de),  fils  du  précédent,  ^392. 


Beaulieu,  535. 
Beaulieu.  Voir  Pontleroy. 
Beaulieu  de  Tivas,  187,  *498,  518. 
Beaumont  (de)  Le  Maître  *504. 
Beaumont.  Voir  Beauharnais. 
Beaupoil   Sainte-Aulaire    de    La 

Dixmerie,  *521. 
Beauregard.  Voir  La  Touche. 
Beausset  (de),  *519,  545. 
Beaussîer.  (Jérôme)j  ^507. 
Beaussier     Chateauvert,     appelé 

d'abord  Beaussier     Montauban, 

387,  *547. 
Beaussier  de  L'Islf,  196,  254,  382, 

385,  394,  *532. 
Beaussier    de    Quiez,  puis   de    La 

Chaulanne,  *506. 
Beauveau  (prince  de),  282. 
Beauvillier.  Voir  Saint-Aignan. 
Beauvollier    (de)   de    Courchant, 

111. 
Bégon  (Michel),  273. 
Belingant  de  Kerbabut,  *519. 
Belingant  (chevalier)  de  Kerbabut, 

frère  du  précédent,  *520. 
Bellefontaine    (bailli    de)     de   La 

Malmaison,  *25. 
Belle-Isle   (maréchal  duc  de),  143, 

160,  243,247,  271,304,  315,320,321, 

323,  324,  334,  343,  344,  346,  348, 
350,  366,  373,  483. 

Belle-Isle.  Voir  Gotteville,  Pépin. 

Bellin  (Jacques -Nicolas),  105. 

Bellot  La  Houssaye,  *387. 

Belugard.  Voir  Du  Pin. 

Beniowsky,  434. 

Bénouville  (marquis  de),  *518. 

Bernardin  de  Saint-Pierre,  209. 

Bernis,  413^  482. 

Berryer,  16,  224,  24t)-251,  267,  304, 

324,  344,  348,   352,   358,  364,  365, 
370,  387,  413. 

Berthoud,  427. 

Berwick  (maréchal  de),  13,  50,  51. 
Besiinval  (baron  de),  416. 
Besné.  Voir  Du  Chaffault. 
Béville    (de),  '445,    446,   452,   455, 
456,   471. 


NOMS    DE    PERSONNES. 


551 


BÉviLLE  (Charles),  fils  du  précédent, 

445. 
Bkzout,  233,  424. 
BiDK  de  CiiÉzAC  198,  *518. 
BiDÉ.  Voir  Maurville. 
Bigot,  *518. 
Bigot  de  La  Motte,  101,  192,  522, 

523. 
Bigot  de  Morogues,   229-231,  233, 

341,    344,   316,  347,  358,  422,  425, 

427,  448,  516,  *520,  538. 
Blackney,  282,  292. 
Blairfindy.  Voir  Grant, 
Blanchard,  22. 
Blangy  (de),  1?0. 
Blénac  (chevalier  de)  Courbon,  386) 

393,  *530. 
Bligii  (Thomas),  337,  338. 
Blincourt.  Voir  Hocquart. 
Blossac.  Voir  La  Bourdonnaye. 
Blotfier  (de),  *504. 
Blouet.  Voir  Camilly. 
Boades  (de),  *514. 
Boades  de  MoNTBRUN,   *505. 

BOILEAU,  65. 

BoiSBERTHELOT  (chevalier  de),  ♦372. 
Boisuerthelot  de  Beaucourt,  372. 

BOISCHATEAU.   Voif  KÉREMAR. 

Boisdkscourt.  Voir  La  Maisonfort. 
BoisGELiN.  Voir  Kersa  (de). 
Boisseau  de  La  Galernerie,  *545. 
Bolingbroke,  444. 
BoMBEL'.E  (baron  de),  *547. 
BoMPAR  (de),  160, 161,  392,  429,  *4Ç3, 

537, 
Bonaparte.  Voir  Napoléon  I*"*, 
BoNREPAUS  (d'Usson  de),  31,  33. 
Borda,  *233,  427. 
Bordes.  Voir  Folliony- 
Bory,  *275,  3B7,  422. 
Boscawen,  218-218, 255-257,285,  305, 

306,  309,  348,    370,    371,  385,  386, 

446. 
Boschard.  Voir  Champigny. 
Boterel.  Voir  Plessis. 
Bouet-Willaumez,  120. 
BouoAiNviLLE  16,  248,  387,  *426. 
Bougouin,  176. 


Bouquer,  104,  229,  231,  234. 
BouiN  de  La  Villebouquais,   *521. 
Boulainvilliers  (marquis  de),  *138, 

139. 
BouLLAiNviLLiERS  de   Croy,  fils  du 

précédent,  139,  *518,  545. 
Bourbon.  Voir  Conti,  Monsieur  le 

Duc,  Penthièvre. 
Bourcet  (de),  449,  450. 
BouRDÉ  (de)   ViLLHUET,    206,    229, 

426. 
Bourgeois.  Voir  Boynes,  Gueudre- 

VILLE. 

Bourgogne  (duc  de),  30. 

BOURRIENNE,    343. 

Bou tarie,  465. 

BouTiER.Voir  La  Cardonnie. 

Bouvet  de  Lozier,  180,  210,  215-218, 
399. 

Bouvet  de  Précourt,  cousin  du  pré- 
cédent, 210,  401,  402,  404. 

Bouvier  (Edouard),  265. 

Bouville  (Jubert,  vicomte  de),  258, 
259,  *538. 

Boux,  *428. 

Boynes  (Pierre-Etienne  Bourgeois 
de),  233,  428,  431,  433,  434,  544. 

Boys,  347,  374. 

Brach  (chevalier  de),  *518. 

Braddock,  253. 

Bragelongne,  375. 

Bréda  (de),  *496. 

Bréhan.  Voir  Plélo. 

Brémond  d'Ars,  367. 

Brémoy  (de),  *503. 

Brest  (amiral),  301. 

Bret  au  ville  (chevalier  de),  524. 

Breugnon  (Pierre-Claude  Haude- 
nau,  comte  de),  367,  393,  432,  437, 
523,  *539,  545,  547. 

Briançon.  Voir  Grasse. 

Briansiaux  de  Milleviîle,  373. 

Brie.  Voir  Nesmond. 

Brienne.  Voir  Conflans. 

Briqueville.  Voir  La  Luzerne. 

Brissaucourt.  Voir  Villers. 

Broc  (marquis  de),  367. 

Broderick,  305,  306,  328,  347. 


552 


TABLE    ALPHABETIQUE. 


BRoaLiE    (Charles-François,    comte 

de),  92,  205,  458-462,  464-475,  481, 

482. 
Broglie    (maréchal    duc    d«),    459^ 

462. 
Broglie  (duc  de),  459,  461. 
Broves    (Jean-Joseph    de    Rafélis, 

comte  de),  436,  *504,  539. 
Brun,  24,  27,  429,  435,  493. 
Brunet.  Veir  Tressemanes. 

BUDES.   Voir  GUÉBRIANT. 

BULLION   de   MONTLOUET,    *165,   201. 

BuRKE,  295. 

Burrows,  152. 

BussEROLLES.  Voir  Vienne. 

Byng  (contre-amiral),  vicomte  Tor.- 

RYNGTON,   50,    42. 

Byng,   fils  du   précédent,    89,    170, 
286-291,  295-297,  332. 


C 


Cabanac.  Voir  Ségur. 

Cabanoux,  *504. 

Cabieu,  36-'. 

Cacqueray.  Voir  Valmenier. 

Cahideuc  (de).  Voir  Du  Bois  de 
La  Motte. 

Calian.   Voir  L'Isle. 

Calmettes,  17. 

Calvimont,  Voir  Tayac. 

Camilly  (Pierre  de  Blouet,  cheva- 
lier de\  *165,  167. 

Camus,  104,  231. 

Canaux.  Voir  Raimondis. 

Canga  Argûeîîes,  133. 

Canon,  387. 

Carlet.  Voir  La  Rozière. 

Carné  (chevalier  de),  142,  *520. 

Carné  (comte  de)  Marcein,  307, 
*506,  514. 

Carteret  (lord),  106,  148. 

Cartier  (Jacques),  190. 

Cassard,  82-84. 

Castellane  (chevalier  de)  Gri- 
MAUD,  *515. 

Castellane  La  Valette,  *605. 


Castellane  La  Valette   le  cadet, 

308,  *504,  514. 
Castellane   (chevalier  de)    Majàs- 

tres,  *505,  514. 
Castellanne  Saint-Jeurs,  *504. 
Castellet.  Voir  Glandevbz. 
Castillon  (de),  309,  *o04,  514. 
Castillon  (cadet),  306,  *505, 515. 
Castries    (maréchal    marquis    de), 

234,  297,  450. 
Catklan  l'aîné,  *520. 
Catelin  La  Garde,  *515. 
Caumont.  Voir  Tancrède. 
Caux  (de),  102,  336. 
Caylus  (chevalier,  puis  marquis  de) 

de  Pardaillan,  116, 142,  157,  198, 

*493. 
Cellamark,  50,  57. 
Chabaud-Arnault,  viii,  53,  89,  108, 

155,  242. 
Chabbrt     (marquis     de)     Cooolin, 

275,  297,  *507. 
Chabot  (chevalier),  *521. 
Chadeau.  Voir  La  Clocheterie. 
Chamillart,  241. 
Champigny   iBoschard,    comte  de), 

31,  *33. 
Champigny  deNoROY,  *110, 111,  527. 
Champlain,  190. 
Champmeslin  (comte  de),  503. 
Champmeslin.  Voir  Desnos. 
Champorcin.  Voir  Dksmichels. 
Charles  II,  roi  d'Angleterre,  9. 
Charles  VI,  empereur  d'Allemagne, 

74. 
Charles-Edouard,  163,  164, 167-172, 

219,  268,  346,  443. 
Charron  (de),  278. 
Charry.  Voir  Des  Gouttes. 
Chassérieu,  279,  287. 
Chasteloger  *519,  530. 
Chasteuil.  Voir  Tressemanes. 
Chateaubriand    (comte    René     de), 

126. 
Chateaubriand  (vicomte  René   de) 

fils  du  précédent,  416,  526. 
Chateauneuf      (commandeur      de) 

Thomas,  *493. 


NOMS    DE     PERSONNES. 


553 


Chateauneuf  (marquis  de)  Tho- 
mas, nereu  du  précédent,  *504. 

Chateaunel'f  (chevalier  de)  Thomas, 
frère  cadet  du  précédent,  *514, 

Château-Renault,  9,  11,  158,  167, 
537. 

Chatbauvert.  Voir  Beaussier. 

Chatenoy  (de),  201. 

Chatham  (lord).  Voir  Pitt. 

Chavagnac,  *530. 

Chérisey  (comte  de),  *519,  545. 

Chksterfield,  296. 

Chevert,   160,  344,    345,    372,  377. 

Chkylus  (de),  *493,  504. 

Chézac.  Voir  Bidé. 

Chièvres  (de),  *519. 

Chiffrevas,  *498,  520. 

Chivrey.   Voir  Marencein. 

Choïseul  (duc  de),  17,  106,  224,  229^ 
234,  246,  250.  304,  312,  313,  344^ 
348,  360,  376,  378,  380,  388,  3  9i, 
413-417,  419-424,  428,  434-442, 
444-447,  449-452,  455-457,  460, 
462,  470-472. 

Choiseul-Praslin,  17,  224,  232,  233, 
394,  413,  414,  417,  418,  424,  425, 
427,  428,  434,  439. 

Choïseul    (marquis    de)    Praslin  , 

Choquet  de  Lindu,  *101,  231,  418. 
Christian  VI,  de  Danemark,  122. 
Cillart  de  Suville,  *519,  534. 
Cisternes  {R.  de),  279. 
Clairain  Deslauriers,   544. 
Clairault,  104. 
Clark,  327-329. 
Clapier  Saint-Tropez,  *514. 
Clayières  (chevalier  de),  *547. 
Clément  (P.),  106. 
Clive  (Robert),  400. 
Cluony  de  NuYS,  *418,  438. 
CoATAUDON  (chevalier  de),  *520. 
CoiiTLOGON  (marquis    de),    31,    *33, 
528. 

CvËTNBMPREN.    Voir   KeRSAINT. 

Cœuvres  (maréchal  de),  32. 
CoaoLiN.  Voir  Chabert. 


Colbert,  7,  8,  33,  49,  52, 66,  68,  85, 
105,  106,  108,  158,  450,  422, 
481. 

Colbert  de  Turgis,  *505,  515. 

Colin  {capitaine  J.),  163. 

Conflans  (Hubert  de  Brienne, 
comte  de),  20, 100, 178, 184-186, 197- 
199,  201,  305,  315,  317,  318,  345, 
346,  348-359,  361-365,  375,  376, 
*518,  537. 

Considérations  sur  la...  marine^ 
89,  194,  195,  236-238. 

CoNTi  (François-Louis  de  Bourbon, 
prince  de),  119. 

CoNTi  (Louis-François  de  Bourbon, 
prince  de),  pptit-fils  du  précé- 
dent, 156,  157,  460. 

Coquelle,  163. 

Cornic-Duchène,  369. 

Corner,  439, 

Cornish,  408. 

Corre,   139,  195. 

Costebelle.  Voir  Pastour. 

Coulomb,  544. 

Coup  {Le)  d'œil  du  citoyen,  352. 

Courbet  (amiral),  301. 

CouRBON.  Voir  Blénac. 

CouHCHANT.  Voir  Beauvollier. 

CouRCY  (de),  279. 

Cours  (chevalier  de)  Lussaignet» 
*535. 

Courserac  (de),  *503,  532. 

Court  (de)  La  Bruyîîre,  117,  145- 
147,  149-151,  153-157,  *493. 

Courtanvaux  (marquis  de),  448. 

Cousages.  Voir  La  Rochefoucauld. 

COUTANCE.  Voir  GOUYON. 

Craggs,  44. 

Crillon-Mahon  (duc  de),  376. 

Cristy-Pallière,  401,  535. 

Cromwell,  9,  135. 

Croy.  Voir  Boulainvilliers. 

Cry.  Voir  Deshayes. 

Cueilly.  Voir  Lage  (de). 

CuoNiAC.  Voir  Dampierre. 

Cultru,  218. 

Cumberland  (duc  de),  171. 

Cypières  (de),  *518. 


554 


TABLE    ALPHABETIQUE. 


Dabon,  *515,  530,  539. 

Dahlgren,  133. 

Damas  (comte  de),  *547. 

Damiens,  240. 

Dampierre  (chevalier  de),  *545. 

Dampierre  Cugniac,  *521. 

Dandanne  de  Lincourt,  *519. 

Dandoque,  *506. 

Daniaud  (Catherine),  496. 

Dannat  (de)    Montmaur,  *507,  513. 

Dannat.  Voir  Taurin. 

Dapchon  (chevalier),  *532,  547. 

Dardjn.  Voir  La  Rochalart. 

Daubenton,  *519. 

Daubenton,  intendant  de  la  ma- 
rine, 544. 

Davers,  199. 

David  (Pierre),  215,  217. 

Delpeuch,  12. 

Dent.  Voir  Digby. 

Desages.  Voir  Duboux. 

Deschamps,  18. 

Deschênes.  Voir  Parseval. 

Desfontaines,  113. 

Des  Gouttes  (comte  Charry),  *124, 
532. 

Des  Gouttes  (marquis  Charry), 
385, *532. 

Des  Gouttes.  Voir  Odon. 

Deshayes  de  Cry,  *519. 

Des  Herbiers.  Voir  L'Étanduère. 

Deslandes,  93. 

Deslauriers.  Voir  Clairain. 

Desmichels  Champorcin,  *547. 

Desnos  Champmeslin,  53. 

Desnos  Champmeslin,  fils  du  pré- 
cédent, 165. 

Desnos  (comte)  Champmeslin,  fils 
aîné  du  précédent,  *503. 

Desnos  (bailli i  Champmeslin,  frère 
cadet  du  précédent,  *503,  545. 

Des  Pennes.  Voir  Vento. 

Des  Roches,  194. 

Des  Roches.   Voir  Du  Dresnay. 


Des  Touches,  *519. 

Destourès.  Voir  Saqui. 

DiESKAu  (baron  de),  254. 

Digard  de  Kerguette,  234. 

DiGBY  Dent,  200. 

DiGoixE  Du  Palais,  507. 

Doneaud  du  Plan,  15,  104,  233. 

Doniol,  255,  455,  473,  537. 

Dostes  (Matthieu),  356. 

Douglas  (amiral),  393. 

Douglas,  gouverneur  de  Bender- 
Abbas,  410. 

Drée  (de)  de  La  Serrée,  *504. 

Drucourt  (chevalier  de),  *385,  386. 

Du  Bar.  Voir  Grasse. 

Dubayet,  Voir  Aubert. 

Dubois  i cardinal).  34,  43-45,  47-49, 
54,  55,  73,  75,  77,  162. 

Du  Bois  de  La  Motte  (Emmanuel- 
Auguste  de  Cahideuc,  comte),  119, 
200,  252,  254,  255,  257,  258,  383- 
385,  487,  *530. 

Du  Bois  de  La  Motte  Rabeau,*519. 

Du  Bos  (chevalier)  l'aîné,  *498,  522. 

Du  Bos  (chevalier)  le  cadet,  frère  du 
précédent,  *518. 

Du  Bosc  (Marchainville,  comte), 
*545,  547. 

Du  Bouchet.  Voir  Mauclerc. 

Du  BouExic.  Voir  Guichen. 

Du  BOURGUET,  547. 

Duboux-Desages,  371. 

Du  Breil  chevalier  de  Rays,   *519. 

545. 
Du  Breuil.  Voir  Turpin. 
Du  Casse,  185,  194,  197. 
Ducéré,  178,  317,  367,  375. 
Du  Chaffault,  *498. 
Du    Chaffault    (comte)  de  Besné, 

116,   120,   200,  201,    385-387,    390, 

432,  436,  437,  *532,  538,  545,  547, 

548. 
Du  Chaffault  de  Besné  de  La  Fo- 

rest,  *390. 
Du  Chambon,  192. 
Du    Chatel    (chevalier)    Tanequy, 

362,  *521. 
Duchêne.  Voir  Cornic. 


NOMS   DE   PERSONNES. 


555 


Du  Chesne.  Voir   Albert  (Antoine, 

marquis  d'). 
DucLESMEUR  (de),  *519. 
Du  CouËDic  de  Kergoaler,  *372, 
D    Croizet  chevalier  de  Retz,  *53o, 

545. 
Du    Oaugnon     (maréchal     comte), 

510. 
Du  Deffais,  *535, 
Du    Dresnay    Des    Roches    l'aîné 

(comte),  *194. 
Du  Dresnay  Des    Roches  le  cadet, 

178,  *518. 
Du  Dresnec.  Voir  Trédern. 
DuFP,  347,  354. 
Dufresne-Marion,  *371. 
Du  GuAY  (comte),  186,  199,  242,  255, 

259,  260,  383,  *498. 
Du   Guay-Troiin,    12,  34,    82,   102, 

113,   115,   116,    118,  119,    123-126, 

128,  130,  136,  167,    185,    197,  242, 

373,  385,  394,  415,  487. 
Du  Guélambert,  *519. 
Duhamel  Du  Monceau,  103-104, 230, 

231,  233,514. 
Du  Haussay  (Mme),  378. 
DuiLius,  451. 

Du  Lac  de   Monttert,  309,  *515. 
Du  Maitz   de   Goimpy   FEUQuiisRES, 

*427. 
Du  Manoir.  Voir  Le  Mouton. 
Du  Mené  Lézurec,  *519. 
Du  Mesnil,  277,  279. 
Du  Monceau.  Voir  Duhamel. 
Du  Muy  (maréchal),  450. 
Du  Palais.  Voir  Digoine. 
DupiGNET  (de)  Guelton,  *505. 
Du  Pin  de  Belugaru,  *330. 
DuPLEix,  15,  84,  208,  209,  211,  213- 

219,  228,  254,  396,  417. 
Du  Plkssis  Parscau,  *520. 
Dupuis,  *226. 
Dupuy,  104. 

Du  QuESNE,  9,  24,  50,  146,  304,  494. 
Du  QuESNE  Guitton,  539. 
Du    QuESNE    Menneville    (marqnis 

Ange),  troisième   fils    du  suivant, 

303,  *538. 


Du  Quesne-Monnier  (Abraham), 
neveu  de  Du  Quesne,  53,  *494. 

Du  Quesne-Monnier  (Louis-Marie), 
second  fils  du  précédent,  *493. 

Durand,  443-446,  465. 

Durand.  Voir  Mesnil. 

Duras.  Voir  Durfort. 

Du  Revest,  383,  *505,  530. 

Durfort   (comte    de)  Duras,  *519. 

Du  RosEL  de  Beaumanoir,  *503. 

Du  RouRET  de  Saint-E.stève,  186, 
199,  *498. 

Du    Saillans.    Voir    Estaing    (d'). 

Du  Sault,  *519. 

Du  Trousset.  Voir  Valincour. 

Du  Verger.  Voir  Saint-André. 

DuvERNEY.  Voir  Paris. 

Du  Vignau,   186,  *498. 


E 


Eardley-Wilmot,  16. 
Eaux  (d').  Voir  Raymond. 
Edgecumbe,  282,  283,  286. 
Egerton  {W.  P.),  264,  459,  461. 
Éliçagaray.  Voir  Renau. 
Elliot,  375. 
Embito.  Voir  Ruis. 
Éon  (chevalier  d'),  459,  464-466. 
UiPiNAY   (marquis    d')    Beaugroult, 

120,  *140,   141,  142,  165,  185. 
Erville  (d'),  *506. 
Esclabissac  (d'),  *518. 
Essonville   (d'),  475.   Voir  Orson- 

ville. 
Estaing     (Charles- Henri -Théodat 

d'EsTAiNG    Du    Saillans,    comte 

d'),  139,  394,  398,  404,  409-411,  430, 

444,  533,  *537. 
Estourmelles  (d'),  *140,    194,    195. 
EsTRÉES  (Jean,    maréchal    d'),   32, 

114. 
EsTRÉEs    (Victor -Marie,     maréchal 

d"»,  fils  du  précédent,  27,  31,  *32, 

57,  136. 
État  de  la  France,  31. 


556 


TABLE  ALPHABETIQUE. 


État  sommaire  des  Archives  de  la 
Marine,  22,  27,  33,  36,  91,  104, 
142,    153,  329,  371,  373,  418,  533. 

Étigny  (d'),  419. 

ÉvEux  (d').  Voir  Fleurieu. 

F 

Fahre,  180. 

Fabrèoues  (de)  l'aîné,  *505,  515. 

Fabrèoues,  Voir  Fabry. 

Fabry  (Louis)  de  Fabrèoues,  dit  le 

chevalier  de  Fabry,  422,  436,*504, 

515. 
Fagon,  82. 

Fagosse.  Voir  Urtubie. 
Faucher,  *504,  515. 
Faudran   de  Taillade,    308,    *504, 

514. 
Faugères.  Voir  Le  Baron. 
Fausse.  Voir  Monier. 
Fénelon,  27. 

Fercourt  (Nicolas  Perrot  de),  123, 

*491,  525. 
Ferrand,  31,  33. 
Feuquières  (de),  517. 
Feuquières.   Voir   Du  Maitz,   Pas. 
Fleukieu    (d'ÉvEux  de),   *279,    427. 
Fleury  (cardinal  de),  71,  72,  74-82, 

84,  85,  91,  93,  101,  107,   118,  121, 

128,  132-134, 142,  143, 149, 162,  163. 
Flobert  (M.  de),  374. 
Folliony,  *503. 

FoLLiGNY  (de  Bordes  de),  *120,  139. 
Fontaine  de  Resbecq,  528,  536,  538. 
FoNTETTE  (chevalier  de),  *157. 
FûRBiN  (chevalier  de),  41,  48. 
FoRBiN     (chevalier    de)     d'OppÈDE, 

*504,  515. 
Forgues   Eug.),  174. 

FORREST,  391. 

Foucault,  *505,  521. 

Fougen  (Marie-Rose),  522. 

FouiLLEusE  (Charles  de),  *491. 

FouQUET  (chevalier),  *498,  539. 

Fournies,  221. 

Fox,  200. 

Fraonier  de  Vienne,  *519. 


Framont  (comte  de),  *515,  547. 
Franssures.  Voir  Villers. 
Frédéric  I",  de  Suède,  120. 
Frédéeic  II,   14,  48,   239,  270,  281. 
Frédéric  de  Wurtembrrg,  281. 
Frémeur  (marquis  de),  298,  522. 
FROGERdeLA  Rigaudière,  382,383, 

*496. 
Froger  de  L'Éguille,  405,  406,  410, 

*504. 
Fromenteau.  Voir  La  Boucherie. 
Fromentière    (chevalier     de),    184. 

186,  *498. 
Froulay.  Voir  Tessr. 

G 

Gabaret  (Louis),  494. 

Gabaret  le  jeune,    second   fils   du 

précédent,  150,  155,  157,  *493,  496. 
Gabaret,  lieutenant  général,  527. 
Galalp.  Voir  La  Pérouse. 
Gantes  (de),  308,   *514. 
Gaudion.  Voir  La  Tallerib. 
Gaufridy,  *506. 
George   1",   40,    42-44,    47,  49,  50, 

52,  55. 
George  II,   149,  152,  156,    169,  171, 

219,  443. 

GÉRALDIN,   *o20, 
GlRARDIN,  *519. 

GiRARDiN.  Voir  Vauvré. 

Giraud  {Ch.),  413. 

GiRAUD  d'Agay,  *515. 

Glandevez  (chevalier  de),*507,  514 

Glandevez  (chevalier,  puis  comman- 
deur de),  198,  279,  288,  289,  *493, 
504,  513. 

Glandevez  cadet  (commandeur  de), 
*538. 

Glandevez  (baron  de)  Castellkt, 
*507,  515. 

Godeheu,  228,  396. 

Godin,  104. 

GoiMPY.  Voir  Du  Maitz. 

GoNDRiN  (marquis  de),  116. 

Gondrin.  Voir  Antin  (d';,  Pardail- 

LAN. 


NOMS   DE     PERSONNES. 


557 


GooLD,  377. 

GoRCQUER.  Voir  Touronec. 
Gordon,  438. 

GoTHo  (de)  l'aîné,  *506,  536. 
GoTHo   (de)    cadet,  frère  du    précé- 
dent, *535. 
GoTTEviLLE  Belle-Isle,    *519. 
GouANDOUR    (chevalier    de),    appelé 
d'abord  Penzb  de  Moelien,  *519. 
Goubert,  *521. 
GouRSELAS  (de),  *535. 
Gousset.  Voir  La  Rochalart. 
GouvELLO  (de),  *519. 
GouYON  Beaufort  (Jean,  chevalier 

de),  115,  *491. 
GouYON  (de),  chevalier  de  Coutance 

La  Selle,  *120. 
GoY  (de)  Le  Bègue,  *506. 
Grainville.  Voir  L'Épine. 
Grammont.  Voir  Sabran. 
Grandpré  (Nicolas  de),*115,  116. 
Grant  de  Blaifindy  447-450,  456. 
Gras      Préville      (marquis      de), 

*503. 
Grasse  (de)   Briançon  l'aîné,  436, 

*504,  515. 
Grasse   (de)    de   Limermont,   *505, 

515. 
Grasse  (chevalier  de)  Du  Bar,  *514. 
Grasse  (François-Joseph-Paul,  che- 
valier de)  Du  Bar,  plus  tard  comte 
de  Grasse,  182,  432,  433,  *545. 
Grasse-Tilly  (marquis  de),  le  même 

que  le  précédent. 
Grassy,  Voir  Villers. 
Gravier,  386. 
Gravier,  *493. 
Gravier  l'aîné,   fils    du   précédent, 

*505,  516. 
Gravier  d'ÛRTiÈRES,  frère   du  pré- 
cédent, *514. 
Gréhan,  227. 
Griffin,  215-217. 
Grima  LDI  (comte  de),  *505,  539. 
Grimaldi  (marquis  de),  455. 
Grimaud.  Voir  Castellane 
Groionard,  418,  451,  544. 
Grout.  Voir  Saint-Georges. 


Guébriant  (chevalier  de)  Budes,  329, 

353,  358,  361,  *518. 
Guelton.   Voir  Dupignet. 
GuERCHY  (comte  de),  441,  466, 
GuÉRiN.  Voir  Mirande. 
Gueudreville  (Bourgeois  de),  544. 
GuicHEN  (Luc-Urbain  Du  Bouexic, 

comte  de),  169,  200,  201,  382,  383, 

385,  431,  500,  *530. 
GuiDY  (de),  *498. 

Guillaume  IIl    d'ÛRANOE,  7,  9,  77. 
Guillon,  276,  299. 
GuiLLOUET.  Voir  Orvilliers  (d'). 
GuiRAN  de  La  Brillane,  308,  *5l4. 
Guitton.  Voir  Du  Quesne. 


Hardy,  347,  384. 

Haudenau.  Voir  Breugnon. 

Haussonville  (d'),  389. 

IIawke    (Edouard),    152,    185,    295, 

299,  328,    332,  333,  335,  347,    353- 

356,   363,  364,  366,  367. 
Hixtor  (comte  d'),  *31l,  372. 
Heouerty   (d')   ou     Hyguerty   (d'), 

380,  *519. 
IIÉLiE  (d').  Voir  Vilarzel. 
Hénault  (président),  511. 
HÉRICOURT  (d*),    *493. 
Herpin,  527. 
Herpin,    petit-neveu    du   précédent, 

*520. 
Ueussaf  d'OuEssANT,  258,  *518. 
Hippeau,  334,  351,  367. 
Histoire  de  VEcole  navale,  2Q,  52 
IIocquart,  de  Blincourt,  182,  2*5- 

257,  *496,  503,  544. 
HocQUART,  frère  du  précédent,  352, 

544. 
HocQUART,  fils  du  précédent,  257. 
Holburn,  384. 
HopsoN,  392. 
HowE  (Richard),  256,  257,  330,  336- 

338. 
HucuET.  Voir  La  Bédoyère. 
IIUGEL,  471. 


558 


TABLE    ALPHABETIQUE. 


HuON  de  Kermadec,  *520. 
Hyquerty  (d').  Voir  Heouerty  (d'). 


Iberville  (d'),  47. 

Isarribert,  31, 

IsLE  (d')  Beauchesne,  187,  =^535. 


Kersaint     de    CoktnempreN;     177, 

194,  218,219,356,  390,  391,  ^19. 
Kersauson,  Voir  Penandreff. 
Kersuliec.  Voir  Kerven. 
Kertanguy,  *d19. 
Kérusoret  Le  Borgne,  *391,  529. 
Kervaseqan.  Voir  Kerlérec. 
Kerven  Kersuliec,  *519. 
Kipling,  110. 
Knowles,  328,  335, 


Jacques  II,  9,  10,  40. 

Jacques -Edouard     (Jacques     III). 

Voir  Prétendant  (le). 
Jal,  221,  538. 
Janvry  (de)  l'aîné,  *520. 
Jaziek.  Voir  La   Garde. 
Jenkins,  133. 
JOANNIS,  535. 
JoNs  (marquis  de),  *519. 
JouQUEs.  Voir  Arbaud  (d'). 
Jousselin  de  Mariqny,  *507,  521. 

JOUY.  Voir  ROUILLB. 
JUBERT.  Voir    BOUVILLE. 
JUMONVILLE,  235,  253. 


K 


Kalb,  442. 

Keppel,  253,  368,  369. 
Kéramel.  Voir  Parsevaux. 
Keranstret  (chevalier  de),  *520. 
Kerbabut.  Voir  Belingant. 
Kéremar  de  Boischateau,  *498,  520. 
Kergoaler.  Voir  Du  Couëidic. 
Kerguelen  de  Trémarec,  *377,  426, 

528. 
Kerguette.  Voir  Digard. 
Kériou  Le  Borgne,  *521. 
Kerjan,  198. 

Kerjankerjan  l'aîné,  *498,  527. 
Kerjankerjan,  neveu  du  précédent, 

*520. 
Kerjeanmol  (chevalier  de),  *521. 
Kerlérec  de  Kervaségan,  186,  *498. 
Kerloury.  Voir  Lagadeck. 
Kermadec.  Voir  Huon. 
Kbrsa  (de)  Du  Boisgelin,  *498. 


La  Barre.  Voir  Veissière. 

La  Barrière.  Voir  Basterot. 

La  Bastide,  465. 

La    Bédoyère    (Huciiet    de),     186, 
*498. 

La  Biochaye  (de\  *518. 

La  Boucherie  Fromanteau,  *519. 

La  Boullaye,  *521. 

La  Bourdonnais  (Mahé  de),  84,  112. 
113,  204-215,  468. 

La  Bourdonnaye  (Blossac  cheva- 
lier de),  *535. 

La  Brillane.  Voir  Guiran. 

La  Brosse.  Voir  Villars. 

La  Bruyère.  Voir  Court  (de). 

La  Caille,  275,  462. 

La  Cardonnie  (Jacques  de  Boutier, 
chevalier  de),  315,  *535. 

Laccary,  *497,  521,  545. 

La  Chaise,  535. 

La  Chapelle,  31,  33. 

La  Châtre  (marquis  de),  335. 

La  Chaulanne.  Voir  Beaussier. 

La  Chesnardière.  Voir  Ruis. 

La  CLOCHETERiE(Isaac  Chadeau  de), 
183,  *496. 

La  Clocheterie  (Jean-Isaac-Timo- 
thée  Chadeau  de),  fils  du  précé- 
dent, 433. 

La  Clue  (de)  Sabran,  136,  279,  288, 
302-307,  309,  311,  312,  348,  *493, 
504,  514,  515. 

La  Comté  Pigache,  *505,  515. 

La  Condamine,  104. 

Lacour-Gayet  {G.),  369,  452,  481. 


NOMS  DE  PERSONNES. 


559 


La  Crenne.  Voir  Verdun. 

Lacy,  123. 

La  Devèze,  Voir  Rochemore. 

La  Dixmkrih:.  Voir  Beaupoil. 

La  Farelle,  111,  112. 

La  Farelle  {Lennel  de),  112. 

La  Ferté.  Voir  Saint-Aignan. 

La  Fillière.  Voir  Nogérée. 

La  Fittk   (de),  *520 

La  Forest,  Voir  Du  Chaffault. 

Lagadeck  MfistiDERN  de  Kerloury, 

*52l. 
La  Galernbrie.  Voir  Boisseau. 
La  Galissonnière    (Roland-Michel 

Barin,  comte  ou  marquis  de),  165, 

230,  238,  252,   *273-275,  276,  278, 

280-29«,  300,    304,  313,   349,  487, 

*504. 
La  Garde  (de;  Jazikr,  113,111.* 
La  Garde  Payan,  *532. 
La  Garde.  Voir  Marquèzë. 
Laoe  (de)  de  Cueilly,  153,  155,  156, 

159. 
Laoe  (de)  de  Volude,  *518. 
La  Girouardière,  *498. 
La  Grandiére,  *519. 
La  Grange.  Voir  La  Roy. 
La  Guarigue   Savigny,  *504. 
La  IloGUE.  Voir  Quineïte. 
La  Houssaye.  Voir  Bbllot. 
La  J aille  (de),  *491. 
La  Jonquière   de    La  Pommarède, 

110,    138,   150,   157,   179-181,  183, 

184,  186,  195,    196,  215,  356,  *493, 

496,  497. 
La  Jonquière  (M'Ji*  de),  femme  du 

précédent,  497. 
La  JoNQUiiiRE  Taffanel,  181,*496, 

500,  530,  539. 
Lalande,  233. 
Lally  (comte  de),  84,  381,  397,  400- 

409. 
La    Luzerne    (Briqubville,  comte, 

puis  marquis  de),  121-123,136,  *491. 
La  Maisonfort  (de)  Boisdescourt, 

192,  193. 
La    MaljVlaison.     Voir     Bellefon- 

TAINE. 


Lamballe  (princesse  de),  136. 

Lambert,  523. 

La  Monneraye  (de),  *520. 

La  Motte.  Voir  Du  Bois,  La  Pey- 

ROUSE,   LUPPÉ. 

La  Mottk-Picquet  de  La  Vinoyère, 

177,  194,  433,  *545. 
La  Motte  Vauvert,  *534. 
Landbmont  (chevalier  de),  391,  *521. 
Langeron  (de),  330,  331,  333. 
Langle  (vicomte  de),  *519. 
La  Nicollière-Teijeiro,  84,  353,  533. 
Lannion  (comte  de),  293,  297,  298, 

301. 
La  Pérousb  (Galaup  de),  *356. 
La    Peyrouse  (Rochon   de),  comte 

de  La  Motte,  121,  124-126. 
Lapeyrouse  Bon  fils,   171. 
La  Po\LMARi:DE.  Voir  La  Jonquière. 
La  Portebarré   (de),  213. 
La  Poypk  de  Vertrikux,  *504,  515. 
La  Prévalais   de    La  Roche,  *520. 
La  Rigaudière.  Voir    Frooer. 
Larivaux.  Voir  Vkissière. 
Larnage  (de),  *520. 
La    Rochalart  Dardain  (Gaspard 

Gousset,  comte  de),  *liO,  135,137, 

138,  197,  528. 
La  Roche.  Voir  La  Prévalais. 
La  Roche-Aymon  (cardinal  de),  415. 
La  Rochefoucauld.    Voir  Anvillb 

(d'). 
La  Rochefoucauld  (comte  de  Cou- 
sages  de),  *538. 
La   RoziÈRE   (Carlet,  marquis  de), 

*462,  463-467,  471,  474. 
La  Sausays.  Voir  Saint-Légier. 
La  Selle.  Voir  Gouyon. 
La  Serrée.  Voir  Drée  (de). 
La    Tallerie    (Gaudion    d'ARDiL- 

LiÈRKS  de),  *535. 
La  Touche  Beauregard,  *519,  529, 

547. 
La  Touche  Beauregard  de  Telin- 

court,  frère  cadet  du  précédent, 

*521,  524. 
La   Touche   de  Tréville,  367,  376, 

381,  432,  *532,  545. 


560 


TABLE     ALPHABÉTIQUE. 


La  Touche  Tréville  (Le  Vassor 
de),  neveu  du  précédent,  533. 

La  Touche.  Voir  Le  Vassor. 

La  Tullay  (de),  S58. 

La  Tullaye  (chevalier  de),  358,  *535, 
545. 

Laubépin,  *257. 

Laubépin  (marquis  de),  ♦434. 

Laucez.  Voir  Mandelot. 

Laugier  (chevalier  de)  Beaucousb, 
*514,  547. 

Laval  (Le  P.),  53. 

La  Valette  (marquis    de),  *506. 

La  Valette.  Voir   Castellane. 

La  Villebranche.  *520. 

La  Villebouquais.  Voir  Boum. 

La  Villéon,  *496, 

La  Vlnoyère.  Voir  La  Motte-Pic- 

QUET 

La  VRiLi.naiE  (Louis  Phélypeaux, 
marquis  de),  29,  33,  88,  *90. 

Law,  53,  108. 

Le  Baron  de  Faugères,  *505, 
515. 

Le  BiiGUE.  Voir  Goy. 

Le   Borgne.    Voir  Kériou,    Kéru- 

SORET. 

Leczinsk[.  Voir  Stanislas. 

Lke,  199. 

Légal,  427. 

Le  Gardeur  de  Tilly.  *530,  531. 

Le  Gendre  d'AviRAY,  *505. 

L'Éguille.  Voir  Froger. 

Le  Maître.  Voir  Beaumont. 

Lemierre,  1. 

Le  Monnier,  104. 

Lémontey ,  45. 

Le  Mouton  Du  Manoir,  *520. 

Le  Normant  de   Mézy,    *225,  244, 

245. 
L'Épine  Grainville,  *521. 
Le  Roy  de  La  Grange,  ^452. 
Lescoët   (chevalier  de),  *518. 
Lestock,  151,  152,  155,  174,  175. 
L'ÉTANDuiiRE    (Des    Herbiers    de), 

119,  140,  184-188,   198,   199,  487, 

*498,  510,  529. 


Le  Vassor  de  La  Touche,  393,  *498, 

519,  533,  539. 
Lbyde   (marquis  de),  49,  50. 
Lézurec.  Voir  Du  Mène. 
L'Hôpital  (marquis  de),  175,  176. 
Limermont.  Voir  Grasse. 
Lincourt.  Voir  Dandanne. 
LiNDU.  Voir  Choquet. 
L'IsLE  (de)  Calian,  299,  *506. 
l*IsLE  (de)  Taulanne,  *504. 
L'IsLE,  Voir  Beaussier  . 
LisTENOis.  Voir  Bauffremont. 
LizARDAis  (de),  *136,  529. 
LizARDAis   (de),    fils    du   précédent 

334,  *519. 
Loménie,  94,  156,  247,  290,  303,  331 

351,  510. 
Loménie  tde),  *514. 
lonchamps   montandre,  *519. 
Longueval,  *519. 
LoRDAT  (Chevalier  de),  *519. 
Lorgeril    l'aîné,    255,     256,    *498, 

503. 
Lorgeril  (chevalier   de),  256,  *501, 

503,  520,  532. 
LoRT  de  Vériguan,  *515. 
LORY,    171. 

Louis  XIV,  8-13,  29,  38,  41,  42,  45^ 

46,  83,  99,  162,  241,  268,  480^ 
481. 

Louis  XV,  42,  57,  61,  65,  71,  72,89, 
92,  132,  149,  169,  171,  219,  226, 
239,  240,  246,  259,  260,  268,  294, 
311,  349,  350,  411,423,439,  458-460, 
462,  464,  470-474,  482,  510. 

Louis  XVI,  87,  91,  460,  461,  472-474, 
481. 

Louis-Philippe,  duc  de  Chartres, 
136. 

Lou VIGNY  (de),  522. 

Louvois,  8,  481. 

Lowendal,   169. 

LoziER.  Voir  Bouvet. 

LuppÉ  de  La  Motte,  ♦SIS. 

LussAiGNET.  Voir  Cours. 

Luxembourg  (maréchal  de),  337. 

LuYNES  (chevalier  de).  Voir  Albert 
(Charles-Hercule  d'). 


NOMS    DE    PERSONNES. 


561 


M 


MABLA.N    d'AvMINY,     *506. 

Mac-Carthy,  182,  343,  *496. 

Machault  d'ARNOuviLLE,  224,  235, 
237-240,  243,  251,  253,  264,  267, 
271,  276,  277,  283,  292,  321,  322, 
380,  383,  390. 

Macnemara  l'aîné  (comte  de),  *174, 
198,  254,  255,  259. 

Macnemara  le  cadel  (Claude-Mat- 
thieu de),  *174. 

Macnemara  (Elisabeth-Julie  de),  523. 

Mahan  {commandant),  7,   152,  310. 

Maiié.  Voir  La  Bourdonnais. 

Mahon.  Voir  Grillon. 

Mahy,  535. 

Maillebois  (comte  de),  277-279. 

Maine  (duc  du),  57. 

Maintenon  (Mme  de),  65. 

Maissagues.  Voir  Vivant. 

Majastres.  Voir  Castellane. 

Malidk  (de),  +434. 

Mallet  (W),  209. 

Malouet,  237. 

Mandklot  de  Laucez,  140,  *493,  508. 

Mandelot,  neveu  du  précédent, 
*50t. 

Mannevillette.  Voir  Après. 

Marcein.  Voir  Carné. 

Marchainvillb.  Voir  Du  Bosc. 

Marciiis,  409. 

Marcouvills  (chevalier  de),  *504. 

Marrncein  de  Chivrey,  *521. 

Mareij,  375. 

Marynj,  96,  118,  221,  533. 

Marie  Leczinska,  73. 

Marik-Thérèse,  impératrice,  14, 
239. 

Mariony.  Voir  Jousselin, 

Mauillac  (Michel  de),  5. 

Marin  (de),  *506. 

Mari  ON.  Voir  Dufresnr. 

Maritz  (Jean),  228. 

Mari.borouqh  (duc  de),  335,  336. 

Marmontel,  87. 

MARNiisRE  (de),  179,  *182,  409. 


Marolles  (chevalier  de),  *532. 
Marquessac,   194. 

Marquèze  (comte)  de  La  Garde, 
*493. 

Marquisan,  297,  *506,  515. 

Martel  (de),  387,  *498,  532. 

Martini.  Voir  Orves  (d'). 

M  Assi AC  (  Claude-Louis ,  marquis  de  > 
221,  210,  243-246,  251,  276,  277, 
294,  333,  409,  435,  *493. 

Massilian  (chevalier  de)  l'aîné,  *505. 

Massilian  le  cadet,  frère  du  précé- 
dent, *505. 

Matthbws,  148-156,  158,  174,  185, 
289. 

Maubouquet.  Voir  Pontevès. 

Mauclerc  Du  Bouchet,  *518. 

Maudave  (comte  de),  299,  434. 

Maupertuis,    104. 

Maurepas  (Jean-Frédéric  Phély- 
PEAUX,  comte  de),  29,  37,  68,  82, 
85-89,  *90,  91-108,  110,  117,  118, 
135,  139,  142,  145,  150,  156,  157, 
163,  184,  185,  186,  192,  193,  196, 
205,  223-225,  229,  525. 

Maurepas  (comtesse  de),  125,  146. 

Maurice  de  Saxe,  143,  163-167,  171, 
178,  343. 

Maurville  (Hippolyte-Bernard  Bidé 
de),  334,  391,  522,  *538. 

Melguiel.  Voir  Narbonnb. 

Ménildot  (de)  de  Rideauville,  *520. 

Menneville.  Voir  Du  Quesne. 

Mercier,  *50c,  538. 

Mercy-Argbnteau,  428. 

Mkros.  Voir  Rosily. 

Merville  (de),  *530. 

Mesedern.  Voir  Lagadeck. 

Mesnil-Durand,  471. 

Meyronnkt  Saint-Marc,  *505,  515. 

MÉZY.  Voir  Le  Normant. 

Mirabeau  (Riqueti,  chevalier,  puis 
bailli  de),  94,  142,  156,  194,  243, 
247,  290,  303,  331,  338,  339,  351, 
366,  376,  415,  421,  ^505. 

MiRANDE  (de)   GUÉRIN,   *519. 

MiREPOix  (marquis  de),  149. 

MissiESSY,  *231,  436. 

3t> 


562 


TABLE  ALPHABETIQUE. 


MoDÈNE  (chevalier  de),  528. 

MoËLlEN.  Voir  GOUANDOUR. 

MoËLiEN  (de^,  *258,  391. 
MoissET,  102. 

MOLLANDIN,    111. 

MoNiER  de   Fausse,  490,  ♦SOS,  514. 

MONKTON,  393. 

Monmerqué,  32,  58,  66,  79. 
MoNNiKR.  Voir  Du  Quesne. 
MoNs  (Jose[_,hde),  *114,  115,  133. 
Monsieur  le  Duc  (Louis-Henri,  duc 

de  Bourbon,  dit),  72-74,  85. 
MoNTALAis  (de,,  256,  356,  382,  *520, 

530. 
MoNTALAis,   fils  du  précédent,  526. 
MoNTALEMBERT  (marquis  de),  228. 

MONTANDRE.    Voir    LoNGCHAMPS. 

MoNTAUBAN.  Voir  Beaussier. 

MoNTAZET    (chevalier  de)  Amalvin. 

*518. 
MoNTBAzoN  (prince  de),  chevalier  de 

RoHAN,  333,  *521,  538. 

MONTBRUN.   Voir   BOADES. 

MoNTCALM,   16,    248,   276,   381-383, 

387. 
MoNTCALM  Saint-Véran,  *505. 
MoNTECLKR  (comte  de),  *520. 
Monteil    (chevalier   ou   baron   de), 

259.  *534,  535. 
MoNTESPAN  (M""'  de),  65,  136. 
Montesquieu,  16. 
MoNTFiQUET  (chevalicr  de),  *521. 
MoNTi,  124. 
MoNTLAUR  (de),  *491. 

MONTLOUET.    Voir  BULLION. 

MoxTMAUR.  Voir  Dannat. 
MoNïMÉJAN.  Voir  Saint-André. 

MONTPLAISIR.   Voir    PÉRIER. 

MoNTVERT.  Voir  Du  Lac. 

MooRE,  392. 

Moras   (de   Peirenc,   marquis   de), 

224,  240-243,  303,  399. 
Mordaunt,  329,  332. 
MoKÈs,  391. 
MoROGUES.  Voir  Bigot. 
Motiieux  (de),  303,  *505. 
Mou/le  d'Ange^-oille,  88,  89, 231, 259, 

363,  404,  409,  457. 


MoY  (de),  *505. 

MuiN  (chevalier  de),  *518. 

MuRAT.  Voir  Saurin. 

N 

Nabuchodonosor,  130. 

Nadau  (de),  392. 

Napoléon  1",  77,  131,  265,  297,  342, 

343,  379,  445,  448,  452,  465,  522^ 

533. 
Narbonne-Pelet-Melguiel   (comte 

ou  baron  de),  *247,  *506,  514. 
Narbonne.  Voir  Sûrgues. 
Nardin,  465. 

Nas  de  TouRRis  l'aîné,  *505. 
Navarro    (don    José   de),   147-150, 

153-155. 
Nelson,  288,  355,  366,  436. 
Nepveu,  *534. 

Nesmond  (marquis  de),  492. 
Nesmond    (Brib,  chevalier   de),   fils 

du  précédent,   116,  120,  164,  *491. 
Neuville,  viii,  234.   Voir  État  som- 
maire. 
Newcastle,  257,  285,  296. 
Nieul  (marquis  de)  Ponte,  *545. 
No  ailles  (comte  de),  511. 
NoAiLLES  (maréchal  de),    149,    169, 

271. 
NoAiLLKs  (Victoire  de),  135. 
NoGÉaÉE  (chevalier)  de  La  Fillièrk 

l'aîné,   *518. 
Norman,  12,  84,  375. 
NoROY.  Voir  Champigny. 
NoRRis,  166. 
Nouailles  d'AYMÉ,  *165. 
NovARiN  l'aîné,  *506. 
NuYS.  Voir  Cluonv. 


0  (marquis  d')  de  Villers,  *114,  133. 

Obry  (d'),  209. 

Odon  Des  Gouttes,  *496. 

Ogle,   137. 

Ollivier  (Biaise),  101,  102,544. 


NOMS    DE    PERSONNES. 


563 


Opï'Ède  (d').  Voir  Forbin. 

Ordelin  (d'),  214,  215. 

Orléans  (f"HiLipPE  II,  duc  d'),  le  Ré- 
gent, 21,  27,  29,  31,  34,  37-39,  41- 
44,  46,  48-50,  54,  55,  58,  63,  71-73, 
77,  88,  128,  132,  162,  493. 

Orléans  (chevalier  d'),  fils  du  précé- 
dent, 94. 

Orléans  (duc  d')  (Philippe- Égalité), 
533. 

Ormay  'd'),  471. 

Orry,  208. 

Orsonville  (d'),  185,  *498. 

Ortières  (d*).  Voir  Gravier. 

Ortigues  (d')  l'aîné,  *506,  515. 

Orves  (d')  Martini,  116,  121,  158, 
159,  16l',  *491,  493. 

Orvilliers  (Louis  Guillouet,  comte 
d'),  231,  431-433,  ^530,  538,  545. 

OSBORNK,  301-303. 

Osères  (d').  Voir  Pardaillan, 

OssAT  (cardinal  d'),  2-4,  74. 

Ouessant.  Voir  Heussaf. 

OZANNE,    448. 


Pallière.   Voir  Cristy. 

Pannat  (comte  del,  309,  *507,  514, 

530,  538. 
Paoli,  436. 

Parcbvaux  (chevalier  de),  *496,  503. 
Pardaillan    (d'OsÈRES,    comte   ou 

marquis  de),  gouverneur  du   duc 

de  Penthièvre,  *13ô",  142, 
Pardaillan  (Louis  de),  marquis  de 

GONDRIN,   136. 

Pardaillan-Gondrin,  111-113. 
Pardaillan.  Voir  Antin  (d'),CAYLUS. 
Paris-Duvkrnev,  298,  483. 
Paris-Jallobert,  334. 
Parscau.  Voir  Du  Plessis. 
Parseval-Deschènes,  120. 
Parsevaux    (René     Kéramel    de), 

*127. 
Pas  de  Feuquières,  427. 

PaSTOUR  de  COSTEBELLE,   *506. 

Payan.  Voir  La  Garde. 


Peirenc  (de).  Voir  Moras. 

Peirolles  (de),  *505,  514. 

Pelet.  Voir  Narbonne. 

Pellerin,  544. 

Penandreff  de  Kersauson,  *520. 

Penfentenyo,  *520. 

Penthièvre  (Louis  de  Bourbon,  duc 

de),  n35,  136,  537. 
Penzé  de  MoiiLiEN.  Voir  Gouandour. 
Pépin  de  Belle-Isle,  *333. 
Perez  (Antonio),  4. 
PÉRiER  l'aîné,  *194,    197,  382,  390, 

492,  516,  528. 
PériePv  de  MoNTPLAisiR,  second  fils 

de  Périer  l'aîné,  *521. 
PÉRIER  de  Salvert,  frère  de  Périer 

l'aîné,  194,  257,  *491,  516. 
Périer  de  Salvert,  fils  du  précé- 
dent, *515. 
Perrot.  Voir  Fercourt. 
Peynikr,  *535. 
Peyssonnel  (André),   117. 
Peyton,  211-213. 
Phélypeaux.    Voir   La    Vrillière, 

Maurepas,  Ponciiartrain. 
Philippe  V,  11,  38,  43,  49,  50,  73, 

74,  132,  147,  153,  155. 
Philippe  (infant  don),  149,  157. 
PiCAULT  (Lazare^  205. 
PiCQUET.  Voir  La  Motte. 
Pidansai  de  Mairohert,  106. 
Piérard  (M-"'),   378. 
PiGACHE.  Voir  La  Comté. 
Pilles  (chevalier  de),  509. 
PiNGRÉ,    427. 
PiosiN  (chevalier  de),  140,  157,  158, 

227,  *491,  493. 
PiTT  (William),  lord  Chatham,  262, 

296,  309,  328,  438. 
Plas  (de),  *545. 

Plélo  (Bréhan  de),  121-128,  316. 
Plélo  (comtesse  de),  125,  127. 
Plessis  Boterel,  258,  *519, 
PococK,  401-404,  406,  407. 
PoiNTis,  82,  134,  185. 
PoMPADOUR  (marquise  de),  91,  223, 

226,  239,  240,  244,  246,  250,  324, 

376,  378,  413. 


564 


TABLE    ALPHABETIQUE. 


PONTCHARTRAIN  (Louis  PhÉLYPEAUX, 

comte  de),  22,  28,  29,  68,  88. 
PoNTCHARTRAiN     (Jérôme     Phély- 
PEAUX,  comte  de),  fils   du  précé- 
dent, 22,  27-30,  33,  57,  58,  68,  87, 
90,  243. 

PONTK.  Voir  NiEUL. 

PoNTEViiS  Maubousquet,  *506. 
PoNTLEROY  (Beaulieu  de),  *442. 
Porter,  *498. 
portmartin,  *520. 
Ports  marithnes  de  la  Finance,  46. 
PouLcoNCQ  (chevalier  de),  *198. 
Praslin.  Voir  Choiseul. 
Précourt.  Voir  Bouvet. 
Prémontal  (M.  de;,  234. 
Prétendant   (le)  ou  le  chevalier  de 

Saint-Georoe  (Jacques-Edouard), 

41,  42,  48,  130,  163. 
Préville.  Voir  Roussel. 
Prévost  (chevalier)  de  Traversay, 

*521. 
Prie  (marquise  de\  73-75,77. 
PuisiEUx  (marquis  de),  523. 

PUSIGNIEU,  301. 

Q 

Quart    i  chevalier  de),  2t56. 
QuiEz.  Voir  Beaussier. 
Quinette  de  La  Hogue,  322. 

R 

Rabeau.  Voir  Du  Bois. 
Racine,  65. 

Radouay  (Renault  de),  *491. 
Rafélis.  Voir  Broves. 
Raimond  (bailli  de)  d'EAUx,  *505,  538. 
Raîmondis  (chevalier  de),  *515. 
Raimondis  (de)  Canaux,  308,  *504, 

514. 
Rathery,  122. 
Raymond  (comte  de),  337. 
Rays  (de).  Voir  Du  Breil. 
Réals  (chevalier  de),  *535,  545. 
Régent  (le).  Voir  Orléans  (;ducd'). 
Renau  d'ÉLiçAG aray,  dit  le  petit  Re- 

Dau,  31,  •33. 


Renault.  Voir  Radouay. 
Rf.pentiony,  *521, 

Retz  (chevalier  de).  Voir  Du  Croizbt. 
Richelieu  (cardinal  de),  2,   4-6,  8, 

11,  19,  37,  68,  74. 
Richelieu    (maréchal    duc  de),    91, 

139,    145,    169-171,   271  273,    277, 

279-282,  285, 287, 291-293,  295,  297, 

298. 
RiCHMOND  (duc  de),  438, 
Ricouart  (de),  529. 
Rideauville.  Voir  Ménildot. 
RiGAUD.  Voir  Vaudreuil. 
RiQUETi.  Voir  Mirabeau. 
Rivièr  {Henri),  viii. 
ROBINAULT,  257. 

RociiAMBEAU  (César-Gabriel   de  Vi- 

MEUR,  seigneur  de  Vendôme),  146, 

147,*491. 
RocHAMBEAU  (comte  de),   maréchal 

de  France,  146,  277,  280,  371,  438. 
RocHECHOUART  (vicomto  de),  *545. 
RocHEMORE  La   Devèze,  308,  *505, 

514,  538. 
Rochon.  Voir  La  Peyrousb. 
Rodier,   421,  544. 
RoDNEY,  347,  351,  367,  393. 

ROHAN.    Voir   MONTBAZON. 

RoQUEFEUiL  (comte   d'^),  *138,    146, 

164,  166,  im. 
RoQUEFEUiL  (comte  de),  fils  aîné  du 

précédent,  367,  422,  *500,  537. 
ROQUEFEUIL  (vicomte  de),  frère  cadet 

du  précédent),  141,  *498,  539. 
RosiLY  de  Méros,  *530 
RosMADEC.   Voir    Saint-Allouarn. 
RosTAiNG  (de),  colonel,  257, 
RosTAiNG    (de),  lieutenant    général, 

211,  214. 
Rouillé    (Antoine-Louis  de),  comte  • 

de  JouY,    224,    225,   227-230,  234, 

235,  245,  251. 

ROUILLÉE,  171. 

Roussel  (chevalier)  de  Prévillb, 
391,  *520,  547. 

Roussel  (chevalier)  de  Prévillb  ca- 
det, frère  du  précédent,  *520. 

Rouvroy  (marquis  de),  517. 


NOMS    DE    PERSONNES. 


565 


RowLEY,  151,  152,  154. 
RoYB.  Voir  Anville  {d'). 
RoziLY  (de),  525. 
Ruis  (de),  381,  *535. 
Ruis  Embito  de  La.  Cheswardière, 
*329,  544. 

S 

Sabran  de  Grammont,  303,  307,  308, 

310,  311,  *505,  514,  538. 
Sabran.  Voir  La  Clue  (de). 
Sades  (de),  187,  *498. 
Sainï-Aignan  (duc  de)^  509. 
Saint-Aignan    (Paul-Hippolyte    de 

Beauvillier,    marquis   de    La 
Ferté),     fils    du   précédent,    309, 

311,  *505,  514,  538. 
Saint-Allouarn    l'ainé,    178,    3(52, 

*521. 
Saint-Allouarn,  fils  du  précédent, 

*528. 
Saint-Allouarn     (Rosmadec     de), 

frère  de  Saint-Allouarn  l'aîné,  170, 

179,  258,  362,  *521. 
Saint-André  l'aîné,  356,  *498,  520, 

527. 
Saint-andré  Du  Verger,  frère   du 

précédent,  353,  356,  361,  499,  *520. 
Saint-André  Montméjan,  *506. 
Saint-André  Montméjan,  *507. 
Saint-Cézaire  (de),  434,  *514. 
Saint-Clair  (Jacques  de),  174-176. 

SAINT-Df-NIS  de    VlEUXPONT,  *520. 

Saint-Estkve.  Voir  Rouret. 
Saint-Geokge  (le  chevalier  de).  Voir 

PsÉTb-NDANT  (le). 

Saint-Georges  (Grout,  chevalier 
de),  *180,  181,  183,  215. 

Saint-Germain  (de),  *116. 

Saint-Germain  (comte  de),  472,  473. 

Saint-Hilaire,  176. 

Saint-Hippolyte.  Voir  Albert  (che- 
valier d'). 

Saint-Jeurs..  Voir  Castellane. 

Saint-Julip^n,  *514. 

Saint-Laurent.  Voir  Barras,  Sar- 

TRKS. 


Saint-Lbobr,  *535, 

Saint-Léger  {A .  de),  47. 

Saint-Légier  de  La  Sausaye,  *520. 

Saint-Marc.  Voir  Meyronnet. 

Saint-Médard  (de),  532. 

Saint-Pern,  *520. 

Saint-Pern  (de),  lieutenant  géné- 
ral, 534. 

Saint-Pierre.  Voir  Bernardin. 

Saint-Prix,   *521, 

Saint-Simon,  29,  31-33,  39-41,  43,  49, 
51,  58,  65,  71,  72,  76,  78,  82,  84, 
88,  89,  90,  92,  162,  167,  172. 

Saint-Tropez.   Voir  Clapmir,   S»r- 

FRBN. 

Saint-Véran.  Voir  Montcalm. 
Saint-Vigtorbt,  *519. 
Saintb-Aulaire.  Voir  Beaupoil. 
Sainte-Croix,  42. 
Sainte-Croix    (chevalier    de),    368, 

369. 
Sainte-Maure  (Charles  i'Aueé,  m«r- 

quis  de),  *137. 
Salies  (chevalier  de),  182,  *496. 
Salle,  87. 

Salvert.  Voir  Périer. 
Sandford  Terrxj,  168. 
Sanzay  (vicomte  de),  357,  363,  367 

*520. 
Saqui  (de)  Destourès,  *504. 
Sartine  (de),  431,  434,  451. 
Sartres    (de)    de    Saint-Laurent, 

*530. 
Saunders,  304,  388,  387.   • 
Saurin,  baron  de  Murât,  142,  *493. 
Saurin  de  MuRAT,fîls  du  précédent, 

117,  *530. 
Savignv.  Voir  La  Guarioub. 
Séchelles  (,de),  264. 
Secondât,  237. 
Séol^iran  (de),  *519. 
Ségur  Cabanac,  *504. 
Ségur-Dupeyron,  455. 
Seignelay,  8,   9,   22,  24,  28,  m,  86, 

105,  109,  273.  418,  422,  481. 
Selve  (de),  *514. 
SÉMERViLLE  {chevalicr  de),  *547. 
Sempill  (lord),   163. 


566 


TABLE    ALPHABETIQUE. 


Seran  de  La  TouVi  253. 

Sherley,  178. 

Shudham,  390. 

SiBON,  297.    • 

Silhouette.   15,  252,  264,  275. 

SiRLHEY,   178. 

SoREL  (de),  *518. 

SoRGUES  (Narbonne  de),  *493. 

SouBisE  (maréchal,  prince  de),  346, 
379. 

S  ou  LANGE  (comte  de),  *520. 

Soupire  (chevalier  de\  3^9. 

Spont,  117. 

Stair  (lord),  44. 

Stanhope  (lord),  45, 

Stanislas  Lecz!Nski,  121-124. 

Stevens,  400,  404. 

Sue  (Eugène),  66. 

SuFFREN  (chevalier  do)  de  Saint- 
Tropez,  99,  151,  188,  194,  256,  288, 
290,  406,  431,  437,  *514,  547. 

Sully  (duc  de),  500. 

Surville  aîné,   535. 

SuRViLLE  cadet,  535. 

Suville.  Voir  Cillart. 


Taffanel.  Voir  La  Jonquière. 

Taillade.  Voir  Faudran. 

Tancrède,  chevalier  de  Caumont. 
391,   *521. 

Taneguy.  Voir  Du  Chatel. 

Taulanne.  Voir  L'Isle. 

Taurin  (chevalier  de)  cadet,  *507, 
512. 

Taurin  Dannat  l'aîné,  frère  du  pré- 
cédent, *506,  513. 

Tayac  de  Calvimont,  *154. 

Telincoukt.  Voir  La  Touche. 

Temple-West,  258,  286,  288-290. 

Tencin  (cardinal  de),  162,  163,  168. 

Tercier,  465. 

Ternay  (chevalier  de)  d'ARSAC,  371, 
372,  388,  389,  *521,  532,  534. 

Terran  (de),  527. 

Tbrray  (abbé),  233,  428. 


Tessé  (Froulay,  maréchal  de),  31, 

*33. 
Thémistocle,  1. 
Thierry,  328. 
Thiers,  482. 
Thoman,  116,  414. 
Thomas.  Voir  Chateauneuf. 
Thoranc  (de),  *503. 
Thurot (François. ,321,  345,  373-375. 
TiLLY.  Voir  Grasse,  Le  Gardeur. 
TiVAS,  Voir  Beadlieu. 
Tivas  le  Brave,  500. 
Torcy,  43. 

Torrington.  Voir  Byng. 
Toulouse  (comte  de),  12,  27-29,  31, 

*32,  *56,  *57,  58,  GO-66,  70,  86,  87, 

91,  95,  116,  *135,  146,  185,  495,  499. 
TouRNON  (chevalier  de),  *514. 
TouRONEC  de  GoRCQUER,  *520. 
TouROS,  102. 
TouRRis.  Voir  Nas. 
TouRTiLLE,  9,  32,  131,  146,  167,310, 

364. 
TouRViLLE  (chevalier  de),  petit-fils 

du  précédent,  178,  *532. 
TOWSEND,    199. 

Traversay.  Voir  Prévost. 

Trédern  Du  Dresnec,  *496,  519. 

Trémarec.  Voir  Kkrguelen. 

Trémigon,  *521. 

Tressemanes  ichevalier  de),  436, 
*506,  514. 

Tressemanes  (chevalier  de)  Brunet, 
*504. 

Tressemannes  (chevalier  de)  Chas- 
TEUIL,   *507. 

Tréville  (chevalier  de),  377. 

Tréville.  Voir  La  Touche. 

Tronjoly,  *518. 

Troude,  353,  530,  536. 

Truguet,  *507. 

Truguet  (Laurent),  frère  du  précé- 
dent, 420,  421,  512. 

Tulau,  331. 

Turenne,  293. 

Turgis.  Voir  Colbert. 

Tu  ROOT,  418,  428,  431. 

Turgot  (chevalier),  434. 


NOMg    DE   PERSONNES. 


567 


TuRGOT.  Voir  Vendes. 
TuRPiN  Du  Breuil,  *518. 

U 

Urre  (chevalier  d'),  *505. 
Urtubie  (chevalier  d')  Fagosse,  *519, 

530. 
UssoN  (d').  Voir  Bonrbpaus. 


Valincour  (Henri Du  Trousset  de), 

32,  58,  65-70,  79-81,  86,  87,  89,  128. 
Vallière  (marquis  de),  380. 
Valmenier,  *519. 
Valmenier  Cacqueray,  *521. 
Valois,  Voir  Villettk. 
Vassan  (de),  *520. 
Vattan  (chevalier,  puis  bailli  de),  *25 . 
Vauban,  45,  102,  336,  418. 
Vaueois,  297. 
Vaudreuil    (RiGAUD    l'aîné,   comte 

de),  157,  187,  3^8,  *498. 
Vaudreuil    (Rigaud,   marquis  de)  , 

ûls  aîné  du  précédent,  *500,  545. 
Vaudreuil  (Rigaud,  comte  de),  frère 

cadet  du  précédent,  *500,  545. 
Vauquelain,  386-388. 
Vauvert.  Voir  La  Motte. 
Vauvré  (Girardin  de),  *31,  26,  33. 
Veissière  de  Larivaux  La  Barre, 

*518. 
Vendes  (de)  Turgot,  *532. 
Vendôme.  Voir  Rochambeau. 
Venel  (de)  l'aîné,  *505,  515. 
Venel  ^de)  le  jeune,  *505,  509,  514. 
Vento  (chevalier  de)DES  PENNas,*515. 
Verdun  de  La  Crenne,  *427. 
Verelausk.  Voir  Barjeton. 
Vergennes,  255. 
Vériguan.  Voir  Lort. 
Vernet,  424. 

Vbrnon  (amiral),  134,  137,  169. 
Vernon,  154. 

Vertrieux.  Voir  La  Poypb. 
ViALfs  (de),  *547. 
ViARMES  (de),  529. 
Vie  de  Du  Guay-Trouin,  34. 


Vieîlechèze  {de),  353. 

Vienne  (Jean  de),  446. 

Vienne    (marquis    de)    de   Busssh- 

rolles,  *116. 
Vienne.  Voir  Fragnier. 
ViEuxpoNT.  Voir  Saint-Denis. 
Vilarzel  (de)  d'HÉLiE,  *507. 
Village  (chevalier  de)  Villevieille, 

*514. 
Villars  (maréchal  de),  12,  22,  23. 
ViLLARS   de  La  Brosse,  370,  *505, 

518,  539. 
ViLLEBLANCHE  (de\   150,  277. 
Villehuet.  Voir  Bourde. 
Villeneuve  (de),  525. 
Villepatour.  (de),  386. 
Villers  (de).  Voir  0  (d'). 
Villers  (de  Franssurks),  226,  *538. 
Villers  (chevalier  de)  Franssures, 

fils  du  précédent,  *521. 
ViLLBRS   Franssures  de    Brissau- 

couRT,  frère  du  précédent,  *520, 
Villers  de  Grassv,  *520. 
ViLLETTB  (Philippe  de  Valois,  mar- 
quis de),  *32,    56. 
Villevieille.  Voir  Village. 
ViMEUR.  Voir  Rochambeau. 
Vivant  de  Maissagues,  265. 
Voltaire,   16-19,  23,  133,  169,  203, 

221,  223,  224,  339. 
VoLUDE.  Voir  Lage  (de). 
Voutron  (de),  *539. 

W 

Waddington  (R.),  255,  257. 
Walpole  (Horace),  75-79,  92. 
Walpole  (Robert),  75,  77,  78,  106, 

130,  134,  143,  148. 
Walsh,  168. 
Warren,  192. 
Watson,  400. 
Wellington,  9. 
West,  Voir  Temple-West. 
Wiesener,  43,  45-47,  50. 
Willaumez.  Voir  Bouet. 
Witt{C.  de),  441,443. 
Wolfe,  387. 


TABLE  ALPHABÉTIQUE 

DES     NOMS     DE     NAVIRES 


FRANÇAIS 

VAchiîle,   123,  292,  *507,  528,  =^530. 

L'Achille  (C*  des  Indes),   209,  211- 
214. 

L'Actif,  *535,  542. 

L^ Actionnaire,  542. 

L'Aigle,  254. 

L'Aigrette,  362,  521,  *545. 

VAlcide,  182.  200,218,255-257,259, 

398, *503. 
L'Alcyon,  115,  116,  199,  493,  523. 
L'Alexandre,  542,  *545. 
L'Altier,  436. 
L'Améthyste,  254. 
L'Amphion,  542. 
L''Anémone,  259. 
L'^ri^Zeset/  (C'«  des  Indes),  216. 
U Apollon  {O'  des  Indes),  216. 
L'Aquilon,  136,   142,  154,  334,  *493. 
L' Arc-en-ciel,  200, 
L'Ardent,  119,  120,  140. 
L'Aréthuse,  386. 
L'^?'^oîiau{e,  123,  165,  *491. 
UArtésien,  416,  542. 
L'.4ssMr^,  117. 
L'Astrée,  115,  123,  125,  *491. 
L'Atalante  200,  201,390,  *493. 
LU^aZawte  (capit.  Vauquelain),  387 

388. 
L'Auroj'e,  *545. 
La  Badine,  178. 
La  Badine  (C*  des  Indes),  111. 
La  Bayonnaise,  529. 


La  ^eZZe  PowZe,  433,  496. 

Le  Belliqueux,  387,  398,  *530,  *532. 

La  Bellone,  171. 

La  Biche,  534,  *547. 

Le  Bien- Aimé,  542. 

Le  Bien-Aimé  (C*e  des  Indes),  401, 

402. 
Le  Bienfaisant,  *532. 
Le  Z?izarre,  257, 358,  361,  *521,  *530, 

542. 
Le  Bordelais,  542. 
Le  Borée,  142,  *493. 
La  Boudeuse,  A2Q. 
Le  Bourbon,  120,  138,  139,492,  522, 

531. 
La  Bourgogne,  416,  543. 
La  Bretagne,  416,  542. 
Le  Brillant,  125,  362,  372,  *520,  527, 

*532,  542. 
Le  Brillant  (C'e  des   Indes),    214, 

216,  532. 
La  Brune,  530. 
Le  Bucentaure,  533. 
La  Calypso,  362,  521. 
Le  Caméléon,  *547. 
Le  Capricieux,  329,  *532. 
Le  Casfor,  185,  187,  *498,  501. 
Le  Caton,  543. 
Le  Célèbre,  *530,  *532. 
Le  Centaure,  307,308,310,311,  *514. 
Le  Centaure    (€'•  des  Indes  ,    214, 

216,  535. 
Le  Cerf. volant,  433,  *545. 
Le  César,  543. 
Le  Chameau,  103. 


NOMS     DE    BATEAUX. 


569 


Le  Chariot  Hoyal,  226. 

Le  Chariot  Volant,  226. 

Le  Chauvelin,  373. 

La  C/iim ère,  30 1,306,  436,*515,*547. 

Le  Citoyen,  416,  542. 

La  Comète,  *532. 

Le  Comte    de    Maurepas    (C»    des 

Indes),  113. 
Le  Comte  de  Provence{0^  des  Indes), 

401,  402,  404,  535. 
Le  Conquérant,  121,  161,  *491,  542. 
Le  Content,  161,  165,  197,  *505. 
Le  Courageux,  525. 
La  Couronne,  279,  *504,  542. 
La  Cybèle  (C"  des  Indes),  216. 
Ldi  Danaé  (C'«  des  Indes),  111. 
Le  Danube,  *547,  548. 
Le  Dauphin   Royal,   165,    256,  358, 

360,  *519,  524,  *530,  542. 
La  Dédaigneuse,  *545. 
Le  Défenseur,  *530. 
Le  Destin,  543. 

Le  Diadème,  393,  523,  *530,  542. 
Le  Diamant, 140,  141,  182,  *493,  *496. 
La  Diane,  159. 
Le  Diligent,  542. 
Le  Diligent  (C*  des  Indes),  111. 
La  Diligente,  401,  402. 
Le  Dragon,  362,  372,  386,  *519,  524, 

*532. 
Le  Duc  de  Bourgogne,  *530,  542. 
Le  Duc  de  Bourgogne  (0'°  des  In- 
des), 402,  404,  535. 
Le  Duc  d'Orléans,  *493. 
Le  Duc  d'Orléans  (C'e  des  Indes), 

214,535. 
L'Éléphant,  500. 
VÉlisaheth,  120,  167. 
L'Émeraude,  181,  *496,  497,  500. 
L'Entreprenant,  255,  *532. 
L'Éole,  *493. 
L'Espérance,  115, 116,  150,  258,  259, 

*493. 
L'Espiègle,  434. 
L'Espion,  178. 
L'Etna,  *547. 
L'Éveillé,  254,  362,  372,   389,  *520, 

526,  *53C,  *534,  542. 


Le  Fantasque,  306,  *blb,  543. 

La  Fée,  137. 

Le  Fendant,  542. 

Le  Ferme   135,  *493,  542. 

La  Fidèle,  334,  406. 

Le  Fier,  306,  *506,  *515,  542,  *545. 

Le  Flamand,  542. 

Le  Fleuron,  120,  124-126,  165,  *491, 

503. 
La  Flore,  142,  427,  *493. 
Le  Florissant,  392. 
Le  Formidable,   254,  356,  383,  386, 

499,  *520, *530. 
Le  Fortuné  (C'e  des  Indes),  535. 
Le  Foudroyant,  146,  279,   283,  293, 

304,  487,  *504. 
Le  Fougueux,  137,  186,  ^498. 
La  Galatée,  170,  178,  179. 
La  Garonne,  534. 
La  Gloire,  123,   126,    165,  179,   182, 

199,  *491,  *496,  497. 
Le  Glorieux,  362,  372,   *518,   *530, 

542. 
La  Gracieuse,  286,  306,   ♦506,  *515, 

*547. 
Le  Grafton,  116. 
Le  Griffon,  116,  *491. 
Le  Guerrier,  308,  *505,  *514,  543. 
La  Guirlande,  398, 
Le  Hardi,  387,  *532,  543. 
L'Hébé,'iÇ>2,*:>2\. 

L'Hector,  2^-3,   301,  383,  *507,  *530. 
L'Henry,  53. 
L'Héroïne,  254,  *5 17, 
Le  Héros,  254,  357,    362,   363,   367, 

382,  *520,  *530. 
L'Heureux,  *491,  *493. 
L'Hippopotame,  289,  *505,  542,  *545. 
L'Hirondelle,  433,  *507,  *547. 
L'Illustre,  3H2.  406,  ^535. 
L'Inconnu,  117. 
L'Indien,  542. 
L'Inflexible,   254,    362,    *521,  *530, 

531. 
L'Intrépide,  187,  201,  357,  360,  390, 

*498,  500,  *519,  542. 
L'Invincible,  b\,  180,  183. 
L'Isis,  427,  432,  *545. 


570 


TABLE    ALPHABETIQUE. 


.  Le  Jason,  180,  181. 
La  Junon,  299,  *506. 
Le  Juste,  357,  362,  *521. 
Le  La  Galissonnière,  301. 
Le  Languedoc,  139,  416,  543. 
Le  Léopard,  115. 
Le  Lévrier,  546. 
La  Licorne,  382,  383,  *534,  *547. 
Le  Lio7i,  279,  306,  *505,  *515,  542. 
Le  Ltjs,   165,  180,   214-216,  255-257, 

259,  *503. 
Le  Magnanime,  199,  200,  218. 
Le  Magnifique,  230, 346,358,361,  *520. 
Le  Maréchal  de  Belle-Isle,  373,  375. 
Le  Marengo,  120. 
La  Marie-Gertrude  (C'^  des  Indes), 

214. 
Le  Mars,  165,  171,  197,  198,  542. 
Le  MarsiO'  des  Indes),  214,216. 
hQ  Marseillais,  416,  543. 
La  Médée,  165,  182. 
La  Méduse,  123,  *491. 
Le  Mercure,  140,  185,  *491. 
La  Mignonne,  437. 
La  Minerve,  306,  *515. 
Le  Mmotaj^re,    406,  *535,  536,  542. 
Le  Modeste,  3U9,  310,  *515. 
Le  Monarque,  186, 188,  *498,  499. 
Le  Moucheron,  546. 
La  Mutine,  178,  179. 
Le  Neptune,  119,  165,  167,  184, 186, 

199,  *487,  *498. 
La  Noire,  362,  521. 
Le  Northumherland,  177,  194,  198, 

358,  360,  *519,  542. 
La  Nymphe,  299,  *506. 
L'Oceaw,  302,  305,  306-310,  *514. 
UOiseau,  305,  *545. 
L'Opiniâtre,  258,  391. 
L'Orient,  352,  358,  360,  *518,  542. 
L'Oriflamme,  159, 161, 304, 306,  *515. 
L'Orphée,  227,  290,  303,  *505. 
Le  Palmier,  254,  529,  542. 
La  Parfaite,  140. 
La  Pénélope,  536. 

Le  Petit  Triton  {O*  des  Indes),  111. 
La  Pléiade,  304,  305,  ♦547. 
La  Pomone,  388. 


Le  Protecteur,  436,  542,  543. 

Le  Pilotée,  542. 

La  Provence,  543. 

Le  Prudent,  329,  *532. 

La  Pwce,  545. 

Le  Raisonnable,  333. 

Le  MedoutaUe,  279,  289,  309,  *504, 

*514. 
Le  Réfléchi,  542. 
Le  Renard,  *547. 
La  Renommée,  177,  178,  194. 
Le  Requin,  221 . 
Le  Robuste,  362,  372,  389,  *519,524, 

*534,  542. 
Le  Roland,  542. 
La  i?ose,  *506. 
Le  Royal  Louis,  394,  542. 
Le  iÏM&is,  182,  199,  ^496,  525. 
Le  Rusé,  228. 
Le  Sage,  290,  *o05,  *530. 
Le  Sagittaire^  543. 
Le  Saint-Esprit,  116,416,  *493,542. 
Le  Saint-Géran  (C'des  Indes),  209. 
Le  Saint-Louis,  *491. 
Le  Saint-Louis  (C'e  des  Indes),  214, 

535. 
Le  Saint-Michel,  542. 
La  Salainandre,  *547. 
Le  Sceptre,  542. 
Le  Séduisant,  *547. 
Le  Sérieux,  179,  183,  *493,  496. 
Le  Serin,  *545. 

Le  Seuern,  186,  200,  *498,  500. 
Le  Singe,  437,  *547. 
La  Sirène,  200,  254. 
Les  Six  Corps,  542. 
Le  Soleil  Royal,  318,  352,  355,  357- 

359,  361-363,  365,  366,  *518. 
Le  Solide,  151,  *493. 
Le  Solitaire,  358,  360,  *519,  542. 
Le  Souverain,  309,  *514,  543. 
Le  Sphinx,  362, 386,  *521,  529,  *532, 

542. 
La  Subtile,  196. 
La  Sultane,  436. 
Le  Sumatra  \0^  des  Indes),  214. 
Le  Superbe,  164,  165,  356,  357,  398, 

501,  *520,  526,  *530. 


NOMS    DE   BATEAUX. 


571 


La  Surveillante,  372. 

La  Sylphide,  536. 

Le  Téméraire,  309,  310,  *504,  *514. 

La  Terpsichore,  432,  *545,  *547. 

Le  Terrible,  150, 179,  186,  199,  *493, 

*49S. 
Le  Thésée,  356,  357,  *519,  525. 
Le  Tigre,  114,  *491,*493. 
Le  Tonnant,  185,  187, 188,  301,  358, 

360,  *498,  499,  *519,  *530,  543. 
La  Topaze,  297,  *506,  *547. 
Le  Toulouse,  53,115,  *491,  *493. 
La  Tourterelle,  *545. 
Le  Trident,  186,  194,  *493,  *498. 
Le  Triomphant,  500. 
Le  Triton,  280,  306,*491,*505,  *515, 

542. 
Le  Triton  (C'»  des  Indes),  111. 
U Union,  437,  542. 
V Utile,  436,  *547. 
Le  Vaillant,  *530,  543. 
Le  Vengeur,  330,  542. 
Le  Vengeur  (C*  des  Indes),  401, 535. 
La  Vestale,  51,  362,  372,  *521. 
La  Victoire,  542. 
La  Vierge  de  Grâce  (C*  des  Indes), 

m. 

Le  Vigilant,  192,  193. 
La  Ville  de  Paris,  5 12. 
La  Volage,  159,  *493. 
Le  Zélé,  543. 
Le  Zéphir,  *493,  *532. 
Le  Zodiaque,  S9S,  401,  404,406,407, 
*535,  536,  542. 

ANGLAIS 

Le  Berwick,  152. 

Le  Blankford,  260. 

Le  Bristol,  1S2. 

Le  Buckingharn,  258,  286. 

Le  Colchester,  334. 

Le  Devonshire,  183. 


Le  Dorsetshire,  333. 

Le  Dover,  178. 

Le  Duc  de  Cumberland,  178. 

Le  Dunkirk,  256,  257. 

Le  Falkland,  183. 

La  Galère  de  Gênes,  309. 

Le  Grafton,  382. 

Le  Greenwich,  383. 

L'Intrepid,  288,  290. 

Le  Lancaster,  286. 

Le  Lynx,  334. 

Le  Magnanime,  330. 

Le  Marlborough,  151,  154 . 

Le  Monarch,  297. 

Le  Monmouth,  304, 

Le  Namur,  151,  183,  306. 

Le  Newark,  307. 

Le  Norfolk,  151. 

Le  Nottingham,  182,  382. 

L'Orford,  258,  259. 

Le  Pembroke,  182. 

Le  Portland,  196. 

Le  Prince  George,  182. 

Le  Qu^&ec,  372. 

Le  Ramillies,  286. 

L' Unicom,  372. 

Le  Warwick,  390. 

Le  Winchelsea,  196. 

Le  PTincZsor,  182. 

Le  Farmou^/i,  401,  407. 

ESPAGNOLS 

Le  Constante,  151,  152. 
L'Hercule,  154. 
L'Jsa&eZZa,  151,  152. 
Le  Poder,  151,  152,  154. 
Le  JîeaZ  Felipe,  150-155. 


RUSSE 


Le  Mittau,  127. 


TABLE  ALPHABÉTIQUE 

DES  PRINCIPAUX  NOMS  GÉOGRAPHIQUES 


Acadie,  252. 
Aix  (île  d'),  328-333. 
Alger,  114-117,  436. 
Ambleteuse,  342,  344,  448. 
Angoulin,  331. 
Annapolis.  Voir  Port-Royal. 
Antibes,  160. 

Antilles  françaises,  389-393. 
Antongil  (baie  d'),  210,  434. 
Ayre  (île  d'),  281,287. 
Bantry  (baie  de),  9. 
Bayonne,  67,  69,  102,  419. 
Belle-lie,  20,  176,  367-370,  411. 
Bender-Abbas,  410. 
Berlenga  (îles),  197. 
Berry  icap),  166. 

Béveziers  (bataille  du  cap),  10,  131. 
Bizerte,  436. 
Bomarsund,  120. 
Brest,  24,  94,  100-102,'104,  316,  324, 

328,  384,  385,  417,  418,  424,  428, 

430. 
Bristol,  387. 
Calais,  11. 
Camaret,  11. 
Cancale,  2i6,  335,  336. 
Cap  Breton  (île   du).    Voir    Royale 

(île). 
Cardinaux  (bataille  des),  353-366. 
Carrickfergus,  374,  375. 
Carthagène,  302-304. 
Carihagèno  des  Indes,  82,  134. 
Cayenne,  259. 


Cépet  (cap),  145,  148. 
Cherbourg,  102,  246,  335,  336. 
Chibouctou,     aujourd'hui     Halifax, 

177,  195. 
Ciboure,  69. 
Ciudadela,  281-283. 
Corse,  285,  297,  434-436. 
Cronstadt,  120, 
Culloden,  171,  173. 
Danzig,  119,  123-127,  317. 
Dieppe,  11. 
Dominique  (la),  393. 
Dunkerque,  13,  45-47,  77,  81,92,  101, 

219,  373,  438. 
Falkland  (îles),  439. 
Finisierre    (bataille    du    cap),    185- 

188. 
Flessingue,  77. 
Fornells,  281. 
Fort-Dauphin,  434. 

Fort-Koyal.  Voir  Martinique. 

Foule-Pointe,  216,  399. 

Fouras,  328-331. 

France  (îie  ;de),   54,  204,  207,  215, 
218. 

Gênes,  24,  149,  435. 

Gibraltar,  13,  48,51,92,  133,313. 

Glénans  (les),  178. 

Godéteur  (?)  (cap  de),  138. 

Gorée,  245. 

Goudelour,  216,  217,  401,  402. 

Guadeloupe  (las  18,  392,  393. 

Guernesey,  81,  319  = 


PRINCIPAUX    NOMS    GEOGRAPHIQUES. 


573 


Halifax.  Voir  Chibouctou. 

Houat  et  Hoëdik  (îles),  176,  355. 

Jamaïque  (la),  444. 

Jersey,  81,320,  322,380. 

Karikal,  403,  404. 

Lagos  (bataille  de),  305-310. 

La  Havane,  393 

La  Hougue  (bataille  de),   4,  10,  38, 

26S,  364. 
Larache,  436,  437. 
Le  Croisic,  362,  364-366. 
Le  Havre,  11,  226,  351,  433,  434. 
Le  Passage,  69. 
Lérins  (îles  de),  160,  172. 
Levant  (échelles  du),  436,  437. 
Londres,  9,  79,  168,  469. 
Lorient,  109,  173-177,  196,  417. 
Louisbourg,  191-193,   196,  200,  220, 

228,  246,  382-385,  532. 
Louisiane  (lai,  165,  439. 
Madagascar,  434. 
Madras,  203,  213,  214,  217-220,  400, 

403,  406. 
Mahé,  111,  112,  207,  208. 
Mahé  (île),  205. 
Majorque,  280,  285. 
Malaga.  Voir  Vêlez. 
Malte,  297. 
Man  (île  de),  375. 
Mardick,  46,  47,  56. 
Marseille,    23,    94,    156,    222,  234, 

415. 
Martigucs,  23. 
Martinique  (la),    18,  111,    198,    199, 

391-393. 
Mascate,  410. 
Minorque,  13,  48,  51,  92,  271,  272, 

276,  280-286,   291,  293,  298,    300, 

304,  411. 
Mogador,  437. 
Moka,  113,  114. 
Montréal,  388. 
Natchez  (les),  165. 
Negapalam,  211,  212. 
Ortegal  (combat  du  cap),  179-184. 
Ouistreham,  367. 
Passero  (bataille  du  cap),  50. 
Penmarc'h,  258. 


Pensacola,  53. 

Péré  (pointe  de),  166. 

Pondichéry,  203,  207,  209,  211-215, 
218,  220,  400-404. 

Pontcroix,  356. 

Port-Egmont,  439. 

Port-en-Bessin,  367. 

Port-Louis,  109,  174,  177. 

Port-Louis.  Voir  France  (île  de). 

Port-Mahon.  Voir  Minorque. 

Porto-Novo,  406. 

Port-Royal,  plus  tard  Annapolis, 
193. 

Québec,  220,  257,  384,  385. 

Quiberon,  176. 

Quimperlé,  175. 

Rio  de  Janeiro,  12,  83,  185,  394, 
400. 

Rochefort,  26,  94,  100,  101,  104,327- 
330,  332,  333,  366,  417,  428. 

Royale  (île),  aujourd'hui  du  cap  Bre- 
ton, 191-193.  Voir  Louisbourg. 

Ruelle,  228. 

Sablettes  (anse  des),  305. 

Saint-Bai'thélemy  (île),  197. 

Saint-Cast,  246,  338,  339. 

Saint-David  (fort),  401,  403. 

Saint-Domingue,  18,  199-201,  393. 

Saint-Florent,  297,  298,  435,  436. 

Saint-Jean-de-Luz,  69. 

Saint-Malo,  11,  67,  334,  335,  337. 

Saint-Martin  (île),  197. 

Saint-Philippe  (fort),  282,  285,  286, 
292,  293,  2H8,  299. 

Saint-Servan,  335,  336. 

Saint-Tropez,  148. 

Sainte-Catherine  (île),  215. 

Sainte-Hélène  (île),  409,  410. 

Sainte-Lucie,  252. 

Sainte-Marie-de-Madagascar,  210. 

Salé.  117,  437. 

Sallenelles,  367. 

Scamandre  (le),  14,  20,  239. 

Sousse,  436. 

Sumatra,  215,  410. 

Tabarca,  117,436. 

Tahiti,  426. 

Terre-Neuve,  3^8,  389. 


574 


TABLE    ALPHABETIQUE. 


Tiburon  (bataille  du  cap),  140. 
Toulon,  13,  23,    24,    94,    101,    104, 

118,   157,  159,  222,  417,  418,   428, 

430. 
Toulon   (bataille    navale    de),    150- 

155. 
Tripoli,  115,  116. 
Tunis,  114-116,  436. 


Velez-Malaga  (bataille   de),   12,    32, 

56,  146. 
Vigo  (baie  de),  12. 
Vilaine  (la),  249,  359,  362,  370-â72. 
Villefranche,  157. 
Waterloo,  9. 
Yeu  (île  d'),  178,  367. 
Zaffarines  (îles),  437. 


TABLE    DES    MATIÈRES 


Avant-propos 7ii 

CHAPITRE  PREMIER 

ROLE    DE  LA  MARINE    DANS    L\     GRANDEUR    POLITIQUE    DE    l'aNCIENNE   FRANCE 

Le  cardinal  d'Ossat.  —  Richelieu,  —  Colbert.  —  Les  vicissitudes  de 
la  marine  sous  Louis  XIV.  —  Préjugés  contre  la  marine  et  les  co- 
lonies sous  Louis  XV 1 

CHAPITRE  II 

LNSTITUTION  DU  CONSEIL  DE  MARINE 

Etat  de  la  marine  en  1715.  —  Disgrâce  de  Jérôme  de  Pontchartrain. 

—  Composition  du  Conseil  de  Marine 21 

CHAPITRE  III 

LA  MARINE  ET  LA  POLITIQUE  EXTÉRIEURE  DE  LA  REGENCE 

Les  économies  du  Conseil  de  Marine.  —  Le  revirement  de  la  politique 
extérieure.  —  La  tentative  du  Prétendant.  —  Dubois  aux  Affaires 
étrangères.  —  La  question  de  Dunkerque.  —  La  Triple  Alliance. 

—  Guerre  entre  la  France  et  l'Espagne.  —  Le  Dépôt  des  cartes  et 
plans 35 

CHAPITRE  IV 

LE  COMTE  DE  TOULOUSE  ET  VALINCOUR  !    LEURS  MÉMOIRES  SUR  LA  MARINE 

La  carrière  du  comte  de  Toulouse.  —  Raisons  de  son  mémoire  au 
roi  sur  la  marine.  —  Analyse  de  ce  mémoire.  —  De  l'emploi  des 
diverses  unités  navales.  —  De  la  nécessité  des  constructions  mari- 
timee.  —  Valincour.  --  Analyse  de  son  mémoire  sur  la  marine,    ,        15 


576  TABLE    DES    MATIERES. 

CHAPITRE  V 

LA  POLITIQDK  MARITIME  DE  MONSIEUR  LE  DUC  ET  DU  CARDINAL  DE  FLEURY 

Monsieur  le  Duc  premier  ministre.  —  La  marquise  de  Prie.  —  Fleury 
premier  ministre.  —  Ses  relations  avec  Horace  Walpole.  —  Valin- 
cour  et  son  mémoire  sur  l'état  de  l'Europe.  L'alliance  anglaise, 
societas  îeonina. —  Cassard  enfermé  à  Ham.  —  La  situation  maritime 
à  la  mort  de  Fleury 71 

CHAPITRE  VI 

MADREPAS,  SECRÉTAIRE  d'ÉTAT  DE  LA   MARINE 

Réputation  traditionnelle  de  légèreté  de  Maurepas.  —  Sa  carrière.  — 
Conditions  politiques  et  financières  de  son  administration  maritime. 

Suppression  des  galères.  —  Réflexions  sur  le  commerce  et  sur  la 

marine.  —  Travaux   dans  les  ports.  —  Constructions   navales.  — 
Travaux  scientifiques 86 

CHAPITRE  VH 

CAMPAGNES  MARITIMES  DE  1723    A  1736 

Prospérité  économique  de  la  France  maritime  à  l'époque  de  Fleury. 
—  Croisières  aux  Antilles.  —  Affaire  de  Mahé.  —  Affaire  de  Moka. 

Croisières  contre  les    Barbaresques.  —  les  dernières  années  de 

Du  Guay-Trouin.  —  Campagnes   dans  la   Baltique  :  le  comte  de 
Plélo 107 

CHAPITRE  VHI 

PRÉLIMINAIRES   DE  LA  RUPTURE  ENTRE  LA   FRANCE  ET  l'aNGLETERRE 

Mémoire  sur  les  moyens  de  faire  la  guerre  à  l'Angleterre.  —  Rup- 
ture entre  l'Espagne  et  l'Angleterre.  —  Armements  maritimes  en 
France.  —  Le  duc  de  Penthièvre;  le  marquis  d'Antin.  —  Croisière 
française  aux  Antilles.  —  Le  chevalier  d'Épinay  à  Saint-Domingue; 
le  chevalier  de  Caylus  au  détroit  de  Gibraltar.  —  Guerre  continen- 
tale et  maritime 


128 


CHAPITBE  IX 

PREMIÈRE  GUERRE  MARITIME  ENTRE  IA  FRANCE  ET  l'aNGLETERRE 
i°  LA    MÉDITERRANÉE 

De  Court  La  Bruyère  commandant  l'escadre  de  Toulon.  —  Sa  jonc- 
tic  a  avec  les  Espagnols.  — [Matthews  sur  les  côtes  de  Provence.  — 
Bataille  de  Toulon  (1744).  —  Maurepas  à  Toulon.  —  Les  Anglais 
aux  îles  de  Lérins.  —  Belle-lsle  et  Bompar  à  Toulon 145 


TABLE    DES   MATIÈRES.  577 

CHAPITRE  X 

PREMIÈRE  GUERRE  MARITIME  ENTRE  LA  FRANCE  ET  L'ANGLETEBRK 
2*  LA  MANCHE  KT  LA   MER  DU  NORD 

Le  cardinal  de  Tencin  et  la  restauration  jacobite, —  Charles-Edouard, 
Maurice  de  Saxe,  Roquefeuil.  —  Charles-Edouard  en  Ecosse.  — 
Abandon  d'un  nouveau  projet  de  descente. 162 

CHAPITRE  XI 

PREMIÈRE    GUERRE  MARITIME  ENTRE  LA  FRANCE  ET  l'aNGLETERRE 
3*  LES  COTES  DB  1-' ATLANTIQUE 

Les  Anglais  à  Lorient.  —  La  Jonquière,  Saint-Georges.  —  Combat 
du  cap  Ortegal.  — Des  Herbiers  de  L'Étanduère.  —  Combat  du  cap 
Finisterre. 173 

CHAPITRE  XIl 

PREMIÈRE  GUERRE  MARITIME  ENTRE  LA    FRANCE  ET  l'aNGLETEURE 
4*  LE  CANADA  ST   LES  ANTILLES 

Importance  de  l'île  Royale.  —  Perte  de  Louisbourg,  —  Expédition  de 
d'Anville,  d'Estourmelles,  La  Jonquière.  —  Beaussier  de  L*Isle.  — 
Croisières  aux  Antilles  :  Conflans,  Du  Bois  de  La  Motte,  Guichen.       18'J 

CHAPITRE  XIII 

PREMIERE  GUERRE  MARITIME  ENTRE  LA  FRANCE  ET  l'aNGLETBRRE 
5»  l'océan  INDIEN 

La  Bourdonnais  à  l'île  de  France.  —  La  flotte  de  la  compagnie  des 
Indes.  —  Départ  de  La  Bourdonnais  pour  l'Hindoustan.  —  Batail- 
les navales.  —  Siège  de  Madras.  —  Bouvet  de  Lozier.  —  Traité 
d'Aix-la-Chapelle. -203 

CHAPITRE  XIV 

LE  SECRÉTAIRE  D'ÉTAT  DB  LA  MARINE  DE  1749  A   1761 

La  marine  en  1748.  —  Le  secrétaire  d'État  Rouillé,  —  Travaux  ma- 
ritimes. —  L'Académie  de  Marine;  Bigot  de  Morogues.  —  Ecol« 
d'hydrographie.  —  Le  secrétaire  d'État  Machault  d'Arnouville.  -^ 
Considérât iona  sur  la  constitution  de  la  marine  militaire  de  la 
france.  —  Préparatifs  de  la  guerre  maritime.  —  Le  secrétaire 
d'État  Moras.  —  Les  officiers  bleus.  —  Le  secrétaire  d'État  Massiac. 
— r  Le  secrétaire  d'État  Berryer.  , 221 

37 


578  TABLE  DES  MATIERES. 

CHAPITRE  XV 

PRÉLIMINAIRES  DE  LA  GUERRE  MARITIME   DE  SEPT  ANS 

Conflits  coloniaux  de  la  France  et  de  l'Angleterre.  —  Les  escadres  de 
Macnemara  et  de  Du  Bois  de   La  Motte.  —  UAlcide  et   le  Lys; 
attentat  de  Boscawen.  —  L'Opiniâtre  et  YEspérance.  —  La  France 
et  l'Angleterre  vers  1755.  —  Projets  de  guerre  maritime  contre  l'An- 
gleterre       252 

CHAPITRE  XVI 

GUERRE  MARITIME    DE  SEPT  ANS    SUR    LA  MÉDIT1<:RRANÉE.    1**  LA  GALISSONNIÈRE 

Projet  sur  Minorque.  —  Richelieu.  —  La  Galissonnière.  —  Prépara- 
tifs de  l'expédition.  —  Débarquement  à  Minorque.    —  Instructions 
de   La  Galissonnière.  —  Arrivée  de  Byng.  —  Bataille   du  20  mai 
1756.  —  Conséquences  de  la  victoire  de  La  Galissonnière.  —  Les 
Français  à  Minorque  jusqu'à  la   fin  de  la  guerre 27# 

CHAPITRE  XVII 

GUERRE  MARITIME  DE  SEPT   ANS  SUR  LA  MEDlTSaRANÉE.  2*  LA   GLUE 

La  Clue  et  Du  Quesne  à  Carthagène.  —  Projet  de  jonction  des  esca- 
dres de  La  Clue  et  de  Gonflans.  —  Bataille  navale  de  Lagos.  — 
M.  de  Sabran  Grammont 302 

CHAPITRE  XVIII 

GUERRE  MARITIME  DE  SEPT  ANS  SCil  L' ATLANTIQUE 
4*  PROJETS    CONTRE  LES  ILES  NORMANDES 

L'escadre  de  Brest.  —  Le  duc  d'Aiguillon,  gouverneur  de  la  Bretagne. 
—  Les  îles  normandes.  —  Projets  contre  Jersey .  •      314 

CHAPITRE  XIX 

GUERRE  MARITIME    DE  SEPT  ANS  SUR    l'aTLANTIQUE 
2*  DESCENTES  DES  ANGLAIS 

L'espionnage  anglais.  —  Les  Anglais  devant  Rochefort,.  —  Seconde 
entative  de  descente  à  Rochefort.  —  Tentative  contre  Saint-Malo. 

Anglais  à  Cherbourg.  —  Les  Anglais  à  Saint-Cast.   .   .   .        326 


TABLE  DES  MATIERES.  579 

CHAPITRE  XX 

GU[^RRE  MARITIME  DE  SEPT  APiS  SUR  l'aTLANTIQUE 
3°   CAMPAGNE   DE    1759 

Projets  de  descente  en  Angleterre.  —  Plan  de  la  campagne  de  1759. 
—  Le  maréchal  de  Conflans.  —  La  sortie  de  Brest.  —  La  bataille  de 
Quiberon  on  des  Cardinaux.  —  Le  chef  d'escadre  Bauffremont.  — 
Les  Anglais  à  Belle-Ile.  —  Les  vaisseaux  de  la  Vilaine.  —  Croi- 
sière de  Thurot.  —  Nouveaux  projets  de  descente  en  Angleterre.    .     341 

CHAPITRE  XXI 

GUERRE  MARITIME  DE  SEPT  ANS  AU  CANADA   ET  AUX  ANTILLES 

Campagnes  au  Canada  de  Beaussier  et  de  Du  Bois  de  La  Motte.  — 
Perte  de  Louisbourg.  —  Le  corsaire  Vauquelain.  —  Expédition  de 
Ternay  à  Terre-Neuve.  —  Croisières  aux  Antilles.  —  UAtalante  et 
le  Warwick,  —  Perte  de  la  Guadeloupe  et  de  la  Martinique.  — 
Projets  contre  le  Brésil 381 

CHAPITRE  XXII 

GUERRE  MARITIME  DE  SEPT  ANS  DANS  l'bINDOUSTAN 

Le  comte  d'Aché.  —  Bouvet  de  Lozier,  Bouvet  de  Précourt.  —  Ba- 
tailles navales  de  Goudelour,  de  Karikal,  de  Porto-Novo.  —  Croi- 
sière du  comte  d'Estaing.  Traité  de  Paris 396 

CHAPITRE  XXHI 

I.E  SECRÉTAIRE  d'ÉTAT  DE  LA  MARINE  DE   1761  A    1774 

Le  duc  de  Choiseul.  —  Le  duc  de  Praslin.  —  OlTre  de  vaisseaux  au 
roi.  —  Travaux  maritimes.  —  Constructions  navales.  —  Ordon- 
nance de  1765.  —  Renaissance  dans  la  marine  :  écrits  et  campagnes 
scientifiques.  —  Boynes.  —  Ordonnauce  de  1772.  —  L'escadre 
d'évolutions  de  1772.  —  L'École  du  Havre.  —  Acquisition  de  la 
Corse.  —  Choiseul  et  l'Angleterre 

CHAPITRE  XXIV 

LES  PROJETS  MARITIMES  DU  MINISTÈRE  DE  CHOISEUL 

Choiseul  et  les  colonies  anglaises  d'Amérique.  —  Conseils  de  M.  Du- 
rand, ministre  à  Londres.  —  Possibilité  d'une  descente  en  Angle- 
terre. —  Les  Rayons  de  Grant  de  Blairlmdy.  —  Le  débarquement 
en  Irlande.  —  La  traversée  de  la  Manche.  —  Projet  Béville.  —  Pro- 
jet  de  Choiseul   et  Grimaldi ^ 


-v 


■S- 


37. 

2i30    128 


580  TABLE    DES    MATIÈRES. 

CHAPITRE  XXV 

LE  PROJET  DU  COMTE  DE  BROGLIE 

Le  Secret  du  Roi.  —  Le  comte  de  Broglie.  —  Enquêtes  préparatoires 
pour  le  projet.  —  Le  projet  définitif.  —  Communications  du  projet 
à  Choiseul.  —  Nouvelle  rédaction  du  projet  sous  Louis  XVI.  — 
Conclneion 458 

APPENDICE 

irêvîations  employées  dans  l'Appendice 486 

I 

Table  des  différentes  fonctions  des  officiers  mariniers,  matelots  et  sol- 
dats dans  toutes  sortes  de  cas.  —  A  bord  du  iVepiuwe,  1734.  .  .  .      487 

II 
Sseadre  de  La  Luzerne 491 

III 
Eflcadre  de  de  Court, 493 

17 

Sscadre  de  La  Jonquière 496 

Y 

Sscadre  de  L'Étanduère 498 

VI 

Harines  de  France  et  d'Angleterre.  Vaisseaux  existant  et  enconstmc- 
tioB  an  î^f  janvier  1751 502 

Vît 
ITAlcide  et  le  Lys  en  1755 503 

VIII 

Escadre  de  La  Galissonnière 504 

IX 
Escadre  de  La  Clue 514 


<^  r,iver£;jta.s 


TABLE    DES    MATIERES. 


581 


X 
Escadre  de  M.  de  Conflans ^1^ 

XI 

Armements  pour  le  Canada  en  1757 ^30 

Armements  pour  Loui^boul•g  en  1758 5"^* 

XIII 

Expédition  de  Terre-Neuve  en  1702 ^34 

XIV 

Escadre  de  d'Achc  au  c^  mbat  du  10  septembre  1759 535 

XV 

État  abrégé  de  la  marine  du  roi.  —  Année  1773 537 

XVI 

Escadre  d'évolutions  de  1772 ^^^ 

XVII 

Expédition  du    Maroc  en   1765 547 

Tables 

I.  Table  alphabétique  des  noms  de  personnes 549 

II.  Table  alphabétique  des  noms  de  bateaux 568 

III.  Table  alphabétique  des  principaux  noms  géographiques  ....  572 


Imp.  de  J.  Dumoulin,  à  Paris.  118.8.09 


Lo  Bibliothèque 

Université  d'Ottawa 

Echéonce 


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The  Library 

University  of  Ottawa 

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