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LA VRAIE JEANNE D'ARC
— iii —
ouvRAUB uo!(Oh6 1^111 BRBF DB 5.4 SAISTETÉ LÉON XII!
LA LIBÉRATRICE
CORBEIL. — IMPRIMERIE ÉD. CRÉTÉ
LA VRAIE JEANNE D ARC
— III —
OUTBAGK HONORÉ D'cN BREF DE SA SAINTETÉ LÉON XIII
LA LIBÉRATRICE
D'APRÈS LES aiRONIQUES
ET LES DOCUMENTS FRANÇAIS ET ANGLO-BOURGUIGNONS,
ET LA CHRONIQUE INÉDITE DE MOROSINI
PAR
Jean-Baptiste-Joseph AYROLES
DE LA COMPAORIB /m JÉSUS
Sache ung cliacan que Dieu a monxlré et nnoslre ung
chaque jour qu'il a aimé et aime le royaiilmc de France....
Mais sur tous les signes d'amour que Dieu a envoyez au
royaulme de France, il oe y on a point eu de si grant
ni de si merveilleux comme de ccsle I^ucelie.
Mathieu Thomas8I5.
PARIS
GAUME ET G", ÉDITEURS
3, RUE DE l'abbaye
1897
Droit! de Iraduclion et de reproduction réservés.
^y
I /
n
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JHS
A SAINT MARTIAL,
APOTRE DE l'aquitaine,
et à tous les autres disciples du Seigneur et des Apôtres évangélisateurs des Gaules ;
A SAINT DENYS L'ARÉOPAGITE,
DISCIPLE DE SAINT PAUL, PREMIER ÉVÊQUE DE PARIS,
INSPIRATEUR DE SAINT THOMAS d'aQUIN ',
A SAINT MARTIN,
LE GRAND THAUMATURGE DES GAULES,
LE DESTRUCTEUR DU DRUIDÏSME DANS LES CAMPAGNES;
A SAINT RÉMY,
»
LAPOTRE DES FRANCS,
LE JEAN-BAPTISTE DE LA NATION TRÈS CHRÉTIENNE;
au nom de tous ceux qui ne répudient aucune des célestes auréoles dont TËglise
Romaine proclame que Jésus-Christ a daigné parer sa fille aînée ;
l'Auteur,
Jean-Baptiste-Joseph AYROLES
de la Compagnie de Jésus.
Le Saint Jour de Noël 4896, X!V* centenaire du Baptême de Clovis.
BREF DE SA SAINTETÉ LÉON XIII
DUecto tUlo Joann. Baptlstœ Ayroles e Soc. Jbsu, Parlslos,
LEO P.P. XIII.
DiLECTE FILI, SaLUTEM ET APOSTOLICAM BeNEDICTIONEM.
Rem lu amplam et operosam dudùm aggressus, ut memoriam
Joannœ de ArCy Virginis Venerabilis, illuslrares, jam doclorum
hominum expeclalionem probe suslines et erudilionis copia et
judicii prudentia.
Licel veroy ul inslilulum conslanler pergas^ nihil libi horlalu sil
m
opus el laudcj ulrumque lamen^ pro ipsa rei prœslantia^ ultro
imperlimus. Nam islud palriœ veslrw insigne decuSj idem est Reli-
gionis CalhoUcœ, cujus prœsertim consilio et ductu^ magna gloria^
verœ ornamenta sibi in omni œtale peperit Gallia.
Sic igiiur procédai opéra tua, ut^ quod prœcipue speclas^ hœc
Iota causa ab hostium religionis ictibus^ non invulnerata modoy
sed confirmata et auclior emergat,
Sunt prœ ceteris qui res geslas magnanimœ pientissimœque
Virginis omni exuant divinœ virtutis instinct u^ cas dimetientes ad
humanse tantum opis facultatem; velqui de iniqua ejus damnatione^
irrogata nempeabhominibus Apostolicœ huic Sedi maxime infensis^
ipsam criminari Ecclesiam non vereantur.
Ista el similia ad lucem fidemque monumentorum sapienler
refellerCf inleresl magni ; idque genus optimum est de religione
simul ac civitale benè merendi. In quo tu quidem, dilecte fili,
versari ne cesses alacer; eo nunc magis^ quod sacrœ ejusdem
causœ cursus proximo decrelo nostro, rite ac légitime cœpit.
Interea par libi in reliquo opère in omnique consilio tuo auxi-
lum adsil bonitatis divinœ; quod Apostolicx Benedictionis munere
peramanler optamus.
Dalum Romœ apud S. Pelrum, die xxvJulii, anno MDCCCXCIV
Ponlificalus noslri decimo septimo.
Léo P.p. XIII.
TRADUCTION
A noire bien-aimé fils y Jean-Baptiste Ayroles^ de la Compagnie
de Jésus j à Paris^
LÉON XIII, Pape.
BlEiN-AlMÉ FILS, SaLUT ET BÉNÉDICTION APOSTOLIQUE.
Dans l'œuvre vaste et laborieuse depuis longtemps entreprise par
vous, de mettre en lumière la figure de la vénérable Vierge,
Jeanne d'Arc, vous répondez dignement à l'attente des doctes, et
parla richesse de Térudition et par la sagesse de vos jugements;
et encore que pour la continuer et la poursuivre, vous n'ayez besoin
ni d'exhortation ni d'éloges, il Nous platt, à raison de l'importance
de l'œuvre, de vous départir encouragements et louanges.
C'est qu'en effet celle qui est l'insigne honneur de votre patrie,
l'est en mêmelemps de la HeligionCalholique ; de la Religion Catholique
dont les lumières et la direction, plus que toute autre cause, ont en
tout temps fait conquérir à la France les fleurons de la vraie gloire.
Conduisez donc votre travail en sorte que, — ce qui est votre but
principal, — tout ce grand fait de la Fucelle, non seulement ne soit
en rien amoindri par les coups des ennemis de la Religion, mais
en ressorte plus constant et plus éclatant.
En tête de ces ennemis, il faut placer ceux qui, dépouillant les
exploits de la magnanime et très pieuse Vierge de toute inspiration
de la vertu divine, veulent les réduire aux proportions d'une force
purement humaine ; ou encore ceux qui, de son inique condam-
nation portée par des hommes ennemie très acharnés de ce Siège
Apostolique, osent en faire un thème d'incrimination contre l'Eglise.
Réfuter sagement, à la lumière et sur la foi des documents,
pareilles assertions, et celles qui s'en rapprochent, estde très grande
importance ; c'est une excellente manière de bien mériter de la Reli-
gion et de l'Etnt.
Ne ckssez pas, bien-aimé fils, de poursuivre allègrement ce tra-
vail, maintenant surtout que Notre récent Décret a ouvert le cours
canonique et régulier de cette sainte Cause. Que la Bonté Divine vous
continue son assistance pour le reste de Tœuvre et l'exécution de
votre plan tout entier : c'est ce que Nous vous souhaitons très affec-
tueusement en vous départant Notre Bénédiction Apostolique.
Donné à Rome, à Saint-Fierre, le xxv' jour de juillet de
l'an MDCCCXCIV, de notre Pontifical le dix-septième.
Léon XIII, Pape.
AU LECTEUR
Le Bref de Sa Sainteté, la plus haute et la plus douce des récom-
penses pour l'auteur des volumes la Vraie Jeanne d'Arc^ est pour
ceux qui Font soutenu par leurs paroles, leurs écrits, leurs sous-
criptions et leurs prières, un incomparable encouragement qu'il est
heureux de leur offrir avec l'expression de sa gratitude.
Sa Sainteté a daigné lui dire de poursuivre son œuvre sans se
laisser en rien interrompre : in quo tu quidem, dilegte Fili, vacare
NE CESSES. Pour uu vrai catholique, spécialement pour un fils de Saint
Ignace, c'est un ordre que le moindre désir, la plus simple invita-
lion que le Vicaire de Jésus-Christ veut bien lui manifester. Obéir
allègrement est tout à la fois un honneur et une source de grâces.
Les amis de la première heure voudront nous continuer un concours
qui a été et demeurera notre force ; l'espérance de coopérer à une
œuvre que le Vicaire de Jésus-Christ déclare très profitable au bien
de la société religieuse et civile, nous en attirera de nouveaux.
Cette œuvre a été qualifiée en trois mots par un des historiens les
plus accrédités de la vénérable Pucelle, par M. Marins Sepet, qui est
en même temps un des critiques catholiques les mieux posés : « C'est
un œuvre de vulgarisation, de recherches et de discussion », a-t-il
écrit.
I
Œuvre de vulgarisation, elle a pour but de permettre à quiconque
n'est pas sans quelque culture intellectuelle d'étudier la céleste appa-
rition dans les sources n^êmes de son histoire. 11 est nécessaire que
ces sources soient vulgarisées, pour que l'angélique figure apparaisse
à tous les regards, dégagée des travestissements et des mutilations
X AU LECTEUR.
que lui ont fait subir les erreurs qu'elle foudroie ; c'est nécessaire pour
que de son radieux visage tombent les ineffables lumières qui en
jaillissent. La Pucelle est une démonstration irréfragable de la
divinité du christianisme, un touchant exposé de son dogme et de sa
morale, la justification des pratiques catholiques, un coin du voile
qui nous dérobe les réalités invisibles soulevé, c'est le Ciel entrevu.
Elle n'est tout cela que tout autani qu'elle apparaît telle que les con-
temporains la virent et la contemplèrent, telle qu'elle s'est manifestée
elle-même dans les lettres qu'elle a dictées, dans les réponses que lui
arrachèrent les tortionnaires de Rouen. Il y a toujours plaisir et profit
à étudier ces maîtresses pièces, à les rapprocher, à voir comment,
même les plus hostiles, laissent échapper des aveux précieux à re-
cueillir, et fournissent au penseur le sujet de profondes réflexions.
Donner les documents dans leur malérialité, dans la langue où ils
ont été écrits, en respecter jusqu'à l'orthographe, c'est les réserver
aux raffinés de l'érudition, et les rendre inaccessibles à ceux que des
études spéciales n'auront pas préparés à les pénétrer. Sans parler
des pièces écrites en latin, — et elles sont nombreuses, — en vieil
italien ou en allemand, les lecteurs qui voudront ou même seront en
état de lire une Chronique française de la première partie du xv" siècle
sont en petit nombre. L'orthographe du temps, si différente de la
nôtre, en rend la lecture suivie, pénible et fatigante. Bien des mots
ont entièrement disparu de la langue. On ne dit plus atout pour avec,
adotic pour alors, greigneur pour meilleur, etc. Ce qui est une plus
fréquente cause de méprise, bien des mots que nous possédons encore
ont perdu une partie des acceptions qu'ils avaient alors ; on com-
prend mal, ou l'on ne comprend pas tout de suite, si on leur donne
l'acception restreinte qu'ils ont conservée. Le mot hôtel, qui ne
se prend plus aujourd'hui que dans le sens {['hôtellerie, ou d'habitation
luxueuse, désigne au xv* siècle toute demeure habitée par l'homme,
comme c'est encore l'acception du mot oustal dans certains patois
du Midi ; le mot harnais ne s'applique pas seulement à l'équipement
du cheval, mais à celui du guerrier; bataille, qui aujourd'hui désigne
le combat engagé entre deux armées, signifie dans les Chroniques
l'armée elle-même ; le mot assai a souvent la valeur d'un superlatif,
et doit être pris pour très, beaucoup, fort. Le Glossaire de la langue du
moyen âge de Lacurne de Sainte-Palaye, que nous avons eu constam-
ment en mains durant notre travail, se compose de dix volumes in-4*
AU LECTEUR. XI
à deux colonnes, et nous y avons inutilement cherché plusieurs mots
des Chroniques que nous avons reproduites. Ajoutons que la cons-
truction des phrases s'écarte delà construction aujourd'hui en usage.
Elle prête souvent à l'équivoque, surtout dans l'emploi des pronoms
relatifs qui peuvent grammaticalement se rapporter à plusieurs
sujets. La phrase, parfois démesurément longue, se compose de parties
qui ne sont reliées entre elles que par d'interminables et. Les mots
(///, d'Ue^ semblent faire partie des articles, avec lesquels ils sont
écrits comme s'ils en étaient la seconde syllabe, tant ils sont fasti-
dieusement répétés. On les trouve employés parfois, alors même qu'il
n'a pas été question du dit personnage. Les textes cités dans leur
intégrité aux Pièces justificatives, au bas des pages, ou dans l'ouvrage
même, démontreront suffisamment que la lecture courante de sem-
blables documents est exclusivement réservée à quelques rares spé-
cialistes, voués à des travaux d'érudition.
Le travail de rajeunissement a porté d'abord sur l'orthographe
qui a été modernisée. Aux mots que ne comprendrait pas de prime
abord un lecteur médiocrement instruit, ont été substitués les termes
aujourd'hui usités. Un déplacement de mots a suffi parfois pour
rendre facile l'intelligence de phrases confuses dans le texte. La
suppression des ^/, des dit^ permet souvent de leur donner une coupe
qui heurte moins l'oreille. Garder avec cela la saveur de la vieille
langue qui, par sa naïveté, s'harmonise si bien avec le sujet, ce serait
la perfection. Le but a été poursuivi ^ L'auteur est le premier à
regretter qu'il n'ait pas toujours été atteint.
Mutiler un chef-d'œuvre de Michel-Ange, altérer le coloris
d'un tableau de Raphaël, passe pour un attentat auprès des artistes.
Quand il s'agit d'un chef-d'œuvre des mains de Dieu, tel que Jeanne
la Pucelle, c'est un sacrilège. Altérer sciemment le sens des textes,
c'est s'exposer à le commettre. Notre conscience nous dit que nous
sommes innocent de semblable crime ; c'est avec un vrai scrupule
qu'il a été procédé aux changements indiqués. Ne faire dire h
l'écrivain que ce qu'il dit, tout ce qu'il dit, a été l'objet d'une pré-
occupation constante. Tous les jours, non seulement dans les sciences
sacrées, mais dans tout ordre de connaissances, Ton argumente
1. CeKains chroniqueurs écrivent tourelles^ d'autres tourneUes^ bastilles et d'autres
bastideSf etc. 11 n'y avait pas de raison de changer ce qui est parfaitement intelligible
pour tout lecteur.
XII AU LECTEUR.
d après des traductions. C est beaucoup moins qu une traduction
qu'ont subi les textes de nos vieux chroniqueurs ; le^ lecteur pourra,
je Tespère, faire fond sur notre travail, comme sur le texte même.
Sans parler de plusieurs textes originaux reproduits aux Pièces
justificatives, on trouvera, au bas delà page, ceux qui ont paru
amphibologiques, ou avoir une importance spéciale.
La méthode qui vient d'être exposée n'est pas celle qui est
aujourd'hui en honneur. On s'attache à la reproduction matérielle,
parfois photographique des textes. Cela peut assurer la conservation
de nos monuments historiques ; mais borner là le travail de l'histo-
rien, ce serait faire descendre l'histoire au rang du métier. Il est
vrai que le plus souvent le texte est accompagné de notes, parfois
trois ou quatre fois plus étendues que l'écrit original minutieusement
reproduit. N'est-ce pas ajouter une difficulté de plus à une lecture
déjà fatigante, en interrompant par des renvois, à chaque membre
de phrase, celui qui l'a entreprise ? N'est-ce pas faire de l'histoire le
domaine exclusif de quelques rares amateurs qui s'en partagent
les lambeaux ? Quelle que soit la valeur des annotations et la somme
de travail qu'elles représentent, l'auteur, au lieu d'être un historien,
reste toujours un scoliaste, titre jusqu'ici peu considéré. Quoi qu'il en
soit, la Vraie Jeanne d' Arc n'aurait pas mis à la portée du plus grand
nombre les sources de la plus merveilleuse des histoires, si nous nous
en étions tenu à la méthode aujourd'hui préconisée. Les amateurs
de l'érudition pour ainsi dire mécanique, par la collation avec les
originaux, pourront dire si nous avons réussi à respecter l'intégrité
du sens des documents reproduits.
li
La Vraie Jeanne cCArc est une œuvre de recherches. Plus l'histoire
de la Libératrice est en dehors des histoires connues, plus elle a
besoin d'être appuyée sur des preuves irréfragables. L'on ne sau-
rait trop redire que la Providence y a splendidement pourvu. Pas de
personnage historique qui soit entré dans la postérité porté par
semblable nuée de témoins bien informés, amis, ennemis, indiffé-
rents ; qui se soit révélé lui-même d'une manière plus sincère et
plus à l'abri de toute méfiance.
Il y a longtemps qu'on a commencé à grouper quelques-uns de
XIV AU LECTEUR.
L'intérêt exceptionnel qui g'attache à Jeanne d'Arc a fait étudier
bien des personnages mêlés de plus ou moins près à son histoire. On
s'efforce d'éclairer les moindres faits, de fixer les lieux. De là une
multitude de brochures, et surtout d'articles dans les si nombreuses
revues de la capitale et des provinces. Tentatives toujours louables, ,]
pas également heureuses ; plusieurs cependant offrent de précieux
renseignements.
De longues journées ont été employées à feuilleter ces recueils, et
à chercher, au milieu de matières bien disparates, ce qui avait trait
à rhéroïne. Ce qui a paru mieux fondé et plus digne d'intérêt a
été recueilli et brièvement analysé, ou même intégralement re-
produit.
Fils d'un ouvrier fanatique de jacobinisme, Jules Quicherat,
assure-t-on, avait conservé dans l'intimité quelque chose de Texalla-
tion révolutionnaire de son père. Plus modéré dans ses écrits, son
rationalisme cependant ne se fait pas seulement jour dans ses Aperçus
nouveaux^ il influe sur l'appréciation des documents qu'il produit. Le
surnaturell'offusque ; les Chroniques où il est plus élagué ont manifes-
tement ses préférences, alors qu'elles sont non seulement sèches, mais
déparées par de manifestes erreurs. Celles au contraire qui relatent
des faits merveilleux, même les mieux établis, lui déplaisent et sont
jugées sévèrement. Encore que, comme paléographe, il soit d'une
compétence qu'il nous siérait mal de contester, il n'est pas impossible
de constater qu'il n'a pas été toujours heureux dans le choix de ses
manuscrits, et que, dans la transcription, des fautes, d'ailleurs assez
rares, lui ont échappé, ou ont échappé aux copistes qu'il employait.
Nous n'entendons pas, par ces observations, contester que l'histoire
de la Libératrice ne lui soit grandement redevable, mais seulement
réduire à ses justes limites un mérite qu'un sentiment louable en lui-
même, la reconnaissance de ses disciples, a peut-être surfait.
III
La Vraie Jeanne et Arc est une œuvre de discussion. L'histoire de la
Pucelle frappant toutes les erreurs des derniers siècles, il n'est pas
étonnant que les tenants de ces erreurs se soient efforcés de voiler, de
mutiler, d'altérer les aspects qui les offusquaient.
Quels ressorts n'a pas fait jouer, n'emploie pas encore le naturalisme
geDces.
AU LECTEUR. Xt
r de la figure qui le foudroie! Yiolenl, satanique
devenu astucieux avec Michelet et sod école, et a
e d'un culte eotliousiaste pour Théroïne le brevet
qu'il lui a décerné. La circulaire de Lemmi aux
prouve que, jugeant cette altitude peu tenable, il
reurs et aux infamies de son père,
troduits, il faudra, comme cela a été fait pour la
lontrer à quelles tortures, à quelles fausses inter-
nettent les écoles naturalistes de tout degré, et
e les difiicultés qui peuvent naître de leurs divcr-
IV
Pareil plan exige de nombreuses pages. Si nous avions pu hésiter
à le poursuivre, cela ne nous est plus permis après les paroles de Sa
Sainteté : in qtio vacare ne cesses, après les encouragements qui nous
viennent même d'au delii des mers.
La Providence continuera de nous fournir les moyens matériels par
nos souscripteurs, ou par toute autre voie. Un de nos prochains vo-
lumes portera les noms de ceux qui auront collaboré avec nous, en
souscrivant à toutes les parties de la Vraie Jeanne d'Arc.
On trouvera dans celui-ci tous les documents que nous ont légués
le parti de la Libératrice, le parti français, et le parti anglo-bourgui-
gnon qu'elle combattait. Nous avions espéré y faire entrer les Chro-
niques transmises par les nations étrangères ft la querelle. L'intérêt,
les richesses jusqu'à présent ignorées, l'étendue de la Chronique
de Morosini, éditée ici pour la première fois, nous ont contraint de
renvoyer les autres pièces au volume suivant. Il sera consacré aussi
à la vie guerrière. On y entendra la chrétienté entière du xv' siècle,
les témoins oculaires des merveilleux exploits, la Libératrice elle-
même nous révéler ce que furent les événements de cette période, et
surtout la sainteté de celle qui les conduisait.
Un mot sur la disposition adoptée ici. C'est d'abord un exposé des
deux partis en lutte, et une briève notice des personnages qui étaient
à leur tète à l'arrivée de Jeanne. Cela nous évitera des renvois h des
notes qui interrompraient la lecture. Un exposé sommaire de l'art
de la guerre au commencement du xv' siècle fera mieux comprendre
combien fut merveilleuse la jeune fille de dix-sept ans que l'on y vit
LIVRE PREMIER
L'ÉTAT DES DEUX PARTIS. — ORLÉANS.
LE SIÈGE JUSQU A L'ARRIVÉE DE LA PUCELLE.
m.
LA LIBÉRATRICE
LIVRE PREMIER
L'ÉTAT DES DEUX PARTIS. — ORLÉANS.
LE SIÈGE JUSQU'A L'ARRIVÉE DE LA PUCELLE.
CHAPITRE PREMIER
LA FRANCE ET LE PARTI NATIONAL A L'ARRIVÉE DE LA PUCELLE.
Sommaire : I. — Les limites de la France au commencement du xv« siècle. — Le duclié
de Lorraine, le Dauphiné, la Provence reconnaissant la suzeraineté de l'Empire;
liens des deux dernières provinces avec la France. — Démembrement projeté. —
Les pays soumis à la domination de l'Angleterre. — Cette domination était loin
d'être également acceptée par tous les pays nominalement soumis.
II. — Le roi de Bourges presque universellement abandonné. — Les familles prin-
cières : Orléans, Anjou, Alençon, Charles de Bourbon comte de Clermont, Jacques
de Bourbon la Marche. Son gendre un saint, le sire de Pardiac, avait cependant
pris les armes contre le roi. — Le bâtard d'Orléans. — Louis de Vendôme. — Raoul
de Gaucourt, Regnault de Chartres, Machet, La Trémoille, Robert le Maçon. — Le
Connétable. — Jean IV, comte d'Armagnac. — Le comte de Foix. — Gilles de Rais.
— Le maréchal de Boussac. — Louis de Culan. — Le sire de Graviile. — Les Gascons :
le sire de Coarraze, LaHire, Xaintrailles, Jean d'Aulon, le sire d'Albret. — Les Bretons :
Alain Giron, de Laval. — Chabannes, etc.
UI. — Les milices royales. — Les forces de Charles VU se composaient principalement
de mercenaires étrangers : Espagnols, Lombards et surtout Écossais. — Impopularité
des Écossais. — Services qu'ils ont rendus à la France. — Les milices communales.
Un des grands appuis de la Pucelle. — Le Connétable.
I
Un écrivain du xv* siècle, Gilles le Bouvier, plus connu sous le nom de
le Hérault Bernj^ traçait ainsi les limites du royaume de France qu'il
disait le plus beau, le plus plaisant, le plus gracieux, le mieux propor-
portionné de tous les royaumes : Il a xxii journées de long de TEcluse
4 LA VRAIE JEANNE D'AHC I LA LIBÉRATRICE.
en Flandre à Saint-Jean-Pied-de-Port à Tentrée du royaume de Navarre ;
XVI de large depuis Saint-Mathieu-de-Fine-Poterne en Bretagne jusqu'à
Lyon sur le Rhône. De TÉcluse en Flandre jusqu'au royaume de Navarre
il est fermé par la mer ; et de là par les monts Pyrénéens jusqu'à Narbonne ;
et de Narbonne jusqu'à Aigues-Mortes par la mer du Midi qu'on appelle
Méditerranée; et d'Aigues-Mortes jusqu'à Lyon par le Rhône là où tombe
la Saône; et dudit Lyon jusqu'à Luxeuil par la Saône; et près de là
commence le fleuve de Meuse, dont le même royaume est fermé contre
les Allemagnes, jusqu'à la comté de Hainaut et au pays de Liège, et à
une journée de là il est fermé par l'Escaut qui part d'auprès Bouchain en
Cambraisis jusqu'à la mer de Flandres, où tombe ledit fleuve \
Le royaume, comme on le voit, avait notablement perdu à l'est des
limites qu'il avait dix siècles avant, à la mort du premier roi chrétien. La
partie de la Lorraine qui est sur la rive droite de la Meuse, le Dauphiné et
la Provence, relevaient, au moins nominalement, de la suzeraineté de
l'Empire. Cependant les deux derniers pays se rattachaient à la France par
des liens fort étroits qui devaient préparer leur incorporation. La Provence
était possédée par la maison d'Anjou, tige royale la plus rapprochée du
trône après la maison d'Orléans. Le Dauphiné y tenait de plus près
encore, depuis qu'il était devenu l'apanage de l'héritier présomptif
de la couronne. En fait il semblait la possession la moins précaire de
Charles VII, que le parti ennemi aimait à appeler le Dauphin Viennois.
La générosité avec laquelle la noblesse dauphinoise versait son sang pour
la cause française montrait que le pays était français par l'âme, avant
de Tôtre diplomatiquement, dirions-nous aujourd'hui. Cependant deux
puissants voisins escomptaient les malheurs du roi de Bourges dans
Tespérance de se partager cette province ; c'étaient le prince d'Orange et
le duc de Savoie ; les victoires de la Pucelle ne les avaient pas fait renon-
cer à leur dessein, puisqu'ils envahissaient le Dauphiné au moment où
elle était prise à Compiègne. La défaite qu'ils subirent à Anthon le
11 juin 1430 leur apprit à en respecter les limites. Ce n'était là qu'un des
nombreux démembrements qu'avait fait méditer la conquête anglaise,
en un temps où, d'après Jacques Gelu, chacun se croyait en droit de
pouvoir prendre, de ce qui fut la France, la partie qu'il pouvait conquérir
et garder. Le malheureux pays, dit Alain Chartier, ressemblait à la mer
où chacun est maître de ce qu'il peut capturer. En fait, voici d'après
un travail qui épuise le sujet, quels étaient, à l'arrivée de Jeanne, les
pays soumis à la domination anglaise :
1 . Cilé par M. Longnon, d'après le P. Labbe qui Ta édité dans son Abrégé royal (1651).
Voir dans la Revue des questions historiques (octobre 1875) le magistral travail du
moderne érudit, auquel il sera fail d'autres emprunts.
LE PARTI NATIONAL. ?►
»
« Toute la partie du royaume de France siluée à droite de la Loire^
depuis la limite commune du Beaujolais et du Maçonnais jusqu'à Tembou-
chure du fleuve, reconnaissait, à quelques exceptions près, Tautorité
de Henri VI. Les États de ce prince s'étendaient même avec le duché de
Bretagne au delà de la Loire jusqu'à la limite septentrionale du Poitou.
Le roi légitime n'avait guère conservé au nord du fleuve que la partie
septentrionale de l'Anjou, de la Touraine, du Blésois, une partie du
Dunois, la ville d'Orléans alors assiégée et prête à succomber, le comté
de Gien, et le pays de Puysaie. Il était encore obéi sur quelques points
isolés, le Mont-Saint-Michel, ïournay, la châtellenie de Vaucouleurs, et
peut-être La Ferté-Bernard. La suzeraineté de Henri VI s'étendait donc
sur les Flandres française et belge, l'Artois, la Picardie, la Normandie
la Bretagne, le Maine, l'Orléanais (en majeure partie), l'Ile-de-France, la
Champagne, le Barrois, la Bourgogne et le Nivernais. Il possédait de plus,
dans le Midi, le Bordelais, le Bazadais pour la plus grande partie, les
Landes, le Labourd et la Soûle en qualité de descendant de Henri Plan-
tagenet et d'Eléonore de Guyenne, l'épouse répudiée de Louis VII ^ »
La domination anglaise était loin d'être également afl'ermie dans toutes
ces contrées. Elle était pleinement acceptée à Bordeaux, à Bayonne, pays
soumis à l'Angleterre depuis trois siècles. Le commerce se trouvait bici>
de cette vassalité, encore que la guerre fût en permanence sur les fron-
tières, le Périgord, l'Agenais, le Quercy, contrées qui ne voulaient pa&
devenir anglaises. Les provinces que le traité de Troyes avait fait passer
sous le gouvernement immédiat de l'Angleterre, telles que la Normandie,
la Picardie, TIle-de-France, la Champagne, off'raient à l'étranger un point
d'appui moins chancelant que celles qui n'en relevaient que par l'intermé-
diaire de puissants feudataires. Telle la Bretagne. Le duc avait juré,
renié, juré encore le fatal traité : ses sujets n'étaient nullement sympa-
thiques à l'étranger. Le duc de Bourgogne, cause de tout le mal, no
persistait pas dans l'alliance anglaise par le seul désir de venger la mort
de son père ; il se faisait payer sa fidélité par le comté d'Auxerre d'abord,
et, ensuite, après les premières victoires de Jeanne, par la promesse
de la Champagne qui reliait ses provinces d'Artois et des Flandres aux
provinces des deux Bourgognes. Ne méditait-il pas pour lui ou pour sa
postérité la formation d'un royaume indépendant? Il avait la puissance de
l'un des premiers rois de l'Europe, et il traitait avec l'Angleterre en allié
plutôt qu'en vassal. Quant au jeune duc de Bar, René, s'il se préparait en
ce moment à faire hommage à l'Anglais, c'était certainement à contre-
cœur qu'il se séparait d'un beau-frère avec lequel il avait été élevé, et qu'il
1. M. Lo?îG?iON, /or. dt. p. 500.
6 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
abandonnait le parti Armagnac, dont son père et sa famille avaient été
un des soutiens. Jusqu'à quel point sa mère Yolande fut-elle consultée?
Dans l'état désespéré de son gendre, n'aurait-elle pas approuvé que son
fils prît ses sûretés? c'est ce qu'il est permis de se demander.
Quoique dans le volume précédent, il ait été montré par le détail avec
combien de raison Jacques Gelu avançait que personne n'obéissait plus
au roi de Bourges, il peut être utile d'insister, et surtout de faire connaître
les principaux personnages qui interviendront dans les Chroniques.
II
Nous entendrons Monstrelet, parlant du roi de Bourges, nous dire qu'après
la journée des Harengs, la plupart de ses princes et autres des plus nobles
seigneurs l'avaient à peu près laissé , et comme abandonné^ voyant que de
toutes parts ses besognes venaient au contraire. Chastellain, qu'on serait
tenté d'appeler le Saint-Simon de l'époque, tant son burin a de profon-
deur et de relief, écrit, dans le portrait très favorable qu'il a laissé de
Charles VU : « Or il est vrai que ce roi Charles en ses jeunes années se
trouva très importuné et très oppressé de ses ennemis, tellement que les
dernières bornes de son royaume lui étaient ôtées, entre lesquelles [bornes)
la fortune lui était encore très rude, et lui tenait l'esprit très aigre par
diverses tribulations et adversités toujours nouvelles, tant du côté de ses
ennemis, Bourguignons et Anglais, comme de ses principaux gens
eux-mêmes, routiers, Écossais, Espagnols, Lombards, qui dominaient
sur lui par hautesse. » Le chroniqueur ajoute, ce qui a été établi
ailleurs : « En quoi dévot à Dieu alors il se montra, très patient,
mais corrigé peut être de la volonté de Dieu de quelques-uns de ses
délits* ».
Sans parler du duc de Bourgogne, le grand coupable, les autres princes
du sang étaient presque tous ou un obstacle, ou impuissants. Louis III
d'Anjou, le frère aîné de René, duc de Bar, était occupé à faire valoir ses
prétentions sur le royaume de Naples. Charles d'Orléans, pour lequel
le parti s'était formé, fait prisonnier à Azincourt, après qu'il avait
dépensé les immenses revenus de sa famille, qui, dit Chastellain, s'éle-
vaient bien à dix-huit mille écus, était disposé à accepter le traité de
Troyes pour voir linir une captivité de près de quinze ans déjà. Celle de
son frère, Jean, comte d'Angoulême, avait commencé trois ans plus tôt,
ayant été donné par ce même Charles, comme gage du complet payement
1. Chronique f liv. Il, ch. xlii.
LE PARTI NATIONAL. 7
de la somme promise pour faire retirer les Anglais qu'il avait eu le tort
d'appeler.
Le duc d'Alençon n'épargnait rien pour parfaire la rançon qu'il avait
promise à la suite de sa prise à Verneuil.
Le duc de Bourbon, prisonnier lui aussi depuis Azincourt, non seule-
ment signait le traité de Troyes pour voir tomber ses fers ; il acceptait
des conditions si dures que son fils et ses sujets se déclaraient impuissants
à les remplir.
Ce fils, Charles, comte de Clermont, était, dit Chastellain, le plus agile
corps de France, un Absalon, un autre Paris, très facondeux; il n'en était
point pour cela plus utile à la couronne*. Pour renverser La Trémoille il
avait pris les armes en 1428, et, par sa vaine susceptibilité, fait perdre
la journée des Harengs. Beau-frère du duc de Bourgogne, il était mêlé
à d'interminables négociations, qui n'avançaient rien.
Jacques, comte de la Marche, d'une branche cadette de Bourbon, avait
commencé par être Bourguignon ; il avait épousé en secondes noces
Jeanne U, reine de Naples ; s'était échappé de la prison où sa femme l'avait
enfermé ; il était en disgrâce auprès de La Trémoillecontre lequel son gendre,
le comte de Pardiac, avait pris les armes avec Charles de Bourbon, et le
Connétable. C'était pourtant un saint que ce comte de Pardiac, dont
Chastellain trace le portrait suivant, qu'on est heureux de pouvoir
opposer aux laideurs dont est remplie cette abominable époque : « Il
allait à Téglise plus modeste qu'une épousée; sur la terre nue se mettait
à genoux devant le crucifix, les yeux en terre, les mains au ciel... En sa
famille il n'y avait nul homme dissolu, nul jureur, nul vivant de rapine...
nul de vicieuse et déshonnête conversation... Quotidiennement, à l'heure
du repas, il s'asseyait emmi eux, faisait lire la Bible, livres de doctrine
et de moralité, livres de fruit et de* perfection, et s'y faisait plus en sa
maison qu'en un réfectoire de Chartreux... Nulle défaillance de justice,
mais toute contendance à vertu, et à l'amour de Dieu, par despection, ce
me semblait, de la gloire et vanité du monde^. » Il fallait bien que le
devoir fût difficile à voir, non moins qu'à accomplir, pour qu'en juillet
1428, ce digne personnage, dans le but de renverser La Trémoille, ait
cru pouvoir marcher, à la suite de Richemont, contre le roi lui-même.
Ajoutons encore qu'il a été question d'instruire la cause de canonisation
de ce Jean d'Orléans, comte d'Angoulême, dont la captivité vient d'être
mentionnée. C'est l'aïeul de François P'.
Louis de Bourbon, comte de Vendôme, frère de Jacques de la Marche,
devait combattre auprès de la Pucelle.
1. Chronique j liv. U, ch. xui.
2. W., ihid.
8 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIRÉRATRICE.
De tous les princes du sang, celui qui devait rendre le plus de services
à la couronne était aloi^ connu sous le nom de Jean, bâtard d'Orléans, en
attendant de Têtre sous celui de comte de Dunois. Qu'on ne s'étonne pas
de cette appellation aujourd'hui un peu crue. La pruderie n'est pas la
caractéristique de la langue du xvr siècle. C'est le nom que prend le
prince dans ses actes officiels, qui commencent ainsi Jean, bâtard cTOr-
léans. Le mot s'applique à bien d'autres dans un siècle qui fut le tombeau
des mœurs chrétiennes ; les bâtards des grandes familles foisonnent
dans les Chroniques du temps. L'honneur des mœurs chrétiennes s'était
réfugié dans les classes populaires, comme il l'était plus tard, avant la
Révolution. Le bâtard d'Orléans, alors âgé de vingt-sept ans, s'était révélé
en 1427 à la rescousse de Montargis, en forçant les Anglais à lever le siège
de cette importante place. Il avait à Orléans le titre de lieutenant
général du roi pour le fait de la guerre ; et il prenait soin des intérêts
de ses frères Charles et Jean, prisonniers de l'Anglais.
Après Dunois, le représentant royal à Orléans était, en qualité de bailli,
Raoul de Gaucourt, qui avait en outre le titre de grand maître de la
maison du roi. Issu de l'une des plus nobles familles de Picardie, dès
l'âge de treize ans il portait les armes, à la suite de Charles VI, en 1388.
Jusqu'à sa mort, en 1461, il prend part à tous les grands événements du
pays. Il était à Nicopolis. Le désastre d'Azincourt entraîne pour lui une
captivité de dix ans, à la suite de laquelle il ne recouvre la liberté qu'au
prix d'une grosse rançon. Il est présent aux grands faits de la délivrance
d'Orléans ; il sauve le Dauphiné, dont il est gouverneur, à la bataille
d'Anthon en 1430 ; est fait une seconde fois prisonnier des Anglais en
1441, donne ses fils en otage de la rançon à payer, et il entre à Rouen
avec Charles VII en 1449 *.
Le roi était entre les mains du sire de La Trémoille. Perceval de Cagny
nous dira que « il avait seul el pour le tout le gouvernemer^t du corps du
roi, de toutes ses finances, et des forteresses de son royaume étant en son
obéissance ». Il a été parlé ailleurs de cet odieux personnage % ainsi que du
chancelier, Regnault de Chartres ^ l'homme de la diplomatie, de Gérard
Machet, le confesseur du roi *. Le connétable Richemont , a-t-il été exposé
aussi, pour renverser La Trémoille, avait pris les armes, lorsque la
Pucelle avait fait les premières démarches auprès de Baudricourt^
L'entreprise ayant avorté, les chroniqueurs nous diront à quel point il
1. Anselme, L VIII, p. 3GC.
2. ha Paysanne et Vlnspiréey p. 42, 43, 44, 4o.
3. La Pucelle devant VÈglhe de son temps, p. 57.
4. iôù/., p. 9-1 i.
5. La Paysanne et r Inspirée , p. 43.
LE PARTI NATIONAL. ^
tomba dans la disgrâce du prince. Un des sympathiques personnages de
l'entourage royal est Robert le Maçon, seigneur de Trèves-en- Anjou. Né
dans une condition humble, ses connaissances juridiques Tavaient fait
passer dans les rangs de la noblesse, que Charles VI lui conféra en 1410.
En 1418.il sauva la liberté et peut être la vie au Dauphin; il en devint le
chancelier, et quoique en ayant résilié les fonctions en 1422, il continua
à faire partie du grand conseil jusqu'à sa mort en 1442^.
Si Ton pouvait attendre de quelqu'un une fidélité à toute épreuve,
c'était de celui dont le parti national portait le nom, du fils et de Théri-
lier du connétable d'Armagnac. Voici quelques-uns des coups de pinceau
du portrait que nous en trace Chastellain : « Régnant en son quartier de
pays, prince puissant et redouté, fort et roi à rencontre de tous ses
cousins, n'écoutant personne, ni sujet ni obéissant au roi qu'à sa volonté,
il possédait villes et châteaux imprenables, et avait dessous lui meubles
à rinfini... Avec son orgueil, de sa propre autorité, sans conseil ni aveu
du roi, il traita de sa fille avec le roi des Anglais, au grand préjudice des
Français*. »
Le comte de Foix, un Grailly, avait pour ancêtres ces partisans de
l'Anglais fameux sous le nom de « captai deBuch ». Un de ses frères s'était
fait tuer à Montereau en défendant Jean sans Peur. Créé gouverneur du
Languedoc par Charles VI et par Henri de Lancastre, non seulement il
fut maintenu après leur mort ; mais le gouvernement anglais l'avait
chargé de faire prêter aux habitants de Languedoc et de Bigorre le ser-
ment le plus explicite au traité de Troyes'. En 1423 il se rallia avec
Richemont au parti national, fut maintenu dans son gouvernement et
s'y comporta tellement en souverain qu'il dut en demander pardon et
en obtenir grâce du roi en 1436.
Un des premiers compagnons de guerre de la Pucelle, qui combattit à ses
côtés jusqu'au siège de Paris, fut Gilles de Rais, maréchal de France.
Il avait vingt-cinq ans. On se demande avec terreur s'il était alors le
monstre, un des plus singuliers de l'histoire qui en compte de si variés,
le monstre qui fut brûlé à Nantes en 1440, à l'âge de trente-six ans. Son
récent historien, M. l'abbé Bossard, déclare ne pouvoir pas résoudre la
question. Possesseur d'ime immense fortune, abandonné à lui-même dès
son enfance, fou de tout ce qui pouvait attirer sur lui le regard, guerre,
magnificences en tout genre, même dans les cérémonies religieuses, la
curiosité, le désir de maintenir ou de relever une fortune jetée à tous les
i. Anselme, t. IV, p. 391.
2. Ghastell.\i>', loc, cit,
3. Voir dans Rymer, t. IV, part. IV, p. 87 et suiv. de nombreuses pièces établissant
combien le comte de Foix était dans les bonnes grâces de l'Anglais.
10 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
vents, le rendirent Tadorateur du diable, et lui firent commettre assez
de crimes pour mériter la mort à dix mille coupables, disait-il lui-même.
Il offrait à sa divinité des sacrifices d'enfants ; il lui avait tout donné, sauf
sa vie et le salut de son âme. Le fait est qu'il mourut en bon larron,
repentant, et en faisant des aveux dont Thisloire frissonne.
Gilles de Rais fut fait maréchal au sacre de Reims. Jean de La Brosse,
seigneur de Sainte-Sévère et de Boussac, était alors depuis d*assez longues
années en possession de ce titre : c'est un des plus vaillants défenseurs
d'Orléans durant tout le siège. Il se trouva à la délivrance de la cité, à
la victoire de Patay, à la campagne d'avant et d'après le sacre, au siège
de La Charité, à la délivrance de Compiègne. Ce vaillant serviteur de la
France mourut insolvable en 1433 *.
Louis de Culan, comme le maréchal de Boussac, était du Berry. Amiral
de France depuis 1422, il a suivi presque constamment l'héroïne, et est
mort en 1444 *.
Jean Malet, sire de Graville, seigneur normand, avait vu ses terres
confisquées par les Anglais. Il était grand maître des arbalétriers depuis
1423. C'était aussi un grand seigneur normand que le comte d'Harcourt et
d'Aumale, un des conseillers influents de Charles VII '.
Les Gascons abondaient dans les armées qui marchèrent à la suite de
la Pucelle : c'était le sire Raymond- Armand de Coarraze, d'une grande
famille du Béarn, seigneur de Coarraze et d'Aspet, alliée aux comtes de
Foix ; il passa sa vie à combattre l'Anglais ; c'était Thonnète d'Aulon, le
maître de l'hôtel de Jeanne; c'étaient Poton de Xaintrailles, seigneur de
la petite localité de môme nom ; Etienne de Vignolles, si fameux sous le
nom de La Hire, avec son frère Amade; il devait mourir à Montauban en
1444; c'était le chevalier Thermes, de la famille d'Armagnac, qui devait
déposer à la réhabilitation; c'étaient Bouzon de Fages, le sire d'Albret.
Le sire d'Albret appelé dans les documents de l'époque de Lebret, était
fils du connétable Charles I" d'Albret, tué à Azincourt. Sa mère, Marie
de Sully, avait été mariée en premières noces à Guy VI de La Trémoille,
et de ce premier mariage avait eu, entre autres enfants, Georges de La
Trémoille. Le sire d'Albret, qui commanda l'expédition de La Charité, et le
tout-puissant favori de Charles VII, ou plus exactement le roi de fait
de l'époque, étaient donc frères utérins *.
Le Bourbonnais était représenté par Jacques de Chabannes, seigneur
de La Palisse, qui ne devait cesser de combattre qu'à l'expulsion des
1. Anselme, l. Vil, p. 71 ; Ciiarpemier et Cuissart, Journal du siège, p. 11.
2. Anselme, t. VII, p. 83.
3. Anselme, t. VIII, p. 86.
4. Anselme, t. VI, p. 205.
LE PARTI NATIONAL. 11
Anglais. Il devait mourir des blessures reçues à la victoire de Castillon,
qui leur porta le dernier coup en 1453 *.
La Bretagne envoya Alain Giron avec ses cent lances, Rais, les jeunes
seigneurs de Laval, Guy et André, etc., et elle eût fourni un appoint
bien plus considérable encore, si Ton avait accepté les services du Conné-
table, qui venait si bien accompagné.
III
Parmi les réformes que Jeanne devait opérer, et que Gerson groupe
sous quatre chefs, le chancelier indique celle des milices du roi et des
milices du royaume. Les milices du roi, c'étaient, ce semble, les milices
nobles et les milices mercenaires ; et les milices du royaume, étaient les
milices bourgeoises ou municipales, celles que les chroniqueurs appellent
le commun.
Le service militaire était dans Tordre civil le premier devoir de la
noblesse, créée pour faire régner la justice et l'ordre dans ses fiefs, et
pour défendre le roi, le pays, toutes les causes nationales. Elle devait
accourir sur le mandement du roi, chaque feudataire menant à sa suite
ses vassaux et arrière-vassaux. Sous les Mérovingiens et lesCarlovingiens,
les nobles seuls ont fait la guerre; mais soit que la noblesse ne répondît
pas assez unanimement à Tappel royal, soit qu'elle ne fût pas assez
nombreuse pour résister dans certains périls extrêmes, les rois de la
troisième race prennent à leur services des bandes mercenaires. Réunis
sous la conduite d'un chef plus hardi, les mercenaires faisaient de la
guerre un moyen d'existence libre et sans frein. S'ils pouvaient être
utiles pour la bataille, ils étaient, en dehors, les fléaux du pays. Ils
ont laissé, sous le nom de ribauds, de brabançons, de routiers, de
compagnons, de grandes compagnies, le renom d'hommes sans
aveu, ne redoutant pas les périls, il est vrai, mais prêts à tous les
excès. Le nom de brigands leur fut donné dans les premières années
du xv* siècle; il est resté dans la langue, et tout le monde en connaît la
sinistre signification ; la férocité d'une brute servie par le corps et l'in-
telligence d'un homme. Ce ne furent pas les rois seulement qui sou-
doyèrent de ces bandes ; les seigneurs se donnèrent aussi ce luxe dans
leurs guerres privées.
Les chefs de ces bandes d'aventuriers étaient ordinairement des nobles
en quête de la fortune qui leur manquait; il semble bien que La Hire
1. Anselme, t. VllI, p. 365.
12 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
el d'autres Gascons devenus depuis si populaires ont débuté par là.
Abandonné par la noblesse, le gros des forces de Charles VII à Tarrivée
de la Pucelle se composait de ces bandes. Bien plus, s'il y avait des
Français dans leurs rangs, les étrangers en formaient l'appoint le plus
considérable. C'étaient des Espagnols, Aragonnais, Castillans, tels que
Rodrigue de Villandrado, don Cernay, de Partada. C'étaient des Lombards.
Dès 1423, Charles VII avait recruté en Lombardie six cents hommes d'armes,
mille hommes de pied. Théaulde Valpergue, Borne Caqueran, sont des
Lombards. Leur avidité avait amené la défaite de Vemeuil. Vainqueurs
de leur côté, ils s'étaient jetés sur les bagages des Anglais, sans se
demander si la victoire était gagnée à l'aile opposée.
L'Kcosse fut la principale contrée où le roi de Bourges recrutait pareils
auxiliaires. Il y faisait des levées qui atteignaient quelquefois jusqu'au
chiffre de six mille hommes. Ils venaient en France commandés par
des membres de la famille royale, par le comte de Bucland, fils du régent
Albany, par le connétable d'Ecosse lui-môme, le duc de Darnley. Ce
n'étaient pas seulement de grosses sommes que promettait le malheureux
roi, il aliénait en leur faveur jusqu'à des provinces telles que la Touraine.
Ils vinrent en si grand nombre que l'on disait la France partagée entre
les Anglais et les Ecossais. Ils se rendirent profondément odieux par
leur orgueil, leurs déprédations et leur gloutonnerie. Leurs excès ne
doivent pas cependant faire oublier les services rendus, et le sang versé
pour notre cause. La victoire de Baugé, en 1421, leur fut principalement
due. Pour diminuer l'effet produit sur son parti par la défaite de Crevant^
Charles VII écrivait qu'il n'y avait péri qu'un petit nombre de nobles
Français, mais seulement des Ecossais, des Lombards, et autres étran-
gers, qui avaient coutume de vivre sur le pays. Dans un autre volume,
nous avons cité Bazin écrivant que Ton se consolait du désastre beaucoup
plus grand subi Tannée suivante à Verneuil, parce que les Ecossais y
étaient tombés en très grand nombre. On les retrouve à Rouvray ; le
connétable d'Ecosse et son fils y périssent, comme avait péri à Verneuil
le comte de Bucland, devenu connétable de France. Il y avait des Ecossais
autour de Jeanne d'Arc ; ils devaient jouer un rôle capital dans une
conspiration ourdie à Paris pour livrer la ville au roi, lorsque Jeanne
rentrait en scène à la fin de mars 1430. Un Ecossais pénètre auprès d'elle
dans la prison d'Arras, et lui montre son portrait. Il n'est pas invraisem-
blable que c'était lui qui l'avait fait.
Leurs excès ne furent pas toujours sans excuses. Ils n^étaient pas régu-
lièrement payés; ils Tétaient mal, ou pas du tout; encore devaient-ils
vivre. Ils mouraient pour la France; pareil souvenir doit tempérer les
sévérités de l'histoire. En récompense de leurs services, les rois firent
LE PARTI NATIONAL. J3
des Écossais les premiers gardiens de leur personne. La première
compagnie de la garde royale conserva le nom de garde écossaise, alors
même qu'elle ne comptait plus un seul Ecossais dans ses rangs ; ce qui
avait lieu depuis plusieurs années, lorsque le Père Daniel écrivait sa belle
Histoire de la milice française^ en 1721 ^ C'est du moins ce qu'il
affirme.
Dans le volume précédent a été retracé le tableau de la misère des
peuples foulés par les envahisseurs et par les défenseurs. Quelque
sombres qu'en soient les couleurs, elles le sont moins que la réalité
attestée par mille documents. Les villes, pour se mettre à couvert des
ennemis et des protecteurs, formèrent des milices dans leur sein, ou plus
exactement se constituèrent en milices, mettant à la tête des divers
quartiers des dizainiers, des centeniers; elles s'exercèrent au maniement
des armes, formèrent des archers, des arbalétriers, des canonniers, en
même temps qu'elles se pourvurent des engins de guerre nécessaires.
Pour préparer des archers, Charles V avait défendu que le dimanche et
les fêtes l'on se livrât à d'autres jeux qu'au maniement de l'arc. On s'y
livra avec tant d'entrain que la noblesse craignit d'être supplantée, et l'on
restreignit le nombre de ceux qui devaient faire semblable apprentis-
sage *.
La noblesse eut toujours du mépris pour ces milices, dont l'armement
était nécessairement fort défectueux. Les chroniqueurs en parlent en des
termes qui, à la désinence près, sont ceux de Cambronne. Cependant,
quand on lit de près les Chroniques qui nous racontent les exploits de
l'héroïne, l'on voit que le commun, pour employer l'expression du temps,
a fourni à la Libératrice son meilleur appoint à Orléans et ailleurs. La
multitude l'a suivie avec enthousiasme, tandis qu'elle a trouvé en haut
des envieux qui l'ont traversée. Ce point n'ayant pas été assez mis en
lumière, les soulignements des passages où le fait est constaté sont
pour attirer l'attention sur une particularité qui n'est pas sans impor-
tance. N'est-ce pas un trait de plus de ressemblance avec le divin Fiancé,
dont ses ennemis disaient : Il séduit les foules, tout le monde court
après lui ?
Les milices communales se rangeaient autour de la bannière de la
cité, du patron de la paroisse, de la compagnie à laquelle elles appar-
tenaient ; les milices seigneuriales autour de la bannière du suzerain, ou
du seigneur dont elles relevaient. Quand le roi était présent, c'était lui
qui, de l'avis de son conseil, prescrivait l'ordre de bataille et la marche
1. Père Daniel, Histoire de la milice française, t. II, p. 116.
2. BouTARic, Bibliothèque de V École des chartes, année 1861 (Organisation militaire de
la France).
14 LA VRAIE JEANNE D^ARG : LA LIBÉRATRICE.
de l'armée. En son absence, c'était le lieutenant général qu'il avait
nommé. Tel était Dunois à Orléans, le duc d'Alençon dans la campagne
de la Loire.
Le premier titre militaire était celui de connétable. Il a été déjà dit
qu'Arthur de Richemont, qui en était investi lors de la carrière de la
Libératrice, était tombé dans la plus entière disgrâce. Le seigneur de
Boussac et de Sainte-Sévère était, ce semble, le seul maréchal, à l'arrivée
de Jeanne, puisque de Rais n'obtint ce titre qu'au sacre de Reims.
CHAPITRE II
LE PARTI ANGLO-BOURGUIGNON, OU ANTINATIONAL, A L'ARRIVÉE DE LA PUCELLE.
Sommaire : I. — La dynastie des Lancastre affermie en Angleterre. — L'appât des comtés
et des seigneuries en France stimule les seigneurs anglais. — Confiscations. —
Prospérité des premières années du règne de Henri VI. — Les soutiens du trône :
le grand oncle cardinal d'Angleterre; Glocester; Tàme de la politique anglaise,
Bedford, ses hautes qualités, ses richesses et son train royal; sa femme, Anne de
Bourgogne. — Les nombreux capitaines anglais : Salisbury, Warvick. — Jeu de la
Providence qui, par Warvick, le faiseur de rois, renversera l'œuvre du grand-père
Salisbury, et du beau-père Richard Warvick. — Les trois frères de La Pôle et la
lin tragique de SulTolk, Scales, Fastolf, Glasdal, Talbot. — Quelques faux Français.
II. — Les États du duc de Bourgogne. — Les trois frères Luxembourg : Pierre, comte de
Saint-Pol, beau-père de Bedford marié en secondes noces; Louis de Luxembourg,
évoque de Thérouanne; Jean, comte de Ligny, seigneur de Beaurevoir; il meurt le
jour où naquit la Pucelle vendue par lui. — Sa femme, Jeanne de Béthune, attachée
au parti français. — Sa tante Jeanne, dame de Beaurevoir, marraine de Charles Vil.
— Villiers de l'Isle-Adam. — Toulongeon. — Les Vergy. — Le sire de Jonvelle. —
Perrinet Gressart. — Interminables négociations. — Humiliations et malheurs que
l'on eût prévenus, si Ton avait écouté la Pucelle. — Châtiment des Lancastre et de
l'Angleterre.
I
Tandis que le roi de France, sans argent et sans troupes, n'était obéi
de personne, les Lancastre avaient assez assoupli la nation anglaise, pour
y multiplier les levées, et obtenir de nouveaux subsides. Loin de pros-
crire l'exercice de Tare et de l'arbalète, ils l'encourageaient; ils trouvaient
dans leurs Etats, et principalement dans le pays de Galles, ces archers
fameux contre lesquels venait se briser l'impétuosité française. Si le peuple
se plaignait du fardeau des impôts, l'orgueil national était flatté de voir
la nation rivale subjuguée. Le beau soleil de France, son climat tempéré,
LE PARTI ANTINATIONAL. 15
la variété et la richesse de ses productions, étaient un puissant attrait
pour les descendants de ces seigneurs normands qui, à la suite de
Guillaume le Conquérant, étaient venus s'établir dans les brumes de la
Tamise et de THumber.
Leur ardeur était stimulée par la perspective des duchés, des comtés,
des seigneuries et des châtellenies qui leur étaient distribués au fur et à
mesure de la conquête ; on n'attendait même pas la conquête ; et les titres
des seigneurs qui refusaient d'accéder au traité de Troyes leur étaient
souvent assignés avant d'être conquis. Il élait tout naturel qu'on usât de
représailles dans le parti national. Aussi Charles VII, lorsqu'il le pouvait,
dédommageait-il les spoliés en leur donnant les biens des faux
Français passés dans le parti de l'étranger.
Henri VI, né en décembre 1421, était dans sa neuvième année seulement,
lors de l'apparition de la Libératrice. La double couronne de France et
d'Angleterre n'avait fait jusque-là que s'affermir sur sa tête depuis près
de huit ans qu'elle avait été posée sur son berceau, et que, d'après le
style de la chancellerie anglaise, il gouvernait les deux royaumes. Elle
était protégée par ses oncles et par les capitaines anglais qui depuis
Azincourt inscrivaient leurs noms dans les annales militaires de l'Angle-
terre.
Un de ses grands-oncles était l'évêque de Winchester, revêtu de la
pourpre par Martin V, et connu sous le nom de cardinal d'Angleterre. Il
avait été assez longtemps chancelier du royaume. L'accord était loin
d'être complet entre le Cardinal et son neveu Humfroy, duc de Glocester,
protecteur ou régent d'Angleterre ; mais l'opposition du prince de
l'Église à un neveu notoirement scandaleux ne pouvait que lui concilier
Taffection du clei^é et du peuple. Glocester avait failli tout compromettre
en acceptant les propositions de l'impure Jacqueline de Hainaut, qui,
quoique mariée à un cousin du duc de Bourgogne, était venue lui offrir
sa main et ses héritages. La sagesse de Bedford, régent de France, était
parvenue à tout calmer.
Bedford, régent de France pour son neveu, était le chef réel et effectif
de la politique anglaise. L'histoire est sans rancune; et il ne doit pas lui
en coûter de proclamer les qualités supérieures de ce frère du vainqueur
d'Azincourt, qui, en mourant, l'avait chargé, au défaut de l'acceptation
du duc de Bourgogne, de parachever l'exécution du traité de Troyes.
Grand capitaine, grand politique, administrateur habile, appliqué aux
affaires, Bedford fut fidèle au mandat. Par les armes, par la diplomatie,
par des alliances matrimoniales, tout lui prospéra, d'après un aveu que
l'on retrouvera dans la suite, tant' qu'il n'eût pas à faire avec l'envoyée
du Ciel, pour lui une envoyée de l'Enfer. Représentant le roi, son neveu,
16 LA VRAIE JEAiNNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
investi de ses pouvoirs, il avait un train royal ; cent lances et trois cents
archers étaient préposés àla garde de sa personne. Il jouissait d'immenses
revenus, prélevés sur les droits de la couronne, sur la part qui lui reve-
nait de la rançon des prisonniers, sur les provinces qu'il s'attribuait au
nom du roi, son pupille. C'est ainsi qu'il s'était adjugé le Maine et l'Anjou,
non encore entièrement conquis. Il était assisté dans son gouvernement
par un grand conseil, composé d'Anglais, de Bourguignons et de faux
Français, ou de Français ralliés à l'étranger. La Normandie avait son
conseil particulier, dont plusieurs membres appartenaient aussi au grand
conseil. Des Anglais de race occupaient les emplois supérieurs, les hautes
dignités, tandis que les emplois subalternes étaient remplis par les
Français reniés^ par les faux Français, ainsi que l'on s'exprimait à cette
époque. Anne de Bourgogne, sœur préférée du duc Philippe, épouse très
aimée par son mari le duc de Bedford, princesse douée, d'après les
chroniqueurs, de très hautes qualités, était un lien fort puissant entre les
deux chefs du parti anglo-bourguignon. Elle ne devait pas peu contri-
buer, à la suite du sacre, à retenir son frère dans le parti anglais; parti
auquel sa mort prématurée porta, trois ans après, un coup dont les suites
se firent promplement sentir.
Autour de Bedford se rangeaient de nombreux seigneurs et capitaines
déjà fameux, et la plupart dans la force de Tàge. D'après Monstrelet, le
plus subtil et le plus heureux en armes était celui qui avait mis le siège
devant Orléans, où il avait trouvé la mort, Thomas de Montégut, comte
de Salisbury et du Perche. Envoyé en France pour demander la main
de Catherine, il n'avait presque pas cessé d'y habiter, tantôt comme
administrateur, plus souvent en guerrier : présent à Crevant, à Verneuil,
il avait combattu dans TAnjou, dans le Maine et surtout en Champagne.
Il avait pour frère Robert, comte de Hungerford, dont le nom revient
aussi dans les Chroniques.
Comme Thomas de Montégut, Richard de Beauchamp, comte de
Warwick et d^Aumale, cousin de Salisbury, descendait d'une ancienne
famille normande. Henri V lui avait confié de délicates missions. Ses
talents militaires lui avaient valu en quelques circonstances le titre de
lieutenant général de la guerre, soit en Normandie, soit môme en France.
Il fut chargé de la conduite du procès de la Martyre à Rouen. Il avait la
charge délicate de diriger comme gouverneur l'éducation du jeune roi,
qui, par un acte officiel, l'avait autorisé à le châtier. Warwick continua à
servir son roi et son pays jusqu'à sa mort, arrivée en 1440.
Jeu de la Providence, et néant des desseins de l'homme, cet enfant, sur
la tète duquel Salisbury et Warwick s'efforçaient, au prix de leur sang, de
consolider la couronne de France et d'Angleterre, devait, après avoir perdu
LE PARTI ANTINATIONAL. 17
celle de France, perdre la couronne d'Angleterre, et même la vie, des
coups que porterait à sa puissance celui qui par sa mère était le petit-
fils de Salisbury, et par son mariage le gendre de Warwick. Le
War\^'ick, en effet, si fameux dans la guerre des Deux-Roses sous le
nom de Faiseur de rois, était Tun et Tautre, et devait lui-même périr
en combattant celui qu'il avait élevé sur le trône, après avoir immensé-
ment contribué à ruiner et la Rose rouge et la Rose blanche, et les avoir
tour à tour servies et combattues.
C'est encore d'une famille normande transplantée en Angleterre que
descendait William Pôle {de la Pôle, de la Poule dans les Chroniques),
comte de Suffolk [de Suffoc, Suffort pour les chroniqueurs), de Suffolk
en Angleterre, de Dreux en France. Il était à Orléans avec ses deux
frères, Jean et Alexandre, dont nous verrons le sort à Jargeau. Présent au
siège de Rouen, à Crevant, il avait eu une large part dans les dépouilles
des vaincus, et était destiné à une haute fortune, terminée par une tra-
gique catastrophe. Négociateur du mariage de Henri IV avec Marguerite
d'Anjou, fille du duc René, il en devint le favori, porta avec elle l'impo-
pularité de la perte des possessions anglaises en France. Pour le sauver,
Henri VI l'exila, mais, surpris sur le vaisseau qui devait le mener en lieu
sûr, il eut la tête tranchée sans ombre de jugement ni de procès.
Thomas Scales {d'Escalles, Lescalles des Chroniques), baron de Scales
et de Nucelles, vidame de Chartres, sénéchal de Normandie, un des combat-
tants de Crevant et de Vemeuil, avait guerroyé et devait guerroyer dans la
Basse-Normandie contre l'imprenable citadelle de l'Archange protecteur
de la France, le Mont-Saint-Michel. Il devait mourir en 1460 dans la
guerre des Deux-Roses, mais du côté du maître qu'il avait toujours servi.
Jean Fastolf, dont les chroniqueurs font Fastof, Fascot, Fastre, etc.,
avait, à l'arrivée de la Pucelle, de trèsirillants états de service qui lui
avaient valu la faveur particulière de Talbot. Le régent en avait fait le
grand maître de sa maison. Fastolf venait de s'illustrer par la victoire de
Rouvray. Accusé d'avoir fui le champ de bataille de Patay sans avoir
combattu, il fut dégradé de l'ordre de la Jarretière, se justifia dans la
suite, fut réintégré, et finit par se retirer dans ses manoirs, où il se
montra le protecteur des arts.
Guillaume Glasdall, plus connu dans nos histoires sous le nom de
Glacidas, appelé aussi par les chroniqueurs Classedas, Casselay, etc.,
s'était élevé d'une position inférieure à un des premiers rangs dans
l'armée. Lui aussi avait été à Crevant, à Verneuil, à Montargis, avait fait
la campagne du Maine. Il avait été largement récompensé, en particulier
par le titre de bailli d'Evreux. Un de ses frères, le sire de Molyns, com-
battait à ses côtés. Les chroniqueurs nous diront qu'après la mort de
III. 2
18 LA VRAIE JEANNE D^ARG : LA LIBÉRATRICE.
Saiisbury, Glasdall fut comme l'âme du siège d'Orléans. Ils nous diront
ses grossières insultes contre la Pucelle, et sa fin tragique.
Celui qui reçut le glorieux surnom d'Achille Anglais était aussi, par
ses ancêtres, d'origine française. C'était Jean Talbot. Né en 1373, il avait
été lieutenant général d'Irlande avant de seconder Henri V dans la con-
quête de la France. Il devait mourir octogénaire, les armes à la main,
à la bataille de Castillon, qui mit fin h la domination anglaise en France,
en 1453.
Il faudrait encore citer Lancelot de Liste, qui au siège d'Orléans eut la
tête emportée par un boulet, Thomas Rampston, Nicolas Bourdet et
bien d'autres.
Parmi les faux Français, on doit mentionner Philippe de Morvilliers,
avocat au parlement de Paris, ardent Bourguignon, qui gagna à la révo-
lution de 1418 la présidence du parlement, et dans la suite de nombreuses
donations. Ce fut un des appuis du parti anglais et la terreur des Pari-
siens. D'après Chufîart, l'on ne tombait pas entre ses mains sans en
garder une marque pour le reste de ses jours*. Simon Morbier, d'abord
maître d'hôtel de la reine Isabeau, devint prévôt de Paris sous la domi-
nation anglaise, et après la reddition de la capitale, trésorier de Normandie
pour les Anglais *. Le Bouteiller, soupçonné d'avoir favorisé la prise de
Rouen, qu'il avait d'abord bien défendu, se déconsidéra en passant au
service de l'envahisseur. Il le seconda dans ses conquêtes et en fut
récompensé par une large part dans les dépouilles du parti qu'il avait
d'abord servi'.
II
Aux États que lui avait laissés son père, les deux Bourgognes, l'Artois
et la Flandre, le duc Philippe ajouta le Hainaut, la Hollande, le Brabant,
le comté d'Auxerre. La Champagne lui était promise. Il amenait à
l'Anglais la multitude de ses puissants feudataires. A leur tête il faut
placer la branche des Luxembourg établis en France. Avant de jurer le
traité de Troyes, les Luxembourg firent des difficultés, alléguant que,
s'ils prêtaient le serment, ils y seraient fidèles. Ils tinrent parole, et rien
ne put les faire revenir, pas même le traité d'Arras qui en détacha celui
qui les avait entraînés.
La famille était représentée par trois frères qui tous interviennent dans
les Chroniques qui nous parlent delà Pucelle. L'aîné était Pierre I" de
1. CuuFFART, Journal d'un Bourgeois de Paris, éd. Tuctey, p. 139.
2. M. LoNGNON, Paris sous la domination anglaise, p. 147, note.
3. lo., Ibid,, p. 88, note.
LE PARTI AiNTlNATlONAL. 19
Luxembourg, comte de Saint-Pol, qui mourut en 1433. Quelques mois
avant de mourir, il avait donné en mariage, le 20 avril, sa fille Jacqueline,
âgée de dix-sept ans, au régent de France, le duc de Bedford. Ce fut une
cause de refroidissement entre le régent anglais et le duc de Bourgogne.
Bedford n'était veuf que depuis le 13 novembre 1432 d'Anne, sœur de
Philippe, dont il a été parlé déjà; et sans en avoir demandé auparavant
le consentement, il épousa une vassale du duc ; mais il devenait par là le
neveu de deux puissants appuis de la cause anglaise.
Le premier de ces appuis était Louis de Luxembourg, évêquc de
Thérouanne, chancelier de France pour TAnglelerre. La cour anglaise
devait le faire monter sur le siège de Rouen, et lui obtenir la pourpre de
cardinal.
Le second était Jean de Luxembourg, comte de Ligny et bientôt seigneur
de Beaurevoir. Lieutenant général des guerres pour le duc de Bourgogne,
le comte de Ligny se trouve partout dans les sièges, les prises de châteaux
et de forteresses. Il devait passer à la postérité avec une flétrissure qui
Vy fera vivre autant que la Libératrice elle-même, puisque c'est le comte
de Ligny, seigneur de Beaurevoir, qui la vendit à TAnglais. Il mourut sans
postérité le 6 janvier 1440, anniversaire de la naissance de sa victime.
11 avait épousé Jeanne de Béthune, vicomtesse de Meaux. Jeanne de
Béthune, ainsi que sa tante Jeanne de Luxembourg, dame de Beaurevoir,
ont mérité la reconnaissance de la Pucelle pendant qu'elle était leur
prisonnière à Beaurevoir. L'accusée de Rouen témoigna de ce sentiment
devant le sanhédrin qui l'entourait à la séance du 3 mars. Jean de
Luxembourg n'ayant pas adhéré au traité d'Arras, ses biens à sa mort
furent confisqués, mais ils furent rendus à sa veuve « en considération de
ce qu'elle avait toujours eu, en particulier, bonne afl*ection pour le roi* ».
En date du 10 septembre 1430, par suite durant la captivité de la Pucelle,
Jeanne de Luxembourg institua son neveu de Ligny héritier de
son manoir de Beaurevoir, et ne tarda pas ensuite à mourir. Jeanne
de Luxembourg, dame de Beaurevoir, garda le célibat, fut marraine de
Charles VII, et inspira à son frère Pierre de Luxembourg les sentiments
de piété qui ont fait que l'Église Thonore sous le titre de Bienheureux,
quoiqu'il soit mort à dix-huit ans, décoré de la pourpre par le pseudo-
pontife d'Avignon.
Les chroniqueurs énuméreront avec une complaisance marquée de
nombreux seigneurs bourguignons. Il serait trop long de dire un mot de
chacun. Signalons Villiers de TIsle-Adam. En 1418 il avait introduit les
Bourguignons à Paris, et assisté impassible aux massacres qui suivirent.
1. GonART, Mémoires de la Société d'émulation de Cambrai^ t. XXVllI.
20 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
Henri de Lancastre, pourne pas Tavoir pas trouvé assez obséquieux, le fit
jeter en prison. 11 y resta deux ans ; Bedford l'en tira, et il continua à
servir la cause qui l'avait si mal récompensé. A la suite du traité d'Arras
il revint avec son maître au parti français et répara sa faute de 1418 en
contribuant à faire rentrer sous l'obéissance de Charles VU la capitale
qu'il en avait détachée dix-huit ans auparavant. Il finit par être mis en
pièces dans une sédition des habitants de Bruges, dans le cortège même
de son duc.
Citons encore parmi les seigneurs qui se rangeaient autour de l'éten-
dard de Bourgogne, la croix de Saint-André, Toulongeon, maréchal de
Bourgogne et la puissante famille des Vergy. Le plus fameux, Antoine de
Vergy, blessé à Montereau, à côté de Jean sans Peur dont il était cham-
bellan, fut comblé de faveurs et par le duc et par le roi d'Angleterre. Ce
dernier le nomma maréchal de France. On lui fait honneur de la victoire
de Crevant, remportée contre son pays.
/ Pour pénétrer dans l'histoire de la Libératrice, il est important de se
' rappeler qu'un frère de La Trémoille, le sire de Jonvelle, était un des
favoris préférés du duc de Bourgogne. Lorsque les Anglais occupèrent
Sully, Jonvelle se rappela que la seigneurie appartenait à son frère et s'en
constitua le fidèle gardien. Il n'en fut pas autrement pour les maisons
que Georges possédait à Paris.
Un personnage dont la monographie éclaircirait un des points les
plus obscurs de la vie de la Libératrice et jetterait un grand jour sur
l'époque, est Perrinet Gressart, ou Grasset, ainsi que le nomment
la plupart des historiens, encore qu'il signât Gressart. Il semble qu'il
était originaire du Poitou, puisque, le 13 avril 1424, il échange la
terre de La Robinière, qui lui vient par héritage de son oncle et de sa
grand'mère, une Toillant. Ce fut en tout cas un de ces aventuriers dont
foisonne l'époque, qui fit de La Charité-sur-Loire comme une petite
capitale, d'où il sortait pour rançonner le Berry, le Nivernais, l'Auxerrois,
le Bourbonnais. Avec des formes obséquieuses envers son très redouté
seigneur le duc de Bourgogne, on le voit refuser de lui obéir, ne tenir au-
cun compte de ses saufs-conduits et imposer ses conditions pour accepter
la paix. Ne pouvant être réduit, il est nommément exclus des trêves
qui se font; il se dédommage de ses pertes prétendues ou réelles, de ce
qu'il prétend lui être dû, en faisant jeter en prison, et en rançonnant des
personnages aussi puissants que l'était le sire Georges de La Trémoille.
Il le fit arrêter, alors que le tout-puissant favori se rendait avec un sauf-
conduit pour des négociations vers le duc de Bourgogne. Une grosse
rançon put seule rendre le négociateur à la liberté. Ailleurs il se saisit
d'un troupeau de pourceaux que Ton conduit à Nevers, parce que la ville
LE PARTI ANTINATIONAL. 2J
lui devait je ne sais quelle somme. LaPucelle ne put parvenir à Texpulser
de son repaire ; Perrinel le conserva après le traité d'Arras, et ne reconnut
Charles VII qu'après avoir fait ses conditions. N'ayant pas d'enfants de sa
femme Etienne tte de Cour vol, il porta sa sollicitude sur ses nièces qu'il maria
richement et noblement. L'une d'elles, Étiennetle, fille de noble homme
Grézeville de La Lande et de noble demoiselle Jeanne Gressard, épousa
François de Surienne, dit l'Aragonnais, un aventurier espagnol allié aux
Borgia, venu pour chercher fortune en France. Perrinet traite François
l'Aragonnais comme un fils. Il en avait fait un bailli de Saint-Pierre-
le-Moustier, d'où Jeanne d'Arc l'expulsa avant de mettre le siège devant
La Charité. De Surienne continua à combattre pour l'Anglais, après le
congrès d'Arras*.
L'Eglise a l'effusion du sang chrétien en horreur. Les pontifes, par leurs
légats et leurs lettres, n'ont jamais cessé, durant cette désastreuse guerre,
de rappeler à la paix ces frères ennemis. Ils faisaient appel à tous les
intermédiaires qui pouvaient seconder leurs vues. Les intermédiaires ne
manquaient pas ; des liens de parenté unissaient tous ces princes qui se
déchiraient. Aussi les négociations entre la cour de France et la cour de
Bourgogne ne discontinuent presque pas depuis 1 422 jusqu'au traité d' Arras.
Négociations stériles ; le duc de Bourgogne les élude, lié, disait-il, par
son serment de ne pas traiter sans l'Anglais, par son honneur qui veut
qu'on commence par lui livrer les meurtriers de Montereau, et que l'on
fasse d'humiliantes réparations. En attendant ce que Ton appelle la paix
finale, Ton conclut, l'on prolonge des trêves fallacieuses, mal gardées,
sujet de mutuelles récriminations. Elles ne trompèrent pas la céleste
envoyée qui en était fort mécontente, et qui aurait voulu et demandait
une paix solide et ferme. Elle savait et elle disait qu'on n'aurait cette paix
qu'au bout de la lance. On n'ajouta pas foi à sa parole. L'on n'apprécierait
pas toute l'étendue des maux qui punirent ce défaut de foi, si l'on disait
que ce fut un état de guerre désastreux jusqu'au traité d'Arras, en 1435.
Ce traité lui-même fut un bien relatif, en ce qu'il permit de combattre
TAnglais désormais isolé de l'allié qui faisait sa force; mais il fut la cause
d'immenses malheurs pour la suite. Charles VII s'y humilia profondement
et accepta du Bourguignon de bien dures conditions. Le fils de ce dernier,
Charles le Téméraire, balance la fortune de Louis XI, et la fille et l'unique
héritière du Téméraire porte ses immenses États dans la maison d'Autri-
che ; autant de semences de guerres séculaires entre la France et l'Empire.
Le bout de la lance de la Pucelle, si on avait voulu la seconder, aurait
vraisemblablement écrasé tous ces germes d'un si lamentable avenir, en
1. Extrait de diverses pièces des archives dépaftementales de Dijon et de Nevers.
M. de Flamard, archiviste à Nevers, a très ohiigeamment secondé nos recherches.
22 L\ VRAIE JEANNE D^ARC : LA LIBÉRATRICE.
réduisant la puissance du Bourguignon à ses justes limites. Les maux
causés au pays par cette maison de Bourgogne sont incalculables. Sans
vouloir ici entrer dans des discussions politiques, c'est un fait historique-
ment évident que la plupart des guerres qui ont ensanglanté notre passé
furent des guerres de succession dynastique. La raison, et encore moins
la foi, n'établissent pas qu'il faille faire égorger par milliers et milliers
de paisibles cultivateurs, ruiner des provinces, pour rétablir un maître,
même injustement dépouillé, à plus forte raison pour défendre des droits
litigieux. C'est un progrès sensible de penser que les maux si épouvan-
tables de la guerre doivent aujourd'hui être justifiés par des motifs plus
élevés et qui touchent de plus près ceux qui en subissent les plus lourds
fardeaux*.
L'Angleterre s'épuise pour assurer la double couronne de France et
d'Angleterre sur la tête d'un enfant. Cet enfant grandira ; il sera homme
fait quand, par la perte de la Normandie et de la Guyenne, il verra le royaume
de France lui échapper totalement à l'exception de Calais, mais ce n'est
qu'un prélude : la couronne d'Angleterre tombera de sa tête, y sera repla-
cée, en tombera encore, et il mourra lui-même dans la trop fameuse
prison appelée la tour de Londres, assassiné, pense-t-on. Heureux que
les vertus chrétiennes dont il fut doué lui aient mérité une autre cou-
ronne que celle qui est l'objet de ces sanglants jouets ! Jouets d'horreur.
L'Angleterre nagea dans le sang durant vingt ans pour savoir si la Rose
rouge ou la Rose blanche remporterait. Toutes deux y disparurent; la
couronne passa à un des petits-fils de cette Catherine pour la main de
laquelle le second des Lancastre ensanglantait la France. Ce petit-fils,
Henri ïudor, n'avait pas dans les veines le sang des Lancastre ; il des-
cendait d'un chevalier d'assez médiocre condition, que la dame restée
veuve avait épousé en secondes noces. Pour être devenue une citation
banale, la parole des Saints Livres, Et niinc reges inteWgite et erudimini
n'en est pas moins vraie, tout comme cette autre : Filiihominum usquequà
gravi corde, ntquid diligitis vanitatem et quœritis mendaciiim? X quoi bon
dérouler ce livre si souillé de l'histoire des passions humaines, si l'on ne
devait pas recueillir quelques-uns de ces ;enseignements fondamentaux?
1. I/éloquent prédicateur de Notre-Dame, Mgr d'Hulst, constatait ce progrès, et
cette différence des causes de la guerre, dans sa conférence : iVon occides. (Carême
de 1896.)
LA GUERRE AU TEMPS DE LA PUCELLE. 23
CHAPITRE III
LA GUERRE AU TEMPS DE LA PUCELLE.
SosiMAiRE : L — Complication de Tart de la guerre au temps de Jeanne d'Arc. — Le
chevalier, Técuyer, Thomme d'armes. — Les archers anglais. — L'arbalète inutile-
ment interdite par l'Église dans la guerre entre chrétiens. — Infériorité de l'arme-
ment des milices municipales. — La Pucelle excelle à tirer parti de l'artillerie. —
L'artillerie produisait déjà de puissants effets au commencement du xv« siècle.
ÏI. — Les forteresses qui couvraient le pays. — Empressement des villes à se fortifier.
— Les sièges. — Ce que demandait un siège. — Bastilles, boulevards, fossés. —
Comment on comblait les fossés. — Comment on se protégeait en montant à l'assaut.
— Les mines.
m. — Manière dont se recrutaient les soldats. — La solde payée au capitaine. — Les
profits de guerre, rançon, pillage. — Part qui revenait au roi. — Certains prisonniers.
I
Ce serait une erreur de penser, ainsi qu'on le lit dans quelques basses
histoires, que les batailles du moyen âge étaient des chocs impétueux et
comme fortuits, sans ordre et sans tactique. Les xiv®et xv* siècles ont eu
leurs Végèces ; leurs manuscrits ornent notre grand dépôt littéraire. Si
la chevalerie française réputait de son honneur d'aborder Tennemi de
front et d'exposer sa personne, ce n'était pas au point de dédaigner soit
de choisir le lieu de la lutte, soit de disposer l'armée dans le meilleur
ordre possible. On verra qu'en face d'un ennemi occupant une position
inexpugnable, la Pucelle ne fut pas d'avis d'engager le combat, et se
contenta de s'efiTorcer de l'attirer hors des retranchements. Embuscades,
surprises, autres ruses de guerre, tout cela était bien connu et appliqué
au moyen âge.
L'art de la guerre était d'autant plus compliqué au xv'' siècle que l'on
faisait usage des armes des siècles précédents, en même temps que les
armes de Tàge moderne étaient appliquées plus fréquemment et plus
efficacement qu'on le pense et qu'on ne le dit parfois.
Les chevaliers se couvraient de fer des pieds à la tête, laissant à peine
deux petites ouvertures pour la vue. De menues pièces aux genoux, au
cou, des plaques de fer, s'agençant avec des cottes de maille et des
plastrons rembourrés, les protégeaient si bien qu'ils étaient presque
invulnérables, dit le Père Daniel. Ce qu'ils avaient le plus à craindre,
c'était d'être renversés de cheval, parce que Ja pesanteur et la complica-
24 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
tion de leur armure les empochaient de se relever facilement*. La tête et
le poitrail du cheval étaient eux-mêmes protégés par des chanfreins de
métal, et les flancs par des flançois en cuir bouilli ^. Les gentilshommes,
dès leur adolescence, étaient dressés au maniement des armes et aux
exercices qui devaient donner force et souplesse à leurs membres.
Us s'y exerçaient en faisant fonction d'écuyers autour de Thomme
d'armes, portant les pièces offensives de son armure, les lui présentant
au moment de la bataille, enchaînant les prisonniers, Taidant à monter à
cheval, ou à se relever s'il en était renversé. C'est un sujet controversé
parmi les doctes de savoir le nombre d'hommes qui accompagnaient
Vhomme d'armes^ ce que comprenait la lance fournie. La plupart des
auteurs consultés semblent indiquer qu'il y en avait trois au moins :
rhomme d'armes, son page, son coutilier ou valet ^ Il y avait ordinai-
rement trois archers pour un homme d'armes.
C'est aux archers que l'Angleterre dut ses victoires en rase campagne.
Placés au front de l'armée, ils recevaient les assaillants par une grêle de
flèches. Si ces décharges étaient impuissantes à les arrêter, les chevaliers
arrivés au camp anglais se trouvaient en lace d'une palissade de pieux
aigus, inclinés, dont la pointe acérée était terminée en fer. Chaque archer
devait en être muni; ces pieux étaient aigus des deux côtés, pour être
facilement fixés en terre. Tandis que par un bout ils étaient plantés dans
le sol, de l'autre ils présentaient au cavalier assez hardi pour s'aventurer
jusqu'à l'ennemi leur extrémité taillée de manière à s'enfoncer dans le
poitrail du coursier. Celui-ci se cabrait, s'embarrassait sur le terrain
ainsi hérissé, renversait non seulement son cavalier, mais encore les
cavaliers voisins. La noblesse anglaise chargeait alors à la faveur du dé-
sordre, et la déroute commençait. L'Eglise, dans sa sollicitude pour arrêter
Teffusion du sang, n'avait pas seulement introduit la trêve de Dieu ; elle
avait, dans un concile de Latran, interdit dans les guerres entre chrétiens
l'usage de l'arbalète, comme étant une arme trop meurtrière. La défense,
d'abord respectée par les Français, ne l'ayant pas été par les Anglais, force
fut bien d'en user aussi. Le cours de l'invention des engins homicides con-
tinua donc pour en venir au degré de perfectionnement, où il est arrivé
de nos jours, et où il fait des progrès qui présagent d'incalculables des-
tructions. N'arrivera-t-il pas un jour où le monstre qui désirait que le
peuple romain n'eût qu'une seule tête pour l'abattre d'un seul coup, serait
presque en état de réaliser son rêve d'infinie scélératesse? N'y a-t-il pas
1. Père Daniel, Histoire de la milice française y 1. 1, p. 383 et passim, p. 400.
2. 1d., J6ûi., p. 402 et suiv.
3. Mémoires de la Société archéologique de l'Orléanais^ t. XI. Dépenses faites pour
secourir Orléans, par M. Loyseleur.
LA GUERRE AU TEMPS DE LA PUCELLE. 25
lieu de se le demander en voyant combien de morts à la minute renferme
le canon de fusil du plus simple de nos troupiers?
Au XV* siècle, les armes, moins perfectionnées, étaient aussi beaucoup
plus nombreuses. Il serait hors de notre compétence, tout comme en
dehors de notre sujet, de décrire celles que Ton trouve mentionnées dans
les Chroniques. Il semble que les troupes municipales, qui combattaient
surtout à pied, s'armaient de tout ce qui était à leur disposition, n'ayant
pas pour s'équiper les ressources de la chevalerie, qui d'ailleurs, se
réservait le port de quelques armes préférées. C'est ainsi qu'on les
voit aller au siège de Jargeau, non seulement avec des guisarmes, des
haches, des arbalètes, mais avee des maillets de plomb, et qu'ailleurs
on mentionne même des frondes*.
Tous les contemporains sont unanimes pour nous dire que Jeanne
montra tous les talents d'un général consommé ; le duc d'Alençon
— celui qui avait dû l'observer de plus près — affirme qu'elle excellait
surtout à tirer parti de l'artillerie, maxime in prœparatioyie artillerie^
quia midtum benè in hoc se habebat. Ce sont les derniers mots de son
intéressante déposition.
Quoique le mot désignât alors toutes les armes de trait, que l'arc et
l'arbalète fissent partie de l'artillerie, il faut, croyons-nous, entendre par là
les armes à feu, qui dès lors jouaient dans l'armée un rôle beaucoup plus
prépondérant que l'on ne semble le croire. 11 y avait plus de cinquante
ans que l'artillerie produisait des effets décisifs. C'est ainsi qu'en 1374
la place de Saint-Sauveur en Normandie, réputée jusqu'alors imprenable,
cède promptement dès que les assiégeants sont en possession du grand
canon de Caen'. Rouen, lors du siège, en 1418, possédait pour se dé-
fendre, d'après un poète anglais, jusqu'à cent canons, trois dans chacune
de ses tours, dirigés en trois directions différentes^. Il y avait des armes
à feu de calibres bien différents, depuis la grosse bombarde, quipourêtre
traînée demandait vingt-deux chevaux et lançait des projectiles de 120 et
160 livres, jusqu'aux simples coulevrines, dont quelques-unes ne pesaient
que 12 livres, dit M. Loyseleur. On chargeait les coulevrines avec du
plomb, comme l'indique le mot plombées, par lequel on indique leurs
projectiles. On chargeait les canons avec des pierres grossièrement
arrondies. Avait-on trouvé le moyen de fabriquer des boulets de fer ?
il semble que non ; c'est l'affirmation commune. Il ne faudrait pas cepen-
dant renvoyer jusqu'au règne de François 1" l'usage des boulets en fer,
puisque le Père Daniel cite un compte de 1487, mentionnant des dépenses
1. Journal du siège, p. 90.
2. Mémoires des antiquaires de Normandie, t. XXVIil : Le grand canon de Caen.
3. Ihid., t. XXVI : Le siège de Rouen.
26 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
faites pour des boulets en fer, et des boulets en pierre de grès*. Les
noms de mangonneaux, de veuglaires, de bombardes, de gros canons,
que Ton trouve dans les Chroniques, suffiraient k prouver qu'il y avait déjà
de la variété dans les grosses armes à feu.
Dans son Étude sur le siège d'Orléans^ M. Loyseleur croit pouvoir
affirmer que les Anglais avaient des canons portant à huit cents mètres.
L'on ne nie pas d'ailleurs que leur maniement, leur chargement, ne fussent
une cause de lenteur dans le parti que Ton pouvait en tirer, et de grande
infériorité, eu égard au parti qu'on en tire aujourd'hui.
II
Tout le pays était hérissé de châteaux et de forteresses, bâtis en vue
de la guerre, ordinairement sur une hauteur, entourés de fossés, d'avant-
posles de défense, où une poignée de braves, retirés parfois dans le
donjon, c'est-à-dire dans la plus forte tour, pouvaient tenir longtemps,
pourvu qu'une surprise ou un défaut de vivres ne les forçât pas à capi-
tuler. L'on ne pouvait pas laisser derrière soi ces places au pouvoir de
l'ennemi, sans vouer la contrée à d'incessants pillages. Les Chroniques
sont pleines des prises et des reprises de ces forteresses, et aussi des
terribles exécutions, des pendaisons de ceux qui les avaient défendues.
Heureux quand une composition finale leur permettait de se retirer le
bâton au poing, sans bagages et sans armes, ou qu'une rançon leur
assurait la vie sauve. La rançon, il fallait pouvoir la payer, et il n'y avait
guère d'espérance pour bien des compagnons, dont la corde finissait trop
souvent les aventures. Maître de ces places, il fallait ou y laisser des
gardiens pour les défendre, ou les démolir pour qu'elles ne pussent plus
servir au vaincu ; alternative laissée à la prudence du vainqueur, que l'on
voit adopter tantôt l'un, tantôt l'autre parti.
Les villes mettaient leur honneur comme leur sécurité à s'entourer de
puissants remparts, étayés par de vastes systèmes de défense. Tours
coupant les murs à quelque cinquante mètres de distance en distance,
et dans les tours, mâchicoulis, meurtrières et places pour les engins de
guerre ; fossés souvent doubles, larges, profonds, disposés de manière à
pouvoir être facilement remplis par les eaux, alors qu'ils ne Tétaient
pas habituellement ; aux bords des fossés, des boulevards ; pour l'usage
habituel de la vie, quatre ou cinq portes dans les villes ordinaires, mais
i. Père Daniel, Histoire de la milice française^ t. I, p. 449. Un de nos amis versé en
ces matières, lisant ces pages, nous assure d'après ses souvenirs que, dès i400, on
fondait des boulels en fer. Videant peritiores.
LA GUERRE AU TEMPS DE LA PUCELLE. 27
portes fortifiées, munies de herses, et de tout ce qui était nécessaire
pour lever ou abaisser à volonté les ponts-levis, c'est la ville du moyen
âge. Nos promenades actuelles portent le nom de boulevards ou même
de fossés, parce que primitivement elles se sont établies sur les anciens
fossés comblés, ou les boulevards aplanis. Tant que Tartillerie n'a pas
existé, ou a été dans l'enfance, ce n'était guère que par un siège et par
la famine qu'oij pouvait réduire les villes ainsi fortifiées, tant qu'à l'inté-
rieur il existait une milice vigilante pour prévenir les surprises ou déjouer
les trahisons, courageuse pour utiliser les savants moyens de défense
élevés en temps de paix. Voilà pourquoi les sièges tiennent si large place
dans l'histoire militaire ancienne ou même du moyen âge. Dans la guerre
de Cent ans, fameux sont les sièges de Calais, de Cherbourg, de Rouen,
de Melun, de Meaux. Nos modernes résistances pâlissent fort à côté de
rhéroïsme déployé par les défenseurs et les habitants des cités qui
viennent d'être nommées.
Pour réduire une ville par la famine, il fallait opposer fortifications à forti-
fications, et construire une seconde enceinte enveloppant la première,
construire comme une seconde ville, à cela près que tout y était dirigé
pour forcer la première. C'est l'idée que Froissard nous donne des tra-
vaux exécutés par Edouard III autour de Calais. « Le roi Edouard, nous
dit-il, fit bâtir hôtels et maisons et charpenter de gros merrain. Il fit
couvrir lesdites maisons qui étaient ordonnées par rues, d'estrain
(chaume) et de genêts; et avait en cette neuve ville du roi toutes choses
appartenant à une armée et plus encore, et place ordonnée pour tenir
marché le mercredi et le samedi; et là étaient merceries, boucheries,
halles de drap et de toutes autres nécessités*. »
Les assiégeants devaient en efiFet se loger, loger les chevaux, emmaga-
siner les armements et les provisions. C'est à quoi étaient destinées les
constructions appelées bastides, ou bastilles. Pour leur rendre plus
difficile ce premier établissement, nous verrons les Orléanais raser leurs
faubourgs et toutes les constructions en dehors des remparts. Les
assiégeants devaient s'établir à une distance suffisante pour ne pas être
trop inquiétés dans ce premier travail; élever des fortifications pour
défendre l'accès des bastilles; c'est ce que désigne le mot boulevard,
constructions en terre, retenues par des fascines, hérissées de parapets,
renfermant souvent des taudis, espèces de guérites pour les sentinelles ; le
tout était joint à des fossés, off'rant le double avantage de protéger les
demeures des assiégeants, et en se prolongeant de relier les unes aux
autres les diverses bastilles et de leur permettre de communiquer entre
1. Froissabd, Chroniques, liv. I, eh. ccxcvii.
28 LA VRAIE JEANiNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
elles. Il y avait souvent double fossé : Tun du côté de la ville, pour se
protéger contre les assiégés ; l'autre du côté de la campagne, pour se
protéger contre les assaillants du dehors, et aussi arrêter les convois
d'approvisionnements. Monstrelet, parlant du siège de Rouen, nous dit
que les Anglais, « sitôt qu'ils purent firent des fossés entre la ville et leurs
logis, sur lesquels ils firent de fortes haies d'épines ; par quoi lesdits
assiégeants ne pouvaient être ni surpris, ni travaillés, sijion par canons
et par traits... Et encore lesdits Anglais firent en plusieurs et divers lieux
moult de fossés profonds en terre pour pouvoir aller d'un logis à un
autre, sans être atteints de traits de canons, et autres habillements
(machines) de guerre par lesdits assiégés*. » Y avait-il une rivière, il
fallait en intercepter le cours.
11 est manifeste que les Anglais ont dû employer à Orléans les moyens
qui leur avaient réussi précédemment. Un chroniqueur nous dira même
que jamais encore ils n'avaient déployé tant d'habileté. Des ponts-levis
sur les fossés des assiégeants et des assiégés permettaient de franchir
l'obstacle sans difficulté, quand ceux qui en étaient les maîtres y trou-
vaient leur avantage. Tandis que les assiégés s'efforçaient d'arrêter, de
détruire les travaux des assiégeants, les assiégeants de leur côté cher-
chaient à surprendre la place, à y faire brèche, à y pénétrer par assaut.
Pour ourdir la trame du siège et créer comme une seconde ville mili-
taire en face de la première, il fallait d'abord s'emparer d'un point
important, s'y établir fortement, et de là dresser le réseau, en assurer
la solidité, en ménageant de loin en loin des postes fortifiés et bien
défendus, faire une suite de bastilles. Dans Tattaque même de la place,
il fallait, si on le pouvait, arriver jusqu'aux fossés. On les comblait promp-
tement avec des fascines, des bourrées, tout ce qu'on avait sous la main.
Les fossés une fois comblés. Ton arrivait aux remparts, l'on appliquait
les échelles et l'on montait, quelquefois sous une grêle de toutes sortes
de projectiles, pierres, graisse fondue, traits, etc. C'était l'assaut. Pour
se protéger contre les projectiles, on se couvrait de pavois, ou pavés,
sorte de boucliers en bois, et en cuir, qu'on adaptait aux épaules, et qui
couvraient la tête tout en laissant la liberté des bras. Il existait de ces
sortes de pavois dont on se servait à terre. Montés sur des roues mobiles,
ils étaient munis de petites ouvertures par lesquelles on lançait les flèches,
tandis qu'on était soi-même abrité.
Quand on le pouvait, on pratiquait encore des mines. Au lur et à
mesure que l'on creusait le terrain, on l'étayait avec des poutres. Arrivé
au point voulu, on remplissait la mine de matières inflammables, et Ton
4. Monstrelet, ch. cxcvi.
LA GUERRE AU TEMPS DE LA PUCELLE. 29
y mettait le feu. Le sol en s'éboulant faisait sauter le rempart, la tour,
le boulevard qu'il supportait; un vase d'eau, par ses oscillations, avertis-
sait les assiégés du travail souterrain. L'on contre-minait alors, et au
siège de Melun assiégeants et assiégés se livrèrent ainsi des combats dans
les entrailles de la terre.
L'on ne comprendrait pas les Chroniques, si l'on n'avait présentes à
Tesprit ces notions rudimentaires de l'art de la guerre au moyen âge.
Ajoutons encore les détails suivants.
III
Ce n'étaient pas les soldats qui touchaient la paye, c'était le capitaine,
le chef qui les avait enrôlés. Il faisait ce que, dans le langage du temps,
on appelait une endenture^ c'est-à-dire un engagement par un écrit
endenté, à peu près dans la forme de nos mandats-poste. 11 s'obligeait
à fournir, pendant un temps déterminé, ordinairement six mois, un an,
tant d'hommes d'armes, d'archers, etc. ; on lui promettait pour chacun
une solde convenue ; il devait au jour fixé faire ses montres^ c'est-à-dire
les présenter à l'inspection; il touchait la somme ; à lui de s'arranger
avec sa troupe. C'était une source d'immenses désordres. La pénurie du
trésor, les gaspillages des favoris ne permettaient pas toujours de payer
le capitaine, et le capitaine payé ne payait pas toujours ses soudoyés.
Ces derniers, avides de pillages, prompts à toutes les violences, se jetaient
alors partout où ils espéraient se pourvoir non seulement du nécessaire,
mais satisfaire leur cupidité, leur luxure ; ils se portaient contre les
faibles aux excès décrits ailleurs. Parfois ils imposaient ce que la langue
du temps appelle des apatissements, c'est-à-dire une contribution que
l'on devait payer, sous peine de se voir incendié, torturé, emmené pri-
sonnier. On cachait ce que l'on avait de précieux. Pour forcer de dévoiler
le trésor, on a vu de ces pillards brûler à petit feu celui qui était soup-
çonné d'avoir frustré leur avidité.
Il a fallu bien du temps pour faire pénétrer au sein des sociétés en
guerre le respect de la vie humaine, adoucir, puisqu'il ne peut pas
disparaître, ce fléau terrible des mêlées sanglantes et ordonnées, épargner
au moins les meurtres inutiles. A chaque page, à la suite de forteresses
emportées, l'on voit des chiffres relativement élevés d'hommes pendus.
C'étaient surtout ceux qui n'étaient pas en état de payer leur rançon.
L'on verra un chroniqueur regretter la mort des capitaines anglais aux
Tourelles, non pas, comme la Pucelle, par pitié pour leurs âmes, mais
parce que, prisonniers, on eût pu en tirer une riche rançon. Ces rançons.
30 LA VRAIE JEANNE D*ARG : LA LIBÉRATRICE.
SOUS le nom de profits de guerre, entraient fort en ligne de compte. Une
curieuse délibération du conseil d'Angleterre, citée par Rymer, nous
apprend qu'un des motifs mis en avant pour accepter la rançon exorbi-
tante offerte par le duc de Bourbon, c'est qu'étant malade, il pourrait
mourir dans les fers, comme il mourut en effet, et que Ton serait privé
de tout profit. On mesurait la rançon à la richesse vraie ou présumée du
prisonnier. Moyennant des otages, on permettait quelquefois au captif
d'aller la quérir, ou la mendier auprès de ses vassaux, de ses amis, du
suzerain. La fidélité à la parole donnée est un des beaux côtés du moyen
âge ; les Régulus y abondent.
« L'usage était que le capitaine reçût le tiers des prises appartenant à
ses soldats. Sur ce qui restait, le roi prélevait encore son tiers, et de
même son tiers sur les profits personnels du capitaine*. » Il faut entendre
par ces prises, et les prisonniers et le butin de toute sorte, armes,
chevaux, meubles, etc. Le butin était vendu à l'encan; le capitaine pré-
sentait un état des ventes, et jurait que tout était en conformité avec la
vérité. Les rois, les princes du sang royal, les lieutenants généraux,
devaient être remis au roi, qui s'engageait à donner aux preneurs' un
dédommagement convenable.
CHAPITRE IV
ORLÉANS EN 1429.
Sommaire : 1. — Les arinoiries d'Orléans. — Sa position sur la Loire. — Son site. —
Ses portes. — Ses tours. — Son pont. — Le faubourg de la rive gauche, le Portereau.
— Iles de la Loire. — Le port du Bousquet ou de Saint-Loup. — Saint-Loup.
[I. — L'Orléanais redevenu apanage princier contre rengagement pris par Charles V.
— Les princes d'Orléans. — Charles d'Orléans. — Le poète. — L'administration du
duché. — L'évéque d'Orléans, Jean de Saint-Michel. — Administration municipale.
— Les archives municipales dépouillées par le chanoine Dubois.
lll. — Promesse de Salisbury de respecter les possessions du duc d'Orléans. — Les
Orléanais se préparent à soutenir le siège. — Double impôt. — Réparations aux
murailles. — Appel à Dieu. — L'artillerie. — Appel aux autres villes de France. —
Comment elles répondent. — Les états généraux de Chinon.
i. L. Jarry, le Compte de l'armée anglaise au siège d'OrléanSy p. 35-39.
2. Boucher de Molandon et de Beaucorps, V Armée anglaise vaincue par Jeanne d'ArCf
p. 194 et suiv.
ORLÉANS EN 1429. 31
I
Trois cœurs figurent sur les armoiries d'Orléans. Serait-ce pour
signifier que si Paris est la tête de la France, Orléans en est le cœur?
sans discuter cette assertion, il est certain qu'Orléans est sensiblement
assis au centre de la plus vivifiante des artères françaises, la Loire. Né
dans les Cévennes, au Gerbier- de- Joncs, le fleuve central prend sa course
vers le nord-ouest, et puis tout à coup, comme pour prolonger ses
bienfaits et retarder son anéantissement dans TOcéan, il revient sur lui-
même et fléchit vers le sud, tout en continuant vers l'ouest. Orléans se
trouve au sommet de cet angle rentrant. A une époque où le commerce
se faisait surtout par la navigation fluviale, Orléans se trouvait ainsi par
la rivière en communication avec de nombreuses provinces: le Nivernais,
le Bourbonnais, le Forez, vers Test; leBlésois, la Touraine, TAnjou, la
Bretagne méridionale, au sud-ouest.
Bâtie sur la rive droite de la Loire, sur un coteau de médiocre élévation,
la ville étend insensiblement ses pieds vers le midi , jusqu'aux eaux du
fleuve. En 1429 son enceinte n'était guère que le quart du pourtour
actuel ; mais en dehors des remparts s'étendaient de populeux faubourgs,
réputés les plus beaux de France, renfermant une population aussi
nombreuse que celle qui vivait à l'intérieur des murailles. L'enceinte
était un quadrilatère de 500 à 600 mètres de côté.
Cinq portes mettaient en communication la ville et les faubourgs. Au
nord la porte Parisie, route de Paris ; à l'est la porte de Bourgogne, à
l'intersection actuelle des rues de Bourgogne et du Bourdon-Blanc ; au
midi la porte du Pont défendue par les Tourelles ; au nord-ouest la
porte Bannier non loin du lieu où s'élève la statue équestre de Jeanne d'Arc ;
à l'ouest la porte Renard vers l'extrémité de la rue du Tabour.
Les murailles, épaisses de 2 mètres à 2°, 50, hautes de 6™, 50 à 10 mètres,
étaient bordées de fossés de 13 mètres de largeur et de 6 mètres de pro-
fondeur ; elles étaient hérissées, à une distance qui variait de 60 à 70 mè-
tres, de près de quarante tours, à demi saillantes, à trois étages, de 10 mètres
de diamètre \ Avec les nombreux clochers des diverses églises, toutes
ces cimes devaient présenter l'aspect d'une forêt de pierres.
César appelle Genabum^ qui est bien, ce semble, Orléans, l'entrepôt des
Camutes, Carnutorum emporium. Situé sur la rive droite, Orléans confine
en efiet avec le pays de Chartres, ou la Beauce, et met ce fertile pays en
communication avec le centre et le midi de la France. Sur la rive gauche,
1. Boucher de Molando:^ et de Beaucorps, V Armée anglaise vaincue par Jeanne d'Aï'c,
p. 70 et suiv.
32 LA VRAIE JEANNE D ARC : LA LIBÉRATRICE.
c'est la Sologne, pays jusqu'à ce siècle stérile. Dès la plus haute anti-
quité un pont mettait les deux rives en communication. Celui de 1429 a
subsisté jusqu'en 1760, où le pont actuel fut construit à une légère
distance en aval du précédent.
L'ancien pont avait dix-neuf arches ; il portait sur des piliers pour la plu-
part carrés; on y avait construit des maisonnettes où, àcause de la fréquence
des passants, '•e petits commerçants avaient installé leurs boutiques. La
largeur du pont était de 80 pieds. A la sixième arche on trouvait une forte-
resse appelée la forteresse Saint- Antoine. Ce nom lui venait de deux îlots,
ou comme on les appelait de deux mottes, qui étaient au pied, et sur
lesquels avait été construit, pour les étrangers, un hôpital dédié à saint
Antoine. La forteresse était défendue par un boulevard connu sous le
nom de la Belle-Croix, d'une haute et magnifique croix, élevée sur le pont,
non loin de cette même forteresse.
A la dix-huitième arche se trouvaient les fameuses Tourelles, deux tours
très fortes, jointes par un bâtimentsouslequel il fallait passer pour traverser
le pont. Onaccédaitàladix-neuvième arche parunpont-levis. Les machines
destinées à l'élever et à l'abaisser étaient dans le bâtiment des Tourelles,
ainsi que d'autres engins communs aux forteresses du temps, tels que la
herse. Un bras de la Loire passait donc entre les Tourelles et la rive
gauche, qui se trouvait, elle aussi , puissam ment défendue par un boulevard
de 60 pieds de long, sur 80 pieds de large ; boulevard entouré aussi de
fossés larges de 80 pieds. Le boulevard était fait avec de la terre retenue
par des pieux, et par une maçonnerie du côté de la rivière. Il était cou-
ronné par une fraise de longs pieux plantésobliquement et liés ensemble
avec de longues planches et des chevilles de fer *.
Au sortir du boulevard, ou mieux du pont, on entrait dans le faubourg
connu encore sous le nom de Portereau. Il n'y avait qu'une petite place
à traverser, d'environ deux cents pas, pour toucher à l'église des Augus-
tins, située au lieu où se trouve la croix devant laquelle stationne encore
aujourd'hui la procession du 8 mai.
Le Portereau avait et a encore pour principale paroisse Téglise Saint-
Marceau, mais à l'est et sur un des côtés se trouvait déjà la paroisse
Saint-Jean-le-Blanc ; à Touest, dans la campagne, à deux kilomètres à
peu près. Ton voyait la paroisse toujours existante de Saint-Privé.
Le cours de la Loire, beaucoup moins encaissé qu'il ne l'est présente-
ment, comptait nombre d'îles. Citons celles dont le nom revient dans
rhistoire de la délivrance. C'était, en aval de la rivière, au-dessous du
pont, l'île Charlemagne, entre l'église Saint-Laurent sur la rive droite et
I. L'abbé Dubois, Histoire du siùge d'Orléans, éditée par M. Charpentier. Voir
p. 170 et suiv. la magistrale description de Tancien pont.
ORLÉANS EN 1429. 33
Saint-Privé sur la rive gauche ; c'était entre Saint-Jean-le-Blanc et les
Âugustins, nie aux Toiles; enfin, notablement plus en amont, Tile aux
Bœufs; elle était située entre le port du Bousquet, appelé encore Saint-
Loup, sur la rive gauche, et le couvent Saint-Loup sur la rive droite,
au haut d'une élévation. Il importe, pour rintelligence de ce qui sera dit
dans la suite, de se rendre compte de ces trois indications.
Quand on sort d'Orléans par la porte de Bourgogne, c'est-à-dire en se
dirigeant vers l'est, on trouve un gracieux mamelon dominant d'un côté
les routes de Châteauneuf et de Pithiviers qui se joignent à la base, et
de l'autre surplombant la Loire d'environ 400 pieds. C'est Saint-Loup.
Au temps de Jeanne d'Arc, Saint-Loup était un monastère de religieuses
cisterciennes, converti par les Anglais en une forte bastille, la première
qu'emporta la Vierge guerrière. La Loire passe aujourd'hui à ses pieds ;
il n'en était pas ainsi au xv' siècle. Elle coulait sur la rive gauche ; des
marécages s'étendaient du côté de la rive droite sur laquelle se trouvait
le monastère; venait ensuite la grande île Gharlemagne ; plus loin était
le port Saint-Loup ou du Bousquet, appelé Saint-Loup du monastère qui
était sur la rive opposée, du Bousquet, probablement à cause des arbustes
au milieu desquels il était comme caché ^
II
Le règne du roi Jean fut désastreux pour la France, et pas seulement
par le fatal traité de Brétigny ; il le fut encore par les apanages qu'il
qu'il constitua à ses fils ; le Berry à Jean, l'Anjou et le Maine à Louis,
la Bourgogne à Philippe. Il ne créa pas seulement comme autant de
cours rivales de la cour du suzerain, d'un luxe ruineux pour les provinces ;
il jetait les semences de guerres sans fin, de ces guerres de successions
princières qui ont ensanglanté notre histoire jusqu'à notre siècle. Il
retardait l'unité nationale, et l'ébranlait dans le degré où elle était déjà
accomplie. Charles V comprit le danger ; il abolit les apanages territo-
riaux et ne voulut réserver aux cadets de la famille régnante que des
avantages pécuniaires. Ce qu'un roi a établi, son successeur peut le
détruire. Il en fut ainsi de la sage mesure édictée par Charles Y.
Charles VI, après avoir donné la Touraine en apanage à son frère Louis,
trouvant trop inférieurs les revenus de cette province, la reprit, et, en
échange, donna l'Orléanais.
Les Orléanais avaient obtenu de Charles V la promesse de n'être
i. L'abbé Dubois, Histoire du siège d'Orléans, p. 188 etsuiv.
III. 3
34 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
jamais distraits du domaine royal, et de relever toujours immédiatement
de la couronne. Ils réclamèrent Texécution de la promesse ; Tévêque fut
rinterprète de leurs doléances ; elles ne furent pas écoutées et le frère
du monarque devint le duc d'Orléans. Le duché comprenait dix châtelle-
nies ; plusieurs en Beauce, en Gâtinais, en Sologne. Louis d'Orléans avait
acheté le comté de Blois et de Dunois. Valentine, sa femme, lui avait
apporté le comté d'Asti. Il était en état de lutter avec son cousin de Bour-
gogne, Jean sans Peur. On sait ce qui en résulta. Il a été déjà dit
plusieurs fois qu'à l'arrivée de la Libératrice les deux fils légitimes du
duc d'Orléans étaient prisonniers en Angleterre : Jean, le plus jeune, depuis
1412; Charles, l'aîné, depuis 141S. La postérité masculine de Charles VII
devant finir après deux générations, le fils de Charles devait être
Louis XII, et le petit-fils de Jean, François P'. C'est probablement la
raison du particulier intérêt que leur témoigna toujours la Libératrice.
Si les Orléanais avaient vu avec peine un prince s'interposer entre
eux et le roi, il semble cependant qu'ils s'attachèrent promptement à
leur duc et à sa postérité, et spécialement à Charles. La famille avait
les qualités qui gagnent les multitudes, du charme dans la per-
sonne, de l'élégance dans les manières, du courage sur le champ de
bataille, beaucoup de magnificence dans le train de vie, de la splendeur
dans les manifestations de la foi, un fonds de bonté dans l'éclat d'un
luxe qui pesait lourdement sur les peuples. Le chef de la race était
tombé dans la force de l'âge sous les coups d'un cousin assassin ; son
fils languissait dans une longue captivité ; c'était plus* qu'il n'en fallait
pour obtenir une popularité qui est à l'honneur de ceux qui la dépar-
tent, plus encore qu'à l'honneur de celui qui en est l'objet.
Les amis des lettres saluent dans le prince captif un des fondateurs
de notre poésie moderne, bien supérieur à Villon. On admire dans les
ballades, les rondeaux, les virelais, par lesquels Charles d'Orléans char-
mait les ennuis de sa captivité, la fraîcheur, la délicatesse, la naïveté du
sentiment. Faut-il dire que, ayant parcouru ces poésies, nous avons été
frappé de l'égoïsme dont elles sont l'expression? A part une prière à Dieu
pour la cessation de la guerre, nulle part on ne rencontre un senti-
ment de compassion pour les peuples que sa querelle avait rendus si
malheureux ; nulle part le nom de Théroïne qui lui avait rendu sa ville
et son duché, pas une allusion à celle qui lui avait témoigné un si tou-
chant intérêt!
Les officiers du duc continuaient à administrer le duché en son
nom, à en percevoir les revenus, faisant arriver de larges sommes au
captif. Raoul de Gaucourt était bailli d'Orléans, a-t-il été déjà dit.
Guillaume Cousinot, dont il sera bientôt plus longuement parlé à propos
ORLÉANS EN 1429. 35
de sa Chronique^ remplissait les fonctions de chancelier, et était à la
tête de Tadministration du domaine ducal. La charge de trésorier était
dévolue à Jacques Boucher. Les revenus seigneuriaux s'accumitlaient
entre ses mains ; il en faisait passer une partie au prisonnier, et il acquit-
tait avec le reste les dettes et les libéralités du prince.
Le siège épiscopal d'Orléans était occupé par un de ces Écossais si
nombreux alors en France, par Jean de Saint-Michel. D'abord chanoine,
l'élection du chapitre, en 1426, le porta au premier rang. Les Chroniques
ne parlent guère de lui que lorsqu'elles donnent le nom des personnages
qui après la défaite de Rouvray quittèrent la ville. Il ne semble pas qu'il
fût à Orléans lors de la délivrance. On regrette de lui voir une attitude
si effacée.
La ville jouissait du privilège, dont elle était justement jalouse, de s'ad-
ministrer elle-même. Tous les deux ans, le 22 mars, dans une élection
à deux degrés, sagement tempérée, douze procureurs étaient élus ; ils
nommaient un receveur, c'est-à-dire un trésorier chargé des recettes et
des dépenses. Il ne recevait et ne dépensait rien que sur reçu; à la fin
de sa gestion, il rendait ses comptes devant une assemblée à laquelle
le bailli assistait.
Les trois quarts des recettes étaient consacrés aux fortifications de
la ville. Ces dépenses étaient inscrites à part sur un registre portant le
titre de « Comptes de forteresses ». Le clergé fournissant le sixième des
dépenses de forteresses^ trois de ses membres étaient présents au conseil
des procureurs quand il s'agissait de déterminer l'emploi des sommes
affectées à la défense de la ville. Le quatrième quart des recettes était
destiné à subvenir aux besoins courants de la cité.
Dans le premier quart de ce siècle, un chanoine d'Orléans,
M. Tabbé Dubois, a eu la patience de dépouiller ces monuments du passé,
et de faire, surtout en ce qui regarde le siège de 1429, des travaux de
grand mérite. N'ayant pas eu le temps de mettre la dernière main à ses
écrits, il les légua à la bibliothèque de sa ville natale. M. Paul Charpen-
tier a donné en 1894 sous ce titre. Histoire du siège d'Orléans^ par
l'abbé Dubois, une série de dissertations fort lumineuses. Ce ne sont
pas tous les travaux du docte chanoine sur le célèbre événement et
sur sa ville natale. Il a laissé de précieux et longs extraits des « Comptes
de la ville » qu'il a fouillés avec une patience de bénédictin. Depuis, de
nombreux Orléanais, par la naissance ou par le domicile, ont écrit sur
le siège. 11$ se sont aidés des écrits de l'érudit chanoine, plusieurs, beau-
coup plus qu'ils ne l'ont dit. Quels larges emprunts lui a fait l'ingénieur
JoUois, qui le cite à peine. Il serait facile de prouver que plus d'une note
de Quicherat lui a été prise ; et l'érudit paléographe ne le nomme que
36 LA VRAIE JEAiNNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
lorsqu'il peut le combattre, avec raison il est vrai; mais est-jce bien de
rhonnêteté littéraire de ne faire connaître celui que l'on a spolié qu'en
montrant les pierres fausses qui se trouvent dans son trésor*?
III
Plusieurs Chroniques nous affirment que le duc d'Orléans avait obtenu
de Salisbui'y la promesse que la guerre ne s'étendrait pas à ses Etats,
qu'il ne pouvait pas défendre. Les comptes municipaux d'Orléans
de 1424 à 1426 mentionnent des sommes payées par le duché pour obte-
nir abstinence de guerre*. Le bâtard avait récemment traité dans ce
but ; mais Bedford aurait refusé de ratifier la convention.
Avant le siège, les bourgeois avaient énergiquement refusé à plusieurs
reprises d'admettre des garnisons dans leur ville ; ils savaient que ces
défenseurs étaient le plus souvent aussi tyranniques et aussi insolents que
les ennemis eux-mêmes^; mais à l'approche du siège ils leur ouvri-
rent leurs portes, et les Chroniques nous diront qu'ils n'eurent pas à
s'en repentir.
Sans se rassurer sur les promesses de Salisbury, les Orléanais firent
leurs préparatifs de défense. Ils s'imposèrent un premier emprunt dont,
le 6 septembre 1428, le bâtard d'Orléans autorisait la perception, ordon-
nant des contraintes contre les récalcitrants ; ils s'en imposaient un second
en décembre, et le lieutenant général faisait une seconde ordonnance
pour en prescrire la collecte*. De nombreux citoyens, notamment les
ecclésiastiques, faisaient des dons volontaires ^ On fit aux tours, aux
portes, aux fossés, les réparations nécessaires pour les rendre inex-
pugnables dans la mesure du possible. On se garda bien d'oublier d'inté-
resser le ciel; des supplications publiques furent indiquées, les corps
des saints patrons furent honorablement portés à travers les rues de la *
cité*.
Orléans se mit à fondre des canons : on en compta durant le siège
1. C'est un procédé commode pour décrier la science cléricale, lout en la pillant.
Il est connu et largement exploité. D'après le sophiste Victor Cousin, les Jésuites, lors
de leur suppression, n'avaient plus d'homme de valeur; et ce grand maître de l'Uni-
versité s'acquérait un des litres dont il était le plus lier, celui de traducteur de Pla-
ton, en éditant sous son nom la traduction manuscrite qu'en avait laissée un de ces
Jésuites supprimés, le Père Grou.
2. M»i« DE ViLLARET, Campagne des Anylais (1421-1428), Pièces juslilicalives, p. 134.
3. DcBois-CuARpENTiER, p. 392 ct suiv.
4. Ibid,, p. 427 et suiv.
5. Ibid., p. 422. — M'»« de Villaret, p. 61 et 130.
6 Dubois, Ms.
ORLÉANS EN 1429. 37
jusqu'à soixante et onze de calibres inégaux, sur les tours et sur les
murailles. Il y eut douze canonniers payés par la ville, ayant chacun plu-
sieurs servants sous leurs ordres ^ Dès le mois d'octobre le roi fait venir
d'Angers à Chinon Jean de Montesclère, et l'envoie à Orléans où il devait
rendre tant de services, et devenir si fameux sous le nom de Jean le
Lorrain*. Les achats de poudre, de traits, de pierres à canon remplissent
une fort grande partie des comptes de la ville de 1429-1430, que
MM. Paul Charpentier et Cuissard ont eu l'heureuse inspiration de faire
imprimer. Cinq cents livres tournois furent payés au bâtard d'Orléans
pour quatorze mille traits qu'il avait fait venir pour la semaine de la déli-
vrance'. Des provisions de ce genre abondent dans les comptes de com-
mune et de forteresse. Dans des lettres de février 1430, datées de Jargeau,
Charles VII rendait bon témoignage à ces efforts des Orléanais, et les
en récompensait par l'octroi de plusieurs privilèges*.
Les Orléanais firent appel aux villes de France. Ils envoyèrent un sei-
gneur et un bourgeois solliciter les villes du Midi. Dans la séance du
13 avril 1429, à Toulouse, le sire de Malhac donne lecture d'une lettre
des habitants d'Orléans priant qu'on veuille bien leur donner secours
en argent, ou en matériel de guerres Ces envoyés avaient sans doute
parcouru, ou ils allaient parcourir les autres villes importantes du Lan-
guedoc. La pénurie était extrême partout; cependant on voit les habi-
tants de Montpellier envoyer du salpêtre, du soufre, des arbalètes ; les
villes du Bourbonnais et de l'Auvergne avaient expédié de l'acier %
Moulins 200 livres de poudre '. C'est donner deux fois que donner prompte-
ment; Poitiers semble avoir la palme, puisque, dès le 9 décembre 1428,
le Carme Vilaret reçoit du maire Larcher la somme de 20 livres tournois
pour avoir porté à Orléans la somme de neuf cents livres, que les gens
d'Église, bourgeois et habitants de Poitiers, envoient à ceux d'Orléans *. La
somme était considérable pour l'époque; La Rochelle envoie 400 livres,
Tours 600 livres*. Gien, Bourges, Châteaudun, Angers, Albi, Cler-
mont sont aussi citées comme ayant fait arriver des secours en
argent, ou en munitions de guerre *°. Les états étaient réunis à Chinon
1. V Armée anglaise vaincue sous les murs d'Orléans, p. 81 — Charpentier et Cuis-
sard, Comptes de la ville, p. 301 et suiv.
2. Ibid.y p. 183.
3. Ibid., p. 261.
4. Ibid., p. 267.
5. Extrait des registres municipaux [Annales du Midi, avril 1889, p. 25).
6. M"« DE ViLLARET, p. 146.
7. Inventaire des Archives de Moulins, n^ 263.
8. Mantellier, Siège d'Orléans, p. 218.
9. M"« DE ViLLARET, p. 140.
iO. Manteluer, p. 72.
38 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
alors que Salisbury envahissait les bords de la Loire ; ils votèrent, malgré
la misère qui régnait partout, un subside de cinq cent mille livres ;
le clergé renonça pour ce payement à ses privilèges d'exemption, en même
temps qu'il prescrivait pour chaque vendredi des supplications solen-
nelles*.
CHAPITRE V
LE SIÈGE D'ORLÉANS JUSQU'A L'aRRIVÉE DE LA PUCELLE.
Sommaire : I. — Bcdford, libre du côté de rAngleterre, veut imposer Tacceptation du
traité de Troyes. — Combien le moment était favorable. — Endenture de Salis-
bury. — Contingents français. — Orléans devenu Tobjectif au lieu d'Angers. —
Début de la campagne. — Conquête de quarante places. — Janville, Meung, Beau-
gency, Sully, Jargcau. — Salisbury s'installe le 12 octobre dans le faubourg du
Portereau à moitié incendié. — Le boulevard du Pont, les Tourelles enlevés, malgré
une héroïque résistance. — Coup qui frappe Salisbury.
II. — Ralentissement momentané dans les opérations du siège. — Elles sont reprises.
— Les Orléanais détruisent leurs faubourgs, complètent leurs armements. — Guil-
laume Duisy et le coulevrinier Jean le Lorrain. — Les Anglais commencent leurs
bastilles sur la rive droite et les continuent malgré les assiégés qui essayent vaine-
ment de les arrêter.
m. — La défaite de Rouvray et le comte de Clermont, Charles de Bourbon. — Sa fuite
honteuse. — Il quitte Orléans avec deux mille combattants. — Ses vaines promesses.
— Négociations pour remettre la place entre les mains du duc de Bourgogne. —
Refus hautain de Bedford. — Les Bourguignons rappelés du siège.
IV. — L'investissement. — La bastille Saint-Loup. — Le nombre des bastilles. —
Leur situation. — Double fossé. — Tous les chemins interceptés. — De la bastille de
Fleury aux-Choux.
V. — Pénurie de vivres et particulièrement de pain. — Les divers ravitaillements
énumérés par le Journal du siège.
VI. — Du nombre des assiégeants, et des défenseurs de la ville.
I
Bedford avait passé dix-huit mois en Angleterre. Il lui avait fallu ce
temps pour mettre fin aux complications que lui avait causées son frère
Glocester par ses scandales, ses dissensions avec le Cardinal, leur oncle, et
surtout par sa tentative de mariage avec Jacqueline de Hainaut. De retour
à Paris, dans les premiers jours d'avril 1427, il s'était appliqué à pousser
la conquête et à assurer Texécution du traité de Troyes. Un conseil avait
été formé pour réduire les dernières places de la Champagne qui tenaient
i. De Beaucourt, Histoire de Charles VU, t. Il, p. 170 et suiv.
LE SIÈGE D'ORLÉANS JUSQU'A L'ARRIVÉE DE LA PUCELLE. 39
encore pour le parti français : Beaumont, Mouzon et même Vaucou-
leurs; il en a été parlé dans le volume précédent*.
L'eflFort principal devait désormais se porter sur la Loire. S'assurer de
son cours, c'était s'ouvrir l'entrée au cœur même des Étals du roi de
Bourges. L'occasion était favorable : le jeune roi était sans argent, sans
autorité, et n'avait guère pour soldats que des mercenaires et des sou-
doyés, aussi odieux à ses sujets' que les ennemis eux-mêmes. On a vu que
Thomas de Montagut, comte de Salisbury et du Perche, allié à la famille
royale, était réputé le général le plus habile de l'Angleterre. Dès le
24 mars 1428, il contractait avec le gouvernement anglais une endenture
ou engagement, par lequel il s'obligeait à repasser à la fin de juin dans
cette France, théâtre de ses longs exploits, à la tête de six cents hommes
d*armes, six chevaliers bannerets, trente-quatre chevaliers bachelets, et
dix-sept cents archers. Aucun ne pourra être du royaume de France, ni
de ceux qui, ayant des possessions en France, seraient repassés en Angle-
terre sans licence du régent *. A la date du 21 juin, un ordre royal prescri-
vait à tous les enrôlés de se trouver à Sandwich le vendredi suivant ^
De nouveaux contingents furent levés sur le continent. Pour soutenir
l'expédition, la Normandie fut imposée d'une contribution de 71 087 li-
vres, et ordre fut donné aux seigneurs de tenir prêts les contingents
féodaux *.
La conquête d'Angers, et des parties du Maine et de l'Anjou non encore
soumises, était donnée, en Angleterre et en France, comme le but de l'ex-
pédition. A la suite de conseils tenus à Paris, la destination fut changée,
et Orléans devint l'objectif. Il semble, en effet, que c'était bien la clef des
conquêtes à faire.
Salisbury entra en campagne dès la première quinzaine du mois d'août,
et dès le 5 septembre il écrivait au maire et aux aldermen de Londres
une lettre dans laquelle il leur dit avoir réduit à l'obéissance quarante
villes, châteaux et églises fortifiées. Il les nomme. On y remarque
Nogent-le-Roi, Rambouillet, Marcheville, Patay et surtout Janville.
Cette châtellenie de l'Orléanais, sur les confins du pays Chartrain,
était importante, et facilitait les communications avec Paris. Entourée d'une
double enceinte de fossés profonds, de murailles flanquées de tourelles,
la grosse tour du château pouvait ofl'rir, et ofl'rit en effet une sérieuse ré-
sistance. Salisbury, qui avaitassisté à bien des assauts, déclare n'en avoir
i. La Paysanne et l'Inspirée, p. 78 et suiv.
2. Rtmer, t. IV, p. 28 et 135.
3. Ibid., p. 138.
4. De la Normandie sous radministration anglaise [Mémoires des antiquaires de Nor-
mandie, t. XXIV). ^
40 LA VRAIE JEANNE D*ARG : LA LIBÉRATRICE.
•
jamais vu d'aussi vif que celui que lui opposa la faible garnison du don-
jon de Janville. Salisbury se montrait cruel; tantôt il faisait mettre à
mort la garnison ennemie, comme au Puiset; tantôt il incendiait la
place, comme à Toury; d'autres fois il exigeait d'énormes rançons, ou or-
donnait d'impitoyables massacres, comme à Janville. De Janville il en-
voya des hérauts sommer Orléans de faire soumission; les hérauts, bien
reçus, furent renvoyés avec quelques présents, mais avec un refus bien
net à ses injonctions.
Salisbury, dans sa lettre, annonce que son frère Hungerfort vient de
s'emparer de Mcung-sur-Loire, conquête facile puisque des habitants
étaient venus à Janville lui proposer de lui livrer la place. La proposition
avait été acceptée avec l'empressement que méritait la possession d'un
semblable poste. Situé en aval d'Orléans, à 18 kilomètres, Meung com-
mandait la Loire, et par son pont, en dehors de la ville, communiquait avec
la Sologne. Salisbury les fortifia, et, pour y amener ses canons et ses en-
gins de guerre, il fit, le 8 septembre, une démonstration contre Orléans,
tandis que ses charrois passaient sans ôtre inquiétés. Meung n'est qu'à
6 kilomètres de Cléry, sanctuaire célèbre de Notre-Dame, enrichi par
la piété des fidèles. Salisbury envoya des Anglais en très grand nombre
le piller, piller les chanoines et les autres là retirés^ et ils firent des maux
innumérables^ ,
Baugcncy, à 8 kilomètres en aval de Meung, à 26 kilomètres d'Orléans,
tomba à son tour au pouvoir du généralissime. C'était une nouvelle com-
munication avec la rive gauche par l'antique pont de cette ville, une forte
position à cause du puissant château qui le protégeait. La prise de petites
places d'où l'on aurait pu être inquiété, telles que Mont-Pipeau, Marche-
noir, La Ferlé-llubert, complétaient la sécurité de l'armée anglaise dans
la Heauce'.
Maître du cours inférieur de la Loire, Salisbury songea au cours su-
périeur. A 47 kilomètres à Test d'Orléans, c'étaient le château et la
ville de Sully, possession de Georges La Trémoille ; à 1 7 seulement Jar-
geau, et dans Tintcrvalle Châleauneuf, résidence préférée des ducs d'Or-
léans. Tout fut occupé \ Il fallait ménager Georges La Trémoille. Le
moyen était facile : un pied dans les deux camps, ce n'est pas d'aujour-
d'hui que les politiques égoïstes connaissent le système. Il a été déjà dit
que le frère de Georges La Trémoille, le bourguignon de Jonvelle, pré-
posé à la garnison de Sully, veilla fraternellement* sur les biens de celui
i. Chronique de la PuccllCf édil. de A. Vallkt, p. 257.
t>. i6tcl., p. 238-259.
:\, Ibid., p. 259.
4. Ibid., 259 et suiv.
LE SIÈGE D'ORLÉANS JUSQU'A L'ARRIVÉE DE LA PUCELLE. 41
qui régnait sous le nom de Charles Vil. Sully et Jargeau étant sur la rive
gauche de la Loire, l'envahisseur se trouvait ainsi avoir franchi les li-
mites que Ton donne aux États du roi de Bourges. Le général anglais,
tout en rétrécissant de plus en plus le cercle autour d'Orléans, assurait
ses communications avec Paris et la Normandie.
Le 7 octobre, un de ses lieutenants venait faire une démonstration
contre le Portereau, le faubourg Orléanais de la rive gauche sur laquelle
Salisbury pouvait déjà se mouvoir à Taise. Lui-môme venait y camper
le 12. A l'arrivée de l'ennemi, les Orléanais avaient mis le feu au faubourg,
en particulier au couvent et à l'église des Augustins, tandis que, jour et
nuit, ils travaillaient à fortifier le boulevard à l'entrée du pont. Les An-
glais s'établirent sur les ruines, et, le feu éteint, se cantonnèrent très for-
tement aux Augustins, où la flamme n'avait fait que fort imparfaitement
son œuvre. Ils y élevèrent bastille, boulevard, creusèrent double fossé,
y braquèrent leur artillerie, et se mirent à canonner le pont, la ville, les
Tourelles et avant tout le boulevard qui en défendait l'approche. Ils
abattirent douze moulins sur bateaux.
Les Orléanais se défendaient héroïquement. A un assaut donné au
boulevard susdit, on vit les femmes jeter sur les assaillants des cendres
vives, de l'huile bouillante, des graisses fondues, et môme repousser du
bout de la lance dans les fossés les assaillants plus hardis*. Cependant
les Anglais, en môme temps qu'ils travaillaient à plein ciel, travaillaient
aussi dans les entrailles de la terre. Ils avaient creusé une mine destinée
à faire sauter le boulevard. Les défenseurs, qui s'en aperçurent, y mirent
le feu et se retirèrent aux Tourelles en ramenant vers eux le pont-levis.
Les Tourelles elles-mêmes fortement canonnées devinrent bientôt inte-
nables; elles durent être abandonnées à leur tour le 24 octobre. En se
retirant les assiégés rompirent une ou plusieurs arches du pont, et se
tortifièrent à la Belle-Croix. Les Anglais, de leur côté, se hâtèrent de ré-
parer les brèches faites aux Tourelles, et de les rendre défendables et te-
nables contre toute puissance^. Glasdall, le Glacidasde nos histoires, en fut
constitué le gardien.
Cependant Salisbury était monté au plus haut étage de la tour. Là, à
demi caché par le mur, entre Glacidas et un chevalier, il contemplait
par une fenêtre l'assiette de la ville. Soudain un boulet de canon siffle,
passe par l'ouverture, tue le chevalier, et des éclats du mur crève un œil
à Salisbury, lui déchire une joue et le couche à terre. On l'emporte
clandestinement; il est dirigé sur Meung, où il mourait le 3 novembre.
Qui avait pointé un coup si heureux? On le dit parti de la tour de Notre-
i. Chronique de la Pucelle, p. 261.
2. Ibid., p. 265.
42 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
Dame. Od ne connut jamais la main qui avait mis le feu '. Les Chroniques
sont unanimes sur ce point. On a dû cependant faire de minutieuses
recherches. Nul doute que le tireur n'eût été comblé de félicitations et
bien récompensé. Cette ignorance totale n'est pas pour rendre invrai-
semblable le sentiment de ceux qui y ont vu la réponse de Notre-Dame
au saccagement de Cléry. Une Chronique qui sera citée nous dira qu'un
enfant avait allumé la mèche par espièglerie, et s'était enfui. La mer-
veille subsisterait toujours; mais, dans ce cas, comment n'a-t-on pas
retrouvé l'enfant fortuné? Comment les Cousinot et l'auteur du Journal
du siège n'en ont-ils rien su, eux des Orléanais et des contemporains?
II
La mort de Salisbury consterna un moment les Anglais. La garde des
Tourelles remise à Glacidas, les principaux chefs se retirèrent momenta-
nément pour délibérer, tandis que Bedford venait à Chartres, afin de suivre
les opérations. Il envoya des renforts et, durant les mois de novembre
et de décembre, les Anglais finirent par bien s'asseoir sur la rive gauche,
et rendre leurs positions plus fortes qu'elles ne l'avaient été du temps
de Salisbury*. Être maître de la rive gauche, c'était intercepter la grande
voie de communication entre Orléans et les Etats de Charles. Le point
de départ du réseau avait été bien choisi.
On prévit bien, à Orléans, que le réseau serait continué. Le lendemain
delaprise des Tourelles, le Bâtard, Lallire, Boussac, Chabannes, Yillars,
Coarraze, et d'autres encore, étaient venus relever le courage des habi-
tants^. Sous leur impulsion, sans doute, les Orléanais prirent et exécu-
tèrent une résolution héroïque, celle de détruire tous leurs faubourgs
de la rive droite où il y avait vingt-deux églises, parmi lesquelles la riche
collégiale Saint-Aignan. Tout fut si bien rasé, nous dit Jean Chartier,
qu'on poiivoit aller à pied et à cheval du côté de la Beauce aux lieux où
avaient été lesdites églises et maisons. Les faubourgs étaient réputés les
plus beaux de France, a-t-il été déjà dit. La population renfermée dans
les remparts dut en ôtre doublée. L'œuvre de salutaire destruction s'exé-
cuta en novembre et en décembre.
Ku même temps, les Orléanais complétaient leurs armements.
Guillaume Duisy, très soutil ouvrier^ adaptait la grosse bombarde qui
jetait des pierres de cent vingt livres, le canon Rifflard, et le canon de
i. Chronique delà Pucelle^ p. 264. — Ciiarpotier et Cuissard, Journal du siège^ p. 10.
2. Journal du siùyCj p. iC et suiv. cl Chronique de la Pucelle^ p. 205.
3. Journal du siègcy p. 10-11 ; Chronique de la Pucelle, p. 263.
LE SIÈGE D'ORLÉANS JUSQU'A L'ARRIVÉE DE LA PUCELLE. 43
Montargis, qui devaient &ire grands dommages aux Anglais *. Ce n'était
que le début. Le Journal du siège^ dit dans la suite, que, pour la défense,
furent trouvés d^ innombrables nouveautés et subtilités de guerre plus que
de longtemps auparavant iln^avoit été fait ^. Le coulevrinier maître Jean^
natif de Lorraine^ que F on disoit le meilleur maître qui fut lors d'icelui
métier y faisoit sur tous les autres moult de mal aux Anglois. Son tir était
si juste qu'il abattait presque infailliblement Thomme qu'il visait, et
parfois d'un seul coup en tuait plusieurs. Caché derrière l'arche de
Belle-Croix, il promenait la mort aux Tourelles, relevait ses prouesses
par sa bonne humeur. Feignant d'avoir été atteint par l'ennemi, il se
faisait emporter comme mort ou mourant, sous les yeux des Anglais, et
quelque temps après, de nouveaux coups leur prouvaient qu'il était bien
vivant ^. Il ne fut pas sans courir maints dangers. Les Anglais lui prirent
une fois l'affût de sa coulevrine, une autre fois sa coulevrine même, et
il ne se sauva qu'en se cramponnant au gouvernail d'un bateau où il
n'avait pas pu entrer : il le détacha et aborda sur ce radeau improvisé *.
Le jour de Noël amena une trêve, de neuf heures du matin à trois
heures du soir, durant lesquelles le Bâtard, sur la demande de Glacidas,
envoya au camp anglais U7ie note de ménétriers^ trompettes et clairons
qui firent grande mélodie '.
La lugubre musique de la guerre reprit aussitôt. Talbot, Scales, et
d'autres seigneurs anglais qui, le 1" décembre, avaient amené à Glasdall
un renfort d'hommes, de vivres et d'armes, conduisaient le 30 décembre
un renfort de deux mille cinq cents combattants.
Ils allaient tendre le filet sur la rive droite. Ils s'emparaient encore
d'une excellente position, de la hauteur de Saint-Laurent-les-Orgerils,
qui leur était inutilement disputée; elle est située au bord de la Loire.
Une bastille, dans l'île Charlemagne, au milieu du fleuve, facilitait les
communications avec les bastilles de la rive gauche, Saint-Privé d'abord
en face, et ensuite les Tourelles, les Augustins, et plus tard Saint-Jean-
le-Blanc, si tant est qu'il ne fut pas encore dès lors occupé.
Il restait à continuer l'investissement sur la rive droite : c'est ce que
firent les Anglais dans une étendue que nous essayerons bientôt de
déterminer.
Cela ne se fit pas sans qu'on essayât de bien des manières de les tra-
verser. Il y eut une suite de faits d'armes, d'escarmouches, de sorties de
1. Journal du siège, p. i7.
2. Ibid., p. 91.
3. I6id., p. 18.
4. Ihid.y p. 28.
5. r6tii., p. 18.
44 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBERATRICE.
la part des assiégés, d'attaques de la part des assiégeants, tantôt par la
porte Renard, tantôt par le boulevard Belle-Croix. Embuscades, surprises,
enlèvements d'hommes et de convois, rencontres tantôt particulières,
tantôt plus générales, tout ce que nous en savons se trouve raconté dans
le Journal du siège. Ces faits particuliers sont des épisodes qui ne
regardent pas notre sujet. Si les Orléanais, durant sept mois, tinrent les
Anglais hors de leur ville, ils ne purent pas les empêcher d'ourdir leur
trame autour de la cité, de resserrer leurs lignes, et de les amener à un
point où leur sort était humainement désespéré, où l'Anglais regardait la
ville comme moralement conquise. Rien ne contribua plus à réduire les
assiégés à cette extrémité, que la défaite de Rouvray, dite la « journée
des Harengs », subie le samedi 12 février, premier samedi de carême.
III
A cette époque les armées elles-mêmes observaient l'abstinence qua-
dragésimale dans toute sa rigueur. Pas d'aliment gras du jour des Cendres
à Pâques. En prévision de cette nécessité, d'immenses provisions
d'aliments maigres, et particulièrement de harengs, avaient été faites à
Paris pour l'armée assiégeante ; les paysans des environs avaient été
réquisitionnés pour les amener au camp. Le jour des Cendres, trois cents
chariots se mirent en marche, escortés par quinze cents soldats
anglo-bourguignons et mille hommes des communes, sous le comman-
dement de Fastolf et du prévôt de Paris, Simon Morbier.
Cependant Charles VII, pressé par les sollicitations d'Orléans et des
capitaines, voulait frapper un grand coup. Il avait fait appel à Charles
de Bourbon, comte de Clermont, et celui-ci était venu avec une nombreuse
noblesse de l'Auvergne et du Bourbonnais. Il était à Blois avec quatre
mille hommes, ou môme plus. De nombreux chevaliers étaient accourus
à Orléans dans la pensée d'aller rejoindre l'armée du Bourbon. L'occasion
était favorable : on savait la venue du convoi ; il fallait l'enlever et
battre les hommes d'armes qui les accompagnaient, priver les assié-
geants des vivres attendus et du renfort militaire qui leur arrivait.
Le vendredi, quinze cents hommes, une fleur de chevalerie, parmi eux
de nombreux Ecossais, entre autres Jean Stuart, comte de Damley,
connétable d'Ecosse, son frère Guillaume Stuart, sortirent d'Orléans, et
allèrent rejoindre Bourbon et son armée dans les environs de Rouvray-
Saint-Denis. Le plan fut arrêté : l'on ne descendrait pas de cheval ;
l'avant-garde ne donnerait que sur l'ordre du chef, le comte de Clermont.
Celui-ci, d'après le Faux Bourgeois de Paris, se tenait si sûr de la victoire
LE SIÈGE D'ORLÉANS JUSQU'A L ARRIVÉE DE LA PUCELLE. 45
qu'il avait donné ordre de ne pas faire de prisonniers, de tout passer au
fil de Tépée.
La Hire, les Stuarts, les chevaliers venus d'Orléans, destinés à former
Favant-garde, partent en exploration. La Hire voit les chariots s'avancer
lourdement à la file les uns des autres. Le plus iiilgaire bon sens
ordonnait de fondre sur un équipage si encombrant, sans permettre à
l'ennemi de se former en ordre de bataille. L'impétueux Gascon en grillait
d'envie. Il envoie à Bourbon courrier sur courrier lui demander de
pouvoir commencer l'attaque; Bourbon refuse et prescrit qu'on l'attende.
Pendant ce temps il se faisait armer chevalier, et faisait lui-même d'autres
chevaliers.
Fastolf met ce retard à profit. Il improvise un camp retranché de forme
rectangulaire avec ses chariots, ne laissant que deux ouvertures gardées
par les archers. Il s'établit 'au centre avec ses guerriers, qui sont encore
protégés par d'autres archers, qui tiennent leurs pieux fichés en terre,
l'extrémité dirigée contre le poitrail des chevaux que leur cavaliers
pousseraient contre cette haie de bois et de fer. Les menues gens, charre-
tons et marchands, sont établis en dehors sur un des côtés.
Les Français de l'avant-garde, n'y tenant plus, s'avancent, et marquent
leur approche par une grêle de traits qui tombent sur les charretons et les
marchands, les transpercent, les dispersent, ou les forcent à rentrer dans
le camp. Les Anglais restent immobiles. Stuart, n'y tenant plus, descend
de cheval ; les uns imitent son exemple, d'autres poussent en avant
leurs dexlriers. Les chevaux vont s'enferrer sur les pieux des archers ;
ou sont transpercés par les flèches qui partent du camp anglais. Le
désordre se met promptement parmi les Français; les chevaux se cabrent,
reculent, et embarrassent piétons et cavaliers. Les Anglais sortent
alors de leurs retranchements, tuent, massacrent, et donnent la chasse.
Trois à quatre cents chevaliers, parmi lesquels les deux Stuarts avec
leurs Écossais, jonchent bientôt le sol. Dunois, blessé, renversé de cheval,
ne doit son salut qu'à la diligence des siens qui le remettent en selle.
Le comte de Clermont averti, piqué de voir sa défense enfreinte, ne fait
pas même semblant de secourir ses compagnons. Il eût pu ramener la
victoire, car les Anglais, fiers de ce triomphe inattendu, se débandent dans
la poursuite. Il n'en fit rien. Lui et ses nouveaux chevaliers, voyant
la défaite des leurs, tournent bride vers Orléans ; e7i quoi ils ne firent
pas honnêtement^ mais honteusement *. Les Français perdirent de trois à
quatre cents chevaliers des plus marquants ; les Anglais un seul homme
1. Voir, pour cette ignominieuse journée : le Journal du siège, p. 39-44; — Mon strelet,
eh. LH' ; — Chitfart, édit. Tueley, n» 495-496 ; — la Chronique de la Pucelle, p. 266-269,
tous les chroniqueurs.
46 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
de nom, dit Monstrelet, les marchands et valets ne comptant guère à ses
yeux.
Bourbon rentrait à Orléans sur le minuit, précédé ou suivi des autres
fuyards, heureux de n'être pas inquiétés, ce semble, par les Anglais qui
tenaient le siège. Grande fut la consternation à Orléans ; il y avait de
quoi. D'après Chuffart, les vaincus étaient treize contre deux, proportion
avouée aussi par la Chronique orléanaisc de l'établissement de la fête
du 8 mai, qui donne le chiffre de six contre un. On chercha une
consolation dans la piété pour les morts : les Sluarts furent enterrés dans
la cathédrale où un service, qui devait devenir annuel, fut royalement
célébré pour le connétable d'Ecosse et sa femme. Fastolf amena au camp,
avec les dépouilles des vaincus, son convoi de hareîigs^ qui donna le
nom à la journée. Si l'on fit semblant de vouloir l'empêcher, ce ne fut
pas au point de s'entre-toucher. C'est que, nous dira la Chronique de
la fête du 8 mai, les vaincus de Uouvray étaient tellement effrayés de la
journée qu'ils avaient perdue, que « lorsqu'ils virent les Anglais, homme
ne pouvait les faire issir [sortir) de la ville ».
Le grand effort que l'on venait de faire n'avait donc abouti qu'à une
ignominieuse défaite, à la perte de braves éprouvés, et à jeter dans
Orléans un plus grand nombre de bouches à nourrir, alors qu il était
nécessaire de ménager la provision des vivres. On aurait fait au comte
de Clermont cette dernière observation. Cela amena le gros événement
raconté en ces termes par le Jourtial du siège : « Le vendredi, dix-huitième
jour de février, se partit d'Orléans le comte de Clermont, disant
qu'il voulait aller à Chinon, devers le roi, qui lors y était. 11 emmena avec
lui le seigneur de La Tour, messire Louis de Culan, amiral, messire
Regnault de Chartres, archevêque de Reims, chancelier de France,
messire Jean de Saint-Michel, évêque d'Orléans, natif d'Ecosse, La Ilire
et plusieurs autres chevaliers et écuyers d'Auvergne, du Bourbonnais et
bien delx mille combattants. Ce dont ceux d'Orléans les voyant partir ne
furent pas bien contents; mais, pour les apaiser, ils leur promirent qu'ils
les secourraient de gens et de vivres. Après ce départ il ne demeura à
Orléans que le bâtard d'Orléans et le maréchal de Sainte-Sévère avec
leurs gens. Le comte de Clermont, qui depuis fut duc de Bourbon, s'en
alla, et les seigneurs et combattants ci-dessus nommés avec lui, et se
mirent dans Blois \ »
Les secours et les vivres promis par le comte de Clermont devaient se
faire attendre durant plus de deux mois. On ne soupçonnait pas alors à
Orléans celle qui devait les amener; cependant l'annonce de la défaite
1 . Journal du siège, p. dO-52.
LE SIÈGE D'ORLÉANS JUSQU'A L'ARRIVÉE DE LA PUGELLE. 47
de Rouvray, faite par elle le jour même, à plus de cent lieues de distance,
triomphait de Tincrédulité qui jusqu'à ce jour lui avait barré le chemin,
et décidait Baudricourt à faire quelques cas de ses promesses.
La journée des Harengs mit le comble au désarroi de la cour ; ce fut le
moment de la suprême détresse et d'une véritable agonie. « Pour
cette maie aventure^ dit Monstrelet, Charles eut au cœur grande tristesse^
voyant de toutes parts ses besognes venir au contraire et persévérer de mal
en pis*. »
Chacun songeait à se tirer le moins mal qu'il pourrait d'une ruine
qui semblait désormais inévitable. Les Orléanais se voyaient abandonnés,
tandis que le nombre des assiégeants s'accroissait du renfort amené par
Fastolf. En vain ils essayaient d'arrêter l'investissement, les travaux
avançaient malgré leurs efforts et leurs sorties. Le ravitaillement devenait
tous les jours plus difficile ; il ne tarderait pas à être impossible ; la faim
aurait raison de leur courage. Ne voulant pas devenir Anglais, ils
pensèrent à introduire dans leurs murs le duc de Bourgogne. Une dépu-
tation de bourgeois lui fut envoyée sous la conduite de Poton de
Xaintrailles; elle devait lui représenter que les Anglais assiégeaient une
place privée de son défenseur naturel, prisonnier en Angleterre. C'était
un prince de la maison de France, à laquelle le duc de Bourgogne
appartenait. Pourquoi ne se chargerait-il pas, en attendant la paix défini-
tive, de garder Orléans, dont le sort seraitalors statué ? Orléans ne refusait
pas de payer aux Anglais une indemnité en dédommagement des frais
occasionnés par le siège.
C'était prendre le duc par l'intérêt et par le point d'honneur. Une fois
introduit dans Orléans, il aurait en mains un gage puissant pour faire
valoir ses conditions de paix ; il exerçait un rôle de médiateur en faveur
d'un prince de son sang, jusqu'alors l'ennemi de sa maison. Il se chargea
d'aller porter lui-même au régent ces propositions, et, le 4 avril, il faisait
une pompeuse entrée à Paris.
Bedford soumit la demande au grand conseil; elle fut très mal
accueillie. On remontra les grands frais et dépenses que le roi avait sou-
tenus à l'occasion dudit siège : la ville ne pouvait durer longtemps sans
être subjuguée ; c'était une des villes du royaume les plus utiles à
posséder ; ce n'était pas raison que le roi Henri et ses vassaux eussent
eu les peines et soutenu les mises du siège, et que le duc de Bourgogne
en eût les honneurs et les profits sans coup férir; que l'on eût mâché le
fruit, et que le duc de Bourgogne l'avalât *. Le duc de Bedford disait
qu'il aurait la ville à sa volonté, et qu'il serait remboursé de ce qu'elle
J. MO.NSTRELET, ch. LVIII.
48 LA VRAIE JEANNE D*ARC : LA LIBÉRATRICE.
lui avait coûté, et qu'il serait bien courroucé d'avoir battu les buissons, et
qu'un autre eût les oisillons ^ La conclusion fut que les ambassadeurs
d'Orléans ne seraient admis, qu'à la condition de traiter de la reddition
de la ville. Ils répondirent être sans pouvoir pour cela, et ajoutèrent que
les Orléanais souffriraient bien des maux avant de se soumettre aux
Anglais. Ils rapportaient à Orléans le 17 avril la réponse reçue ; mais
déjà un souffle d'espérance passait sur la ville ; la ville n'avait pas
encore vu la Libératrice ; cependant l'on savait ce qu'elle promettait, et
Ton savait que, toutes merveilleuses qu'elles étaient, ces promesses
n'avaient pas semblé à dédaigner aux sages de Ghinon et de Poitiers, que
l'on faisait de grands préparatifs pour seconder celle qui se donnait comme
l'envoyée du Ciel.
Le Bourguignon fut froissé par le rejet un peu hautain de sa proposition.
Il ordonna à un de ses hérauts d'accompagner les ambassadeurs à
Orléans, et de prescrire à tous ses sujets présents au siège d'avoir à s'en
retirer. « Pour obtempérer à ce commandement s'en allèrent et dépar-
tirent très hâtivement plusieurs Bourguignons, Picards, Champenois et
moult d'autres des pays et obéissance dlcelui duc de Bourgogne ^. »
Quel est le nombre approximatif renfermé dans ces mots plusieurs et
moult d'autres ? Il est très difficile à déterminer, et l'école naturaliste le
gonfle manifestement beaucoup en le portant à quinze cents. Des trêves
existaient alors entre le duc de Bourgogne et Charles VII. Pareil chiffre
eût été une infraction trop manifeste. Les motifs allégués pour ne pas
remettre Orléans entre les mains du duc de Bourgogne eussent été par
là profondément infirmés ; on ne pouvait pas dire dès lors que les Anglais
avaient fait toutes les mises et que le duc de Bourgogne en aurait tous
les profits sans coup férir; qiiil n'avait pas battu les buissons^ etc. Ce
n'était pas un mince appoint que quinze cents hommes. Ajoutons que
si la Chronique de la Pucelle nomme en commençant huit faux Français,
le Journal du siège ^ dans les incidents si variés qu'il relate, ne nomme
pas, ce me semble, une seule fois un Bourguignon, preuve qu'ils étaient
peu nombreux.
Bedford, pendant qu'il délibérait sur les propositions du duc de Bour-
gogne, pressait le conseil d'outre-Manche de lui expédier secours et sub-
sides. Il réclamait l'envoi de deux cents lances et douze cents archers.
Il demandait que le jeune roi vînt en France, s'y fît couronner et reçût
les hommages des grands du royaume, affirmant que tel était le désir
instant des Français ^
\, Jean Cuartier, ch. xiii.
2. Journal du sUgCy p. 70.
3. Rymer, t. IV, p. 143.
LE SIÈGE D'ORLÉANS JUSQU'A L'ARRIVÉE DE LA PUCELLE. 49
Rien ne justifie Tasserlion de Quicherat que le conseil d'Angleterre
aurait été d*avis d'accepter les propositions du duc de Bourgogne. La
Chronique de la Pucelle^ à laquelle il renvoie, parle de l'entreprise elle-
môme. Le duc de Bedford, y est-il dit, fit mettre le siège devant icelle
ville ; il s'agit de mettre le siège, et non pas de le lever après une durée de
six mois, lorsque tout promettait l'heureuse issue de tant de travaux.
IV
Les Anglais n'étaient pas restés oisifs à la suite de la journée des
Harengs. Les communications par la rive gauche étaient difficiles aux
assiégés, les Anglais des bastilles des Tourelles, des Auguslins et de
Saint-Privé surveillant les convois qui arrivaient par l'est et le midi.
Si ces communications étaient difficiles, elles n'étaient pas impossibles.
Le Journal du siège raconte plusieurs ravitaillements opérés par le port
du Bousquet ou de Saint-Loup. Les vivres, amenés secrètement jusqu'à
ce point, étaient chargés sur des bateaux que devaient probablement dis-
simuler les oseraies de l'île aux Bœufs et de l'île Charlemagne, ou même
des arbres le long des rives. Les bateaux suivant le cours de la rivière
venaient atterrir à la Tour-Neuve. Des sorties pouvaient occuper les
assiégeants, tandis que l'on introduisait les convois dans la ville. Dès le
40 mars, les Anglais s'établissaient à Saint-Loup, sur la rive droite. Il a
été dit plus haut combien était avantageuse une position qui leur per-
mettait de surveiller le cours supérieur de la Loire, le port du Bousquet,
sur la rive opposée, et les routes de Gien et de Pithiviers. En dernier
lieu, dès le 20 avril, ils avaient établi, si tant est qu'elle n'y fût pas déjà,
une garnison et une bastille à Saint-Jean-le-Blanc, sur la rive gauche.
Les travaux avaient été poussés sur la rive droite. Monstrelet nous dit
qu'après sept mois de siège, les Anglais avoient moult oppressé et travaillé
la ville d'Orléans, par les fortifications, bastilles et forteresses qu'ils avoient
faites en plusieurs lieux jusqu'au nombre de soixante^. L'entendre de bas-
tilles proprement dites, c'est-à-dire de constructions destinées à servir
de séjour habituel à des soldats, c'est lui prêter une erreur ; mais le chro-
niqueur parle de fortifications, de forteresses et de bastilles, c'est-à-dire
de constructions stratégiques de tout genre, et dans ce sens l'on n'a pas
le droit de lui donner un démenti.
La Chronique de la Pucelle^ dont l'autorité est grande, affirme qu'il y
avait des bastilles sur tous les chemins passants, et qu'elles étaient au
i. Mo!fSTR£LET, CAront^ue, eh. lix.
ni. 4
50 LA VRAIE JEANNE D ARC : LA LIBÉRATRICE.
nombre de treize. Elle en énumère quelques-unes, et termine par cette
phrase : « Aifisi il appert que la ville fut enclose de treize places fortifiées
tant boulevarts comme bastides^ dont la cité fut en telle détresse qu'ils ne
purent avoir secours de viv)*es ni par eau ni par terre ^. » Le nombre treize
est aussi celui que Ton trouvera dans la Chronique de Morosini. Il y est
répété à deux reprises, par Pancrace Justiniani, qui écrit de Bruges.
Des fossés, d'une bastille à l'autre, permettaient aux Anglais d aller
sans être aperçus dans les divers forts et pouvaient les protéger dans une
attaque. Il est certain qu'au moins en plusieurs endroits les fossés étaient
doubles. « Les Anglais, dit Jean Chartier, besognaient à faire fossés doubles^
ainsi que cela était, depuis la bastille Saint-Laurent y jusqu'à la grande
bastille nommée Londres^, »> Un notaire du temps, Guillaume Girault, nous
dira : « Toutes icelles forteresses et bastilles étaient closes à deux parts et
d'une à l'autre. »
Voici, ce semble, l'ordre des bastilles. Au midi, sur la rive gauche,
Saint-Jean-Le-Blanc, les Augustins, les Tourelles, et Saint-Privé. Au
couchant, au milieu de la rivière, la bastille de l'île Charlemagne. Sur
la rive droite, aux bords du fleuve, sur une hauteur, la bastille Saint-
Laurent, qui interceptait le chemin de Blois. L'abbé Dubois pense qu'elle
devait être le principal magasin des Anglais, ce qui est assez vraisem-
blable, à cause de la facilité des communications avec la rive gauche.
A trois ou quatre cents mètres, c'est la bastille de la Croix-Buissée, cou-
pant à l'endroit le plus élevé la route de Meung et de Baugency; plus
loin, c'est la bastille des Douze Pierres, que les Anglais appellent Londres ;
avec la bastille du Colombier elle intercepte la route de Chàteaudun.
Par un terrain déprimé, la circonvallation descendait dans le quartier
connu longtemps sous le nom de Mare-aux-Solognots, aujourd'hui, je
crois, la rue La Hire. Là se trouvait la bastille du Pressoir-Ars appelée
Rouen par les Anglais. Vers le nord, dans le faubourg Bannier, entre
l'église Saint-Paterne, alors Saint-Pouair, et le monastère actuel de la
Visitation, alors Saint-Ladre, c'était la bastille Saint-Pouair à laquelle les
assiégeants avaient donné le nom de Paris '. Entre la bastille Saint-Pouair,
au nord, et la bastille Saint-Loup, à l'est, s'étend un espace de trois kilo-
mètres; était-il ouvert, et n'y avait-il pas de poste anglais dans ce quart de
cercle? Grand sujet de controverse entre les archéologues. Il n'est pas
sans importance de l'aborder.
Cette large échancrure se trouvait, il est vrai, du côté du nord ; elle
1. Éd. d'AuG. Vallet, p. 266.
2. Ch. XIII.
3. V^oir Dubois-Charpentier, Histoire du siège, p. 245 et seq. et M. de Molandon, p. 4
et suiv. : Une bastille anglaise.
LE SIÈGE D'ORLÉANS JUSQU'A L'ARRIVÉE DE LA PUCELLE. 51
donnait accès dans les pays où la domination anglaise était établie, el les
assiégeants, qui procédaient si méthodiquement, ont dû commencer par
s'assurer des points par lesquels Orléans pouvait être plus aisément
ravitaillé. C'est en effet ce qu'ils ont fait. Cependant, par des détours,
il était possible d'entrer et de sortir par si large ouverture. C'est ce que
remarque Jean Chartier, dont le récit peu ordonné offre cependant de
précieux détails sur Tinvestissement. Après avoir raconté l'arrivée de
Fastolf au camp, arrivée qui eut lieu le 17 février, il ajoute : c Povoient
toujours entrer et issir {sortir) au dict Orléans gens à cheval, pour ce que
les Anglois estoient à pié en leur grande bastille (Paris). Or y avoit grant
espace de leur grant bastille à celle de Sainct-Loup, combien que chasciin
jour besongnoient iceids Anglois à faire fossés doubles pour cuyder empes-
cher y celle entrée, » Chartier place cette remarque au milieu de son
récit ; il raconte ensuite la mort de Salisbury, qui avait eu lieu trois mois
avant la journée des Harengs ; mais à la fm de sa narration, lorsqu'il
nous parle de l'état de la ville après sept mois de siège, il dit « qu'elle
esloit en si grant nécessité que plus ne povoit bofinement durer pour la
nécessité de vivres quils avoient, et encore que les capitaines fissent ce qu'ils
pouvaient pour la ravitailler, on disoit communément que cette ville seroit
perdue, les villes d'eau, dessus et au dessous, estoient Anglesches; toutes les
forteresses de la Beauce, réservé Chasteaudun^ la Fer té-Hubert en la Soulogne,
estoient tenues des ditz Anglois, et n'y avoit-on nulle provision, ni remède, »
Cela n'indique-t-il pas qu'en besognant cArt5c^/n /ourles Anglais avaient
intercepté le grand espace entre la grande bastille et Saint-Loup ? Nous le
pensons, et nous croyons que le regretté M. Boucher de Molandon, dans
sa brochure Etudes sur une bastille anglaise du xv° siècle, a démontré le
fait, et prouvé que l'on peut voir encore aujourd'hui un remarquable
monument des travaux anglais autour d'Orléans.
A près de quatre kilomètres au nord d'Orléans, dans la paroisse de
Fieury-aux-Choux, se trouve une tranchée bien conservée de 403 mètres
de longueur, 4", 50 de profondeur dans son état actuel, environ 15 mètres
de larçeur au fond. Les talus sont très adoucis, et encaissés par des
terres rejetées sur les bords. Des bois taillis, de beaux et vieux chênes
ont poussé sur ces bords et sur les talus ; le tout au milieu de champs
cultivés. Cette tranchée aboutit à un autre grand fossé qui lui est per-
pendiculaire, à cela près qu'elle en est séparée par une chaussée d'envi-
ron 7 mètres de largeur. Ce second fossé fait partie d'une enceinte sen-
siblement rectangulaire, que l'on peut reconnaître au milieu d'un épais
fouillis de vignes, d'arbres fruitiers, de bois taillis et d'épines. Les côtés
de cette enceinte ont de 120 à 140 mètres, et enveloppent une superficie
de plus d'un hectare.
52 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
Dans cette superficie, y>n remarque une seconde enceinte quadrangu-
laire entourée de fossés. C'est un terre-plein, haut de 2 mètres au-dessus
du sol, long de 33 à 34 mètres de Test à Touest, sur 22 à 24 du nord au
sud. Entre la première et la seconde enceinte, aux angles, se remarquent
encore d'autres travaux deslmés à défendre cette dernière. Cette seconde
enceinte est le cœur de tous ces travaux, qui sont destinés à la protéger,
et à couvrir les sorties de ceux qui l'auraient habitée. La tranchée de
403 mètres, prolongée de quelques cents mètres, couperait l'ancienne
route d'Orléans à Paris. Il faut ajouter que, au xv* siècle, ces travaux se
trouvaient dans la forêt, alors beaucoup plus rapprochée d'Orléans qu'elle
ne Test aujourd'hui.
Ce sont là des travaux de mains d'homme, qui ne s'expliquent que
dans un but d'opérations militaires. La ville d'Orléans n'avait certes pas
d'intércH à les entreprendre à pareille distance dans une forêt. César,
Attila, les protestants, ont pris ou tenté de prendre d'Orléans. César, les
protestants s'en sont emparés dans deux ou trois jours, et le Fléau de
Dieu n'a dû guère s'y arrêter beaucoup plus longtemps. Un seul siège rend
raison de ces travaux : le siège des Anglais, qui dura sept mois. Les
Anglais ont voulu fermer par là le large espace entre Saint-Loup et
Saint-Pouair dont parle Chartier, tout en ajoutant qu'ils besongfioient un
chascunjotir pour empescher icelle eyitrée. Du 17 février à la fin d'avril, ils
avaient eu plus de deux laoïs pour besongner.
Aussi un savant archéologue Orléanais, Polluche, constatait-il ^ue, de
son temps, on appelait ce lieu le cmnp des Anglais^ appellation entendue
par celui qui écrit ces lignes d'un paysan auquel il demandait le chemin
de l'Ermitage, ainsi qu'on l'appelle plus souvent aujourd'hui. Placée
dans la forêt, cette bastille interceptait fort bien ce qui aurait pu arriver
aux assiégés par l'ancienne route de Paris ou le chemin de Chanteau;
elle protégeait les communications entre Saint-Loup et Saint-Pouair ;
elle amenait cet état auquel il ;î'y avait, d'après Chartier, ni provisio7i, ni
remède. Ainsi que le dit Cousinot, tous les grands chemins passants se
trouvaient par là coupés par des bastilles encloses de fossés et de tranchées.
Cousinot nous dit encore, et avant lui le Vénitien Pancrace Justiniani
écrivait de Bruges, le 10 mai 1429, que les Anglais avaient élevé treize
bastilles autour d'Orléans ; l'on ne peut en énumérer que douze, si l'on ne
compte pas celle de Fleury-aux-Choux.
C'est par cette ouverture dans les lignes de circonvallation que les
assiégés s'efforçaient de faire entrer les approvisionnements, depuis que
Saint-Loup était occupé par les Anglais. Nous lisons, dans le Journal du
siège ^ que le 16 avril les Anglais faillirent détrousser du bétail et des vivres
qui venaient de Blois par le chemin de Fleury-aux-Choux ; un prompt
LE SIÈGE D'ORLÉANS JUSQU'A L'ARRIVÉE DE LA PUCELLE. 53
secours des Orléanais, avertis par la cloche du beffroi, permit au ravi-
taillement d'aborder*.
La bastille n'était peut-être pas habitée à celle date. Elle Tétait sûre-
ment quatre jours plus tard. Le Journal nous apprend que le 19 les
Anglais reçurent grant quantité de vivres et autres habillemens de guerre,
et avec eux plusieurs gens d'armes qui les conduisoient, et il continue :
« Le lendemain, environ quatre heures du matin, se partit d'Orléans
un capitaine nommé Amade, et seize hommes d'armes à cheval avec lui,
qui allèrent courir environ Fleury-aux-Choux, où s'étoient logés les
ANGLOis qui avoient amené les derniers vivres, et ils firent tant qu'ils en
amenèrent six Angloi^ prisonniers, plusieurs chevaux, arcs, trousses et
autres habillemens de guerre ^ »
Voilà bien l'établissement des Anglais aux environs de Fleury-aux-
Choux positivement affirmé. Eloignés d'Orléans, les Anglais devaient
reposer avec une certaine sécurité à quatre heures du matin ; ce qui
explique la capture faite par Amade et ses cavaliers.
Les Français étaient moins heureux le 27 avril. Laissons parler le
Journal : « Le mercredi ensuivant saillirent les François et allèrent en
moult grande hâte et belle ordonnance jusques à la croix de Fleury, pour
secourir quelques marchans amenant des vivres de Blois pour les ravi-
tailler, car ils eurent nouvelle qu'il y avait empeschement ; mais ils ne
passèrent pas outre, parce qu'on leur vint au-devant, et il leur fut dit
qu'ils n'y feroient rien, car les Anglois les avoient déjà détroussés ^ » La
croix de Fleury est sur le chemin de Fleury-aux-Choux.
On sait que la Pucelle, partant de Blois, voulait s'avancer par la rive
droite. Dunois et son conseil furent d'avis qu'il serait moins périlleux
de la faire venir par la rive gauche. Le port du Bousquet était pourtant
alors gardé à la fois par la bastille Saint-Loup et la bastille Saint-Jean-
le-Blanc. Comment les capitaines auraient-ils pu penser qu'il était moins
dangereux d'arriver par la rive gauche, si la rive droite avait présenté
cette large ouverture de trois kilomètres s'étendant entre Saint-Loup et
Saint-Pouair ? Comment la Pucelle, qui cependant ne tentait pas Dieu,
allant le 4 mai au-devant du second convoi de Blois, serait-elle passée
près de la bastille Saint-Paterne, si, en remontant plus haut, elle eût pu
suivre une route plus éloignée du péril, celle de Fleury-aux-Choux, où
les contradicteurs de M. de Molandon supposent qu'il n'y avait pas de
bastille, ni d'Anglais ?
Ces arguments, que nous avons emprimtés à l'érudit Orléanais, semblent
1. Journal du siège, p. 69.
2. Ibid., p. 71.
3. lOid., p. 72.
54 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
convaincants. Ils ont paru tels à la commission nommée par le Comité
archéologique de TOrléanais pour examiner les tranchées de Fleury-
aiix-Choux. Par la plume si réservée d'un ingénieur distingué, le vénéré
M. Colin, chargé de faire le rapport, elle adopta les conclusions du per-
spicace M. Boucher de Molandon*.
A rarrivée de la Pucelle, le 29 avril, le blocus était donc bien com-
plet; le ravitaillement était devenu très difficile ou impossible; et les
espérances deBedford qu'il aurait la ville à volonté étaient bien fondées.
Les vivres s'épuisaient et, si la famine n'était pas encore extrême,
la pénurie devait se faire sentir. Bedford n'a pu parler si haut que
parce qu'il savait que bientôt la faim abattrait les courages. La ville ne
pouvait tenir longtemps, dit Chartier, à cause de la nécessité des vivres
qui ne pouvaient lui arriver d'aucun côté. Nous entendrons Perceval de
Cagny affirmer que, après la journée des Harengs, « les Anglois gardèrent
qu'aucuns vivres ne pussent venir aux assiégés, qu'ils avoient très grand
DÉFAUT DE PAIN, quc uul Capitaine n'osoitse charger de leur en fournir par
crainte des Anglois ».
11 fallait bien que le ravitaillement fût très difficile pour que le signe
proposé parla Pucelle de la divinité de sa mission fût l'introduction d'un
convoi dans les murs de la cité assiégée, et que ce signe fût accepté.
L'importance du double approvisionnement par lequel elle ravitailla la
place, avant de tenter aucun coup contre les Anglais, prouve que les
besoins étaient urgents. D'après Chartier, la raison pour laquelle, après
le premier convoi, une partie des guerriers rentra à Blois, c'est que l'on
craignit de mettre tant de gens dans la ville^ parce qu'il y avait peu de
vivres. Encore l'armée se dispersa-t-elle, aussitôt après la délivrance^
parce que les vivres manquaient.
C'est qu'en effet des convois de centaines de porcs ou de bœufs sont
peu de chose, quand ils doivent être répartis sur une population de trente
mille hommes, dont les provisions antécédentes sont à peu près épuisées.
C'était le cas d'Orléans à l'arrivée de la Pucelle. La population normale
de la ville avait dû être doublée par celle des faubourgs réfugiée à l'inté-
rieur, et par les hommes d'armes venus pour la défense.
Le Journal du siège mentionne les convois qui sont venus renouveler
les provisions des assiégés. On remarque qu'après la journée des Harengs
1. Voir le tome IV de la Société archéologique de rOrléanaia, et la brochure déjà
signalée : Une bastille anglaise, que nous n'avons fait que résumer.
LE SIÈGE D'ORLÉANS JUSQU'À L'ARRIVÉE DE LA PUCELLE. 55
CCS convois sont de plus en plus faibles el^ parfois insignifiants. La
nécessité d'en dérober rapproche aux assiégeants devait en effet les
faire réduire ; et de plus, les pays circonvoisins devaient être épuisés. Du
reste, voici la suite des divers ravitaillements mentionnés par le Journal.
Il semble qu'au commencement de janvier les approvisionnements faits
en vue du siège étaient en grande partie consommés, et que les Orléanais
voulurent profiter de ce que le blocus n'était pas encore à moitié
établi pour les renouveler. Le 3 janvier on introduit 954 pourceaux
gros et gras, et 400 moutons. Le Journal ajoute : ce dont le peuple
d Orléans fut fort joyeux^ car ils vexoient au besoin. Le 10, une grande
quantité de poudre et de vivres sont encore introduits ; le 12, 600 pour-
ceaux ; le 18 ce sont encore 200 pourceaux et 40 tôtes de gros bétail,
mais on se proposait un approvisionnement bien plus considérable :
SOO têtes de bétail étaient en marche pour Orléans; des traîtres des
environs de Sandillonen donnèrent avisaux Anglais qui s'en emparèrent,
alors, ce semble, que l'envoi était déjà mis en barque. Les Orléanais, pour
recouvrer leur grande embarcation, engagèrent un combat où ils perdi-
rent vingt-deux des leurs, et oii maître Jean fut sur le point d'être enlevé.
Le 31 janvier pénètrent 8 chevaux chargés d'huiles et de graisses ; le
23 février, ce sont 9 chevaux chargés de blé, de harengs et d'autres
vivres ; le 3 mars, 12 chevaux chargés de provisions de même nature. Le
lendemain les Anglais fournirent un approvisionnement : on s'empara de
9 chevaux chargés de provisions que des marchands et une demoiselle
leur apportaient; cela constitue pour Tespace de deux mois, 36 charges de
chevaux. Si les trente mille habitants d'Orléans ont dû tirer leur subsis-
tance de ces approvisionnements, il en résulte qu'un seul cheval portait
de quoi nourrir huit cents personnes durant tout le carême, car la nature
du chargement indique des approvisionnements en maigre.
Pâques était cette année le 27 mars. Les approvisionnements en gras
recommencent. Le 29, le Journal parle de l'introduction d'aucun nombre
de bestiaux et autres vivres. Le 2 avril, ce sont 9 bœufs gras, et 2 chevaux
chargés de chevreaux et autres vivres ; le 3, ce sont 9 tonneaux de vin,
un pourceau, de la venaison, conquis sur les Anglais, qui les faisaient
passer à Saint-Loup ; le 4 avril, 43 tôtes de gros bétail, fruits d'un coup
de main sur Meung, où les Français tuèrent le capitaine ; le 5 avril, des
marchands du Berry, malgré les Anglais qui les poursuivent, parviennent
à faire entrer 101 pourceaux, 6 bœufs gras, et l'on introduit aussi
47 pourceaux et 2 chevaux chargés de beurre et de fromage, venant de
Châteaudun; le 8, ce sont 26 têtes de gros bétail que quelques hardis
hommes d'armes ont été butiner jusqu'en Normandie ; le 9 on fait passer
17 pourceaux et 8 chevaux dont 6 chargés de blé et 2 de chevreaux et de
56 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
porcs ; le 17, encore un convoi dont le Journal ne précise pas Tim-
portance, mais qui faillit être enlevé ; le 26 trois chevaux chargés de
poudre et de vivres ; le 27 un convoi venant de Blois est capturé par les
Anglais.
On voit que quelques-uns de ces approvisionnements sont introduits
de très bon matin ; on les avait fait sans doute arriver durant la nuit.
Quand ils arrivaient de jour, les guetteurs de Saint-Pierre-en-Pont ou
de Notre-Dame devaient les signaler de loin, et Ton faisait probablement
ce qui fut fait pour le convoi de la Pucelle, le 29 avril, une vive attaque
du côté par lequel ils devaient pénétrer.
Perce val de Cagny nous dit que les assiégés avaient très grand défaut
de pain. Le Journal ne marque comme introduction de blé que des charges
entièrement insuffisantes, quand elles devaient être réparties entre trente
mille bouches, auxquelles elles devaient fournir du pain durant plusieurs
mois. Les approvisionnements en viande, et surtout en viande de porc,
sont beaucoup plus abondants : les chiffres à première vue paraissent
élevés, mais lorsque Ton considère que ces provisions ont dû alimenter
durant deux ou trois mois trente mille consommateurs, on s'aperçoit
aisément que la population orléanaise a dû souffrir de la disette. Cela se
réduit à un porc pour quinze personnes pendant environ trois mois, en
défalquant le temps du carême; à un bœuf pour cent cinquante personnes
durant le même espace de temps. Le calcul justifie pleinement les asser-
tions des chroniqueurs qui nous disent qu'Orléans souffrait du manque de
vivres, et que le pain y faisait particulièrement défaut. Aussi le convoi
amené par la Pucelle semblc-t-il avoir apporté principalement des grains
et des farines.
VI
Quel était le nombre des assiégeants et le nombre des défenseurs?
Question difficile, que de récents travaux ne semblent pas avoir résolue.
Les contemporains portent le chiffre de Tarmée anglaise à dix mille. C'est
Tévaluation de Cousinot. Monstrelet la porte à dix-huit mille. On a écrit
que Dunois, dans sa déposition, regarde ce nombre comme trop élevé. On
a beau relire la déposition de Dunois, on n'y trouve rien qui se rapporte
à la question, môme de loin. On a écrit encore que, d'après Eberliard de
Wyndecken, il n'était que de trois mille. On regrette les distractions des
hommes honorables que nous réfutons ici. Eberliard de Wyndecken dit
que les Anglais se retirèrent au nombre de trois mille, mais il avait écrit
qu'à la prise de Saint-Loup, il y avait eu cent soixante-dix morts et treize
cents prisonniers; il met trente morts à la prise des Tourelles. Il est
LE SIÈGE D'ORLÉANS JUSQU'A L'ARRIVÉE DE LA PUCELLE. 57
donc de toute inexactitude que, d'après lui, les Anglais assiégeant
Orléans ne fussent qu'au nombre de trois mille. Sans prolonger une
discussion qui serait longue et fastidieuse, nous nous en tenons au chiffre
des contemporains. On verra plus loin celui que donne le correspondant
de Morosini.
Le nombre des défenseurs d'Orléans fut très variable. Le Journal du
siège nous dit qu'après le départ du comte de Clermont le 18 février, il
ne resta que le bâtard d'Orléans et le maréchal de Sainte-Sévère avec
leurs gens. Encore ce même Journal nous apprend-il que le maréchal de
Sainte- Séyère en sortit le 18 mars pour aller recueillir la succession de
son beau-frère, le seigneur de Châteaubrun, tué à la journée des Harengs.
Dans les derniers jours d'avril, Le Bourg de Mascaran entra accompagné
de quarante combattants; le mardi 26, Alain Girou en amène cent; le
mercredi, soixante viennent du Gâtinais;le 28, Florent d'Illiers en conduit
quatre cents ; cinquante arrivent le 29 avril. Il nous paraît impossible
de savoir le chiffre avant l'arrivée de ces renforts. D'après une lettre de
Bruges que l'on trouvera dans la Correspondance de Morosini^ la Pucelle
introduisit deux mille guerriers dans Orléans, où il y en avait déjà
deux mille cinq cents.
LIVRE II
PARTI FRANÇAIS.
LA LIBÉRATRICE D'APRÈS LES CHRONIQUES PLUS SUIVIES
ET PLUS ÉTENDUES.
LIVRE II
PARTI FRANÇAIS.
LA LIBÉRATRICE D'APRÈS LES CHRONIQUES PLUS SUIVIES
ET PLUS ÉTENDUES.
LA CHRONIQUE DE LA PUGELLE
REMARQUES CRITIQUES
LES DEUX GOUSINOT
Denys Godefroy fut le premier qui, dans la Collection des historiens
de Charles VII, imprima en 1661 la Chronique connue depuis lors sous le
nom de Chronique de la Pucelle. Il n'en disait pas Fauteur. Réputée une
des meilleures sources de l'histoire de Théroïne, elle a été largement mise
à profit par les historiens subséquents.
Quicherat crut devoir en rabaisser la valeur. D'après lui, c'était une
compilation faite avec le Journal du siège d'Orléans^ la Chronique de
Jean Chartier, et une autre Chronique peu connue, portant ce long titre :
Geste des nobles François^ descendus de la royalle lignée du noble roy Priant
de Troije jusques au noble Charles fils du roy Charles^ le sixyesme^ qui tant
fut aimé des nobles et tous autres. Elle renfermait, d'après lui, des marques
d'emprunts faits aux dépositions de Dunois et du duc d'Alençon, lors du
procès de la réhabilitation ; ce qui prouvait que l'écrit avait été composé
après 1456.
Vallet de Viri ville combattit ce sentiment dans un long Mémoire, dont
la lecture occupa durant six séances Y Académie des inscriptions et belles-
lettres. L'auteur l'a imprimé dans la suite, en tête de son édition de la
Chronique de la Pucelle et de la Chronique normande du notaire (et pas de
l'évêque) Pierre Cauchon\ C'est une œuvre de longues, de minutieuses,
1. Adolphe de la Hâte, Paris, 1859.
62 LA VRAIE JEANNE D'ARG : LA LIBÉRATRICE.
de patientes recherches, de grande sagacité paléographique, par laquelle
le professeur de TÉcole des chartes a bien mérité des amis de la Pucelle,
heureux de Tapplaudir, s'il ne les avait pas contristés par les creuses et
extravagantes divagations que, /?02/r expliquer la céleste envoyée^ ila imagi-
nées dans son Histoire de Charles VIL II fait justement observer qu'entre
la Chronique et les dépositions entendues pour la réhabilitation, Ton ne
trouve d'autres similitudes que celles qui doivent exister entre des
témoins véridiques déposant sur un même fait. Quant au Journal du
siège ^ et à la Chronique de Jean Chartier, ces œuvres sont postérieures,
et dans les endroits où elles ne copient pas, elles abrègent.
Il est incontestable que la Chronique de la Pucelle puise dans la Geste
des nobles] les passages sont parfois identiques; mais la Geste des nobles
était un bien de famille pour Tautcur de la Chronique de la Pucelle. Le
critique, en effet, établit, d'une manière fort remarquable, par une suite
d'observations qu'il serait trop long de rapporter, mais qui semblent
probantes, d'abord que l'auteur de la Geste est Guillaume Cousinot, chan-
celier du duc d'Orléans, et, en second lieu, qye l'auteur de la Chronique
est un autre Guillaume Cousinot, seigneur de Montreuil, neveu du pré-
cédent. Vallet ne le faisait que le neveu ; M. Boucher de Molandon a
établi, dans un travail postérieur, que Cousinot de Montreuil était plus
que le neveu, que c'était le fils du chancelier*. Le père et le fils furent
des personnages importants et fort remarquables à leur époque.
Guillaume Cousinot I était, au commencement du xv® siècle, un avocat
distingué du parlement de Paris. En 1408 il fut choisi par Valentine de
Milan afin de défendre et de venger la mémoire du duc d'Orléans, son
époux, que l'assassin Jean sans Peur faisait si cruellement outrager.
Cousinot répondit si bien h la confiance qui lui était témoignée, qu'il
devint dès lors le conseiller préféré de la maison d'Orléans, honneur
qu'il dut payer de la confiscation de ses biens, aux jours de triomphe do
Jean sans Peur. Charles d'Orléans, quelques mois avant d'être le prison-
nier d'Azincourt, fit de Cousinot son chancelier; c'était lui confier l'admi-
nistration de son duché, toutes les affaires, surtout durant l'interminable
captivité, devant passer par les mains de ce premier représentant du
pouvoir dans la seigneurie. Charles VII, en dédommagement des confis-
cations subies comme Armagnac, donna à Cousinot des biens confisqués
sur des Bourguignons, soit en Beauce, soit à Orléans même, oîi il reçut
en don l'hôtel du Grand-Saint-Martin, situé dans la rue de la Clouterie. Il
rhabitait lors de la délivrance de la ville. Cousinot conserva jusqu'à sa
mort le titre de chancelier, mais, dès 1439, l'âge Tempêchant d'en remplir
1. Voir la brochure : Jacques Boucher y trésorier du duc d'Or/^ans, extrait du tome XllI
des Mémoires de la Société archéologique de VOrléanais.
LA CHRONIQUE DE LA PUGELLE. 63
la charge, il en avait résigné les fonctions. Pour honorer sa vieillesse,
Charles VII l'avait nommé président à mortier au parlement, quoique
son grand âge Tempêchât de s'y rendre*. On sait qu'il vivait en 4442,
mais on ne connaît pas la date de sa mort.
Le chancelier Cousinot avait un fils qui portait le même prénom de
Guillaume. Une pièce, en date du 6 juin 1431, découverte par M. Doinel,
archiviste du Loiret, l'établit d'une manière indubitable, puisque le chan-
celier donne à son fils Ginllaume Cousinot^ étudiant à l'Université
d'Orléans, pour Vaider à soutenir son état^ ses biens situés en Beauce, à
lui donnés par le roi à la suite de confiscations sur les Bourguignons. Ce
fils est bien celui que Vallel donne comme le neveu. C'est établi par une
seconde pièce, en date du 1" août 1443, due aussi aux recherches de
M. Doinel; par un acte de vente de l'hôtel du Grand-Saint -Martin. Cette
vente est faite par Guillaume Cousinot, qui n'est pas dit seulement liceii-
cié es lois^ mais encore conseiller et mutlre des requêtes de F hôtel du roi
et président du Dauphiné*, titres que, d'après Vallet de Viriville, portait,
dès 1442, celui qu'il donne comme l'auteur de la Chronique de la Pucelle,
Guillaume Cousinot II, ou Cousinot de Montreuil, de la seigneurie de
Montreuil près de Vincennes, dont il fit l'acquisition et prit le nom, eut
une carrière encore plus brillante que celle de son père. Administrateur,
diplomate, homme d'épée, Montreuil fut surtout un des conseillers
préférés de Charles VII et de Louis XI, qui voulurent l'avoir auprès de
leur personne, alors môme qu'ils lui confiaient des charges aussi impor-
tantes que celle de bailli de Rouen. Ils le faisaient suppléer et ne lui
permettaient que de courtes absences. Pris par les Anglais à la suite
d'une ambassade en Ecosse, Charles VII imposa la Normandie afin de
payer la rançon du conseiller préféré. Cousinot vit les premières années
de Charles VIII, assista aux états généraux de Tours en 1484 ^ Tels sont
les deux auteurs auxquels est due la Chronique dite de la Pucelle^ quoique
aucun des deux n'ait songé à lui donner pareil litre. Il eût été inexact,
l'œuvre maintenant connue sous ce nom n'étant qu'un extrait de deux
autres plus étendues.
La Geste des nobles^ l'œuvre de Cousinot père, part, comme le titre
même le dit, des origines fabuleuses de la France. Jusqu'à l'époque où
l'auteur a été presque contemporain des événements, c'est un abrégé
sans valeur historique des Chroniques de Saint-Denis. A partir du règne du
roi Jean (1450), dit Vallet de Viriville que nous ne faisons que résumer,
le récit prend une ampleur toujours croissante. Il s'étend surtout lorsqu'il
1. Vallet de Viriville, op. ciï., p. 16 et suiv.
2. BOLXHER DE MoLANDON, Op. cit., p. 84-90.
3. Vallet de Viriville, op. cit., p. 22 et suiv.
64 LA VRAIE JEANNE D*ARG : LA LIBÉRATRICE.
arrive à la Pucelle, qu'il suit jusqu'à Troyes. Il s'interrompt soudaine-
ment à ce point, sans même mentionner le sacre, interruption dont on
ne peut donner aucune raison suffisante. Le chancelier d'ailleurs se
contente de noter les événements, surtout ceux qui regardent la maison
d'Orléans, et le parti Armagnac, auquel il appartient manifestement.
La Chronique de Cousinot fils ne part pas de Priam ou du roi
Francon; elle n'embrasse que les premières années de Charles VIL
C'est indiqué par les premières lignes, ainsi conçues : S'ensuivent les
gestes et aucunes choses advenues du temps du très chresticn et très noble
roy Charles septiesme de ce nom^ qui eut le royaume après le trespas de
feu son père Charles sixiesme^ lequel trespassa l'an mil quatre cens vingts
deux, le vingt et uniesme jour d'octobre. Jusqu'où Cousinot de Montreuil
a-t-il conduit son œuvre, ou tout au moins se proposait-il de la conduire?
On l'ignore. Ce que Ton possède commence à l'avènement de Charles VII,
et finit au retour du roi après l'échec contre Paris.
Montreuil use du bien paternel comme d'un bien propre, ou plutôt
il ne se donne pas môme la peine de se l'approprier. Le vice le plus
saillant de sa Chronique, c'est de nous offrir souvent deux récits juxta-
posés d'un même fait. Après avoir transcrit la Geste^ parfois il reprend
la narration comme si le fait n'était pas déjà raconté, en y ajoutant des
circonstances passées sous silence par son père.
Malgré ce défaut de suture qui déroute le lecteur, Tœuvre de Mon-
treuil est d'un grand intérêt et d'une valeur inappréciable. Le chancelier
rédigeait une sorte de diaire, probablement pour la maison d'Orléans.
Ecrivant à mesure que les événements se déroulaient, il se tait sur les
ressorts secrets qui les amènent, s'abstient de blâmer les personnes
alors au pouvoir. Son fils écrit l'histoire proprement dite; il est plus
développé, et il ne craint pas de dévoiler les intrigues des favoris qui
abusaient de la jeunesse du prince et perdaient la France.
M. de Beaucourt, dans son Histoire de Charles VU, juge comme Vallet de
Virivillc. « Les Chroniques des deux Cousinot, dit-il, ont une grande va-
leur historique. La partie consacrée à la Pucelle est incontestablement la
source la plus importante pour la vierge inspirée. » La lecture et le
rapprochement avec les autres Chroniques confirmeront, pensons-nous,
les appréciations de ces deux critiques appartenant à des camps opposés.
Comment expliquer le jugement si contraire de Quicherat? C'est un des
cas où son rationalisme fait fléchir son jugement. Les Cousinot, témoins
oculaires des faits, n'hésitent pas à les rapporter tels qu'ils les ont vus,
ou tels que les ont vus ceux qui les entourent. Ils sont croyants, ils ne
doutent pas que celui qui a établi les lois qui régissent les êtres ne
puisse y déroger. Ils racontent des faits patents, alors même qu'ils
LA CHRONIQUE DE LA PUCELLE. 65
accusenl une de ces dérogations. Le rationalisme est mal à Taise avec ces
historiens. Il doit rabaisser leur autorité sous peine de se porter un coup
mortel. C'est à ce sentiment que Quicherat a obéi, pensons-nous, peut-
ôlre d'une manière inconsciente, en jugeant comme il Ta fait la Chronique
de la Pucelle.
Le chancelier Cousinot était Tami de Jacques Boucher. Or la Pucelle,
pendant les jours passés à Orléans pour la délivrance, était logée chez
Jacques Boucher. Le maître des requêtes, bien notable homme, dont parle
la Chronique, en nous montrant Jeanne à Poitiers, était-il Cousinot fils?
Plusieurs le pensent, et citent d'autres exemples d'écrivains de l'époque,
qui, à l'abri de l'anonyme, rendaient de semblables témoignages à leurs
mérites. Cousinot fils, qui assurément fut maître des requêtes, l'était-il en
mars 1429? Cela n'est pas impossible, quoiqu'il fût, l'année suivante,
étudiant à l'Université d'Orléans. Les études de droit se prolongeaient
alors durant de nombreuses années, et ne semblent pas inconciliables avec
le titre de maître des requêtes ; mais, dans ce cas, si Cousinot parle de lui-
même, on ne peut nier qu'en se qualifiant de bien notable homme, il
escomptait l'avenir; en 1429, il était trop jeune pour être bien notable
homme. Peut-être était-il déjà en possession de la renommée lorsqu'il
rédigeait sa Chronique; ce que, d'après Vallet de Viriville, il aurait fait
de 1439 à 1450.
Parlant de l'escalade des Tourelles, Montreuil écrit : « Si nous
dirent et affirmèrent les plus grands capitaines françois que.,, ils montè-
rent contremont aussi aisément comme par un degré y^. On en conclut qu'il
n'était pas à Orléans lors de la prise des Tourelles. Cela peut être ; mais
la démonstration paraît faible. 11 aurait pu être à Orléans, combattre
mênie sur la rive droite, sans avoir été présent à l'assaut qui se donnait
sur la rive gauche; et par suite ne savoir que par le récit des capitaines
ce qui s'y était passé.
La Bibliothèque nationale possède deux manuscrits de la Geste des
nobles, cotés n***9656 et 10297, /rfs. français', il en existe un troisième au
Vatican, fonds de la reine Christine, n*" 897. Vallet a édité la Geste à partir
du règne de Charles VIL On trouvera aux Pièces justificatives les passages
qui ont trait à la Pucelle. En les rapprochant de la Chronique de Mon-
treuil, il sera facile de voir ce que le fils a ajouté à l'œuvre du père, et sa
manière de procéder.
L'on ne possède pas les manuscrits sur lesquels travailla Godefroy;
mais seulement l'exemplaire qu'il prépara pour Tédition. Il est à la biblio-
thèque de l'Institut. C'est l'œuvre d'un très habile calligraphe. Godefroy
y fit de nombreuses ratures, peut être à raison des variantes qu'il trou-
vait dans différentes copies, peut-être pour rajeunir le style, ou pour
IIL 5
66 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
d'autres motifs. Auguste Valiet a poussé le zèle jusqu'à lire sous les
ratures Texpression première, et c'est celle qu'il nous dit avoir adoptée.
La Geste est divisée en chapitres très courts ayant chacun leurs titres
particuliers; il n'y a pas de divisions dans le texte de Godefroy. Auguste
Valiet en a introduit, en cherchant à imiter le style de la Geste. Pour
faciliter le rapprochement avec les autres Chroniques, nous avons à notre
tour introduit des divisions plus générales, correspondant aux diverses
étapes de la carrière de Théroïne *.
CHAPITRE PREMIER
DOMRÉMY. — VAUCOULEURS. — CHINON. — POITIERS.
Sommaire : 1. — Domrémy : Naissance, occupations, âge, tempérament de la Pucelle. —
Vaucouleurs : Départ. — Baudricourt. — Premier accueil. — Instances. — Annonce
de la défaite de Rouvray. — Baudricourt vaincu. — Vêtements : escorte. — Le nom
de roi refusé au Dauphin jusqu'au sacre.
11. — CiiiNON : Heureuse traversée, malgré les périls. — Incertitudes du roi et de la
cour. — Première audience; le roi reconnu. —Jeanne examinée; contraste entre
la sagesse de ses réponses et sa simplicité. — Révélation des secrets, témoins de
choix, serment.
m. — Poitiers : Sur le chemin de Poitiers. — Hôtel Rabateau. — L'examen ; le jury;
particularités; conclusion. — Visiteurs et visiteuses; effets produits; raisons des
habits masculins. — Préparatifs du ravitaillement. — La maison de la Pucelle. —
Épée de Fierbois. — Prophétie sur l'introduction du convoi. — Jeanne d'Arc à
cheval. — Docteurs et guerriers émerveillés.
I
En l'an mil quatre cent vingt-neul, il y avait, vers les marches de
Vaucouleurs, une jeune fille, native d'un pays nommé Domrémy, qui est
tout un avec le village de Gras (Greux), de Télection de Langres. Elle
était fille de Jacques Darc et d'Ysabeau sa femme. C'était une simple
villageoise, qui avait coutume de garder quelquefois les bêtes, et quand
elle ne les gardait pas, de s'exercer à coudre, ou bien elle filait. Elle était
âgée de dix-sept à dix-huit ans, bteti compassée de membres et forte [sic).
Sans congé ni de père ni de mère (ce n'est pas qu'elle ne leur portât
grand honneur et révérence, elle les craignait et respectait, mais elle
n'osait se découvrir à eux par peur qu'ils n'empêchassent son entreprise),
1. Voir aux Pièces justificatives y le texte de la Geste des nobles, A.
LA CHRONIQUE DE LA PUCELLE. 67
un jour elle s'en vint à Vaucouleurs devers messire Robert de Baudri-
court, un vaillant chevalier tenant le parti du roi, et ayant en sa place
de Vaucouleurs foison de gens de guerre vaillants, faisant guerre tant
aux Bourguignons qu'à tous autres tenant le parti des ennemis du roi ;
et Jeanne lui dit simplement les paroles qui s'ensuivent: « Capitaine mes-
sire^ sachez que Dieu, depuis quelque temps déjà, m'a fait plusieurs fois
savoir et commandé que f allasse devers le gentil Dauphin, qui doit être
et est vrai roi de France ; et qu'il me baillât des gens d'armes, et que je
lèverais le siège d'Orléans, et le mènerais sacrer à Reims ». Messire Robert
réputa ces choses moqueries et dérision, s'imaginant que c'était rêve ou
fantaisie; et il lui sembla qu'elle serait bonne pour servir de honteux ébats
à ses gens ; et quelques-uns avaient la volonté d'en faire l'essai ; mais sitôt
qu'ils la voyaient, ils étaient refroidis et n'en avaient plus le vouloir.
Elle pressait toujours instamment ledit capitaine de l'envoyer vers le
roi, de lui faire avoir habillements d'homme, cheval et compagnons
pour la conduire, et, entre autres choses, elle lui dit un jour : « En nom
Dieu, vous tardez trop à m' envoyer; car aujourd'hui le gentil Dauphin a
eu assez près d'Orléans un bien grand dommage; et encore sera-t-il taillé
de ravoir plus grand, si vous ne m'envoyez bientôt vers lui ». Le capitaine
mit lesdites paroles en sa mémoire et imagination, et sut après que ledit
jour avait été, quand le connétable d'Ecosse et le seigneur d'Orval furent
déconfits [taillés en pièces) par les Anglais; et ledit capitaine était en
grande pensée sur ce qu'il ferait; il délibéra et conclut qu'il l'enverrait.
II lui fit faire vêtements et chaperon d'homme, gippon, chausses à atta-
cher, houseaux [bottes) et éperons, et lui bailla un cheval et un varlet;
puis il ordonna à deux gentilshommes du pays de Champagne qu'ils la
voulussent conduire ; l'un se nommait Jean de Metz et l'autre Bertrand
de Pélonge; lesquels en firent grande difficulté et non sans cause ; car il
leur fallait passer au milieu des périls et des dangers des ennemis. La-
dite Jeanne, connaissant bien leur crainte et les difficultés qu'ils faisaient,
leur dit : « En nom Dieu, menez-moi vers le gentil Dauphin, et n'ayez nu*,
doute; ni vous, ni moi n'aurons aucun empêchement ». Et il faut savoir
qu'elle ne donna au roi que le nom de Dauphin jusqu'à ce qu'il fût sacré.
Et lors lesdits compagnons conclurent qu'ils la mèneraient vers le roi,
qui lors était à Chinon.
II
Ils partirent, et passèrent par Auxerre et par plusieurs autres villes,
villages et passages du pays des ennemis; ils passèrent aussi par les
pays obéissants au roi, où régnaient les pillards et les voleurs de grand
C8 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
chemin *, sans avoir, ni trouver aucun empêchement, et ils vinrent
jusques en la ville de Chinon. Eux-mômes (lisaient qu'ils avaieùt traversé
! à gué des rivières bien profondes et des passages réputés bien périlleux,
' sans inconvénient quelconque; ce dont ils étaient émerveillés. Arrivés
en ladite ville de Chinon, le roi manda les gentilshommes qui étaient
venus en la compagnie de la jeune fille, et les fit interroger en sa présence;
' ils ne surent que dire ce qui est rapporté ci-dessus.
§
Le roi et ceux de son conseil ne savaient si ladite Jeanne devait (^tre
admise à parler au roi, ou non, et s'il la devait faire venir vers lui; sur quoi
il y eut diverses opinions et divers avis; et il fut conclu qu'elle verrait
le roi. Ladite Jeanne fut amenée en sa présence, et elle dit qu'on ne la
déçût pas, et qu'on lui montrât celui auquel elle devait parler. Le roi
était bien accompagné, et quoique plusieurs feignissent d'ôtre le roi,
toutefois elle s'adressa à lui très directement^; et elle lui dit que Dieu
l'envoyait en ce lieu pour l'aider et le secourir; qu'il lui baillât des gens
et qu'elle lèverait le siège d'Orléans, et de là le mènerait sacrera Reims ;
que c'était le plaisir de Dieu que les Anglais s'en allassent en leur pays ;
et que s'ils ne s'en allaient, il leur en arriverait malheur'.
Ces choses ainsi faites et dites, on la fit ramener en son logis, et le
roi assembla son conseil pour savoir ce qu'il avait à faire. A ce conseil
se trouvaient l'archevêque de Reims, son chancelier, et plusieurs pré-
lats, des gens d'Église et des laïques. Il fut arrêté que quelques docteurs
en théologie l'entretiendraient et l'examineraient, et qu'il y aurait avec
eux des canonistes et des légistes ; et ainsi il fut fait. Elle fut examinée
et interrogée par diverses fois et par diverses personnes: et c'était chose
merveilleuse comment elle se comportait en son fait; et quand elle parlait
de ce dont elle était chargée de par Dieu, comme elle parlait grande-
ment et notablement, vu qu'en autres choses, elle était la plus simple
bergère qu'on vît jamais*. Entre autres choses, on s'ébahissait comme
elle avait dit à messire Robert de Baudricourt, le jour de la bataille de
Rouvray, autrement dite des Harengs, ce qui était advenu; et aussi de
la manière de sa venue, et comme elle était arrivée sans empêchement
jusques à Chinon.
\ . Texte : Oà régnoient toutes pilleries et roberies.
2. Assez plaincment. Dans la langue du moyen ûgc, assez, assay a souvent raccoplion
(le très, fort, beaucoup, Plaincment signifie aussi directement, de plana, Voy. Lacurnk de
Sainte-Palay, Glossaire.
3. Texte : i7 leur mescherroit.
4. Texte : Elle fut examinée et intencgée par diverses fois et diverses personnes : dont
estait chose merveilleuse comme elle se portait en son faict, et ce qu'elle disoit lui estre
chargé de par Dieu, comme elle parlait grandement et notablement, veu que en autres
choses, elle estait la plus simple bergère que on vcit oncques.
LA CHRONIQUE DE LA PUCELLE. 69
Un jour, elle voulut parler au roi en particulier, et elle lui dit : « Gentil ^
Dauphin^ pourquoi ne me croyez-vous pas? Je vous dis que Dieu a pitié ■
de vous, de votre royaume, et de votre peuple ; car saint Louis et Charle-
magne sont à genoux devant lui, en faisant prière pour vous ; et je vous
dirai, s'il vous plaît, telle chose, quelle vous donnera à connaître que vous
me devez croire, » Toutefois elle fut contente que quelques-uns de ses
gens y fussent présents ; et là, en la présence du duc d'Alençon, du
seigneur de Trêves, de Christophe de Harcourt, et de Gérard Machet,
confesseur du roi, qui, à la requête de Jeanne, jurèrent qu'ils n'en
révéleraient et n'en diraient rien, elle dit au roi une chose de grande
conséquence, qu'il avait faite, bien secrète; ce dont il fut fort ébahi, car
il n'y avait personne qui le pût savoir, si ce n'est Dieu et lui ; et, dès lors,
il fut conclu que le roi essayerait d'exécuter ce qu'elle disait.
III
Toutefois le roi pensa qu'il était expédient qu'on l'amenât à Poitiers,
où étaient la cour du parlement, et plusieurs notables maîtres en théologie,
tant séculiers que réguliers ; et il décida qu'il irait lui-môme en ladite
ville. Et, de fait, le roi y alla, faisant amener et conduire ladite Jeanne;
et quand elle fut comme au milieu du chemin, elle demanda où on la
menait, et il lui fut répondu que c'était à Poitiers. Et lors elle dit: « En
nom Dieu, je sais que j'y aurai bien à faire; mais Messire m'aidera. Or
allons de par Dieu, »
Elle donc amenée en la cité de Poitiers, elle fut logée en Thôtel d'un
nommé maître Jean Rabateau, mari d'une honnête femme, à laquelle
elle fut donnée en garde. Elle était toujours en habit d'homme et n'en
voulait vêtir d'autre. On convoqua plusieurs notables docteurs en
théologie et autres, des bacheliers, qui entrèrent en la salle où elle était ;
et quand elle les vit elle alla s'asseoir au bout du banc et leur demanda
ce qu'ils voulaient. Il lui fut répondu par la bouche de l'un d'eux qu'ils
venaient devers elle, parce qu'on disait qu'elle s'était présentée au roi
comme envoyée par Dieu vers lui ; et ils lui montrèrent par de belles et
douces raisons qu'on ne devait pas la croire. Ils y furent pendant plus
de deux heures où chacun parla à son tour ; et elle leur répondit de telle
sorte qu'ils étaient grandement ébahis comment une si simple bergère,
une jeune fille, pouvait si prudemment répondre.
Entre les autres, il y eut un Carme, docteur en théologie, bien aigre
homme, qui lui dit que la sainte Écriture défendait d'ajouter foi à telles
paroles, si elle ne montrait pas des signes ; elle répondit aussitôt qu'elle
70 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
ne voulait pas tenter Dieu, et que le signe que Dieu lui avait ordonné,
c'était de lever le siège de devant Orléans et de mener sacrer le roi à
Reims ; qu'ils y vinssent et qu'ils le verraient ; ce qui semblait chose
forte et comme impossible, vu la puissance des Anglais, et que d'Orléans
et de Blois jusqu'à Reims, il n'y avait place française.
Il y eut un autre docteur en Ihéologie, de l'ordre des Frères prêcheurs,
qui lui dit: « Jeanne, vous demandez des hommes d'armes, et vous
dites en môme temps que c'est le plaisir de Dieu que les Anglais laissent
le royaume de France, et s'en aillent dans leur pays. Si cela est, il ne
; faut pas de gens d'armes, car le seul plaisir de Dieu peut les déconfire,
et les faire aller en leur pays. » A quoi elle répondit qu'elle demandait des
gens, mais nullement en grand nombre, qu'ils combattraient et que Dieu
donnerait la victoire.
Après cette réponse faite par Jeanne, les théologiens s'assemblèrent
pour voir ce qu'ils avaient à conseiller au roi; ils conclurent, sans qu'un
seul y contredît, que, bien que les choses dites par ladite Jeanne leur
parussent bien étranges, le roi devait cependant s'y fier, et essayer
d'exécuter ce qu'elle disait.
Le lendemain allèrent vers elle plusieurs notables personnes, prési-
dents et conseillers du parlement et autres de divers états; et avant d'y
aller, ce qu'elle disait leur paraissait impossible à faire, disant que ce
n'était que rêveries et fantaisies; mais il n'y en eut pas un, quand il s'en
retournait et l'avait ouïe, qui ne dît que c'était une créature de Dieu;
et quelques-uns en retournant pleuraient à chaudes larmes. Sembla-
blement y furent dames, demoiselles et bourgeoises qui lui parlèrent,
et elle leur répondait si doucement et si gracieusement qu'elle les faisait
pleurer.
Entre plusieurs autres choses, elles lui demandèrent pourquoi elle ne
prenait pas habit de femme, et elle leur répondit : « Je crois bie^i que cela
vous semble élrange, et ce n'est pas sans cause ; mais il faut^ puisque je
me dois armer et servir le geyitil Dauphin en armes^ que je prenne des
habits propices et nécessaires pour cela; et aussi quand je serai entre les
hommes^ avec des habits dliomme^ ils n auront pas concupiscence mau-
vaise à mon sujets et il me semble qu'en cet état je coîiserverai mieux ma
virginité de pensée et de fait ».
Pendant ce temps, on faisait grande diligence pour assembler des
vivres, et spécialement des blés, des chairs salées et non salées, afin
d'essayer de les mener dedans la ville d'Orléans. Il fut délibéré et conclu
qu'on éprouverait ladite Jeanne sur le fait desdits vivres; et on ordonna
pour elle harnois, cheval et gens ; et lui fut spécialement baillé pour la
conduire et être à sa suite un bien vaillant et notable écuyer, nommé
LA CHRONIQUE DE LA PUGËLLE. 7j
Jean d'Âulon, prudent et sage ; et pour page lui fut assigné un bien gentil
homme, nommé Louis de Coûtes, dit Imerguet, avec d'autres varlets et
serviteurs.
Durant ces préparatifs, elle dit qu'elle voulait avoir une épée qui était
à Sainte-Catherine-de-Fierbois, portant cinq croix en la lame, assez près
du manche. On lui demanda si elle l'avait jamais vue, et elle dit que
non, mais qu'elle savait bien qu'elle y était. Elle y envoya, et il n'y avait
personne qui sût où elle était, ni si elle y était. Toutefois il y en avait
plusieurs qu'on avait autrefois données à l'église, lesquelles on fît toutes
regarder ; et on en trouva une toute rouillée, qui avait lesdites cinq
croix. On la lui porta, et elle dit que c'était celle qu'elle demandait.
Elle fut fourbie et bien nettoyée, et on lui fit faire un beau fourreau tout
parsemé de fleurs de lis.
Tant que Jeanne fut à Poitiers, plusieurs gens de bien allaient tous les^^
jours la visiter, et toujours elle disait de bonnes paroles. Entre les autres,
il y eut un bien notable homme, maître des requêtes de l'hôtel du roi qui
lui dit: « Jeanne, on veut que vous essayiez de mettre les vivres dedans
Orléans; mais il semble que ce sera forte chose, vu les bastilles qui
sont devant, et vu que les Anglais sont forts et puissants. — En nom
DieUy dit-elle, îions les mettrons dedans à notre aise; et il n'y aura pas
Anglais qui saille de ses bastilles^ ni qui fasse semblant de l'empêcher. »
Elle fut armée et montée à Poitiers ; puis elle s'en partit *. Et en che-^
vauchant elle portait son harnois {so?i équipement) aussi gentillement
que si elle n'eût fait autre chose tout le temps de sa vie ; ce dont plusieurs
s'émerveillaient; mais plus que tous les autres, les docteurs, capitaines
de guerre et autres, s'émerveillaient des réponses qu'elle faisait tant
des choses divines que de la guerre.
CHAPITRE II
DÉLIVRANCE D'ORLÉANS,
Sommaire : L — Comment la Pucelle est annoncée à Orléans. — Blois, bénédiction de
la bannière, rassemblement de vivres et de guerriers.
II. — De Blois à Orléans : Lettre aux Anglais. — Formation du convoi. — Réforme
morale et religieuse des hommes d'armes. — Voyage. — Attitude des Anglais. —
Difficultés du passage de la Loire. — Reproches et prédictions de la Pucelle. — Son
4. Les Chroniques ne parlent pas du séjour à Tours avant le départ pour Blois.
11 est cependant indubitable.
V
72 LA VRAIE JEANNE D'ARG : LA LIBÉRATRICE.
entrée à Orléans. — Sa tempérance. — Ce qui advient à ses hérauts. — Change-
ments dans les dispositions des deux armées. — Les capitaines retournés à Blois ;
délibérations; ils reviennent à Orléans. — Auxiliaires accourus des environs. —
Entrée du second convoi le 4 mai.
m. — Attaque infructueuse contre Saint-Loup. — La venue de la Pucelle en fait une
victoire. — Morts et prisonniers. — Actions de grâces.
IV. — Le jour de l'Ascension sans combat. — Sommation orale aux Anglais. — Le 6,
passage de la Loire. — Attaque de la bastille des Augustins. — Péripétie. — La bas-
tille conquise. — La Pucelle blessée au pied. — Hommes d'armes bivouaquant
devant les Tourelles.
V. — Le 7, la Pucelle suivie des bourgeois, passe la Loire contre le vouloir des capi-
taines. — Les Tournclles assaillies des deux côtés. — Blessure de Jeanne, et conti-
nuation de Taltaque contre l'avis de Dunois. — La queue y touche. — Les capitaines
entraînés par l'ardeur de la multitude. — Résistance des Anglais. — Gouttière
jetée sur l'arche rompue du pont. — Les Anglais épuisés de forces et impuissants.
— Rupture du pont-levis et noyade. — Inaction des Anglais de la rive droite. —
Actions de grâces et retour de la Pucelle. — Son amour et sa fréquentation des
sacrements.
VI. — Les Anglais consternés délibèrent de nuit, et le malin se rangent en bon ordre
et se retirent. — La Pucelle ne veut pas qu'on les attaque. — Hymnes et messes en
plein air. — Démolition des bastilles ; butin. — Lieux de retraite des Anglais. —
Douleur de Bedford; ses craintes; coup porté au parti anglais. — La Hire et Loré
côtoient les Anglais dans leur retraite. — Plaisante délivrance de Le Bourg de Bar.
I
Le roi avait mandé plusieurs capitaines pour faire la conduite et être
en la compagnie de ladite Jeanne, et entre autres le maréchal de Rais,
messire Antoine Loré, et plusieurs autres, lesquels conduisirent ladite
Jeanne jusques en la ville de Blois.
Les nouvelles de ladite Pucelle vinrent à Orléans. On y disait que
c'était une fille de sainte et religieuse vie, fille d'un pauvre laboureur de
Téleclion de Langres, près du Barrois, et d'une pauvre femme du môme
pays qui vivaient de leur labeur; qu'elle était âgée environ de dix-huit
à dix-neuf ans, et avait été pastoure au temps de son enfance. On y
disait qu'elle savait peu des choses mondaines, parlait peu, et que le
plus de son parler était seulement de Dieu, de sa benoîte Mère, des
anges, des saints et saintes du paradis; qu'elle disait que, par plusieurs
fois, des révélations lui avaient été faites touchant le salut du roi, et la
préservation de toute sa seigneurie, laquelle Dieu ne voulait pas lui
être enlevée ni usurpée; que ses ennemis en seraient déboutés ; qu'elle
était chargée de signifier ces choses au roi avant le terme de la Saint-
Jean 1429. On ajoutait que ladite Pucelle avait été ouïe par le roi et
son conseil, devant lesquels elle s'élait ouverte des choses dont elle était
chargée; qu'elle traitait merveilleusement des manières de faire évacuer
LA CHRONIQUE DE LA PUGELLE. 73
les Anglais du royaume ; et qu'il n'y avait pas chef de guerre qui sût tant
proprement remontrer les maniè)*es de faire la guerre aux ennemis ; ce
dont le roi et son conseil avaient été émerveillés; car, en toutes autres
matières, elle était autant simple qu'une pastourelle. Pour cette mer-
veille, disait-on encore, le roi était venu à Poitiers, amenant la Pucelie,
qu'il avait fait interroger par notables clercs du parlement, et par
docteurs en théologie bien renommés; et, après l'avoir ouïe, ils avaient
affirmé qu'ils la réputaient inspirée de Dieu, et avaient approuvé tout
son fait et ses paroles; c'est pourquoi le roi la tint en plus grande
révérence, manda dès lors des gens de toutes parts, et fit mener à Blois
grandes quantité de vivres et d'artillerie pour secourir la cité d'Orléans;
que la Pucelie avait requis pour conduire le secours qu'il plût au roi
de lui bailler telles gens et en tel nombre qu'elle le requerrait; que ce
n'était ni grand nombre, ni grande puissance, et que, pour son corps, »-\
elle s'était fait administrer un hamois tout entier *. f^ '''^
Alors le roi ordonna que tout ce qu'elle requerrait lui fut baillé ; puis
la Pucelie prit congé du roi pour aller en la cité d'Orléans ; et arrivée à
Blois avec peu de gens, elle y séjourna pendant quelques jours attendant
plus grande compagnie. Pendant son séjour, elle fit faire un étendard
blanc', sur lequel elle fit peindre la représentation du saint Sauveur et
de deux Anges, et elle le fit bénir en l'église Saint-Sauveur de Blois.
Dans cette ville ne tardèrent pas à arriver le maréchal de Sainte -Sévère,
les sires de Rais et de Gaucourt, et grande compagnie de nobles et de
GENS DU COMMUN, qui chargèrent une partie des vivres pour les mener à
Orléans. Ladite Pucelie se mit en leur compagnie ; et elle pensait bien
qu'ils allaient passer devant les bastilles du siège, devers la Beauce ;
mais ils prirent leur chemin par la Sologne; et ainsi elle fut menée à
Orléans, le pénultième jour d'avril, en la même année (1429).
II
Cette Pucelie, séjournant à Blois pour attendre la compagnie qui devait
la mener à Orléans, écrivit, et envoya par un héraut aux chefs de guerre
qui tenaient le siège devant Orléans, une lettre dont la teneur s'ensuit,
et elle est telle ' :
i. Voilà ce que Ton disait à Orléans. Pour rexprimer, Cousinot fils s*est contenté de
transcrire rentrée en matière de la Geste des nobles^ quand elle en vient à la Pucelie.
Par le fait, Cousinot père, étant à Orléans en sa qualité de chancelier, en a parlé
d'après ce qu'il entendait dire autour de lui. '
2. L'étendard fut confectionné à Tours.
3. Jeanne dicta cette lettre, et la dicta telle qu'elle pouvait le faire, connaissant
*;4 LA VRAIE JEANNE D^ARG : LA LIBÉRATRICE.
« Jhesus, Maria.
« Roi d'Angleterre, faites raison au roi du Ciel de son sang royal.
Rendez à la Pucelle les clefs de toutes les bonnes villes que vous avez
forcées. Elle est venue de par Dieu pour réclamer le sang royal ; et elle
est toute prête de faire paix, si vous voulez faire raison, par ainsi que
vous laissiez France*, et payiez de ce que vous l'avez tenue.
(( Roi d'Angleterre, si ainsi ne le faites, je suis chef de guerre ; en
quelque lieu que j'attendrai vos gens en France, s'ils ne veulent obéir,
je les en ferai sortir, qu'ils veuillent ou non, et s'ils veulent obéir, je les
prendrai à merci. Croyez que s'ils ne veulent obéir, la Pucelle vient pour
les occire [faire mourir). Elle vient de par le roi du Ciel, corps pour
corps, vous bouter hors de France, et vous promet et vous certifie la
Pucelle, que si vous ne lui faites raison, elle y fera un si grand hahay
[tumulte, carnage^ cri de douleur)^ que de mille ans, il n'en fût vu si
grand en France. Et croyez fermement que le roi du Ciel lui enverra
plus de force que vous ne sauriez en mener dans tous vos assauts contre
elle et ses bonnes gens d'armes.
« Entre vous, archers, compagnons d'armes, gentils et vaillants*, qui
êtes devant Orléans, allez- vous-en en votre pays, de par Dieu, et, si vous
ne le faites, donnez-vous garde de la Pucelle, et que de vos dommages
il vous souvienne. Ne vous obstinez pas dans votre opinion'; vous ne
tiendrez pas France du roi du Ciel, le Fils de sainte Marie, mais la tiendra
le roi Charles, vrai héritier, à qui Dieu l'a donnée, lequel entrera à Paris
en belle compagnie. Si vous ne croyez les nouvelles de Dieu et de la
Pucelle, en quelque lieu que nous vous trouverons, nous frapperons du
fer dans vos rangs à horions [coups)% et nous verrons lesquels auront
meilleur droit de Dieu ou de vous.
imparfaitement le français. La lettre tut répandue au loin, et nous la trouverons dans
de nombreuses Chroniciues. Le fond et le ton sont identiques, mais il y a quelques
variantes ; elle fut présentée à Jeanne à Rouen ; le texte qu'elle accepta est évidemment
le vrai. La dernière phrase diffère notablement en ce qu'elle promet que le plus beau
fait qui ait encore été accompli, sera fait pour la chrétienté. Elle y invite Bedford. 11
faudra y revenir. En attendant, on remarquera comment Jeanne se donne constam-
ment le nom de la Pucelle et affirme sa mission divine; avec quelle énergie elle parle
du sang royal et des droits que confère à ce sang la volonté du Fils de sainte Marie.
1. Texte : Par ainsi que vous mettiez jus. Ce mot jus qui revient souvent dans les
Chroniques, est opposé à sursum, il signifie en bas, à terre, et mettre ius, laisser de
cùté. (Voy. ce mot dans Lacurne de Saime-Palay.)
2. Le mot vilaijiSy hommes du commun, que l'on trouve dans plusieurs textes, nous
semble plus vraisemblable.
3. Ne prenez mie votre opinion, « mie » est une négation, pas, jamais,
4. Nous ferrons dedans à horions, (Voir le texte pur aux Pièces justificatives.)
LA GHRI^IQUE DE LA PUGELLE. 75
« Guillaume de la Poule, comte de Suffort ; Jean, sire de Talbort, et
Thomas, sire de Scales, lieutenant du duc de Bedford, soi-disant régent
du royaume de France pour le roi d'Angleterre, faites réponse si vous
voulez faire paix à la cité d'Orléans. Si ainsi ne le faites, de vos dommages
qu'il vous souvienne brièvement {ii vous souviendra prochainement),
« Duc de Bedford, qui vous dites régent de France pour le roi
d'Angleterre, la Pucelle vous prie et vous requiert que vous ne vous
fassiez pas détruire. Si vous ne lui faites raison, elle fera que les Français
feront le plus beau fait qui oncques fut fait en la chrétienté.
»
« Ecrit le mardi de la grande semaine. Entendez les nouvelles de
Dieu et de la Pucelle.
« Au duc de Bedford qui se dit régent [gouveimant) le royaume de
France pour le roi d'Angleterre. »
Lesdites lettres envoyées par la Pucelle aux Anglais, il fut conclu
qu'on irait à Orléans mener des vivres ; et en ladite ville de Blois furent
chargés de grains plusieurs chariots, charrettes et chevaux; et on y
assembla foison de bétail, bœufs, vaches, brebis et pourceaux; et il fut
conclu par les capitaines qui devaient les conduire, comme aussi par le
bâtard d'Orléans, qu'on irait par la Sologne, la plus grande puissance
des Anglais se trouvant du côté de la Beauce. Ladite Jeanne ordonna
à tous les gens de guerre de se confesser, et de se mettre en état d'être en
la grâce de Dieu; elle leur fît ôter leurs fillettes et laisser tout bagage de
péché; puis ils se mirent tous en chemin en tirant vers Orléans. Ils
couchèrent une nuit en route en pleins champs. Quand les Anglais
surent la venue de ladite Pucelle et des gens de guerre, ils désempa-
rèrent une bastide qu'ils avaient faite en un lieu nommé Saint-Jean-le-
Blanc ; et ceux qui étaient dedans se retirèrent en une autre bastide qu'ils
avaient faite aux Augustins, près du bout du pont, et ladite Pucelle et
ses gens vinrent avec les vivres vers la ville d'Orléans, au-dessus de la
dite bastide, à l'endroit dudit lieu Saint-Jcan-le-Blanc *.
Ceux de la ville, aussitôt et incontinent, préparèrent et équipèrent des
bateaux pour venir quérir tous lesdits vivres; mais la chose était mal
en point, car le vent était contraire ; or on ne pouvait monter contre le
courant ; car on n'y peut conduire les vaisseaux, sinon à force de voiles.
Ce fut dit à Jeanne qui répondit : « Attendez un petit peu ^ car^ en nom
Dieu^ tout entrera en la ville », et soudainement le vent se changea, en
sorte que les vaisseaux arrivèrent très aisément et légèrement là où était
ladite Jeanne.
i. Celte assertion sera discutée dans un autre volume.
76 LA VRAIE JEANNE D*ARG : LA.ilBÉRATRIGE.
Sur CCS bateaux étaient le bâtard d'Orléans, et quelques bourgeois de
la ville, très désireux de voir ladite Jeanne ; ils la prièrent et la requirent
de par la ville et de par les gens de guerre qui s'y trouvaient, de vouloir
bien venir et y entrer, disant que ce serait un grand réconfort pour tous
s'il lui plaisait d'y venir. Elle demanda alors audit Bâtard : « Êtes-vous
le bâtard cTOrléans'i — Oui, Jeanne. » Après elle luî dit : « Qui vous a
conseillé de nous faire venir par la Sologne^ et pourquoi pas par la Beauce,
tout auprès de la grande puissance des Anglais? Les vivres fussent entrés^
sans les faire passer par la rivière. » Le Bâtard, pour s'excuser, répondit
que tel avait été l'avis de tous les capitaines, vu la puissance des Anglais
du côté de la Beauce. A quoi elle répliqua : « Le conseil de Messire
(c'est à savoir de Dieu) est meilleur que le vôtre et que celui des hommes;
il est plus sîir et plus sage. Vous avez pensé me décevoir ; mais vous votis
êtes déçus vous-mêmes; car je vous amène le meilleur secours qu'eut jamais
chevalier^ ville ou cité ; c'est le plaisir de Dieu et le secours du roi des
deux; non assurément pour l'amour de moi^ mais cela procède purement
de Dieu, lequel à la requête de saint Louis et de saint Charles le Grand
a eu pitié de la ville cT Orléans^ et n'a pas voulu souffrir que les ennemis
eussent le corps du duc d'Orléans et sa ville. Pour ce qui est d'entrer en
ville ^ il me ferait mal de laisser mes gens^ et je ne le dois pas faire. Ils sont
bien confessés^ et en leur compagnie^ je ne craindrais pas toute la puissance
des Anglais ». Alors les capitaines lui dirent : « Jeanne, allez-y sûrement ;
car nous vous promettons de retourner bien brief vers vous ». Sur ce,
elle consentit d'entrer dans la ville avec ceux qui devaient l'accompagner^
et elle y entra. Elle fut reçue à grande joie, et logée en l'hôtel du
trésorier du duc d'Orléans, Jacques Boucher, où elle se fit désarmer. Et
c'est la vérité que, depuis le matin jusqu'au soir, elle avait chevauché
tout armée, sans descendre, sans boire ni manger. On lui avait apprêté
à souper, bien et honorablement; mais elle fit seulement verser du vin
dans une tasse d'argent, où elle mit la moitié d'eau, et cinq ou six
trempes de pain dedans qu'elle mangea, et de tout le jour ne prit ni
autre manger, ni autre boire ; puis elle s'en alla coucher en la chambre
qui lui avait été préparée ; et avec elle étaient la femme et la fille dudit
trésorier, laquelle fille coucha avec ladite Jeanne. Ainsi s'envint laPucelle
en la ville d'Orléans, le pénultième jour d'avril, l'an mil quatre cent
vingt-neuf.
Elle sut bientôt que les chefs des assiégeants ne faisaient aucun
compte de ses lettres ni de leur contenu, mais qu'ils réputaient tous
ceux qui croyaient et ajoutaient foi à ses paroles comme hérétiques en
la sainte foi ; aussi avaient-ils fait arrêter les hérauts de la Pucelle, et ils
voulaient les faire brûler. Cette prise venue à la connaissance du bâtard
LA CHRONIQUE DE LA PUCELLE. 77
d'Orléans, pour lors à Orléans, il manda aux Anglais par son héraut,
qu'ils eussent à lui renvoyer les hérauts de Jeanne, leur faisant savoir
que s'ils les faisaient mourir, il ferait mourir de pareille mort leurs
hérauts qui étaient venus à Orléans pour le fait des prisonniers ; lesquels
il fit arrêter; il ajoutait qu'il en ferait autant des prisonniers anglais,
qui pour lors se trouvaient en bien grand nombre. Et tantôt après les
hérauts furent rendus.
Toutefois quelques-uns disent que, quand la Pucelle sut qu'on avait
retenu les hérauts, elle et le bâtard d'Orléans envoyèrent dire aux Anglais
de les renvoyer, et ladite Jeanne disait toujours : « En nom Dieii^ ils ne
leur feront aucun mal » ; mais lesdits Anglais en envoyèrent seulement
un, auquel elle demanda : « Que dit Talbot? », et le héraut répondit que
Talbot et tous les autres Anglais disaient d'elle tous les maux qu'ils
pouvaient en Tinjuriant, et que s'ils la tenaient, ils la feraient brûler :
« Or, fen retourne^ lui dit-elle, et ne fais de doute que tu amèneras ton
compagnon; et dis à Talbot que s'il s arme, je m'armerai aussi, et que s'il
se trouve en place devant la ville, et s'il peut me prendre, qu'il me fasse
brûler; et si je le déconfis, qu'il fasse lever le siège, et que lui et les siens
s'en aillent en leur pays. » Le héraut y alla et ramena son compagnon.
Et avant que la Pucelle arrivât, deux cents Anglais chassaient dans
les escarmouches cinq cents Français, et après sa venue deux cents
Français chassaient quatre cents Anglais ; et s'en accrut fort le courage
des Français.
Quand les vivres furent mis es vaisseaux ou bateaux, et que Jeanne
y fut montée, le maréchal de Rais, le seigneur de Loré et d'autres s'en
retournèrent audit lieu de Blois, et là ils trouvèrent l'archevêque de
Reims, chancelier de France, et ils tinrent conseil sur ce qu'on avait à
faire. Quelques-uns étaient d'avis que chacun s'en retournât en sa gar-
nison ; mais ils finirent par être tous d'opinion qu'ils devaient retourner
audit lieu d'Orléans, pour en aider et conforter les habitants au bien du
roi et de la ville. Ainsi qu'ils délibéraient, vinrent des nouvelles du bâtard
d'Orléans qui leur faisait savoir que s'ils désemparaient et s'en allaient,
la cité était en voie de perdition ; et dès lors il fut conclu de l'avis de
presque tous, de retourner et de mener de nouveau des vivres à puissance*,
et qu'on irait par la Beauce, où était la force des Anglais, en la grande
bastide qu'on nommait Londres ; quoique à l'autre fois ils fussent venus
par la Sologne ; et toutefois ils étaient trois fois plus de gens qu'il n'y
en avait à venir par la Beauce. Ils firent provision de grande abondance
de vivres soit en grains, soit en bétail, et ils partirent le troisième jour
1. A puissance, ce mot, très fréquent dans les Chroniaues. peut signifier « de vive
force », « une troupe nombreuse ».
78 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
de mai ; ils couchèrent la nuit en un village qui est comme à mi-chemin
entre Blois et Orléans, et le lendemain ils prirent leur chemin vers ladite
ville.
Le troisième jour de mai, vinrent aussi à Orléans les garnisons de
Montargis, Gien, Château-Renard, du pays du Gàtinais et de Châteaudun,
avec grand nombre de gens de pied, pourvus de traits et de guisafmes.
Et le même jour, au soir, vinrent des nouvelles que le maréchal de
Sainte-Sévère, le sire de Rais, Mgr de Bueil et La Hire, arrivaient
de Blois par la Beauce. On soupçonnait les Anglais de vouloir aller à
leur rencontre; c'est pourquoi le mercredi matin, veille de TAscension,
quatrième jour de mai 1429, partirent d'Orléans, de très bon matin, le
Bâtard et la Pucelle en armes, en grande compagnie de gens d'armes et
de gens de traits, et à étendard déployé. Ils allèrent au-devant des vivres
qu'ils rencontrèrent ; et ils passèrent ainsi devant les Anglais qui
n'osèrent sortir de leurs bastides ; et après les avoir passés ils entrèrent
dans la ville environ prime [entre sept et huit heures).
III
Ce môme jour, sur le midi, quelques nobles sortirent d'Orléans avec
un grand nombre de gens de trait et d'hommes du peuple, et ils livrèrent
un fier et merveilleux assaut contre les Anglais qui tenaient la bastide
Saint-Loup, bastide bien défendable et bien fortifiée, le sire de Talbot
l'ayant grandement approvisionnée de gens, de vivres et de munitions de
guerre. Les Français furent très maltraités en cet assaut, auquel vint
très hâtivement la Pucelle, en armes, et étendard déployé; ce qui fit
reprendre l'assaut avec plus d'acharnement.
La Pucelle n'avait rien su de la sortie des gens de guerre hors de la
ville, et il n'en était pas nouvelles en son hôtel ni en son quartier; elle
s'était mise à dormir, et il n'y avait audit hôtel que son page et la dame
de céans, qui s'ébattaient à la porte. Soudainement elle s'éveilla, se leva,
et commença à appeler ses gens. Alors vint la dame, et avec elle le page
auquel elle dit : « Va quérir mo?i cheval. En nom Dieu, les gens de la
ville ont a/faire devant une bastide, et il y en a de blessés, » Elle demanda
qu'on se hâtât de l'armer, et on lui donna de quoi s'armer. Et quand elle
fut prête, elle monta à cheval et courut sur le pavé, tellement que le feu
en jaillissait ; elle alla aussi droit que si elle avait su le chemin par avant ;
et toutefois jamais elle ne l'avait parcouru. Jeanne a dit depuis que sa
voix l'avait éveillée et lui avait enseigné le chemin, et que Messire le lui
avait fait savoir.
LA CHRONIQUE DE U PUGELLE. 79
Depuis sa venue sur les lieux, aucun Anglais ne put y blesser un
Français ; mais bien les Français conquirent sur eux la bastide ; les Anglais
se retirèrent au clocher, et les Français recommencèrent Tassant qui dura
longuement. Pendant ce temps, Talbot fit sortir les Anglais en force des
autres bastides pour secourir ses gens; mais, àla même heure, étaient sortis
d'Orléans tous les chefs de guerre, avec tous leurs hommes, qui se mirent
aux champs, ordonnés en bataille entre la bastille assaillie et les autres
bastides ennemies, attendant les Anglais pour les combattre. Le sire de
Talbot, ce voyant, fit rentrer ses Anglais au dedans de leurs bastides,
délaissant en abandon les Anglais de la bastide Saint-Loup, qui furent
conquis de vive force, environ Theure des vêpres.
Il y eut audit clocher des Anglais qui prirent des vêtements de prêtre
OU de gens d'Eglise ; on voulut les tuer, mais Jeanne les préserva, en
disant qu'on devait ne rien demander aux gens d'Eglise, et elle les fit
amener à Orléans.
Les morts pour les Anglais furent nombres huit- vingts hommes ( /tf(?) ;
la bastide fut brûlée et démolie ; les Français y conquirent une très grande
quantité de vivres et d'autres biens. Par après, la Pucelle, les grands
seigneurs, et leurs hommes rentrèrent à Orléans ; sur-le-champ furent
rendues grâces et louanges à Dieu dans toutes les églises par hymnes et
dévotes oraisons, au son des cloches, que les Anglais pouvaient bien ouïr,
lesquels, par ce coup, furent fort abaissés de puissance et aussi de courage.
IV
La Pucelle désirait ardemment faire lever entièrement le siège aux
Anglais ; et, pour ce, elle requit les chefs de guerre de sortir avec toutes
leurs forces, le jour de l'Ascension, afin d'assaillir la bastide Saint-
Laurent, oîi se trouvaient les plus grands chefs de guerre avec les meil-
leures forces des Anglais ; elle ne faisait, nonobstant, le moindre doute
qu'elle ne dût les vaincre, et se tenait sûre de les avoir; elle disait ouver-
tement que l'heure était venue ; mais les chefs ne furent point d'accord
de sortir et de combattre ce jour, pour la révérence de la fête * ; et, d'autre
part, leur avis fut qu'il fallait premièrement s'efforcer de conquérir les
boulevards et les bastides du côté de la Sologne, ainsi que le pont, pour
que la ville pût recevoir des vivres du Berry et des autres pays. Ainsi la
chose prit délai cette journée à la grande déplaisance de la Pucelle, qui se
TWT MAL CONTENTE DES CHEFS ET DES CAPITAINES DE GUERRE.
i. D*autres disent que la Pucelle ne voulut pas combattre par révérence pour la fête.
80 LA VRAIE JEANNE D'ARG : LA LIBÉRATRICE.
La Pucelle avait grand désir de sommer par elle-même ceux qui étaient
en la bastille du bout du pont et des Tournelles où était Glacidas, car on
pouvait leur parler de l'extrémité de la partie du pont occupée par les
assiégés; aussi y fut-elle menée. Quand les Anglais surent qu'elle y était,
ils vinrent en leur lieu de garde, et elle leur dit que le plaisir de Dieu
était qu'ils s'en allassent; sans quoi ils s'en trouveraient mal. Alors ils
commencèrent à se moquer d'elle, et à l'injurier, ainsi que bon leur
sembla; ce dont elle ne fut pas contente, mais son courage s'en accrut;
et elle arrêta d'aller le lendemain les visiter.
L'an mil quatre cent vingt-neuf, le vendredi, sixième jour de mai, les
Français passèrent la Loire en grande puissance, à la vue de Glacidas qui
fit aussitôt désemparer et brûler la bastide de Saint-Jean-le-Blanc, et fit
retirer ses Anglais avec leur attirail de guerre en la bastide des Augustins,
au boulevard et aux Tournelles. La Pucelle marcha en avant avec ses
gens de pied, tenant sa voie droit au Portereau. Et à cette heure tous
ses gens n'étaient pas encore passés, mais une grande partie se trouvait
dans une île, retenus par la pénurie des bateaux pour le passage. Néan-
moins la Pucelle s'avança tant qu'elle approcha du boulevard, et elle y
planta son étendard, suivie seulement d'une poignée de ses gens; mais à
cette heure un grand cri fit connaître que les Anglais venaient avec de
grandes forces du côté de Saint-Privé; à ce cri, les gens qui étaient avec
la Pucelle furent épouvantés et se prirent à reculer vers le passage de la
Loire. La Pucelle en fut en grande douleur, mais elle fut contrainte de
se retirer avec une petite suite.
Les Anglais poussèrent alors de grandes huées à l'adresse des Fran-
çais, et saillirent en nombre afin de poursuivre la Pucelle, faisant de
grands cris après elle, et vomissant paroles de diffamation. Tout soudain
elle se tourna vers eux, et quoique ayant peu de gens avec elle, elle leur
fit visage, marcha à leur encontre à grands pas, son étendard déployé.
Les Anglais en furent par la volonté de Dieu si épouvantés qu'ils
prirent laide et honteuse fuite. Les Français se retournèrent alors
et se mirent h leur donner la chasse, les poursuivant jusques à leurs
bastides, où ils se retirèrent à grande hâte. A cette vue, la Pucelle fixa
son étendard devant la bastide des Augustins, sur les fossés du boulevard,
où le sire de Rais vint incontinent la joindre. Le nombre des Français
alla toujours croissant, en sorte qu'ils prirent d'assaut la bastide desdits
Augustins, où en très grande multitude se trouvaient des Anglais qui y
furent tous tués. Il y avait foison de vivres et de richesses, et parce que
les Français se montrèrent trop avides de pillage, la Pucelle y fit mettre
le feu, et tout fut brûlé. Dans cette assaut, la Pucelle fut blessée à l'un de ses
pieds par une chausse-trape ; et comme la nuit venait, elle fut ramenée
LA CHRONIQUE DE LA PUGELLE. 8»
ù Orléans, laissant grand nombre de gens au siège devant le boulevard
et les Toumelles.
Cette nuit, les Anglais qui étaient dans le boulevard de Saint-Privé, en
partirent après y avoir mis le feu; ils passèrent la Loire sur des bateaux
et ils se retirèrent en la bastide Saint-Laurent.
La Pucelle fut cette nuit en grande anxiété dans la crainte que les
Anglais ne vinssent à se jeter sur ses gens qui étaient devant les Tour-
nelles. C'est pourquoi le samedi, septième jour de mai, environ le
soleil devant, d'ACCORD et d'entente avec les bourgeois d'Orléans, mais
CONTRE le sentiment ET LA VOLONTÉ DE TOUS LES CHEFS ET CAPITAINES QUI SE
TROUVAIENT LA DE PAR LE ROI, LA PUCELLE PARTIT DE FORCE ET PASSA LA LoiRE *.
Comme elle s'apprêtait à partir, on présenta une alose à Jacques Boucher,
son hôte, qui lui dit : « Jeanne, mangeons cette alose avant que vous partiez.
— En nom Dieu, répondit-elle, on n'en mangera pas jusqu'au souper, que
nous repasserons par-dessus le pont, et que nous ramènerons un goddon
(sobriquet des Anglais) qui en mangera sa part, )>
Les Orléanais donnèrent à la Pucelle des canons, des coulevrincs,
tout ce qui était nécessaire pour assaillir le boulevard et les Tournelles;
ils lui fournirent des vivres; et des bourgeois vinrent avec elle pour
l'attaque du côté de la Sologne ; et pour assaillir les mêmes Toumelles
du côté de la ville ; ils établirent sur la partie du pont dont ils étaient
restés les maîtres, un grand nombi*e de gens d'armes et d'hommes de
trait, avec tous les appareils qu'ils avaient faits pour passer les arches
rompues et assaillir les Toumelles.
A cet assaut, Jeanne fut, dès le matin, blessée d'un coup de trait de
gros garriau, qui lui traversa Tépaule d'outre en outre. Elle-même enleva
le fer, et fit mettre dans la blessure du coton et autres choses pour
étancher le sang; et nonobstant cette blessure, elle n'en continua pas
moins à faire diligence pour faire donner l'assaut. Quand vint le soir, il
sembla au bâtard d'Orléans et aux autres capitaines qu'en ce jour on
n'aurait pas le boulevard, vu qu'il était tard. Ils délibérèrent entre eux
de faire cesser l'assaut et de faire reporter l'artillerie en ville jusqu'au len-
demain ; et ils vinrent faire part à Jeanne de cette décision. Elle répondit
qu'en nom de Dieu ils entreraient bien brief, et qu'ils n'en fissent
i. Texte : Par i' accord el consentement des bourgeois d'Orléans, mais contre Vopinion et
la volonté de tous les chefs et capitaines qui se trouvoient là de par le roy, la Pucelle se-
parHt à tout son effort, et passa Loire.
m. 6
82 LA VRAIE JEANNE D^ARG I LA LIBÉRATRICE.
doute. Néanmoins le combat continuait toujours. La Pucelle demanda
alors son cheval, monta dessus et laissa son étendard ; et elle alla en un
lieu détourné et fit son oraison à Dieu ; elle ne demeura guère qu elle ne
retournât, et descendit de cheval ; elle prit son étendard et dit à un gen-
tilhomme qui était près d'elle : k Dormez-vous de garde quand la queue
de mon étendard touchera cont7*e le boulevard. » Le gentilhomme lui dit un
peu après : « Jeanne, la queue y touche. » Alors elle dit: « Tout est vétre^
et entrez-y ! »
Les Anglais furent assaillis très âprement des deux côtés ; car ceux du
côté d'Orléans faisaient merveille, faisant jouer canons, coulevrines,
grosses arbalètes et autres traits. L'assaut fut fier et merveilleux, plus
que jamais on n'en eût vu de mémoire des vivants. C'est quand ils en
aperçurent les manières, que les chefs qui étaient dedans Orléans vinrent
y prendre part. Les Anglais se défendirent vaillamment; ils jetèrent tant
de projectiles que leurs poudres et leurs traits allaient s'épuisant ; et ils
défendaient le boulevard et les Tournelles de leurs lances, de leurs
guisarmes, avec d'autres armes manuelles, et avec des pierres.
Et il faut savoir que, du côté de la ville, on trouvait fort malaisément
la manière d'avoir une pièce de bois pour traverser l'arche du pont
rompue, et de faire la chose si secrètement que les Anglais ne s'en aper-
çussent pas. D'aventure on trouva une vieille et large gouttière; mais il
s'en fallait bien trois pieds qu'elle fût assez longue; un charpentier finit
par y mettre un prolongement avec de fortes chevilles ; il descendit en
bas pour l'étayer, et fit ce qu'il put pour la consolider. Le commandeur
de Giresmes et plusieurs hommes d'armes y passèrent; passage regardé
comme chose impossible, ou tout a\i moins très difficile, et l'on conti-
nuait toujours à le rendre moins périlleux.
La Pucelle, de son côté, fit par ses gens dresser dans le fossé du bou-
levard des échelles contre-mont; elle renforça de plus en plus l'assaut qui
dura depuis prime jusques à six heures après-midi. Par suite les Anglais
reçurent tant de décharges de coulevrines et d'autres traits, qu'ils n'osaient
plus se montrer à leurs défenses; et ils étaient assaillis de Tautre côté des
Tournelles, au dedans desquelles les Français mirent le feu. Enfin les
Anglais furent tant oppressés de toutes parts, tant blessés, qu'ils n'oppo-
sèrent plus de défense. A cette heure Glacidas et les autres seigneurs
anglais, pour sauver leurs vies, pensèrent à se retirer du boulevard dans
les Tournelles; mais, par jugement de Dieu, le pont-levis rompit sous eux,
et ils se noyèrent dans la rivière de Loire. Les Français entrèrent alors
de toutes parts dans le boulevard et dans les Tournelles, qui furent
conquises à la vue du comte de SufTolk, du seigneur de Talbot, et des
autres chefs de guerre, sans qu'on les vit apporter, ni même faire
LA CHRONIQUE DE LA PUGELLE. 83
semblant d'apporter quelque secours. Il y eut grand nombre de morts
parmi les Anglais; car de cinq cents chevaliers et écuyers, réputés les plus
preux et les plus hardis du royaume d'Angleterre, qui étaient là avec
d'autres faux Français sous les ordres de Glacidas^ environ deux cents
seulement furent retenus en vie et prisonniers. En cette journée mou-
rurent Glacidas, les seigneurs de Poning et de Molyns et autres nobles
d'Angleterre.
Plusieurs des plus grands capitaines français nous dirent et nous
affirmèrent que, lorsque Jeanne eut dit les paroles déjà rapportées, ils
montèrent le boulevard à contre-mont, comme s*il y avait eu des degrés;
et ils ne savaient voir comment cela se pouvait faire ainsi, sinon par
œuvre divine.
Après une tant glorieuse victoire, les cloches furent sonnées par man-
dement de la Pucelle qui, cette nuit, retourna à Orléans par le pont; et
grâces et louanges furent en grande solennité rendues à Dieu, dans toutes
les églises d'Orléans.
La Pucelle, comme il a été dit, avait été percée d'un trait à l'assaut.
Avant que cela advint, elle avait annoncé qu'elle en serait percée jusqu'au
sang; mais elle vint bientôt à convalescence. Aussi, après son arrivée,
fut-elle diligemment appareillée, désarmée et très bien pansée. Elle ne
voulut qu'un peu de vin dans une tasse, où elle mit la moitié d'eau, et
elle alla se coucher et reposer.
Il est à noter qu'avant de partir, elle ouït la messe, se confessa, et
reçut en très grande dévotion le précieux corps de Jésus-Christ; aussi se
confessait-elle, et le recevait-elle tkès souvent. Elle se confessa à plu-
sieurs gens de grande dévotion, et de vie austère, qui disaient ouverte-
ment que c'était une créature de Dieu.
VI
Cette déconfiture mit les Anglais en très grande détresse, et ils tinrent
grand conseil durant la nuit. Le dimanche, huitième jour de mai mil
quatre-cent- vingt-neuf, ils sortirent de leurs bastides avec leurs prison-
niers et tout ce qu'ils pouvaient emporter, mettant à l'abandon tous leurs
malades, tant les prisonniers que les autres, laissant leurs bombardes,
canons, artilleries, poudres, pavois, engins de guerre, tous leurs vivres
et biens; et ils s'en allèrent en belle ordonnance, étendards déployés,
tout le long du chemin d'Orléans à Meung-sur-Loire. Les chefs de guerre
d'Orléans firent ouvrir les portes vers le soleil levant, et ils en sortirent à
pied et à cheval, avec de grandes forces, dans l'intention de courir sur
84 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
les Anglais ; mais alors survint la Pucelle qui les détourna de la poursuite,
et voulut qu'on les laissât libres de partir sans les assaillir ce jour-là, à
moins qu'ils ne se retournassent contre les Français pour les combattre;
mais ils tournèrent le dos en bon ordre (doubtablement) ; quelques-uns
jetèrent leurs harnois dans les champs, et ils se retirèrent, partie à Meung,
partie à Jai^eau. Par cette levée du siège, les Anglais perdirent beaucoup
de leur puissance, et ils se retirèrent tant en Normandie comme autre part.
Après ledit désemparement, les Anglais étant encore en vue, la Pucelle
fit venir aux champs les prêtres vêtus de leurs ornements, qui chantèrent
à grande solennité des hymnes, des répons, et de dévotes oraisons,
rendant grâces et louanges à Dieu. Elle fit apporter une table et un marbre,
et dire deux messes. Quand elles furent dites, elle demanda : « Or, regardez
s'ils ont les visages ou le dos tourné vers nous? » On lui dit qu'ils s'en allaient
et avaient le dos tourné. A quoi elle répliqua : « Laissez-les aller; il neplatt
pas à Messire qu'on les combatte aujourd'hui; vous les aurez une autre fois. »
EUeétait seulement armée d'unjesseran, àcausedela blessure de la veille.
Cela fait, les habitants d'Orléans se dispersèrent, entrant dans les
bastides où ils trouvèrent largement vivres et autres biens; puis sur
l'ordre des seigneurs et des capitaines, toutes les bastides furent jetées
par terre; et leurs canons et bombardes retirés à Orléans. Les Anglais se
cantonnèrent en plusieurs places par eux conquises, le comte de Suffolk
à Jargeau, et les seigneurs de Scales, Talbot et autres chefs de guerre de
leur parti, soit à Meung, soit à Baugency, ou en d'autres places, dont ils
étaient les maîtres.
Ils se hâtèrent de mander ces choses au régent, le duc Jean de Bedford,
qui en fut très affligé et craignit qu'à la suite de cette déconfiture
quelques Parisiens ne voulussent se réduire en l'obéissance du roi, et k
cet effet faire émouvoir le peuple contre les Anglais; il partit de Paris en
très grande hâte et se retira au bois de Vincennes, où il manda des gens
de toutes parts, mais il en vint peu ; car les Picards et les autres
provinces du royaume, qui tenaient à son parti, se prirent à délaisser les
Anglais, à les haïr et à les mépriser.
Ainsi que les Anglais s'en allaient, Etienne de Vignoles, dit LaHire, et
messire Ambroise de Loré, accompagnés de cent à six-vingts lances,
montèrent à cheval, et les chevauchèrent en les côtoyant, bien trois
grosses lieues, pour voir et observer leur maintien; et puis ils s'en retour-
nèrent à Orléans.
Les Anglais tenaient prisonnier en leur bastille un capitaine français
nommé Le Bourg de Bar, qui était enferré par les pieds d'une grosse et
pesante chaîne, tellement qu'il ne pouvait aller ; et il était souvent visité
par un Augustin, moine anglais, confesseur de Talbot, le maître dudit
LA CHRONIQUE DE LA PUCELLE. 85
prisonnier. Ledit Augustin avait coutume de lui donner à manger, et
Talbot se fiait sur lui de le bien garder prisonnier, espérant d'en avoir
grosse finance, ou par échange la délivrance d'autres prisonniers. Donc
quand ledit Augustin vit les Anglais se retirer ainsi hâtivement, il
demeura avec son prisonnier, résolu de le mener à la suite de Talbot son
maître; et de fait il le mena par-dessous le bras, bien un demi-trait d'arc;
mais ils n'eussent pu jamais atteindre les Anglais. Le Bourg, voyant les
Anglais s'en aller en désarroi, connut bien qu'ils avaient eu du pire; il
prit donc TAugustin à bons poings, et lui dit qu'il n'irait pas plus avant,
et que s'il ne le portait pas jusqu'à Orléans, il lui ferait ou lui ferait faire
déplaisir. Aussi, quoique il y eût toujours des Français et des Anglais qui
se livraient à des escarmouches, l'Auguslin porta son prisonnier sur ses
épaules jusqu'à Orléans, et par cet Augustin l'on sut plusieurs choses de
ce qui se passait parmi les Anglais.
CHAPITRE III
LA CAMPAGNE DE LA LOIRE.
Sommaire : l. — La Pucelle, de retour auprès du roi, repart avec le duc d'Alençon pour
nettoyer la Loire. — Prise de Jargeau et suites de la victoire. — Comment elle
presse le roi de se faire sacrer, et triomphe des oppositions de la cour. — Sa prière
aux voix et leur réponse. — Détails plus étendus sur la prise de Jargeau. — Les
assiégeants, le siège. — D'Alençon préservé de la mort par un avertissement de la
Pucelle. — Un coup de Jean le Canonnier. — Une grosse pierre sur la tète de la
Pucelle, signe de la lin de la résistance. — Prise de SufTolk. — Prisonniers massa-
crés et pourquoi? — Joie du roi, actions de grâces.
IL — L'armée de la Pucelle renforcée. — Talbot quitte Baugency et va au-devant de
Fastolf. — L'armée française quitte Orléans, s'empare du pont de Meung, et va
assiéger Baugency. — Arrivée du Connétable en disgrâce. — 11 supplie la Pucelle
de lui obtenir son pardon; elle le promet sur la garantie écrite que les seigneurs
donnent de sa fidélité. — Capitulation de Baugency.
lU. — Les Anglais, qui avaient attaqué le pont de Meung, abandonnent la ville à la
suite de la reddition de Baugency.
IV. — Les Français les poursuivent. — Prédiction par la Pucelle d'une victoire écla-
tante. — Réalisation. — Janville recouvré.
V. — Retour triomphal à Orléans. — Le roi vainement attendu. — La grâce de Riche-
mont refusée. — Le siège de Marcheneir. — Le roi à Gien.
I
La Pucelle ne pouvant à cette heure, par défaut de vivres et de paye-
menty entretenir Tarmée, partit le mardi dixième jour de mai, accom-
86 LA VRAIE JEANNE D*ARG : LA LIBÉRATRICE.
pagnée de hauts seigneurs. Elle s'en alla par devers le roi, qui la reçut
avec de grands honneurs, et tint à Tours plusieurs conseils, après lesquels
il manda ses nobles de toutes parts.
Il donna la charge de nettoyer la Loire au duc d'Alençon, qui voulut
avoir la Pucelle en sa compagnie. Ils vinrent avec de puissantes forces
devant Jargeau, où était le duc de Suffolk avec de forts détachements
d'Anglais qui avaient fortifié le pont. Les Français mirent là le siège de
toutes parts, le samedi, jour de la Saint-Barnabe, onzième jour du mois
de juin, et en peu d'heures la ville fut fort endommagée par les canons et
les coulevrines. Le dimanche suivant, douzième jour du même mois, la
ville et le pont furent pris d'assaut ; Alexandre de La Poule y fut tué avec un
grand nombre d'Anglais. Furent faits prisonniers Guillaume de La Poule,
comte de Suffolk, et Jean de La Poule son frère. Les pertes des Anglais furent
évaluées à environ cinq cents combattants, la plupart tués ; car les milices
urbaines massacraient entre les mains des gentilshommes tous les pri-
sonniers anglais qu'ils avaient pris à rançon ; ce qui nécessita de mener
de nuit et par eau à Orléans le comte de Suffolk, son frère, et d'autres
grands seigneurs anglais, afin de leur sauver la vie. La ville et l'église
furent entièrement pillées; c'est qu'elles étaient pleines de biens. Cette
nuit rentrèrent à Orléans le duc d'Alençon, la Pucelle, et les chefs de
guerre avec la chevalerie de l'armée, pour y prendre quelque repos; ils y
furent reçus à très grande joie *.
Quand la Pucelle Jeanne fut devant le roi, elle s'agenouilla, et
l'embrassa aux genoux, en lui disant : « Gentil Dauphin, venez prendre
votre noble sacre à Reims; je suis fort aiguillonnée que vous y alliez; et ne
faites nul doute que vous y recevrez votre digne sacre ». Alors le roi çt
quelques-uns de ceux qui étaient devers lui, sachant et ayant vu les mer-
veilles qu'elle avait faites, par la conduite, le sens, la prudence et dili-
gence qu'elle avait montrés au fait des armes, autant que si elle les eût
suivies toute sa vie, considérant aussi sa belle et honnête façon de vivre,
quoique décidés pour la plupart à aller en Normandie, changèrent d'avis.
Le roi lui-môme, et aussi trois ou quatre des principaux de son entou-
rage, se demandaient s'il ne déplairait pas à Jeanne qu'on l'interrogeât
sur ce que ses voix lui disaient. Elle le comprit et dit : « En nom Dieu,
je sais bien ce que vous pensez; vous voulez que je vous parle de la voix
que j'ai entendue touchant votre sacre; je vous le dirai. Je me suis mise en
1. Ici Coiisiiiot (le Moiitrciiil ne s*est pas donné la peine de fondre son récit avec
celui de son père. Il reprend au retour de Jeanne auprès du roi après la délivrance
d'Orléans, et expose, avec des développements d'ailleura intéressants, ce que son père
avait dit succincleinenl. On remarque, quoique d'une manière moins saillante, ce
même défaut dans le récit de Tassaul des TournollcH, et en d'autres endroits encore.
LA CHRONIQUE DE LA PUCELLE. 87
mon oraison en ma manière accoutumée. Je me complaignais parce qu'on ne
voulait pas me croire de ce que je disais et alors la voix me dit : « Fille *,
« va, va, je serai à ton aide; val » Et quand cette voix ine vient, je suis si
réjouie que merveille. » En disant ces paroles, elle levait les yeux au ciel,
et montrait des signes d'une grande exultation.
Et alors on la laissa avec le duc d'Alençon. Et pour déclarer plus plei-
nement la prise de Jargeau et comment eut lieu Tassant, il faut dire que
lorsque le duc d'Alençon eut délivré ses otages, en versant la rançon con-
sentie pour sa délivrance, et qu'on vit et que Ton constata la conduite de
la Pucelle, le roi, comme il est dit, donna la charge de tout conduire au
duc d'Alençon avec la Pucelle, et il manda des gens le plus diligemment
qu'il put. Les gens accoururent de toutes parts, croyant que ladite
Jeanne venait de par Dieu; et beaucoup plus pour cette cause qu'en vue
d'avoir soldes ou profits du roi.
Là vinrent le bâtard d'Orléans ; le sire de Boussac, maréchal de France,
le sire de Graville, maître des arbalétriers ; le sire de Gulan, amiral de
France; Gaultier de Bursac et autres capitaines, qui allèrent tous avec
lesdits ducs et la Pucelle devant la ville de Jargeau, où était, comme il
est dit, le comte de Suffolk. Pendant qu'on asseyait le siège, il y eut
par divers jours plusieurs âpres escarmouches ; les assiégés étaient
puissants ; il y avait comme de six h sept cents Anglais, tous gens
vaillants.
Cependant on jetait de la ville, où l'on était bien muni, force décharges
de canon, et de veuglaires. Ge que voyant la Pucelle, elle vint au duc
d'Alençon, et lui dit : « Beau duc, ôtez-vous du lieu ou vous êtes, de quelque
manière que ce soit; car vous y seriez en danger d'être atteint par les
canons ». Le duc crut ce conseil, et il n'était pas reculé de deux toises,
qu'un veuglaire fut déchargé de la ville, et enleva net la tête à un gentil-
homme d'Anjou, près dudit seigneur, et au propre lieu où il était
quand la Pucelle lui parla.
Les Français furent environ huit jours ^ devant la ville de Jargeau et la
battirent fort de canons, et l'assaillirent fort âprement. Geux du dedans
se défendaient aussi vaillamment. Entre autres, il y avait un Anglais
robuste, armé de toutes pièces, ayant sur la tête un fort bassinet, qui
faisait merveilles de jeter de grosses pierres et d'abattre gens et échelles ;
et il était au lieu plus aisé à assaillir. Le duc d'Alençon, qui s'en aperçut,
alla à un nommé maître Jean le Ganonnier, et lui montra ledit Anglais.
Ledit Ganonnier ajusta sa coulevrine à l'endroit où il se trouvait et où
1 D'après la déposition de Danois et l'aveu de Jeanne elle-mùme, les voix l'appe-
laient : Fille de Dieu.
2. Deux jours seulement.
88 LA VRAIE J BANNE D'ARG : LA LIBÉRATRICE.
il se découvrait beaucoup ; il le frappa en pleine poitrine, et le fit choir
dans la ville où il mourut.
La Pucelle descendit dans le fossé, son étendard au poing, au lieu où
la défense était plus grande et plus âpre. Elle fut aperçue par quelques
Anglais, dont Tun prit une grosse pierre de faix \ et la lui jeta sur la tète,
tellement que du coup elle fut contrainte de s'asseoir; cependant la pierre,
qui était dure, s'émietta en menues pièces; ce qui fut grande merveille.
Nonobstant, elle se releva assez tôt après, et dit à haute voix aux compa-
gnons français : « Montez hardiment^ et entrez; car vous n'y trouverez
plus aucune résistance ».
Ainsi la ville fut gagnée, comme il a été dit, et le comte de Suffblk se
retira sur le pont ; il y fut poursuivi par un gentilhomme nommé
Guillaume Regnault, auquel le comte demanda : « Es-tu gentilhomme? »
il lui répondit que oui. « Et es-tu chevalier? » et il répondit que non.
Alors le comte le fit chevalier, et se rendit à lui. Semblablement y fut
pris le seigneur de La Poule son frère.
Comme il a été dit, il y eut plusieurs morts, et une multitude de pri-
sonniers que Ton menait à Orléans ; mais le plus grand nombre furent
tués en chemin sous Tombre de quelques débats qui s'émurent entre
Français. La prise de Jargeau fut mandée aussitôt au roi, qui en fut très
joyeux; il en remercia et en regracia Dieu, et il manda très diligemment
des gens de guerre de toutes parts, pour venir se joindre avec le duc
d'Alençon et Jeanne la Pucelle, et d'autres seigneurs et capitaines.
Il
Le duc d'Alençon et la Pucelle séjournèrent à Orléans quelques jours,
durant lesquels vinrent vers eux, avec grande chevalerie, le seigneur
de Rais, le seigneur de Chauvigny, le seigneur de Laval, le seigneur de
Lohéac, son frère, et d'autres grands seigneurs, désireux de servir le roi
<;n son armée. Le roi vint vers ce temps à Sully. D'autre part arrivèrent
ù Blois, avec grande chevalerie, le comte Arthur de Bretagne, conné-
table de France et frère du duc de Bretagne, contre lequel le roi, sur
quelques rapports, avait conçu de la haine et de la malveillance. La
l^ucelle et les chefs de guerre tinrent à Orléans de grands conseils, et
liront faire de grands préparatifs pour mettre le siège devant Meung et
Baugcncy, où stationnèrcut ence temps le sire de Scales et le sire de Talbot
avec grande compagnie d'Anglais. Pour renforcer les garnisons desdites
1 . Pierres de faix^ lûerros que l'on jetait au moyen des balistes, de grosseur comme
\\n fardeau (Voy. Lacirne au mot Faix).
LA CHRONIQUE DE LA PUCELLE. 89
places, les capitaines mandèrent les Anglais qui tenaient La Ferté-
Hubert, et ceux-ci, le commandement reçu, mirent le feu à la basse-cour,
abandonnèrent le château et s*en allèrent à Baugency.
Une nuit, le sire.de Talbot partit de Baugency pour aller au-devant de
messire Jean Fastolf, qui était parti de Paris avec une grande compagnie
d'Anglais et provision de vivres et de traits pour ravitailler et conforter
les forces des Anglais ; mais, ayant appris la nouvelle de la prise de Jargeau,
Fastolf laissa les vivres à Étampes, et vint avec sa compagnie à Janville,
lieu où il trouva le sire de Talbot; là, s'étant abouchés, ils tinrent quelques
conseils *.
Le mercredi, quinzième jour de juin 1429, Jean, duc d'Alençon, lieute-
nant général de Tarmée du roi, accompagné de la Pucelle et de plusieurs
hauts seigneurs, barons et nobles, parmi lesquels Mgr Louis de
Bourbon comte de Vendôme, le sire de Rais, le sire de Laval, le sire
de Lohéac, le vidame de Chartres, le sire de La Tour, et autres seigneurs,
avec grand nombre d'hommes de pied, et grand convoi chargé de vivres
et d'appareils de guerre, partirent d'Orléans pour mettre le siège devant
quelques places anglaises. Tout en tenant leur chemin droit vers Baugency,
ils s'arrêtèrent devant le pont de Meung, que les Anglais avaient fortifié et
fort garni, et aussitôt après leur arrivée, il fut pris par assaut et pourvu de
vaillants défenseurs. Cela fait, les Français ne s'arrêtèrent pas, mais, pen-
sant que les sires de Talbot et de Scales s'étaient retirés, ils allèrent devant
Baugency. Leur venue fit que les Anglais abandonnèrent la ville et se
retirèrent sur le pont et au château. Les Français entrèrent donc dans la
ville, et assiégèrent le pont et le château par devers la Beauce, dressant
et pointant de ce côté canons et bombardes, et battant fort ledit château.
Le comte de Richemont, connétable de France, vint à ce siège avec
grande chevalerie : avec lui étaient le comte de Pardiac ; Jacques de
Dinan, frère du seigneur de Beaumanoir, et d'autres. Le Connétable étant
alors en l'indignation du roi, et à cette cause tenu pour suspect, se
mit en toute humilité devant la Pucelle. Il la supplia que, puisque le roi
lui avait donné puissance de pardonner et de remettre toutes les offenses
commises et perpétrées contre lui et son autorité, et que, à cause de
sinistres rapports, le roi ayant conçu haine et mal talent contre lui, au
point de faire défense par ses lettres qu'aucun accueil, faveur ou passage
lui fussent donnés pour venir en son armée, la Pucelle voulût bien, de sa
grâce, le recevoir à la place du roi au service de la couronne, résolu qu'il
était d'y employer son corps, sa puissance et toute sa seigneurie, toute
offense lui étant pardonnée.
1. Ici encore le défaut de suture entre le texte du chancelier et celui de son fils est
très saillant.
90 LA YRÂIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
En ce moment se trouvaient là le duc d*Aleiiçon et tous les hauts sei-
gneurs de Tarmée, qui firent pareille requête à la Pucelle; elle la leur
octroya, à condition de recevoir en leur présence le serment dudit Conné-
table de loyalement servir le roi, sans jamais faire ni dire chose qui dut
lui tourner à déplaisance. Les seigneurs s'obligèrent à la Pucelle, par
lettres scellées de leurs sceaux, à ce que cette promesse fût tenue ferme,
sans être enfreinte, et à Ty contraindre de par le roi si ledit Connétable
était trouvé infidèle.
11 fut alors ordonné que le Connétable mettrait le siège du côté de la
Sologne, devant le pont de Baugency ; mais le vendredi dix-septième jour
du mois de juin, le bailli d'Évreux, qui défendait Baugency, fit demander à
la Pucelle de traiter; ce qui fut fait et accordé à l'entour de minuit, à la
condition de rendre au roi de France, le lendemain au soleil levant,
entre les mains du duc d'Alençon et de la Pucelle, le pont et le château;
moyennant quoi les Anglais auraient leurs vies sauves, et pourraient fran-
chement s'en aller en pays de leur parti, sans emporter ni mener autre
chose que leurs chevaux et leurs harnais, et de leurs meubles montants,
chacun pour la valeur d'un marc d'argent seulement; et ils ne se devaient
armer qu'après dix jours passés. C'est en cette manière que se retirèrent
les Anglais, au nombre de cinq cents combattants, après avoir rendu le
pontet le château, le samedi dix-huitième jour de juin 1429.
III
En la ville de Meung entrèrent une nuitée les siree de Talbot, de
Scales, et Fastolf, qui n'avaient pu avoir entrée au château de Baugency,
empêchés qu'ils avaient été par le siège. Et, dans la pensée où ils étaient
de le faire lever, ils assaillirent le pont de Meung la nuit même de la
composition de Baugency ; mais le dix-huitième jour de juin, aussitôt
que les Anglais furent partis de Baugency, l'avant-garde des Français
vint devant Meung, et incontinent toutes leurs forces furent rangées en
bataille bien ordonnée. Alors les Anglais cessèrent l'assaut du pont, et
saillirent aux champs avec toute leur armée, et ils se mirent aussi en
ordre de bataille, tant ceux qui étaient à pied que ceux qui étaient à
cheval, mais tout soudainement ils se mirent à se retirer, délaissant avec
Meung leurs vivres et préparatifs de guerre ; et ils prirent leur chemin par
la Beauce du côté de Patay.
LA CHRONIQUE DE LA PUCELLE. 91
IV
Aussitôt partirent à la hâte le duc d'Alcnçon, la Pucelle, le comte de
Vendôme, le connétable de France, le sire de Sainte-Sévère et Boussac,
maréchal, messire Louis de Culan, amiral de France, le sire d'Albret, le
sire de Laval, le sire de Lohéac, le sire de Chauvigny, et d'autres grands
seigneurs qui chevauchèrent ordonnés en bataille. Ils poursuivirent si
âprement les Anglais qu'ils les joignirent près de Patay, au lieu appelé
Coinces.
Le duc d'Alençon dit alors à la Pucelle : « Jeanne, voilà les Anglais en
bataille, combattrons-nous? » Et elle répondit au duc : « Avez-votis vos
éperons? » et le duc de se récrier : « Comment donc, nous faudra-t-il
reculer ou fuir? » et elle dit : « Nenni, en nom Dieu, allez sur eux, car ils
s'enfuiront et ne tiendront pas ; ils seront déconfits^ sans presque pas de
perte de nos gens ; et pour ce faut-il vos éperons pour les poursuivre. »
Et furent ordonnés coureurs en manière d'avant-garde, le seigneur de
Beaumanoir, Poton et La Hire, messires Ambroise de Loré, Thibaud de
Thermes et plusieurs autres. Ils embarrassèrent tant les Anglais que ceux-
ci ne purent plus entendre à se mettre en bataille; tandis que les Français
se jetèrent sur eux en bon ordre, si bien que les Anglais furent déconfits
en peu d'heures ; leurs morts furent nombres sur le champ de bataille,
parles hérauts d'Angleterre, à plus de deux mille deux cents Anglais. Dans
cette bataille, qui fut le dix-huitième jour de juin 1429, furent pris les sei-
gneurs de Talbot et de Scales, messire Thomas Rameston et Hungerford,
ainsi que plusieurs chefs de guerre, et autres nobles du pays d'Angle-
terre, et en tout {tués ou prisonniers) le nombre s'éleva bien à cinq mille
hommes. Et aussitôt commença la chasse des fuyards qui fut poursuivie
jusqu'aux portes de Janville, en laquelle chasse plusieurs Anglais fuient
tués.
Les bonnes gens de Janville fermèrent leurs portes aux Anglais qui
fuyaient, et montèrent sur leurs murailles pour les défendre. Il y avait
alors au château, avec quelques hommes d'armes seulement, un écuyer
anglais, lieutenant du capitaine chargé de le garder. Connaissant la
déconfiture des Anglais, il traita avec les bons habitants de Janville pour
le rendre, en conservant la vie sauve, et en faisant le serment d'être bon
et loyal Français ; ce à quoi les habitants le reçurent. 11 resta en cette
ville grand avoir, laissé à leur départ par les Anglais allant à la bataille,
grande quantité de traits, de canons, et autres engins de guerre, quantité
de vivres el de marchandises ; et ceux de ladite ville se réduisirent aussitôt
en l'obéissance du roi.
92 LA VRAIE JEANiNE D*ARG : LA LIBÉRATRICE.
Après la fuite des Anglais, les Français entrèrent dans Meung et
pillèrent toute la ville. Messire Jean Fastolf s'enfuit jusques à Corbeil, et
d'autres avec lui.
Les Anglais, qui étaient en plusieurs autres places de la Beauce, à
Mont-Pipeau et à Saint-Simon et autres forteresses, à la nouvelle de la
défaite, prirent hâtivement la fuite, après avoir mis le feu aux places
qu'ils occupaient.
Ces glorieuses victoires remportées, ces villes et châteaux recouvrés,
toute Tarmée rentra à Orléans, ce même dix- huitième jour de juin. Elle y
fut reçue à grande joie par les gens d'Eglise, les bourgeois et le commun
peuple, qui en rendirent grâces et louanges à Dieu. Les gens d'Eglise et
les bourgeois d'Orléans pensèrent bien que le roi viendrait dans la ville ;
et pour le recevoir ils firent tendre les rues à ciel, et firent grand appareil
pour honorer sa joyeuse venue ; mais il se tint dedans Sully sans venir à
Orléans; ce dont plusieurs de ceux qui étaient autour de lui ne furent
pas contents.
La chose en demeura là pour cette fois ; ce fut cause que la Pucelle
alla devers le roi, et elle fit tant que, le vingt-deuxième jour de juin, il
vint à Chàteauneuf-sur-Loire, auquel lieu se retirèrent devers lui les sei-
gneurs et les chefs de guerre ; et là furent tenus plusieurs conseils, après
lesquels il retourna à Sully.
La Pucelle revint à Orléans, et fit tirer vers le roi tous les gens
d'armes avec armements, vivres et charrois ; elle partit ensuite elle-même
d'Orléans, ot alla à Gien, où le roi vint avec des troupes; et d'où il manda
par des hérauts aux capitaines et autres qui tenaient les villes et forte-
resses de Bonny, Cosnc et La Charité, de se rendre à son obéissance; ce
dont ils furent refusants.
Le comte de Richemont, connétable de France, séjourna quelques
jours après la bataille de Patay en la ville de Baugency, attendant
réponse du duc d'Alençon, de la Pucelle et des hauts seigneurs qui
s'étaient portés forts d'apaiser le roi et de lui faire pardonner son
mallalenl. A quoi ils ne purent parvenir; le roi ne voulut pas souffrir
qu'il allât devers lui pour le servir; ce dont il fut en grande déplaisance.
Néanmoins ledit Connétable, qui avait grande compagnie de nobles, dans
le désir de nettoyer le pays du duc d'Orléans, voulut mettre le siège
devant Marchenoir, près de Blois, ville garnie de Bourguignons et d'An-
glais. Ces derniers en eurent nouvelles, et, par crainte du siège. Ils
envoyèrent sous sauf-conduit, à Orléans, par devers le duc d'Alençon,
LA CHRONIQUE DE LA PUGELLE. 93
qui par ce temps était là. Lesdits Bourguignons traitèrent si bien qu'on
leur fit pardonner par le roi toutes offenses, et, qu'on leur donna dix
jours de terme pour emporter leurs biens, sous promesse qu'ils seraient
et demeureraient à toujours bons et loyaux Français. Ainsi ils jurèrent,
et ils mirent quelques otages es mains du duc d'Alençon, qui fit tout
savoir au Connétable, lequel se départit du siège ; mais après son par tement^
les Bourguignons dudit Marchenoir firent tant, qu'ils prirent et retinrent
prisonniers quelques-uns des gens du duc d'Alençon, pour recouvrer
leurs otages, et ainsi ils faussèrent leurs serments.
Durant ces choses, le roi était arrivé à Gien, d'où il envoya messire
Louis de Culan, son amiral, devant Bonny, avec grand nombre de gens ; et
le dimanche après la Saint- Jean 1429 {26jtn7i), cette place lui fut rendue
par composition.
CHAPITRE IV
LA CAMPAGNE DU SACRE.
Sommaire : I. — La Pucelle, contre l'avis du conseil, entraîne le roi à prendre le chemin
de Reims. — La reine amenée à Gien, ramenée à Bourges. — Les seigneurs
accourent, attirés par le nom de la Pucelle. — Beau portrait de la guerrière. — Les
pratiques de sa piété. — Le roi gouverné par La Trémoille. — Combien le favori
craint d'être supplanté. — Solde insignifiante donnée aux hommes d'armes. — La
Pucelle devance le roi. — Auxerre achète de La Trémoille une sorte de neutralité.
— Mécontentement de la Pucelle. — Conduite de la Pucelle à son arrivée dans un
village. — Les jalouses précautions de sa pudeur. — Céleste parfum de pureté. —
Les gens de savoir émerveillés de ses réponses.
11. — Départ d'Auxerre. — Soumission de Saint-Florentin. — Arrivée devant Troyes.
— Résistance de la ville. — Disette extrême de l'armée. — Le conseil délibère de
se retirer : raisons. — Avis de Robert le Maçon. — Intervention de la Pucelle, ses
engagements. — Merveilleuse diligence à préparer l'assaut. — Changement soudain
dans les dispositions de la ville. — Soumission au roi et conditions. — Départ de la
garnison ; prisonniers français délivrés par la Pucelle. — Le roi à Troyes.
[[{. — En chemin pour Chàlons. — Réception du roi. — Le roi à Sept-Saulx. — Les
capitaines anglo-bourguignons et les habitants de Reims. — Ambassade envoyée
au roi. — Entrée de l'archevêque le matin. — Entrée du roi le soir.
IV. — Les préparatifs du sacre. — La solennité avec laquelle est apportée la sainte
ampoule. — La cérémonie du sacre. — Attitude de la Pucelle, ses paroles.
1
Cependant la Pucelle était désireuse que le roi, avant que d'employer
sa puissance à recouvrer ses villes et châteaux, se laissât mener tout
94 LA VRAIE JEANNE D^ARC : LA UBÉRATRIGE.
droit à Reims, pour là être couronné et recevoir la sainte onction royale;
ce à quoi plusieurs étaient d'opinion contraire, étant d'avis que le roi
assiégeât premièrement Cosne et La Charité pour nettoyer les pays de
Berry, d'Orléans et du fleuve de la Loire. Il se tint à Gien sur ces choses
de grands conseils, pendant lesquels la reine fut amenée en cette ville,
en espérance d'être menée couronner à Reims avec le roi.
Durant ce séjour, les barons et hauts seigneurs du royaume vinrent
au service du roi, avec grande puissance, et en la fin le roi arrêta en
son conseil de renvoyer la reine à Bourges, et de prendre son chemin
droit à Reims, pour recevoir son sacre, sans mettre aucuns sièges sur la
Loire. La reine retourna donc à Bourges, et le roi partit de Gien, le jour
de Saint-Pierre, au mois de juin 1429, à toute sa puissance, tenant sa
voie droit à Reims. Et cela fut par Tinstigation et instances (pourchas)
de Jeanne la Pucelle, qui disait que c'était la volonté de Dieu qu'il allât
à Reims se faire couronner et sacrer, et qu'encore qu'il fût roi, toutefois
ledit couronnement lui était nécessaire. Plusieurs , et le roi méme^ de ce
faisaient difficulté, vu que la cité de Reims, et toutes les villes et
forteresses de Picardie, Champagne, Ile-de-France, Brie, Gâtinais,
Auxerrois, Bourgogne, et tout le pays d'entre la rivière de la Loire et
la mer était occupé par les Anglais ; cependant le roi finit par s'arrêter
au conseil de la Pucelle, et se mit en devoir de l'exécuter ; il réunit pour
cela son armée à Gien-sur-Loire. Et vinrent en sa compagnie les ducs
d'Alençon, de Bourbon, le comte de Vendôme, ladite Pucelle, le seigneur
de Laval, les sires de Lohéac, de LaTrémoille, de Rais, d'Albret*i
Plusieurs autres seigneurs, capitaines et gens d'armes venaient encore
de toutes parts au service du roi ; et plusieurs gentilshommes n'ayant
pas de quoi s'armer et se monter y allaient comme archers et coutilliers,
montés sur de petits chevaux; car chacun avait grande attente que par
le moyen d'icelle Jeanne, il adviendrait beaucoup de bien au royaume
de France ; aussi désiraient-ils et convoitaient-ils de la servir, et de
connaître ses faits, comme étant une chose venue de la part de Dieu.
Elle chevauchait toujours armée de toutes pièces et équipée en guerre,
autant ou plus que capitaine qui y fut; et quand on parlait de guerre,
ou qu'il fallait mettre gens en ordonnance, il la faisait bel ouïr et voir
faire les diligences; et si on criait quelquefois à l'arme, elle était la plus
diligente et la première, fût-ce à pied, fût-ce à cheval ; et c'était une très
grande admiration aux capitaines et gens de guerre de l'entendement
qu'elle avait en ces choses, vu que dans les autres elle était la plus simple
VILLAGEOISE QUE l'on VÎT JAMAIS. Elle était Irôs dévote, se confessait souvent,
\ . Ici encore Monlreuil recommence le récit de son père.
LA CHRONIQUE DE LA PUCELLE. 95
et recevait le précieux corps de Jésus-Christ, elle était de très belle vie
et honnête conversation ^
En ce temps» le seigneur de La Trémoille était en grand crédit auprès
du roi ; mais il tremblait toujours d'être mis hors du gouvernement, et
il craignait spécialement le Connétable et autres de ses alliés et serviteurs.
Aussi, quoique ledit Connétable eut bien douze cents combattants et
gens de trait, et avec lui d'autres seigneurs qui fussent volontiers venus
au service du roi, ledit de La Trémoille ne le voulut souffrir ; et il n'y
avait personne qui eût osé parler contre icelui de La Trémoille.
Au lieu de Gien-sur-Loire fut fait aux gens de guerre un payement
de trois francs par homme d'armes; ce qui était peu de chose; puis la
Pucelle en partit ayant en sa compagnie plusieurs capitaines d'hommes
d*armes avec leurs gens ; et ils s'en allèrent loger à environ quatre lieues
de Gien, en s'avançant sur le chemin d'Auxerre ; et le roi partit le
lendemain par le même chemin.
Et le jour à\x parlement du roi, tous ses gens se trouvèrent ensemble;
ce qui était une belle compagnie; et il vint avec son armée s'établir
devant la cité d'Auxerre, qui ne lui fit pas pleine obéissance; car les
bourgeois vinrent devers le roi lui faire prière et requête qu'il, voulût
passer outre, en demandant et sollicitant abstinence de guerre; ce qui
leur fut octroyé par le moyen et requête du sire de La Trémoille, qui en
eut deux mille écus; ce pourquoi plusieurs seigneurs et capitaines furent
très mal contents d'icelui de La Trémoille et du conseil du roi, et la
Pucelle elle-même, à laquelle il semblait qu'on s'en fût bien aisément
emparé par assaut. Toutefois ceux de la ville donnèrent et délivrèrent des
vivres aux gens du roi, qui en avaient grande nécessité.
La Pucelle, aussitôt qu'elle venait en un village, avait coutume de
s'en aller à l'église faire ses oraisons, et de faire chanter aux prêtres une
antienne de Notre-Dame. Ses prières et oraisons faites, elle s'en allait
à son logis, qui lui était communément préparé en la plus honnête maison
qu'on pouvait trouver, et où il y avait quelque femme honnête.
Jamais homme ne la vit se baigner ni se purger; elle le faisait toujours
secrètement ; et si le cas advenait qu'elle couchât aux champs, jamais
1. Quoique le texte ait été très légèrement modifié, le voici dans sa teneur : « Elle
chemuchoit tousjours armée de toutes pièces^ et en habillement de guerrey autant ou plus
que capitaine de guerre qui y fust ; et quand on parloit de guerre, ou qu'il falloit mettre
gens en ordonnance, il la faisoit bel ouyr et veoir faire les diligences ; et si on crioit aucunes
fois à Varme, elle estoit la plus diligente et première, fust à pied ou à cheval ; et estoit une
très grande admiration aux capitaines et gens de guerre, de l'entendement qu'elle avoit en
ces choses, veu que en autres elle estoit la plus simple villageoise que on vist oncques. Elle
estoit très dévote, et se confessoit souvent, et recepvoit le précieux corps de Jésus-Christ,
estoit de très belle vie et honneste conversation, » (Vallet de Viriville, p. 312.)
96 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
elle ne se déshabillait. Plusieurs, même des grands seigneurs, voulaient
savoir s'ils pourraient avoir sa compagnie charnelle, et, pour ce, ils
venaient devant elle gentiment vêtus, mais aussitôt qu41s la voyaient
tout leur vouloir coupable cessait. Quand on lui demandait pourquoi
elle était en habits d'homme et chevauchait en armes, elle répondait
que cela lui était ainsi ordonné, que c'était principalement pour mieux
garder ainsi sa chasteté, et aussi que c'eût été chose trop étrange de la
voir chevaucher en habits de femme parmi tant d'hommes d'armes. Et
quand les gens lettrés lui parlaient sur ces matières, elle leur répondait
si bien qu'ils étaient très satisfaits, disant n^avoir aucun doute qu'elle ne
fût venue de par Dieu.
II
Après que le roi se fut arrêté durant trois jours devant la ville d'Auxerre,
il en partit avec son armée, en tirant vers la ville de Saint-Florentin,
dont les habitants lui firent plénière obéissance. Il ne s'y arrêta guère,
mais il s'en vint avec son armée devant la cité de Troyes, qui était grande
et grosse ville. Il y avait dedans de cinq à six cents combattants, Anglais
et Bourguignons, qui sortirent vaillamment à la rencontre du roi ; il y
eut dure et âpre escarmouche, et il y en eut de part et d'autre de couchés
par terre, car les gens du roi les reçurent très bien, en sorte que les
Anglais furent contraints de se retirer derrière les murailles.
Les gens du roi se logèrent de côté et d'autre, au mieux qu'ils purent,
et le roi resta là cinq ou six jours sans que ceux du dedans montrassent
jamais semblant de volonté de se soumettre à son obéissance ; on n'y
pouvait trouver appointement, quoique souvent l'on parlementât.
Il y avait pour lors en l'armée si grande cherté de pain et de vivres
que plus de cinq à six mille personnes avaient passé plus de huit jours
sans manger de pain. L'on vivait d'épis de blé froissés et de fèves nou-
velles, qu'on trouvait très largement. Et l'on disait qu'un Cordelier,
nommé Frère Richard, qui allait prêchant par le pays, était venu en la
ville de Troyes, où, prêchant durant TA vent, il disait tous les jours :
i< Semez des fèves largement, celui qui doit venir viendra bientôt ». Et
il fit tellement qu'on sema des fèves si largement que ce fut merveille ;
ce dont l'armée du roi se nourrit par quelque temps. Et toutefois ledit
PHÊCHEUR NE SONGEAIT POINT A LA VENUE DU ROI.
Les ducs d'Alençon et de Bourbon, le comte de Vendôme et plusieurs
autres seigneurs et gens du conseil, furent par le roi mandés en grand
nombre pour savoir ce qu'il y avait à faire. Et là il fut remontré par
l'archevêque de Reims, chancelier de France, comment le roi était
LA CHRONIQUE DE LA PUCELLE. 97
venu en ce lieu, et que ni lui ni son armée n'y pouvaient demeurer plus
longtemps pour plusieurs causes, qu'il remontra longuement et nota-
blement ; c'est à savoir pour la grande famine qui y régnait, sans que
les vivres arrivassent de nulle part en l'armée, et qu'il n'y avait plus
d'homme qui eût de l'argent. En outre, disait-il, c'était merveilleuse
chose de prendre la ville et cité de Troyes, forte par ses fossés et ses
bonnes murailles, bien garnie de vivres, de gens de guerre et de peuple,
ayant toute apparence de vouloir résister et'de ne pas obéir au roi; il
fallait ajouter qu'on manquait de bombardes, de canons, d'artillerie,
d'appareils de guerre pour battre les remparts et lui faire la guerre;
qu'il n'y avait ni ville ni forteresse française pouvant prùter aide et
secours, plus rapprochée que Gien-sur-Loire; et que de celte ville à
Troyes, il y avait plus de trente lieues. Il allégua encore plusieurs autres
grandes et notables raisons par lesquelles il montrait évidemment qu'il
pouvait en advenir grand inconvénient, si Ton restait longuement là où
l'on était.
Après cela le roi ordonna à son chancelier de demander les sentiments
de tous ceux qui étaient présents, pour savoir ce qu'il y avait de meilleur
à faire. Et le chancelier commença à demander les avis en ordonnant
à chacun de s'acquitter loyalement de son devoir, et de conseiller le
roi sur ce qu'il y avait à faire, après ce qui avait été dit. Presque tous
ceux qui étaient présents furent d'opinion que, vu et considéré les choses
ci-dessus déclarées, après que le roi s'était vu refusé par la ville d'Auxerre
qui n'était pas pourvue de gens d'armes, ni si forte que la ville de Troyes,
et pour plusieurs autres raisons que chacun alléguait selon son enten-
dement et imagination, le roi et son armée devaient s'en retourner, et
que demeurer plus longtemps devant la ville de Troyes, ou aller plus
avant, c'était, autant qu'ils savaient voir ou connaître, toute perdition
pour l'armée. Les autres furent d'avis que le roi allât en avant en tirant
vers Reims.; le pays étant plein de biens, on trouverait assez de quoi
vivre.
Le chancelier en vint à interroger un ancien et notable conseiller,
nommé messire Robert le Maçon, seigneur de Trêves, qui avait été
chancelier, homme sage et prudent. 11 dit qu'il fallait envoyer quérir
Jeanne la Pucelle qui était en l'armée et non pas au conseil; que peut-
être elle dirait quelque chose de profitable au roi et à sa compagnie. Il
dit en outre que lorsque le roi avait entrepris ce voyage, il ne l'avait pas
fait à cause de lagrande puissance des hommes d'armes dont il disposait,
ni pour le grand argent en sa possession afin de les payer, ni parce que
ce voyage lui semblait bien possible; mais qu'il l'avait entrepris unique-
ment sur l'admonestement de Jeanne la Pucelle, qui ne cessait de lui
m. 7
LA CHRONIQUE DE LA PUCELLE. 99
possession de la ville ; qu'il y aurait amnistie générale, et que, pour ce
qui est des gens d'Eglise, il approuverait les régales et collations de
bénéfices provenant du roi son père ; quant à celles qui venaient du roi
d'Angleterre, ils en prendraient de nouvelles lettres du roi, et qu'ils
garderaient leurs bénéfices, quelque collation qui en eût été faite déjà
à d'autres.
Ceux de la ville firent grande fête et grande joie, et ceux de l'armée
eurent des vivres à leur plaisir. Le matin du lendemain, presque toute
la garnison. Anglais et Bourguignons, partirent, se dirigeant là où ils
voulurent aller. Comme ils maintenaient que, d'après le traité, il s pouvaient
emmener leurs prisonniers, de fait ils les emmenaient ; mais Jeanne se tint
à la porte en disant qu'en nom Dieu ils ne les emmèneraient pas, et de
fait elle les garda. Le roi contenta les Anglais et les Bourguignons en
payant les rançons auxquelles les prisonniers avaient été mis.
Le roi entra ensuite dans la ville sur les neuf heures du matin ; mais
Jeanne y était entrée avant lui, et avait ordonné des gens de trait le long
des rues. Avec le roi entrèrent à cheval les seigneurs et les capitaines
bien équipés, bien montés, et il faisait très beau les voir. Le roi mit
en la ville capitaines et officiers, après avoir ordonné au seigneur de
Loré de rester aux champs avec les gens d'armes de l'armée. Le lende-
main tous passèrent par ladite cité en belle ordonnance ; ce dont les
habitants étaient bien joyeux, et ils firent serment au roi d'être bons et
loyaux, et tels ils se sont toujours montrés depuis.
III
La Pucelle pressait le roi le plus diligemment qu'elle pouvait, d'aller
à Reims, et ne faisait nul doute qu'il y serait sacré. Aussi quitta-t-il sa
cité de Troyes, et prit-il son chemin vers Châlons en Champagne avec
toute son armée, la Pucelle à la tête des hommes d'armes, armée de
toutes pièces. On chevaucha si bien que l'on arriva à Châlons. Quand les
habitants de la ville surent la venue du roi, l'évoque et une grande
multitude de peuple avec lui vinrent à sa rencontre, et lui firent pleine
obéissance. Il passa la nuit dans la ville avec son armée, et y établit de
son autorité des capitaines et des autorités, ni plus ni moins qu'il l'avait
fait à Troyes.
De Châlons le roi prit son chemin sur Reims ; et il vint à un château
qui est à l'archevêque de Reims, au lieu nommé Sept-Saulx, à quatre
lieues de la ville. Dans cette cité de Reims étaient les seigneurs de Châ-
tillon-sur-Marne et de Saveuses, tenant le parti des Anglais et des Bour-
100 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
guignons. Sur leur ordre et commandement, les habitants vinrent les
trouver, car Châtillon se disait capitaine de Reims. Les seigneurs leur
demandèrent s'ils avaient la volonté de bien se tenir et de se défendre.
Les habitants demandèrent à leur tour si les hommes d'armes étaient
en assez grand nombre pour les aider à se garder. Ils répondirent que
non, mais que, s'ils pouvaient tenir six semaines, ils leur amèneraient un
grand secours tant du duc de Bedford que du duc de Bourgogne ; et sur
ce ils partirent, du consentement des habitaïits.
Il y avait alors dans la ville quelques hommes de bonne volonté qui
commencèrent à dire qu'il fallait aller vers le roi, et le peuple demanda
qu'on y envoyât. On députa des notables, tant d'Église que d'autres; et,
après plusieurs requêtes qui furent trouvées opportunes, il fut délibéré
et conclu qu'on laisserait entrer le roi et l'archevêque avec tous ceux qui
les suivaient.
Et il est vrai que l'archevôque n'avait point encore fait son entrée
(dans sa ville épiscopale), et il la fit le samedi matin. Après dîner, sur le
soir, le roi entra, lui et ses gens, et Jeanne la Pucelle était fort regardée.
Et là vinrent les ducs de Bar et de Lorraine et le seigneur de Commercy,
bien accompagnés de gens de guerre qui s'offraient à son service*.
IV
Il fut ordonné que le lendemain, qui fut un dimanche, le roi prendrait
et recevrait son digne sacre ; aussi toute la nuit on fit diligence pour que
tout fût prêt au matin; et ce fut un cas bien merveilleux, car on trouva
en ladite cité toutes les choses nécessaires, qui sont grandes ; excepté
qu'on ne pouvait avoir celles qui sont à Saint-Denis en France.
Et parce que Tabbé de Saint-Ilémy n'a pas coutume de bailler la sainte
ampoule, sinon d'après certaines formes et certaines manières, le roi
envoya vers lui le seigneur de Hais, maréchal de France, le seigneur de
Boussac et Sainte-Sévère, aussi maréchal de France, le seigneur de
Graville, maître des arbalétriers, et le seigneur de Culan, amiral de
France, qui firent les serments accoutumés, c'est à savoir de la conduire
sûrement, et aussi de la reconduire jusques en l'abbaye. L'abbé, en grands
habits ecclésiastiques, l'apporta bien solennellement et dévotement sous
un poêle jusqu'à la porte devant Saint-Denis. Là, l'archevêque, pom-
i. C'est une erreur. Les ducs de Bar et de Lorraine étaient alors au siège de Metz
Le duc de Bar, Bené, rejoignit son beau-frère à Provins plus de quinze jours plus tard,
le duc de Lorraine ne rompit jamais avec le parti bourguignon. (Voir la Paysanne et
V Inspirée, p. 70.)
LA CHRONIQUE DE LA PUCELLE. 101
peusement vêtu, accompagné de chanoines, l'apporta dedans la grande
église, et la mit sur le grand autel.
Le roi vint alors au lieu qui lui avait été ordonné, habillé des vêtements
propres à la cérémonie, et l'archevêque lui fit faire les serments accou-
tumés, et il fut fait chevalier par le duc d'Alençon. Puis Tarchevêque
procéda à la consécration, gardant tout au long les cérémonies et
solennités contenus au Pontifical. Le roi y fit comte le seigneur de Laval,
et il y eut plusieurs chevaliers faits par les ducs d'Alençon et de
Bourbon.
Et là était présente Jeanne la Pucelle, tenant son étendard en sa main,
laquelle en efiFet était cause dudit sacre et couronnement et de toute
l'assemblée. La sainte ampoule fut rapportée et conduite par les dessus-
dits jusques en ladite abbaye.
Et qui eût vu la Pucelle accoler {embrasser) le roi à genoux par les
jambes, et baiser le pied, pleurant à chaudes larmes, en aurait eu pitié* ;
et elle provoquait plusieurs à pleurer en disant: « Gentil roi, ores (à cette
heure) est exécuté le plaisir de Dieu qui voulait que (vous) vinssiez à Reims
recevoir votre digne sacre, en montrant que vous êtes vrai roi, et celui
auquel le royaume doit appartenir. »
CHAPITRE V
LA CAMPAGNE D'APRÈS LE SACRE.
Sommaire : I. — Séjour à Reiras. — Pèlerinage à Saint-Marcoul. — Soumission spon-
tanée des villes. — Itinéraire par Vailly, Soissons, Château-Thierry, Provins.
11. — Bedford sort de Paris; bruit qu'il veut combattre le roi, semblant qu'il en fait.
— Charles VII l'attend vainement, l'armée rangée en bataille près de La Mothe-
Nangis. — La cour et le roi veulent revenir au delà de la Loire. — Passage de Bray-
sur-Seine accordé et intercepté à la grande joie de nombreux seigneurs et capitaines.
— Retour vers Château-Thierry, et marche vers Crépy. — Arrêt à Dammartin ; allé-
gresse des populations. — Paroles de Jeanne.
Ili. — Les deux armées, en présence près de Dammartin, se retirent après d'insigni-
fiantes escarmouches. — Sommation et reddition de Compiègne, Beauvais. — Bedford,
dont l'armée s'est accrue des troupes levées contre les Hussites, vient sous Senlis. —
Son arrivée signalée. — 11 prend position dans un lieu bien choisi pour le couvrir,
l'armée française à Montépilloy. — Elles s'observent durant deux jours. — Escar-
mouche plus sanglante au soleil couchant ; les deux armées se retirent.
IV. — Charles VII à Compiègne, à Senlis ; Bedford en Normandie. — Les gardiens de
Paris. — Le roi à Saint-Denis. — Escarmouches avec les Parisiens. — Assaut tenté
i . Ici pitié signifie attendrissement^ c'est une des significations du mot (Lacurne) .
402 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
contre Paris, dispositions prises. — [.a Pacclle blessée au grand contentement de
ses envieux. — Elle refuse de se retirer. — Il faut remporter. — Le roi accusé de
ne pas vouloir conquérir Paris par assaut. — Presque pas de morts.
V. — Le départ décidé ; raisons ou prétextes. — Capitaines préposés à la garde des
places. — Départ du roi. — Saint-Denis repris par les Anglais.
I
Le roi séjourna en la cité de Reims durant trois jours. Or il est vrai
que de tout temps les rois de France, après leur sacre, avaient accoutumé
d'aller en un prieuré dépendant de Téglise de Saint-Rémy, nommé
Corbigny, assis et situé à environ six lieues de Reims. Là est un glo-
rieux saint qui est du sang de France, nommé Saint-Marcoul, vers lequel
se rend tous les ans une grand affluence de peuple pour la maladie des
écrouelles, par les mérites duquel Ton dit que les rois en guérissent. Et
pour cela le roi s'en alla audit lieu de Saint-Marcoul, et y fit bien
dévotement ses oraisons et ses olTrandes.
De ladite église, il prit son chemin pour aller en une petite ville
fermée, nommé Vailly, appartenant à l'archevêque de Reims, à quatre
lieues de Soissons et aussi à quatre lieues de Laon. Les habitants lui
firent pleine obéissance et le reçurent grandement bien, selon leur
pouvoir. Il se logea durant un jour, lui et son armée, en ce lieu, et de
là il envoya à Laon, qui est une notable et forte cité, sommer les habi-
tants de se mettre en son obéissance ; ce qu'ils firent très bien et
volontiers. C'est ce que firent pareillement ceux de Soissons, où il alla
droit de Vailly, et où il fut reçu à grande joie. Il y séjourna trois jours
avec son armée qui se logea soit dans la ville, soit dans les environs.
Pendant qu'il y était, lui vinrent les nouvelles que Château-Thierry,
Provins, Coulommiers, Crécy-en-Brie, et plusieurs autres cités, s'étaient
rendues françaises et mises en son obéissance ; il y nomma des officiers ;
et les habitants y laissaient entrer sans aucune contradiction ses gens et
ses serviteurs. Quand le roi sut que Château-Thierry était en son
obéissance, après avoir séjourné quelques jours en la ville et cite de
Soissons il se mit en chemin et alla audit lieu de Château-Thierry,,
d'où il s'en vint à Provins, et y passa deux ou trois jours.
II
Ces choses vinrent à Paris en la connaissance du duc de Bedford qui
se disait régent du royaume de France pour le roi d'Angleterre, et il
LA CHRONIQUE DE LA PUCELLE. 103
annonça qu'il irait combattre le roi. Il assembla donc des gens de toutes
parts à grande puissance, vint à Corbeil et à Melun, et réunit bien dix
mille combattants ; ce qui était grande force.
Quand le roi sut que le duc de Bedford voulait le combattre, lui et les
gens de son armée en furent bien joyeux; il partit de Provins, tint les
champs et rassembla son armée près d'un château nommé La Mothe de
Nangis, qui est en Brie; là les corps de l'armée furent ordonnés très
notablement et prudemment; et c'était gentille chose de voirie maintien
de la Pucelle et les diligences qu'elle faisait. Et toujours arrivaient des
nouvelles que le duc de Bedford s'avançait pour combattre; et pour ce,
le roi se tint tout le jour en plein champ, pensant que le duc de Bedford
dut venir; mais il changea d'avis, et s'en retourna à Paris, quoiqu'il eût
en sa compagnie dix ou douze mille combattants, ainsi qu'il a été dit ;
le roi en avait bien autant ; et la Pucelle, ainsi que les seigneurs et gens
de guerre étant avec elle, avaient grand désir et grande volonté de
combattre.
Quelques-uns de la compagnie du roi avaient grande envie qu'il
retournât vers la rivière de Loire, et le lui conseillaient fort, conseil
auquel il adhéra très volontiers lui-même. Étant de leur sentiment, il
conclut qu'il s'en retournerait. Or on lui fil savoir qu'il pourrait passer
la rivière de la Seine par une ville nommée Bray- en-Champagne, où se
trouvait un bon pont. L'obéissance et le passage lui étaient promis par
les habitants. Mais la nuit du matin où il devait passer, vinrent un certain
nombre d'Anglais auxquels on ouvrit les portes et qui s'établirent dans
la ville; et parmi les gens du roi qui s'avancèrent, croyant passer les
premiers, quelques-uns furent pris et les autres détroussés, et par là le
passage fut rompu et empêché; ce dont les ducs d'Alençon, de Bourbon
et de Bar, les comtes de Vendôme et de Laval, tous les capitaines, furent
bien joyeux et contents ; car la résolution de se retirer allait contre leur
gré et volonté ; ils étaient d'avis que le roi devait aller de Tavant pour
faire toujours des conquêtes, vu les forces qu'il avait à sa disposition et
que ses ennemis n'avaient pas osé le combattre.
La vigile de Notre-Dame de la mi-août, le roi, par le conseil de ces
seigneurs et capitaines, retourna à Château-Thierry, passa outre, et avec
toute son armée, se dirigea vers Crépy-en-Valois, et vint camper en rase
campagne assez près de Dammartin.
Le pauvre peuple du pays criait Noël et pleurait de joie et d'allégresse;
la Pucelle, considérant ce spectacle, et qu'ils venaient au-devant du roi
en chantant Te Deum laudamus et certains répons et antiennes, dit au
chancelier de France et au comte de Dunois : « En nom Dieu, voici un bon
PEUPLE, BIEN DÉVOT, ET QUAND JE DEVRAI MOURIR JE VOUDRAIS QUE CE FUT EN CE
104 LA VRAIE JEAiNNE D^ARC : LA LIBÉRATRICE.
PAYS ». Le comte de Dunois lui demanda : « Jeanne, savez- vous quand
vous mourrez et en quel lieu? » et elle répondit qu'elle n'en savait rien,
et qu'elle était à la volonté de Dieu, et ajouta : « J'ai accompli ce que
Messire m'a commaridé j de lever le siège d'Orléans y et de faire sacrer le
gentil roi; je voudrais bien qu'il voulût (Messire) me faire ramener auprès
de mon père et de ma mère et garder leurs brebis et leur bétail^ et faire ce
que f avais coutume de faire^ ». Quand lesdits seigneurs virent Jeanne
ainsi parler, et les yeux au ciel remercier Dieu, ils crurent plus que
jamais que c'était chose venue de par Dieu.
III
Le duc de Bedford était à Paris avec grand nombre d'Anglais et autres
gens ennemis et adversaires du roi. Étant venu à sa connaissance que
le roi était sur les champs vers Dammartin, il partit de Paris avec une
bien grande et grosse armée, et s'achemina vers Mitry-en-France, sous
Dammartin, et il prit une place bien avantageuse où il ordonna ses
troupes.
Le roi fit pareillement mettre ses gens en belle ordonnance, prêts à
livrer bataille si l'autre venait Tassaillir, ou même d'aller à lui s'il se
mettait lui aussi en rase campagne. Et pour savoir leur. état et conte-
nance, il fut décidé qu'on y enverrait des gens par manière de coureurs;
y fut spécialement envoyé Etienne de Vignoles, dit La Aire, vaillant
homme d'armes, ainsi que ceux qui marchaient avec lui. Il y eut de
grandes escarmouches qui durèrent presque tout le jour, sans presque
aucune perte ni dommage d'un côté ni de l'autre. Cependant il fut
rapporté au roi par des gens bien entendus au fait de la guerre que le
duc de Bcdlbrd était en place avantageuse et que les Anglais s'étaient
fortifiés, et c'est pourquoi le roi ne fut pas conseillé d'aller plus avant
assaillir ses ennemis, et le lendemain le duc de Bedford avec toute son
armée s'en retourna à Paris, et le roi tira vers Crépy-en- Valois.
Le roi envoya des hérauts aux habitants de Compiègne les sommer de
se mettre en son obéissance; à quoi ils répondirent qu'ils étaient prêts et
disposés à le recevoir et à lui obéir comme à leur souverain seigneur.
De hauts seigneurs allèrent pareillement en la ville et cité de Beauvais,
dont était évoque et seigneur un nommé maître Pierre Cauchon, Anglais
extrême, quoique Français de nation, né emprès Reims. Aussitôt que les
i. Elle ne dit pas qu'elle a accompli toit ce que Messire lui a commandé; Messire
ne veut pas la faire ramener auprès de son père. La (lucslion sera longuement
discutée.
LA CHROiNIQUE DE LA PCCELLE. 105
habitants virent les hérauts revêtus des armes de France, ils crièrent
Vive Chartes^ roi de France! et ils se mirent en son obéissance. Quant
à ceux qui ne voulurent accepter pareille obéissance, ils les laissèrent
aller avec leurs biens.
Le roi songea alors à venir en la ville de Compiègne, qui lui avait fait
soumission. Il se dirigea vers Senlis, et s'arrêta en un village nommé
Baron, à deux lieues de Senlis, ville qui obéissait aux Anglais et aux
Bourguignons. Le matin les nouvelles lui vinrent que le duc de Bedford
partait de Paris avec toute son armée pour venir à Senlis, et que de
nouveau quatre mille Anglais lui étaient arrivés, conduits par son oncle
le cardinal d'Angleterre. Ledit Cardinal devait les conduire contre les
Bohémiens (hussites) hérétiques en la foi; mais il les détourna pour
guerroyer contre les Français, de vrais catholiques; et, comme on disait,
ils étaient soudoyés de l'argent du Pape, dans le but qu'ils fussent conduits
contre lesdits Bohèmes.
Ces choses venues à la connaissance du roi, ordre fut donné à
Ambroise de Loré et au seigneur de Xaintrailles de monter à cheval, et
d'aller vers Paris ou ailleurs, ainsi qu'il leur semblerait bon et meilleur,
pour savoir véritablement ce qu'il en était du duc de Bedford et de son
armée. Ils montèrent diligemment à cheval, et prirent seulement une
vingtaine de leurs gens des mieux montés, puis partirent et chevauchèrent
si bien qu'ils approchèrent de Tarmée anglaise. Ils aperçurent sur le
grand chemin de Senlis grands tourbillons de poussière qui s'avançaient
et procédaient de la suite du duc, et ils envoyèrent diligemment un
chevaucheur devers le roi pour le lui faire savoir; ils approchèrent
encore de plus près, si bien qu'ils virent l'armée anglaise tirant vers
Senlis, et derechef ils envoyèrent un autre chevaucheur vers le roi pour
lui dire ce qui en était.
Le roi alors et son armée se dirigèrent très diligemment au milieu des
champs ; et s'ordonnèrent en ordre de bataille, chevauchant entre la
nvière qui passe à Baron et Montépilloy, en tirant droit à Senlis. Le duc
de Bedford et son armée arrivèrent à l'heure de vêpres près de Senlis, et
remirent à passer une rivière qui vient de cette ville à Baron; le passage
^Wtsiélroitqu'ilnepouvaityallerque deux chevaux de front. Aussitôtque
^ré et Xaintrailles vi rent les Anglais s'engager dans ce passage, il s re tour-
"^èreut en hâte vers le roi, et lui en donnèrent l'assurance ; sur-le-champ
*^ roi fit marcher ses corps d'armée directement vers ce lieu, pour les
^nabattre au moment dudit passage ; mais la plupart des Anglais et
<îonime tous, étaient déjà sur l'autre rive; et les deux armées s'entrevirent
1 une l'autre ; il y eut de grandes escarmouches, et de belles passes d'armes
furent faites.
106 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
A cette heure, cYUait comme le soleil couchant. Les Anglais se logèrent
sur le bord et au bout de cette rivière, et les Français établirent leur
camp à Montdpilloy. Le lendemain au matin, le roi et son armée se
mirent aux champs, et Ton ordonna les diverses parties de l'armée. Le
duc d'Alençon et le comte de Vendôme gouvernaient le corps le plus
nombreux ; les ducs de Bar et de Lorraine * avaient la charge du second. Le
troisième, qui était en manière d'aile, était sous la conduite de Rais et de
Boussac, maréchaux de France. Un autre corps, qui souvent se mettait en
mouvement pour cscarmoucher et guerroyer les Anglais, était sous le
gouvernement du seigneur d'Albret, du bâtard d'Orléans, de Jeanne la
Pucelle, de La Uire et de plusieurs autres capitaines. A la conduite et au
gouvernement des archers étaient préposés le seigneur de Graville, maître
des arbalétriers de France, et un chevalier limousin, nommé maître Jean
Foucault. Le roi se tenait assez près de ses corps d'armée, ayant autour
de sa personne et en sa compagnie le duc de Bourbon, le seigneur de
La Trémoille, et grande foison de chevaliers et d'écuyers.
Par plusieurs fois, le roi chevaucha par devant Tarmée du duc de
Bedford, auprès duquel étaient le bâtard deSaint-Polet plusieurs Bourgui-
gnons, avec les troupes rangées près d'un village, ayant au dos un grand
étang et la susdite rivière ; ils n'avaient cessé toute la nuit de se fortifier
très diligemment avec des pieux, des taudis et des fossés.
Le roi et les seigneurs de sa suite avaient délibéré et conclu qu'il fallait
combattre le duc de Bedford avec ses Anglais et Bourguignons; mais
quand ils eurent vu et considéré la place qu'ils occupaient, leurs fortifi-
cations, ils virent et connurent qu'il n'y avait nulle apparence de les
combattre avec succès, en la place qu'ils occupaient. Toutefois les Français
s'approchèrent II environ deux traits d'arbalète des Anglais, et leur firent
savoir que s'ils voulaient sortir de leur parc, on les combattrait; ils ne
voulurent jamais sortir ni déloger de leur enclos.
Il y eut de grandes et merveilleuses escarnmuches, tellement que les
Français allaient souvent tant à pied qu'à cheval jusques aux fortifications
des Anglais; et quelquefois les Anglais saillaient en force et repoussaient
les Français; il y eut de côté et d'autre des morts et des prisonniers, et
toute la journée se passa ainsi en escarmouches jusques à environ le soleil
couchant.
Le seigneur de La Trémoille, qui était bien joli et monté sur un grand
coursier, voulut y prendre part. De fait il prit sa lance et vint jusqu'au
1. Si le chroniqueur enioinl faire deux pei-sonnages dilTérenls du duc de Bar cl de
Lorraine, il se trompe. René avail, il est vrai, rejoint l'armée le 3 août à Provins, mai*
son l>eau-|)ère, le duc de Lorraine, inclinait toujours pour le parti anglo-bourgui-
gnon.
LA CBROiNIQUE DE LA PUCELLE. iOT
frapper; mais son cheval s'abattit, et si le cavalier n'eût eu bientôt secours,
il eût été pris ou tué ; il fut remonté à grand'peine.
Il y eut à cette heure une grande escarmouche ; vers le soleil couchant
grand nombre de Français se joignirent ensemble, et vinrent vaillamment
jusque près du parc des Anglais combattre main à main et les provoquer;
les Anglais saillirent en grande foison, à pied et à cheval ; les Français
se renforcèrent, et à cette heure Tescurmouche fut plus vive et plus rude
qu'elle n'avait été en tout le jour ; il y avait tant de poussière qu'on ne
connaissait ni Français, ni Anglais, tellement que, quoique les armées
fussent bien près les unes des autres, cependant elles ne pouvaient s'en-
trevoir. Ledit engagement dura jusqu'à ce qu'il fût nuit serrée et obscure.
• Les Anglais se retirèrent tous ensemble et se serrèrent dans leur parc,
et les Français aussi se retirèrent dans leur campement ; les Anglais s'éta-
blirent dans leur clos, et les Français là où ils avaient passé la nuit pré-
cédente, à environ demi-lieue des Anglais, près de Montépilloy. Les
Anglais le lendemain partirent bien matin et s'en retournèrent à Paris; et
le roi et ses gens s'en allèrent à Crépy-en-Valois.
IV
Le lendemain le roi partit de Crépy et prit son chemin vers Compiègne,
où il fut reçugrandement et honorablement, et où on lui rendit obéissance.
Il y commit des officiers, et ordonna comme capitaine un gentilhomme
de Picardie, bien allié de parents et d'amis, nommé Guillaume de Flavy.
Là les manants et habitants de la ville de Beauvais envoyèrent devers
lui, et se mirent eux et la ville en son obéissance ; seniblablement se mirent
en l'obéissance du roi ceux de Senlis, ville en laquelle le roi vint se loger.
En la fin du mois d'août, le duc de Bedford, dans la crainte que le roi
ne vînt en Normandie, partit de Paris avec son armée pour se rendre en
cette province. Il départit son armée en divers lieux de son obéissance
pour en garder les places. Il avait laissé à Paris messire Louis de Luxem-
bourg, évoque de Thérouaune, soi-disant chancelier de France pour les
Anglais, un chevalier anglais nommé messire Jean Ralhelet, et un
chevalier français, nommé messire Simon Morbier, qui se disait alors
prévôt de Paris ; lesquels, pour la garde et défense de la ville, avaient à
leur disposition environ deux Aille Anglais, ainsi que Ton disait.
Vers la fin dudit mois d'août, le roi quitta Senlis et s'en vint à Saint-
Denis, où ceux de la ville lui ouvrirent leurs portes et firent pleine
obéissance ; et avec son armée il s*établit à Saint-Denis.
Alors commencèrent grandes courses et escarmouches entre les gens^
108 LA VRAIE JEANNE D*ARG : LA LIBÉRATRICE.
du roi étant à Saint-Denis, et les Anglais soutenus par les habitants de Paris.
Après que les gens du roi eurent été quelque temps à Saint-Denis, comme
trois ou quatre jours, le duc d'Alençon, le duc de Bourbon, le comte de
Vendôme, le comte de Laval, Jeanne la Pucelle, les seigneurs de Rais et de
Boussac, et autres à leurs suite, vinrent se loger en un villagequi est comme
à mi-chemin entre Paris et Saint-Denis, et qu'on nomme La Chapelle.
Le lendemain, comme ils étaient plus près, les escarmouches recom-
mencèrent plus âpres que devant, et lesdils seigneurs vinrent aux champs
vers la porte saint-IIonoré, sur une manière de butte ou de montagne que
Ton nommait le marché aux Pourceaux; ils y firent ajuster plusieurs
canons et coulevrines pour tirer dans la ville de Paris, et en effet ils
en firent partir plusieurs coups.
Les Anglais circulaient et tournoyaient autour des remparts, les éten-
tards déployés, parmi lesquels s'en trouvait un blanc à croix vermeille;
ils allaient et venaient par ladite muraille. Quelques-uns des seigneurs
qui étaient de Tentropriso voulurent aller jusqu'à la porte Saint-IIonoré;
entre les autres s[)écialement un chevalier nommé le seigneur de Saint-
Vallier ; lui, ses gens allèrent jusqu'au boulevard, et mirent le feu aux
barrières, et malgré le grand nombre d'Anglais et d'habitants de Paris
qui le défendaient, le boulevard fut pris d'assaut, et les ennemis rentrèrent
par la porte dans la ville.
Les Français s'attendaient à ce que les Anglais vinssent par la porte
Saint-Denis fondre sur eux ; c'est pourquoi les ducs d'Alençon et de Bourbon
entourés de leurs gens s'étaient mis comme en embuscade derrière ladite
butte ou montagne ; et ils ne pouvaient bonnement approcher de plus
près par crainte des canons, veuglaires et coulevrines qui tiraient sans
cesse de la ville.
Jeanne dit qu'elle voulait assaillir la ville de Paris; mais elle n était pas
bien informée de la profondeur de Tcau qu'il y avait dans les fossés; et
il y en avait autour d'elle qui le savaient fort bien ; mais on pouvait voir
QUE PAi; envie ils eussent niEN voulu OU'iL lui ARRIVAT MALE AVENTURE*.
Néanmoins elle vint avec grande force, et nombreux hommes d'armes,
parmi lesquels le seigneur de Uais, maréchal de France ; ils descendirent
en l'arrière-fossé avec de nombreux gens de guerre ; puis avec sa lance
Jeanne monta sur le dos d'àne, et se mit à sonder l'eau qui était bien
profonde. Pendant qu'elle y était occupée, un trait lui blessa les deux
cuisses, ou l'une tout au moins.
Ce, nonobstant, elle ne voulait pas se retirer, et elle se donnait toute
sorte de soins pour faire apporter et jeter fagots et bois dans le second
1. Si en avait aucuns audict luii qui le sçavûient lieny et selon ce qu'on pouvoit considérer^
tussent bien voulu par envie qu'il fut mescheu à la dicte Jehanne, (Page 283.)
LA CHRONIQUE DE LA PUCELLE. 109
fossé, dans Tespérance de passer jusqu'au mur ; ce qui n'était pas possible
vu la grande quantité d'eau dont il était rempli. Dès que la nuit commença,
on envoya plusieurs fois la quérir ; mais elle ne voulait en aucune manière ni
PARTIR NI SE RETIRER ; il fallut quo le duc d'AIençon vint la quérir et
remmenât sous sa tente. Et tous se retirèrent à La Chapelle-Saint-Denis,
où ils avaient passé la nuit précédente. Le lendemain, les ducs d'AIençon et
de Bourbon revinrent à Saint-Denis, où le roi se trouvait avec son armée.
Et l'on disait QUE PAR LÂCHETÉ DE COURAGE, IL n'aVAIT JAMAIS VOULU PRIINDRE
Paris d'assaut, et que si on y fut resté jusqu'au matin il y en eut eu [dans
Paris) QUI se fussent avisés *.
Il y eut plusieurs blessés, et comme pas un mort.
Y
Le douzième jour de septembre, le roi assembla son conseil pour savoir
ce qu'il y avait à faire. Vu que les habitants de Paris ne montraient
aucun semblant de vouloir se réduire à obéissance, qu'ils n'auraient pas
osé se concerter sous l'œil des Anglais et desBourguignons qui élaient fort
puissants, que Targent manquait pour entretenir l'armée, le conseil fut
d'avis de laisser de grosses garnisons dans le pays conquis, sous le comman-
dement de princes du sang, et que le roi s'en allât vers la Loire et au delà.
En exécution de cet avis du conseil, le roi laissa le duc de Bourbon, le
comte de Vcn lôme, messire de Culan, amiral de France, et d'autres
capitaines ; il ordonna que le duc serait son lieutenant et il laissa dans
Saiut-Denis le comte de Vendôme et Tamiral de Culan, avec grande
compagnie de gens d'armes; il partit ensuite avec son armée et vint pren-
dre gîte à Lagny-sur-Marne. Il partit le lendemain, après avoir ordonné
à messire Ambroise de Loré de rester à Lagny, et après lui avoir assigné
pour compagnon un vaillant chevalier du Limousin, nommé messire
Jean Foucault, ainsi que plusieurs gens de guerre.
Quand les Anglais et les Bourguignons surent que le roi était ainsi
parti, ils assemblèrent de toutes parts un grand nombre de leurs gens;
et ceux de Saint-Denis, c'est-à-dire le comte de Vendôme et les autres,
considérant que la ville était faible, la délaissèrent et vinrent àSenlis.
Cousinot de Montreuil n'a plus qu'une page où il n'est pas question de
Jeanne d'Arc. A-t-il arrêté là son travail? la suite en est-elle perdue ? C'est
ce que l'on ignore jusqu'à ce jour.
1., Et disoit'On qu'il ne crut oncques de l>ische couraige de voulloir prendre la ville Paris
d'assaut, et que s'ils y eussent esté jusques au matinj il en eust eu qui se seraient advisés.
JOURNAL DU SIÈGE D'ORLÉANS
ET
HISTOIRE DE LA PUCELLE JUSQU'AU RETOUR A PARIS
REMARQUES CRITIQUES.
En 1576, Saturnin Hotot, imprimeur de la ville d'Orléans, éditait, par
suite d'une convention avec la municipalité, un volume sous le titre
suivant : Histoire et discours au vrai du siège qui fut mis devant la ville
d'Orléans par les Anglois^ le 7nardi 12 octobre 1428, régnant alors
Charles VII de ce nom roy de Fra?ice, contenant toutes les saillies^
assaults^ escarmouches et autres particularités qui, de jour en jour y
furent faictes avec la venue de Jehanne la Pucelle^ et comment par grâce
divine et force d* armes j elle feist lever le siège de devant aux Anglais^
PRISE DE MOT A MOT SANS AUCUN CHANGEMENT DE LANGAGE, d'uN VIEIL EXEM-
PLAIRE, ESCRIPT A LA MAIN EN PARCHEMIN, ET TROUVÉ DANS LES ARCHIVES DE
LA VILLE.
De 1429 à 1576, près d'un siècle et demi s'était écoulé, beaucoup plus
qu'il n'en faut pour diminuer fort notablement l'autorité de l'imprimé,
qui tire sa valeur du parchemin qu'il reproduit. A quelle année remonte
ce parchemin? Est-il bien exactement reproduit? Deux points impor-
tants sur lesquels doit porter la critique. Ici encore, comme sur toute
la période du siège, les recherches de l'abbé Dubois fournissent des don-
nées de grande valeur. Le patient chanoine découvrit dans les manus-
crits d'un érudit Orléanais du xviii" siècle, Polluchc, l'extrait suivant du
compte de ville de 1466 : « Payé onze sous parisis à M. Soudan, clerc,
pour avoir escript en parchemin la manière du siège tenu par les Anglois
devant Orléans en 1428-1429 ». Qu'était le clerc Soudan? L'abbé Dubois
a encore trouvé la réponse dans les comptes de 1468, où pour d'autres
écritures se lit cette mention : « Payé 5* 4* à Soubsdan, notaire en cour
d'Eglise. » Un notaire en cour d'Église était le plus souvent un gradué
en droit canonique.
Le parchemin des archives de la ville a disparu; mais nous en avons
JOURNAL DU SIÈGE D'ORLÉANS. IJi
des copies. On connait en effel quatre ou cinq manuscrits du Journal du
siège. Deux sont à la Bibliothèque nationale de Paris ; Tun (Fonds latin,
n® 14665) provient de Tabbaye de Saint- Victor et est du xv" siècle, Tautre
fait partie du célèbre manuscrit d'Urfé, dont il a été parlé dans le volume
précédent : il est cousu avant le Double Procès, mais Técriture accuse
une date postérieure; elle est du xvi" siècle. On en trouve un autre exem-
plaire du xvi* siècle à la Bibliothèque de Genève. Le quatrième, écriture
du XV* siècle, fait partie du manuscrit du Vatican (Fonds de la reine
Christine, n** 891). La Bibliothèque impériale de Saint-Pétersbourg en
possède un cinquième exemplaire.
Le texte de Saturnin Hotot a été collationné avec le texte de la Biblio-
thèque nationale, et le R. Père Rivière, sur ma demande, a bien
voulu vérifier sur le manuscrit du Vatican certains passages que je lui
avais signalés. A deux mots près, les variantes sont si peu importantes
qu'elles ne méritent pas d'être signalées. Le scribe, auquel Quicherat a
confié la transcription qu'il a imprimée, a préféré travailler sur l'imprimé
que sur le manuscrit.
C'est donc à tort que l'abbé Dubois a pensé que Saturnin Hotot avait
introduit dans le texte du parchemin des archives d'Orléans des chan-
gements qui le déparent. La fidélité de Timprimeur nous est garantie
par les manuscrits antérieurs dans lesquels on retrouve ce qui offusque
dans le texte imprimé. Pareille conformité ne peut s'expliquer que parce
que les manuscrits ont reproduit le texte aujourd'hui perdu, mais gardé
dans les archives de la ville en 1576. C'est donc au texte copié en 1466
par le notaire Soudan que manuscrits et imprimé nous ramènent. Faut-
il faire remonter beaucoup plus haut sa composition? Il ne le paraît pas ;
tout indique qu'il a été composé à la suite de la réhabilitation, après 1 456.
De toutes les Chroniques, le Journal du siège est la seule qui énonce
carrément que la délivrance d'Orléans et le sacre de Reims constituaient
la mission entière de la Pucelle. Dunois, dans sa déposition, avait émis
timidement cette assertion démentie par une foule d'autres documents,
en opposition avec les paroles maintes fois répétées et les actes de la
céleste envoyée.
L'abbé Dubois, qui pourtant était loin d'avoir bien des pièces qui
depuis ont confirmé son assertion, reproche justement à l'auteur de
n'avoir pas dit toute la vérité, et, par égard pour les capitaines qui com-
mandaient à Orléans, de n'avoir pas rapporté plusieurs faits bien cons-
tatés qui ne leur font pas honneur \
Même à Orléans, Jeanne a vaincu malgré l'opposition des chefs, forte
1. L'abbé Dubois, Histoire du siège d'Orléans^ Charpentier et Cuissart, p. 6o. — Ne
pas confondre avec le Journal du siège, édité par les mêmes auteurs.
il2 LA VRAIE JEANNE D'aRG : LA LIBÉRATRICE.
qu'elle était de Tappui des Orléanais, qui ont fini par entraîner les capi-
taines à leur suite. Voiler cet aspect de la délivrance, c'est en diminuer
le merveilleux et rabaisser riiéroïsm* de la patriotique cité. Non seule-
ment les deux Gousinot, mais Thistoriographe officiel, Jean Chartier,
sont plus véridiqucs et moins adulateurs des grands.
Le rédacteur inconnu du Journal est partial en faveur des nobles. Il
énumère complaisamment les noms de ceux qui ont pris part à la lutte,
et son histoire du siège n'est que le récit des incidents particuliers qui
le signalèrent, sans vue d'ensemble ; au point qu'après l'avoir lu, on se
rend médiocrement compte de l'état des choses. D'autres Chroniques en
disent, sous ce rapport, plus en quelques lignes que le Journal dans de
longues pages.
Il hlàme les plaintes, pourtant si justes, des Orléanais, lorsque, après la
victoire de Palay, Charles VII les frustra d'une visite pour laquelle ils
avaient fait des préparatifs, et qui leur était si bien due. Il dissimule que
l'héroïne dut entraîner le roi sur le chemin de Reims, en partant de Gien
avec une partie de l'armée, pour mettre fin à d'interminables tergiversa-
tions. D'après son récit, ce seraient les conseillers du roi qui l'auraient
déterminé à reprendre le chemin du Bcrry par Bray-sur-Seine. D'après
les autres chroniqueurs, il était d'accord avec ces conseillers, traîtres ou
tout au moins mal avisés. S'il dit que la tentative contre Paris échoua
parce que les choses furent mal conduites^ il se garde d'insinuer les causes
honteuses de ce défaut dans la conduite, et l'on se demande si c'est à l'hé-
roïne qu'il faut l'attribuer, ou à d'autres capitaines mal inspirés. D'après
lui, La Trémoille excepté, tous les grands auraient rempli leur devoir et
secondé la céleste envoyée; ce qui n'est pas exact.
L'auteur dit que sou ouvrage est très compendieux^ c'est-à-dire très
abrégé. Qu'abrège-t-il? Seraicnt-ce des registres de la cité, écrits au fur
et à mesure que les faits se passèrent? Si c'esl possible, nous n'avons
aucune preuve pour l'affirmer. Sûrement, à partir de la campagne de la
Loire, il a sous les yeux la Chronicjue des Cousinot II ne fait que
l'abréger pour la campagne du sacre, et pour celle qui a suivi. Aussi
sera-t-il inutile de reproduire celte partie, sauf la dernière page, où il y
a quelques détails particuliers. Nous ne reproduirons pas non plus les
incidents du siège. L'abbé Dubois a dit à bon droit que ces détails
étaient nus, décharnés et peu intéressants \
La rédaclion semble hâtive. Après avoir rapporté que Saint Loup fut
enlevé le mercredi 4 mai, ce qui est exact, il dit que les Tourelles furent
prises le samedi 6, et que les Anglais partirent le dimanche 7 mai ; cela ne
1. L'abbé Dubois, Histoire du siège dCOrléanSy p. 7o.
JOURNAL DU SIÈGE D'ORLÉANS. 113
se trouve pas seulement dans rimprimé de Saturnin Hotot, mais aussi
dans les manuscrits. Il fallait bien que le rédacteur écrivit assez long-
temps après le siège, pour faire coucher la Pucelle aux Tourelles dans la
nuit du samedi au dimanche. Tout le monde savait à Orléans qu'elle
était rentrée le soir môme par le pont, ainsi qu'elle l'avait annoncé le
matin, contre toute vraisemblance.
Ce qu'il dit de la Pucelle avant son arrivée à Orléans n'est pas à sa
place. Il en résulte de la confusion quand on veut se rendre compte de
la suite des faits. Quelques notables erreurs y seront signalées.
Le style semble confirmer, ainsi que Tobserve l'abbé Dubois*, la com-
position postérieure du Journal. Il renferme des mots inusités en 1430.
D'après d'habiles philologues, la langue française aurait subi de notables
changements vers le milieu du xv« siècle, particulièrement dans le centre
de la France. Ce changement nous a paru bien accusé dans le Journal
du siège. La diction est relativement moderne ; on y trouve par exemple
le mot citoyen^ inusité, ce nous semble, avant cette époque. Pour rendre
le style tout à fait moderne, il suffit le plus souvent de changer les mots
de place et de rajeunir l'orthographe.
La partie vraiment intéressante du Journal en ce qui regarde Jeanne
d'Arc, c'est l'entrée de l'héroïne à Orléans, l'emploi de ses journées
jusqu'à l'assaut contre Saint-Loup. Il donne des détails qu'on chercherait
inutilement dans les autres chroniques.
Depuis Saturnin Hotot, le Journal du siège a été plusieurs fois édité.
Quicherat l'a fait entrer dans sa collection. Au moment où ces lignes sont
écrites, MM. Paul Charpentier et Cuissard ont fait paraître une nouvelle
édition enrichie de nombreuses notes, à laquelle nous sommes heureux
de renvoyer.
CHAPITRE PREMIER
LA PUCELLE JUSQU'A SON ENTRÉE A ORLÉANS.
SoiofAiRE : I. — Naissance et occupations de la Pucelle. — Ordre du ciel. — Accueil
de Baudricourt. — Horrible pensée; comment dissipée. — Influence angélique de
la jeune fille. — Annonce de la défaite de Houvray. — Baudricourt gagné. — Com-
pagnons de voyage ; leurs craintes. — La Pucelle les rassure.
U. — Arrivée à Ghinon; nombreux périls évités. — Desseins extrêmes agités à la
cour. — Récit des guides. — Première audience. — Réunion et avis du grand
conseil. — Examen : la personne de la Pucelle; annonce de la défaite de Rouvray;
1. L*abbé Dubois, Hisioire du siège d'Orléans, p. 65.
III. 8
114 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
révélation des secrets. — Nouvel examen à Poitiers. — Sentence. — Armement,
étendard, épée, maison de la Pucelle.
IIL — Anachronismes du chroniqueur. — Séjour à Blois. — Lettre aux Anglais. —
Courroux, dérisions, menaces des Anglais. — Le héraut retenu.
IV. — Préparatifs militaires et religieux à dois. — En marche par la Sologne et
arrivée à Chécy. — Les Orléanais prévenus. — Chaude escarmouche pour favoriser
l'entrée du convoi.
•
I
L'auteur du Journal du siège insère ce qui suit, entre ce qui se passa
à Orléans le mardi 8 février, et les événements du mercredi 9 :
« Vers ces jours, il y avait une jeune pucelle, nommée Jeanne, native
d'un village en Barrois, appelé Domrémy, près d'un autre dit Gras
(Greux), sous la seigneurie de Vaucouleurs, à laquelle, pendant qu'autour
de la maison de son père et de sa mère elle gardait quelques brebis qu'ils
/ avaient, ou d'autres fois pendant qu'elle cousait et filait, Notre-Seigneur
. apparut visiblement à plusieurs reprises. Il lui commanda d'aller faire
lever le siège d'Orléans et de faire sacrer le roi à Reims, l'assurant qu'il
serait avec elle, et que par son divin secours et par la force des armes
il lui ferait accomplir pareille entreprise.
« C'est pourquoi elle alla vers messire Robert de Baudricourt, alors
capitaine de Vaucouleurs, et lui raconta sa vision, le priant et le requé-
rant que pour le très grand bien et profit du roi et du. royaume, il voulût
lui donner des vêtements d'homme, la monter d'un cheval et la faire
mener vers le roi, ainsi que Dieu lui avait commandé d'aller. Mais il ne
voulut la croire ni pour lors, ni pendant plusieurs des jours qui suivi-
rent; il ne faisait au contraire que se moquer d'elle, réputantses visions
des fantaisies et de folles imaginations, quoiqu'il la gardât, dans la pensée
qu'elle servirait à la lubricité de ses gens ; ce en quoi ni aucun d'eux,
ni personne dans la suite, ne put se satisfaire ; car sitôt qu'ils la fixaient
leur passion refroidie se dissipait. »
L'auteur du Journal ne parle plus de Jeanne, qu'après le récit de la
journée des Uarengs. Il écrit à la suite :
« Ce propre jour, Jeanne la Pucelle sut cette déconfiture par grâce
divine; elle dit à messire de Baudricourt que le roi avait eu un grand
dommage devant Orléans, et qu'il en aurait plus encore, si elle n'était
pas menée devers lui. C'est ce qui détermina Baudricourt, qui l'avait déjà
éprouvée, trouvée très sage, et croyait presque à ce qu'elle disait de ses
visions. Comme elle persévérait toujours en ses premières requêtes, il
la fit habiller en habits d'homme, ainsi qu'elle le demanda, et il lui donna
pour la conduire deux gentilshommes do Champagne : l'un nommé
Jean de Metz, et l'autre Bertrand de Polongy, qui s'y prêtèrent bien à
JOURNAL DU SIÈGE D'ORLÉANS. Uo
contre-cœur, à causfdes périls des chemins; cependant, comme Jeanne 0
leur assurait qu'ils n'auraient aucun mal, ils se mirent en route avec elle, •
et avec deux de ses frères*, pour aller devers le roi qui élait alors à
Chinon. »
Après avoir rapporté quelques incidents du siège, qui eurent lieu le
14 et le 17 février, il revient à Jeanne dont, par erreur, il fixe l'arrivée à
Chinon du 17 au 20 février. Voici comment il s'exprime :
II
« Environ ces jours arrivèrent dans Chinon Jeanne laPucelle, et ceux qui
la conduisaient, fort émerveillés d'avoir pu arriver sains et saufs, vu
les périlleux passages qu'ils avaient rencontrés, les dangereuses et grosses
rivières qu'ils avaient traversées à gué, le grand chemin qu'ils avaient dû
parcourir, au long duquel ils avaient passé par plusieurs villes et villages
tenant le parti des Anglais sans parler des pays français, es quels se
commettaient d'innombrables maux et pilleries. C'est pourquoi ils louè-
rent Notre-Seigneur de la grâce qu'il leur avait faite, ainsi que la Pucelle
le leur avait promis avant le départ. Ils notifièrent leur fait au roi, par
devant lequel on avait déjà par plusieurs fois traité en conseil, si les
Anglais gagnaient Orléans, que le meilleur était qu'il se retirât en
Dauphiné^ et le conservât avec les pays du Lyonnais, de Languedoc et
d'Auvergne, si toutefois on les pouvait sauver ; mais tout fut mué. Le
roi manda les deux gentilshommes, et en présence des hommes de son
grand conseil, il les fit interroger du fait et de l'état de la Pucelle; sur
quoi ils répondirent la vérité. Et à cette occasion on mit en délibération,
si on la ferait parler au roi ; à quoi il fut répondu que oui.
« De fait elle lui parla, lui fit la révérence, et le connut parmi ses gens,
quoique plusieurs feignissent d'être le roi, croyant l'abuser; et non sans
vraisemblance, car elle ne l'avait jamais vu.
« Elle lui dit par fort belles paroles que Dieu l'envoyait pour l'aider et /
le secourir, qu'il lui donnât des
d'armes, elle lèverait le siège d'
Reims, ainsi que Dieu le lui avait commandé ; que Dieu voulait que les j
Anglais s'en retournassent en leur pays, et lui laissassent en paix un ,
royaume qui devait lui demeurer ; que s'ils ne le laissaient pas, il leur en
arriverait malheur.
1. En comparant ce début du récit avec les dépositions des témoins rapportées dans
la Paysanne et l'Inspirée, on constatera plusieurs inexactitudes chez le chroniqueur, qui
ne connaît que la substance de la vie de Domrémy et de Vaucouleurs.
gens, car, par grâce divine et par force i
['Orléans, et puis le mènerait sacrer à [
H6 LA VRAIE JEANNE D*ARG : LA LIBÉRATRICE.
«Ces paroles ainsi dites par elle, le roi la fit ramener honorablement
en son logis, et il assembla son grand conseil, auquel furent présents
plusieurs prélats, chevaliers, écuyers, avec des docteurs en théologie, en
lois {civiles) et en décret {lois canoniques). Tous ensemble furent d*avis
qu'elle fût interrogée par des docteurs, pour essayer s'il se trouverait
en elle des raisons bien claires qu'elle pouvait accomplir ce qu'elle pro-
• mettait. Les docteurs la trouvèrent de si honnête contenance, si sage en
SCS paroles, qu'on tint grand compte de la relation qu'ils en firent.
w Sur cette appréciation, et aussi parce qu'on prouva qu'elle avait su
véritablement le jour et l'heure de la journée des Harengs, ainsi qu'il
ifut établi par les lettres de Baudricourt, qui avait écrit l'heure qu'elle
lui avait dite alors qu'elle était à Vaucouleurs ; et encore, parce que,
môme depuis elle avait déclaré au roi en secret, en présence de son
confesseur et d'un petit nombre de ses intimes conseillers, un bien qu'il
/ avait fait; ce dont il fut fort ébahi, car nul ne le pouvait savoir, sinon
Dieu et lui ; pour tous ces motifs, il fut arrêté qu'elle serait menée honnê-
tement à Poitiers. On voulait la faire interroger derechef et s'assurer de
sa persévérance, et l'on voulait aussi trouver de l'argent, pour lui donner
des gens, des vivres, de l'artillerie, dans le but de ravitailler Orléans.
' « Elle sut par grâce divine ce que Ton se proposait d'elle; car, au milieu
du chemin, elle dit à plusieurs : « En nom DieUy je sais bien que J'aurai
« beaucoup à faire à Poitiers, où l'on me mène; mais Messire m'aidera; or y
« allons de par Dieu, » Car c'était sa manière de parler.
« Quand elle fut audit Poitiers, où était pour lors le parlement du roi,
diverses interrogations lui furent faites par plusieurs docteurs et par
d'autres gens de grand état, auxquelles elle répondit fort bien, et spé-
cialement à un docteur jacobin, qui lui dit que si Dieu voulait que les
Anglais s'en allassent, il n'était pas besoin d'armes. A quoi elle répondit
qu'elle ne voulait que peu de gens, qu'ils combattraient et que Dieu don-
nerait la victoire. Cette réponse et plusieurs autres qu'elle avait faites
les amenèrent tous à conclure que le roi devait se fier à elle, lui
donner vivres et gens, et l'envoyer à Orléans. Ce qu'il fit.
« Mais auparavant il la fit bien armer, et lui donna de bons chevaux. Il
voulut et ordonna qu'elle eut un étendard, sur lequel, par son vouloir à
elle. Ton fit peindre une Majesté et mettre pour devise : Jhësus, Maria.
Le roi voulant lui donner une belle épée, elle le pria qu'il lui plût
d'envoyer en quérir une qui avait cinq croix en la lame, près de la croix,
et qui était à Sainte-Catherine-de-Fierbois. Le roi, fort émerveillé de
cette requête, lui demanda si elle l'avait jamais vue; à quoi elle répondit
que non, mais que cependant elle savait qu'elle était à Sainte-Catherine.
Le roi y envoya, et cette épée fut trouvée avec d'autres, données à ce
JOURNAL DU SIÈGE D'ORLÉANS. 117
lieu dans le temps passé ; elle fut apportée au roi, qui la fit honnêtement
mettre en un fourreau, et garnir.
« Le roi lui donna pour l'accompagner un bien vaillant et sage gentil-
homme, nommé Jean d'Aulon, et pour la servir en honneur, en qualité
de page, un autre gentilhomme, nommé Louis de Goûtes.
« Quoique les choses déclarées en ce chapitre se soient faites à
plusieurs fois et par divers jours, je les ai ici couchées pour cause de
brièveté. »
Le chroniqueur reprend le récit du siège à partir du 18 février. Arrivé
au H mars, à propos de la bastille Saint-Loup édifiée par les Anglais,
il intercale sur la Pucelle une phrase qui, n'étant pas à sa place, engendre
la confusion. Voici le passage :
« S'en allèrent les Anglois cestuy propre jour (11 mars à Saint-Loup
d'Orléans, et y commencèrent une bastille qu'ils fortifièrent, tendans
tousjours entretenir {poursuivre) leur siège contre Orléans. Pour lequel
faire lever se mit sur les champs Jehanne la Pucelle accompagnée de
grand nombre de seigneurs, chevaliers, escuyers et gens de guerre, garnis
de vivres et d'artillerie ; et print congé du roi, qui commanda expres-
sément aux seigneurs et gens de guerre, qu'ils obéissent à elle, comme
à lui, et aussi le firent-ils. »
La Pucelle n'entraà Orléans que le 29 avril, cinquante jours plus tard.
Le chroniqueur la fait séjourner à Blois à partir du 22 mars ; elle n'y vint
qu'après le 20 avril. La lettre aux Anglais, écrite à Poitiers le 22 mars,
fut envoyée de Blois. Le chroniqueur a confondu tout cela dans le pas-
sage qui va être cité.
III
« Ce même jour de mardi (22 mars), la Pucelle étant à Blois, où elle
séjournait en attendant une partie de ses hommes qui n'étaient pas arri-
vés, envoya un héraut vers les seigneurs et capitaines anglais devant
Orléans, et par ce héraut leur transmit une lettre qu'elle môme dicta,
ayant en tête comme principal titre JESUS, MARIA, et commençant
après en marge comme il suit :
« Roy d'Angleterre, faites raison au Roy du Ciel, etc. » {Le texte est le
même que celui des Cousinot, à quatre ou cinq mots près^ qui ont le même
sens. On trouvera les variantes aux Pièces justificatives, dans la Geste des
nobles.)
« Quand les seigneurs et capitaines anglais eurent lu et entendu ces
lettres, ils furent merveilleusement courroucés, et par haine de la Pucelle,
en disant d'elle moult de vilaines paroles, spécialement en l'appelant
118 L\ VRAIE JEANiNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
ribaude^ vachère^ cii la menaçant de la faire brûler, ils retinrent le liéraut
porteur des lettres, faisant moquerie de ce qu'elle leur avait écrit. »
Après cela, le chroniqueur revient au siège et ne parle de la Pucelle
que le 29 avril ; mais ne la quitte plus jusqu'à la fin de son livre. Il n'est
plus besoin de morceler son récit.
IV
La Pucelle et les autres seigneurs et capitaines qui étaient avec elle,
surent comment les Anglais la méprisaient, et comment tout eu se
moquant d'elle et de ses lettres, ils avaient retenu le héraut qui
les avait apportées. C'est pourquoi ils conclurent qu'ils marcheraient en
avant avec leurs gens d'armes, leurs vivres et leur artillerie, et qu'ils
passeraient par la Sologne, à cause que la grande puissance des
Anglais était du côté de la Beauce ; cependant ils n'en dirent
rien à la Pucelle, qui tendait à aller et à passer devant eux à force
armée. Dans ce but elle ordonna à tous les gens de guerre, de se con-
fesser, de laisser toutes leurs femmes folles et semblable bagage; et
c'est ainsi qu'ils s'en allèrent, et firent tant qu'ils vinrent jusqu'à un
village nommé Chécy, où ils couchèrent la nuit suivante.
Le lendemain vendredi, vingt-neuvième du môme mois [d'aerit)^ vint
à Orléans d'une manière certaine la nouvelle que le roi envoyait par la
Sologne vivres, poudres, canons et autres provisions de guerre, sous la
conduite de la Pucelle, laquelle venait de par Notre-Scigneur pour ravi-
tailler et réconforter la ville et faire lever le siège; ce dont les habitants
d'Orléans furent très réconfortés. Et parce qu'on disait que les Anglais
s'efforceraient d'empêcher l'entrée des vivres, il fut ordonné par la cité
que chacun fut armé et bien en point.
Ce même jour, il y eut grosse escarmouche, parce que les Français
voulaient ménager le lieu et Fheure propices pour l'entrée des vivres
qu'on leur annonçait. Afin de donner aux Anglais à entendre ailleurs,
ils sortiront à grande puissance, et allèrent courir et escamoucher
devant Saint-Loup d'Orléans. Ils tinrent les Anglais de si près que de
part et d'autre il y eut plusieurs morts, plusieurs blessés et plusieurs
prisonniers. Cependant les Français apportèrent dans la cité un étendard
des Anglais. Lorsque cette escarmouche se faisait, entrèrent dan?5 la
ville les vivres et les armes que la Pucelle avait conduits jusqu'à Chécy.
JOURNAL DU SIÈGE D^ORLÉANS. 119
CHAPITRE II
DÉLIVRANCE D'ORLÉANS.
Sommaire : I. — Dunois et d*autres gens de guerre et des bourgeois vont à la rencontre
de la Pucelle à Ghécy. — Seigneurs qui retournent à Blois. — La Pucelle entrant à
Orléans; son escorte, splendide réception, universelle allégresse. — L'étendard. —
Hôtel de la Pucelle.
II. — Samedi : Escarmouche sans la Pucelle et sans résultat. — Réclamation du héraut
prisonnier. — Commission qu'en le renvoyant lui donnent les Anglais. — Somma-
tion orale de la Pucelle et réponse. — Dimanche : Dunois part pour Blois. — La
Pucelle se montre à la foule et parcourt la ville, enthousiasme qu'elle excite. —
• Nouvelle sommation orale aux Anglais et réponse. — Lundi : La Pucelle examine
les positions anglaises. — Vêpres à Sainte-Croix.
lU. — Mercredi : La Pucelle va au-devant du convoi et des hommes d'armes qui
arrivent de Blois. — Inaction des Anglais. — La bastille Saint-Loup attaquée,
emportée, brûlée. — Les Anglais de Saint-Pouair, qui veulent la secourir, tenus en
respect.
IV. — Jeudi : Délibération du conseil. — Préparatifs. — Vendredi : Attaque portée
sur la rive gauche. — Abandon de la bastille Saint -Jean-le-Blanc. — Prise de la
bastille des Augustins. — On se prépare à l'attaque des Tourelles.
V. — Samedi : Les Tourelles vaillamment attaquées et vaillamment défendues. —
Blessure de la Pucelle. — Elle s'oppose à la retraite. — Signe qu'elle donne. —
Attaque du côté de la ville. — Les Anglais cherchent refuge dans les Tourelles. —
Le pont rompu. — Noyade. — Joie des Orléanais. — Ce qu'affirmaient les prison-
niers. — Les Tourelles gardées pendant la nuit.
VI. — Dimanche : L'armée française et anglaise en présence. — La Pucelle opposée à
la poursuite. — Retraite des Anglais. — Singulière délivrance d'un prisonnier. —
Joie d'Orléans. — Actions de grâces.
VIL — Départ de plusieurs guerriers. — Départ de la Pucelle, reconnaissance des
Orléanais. — Inventions faites durant le siège. — Processions. — Accord entre les
bourgeois et les hommes d'armes.
I
Au-devant de la Pucelle, allèrent jusqu'à Ghécy le bâtard d'Orléans et
d'autres chevaliers, écuyers et gens de guerre, tant d'Orléans comme
d'autres pays, fort joyeux de sa venue. Ils lui firent grande révérence et
bel accueil ; et ainsi fit-elle à eux.
Là ils arrêtèrent tous ensemble que, pour éviter le tumulte du peuple,
elle n'entrerait dans Orléans qu'à la nuit; et que le maréchal de Rais
et messire Ambroise de Loré qui, par le commandement du roi, l'avaient
conduite jusque là, s'en retourneraient à Blois, où plusieurs seigneurs et
gens de guerre étaient demeurés. Ce qui fut fait.
120 LA VRAIE JEANNE D*ARG : LA LIBÉRATRICE.
Sur les huit heures du soir, malgré tous les Anglais qui n'y mirent en
rien empêchement, la Pucelle entra à Orléans, armée de toutes pièces,
montée sur un cheval blanc ; elle faisait porter devant elle son éten-
dard qui était pareillement blanc, auquel il y avait deux anges tenant
chacun une fleur de lis en leurs mains ; et au panon était peinte
comme une Annonciation. C'est l'image de Notre-Dame ayant devant elle
un ange qui lui présente un lis. En entrant ainsi dans Orléans, elle avait
à son côté gauche le bâtard d'Orléans, armé et monté très richement.
Après, venaient plusieurs autres nobles et vaillants seigneurs, écuyers,
capitaines et gens de guerre, sans compter quelques-uns de la garnison,
et aussi des bourgeois d'Orléans, qui lui étaient allés au-devant.
D'autre part vinrent la recevoir les autres gens de guerre, bourgeois
et bourgeoises d'Orléans, portant grand nombre de torches, et faisant
autres signes de joie, comme s'ils avaient vu Dieu descendre parmi eux,
et non sans cause, car ils avaient plusieurs ennuis, travaux et peines, et
qui, pis est, grande crainte de n'être pas secourus, et de perdre tout,
leur corps et leurs biens. Mais ils se sentaient déjà tous réconfortés
et comme désassiégés par la vertu divine qu'on leur avait dit être en
cette simple pucelle, qu'ils regardaient moult affectueusement, tant
hommes, femmes que petits enfants. Et il y avait très merveilleuse
presse à toucher au cheval sur lequel elle était, tellement que l'un de
ceux qui portaient les torches s'approcha tant de son étendard que le
feu prit au panon. Mais elle frappa son cheval des éperons, et le tourna
jusqu'au panon dont elle éteignit le feu, aussi gentiment que si elle
eut longuement suivi les guerres; ce que les gens d'armes tinrent à
grande merveille, et les bourgeois d'Orléans aussi.
Ils l'accompagnèrent au long de leur ville et cité, montrant très
grande allégresse, et tous la conduisirent avec très grand honneur
jusques auprès de la porte Renart, en l'hôtel de Jacques Boucher, pour
lors trésorier du duc d'Orléans, où elle fut reçue avec très grande
joie, avec ses deux frères, et les gentilshommes (qui l'avaient con-
duite), et leur varlet, qui étaient tous venus du pays de Barrois.
11
Le lendemain qui fut samedi, dernier jour de ce mois d'avril,
saillirent hors de la ville La Ilire, messire Florent d'IUiers, et plusieurs
autres chevaliers et écuyers, avec quelques citoyens. Etendards déployés,
ils chargèrent sur l'armée des Anglais avec tant d'élan qu'ils les firent
reculer, et emportèrent la place où ils avaient établi le guet qu'ils
JOURNAL DU SIÈGE D'ORLÉANS. 121
tenaient alors à la place Saint-Pouair, à deux traits d'arc de la ville. Ce
qui fut cause qu'à cette heure on cria tout au long de la cité que cha-
cun apportât pailles, bottes et fagots pour mettre le feu au logis des
Anglais, dans leur armée ; mais on n'en fit rien, car les Anglais firent de
terribles cris et se mirent tous en ordonnance. Et pour cela les Français
s'en retournèrent après une très forte et longue escarmouche, durant
laquelle les canons, coulevrines et bombardes tirèrent merveilleusement,
si bien que de part et d'autre plusieurs furent tués, blessés, ou faits
prisonniers.
La nuit venue, la Pucelle envoya deux hérauts vers les Anglais de Tar-
mée, pour leur mander de lui renvoyer le héraut par lequel elle leur avait
fait parvenir ses lettres de Blois. Le bâtard d'Orléans leur manda pareille-
ment que, s'ils ne le renvoyaient pas, il ferait mourir de niale mort
tous les Anglais prisonniers dans Orléans, et ceux qui y avaient été en-
voyés par quelques seigneurs d'Angleterre pour traiter de la rançon des
autres.
C'est pourquoi les chefs de Tarmée renvoyèrent tous les hérauts et
messagers de la Pucelle, lui mandant par eux qu'ils la brûleraient et la
feraient rôtir, qu'elle n'était qu'une ribaude, et s'en retournât comme telle
garder les vaches ; ce dont elle fut fort peinée.
A cette occasion, sur le soir, elle alla au boulevard de Belle-Croix, sur
le pont, et de là elle parla à Glacidas et aux autres Anglais des Tou-
relles, et leur dit de se rendre de par Dieu, en se contentant d'emporter la
vie sauve ; mais Glacidas et ceux de sa suite répondirent vilainement,
l'injuriant, l'appelant vachère comme précédemment, criant très haut
qu'ils la feraient brûler, s'ils pouvaient la tenir; ce dont elle fut un peu
affectée; elle leur répondit qu'ils mentaient, et, cela dit, elle revint dans
la cité.
Le lendemain dimanche, en cette année 1429, le premier jour de mai,
le bâtard d'Orléans partit de la ville, pour aller à Blois vers le comte de
Clermont, le maréchal de Sainte-Sévère, le seigneur de Rais, et plusieurs
autres chevaliers, écuyers et gens de guerre.
Ce jour-là aussi Jeanne la Pucelle chevaucha par la ville, accompagnée
de plusieurs chevaliers et écuyers, parce que ceux d'Orléans avaient jsi
grande volonté djB la voir qu'ils rompaient presque la porte de l'hôtel où
elle était logée. Il y avait pour la voir tant de gens de la cité que, par les
rues où elles passait, on pouvait à grand'peine avancer, car le peuple ne
pouvait se saouler delà voir. Cela semblait à tous une grande merveille,
comment elle pouvait se tenir à cheval aussi gentement qu'elle le faisait.
422 LA VRAIE JEANNE D^ARC : LA LIBÉRATRICE.
<it à la vérité elle se maintenait en toutes manières aussi hautement
qu'aurait su faire un homme d'ai*mes, suivant la guerre dès sa jeunesse.
Ce même jour la Pucelle parla de nouveau aux Anglais près de la
Croix-Morin, et leur dit de s'en aller sans autre condition que la vie
«auve, et de s'en retourner, de par Dieu, en Angleterre, sans quoi elle les
^n ferait repentir ; mais il lui répondirent d'aussi vilaines paroles qu'ils
l'avaient déjà fait des Tournelles; c'est pourquoi elle retourna dans Orléans.
Le lundi, deuxième jour de mai, la Pucelle sortit d'Orléans à cheval,
et alla en dehors des remparts visiter les bastilles et les positions de
Tarmée anglaise ; le peuple courait après elle en très grande foule, pre-
nant très grand plaisir à la voir et d'être autour d'elle. Quand elle eut vu
et regardé à son aise les fortifications des Anglais, elle s'en retourna à
l'église de Sainte-Croix d'Orléans, dans la cité, et elle y entendit les
vêpres*.
III
Le mercredi, quatrième jour de ce même mois de mai, la Pucelle
saillit aux champs, ayant en sa compagnie le seigneur de Villars, messire
Florent d'illiers, La Hire, Alain Giron, Jamet du Tilloy, et plusieurs
autres écuyers et gens de guerre, en tout cinq cents combattants. Elle
alla au-devant du bâtard d'Orléans, du maréchal de Hais, du maréchal de
Sainte-Sévère, du baron de Colonces, et de plusieurs autres chevaliers et
écuyers, et d'autres gens de guerre, armés de guisarnes et de maillets
<[c plomb, amenant les vivres que les habitants de Bourges, d'Angers, de
Tours, deBlois, envoyaient aux habitants d'Orléans. Tous ces combattants
furent reçus avec une grande joie dans la ville, où ils entrèrent en passant
par devant la bastille des Anglais, qui n'osèrent sortir un instant, mais
qui se tenaient prêts en leurs postes de garde.
En ce même jour, après midi, la Pucelle et le bâtard d'Orléans partirent
<le la cité, menant en leur compagnie grand nombre de nobles et environ
quinze cents combattants, et ils allèrent assaillir la bastille Saint-Loup*.
Us y trouvèrent très forte résistance, car les Anglais, qui l'avaient beau-
coup fortifiée, la défendirent très vaillamment l'espace de trois heures
que Tassant dura, très âpre. Enfin les Français remportèrent de vive force,
et tuèrent cent quatorze Anglais, et en prirent et amenèrent dans la
1. L'église cathédrale d'Orléans est dédiée à la sainte Croix, et la fête patronale est
fixée au 3 mai, jour de Tlnvenlion de la Croix. La Pucelle assistait aux premières
vêpres de la solennité. Il y eut une procession où l'on porta la Vraie Croix.
2. L'auteur omet les circonstances merveilleuses qui attirèrent la Pucelle au milieu
du combat engagé sans elle, et qui sans elle ne tournait pas à l'avantage des Français.
JOURNAL DU SIÈGE D'ORLÉANS. 123
ville quarante prisonniers; mais avant de se retirer, ils abattirent, brû-
lèrent et démolirent entièrement cette bastille, à la très grande peine,
dommage et déplaisir des Anglais. Pendant Tassant, une partie de ceux
qui étaient à la bastille Saint-Pouair saillirent à grande puissance, dans
le dessein de secourir leurs gens ; ceux d'Orléans en furent avertis par
la cloche du beffroy qui sonna par deux fois ; au signal le maréchal de
Sain le -Sévère, le seigneur de Gravillc, le baron de Colonces, plusieurs
antres chevaliers et écuyers, gens de guerre et citoyens, en tout six
cents combattants, saillirent à la hâte hors d'Orléans, et se mirent aux
champs en très bel ordre de bataille à Tencontre des Anglais. Ceux-ci,
quand ils virent les Français ainsi saillir en belle ordonnance, laissèrent
leur entreprise de secourir leurs compagnons ; ils rentrèrent dolents et en
courroux dans leurs bastilles, dont ils étaient sortis en très grande hâte,
^'onobstant leur retour, ceux de la bastille attaquée se défendirent
avec encore plus d'acharnement, quoique les Français, ainsi qu'il a été
dit, aient fini par remporter.
IV
Le lendemain jeudi, qui fut TAscension de iNotre-Seigneur, fut tenu un
conseil auquel assistèrent la Pucelle ', le bâtard d'Orléans, les maréchaux
de Sainte-îSévère, de Rais, le seigneur de Gravillc, le baron de Colonces,
le seigneur de Villars, le seigneur de Xaiutrailles, le seigneur de Gau-
court, La Hire, le seigneur de Coarraze, messire Denys de Chailly, Thibaut
de Thermes, Jamct du Tilloy, un capitaine écossais nommé Canède,
d'autres capitaines et chefs de guerre, et aussi les bourgeois d'Orléans.
Il s'agissait d'aviser et d'arrôler ce qu'il y avait à faire contre les Anglais
qui les tenaient assiégés. Il fut conclu'^ qu'on donnerait l'assaut aux
Tournelles et au boulevard du bout du pont, quoique les Anglais les
eussent merveilleusement fortifiés de tout ce qui pouvait les défendre, et
d'un grand nombre de gens très expérimentés en guerre. Et pour cela les
capitaines commandèrent que chacun fût prêt le lendemain, et muni de
toutes choses propres à donner un assaut. 11 fut bien obéi à ce comman-
dement : dès le soir on fit si grande diligence que tout fut prêt au plus
malin, et la Pucellè en fut avertie.
1. Ici, et dans les deux jours qui suivent, l'auteur, tout en donnant la place d'hon-
neur à la Pucelle, passe sous silence l'opposition qu'elle rencontra de la part des
chefs. Il est moins véridique, non seulement que la Chronique des (iousinot, mais
encore que rhistoriographe officiel Jean Chartier. 11 n'a pas voulu laisser, dans un
document officiel de la ville, trace de ce qui était peu honorable pour les capitaines.
Cet esprit se fait jour tout le long de son récit.
2. ()e fut loin d'être aussi simplement arrêté qu'il le dit.
124 LA VRAIE JEANNE D'aRG : LA LIBÉRATRICE.
Elle saillit hors d'Orléans, ayant en sa compagnie le bâtard d'Orléans,
les maréchaux de Sainte-Sévère et de Rais, le seigneur de Graville, mes-
sire Florent dllliers, La Hire, et plusieurs autres chevaliers et écuyers,
environ quatre mille combattants; elle passa la rivière entre Saint-Loup
et la Tour-Neuve, et de prime abord ils prirent Sain t- Jean- le-Blanc dont
les Anglais s'étaient emparés et qu'ils avaient fortifié*.
Ils se retirèrent ensuite en une petite île qui est en face de Saint-
Aignan. Alors les Anglais des Tournelles saillirent à grande puissance,
faisant de grands cris, et ils vinrent les charger très fort et de près ;
mais la Pucelle et La Ilire, avec une partie de leurs gens, se joignirent
ensemble et se retournèrent contre les Anglais avec tant de force et de
hardiesse qu'ils les contraignirent de reculer jusqu'à leurs boulevards
et tournelles. De pleine venue ils livrèrent un tel assaut au boulevard
et à la bastille que les Anglais avaient fortifiés tout près, au lieu où
était Téglise des Augustins, qu'ils s'en emparèrent de vive force, déli-
vrant grand nombre de Français qui y étaient détenus prisonniers, tuant
plusieurs Anglais qui les avaient défendus très âprement, en sorte que,
de part et d'autre, on y fit beaucoup de beaux faits d'armes. Le soir de
cette journée les Français mirent le siège devant les Tournelles et les
boulevards qui étaient tout autour; ce qui fit que, durant toute la nuit,
ceux d'Orléans firent grande diligence pour porter pain, vin et autres
vivres aux gens de guerre tenant le siège.
Le jour suivant, au plus matin, sixième* jour de mai, les Français
assaillirent les Tournelles, les boulevards et les taudis [constructions) que
les Anglais y avaient faits pour les fortifier. 11 y eut un fort merveilleux
assaut, durant lequel furent accomplis plusieurs beaux faits d'armes,
tant par les assaillants que par les défendants. Il y avait grand nombre
d'Anglais fort braves, munis abondamment de tous les moyens de
défense. Ils le montrèrent bien ; les Français avaient beau les écheler
par divers endroits, en nombre très épais; ils avaient beau les assaillir de
front au plus haut de leurs fortifications, avec une telle vaillance et imc
telle hardiesse qu'il semblait à leur hardi maintien qu'ils se crussent
1. Les Anglais firent assez peu de résistance. Voyant que le poste n était pas
tenable, ils le démantelèrent et se retirèrent aux Augustins.
2. Le mercredi étant le 4, le samedi est forcément le septième, et le dimanche le
huitième. Tous les manuscrits portent le sixième et le septième , c'est une preuve que
Saturnin Hotot les reproduisait lidèlemenl.
JOURNAL DU SIÈGE D*ORLÉANS. 125
immortels ; il les repoussèrent maintes fois, les précipitèrent de haut en
bas, avec leurs canons et armes de trait, avec leurs lances, leurs guisar-
mes, leurs maillets de plomb, et même avec les mains, tellement qu'ils
en tuèrent et blessèrent plusieurs *.
Entre les autres, la Pucelle y fut blessée et percée entre Tépaule et la
gorge si avant que le trait passait outre. Tous les assaillants en eurent
très grande douleur et chagrin ^ et spécialement le bâtard d'Orléans, et
les autres capitaines. Ils vinrent vers elle, et lui dirent qu'il valait mieux
laisser l'assaut jusques au lendemain; mais elle les réconforta par de très
belles et hardies paroles, les exhortant de conserver leur hardiesse. Ne
voulant pas la croire, ils délaissèrent Tassant et se tirèrent en arrière,
voulant faire rapporter leur artillerie jusqu'au lendemain. Elle en fut
très affligée et leur dit : « En nom de Dieu, vous entrerez bien ine/ (bientôt)
dedans^ n*en ayez pas doute; et les Anglais n auront plus de force sur vous.
Cest pourquoi reposez-vous un peu^ buvez et mangez. » Ce qu'ils firent ;
car à merveille ils lui obéissaient.
Quand ils eurent bu, elle leur dit : « Retournez de par Dieu derechef à
f assaut ; car sans nulle faute les Anglais n auront plus la force de se
défendre^ et les Tournelles seront prises avec leurs boulevards, » Cela dit,
elle laissa son étendard, et s'en alla sur son cheval en un lieu détourné
faire oraison à Notre-Seigneur; et elle dit à un gentilhomme qui était
tout près : « Donnez-vous garde (remarquez) quand la queue de mon éten-
dard sera, ou touchera contre le boulevard, » Le gentilhomme lui dit un peu
après : « Jeanne, la queue y touche », et elle lui répondit alors : « Tout
est vôtre, et tj entrez ».
Bientôt après, cette parole fut reconnue prophétie. Car lorsque les
vaillants chefs et gens d'armes demeurés dans Orléans virent qu'on vou-
lait donner un nouvel assaut, quelques-uns se précipitèrent de la cité par-
dessus le pont ; et, parce que plusieurs arches étaient rompues , ils menèrent
un charpentier et portèrent des gouttières et des échelles dont ils firent
planche. Voyant qu'elles n'étaient pas assez long ues pour porter sur les
deux bouts d'une des arches rompues, ils joignirent une petite pièce de
bois à l'une des plus grandes gouttières, et firent si bien qu'elle tint. Un
très vaillant chevalier, appelé Nicolas de Giresme,5de l'ordre de Rhodes,
dit de Saint-Jean de Jérusalem, passa le premier tout armé, et à son
exemple plusieurs passèrent aussi. On a dit depuis que cela avait été
miracle de Notre-Seigneur plus qu autre chose, vu que la gouttière était
merveilleusement longue et étroite, haute en l'air, sans avoir aucun appui*.
i. Dans ses interrogatoires, la Pucelle avoue cent blessés.
2. Dont tous les assaillants furent moult dolens et courroucés,
3. On verracependant, dans les « Comptes de la Ville », qu'une grosse pièce de bois fut
126 LA VnAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
Une fois passés, ils se mirenl, avec leurs compagnons, à pousser Tassant
qui depuis dura peu de temps ; car sitôt qu'il eut recommencé, les
Anglais perdirent toute force pour continuer à résister, et ils songèrent
à passer du boulevard dans les Tournelles. Peu d^entre eux purent se
sauver, car de quatre ou cinq cents combattants qu'ils étaient, tous furent
tués ou noyés, excepté un petit nombre qui furent faits prisonniers et
qui n'étaient pas grands seigneurs. Glacidas, qui était capitaine et fort
renommé au fait des armes, le seigneur de Molins, le seigneur de
Pommins, le bailli do Mantes, plusieurs autres chevaliers bannerets et
nobles d'Angleterre se noyèrent. En se précipitant sur le pont pour
se sauver, il arriva que le pont rompit sous leurs pas; ce qui fut
grand ébahissement de la force des Anglais (^/c?), et grand dommage
pour les vaillants Français qui de leur rançon auraient pu avoir grandes
finances.
Toutefois ils lirent éclater grande joie, et louèrent Noire-Seigneur de
la grande victoire qu'il leur avait donnée, et ils devaient bien le faire;
car on dit* que l'assaut qui dura depuis le matin jusqu'au soleil cou-
chant, fut si grandement engagé et repoussé, que ce fut un des plus
beaux faits d'armes accomplis depuis bien longtemps. Aussi ce fut un
miracle de Notre-Seigneur fait à la requête de saint Aignan et de saint
Euverte, jadis évoques d'Orléans, et maintenant ses patrons. C'était la
commune opinion ; elle était regardée comme fort vraisemblable, même
par les prisonniers* amenés. L'un d'eux certifia qu'il lui semblait à lui, et
à tous les autres Anglais des Tournelleset des boulevards, il leur semblait^
quand on les assaillait, qu'ils voyaient tant de peuple que merveille, et
que tout le genre humain était rassemblé contre eux. Aussi tout le clergé
€t le peuple chantèrent dévotement Te Deiim laudamus^ et firent sonner
toutes les cloches de la ville, remerciant pour cette glorieuse consolation
divine Notre-Seigneur et les deux saints confesseurs; ils firent de toutes
parts de grandes manifestations de joie, donnant de merveilleuses louan-
ges à leurs vaillants défenseurs, et spécialement, et par-dessus tous les
autres, à Jeanne la Pucelle.
Elle demeura aux champs^ cette nuit, et les seigneurs, capitaines ot
gens d'armes demeurèrent comme elle, tant pour garder les Tournelles
ainsi vaillamment conquises, que pour savoir si les Anglais de Saint-
achetée pour mettre au travers iVune des arches du pont qui fut rompu. Joignait-elle?
C'est ce qui n'est pas dans le texte.
1. Cet on dit marque assez que le chroniqueur n'était pas présent ; ce qui est confirmé
par l'erreur qu'il commet un peu plus bas, en faisant coucher Jeanne aux Tournelles.
2. Le texte de Quicherat porte pcrsonneHj ainsi que l'édition de 1576, mais on lit
prisonniers dans le manuscrit.
3. Erreur, elle rentra en ville.
JOURNAL DU SIÈGE D'ORLÉANS. 127
Laurent ne sortiraient pas pour secourir ou venger leurs compagnons, mais
ils n'en avaient nul vouloir.
VI
Tout au contraire, le lendemain matin, jour de dimanche, septième [Inii-
tième) jour de mai, en cette même année mil quatre cent vingt-neuf, ils
délogèrent de leurs bastilles, et ainsi firent les Anglais de Saint-Pouair et des
autres lieux; et tout en levant le siège, ils se mirent en ordre de bataille.
Cela fut cause que la Pucelle, les maréchaux de Sainte-Sévère et de Rais,
le seigneur de Graville, le baron de Colonces, messire Florent d'Illiers, le
seigneur de Coarraze, le seigneur de Xaintrailles, La Hire, Alain Giron,
Jamet du Tilloy, et plusieurs autres vaillants gens de guerre et citoyens,
sortirent d'Orléans en grande puissance, et se placèrent et rangèrent
devant eux, eux aussi en ordonnance de bataille. En cette disposition les
deux armées furent très près Tune de Tautre, l'espace d'une heure entière,
sans se toucher. Ce à quoi les Français se résignèrent à regret, pour
obtempérer au vouloir de la Pucelle, qui dès le commencement, par
amour et pour l'honneur du saint dimanche, leur en avait fait le com-
mandement, leur défendant de commencer le combat, d'assaillir les
Anglais ; mais si les Anglais les assaillaient, elle leur avait dit de se
défendre fort et hardiment, de n'avoir aucune peur, et qu'ils seraient les
maitres. L'heure passée, les Anglais se mirent en chemin, et bien rangés
et ordonnés s'en allèrent à Meung-sur-Loire, levant et abandonnant
totalement le siège, qu'ils avaient tenu devant Orléans, depuis le
douzième jour d'octobre mil quatre centvingt-huit jusqu'à ce jour. Tou-
tefois en s'en allant ils ne purent pas sauver tous leurs bagages ; car quel-
ques hommes de la garnison de la cité les poursuivirent, tombèrent par
diverses attaques sur la queue de leur armée, leur enlevant grosses
bombardes, canons, arcs, arbalètes et autre artillerie.
Il y avait en ce jour un Augustin anglais, confesseur du seigneur de
Talbot, qui en son nom gouvernait un sien prisonnier français, très
vaillant homme d'armes, nommé Le Bourg de Bar, qui avait les fers aux
pieds. Il le menait à la suite des autres Anglais par-dessous le bras, tout
au petit pas, vu qu'à cause des fers il ne pouvait pas aller autrement.
Le prisonnier, voyant qu'ils restaient fort en arrière, et en homme
entendu en fait de guerre, connaissant que les Anglais s'en allaient sans
retour, contraignit par force l'Augustin à le porter sur ses épaules,
jusque dans Qrléans, échappant ainsi à la rançon. Par cet Augustin l'on
sut beaucoup de ce qui était advenu aux Anglais ; car il était fort familier
de Talbot.
i28 LA VRAIE JEANNE D*ARC : LA LIBÉRATRICE.
De leur côté la Pucelle, les autres seigneurs et gens d'armes rentrèrent
en grande joie dans Orléans, à la très grande exultation de tout le clergé
et du peuple. Tous ensemble rendirent à Notre-Seigneur très humbles
actions de grâces, et louanges très méritées, pour les grands secours, et
grandes victoires qu'il leur avait données et envoyées contre les Anglais,
anciens ennemis de ce royaume.
VII
Quand vint l'après-midi, messire Florent d'IUiers prit congé des
seigneurs et capitaines, des autres gens d'armes et aussi des bourgeois de
la ville ; et avec les gens de guerre qu'il avait amenés, retourna à Chà-
teaudun dont il était capitaine, reportant grande estime, louange et
renommée, pour les vaillants faits d'armes accomplis par lui et par ses
gens à la défense et au secours d'Orléans.
La Pucelle partit pareillement le lendemain, et avec elle le seigneur de
Rais, le baron de Colonces et plusieurs autres chevaliers, écuyers et
gens de guerre. Elle s'en alla devers le roi lui porter les nouvelles de la
noble besogne, et aussi pour le faire mettre en campagne, afin d'être
couronné et sacré à Reims.
Mais avant son départ elle prit congé de ceux d'Orléans qui tous pleu-
raient de joie, et très humblement la remerciaient, et lui offraient leurs
personnes et leurs biens pour en faire à sa volonté ^ Ce dont elles les
remercia très bénigncment ; et elle entreprit son second voyage ; car
elle avait fait et accompli le premier, qui était de lever le siège d'Orléans.
Durant ce siège furent faits plusieurs beaux faits d'armes, escar-
mouches, assauts, et furent trouvés innumérables engins, nouveautés et
subtilités de guerre, plus que long temps auparavant n'eût été fait devant
nulle autre cité, ville ou château de ce royaume, ainsi que le disaient
toutes les gens en ce connaissant, tant Français qu'Anglais qui les avaient
vu accomplir et inventer.
Ce même jour (/e <?), et le lendemain aussi, les gens d'Eglise, les seigneurs,
capitaines, gendarmes et bourgeois qui étaient et demeuraient dans
Orléans firent de très belles et solennelles processions, et visitèrent les
églises avec très grande dévotion.
Il est vrai qu au commencement, et avant que le siège fût assis, les
bourgeois ne voulaient souffrir l'entrée d'aucun homme d'armes dans la
ville, par la crainte qu'ils ne voulussent les piller, ou trop fort les maîtriser.
1. Mais avant print congié de ceulx d'Orléans, qui tous plouroienl dejoye, et se offraient
eulx et leurs biens à elle et à sa volonté.
JOURNAL DU SIÈGE D'ORLÉANS. 129>
Toutefois dans la suite ils laissèrent entrer tous ceux qui voulurent venir,.
dès qu'ils connurent qu'ils ne voulaient que les défendre, et quïls se
comportaient si vaillamment contre leurs ennemis. Ils étaient très unis
avec eux pour défendre la cité ; ils se les partageaient entre eux, dans
leurs maisons, et les nourrissaient des biens que Dieu leur donnait, aussi
familièrement que s'ils avaient été leurs propres enfants.
CHAPITRE III
CAMPAGNE DE LA LOIRE.
SoMMAiiUi: : L — Expédition inutile contre Jargeau en l'absence de la Pucelle.
11. — La Pucelle presse le roi d'aller se faire sacrer à Reims. — Opposition de la cour.
— La Pucelle interrogée révèle ses entretiens avec les voix. — Le voyage de Reims
est décidé après la prise de plusieurs places sur la Loire. — Le duc d'Alençon reçoit
le titre de lieutenant général du roi, avec ordre d'obéir à la Pucelle. — Départ pour
Orléans.
m. — Départ pour Jargeau. — Fausse alerte. — Le siège. — Le duc d'Alençon mira-
culeusement préservé par la Pucelle. — L'assaut. — Anglais abattu par maître
Jean. — Grosse pierre sur la tête de la Pucelle ; signe de victoire. — Les Anglais
forcés sur le pont. — Reddition de SufTolk. — Prisonniers et tués. — Pillage de
Jargeau. — Retour à Orléans.
IV. — On accourt de toutes parts à Tarmée de la Pucelle. — En marche pour assiéger
Baugency, prise du pont de Meung. — Entrée dans Baugency. — Arrivée du Conné-
table et conditions imposées à son admission dans Tarmée. — Capitulation du
château et du pont de Baugency. — Le secours amené par Fastolf et Talbot dirigé
contre le pont de Meung. — Retraite à l'arrivée de l'avant-garde française.
\, — L'armée française à la poursuite de l'armée anglaise. — Victoire de Patay,
morts, prisonniers. — Reddition de Janville. — Terreur des Anglais, confiance des
Français. — Le roi frustre l'attente des Orléanais. — La Trémoille empêche l'ad-
mission dans l'armée du Connétable et de ses gens. — Mécontentement.
I
Peu de temps après la levée du siège, sortirent de la ville le bâtard
d'Orléans, le maréchal de Sainte-Sévère, le seigneur de Graville, le
sei^eur de Coarraze, Poton de Xaintrailles, et plusieurs autres chevaliers,
écuyers et gens de guerre, parmi lesquels plusieurs portaient des
gaisarmes, venus qu'ils étaient de Bourges, de Tours, d'Angers, de Blois,
et d'autres bonnes villes du royaume. Ils allèrent devant Jargeau, où^
durant plus de trois heures, ils firent plusieurs escarmouches pour voir
s'ils pourraient l'assiéger.
ni. 9
130 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
Ils connurent qu'ils ne pourraient y rien gagner, parce que Teau était
haute et remplissait les fossés. Ils s'en retournèrent donc sains et saufs,
mais les Anglais y éprouvèrent de grands dommages ; car un vaillant
chevalier d'Angleterre, du nom de Henri Biset, alors capitaine de la ville,
y fut tué ; perte pour laquelle les Anglais menèrent grand deuil.
II
Pendant qu'avaient lieu ces engagements, la Pucelle, poursuivant son
chemin, arriva vers le roi. Sitôt qu'elle le vit, elle s'agenouilla très dou-
cement devant lui, et en l'embrassant par les jambes, elle lui dit:
« Gentil Daiiphi?ij venez prendre votre sacre à Reims ; je suis fort
aiguillonnée que vous y alliez ; 71' ayez aucun doute qu'en cette cité vous
recevrez votre digne sacre ». Le roi lui fit très grand accueil ; et ainsi le
firent tous ceux de sa cour, en considération de son honnête vie, et des
grands faits et merveilles d'armes, réalisés sous sa conduite.
Bientôt après le roi manda les seigneurs, les chefs de guerre, les
capitaines et les autres sages de sa cour ; et il tint plusieurs conseils à
Tours pour savoir ce qu'il y avait à faire, touchant la requête de la
Pucelle, qui demandait si afl*ectueusement et si instamment qu'il se
dirigeât vers Reims, assurant qu'il y serait sacré. Sur quoi les opinions
furent diverses. Les uns conseillaient qu'on allât auparavant en
Normandie ; les autres que l'on commençât par prendre quelques-unes
des principales places des rives de la Loire. Enfin le roi, et trois ou quatre
de ses conseillers les plus intimes, s'étant tirés à part, devisaient entre eux
en grand secret, qu'il serait bon pour plus de sûreté de savoir de la
Pucelle ce que la voix lui disait, et d'où lui venait tant de fermeté dans
ses assurances ; mais ils craignaient de s'enquérir auprès d'elle de la
vérité, de peur qu'elle en fut mécontente. Elle le connut par grâce divine :
c'est pourquoi elle vint devers eux et dit au roi : a En nom de Dieu, je
sais ce que vous pensez^ et ce que vous voulez dire de la voix que foi
ouïe, touchant votre sacre. Je vous le dirai ; je me suis mise en oraison
en ma manière accoutumée^ et je me complaignais de ce que Pon ne voulait
pas me croire de ce que je disais y et alors la voix me dit : « Fille *, wa, t?a,
« va ; je serai en ton aide » ; et quand cette voix me vient^ je suis tant
1. Quicherat observe juslement que la leçon véritable est « fille de Dieu », et que la
scène se passait à Loches. L'auteur abrège, mais il est inexcusable d'avoir omis un
mot aussi touchant et aussi glorieux. Tout en croyant au surnaturel, il était de ceux
qui craignent que la manifestation en soit trop fréquente ; son récit ici et ailleurs
semble le prouver.
JOURNAL DU SIÈGE D'ORLÉANS. 131
réjouie que c'est nieîweille. » Et en disant ces paroles, elle levait les yeux
au ciel, en montrant des signes de grande exultation.
Après cette manifestation, le roi fut de nouveau bien joyeux, et il en
conclut qu'il la croirait et qu'il irait h Reims ; mais toutefois qu'aupa-
ravant il ferait prendre quelques places des bords de la Loire. Pendant
le temps qu'on mettrait à les prendre, il assemblerait grande puissance
de princes, de seigneurs, de gens de guerre et d'autres, parmi ceux qui
lui obéissaient. A cette fin il créa son lieutenant général, Jean, duc
d'Alençon, nouvellement délivré des mains des Anglais, dans lesquelles
il avait été prisonnier, depuis la bataille de Verneuil jusqu'alors qu'il
venait d*en sortir. Il avait payé partie de sa rançon, et avait donné des
gages et des otages pour le reste ; il s'était acquitté depuis, en peu de
temps, en vendant pour cela une partie de ses terres. Il tendait à en
recouvrer d'autres en aidant et secourant le roi son souverain seigneur,
qui pour ce faire lui donna grand nombre de gens d'armes et beaucoup
d^armes de guerre, et mit en sa compagnie la Pucelle, en lui commandant
EXPRESSÉMENT DE SE CONDUIRE ET DE FAIRE ENTIÈREMENT PAR SON CONSEIL. £t
u. LE FIT AINSI, étant celui qui prenait grand plaisir (le plus de plaisir)
à la voir en sa compagnie ; et aussi le faisaient les gens d'armes, et encore
les hommes du peuple, tous la tenant et la réputant envoyée par Noire-
Seigneur ; et ainsi était-elle.
C'est pourquoi le duc d'Alençon, la Pucelle et leurs gens d'armes
prirent congé du roi, et se mirent aux champs, tenant belle ordonnance.
En cet état, ils entrèrent peu de temps après à Orléans, où ils furent
reçus à la très grande joie de tous les citoyens, et sur tous les autres la
Pucelle, qu'ils ne pouvaient se rassasier de voir *.
III
Le duc d'Alençon, la Pucelle, le comte de Vendôme, le bâtard d'Orléans,
le maréchal de Sainte-Sévère, La Hire, messire Florent d'IUiers, Jamet
du Tilloy, un vaillant gentilhomme dès lors très renommé appelé Tudual
de Carmoisen, dit Le Bourgeoys, de la nation de Bretagne, avec plusieurs
autres gens de guerre, après un court séjour à Orléans, en partirent le
samedi, onzième jour de juin, formant tous ensemble environ huit mille
combattants, tant à cheval qu'à pied, parmi lesquels quelques-uns
portaient des guisarmes, des haches, des arbalètes, et d'autres des
maillets de plomb. Menant avec eux une assez grande artillerie, ils
\. De laquelle veoir ne se povoyent saouler.
in LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
allèrent mettre le siège devant la ville de Jargeau, occupée par les Anglais ;
en laquelle se trouvaient messire Guillaume de la Poule, comte de Suffolk;
et ses deux frères messire Jean et messire Alexandre de la Poule, avec de
six à sept cents combattants anglais, munis de canons et autre
artillerie, et bien vaillants en guerre, comme ils le montrèrent bien
durant les assauts et les escarmouches qu'il eurent à soutenir.
Le siège fut {un moment) à demi levé par les paroles d'épouvante de
quelques-uns, qui disaient qu'on devait le suspendre pour aller à
rencontre de messire Jean Fastolf et d'autres chefs du parti ennemi,
venant de Paris et amenant des vivres, de l'artillerie, avec bien deux
mille combattants anglais dans le but de faire lever le siège, ou tout au
moins de ravitailler Jargeau et de lui donner secours. De fait plusieurs
se retirèrent, et tous les autres eussent ainsi fait, sans la Pucelle et
quelques seigneurs et capitaines qui, par leur belles paroles, les firent
demeurer et ramenèrent les autres.
Le siège fut rassis en un moment, et les escarmouches commencèrent
contre ceux de la ville, qui répondirent merveilleusement par leurs
canons et d'autres traits. Plusieurs Français furent tués ou blessés.
Entre les autres, /a tête fut ôtée par le coup d'un veuglaire, à un gentil-
homme d'Anjou qui s'était mis près de la place. Le duc d'Alençon, sur
^ Tavertissement de la Pucelle lui remontrant qu'il était en péril, s'était
retiré en arrière depuis si peu de temps qu'il n'était pas encore à deux
toises loin du chevalier frappé. Tout le long du jour et durant la nuit qui
suivit, les Français déchargèrent leurs bombardes et canons contre la
ville; elle en fut fort battue ; trois coups de Tune des bombardes d'Orléans,
dite Bergeine ou BergèrCy firent tomber la plus haute des tours qui s'y
trouvaient.
Aussi le lendemain, un dimanche et le douzième jour de juin, les gens
de guerre français descendirent dans les fossés, munis d'échelles et de
toutes les autres pièces nécessaires pour un assaut ; ils assaillirent
merveilleusement ceux du dedans, qui se défendirent très vigoureuse-
ment un grand espace de temps. Il y avait spécialement sur les murs,
l'un d'eux, très grand et gros, armé de toutes pièces, portant sur
la tète un bassinet, qui, s'abandonnait très fort [au dehors), jetait
étonnamment de grosses pierres de faix et abattait continuellement
les échelles et ceux qui se trouvaient dessus. Le duc d'Alençon le montra
à maître Jean, le coulevrinier, qui pointa contre lui sa coulevrine.
Du coup il frappa en pleine poitrine l'Anglais qui se montrait ainsi à
découvert, et le précipita mort dans la ville.
D'autre part la Pucelle, pendant Tassant, descendit dans le fossé avec
son étendard, au lieu où la résistance était la plus âpre ; et elle
JOURNAL DU SIÈGE D'ORLËAiNS. 133
alla si près du mur qu'un Anglais lui jeta une grosse pierre de faix * sur
la tête et l'atteignit de manière à la contraindre de s'affaisser à terre. La
pierre, quoique d'un caillot très dur, s'émielta par pièces sans guère
faire de mal à la Pucelle ; elle se releva tout incontinent ; et montrant
un énergique courage, elle se mit à exhorter ses gens de plus fort, leur
disant de n'avoir nulle crainte, car les Anglais n'avaient plus de force de
se défendre contre eux ; en quoi elle leur dit la vérité, puisque,
incontinent après ces paroles, les Français, tout pleins d'assurance, se
prirent à monter contre les murs avec une telle hardiesse qu'ils entrèrent
dans la ville et la prirent d'assaut.
Quand le comte de Suffolk, ses deux frères, et plusieurs seigneurs
d'Angleterre virent qu'ils ne pourraient plus défendre les remparts, ils
se retirèrent sur le pont; mais, dans la retraite, messire Alexandre, frère
du comte, fut tué, et aussitôt après le pont fut rendu par les Anglais qui
le reconnurent trop faible pour tenir, et se voyaient pris par-dessus.
Plusieurs vaillants gens de guerre poursuivirent les Anglais ; et il y
avait en particulier un gentilhomme français, nommé Guillaume
Regnault, qui faisait de grands efforts pour prendre le comte de Suffolk.
Celui-ci lui demanda s'il était gentilhomme; à quoi il répondit que oui,
et, de nouveau, s'il était chevalier, et il répondit que non. Le comte
le fit chevalier et se rendit à lui. Furent semblable ment pris et faits
prisonniers messire Jean de La Poule, frère du comte, et plusieurs
autres seigneurs et gens de guerre, parmi lesquels quelques-uns furent le
soir conduits par eau et de nuit à Orléans, dans la crainte qu'ils ne
fussent tués ; plusieurs autres, en effet, furent tués en chemin, par suite
d'un débat que le partage des prisonniers fit surgir entre les Français.
Au regard de la ville de Jai^eau, tout y fut pillé, même l'église où l'on
avait déposé foison de biens.
Cette même nuit, le duc d'Alençon, la Pucelle avec plusieurs seigneurs
et gens d'armes, retournèrent à Orléans, où ils furent reçus à très grande
joie. De là ils firent savoir au roi la prise de Jargeau, et comment
Tassaut avait duré quatre heures, durant lesquelles eurent lieu grand
nombre de beaux faits d'armes.
De quatre à cinq cents Anglais y furent tués, sans compter les pri-
sonniers qui étaient de grand renom, tant en noblesse qu'en faits de
guerre.
i. Pierre de faix, pierre qu'on jetait par le moyen des balistes ou des mangonneaux,
de la grosseur d'un fardeau (Glossaire de Lacurne).
134 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
IV
Le duc d'Alençon et la Pucelle, après cette conquête, firent un court
séjour à Orléans, où il y avait déjà de six à sept mille combattants, et où
l'armée fut renforcée par l'arrivée de plusieurs seigneurs, chevaliers,
écuyers, capitaines et vaillants hommes d'armes, et entre les autres,
par la venue du seigneur de Laval, et du seigneur de Lohéac, son frère,
du seigneur de Chauvigny du Bcrry, du seigneur de La Tour d'Auvergne,
du vidame de Chartres.
Vers ces jours le roi vint à Sully-sur-Loire. A la vérité son armée
croissait beaucoup ; de jour en jour on y voyait des gens de toutes les
parties du royaume soumises à son obéissance.
Le mercredi quinzième jour du même mois de juin, le duc d'Alençon, en
sa qualité de lieutenant général de l'armée du roi, accompagné de la
Pucelle, de messire Louis de Bourbon comte de Vendôme, «t d'autres
seigneurs, capitaines et gens d'armes en grand nombre, tant à pied
qu'à cheval, partit d'Orléans avec une grande quantité de vivres, de
charrois et d'artillerie, pour aller mettre le siège devant Baugency, et en
chemin assaillir le pont de Meung, quoiqu'il fut fortifié par les Anglais,
et bien garni de vaillantes gens, qui s'efforçaient de bien le défendre.
Mais, malgré leur défense, il fut pris de plein assaut sans guère arrêter
l'armée.
De là, conservant bien leur ordonnance, ils partirent le lendemain
bien matin, et firent tant qu'ils arrivèrent devant Baugency, et y
entrèrent. Les Anglais l'avaient abandonné pour se retirer au château
et sur le pont qu'ils avaient fortifié ; cependant les Français ne se
logèrent nullement à l'aise. Quelques Anglais s'étaient embusqués secrè-
tement dans des maisons et des masures ; ils en saillirent soudainement
pour tomber sur les Français pendant qu'ils prenaient leur logis ; il s'en-
suivit une très forte escarmouche, durant laquelle il y eut de part et
d'autre des tués et des blessés. Les Anglais furent enfin contraints de se
retirer sur le pont ou au château, que les Français se mirent à assiéger
du côté de la Beauce, disposant à cet effet leurs bombardes et leurs
canons.
A ce siège arriva Arthur, comte de Richement, connétable de France
et frère {beau-frère) du duc de Bourgogne, et avec lui se trouvait
Jacques de Dinan, seigneur de Beaumanoir, frère du seigneur de Cha-
teaubriand. A son arrivée le Connétable pria la Pucelle, et par amour
pour lui les autres seigneurs la prièrent avec lui, qu'elle voulût bien faire
sa paix avec le roi; elle le lui octroya, à la condition qu'il jurerait devant
JOURNAL DU SIÈGE D'ORLÉANS. 135
elle et les seigneurs de servir loyalement le roi. La Pucelle voulut plus
encore ; elle exigea que le duc d'Alençon et les autres seigneurs se por-
tassent garants de sa fidélité, et en donnassent leurs lettres scellées; ce
qu'ils firent. Par ce moyen le Connétable demeura au siège avec les autres
seigneurs.
Tous ensemble conclurent qu'ils mettraient une partie de leurs gens
du côté de la Sologne, pour que les Anglais fussent assiégés de toutes
parts; mais le chef des assiégés fit demander à la Pucelle de parlementer
afin de traiter; ce qu'on lui accorda. A la fin du pourparler, qui eut lieu
sur le milieu de la nuit de cette journée {vendredi /7), il fut octroyé que
les Anglais, après avoir rendu le château et le pont, pourraient s'en aller
le lendemain, emmener leurs chevaux et leurs harnais, et emporter
chacun quelque chose de leurs biens meubles ; mais pas au delà de la
valeur d'un marc d'argent ; et de plus ils jurèrent de ne s'armer qu'après
dix jours passés. A ces conditions, ils s'en allèrent le lendemain,
dix-huitième jour de juin, et se retirèrent dans Meung. Les Français
entrèrent dans le château et y mirent des gens pour le garder.
D'une autre part, la nuit môme qu'avait lieu la composition pour
rendre le château et le pont de Baugency, arrivèrent les seigneurs de
Talbot et de Scales, et messire Jean Fastolf. Ayant su la prise de la ville
de Jargeau, ils avaient laissé à Étampes les vivres et Tartillerie qu'ils
amenaient de Paris pour la secourir ; et ils s'étaient en grande hâte portés
au secours de Baugency, espérant faire lever le siège; mais ils ne purent
pas y entrer, encore qu'ils fussent quatre mille combattants ; ils trou-
vèrent les Français en telle ordonnance qu'ils délaissèrent leur entreprise.
Ils retournèrent au pont de Meung et l'assaillirent très âprement; mais
nécessité leur fut de tout laisser et d'entrer dans la ville. L'avant-garde
des Français était arrivée le matin de ce jour, partie qu'elle était très
hâtivement après la prise de Baugency, et se disposait à fondre sur eux.
Aussi, ce même jour, ils quittèrent Meung entièrement, et ils se mirent
aux champs en belle ordonnance, avec le dessein d'aller à Janville.
Lorsque le duc d'Alençon et les autres seigneurs français, qui venaient
après leur avant-garde, surent la retraite des Anglais, ils se hâtèrent le
plus qu'ils purent, tout en gardant belle ordonnance, si bien que les
Anglais n'eurent pas le loisir d'aller jusqu'à Janville, mais seulement
jusqu'à un village de la Beauce, du nom de Patay.
Parce que la Pucelle et plusieurs seigneurs ne voulurent pas que le
436 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
gros deTarmée changeât son pas, Ton fit choix de La Hire, de Poton, de
Jamet du Tilloy, de messire Ambroise de Loré, de Thibaud de Thermes,
et d'autres vaillants hommes d'armes à cheval, pris soit parmi les gens du
seigneur de Beaumanoir, soit parmi d'autres qui se mirent en leur com-
pagnie, et on leur donna la charge d'aller courir et escarmoucher autour
des Anglais pour les retenir et les empêcher de s'établir en forte position.
C'est ce qu'ils firent, et plus encore ; car ils fondirent sur les rangs
ennemis avec une telle impétuosité, qu'encore qu'ils ne fussent que de
quatorze à quinze cents, ils les mirent en désarroi et en déconfiture,
quoique ces ennemis fussent au nombre de plus de quatre mille hommes
de combat. Environ deux mille deux cents Anglais ou faux Français
restèrent morts sur place ; les autres se mirent à fuir, espérant se sauver
à Janville : les habitants leur fermèrent les porte de la ville ; par suite ils
durent fuir ailleurs, à Taventure. Plusieurs furent encore tués et pris,
surtout par le gros de l'armée, qui, au moment de la déroute, avait rejoint
les premiers coureurs.
Les Français firent à cette journée un gain considérable, car le seigneur
de Talbot, le seigneur de Scales, messire Thomas Rameston, un autre
capitaine appelé Hungerfort, y furent pris avec plusieurs autres seigneurs
et vaillants hommes d'Angleterre. Les habitants de Janville n'y perdirent
pas non plus, nombre d'Anglais ayant donné en garde à plusieurs d'entre
eux la plus grande partie de leur argent, lorsqu'ils étaient passés pour
aller, pensaient-ils, secourir Baugency.
Les habitants de Janville se rendirent ce jour-là même au roi et à ses
gens ; ainsi fit encore un gentilhomme, lieutenant du capitaine ; il mit
les Français dans la grosse tour, et leur fit serment d'être dorénavant
bon et loyal envers le roi.
Le bruit de cette déconfiture, d'où plusieurs s'échappèrent par la fuite,
entre autres messire Jean Fastolf qui se sauva dans Corbeil, jeta une
si grande épouvante parmi les gens des garnisons anglaises de la Beauce,
telles que les garnisons de Mont-Pipeau, Saint-Sigismond, et autres
places fortes et fortifiées, que les Anglais y mirent le feu et s'enfuirent
en toute hâte.
Au contraire le cœur crût aux Français. De toutes parts ils s'assem-
blèrent à Orléans dans la pensée que le roi y viendrait pour ordonner
le voyage de son sacre, ce qu'il ne fit pas ; et ce dont les habitants qui
avaient fait tendre les rues et parer la ville furent mal contents, ne
considérant pas les affaires du roi, qui pour disposer de son état se tenait
à Sully-sur-Loire.
C est donc là qu'allèrent le rejoindre le duc d'Alençon et tous les
seigneurs et gens de guerre qui de la journée de Patay s'étaient retirés
JOURNAL DU SIÈGE D'ORLÉANS. iZl
à Orléans ; plus spécialement la Pucelle qui lui parla du Connétable. Elle
lui remontra le bon vouloir qu'il professait avoir pour sa personne, les
nobles seigneurs et vaillants gens de guerre, bien quinze cents combattants,
qu'il lui amenait^ et le pria de vouloir bien lui pardonner son mal talent.
Le roi le fit à sa requête, mais par amour pour La Trémoille, qui avait
la plus grande autorité autour de lui, il ne voulut pas soufifrir qu'il
se trouvât avec lui au voyage de son sacre. La Pucelle en fut très déplai-
sante; et aussi le furent plusieurs grands seigneurs, capitaines et autres
gens du conseil, qui voyaient que par là il renvoyait beaucoup de gens
de bien et de vaillants hommes. Toutetois ils n'en osaient parler, parce
qu'ils voyaient que le roi faisait du tout en tout ce qu'il plaisait à ce
seigneur de La Trémoille. Ce fut pour lui plaire qu'il ne voulut pas
souffrir que le Connétable vint devers lui...
... Le chroniqueur raconte par quels moyens déloyaux les Anglo-
Boui^uignons de Marchenoir éludèrent rengagement qu'ils avaient pris
de rendre la place, et continue son récit...
Le dimanche après la fête de Saint-Jean-Baptiste, en ce même an
mil quatre cent vingt-neuf, Bonny fut rendu à messire Louis de Culan,
amiral de France, qui, par ordre du roi, était allé l'assiéger avec degrandes
forces.
CHAPITRE IV
CAMPAGNE AVANT ET APRÈS LE SACRE.
Sommaire : 1. — La reine amenée de Bourges à Gien. — Ramenée à Bourges. — Dépari
du roi. — Seigneurs à sa suite. — L*armée devant Auxerre. — Composition.
11. — Tout ce qui est dans le Journal du siège est dans la Chronique de la Pucelle, mais
pas réciproquement.
m. — Le roi à Saint-Denis. — La Pucelle à La Chapelle. — Attaque contre Paris. —
La Pucelle dans les fossés. — Elle est blessée sans cesser d'ordonner qu'on comble
les fossés. — Emportée de force. — Éloges donnés à son courage. — On aurait pu
prendre Paris. — Il est arrêté qu'on reviendra sur la Loire. — Le duc de Bourbon
lieutenant général.
IV. — Le chemin du roi dans sa retraite. — Arrêt à Gien. — Le roi abusé par le duc
de Bourgogne. — Rentrée à Bourges. — Les prédictions de la Pucelle. — Conclu-
sion du chroniqueur.
I
Le roi avait envoyé chercher la reine Marie, sa femme, fille de feu
Louis, roi de Sicile, second du nom, parce que plusieurs étaient d'avis
138 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
qu'il ramenât couronner avec lui à Reims. Peu de jours après elle lui
fut amenée à Gien ; là où il tint plusieurs conseils, pour arrêter la manière
plus convenable à tenir au voyage de son sacre. On finit ces délibérations
par conclure que le roi renverrait la reine à Bourges, et que, sans assi^er
Cosne et La Charité-sur-Loire, que quelques-uns conseillaient de prendre
de force avant le départ, le roi se mettrait en chemin: ce qui fut fait, car
la reine étant ramenée à Bourges, le roi prit sa voie vers Reims.
Il partit de Gien le jour de Saint- Pierre, en ce même mois de juin,
accompagné de la Pucellc% du duc d'Alençon, du comte de Clermont,
depuis duc de Bourbon, du comte de Vendôme, du seigneur de Laval,
du comte de Boulogne, du bâtard d'Orléans, du seigneur de Lohéac, des
maréchaux de Sainte-Sévère et de Rais, de Tamiral de Culan et des
seigneurs de Thouars, de Sully, de Chaumont-sur-Loire, de Prie, de
Jamet du Tilloy, et de plusieurs autres seigneurs, nobles, vaillants
capitaines et gentilshommes, avec environ douze mille combattants, tous
preux, hardis, vaillants et de grand courage. Ils Pavaient montré par
avant, le montrèrent alors, et Tout montré depuis par leurs faits et
vaillantes entreprises, et spécialement en ce voyage, durant lequel ils
passèrent en allant, et repassèrent au retour, franchement et sans rien
craindre, par les pays et contrées dont les villes, châteaux, ponts et
passages étaient garnis d'Anglais et de Bourguignons.
Tenant leur voie, ils vinrent présenter le siège et Tassant devant la cité
d'Auxerre. De fait il semblait à la Pucelle et à plusieurs seigneurs et
capitaines qu'il était aisé de la prendre d'assaut, et ils voulaient l'essayer.
Mais ceux de la cité donnèrent secrètement deux mille écus au seigneur
de La Trémoille pour qu'il les préservât d'être assaillis. Ils fournirent à
l'armée du roi beaucoup de vivres qui étaient très nécessaires, et, grâce
à ces moyens, ils ne firent aucune obéissance; ce dont la plupart dans
Tarméc, et même la Pucelle, furent très mécontents. Ce mécontentement
ne fil rien changer. Toutefois le roi séjourna durant trois jours environ ;
il partit ensuite avec toute son armée, et s'en alla vers Saint-Florentin,
qui se rendit sans résistance.
Il
Comme ou le voil, il n'est rien dans \i}Jouniat du sirge qui ne se trouve
dans la Chronique des (^.ousinol ; mais on chercherait vainement dans le
Journal plusieurs traits (|ui font connaître les résistances que la Libéra-
trice eut à surmonter.
l. La Puoollo avait pris les devant^* pour fon'or W \\\\ el ses conseillers à se mettre
en manlie.
JOURNAL DU SIÈGE D'ORLÉANS. 139
II est donc inutile de reproduire la suite. Citons seulement la phrase
du Journal sur la scène qui se passa après le sacre. La voici: « Quand
la Pucelle vit que le roy estoit sacré et couronné, elle se agenouilla,
présens tous les seigneurs, devant luy, et en l'embrassant par les jambes,
lui dist en pleurant à chaudes larmes : — Gentil roy, or est exécuté le
plaisir de Dieu qui vouloit que levasse le siège d'Orléans et que vous
amefictsse en ceste cité de Reims^ recevoir vostre saint sacre, en monstrant
que vous estes vray roy et celuy auquel le royaulme de France doit appar-
tenir et moult foisoit grand pitié à tous ceux qui la REGARDOIENT^ »
Dans la Chronique de Cousinot de Montreuil, la Pucelle ne parle pas
de la délivrance d'Orléans. L'auteur du Journal du siège lui fait men-
tionner la levée du siège pour lui faire énumérer les deux objets auxquels
il restreint bien indûment sa mission.
Parlant de l'essai de retourner vers le Berry par Bray-sur-Seine, le
Journal écrit : « Lequel (le roi) avoit aucunes gens en sa compagnie,
qui tant désiroient retourner de là la rivière de la Loire que pour leur
complaire il avoit concludle faire^ ». La Chronique de la Pucelle, à laquelle
le Jowrwa/ emprunte plusieurs mois, écrit : « auquel conseil il adhéra fort,
et estoit de leur opinion ». Ni l'un ni l'autre ne disent ce que nous savons
par ailleurs que semblable détermination déplaisait souverainement à la
Pucelle.
III
Voici comment le Journal raconte la tentative contre Paris, et termine
son travail :
D'autre part, le roi, après avoir institué des capitaines et des officiers à
Senlis, en partit environ le dernier jour de ce mois, et vint à la ville de
Saint-Denis, où lui fut rendue plénière obéissance. Il y fut deux jours,
durant lesquels plusieurs courses et escarmouches furent faites par les
Français qui se trouvaient à Saint-Denis contre les Anglais de Paris ; il y
eut de part et d'autres plusieurs beaux faits d'armes^
Le troisième jour {après l'arrivée du roi) la Pucelle, le duc d'Alençon,
le duc de Bourbon, le comte de Vendôme, le comte de Laval, les maré-
chaux de Sainte-Sévère et de Rais, La Hire, Polon et plusieurs autres
i. Journal du siège, édit. Charpentier, p. 114. — Pitié doit se prendre pour émotion^
une des acceptions de ce mot. (Voy. Lacurne.)
2. J6id.,p. 115.
3. Le chroniqueur ici et dans Tassaul contre Paris, soit ignorance, soit désir de
couvrir de bien tristes intrigues, commet plusieurs inexactitudes. La Chronique de
Perceval de Cagny, la Chronique dite des Cordeliers, d'autres encore, jettent sur cette
partie de l'histoire de Théroïnp une bien douloureuse lumière.
140 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
vaillants chevaliers, capitaines et écuyers, avec grand nombre de vaillants
gens de guerre partirent de Saint-Denis, et vinrent loger en un village,
dit La Chapelle, qui est comme à moitié du chemin entre Paris et
Saint-Denis.
Le lendemain {8 sept.) ils vinrent se mettre en bonne ordonnance au
marché aux Pourceaux, devant la porte Saint-Honoré, et ils firent braquer
plusieurs canons, dont ils dirigèrent les décharges en plusieurs lieux, et
souvent dans Paris. Les gens de guerre de la garnison, et aussi le peuple
y étaient en armes ; ils faisaient porter plusieurs étendards de diverses
couleurs, qu'ils faisaient tournoyer, aller et revenir autour des remparts
à l'intérieur de la ville ; parmi ces étendards, il y en avait un très grand
à une croix rouge.
Quelques seigneurs français voulurent s'approcher de plus près, plus
particulièrement le seigneur de Saint- Vallier, Dauphinois, qui fil tant que
lui et ses gens allèrent mettre le feu au boulevard et à la barrière de la
porte Saint-IIonoré. Encore qu'il y eut plusieurs Anglais pour les défendre,
toutefois ils jugèrent prudent de rentrer par cette porte au dedans de
Paris ; par suite les Français s'emparèrent et furent les maîtres de la
barrière et du boulevard.
On crut que les Anglais sortiraient par la porte Saint-Denis pour
courir sus aux Français qui étaient devant la porte Saint-Honoré ; c'est
pourquoi les ducs d'Alençon et de Bourbon s'embusquèrent derrière la
hauteur qui est auprès et contre le marché aux Pourceaux; ils ne pou-
vaient pas se mettre plus près, par crainte des canons, des veuglaires et
des coulevrines, que sans discontinuer l'on tirait de Paris; mais ils
perdirent leur peine, car ceux de Paris n'osèrent saillir hors de la ville.
La Pucclle, voyant leur couard maintien, prit la résolution de les assaillir
jusques aux pieds de leurs murailles, et de fait elle vint se poster en leur
présence. Pour ce faire, ayantavec ellegrande compagnie de gens d'armes
et plusieurs seigneurs, parmi lesquels le maréchal de Rais, tous en belle
ordonnance, se mirent à pied, et descendirent au premier fossé. Elle les
y laissa, et monta sur le dos d'âne, d'où elle descendit au second fossé.
Elle plongea sa lance en divers lieux, tàtant et sondant la profondeur de
l'eau et de la vase. Elle y passa un grand espace de temps, assez pour
qu'un arbalétrier de Paris lui perça la cuisse d'un trait ; mais ce nonob-
stant, elle ne voulait pas se retirer et elle faisait très grande diligence
pour faire apporter des fagots, du bois, et faire combler ce fossé, afin de
pouvoir passer avec les gens de guerre jusqu'aux remparts; ce qui ne
semblait pas alors possible, parce que Teau était trop profonde, qu'elle
n'avait pas assez de ge.ns pol'h ce faire, et aussi parce que la nuit était
proche. Cependant elle se tenait toujours sur le fossé, ne voulant pas
JOURNAL DU SIÈGE D'ORLÉANS. 141
retourner ni se retirer en aucune manière, quelque prière et requête qui
lui en fut faite par plusieurs, qui, à diverses fois, vinrent la requérir de
quitter ce lieu, et lui remontrer qu elle devait renoncer à Tentreprise.
Enfin le duc d'Alençon l'envoya quérir, et la fit retirer avec toute l'armée
au village de la Villette {La Chapelle)^ où ils passèrent la nuit, comme
ils y avaient passé la nuit précédente.
Le lendemain tous retournèrent à Saint-Denis. La Pucelle y fut fort
louée de son bon vouloir et du hardi courage qu'elle avait montré de
vouloir assaillir une cité aussi forte, et si bien garnie de gens et d'artille-
rie que l'était Paris.
Quelques-uns ont dit depuis que si les choses eussent été bien con-
duites \ IL Y AVAIT GRANDE APPARENCE Qu'eLLE EN FUST VENUE A SON VOULOIR. Il
y avait alors dans Paris plusieurs notables personnages, qui reconnais-
•
saient que le roi Charles septième du nom était leur souverain seigneur
et le vrai héritier du royaume de France, que c'était à grand tort et par
vengeance qu'on les avait séparés de sa seigneurie et enlevés à son obéis-
sance, pour les mettre en la main du roi Henri d'Angleterre paravant sa
mort, et qu'on avait depuis continué sous le roi Henri, son fils, usurpa-
teur de la plus grande partie du royaume; et ils se fussent mis et réduits
en l'obéissance de leur souverain seigneur, et lui eussent fait plénière
ouverture de sa principale ville, de Paris, comme ils le firent six ans
après. Hs ne le firent pas à cette fois pour les raisons alléguées*.
Le roi, voyant alors qu'ils ne montraient aucun semblant de vouloir se
rendre à lui, tint plusieurs conseils à Saint-Denis. A la suite, il fut dé-
cidé que, vu l'attitude des habitants de Paris, la grande puissance des
Anglais et des Bourguignons qui s'y trouvaient, et aussi parce que le roi
n'avait pas assez d'argent, et qu'il ne pouvait trouver de quoi entretenir
une si grande armée, il ferait le duc de Bourbon son lieutenant général ;
ce qu'il fit, lui ordonnant de demeurer dans les villes, cités et places de
son obéissance en deçà de la rivière de la Loire, et il lui donna grand
nombre de gens d'armes et abondance d'artillerie pour y mettre de grosses
garnisons, les garder et les défendre. Outre cette disposition, il voulut
et commanda que le comte de Vendôme, et l'amiral de Culan se tinssent
à Saint-Denis, leur laissant plusieurs hommes afin qu'ils pussent y tenir
garnison.
1. Elles ont été donc mal conduites. En quoi? par qui ? l'auteur ne le dit pas. Il
faut le chercher dans les autres Chroniques.
2. On cherche inutilement les raisons mises en avant par le chroniqueur.
i42 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
IV
Cela fait, le roi partit le douzième jour de septembre, et s'en alla à
Lagny-sur-Marne, d*où il partit le lendemain, après y avoir ordonné
comme capitaine messire Âmbroise de Loré, auquel il adjoignit messire
Jean Foucault, avec plusieurs gens de guerre. Le lendemain il était à
Provins, de là à Bray-sur-Seine, que les habitants réduisirent à son obéis-
sance. Il alla ensuite passer devant Sens, qui ne lui fit aucune ouverture;
il dut passer à gué, un peu au-dessous de la ville, la rivière de l'Yonne; il
se dirigea sur Courtenay, d'où, par Château-Renard et Montargis, il
arriva en dernier lieu à Gien.
Là il attendit quelques jours, espérant avoir accord avec le duc de
Bourgogne qui lui avait mandé, par le seigneur de Charny, qu'il lui ferait
avoir Paris, et qu'il y viendrait en personne. A cette occasion, le roi lui
avait envoyé un sauf-conduit, pour qu'il pût passer sans contredit parles
places et les passages lui obéissant ; ainsi le fit-il; mais, arrivé à Paris, il
ne tint rien de ce qu'il avait promis; au contraire, il fit à rencontre du
roi, avec le duc de Bedford, une alliance plus étroite qu'auparavant; et,
ce nonobstant, en vertu du sauf-conduit, il repassa sûrement et ouverte-
ment par tous les pays, villes et passages de Tobéissance du roi, et il
s'en retourna en ses pays de Picardie et de Flandre*.
Le roi, averti au vrai, passa la Loire et revint à Bourges, d'où il était
parti à la requôlc et sur les supplications de la Pucelle, qui lui avait dit
paravant tout ce qui lui advint du lèvcment du siège d'Orléans, et de
son saint sacre, aussi de son retour* ouvertement, ainsi que le lui avait
révélé Notrc-Scigneur.
En le remerciant et en le louant de sa grâce, je mets fin par son octroi
à ce présent traité très abrégé {très compendieux)^ qui porte en titre : « Du
siège d'Orléans, mis par les Anglais et de la venue et vaillants faits de
Jeanne la Pucelle, et comment elle les en fit partir, et fit sacrer à Reims
le roi Charles septième, par grâce divine et force d'armes ».
1. Là est le secret de 1 échec contre Paris. On verra à la Chronique dite des Corde-
liers, le traité de dupe déjà conclu et signé lorsque le roi vint à Saint-Denis. Ainsi se
trouvent expliquées les demi-révélations que l'on a vues dans la Chronique de la
Pucelle et que Ton trouvera dans bien d'autres Chroniques.
2. L'on ne voit pas ailleurs qu'elle ait parlé de son retour.
CHRONIQUE DE JEAN CHARTIER
OBSERVATIONS CRITIQUES SUR LES PAGES QUE JEAN CHARTIER
CONSACRE A LA PUCELLE.
Jean Chartier est rhistoriographe officiel de Charles VII. Ce titre lui
était conféré le 18 novembre 1437 par Charles VU, six jours après que
ce prince venait de rentrer dans sa capitale, où il n'avait pas mis les pieds
depuis les derniers jours de mai 1418. Jean Chartier était chargé de con-
tinuer l'œuvre du Religieux inconnu de Saint-Denis auquel nous sommes
redevables de Y Histoire si justement appréciée de Chai*les VI.
Le nouvel historien écrivit d'abord en latin, comme son prédécesseur,
rhistoire du nouveau règne. Vallet de Viriville, dans ses Historiens de
Charles VII^ avait signalé les débuts en cette langue qu'il avait trouvés
dans le n"" 5959 du Fonds latin de la Bibliothèque nationale à la suite de
l'histoire de Charles VI dont nous venons de parler. L'éminent paléographe
avait pensé que, après ces premières pages en latin, Jean Chartier s'était
arrêté pour nous donner en français la Chronique bien connue qui a trait au
règne de Charles VII. Tout le monde pensait comme lui.
C'est une erreur. M. Kervyn de Lettenhove, dans un article sous ce
titre : Notes sur quelques-uns des manuscrits des bibliothèques d'Angleterre,
écn\a,\t en 1866 dans le Bulletin de r Académie t^oy aie de Belgique : <( Entre
tous les manuscrits de Sir Thomas Philips concernant le XV" siècle, il n'en
est aucun qui offre plus d intérêt qu'un volume, renfermant le seul texte
latin de Jean Chartier composé avant la Chronique franqaise... Il y aura
lieu d'y puiser désormais pour F histoire de Jeanne d'Arc. »
Les manuscrits de Sir Thomas Philips ne sont pas à Londres, mais
entre les mains de ses héritiers, à Cheltenham. L'indication nous attirait
puissamment; un voyage à travers l'Angleterre nous souriait peu, pour
plusieurs raisons qu'il serait inutile d'indiquer. La Providence est venue
à notre aide.
Nos travaux sur Jeanne d'Arc nous ont valu des relations dont nous
sommes heureux avec un publiciste bien connu au delà de la Manche,
M. Andrew Lang. Gomme la plupart de ses compatriotes, lui aussi est admi-
rateur passionné de la Libératrice, et révolté qu'il puisse se trouver de
i44 LA VRAIE JEANNE D ARC I U LIBÉRATRICE.
soi-disant Français qui lui refusent Thonneur d'une fête nationale. Celui
qui écrit ces lignes ne saurait assez reconnaître le zèle et le désintéresse-
ment avec lequel M. Lang s'est employé pour lui faire arriver la copie
des pages du manuscrit latin consacrées par Jean Chartier à la Vierge
lorraine.
L'historiographe se fait connaître au début de sa Chronique, soit latine,
soit française. Voici la traduction du prologue de la Chronique latine,
cité par Vallet de Viriville :
« Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et de laglorieuse Vierge
Marie, de Monseigneur saint Denis, patron de la France, et des Bien-
heureux du Ciel.
« Le roi Très-Chrétien ayant naguère ordonné que la suite des faits
et gestes de l'histoire serait, comme par le passé, couchée par écrit, j'ai
été chargé de ce travail, après avoir prêté serment à Sa Royale Majesté,
en présence de plusieurs témoins, le 18 novembre, en Tan 1437 de l'In-
carnation, de son règne le seizième. Après avoir reçu les lettres du roi qui
assurent au titulaire de pareil office la somme accoutumée de deux cents
livres par an, quelque défiant que je sois de mes forces, je n'ai point osé
pousser la hardiesse jusqu'à me refuser aux ordres du souverain. La
difficulté s'accroît de la nécessité de combler une lacune de quinze ans, la
Chronique de France n'ayant pas été continuée, ou fort peu, et étant
restée sans titulaire, depuis le 2V jour d'octobre 1422, jour où Charles,
sixième du nom, rendit son âme au Dieu Très-Haut. Il a donc fallu re-
cueillir année par année, et pièce par pièce, les matériaux de cette période. »
Ces lignes prouvent que ce n'est pas, ainsi que l'avait pensé M. de Let-
tenhove, avant d'être officiellement nommé historiographe que Jean
Chartier a écrit sa Chronique latine.
Dans le prologue de la Chronique française, l'auteur dit se nommer
F7'ère Jean Chartier^ religieux et chantre de Céglise Monseigneur saint
Denis, Il est universellement donné comme le frère d'Alain Chartier
secrétaire du roi, et de Guillaume Chartier, plus tard évèque de Paris.
11 ne semble pas qu'il faille s'écarter de ce sentiment, parce que, tandis
que ses frères ont suivi le roi chassé de sa capitale, le religieux serait
resté dans son abbaye. Tous les Français, encore moins tous les moines
attachés à la cause nationale, n'ont pas quitté le territoire envahi par
l'étranger. 11 leur suffisait de garder dans la manifestation de leurs senti-
ments intimes une modération que tout leur imposait. Jérémie com-
mandait à Israël captif de courber la tête sous le joug de son vainqueur,
et de lui obéir. C'était le châtiment de ses longues prévarications. Dieu,
toujours juste, semble l'infliger particulièrement aux catholiques du
xix* siècle.
CHRONIQUE DE JEAN CHARTIER. 145
Les pièces découvertes jusqu'ici ne nous font connaître Jean Chartier
qu'à partir de 1430. Il est donné àcette époque comme prévôt de la Garenne;
en 1433 il est prévôt de Mareuil-en-Brie ; en 143S, il est commandeur de
Tabbaye, charge qui lui conférait Tadministration de la justice dans Ten-
clos du monastère, avec la gestion de plusieurs revenus de Tabbé et des
religieux*. On vient de voir qu'en 1437 il était grand chantre du couvent;
dignité qui était une des premières de la communauté. Il devait être assez
jeime, puisque, sans qu'on puisse assigner la date de sa mort, on trouve
qu'il vivait encore en 1474.
Il a donc vu la plus longue partie du règne de Louis XI. Il n'a pas
cependant entrepris de le raconter; sa Chronique finit à la mort de
Charles VII. Bien inférieure à celle que son prédécesseur nous a laissée
de Charles VI, elle est sévèrement jugée par les modernes. Elle ne doit
être appréciée ici que pour la partie consacrée à Jeanne d'Arc. Qui-
cherat, peu favorable à l'ensemble de l'œuvre, donne le récit sur la
Pucelle, comme un des plus circonstanciés que nous ayons. Il ajoute :
tt Comme on n'y découvre aucune réminiscence du procès de réhabili-
tation, c'est une raison de croire que le chroniqueur en recueillit les
éléments à l'époque où il entra en fonctions, entre 1440 et 1430. » L'on
peut présumer que se mettant à l'œuvre, aussitôt après sa nomination, il \
aura terminé cette partie avant 1443. Il avait dû voir la Pucelle à Saint-
Denis, durant les quinze jours qu'elle passa autour de Paris. Quicherat dit
encore : « On verra par la suite que c'est ce récit qui a engendré presque
tous les autres, du moins ceux conçus dans l'esprit français ». L'étude
très attentive des documents ne nous a rien révélé de semblable. Jean
Chartier a puisé dans la Chronique des Cousinot, et à part le Journal du
siège qui reproduit la même source, rien, à nos yeux, ne révèle dans les
autres Chroniques une parenté avec celle de Jean Chartier. Son récit n'est
pas des plus circonstanciés.
Jean Chartier écrit fort mal en français. Il répète les mômes mots à
satiété. Ses phrases ternes, monotones, se terminent en queues superflues.
Son latin ne vaut pas mieux que son français.
On possède de nombreux manuscrits de Jean Chartier. Vallet de Viri-
ville en a fait la recension dans ses Historiens de Charles VIL Quicherat,
comme l'insinue son collègue en paléographie, n'a pas été heureux dans
le choix. Il a reproduit le numéro 2691, qui provient de la collection du
seigneur de la Gruthuise. Ce vélin in-quarto est, il est vrai, un chef-d'œuvre
de calligraphie ; lettres d'or, vignettes, belles miniatures, c'est séduisant
pour l'œil ; mais le texte est considérablement altéré. Non seulement le
«
i. Feubie.5, Histoire de Vabbaye de Saint-DeniSy p. 364.
III. 10
i46 LA VRA1£ JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
scribe a changé Torthographe, écrivant ching pour cinq, Franchois pour
Français, il a changé les mots eux-mêmes, en a ajouté et en a retranché.
C'est sur le numéro 2596 que notre travail de rajeunissement a été fait.
La raison de ce choix est la suivante. Le premier ouvrage profane
imprimé en France, avons-nous lu, ce sont les Grandes Chroniques de
Saint-Denis (1476-1477). La Chronique de Chartier, à deux folios près
omis ou disparus, se trouve au tome IIP. L'auteur vivait peut-être
encore. Or le texte imprimé est exactement celui du manuscrit 2596. La
collation ne nous a révélé que deux mots différents, évidemment fautifs
dans le manuscrit, qui ne le cède pas d'ailleurs en beauté calligraphique
à celui qu'a préféré l'éditeur du Double Procès. Il peut se faire encore que
le chroniqueur ait introduit des variantes dans son texte. Il en est une
dans les textes de Quicherat et de Vallet de Viriville que nous reprodui-
sons à la suite. Les chapitres de Jean Chartier sont courts. Les titres
seront conservés dans nos divisions plus générales. Ils permettront de
juger du style de l'historiographe.
Dans un appendice sont relevées les assertions de la Chronique latine
que Ton ne trouve pas dans la Chronique française. La Société de l'His-
toire de France voudra peut-être étudier dans son entier le texte que
nous sommes heureux de signaler.
Vallet de Viriville, dans ses Historiens de Charles VII^ M. de Beaucourt,
au tome XXVIl des Mémoires des antiquaires de Normandie (1870), ont
consacré à Jean Chartier des notices et une étude qui ont été mises à
profit dans les pages que Ton vient de lire.
CHAPITRE PREMIER
LA PUCELLE JUSQU'A SON ENTRÉE A ORLÉANS.
SoMMAïKE : I. — La Pucelle. — Ses inslances auprès de Baudricourl. — Elle est un
objet de dérision. — Elle finit par se faire conduire. — Comment elle se présente
au roi et le reconnaît. — Sa missi»)n d'expulser les Anglais. — Ses merveilleuses
réponses. — Le roi se détermine à l'envoyer ravitailler Orléans. — Formation du
convoi et de l'escorte. — La Pucelle et le convoi entrent à Orléans. — Pourquoi le
plus grand nombre des guerriers rentre à Blois. — L'épée de Fierbois.
11. — Conseils tenus à Blois. — Le Bâtard fait décider que l'on reviendra à Orléans,
et par 1^ Beauce.
I
Le XIV chapitre) parle de la Pucelle qui fut amenée au roy et comment
elle alla à tout grosse armée sus le siège d'Orléans pour mener vivres.
CHRONIQUE DE JEAN COARTIER. 147
En ce temps-là il vint des nouvelles au roi de France qu'il y avait une
pucelle près de Vaucouleurs es marches du Barrois, âgée de vingt ans ou
environ, qui par plusieurs fois dit à un nommé messire Robert de Bau-
dricourt, capitaine dudit Vaucouleurs, et à plusieurs autres, qu'il était
de nécessité qu'on la menât devant le roi de France, et qu'elle lui serait
d'un grand secours en ses guerres. Elle les en requit par plusieurs fois;
et de ce ils ne faisaient que rire et se moquer, et ils réputaient ladite
pucelle une personne idiote (simple)^ et ne tenaient pas grand compte
de ses paroles. Finalement cette pucelle, nommée Jeanne, fit tant par
ses paroles qu'elle fut amenée vers le roi de France par un nommé Ville-
Robert', et par d'autres en sa compagnie.
Venue devant le roi elle fit les inclinations et les révérences accou-
tumées à faire aux rois, comme si toute sa vie elle eût été nourrie à la
cour. Et en lui adressant la parole elle lui dit : « Diett vous domie bonne
vie, gentil roi », quoiqu'elle ne le connût point, qu'elle ne Teût jamais
vu, et qu'il y eût plusieurs seigneurs vêtus aussi richement et plus que
Tétait le roi; ce qui fit qu'il lui répondit : « Ce, je ne suis pas le roi,
Jeanne » ; et en lui montrant un de ses seigneurs : « Voilà le roi » ; à
quoi elle répondit : « En nom de Dien^ gentil roi, c'est vous qui fêtes
et non un autre. »
Elle fut donc examinée et interrogée diligemment par plusieurs sages
clercs et autres gens de plusieurs états, pour savoir ce qui l'amenait
auprès du roi. A quoi elle répondit qu'elle venait pour le mettre en son
royaume et seigneurie, que Dieu ainsi le voulait, qu'elle lèverait le siège
de devant Orléans, qu'ensuite elle le mènerait couronner à Reims,
qu'elle voulait combattre les Anglais quelque part qu'elle les trouvât, et
qu'il convenait que le roi lui donnât toutes les forces qu'il pourrait
réunir; car de lever le siège d'Orléans, de mener sacrer le roi à Reims,
de déconfire et mettre dehors les Anglais% elle n'en faisait aucun doute.
Elle disait plusieurs autres grandes choses prodigieuses ; elle répondait
merveilleusement aux questions qui lui étaient faites, et au regard de la
guerre, il semblait qu'elle y fût fort expérimentée ; et plusieurs docteurs
et capitaines s'émerveillaient de son fait et des réponses qu'elle faisait
tant sur les choses divines que sur la guerre.
Afin de pourvoir aux nécessités du siège d'Orléans, le roi en son
conseil avisa que icelle Pucelle irait ravitailler la cité, et ouvrer son
possible audit siège, ainsi qu'elle le requérait chaque jour.
Le roi fit des mandements à plusieurs gens de guerre pour faire accohi-
1 . On se demande vainement d'où Charlier aurait lire ce nom .
2. De desconfire et débouter hors les Anglais, c'est le texte. Or, d'après Lacirxe débou-
ter signifie : chasser, expulser, repousser. (Dictionnaire de Tancienne langue française.)
148 LA VRAIE JEANNE D*ARC : LA LIBÉRATRICE.
pagner la Pucelle ; parmi lesquels il manda le sire de Rais, le sire de
Loré, et plusieurs autres, qui conduisirent et menèrent Jeanne à Blois.
Là ils trouvèrent messire Regnault de Chartres, archevêque de Reims,
chancelier de France, le bâtard d'Orléans, La Hire et d'autres ; et ils
firent charger plusieurs chevaux et charrettes de blé et d'autres vivres; et
avec la Pucelle les capitaines prirent leur chemin vers Orléans du côté
de la Sologne. Ils couchèrent une nuit dehors, et le lendemain ils arri-
vèrent avec le convoi devant Orléans. A leur arrivée les Anglais aban-
donnèrent une de leurs bastilles, celle de Saint Jean-le-Blanc, et ceux qui
Toccupaient se retirèrent aux Augustins, et se réunirent à ceux qui s'y
trouvaient, près du bout du pont.
La Pucelle, le bâtard d'Orléans et plusieurs autres capitaines entrèrent
avec tous leurs vivres dans Orléans; les seigneurs de Loré, de Rais, et
le plus grand nombre de ceux qui les accompagnaient s'en retournèrent
à Blois; on craignit de mettre tant de gens dans la ville, parce qu'il y
avait peu de vivres.
Jeanne, après qu'elle eut été examinée, avait requis du roi qu'il lui
plût d'envoyer l'un de ses armuriers à Sainte-Catherine-de-Fierbois*,
quérir une épée venue de la grâce de Dieu, qui se trouvait en un endroit
de l'église, ayant pour empreinte de chaque côté cinq fleurs de lis*. Ce
qui lui fut accordé, mais le roi lui demanda si elle avait jamais été au-
dit lieu, comment elle savait la forme de l'épée, et comment elle y avait
été apportée. Jeanne répondit qu'elle n'avait jamais été à Sainte-Cathe-
rine-de-Fierbois ^ mais qu'elle savait bien que cette épée s'y trouvait
entre plusieurs vieilles ferrailles, qu'elle le savait par révélation divine,
et par le moyen de cette épée elle devait chasser les ennemis du royaume
de France, et mener le roi recevoir l'onction et la couronne à Reims.
Après ces explications de Jeanne, un armurier, par ordre du roi, alla au-
dit lieu de Sainte-Catherine, trouva véritablement Tépée indiquée, et la
porta à Jeanne, ce qui était une bien merveilleuse chose. La Pucelle a
milité avec cette épée, et mené vaillament la guerre contre les ennemis
du roi. Ainsi que cela vient d'être dit; par son entreprise, et pour son
commencement, Orléans fut ravitaillé.
i. Le passage sur l'épée de Fierbois n'est pas à sa place, et interrompt confusément
le récit.
2. Le manuscrit de La Gnilhuyse, reproduit par Quicherat, porte sans raison cinq
épées. C'étaient cinq croix.
3. C'est une erreur, puisque c'est de sainte Catherine qu'elle s'annonça au roi.
CHRONIQUE DE JEAN CHARTIER. 149-
II
Les sires de Rais et de Loré de retour à Blois, où ils trouvèrent le chan-
celier de France, des conseils furent tenus par eux pour savoir ce qu'il
y avait à faire. Presque tous ceux de la compagnie étaient d'avis de
retourner à Orléans, pour s'y employer chacun de leur pouvoir au bien
du roi et de la ville ; et ils délibéraient à ce sujet, lorsque survint le
bâtard d'Orléans, qui requit lesdits seigneurs de faire le mieux qu'ils
pourraient pour donner aide et secours à la cité, sans quoi elle était en
voie de perdition.
Il fut aussitôt conclu de presque tous qu'on retournerait, qu'on mène-
rait des vivres en quantité, et qu'on irait par le côté de la Beauce, où se
trouvaient les grandes forces des Anglais, en la grande bastille dont il a
a été parlé. Ils avaient fait difficulté la première fois d'y aller, quand il?
étaient venus par la Sologne avec la Pucelle, quoiqu'ils fussent alors
trois fois plus de gens qu'ils ne l'étaient maintenant qu'ils allaient par la
Beauce.
CHAPITRE II
DÉLIVRANCE D'ORLÉANS.
Sommaire : 1. — Second convoi amené à Orléans par la Beauce. — Jeanne va à sa ren-
contre. — Entrée à Orléans par devant la grande bastille. — Attaque et prise de
Saint-Loup.
U. — Conseil tenu, et Jeanne non convoquée. — Une fausse attaque combinée. —
Jeanne appelée devine ce qu'on veut lui cacher. — Explications de Dunois. — Les
plans de Jeanne sont ordinairement en opposition avec ceux des capitaines. — Leur
réussite. — Sa bonne grâce à cheval.
UL — Incidents de la prise de la bastille des Augustins.
IV. — Attaque des Tourelles. — Acharnement des assaillants et des défenseurs. —
Confiance de Jeanne. — Sa blessure et sa persévérance à combattre. — Prise des
Tourelles. — Morts et prisonniers. — Actions de grâces ; la nuit. - — Inaction des-
Anglais de la rive droite. — Résolution de lever le siège.
V. — Retraite le dimanche matin. — Abandon d'une partie des bagages. — Retraite
sur Meung. — Conduite que leur fait La Hire.
I
Le XV' chapitre (raconte) comment le bastard d'Orléans, les sires de
et de Loré menèrent grant quantité de vivres en la ville d'Orléans,
150 LA VRAIE JEANNE D'ARC: LA LIBÉRATRICE.
et leur vint au devant Jehanne la Pucelle son estendard en sa main, et
comme la dicte Jehanne print plusieurs bastilles sur lesdits Anglois.
Ce plan arrêté, la veille de rAscensionS partirent de nouveau de
Blois, le bâtard d'Orléans, les sires de Rais et de Loré, et plusieurs
autres, en grande compagnie et avec grande quantité de blés, de bétail et
de vivres, et ils vinrent coucher presque à mi-chemin, entre Blois et
Orléans. Le lendemain au matin, à presque une demi-lieue d*Orléans,
vinrent à leur rencontre Jeanne la Pucelle, son étendard en miains,
La Hire, messire Florent d'IUiers et plusieurs autres capitaines. Tous
ensemble vinrent passer devant la grande bastille nommée Londres (Pam),
et ils entrèrent ainsi dans la ville.
Environ deux ou trois heures après leur entrée, Jeanne la Pucelle, suivie
de plusieurs gens de guerre, sortit de la ville, armée de plein harnois
[toutes pièces)] et se dirigea vers la bastille Saint-Loup, où il y avait
grand nombre d'Anglais. La bastille fut assaillie durement et très fort, et
longuement défendue par les Anglais*; mais finalement elle fut prise
d'assaut, à la vue des Anglais de la grande bastille, et tous les Anglais de
Saint-Loup furent tués ou pris. Ceux de la grande bastille s'étaient mis
en chemin dans la pensée de leur porter secours; mais ils n'allèrent
guère loin sans revenir sur leurs pas. Les Français, après ce fait,*
rentrèrent dans la ville.
II
Le lendemain lut tenu conseil sur ce qu'il y avait à faire pour grever
Je nouveau les assiégeants. Le conseil se tint en l'hôtel du chancelier
d'Orléans ; y assistaient le bâtard d'Orléans, La llire, les sires de Loré et
de Gaucourt, et d'autres chefs de guerre. L'on délibéra et l'on conclut que
l'on ferait certains appareils de guerre, comme manteaux de bois, et
autres taudis pour aller assaillir la grande bastille du côté de la Beaucc,
dans le but de faire accourir au secours ceux qui étaient du côté de la
rivière. C'était une attaque simulée ; on n'avait pas l'intention d'assaillir
la grande bastille ; mais sitôt que pour venir en aide à ceux de la Beauce
les Anglais de la Sologne auraient passé la rivière, les Français, au moyen
des bateaux par lesquels ils communiquaient facilement, devaient
i. Ce devait oire au moins ravantveille, encore aura-t-il fallu qu'on se mît en
njarche de très bonne heure. 11 est certain que la Pucelle ne combattit pas le jour de
l'Ascension.
2. Le récit de Jean Cliartier est sommaire jusqu'à être inexact. 11 doit être complété
par la Chronique des deux Cousinot, les dépositions de d'Aulon, de Coules, etc.
CHRONIQUE DE JEAN CHARTIER. loi
assaillir ceux qui seraient restés à la garde, du côté de la Sologne.
Chacun adopta le plan.
La Pucelle n'était point au conseil; mais elle était dans Thôtel même
avec la femme du chancelier. La conclusion prise» il fut dit qu'il serait
bon d'envoyer quérir la Pucelle pour lui faire part de ce qui avait été
arrêté. Quelques-uns observèrent qu'il n'y avait pas nécessité de lui
parler du passage que l'on avait intention d'opérer du côté de la Sologne,
parce qu'on devait tenir secrète cette partie du plan ; qu'il y avait à
craindre qu'elle ne le révélât, et qu'il suffirait de lui dire qu'on avait
conclu qu'il fallait essayer d'assaillir et de prendre la grande bastille.
On l'envoya quérir par messire Ambroise de Loré; et quand elle fut
venue on lui dit que la décision avait été d'essayer de prendre la grande
bastille, où étaient le comte de Suffolk, le sire de Talbot, le sire de
Scalles, messire Jean Fastolf et plusieurs autres, avec de grandes
forces, sans lui parler de l'intention où l'on était de passer devers la
Sologne, ainsi qu'il a été dit. Cet exposé fut fait par le chancelier d'Or-
léans. Lorsque Jeanne l'eut entendu, elle répondit à peu près en ces
termes, en personne courroucée : « Dites ce que vous avez conclu y Je cèlerai
bien plus grand secret que celui-là »; et elle allait et venait dans l'appar-
tement sans s'asseoir; et aussitôt le bâtard d'Orléans lui dit en subs-
tance les paroles suivantes : « Jeanne, ne vous courroucez point, l'on ne
peut pas tout dire et déclarer h une fois ; ce que le chancelier vous a dit
a été conclu et appointé; mais si ceux de l'autre côté de la rivière, en
la Sologne, viennent à d^ésemparer pour venir porter aide et secours à
ceux de la grande bastille, et aux autres de par deçà, nous avons appointé
de passer de l'autre côté pour besongner {tomber) sur ceux qui y demeu-
reront et faire ce qui sera possible ; et il nous semble que cette conclu-
sion est bonne et profitable ». Jeanne la Pucelle répondit alors qu'elle
étaient bien contente, que cela lui semblait ôtre bien avisé ; mais que
cela fût exécuté ainsi qu'il avait été conclu. Et toutefois de cette conclu-
sion, rien ne fut exécuté.
Bien souvent ledit Bâtard et les autres seigneurs s'abouchaient pour
avisera ce qu'il y avait à faire ; et quelque conclusion qu'ils prissent^ quand
Jeanne la Pucelle arrivait^ elle concluait tout à l'opposite et toute autre
chose à faire, et quasi contre toutes les opinions des chefs de guerre qui se
trouvaient réunis ; de quoi toujours lui en prenait bien. Il ne se fit pas
CHOSE DONT IL FAILLE PARLER QUE CE NE FUT SUR l'eNTREPRISE DE JeaNNE LA
Pucelle. Encore que les capitaines et gens de guerre exécutassent ce
qu^elle disait, Jeanne allait cependant toujours armée de son harnais
{de toutes pièces), quoique ce fut contre la volonté et l'opinion des mêmes
GENS DE GUERRE. Elle montait sur son coursier tout armée aussi près-
152 LA VRAIE JEANNE D*ARC : LA LIBÉRATRICE.
tement que chevalier qui fût en la cour du roi ; ce dont les gens de guerre
étaient ébahis et courroucés \
III
Or il advint qu'un jour, après plusieurs escarmouches et la prise de
plusieurs bastilles, Jeanne la Pucelle voulut passer la Loire à puissance,
du côté de la Sologne, pour en venir aux mains avec les Anglais qui
tenaient le siège au bout du pont, et qui étaient logés aux Âuguslins et
au boulevard et à la bastille au bout du même pont.
Elle fit passer en bateau un grand nombre d'hommes d'armes, parmi
lesquels presque tous les capitaines ci-dessus nommés. Descendus à terre
ils virent, vers le bout du pont, de sept à huit cents Anglais, lesquels
ne saillirent aucunement pour faire des escarmouches, jusqu'à ce que
les Français voulurent se retirer, parce qu'il était presque soleil couchant.
Les Anglais, les voyant remonter sur les bateaux pour passer la rivière,
sortirent des Augustins et du bout du pont, et vinrent charger très fort
les Français, si bien que la Pucelle et les capitaines qui se trouvaient
autour d'elle furent contraints de se défendre et revinrent sur les Anglais
qui étaient éloignés de leurs bastilles d'environ deux traits d'arc. Ils les
repoussèrent si fortement, qu'ils en tuèrent et en prirent plusieurs, et
que le couvent des Augustins, que les Anglais avaient fortifié, fut emporté
d'assaut, et que les Anglais se réfugièrent es boulevard et bastilles du
bout du pont, devant lesquels demeura toute la nuit Jeanne la Pucelle *,
avec les sires de Loré et de Rais, le bûtard d'Orléans et plusieurs autres
capitaines.
IV
Le lendemain commença au matin l'assaut contre le boulevard du pont.
Dans la bastille se trouvaient deux barons d'Angleterre, nommé Tun le
sire de Molins, l'autre le sire de Pomins, et un écuyer bien renommé
pour sa vaillance, nommé Guillaume Glacidas, qu'on disait tout conduire
et tout gouverner au fait du siège. Le boulevard et la bastille renfermaient
environ de cinq à six cents Anglais, qui durant le jour tout entier eurent
\. Ce passage si explicite de l'historiographe officiel mérite une spéciale attention.
On trouve semblable pensée dans la plupart des Chroniques, quand on les lit de près el
sans parti pris de taire ce qui offusque les préjugés reçus. Depuis des siècles les
historiens dissimulent cet aspect. Déjà Godefroy, en éditant la présente Chronique,
biffait ce passage trop significatif.
2. Jean Chartier et l'auteur du Journal du siège disent que la Pucelle passa sur la
rive gauche la nuit du 6 au 7 ; il a été déjà observé que c'est une erreur.
CHRONIQUE DE JEAN CnARTIER. 153
à tenir tète àTassaut qui leur était donné. Les étendards flottaient toujours
sur les bords du fossé; plusieurs fois des gens de guerre avec leurs
bannières descendaient dans le fossé, montaient jusqu'aux Anglais,
combattaient main à main, et étaient ensuite rejetés au fossé par les
Anglais.
Jeanne disait toujours que chacun devait avoir bon cœur et bonne
espérance en Dieu, et que l'heure approchait où les Anglais seraient
pris. En cet assaut, Jeanne, un peu après midi, fut blessée à Tépaule
d'un coup de vireton. et, ce nonobstant, elle ne voulut jamais se retirer
ni s'éloigner des bords du fossé. Environ le soleil couchant, tout en un
instant, les Français entrèrent de toutes parts dans le fossé, grimpèrent
le long des parois du boulevard et le prirent d'assaut. Trouvèrent la mort
les seigneurs de Molins, de Pomins, Glacidas et plusieurs autres, jusques
au nombre de quatre cents environ ; le reste fut fait prisonnier. Cette
nuit logèrent du côté de la Sologne la Pucelle et les autres seigneurs
déjà mentionnés, ainsi que leurs gens, parce que, les ponts étant rompus*,
Ton ne pouvait rentrer dans la ville qu'en bateau. Le boulevard et
la bastille emportés, toutes les cloches de la ville se mirent à sonner,
et les habitants à louer et remercier Dieu.
Les Anglais qui étaient en une bastille appelée Saint-Laurent, du côté
de la Beauce, pouvaient bien" voir la prise de celle du pont. Ceux qui
étaient en la grande bastille nommée Londres^, le sire de Talbot, le
comte de Suffolk, les sires de Scales, Fastolf, et plusieurs autres, prirent
par suite de cette défaite le conseil de se retirer et de lever le siège.
Ils partirent, eux et leurs troupes, le dimanche au matin, lendemain
du jour où avaient été pris les boulevard et bastille du pont, conquis
le samedi soir. Ils délogèrent en très grand désarroi, si bien qu'une
poignée de gens qui saillirent de la ville leur firent laisser la plus grande
partie de leurs charrois, de leur artillerie, et d'autres biens encore.
Cependant la partie des vainqueurs qui étaient du côté de la Sologne ne
pouvait pas passer la rivière assez promptement pour inquiéter les
Anglais, forts de quatre mille combattants ou environ. Ces derniers se
réunirent et s'en allèrent à Meung-sur-Loire, qui était en leur pouvoir.
1. Le pont avait été assez rajusté pour que la Pucelle rentrât le soir en ville, ainsi
qu^eile Tavait annoncé. Il suffit de comparer ce récit avec les précédents pour se
convaincre qu'il est loin d'être des plus circonstanciés.
2. 11 semble que la grande bastille de la rive droite était Saint-Pouair, ou Paris.
io4 LA VRAIE JEANNE D*ARG .' LA UBÉRATRICE.
Ils furent chevauchés et escarmouches durant deux ou trois lieues par
Etienne de Vignoles, dit La Hire, et par messire de Loré avec cent ou
six-vingts lances composées d'hommes qui étaient repassés dans la ville
le soir après la dernière victoire.
Jean Ghartier narre ici l'aventure du Bourg de Bar, contraignant le
religieux augustin, son gardien, à le porter dans la ville, bien que partout
là entour estaient François et Anglais qui escarmouchoient^ et néanmoins
à la veue des Français et Anglais se fit ainsi porter, comme dit est.
CHAPITRE III
CAMPAGNE DE LA LOIRE.
Sommaire : 1. — Le duc d'Alençon libéré de sa prison et de la rançon exigée. — Il se
met à la suite de la Pucelle avec une foule d'hommes d'armes, tous attirés par le
désir de combattre sous la direction de Jeanne. — Siège de Jargeau. — La ville
emportée. — Les trois frères La Poule. — Morts et prisonniers. — Prise du pont de
Meung. — Siège de Baugency. — La reddition de la ville. — Arrivée de Richement
— Secours qu'il amène. — Accroissement de l'armée. — Confiance dans la Pucelle.
— Abattement des Anglais. — Conditions accordées aux Anglais de Baugency.
II. — Nouvelle que Talbot est en Beauce avec une armée. — Les éclaireurs font con-
naître sa marche. — L'armée se met à sa poursuite. — Victoire de Patay. — Morts
et prisonniers. — Fuite de Fastolf.
I
Le XVP (raconte) comment les François mirent le siège devant la ville
de Gergueau près d Orléans de laquelle estoit cappitaine le comte de
Suffolk, et d une destrousse faicte sur les Ânglols où furent prins
Talbot, le sire de Scales, et plusieurs aultres Ànglois.
Le duc d'Alençon, qui avait été pris à la journée de Verneuil, venait,
en acquittant sa rançon, de délivrer ses otages et ses répondants. Le
roi Charles, sur les instances de la Pucelle, leva une grande armée, elle
duc d'Alençon manda de toutes parts des gens au service du roi, plus
pour les mettre à la suite de Jeanne la Pucelle que pour tout autre
motif; dans Tespérance qu'elle était divinement envoyée, beaucoup plus
que pour la paye et profits à attendre du roi. Grande compagnie de gens
d'armes et d'archers vinrent pareillement joindre le duc d'Alençon et la
Pucelle, dans laquelle on mettait grande espérance. On y voyait réunis
le bâtard d'Orléans, le sire de Boussac, maréchal de France, de Culan,
CURONIQUE DE JEAN CHÂRTIER. 155
amiral de France, messire Ambroise de Loré, La Hire, Gaultier de
Boussac. Tous allèrent ensemble devant Jargeau, et y mirent le siège;
et après plusieurs grands engagements ils firent dresser les bombardes,
confectionner plusieurs machines d'approche, afin de conquérir cette
ville, occupée par les Anglais. Le comte de Suffolk, qui avait en sa
compagnie de six à sept cents Anglais, y commandait pour le roi
d'Angleterre. Après environ huit jours de siège*, la ville fut assaillie de
toutes parts et finalement emportée d'assaut. Le comte de Suflfolk fut
fait prisonnier par im écuyer nommé Guillaume Regnault, que ledit
comte fit chevalier {avant de se rendre) ; fut pris comme lui son frère
le sire de La Poule ; son autre frère Alexandre de La Poule fut tué avec
d'autres Anglais au nombre de trois à quatre cents ; les autres furent
faits prisonniers ; la plupart de ces derniers furent tués par suite de
débats survenus parmi les Français entre Jargeau et Orléans. L'armée
rentra dans cette ville.
Le roi de France ayant eu connaissance de la prise de Jargeau manda
de toutes parts des gens d'armes pour qu'ils s'adjoignissent au duc
d'Alençon, à la Pucelle, et aux autres chefs de guerre.
Bientôt après le duc d'Alençon et ceux qui étaient à sa suite partirent
d'Orléans et se mirent aux champs devant la ville de Meung-sur-Loire ;
ils gagnèrent sur les Anglais le pont qui est près de la ville, y établirent
une garnison pour résistera leurs entreprises et les abattre, en continuant
à conquérir sur eux ce que depuis longtemps ils occupaient sans raison
au royaume de France.
Le lendemain matin, l'armée se remit en marche, et vint camper
devant Baugency-sur-Loire occupé par les Anglais. Les Anglais se
retirèrent aussitôt au château qui est à l'entrée du pont, et abandonnèrent
la ville dont s'emparèrent le duc d'Alençon, Jeanne la Pucelle, le bâtard
d'Orléans et les autres ci- dessus nommés. Ils s'y logèrent, et incontinent
ils firent dresser leurs bombardes contre ledit château, où étaient
renfermés de sept à huit cents Anglais.
Pendant qu'on assortissait les bombardes et les canons, les Lombards
qui étaient dans l'armée se faisaient un grand devoir de tirer contre le
château; les Anglais, à mesure qu'on les entourait de toutes parts, ne
faisaient que peu de résistance, voyant bien que leurs affaires allaient en
déclin. Presque aussitôt après ils demandèrent à entrer en composition
et à se rendre.
Ace siège arriva Arthur, connétable de France et comte de Richemont:
le seigneur de Beaumanoir était en sa compagnie ; on disait qu'ils ame-
\ . Inexactitude, ce fut après deux jours. Chartier reproduit Terreur de la Chronique
de la Pucelle.
156 LÀ VRAIE JEANNE D*ARC : LA LIBÉRATRICE.
liaient de mille à douze cents combattants, ce qui était un grand secours.
En outre, chaque jour l'armée grossissait de gens accourus de tous côtés,
pleins de courage et de hardiesse» à cause de la présence de Jeanne la
Pucelle que plusieurs tenaient être venue du ciel, comme ses œuvres et
son gouvernement le montraient assez.
Les Anglais, au contraire, étaient fort épouvantés d'en entendre parler;
ils demandaient à parlementer pour la reddition du pont et du château.
Finalement on leur accorda permission de se retirer et d'emporter leurs
biens ; ils partirent le lendemain au matin en rendant le pont et le château
de Baugency; par ordonnance des seigneurs, messire Ambroise de Loré
présida à leur départ et à leur sortie.
II
Environ une heure après que les Anglais étaient partis munis de saufs-
conduits, se répandirent dans l'armée des bruits que le sire de Talbot,
le sire de Scalles, messire Jean Fastolf, plusieurs autres seigneurs et
capitaines, à la tôtc de quatre à cinq mille combattants^ étaient passés par
Janville-en-Beauce, venant droit à Meung-sur-Loire. Incontinent des
chevaucheurs furent mis aux champs pour en savoir la vérité. En
attendant, le ducd'Alençon,lecomtede Richement, connétable de France,
le comte de Vendôme et Jeanne la Pucelle faisaient déployer leur armée
dans les campagnes de Baugency, et la mettaient en ordre de bataille.
Les chevaucheurs ne tardèrent pas à revenir; ils rapportaient avoir
réellement vu les Anglais près de Meung-sur-Loire. Ceux qui occupaient
Meung étaient partis, avaient abandonné la ville, s'étaient joints aux
autres, et tous se dirigeaient vers Janville-en-Beauco.
Ceci venu à la connaissance du duc d'Alençon, du Connétable, du
comte de Vendôme, du bâtard d'Orléans, de Jeanne la Pucelle et des
autres seigneurs et capitaines, il fut convenu qu'on marcherait en toute
hâte vers le lieu où Ton disait qu'étaient les Anglais, et qu'on les com-
battrait en quelque lieu qu'ils fussent rencontrés. Aussitôt ils se mirent
en marche et chevauchèrent diligemment, droit vers une église fortifiée,
nommée Patay-en-Beauce. Là arrivèrent les Anglais, les uns à pied, les
autres à cheval; ils marchaient toujours leur chemin, quand ils furent
aperçus par les coureurs et par Tavant-garde française. Le gros de
l'armée elle-même, où se trouvaient le duc d'Alençon, le Connétable, le
comte de Vendôme, le bâtard d'Orléans, Jeanne la Pucelle, approcha
de très près, au point d'avoir les Anglais en vue. Les Anglais arrêtèrent
leur marche pour prendre place sur la lisière d'un bois, près d'un village.
CHRONIQUE DE JEAiN CHARTIER. J57
En ce moment même, les coureurs et ravant-gârde des Français fondirent
sur eux avec tant d'impétuosité que ceux qui étaient à cheval, la plupart
du moins, prirent la fuite; et ceux qui étaient à pied — ils étaient en
grand nombre — se jetèrent dans le bois et dans le village. En ce moment
arriva Tarmée française elle-même. Finalement il y eut de deux à trois
mille Anglais morts, et beaucoup de prisonniers, parmi lesquels le sire
de Talbol, le sire de Scales, messire Gauttierde Hungerfort, et plusieurs
grands seigneurs anglais. La chasse * dura jusqu'à Janville. Cette ville
était alors au pouvoir des Anglais ; elle fut rendue à Tobéissance du roi
ainsi que plusieurs autres forteresses du pays de Beauce.
Messire Jean Fastolf et plusieurs autres qui purent échapper de la
bataille se retirèrent à Corbeil ; et les Français couchèrent audit lieu
de Patay.
CHAPITRE IV
LA CAMPAGNE AVANT ET APRÈS LE SACRE.
Sommaire : 1. — Le roi mis par la Pucelle sur le chemin de Reims, malgré son conseil.
— La foi à la divinité de la mission de la Pucelle attire une foule de guerriers. —
MagniGque portrait de la guerrière et de la sainte. — Toute-puissance et néfaste
inlluence de La Trémoille. — Il renvoie Richemont et bien d'autres.
IL — Insignifiante paye aux hommes d'armes. — La Pucelle précède le roi. — Guerre
aux femmes de mauvaise vie, et épée brisée. — Composition d'Auxerre et mécon-
tentement de la Pucelle. — Chartier ne fait dans la suite qu'abréger la Chronique
de la Pucelle. — Omission à signaler.
III. — Entrée du roi à Compiègne, à Senlis. — Bedford en Normandie. — Le roi à Saint-
Denis. — Jeanne à La Chapelle. — Attaque contre Paris. — Jeanne presse l'assaut,
elle est blessée. — Jeanne suspend ses armes devant le corps de saint Denis.
I
Le XVIP parle comment le roy, par T admonestation de Jehanne la
Pucelle, fist une grande armée à Gien-sur-Loire pour aller à Rains, et
avoit en sa compagnie le duc d*Alençon, le duc de Bourbon, le comte de
Vendosme et plusieurs seigneurs et cappit aines.
L an mil quatre cent vingt-neuf, au commencement de juin, le roi
Charles de France fit une grande armée sur les instances de Jeanne la
1. L'imprimé de 1477 a heureusement substitué le mot chasse au mot chose du ma-
nuscrit. C'est un des deux mots différents que la collation nous a fait découvrir.
158 LÀ VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
Pucelle qui disait que c'était la volonté de Dieu que le roi allât à Reims
se faire sacrer et couronner ; car encore qu'il fût appelé roi, il n'était pas
encore couronné. Malgré les difficultés et les craintes manifestées par le
roi et son conseil, Jeanne la Pucelle, par ses pressantes demandes, fit déci-
der que le roi manderait ce qu'il pourrait trouver de gens pour entre-
prendre le voyage de son couronnement à Reims, encore que cette ville
fût occupée par les Anglais, ainsi que toutes les villes et forteresses de
Picardie, de Champagne, de TIle-de-France, de la Brie, du Gâtinais, de
TAuxerrois, de la Bourgogne, et généralement tout le pays entre la
Loire et la mer.
Le roi convoqua son assemblée à Gien-sur-Loire. Il y avait en sa com-
pagnie le duc d'Alençon, le duc de Bourbon, le comte de Vendôme,
Jeanne la Pucelle, le sire de Laval, le sire de Rais, le sire d'Albret, le sire
de Lohéac, frère du sire de Laval, et plusieurs autres grands seigneurs et
capitaines. De toutes parts les gens d'armes venaient au service du roi et
chacun avait grande attente que, par le moyen de Jeanne la Pucelle,
beaucoup de biens arriveraient au royaume de France. Chacun désirait
fort la voir et connaître ses faits comme chose venue par la grâce et
volonté de Dieu.
Jeanne la Pucelle chevauchait toujours avec les gens d'armes et les
capitaines, armée et équipée en guerre comme tous les autres de sa
compagnie. Elle parlait de la guerre d'une manière aussi entendue qu'eût
su le faire un capitaine. Quant le cas advenait, qu'on poussait un cri
d'armes ou d'effroi, elle accourait soit à pied, soit à cheval, aussi vail-
lamment que capitaine de la compagnie, donnant cœur et hardiesse à
tous les hommes de la compagnie, les admonestant de faire bon guet et
bonne garde, ainsi qu'il était expédient de le faire. Et en toutes les autres
choses, elle était une bien simple personne. Elle menait une vie belle et
honnête, se confessait bien souvent, et recevait lecorpsdeNotre-Seigneur
presque toutes les semaines ; elle était toujours en habits d'armes ou en
habits d'homme. Et disait-on aussi que c'était fort étrange chose que de
voir chevaucher une femme en telle compagnie, et bien d'autres raisons
l'on disait; et il n'y avait ni docteur, ni clerc, ni autre personne qui ne
fut émerveillé de son fait.
A cette époque le sire de La Trémoille était auprès du roi de France,
et Ton disait qu'il entrait trop avant dans le gouvernement du roi. Cela
avait été cause qu'un grand différend et débat s'était ému entre ledit de
La Trémoille et le connétable de France, comte de Richement; et il fallut
que ledit Connétable, qui avait bien en sa compagnie douze cents bons
combattants, s'en retournât. Pareillement firent plusieurs autres seigneurs
et capitaines que le sire de La Trémoille redoutait; ce qui fut un très
CHRONIQUE DE JEAN CHARTIER. 159
grand dommage pour le roi et la chose publique ; car, par le moyen de
Jeanne la Pucelle, tant de gens venaient de toutes parts pour servir le
roi, et à leurs dépens, que de La Trémoille et d'autres seigneurs du
conseil étaient bien courroucés d'une telle multitude, par crainte pour
leurs personnes, et plusieurs disaient que si le susdit de La Trémoille et
d*autres du conseil avaient voulu recevoir tous ceux qui venaient au
service du roi, on aurait pu aisément recouvrer tout ce que les Anglais
OCCUPAIENT AU ROYAUME DE France ; mais on n'osait pas alors parler contre
ledit de La Trémoille, quoique chacun vît clairement que de lui venait
la faute \
II
En ce lieu de Gien-sur-Loire fut fait aux gens de guerre un payement
tel quel; car il ne se montait pas à plus de deux ou trois francs pour chaque
homme d'armes. De ce même lieu de Gien-sur-Loire partit Jeanne la
Pucelle, ayant plusieurs autres capitaines en sa compagnie; elle alla
camper à environ quatre lieues de distance, sur le chemin de Reims par
Auxerre.
Le roi de France partit le lendemain en suivant la même route, et avant
la fin du jour toute Tarmée se trouva réunie.
Il faut savoir qu'il y avait dans Tarmée plusieurs femmes diffamées qui
empêchaient quelques hommes d'armes de suivre diligemment le roi. Ce
que voyant Jeanne la Pucelle, après le cri d'ordre d'aller en avant, elle
tira son épée, et en battit si bien deux ou trois qu'elle rompit son épée - ;
ce dont le roi fut fort marri ; il dit qu'elle aurait dû prendre un bâton pour
frapper de tels coups, sans employer une épée qui lui était venue divi-
nement, ainsi qu'elle le disait.
1. Texte pur: « Et pour celle heure estoit le sire de La Trimoille avecques le roy de
France et disoit-on qu'il entreprenoit trop fort le gouvernement du roy, pour laquelle
cause estoit grand question et débat meu entre ledit de La Trimoille et le connestable
de France comte de Richemont; pourquoy fallut que ledit connestable qui avoit bien
en sa compagnie xn cens bons combatans, s'en retournast, et pareillement firent
plusieurs aultres seigneurs et cappitaines, desquels le sire de La Trémoille se doubtoit,
dont ung très grant dommage fust pour le roy et pour la chose publique ; car par le
moyen de ladicte Jehanne la Pucelle venoient tant de gens de toutes parts devers le
roy pour le servir et à leurs despens que on disoit que iceulx de La Trimoille et aullres
du conseil du roy estoient bien couroucés que tant y en venoit pour la double de
leurs personnes; et disoient plusieurs que se ledit de La Trimoille et aullres du conseil
<iu roy eussent voulu recevoir tous ceulx qui venoient au service du roy, quilz eussent
peu légierement recouvrer tout ce que les Angloys occupoient au royaulme de France.
£tn'osoit-on parler lors contre ledit de La Trimoille, combien que chacun vist clere-
ment que la faulte venoit de luy. »
2. C'est à Saint-Denis que le fait arriva, d'après la déposition du duc d'Alençon.
160 LA VRAIE JEANNE D'ARC I LA LiBâRATRICE.
Ce jour, le roi chevaucha tellement qu'il vint devant la cité d'Auxerre,
qui ne lui fit pas pleine obéissance. Quelques bourgeois vinrent à sa ren-
contre, après avoir, disait-on, donné de l'argent à La Trémoille afin d'ob-
tenir pour cette fois de demeurer en trêve et abstinence de guerre; ce dont
furent très mécontents quelques capitaines de Tarmée, qui s'en plaignaient
fort et accusaient le sire de La Trémoille et quelques conseillers du roi.
Jeanne maintenait constamment qu'il fallait donner assaut à la ville ; on
finit cependant par accorder Tabstinence demandée. Toutefois les habitants
d'Auxerre donnèrent pour de l'argent des vivres à Tarmée, qui en sen-
tait une très grande nécessité et besoin.
Dans toute la suite, jusqu'au siège de Paris, Chartiersuit pas à pas la
Chronique de laPucelle\ il lui emprunte jusqu'à la phrase, il ne dit rien
que l'on ne trouve dans Tœuvre des deux Cousinot. Il retranche parfois.
C'est ainsi qu'il ne rapporte pas que Jeanne se serait jetée aux pieds du
roi après le sacre, et aurait prononcé les paroles rapportées par la Chra-
nique de la Pucelle et le Journal du siège. On lit à la place : « Là était
Jeanne La Pucelle, laquelle tenait son étendard en mains ; car elle était
cause principale du couronnement et de toute l'assemblée qui se trouvait
ainsi réunie, ainsi qu'il a été dit ».
Ilnerapporte pasnouplus la scènequi se serait passée à Crépy-en-Valois.
Voici son récit à partir des escarmouches de Montépilloy.
III
Le jour suivant, le roi avec son armée alla droit à Compiègne qui lui
lit obéissance ; il y établit comme capitaine un nommé Guillaume de Flavy,
originaire de ce pays. Les bourgeois de Beauvais vinrent l'y trouver pour
lui faire acte de soumission de la part de leur ville.
Semblablemenl se mirent en mouvement Tévèquc et les bourgeois de
Seiilis, et vinrent aussi à Compiègne pour mettre leur ville en l'obéissance
du roi, qui sortit de Compiègne pour venir à Senlis.
La môme année, sur lafmdumois d'août, le ducdeBedfordsortitdeParis,
gagna la Normandie, amenant son armée, qu'il dissémina en divers lieux
de ce pays et d'ailleurs, pour garder les places confiées à son gouverne-
ment et lui rendant obéissance. Il laissa à Paris messire Louis de Luxem-
bourg, évêque de Thérouanne, soi-disant chancelier de France, un chevalier
anglais nommé messire Jean Radley; un autre, natif de France, du
nom de messire Simon Morbier, pour lors prévôt de Paris. Pour la garde
et la défense de Paris, ils avaient environ deux mille Anglais.
CHRONIQUE DE JE\N CHARTIER. 161
A la fin du même mois d août, le roi de France, quittant Senlis, s'en vint
avec son armée à Saint-Denis en France; les habitants lui rendirent
obéissance et il y entra avec ses troupes. Après leur entrée, de grandes
escarmouches commencèrent entre les Français et les Anglais de Paris.
Trois ou quatre jours après son arrivée, le duc d'Alençon, le duc de
Bourbon, le comte de Laval, le sire d'Albret, Jeanne la Pucelle, les sires
de Rais et de Boussac, maréchaux de France, et autres en leur compagnie,
se logèrent comme à mi-chemin entre Saint-Denis et Paris, en un
village nommé La Chapelle.
Le lendemain les ducs nommés et d'autres seigneurs français se mirent
aux champs près de la porte Saint-Honoré, sur une butte* qu'on appelle
le marché aux pourceaux; et ils firent ajuster plusieurs canons et cou-
levrines afin de tirer dans la ville de Paris. Les Anglais tournoyaient îi
Fintérieur le long des murailles, leurs enseignes déployées, parmi les-
quelles Ton remarquait une bannière blanche traversée d'une grande
croix vermeille. A leur arrivée les Français prirent d'assaut le boulevard
Saint-Honoré. A cette prise se trouvait un chevalier nommé le sire de
Saint-Vallier, qui, avec ses gens, fit grandement son devoir.
Les Français pensaient que les Anglais et les autres défenseurs de
Paris sortiraient par la porte Saint-Denis, ou par toute autre porte pour
tomber sur eux : voilà pourquoi les ducs d'Alençon et de Bourbon, le
sire de Montmorency, d'autres encore, se tenaient toujours avec de gran-
des forces derrière cette grande butte, prêts à combattre. Le sire de
Montmorency fut fait chevalier ce jour-là -. Ils ne pouvaient pas se tenir
plus près du combat, à cause des canons et des coulcvrines qu'on tirait
sans cesse de Paris.
Jeanne la Pucelle dit qu'elle voulait donner l'assaut à Paris ; elle n'était
pas bien informée de la grande profondeur de l'eau dans les fossés. Elle
s'avança néanmoins avec une grande suite d'hommes d'armes, parmi
lesquels le sire de Rais, maréchal de France ; ils descendirent dans Tar-
rière-fossé, où ils se postèrent, Jeanne, le maréchal de Rais et d'autres en
grand nombre. Ils y restèrent tout le jour. La Pucelle y fut blessée à la
jambe par un vireton ^; elle ne voulut cependant pas sortir de Tarrière-
fossé ; et elle se donnait grand mouvement pour faire jeter des fascines
et d'autres bois dans le principal fossé, dans l'espérance de passer; ce
qui n'était pas possible à cause de la grande quantité d'eau.
La nuit survenue, les ducs d'Alençon et de Bourbon envoyèrent
plusieurs fois la quérir, et pour rien elle ne voulut se retirer. Il fallut que
i. Butte, petite élévation.
2. Diaprés d'autres chroniques, il ne sortit de Paris que le lendemain.
3. Vireton, trait d*arbaiète.
m. il
162 LÀ VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
le duc d'Alençon vînt la chercher et la ramener. L'armée se replia sur
La Chapelle, où elle avait passé la nuit précédente.
Le lendemain les ducs d'Âlençon et de Bourbon, Jeanne la Pucelle et
d'autres retournèrent à Saint-Denis, où était le roi. Les jours suivants
Jeanne la Pucelle suspendit ses armures devait le précieux corps de Mon-
seigneur saint Denis et de ses compagnons, et elle les offrit par grande
dévotion *.
CHAPITRE V
RETRAITE AU DELA DE LA LOIRE. — CE QUE JEAN CHARTIER DIT ENCORE
DE LA PUCELLE.
Sommaire : 1. — Lagny fait soumission au roi. — Loré en est fait capitaine. — Capi-
taines nommés à la garde des villes récemment soumises. — Le roi quitte Saint
Denis. — L*armure complète de Jeanne suspendue dans la basilique. — Itinéraire
du retour. — Saint-Denis repris par les Anglais ; ils enlèvent l'armure de la Pucelle.
— Universel brigandage. — Le pays appauvri. — Secours envoyés par le roi.
II. — La Pucelle reprend Saint-Pierre-le-Moustier, écboue devant La Charité.
m. — Efforts des Anglais contre Lagny. — La Pucelle y revient. — Rencontre avec
les Anglais. — Victoire de la Pucelle.
iV. — Siège de Compiègne. — Jeanne se jette dans la place assiégée. — Versions
différentes sur sa prise. — Indication sommaire des étapes de son martyre.
Variante.
Appendice tiré de la Chronique latine.
I
La Pucelle ne parait plus désormais dans le récit de rhistoriographe
que par intervalles. Voici les extraits où il en est question, et même
ceux qui peuvent mieux servir à se rendre compte des faits.
Le vingt-neuvième jour du mois d'août, en Tan susdit, le prieur de
Tabbaye de Lagny et Arthur de Saint-Marry avec quelques habitants de
la ville vinrent à Saint-Denis mettre Lagny en Tobéissance du roi. Le
roi chargea le duc d'Alençon d'y envoyer quelqu'un ; et le duc députa
messire Ambroise de Loré auquel la ville fut remise par les bourgeois
1 . Ce récit de Téchec contre Paris et du départ de l'armée est écourté dans rhisto-
riographe officiel. U sera discuté dans la suite d'après ce qu'en disent les diverses
(chroniques, et tout particulièrement Perceval de Cagny, et la Chronique dite des
Cordeliers.
CHRONIQUE DE JEAN CHARTIER. 163
et les habitants ; il leur fit prêter les serments accoutumés, à savoir d'être
vrais et loyaux au roi.
Le douzième jour de septembre de Tan susdit, le roi de France ordonna
que le duc de Bourbon, le comte de Vendôme, messire Louis de Culan
et plusieurs autres capitaines demeureraient aux pays qui en ce voyage
s'étaient soumis à son obéissance. Il laissa comme son lieutenant le duc
de Bourbon; et à Saint-Denis il laissa le comte de Vendôme et Tamiral
de Culan avec grande compagnie de gens d'armes.
Le roi partit ensuite avec l'autre partie de ses gens ; et au départ,
ainsi qu'il a été dit, Jeanne laissa devant Saint-Denis toutes ses armures
complètes dans lesquelles elle avait été blessée devant Paris. Le roi alla
coucher à Lagny, dont il confia la garde à sire Ambroise de Loré qui
y avait été déjà envoyé, ainsi qu'il a été dit. Le sire de Loré accepta cette
chaîne; son chevalier messire Jean Foucault resta avec lui. Le jour
suivant le roi quitta Lagny, passa la Seine, franchit l'Yonne à un gué
près de Sens, s'en alla à Montargis et au delà de la rivière de Loire.
Bientôt après Anglais et Bourguignons s'assemblèrent en grand nombre
à Paris; les Français que le roi avait laissés, lors de son départ, à
Saint-Denis, quittèrent et abandonnèrent la ville, et se retirèrent à Senlis.
Feu après leur départ, ceux de Paris vinrent à Saint-Denis; ils y trou-
vèrent les armures de Jeanne la Pucelle, les prirent et les emportèrent
sur Tordre de l'évêque de Thérouanne, chancelier aux pays qui obéis-
saient au roi d'Angleterre. Aucun dédommagement ne fut donné à
l'église de Saint-Denis.
Jean Chartier raconte une tentative contre Lagny, qui fut vaillamment
repoussée, et il continue :
... En ce même temps, commencèrent de toutes parts les pillages et les
rapines dans les pays que le roi de France, ainsi que cela vient d'être
dit, avait conquis sur les Anglais, sans que cela lui eût guère coûté ; car
sans coup férir on venait de toutes parts lui faire obéissance. Ces pays
étaient riches, bien "peuplés, bien cultivés. Bientôt après les laboureurs
disparurent des champs, plusieurs villes furent oppressées et appauvries,
plusieurs contrées restèrent inhabitables et sans culture; chacun voulait
faire le maître et obéir au caprice plus qu'à la raison. Le duc de Bourbon,
témoin de cette manière de faire, de cette désobéissance et de ce brigan-
dage, s'en retourna à son pays.
Le comte de Vendôme resta, veillant principalement sur la cité de
Senlis. Dans la suite le roi lui donna le gouvernement total de la contrée,
et envoya à son aide et secours le sire de Boussac, maréchal de France,
avec huit cents ou mille combattants. C'était de grande nécessité, car
164 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
d*un côté les Anglais venaient de Normandie, d'autres pays et des places
de France, faire la guerre ; et de l'autre, c'était le duc de Bourgogne
qui tenait le pays de Picardie.
II
En ce même temps, par ordre du roi de France, fut formée une armée
en laquelle se trouvait Jeanne la Pucelle avec plusieurs autres capitaines.
Ils allèrent devant une ville appelée Saint-Pierre-le-Moustier et la prirent
d'assaut. Ils vinrent ensuite devant La Charité-sur-Loire, où commandait
Perrinet Grasset, et y mirent le siège, disposant quelques bombardes,
canons et autres pièces d'artillerie. Ils s'y tinrent durant quelque temps,
et finirent par lever le siège, s'en allant sans avoir rien fait, après avoir
perdu, à ce que l'on dit, la plus grande partie de leur artillerie.
III
Chartier raconte de beaux exploits de la garnison de Lagny, et com-
ment le brave Ambroise de Loré appelé à défendre Saint-Célerin, près
d'Alençon, naguère recouvré, triompha, par ses habiles et audacieux
coups de main, d une armée anglaise qui voulait reprendre la forteresse.
Le chroniqueur revient à Lagny, si ardemment convoité par les Anglais
et à Jeanne la Pucelle, et s'exprime ainsi :
En même temps qu'ils s'efforçaient de recouvrer Saint-Célerin, les
Anglais vinrent pareillement mettre le siège devant Lagny-sur-Mame.
Après l'avoir battu de leurs bombardes et canons, et avoir tenté plusieurs
assauts, de là aussi ils s'en retournèrent sans rien faire. Défendaient la
r
ville messire Jean de Foucault, l'Ecossais Quennède, et plusieurs
vaillantes gens.
L'an mil quatre cent trente, Jeanne la Pucelle quitta le Berry, et en com-
pagnie de plusieurs gens de guerre elle vint à Lagny- Sur-Marne. Il advint
qu'à son arrivée, trois à quatre cents Anglais traversaient l'Ile-de-France.
Promptement la Pucelle se met aux champs avec messire Jean Foucault,
Guiffray de Saint-Aubin, un capitaine nommé Barie, Quennède, Écossais,
et d'autres de la garnison de Lagny. Ils joignirent les Anglais qui se
mirent à pied et se rangèrent le long d'une haie. Il fut incontinent résolu
par les Français qu'on les combattrait. Ils vinrent en très bon ordre, à
pied et à cheval, tomber sur les Anglais. La besogne fut très dure et très
âpre ; car les Français n'étaient guère plus nombreux que les Anglais.
Ces derniers finirent par être déconfits, presque tous tués, et les autres
CHRONIQUE DE JEAN CHARTIER. 165
pris. Il y eut aussi des morts et des blessés du côté de Français qui,
avec Jeanne la Pucelle, rentrèrent à Lagny en amenant leur capture.
IV
En Tan dessus dit (1430), messire Jean de Luxembourg, le comte de
Huntinton, le comte d'Arondel, d'autres Anglais et Bourguignons, vinrent
avec de grandes forces devant Compiègne, et l'assiégèrent des deux
côtés de rOise. Ils y firent des bastilles où ils se tenaient. Jeanne la
Pucelle, dès qu'elle en eut connaissance, partit de Lagny pour porter aide
et secours aux assiégés. Incontinent après son arrivée, de grandes et
nomJbreuses escarmouches commencèrent entre les Anglais et les Bour-
guignons d'une part, et ceux de la ville de l'autre.
Or il advint qu'un jour Jeanne la Pucelle fit une sortie très vaillante
et très hardie ; mais les Anglais et les Bourguignons chargèrent aussi
très fort sur elle et sur ses hommes, en sorte qu'elle fut contrainte de
battre en retraite avec ses gens.
Quelques-uns disent que la barrière lui fut fermée au retour; d'autres
qu'il y avait trop grande presse à l'entrée ; finalement elle fut prise par
les Anglais et les Bourguignons et amenée captive. Plusieurs gens du roi
en furent très dolents.
Les Bourguignons de la compagnie de Luxembourg la tinrent longtemps
en prison. Luxembourg la vendit aux Anglais qui l'emmenèrent à Rouen,
où elle fut cruellement traitée. Après l'avoir longuement détenue, ils la
firent brûler publiquement à Rouen, en lui imposant plusieurs maléfices,
en réalité en vertu de la loi Sic volo^ sic jubeo, stat pro rations volimtas.
{Je le veuXj je V ordonne^ mon vouloir est raison.)
C'est ainsi que, dans le numéro 2396, Jean Ghartier termine les cha-
pitres consacrés à la Pucelle. La manière est différente, tant dans le
manuscrit reproduit par Quicherat que dans celui qu'a reproduit Vallet
de\iriville. Il y rapporte une particularité intéressante qui ne se trouve
pas dans le texte que nous avons cru devoir préférer. Voici le passage :
<^ Luxembourg la vendit aux Anglais qui la menèrent à Rouen où elle
fat durement traitée, tellement qu'après longue dilation de temps, sans
procès, mais de leur volonté indue, ils la firent brûler publiquement en
^'te ville de Rouen, en lui imposant plusieurs maléfices {crimes)\ ce
^ti fut inhumainement fait, vu la vie et le gouvernement dont elle vivait,
^^ï' elle se confessait et recevait chaque semaine le corps de Nôtre-
Seigneur, comme bonne catholique.
« Et il n'y a point à douter que l'épée qu'elle envoya quérir en la chapelle
f66 LA VRAIE JEANNE D^ARC : LA LIBÉRATRICE.
Sainte-Catherine-de-Fierbois, dont ci-dessus est fait mention, ne fût
trouvée par miracle, comme un chacun tenait ; vu surtout que par le
moyen d*icelle épée, avant qu'elle fût rompue, elle a fait de beaux
conquets ci-dessus déclarés. Et il faut savoir qu'après la journée de Pata\\
ladite Jeanne la Pucelle fit faire un cri, que nul homme de sa compa-
gnie ne tint aucune femme diffamée ou concubine. Néanmoins elle en
trouva quelques-unes transgressant son commandement; et elle les frappa
d^icelle épée tellement qu'elle fut rompue. Et cela venant promptement
à la connaissance du roi, elle fut baillée à ouvriers pour la ressouder; ce
qu'ils ne purent pas faire, ni jamais ils ne purent la rassembler; ce qui
est une grande probation qu'elle était venue divinement, et était chose
notoire que depuis que ladite épée fut rompue, ladite Jeanne ne pros-
péra en armes au profit du roi ni autrement, ainsi qu'elle avait fait
auparavant. »
APPENDICE
PARTICULARITÉS RAPPORTÉES DANS LA CHRONIQUE LATINE.
Voici, d'après la copie qui nous a été envoyée, les particularités que
Jean Chartier a consignées dans sa Chronique latine, et qui ne se trouvent
pas dans la Chronique française :
D'après le texte latin, Jeanne, quoiqu'elle ne l'ait pas révélé, aurait su
qui avait déposé à Fierbois Tépée avec laquelle elle devait expulser
l'envahisseur. La Chronique latine exprime d'une manière plus claire
que la Chronique française le vrai motif pour lequel les guerriers qui
avaient conduit le premier convoi, au lieu d'entrer à Orléans avec la
Pucelle, étaient retournés à Blois. Ils craignaient d'affamer la ville;
voilà pourquoi ils allèrent chercher un second convoi encore plus abon-
dant que le premier. Il ne le fut pas cependant au point que, le 9 et le
10 mai, les vainqueurs ne dussent se disperser, parce que la ville, même
après le butin fait sur les Anglais, n'était pas suffisamment approvi-
sionnée. La Chronique latine indique des céréales, des bœufs, desmoutons^
comme composant une partie du second ravitaillement. Il y eut de l'hési-
tation à Blois pour le tenter, hésitation que l'arrivée de Dunois fît cesser.
La Chronique française fait coucher Jeanne sur la rive gauche après la
prise des Tourelles ; la Chronique latine, plus vraie, la fait rentrer le soir
môme, mais elle se trompe en disant qu'elle passa la rivière en bateau ;
elle revint par le pont, ainsi qu'elle l'avait prédit.
CHRONIQUE DE JEAN CHARTIER. 167
Ce ne sont pas seulement les nobles qui, après la délivrance d'Orléans,
vinrent se ranger sous la bannière de Jeanne; on accourut de tout le
royaume : afflueniibxis undique regnicolis. Le récit de la bataille de Patay
est suivi du récit, qui n'est pas à sa place, de la brisure de Tépée, de
rimpuissance d'en souder les parties, et de la réflexion qui a été déjà
mentionnée.
Suivant la Chronique latine, après la victoire de Patay, on venait même
des royaumes étrangers pour marcher à la suite de la Pucelle. Nedum
regnicolœ, verùm etiam alienigenœ è diversis mimdi climatibits, La
Trémoille enraya le mouvement. Les vivres fournis à Tarmée française
par les habitants d'Auxerre l'auraient été gratuitement^ d'après la Chro-
nique laline, tandis que, d'après d'autres Chroniques, ce fut sur argent
comptant. La Chronique latine spécifie que la garnison de Troyes devait,
aux termes de la capitulation, amener les prisonniers que Jeanne refusa
de laisser partir, en contraignant le roi de payer leur rançon. A Reims
le roi aurait fait duc le comte Charles de Bourbon, qui n'était encore
que comte, son père vivant dans les fers à Londres.
Les habitants de Bar-sur-Seine n'auraient promis le passage qu'à la
condition de s'aboucher personnellement avec le roi. N'était-ce pas un
piège ?
De Crépy, le roi aurait envoyé sonder secrètement les dispositions
des habitants de Beauvais et de Compiègne qui, secrètement aussi, lui
auraient fait savoir qu'ils étaient disposés à lui rendre obéissance. Bed-
ford, à Senlis, aurait été à la tôte d'une armée de quinze mille hommes.
Le moulin à vent autour duquel Jeanne livra plusieurs escarmouches
aux Parisiens est dit toucher aux faubourgs de la ville : Uvbis suburbia
langens. De même les Parisiens en tournoyant autour des remparts à
l'intérieur avec une bannière blanche traversée par une croix rouge, la
tenaient assez haute pour qu'elle fût bien vue des assiégeants : ut Frajicis
arva tenentibus luculentissime objiceretur. La blessure reçue par Jeanne
sous les murs de Paris aurait élé très profonde, le chroniqueur écrivant
que Jeanne s'obstinait à ne pas se retirer, quamquam atrocissime in
crure cum sagitta vulneraretur.
II n'y a pas de mauvais traitements que les Anglais en reprenant Saint-
Denis n'aient fait subir aux habitants; et les capitaines préposés aux
pays qui venaient de faire une si volontaire soumission s'y seraient livrés
à tous les excès que la céleste envoyée avait si sévèrement défendus et
réprimés, lorsqu'elle se mit à leur tète à Blois.
Elle était alors occupée aux sièges de Saint-Pierre-le-Mouslier et de La
Charité, places autour desquelles, d'après la Chronique latine, de très
nombreux combats furent livrés. Dans la rencontre avec Franquet d'Arras,
168 Là vraie JEANNE D*ARC : LA LIBÉRATRICE.
pas un homme de la troupe du bandit n'aurait échappé ; tous auraient
été tués ou faits prisonniers.
Mais ce qu'il y a de plus remarquable, ce sont les dernières lignes que
Jean Chartier consacre à la Pucelle, elles méritent d*6tre traduites à partir
de la prise de la sainte fille à Compiègne.
« Contrainte, dit-il, de regagner la ville, comme elle s'efforçait d'y
pénétrer, les ennemis fermant sur elle la barrière, Tempèchèrent d'entrer
dans la place; et, ô douleur, elle fut prise par le susdit de Luxembourg.
La nouvelle fut pour les Français un sujet de profonde douleur, de
gémissements et de larmes. Dans la suite, ce même Luxembourg, imita-
teur du traître qui vendit le Christ*, osa bien, après les tourments d*une
longue prison, vendre Tinnocente fille aux Anglais, ses haineux ennemis.
Aussi ce profond scélérat, coupable d'autres forfaits, un long temps après,
à l'instigation du diable, se donna-t-il la mort, en se pendant dans ses
appartements. On peut bien lui appliquer cette parole de TEvangile :
« Malheur à celui par lequel le scandale arrive, c'est-à-dire par lequel
« rinnocent est sacrifié en victime ». Les Anglais ayant inhumainement
transféré la prisonnière à Rouen, rendirent contre elle, sans ombre de
droit divin ou humain, par pure haine, une sentence calomnieuse et
cruelle, et la livrèrent aux flammes. Sans murmurer, sans récriminer,
bien plus en obéissant comme un innocent agneau à leurs ordres pro-
fondément iniques, elle supporta les dérisions prolongées de ceux qui se
déshonorèrent jusqu'à la traiter comme Anne et Caïphe avaient traité
le Christ^. »
C'est donc bien dès le supplice môme que les contemporains furent
frappés de la ressemblance de la passion de là Martyre de Rouen avec
la passion de son Fiancé. Le rapprochement a été fait avec quelque
étendue dans le volume : Jeanne cl Arc sur les autels '. L'auteur ignorait
totalement le texte de Jean Chartier.
Le vendeur de la Martyre a-t-il réellement fini comme le vendeur du
Christ? Jean de Luxembourg a-t-il fini comme Judas? Une note en marge
du manuscrit le nie. Elle est ainsi conçue : mentitus est ille monachus,
qiiisqtiis ille sit, [Le moine^ quel qu'il soit^ en a menti.) Rien n'autorise à
regarder Jean Chartier comme un menteur; il aura été trompé par ime
rumeur publique. Cette rumeur, à elle seule, nous dit le sentiment qu*ins-
pira Todieux Luxembourg. Le fait mérite d'ailleurs d'être examiné et
1. Ad instar Christi traditoris eam innocenlem Anglicis œmulantibus.., venundare non
veritiis est.
2. Qtiam non murmuranteni seu rcpudiantem, qiiinimo eoi-um jussibus nequissimis, velut
agnus innoccns, obedientcm, longe diu illudeuteSy ut Annas et Caiphas Christunif turpissitne
tractarunt.
3. Liv. II, ch. V, p. 123 et suiv.
CHRONIQUE DE JEAN CHARTIER. 169
doit éveiller rattention de ceux qui posséderaient déjà, ou acquerraient
un jour les archives de la famille.
L'indigne chevalier est mort le 6 janvier, le jour où sa victime est
venue à la lumière. L'infâme auteur de l'infâme Pucelle^ Arouet, est mort
le même jour que la sainte contre laquelle il a accumulé les fanges les
plus fétides de son âme scélérate. Tout est disposé avec nombre, poids et
mesure dans le monde des esprits comme dans celui des corps. Les
hommes de foi peuvent laisser ricaner les esprits superficiels, et conti-
nuer à voir une signification dans cette correspondance des dates.
LA
DOUBLE CHRONIQUE DE LA MAISON D'ALENÇON
PAR
PERCEVAL DE GAGNY
JEAN II DUC D^ALENÇON
I
Celui que ron a appelé le « Père de V Histoire de France », André Du-
chesne, nous a conservé la double chronique dont il va être parlé. L'on ne
les trouve qu'au tome XL VIII de ses manuscrits, d'où Quicherat tira la plus
étendue pour la faire imprimer dans \dL Bibliothèque de l'Ecole des chartes
(IP série, t. I), et la mettre ensuite en tôte du tome IV de son Double
Procès. C'est certainement la plus importante des pièces inédites qu'il ait
publiées.
L'auteur se fait ainsi connaître dans le prologue : « Perceval de Caigny^
natif du pays de Beauvoisin, a servi et demouré en Thostel d'Alençon par
l'espace de quarante-six ans continuellement, c'est à savoir, {sous) feu le
comte Pierre en office de pannetier; [sous) Jean, son fils, premier duc
d'Alençon, [en office) d'escuier d'écurie; et [sous) Monseigneur qui est a
présent, [en office) d'escuyer d'écurie et de maistre d'hostel, lesquels tous
et chacun d'eulx lui ont fait trop plus de biens, honneurs et proufit que
jamais ne leur en peut desservir [qu il puisse jamais le reconnaître par ses
sen)ices)^ et encore servira tant comme il pourra, et sçaira [sau?*a), et que
il leur vendra à plaisir.
« Et combien que il n'ait le sens, mémoire, ne l'abililé de savoir faire
mettre par écrit ce [ce qu'il entreprend)^ ne autre chose mendre [moindre)
de plus de la moitié; pour l'ardent désir qu'il a que par tous pais fussent
dictes très honnourables et bonnes paroles à la louenge et recommenda-
cion de leur dit hostel, et aussi que les successeurs de luy puissent veoir^
LA DOUBLE CHRONIQUE DE LA MAISON D'ALENÇON. 171
sçavoir et congnoistre comment et avecque quels seigneurs il a vescu la
plus grant part de son temps, il a fait faire eest présent mémoire; et
avecques ce a voulu faire mettre par escript aucun pou [peu] des mécbiés
(malheurs), guerres et pestilencesadvenues en ce royaume de France avant
son temps, et de ce dont il a eu congnoissance en Tan MCCCCXXXVl. »
La Chronique, qui, comme on le voit, fut commencée en 1436, ne
dépasse pas Tannée 1438. Elle est précédée d'une autre du même auteur,
finissant en 1432, et dont Quicheratn'a pas parlé. Celle-ci occupe dans le
manuscrit de Duchesne du folio 63 au folio 76. La lignée de la maison
d'Alençon y est longuement exposée. Le chroniqueur indique comment
elle se rattache à saint Louis. Le chef de cette lige royale fut Charles,
pelit-fils de Philippe le-Hardi, arrière -petit-fils de saint Louis, frère de
Philippe de Valois. Charles de Valois eut une nombreuse postérité, qui
enrichit l'Eglise et TËtat. De Cagny donne sur chacun d'eux une brève
notice, et s'étend surtout sur celui qu'il servait lorsqu'il écrivait, Jean II,
le second qui porta le titre de duc, l'apanage d'Alençon .n'ayant été
d'abord qu'un comté. Jean II fut le prince préféré de la Pucelle; il peut
être utile, par suite, de rappeler les litres qui le rendaient cher à l'héroïne,
d'autant plus qu'il finit mal après avoir bien commencé.
II
Jean II, duc d'Alençon, avait toute sorte de motifs de détester l'Anglais.
Son bisaïeul Charles avait été tué à Crécy, son aïeul Pierre grièvement
blessé au siège d'Hennebont, son père, Jean P', tué à Azincourt, lorsqu'il
atteignait le roi d'Angleterre, et brisait sur sa tête un des fleurons de la
couronne avec laquelle le Lancastre combattait. Les alliances du jeune
duc, et son passé, lorsqu'il rejoignit l'héroïne, n'étaient pas faits pour
tempérer une haine infusée avec le sang. Né le 2 mars 1409, de Jeanl"
et de Marie de Bretagne, sœur de Jean VI et du connétable de Richemont,
il avait vu la meilleure partie de son patrimoine, le duché d'Alençon, le
comté du Perche, de nombreuses seigneuries, confisqués par l'envahisseur,
qui en récompensait ses meilleurs capitaines. Jean II épousa dès 1424 la
fille de Charles d'Orléans pour la querelle duquel s'était formé le parti
Armagnac; et cette fille elle-même avait pour mère Isabelle de France,
renversée du trône d'Angleterre avec son mari Richard II par ces Lan-
castre qui, après avoir usurpé la couronne d'Angleterre, voulaient usurper
celle de France. Isabelle, restée veuve, avait épousé en secondes noces son
cousin d'Orléans ; et de ce mariage était née Jeanne d'Orléans, épouse
du jeune duc d'Alençon.
n2 LA VRAIE JEAiNNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
Le prince n'avait pas attendu son mariage pour combattre l'étranger. Il
avait pris les armes aussitôt qu'il avait pu les porter. Peu de temps après
ses noces, il était à Verneuil. Verneuil était une de ses seigneuries, et il
n'avait pas peu contribué à faire engager la funeste bataille. Il fut relevé
du milieu des morts, respirant à peine; il était prisonnier. Bedford le fil
détenir au château du Crotoy, et ne lui permit d'en sortir que le
30 octobre 1427, moyennant une rançon qui achevait de ruiner le captif.
C'étaient deux cent mille saints d'or à verser, plus les dépenses faites
durant la captivité, que, d'après Cagny, Bedford exagéra à plaisir. Le duc
donna des otages, en attendant de parfaire la somme; le payement
intégral n'était pas encore effectué lors de la délivrance d'Orléans; ce qui
empocha d'Alençon d'y prendre part, mais il se parachevait; aussi vint-
il aussitôt après rejoindre laPucelle. Pour se libérer, le jeune duc donna
les joyaux de la famille, appréciés, dit toujours de Cagny, bien au-des-
sous de leur valeur; il vendit à son oncle, le duc de Bretagne, la seigneurie
de Fougères, quoique le duc fût encore redevable de la dot de sa sœur,
cause de dissentiments postérieurs. En attendant de pouvoir combattre
l'Anglais, d'Alençon, hors de prison, combattait pour le roi, puisque, dans
la coalition formée pour renverser La Trémoille, au milieu de l'année 1428,
il leva pour soutenir le roi un corps d'hommes d'armes, aliénant à cette fin
les débris de sa fortune. Le vieux serviteur termine sa première Chronique
par ces mots : « En son âge de xxvi ans, ou environ, qu'il avoit quand
ce que cy-dessus fut écrit, on n'auroitpas cité un homme de quelque estât,
qui fust mieux en renommée que lui. Que Noslre Seigneur, par sonsainct
plaisir, lui donne de parfaire et de finir ses jours honorablement ».
Ce vœu ne devait pas être exaucé. En 1436, alors qu'étaient expulsés
ces Anglais que d'Alençon avait si abhorrés dès ses jeunes années, le
malheureux prince essaya de renouer des intrigues avec eux pour les
faire rentrer. Condamné à mort par ses pairs, Charles VII commua la
peine en une prison perpétuelle. Cette prison prit fin à l'avènement de
Louis XI, reconnaissant d'avoir trouvé un partisan dans le duc alors qu'il
nYHait que Dauphin. Tous ses biens lui furent rendus avec la liberté;
mais le prince libéré intrigua encore avec Charles le Téméraire. Il
s'attira une seconde condamnation à mort, commuée, comme la première,
on une prison perpétuelle. Il mourut en prison.
On est particulièrement attristé de voir si mal finir celui auquel la Libé-
ratrice témoigna une particulière confiance; celui qui n'usa de son titre
de généralissime et de lieutenant du roi que pour seconder, sans les con-
trarier, les vues et les plans de la céleste envoyée. Voilà pourquoi il fallait
rappeler ce qui explique les préférences de la Libératrice pour le duc
d'Alençon. Ajoutons que la jeune duchesse son épouse avait des titres
LA DOUBLE CHRONIQUE DE LA MAISON D'ALENÇON. 173
particuliers à raffection de la Pucelle. Orpheline de mère en naissant,
Azincourt l'avait rendue comme orpheline de père par l'interminable
captivité que Jeanne disait avoir pour mission de faire cesser. Elle portail
le même nom que la fille de Jacques d'Arc, n'avait que deux ans de plus,
devait mourir un an après la martyre de Rouen, et, nous dit de Cagny,
étoit tant humble et tant doiilce envers toutes gens que dame pouvait être,
La première Chronique de Cagny ne renferme rien sur la Pucelle qui
ne se trouve dans la seconde, dont Quicherat parle en ces termes.
III
« Je n'hésite pas, dit-il, à mettre Perceval de Cagny en tôte des
chroniqueurs qui ont parlé de la Pucelle. Cet honneur lui revient comme
au mieux instruit, au plus complet, au plus sincère, à celui qui le premier
en date a témoigné pour elle, et d'une manière digne d'elle, dans un écrit
destiné à la postérité. »
Ce jugement demande des explications. On peut concéder que personne
n'est mieux instruit de ce qui regarde la période à laquelle de Cagny a
pris part, à côté de son maître, généralissime de l'armée dans la cam-
pagne de la Loire, et occupant un des premiers rangs à la suite du roi,
jusqu'au retour en Berry. De Cagny donne mieux que tout autre la suite et
la date des événements à partir du mois de juin jusqu'au milieu de sep-
tembre 1429. Son pinceau a de la vigueur; on peut regretter trop de
concision. Il n'est pas le mieux instruit de ce qui s'est passé depuis
l'arrivée de Jeanne à Chinon jusqu'après la délivrance d'Orléans; il y
a de notables erreurs dans son récit.
Est-il le plus complet? Oui, si l'on veut dire qu'il présente avec plus
de suite la série des événements; mais il ne l'est pas si on entend par là
l'écrivain qui nous fait mieux saisir la véritable physionomie de l'héroïne.
11 est sous ce rapport inférieur aux deux Cousinot, et peut-èlre à d'autres
encore. De Cagny admet hautement la divinité de la mission de la
Pucelle, il laisse de côté les détails qui la font palper; ce qui n'était pour
déplaire à Quicherat.
La sincérité de Perceval de Cagny semble incontestable. Il écrivait pour
transmettre à l'avenir la mémoire des gestes de la famille qu'il servait,
et plus particulièrement de son jeune maître, Jean II d'Alençon. L'occa-
sion de lui rapporter l'honneur de la campagne de la Loire s'offrait d'elle-
même, puisque Jean II avait le titre de généralissime. Perceval n'en a
rien fait. Il ne se lasse pas de présenter et de montrer la Pucelle comme
l'flme de tous ces heureux événements. Il ne veut pour le duc que Thon-
174 LA VRAIE JEAiNiNE D*ARG : LA LIBÉRATRICE.
ncur de Tavoir secondée, ainsi que le roi lui en avait donné Tordre ; et
en cela il a été bien inspiré.
L'on trouve plusieurs fois des blancs dans la Chronique quand il s'agit
des dates ou de menus détails; Ton peut croire que le chroniqueur
voulait prendre des renseignements ultérieurs avant de les remplir, et
qu'il en a été empêché par la mort. Il est si sincère qu'il met son maître
au nombre des princes dont il blâme l'inaction, à la suite des trêves
avec le duc de Bourgogne.
Les découvertes faites depuis la publication du Double Procès établissent
que Perceval de Cagny n'est pas le premier en date à avoir déposé en
faveur de la Pucelle. La Chronique de Morosini, écrite au cours des événe-
ments, la Chronique dite des Cordeliers, peut-être la Chronique des Cou-
sinot, les pages du Breviariwn historiale^ sans parler du Mémoire de
Gerson, des Lettres et du Traité de Jacques Gelu, sont autant d'écrits dont
la composition a précédé la composition de la Chronique du maître de
rhôtel du duc d'Alençon. On peut dire qu'écrivant vingt ans avant la
réhabilitation, Tinique sentence de Rouen n'a en rien ébranlé sa foi dans
l'envoyée du Ciel.
CHAPITRE PREMIER
DE LA VENUE DE LA PUCELLE A LA DÉLIVRAxNCE D'ORLÉANS.
Sommaire : i. — Arrivée de la Pucelle à Chinon. — Étonnement causé par son mer-
veilleux langage sur Dieu et sur la guerre. — Elle est examinée. — Équipée militai-
rement. — Abattement de la cour avant son arrivée. — Impossibilité de ravitailler
Orléans réduit à la famine. — Personne n'ose l'essayer . — La Pucelle s'offre. —
Son étendard.
il. — Convoi formé à Blois. — Escorte. — Orléans ravitaillé. — Second convoi par la
Beauce. — 11 est introduit sans obstacle.
m. — Préparatifs de l'attaque contre Saint-Loup. — Les capitaines chargés de contenir
les Anglais. — La bastille enlevée en face des Anglais impuissants. — Ils n'osent
plus s'ordonner en bataille. — Attaque des Augustins. — Peu de gens suivent la
Pucelle. — La bastille enlevée. — Les vainqueui*s passent la nuit sur le champ de
bataille. — Combien les Tourelles étaient fortes. — Glacidas. — Attaque et défense
acharnées. — Les Tourelles sont enlevées. — Glacidas noyé. — Pertes des vain-
queurs. — Le pont merveilleusement restauré. — Les Anglais spectateurs inactifs
des exploits de la Pucelle. — Fuite des Anglais.
I
La venue de la Pucelle devers le roy. — En cette année MCCCCXXVIII
(a, st.), le (F/*) jour du mois de mars, une pucelle de l'âge de xvm ans
LA CHRONIQUE DE PERCEVAL DE CAGNY. 175
OU environ, des marches de Lorraine et de Barrois, vint devers le roi à
Ghinon. Elle était issue de gens de simple état et do labour; elle disait
toujours de fort merveilleuses choses en parlant de Dieu et de ses saints ;
elle disait que Dieu l'avait envoyée à Taide du gentil roi Charles pour le
fait de sa guerre. De quoi le roi et tous ceux de sa maison, et les
autres, de quelque état qu'ils fussent, se donnèrent de très grandes
merveilles de ce qu'elle parlait et devisait des ordonnances et du fait de
la guerre, autant et en aussi bonne manière qu'eussent pu et su le faire les
chevaliers et lesécuyers étant continuellement occupés du fait de la guerre.
Elle fut très grandement examinée par des clercs, des théologiens et par
d*autres, par des chevaliers et des écuyers, sur ce qu'elle disait de Dieu et
du fait de ladite guerre ; et toujours elle se tint, et elle fut trouvée en un
même propos.
Elle prit et se mit en habits d'homme ; elle demanda au roi de lai
faire faire des armures pour s'armer, telles qu'elle les deviserait '^iWi-
qf(eraii); et qu'il lui donnât des chevaux pour elle et pour se« gen<; et il
fut ainsi fait.
Le roi la tint devers lui jusqu'au mois de mai, sans qu'elle allât null^
part ' .
Avant sa venue, ni le roi ni les seigneurs de son sang ne «avaient
quel conseil prendre, et depuis, par son aide et conseil, les affaires vinrent
toujours de bien en mieux.
Comment la Plcelle commença a faire la guerre alx Angloi*, — En
Fan MCCCCXXIX, la Pucelle entreprit de vouloir montrer pourquoi elle
était venue devers le roi. — Après la journée des Harengs, les Anglais des
bastilles d'Orléans s'efforcèrent d'empêcher que nuls vi%Te« passent venir
à ceux d'Orléans; si bien que ceux-ci avaient très grand défaut de pain.
Pour y pourvoir, ils envoyèrent plusieurs fois devers le roi qui assembh
ses capitaines pour aviser par quelle manière, on pourrait leur mener de*
blés et d'autres vivres. Nul de ces derniers n'osa entreprendre pareille
charge par crainte des Anglais, qui étaient d'un cAté et d'autre de la
ville, en bien grand nombre dans leurs bastilles ; et avec cela tenaient les
villes et les places au-dessus et au-dessous delà rivière,
La Pucelle, voyant que nul n'entreprenait de donner sec<iurs k e^fte
noble place d'Orléans, et connaissant la très grande p^.rU^ et dom nru^e
que ce serait pour le roi et son royaume, de perdre ladite pla/;:^, fef\mi le
roi de lui donner de ses gens d'armes, et dit : ^ Par rn/m Martin. — K^^x\i
son serment, — je letir ferai mener de% titret a. Le roi le loi nneord^ \ 4',*'
dont elle fut très joyeuse.
1. Elle fut à Poitiers et à Tours.
176 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
Elle fit un étendard, auquel était Timage de Notre-Dame, et elle prit
jour pour se trouver à Blois, et dit que ceux qui devaient être en sa
compagnie y vinssent, et qu'à ce jour les blés et les autres vivres fussent
prêts à partir en charrettes, chevaux, et autrement. Elle ne demandait
pas grande compagnie de gens, et elle disait : « Par mon Martin^ ils seront
bien menés; n'en faites doubte! »
II
Des VIVRES menés a Orléans. — Le maréchal de Rais, LaHire, Gaucourt,
Poton de Xaintrailles et d'autres capitaines furent à Blois au jour fixé
pour la conduite des vivres, et les firent partir en grande quantité. La
Pucelle les fit passer par devant les places de Baugency, de Meung, et
autres places garnies d'Anglais, sans avoir aucun empêchement pour
le convoi; et quand elle vint auprès d'Orléans, elle fit descendre {avaler)^
des bateaux de ladite ville, elle y fit charger les vivres, y monta elle et
ses gens, et ils entrèrent à Orléans, sans obstacle, soit des bastilles da
pont, soit de celles qui étaient de l'autre côté de la rivière. Les habitants
en furent très grandement réjouis, et à cause du grand besoin de vivres
qu'ils ressentaient, et à cause de la venue de la Pucelle, et des gens de
sa compagnie. Le sire de Gaucourt et quelques autres des capitaines
demeurèrent avec elle.
Le bâtard d'Orléans et les autres capitaines dessus nommés retour-
nèrent îi Blois, ramenant ceux qui avaient porté les vivres. Elle les avait
assurés qu'ils ne seraient nullement inquiétés à leur retour, et ainsi en
fut-il. En même temps, elle leur avait ordonné de prendre le reste des
vivres îi Blois, et de revenir à Orléans par l'autre côté de la rivière, devers
Paris, et de n'avoir aucune crainte des Anglais. Ils l'exécutèrent, comme
elle le leur avait ordonné, et ils passèrent près des forteresses desdits
Anglais, près do la ville, par entre les bastilles, sous leur vue, sans que
nul no bougeât do son logis, comme gens qui n'auraient su ni pu
s'uidor ■.
III
t^^MMKNT LA Pl'CELLE PRIT ET LEVA LES BASTILLES d'OrLÉANS. En CCt
au Ml'CtiOXXlX, le iv" jour de mai, après diner, la Pucelle appela les
capitaines, et leur ordonna d'être prêts, eux et leurs gens, à Theure qu'elle
1. (Vest lo ooutraiinî. Les bateaux devaient monter d^abord, descendre ensuite.
2. Comme yens qui ne sceussent oupeussent aider.
LA CHRONIQUE DE PERCEVAL DE CAGNY. 177
fixa. Elle fut prùte elle-môme et à cheval plus tôt que nul des autres
capitaines ; et elle fit sonner sa trompille ; son étendard après elle, elle
alla par la ville dire que chacun montât * ; et elle vint faire ouvrir la porte
de Bourgogne et se mit aux champs. Les gens delà ville, qui étaient bien
équipés en guerre, avaient ferme espérance qu'en sa compagnie les
Anglais ne pourraient leur faire de mal. Ils saillirent dehors en très grand
nombre ; et après eux se mirent aux champs les maréchaux de Rais et de
Boussac, le bâtard d'Orléans, le sire de Graville et les autres capitaines.
La Pucelle leur ordonna de garder que les Anglais, qui étaient dans leurs
bastilles en très grand nombre, ne pussent venir après elle et après ses
gens, qui sortaient à pied de la ville.
Elle prit peu de gens d'armes avec elle, et elle s'en alla devant la bastille
de l'abbaye des Dames, nommée Saint-Loup, où se trouvaient environ
trois cents Anglais. Sitôt que les gens d'Orléans y furent arrivés, ils
allèrent incontinent à Tassant^. La Pucelle prit son étendard et vint se
mgttre sur le bord des fossés. Bientôt après ceux de la place voulurent
se rendre à elle ; elle ne voulut pas les recevoir à rançon et elle dit qu'elle
les prendrait malgré eux, et elle fit pousser de plus fort son assaut. Incon-
tineut la place fut prise, et presque tous ses défenseurs furent mis à
mort. Gela fait, elle retourna en la ville d'Orléans, et avec elle les sei-
gnears qui l'avaient attendue, qui tous se donnèrent merveille de ses
faits et de ses paroles. Jamais les autres Anglais ne se mirent {dans la
suite] en nulle ordonnance, ni ne firent semblant de saillir hors de leurs
places, pas plus que s'ils n'eussent vu ou entendu chose qui dût leur
déplaire.
Tout le jour du lendemain qui fut jeudi [tAscemion)^ ni la Pucelle ni
wcun des capitaines ne bougèrent de la ville.
U vendredi, à l'heure des vôpres, elle dit que chacun fût prêt et armé,
®t elle passa la rivière en bateau du côté de la Sologne. Tous ne la
sciviREXT PAS, AINSI qo'elle s'y ATTENDAIT. Aussitôt qu'elle fut descendue à
terre, et une poignée de gens avec elle, elle alla, son étendard en main,
se mettre devant la bastille des Augustins, et fit incontinent sonner trom-
pîUes pour Tassant, et après, il ne se passa guère de temps que la place
ne fût prise '.
Cela fait, ceux de sa compagnie pensaient qu'elle allait retourner coucher
1. 11 a été déjà dît que Saint-Loup était sur une hauteur.
2. Les choses, d'après le récit du maître d'hôtel, du page, de Thôtesse de la Pucelle,
et d autres encore, se passèrent tout autrement que le raconte de Gagny. Tout ce
commencement est fort défectueux.
3. Le récit de la prise des Augustins ne vaut pas plus que celui de la prise de
Saint-Loup; les choses furent loin de se passer aussi simplement que le dit Perceval
de Cagny.
in. 12
LA CHRONIQUE DE PERCEVAL DE CAGNY. 17^
Ls DÉPARTEMENT (départ) DES Englois de devant Orléens. — Le dimanche
huitième jour de mai, les seigneurs de Fastolf, de Willoughby, de Scales,
et autres capitaines étant en bien grand nombre dans plusieurs autres
bastilles du côté de devers la France^, qui avaient vu de loin l'assaut que la
Pucelle avait donné le mercredi à la bastille Saint-Loup, comment elle
l'avait prise d'assaut, et comment ceux qui la défendaient avaient été mis
à mort ; et qui, de leur place, avaient encore vu les assauts donnés par
elle, le samedi, aux tours et à la bastille du pont et la place enlevée par
assaut, ce même dimanche au matin, ces capitaines mirent le feu à leurs
logis, et s'en allèrent, la plupart d'entre eux tout à pied, dans les villes
et places de Meung et de Baugency-sur-Loire. Ce fut ainsi que la aoble
cité d'Orléans fut secourue et mise en liberté par la Pucelle, envoyée de
Dieu à l'aide du roi de France. Et huit ou dix jours après ces heureux
événements, elle revint vers le roi à Chinon ^.
CHAPITRE II
CAMPAGNE DE LA LOIRE.
SovsuiRE : 1. — Jeanne a pour mission de délivrer le duc d'Orléans, dût-elle passer en
Angleterre. — Raisons de ses préférences pour le gendre du captif, le duc d'Alençon.
— Séjour de trois ou quatre jours dans sa famille. — La Pucelle veut conduire le
roi à Reims, malgré l'opposition de la cour. — Ses promesses. — Elle propose au
duc d*Alençon de prendre Jargeau. — Les seigneurs convoqués près de Homorantin.
U. — Siège de Jargeau (11 juin). — Assaillants et défenseurs. — Imprudence des
milices communales. — Sommation à la place. — Disposition de l'artillerie. —
L^'étendard de la Pucelle. — Assaut durant quatre heures. — La place emportée. —
Les perles des deux côtés. — Retour à Orléans. — Admiration des capitaines pour
Jeanne.
m. — Départ pour Baugency. — Composition de l'armée. — Couchée à Meung. —
Attaque de Baugency le 16 à midi. Arrivée du Connétable. — Il est tenu en
disgrâce par le tout-puissant La Trémoille. — Baugency capitule par crainte de la
Rucelle.
IV. — Nouvelles de rapproche de Talbot. — Les Anglais de Meung grossissent son
armée. — Sa retraite sur Janville. — La Pucelle à sa poursuite, — Victoire de
Patay. — Morts et prisonniers. — Le dimanche matin 19 passé à Patay. — Tristesse
de Richemont. — Retour à Orléans. — Actions de grâces. — La Pucelle proclamée
l'instrument de Dieu.
1. Remarquer Tacception du mot France,
2. Encore une erreur. Le roi vint à Tours.
180 LA VRAIE JEANNE D ARC : U LIRÉRATRIGE.
I
Au mois de mars précédent, après son arrivée à Chinon, la Pucelle,
entre les autres affaires qu'elle disait avoir de par Jésus, affirmait que le
bon duc d'Orléans était de sa charge, et que dans le cas où il ne reviendrait
pas par deçà, elle aurait beaucoup de peine pour aller le quérir en
Angleterre. Elle avait une très grande joie de s'employer au recouvrement
de ses places. A cause de l'amitié et du bon vouloir qu'elle avait pour le
duc d'Orléans, et aussi parce que c'était une partie de sa mission, elle se
tint très près du duc d'Alençon qui avait épousé sa fille. Après son
arrivée, elle ne fut pas longtemps à Chinon sans aller voir la duchesse
d'Alençon, en l'abbaye de Saint-Florent, près de Saumur, où elle résidait.
Dieu sait le joyeux accueil que lui firent la mère du duc, le duc et sa
femme, ladite fille du duc d'Orléans, durant les trois ou quatre jours
qu'elle passa audit lieu. Et après cela, et toujours depuis, ellese tint plus
près et plus familière du duc d'Alençon que d'aucun autre ; et tou-
jours, en parlant de lui, elle l'appelait J/on beau duc^ et pas autrement.
L'entreprise du couronnement du roy. — Après la prise des bastilles devant
Orléans, la Pucelle dit au roi, aux seigneurs, et à tout son conseil, qu'il
était temps de se préparer à se mettre en chemin pour son couronnement
à Reims. Pareil dessein sembla très difficile à exécutera tous ceux qui en
ouïrent parler. Ils disaient que, vu la puissance des Anglais et des
Bourguignons ennemis du roi, considéré que le roi n'avait pas grandes
finances pour soudoyer son armée, il lui était impossible de parfaire
pareil chemin. La Pucelle dit : « Par mon Martiriy je conduirai le gentil
roi Charles et sa compagnie jiisques audit lieu de Reins^ siirement et sans
empêchement^ et là vous le verrez couronner^ ». Ces paroles venant après
qu'elle avait ravitaillé Orléans et fait lever les bastilles de devant cette
ville, nul n'osa contredire *. Le roi fixa un jour auquel il serait à Gien-
sur-Loire, et il tint parole.
La Pucelle, qui avait toujours l'œil et la pensée aux affaires du duc
d'Orléans, parla à son beau duc d'Alençon, et lui dit que, tandis que le
roi ferait ses apprêts, et pendant le temps qu'il mettrait à faire son
chemin pour aller à Gien, elle voulait aller délivrer la place de Jargeau
qui faisait et donnait de grandes charges à la ville d'Orléans. Incontinent,
i , Sans desiourbierj et là le verre couronner. — Destourbierj mot fréquent dans cette
Chronique, trouble^ diversioUf empêchement^ obstacle, — Voir Lacurne, et Ducange au
mot Desturbium, et là le verre couronner pourrait signifier aussi : « là je le verrai
couronner ».
2. C'est encore inexact; Ton ne cessa de contredire.
LA CHRONIQUE DE PERCEVAL DE CAGNY. J81
le duc d'Alençon fit savoir aux maréchaux de Boussac et de Rais, au
bâtard d'Orléans, à La Hire et à d'autres capitaines, de se trouver avec
leurs gens à certain jour à un village près de Romorantin-en-SoIogne ; et
ainsi ils le firent.
II
L'assaut de Jargeau. — En cet an MCCCCXXIX, le samedi xi*' jour du
mois de juin, environ deux heures après dîner, le duc d'Alençon, la
Pucelle, le comte de Vendôme et les autres capitaines, ayant en leur
compagnie de deux à trois mille combattants, et autant de gens des milices
coaiMDNALEs * OU PLUS, viureut assiéger la ville de Jargeau, que gardaient
le comte de Suffolk, deux de ses frères, et de sept à huit cents Anglais.
A l'arrivée, les gens des milices communales, à qui il était avis que rien ne
pouvait tenir contre les entreprises de la Pucelle, se précipitèrent dans
les fossés sans qu'elle y fût présente, et sans les gens d'armes occupés à
se loger : il y en eut de bien battus ; ils se retirèrent. La chose demeura
en cet état pour ce jour.
La nuit, la Pucelle parla à ceux de dedans la ville, et leur dit :
« Rendez la place au Roi du Ciel et au gentil roi Charles, et vous eyi allez,
ou autrement il vous mécherra (vous arrivera mal) ». Ils ne tinrent pas
compte des choses qu'elle leur dit. La nuit, les canons et les bombardes
furent assis, et le dimanche venu, environ sur les neuf heures du matin,
la Pucelle et le duc d'Alençon firent sonner les trompilles pour venir à
l'assaut.
La Pucelle prit son étendard, auquel était peint Dieu en sa majesté, et
de l'autre côté... et un écu de France tenu par deux anges. Elle vint
sur les fossés, et incontinent un bien grand nombre de gens d'armes et
d hommes des communes s'y précipitèrent, et l'assaut commença très dur ;
il dura de trois à quatre heures. En la parfin, la place fut prise, quoi-
qu'il semblât impossible de la prendre d'assaut, vu les défenseurs qu'elle
renfermait. De notre côté nous n'eûmes que seize ou vingt morts. Du côté
de l'ennemi, le comte de Sufi'olk, son frère, et quarante ou cinquante
autres furent faits prisonniers ; son autre frère et le reste des Anglais
furent mis à mort.
Le lundi qui suivit, la Pucelle, le duc d'Alençon, après avoir ordonné
pour la garde de Jargeau le nombre de gens qu'il leur sembla bon, s'en
vinrent dîner, eux et ce qui restait de leur compagnie, en la ville
i. Nous traduisons ainsi, ici et ailleurs, les mots ^ensde commun^ quand il s'agit
d'expéditions militaires. Ce sont les milices urbaines opposées aux gens de guerre de
profession, soudoyés par le roi, par les seigneurs, ou par de simples chefs de bande.
iS'2 LA VRAIE JEANNE D*ARC : LA LIBÉRATRICE.
(l'Orléans et aux viHages situés sur Tua et Tautre côté de la rivière.
Ils séjournèrent ce jour et le lendemain qui fut mardi. Ce jour, la
Pocelle fut très grandement festoyée par ceux de la ville. Le duc
d'Alençon, tous les autres capitaines, chevaliers, écuyers, gens de guerre,
bourgeois, tout les gens du commun qui l'avaient vue, en étaient si con-
tents que plus ils ne pouvaient Têtre, disant que Dieu l'avait envoyée pour
remettre le roi en sa seigneurie.
III
Dans la soirée elle appela son beau duc d'Âlençon et lui dit : « Je veux
demain après dîner aller voir ceux de Meung. Faites que la compagnie
soit prête A partir à cette heiirC'Ci,i> Le lendemain, mercredi, la Pucelle, le
duc d'Alençon, leur compagnie, et vn bien grand nombre de gens du
peuple^ qui se mirent en la compagnie de la Pucelle, partirent après
diner et allèrent coucher auprès de Meung. A l'arrivée une escar-
mouche fut donnée à ceux de la place, et il n'en fut pas fait davantage.
Du siÈcE DE Baugkncy. — Lc lendemain jeudi, xvi« jour de juin, la
Pucelle, le duc d'Alençon et toute l'armée, vinrent sur l'heure de midi
mettre le siège devant la place de Baugency, et s'établirent dans la ville
et aux environs. Tout le reste du jour il y eut des escarmouches devant
la place. La nuit, on assit les canons et les bombardes. Messire
Richard Guetlin et Mathago avaient la garde de la place avec quatre cents
Anglais sous leurs ordres.
Le vendredi, le comte de Richement, connétable de France, vint à
l'armée, sur l'avis que lui avait fait arriver le duc d'Alençon dès
qu'il alla devant Jargeau. Le roi cependant ne voulait pas qu'il se
mêlât de sa guerre, et cela à la sollicitation du sire de La Trémoille qui
tenait Richemont pour son ennemi ; et le sire de La Trémoille avait toute
la voix du gouvernement du roi. Le Connétable amenant avec lui cinq ou
six cents combattants, tout ce jour de vendredi se passa à faire des
décharges de canons et de bombardes contre ceux de la place, qui, eux
aussi, répondaient à ceux du dehors ; on escarmoucha, et chacun fît le
mieux qu'il pouvait.
Ceux de la place avaient bien connaissance des exploits qu'avait
accomplis la Pucelle en ravitaillant la ville d'Orléans, en prenant les
bastilles ; ce qui fut une grande merveille ; et en forçant Jargeau. Ils
voyaient que rien ne pouvait résister contre la Pucelle, qu'elle mettait
toute l'ordonnance dans l'armée et la conduisait comme elle voulait, ainsi
que devraient et pourraient le faire le Connétable et les maréchaux. Us
LA CHRONIQUE DE PERGBVAL DE GAGNY. 183
se rendirent à la Pucelle et au duc d'Alençon, sauf leurs corps, leurs
chevaux et leurs harnais.
La nuit du vendredi au samedi, des nouvelles vinrent à la Pucelle et
au duc d'Alençon que les seigneurs de Talbot et Fastolf étaient arrivés
avec grand renfort d'Anglais à Yenville-enBeauce, et qu'ils s'avançaient
pour les combattre.
IV
La bataille de Patay. — Le samedi xvui* jour de juin MCCCCXXIX,
la Pucelle et le duc d'Alençon mettaient hors de la place de Baugency
les Anglais qui s'étaient rendus, lorsque leur arrivèrent les nouvelles que,
durant la nuit qui venait de s'écouler, Talbot et Fastolf étaient venus à
Meung quérir le sire de Scales et ceux de la garnison de la ville, qu'ils
avaient abandonné la place et s'en allaient tous ensemble à Yenville.
Environ sur les huit heures du matin, la Pucelle, le duc d'Alençon et
toute leur armée s'étaient mis en campagne, pensant avoir la bataille
avec les Anglais. Quand ils surent qu'ils s'en allaient, ils ordonnèrent
l'avant-garde et l'armée, et ainsi rangés en bon ordre, ils marchèrent
après les Anglais, et les rejoignirent près du village de Patay, à peu près à
cinq lieues de Baugency. Quand les Anglais s'aperçurent de la compagnie
qui les suivait, ils s'installèrent dans un champ, et presque tous à pied
se rangèrent en ordre de combat \ L'avant-garde de nos gens fondit sur
eux, et incontinent le gros de l'armée se joignit à elle ; sans guère de
résistance les Anglais tournèrent à la déroute et à la fuite. De deux à
trois mille furent tués : Furent faits prisonniers les sires de Talbot, de
Scales, le fils du comte de et de quatre à cinq cents autres ennemis. La
Pucelle, le duc d'Alençon, le connétable de France, et toute la compagnie
couchèrent au village de Patay et aux environs. Le dimanche xix* jour
de juin, la Pucelle, le duc d'Alençon et toute la compagnie, dînèrent
audit lieu de Patay.
Le duc d'Alençon n'osa pas conduire le Connétable vers le roi à cause
de la disgrâce dans laquelle il se trouvait, ainsi qu'il a été dit. Le comte
de Bichemont retourna en son château de Parthenay, content et joyeux
de la victoire que Dieu avait donnée au roi, et très marri de ce que le roi
ne voulait pas agréer son service.
La Pucelle, le duc d'Alençon et toute la compagnie allèrent coucher à
Orléans et autour de la ville ; ils y furent reçus très grandement. Ils
allèrent par les églises remercier Dieu, la Vierge Marie et tous les benoîts
I. Us n'en eurent pas le temps.
184 LA VRAIE JEANNE D'ARC;: LA LIBÉRATRICE.
saints du Paradis, de la grâce et de rbonneur que Dieu avait faits au roi et
à eux tous, publiant que c'était par le moyen de la Pucelle, et que sans
elle jamais si grandes merveilles n'auraient pu être accomplies. La
Pucelle, le duc d'Alencon, et toute la compagnie furent audit lieu et aux
pays des environs, depuis le dimanchcjusqu'au vendredi suivant, xxm' jour
du même mois.
iCHAPITRE III
LA CAMPAGNE DU SACRE.
Sommaire : J. — Arrivée à Gien le 24 juin. — Grande fête à la Pucelle. — Enthou-
siasme universel causé par les merveilles inouïes qu'elle a accomplies. — Son
chagrin des tergiversations du roi qu'on détourne du voyage de Reims. — Elle
prend les devants, entraînant le gros de l'armée à sa suite.
II. — Le roi se détermine à la suivre, le 29 juin. — Soumission des forteresses des
deux côtés de la route. — Arrivée à Troyes le 8 juillet. — Reddition. — Séjour
jusqu'au 12. — La manière dont la Pucelle somme les villes et en obtient la sou-
mission. — Arrivée à Chalons le 14, départ le 15.
III. — Entrée triomphante à Reims. — Préparatifs du sacre. — Le sacre le 17 juillet.
— Les fonctions du duc d'Alcnron. — Séjour à Reims jusqu'au 21 juillet ; à Sainl-
Marcoul le 21.
I
^ Le commencement du sacre du hoy. — Ce vendredi bien matin, la Pucelle
dit au duc d*Alen(;on : « Faites sonner les trompilles et montez à cheval. Il
est temps daller vers le geiitil roi Charles pour le mettre au chemin de
S071 sacre à Reims, » Ainsi il fui fait. Tous montèrent à cheval et ceux de
la ville et ceux des champs. Ce môme jour, ils prirent gîte auprès du roi
en la ville de Gien-sur-Loire. Le roi fit grande fête et montra grande
joie de la venue de la Pucelle, du duc d^Alcnçon et de leur compagnie.
Ce jour, il y eut de longs et joyeux entretiens entre tous les seigneurs,
les chevaliers, les écuyers, les gens de guerre, et les gens de tout état,
quels qu'ils fussent. Tous tenaient à très grande merveille les grands faits
de guerre advenus le samedi précédent, par Tentreprise de la Pucelle, à
eux et à toute sa compagnie. Je crois bien que jamais homme vivant ne
vit la pareille, telle que de mettre en un jour en Tobéissance du roi trois
notables places, à savoir la ville et le château de Meung-sur-Loire, la
ville et le château de Baugency, la ville et le château d*Yenville-en-
Beauce, et de gagner une journée telle que celle d'auprès de Patay;
sur les Anglais qui étaient au nombre de... mille, et nos gens environ...
LA CHBONIQUE DE PERCEVAL DE CAGX\. 1S5
Le roi fut audit lieu de Gien jusques au mercredi 29 juin. La
Pucelle fut très marrie du long séjour qu*il y fit, par la persuasion de
quelques gens de sa maison qui le déconseillaient d'entreprendre le che-
min de Reims, disant qu*entre Gien et Reims il y avait plusieurs cités,
villes fermées, châteaux et places bien garnis d'Anglais et de Bourgui-
gnons. La Pucelle disait qu'elle le savait bien, et que de tout cela elle ne
faisait nul compte.
Par dépit elle partit et alla camper aux champs, deux jours avant le
départ du roi. Quoique le roi manquât d'argent pour solder son armée,
tous, chevaliers, écuyers, gens de guerre et gens du peuple, se montraient
prêts à aller servir le roi pour ce voyage en la compagnie de la Pucelle.
disant qu'ils iraient partout où elle voudrait aller. E3Ie disait : « Par
mon Martin^ je mènerai le roi Charles el sa compagnie sûrement, et il
sera couronné audit lieu de Reims ».
II
Le 29 juin, après plusieurs conseils, le roi partit et prit son chemin
pour aller droit à la cité de Troyes-en-Champagne. Sur son chemin, toutes
les forteresses, à droite et à gauche de sa voie, se mirent en obéissance. Il
arriva devant le dit lieu de Troyes après dîner, le vendredi, mu* jour de
juillet. Les hommes de la garnison et les bourgeois de la ^ille lui furent
désobéissants. Ce jour-là et le lendemain il y eut de grandes escar-
mouches, et le dimanche, x* jour, ils se mirent en l'obéissance du roi.
Après diner, il fut très honorablement reçu en cette ville, où il séjourna
jusqu'au mardi suivant.
Partout où la Pucelle venait, elle disait à ceux qui tenaient les places :
« Rendez-vous au Roi du Ciel et au gentil roi Charles ^k Elle était toujours
la première pour venir parler aux barrières.
Le mardi, le roi partit de Troyes, et le jeudi qui suivit, il fut très hono-
rablement reçu en la cité de Châlons. Le long du chemin, toutes les
forteresses du pays se mirent en son obéissance, parce que la Pucellr?
envoyait quelques-uns de ceux qui étaient sous son étendard dire par
chacune d'elle à ceux qui les occupaient : « Rendez-vous au Roi du Ciel et
au gentil roi Charles » ; et ceux-ci, ayant connaissance des grandes mer-
veilles advenues et accomplies à la présence de la Pucelle, se mettai*;rit
franchement en Tobéissance du roi, quelques-uns du moins. Quant
à ceux qui refusaient, elle y allait en personne, et tous lui obéis-
saient.
En allant son chemin, elle se tenait quelquefois dans le gros de Tarmée
186 LA VRAIE JEAxNNE D'ARC: LA LIBÉRATRICE.
avec le roi, d'autres fois à i*avant-garde, et d'autres fois à l'arrière-garde,
ainsi qu'elle le voyait convenable à son dessein.
Le vendredi le roi partit dudit lieu de Châlons.
III
Le jour que le roi arriva a Reims et fut sacré. — En Tan MCCCCXXIX,
de samedi, xvi* jour de juillet, après dîner, le roi amva en la ville de
Reims. Furent à sa rencontre l'Archevêque et tous les collèges de la ville,
les bourgeois et d'autres en bien grand nombre, tous faisant éclater grande
joie en criant Nouel pour sa venue. Le jour et toute la nuit suivante Jes
officiers du roi et ceux de son conseil firent de très grandes diligences,
chacun en ce que demandait son office, pour le fait et l'état du sacre et
du couronnement du roi, qui eut lieu le lendemain.
Le dimanche, xvii* jour dudit mois, le roi fut sacré et couronné à
Reims par Regnault de Chartres, archevêque du lieu, accompagné de
plusieurs évêques, abbés et autres gens d'Église, comme au cas il apparte-
nait. Ce jour, le duc d'Alençonfit chevalier le roi, et le servit comme pair
de France au lieu du duc de Bourgogne, alors ennemi du roi et allié avec
les Anglais. Ce jour, les comtes de Clermont, de Vendôme, et de Laval,
qui ce jour même fut fait comte, servirent le roi, au lieu des autres pairs
de France qui n'y étaient pas. Le roi demeura à Reims jusqu'au jeudi
suivant, et ce jour-là il alla dîner, souper et coucher en l'abbaye de Saint-
Marcoul, où lui furent apportées les clefs de la cité de Laon.
CHAPITRE IV
LA CAMPAGNE APRÈS LE SACRE.
;SoMMAiKE : 1. — La Pucelle veut rendre le roi inailre de Paris et du royaume. —
(irandes conquêtes après le sacre. — Le roi à Soissons du 23 juillet au 29. — Pau-
vreté de la ville. — Le 29 passé devant Château-Thierry; le roi y rentre le soir. — Le
1" août, arrivée à Montmirail. — Le 2, à Provins et séjour jusqu'au 5. — Le 7, à
Coulommiers. — Le 10, à La Ferté-Milon. — Le 11, à Grespy. — Le 12, à Lagny-le-
Sec. — Le 13, aux champs près de Damniartin. — Diligence de la Pucelle pour
amener la soumission des villes.
IL — Le 14, les armées française et anglaise en présence près de Sentis. — Escar-
mouches. — Le 15, dispositions de conscience en vue d'une grande bataille. —
Les Anglais fortiiiés à La Victoire. — Escarmouches toute la journée. — Provocation
de la Pucelle. — Proposition de laisser aux ennemis de l'espace pour se déployer.
— Refus des Anglais. — Le roi à Montépilloy. — Sa suite. — 11 se retire à Crépy,
LA CORONIQUE DE PERCEVAL DE CAGNY. 187
— La Pucelle et Tannée attendent Bedford qui rentre à Paris. — Le roi à Compiègne
le 18. — Reddition de Senlis. — Le roi semble fatigué de conquérir. — Tristesse de
la Pucelle. — Elle part pour Paris et entre à Saint-Denis le 26. — Bedford quitte
Paris pour défendre la Normandie.
III. — Escfiirmouches plus que quotidiennes contre Paris à partir du 26 août. — La
Pucelle observe la situation de la ville. — Messages au roi pour le presser de venir. —
Double voyage de d'Alençon pour Tentralner à Saint-Denis. — Joie causée par son
arrivée le 7. —Persuasion universelle que la Pucelle lui donnera Paris. — Attaque de
Parisle8. — Dispositions. — Long assaut. — Bruyante défense ; pas de morts, blessures
sans suites graves. — Merveilles. — La Pucelle blessée ne fait que presser Tassant
plus vivement. — Elle est ramenée malgré elle. — Retraite à La Chapelle. — Le
lendemain la Pucelle veut recommencer Tassant. — Montmorency et cinquante ou
soixante gentilshommes viennent se mettre à la suite de la Pucelle. — Ordre du roi
de venir à Saint-Denis. — Chagrin de la Pucelle. — Obéissance. — Le pont jeté sur
la Seine coupé. — Délibération du conseil. — Désir du roi de revenir sur la Loire.
— Départ le 13 septembre. — Profond chagrin de la Pucelle. — Elle suspend ses
armes à Saint-Denis. — Arrivée à Gien le 21 septembre. — Dispersion de Tarmée.
I
Comment le roy après son sacre print son chemin a venir devant Paris.
— La Pucelle avait Tintention de remettre le roi en sa seigneurie, et le
royaume en son obéissance. Pour cela, après la délivrance du comté de
Champagne, elle le fit mettre en voyage afin de venir vers Paris, et en
s'y rendant il fit de bien grandes conqu(^tes.
Le samedi xxni*jour dudit mois, le roi vint dîner, souper et coucher
en la cité de Soissons. Il y fut reçu et obéi le plus honorablement que
purent et surent le faire les gens d'Eglise, bourgeois, et autres gens de la
ville, car tout y était très pauvre par suite du sac auquel elle avait été
abandonnée, par désobéissance au roi, lorsqu'elle fut prise sur les Bour-
guignons ^
Le vendredi xxix' du môme mois, le roi et son armée furent tout le
jour devant Château-Thierry, et ses gens presque tout le jour en ordre
debataille, dans Tattente que le duc de Bedford devait venir les combattre.
Sur le soir la place se rendit, et le roi y séjourna jusqu'au lundi, premier
jour d'août.
Ce jour le roi coucha à Montmirail-en-Brie.
Le mardi iv jour du môme mois d'août, il vint prendre gîte en la ville
de Provins, où il fut reçu le mieux que faire se put. Il y séjourna jusques
au vendredi suivant, v* jour du mois.
Le dimanche, vu, le roi vint dîner souper et coucher à Coulommiers-
en-Brie.
I. Mai 1414. Voir la Paysanne et C Inspirée, p. 24.
188 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
Le mercredi, x du mois, le roi et sa compagnie vinrent prendre gîte
en la ville de La Ferté-Milon.
Le lendemain jeudi, ce fut à Crépy-en- Valois, et le lendemain vendredi
à Lagny-le-Sec.
Le lendemain, samedi, le roi tint les champs tout le jour près de Dam-
martin-en-Gouelle, pensant que les Anglais viendraient le combattre;
mais ils ne vinrent pas.
Pendant le temps que le roi mit à faire son chemin de Reims à Dam-
martin-en-Gouelle, la Pucelle fit grande diligence pour réduire plusieurs
places et les mettre en Tobéissance du roi. Il en fut ainsi ; par elle, à la
suite de ses démarches, plusieurs furent faites françaises.
II
[Commeiit) le roy et le duc de Betfort furent l'un devant l'autre près de
SenlIs. — Le dimanche xiv^ jour d'août, la Pucelle, le duc d'Alençon,
le comte de Vendôme, les maréchaux et autres capitaines, à la tête de
VI à VII mille combattants, à l'heure de vôpres, vinrent s'échelonner en
un seul rang * près de Montépilloy, à deux lieues environ de la cité de
Senlis. Le duc de Bedford, et les capitaines anglais, commandant de
VIII à IX mille Anglais, étaient campés à demi-lieue, près de SenUs,
entre nos gens et la ville, sur une petite rivière, en un village nommé
La Victoire. Ce soir, nos gens allèrent escarmoucher avec les Anglais
près de leur campement ; et à cette escarmouche, il fut fait des prison-
niers de part et d'autre; du côté des Anglais, le capitaine d'Orbec et
X ou XII autres y trouvèrent la mort; il y eut des blessés des deux côtés.
La nuit vint, el chacun se retira dans son camp.
Le lundi xv' jour d'août MCCCCXXIX, dans la pensée qu'on aurait
la bataille ce jour-là môme, la Pucelle, le duc d'Alençon, la compagnie,
chacun de ceux qui composaient l'armée, se mirent, à part soi, dans le
meilleur état de conscience que faire se peut* ; ils ouïrent la messe le plus
matin possible; et après ce, à cheval.
Ils vinrent mettre l'armée près de l'armée des Anglais. Ceux-ci
1. C'est le sens que nous donnons au texte : furent logiés à une haye, aux champSy
près Montpillouer, C'est, d'après Lacurne, une des significations du mot rangés en Aaîf,
en termes militaires, et l'on conçoit assez difiiciiement six ou sept mille hommes
derrière une haie.
2. C'est par suite de cette préparation si chrétienne que le seigneur d'Ourches
déposait à Vaucouleurs: « J'ai vu Jeanne se confesser à Frère Richard devant la ville de
Senlis, et recevoir durant deux jours (le dimanche et le jour de l'Assomption) le corps
du Christ avec les ducs de Clermont et d'Alençon ». (La Paysanne et Vlnspirée, p. 228.)
LA CHRONIQUE DE PERCEVAL DE CAGNY. 189
n'avaient pas bougé du lieu où ils avaient couché. Toute la nuit ils s'étaient
fortifiés avec des pieux, en creusant des fossés, en mettant leurs charrois
devant eux ; la rivière protégeait leurs derrières. Il y eut tout le jour de
grandes escarmouches, sans que les Anglais fissent jamais quelque sem-
blant de vouloir sortir de leur position, sinon pour combat d'escarmouche.
Quand la Pucelle vit qu'ils ne sortaient pas, elle vint son étendard en main
se mettre à l'avant-garde, et s'avança assez pour venir frapper aux for-
tifications des Anglais. En cette attaque il y eut des morts de côté et d'autre.
Les Anglais ne donnant aucun signe de vouloir sortir avec leurs grandes
forces, la Pucelle fit retirer tout son monde jusqu'au gros de l'armée ; et
il leur fut mandé de sa part, de la part du duc d'Alençon, des capitaines,
que s'ils voulaient sortir de leur parc pour donner la bataille, nos gens
se reculeraient, et les laisseraient se mettre en leur ordonnance de
combat. Ils ne voulurent pas accepter, et ils se tinrent tout le jour sans
sortir de leurs fortifications, sinon pour de légers engagements. La nuit
venue, nos gens revinrent à leur campement.
Le roi fut tout ce jour à Montépilloy. Etaient en sa compagnie le duc
de Bar qui l'avait rejoint à Provins, le comte de Clermont et d'autres
capitaines. Quand le roi vit qu'on ne pouvait faire sortir les Anglais de
leur position et que la nuit approchait, il retourna prendre gîte à Crépy.
La Pucelle, le duc d'Alençon et leur compagnie, se tinrent toute la
nuit en leur lieu de campement. Pour savoir si les Anglais ne se met-
traient pas à leur poursuite, le mardi bien matin, ils se reculèrent à
Montépilloy, et ils se tinrent jusques environ Theure de midi, que des
nouvelles leur vinrent que les Anglais retournaient à Sentis et droit
k Paris. Nos gens rejoignirent alors le roi à Crépy.
Le mercredi xvii* jour du môme mois, les clefs de la ville de Com-
piègne furent apportées au roi, et le lendemain, jeudi, le roi et sa com-
pagnie allèrent prendre gîte en cette cité.
Comme le roy vint a Compieisgne quand il ot lesséle duc de Bethford. —
Avant que le roi partit de Crépy, il disposa que le comte de Vendôme, les
maréchaux de Boussac et de Rais et d'autres capitaines en leur compa
?nie iraient devant la cité de Sentis. Après leur arrivée devant la place,
ceux du dedans considérèrent les grandes conquêtes que le roi avait
^^iles en peu de temps par l'aide de Dieu et le moyen de la Pucelle, et
qu'ils avaient vu le duc de Bedford avec toutes ses forces, qui près de
leur ville, n'avait pas ose combattre le roi et ses fidèles, mais
^^e chefs et soldats s'étaient reculés à Paris et ailleurs aux autres
places; et ils se rendirent au roi et à la Pucelle. Le comte de Vendôme
^^meura gouverneur et gardien de la place, et il y acquit honneur et
<ïhevanche.
190 LA VRAIE JEANNE D*ARC : LA LIBÉRATRICE.
Quand le roi se trouva audit lieu de Compiôgne, la Pucelle fut très
marrie du séjour qu'il y voulait faire*. Il semblait à sa manière qu'à
cette heure il fût content de la grâce que Dieu lui avait faite, sans vouloir
autre chose entreprendre. La Pucelle appela le duc d'Alençon et lui dit:
« Mon beau duc, faites apprêter vos gens et ceux des autres capitaines^ et
elle ajouta : par mon Martin, je veux aller voir Paris de plus près que Je ne
tai vu, »
Le mardi xxiu« jour d'août, la Pucelle et le duc d'Alençon partirent
de Compiègne d'auprès du roi avec une belle compagnie de gens. En
faisant leur chemin, ils vinrent recueillir une partie de ceux qui avaient
été au recouvrement de Senlis, et le vendredi suivant xxvi* jour du
môme mois, la Pucelle, le duc d'Alençon et leur compagnie étaient logés
en la ville de Saint-Denis. Quand le roi sut qu'ils étaient ainsi logés à
Saint-Denis, il vint à son grand regret en la ville de Senlis. Il semblait
qu'il fût conseillé dans le sens contraire au vouloir de la Pucelle, du duc
d'Alençon, et de ceux de leur compagnie*.
Comme le duc de Betuford abandonna Paris. — Quand le duc de Bedford
vit que la cité de Senlis était française, il laissa Paris au gouvernement
des bourgeois, du sire de l'Isle-Adam et des Bourguignons de sa compa-
gnie, et n'y laissa guère d'Anglais. Il s'en alla à Rouen très marri, et en
grande crainte que la Pucelle ne remit le roi en sa seigneurie.
III
Depuis que la Pucelle fut arrivée à Saint-Denis, deux ou trois fois par
jour, nos gens étaient à l'escarmouche aux portes de Paris, tantôt en
un lieu, tantôt à un autre, parfois au moulin à vent devers {entre) la
porte Saint-Denis et La Chapelle. Il ne se passait pas de jour que la
Pucelle ne vînt faire les escarmouches; elle se plaisait beaucoup à
considérer la situation de la ville, et par quel endroit il lui semblerait
plus convenable de donner un assaut. Le duc d'Alençon était le plus
souvent avec elle. Mais parce que le roi n'était pas venu à Saint-Denis^
quelque message que la Pucelle et le duc d'Alençon lui eussent envoyé,
ledit duc d'Alençon alla vers lui le premier jour de septembre. Il lui fut
1. C'est là, en efTet, qu'il mit la dernière main à la trêve désastreuse par laquelle il
se laissa berner par le duc de Bourgogne.
2. Ce n'était que trop réel, mais le fallacieux traité avec le duc de Bourgogne était
tenu secret. Il semble avoir môme échappé aux historiens jusqu'à la dernière paKie
de ce siècle, que plusieurs exemplaires sont sortis de la poussière des archives. De là
l'embarras des chroniqueurs les plus sincères, et les rélicences semées dans leurs
récits.
LA CHRONIQUE DE PERCEVAL DE CAGNY. 19 1
dit que le roi partirait le 2, et le duc revint à sa compagnie, et parce que
le roi ne venait pas, le duc d'Alençon retourna vers lui le lundi suivant,
V* du mois. Il fit tant que le roi se mit en chemin, et le mercredi il fut
à diner à Saint-Denis ; ce dont la Pucelle et toute la compagnie furent
très réjouis. Et il n'y avait personne, de quelque état qu'il fût, qui ne
dît : « Elle mettra le roi dans Paris, si à lui ne tient » {s'il ne r empêche
pCLS).
Comme la Pucelle donna l'assault a la ville de Paris. — Le jeudi
MCCCCXXIX, jour de Notre-Dame, viii" jour de septembre, la Pucelle,
le duc d'Alençon, les maréchaux de Boussac et de Rais, d'autres capi-
taines avec grand nombre de gens d'armes et d'hommes de trait, partirent^
sur les viu heures, de La Chapelle, près de Paris, en belle ordonnance,
les uns pour livrer la bataille, les autres pour garder de surprise ceux
qui donneraient l'assaut.
La Pucelle, le maréchal de Rais, le sire de Gaucourt, et par l'ordon-
nance de la Pucelle ceux que bon lui sembla*, allèrent donner l'assaut h
la porte Saint-Honoré. La Pucelle prit son étendard en main, et entra
avec les premiers dans les fossés, en face du marché aux pourceaux.
L'assaut fut dur et long. C'était merveille d'ouïr le bruit et le fracas des
canons et des coulevrines que ceux du dedans jetaient à ceux du dehors;
et le sifflement de toute espèce d'armes de trait, en si grand nombre
qu'elles étaient comme innombrables*. Et quoique la Pucelle et grand
nombre de chevaliers, d'écuyers et d'autres gens de guerre, fussent
descendus dans les fossés, que d'autres se tinssent sur le bord et
aux environs, très peu furent atteints et portés à terre de coups de
pierres de canon ; mais par la grâce de Dieu et l'heur de la Pucelle, nul
homme n'en mourut, ni ne fut blessé au point de ne pouvoir revenir à
son aise et sans aide à son logis.
L'assaut dura depuis l'heure de midi jusqu'à environ l'heure du jour
faillant, et après le soleil couchant la Pucelle fut frappée à la cuisse d'un
trait d'arbalète à hausse pied\ Et après qu'elle eut été atteinte, elle
s'efforçait plus fort de dire que chacun s'approchât des murs et que la
place serait prise. Mais parce qu'il était nuit, qu'elle était blessée, et que
les gens était lassés du long assaut qu'ils avaient fait, le sire de Gau-
1. « La Pucelle, le maréchal de Rais, le sire de Gaucourt, par Tordonnance d'elle
appelé ce qui bon lui sembla, allèrent », etc.
2. « Ëstoit merveille à ouyr le brut et la noise des canons et coulevrines que ceulxde
dedens/gectoient à ceulx de dehors, et de toutes manières de traict à si grand planté
comme innombrable, t
3. La Pucelle fut férue d'un trait de hausse pié d'arbalète par une cuisse. Probablement
du trait d'une arbalète qu*on tendait avec le pied, par opposition à celles qui exigeaient
un tour.
192 LA VRAIE JEANNE D*ARC : LA LIBÉRATRICE.
court et d'autres vinrent prendre la Pucelle, et, contre son vouloir,
remmenèrent hors des fossds. Et ainsi faillit l'assaut.
Elle avait très grand regret d'ainsi se départir, et disait : « Par mon
Martin^ la place eiU été prise! » Ils la mirent à cheval, et la ramenèrent à
son logis audit lieu de La Chapelle, où rentrèrent tous les autres de la
compagnie du roi, le duc de Bar, le comte de Clermont, qui ce jour
étaient venus de Saint-Denis*.
Comme la Pucelle partit de devant Paris oultre son vouloir. — Le ven-
dredi, IX" jour du même mois, la Pucelle, quoiqu'elle eût été blessée le
jour précédent à l'assaut de Paris, se leva bien matin, et fit venir son
beau duc d'Alençon par lequel elle. donnait ses ordres; et elle le pria de
faire sonner les trompilles et de monter à cheval pour retourner devant
Paris ; et affirma par son Martin que jamais elle n'en partirait sans avoir
la ville. Le duc d'Alençon et d'autres capitaines avaient bien le vouloir
de seconder son entreprise et de retourner ; mais quelques-uns ne le
voulaient pas.
Tandis qu'ils étaient en ces pourparlers, le baron de Montmorency,
qui avait toujours tenu le parti contraire au roi, vint de l'intérieur de la
ville accompagné dcLou lx gentilshommes se mettre en la compagnie
de la Pucelle; ce qui donna plus de cœur et accrut le courage de ceux qui
avaient la bonne volonté de retourner devant la ville.
Tandis que se faisait le rapprochement, arrivèrent, de la part du roi
qui était à Saint-Denis, le duc de Bar et le comte de Clermont. Ils
prièrent la Pucelle que, sans aller plus loin, elle retournât auprès du roi
à Saint-Denis. De la part du roi, ils prièrent aussi d'Alençon, et com-
mandèrent à tous les autres capitaines, de venir et d'amener la Pucelle
vers lui.
La Pucelle et la plupart de ceux de la compagnie en furent très marris ;
néanmoins ils obéirent à la volonté du roi, dans l'espérance qu'ils trou-
veraient entrée pour prendre Paris par l'autre côté, en passant laSeinesur
un pont que le duc d'Alençon avait fait jeter sur la rivière vis-à-vis de
Saint-Denis; et ils vinrent ainsi vers le roi.
Le lendemain, samedi, une partie de ceux qui avaient été devant Paris
pensèrent aller bien matin passer la Seine sur ledit pont, mais ils ne le
purent, parce que le roi, ayant su l'intention de la Pucelle, du duc d'Alen-
çon et des autres de bon vouloir, avait fait passer toute la nuit à le
mettre en pièces. Et ils furent ainsi empochés de passer.
Ce jour, le roi tint son conseil auquel plusieurs opinions furent émises ;
1. u Hz la mirent à cheval et la ramenèrent à son logis audit lieu de La Chapelie, et
touz les autres de la compaignie le roy, le duc de Bar, le comte de Clermont qui ce
jour esloient venus de Sainct-Denys. »
LA CHRONIQUE DE PERCEVAL DE CAGNY. 19J
il demeura à Saint-Denis jusqu'au mardi xni'' jour de septembre,
tendant toujours à revenir sur la Loire, au grand déplaisir de la Pucelle.
Comme le roy partit de Sainct-Denys. — Le mardi xiii, le roi, d'après
l'avis de quelques-uns de son conseil et de quelques seigneurs de son
sang, enclins à accomplir son vouloir, partit après dîner dudit lieu de
Saint-Denis. Quand la Pucelle vit qu'elle ne pouvait trouver aucun
remède à son départ, elle donna et déposa tout son harnois complet
devant Timage de Notre-Dame et devant les reliques de l'abbaye de Saint-
Denis ; et A SON très grand regret, elle se mit en la compagnie du roi,
qui s'en revint le plus rapidement qu'il put, et parfois en faisant son
chemin d'une manière désordonnée et sans cause. Le mercredi xxi% du-
dit mois, il fut à diner à Gien-sur-Loire.
AiNSY fut rompu le vouloir DE LA PuCELLE, ET FUT AUSSI ROMPUE l'aRMÉE
DU ROY.
CHAPITRE V
LA SUITE DE L'HISTOIRE DE LA PUCELLE JUSQU'A SON SUPPLICE.
Sommaire : I. — La faveur dont le duc d'Alençon jouissait auprès de la Pucelle. — Il
demande en vain de Tamener à la conquête de la Normandie. -^ Combien il fut
peu sensé d'arrêter les conquêtes de la Pucelle. — Ses incroyables exploits, ce
qu'elle a fait en quatre mois. — Inaction du roi. — 11 retient la Pucelle auprès de
lui. — Tristesse de l'héroïne. — Conquête de quelques places. — Échec devant
La Charité. — Les causes.
U. — La Pucelle mécontente quitte le roi sans prendre congé de la cour. — Son
arrivée à Lagny. — Elle taille en pièces une compagnie d'ennemis. — Effroi dans
Paris. — Les villes dans lesquelles elle séjourne. — Le siège de Compiègne. — La
Pucelle se jette dans la ville, le 24 mai. — Engagement, embuscade : comment elle
est prise.
ill. — Prison de la Pucelle. — Elle est vendue aux Anglais. — Ce qu'elle dit des villes
qu'elle a rendues au roi. — Prisonnière à Rouen. — Combien les Anglais désirent
la trouver coupable. — Leurs incriminations. — La sentence et l'exécution.
ï V . — Toute-puissance de La Trémoille. — Comment et par qui il est renversé. —
Inaction du roi à partir de Saint-Denis et surtout du supplice de la Pucelle. — Elle
seule a fait les conquêtes. — Ce que, par pusillanimité, il sacrifie au traité d'Arras.
— Le roi et les princes du sang étant inactifs, la défense revient à de simples
chevaliers.
I
Comme le duc d*Alençon se partit di] roy. — Le duc d'Alençon avait
toujours été en la compagnie de la Pucelle : c'était lui qui l'avait toujours
conduite sur le chemin du couronnement du roi à Reims, et de Reims.
III. 13
194 • LA VRAIE JEANNE D*ARG : LA LIBÉRATRICE.
jusqu'à Paris. Quand le roi fut arrivé à Gien, ledit d'Âlençon s'en alla
vers sa femme en sa vicomte de Beaumont, et les autres capitaines cha-
cun en sa frontière; la Pucelle resta près du roi, très ennuyée de pareil
DÉPART, et surtout de celui du duc d*Alençon qu'elle aimait très fort,
faisant pour lui ce qu'elle n'eût pas fait pour un autre.
Peu de temps après, ledit d'Alençon assembla des gens pour entrer
au pays de Normandie, vers les marches de Bretagne et du Maine.
A cette fin il requit et fit requérir le roi pour qu'il lui plût de lui envoyer
la Pucelle, et que, par son moyen, plusieurs se mettraient en sa compa-
gnie qui ne bougeraient pas, si elle ne se mettait pas elle-même en
campagne. Messire Regnault de Chartres, le seigneur de La Trémoille,
le sire de Gaucourt, qui gouvernaient alors la personne du roi et le fait
de sa guerre, ne voulurent jamais y consentir; ils ne voulurent ni faire,
ni consentir que la Pucelle et le duc d'Alençon fussent ensemble ; et il ne
put depuis la recouvrer.
Comme le roy demoura a [cessa de) parsuivre la guerre. — Quand le roi
fut arrivé audit lieu de Gien, lui et ceux qui le gouvernaient firent
semblant de penser que c'était assez du voyage qu'il avait fait ; et de
longtemps après, le roi n'entreprit sur ses ennemis aucun dessein où il
voulût être en personne. On pourrait bien dire que c'était par fol con-
seil*, si lui et eux eussent voulu considérer la très grande grâce que
Dieu lui avait faite, et avait faite à son royaume, par l'entreprise de la
Pucelle, messagère de Dieu sur ce point, comme on pouvait le recon-
naître par ses faits.
Elle fit des choses incroyables à ceux qui ne les avaient pas vues, et
Ton peut dire qu'elle en aurait fait encore, si le roi et ses conseillers se
fussent bien conduits et bien maintenus envers elle. C'est en tout point
manifeste, car en moins de quatre mois, elle délivra et mit en l'obéissance
du roi sept cités, à savoir Orléans, Troyes-en-Champagne, Châlons,
Reims, Laon, Soissons et Senlis, et plusieurs villes et châteaux; elle gagna
la bataille de Patay ; par son moyen le roi fut sacré et couronné à Reims,
et tous, chevaliers, écuyers et autres gens de guerre, furent très
bien contents de servir le roi en sa compagnie, encore qu'ils fussent
petitement soldés.
A la suite de ce qui vient d'être rapporté, le roi passa son temps aux
pays de Touraine, de Poitou et de Berry. La Pucelle fut la plupart du
1. Et depuis de long-tems aprèSy le roy n'entreprint nulle chose à faire sur ses ennemys
où il vousist estre en personne. On powroit bien dire que ce estait par son conseU, se
lui et eulx eussent voulu regarder la très grant grâce que Dieu avait faite à lui et à son
royaulme par l'entreprise de la Pucelle^ message de Dieu en ceste partie^ comme par ses faiz
povoit estre aperceu, — Quicherat propose de lire « fol conseil », au lieu de son conseil^ ce
qui semble fondé.
IK CHRONIQUE DE PERCEVAL DE CAGNY. 195
temps auprès de lui, très marrie de ce qu'il n'entreprenait pas de con-
quérir de ses places sur ses ennemis.
Le roi étant en sa ville de Bourges, elle prit quelques capitaines et
conquit trois ou quatre places sur la rivière de la Loire, dans les environs de
la ville de La Charité, qui était tenue par les Bourguignons. Après ces
succès, le maréchal de Boussac et d'autres capitaines se joignirent à elle,
et bientôt après elle mit le siège devant ledit lieu de La Charité. Elle y
resta un certain espace de temps, mais parce que le roi n'en vint pas ' à lui
envoyer des vivres et de l'argent, pour entretenir sa compagnie, elle dut
lever son siège et se retirer à sa grande déplaisance.
L'alinéa qui suit est une interpolation^ comme l'observe justement
Quicherat. Non seulement il fait double emploi avec ce qui suit^ mais il
place à la fin d'avril un départ qu'immédiatement après il place à la
fin de mars.
En Tan MCCCCXXX, vers la fin du mois d'avril, la Pucelle, très mécon-
tente des gens du conseil du roi sur le fait de la guerre, partit d'auprès
du roi, et s'en alla en la ville de Compiègne, sur la rivière de l'Oise.
II
Comme la Plcelle se partit du roy. — En l'an MCCCCXXX (v. st.) le
jour de mars, le roi étant en la ville de Sully sur-Loire, la Pucelle
qui, pour l'avoir vu et entendu, savait tout le fait, et la manière que le
roi et son conseil tenaient pour le recouvrement du royaume, et en était
TRÈS MAL CONTEXTE, trouva moycu de se retirer d'auprès d'eux. Sans que
le roi le sût et sans prendre congé de lui, elle fit semblant d'aller se
récréer*, et, au lieu de retourner, elle alla à la ville de Lagny-sur-Marne,
parce que ceux de la place faisaient bonne guerre aux Anglais de Paris et
d^ailleurs.
Elle n'y fut guère sans que les Anglais se réunissent pour faire une
course devant ladite place. Elle sut leur venue, fit monter ses gens h
cheval, et alla à leur rencontre malgré leur nombre supérieur, entre la
dite place et , elle ordonna à ses gens de se jeter sur leurs rangs ; ils
trouvèrent peu de résistance, et de trois à quatre cents Anglais restèrent
sur le terrain. La venue de la Pucelle fit grande rumeur et grand bruit a
Paris, et dans d'autres places opposées au roi. Après cet exploit, la
1. « Pour ce que le roy ne fîst finance de lui envoyer vivres ne argent pour entretenir
sa compaignie. »
2. « Sans le sceu du roy, ne prendre congé de lui, elle fist semblant d'aller en aucun
esbat. »
196 LA VRAIE JEANNE D'AIIG : LA LIBÉRATRICE.
Pucelle passa le reste de son temps jusqu'au mois de mai, à Senlis, à
Crépy-en- Valois, à Compiègne et à Soissons.
Gomme elle vint a Compiègne, et la fut prise. — En l'an MCCCCXXX, le
XXIV* jour dudit mois de mai, la Pucelle informée à Crépy oîi elle était,
que le duc de Bourgogne avec grand nombre de gens d'armes et d'autres,
et le comte d'Arondel, étaient venus assiéger Compiègne, partit de Crépy
sur le minuit, à latAte de trois à quatre cents combattants. Comme on lui
observait qu'elle avait peu de gens pour passer au milieu de l'armée des Bour-
guignons et des Anglais, elle répondit : « Par mon Martin^ nous sommes
assez ^ f irai voir mes bons amis de Compiègne ». Elle arriva vers le soleil
levant ; et sans perte ni empêchement, soit pour elle, soit pour ses gens, elle
entra dans la cité. Ce môme jour les Bourguignons et les Anglais vinrent
à l'escarmouche, en la prairie, devant la ville. Il fut fait de grands faits
d'armes d'un côté et de l'autre.
Les Bourguignons et les Anglais, sachant que la Pucelle était dans la
ville, pensèrent bien que ceux de dedans sailliraient à grand effort, et
pour cela les Bourguignons mirent une grosse troupe de leurs gens en em-
buscade derrière une grande montagne voisine, appelée le Mont de Clairoy.
Sur les neuf heures du matin, la Pucelle apprit que l'escarmouche était
forte et grande en la prairie devant la ville. Elle s'arma, fit armer ses
gens, les fit monter à cheval, et vint se jeter dans la mêlée. Aussitôt
après sa venue les ennemis reculèrent et furent mis en chasse. La
Pucelle chargea fort du côté des Bourguignons. Ceux qui étaient en
embuscade, voyant leurs gens revenir en grand désarroi, sortirent du lieu où
ils étaient cachés, et à coups d'éperons vinrent se mettre entre le pont de
la ville, la Pucelle et sa compagnie. Une partie d'entre eux tournèrent
droit à la Pucelle ; ils étaient si nombreux que ceux de sa compagnie ne
purent en réalité soutenir Tattaque, et dirent à la Pucelle : « Songez à
rentrer dans la ville, ou, vous et nous, sommes perdus ! »
La prinse de la Plcelle. — Quand la Pucelle les eut ouï ainsi parler,
elle leur dit très marrie : « Taisez-vous, il ne tiendra quà vous qu ils soient
drconfils. Ne pensez quà frapper sur eux, » Pour chose qu'elle dit, ses
gens ne voulurent point la croire, et de force la firent retourner vers le
ponl. Quand les Bourguignons et les Anglais virent qu'elle revenait sur
ses pas pour regagner la ville, ils se postèrent en grand nombre au bout
du pont. Là se firent de grandes armes {f/rands exploits). Le capitaine de
la place, voyant la grande multitude d'Anglais et de Bourguignons prêts
à entrer sur son pont, dans la crainte de perdre la place à lui confiée, fit
lever le pont de la ville et fermer la porte. La Pucelle demeura ainsi
fermée dehors, n'ayant que peu de gens avec elle.
Quand les ennemis la virent en cet étal, tous s'efl'orcèrent de la pren-
LA CHRONIQUE DE PERCEVAL DE CAGNY. i97
dre; elle résista très fort contre eux, et en la parfin elle fut prise par
cinq ou six ensemble, les uns mettant la main sur elle, les autres sur son
cheval, chacun d'eux disant : « Rendez-vous à moi, et baillez la foi ! »
Elle répondit : « f ai juré et baillé ma foi à autre qu'à vous^ et je lin tien-
drai mon serment » ; et en disant ces mots, elle fut menée au logis de
Messire Jean de Luxembourg.
III
Comme la Plxélle fut mise en prison. — Messire Jean de Luxemboui^
la fit garder en son logis trois ou quatre jours, et après cela, tandis qu'il
restait au siège devant la ville, il fit mener la Pucelle en un château
nommé Beaulieu, en Vermandois. Elle y fut détenue prisonnière
l'espace de quatre mois ou environ ^ Ensuite ledit de Luxembourg, par
l'entremise de l'évêque de Thérouanne, son frère, chancelier de France
pour le roi anglais, la livra, pour le prix de quinze ou seize mille saints,
comptés au même Luxembourg, au duc de Bedford, lieutenant en France
du roi d'Angleterre, son neveu. La Pucelle fut ainsi mise entre les mains
des Anglais, et menée au château de Rouen, où ledit Bedford faisait
pour lors sa demeure.
Comme elle était en prison au château de Beaulieu, celui qui avait été
son maître d'hôtel avant sa prise, et qui la servit en prison, lui dit un
jour : « Cette pauvre ville de Compiègne que vous avez tant aimée, sera
cette fois remise es mains et en la subjection des ennemis de France », et
elle lui répondit : « Non sera, car toutes les places que le roi du Ciel a
RÉDDITES ET REMISES EN LA MAIN ET OBÉISSANCE DU GENTIL ROI ChaRLÉS, PAR MON
MOTEX, NE SERONT POINT REPRISES PAR SES ENNEMIS EN TANT Qu'lL FERA DILIGENCE
DE LES GARDER. »
Comme LA Pucelle FUT JUGÉE A MORT EN l'an MCCCCXXXI, le xxiv'' jour du
^oiSDEMAY*. — Le duc de Bedford, l'évêque de Thérouanne et plusieurs
autres du conseil du roi d'Angleterre, avaient vu et connu les très gran-
des merveilles advenues à l'honneur et au profit du roi, par l'arrivée et
les entreprises de la Pucelle. — Ainsi que je l'ai déclaré ci-dessus, ses
Paroles et ses faits semblaient miraculeux à tous ceux qui avaient été en
sa compagnie. — Donc Bedford et les dessus nommés la tinrent en leurs
*• U chroniqueur comprend sans doute dans ces quatre mois la captivité au chà-
'wu de Beaurevoir, dont il ne parle pas.
*-Perceval de Cagny vivait loin du drame de Rouen, qu'on prit tant de soin de
ûénaïufgj. — Le 24 mai eut lieu au cimetière de Saint-Ouen la scène de la prétendue
"^jûfalion. Ce fut le 30 mai que la sentence fut intimée à la Martyre, et qu'elle fut
eiecuiée. Toute la phrase du chroniqueur, fort longue, est embrouillée et peu fran-
Ç*'8€. Le manuscrit primitif doit être mal reproduit.
198 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
prisons à Rouen. Très envieux de sa vie et de son état, ils la question-
nèrent et la firent questionner de toutes les manières qu'ils purent et
surent, désirant de tout leur pouvoir savoir trouver en elle et sur elle
quelque semblant d'hérésie, soit en ce qu'elle se disait messagère de
Dieu, soit en ce qu'elle se tenait en habit désordonné, vêtue en homme,
chevauchait armée, et par paroles et par faits se mêlait de tous les faits
d'armes que le connétable et les maréchaux pourraient et devraient faire
en temps de guerre. Sur ces cas ils la prêchèrent, et en présence de
plusieurs évêques, abbés et autres clercs, ils firent lire plusieurs articles
contre elle ; en la parfin ils émirent leurs avis, et par eux elle fut jugée,
et condamnée à être brûlée.
Quand la Pucelle fut arse. — On devine que pour une exécution de si
grand cas, les gens de la justice du roi d'Angleterre à Rouen firent pré-
parer un lieu convenable, et ordonnèrent tous les apprêts de justice, pour
que cette exécution put être vue de très grand peuple. Ledit xxiv* jour
de mai, environ l'heure de midi, la Pucelle fut amenée, le visage enve-
loppé, du château au lieu où le feu était prêt. Certaines choses furent
lues en ladite place, et après, elle fut liée au poteau et brûlée. Ainsi l'ont
rapporté ceux qui disaient Tavoir vu*.
IV
Perceval de Cagny a continué sa Chronique jusqu'en 1438. 11 peut
être utile pour l'histoire de la Pucelle de recueillir les passages suivants :
« En l'an MCCCCXXXlll, le iv du mois de juin, le sire de LaTrémoille
qui avoit, seul et pour le tout, le gouvernement du corps du roy,de toutes
ses finances, et des forteresses de son domaine estant en son obéissance,
fut pris par nuictau chastel de Chinon, le roi logé dedans. Fit cette prise
le sire de Bueil ; à ce que l'on dit par l'ordonnance de la reine de Sicile et
de (Charles d'Anjou, son fils, à l'aide du sire de Gaucourt et d'autres. »
A propos du traité d'Arras, Cagny a encore un mot sur la Pucelle. La
Pucelle prédisait ce traité lorsque le 17 mars elle répondait aux accusa-
teurs de Rouen : « Vous verrez que les Français gagneront bientôt une
grande besogne ^ que Dieu enverra aux Français; et tant quil branlera
presque tout le royaiune ». Le retour du duc de Bourgogne au parti
français produisit en effet un ébranlement dans tout le royaume.
Les Anglais perdirent leur grand appui ; mais le tout-puissant duc mit à
sa réconciliation des conditions fort onéreuses et très humiliantes pour
1. Ces derniers mois sont une protestation contre la fausse pucelle, qui faisait parler
d'elle au moment où de Cagny écrivait.
LA CHRONIQUE DE PERCEVAL DE CAGNY. 199
le roi. Elles indignent le vieux serviteur des d'Alençon. Il écrit à cette
occasion :
« Depuis que le roy s'en vint de la ville de Sainct-Denys, il montra si
petit vouloir de se mettre sur {en campagne) pour conquérir son royaume,
que tous ses chevaliers et escuyers et les bonnes villes de son obéissance
s'en donnoient très grande merveille. Il sembloit à la plupart que ses
plus proches conseillers étoient fort de son vouloir, et qu'il leur suffisoit
de passer le tems et de vivre, surtout depuis la prise de la Pucelle, par
laquelle le roy avoit reçu et acquis de très grands honneurs, et les biens
cy-dessus déclarés, et cela uniquement par son moyen et ses bonnes
entreprises. Le roy et ses conseillers, depuis ladite prise, se trouvèrent
plus abaissés de bon vouloir que par avant ; si bien que pour que le roy
put vivre et demeurer en son royaume, et s'y trouver en paix, aucun
d'eux ne sut imaginer d'autre moyen que de pouvoir faire des appointe-
mens avec le roy d'Angleterre et le duc de Bourgogne. Le roy montra
bien qu'il en avoit très grand vouloir, puisque il aima mieux donner très
largement des héritages de la couronne et de ses meubles, que de s'armer
et soutenir le faix de la guerre. »
Il écrit encore à la même date : « Comme on peut le voir par ce qui est
écrit cy-dessus, le roy et les prochains de son conseil n'avaient pas grande
volonté de s'armer et de faire la guerre de leur personne. Pour cela les
seigneurs du sang du roy par deçà la Seine, les ducs d'Alençon et de
Bourbon, et Messire Charles d'Anjou, s'en sont passés aisément. Ils ont
entièrement laissé démener la guerre au comte de Richemont, connétable
de France, et à de simples capitaines de grand courage et bon vouloir,
nommés LaHire et Potonde Xaintrailles et autres, quigrandement à leur
pouvoir ont soutenu le faix et la guerre du roy. »
£n interrompant la mission de la Pucelle, le roi et ses conseillers ont
attiré sur la France vingt ans de guerre, les humiliations du traité
d'Arras avec ses suites, la période dite des « Écorcheurs », et empêché des
faveurs qu'elle promettait.
LE GREFFIER DE LA ROCHELLE
REMARQUES CRITIQUES.
C'est près de trente ans après la publication de son grand ouvrage, que
J, Quicherat édita la relation qui va suivre, d'abord dans la Revue hisia-
rique française^ et ensuite dans une plaquette tirée à soixante exem-
plaires. Voici comment le célèbre éruditnous fait connaître le document
qu'il a tiré de la poussière des archives.
« C'est un extrait, fait au xvi* siècle, de l'un des registres depuis long-
temps détruits de l'hôtel de ville de La Rochelle. Le manuscrit existe
à la bibliothèque publique de La Rochelle. Il forme un cahier qui
s'annonce sous ce titre : « Extrait de la matricule des maires^ échevins de la
ville de La Rochelle, contenue au livre Noir estant en parchemin^ dans
lequel sont insérez les choses qui sont survenues de remarque et dignes de
mémoire en chascune mairie, commençant en l'an mil cent quatre-vingt-
dix-neuf, maire Robert de Monttniral ».
Le texte fut soigneusement copié pour Quicherat par Tarchiviste du
département, M. de Richemont.
C'est une relation des gestes de la Pucelle, jusqu'à l'attaque contre
Paris inclusivement, avec une mention en quelques lignes de la prise de
la Pucelle, de sa captivité et de son inique supplice.
Il n'y a pas de doute possible, dit Quicherat, que la relation n'ait été
faite par le greffier de l'hôtel de ville, durant le temps si court où Jeanne
d'Arc était sur la scène, non pas au jour le jour, mais apparemment
après la tentative infructueuse contre Paris. On aura ajouté plus tard le
paragraphe sur la fin de l'héroïne.
La Rochelle fut une des villes les plus fidèles au parti national. Rien
de plus émouvant que sa résistance au traité de Brétigny qui )a livrait
à l'Angleterre. Le passage du chroniqueur Froissard a été cité dans le
précédent volume ^ Charles VII encore dauphin y convoqua une assemblée
des notables, où l'accident d'un plancher qui s'écroula sous le poids des
assistants faillit le faire périr. La Rochelle envoya des secours pécu-
\ . La Paysanne et VlnspiréCy p. 254.
202 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
CHAPITRE PREMIER
L.\ PUCELLE JUSQU'A SON ENTRÉE A ORLÉANS.
Sommaire : l. — Arrivée de la Pucelle. — Son âge, son pays, son costume. — Vains
efforts pour la tromper sur la personne du roi. — Explications qu'elle donne sur
son passé.
H. — L*examen auquel elle est soumise ne révèle rien que de favorable. — Son amour
de la confession et de la communion, son incroyable abstinence. — Elle émerveille
les docteurs de Poitiers. — Gardée auprès de la dame Rabateau. — Détails sur Tépée
de Fierbois. — Armée, elle excelle dans les exercices de la guerre, et spécialement le
maniement du cheval. — L'écu de son étendard. — Sa lettre aux Anglais. — Sa
sainte vie. — Son zèle à faire confesser la cour.
1
L'an de grâce mil quatre cent vingt et neuf fut maire de la La Rochelle
honorable homme, sire Hugues Guibert.
Item, — Le xxxiii® jour dudit mois de février', vient devers le roi notre
seigneur, qui était à Chinon, une Pucelle de Tâge de seize à dix-sept
ans, née à Vaucouleurs en la duché de Lorraine* laquelle avait nom
Jeanne et était en habits d'homme, c'est à savoir : pourpoint noir,
chausses attachées^, robe courte de gros gris noir, cheveux [coupés)
ronds, et noirs, et un chapeau noir sur la tôte. Elle avait en sa compa-
gnie quatre écuyers qui la conduisaient. Quand elle fut arrivé audit lieu
de Chinon, où, comme il est dit, le roi était, elle demanda à lui parler.
Et alors on lui montra Monsg' Charles de Bourbon, en feignant que
c'était le roi ; mais elle dit aussitôt^ que ce n'était pas le roi, et qu'elle
le connaîtrait bien, si elle le voyait, encore que jamais elle ne l'eût vu*.
Après l'on fit venir un écuyer en feignant que c'était le roi; mais elle
connut bien qu'il ne l'était pas; et bientôt après le roi sortit d'une
1. La Pucelle partit de Vaucouleurs le 23 février et n'arriva à Chinon que le 6 mars.
Ni Vaucouleurs, ni Domrémy ne relevaient du duché de Lorraine, mais bien, ecclé-
siastiquement, de 1 evèché de Toul qui était comme le cœur des pays compris sous le
nom de Lorraine. Le greffier aura confondu le diocèse et le duché. Ceux qui aujour-
d'hui disent évêque de tel département, ou curé de telle commune, commettent
une faute encore plus inexcusable.
2. Estachées.
3. Tantost,
4. Combien que oncques ne Veust vu.
LE GREFFIER DE LA ROCHELLE. 203
chambre, et aussitôt qu'elle le vit, elle dit que c'était lui*, et elle lui dit
qu'elle était venue à lui de par le Roi du Ciel, et qu'elle voulait lui parler.
Et raconte-t-on * qu'elle lui dit en secret certaines choses, dont le roi
fut bien émerveillé.
Après, la Pucelle lui dit que s'il voulait faire ce qu'elle lui ordonne-
rait, il recouvrerait sa seigneurie, et les Anglais s*en iraient hors de son
royaume. Le roi notre seigneur, bien émerveillé de la venue et du dire
de cette Pucelle et de son état, la fit interroger d'où elle était, quelle avait
été sa vie', et pour quelle cause elle était venue. Elle répondit qu'elle
était dudit lieu de Vaucouleurs en Lorraine, qu'elle avait toujours gardé
les brebis, et qu'en les gardant, lui étaient venus par plusieurs fois des
visions et des avertissements^ de venir par devers le roi notredit sei-
gneur ; que pour cette cause elle s'était mise en chemin et était venue
de par le Roi du Ciel. Si le roi voulait faire ce qu'elle lui ordonnerait,
les Anglais s'en iraient tous de son royaume, ou y mourraient ; et il
recouvrerait tout ce qu'il y avait perdu.
II
Le roi la fit aussi interroger par ceux de son conseil, tant clercs que
laïques, pour savoir si on ne la trouverait point variant en ses paroles;
mais elle fut trouvée en tel état qu'il n'était aucun seigneur, quel qu'il
fût', qui pût rien découvrir contre elle, ni la reprendre de chose qu'elle
dit.
Elle faisait sa confession chaque jour et recevait le corps du Seigneur, j I 1
était femme de grande dévotion et de sainte vie, et buvait et mangeait ^
si peu que rien*.
La Pucelle demeura quelques jours à Chinon avec le roi notre sei-
gneur, et après il s'en vint à Poitiers, et elle avec lui. A Poitiers le roi
la fit interroger par clercs grands et excellents. Ils la trouvèrent si ferme,
répondant si bien à tout ce qu'on lui demandait, que ceux qui lui par-
laient en étaient tout émerveillés, et disaient tenir que son fait venait et
procédait de Dieu.
Elle fut ensuite donnée en garde à la femme de Jean Rabateau, auprès
1 . Tantost qu'elle le vit, elle dit que c'estoit iL
2. Et dit-on.
3. De quoi elle avoit usé.
4. Advisions et admonestemens.
5. Tel fust-il.
6. Elle se fasoit à confesser chascun jour et recevoit Corpus Domini... et ne buvoit et
mangeoit comme rien.
204 LA VRAIE JEANNE D'ARC: LA LIBÉRATRICE.
de laquelle elle demeura quelque temps, durant lequel temps elle disait
de merveilleuses choses, tout en poursuivant chaque jour le roi, pour
qu'il assemblât ses gens, afin de faire lever le siège de devant Orléans.
Pendant qu'elle était à Poitiers, le roi, sur ses indications, lui fit faire
une armure pour son corps'. Cette armure faite, elle demanda au roi
d'envoyer un chevaucheur à Sainte-Catherine-de-Fierbois*, quérir une
épée qui était dans un coffre' devant le grand-autel de l'église. Le roi y
envoya aussitôt un chevaucheur qui demanda aux fabriciens* de l'église
ladite épée. Ils répondirent qu'ils ne savaient de quoi on leur parlait ^
Le chevaucheur leur dit de faire diligence pour la trouver, que le roi et
la Pucelle le leur mandaient. Les fabriciens et le chevaucheur allèrent
devant l'autel, et dans un vieux coffre qui, disaient les fabriciens,
n'avait pas été ouvert depuis passé vingt ans, ils trouvèrent Tépée
demandée. Le chevaucheur l'apporta à la Pucelle qui l'envoya à Tours
pour y faire faire un fourreau d'ornement d'Église (sic).
La Pucelle étant à Poitiers prit ses armures aussitôt que son harnais
fut prêt. Elle allait aux champs avec les gens de guerre, et elle courait la
lance aussi bien et mieux qu'aucun homme d'armes qui y fût ; elle che-
vauchait les coursiers noirs, tels et si malicieux qu'il n'était nul qui
osât en réalité les chevaucher^; elle faisait tant d'autres merveilles
que chacun en était tout émerveillé.
Elle fit faire à Poitiers son étendard, sur lequel était un écu d'azur;
et au dedans de l'écu im colombeau blanc, qui tenait en son bec un rôle
sur lequel était écrit : De par le Roi du Ciel',
Cela fait, elle écrivit aux Anglais du siège d'Orléans une lettre close,
dans la forme qui suit...
Le texte est celui de la Chronique des Cousinot, page 74 ; au lieu de
vous bouter hors de France, le greffier écrit : vous bouter hors de toute
France; au lieu de compagnons d'armes^ gentils et vaillants^ il dit :
compagnofis d'arènes, gentils et vilains; vilains signifiait alors homme libre
de la campagne; les vilains étaient nombreux dans l'armée anglaise; ils
sont ici opposés à gentils qui signifie nobles; ce texte nous semble préfé-
!. <« Le roy par son ordonnance lui lit faire une arnais pour son corps ». Voir dans
Laci iiNK la signification de ordonnance et de harnais au moyen âge.
2. Le texte j)orte Sainte-Bradine d^EscoboiSy d'après Quicherat.
A. « Kn unne arche devant le grand hoslel Uin de l'église ».
4. <( Fal)riqueurs ».
r». « Ne savoient que c estoil ».
0. « Chevauchoil coursiers noirs, de tels et si malicieux qu'il n'estoit nul qui bonne-
ment les osast chevaucher ».
7. « Et lit faire au dit lieu de Poitiers son estendard, auquel y avoit un escu d azur,
et un coulon blanc dedans ycelluy estoit, lequel coulon tenoit un rôle en son bec ou
avoit escrit de par le roy du Ciel ».
LE GREFFIER DE LA ROCHELLE. 205
rable. Nous le retrouverons dans d'autres Chroniques. Le greffier con-
tinue ainsi :
La Pucelle était de sainte vie. Elle se confessait bien souvent et rece-
vait Corpus Domini y et le faisait faire au roi notre seigneur, et à tous les
chefs de guerre, et à leurs gens.
CHAPITRE II
DÉLIVRANCE D'ORLÉANS.
SosiMAiRE : 1. — Préparation du ravitaillement d'Orléans. — Introduction sans obs-
tacle d'un double convoi par la Sologne et par laBeauce. — Prise de la bastille Saint-
Loup.
If. — Préparation religieuse à l'assaut contre la bastille desAugustins. — Conquête de
la bastille. —Le lendemain, conquête des Tourelles. — Les défenseurs : Glacidas;
noyade. — Longueur de l'assaut; émerveillement des guerriers après une con-
quête qui semblait impossible. — - Attitude de la Pucelle. Son courage malgré une
grave blessure. — Sommation à Talbot. — Départ des Anglais. — Processions à
La Rocbelle.
I
Après qu'elle eut écrit aux Anglais ces lettres closes, elle fit ses dispo-
sitions^ pour aller ravitailler la cité d'Orléans et s'y rendre en personne.
Étaient avec elle Mons»' de Rais, M. le bâtard d'Orléans, La Hire, et
plusieurs autres seigneurs et gens de guerre. Elle fit tant qu'elle y entra,
et y fit entrer, le mercredi huitième * jour de mai, l'an MCCCCXXIX,
grande quantité de vivres. Elle-même et lesdits seigneurs y entrèrent,
sans que les Anglais sortissent de leurs retranchements, et y missent
aucun empêchement.
Quand elle fut entrée dans la ville^, elle fît retourner les seigneurs à
Blois quérir le reste des vivres qui y avaient été laissés, et leur ordonna
de les mener hardiment par la Beauce et de n'avoir pas peur ; car ils ne
trouveraient personne qui se mît à leur traverse. Les seigneurs allèrent
à Blois, amenèrent ce qui restait des vivres par la Beauce, sans que les
Anglais se montrassent. Par ces vivres les bonnes gens d'Orléans furent
tout réconfortés; car ils en avaient bien nécessité.
Les vivres, ainsi entrés, la Pucelle, les seigneurs et les gens de guerre,
\ . Elle fit son ordonnance.
2. Date inexacte, ainsi que la plupart de celles qui suivent. Le 8 mai, c'était la levée
du siège d*Oriéans ; Jeanne y entra le vendredi 29 avril.
3. Le fait se passa avant qu'elle y entrât.
206 Là vraie JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
allèrent devant la bastide Saint-Loup, la prirent de force et par assaut ;
et il y mourut bien sept-vingts Anglais (140).
II
Item, — Le vendredi qui suivit, dixième jour (6) de mai, la Pucelle
prit ses dispositions* pour assaillir le boulevard du pont et le couvent*
des Augustins ; et de fait elle y alla avec les seigneurs de sa compagnie.
Après qu'ils eurent entendu la messe avec leurs gens, et se fussent con-
fessés sur Tordre de la Pucelle, elle fit crier et publier à son de trompe :
« A Tassant! » et ils s'emparèrent promptement du couvent des Au-
gustins.
Le lendemain ils prirent aussi, à la suite d'un bel assaut, le boulevard
du bout du pont, où il y avait bien de six à sept cents hommes d'armes,
ayant pour chef Glacidas, lieutenant du comte de Salisbury '. Ce Glacidas,
en se retirant dans une tour, tomba dans la Loire, et il en tomba bien
avec lui deux ou trois cents de sa compagnie, le pont par lequel ils
fuyaient étant venu à rompre : les autres furent tués, ou faits pri-
sonniers.
L'assaut dura bien cinq heures. Parmi nos gens il ne mourut qu'un
champion. Les seigneurs et tout le peuple furent bien émerveillés de
cette victoire; car le boulevard était si fort que Ton tenait que tout le
monde n'aurait pu le prendre sur les Anglais qui le défendaient, tant
qu'ils auraient eu des vivres, à moins cependant que ce ne fût par grâce
et puissance divine.
A cet assaut la Pucelle était armée tout à blanc*, son étendard dans
une main, son épée dans Tautre. Elle y fut blessée d'un trait dans la poi-
trine, mais elle n'en partit pas pour cela, et n'en fit compte, encore que
ceux qui en furent les témoins et la virent oter le trait, aient dit qu'elle
saigna grandement et qu'elle était bien blessée.
Ce nonobstant, elle manda au comte de Talbot, qui tenait la bas-
tide du côté de la Beauce, de s'en aller de par Dieu, et qu'en tout cas^
elle ne le trouvât pas le lundi matin suivant, sans quoi il lui en prendrait
mat. Talbot quitta ladite bastide le dimanche matin, et s'en alla en
d'autres forteresses anglaises qui étaient autour d'Orléans. Les Anglais
i . Fit son ordonnance.
2. Le dit hosteL
3. 11 faudrait plutôt dire successeur dans le commandement.
4. Armé à blanc^ en blanc, se disait d'un guerrier qui n'avait sur ses armes aucune
espèce d'ornement, peinture, armoirie. (L\cl'rne.)
5. Et comment qu'il fust.
LE GREFFIER DE LA ROCHELLE. 207
laissèrent leurs bombardes, canons, artillerie et autres machines de
guerre, et une grande provision de vivres ; tout fut amené à Orléans.
A Tannonce de ces nouvelles. Ton Qt à La Rochelle, deux fois dans la
semaine, de générales et dévotes processions.
CHAPITRE III
Campagne de la loire.
Sommaire : I. — Le greffier affirme à tort que le roi se rendit à Orléans avec la
Pucelle. — Siège de Jargeau. — SufTolk ne veut se rendre qu'à la Pucelle. — Nombre
des défenseurs de Jargeau, d'après Suffolk. — Reddition de Baugency. — Les
conditions.
II. — Victoire de Patay, les morts et les prisonniers. — Le nombre des combattants de
Tannée française, d'après une lettre du roi. — Détails intéressants sur la manière
dont on rendit grâces à Dieu à La Rochelle.
I
Iteni. — Après ces événements, la Pucelle s'en alla vers le roi pour le
prendre et Tamener à Orléans. Elle demeura quelques jours avec lui, et
quittant de nouveau Orléans *, elle ella mettre le siège devant Jargeau,
où étaient le comte de Suffolk, le comte de la Poule, et d'autres seigneurs
anglais, à grande puissance.
Aussitôt que la Pucelle fut devant Jargeau, le comte de Suffolk en
sortit pour aller vers Mons^ le bâtard d'Orléans lui demander que l'on
ne donnât pas l'assaut à la ville, et qu'il la rendrait ^ ; mais, ce nonob-
stant, la place fut assaillie par l'un des côtés sur l'ordre de la Pucelle, et
fui promptement prise d'assaut le vendredi x* jour de juin {le
immche 12) de l'an MCCCCXXIX.
Quant le comte de Suffolk vit que la ville était prise, et que Mons'
d'Alençon qui y était ', et d'autres seigneurs voulaient le faire prisonnier,
"dit qu'il ne se rendrait pas à eux, dût-il être mort; et il cria à haute
^Oix : « Je me rends à la Pucelle qui est la plus vaillante femme du monde,
^*îui doit tous nous subjuguer et mettre à confusion ». Et, de fait, il vint
■ ^ Pucelle et se rendit à elle ; et ledit comte de la Poule fut remis
PJ'isonnier à mondit seigneur d'Alençon.
* • Le chroniqueur a Tair d'indiquer que le roi vint à Orléans, ce qui est une erreur.
^- Celait un piège. Il attendait du secours.
^* 11 avait le titre de généralissime, et à ce titre le comte de Suffolk fut remis entre
^<^* ïïïains.
208 LA VRAIE JEANNE D*ARG : LA LIBÉRATRICE.
A ladite prise mourut messire Alexandre de la Poule, et bien de cinq
à six cents Anglais, et les autres furent faits prisonniers. Le comte de
Suffolk, après qu'il se fut ainsi rendu, attesta et affirma par serment qu'il
y avait dans Jargeau cinq cents chevaliers, écuyers et autres gens
d'armes des meilleurs de toute l'Angleterre, et deux cents archers d'élite
aussi, des meilleurs d'Angleterre.
Gela fait, la Pucelle et les seigneurs susnommés allèrent mettre le si^c
devant Baugency où se trouvaient de quatre à cinq cents Anglais, qui
remirent bientôt la place en la main du roi, et en sortirent^ à la condition
de ne pas s'armer contre le roi jusqu'à un certain temps.
II
Aussitôt après que ladite reddition fut faite, ce qui fut le xvui« jour
de juin, Talbot, Fastre {Fastolf)^ Hongrefort, Remston de Galles, d'autres
capitaines et plusieurs Anglais qui étaient nouvellement arrivés sur la
Loire, jusques au nombre d'environ trois cents combattants [trois mille
et plus)^ quittèrent la place, et dans leur fuite furent poursuivis par nos
gens, si bien que prisonniers ou morts il en resta sur place plus de deux
mille six cents. Il n'échappa aucun des chefs anglais que tous ne fussent
pris.
Nos gens étaient bien seize mille combattants et plus, ainsi que sur ces
choses * le roi notredit seigneur l'écrivit à Mons' le maire et à Mess" de
La Rochelle, gens d'église et autres.
Ces lettres reçues, M. le maire s'en alla incontinent en l'église Saint-
Barthélémy [Saint- Ber tomme) de cette ville, où se rendirent le plus
grand nombre de messieurs les bourgeois. Là il fut ordonné de faire
promptement sonner les services par toutes les églises de la ville, que
chacun s'assemblât en l'église de sa paroisse pour y remercier Notre Sei-
gneur des nouvelles reçues, en chantant le Te Deum laudamus, et par
d'autres prières et oraisons ; que ce même jour au soir feux nouveaux
fussent faits par les carefours de la ville, et qu'il y eût le lendemain géné-
rale et dévote procession en l'église Notre-Dame de Losne. Il fut fait
ainsi qu'il avait été ordonné; et aux petits enfants il fut donné à chacun
une fouace % pour que devant ladite procession, ils criassent à haute
[pleine) voix : NotH! Noël!
1. S'emparent dHcellCj probablement pour s'en partirent.
2. Ainsi que ces choses le roy nostredit S"" écrivit.
3. Fouace, galette faite de fleur de farine cuite sous la cendre. (Lacurne.)
210 LA VRAIE JEANNE D*ARG : LA LIBÉRATRICE.
sa seigneurie, et qu'il était d'avis et leur conseillait de lui ouvrir et de
lui faire obéissance, ainsi que raison était et qu'ils y étaient tenus.
A quoi le bailli et ceux de la garnison opposèrent grande contradiction ;
mais néanmoins tous ceux de la ville étaient d'accord avec leur évèque.
Pendant que Tévêque traitait avec le bailli et avec ceux de la garnison,
un saint prud'homme, Cordelier, en qui tous ceux de la ville et du pays
avaient grande foi et confiance, sortit de la ville pour aller voir la Pucelle.
Sitôt qu'il la vit, et d'assez loin, il s'agenouilla devant elle; et quand la
Pucelle le vit, elle s'agenouilla pareillement devant lui; ils se firent l'un
à l'autre grand accueil et grande révérence, et parlèrent longtemps
ensemble.
Quand ils se furent séparés, le Cordelier rentra dans la ville et prêcha
très grandement au peuple, en le pressant de faire son devoir envers le
roi, lui remontrant comment Dieu dirigeait son fait*, et lui avait baillé
pour l'accompagner et le conduire à son sacre une sainte Pucelle, qui,
comme il le croyait fermement, savait autant, et avait aussi grande
puissance de savoir les secrets de Dieu que saint qui fût en paradis,
w
après saint Jean l'Evangéliste; que, si elle voulait, elle avait assez de
puissance pour faire entrer tous les gens d'armes du roi en la ville par-
dessus les murs, en quelque manière qu'elle voudrait, et plusieurs autres
choses. Incontinent tous crièrent à vive voix : « Vive le roi Charles de
France! »
Quelques-uns de ceux de la ville vinrent vers le roi lui faire obéissance
pour toute la cité et lui crier merci [pardo7i)^ le suppliant de vouloir bien
avoir la ville pour recommandée, de sorte qu'elle ne fût point pillée
ni ravagée ^, excusant les habitants par ce qui a été dit, l'assurant que
toutes les fois qu'il lui plairait, il entrerait chez eux à telle puissance
qu'il voudrait.
Le roi fut content de ces offres; il ordonna que tous ceux qui compo-
saient la garnison qui voudraient s'en aller s'en allassent, et que ceux
qui voudraient demeurer demeurassent. Il leur pardonnait. Quelques-uns
s'en allèrent ; la plupart restèrent, et le roi, pour éviter tout dommage
et tout pillage, défendit que nul n'entrât dans la viHe sans congé. Le
dimanche, le lendemain, le roi y entra à toute puissance, et fit crier, sous
peine de la hart, que personne ne fût si hardi que d'entrer dans les maisons
et de rien prendre contre le gré et la volonté des possesseurs; puis il s'en
retourna sous sa tente où il passa toute la journée. Ceux de la ville envoyè-
rent vers lui grands présents en vivres et autres choses.
1. « Advisait son fait ».
2. Ny destruitle; destruit dans le langage du temps aie sens de u ravager », encore
plus que celui de « anéantir ».
LE GREFFIER DE LA ROCHELLE. 211
Le lendemain lundi, qui fut le xi® du mois, le roi alla ouïr la messe
en ville, et là ceux de Reims, de Châlons * et d'autres bonnes villes,
vinrent lui promettre obéissance. Ceux de Reims disaient que depuis
longtemps * ils attendaient sa venue à grande joie.
Incontinent après la messe le roi partit pour Châlons, sans boire ni
manger. Quand le roi fut passé avec tous ses gens, ceux de la ville qui
étaient sur les murailles virent une grande compagnie de gens d'armes,
— ils étaient bien de cinq à six mille, — tous casque en tête ^ ayant
chacun une lance devant, un fanon blanc en leur main, qui suivaient le
roi, comme à la distance d'un trait d'arc ; ils les avaient vus pareille-
ment à l'arrivée devant la cité. Sitôt que le roi eût disparu*, ils ne surent
ce qu'ils devinrent.
II
Le xvii' jour du môme mois de juillet, le roi fut sacré et couronné
en la ville de Reims; et c'était fort belle chose de voir le mystère; car il
fut aussi solennel, et l'on trouva toutes choses, comme habits royaux, et
tous autres objets à lui nécessaires, aussi bien appointés pour l'accom-
plir, que si le roi l'eût mandé un an d'avant. Il y eut tant de gens que
c'était chose infinie, et [infinie aussi) la grande joie que chacun en avait.
MM. le duc d'Alençon, le comte de Clermont, le comte de Ven-
dôme, les frères de Laval, de La Trémoille et de Gaucourt, y furent en
habit royal \ Mgr d'Alençon fît habiller le roi. Losdits seigneurs
représentèrent les pairs de France. Mgr d'Albret tint Fépée devant
le roi durant ledit mystère. Les pairs de l'Eglise y étaient avec leurs
mitres et leurs croix; Messieurs les évoques de Reims et de Châlons
qui sont pairs ; et au lieu des autres, les évoques de Sens {de Séez) et
d'Orléans et deux autres prélats.
Pour aller quérir la sainte ampoule en l'abbaye de Saint-Rémy, pour
l'apporter à la grande église de Notre-Dame, où fut fait le sacre, furent
ordonnés le maréchal de Boussac, les seigneurs de Rais, Gra ville et La Ilire
avec leur quatre bannières, que chacun portait en sa main. Tous quatre
étaient armés de toutes pièces, à cheval, bien accompagnés, pour conduire
Tahbé dudit lieu qui apportait ladite ampoule. Ils entrèrent à cheval en
1. C'est contraire au récit de Rogier, que l'on verra plus loin, au moins pour Reims.
2. Que pié ça, « depuis longtemps ». (Laclrne.)
3. Tous armés en chef.
4. Sitost que le roi fut bougé. « Sortir d^un lieu » est une des acceptions de ce mot.
(L%CUR?iE.)
5. Qui convient au roi, « somptueux » ; ainsi il est dit : « Les habits des capitouls de
Toulouse sont appelés habits royaux » . (Lacurne.)
212 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
ladite grande église et desOBiidirent à l'entrée du chœur, et après le sacre
ils la reconduisirent en même état à Tabbaye.
Le sacre dura depuis neuf heures jusques à deux heures après mi-jour;
et à rheure que le roi fut sacré, et aussi quand on lui assit la couronne
sur la tète, tout homme criait « Noël! », et trompettes sonnaient en telle
manière qu'il semblait que les voûtes de l'église dussent fendre.
Durant le mystère, la Pucelle se tint toujours joignant le roi, tenant
son étendard à la main ; c'était fort belle chose de voir les manières que
tenait le roi, et aussi la Pucelle.
Ce jour, les frères de Laval furent faits comtes parle roi, et le seigneur
de Rais fut fait maréchal ; le roi fit aussi plusieurs chevaliers, les seigneurs
en firent pareillement, tant qu'il en eut bien trois cents nouveaux.
Le duc de Bourgogne, qui après avoir été à Paris, était venu à Laon,
envoya, le même xvii' jour de juillet, en ce même lieu de Reims, une
ambassade pour traiter son appointement {sa réconciliation); mais cette
ambassade n'était que dissimulation et dans la pensée d'amuser le roi,
qui était disposé d'aller tout droit à Paris.
CHAPITRE V
CAMPAGNE APRÈS LE SACRE.
Sommaire : I. — Le roi devant Paris. — Escarmouches, attaques; blessure de la Pucelle.
— Uelraite. — Matériel de guerre des Parisiens, et miraculeuse préservation des
assiégeants. — Terreur à l'intérieur de la ville. — Le roi se retire faute de vivres:
dispositions préalables. — Prise et reprise de Chûteau-Gaillard.
H. — Martyre de la Pucelle.
I
Après que le roi fut ainsi couronné, lui, la Pucelle et son armée s'en
vinrent devant la ville de Paris, et le long du chemin, plusieurs châteaux
et forteresses se rendirent au roi. Le roi et son armée demeurèrent
devant la ville de Paris durant quelques jours, pendant lesquels la
Pucelle et grand nombre de nos gens entrent et passent en ladite ville et
y donnent de grands assauts * [sic] ; mais ils se retirèrent à cause de la
I . II n'est pas possible que le Greffier ait voulu dire que les assiégeants sont entrés
dans Paris. 11 faut vraisemblablement sous-entendre les faubourgs, les environs de
Paris. Le mot rti/ies, qui vient un peu plus bas, doit, ce semble, être pris dans le sens
de fossés. On voit au reste que le greffier rochelois connaissait mal cette partie de
l'histoire de la Libératrice.
LE GREFFIER DE LA ROCHELLE. 213
nuit, lorsque la Pucelle qui était es dites ruhes [dans les fossés) fut
blessée à la jambe; elle fut promptement guérie.
Il est vrai que c'était très merveilleuse chose que le grand nombre de
canons et de coulevrines que ceux de Paris tiraient contre nos gens :
mais jamais homme n'en fut ni blessé ni tué, du moins qu'on ait pu le
savoir, si ce n'est Jean de Villeneuve, bourgeois de La Rochelle, qui fut
tué d'un coup de canon. Il advint que plusieurs de nos gens furent frappés
desdits canons, mais sans en recevoir aucun mal. Ils ramassaient les
pierres qui les avaient atteints, et les montraient à ceux qui étaient sur
les murailles.
Les bourgeois de Paris, pas plus que les Anglais et les Bourguignons
qui étaient avec eux, ne furent pas si hardis que de tenter une sortie
contre nos gens. Tant que le roi notre seigneur fut devant Paris, les
habitants avaient si grande peur que lorsque la Pucelle et nos gens
donnèrent l'assaut, ils s'enfuyaient dans les églises, pensant que la ville
était prise. C'est ce que plusieurs religieux, et d'autres qui se trouvaient
alors à Paris, rapportèrent au roi notre seigneur.
Le roi, par manque de vivres, s'en retourna les renouveler sur la rivière
de Loire, laissant le plus grand nombre de ses gens en garnison dans
les villes, les châteaux et places qu'il avait pris, pour continuer la guerre
et opposer* leurs fortifications à ceux de Paris.
Item. — Bientôt après, La Hire et ses gens prirent par escalade le
château de Gaillard, château très fort dans lequel Mgr de Barbazan
était prisonnier. Il fut délivré et s'en vint devers le roi. Mais, quelque
temps après, les Anglais vinrent assiéger le dit château, et parce qu*il
n'y avait pas de vivres, le château se remit en Tobéissance du roi (des
Anglais).
II
Les lignes suivantes ont été probablement ajoutées:
Item. — Les Bourguignons et les Anglais mirent le siège devant
Compiègne où était la Pucelle. Dans une sortie qu'elle fit, elle fut prise
et remise prisonnière à Mgr Jean de Luxembourg qui la bailla aux
Anglais. Ceux-ci, après l'avoir ténue quelque temps en prison, la firent
brûler à Rouen en Normandie sur faux témoignages et fausses accusations.
1. Pour tenir bastides à ceux de ladite ville de Paris.
LA CHRONIQUE DE TOURNAY
KEMARQUES CRITIQUES.
Tournay, la première capitale de Clovis, fut durant de longs siècles une
ville des plus fidèles au sentiment français. Elle Tétait en particulier
au temps de Jeanne d'Arc. La Libératrice écrivit plusieurs fois à Tournay,
et, durant sa prison, — on le verra ailleurs, — elle fit appel à la générosité
de ses habitants, et les pria, non vainement, de venir en aide à sa détresse.
Les habitants avaient d'autant plus de mérite de rester fidèles à la
cause française que leur évêque, Jean de Thoisy, était un des tenants
les plus décidés de la cause bourguignonne, et résidait auprès du duc
Philippe, en qualité de chancelier.
Tout ce qui concernait le parti français était Tobjet d'un intérêt à
part dans une ville qui consentait à s'isoler de toutes les autres, pour
s'attacher à un prince avec lequel elle ne pouvait correspondre quà
travers cent lieues de pays ennemi. L'attachement au roi de France
grandissait de tous les sacrifices faits par la population pour acheter
du duc de Bourgogne une paix payée fort cher et troublée par ses
partisans.
Tournay avait son chroniqueur officiel. Cela résulte de la résolution
suivante prise le 7 janvier 1399, et ainsi rapportée par M. Vandenbroeck:
« Les chefs des consaux sont chargés d'aviser comment les chroniques
de la ville seront mises et escriptes en autres fourmes qu'elles ne sont,
par Frère Mathieu du Val, en lui faisant satisfaction raisonnable^ ». Le
Frère du Val a-t-il repris les Chroniques à partir de la guerre des Flandres
en 1204, et les a-t-il conduites jusques en 1453? Il aurait dû tenir long-
temps la plume, car c'est la durée de la Chronique dont un extrait va
être donné. Le manuscrit se trouve à la Bibliothèque royale de Bruxelles,
nM9 684.
Il fut imprimé dans le troisième volume des Chroniques de Flandres^
par le chanoine de Smet, pénitencier de la cathédrale de Saint-Bavon
à Gand, sous la direction de la Commission royale de THistoire de
Belgique.
Les Chroniques belges publiées par cette Société comprennent près de
1. Extrait analytique des registres des consaux de Tournay, t. I, p 48.
U CHRONIQUE DE TOURNAY. 215
cent volumes, in-quarto, fort épais. Le chanoine de Smet éditait celle
de Tournay en 1856. Les pages qui ont trait à notre héroïne ont été
assez peu connues en France, ainsi que les autres Chroniques du vaste
recueil, quel'on verra plus loin.
Quicherat, à l'affût de tout ce qui regarde Jeanne d'Arc, n'en parla, à
ma connaissance, qu'en 1882 dans la Revue historique. L'éditeur du
Double Procès trouve que les pages de la Chronique de Tournay sont
d'une remarquable exactitude^ jugement que l'éditeur belge étend à tout
le règne de Philippe le Bon. Elles renferment cependant une grosse erreur,
comme on le verra, sur le lieu d'origine de la Pucelle, et sur sa condition
de servante.
Il y a disproportion dans Thistoire de l'héroïne. Convenablement
étendue jusqu'à la délivrance d'Orléans, elle court ensuite sur tout le
reste. On trouve dans la première partie le jugement porté, par les
examinateurs de Jeanne, mieux exposé que dans les résumés que
l'on en donne ailleurs, ainsi que la lettre aux Anglais, avec quelques
variantes; ce qui prouve la large diffusion de ces deux pièces, qui pro-
mulgaient les lettres de créance de renvoyée du Ciel et l'objet de sa
mission. Le jour du départ de Blois, l'étendue du convoi, la déception
de la Pucelle sur la rive gauche de la Loire, la réception que lui fit le
roi après la retraite des Anglais, y sont exposés avec certains détails
omis dans toutes, ou presque toutes les autres Chroniques. La partie plus
brève renferme des assertions de toute gravité, telles que la facilité
avec laquelle Charles VII, en obéissant à la Puceïle, aurait pu conquérir
tout son royaume, la résolution avec laquelle après le sacre Jeanne se
porta sur Paris, la trahison qui fit échouer son attaque, l'amertume de
son âme en voyant sa mission entravée par ceux qui devaient en bénéficier.
La Chronique se termine par une accusation dont la gravité surpasse
toutes les autres, puisque, d'après elle, certains seigneurs de la cour de
Charles VII auraient été d'accord avec les Anglais pour faire mourir
l'envoyée du Ciel.
On trouvera aux Pièces justificatives [B] le texte même de la Chro-
nique de Tournay.
216 LA VRAIE JEANNE D*ARC : LA LIBÉRATRICE.
CHAPITRE PREMIER
LA PUCELLE JUSQU'AU DÉPART POUR ORLÉANS.
Sommaire : 1. — Conquêtes des Anglais en France et impuissance des Français à les
arrêter. —Instant recours du roi au Ciel. — Les Anglais devant Orléans. — Ils
veulent réduire par la famine la ville qu'ils ne peuvent emporter de vive force. —
Circonvallation et contrevallation. — Les Orléanais réduits à Textrémité. — Leurs
supplications au Ciel.
II. — Faiblesse de Tinstrument choisi par Dieu pour mettre fin à tant de maux« et les
raisons de pareil choix. — Erreurs du chroniqueur sur le lieu de naissance de la
Pucelle et sa première condition. — Les déclarations de la Pucelle au roi. —Incré-
dulité de celui-ci. — Il s'entoure de conseils. — Réponse à la consultation et conduite
à tenir. — Les motifs. — L'examen le plus attentif ne découvre que bien dans la Pucelle.
— Des prodiges ont signalé sa naissance et sa vie. — Le roi se prépare à la mettre à
l'œuvre.
III. — La lettre de la Pucelle aux Anglais.
I
En cette annde mil quatre cent vingt-huit, les Anglais étaient avec de
grandes forces au pays de Gascogne, faisant la guerre à tous les pays
d'alentour. Ils la faisaient spécialement devant Blois et Orléans, où
plusieurs villes et forteresses tenaient le parti du roi de France. Le
roi se tenait pour lors à Chinon, avec une belle compagnie d'hommes
d*armes, pour défendre son pays et résister aux Anglais, ses adversaires.
Etaient en sa compagnie le maréchal de Boussac, Mgr de Gaucourt,
Mgr de Rais, La Hire, et plusieurs autres gentilshommes, etgrand nombre
d'hommes d'armes soudoyés, défendant le pays contre lesdits Anglais.
Mais quelque résistance qu'ils fissent ou pussent faire, leurs adversaires
prévalaient et conquéraient toujours du pays; ce qui était une grande
douleur pour le roi. Rien ne pouvait l'aider, parce que Theure n'était
pas venue où Dieu voulait le mettre hors d'opprobre et de misère. Il
faut présumer et croire que quelques péchés des princes, ou des peuples,
relardaient le secours de Dieu, le roi requérant toujours ce secours et
cette aide, mandant souvent aux collèges des églises cathédrales de
son royaume de faire des processions, d'exhorter le peuple à s'amender,
de prier pour lui et son royaume, considérant et ramenant en sa mémoire
que maux de guerre, mortalité et famine, sont les verges avec lesquelles
Dieu punit les énormités du peuple, ou des princes.
Les Anglais donc, s'efTorçanl de réduire tout le pays à leur obéissance,
LA CHRONIQUE DE TOURNAY. 217
formèrent une grande armée, et vinrent assiéger la ville et cité d'Orléans.
Ils furent longtemps devant ses murs, faisant beaucoup de maux aux
pays d'alentour, en même temps qu'ils livraient plusieurs et assauts à la
ville, avec leurs canons, veuglaires, serpentines, et autres instruments de
guerre ; mais ceux de la ville se défendaient si puissamment et vaillam-
ment qu'ils n'y gagnaient rien, sinon la perte de leurs gens. Voyant
qu'ils ne pouvaient pas se rendre maîtres de la ville par assaut, et qu'ils
éprouvaient de grandes pertes, ils se ravisèrent, et résolurent de la
prendre par famine.
Pour ce faire, ils creusèrent des tranchées, élevèrent des bastilles
afin d'enclore la ville, et de s'enclore eux-mêmes contre les courses de
leurs ennemis. Ils ne laissèrent passer ni par terre, ni par eau, nulle
marchandise, nuls vivres, dont les assiégés pussent se sustenter- ou
s'aider. Ceux-ci, se voyant en si pressant danger et conservant peu
d'espérance d'être secourus par autre que par Dieu, se retournèrent vers
lui, le requérant, par sa bonté et sa miséricorde, qu'il lui plût de leur
être propice, dans la mesure où il voyait que le demandait leur nécessité.
Souvent, durant toute la durée dudit siège, ils faisaient des processions
et de dévotes prières, sollicitant l'aide de la miséricorde de Dieu.
II
Quand il plut à Dieu d'ouïr les prières, tant du roi de France que de
<îeux d'Orléans et des autres ville du royaume, lorsque sa volonté fut
"® les aider et secourir, et de les tirer de l'opprobre où ils étaient plongés,
^ ^'excita pas et n'enhardit pas le courage des hommes robustes et
^^ercés à la guerre, à faire tomber des épaules le fardeau et le poids de
^t de calamités et de misères; il ne voulait pas qu'ils pussent penser
^^ d'eux venait la victoire. Voulant leur montrer que toute force vient
^® lui, qu'il fait merveilleusement et miraculeusement toutes ses œuvres,
" ^nima et enhardit un faible corps de femme, qui toute sa vie avait
^^cxi en pureté et chasteté, sans que jamais on eût pu lui reprocher
*^cnn mal, ou l'en soupçonner. Cette femme se nommait Jeanne. Elle
^*^it de Lorraine, d'une petite ville dite Mareuille, sise entre la cité de
*^t2 et le Pont-à-Mousson, distante de deux lieues de ladite cité, et
TOÎs dudit Pont *. Cette Jeanne avait longtemps demeuré et servi en
^^^ métairie de ce lieu.
^« C'est la plus grosse erreur d'une Chronique d'ailleurs bonne. L'auteur se trompe
wssi s'il veut dire que Jeanne avait été en service chez des étrangers. Elle n'avait
**^i que son père.
\
218 LA VRAIE JEANNE D^ARG : LA LIBÉRATRICE.
Quand il plut à Dieu d'intervenir pour réconforter le royaume de
France, ladite Jeanne, vers Tentrée du carême de l'an dessus dit (v. st.),
comparut devant le roi alors à Ghinon, en habit d'écuyer. Elle déclara
être vierge, envoyée par Dieu pour mettre sous les pieds et expulser par
les armes les Anglais, s'ils ne voulaient pas volontairement sortir du
royaume, et dans peu de temps le mener sacrer et couronner à Reims,
malgré tous ses haineux et mortels ennemis.
Le roi, entendant les paroles et les promesses d'une jeune fille qui
n'avait pas les habits de son sexe, les tint pour vaines et sans portée, et
n'y ajouta pas foi. Jeanne maintint ses paroles, observant que Taide de
Dieu dont elle était l'envoyée ne doit pas être refusée, mais joyeusement
acceptée. Le roi alors, en prince sage et prudent, qui espérait toujours
quelque secours de la grâce de Dieu, se remémorant qu'anciennement
des femmes, telles que Judith et d'autres, avaient fait des merveilles,
assembla son conseil et d'autres clercs, afin que la chose étant discutée
et débattue dans de bonnes et mûres délibérations, il pût savoir si l'on
pouvait conjecturer et avoir quelque espérance que l'aide de Dieu arrivait
par cette femme. Les clercs et le conseil discutèrent la matière par
plusieurs et diverses journées ; et considérant, sachant que les œuvres
de Dieu surpassent notre science, que plusieurs fois il avait envoyé aux
siens de merveilleux et miraculeux secours, tirèrent leurs conclusions,
et répondirent au roi, en cette manière :
« Très cher Sire, la matière qu'il vous a plu de nous déclarer et de
soumettre à nos délibérations, passe l'entendement humain; il n'est
personne qui puisse en juger et en décider, car les œuvres de Tunique
et souverain Seigneur se diversifient et sont insondables ; mais attendu
la nécessité de votre très digne et excellente personne, et aussi la nécessité
de votre royaume ; considéré les prières continues de votre peuple
espérant en Dieu, et les prières de tous les autres amants de la paix
et de la justice, répétant que l'on ne sait la volonté du Seigneur, il nous
semble être bon que vous ne rejetiez pas et ne dédaigniez pas la Pucelle,
qui se dit envoyée de Dieu pour vous aider et vous secourir, encore que
ses promesses dépassent œuvre humaine *. Mais point ne dirons,
ni n'entendons .que vous croyiez légèrement en elle ; car le diable
est subtil, habile à décevoir, et tendant à tirer tout à lui. C'est
1. Nonobstant que ses œuvres soient sups (super) œuvres humaines. Ce sens, d'accord
avec le texte de Thomassin, corrige le texte qui, d'après Quicherat, a été donné aux
pages 14 et 685 de la Pucelle devant VÉglise de son temps. Le chroniqueur de Tournay
avait sous les yeux une copie du résumé de la sentence de Poitiers, répandue au loin
par Charles VU et sa cour. La Libératrice n'était pas seulement en règle avec l'auto-
rité ecclésiastique ; Tautorisation était promulguée au loin quand elle entrait en
scène.
LA CnaONIQUE DE TOURNAY. 219
pourquoi il est juste et raisonnable que, selon la Sainte Écriture, vous
la fassiez éprouver en deux manières, à savoir : par prudence humaine,
vous enquérant de sa vie, de ses mœurs et de son intention, ainsi que le
dit saint Paul: Probate spiritus si ex Deo sunt; et par dévotes oraisons,
en demandant le signe de quelque œuvre ou manifestation divine, par
laquelle on puisse juger qu'elle est venue de par Dieu. C'est ce qui fut
dit au roi Achaz, quand Dieu, lui promettant la victoire, lui ordonna de
demander un signe: Pete tibi signum à Domino Deo tuo. Semblablement
fit Gédéon qui demanda un signe ; semblablement firent plusieurs autres. »
Le roi, d'après son conseil, observa ces deux manières vis-à-vis de la
Pucelle, à savoir : probation par prudence humaine, et inquisition de
signe par oraison.
Pour la première, il fit rester la Pucelle avec lui dans sa cour pendant
plus de six semaines, il la fit communiquer avec toutes gens, et examiner
subtilement par les seigneurs d'Église et d'autres clercs ; elle vécut tou-
jours en la compagnie de personnes de dévotion, dames, demoiselles,
veuves et pucellcs; et quelquefois fut en la présence du roi, en compa-
gnie d'hommes d'armes et d'autres. Mais en quelque manière que ce fût,
en particulier et en public, on ne vit et on n'observa rien en elle, si ce n'est
du bien : humilité, patience, virginité, dévotion et honnête simplicité.
Sur sa i«aissance et sur sa vie, plusieurs choses merveilleuses furent
apprises être conformes a la vérité.
Quant à la seconde manière d'inquisition, ou d'obtention de signe par
oraison, la Pucelle, interrogée sur ce point, répondit qu'elle le montrerait
devant Orléans et non ailleurs ; car cela lui était ainsi ordonné par Dieu.
Le roi, après avoir fait, autant que cela lui était possible, ladite pro-
bation de la Pucelle, considérant qu'elle lui avait promis de montrer
un signe de sa mission, voyant sa requête constante, persévérante, ins-
tante, d'aller à Orléans pour y démontrer un signe du divin secours, ne
voulut plus empêcher ce voyage. Mettant son espérance en Dieu, il
assembla ses gens d'armes, épars dans le pays, les fit apprêter pour con-
duire la Pucelle à Orléans, sans vouloir se montrer répugner au Saint-
Esprit, ou ingrat envers la bonté et miséricorde de Dieu et indigne
d'en être secouru, selon qu'il avait été exposé en la délibération de son
conseil.
III
La Pucelle, voyant les préparatifs qui se faisaient pour le secours
d'Orléans, fit, avec la permission du roi, écrire une lettre aux capitaines
Anglais qui y tenaient le siège, en la teneur qui suit :
/
/
I
220 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
« Jhesus, Maria! toi, roi d'Angleterre, et toi, duc deBedford, qui te dis
régent de France, vous, Guillaume de la Poule, comte de Suffolk, Jean,
sire de Talbot, et Thomas, sire de Scales, qui te dis lieutenant du duc de
Bcdford, faites raison au roi du Ciel, de son sang royal; rendez à la
Pucelle envoyée de Dieu le roi du Ciel, les clés de toutes les bonnes villes
que vous avez prises et violées en France ; car elle est venue ici de par
Dieu réclamer tout le sang et droit royal; elle est prête de faire paix, si
raison voulez lui faire, en partant de France, et en payant le roi de ce
que vous Tavez tenue.
« Et vous, archers et compagnons de guerre, nobles et autres qui êtes
devant la ville d'Orléans, partez de par Dieu, et allez-vous-en votre pays;
et si ainsi ne le faites, attendez les nouvelles de la Pucelle, qui bientôt
vous visitera à votre grand dommage.
« Et toi, roi d'Angleterre, fais ce que je viens de t'écrire. Si tu ne le
fais, je suis chef de guerre ayant puissance et commission de Dieu de
chasser et de poursuivre par force tes gens, partout où je les atteindrai
ès-parties de France. S'ils veulent obéir, je les aurai à merci ; sinon, je les
ferai mettre à mort.
« Je suis venue de par Dieu le roi du Ciel pour vous expulser du
France, ainsi que tous ceux qui voudraient faire trahison, malengin^ ou
dommage, au royaume Très-Chrétien.
« N'allez pas croire que vous tiendrez ledit royaume, de Dieu, le roi
du Ciel, le fils delà Vierge Marie ; car Charles, qui en est le vrai héritier,
le tiendra, que vous le vouliez, ou non ; c'est la volonté du roi du Ciel
et de la terre. Cela lui est révélé par moi qui suis pucelle ; et qu'il entrera
à Paris, en bonne compagnie.
« Si vous ne voulez croire les nouvelles de Dieu et de la Pucelle,
quel que soit le lieu où nous vous trouverons, nous vous percerons du
fer à coups redoublés, et ferons un tel carnage que, passé mille ans, il
n'en fût pas de si grand en France.
« Faites donc raison, et croyez la Pucelle. Que si vous ne le faites, le
roi du Ciel lui enverra et lui donnera, à elle et à ses bonnes gens d'ai*mes,
plus de force que vous ne pourrez lui livrer d'assauts ; et aux horions,
Ton verra qui a le meilleur droit aux yeux du Dieu du Ciel.
« Toi, donc, roi d'Angleterre, et toi, duc de Bedford, la Pucelle vous
prie que vous sortiez du pays; car elle ne veut pas vous détruire, si vous
lui faites raison; mais si vous ne la croyez pas, tel coup pourra venir que
les Français en sa compagnie feront le plus beau fait qui jamais fut vu
en Chrétienté.
« Envoyez réponse, si vous voulez faire la paix, et partir d'Orléans. Si
vous ne le faites, attendez-moi pour votre grand dommage et dans peu.
LA CHRONIQUE DE TOURNAY. 221
« Ecrit le mardi de cette semaine sainte, et le pénultième de mars
mil nu* XXVIU (v. st.) *. »
CHAPITRE II
DÉLIVRANCE D'ORLÉANS.
SoMMAiBE : I. — Altente à Blois et départ. — L'étendard de la Pucelle. — L'escorle, le
convoi. — Jeanne trompée sur la route à suivre, son mécontentement. — Ordre
de retourner à Blois et de revenir par la Beauce. — Retour ; second convoi introduit
sans obstacle malgré les Anglais rassemblés.
11. — Attaque de Saint-Loup. — Dispositions prises par la Pucelle. — La victoire, le
butin.
IlL — Attaque du côté de la Sologne. — Retraite simulée. — Retour. — Prise d'une
bastille. — Trois bastilles évacuées par les Anglais.
IV. — Préparatifs de nuit pour assaillir les Tourelles. — Combien elles sont fortes. —
(Combat d'un jour entier. — Blessure de la Pucelle. — Son traitement. — Sa prière.
— Assaut victorieux. — Les Anglais tués et noyés, butin. — Rentrée à Orléans. —
Les pertes des Français. — Double prodige.
V. — Fuite des Anglais. — Leurs derrières inquiétés. — La Pucelle fait cesser la
poursuite. — Butin.
I
Ces choses ainsi faites, l'armée de France assemblée, les préparatifs
achevés, la Pucelle partit de Chinon [de Tours)^ se dirigeant vers Orléans,
le jeudi xxi avril mil IIIl^ XXIX. Elle alla à Blois, où elle attendit jus-
qu'au jeudi suivant les vivres et les renforts, qui devaient être introduits
dans Orléans. Elle partit donc de Blois, ayant son étendard de satin blanc,
où était représenté Jésus-Christ assis sur les nues, montrant ses plaies,
ayant à chacun des côtés un ange tenant une fleur de lis.
Etaient en sa compagnie, M. le maréchal de Boussac, M. de Gaucourt,
M. de Rais, La Hire, et plusieurs autres grands seigneurs ; le nombre
des combattants, tant à pied qu'à cheval, s'élevait à environ trois mille.
Ils menaient par le côté de la Sologne soixante chariots pleins de toute
sorte de vivres, et quatre cent trente-cinq botes de somme chargées.
Le lendemain ils arrivèrent à Orléans, près de la rivière, où ceux de la
ville vinrent les chercher en bateau, malgré les Anglais qui n'osèrent
pas sortir de leurs tranchées et de leurs bastilles, ni opposer quelque
empêchement.
I . Le mardi de la semaine sainte était le 22 mars et non pas le 30.
222 Là vraie JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
La Pucelle voyant qu'on Tavait menée du côté de la Sologne, et qu'elle
n'avait pas trouvé les Anglais, fut très courroucée contre les chefs, et se
mit à pleurer. Incontinent elle donna ordre^ aux hommes de sa compa-
gnie de retourner à Blois pour quérir les vivres qu'ils y avaient laissés.
Elle leur prescrivit de les amener par la Beauce, leur promettant d'aller
à leur rencontre avec une partie des combattants d'Orléans, leur affirmant
avec assurance de n'avoir pas de crainte, qu'ils ne trouveraient aucun
empêchement.
La Pucelle entra donc à Orléans, et ses gens, obéissants et exécutant
son ordre, retournèrent à Blois. Ils en repartirent le mardi 3* de mai
avec le surplus des vivres et une grande quantité de bétail, tels que
bœufs, porcs et moutons. Le lendemain, veille de l'Ascension, ils arri-
vèrent à Orléans, par le côté de la Beauce, sans aucun empêchement ni à
l'aller ni au retour, sans qu'on lançût un trait contre eux, ni qu'on les
molestât en aucune manière. Les Anglais cependant se rassemblèrent au
nombre d'environ quatorze cents combattants pour les attaquer au
retour, mais ils n'osèrent, car la Pucelle, avec un gros renfort de ceux
de la ville, alla au-devant d'eux, les joignit malgré les ennemis, et les
conduisit dans la cité.
II
Sitôt que les vivres furent introduits, la Pucelle, son étendard en
main, et disposant de ses forces, alla assaillir la bastille Saint-Loup qui
était forte et bien défendue. Elle ordonna qu'une partie de ses gens à
cheval garderaient que les Anglais des autres bastilles ne vinssent au
secours de Saint-Loup; elle-même et ceux de sa troupe, arrivés à
Saint-Loup, firent tant par l'aide et la volonté de Dieu, que la bastille fut
prise d'assaut par vive force. Cent soixante Anglais environ y furent tués,
et quatorze faits prisonniers. On y conquit beaucoup de vivres, plusieurs
pièces d'artillerie, et d'autre butin. Les vainqueurs se retirèrent, en
amenant le tout en ville.
III
Le lendemain de la fête de TAscension de Jesus-Christ, la Pucelle, son
étendard en main, sortit de la ville avec ses combattants, et passa du
côté de la Sologne; elle fit semblant de vouloir assaillir les bastilles.
A la suite d'une feinte retraite qu'elle commanda, les Anglais en saillirent
avec de grandes forces pour courir après les fuyards. Alors la Pucelle
et La Ilire, les voyant hors de leurs forts, retournèrent vigoureusement
LA CHRONIQUE DE TOURNAY. 223
sur eux, et les poursuivirent si âprement qu'ils purent à peine se retirer
dans leur bastille; trente Anglais furent tués, un de leurs forts et un de
leurs fossés furent pris, ainsi que grande quantité de victuailles. Les
Anglais, se voyant ainsi repoussés, défirent trois de leurs bastilles du côté
de la Sologne, et se retirèrent tous en leur grande bastille du bout du
pont'.
IV
Cette nuit, la Pucelle^ et les siens tinrent les champs du côlé de la
Sologne jusqu'au clair jour. Quand le jour eut commencé à s'éclaircir, et
que la Pucelle eut mis ses gens en état et les eut ordonnés, ils s'efîor-
cèrent d'envahir cette grande bastille du bout du pont. Elle était très
forte et comme imprenable, renfermait un grand nombre d'Anglais, était
bien disposée pour la défense, et pourvue de bombardes, de canons, et
d'autres machines à explosion.
La bastille fut si bien défendue par les Anglais que, pendant tout le
jour, les Français n'y purent rien gagner. L'attaque se prolongeant
jusques assez tard vers la fin du jour, il plut à Dieu que la Pucelle fût
blessée d'un trait qui lui entra d'environ un pouce dans la poitrine, au-
dessus de la mamelle droite. Elle s'en montra plus joyeuse que troublée;
et demandant un peu d'huile d'olive avec « eslou » [étoiipel)^ elle tira le
trait de la poitrine, versa l'huile par dessus la plaie, et dit : « Maintenant
les Anglais n ont plus de puissance; cette blessure est le signe de leur con-
fusion et de leur malheur ^ signe que Dieu m'a révélé^ et que je n'ai pas fait
connaître jusqu'à présent ».
Licontinent, pansée et armée, elle se tira à part, et s'appuyant sur sa
lance qu'elle tenait dans sa main, elle se mit dans l'attitude d'une per-
sonne qui fait son oraison à Dieu, le visage levé au ciel. Cela fait, elle
retourna vers les gens d'armes, leur montra un endroit de la bastille, et
leur dit d'envahir la forteresse par là, et d'y entrer. Ils lui obéirent : tous
d'un commun accord, elle-même en tête, assaillirent la bastille avec tant
de vigueur que, Dieu aidant, elle fut promptement prise de force, et qu'ils
y entrèrent. Environ cinq cents Anglais, appartenant à l'élite de l'armée,
furent tués, ou faits prisonniers. En voyant la prise de leur bastille, les
Anglais voulurent se retirer dans la tour du pont; mais le pont fondit
sous leurs pas et tomba dans l'eau, avec ceux qui étaient dessus, avec
Glacidas,un de leurs généraux en chef, et avec d'autres grands seigneurs,
1. Les Anglais, en effet, abandonnèrent Sainl-Jean-le-Blanc, Saint-Privé et les
Augustins pour se concentrer dans les Tourelles.
2. Erreur en ce qui concerne la Pucelle.
•224 LA VRAIE JEANNE D*ARC : LA LIBÉRATRICE.
au nombre de trente environ. Tous furent noyés. L'événement fut regardé
comme miraculeux.
En cette conquête les Français gagnèrent grande abondance de vivres,
et beaucoup d'artillerie, bombardes, canons, serpentines, veuglaires et
autres engins de guerre, et conquirent aussi du mobilier.
Le même jour, assez tard, la Pucelle et ses gens, rentrèrent à Orléans,
avec grande joie au cœur, rendant grâces à Dieu de la victoire, et menant
leurs prisonniers devant eux.
A la revue des gens de la Pucelle, faite après la victoire et Tassaut, il ne
se trouva que cinq hommes de moins, et quelques blessés.
Quelques-uns affirmèrent que durant lassant deux oiseaux blancs furent
vus sur les épaules de la Pucelle. Les Anglais prisonniers dirent et attes-
tèrent que les Français leur avaient paru trois fois plus nombreux qu'ils
n'étaient, et que, par suite, ils avaient été si épouvantés qu'ils en
avaient perdu la force de se défendre.
Le dimanche suivant, lendemain de cette victoire et de cette conquête,
au point du jour, les autres Anglais des bastilles du côté de la Beauce,
voyant leur maie aventure et redoutant la puissance de la Pucelle,
abandonnèrent leurs places et bastilles, s'enfuirent tous ensemble, au
nombre de deux mille cinq cents combattants, tant à pied qu'à cheval.
Ceux de la ville et la Pucelle, voyant cette fuite, sortirent d'Orléans au
nembre d'environ cinq cents chevauchcurs ; ils tombèrent sur la queue
des fuyards, en tuèrent et prirent quelques-uns, sans qu'ils se retournas-
sent, ou fissent quelque démonstration de se défendre *. Ce que voyant, la
Pucelle lit retirer ses gens et cesser la poursuite, disant que puisqu'ils
partaient. Ton ne devait pas trop les harceler; que d'ailleurs c'était
dimanche, jour et fête du repos de Dieu, et qu'elle leur avait donné jour
pour se retirer jusqu'au lundi.
L'on rentra dans la ville, et, la nuit accordée au repos, le lendemain
ceux d'Orléans sortirent, et allèrent aux bastilles délaissées par les
Anglais. Ils y trouvèrent des vivres, de l'artillerie et d'autres armements
de guerre, pour une grande somme d'argent.
1 . Le chroniqueur attribue ici à la Pucelle ce qui fut le fait de La Hire, après des
incidents racontés par d'autres historiens.
LA CHRONIQUE DE TOCRNAY. 225
CHAPITRE III
LA SUITE DE L'HISTOIRE DE LA PUCELLE SOMMAIREMENT INDIQUÉE.
Sommaire: I. —Le roi et la PucelJe se rencontrent à Tours. - L'entrevue. — Convocation
des capitaines. — Prise de Jargeau et assertions erronées du chroniqueur. —
Conquête de Meung, de Baugency. — Victoire de Palay. — Tant de succès rapportés
à Dieu.
II. — Bref exposé de la marche vers Reims. — Longue station du roi dans 1 église
Notre-Dame, le matin du sacre. — Le sacre. — Hommage des seigneurs. — Création
de chevaliers.
IH. — Nombreuses villes qui se déclarent pour Charles Ml durant sa marche vers
Paris. — Facilité de conquérir tout son royaume. — 11 fait faire à Saint-Denis un
ser>-ice pour son père. — Paris unique objectif de la Pucelle. — Sa profonde peine de
!*e voir traversée. —Troupes retirées durant Tattaqae contre Paris. — Retraite du roi
malgré la Pucelle. — Son inaction, et le mécontentement de la Pucelle.
IV. — Fcrces considérables avec lesquelles le Bourguignon reprend la guerre après
Pâques. — Portugais. — Siège et blocus de (k)mpiègne. — Prise de la Pucelle. —
Sa prison à Beaulieu et à Beaurevoir.
V. — Tentative d'évasion. — Terrible accusation contre quelques capitaines français.
— Unique prétexte de condamnation.
I
Ces événements accomplis, la Pucelle les manda au roi tels qu'ils
étaient arrivés. Pareilles nouvelles lui causèrent grande joie, et bientôt
après il partit de Chinon pour aller vers elle. Il arriva à Tours le vendredi
suivant, celui qui précède la Pentecôte. La Pucelle, qui y était venue
un peu avant, alla à sa rencontre, son étendard en main, et lui fit la
révérence, la tète découverte, en se baissant sur son cheval, le plus
profondément qu'elle le put. Le roi, en Tabordant, ôta son chaperon et
l'embrassa en la soulevant, et, comme il sembla à plusieurs, volontiers il
Fcul baisée, tant il avait de joie. Après cette heureuse rencontre, ils entrè-
rent en la ville de Tours, et se mirent en leurs hôtels.
Le lendemain, le roi reçut nouvelles que le sire de Scales, le sire de
Talbot et grand nombre d'Anglais échappés du siège d'Orléans, s'étaient
réfugiés et renfermés dans Jargeau, Baugency et Meung. Ainsi informé,
il manda en toute hâte le bâtard d'Orléans et Poton de Xaintrailles,
défenseurs d'Orléans durant le siège, et plusieurs autres capitaines en
garnison dans les places d'alentour. Quand ils furent assemblés à Tours,
le roi leur commanda d'aller avec la Pucelle contre les Anglais.
La Pucelle partit donc de Tours, à bonne puissance de gens d'armes,
III. 15
226 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
et ils allèrent assiéger la ville de Jargeau, où se trouvaient le sire de
Talbot et le sire de Scales avec un grand nombre d'Anglais. Jargeau est
en amont de la Loire, à huit lieues d'Orléans. Arrivés soudainement
devant la place, ils lui livrèrent un grand et merveilleux assaut, qu'ils
continuèrent jusqu'à ce qu'ils s'en fussent emparés de vive force. Là
furent pris le sire de Talbot et le sire de Scales, que la Pucelle laissa
libres, à la suite d'un traité qu'ils promirent d'observer. Cela accordé,
quelques capitaines dirent à la Pucelle qu'elle avait mal fait de laisser
aller les ennemis du roi ; elle leur répondit qu'ils ne tarderaient pas à
ôtre repris autre part, et ne tiendraient pas ce qu^ils avaient promis*.
De là, ils s'en allèrent à Meung qui est à cinq lieues d'Orléans% en aval
de la rivière; ils prirent cette ville d'assaut, et de là vinrent à Baugency.
A leur arrivée, ils trouvèrent que la garnison et la plupart des habitants
de la ville étaient partis. Ceux qui étaient demeurés au château se
rendirent et livrèrent la ville et le château.
Après la prise de cette ville, la Pucelle, les capitaines et les hommes
d'armes, allèrent offrir la bataille à six mille Anglais qui venaient secourir
leurs gens. Parmi ces Anglais se trouvaient les sires de Talbot et de Scales,
que la Pucelle, comme il vient d*être dit, avait laissés s'en aller, et aussi
plusieurs autres Anglais qui auparavant s'enfuyaient. Les deux armées
se rencontrèrent près de Patay-en-Beauce. Les Français se comportèrent
si vaillamment que. Dieu aidant, les Anglais furent déconfits, et presque
tous tués. Là furent repris les sires de Scales et de Talbot et plusieurs
autres.
La victoire remportée, et les prisonniers emmenés avec tout le butin,
grandes réjouissances furent faites, et louanges rendues à Dieu, et il fut
proclamé que toute victoire vient de lui. Les prisonniers furent présentés
au roi ; il les reçut très joyeusement en remerciant la Pucelle et les
capitaines, et en rendant grâces à Dieu qui donnait à une femme le
courage de telles entreprises. Il partit de Tours, et avec plusieurs seigneurs^,
chevaliers, écuyers, capitaines et autres, il alla à Orléans, où il fut reçu
à grande joie'.
1. Les erreurs de détail fourinillenl dans ce qui regarde la prise de Jargeau. Le roî
n'eut pas l'initiative de la campagne de la Loire ; le bâtard d'Orléans s'y trouvait, mai^
pas au premier rang; les soldats du roi ne partirent pas de Tours; Jargoau est à
20 kilomètres d'Orléans et non pas à huit lieues. C'était SufTolJc, et non Talbot nî
Scales, qui y commandait.
2. A 18 kilomètres.
3. Le roi avait quitté Tours avant la campagne de la Loire, et il frustra l'attente des
Orléanais en ne les visitant pas, quoiqu'ils eussent fait après Patay de grands prépa-
ratifs pour le recevoir.
LA CHRONIQUE DE TOURNAY. 227
II
Toutes ces choses accomplies, le roi, parle conseil de la Pucelleet de
quelques seigneurs de sa cour, partit d'Orléans avec une belle compagnie
de gens d'armes et lira vers la ville et la cité de Reims, pour y ôlre sacré
et couronné. Dans ce voyage, il mit en son obéissance plusieurs villes et
forteresses alors occupées par les Anglais, à savoir Auxerre, Sens * , Troyes,
Ghâlons et plusieurs autres ; et après cela il arriva à Reims, et y entra le
samedi seizième jour de juillet de Tan ci-dessus mil IIII" XXIX, à sept
heures du soir. Le lendemain à trois heures du malin, il alla avec plu-
sieurs seigneurs et d'autres à Téglise de Notre-Dame, et, eux entrés,
relise fut close jusqu'à neuf heures. L'église rouverte, le roi fut sacré
et couronné par Monseigneur l'archevêque de ladite ville et cité de
Reims. Après la cérémonie, les seigneurs qui là étaient, lui firent hom-
mage, tel que le demandaient leurs seigneuries et possessions. Le roi fit
quatre ducs ou comtes, et environ deux cents chevaliers.
III
El après il partit de Reims en prenant son chemin vers Paris. Pendant
sa marche dans cette voie, se rendirent à lui les villes qui suivent, à
savoir : Laon, Soissons, Compiègne, Château-Thierry, Senlis, Beauvais,
Lagny, et plusieurs autres forteresses et châteaux. Il est à présumer et
à estimer que s'il eût toujours marché de l'avant, il aurait bientôt
reconquis tout son royaume; car les Anglais et ses autres adversaires
étaient si ébahis et déconcertés, que la plupart n'osaient ni se montrer
ûi se défendre, ne comptant éviter la mort que parla fuite.
Le roi en marchant ainsi vint à Saint-Denis avec son armée. Une fois
^é à l'abbaye, il fit célébrer les obsèques et le service du roi Charles
son père, \T du nom.
En tout ce voyage, la Pucelle n'avait qu'un but, assaillir, elle et les
siens, la ville et cité de Paris. Elle fit avec ses gens plusieurs courses
devant les remparts, et autour de la place, et elle était courroucée de ce
ou «LIE ÉTAIT PEU SECONDÉE*; MAIS LES CAPITAINES NE s' ACCORDÈRENT PAS POUR
'•ATTAQUE DE LA VILLE*, QUELQUES CONSEILLERS DU ROI FIRENT RETIRER LEURS
'• C'est erroné pour « Sens ».
}'iiioit courrouckée que aultrement ne se faisoit. — Aultrementf d'après Lacurne,
•ï^oifie « assez, guère ». Le contexte indique que c'est dans cette acception qu'il doit
228 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA^LIBÉRATRICE.
GENS d'armes; ce qui contraignit la Pucclle à se retirer elle aussi, à Saint-
Denis, où le roi se tenait.
Trois jours après, le roi, donnant créance à quelques-uns de son conseil,
s'en alla, contre le gré de la Pucelle, l'emmenant avec lui au delà de la
Loire.
11 se tint là tout Thiver, sans guère s'adonner aux affaires de la guerre.
Ce dont la Pucelle était très mal contente ; mais elle ne pouvait pas y
remédier.
IV
L'an mil IIIP et XXX {1430), aussitôt après Pâques, Philippe, duc de
Bourgogne, le sire Jean de Luxembourg, comte de Ligny, avec plusieurs
capitaines anglais, et un très grand nombre de gens d*armes, Anglais,
Bourguignons, Picards et Portugais, vinrent en France*, et conquirent
quelques-unes des villes et forteresses, qui, comme il a été dit, s'étaient
rendues au roi, lors de son voyage vers Paris. Les seigneurs susdits
vinrent avec leur armée devant Compiègne, l'assiégèrent, et pour l'affa-
mer s'abritèrent derrière les boulevards et bastilles qu'ils y construisirent.
Le duc de Bourgogne avait avec lui grand nombre de Portugais, parce
qu'il avait épousé la lille du roi du Portugal; ses noces avaient été célé-
brées le mois de janvier précédent en la ville de Bruges... [Ici le chroni-
queur raconte les magnificences et les profusions du duc de Bourgogne
pour la célébration de son hymen... 11 continue ensuite :
Le duc de Bourgogne donc, avec ses alliés et son armée, avait construit
des forts devant la ville de Compiègne pour l'affamer. Dans la place était
un bon capitaine, du nom de Guillaume de Flavy, qui la défendait bien,
aidé qu'il était par les manants et par les habitants. Le roi, sur lavis
d'un de ses conseillers, envoya la Pucelle h leur secours avec deux cents
hommes. Arrivée dans la ville, la Pucelle était sortie avec ceux de la cité
cl les Italiens pour harceler les ennemis. Après une longue escarmouche,
pensant rentrer dans la ville, ils furent serrés de si près que la Pucelle
fut retenue prisonnière, et livrée entre les mains de messire Jean de
Luxembourg. Celui-ci l'envoya au château de Beaulieu, en commandant
de Temprisonner dans une tour.
Le duc de Bourgogne, après la prise de la Pucelle, appelé par ses
affaires de Brabant et de Liège, quitta le siège, en y laissant ses gens,
1. Un des mille exemples où, dans la langue du temps, le mot France est pris dans
une signilication restreinte. Bien plus, d'après ce qui m'a été affirmé sur les lieux»
les gens du Cambrésis disent encore aller en France quand ils vont à Beaurevoir ou à
Saint-Quentin ; ceux de la Brie quand ils vont dans Tancienne Ile-de-France.
i
LA CHRONIQUE DE TOURNAY. 22^
qui y demeurèrent avec le reste de Tarmée, jusqu'aux approches de la
Toussaint... [Le chroniqueur raconte la délivrance de Compiègne, et
consacre ensuite à la Pucelle les lignes suivantes.]
Durant ce siège, Jeanne la Pucelle était enfermée et tenue prisonnière
en une tour du château de Beaulieu. Espérant s'en échapper, elle se
jeta du haut en bas, et fut tellement blessée dans sa chute qu'elle ne put
s'enfuir. Elle fut reprise, et menée à Beaurevoir, où elle fut captive
jusqu'à ce que le siège de Compiègne fût levé. Alors messire Jean de
Luxembourg la livra aux Anglais, qui la menèrent à Rouen, où longtemps
elle fut tenue prisonnière.
Plusieurs ont dit et affirmé depuis que, à cause de la jalousie des
capitaines de France, que secondait la faveur dont quelques-uns du conseil
du roi jouissaient auprès de Philippe de Bourgogne et de messire Jean
de Luxemboui^\ on trouva couleur de la faire mourir par le feu,
à Rouen. On ne put relever contre elle aucun motif de condamnation,
aucune faute, si ce n'est que, durant toutes les conquêtes ci-dessus racon-
tées, elle avait porté un vêtement qui n'était pas celui de son sexe.
1. Ces accusations si graves du chroniqueur seront discutées lorsque toutes les
pièces auront été produites.
THOMAS BASIN
ET
SES CHAPITRES SUR LA PUCELLE
Une notice sur Thomas Basin, évoque de Lisieux, a été donnée dans le
volume la Pucelle devant r Église de son temps^^ à propos du Mémoire
que ce prélat a composé pour la réhabilitation.
Les chapitres qui vont être reproduits sont tirés de son Histoire de
Charles VII. Cette histoire a été écrite à Utrecht, cinquante ans après
les événements, dans le long exil auquel Louis XI condamna Basin.
N'ayant pas été signée par son auteur, elle a été longtemps attribuée à
un certain Amelgard, dont, d'ailleurs, Ton ne sait rien. Quicberat a eu
rhonneur de la restituer à son véritable père ; il a donné une édition en
quatre volumes des œuvres de Thomas Basin ; c'est là qu'est pris le
texte dont on va lire la traduction.
L'évùquc de Lisieux a dû écrire son Histoire d'après ses souvenirs per-
sonnels. Quoique contemporain des faits, s'il en connaît la substance,
il est peu exact dans les détails, du moins pour l'histoire de Jeanne d'Arc.
A ce point de vue, loin de dire comme Siméon Luce, qu'il est, avec Pie II,
celui qui a écrit avec plus de justesse sur la Pucelle, il est vrai d'affirmer
qu'il n'y a pas de chroniqueur contemporain de l'héroïne qui ait commis
autant d'erreurs sur le matériel des faits.
Ainsi il fait conduire Jeanne à Chinon par Baudricourt ; elle aurait
attendu trois mois avant d'ôtre admise en présence du roi ; la première
bastille emportée à Orléans aurait été le fort des Tourelles; c'est de
Charles Vil que serait venue l'initiative du voyage pour le sacre à Reims
et le couronnement à Saint-Denis ; Basin place après l'attaque contre
Paris, la campagne dans llle-de-France et la soumission de Compiègne,
de Senlis, de Beauvais ; il n'a pas l'air de soupçonner ce qui a fait
échouer cette attaque qu'il insinue avoir été imprudente.
Toujours attaché de cœur à la cause nationale, ayant beaucoup contribue
à la conquête de Normandie, le prélat normand fut assez réservé et assez
i. Page 313.
THOMAS BASIN. 231
prudent pour vivre honoré sous la domination anglaise, puisqu'il fut
d'abord professeur à l'Université de Caen fondée par Bedford, et élevé
ensuite sur le siège de Lisieux. On s'explique par là qu'il n'ait connu,
et surtout qu'il ne se soit rappelé, lorsqu'il écrivait, que le gros des faits.
Quoique après le recouvrement de Rouen il ait eu en mains le procès
de condamnation, il n'avait cependant sous les yeux que le questionnaire
de Pontanus, lorsqu'il composait son Mémoire pour la réhabilitation ;
c'est ce qu'il déclare lui-même. Il ne connaissait pas les informations
faites à Domrémy et à Orléans, qui sont postérieures à son écrit.
Malgré les nombreuses inexactitudes des détails, les pages de Basin sur
la Pucelle ont de la valeur pour des points plus importants. Il tenait de
Dunois la révélation des secrets : la source est excellente ; Basin insiste
sur ce point et donne de précieux développements sur la durée du pre-
mier entretien et l'impression du roi; il insiste encore sur la terreur que
la Pucelle ne cessa d'inspirer aux Anglais. Vivant parmi eux, il avait été
bien en état de la constater. L'on n'a rien de meilleur dans les Chroniques
sur l'inique procès. La passion des juges, Tadmiration provoquée par les
réponses de l'accusée, le tableau de sa vie angélique, Tinjustice de la
condamnation, sont autant de témoignages précieux à recueillir de la part
d'un personnage aussi grave que Thomas Basin.
Son appréciation de la vie de la Pucelle , modérée de forme, entourée
des restrictions nécessaires pour ne pas blesser les susceptibilités toujours
vivantes des Anglais et plus encore des Bourguignons, ne laisse pas de
doute sur la conviction où était Tévèque de la divinité de la mission de
la Pucelle, alors surtout qu'on rapproche son appréciation de celle qu'il
émet dans son Mémoire, où il déclare qu'elle lui paraît presque évidente.
Parmi les multiples réponses qu'il donne à ceux qui se scandaliseraient
de la fin de la céleste envoyée, il faut noter celle qu'il tire de l'ingratitude
du roi et de la nation, et de la corruption des mœurs de l'époque.
Basin, qui avait vécu en Italie, était dans le mouvement de laRenaissance.
U vise dans son style à la période cicéronienne, qui en histoire ne
favorise pas l'exactitude, pas plus qu'elle n'est un signe de sincérité,
quoique celle de Basin nous semble à l'abri du soupçon.
CHAPITRE PREMIER
LA PUCELLE. — SON ADMISSION PAR LE ROI.
^*^AiRE : Jeanne, son pays d'origine, sa piété. — Elle déclare être chargée par le
^i^l de messages publics et secrets auprès du roi. — Le nom de la Pucelle devenu
232 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
son nom. — Mépris de ses ouvertures par le capitaine Baudricouri. — Ce qui le fait
changer de sentiment; il conduit la Pucelle au roi.
Durant trois mois, d'après le chroniqueur, le roi refuse de lui parler. — Entretiens
avec rentourage du prince ; instances, promesses et menaces. — L*élat désespéré
des affaires, motif de ne pas la rejeter sans Tentendre. — Entretien secret de
deux heures avec le roi. — Révélation de profonds secrets.
Convocation de la milice ; la Pucelle mise à la tète de l'armée. — Sa bannière.
A cette époque vivait une pucelle du nom de Jeanne, entrant à peine
dans Tâge de puberté, vierge cependant, ainsi qu'elle a été réputée par
tous. Elle était née sur les confins de la Champagne* et du Barrois, dans
une ville du nom de Vaucouleurs. Quoique gardant le troupeau de son
père, elle était cependant instruite des mystères de la foi chrétienne, et
avait une extraordinaire ferveur de dévotion envers le Christ, sa glorieuse
Mère, et envers les saintes vierges Catherine, Marguerite, Agnès, et
quelques autres. Un jour vint où elle se mit à affirmer avec une grande
énergie qu'elle avait eu de divines révélations ; que lorsqu'elle paissait le
troupeau dans les champs, les saintes Vierges qui viennent d'être men-
tionnées lui avaient apparu, et intimé des ordres du Ciel ; elle disait
. qu'il lui était commandé d'aller trouver le roi Charles, et de lui
apporter certains messages publics et secrets. Quels étaient ces derniers?
C'est ce que sait le roi, et ce que savent ceux auxquels le roi l'a peut-être
révélé. Il y eut en effet des messages secrets; d'autres sont devenus
manifestes à tous, ainsi qu'on le verra bientôt.
A la suite de ces visions et révélations, Jeanne, qui fut connue dans
toute la France sous le nom de la Pucelle, alla trouver un chevalier,
seigneur temporel de sa ville d'origine, où elle habitait avec ses parents.
Elle lui disait que la volonté de Dieu était qu'il la conduisit au roi des
Français ; qu'elle avait, pour le tenir de révélations divines, à lui manifester
certains commandements qui, s'ils étaient exécutés, seraient pour son
plus grand bien personnel, et le bien du royaume de France tout entier.
Le chevalier, considérant la simplicité de la jeune fille, connaissant ses
parents dont les occupations étaient le travail des champs et l'élève des
troupeaux et du bétail, ne fit aucun cas de ses paroles et ne tint d'abord
aucun compte de ses demandes : cela lui paraissait paroles de femmelette
idiote et hors du bon sens. Cependant, comme elle persévérait dans son
dire, qu'elle le menaçait, s'il méprisait les ordres divins, de ne pas
échapper à un chîUiment: ayant, comme on peut le croire en toute vérité,
donné quelque signe de la divinité de sa mission, le chevalier finit par se
1. Parmi tant d'écrivains conleinporains qui parlent du lieu d'origine de Jeanne,
Basin seul laisse échapper le mot de (îhampagne : Orta in finibus Campaniae it teirae
Barrensis.
THOMAS BASIN. 233
rendre et par exécuter ce qui lui était demandé. Il fait les préparatifs
du voyage, dispose chevaux, serviteurs, et tout ce qui était nécessaire
à sa condition de vie, et, du lieu d'origine déjà indiqué, il amène la
jeune fille au roi Charles.
' Ses hommages présentés au prince, il lui expose la cause de sa venue,
lui conduit la susdite jeune fille. Le roi un peu troublé par la nouveauté
du fait, considérant que ce n'était qu'une paysanne simple, refusa de
l'admettre en sa présence. Par ses ordres, quelques personnages de son
conseil et de sa cour, sont chargés de demander adroitement et habile-
ment à la nouvelle venue ce qu'elle veut exposer et révéler au roi, les
signes de sa mission, enfin d'examiner toutes choses : elle ne se lasse pas
de répondre à tous qu'elle doit, de la part de Dieu, manifester au roi
certains secrets qu'elle ne peut dire qu'à lui seul et pas à un autre ;
qu'elle donnerait les signes de sa mission dès que le roi lui aurait donné
audience, qu'il ne pourrait pas conserver l'ombre d'un doute, que c'était
bien le Ciel qui l'envoyait. Malgré ces promesses, le roi différa de l'en- ^
tendre presque pendant trois mois.
Durant ce temps, les habitants d'Orléans étaient réduits par le siège à
une cruelle famine et à la privation de bien des choses nécessaires à la
vie. Jeanne fatiguait de ses obsessions le conseil du roi, abordant tantôt |
l'un, tantôt l'autre de ceux qui approchaient de plus près la personne .du
prince ; elle ne cessait de dire que si le roi voulait l'entendre et obéir aux
ordres du Ciel, il recevrait secours pour lui, pour les assiégés, pour tout
le royaume, tandis que s'il persévérait dans son refus obstiné, sa personne,
les assiégés, le royaume entier, étaient, sans aucun doute, sous le coup de
désastres et de calamités.
Comme elle réitérait sans cesse ses promesses et ses menaces, qu'il ne
restait presque plus d'espérance de délivrer Orléans et de secourir les
assiégés, que tous étaient réduits à un extrême désespoir, Jean, l'illustre
comte de Dunois, qui, comme nous l'avons dit plus haut, était le fils na-
turel du duc d'Orléans tué à Paris, et avec lui quelques autres de la cour,
persuadèrent au roi, comme cela se fait quelquefois lorsque tout semble
perdu, qu'il était de son devoir d'entendre Jeanne la Pucelle. D'après ce
qu'elle dirait, il pèserait et examinerait si ce qu'elle promettait devait
être rejeté comme conception purement humaine, ou humblement accepté
et exécuté comme avis et commandement venus de Dieu. Ces conseils,
ces instances, l'état désespéré des affaires présentes, décidèrent le roi à
acquiescer, et il manda la Pucelle.
Jeanne, admise en présence du roi, fit éloigner les témoins, et eut avec
le prince un entretien de plus de deux heures. Le roi écouta ce qu'elle
voulut lui dire, l'interrogea, la questionna sur ce qu'elle lui exposait.
234 L\ VRAIE JEANNE D*ARC : LA LIBERATRICE.
D'après ses paroles et ses réponses, après les signes et certaines mani-
festations de très profonds secrets, donnés en preuves de la mission et
du commandement du ciel, il commença à ajouter quelque foi à ce qui
lui était dit. On raconte, — je le tiens du comte de Dunois qui était dans
sa plus grande intimité — on raconte que le roi aurait dit que, en preuve
de la vérité de ses paroles, la Pucelle lui avait exposé des choses si
cachées, si secrètes, que nul mortel, en dehors de lui, ne pouvait les
connaître sans révélation divine.
Se rendant donc à ses avis, il convoque de toute part sa milice, et met
la Pucelle à la tùte de son armée comme le général divinement désigné.
La tête et le corps couverts d'un vêtement d'homme, pourvue d'armes et
de chevaux, mêlée aux autres capitaines, elle est envoyée repousser les
ennemis qui, par un long siège de plusieurs mois, étouffaient Orléans.
Ce n'était pas une jeune fille de son âge, une femmelette, c'était un
vaillant capitaine expérimenté à la guerre que Ton croyait voir, alors
qu'elle était à cheval, armée, précédée, en guise de bannière militaire,
de son étendard, sur lequel étaient peintes les figures de la glorieuse
Vierge Mère de Dieu, et de quelques-unes des saintes nommées plus
haut.
CHAPITRE II
DÉLIVRANCE D'ORLÉANS ET CAMPAGNE DE LA LOIRE.
Sommaire : 1. —La Pucelle veut délivrer Orléans. — D'après Basin elle aurait commencé
par 1 atla(iue des Tourelles. — Conimeiit, d'après lui, elle s'en serait emparée. —
(ilacidas et ses compagnons tués, brûlés, noyés. — (lourage des Français. — La
terreur précédente du nom anglais changée en une vaillante hardiesse de les expulser.
— Les ennemis fuient après quelques nouveaux succès des Français. — Le nom de
la Pucelle célébré dans la France entière. — H glace les Anglais d'épouvante.
11. — Les Français ranimés s'emparent de Jargeau. — Abandon de Meung et de Bau-
gency et fuite des Anglais. — Les Français à leur poursuite. — Victoire de Palay
et ^es suites. — Fastolf.
1
Les ennemis campaient devant Orléans, retranchés dans leurs cons-
tructions, comme dans autant de six ou sept très fortes citadelles. La
Pucelle résolut de les attaquer. Les assiégés, pour lesquels leurs rem-
parts étaient comme les murs d'une vaste prison, se trouvaient réduite
aux tourments de la faim : Jeanne résolut de mettre im terme à leur^
misères. Les soldats obéissent à sa voix comme à la voix du Ciel; elle—
THOMAS BASIN. 235
même remplit parmi eux Toffice de général et d'intrépide soldat. Tous
ensemble, ils attaquent la très forte bastille située à Textrémité du pont,
du côté opposé à la ville. Elle était réputée la plus forte, tant par la valeur
de ses défenseurs que par les ouvrages qui la protégeaient. La Pueelle y
pénètre. Elle met le feu au bas de la tour ; la fumée et la Ûamme
atteignent ceux qui, à la partie supérieure, s'obstinent à la défense. Ils
sont forcés de pourvoir à leur salut, en se précipitant en bas, ou en se
laissant glisser le long de cordes. De ce nombre fut ce vaillant Glacidas
auquel, ainsi que nous Tavons dit, Salisbury avait confié toute la con-
duite du siège. Tandis qu'il s'efforçait de fuir la violence de la fumée et
du feu, il se noya dans les eaux de la Loire, dont les flots entouraient
le pied de la tour. Tous les autres périrent également par le feu. par le
fer, ou emportés par le courant du fleuve.
Après cette victoire, les Français, persuadés que ce qui restait, de soi
moins difficile, serait, avec le secours de Dieu, parachevé sous la con-
duite et la bannière de la Pueelle, dirigent leur forces et leurs attaques
contre les autres bastilles anglaises, de Tautre coté de la ville et sur
l'autre rive du fleuve. Ils sont remplis d'entrain et de courage. Précé-
demment le nom des Anglais les remplissait d'un tel effroi que non
seulement ils n'osaient pas les attaquer, mais pas même les attendre,
encore qu'ils fussent supérieurs en nombre et en force, et l'on
pouvait pousser le cri d'étonnement de Moïse dans son cantique :
Comment un seul en poursuit-il mille^ et deux dix mille ! et sous la
conduite et l'étendard de la Pueelle, ils se jettent sur les bastilles et les
fortifications anglaises les moins accessibles ; ils y pénètrent, et comme
sansefl'ort ils accomplissent en face des ennemis les entreprises les plus
ardues et les plus magnifiques.
Deux ou trois bastilles prises, ceux qui les défendaient taillés en pièces
ou dispersés, ceux qui sont restés dans les autres fortifications les aban-
donnent ou cherchent leur salut dans la fuite. Le camp des Anglais est
pillé ; les bastilles, lieux de leur habitation, bâties en pierres et en
bois, à rinstar des forteresses et des châteaux, sont toutes livrées aux
flammes ; et ainsi la ville en proie depuis longtemps aux souffrances et aux
privations de la disette de vivres, grâce à la miséricorde divine, est
délivrée sous la conduite de Jeanne, de ses maux et de ses périls.
Les Anglais échappés du siège se dispersent en diverses forteresses et
en divers lieux. Le nom, la renommée de la Pueelle, que dès lors la
France entière célébra d'une seule voix, leur avait inspiré un tel effroi
qu'ils semblèrent avoir perdu tout espoir de se défendre, et ne voir de
salut que dans la fuite. Dès lors la pointe de fer des flèches anglaises,
comme émoussée, ne pénétra plus comme précédemment ; dès lors le
236 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
cours de la fortune sembla changé ; dès lors les affaires des Français ruinées
se relevèrent et firent espérer un avenir meilleur ; celles des Anglais,
jusqu'alors si prospères, allèrent toujours en déclinant. Le seul nom de
la Pucelle répandit dès lors une telle terreur dans leurs âmes que plu-
sieurs ont affirmé par leur grand serment, que l'entendre, voir Tétendard
qu elle portait, suffisait pour qu'ils n'eussent plus comme auparavant
force et courage de résister, de bander leur arc, de lancer leurs traits
contre Tennemi, de le frapper de leur glaive '.
II
Et parce que, comme le chante le poète, la victoire double ordinaire-
ment les forces, que le succès agrandit le courage, les Français réconfor-
tés par ces victoires songèrent, sous la conduite de Jeanne et du comte de
Dunois, le premier de l'armée française, comme général et comme soldat,
songèrent à recouvrer les forteresses voisines et les places des rives de
la Loire. La place de Jargeau, où plus de huit cents Anglais s'étaient
retirés, succomba devant leurs attaques et leur assaut. Ceux qui s'y
trouvaient furent tués ou faits prisonniers. Le comte de SufFolk fut pris
et son frère le sire de la Pôle fut tué.
Cette nouvelle défaite, venant après celle d'Orléans, persuada aux
Anglais qu'ils ne pouvaient pas défendre les autres places, telles que
Mcung et Baugency. Les abandonnant aux Français qui les occupèrent,
ils réunirent, comme ils le purent, les débris de leur armée, et se mirent
à hâter leur retraite à travers la Beaucc vers Chartres et la Normandie,
instruits à leurs dépens que les rives de la Loire n'étaient plus désormais
pour eux un lieu où ils pussent s'arrêter en sûreté.
Cette retraite n'échappa pas aux Français, dont la hardiesse et les forces
croissaient chaque jour avec les faveurs de la fortune. Les succès du pré-
sent agrandissant leurs espérances pour l'avenir, ayant pour chefs
principaux la Pucelle et le comte de Dunois, et au second rang les nom-
breux capitaines des hommes d'armes du roi, ils résolurent de poursuivre
les Anglais, et, si c'était en leur pouvoir, d'anéantir leurs forces. Il leur
semblait que c'était de nouveau s'exposer à leurs coups, s'ils les laissaient
déjà vaincus, fugitifs, presque morts de frayeur, découragés par tant de
défaites, se retirer librement à travers ces spacieuses campagnes de la
i. Tantus cninicx solo Puellu3 nomiiiecorumanimispavor incesserat, ut sacramento
inagno eorum pluriini iimiarent, quod, solo eo audito, aut ejus conspectis signis, neo
reluctamli vires aniinuinque, vel arcus extentendi et jacula in hostes torquendi seu
feriendi, uti soliti per prius fuerant, ullomodo assumere possent. (P. 72.)
THOMAS BASLN. 237
Beauce, s'ils leurpermettaient par leur lâcheté de regagner leurs surs abris.
Us les poursuivent donc et les atteignent dans une vaste plaine près de la
ville connue sous le nom de Patay. Une fois venus aux mains, les vaincre
ne fut pas une affaire ; beaucoup furent tués, nombreux furent les pri-
sonniers, le reste dut son salut à la fuite. Le seigneur Talbot, comte de
Chérosbéry, fut fait prisonnier, et de nombreux chevaliers anglais le furent
avec lui. Le sire Jean Fastolf, chevalier anglais, capitaine d'une
compagnie anglaise, échappa par la fuite ; ce qui ne fut pas pour lui
auprès des Anglais le sujet de petits affronts, et d'un médiocre
opprobre.
CHAPITRE III
AVANT ET APRÈS LE SACRE.
SoMyAiRE: D'après Basin, c'est du roi que serait venue la résolution de se faire sacrer
à Reims, et couronner à Saint-Denis. — Rôle qu'il prête à Léguisé, évéque *de
Troyes. — Sacre à Reims ; couronnement à Saint-Denis. — Manière dont il raconte
Tattaque contre Paris. — Raisons qu'il donne du départ de Paris. — 11 place
après l'attaque de Paris la campagne de l'Ile-de-France.
Après tant de succès pour la cause française, après un tel revirement de
fortune, tant de prospérité et de bonheur à la suite de calamités voisines du
désespoir, après une telle révolution, il était bien permis de dire : Pareil
changement est T œuvre de la droite du Très-Haut, Charles, roi des Français,
n'était pas encore sacré d'après le rite des rois Très-Chrétiens de France ;
il n'avait pas ceint le diadème royal et la couronne, parce que Reims
où les rois sont sacrés, Paris et la petite ville de Saint-Denis où ils sont
couronnés, étaient au pouvoir des Anglais.
Réunissant des troupes de toutes les parties du royaume soumis à son
obéissance, et formant une grande armée, Charles résolut de se rendre
è Reims, pour s'y faire sacrer, de venir à Paris et à Saint-Denis pour y
être couronné solennellement, comme l'avaient été ses ancêtres et ses
pères. Il aborde Troyes-en-Champagne, par les soins et sur le conseil de
Jean Léguisé, homme d'éminente intégrité et d'éminente sagesse, qui en
occupait la chaire épiscopale, et gouvernait cette Église avec fermeté et
dignité; il y est reçu sans obstacle et avec joie ; il gagne Châlons et Reims ;
ces villes et presque toute la Champagne se mettent d'elles-même sous
son obéissance ; il est triomphalement oint de Thuile sainte et sacré à
Reims au milieu des transports d'allégresse des Français. Jeanne la
Pucelle n'a pas quitté l'armée royale, portant son vêtement d'homme,
l'armure et la bannière de guerre dont il a été déjà parlé.
238 LÀ VRAIE JEANNE D^ARC : LA LIBÉRATRICE.
Le roi qui voulait parcourir les autres villes de son royaume, les lieux
et les provinces occupés par Tennemi, et surtout visiter sa très insigne
capitale, Paris, et Saint-Denis où il devait recevoir le diadème et le sceptre
royaux, résolu qu'il était de monter sur son trône, le roi vient avec son
armée à Saint-Denis. Il eût été inutile de vouloir résister à une telle
puissance ; il y entre paisiblement et il y est couronné, ainsi que
Tétaient les nouveaux rois.
Durant le séjour de quelques jours qu'il y fait, Paris est sommé et
pressé de recevoir son roi, de lui donner entrée, et de lui faire obéissance
comme au légitime souverain. Le duc de Bedford s'y trouvait, ayant à sa
disposition de puissantes milices anglaises et bourguignonnes. Les
sommations et les instances sont un sujet de mépris et de dérision. Les
Français indignés de ces outrages, ayant quelque espérance que les cita-
dins, bien supérieurs en nombre et en force aux Anglais et aux
Bourguignons, seconderaient leur tentative et leur dessein, tentent une
attaque contre la ville. Ils commencent l'assaut, entrent dans les fossés.
La Puceile est dans leurs rangs, bien plus à leur tête, avec le duc
d'Alençon, de nombreux capitaines royaux, et de nombreux chefs de
milice. Sur les murs se trouvaient en rangs très serrés des défenseurs
prêts pour repousser l'attaque, qui, avec des pierriers, des canons, des
balistes et autres machines de traits, opposent la plus ferme résistance.
Beaucoup, parmi les assaillants, sont tués ou blessés ; Jeanne la Puceile
elle-même est blessée à la cuisse par un projectile. Après une tentative
frustrée et inutile on sonna la retraite, et les Français rétrogradèrent,
non sans perte et sans déshonneur.
Après cette affaire un peu témérairement engagée et sans résultat,
les Français se trouvaient à Saint-Denis, presque entourés par les
ennemis qui occupaient les forteresses et les cités voisines ; ils sentaient
disette de vivres et des autres choses nécessaires à la vie. Aussi le roi se
retira-t-il avec son armée vers Senlis, qui était au pouvoir des Anglais.
Pour défendre cette ville, le duc de Bedford, ayant promptement rassemblé
de nombreuses troupes d'Anglais, se hâta d'accourir. Il établit son camp
près d'étangs et de marais qui le protégeaient, et faisaient que l'approcher
était difficile, et non sans périls. Il y resta quelques jours comme assiégé
par l'armée française, sans juger avantageux d'offrir la bataille ; il finit
par se dérober la nuit avec ses Anglais pour rentrer dans Paris. Après
son départ, Senlis se donna au roi ; c'est ce que firent aussi Compiègne,
Beauvais, Laon, Soissons, Sens, et, bientôt après, toutes les places et
forteresses n'ayant pas de garnisons, ou n'en n'ayant que d'inférieures
en nombre et en force au nombre et aux forces des bourgeois et des
habitants.
THOMAS BASIN. 239
[... Basin raconte ensuite l'occupation momentanée de Chartres, de
Louviers, la venue du roi d'Angleterre en France, et reprend après This-
loire de la Pucelle.]
CHAPITRE IV
CAPTIVITÉ DE LA PUCELLE. — SON PROCÈS. — SON JUGEMENT.
JUGEMENT DE L'ÉGRIVAIN.
Sommaire : I. — Jeanne au siège de Compiègne. — Elle est prise et vendue aux
Anglais. — La cour délibère sur le sort à lui infliger. — Le procès. — Sa longueur.
— Tribunal. — Interrogatoire. — Admiration qu'excitent les réponses de Taccusée.
— Le parti pris des interrogateurs. — Beau tableau de la vie de Jeanne. — Impossi-
bilité d'un soupçon contre sa virginité. — La raison du port de Thabit masculin.
n. —impossibilité d'échapper aune condamnation. — La persuasion des Anglais. —
Ce que l'on rapporte de sa rétractation, des reproches des Saintes. — Condamnée
comme relapse. — Foule accourue à son supplice. — Sa sainte mort. — Ses cendres
sont jetées à la Seine. — Le motif.
in. — Jugement de Basin sur la Pucelle. — Sa réserve. — Il dit hardiment qu'elle
n'a été convaincue d'aucune erreur contre la foi. — Nullité du procès de condam-
nation. — Son Mémoire. — Mémoires de nombreux savants consultés pour la réha-
bilitation. — Leur conclusion. — La fin de la Pucelle n'est pas une objection con-
tre la divinité de sa mission. — Ainsi ont fini le Rédempteur, les Apôtres, les
martyrs. — Dieu a pu la permettre à cause des péchés du roi, ou du peuple, de
leur ingratitude, de leur orgueil. — La corruption des mœurs à cette époque. —
Dieu s'est souvent servi des femmes pour un rôle de consolation. — Liberté
d appréciation concédée par Basin.
I
Les Anglais et les Bourguignons assiégeaient depuis longtemps
Compiègne-sur-Oise, et Jeanne la Pucelle défendait celte ville avec de
aombreux et vaillants capitaines et chevaliers français, lorsque l'infor-
tunée jeune fille fut victime d'un bien malheureux accident. Un jour,
étant sortie avec une troupe d'hommes d'armes pour fondre sur Tennemi,
elle fut prise par un soldat bourguignon. Les Anglais, qui avaient soif de
sa perte et de sa mort, Tachetèrent au prix d'une grosse somme d'or. Pour
e^x, qui tanv de fois avaient été taillés en pièces et mis en fuite par la
^^e terreur de son nom, ce fut le sujet d'une grande joie et d'une vive
^U^resse.
Ds l'amenèrent à Rouen oii le jeune roi Henri se trouvait avec sa cour
^^ son conseil. Après de longues délibérations sur le sort qu'il fallait lui
^^ire subir, on décida qu'elle serait soigneusement gardée dans une prison
P^sablement dure de la forteresse de Rouen, et qu'ayant été prise sur
240 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
les limites du diocèse de Pierre Cauchon, évêque de Beauvais, Tun des
premiers conseillers du roi d'Angleterre, on lui intenterait devant ce
prélat un procès en matière de foi.
Le procès fut long et mouvementé. Pendant plusieurs mois, à divers
jours et à diverses fois, en présence des inquisiteurs de la perversité
hérétique, de nombreux professeurs de théologie, de droit divin et
humain, mandés pour cela de Paris, la Pucelle eut à subir de multiples
interrogatoires. Les questions et les réponses furent très soigneusement
recueillies par des notaires publics, et consignées dans des registres
juridiques. Presque tous admiraient avec quelle sagesse et quelle habi-
leté cette jeune paysanne répondait sur des matières de foi à des questions
pleines de difficultés même pour des doctes et des hommes cultivés. Les
assesseurs, partisans résolus, fervents défenseurs de la cause anglaise,
n'avaient qu'un but, la circonvenir par leurs questions équivoques et
captieuses, pour la faire paraître coupable du crime d'hérésie, et la faire
ainsi périr ; et cependant ils ne purent pas lui arracher une parole, une
assertion qui leur en fournît un prétexte tant soit peu solide et con-
cluant.
En effet, d'après le témoignage de ceux qui avaient connu sa vie et sa
conduite, soit avant sa venue auprès du roi, soit après, durant le temps
passé au milieu des hommes de guerre, elle avait été très pieuse, fréquen-
tant, toutes les fois qu'elle le pouvait, les églises et les lieux de prière.
Venait-elle, lorsqu'elle gardait le troupeau dans les champs, à entendre la
cloche qui annonçait l'élévation du corps et du sang de Dieu, ou sonnait
la Salutation de la Bienheureuse Vierge Marie, elle avait Thabitude de se
mettre à genoux et de prier avec une grande ferveur de dévotion.
Elle affirmait avoir voué à Dieu sa virginité ; et quoique ayant long-
temps vécu au milieu d'hommes d'armes, impudiques, entièrement
perdus de mœurs, jamais il ne s'éleva un soupçon qu'elle eût violé son
engagement. Bien plus, des femmes expertes, môme lorsqu'elle était au
pouvoir des Anglais, ayant soumis son intégrité à leur examen et inspec-
tion, ne purent observer et constater qu'une chose, la parfaite pureté du
sceau virginal.
Elle se justifiait de porter le vêtement viril, en affirmant que le Ciel
lui avait fait un commandement de le prendre en même temps que les
armes, afin que dans ses expéditions guerrières, passant les jours et les
nuits au milieu des hommes, elle ne fût pas pour eux l'occasion de désirs
mauvais; ce qui eût été presque impossible, si elle y avait vécu en
portant les habits de son sexe.
THOMAS BASIN. 241
II
Mais indubitablement, quel que fût Téclat de sa vertu feinte ou réelle^
il était presque impossible qu'elle pût se justifier auprès de ceux dont le
désir le plus ardent et le plus véhément était de la perdre et de la faire
disparaître. Il n'y avait parmi les Anglais qu'un sentiment, une voix
presque universelle, à savoir qu'on ne pouvait combattre heureusement
les Français et les vaincre, tant que respirerait cette Pucelle qu'ils
accusaient de sortilège et de maléfice. Comment son innocence aurait-
elle pu la sauver? A quoi pouvait-elle lui servir, alors qu'elle était entre
les mains de tant d'ennemis et de calomniateurs acharnés, tels que
Tétaient pour la Pucelle les Anglais et ceux qui, leurs chauds partisans
et défenseurs, siégeaient parmi les juges, résolus de faire tous leurs efforts,
de tenter toutes les voies pour contenter leur désir de la perdre?
Quant aux apparitions des saintes Vierges dont elle disait être favo-
risée, après avoir persévéré dans la même affirmation, fatiguée par de
longs examens et des questions souvent réitérées, amaigrie et épuisée
par l'horreur et les souffrances d'une longue prison, à l'intérieur et à
l'extérieur de laquelle des soldats anglais étaient toujours en sentinelle,
on raconte {ferunt) que, sur une promesse d'impunité et de délivrance,
faite par ses juges, elle avait fini par renier la vérité de ces sortes d'appa-
ritions et de révélations divines, et qu'elle avait été induite à en faire l'aveu
en jugement et devant des assistants ; et que, cela fait, la dureté et l'aspé-
rité de sa prison n'en avaient été pour cela nullement mitigées. Aussi,
quelques jours après, le bruit se répandit-il qu'elle avait dit avoir été
réprimandée pour avoir renié ces apparitions et révélations; que les
saintes lui apparaissant de nouveau dans la prison lui en avaient fait de
durs reproches.
Ceci rapporté aux juges, elle est de nouveau traduite publiquement
^^ jugement, comme coupable de rechute dans une hérésie précédemment
abjurée ; elle est jugée relapse, et comme telle abandonnée au bras
séculier. Aussitôt elle est saisie par les exécuteurs et par la soldatesque
^^^laise, alors nombreuse à Rouen à la suite de son roi Henri. En pré-
sence d une innombrable multitude, accourue non seulement de la cité
^^s des campagnes et des villes voisines, — plusieurs étaient venus
^oinme pour un spectacle public, — Jeanne, invoquant sans cesse à
^^^ secours Dieu et la glorieuse Mère de Notre-Seigneur Jésus-Christ,
*^aime fut consumée par les flammes.
On réunit les cendres provenant soit du bois, soit du corps et des
^sements, et du haut du pont, elles furent jetées dans la Seine, par
m. i6
242 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
crainte qu'un sentiment de superstition ne fit ramasser et garder quelque
chose de ces restes. C'est ainsi que Jeanne sortit de cette vie passagère.
III
Le lecteur désirera peut ôtre savoir notre jugement sur les faits de la
Pucelle dont, à cette époque, le nom remplit la France entière. S'il est
vrai que nous n'avons pas la témérité d'affirmer que Dieu est l'auteur
des apparitions et des révélations qu'elle disait avoir reçues, attendu que
nous n'avons nulle connaissance des signes de sa mission, signes qui, dit-
on, ont été manifestés seulement au roi Charles, nous disons et affirmons
hardiment, que du procès fait contre elle, procès que nous avons vu
lorsque, à l'expulsion des Anglais, la Normandie a fait retour à la domi-
nation de Charles, il ne résulte pas de preuve qu'elle ait été convaincue
d'une proposition erronée, en opposition avec la vérité catholique, ou
qu'elle en ait fait l'aveu juridique ; par suite l'inculpation du crime
d'hérésie et de rechute est assez manifestement dénuée de fondement.
En outre, on pouvait, d'après plusieurs chefs, étahlir que pareil procès
était vicieux ; il était intenté et déduit devant des ennemis mortels souvent
récusés par l'accusée; on lui a refusé tout conseil, à elle, une simple
jeune fille; on pourrait voir les raisons plus longuement exposées, dans
un petit Traité que nous fimes. pour répondre à la demande du roi Charles
qui voulait avoir notre avis, si ce Mémoire tombe entre les mains du
lecteur.
Les Anglais chassés de la Normandie, le môme Charles fit soigneuse-
ment examiner et discuter ce même procès par plusieurs prélats de son
royaume, et par de savants jurisconsultes versés dans le droit divin et
humain; ils lui adressèrent plusieurs Mémoires à ce sujet. Transmis aux
juges délégués par le Saint-Siège pour examiner cette afifaire et en juger,
CCS Mémoires furent mûrement pesés. La sentence fut celle que nous
venons d'émettre: le jugement porté sous la domination anglaise fut
cassé et révoqué.
Quelqu'un s'étonnera peut-être, qu'envoyée par Dieu elle ait pu
devenir ainsi prisonnière et être soumise à de tels supplices. Pareil
étonnement serait en vérité hors de toute raison chez ceux qui croient
fermement que le Saint des Saints, Notre-Seigneur et Sauveur, que les
saints Prophètes, les saints Apôtres envoyés pour apporter et persuade
aux hommes la doctrine du salut, les commandements divins de la foi
ont eu à supporter tant de tourments et de supplices, et ont fini leur vi<
mortelle par le triomphe du martyre. Ne lisons-nous pas encore que h
THOMAS BASIN. 243
peuple d'Israël, après avoir reçu de Dieu Tordre d'exterminer Chanaan,
de combattre des nations idolâtres ennemies de Dieu, est cependant
parfois tombé abattu sous leurs coups, à cause de ses prévarications, ou
même à cause des prévarications de Tun de ses membres? Qui donc
connaît les sentiments de Dieu, ou qui fut son conseiller? En parlant
ainsi, nous ne voulons pas dire que Jeanne, arrachée à cette triste vie
de la manière que nous venons de dire, doive être mise sur le même rang
que les Apôtres et les Martyrs ; nous voulons dire qu'il n'y a ni répu-
gnance ni incompatibilité, à ce qu'elle ait été envoyée par Dieu pour
secourir le roi et le royaume contre des ennemis qui tyrannisaient très
cruellement le pays, pour humilier l'orgueil des Anglais et des Français,
pour que personne ne fasse de la chair un appui, et, au mépris de
Dieu, ne se glorifie en lui-même et en ses forces; et que néanmoins
Dieu .ait permis qu'elle ait été prise par les ennemis et accablée de
supplices. Il a pu le permettre à cause des péchés du roi, ou de la nation.
Ingrats pour de si grands bienfaits merveilleusement concédés par le
moyen de Jeanne, ils n'ont peut-être pas rendu dedignes actions de grâces,
ou même ils ont attribué leurs victoires, non pas à la gratuite faveur
du Ciel, mais à leurs forces et à leurs mérites. Leurs mérites à cette
époque étaient nuls, ou plutôt ce n'étaient que des démérites, les mœurs
étant si corrompues. Toute autre cause juste, puisqu'il n'y a pas d'ini-
quité en Dieu, mais qui nous est inconnue, a fait qu'une grâce gratuite
accordée à ceux qui ne la méritaient pas, a été retirée à des indignes et
k des ingrats. Souvent en effet l'ingratitude a fait retirer ce qui avait été
donné par un pur effet de la divine miséricorde.
Que Dieu parfois, par le moyen de femmes, avec ou sans armes,
console les siens, et leur donne île triompher de leurs ennemis, c'est ce
qu'attestent les histoires de Débora, de Judith, d'Estlicr que nous lisons
dans le canon des Ecritures.
Après cet exposé sur Jeanne Ja Pucelle, dont la mission, les apparitions
elles révélations peuvent être appréciées par chacun selon qu'il le com-
prendra et le jugera, sur lesquelles on peut avoir des sentiments dilfé-
renls que nous n'entendons pas interdire, reprenons la suite de notre
narration * .
^' Voir aux ¥iècîs justificatives le texte latin des dernières pages de Thomas Basin.
GILLES LE BOUVIER
DIT LE HÉRAUT BERRY
On s'explique assez difficilement que Ton ait attribué à Alain Chartier
une Chronique dont Fauteur se fait connaître dans le prologue, à peu
près dans les termes suivants, qui se lisent dans plusieurs manuscrits du
XV* siècle.
« Je, Berry, premier Hérault du roy de France, mon naturel et souve-
rain seigneur, et roy d'armes de son pays de Berry, honneur et révérence
à tous ceux qui ce petit livre liront. Plaise savoir qu'à la seizième année =
de mon âge, alors que chacun, ainsy que nature l'ordonne, pense à s'ap —
pliquer là où sa plaisance l'incline, je pris mon plaisir et délectation k^
voir et à suivre le monde. X cette heure {vers 1402), le noble royaulme d^=
France et la noble cité de Paris avoient la plus haute renommée de toussa
les royaulmes chrétiens. Là abondoient le plus, prélats, chevalerie, mar —
chands, clercs et commun peuple; là se trouvoient haults honneun
richesses et plaisirs. Je m'appensai de voir à mon pouvoir les honneui
et haults faits de ce très noble et très chrestien royaulme, de me trouve:
par le plaisir de Dieu, partout où je saurois voir les haultes assemblé*
et haults faicts d'iceluy royaulme et de? aultres à mon pouvoir, et que
vue d'icelles choses seroit mise par moy en escrit, tant les biens fai(^
que les mauvois. »
Ce n'est pas Denys Godefroy qui a restitué au héraut Berry, air»,
qu'on le lit dans nombre d'écrits modernes, la Chronique dont il ^'
l'auteur. Godefroy donnait son Recueil des historiens de Charles VU
4601 ; or en 1631, dans son Abrégé royal de F alliance chrotiologique
f Histoire sacrée et profane, le Père Labbe signalait, d'après le savî
André Duchesne, l'erreur qui l'attribuait à Alain Chartier.
Berry nous donne d'autres détails personnels dans son Traité d^-^
armoiries^ qui débute ainsi : « Je, Gilles Le Bouvier, dit Berry, premi*^**
hérault de très hault et très chrestien roy Charles septiesme, par luy nomni^
et créé hérault en l'an MCCCCXX, et depuis coronné et créé par iceluy
prince en son chastel de Meliun en la feste de JNoël, roy d'armes des pay^
et marches du Berry, etc. »
GILLES LE B0U\1ER. 245
Roi d'armes était le titre le plus haut d'une hiérarchie qui comprenait
les hérauts d'armes, le poursuivant d'armes, et les aspirants au titre de
poursuivant, ou les simples chevaucheurs. Les hérauts d'armes avaient
uno haute importance dans le moyen âge, chargés qu'ils étaient de pro-
clamations aussi significatives que les déclarations de guerre, ou les
propositions de paix, de veiller à ce que dans les tournois tout se passât
coct £ormément aux règles de la chevalerie, d'animer les combattants, etc.
Ils devaient être très versés dans l'art héraldique. Aussi Gilles Le Bouvier
a-t— ilfait un Traité des armoiries. Il a écrit une Géographie', un passage
en a été cité au premier chapitre de ce volume: enfin il a écrit une
Clironique de l'an 1402 à 1433.
lierrv est très succinct dans ses récits. Comme témoin sur la Pucelle,
il la'offre guère d'intérêt que pour ce qui regarde le siège de La Charité,
et la tentative faite par Jeanne afin de déloger le duc de Bourgogne du
siège deChoisy; pour tout le reste, c'est presque un sommaire souvent
inexact.
11 existe de nombreux manuscrits de la Chronique de Berrj*. Quicherat
se senil de textes renfermant deux phrases qu'il déclare justement
inintelligibles, mais il a tort d'ajouter qu'elles sont telles dans tous les
manuscrits. Les manuscrits n" 2860 et 2861 renferment des phrases fort
claires, et en accord avec le contexte. 11 y a dans le n' 2861 plusieurs
fsits omis dans le texte de Quicherat, faits qui aident à mieux comprendre
t histoire de Jeanne d'Arc, et qui seront reproduits; tel le recouvrement
^'«Welun.
LA PUCELLE, D'APRÈS LE HÉRAUT BERRY.
*^ ^ lE : 1. — I^ Pucelle arrive et est examinée «iurant le carême. — Avis des
H ^^^ ^ «urs. — Elle est équipée.
'.""^ ie héraut de la Pucelle aux Anglais emf»ri<onné, en attendant d«î jiouvoir être
. \^^*- — Fausse assertion qu'après son entrée à Orléans, la Pucelle serait revenue
^'^is. — Prise de la bastille Saint-Loup. — Inutiles efforts des Anglais f>our la
*urir. — Erreur du chroniqueur sur le jour de la prise des Augustin*:. — .\ttaque
Tourelles. — l'n jour entier de combat. — Anglais pri«, tués ou noyés. —
ûte des Anglais.
Ijes Anglais dispersés à Jargeau, Meung et Daugency. — Secours envoyé [>ar
Cord. — Prise de Jargeau, de Baugency. — Retraite de l'armée anglai«ï«; ver»
|..^^ '^Ile. — Taillée en pièces à Patay.
' ^ La Trémoille fait congédier Richemont et de Pardiac. — Le roi, en se rendant
.. ^^ ^im», reçoit robéissance de Troyes, de Chàlons. — Solennité du sacre.
* *^ Nom des principales villes parcourues par le roi après le sacre. — I-es armées
. ^tise et française en présence à Thieux et auprès de Senlis. — Quelques particu-
^^^îtés sur cette dernière journée. — Séjour à (>)mpiègne. — Fallacieuses promesses
246 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
de Jean de Luxembourg. — Le roi à Saint-Denis. — La Trémoille fait retirer
l'armée lors de l'assaut de Paris. — Bedford vole au secours de la Normandie. —
Itinéraire du roi dans son retour vers la Loire. — Duplicité du duc de Bourgogne.
— Sauf-conduit qui lui donne facilité pour resserrer son alliance avec Bedford.
VI. — Sens et Melun se rendent français. — La Pucelle empêchée par La Trémoille
d'aller combattre en Normandie avec le duc d'Alençon. — Échec contre La Charité.
— Couronnement du roi d'Angleterre en Angleterre, et mariage du duc de Bour-
gogne. — Échec d'un complot pour remettre Rouen au roi.
VIL — Siège par le duc de Bourgogne, de Choisy, près Compîègne. — Prise de
Château-Gaillard. — La Pucelle va passer par Soissons pour venir à Choisy ;
Intrigue du capitaine pour ne pas laisser entrer la troupe de la Pucelle. — Disper-
sion de la troupe de la Pucelle. — Trahison du capitaine de Soissons. — Prise de
Choisy. — Siège de Compiègne. — La Pucelle prisonnière et vendue aux Anglais.
I
Efi cet an i429, et en ce môme temps de carême, arriva par devers
le roi, au châtel de Chinon, une jeune fille de Tâge de dix-huit à vingt ans,
nommée Jeanne la Pucelle. Elle était née et nourrie d'emprès Vaucouleurs,
à un village de dessus la rivière de Meuse, et avait été toute sa jeunesse
jusqu à cette heure à garder les brebis. Elle vint devant le roi et en le
saluant lui dit ces paroles : « Que Notre-Seigneur l'envoyait vers lui pour
le mener couronner à Reims et pour lever le siège que les Anglais tenaient
devant la bonne cité d'Orléans, et que Dieu, à la prière des saints, ne
voulait pas que ladite cité fut prise ni périe ».
Sur ces paroles, le roi la fit examiner par plusieurs sages docteurs de
son royaume, auxquels elle répondit sagement et par bonne manière,
tellement que tous les docteurs étaient d'opinion qua son fait, son dit et
ses paroles, étaient faits et dits par miracle de Dieu. Et pour ce, il fut
proposé et ordonné en grande délibération du conseil que, pour faire et
accomplir les choses qu'elle avait dites, en intention qu'elle pût les com-
mencer et achever au plaisir de Dieu, on lui baillerait chevaux, harnais et
gens pour l'accompagner et voir son fait et ce que ce serait. Et tout fut
fait, conseillé et ordonné audit châtel de Chinon durant ledit temps de
carôme, alors que un chacun était en dévotion. Et la conduisaient le ma-
réchal de Rieux [Rais) et le sire de Culan, l'un maréchal et l'autre amiral.
Il
L'an mil II II' et vingt-neuf fut levé le siège d'Orléans, le xii'' jour de
mai *. Et en ce temps se partit la Pucelle du châtel de Chinon ; elle prit
1 . Le 8 et non pas le 12. Le récit de la délivrance d'Orléans renferme d'autres
inexactitudes : inutile de les relever.
GILLES LE BOUVIER. 247
congé du roi, et chevaucha tant par ses journées qu'elle arriva dedans
la bonne cité d'Orléans malgré les Anglais. Par un héraut, elle leur
envoya publiquement devant tout le monde des lettres portant qu'il s'en
allassent, que Dieu le voulait, que sinon il leur mescherroit (arriverait
malheur), et que Dieu se courroucerait contre eux s'ils faisaient le con-
traire. Lesdits Anglais prirent le héraut, et décidèrent qu'il serait ars^
et firent faire V attache (le bûcher [?]) pour le brûler. Toutefois, avant qu'ils
eussent reçu le sentiment et conseil de ceux de l'Université de Paris et
de ceux tenus de ce faire [de donner conseil)^ ils durent lever le siège,
furent morts et déconfits, et partirent si hâtivement qu'ils laissèrent le
héraut en leurs logis tout enferré, et s'enfuirent.
La Pucelle visita les bastilles qu'ils avaient élevées ; et étaient avec elle
le sire de Rais, maréchal de France, le bâtard d'Orléans, et messire
Louis de Gulan, amiral, et plusieurs autres chevaliers et écuyers dessus
nommés. Le lendemain la Pucelle partit d'Orléans et vint à Blois pour
avoir argent et vivres *. Cela fait, elle vint audit lieu d'Orléans avec une
grosse puissance de gens d'armes.
Sitôt qu'elle fut entrée en la ville, le peuple sortit d'Orléans [des
remparts) par le grand vouloir qu'ils avaient d'ôtre hors la servitude des
Anglais. Ils assaillirent la bastide de Saint-Loup et la prirent d'assaut. Et
alors les Anglais qui étaient es autres bastilles loin de là se mirent en
chemin pour secourir la bastille de Saint-Loup. Mais avant qu'ils fussent à
mi-chemin, ils aperçurent que le feu était dedans et qu'elle était perdue
pour eux*.
Etaient allés à l'attaque Mgr le bâtard d'Orléans, le sire de Rais,
et plusieurs autres, quand ils surent que le jieuple était ému d'y aller. Ce
fut le commencement de la levée du siège. Là furent morts et brûlés
60 Anglais, et 22 furent faits prisonniers. Ils furent à Mgr le bâtard
d'Orléans. Cette bastille était tenue par un capitaine anglais nommé
Thomas Guérard, qui était capitaine de Montereau pour les Anglais.
Ce soir ', les Français passèrent en bateaux la rivière de Loire, et
allèrent assaillir les bastilles du côté delà Vicomte* {de la Sologne), et celle
des Augustins devant la porte du pont et les prirent. Et ce soir, les Français
1. C*est une erreur.
2. La phrase donnée par Quicherat est de tout point inintelligible. Il le constate lui-
même, et il a raison ; mais il a tort d'affirmer que c'est la phrase donnée par tous les
manuscrits. Le manuscrit 23 283 est le seul qui présente cet imbroglio. Les manuscrits
2860 et 2861 portent la phrase ici reproduite.
3. C'est encore inexact. Entre l'assaut de Saint-Loup et de Saint-Augustin se place
la fête de TÂscension, qui ne fut pas un jour de combat.
4. Le manuscrit reproduit par Quicherat porte « la Beauce », les deux autres « de la
Vicomte ». C'est « de la Sologne », qu'il faut lire.
248 LA VRAIE JEANNE D*ARC : LA LIBÉRATRICE.
se retirèrent en la ville, et la Pucelle avec eux, et une partie des gens
demeurèrent aux champs toute la nuit.
Le lendemain au matin, qui était jour de samedi, les Français passèrent
de nouveau la rivière pour assaillir la bastille du pont. Et là furent le sire
de Rais, le bâtard d'Orléans, le sire de Gaucourt, le seigneur de Graville,
le sire de Guitry, le sire de Coarraze, le sire de Villars, messire Denis de
Ghailly, Tamiral messire Louis de Culan, La Hire, Poton, le commandeur
de Giresme, messire Florent d'IUiers, le Bourg de Mascaran, Thibaud de
Thermes et plusieurs autres ; lesquels donnèrent l'assaut de toutes parts
à ladite bastille du pont depuis le midi jusque au soleil couchant, et tant,
que par force d'armes la bastille fut prise. Et là moururent les seigneurs
[atiglais) de Poynings, et de Molyns, et un capitaine nommé Glacidas,
Anglais, qui était capitaine d'icelle bastille. Comme il pensait se retirer
dedans la tour du boulevard, le pont fondit, et lui et tous ceux qui étaient
sur ce même pont fondirent en la rivière de Loire; et là dedans furent
qui morts, qui pris, qui noyés, de nu à V Anglais [de 400 à 500 Anglais).
Le lendemain matin, qui fut dimanche, les Anglais se levèrent de devant
Orléans et s'en allèrent à Meung-sur-Loire, la plupart à pied; et ils lais-
sèrent leurs bastilles, leurs vivres et leur artillerie; ce dont ceux de la
ville d'Orléans furent moult refaits, et ils eurent très grand confort des
vivres qu'ils trouvèrent es dites bastilles.
III
Le comte de Suffolk prit la charge de cinq cents Anglais, pour les
mener à Jargeau, sur Tordre de sire de Talbot, lieutenant pour le roi
d'Angleterre. Le sire de Talbot demeura à Meung et à Baugency jusqu'à
ce qu'ils eussent des nouvelles du duc de Bedford, et de grands secours.
Le duc leur envoya messire JeanFastolfet toutce qu'il put réunir de gens.
Et lors les chefs de guerre qui avaient été dedans la ville d'Orléans
durant le siège, et Mgr le connétable de France, comte de Richemont*,
Mgr d'Alentjon et Mgr d'Albret, vinrent et mirent le siège à Jargeau
et le prirent d'assaut. Là furent pris ou tués de quatre à cinq cents
Anglais; et fut pris, sur le pont de la ville sous lequel passe la rivière de
Loire, le comte de Suffolk qui s'y était retiré après la prise de la place.
Il se rendit à un écuyer d'Auvergne, nommé Guillaume Regnault, que
le comte fit chevalier pour que l'on dît qu'il avait été pris par un chevalier.
A la prise des Anglais, qui fut faite sur le pont par les Français, se noya
Alexandre de la Poule, frère dudit comte.
1. Encore une erreur. Richemont ne fut nullement à la prise de Jargeau.
GILLES LE BOUVIER. 24^
Les Français et la Pucelle viDrent de là mettre le siège devant Baugency ;
les Anglais, vu la peur qu ils avaient en voyant la fortune tourner contre eux,
se rendirent et livrèrent Baugency par composition. Dans la place étaient
de six à sept cents Anglais, ayant pour capitaine messireGuichardGuettin.
Quand le sire de Talbot et messire Jean Fastolf surent que Baugency
s'était rendu et que les Anglais s'en étaient allés en Normandie un bâton
en leur poing, ils partirent pour se rendre à Janville \ Les seigneurs de
France le surent ; ils les poursuivirent bien six lieues, et ils les atteignirent
en face d'un fort moustier {monastère) nommé Patay. C'est là que
les Anglais furent combattus et déconfits ; là furent pris le sire de Talbot,
et d'autres jusqu'au nombre de trois cents ; il y eut vingt deux cents morts
(2200); messire Jean Fastolf s'enfuit avec plusieurs autres. Par cette
journée les Anglais laissèrent Meung, Janville, La Ferté, et d'autres
forteresses du pays de Beauce.
IV
Le roi, instruit de ces nouvelles, s'en alla à Gien et de là à Auxerre avec
toute son armée, et il vint à Troyes. Il renvoya le Connétable et contre-
manda le comte de Pardiac, parce que le sire de La Trémoille craignait
qu'ils ne voulussent avoir le gouvernement du roi, lui faire déplaisir de
sa personne, et le bouter dehors.
La cité de Troyes fit obéissance au roi, qui, partant de là, vint à Châlons
qui lui fit pareillement obéissance, et de là à Reims où il fut grandement
accompagné des seigneurs de son sang et des barons de son royaume,
tels que le duc d'Alençon, le comte de Vendôme, le sire d'Albret, le
bâtard d'Orléans, le comte de Clermont, les maréchaux, l'amiral,
le maitre des arbalétriers, le sire de Laval et moult d'autres barons. Et le
roi fut sacré et couronné à Reims en moult grande solennité.
Le roi partit ensuite de Reims et vint à Soissons, de là à Château-
Thierry et à Provins qu'il mit en son obéissance ; et de là il vint à Crépy-
en-Valois. Le duc de Bedford fit savoir au roi que s'il voulait la bataille,
il le recevrait. Et aussitôt les lettres reçues des mains des hérauts, le
I. De tous les chroniqueurs, Wavrin, que Ton trouvera au livre IV, est celui qui
expose le plus nettement les mouvements qui eurent lieu de part et d'autre à la veille,
oo le jour même de la bataille de Patay. Les autres, et particulièrement celui-ci,
présentent des obscurités.
250 LA VRAIE JEANNE D'aRC : LA LIBÉRATRICE.
roi partit et vint àLagny-Ie-Sec, et il laissa son avant-garde à Dammartin.
Les coureurs français et anglais escarmouchèrent tout le jour sur une
petite rivière à un village que Ton appelle Thieux. Sur le soir de ce jour,
le duc de Bedford partit avec toute son armée, et s'en alla à Louvres. Le
roi de France et son armée étaient à Crépy et l'avant-garde à Baron.
Le lendemain, au point du jour, Tarmée de Bedford vint près de Senlis
en un lieu nommé La Victoire. Les Français étaient logés dans les villages
d'alentour. Quand ils surent la venue des Anglais, ils se réunirent et se
disposèrent en ordre de bataille. Le roi de France vint de Crépy à
Montépilloy, où il coucha cette nuit. Le lendemain les deux armées
furent durant tout le jour Tune près de l'autre, sans haie et sans buisson, à
la portée d'un trait de coulevrine, et ne se combattirent pas. Le soir le roi
se retira et s'en alla avec son armée à Crépy, et le duc de Bedford à Senlis.
Le lendemain le roi s'en alla à Compiègne qui lui fit obéissance ; il
y resta huit jours. Là vint messire Jean de Luxembourg, qui lui fit de
grandes promesses de faire la paix entre le roi et le duc de Bourgogne ;
ce dont il ne fit rien, sinon le décevoir. Le roi partit de là et s'en vint à
Senlis ; la ville lavait mandé quérir. Son avant-garde passa outre et vint
à Saint-Denis. L'armée était sous la conduite de Mgr d'Alençon, de la
Pucelle et des maréchaux. Vinrent à l'aide du roi le duc de Bar nommé
René, le damoiseau de la Marche (de Commercy) et celui de Roudemac.
De là le roi vint à Saint-Denis, et son armée vint devant Paris pour
Tassaillir ; mais le sire de La Thémoille fit retourner les gens d'armes
A Saint-Denis.
Le duc de Bedford vint pour cette cause (?) à La Chapelle-Saint-Denis
avec son armée *, et de là il s'en alla à Rouen, de peur que la Normandie ne
se révoltât, à la suite de Beauvais etd'Aumale qui s'étaient donnés au roi-
Le roi partit ensuite de Saint-Denis pour venir en Berry. Il vint ^
Lagny, qui s'était mis sous son obéissance, d'où il s'en alla à Provins e^
à Bray, qui se réduisit à lui. Il passa la rivière d'Yonne à gué lui et so
armée, près de Sens, d'où il vint à Courtenay et à Château-Renard,
de là à Gien.
Il pensait avoir accord avec le duc de Bourgogne. Le duc lui av
mandé par le sire de Charny, qui lui en avait apporté les nouvelles, qu
lui ferait avoir Paris, et qu'il viendrait à Paris pour parler à ceux q^
tenaient son parti. Pour cette cause le roi lui envoya son sauf-cond
pour venir à Paris; mais quand il fut à Paris, le duc de Bedford et L
resserrèrent leurs alliances à l'encontrc du roi, plus fort qu'ils
l'avaient fait jusque-là ^ Ce même duc s'en retourna avec son sa
1. Bedford avait pris le chemin de la Normandie avant la tentative contre Paris.
2. Le duc de Bourgogne fut nommé gouverneur de Paris, et reçut du roi d'Ang'
GILLES LE BOUVIER. 25i
conduit par les pays de l'obéissance du roi en ses pays de Picardie et de
Flandres.
VI
[Dans les manuscrits 23282 et 2861. on trouve à la suite le récit de la
victoire d'Antbon, de la reddition de Sens et de Melun, dont il n'est pas
question dans le manuscrit 2860.
Le récit de la victoire d'Anthon est anticipé. Celle victoire fut gagnée le
11 juin 1430, plus de quinze jours après la prise de la Pucelle, contre le
prince d'Orange et le duc de Savoie qui voulaient se partager le Dauphiné.
Voici ce qui regarde Sens, et surtout Melun, où Jeanne devait recevoir,
dans la semaine de Pâques 1430 {Pâques était le 16 avril) la révélation
qu'elle serait prise avant la Saint-Jean.]
Ledit an {14W anc, st.), en hiver, ceux de la cité de Sens se réduisirent
en l'obéissance du roi, et eurent leur abolition*. Ils mirent dehors leur
capitaine nommé Pierre de Beaufort.
En ce même an la ville de Melun se mit en l'obéissance du roi, et ils
eurent une abolition.
La manière dont elle fut réduite fut celle-ci: les gens de ladite ville
qui étaient bons Français virent que la plupart des gens de la garnison
avaient été courir devant Yèvres-en-Gâtinais, pour prendre des vaches.
Les gens de la ville, pour parvenir à leurs fins, publièrent qu'à Pontoise
il y avait grande foison de gens d'armes Picards qui voulaient venir en
garnison à Melun, et qu'ils voulaient être maîtres des gens des villes où
ils se trouvaient : et ils dirent qu'ils n'y entreraient pas. Or Melun était
tenu par messire Jean de Luxembourg, et le château était gardé pour lui
par Dreux d'Humières, avec grand nombre de gens. Il advint qu'il n'y
uvait dans le château que dix personnes, les autres étant sorties au dehors.
Ceux de la ville leur ôtèrent les clefs, fermèrent les portes, et envoyèrent
quérir promptement le capitaine du Pont-de-Seine, le commandeur de
Giresmes, et messire Denis de Chailly qui se mirent en la ville, et en
Vile du château, qui fut ainsi assiégé.
Ceux qui étaient allés courir trouvèrent les portes fermées et s'en
allèrent à Corbeil, qui tenait pour les Bourguignons. Les gens du roi
vinrent au siège de toutes parts. Ceux de Corbeil vinrent par la rivière,
espérant ainsi entrer; mais quand ils surent que la bastille était en Tile
terre la Champagne, joignant ainsi ses Étals de Bourgogne à ses Étais de Flandres et
du Nord. C'était une formidable puissance. Heureusement la Champagne était à
conquérir. La Pucelle l'avait donnée au roi.
1. Amnistie pour le passé.
252 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
du château, ils s'en retournèrent. Ainsi la ville et le château furent
réduits au roi, Melun redevint français et les Bourguignons et les Anglais
perdirent ce passage*.
Le roi étant à Gien au retour du sacre, et le duc d'Alençon avec lui,
celui-ci désirait amener avec lui en Normandie la Pucelle et les hommes
d'armes du roi ; mais le sire de La Trémoille ne le voulut pas; il
envoya la Pucelle, au plus fort de l'hiver, avec son frère, le sire d'Albret
et le maréchal de Boussac et bien peu de gens, devant la ville de La
Charité. Ils furent là environ un mois, et ils en partirent honteusement,
sans que secours vint à ceux de dedans; ils y perdirent bombardes et
artillerie. Dans un assaut il y mourut un baron du pays du Dauphiné,
nommé Raymond de Montmor, dont fut dommage.
En cet an fut couronné en Angleterre le roi Henri, encore bien jeune,
et le duc de Bourgogne épousa la fille du roi de Portugal ; leurs noces
lurent célébrées à Bruges-en-Flandre, et il y eut moult grande fête.
Le duc de Bourbon partit pour Beauvais avec tous les gens d'armes
des frontières de France et de Beauvaisis; étaient avec lui le comte de
Vendôme, l'archevêque de Reims, Poton de Xaintrailles et plusieurs
autres capitaines et gens de guerre, tous assemblés pour entrer à Rouen,
par le moyen de quelques habitants de la ville. Or, il arriva que lesdits
seigneurs, en chevauchant entre Beauvais et Rouen, rencontrèrent cinq
ou six-vingts Anglais, qui descendirent à pied ; les Français leur coururent
sus à cheval, mais les Anglais se défendirent si vaillamment qu'à la
fin les Français retournèrent à Beauvais et les Anglais demeurèrent aux
champs.
VII
L an mil IIIl" et XXX, le siège fut mis à Choisy, près de Compiègne,
par le duc de Bourgogne, les comtes de Stafford et d'Arondel et messire
Jean de Luxembourg, et h la fin, ils prirent la place par composition.
Pendant le siège un écuyer gascon, nommé Poton de Xaintrailles, et les
gens d'armes de sa compagnie passèrent la rivière d'Aisne entre Soissons
elle Pont, et frappèrent sur ledit siège, ils en tuèrent et prirent plusieurs.
Entre les autres fut pris un nommé Jean de Brimeu, du pays de Picardie
{alias j moult riche écuyer.)
En cette saison Etienne de Vignoles, dit La Hire, partit de Louviers
avec une grande compagnie de gens d'armes. Ils passèrent la rivière de
hi Seine en bateaux, et ils vinrent prendre par échelles Château-Gaillard,
1. McIun fut repris par les Anglais dans la suite.
GILLES LE BOUVIER. 253
qui est à sept lieues de Rouen, assis sur un roc, près de ladite rivière
de la Seine. Là ils trouvèrent le sire de Barbazan, prisonnier du roi
d'Angleterre, qui avait été pris {en 1420) dans la ville de Melun, dont
il était capitaine. Barbazan fut amené vers le roi notre sire, qui fut moult
joyeux de sa délivrance.
En ce temps * la Pucelle partit de Compiègne accompagnée de l'Arche-
vêque de Reims, du comte de Vendôme et de plusieurs autres capitaines
et gens de guerre. Ils chevauchèrent tant qu'ils vinrent devant la ville
de Soissons, pensant passer par ladite ville pour aller combattre le duc de
Bourgogne qui était devant ledit Pont-à-Choisy, entre les deux rivières
d'Oise et d'Aisne.
Quand ils furent arrivés devant la ville de Soissons, un écuyer de
Picardie nommé Guichard Bournel, que le comte de Clermont, fils du
duc de Bourbon, avait fait capitaine de la place, refusa l'entrée de la
ville aux seigneurs et gens d'armes ; il suborna les gens de la ville en leur
faisant entendre que ces seigneurs et gens d'armes venaient pour s'y mettre
en garnison, afin d'amener le peuple à la résolution de ne pas les
admettre dans l'intérieur de la ville. Les gens d'armes couchèrent cette
nuit aux champs ; et, sur la fin, quand on approcha de la nuit, le capitaine
bouta dans la ville la Pucelle, l'archevêque de Reims, et le comte de
Vendôme avec une petite compagnie de leurs gens*. Le lendemain les
gens d'armes s'en allèrent au delà de la rivière de la Marne et de la Seine,
parce qu'ils ne trouvaient pas de quoi vivre sur le pays, et aussi qu'ils
étaient grands seigneurs, en grand nombre, et accompagnés de plusieurs
gens de guerre.
Ils ne pouvaient pas vivre dans la ville de Compiègne, car les habi-
tants s'attendaient à ce que, de jour en jour, le siège fût mis devant leurs
murailles. Les seigneurs s'en allèrent à Sentis, et la Pucelle à Compiègne.
Incontinent qu'ils furent partis de Soissons, ledit Guichard vendit la
cité au duc de Bourgogne et la mit en la main de messire Jean de Luxem-
bourg ; ce qu'il fit laidement et contre son honneur.
Cela fait il s'en alla avec ledit duc, qui par ce moyen eut obéissance
du Pont-à-Choisy, et vint mettre le siège devant Compiègne. Vinrent à
son aide les comtes de Stafford et d'Arondel, Anglais, avec mille et cinq
cents combattants qui furent au siège devant Compiègne.
La Pucelle y fut prise par un Picard, et depuis messire Jean de Luxem-
bourg la vendit aux Anglais.
1. Pendant le siège de Choisy. Pour délivrer cet avant-poste de Compiègne, la Pucelle,
empêchée de passer la rivière de l'Aisne, fit par Soissons le détour dont il va être parlé.
2. Quicherat a suivi le manuscrit 28283, qui n'est guère intelligible ; les manuscrits
2860 et 2861 expriment bien clairement le sens ici relaté.
MATHIEU THOMASSIN
NOTES BIOGRAPHIQUES ET CRITIQUES.
Les pages suivantes ne sont pas tant une Chronique suivie que l'ex-
pression des sentiments provoqués chez les contemporains par l'appa-
rition de la Pucelle. Elles ne manquent pas cependant de renfermer
comme faits d'importantes particularités.
L'auteur est un grave magistrat du temps, dans la pleine maturité de
l'âge, lorsque parut la Pucelle, qui lui a survécu de longues années.
Mathieu Thomassin, ainsi qu'il nous l'apprend lui-même dans le livre dont
les pages suivantes sont un extrait, naquit à Lyon en 1391. Il étudia le
droit à Orléans. Après avoir passé sa licence il suivit la cour du parle-
ment, pour s'initier à la pratique des affaires: il était à Paris en 4417.
Charles Vil l'employa dans Tadministration du Dauphiné ; il était membre
du présidial lors de l'apparition de la Pucelle.
Louis, devenu Dauphin de bonne heure, et seigneur du Dauphiné avant
d'ôtre Louis XI, lui témoigna plus de confiance encore. En date du
20 mai 1436, il lui adressait les lettres patentes suivantes : « Nous,
informé à plein de vos sens, science, prudhommie, loyauté et bonne
diligence, attendu mèmement que vous êtes le plus ancien de nos offi-
ciers... vous mandons et commettons par ces présentes, que de nos
anciens droits, privilèges, libertés, gestes, faits et autres choses louchant
notredit pays, vous vous informiez diligemment et au vrai, et tout ce
que vous en trouverez, enregistrez ou faites enregistrer en livre et
registre dû, pour être mis et gardé en notre chambre des comptes, à
Grenoble, en perpétuelle mémoire ». La commission était accompagnée
des pouvoirs les plus étendus pour se faire livrer par tous et partout
les pièces qui pourraient servir au travail assigné.
Le champ était vaste. L'auteur se mit à l'œuvre. Il en sortit le manus-
crit conservé aujourd'hui à la bibliothèque de Grenoble sous le titre de
(( Registre Delphinal ». Bien des matières certes sont abordées; mais soit
que l'auteur ait manqué de temps pour coordonner ses recherches, soit
qu'il n'eût pas les aptitudes nécessaires, le «Registre Delphinal » est un
vrai chaos ; il serait difficile d'en retracer la marche et la suite.
Ce qui est manifeste, c'est que l'auteur est un homme de foi, profon*
MATHIEU THOMASSIN. 255
dément Chrétien et profondément Français, jaloux du pouvoir civil et
politique à rencontre du clergé, dont il combat en maints endroits les
empiétements réels ou prétendus.
Dans la longue énumération des privilèges du roi de France, voici
ceux qu'il met en tète : U Église universelle, et tous les chrétien appellent
le roi de France Très-Chrétien comme chef de toute Chrétie?ité. — Le royaume
a pour spécial protecteur^ guide^ et défendeur le glorieux Archange
saifit Michel. Depuis que le roi Clovis fut fait Très-Chrétieti^ les 7*ois de
France jamais ne se départirent de la foi chrétienne, ils ont remis sur leur
siège plusieurs Papes qui en avaient été chassés et déboutés, Thomassin énu-
mère les Papes ainsi rétablis, et les privilèges concédés par leur recon-
naissance, entre autres celui-ci : le Pape Estienne II excommunia et
mauldit tous estrangers qui vouldroient migre et invader ledit royaulme.
Voici comment il parle du privilège de guérir les écrouelles : Par
don et grâce spéciale de Dieu, les rois de France ont autorité et vertu
de gueu'ir des écrouelles,.. Quand la personne qui est malade vient en foi
et dévotion devers le roi, lequel après ce qu'il a ouï la messe et fait son
oraison à ce propre, se vire vers la personne ou les personnes malades, leur
fait le signe de la croix, et embrasse le col malade de la main, incontinent
le mal cesse et ne croit plus. J'en ai vu guarir plusieurs au roi Charles
septième, qui est à présent. . .
Du Ciel fut envoyée xme bannière appelée ['auri flambe. D'après Thomas-
sin, ce n'était pas l'oriflamme môme que, aux jours de grand péril, Ton
portait dans les combats, mais une reproduction minutieusement et reli-
gieusement taillée sur le signe gardé à Saint-Denis.
Avec des idées si hautes, on s'explique Timpression produite par
Tapparition de la Pucelle sur Téminent magistrat, et, qu'ainsi qu'il le
dit, il ait voulu en consigner te souvenir dans un livre où il ne semblait
pas devoir se trouver.
Le Dauphiné avait son gouvernement à part ; mais, gouverné par l'hé-
ritier présomptif de la couronne, il payait largement dès lors à la France
son tribut de sacrifices et de sang.
La sentence des docteurs rendue sur la Pucelle à Tentrée de sa carrière,
se trouve dans Thomassin. On en a vu la substance dans la Chronique de
Tournay, on la retrouvera dans Eberard de Windecken; c'est la confir-
mation des textes isolés qu'on lit dans certains manuscrits. Dans la lettre
aux Anglais, citée précédemment, Jeanne s'adresse successivement au roi
d'Angleterre et à tous ceux qui concouraient à la conquête de la France;
Thomassin suppose que ce sont autant de lettres séparées.
Il transcrit les vers inspirés par la prophétie de Merlin. Il emprunte
de multiples strophes au petit poème que Christine de Pisan composa
256 LA VRÀlË JEANNE D'ARC ! LA LIBÉRATRICE.
sur la Libératrice, après le sacre, dans les derniers jours de juillet. Les
deux poésies prouvent que l'on n attendait pas seulement l'expulsion de
l'Anglais, mais comme une sorte d'âge d'or.
A tous ces points de vue, les pages de Thomassin sont d'un grand
intérêt.
Buclion, qui a produit à la lumière tant de manuscrits de notre his-
toire ensevelis dans la poussière des bibliothèques, a le premier publié,
dans son Pafithéon littéraire^ les pages de Thomassin sur la Pucelle. La
notice que l'on vient de lire sur ce magistrat lui a été partiellement
empruntée.
La complaisance de M. le bibliothécaire de la ville de Grenoble,
M. Maignen, nous a fourni toute facilité pour collationner le texte de
Quicherat avec le manuscrit original. Il y a quelques différences dans les
strophes tirées de Christine de Pisan; elles pourront être relevées
lorsque sera cité dans son entier le poème de la célèbre Vénitienne.
A un mot près qui sera signalé, les autres variantes ne portent que sur
l'orthographe.
LES PAGES DE MATHIEU THOMASSLN SUR LA PUCELLE.
Sommaire : l. — Pourquoi Charles Vil ne fut ni sacré ni couronné à la mort de son
père. — Les titres qu'il prenait. — Les moqueries de ses ennemis. — Dauphinois
tués à Verneuil et les souvenirs mortuaires. — La France serait devenue anglaii^
sans la Pucelle.
II. — Pays d'origine de la Pucelle. — Quelques traits de son extérieur à son arrivée
à Chinon. — Parlait peu. — Les noms qu'elle donnait à Charles VU. — D'abord
moquée. — Prophétie de Merlin et développements qu'on lui donne. — Les clercs
réunis en conseil et leur décision. — Observations faites sur la Pucelle; renseigne-
ments; combien favorables. — Signe qu'elle a promis devant Orléans. — La Pucelle
armée et à cheval. — Lettres au roi d'Angleterre, aux hommes d'armes, aux capi-
taines, à Bedford. — Sa marche vers les Anglais inexpugnables à Orléans. — Réso-
lutions désespérées agitées dans le conseil du roi. — Les exploits de Jeanne mer-
veilleux et comme impossibles. — Prédilection de Dieu pour la France. — Mission
de la France. — La Pucelle le plus grand signe des prédilections de Dieu.
m. — La Chronique rimée de la Pucelle par Christine de Pisan. — Pourquoi Tho-
massin choisit de la citer plutôt qu'une autre. -- Christine de Pisan : Reconnais-
sance à Dieu ; inclTable reconnaissance due à la Pucelle. — La Pucelle rapprochée
de Moïse, de Josué, de Gédéon, des femmes de la Bible. — Supériorité de la Pucelle.
— Elle a été prophétisée. — Elle est l'honneur du sexe féminin. — Apostrophe aux
Anglais. — Leur règne est fini. — La Pucelle au dessus de tous les preux. — Sa
mission est de rétablir partout la foi. — Apostrophe aux Français renégats de leur
pays. — Le sacre. — Impuissance de la force et de la ruse pour arrêter la Pucelle. —
Raisons pour lesquelles Thomassin a parlé de la Pucelle.
IV. — Injures et menaces des Anglais contre la Pucelle. — Si elle meurt avant que
sa mission soit finie, cette mission n'en sera pas moins accomplie. — Révélation de
258 LA VRAIE JEANNE D'aRC : LA LIBÉRATRICE.
II
Ladite PuccUc était de Lorraine, du lieu de Vaucouleurs; elle fut
amende à Monseigneur le Dauphin par le châtelain dudit lieu, habillée
comme un homme. Elle avait les cheveux courts et un chapeau de laine
sur la tète; elle portait des chausses^ comme les hommes, de bien simple
manière.
Elle parlait peu, sinon quand on parlait à elle; son serment était : Au
nom de Dieu. Elle appelait mondit seigneur le Dauphin ; u le gentil Dau-
phin » ; et ainsi elle l'appela jusqu'à ce qu'il fut couronné. Quelquefois
elle l'appelait « fauri/lambe ». Elle disait qu'elle était envoyée de par
Dieu pour déchasser les Anglais, et que, pour ce faire, il la fallait
armer; dont chacun fut ébahi de celles nouvelles et de prime face chacun
disait que c'était une trufferie; et à nulle chose qu'elle dît l'on n'ajoutait
point de foi.
Clercs et autres gens d'entendement pensèrent sur cette matière, et
entre les autres écritures fut trouvée une prophétie de Merlin, parlant
en cette manière :
Descendet virgo dorsum sagit tarit,
Et flores virgineos obscur abit.
[Une vierge marchera sur le dos des archers, et les lis.,. ^) Sur ces vers(?J
furent faits d'autres vers dont la teneur s'ensuit :
Virgo pucUares artusinduta rtn/i...'.
« Une vierge aux membres délicats, revêtue d'un vêtement guerrier,
s'apprête sur Tordre de Dieu à relever delà ruine le roi des lis, à anéan-
tir ses maudits ennemis, surtout ceux qui, maintenant, sous les murs
d'Orléans, étreignent cette cité dans un siège désespéré. Guerriers, si
vous avez le cœur de la suivre au combat, de suivre la bannière guer-
rière qu'elle est en train de préparer, les perfides Anglais, croyez-le,
seront anéantis; conduits par ce capitaine enfant les Français les feront
tomber sous leurs coups. Et dès lors plus de guerre; dès lors se renoueront
les anciens traités, la concorde, la piélé, et tous les autres liens sociaux.
Les guerriers seront animés d'émulation pour la paix, et le cœur de tous
1. Texte : petits draps.
2. Une viei'yc foulera le dos de Varcher. Les arcliers faisaient la force de 1 armée
anglaise. l*e sens de ce premier membre de phrase est clair; mais il n en est pas de
môme du second. Les lis sont la fleur virginale ; loin de les obscurcir, la Pucelle leur
a donné un nouvel éclat. Obscurabit est certainement une faute : l'on ne sait ce qu'il
faut y substituer.
3. Voy. les vers aux Pièces justificatives.
MATHIEU THOMASSIN. 259
>era incliné vers le roi. Le roi distribuera impartialement la justice à
ous, en les faisant tous jouir des douceurs de la paix. Plus de léopard
inglais qui se dresse en ennemi ; plus d'Anglais qui ose se dire roi des
Français! »
Avant que Monseigneur le Dauphin voulut mettre ou ajouter foi à la
Pucelle, en prince sage, il mit cette affaire en conseil ; les clercs furent
*éunis, lesquels, après plusieurs disputations, furent de Topinion qui
Tensuit :
a Premièrement que mondit seigneur le Dauphin, attendu la nécessité
le lui et du royaume, et considéré les continuelles prières du pauvre
peuple envers Dieu et tous les autres amants de la paix et de la justice,
16 devait point rejeter ni mettre en arrière ladite Pucelle, nonobstant
{oe les promesses et les paroles de ladite Pucelle soient par-dessus œuvres
lumaines^ Aussi mondit seigneur ne doit pas ajouter foi et légèrement
îroireen elle; mais, en suivant la Sainte Écriture, il doit la faire éprouver
;mr deux manières, c'est à savoir par prudence humaine, en enquérant
de sa vie, de ses mœurs, de son intention, comme dit saint Paul : Probaie
spiritus siexDeo sint. — La seconde manière : par dévote oraison requérir
à Dieu signe de quelque œuvre ou espérance divine, par quoi on puisse
juger que ladite Pucelle est venue de par la volonté de Dieu. Ainsi dit
Dieu à Achaz, qu'il demanandât signe, quand il plairait à Dieu qu'il eût
victoire, en lui disant: Pete tibi signum à Domino Deo tuo; ainsi Gédéon
demanda signe, et plusieurs autres. »
Mondit seigneur le Dauphin, en suivant ladite délibération, fit éprouver
la Pucelle de sa naissance, de sa vie, de ses mœurs et de son intention,
elu*y trouva-t-on que tout bien. Puis il la fit garder bien et honnêtement
parTespace de six semaines en la toujours examinant; elle fut montrée à
clercs, à gens d'Eglise, à gens de grande prudence et dévotion, à gens
d'armes, à femmes honnêtes, veuves et autres, publiquement et secrète-
ment. La Pucelle a conversé avec toutes manières de gens; mais en elle
on n'a trouvé que tout bien, comme humilité, virginité, dévotion, honnô-
*®l^en toutes choses, et simplesse. De sa naissance, de sa vie, plusieurs
<^H0SE8 MERVEILLEUSES ONT ÉTÉ DITES COMME VRAIES.
Quaat à la seconde manière de probation, mondit seigneur le Dauphin
1^ demanda et pria qu'elle fit quelque signe, pour quoi on devait ajouter
*• In autre texte fait dire aux docteurs, non obstant que ces promesses soyent seules
"f^ke$, Quicherat Ta préféré au point de voir un contresens dans celui de Thonias-
^^(hocèi, t. IV, p. 306, note). 11 est manifeste que le célèbre érudil se trompe. Le
'ens donné par Thomassin est celui de la chronique de Tournay ; il est plus naturel;
elen adoptant dans notre premier volume le sentiment de l'éditeur du Double Procès,
ïw^us avons trop accordé à son autorité.
260 LÀ VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
foi à elle qu'elle fût envoyée de Dieu. Elle répondit que devant la ville
d'Orléans, elle le montrerait, et non pas avant'ni en aucun autre lieu; car
ainsi lui avait été.ordonné de par Dieu.
Les choses dessus dites étant faites, il fut conclu, attendu ladite pro-
bation faite par Monseigneur le Dauphin en tant qu'à lui il a été possible,
et (attendu) que nul mal n'a été trouvé en ladite Pucelle, et considérée
sa réponse qui est de montrer un signe devant Orléans, vu sa constance et
sa persévérance en son propos et ses instantes requêtes de l'armer et
d'aller devant Orléans pour y montrer signe de divin secours, [lY fut
conclu] que Monseigneur le Dauphin ne la devait point empêcher daller
à Orléans avec ses gens d'armes, qu'il la devait faire conduire honnête-
ment, en ayant bonne espérance en Dieu; car la rebouter ou délaisser
sans apparence de mal, ce serait répugner au Saint-Esprit, et se rendre
indigne de la grâce et aide de Dieu, comme dit Gamaliel au conseil
des Juifs contre les Apôtres.
Vue et considérée la conclusion, mondit seigneur le Dauphin fit armer
et équiper la Pucelle.
J'ai ouï dire à ceux qui l'ont vue armée qu'il la faisait très bon voir; et
qu'elle s'y contenait aussi bien qu'eût fait un homme d'armes. Et quand
elle était sur le fait des armes, elle était hardie et courageuse, et parlait
hautement du fait des guerres. Et quand elle était sans harnais, elle était
moult simple et peu parlante.
Avant qu'elle voulût aller contre les Anglais, elle dit qu'il fallait qu'elle
les sommât et les requît de par Dieu d'avoir à vider le royaume de France.
Elle fit écrire des lettres qu'elle-même dicta, en gros et lourd langage et
mal ordonné. J'en ai lu les copies dont la teneur 3'ensuit. Et au-dessus
dcsdiles lettres il y avait écrit : « Entendez les merveilles de Dieu et delà
Pucelle * ».
« Roi d'Angleterre, faites raison au roi du Ciel de son sang royal. Rendez
à la Pucelle les clefs de toutes les bonnes villes que vous avez enforcéescn
France. Elle est venue de par Dieu pour réclamer tout le sang royal. Elle
est toute prête de faire paix, si vous voulez faire raison, par ainsi que
rendez France {pourvu que vous rendiez France)^ et payez de ce que vous
Tavez tenue. Et si ainsi vous ne le faites, je suis chef de guerre; en
quelque lieu que j'atteindrai vos gens en France, s'ils ne veulent obéir»
je les en ferai issir [sortir)^ veuillent ou non ; et s'ils veulent obéir, je les
prendrai à merci. Elle {/a Pucelle) vient de par le roi du Ciel, corps pour
corps, vous bouter hors de France. Et vous promet et vous certifie U
Pucelle, qu'elle fera si grand hahay [bruit^ remue-ménage)^ qu'il y 1
1 . Thomassin divise on plusieurs lettres le document, au fond identique, qui, ailleurs,
est présenté comme ne formant qu'une seule et même pièce.
MATHIEU TUOMASSIN. 261
mille ans qu'il n'en fut si grand en France. Si vous ne lui faites raison,
croyez fermement que le roi du Ciel lui enverra plus de force que vous ne
sauriez lui mener d'assauts à elle et à ses bonnes gens. »
Lettre aux gens d'armes. — <• Entre vous autres, archers, compagnons
d'armes, gentils et vilains *, qui êtes dans Orléans, allez en votre pays de
par Dieu. Et si ainsi ne le faites, donnez vous garde de la Pucelle ; et de
vos dommages vous souvienne {il vous souviendra) bientôt. Ne persévérez
pas dans vos sentiments ' ; car vous ne tiendrez point la France qui est au
roi du Ciel, le fils de sainte Marie; mais la tiendra le roi Charles. Si vous
ne croyez les nouvelles de Dieu et de la Pucelle, en quelque lieu que nous
vous trouverons, nous frapperons dedans (dans vos rangs)^ à grands
horions, et nous verrons lesquels auront meilleur droit de Dieu ou de
vous.
Lettre aux capitaines des Anglais. — « Guillaume La Poule, comte de
Suffolk, Jean, sire de Talbot, et vous, Thomas, sire de Scales, lieutenants
du duc de Bedford, soi-disant régent de France de par le roi d'Angleterre,
faites réponse si vous voulez faire paix à la cité d'Orléans, et si ainsi ne
le faites, de vos dommages vous souvienne. »
Autre lettre. — « Duc de Bedford qui vous dites régent de France de
par le roi d'Angleterre, la Pucelle vous prie et vous requiert que vous ne
vous fassiez pas détruire. Si vous ne faites raison, de vos yeux vous
pourrez voir qu'en sa compagnie les Français feront le plus haut fait qui
oncques fut fait en la chrétienté. »
Ces lettres furent portées et remises ; on n'en tint pas grand compte; et
pour cela la Pucelle se mit en devoir de tirer outre à ce pourquoi elle était
venue. Elle arbora un étendard dedans lequel était.. .^ Elle monta sur
ungrand cheval, bien armée et équipée; et avec les gens d'armes que
Monseigneur le Dauphin lui donna, elle alla à Orléans où les Anglais
avaient mis un siège très fort, et, selon le cours de nature, inexpugnable.
Il n'y avait espérance quelconque d'avoir secours, ni aide de la part des
hommes, car Mgr le Dauphin avait très peu de gens pour faire tel exploit.
Détait quasi du tout au bas, tellement que, quand la Pucelle vint, on
*VMt mis en délibération ce que l'on devait faire, si Orléans était pris.
L'avb de la plus grande part fut que si cette ville était prise, il ne fallait
P*5 tenir compte du demeurant du royaume, vu l'élat dans lequel il se
''ouvait et qu'il n'y avait pas de remède, si ce n'est que Mgr le Dauphin
^retirât dans ce présent pays du Dauphiné, et que là il le gardât en
attendant la grâce de Dieu. Les autres disaient qu'il était plus convenable
'• Très lisiblement, et non pas « vaillants », comme récrit Quicherat.
2. Texte : ne prenez mie vostre opinion.
3- Lacune dans le texte.
262 LA VRAIE JEANNE D*ARC .* LA LIBÉRATRICE.
d^attendre ladite grâce au royaume, et qui autrement ferait donnerait
trop grand courage aux ennemis; ce serait tout perdre sans aucun
recours; que c'était meilleur que de tenir toute autre voie, car l'autre
parti était comme une voie de désespérance, ce qui moult déplaît à
Dieu.
Monseigneur le Dauphin étant en cet état, arriva la Pucelle; et par son
moyen, et moyennant la grâce de Dieu, par un miracle évident, furent
très vaillamment assaillies et prises les très fortes et inexpugnables bas-
tilles que les Anglais avaient faites, et le siège fut de tout point levé au
très grand dommage et à la très grande confusion des Anglais. Alors, par
la Pucelle et par les gens de Monseigneur le Dauphin, furent accomplis
des faits de guerre merveilleux et ainsi comme impossibles. De là en après
la Pucelle fit une très grande poursuite contre les Anglais, en recouvrant
villes et châteaux; elle y fit plusieurs faits merveilleux; car depuis la
prise d'Orléans les Anglais et leurs alliés n'eurent ni force ni vertu. Par
ainsi le restaurement de France et son recouvrement a été fort mer-
veilleux.
Et sache un chacun que Dieu a montré et 7nontre un chaque jour quil
a aimé et aune le royaume de France. Il Ta spécialement élu pour son propre
héritage j et pour, par le moyen de luiy entretenir la sainte foi catholique
et la remettre du tout sus, et pour ce Dieu ne le veut pas laisser perdre.
Mais sur tous les signes d'amour que Dieu a envoyés au royaume de France^
il n'y en a point eu de si grand, 7ii de si merveilleux comme celui de cette
Pucelle.
III
Et pour ce, grandes Chroniques en sont faites. Et entre les autres, une
notable femme appelée Christine, qui a fait plusieurs livres en français,
— je l'ai vue souvent à Paris — a fait de l'avènement de la Pucelle et de ses
gestes un traité, dont je mettrai seulement ici le plus spécial touchant
ladite Pucelle. J'ai laissé le demeurant parce que ce serait trop long à
mettre ici. J'ai désiré de mettre ici le traité de ladite Christine plutôt que
celui des autres, afin de toujours honorer le sexe féminin par le moyen
duquel toute chrétienté a eu tant de biens ; par la Pucelle Vierge Marie,
la réparation et restauration de tout l'humain lignage ; et par ladit«
Pucelle Jeanne, la réparation et restauration du royaume de France,
qui était du tout bas, jusques à prendre fin, n'eût été sa venue. Pourc^i
de chacun elle doit être bien louée, combien que {encore que) les Anglais
et leurs alliés en aient dit tout le mal qu'ils ont pu dire: mais les faits de
ladite Pucelle les ont rendus et les rendent tous mensongers et confus.
MATHIEU THOHASSIN. 263
Ah ! soyez loué, hault Dieu ! A joinctes mains, grans et menus
A loy gracier, tous tenuz Grâce te rendons, roy céleste
Sommes, qui donné temps et lieu Par qui nous sommes parvenus
As, où ces biens sont advenuz. A paix, et hors de grand lempcste,etc. *.
« Ah sois loué, haut Dieu! A toi remercier nous sommes tous tenus, toi
qui as amené le temps oîi ces biens nous sont advenus. A jointes mains,
grands et petits, grâces te rendons. Roi céleste, par qui nous sommes
parvenus à la paix, et hors de si grande tempôte.
« Et toi, Pucelle, née en une heure propice, faudrait-il t'oublier, toi
que Dieu a tant honorée que de te faire délier les liens qui tenaient la
France si étroitement enchaînée ? Te pourrait-on assez louer, quand
à cette terre humiliée tu as fait par la guerre donner la paix ?
« Ah ! Jeanne, née à une heure propice, béni soit le Ciel qui te créa,
Pucelle ordonnée de Dieu, en qui le Saint-Esprit versa si grande grâce,
en qui fut et est toute largesse de haut don ; jamais parole ne te sera
adressée qui te dise la reconnaissance qui t'est due.
« De qui pourrait-on dire plus hautes louanges ? Quels faits dans
le passé sont au-dessus des tiens ? En Moïse avec affluence Dieu mit
grâces et vertus. Sans jamais se lasser, il mit le peuple d'Israël hors
d'Egypte. Telle, 6 Pucelle élue, tu nous as par miracle affranchis du
malheur.
« Considérée ta personne, qui est celle d'une jeune pucelle, à qui Dieu
donne pouvoir d'être notre champion, d'être celle qui donne à la France
la mamelle de la paix et de douce vie, d'abattre la gent rebelle, voici bien
chose plus que nature.
« Si Dieu fitpar Josué des miracles en si grand nombre, s'il lui donna
de conquérir villes et pays, et d'abattre maints ennemis, Josué était
homme fort et puissant ; mais, en un mot, voici une femme, une simple
bergère, qui est preux plus qu'homme ne fut à Rome. Pour Dieu c'est
chose légère ;
« Mais pour nous jamais nous n'ouïmes parler de si grande
merveille, car de tous les preux qui existèrent le long des âges, les
prouesses n'égalent pas le fait de celle qui mit hors nos ennemis ;
mais c'est Dieu qui agit, qui la conseille, et en elle a mis cœur plus que
d'homme.
Cl De Gédéon, qui simple laboureur était. Ton fait grand compte. Dieu
le fit guerrier, dit le récit ; contre lui nul ne tenait, tant il conquêtait ;
1. Le texte sera donné dans la suite ; je hasarde une traduction en français
moderne des strophes reproduites par Thomassin, non sans avoir conscience de ce
qu*elles vont perdre de leur naïveté ; mais peu de lecteurs pourraient les comprendre
sans effoK.
264 LA VRAIE JEANNE D*ARC : LA LIBÉRATRICE.
mais, quoi qu'on en raconte, il ne fit jamais miracle si manifeste que
celui que voient nos yeux en la Pucelle.
« Esther, Judith et Ddbora furent dames de grand mérite. Par elles Dieu
délivra son peuple qui en servitude était tombé. J'ai appris que d'autres
lureni preiises ainsi qu'elles ; mais plus grand miracle en ce pourpris {pays)^
Dieu a fait en cette Pucelle.
« Par miracle et par divine admonition de l'Ange de Dieu, elle a été
envoyée au roi pour ôtre sa providence. Son fait n'est pas illusion. Elle
a été bien dûment éprouvée en assemblée. En conclusion la chose est
prouvée par les faits.
« Elle a été bien examinée avant qu'on ait voulu la croire ; on Ta menée
devant les clercs et les sages, pour chercher si elle disait vrai, avant qu'il
fût notoire que vers le roi Dieu l'avait transmise. Même on a trouvé en
histoires que Dieu pour cela l'avait promise.
(( Merlin, la Sybille et Bède, il y a plus de cinq cents ans, la virent en
esprit venir aux maux de la France porter remède. Ils la consignèrent
en leurs écrits et en firent prophétie, disant qu'elle porterait bannière es
guerres des Français ; de tout son fait ils dirent la manière.
« Sa belle vie pleine de foi montre qu'elle est en la grâce de Dieu ;
ce pourquoi à son fait Ton ajoute plus créance. Quoi qu'elle fasse,
elle a toujours Dieu en présence ; elle l'appelle, le sert, le prie dans
ses actes et dans ses dits, sans qu'en quelque lieu qu'elle soit sa dévotion
faiblisse.
« Comme cela a bien paru au siège mis devant Orléans, où se montra
d'abord sa force. Jamais miracle, ainsi que je le tiens, ne fut plus clair.
Dieu aida tellement les siens que les ennemis ne s'aidèrent pas plus que
chiens morts. Là, ils furent pris et mis à mort.
« Oh ! quel honneur au sexe féminin ! Il est manifeste que DieuFaime,
alors que tout ce peuple abattu, par qui tout le royaume est abandonné,
est par une femme relevé et redressé ; ce que pas homme n'eût pu
faire. Les traîtres sont délaissés : avant le fait, à peine on eût pu le croire.
« Anglais, rabaissez vos cornes, car jamais en France vous n'aurez beau
gibier. Cessez vos dérisions, vous êtes mat sur Téchiquier. Vous ne le
pensiez pas hier, où vous vous montriez si audacieux ; mais vous n'étiez
pas encore au sentier où Dieu abat les orgueilleux.
« Vous pensiez avoir gagné France et qu'elle dût vous demeurer. Autre-
ment il en va, fausse famille. Vous irez labourer ailleurs si vous ne voulez
savourer la mort, comme vos compagnons que loups dévorent peut-être,
car ils gisent morts sur les sillons.
« Sachez que par elle les Anglais sont jetés bas sans jamais plus se rele-
ver; Dieu le veut, il entend les voix des bons qu'ils ont voulu opprimer.
266 L\ VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICB.
OU faits prisonniers, et comme je Tai ouï dire, tous ceux qui Font com-
bat tue ont été envoyés en enfer ou en paradis. »
IV
Par assauts de villes et de châteaux, par batailles, par prises de villes
comme autrement, plusieurs autres grands faits ont été accomplis par la
Pucelle. Ils seraient trop longs à mettre ici.
Encore que ce qui a été fait par elle, Tait été seulement dans le
royaume de France et non pas dans le Dauphiné, j'ai voulu toutefois le
mettre en ce registre, au moins le principal, parce que ces faits se sont
passés lorsque mondit seigneur Charles était Dauphin, de son temps et
sous lui, et aussi parce que, ainsi qu'il a été dit, le Dauphiné a
été inséparablement uni au royaume. Si le royaume eût été perdu (le
Dauphiné Teût été aussi *), ainsi qu'on en a fait effort, comme il sera
déclaré ci-dessous.
D'autre part la matière de la Pucelle est si haute et si merveilleuse,
que c'est chose bien à noter, et digne d'entrer pour perpétuelle mémoire,
dans tous les livres-registres pour la gloire de Dieu, l'honneur du
royaume et du Dauphiné.
Les Anglais et les Bourguignons disaient de la Pucelle plusieurs paroles
diffamablcs et injurieuses, tout en la menaçant, s'ils pouvaient la tenir, de
la faire mourir mauvaisement.
V Elle fut interrogée par quelques-uns de sa puissance, et si les Anglais
' avaient le pouvoir de la faire mourir. Elle répondit que tout était au
plaisir de Dieu ; et elle certifia que si elle devait mourir avant que fût
accompli ce pourquoi Dieu l'avait envoyée, elle nuirait aux Anglais après
sa mort plus qu'elle n'aurait fait en sa vie, et que, nonobstant sa mort,
tout ce pourquoi elle était venue s'accomplirait. Ainsi il en a été fait par
grâce de Dieu, comme cela se voit clairement et évidemment, et est de
notre temps chose notoire. /
Ladite Pucelle a souvent parlé à mondit seigneur le Dauphin à Paris*,
et lui a dit des choses secrètes que peu de gens savent.
Ladite Pucelle fut trahie et baillée aux Anglais devant la ville de Com-
piègne ; elle fut menée à Rouen, et là on lui fit un procès sur sa vie, pour
1. Lacune dans le texte, remplie par la phrase entre parenthèses. L'effort dont il
parle est Tenvahissement du Dauphiné par le prince d'Orange et le duc de Savoie,
loi'sque Jeanne fut prise à Compiègne. Ils furent défaits à Anthon, le H juin 1430.
2. Inadvertance de l'écrivain qui savait bien que la Pucelle n'entra jamais à Paris.
Le Dauphin dont il est ici question est le futur Louis XL 11 avait sept ans lorsque
Jeanne vint à la cour où elle a dû souvent le voir, et l'entretenir.
Mathieu thomassin. 267
trouver contre elle de quoi la faire mourir, et ils ne surent trouver rien
autre chose contre elle, sinon qu'elle avait laissé Thabit de femme et pris
habit d'homme ; ce qui est chose défendue. A cela et aux autres choses sur
lesquelles elle fut interrogée, elle répondit si bien qu'on ne savait que
répliquer. Et nonobstant cela, elle fut condamnée à mourir par le feu,
pour occasion seulement dudit habit. Elle fut menée au feu, et là elle
mourut et fut brûlée.
L'on dit que durant son procès et à sa mort furent faites choses mer-
veilleuses, dont procès a été fait par autorité de TEglise. Celui qui Ta vu
et lu en a eu la copie qu'il me devait envoyer ; je ne Tai pas encore
reçue ; ce dont me déplaît ; car j'eusse fait ici mention des choses prin-
cipales.
Thomassin a fait une très briève Chronique deTlIistoire de France, que
l'on peut lire à la Bibliothèque nationale (FonrfA* français^ n^" 4943 et 4969).
Arrivé au règne de Philippe de Valois, il s'étend longuement sur la loi
salique; et à ce propos, il a sur la Libératrice la phrase suivante : « Les
trois choses en quoi lesdits Anglais, en faisant un procès tel quel à
rencontre de Jeanne la Pucelle, que je crois sans doute en paradis, se
sont efforcés d'élever leur nation par-dessus toutes les autres nations
chrétiennes, comme j'ai vu par écriture authentique, et aussi qu'il est
assez notoire, sont telles ».
LIVRE III
PARTI NATIONAL.
CHRONIQUES PLUS BRÈVES. - LETTRES.
AUTRES DOCUMENTS.
i
LIVRE III
PARTI NATIONAL.
CHRONIQUES PLUS BRÈVES. — LETTRES.
AUTRES DOCUMENTS.
icumcnts de ce IIP livre éclairent un point particulier de la divine
La Chronique du Mont-Saint-Michel nous fait connaître le jour
rée de Jeanne à la cour ; Sala, Bouchard, TAbréviateur du Pro-
5 révèlent la nature des secrets manifestés à Charles VII à Chi-
5 pièces qui suivent regardent la levée du siège d'Orléans. La
ïs seigneurs de Laval nous peint l'entrée en campagne de l'armée
it nettoyer les bords de la Loire, etc.
t que ces pièces mettent le plus en saillie a déterminé l'ordre
uel elles ont été classées. Ne voulant pas les mutiler, on y trou-
détails qui s'écartent de l'ordre chronologique, dont il n'a été
de se rapprocher que de la manière qui vient d'être indiquée.
CHAPITRE PREMIER
CHRONIQUE DU M0NT-SAL\T-MICI1EL. — L' « ORDO » DE CHALONS.
: L — La Chronique du Monl-Saint-Michel. — Les deux points intéressants
^enferme. — Remarques sur sa forme. — Le texte.
note dans un Ordo de Chàlons du xv« siècle. — Les années où la fôte de
dation tombe le Vendredi Saint marquées par des événements extraordi-
■— Ce fut le cas l'année où parut la Pucelle.
I
)riève Chronique se trouve dans le manuscrit 3696 {fonds latin)
bliothèque nationale. Quicherat l'en tira, et la plaça dans son
272 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
Uecueil en Tattribuant dM Continuateur français de Guillaume de Nangis^
parce que dans le manuscrit elle est placée à la suite d*un Abrégé de la
vie de saint Louis par Guillaume de Nangis. Siméon Luce a découvert,
que c'était là une Chronique du Mont-Saint-Michel, commençant en 4343
pour fmir en 1468. Il la croit l'œuvre de plusieurs auteurs; il Ta éditée
. avec de nombreuses notes empruntées aux divers dépôts d'archives.
L'intérôt des courtes lignes que la Chronique consacre à Jeanne d'Arc
est dans la date du jour de l'arrivée de la Pucelle àChinon, le 6 mars;
date qui concorde fort bien avec d'autres indications, et notamment les
dépositions de Jean de Metz et Bertrand de Poulengy\ La Chronique
dit encore que, dans celte guerre, les Anglais n'avaient jamais déployé
autant d'habileté que dans le siège d*Orléans. Il y avait eu cependant des
sièges très fameux. Tels ceux de Calais, de Cherbourg, de Rouen, de
Mclun, de Meaux. La résistance avait été de tout héroïsme, les habitants
ne s'étant rendus qu'après les extrêmes horreurs de la faim et s'être
défendus durant six mois.
Le chroniqueur énonce très brièvement le fait, d'abord en français, et
ensuite en un vers latin barbare dans lequel le mois est indiqué par le signe
du zodiaque qui y correspond et l'année par leslettres numérales qui se
trouvent dans le vers. Or pour les nombres inférieurs les Latins usent de
sept lettres seulement, 1 = 1, V =5,X = 10, L=50, C = 100, D = 500,
M= 1000. Les autres lettres ne doivent pas entrer dans la numération'.
Même en partant de cette règle. Tannée ne semble pas toujours exacte-
temeni désignée.
Le lexte est donné tel qu'il se lit dans le manuscrit.
L'an mil TIII^XXVIII (1428 a. s.), le sixième jour de Mars, la Pucelle
vint au roy.
pLausa sVbIt, franCos sVb pIsCIbVs aLMa pVeLLa^.
L'an 1429, ladite Pucelle leva le siège qui estoit à Orléans, là ou il y
avoit des plus diverses bastilles et autres fortificacions qui fussent de
tout le tems de ceste guerre.
1. Voy. La Paysanne et llmpirèe, p. 293-298.
2. Dans la Pucelle devant VÉjlise de son temps, p. 455, rinquisiteur Jean Bréhal cite
des vers chronogrammaliques qu'il interprèle d'après la règle ci-dessus indiquée. L«a
valeur numérale des lettres ayant été marquée en chiffres arabes au-dessous de
chacune de ces lettres, de savants auteurs ont écrit que nous faisions de la fantaisie.
Ils n'avaient probablement pas fait attention à la règle qui vient d'être rappelée. Aussi
ont-ils mal lu le vers qui commence par Ut ciim, et non par Vi ciim Vi, (Voir Diction-
naire diplomatique , par Quentin, mot Chiffres, p. 186, éd. Migne.)
3. La douce Pucelle tant louée vint en France sous le signe des Poissons.
LA CHRONIQUE DU MOTT-SAlirr-lilCHEL. — L' ^ O»» • K CIUU>3^.
eGCc rVELL% VaLe?» ccMhIs jcVat AVu:LI^v)i>*.
En cel an la dite Pucelle print Jargeaa on estoit le conte de Safort et
ses deulx frères, et plus de 500 Anglais, et fut le 19* jour de
Juing'. Le sabmedy ensuivant elle vint à Baugencé où il y avoit grant
force d'Ânglois qui se rendirent à elle anxitost. Item icel sabmedy jour de
Saint-Aubert, elle parsuyl le sire de Tallebot. Sealles et aultres Ai^ois.
bien 4000, qui furent desconfiz. et ledit Tallebot prins à Patey.
Ista pVeLLa, fenM, CaoCro AU a Patei VlùHX'.
L*an dessusdit ladicte Pucelle mena coun^nner le rov Charles VU* à
Rains, qui fut couronné le 17* jour de Juillet.
Grata pVeLLa, sHo, KaroU <e\tl lN>De natr.
ReMU ad saCrVM te sl<llt In IVUo •.
Le roy et elle firent de grans conquezet s'en retournèrent droit à Tours
et Chinon, et es marches d*iceluy pays : dont la Pucelle se partit et
retourna es François qui estoient en pais de France, et là fut prinse des
Bourgoignons à Compeigne. Tan 1430.
NVnC Cadll io gemlnl< bVrgVndo \H:ia pVeLU*.
Les Bourgoignons qui avoient prins ladicte Pucelle la vendirent aux
Anglois. L*an mil CCCCXXXI, le pénultième jour de 3Iay. les Anglois
ardirent la Pucelle qu*ilz avoient achatée des Bourgoignons \
II
L*AN>'ÉE DES EXPLOITS DE LA PCCELLE d'aFBCS r5 UVKE DE l'ÉALISE
DE CHJkL05S.
En 1874, M. Léopold Delisle publiait dans le BulUthi de la Sociétéf de
r Histoire de Paris lanote qui va être traduite et qu'on lit en latin au %'erf^o
du troisième feuillet de garde du manuscrit 105Tli de la Bibliothèque
nationale. C'est un Ordo de l'Eglise de Châlons. Maître Nicolas de Savigny
dont il va être question, chanoine de Paris, doyen de Lisieux. fut un des
I. La, vaillante Pucelle vient an secours des Orléanais «ïoiu le sîîrne de;* Gémeaux.
t. Inexactitude, ce fut le 12.
3. Cette Pucelle, je le dirai, fut victorieuse à Patay, sou*» le si^ie du i'^urj-s,
4. La bienfaisante Pucelle, je le sais, bon FiLs de Charles VI. en juillet te conduisit
à Reims pour ton sacre.
5. Et maintenant sous le signe des Gémeaux succombe la Pucelle vaincue par le
Itourguignon .
6. 1^ chronogramme fait défaut.
m. \%
274 LA VRAIE JEANNE D*ARC : LA LIBÉRATRICE.
avocats les plus célèbres du commencement du xv' siècle.. Il mourut en
1427, d'après Siméon Luce, qui a très largement exploité la remarque de
recclésiaslique de Cliâlons*. L'on ignore l'auteur de cette remarque
que voici :
« J*ai lu dans un livre de Maître Nicolas de Savigny, autrefois avocat
au parlement de Paris, les lignes suivantes écrites de sa main : « L'an du
« Seigneur 1407, la vigile de Saint-Clément, jour où le duc d'Orléans,
« frère du roi de France fut tué à Paris, où les ponts de Paris furent rom-
(( pus, le Vendredi Saint coïncida avec la fête de l'Annonciation. L'on dit
« que toutes les fois qu'il en est ainsi, il arrive des événements tout à fait
« extraordinaires [stiipenda evenient).
« La coïncidence eut lieu encore en Tan du Seigneur 1429; et peu de
« temps après Pâques, la Pucelle prit les armes, leva sa bannière contre
'< les Anglais, leur fit abandonner le siège d'Orléans, les chassa de Jargeau,
« de Meung, de Baugency, peu de temps après les battit dans la Beauce;
« durant l'été qui suivit, Charles, roi de France, assisté de la même
.< Pucelle, passa la Seine avec son armée, reçut Tobéissance des cités de
Cl Troycs, de Châlons, de Reims, de Soissons, de Senlis, deBeauvais,qui
« précédemment tenaient pour les Anglais ; et par le seigneur Regnault
« de Chartres, archevêque de Keims, par le seigneur Jean de Sarbruk,
« évêque et comte de Chàlons, pair de France, assistés du seigneur
(c JeandeTournebu, évoque de Séez, et de l'évêque d'Orléans, personnage
« d'origine écossaise, il fut sacré à Reims, le xvii juillet de l'année sus-
« énoncée ».
Un peu plus bas, la même main a écrit : « Charles de France est
« sacré à Reims; donc Henri d'Angleterre est exclu : Remis sacratiir
« Carolus Francie^ Ergo frustratus Henriciis Anglie ».
CHAPITRE 11
PIERRE SALA.
Sommaire : l. — Le livre des Hardiesses des rois. — L'auteur. — La nature des secrets
manifestés par la Pucelle n'a pu être dévoilée que fort tard. — Le passage de Sah
publié par Labbe.
11. — Dieu, secours de nos rois dans leur détresse. — La Pucelle fut ce secours poui
Charles VII réduit à un état désespéré. — Il n'y avait de succès que pour les enlr^
prises qu'elle inspirait, souvent contre l'avis des capitaines. — Ce qui détermla
i, Jeanne *Arc â Doinrémy, p. 297, note.
276 LA VRAIE JEANNE D'ARG : LA LIBÉRATRICE.
texte de Pierre Sala sur les secrets, un siècle avant Lenglet-Dufresnoy
auquel Quicherat, très favorable àcetabbé peu ecclésiastique, fait honneur
(le la première publication. Laissons parler Pierre Sala.
II
Cela est chose notoire que de tout temps Notre-Seigneur n'a jamais
abandonné les bons rois dans leur grand besoin. N'avez-vous pas ouï,
ci-devant, les beaux miracles qu'il fit pour le roi Clovis, qui fut le pre-
mier roi chrétien, et dans la suite pour le roi Dagobert, pour Charles le
Grand, et pour plusieurs autres rois, et de fraîche mémoire pour celui
gentil roi Charles VII, dont nous parlons.
Quand après qu'il fut mis si bas qu'il n'avait plus où se retirer, sinon
à Bourses et en quelque château à Tenviron, Notre-Seigneur lui envoya
une simple Pucelle, par le conseil de laquelle il fut remis en son entier,
et demeura roi paisible.
Et pour ce que par aventure {peut-être) il serait malaisé à entendre à
quelques gens que le roi ait ajouté foi aux paroles d'icelle, sachez qu'elle
lui fit de par Dieu un message tel, qu'elle lui déclara un secret enclos
dedans son cœur, si bien qu'il ne l'avait de sa vie révélé à aucune créa-
ture, sinon à Dieu en son oraison. Et pour cela, quand le roi ouït celte
Pucelle lui dire à part ce qui ne pouvait être su par elle, sinon par inspi-
ration divine, dès lors il mit toute sa conduite et ses espérances*, entre
ses mains. Et encore que le roi eût même alors de bons et suffisants
capitaines pour délibérer du fait de sa guerre, néanmoins co mmanda-t-il
qu'on ne fît rien sans appeler la Pucelle. Il advenait quelquefois que son
opinion était toute contraire à celte des capitaines ; mais quoiqu'il en fùt^
s'ils la croyaient, il leur en prenait toujours bien, et au contraire^ quand
ils voulaient exécuter leur opinion sa?is elle, mal leur en venait^. Mais vous
me pourriez demander comme j'ai su ce que je vous dis à présent, et je
vais vous le conter.
. Il est vrai que environ Tan mil lliriIII" (1480), j'étais de la chambre
du gentil roi Charles VIII% que Ton peut bien appeler Hardi, car il le
montra bien à Fornouc, en revenant de la conquête de son royaume de
Naples, quand accompagné seulement d'environ vu" [7000) Français, il
défit Lx mille Lombards, dont les uns furent tués, et les autres s'enfui—
rent. Ce gentil roi épousa Madame Anne, duchesse de Bretagne et en
1. Ressources.
2. Le texle : Et aulaines fois advenoit que Voppinion (Telle estoit toute au contraire de^
cappitaines; mais quoy qu'il enfust, sHls la croyoient, tousjours en prenait bien, et le con —
traire, quand ils voulaient exécuter leur oppinion sans elle, mal leur en venoit, (Ms. 10420) —
278 LA VRAIE JEANNE D ARC : LA LIB&RATRICE.
troupeaux aux champs, clic avait eu inspiration divine pour venir
réconforter le bon roi. Elle n'y faillit pas. Elle se fit mener et conduire
par ses propres parents jusque devant le roi ; et là elle fit son message
d'après les signes ci-dessus, que le roi connut être vrais ^. Dès lors il se
conseilla par elle; et bien lui en prit ; car elle le conduisit jusqu'à Reims,
où, malgré tous ses ennemis, elle le fit couronner roi de France, et le
rendit paisible possesseur de son royaume. Depuis, ainsi qu'il plaît à
Dieu d'ordonner les événements, cette sainte Pucelle fut prise et marty-
risée par les Anglais; ce dont le roi fut très dolent, mais il ne put y
remédier.
En outre, ledit seigneur me conta que dix ans après fut amenée au
roi une autre prétendue Pucelle qui ressemblait beaucoup à la première,
et Ton voulait donner à entendre parle bruit que Ton en faisait courir
que c'était la première qui était ressuscitée*. Le roi oyant cette nouvelle,
commanda qu'elle fut amenée en sa présence. Or en ce temps le roi était
blessé à un pied, et portait une botte faulve ; signe dont ceux qui me-
naient cette trahison avaient averti la fausse Pucelle, pour qu'elle ne
faillit pas à le reconnaître entre ses gentilshommes. Or il advint qu'à
rheure où le roi la manda venir devant lui, il était en un jardin sous
une grande treille. Le roi commanda à Tun de ses gentilshommes que dès
qu'il verrait entrer la Pucelle, il s'avançât pour l'accueillir, comme s'il
était le roi, ce qu'il fit. Mais elle venue, connaissant au signe susdit
qu'il n'était pas le roi, le refusa (sic), et vint droit au roi, ce dont il fut
ébahi et ne sut que dire, sinon en la saluant bien doucement : « Pucelle
m'amie, vous, soyez la très bien revenue, au nom de Dieu qui sait le
secret qui est entre vous et moi. » Alors miraculeusement, après avoir
ouï ce seul mot, cette fausse Pucelle se mit à genoux devant le roi, en
lui criant merci; et sur-le-champ elle confessa toute la trahison; ce
dont quelques-uns furent justiciés très âprement, comme en tel cas bien
il appartenait.
CHAPITRE III
L^ABRÉVIATEUR DU PROCÈS.
Sommaire : I. — Quand et dans quelles circonstances a écrit TAbréviateur du Procèsi.
— L'unique manuscrit de son œuvre. — Méprise de Tabbé Dubois, réfutée par Qui-
cherat. — L'histoire de la Pucelle mise en tète de TAbrégé du Procès. — Parties
\ . Fit son message aux enseignes dessus dicteSy que le roy connut estre vrayes,
2. Qui estait suscitée.
L'ABRÉVUTEUR DU PROCÈS. 279
plus remarquables. — Début du chroniqueur sur l'intérêt sans pareil de l'histoire de
la Pucelle.
U. — Sources d'informations de l'auteur sur la nature des secrets. — Entretien parti-
culier avec la Pucelle conseillé au roi. — Il a lieu. — Triple requête faite menta-
lement à Dieu par le roi, le jour de la Toussaint. — Effet de cette manifestation sur
le roi.
III. — iniquité de la condamnation de la Pucelle, et la part prépondérante qui en
revient à l'Université de Paris. — Sentiment contraire de Gerson. — Tout prospé-
rait par les conseils de la Pucelle, et rien sans elle. — Profonde haine que l'envie
fait concevoir à quelques capitaines. — De Lagny, la Pucelle se jette dans Compiègne
assiégé. — Elle prend part à une sortie faite contre son opinion. — Le signal de la
retraite donné. — Fuite précipitée. — La presse empêche la Pucelle de franchir la
barrière. — Elle est prise. — Ce qui semble confirmer le sentiment de ceux qui
pensent qu'elle a été livrée par un Français. — Sa captivité à Beaurevoir.
IV. — Ck>mbien le gouvernement anglais désirait posséder la Pucelle. — Résistance
de Luxembourg. — L'évèque de Beauvais sommé de réclamer la Pucelle et de lui
faire un procès en matière de foi. — H consulte l'Université de Paris, qui lui en fait
un devoir et intervient par ses lettres à Luxembourg. — Notification juridique de
ces lettres. — La Pucelle livrée et mise aux fers à Rouen.
. — Cauchon appelle à le seconder dans son procès les sommités de la cléricature. — -
Demande et concession des lettres de territorialité. — Les prisons ecclésiastiques
iniquement refusées. — L'animosité de Cauchon et du tribunal comparée à l'ani-
mosité de Calphe et du Sanhédrin contre Notre-Seigneur.
I
Quicherat ayant longuement traité de Tœuvre de l'Abréviateur, ce qui
suivre n'est qu'un résumé de ses observations critiques*.
L'ouvrage fut composé en 1500 par le commandement de Louis XII et
^urle conseil de l'amiral de Gravillc. On n'en connaît jusqu'à présent qu'un
^eul manuscrit possédé par la bibliothèque d'Orléans. Des fragments en
^)nt été imprimés, particulièrement par Buchon dans son Panthéon litté-
raire^ mais on n'a pas encore édité l'œuvre entière. Louis XII avait de
:xnandé la traduction du Double Procès; Tauteur donna d'abord une his-
toire de la Pucelle, et à la suite un Abrégé du Procès de condamnation et
^e réhabilitation.
Il avait en mains le manuscrit d'Urfé oii, à partir du 3 mars, l'on trouve
la minute en français du greffier Manchon. Il a traduit du latin pour
la partie qui précède. L'abbé Dubois qui n'avait pas vu les originaux
se persuada et soutint que pour tout le procès nous avions la minute
Irançaise, et qu'elle était dans le manuscrit Orléanais; Quicherat l'a
réfuté victorieusement, mais on regrette qu'il n'ait fait connaître que
par cette erreur l'honorable chanoine qui le premier a porté, dans les
1. Vrocè$, t. IV, p. 234-250 et t. V, p. 418.
282 LA VRAIE JEANNE D^ARG : LA LIBÉRATRICE.
nonobstant la détermination faite par Messieurs de TUniversité de Paris,
lesquels, par flatterie, et pour complaire au roi d'Angleterre, la décla-
rèrent hérétique, contre Topinion de défunt notre mattre Jean Gerson,
chancelier de Notre-Dame de Paris, si savant et si sage, comme ses
œuvres le montrent, et en font le jugement. Laquelle opinion, avec les
raisons qui Je meuvent à être contre Topinion de ladite Université, sont
écrites ci-après *, par lesquelles on pourra voir là où il y a plus d'appa-
rence de vérité et de bon jugement.
Et pour retourner à mon propos de parler de la Pucelle, sa renommée
croissait tous les jours, parce que les affaires du royaume venaient toutes
à bonne fin, et que ledit seigneur {le roi) ne manquait jamais de venir
à chief [à bout) de toutes les entreprises qu'il faisait par le conseil de
ladite Pucelle. Aussi elle avait l'honneur et la grâce de tout ce qui se
faisait ; ce dont quelques seigneurs et capitaines, ainsi que je le trouve
par écrit, conçurent grande haine et envie contre elle ; ce qui est chose
vraisemblable et assez facile à croire, attendu ce qui advint assez tôt
après.
En effet, étant à Lagny-sur-Marne, elle fut avertie que le duc de Bour-
gogne et grand nombre d'Anglais avaient mis le siège devant la ville de
Compiègne, qui, il n'y avait pas longtemps, s'était réduite en l'obéis-
sance du roi. Elle partit avec quelque nombre de gens d'armes qu'elle
avait avec elle, pour aller secourir les assiégés dudit lieu de Compiègne,
où sa venue donna grand courage à ceux de la ville.
Un ou deux jours après son arrivée, quelques-uns de ceux qui élaicnl
dedans firent Tenlreprise de faire une saillie sur les ennemis. Et combien
qu'elle ne fût pas d'opinion de faire cette saillie, ainsi que je l'ai vu en
quelques Chroniques, toutefois, pour ne pas être notée de lâcheté, elle
voulut bien aller en la compagnie ; ce dont il lui prit mal ; car, ainsi
qu'elle combattait vertueusement contre les ennemis, quelqu'un des
Fran(^ais fit signe de la retraite; par quoi chacun se hâta de se retirer.
Et elle, qui voulait soutenir l'effort des ennemis pendant que nos gens se
retiraient, quand elle vint à la barrière, elle trouva si grande presse
qu'elle ne put entrer dedans ladite barrière ; et là elle fut prise par les
gens de Monseigneur Jean de Luxembourg, qui était au siège avec ledit
seigneur le duc de Bourgogne.
Quelques-uns veulent dire que quelqu'un des Français fut cause de
l'empêchement [qui fit] qu'elle ne se pût retirer; ce qui est chose facile à
1. Dans Tanalyse du procès de réhabilitation, qui ne sera pas reproduite, puisque
l'opuscule de Gerson a été traduit dans la Pucelle devant VÉglise de son temps (p. 20
et suiv.). Gerson a écrit son traité De Puelld plus d un an avant queTUniversité se fût pro-
noncée ; il était alors exilé de Paris, et dans la plus entière disgrâce de la corpi>ratioo.
L*ABRÉVUTEUR DU PROCÈS. 283
car Ton ne trouve point qu'il y eut aucun Français, au moins
e de nom, pris ou blessé en ladite barrière*. Je ne veux pas dire
la soit vrai, mais, quoi qu'il en soit, ce fut grand dommage pour
)t le royaume, ainsi qu'on en peut juger par les grandes victoires et
^tes qui furent faites en si peu de temps qu'elle fut avec le roi.
^ucelle ayant été prise par les gens de Luxemboui^ en la manière
dite,icelui Luxembourg la fît mener au château de Beauvois(£«au-
auquellieu il la fît garder bien soigneusement de jour et de nuit,
ju'il craignait qu'elle n'échappât par art magique, ou par quelque
aanière subtile.
IV
s cette prise, le roi d'Angleterre et son conseil, craignant que la
i échappât par rançon ou autrement, firent toute diligence pour
aire remettre. A cette fîn, le conseil envoya plusieurs fois vers le
Bourgogne et Jean de Luxembourg; à quoi icelui de Luxembourg
ait entendre, et il ne la voulait bailler à nulle fîn ; ce dont le roi
îterre était fort mal content. C'est pourquoi il assembla son con-
Lsieurs fois pour aviser ce qu'il pourrait faire pour l'obtenir.
i la fîn il lui fut conseillé de mander l'évêque de Beauvais, auquel
montrer que la Pucelle usait d'art magique et diabolique et qu'elle
Srétique ; qu'elle avait été prise en son diocèse et qu'elle y était
lière, que c'était à lui à en avoir connaissance et à en faire justice ;
1 devait sommer et admonester ledit duc de Bourgogne et ledit
îmbout^ de lui rendre ladite Pucelle pour faire son procès, ainsi
t ordonné aux prélats par disposition du droit de faire le procès
les hérétiques; en offrant de payer la somme raisonnable qu'il
rouvé devoir être payée pour sa rançon. Laquelle chose, ledit
après plusieurs remontrances, accorda de faire après conseil, s'il
t qu'il dût et pût le faire*.
>ur ce, il se conseilla de Messieurs de l'Université de Paris, qui
l'opinion qu'il pouvait et devait le faire. Pour complaire au roi
terre', ils accordèrent audit évêque qu'ils écriraient de par
•sîté de Paris à Jean de Luxembourg qui tenait la Pucelle prison -
l'il la devait livrer pour son procès, et que, s'il faisait le contraire,
uestion de la prise de Théroïne sera discutée, lorsque toutes les pièces auront
lites.
chon n'eut pats de tergiversations, quoiqu'il ait cherché à se couvrir de l'Uni-
i se soit fait gronder par elle pour ses délais. Il semble qu'il a été au camp
. prise : sûrement il y vint promptement.
poursuites de l'Université contre Jeanne furent spontanées.
286 LA VRAIE JEANNE D'ARC I LA LIBÉRATRICE.
CHAPITRE IV
ALAIN BOUCHARD ET L'AUTEUR DU « MIROIR DES FEMMES VERTUEUSES ».
Sommaire : I. — Alain Bouchard. — Les Grandes Annales de Bretagne. — Les points
principaux sur la Pucelle. — Le Miroir des femmes vertueiÂses,
II. — La Pucelle interrogée avant d'être présentée au roi. — Elle le reconnaît et
demande un entretien à part. — Attitude du prince. — Révélation de la prière abso-
lument secrète.
III. — Sagesse des plans de la Pucelle.. — Jalousie qu*elle provoque. — La guerrière.
— La sainte. — Raison de Thabit viril.
IV. — La Pucelle à Compiègne. — Vendue par Flavy. — Annonce de sa prise. —
Barrières fermées. — Fin de Flavy.
V. — Injuste condamnation de la Pucelle. — Iniquité du procès. — Appel au Pape.—
Les cendres jetées aux vents.
I
Alain Bouchard , né dans le xv* siècle, fut avocat au parlement de Rennes,
conseiller du duc François II, et en grande faveur auprès d'Anne de Ere*
tagne. Les archives du duché lui furent ouvertes pour la composition de
ses Grandes Annales de Bretagne^ ouvrage qui eut plusieurs éditions el
jouit de la faveur du public, jusqu'à ce qu'il fût relégué dans l'oubli par
V Histoire de Bretagne de Dom Morice. Les Annales de Bouchard furent
imprimées en 1314.
Malgré des inexactitudes dans les détails, les pages consacrées à Jeanne
d'Arc offrent plusieurs passages pleins d'intérêt, tels que la révélation
des secrets, et aussi ce qui se passa à Compiègne le matin de la prise.
L'historien affirme tenir son récit de deux vieillards présents à la tou-
chante scène qu'il raconte. 11 n'y a pas lieu de suspecter sa bonne foi; il
est plus difficile de dire jusqu'à quel point la narration des vieillards est
véridique. Le portrait qu'il trace de la Guerrière et de la Sainte est nn
des plus complets. Il ne renferme pas un trait qui ne soit attesté par
plusieurs autres chroniqueurs. Vallet de Yiriville, auquel sont empruntées
les notes biographiques qui viennent d'être données *, trouve ce portrait
indigne d'être reproduit. 11 diffère certes de celui que le paléographe,
devenu historien de Charles Vil, présente dans son second volume ; mais
ce n'est pas Bouchard qui peint de fantaisie, au rebours de tous ceux qui
ont vu; c'est le diplomatiste qui a eu le tort de sortir d'une spécialité,
i. Vallet de Viriville, Bibliothèque de f École des chartes, 1855, p. 550.
ALAIN BOUCHARD ET L'AUTEUR DU « MIROIR DES FEMMES VERTUEUSES ». 287
OÙ nous avons souvent constaté qu'il était loin d'ôtre sans mérite.
11 serait inutile de reproduire, des Annales de Bretagne^ ce que nous ont
appris sur la Pucelle la plupart des autres Chroniques. 11 sera mieux de
se borner aux pages qui présentent un intérêt particulier.
Le Miroir des femmes vertueuses^ opuscule fort goûté dans les commen-
cements du XVI* siècle, emprunta mot pour mot le récit de Boucher sur
la Pucelle. L'auteur se contenta d'ajouter quelques lignes sur Tinlroduc-
tion du procès de Rouen. Entendons maintenant l'annaliste raconter la
première entrevue de la Pucelle et de Charles VII. Il suppose à tort que
Jeanne fut conduite à Chinon par son père et sa mère.
II
Après avoir ouï le père et la mère parler de l'état de leur fille, il
fui décidé qu'elle serait interrogée par le confesseur du roi, et par
quelques docteurs et gens du grand conseil, avant qu'elle parlât au roi.
Jeanne la Pucelle fut examinée et bien amplement interrogée par le
conseil du roi, auquel elle dit et déclara les visions et apparitions qui lui
étaient advenues, sans leur révéler aucunement ce qu'elle avait à dire au
roi. Elle fut gardée pendant quelques jours, et chaque jour elle était
interrogée sur plusieurs questions divines et humaines ; mais finalement
on la trouva si constante et si bien morigénée qu'il fut arrêté qu'on la
ferait parler au roi.
Elle fut amenée en une salle où le roi était ; elle le connut et aperçut
entre les autres seigneurs qui là se trouvaient, encore qu'on cherchât à
'ïii faire entendre que quelque autre de la compagnie était le roi ; mais
el^e disait que non, et montrant le roi du doigt, elle dit que c'était à lui
<l^^elle avait affaire, et non à un autre ; ce dont tous ceux qui étaient là
tarent émerveillés.
Quand Jeanne eut aperçu le roi, elle s'approcha de lui et lui dit : « Nobie
^gneur^ Dieu le Créateur ni' a fait commander jmr la Vierge Marie sa Mère^
*' par Madame sainte Catherine et Madame sainte Agnês\ ainsi que fêlais
^^ champs gardant les agneaux de mon père y que je laissasse tout là, et
î^«i diligence Je vinsse vers vous pour vous révéler les moj/enspar lesquels
^us parviendrez à être roi couronné de la couronne de France j et mettrez
^adversaires hors de votre royaume. Et m'a été commandé de Notre-Sei-
/neur que nulle autre personne que vous ne sache ce que f ai à vous dire. »
Ouand elle eut dit et remontré cela, le roi fit reculer au loin au bas
d'icelle salle ceux qui s'y trouvaient, et à l'autre bout où il était assis,
i. Bouchard substitue ici et ailleurs sainte Agnès à sainte Marguerite. Nous ne
lisons nulle part que Notre-Dame ait apparu à la Pucelle.
288 LA VRAIE JËANiNE D'ARC : U LIBÉRATRICE.
il fil approcher la Pucelle. Elle lui parla par Tespace d'une heure, sans
qu'autre personne qu'eux deux sussent ce qu'elle lui disait. Le roi
larmoyait fort tendrement; ses chambellans, qui voyaient sa contenance,
voulurent approcher pour rompre le propos, mais le roi leur faisait
signe de reculer et de la laisser dire.
Quelles paroles ils eurent ensemble, personne n'en a pu rien savoir ni
connaître, sinon que Ton dit, qu'après la mort de la Pucelle, le roi, qui
en fut très dolent, révéla à quelqu'un qu'elle lui avait dit comment, pen
de jours avant qu'elle vint vers lui, lui étant par une nuit couché au lit,
alors que tous ceux de sa chambre étaient endormis, il raisonnait^ en sa
pensée sur les grandes affaires oii il était ; et comme tout hors d'espé-
rance du secours des hommes, il se leva de son lit en sa chemise, et, à
côté de son lit, hors d'icelui, il se mit à nus genoux; et les larmes aux
yeux, les mains jointes, se réputant comme misérable pécheur indigne
d'adresser sa prière à Dieu, il supplia sa glorieuse Mère qui est reine de
miséricorde et consolatrice des désolés que, s'il était vrai fils du roi de
France et héritier de la couronne, il plût à la Dame de supplier son Fils
de lui donner aide et secours contre ses ennemis mortels et adversaires,
en sorte qu'il pût les chasser de son royaume, et icelui gouverner en
paix ; et s'il n'était pas fils du roi et si le royaume ne lui appartenaif pas,
que le bon plaisir de Dieu fût de lui donner patience et quelques posses-
sions temporelles, pour vivre honorablement en ce monde. Le roi dit
qu'à ces paroles, qui lui furent portées par la Pucelle, il connut bien
que Dieu avait véritablement révélé ce mystère à cette jeune pucelle ;
car ce qu'elle lui avait dit était vrai. Et jamais autre que le roi n'en
avait rien su.
111
Cette pucelle était très sage et prudente ; et disait-on qu'elle était
divinement inspirée ; car alors qu'elle n'était pas au conseil des capi-
taines, elle savait néanmoins leurs délibérations et conclusions aussi
bien que si elle eût été présente ; lesquelles conclusions n'étaient jamais
mises à exécution, si ellc-môme n'en avait fait ouverture ; ce dont les
capitaines s'émerveillaient fort; et si ce n'eût été que toutes ses entre-
prises étaient à louer et venaient à l'honneur du roi et du royaume, onbct
GRANDEMENT MURMURÉ CONTRE ELLE, ET ELLE EUT ÉTÉ RENVERSÉE PAR ENVIE*.
1. SyllogUait.
2. Eust (lié affoilée par cnrye. (^est [)ar cette manière discrète que Alain Bouchard
constate ce qui csl notoire d'après d autres Chroniques : la jalousie des capitaines. U
Libératrice a été certainement entravée.
ALAIN BOUCHARD ET L'AUTEUR DU « MIROIR DES FEMMES VERTUEUSES ». 289
£lle montait à cheval et chevauchait armée de toutes pièces aussi
prestement qu'aurait su le faire homme d'armes de sa compagnie ; elle
courait la lance, et faisant chose de guerre semblable, piquait un coursier,
maniait hache et épée aussi bien. que si elle y eût été formée dès son
snfance. En toutes choses elle était bien simple, menait une vie honnôte,
jeûnait plusieurs jours de la semaine, se confessait et recevait le corps
le Notre-Seigneur presque toutes les semaines.
Elle portait des vêtements d'homme pour ôter mauvais désir aux gens
de guerre ; et quand elle allait par le pays, au logis elle faisait venir
coucher avec elle l'hôtesse du logis ou ses chambrières ; il n'entrait
dans sa chambre homme quelconque qu'elle ne fût habillée et prête, sous
peine de la hart. Elle avait toujours en la bouche le nom de Jésus, et
partout où elle commandait, elle disait: « Faites de par Jésus; allez de par
Jésus ; n'en faites rien de par Jésus * / »
[Après avoir dit que le roi ne voulut pas admettre Richemont dans
l'armée, Bouchard ajoute :] Ceux qui avaient mis le roi en cette fantaisie
en furent fort blâmés par la Pucelle et par les princes et chefs de guerre
(fcLxiv).
IV
(Voici comment l'annaliste breton raconte la prise de Jeanne d'Arc à
!]loinpiègne :)
li'an mil CGGGXXX, vers le commencement du mois de juin, messire
ean de Luxembourg, les comtes de Uautonne [Houtinfjton)^ d'Arondel,
Lnglais, et une très grande compagnie de Bourguignons mirent le siège
levant Compiègne, et il fut arrêté par Guillaume de Flavy, qui en était
capitaine, que la Pucelle irait en diligence par devers le roi pour re-
couvrer et assembler des gens afin de faire lever le siège ; mais icelui de
Flavy avait fait cette ordonnance parce qu'il avait déjà vendu la Pucelle
^^x lioui^uignons et aux Anglais. Pour parvenir à ses fins, il la pressait
fort de sortir par l'une des portes de la ville, car le siège n'était pas
*«vant cette porte ^
La Pucelle, un jour bien matin, fit dire la messe à Saint-Jacques, se
^Ufessa et reçut son Gréateur ; elle se retira près de l'un des piliers de
^tte église, et dit à plusieurs gens de la ville qui là se trouvaient : — Il y
^Vait cent ou six-vingts enfants qui désiraient beaucoup la voir —
^* Au lieu de dire « Jésus », Jeanne disait plus souvent : « Messire, Notre Sire,
^^ Seigneur, Mon Seigneur ».
^ Quoi qu'il en soit de la trahison de Flavy, question qui sera ultérieurement exa-
^aée, ce n*est pas ainsi qu*eut lieu la sortie de Compiègne.
m. 19
290 LA VRAIE JEANNE D*ARC : LA LIBÉRATRICE.
<( Mes enfants et chers amis^ je vous signifie que Von m'a vendue et trahie
et que bientôt je serai livrée à la mort. Ainsi je vous supplie que vous priiez
Dieu pour moi, car je ri aurai jamais plus de puissance de faire service
au roiy ni au royaume de France. » Et ces paroles je les ai ornes à
Compiègne, Tan mil quatre cent quatre vingt et XVIII au mois de
juillet, de la bouche de deux vieux et anciens hommes de la ville de
Compiègne, âgés l'un de mi"xvni (P^)ans, et l'autre de mi"vi (^tf), qui
disaient avoir été présents en l'église de Saint-Jacques de Compiègne,
alors que la Pucelle prononça ces paroles *.
Quand la Pucelle, en compagnie de xxv ou xxx archers fut sortie
hors de la ville de Compiègne, Flavy, qui savait bien l'embuscade, fit
fermer les barrières et les portes de la ville. Quand la Pucelle fut à un
quart de lieue, elle fut rencontrée par Luxembourg et d'autres Bour-
guignons. Elle reconnut qu'ils étaient plus forts, elle s'en retourna à la
hâte, croyant se sauver dans la ville; mais le traître Flavy lui avait fait
clore les barrières, et ne voulut point lui faire ouvrir les portes. Ce fut
la cause pour laquelle la Pucelle fut aussitôt prise par les Bourguignons
aux barrières de Compiègne, et par eux livrée aux Anglais, l'an dessus
dit MCCCCXXX, au signe des Gémeaux, ainsi qu'il est manifeste parles
lettres numérales de ce petit vers
nV>C CadIt In geMLnIs bVrgVndo VICta pVeLL\;
et parce que, par la justice des hommes, Flavy ne fut pas puni de son
cas. Dieu le Créateur, qui ne voulut pas laisser tel cas impuni, permit
depuis que la femme de ce môme Flavy, nommée Blanche d'Aurebruche,
qui était fort belle demoiselle, Tétouffàt et l'étranglât avec Taide de son
barbier, alors qu'il était couché en son lit, au château de Nesle-en-
Tardenois ; meurtre dont elle obtintgrâce dans la suite, du roi Charles VII,
parce qu'elle prouva que son susdit mari avait entrepris de la faire noyer.
Quand la Pucelle fut entre les mains de messire Jean de Luxembourg,
il la garda quelque temps, et puis la vendit aux Anglais qui lui en don-
nèrent un grand prix; les Anglais la menèrent à Rouen où elle fut
renfermée en prison et durement traitée.
Les Anglais firent faire à Rouen le procès de la Pucelle, et sous cou-
leur de justice. Toutefois ils ne trouvèrent en elle ni vice, ni macule, ni
1. Les vieillards auraient eu lun, trente-huil ans, Tautre vingt-six, lorsqu'ils
auraient entendu Jeanne parler ainsi.
292 LA VRAIE JEANNE D*ARG : LA LIBÉRATRICE.
fut par le juste jugement de Dieu, qui, parmi d'autres iniquités et dépré-
dations commises par eux, ne voulut pas que la condamnation porlée
contre la Pucelle rest&t impunie,
Car par expérience on voit
Ce que on dit communément.
Que Dieu vrai juge, quonque soit S
Rend à chacun son paiement.
CHAPITRE V
JEAN BOUCHET, LE FÉRON ET JACQUES GELU.
Sommaire: I. — Jean Bouchet. — Ses Annales d* Aquitaine.
U. — La Pucelle à Vaucouleurs, à Domrémy, à Chinon. — Le surnom de la Pucelle.
— Informations. — Examen. — Présentation au roi. — Entretien secret. — Impres-
sion du roi. — Nature des secrets révélés. — L epée de Fierbois. — Le montoirde
Poitiers. — La sainteté de la Pucelle.
lU. — La Pucelle à Compiègne. — Vendue par Flavy. — Prétexte pour la faire sortir.
— La Pucelle prédit qu'elle est vendue et sera prise. — La sortie. — La retraite
fermée par Flavy. — Fin des prospérités de FAnglais. — Traités de Gerson et
dllenri de Gorkum. — Épitaphe de la Pucelle.
IV. — Note de Le Féron sur le séjour de la Pucelle à Compiègne. — Renvoi à b
Correspondance de Jacques Gelu,
I
Jean Bouchet est un des écrivains les plus féconds de la première partie
du xvr siècle. Né à Poitiers en 1474, il y mourut vers 1550, après une
vie consacrée aux fonctions de la magistrature et à la composition de
nombreux ouvrages. Le plus remarquable est celui des Annales d* Aqui-
taine. S'il insiste particulièrement sur l'histoire de la province, et su^
tout de sa ville natale, il embrasse en réalité Thistoire de France tout
entière, et môme l'histoire de TAnglcterre. Quelques pages sont consa-
crées à la Pucelle. Bouchet s'est inspiré de son contemporain Alain
Bouchard ; il n'est pourtant pas exact de dire qu*il n'a fait que le repro-
duire ; il y a des particularités qui ne sont pas dans l'auteur des Annales
de Bretagne. Le soin de rendre à sa manière des faits rapportés par
l'auteur des Annales de Bretagne prouve un travail personnel. Les passa-
ges qui vont être reproduits sont les seuls qui offrent quelque intérêt.
1. Qui que Ton soit.
JEAN BOUGHET, LE FËRON ET JACQUES GELU. 293
II
[AprèsavoirrapportéquelesOrléanaisnevoyaientplusde moyen de faire
ever le siège, il continue en ces termes, à quelques rajeunissements près.]
En si grosse affaire, Dieu n'oublia pas le roi de France, ni son
aySLume ; car il lui envoya une simple bergère de dix-huit ans ou environ,
loinmée Jeanne, native du village de Dorapreme [sic) près de Vaucou-
eizrs en Lorraine, qui pour Tintégritd de sa vie étail nommée la Pucelle.
Elle s'adressa à Messire Robert de Baudricourt, capitaine dudit lieu de
Vaticouleurs, et le pria qu'elle parlât au roi pour son profil. Cela fut
trouvé étrange par les princes et par ceux qui étaient près de la per-
soxine du roi. Toutefois, après que Ton eût envoyé quérir son père nommé
Jacques Dart [sic), Isabelle sa mère, qui étaient de simples gens de
labeur, de bonne et honnête vie et conversation, et qu'ils eurent su de
leur bouche que Jeanne leur dite fille ne s'était jamais appliquée à autre
chose qu'à garder les brebis, et qu'elle leur avait depuis naguère dit que
la Vierge Marie s'était apparue à elle, et lui avait commandé de venir par
devers le roi le secourir en ses affaires, et l'avertir d'aucunes choses en
vue de son profit et honneur, ils lui avaient donné congé de ce faire*.
Ladite Jeanne fut mise entre les mains des docteurs et autres gens, et
par eux interrogée tant sur sa vie que sur quelques points de notre foi ;
elle répondit non comme une simple fille, mais comme le plus grand
docteur qu'on eût su trouver; et parce qu'ils connurent qu'il n'y avait
aucune superstition, ils pensèrent que c'était une chose permise de
Dieu.
A cette raison ils la firent parler au roi, lequel pour la tenter fit mettre
on autre prince au-dessus de lui, et en plus grand état; mais elle le choisit
^^tre les autres, et après l'avoir salué de par Dieu et la Vierge Marie,
«île demanda à lui parler en secret, ce que le roi lui permit en pleine
*^Ue; il fit reculer de lui tous ceux qui étaient en sa compagnie à un coin
^® ladite salle; puis ils parlèrent ensemble, et comme ils parlaient on
'^^yait que les larmes tombaient des yeux du roi de France à grande
™ondance. On n'en sut jamais la cause, sinon après la mort de ladite
Scelle qu'il déclara qu'un mois environ avant que ladite Pucelje vînt
^^^lai, comme il pensait une nuit en son lit aux grandes affaires qu'il
'• Le père et la mère de la Pucelle ne furent pas à Chinon, mais Baudncourl a dû
*• 'oip, les interroger minutieusement, soit à Vaucouleurs, soit à Domrémy. il a
'^mis ces informations à la cour. Il peut se faire que Jacques d'Arc et sa femme
u^nl donné leur consentement au dépaK de leur fille, avant même qu'elle eût quitté
Vâucouleurs.
294 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
avait, il se leva tout en chemise, et à genoux, aux pieds de son lit, il pria
Notre-Seigneur que son plaisir fût de lui donner secours, si lui, qui
connaît toutes choses, voyait qu'il eût bon droit en ses guerres et que-
relles.
Ladite Pucelle pria le roi qu'il lui envoya quérir en relise
Sainte-Catherine-de-Fierbois, où alors il y avait port (affltience) de
pèlerins, une épée qui était entre les ferrailles des prisonniers, qui
s'étaient recommandés à cette sainte, et avaient fait leur voyage {pèle-
rinage) audit lieu, encore que la Pucelle n*y eût jamais été. Ce que fit le
roi ; et ladite épée fut apportée.
Les Chroniques que j'ai vues ne déclarent point le lieu auquel la
Pucelle parla pour la première fois au roi Charles Septième. J*ai oui dire
en ma jeunesse, et Tan mil quatre cent quatre-vingt-quinze, à feu Chris-
tophe du Peirant, demeurant alors à Poitiers et près de ma maison, qui
avait près de cent ans, que en ma maison il y avait une hôtellerie où
pendait l'enseigne de la Rose, où ladite Jeanne était logée, et qu'il la vit
monter à cheval tout armée à blanc pour aller audit lieu d'Orléans ; et
il me montra une petite pierre qui est au coin de la rue Saint-Étienne
où elle prit avantage pour monter sur son cheval...
[Bouchet raconte ensuite la délivrance d'Orléans, où, entre autres
inexactitudes, il fait mourir Salisbury le dernier jour du siège; il indique
en courant les autres conquêtes de la Pucellle sans parler de l'assaut
contre Paris. Il y intercale le portrait suivant de la Pucelle :]
Les princes, voyaient que c'était chose divine que d'elle. Trois fois
par semaine elle jeûnait, elle se confessait et recevait le très précieux
corps de Jésus-Christ chacun dimanche, jamais ne jurait ni ne disait
parole scandaleuse ; elle faisait tout au nom de Jésus, et quand elle arri-
vait à une hôtellerie, elle faisait toujours coucher avec elle l'hôtesse ou
une de ses filles, ou une chambrière, et jamais homme n'entrait dans sa
chambre jusqu'à ce qu'elle fût de tout point vôtue et habillée.
III
[Pour Bouchet comme pour Bouchard, Flavy a vendu la Pucelle. Après
avoir dit que Flavy était capitaine de Compiègne et que la Pucelle s'y
était jetée, il écrit :]
Au commencement de juin 1430, Messire Jean de Luxemboui^, les
comtes de flauton et d'Arondel avec une grande compagnie de Bour-
guignons allèrent assiéger ladite ville de Compiègne. Et par l'intelligence
que ledit capitaine de Flavy avait avec eux, auxquels il avait vendu la
296 LA VRAIE JEANNE D*ARC ! LA LIBÉRATRICE.
IV
L'exemplaire des Annales d Aquitaine qui est aujourd'hui à la
Bibliothèque nationale, fut la possession d'un célèbre héraldiste et histo-
riographe du XYi" siècle, Jean Le Féron. Il a écrit en marge les lignes
suivantes, relevées par Vallel de Viriville : « Ladite Pucelle était logée
au logis du procureur du roi à Goinpiègne, à renseigne du Bœuf, et
couchait avec la femme dudit procureur, mère-grand de Maitre Jehan
Le Féron, appelée Marie Le Boucher, et faisait souvent relever de son
lit ladite Marie pour aller avertir ledit procureur qu'il se donnât garde de
plusieurs trahisons des Bourguignons par l'espace de sept mois, sept jours,
et fut la Pucelle prise sur le pont de Marigny, par ledit Luxembourg ».
Jeanne après son départ de Sully, est venue plusieurs fois à Compiègne.
Le siège de Compiègne commencé le 20 mai fut levé le 25 octobre; cela
ne nous donne pas sept mois sept jours ; mais le Bourguignon avant
de commencer le siège s'empara des avant-postes, et il a dû essayer de
pénétrer par la voie de la trahison dans la place convoitée. S'il fallait
faire finir les sept mois sept jours au 25 octobre, il faudrait dire que
Jeanne donnait cet avis vers le 18 mars : mais rien n'empêche de penser
que même après la levée du siège, il a fallu veiller quelque temps encore
pour prévenir la trahison.
Après la production des documents il y aura lieu de discuter sur la
présence de la Pucelle à Compiègne. En attendant qu'il suffise de ren-
voyer au beau livre de M. Alexandre Sorel : la Prise de Jeanne (TArc
à Compiègne.
La correspondance de Jacques Gelu avec la cour, pendant que Jeanne
était soumise aux épreuves racontées par tous les historiens, a été rap-
portée dans la Pucelle devant t Église de son temps (p. 2-4), telle que nous
la fait connaître d'après les pièces le P. Fornier, Jésuite du xvii' siècle. Elle
pourrait trouver ici sa place, si déjà elle n'avait pas été produite.
CHAPITRE VI
CHRONIQUE DE LA DÉLIVRANCE D'ORLÉANS ET DE LA FÊTE DU 8 MAI, ET AUTRBS
DOCUMENTS. — JEAN DE MACON. — GUILLAUME GIRAULT.
Sommaire : I. — La Chronique de la délivrance d'Orléans et de la fôte du 8 mai. —
Manuscrits qui la contiennent. — Ses diverses éditions dans les cinquante dernières
CHRONIQUE DE LA DÉLIVRANCE D'ORLÉANS ET DE LA FÊTE DU 8 MAI. 30t
dans un âge fort avancé. Né au plus tard en 1360, il était septuagénaire
eu 1429, lors du siège. L'on admet que la Chronique a été composée
quinze ou vingt ans plus tard. Jean de Mâcon Taurait donc écrite à Tâge
de quatre-vingt-quatre ans. La voici en termes quelque peu modernisés.
III
En Tan mil quatre cent vingt et huit, les Anglais tinrent leur conseil au
pays d'Angleterre, et là il fut ordonné que le comte de Salisbury \
descendrait au pays de France, pour conquérir les pays de Monseigneur
d'Orléans, lequel ils tenaient prisonnier depuis Tan quatre cent et
quinze. Il avait été pris par eux et fait prisonnier à une journée qui fut
celle d'Azincourt, en laquelle il fut pris avec plusieurs autres seigneurs
de France.
De six à sept mille combattants anglais furent baillés audit comte de
Salisbury, et lors mondit seigneur d'Orléans, averti de ces choses,
considérant le dommage et la destruction qu'il redoutait advenir en ses
terres et seigneuries par suite de ladite entreprise et mission dudit
comte de Salisbury^ voulant y obvier de son pouvoir, s'adressa à ce môme
comte, et^lui recommanda sa terre. Lequel Salisbury lui promit qu'il
Tépargnerait ', et, moyennant ce, Monseigneur d'Orléans lui promit six
mille écus d'or, à savoir de lui donner en gage ^ un joyau qu'il avait en
France. Et de tout cela le comte de Salisbury n'en tint rien ; aussi il lui
en prit mal, comme vous l'ouïrez; car Dieu l'en punit.
Le comte de Salisbury pour accomplir sa mauvaise volonté, non-
obstant la promesse faite h Monseigneur d'Orléans, descendit au pays
de Normandie, tint sa route droit à Chartres, pritNogent-le-Roi, et vint
jusqu'à Yenville-en-Beauce, y mit le siège, et de fait prit d'assaut
y celui lieu d'Yenville. Ce voyant, ceux de Meung-sur-Loire négocièrent *,
et se rendirent sans coup férir. Et puis il alla mettre le siège devant
Baug^ncy et devant Jargeau qui se rendirent ^ Et durant cette expédi-
tion •, icelui comte de Salisbury vint piller le lieu et l'église de Nolre-
Dame-de-Cléry, dont il fit très mal, car en ce temps il n'y avait homme
d'armes qui osât y rien prendre, qu'il n'en fût incontinent puni, comme
chacun sait.
1. De Saleberf/f dans le texte.
2. C'est le sens évident, ce semble, du texte qui est, qu'il la supporterait.
3. Le texte du rtianuscrit du Vatican porte de lui raimbre (remerer) ; celui de Saint-
Pétersbourg, de lui rendre,
4. Trouvèrent moyen, (Voy. Lacur!«e.)
5. Bougency^ Jargueau (texte).
6. Et ee pendant.
302 LA VRAIE JEANNE D'ARG : LA LIBÉRATRICE.
IV
L'an dessus dit, le treizième jour d'octobre, le comte de Salisbury
arriva au Portereau d'Orléans et le siège fut posé. La nuit fut brûlé et
abattu le monastère des Augustins, pour que les Anglais ne s*y logeassent
pas. Icelui Salisbury ne tarda guère à donner Tassant audit Portereau,
c'est à savoir au boulevard du bout du pont, qui n'était fait que de fagots;
l'assaut dura de quatre à cinq heures ; et y furent blessés Monseigneur
de Xaintrailles et Guillaume de La Chapelle qui étaient capitaines ; et la
défense fut telle que les assaillants ne purent rien faire ce jour. Et puis
après il arrivèrent par-dessous ledit boulevard, et ainsi il fut arrêté qu'il
était expédient de l'abandonner.
Le dimanche qui suivit, l'assaut fut donné aux Tourelles devers le
matin, et à cette heure ils n'y firent rien. Et en ce même jour, environ
deux heures après midi, Salisbury recommença l'assaut, et de fait il prit
les Tourelles ; car il n'y avait homme d'armes qui osât s*y tenir,
à cause de la force des bombardes et canons que tiraient les Anglais.
Les Tourelles prises, le comte de Salisbury monta au plus haut étage, et
se mit à une fenêtre devers la ville pour voir le pont qui était très bien
armé. Et à cette heure, de la ville partit im canon qui le frappa à la tête ;
ce qui fut l'avancement de sa mort.
Quelques-uns disent que le canon partit de Saint-Antoine, les autres
qu'il partit de Notre-Dame, et que ce fut un jeune page qui le fît partir ; et
qu'il en soit ainsi {la preuve en est) que le canonnier qui avait la charge
de ladite tour trouva le page qui s'enfuyait. Et aussi était-ce juste et
raisonnable que ledit comte de Salisbury, ayant, comme il est dit plus
haut, pillé l'église de Notre-Dame-de-Cléry, en fût puni par elle. Ainsi
heurté et frappé, le comte de Salisbury fut porté à Meung-sur-Loire par
quelques Anglais, et là il mourut.
Ce voyant, les capitaines levèrent en partie leur siège, laissèrent cinq
à six mille [sic) combattants aux Tourelles et se retirèrent à Paris qui, pour
lors était anglais, et ils ordonnèrent un nommé Tallebot {Talbot\
pour être leur chef. Les fériés de Noël, ils revinrent vers Saint-Loup pour
remettre leur siège. Pendant ce temps ceux de la ville abattirent toutes
les églises et maisons des faubourgs; ce qui fut un grand moyen de
conservation * pour la ville d'Orléans à l'enconlre des Anglais.
Environ le carême-prenant, vinrent nouvelles que Monseigneur deBour-
1. Le manuscrit du Vatican a écrit: ce qui fut une grande consolation^ non-sens
manifeste qui disparait dans le manuscrit de Saint-Pétersbourg où on lit : grande
conservation.
304 LA VRAIE JEANNE D*ARC : U LIBÉRATRICE.
de France, et plusieurs autres capitaines, et aussi [des soldais] des com-
munes DU PAYS d'en BAS, ct il lui fut ordouné d'amener vivres et artillerie.
Ils vinrent par la Saulogne [Sologne)^ passsërent par Olivet ou près, et
arrivèrent jusqu'à TIle-aux-Bourdons, qui est devant Chécy. Ceux
d*Orléans sachant qu'elle venait furent très joyeux; ils firent préparer
des chalands en grand nombre. La rivière était alors à plein chantier, et
aussi le vent quittait contraire se tourna d'aval \ tellement qu'un chaland
menait deux ou trois chalands ; qui était une chose merveilleuse, et fallait
dire que c'était un miracle de Dieu. Ils passèrent par-devant les bastilles
des Anglais et arrivèrent à leur port ; et là chargèrent leurs vivres, et
puis la Pucelle passa la rivière. Là étaient présents Monseigneur de Dunois,
La Ilire et plusieurs autres seigneurs ; et ils vinrent par-devant la bastille
de Saint-Loup où étaient les Anglais.
La Pucelle arriva à Orléans, et fut logée près de la porte Regnart; et
de son logis elle pouvait voir tout le siège. Et il est à savoir que ceux
d'Orléans étaient bien joyeux.
Et pendant ce temps Mgr de Rais, et les autres capitaines que la Pucelle
avait amenés ', retournèrent à Blois quérir d'autres vivres.
La Pucelle étant à Orléans, elle alla par deux ou trois fois sommer les
Anglais qu'ils s'en allassent en leur pays, et que le roi du Ciel le leur
mandait, et ils lui dirent plusieurs injures, et entre les autres Glacidas,
auquel elle répondit qu'il mentait de ce qu'il lui disait, et qu'il en mour-
rait sans saigner. Ainsi fit-il comme sera déclaré ci-après ; et Jeanne la
Pucelle prenait en bonne patience les injures que les Anglais trouvaient
bon de lui dire et de lui faire.
Et après, elle s'en alla à l'église Sainte-Croix, et là elle parla à Messire
Jean de Mascon, docteur, qui était un très sage homme, lequel lui dit :
(( Ma fille, ôtes-vous venue pour lever le siège ?» A quoi elle répondit :
« En nom Dieu^ oui ». « Ma fille, dit le sage homme, ils sont forts et biea
fortifiés, et ce sera une grande chose que de les mettre hors ». La Pucelle
répondit : « Rien n'est impossible à la puissance de Dieu ». Et en toute la
ville elle ne fit honneur à aucun autre.
VI
Le mercredi quatrième jour de mai l'an vingt-et neuf, la Pucelle partit
pour aller au-devant des autres vivres qu'amenait le sire de Rais. Allèrent
1. « Souffia » d'aval. Les bateaux devaient remonter.
2. Texte de Saint-Péterbourg; celui delà Vaticane porte : qui avaient amené la PuctUe^
mais [dus haut le même texte de la Vaticane porte que les capitaines avaient été
donnés à Jeanne.
306 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
la bastille du champ Saint-Privé ; ils étaient en deux ou ti'ois chalands,
mais ils furent si effrayés qu'il s'en noya beaucoup ; et, qu'il en soit ainsi,
on le vit depuis par leurs harnois trouvés en la rivière.
Quand arriva le samedi, septième de mai, ln conseil flt tenu en L4
VILLE, ET LES B0UKr,£01S REQUIRENT LA PlCELLE QU'eLLE VOCLL'T ACCOMPUR LA
CHARGE qu'elle AVAIT DE par Dicu et aussi de par le roi; et à ce faire elle
fut émue ; elle parlit, et, montant h cheval, elle dit: « En nom Dieu Je le
ferai, ET QUI m'aimera, qu'il me suive ! » Les seigneurs allèrent avec elle et
passèrent la rivière ; des vivres et de l'artillerie furent amenés ; et ils
vinrent si près que, dès le matin, la Pucelle donna Tassant auxdites
Tourelles.
Devers la ville, ceux qui y étaient firent des ponts pour donner Tas-
saut; car il y avait Irois arches rompues avant que Ton put joindre les
Tourelles. Ce fut une merveilleuse chose de faire les ponts, car les
Anglais avaient fait de grands boulevards, forts et avantageux ; mais en
tout cela Dicu ouvrait, car lorsqu'un homme venait pour travailler
auxdits ponts, il était ouvrier, ainsi que s'il eût accoutumé pareil travail
toute sa vie. Ceux de la ville chargèrent un grand chaland plein de fagots,
d'os de cheval, de savates, de soufre, et des plus puantes choses que Ton
sût trouver; il fut mené entre les Tourelles et le boulevard, et là le feu
y fut mis, qui leur fit un grand dommage. Et, pour tirer, les Anglais
avaient les meilleurs canons du royaume; mais un homme eut jeté uae
boule aussi loin que pouvait aller la pierre d'iceulx canons* ; ce qui était
un beau miracle.
Jtem. Quand vint environ quatre heures après midi, quelques chevaliers
virent un colombcau blanc voler par-dessus Tétendard de la Pucelle, el
incontinent, elle dit : « Dedans, enfants! en îiomDien^ ils sont nôtres. » El
jamais on ne vit grouée {volée) d'oisillons se parquer sur un buisson,
comme chacun monta sur ledit boulevard. Et, ce voyant, Glacidas, qui était
le chef, et avec lui de vingt à trente hommes, tombèrent dans la rivière,
car ils avaient coupé le pont dans la pensée de tromper nos gens *. Et
là fut -accomplie la prophétie faite audit Glacidas par la Pucelle qu'il
mourrait sans saigner; ainsi fit-il, car il se noya avec plusieurs autres.
Les Tourelles furent prises, ainsi que plusieurs seigneurs comme le sire
de Ponyngs, le sire de Molyns. Il y avait là de cinq à six cents combat-
tants, si résolus qu'ils ne craignaient pas, durant quinze jours, toute la
puissance de France et d'Angleterre. Tandis que la Pucelle faisait son
1. Phrase fort obscure; en voici le texte : Et à venir joindre Usdils Anglais avoifutl
des meilU'urs canons du roijutilme; mais uncj homme cust aussi fort getté une hole cormt
la pien'e pavait aller dUceulx canons; qui estoit un tel miracle.
2. Car ils avaient copé ledict pont, pour cuidtr tromper nos gens.
CHRONIQUE DE LA D&UVRA>'CE D'ORLEOS ET DE Lk FÊTE :<ï S MAI. 307
devoir, ceux de la ville le faisaient du côté de la ville tant par terre que
par eau. Quant à ceux qui ne furent pas tués, la Pucelle le? amena deux
à deux, prisonniers, à Orléans.
lient. Quand vint le dimanche, huitième dudit mai. les gens des autres
bastilles tinrent conseil, et partirent au plus matin: là était TaLbot. et ils
se mirent aux champs. Ce que voyant ceux de la ville, ils sortirent avec
toutes leurs forces, la Pucelle avec eux. pour leur courir sus: mais elle
dit qu'on les laissât aller, encore que chacun fût en ordre de bataille, tant
d'un côté que de Tautre; et Ton prit entre les deux armées leurs bom-
bardes et leur artillerie ; mais la Pucelle avec les seigneurs firent retirer
tous leurs gens ; là fut faite une haute et grande louange à Dieu en criant
Noël. Il y avait en la compagnie plusieurs prêtres et gens d'Eglise qui
chantaient de belles hymnes ; et la Pucelle dit que chacun allât ouïr la
messe. Et ne demandez pas si à Orléans chacun faisait grande joie, tant
aux ^lises comme en plein air, pour le grand don que Dieu leur avait
fait.
VII
liem. Il ne tarda guère que les seigneurs amenèrent la Pucelle vers le
roi Charles qui était à Tours, et considérez quelle réception on leur fit.
Le roi remercia bien hautement Dieu, et aussi Mgr de Dunois et les maré-
chaux, et La Hire, et tous les autres capitaines qui lui avaient tenu com-
pagnie. Talbot demeura à Meung, à Baugency, à Jargeau et à Janville,
et aussi tous ses gens.
Le duc d*Alençon ne tarda guère à venir avec la Pucelle. Le siège fut
mis à Jargeau, où était le comte de Chifort [Suffolk). ayant avec lui plu-
sieurs capitaines anglais : il y avait là de six à sept cents combattants ; et
il ne fallut que deux jours pour qu'ils fussent pris de bel assaut. Et Dieu
sait si ceux d'Orléans étaient fainéants ' à mener aux assiégeants artil-
lerie, gens, et aussi vivres.
Et puis après Ton vint par devant Meung-sur-Loire, où était Talbot et
toute sa puissance, mais il n'osa frapper sur nos gens, car il était tout
éperdu. Puis nos gens vinrent mettre le siège devant Baugency, et là se
trouva Mgr le Connétable de France. Les Anglais qui là étaient prirent
composition et s'en allèrent joindre Talbot.
Nos gens, dans la poursuite, se trouvaient près de Patay 'PaHtoy\ contre
ledit Talbot; il fut pris, et environ quatre mille Anglais y furent tués, qui
tous s'étaient retirés vers ledit Talbot. En ce jour se rendirent Janville et
1 . Se faignaienif dans le texte.
308 U VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
plusieurs autres forteresses. Si on eût voulu poursuivre, on eut chassé
LES Anglais jusqu'à la mer, vu le courage que chacun avait ; car un Fran-
çais eût abattu dix Anglais, non pourtant qu'il n'y eût point de force
d'homme {sic) ;mais tout procédait de Dieu, auquel louange appartient et
non à un autre.
VIII
Item. Ce voyant, par Mgr Tévôque d'Orléans avec tout le clergé, et aussi
{)ar l'intermédiaire et l'ordonnance de Mgr de Dunois frère de Mgr le duc
dOrléans, et du conseil d*icelui, et aussi de l'avis des bourgeois,
manants et habitants d'Orléans, il fut statué qu'une procession serait
faite le huitième de mai ; que chacun y porterait lumière, qu'on irait
jusqu'aux Augustius, et partout où avait été le combat ; on ferait station
en chacun lieu, service convenable et oraisons ; les douze procureurs de
la ville auraient chacun en leurs mains un cierge où seraient les armes
de la ville ; il en demeurerait quatre [des cierges) à Sainte-Croix, quatre
à Saint-Euverte, quatre à Suiut-Aignan; le lendemain messe pour les
trépassés et là serait oiTert pain et vin, et chaque procureur donnerait à
Toffrande huit deniers parisis ; on porterait les chasses de Mgr saint
Aignan, et de Mgr saint Euverte, les médiateurs et les protecteurs Je la
cité et de la ville d'Orléans. En ce temps, en effet, plusieurs Anglais, qui
étaient au siège, affirmèrent avoir vu, durant le siège, deux prélats en
habits pontificaux aller en cheminant autour des murs de la ville. Aussi
avaient-ils été, Mgr saint Euverlc et Mgr saint Aignan les gardes, et les
protecteurs de la ville d'Orléans, au temps que les mécréants vinrent
devant icclle; car, h la prière faite à Dieu par ces saints, la ville fut pré-
servée des mainsdesdits mécréants ; et en en approchant, comme rapporte
rhistoire, ils furent tous aveuglés, en sorte qu'ils n'eurent point puis-
sance de mal faire entre ici et Saint-Loup.
On ne peut trop louer Dieu et les saints ; car tout ce qui a été fait, l'a
été entièrement par la grâce de Dieu. Aussi doit-on avoir grande dévo-
tion à ladite procession, surtout ceux de la ville d'Orléans, attendu que
ceux de Rourges-cn-Berry en font solemnité; mais ils prennent le
dimanche après l'Ascension (car en Tannée de la délivrance, c'était ce
dimanche').
Plusieurs autres villes en font aussi solennité, car si Orléans fût tombé
entre les mains des Anglais, le demeurant du royaume en eût été fort
blessé. Ainsi, par reconnaissance pour la grande grâce que Dieu a voulu
1. Ce membre de phrase ne se trouve pas dans le manuscrit de Saint-Pétersbourg.
CHRONIQUE DE U DÉLIVRANCE D'ORLÉANS ET DE LA FÊTE DU 8 MAI. 309
faire et démontrer en la gardant des mains de ses ennemis, que ladite
sainte et dévote procession soit continuée et non pas délaissée, sans
tomber en ingratitude, par laquelle viennent beaucoup de maux. Chacun
est tena d^aller à ladite procession, et de porter luminaire ardent en sa
main.
On revient autour de la ville, c'est à savoir par devant Téglise Notre-
Dame de Saint-Paul, et là on fait grande louange h Notre-Dame, et de là
à Sainte-Croix, et là le sermon, et la messe après ; et aussi comme
dessus, les vigiles à Saint-Âignan, et le lendemain messe pour les tré-
passés.
Et, pour cela, qu'un chacun soit averti de louer et de remercier Dieu,
car, par aventure, il y a pour le présent des jeunes gens qui pourraient à
grand'peine croire que les choses soient ainsi advenues ; mais croyez que
G*est chose vraie, et bien grande grâce de Dieu.
Car durant le siège, il n'y eut jamais aucune division entre les gens
d'armes et ceux de la ville, quoique par avance ils s'cntre-haïssaient
comme chiens et chats ; mais lorsqu'ils furent avec ceux de la ville, ils
furent comme frères ; et aussi ceux de la ville ne les laissaient, à leur
pouvoir, endurer nécessité ou souffrance, en quelque manière que ce fût^
Et à cause du bon service qu'ont fait les manants et les habitants de la
ville d'Orléans, ils sont et seront en la bonne grâce du roi, qui de fait le
leur a montré et le leur montre de jour en jour, ainsi que c'est manifeste
par la teneur des beaux privilèges qu'il leur a donnés.
Le NOTAIRE GiRAULT. — Lcs mcrveillcs accomplies par la Pucelle,
étaient telles qu'on en trouve la mention plus ou moins détaillée dans les
écrits les plus étrangers à la grande histoire. On a vu la longue relation
qu'en avait faite, dans les archives de la mairie, le Greffier de la Rochelle.
Nous aurons occasion d'en reproduire bien d'autres. Voici celle que
Guillaume Girault, alors notaire à Orléans, insérait entre deux minutes,
Tune du 28 avril, l'autre du 9 mai. On peut la voir encore aujourd'hui
dans le registre de 1429, conservé dans l'étude d'un des notaires
d'Orléans.
L'abbé Dubois l'inséra dans ses doctes recherches ; elle a été depuis
Tobjet d'une étude particulière de la part de M. de Molandon qui lui a
consacré un article, au tome IV, page 382, des Mémoires de la Société
archéologique de fùrléanais. Voici la note très légèrement rajeunie.
« Le mercredy veille de l'Ascension, iiii* jour de mai, Tan mil
€GCCXXIX, par les gens du roi notre Sire, et [par] la ville d'Orléans,
3iO Lk VRAIE JEANNE D*ARC : LA LIBÉRATRICE.
présente et aidant [ou ordonnant) Jehanne la Pucelle, trouvée par ses
œuvres ^tre vierge et à ce envoyée de Dieu, Notre-Seigneur, et aussy
comme par miracle, fut prinse par force d'armes la forteresse des Anglais
très puissants à Saint-Loup-lez-Orléans, qu'y avoient faite et tcnoient les
Anglais ennemis du roi nostre dit Sire, et y furent prins et morts
plus de vi"(/î?(>) Anglais.
« Le samedy après l'Ascension \de] Notre-Seigneur ensuivant, w\* jour
dudit mois de mai, par la grâce [de] Notre-Seigneur, et aussy par
[un] miracle le plus évident qui eut été apparent {vu) depuis la mort [de]
Notre-Seigneur, à Taide desdiles gens du roy et de ladite ville d*Orléans,
fut levé le siège que lesdits Anglois avaient mis es Thorelles du bout du
pont d'Orléans, au côté de la Souloigne; qui furent [lesquelles Ton*
relies avaient été) prises par très fort assaut le mardi douzième jour du
mois d'octobre précédent et dernier passé; et y furent morts ou pris
environ iiii*' (400) Anglais, qui gardaient lesdites Thorelles. A ce fui
présente ladite Pucelle qui [a] conduit la besogne, armée de toutes
pièces.
« Et le dimanche et lundy ensuivant, lesdits Anglois s'en allèrent de
Saint-Pouair {aujourd'hui Saint-Paterne)^ où ils avoient une forte bas-
tille, qu'ils appeloient Paris, d'une autre bastille emprcz {rapprochée)
qu'ils appeloient la tour de Londres, du Pressoir-Ars qu'ils nommoient
Rouen, oii ils avoient fait forte bastille, de Saint-Laurent où ils avoient
fait plusieurs forteresses et bastilles ; et toutes ces forteresses et bastilles
closes à 11 parts [des deux côtés) de fossés, et [cela\^ d'une forteresse à
l'autre . »
Girault, écrivant le 9 mai, ne savait peut-être pas encore que tous les
Anglais étaient partis la veille. Il confirme, ce qui est dit par d'autres
documents, que les Anglais avaient fait des tranchées de contre vallation
et de circonvallation, pour se défendre contre les attaques qui pouvaient
venir du côté de la ville et de la campagne ; et qu'ils se ménageaient
ainsi facilité pour aller d'une bastille à l'autre sans être vus. On remar-
quera combien, aux yeux de ce témoin, la délivrance a été miraculeuse.
La nouvelle de la délivrance d'Orléans se répandit avec une incroyable
rapidité, puisqu'on trouvera à la Chronique de Morosini une lettre
l'annonçant de Bruges à Venise à la date du 10 mai.
Gerson composa aussitôt son traité De Puella, daté du 14 mai; Jacques
Gelu y joignit bientôt le sien, terminé par de salutaires avis trop négligés ;
ces deux œuvres ont été presque intégralement traduites dans la Pucelle
devant r Église desoji temps (liv. I, chap. ii et ni).
Dom Morice écrit dans son Histoire de Bretagne d'après les Comptes de
CAMPAGNE DE LA LOIRE. — PIÈCES DIVERSES. 3H
Maidéon : « Il [le duc) n'eut pas plus tôt appris la levée du siège d'Orléans
qu'il députa Yves Milbeau son confesseur vers la Pucelle pour lui faire
compliment sur sa victoire. Il lui envoya depuis une dague et quelques
chevaux de prix par le sire de Rostrenen, AufTroi Guinot et un poursui-
v^ani d'armes, qui allaient de sa part à la cour de France ^
CHAPITRE VII
CAMPAGNE DE LA LOIRE. — PIÈCES DIVERSES.
[AIRE : I. ~ Une Chronique anonyme des ducs d'Alençon. — Jeanne avait prédit au
duc plusieurs choses qui lui sont advenues.
11. — Lettre des seigneurs Guy et André de Laval. — Dessein de nettoyer la Loire. —
Le duc d'AIençon reçoit le titre de généralissime et le commandement d'obéir à la
Pucelle. — 11 y est fidèle. — Il fait appel à la noblesse. — La formation de l'armée
décrite par les seigneurs de Laval. — Ce qu'étaient ces seigneurs, leur père, leur
mère, leur grand'mère, leur famille. — La lettre, — Arrivée à Loches. — Le jeune
Dauphin, le futur Louis XL — Ils rejoignent le roi à Saint-Aignan ; accueil excep-
tionnel qu'ils en reçoivent. — Le roi se rendant à Selles, la Pucelle vient tout
armée à sa rencontre. — Aimable entrain avec lequel elle reçoit la visite des deux
jeunes seigneurs. — Son départ. — Portrait céleste qu*en tracent les deux Laval.
— Détails sur les seigneurs qui arrivent de toutes parts, notamment sur le Conné-
table. — Les jeunes seigneurs, n'attendant rien de la cour, veulent que leur mère
aliène leur patrimoine alin de pouvoir faire digne ligure. — Cadeau de la Pucelle à
leur grand'mère. — Avec quel cœur ils protestent contre le dessein de les tenir loin
de l'action. — Assurance de la Pucelle. — Confiance de l'armée. — Touchants
détails de famille.
m. — La Chronique de Richemont, par Cruel. — C'est une apologie. — 11 fausse l'en-
trevue de la Pucelle et de Richemont. — Texte: Le Connétable ayant réuni une
très vaillante et très nombreuse compagnie se met en marche pour venir prendre
I^K à la guerre. — Le roi lui envoie l'ordre de ne pas aller plus avant. — Il n'en
Vient aucun compte. — Son arrivée à Baugency. — La Pucelle se dispose à le com-
Iteltre. — Mot injurieux dit à ce sujet par La Ilire. — Attitude huniih'ée prêtée à la
l^ucelle, et fière parole qu'aurait dite Richemont. — 11 n'en est pas moins réduit à
f^iirele guet. — Rôle que Gruel est le seul à attribuera son maître dans la reddition
4e Meung, la retraite de Talbot, l'engagement de la bataille de Patay, sur la date de
laquelle il se trompe notablement. — Instances de Richemont pour être admis à
servir le roi. — U va jusqu'à embrasser les genoux de La Trémoille. — Dure parole
de Charles VIL ^ Richemont forcé de rentrer à Parthenay au milieu des avanies.
— Les torts de Richemont étaient grands ; mais une des conditions de la grâce
apportée par la Pucelle devait être l'oubli du passé, sa douleur et ses justes craintes.
t\r . — Autres pièces. — L'expression des espérances conçues consignées dans un ma-
Kiuacrit du temps. — Cavalier blanc vu dans le ciel en Bas-Poitou. — Témoignage de
l*évèque de Luçon. — Le cavalier rassurant ceux qu'effrayait sa vue. — Les lettres
^e Perceval de Boulai nvilliers et d'Alain Chartier.
i. Dom MoKicE, Histoire de Bretagne, t. b', liv. IX, p. 558.
312 LA VRAIE JEANNE DARG : LA LIBÉRATRICB.
1
Une Chronique anonyme des ducs d'Alençon.
 la siiilc de la double (Chronique de Perceval de Cagny, André Da-
chesne a transcrit une autre Chronique des ducs d'Alençon, postérieure
d'une quarantaine d*ann(5e aux précédentes, puisqu'il y est longuement
question des affaires de René, le fils et le successeur de Jean, le prince
préféré de la Pucclle. Jeanne aurait fait au beau duc des prédictions sur
son avenir. C'est le motif qui fait insérer ici les lignes où le fait est relaté
par le cbroniqueur anonyme.
« 11 est vrai que le roi Charles, VII* de ce nom, étant spolié de son
royaume, et ses sujets réduits à très grande perplexité et merveilleuse
tribulation, le bonDieu, qui secourt ses serviteurs dans leurs besoins, vou-
lant donner remède et mettre fin à l'affliction des bons et loyaux Français,
réprouver et annihiler l'orgueil des Anglais, suscita l'esprit d'une jeune
Pucelle, âgée de dix-huit à vingt ans, native de Domrémy, duché
de Bar, à trois petites lieues de Vaucouleurs. Dans tout son temps, elle
n'avait fait autre métier que de garder les brebis des champs ; elle vint
vers Charles, roi de France, et lui dit qu'elle lui était envoyée de par Dieu
pour Taider à conquérir son royaume possédé par les Anglais, et que
s'il voulait lui bailler charge d'hommes d armes, elle le mènerait sacrer
à Reims ; ce dont le roi et les personnes scientifiques et d'entendement
de son entourage furent de prime facefort moult émerveillées ; néanmoins
après qu'elle eût été interrogée par plusieurs notables et sages personna-
ges, on ajouta foi à ses paroles, et il fut conclu qu'elle était divinement
envoyée.
« Par ainsi, elle s'adjoignit à l'armée dont le duc d'Alençon avait la
charge comme lieutenant-général. Ce duc fut dénommé et appelé par elle
le Beau Duc^ et elle lui dit et déclara plusieurs choses, qui du depuis lui
sont advenues. » [11 n'y a rien dans la suite qui ne se trouve dans
les autres Chroniques.]
II
Lettre des seigneurs Guy et André de Laval.
Les instances de la Pucelle ayant enfin déterminé la cour à tenter
d'aller à Reims chercher l'onction du sacre, il fut résolu que, pendant
les préparatifs du voyage l'on nettoierait la Loire, c'est-à-dire que l'on
chasserait les Anglais de plusieurs des places qu'ils occupaient sur ses
CAMPAGNE DE LA LOIRE. — LETTRE DES SEIGNEURS DE LAVAL. 313
rives, en amont et en aval d'Orléans. Le titre de généralissime fut conféré
âu duc d'Alençon, mais avec Tordre, auquel il fut fidèle, de se conformer
2i la direction de la Pucelle. On fit un appel aux seigneurs qui s'étaient
dispersés à la suite de la délivrance d'Orléans ; on convoqua ceux qui
xi'avaient pas été présents. Si, comme le disent quelques Chroniques,
l'appel fut adressé au Connétable, il n'a pu partir que du duc d'Alençon
«t nullement de la cour. Le rendez- vous général semble avoir été fixé
dans les environs de Romorantin et à Orléans.
La lettre suivante, un des documents les plus délicieux de l'histoire de
la Pucelle, va nous montrer l'armée en formation, et nous dira l'impres-
sion produite par la Céleste Envoyée. Elle est due à deux jeunes seigneurs,
encore dans la fleur de leurs années, aux deux frères Guy et André de Laval,
destinés, le plus jeune surtout, à des rôles brillants dans la suite. André,
seigneur de Lohéac, occupe un rang des plus honorables dans les
Chroniques du xv* siècle.
Il avait été fait chevalier à la journée de la Gravelle en 1423, h Tàge
c)edouze ans; il en avait par suite dix-huit en 1429, et Guy, son aîné, ne
devait guère dépasser la vingtaine. Leur père était Jean do Monlfort,
seigneur deKergolay. 11 avait épousé, en 1401, Anne de Laval, unique
liéritière de cette maison, et s'était engagé à en prendre le nom et les
ônnes. Il était mort à Rhodes en 141S, en revenant d'un pèlerinage à
''^i^iisalem. Anne de Laval, restée veuve de bonne heure, éleva vail-
'^«aament ses trois fils et ses deux filles, qui contractèrent de hautes
^'lîances. La lettre elle-même nous diraqueJeanne, enl429, étaill'épouse
^^ Xouis de Vendôme, qui l'avait épousée en secondes noces. Or c'est la
P^^stérité de Louis de Vendôme qui devait un jour occuper le trône de
** ■*^nce. C'est de Louis de Vendôme que descend la maison de Bourbon,
^"^ i arriva au trône avec Henri IV.
t-»8 mère d'Anne de Laval, la grand'mère des deux frères, h laquelle
^ lettre est aussi adressée, était Tobjet particulier des sympathies de la
ératrice, comme le prouve le petit anneau d'or qu'elle lui avait déjà
"oyé, ainsi qu'on le verra. Jeanne honorait probablement en elle le
venir de Du Guesclin. C'est qu'en effet elle avait élé la seconde femme
héros mort sans postérité. Veuve du grand Connétable, elle avait,
^c dispense, épousé son cousin Guy de Laval K
Père Labbe imprimait cette lettre en d6ol dans son Abrégé
f, et Denys Godefroy la reproduisait en 1661, dans ses Historiens
^^ Charles VIL C'est donc à tort qu'on attribue à ce dernier d'avoir été
^ l^remier à la publier. On la trouve dans de nombreux recueils.
* - AitsEuiE, 1. 111, p. 72.
314 LA VRAIE JEANNE D*ARG : LA LIBÉRATRICE.
« Mes très redoutées dames et mères, depuis que je vous écrivis de
Sainte-Catherine-de-Fierbois, vendredi dernier, j'arrivai le samedi à Lo-
ches, et j'allai voir Monseigneur le Dauphin* au chastel, à Tissue des
vêpres en Téglise collégiale. C'est un très bel et gracieux seigneur, très
bien formé, bien agile et habile, de Tâge d'environ sept ans ; et illec
{là) je vis ma cousine la dame de La Trémoille qui me fit très bonne
chère*; et, comme on dit, elle n'a plus que deux mois à porter son
enfant.
<c Le dimanche j'arrivai à Saint-Agnan ou était le roi ; j'envoyai quérir et
je fis venir dans mon logis le seigneur de Trêves ; mon oncle s'en alla
avec lui au chastel pour signifier au roi que j'étais venu, et pour savoir
quand il lui plairait que j'allasse devers lui; j'eus réponse que j'y allasse
sitôt qu'il me plairait ; il me fit très bonne chère, et médit moult de bonnes
paroles. Et quand il allait par la chambre, ou parlait avec un autre, il se
retournait chaque fois devers moi, pour me mettre en paroles sur quelque
sujet : il disait que j'étais venu au besoin, sans mander et qu'il m'en
savait meilleur gré, et quand je lui disais que je n'avais pas amené telle
compagnie que je désirais, il répondit qu'il suffisait bien de ce que j'avais
amené, et que j'avais bien pouvoir d'en recouvrer un meilleur nombre.
Le sire de Trêves dit à sa maison, au seigneur de La Chapelle, que le roi
et ceux de son entourage avaient été bien contents des personnes de mon
frère et de moi, et que nous leur revenions bien ; il jura bien fort qu'il
n'était pas mention que à aucun de ses amis et de ses parents qu'il eût,
il eût fait si bon accueil, ni si bonne chère ; et, comme il disait, il n'est
pas maître de faire bonne chère, ni bon accueil*.
Le lundi, je me partis avec le roi \ pour venir à Selles-en-Berry, à qua-
tre lieues de Saint-Agnan ; le roi fit venir au-devant de lui la Pucelle, qui
était de paravant à Selles. Quelques-uns disaient que cela avait été en
ma faveur pour que je la visse. Ladite Pucelle fit très bonne chère à
mon frère et à moi ; elle était armée de toutes pièces, sauf la tête, et tenait
la lance en main.
« Après que nous fûmes descendus à Selles, j'allai la voir à son logis ;
elle fit venir le vin, et médit qu'elle m'en ferait bientôt boire a Paris. Cela
semble chose toute divine, de son fait, delà voir et de l'ouïr. Elle est partie
de Selles ce lundi aux vêpres, pour aller à Romorantin, à trois lieues en
1. C'était le futur Louis XL
2. « Chère » signifie, dans la langue du moyen âge, tout ce qui constitue la-^fl
réception d*un nouveau venu.
3. Texte : Dont il n'est pas mestre de faire bonne chiere, ne bon accueilf comme il^
disoit,
4. Texte : Me party d*av€c le roy. Le contexte indique que ce n'était pas une sépa —
ration.
CAIMfillE m LA LOIRE. — LETTRE DES SEIGNEURS DE LAVAL. 315
allant, en avant et en approchant du théâtre des événements*, le maréchal
de Boussac et grand nombre de gens armés et des communes avec elle.
Je la vis monter à cheval, armée tout à blanc ^, sauf ]a tête, une petite
hache en sa main, sur un grand coursier noir, qui à Thuis (/a porte) de
son logis se démenait 1res fort, et ne souffrait qu'elle montât. Et lors elle
dit : « MeiieZ'le à la croix » qui était devant Téglise, auprès, au chemin.
Et lors elle monta sans qu'il se mût, comme s'il eût été lié. Et lors elle
se tourna vers l'huis de l'église, qui était bien prochain et dit en bonne
voix de femme* : « Vous^ les prêtres et gens d'Église, faites processions et
prières à Dieu ! » Et alors elle se retourna à son chemin en disant :
« Tirez avant! tirez avant! », son étendard ployé que portait un gracieux
page« et elle avait sa petite hache en la main. Un sien frère, qui est venu
depuis huit jours, partait aussi avec elle, tout armé à blanc.
ce Ce lundi arriva à Selles Mt)nseigneur le duc d'Alençon, qui atrès grosse
compagnie, et aujourd'hui je lui ai gagné à la paume une convenance ^
Mon frère de Vendôme' n'est point encore venu ici. J'ai trouvé ici l'un des
gentilshommes de mon frère de Chauvigny*, parce qu'il avait déjà ouï que
j'étais arrivé à Sainte-Catherine; il m'a dit qu'il avait écrit aux nobles
de ses terres et qu'il pense être bientôt par deçà ; il dit que ma «œur est
bien sa mie, et qu'elle est plus grasse qu'elle n'a accoutumé.
« L'on diticiqueMonseigneur le Connétable vient avec six cents hommes
d^armes, et quatre cents hommes de trait, que Jean de La Roche vient
aussi, et que le roi n'eût de longtemps^ si grande compagnie que Ton en
espère ici ; ni oncques gens n'allèrent de meilleure volonté en besofrae,
qu'ils ne vont à celle-ci. Cejourd*hui doit arriver mon cousin de Itaîi> ;
ma compagnie croit, et quoi qu'il arrive, ce qu'il y a, est d^jà bien
honnête et d'appareil; le seigneur d'Argenton y est l'un des prin^ripaux
gouverneurs, qui me fait bien bon accueil et bonne chère *,
« Mais de l'argent, il n'y en a à la cour que si étroitement^ que pour le
temps présent, je n'en espère aucun secours ni soutien^ Pour ceU, vontt
I. Tel parait être le sens du texte, qui est celui-ci : En alLmi <tM,4uU H t$fff0fKy$ta
tes advenues, U mareschal de Boussac et grand nombre de gens armét et /Xe (a c//fMM4in/( /ju^
elle.
t. « Armé à blanc », en blanc se disait d'un guerrier qui n'ar«it mr k^ ^nt^^ «4M>»/f^
espèce d ornement comme dorure ou peinture, Xoj, LAOL««it« aij tr^X I;«,av.
3. Texte : En assés voix dr. femme. (Vor. dans L%ixn\t Je* MtMfâi^Hê^ 4Km>^Â.
4. Le mot « convenance » a été appliqué à ce que noue uhauu^h»*, «^j Ur#f#^V >*^v
une discrétion, un enjeu. '
5. Son beau-frère.
6. Un autre beau*frère.
7. Texte : i^ii^,
8. Cela signifie probablement que le seîfoeur 4 A/»«it//tt ^^*ié>%\UAi S,m* U«
Tissaux qui venaient joindre les seigneur» de Laval,
316 LA VRAIE JEANNE D'ARC: LA LIBÉRATRICE.
Madame ma mère, qui avez mon sceau, n'épargnez point ma terre par
vente, ni par engagement, ou avisez plus convenable affaire, pour un cas
où il faut sauver Thonneur de nos personnes, qui par défaut serait abaissé,
ou môme en voie de périr *; car si nous ne faisions ainsi, vu qu'il n'y a
point de solde, nous demeurerions tout seuls. Jusques ici notre fait a
encore été et est en bon honneur; notre venue a été bien agréable au roi
et à ses gens, tous, et aussi aux autres seigneurs qui viennent de toutes
parts ; et tous nous font meilleure chère que nous ne pourrions vous
récrire.
« La Pucelle m'a dit en son logis, comme je suis allé l'y voir, que
trois jours avant mon arrivée, elle avait envoyé à vous, mon aïeule, un
bien petit anneau d'or, mais que c'était bien petite chose, et qu'elle vous
eût volontiers envoyé mieux, considéré ce qui vous est dû *.
« Cejourd'huy, Monseigneur d'Alençon, le bâtard d'Orléans et Gaucourt
doivent partir de ce lieu de Selles, et aller après la Pucelle. Et vous avez
fait bailler je ne sais quelles lettres à mon cousin de La Trémoille et au
seigneur de Trêves, à Toccasion desquelles le roi s'efforce de me vouloir
retenir avec lui, jusqu'à ce que la Pucelle ait été devant les places anglai-
ses des environs d'Orléans, où l'on va mettre le siège; déjà l'on s'est
pourvu d'artillerie, et la Pucelle n'a pas crainte' de n'être pas bientôt
auprès du roi, lequel dit que lorsque il prendra son chemin pour tirer en
avant vers Reims, j'irai avec lui; mais que Dieu ne veuille pas qu'il en
soit ainsi, et que je sois loin desdites places*. Autant en dit mon frère,
et Monseigneur d'Alençon. Combien serait abandonné celui qui demeu-
rerait^!
« Je pensequele roi partirad'ici ce jeudi pourètre plus près de Tarmée;
et chaque jour gens viennent de toutes part». Sitôt qu'on aura besogné
{fait) quelque chose, je vous ferai savoir ce qui aura été exécuté. L'on
espère qu'avant qu'il soit dix jours, la chose sera bien avancée d'un côté
ou de l'autre; mais tous ont si bonne espérance en Dieu que je crois qu'il
nous aidera.
« Mes très redoutées dames et mères, nous nous recommandons à vous,
1 . Texte : Ou advisez plus convenable affaire, là où nos personnes sont à eslre sauvées, ou
aussi par deffault abbaissées, et par advenlure en voie de périr. C'eut été un déshonneur
pour les jeunes seigneurs si, faute de solde, ils avaient été abandonnés par leur com-
pagnie, qu'ils ont dite déjà bien honnête. Cela me semble déterminer le sens de nos
pei'sonncs, etc.
2. Cojmdéré votre recommandation « Combien vous êtes recommandable ».
3. Et ne s'esmaye point la Pucelle,
4. Mais jà Dieu ne veille que je le face et que je ne aille,
5. En entretant en dit mon frère, et comme Monseigneur d'Alençon, ce que abandom
qui seroit celuy qui demeurei*oit.
CAMPAGNE DE lA LOIRE. — - GUILLAUME GRUEL. 317
mon frère et moi, le plus humblement que nous pouvons. Je vous envoie
des blancs signés de ma main, afin que s*il vous semble bon d'écrire en
date de cette présente aucune chose du contenu ci-dedans à Monseigneur
le duc [de Bretagne], vous lui en écriviez; car je ne lui écris pas à la
suite*. Qu'il vous plaise aussi nous écrire sommairement de vos nou-
velles ; et vous, Madame ma mère, en quelle santé vous vous trouvez
après les médecines que vous avez prises ; car j'en suis à très grand
malaise. Je vous envoie dessus ces présentes, minute de mon testament
afin que vous, mes mères, m'avertissiez et écriviez parles prochainement
venants, ce qui vous semblera bon que j'y ajoute; et je pense encore
y ajouter peut-être de moi-même * ; mais je n'ai eu encore que peu de
loisir.
« Mes très redoutées dames et mères, je prie le benoît Fils de Dieu qu'il
vous donne bonne vie et longue, et nous nous recommandons aussi tous
deux à notre frère Louis', nous n'oublions pas le liseur de ces présentes*,
le seigneur du Boschet que nous saluons, ainsi que notre cousine sa fille,
ma cousine de La Chapelle et toute votre compagnie. Et pour l'accès et...
nous sollicitons ^ de la chevance au mieux que faire se pourra ; nous n'avons
en tout qu'environ trois cents écus du poids de France.
« Fait à Selles, ce mercredi huitième de Juin.
«Ce soir sont arrivés Monseigneur de Vendôme, Monseigneur de Boussac
et autres ; et La Hire s'est approché de l'armée, et l'on besognera bientôt.
Dieu veuille que ce soit à notre désir.
M Vos humbles fils,
« Guy et André de Laval. »
III
La Chronique d'Arthur de Richemont, par Guillaume Gruel.
Guillaume Gruel s'attacha de bonne heure à la fortune d'Arthur de
Richemont, et le suivit dans la plupart de ses expéditions. Serviteur
1. Car je ne luy escripts oncques puis,
2. Et y pense de moy y adjousler entre deux.
3. Un troisième frère, plus tard gouverneur de Champagne.
4. Nou$ nous recommandons aussi à nostre frère Loys ; et })our le liseur de ces présentes
yue nous saluons, La, construclion de la phrase est très irrégulière. Au lieu de con-
clure avec plusieurs auteurs que les dames de Laval ne savaient pas lire, n*est-il pas
plus vraisemblable de supposer que, comme les reines et les princesses de nos jours,
«lies avaient un lecteur d'office ? Une vue affaiblie momentanément aura pu faire
qu'elles eussent besoin d*un lecteur ; Boschet est d'ailleurs de la famille.
5. Et pour l'accès et,., de solliciter de la chevance, il y a une lacune dans le texte.
318 LA YRAIB JEANiNE D'ARC : U LIBÉRATRIGB.
dévoué il son maître, il a voulu le glorifier dans la postérité, el a écrit
son histoire. Cette histoire maintes fois reproduite n*en est pas pour
cela plus véridique. C'est, dit Quicherat, une apologie plutôt qu'une
histoire. La partialité de Gruel pour son héros doit mettre en garde
contre la véracité de son témoignage. Cette réserve sera surtout de mise
en ce qui concerne les. détails de la première entrevue de Richemont et de
la Pucelle. M. Achille Levasscur qui, en 1890, a donné, sous le patronage
de la Société de THistoire de France, une édition plus correcte de la Chro-
nique de Gruel ne parle pas autrement que le directeur de TÉcole des
chartes. « Le récit de Gruel, dit-il, présente plusieurs contradictions et
inexactitudes qui doivent nous mettre en garde. N'est-il pas singulier de
voir Jeanne d'Arc, qui engageait d* abord ses hommes d'armes à combattre
le Connétable, se jeter à ses pieds dès qu'ils sont en présence? En outre,
Richemont était-il bien alors dans une situation qui lui permit de pro-
noncer les fières paroles que Gruel met dans sa bouche? Est-ce bien le
ton aveclequel devait parler le Connétable, formellement banni de la cour
et désireux de rentrer en grâce auprès du roi, sur lequel Jeanne exerçait
une influence quïl pouvait utiliser à son profit? Gruel semble avoir laissé
libre carrière à son imagination pour donner quelque relief au rôle joué
par son maître dans celte entrevue. Ce n'est pas à Richemont qu'il faut
attribuer l'initiative de la marche sur les Anglais ; l'honneur de la victoire
de Patay revient h Jeanne d'Arc. C'est ainsi que le racontent les autres
chroniqueurs plus désintéressés. A Montépilloy Charles VII répondit à
Bedford en lui offrant la bataille... Jeanne d'Arc devait d'ailleurs vouloir
et voulait la réconciliation de tous les Français*. »
Ces remarques faites,^ voici, légèrement rajeuni, le récit de Gruel en ce
qui concerne Jeanne d'Arc, chapitres XLvm et xlix.
L'an ci-dessus (1428 a. st.), en mars, arriva la Pucelle devers le roi; el
les Anglais prirent Janville et Baugency, el Meung-sur-Loire, et Jargeau
et mirent des bastilles devant Orléans.
L'an mil CCCCXXIX, mondit seigneur le Connétable se mit sus en
armes pour aller secourir Orléans; il assembla une très belle et bonne
compagnie, en laquelle étaient Monseigneur de Beaumanoir, Monseigneur
de llostrelen el toutes les garnisons de Sablé et de La Flèche, de Durestal
(aujourd'hui Durtal) el toutes les garnisons de ces Basses-Marches, el
plusieurs notables de Bretagne, comme Robert de Montauban, Messire
Guillaume de Saint-Gilles, Messire Alain de Fueillée, Messire Brangon
de Ilcrpagon, messire Louis de Scorrailles, ceux de sa maison, et grand
1. Achille Levassklu, Bibliotftèque de l'École des chartes, t. XLVll, p. 556.
a» LA VRAIE JEANNE D*ARG : LA LIBÉRATRICE.
Bl lion ils tirèrent droit au siège ; ils ne lui baillèrent pas de logis poui
.'«cte anil. Mondit seigneur se prit à faire le guet ; car nous savons que lei
auiireaux venus doivent faire le guet\ Ils firent le guet cette nuit devan
*e chdteau ; et ce fut le plus beau guet qui eût été fait en France, il y i
bien longtemps dans le passé. Et cette nuit fut faite la composition pai
Ie!^ uis^égés, et ils se rendirent de bien matin.
Le jour de devant, les sires de Talbot et le sire de Scales et Fastolf e1
aulnes capitaines étaient arrivés à Meung-sur-Loire, dans le dessein de venii
combattre ceux du siège à Baugency. Quand ils surent que Mgr le Conné-
table y était venu, ils changèrent de propos, et prirent conseil de s'ei
iiler. Et aussi on dit à Monseigneur, sitôt qu'il fût arrivé, qu'il fallail
envoyer des cens au pont de Meung, qui tenait pour les Français, ou
auirt^meut quHI serait perdu. Incontinent il y envoya xx lances et les
sin?iK*rs : Charles de la Ramée et Pierre Dangi les y conduisirent.
.Vu matia. truand les Anglais furent partis de Baugency, la Pucelle et
:<^uts '.es ^et^cneurs partirent à cheval pour aller vers Meung. Et alon
^ iur«*ut les Qouveltes que les Anglais s'en allaient, et alors la Pucelle e
^:w ^'i^nours commencèrent à retourner à la ville, chacun à son logis.
INiizs^iut M^r de Rostrelen qui s'approcha de Mgr le Connétable, Tave i
i; ok aU ^ ^ vous faites tirer votre étendard en avant, tout le mon^
• \>ii*s^4ài^ra >. Kt ainsi il fut fait. La Pucelle et tous les autres vinrô
^^v^ ot il fut conclu de tirer après les Anglais. Les mieux montés fure
.^njsÀ * avaâU-^arde. et des gens furent ordonnés pour chevaucher
. «AnÉ^iiAàSv *es arrêter et les faire mettre en bataille. Furent des premie
A»«vi* ** l-'A IlitVx IVnenzac, Giraud de La Paglère, Amadoc, Seteve
^ s.u^KAfci'v^vus do bien à cheval. Mgr le Connétable, Mgrd'Alençon
V.v»:i\ Hj;» ^ic LavaU Mgr de Lohéac, le maréchal de Rays, le bâ
iir*ca»*c^ v,i;u4vv>ari etçrand nombre de seigneurs venaient en ordonn
^ ,^%«î XaIc lk\iuce. et ils venaient à bien grand train.
^^^ ^\v uviuicrs eurent bien chevauché environ cinq lieue
..^*^M>t^<«-viV4à; \ vvnr les Anglais, et alors ils galopèrent à grande c
i^,«4^c ; ^ NUilc *. Ils chevauchèrent en telle manière que
w ^vWv ."^^^i ^♦^î^ loisir de se mettre en bataille, et ils furent er
^ w .%• i^ i^aicut mal choisi en cette conjoncture' ; le pa;
^ju w^ *ivuî ,uusi déconfits à un village en Beauce qui
'^NV^ .^v -*4wïw4fcev lÀ lurent tués bien xxn^ {'2W0)y ainsi que
* >. % ^-^^>4à%VAa(fi^ et fui en la fin du mois de mai *. Furer
1^.^:^ .sHi^ï--*»*^ ,-uc^iKii^ uwUoment à un connétable.
^ ^.^ ^^ ,-^rW|n>"m- 4*^^^^ f'^ <^^ '^ 6a/(n7/f après.
322 LA VRAIE JEANNE D^ARC : LA LIBÉRATRICE.
archevôque d'Embrun, écrivit la belle lettre citée dans la Pucelle devant
r Église de son temps \ Les rancunes de La Trémoille prévalurent au
grand mécontentement de la Pucelle ; elle voyait ainsi les faveurs
célestes entravées, et elle devait sentir qu'elle était elle-même un objet
de méfiance, de la part de ceux qui, voulant à tout prix se maintenir au
pouvoir, redoutaient son influ^'nce.
IV
AUTRES PIÈCES.
L'admiration excitée par la délivrance d'Orléans fut portée au comble
par la merveilleuse campagne de la Loire. Mieux que César, la jeune
paysanne aurait pu dire: Veni^ vidi^ vici. Venir, voir et vaincre avaient
été pour elle chose simultanée. Aussi les contemporains couchent-ils, pour
ninsi dire au hasard, sur leurs manuscrits, Texpression d'enthousiasme
qui déborde de leurs cœurs. En attendant bien d'autres exemples, voici
ce que Ton peut lire dans le manuscrit 7301, fonds français de la Biblio-
thèque nationale, grand in-quarto de 135 folios. M. Paulin Paris, qui a
signalé ces pièces au tome VII, page 377 de son ouvrage les A[anuscriis de
la Bibliothèque du roi, pense que c'est sous l'impression des derniers évé-
nements que le scribe Kerrymel a tracé les ligues suivantes :
(( Chose certaine est la détrousse des Anglais, laquelle a été faite entre
Meung et Orléans en belle bataille, et là ont été morts ii"v* (2500) An-
glais, et le surplus de leur compagnie sont pris. Leurs capitaines étaient
Tallebot, Fastoc et Escalles, lesquels ont été pris et morts. Les places de
Boygency et dudit Meung sont rendus et plusieurs autres ; et sont les
besognes [affaires) du roi en plus haut degré que [qu'elles] ne furent
oucques ; et [elles le] seront encore au plaisir de Notre-Seigneur. Des
nouvelles (rfe) devers le roi notre seigneur [a/mo7icen/] que vf (600) hommes
d'armes anglais ont été tués dedans Jargeau. Le comte de Suffolk s*est
rendu à la Pucelle, agenouillé ; La Poule, son frère, morts tous deux; et
l'autre fait prisonnier. Beaucoup il y a de bonnes nouvelles dont Kolre-
Seigneur soit béni. »
On lit dans le même manuscrit le résumé de la sentence portée à la
suite des examens de Poitiers, sentence citée dans la Pucelle devant
r Église de son temps^ et que nous avons trouvée et trouverons encore dans
les chroniqueurs. On y lit aussi la prophétie de Merlin avec les vei's Yirjo
puellaresy et à la suite une mauvaise traduction française.
1. La Pucelle devant VÊulise de son iemps, p. 34.
2. Texle : assez, qui siguiiic souvent, à celte époque, très, fort, beaucoup.
CAMPâGNB de U LOIRE. — PIÈGES DIVERSES. 323
0
Etait-ce surexcitation des esprits? Faut-il y voir un de ces signes
célestes, si souvent mentionnés dans Thistoirc, par lesquels le Maître des
événements provoque Tattention des peuples ? Voici encore ce que
Kerrymel couche sur son vélin.
c< L'on voit advenir de par deçà les plus merveilleuses choses que Ton
vit jamais, telles que des hommes armés de toutes pièces chevaucher en
Tair sur un grand cheval hlanc, et dessus les armures une grande bande
blanche *. Ils viennent de vers la mer d'Espagne, et passent par-dessus
deux ou trois forteresses près de Talmont, et tirent vers la Bretagne.
Tout le pays de la Bretagne en est épouvanté et maudit le duc pour avoir
fait le serment aux Anglais. Ils disent qu'ils connaissent leur destruction
par lui [sic). Le roi a envoyé devers l'évêque de Luçon pour savoir la
vérité de ces récits '. L'évêque s'en est informé et a trouvé par informa-
tion que plusieurs gens l'ont vu en plusieurs lieux dans son évèché ; et
ainsi qu'il passait {/e chetialier aérien)^ par-dessus un chastel nommé
Bien, près de Talmont, les gens du chastel, quand ils le virent venir
crurent être tous perdus et foudroyés, car il était au milieu d'un grand feu
qui ne touchait pas à lui de près de deux brasses ; et il tenait en sa main
nue épée toute nue, et il venait chevauchant en l'air avec si grande impé-
tuosité ', qu'il semblait que tout le chastel fût embrasé, et ceux du chastel
commencèrent à crier à haute voix, et lors ledit homme ainsi armé leur
dit trois fois : « Ne voua effrayez pas*! » Et ces choses ont été affirmées au
roi être vraies par ledit évêque de Luçon et par deux gentilshommes
envoyés devers le roi pour cette cause. Ils ont affirmé l'avoir vu, et plus
de deux cents personnes [avec eux]. Et tant d'autres merveilles que c'est
'Mi grand fait. »
I^s lettres de Perceval de Boulainvilliers au duc de Milan, d'Alain
(ihartier à un prince inconnu, ont été reproduites dans la Paymmie et
^mj^iféc *. Elles ont été écrites à la suite de la campagne de la Loire, et
trou\r iraient ici leur place, si elles n'avaient pas été déjà citées.
'' ^st intéressant, croyons-nous, de voir la suite des actes officiels par
^^qv^cls Charles VII a témoigné de sa foi en celle qui lui mettait miracu-
'Cus^jjjgQ^ jj^ couronne au front, et a proclamé ses services au-dessus de
»outo expression. Les voici, encore que ces pièces aient été contresignées
"^^ époques différentes.
' l^es Armagnacs portaient une bande blanche, les Anglais une bande rouge, les
J*'*^ uignons la croix de Saint- André.
^*€xle : de cette besogne.
^^e f t grand rendon.
' -^c tows esmayez I
• -ta Pucelle et Vïnspirée, p. 241 et suiv. ; 252 et suiv.
32V LA VRAIE JEANNE D'ARC ! LA LIBÉRATRICE.
CHAPITRE VIII
LA LIBÉRATRICE D'APRÈS CHARLES VII.
Sommaire : I. — Lkttres annonçant les victoires remportées a la suite de la Plxellc.
— Lettre aux liabltanls de Narbonne. — Le double ravitaillement d'Orléans. — Prise
de la bastille Saint-Loup. — Recouvrement de Vendôme. — Les espérances du roi;
il demande des prières, des actions de grâces. — Avant Tenvoi de ces lettres, une
suite de courriers annoncent les événements qui ont amené la délivrance d'Orléans.
— Les prouesses et les merveilles de la Pucelle sont, au dire de tous, au-dessus de
toute louante. — Lettre au conseil delphinaL — Les merveilles accomplies le 18 juin
par d*Alen<;on et les autres capitaines étant avec la Pucelle. — Invitation à la joie et
à la prière. — Rcbauteau annonce de Lyon que Paris est soulevé contre TAuglais,
et que, d'a[)rès Talbot, tout est perdu en France pour les envahisseurs. — Remarques
sur ces lettres.
II. — Lettres d'anoblissement de Gly de Cailli. — La Pucelle anoblie dans la personne
de Guy de Cailli pour lc([uel elle avait réclamé cette faveur. — La copie de ces
lettres conservée par Peircsc. — Teneur : les bienfaits de Dieu présents à la mémoire
de Charles. — Ils lui sont départis par Tinlermédiaire de la Pucelle. — Les mérites
de la Vierge à son endroit sont inïinis, et au-dessus de toute récompense. — Les
faveurs royales doivent s'étendre sur ceux qui la secondent. — Elle a signalé spé-
cialement Guy de Cailli. — Guy de Cailli la reçue dans son château de Reuilly, lors-
. qu'elle allait entrer à Orléans. — 11 a été favorisé de l'apparition des anges qui
conduisaient la Pucelle. — Son honorabilité, ses services. — Noblesse accordée ou
renouvelée. — Divers privilèges. — Concession d'armoiries rappelant Tapparition
des anges.
m. — Exemption d'lmpots concédée a Domrémy ct a Greix. — Vicissitudes du privilège.
— La Pucelle demande et obtient exemption d'impôts pour Domrémy et Greux. —
— L'original perdu. — Copie authentique. — Sa teneur. — En 1769, Tintendant de
Lorraine, LaGalissière fait l'historique du privilège. — Par une anomalie singulière,
Domrémy l'avait perdu, lorsque le village avait été cédé au Barrois, tandis que Greux,
resté du domaine royal, en avait constamment joui. — Zèle avec lequel les rois le
lui avaient maintenu. — A la réunion de la Lorraine à la France, Domrémy demaude
très justement à être remis en possession de la faveur royale. — Absurde lin de non-
recevoir du conseil royal. — A l'avènement de Louis XVI, Domrémy renouvelle S4
demande, Greux demande confirmation du passé. — Dédaigneuse réponse et insou-
tenables prétextes allégués par d'Ormesson pour refuser la demande et la coniirmar
tion. — Rien de plus odieux que Tanéantissement du privilège dans pareille cir-
constance. — 11 sera rétabli quand la France aura un gouvernement aimant sincère-
ment la Pucelle.
IV. — Letpres d'anoblissement de l\ Pucelle et de sa famille. — L'original en est
perdu. — Les diverses copies. — Préférence donnée au texte de Hordal. — La In-
duction de ce texte. — Fautes des copies de 1562 et 1768. — Combien les lettres
d'anoblissement de la Pucelle et de de Cailli s*écartcnt de la forme de semblables
pièces. — La substance de ces dernières. — La fin différente. — Ordinairement la
noblesse conférée à un seul et à sa postérité. — Combien celle de la Pucelle est
étendue, encore que les nouveaux nobles n'aient d'autre titre que celui de lui être
unis par le sang. — Les femmes nobles n'anoblissaient pas leurs enfants, c'est le
contraire ici. — Pour être anobli, il fallait être de condition libre; la noblesse est
U UBÉRATRICE D'APRÈS CHARLES Vil. 3^
concédée ici, encore que les nouveaux nobles fussent peut-être d'une condition non
libre. — Remarques sur cette incise. — Réfutation de ceux qui ri>ucî>5ent de la
condition et de la pauvreté de la Libératrice. — Certaines assertions burles*ines. —
Cest un trait de ressemblance de plus de la Libératrice de la France avec le Libé-
rateur du genre humain. — 3!aniéres différentes dont le nom du p^re de la Pucelïe
se trouve écrit. — Explications.
V. Ë.NLUÈRATIO.X d'aUTEES ACTES DE CbaELES VU E^l FATECa DE Ll PlŒLLZ.
I
Lettres annonçant ues victoires remportées a la suite de la Plc^lle.
Le roi annonçait aux ailles de son parti les succès obtenus par ses
armes. Il doit exister encore dans les archives des villes bien des lettres
royales faisant part des victoires qui faisaient sortir la France du
tombeau. Écrites à la première nouvelle reçue, elles pouvaient parfois
renfermer des inexactitudes.
On peut voir et toucher, aux archives de la ville de Narbonne. ainsi
que nous Tavons fait nous-mêmes, grâce à Tobligeance du bibliothécaire,
H. Texier, celle par laquelle Charles VÎI annonçait aux habitants de
Narbonne la suite des incidents qui avaient amené la délivrance d'Orléans.
Quicherat Tédita le premier, sur les indications de M. Félix Ravaisson.
Il observe, d'après le contexte même, qu*elle a d& être écrite du soir du
9 mai au matin du 10, et qu'elle s'étend au fur et à mesure que les nou-
velles arrivaient à Chinon. Voici cette lettre, légèrement rajeunie :
« De par le roi,
c< Chers et bien-aimés, nous croyons que vous avez bien vu les conti-
nuelles diligences par nous faites de donner tous secours possibles à la
ville d*Orléans, assiégée depuis longtemps par les Anglais, anciens
ennemis de notre royaume, et comment par diverses fois nous nous
sommes mis en devoir de le faire, ayant toujours bonne espérance en
Notre-Seigneur que finalement il y étendrait sa grâce, et ne permettrait
pas une si notable cité et un si loyal peuple périr, ni choir en la sujétion
et tyrannie desdits ennemis. Et parce que nous savons que, comme
loyaux sujets, vous ne pourriez avoir meilleure joie et consolation que
d*en voir annoncer bonnes nouvelles, nous vous apprenons que, à la
merci de Notre-Seigneur dont tout procède, nous avons avitaillé à puis-
sance {de forcé)^ bien et grandement par deux fois en une semaine,
ladite ville d*Orléans, au vu et au su des mêmes ennemis, sans qu'ils
aient pu y résister.
« Et depuis, c'est à savoir mercredi dernier, nos gens envoyés avec
326 LA VRAIE JEANNE D*ARC : LA LIBÉRATRICE.
ladit avilaillcmcnt, ensemble ceux de la ville, ont assailli Tune des plus
fortes bastides des ennemis, c*est à savoir celle de Saint-Loup, laquelle
Dieu aidant, ils ont prise et gagnée par puissance et par un bel assaut
qui dura plus de quatre ou cinq heures. Tous les Anglais qui dedans
étaient y ont été morts et tués, sans que des nôtres il y ait eu plus de
deux personnes tuées, et encore que les Anglais des autres bastides
fussent alors sortis pour la bataille, faisant mine de vouloir combattre,
toutefois quand ils virent nos gens à leur rencontre, ils s'en retournèrent
hâtivement sans oser les attendre. Et nos gens sont restés à ce poste
en espérance de faire de plus grandes choses.
« D'autre part, nous venons présentement de recevoir des lettres de beau
cousin de Vendôme, par lesquelles il nous fait savoir que son castel du-
dit lieu de Vendôme, auquel par la trahison d'un valet de la garnison
les ennemis étaient de nouveau entrés, a été prestement recouvré par
nos gens qui étaient en celle ville et sur les marches.
« Toutes ces choses bien considérées, nous avons bien confiance en la
miséricorde de Notre-Seigneur, moyennant aussi la bonne diligence que
nous entendons faire à poursuivre notre bonne fortune, que nos affaires
viendront à bonne issue. Ce que nous voulons bien vous communiquer,
sachant qu'ainsi vous le voudrez et désirez, vous priant et vous exhor-
tant bien cordialement qu'en reconnaissance de toutes ces choses, vous
veuillez par notables processions, prières et oraisons, bien louer et
regracier notre Créateur, le requérant toujours de nous être en aide et
de conduire nos affaires, car en vos bonnes prières nous avons bien grand
espoir. Et en ce faisant vous ferez bien, et votre devoir, et nous vous en
saurons très bon gré. Et aussi quand les autres nouvelles surviendront,
nous vous les ferons toujours savoir.
« Depuis que ces lettres ont été faites, il nous est venu ici ua héraut^
environ une heure après minuit, qui nous a rapporté sur sa vie que,
vendredi dernier, nos gens passèrent la rivière par bateaux à Orléans, et
assiégèrent du côté de la Sologne la bastide du bout du pont. Le môme
jour ils gagnèrent le logis des Auguslins, et le samedi aussi ils assail-
lirent le demeurant de ladite bastide, qui était le boulevard du pont, où
il y avait bien vi** {600) combattants anglais, sous deux bannières et
sous Tétendard de Chandos. Finalement, par grande prouesse et vaillance
d'armes, moyennant toujours la grâce de Notre-Seigneur, ils gagnèrent
toute ladite bastide. Tous les Anglais qui y étaient ont été morts ou
pris. Pour ce, plus que devant, vous devez louer et regracier notredit
Créateur, qui n'a pas voulu nous mettye en oubli de sa divine clémence.
« Vous ne pourriez assez honorer les vertueux faits et les choses mer-
veilleuses que ledit héraut, qui a été présent à tout, nous a rapportés, et
LA LIBftRATRICB DIAPRÉS CHARLES VII. 327
d'autres aussi, de la Pucelle, laquelle a toujours été en personne à
rexécution de toutes ces choses \
<« Et, depuis encore, avant Tachèvement de ces lettres, sont arrivés devers
nous deux gentilshommes qui ont été à la besogne, lesquels certifient et
confirment tout, quant à la manière, et plus amplement que ledit héraut;
et de ce ils nous ont apporté les lettres de la main du sire de Gaucourt.
« En outre nous eûmes cedit soir certaines nouvelles que, après que
nos gens eurent samedi dernier pris et déconfît la bastide du bout du
pont, les Anglais qui étaient demeurés s'en sauvèrent le lendemain au
point du jour, et ils délogèrent si hâtivement qu'ils laissèrent leurs
bombardes, canons, artillerie et la plupart de leurs vivres et bagages.
« Donné à Chinon le x' jour de mai.
« Signé : Charles.
« Contresigné : Bude. »
Toumay possède encore, comme Narbonne, Toriginal de la lettre par
laquelle Charles VU, annonçait aux consaux {consuls) la délivrance
d'Orléans. La voici, légèrement rajeunie* :
« De par le roi. Chers et bien-aimés. Parce que nous savons que plus
grande consolation ne pouvez avoir que d'ouïr souvent du bien de l'état
et prospérité de nos affaires, nous vous certifions qu'après que, par la
grâce de Notre-Seigneur, nous eûmes fait ravitailler bien et grandement
la ville d*Orléans ; ce qui fut vers le commencement du présent mois ;
nos gens qui firent ledit avitaillement, assaillirent les Anglais étant en
une bastide appelée la bastide Saint-Loup, devant ladite ville d'Orléans ; iN
prirent icelle d'assaut et de force, et furent tués tous les Anglais qui
dedans étaient. Et l'autre jour ensuivant, ils passèrent la rivière de Loire
du coté de la Sologne; ils assaillirent aussi certaine autre très fort'.'
bastide que lesdils Anglais avaient faite au bout du pont d'icelle ville:
et finalement, moyennant la grâce et le bon aide de Notre-Seigneur, iK
la gagnèrent comme l'autre, et es dites deux bastides, il y a eu de i^pi
à huit cents tant morts que prisonniers, et presque tous sont rnortn.
La nuit suivante, le demeurant des Anglais étant es autres ba.%tide5^
désemparèrent {en soriireni) et s'enfuirent tous, abandonnant leur artil-
lerie et tous leurs vivres et autres biens, et par ainsi le si^e fut levé, ^r
layille, la merci Dieu, est demeurée en sa franchise et liberté.
1. « Et ne pourriez assez honorer les Tertneuz laits et cfacr»e^ tn^rré^lU^*^*. qiK M*f
liéraot qui a été présent, nous a tout rapporté, ei autres aa«iî <i^ U P v^l>, UqtMU.
a toujours été en personne à rexécution de toutes ces dK/*<:^. *
2. WA3iiNC5iBMOEK, ExtrmU ûmil^tif£ues dt$ miâeM rtgUlrei *U Vi xiiU ^ r^/u/mey, t, (^
p. 329.
328 LA VRAIE JEANNE D*ARG ! U LIBÉRATRICE.
« Pour poursuivre notre bonne fortune, nous mettrons sus toutes nos
forces, en espérance, Dieu devant*, de recouvrer les passages qu^occupent
encore nos ennemis, et de faire au surplus ce que Dieu nous conseillera.
« Auxdits exploits a toujours été la Pucelle, laquelle est venue vers
nous, ainsi que toutes ces choses pourrez savoir plus à plein par le por-
teur de cette lettre, un clerc et serviteur de notre ami et féal conseiller
et chambellan, le sire de Gaucourt.
« Donné en notre châtel de Loches le xxii* jour de mai. »
Des actions de grâce, des réjouissances furent célébrées pour la déli-
vrance d*Orléans dans tous les pays soumis à Charles VU. Des proces-
sions annuelles furent établies dans plusieurs villes pour perpétuer le
souvenir de l'événement.
On possède la lettre par laquelle Charles VII annonce la victoire de
Patay aux habitants de Grenoble. En voici la teneur, telle qu'elle est
donnée par le Bulletin de F Académie Delphinale*. Ce spécimen pourra
faire juger de la difficulté que présenteraient nos pièces, si elles étaient
reproduites sans rajeunissement d*aucune sorte. La lettre par laquelle
Rebauteau annonce de Lyon les mêmes événements, prouve le fonds que
Ton faisait sur un soulèvement de Paris contre les Anglais.
Lettre de Charles VII au Conseil delphinal de Grenoble
(En date du 19 juin 1429).
« A nos amés et féaux les gens de notre Conseil du Dauphiné.
« De par le roy,
« Nos amez et féaulx, pour ce que nous savons que prynez plaisir à
ouïr souvent de la prospérité des affaires de nous et de notre royaulme,
nous vous signifions que hyer qui fut sabmedy xviii* jour de ce moys»
beau nepveu d'Alantzon, et autres seigneurs et cappitaines estant avegoo&
LA Pucelle à siège devant la tour, pont et forteresse de Beaugency»
receurent à mercy et laissièrent partir de là nos ennemys estant céans eiL
garnison, qui estoient au nombre de cinq à six cens combattants.
Talabot, Fastol, le sire d'Escalles, le fils du comte de Ungrefort et autre»
cappitaines de nos dicts ennemis estant à Meung sur Loire près dudictliea
de Beaugoncy, oyans ces nouvelles de composition, lesquielx avoient
avccques eulx autres trois mille combatans ou environ, et s'estoient
illec assemblez pour grever notre houst [armée\ laissièrent et abandon-
nèrent les villes et chastel et se mirent en chemin pour eulx saubver.
i. Dieu nous précédant.
2. liulL de rAcadémis Dclphinale, 1847, t. II, p. 469 [Des archives de Vévéchè de Grenoble).
LA LIBÉRATRICE DIAPRÉS CHARLES V]I. 329
Leur parlement vient à la cognoyssance de nos gens ; ils les poursui-
virent bien chaudement en celle manière que IcsJilz Anglois fuyans
furent tous mors et déconiiz ou prins jusqucs au nombre de deux à
trois mille combatans, et sont prisonniers lesditz Talabot, Faslol, de
iDgrefort, Dcscalles et autres cappitaines et nobles d'entre eulx.
«< Ces chouses vous escrions pour vous resjouir et aussi affin que pareille-
ment les notifiez et faictes savoir aux gens de TEsglise, nobles et autres de
noslro pays du Dauphiné, en les exhortans de faire des prières, proces-
sions et oraisons envers Dieu afin qu'il lui pleyse relaxer sa maind'ulcion
et JTclcver nostre peuple de la misère et captivité que longuement il a
souiffert, et que le puyssions sous la meyn de sa besnigne clémence
oînlenir et gouverner en bonne paix, union, justice et tranquillité.
« Donné à Sucylly le xix* jour de juing.
<( Charles. »
Lettre de Rebauteau, magistrat de Lyon sur le même sujet.
« Â Messieurs du Conseil du Roi-Daulphin, à Grenoble.
Messieurs, je me recommande à vous tant que je puis.
Le roi vous escrit par le porteur de ces présentes la bonne fortune
^'^e Dieu lui a envoyée et la grante grâce qu'il a faite à luy et à toute
seigneurie. Entre autres choses que Ton m'a escript de par delà, on
^ escript de la rébellion de la ville de Paris que Ton croit ôtre de cette
*^^Hre contre les Anglois, et quand Talebot fut pris il dist que de cette
^^Urele roy estoit le maistre du tout, et qu'il n'y avoit plus de remède,
^t croy qu'il dit vray, la mercy Dieu. Quand nos gens assemblèrent
^Vecqueles Anglois, Ton m'escript qu'ils n'estoicnt pas plus de cent à six
Vingt, mes si tut qu'ilz virent la Compagnie approcher, ils se mirent à fuire
^n désarroy et furent tous mors et prins.
« Escript à Lyon le xxvu* jour de juing.
« Le porteur de cest présente dist que ceux de Paris sont en deroy et
^ue en ont mis ours tous les Anglois et ce y ont escript ou roy.
« Le tout vostre, Rebauteau*. m
Diaprés la lettre du roi, aucun Anglais n'aurait échappé de Patay, et
l^iklof lui-même aurait été pris, ce qui est inexact.
Le billet de Rebauteau est fort remarquable en ce qu'il suppose que
lansa chassé les Anglais. La capitale fut, il est vrai, consternée ; mais
*® parti national n'était pas assez fort pour opérer cette révolution. Elle
^'^ullde r Académie Delphinale, 1847, 1. Il, p. 439 {Des archives de Vévéché de Grenoble).
330 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICB. •
aurait pu avoir lieu, si, au grand mécontentement de la Pucelle, Ton
n'avait pas tergiversé à la cour, et hésité à poursuivre la victoire.
La parole de Talbot est fort remarquable. Il ne fait que ratifier ce que
promettait la Pucolle, et ce que Ton aurait certainement obtenu, si Ton
s'était conformé à ses inspirations.
A remarquer l'expression que le duc d'Alençon et les autres capitaines
sont avec la Pucelle. Elle est, par suite, le centre autour duquel les autres
se groupent.
II
Lettres d'anoblissement de Gut de Gailli.
Avant d'être personnellement anoblie, la Pucelle le fut dans la pe^
sonne de Guy de Gailli, pour lequel elle avait sollicité cet honneur. Les
mérites de la Libératrice y sont exaltés en termes qui ne sont pas su>
passés dans les lettres qui lui confèrent la noblesse à elle-même et à sa
famille.
Guy de Gailli était possesseur du château de Reuilly, à près de
deux kilomètres de Ghécy, lorsque Jeanne, venant pour la première fois
à Orléans, passa la Loire en face de cette bourgade. L'Envoyée du Ciel
fut reçue à Reuilly; et l'heureux de Gailli s'attacha aux pas de celle qui
lui avait fait cet honneur. La pièce suivante nous dira qu'en considération
de Jeanne, les anges voulurent bien se manifester visiblement au dévoué
chevalier. Notre mémoire nous atteste qu'en un volume qu'elle se refuse
de nous indiquer, nous avons vu que Guy de Gailli accompagna Jeanne -i
lorsque, avant le suprême assaut des Tourelles, elle se retira à l'écart pou-*"
prier. Ge serait en cette occasion qu'il aurait été favorisé de la vuede^^
anges.
Ges lettres sont données en juin à Sully. La date du jour n'est p^--
indiquée ; il en est ainsi dans d'autres pièces de cette nature. Gomme To:*
n'y parle que de la levée du siège d'Orléans, il est vraisemblable qii^
Ton n'avait pas encore vu les merveilles de la journée de Patay.
La conservation de ce document est due au célèbre érudit provenç^-J
Nicolas-Glaude de Peiresc, à qui Aix élevait récemment une statue bie^
méritée. L'évêque deGarpentras, Inguimbert, acheta la bibliothèque et 1^^
manuscrits de Peiresc. Ils tout aujourd'hui l'ornement et la gloire del^
bibliothèque de sa ville épiscopale. La présente lettre se lit au registre ^ »
avec d'autres pièces sur Jeanne d'Arc. Quelques-unes trouveront peu. *'
être place dans la suite de cette publication. Quicherat a inséré ces lettre-
au tome V de sa Gollection, sur la copie envoyée par le bibliothécaire ^^
Garpentras. La traduction suivante a été faite sur le texte de Quichera»^
LA LIBÉRATRICE D*APRÉS CHARLES VII. 331
€ Charles, roi des Français, pour perpétuelle mémoire.
« Nous aimons à mettre sous nos yeux l'immensité des bienfaits dont
le Ciel nous comble dans nos expéditions contre nos mortels ennemis,
et avant tout la faveur capitale par laquelle, alors que nos affaires allaient
toujours en déclinant, le siège d'Orléans a été si heureusement repoussé.
f< Cette faveur nous a été principalement départie sous les auspices, par
rheureuse arrivée, sous la conduite de Tillustre Pucelle, de Jeanne d'Arc
de Domrémy, dont les mérites à notre endroit sont infinis. Il n'est que
juste de dire qu'en pénétrant dans cette ville pour la défendre et en
repousser nos ennemis, les Anglais, la Pucelle nous a donné un présage
et un gage que nous pourrions facillement recouvrer les autres villes et
cités. Aussi entourer d*une faveur singulière ladite Jeanne* alors que
nos récompenses ne sauraient égaler la grandeur de ses services, ce
n'est pas assez; nous devons étendre cette faveur aux guerriers illustrés
par une longue profession des armes qui, pour la levée d'un siège si
mémorable, se sont empressés de la seconder ; dont elle a plus utilisé les
travaux et Tardeur dans les divers combats autour do ladite ville et dans
les expéditions qui ont suivi depuis.
« Parmi ces guerriers, notre bien-aimée Jeanne de Domrémy nous a
principalement recommandé, pour son extrême diligence et sa fidélité à
combattre à ses côtés, Guy de Cailli, homme des plus honorables par
rhonnèteté de sa vie, citoyen notable et de talent dans la cité d'Orléans,
livré à toutes les occupations des nobles hommes. Aussi désirons-nous le
. décorer d'insignes d'honneur qui soient pour sa personne et sa postérité
ua perpétuel accroissement de rang.
« Nous portons donc à la connaissance de tous présents et à venir, que,
dûment informés des beaux services du même Guy de Cailli, sachant
comment il a secondé de tout son pouvoir les bonnes dispositions de la
naême Jeanne à notre endroit, comment il Ta reçue dans son château de
Reuilly, près de Chécy, lorsque pour la première fois elle approchait
d'Orléans, à la suite de divines apparitions des anges qui l'y invitaient,
^^leste faveur dont le même Guy de Cailli a été rendu pai'ticipant, ainsi
^Ue noué en avons été pleinement informé par Jeanne elle-même*;
L Aurelianensis obsidionis felicissiina repulsio, quai polissimum peracla est sub
^^spiciis et felici adventu et conductu inclytae Puellœ, ac de nobis in infinitum meriloî
^laoïiae d^Arc de Dompremigio, ila ul merito die! possit adilum et ingressum dictœ
^^ell» inistam civitalem ad eam defendendam et arcendos inde diclos hostes Anglicos,
^obis faciliorem aditum ad alias ci vitales et urbes nostras recuperandas promittere et
Ptcnuntiare : id circo singulari favore prosequentes non solum dictam Johannam
^^JU8 reraunerationi satis contribuere non possumus, sed etiam viros bellicosos, etc.
2. Certiores facti... quantum omni sua potestate bonam erga nos praMnemoratac
^Qhannœ voluntalem secundaverit, eam in arce Rulliaca prope Checiacuni exci-
U LIBÉRATRICE D'aPRËS CHARLES VII. 333
« C*est pourquoi que nos amés et féaux, les gens de nos comptes, nos
conseillers généraux sur le fait et gouvernement de toutes nos finances,
notre bailli d*Orléans, nos autres justiciers et officiers ou leurs lieute-
nants, présents et futurs, et que chacun d'entre eux, selon qu'il lui appar-
tiendra, veille à Texécution du mandement donné par les présentes, à
savoir qu'à perpétuité ils fassent et laissent jouir paisiblement ledit
Guy de Cailli, ladite postérité née et à naître, de notre présente faveur,
anoblissement, donation, quittance et concession ; qu'ils ne les empochent
et molestent en rien contre la teneur des présentes, et qu'ils ne souffrent
pas qu'ils soient à ce sujet empfichés ou molestés par qui que ce soit.
« Pour donner perpétuelle force aux présentes, nous y avons apposé, en
Tabsence du grand sceau, notre sceau personnel, réserve faite en toutes
autres choses de nos droits, et en toutes choses du droit d'autrui.
« Donné à Sully, au mois de juin de Tan du Seigneur M('CCCXXIX,
de notre règne le septième. »
Et sur le repli est écrit : « Par le roi, présent l'évoque de Séez, et signé :
LspiCARD. Et sont scellées du grand sceau de cire verte en lacs de soye
rouge et verte, à double queue. »
U est inutile de relever ici les expressions par lesquelles Charles VII
proclame ce qu'il doit à Jeanne d'Arc. Les mérites de Jeanne envers lui
sont infinis, pas de récompense humaine qui soit à leur hauteur; en
délivrant Orléans Jeanne donne un gage que Tennemi sera chassé des
places et des villes qu'il occupe.
Que de Cailli ait été favorisé une fois de l'apparition des anges, c'est
Jeanne qui l'assure. Cette assertion si formelle rend plus croyable l'as-
^rtion par laquelle elle affirmait à Rouen que le roi aussi avait été
favorisé de révélations.
III
Exemptions d'impôts pour les habitants de Domrémy et de Gueux.
Historique du privilège.
Celle qui avait pour mission de venir au secours des malheureux et
^ ^ut jamais le courage de les écarter de sa personne, songea après le
^^cre de Reims à ses compatriotes, les villageois de Domrémy et de Greux.
t-Me avait laissé son père à Reims à l'hôtel de l'Ane rayé ; à Châlons
«Ile avait accueilli une députation de ces bons paysans qui, il y a moins
^un an, ne la connaissaient que sous le nom de Jeannette, et la
revoyaient la plus glorieuse des femmes de notre histoire. Elle demanda
394 LA VRAIE JEANNE D*ARC : LA LIBÉRATRICE.
totale exemption d'impôts pour Domrémy et Greux, deux sections d'une
seule et même paroisse S qui était la sienne. C'était demander que dans
la France entière Ton ne prélevât que les impôts nécessaires. La raison
et le droit chrétien en font aux gouvernants un devoir strict qu'ils ne
peuvent violer sans mériter les qualifications qui mènent les particuliers
au bagne.
Sa demande fut écoutée. A la date du 31 juillet 4429, Charles VII
exemptait à perpétuité de tout impôt les villages de Domrémy et de
Greux. D'après Charles du Lys, que sa charge d'avocat général à la cour
des aides mettait en état de connaître les pièces officielles plus que les
généalogies non écrites des descendants de Jeanne d'Arc, d*après Charles
du Lys. les villageois de Domrémy et Greux, molestés dans Tusago de
leur privilège, en obtinrent la confirmation le 6 février 1459, de celui-là
môme qui Tavait octroyé. « Dans les registres de la cour des comptes,
écrit-il encore, ces deux villages sont tirés à néant avec cette mention :
Pour cause dé la Pticelle^ et sur les registres des tailles pour Domrémy et
Greux, on lit : Néants la Pucelle *.
L'original de la charte concédant le privilège n'existe plus ; mais il
devait exister en 1769, puisque la copie suivante porte toutes les marques
d'authenticité qu'on peut désirer dans une transcription officielle. Voici
cette copie tirée des Archives nationales [Sect. domaniale H^ 45359)j
ainsi que les intéressantes pièces qui vont suivre. Les vicissitudes d'un
privilège si bien justifié méritent d'ôtre racontées.
Lettres patentes de Charles VII qui exemptent (f impôts les habitants
de Domrémy et de Greux.
31 juillet 1429.
« Charles, par la grâce de Dieu, roi de France. Au bailly de Chaumont,
aux cslus et commissaires commis et à commettre à mettre sus
et imposer les aides, tailles, subsides et subventions audit bailliaigc, et à
tous nos autres justiciers et officiers, ou à leurs lieutenants, Salut et
diicction. Savoir vous faisons que, en faveur et à la requeste de nostre
bien aimée Jchanncla Pucelle, et pour les grands, haults, notables et pro-
fitables services qu'elle nous a faits et fait chaque jour au recouvrement
de notre seigneurie, Nous avons octroyé et octroyons de grâce spéciale,
par ces présentes, aux manans et habitans des villes et villaiges de
Greux et Domrémy, audit bailliaigc de Chaumont-en-Bassigny, dont ladicte
1. A cette époque, et longtemps dans la suite, le mot paroisse était rexpression
usitée. La commune n*existait que dans les villes.
2. Traité sommaire du nom, des armes, etc., de la Pucelle, Paris, 1633, dans TéditioD
vue à la Bibliothèque nationale, p. 4s>.
i
LA UB&RATRICE D*APRËS CHARLES VU. 335
Jebanne est native, qu'ils soient dorénavant francs, quittes et exemps de
toutes tailles, aides, subsides et subventions mises et à mettre audict
bailliaige. Sy vous mandons et enjoignons et à chascun de vous, si comme
à Tun qu'il appartiendra, que, de notre présente grâce, affranchissement,
quittance et exemption vous faittes, souffrez, et laissez lesdicts manans et
habitants jouir et user pleinement, sans leur mettre ou donner, ne souffrir
être mis ou donnés aucun détourbier ou empeschemens au contraire, lors
ne pour le temps advenir; et en cas que lesdicts manans soient ou seroient
assis et imposés es dictes tailles et aides, nous voulons que chascun de
vous les en droit soi les en faites tenir quittes et paisibles. Car ainsi
nous plaist et voulons estre faict, nonobstant quelconques ordonnances,
restrictions ou défenses et mandemens à ce contraires.
<f Donnez à Ghinon, le dernier jour de juillet Tan de grâce mil quatre
cens vingt-neuf et de notre règne le septième.
<( Par le roi en son conseil,
« BUDE. »
La pièce H porte « Données à Ghinon, etc. » ; cependant il est très certain
que le roi était alors à Ghâteau-Thierry. Gharles du Lys a visé deux fois
ce même acte avec la rubrique « Gliâteau-Thierry ».
Cette pièce est suivie d*une note « dont voici quelques lignes : Pour
copie coUationnée sur lesdittes lettres patentes à nous représentées sur
parchemin par les habitans et communauté dudit Greux, dépositaires
d'icelles ainsy que de différentes lettres patentes confirmatives des mômes
pri vilègeSy . . . ladite collation faicte à la requette et diligence des maire,
sindic, habitans et communauté de Domrémy-la-Pucelle. » Le notaire
royal Vivenot signait cette pièce le 8 novembre 1769, et, le 10 novembre,
sa signature était légalisé à Vaucouleurs par le contrôleur Fyot, et par
le vice-délégué de l'intendant de Champagne, Duparge.
Ce qui motivait de la part des habitants de Domrémy la demande de
celte copie authentique, c'est que, par une anomalie étrange, ils étaient
privés depuis deux siècles du bénéfice de leur privilège, tandis que les
habitants de Greux n'avaient cessé d'en jouir. 11 s'est trouvé deux rois de
France qui ont eu le sens assez perverti pour aliéner la maison de la
Pacelle. L-n vrai Français aurait plutôt souffert Taliénation du Louvre. En
Posant en d'autres mains, le joyau perdit le privilège qu'il conférait à
^^qui dormaient à son ombre ; mais avec le retour de la Lorraine à la
France, il redevenait français, et les habitants de Domrémy réclamèrent le
'ôiéfice des lettres de Gharles VIL L'intendant général de la Lorraine eut
Thonneur d'appuyer leurs réclamations par la lettre suivante, adressée à
d'Ormesson. Comme elle fait l'historique du privilège, la voici tout entière :
336 LA VRAIB JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
« Monsieur, j'ai examiné la requête présentée au conseil par les habitans
de Domrémy, que vous aviez d'abord communiquée à M. d'Orfeuil ' par
votre lettre du 24 décembre 1769 et qui m'a ensuite été renvoyée par lui,
parce que la communauté de Domrémy est de mon département. Il résulte
des éclaircissemens que je me suis procurés sur cette affaire que
CharlesVII, voulant reconnoître les services importants que Jeanne d'Arc,
connue sous le nom de la Pucelle d'Orléans, avoit rendus à l'Etat,
ACCORDA, A LA PHIÈRE DE CETTE FILLE CÉLÈBRE, aUX vilIagCS de GrCUX et Dom-
rémy l'exemption de toutes tailles, aides, subsides et subventions qui
pourroient être imposées à l'avenir dans le bailuage de Bassigny dont ces
DEUX VILLAGES DÉPENDOiENT ALORS. Lcs Icttrcs patcutcs qui Contiennent cette
exemption sont du dernier juillet 1429.
(' La paroisse deGreux comprend deux villages, celui de Greux et celui
de Domrémy, qui dépendoient tous deux alors de la province de Cham-
pagne. Jeanne d'Arc est née dans celui Domrémy; ainsi le privilège
accordé par Charles VII regarde principalement ce dernier village, et n'a
été étendu à celui de Greux que parce qu'il faisoit partie de la paroisse
qui avoit donné naissance à cette fille illustre : le village de Greux n'ayant
point changé de domination n'a jamais éprouvé d'interruption dans son
privilège, qui a été confirmé successivement par tous les rois à leur avè-
nement au trône.
« Le village de Domrémy, à qui ce privilège étoit commun, a cessé aa
contraire d'en jouir depuis près de deux siècles, parce qu'il a été démem-
bré de la province de Champagne, pour passer sous la domination des
ducs de Lorraine en leur qualité de ducs de Bar.
(( Les difficultés qu'avoit fait naître en différentes circonstances la sou-
veraineté des ducs de Lorraine sur le Barrois furent réglées par un con-
cordat passé le 25 janvier 1371 entre le roi Charles IX et le duc de Lor-
raine Charles III. Il survint dans la suite de nouvelles difficultés, et il
restoil d'ailleurs beaucoup de confusion dans les limites de la Champagne
et du Barrois. Le roi Henri III, qui avait succédé à Charles IX, et le duc
Charles, commencèrent par faire régler définitivement les limites de ces
deux provinces, et pour achever de terminer les autres difficultés qui
s'étoicnt élevées, Uenri 111 donna le 8 août 1375 une déclaration par
laquelle, en confirmant et expliquant le traité de 1571, il conserva au duc
de Lorraine tous les droits de régale et de souveraineté sur le Barrois, et
en particulier celui d'établir dans cette province toutes tailles, aides et
subsides.
« Ce règlement de limites ayant fait passer le village de Domrémy sous
1. Inleridant géiiérui de Champagne, dont Greux relevait.
LA LIBÉRATRICE D'APRÈS CHARLES VII. 337
la domination des ducs de Lorraine, il n'est point surprenant que les habi-
tants de ce lieu aient cessé de jouir du privilège qui leur avoit été accordé.
Les services importans que Jeanne dWrc avoit rendus au roïaume dans
le tems où il étoit en proie aux Anglois, avoient déterminé Charles Vil
à ne pas se contenter d'accorder à la famille de cette fille célèbre les
distinctions les plus honorables. Pour conserver davantage le souvenir
des services qu'elle lui avoit rendus, il voulut encore illustrer le lieu de
sa naissance, en lui accordant un privilège que tous nos rois ont succes-
sivement confirmé ; mais les ducs de Lorraine, que ces services ne regar-
doient pas, ne se crurent pas obligés d'en partager la reconnoissance, et
dès que les traités de 1571 et de 1373 les eurent maintenus dans le droit
d'imposer des subsides sur le Barrois, et que le village de Domrémy eût
fait partie de cette province, il se trouva confondu avec toutes les autres
communautés et assujetti comme elles à toutes les impositions.
M Ce village étant rentré aujourd'hui sous la domination du roi, ses habi-
tans réclament le privilège dont ils ont joui depuis Tannée 1429 jusqu'au
moment où il a été démembré de la Champagne pour être réuni au Bar-
rois. Cette demande meparoit devoir être accueillie très favorablement.
« l*Le village de Domrémy est le même que celui qui est dénommé dans
les lettres patentes du mois de juillet 1429 ; et ce qui le prouve, c'est que
ce ^village dépend encore aujourd'hui de la paroisse de Greux, qui est
également dénommée dans les mômes lettres patentes ; c'est que tous les
historiens font naître Jeanne d'Arc à Domrémy près de Vaucouleurs, et
qu'il n'y a jamais eu près de cette ville qu'un seul village qui a emprunté
d'elle son surnom de Domrémy-la-Pucelle : c'est qu'enfin on y voit encore
aujourd'hui la maison dans laquelle elle est née et où elle a demeuré avec
ses parents, jusqu'au moment où elle en partit pour aller trouver
Charles VII à Chinon.
« 2* Lorsque les lettres patentes du dernier juillet 1429 accordèrent aux
villages de Greux et de Domrémy Texemption de toute espèce de sub-
sides, Jeanne d'Arc avoit rendu à la France les services les plus impor-
tans en faisant lever le siège d'Orléans, en soumettant plusieurs villes au
ï*oi, et en le conduisant à Reims où il fut sacré le 17 juillet de la même
année. Ce fut pour prix de ces services que ce prince voulut illustrer la
patrie de la Pucelle, en lui accordant un privilège qui servît à conserver
1^ souvenir de ses grandes actions et celui de la reconnoissance que lui
Revoit la France entière.
«Je sais que plusieurs écrivains ont cherché à jetter des doutes sur le
^eneilleux de l'histoire delà Pucelle ;mais aucun n a encore tenté d'afl'ai-
Wir sa gloire et tous nos historiens conviennent que dans ces temsmalheu-
^^tix, ce fut elle qui, par son courage, son intrépidité et l'audace qu'elle
ni. 22
338 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
sut inspirer à Tarmée de Charles VII, changea absolument la face des
afTaires ; ce prince lui dut le commencement des succès dont son règne
fut une suite continuelle, et le monument de sa reconnoissance envers
elle paroît ne pouvoir pas être trop respecté.
« 3° Le village de Greux a joui jusqu'à présent de Texemption contenue
dans les lettres patentes du mois de juillet 1429. Ce privilège aïantété
accordé par le même titre au village de Domrémy, il paroltdevoir en jouir
également aujourd'hui ; il sembleroit même que s'il y avoit une préfé-
rence à accorder à Tun de ces deux villages, elle devroit l'êlre à celui de
Domrémy, puisque c'est dans ce dernier que Jeanne d'Arc est née, et
que le privilège accordé par Charles VII n'a été étendu au village de
Greux que parce que c'est dans ce lieu qu'est située la paroisse de
laquelle ces deux villages dépendent. L'interruption que celui de Dom-
rémy a éprouvée dans la jouissance de ce privilège ne me paroît pas
devoir être un obstacle à son rétablissement, parce que ses habitans ne
l'ont perdu qu'en passant sous une domination étrangère, parce que la
possession du village de Greux semble avoir réclamé dans tous les tems
en faveur de celle de Domrémy, et parce qu'enfin la confirmation succes-
sivement faite par nos rois d'un titre commun à ces deux villages paroît
avoir assuré à l'un et l'autre la conservation du privilège qu'il contient.
« Ces motifs, monsieur, me déterminent à penser qu'il n'y a aucun
inconvénient d'ordonner l'exécution des lettres patentes du dernier juil-
let 1429, et de maintenir en conséquence les habitans de Domrémy dans
l'exemption des subsides qui leur avoit été accordée par ces lettres
patentes.
« J'ai l'honneur de vous renvoïer la requête des habitans de Domrémy
et les pièces qui y étoient jointes.
« Je suis avec respect, monsieur, votre très-humble et très-obéissant
serviteur,
<c De La Galaisière. »
A une demande si juste et si bien motivée, le conseil, en décembre 1771,
répondit en alléguant les édits de 1614 et de 1634, fort étrangers à la
question.
Les voici tels qu'ils sont cités : « Les édits de 1614 et 1634 portent, l'un :
«Art. 10...Quelesdescendans des frères delaPucelle d'Orléans qui vivent
à présent noblement jouiront à l'avenir des privilèges de noblesse et leur
postérité de mâle en mâle, vivans noblement, même ceux qui pour cet
effet ont obtenu nos lettres patentes et arrêts de nos cours souveraines ;
mais ceux qui n'ont pas vécu et ne vivent à présent noblement, ne
jouiront plus à l'avenir d'aucuns privilèges. Les filles et femmes aussi des-
LA LIBÉRATRICE DIAPRÉS CHARLES VII. 339
cendans des frères de la Pucellè d'Orléans n'anobliront plus leurs maris h
Ta venir ».
L'édit de 1634 porte, article 7 :« Que les descendans des frères de la Pucel le
d'Orléans insérés au corps de la noblesse et vivans à présent noblement
jouiront des privilèges de la noblesse, et leur postérité de mule en mâle
vivans noblement. Mais ceux qui n'ont vécu et ne vivront à présent noble-
ment ne jouiront plus à l'avenir d'aucuns privilèges ; comme aussi les
filles et femmes descendans des frères de la Pucelle d'Orléans n'anobli-
ront plus leurs maris à l'avenir. »
Et l'on écrit à la suite de la demande : « Décidé que toutes ces exemp-
tions ont été révoquées par les édits de 1614 et 1634 ».
Les habitants de Domrémy ayant renouvelé leur demande à l'avène-
ment de Louis XYI, voici ce qui fut répondu de Paris le 18 février 1776 :
ce La demande des habitans de Domrémy a déjà été rejettée en 1771 ;
les édils de 1614 et de 1634 ayant éteint les privilèges accordés à la
famille même de la Pucelle, on n'a pas cru que les habitans du village
dans lequel elle était née dussent être traités avec plus de faveur.
« C'est par ces mêmes motifs, monsieur, que, tout récemment, le con-
seil a refusé d'accueillir la demande en confirmation de privilège que
renouveloient les habitants de Greux à Tavènement de Sa Majesté à la
couronne. Ainsi les habitants de Domrémy ne verront plus avec envie
cette différence qui ne faisoit que multiplier leurs vaines prétentions sans
leur donner plus de solidité. »
Dans une lettre à d'Ormesson, en date du 2i février 1776, La Galai-
sière lui fait savoir qu'il a communiqué aux habitans de Domrémy la
décision intervenue.
Les instances des habitants de Greux, dont on trouve les pièces dans la
même liasse, achèveront de nous faire connaître l'historique du glorieux
privilège.
11 faut rendre cette justice à nos rois. Ils avaient confirmé en termes
Ws chaleureux le privilège concédé par Charles VII, jusqu'à l'époque
^ominieuse qui devait voir la fin de la monarchie. La liasse d'où tout
^iest tiré renferme une copie authentiquée d'une double confirmation
<le Louis XV, Tune du 10 août 1723, l'autre du 26 janvier 1730, copie
faite très probablement pour arrêter la néfaste interruption qui allait se
produire. Or, dans les lettres confirmatives de 1723, on lit que les habi-
tants de Greux ayant été molestés dans la jouissance de leurs privilèges,
un arrêt du conseil royal du mois de février 1683 défendit semblables
340 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
tracasseries à l'avenir sous peine d'avoir à payer l'amende énorme de
quinze cens livres.
A l'avènement de Louis XVI, les habitants de Greux demandèrent con-
firmation de leur privilège. On voulut avoir l'avis de l'intendant de
Champagne, M. Bouille d'Orfeuil. Il répondit par la lettre suivante,
du 15 septembre 1775 :
« Monsieur, j'ai reçu les deux lettres que vous m'avez fait l'honneur de
m'écrire le 16 avril et le 24 juillet dernier, concernant le projet cy-joint
de lettres patentes que les habitans de Greux, élection de Chaumont et
subdélégation de Vaucouleurs, ont présenté au conseil pour obtenir la
confirmation des privilèges de leur paroisse.
« Je me suis procuré, monsieur, des éclaircissemens certains sur la
nature et Torigine des privilèges des habitans de Greuic. Ces privilèges,
qui leur ont été accordés par lettres patentes de Charles VII du 31 juil-
let 1429, en considération des services importans rendus à TEtal par
Jeanne d'Arc, dite Pucelle d'Orléans, native de leur paroisse, consistent
dans l'exemption et franchise de toutes tailles, subsides, aydes, subven-
tions et autres impositions généralement quelconques mises et à mettre.
Il ne paroît pas que ces habitans en aient obtenu le renouvellement sous
les régnes de Louis XI, de Charles VIII, ni de François P'; mais ils ont
toujours été confirmés depuis très exactement à chaque nouvel avène-
ment au trône, savoir par lettres patentes de Henri II du 9 avril 1551, par
celles de François II du 15 octobre 1559, par celles de Henri III do
25 janvier 1584, de Henri IV du 24 mars 1596, de Louis XIII du moisde
juin 1610, de Louis XIV du mois de mars 1656, et enfin par celles de
Louis XV du 19 août 1723.
« Il n'y a aucun lieu de présumer que ces privilèges et immunités aient
été révoqués. Les édits de 1614 et 1634 doivent être regardés comme
ARSOLUMEWT ÉTRANGERS aux habitaus de Greux, puisque ils n'ont été rendu*
que pour restraindre les privilèges dont jouissoient précédemment lei .
descendans de la Pucelle d'Orléans*. Il paroît au surplus que, à l'époque
de 1429 date del'origine des privilèges accordés à la paroisse de Greux, C6
village et celui de Domrémy qui ne sont distans que d'une portée de fastl
formoient une seule et môme communauté; mais en 1571, Charles IX
céda Domrémy à Charles III, duc de Lorraine. Ce village a toujoiff*
dépendu depuis de celte province; ce ncst qu'en 1767 qu'il est rentré
éventuellement sous la domination de la France, et il fait encore aujour-'
d'huy partie de la généralité de Lorraine. Il n'est donc pas étonnant qu^
1. C'est par mégarde que le secrétaire laisse échapper étourdimenl les mois : ï*
postérité de la Pucelle,
342 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
ne possèdent aucun terrain communal que deux cents arpents de bois
rassail, chargé de rentes seigneuriales très considérables. Ce qui prouve
la modicité de ce village, c'est qu'il n'augmente pas en nombre d'habi-
tans, comme les autres circonvoisins. Si on supprime leurs privil^es,
ils seront réduits la plus grande partie à la mendicité. »
Les raisons des habitants de Domrémy et de Greux étaient aussi pé-
remptoires que celles de l'agneau de la fable. Le conseil du roi répondit
avec plus de politesse dans la forme, mais avec aussi peu de raison dans le
fond que le loup de La Fontaine. Il supprima le privilège, comme le
loup supprima Tagncau.
La mesure est tout à fait digne de la plus ignominieuse époque de notre
histoire. C'est lorsque, en faisant retour à la France, la Lorraine lui
apportait le plus précieux joyau de nos monuments, qu'un conseil royal
stupide la découronnait autant qu'il était en lui du signe qui devait en
dire à tous la valeur et le prix. Il est vrai que c'était l'époque où Arouel
laissait tomber de sa hotte de pornographe la souillure de toute littéra-
ture que l'infernal génie osa bien intituler : la Pticelle. On sait qu'une
ignoble noblesse en faisait ses délices. L'insultant mépris avec lequel on
répondait aux justes raisons des pauvres habitants de Domrémy et de
Greux ne semble-t-il par trahir des êtres nourris de l'immonde
pâture?
On refusait à la Pucellc, à la Libératrice de la France, les quelques
deniers qu'elle avait demandé aux générations à venir d'épargner à la
misère des habitants du lieu qui Tavait vue naître ; et Ton prodiguait des
millions pour bâtir des palais aux créatures innomables qu'elle poursui-
vait de la pointe de sonépée! Le peuple de France geignait pour ces
Circés dont les mains distribuaient les portefeuilles des ministres, des
brevets de généraux, et, faut-il le dire, choses plus augustes encore!
Qu'on ne s'étonne pas si la justice divine a laissé germer de cette gan-
grène les bourreaux qui devaient en être le châtiment. Si on a pu dire
que le vieil empire romain était mûr pour les Barbares, le temps où se
produisait Tinfamie qui vient d'être rappelée était mûr pour les Marat,
les Robespierre, ces émules des Genséric et des Attila.
Ce sont les deux derniers Valois, Charles IX qui a commandé la Saint-
Barthélémy, Henri III l'assassin des chefs catholiques, les Guises, qui
ont aliéné la maison de la Pucelle. Dieu a biffé leur race. Rien de leur
postérité dans ces palais qu'ils auraient dû céder plutôt que la Santa Casa
de la France, la maison de Jacques d'Arc.
Infortuné Louis XVI ! Un des premiers actes de son règne a été, d'après
l'avis d'un conseil imbécile, de supprimer le privilège de Greux respecté
LA LIBÉRATRICE D*APRËS CHARLES VII. 343
par tous ses prédécesseurs. Il supprimait le privilège, témoin subsistant
de cette parole dite à tout vrai roi de France : « Vous serez le lieutenant du
roi du Ciel, qui est roi de France». Le suzerain, ainsi politiquement écon-
duit, a laissé le vassal à ses propres forces, et tout en couronnant le chré-
tien de Tauréole du martyre, a laissé tomber le roi qui ne comprenait
plus le miracle de sa légitimité et de ses droits.
La Libératrice n'a jamais demandé de lettres d'anoblissement pour sa
famille. La seule récompense humaine qu'elle ait sollicitée, c'est l'exemp-
tion d'impôts pour Greux et Domrémy. Le sol français se couvre de
statues et de monuments à son honneur. Ne relèvera-t-on pas le monu-
ment de son choix, celui qu'elle a demandé ? Qui peut douter qu'il ne soit
celui qui serait le plus agréable à ses yeux ? Le pouvoir qui voudra véri-
tablement l'honorer fera droit à sa requête. Les registres de l'impôt por-
teront de nouveau pour Greux et Domrémy, l'antique mention : Néant,
laPucelle. Il appartient à ceux qui ont action sur l'opinion publique, de
travailler en ce sens jusqu'à ce que les feuilles de l'impôt répètent la
formule : « Domrémy et Greux ont à jamais payé leur dette à la France en
lui donnant la Pucelle ».
IV
Les lettres d'anoblissement de la famille de la Pucelle.
L'original des lettres d'anoblissement de la Pucelle et de sa famille
n'existe pas plus que celui qui concédait exemption d'impôts à Greux et à
Domrémy. On en possède plusieurs vidimus^ ou copies déclarées officielle-
ment authentiques, et insérées comme telles au « Trésor des chartes ». Des
descendants de la famille anoblie ayant voulu en réclamer les privilèges
ont dû prouver et leur descendance, et en même temps exhiber le titre.
C'est ainsi que ce titre se trouve sous la date de 1562, au Trésor des
chartes, dans un acte de Henri II en faveur de Robert Le Fournier, baron
deToumebu, et de Lucas du Chemin, seigneur de Féron*. Denys
Godefroy a reproduit cette copie, elle a été reproduite partiellement ou
dans son intégrité par bien d'autres, et notamment dans notre siècle par
Rochon, Michaud, Quicherat.
In incendie ayant détruit en 1737 la plus grande partie des archives
«e la cour des comptes, un édit du roi ordonna à tous ceux qui avaient
«es titres qui y ressortissaient d'en faire la présentation, et copie en fut
*"^ pour réparer, dans la mesure du possible, les ravages du feu. Parmi
ces copies se trouve une reproduction des lettres d'anoblissement de la
*• Arch. imt. Trésor des Charles, reg. 260.
344 LA VRAIE JEANNE D*ARG : LA LIBÉRATRICE.
Pucelle que Vallet de Yiriville se croit autoris(^ à donner comme la meil-
leure. L'on ne reconnaît pas ici la sûreté ordinaire du paléographe. Onn en
a pas imprimé d'aussi manifestement et lourdement fautives. Peut-être le
critique a-t-il été entraîné par le désir d'appuyer une de ses thèses. Lui
qui se fit admonester pour avoir ajouté à son nom patronymique celui
de « de Viriville » tient à dépouiller le nom d'Arc de Tapostrophe, et
veut qu'on l'écrive « Darc ». Il s'appuie sur la copie de 1738; mais on
est bien forcé de dire que la pièce ne lui en donne pas le droit. Le
nom d'Arc y revient trois fois, les deux premières fois il est écrit
(fArc\ ce n'est qu'à la troisième qu'on lit Darc *. Une recension des textes
des érudits de profession ménage parfois de ces surprises et de plus impor-
tantes à ceux qui n'ont pas pour leurs assertions la foi aveugle que le
clan naturaliste exige vis-à-vis de ses coryphées. Le vidimus de Henri II,
comme on le verra, n'est pas non plus exempt de fautes.
Le texte le meilleur semble être celui qui fut donné en 4612 par un
membre de la famille , par Hordal, dans son volume bien connu: Heroinaeno-
bilissimœ Johannœ Davc Lotharingœ,.. historia^. Un ami de Hordal, le fameux
jurisconsulte Pierre Grégoire, dans son traité Z)e republica {liy. XI, chap. x),
avait reproduit les lettres d'anoblissement, quelques années avant
Hordal. Elles présentent plusieurs variantes avec celui de Hordal que
nous traduisons. Hordal dit que son texte a été enregistré à la cour des
comptes à la date du 16 janvier 1429 (a. st.) et qu'il se lit au folio cxxidu
Registre de chartes de celte époque.
En voici la traduction :
« Chaules, roi des Français, pour perpétuelle mémoire.
(( Exalter l'effusion des grâces si éclatantes que la Divine Majesté nous a
départies par le signalé ministère de notre chère et aimée Pucelle, Jeanne
Darc de Domrémy, du bailliage de Chaumont ou de son ressort, et
celles que nous en espérons encore, par le secours de la divine Clémence,
c'est notre but; et à cette fin nous croyons convenable et opportun que
ce ne soit pas seulement la Pucelle, mais encore toute sa parenté qui,
non pas tant pour ses services que comme expression de divine louange,
soit élevée et exaltée par de dignes marques d'honneur de la part de
Notre Royale Majesté. Celle qu'environne une si divine clarté, laissante
la race d'où elle est sortie un don insigne de notre royale libéralité, la
gloire de Dieu ira se perpétuant et se prolongeant dans toute la suite
des âges avec le souvenir de si magnifiques grâces que notre don procla-
mera.
1. Arch. nal. Section domaniale, H. 1o3d.
2. Page 151.
LA UBÉRATRICE D'APRÈS CEARUS VH. »^
« Sachent donc tous, dans le présent et dans l'avenir, qu'attendu ce <iut
vient d*ètre exposé, en considération des louables, agréables et opportuns
services rendus à nous et à notre royaume de bien des manières par Jeanne
la Pucelle, en considération de ceux que nous en attendons à Favenir.
pour d'autres motifs qui nous y incitent, nous avons anobli cette même
Pucelle, et, en son honneur et considération, Jacques Day. dudit Dom-
rémy, son père; Isabelle, sa mère, femme du même Jacques: Jacquemin
et Jean Day et Pierre Pierrelol, ses frères, toute sa parenté et son lignage,
toute leur postérité masculine et féminine, née et à naître en légitime
mariage. Par les présentes, par grâce spéciale, de science certaine et
de la plénitude de notre pouvoir, nous les anoblissons et les faisons
nobles, concédant expressément que ladite Pucelle. lesdits Jacques.
Isabelle, Jacquemin, Jean et Pierre, toute la parenté et lignage de la
même Pucelle, et leur .'postérité née ou à naître en l^itime mariage,
dans leurs actes, devant et hors les tribunaux, soient par tous tenus et
réputés nobles ; qu'ils jouissent et usent pacifiquement des privilèges,
libertés, prérogatives et droits quelconques dont ont coutume de jouir et
d'user les autres nobles de notre rovaume issus de race noble. Nous les
mettons, eux et leur susdite postérité, au rang des autres nobles de notre
royaume, issus de race noble, nonobstant que. comme il a été dit, ils
ne soient pas par leur origine de race noble, et que peut-être ils soient
d'une condition autre que l.\ condition libre.
« Nous voulons encore que les susnommés et leur postérité masculine
puissent, toutes les fois qu*ils en auront la volonté, recevoir de tout
chevalier le baudrier et les insignes de la chevalerie. En outre nous
concédons aux susnommés et à leur postérité masculine et féminine, née
ou à naître en légitime mariage, de pouvoir acquérir tant des personnes
nobles que de toute autre des fiefs, arrière-fiefs, et biens nobles ; de pou-
voir conserver, garder et retenir à perpétuité les biens ainsi acquis ou à
acquérir, sans que dans le présent ou à l'avenir on puisse les en dépossé-
der par défaut de noblesse.
(X Que pour cet anoblissement ils ne soient tenus ni contraints de payer
quoique ce soit, soit à nous, soit à nos successeurs, car, en considération des
motifs ci-dessus allégués, par surcroit de grâce, nous avons fait rémission
et donné quittance aux susnommés, à la parenté et lignage de la même
Pucelle, de toute somme à verser, et nous leur en faisons don et quittance
par les présentes, nonobstant les ordinations, statuts, édits, usages, révo-
cations, coutumes, inhibitions et mandements à ce contraires, faits ou à
faire, et quels qu'ils soient.
« C'est pourquoi que nos amés et féaux préposés à nos comptes, que nos
trésoriers soit généraux, soit commissaires députés ou à députer sur le
346 Là vraie JEANNE D'ARC : LA LIB&RATRICB.
fait de nos finances, que le bailli dudit bailliage de Chaumont, que nos
autres hommes de justice, ou leurs lieutenants présents et à venir, que
chacun d'entre eux en ce qui le regarde, sache qu'il lui est enjoint par
les présentes de faire que ladite Jeanne la Pucelle, lesdits Jacques,
Isabelle, Jacquemin, Jean et Pierre, que toute la parenté et lignage de
cette même Pucelle, que leur susdite postérité née ou à naitre en légitime
mariage, use et jouisse pacifiquement maintenant et à Tavenir de nos
présentes grâces, anoblissement et concession, sans leur susciter, contre
la teneur des présentes, empêchement ou molestation d'aucune sorte,
ne souffrant pas que qui que ce soit leur suscite empêchement ou
obstacle.
« Pour que nos présentes aient perpétuelle valeur et force, nous y avons
fait apposer notre sceau en Tabsence du grand, à ce destiné ; voulons
qu'en tout le reste notre droit demeure sauf, et qu'en toutes choses soit
sauf le droit d'autrui.
« Donné à Meung-sur-Yèvre au mois de décembre de Tan 1429, de notre
règne, le huitième. Sur le repli : De par le roi, présents l'évêque de Séez,
les seigneurs de La Trémoille et de Trêves et d'autres. Signé : Mallièbes.
« Vue et expédiée à la chambre des comptes, le 16 janvier de
l'an 1429 (a. st.), et enregistrée au livre des chartes de ce temps, f*cxxi.
« A. Greelle *. »
Une des fautes grossières du texte de 1738, c'est qu'il y est dit qu'on
anoblit la postérité masculine et féminine de la Pucelle, addition qui ne
se trouve pas dans les autres textes. L'on n'a jamais fait à la Pucelle
rinjure de supposer qu'elle pût cesser d'être la Pucelle. Ce même texte
et celui de Quicherat font dire au roi qu'il accorde aux nouveaux anoblis
et à leur postérité masculine et fémviijie le droit de se faire armer che-
valiers. La chevalerie ne se conférant pas aux femmes, le mot féminine
est un non-sens qui ne se trouve pas dans le texte deHordal. Les nouveaux
anoblis devaient payer au Trésor une somme variant avec la valeur des
biens que leur anoblissement allait soustraire à l'impôt. On voit qu'ici il
y a complètement exemption de cette redevance. Le texte de Quicherat
porte que cette exemption est accordée virtute prœdecessorum^ c'est
encore un non-sens. Le texte de Hordal porte : virtute prœmissorum\ il
est manifestement le bon. Inutile de relever les autres variantes, qui ont
peu d'importance.
Comme celles qui anoblissaient de Cailli, ces lettres d'anoblissement
s'écartent totalement des formes usitées dans pareils documents. Les
i. Voir le texte latin aux Pièces justificatives y E.
LA LIBÉRATRICE DIAPRÉS CHARLES VII. 347
lettres ordinaires d'anoblissement se composent de trois parties. Une
phrase générale rappelle la fin de l'institution de la noblesse : exalter le
mérite et lui susciter des imitateurs ; phrase plus ou moins étendue, expri-
mant un même sens en termes différents, car il n'y a pas de formule
identique. Dans la seconde partie, on rappelle les mérites du nouvel anobli,
ses, titres à la faveur concédée. Dans les vingt-cinq ou trente pièces par-
courues par nous, nous avons constaté que, dans la plupart, on mentionnait
que si le nouveau noble était issu de parents plébéiens, il était cependant
de condition libre : liberœ tamen conditionis. Enfin la troisième partie,
conçue en termes identiques dans toutes les pièces, énumère les privilèges
concédés par les lettres de noblesse.
Ici tout est exceptionnel. La fin proposée est d'exalter les magnificences
de la libéralité divine qui resplendissent dans le ministère conféré à
Jeanne la Pucelle. On veut que le souvenir s'en perpétue à travers les
Ages. Voilà pourquoi on anoblit sans doule celle qui en a été l'instrument,
et on a bien soin de dire que tout se fait en sa considération ; mais que
pouvait être la noblesse humainement concédée pour celle qui en avait
reçu une si haute de la main de Dieu? Les lettres insinuent ce que disent
en termes exprès les lettres d'anoblissement de Cailli ; les mérites de
la Pucelle sont au-dessus de toute appréciation et de toute récompense
humaine ; voilà pourquoi pareille faveur étant à son endroit bien peu
significative, on Tétend à ceux qui n'ont pour Tobtenir que l'honneur de
lui être unis par le sang ; dérogation qui, par le contraste même, sera
une hymne perpétuelle de divine louange : Nediim ob officii mérita^
verum et divinœ taudis prœconia.
En règle générale, la noblesse n'était conférée qu'à un seul, et à sa
postérité masculine ; la descendance féminine était noble, il est vrai, mais
impuissante à transmettre la noblesse, qui ne s'étendait aux fils de
demoiselles nobles, qu'à la condition qu'elles avaient des nobles pour
maris. Ici, au contraire, la Pucelle fait rejaillir la noblesse sur tout ce qui
se rattache et se rattachera dans la suite des âges au sang qui coule dans
ses veines. Ce sont non seulement son père, sa mère, ses frères, qui sont
expressément nommés ; c'est encore toute sa parenté, tout son lignage,
avec toute la postérité née et à naître. L'on se demande jusqu'à quel
degré de parenté pouvait refluer dans la ligne ascendante, une conces-
sion si étendue ? 11 est certain, par les enquêtes publiées par
MM. de Bouteiller et de Braux, que des neveux et des arrière-neveux
d'Isabelle Romée, la mère de la Pucelle, ont réclamé le bénéfice des
lettres d'anoblissement concédées immédiatement à celle qui n'était que
leur cousine germaine, et qu'ils ont obtenu gain de cause. Soit que
Jacques d'Arc n'eût pas de frère, soit que l'état de pauvreté de leur pos-
348 LA VRAIE JEANNE D'aRC : U LIBÉRATRICE.
térité ne leur permît pas de vivre noblement, il n'y a pas, à ma connais-
sance, de ligne collatérale du côté paternel qui ait fait valoir le titre qui
nous occupe.
A la différence des lettres de noblesse ordinaires, les femmes se ratta-
chant à la Pucelle anoblissaient leur postérité, alors môme qu'elles épou-
saient des roturiers. La preuve, ce sont les restrictions apportées par
Louis XIII, ainsi que cela résulte des pièces citées dans Tarticle précé-
dent, à un privilège qui, disait-on, multipliait trop les familles nobles.
Pour être noble, il fallait être de condition libre. Une dérogation
expresse du roi pouvait seule faire exception à la règle. Cette dérogation
se trouve ici formellement exprimée dans Tincise : non obstante qcod
IPSI... FORSAN ALTERIUS QUAM libers CONDITIONIS EXISTANT. CcUX qui OUt
avancé que c'était là une formule de chancellerie ont énoncé une si
énorme contre-vérité qu'elle rend leur témoignage fort suspect sur bien
d'autres points. C'est le contraire qui est vrai. Le plus souvent il est dit,
a-t-il été observé, que l'anobli est d'origine plébéienne, mais de condition de
libre. Il serait très vraisemblablement difficile de trouver une autre pièce de
ce genre où se trouve pareille incise ; ce qui la rend d'autant plus digne
d'attention. Le forsan n'est-il pas là pour atténuer un fait que l'on ne rap-
pelle qu'à regret, et uniquement pour assurer la validité de la concession ?
Le forsan alterius quam liberté conditionis existant affccte-t-il et la Pu-
celle et toute la parenté, ou la parenté seulement ? Il semble bien que la
Pucelle doit y être comprise. Si c'était la parenté seulement, il eût été
bien plus simple de restreindre l'anoblissement à la famille de Jeanne et
de ne pas rappeler ce qui, au moyen âge, était profondément humiliant.
N'est-il pas de toute inconvenance de dire à celui que Ton fait passer au
premier rang qu'on le prend dans le plus infime, et quelle excuse peut-
il y avoir si non une impérieuse nécessité qui contraint de le rappeler?
Ces considérations semblent une forte preuve que la famille d'Arc
n'appartenait pas à la condition des hommes libres. Etait-elle de condition
servile? Cela n'est pas invraisemblable. Qu'on remarque seulement que
l'affranchissement ne s'opérait pas d'une manière uniforme, et qu'on ne
rompait pas toujours d'un seul coup tous les anneaux du servage.
M. Lefèvre a écrit dans la Bibliothèque de l'École des chartes * : « En 1300,
tous les vilains sortent de leur caste et montent à la liberté ; les uns
l'atteignent, d'autres restent à moitié de F échelle et gagnent une position
tolérable ». Dans le volume précédent, il a été dit qu'au xv® siècle le
servage était la condition normale des manants en Champagne, et qu'il
fallait prouver l'état de liberté ^
1. Lefèvre, Bibliothèque de l'École des chartes, 4« série, t. IV. p. 434.
2. La Paysanne et Vlmpirée, p. 217.
LA LIBÉRATRICE D'APRÈS CHARLES VII. 349
m
M. Henri Sée, dans une Etude sur le servage^ a écrit plus récemment :
« Les maires et les autres sergents du domaine appartiennent presque
toujours à la classe servile et sont choisis parmi les habitants de la villa;
leurs enfants restent hommes de corps, eux-mêmes sont soumis à la
justice seigneuriale; ils jouissent cependant de nombreux privilèges ».
A ceux qui, sur la foi de Siméon Luce, seraient tentés de faire de Jacques
d'Arc le principal personnage de Domrémy, parce que durant quelque
temps il y porta le titre de doyen, opposons ces lignes de M. Robiou, dans
les Questions historiques : « Le doyen parait ici remplir Toffice d'huis-
sier et de gardien des coupables. Seu/^ il ne représenterait que la dé-
pendance ; mais le maire est déjà un fonctionnaire et communique au
doyen un caractère quasi municipal. »
Un survivant de Tancienne Sorbonne s'est passé, paraît-il, vers le mi-
lieu de ce siècle, la fantaisie de donner par le menu le détail de la fortune
de Jacques d'Are, comptant les arpents de ses terres, de ses prés, de ses
vignes, et jusqu'à la somme tenue en réserve pour les besoins imprévus.
Pas l'ombre d'une preuve de pareilles assertions, se produisant quatre
cents après la mort du père de la Pucelle, à rencontre des documents
contemporains qui le disent pauvre. En histoire. Ton ne tient pas compte
des pasquinades; voilà pourquoi il n'a pas été fait mention de celle-ci
dans la Paysanne et l'Inspirée, Elle n'est mentionnée présentement que
parce qu'on la trouve dans quelques ouvrages écrits dans de louables
intentions, mais sans souci des sources historiques.
Chateaubriand a dit que t aristocratie est de sa nature ingrate et
ingagnable quand on ri est pas 7ié dans ses rangs *. L'humilité de la nais-
sance de la Libératrice de la France, comme celle du Libérateur du
genre humain, offusque l'orgueil de ceux qui sont nés dans des condi-
tions plus élevées. Yoilà pourquoi on veut l'en faire sortir. Il faut
l'accepter telle que le Ciel la fit. Une fois de plus Dieu s'est abaissé vers
ce qui était plus bas, et a donné aux petits un nouveau gage de ses prédi-
lections. Fût-elle née serve, l'intervention divine n'en serait que plus ma-
nifeste, et la gloire de la sainte fille n'en serait nullement diminuée.
Celle dont l'histoire semble sur tant de points calquée sur la vie du Ré-
dempteur du monde rappellerait par sa naissance ce que l'Apôtre a dit
du Sauveur : Étant dans la forme de Dieu, il s'est anéanti Jusqu'à
pretidre la forme de r esclave.
Jacques d'Ay^ Jacques Day^ Jacques d'Ai\ Jacques d'Arc^ Jacques Darc,
les divers textes des lettres d'anoblissement de la Pucelle écrivent le nom
de toutes ces manières, même les pièces réputées les plus authentiques.
i. HoBiou, Questions historiques, l. XV'III, p. 387.
2. Chateaubriand, Mémoires d* outre-tombe, Mirabeau, p. 367, édit. de 1864.
350 LA VRAIE JEANNE D*ARC : LA LIBÉRATRICE.
Pourquoi tant de divergences? Quicherat pense qu'elles tiennent aux
diverses manières dont le mot d'Arc était prononcé en Lorraine. Cela
semble peu admissible. L'accent lorrain admet l'r, et ne Télide pas. Il
semble plus vrai de dire que ce que nous appelons le nom de famille
était peu usité pour les roturiers, au xv*" siècle. La Pucelle ne l'a jamais
revendiqué ; elle a dit au contraire que les filles portaient dans son pays
le nom de leur mère, encore qu'elle n'ait jamais dit s'appeler Romée. Nous
n'avons pas souvenance d'avoir vu une seule Chronique du temps qui l'ail
appelée du nom aujourd'hui si populaire de Jeanne d'Arc ; c'est cons-
tamment Jeanne la Pucelle, ou la Pucelle. Pourquoi ne pas lui rendre le
nom qu'elle se donnait ?
C'est un soulagement pour Thistorien de pouvoir affirmer, d'après la
Chronique Morisini, que Charles VII fit de sérieux efforts auprès de Jean
de Luxembourg et du duc de Bourgogne pour que la captive de Beaurevoir
ne fût pas livrée aux Anglais ; auprès des Anglais pour la soustraire au
bûcher. On sait que la nouvelle de son supplice lui causa une très vive
douleur. D'après la Chronique vénitienne, il éclata en menaces contre les
bourreaux.
Maître de Rouen, un de ses premiers actes fut de charger Bouille, le
doyen de Noyon, d'étudier le procès de condamnation afin d'en rechercher
les viceç. La lettre par laquelle il lui donne à cet effet les plus amples
pouvoirs a été reproduite dans la Pucelle devant F Église de son temps *. On
peut y lire aussi une lettre du cardinal d'Estouteville *, et une autre du
grand inquisiteur Bréhal ^, attestant combien la revision de l'inique sen-
tence lui tenait à cœur. On suppose qu'il a fait auprès de Nicolas V et
de Calixte III d'activés démarches pour en presser l'exécution. L'on n'en
a pas encore cité des preuves positives, du moins à notre connaissance.
La sentence de réhabilitation a été promulguée à Rouen et à Orléans.
L'a-t-elle été ailleurs et notamment à Paris, où la sentence de condam-
nation le fut avec tant d'appareil? Il est à souhaiter qu'on mette au
jour des pièces authentiques établissant qu'on a eu pour promulguer la
réparation autant de zèle qu'on en déploya pour divulguer l'inique
flétrissure.
1. La Pucelle devant iÉglise de son tempSy p. 200.
2. Ibid., p. 236.
3. Ibid., p. 238.
JEA5 BOUER. — LA CAVPAâ?(£ K SACRE. iM
CHAPITRE IX
JEAN ROGIER. — U CAMPAGXE PU SACRE. D APRÈS IN RÉSUME r»ES ARCHIVES
DE REIMS.
SOMMAIRE : I. — Le résumé de* archive? de Reim> f»ar Jean RosritT. — Ce quV'Uit Roder.
il. — Le Dauphin en marche pour Reims. — D'après ce qu'écrivait le duc de R^ur-
gogne, des Rémois lui avaient pn>mis l'entrée dans la ville. — Ce qui lui avait
donné la hardiesse de s'avancer dans un pays entièrement ennemi. — Même nou-
velle de la part des habitants de Troyes, qui disent le tenir d'un Conielier qui est
entre leurs mains. — Ils sont résolus à résister jusqu'à la mort. — Ils donnent avis
de la marche de Charles, qui leur a écrit pour requérir obéissance. — Lettre de la
Pucelle aux mêmes Troyens. — Ceux-ci envoient à Reims message sur message pour
prévenir de l'arrivée du Dauphin, et demander secours. — Ils protestent de leur dé-
termination de rester anglo-bourguignons, ils déprécient la IHicelle et sa lettre. —
Mêmes sentiments exprimés par les habitants de Ciiàlons. — Leur étonnement du
rôle de F. Richard. — Charles a écrit aux Rémois de Rrienon- l'Archevêque, pour
requérir obéissance et promettre amnistie. — Les Rémois avertissent de ce qui se
passe leur capitaine, de Châtillon, qui est à Ciiàt eau-Thierry: celui-ci ne veut se
charger de la défense de la ville qu'à la condition d'introduire ses hommes. Tannée
destinée à combattre le Dauphin n'étant pas prête. — On s'efforce de maintenir les
Rémois anglo-bourguignons.
lu. — Les Troyens ayant fait leur soumission pressent les Rémois de la faire à leur
tour. — Ils disent combien ils sont heureux de ce parti. — Le seigneur de Trossy,
frère de Châtillon, les en dissuade, en rapportaut à sa manière la soumission de
Troyes. — Mépris déversé sur la Pucelle; indigne rapprochement. — Les habitants
de Chàlons, soumis à leur tour, pressent les Rémois de faire obéissance à Charles Vil.
— Bel éloge du roi. — Les Rémois envoient une députation à Charles à Sept-Saulx.
IV. — Résumé de soixante-dix lettres écrites par le roi après le sacre. — Leur objet.
— Résumé de quatre-^ingt-quinze lettres écrites par Regnault de Chartres à sa
ville épiscopale. — Confusion de ce résumé, où il n'est tenu aucun compte de Tordre
chronologique. — Ce qui est dit de la Pucelle dans ces lettres. — II est manifeste
que ce n'est pas dans une seule qu'il en est question.
I
Le document qui va être produit ne peut que dans une large acception
être donné comme un document contemporain de Théroïne. C'est le
résumé de pièces qui seraient aujourd'hui fort précieuses si le temps ne
les avait détruites. Ce résumé est de la première partie du xvii* siècle.
n a été fait par un notable bourgeois de Reims, Jean Rogier.
Jean Rogier, membre de Téchevinage de sa ville natale, fut porté plu-
sieurs fois au premier rang de la magistrature urbaine en qualité de
procureur, c'est-à-dire comme administrateur des deniers municipaux.
352 LA VRAIE JEANNE D*ARC : LA LIBÉRATRICE.
Il était curieux de connaître Torigine des institutions de la noble cité,
l'histoire de Reims durant les trois ou quatre derniers siècles. Avec son
ami, Nicolas Bergier, comme lui curieux du passé, il se mit à étudier les
chartes, les lettres et autres documents, dont plus que beaucoup d'autres
villes Reims abondait. Il était en correspondance suivie avec le savant
André Duchesne, et lui transmettait avec beaucoup de désintéresse-
ment les pièces qu'il découvrait, et croyait pouvoir lui être agréables.
M. Varin, le laborieux éditeur des Archives de Reims, dans les prolé-
gomènes historiques et biographiques mis en tête de ses compacts et
nombreux volumes (p. cxxi), cite une longue lettre dans laquelle
Rogier manifeste son regret de connaître bien imparfaitement le latin, et
la difficulté qu'il éprouve à déchiffrer les vieilles écritures. L'aveu honore
sa modestie et concilie l'estime à sa personne. Encore faut-il peut-être
en tenir compte dans l'appréciation de certaines pièces de toute gravité
que nous ne connaissons que par les analyses qu'il nous en a laissées.
Telles, par exemple, les lettres de Regnault de Chartres sur la Pucelle.
Rogier nous a conservé des détails intéressants sur la soumission de
Troyes, Chàlons et Reims, trois villes fort anglo-bourguignonnes,
comme presque la Champagne entière, disposées à repousser toutes
ensemble la Pucelle et le roi, et qui, soudainement, ouvrirent leurs
portes. Nous lui devons la conservation de la lettre de Jeanne d'Arc aux
habitants de Troyes, lettre courte mais singulièrement expressive, que Ton
ne trouve que chez lui.
Rogier semble avoir fini son travail en 1620; mais il ne cessa de le per-
fectionner jusqu'à sa mort, survenue en 1637. On possède plusieurs ma-
nuscrits de son œuvre ; le meilleur est à la bibliothèque de Reims
(2 vol. in-f°). C'est du moins le sentiment de Pierre Varin, que nous ne
faisons qu'abréger, et chez lequel est pris l'extrait que Ton va lire *.
II
En Tan mil quatre cent vingt-neuf, les Anglais ayant été chassés du
siège qu'ils tenaient devant la ville d'Orléans, par le secours de Jeanne la
Pucelle, et toute leur armée ayant été défaite aux environs de Baugency,
Meung, et en d'autres lieux, le Dauphin, qui était le roi Charles Septième
[mais il sera ainsi nommé jusques à son arrivée à Troyes afin de rendre
ce présent recueil conforme aux lettres et avis qui y sont rapportés], le
Dauphin prit la résolution, par l'avis de son conseil, de s'acheminer en
1. StatutSy 1. 1", II* part., p. 596 et suiv.
JEAN ROGIER. — LA CAMPAGNE DU SACRE. 353
Champagne pour venir se faire sacrer et couronner roi de France, en la
ville de Reims. Suivant ce que le duc de Bourgogne écrit aux habitants
de Reims, en faisant réponse aux lettres que lesdits habitants lui avaient
envoyées, le Dauphin avait eu quelque assurance de la part de quelques
habitants de la ville que, s'il venait en Champagne, les portes de la ville
de Reims lui seraient ouvertes. Le duc de Bourgogne dit dans ses lettres
qu'il était averti que quelques-uns des habitants, par lettres ou par mes-
sages, avaient mandé et fait venir lesdits adversaires, en les assurant
qu'une fois arrivés par ici, on leur ferait ouverture des portes de la ville
et entière obéissance ; autrement ils n'auraient pas été si hardis que de
venir en ces marches ^
Ce Cordelier qui fut pris par ceux de Troyes, comme il sera dit ci-
après, confirme fort ce que le duc de Boui^ogne en avait écrit, disant à
ceux de Troyes, qu'il avait vu trois ou quatre bourgeois qui se don-
naient comme de la ville de Reims, lesquels disaient entre autres choses
à icelui Dauphin d'aller sûrement à Reims, et qu*ils se faisaient fort de
le mettre dans la ville. Encore que l'histoire de France ne fasse point men-
tion de ces particularités, que l'on pourrait croire inventées, il ne faut
nullement douter que cela ne soit ainsi : les lettres du duc de Bourgogne
sont encore en bonne forme ainsi que celles des habitants de Troyes
touchant le rapport du Cordelier; et aussi les effets ont suivi ^
Au cours de cet acheminement du Dauphin, on remarque une grande
prudence de la part des habitants de Reims. Pour ne pas donner de mau-
vais soupçon contre eux aux chefs qui gouvernaient pour TAnglais, ils
leur baillaient avis de tout ce qu'ils apprenaient dudit acheminement et
de Tétat de la ville de Reims, et ils mandaient qu'on empêchât les pas-
sages dudit Dauphin ; mais pas un mot de demande de secours pour dé-
fendre et garder ladite ville, et ils n'en voulurent pas recevoir comme il
sera dit ci-après.
Il faut noter que depuis Orléans jusqu'à Reims tout était à la dévotion
de l'Anglais. Philibert de Meulan, à la tète d'une compagnie de gens
d'armes, de Nogent-sur-Seine où il était, écrivit aux habitants de Reims,
le 1** jour de juillet 1429, que le Dauphin et sa puissance étaient à Mon-
tai^s et se vantaient d'aller à Sens, se promettant que ceux de Sens leur
feraient ouverture; mais qu'il était bien assuré du contraire, qu'ils
1. C'est, ce semble, une conjecture faite par ceux qui, ne croyant pas à la mission de
laPucelle, ne pouvaient pas s expliquer la marche si hardie de Charles VII en plein
pays ennemi.
2. Tout ce passage de Rogier est peu intelligible. S'agit-il du Cordelier Hichard ou
de l'un de ses confrères? Richard n'a pas été pris par les Troyens. Lui-même n'a cru
à Jeanne d'Arc que lorsqu'elle est arrivée à Troye**. Les effets qui ont suivi avaient
une autre cause, sur laquelle Rogier passe trop légèrement.
m. 23
354 LA YRAIË JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
attendaient le secours du roi d'Angleterre, de Monsieur le régent et de
Monseigneur de Bourgogne ; que les habitants de ladite ville avaient pris
et portaient la croix de Saint-André, et que la ville d'Auxerre et les
autres du pays ne se souciaient ni des Armagnacs, ni de la Pucelle, et
que si les habitants de Reims avaient besoin de lui, il les viendrait
secourir avec sa compagnie, comme bon chrétien doit faire *.
Les habitants de Troyes baillèrent pareil avis aux habitants de Reims,
et le môme jour, leur mandant que les ennemis du roi {d'Angleterre) et
du duc de Bourgogne étaient près d'Auxerre pour aller à Reims, et que
s'il advenait qu'eux-mômes fussent requis par lesdits ennemis de faire
quelque chose de contraire au parti qu'ils tenaient, qu'ils étaient délibé-
rés de faire une réponse entièrement négative, et de se tenir au parti du
roi et du duc de Bourgogne jusqu'à la mort inclusivement.
Le Dauphin arriva près de la ville de Troyes le cinquième jour de
juillet. 11 manda aux habitants comment, par avis de son conseil, il avait
entrepris d'aller à Reims pour y recevoir son sacre et son couronnement,
que son intention était de passer le lendemain par la ville de Troyes, et
à cette fm il leur mandait et commandait de lui rendre Tobéissance qu'ils
lui devaient, de se disposer à le recevoir, sans être arrêtés par la diffi-
culté ou la crainte des choses passées, pouvant penser qu'il en voulût
prendre vengeance, ce qu'il n'avait pas en volonté ; mais que s'ils se
gouvernaient envers leur souverain comme ils le devaient, il mettrait
tout en oubli, et les tiendrait en sa bonne grâce.
Jeanne la Pucelle écrivit pareillement auxdits habitants en cette
façon :
Jhesus t Maria.
« Très chers et bo7is amis^ s'il ne tient à vous ^ seigneurs^ bourgeois et
habitans de la ville de Troyes^ Jehanne la Pucelle vous ynande et votis fait
savoir de par le roi du Ciel^ son droiturier et souverain Seigneur^ au ser-
vice royal duquel elle est U7i chascunjour *, que vous fassiez vraie obéissance
et recon7ioissance au gentil roy de Fratice qui sera bien brief [bientôt] à
Reims et a Paris, qui que viemie coiitre^ et en ses bonnes villes du saint
RGYAULME, à l'aidcdu roi Jhesus.
1. Philibert de Meulan était probablement un de ces condottieri de l'époque, dont le
métier était de se battre, et qui n'aimaient pas à chômer. li ne semble pas que
(Charles Vil ait voulu passer par Sens drftis ce premier voyage. Les habitants de Reims,
quoique insinue Uogier, furent anglo-bourguignons très chaleureux; mais ils ne se
souciaient pas d'avoir dans leurs murs des auxiliaires non moins onéreux pour leurs
alliés que pour leurs ennemis.
2. Si vous voulez qu'il en soit ainsi.
3. Texte : Duquel elle est chascun jour en son service roial.
JEAN ROGIER. — LA CAMPAGNE DU SACRE. 353
a Loy aulx François, venez au-devant du rofj Charles et quiln'y ait point
de faute, et n'ayez aucune inquiétude ' pour vos corps et vos biens si
ainsi le f eûtes. Et si ainsi ne le faites, je vous promets et certifie sur vos vies,
QUE NOUS ENTRERONS à Caide de Diett, en toutes les villes qui doivent être
DU SAINT ROYAULME, et y fcTons bonnc paix ferme, qui que vienne contre.
A Dieu vous commant (vous recommande), Dieu soit garde de vous, s'il lui
plaist. Response 6ri>/ (prompte) devant la cité de Troyes. Escrit à Sainct-
Paies ^ y le mardi quatriesme jour de juillet. »
De tout ce qui est dit ci-dessus, les habitants de Troyes baillèrent avis
aux habitants de Reims, en leur envoyant copie desdites lettres, comme
on voit par leurs lettres écrites le môme jour cinquième du mois de
juillet, mandant comme ils attendaient ce jour les ennemis du roi et du
duc de Bourgogne pour ôtre assiégés par eux. Contre pareille entreprise,
quelque puissance qu'eussent lesdits ennemis, vu et considéré la juste
querelle qu'ils tenaient et les secours de leurs princes qui leur avaient été
promis, ils étaient résolus de plus en plus de se garder eux, et ladite cité,
en Tobéissance du roi et du duc de Bourgogne, et cela jusqu'à la mort,
ainsi qu'ils Pavaient tous juré sur le précieux corps de Jésus -Christ. Ils
priaient les habitants de Reims, comme frères et loyaux amis, d'avoir
pitié d'eux, et d'envoyer par devers Monseigneur le régent, et le duc de
Boui^ogne pour les requérir et supplier de prendre pitié de leurs pauvres
sujets et d'aller les secourir.
Par d'autres lettres écrites le même jour, à cinq heures après midi, sur
les murs de la ville, les mêmes habitants de Troyes baillent avis à ceux
de Reims, comment l'ennemi et adversaire en sa personne, et avec sa
puissance, était arrivé cedit jour, environ neuf heures du matin, devant
la ville, et y avait mis le siège ; comment il leur avait envoyé ses lettres
closes signées de sa main, scellées de son scel secret, contenant ce qui est
transcrit ci-devant. Ces lettres ayant été lues au conseil, après délibération
il avait été répondu aux hérauts qui les avaient apportées, et auxquels
on n'avait pas donné entrée dans la ville, que les seigneurs, les cheva-
liers et écuyers qui étaient dans Troyes de par le roi et de par le duc de
Bourgogne avaient juré et fait serment, et les habitants avec eux, de ne
pas laisser entrer dans la ville quelqu'un de plus fort qu'eux ; et que à
rencontre de ce serment ceux qui étaient dans la ville n'oseraient y intro-
duire ledit Dauphin ; et en outre, pour excuser les habitants, il avait été
1. Texte : Et ne vous doublez de vos corps, etc.
2. Saint-Phal, à 20 kilomètres de Troyes, possédait alors un château donl on peut
reconnaître la vaste enceinte. Le seigneur était, en 1429, Etienne de Vaudry, comte
de Joigny , gouverneur du Tonnerrois. U était Bourguignon .
356 LA VRAIE JEANNE D*ARG : LA LIBÉRATRICE.
ajouté à celte réponse, que quelque fut leur vouloir, ils étaient empêchés
par la grande multitude des gens de guerre présents dans la ville et qui
étaient plus forts qu'eux. Cette réponse ainsi faite, un chacun s'était retiré
sur les murs à son poste, avec Tintention et volonté ferme de résister
jusqu'à la mort, si on faisait aucun effort contre eux ; et il leur semblait
que, au plaisir de Dieu, ils rendraient bon compte de ladite cité ; et de
nouveau ils requéraient les habitants de Reims d'avoir à envoyer par devers
le régent et le duc de Bourgogne remontrer leur nécessité. Ils mandaient
aussi comment ils avaient reçu des lettres de Jeanne la Pucelle qu'ils appe-
laient Coquarde *, laquelle ils certifiaient être une folle pleine du diable,
que sa lettre n'avait ni rime ni raison, et qu'après en avoir fait lecture et
s'en être bien moqués, ils l'avaient jetée au feu, sans lui faire aucune ré-
ponse, d'autant que ce n'était que moquerie. Ils mandaient aussi que
quelques-uns des compagnons^ de ladite ville avaient pris un Cordelier
qui avait su, confessé et juré en paroles de prêtre et sous la foi de ses
vœux de religion, qu'il avait vu trois ou quatre bourgeois se donnant
comme de la ville de Reims qui entre autres choses disaient au Dauphin
qu'il allât sûrement à Reims, et qu'ils se portaient forts de le mettre
dedans ladite ville. Et iceux de Troyes mandaient à ceux de Reims de
prendre avis sur ce, et d'observer à qui l'on se fiait.
Les habitants de Chàlons reçurent pareils avis des habitants de
Troyes touchant la venue et l'arrivée du Dauphin, et de plus, que les
lettres de Jeanne la Pucelle avaient été portées à Troyes par un nommé
Frère Richard le Prêcheur^. Ils en baillèrent avis aux habitants de Reims,
leur mandant qu'ils avaient été fort ébahis dudit Frère Richard, d'autant
plus qu'ils estimaient que ce l'iit un très bon prud'homme; mais qu'il
était devenu sorcier. Ils mandaient aussi que les habitants de Troyes fai-
saient forte guerre aux gens du Dauphin, avec plusieurs autres paroles de
bravade ; et que, sur ces nouvelles, ceux de Chàlons avaient intention
de tenir et de résister de toutes leurs puissances à rencontre desdits
ennemis.
Les habitanisde Reims reçurent pareillement des lettres du Dauphin,
écrites le quatrième jour de juillet, par lesquelles il leur mandait qu'ils
pouvaient bien avoir reçu nouvelles de la bonne fortune et des victoires
qu'il avait plu à Dieu de lui donner sur les Anglais, ses anciens ennemis,
devant la ville d'Orléans, etdepuis.à Jargeau, Baugency, Meung-sur-Loire,
en chacun desquels lieux ses ennemis avaient reçu très grand dommage;
1. Fille léjrèiv et ilo mauvais renom.
2. {\k> n'est que sous les nuu*s de Troyes que Jeanne el le Frère Richard se sont
rencontrés pour la première fois. Nou^ en a>ons pour garant la parole de Jeanne
elle-même.
JEAN ROGIER. — LA CAMPAGNE DU SACRE. 357
que tous leurs chefs, et des autres jusqu'à quatre mille, y étaient morts
ou demeurés prisonniers. Ces choses étant advenues par grâce divine
plus que par œuvre humaine, de l'avis des princes de son sang et lignage
et de son grand conseil, il s'était acheminé pour aller en ladite ville de
Reims afin d'y prendre son sacre et couronnement. Par quoi il leur
mandait, sur la loyauté et Tobéissance qu'ils lui devaient, de se disposer
à le recevoir de la manière accoutumée pour ses prédécesseurs, sans
qu'on pût en faire aucune difficulté pour les choses passées, et par la
crainte que Ton pourrait avoir qu'il les eût encore en sa mémoire, leur
certifiant que s'ils se gouvernent envers lui ainsi que faire se doit, il les
traitera en toutes leurs affaires comme bons et loyaux sujets. Pour être
plus avant informé de leur intention, il serait très content qu'avec le
héraut qu'il envoie, quelqu'un de ladite ville voulût venir par devers lui,
que l'on pourrait y aller sûrement en tel nombre qu'ils l'aviseraient,
sans qu'il y fût mis aucun empêchement. Donné à Brienon-l'Archevêque*
le jour que dessus.
Le seigneur de Châtillon, capitaine de la ville de Reims, durant le
temps de ces nouvelles, n'était pas à Reims, mais à Château-Thierry ;
ce qui fut cause que les habitants de ladite ville envoyèrent vers lui en
diligence le bailli de Reims, le huitième jour du môme mois de juillet.
Ils lui baillèrent avis de tout ce qui a été rapporté ci-devant ; et de plus,
sur ces nouvelles, ils s'étaient assemblés pour prendre un parti, ce qu'ils
n'avaient pas pu faire à cause du peu de gens qui s'étaient trouvés en
rassemblée ; que depuis ils avaient fait assembler le commun [le peuple)
par quartiers ; que tous avaient répondu et promis de vivre et de mourir
avec le conseil et les gens notables de la ville, de se gouverner en bonne
Bnion et faire selon leur bon avis et conseil, sans murmurer, ni sans faire
réponse autrement que par l'avis et l'ordonnance du capitaine de la ville
ou de son lieutenant. Le bailli eut charge de lui dire, parmi plusieurs
.autres choses, qu'on le recevrait dans la ville avec quarante ou cin-
quante chevaux, pour communiquer des affaires de la ville.
Le seigneur de Châtillon envoya à Reims, pour répondre à ce que dessus,
Pierre de la Vigne porteur de ses lettres, auquel il avait remis certains
articles dressés par lui, avec créance pour les dire de par lui aux habi-
Jants, demandant qu'on lui fit réponse, et que si on voulait les garder
et entretenir sans les enfreindre, il se disposerait à vivre et à mourir
avec eux.
Articles envoyés aux habitants de Reims par le seigneur de Châtillon,
capitaine de ladite ville :
1. Brienon-r Archevêque, à quatre lieues de Joigny, et moins de trois de Saint-
Florentin.
358 LA VRAIE JEANNE D'ARG : LA LIBÉRATRICE.
« Que ladite ville soit bien et hâtivementj^emparée {mise en état de
défense),
« Pour garder icellc, il faut avoir au moins trois ou quatre cents com-
battants qui y demeurent jusqu'à ce que l'entreprise du Dauphin contre
elle soit faillie ; il avait «îcrit à Monseigneur le régent et au duc de Bour-
gogne d'y envoyer chevaliers et écuyers notables pour y résister à ladite
entreprise, il n'avait aucune réponse ; c'est pourquoi il était nécessaire
d'envoyer en la comté de Rethel, et partout où l'on pourra dans les lieux
voisins de la ville, là où il y aura possibilité d'en trouver.
« Si leur volonté est qu'il se mette dans la ville, il ne le promettra qu'à
la condition d'en avoir la garde ainsi que du château de Porte-Mars, dans
lequel il consentira bien qu'avec lui s'y trouvent cinq ou six notables de
la même ville. Il en agit ainsi par crainte de la commotion du peuple, et
parce qu'il lui semble que c'est dans leur intérêt et pour leur sécurité.
Que Ton pourvoie à ce qu'il y ait des provisions nécessaires pour lui et
pour ceux qui l'assisteront et viendront avec lui, et comment on pourrait
les gouverner {sic) et contenter.
« Si l'on veut observer ces articles, il est prêt de se mettre avec eux ;
pour sa décharge il garde le double de cette stipulation ; qu'on lui réponde
hâtivement, d'autant que si le Dauphin venait devant la ville il ne
pourrait s'y bouter. »
On peut facilement juger par la conduite du seigneur de Châtillon en
ces occurences, qu'il avait reconnu que le dessein des habitants de Reims
était d'admettre et de recevoir le Dauphin dans la ville. C'est pourquoi il
ne voulait pas y venir qu'il ne fût le plus fort.
Depuis, le môme seigneur de Châtillon avec les seigneurs de Saveuse
et de risle-Adam vinrent en la ville de Reims avec un grand nombre de
leurs gens ; ils exposèrent plusieurs choses aux habitants de la part du
duc de Bourgogne et en particulier que l'armée destinée à résister au
Dauphin ne pouvait être prête que dans cinq à six semaines. Sur quoi
lesdits habitants ne voulurent point permettre que les gens desdits sei-
gneurs entrassent dans la ville de Reims, ce qui fut cause que les seigneurs
de Châtillon, de Saveuse et de TIsle-Adam se retirèrent.
De toutes parts on écrivait aux habitants de Reims pour les encourager
à se maintenir en Tobéissance du roi {d'Angleterre) et du duc de Bour-
gogne. Ainsi Colart de Mailly, bailli de Vermandois, écrivit le dixième
jour de juillet, que le duc de Bourgogne et messire Jean de Luxembourg
devaient entrer à Paris le jour qui précédait la date de ses lettres ; que les
Anglais, au nombre de huit mille combattants, étaient descendus en la
comté de Boulogne, et que, de bref, il y aurait pour résister aux ennemis
la plus belle et grande compagnie qui ait été depuis vingt ans en ce
JEAN ROGIER. — LA CAMPAGNE DU SACRE. 359
royaume ; que le duc de Bourgogne avait envoyé son armée aux pas-
sages par où étaient venus les ennemis pour empocher leur retour, et
qu'ainsi ils ne retourneraient pas tous en leurs lieux.
III
Les habitants de Troyes ayant reçu en leur ville le roi Charles Sep-
tième, qui jusqu'alors avait été appelé et nommé le Dauphin, ils en
baillèrent avis le môme jour qui était le onzième de juillet, aux habitants
de Reims. Ils leur mandèrent comment le roi Charles étant arrivé devant
leur ville, outre la lettre déjà mentionnée, qu'il leur avait fait savoir
qu'on pouvait aller devers lui en toute sécurité, que Révérend Père en
Dieu Monseigneur leur évêque y étant allé, le roi leur remontra et exposa
très hautement et très prudemment les causes pour lesquelles il était arrivé
devers eux, disant que, par le trépas du feu roi son père, lui survivant
était le seul et unique héritier du royaume ; que, pour ce motif, il avait
entrepris le voyage de Reims afin de s'y faire sacrer, et qu'il se rendrait
dans les autres parties de son royaume afin de les réduire en son obéis-
sance ; qu'il pardonnerait tout le passé sans rien réserver, et qu'il tiendrait
ses sujets en paix et en franchise telle que le roi saint Louis tenait son
royaume. Ces choses leur ayant été rapportées, il fut délibéré et conclu
en une grande assemblée de lui rendre plénière obéissance, attendu son
bon droit, qui est tel que chacun peut le savoir, moyennant qu'il leur
ferait abolition générale de tous les cas, qu'il ne leur laisserait point de
garnison, et qu'il abolirait les aides, la gabelle exceptée ; ce dont lui et
son conseil furent d'accord. Pour ces causes, les habitants de Troyes
priaient les habitants de Reims de faire audit roi plénière obéissance telle
qu'ils l'avaient faite, afin de s'entretenir toujours ensemble en une môme
seigneurie et de pouvoir préserver de périls leurs corps et leurs biens;
car, s'ils ne l'avaient pas ainsi fait eux-mômes, ils étaient tous perdus de
corps et de biens, et ils ne voudraient pas que ce fût à faire ; il leur déplai-
sait d'avoir tant tardé; l'on sera très joyeux, quand on l'aura fait, d'au-
tant plus que c'est le prince de la plus grande discrétion, entendement et
vaillance, qui de longtemps soit issu de la noble maison de France.
Jean de Châtillon, seigneur de Troissy, frère du capitaine de Reims, par
sa lettre écrite de Châtillon le treizième jour de juillet, mandait aux
habitants de Reims qu'il avait appris que l'entrée du roi en la ville de
Troyes ne s'était pas faite du consentement des seigneurs de Rochefort et
de Plancy, ni des autres seigneurs, chevaliers et écuyers qui s'y trou-
vaient; que ladite entrée avait été faite par la séduction de l'évoque et
360 LA VRAIE JEANNE D*ARC : LA LIBÉRATRICE.
(lu doyen de Troyes, par le moyen d'un Gordelier nommé Frère Richard.
Le commun de ladite ville (le peuple) alla en très grand nombre vers
lesdits seigneurs, chevaliers et écuyers, leur dire que s'ils ne voulaient
pas tenir le traité quils avaient fait pour le bien public, ils mettraient les
gens du roi dans la ville, qu'ils le voulussent on non. Ledit de Ghàtillon
mandait aussi que les ennemis n'avaient fait aucun effort, qu'ils n'avaient
pas de quoi manger et étaient près de passer outre; que lesdits chevaliers
et écuyers étaient sortis de la ville par traité, leurs biens et leurs corps
saufs, moyennant qu*ils auraient un marc de chacun des prisonniers
qu'ils avaient pris. L'écuyer qui lui avait apporté ces nouvelles certifiât
avoir vu Jeanne la Pucelle, qu'il était présent quand les seigneurs de
Rochefort, Philibert de Molant et d'autres l'interrogèrent ; qu'il leur avait
affirmé par sa foi que c'était la plus simple chose qu'il vit jamais, et qu'en
son fait il n'y avait ni rime ni raison, non plus que dans le plus sot qu il
vit oneques ; il ne la comparait pas à si vaillante femme comme ma-
dame d'Or*, et que les ennemis ne faisaient que se moquer de ceux
qui en avaient crainte.
Regnault de Chartres, archevêque de Reims et chancelier de France,
avait toujours assisté le roi Charles VU, spécialement durant le temps de
sa régence, de sorte qu'il n'avait eu aucune part aux affaires qui s'étaient
passées dans la ville de Reims depuis l'entrée du duc de Bourgogne en
cette ville. Étant à Troyes avec le roi, il manda aux habitants de Reims,
par ses lettres du douzième de juillet, qu'ils eussent à se disposer pour
recevoir honorablement le roi à son sacre ; à quoi faire il les priait et
exhortait.
Les habitants de la ville de Chàlons ayant pareillement reçu le roi
Charles en leur ville, en baillèrent avis aux habitants de Reims par leurs
lettres du seizième de juillet. Ils leur mandaient que le roi Charles avait
envoyé vers eux un héraut appelé Montjoie, leur disant par icelui de se
disposer à le recevoir et à lui rendre pleine obéissance, et que sur ce, ils
avaient député certains ambassadeurs pour aller de leur part vers lui à
Lestré; qu'ils y furent bénignement reçus et favorablement ouïs; àleur
retour à Chàlons, après avoir été entendus en assemblée générale, il
avait été conclu par tous de recevoir le roi Charles, et de lui rendre
entière obéissance comme à leur souverain; qu'ils avaient été au-devant
de lui porter les clefs de la ville qu'il avait reçues bénignement; après
quoi il était entré dans la ville. Dans ces lettres ils louent fort la per*
sonne du roi, comme étant doux, gracieux, compatissant et miséri-
1. Une servante, ou mieux une baladine, attachée à la cour de Bourgogne, qu'ell©
égayait par ses tours de force et par ses farces. Sa longue chevelure blonde lui avait
valu le nom de « madame d'Or ».
J
362 LA VRAIE JEANNE D*ARG : LA LIBÉRATRICE.
rapports contre la fidélité qu'ils lui devaient, il n'avait voulu y ajouter
aucune foi, se tenant trop assuré de leur fidélité; qu'un nommé
Jean Labbé lui avait dit qu'il y avait plusieurs gens qui avaient promis
de rendre la ville de Reims au duc de Bourgogne, d'autres qui avaient
dit que le jour du Saint-Sacrement on avait enti^epris d'y faire entrer le
duc de Bourgogne, et il témoigne par toutes ses lettres qu'il avait un
grand soin de la ville de Reims, une grande confiance aux habitants
d'icelle.
Regnault de Chartres, archevêque de Reims et chancelier de France,
par quatre-vingt-quinze lettres missives que depuis le sacre du roi Charles
il écrivit aux habitants de Reims, se reconnaît une grande affection et
bonne volonté à leur égard. Il leur baille avis de toutes les affaires qui se
passaient tant pour la guerre que pour les traités de paix, il assiste tant
de sa faveur, que de ses moyens les députés de Reims qui étaient journel-
lement en cour pour les affaires de la ville ; il prêta auxdits habitants la
somme de quatre mille livres pour bailler à Monsieur le Connétable, afin
de l'aider à entretenir son armée occupée en Champagne à réduire les
places à l'obéissance du roi ; et sur la nécessité qu'il dit en une de ses
lettres avoir de son argent, il jure sur sa foi qu'il paye ses dépens en la
campagne, comme il le fait dans les villes ; ce qui fait croire que cela
n'était pas commun, parmi les seigneurs de sa qualité, de payer la cam-
pagne.
Sur les fausses nouvelles qu'un nommé Jean le Gros faisait courir,
pour intimider le peuple, que le duc de Bourgogne était aux champs avec
une grande armée, que le roi d'Angleterre était arrivé à Calais, ledit
Archevêque mande que le roi a donné bon ordre partout. Il donne avis
des offres que ledit duc avait faites à Guillaume de Flavy, gouverneur de
Compiègne, pour qu'il lui rendît ladite ville, lui offrant un grand mariage
de plusieurs milliers de saints d'or, et que ledit Flavy lui avait répondu
que ladite ville appartenait au roi, et non à lui.
Il mande aussi qu'il était averti que quelques habitants avaient entrepris
de mettre la ville de Reims entre les mains du duc de Bourgogne, il prie
que Ton fasse bonne garde, de se représenter ce qui avait failli arriver à
Troyes; qu'il est averti que quelques-uns de Paris, pleins de toute ini-
quité, avaient envoyé à Reims un religieux des Blancs-Manteaux, afm, par
son moyen et par le moyen d'autres de la ville, tant gens d'Klglise que
séculiers, ils pussent mettre à perdition ladite ville et plusieurs personnes
de tous états, qu'il avait mandé à son officiai et à ses autres officiers d'en
faire justice, et il requiert de par le roi qu'on y tienne la main... Il
mande que Ton fasse sortir les gens de guerre qui étaient à Beyne, qu'il
fera sortir les Écossais qui étaient dans Cormicy, qu'il a eu avis de la
JEAN BOGIER. — LA C\MPaGNE DU SACRE. 363
déloyauté de Jean Labbé, qu'il n'avait pis voulu ajouter foi à ses fausses
paroles, et il mandait que justice en fût faite.
Il donne avis des abstinences de guerre prises avec le duc de Bour-
gogne, de la commission qu'il avait avec Monsieur le Connétable pour
traiter de la paix avec ledit duc. et de plusieurs particularités qui se sont
passées pendant le temps du pourparler de paix, de ce qui se passait avec
TAnglais, de la journée prise à Arras pour faire la conclusion de ladite
paix, en laquelle se devraient trouver quatre Cardinaux.
// donne pareillement avis de la prise de Jeanne la Pucelle devant Com-
piègftey et comme elle ne voulait croire conseil, ains (msis) faisait font à son
plaisir; qu'il était venu vers le roi un jeune pastour gardeur de brebis des
montagnes de Gévaudan en révéché de Mende. lequel dirait ne plus ne
moins qu avait fait Jeamie la Pucelle, et qu'il avait commandement de
Dieu d'aller avec les gens du roi, et que sans faute les Anglais et Hourgui^
gnons seraient déconfits; et sur ce quon lui dit que les Anglais avaient fait
mourir Jeanne la Pucelle, il leur répondit que tant plus il leur en mécher-
rait (arriverait mal) ; et que Dieu avait souffert prendre (qu'on prît)
Jeamxe la Pucelle^ parce qu'elle s'était constituée en orgueiL et pour les
riches habits quelle avait prisy et quelle n avait pas fait ce que Dieu lui
avait commandé; aim avait fait sa volonté.
Il mandait aussi comme Monsieur le duc d'Orléans, lequel avait été
tenu vingt-cinq ans prisonnier en Angleterre, était arrivé à Calais, et do
là était allé à Gra vélines, etc..
[Voilà avec le contexte le fameux passage sur Jeanne d'Arc. Il est
manifeste que, en résumant les quatre-vingt-quinze lettres de TArche-
vêque-chancelier aux bourgeois de la ville archiépiscopale, Rogier n'a
nullement suivi Tordre chronologique. Avant de parler des malen-
contreuses missives de Regnault de Chartres sur celle qu'il avait approu-
vée à Poitiers, TAbréviateur rapporte celles qui regardent le congrès
d* Arras, qui fut tenu cinq ans après la prise de Jeanne; d'un bond,
après avoir narré Tintervention du triste berger du Gévaudan, il en
vient au rachat du duc d'Orléans, qui ne fut opéré que dix ans après la
sortie de Compiègne. Ce pôle-môle n'est pas sans diminuer l'autorité
d'une pareille analyse. On voudrait avoir le texte môme de Tincrimination
du prélat sur la mémoire duquel pèsent semblables lignes. Il est mani-
feste que le chancelier a parlé de la Libératrice dans plusieurs de ses
lettres, et la conjecture émise dans la Pucelle devant l'Église de son temps
(page 82) devient certitude, quand on lit le passage entier de Téchcvin de
Reims. Il a été déjà discuté. Les inculpations du malheureux pastour
contre celle qu'il prétendait sottement remplacer et continuer n'atteignent
pas la Vénérable; elles retombent sur celui qui s'en est fait l'écho. Quand
364 LA VRAIE JEANNE D^ARG : LA LIBÉRATRICE.
toutes les pièces auront été produites, il faudra revenir sur le rôle de
rArchevèque-chancelier.
Rogier ne dit rien de la cérémonie du sacre de Charles VII; il a cru
sans doute qu'il suffisait du livre où il a raconté d'une manière géné-
rale comment les choses devaient se passer. Les détails en sont très
intéressants, et le seraient bien plus, s'il n avait pas semé de grosses et
nombreuses fautes de latin les multiples oraisons liturgiques, si propres
à donner la juste idée de la royauté chrétienne et de la souveraineté,
telle que TKglise la conçoit.
Ce que Rogier ne nous a pas décrit, trois seigneurs angevins vont le
mettre sous nos yeux.]
CHAPITRE X
LE SACRE. — LETTRES DE TROIS SEIGNEURS ANGEVINS ET DE JACQUES DE BOURBON.
Sommaire : 1. — Lettre de trois seigneurs angevins a la reine et a sa mère. — Les
destinai aires de la lettre; ceux qui écrivent. — Où et par qui fut trouvée et d'abord
publiée cette lettre. — Récente découverte d'une autre copie. — Solennité du sacre.
— Les pairs laïques, les pairs ecclésiastiques. — Le cortège de la sainte ampoule
apportée et rapportée. — Durée de la cérémonie. — Enthousiastes acclamations.
-- Attitude de la Purelle. — L'entrée du roi à Troyes, à Châlons, à Reims. -
Marche directe du roi sur Paris. — La présence du duc de Bourgogne à Laon, de
ses ambassadeurs à Reims. — Espérance de paix. — La Pucelle assurée de mettre le
roi dans Paris.
II. — Lettre de .Iacoies de Boi rbon La Marche a l'évéqle de Laon. — Sa découverte
dans les manuscrits de Vienne. — Traduite et publiée par Siinéon Luce dans la
Revue Bleue. — Le destinataire. — 11 est étrange qu'on lui écrive ce qu'il était en
état de mieux savoir que le correspondant. — Jacques de Bourbon. — Inexactitudes,
faussetés, impossibilités qui abondent dans cette lettre.
I
Lettre de trois seigneurs angevins a la reine ]\Lvrie d'Anjou, et a sa
MÈRE Yolande. — xNous avons ici le récit du sacre écrit au sortir de la
cérémonie. On se rappelle que la reine Marie d'Anjou, mandée h Gienpour
être couronnée à Reims avec son époux, avait été ramenée à Bourges, où
elle se trouvait avec sa mère, la reine de Sicile, Yolande. On n'a pas de
peine à imaginer avec quelle impatience les deux reines devaient
attendre des nouvelles de la marche royale, et du couronnement qui
devait en être le terme. Si le royaume de Naples et de Sicile était le plus
brillant apanage de la maison d'Anjou, le plus solide étant bien celui
LE SACRE : LETTRE DE TROIS SEIGNEURS ANGEVINS. 365
dont elle tirait son nom. C'était en Anjou, à Angers ou à Saumur que
résidait le plus souvent Yolande, quand elle n'était pas à la cour de son
gendre. Elle avait aussi sa cour à elle, et elle était brillante. Les trois
gentilshommes qui écrivent étaient probablement des seigneurs de cette
cour. D'après Quicherat, le premier signataire en serait le premier per-
sonnage, puisqu'il ne serait autre que Pierre de Beauvau, sénéchal
d* Anjou et du Poitou.
Le Père Ménétrier publia le premier la lettre des trois gentilshommes
dans sa Bibliothèque instructive (t. P% p. 90). Il la reproduisit d'après
l'original possédé par Tabbaye de la Bénissons-Dieu-en-Forez. Dans ces
dernières années, vers 1888, on en a découvert une copie dans les archi-
ves de Riom; l'écriture est, dit-on, de la première partie du xv* siècle.
L'auteur de la découverte, M. Boyer, a publié le texte de Riom ; il
dififère très peu de celui du Père Menestrier.
Voici, légèrement rajeuni, le texte publié par M. Boyer :
« Nos souveraines et très redoutées Dames, qu'il plaise à vous de savoir
que hier le roi arriva en cette ville de Reims, où il trouva toute obéis-
sance plénière, et aujourd'hui il a été sacré et couronné ; cela a été
moult belle chose à voir le bel mystère ; car il a été aussi solennel,
toutes choses ont été trouvées appointées aussi bien convenablement
pour faire la chose, soit couronne et habits royaux et autres choses à
ce nécessaire, comme si on Teùt mandé un an auparavant ; et il y a eu
tant de gens que c'est chose infinie à écrire, et aussi la grande joie que
chacun y avait.
« Messeigneurs les ducs d'Alençon, le comte de Clermont, le comte de
A^endôme, les seigneurs de Laval, le seigneur de La Trémoille, y ont été
€n habits royaux, et Monseigneur d'Alençon a fait le roi chevalier. Les
clessusdits représentaient les pairs de France, Monseigneur d'Albret a
tenuTépée devant le roi durant ledit mystère.
« Pour les pairs de l'Église, y étaient avec leurs crosses et mitres, Mes-
seigneurs de Reims, de Châlons qui sont pairs; et au lieu des autres les
^vêquesde Séez et d'Orléans, et deux autres prélats*. C'est Monseigneur
ie Reims qui a fait le mystère et le sacre qui lui appartient^.
^ - Les évêques de Laon et de Troyes. Les six évèchés pairies étaient Reims, Laon,
wvais, Noyon, Châlons et Soissons. Reauvais et Noyon étaient occupés par des
'■^lats très déclarés pour la cause anglo-bourguignonne ; Soissons devait adhérer
1^«^ le sacre. Des six pairies laïques, il n'en restait plus qu'une : elles avaient été
^^inies à la couronne. La pairie du duché de Rourgogne avait pour titulaire l'auteur
^ tout le mal, le duc de Rourgogne, alors fort déconcerté.
^. Cela peut vouloir dire : « fonction qui lui revient » ; ou bien : « le sacre qui est le
*^*^d de la cérémonie ».
366 LA VRAIE JEANNE D ARC : LA LIBÉRATRICE.
« Pour aller quérir la sainte ampoule en l'abbaye de Saint-Rémy, et
pour rapporter en la grande église de Notre-Dame, où a été fait le sacre,
furent ordonnés le maréchal de Boussac, les seigneurs de Rais, Graville,
et r Amiral, avec leur quatre bannières, que chacun portait en sa main,
armés de toutes pièces, à cheval, bien accompagnés, pour conduire Tabbé
dudit lieu qui portait ladite ampoule; et ils entrèrent à cheval en ladite
grande église, et ils descendirent à l'entrée du chœur. C'est en cet appa-
reil qu'ils l'ont rendue en ladite abbaye après le service, lequel service
a duré depuis neuf heures jusqu'à deux heures ; et à Theure que le roi
fut sacré, et aussi quand on lui assit la couronne sur la tète, tout homme
cria « Noël ! » et les trompilles sonnèrent en telle manière qu'il semblait
que les voûtes de l'église dussent fendre.
« Et, durant ledit mystère, la Pucelle s'est toujours tenue joignant du
roi, tenant son étendard en sa main; et était moult belle chose de voiries
belles manières que faisait le roi, et aussi la Pucelle. Dieu sait si vous y
avez été bien souhaitées.
« Aujourd'hui ont été faits comtes par le roi le sire de Laval, le sire de
Sully, et Rais maréchal.
« Vendredi, il y eut huit jours, le roi mit le siège devant Troyes, et il
leur fit moult forte guerre. Ils vinrent à obéissance; et il y entra par
composition le dimanche suivant. S'ils ne lui eussent pas fait obéissance
à son plaisir, il les eut pris de vive force, car c'est une chose moult mer-
veilleuse de voir la grande puissance de gens qui sont en sa compagnie.
« Le lundi ensuivant, le roi se départit de Troyes, tenant son chemin
vers Chàlons. Ceux de Châlons ont envoyé devant lui à demi-journée
pour lui rendre obéissance. Le roi y entra jeudi et en partit vendredi
tenant son chemin vers cette ville {de Reims)^ et pareillement ceux de
cette ville sont venus au-devant du roi lui rendre obéissance; ils sont bien
joyeux de sa venue et le montrent à leur pouvoir.
(c Le roi doit en partir demain tenant son chemin droit a Paris. On dit
en cette ville que le duc de Bourgogne y a été, et s'en est retourné à
Laon, où il est à présent. Il a envoyé devers le roi une ambassade qui
arriva hier en cette ville. A cette heure, nous espérons que bon traité
s'y trouvera {sera fait) avant qu'ils partent.
« La Pucelle ne fait nul doute qu'elle ne mette Paris a l'obéissance.
'< Audit sacre, le roi a fait plusieurs chevaliers, et aussi les seigneurs pairs
en font tant que [c'est] merveilles; et il y en a plus de trois cents nouveaux.
« Par deçà le roi n'entend {ne pense) qu'à faire son chemin, et pour
ce ne besogne en rien autre choses
1. Cette phrase n'est pas dans Quicheral.
LE SACRE : LETTRE DE JACQUES DE BOURBON. 367
« Nos souveraines et redoutées Dames, nous prions le Benoît Saint-
Esprit qu'il vous donne bonne vie et longue.
« Ecrit à Reims ce dimanche xvu' jour de juillet.
« Vos très humbles et obéissants serviteurs,
« Beauveau, Moreau, Lusse. »
Et au dos est écrit : « A la reine et à la reine de Sicile, nos souveraines
et très redoutées Dames. »
II
Lettre de Jacques de Bourbon La Marche a l'évêque de Laon. — Cette
lettre est restée ensevelie jusqu'à ces dernières années dans les ar-
chives de la Bibliothèque impériale de Vienne, sous le n* 6939 de la
section des manuscrits. Quoique signalée dès 1851 par le professeur
Guillaume Watenbach, elle a dû attendre plus de quarante ans la pleine
lumière de l'impression. M. Bougenot, délégué à Vienne par le ministère
pour une mission scientifique, prit copie du texte qui est en latin.
Siméon Luce en donna la traduction dans la Revue Bleiie^ numéro du
13 février 1892. C'est cette traduction, à défaut du texte latin non par-
venu entre mes mains, qui va être reproduite, après quelques remarques
sur le destinataire, sur celui qui écrit et sur le contenu du document.
L'évoque de Laon à cette époque était Guillaume de Champeaux,
prélat d'assez peu édifiante mémoire, tout entier à Tadministration des
finances publiques, qui fut présent, d'après le Gallia\ au couronnement
de Charles VIL II connaissait mieux que Jacques de Bourbon les événe-
ments accomplis, en étant informé par ceux qui non seulement y avaient
îtssisté en témoins, mais en acteurs. Jacques de Bourbon ne devait pas
l'ignorer.
Jacques de Bourbon, comte de La Marche, frère de Louis de Bourbon-
Vendôme, beau-père du seigneur de Pardiac, récemment évadé des
prisons de Naples où sa femme Jeanne l'avait renfermé, avait com-
fflencé par être Bourguignon, et comme tel avait été durant quelque
temps prisonnier des Armagnacs, qui s'étaient emparés de sa personne
au Puiset-en-Beauce. Gruel nous a dit que ses services avaient été
refusés avec ceux de Richemont, encore qu'il s'offrit à servir le roi avec
très belle compagnie. Jacques de La Marche ne parle pas de ce refus,
pas plus que de celui qu'essuya Richemont, ainsi que le comte de Pardiac
que le correspondant appelle son fils.
1. Gallia^ t. IX, col. 551 : Adfuit coronalioni régis Caroli VU.
368 LA VRAIE JEANNE D*ARC : LA LIBÉRATRICE.
II semble qu'on a réuni deux lettres en une seule. Dans la première,
la campagne de la Loire est décrite, non sans de nombreuses inexacti-
tudes ; la seconde est consacrée au sacre et à ce qui a suivi, et là les
inexactitudes, si la date est la vraie, deviennent des impossibilités. Le
roi n'est entré à Château-Thierry que le 29 juillet, et la lettre qui annonce
cet événement est censée écrite du 24. Ce n'est pas à Reims que les villes
nommées ont fait leur soumission. Quelques-unes de ces villes, Noyon,
Saint-Quentin, Sens, ne firent pas leur soumission durant cette campagne.
Bedford s'est montré très fidèle à son neveu, et n'a jamais songé à se
faire sacrer. 11 fut question, parait-il, d^enlever la sainte ampoule.
Tout ce qui est dit sur Auxerre est une fable ; mais ce qu'il y a d'étrange,
c'est que cette fable fut colportée dans toute la Haute-Italie, et que nous
la retrouverons dans la Chronique Morosini.
Écrivant à un évoque français, qui avait longtemps séjourné dans le
Midi, où Jacques de La Marche, comme seigneur de Castres et d'autres
fiefs méridionaux, devait aussi habiter souvent, il n'est pas vraisemblable
qu'il ait écrit en latin. Peut-être la lettre a-t-elle été traduite en celte
langue pour en faciliter la circulation en Allemagne.
Sous le bénéfice de ces remarques, voici la lettre telle que l'a donnée
la Revue sus-indiquée.
Copie crime lettre adressée par le roi Jacques à Févéque de Laon,
« Grâce aux bons soins de notre Perceval, il nous a été apporté sûres
nouvelles tant par écrit que verbalement, et aussi par certaines lettres
que nous avons reçues de La Uire. Ledit Perceval a môme été témoin
oculaire de quelques-uns des faits qu'il nous a racontés.
« Et d'abord on a pris d'assaut Jargcau, où cinq cents combattants du
côté des Anglais ont été occis. Le comte de Suffolk et La Poule, son frère,
ont été faits prisonniers par le bâtard d'Orléans; un autre frère dudit
comte a été occis.
(( La Pucelle s'est éloignée d'Orléans le mercredi quatorzième jour de juin
pour mettre le siège devant le château de Meung, où étaient le seigneur
de Scalcs et autres, jusques au nombre de six cents combattants. En sa
compagnie étaient notre cousin d'Alençon et notre frère de Vendôme,
tous deux capitaines de l'armée, le maréchal de Sainte-Sévère, Tamiral
de France, les seigneurs de Laval et de Rais, le bâtard d'Orléans, La Hire
et autres seigneurs et capitaines en grand nombre, lesquels avisèrent
que mieux serait de marcher sur Baugency et d'assiéger ladite forteresse;
et ainsi firent-ils, et au lendemain y mirent le siège. Talbot avait évacué
ladite forteresse la nuit précédente pour réunir ses gens et livrer bataille
LE SACBB : LBrraS de JACOCBS de B0UmK>5. 3fti
aux nôtres, et telle était Tardeur des siens et la confiance qn'ils araioit
en leurs forces, que les nôtres eussent-ils été en nombre triple ils en
voulaient venir à bout; et lesdits Anglais ayant ainsi réoni leurs forces,
arrivèrent à former un corps d*armée de trois mille cinq cents com-
battants.
« A Tarrivée de nos gens, les Anglais, qui occupaient la forteresse de
Baugency, se rendirent le samedi, au lever du jour, et promirent, sous
serment, de ne se point armer contre le roi pendant deux mois. Richard
Guetin et Mathago, capitaines de la garnison, furent gardés comme otages :
et leurs soudoyés ayant vide la place, se retirèrent dans la direction
du Mans, avec leurs chevaux et leurs harnais.
« A leur départ de Baugency. les nôtres, apprenant que les ^t*glaî*
après avoir évacué le château de Meung s'avançaient en bonne ordon-
nance et se préparaient au combat, en éprouvèrent une grande joie : car
ils ne désiraient rien autre chose. Ils les poursuivirent dans la direction
de Jan ville jusqu'à un lieu nommé Saint-Sigismond ei ^tné à deux
lieues de Patay. C*est là que les ennemis, ayant choisi pour livrer
bataille une position à leur convenance, descendirent de leur^ chevaux,
et attendirent de pied ferme l'attaque de nos gens.
<c A Tavant-garde, de notre côté, se trouvaient le bâtard d'Oriéan« rrt le
maréchal de Sainte-Sévère: Poton et Amault Guilhem étaient les gar-
diens de ladite avant-garde. Après venaient les archers et les arbalétriers
formant le principal corps d'armée qui comptait parmi «e§ chefs
Mgr d*Alençon, Mgr de Vendôme, et le connétable de France arrivé de
la veille. La Hire était particulièrement chaigé de la directirjn de ^^
corps d'armée dans les rangs duquel combattaient la plupart de% capi-
taines mercenaires et des seigneurs.
« L'arrière-garde marchait sous les ordres de la Pucelle. de firavî!I(Ç:.
grand maître des arbalétriers, des seigneurs de La%'al. de Bai* et de ^aint-
Gilles, accompagnés d'autres chefs de guerre en fort grand nombre. Tout^
cette masse d'hommes, fantassins et cavaliers, s'écoulait précipitamment
et un peu pêle-mêle, tant on craignait de ne pas arriver à t^mp» pour
joindre l'ennemi. Notre avant-garde \int donner contre lef archers
anglais qui ne tardèrent pas à fuir en désordre, lorsqu'ils eurent %u â la
suite de ce premier choc tomber quatorze cents combattante: puje c^
fuyards s*étant ralliés revinrent pour rétablir le corol/at an nombre de
huit cents fantassins; mais ils furent mis en déroute et taiil^'^ *^u pièces
par notre principal corps d'armée. Ils s'ensuivit un eauve-qni-peut ic^ué^
rml de la part des Anglais, auxquels nos gens se mirent k donner la
chasse.
« Lorsque Talbot, fait prisonnier par La Hire et Poton de Xajntraillet,
m. ^^
370 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
fut pris, il était à cheval, mais il ne portait pas d'éperons, vu que lui et
les autres chefs anglais s'étaient remis précipitamment en selle pour
prendre la fuite. Le seigneur de Scales est prisonnier de Girault de La
Paillière ; Messire Jean Falstoflf, d'Arnault Guilhem, frère de La Hire ; le
seigneur deHungerford, du duc d'Alençon; Falcombridge, d'Amadoc autre
frère de La Hire ; Messire Thomas Guérard, de Messire Théaude de Val-
pergue; Richard Spencer et Fitz-Walter, dudit d'Alençon. Bref les prison-
niers sont au nombre de quinze cents. En résumé, sur trois mille cinq
cents Anglais, deux cents hommes d'armes à cheval tout au plus ont
réussi à s'échapper, entre autres le traître Tassin Gandin. On leur a donné
la chasse jusqu'à Janville. Les habitants ont fermé leurs portes aux
fuyards et en ont tué un grand nombre ; puis ils se sont rendus au roi,
et ont apporté les clefs de la place à la Pucelle.
« Durant cette poursuite et le jour même de la bataille, on a vu arriver
de Bretagne trois cents chevaliers et écuyersqui sont venus spontanément
servir le roi, et se sont mis sous les ordres et en la compagnie du Conné-
table. Leduc de Bretagne lui-même a envoyé son fils et le comte d'Etam-
pes, son frère, au service du roi, qui a chargé notre frère de se rendre à
Chartres à la requête des habitants de cette ville.
« Le roi doit s'avancer vers La Charité-sur-Loire en passant par Auxerre
et par Reims, où doit avoir lieu la cérémonie du sacre. La Pucelle a
voulu que Ton tienne ce chemin \ Elle a dit que vers ces régions, il
doit se livrer une grande bataille, mais que le roi remportera la
victoire.
« La cité de Paris et plusieurs autres cités du royaume ont adressé au
duc de Bourgogne des demandes de secours. Le duc de Bedford et le comte
de Warwick ont dépêché des messagers en Angleterre pour réclamer des
renforts et font armer jusqu'aux prêtres.
« La Pucelle annonce — et puissent ses paroles se réaliser ! — que
le roi d'Ecosse doit faire à bref délai une invasion en Angleterre.
S'il en était ainsi, il ne saurait arriver rien de plus heureux au roi, notre
Sire^
<( Beau-frère {cousin germa'm) de Clermont et notre fils {le gendre) de
Pardiac doivent rester pendant toute cotte semaine en la compagnie du
roi, et il me déplaît qu'ils aient mis tant de temps à le rejoindre.
« On dit qu'un grand nombre d'habitants de Liège et de Toumay sont
venus trouver le roi qui, avant le vingtième jour du présent mois de
juillet, aura sous ses ordres, nous en avons le ferme espoir, plus de trente
mille combattants.
I. (Tost un nou-sens.
*^. («ola n'avait aucun fondement.
LE SACRE : LETTRE DE JACQUES DE BOURBON. 371
Jhesus 7 Maria.
«< Voici les noms des seigneurs qui ont fait partie du cortège royal le jour
où le roi a été sacré dans la cité de Reims, le 17 juillet 1429. Et d'abord
Monseigneur le comte d'Alençon, Monseigneur Charles de Bourbon
comte de Ciermont, Monseigneur le comte de Vendôme, Monseigneur de
La Trémoille, et Monseigneur de Laval ; prélats, Monseigneur Tarche-
véque de Reims, qui a mis la couronne sur la tète du roi, Tévèque
d*Orléans, Tévêque de Séez, Tévèque de Châlons. L'abbé de Saint-Ré my
a oint le roi^
c< Le seigneur d'Albret, pour ce jour, a été lieutenant du Connétable. Ce
même jour le seigneur de Rais a été fait maréchal de France à la place
du seigneur de La Fayette.
« Monseigneur le duc d'Alençon a fait chevalier le roi notre Sire et Ton
a fait ledit jour deux cent quarante nouveaux chevaliers. Et la Pucelle est
restée près du roi, pendant toutes ces cérémonies, tenant en main son
étendard.
« Les cités et forteresses dont les noms suivent se sont mises en
Tobéissance du roi.
« La cité d'Auxerre a été prise d'assaut. Quatre mille cinq cents bour-
geois de cette ville ont été tués, et aussi quinze cents hommes d'armes
tant chevaliers qu'écuyers des partis de Bourgogne et de Savoie, et, dans
le nombre, la plupart des grands seigneurs de Bourgogne.
« Les cités de Troyes, de Châlons et de Reims ont également fait leur
soumission. C'est à Reims qu'ont été apportées au roi notre Sire les
clefs de la cité épiscopale de Laon, de Saint-Quentin, de la cité épiscopale
de Noyon, de la cité épiscopale de Sentis, de Compiègne, de Sézanne, de
la cité archiépiscopale de Sens, de Provins. La reddition de toute cette
partie du comté de Champagne qui appartient au duc d'Orléans a suivi la
prise de Château-Thierry où se trouvait le seigneur de Châtillon, qui
devait venir vers le roi à la faveur d'un sauf-conduit. Montaiguillon et
Vertus, entre autres places, ont reconnu son autorité et lui ont prêté
serment d'obéissance.
« Les seigneurs de La Trémoille et de Laval ont été faits comtes le jour
même du sacre.
« Le roi a donné à La Ilire le comté de Longueville en Normandie,
ainsi que tout ce qu'il pourra conquêter en ce pays.
« Monseigneur le bâtard d'Orléans et Monseigneur le maréchal de
Boussac sont allés tous deux inviter l'abbé de Saint-Rémy à apporter la
i. C'est une énormité ; sacrer le roi était un des grands privilèges de rArchevôque
de Reims.
372 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA UBÉRATRICE.
sainte ampoule en vue de Tonction royale. Laquelle ampoule ledit abbé
a trouvée abondamment pourvue du saint-chrême tandis qu'au contraire,
comme il Ta affirmé par serment, il Tavait trouvée vide à l'époque où le
duc de Bedford voulut naguère se faire sacrer et oindre comme roi de
France.
« Le roi a chevauché toute la journée du dimanche portant sur sa tète
la couronne de France.
« Il a fait lui-même pacifiquement son entrée dans toutes les autres
cités qui se sont rangées sous son obéissance, excepté Auxerre qu il a
fallu emporter de vive force, ainsi qu'il a été dit plus haut.
« Le roi a maintenant en sa compagnie trente mille cavaliers et vingt
mille fantassins, et il y a grande disette de vivres partout sur son pas-
sage. Les Anglais se sont repliés en masse du côté de la Normandie; ils
sont en petit nombre et comme frappés de stupeur.
« Monseigneur le duc de Bourgogne se tient coi sans faire un mouve-
ment. Le bruit court qu'il ne veut à aucun prix marcher contre le roi en
personne, et qu'il est fort impatient de voir la Pucelle.
« Le roi a quitté Reims le jeudi 21 juillet, et a fait route pour le château
'du Crotoy, d'où il doit s'avancer vers Calais pour conquérir tous les ports
de mer occupés par les Anglais, avant que Tennemi ait eu le temps de
les fortifier et qu'il ait reçu des renforts : il entend ensuite faire une expé-
dition en Normandie.
« Donné le 24* jour de juillet de l'an 1429. »
CHAPITRE XI
DEMANDES DE SUBSIDES POUR LE SIÈGE DE LA CHARITÉ. — JEANNE CAPTIVE
ET LE PARTI FRANÇAIS. — SUR LE CHEMIN DU CALVAIRE DE ROUEN.
ISoMMAinE : I. — Lettre du sire d'Albret aux habitants de Riom. — Demande instante
d'approvisionnements de guerre afin de pouvoir continuer la campagne. — La ville
de Bourges s'impose pour envoyer, sur la demande du roi, treize cents écus d'or au
sire d'Albret et à Jeanne d'Arc devant La Charité. — Il est douteux que le secours
soit arrivé à temps. — Les soudoyers condamnés à vivre de pillage.
II. — La prise de Jeanne. — Sentiments du vrai parti national.
III. — Abbeville désireux de redevenir français. — Punition de ceux qui parlent contre
la Pucelle.
IV. — Jeanne d'Arc à Drugy et au Crotoy. — Sentiments de compassion, notamment
de la part des dames d'Abbeville. — Visites qu'elles lui font. — Profond souvenir
d'édilication laissé par son passage. — Son confesseur, maître Nicolas de Queu-
ville.
374 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
par Tardent désir que vous avez de voir lesdites places vidées et'délivrées,
et pour votre bien et le bien des pays voisins de ces places, nous vous
prions de nous aider ; veuillez par notre aimé Jean Merle, que pour cette
cause nous envoyons par devers vous, nous envoyer présentement le plus
largement que vous pourrez et saurez en ce moment, secours de poudres
à canon, salpêtre, soufre, arbalètes et autres provisions de guerre, pour
que notre entreprise ne soit pas longue, et que, par faute de poudres et
des autres choses dessus dites, le fait ne soit nullement empêché ni
retardé.
Et de ce que touchant ledit fait, vous dira de par nous le porteur des
présentes, veuillez le croire et lui donner pleine foi et créance; et incon-
tinent délivrez-lui, lui baillez et lui faites bailler et délivrer ce qui sera
nécessaire pour amener et conduire devant la ville de La Charité, où
Jeanne la Pucelle, Mgr de Montpensier et nous, allons présente-
ment mettre le siège. Et de quoi vous voudrez nous aider, de vos volontés
et intention sur ce qui vient d'être dit, faites-nous-le savoir par ledit
Jean Merle ; et avec cela {dites-nous) si vous voulez chose que faire
puissions, nous le ferons ; il le sait Notre-Seigneur, qui vous ait en sa
garde. Ecrit à Moulins le neuvième jour de novembre.
Signé : « Le sire de Lebret (Albret).
« Comte de Dreux et de Gaure,
« Lieutenant sur le fait de la guerre du pays de Berry
« pour Mgr le roi Charles. »
Sur r adresse :
« A mes très chers et grands amis, les gens d'Église, bourgeois et
habitants de la ville de Riom. »
Les comptes de la ville de Clermont et de Riom prouveront qu'il fut
fait quelque envoi, mais bien inférieur aux besoins, ainsi que cela
résulte de la pièce suivante, que La Thaumassière a imprimée dans son
Histoire du Berry ^ et que Quicherat a reproduite.
Contribution de la ville de Bourges pour le siège de La Charité.
« A tous ceux qui ces présentes lettres verront, Guillaume Bastard,
licencié en droit canon et civil, lieutenant de Monseigneur le bailli de
Berry, salut.
« Savoir faisons qu'aujourd'hui nous séant en jugement, illec [là) assis-
tant plusieurs des plus notables bourgeois et gens de conseil de ladite
ville, est venu par-devant nous Pierre de Be^umont, procureur desdits
bourgeois et habitants de ladite ville de Bourges, disant que promptement
376 LA VRAIE JEANNE D*ARC : LA LIBÉRATRICE.
de rannée, écrite par les comtes de Nevers et de Rethel aux conseillers
du duc de Bourgogne?
Dans celte lettre, que nous avons eue entre les mains aux archives de
la Côte-d'Or, les deux seigneurs disent qu'il n'y a aucun fonds à faire sur
les assurances de paix données par La Trémoille ; bien plus, tous ceux de
l'adverse partie qui sont sur les frontières sont des étrangers \ ils ne sont
ni paiés^ ni soldoyés, ils n'ont de quoi vivre et se soutenir que par le
moyen de la guerre qu'incessamment ils font et feront sur les pays
des jeunes comtes. Nous répétons qu'une monographie sur pièces de
Perrinet Gressart contribuerait à faire la lumière sur ce triste événe-
ment de l'histoire de la Libératrice.
II
Plusieurs chroniqueurs nous ont parlé de la prise de la Vierge guer-
rière à Compiègne. Leurs récits peu concordants le sont encore moins
avec ceux du parti antinational. Après la production de tous les docu —
ments, il faudra les discuter.
Grande fut la consternation du parti français. M. Maignen, actuelle —
ment bibliothécaire de la ville de Grenoble, a le premier découvert dans^
un Èvangéliaire de Grenoble renfermant des pièces bien bigarrées, les
trois oraisons composés pour solliciter, au saint sacrifice de la messe, la.
délivrance de la Captive. Elles ont été reproduites dans la Pucelle devant
rÉglise de son temps. On y trouve aussi la substance de la lettre écrite
à Charles Vil par Jacques Gelu, archevêque d'Embrun, pour lui recom-
mander, s'il ne veut pas encourir le blâme ineffaçable d'une noire ingra-
titude, de n'épargner ni argent, ni quelque prix que ce soit, pour le rachat
de la Pucelle. Le Père Marcellin Former, de la Compagnie de Jésus, nous
a conservé ce très précieux détail, et d'autres encore, dans son Histoire
des Alpes Maritimes ou Cottiennes. L'ouvrage était inédit lorsque s'impri-
mait notre volume. Nous devions cette primeur à la complaisance de
M. l'abbé Guillaume, archiviste de Gap, qui depuis a tiré l'œuvre du
Jésuite de la poussière de l'inédit, où elle était restée plongée durant
plus de deux siècles. C'est de la part de l'auteur et de l'éditeur un des
innombrables monuments du zèle et du savoir du clergé, qu'il faut d'au-
tant plus signaler que les efforts de la science laïque tendent à les faire
oublier, tout en se parant des dépouilles. Le clergé de Tours fit des proces-
sions nu-pieds pour obtenir la délivrance de l'Envoyée du Ciel *. Il est
1. Voir dans la Pucelle devant rÉglise de son tempSy p. 76, le chapitre: la Pucelle et
le Cleryé du parti français.
LES SYMPATHIES D'ABBEVILLE POUR LA PUGELLE. 377
vraisemblable que des recherches ultérieures nous révéleront encore
d'autres touchants détails sur ce point.
III
Les SYMPATHIES d*Abbeville pour la Libératrice.
Monstrelet nous dira qu'Âbbeville ne demandait qu'à se donnera
Charles VII, lorsque le malheureux roi interrompit le cours de con-
quêtes qui ne lui coûtaient rien. Les dispositions du maire et des
échevins nous sont révélées par une curieuse pièce tirée par Quicherat
du Trésor des chartes (/, 175^ pièce iSo), C'est une lettre de rémission
accordée par Henri YI, à la date du 6 juillet 1432, à deux habitants de
la ville, auxquels il en avait pris mal, pour avoir parlé outrageusement
de la Pucelle, et de ses partisans. Quoique la ville fût soumise à l'Anglais,
les partisans français y étaient assez nombreux pour tenir loin d'eux les
insulteurs delà Libératrice, et môme, par une suite de curieuses circons-
tances, les faire garder en prison à Amiens par ceux dont ces faux
Français soutenaient la cause. Voici la partie de la pièce qui démontre
les sentiments patriotiques des échevins d'Abbevilie. Le style en est
rajeuni :
«Henri, parlagràce de Dieu, roide France et d'Angleterre, savoir faisons
à tous présents et à venir, que, de la part de Colin Gouye, dit le Sourd,
et de Jeannin Daix, dit Petit, natifs de la ville d'Abbevilie, nous a été
exposé ce qui suit : Dans tout leur temps, ils se sont maintenus et gou-
vernés en notre service : Après que nos ennemis et adversaires ayant en
leur compagnie la femme vulgairement appelée la Pucelle furent venus
en notre royaume et pays de France et par spécial devant notre ville de
PariSf un certain jour lesdits suppliants étant en la compagnie d'un
nommé Colin Broyart, devant et assez près de l'hôtel d'un maréchal
nommé Guillaume Dupont, en notre ville d'Abbevilie, ils entendirent que
quelques-uns parlaient des faits et abusions (tromperies) de ladite nommée
vulgairement la Pucelle, et par spécial un héraut, auquel héraut Petit
dit : « Bran, bran ; quelque chose qu'ait fait et dit cette femme, ce n'est
qu'abusion » ; ce que dirent pareillement Colin et autres des assistants ;
€ que Ton ne devait pas ajouter foi à cette femme ; que ceux qui avaient
créance en elle étaient fols et sentaient la persinée* », ou en substance
1. Lieu planté de persil. Le persil croll sur les tombes dans les campagnes; c'est
une plante funéraire ; c'était dire que ceux qui avaient créance en la Pucelle seraient
mis ou devaient être mis à mort.
378 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
paroles semblables ; « et en outre {i/s dirent) qu'il y en avait dans cette
ville plusieurs autres qui sentaient la persinée »; ne pensant par là donner
charge à aucun des bons bourgeois, manants et habitants de notre dite
ville. Pour ce cas, et pour d'autres paroles dont ils ont été soupçonnés
par le maire etéchevinsde la ville d'Abbeville, lesdits suppliants et Colin
Broyart furent faits prisonniers par lesdits maire et échevins et tenus
longuement en étroites et dures prisons, et mis en nos prisons d*AbbeviUe
où ils furent, un certain espace de temps, en grande rigueur par le fait
desdits maire et échevins. »
La lettre de rémission continue à raconter les aventures des suppliants.
Ils s'échappèrent de prison, et allèrent servir dans l'armée anglaise à
Gompiègne et ailleurs. Étant retournés à Abbeville, leurs sentiments poli-
tiques leur attirèrent querelle et soulevèrent les esprits contre leurs
personnes, au point qu'ils durent s'enfuir secrètement. L'on prononça
contre eux la peine de bannissement, et les gens de Montreuil les ayant
saisis, lorsqu'ils allaient à Lagny prendre service dans les troupes an-
glaises, ils furent remis au bailli d'Amiens ; c'est des prisons de cette
ville qu'ils sollicitent des lettres de grâce qui leur sont accordées.
Pareilles dispositions rendent très vraisemblables les marques de
sympathie que, au rapport d'un auteur du xvi* siècle, les dames d' Abbeville
aimèrent à donner à la Captive, sur le chemin de son calvaire. Cet auteur
est le Père Ignace de Jésus-Maria. Dans sa belle Histoire des comtes de
Ponthieii et mayetirs (maires) d' Abbeville^ il n'a pas su résister au
plaisir d'y insérer, en bons termes, l'histoire entière de la Pucelle. La
démarche des dames d'Abbeville ne nous étant connue que par lui, le
passage va être reproduit. Le Père Ignace de Jésus-Maria éditait son
livre en 1637*. Quicherat pense qu'il avait en mains des documents
perdus aujourd'hui.
IV
Les DAMES d' Abbeville. — Les moines et les notables
DE Saint-Riquier.
(( Aussitôt qu'elle {la Pucelle) fut entre les mains de ses ennemis, elle
fut menée au château de Beaulieu, et de là à Beaurevoir, dont était sei-
gneur Jean de Luxembourg, chevalier; puis elle fut conduite au château
i . La première partie du xvii« siècle abonde en pages fort belles sur la Pucelle.
Celles du Père Caussin, dans son ouvrage la Cour sainte^ sont exquises. Le mouvement
se ralentit avec le règne personnel de Louis XIV pour ne reprendre avec pareille
intensité qu'au magistral panégyrique de Tabbé Pie, en 1844.
INTÉRÊT ET COMPASSION TÉMOIGNÉS A JEANNE CAPTIVE. 379
de Drugy, près de Saint-Riquier, où les anciens religieux de Tabbaye la
visitèrent par honneur, à savoir Dom Nicolas Bourdon, prévôt, et Dom
Chappelin, grand aumônier, avec les principaux de la ville ; et tous
avaient compassion de la voir persécutée, elle très innocente.
» Du château de Drugy, qui appartenait alors à Tabbaye de Saint-lliquier
et est maintenant ruiné, elle fut menée au château du Crotoy, où, par la
Providence divine, elle entendait souvent le saint sacrifice de la messe
que célébrait, en la chapelle du château, le chancelier de Téglise cathé-
drale de Notre-Dame d'Amiens, nommé M' Nicolas de Queuville*,
docteur en droits, homme fort notable, qui pour lors y était détenu
prisonnier. Il lui administrait les sacrements de confession et de la
très sainte Eucharistie, et disait beaucoup de bien de cette vertueuse et
très chaste fille.
« Quelques dames de qualité, des demoiselles et des bourgeoises
d*Abbeville, lallaient voir comme une merveille de leur sexe et comme
une âme généreuse, inspirée de Dieu pour le bien de la France. Elles la
congratulaient d'avoir eu le bonheur de la voir si constante et si rési-
gnée à la volonté de Notre-Seigneur, lui souhaitaient toutes sortes
de faveurs du ciel. La Pucelle les remerciait cordialement de leur chari-
table visite, se recommandait à leurs prières, et les baisant aimablement,
leur disait adieu. Ces vénérables personnes jetaient des larmes de ten-
dresse en prenant congé d'elle, et s'en retournaient de compagnie par
bateau sur la rivière de Somme, comme elles étaient venues ; car il y a
cinq lieues d'Abbeville au Crotoy.
« Après que ces honnêtes dames furent parties, la Pucelle, admirant
leur franchise, leur candeur et leur naïveté, disait : « Ah ! que voici un
" bon peuple, plût à Dieu que je fusse si heureuse, lorsque je finirai mes
«jours, que je pusse être enterrée en ce pays ».
« Au commencement de l'année 1430 (anc. st.), le 13 de janvier, l'An-
glais envoya un mandement par lequel il ordonnait que la Pucelle fût
transférée du Crotoy à Rouen, et qu'elle fut mise es mains de Frère Jean
Magistri, de Tordre des Frères Prêcheurs, inquisiteur de la foi ^ pour
Ja faire examiner à M* Pierre Cuuchon, évêque de Beauvais, en la
juridiction spirituelle duquel elle avait été prise, afin de lui faire son
procès.
1. Nicolas de Quiefdeville fut chancelier du chapitre d'Amiens de 1412 à 1438. Il
mourut le !•' mai i438. (Note communiquée j)ar le R. P. Watrigant, d'après le
manuscrit 517 de la bibliothèque d'Amiens.) Il était vraisemblablement emprisonné
pour motif politique, comme vrai Français.
2. II semble résulter des premières pièces du procès que Jeanne est arrivée à Rouen
vers la fin de décembre 1430. Elle fut remise entre les mains des Anglais, et non pas
entre celles de Le Maître.
380 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBËRATRICE.
« Elle dit donc adieu à ceux du château du Crotoy qui regrettaient son
départ ; car elle les avait grandement consolés. On voit encore la chambre
où elle couchait, qui retint depuis ce temps-là quelque respect, quand on
y entre (sic).
« Au sortir des murailles de la ville du Crotoy, on la mit dans une
barque, accompagnée de plusieurs gardes, pour lui faire passer le trajet
de la rivière de Somme, qui est fort large en cet endroit, à cause que c'est
Tembouchure de la mer Océane, qui contient environ demi-lieue quand
le flux est monté, et elle descendit à Saint- Valéry qu'elle salua du cœur
et des yeux, étant patron du pays de Vimeux, où elle entrait, comme elle
avait salué Téglise de Saint-Riquier, patron du pays de Ponthieu d où
elle sortait.
« Elle ne s'arrêta pas en la ville de Saint- Valéry ; car ses gardes la con-
duisirent à la ville d'Eu, et de là à Dieppe, puis enfin à Rouen qui était
la ville qu'on avait choisie pour être le dernier théâtre d'honneur où la
vertu de notre sainte fille devait paraître. » [Arrêtons ici nos emprunts
à l'histoire des maires d'Abbeville.
La Pucellc a séjourné assez longtemps au Crotoy, où elle nous dit avoir
été favorisée de l'apparition de saint Michel. Ce que le Père Ignace de
Jésus-Maria affirme du chancelier de l'église d'Amiens avait été déjà
attesté au procès de réhabilitation par le chevalier Aymond de Macy. Il a
déposé avoir entendu de la bouche du savant prêtre l'excellent témoi-
gnage rendu à la piété de Jeanne. C'est de la part du haut dignitaire
de l'église d'Amiens un témoignage équivalent à celui que le savant Jean
de Mâcon lui avait rendu à Orléans, et que lui ont rendu Jean Paquerel,
Jean Colin, Guillaume;^ Front, tous ceux qui ont eu la consolation d'être
les dépositaires des secrets de son âme.
Ce n'est pas seulement la tradition du pays qui affirme ce que dit ici Iç
Père Ignace de Jésus-Maria, que Jeanne coucha à Drugy, près de Saint-
Riquier. C'est ce qui est raconté dans une Chronique manuscrite, compo-
sée en 1492 par le notaire apostolique Jean Chapelle. Elle est en latin
et se trouve à la Bibliothèque nationale, dans le Recueil de Dom Grenier
sur la Picardie,
Voici la traduction du texte cité par Quicherat :1 « Cette même an-
née, les Anglais voulurent soumettre la ville d'Orléans ; et à ce sujet
il arriva une chose merveilleuse et bien vraie. Pendant que le roi
Charles, encore jeune et depuis peu arrivé au trône, s'occupait de re-
pousser lesdits Anglais, survint une jeune pucelle, du nom de Jeanne,
originaire, disait-on, de la Lorraine. Armée, elle dit au roi avec grande
assurance : « Ne crains pas; je suis une vierge guerrière que Dieu envoie
« pour ta cause, et au secours de ta ville d'Orléans pour la délivrer de ses
INTÉRÊT ET COMPàSSIOxN TÉMOIGNÉS A JEANNE CAPTIVE. 381
« ennemis. A Taide du Très-Haut, je les mettrai en fuite. Je te conduirai à
« Reims, pour que tu y sois sacré comme roi et pour que tu sois couronné
« dans la ville de Saint-Denis. J'accomplirai ces choses; n'en doute pas, car
« je suis renvoyée de Dieu. »
«De fait, elle Taccomplit. En armes, à la tête de son armée, elle vainquit
les Anglais, força leurs bastilles devant Orléans, les défît, et ils prirent la
fuite. Elle fit prisonniers le comte de Talbot et d'autres Anglais, en allant
à Reims faire sacrer le roi. Elle subjugua et rendit au royaume Auxerre,
Sens, Troyes, Châlons, Provins, Reims, Soissons, Laon, Noyon, Com-
piègne, Senlis, Saint-Denis, et plusieurs autres villes, cités, forteresses et
châteaux qui obéissaient aux Anglais.
« Toutes ces choses accomplies, ladite Jeanne la Pucelle fut prise devant
Compiègne, retenue en prison, et enfin mise entre les mains des Anglais.
Comme on la conduisait à Rouen pour lui couper le cou et la brûler,
elle s'arrêta et passa la nuit au château de Drugy. Dans ce château, la
virent Dom Nicolas, prévôt, Dom Jean Chapellin, aumônier et plusieurs
autres religieux de cette église. Il en sera mémoire dans l'avenir, car la
haine que lui avaient vouée les Anglais était inique. »
Le chroniqueur, qui écrit fort mal le latin, n'a d'autorité que pour ce
qu'il dit du château de Drugy. Inutile de relever plusieurs inexactitudes.
11 confirme d'autant plus le récit d'Ignace de Jésus-Maria, que, d'accord
l'un et l'autre sur le nom du prévôt et de l'aumônier, ils diffèrent en ce
que l'un leur adjoint d'autres religieux et l'autre les principaux citoyens
de Saint-Riquier. Quoiqu'ils puissent avoir raison tous deux, cette
divergence semble établir que l'historien des comtes de Ponthieu ne
travaillait pas sur la Chronique dont on vient de voir un extrait.
CHAPITRE XII
DIVERS PASSAGES SUR LA PUCELLE, EXTRAITS DES AUTEURS DU XV* SIÈCLE.
Soxmaibe: I. — Fragment dune Chronique d'un auteur inconnu.
IL — La Chronique de Normandie.
UL — Passages de divers auteurs du xv" siècle : Pierre de Gros, Guy Pape, Simon
Phares, Jean Champier.
IV. — Robert Blondel : Notice. — Divers passages sur Jeanne d'Arc dans ÏOratio his-
toriaUs. — Mission du roi de France. — Passage tiré de son ouvrage : Reductio
yormanniœ.
382 LA VRAIE JEANNE D'ARG : LA LIBÉRATRICE.
I
Vallet de Yiriville a trouvé au British Muséum (w* 1542) un manuscrit
du xv'' siècle, renfermant une histoire incomplète de la Normandie. On
y lit sur la Pucelle un passage que Fauteur de la découverte a imprimé
dans ses Historietis de Charles Vll^ à la suite de la Chronique de Jean
Chartier.
Ce passage ne renferme rien que les chroniqueurs déjà cités ne.nous
aient dit bien souvent, et d'une manière beaucoup moins inexacte. Quil
suffise donc d'en citer la fin, à partir de Tattaque contre Paris. Après
avoir dit que le roi entra à Saint-Denis sans nul contredit, le chroniqueur
continue en ces termes :
« La Pucelle, Mgr d'Alençon, et partie des gens du roi allèrent devant
Paris, et incontinent qu'ils furent arrivés, ils firent saillir [descendré) leurs
gens es fossés pour donner Tassant. A quoi ceux de la place firent grande
résistance, en tirant fort de canons et grosses arbalètes, qui firent peu de
de mal, fors (5/ ce n'est) à la Pucelle qui fut blessée d'un vireton à son
harnais [armure) des jambes ; par quoi elle et ses gens se tirèrent à
Saint-Denis devers le roi, lequel bientôt après se partit et vint passer la
Seine et se rafraîchir à Tours et à Chinon.
« L'an mil quatre cent trente, après que le roi fut retourné de son cou-
ronnement et arrivé enTouraine, la Pucelle retourna au pays de France^ ,
011 étaient demeurés grande partie des gens du roi, tant à Compiègne
qu'es places qu'il avait conquises. Et après qu'elle eut tourné et vti une
partie du pays, elle se relira audit lieu de Compiègne. Elle étant dedans,
les Bourguignons vinrent courir devant, et ils avaient mis plusieurs em-
bûches tout autour. Icelle Pucelle sortit à l'escarmouche avec plusieurs
de ses gens, elle se lança si avant qu'elle se trouva entre lesdites embû-
ches, où elle fut prise et amenée par iceux Bourguignons. Et après qu'ils
l'eurent longuement gardée ils la vendirent es Anglais qui Tachetèrent
bien chèrement.
(( Et après ce, ils la menèrent à la ville de Rouen, où elle fut empri-
sonnée l'espace de long temps. Elle fut questionnée par les plus grands
hommes, sages et plus élevés^ de leur parti, pour savoir si les victoires
qu'elle avait eues sur eux étaient faites par enchantements, par carraulx',
ou autrement. Ils la trouvèrent de si belle réponse, et elle leur bailla
solutions si raisonnables que par longtemps il n'y eut nul d'entre eux
1. Nouvel exemple que le mot France se prenait couramment pour <<! 'Ile-de-France».
2. Grignours dans le texte. D'après Lacirne, c'est le comparatif de u grand ».
3. Flèche, foudre, d'après Lacirne.
DIVERS PASSAGES SUR LA PUCELLE. 383
qui, selon le droit, osât la juger à mort ; mais finalement ils la firent ardre
{brûler) publiquement, ou une autre femme semblable à elle ; de quoi
moult de gens ont été et sont encore de diverses opinions*. »
II
La Chronique de Normandie. — Elle a été bien souvent imprimée, dit
Quicherat, soit à Rouen, soit ailleurs. Elle conduit le récit des événe-
ments jusqu^au recouvrement de la Normandie, et, d'après Quicherat,
aurait été composée peu après la mort de Charles VII ; elle parle en ces
termes du siège d'Orléans et de la Pucelle : elle est aussi inexacte que
brève. La voici :
« L'an mil quatre cent vingt-neuf, le comte de Salisbury assembla les
Anglais à Chartres en grande puissance, et dit à maître Jean de Meung,
magicien, qu'il voulait aller mettre le siège à Orléans. Et maître Jean lui
dit qu'il gardât sa tôle *. Le siège y fut mis, si bien que ceux de la ville,
voyant que les Anglais avaient gagné la tour qui était sur le pont et que
secours ne leur venait point, demandèrent des trêves pour parlementer
et mettre leur ville à composition. Durant les trêves, Salisbury était en
une fenêtre à cette tour du pont, d où il regardait la ville ; et un écolier
mit le feu à une pièce d'artillerie qui était afustée {pointée) pour tirer à
cette tour, dont la pierre frappa Salisbury par la tête dont il mourut.
Aussitôt les Anglais crièrent trahison ', à l'arme, à l'assaut, qu'ils don-
nèrent très fort contre la ville ; mais les écoliers leur firent forte résis-
tance et les Anglais furent vaillamment reboutés {repoussés).
« Les Français vinrent au secours de la ville avec la Pucelle qui lors
commença à régner, et les Anglais levèrent le siège. Ils se mirent en
faite et Talbot fut fait prisonnier *. Les Français devancèrent les Anglais
à Patay, et là fut grande déconfiture des Anglais ; et ils redoutèrent tant
la Pucelle, qu'il leur semblait que partout où elle serait ils n'auraient
jamais la victoire.
« En Tan mil quatre cent XXXP, Messire Jean de Luxembourg, le
1. L*auteur écrivait très probablement lorsque la fausse Pucelle était sur la scène.
L'allusion est manifeste.
2. Le Mystère d*Orléans, dont la valeur historique n*est pas à dédaigner, a consacre
une scène à cette prédiction. Salisbury et Glacidas consultent maître Jean des Boillons.
Le devin répond au premier de bien garder sa iête^ au second qu'il n*a pas de blessure
à craindre, et quMI mourra sans saigner.
3. Loin de crier irahisony les Anglais s'efforcèrent de dissimuler le coup qui les
frappait. U n'y eut pas de trêve.
4. Ce ne fut pas à la levée du siège d'Orléans.
5. Lisez 4430.
384 LA VRAIB JEANNE D*ARG : LA LIBÉRATRICE.
comte d'Arondel, et plusieurs Anglais et Boui^uignons vinrent avec une
grande armée mettre le siège devant Compiëgne ; laquelle chose venue
à la connaissance de Jeanne la Pucelle, pour lors à Lagny-sur-Marne,
elle se partit dudit Lagny pour venir secourir les assiégés à Compiègne,
et depuis, de jour en jour, il y eut de grandes escarmouches entre les
Anglais et Bourguignons d'une part et ceux de la ville d'autre part. Or il
advint un jour que la Pucelle fit une saillie vaillamment ; mais les Anglais
chargèrent si fort sur elle et sa compagnie qu'elle fut prise.
« Et ce firent faire par envie les capitaines de France, pour ce que, si
aucuns [quelques) faits d'armes se faisaient, la renommée était telle par
tout le monde que la Pucelle les avait faits.
« Ladite Jeanne la Pucelle fut détenue en prison par les gens de Mes-
sire Jean de Luxembourg ; et puis il la vendit aux Anglais qui la menè-
rent à Rouen. Elle fut prêchée à Saint-Ouen, et puis après menée au
Vieux-Marché, où elle fut brûlée, et la poudre [la cendre) mise à vau le
vent. »
III
Bien des auteurs français du xv* siècle ont fait en passant mention de
la Pucelle. Tel le Franciscain Pierre de Gros, dans son Jardin des nobles,
ouvrage inédit, signalé par M. Paulin Paris dans son Histoire des
manuscrits de la Bibliothèque du roi. Pierre de Gros écrivait en 1463.
M. Paulin Paris a relevé dans le manuscrit du Franciscain plusieurs
passages pleins d'intérêt. Il cite, entre beaucoup d'autres, la phrase
suivante : « Au royaume de France est la souveraine lumière de la foi,
qui est l'Université de Paris : aux rois de France, signes merveilleux et
miracles Dieu a montré comme en la sainte ampoule et l'oriQant
[ori/lam?ne) es fleurs de lis et en la Pucelle*. »
Guy Pape. — Denys Godefroy cite comme étant de ce célèbre juris — -
consulte du xv' siècle un passage dont voici la traduction * : « De nos^
temps j'ai vu une Pucelle, du nom de Jeanne, qui commença à régneria
[incepit regnare) Tannée où je fus fait docteur. Se revêtant par inspira —
tion divine d'armes guerrières, elle releva en ii30 (?5) le royaume di^
France, chassa les Anglais à main armée, et rendit au susdit roi Charles -
son royaume de France. Cette Pucelle régna trois ou quatre ans » [moin^-M
dun an),
Simon Phares. — C'était un botaniste et un astrologue, pensionna
comme astrologue par Charles Vil. Dans une Histoire des astrologues ^
i. Paulin Paris, Histoire des manuscrits de la Bibliothèque du roi, t. II, p. 149.
386 LA VRAIE JEANNE D*ARC : LA LIBÉRATRICE.
poème d'environ mille vers, sous ce titre : la Complainte des bons Fran-
çais {De complanctu bonortim Gallicorum). Bon Français, Blondel Tétait,
puisque, comme Thomas Basin qu'il loue dans un autre de ses écrits, il
avait fui la Normandie pour échapper à la domination anglaise. Son
poème, que nous avons parcouru, n'est pas toujours en règle avec les
lois d'une stricte prosodie, mais il est plein d'un souffle de patriotisme
qui n'a rien de factice*. Il fut traduit en vers français par un clerc
normand du nom de Robinet.
Robert Blondel était prêtre. En 1449, lors de la rupture des trêves
avec les Anglais, il faisait l'éducation du comte d'Ëtampes, fils de Robert
de Bretagne. Il écrivit, cette fois en prose latine, une exhortation véhé-
mente à Charles VII, pour le pousser à entreprendre la conquête de la
iNormandie. L'ouvrage intitulé Oratio historialis se trouve à la Biblio-
thèque nationale, sous la cote 13838. Il en existe encore deux copies,
[cotes 6^34 et 5964), cette dernière de la main d'André Duchesne. Le lan-
gage de Blondel est hardi, si hardi que le scribe Anquetil, chargé de
présenter le livre au roi, craignait d'exécuter l'ordre reçu, et ne l'accom-
plit que sur commandement réitéré. Blondel ne ménage pas les objur-
gations pour secouer l'inertie de Charles VII ; il se fait la plus haute idée
de la mission de la France, et encore que la Pucelle n'eût pas encore
été réhabilitée, il ne doute pas qu'elle n'ait été miraculeusement envoyée
par le Ciel. Il en parle à deux reprises dans Y Oratio historialis.
Au chapitre xli, à propos de l'usurpation de la couronne de France
par Ilenri de Lancastre, il écrit : « La couronne de France n'était ni
vermoulue, ni brisée; Henri, notre plus antique ennemi, s'en saisit et la
déroba. Une funeste conjuration l'en déclara l'héritier. Le bras de Dieu
la lui enleva, et par le mystère de la Vierge envoyée d'en haut, il la
replaça miraculeusement, contre toute attente, sur la tête de Charles,
que la fraude et la haine en avaient injustement dépouillé. »
Il est plus explicite et plus étendu au chapitre xliu ; et il tire pour le
roi et pour la France du miracle de la Pucelle des conséquences en par-
faite conformité avec les sentiments de Jeanne ; nous ne résistons pas au
plaisir de citer. Après avoir donné plusieurs preuves que Charles VIT
avait été injustement déshérité par le traité de Troyes, il présente comme
1. Blondel portait déjà de son temps contre Paris une accusation bien plus vraie
aujourd'hui. 11 voyait dans Paris la cause des maux de la France. En preuve les vers
suivants :
Urbis Parisius, si fas est dicere veruiu,
Ilorrida seditio, fons est et origo malorum,
et encore :
Vae tibi, Parisius, nobis mala cuncta ministrans,
Et tibi damna paris.
ROBERT BLONDEL. 387
supérieur à tous les autres Targument tiré de la mission de la
Pucelle. Voici comment il s'exprime :
« Ne parlons pas, j'y consens, de votre injuste et criminelle exhéréda-
tion. Votre miraculeux couronnement, très illustre prince, enlève tout
allument et tout doute aux hommes de sens. Vous étiez réduit à la
dernière extrémité. Est-ce par la puissance des hommes, par le secours
des princes que vous avez pu recevoir votre très auguste sacre? Pour un
si haut mystère, une simple Pucelle, innocente, née dans une humble
condition, vous a été envoyée par Dieu, ainsi qu'il faut pieusement le
croire. Vous étiez envahi de toutes parts : ce que les hommes ne pouvaient
pas faire, elle l'a fait ; elle vous a apporté un secours tombé du Ciel.
A travers les rangs d'ennemis acharnés, triomphant de cruels tyrans,
ce que vous ne pouviez pas attendre des efforts humains, elle vous a
glorieusement introduit à Reims. Là la sainte ampoule, jusqu'alors des-
séchée, a débordé d'une huile céleste*, et avec votre sacre vous avez reçu
les insignes de la royauté.
« 0 Charles, roi Très-Chrétien, par les entrailles de Jésus-Christ dont
par droit héréditaire vous êtes le vassal privilégié, écoutez ce que la
sincère affection de ma charité, le zèle de l'extension de la foi me
pressent de dire à votre piété. Vous avez à relever votre royaume cala-
miteusement affligé, à venger le patrimoine du Christ souillé par les
infidèles. Méditez souvent le très haut mystère de votre couronnement,
la délivrance qu'en ce jour vous avez promise à votre peuple. Ce que
par serment vous avez promis à votre couronne et à votre royaume,
hâtez-vous d'en faire sentir les salutaires effets. Sans quoi je redoute que
le suprême Empereur, qui tient dans sa main tous les États, mais parti-
culièrement le vôtre comme son royaume de prédilection, ne vous fasse
sentir les effets de sa colère, en punition de l'oubli de ses immenses
bienfaits...
« 0 Charles, athlète très particulièrement prédestiné à la défense de
la foi, — singularissime'fidei Athleta^ — que tardez-vous à délivrer votre
royaume des durs oppresseurs... qui vous empêchent de secourir le
saint patrimoine du Christ si dévasté... de trouver partout des actes de
vertu à exercer. Poursuivez vaillamment la guerre, et, c'est ma ferme
conviction, jamais cœur ne rêva de demander à Dieu une victoire pareille
à celle qui attend les lis en France et dans le monde, si vous savez vous
m outrer courageux. »
Cette promesse est celle qui termine la lettre de Jeanne aux Anglais,
alors qu'elle assure qu'en sa compagnie les Français accompliront en
1. Blondel croit que l'huile de la sainte ampoule comme tarie pendant la domina-
tion anglaise avait soudainement reparu pour le sacre de Charles Vil,
388 LA VRAIE JEANNE D ARC : LA LIBÉRATRICE.
faveur de la chrétienté /^jo/î/s beau fait qui encore ait été fait. Le langage
de Blondel rend si bien raison de la faveur unique accordée à la France
par la Pucelle, il est si bien en accord avec les sentiments intimes de la
Libératrice, qu'on nous pardonnera d'en traduire encore quelques lignes.
Blondel dans une hardie prosopopée fait parler les prédécesseurs de
Charles VIL Voici, au chapitre xvli, quelques-unes des paroles par
lesquelles saint Louis presse Charles VII d'expulser les Anglais.
« De tous les Etats policés, le plus excellent c'est le royaume de France
quand il ne forme qu'un seul et même corps. La foi chrétienne lui
confère un éclat sans pareil. La puissance divine le dirige et le gouverne
avec les tempéraments d'une souveraine équité. Ceux qui sont appelés
à le régir doivent unir pour le défendre le courage d*un grand cœur à
une joyeuse ardeur pour le métier des armes. Le corps vit par l'âme,
le royaume de France par la vraie religion ; la foi du Christ en est la
suprême loi. 0 cher petit-fils, appelé à être à la tête d'un si beau
royaume, ce n'est pas pour vous endormir dans le repos et l'inertie;
vous êtes né non pour vous, mais pour le salut et la défense de votre
royaume et de la foi catholique. »
On aime à croire que ces objurgations réveillèrent Charles VII, plus
que les reproches de la Sorel, dont nous parlent certaines histoires. Ce
qui est certain, c'est que la conquête de la Normandie et de la Guyenne
suivirent de très près ; celle de la Normandie Tannée même, celle de la
Guyenne Tannée suivante. Le glorieux événement tenta la plume de Ro-
bert Blondel. Il écrivit sous le titre de Reductio Normanniœ {Recouvrement
de la Normandie) un volume dont la Bibliothèque nationale possède trois
copies, dans le fonds latin, n°* o964, 6194, 6198. Il fut composé en 1454.
Robert Blondel était alors le précepteur de Charles, duc de Berry, le
second fils de Charles VII, et le fils préféré depuis que le fils aîné, le
futur Louis XI, donnait à son père de si amers déboires.
Dans ce nouvel ouvrage, Blondel a une page sur la Pucelle. Elle se lit
au chapitre xu de la IV® partie (/° 9i du ix" 5964). La voici traduite en
français :
« Angleterre, nation rapace, nation sacrilège, combien fut laborieux
pour toi avec ses ouze immenses bastilles, le siège de la ville illustre
par sa foi et sa valeur, de la ville boulevard du royaume, d'Orléans. Tu
osas bien profaner et piller, avec le village adjacent, le temple de Notre-
Dame-de-Cléry, fameux par d'infinis miracles de tout genre, riche de
tant de dons. Ce fut, ô sacrilège, le principe de tes revers.
« Ce féroce comte de Salisbury, conducteur de ce siège barbare, à
demi caché regardait par la fenêlre de la citadelle du pont l'assiette de la
ville, lorsque d'une main inconnue, quelques-uns disent de celle d'un
390 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBËRATRIGE.
Elle conduit, à travers des nuées d'ennemis farouches, Charles alors
Dauphin, jusqu'à Reims pour y recevoir la céleste onction. Celui qui
naguère, dépouillé du royaume par l'infâme conjuration des siens, était
poursuivi par des traîtres comme l'ennemi de la couronne, est mainte-
nant ceint du sacré diadème par la Providence de Dieu ; vrai et légitime
héritier du sceptre, il est comme tel élevé sur le trône. »
Quand Blondel écrivait cette page, le procès de réhabilitation était
entrepris, mais la sentence n'était pas rendue. On ignore la date de la
mort du prêtre si français ; il vivait encore en 1460. Il écrivit, ou tout au
moins traduisit, à la demande de la reine, la pieuse Marie d'Anjou, le
Traité ascétique des douze portes de r enfer.
LIVRE IV
PARTI ANGLO-BOURGUIGNON.
CHRONIQUES ET DOCUMENTS PLUS MODÉRÉS,
PEU OU POINT DEFAVORABLES.
^
LIVRE IV
PARTI ANGLO-BOURGUIGNON.
CHRONIQUES ET DOCUMENTS PLUS MODÉRÉS,
PEU OU POINT DÉFAVORABLES.
ENGUERRAND DE MONSTRELET
ÏIii.guerrand de Monstrelet est de tous les chroniqueurs celui que,
"^<l^^'à notre siècle, les histoires aimaient le plus à citer, pour la période
'^^^^t il a retracé les annales.
^tonstrelet est Picard d'origine, issu, dit-il, de noble famille, quelques-
in^ eroient par voie de bâtardise. Il naquit vers 1390 et mourut en 1453.
^^ parti bourguignon, il était particulièrement attaché à Jean de
'^^^embourg. Aussi cherche-t-il à mettre son protecteur particulièrement
^^ ^cène, et lui fait-il une large place dans sa Chronique. On connaît assez
ï^^^ les fonctions qu'il exerça durant sa vie. Il nous apprend lui-même
ï^'il était à Compiègne, lorsque la Vénérable y fut prise.
Sa Chronique s'étend de 1400 à 1444. Elle fut imprimée de bonne heure,
^^tsla fin du xv* siècle. Les éditions en ont été multipliées dans la suite.
^ans notre siècle, Buchon Ta fait entrer dans sa collection ; M. Douet
^Wrc en a donné une édition sous le patronage de la Société de l'Histoire
^e France. On possède de nombreux manuscrits de la Chronique de
Monstrelet.
Ses pages sur la Libératrice, malgré quelques inexactitudes de détail,
sont, à deux points près, réservées, assez complètes et enchâssées dans le
cadre des événements. Elles renferment de précieux aveux. Il a eu le tort
de recueillir, sur le séjour de la Vierge à Neufchâteau, l'impure fable qui
avait cours à la cour de Bourgogne, fable par laquelle on prétendait
expliquer les merveilles de la guerrière. Jeanne, servante d'aubei^e à
Neufchâteau, y aurait pris les allures de la libre cavalière. Le conte a passé
de confiance de la Chronique de Monstrelet dans une foule d'écrits^
même émanés de plumes catholiques.
394 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
L'on n'a pas observé que le procès de réhabitation réduit à néant cette
injurieuse invention. £n racontant la prise de la Libératrice à Compiëgnc,
Monstrelet promet de donner la suite de l'histoire de la prisonnière. Il se
contente de reproduire le récit menteur envoyé par la cour anglaise au
duc de Bourgogne et aux princes de la chrétienté. Il est permis d y voir
un calcul de sa part.
Ce ne sont pas seulement les pages qui regardent directement la
Pucelle qui vont être insérées, mais toutes celles qui aident à mieux
connaître son histoire, et notamment les désastreuses trêves qui interrom-
pirent sa céleste mission.
CHAPITRE PREMIER
LE SIÈGE D^ORLÉANS.
Sommaire : l. — Armée d'élite levée en Angleterre par Salisbury et menée en France.
— La conquête d'Orléans décidée dans les conseils tenus à Paris. — L'armée de
Salisbury renforcée par les contingents levés en Normandie. — Grands capitaines.
— Conquête de places de médiocre importance. — Préparatifs de défense des
Orléanais. — Les faubourgs et leurs églises rasés. — Vaillante attaque et vaillante
défense. — Salisbury maître de la tête du pont. — Mortellement blessé lorsqu'il
contemple la ville. — Ses recommandations avant de mourir.
II. — Le siège continué par les Anglais sous la conduite de SufTolk : efforts de
(jharles Vil pour défendre Orléans. — Noms de quelques défenseurs. — Détresse
de (Iharles Vil. — Abandon dont il est l'objet. — Sa confiance en Dieu.
Ul. — Journée des Harengs. — Dispositions prises par les Anglais. — Présomption des
Français, désordre dans leur attaque. — Leur ignominieuse défaite ; leurs pertes. -
Désespoir de Charles VU.
IV. — Le duc de Bourgogne à Paris dans les premiers jours d'avril. — Ambassade des
Orléanais demandant que leur ville soit remise entre ses mains, comme ville neutre.
— Délibération du conseil anglais, et refus plein de mépris. — Orléans doit se
rendre aux Anglais. — Les Orléanais disposés à tout souffrir plutôt que de devenir
Anglais. — Le duc de Bourgogne content de la proposition des Orléanais, froissé des
nmlti[»les refus des Anglais.
I
Chapitre lu. — Commoit le comte de Salseberi vint en France à tout
grand gent, en l'aide du duc de Bethefort,
Au mois (le mai, le comte do Salisbury, homme expert cl très
renommé en armes, convoqua, par Tordre du roi Henri et de son grand
conseil, jusqu'à six mille combattants ou environ, gens d'élite et éprouvés
en armes pour la plupart, dans le but de les amener en France à l'aide
CHRONIQUE DE MONSTRELET. 395
du duc de Bedford qui se disait régent. Il en envoya d'abord trois mille
à Calais, d'où ils allèrent à Paris pour toujours continuer la guerre contre
les Français.
Environ la Saint-Jean, le même comte de Salisbury passa la mer avec
le surplus de ses gens, vint à Calais, et par Saint-Pol, Dourlens et
Amiens, arriva à Paris, où il fut joyeusement reçu par le comte {sic)
de Bedford, et tout le conseil de France, du roi Henri.
Après l'arrivée de Salisbury, de grands conseils furent tenus durant
plusieurs jours sur le fait de la guerre. Il fut conclu qu'icelui comte,
après qu'ils auraient mis sous l'obéissance du roi Henri quelques mé-
chantes places occupées par ses adversaires, irait mettre le siège devant
la cité d'Orléans, qui, à ce qu'ils disaient, leur était fort nuisible.
Ce plan arrêté, l'on convoqua de toutes parts et l'on manda de par
le roi Henri et de par le régent les Normands et ceux qui tenaient le
parti de l'Angleterre. L'on y mit une telle diligence que peu de temps
après, Salisbury eut sous ses ordres jusqu'à dix mille combattants,
parmi lesquels le comte de Suffolk, le seigneur de Scales, le seigneur
de Talbot, le seigneur de Lille, Anglais, Chassedoch {G/asdal) et plu-
sieurs autres vaillants et très experts hommes d'armes, qui après avoir
été durant quelques jours reçus au milieu des fêtes et des honneurs à
Paris, ainsi qu'il a été dit, quittèrent cette ville et ses alentours avec le
comte de Salisbury... [Monstrelet raconte la prise de Nogent-le-Roi,
Janville, Jargeau, etc., et en vient au siège d'Orléans.]
II
Chapitre un. — Comment le comte de Salsebery assiégea la cité d'Or-
téanSy où il fut occis.
Après que le comte de Salisbury eut conquis et mis en l'obéissance du
roi Henri de Lancastre, Janville, Meung et plusieurs autres villes et
forteresses des pays environnants, il se disposa très diligemment pour
aller assiéger la noble cité d'Orléans, et de fait, durant le mois d'octobre,
il arriva avec toute sa puissance devant ladite cité. Ceux qu'elle renfer-
mait dans ses murailles, attendant depuis longtemps sa venue, avaient
disposé leurs fortiQcations, fait provision d'armements de guerre, de
vivres, choisi des hommes exercés aux armes et belliqueux pour résister
et se défendre. Et même pour qu'il ne put pas aisément s'établir avec
ses gens autour de la ville, ni se fortifier, les habitants d'Orléans avaient
fait abattre et démolir de tous côtés en leurs faubourgs de bons et no-
tables édifices, parmi lesquels furent renversées jusqu'à douze églises
396 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
et plus, dont quatre des ordres mendiants; et avec ces églises beau-
coup de belles et riches maisons de plaisance^ qu'y possédaient les
bourgeois. Ils poussèrent si loin celte œuvre de destruction qu'on pou-
vait voir tout à découvert les faubourgs et les environs, et décharger
comme en plaine les canons et les autres instruments de guerre.
Toutefois ledit comte de Salisbury ne tarda pas longtemps à s'établir
avec ses Anglais près de la ville, encore que ceux du dedans se défen-
dissent vigoureusement de tout leur pouvoir, faisant plusieurs sorties,
déchargeant canons, coulevrines, et autres artilleries qui tuaient ou
mettaient hors de combat plusieurs Anglais. Cependant les Anglais les
repoussèrent si vaillamment et si promptement, qu'ils s'approchèrent
plusieurs fois des remparts au point d'étonner les Orléanais par leur
hardiesse et leur courage. Dans une de ces attaques hardies, le comte
de Salisbury fit assaillir la tour du bout du pont jeté sur la Loire, qu'il
prit et conquit en assez brief de temps, avec un petit boulevard qui était
fort près, malgré la résistance des Français. Il établit plusieurs de ses
gens dans la tour, pour que ceux de la ville ne pussent pas tomber par
ce côté sur son armée. D'autre part, lui, ses capitaines et tous les siens
se logèrent fort près de la ville dans des décombres, dans lesquels, ainsi
que c'est la coutume des Anglais, il fit creuser plusieurs logements dans
la terre, des taudis, et autres appareils de siège pour éviter les traits dont
ceux de la ville les servaient très largement*.
Cependant le comte de Salisbury, le troisième jour après son arrivée
devant la cité, entra dans la tour du Pont où il avait logé ses gens, et
monta au second étage ; là il se mit à une fenêtre donnant sur la ville,
regardant très attentivement ses alentours, pour mieux voir et imaginer
comment et par quelle manière il pourrait la prendre et la subjuguer.
Comme il était à cette fenêtre, soudainement, de la ville, la pierre d'un
veuglaire fend l'air, et va frapper contre la fenêtre où se trouvait le
comte qui, au bruit du coup, se retirait de l'ouverture ; mais il fut atteint
très grièvement, mortellement, des éclats de la fenêtre, eut une grande
partie du visage entièrement emportée, tandis qu'un gentilhomme qui
était à ses côtés tomba sur-le-champ raide mort. Cette blessure porta
au cœur de tous ses gens grande tristesse ; car il en était fort craint et
aimé; et on le tenait pour le plus habile, le plus expert et le plus heu-
reux dans les combats de. tous les princes et capitaines du royaume
d'Angleterre. Toutefois il vécut encore huit jours dans cet état de
1 . Se loga luy et ses capitaines avec tous les siens assez prés de la ville en aucunes viései
masures là estant, èsquelles comme ont accoutumé iceulx Anglois, firent plusieurs lo{fis
dedens terre, taudis et autres habillemens de guerre, pour eschever le trait de ceulx de la
ville dont Hz estoient très largement servis.
CHRONIQUE DE MONSTRELET. 397
blessure. Ayant mandé tous ses capitaines, il leur commanda de par le
roi d^ Angleterre de continuer à réduire sans retard* cette ville à son
obéissance, se fit porter à Meung, et y mourut au bout de huit jours des
suites de sa blessure.
III
Le comte de Suffolk devint capitaine général des Anglais en son lieu
et place, ayant sous lui les seigneurs de Scales, de Talbot, Lancelot de
Lille, Glacidas et plusieurs autres. Malgré la perte qu'ils venaient de faire
de leur chef et souverain Connétable, ils reprirent confiance en eux-
mêmes, et, d'un commun accord, ils se disposèrent en toute diligence à
continuer Tœuvre commencée, par toutes les voies et manières possibles ;
ils firent construire en plusieurs lieux des bastilles et des fortifications
kTintérieur desquelles ils se logèrent, pour éviter les surprises et les
eavahissements de leurs ennemis.
De son côté, le roi Charles de France, sachant que les Anglais, ses
anciens ennemis et adversaires, voulaient subjuguer et mettre en leur
obéissance la très noble cité d'Orléans, avait déterminé, avant leur arri-
vée, au sein de son conseil, qu'il la défendrait de tout son pouvoir,
dans la persuasion que si elle tombait entre les mains de ses ennemis, ce
serait la destruction totale de ses frontières, de son pays, et sa propre
niine. Il envoya donc à son secours une grande partie de ses meilleurs
et plus fidèles capitaines, Boussac et le seigneur d'Eu, et avec eux le
kàlard d'Orléans, chevalier, les seigneurs de Gaucourt et de Graville,
'fi seigneur de Villars, Poton de Xaintrailles, La Ilire, Messire Théodore
Qe Yalpergue, Messire Louis de Gaucourt, et plusieurs autres très
vaillants hommes, fort renommés en armes et de grande autorité. Ils
avaient journellement avec eux de douze à quatorze cents combattants,
gens d'élite, bien éprouvés aux armes, tantôt plus, tantôt moins, car le
siège ne fut jamais si fermé que les assiégés ne pussent se rafraîchir de
gens et de vivres, et aller à leurs besognes, quand bon leur semblait, et
qa'ils avaient la volonté de le faire. Durant ce siège, les assiégés firent
plusieurs sorties sur les assiégeants... Mais, d'après les rapports que
nous ont faits quelques notables des deux partis, je n'ai point su qu'ils
aient fait grand dommage à leurs ennemis, sinon par les canons et autres
engins qu'ils tiraient de la ville...
Chapitre lv. — ... Durant le temps que les Anglais tenaient leur
siège devant la noble cité, le roi Charles, comme il a été dit, était fort
î,San$ dissimulation, relard, un des sens du mot « dissimulation », d'après Lacurne.
308 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
bas^ Il avait été à peu près délaissé, et était comme abandonné par la
plus grande partie de ses princes, et autres des plus nobles capitaines
qui voyaient que de toutes parts ses affaires tournaient au pire*. Néan-
moins il avait toujours bonne affection et confiance en Dieu, désirant de
tout son cœur avoir traité de paix avec le duc de Bourgogne; ce qu'il
avait plusieurs fois requis par ses ambassadeurs ; mais on n'avait pas
encore pu trouver un moyen qui fût au gré des parties.
IV
Chapitre lvi. — Comment les Anglois^ allant au secours du siège dOr-
léanSy rencontrèrent les François qui les assaillirent.
[Après avoir décrit le départ de Paris de quatre ou cinq cents chariots,
escortés par environ seize cents combattants, et mille hommes des com-
munes, et avoir parlé des trois ou quatre mille Français qui les atten-
daient dans les environs de Rouvray, Monstrelet décrit ainsi la funeste
journée des Harengs.]
Les Anglais firent en très grande diligence de leurs charrois, en plein
champ, un grand parc auquel ils laissèrent deux issues pour ouverture,
et ils se mirent à Tintérieur, les archers à la garde de ces entrées, et les
hommes d'armes assez près, aux lieux convenables. A Tun des côtés, le
plus fort, étaient les marchands, les charretons, les pages, et autres
gens de petite défense avec les chevaux. En cet état, les Anglais atten-
dirent bien deux heures leurs ennemis, qui en grand bruit vinrent se
mettre en bataille devant le parc, hors de la portée des traits. 11 leur
semblait, attendu leur grand nombre, la diversité des ennemis ramassés
de différents pays (il n'y avait que cinq à six cents Anglais venus d'An-
gleterre), qu'ils ne pouvaient échapper de leurs mains, et qu'ils seraient
bientôt vaincus. Néanmoins quelques-uns craignaient beaucoup le
contraire, parce que les capitaines français n'étaient pas d'accord entre
eux, les uns, spécialement les Écossais, voulant combattre et livrer
bataille à pied, et les autres voulant demeurer à cheval... Ils allèrent
assez promptement, les uns à pied, les autres à cheval, attaquer et com-
battre leurs ennemis qui les reçurent très courageusement. Les archers
anglais, qui étaient très bien défendus par leurs charrois, commencèrent
1. « Estoit très fort au-dessous ».
2. (c Et Tavoient au peu près laissé comme abandonné la plus grande partie de set
princes et autres des plus nobles seigneurs, voyant que de toutes parts ses besoîgnes
lui venoicnt au contraire. Néanmoins il avoit toujours bonne affection et confiance
en Dieu. »
CHRONIQUE DE MONSTRELET. 399
à tirer très raidemcnt, et de pleine venue ils firent reculer loin d'eux
ceux qui étaient à cheval avec leurs hommes d*armes. Le connétable
d'Ecosse et ses gens combattirent dès lors à Tune des entrées, mais, pour
être bref, ils furent déconfits, et moururent sur la place le connétable
d'Ecosse... et bien jusqu à six- vingts gentilshommes et d'autres jusqu'au
nombre de cinq ou six cents combattants, la plus grande partie Écossais...
et n'y eut de mort de la partie des Anglais, de gens de nom, qu'un seul
homme nommé Bresanteau, neveu de Messire Morbier, prévôt de Paris...
Et pouvaient être les Anglais environ dix-sept cents combattants de bonne
étoffe, sans les communes, et, comme il est dit ci-dessus, les Français
étaient bien de trois à quatre mille...
Pour laquelle maie aventure ainsi advenue, Charles eut au cœur grande
Iristesse, voyant de toutes parts ses besognes venir au contraire de mal
en pis. La dessus dite bataille de Rouvray fut faite la nuit des Brandons
(<** dimanche de Carême) environ trois heures après midi*.
V
Le chapitre lvu, consacré à Jeanne d'Arc, sera reproduit après le lviu".
Ce dernier complétera l'idée de l'état d'Orléans lorsque la Pucelle y fit
son entrée.
Chapitre lvui. — Comment de par le roi Charles et ceux de la ville
iOHians^ vinrent ambassadeurs en la cité de Paris^ pour faire traité au
due de Bedfordy afin que ladite ville d'Orléans demeurast paisible.
Au commencement de cet an^, le duc de Bourgogne accompagné de
su cents chcvaucheurs ou environ, vint à Paris vers le duc de Bedford
par lequel il fut très joyeusement reçu, ainsi que par sa sœur, femme du
même duc Là ne tardèrent pas à venir Poton de Xaintrailles, Pierre
<l'Oi]çin, et d'autres nobles ambassadeurs envoyés par le roi Charles, et
par ceux de la ville et cité d'Orléans très fort molestés et resserrés ' par
le si^e des Anglais. Ils voulaient traiter avec le duc de Bedford et le
conseil du roi Henri d'Angleterre, pour que la ville d'Orléans sortît de
son oppression etdemeurât paisible, remise qu'elle serait entre les mains
1. La nuit des Brandons, le samedi. La journée du dimanche était censée commencer
avec les premières vêpres.
2. L*année commençant à Pâques, qui tombait cette année le 27 mars, on doit
entendre les derniers jours de mars ou les premiers d avril. ChufTart dît que ce fut
le 4 avril.
3. Ont mouU fort estoient molestés et contraints. Contrainty de conriclus, avait alors
comme première acception le sens de lier, enchaîner.
400 LA VRAIE JEANNE D'aRC : LA LIBÉRATRICE.
du duc de Bourgogne, qui y établirait un gouverneur à son plaisir, et la
tiendrait comme neutre ; d'autant plus que le duc d'Orléans et son frère,
le comte d'Angoulême, qui depuis longtemps en étaient les droituriers
seigneurs, étaient prisonniers en Angleterre, et n'étaient point de ladite
guerre.
Le duc de Bedford convoqua plusieurs fois son conseil pour avoir son
avis et ses sentiments sur semblable requête. Le conseil ne put venir à
s'accorder sur pareille demande. Plusieurs remontrèrent au duc de Bedford
les grands frais et les grandes dépenses du roi Henri pour le siège ; il y
avait perdu plusieurs de ses meilleurs hommes ; la ville ne pouvait pas
longtemps tenir sans être subjuguée, et les habitants étaient dans le plus
grand péril ; c'était une des villes du royaume dont il importait le plus
d'être les maîtres, pour des raisons qu'ils en posaient. D'autres témoi-
gnaient leur mécontentement à la pensée qu'elle serait remise entre les
mains du duc de Bourgogne. Il n'était point raisonnable que le roi Henri
et ses vassaux eussent eu les peines et soutenu les mises, et que le duc de
Bourgogne en eût, sans coup férir, les honneurs et les profits. Un con-
seiller, maître Raoul le Sage, dit qu'il ne serait jamais en un lieu où Ton
mâcherait [le fruit] au duc de Bourgogne, pour que ce même duc Tavalàt.
Finalement, l'affaire débattue et examinée, la conclusion fut qu'on n*en-
tendrait pas les Orléanais s'ils ne voulaient traiter avec les Anglais et leur
rendre la ville.
En entendant cette réponse, les ambassadeurs répliquèrent qu'ils
étaient sans pouvoir pour traiter sur ce pied ; et qu'ils savaient bien que
les Orléanais endureraient bien des maux, avant de se mettre en l'obéis-
sance et sujétion des Anglais. Ces conclusions données, les ambassa-
deurs repartirent et retournèrent en la noble ville d'Orléans, où ils firent
connaître l'accueil fait à leur proposition.
Cependant le duc de Bourgogne, à propos de ces affaires, fut content
des ambassadeurs Orléanais. Si cela avait plu au roi et à son conseil,
c'eût été bien volontiers qu'il aurait assumé le gouvernement de la ci
et ville d'Orléans, tant pour l'amour de son beau cousin le duc d'Orléans
que pour éviter les suites qui pouvaient résulter de sa prise; mais le^
Anglais, alors en grande prospérité, ne songeaient pas que la roue de I^
fortune pouvait tourner contre eux ; et quoique, en ce voyage, le duc d^
Bourgogne eût fait plusieurs requêtes à son beau-frère le duc de Bedfor
tant pour lui comme pour ses gens, peu lui furent accordées. Apre
environ trois semaines de séjour en la noble et royale ville de Paris, î
retourna en son pays de Flandre.
LA CHRONIQUE DE MONSTRELET. 401
CHAPITRE II
LA PUCELLE JUSQU'A LA DÉLIVRANCE D'ORLÉANS.
Sommaire : 1. — Jeanne d'Arc à Chinon. — Son âge. — Son costume. — Son pays. —
Son passé. — Son escorte. — Ce qu'elle propose au roi. — Près de deux mois
d'attente. — Traitée d'abord de folle. — Examinée. — Ne parle que de Dieu.
— Finit par être écoutée, par être armée. — Son étendard. — Le ravitaillement
décidé.
ff. — Extrémité à laquelle Orléans est réduit. — Ravitaillement opéré malgré les
Anglais. — Nombre de combattants introduits. — La Pucelle presse lattaque des
ennemis. — Son assurance. — Prise de saint Loup. — Détails. — Seconde bastille
enlevée. — Prise de la bastille du bout du pont après un combat acharné. — Les
morts. — Joie des Orléanais.
III. — Les Anglais abandonnent le siège. — Comment. — Joie et butin des Orléanais.
I
Chapitre lvii. — Comment une Puce/le iiommée Jeanne y vifit devers le
roi Charles à Chinon^ où il se tenoit^ et comment ledit roi Charles la
retint avec lui.
En l'an dessus dit {14^28 anc. st.) vint devers le roi Charles de
France, à Chinon, où il se tenait une grande partie du temps, une
pucelle, jeune fille, âgée de vingt ans ou environ, nommée Jeanne,
laquelle était vêtue et habillée en guise d'homme. Elle était née des par-
ties entre Bourgogne et Lorraiûe, d'une ville nommée Droimy [Dom-
rémy)j assez près de Yaucouleurs.
Cette pucelle Jeanne fut, pendant un grand espace de temps, cham-
brière en une hôtellerie ; elle était hardie à chevaucher les chevaux et à
les mener boire, et à faire des apertises {tours), et autres habiletés que
les jeunes filles n'ont point coutume de faire ^ Elle fut mise en chemin
et envoyée vers le roi par un chevalier nommé Messire Robert de Bau-
dricourt, de par le roi capitaine de Yaucouleurs, qui lui bailla des che-
vaux et quatre ou six compagnons. Elle disait être pucelle, inspirée de
la gr&ce divine, et être envoyée vers icelui roi pour le remettre en
1. Apertise, On désignait par le mot apertise les qualités par lesquelles une personne
se fait connaître comme la force, Tagilité, l'adresse, la valeur, etc. (Lacurne). Une note
marginale du ms. 8346, rectifie ainsi cette assertion : « Toute sa vye fut hergière, gar^
dont les berbis, jusqu'elle fust menée devers le roy, ne jamès n'avait veu cheval au moins
pour monter dessus ».
ni. 26
402 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
possession de son royaume, dont il était chassé et débouté à tort et qui
était en fort ^ mauvais état. Elle fut environ deux mois en Thôtel du roi,
Tadmonestant par ses paroles de lui donner gens et aide, et qu'elle
relèverait son royaume^.
Durant ce temps, ni le roi ni son conseil n'ajoutaient que peu de foi à
ses promesses, et à chose qu'elle sût dire ; on la tenait pour une folle
dont l'esprit était dévoyé*. Pour de si grands princes, en effet, comme
pour tout noble personnage, telles et semblables paroles sont suspectes
et périlleuses à croire, principalement pour ne pas attirer l'ire de Notre-
Seigneur, mais aussi pour les dérisions qu'on pourrait s'attirer des parlers
du monde. Néanmoins, après qu'elle fût demeurée quelque temps en
l'état qui vient d'être dit, on lui vint en aide ; on lui donna et gens et
équipement de guerre^ ; et elle arbora un étendard où elle fit peindre la
représentation de notre Créateur. Aussi toutes ses paroles étaient du nom
de Dieu. Ce qui faisait qu'une grande partie de ceux qui la voyaient et
l'entendaient parler, avaient cette confiance et cette inclination^ à croire
qu'elle était inspirée de Dieu, ainsi qu'elle disait Tôtre.
Elle fut par plusieurs fois examinée par de notables clercs, par d'autres
hommes sages, de grande autorité, afin de savoir plus à plein son inten-
tion ; elle fut toujours constante en son propos, disant que si le roi voulait
la croire, elle le remettrait en sa seigneurie, et depuis ce temps, elle fit
des œuvres ^ dont elle acquit grande renommée, ainsi que ce sera plus à
plein déclaré ci-après.
Lorsqu'elle vint vers le roi, se trouvaient auprès du prince le duc
d'Alençon, le maréchal de Rais, et plusieurs autres capitaines, car le roi
avait tenu un grand conseil pour le fait du siège d'Orléans. De Chinonil
alla à Poitiers, et la Pucelle avec lui.
Bientôt après, il fut ordonné que le maréchal mènerait des vivres et
d'autres approvisionnements nécessaires à Orléans, avec des renforts.
Jeanne la Pucelle voulut faire partie de l'expédition; elle fit requête qu'on
lui donnât ce qui était nécessaire pour s'armer et s'équiper ; ce qui lui
fut donné. Bientôt après, elle arbora son étendard et elle alla à Blois où
se faisait la réunion, et de là à Orléans avec les autres.
Elle était toujours armée de toutes pièces, et en ce même voyage,
1. En assez pauvre état. Voir dans Lacurne au mol Àsseis^ combien souvent il si-
gnifie beaucoupy très, etc., dans la langue du moyen âge.
2. Exaukeroit sa signourie,
3. Dévoyée desanté, « malade d'esprit, dont la tôte est dérangée ». (Lacur^e.)
4. Eabillemens de guerre. Expression très fréquente chez les chroniqueurs, qui pour-
rait signifier aussi : « tout ce qui est nécessaire pour la guerre ».
5). Avaient grande crédence et variacion qu'elle fust inspirée, etc.
6. Fist aulcunes besongnes.
LA CHRONIQUE DE MONSTRELET. 403
plusieurs gens de guerre se mirent sous sa conduite ^ Et quand elle fut
arrivée dans la cité d'Orléans, on lui ût très grand accueil, beaucoup de
gens se réjouirent de sa venue, comme vous entendrez le rappeler plus
longuement sans trop tarder.
II
Chapitre lix. — Comment la Pucelie Jehanne et plusieurs capitaines
franehois rafraischirent la ville (T Orléans de vivres et de gens d'armes^ et
depuis levèrent le siège.
Depuis sept mois environ les capitaines anglais avec leurs gens fai-
saient le siège d'Orléans. La ville était fort oppressée et travaillée tant par
leurs machines de guerre que par les fortifications, bastilles et for-
teresses qu'ils avaient élevées en plusieurs lieux, jusques au nombre de
soixante, et les assiégés voyaient bien que la prolongation les mettait
en péril d'être mis en la servitude et obéissance de leurs ennemis. Déci-
dés et disposés à résister de tout leur pouvoir, et à empêcher pareille ex-
trémité par tous moyens que trouver ils pourraient, ils envoyèrent vers le
roi Charles, pour en avoir secours de gens et de vivres.
De quatre à cinq cents combattants environ leur furent envoyés ;
depuis il en vint bien sept mille avec des vivres, qui étaient conduits par
ces hommes d'armes par la rivière de la Loire ; avec eux vint Jeanne la
Pucelie'. Jusques à ce jour elle avait fait peu de choses dont il fût
quelque renommée.
Les assiégeants s'efforcèrent de conquérir ce convoi de vivres ; mais il
fut bien défendu par la Pucelie et par ceux qui étaient avec elle, et il fut
préservé ; les habitants de la ville en furent bien ravitaillés ; et ils furent
très joyeux tant de la venue de la Pucelie que des vivres ainsi intro-
duits.
Le lendemain, qui fut un jeudi', Jeanne se leva très matin, et, s'adres-
sant à plusieurs capitaines de la ville et autres gens de guerre, les exhorta
et les pressa très fort par ses paroles de s'armer et de la suivre, car,
disait-elle, elle voulait assaillir et combattre les ennemis, ajoutant qu'elle
savait sans faillir qu'ils seraient vaincus.
Ces capitaines et les autres gens de guerre étaient tous émerveillés de
ses paroles; la plupart se mirent en armes, et s'en allèrent avec elle
i. On aura remarqué, sans qu'il soit nécessaire, de Tobserver, combien Monstrelet
fait ici d'omissions et rapetisse le rôle de Théroïne.
2. Monstrelet se trompe s'il veut dire que les vivres arrivèrent en remontant la
rivière, et se trompe aussi en disant que le convoi fut attaqué.
3. L'erreur sur le jour est la moindre de celles que l'auteur a mêlées à la prise de
Saint-Loup.
404 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
assaillir la bastille de Saint-Loup, qui était très forte, et que défendaient
de trois à quatre cents Anglais ou environ. Ils furent très promptement
vaincus, morts, pris, et mis en déplorable état* ; la fortification fut entiè-
rement démolie et livrée au feu et à la flamme. Ladite Pucelle s'en
retourna ainsi dans la cité d'Orléans, où elle fut très grandement honorée
et festoyée de toutes gens.
Le lendemain, qui fut le vendredi, la Pucelle Jeanne sortit de nouveau
de la ville avec un certain nombre de combattants, et alla assaillir la
seconde bastille pleine d'Anglais. Comme la première, elle fut gagnée et
emportée; et ceux qui y étaient renfermés furent mis à mort et passés
au fil de Tépée. La Pucelle ayant fait mettre en feu et embraser cette
seconde bastille, retourna dans Orléans, où, plus que devant, elle fut
encore exaltée et honorée par tous.
Le lendemain samedi, elle assaillit ayec grande vaillance et grande
ardeur la très forte bastille du bout du pont qui était merveilleusement et
puissamment fortifiée. Là se trouvait la fleur des meilleurs gens de
guerre de TAngleterre, et la véritable élite des hommes d'armes. Ils se
défendirent très longuement et très habilement; mais cela ne leur valut
guère ; de vive force et par prouesse de bataille ils furent pris et
conquis, et la grande partie fut mise à Tépée. Parmi les morts fut un
très renommé et vaillant capitaine anglais, appelé Classedas {G/asdal}^
et avec lui le seigneur de Molins, le bailli d'Évreux, et plusieurs autres
nobles hommes de grand étal.
Après cette conquête, retournèrent dans la ville Jeanne la Pucelle et
les Français, sans n'avoir perdu que peu de leurs gens. Et quoique,
d'après la commune renommée, la Pucelle passât pour avoir conduit ces
trois attaques, néanmoins tous les capitaines, ou au moins la plus grande
partie d'entre eux, qui durant le siège avaient été dans Orléans, se trou-
vèrent à ces assauts. Ils s'y comportèrent, chacun de leur côté, aussi
vaillamment que gens de guerre doivent le faire en pareil cas, si bien
qu'en ces trois bastilles de six à huit cents combattants furent tués, ou
faits prisonniers, et les Français ne perdirent qu'environ cent hommes
de tous étals.
III
Le lendemain dimanche, les capitaines anglais, à savoir le comte de
Suffolk, Talbot, le seigneur de Scales et plusieurs autres, voyant la prise
de leurs bastilles et la perte de leurs gens résolurent de s'assembler et
1 . Mis à grand ineschiev.
406 LA VRAIE JEANNE D'aRC : LA LIBÉRATRICE.
qu'on attendait de la Puceile. — Le roi déterminé à poursuivre ses succès. —
Fastolf opposé à ce qu'on livrât la bataille de Patay. — Ses motifs. — Sa fuite. — U
est dégradé, réintégré.
I
Chapitre lx. — Comment le roy de France^ à la requeste de la Puceile
et des autres capitaines estans à Orléans^ leur envoia crans gens d'armes
pour aler sur ses ennemis.
Les Français qui étaient dans Orléans *, à savoir les capitaines avec
Jeanne la Puceile, envoyèrent d'un commun accord plusieurs messages
au roi de France, pour lui raconter les besognes victorieuses qu'ils avaient
faites, et comment les Anglais ses ennemis étaient partis et retirés dans
leurs garnisons, lui demandant d'envoyer sans délai le plus de gens
qu'il pourrait trouver, ainsi que plusieurs grands seigneurs, afin de pou-
voir poursuivre leurs ennemis effrayés par la perte qu'ils venaient de
faire ; ils lui demandaient de se mettre lui-même en marche en personne,
pour aller de l'avant. Pareilles nouvelles furent très agréables au roi et
à son conseil ; et c'était bien raison.
Incontinent furent mandés auprès du roi le Connétable ', le duc
d'Alençon, Charles seigneur d'Albret, et plusieurs autres grands seigneurs,
qui pour la plupart furent envoyés à Orléans.
D'autre part le roi, quelque temps après, se dirigea vers Gien, amenant
avec lui un très grand nombre de combattants.
Les capitaines qui déjà se trouvaient à Orléans, les princes et les grands
seigneurs qui y étaient récemment arrivés, tinrent ensemble de grands
conseils pour décider s'ils poursuivraient les Anglais ; conseils auxquels
la première appelée était Jeanne la Puceile, qui en ce temps était à Tapo-
gée de son règne. Finalement, au milieu du mois de mai, (le siège avait
été levé au commencement de ce mois), les Français se mirent en cam-
pagne au nombre de cinq à six mille combattants, avec charrois et
armements de guerre, et prirent droit leur chemin vers Jargeau, que
défendaient le comte de Suffolk et ses frères.
Déjà, ces derniers avaient par avance expédié plusieurs messages à Paris
vers le duc de Bedford, lui annonçant les pertes et les malheureux événe-
ments survenus devant Orléans, le requérant de vouloir bien envoyer
promptement des secours, sans quoi ils étaient en péril d'être repousses,
et de perdre plusieurs villes et forteresses qu'ils occupaient dans la Beauce
1. La Puceile, ainsi que la plupart des capitaines, quittèrent Orléans aussitôt après
la délivrance.
2. C'est là une des nombreuses erreurs de détail de ce chapitre de Monstrelet,
quand il parle des Français.
LA CHRONIQUE DE MOiNSTRELET. 407
et sur les bords de la Loire. Le duc de Bedford fut très contristé et fort
chagrin de ces mauvaises nouvelles. Considérant cependant qu'il fallait
pourvoir aux choses les plus nécessaires, il manda hâtivement de tous les
pays de son obéissance des gens de guerre, en fit réunir de quatre à cinq
mille qu'il fit mettre en chemin, et marcher droit vers le pays d'Orléans,
sous la conduite de Messire Thomas de Rampston, du bâtard de Thian
et de plusieurs autres ; il promettait que bientôt après il irait à leur
suite avec de plus grandes forces qu'il avait demandées en Angleterre.
Il
Chapitre lxi. — Comment la Pucelle^ le Connestable de Franche, et le
^ duc (TAtenchonj et leurs routes (bandes) conquirent la ville de Gargeaux ;
et la bataille de Patay, où les Franchoix desconfirent les Anglois.
Or, il est vrai que le Connétable de France, le duc d'Alençon, Jeanne
la Pucelle, et les autres capitaines français étant ensemble en campagne,
ainsi qu'il a été dit, chevauchèrent tant durant quelques jours \ qu'ils
vinrent devant Jargeau où se trouvait le comte de SufTolk, avec trois ou
quatre cents de ses gens et les habitants de la ville, qui aussitôt se mirent
en toute diligence en état de défense ; mais ils furent promptement envi-
ronnés de toutes parts des Français, qui de fait commencèrent en
plusieurs endroits d'attaquer avec grande activité. L'assaut dura assez
longtemps, terrible et très acharné. Les Français le poursuivirent si
ftprement que, malgré les défenseurs, ils pénétrèrent dans la ville et la
conquirent par prouesse. Dès leur entrée, trois cents combattants
anglais furent tués, parmi lesquels l'un des frères du comte de Suffolk.
Ce même comte et son frère le seigneur de La Pôle furent faits prison-
niers, ainsi que soixante de leurs gens ou même plus.
La ville et le château de Jargeau conquis et subjugués, les Français s'y
rafraîchirent tout à leur aise ; et, partant de là, ils allèrent à Meung, qui
leur fît promptement obéissance. D*un autre côté, les Anglais qui tenaient
La Ferté-Hubert s'enfuirent et se réfugièrent à Baugency. Ils y furent
poursuivis par les Français qui se logèrent devant eux en plusieurs
endroits. Jeanne la Pucelle était toujours en avant, en tête, avec son
étendard. Et dès lors, dans toutes les marches des environs, nul homme
de guerre à côté d'elle, ne faisait plus grand bruit, ni n'avait pas grande
renommée ^.
i. D^Orléans à Jargeau, il n'y a que 17 kilomètres; le Connétable n'était pas à
la prise de Jargeau. C'est le 1 1 juin que l'armée quitta Orléans.
2. Tovjour$ Jehanne la Pucelle ou front devant, atout (avec) son estendart. Et lors, par
408 LA VRAIE JEANNE D'aRG I LA LIBÉRATRICE.
Les principaux capitaines anglais, qui se trouvaient dans Baugency,
voyant que, par la renommée de cette Pucelle, la fortune s'était entière-
ment tournée contre eux, que plusieurs villes et forteresses, les unes
forcées d'assaut par la vaillance des armes, les autres à la suite de
traités, s'étaient mises en Tobéissance de leurs ennemis ; et aussi que leurs
gens étaient pour la plupart très ébahis {démoralisés) et épouvantés, qu'ils
ne leur trouvaient pas leur résolution et leur intelligence accoutumées,
mais qu'ils avaient le plus grand désir de se retirer sur les marches de la
Normandie \ les capitaines anglais ne savaient que faire, ni à quel parti
s'arrêter, n'ayant ni certitude ni assurance d'être bientôt secourus. Par
suite de ces considérations, ils traitèrent avec les Français. Les conditions
furent qu'ils s'en iraient avec leurs biens, leurs corps et leurs vies saufs,
et ils remettraient la place en Tobéissance du roi Charles ou de ses com-
mis. Le traité ainsi conclu, les Anglais partirent et prirent leur chemin
par la Beauce, en se dirigeant vers Paris. Les Français entrèrent
joyeusement dans Baugency, et, à l'exhortation de Jeanne la Pucelle,
ils arrêtèrent d'aller à la rencontre des Anglais', qui, ainsi qu'on leur
avait donné à entendre, et c'était vrai, venaient des parties de Paris
pour les combattre.
III
Ils se mirent donc à pleins champs, accrus chaque jour par gens nou-
veaux qui venaient à eux de plusieurs marches. Le Connétable, le maré-
chal de Boussac, La Hire, Poton et quelques autres capitaines furent
ordonnés pour former l'avant-garde ; les autres chefs étaient le duc
d'Alençon, le bâtard d'Orléans. Le maréchal de Rais était conducteur de
l'armée qui suivait d'assez près l'avant-garde ^ ; ils pouvaient être de six
à huit mille combattants.
Quelques-uns des chefs demandèrent à Jeanne la Pucelle ce qu'il y avait
à faire, et ce qu'il lui paraissait bon d'ordonner ; elle répondit pour
vrai queleurs anciens adversairesles Anglais venaient pour les combattre,
toutes les marches de là environ, n'estoitplus grand bruit ne renommée comme il estait d'elU
de nul aultre homme de guerre. Monstrelet revient souvent sur cette affirmation, sans
indiquer autrement ce que disent les autres chroniqueurs, à savoir que plusieurs
hommes de guerre en étaient profondément jaloux. Quicherat a écrit : Et de nul aultre
homme de guerre. Cet et rend la phrase inintelligible.
i. VoiantSf par la renommée d'icelle Pucelle, fortune estre ainsi du tout tournée contre
eulx et aussy que leurs gens, pour la plus grande partie étaient moult ébahis et espoantés et
ne les trouvoient pas de tel propos de prudence qu'ilz acoient acoustumé, ains estaient très
désirans d'eul^e retraire sur les marches de Normandie, etc.
2. Assés prés, pourrait signifier aussi « de très près ».
410 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
furent prompiement environnés et frappés par les Français, n'ayant pas
eu le temps de s'abriter derrière leurs pieux aiguisés, ainsi qu'ils avaient
coutume de le faire. Par suite, sans faire éprouver grand dommage aux
Français, ils furent très promptement et facilement abattus, déconfits et
entièrement vaincus. Il resta bien, morts sur place, environ dix-huit cents
Anglais ; il y en eut de prisonniers de cent à six-vingts, parmi lesquels
les principaux étaient les seigneurs de Scales, de Talbot, d'Hongerfort,
Messire Thomas Rampston, et plusieurs autres des plus notables jusqu'au
nombre susdit. De ceux qui y furent morts les principaux étaient... *. Les
autres gens du dernier ou de moyen état étaient de ceux que les Anglais
amènent de leur pays, et qui sont destinés à mourir en France ^.
Après cette affaire, qui eut lieu environ deux heures après midi, tous
les capitaines français se réunirent, rendant dévotement et humblement
grâces à Dieu, leur Créateur. Et ils se livrèrent ensemble aune grande joie
pour leur victoire et pour une si bonne fortune. Ils se logèrent pour cette
nuit en cette ville de Patay, située à deux lieues de Janville-en-Beauce,
et cette journée porte à tout jamais le nom de Patay. Le lendemain, les
Français repartirent avec leurs prisonniers et les riches dépouilles des
Anglais morts sur le champ de bataille. C'est ainsi qu'ils rentrèrent à
Orléans, tandis qu'une partie de leurs gens se logèrent aux environs^ au
milieu des transports de joie de tout le peuple. Jeanne la Pucelle, spécia-
lement, acquit en ces besognes si grande louange et si grande renommée
qu'il semblait à toutes gens que les ennemis du roi n'eussent plus puis-
sance de lui résister, et que, dans peu, le roi dût, par son moyen, être
entièrement remis et rétabli en son royaume.
Elle alla avec les autres capitaines vers le roi qui se réjouit beaucoup
de leur retour et fit à tous très honorable réception. Après quoi il décida,
avec les gens de son conseil, de mander des pays de son obéissance le
plus de gens de guerre qu'il pourrait afin de marcher en avant et de pour-
suivre ses ennemis.
Item. — A la journée de la bataille de Patay, avant que les Anglais sus-
sent l'arrivée de leurs ennemis, messire Jean Fastolf, un des principaux
capitaines, celui qui devait s'enfuir sans coup férir, se trouvant en con-
seil avec les autres fit plusieurs remontrances; à savoir comment tous
savaient les pertes qu'ils avaient faites de leurs gens devant Orléans, à
Jargeau et en d'autres lieux, où ils avaient eu du pire ; leurs gens étaient
très ébahis et effrayés, et leurs ennemis au contraire très enorgueillis et
très ranimés. C'est pourquoi son avis était qu'on se retirât dans les
châteaux et les lieux qui, aux environs, tenaient leur parti, de ne point
1 . Lacune dans les mss.
2. Tels et si fais qu'ils ont accoustumez de amener de leur pais mourir en France.
LA CHRONIQUE DE MONSTRELET. 411
combattre les ennemis avec tant de hâte, d'attendre que leurs gens fus-
sent mieux rassurés, et aussi que fussent arrivés d'Angleterre les secours
que le régent devait prochainement amener. Ces observations ne furent
pas agréables à plusieurs des capitaines, spécialement à Messire Jean de
Talbot, qui dit que, si les ennemis venaient, il les combattrait. Et parce
que, ainsi qu'il a été rapporté, Fastolf s'enfuit de la bataille sans coup
férir, il fut pour ce motif grandement blâmé, lorsqu'il vint devant son
seigneur, le duc de Bedford; Bedford finit par lui enlever Tordre de la
Jarretière blanche S qu'il portait autour de la jambe. Mais depuis, tant
pour les observations qu'il avait faites qui semblaient assez raisonnables,
que pour plusieurs autres excuses qu*il mit en avant, ledit ordre de la
Jarretière lui fut rendu par sentence judiciaire ; il en sortit cependant un
grand débat entre icelui Fastolf et sire Jean de Talbot, alors que ce
dernier revint de sa captivité, à la suite de cette bataille.
A cette besogne furent faits chevaliers, du coté des Français, Jacques
de Miily, Gilles de Saint-Simon, Louis de Marconnay, Jean de La Haye
et plusieurs autres vaillants hommes.
CHAPITRE IV
LA CAMPAGNE DU SACRE.
SosuiAiRE : 1. — Convocation des guerriers à Bourges et à Gien. — Noms des princi-
paux seigneurs. — Jeanne d'Arc et Frère Richard. — Le Connétable en Normandie.
— Acheminement vers Auxerre. — Soumission de Saint- Fargeau et de Saint-
Florentin. — Négociations avec Auxerre. — Composition.
II. — Campement devant Troyes. — Soumission de la ville et de nombreux chà-
t eaux tout autour.
III. — Les clefs de Chàlons apportées à Troyes. — Entrée dans la ville. — Los clefs
de Reims apportées à Chàlons. — La crainte do la Pucelle amène la soumission de
Reims, malgré les capitaines anglo-bourguignons. — Ces derniei*s se retirent. —
Intervention de rArchevéque-chancelier. — La cérémonie du sacre. — Le diner à
Tarchevéché. — Le neveu de TArchevèque, capitaine de Reims.
I
Chapitre Lxni. — Comment Charles, roi de Franche, se mist sur les
champs atout grand foison de chevalerie et de gens d'armes^ auquel voiage
mist en son obeyssance plusieurs villes et citez,
1. En conclusion lui fu osté l'ordre du blancq Jarrelicr.
412 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
Durant ce temps, Charles, roi de France, assembla à Bourges-en-Berry
une très grande multitude de gens d'armes et d'hommes de trait. Parmi
eux se trouvaient le duc d'Alençon, Charles de Bourbon, comte de Cler-
mont, Arthur, connétable de France, comte de Richemont, Charles d'An-
jou, son beau-frère et frère du roi René de Sicile, le bâtard d'Orléans, le
cadet d'Armagnac, Charles, seigneur d'Albret,et plusieurs autres person-
nages élevés et puissants barons, des duchés et comtés d'Aquitaine, de
Gascogne, du Poitou, du Berry, et de plusieurs autres bons pays. Il se
mit aux champs avec eux tous, et vint de là à Gien-sur-Loire. Jeanne la
Pucelle était toujours avec lui ; et en la compagnie de Jeanne se trouvait
un prêcheur nommé Frère Richard, de l'ordre de Saint- Augustin, qui na-
guère avait été débouté de Paris et de plusieurs lieux de l'obéissance des
Anglais, où il avait fait plusieurs prédications dans lesquelles il se mon-
trait trop ouvertement favorable aux Français et être de leur parti *.
Du lieu de Gien, le roi prit son chemin vers Auxerre. Cependant le
Connétable, avec un certain nombre de gens d'armes,s'en alla en Normandie
vers Evreux pour empêcher les garnisons du pays de se réunir autour du
duc de Bedford. D'autre part le cadet d*Armagnac fut renvoyé et com-
mis à la garde du duché d'Aquitaine et du Bordelais^. Sur son chemin, le
roi mit sous son obéissance deux petites villes déclarées pour lé roi Henri :
Saint-Florentin et Saint-Fargeau. Elles promirent de se conduire à l'ave-
nir envers le roi et ses délégués comme doivent le faire de bons et loyaux
sujets envers leur souverain ; elles prirent aussi du roi sûreté et promesse
d'être maintenues et gouvernées en bonne justice, et selon leurs anciennes
coutumes.
De là il vint à Auxerre ; et il envoya sommer les habitants de vouloir
le recevoir comme leur naturel et droiturier seigneur; ce que de premier
abord ils ne furent point contents d'accorder. Néanmoins plusieurs
ambassadeurs furent envoyés de côté et d'autre, et un traité finit par
intervenir entre les deux parties. Ceux d'Auxerre promirent de faire au
roi telle et pareille obéissance que feraient les villes de Troyes, Châlons
et Reims. A cette condition et en fournissant aux gens du roi pour leur
1. Tout ce passage renferme de nombreuses erreurs. Ni le Connétable, ni Charles
d'Anjou n'étaient dans l'armée réunie après Patay. La réunion ne se fit pas à Bourges,
mais à Gien. — Frère Ilichard ne vit pas Jeanne avant l'arrivée à Troyes; il n*était
pas de l'ordre de Saint-Âugustin, mais bien de Saint-François. Le principal motif de
son expulsion de Paris ne fut pas son attachement au parti national. Au sortir de
Paris, il n'a pas quitté les pays anglo-bourguignons.
2. Richemont et de Pardiac avaient pris les armes contre Charles VU, pour ren-
verser La Trémoille, moins d'un an auparavant. La Pucelle fut impuissante à les
faire réintégrer. S'ils combattirent pour la cause nationale, ce fut sur leur propre
initiative.
f
LA CHRONIQUE DE MONSTRELET. 413
argent des vivres et d'autres approvisionnements, ils demeurèrent en paix
et le roi les tint pour excusés pour cette fois.
II
Le roi vint de là à Troyes-en-Champagne, et campa tout autour. Trois
jours s'écoulèrent avant que les habitants consentissent à le recevoir pour
seigneur. Après ces trois jours, sur certaines promesses qui leur furent
faites, ils lui firent pleine ouverture ; et, avec ses gens, le mirent dans
la ville, où il ouït la messe. Après les serments accoutumés qulls se firent
mutuellement les uns aux autres, le roi retourna en son logis au dehors,
et fit publier par plusieurs fois, tant dans Tarmée que dans la ville, que,
sous peine de la hart {la cordé)^ nul, de quelque état qu'il fût, ne fît en
rien dommage aux habitants de Troyes, ni à aucun de ceux qui s'étaient
mis en son obéissance. Dans ce voyage, Tavant-garde était sous la conduite
des deux maréchaux de France, Boussac et le seigneur de Rais, avec les-
quels se trouvaient La Hire, Poton de Xaintrailles et d'autres capitaines.
Durant ce voyage se mirent en Tobéissance du roi Charles un très
grand nombre de bonnes villes et de châteaux, dans les environs de la
roule qu'il suivait. Déclarer la reddition de chacune en particulier,
je le passe pour cause de brièveté.
III
Chapitre LXIV. — Comment le roy Chartes de France^ atout (/rande et
noble chevalerie, et atout grand 7iombre de gens d armes, s' en vint en la
cité de RainSj oti il fut sacré.
Item. — Charles roi de France étant encore à Troyes, des députés de Châ-
lons-en-Champagne vinrent lui apporter les clefs de leur ville et cité,
et lui promettre de la part d'icelle de lui faire toute obéissance. Le roi,
»près leur arrivée, vint audit lieu de Chàlons, où les habitants le reçu-
[ rent bénignement et en toute humilité. Là lui furent pareillement appor-
^ les clefs de la ville de Reims, avec promesse, comme pour la ville
précédente, de lui faire toute obéissance et de le recevoir comme le
Mturel seigneur de la cité.
Le seigneur de Saveuse, avec un certain nombre de gens d'armes,
a>'ait été naguère en cette cité de Reims pour la maintenir en l'obéissance
du roi Henri el du duc ; le gouverneur et grand nombre des habitants
lui avaient promis de soutenir jusqu'à la mort le parti et la querelle du
414 LA VRAIE JEANNE D^ARG : LA LIBÉRATRICE.
roi Henri et du duc, mais, nonobstant ce serment, par crainte de la
Pucelle, qui, d'après ce qu'on leur donnait à entendre, faisait de grandes
merveilles, ils se mirent en Tobéissance du roi Charles, quoique le sei-
gneur de Châtillon et le seigneur de Saveuse, leurs capitaines, leur
pussent remontrer pour leur persuader le contraire. Ces deux seigneurs,
voyant leur résolution et de quel côté était, leur affection, quittèrent
Reims ; car les habitants de la ville n'avaient rien voulu entendre à leurs
remontrances, et leur avaient fait des réponses dures et assez étranges.
Après les avoir ouïes, les seigneurs de Saveuse et de Châtillon retour-
nèrent à Château-Thierry.
Ceux de Reims avaient déjà décidé de recevoir le roi Charles. Ce qu'ils
firent, par l'intervention de TArchevêque de la ville, chancelier du roi
Charles, et par l'intervention de plusieurs autres. Le roi entra dans la
ville et cilé de Reims, le vendredi, seizième jour de juillet*, avec une
partie de sa chevalerie. Le dimanche qui suivit, il fut sacré et couronné
en qualité de roi par ledit Archevêque, dans l'église Notre-Dame de
Reims, en présence de ses princes et prélats, et de toute la baronnerie
et chevalerie qui étaient dans la ville. Là se trouvaient le duc d'Alençon,
le comte de Clermont, le seigneur de La Trémoille, qui était son princi-
pal gouverneur, le seigneur de Beaumanoir, Breton, le seigneur deMailly
enTouraine. Tous étaient en habits royaux ; ils représentaient les nobles
pairs de France, ainsi et de la manière que la coutume était de le faire.
Le sacre fait et accompli, le roi alla dîner en l'hôtel épiscopal de l'Ar-
chevêque ; les seigneurs et les prélats l'accompagnaient. L'Archevêque de
Reims s'assit à sa table. Le roi fut servi à son dîner par le duc d'Alençon
et le comte de Clermont avec plusieurs autres grands seigneurs. Le roi
fit le jour de son sacre trois chevaliers dans Téglise, parmi lesquels le
damoiseau de Commercy. A son départ, il laissa à Reims pour en être
le capitaine Antoine de Hellande, neveu de l'Archevêque.
CHAPITRE V
LA CAMPAGNE APRÈS LE SACRE.
Sommaire : i. — Itinéraire triomphanl de Charles VU à Iravei^s les villes qui se sou-
mettent. — La Hire, bailli du Verniandois. — Château -Thierry abandonné par le»
Bourguignons. — Motifs.
11. — Armée de dix mille hommes rassemblée par Bedford. — il se met en campagne.
— Lettre qu'il adresse à Charles VH. — Reproches de s'aider d'une femme désor>
donnée et d'un moine apostat, de pousser les peuples à sa parjure, de fuir le combat.
1. Le seizième jour de juillet était le samedi, ce fut le jour de l'entrée du roi.
U CHRONIQUE DE MONSTRELET. 415
— Invitation à une entrevue, reproches du meurtre de Montereau. —Appel à Dieu.
ill. — Bedford sur les marches de ille-de-France. — Rencontre des deux armées près
de Senlis. — Forte position de Bedford. — Disposition de son armée. — Les vivres
fournis par Senlis. — La disposition de Tarmée de Charles VIL — La Pucelle. —
Les années sont en présence durant deux jours. — Fortes escarmouches. — Ani-
mation des deux côtés ; pas de quartier. — 300 morts. — Les armées se séparent.
IV. — Les ambassadeurs de Charles VU à Arras. — Le chancelier porte la parole. —
La paix regardée comme certaine. — Soumission de Compiègnc. — Les ambassa-
deurs bourguignons viennent trouver le roi. — Ceux qui combattent la conclusion
de la paix.
V. — Charles VII quitte Compiègne où il laisse Flavy pour gouverneur. — Soumission
de Senlis et d*une foule d*autres places. —D autres n'attendent que la venue du roi. —
Pourquoi Charles Vil ne poursuit pas ses conquêtes. — il vient à Saint-Denis. — La
Pucelle pousse à Tassant de Paris. — Attaque. — Assaut âpre. — Défenseurs de Paris.
— Blessure de Jeanne. — La retraite sonnée à l'improviste. — Ce qui confirme les
Parisiens dans leur résistance.
VI. — Charles W nomme des gouverneurs des pays nouvellement conquis et revient
vers le Berry.
VIL— Trêves. — Le Pont-Sainte- Maxence remis aux Bourguignons. — Uavages sur les
marches de France et du Beauvaisis. — Grâce à ces trêves, le duc de Bourgogne
traverse insolemment les pays récemment conquis, vient à Paris resserrer son
tllfance avec Bedford, et est nommé gouverneur de la capitale. — Guerres durant
les trêves ; artifices des Bourguignons. — Préparation de la reprise des hostilités
tprès PAques.
En sortant de Reims le roi alla en pèlerinage à Corbigny, visiter Saint-
Marcon. Là, leshabitants de la ville de Laon vinrent lui faire obéissance,
eomme avaient fait ceux des villes dont il a été fait mention. De Corbi-
gny le roi vint à Soissons et à Provins, qui, sans opposition aucune, lui
firent pleine ouverture. Il constitua alors La Ilire comme nouveau
btilii du Vermandois, à la place de Colard de Mailly, que le roi dWngle-
terrey avait précédemment commis.
Le roi vint ensuite avec ses gens devant Château-Thierry. Le seigneur
de Châtillon, Jean de Croy, Jean de Brimeux et quelques autres nobles,
grands seigneurs, déclarés pour le duc de Bourgogne, s'y étaient
renfermés avec environ quatre cents combattants. Sentant que Tensem-
We de la ville inclinait à faire obéissance au roi Charles, n'attendant pas
de prompt secours, n'étant pas suffisamment pourvus à leur plaisir, ils
rendirent au roi cette forte ville et son château, et la quittèrent sains et
8aafsavec tous les biens. Ils allèrent à Paris vers le duc de Bedford, qui
formait une grande assemblée de gens d'armes pour venir combattre le
roi Charles et son armée.
416 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
II
Chapitre lxv. — Comment le duc de Bethford fit moult grande assem-
blée de gens d' aimes pour aller combattre le roi Charles^ et comment il lui
envoya ses lettres.
Pendantee même temps, le régent, duc de Bedford,ayantréum à peu près
dix mille combattants, amenés d'Angleterre^ ou recrutés en Normandie et
en quelques autres marches de France, vint*de Rouen à Paris, et partit de
Paris, cherchant à rencontrer le roi Charles pour lui livrer bataille; il
chemina durant plusieurs jours à travers la Brie, et arrivé à Montereau-
fault-Yonne, il envoya par ses messagers des lettres scellées de son
sceau, dont voici la teneur :
« Nous, Jean de Lancastre, régent de France et duc de Bedford, à
vous, Charles de Valois, qui aviez coutume de vous nommer Dauphin de
Viennois, et maintenant sans cause vous dites roi ; c'est injustement que
vous avez formé de nouvelles entreprises contre la couronne et la
seigneurie de très haut et excellent prince, et mon souverain seigneur,
Henri, par la grâce de Dieu, vrai, naturel et droiturier roi de France et
d'Angleterre, en donnant à entendre au simple peuple que vous venez
pour lui donner la paix et la sécurité. Cela n*est pas et ne peut être, vu
les moyens que vous avez tenus et tenez encore, vous qui faites séduire
et abuser le peuple ignorant, et vous faites aider principalement, ainsi
que nous en sommes informé, par des gens superstitieux et condamnés,
tels qu'une femme désordonnée, travestie *, portant vêtement d'homme^
et de gouvernement dissolu, et aussi d'un Frère mendiant, apostat et
séditieux, tous deux, selon la Sainte Écriture, abominables à Dieu ; vous^
qui, par force et par la violence des armes, avez occupé au pays de Cham-
pagne et ailleurs plusieurs cités, villes et châteaux appartenant à Mon-
seigneur le roi ; vous qui avez contraint et induit les sujets qui y
demeuraient à se montrer déloyaux et parjures, en leur faisant rompre
et violer la paix finale des royaumes de France et d'Angleterre, paix
solennellement jurée par les rois de France et d'Angleterre alors vivants,
et par les grands seigneurs, prélats, barons, et par les trois États de ce
royaume.
« Nous, pour garder et défendre le vrai droit de mondit seigneur le
roi, et, à l'aide du Tout-Puissant pour vous repousser vous et votre
armée de ses pays et seigneuries, nous nous sommes mis en campagne,
1. 11 ne dit pas qu'ils avaient été recrutés pour la croisade contre les hussites.
2. Difformèc, que l'on trouve dans la Chronique des Cordeliers, parait préférable à
diffamée, texte de Monstrelet.
LA CHRONIQUE DE MONSTRELET. 417
nous tenons les champs de notre personne avec les forces que Dieu nous
a données ; et comme vous Tavez su et le savez, nous vous avons pour-
suivi et nous vous poursuivons de lieu en lieu dans l'espérance de vous
trouver et vous rencontrer ; ce que nous n'avons pas encore pu faire,
parce que vous vous êtes dérobé et vous dérobez encore.
(c C'est pourquoi nous qui désirons de tout notre cœur que la guerre
soit abrégée, nous vous sommons et vous requérons, si vous êtes un
prince ami de Thonneur, que vous ayez pitié et compassion du pauvre
peuple chrétien, qui depuis longtemps à cause de vous a été inhumaine-
ment traité, foulé et opprimé, pour que bientôt il soit àTabri de tant dafflic-
tiens et de douleurs, et que la guerre prenne fin. Prenez au pays de Brie,
où nous sommes vous et nous, ou en Ille-de-France qui est bien voisine
de tous deux, une place aux champs qui soit convenable et raisonnable ;
fixez un jour prochain et apte, tel que peut le comporter et le demande le
voisinage des lieux où nous sommes pour le présent, nous et vous. Si, en
ce jour et en ce lieu, vous voulez comparaître en votre personne, escorté
par la femme travestie et par Tapostat ci-dessus désigné, escorté par tous
les parjures et autres auxiliaires que vous voudrez et pourrez trouver,
nous, au plaisir de Notre-Seigneur, nous y comparaîtrons, c'est-à-dire Mon-
seigneur le roi en notre personne. Et alors si vous voulez offrir, ou mettre
en avant quelque chose pour le bien de la paix, nous prêterons roreille,
et nous ferons tout ce que doit et peut faire un prince catholique. Nous
sommes et serons toujours enclin et disposé à prendre toutes les
bonnes voies d'une paix non feinte, ni altérée, ni dissimulée, ni violée ou
parjurée, telle que le fut à Montereau-fault- Yonne, celle dont par votre
faute et votre consentement, provint le terrible, détestable et cruel
ïûeurtre commis contre les lois et l'honneur de la chevalerie, en la per-
sonne de feu notre cher et très aimé père, le duc Jean de Bourgogne,
<iue Dieu pardonne. Cette paix ayant été ainsi enfreinte, violée et parjurée
par vous, tous les nobles, tous les sujets de ce royaume et d ailleurs, sont
demeurés et demeurent à tout jamais quittes et libres de vous et de votre
obéissance, à quelque état que vous ayez pu et puissiez venir ; vous les
avez absous et déliés de tout serment de fidélité et de sujétion, comme
cela peut être démontré clairement par vos lettres patentes signées de
votre main et scellées de votre sceau.
« Toutefois, si, à cause de l'iniquité et de la malice des hommes, nous
ue pouvons arriver au bien de la paix, chacun de nous pourra bien gar-
der et défendre sa cause et sa querelle par Tépée, ainsi que lui en don-
nera grâce Dieu, qui en est le seul juge, et auquel et pas à un autre,
niondit seigneur doit en répondre. Nous le supplions très humblement,
comme celui qui connaît le vrai droit et la juste querelle de mondit
III. 27
418 LA VRÂlE JEANNE D*ARG : LA LIBÉRATRICE.
seigneur, de vouloir en disposer à son plaisir. Par suite le peuple de ce
royaume, désormais à Tabri de si grands foulements et si grandes
oppressions, pourra demeurer en longue paix, sécurité et repos ; ce que
doivent quérir et demander tous les rois et princes chrétiens, qui ont
charge de gouvernement.
<c Faites-nous donc savoir promptement, sans plus de délai, et sans
perdre le temps en écritures et en arguties, ce que vous en voudrez faire;
car si par votre faute adviennent de grands maux et inconvénients, tels
que continuation de la guerre, pillages, rançonnements et occisions de
gens, nous prenons Dieu à témoin, et nous protestons devant lui, et devant
les hommes, que nous n'en serons pas la cause, et que nous avons fait et
faisons notre devoir, que nous nous mettons et voulons nous mettre en
tous termes de raison et d'honneur, soit préalablement par le moyen de
la paix, soit par journée de bataille, en vertu du droit des princes, puisque
autrement il ne se peut faire entre puissants princes.
« En témoin de ce, nous avons fait sceller les présentes de notre
sceau.
« Donné audit lieu de Montereau-où-fault-Yonne, le septième jour
d'août de Tan mil quatre cent vingt-neuf.
Ainsi signé :
« Par Monseigneur,
« Le régent du royaume de France,
« Le duc DE Bedfohd *. »
III
Chapitre m. — Continent le roy Charles de France et le duc de Bethford,
et leur puissance rancontrèrent Ciin Vautre vers le Mont-Espilloy.
Après ces choses, le duc de Bedford, voyant qu'il ne pouvait rencontrer
en une position avantageuse le roi Charles et son armée, et que plusieurs
villes et forteresses lui faisaient soumission sans coup férir et sans résis-
tance, se retira avec son armée sur les marches de l'Ile-de-France, dans
le but d'empôcher que les principales villes ne se tournassent contre lui,
ainsi qu'avaient fait les autres. D'autre part, le roi Charles, qui était déjà
venu à Crépy, où il avait été reçu et obéi en souverain, se mit en marche
ù travers la Brie, en se rapprochant de Senlis. En ce lieu les armées du
roi Charles et du duc de Bedford se trouvèrent l'une et l'autre fort près
du Monlépilloy, à côté d'une ville nommée Le Bar [Baron).
\ . Cette lettre est aussi donnée par la Chronique dite des Cordeliers. L*orthographe
est différente, mais le sens est le même à deux mots près.
LA CHRONIQUE DE MONSTRELET. 419
De part et d'autre on fit des préparatifs, afin de prendre des avantages
ponr le combat qui semblait imminent. Le duc de Bedford prit position
en un fort lieu, s'adossant par derrière et sur les côtés à de fortes haies
d*épines. Au front de Tarmée il disposa les archers, en bon ordre, tous à
pied, ayant chacun devant eux leurs pieux aiguisés, fichés en terre. Le
r^ent, avec sa seigneurie et les autres nobles, était près des archers; ils
étaient massés en un seul corps de bataille ; entre autres enseignes, on
remarquait les deux bannières de France et d'Angleterre. Avec elles était
Tétendard de Saint-Georges, porté ce jour-là par le chevalier Jean de
Villiers, seigneur de TIsle-Adam. Dans Tarraée de Bedford, Ton comptait
de six à huit cents des gens du duc de Bourgogne. Les principaux
étaient : le seigneur de TIsle-Adam, Jean de Croy, Jean de Créquy,
Antoine de Béthune, Jean le Fosseux, le seigneur de Saveuse, Messire Hue
de Lannoy, Jean de Brimeu, Jean deLannoy, Messire Simon de Lalaing,
Jean, bâtard de Saint-Pol, et plusieurs autres hommes de guerre, parmi
lesquels quelques-uns furent en ce jour faits chevaliers. Le bâtard de
Saint-Pol le fut de la main du duc de Bedford ; les autres, comme Jean
de Croy, Jean de Créquy, Antoine de Béthune, Jean le Fosseux, le Liégeois
d*IIumières, par les mains d'autres notables chevaliers. Toutes choses
ainsi mises sur pied, il faut savoir que les Anglais et ceux de leur nation
étaient réunis dans Tarmée, sur la main gauche, tandis que les Picards
et ceux de la nation de France étaient à l'opposé. Ils se tinrent ainsi en
ordre de bataille, comme il a été dit, par un long espace de temps ; ils
étaient campés si avantageusement qu'il ne pouvaient être envahis par
derrière sans que les attaquants ne s'exposassent à de très grandes pertes
et à grand danger ; avec cela ils étaient pourvus et rafraîchis de vivres
et des autres choses nécessaires par la bonne ville de Senlis, qui était
près.
D'autre part, le roiCharles, avec ses princes etses capitaines, fit ordonner
ses combattants. L'on voyait dans son avant-garde la plus grande partie
de ses plus vaillants et plus experts hommes de guerre ; les autres
demeurèrent dans le corps de Tarmôe, où était le roi, excepté quelques-
uns qui, par manière d'arrière -garde, furent placés sur les derrières, du
calé de Paris. Avec le roi se trouvait une très grande multitude de
gens, bien plus sans comparaison qu'il n'en existait dans l'armée anglaise.
Du côté de Charles, on voyait Jeanne la Pucelle, ayant toujours divers
sentiments, tantôt voulant combattre ses ennemis, et tantôt non \
Néanmoins les deux parties, ainsi l'une devant l'autre, prêtes au com-
bat, furent sans se désordonner durant deux jours et deux nuits environ.
1. Monstrelet est le seul qui attribue à la Pucelle cet étal d'incertitude.
420 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
Pendant ce temps il y eut plusieurs grandes escarmouches et plusieurs
attaques, qu'il serait trop long de raconter dans le détail. Entre les autres,
il y en eut une, âpre et sanglante qui dura bien une heure et demie, du
côté des Picards. Ceux qui donnèrent du côté du roi Charles étaient en
grande partie des Écossais, et d'autres, en très grand nombre, qui combat-
tirent très fort et très âprement ; spécialement les archers des deux armées
firent des décharges nombreuses de leurs traits avec beaucoup de courage.
Quelques-uns des plus experts des deux armées, voyant ainsi les ren-
contres se multiplier, pensaient bien qu'on ne se séparerait pas, sans que
Tune des deux ne fût mise en déroute et vaincue. Elles se séparèrent
cependant, non sans que dans les deux camps, il y eût largement des
morts et des blessés. Le duc de Redford fut grandement content des
Picards qui dans rengagement s'étaient cette fois comportés vaillamment.
A leur retour de la mêlée, le duc de Bedford passa plusieurs fois devant
leurs rangs, les remerciant très humblement à plusieurs reprises, disant :
« Mes amis, vous êtes de très bonnes gens, vous avez soutenu grand faix
pour nous; ce dont nous vous remercions très grandement; et nous vous
prions, s'il nous vient quelque affaire, que vous persévériez en votre
vaillance et hardiesse. »
En ces jours les parties étaient fort animées les unes contre les autres ;
aucun homme, de quelque état qu'il fût, n'était pris à rançon ; mais, sans
pitié ni miséricorde, tous ceux qui pouvaient être atteints, tant d'un côté
que de l'autre, étaient mis à mort. Ainsi que j'en fus informé, il y eut dans
ces escarmouches environ trois cents morts, les deux parties comprises ;
mais je ne sais de quel côté ils furent les plus nombreux. Après ces deux
jours, ou environ, les deux armées se séparèrent Tune de l'autre, sans plus
rien faire.
IV
Chapitre lxvii. — Comment le roi Charles de France envoya ses ambas-
sadeurs à Arras vers le duc de Bourgogne K
Pendant ce temps, les ambassadeurs du roi Charles de France étaient
venus à Arras, vers le duc de Bourgogne, pour traiter de paix entre ces
deux parties. Les principaux de ces ambassadeurs étaient l'archevêque
de Reims, Christophe de Harcourt,les seigneurs de Dam pierre, de Gaucourt
1. Quicherat n'a pas donné ce chapitre, indispensable pour bien se rendre compte
comment la mission divine fut interrompue. Aussitôt après Keims, contre les avis de
la Céleste Envoyée, on se prêta à des trêves, à des négociations fallacieuses avec le duc
de Bourgogne pour le séparer de l'alliance anglaise. En réalité, on lui fournit les
moyens de porter à son allié le secours le plus opportun, et Ion arrêta le secours
divin.
U CHRONIQUE DE MONSTRELET. 42!
et de Fontaines, chevaliers, avec (l*autres gens d'état qui trouvèrent à
à Arras le duc et son conseil. A leur arrivée, ils requirent audience du-
dit duc, et, quelques jours après, ils se rendirent à son hôtel où, par la
bouche de TArchevèque, l'objet de l'ambassade fut exposé très sagement
et authentiquement, en présence de la chevalerie, du conseil, et de plu-
sieurs autres admis à cette audience. Il remontra, entre autres choses, la
parfaite affection, le vrai désir du roi de faire la paix avec lui et d'en venir
à un traité; ajoutant que, pour y parvenir, ce même roi était content de
défaire des avances et de condescendre *, en faisant des offres de répara-
lion plus qull n'appartenait h sa majesté royale. Il excusa le roi sur sa
jeunesse de Thomicide perpétré autrefois en la personne du feu duc Jean
de Bourgogne, son père, alléguant qu'en ses jeunes années il était sous
le gouvernement de gens qui n'avaient pas d'égards et de considération
au bien du royaume ni de la chose publique, et qu'en ce temps il n'aurait
osé ni les dédire ni se les aliéner. Ces considérations et plusieurs autres
fort notables, exposées par l'Archevêque, furent ouïes avec faveur par le
duc et par les siens. A la iin il fut répondu aux ambassadeurs : « Monsei-
gneur a bien ouï ce que vous avez dit : il aura avis sur ce, et vous fera
réponse dans peu de jours ».
L'Archevêque retourna à son hôtel, et avec lui ses collègues d'ambas-
sade que toutes gens honoraient. Pour lors la plupart des gens du pays
étaient très désireux de voir la paix et la concorde s'établir entre le roi et
lé duc de Bourgogne. Ceux du moyen et du bas état y étaient même si
affectionnés que, dès lors, avant qu'il fût intervenu paix ou trêve, ils
allaient à la ville d'Arras, vers le chancelier de France, pour en impétrer
en très grand nombre des lettres de rémission, des lettres de grâce, des
offices et plusieurs autres faveurs royales, comme si le roi eftt été déjà
pleinement en sa seigneurie, et qu'ils en eussent été certains. Ils obte-
naient du chancelier la plupart des faveurs sollicitées. Par suite, le duc de
Boui^ogne fut, durant plusieurs jours, en délibération avec son conseil
privé, et les affaires entre les parties furent très approchées.
Chapitre lxix. — Comment la ville de Compiègne se rendit au roy
Charles^ et du retour des ambassadeurs de France^ qui estoient aies vers le
duc de Bourgoigne.
Après la journée de Senlis, où le roi Charles et le duc de Bcdford
avaient été avec toutes leurs forces l'un contre l'autre, le roi revint à
Crépy-en- Valois. Là lui furent apportées les nouvelles que les habitants
de Compiègne voulaient lui faire obéissance ; aussi, sans nul délai, se
1 . De lui commeUre et condescendre.
422 LA VRAIE JEANNE D*ARG : U LIBÉRATRICE..
rendit-il dans cette ville, où il fut reçu en grande liesse des habitants,
et il se logea en son hôtel royal. C'est là que revinrent vers lui le chan-
celier et les autres ambassadeurs qu'auparavant il avait envoyés vers le
duc de Bourgogne, avec lequel ils avaient tenu des conférences
étroites *, ainsi qu'avec ses conseillers. Cependant il n'y avait pas eu
d'accord arrôté ; mais, en conclusion, il avait été convenu que le duc en-
verrait de son côté une ambassade vers le roi Charles pour avoir son avis
et continuer les conférences. Je fus alors informé que la plupart des
principaux conseillers du duc de Bourgogne avaient grand désir et affec-
tion à ce que les deux parties opérassent leur réconciliation. Toutefois
Maître Jean de Thoisy, évoque de Tournay, et Messire Hue de Lannoy,
qui venaient présentement de vers le duc de Bedford, et étaient chargés
par lui de faire des observations au duc de Bourgogne, de l'exhorter à
tenir le serment fait au roi Henri, n'étaient pas bien contents que le
traité se fit. C'est sur leur parole que la conclusion fut retardée, et qu'on
prît une autre journée pour envoyer une légation vers le roi Charles.
Elle fut confiée à Messire Jean de Luxembourg, évêque d'Arras, à Messire
David de Brimeu et à d'autres notables et discrètes personnes...
[Monstrelet, pour épargner la réputation de son maître ou même celle
de Charles VII, coupables, le premier d'un rôle de duplicité, le second
d^imbécillité, fait ici une omission de toute importance. Des trêves qui
devaient durer jusqu'à Noël, et dont la teneur fut prolongée jusqu*à
Pâques, furent conclues le 28 août à Compiègne. Leur texte va être donné
dans la Chronique dite des Cordeliers. Il jette le plus grand jour sur
l'échec contre Paris, et sur tout le reste de la carrière de la Libératrice
jusqu'à sa captivité.]
V
Chapitre lxx. — Comment le roy de France fit assaillir la cité de Paris.
Le roi Charles de France étant encore à Compiègne reçut des nouvelles
d'après lesquelles le duc de Bedford, le régent, s'en allait avec une armée
en Normandie pour combattre le Connétable, qui travaillait fort le pays du
côté d'Evreux. Par suite, le roi Charles quitta Compiègne après un séjour
de douze jours environ, y laissant Guillaume d« Flavy pour capitaine.
Avec son armée il allaà Senlisqui, après traité, se rendit au roi. Il se logea
dans ses murs avec une grande partie de ses gens ; les autres se logèrent
dans les villages environnants.
En ces jours firent obéissance au roi plusieurs villes et forteresses :
1. Texte: Us avaient tenus plusieurs destroicts parîemens.
U CHRONIQUE DE MONSTRELET. 423
Beauvais, Creil, Pont-Sainte-Maxence, Choisy, Gournay-sur-Aronde,
Remy, la Neuville-en-Heez, et de Tautre côté Mognay, Chantilly, Saintincs
et plusieurs autres. Lui firent aussi serment les seigneurs de Montmo-
rency et de Moy.
Et, en vérité, si, avec son armée, il flt venu a Saint-Quentin, Corbie,
^lENS, AbBEVILLE, et DEVANT PLUSIEURS AUTRES VILLES ET CHATEAUX FORTS, LA
plupart DE LEURS HABITANTS ÉTAIENT TOUT PRÊTS A LE RECEVOIR COMME SEIGNEUR,
ET ILS NE DÉSIRAIENT AUTRE CHOSE AU MONDE QUE DE LUI FAIRE OBÉISSANCE ET
PLEINE OUVERTURE \
Toutefois il ne fut pas conseillé de s'avancer si avant sur les marches
du duc de Bourgogne, tant parce qu'il le sentait fort de gens d'armes,
que pour Tespérance qu'il avait qu'il se fît entre eux quelque bon
traité.
Après un séjour de peu de jours à Senlis, le roi en partit et avec toute
son armée alla se loger à Saint-Denis; les gens s'en étaient enfuis à Paris,
je veux dire les plus grands bourgeois et plus notables habitants. Ses
gens se logèrent à Aubervilliers, à Montmartre, et aux villages près de
Paris.
Alors était avec le roi Jeanne la Pucelle, qui avait très grande renommée.
Chaque jour elle exhortait le roi et ses princes à faire assaillir la ville
de Paris. Il fut conclu que cet assaut serait livré le lundi 42 septembre^
Cette conclusion arrêtée, on fit apprêter tous les gens de guerre, et ce
lundi le roi se mit en bataille entre Paris et Montmartre, ses princes avec
lui.
La Pucelle, avec l'avant-garde qui était fort nombreuse, s'en alla, son
étendard en mains, à la porte Saint-Honoré, faisant porter avec elle
plusieurs échelles, des fagots, et d'autres appareils nécessaires à un
assaut. Là elle fit entrer plusieurs de ses gens à pied dans les fossés et
elle commença l'assaut à dix heures environ ; il fut très dur, âpre et
cruel, et dura sans discontinuer de quatre à cinq heures, ou même plus.
Les Parisiens se défendirent vigoureusement et avec grand courage,
soutenus qu'ils étaient par Louis de Luxembourg, évêque de Thérouanne
et chancelier de France pour le roi Henri, et par plusieurs autres notables
chevaliers que le duc de Bourgogne leur avait envoyés, tels que le sei-
gneur de Gréquy, le seigneur de l'Isle-Adam, Messire Simon de Lalaing,
i. Et pour vérité^ sHl, à toute sa puissanchCf fusl venu à Sainct^Quentirif Corbie^ Amieni^f
AbbettllCj et plusieurs autres fortes villes et fors chasteaulx, la plus grande partie des hahi-
tans d'ycelles estaient tous pretz de le recevoir à seigneur y et ne desiroient au monde aultre
chose que de lui faire obeyssance et plaine ouverture. Et c'est alors que Charles VII con-
cluait des trêves, à Tinsu et entièrement contre Tavis de la Pucelle !
2. Ce fut le 8. — Monstrelet est inexact dans toute cette partie pour laquelle il faut
consulter Percerai de Gagny. Le roi ne bougea pas de Saint-Denis.
424 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
Messire Waleran de Beauval, et d'autres notables hommes qui avaient
amené quatre cents combattants. Avant ledit assaut, on avait assigné à
chacun, par capitainerie, la garde des ]ieux propices et convenables. Pen-
dant cet assaut, plusieurs Français furent renversés et abattus, un très
grand nombre furent tués et blessés par les canons, les coulevrines, et
les autres armes de trait que les Parisiens déchargeaient contre eux.
Jeanne la Pucelle fut très fort navrée {blessée); elle demeura tout le
jour dans les fossés derrière le revers du talus *, jusqu'au soir que Gui-
chard de Thiembronne et d'autres allèrent la quérir. D'autre part il
y eut plusieurs blessés parmi les défenseurs de la ville. Finalement, les
capitaines français, voyant leurs gens en si grand péril, et considérant
qu'il leur était impossible d'emporter la ville de force, alors que les
Parisiens étaient unanimes à vouloir se défendre, sans qu'il y eût
division parmi eux, firent soudainement sonner la retraite, et retour-
nèrent à leurs logis, en emportant les morts et les blessés. Le lendemain
le roi Charles, triste et affligé de la perte de ses gens, s*en alla à Senlis
pour procurer la guérison et les soins des blessés. Les Parisiens se con*
firmèrent encore les uns les autres dans leur dessein, promettant qu'ils
résisteraient jusqu'à la mort de toutes leurs forces, au roi, qui, à ce que
l'on disait, voulait entièrement les détruire. Peut-être le craignaient-ils,
se sentant gravement coupables envers lui qu'ils avaient privé de sa capi-
tale, et vu qu'ils avaient mis à mort plusieurs de ses loyaux sujets, comme
il a été plus pleinement exposé ailleurs.
Chapitre lxxii. — [Le chroniqueur raconte comment, pendant ce
temps, le duc de Bourgogne s'efforçait de raffermir dans la fidélité
à sa cause ces mêmes villes d'Amiens et d'Abbeville qu'il nous a
dit désirer plus que tout au monde faire obéissance à Charles VU.
Le duc fit si bien qu'elles s'armèrent pour être prêtes à le suivre dès
qu'il le voudrait.]
VI
Chapitre lxxii. — Com??ient le roi Charles de France s'en retourna en
Touraine et en Berry.
Charles, roi de France, voyant que la ville de Paris, la capitale de son
royaume, ne voulait pas se mettre en son obéissance, arrêta avec ses con-
seillers de laisser des gouverneurs et des capitaines institués par lui dans
toutes les bonnes villes, cités et châteaux rentrés en son obéissance, et de
1 . Texte : derrière une dodenne.
U CHRONIQUE DE MONSTRELET. 425
retourner ensuite es pays de Touraine et de Berry. La chose ainsi
conclue, il constitua chef principal dans TIle-de-France et le Beauvaisis
Charles de Bourbon comte de Clermont, et avec lui le comte de Ven-
dôme et le chancelier. Le comte de Clermont et le chancelier se tenaient
le plus souvent en la ville de Beauvais, et le comte de Vendôme à
Senlis, Guillaume de Flavy à Compiègne, Messire Jacques • de Cha-
bannes à Creil. Le roi, avec les grands seigneurs qui Tavaient accompagné
dans son expédition, retourna do Senlis à Crépy ; et de là, par devers Sens
en Bourgogne, il retourna aux pays ci-dessus indiqués.
VII
Toutefois les trêves furent confirmées entre les Bourguignons et les
Finançais jusqu'au jour des prochaines Pâques, et avec cela le passage du
/^ont-Sainte-Maxence, que tenaient les Français, fut remis entre les
ocLains de Renauld de Longue val pour en être gardé.
Xa marche de France et de Beauvaisis demeura par là en grande tri-
i>VM.lation. Ceux qui étaient es forteresses et garnisons, tant les Français
ixa^ les Anglais, couraient chaque jour les uns contre les autres. Par
smxite de ces courses, les villages des environs commencèrent à se
<i^|peiipler, et les bonnes gens et les habitants se retiraient es bonnes
villes.
[Tous les chroniqueurs constatent à Tenvi le néfaste résultat des trêves
conclues à rencontre des avis de la Pucellc. Les Anglais n'y accédèrent
P^s; les Bourguignons se travestirent en Anglais afin de pouvoir conti-
ï^xier à guerroyer contre les Français, et ceux-ci les poursuivirent comme
^xiglais. Les pays redevenus français furent foulés par les deux partis.
^e duc de Bourgogne avait promis de mettre Charles VII dans Paris,
^l avait, pour s'y rendre, obtenu un sauf-conduit à travers le Beauvaisis,
^e Valois et les autres contrées qui venaient de proclamer Charles VIL
Dles traversa en effet avec sa sœur, la duchesse de Bedford, qui, pour le
maintenir dans Talliance anglaise, ne Tavait pas quitté depuis le mois de
juillet. Parti de Hesdin le 20 septembre, il s'avança à petites journées,
avec l'appareil d'un triomphateur, ainsi que l'indique Monstrelet par le
titre même du chapitre lxxiii : Comment le duc Philippe de Bourgogne
en grand appareil rameiia sa sœur en la cité de Paris au duc de Bedford
son mari. Il longea Senlis sans y entrer, et reçut avec froideur les hon-
neurs que lui rendirent Regnault de Chartres et le comte de Clermont,
son beau-frère. Laissons parler Monstrelet :]
Le duc fut grandement regardé des Français qui, soit à pied, soit à
426 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA UBÉRATRICE.
cheval, étaient sortis de Senlis... Le duc armé de toutes pièces, la tête
exceptée, s'avançait monté sur un très bon et excellent cheval, et était
très richement habillé. Après lui étaient sept ou huit pages, montés
chacun sur un bon coursier. L'archevêque de Reims, chancelier de
France, arriva le premier en rase campagne au-dessus de Senlis pour lui
faire révérence et hommage. Charles de Bourbon, comte de Clermont,
vint bientôt après, accompagné d'environ soixante chevaliers. Lorsqu'il
fut arrivé assez près du duc, les deux ôtèrent leurs chaperons, et incli-
nèrent leurs chefs l'un à l'autre, en se disant quelques paroles de salu-
tation, mais sans s'embrasser, comme témoignage de grand amour et de
joie, ainsi qu'ont coutume de le faire ceux qui sont aussi prochains de
sang qu'ils l'étaient l'un à l'autre. Après cette salutation et révérence, le
duc de Bourbon alla baiser et embrasser sa belle-sœur de Bedford, qui
était près, à la droite du duc de Bourgogne. Ils se firent brièvement quel-
ques compliments. Il retourna bientôt vers son beau-frère le duc de
Bourgogne. L'on ne vit point que celui-ci donna grand semblant d'amour
pour lui, ni désir de prolonger l'entretien. Sans chevaucher l'un avec
l'autre, sans faire longue conduite, ils se séparèrent en prenant congé
l'un de l'autre au propre lieu où ils s'étaient abordés et rencontrés...
[Le couple entra triomphalement à Paris. Bedford était revenu de Nor-
mandie pour le recevoir, il s'avança à sa rencontre,] « et là furent faites
grandes accolées et joyeuse réception... fut faite moult grande joie des
Parisiens. Si y criait-on Noël partout sur le passage.
« Entre les autres choses, les Parisiens requirent au duc de Bour-
gogne qu'il lui plut de se charger du gouvernement de la ville de Paris
qui avait pour lui très grande affection. Ils étaient tout prêts et armés
pour maintenir sa querelle et celle de feu son père... Laquelle chose le
duc leur accorda jusques après Pâques prochaines. » [C'est-à-dire jusques
après l'expiration des trêves fallacieusement conclues avec Cliarles VII.
En attendant, les deux beaux-frères conclurent qu'après Pâques l'on
recommencerait la guerre de concert pour recouvrer les villes et les
contrées qui avaient abandonné leur cause.
Bedford et sa femme allèrent en Normandie, le duc de Bourgogne
établit de ses capitaines dans la capitale et les environs ;] « et après avoir
séjourné à Paris durant l'espace de trois semaines, il s'en retourna par
les chemins par lesquels il était venu en son pays d'Artois et de là en
Flandre ».
[La guerre devait recommencer à Pâques ; mais les gens du duc de
Bourgogne n'eurent pas la patience d'attendre. C'est ce que nous dit le
chroniqueur par le titre même du chapitre lxxiv et par les premières
lignes qui vont être reproduites.]
LA CHRONIQUE DE MONSTRELET. 427
Chapitre lxxiv. — Comment les Français et les Bourguignons couraient
Pun sur r autre nonobstant les trêves qui y étaient.
Durant le temps dessus dit, alors que les trôves étaient accordées
entre le roi Charles et le duc de Bourgogne jusques aux Pâques suivantes,
ces mêmes parties couraient néanmoins très souvent Tune sur l'autre. Et
même, pour embellir leur querelle, quelques-uns de ceux qui tenaient le
parti du duc de Boui^ogne, se boutaient avec les Anglais qui n'avaient
pas trêve avec les Français, et avec eux [les Anglais) ils faisaient pleine
guerre auxdits Français ; et les Français pareillement couraient et fai-
saient pleine guerre aux Boui^uignons, feignant les dessusdits Bourgui-
gnons être des Anglais, et à cause desdiles trêves il y avait peu ou néant
de sécurité.
[Tel fut le résultat de ces trêves si fort improuvées par la Vénérable.
Son histoire à partir du sacre est de toute obscurité, lorsque Ton ne
tient pas compte de cette tortueuse diplomatie.
La guerre allait recommencer ouvertement après Pâques ; le duc de
Bourgogne avait profité de Tintervalle pour en faire les préparatifs. Il
convoitait particulièrement Compiègne. C'était la clef des communications
de ses possessions du Nord avec rilc-de-France. Les conseillers du roi
avaient été assez faibles pour s'engager de lui en laisser la garde jus-
qu'à la paix. Les habitants de Compiègne refusèrent d'accepter un tel
compromis. De là chez le duc un profond ressentiment et des projets
d'atroce, vengeance. Pâques, alors commencement de Tannée, une fois
arrivé, Philippe se hâta de s'emparer des places qui étaient comme les
avant-postes de Compiègne. Écoutons Monstrelet nous le dire. Après
avoir vainement tenté de l'arrêter, la Pucelle allait devant Compiègne
entrer dans la carrière de son martyre. C'est par le martyre quelle devait
acheter ce que on ne lui avait permis de réaliser par les armes.]
CHAPITRE VI
U SUITE DES EXPLOITS DE LA PUCELLE, SA CAPTIVITÉ, SON MARTYRE.
Sommaire : 1. — Le duc de Bourgogne entre en campagne en s'emparanl de Gournay-
sur-Âroade. — Siège de la forteresse de Choisy. — Elle est prise et rasée. — Les
Anglais à Pont-rÉvôque. — Tentative de Jeanne d'Arc pour les en débusquer. —
Échec.
II. — Préparatifs du siège de Compiègne. — Distribution des divers corps de l'armée
assiégeante. — La Pucelle combat Franquet d'Arras. — Défaite, prise, exécution de
Franquet d^Arras.
UL - Attaque de Jeanne d'Arc contre Margny. — Visite que recevait en ce moment le
428 LA VRAIE JEANNE D'AKC : LA LIBÉRATRICE.
capitaine de la forteresse, Baudot de Noyelle. — Secours qui lui arrivent. — Les
Français forcés à la retraite. — Jeanne la protège. — Arrivée des Anglais. — L'Hé-
roïne est prise. — Grande joie des assiégeants. — Elle est visitée par le duc de
Bourgogne. — Remise à la garde de Jean de Luxembourg.
IV. — Monslrelet passe sous silence le récit de la captivité, du procès et du martyre,
et se contente de reproduire la lettre de la cour d'Angleterre au duc de Bourgogne.
I
Chapitre lxxxii. — Comment le duc ae Bourgogne , atout sa puissance j
alla logier devant Gournay-sur-Aronde.
Au commencement de cet an {Pâques 1430^ 16 avril)^ le duc de Bour-
gogne, partant de Montdidier, alla camper à Gournay-sur-A ronde, devant
la forteresse de cette place appartenant à Charles de Bourbon, comte de
Clermont, son beau-frère. Là il fit sommer Tristan de Magnelers qui en
était le capitaine de lui rendre ladite forteresse, sans quoi il lui ferait
donner l'assaut. Tristan, voyant que raisonnablement il ne pourrait pas
résister à la puissance du duc de Bourgogne, traita avec ses envoyés,
s'engageant à rendre la forteresse le 1" août prochain, si le roi
Charles ou ceux de son parti n'avaient pas combattu ledit duc; il promit
qu'en attendant ni lui ni ses gens ne porteraient pas les armes contre le
parti bourguignon. Par ainsi il demeura paisible jusqu'au jour fixé.
[Monslrelet raconte que ce qui fit accepter au duc cette composition, ce
fut la nouvelle que le damoiseau de Commercy assiégeait Montaigut. Il se
mit en devoir d'aller avec Luxembourg combattre Saarbriick ; mais
celui-ci, averti qu'il aurait à faire à si forte partie, leva précipitamment le
siège. Ce départ venu à la connaissance des deux puissants ennemis, le
duc de Bourgogne s'en alla à Noyon avec toute son armée. J
Chapitre lxxxhi. — Comment le duc de Bourgogne alla mettre le siège
devant le chastel de Choisy^ lequel il conquist.
Après que le duc de Bourgogne eût séjourne en la cité de Noyon envi-
ron huit jours, il alla mettre le siège devant le château de Choisy-sur-
Aisne, forteresse défendue par Louis de Flavy, qui la tenait de Messire
Guillaume de Flavy [son frère). Le duc fit dresser plusieurs machines
de guerre pour ruiner et abattre ce château, qui en fut si endommagé,
que les assiégés firent avec les délégués du duc de Bourgogne un traité,
d'après lequel ils se retirèrent la vie sauve en emportant leurs biens, et
rendirent la forteresse. Après leur départ, elle fut sans délai démolie et
rasée. Le duc fit jeter un pont par-dessus la rivière de TOise pour passer,
lui et ses gens, vers Compiègne, du côté de Montdidier.
LA CHRONIQUE DE MONSTRELET. 429
Durant ce temps le seigneur de Saveuse et Jean de Brinieu avaient été
commis avec tous leurs gens pour garder les faubourgs de Noyon ; ils
étaient appuyés par le seigneur de Montgommerry et d'autres capitaines
anglais campés au Pont-l'Évèque, pour que les habitants de Compiègne
n'empêchassent pas les vivres que Ton amenait à Tarmée du duc. Or il
advint que certain jour ceux de Compiègne, à savoir Jeanne la Pucelle,
Messire Jacques de Chabannes, Messire Théaulde de Valpergue, Messire
Rigault de Fontaines, Poton de Xaintrailles et d'autres capitaines fran-
çais, à la tête d'environ deux mille combattants, vinrent entre le point
du jour et le lever du soleil, au Pont-l'Évêque, où les Anglais étaient
logés. Ils les attaquèrent avec grand courage, et il y eut une très rude et
âpre escarmouche, durant laquelle accoururent au secours des Anglais
les seigneurs de Saveuse et Jean de Brimeu avec leurs gens. Ce secours
donna aux Anglais grand courage. Tous ensemble ils repoussèrent leurs
ennemis qui déjà étaient entrés bien avant dans les postes anglais. De
ces derniers, trente environ furent morts ou blessés ; autant du côté des
Français qui, après ce coup, se retirèrent h Compiègne d'où ils étaient
venus. A partir de ce jour, les Anglais fortifièrent avec grande diligence
les alentours de leurs logis.
Le duc de Bourgogne, quand il eut terminé l'entière démolition de la
forteresse de Choisy, dont il a été parlé, alla se loger dans la forteresse de
Coudun, à une lieue de Compiègne ; Messire Jean de Luxembourg se
logea à Clairoy, Messire Baudot de Noyelle avec un certain nombre de
gens reçut ordre de s'établir à Margny, sur la chaussée ; le seigneur de
Montgommerry, Anglais, et ses gens campèrent à Venette, le long de la
prairie. Des gens venaient au duc de plusieurs parties de ses pays ; il avait
Vintention d'assiéger la ville de Compiègne et de la réduire à l'obéissance
du roi Henri d^Angleterre.
II
Chapitre lxxxiv. — Comment Jeanne la Pucelle rua Jus Franquet
iAnas et lui fit trancher la tête.
A l'entrée du mois de mai *, fut défait et pris un vaillant homme
d'armes nommé Franquet d'Arras, du parti du duc de Bourgogne, qui
avec environ trois cents hommes d'armes avait été courir sur les marches
de ses ennemis, vers Lagny -sur-Marne. A son retour il fut rencontré par
Jeanne la Pucelle qui avait avec elle quatre cents Français. Elle assaillit
très courageusement et très vigoureusement Franquet et ses gens à plu-
1. Par suite, avant la reddition de Choisy et la tentative sur Ponl-rEvôque.
430 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
sieurs reprises ; car les archers de Franquet s'étant mis à pied en très
bonne ordonnance se défendirent si vaillamment dans une première et
dans une seconde attaque que la Pucelle et ses gens n'eurent aucun
avantage sur eux ; mais elleiinit par mander toutes les garnisons de Lagny
et des autres forteresses de Tobéissance du roi Charles. Les combattants
accoururent en grand nombre avec coulevrines, arbalètes, et autres pièces
de guerre. Les tenants du duc de Boui^ogne, après avoir fait éprouver
h leurs ennemis de grandes perles en hommes et en chevaux, finirent
par être entièrement vaincus et déconfits; la plus grande partie fut passée
au fil de Tépée. La Pucelle fit même trancher la tête à Franquet, qui fut
grandement plaint de son parti, parce que en armes il était homme de
vaillante conduite.
III
Chapitre lxxxvi. — Comment Jehanne la Pucelle fut prinse des
Bourguignons devant Compiègne.
Tandis que le duc de Bourgogne était logé à Goudun, comme il a été
dit, et ses gens d*armes dans les autres villages autour de Goudun et de
Gompiègne, il advint la veille au soir de TAscension *, à cinq heures
après midi, que Jeanne la Pucelle, Poton et d'autres capitaines, appuyés
de cinq à six cents combattants, bien armés, les uns à pied, les autres à
cheval, saillirent de Gompiègne par la porte du pont, du côté de Montdi-
dier. Ils avaient Tinlention de combattre Mcssire Baudot de Noyelle et de
s'emparer de son logis, qui, comme il a été dit ailleurs, était à Margny,
au bout de la chaussée. A cette heure môme, Messire Jean de Luxem-
bourg était venu de son logis vers celui de Messire Baudot, avec le sei-
gneur de Créquy, huit ou dix gentilshommes arrivés tous à cheval,
n'ayant qu'une assez petite suite, lis regardaient de quelle manière on
pourrait assiéger Gompiègne, quand les Français commencèrent à
approcher très fort de Margny où ils étaient, pour la plupart tous
désarmés.
Gependant ils se réunirent en assez peu de temps, et une très grande
mêlée comnieni^a, durant laquelle on cria à Tarme de plusieurs côtés, tant
du côté des Bourguignons que du côté des Anglais. Les Anglais se mirent
en ordre de bataille contre les Français sur la prairie, en dehors de
Venette où ils étaient établis. Ils étaient environ cinq cents combattants.
D'un autre côté, les gens de messire Jean de Luxembourg, logés à Glairoy,
I. La mût de r Ascension. Lon comptait la journée à partir des premières vêpres
d'une fêle, ou à partir de la soirée. En 1430, l'Ascension tombait le 25 mai. La vigile
élait censée commencée le 23 au soir.
LA CHRONIQUE DE MONSTRELET. 431
sachant cette surprise, vinrent, plusieurs hâtivement, secourir leur
seigneur et capitaine, qui soutenait l*attaquc, et autour duquel la plupart
des autres se ralliaient; le seigneur de Créquy fut très durement blessé au
visage durant le combat.
Le combat avait duré assez longtemps, lorsque les Français, voyant
leurs ennemis se multiplier en grand nombre, se retirèrent vers la ville,
la Pucelle toujours avec eux, sur les derrières, faisant grande manière de
soutenir ses gens et de les ramener sans perte. Mais ceux de la partie de
Bourgogne, considérant que de toutes parts leur arrivaient prompts
secours, les approchèrent vigoureusement, et se jetèrent sur eux de plein
élan. A la fin, la Pucelle, ainsi que j'en fus informé, fut tirée en bas de son
cheval par un archer auprès duquel était le bâtard de Wendonne, auquel
elle se rendit et donna sa foi. Celui-ci Temmena à Margny, où elle fut mise
sous bonne garde. Avec elle furent pris Poton le Bourguignon et
quelques autres, mais pas en grand nombre.
Les Français rentrèrent à Compiègne, chagrins et attristés de leur
perte; ils eurent spécialement ungrand déplaisir de la prise de la Pucelle,
Au contraire, ceux du parti bourguignon et les Anglais en furent très
joyeux, plus que d'avoir pris cinq cents combattants ; car ils ne craignaient
et ne redoutaient aucun capitaine, aucun chef de guerre, autant que
jusqu'à ce jour ils avaient redouté cette Pucelle.
Bientôt après, le duc de Bourgogne vint avec ses gens de guerre de son
logis de Coudun en la prairie devant Compiègne. Là se rassemblèrent les
Anglais, le duc, et ceux des autres postes en très grand nombre, poussant
ensemble de grands cris et se laissant aller à de grandes réjouissances
pour la prise de la Pucelle. Le duc alla la voir au lieu où elle était, lui
adressa quelques paroles dont je n'ai pas souvenance, quoique je fusse
présent. Le duc et tous les autres se retirèrent ensuite, chacun en leur
logis, pour la nuit.
La Pucelle demeura en la garde et sous le gouvernement de Messire
Jean de Luxemboui^, qui dans les jours suivants l'envoya sous bonne
escorte au château de Beaulieu, et de là àBeaurevoir, où elle fut long-
temps prisonnière, ainsi que cela sera plus pleinement démontré dans la
suite.
[Monstrelet ne tient pas sa parole. Du séjour àBeaurevoir, de la vente
de la prisonnière aux Anglais, du procès, il ne dit rien ; il se contente d'in-
sérer le récit menteur adressé par le gouvernement anglais à tous les rois
et princes de la chrétienté. Ce récit fait partie des actes posthumes
ajoutés par Cauchon au procès de condamnation. Il n'y a de dilTérence
que dans le début accommodé au destinaire, et dans une phrase au
milieu du faux exposé, pour attribuer au duc de Bourgogne l'honneur
432 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
d'avoir fait la Pucelle prisonnière ; ce que Ton se garde de dire dans Tori-
ginal. Monstrelet a probablement pensé mettre par là à couvert sa
véracité d'historien. Il n'aurait pu parler de ce qu'il a omis qu'en faisant
injure à vérité, ou en flétrissant ceux pour lesquels il écrit, le vendeur
de la Pucelle, son grand protecteur, Jean de Luxembourg, ou le duc de
Bourgogne dont il convoitait les faveurs. Il a cru éviter la difficulté en
transcrivant un document transmis officiellement au duc de Bourgogne.]
IV
Chapitre cv. — Comment Jehanne la Pucelle fui condempnée à estre
arse et 77iise à mort dedans la cité de Rouen.
Suit la condamnation prononcée en la cité de Rouen contre Jeanne la
Pucelle, ainsi que cela peut apparaître par les lettres envoyées de par le
roi Henri d'Angleterre au duc de Bourgogne. En voici la copie:
« Très cher et très aimé oncle, la fervente dilection que nous vous
connaissons comme vrai prince catholique envers notre mère la sainte
Eglise et pour l'exaltation de notre sainte foi, nous avertit et nous presse
de vous exposer et de vous écrire ce qui, à Thonneur de notredite mère la
sainte Eglise, pour la fortification de notre foi et l'extirpation d'erreurs
pestilentielles, a été fait naguère solennellement en cette ville de Rouen.
La commune renommée a partout divulgué comment cette femme qui
se faisait appeler Jeanne la Pucelle^ erronée devineresse, s'était, il y a
deux ans et plus, en violation de la loi divine et contre l'état de son sexe
féminin, révolue d'habits d'homme, chose abominable devant Dieu, et
en cet état s'était transportée vers notre ennemi capital et le vôtre, lui
donnant souvent à entendre, à lui, à ceux de son parti, gens d'Eglise,
nobles et peuple, qu'elle était envoyée de par Dieu, se vantant pré-
somptueusement d'avoir de fréquentes commuuications personnelles et
visibles avec saint Michel et une grande multitude d'anges et de saintes
du paradis, telles que sainte Catherine et sainte Marguerite. Par ces faux
donnés à entendre, par l'espérance de victoires futures qu'elle promet-
tait, elle détourna plusieurs cœurs d'hommes et de femmes de la voie de
la vérité, et les convertit à des fables et à des mensonges.
« Elle se revêtit encore d'armes réservées aux chevaliers et aux
écuyers, leva bannière, et, par un excès d'outrage, d'orgueil et de pré-
somption, demanda à avoir et à porter les très nobles et excellentes armes
de France ; ce qu'elle obtint en partie, et elle les porta en plusieurs com-
bats et assauts, et ses frères aussi, ainsi que l'on dit ; c'est à savoir un
LA CHRONIQUE DE MONSTRELET. 433
écu à champ d'azur avec deux fleurs de lis d'or, et une épée la pointe en
haut, férue en une couronne.
(c En cet état, elle s'est mise aux champs, a conduit gens d'armes et
gens de trait en expéditions et par grandes compagnies, pour commettre
et faire d'inhumaines cruautés, répandre le sang humain, provoquant
séditions et commotions dans le peuple, Tinduisant au parjure et à de
pernicieuses rébellions, aux superstitions, à fausse créance, perturbant
toute vraie paix, rallumant de mortelles guerres, se laissant adorer et
révérer de plusieurs comme femme sanctifiée, faisant d'autres œuvres
damnables en divers cas trop longs à rapporter, toutefois bien connus
en plusieurs lieux, excès dont presque toute la chrétienté a été fort
scandalisée.
« La divine puissance a eu pitié de son peuple fidMe ; elle ne Tapas laissé
longtemps en péril, elle n'a pas souffert qu'il demeurât dans les vaines,
dangereuses erreurs et crédulités où il se jetait si malheureusement ; sa
grande miséricorde et clémence a voulu permettre que ladite femme ait
été prise en votre armée dans le siège que vous teniez alors devant
Compiègne, et que par votre bon moyen *, elle ait été mise en notre
obéissance et domination.
« L'évêque dans le diocèse duquel elle avait été prise nous ayant requis
de la lui faire délivrer, vu qu'il était son juge ordinaire ecclésiastique, et
qu'elle était notée et difl'amée pour crimes de lèse-majesté divine, nous,
tant pour la révérence de notre sainte mère Eglise dont, comme il est de
raison, nous voulons préférer les saintes ordonnances à nos propres faits
et volontés, que pour l'honneur et l'exaltation de notre sainte foi, lui
flmes bailler ladite Jeanne pour que son procès lui fût fait, sans vouloir
que les gens et les officiers de notre justice séculière en tirassent aucune
vengeance ou châtiment, quoique nous eussions pu raisonnablement et
licitement le faire, attendu les grands dommages et désastres, les hor-
ribles homicides et détestables cruautés, et les autres maux innombrables
qu'elle avait commis à l'encontre de notre seigneurie, et du peuple loyal
qui nous est resté obéissant.
« Cet évèque, après s'être adjoint le vicaire de l'inquisiteur des erreurs
6l hérésies, après avoir appelé un grand et notable nombre de solennels
maîtres et docteurs en théologie et en droit canon, commença le procès
^grande solennité et avec la gravité réclamée par semblable aflaire. Lui,
et ledit inquisiteur, juges en cette partie, ayant par plusieurs^ et diverses
journées interrogé ladite Jeanne, firent mûrement examiner ses aveux et
ses assertions par lesdits maîtres et docteurs, et généralement par toutes
t. Dans la lettre aux autres princes chrétiens, Ton ne trouve pas ce membre de
phrase.
III. 28
434 LÀ VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
les facultés de notre très chère et très aimée fille, TUnivcrsité de Paris,
à laquelle lesdits aveux et lesdites assertions furent envoyés. Après dé-
libération et discussion, lesdits juges trouvèrent cette Jeanne supersti-
tieuse, devineresse, idolâtre, invoqueresse des diables, blaspbémeresse
envers Dieu, ses saints et ses saintes, schismatique, et, par bien des fois,
errante en la foi de Jésus-Christ.
« Pour la réduire et ramener à l'unité et à la communion de notre mère
sainte Église, pour la purifier de si horribles, détestables et pernicieux
crimes et péchés, guérir son âme et la préserver de perpétuelle peine et
damnation, elle fut souvent, pendant bien longtemps, très doucement et
très charitablement admonestée de rejeter et de détester toutes ces
erreurs, et de vouloir retourner ainsi humblement dans la bonne voie et
droit sentier. Mais le très périlleux et divisé {sic) esprit d'oi^ueil et
d*outrageuse présomption, qui s'efforce toujours d'empêcher et perturber
l'union et la paix des loyaux chrétiens, occupa tellement et tint si bien en
ses liens la volonté d'icelle Jeanne que, malgré toutes les saines doctrines
ou conseils, malgré toutes les douces exhortations qu'on lui administra,
son cœur endurci et obstiné ne se voulut humilier ni amollir ; au con-
traire elle se vantait souvent que toutes les choses qu'elle avait faites
étaient bien faites, qu'elle les avait faites du commandement de Dieu et
des saintes Vierges qui lui avaient visiblement apparu ; et, ce qui pis est,
elle ne reconnaissait et ne voulait reconnaître [d autre jugé] en terre que
Dieu et les saints du paradis, refusant, récusant le jugement de Notre
Saint-Père le Pape, du Concile général et de toute l'Église militante.
« Les juges ecclésiastiques, voyant sa volonté si profondément et si long-
temps endurcie et obstinée la firent amener devant le cierge et le peuple
assemblé en très grande multitude. Là, solennellement et publiquement,
pour l'exaltation de notre foi chrétienne, Textirpation des erreurs, l'édi-
fication et l'amendement du peuple chrétien, furent, par un notable
maître en théologie, prêches, exposés et déclarés ses cas, crimes et
erreurs ; et derechef elle fut charitablement admonestée de retourner à
l'union de la sainte Eglise, et de corriger ses fautes et errements ; en
quoi elle demeura encore pertinuce et obstinée. Ce que considérant, les
juges procédèrent à prononcer contre elle la sentence introduite et
ordonnée par le droit en pareil cas. Mais avant que la sentence fût lue
dans son entier, elle commença le semblant de muer son courage, disant
qu'elle voulait retourner à sainte Église ; ce que les juges et le clergé
ouïrent volontiers et avec joie ; ils la reçurent bénignement [à pénitence\
espérant que par ce moyen son âme et son corps seraient rachetés de
perdition et de tourments. Elle se soumit donc à rordonnance de sainte
Église, révoqua de sa bouche et abjura publiquement ses erreurs et
LA CHRONIQUE DE MONSTRELET. 435
détestables crimes, signant de sa propre main la cédule de cette révoca-
tion et abjuration. Par suite, notre compatissante mère sainte Église, se
réjouissant de voir la pécheresse revenir à pénitence, voulant ramener
avec les autres la brebis qui, après s'être égarée et fourvoyée dans le
désert, était trouvée et recouvrée, mère sainte l%lise condamna icelle
Jeanne à la prison pour y faire une salutaire pénitence. Mais elle n'y fut
guère, sans que le feu de Torgueil qui semblait s'être éteint ne se réem-
brasât par les souffles de Tennemi, et n'éclatât en flammes pestilentielles;
la malheureuse femme rechuta dans les erreurs et faux emportements,
qu'elle avait proférés par avant et, comme il vient d*ètre dit, révoqués
et abjurés.
« Pour ces faits, conformément à ce qu'ordonnent les jugements et ins-
titutions de sainte Église, afin que dorénavant elle ne contaminât pas les
autres membres de Jésus-Christ, elle fut de nouveau prèchée publique-
ment ; et comme retombée es crimes et fautes par elle accoutumés, elle
fat délaissée à la justice séculière qui incontinent la condamna à être
brûlée.
« Voyant sa fin approcher, elle connut pleinement et confessa que les
esprits qu'elle disait lui avoir souvent apparu étaient mauvais et menson-
gers, que fausses étaient les promesses qu'ils lui avaient faites plusieurs
fois de la délivrer ; et elle confessa ainsi qu'elle avait été par eux moquée
et déçue.
« Elle fut, par la justice séculière, menée, tout enchaînée, au Vieux-
Marché dedans Rouen, et là elle fut publiquement brûlée, à la vue de tout
le peuple. »
Le roi d'Angleterre signifia par lettres ce qui s'était passé au duc de
Bourgogne, afin que cette exécution de justice, fût, par le duc et par les
autres princes, publiée en divers lieux, et que leurs gens et leurs sujets
fassent dorénavant plus affermis et mieux avertis de ne pas donner
créance à telles ou semblables erreurs que celles qui avaient régné à
l'occasion de la Pucelle.
[Cest ainsi que le chroniqueur termine son récit sur la Vénérable.]
*• Texte : enrageries.
LA CHRONIQUE DITE DES CORDELIERS
A défaut du nom de l'auteur jusqu'ici inconnu, Ton désigne sous ce
nom un Abrégé d'histoire universelle^ de la création du monde à Tan 1433,
dont le manuscrit se trouve à la Bibliothèque nationale, inscrit dans le
fonds français, sous le numéro 23 0i8. Ces sortes de productions, nom-
breuses au XV' siècle, n'ont de valeur que pour les temps contemporains
ou quasi contemporains de l'écrivain. C'est alors un récit datant de
l'époque des événements racontés. Telle est, pour la fin du xiv* siècle et
le commencement du xv% la Chronique, dite des Cordeliers, parce qu'elle
provient du couvent de ces religieux, à Paris.
M. Douet d'Arc, le premier, a inséré, à la suite de son édition de Mons-
trelet, un fragment de la Chronique des Cordeliers de 1400 à 1422. U
n'atteint donc pas l'histoire de la Pucelle. Vallet de Viriville et Siméon
Luce en ont cité plusieurs passages ayant trait à la Libératrice. Qui-
cherat ne semble l'avoir connue qu'à la fin de sa vie. Il en parle ainsi
dans un de ses derniers écrits : « L'auteur, dit-il, à en juger par son
langage était Picard. Il était Bourguignon déclaré. Ses informations, sans
être des plus sûres, lui ont appris des choses que les autres chroniqueurs
ont ignorées. Il fut en situation de se procurer des pièces officielles, de
celles du moins que le gouvernement anglo-bourguignon faisait cir-
culer. Il donne in extenso le texte de l'armistice conclu entre Charles Vil
et le duc de Bourgogne, et ce texte est à lui seul d'une importance
capitale. »
Cette appréciation nous paraît fort juste. Les chroniqueurs donnent à
entendre à l'envi, quand ils ne le disent pas expressément, qu'il se passa
quelque chose de louche dans l'assaut contre Paris. La clef de l'énigme
nous est fournie par la Chronique des Cordeliers. Il a fallu traîner
Charles VII de Compiègne et de Senlis à Saint-Denis. L'explication est
dans la pièce couchée tout au long dans la Chronique des Cordeliers.
Le 28 août, il avait signé, à Compiègne, une trêve avec le duc de Bour-
gogne, trêve exécutoire dès le jour môme, en vertu de laquelle il y avait
suspension d'hostilité jusqu'à Noël. Les Anglais étaient libres d'y
adhérer ; le duc était autorisé à défendre Paris, c'est-à-dire à repousser
les troupes de Charles VII et la Pucelle elle-même.
LA CHRONIQUE DITE DES GORDELIERS. 437
« NoTREDiT COUSIN DE BOURGOGNE, lira-t-on dans le texte j pourra , durant
ladite trêve, s'employer lui et ses gens à la défense de la ville de Paris et
résister à ceux qui voudraient faire la gueire ou porter dommage à cette
ville, »
Ceux qui voulaient faire la guerre à Paris, c'était avant tous la Pucelle
qui, depuis son apparition, ne cessait de répéter qu'elle y introduirait le
roi.
Et c*est lorsque tout lui a réussi, alors que les villes s'ouvrent d'elles-
mêmes, lorsqu'elle va frapper ce coup décisif, que l'on conclut secrète-
ment des trêves avec ses ennemis, qu'on autorise ces mêmes ennemis à
la combattre et à combattre ceux qui la suivent ! C'était toute aberration.
On est autorisé à tout supposer de la part des conseillers qui avaient
amené le faible monarque à apposer sa signature au bas d'un acte
semblable.
Le Bourguignon, paraît-il, avait promis de donner Paris au roi. Devait-
on croire à sa parole plus qu'à celle de l'Envoyée du Ciel qui disait alors
sans doute ce qu'elle répétait plus tard, qu'avec le Boui^uignon on n'au-
rait la paix qu'au bout de la. lance ? Il en profita pour introduire dans
Paris risle-Adam et une élite de ses gens de guerre, pour y venir lui-
même avec le faste décrit par Monstrelet, pour y conclure l'étrange traité
par lequel il devenait gouverneur de Paris, jusqu'à l'arrivée du jeune
roi d'Angleterre en France. Position étrange au suprême degré. Comme
duc de Boui^ogne il ne pouvait pas combattre Charles VII, mais il le
pouvait comme gouverneur de Paris au nom des Anglais, qui n'adhérè-
rent pas à la trêve. Monstrelet nous a dit que ses gens se prévalurent de
pareil titre, et qu'ils continuèrent la guerre, non comme au service du
duc de Bourgogne, mais comme au service des Anglais. Quant au duc
lui-même, il profita des trêves qui furent prolongées jusqu'à Pâques
pour célébrer son mariage avec la fille du roi de Portugal et se préparer,
ainsi qu'il a été dit, à reprendre ostensiblement la guerre à l'expiration des
trêves, ce qu'il fit.
Il fallait ce nouveau trait de ressemblance de la Libératrice avec son
Seigneur, avec celui dont la vertu la remplissait. Le voilà. D'elle aussi on
peut dire : « Elle est venue parmi les siens, et les siens ne l'ont pas 7'eçue)).
L'histoire n'a rien à dissimuler. Elle a le regret de dire que l'àme de
<îette louche diplomatie fut l'archevêque-chancelier, Regnault de Chartres.
Le prolongement de la trêve fut vraisemblablement son œuvre. Le Gallia
^l^liana nous dit qu'en octobre 1429 il était à Saint-Denis, en confé-
wnces si secrètes qu'elle ne sont connues que de Celui qui connaît tout^
i. Qallia christ, t. IX, col. 139.
438 LA VRAIE JEANNE D^ARC : LA LIBÉRATRICE.
La Chronique des Cordeliers, très brève sur la première partie de la vie
guerrière de la Pucelle, a de fort précieux détails sur ce qui suivit
l'assaut contre Paris. Elle confond les temps, en rapportant la rencontre
de Montépilloy et la soumission des villes du Valois et du Beauvaisis
après la tentative contre Paris.
Le chroniqueur constate à plusieurs reprises que tout se faisait par la
Pucelle et n'a pas un mot défavorable. Ceux qui lui reprochent la phrase
par laquelle, parlant de la tentative d'évasion de Beaurevoir, il écrit :
« Par son malice^ elle (la Pucelle) quida escapper par les fenêtres^ mais
ce à quoy elle s'avaloit rompy », attribuent au mot malice un sens qu'il n'a
pas sous la plume de l'auteur. Il signifie ici: adresse^ habileté^ comme il
le conserve encore dans la locution : ce n'est pas malin. Qui donc a vu
un mal moral dans l'acte d'un prisonnier de guerre cherchant à s'évader?
La Chronique nous fournit une excellente excuse pour une faute avouée
par la prisonnière, mais dénuée de la gravité que beaucoup d'historiens
lui attribuent. La Pucelle ne s'est pas jetée simplement par la fenêtre du
donjon, elle a cherché à se laisser glisser par un appui qui s'est rompu.
Le style de la Chronique est embarrassé. On pourra en juger par le
texte qu'on trouvera presque entièrement aux Pièces justificatives.
CHAPITRE VII
DEPUIS L'ARRIVÉE A CHINON JUSQU'A LA PUBLICATION DES TRÊVES.
Sommaire : I. — La Pucelle, son innocence. — Sa mission. — Conduite à Chinon. —
Reçue par le Dauphin, regardée comme folle par le plus grand nombre. — Armée.
— Suit la guerre. — Son étendard. — Constante dans l'affirmation de sa mission.
— Orléans délivré, places recouvrées. — Patay.
11. — La Pucelle à côté du Dauphin. — Sa grande renommée. — Aucune ville ne peut
résister à ses sommations. — Troyes se rend, quoique très attaché au duc de Bour-
gogne. — Le duc à Paris s'entend avec son beau-frère, et amène sa sœur avec lui.
— Le duc de Bar au siège de Metz en juillet. — Conquêtes de la Pucelle. — Elle
éclipse la renommée des capitaines, leur jalousie. — Résistance de Perrinet Grasset.
m. — Les habitants de Reims promettent fidélité au duc de Bourgogne. — En atten-
dant, la Pucelle fait de nouvelles conquêtes. — Reims se soumet. — Le sacre. —
La Pucelle armée, et non armée. — Son costume. — Soumission de Laon. — La
llire, bailli du Vermandois. — Soumission de Soissons, de Senlis; et pas de Noyon.
IV. — L'armée devant Paris. — Pertes près de Saint-Laurent. — Assaut à la descente
de Montmartre. — Merveilleux courage de la Pucelle. — Elle est blessée. — Secours
reçus d'Angleterre par le régent. — Conférences pour la paix près de La Fère ; sans
résultats. — Les villes qui font soumission au Dauphin, et celles qui ne la font pas.
— Lettres du régent au Dauphin. — Charles continue ses conquêtes. — Les deux
armées en présence durant l rois jours. — Les Anglais refusent de sortir de leur
parc. — Soumission de Beauvais et des pays environnants.
440 LA VRAIE JEANNE D*ARC : LA LIBÉRATRICE.
Le dix-huitième jour de juin, après dîner, les gens du régent, qui
s'étaient réunis mis en campagne contre ceux du Dauphin, furent corn-
plètements défaits près d'Yenville et d'Étampes. Le r^ent retourna à
Paris avec peu de ses gens* ; le seigneur de TIsle-Adam fut aussitôt après
envoyé dans cette ville.
II
Le Dauphin viennois ainsi relevé, la Pucelle se tenant toujours auprès
de lui armée comme un capitaine et ayant grand nombre de gens sous
ses ordres, le Dauphin commença à conquérir places et pays, grâce aux
exploits de la Pucelle et à la renommée qui commença partout à se ré-
pandre de la jeune fille. Il n'y avait pas de forteresse qui, sur sa simple
parole et sommation, ne voulût se rendre, pensant et espérant à cause de
ses merveilles que c'était chose divine. Elle faisait merveilles d'armes
avec son corps, maniait très puissamment le bourdon de sa lance, et
s'en aidait aisément, ainsi qu'on le voyait journellement.
Avec cela elle admonestait les gens au nom de Jésus, et faisait des prè-
chements pour inviter le peuple à se rendre à lui et à obéir au Dauphin.
Elle fit tant enfin que la renommée qu'elle faisait des miracles courut
partout, jusques à Rome. L'on disait que dès qu'elle venait devant une
place, les gens de dedans, quelque volonté qu'ils eussent avant de n'obéir
ni au Dauphin ni à elle, étaient tous changés, sans courage, privés de
toute puissance pour se défendre contre elle, et se rendaient tout aussi-
tôt, comme firent Sens ^ et d'autres forteresses, encore que le roi
n'entrât pas dans quelques-unes, mais il en obtint des vivres pour son
argent.
Une si grande renommée suivit la Pucelle jusques à Troyes -en-Cham-
pagne, ville qui avait toujours tenu le parti de Bourgogne, et avait pro-
mis de le tenir et de ne pas s'en séparer. Et cependant la ville se rendit
incontinent, sans coup férir, sur Tadmonition et sommation d'icelle
Pucelle. Ce dont toutesgens furent ébahis, surtout Mes princes et seigneurs
tenant le parti de Bourgogne, qui étaient en grande perplexité.
A l'entrée de juillet, le duc de Bourgogne accompagné de Messire Jean
de Luxembourg et d'autres seigneurs de Picardie alla à Paris pour pren-
dre des mesures et s'assurer des forces à rencontre des entreprises du
4. Le chroniqueur veut sans doute parler de la défaite de Palay. Le régent n'y était
pas. il confond le prince avec Fastolf, le grand maitre de son hôtel.
2. C'est inexact pour Sens.
3. C'est une des acceptions du mot « niesmement », la seule d'accord avec le con-
texte. (Lacurne.)
LA CHRONIQUE DITE DES CORDELIERS. 441
Dstuphin; ils s'en retournèrent ensuite en Picardie. Le duc ramena avec
lui sa sœur, femme du régent, qui resta longtemps avec lui à cause des
grsLiids périls qui semblaient devoir advenir en France.
EIn cette saison {en juillet)^ le duc de Bar tenait le siège devant Metz-
ea-Lorraine : il y fut un bon espace de temps avec grandes forces ; mais
ils finirent de part et d'autre par trouver ouverture à un traité de paix,
et le siège fut levé à la suite de l'accommodement.
En ce temps, après la reddition de Troyes, le Dauphin conquit beau-
coup de villes et de forteresses par le moyen de la Pucelle, qui dès lors
attira tout le renom des faits des capitaines et des gens de sa compagnie ;
CE DONT QUELQUES-UNS DE CES DERNIERS NE FURENT NULLEMENT CONTENTS. Elle
mit en son obéissance tout le pays au-dessus de la Loire, TAuxerrois et
. la Champagne, à l'exception de quelques forteresses tenues par Perrinet
Grasset, qui ne voulut jamais se rendre ni obéir audit Dauphin, mais fit
beaucoup de dommages et de maux avec ses gens.
III
En ce temps, le duc de Boui^ogne envoya ses ambassadeurs à Reims
pour exhorter les habitants à garder leur serment de lui rester unis jus-
que la paix finale, et de demeurer en l'obéissance du roi Henri et de lui-
même; et ils promirent d^ainsi le faire.
Le Dauphin viennois et son armée s'avancèrent tellement qu'ils arri-
vèrent près de Reims. Cependant, au mois de juin, le régent de France
avait fait une grosse armée pour aller contre ledit Dauphin, recueillant
et mettant sur pied tous ceux qui s'étaient échappés et s'étaient sauvés
d'Orléans et d'Yenville; mais, pendant qu'il mettait son armée sur pied,
le Dauphin et la Pucelle faisaient tous les jours des conquêtes, et étaient
*nivés à Sept-Saulx non loin de Reims. Le Dauphin envoya sommer
'w habitants de cette ville de lui ouvrir leurs portes, et de lui rendre
obéissance, malgré qu'ils eussent promis aux ambassadeurs du duc de
Bourgogne, ainsi qu'il a été dit, de résister à ce même Dauphin.
Quand les habitants de Reims entendirent la sommation qu'on leur
Wsaitdese rendre, ils se réunirent en conseil, conclurent aussitôt d'ouvrir
'®urs portes et de rendre obéissance au Dauphin, comme à leur seigneur
^turel, et ainsi il fut fait.
L'archevêque de Reims, chancelier du Dauphin, entra à Reims le
'^juillet, et il y fit son entrée avec une très grande suite. Il fut reçu et
''^licite très grandement.
Eu la compagnie du Dauphin, pour faire son entrée à Reims, le
442 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
dimanche xyii** jour du mois de juillet*, étaient les comtes de Richemont,
d'Alençon, les seigneurs de La Trémoille, de Bosquiaux, de Grandpré,
de Graville, de Gamaches, Poton de Xaintrailles, les seigneurs de Gau-
court et de Dampierre, Christophe d'Harcourt, Etienne de Vignoles
dit La Ilire, la Pucelle et autres capitaines et seigneurs en très grand
nombre. Il avait en sa compagnie une forte armée de gens d'armes et
d'iiOMMES DES COMMUNES quicroissait tousles jours. Ledit jour, il fut sacré
en Téglise de Reims par rArchevèque. Le jeudi suivant il fut à Saint-
Marcoul pour la guérison des malades.
La Pucelle chevauchait devant le roi, armée de toutes pièces, l'éten-
dard déployé. Quand elle était désarmée, elle portait l'habit et avait l'état
d'un chevalier, des souliers avec des lacets en dehors du pied, pourpoint
et chausses justes, un petit chapeau sur la tête; elle portait de très
nobles habits de draps d'or et de soie, bien fourrés.
Pendant que le roi Charles était à Reims, il envoya à Laon, qui lui fit
pareillement obéissance et ouvrit ses portes aux envoyés ; lui-même n'y
vint pas ; mais Je xxii' dudit mois de juin (juillet)^ La Hire, en qualité de
nouveau bailli du Veruiandois nommé par le roi, s'assit en siège royal.
Henri David fut fait prévôt et capitaine de Laon, où, comme il vient
d'être dit, le roi n'entra point. Il laissa Saint-Quentin qui resta sans lui
faire ni lui refuser obéissance.
Il vint à Soissons, de là à Senlis qui se rendirent à lui ainsi que
l'avaient fait les autres villes dont il a été fait mention; mais Noyonne
lui fit nulle obéissance. Le roi se tint quelque temps à Senlis, d'où il
envoya son armée et la Pucelle à Saint-Denis ; il y vint lui-même après,
et ne s'y fit pas couronner.
IV
Il envoya son armée devant Paris* par plusieurs fois. Dans une de ces
attaques, près de Saint-Laurent, le duc d'Alençon et la Pucelle furent
repoussés et battus, jusqu'à avoir de six à sept cents morts ^ ; et ils se reti-
rèrent alors à Senlis [Saint 'Denis), Une autre fois ils livrèrent l'assaut du
côté qui se trouve à la descente de Montmartre. LaPucelle y fit merveille
par ses paroles, par ses pressantes invitations, donnant cœur et hardiesse
1. L'entrée eut lieu le 10 au soir, et Uichemont n'y était pas.
2. L'ordre des faits compris dans tout le paragraphe iv est complètement renversé.
Le chroniqueur met après l'assaut contre Paris une suite d'événements accomplis
avant cette tentative. Peut-élre n'a-t-il pas eu le temps d'ordonner ces dernières pages
de son œuvre.
3. Aucune autre chronique ne parle de pareille perte.
LA CHRONIQUE DITE DES CORDEUERS. U3
à ses gens d'aller à Tassaut ; elle s* avança elle-même de si près quelle
fut blessée d'un trait à la cuisse. Repoussée, elle et son armée. Tassant ne
leur valut aucun avantage. La ville de Paris était gardée et défendue par
le seigneur de Saveuse, messire Hue de Lannoy. les bâtards de Saint-Pol
et de Thyans et d'autres.
Pendant ce temps, le régent de France tenait la campagne sur la rivière
de la Seine avec son armée. Avec lui étaient le cardinal de Winchester
et le seigneur de Villougby, arrivés depuis peu avec six mille combattants.
-^ Avant que le roi Charles allât devant Paris, il y avait eu un conseil
entre Tarchevëque de Reims, le seigneur de La Trémoille. Poton et
La Hire d'une part, et Messire Jean de Luxembourg, le chancelier de
Boui^ogne, les seigneurs de Croy et Lourdin de Saligny de Tautre; mais,
en conclusion, on n*en vint ni à une trêve ni à une paix. La journée fut
tenue près de La Fère. -
Quand les gens du roi virent que Paris ne viendrait pas à obéissance,
des députés furent par plusieurs fois envoyés à Compiègne. La ville se rendit
par traité et fit obéissance au roi Charles. Guillaume de Fla\y y fut
commis pour capitaine avec de grandes forces.
Alors se rendirent les forteresses de Creil. le Pont-Sainte-Maxence,
Château-Thierry, Lagny et plusieurs autres ; mais Brcteuil, Chartres tin-
rent bon, ainsi que Pontoise, Mantes, Vemon. le Pont-à-Meulan, Charen-
ton, le bois de Vincennes et d'autres. La guerre demeura ainsi par tout
le royaume de France.
En ce temps, le troisième jour du mois d*aoùt, le régent partit en
armes de Paris, et envoya une lettre au roi Charles sur le fait de ses
guerres et conquêtes. Xe chroniqueur cite ici la lettre déjà reproduite
dans la Chronique de Monstrelet« page 4:j2.
Nonobstant ces lettres, le roi Charles ne prit et ne voulut prendre
aucune journée, ni pour combattre ni pour conférer ; mais il conquérait
toujours de nouveaux pays. Toutefois les deux armées française et
anglaise furent durant trois jours bien près Tune de Tautre en rase cam-
pagne; mais les Anglais, moins en force que les Français, se renfermèrent
dans une clôture et ne voulurent pas sortir de leur enceinte, sinon
pour combattre à pied ; leurs ennemis étaient trop nombreux, et ils les
eussent combattus à pied et à cheval. Pour cela la chose demeura en ce
point, excepté que quelques gentilshommes de Picardie de la garnlHon
de Paris étant à cheval, attaquèrent, en la fête de Notre-lJame de la
mi-août, ceux de Tarmée du roi qui eux aussi élaieril h riliuval. Il y
eut alors une passe de fers de lance sans grande perle ni d'un côté ni
de l'autre... Sur le soir de ce jour, les bataillons h pied d(» cliaciinn
des parties se retirèrent, et le roi Charles retourna h (^n'|»y-iîn-VuloiM...
444 LA VRAIE JEANNE D'ARG : LA UBÉRATRICE.
En ce temps, la cité de Beauvais et une partie du pays de Beauvaisis
se mirent en Tobéissance du roi Charles. Et ses gens allèrent par le pays
de divers côtés, prendre, non de force, mais par traités, villes et châteaux.
CHAPITRE VIII
TRÊVES FALLACIEUSES. — COMPIÈGNE. — PRISON BT SUPPLICE DE LA PUCELLE.
Sommaire : i. — A la suite de conférences, des trêves sont conclues entre Charles VU
el le duc de Bourgogne à la date du 28 août, et sont immédiatement exécutoires. —
La teneur de ces trêves publiée le 14 octobre. — Liberté aux Anglais d'accéder, et
au duc de Bourgogne de défendre Paris. — Ampliation de ces trêves le 18 sep-
tembre. — Le gouvernement de Paris et de Tlle-de-France confié au duc de Bour-
gogne. — [Combien absurdes ces trêves.]
II. — Les Anglais n'accèdent pas. — Le duc de Bourgogne pourvoit à la sécurité de
Paris et rentre en Flandre. — Continuation des pourparlers. — Le duc de Bour-
gogne ne veut pas de la paix. — Il convoite Compiègne, qui lui a été promis et que
Flavy refuse de livrer.
m. — La guerre recommence [ouvertement]. — Entrée en campagne. — Anglais
envoyés à Paris, à la suite d'un complot découvert. — Conquête de plusieurs places
parles Bourguignons. — Le roi d'Angleterre arrive à Calais; vaisseaux. — Provi-
sions et hommes d'armes disséminés là où le besoin est plus urgent. — Henri VI
à Rouen en juillet seulement. — Choisy assiégé et emporté par le duc de Bour-
gogne. — Vigoureuse attaque de la Pucelle contre les Anglais, qui gardent Pont-
l'Évèque. — Elle est repoussée.
IV. — Le siège mis devant Compiègne. — Vaillance des assiégés. — Merveilleux
courage de la Pucelle. — Elle est prise.
V. — Grand bruit fait par cette capture. — Joie des Bourguignons. — Deuil des
Français. — Jeanne tente de s'échapper de Beaurevoir. — Ce par quoi elle se glis-
sait se brise. — Ses meurtrissures. — Elle est vendue aux Anglais. — Procès.
VI. — Solennité de la rétractation (prétendue) de la Pucelle; elle reprend les vête-
ments virils. — Condamnée, brûlée. — Pourquoi ses cendres sont jetées à la Seine.
I
Cependant plusieurs négociations et conférences commencèrent entre
les gens dudit roi et Monseigneur de Bourgogne. Environ mi-aoùt, Tar-
chevôquc de Reims , chancelier dudit roi, et plusieurs autres ambassadeurs
furent envoyés à Arras vers le duc de Bourgogne. Finalement, des trêves
furent conclues entre ces deux princes par Tentremise des ambassadeurs
que le duc de Savoie avait envoyés vers eux afin d'y négocier le bien de
la paix.
Quelles furent les conditions de ces trêves ou abstinences de guerre, on
peut le savoir en toute vérité par la copie des lettres qui en furent faites.
LA CHRONIQUE DITE DES CORDELIERS. 445
Copie des trêves du roi Charles d'après le vidimus du prévôt
de Paris.
« A tous ceux qui ces présentes lettres verront et ouïront, Simon
Morbier, chevalier, seigneur de Villers, conseiller du roi notre Sire et
garde de la prévôté de Paris, salut. Savoir faisons que nous. Tan de
grâce mil Ilir et XXIX (1429), le vendredi xiv* (14) jour d'octobre,
vimes une lettre de Gbarles, soi-disant roi de France, scellées de son
grand sceau en cire jaune, sur double queue, contenant la forme qui
s'en suit :
€ Charles par la grâce de Dieu, roi de France, à tous ceux qui les
présentes lettres verront, salut. Pour parvenir à mettre la paix dans notre
royaume, et faire cesser les grands et innombrables maux et calamités
qui, à la suite des guerres et divisions qui y régnent, y sont advenus et
y adviennent chaque jour, certaines négociations ont été ménagées
naguère par les ambassadeurs de notre très cher et très aimé cousin
le duc de Savoie, entre nous et nos gens d'une part, et notre cousin le
duc de Bourgogne et ses gens de l'autre.
« La matière de cette paix touchant à des points très graves et très
importants, ne se peut discuter et être conduite à bonne fin sans deman-
der du délai et long espace de temps. C'est pourquoi il a semblé auxdits
ambassadeurs qu'il était nécessaire de conclure des trêves jusqu'à un
temps convenable, afin durant ces trêves de traiter plus aisément et
plus mûrement de ladite paix. Par le moyen des susdits ambassadeurs,
ces trêves ont été arrêtées et accordées entre nos gens et en notre nom
d'une part, et les gens de notre cousin de Bourgogne et en son nom
d autre part, et aussi entre les Anglais, leurs gens, leurs ^rvileurn et
sujets, s'ils veulent t consentir, dans les termes et les limites qui suiv^mt,
à savoir pour tout le pays qui est en deçà de la rivière de la Heitut, fU'.pmn
Nogent-sur-Seine jusqu'à Harfleur, sauf et réservées les villes, [pIsu'j-a et
forteresses donnant passage sur cette même rivière de i^tm^^ r^riMrrv^
aussi que, si bon lui semble, notredit cousin de Bourgogne potfrr»
durant ladite trêve s'employer lui et ses ge5s a la vtrzyn^t ift la muâh, uk
Paris, et résister a ceux qui voudraient faire la ovzmuz ou rf^nita it4mnhht
A CKTTE VILLE. CeTTE TRÊVE COXlfENCERA AUJOURD'HUI 2^ iht% UAOIJ y^ftif t'M
qui concerne notredit cousin de Bourgogne: et pour \h^ Afi^M%, U
jour où nous aurons reçu leurs lettres et coim^^iem^ut ; H ^11^ âur^'.rfi
jusqu'à Noël prochain.
« Savoir faisons que nous, ces choses cow^i4^r4^. roniM$$i jf^mr 1*
pitié que nous avons de notre pamre peuple, ohrU^r 4^ Umt ti^Àr^. ^^0fnr
446 Ik VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
et intention à la multiplication desdits maux et inconvénients, avons
donné, consenti et accordé, et par ces présentes donnons, consentons et
accordons bonne et sûre abstinence de guerre pour nous, nos pays,
vassaux, sujets et serviteurs, et les places desdits vassaux et serviteurs,
étant dans les termes et limites ci-dessus déclarés, et aussi pour les
villes et pays ci-dessus déclarés, à savoir la ville d'Amiens et le plat pays
d^environ du bailliage d'Amiens, la ville d'Âbbeville et tout le pays de
Ponthieu, les villes de Noyon, Saint-Quentin, Chauny, Montreuil, Corbie,
Doullens, Saint-Riquier, Saint- Valéry, Ribemont, et Thérouanne, en-
semble les plats pays qui sont aux environs de ces villes ; et aussi auxdits
Anglais es termes et limites et sous les conditions et réserves ci-dessus
déclarées. Commencera cette abstinence cedit xxviu* jour d'août au
regard de notredit cousin de Bourgogne ; et au regard desdits Anglais
du jour que sur ce nous aurons reçu d'eux leurs lettres et consentement,
et durera jusqu'audit jour de Noël prochainement venant, ainsi qu'il est
dit, pourvu aussi que notredit cousin de Bourgogne consente et accorde
pareille abstinence et nous en donne ses lettres patentes de pareil
contenu que celles-ci.
« Par cette présente abstinence il ne sera nullement dérogé ni préju-
dicié aux abstinences ci-devant ordonnées par notre cousin de Savoie
entre quelques-uns de nos pays et de notre parti, et quelques-uns des
pays de notre cousin de Bourgogne et autres compris dans lesdites
abstinences ; mais ces Irôves conserveront leur force et leur vertu
obligatoire, durant le temps et selon la forme et la manière contenues
dans les lettres échangées à ce sujet. Durant le temps de cette présente
trêve, aucune des parties qui Tauront consentie ne pourront dans les
termes et limites ci-dessus désignées, prendre, acquérir, conquérir l'une
SUR l'autre AUCUNE DES VILLES, PLACES OU FORTERESSES QUI Y SONT COMPRISES ;
ILS n'admettront l'obéissance d'aucune, au CAS ou CES VILLES, PLACES OU
FORTERESSES VOUDRAIENT SE RENDRE A l'oBÉISSANCE DE l'uNE DES PARTIES*.
« Afin que cette présente abstinence soit mieux gardée et entretenue,
nous avons pour nous et de notre part ordonné conservateur d'icelle nos
amés et féaux Rigault, seigneur de Fontaines, chevalier, notre cham-
bellan, et Poton de Xaintrailles, notre premier écuyer et maître de notre
écurie, auxquels et à chacun d'entre eux nous donnons plein pouvoir,
autorité et mandement spécial de réparer et de faire tout ce qui par
1. Il suit de cette clause qu'au cas où Paris aurait été emporté le 8 septembre, ou
même aurait ouvert ses portes, (Charles VU n'aurait pas pu en prendre possession, soit
parce que le duc de Bourgogne était autorisé à défendre la ville, soit parce que en ce
cas les Anglais n'auraient pas manqué d'accéder à la trêve du 28 août. Qu'on s*étonne
après cela si les auteurs de celte inqualifiable trêve ont fait échouer l'Héroïne. Le
succès les aurait souverainement embarrassés.
LA CHRONIQUE DITE DES GORDELIERS. 447
quelqu'un de nos vassaux, sujets et serviteurs, serait fait, attenté ou
innové de contraire ou de préjudiciable à la présente trêve ; de poursuivre
et requérir vis-à-vis des conservateurs qui sur ce seront ordonnés pour
la partie de notre cousin de Bourgogne la réparation de tout ce qui de
son côté serait fait, attenté ou innové de contraire ou préjudiciable à
cette trêve; et généralement de faire par nosdits conservateurs et par
chacun d'eux tout ce qu'il appartient et appartiendra de faire en
pareil cas.
<c Par suite, nous donnons mandement à tous nos lieutenants, conné-
tables, maréchaux, maîtres des arbalétriers, ami|;al et autres chefs de
guerre, à tous les capitaines et gens d'armes et de trait qui sont à notre
service, à tous nos autres justiciers, officiers et sujets, ou à leurs lieute-
nants, que la présente abstinence soit par eux gardée, entretenue et
observée inviolablement, sans l'enfreindre ni secrètement, ni ouverte-
ment, en quelque manière que ce soit, pendant qu'elle durera ; et qu'ils
obéissent diligemment, prêtent et donnent conseil, confort, assistance et
aide, s'il en est besoin et en sont requis, aux conservateurs par nous à
cela ordonnés et à chacun d'eux, à leurs commis et députés, en toutes
choses regardant l'entretien et conservation de ladite trêve, et la répa-
ration de ce qui serait attenté ou innové de contraire, si le cas advenait
en quelque manière.
« Donné à Gompiègne le xxviii* jour d'août, l'an de grâce mil CCCC
et vingt-neuf et le septième de notre règne. Ainsi signé, de par le roi :
« J. VlLLEBRESNE. »
Autre copie sur le fait desdites abstinences,
« A tous ceux que ces présentes lettres verront, Simon Morhier, etc.,
savoir faisons que nous, Tan de grâce mil IIIP et àTlIX (1429), le jeudi
xui* jour d'octobre, vîmes une lettre de Charles, soi-disant roi de France,
dont la teneur suit :
« Charles, etc. Pour parvenir au bien de la paix et faire cesser les grands
maux et dommages qui, par suite des guerres et des divisions existantes,
sont advenus et adviennent chaque jour en notre royaume, certaines
abstinences de guerre ont été arrêtées et décrétées naguère, par l'inter-
médiaire des ambassadeurs de notre très cher et très aimé cousin le duc
Je Savoie, entre nous d'une part et notre cousin de Bourgogne d'autre
part, devant durer depuis le vingt-huitième jour d'août dernier jusqu'au
jour de Noël prochain, selon la forme, les conditions, et les réserves
contenues et déclarées en certaines de nos lettres sur ce faites, et données
en notre ville de Compiègne le vingt-huitième jour d'août ci-dessus
448 L\ VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
indiqué. Comme dans lesdites abstinences ne sont nullement compris notre
ville de Paris, notre château du bois de Vincennes, nos ponts de Cha-
renton et de Saint-Cloud, et la ville de Saint-Denis, Savoir faisons que
nous, ces choses considérées, et pour certaines autres causes et considé-
rations à ce nous mouvant, avons, en ampliant de notre part lesdites
abstinences, consenti et accordé, et par ces présentes consentons et
accordons que notre ville de Paris, notre château du bois de Vincennes,
nos ponts de Charenton et de Saint-CIoud, et la ville de Saint-Deois,
soient compris dans lesdites abstinences, tout ainsi que si lesdites villes
et lieux y eussent été expressément nommés et déclarés, pourvu toute-
fois que ceux de notre ville de Paris, et des autres lieux et places ci-
devant exprimés comme en dehors, ne fassent durant ces abstinences,
par voie de guerre ou autrement, rien de préjudiciable à la trêve, et
que de ce notre cousin nous donnera des lettres; les abstinences dessus-
dites restent en leur force et vertu, sans qu*il y soit en rien préjudicié ni
dérogé par les présentes.
« Si par voie de fait, par volonté désordonnée, ou de toute autre ma-
nière, quelque chose était fait, attenté, innové de contraire ou d'opposé
à ces abstinences, la partie offensée ne pourra nullement procéder par
vengeance ou voie de fait, alléguer que lesdites abstinences ont pris fin
ou sont rompues ; mais la réparation en sera faite par les conservateurs
de la partie qui aura offensé.
(( En témoin de ce, nous avons fait mettre notre sceau à ces pré-
sentes.
« Donné à Senlis, le dix-huitième jour de septembre, Tan de grâce 1429,
et le septième de notre règne. Ainsi signé : Par le roi en son conseil,
tenu par Mgr le comte de Clermont, son lieutenant général es pays en
deçà de la Seine, le comte de Vendôme, nous, Christophe de Harcourt,
le doyen de Paris, et plusieurs autres présents.
« J. ViLLEBRESNE. »
Autre copie. — Lettres du roi Henri par lesquelles il commet le duc
de Bourgogne au gouvernement de Paris et d'ailleurs,
« Henri, par la grâce de Dieu, roi de France et d'Angleterre, à tous ceux
qui les présentes verront, salut. Savoir faisons ce qui suit : Notre très
cher et très aimé oncle, Jean, régent de notre royaume de France, duc
de Bedford, considérant les grandes affaires et les diverses charges qu'il
a à supporter pour le présent, tant pour le gouvernement de notredit
royaume, comme surtout pour notre duché de Normandie, sur lequel
nos ennemis et adversaires se sont jetés à grosse puissance, a prié, requis
CHRONIQUE DITE DES CORDELIERS. 449
bien instamment, cordialement et sincèrement S notre très aimé et très
cher oncle, Philippe, duc de Bourgogne, comte de Flandre, d'Artois et
de Boui^ogne', palatin de Namur, seigneur de Salins et de Malines,
de Taider à conduire et supporter une partie desdites affaires, et spécia-
lement de prendre et d'accepter le gouvernement et la garde de notre
bonne ville, prévôté et vicomte de Paris, et des villes et des villages de
Chartres, de Melun, Sens, Troyes, Ghaumont-en-Bassigny, Saint-Jangou,
Yermandois, Amiens, Tournaisis et Saint-Âmand, et la sénéchaussée
du Ponthieu, en exceptant toutefois les villes, châteaux et châtellenies
de Dreux, VilIeneuve-le-Roi, Crotoy, Rue, et les pays conquis par feu
notre très cher seigneur et père, que Dieu pardonne, avant la paix finale
de nos royaumes de France et d'Angleterre (le traité de Troyes)^ qui
demeureront en l'état et garde où ils sont à présent. Notre oncle de
Bourgogne, par amour et par honneur pour nous et pour notredit oncle
le r^ent son beau-frère, pour la conservation et l'entretien de notre
seigneurie et la défense de notre bonne ville de Paris et des lieux susdits,
encore qu'il ait présentement plusieurs grandes et pesantes affaires pour
le gouvernement de ses pays et seigneuries, a pris cependant le gouver-
nement et la garde à lui offerts.
« Et nous, ayant cette disposition à très grand plaisir et agrément, con-
naissant par une véritable expérience la grande puissance, vaillance et
loyauté de notredit oncle de Bourgogne, de l'avis et après délibération
de notredit oncle le régent et des gens de notre grand conseil de France,
avons ordonné et commis, ordonnons et commettons notre oncle de
Boui^ogne, notre lieutenant aux bailliages et lieux ci-dessus désignés,
et à leur gouvernement, en lui donnant plein pouvoir, autorité et mande-
ment spécial de gouverner et de garder pour nous, au nom de nous et
sous nous, jusques au temps de notre venue en France, notredite bonne
ville de Paris, bailliages et lieux susdits, ensemble nos hommes, vassaux
et sujets demeurants es dites villes, bailliages et lieux; de donner en
notre nom et sous noire sceau, durant ledit temps, les seigneuries, terres,
rentes et revenus qui dorénavant nous écherront par la rébellion et
désobéissance de nos sujets ayant terres et seigneuries aux lieux qui sont
miseront réduits ànotre obéissance, dans les limites de son gouvernement ;
de faire procéder par bonne et due élection et confirmation, ainsi qu'il est
accoutumé, aux offices royaux électifs ; de disposer des autres offices non
électifs selon la torme déclarée en certaines de nos autres lettres, et d'or-
donner de toutes les autres et particulières choses, nécessités et affaires
^'^mèrement, est une des multiples acceptions du mot acerbes. On pourrait encore
dire affectueusement (Voy. Lacurne).
2. Franche- Comté.
ni. 29
450 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
(les lieux susdits; détenir nos conseils, d'y conclure et d'exécuter les
conclusions pour notre bien et notre honneur et la conservation de nôtre-
dite seigneurie ; et, pour ce faire, de recueillir et d'employer toutes les
finances qui nous appartiennent dans les dépendances, villes, bailliages
et lieux ci-dessus désignés, ainsi que les cas le requerront, y commettant
et ordonnant de par nous tels officiers que bon lui semblera ; le tout sans
préjudicier ni déroger en autres choses à l'état et à la dignité de la régence
du régent notredit oncle.
« Ainsi donnons mandement à nos aimés et féaux conseillers les gens
de notre parlement, au prévôt de Paris, et à tous les baillis et autres jus-
ciers, officiers et sujets à qui il appartiendra, et à leurs lieutenants, de
laisser notre oncle de Bourgogne jouir et user pleinement des gouverne-
ments et garde dessus dits, et en tout ce qui concerne et regarde ce qui
vient d'être dit, de lui obéir sans aucun contredit à lui, à ses mandements
et commandements ; promettant en bonne foi à notredit oncle de Bour-
gogne, que toutes et chaque fois que charge de guerre lui surviendra dans
les limites dudit gouvernement, nous l'aiderons, dès que par lui nous en
serons requis, de nos gens d'Angleterre et d'ailleurs, autant que raison-
nablement nous pourrons alors le faire. En témoin de ce, etc.
« Donné à Paris le xm* jour d'octobre de Tan de grâce 1429, de notre
règne le septième.
« Ainsi signé : Par le roi à la relation du conseil tenu par Mgr le
régent du royaume de France, duc de Bedford, auquel étaient présents
Messeigneurs le cardinal d'Angleterre et le duc de Bourgogne, vous, les
évoques de Beauvais, de Noyon, de Paris et d'Évreux, le comte de
Guise S le premier président du parlement, l'abbé du Mont-Saint-
Michel, le sire de Scales, le sire de Santés, Messire Jean Fastolt,
Messire Raoul Bouteiller, le sire de Suint-Liébaut, Messire Jean Poupham,
les seigneurs de Clamecy et du Mcsnil, le trésorier du palais à Paris,
Messire le duc, et plusieurs autres.
(( Jehan Reinel. »
[Le chroniqueur va nous dire que les Anglais n'adhérèrent pas à la
trêve; mais si, comme duc de Bourgogne, Philippe était lié, il ne l'était
pas comme gouverneur de Paris et des autres pays confiés à sa garde par
le roi anglais. Ses lieutenants étaient autorisés à dire, comme ils dirent
en effet, qu'ils ne combattaient pas les Français comme Bourguignons,
mais comme étant au service de T Angle terre. Reprenons la suite de la
Chronique.]
1. Jean de Luxembourg.
CHRONIQUE DITE DES CORDEUERS 451
II
Ainsi qu'il est dit par ces lettres, le duc de Bourgogne vint à Paris après
les trêves et les abstinences de guerre données par le roi Charles, trêves
et abstinences dans lesquelles les Anglais ne voulurent pas être compris.
Ils continuèrent àguerroyer. Les guerres se prolongèrent durant ce temps
en Normandie. Les Anglais surprirent, perdirent, et reprirent plusieurs
places, villes et forteresses, dont le recouvrement leur demanda beaucoup
de travaux et de dépenses.
Le duc de Bourgogne, après qu'il se fut chargé du gouvernement, et
qu'il eut pris d'importantes mesures pour la sûreté et la garde des pays
et des places à lui confiés, s'en retourna avec sa grande et noble compa-
gnie de gens de Picardie en ses possessions d'Artois et de Flandre. Il
s'y tint tout l'hiver sans guerroyer.
Durant ce temps les ambassadeurs des princes tinrent de grands con-
seils sur le fait de la paix ; les trêves et abstinences furent prolongées
jusqu'au mois de mars suivant ; mais Jinalemcnt l'on ne put arriver à
conclure la paix ; les traités ne purent aboutir, principalement parce que
la ville de Compiègne refusa d'obéir et de livrer passage au duc de Bour-
gogne, lorsqu'il allait à Paris, ou en revenait, ce qui lui avait été promis,
ainsi que le Pont-Sainte-Maxence qui, du consentement des deux partis,
fut remis entre les mains de Regnault de Longueval ; mais Guillaume de
Flavy refusa d'obéir ; il se tint toujours guerroyant tantôt d'un côté, tantôt
de l'autre, lui et toutes ses forces ; et il pourvut la ville de tout ce qui était
nécessaire pour la défendre contre tous.
Durant le temps des trêves, le roi Charles devait se tenir au delà de
la rivière de la Seine, ce qu'il fit; et le régent en Normandie.
III
Le xxi* jour de mars, les trêves étant expirées, la guerre recommença
de toutes parts en France.
A l'entrée du mois d'avril, le duc de Bourgogne alla à Péronne et fit
une très grande assemblée de gens d'armes afin de se porter devant
Compiègne; parce qu'il y avait en cette ville une très forte garnison qui
empêchait le passage vers Paris et faisait beaucoup de maux aux pays des
environs.
V5*
452 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
En ce temps, le viii* jour d'avril, le bâtard de Clarence entra à Paris
avec de grosses forces d'Anglais. Il y avait été mandé par le seigneur
de risïe-Adam et par d'autres, parce que quarante dizainiers de cette ville
avaient formé le complot et pris l'engagement, à ce qu'on disait, de livrer
la ville au roi Charles. Il y en eut un grand nombre de pris ; mais peu
furent exécutés, parce que l'affaire s'arrangea et prit assez bonne fin.
Le jeudi après les fêtes de Pâques, le xx* jour d'avril, l'an 1430, Mes-
sire Jean de Luxembourg, le seigneur de Croy et d'autres capitaines
partirent avec tous leurs gens de Péronne et passèrent l'Oise. Informaient
l'avant-garde de l'armée du duc de Boui^ogne. Il les suivit et partit de
Péronne le samedi qui suit les Pâques closes [Quasimodo^ cette année
23 avril). Ils allèrent conquérir plusieurs places au pouvoir de leurs
ennemis, telles que Avesnes, la Tour de Goumay et d'autres.
Le jour de Saint-Georges, xxiii« jour d'avril, le jeune roi d'Angleterre
arriva à Calais, escorté d'après la renommée par quarante-huit vaisseaux,
amenant deux mille hommes, et de grosses provisions de bétail et de vivres
qui furent dirigées sur la Normandie. Les gens d'armes furent envoyés en
plusieurs contrées tant de Normandie que de France, et aussi devant
Compi^ne et ailleurs, partout où besoin était. Le jeune roi demeura ù
Calais jusqu'au mois de juillet suivant, qu'il fut mené à Abbeville, de là
à Rouen où il séjourna ensuite pendant un grand espace de temps.
Après plusieurs places prises par les gens du duc de Bourgogne sur
leur chemin de Compiègne, le siège fut mis au pont de Choisy, où Guil-
laume de Flavy avait établi de grosses garnisons. Le duc de Bourgogne
vint à ce siège, et fit tirer par engins nombreuses pierres contre la place ; il
fit tant que les assiégés prirent la fuite, et de nuit se retirèrent à Compiègne
en mettant partout le feu. Ils abandonnèrent la place Icxvi' jour de mai.
En ce temps, les Anglais arrivèrent au Pont-rÉvôquc, près de Noyon.
Là ils furent un jour assaillis par les hommes de la garnison de Com-
piègne et par d'autres, formant une armée de quatre mille hommes, dont
on disait que la Pucelle était capitaine. Les Anglais, qui n'étaient que
douze cents hommes, se défendirent très grandement ; mais ils auraient
eu rude besogne s'ils n'eussent été secourus par Mgr de Saveuse qui se
tenait à Saint-Eloy-de-Noyon, avec huit cents hommes qui repoussèrent
les ennemis.
IV
Le xx!*" jour de mai, le siège fut mis d'un côté, par deçà de l'Oise,, de-
vant Compiègne, où les comtes d'Houtiton, d'Arondel, vinrent avec nom-
454 LA VRAIE JEANiNE D'ARC '. LA LIBÉRATRICE.
VI
Le pénultième jour de mai (1431), Jeannette La Pucèlle fut brûlée à
Rouen, après avoir été d'abord condamnée à la prison, s'étant rétractée
de ses erreurs, à la suite de noble prédication faite sur sa conduite audit
lieu de Rouen en présence du régent de France, de plusieurs hauts prin-
ces et prélats tant de France que d'Angleterre, du grand conseil du roi
Henri et de tous ceux qui voulurent Tentendre ; mais dès qu'elle vit qu'on
la voulait mettre en habit de femme, elle révoqua sa rétractation, et dit
qu'elle voulait mourir comme elle avait vécu, et partant elle fut condamnée
à être brûlée.
Les cendres de son corps furent par sacs jetées en la rivière, pour
que jamais on ne pût en faire, ni tenter d'en faire des sorcelleries, ou
méchante chose.
GILLES DE ROYE
La vaste publication des Chroniques belges a enrichi l'histoire de
Jeanne d'Arc de six ou sept documents nouveaux, peu connus en France,
où, jusqu'à présent, ils n'ont pas été publiés dans leur hitégralité. On n'a
guère fait qu'emprunter quelques phrases à la Chronique de Tournay,
reproduite dans le second livre de ce volume.
Nous n'avons pas souvenance d'avoir vu la mention de celle de Gilles
de Roye, insérée en 1870 par M. Kervyn de Lettenhove dans son volume
des Chroniqueurs de F abbaye des Dunes, Les pages qui regardent la
Pucelle sont cependant très substantielles dans leur concision. La Libé-
ratrice y est présentée sous son véritable aspect, et les légères erreurs
qu'on pourrait y signaler ne portent que sur des faits de minime ou de
nulle importance.
L'auteur était sujet du duc de Bourgogne. C'est ce qui explique le seul
mot qu'on pourrait reprendre dans son œuvre ; il est dans la dernière
phrase où il dit que Jeanne ixxi justeynejit ou injustement brûlée à Rouen.
Tout le récit qui précède montre que ce fut très injustement ; mais le bon
moine a voulu se mettre à couvert en refusant de flétrir directement et
explicitement les bourreaux de Rouen.
C'était en effet un bon moine que Gilles de Roye. D'après la notice que
LA CHRONIQUE DE GILLES DE ROYE. 455
lui a consacrée son noble éditeur, il naquit en 1413, six jours après la
bataille d'Âzincourt, et il mourut un an avant la bataille de Guinegatte,
en 1478. Il enseigna au monastère des Bernardins à Paris, fut abbé de
Royaumont de 1453 à 1459, et se retira ensuite à son abbaye des Dunes;
il y vécut en grande réputation de savoir et plus encore de sainteté.
Il prédit le jour de sa mort.
Il écrivit en latin une Chronique qui s'étend de 1413 à 1431. Voici la
traduction des pages consacrées à la Pucelle \
CHAPITRE IX
LA CHRONIQUE DE GILLES DE ROYE.
Sommaire : I. — Salisbury met le siège devant Orléans. Combat de Houvray. —
Mort de Salisbury. — Arrivée de la Pucelle. — Étendue de la mission qu'elle dit avoir
reçue. — Examinée. — Épée de Fierbois. — Ravitaillement d'Orléans. — Comment,
dans leur extrême détresse, les Orléanais avaient voulu traiter avec les Anglais.
II. — La Pucelle fait lever le siège. — Meung, Baugency. — Particularités sur la vic-
toire de Patay. — L'armée du sacre. — Le Connétable écarté par La Trémoille. —
La guerre de la Pucelle aux femmes de mauvaise vie. — Conditions faites à Auxerre
et mécontentement de la Pucelle. — Soumission de Troyes, grâce à la Pucelle. —
La composition. — Soumission de Chàlons, de Reims, le sacre.
m. — Marche triomphale de Charles VU. — Bedford demande la bataille et la fuil.
— Charles Vil arrêté à Bray-sur-Seine est contraint de continuer ses conquêtes. —
Les deux armées en présence à Mitry. — Soumission de Crépy, Compiègne, Senlis,
Be&uvais. — Bedford s'éloigne de Paris. — La ville confiée à l'évêque de Thérouanne.
— Charles VII à Saint-Denis. — La tentative contre Paris échoue par le désaccord
des capitaines français. — Retraite du roi. — Le pays ravagé.
IV. — Les assiégeants de Compiègne. — La Pucelle dans la place. — Sa prise. —
Conduite à Noyon à la duchesse de Bourgogne. — Vendue aux Anglais. — Le chro-
niqueur ne veut rien dire de l'équité ou de l'iniquité de sa condamnation.
1
Cette même année {14S8)^ le comte de Salisbury, le comte de Suffolk,
le sire de Talbot, à la tête d'une grande armde, mirent le siège devant
Orléans, et construisirent des bastilles de tous les côtés de la ville.
Pour alimenter les assiégeants, sire Jean Fastolf et sire Simon Morbier
prévôt de Paris, conduisaient de cette ville à Orléans de nombreux
chariots chargés de vivres, principalement de harengs. Instruits du fait,
le duc de Bourbon, le connétable d'Ecosse et La Hire vinrent à leur
L Ou trouvera le texte aux Pièces justificatives y IL
456 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
rencontre avec une nombreuse armée. La bataille s'engagea, la victoire
resta aux Anglais, et le connétable d'Ecosse, le seigneur d'Orval^ frère du
seigneur d'Albret, et plusieurs autres, tombèrent sur le champ de bataille.
Le duc de Bourbon prit la fuite, et les vivres arrivèrent aux soldats du siège.
Un jour, vers l'heure du dîner, le comte de Salisbury regardait la ville
du haut de la bastille du pont. La pierre d'un canon tiré, par Ton n'a pas
su qui, vint frapper contre la fenêtre où il était en observation. Un éclat
rejaillit contre la figure du comte qui trois jours après mourut de la
blessure.
En ce temps, se présenta devant le Dauphin une Pucelle originaire de
Vaucouleurs en Barrois, son pays. Elle se disait envoyée de Dieu pour
battre les Anglais, les expulser du royaume de France, rendre au
Dauphin tout l'héritage paternel, et le conduire à Reims pour y être
couronné.
Dès son arrivée, elle parlait admirablement. Soumise à l'examen, elle
répondait à tout, comme si elle avait passé toute sa vie sous les armes.
Elle envoya à Sainte-Catherine-de-Fierbois y quérir une épée dont Dieu
lui avait révélé l'existence, et avec laquelle elle devait vaincre les Anglais.
L'envoyé trouva tout comme elle l'avait indiqué. Le Dauphin la garda
auprès de lui. En attendant, il rassembla la plus forte armée qu'il pût
former, et envoya cette armée avec ses capitaines et la Pucelle porter à
Orléans un convoi de vivres. En dépit des assiégeants, la Pucelle entra
dans la ville, et y introduisit les vivres.
Avant ce ravitaillement, les habitants d'Orléans étaient dans une telle
disette de vivres qu'ils avaient voulu écarter les Anglais à prix d'argent,
ou remettre la ville entre les mains du duc de Bourgogne. Ils lui
envoyèrent, muni de lettres de créance, Poton de Xaintrailles, avec pouvoir
de traiter avec lui. Le duc répondit qu'il agréait beaucoup la proposition,
si elle plaisait au régent, et il lui envoya des délégués pour traiter de
Taffaire. Le régent ne fut pas content; il protesta qu'il ne lèverait le
siège que lorsqu'il se serait rendu maître de la ville, et aurait recouvré
toutes les dépenses faites. Le duc de Bourgogne, sur cette réponse, ren-
voya Poton en paix.
Il
i^i9. — A la suite de ces faits, la Pucelle conduisit si bien les affaires
qu'elle fit à main armée lever le siège, s'empara des bastilles, battit les
Anglais, et en délivra la ville.
Quittant Orléans, elle s'empara de plusieurs autres villes, telles que
Meung et Baugency et en chassa les Anglais qui, dans leur fuite, prirent
458 Là vraie JEANNE D ARC : LA LIBÉRATRICE.
III
Après trois jours d'arrêt dans cette cité, le roi en partit et vint à Vailly
qui se rendit à lui ; il vint à Laon ^ et à Soissons qui lui firent soumis-
sion, ensuite à Château^Thierry dont la soumission fut spontanée, ainsi
que celle de Provins.
Le duc de Bedford, à ces nouvelles, demanda la bataille, ce que le roi
accepta; mais apprenant que le roi tenait les champs, il ne vint pas; il
rentra à Paris. Le roi méditait de passer la Seine à Bray, lorsqu'un
certain nombre d'Anglais y rentrèrent ; il revint alors sur ses pas jusqu'à
Château-Thierry, d'où il alla à Crépy, et ensuite non loin de Dammartin.
Les Anglais sortirent de Paris, et vinrent à Mitry-en-France; les deux
armées semblaient disposées à en venir aux mains : mais, après quelques
escarmouches des deux côtés, les Anglais rentrèrent à Paris.
Le roi vint à Compiègne dont les clefs lui furent spontanément remises.
Pendant quïl s'y trouvait, l'évoque et les bourgeois de Senlis ainsi que
les citoyens de Beauvais, vinrent lui promettre obéissance.
Durant ces jours, le duc de Bedford s'éloigna de Paris dont il laissa la
garde à Louis de Luxembourg, évêque de Thérouanne, qui y remplissait
les fonctions de chancelier pour le roi d'Angleterre. Le roi de France
ayant nommé des capitaines à Compiègne et à Beauvais vint à Senlis,
d'où il s'avança jusqu'à Saint-Denis.
Il y eut alors divers engagements entre les Anglais qui étaient à Paris
et les Français campés à Saint-Denis. A la suite de ces engagements,
/ l'armée française s'avança jusqu'à une demi-lieue de Paris, et ron fit
contre la ville plusieurs assauts dans lesquels la Pucelle fut atteinte à
la cuisse par un trait. Si tous les hommes d'armes avaient eu son cou-
rage, Paris aurait été en grand danger d'ôtre pris; mais tous les .autres
ÉTAIENT EN DÉSACCORD SUR l'entreprise (de captioTie dîssidebant). C'est alors
que la Pucelle déposa ses armes dans Téglise de Saint-Denis.
Dans ces conjonctures la ville de Lagny-sur-Marne se rendit au roi.
Le roi en prit possession, laissa le duc de Bourbon et d'autres capitaines
à la garde des villes de son obéissance, et par Lagny revint à Montargis.
Il y eut alors entre les Anglais et les Français diverses rencontres, prises
de villes, et de nombreux pillages.
1. Le roi n'alla pas à Laon.
GEORGES GHASTELLAIN ET SA CHRONIQUE. 459
IV
[Sous la date de 1430, le chroniqueur consacre à la Pucelle les lignes
suivantes:] L'an du Seigneur li30, Jean de Luxembourg, le comte de
Hotington, le comte d'Arondel vinrent avec une grande armée assiéger
Compiègne. La Pucelle, qui était à Lagny, sitôt qu'elle en eut connais-
sance, entra dans Compiègne, et, autant qu'elle put, fit obstacle au siège.
Un jour à la tête d'une troupe d'hommes d'armes, elle fit une sortie
dans laquelle elle s'éloigna trop imprudemment de la ville. Entourée par
les Boui^uignons, elle fut prise. Ce ne fut pas l'objet de peu de douleur
pour les Français. Elle fut adjugée au susdit seigneur Jean de Luxem-
bourg qui la conduisit à Noyon ^ au duc et à la duchesse de Bourgogne.
Le même seigneur Jean la vendit dans la suite aux Anglais. Conduite à
Rouen, elle y fut soit justement, soit injustement brûlée.
GEORGES GHASTELLAIN ET SA CHRONIQUE
Georges Chastellain fut appelé par ses contemporains la perle, l'étoile
des historiographes. Personne, disait-on, ne maniait mieux la langue
française : une si haute renommée ne sauva cependant pas ses ouvrages
d'an oubli plus que séculaire. Durant longtemps on ne connut du fécond
écrivain qu'un de ses écrits les moins étendus : Recollection des merveilles
amiues en notre temps.
Bachon exhuma, en 1825, les fragments d'une Chronique dont Chastel-
lain est l'auteur, et la reproduisit dans son Panthéon littéraire. L'attention
était éveillée. D'autres manuscrits furent découverts, assez pour que, en
1865, M. Kervyn de Lettenhove ait pu former huit volumes in-octavo des
CEuvres de l'écrivain flamand. Encore en reste-t-il d'autres à retrouver,
si elles ne sont pas à jamais perdues.
Le docte éditeur, dans la notice pleine d'érudition mise en tête de la
publication, nous apprend que Georges Chastellain naquit à Alost en 1403,
d'une famille noble. Un goût précoce pour l'élude le retint à l'Université
de Louvain, jusqu'à l'âge de vingt-cinq ans. 11 s'éprit alors de l'amour
^- Si, comme le dit Gilles de Roye, la Pucelle a été conduite à Noyon pour être vue
P»rla jeune duchesse, nous serions fixés sur la date de celte entrevue. La duchesse
*niva à Noyon le 6 juin. (Voy. Noyon, par M. iMaizièros.)
460 LA VRAIE JEANNE D*ARC : LA LIBÉRATRICE.
des voyages et des aventures, fut quelque temps au service du duc de
Bourgogne, et passa en France après le traité d'Arras. Il y vécut dix ans,
lié avec les plus hauts personnages de la cour, honoré de nombreux
bienfaits de la part de Charles VIL Rentré dans les Etats de son souverain,
il fut accueilli avec faveur par le duc Philippe, qui lui confia d'honorables
emplois, le chargea de plusieurs ambassades, et lui conféra le titre de
conseiller.
Chastellain, dégoûté du monde, renonça à la vie publique et se retira
à Valenciennes. Le duc le logea dans le château de La Salle le Comte,
qu'il y possédait, lui constitua d'abord une rente quotidienne de 18 sols
11 gros, bientôt plus que doublée par une pension annuelle, allouée à
condition qu'il mettrait par escript choses nouvelles et morales^ en quoy il
est expert et cognoissant, et aussi par manière de Chroniques les faits dignes
de mémoire. Chastellain reçut le titre à'indiciaire^ c'est-à-dire d'historio-
graphe.
Chastellain mérita sa pension. Il écrivit avec de longs détails l'histoire
de Philippe le Bon et celle de son fils Charles le Téméraire jusqu'au
siège de Neuss. Malheureusement on n'en a retrouvé que des fragments
qui font beaucoup regretter l'ensemble. L'on ne se trompait pas en
saluant dans Chastellain le premier écrivain français de son temps. Il a
le relief de Saint-Simon avec moins de dureté.
Ce que l'on possède sur la libératrice part du retour de la Pucelle à
Lagny jusqu'à son supplice.
Le Fèvre de Saint-Rémy, dont la Chronique très défavorable à la Libé-
ratrice sera citée dans le livre suivant, envoyait à Georges Chastellain
le canevas des faits. C'est à Saint-Rémy qu'il faut attribuer le conte
inventé sur ce qui précéda la sortie de Compiègne.
Un historiographe officiel du duc de Bourgogne ne pouvait pas se
prononcer contre le brigandage de Rouen. Chastellain essaye de le
justifier, et dans son vain essai donne des détails précieux à enregistrer.
Personne n'a parlé avec plus de splendeur de l'intrépidité, de la ma-
gnanimité de la jeune fille, de la place qu'elle tenait dans son parti et dans
le parti ennemi. Le témoignage est doublement précieux, parce qu'il est
celui d'un adversaire, et aussi parce que, d'après Pontus Heuterus,
Chastellain avait vu la Pucelle. Ses sentiments intimes se manifestent
plus clairement dans quelques strophes poétiques qui seront citées dans
un autre volume.
CHRONIQUE DE GEORGES GHASTELUIN. 461
CHAPITRE X
DERNIERS EXPLOITS, PRISE ET CONDAMNATION DE LA PUCELLE.
SouxAiRE : I. — Le duc de Bourgogne vient assiéger Compiègne. — Préparatifs de
défense des assiégés. — Assiette du camp. — Nombreux concours autour du duc de
Bourgogne.
II. — Franquet d*Arras. — La Puceile le rencontre revenant du pillage. — Combat
acharné. — Franquet prisonnier, exécuté.
III. — Diligence du duc au siège de Compiègne. — La Pucelle dans la ville. — Ce que
lui prête le chroniqueur. — La sortie. — Portrait de la Pucelle allant au combat. — -
Attaque contre Margny où campe Baudot de Noyelle. — Visiteurs qu'il recevait en ce
moment. -♦ Premier succès de la Pucelle. — Toute l'armée assiégeante accourt. —
La troupe de la Pucelle enveloppée se retire. — Magnanimité de Théroïne protégeant
la retraite. — Elle est prise. — Le preneur aussi joyeux que s'il avait pris un roi.
— Compagnons de captivité. — Joie du duc et du camp tout entier. — La Pucelle
visitée par le duc. — Sa longue captivité à Beaurevoir.
iV. — Livrée aux Anglais. — Le procès de Rouen d'après le chroniqueur. — Précau-
tion de Cauchon pour se couvrir. — L'Université de Paris. — Instances pour faire
rétracter l'accusée. — Instances de la cour d'Angleterre pour faire publier le récit
menteur expédié par elle.
I
Livre II. — Chapitre xi. — Comment le duc se logea devant Compiègne
à grant puissance.
Aussitôt après que le Pont-à-Choisy eut été pris et démoli, le duc fit
incontinent déloger son armée du lieu où elle était, et lui fit repasser la
rivière de TOise pour tirer droit à Compiègne ; car c'est là qu'il désirait
mettre le siège. Il y vint lui-môme en personne loger à une lieutte près
de la ville, que ceux du dedans avaient bien mise à point, et bien rem-
parée par dehors de gros et puissants boulevards et d'autres fortifications,
avertis qu'ils étaient de longtemps que le siège y viendrait. Pour ce motif
y étaient venus, afin de la garder, les plus gens de guerre et de plus
grande valeur qui fussent dans le parti des Français, car la perte de la place
leur eût causé un dur chagrin, et grand mal en la fin * ; aussi leur seyait-il
bien de la défendre soigneusement.
Or, comme je vous l'ai dit, le duc était venu loger à Coudun, le comte
de Ligny à Clairoy, Messire Baudot de Noyelle à Margny sur la chaussée,
et le seigneur de Montgommerry avec ses Anglais à Yenette, au bout de
1. Car la perte d'icelle leur eust moult tourné à dur y et à grand meschief en la fin.
462 LA VRAIE JEANNE D^ARG : LA LIBÉRATRICE.
la prairie. Là, les gens de diverses nations, Boui^uignons, Flamands,
Picards, Allemands, Haynuyers, vinrent se rendre auprès du duc pour
renforcer sa puissance. Tous y furent reçus et les bienvenus, encore qu'il
y eût beaucoup de seigneurie et de gens de grand fait, tels que le comte de
Ligny, et le seigneur de Croy, Messire Jean son frère, le seigneur
de Créquy, le seigneur de Santés, le seigneur de Comines, le seigneur de
Manines, les trois frères, Messire Jacques, Messire David et Messire
Florimond de Brimeu, Messire Le Bègue de Lannoy, tous chevaliers de
rOrdre \ sans les autres en grand nombre dont les noms ne se mettent
pas. On peut bien penser sans se tromper qu'il y en avait largement avec
un tel prince, surtout en un tel lieu, où il s'agissait de montrer son pou-
voir et Teffort dont il était capable.
11
Chapitre xii. — Comment la Puce lie combattit et déconfit Pratique t
dArras,
Or il me souvient maintenant comment un peu par avant que la
Pucelle fût venue au secours de Compiègne, un jour, un gentilhomme
d'armes, nommé Franquetd'Arras, tenant le parti bourguignon, était allé
courir vers Lagny-sur-Marne, bien accompagné de vaillants gens d'armes
et d'archers, au nombre de trois cents environ. Son aventure voulut qu'à
son retour, il fut rencontré par cette Pucelle dont les Français faisaient
leur idole, qui avait avec elle quatre cents Français, bons combattants.
Dès qu'ils s'entrevirent, ni l'un ni l'autre ne pouvait ni ne voulait par
honneur fuir la bataille ; avec cette différence près que le nom de la
Pucelle était déjà si grand et si fameux que chacun la redoutait comme
une chose dont on ne savait bien juger ni en bien ni en mal ; mais elle
avait déjà fait et mené à terme tant d'entreprises que ses ennemis en
avaient peur, et que ceux de son parti l'adoraient, principalement pour
le siège d'Orléans, où elle fit œuvres merveilleuses, pareillement pour le
voyage de Reims, là où elle mena couronner le roi, et ailleurs dans
d'autres grandes affaires dont elle prédisait les suites et les événements*.
i . De la Toison d'Or, que le duc venait d'établir depuis fort peu de temps. Chas-
tellain en parle souvent.
2. ^i voult ainsij son aventure que ceste PucellBy de qui Pranchois faisaient leur ydoUe le
rencontra en son retour,,, excepté que le nom de la Pucelle estoit si grand et si fameux que
chacun la resongnoit comme une chose dont on 7îe satoil comment jugier, ne en bien^ ne en
mal; mes tant avoit fait j à de besongnes et menées à chiefque ses ennemys la doubtoient,
et raouroient ceulx de son party, principalement pour le siège d'Orliens, là où elle ouvra
mcndlles ; pareillement pour le voyatjede Rains, là où elle mena le roy couronner ^ et ailleurs
en aultres grans affaires dont elle prèdisoit les aventures et les dvénemens.
CHRONIQUE DE GEORGES GHASTELLAIN. 463
Or, ce Franquet était un courageux homme que rien n'ébahissait; qui
vit bien que le seul remède à son cas était de combattre la Pucelle, ne
respirant de son côté que de tomber sur les Bourguignons, et ne cherchant
toujours qu'à inciter les Français à batailler contre eux ^ Les deux parties
en vinrent aux mains et combattirent longuement sans que les Français
remportassent d'avantage sur les Bourguignons, ayant cependant moins
de forces que leurs adversaires *, mais ils étaient hommes de grande valeur
et de bonne défense, à cause des archers qu'ils avaient avec eux, qui
avaient mis pied à terre.
Quand la Pucelle vit que rien ne se ferait si elle n'avait encore de plus
grandes forces, elle manda en toute hâte la garnison entière de Lagny, et
ainsi fit-elle des garnisons d'alentour, pour qu'on vînt l'aider à coucher à
terre cette petite poignée de gens, dont on ne pouvait être maître.
Accourus précipitamment, ils reprirent un troisième combat contre
Franquet. Celui-ci, sans songera se sauver parla fuite, espérant toujours
s'échapper et sauver ses gens par vaillance, finit par être pris, tandis que
ses gens étaient tués pour la plupart et tous déconfits. Conduit prisonnier,
il fut dans la suite décapité par la cruauté de cette femme qui désirait
sa mort ' ; ce dont grandes plaintes furent faites dans son parti, car il était
vaillant homme et bon guerrier.
III
Chapitre xiv. — Comment la Pucelle issit dehors Compiegne à Rencontre
des Bourguignons j et comment elle fut prise en ceste envahye.
Je reviens au logis du duc, principal sujet de ce récit. Il était à Coudun,
projetant toujours d'approcher de plus en plus près de la place, pour clore
l'investissement et fixer le siège ainsi qu'il appartenait ; il y mit sens et
entendement pour le faire bien et convenablement, et le plus possible à
son honneur.
Or, il est vrai que la Pucelle dont il est tant fait mention ci-dessus était
entrée de nuit dans Compiegne. Après y avoir reposé deux nuits, le
second jour elle donna à connaître plusieurs folles imaginations ^ ; elle
mit en avant et dit avoir reçu certaines révélations divines annonçant
que de grands événements allaient advenir. Faisant donc une grande
1. Texte: «' La Pucelle mallement enflambée sur les Bourguignons, et ne queroit
tousjours qu*à inciter François à bataille encontre eux ».
2. C'est un Bourguignon qui parle.
3. Ce fut une des inculpations portées contre Jeanne, qui s'en justifia pleinement.
4. Folles phanlosmeries.
464 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
assemblée du peuple et des gens de guerre qui follement avaient mis en
elle grande créance et foi, elle fit tenir les portes closes depuis le matin
jusqu'après dîner bien tard, et leur dit comment sainte Catherine lui était
apparue, pour lui signifier, de la part de Dieu, que ce jour même, il vou-
lait qu'elle se mît en armes, qu'elle sortît à rencontre des ennemis du roi,
les Anglais et les Bourguignons ; que sans doute elle aurait la victoire
et les déconfirait ; que le duc de Bourgogne serait pris en personne, et
que la meilleure partie de ses gens seraient tués et déconfits^.
Les Français ajoutèrent foi à ses dits, et le peuple qui croit légèrement
crut à ces folles illusions, parce que, dans des cas semblables, ils avaient
quelquefois trouvé vérité en ses paroles, qui n'avaient toutefois nul fonde-
ment de certitude dans le principe de bonté, mais bien une claire appa-
rence de déceptions de l'ennemi, comme il parut en la fin *. Or, toutes les
classes de gens du parti de delà étaient ancrées dans l'opinion que cette
femme était une sainte créature, une chose divine et miraculeuse, envoyée
pour le relèvement du roi français '. Quand donc elle mit en avant pré-
sentement à Compiègne une si haute entreprise que celle de déconfire le
duc de Bourgogne, de l'emmener prisonnier en personne, nul ne se trouva
qui ne voulût être de si haute besogne, et qui volontiers ne s'engage&t
tout joyeux pour une si haute délivrance, par laquelle ils seraient au-
dessus de leurs ennemis. Tous d'un commun assentiment, à la re-
quête de ladite femme, coururent à leurs armes, et faisant joie de ce qui
devait leur donner un sentiment tout contraire, ils lui offrirent une suite
prête à sortir avec elle dès qu'elle voudrait.
Elle monta à cheval, armée comme le serait un homme, et parée sur
son armure d'une huque de riche drap d'or vermeil. Elle chevauchait un
coursier gris pommelé, très beau et très fier, et se maintenait en son har-
nois et en ses manières comme l'eût fait un capitaine meneur d'une grande
armée. En cet état, son étendard haut levé et flottant au vent, bien accom-
pagnée de beaucoup de nobles hommes, sur les quatre heures après-midi,
elle sortit de la ville qui tout le jour avait été fermée, pour faire semblable
entreprise par une vigile de l'Ascension. Elle amena avec elle tout ce
1. C'est emprunté à Lefèvre de Saint-Hémy. La preuve de la fausseté de ce récit,
c'est qu'au procès où Ton chercha de tant de manières à démontrer la fausseté des
prédictions de Jeanne, il ne fut pas question de cette annonce, si cruellement
démentie par les faits.
2. Texte : Parce qu'en cas semllaUe avoicnt trouvé aukunes foys vérité en ses dis, qui
n'avoient nul fondement toutes voies de certaine bonté, ains apparence de déception d'ennemi^
comme il parut en la fin,
3. Or estoient toutes manières de gens du party de là boutez en Vopinion que ceste
femme icy fust une saincte créaturey une chose divine et miraculeuse, envoyée pour le relêie-
ment du roy franchois.
i
LA CHRONIQUE DE GEORGES GHASTELLÂIN. 465
qui pouvait porter les armes, soit à pied, soit à cheval, au nombre de cinq
cents hommes ; elle se décida à venir fondre sur le logis qu'occupait Mes-
sire Baudot de Noyelle, chevalier bien hardi, vaillant, que ses hauts faits
ont depuis fait élire pour frère de l'Ordre ; il campait, comme vous avez
ouï, à Mai^ny, au bout de la chaussée.
Or, le hasard voulut que le comte de Ligny, le seigneur de Créquy, et
plusieurs autres chevaliers de l'Ordre fussent partis de leur logis qui les
tenait à Clairoy, avec l'intention de venir au logis de Messire Baudot. Ils
venaient tout désarmés, sans penser à avoir à combattre, en capitaines
qui vont d'un campement à un autre campement. Comme ils cheminaient
en devisant, ils entendirent une très grande clameur et le bruit d'une
mêlée au lieu vers lequel ils se dirigeaient. La Pucelle y était déjà
entrée, et elle commençait à tuer et à abattre gens par terre, comme si
tout eût été sien. Les seigneurs envoyèrent hâtivement quérir leurs
armes, et, afin de secourir Messire Baudot, mandèrent venir leur gens ; et
avec ceux de Margny qui étaient pour la plupart désarmés et pris au
dépourvu, ils commencèrent à faire ii rencontre de leurs ennemis toute
aigre et fière résistance. Parfois les assaillants furent raidement
repoussés, d'autres fois aussi ceux qui étaient assaillis, pressés de près,
avaient bien dur souffrir, parce qu'ils étaient surpris, épars et non armés.
Mais le bruit qui se faisait entendre de partout, la grande confusion des
voix qui se mêlaient, fit venir des gens de tous côtés et affluer vers les
Bourguignons plus de secours qu'il n'en fallait. Le duc lui-même et ceux
de son logis qui étaient loin s'aperçurent assez promptement de ce qui
se passait, et s'apprêtèrent à venir à Margny et y vinrent en effet; mais
avant que le duc pût arriver avec les siens, les Bourguignons avaient
déjà repoussé les Français bien arrière de leur logis.
Les Français commençaient à se retirer tout doucement avec leur
Pucelle, comme gens qui ne trouvaient pas avantage sur leurs ennemis,
mais plutôt péril et dommage. Ce que voyant, les Bourguignons, émus
de sang, non contents de les avoir chassés en se défendant, s'ils ne leur
causaient pas une plus grande perte en les poursuivant de près, se
jetèrent valeureusement sur eux à pied et à cheval, et leur portèrent
grand dommage.
La Pucelle passant nature de femme soutint le grand faix du combat, et
se donna beaucoup de peine pour sauver sa compagnie de perte, demeu-
rant à l'arrière comme chef du troupeau et la tète la plus vaillante \ La
fortune permit que ce fut la fin de sa gloire, son dernier combat, et
1. La Pucelle, passant nature de femme, soutint grand fès, et mist beaucoup peine à
sauver sa con^agnie de perte, demorant derrier comme chief et comme la plus vaillant du
troupeau.
m. 30
466 LA VRAIE JEANNE D*ARC : LA LIBÉRATRICE.
qu'elle ne dut plus porter les armes. Un archer, raide homme et bien
aigre, outré de dépit qu'une femme dont il avait tant ouï parler pût
prétendre à repousser tant de vaillants hommes, ainsi qu'elle Tavait
entrepris, la prit de côté par sa huque* de drap d'or, et, la tirant du
cheval, la fit étendre de son long à terre. Malgré ses efforts, et quelque
peine que prissent ses gens pour la secourir, elle ne put y être remontée.
Un homme d'armes, nommé le bâtard de Wandonne, qui survint au
moment de sa chute, la pressa de si près qu^elle lui donna sa foi parce
qu'il se disait homme noble. Plus joyeux que s'il avait eu un roi entre
SES mains S il l'amena hâtivement à Margny, et là la tint en sa garde
jusqu'à la fm du combat. Furent pris auprès d'elle Poton le Bourguignon,
un gentilhomme d'armes du parti français, le frère de la Pucelle, son
maître d'hôtel, et quelques autres en petit nombre qui furent menés à
Margny, et mis sous bonne garde.
Les Français voyant la journée tourner contre eux, et leur coup de main
de petit profit, se retirèrent dans le plus bel ordre qu'ils purent, dolents
et confus. De l'autre côté, Bourguignons et Anglais, joyeux de leur
capture, retournèrent au logis de Margny, où le duc arrivait avec tous
ses gens, pensant venir à temps pour la mêlée, lorsque tout était déjà
fait, et qu'était mené à terme tout ce qui pouvait s'en faire. On lui dit ce
que l'on venait d'acquérir, et comment la Pucelle était prisonnière avec
quelques autres capitaines. Qui en fut très joyeux? ce fut lui*. Il alla la
voir et la visiter, et échangea avec elle quelques paroles qui ne sont pas
venues jusqu'à moi ; je ne m'en enquis pas plus avant; il la laissa là, et
la mit en la garde de Messire Jean de Luxembourg, qui l'envoya en son
château de Beaurevoir, où elle demeura longtemps prisonnière.
IV
Chapitre xlvii. — Comment Jehanne la Pucelle fut jugiée et arse à
Rouen.
On a bien mémoire comment cette femme que les Français appelaient
la Pucelle avait été prise dans une sortie qu'elle fit devant Compiègne
contre les Bourguignons, et comment Messire Jean de Luxembourg la
tint pendant quelque temps prisonnière en son château de Beaurevoir*
11 l'envoya ensuite à Rouen entre les mains du roi anglais et de ses offi-
ciers pour la faire dûment interroger et examiner sur son état et sa con-
1. Dans le texte de M. de Lettenhove on lit : « manteau de drap d'or ».
2. Texte : Plus joyeulx que sHl eust eu ung roy entre ses mains»
3. Texte : Qui moult en fut joyeux? ce fut il.
LA CHRONIQUE DE GEORGES CHASTELLAIN. 467
dition. Ses faits recouvraient plusieurs hérésies et étranges choses bien
périlleuses, sur lesquelles il était nécessaire d'avoir un très grand et très
mûr conseil pour en décider salutairemcnt en vraie et bonne justice,
comme le cas le demandait.
C'est la vérité qu après que cette Jeanne, dite la Pucellc, eût été prise
et délivrée entre les mains du roi anglais, Tévèque du diocèse oii elle
avait été prise Tavait fait demander très instamment, afin de Tavoir
devers lui pour l'examiner comme son juge ordinaire. Pour ce motif il
avait même envoyé vers le roi anglais en la cité de Rouen où il se tenait.
Le roi, considérant que le cas était fort raisonnable, la lui délivra volon-
tiers. Ledit évoque commit pour être examinateur avec lui le vicaire de
rinquisiteur de la foi, s'adjoignant en outre grand nombre de maîtres en
théologie, de docteurs solennels qui tous assistèrent aux interrogatoires.
Toutes les hérésies, superstitions et erreurs dans lesquelles cette femme
était tombée, clairement connues et prouvées, tant par sa propre confes-
sion comme par diverses investigations et claires circonstances de son
cas, lesdits examinateurs les ayant notées par points et par articles, les
envoyèrent à Paris pour être considérées et discutées publiquement en
l'Université, afin que jamais, en nul temps à venir, ils ne pussent être
notés pour avoir procédé légèrement en ce cas, par affection ou par haine,
mais seulement en toute voie d'équité, et en vue du salut des âmes, pour
qu'il pût et dût apparaître à tout le monde que tout avait été bien et jus-
tement fait. Ces points vus et examinés en assemblée générale furent,
après mûre délibération de toute l'Université, jugés et condamnés comme
pleins de dol et des méchancetés de l'ennemi, et en même temps ladite
Jeanne fut jugée hérétique, blasphémeresse contre Dieu, et siiperstitieuso
devineresse.
Cette condamnation prononcée par toutes voies contre la personne cl
les aveux de Jeanne, les examinateurs, au nom de sainte Église qui
voudrait sauver toutes les âmes, les réduire à vrai et bon état, sans faire
mourir personne par justice séculière, se contentant d'une punition salu-
taire en prison ou autrement, les examinateurs n'omirent aucun effort,
aucune peine, firent de longues et de diverses instances pour que cett.'
femme rétractât les fausses déceptions par lesquelles l'ennemi Tavait
conduite, pour qu'elle retournât à la vraie lumière de vérité et contrition
[de ses péchés]^ délaissant les fausses et erronnées opinions et imagina-
tions qu'elle avait conçues et qu'elle maintenait contre l'honneur de la
divine majesté, et pour sa perpétuelle damnation ; mais leurs instances et
leurs labeurs portèrent si peu de fruit qu'à cause de la diabolique obsti-
nation en laquelle elle persévérait et voulait persévérer toujours, elle
fut livrée finalement à la justice séculière, à Rouen, pour faire d'elle ce
468 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
qu'elle en jugerait. L'Église se désintéressa d'elle après avoir bien sainte-
ment fait son devoir, et elle laissa la justice temporelle agir selon Tap-
partenir du cas.
Comment toute l'affaire avait été conduite et démenée, le roi anglais
le notifia expressément au duc de Bourgogne, son oncle, par ses lettres,
dont la teneur est celle qui suit :
« Très cher et très aimé oncle, etc. » [suivent les lettres déjà rapportées
dans la Chronique de Monstrelet.]
Chastellain ajoute : « Le roi d'Angleterre signifia ces choses au duc de
Bourgogne, afin que cette exécution fut publiée par lui, comme par les
autres princes chrétiens dans tous ses pays et auprès de ses sujets, pour
abolir et extirper Terreur et les mauvaises créances qui, sur cette femme,
étaient déjà éparses par toute la chrétienté. »
LE NOTAIRE PIERRE COCHON
Ce n'est nullement du bourreau de la Pucelle, du Caïphe de Beauvais
qu'il s'agit; mais de l'un des douze notaires apostoliques que Ton
comptait à Rouen alors que la Pucelle y subissait son martyre. Celui-ci
a laissé une Chronique que le premier éditeur, Yallet de Viriville, a
appelée Chronique Normande^ appellation que lui a maintenue le second
éditeur, M. de Robillard de Beaurepairc.
M. de Beaurepaire a étudié avec son ordinaire diligence, et apprécié,
avec la justesse d'esprit qu'on lui connaît, la Chronique Normande et
son auteur. D'après le docte archiviste, Pierre Cochon est né vers 1390,
au pays de Caux, à Fontaine-le-Dun dans la vicomte d'Arqués,
aujourd'hui dans l'arrondissement de Dieppe. Il serait mort vers 1456.
Prôtre, il exerça les fonctions de notaire apostolique, c'est-à-dire de
notaire nommé médiatement par le Pape, qui avait délégué à la
corporation des notaires de Rouen le droit de choisir leurs collègues.
Pierre Cochon fut l'ami de Manchon, le greffier du procès de Rouen, et
lui succéda dans la cure de Vitledeur. On les voit nommés tous deux simul-
tanément exécuteurs testamentaires d'un collègue, et ils boivent ensemble
à l'hôtel de la Pierre, près la cour du parlement. Il est à croire que
Cochon partageait vis-à-vis de la Martyre les sentiments de son ami, qui .»
pendant un mois, pleura au souvenir du supplice de la victime.
Pierre Cochon, dans sa Chronique, embrasse, comme il pouvait la
LA PUGELLE, D'APRÈS LE NOTAIRE PIERRE COCHON. 469
connaître, l'histoire non seulement de la Normandie, mais de la France
à partir de 1108 jusqu'en 1430. Il s'arrête lorsque la Pucelle arrive à
Rouen. Pourquoi nVt-il paspoussé plus loin son œuvre? MM. de Beau-
repaire et Auguste Yallet pensent que c'est parce qu'il n'aurait pas pu
écrire sans péril ce qu'il pensait du forfait de la place du Vieux-Marché.
Le juge prévaricateur qui l'avait commis, ayant poursuivi et puni les
propos accusateurs du Dominicain Bosquier, aurait, à plus forte raison,
poursuivi et puni les écrits d'un officier de la cour archiépiscopale;
conjecture plausible quoique sans caractère de certitude.
Soucieux des besoins du peuple auquel il appartenait par sa naissance,
le notaire Pierre Cochon est attaché au parti bourguignon, qui aux yeux
de la multitude séduite défendait les intérêts populaires. Il n*aime pas les
Anglais, mais il déteste les Armagnacs, défenseurs d*une noblesse immo-
rale, oppressive et insolente. Il tient aux privilèges de Tordre ecclésias-
tique et les défend vigoureusement. Son langage est trivial, quelquefois
grossier, intéressant toutefois dans sa rude franchise. La Pucelle était dans
les rangs de ces Armagnacs abhorrés. L'écrivain normand ne partage
pas vis-à-vis d'elle les sentiments de Jean ChufiFard, le faux bourgeois de
Paris. S'il ne lui donne pas dans les événements la place qu'elle y a rem-
plie, du moins il s'abstient à son égard de tout terme injurieux. Il
n'est pas tellement démocrate qu'il ne rende justice aux sentiments
d'humanité de Charles VII qui avait recommandé aux capitaines conqué-
rants des places de Normandie de ne faire sentir leurs rigueurs
qu'aux Anglais et d'épargner les Français. Le chroniqueur ne fait que
rappeler, non sans les confondre quelquefois, les faits passés au sud de
la Loire, oumùme de la Seine. Il a quelques particularités remarquables
sur les événements plus à portée de son observation. Tels le profond
découragement des Anglais, après la défaite de Patay ils voulaient fuir
la France ; la part des milices communales dans les guerres de la Pucelle ;
Hnaction des Anglais immobiles derrière leurs retranchements aux
journées de Senlis; la disette de vivres qui força l'armée française à ne
pas prolonger l'attente de la bataille ; la cause de l'échec sur Paris ; la
construction du pont sur la Seine attestée par Perceval de Cagny.
CHAPITRE XI
LA PUCELLE, D'APRÈS LE NOTAIRE PIERRE COCHON.
Sommaire : I. — Siège et délivrance d*Orléans. — Idée qu'on se faisait de la Pucelle.
"- Prise des villes des bords de la Loire. — Bataille de Patav. — Profond découra-
l
470 LA YBAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
gemenl des Anglais. — Rapidité des conquêtes avant et après le sacre. — Terreur
inspirée par la Pucelle. — Concours que lui prête le peuple.
U. — Rencontre près de Senlis. — Inaction des Anglais retranchés dans leur camp. —
Retraite des Français faute de livres ; retraite des Anglais. — Siège de Paris. —
Famine dans Paris. — Assaut donné à la \ille. — Elle est sur le point d'être emportée.
— Victoire arrêtée par La Trémoille, par un message bourguignon. — Mécontente-
ment des assaillants. — Trêves. — Retraite de Charles VU. — Pont jeté sur la Seine.
I
L'an 1 428, avant Pâques le siège fut mis par les Anglais devant la ville
d'Orléans, où ils se fortifièrent très fort de fossés, boulevards et bastilles.
Et ils y furent jusqu'au mois de juin* de l'an 1429. En ce mois, ceux de
dedans la ville sortirent avec une autre quantité de gens d'armes, et une
jeune fille que l'on appelait la Pucelle. Plusieurs disaient qu'elle était
envoyée de par Dieu, pour aider Charles, Dauphin, fils de Charles, roi de
France, trépassé, à recouvrer son royaume, qu'avait conquis Henri, roi
d'Angleterre, dont devant il est fait mention. Lesdits gens d'armes et la
Pucelle sortirent ainsi, assaillirent de force les boulevards des Anglais, y
mirent le feu, et tuèrent une grande quantité d'Anglais, tant qu'il fallut
que lesdits Anglais levassent le siège, s'enfuissent; et ainsi ils furent
tous ébahis.
Item. En cet an, etaudit mois de juin, environ la Saint-Jean, les Anglais
se rallièrent pour aller contre les Français qui les avaient ainsi battus*,
et ils les trouvèrent plus tôt qu'ils n'en auraient eu besoin ', car lesdits
Français prirent deux forteresses, l'une nommée Jargeau, l'autre Bau-
gency; ils y tuèrent grande quantité desdits Anglais, ils y gagnèrent
grosses finances, des canons, des bombardes et d'autres instruments de
guerre ; et incontinent ils vinrent vers une forteresse nommée Janville.
Ils trouvèrent et rencontrèrent les Anglais à grosse compagnie, et là ils
tombèrent [deffèrirent) sur eux si âprement que les Anglais ne savaient
comment se défendre. Plusieurs y furent tués, les autres faits prisonniers,
et les Français demeurèrent les maîtres.
Là furent pris trois grands seigneurs anglais, à savoir le comte de
Suffolk, M. de Scalles (cTEscal/ez), et un nommé Talbot qui était un des
bons routiers des Anglais. Il n'échappa des Anglais qu'un nommé Jean
Fastoff, avec sept ou huit cents Anglais qui étaient à cheval. Ils s'en-
fuirent quand ils virent que la partie tournait mal; s'ils eussent été à
pied, comme ceux du gros de l'armée, il ne serait pas demeuré un seul
i. Jusqu'au 8 mai.
2. Texte : Cnpponnés.
3. Texte : Plustôt que meslier ne leur estoit.
LA PUCELLE, D* APRÈS LE NOTAIRE PIERRE COCHON. 471
homme qui n'eût été mort ou prisonnier ; et là les Anglais furent bien
matéSf plus que jamais ils ne Tavaienl été en France. Us voulaient s'en
retourner en Angleterre et laisser le pays, si le régentleût souffert ; et les
Anglais étaient alors si anéantis qu'un Français en eût chassé trois \
Item. En cet an, tant audit mois de juin qu'au mois de juillet qui sui-
vit, les Français prirent deux forteresses, Tune nommée Meung et Tautre
Janville, et aussi audit mois de juillet ils conquirent plusieurs autres
places fortes, comme Troyes, Auxerre, Reims, et plusieurs autres.
Le Dauphin se fit sacrer à Reims par TArchevôque du lieu, qui était en sa
compagnie, et au sacre Ton fit beaucoup de grands (beaucoup de cheva-
liers^ comtes^ etc.).
Après, il conquit plusieurs forteresses comme Gompiègne, Senlis et
plusieurs autres. Chacun redoutait ledit Charles; il reconquit en deux
mois ce que les Anglais avait mis plus de trois ans à conquérir. L'on
craignait moult cette Pucelle^; car elle usait de sommation, et disait
que si Ton ne se rendait pas, elle prendrait d'assaut. Elle avait avec elle
grande quantité de gens dupays (du peuple des lieux par où elle passait),
à pied; lesquels faisaient très bien leur devoir et l'avaient fait es batailles
contre les Anglais^. Car les Anglais les avaient menacés de mettre le feu.
pourquoi ils étaient plus indignés contre eux.
II
Item. En cet an 1429, au mois d'août qui suivit, les Français prirent la
cité de Beauvais. Après cette prise les Anglais firent leur criée de mar-
che, et allèrent près de Senlis. Là était le duc de Bedford, régent, avec
très grande compagnie d'Anglais. Ledit Charles y fut avec toute son
armée, et il mit les Anglais en tel respect, qu'ils étaient réunis en une
même masse, et qu'ils n'osaient pas sortir de leur place ni se séparer de
la longueur d'un trait d'arc \ Et lesdils Anglais avaient des pieux de haie
aigus, fixés autour d'eux, et les Français ne pouvaient ni les grever ni
courir susà cause desdits pieux. Et n'eussent été lesdits pieux, les Anglais
i. El s'en VQuloxeni retourner en Angleten^e et lessier ainsi le pais se le régent leur eust
souffert f et estoient adonc Anglois si abolis que ung Franchois en eust cachié trois,
2. Bt douhtoit chascun ledit Charles et conquit en deux mois ce que les An(flois avoioit
mis à conquerre plus de trois ans, et cregnoit Von moult ceste Pucelle.
3. Texte : Et avoit avec elle grant quantité de gens de pais a pié, lesquels faisoient trds
bien leur devoir, et avoient fait es batailles contre les Anglois.
4. Ledict Charles mit lesdits Anglois en telle subjection, car ils estoient tous en wvj
trouppel, et n'eussent oséiceulx Anglois partir place et ne eulx séparer la longueur d'un
trait d'arc.
472 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
eussent eu beaucoup à souffrir. Finalement, par défaut de vivres*, vu la
multitude qu'ils étaient, les Français durent se retirer, et eux retirés, les
Anglais s'en allèrent, et il n'y eut pas de bataille, et ledit régent s'en
vint à Vernon...
En ce temps, au mois d'août Tan 1429, en la fin dudit mois d'août,
ledit Charles vint mettre le siège devant Paris avec le duc d'Alençon,
messire Charles de Bourbon, la Pucelle dont devant il est fait mention, le
duc de Bar, accompagnés de trente à quarante milles hommes, tant
Français, Uennuyers, Liégeois comme Barrois.Ils étaient logés à Saint-
Denis, à Montmartre et autres lieux autour de Paris ; et ils mirent la
ville en telle sujétion qu'il n'y venait vivres de nul côté, et les vivres
étaient si chers en la ville que c'était grand merveille.
Et ils y furent bien près de six semaines*, et quand ils virent qu'ils ne se
rendaient pas, le roi Charles et ceux de sa compagnie avisèrent qu'on
leur ferait assaut. L'assaut fut si âpre et si merveilleux que ceux de dedans
furent tout ébahis, et il n'y avait homme qui osât s'aventurer dessus le
mur à cause des traits de ceux qui assaillaient. Lesdits assaillants avaient
une manière d'instruments nommés couleuvres {sic) qui jetaient des
pierres et des plombées, mais ne faisaient point de noise, sinon un peu
siffler; elles jetaient aussi droit qu'une arbalète; l'assaut fui si fort que
ceux de dedans avaient comme abandonné la défense du mur ; et les assaiU
lants étaient si près du rempart qu'il ne fallait que lever les échelles dont
ils étaient bien pourvus^ pour qu'ils eussent été dedatis^.
Mais il y fut avisé par un nommé Messire de LaTrémoille^ du côté dudit
Charles; il y aurait eu trop occision, car les assaillants, comme Ton disait,
avaient intention de massacrer et de mettre le feu.
Etaussil'on disait que M. de Bourgogne avait envoyé un héraut devers
ledit Charles en disant qu'il tiendrait l'appointement qu'il avait fait avec
le môme Charles, et qu'il cessât lui et ses gens. S'il y avait appointe-
ment entre eux, ni quel il était, je n'en saurais parler, mais toutefois il y
eut trêves jusqu'à la Noël qui suivit; Charles Ht ainsi sonner la retraite
durant ledit assaut, et ainsi ils se retirèrent, et je crois quHls eussent
\ . L'armée française, alors fort nombreuse, devait promptement épuiser le pays,
tandis que l'armée anglaise pouvait se ravitailler par Senlis, qui était encore anglo-
bourguignon : elle campait aux portes de cette ville, à la Victoire.
2. Le chroniqueur entend peut-être le temps écoulé depuis Ventrée dans la Brie,
jusqu'au départ pour le Rerry. La Pucelle fut à Saint-Denis et autour de Paris du
2G août au 13 septembre.
3. Texte : Et fu l'assaut si fort que ceulx de dens avaient comme tout désemparé le mur^
et estoient lesdits assaillants si près des murs qu'il ne falloit mes que lever les escheUes dont
ils estoient lien garnySy comme (pour que) ils eussent été dedens; mais fut avisé par un
nommé Messire de La Trimoille.
LES NOTES DE CLÉMENT DE FAUQUEMBERGCE, GREFFIER DU PARLEMENT. 473
gagné la ville de Pans, si on les eût laissé faire. Et il y en eut plusieurs
de la compagnie dudil Charles qui de ce furent moult courroucés, comme
le duc d'Alençon et spécialement le comte d'Armagnac. Celui-ci haïssait
ceux de Paris, parce que dans le passé ils avaient tué son père. Et en
faisant ledit assaut le comte d'Armagnac et ses gens étaient sur un des
culés, afin que afin que si quelqu'un de ladite ville s'en fût voulu sortir
ou fuir, on l'eût pris, ou mis à mort.
Et durant ledit siège, ils firent un pont au-dessous de Paris pour garder
la Seine; et cela fait ainsi, ledit Charles s'en retourna, avec ses gens par
les moyens dessusdits, comme Ton disait.
[Iln'est plus question de la Pucelle dans lesquelques pages qui suivent.
Le notaire y raconte la prise et reprise de plusieurs places de Normandie.]
LE GREFFIER DU PARLEMENT DE PARIS
CLÉMENT DE FAUQUEMBERGUE
ET SES NOTES DANS LES REGISTRES JUDICIAIRES.
C'est entre les arrêts judiciaires dont il avait la charge de tenir note,
que le greffier du parlement de Paris, Clément de Fauquembergue, a
intercalé, à mesure que la nouvelle en arrivait à Paris, la mention des
événements qui sont l'histoire de la Pucelle. Les historiens avaient déjà
utilisé quelques-unes de ces notes. Quicherat les a toutes réunies et
publiées dans le Double Procès. Nous les avons collationnées avec l'ori-
ginal que l'on peut voir aux Archives nationales.
En enregistrant la délivrance d'Orléans, Clément de Fauquembergue
s'est passé la fantaisie de crayonner à la marge une femme vue de profil
portant une épée d'une main, et une bannière de l'autre ; mais rien, dit
justement Quicherat, ne mérite moins le nom de portrait de la Pucelle
que pareil jeu de la plume.
Il est manifeste que l'officier judiciaire ne pouvait pas inscrire sur les
registres de la cour suprême, entièrement dévouée à l'Anglais, Texpres-
sion de son admiration et de sa foi envers la Pucelle. C'eût été vouloir
tout à la fois perdre sa position et s'exposer à de grandes peines. Aussi
se coBtente-t-il de relater les nouvelles telles qu'elles arrivent à son
oreillei évitant toute parole injurieuse pour la Pucelle, comme toute
474 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
louange. Sa conscience lui défendait Tinjure, et la prudence la louange.
On sait que le parlement à cette époque comptait un égal nombre de
conseillers ecclésiastiques et laïques. Clément de Fauquembergue était
prêtre, chanoine d'Amiens et de Cambrai. Il ne parait pas qu'il eût grand
attachement pour la domination anglaise. La paix d'Arras lui causa un
grand soulagement dont il consigne Texpression dans son registre.
Sur le point d'aller prendre ses vacances, le 5 septembre 1435, il termine
ses rédactions par cette expression de joie. Hinc me digressum nwic his
Deiis appulit horis. Conticui; tandem et hic facto fine quievi ah exercitio
htijus officii. Deo gratias. Clemens. Le traité d'Arras lui permettait de
se dégager d'un emploi qui le faisait officier ministériel du roi d'Angle-
terre. Le mot conticui exprime Teffort qu'il avait dû s'imposer pour ne
pas éclater. Il ne demanda pas la permission de se retirer ; il alla sans
congé occuper sa stalle de chanoine de Cambrai, et fut absent à la ren-
trée, ainsi qu'en font foi les registres mêmes du parlement.
La paix d'Arras, comme Tavait prédit la Pucelle, avait fait branler
tout le royaume. Aussi, le 8 novembre 1435, les conseillers délibèrent-ils
pour savoir s'ils reprendront, selon l'usage, leurs séances à la Saint-Martin,
le H novembre. La raison d'en douter c'est que depuis n'a guères grand
nombre de villes et de païs se sont tournés à F autre obéissance^ et aussi
parce que le greffier civil de ladite cour s'est parti naguère pour la ville
de Cambrai dont il est chanoine (P* 107). Trois folios plus loin sont ins-
crites les lettres de Henri VI substituant Jean de Lespine au conseiller
Maître Clément de Fauquemberge, licencié en droit canon et civil^ qui s'est
départi de notre bonne ville de Paris sans le congié et licence de nous ou de
nos gens et officiers [à] qu'il ap par tie^it^ et transporté en la ville de Cambrai
en Cambraisis ou ailleurs, hors de notre royaume de France^ où il demeure.
Les notes sont rédigées en français; mais, de temps en temps, le
greffier se sert du latin pour exprimer à mots couverts quelque chose
de ses sentiments.
CHAPITRE XII
NOTES SUR L' « HISTOIRE DE LA PUCELLE » PAR LE GREFFIER DU PARLEMENT
DE PARIS.
SoMMAiRK : I. — 10 mai 1429 : Bruit à Paris de la défaite des Anglais à Orléans. —
14 juin : Los Anglais vaincus a Jargcau. — Présence de la Pucelle. — 18 juin : La
défaite des Anglais à Patay. — Les prisonniers. — 10 juillet : Le sacre de Charles de
Valois à Reims le 17. — 25 juillet : Entrée à Paris du cardinal de Winchester a%-ec
cinq mille soldats recrutés contre les hussites. — Attente du duc de Bourgogne. —
Ses préparatifs. — Les conquêtes de Charles de Valois. — 3 août : Départ du cardinal
LES NOTES DE CLËMENT DE FAUQUEMBERGUE, GREFFIER DU PARLEMENT. 475
d^Angleterre pour Rouen, de Bedford et de son armée pour la Drie. — 20 août :
L'éréque de Thérouanne réunit les curés de Paris, les supérieurs des ordres reli-
gieux. — Il leur fait prêter le serment de fidélité au traité de Troyes, iv\ que l'avaient
prêté les boui^eois au duc de Bedford et au duc de Bourgogne. — Il nomme des
délégués pour le faire prêter par chaque religieux. — Le parlement vaque. — Ordre
de consigner les dépôts. — Emprunt. —8 septembre : Assaut contre Paris. — Terreur
des Parisiens. — Les assaillants comptent sur un soulèvement qui n'a pas lieu. —
Entente entre les habitants et les hommes d armes. — Blessure de la Pucellc. —
Impossibilité de prendre Paris. — Bruit semé que Charles veut y faire passer la
charrue.
11. — 25 mai 1430 : L'on apprend par Jean de Luxembourg l'issue de la sortie de (iOm-
piègne, la prise de la Pucelle. — 30 mai 1431 : Supplice de la Pucelle. — Mots écrits
sur sa mitre; sur un tableau. — Le juge et ses assesseurs.
I
Mardi x* jour de mai, il fut rapporté et dit publiquement à Paris, que
dimanche dernier passé, les gens du Dauphin en grand nombre, après
plusieurs assauts continuellement entretenus par force d'armes, étaient
entrés dans la bastide que tenaient de par le roi, Guillaume Glasdal et les
autres capitaines et gens d'armes anglais, avec la tour de l'issue du pont
d^Orléans par delà la Loire; et que ce jour les autres capitaines et gens
d'armes tenant le siège et les bastides, par deçà la Loire, devant la ville
d'Orléans, s'étaient partis d'icelles bastides, et avaient levé leur siège
pour aller conforter ledit Glasdal et ses compagnons, et pour combattre
les ennemis qui avaient en leur compagnie une Pucelle, seule ayant
bannière entre les ennemis, ainsi qu'on le disait. Quis eventus fuerit, ,
nomt bellorum dux etprinceps potentissimiis in prœlio^.
Mardi xiv* jour de ce mois (de juin), les gens d'armes du Dauphin,
après plusieurs assauts continuels et entretenus depuis le samedi précé-
dent, recouvrèrent et prirent par force d'armes la ville de Jargeau-
sur-Loire, où s'étaient retirés en garde et garnison le comte de Suffolk et
autres gens de guerre anglais. Ils furent pris par assaut, à la volonté
{discrétion) des ennemis qui avaient en leur compagnie une Pucelle
portant bannière, ainsi que l'on disait ; laquelle avait été présente à faire
lever [partir) les gens d'armes étant es bastides devant Orléans*.
1. L'on ne connaissait pas encore à Paris toute 1 étendue de la défaite, et Ion sup-
posait à tort que les défenseurs des bastilles de la rive droite avaient quitté leurs
positions pour soutenir Glasdal. D'après le texte latin, c était un bruit auquel Fau-
quembergue n'ajoutait pas entièrement foi, puisqu'il s'en rapporte à ce qu'en savait le
dieu des batailles. Une note postérieure ajoutée par le greffier renvoie au 25 mai de
Tannée suivante, où se trouve relatée la prise de Jeanne à Compiègne (?).
2. Fauquembergue écrit tantôt « Orléans », tantôt « Orliens >», ce qui réfute l'asser-
tion de Tabbé Dubois affirmant qu'en 1429, on n'écrivait qu'u Orliens ».
476 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
Ce jour (xviii* de juin) Messire Jean Fastolf, le sire de Scales, Messire
Thomas de Rampston et autres capitaines, gens d^armes et archers
anglais, qui s'étaient assemblés pour conduire des vivres et porter
secours au sire de Talbot, d'autres capitaines et gens d'armes anglais qui
naguère étaient en la garde et garnison des villes et forteresses de Meung
et de Baugency-sur-Loire, furent rencontrés aux ehamps entre Meung et
Baugency, et par attaque ^ furent déconfits par les ennemis, qui étaient
presque en pareil nombre. En la compagnie desquels ennemis était la
Pucelle qui avait été avec eux le x* jour de mai, à lever le siège devant
Orléans, et le xiii® jour de ce mois à la prise et recouvrance de Jaigeau
par lesdits ennemis. Dans la rencontre ci-dessus dite, entre autres prison-
niers, iceux ennemis prirent ledit Talbot, Rampston etdeScales, à ce que
Ton disait. Et ledit Fastolf se retira et retourna vers le duc de Bedford
alors à Corbeil. Et hic subciibuerunt Anglici absque defensione^ ut fertur
(et là les Anglais, à ce que Ton rapporte, furent vaincus sans tenter de se
défendre).
Ce jour {x\x juillet) fut dit publiquement à Paris comme nouvelles que
Messire Charles de Valois, dimanche dernier passé, xvn* jour de ce mois,
avait été sacré en Féglise de Reims, en la manière que son père et les
autres rois de France ont été sacrés par ci-devant.
Lundi xxv* jour de juillet, le cardinal à'^x^iev [Winchester)^ qui avait
nouvellement passé la mer avec grand nombre de gens d'armes et archers
d'Angleterre, au nombre de cinq mille ou environ, dans Tintention
d'aller combattre les Bohémiens {Ips hussites) et autres hérétiques, vint
et entra à Paris avec le duc de Bedford son neveu, régent, accompagnés
desdits gens d'armes et archers et d'autres. Ils y attendaient la venue,
aide ou assistance du duc de Bourgogne, qui avait fait et faisait grand
mandement de gens d'armes {parmi) ses sujets et ses alliés, en intention
de résister et combattre Messire Charles de Valois et ses gens d'armes
qui naguère avaient été reçus à Troyes, à Châlons, à Reims, à Laon et en
plusieurs autres villes de ce. royaume, naguère à lui (C^«r/^5) désobéis-
santes, ainsi qu'on le disait. De intentione judicet Deus (que Dieu juge
rintention de ces villes). ,
Ce jour (m* d'août), le cardinal d'Exeter partit de Paris, accompagné
seulement de ses familiers et domestiques pour aller et demeurer à Rouen.
Il laissa à Paris grand nombre des gens d'armes et d'hommes de trait
qu'il avait naguère amenés dans cette ville. La Shdemain ils partirent
avec le duc de Bedford, neveu du même cardinal, régent, afin de raccom-
pagner et combattre les ennemis qui étaient au pays de Brie et aux
1 . Texte : desroy.
LES NOTES DE CLÉMENT DE FAUQUEMBERGUE, GREFFIER DU PARLEMENT. 477
environs, dans plusieurs villes et forteresses qu'ils avaient nouvellement
recouvrées, et oîi ils avaient trouvé fort* prompte obéissance, sans
leur donner assaut, ni en venir aux armes et à bataille. \
Vendredi xxvi* jour d'août, messire Louis de Luxembourg, évoque de
Thérouanne et chancelier de France, vint en la chambre du parlement,
où étaient les présidents et conseillers des troi^ chambres dudit par-
lement, les maîtres des requêtes de Thôtel, TévOque de Paris, le prévôt
de Paris, les maîtres et clercs des comptes, les avocats et procureurs de
céans, l'abbé de Chàtillon, le prieur de Corbeil, M*" J. Chuffart, M. Pas-
quier de Vaux*, le doyen de Saint-Marcel, le commandeur de Saint-
Antoine, le trésorier de Saint-Jacques de l'Hôpital, le prieur de Sainte-
Catherine, le prieur des Jacobins, le prieur des Carmes, le prieur des
Célestins, le curé de Saint-Nicolas-des-Champs, le curé de Saint-Médard,
le curé de Sainte-Croix, les fermiers de la cure Saint-André-des-Arts,
Jacques de Loi, M. J. Dufour, M. Jeh. Dieulefist, le curé de Saint-Inno-
cent, M. J. de Burv, M. J. Taleuse, M. J. l'rches, J. de Ruis dit Dvna-
dam, M. Jeh. Murray, M. P. Guirault, M. Jeh. Bonpain et plusieurs
autres. Conformément à ce qui avait été juré par plusieurs habitants de
cette ville de Paris, en présence du duc de Bedford, régent, et du duc de
Boui^ogne, siégeants alors en la salle de céans sur Seine, un jour avant
le dernier départ du duc de Bourgogne de cette ville de Paris, ainsi que
lavaient juré plusieurs habitants de Paris en la présence du mùme duc de
Bedford, avant qu'il s'éloignât de Paris, les susdits firent serment de
vivre en paix et union en cette ville, sous l'obéissance du roi de France
et d'Angleterre, selon le traité de la paix {/e traité ae Troyps),
Ce jour, le chancelier en présence des gens du conseil du roi réunis en
la chambre du parlement, commit Maître Philippe de Rully, trésorier de
la Sainte-Chapelle et maître des requêtes de Thôtel, et Maître Marc de
Foras, archidiacre de Thérische (?), maître des comptes du roi, pour re-
cevoir des serments pareils des gens d'Eglise séculiers et réguliers. Le
lendemain et les jours suivants, lesdits commis allèrent es chapitres,
es couvents et églises de la ville pour faire ce qui vient d'ôtre dit.
A la suite, la cour a vaqué par plusieurs journées ; il n'y a pas eu d'as-
semblée, séans les présidents et conseillers pour ouïr les plaidoiries, ni
pour entendre à l'expédition des causes et des procès en la manière accou-
tumée; mais seulement quelques-uns des présidents sont venus en la
înt
chambre du parlemeift f)our ouïr les requêtes des causes urgentes et
1. Texte : assez prompte obéissance. Il a été dit ({ue dans la langue du moyen àgo,
assez signifie souvent : très, fort. Nous pensons que c'est ici le cas.
2. Délégués par TUniversité, sur l'ordre donné par le chancelier qui, sans doute,
ravaît aussi intimé aux religieux ici nommés.
478 LA VRAIB JEANNE D'ARG I LA LIBÉRATRICE.
nécessaires, et pour pourvoir aux cas qui survenaient à roccasion
gens d'armes de Messire Charles de Valois, qui étaient en plusieurs villes
et cités aux environs de Paris.
Mercredi vu* jour de septembre, après la relation de Messire Philippe
de Morvilliers et de Messire Richard de Cbancey, présidents, il futappointé
que la somme de quatre-vingt-quatre livres parisis, mise en dépôt es mains
de M* Jean Coletier par Jacques Vivian, serait baillée au receveur dé Paris
commis à recevoir les dépôts, etc., ainsi que plus à plein c'est contenu au
registre des plaidoiries.
Il est vrai que lors on faisait prendre et lever de par lé roi tous
dépôts, et que Ton imposait des emprunts aux églises et personnes ecclé-
siastiques, aux bourgeois et habitants de la ville de Paris, pour payer et
entretenir les gens d'armes chargés de garder la ville et ses habitants à
rencontre des gens d'armes de Messire Charles de Valois, qui se troavaient
à Saint-Denis, et en plusieurs places aux environs de Paris.
Jeudi viii^jour de septembre MCCCCXXIX, fête de la Nativité de la
Mère de Dieu, les gens d'armes de Messire Charles de Valois étaient
assemblés en grand nombre auprès les murs de Paris, du côté de la
porte Saint-Honoré, espérant grever et endommager la ville et les habi-
tants de Paris par commotion de peuple plus que par puissance ou force
d'armes ; environ deux heures après midi, ils commencèrent à faire sem-
blant de vouloir assaillir la ville ; et hâtivement plusieurs d'entre eux,
qui étaient sur la place aux Pourceaux et aux environs, non loin de la
susdite porte, portant de longues bourrées et des fagots descendirent et
se boutèrent es premiers fossés, où il n'y avait point d'eau ; et ils jetèrent
lesdites bourrées et les fagots dans l'autre fossé voisin des mui^, èsquels
il y avait grande eau.
Et à cette heure, il y eut dans Paris gens affectés [(effrayés) ou corrom-
pus, qui poussèrent un cri en toutes les parties de la ville de çà et delà
les ponts, criant que tout était perdu, que les ennemis étaient entrés dans
Paris, et que chacun se retirât et fît diligence de se sauver. Et à cette voix,
à une même heure de l'approche des ennemis, tous les gens étant lors
es sermons sortirent des églises de Paris, furent très épouvantés, se reti-
rèrent la plupart en leurs maisons et fermèrent leurs portes. Mais pour
cela, il n'y eut pas d'autre commotion de fait parmi les habitants de
Paris. Ceux qui étaient députés à la garde et défense des portes et des
murs demeurèrent à leur poste ; et à leur aide survinrent plusieurs des
habitants qui firent très bonne et forte résistance aux gens dudit Messire
Charles de Valois. Ceux-ci se tinrent dans le premier fossé et au dehors
sur la place aux Pourceaux et aux environs, jusqu'à dix ou onze heures
do nuit, qu'ils se départirent à leur dommage.
lES NOTES DE CLÉMENT DE FAUQUEMBERGUE, GREFFIER DU PARLEMENT. 479
f armi eux il y eut plusieurs morts et navrés de traits et de canons,
tre les autres fut blessée d*un trait en la jambe une femme que Ton
appelait laPucelle, qui conduisait Tarmée avec les autres capitaines dudit
Kessire Charles de Valois. Ils s'attendaient à grever Paris plus par ladite
conmotion {soulèvement) que par assaut ou force d'armes;carsi pourchaque
boxnme qu^ils avaient alors, ils en eussent eu quatre ou mc^^meplus, aussi
bien armés qu'ils Tétaient \ ils n'auraient jamais pris Paris ni par assaut ni
siège, tant qu'il y aurait eu des vivres dans la ville ; et elle en était pourvue
pour longtemps. Les habitants étaient fort unis avec les hommes d'armés
pour résister à Tassant et à l'entreprise dont nous venons de parler, princi-
palement ' parce qu'on avait dit et Ton disait publiquement à Paris, que le-
dit Hessire de Valois, fils du roi Charles VI dernièrement trépassé, au-
quel Dieu pardonne, avait abandonné à ses gens Paris et ses habitants,
grands et petits, de tous états, hommes et femmes, et que son intention
était de faire passer la charrue sur Paris, une ville peuplée d'habitants
très chrétiens ; ce que Ton ne saurait croire que difficilement'.
II
Jeudi xxv' jour de ce mois {mai 1430)^ Messire Louis de Luxembourg,
évèque de Thérouanne, chancelier de France, reçut des lettres de messire
Jean de Luxembourg, son frère, chevalier, qui entre autres choses faisaient
mention que mardi passé, dans une sortie faite par les capitaines et gens
d'armes de Messire Charles de Valois, alors dans la ville de Compiègne,
centrales gens du duc de Bourgogne qui étaient venus camper aux appro-
ches de cette ville dans Tin tenli on de l'assiéger, les gens de Messire Charles
de Valois furent tellement contraints de reculer que plusieurs d'entre
eux n'eurent nullement le loisir de rentrer dans la ville. Les uns, au péril
de leur vie, se jetèrent dans la rivière qui coule le long des murs; les
autres demeurèrent prisonniers dudit Messire Jean de Luxembourg et des
gens du duc de Bourgogne. Entre les autres y fut prise et retenue pri-
sonnière la femme que les gens dudit Messire Charles appelaient la
^•Grammaticalement, ces mots se rapportent aux assaillants, mais vu les habitudes
des écrivains du temps, de jeter presque au hasard les membres accessoires d'une
phrase, ii semble d'après le contexte qu'il faut entendre : armés comme ils relaient, dos
habitants de Paris.
2. C'est, dans la langue du moyen âge, la signification ordinaire du mot : « même-
nent » qui est celui du texte.
3. Le greffier insère ces dernières lignes en latin : Quod erat sua intentio redigendi
ad aratrum urbem Parisiensem Christianissimis civibus habitatam; quod non erat facile
crcdendum.
480 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
Pucelle, qui courait fortune en armes ' avec eux, et avait été présente à
Tassautet déconfiture des Anglais qui tenaient les bastides devant Orléans,
et qui tenaient la ville de Jargeau et autres villes et forteresses, ainsi
que cela a été écrit au registre, sous la date du 10 mai 1429.
Le trentième jour de mai MGGCCXXXI, par procès d'Église, Jeanne,
qui se faisait appeler la Pucelle, qui avait été prise à une sortie de la ville
de Compiègne, par les gens de Messire Jean de Luxembourg, qui avec
d'autres étaient au siège de ladite ville, ainsi que cela est mentionné au
registre à la date du 25 mai 1430, Jeanne a été livrée aux flammes et
brûlée en la ville de Rouen.
En la mitre qu'elle avait sur la tète étaient inscrits les mots qui suivent :
« Hérétique, Relapse, Apostate, Idolâtre», et sur un tableau devant Técha-
faud où était la dite Jeanne, étaient écrits ces mots : « Jeanne qui s'est
fait nommer la Pucelle, menteresse, pernicieuse, abuseresse du peuple,
devineresse, superstitieuse, blasphémeresse de Dieu, présomptueuse,
mal créant de la foi de Jésus-Christ, vanteresse, idolâtre, cruelle, dissolue,
invocateresse de diables, apostate, schismatique et hérétique ».
La sentence fut prononcée par Messire Pierre Gauchon, évêque de Beau-
vais, au diocèse duquel elle avait été prise, à ce qu'on dit*. Il appela à
faire le procès plusieurs notables gens d'Église de la duché de Normandie,
gradués en science, ainsi que plusieurs théologiens et juristes de
l'Université de Paris, comme c'est, dit-on, plus à plein contenu audit
procès.
Sur les gestes de cette Jeanne, voyez plus haut le registre du 10 mai
1429, etc. — On rapporte qu'à ses derniers moments, condamnée au
feu comme relapse, elle se repentit avec de grandes larmes, et qu'on vit
en elle les signes d'une vraie contrition. Que Dieu soit propice et misé-
ricordieux à son âme ' !
CHAPITRE XIII
PIERRE EMPIS. ■— SA BRIÈVE CHRONIQUE.
Pierre Empis est un moine du couvent des chanoines réguliers de
Bethléhem, près de Louvain. Il naquit à Tirlemont, entra fort jeune dans
1 . Avait chevance en armes avec eux.
2. Comme dit est,
3. Ce dernier alinéa est en latin : De gestis hujus Johannx vide suprà in registro, et
fertur quod in extremis postquam fuit relapsa ad ignem applicata, pœnituit lacrymabiliter
et in ea apparuerunt signa pœnitentiœ, Deus sux animœ sit propitius et misericors.
U CHRONIQUE DE PIERRE EMPIS. 481
son couvent, y fit profession en 1467, en devint le prieur en 1491, et y
mourut en 1523. Il a écrit une Chronique qui commence au règne de
Charles YI et finit à la captivité de Maximilien à Bruges en 1485. Elle est
r^ardée comme une des meilleures de Tépoque. Le tableau des
malheurs du temps, des mœurs, des événements, y est exposé avec
chaleur et vérité. Dès le xvm*' siècle, il avait été question de Timprimer.
C'est ce qu'a fait M. le baron Kervyn de Lettenhove sous les auspices
de la Société d'Histoire de Belgique.
Son chapitre sur la Pucelle est très concis, mais plein et favorable à la
Pucelle. En voici la traduction :
Il y avait auprès de Vaucouleurs une jeune fille de vingt ans qui par la
perpétuelle intégrité de son corps mérita le nom de la Pucelle. Emue de
pitié à la vue des calamités de son temps, elle va trouver Robert gouver-
neur de sa ville, affirmant que si elle était conduite auprès du roi Charles,
elle ne serait pas d'un médiocre secours dans l'extrémité à laquelle on
était réduit. Robert n'eut d'abord pour elle que du mépris. Sa persévé-
rance obtint qu'il la fit conduire au roi. Examinée sur l'ordre du prince
par de sages personnages, elle affirme sans sedémentir qu'elle est envoyée
pour rétablir le roi Charles dans son royaume. Il existe dans le pays de
Tours une église dédiée à sainte Catherine, objet d'une grande vénération,
et pour cela enrichie de dons précieux que Tony conserve. De ce nombre
était une épée antique h double tranchant, sur laquelle des lis étaient
sculptés. Jeanne demanda que cette épée antique lui fût donnée. On la
trouva, on en fit disparaître la rouille, et on la lui donna. La Pucelle
était parmi les combattants, revêtue d'une armure complète, montée sur
un fort et généreux coursier, qu'elle maniait adroitement comme l'aurait
fait un chevalier.
L'an 1429, elle vient avec une armée à Orléans assiégé par les Anglais
el en proie à la famine. Elle passe le fleuve, et introduit des vivres à
travers les positions ennemies. La ville ravitaillée, elle s'empare des forts
des Anglais et les contraint de lever le siège.
Au mois de juin 1429, elle presse le roi Charles de prendre la route
<le Reims pour y recevoir l'onction royale. Roi des Français, il en devien-
^aplus vénérable à son peuple, plus terrible à l'armée anglaise. Charles,
^uine voyait que sainteté dans la vie si pure de la Pucelle, ni rien de
féminin dans ses paroles et ses œuvres, prend le chemin de Reims avec
ws capitaines et son armée. Jeanne la Pucelle le fait reconnaître pour
leur roi par les habitants de Troyes et de Reims. La Pucelle, tenant son
étendard en main, tout armée, dans la joie, assiste au couronnement
du roi, auquel ses seules exhortations avaient fait obtenir le sacre.
III. 31
482 LA VRAIE JEANNE D*ARG ! LA LIBÉRATRICE.
A la suite, bien des villes et des forteresses sont forcées, ou font spon-
tanément leur soumission. Les Anglais et les Bourguignons assi^eant
Compiègne, Jeanne se jette dans la place pour secourir les assiégés.
Peu de temps après, dans une sortie qu'elle fait contre les ennemis,
tandis qu'à la suite d'un insuccès elle regagne la ville, la presse des
soldats lui en ferme l'entrée. Elle est prise et vendue aux Anglais, qui
l'interrogent en ennemis. Ils la déclarent magicienne et versée dans la
magie. Elle périt à Rouen consumée par le feu.
LIVRE V
PARTI ANGLO-BOURGUIGNON.
CHRONIQUES ET DOCUMENTS OUVERTEMENT HOSTILES
ET HAINEUX.
•1
nil
LIVRE V
PARTI ANGLO-BOUROUrONON.
CHRONIQUES ET DOCUMENTS OUVERTEMENT HOSTILES
ET HAINEUX.
JEAN WAVRIN, seigneur de Forestel.
REMARQUES CRITIQUES.
Jean Wavrin est un bâtard d'une ancienne et grande famille de
Picardie*. Non seulement il parvint à être légitimé, mais encore à
occupera la cour de Philippe, duc de Bourgogne, les charges de conseiller
f ^t de chambellan. Il doit être né vers les dernières années du xiv* siècle,
puisqu'il assista comme héraut d'armes à la journée d'Azincourt, où
Périrent son père et Tunique représentant légitime de la famille.
Wavrin, préférant prendre rang parmi les combattants que compter
l^ coups qu'ils se portaient, quitta la carrière de héraut d'armes pour
^^ Venir, dans le sens strict du mot, un homme d'armes. Il fit partie
en 1420 d'une expédition contre les hussites, et au retour, Bourguignon
«éclaré, prit part aux batailles de Crevant, de Verneuil, et à la guerre
^^ duc de Bourgogne contre Jacqueline. Il passa bientôt après au
Service direct et immédiat de l'armée anglaise. Bedford l'envoya en
^^^sion dans l'Orléanais, et l'attacha au service de son homme de
^^fiance, du grand maître de sa maison, Fastolf, le vainqueur de
^^Uvray, avant d'être le fuyard de Patay. II est vraisemblable qu'il
^^tinuaà servir dans l'armée anglaise jusqu'au traité d'Arras, après
^^liel il serait revenu au service de son seigneur naturel, le duc de
«Bourgogne, qui, avec les titres déjà rappelés, lui fit des dons importants.
Ces hautes faveurs et ses exploits ne l'auraient pas sauvé de l'oubli,
1. Anselme, t. VI, p. 713.
486 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
s'il n'avait pas écrit. Le sujet qu'il choisit témoigne de la sympathie qu'il
garda toujours aux Anglais. Il écrivit V Histoire de F Angleterre depuis
les temps fabuleux jusqu'à Tannée 1472. Son texte enrichi de notes forme
cinq volumes de la belle Collection des historiens de la Grande-Bretagne,
La Société de l'Histoire de France a édité ce qui dans Wavrin a trait
à l'Histoire de France. M*'« Dupont, à laquelle cette tâche fut confiée, l'a
fait précéder de chapitres préliminaires auxquels sont empruntées la
plupart des indications que l'on vient de lire.
Forestel compose son récit en insérant mot à mot les pages déta-
chées des chroniqueurs qui l'ont précédé, tels que Froissart, de Saint-
Rémy, Monstrelet, Leclerc. Pour ce qui regarde la Libératrice, il suit
pas à pas la Chronique de Monstrelet, l'amplifiant le plus souvent, mais
surtout l'envenimant. Il est loin d'imiter la réserve du premier. Il donne
un sens défavorable aux faits que Monstrelet se contente de relater.
Ses amplifications sont accompagnées de nombreuses inexactitudes.
C'est ainsi qu'il fait commencer le siège de Baugency avant celui de
Jargeau, et fait courir la Pucelle de la première ville à la seconde pour la
faire revenir emporter .une place dont le siège ne dura pas deux jours.
L'on dirait qu'il n'a idée ni des lieux ni de la suite des événements; il
assistait cependant à la bataille de Patay, comme attaché à la personne
de Fastolf, avons-nous dit. Aussi s'efiForce-t-il de justifier son maître.
Le lecteur pourra juger de la valeur de l'apologie. Wavrin donne à cette
occasion, sur les préludes de la journée de Patay, des détails que l'on ne
trouve que dans sa Chronique.
Certains modernes nous paraissant apprécier trop favorablement
Wavrin de Forestel, Ton trouvera ici tout ce qu'il dit sur la Pucelle
jusqu'à la bataille de Patay. Il rend malgré lui à la Libératrice de pré-
cieux témoignages.
CHAPITRE PREMIER
LA PUCELLE JUSQU'A LA DÉLIVRANCE D'ORLÉANS.
Sommaire : I. — Exposé calomnieux de la jeunesse de la Pucelle. ~ Formée à sa mis-
sion par Baudricourt. — Dédain avec lequel elle est d'abord accueillie. — Examens.
— Manière dont le chroniqueur raconte le dessein de ravitailler Orléans, le ravi-
taillement et le séjour de Jeanne à Orléans.
11. — L étal du siège d'après Wavrin. — Second récit du ravitaillement.
[11. - Discours que Wavrin prête à la Pucelle. — Conquête successive des trois bas-
tilles. — L'honneur en est principalement attribué à la Pucelle. — Part prise par
les capitaines.
CHRONIQUE DE WAYRIN DE FORESTEL. 487
iV. — Retraite en bon ordre des Anglais dans les villes de leur obéissance. — Dou-
leur du parti anglais. — Joie des Orléanais. — Le butin.
[Le chroniqueur, au chapitre vu de son quatrième livre, raconte la
victoire remportée à Rouvray par les Anglais. Il dit que la conduite du
convoi était confiée à Jean Fastre (Fastolf) qui moult était sage et pru-
dent, auquel se fiait grandement le duc de Bedford, régent, car il était
son premier chambellan et son grand maître d'hôtel. D'après lui, les
Anglais étaient environ seize cents combattants de bonne étoffe sans les
communes, et les Français étaient six mille hommes tous faits et experts
en armes. Les Français y perdirent six-vingts gentilshommes et autres
jusqu'au nombre de cinq cents combattants ; et de la part des Anglais,
il n'y mourut des gens de nom qu'un seul, un très bel écuyer et vaillant
homme, le neveu du prévôt de Paris.
Il introduit Jeanne d'Arc dans le chapitre suivant qui, par son titre
même, nous dit l'idée qu'il s'en fait.]
Chapitre viii. — Comment Jeanne la Pucelle vint devers le roi de France
à Chinon en pauvre état, et de son abus.
En cet an que pour lors on comptait mil quatre cent et vingt-huit («. 5/.),
le siège étant à Orléans, vint devers Je roi Charles de France à Chinon,
où il se tenait pour lors, une jeune fille qui se disait Pucelle, âgée de
vingt ans ou environ, nommée Jeanne. Elle était vôtue et habituée en
gnise d'homme, née des parties entre Bourgogne et Lorraine, d'une ville
nommée Domrémy, assez près de Vaucouleurs. Cette Jeanne fut pendant
un long espace de temps demeurant en une hôtellerie, oii elle était très
hardie à chevaucher les chevaux, à les mener boire, et aussi à faire
auti'es appartises {tours) et habiletés que les jeunes filles n'ont pas cou-
tume de faire, laquelle fut envoyée devers le roi de France par un che-
valier nommé Messire Robert de Baudricourt, capitaine dudit lieu de
Vaucouleurs, commis de par ledit roi^ Charles. Messire Robert lui donna
^cs chevaux et cinq ou six compagnons, et si V introduisit (la forma), et lui
apprit ce qu'elle devait dire et faire, et la manière qu'elle avait à tenir,
^disant Pucelle inspirée de la Providence divine, et qu'elle était trans-
mise devers ledit roi Charles pour le restituer et remettre en la posses-
sion de tout son royaume généralement, dont il était, comme elle disait,
chassé et débouté à tort .
1. Wavrin envenime la phrase de Monstrelet, en disant que Jeanne avait été formée
ison rôle par Baudricourt, en affirmant que c'était Baudricourt qui lui avait suggéré
488 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
Cette Pucelle était à sa venue en fort pauvre état ; elle fut environ
deux mois en Thôtel du roi, lequel par plusieurs fois, ainsi qu'elle y avait
été formée^ elle admonesta par ses paroles de lui donner gens et aide et
qu'elle rebouterait et chasserait ses ennemis, exalterait son nom et am-
plifierait ses seigneuries* ; certifiant que de cela elle en avait eu bonne'
révélation; mais quoiqu'elle sût dire, en ce commencement, le roi ni
ceux de son conseil n'ajoutaient pas grande foi à ses paroles et à ses»
instances. Et on ne la tenait alors en la cour que comme une folle des —
voyée ' [hors de bon sens), parce qu'elle se vantait de conduire à bonn_ ^^
fin une si haute besogne qu'elle semblait chose impossible aux hau^:: s
princes, vu qu'eux tous ensemble n'y avaient pu pourvoir. C'est pourqucuDi
Ton tournait ses paroles en folie et en dérision, car il semblait bien à ci .s
princes que c'était chose périlleuse d'y ajouter foi, à cause des blaî
phèmes [moqueries ?) qui pourraient s'ensuivre, et des paroles
brocards du peuple, vu que c'est une grande confusion à homme sa|
d'être abusé pour croire trop légèrement, spécialement en choses sus
pectes de leur nature.
Néanmoins, après que la Pucelle eût demeuré en la cour du roi en a
état durant un bon espace de temps, elle fut mise en avant et reçut aide^
elle arbora un étendard où elle fit peindre la figure et représentation d<
Notre-Seigneur Jésus-Christ. Toutes ses paroles étaient pleines du noi
de Dieu. C'est pourquoi une grande partie de ceux qui la voyaient ^ *
entendaient parler, e?i fols qu'ils étaient *, avaient grande confiance e^ *
inclination [à croire) qu'elle fût inspirée, ainsi qu'elle disait. Elle fut
plusieurs fois examinée par de notables clercs et gens de grande auto-
rité, afin de s'enquérir et de savoir plus à plein son intention ; mais
toujours elle maintenait son propos, disant que si le roi la voulait croire
elle le rétablirait en sa seigneurie. Maintenant pareil propos, elle con-
duisit à heureuse fin certaines besognes, qui lui valurent grande renom-
mée, bruit et exhaussement; ce dont il sera parlé plus à plein ci-après.
Lorsqu'elle vint devers le roi, se trouvaient à la cour le duc d'Alençon,
le maréchal de Rais, et plusieurs autres grands seigneurs et capitaines
avec lesquels le roi avait tenu conseil sur le fait du siège d'Orléans.
de se dire Pucelle, envoyée par Dieu. Monslrelet se lait sur ce qui faisait parler la
Pucelle, et il n'insinue pas que c'était sans raison que Charles se disait chassé du
royaume.
1. Monslrelet se conlenle de dire qu'(^ elle exaucerait (relèverait) sa seigneurie >'. Ce
qui n'a rien d'anlichrélien, tandis que la phrase de Wavrin sent la vaine gloire et
l'ambition.
2. Suffisante révélation, suffisant y propre au but. (Godefrov.)
3. Monslrelet a mis dévoyée de santé,
4. Monstrelet n'a pas cette incise.
CHRONIQUE DE WAVRIN DE FORESTEL. 489
Celte Pucelle s'en alla bientôt avec lui de Ghinon à Poitiers, où le roi
ordonna que ledit maréchal mènerait des vivres, de Tartillerie et d'autres
approvisionnements nécessaires audit lieu d'Orléans, avec une forte
escorte. La Pucelle voulut aller avec le maréchal ; elle fit donc requête
qu'on lui donnât équipement pour s'armer, ce qui lui fut délivré ; puis
son étendard au vent, ainsi qu'il a été dit, elle s'en alla à Blois où se
faisait l'assemblée, et de là à Orléans avec les autres; elle était toujours
armée de toutes pièces, et dans ce même voyage plusieurs gens d'armes
se mirent sous sa conduite ^
Quand la Pucelle fut venue dans la cité d'Orléans, on lui fit très bon
accueil, et plusieurs furent très joyeux de la voir être en leur compagnie.
Lorsque les gens de guerre français qui avaient amené les vivres dans
Orléans s'en retournèrent devers le roi, la Pucelle demeura à Orléans.
Elle fut requise par La Ilire et quelques capitaines d'aller avec les autres
aux escarmouches ; elle répondit qu'elle n'irait point, si les gens d'armes
qui l'avaient amenée n'étaient aussi avec elle ; ils furent redemandés de
Blois et des autres lieux où ils étaient déjà retirés. Ils retournèrent à
Orléans où ils furent joyeusement reçus par cette Pucelle. Elle leur alla
au-devant pour leur témoigner de leur bienvenue ^ disant qu'elle avait
bien vu et considéré le gouvernement des Anglais, et que s'ils voulaient
la croire elle les ferait tous riches.
Elle commença ce même jour à saillir hors de la ville, et s'en alla
moult vivement assaillir une des bastilles des Anglais qu'elle prit par
force; et depuis en continuant elle fit des choses très merveilleuses %
dont il sera en son ordre fait mention ci-après.
[Au milieu de ses assertions sans preuves, contraires aux faits, hai-
neuses, Wavrin constate les longs et sérieux examens subis par la
Pucelle, les défiances qui raccueillirent. Qui est/o/ de ceux qui s'étant
readus après ces interminables épreuves en ont été récompensés par les
événements que Wavrin constate ivès é?7ierveillables^y ou du chroniqueur
qui leur accole semblable épithète ? Au chapitre suivant il raconte lam-
bassade envoyée par les Orléanais au duc de Bourgogne qui par le fait
coïncida avec les six premières semaines de l'entrée en scène de la
Pucelle.
Il revient ensuite à la délivrance d'Orléans, non sans se répéter. J
i. Il serait trop long de relever les inexactitudes dont fourmille tout ce passage.
2. Pour les bienvingner. Qui ne regretterait pas ce mot aujourd'hui intraduisible ?
3. Très émei^veillableSf encore un mot aujourd'hui sans équivalent.
490 Lk VRAIE JEANNE D*ARC : LA LIBftRATRIGE.
II
Chapitre x. — Comment Jehanne la Puce lie fui cause du siège levé de
devant Orlf/e?is et des bastilles qui furent prises par les François.
Les Anglais mettaient grand'peine et labeur de nuit et de jour pour
mettre en Tobéissance du roi Henri la ville d'Orléans.
Les compagnons qui la défendaient se voyaient très fort oppressés par
la diligence des assiégeants, par leurs engins, et par les bastilles qu ils
avaient faites autour de la ville jusqu'au nombre de vingt-deux. Par icelle
continuation ils étaient en péril d'être mis en la servitude et obéissance
de leurs ennemis les Anglais. Ils se disposèrent à tous les périls et
conclurent de résister de tout leur pouvoir et par toutes les manières que
bonnement employer ils pourraient. Pour mieux y réussir, ils envoyè-
rent devers Je roi Charles afin d'avoir aide de gens et de vivres; de
quatre à cinq cents combaltiints leur furent alors envoyés ; et bientôt
après il leur en fut bien envoyé sept mille avec plusieurs bateaux
chargés de vivres, venant le long de la rivière sous la guide et conduite
de ces mêmes gens d'armes, en la compagnie desquels fut Jeanne la
Pucelle, dont mention a été faite ci-dessus, qui n'avait pas encore fait
grand'chose qui la recommandât.
Les capitaines anglais tenant le siège, sachant la venue des bateaux et
de ceux qui les guidaient, s'efforcèrent aussitôt et à la hâte de résister
fortement pour les empêcher d'aborder en la ville d'Orléans ; et d'autre
part les Français .s^évig auraient par force d'armes pour les y bouter.
A l'aborder des vaisseaux pour passer, il y eut mainte lance rompue,
mainte flèche décochée, et main coup d'engin [de machine) jeté ; il y
eut si grande noise [mêlée) faite tant par les assiégés que par les assié-
geants, tant par les défendants que parles assaillants, que c'était horreur
de l'ouïr; mais quelque force ou résistance que sussent faire les Anglais,
les Français tout malgré eux mirent leurs bateaux à sauveté [en sécurité)
dedans la ville : ce dont les Anglais furent moult troublés, et les Fran-
çais bien joyeux de leur bonne aventure. Des Français, plusieurs
entrèrent aussi en la ville, où ils furent les bienvenus tant pour les
vivres qu'ils amenaient, comme pour la Pucelle qu'ils avaient ra-
menée [sic) avec eux, et ils firent de toutes parts très joyeuse chère
[réjouissance) pour le beau secours que Charles leur envoyait, à quoi ils
voyaient clairement la bienveillance qu'il avait pour eux; ce dont les
habitants se réjouissaient grandement, faisant éclater telle allégresse
qu'ils étaient clairement entendus des assiégeants*.
\. Menant tel ylay que tout pîaincment étaient oys des assiégeants, Wavrina, dans tout
CHRONIQUE DE WAVRIN DE FORESTEL. 491
III
Puis quand ce vinl le lendemain qui était un jeudi*, Jeanne, levée de
fort matin, parla en conseil à quelques capitaines et chefs de chambre,
leur remontrant par vives raisons, comment ils étaient venus en cette
cité uniquement pour la défendre à rencontre des anciens ennemis du
royaume de France qui fort l'oppressaient, au point qu'elle la voyait en
grand danger, si bonne provision n y était promptement apportée ; qu'elle
les pressait d'aller s'armer. Elle fit tant par ses paroles qu'elle leur per-
suada de ce faire, et leur dit que s'ils voulaient la suivre, elle ne doutait
pas de porter aux ennemis tel dommage qu'à toujours il en serait mé-
moire, et que ces ennemis maudiraient le jour de sa venue.
Tanl les prêcha la Pucelle que tous allèrent s'armer avec elle, et qu'ils
sortirent ainsi en bonne ordonnance de la ville ; et au partir elle dit aux
capitaines : « Seigneurs, prenez courage et bon courage ; avant qu'il soit
passé quatre jours, vos ennemis seront vaincus^ ». Et les capitaines et
gens de guerre présents ne pouvaient assez s'émerveiller de ces paroles.
Ils marchèrent alors en avant, et moult fièrement vinrent aborder une des
bastilles de leur ennemis que l'on appelait la bastille Saint-Loup. Elle
était moult forte ; il s'y trouvait de trois à quatre cents combattants ; en
fort brief terme ils furent conquis, pris et tués, et la bastille brûlée et
démolie. Cela fait la Pucelle et les siens s'en retournèrent joyeusement
en la cité d'Orléans, où elle fut universellement honorée et louée de
toutes manières de gens.
Derechef le lendemain qui fut vendredi, elle et ses gens sortirent de la
ville, et elle alla envahir la seconde bastille qui fut aussi prise de bel
assaut, et ceux qui la défendaient furent tous morts ou pris. Après qu'elle
eut fait abattre, brûler et entièrement mettre à néant ladite bastille, elle
se retira en la ville, ou plus qu'auparavant, elle fut honorée et exaltée
par tous les habitants.
Le samedi suivant, la Pucelle sortit derechef et s'en alla envahir la
bastille du bout du pont, laquelle était forte et grande à merveille, et
avec cela garnie de grande quantité de combattants, des meilleurs et des
le morceau, amplifié Monslrclet qui lui sert de canevas, beaucoup par pure imagina-
tion. En transposant ici la fîn du chapitre vin donné plus haut, le récit serait plus
exact, ainsi que le remarque Quicherat.
1. Ce n'est ni le lendemain de son entrée, ni un jeudi, que Jeanne frappa son pre-
mier coup.
2. D'autres auteurs rapportent cette prophétie ; elle n'a pas cependant été faile pour
exciter à Tassaut de Saint-Loup, qui eut lieu tout autrement que ne le raconte le
faux Français.
492 LA VRAIE JEANNE D*ABG : LÀ LIBÉRATRICE.
plus éprouvés parmi les assiégeants. Ils se défendirent longuement et
vaillamment, mais rien ne leur valut ; à la fin ils furent comme les
autres déconfits, pris et morts. Parmi les morts furent le seigneur de
Molins, Glacidas un moult vaillant écuyer, le bailli d'Évreuxet plusieurs
autres hommes nobles et de haut état. Après cette belle conquête, les
Français retournèrent joyeusement en la ville.
Nonobstant que dans les trois assauts dessusdits, la Pucelle, d'après le
bruit commun, emportât la renommée et Thonneur d'en avoir été la
principale conductrice, néanmoins s'y trouvèrent la plupart des capi-
taines français qui durant le siège avaient conduit les affaires de la
ville, et dont il a été fait mention ci-dessus. Aux assauts et conquêtes des
bastilles, ils se gouvernèrent hautement chacun de leur côté, ainsi qu'en
pareil cas doivent faire des gens de guerre tels qu'ils étaient, si bien
qu'en ces bastilles il y eut de sept à huit cents Anglais pris ou tués, et
que les Français y perdirent environ cent hommes de tous états.
IV
Le dimanche suivant, les capitaines anglais, à savoir le comte de
Suffolk, le seigneur de Talbot, le seigneur de Scales et les autres, voyant
la prise et la destruction de leurs bastilles et de leurs gens, prirent con-
clusion que tous s'en iraient en un seul corps d'armée, laissant le siège,
logis et fortifications, et au cas où les assiégés les poursuivraient pour
les combattre, il les attendraient et les recevraient; sinon ils s'en iraient
en bonne ordonnance, chacun d'eux es bonnes villes, châteaux et forte-
resses qui tenaient pour lors le parti d'Angleterre : cette conclusion, qui
sembla à tous la plus profitable qu'on pouvait élire en la présente con-
joncture, fut arrêtée, accordée et tenue.
En exécutant ce plan, le dimanche, bien matin, ils abandonnèrent
toutes les bastilles, logis et fortifications où ils s'étaient tenus durant le
siège, mirent le feu en certains lieux, puis se mirent en ordre de bataille,
ainsi qu'il a été dit, et qu'ils l'avaient tous résolu ; ils s'y tinrent un long
espace, attendant que les Français vinssent les combattre ; ceux-ci ne
montrèrent aucun semblant de ce faire. J'ai été informé qu'ils retardèrent
et s'abstinrent par le conseil et exhortation de la Pucelle Jeanne, à laquelle
ils ajoutaient grande créance.
Les Anglais donc, voyant et sachant alors de combien en vérité leur
puissance était affaiblie, virent bien que continuer à séjourner en ce lieu
ne serait pas pour eux chose de grand sens ; ils se mirent en chemin,
s'éloignant de la ville en belle et bonne ordonnance, et quand ils se virent
CHRONIQUE DE WAVRIN DE FORESTEL. 493
hors de la poursuite de leurs adversaires, ils se séparèrent prenant congé
les uns des autres, et s'en allèrent chacun dans les garnisons de leur
obéissance, à Texception des grands seigneurs et des capitaines qui s'en
allèrent à Paris, vers le régent pour lui conter leurs aventures, et avoir
ordre et conseil sur leurs afiFaires. Le régent et tous ceux tenant le
parti d'Angleterre furent moult dolents de cette perte, mais pour cette
heure, ils ne le pouvaient amender, et il leur convint de souffrir.
Les Français qui étaient dedans Orléans furent moult joyeux du départ
des Anglais leurs ennemis, de se voir eux et la cité délivrés à leur très
grand honneur du dangereux péril où ils étaient ; et pour ce qui est des
bourgeois, bourgeoises, manants et habitants de la cité, chacun de son
côté se réjouit, louant et remerciant Notre-Seigneur Jésus-Christ de ce
qu'il les avait ainsi préservés du malheur et des mains de leurs ennemis,
qui s'étaient retirés à leur confusion, après les avoir tenus en sujétion
un si grand espace de temps.
Plusieurs gens de guerre furent alors envoyés en quelques bastilles qui
n'avaient pas été atteintes par le feu ; ils y trouvèrent très grande abon-
dance de biens et de vivres, qu'ils mirent en sûreté, et ces mêmes bastilles
furent prestement démolies et brûlées, pour que les Anglais ne pussent
plus s'y loger.
CHAPITRE II
CAMPAGNE DE LA LOIRE.
Sommaire : 1. — La joie du roi à la nouvelle de la délivrance d'Orléans. — 11 convoque
sa noblesse. — Sentiments divers de la cour sur la Pucelle. — Réunion des capi-
taines à Orléans. — Autorité que s'attribue la Pucelle.
II. — Siège de Daugency. — Message à Talbot qui promet secours et en demande à
Bedford. — Il envoie Fastolf auquel Wavrin est attaclié. — Arrivée et arrêt à
Janville.
III. — D*après Wavrin, les Français se seraient détachés du siège de Baugency pour
venir assiéger et prendre Jargeau. — La garnison anglaise de La Ferté-Ilubert vient
fortifier celle de Baugency. — 11 n'est bruit que de la Pucelle. — Les Anglais à
Janville avertis de la prise de Jargeau et de Meung. — Talbot y rejoint Fastolf.
IV. — Délibération sur le parti à prendre. — Fastolf est d'avis qu'il ne faut pas com-
battre. — Opposition de Talbot. — On se met en campagne. — Nouvelle et inutile
insistance de Fastolf. — Ils se dirigent vers Baugency. — Ils rencontrent l'armée
française en ordre de bataille sur une hauteur. — Elle renvoie la bataille au
lendemain.
V. — Les Français font dire aux assiégés de Baugency qu'ils ne seront pas secourus. —
Perplexité de ces derniers. — Ils en viennent à composition et se retirent. — La
Pucelle persuade aux Français d'aller à la recherche des Anglais. — Leur armée
s*accroit chaque jour. — Dans quel ordre elle se met en marche. — Prophétie de
la Pucelle.
494 U VRAIE JEANNE D'ARC : U LIRÉRATRIGE.
VI. — L*armée anglaise à Meung. — Elle canonne le pont durant toute la nuit. —
Elle se dispose à lui donner Tassaut le matin lorsqu'arrive la nouvelle de la reddi-
tion de Baugcncy. — Elle rétrograde en bon ordre à travers la Beauce. — La dispo-
sition de Tarmée. — Les coureurs annoncent que Tarmée française est à leur pour-
suite. — Talbot se prépare à l'attendre aux haies de Patay. — Ses mesures. — Les
Français, avertis par un cerf, fondent sur les Anglais avant que le gros de Tarmée
ait joint l'avant-garde. — Fastolf se hâtant pour cette jonction, ce mouvement est
pris pour une fuite par Tavant-garde qui se débande. — Désespoir de Fastolf que
Ton presse de fuir. — Les Français complètement maîtres. — Pertes des Anglais. —
Fastolf et Wavrin fuient jusqu'à Étampes, jusqu'à Corbeil. — Les Français couchent
à Patay, rentrent à Orléans. — L'honneur de la victoire attribué à la Pucelle.
I
Après la levée du siège, les Français qui étaient dans Orléans, spécia-
lement les capitaines et Jeanne la Pucelle, d'un commun accord
envoyèrent leurs messages devers le roi Charles, annoncer les victorieuses
besognes ci-dessus racontées et, par eux accomplies, comment à la fin
les Anglais ses ennemis avaient abandonné le siège de devant Orléans,
et s'étaient retirés dans leurs garnisons.
De ces nouvelles, le roi fut joyeux et en remercia moult humblement
son Créateur. Bientôt après les capitaines qui se trouvaient à Orléans
écrivirent conjointement au roi, lui demandant que le plus grand nombre
de gens d'armes et de trait qu'il pourrait trouver, il les envoyât diligem-
ment vers eux, avec quelques grands seigneurs pour les conduire, afin
qu'ils pussent aller charger leurs ennemis qui en ce moment les redou-
taient fort, surtout à cause du bruit de la Pucelle dont il était déjà grande
renommée par le pays. On en faisait grandes devises en la chambre du
roi, quelques-uns disant que tous les exploits se faisaient par ses
conseils et entreprises, les plus sages ne sachant que penser d'elle.
Les capitaines écrivaient encore au roi que lui-même en personne tirât
en avant dans le pays, que, pour attirer le peuple, sa présence vaudrait
plus que celle d'un grand nombre d'autres hommes. Ces nouvelles furent
moult agréables et firent grand plaisir au roi et à ceux de son conseil. Incon-
tinent furent mandés avenir devers lui le connétable de France *, le duc
d'Alençon, le seigneur d'Albret, et plusieurs autres grands seigneurs, qui
pour la plupart furent envoyés à Orléans; et le roi d'un autre côté,
certain temps après, vint à Gien avec un grand nombre de gens de guerre.
Les capitaines qui les premiers étaient venus à Orléans tinrent avec les
seigneurs dernièrement venus de grands conseils, pour décider s'ils pour-
suivraient les Anglais pour les jeter hors des places qu'ils tenaient au pays
1 . Le roi fut fort loin de mander le Connétable, et il faut attribuer à la Pucelle les
instances de se mettre en chemin que le chroniqueur attribue aux capitaines.
CHRONIQUE DE WAVRIN DE FORESTEL. 495
deBeauce^ou autrement. La Pucelle était toujours appelée ences conseilsj
elle était alors en grand règne, et elle voulait que toutes choses se
gouvernassent par elle et se conduisissent à son plaisir.
II
Finalement de la mi-mai que le siège avait été levé de devant Orléans,
i rentrée du présent mois (juin), les Français se mirent aux champs au
nombre d'environ cinq à six mille combattants, tous gens d'élite, très
experts et habiles en fait de guerre. Tous ensemble, ils tirèrent vers
Baagency *, séant à deux lieues de Meung-sur-Loire, et ils y mirent le
siège. En cette place étaient en garnison un Anglais-Gascon nommé Ma-
thago *y Messire Richard Guettin et un autre ancien chevalier anglais. Ils
se laissèrent enclore et assiéger là dedans ; ils y furent fortement moles-
tés et leurs murs durement battus de canons et engins à pierres, qui, nuit
6t jour, ne cessaient de rebondir. Ils étaient pareillement servis d'autres
divers engins de guerre et subtils moyens d'attaque ', en sorte qu'il était
impossible aux assiégés de tenir longtemps s'ils ne recevaient pas de
secours.
Dans une saillie qu'ils firent sur les ennemis, ils mirent hors de lu
place un messager qui, chevauchant avec grande diligence, arriva jusqu'au
seigneur Talbot, pour lequel il portait des lettres de créance.
Il lui exposa la charge qu'il avait de par les assiégés, et celui-ci Toyant
parler lui dit qu'il y pourvoirait le plus bref que faire il le pourrait; qu'il
recommandait aux compagnons qui l'envoyaient de faire bonne dili-
gence* et bon devoir, de se défendre, que brièvement ils auraient bonnes
lio-uvelles de lui, car à la vérité il désirait moult les secourir, ainsi qu'il
^n était bien raison, vu qu'ils étaient de ses gens.
Lie seigneur de Talbot annonça donc le plus tôt qu'il pût toutes ces
ïiouvelles au duc de Bedford qui fit promptement appareiller des gens
dans les contrées tenant la querelle du roi Henri. Vinrent ceux qui
fixrent mandés, et moi-môme acteur dessus dit, qui en ce temps étais
nouvellement revenu des marches de l'Orléanais... De retour à Paris vers
le régent avec environ six-vingts combattants, il me retint dès lors de
*• C'est une erreur. Wavrin fait venir deux fois la Pucelle au siège de Daugency, et
prolonge le siège de cette place bien plus qu'il ne le fut en réalité. Le i 1 juin, Tarmée
'^DÇaise vint assiéger Jargeau, le 17 Baugency. 11 est vraisemblable que le messager,
*I^*il dit être parti de Baugency, partit en réalilé de Jargeau.
2- C'est une erreur. Mathew Goug élait Anglais.
^' Habillements.
*• Texte : Qu'ils feissent bonne chière et bon devoir.
496 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBERATRICE.
iout point au service du roi Henri sous messire Jean Fastolf, gran^ _
maître d'hôtel dudit régent, auquel il ordonna d'aller au paysdeBeauc
porter secours à ceux qui étaient assiégés dedans Baugency.
Nous partimes en la compagnie dudit Fastolf, cette fois environ
cents combattants, aussi bien pris que j'en eusse jamais vus au pays
France. En cette brigade étaient Messire Thomas de Rampston^ Anglais ^
et plusieurs autres chevaliers et écuyers natifs du royaume d'Angleterr
Nous partimes tous ensemble de Paris et all&mes coucher à Etampes,
nous fûmes trois jours ; nous partimes le quatrième et nous cheminftm«h» _.^
par la Beauce, tant que nous arrivâmes à Janville. C'est une très boni^^}^
petite ville, ayant à l'intérieur une grosse tour à manière de donjon^ q- -^•
naguère avait été prise par le comte de Salisbury. Nous fûmes dura^ :^/
quatre jours dans cette ville, attendant encore de plus grandes forces q^j^
le duc de Bedford nous devait envoyer; car il avait demandé secours et
aide en Angleterre, en Normandie, et de tous côtés. Or, nous dirons un
peu l'état des Français qui tenaient le siège de Baugency.
III
Chapitre x. — Comment le Connestable de France^ le duc d'Alenchonei
la Pucelle prirent Ghergeaux,
Or, il est vrai qu'en ces mômes jours, où les seigneurs anglais à
savoir, Messire Jean Fastolf, Messire Thomas de Rampston et ses troupes
séjournaient dans Janville, le connétable de France, le duc d'Alençon,
Jeanne la Pucelle et les autres capitaines français, réunis, comme il a été
déjà dit, devant Baugency, le siège bien garni, s'en partirent au nombre
d'environ cinq ou six mille combattants, et se mirent en chemin vers
Jargeau où ils parvinrent*. Tenait garnison en cette ville le sire de Suffolk
avec de trois à quatre cents Anglais, natifs d'Angleterre, et les manants
de la cité qui prestement et en toute diligence se mirent en défense
quand ils virent les Français qui bientôt les eurent environnés de toutes
parts, et commencèrent à les envahir très aigrement, à les assaillir par
plusieurs côtés. L'assaut dura un bon espace de temps, continué merveil-
leusement. Les Français firent tant par leur grande diligence et travail
que, malgré les Anglais leurs ennemis, ils entrèrent dans la ville par
force d'armes. A cette prise, environ trois cents Anglais furent
tués, parmi lesquels un frère du comte de Suffolk. Ce comte et un
1. Jargeau fut pris avant le siège de Baugency et le Connétable n'était nullement
présent. Dans tout ce chapitre x, Wavrin se livre à sa fantaisie et confond toutes
choses.
498 LA VRAIE JEANNE D*ARC ! LA UBÉRATRICE.
avant, de laisser les assiégés de Baugency prendre avec les Français le
meilleur traité qu'ils pourraient avoir, et pour eux de se retirer es villes,
châteaux et forteresses tenant leur parti, de ne point combattre leurs
ennemis en si grande hâte, d'attendre jusqu'à ce que leurs gens fussent
plus rassurés, et qu'à eux fussent venus se joindre ceux que le régent
duc de Bedford devait leur envoyer.
Ces remontrances faites en plein conseil par Messire Jean Fastolf ne
furent pas agréables à plusieurs des autres capitaines, et spécialement
au seigneur de Talbot, qui dit qu'alors qu'il n'aurait que ses gens et
ceux qui le voudraient suivre, il irait combattre à Taide de Dieu et de
Monseigneur saint Georges.
Messire Jean Fastolf, voyant alors que nulle observation ou remon-
trance ne valait pas plus que s'il n'avait rien dit, se leva du conseil. Ainsi
firent tous les autres, et chacun s'en alla à son logis. Il fut commandé
aux capitaines et aux chefs d'escadre [compagnies) d'être prêts le lende-
main au matin pour se mettre aux champs et aller là où leurs souverains
l'ordonneraient. Ainsi se passa cette nuit. Puis au matin ils sortirent tous
hors de la porte, et se mirent en pleins champs, étendards, pennons et
guidons au vent.
Après que tous furent hors de la ville en bonne ordonnance, tous les
chefs s'assemblèrent de nouveau en groupe au milieu d'un champ, et
Messire Jean Fastolf parla encore, déduisant et remontrant plusieurs
raisons pour ne pas passer plus avant, mettant devant les entendements
toutes les craintes de dangers et de périls que, selon son imagination, ils
pouvaient bien encourir, et aussi qu'ils n'étaient qu'une poignée de gens,
eu égard au nombre des Français; que si la fortune leur était contraire,
tout ce que le roi Henri avait conquis par grand labeur et long temps
serait en voie de perdition ; c'est pourquoi il vaudrait mieux se refréner
un peu et attendre que leur armée fût renforcée. Ces remontrances ne
furent pas encore agréables au seigneur de Talbot, ni aussi aux chefs de
l'armée. C'est pourquoi Messire Jean Fastolf, voyant que, quelque obser-
vation qu'il sût faire, il ne pouvait rien pour empêcher ses compagnons
de vouloir poursuivre leur entreprise, il cotnmanda aux étendards de
prendre le chemin de Meung. Vous eussiez vu par cette Beauce qui est
ample et large les Anglais chevaucher en très belle ordonnance, et puis
quand ils furent parvenus à une lieue près de Meung et assez près de
Baugency, les Français avertis de leur venue, au nombre d'environ
six mille combattants, ayant pour chefs Jeanne la Pucelle, le duc
d'Alençon, le bâtard d'Orléans, le maréchal de La Fayette, La Hire,
Poton et d'autres capitaines, se rangèrent et se mirent en bataille sur une
petite montagnette, pour mieux voir, et s'assurer de la contenance des
CHRONIQUE DE WAVRIN DE FORESTEL. 499
Anglais. Ceux-ci s'apercevant clairement que les Français étaient rangés
en ordre de bataille, et pensant qu'ils allaient venir les combattre, com-
mandement exprès fut fait immédiatement de par le roi Henri d'Angle-
terre, que chacun se mît à pied, et que tous les archers eussent leurs
pieux en arrêt devant eux, ainsi qu'ils ont coutume de le faire quand ils
pensent devoir être combattus. Quand ils virent que les Français ne se
mouvaient pas de leurs positions, ils envoyèrent vers eux deux hérauts,
disant qu'ils étaient trois chevaliers {sic) qui les combattraient s'ils
avaient la hardiesse de descendre de leur élévation et de venir vers eux.
Il fut répondu de par les gens de la Pucelle : « Allez vous loger pour
aujourd'hui, car il est trop tard ; mais demain, au plaisir de Dieu et de
Notre-Dame, nous nous verrons de plus près. »
Les seigneurs anglais, voyant alors qu^ils ne seraient pas combattus,
quittèrent leur campement, et chevauchèrent vers Meung, où ils prirent
leurs logis pour cette nuit ; car ils ne trouvèrent nulle résistance dans la
ville, le pont seul tenant pour les Français. Il fut conclu par les capitaines
anglais que cette nuit ils feraient battre ledit pont par leurs engins,
canons et veuglaires, afin d'avoir passage de Tautre côté de la rivière. Ils
le firent ainsi qu'ils se l'étaient proposé durant cette nuit qu'ils passèrent
à Meung jusqu'au lendemain.
Or, retournons aux Français qui étaient devant Baugency, et nous
parlerons ensuite des Anglais en lieu et temps.
Chapitre xiii. — Comment les François eurent par composition le chas-
tel de Beaugensi que tenoient les Anglois^ et la journée que les Anglois
perdirent à Pathai contre les François.
Comme vous l'avez vu, les Anglais étaient logés à Meung, tandis que
les Français tenaient le siège devant Baugency. Ils pressaient fort les
assises, leur faisant entendre qu'ils ne recevraient pas le secours qu'ils
attendaient, que ceux qui devaient l'amener étaient retournés vers Paris.
Ce que voyant et entendant lesdits assiégés, ainsi que plusieurs sembla-
bles paroles que leur disaient les Français, ils ne surent bonnement à quel
parti et à quel conseil ils devaient s'arrêter comme au meilleur et au
plus profitable. Ils considéraient que par la renommée de Jeanne la
Pucelle les courages anglais étaient fort altérés et défaillis ; ils voyaient,
ce leur semblait, la fortune tourner raidement sa roue à leur encontre ;
ils avaient déjà perdu plusieurs villes et forteresses qui, les unes par force,
les autres par traité, s'étaient remises en l'obéissance du roi de France,
500 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
principalement par les entreprises de ladite Pucelle; ils voyaient leurs
gens amatis, et ne leur trouvaient plus maintenant le même et ferme
propos de prudence qu'ils avaient coutume de leur trouver ; mais tous,
ce leur semblait, étaient très désireux de se retirer sur les marches de
Normandie, abandonnant ce qu'ils tenaient en llle-de-France, et dans les
pays environnants. En considérant ces choses et plusieurs autres qui se
présentaient à leurs imaginations, ils ne savaient quel parti choisir, car
ils n'étaient pas acertenés d'avoir prompt secours; mais s'ils avaient su
qu'il était si près d'eux, ils ne se fussent pas rendus de sitôt. Toutefois
finalement, vu les incertitudes qu'ils mettaient dans leur fait, ils trai-
tèrent avec les Français du mieux qu'ils purent, ayant obtenu comme
conditions qu'ils s'en iraient la vie sauve et emmèneraient tous leurs
biens, et que la place demeurerait en l'obéissance du roi Charles et de ceux
qui étaient commis à sa place. Le traité ainsi fait, le samedi matin les
Anglais partirent, prenant leur chemin vers Paris à travers la Beauce,
et les Français entrèrent dans Baugency.
Puis, à la persuasion de la Pucelle Jeanne, ils conclurent qu'ils allaient
se mettre à la recherche des Anglais, jusqu'à ce qu'ils les auraient
trouvés en pleine Beauce, en un lieu avantageux pour le combat, et que
là ils les combattraient ; car il n'était pas douteux que les Anglais,
dès qu'ils sauraient la reddition de Baugency, ne s'en retournassent vers
Paris, à travers la Beauce, où il leur semblait qu'ils en auraient bon
marché. Or, pour exécuter leur projet, lesdits Français se mirent aux
champs. Chaque jour il leur pleuvait, il leur arrivait de divers lieux
des gens nouveaux. Donc à faire Tavant-garde furent ordonnés le conné-
table de France, le maréchal de Boussac, La Hire, Poton et d'autres
capitaines ; les autres, tels que le duc d'Alençon, le bâtard d'Orléans, le
maréchal de Rais étaient les conducteurs de l'armée et suivaient de fort
près^ ladite avant-garde. Les Français pouvaient être en tout de douze
à treize mille combattants.
Il fut alors demandé à la Pucelle par quelques-uns des principaux
seigneurs et capitaines quelle chose lui semblait de présent bonne à faire.
Elle répondit qu'elle était certaine et savait en toute vérité que les
Anglais leurs ennemis les attendaient pour les combattre, et dit en outre
qu'on chevauchât en avant contre eux et qu'ils seraient vaincus.
Quelques-uns lui demandèrent où on les trouverait, auxquels elle fit
réponse que l'on chevauchât hardiment et que l'on aurait bon conduit.
Ainsi les divers corps de l'armée française se mirent en chemin en
bonne ordonnance, les plus experts, montés sur fleur de chevaux, au
1. Le texte est: CLssez de prc2, mais, comme nous l'avons observé plusieurs fois, dans
la langue du moyen âge assez signifie souvent : très, fort, (Voy. L\cur>'£.)
CHRONIQUE DE WAVRIN DE FORESTEL. 501
nombre de 60 ou 80 hommes, étant mis en avant pour la découverte, et
ainsi chevauchant ce samedi par long espace, ils arrivèrent fort près de
leurs ennemis les Anglais, comme vous pourrez ouïr ci-après.
VI
Ainsi donc, comme il a été dit ci-dessus, les Anglais s'étaient logés
i Meung, avec l'intention de conquérir le pont pour aller rafraîchir* de
vivres la garnison de Baugency, qui dès le soir s'était rendue aux
Français; ce dont les Anglais ne savaient rien. Ce samedi, en effet,
environ huit heures du matin, après que les capitaines eurent ouï la
messe, il fut crié et publié dans Tarmée que chacun se préparât et se
mit en point, se pourvoyant de pavois, d'huis, de fenêtres et d'autres
appareils nécessaires pour assaillir ledit pont qui, la nuit précédente, avait
été rudement battu de nos engins. Comme nous étions tous garnis de ce
dont il était besoin pour l'assaut et prêts à partir pour commencer, il
advint que juste à cette heure arriva un poursuivant Urarmes] qui
venait tout droit de Baugency. Il dit aux seigneurs nos capitaines que la
ville et le château de Baugency étaient en la main des Français, qui, à
son départ, se mettaient aux champs pour les venir combattre.
Il fut alors promptement commandé dans tous les quartiers, par les
capitaines anglais, que tous laissassent l'assaut, qu'on se tirât aux
champs, et qu*à mesure qu'on arriverait aux champs hors de la ville,
chacun de son côté se mit en bel ordre de bataille. La chose fut faite
moult agrément (avec promptitude). L'avant-garde se mit d'abord en
chemin, conduite par un chevalier anglais qui portait un étendard blanc ;
puis l'on mit entre Tavant-garde et le gros de l'armée l'artillerie, les
vivres et les marchands de tous états. Après, venait Tarmée dont étaient
conducteurs Messire Jean Fastolf, le seigneur de Talbot, Messire Thomas
Rampston et autres. Puis chevauchait l'arrière-garde qui ne se com-
posait que d'Anglais.
Quand cette compagnie fut en rase campagne, on prit, en chevauchant
en belle ordonnance, le chemin vers Patay, si bien que Ton en vint ù
une lieue près; et là on s'arrêta, car les coureurs de l'arrière-garde
avertirent qu'ils avaient vu venir beaucoup de gens après eux qu'ils
comptaient être les Français Et alors, pour en savoir la vérité, les sei-
gneurs anglais envoyèrent quelques-uns de leurs gens courir à cheval ;
i . Le pont conquis, les Anglais auraient longé la rive gauche jusqu'à Baugency,
dont la garnison s'élail retirée sur le ponl que canonnait Tarniée française campée sur
la rive droite.
502 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
lesquels retournèrent bientôt, et firent relation auxdits seigneurs que les
Français venaient après eux, chevauchant rondement, en très grosse
puissance ; en effet, on ne tarda guère à les voir venir.
Il fut alors ordonné par nos capitaines que ceux de Tavant-garde, les
marchands, les victuailles et l'artillerie iraient devant prendre place tout
le long des haies qui étaient près de Patay. Laquelle chose fut ainsi faite.
Puis Tarmée marcha si bien qu'elle vint entre deux fortes haies entre
lesquelles les Français devaient passer. Et alors le seigneur de Talbot,
voyant le lieu avantageux, dit qu'il descendait à pied avec cinq cents
archers d'élite, et qu'il se tiendrait là, gardant le passage contre les
Français jusques à ce que l'armée et Farrière-garde seraient jointes, et
Talbot prit place aux haies de Patay, avec l'avant-garde qui là attendait.
Le seigneur de Talbot, gardant cet étroit passage à rencontre des ennemis,
espérait pouvoir revenir de lui-môme rejoindre le gros de Tarmée en
côtoyant les haies, que les Français le voulussent ou non ; mais il en fut
tout autrement.
Les Français venaient très rapidement après leurs ennemis, qu'ils ne
pouvaient pas encore aborder, ne sachant pas le lieu où ils étaient, lors-
que, par hasard, les avant-coureurs virent un cerf sortir des bois et,
prenant son chemin vers Patay, aller se jeter dans l'armée des Anglais.
Ceux-ci à cette vue poussèrent un grand cri, ne sachant pas que leurs
ennemis fussent si près d'eux. Par ce cri les dessusdits coureurs fran-
çais furent acertenés que c'étaient les Anglais, et, bientôt après, ils les
virent bien manifestement. Ils envoyèrent quelques-uns de leurs compa-
gnons annoncera leurs capitaines ce qu'ils avaient vu et trouvé, en leur
faisant savoir de chevaucher en avant par bonne ordonnance, et que
c'était l'heure de besongner. Ceux-ci se préparèrent promptement
de tous points, et chevauchèrent si bien qu'ils eurent les Anglais bien
clairement sous leurs yeux.
Quand les Anglais virent les Français les approcher de si près, ils se
hâtèrent le plus qu'ils purent, afin de se rendre aux haies avant leur
arrivée, mais ils ne surent pas exécuter leur mouvement si prompte-
ment, qu'avant qu'ils fussent joints à leur avant-garde auxdites haies, les
Français s'étaient précipités à l'étroit passage où était le seigneur de
Talbot. Et alors Messire Jean Fastolf, courant et chevauchant vers ceux
de l'avant-garde pour se joindre à eux, ceux de ladite avant-garde pen-
sèrent que tout était perdu et que les compagnies étaient en fuite. C'est
pourquoi le capitaine de l'avant-garde, pensant qu'il en était vraiment
ainsi, avec son étendard blanc prit la fuite, et ses gens avec lui, et tous
abandonnèrent la haie.
Alors Messire Jean Fastolf, voyant le danger de la fuite, connaissant
CHRONIQUE DE WAYRIN DE FORESTEL. 503
tout aller très mal, fut conseillé de se sauver. Il lui fut dit, moi acteur {sic)
étant présent, qu'il prit garde à sa personne, car la bataille était perdue
pour eux. Il voulait à toutes forces rentrer en la bataille, et là attendre
le sort que Notre-Seigneur lui voudrait envoyer, disant qu'il aimait mieux
être mort ou pris que fuir honteusement et abandonner ainsi ses gens,
et avant qu'il voulût partir, les Français avaient rabattu le seigneur de
Talbot, ils l'avaient fait prisonnier et tous ses gens étaient morts, et les
Français étaient déjà si avant dans la bataille qu'ils pouvaient à leur
volonté prendre ou occire {liter) ceux que bon leur semblait. Finalement
les Anglais y furent déconfits avec peu de pertes de la part des Français.
Du tôté des Anglais il y mourut bien deux mille hommes, et il y eut
bien deux cents prisonniers.
Ainsi alla cette besogne comme vous venez de l'ouïr. Ce que voyant
Messire Jean Fastolf, il s'en partit bien malgré lui à très petite compa-
gnie, menant le plus grand deuil que jamais je visse faire à un homme.
Et en vérité, il se fut remis en la bataille, n'eussent été ceux qui étaient
avec lui, spécialement Messire Jean, bâtard de Thian, et autres qui l'en
détournèrent. Il prit son chemin vers Étatfipes, et moi je le suivis comme
étant mon capitaine, auquel le duc de Bedford m'avait commandé
d'obéir, bien plus de servir sa personne. Nous arrivâmes une heure après
minuit à Étampes où nous couchâmes, et le lendemain à Corbeil.
Ainsi, comme vous l'entendez, les Français obtinrent la victoire audit
lieu de Patay où ils couchèrent cette nuit, rendant grâces à Notre-Seigneur
de leur belle fortune Et le lendemain ils partirent de Patay, qui est
situé à deux lieues de Janville. Du nom de cette place, cette bataille por-
tera perpétuellement le nom de journée de Patay. Et de là les Français
s'en allèrent avec leur butin et leurs prisonniers à Orléans où ils furent
universellement conjouis de tout le peuple.
Après cette belle victoire, tous les capitaines français qui s'y étaient
trouvés, Jeanne la Pucelle avec eux, s'en allèrent vers le roi Charles qui
moult les conjouit [félicita) et les remercia grandement de leur service
et diligence. Ils lui dirent que par-dessus tout on devait savoir gré à la
Pucelle qui, de cette heure, fut du conseil privé du roi *. Et là il fut conclu
dassembler le plus grand nombre d'hommes de guerre que l'on pourrait
dans les pays obéissants audit roi, afin qu'il pénétrât en avant dans les
pays et poursuivit ses ennemis.
1. Cette assertion que Ton ne trouve que chez W'avrin est démentie par les faits.
JEAN LE FÈVRE DE SAINT-RÉMY
REMARQUES CRITIQUES.
Jean Le Fèvre de Saint-Rémy naquit près d'Abbeville vers 1394, et
mourut à Bruges vers 1474. Tout jeune il fut poursuivant d'armes sous
Jean sans Peur. Il persévéra dans la carrière où il s'était engagé, et
en 1422, il fut créé héraut d'armes sous le nom de Charolais. Lors de
l'institution de la Toison cTOr il en devint le roi d'armes, et il échangea
son nom de Charolais contre celui de Toison d'Or. Cher au duc de Bour-
gogne, l'un de ses plus intimer officiers, il en reçut des dons nombreux,
et fut honoré de plusieurs délicates missions.
Toison d'Or était septuagénaire lorsque, en 1464, il entreprit d'écrire
ses Mémoires', il en est sorti la Chronique qui porte son nom; elle
s'étend de 1407 à 1460. Il confia son écrit à Chastellain qui s'en est ins-
piré. Le Laboureur inséra dans sa traduction de la belle Histoire de
Charles VI, par le Religieux de Saint-Denis, la partie de la Chronique de
Le Fèvre qui s'étend de 1407 à 1422. Buchon l'édita tout entière.
A en juger par les chapitres qui relatent les événements qui se dérou-
lèrent sous la conduite de la Pucelle, la Chronique n'est pas seulement
succincte; elle est très inexacte. Il traite l'héroïne d'une manière fort
superficielle, cavalière, rapetisse sans mesure son rôle, en taisant la part
qui lui revient dans les faits, et taxe de gens de folle créance ceux qui
comptèrent sur elle. Les faussetés qu'il invente sur les débuts de la
Pucelle donnent droit de ne pas croire ce qu'il lui plaît de narrer des
promesses faites par l'héroïne avant sa sortie de Compiègne. Il est le seul
à nous en parler ; car Georges Chastellain n'a fait qu'embellir de sa dic-
tion la donnée fournie par Le Fèvre de Saint-Rémy, qui, venons-nous de
dire, lui envoyait son écrit. Le Fèvre semble peu croire au surnaturel,
l'élague ou le persifle. N'est-ce pas ce qui explique le jugement très
favorable porté parQuicherat sur une œuvre pleine d'énormes faussetés,
qui n'apprend rien, et nous semble être, avec celle de Wavrin de Forestel,
au dernier rang des Chroniques qui traitent avec quelque étendue de
l'apparition de la Libératrice?
CHRONIQUE DE LE FËYRE DE SAINT-RÉMY. 505
CHAPITRE III
CHRONIQUE DE LE FÉVRE DE SAINT-RÉMY.
Sommaire : 1. — Fantaisies de Saint-Rémy sur les personnages qui apparaissaient à la
Pucelle, et la manière dont elle entra en scène. — Il ne donne pas idée des combats
engagés pour la délivrance d*Orléans. — Il constate la frayeur des Anglais, et leur
foi à une prophétie sur leur expulsion par une Pucelle. — Il ne fait qu'indiquer la
prise de Jargeau, la victoire de Patay, attribuée à ce que les Anglais furent surpris
changeant leur position de combat.
II. — Confiance inspirée par la Pucelle aux hommes d*armes et au Dauphin. — La
campagne du sacre seulement indiquée. — Erreurs dans 1 enumération de ceux qui
y prennent part.
IIL — Campagne après le sacre. — Erreur du chroniqueur qui met Mitry près de
La Victoire.
IV. — La rencontre des deux armées près de Montépilloy. — Détails. — Les Français
auraient été les premiers à se retirer. — Les Anglais tiraient leurs vivres de Senlis.
V. — Le roi à Compiègne. — Les défenseurs de Paris constitués par le régent, qui va
au secours de la Normandie. — Le roi venant à Saint-Denis sur la promesse de
la Pucelle de lui livrer Paris. — Assaut. — Départ du roi .
VI. — Siège de Choisy. — Le passage de l'Oise à Pont-l'Évéque gardé par les Anglais.
— Vive attaque de la Pucelle repoussée. — Choisy enlevé. — Le siège de Compiègne
par le duc de Bourgogne et les Anglais. — La Pucelle s'y introduit. — D'après le
chroniqueur elle aurait promis de prendre le duc de Bourgogne. — Portrait de la
Pucelle sortant contre les assiégeants. — Le combat. — La Pucelle protégeant la
retraite. — Sa prise. — Joie du duc de Bourgogne. — Les hommes qui avaient cru
à la Pucelle traités de gens de léger entendement.
I
Chapitre eux. — Comment la Pucelle Jehanne vint en bruit et fut ame-
née au siège d'Orléans, — Comment elle saillit avec les Fraiichois sur les
Anglois et fut le siège abandonné.
Or il convient de parler d'une aventure qui advint en France, la non-
pareille, je crois, qui y advint jamais. En un village sur les marches de
Lorraine, il y avait un homme et une femme, mariés ensemble, qui
eurent plusieurs enfants, parmi lesquels une jeune fille, qui, dès Tâge
de sept à huit ans, fut mise à garder les brebis aux champs et fit
longtemps ce métier.
Or, du temps qu'elle avait ou pouvait avoir dix-huit ou vingt ans, il est
vrai qu'elle put dire qu'elle avait souvent des révélations de Dieu ; que
vers elle venait la glorieuse Vierge Marie accompagnée de plusieurs
anges, saints et saintes, parmi lesquels elle nommait Madame sainte
506 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
Catherine, et David le prophète, avec sa harpe qu'il sonnait mélo-
dieusement*. Elle disaitenfin, entre les autres choses^ avoir eu révélation
de la part de Dieu, par la bouche de la Vierge Marie, de se mettre en
armes, et que par elle, Charles, Dauphin du Viennois, serait remis en sa
terre et seigneurie, et qu'elle le mènerait sacrer et couronner à Reims.
Ces nouvelles vinrent à un gentilhomme de la marche qui l'arma, la
monta d'un cheval, et la mena à Orléans, à rencontre des Anglais qui y
tenaient le siégea II y fit assembler le bâtard d'Orléans et plusieurs
autres capitaines auxquels il conta ce que disait cette fille nommée
Jeanne la Pucelle. De fait elle fut interrogée de plusieurs sages et vail-
lants hommes, qui se boutèrent en voie de la croire, et ajoutèrent en icelle
si grande foi qu'ils abandonnèrent et mirent leurs corps en toute aventure
{à tout hasard) avec elle'.
Il est vrai qu'un jour elle leur dit qu'elle voulait combattre les
Anglais ; elle assembla ses gens, et se prit à assaillir les Anglais par
leur plus forte bastille, que gardait un chevalier d'Angleterre nommé
Cassedag (Glasdall). Cette bastille fut assaillie et prise de bel assaut par
ladite Pucelle et par ses vaillants hommes, et Cassedas y fut tué ; ce qui
sembla chose miraculeuse, vu la force de la bastille et les gens qui la
gardaient. Le bruit de cette prise courut parmi les Anglais, et finalement
quand ils ouïrent que pareille entreprise était l'œuvre de la Pucelle, ils
furent très épouvantés. Ils disaient entre eux avoir une prophétie conte-
nant qu'une Pucelle devait les jeter hors de France et les défaire de tous
points. Ils levèrent le siège et se retirèrent dans quelques places de leur
obéissance autour d'Orléans.
Parmi eux le comte de Suffolk et le seigneur de La Poule, son frère,
se tinrent à Jargeau ; mais ils n'y restèrent guère que cette ville ne fût
prise d'assaut. Le seigneur de La Poule et plusieurs Anglais y trou-
vèrent la mort. Les Anglais rassemblèrent leurs forces pour retourner à
Paris vers le régent ; mais ils furent suivis de si près par les Dauphinois
qu'ils se trouvèrent en ordre de bataille l'un devant l'autre auprès d'un
village de la Beauce qui se nomme Patay. Les Anglais, espérant trouver
une place plus avantageuse que celle où ils étaient, la quittèrent; mais
les Dauphinois fondirent sur eux avec tant d'impétuosité qu'ils les défirent
et les déconfirent de tous points. Là furent pris le comte de Suffolk, le
i. Jeanne n'a jamais dit avoir vu Notre-Dame, ni le roi David, ni sa harpe. Sonnait
mdlodieusement d'après le dernier éditeur de Le Fèvre, M. François Morand, tandis que
Quicherat écrit sonnait merveilleusement,
2. Inutile de faire remarquer comment tout cela est mutilé et inexact.
3. Il faut avoir pour le surnaturel l'horreur de Quicherat pour mettre au nombre
des bons chroniqueurs celui qui résume avec une pareille désinvolture tout ce qui
a précédé la délivrance d'Orléans, et cette délivrance elle-même.
CHRONIQUE DE LE FÈVRE DE SAINT-RÉMY. 507
seigneur de Talbot et tous les capitaines excepté Messire Jean Fastolf ;
ce dont il eut dans la suite de grands reproches étant chevalier de la
Jarretière. Cependant il s'excusa fort, disant que si on eût voulu Ten
croire, la chose ne fût pas ainsi advenue de leur part. Les Anglais furent
ainsi déconfits, et cette bataille se nomma la bataille de Patay.
II
Chapitre cxx. — Comment le Dauphin fut couronné roy de France à Reims.
— De plusieurs villes qui se rendirent à luy. — Comment le duc de
Bethfort lui alla allencontre et présenta la bataille, — Des faicts de la
Pucelle quy mena le roy devant Paris.
Vous avez ouï comment Jeanne la Pucelle fut tellement en bruit parmi
les gens de guerre, que réellement ils croyaient que c'était une femme
envoyée de par Dieu, par laquelle les Anglais seraient reboutés hors du
royaume.
Cette Pucelle fut menée vers le Dauphin qui la vit volontiers, et,
comme les autres, ajouta en elle grande foi ^ Il fit un grand mande-
ment {appel) auquel répondirent nombre de princes de son sang, c'est à
savoir les ducs de Bourbon, d'Alençon et de Bar, Arthur, connétable de
France, les comtes d'Armagnac, de Pardiac* et de Vendôme, le seigneur
d'Albret, le bâtard d'Orléans, le seigneur de La Trémoille, et plusieurs
grands seigneurs de France et d'Ecosse. Très grande fut Tarmée du
Dauphin avec laquelle il se tira droit à Troyes-en-Champagne ; la ville
lui fut promptement rendue ; les habitants lui firent obéissance ; ainsi
firent ceux de Châlons et de Reims. En cette ville de Reims il fut sacré,
oint et couronné roi de France. Ainsi Charles, septième de ce nom, fut
sacré à Reims, comme vous avez ouï.
III
Après que le roi eut séjourné un petit peu de temps en la ville de
Reims, il s'en alla en une abbaye, nommée Corbigny, où Ton vénère'
1. Le chroniqueur semble indiquer que ce fut seulement après la délivrance
d^Oriéans que Charles Vil vit la Pucelle : cela suffit pour apprécier la valeur de sa
Chronique.
2. Le duc de Bar, le Connétable, le comte de Pardiac n'étaient pas de la campagne
du sacre.
3. Où on aoure. Le mot aoure, adorer, dans les chroniqueurs comme dans la Sainte
Écriture, n'était pas, comme il l'est aujourd'hui, réservé au culte de latrie.
508 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
saint Marconi, là où Ton dit qu'il prend la dignité et le privilège de
guérir les écrouelles.
Ces choses faites, il passa la rivière de Marne et se trouva à Crépy-
en-Valois.
Quand le régent sut que le roi avait été sacré à Reims et qu'il marchait
par le pays pour tirer droit à Paris, il assembla une grande compagnie
d'Anglais et de Picards entre lesquels étaient Messire Jean de Créquy,
Messire Jean de Croy, le bâtard de Saint-Pol, Messire Hue de Lannoy,
sage et vaillant chevalier, Jean de Brimeu et d'autres, qui se trouvèrent
en grande puissance en un village nommé Mitry-en-France, et les Fran-
çais et leur puissance étaient en un autre village nommé... (Thieux)... à
deux lieues près de Crépy-en-Valois, et là étaient le duc d'Alençon, la
Pucelle, et plusieurs autres capitaines. Le régent, qui désirait la bataille
contre les Français, approcha d'eux jusqu'à une abbaye qui s'appelle La
Victoire, et qui n'est pas loin d'une tour qui s'appelle Mont-Epilloy. Il y
arriva environ la mi-août l'an mil CCCCXXIX*.
IV
Le roi ouït la messe à Crépy, puis monta à cheval armé d'une brigan-
dine, et se tira aux champs où il trouva une grande et belle compagnie
qui l'attendait. Toutefois le duc d'iVlençon et la Pucelle étaient déjà en
avant et se trouvaient bien près des Anglais avant la venue du roi. Quand
le roi fut arrivé, lui et ses gens ordonnèrent le gros de l'armée en un seul
grand corps à cheval, et avec ce deux autres compagnies, par manière de
deux ailes*, et avec cela le roi avait un grand nombre de gens de pied.
Quant aux Anglais, ils ne formèrent de leurs combattants qu'un seul
corps, et tous à pied, excepté le bâtard de Saint-Pol, Messire Jean de Croy
et quelques autres en petit nombre, qui, voyant que parmi les Français les
hommes d'armes ne descendaient pas à pied, montèrent à cheval.
Il faisait ce jour grande chaleur et merveilleusement grande poussière.
Or il advint qu*à Tun des bouts de l'armée des Anglais, les Français firent
tirer la plupart de leurs gens de trait, et avec une compagnie de gens à
cheval ils assaillirent les Anglais. Il y eut de côté et d'autre maintes
flèches tirées. Le régent, pour renforcer ses gens là où le combat était
engagé, envoya une compagnie sans que ni les Français ni les Anglais
1. Ce résumé de la campagne qui suivit le sacre n'est pas seulement très fruste, il
est inexact. Il confond Mitry et La V^ictoire, qui sont à huit ou dix lieues de distance.
2. Texte : Ordonnèrent une belle grande bataille à cheval et avec che deulx aultres corn-
paignies à manière de deulx elles.
CHRONIQUE DE LE FÈVRE DE SAINT-RÉMY. 509
fissent changer à leurs armées leur ordre de bataille. Quand les
Français virent que les Anglais et les Picards tenaient pied et com-
battaient vaillamment, ils se retirèrent et ils ne s'abordèrent plus ensuite
Tun contre l'autre, sinon par escarmouches.
A ce que j'ai ouï dire, celui qui se montra ce jour le plus hommed'armes
et rompit le plus de lances, ce fût le bâtard de Saint-Pol. Messire Jean
de Croy y fut blessé d'un pied, et en resta estropié toute sa vie. Ainsi se
passa cette journée, comme vous Tavez ouï, sans que autre chose y fût
faite. Quand ce fut vers le soleil couchant, le roi se retira dans la ville de
Grépy, et les autres dans les villages à Tenlour.
Or il faut parler des Anglais. 11 est vrai que quelques-uns s'aperçurent
bien de la retraite des Français et qu'ils voulaient les poursuivre ; mais
le régent, par crainte d'embûches, ne le voulut pas permettre; car, d'après
ce que j'ai ouï du nombre des Français, ils étaient de cinq à six mille
équipés de toutes pièces *. Quand les Français furent ainsi partis, les
Anglais logèrent dans une abbaye des environs et envoyèrent quérir des
vivres à Senlis^.
Le lendemain le roi et toute l'armée se mirent en belle ordonnance
auprès de la ville de Crépy, avec leurs chariots et leurs bagages. Ces
dispositions prises, le roi se mit aux champs, tourna le dos aux Anglais
et s'en vint à Compiègne. Cette ville tenait le parti des Anglais ; mais sans
aucune résistance, ouverture en fut faite au roi qui y fut reçu avec
grande joie. Le roi y séjourna cinq jours, et y tint conseil sur ce qu'il
avait à faire.
Quand le régent sut que le roi était entré à Compiègne sans aucune
opposition, il craignit fort que plusieurs villes en l'obéissance des Anglais
ne se tournassent du parti du roi. Cela fut cause qu'il retourna à Paris
avec son armée ; là il laissa pour en avoir la garde Louis de Luxembourg
évéque de Thérouanne, chancelier de France pour les Anglais, le
seigneur de l'Isle-Adam, alors maréchal de France, et aussi plusieurs
seigneurs d'Angleterre ; et il s'en alla en Normandie pourvoir à la garde
des bonnes villes et forteresses.
Le roi après avoir séj ourné, comme il est dit, à Compiègne, prit avec
son armée le chemin pour venir droit à Paris, la Pucelle lui ayant
promis de l'y introduire et que de cela il ne devait concevoir aucun
1. Harnois de jambes.
2. Les Anglais pouvaient s'approvisionner à Senlis, tandis que les vivres devaient
faire défaut aux Français.
510 LA VRAIE JEANNE D^ARG : LA LIBfiRATRICE.
doute. Toutefois elle faillit à sa parole, comme vous allez lentendre.
Au sortir de Compiègne le roi tira droit à Senlis qui lui fit obéissance,
puis à Saint-Denis où il entra. Sur les remontrances que faisait la Pucelle,
il fut disposé que Paris serait assailli, Le jour de lassant venu, la Pucelle
armée et équipée fut avec son étendard parmi les premiers assaillants ;
elle s'avança si près qu'elle fut blessée d'un trait. Mais les Anglais défen-
dirent si bien la ville que les Français ne purent rien contre et se reti-
rèrent à Saint-Denis.
Le roi, après plusieurs jours de séjour à Saint-Denis, voyant la ville de
Paris trop fort gardée, se retira au delà de la Seine et donna congé à la
plupart de ses gens, qui se mirent en garnison dans plusieurs villes, à
Beauvais, Senlis, Compiègne, Soissons, Crépy et plusieurs autres, en
deçà de la Seine, du côté de la Picardie, d'où ils firent forte guerre tant
aux Anglais qu'aux gens du duc.
Cette année se passa ainsi que vous venez de l'ouïr ; il s'y passa encore
plusieurs autres choses qui seraient trop longues à raconter.
VI
1430. — Chapitre clxvi. — Comment le duc de Bourgogne assiégea la
ville de Compiengne^ où la Pucelle Jeanne fut prinse par une sallye
quelle feist.
Au mois de mai MCCCCXXX le duc mit le siège devant une forteresse
assise sur la rivière deTAisne, près de la ville de Compiègne, et nommée
le Pont-à-Choisy. Il fallait passer une grosse rivière nommée TOise,
et on la passait à un village nommé le Pont-l'Evôque, fort près de la
cité de jNoyon; le passage en était gardé par deux vaillants chevaliers
d'Angleterre.
En ce passage les adversaires du duc s'étaient assemblés en grand
nombre pour le combalttre ; dans leurs rangs était Jeanne la Pucelle,
qui était comme le chef de l'armée du roi alors adversaire du duc ; et
les adversaires croyaient qu'elle mettrait fin à la guerre, car elle disait
que cela lui était révélé par la bouche de Dieu et de quelques saints
Les adversaires du duc projetèrent d'aller battre ceux qui gardaient le
pont, et de fait ils les assaillirent très raidement; mais les chevaliers des-
susdits se défendirent si vaillament que les ennemis ne les purent vaincre.
Il est vrai que le seigneur de Saveuse et d'autres gens du duc vinrent
les aider et secourir en toute diligence ; il y eut de côté et d'autres beau-
coup de blessés; ce fut tout ce que les assaillants obtinrent sur l'heure.
Ils retournèrent chacun en leurs villes et forteresses ; et les chevaliers
CHRONIQUE DE LE FÈVRE DE SAINT-RÉMY. 511
demeurèrent gardiens dudit pont, tant que le duc fut au Pont-à-Choisy,
où il resta dix jours, après lesquels s'^enfuirent ceux qui gardaient la
place.
Après que le duc eut pris le Pont-à-Choisy, il repassa ledit pont et la
rivière, et se logea à une lieue près de Gompiègne et son armée dans les
villages des environs. Il ordonnait ses gens pour mettre le siège devant
cette ville qui est grosse et grande, de grand tour, enclose en partie de
deux rivières l'Oise et TAisne qui se joignent devant ou tout près de ses
murailles et où commandait comme capitaine un écuyer nommé
Guillaume de Flavy, qui faisait de grands maux dans les pays du duc,
quand par une nuit la Pucelie vint à Gompiègne, où elle fut deux nuits
et un jour. Le second jour elle dit avoir eu révélation de Dieu qu'elle
mettrait les Bourguignons en déconfiture. Elle Bt fermer les portes de la
ville, assembla ses gens et ceux de la place, et leur dit la révélation qui,
à ce qu'elle disait, lui avait été faite, c'est à savoir que Dieu lui avait fait
dire, par sainte Gatherine, qu'elle fît en ce jour une sortie contre les
ennemis, qu^elle déconfirait le duc, qu'il serait pris de sa personne, que
tous ses gens seraient pris, morts et mis en fuite, et que de cela elle ne
faisait nul doute*.
Or il est vrai que les gens de son parti le crurent par la créance qu'ils
avaient en elle. Les portes, ce jour-là, restèrent fermées jusqu'à deux
heures après midi que la Pucelie sortit, montée sur un très beau coursier,
très bien armée, pleinement équipée, et portant par-dessus une riche
buque de drap d'or vermeil ; derrière flottait son étendard et marchaient
tous les gens de guerre de la ville de Gompiègne, et ils allèrent en très
belle ordonnance assaillir les gens des premiers logis du duc.
Là était un vaillant chevalier nommé Baudot de Noyelle qui fut depuis
chevalier de l'ordre de la Toison d'Or. Lui et ses gens, nonobstant qu'ils
furent surpris, se défendirent très vaillamment. Pendant le combat, le
comte de Ligny, ayant en sa compagnie le seigneur de Gréquy, tous deux
chevaliers de l'ordre de la Toison d'Or, et avec eux un petit nombre de
gens, se mirent à approcher la Pucelie et ses combattants. La résistance
opposée par le poste de Baudot de Noyelle, et aussi le grand nombre des
gens du duc, qui arrivaient de toutes parts au lieu de la mêlée, commen-
cèrent à faire reculer la Pucelie et ses hommes. Les Bourguignons se
jetèrent sur eux avec tant de force que plusieurs en furent pris, morts et
noyés.
La Pucelie la toute dernière soutenait le faix de ses adversaires, quand
elle fut prise par l'un des gens du comte de Ligny, ainsi que son frère et
1. S*il y avait le moindre fondement dans cette assurance donnée par la Pucelie,
on n'eût pas manqué de Falléguer au procès où il n en est pas question.
512 LA VRAIE JEANNE D*ARG : LA LIBËRATRICB.
son maître d'hôtel. Laquelle Pucelle fut menée à grande joie vers le duc,
qui venait en toute diligence h Taide et au secours de ses gens. D fut très
joyeux de cette prise pour le grand nom qu'avait icelle Pucelle; car il ne
semblait pas à plusieurs de son parti que ses œuvres fussent autres que
miraculeuses.
[Le Fèvre, à propos du berger du Gévaudan, écrit sur la Pucelle la
phrase incidente qui suit :]
Chapitre clxxxx. — De la bataille du bergier où les François furent
desconfits des Anglois.
Vous avez ouï parler comment quelques hommes de léger entendement
et de créance volage se mirent à croire que les faits de la Pucelle étaient
chose miraculeuse et permise de par Dieu; ce que plusieurs furent fort
enclins à croire. Or, après la mort de Jeanne la Pucelle, quelques
hommes, aussi de folle créance, mirent en avant un fol et innocent berger,
qui, comme Jeanne la Pucelle, disait avoir eu des révélations divines lui
ordonnant de prendre les armes pour secourir le noble roi de France, etc.
JEAN CHUFFART
ou
LE PRÉTENDU BOURGEOIS DE PARIS
REMARQUES BIOGRAPHIQUES ET CRITIQUES.
De toutes les Chroniques, voici la plus haineuse à Tendroit de la
Pacelle, et celle où Jusqu'à notre siècle, les historiens ont puisé le plus lar-
gement, lorsqu'ils ont eu à parler de la tentative contre Paris et de la
fin de la Martyre. Elle était connue sous le titre de Journal d'un Bour-
geois de Paris.
Les laborieuses et sagaces recherches du dernier éditeur, M. Tuetey,
sont parvenues à lever le voile de Tanonyme. L'auteur du Journal n'est
pas un bourgeois, mais un ecclésiastique universitaire de Tépoque, Jean
Chuffart. Les inductions de M. Tuetey semblent concluantes. Elles sont
tirées du Journal même et de ce que par ailleurs diverses archives
ont fait connaître sur Jean Chuffart. Voici un résumé des indications de
H. Tuetey, complété par quelques recherches particulières.
Né à Toumay, Chuffart ne partagea pas les sentiments français de sa
ville natale. Aussi, ayant voulu s'y rendre en novembre 1429, y fut-il
mis en prison comme anglo-bourguignon; il en coûta 500 couronnes
d'or à son père pour le faire rendre à la liberté ^ A cette date, Jean
Chuffart était un des premiers personnages du monde ecclésiastique de
Paris, où très vraisemblablement il était venu d abord pour ses études.
Son lieu d'origine l'attachait à la nation de Picardie, et il était de la
faculté des décrets, c'est-à-dire de la nation et de la faculté les plus
dévouées au Bourguignon. Maître es arts, il avait eu en 1421 son quartier
de rectorat. Licencié es lois, chanoine de Notre-Dame, il obtint après
Gerson le titre de chancelier du chapitre, ce qui le faisait en même temps
chancelier de l'Université, charge éminente, «sur laquelle, écrivait Machet
le confesseur du roi, repose le poids des bonnes études de l'Université
1. M. VA!fDE:fBROECK, Extroîts analytiques des registres des consuls de Toumay, t. H,
p. 355.
m. 33
514 U VRAIE JEANNE D'aRG : LA LIBËRATRIGE.
tout entière ». Ghuflart était si inférieur à sa charge que Machet le pressa
très vivement de la résigner. Ghuffart avait promis, mais il ne se hâta
pas de remplir sa promesse \ si tant est qu'il n'ait pas différé jusqu'à
la mort.
Gela nous donne droit de supposer que la politique, plus que le mérite,
aura porté Ghuffart à cette haute dignité. Il en fut investi le 29 aoûtl429,
après la mort de Gerson. Il a dû en exercer les fonctions longtemps avant,
car, depuis le concile de Gonstance, Gerson, abhorré de ses confrères de
Paris, n'aurait pas pu sans péril rentrer dans la capitale.
Ghuffart exerçait une autre chancellerie; il était chancelier de la reine
Isabeau de Bavière. Il semble avoir été un de ses conseillers les plus écou-
tés, puisque l'odieuse reine l'institua un des exécuteurs actifs et non
seulement honorifiques de ses volontés testamentaires.
Parlant des Armagnacs, Jean Ghuffart nous dit qu'ils revenaient de leurs
excursions troussés de biens comme un hérisson de pommes. On peut
lui retourner la comparaison, et dire qu'il fut troussé de bénéfices ecclé-
siastiques comme un hérisson de pommes : chancelier de Notre-Dame,
chanoine et môme doyen de Saint-Germain-l'Auxerrois, chanoine de
Sainte-Opportune, chanoine et doyen de Saint-Marcel, curé de Saint-Lau-
rent, curé de Sainte-Opportune. Sans doute que des prêtres à portion
congrue remplissaient les fonctions du titulaire, qui se réservait le gros
des revenus. G'était un des révoltants abus de l'époque.
Cela ne suffit pas à son ambition, puisque, après la rentrée de Ghar-
les VII, en 1437, il parvint à se faire nommer conseiller clerc au parle-
ment. L'on ne s'étonne pas de trouver souvent dans les registres du
chapitre le nom d'un personnage de telle amplitude.
Ghuffart tenait son Journal. II commence à Tannée 1408]et ne se ferme
qu'en 1449.
G'estle «journal de Paris » durant toute cette période. Les événements
qui se passent au dehors n'y sont mentionnés qu'à cause de leur contre-
coup sur la capitale; rien ne nous fait mieux connaître la physionomie
delà ville à cette époque. En un style sans prétention, parfois énergique
et pittoresque, plus souvent trivial, bas jusqu'à la grossièreté, la gazette
mentionne en quelques mots les événements politiques et religieux, le
prix des denrées, les épidémies, la température, les récoltes, les phéno-
mènes extraordinaires, les indicibles souffrances de la multitude. Il faut
rendre cette justice à Jean Ghuffart; il ressent les calamités des peuples
et en a une réelle compassion.
G'est, ce semble, ce sentiment qui a déterminé le parti politique auquel
1. Lettre xxxviii de Machet à Brisson, manuscrit, fds. latin, 8577, et apud Lan:«ot,
Historia gymnasii Navarrœ, t. Il, p. 536.
JOURNAL DE JEAN GUUFFART, LE FAUX BOURGEOIS DE PARIS. 515
le chroniqueur est resté attaché toute sa vie. Il est cabochien, démocrate,
jusqu'à pallier les excès les plus violents de la démagogie, tels que les
massacres de 1418 : il ne perd pas une occasion de faire ressortir le
commun^ c'est-à-dire le parti populaire.
Cabochien, il est comme son parti dévoué à Jean sans Peur, et pour
venger sa mort il embrasse le parti de l'Anglais. Ses sympathies pour le
duc Philippe sont moins vives que celles qu'il a éprouvées pour son
père ; elles existent cependant, quoiqu'il s'en plaigne et le blùme dans
certaines circonstances. Plus Bourguignon qu'Anglais il fait de la domi-
nation des insulaires un résumé qui témoigne que, s'il lui fut d'abord
attaché, il en était pleinement désaffectionné lorsque Paris redevint Fran-
çais. <c Oncques les Juifs, dit-il, qui furent menés en Ghaldce en capti-
vité ne furent pis menés que le pauvre peuple de Paris. Les Anglais furent
moult longtemps gouverneurs de Paris, mais j'estime en ma conscience
que nul ne fit semer ni blé, ni avoine, ni faire une cheminée, si ce n'est
le régent, lequel faisait toujours maçonner... Les Anglais de leur droite
nature veulent toujours guerroyer leurs voisins sans cause ; par quoi ils
meurent mauvaisement, car alors {en 1436)^ il en était mort en France
pins de soixante-seize mille. »
Ceux que Chuffart déteste du fond de Tàme, ce sont les Armmays et
leur chef, Charles de Valois. Sa haine est vivace et perce alors qu'il
cherche à la dissimuler. Les Armagnacs en devenant maîtres de Paris
sont devenus les Français, etle Dauphin viennois s'appelle Charles Yll. Le
ton du chroniqueur change, pas assez cependant pour dissimuler ledémo-
cratequi se trahitpour quiconque sait lire. Charles Vil ne lui est guère plus
sympathique que Charles de Valois. Ne pouvant pas décemment s'en
prendre au roi, il s'en prend à ceux qui le tiennent « comme on fait
un enfant en tutelle ». Môme le recouvrement de Rouen ne le fait pas
sortir de ces dispositions de mal content.
Chuffart est tout dévoué à l'Université dans laquelle il tient un rang si
élevé. A ses yeux c'est la grande autorité doctrinale. Quoiqu'il ne sem-
ble pas qu'il se soit engagé dans les funestes discussions dogmatiques par
lesquelles l'Université de Paris détruisait ladivine constitution de l'Eglise,
Ton ne peut pas douter qu'il n'ait partagé les sentiments de sescollègues.
Ces dispositions de Chuffart étaient dans toute leurvéhémence lorsque
la Pucelle vint ramener la victoire dans les rangs de ces Armagnacs dont
Chuffart avait décrit avec une si manifeste complaisance la défaite à la
journée des Harengs. Chuffard, comme l'Université entière, était incapa-
ble de voir le miracle de Dieu. La Vierge est celle qu'aux bords de la
Loire Ton appelle la Pucelle. C'est ime créature e7i forme de femme qui
esij Dieu le sait. Les merveilles qui ont marqué son enfance et sa jeunesse
516 LA VRAIE JEANNE DARC : LA LIBÉRATRICE.
se racontent à Paris. Privé de tout moyen de contrôle, Ghuffart n'ai
écrit pas moins que tout cela est controuvé. Il tait lesexploitsde rhéroîne
au point de ne pas même mentionner le sacre de Reims. Ce sur quoi il
s'étend, c'est l'échec contre Paris, ce sontles crimes imputés à la Martyre
par l'inique tribunal.
Ghuffart est un témoin précieux de la haine des Parisiens, et surtout
de l'Université, à rencontre de la Libératrice.
CHAPITRE IV
LE JOURNAL DE CnUFFART. — LA PUCELLE JUSQU'A SA CAPTIVlTfi.
Sommaire : l. — Manière dont Ghuffart commence à parler de la PuccHe. — Récits
merveilleux qu'on faisait à Paris sur la Pucelle. — Accomplissement de la prophétie
faite par elle à Glasdal. — Le cadavre de l'Anglais à Paris. — Départ de Frère Richard
de Paris.
IL — La bataille de Patay racontée par ChufTard. — Frayeur de Paris au 21 Juin. -
Les Parisiens ne cessent dès lors de fortifier leur ville. — Le duc de Bourgogne à
Paris le 10 juillet. -— Conseils tenus. — Moyens employés pour exciter les esprits
contre les Armagnacs. — Renouvellement des serments. — Le duc quitte Paris avec
sa sœur la duchesse de Bedford. .,
m. — Progrès des Armagnacs. — Terreur des Parisiens. — Arrivée du cardinal de
Winchester, du i*égent et de l'Isle-Adam, le 25 juillet. — Colère des Parisiens contre
le Frère Richard. — Beauvais, Sentis se donnent aux Français. — Les Armagnacs à
Saint-Denis dès le 2o août. — Leurs excursions jusqu'aux portes de Paris. — Em-
pressement des Parisiens à forlitier leurs portes et leurs remparts.
IV. — Lettres du duc d'Alençon aux Parisiens. — Première attaque le 7 septembre. —
Le granS assaut du 8. — Les apprêts pour combler les fossés. — La Pucelle blessée.
— Elîorts des assiégeants et des assiégés. — Les assiégeants repoussés. — Le feu à
la grange des Mathurins, et les morts brûlés. — Engagements prêtés à la Pucelle. —
Le nombre des morts et des blessés, d'après un héraut des Armagnacs. — L'assaut
repoussé par le commun.
V. — Retour du régent. — Déprédations des Armagnacs à Saint-Denis. — Saint-Denis
repris et châtié . — Entrée triomphale du duc de Bourgogne à Paris. — Délibérations.
— Il prend le gouvernement de Paris à la place de Bedford. — Départ des Anglais
et leurs ravages. — Trêve du duc avec les Armagnacs. — Ces derniers soumettent
à des contributions les environs de Paris. — Départ du duc et de ses Picards, qui
sont de grands larrons.
VI. — Les approvisionnements de Paris plusieurs fois rançonnés. — Extrême misère.
— Désertion de la ville. — Brigands. — On leur donne la chaise. — Capture et
supplices. — Conjuration pour mettre le roi dans Paris. — Elle est découverte. —
Aveu implicite de Chuffart.
1
liemiayril 1429 . — II y avait en ce temps une Pucelle, ainsi qu'on par-
lait sur les bords de la Loire, qui se disait prophète ; elle disait : «Telle
JOURNAL DE JEAN CHUFFART, LE FAUX BOURGEOIS DE PARIS. 517
chose adviendra pour vrai ». Elle était entièrement opposée au régent de
France et à ses adhérents. L'on disait que malgré tous ceux qui tenaient
le siège d'Orléans, elle était entrée dans la cité avec grand nombre d'Ar-
magnacs, et grande quantité de vivres, sans que ceux de l'armée s'en
fassent émus, quoiqu'ils les vissent passer près d'eux à la distance d'un
ou deux traits d'arc. Il y avait si grande nécessité de vivres dans Orléans
qu'un homme eût bien mangé pour trois blancs de pain à son dîner.
Plusieurs autres choses racontaient de la Pucelle ceux qui aimaient
lesArmagnacs plus que les Bourguignons et que le régent de France. Ils
affirmaient que, lorsqu'elle était bien petite et qu'elle gardait les brebis,
les oiseaux des bois et des champs à son appel venaient manger son pain
dans son giron (^^</' ses genoux)^ comme s'ils avaient été privés. En vérité,
c'est controuvé, in oeritate apocryphum est.
Item. — En ce temps, les Armagnacs firent lever le siège d'Orléans, et
en firent de force partir les Anglais. Cette Pucelle allait partout avec
eux, armée, portant son étendard, où il n y a d'écrit que le mot : Jhesm.
On rapportait qu'elle avait dit à un capitaine anglais de partir du siège
avec ses gens, ou que mal leur en prendrait et honte à tous. Celui-ci
l'injuria beaucoup de paroles, clamant qu'elle était une ribaude et une
p...n. Elle lui répondit que bien malgré eu\ ils partiraient tous dans bien
peu, mais qu'il ne le verrait pas, et que là serait tuée une grande partie
de sa gent. Ainsi il en advint, car il se noya avant que le massacre eût lieu.
Depuis, ce capitaine^ fut péché et dépecé par quartiers, bouilli, embaumé
et port^ à Saint-Merry, déposé durant huit ou dix jours en la chapelle de
devant le cellier, et nuit et jour quatre cierges ou torches brûlaient devant
spn corps, et après il fut emporté dans son pays pour y ôtrc enterré.
liem. — En ce temps, partit le Frère Richard. Le dimanche qui précéda
le jour où il devait partir, il fut dit dans Paris qu'il devait prêcher au lieu,
ou tout près, où Mgr saint Denis fut décollé avec maints autres martyrs^.
Il y alla plus de six mille personnes de Paris ; la plupart partirent de
Paris le samedi au soir par nombreuses bandes, pour avoir meilleure
place le dimanche au matin; elles couchèrent aux champs, dans de vieilles
masures, le mieux qu'elles purent; mais son fait fut empoché. Comment?
de cela je m'en tais; mais il ne prêcha point ; ce dont les bonnes gens de
Paris furent fort émus. 11 ne prêcha plus de cette saison à Paris, d'où il
dut partir'.
1. Glasdal.
2. Montmartre, au lieu où se trouve la chapelle des Dames Auxiliatrices^ au bas des
escaliers conduisant à la basilique du Vœu nalional.
3. Il sera parlé de la raison dans un article consacré au Frère Kichard dans un autre
volume.
518 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
II
Item, — En ce temps les Armagnacs tenaient les champs, et y détrui-
saient tout. Environ huit mille Anglais furent commis entre eux, mais
quand vint le jour que les Anglais rencontrèrent les Armagnacs ils
n'étaient pas plus de six mille et les Armagnacs étaient dix mille. Aussi
coururent-ils sus aux Anglais très âprement, et les Anglais ne refusèrent
pas le combat.
Il y eut de part et d autre grand carnage; mais à la fin les Anglais ne
purent soutenir plus longtemps les coups des Armagnacs, qui étaient
plus du double des Anglais et les enveloppèrent de toutes parts. Les
Anglais furent défaits, et, à ce qu'on disait, il y eut bien quatre mille
morts et plus. On ne sait pas à Paris le nombre des morts parmi leurs
ennemis*.
Item, — Le mardi qui précéda la Saint-Jean (2/ /wm), il y eut grande
émotion, parce que, disait-on, les Armagnacs devaient cette nuit entrera
Paris ; mais il n'en fut rien.
Depuis, sans cesser ni jour ni nuit, ceux de Paris renforcèrent le guet
et firent fortifier les murs. Ils y mirentgrand nombre de canons et d'au-
tre artillerie ; ils changèrent le prévôt des marchands et les échems;
ils firent un nommé Guillaume Sanguin, prévôt des marchands ; les éche-
vins furent Imbert des Champs, mercier et tapissier, Collin de Neufville,
poissonnier, Jean de Dampierre, mercier, RemondMarc, drapier. Ils furent
nommés et institués la première semaine de juillet.
Le dixième jour du même mois, le duc de Bourgogne vint à Paris, un
dimanche environ six heures après diner. Il n'y demeura que cinq jours
durant lesquels il y eu très grand conseil. On fit une procession géné-
rale et un très beau sermon à Notre-Dame de Paris.
Au palais on donna lecture de la charte ou lettre d'après laquelle
les Armagnacs avaient jadis conclu la paix en la main du légat du
Pape, et en outre l'on dit comment tout était pardonné de l'un et de
l'autre côté, comment le Dauphin et le duc de Bourgogne firent les grands
serments et reçurent ensemble le précieux corps de Notre-Seigneur,
le nombre de chevaliers de nom des deux partis qui s'y trouvaient;
tous mirent leurs signatures et leurs sceaux en ladite lettre ou charte ;
l'on dit ensuite comment le duc de Bourgogne, voulant et désirant la
paix du royaume, et voulant accomplir la promesse qu'il avait faite, se
soumit à aller au lieu que le Dauphin et son conseil voudraient ordonner,
J. (i'est la journée de Patay travestie.
JOURNAL DE JEAN CHUFFART, LE FAUX B0UR6E0TS DE PARIS. 519
qu'ainsi fut fixée par le Dauphin et ses complices la place en laquelle
le duc de Bourgogne comparut, lui le dixième de ses chevaliers les plus
intimes; comment, étant à genoux devant le Dauphin, il fut traîtreuse-
ment assassiné, ainsi que chacun sait. Après la conclusion de cette lettre,
m grand murmure s'éleva. Tels étaient très attachés aux Armagnacs,
qui les prirent en très grande haine. Après cette émotion, le régent de
France, duc de Bedford, fit faire silence ; le duc de Bourgogne se plaignit
de la paix ainsi enfreinte, et ensuite de la mort de son père, et à la suite
il fit lever les mains au peuple que tous seraient bons et loyaux au
r^ent et au duc de Boui^ogne. Les seigneurs promirent par leur foi
de garder la ville de Paris.
Le samedi suivant le duc de Bourgogne partit de Paris, emmenant
avec lui sa sœur, la femme du régent ; le régent s'en alla d'autre part
avec ses gens à Pontoise, et le seigneur Yillicrs de l'Isle-Adam fut élu
capitaine de Paris.
III
Les Armagnacs entrèrent, cette semaine, dans la cité d*Auxerrc ; ils
vinrent à Troyes, et y entrèrent sans trouver de résistance.
Quand ceux des villages d'alentour Paris surent que les Armagnacs
conquéraient ainsi le pays, ils emportèrent leurs biens et leurs meubles,
scièrent leurs blés avant qu'ils fussent mûrs, et les apportèrent dans la
ville de Paris.
Quelque temps après, les Armagnacs entrèrent à Gompiègneet gagnèrent
les châtellenies d'alentour privées de toute défense.
Les habitants de Paris avaient grand'peur, car il n'y avait pas de
seigneur dans la ville ; mais le jour de Saint-Jacques, en juillet, ils furent
un peu réconfortés ; ce jour vinrent à Paris le cardinal de Winchester
et le régent de France ; ils avaient en leur compagnie foison de gens
d*armes et d'archers, bien environ quatre mille hommes; le sire Je
risle-Adam avait environ sept cents Picards, sans compter la commune
de Paris.
Item. — Pour vrai le Cordelier qui prêcha aux Innocents et assemblait
tant de peuple à son sermon, comme il a été dit, pour vrai il chevauchait
avec les Armagnacs. Aussitôt que ceux de Paris furent certains qu'il
chevauchait ainsi, et que par ses discours il faisait ainsi tourner les
cités qui avaient fait serment au régent de France ou à ses délégués, ils
le maudissaient de Dieu et de ses saints, et qui pis est, par dépit de lui,
ils recommencèrent les jeux de tables, de boules, dés, bref tous ceux
qu'il avait défendus; ils laissèrent même une médaille d'étain sur laquelle
520 LÀ VRAIE JEANNE D*ARG : LA LIB£RATRICE.
('•tait empreint le nom de Jésus qu'il leur avait fait prendre, et prirent
tous la croix de Saint-André.
//em, environ la fin (i/'aorf^), se rendirent aux Armagnacs la cité de
Beauvais et la cité de Senlis.
Item. — Le xxv* jour d'août, ils prirent la cité de Saint-Denis, et le
lendemain ils couraient jusqu'aux portes de Paris. Pas un homme n'osait
sortir pour cueillir un fruit à sa vigne, ou du verjus, ni aller aux marais
rien ramasser. Par suite tout enchérit.
Item^ la vigile de Saint-Laurent la porte Saint-Martin fut fennfc. 11
fut crié que nul ne fût si osé que d'aller à Saint-Laurent par dévotion, ni
pour nulle marchandise, sous peine de la corde. Aussi personne n'y
vint-il, et la fête de Saint-Laurent fut en la grande cour Saint-Martin...
Item^ la première semaine de septembre de l'an mil IIIP XXIX (1429)
les quarteniers, chacim en son quartier, commencèrent à fortifier Paris,
aux portes par des boulevards ; aux maisons qui étaient sur les mnrs
en y faisant disposer des canons, et sur les murs des tonneaux pleins de
pierres ; en faisant redresser les fossés en dehors de la ville ; en faisant
dresser des barrières au dehors et au dedans.
IV
En ce temps, les Armagnacs firent écrire des lettres scellées du sceau
du comte d'Alençon. Les lettres portaient : « A vous, prévôt de Paris,
prévôt des marchands et échevins ». Ils étaient nommés par leurs noms.
On leur mandait des salutations par beau langage, longuement, dans la
pensée de diviser le peuple et de l'exciter contre eux ; mais on aperçut
bien leur malice, et on leur manda de ne plus jeter de papier pour cela,
et Ton n'en tint nul compte.
Item. — La vigile de la Nativité de Notre-Dame, en septembre, les
Armagnacs vinrent assaillir les murs de Paris qu'ils croyaient emporter
d'assaut ; mais ils y gagnèrent peu, si ce n'est de la douleur, de la honte
et du malheur ; car plusieurs d'entre eux en emportèrent blessures pour
toute leur vie, qui auparavant étaient entièrement sains ; mais fou ne
croit que lorsqu'il en tient. Je le dis pour eux, qui étaient si mal inspirés,
étaient pleins d'une si folle créance, que sur la parole d'une créature
en forme de femme qui était avec eux et qu'on nommait la Pucelle, —
ce que c'était, Dieu le sait — le jour de la Nativité de Notre-Dame ils
formèrent la résolution, tous d'un accord, d'assaillir Paris à pareil jour*.
I . L'armée de la Pucelle n'était pas restée oisive. Un pont jeté sur la rivière près de
Saiiil-Denis permettait de courir sur la rive droite, du coté d'Asnières et de Saint-
JOURNAL DE JEAN GHUFFART, LE FAUX BOURGEOIS DE FARIS. 521
Ils s'assemblèrent bien douze mille ou plus; ils vinrent sur Theure de
la grand'messe, entre xi et xii heures, leur Pucelle avec eux, menant
très grand nombre de chariots, de charrettes, de chevaux, tous chargés
de grandes bourrées à trois liens, pour combler les fossés de Paris. Ils
commencèrent l'assaut entre la porte Saint-Honoré et la porte Saint-
Denis. L'assaut fut très cruel. En assaillant, ils disaient beaucoup de
vilaines paroles à ceux de Paris.
Là était leur Pucelle, avec son étendard, sur le dos d'âne * des fossés.
Elle disait à ceux de Paris : « Rendez-vous à nous promptement de par
Jésus ; car si vous ne vous rendez pas avant- la nuiij nous entrerons par
force j que vous le veuillez ou non^ et vous serez tous mis à mort sans
merci, n — «Vraiment, dit quelqu'un, paillarde, ribaude! ))Et il lui envoie
droit un trait de son arbalète qui lui perce la jambe d'outre en outre, et
elle dut s'enfuir. Un autre perça d'outre en outre le pied de celui qui
portait son étendard. Quand celui-ci se sentit blessé, il leva sa visière
pour voir à ôter le virèton, et un autre le vise, le saigne entre les deux
yeux, et le blesse à mort ; ce dont la Pucelle et le duc d'Alençon
jurèrent depuis quils auraient aimé mieux perdre quarante des meilleurs
hommes d^armes de leur compagnie.
L'assaut fut très cruel de part et d autre ; il dura bien jusques à quatre
heures après diner, sans que l'on sût qui avait l'avantage. Un peu après
quatre heures, ceux de Paris prirent cœur en eux-mêmes ; ils firent
contre les assaillants de telles décharges de canons et d'autres machines
de trait, que force leur fut de reculer, d'abandonner leur attaque, et de
se retirer. Celui qui pouvait le mieux s'en aller était le plus heureux.
Ceux de Paris avaient de grands canons qui largement atteignaient de
la porte Saint-Denis jusqu*au delà de Saint-Lazare; ils leur tiraient au
los, ce dont ils furent très épouvantés. Ils furent ainsi mis en fuite;
mais personne ne sortit de Paris pour les suivre par peur de leurs
embûches.
En s'en allant ils mirent le leu à la grange des Mathurins, près des
Porcherons. Ils jetèrent dans les flammes, ainsi que jadis le faisaient les
païens à Rome, ceux de leurs gens morts à l'assaut, qu'ils avaient troussés
en très grand nombre sur leurs chevaux. Ils maudissaient beaucoup
leur Pucelle qui leur avait promis que sans faute ils gagneraient de
force à cet assaut la ville de Paris ; qu'elle y coucherait cette nuit ;
[îennain-en-Laye. Une lettre de rémission découverte par M. Germain Lefèvre-Pontalîs
(permet de constater que Tarmée française avait occupé deux châteaux situés entre
>aint-Gennain et Poissy, les forteresses de Béthemont et de Montjoie-Saint-Denis.
Bibliotkèque de V École dea chartes, t. XLXVI, 1885.)
i. Texte : condoîy relevé d un fossé, terre relevée entre deux sillons. (LACL•R^E.)
522 LA VRAIE JEANNE D^ARC : LA LIBÉRATRICE.
qu'eux tous aussi ; que tous seraient enrichis des biens de la cité ; que
l'on mettrait à Tépée ou que Ton brûlerait dans les maisons tous ceux
qui y mettraient quelque opposition ; mais Dieu, qui par une femme
nommée Judith changea la grande entreprise d'Holopheme, disposa
dans sa miséricorde qu*il en fût autrement qu'ils ne pensaient.
Le lendemain ils vinrent sous sauf-conduit quérir leurs morts. Le
héraut qui vint avec eux fut par le capitaine de Paris sommé de dire
sous la foi du serment combien il y avait de blessés parmi leurs gens. Il
jura qu'il y en avait bien quinze cents, dont bien cinq cents ou plus
étaient morts ou blessés à mort.
Il est vrai qu'en cet assaut, il n'y avait presque nul homme d'armes,
si ce n'est quarante ou cinquante Anglais, qui y firent fort bien leur
devoir. Ceux de Paris enlevèrent aux Armagnacs la plus grande partie
de leurs charrois avec lesquels ils avaient amené leurs bourrées. Bien
ne pouvait leur en prendre de vouloir faire pareille occision le jour de
la sainte Nativité de Notre-Dame.
Environ trois ou quatre jours après, le régent vint à Paris, et envoya
de ses gens à Saint-Denis. Les Armagnacs en étaient partis sans rien
payer de leurs dépenses, ayant promis à ceux de Saint-Denis de les payer
avec le butin de Paris quand ils y seraient entrés ; mais ils faillirent à
leur intention. C'est pourquoi ils trompèrent leurs hôtes de Saint-Denis
et d'ailleurs. Et ce qu'il y eut de pis pour ces derniers, c'est qu'ils
encoururent la grande indignation du régent, du prévôt de Paris et des
échevins, parce que, sans coup férir, ils s'étaient rendus aux Armagnacs,
et ils en furent condamnés à de très grosses amendes.
Le vendredi, dernier jour de septembre de Tan mil IIIl' XXIX, le duc
de Bourgogne vint à Paris avec une très belle compagnie, si nombreuse
qu'il fallut les loger dans les ménages, dans les maisons vides en très
grand nombre à Paris, et leurs chevaux couchaient avec les porcs et
les vaches. Il vint par la porte Saint-Martin et amena avec lui sa sœur,
femme du duc de Bedford, régent de France; il avait devant lui dix
hérauts tous vêtus des cottes d'armes du seigneur à qui chacun apparte-
nait, il avait autant de trompettes; et en cette pompe ou vaine gloire,
ils allèrent par la rue Maubuée à Madame sainte Avoye faire leurs obla-
tions, et de là ils allèrent à Saint-Paul.
Environ huit jours après, vint le cardinal de Winchester avec belle
compagnie ; ils tinrent plusieurs conseils, si bien qu'à la fin, à la requête
JOURNAL DE JEAN CHUFFART, LE FAUX BOURGEOIS DE PARIS. 523
de rUniversité, du parlement et de la bourgeoisie de Paris, il fut ordonné
que le duc de Bedford serait gouverneur de Normandie, et que le duc
de Boui^ogne serait régent de France*. Ainsi il fut fait. C'est avec très
grand regret que le duc de Bedford laissait son gouvernement, regret
ressenti par sa femme ; mais il fallut ainsi faire.
Les Anglais partirent un samedi soir et allèrent à Saint-Denis, non
sans faire passablement de mal. Le duc de Bourgogne ne partit pas avec
eux ; il conclut des trêves avec les Armagnacs pour la ville de Paris et
les faubourgs seulement'. Les villages d'alentour payaient contribution
aux Armagnacs; pas homme de Paris n'osait mettre le pied hors des
faubourgs sans encourir la mort, la captivité, ou être rançonné plus qu'il
n'avait vaillant ; et il n'osait rendre la pareille. Il ne venait rien à Paris,
propre à nourrir vie d'homme, qui n eût été rançonné deux ou trois fois
au-delà de sa valeur.
Le duc de Bourgogne, après avoir séjourné environ quinze jours à
Paris, en partit la vigile de Saint-Luc (17 octobre). Il emmena avec lui ses
Picards, qu'il avait introduits dans Paris, au nombre d'environ six mille,
eux aussi fort larrons, ainsi qu'il parut bien en toutes les maisons
où ils furent logés. Aussitôt qu'ils furent hors de Paris, la malheureuse
guerre ayant commencé, ils ne rencontraient pas un homme sans le
piller ou le battre. Quand l'avant-garde fut partie, le duc de Bourgogne
fit crier, comme par manière d'apaiser les gens simples, que, si Ton
voyait les Armagnacs venir assaillir Paris, l'on se défendît le mieux que
Ton pourrait, et il laissa ainsi la ville sans garnison. Voyez là tout le
bien qu'il fit; or les Anglais n'étaient point nos amis, parce qu'on les
avait mis hors du gouvernement...
[Dans les pages qui suivent, le chroniqueur raconte les coups heu-
reux des Armagnacs et les ravages qu'ils exerçaient autour de Paris. Il
est utile de connaître certains passages de son récit ; ils expliquent pour-
quoi la Pucelle avait hâte de quitter la cour ; ils font comprendre certains
mots couverts d'une de ses lettres aux habitants de Reims, et aussi en
quelles circonstances elle avait voulu échanger Franquet d'Arras contre le
maître de l'hôtel de TOurs blanc. J
Rien ne venait à Paris qui ne fût rançonné deux ou trois fois ; et quand
c'était arrivé, il fallait le vendre si cher que les pauvres gens n'en pou-
1. C'est de cette manière que le Bourguignon tenait sa promesse de livrer Paris à
Charles VII, et usait du sauf-conduit pour l'aller et le retour accordé par le prince
trop crédule.
2. Les trêves étaient déjà signées plus d'un mois avant la date donnée ici. Chuffard
n'est pas au courant de ce qui se passait dans les régions de la politique. Il est vrai
qu'elles furent amplifiées en octobre.
524 LA VRAIE JEANNE D^ARG : LA LIBÉRATRICE.
valent avoir. 11 en advint une grande douleur. Foison de pauvres ménagers,
dont quelques-uns avaient femme et enfants et les autres non, sortirent
en grand nombre de Paris, comme par manière d'aller promener ou
gagner leur vie ; la grande pauvreté dont ils souffraient les jeta dans le
désespoir; ils s'attroupèrent avec d'autres qu'ils trouvèrent, et à la sug-
gestion de Tennemi {du diable)^ ils commencèrent à faire tous les maux
que chrétiens peuvent faire. 11 fut nécessaire de s'assembler pour les
prendre de force. A la première fois on en prit quatre-vingt-dix-huit, et
peu de jours après on en pendit douze au gibet de Paris, le 2 janvier; et
le 10 on en conduisit onze aux halles, et on coupa la tète à dix. Le onzième
était un très beau jeune homme d'environ vingt-quatre ans; il était
déshabillé et Ton se préparait à lui bander les yeux, quand une jeune
fille des halles vint hardiment le demander, et fit tant par sa bonne
poursuite qu'il fut ramené au Ghfttelet, et à la suite ils se marièrent...
Pâques fut le 16 avril...
liem. — En ce temps, quelques-uns des grands de Paris, du parlement,
du Châtelet, des marchands et gens de métier firent ensemble la conju-
ration de mettre les Armagnacs dans Paris, quelque dommage qui pût
leur en arriver. Ils devaient être marqués de certain signe quand les
Armagnacs entreraient dans Paris, et qui n'aurait pas ce signe était en
péril de mort. Un Carme, nommé Frère Pierre d'Allée, était porteur des
lettres d'un côté à l'autre. Dieu ne voulut pas souffrir que si grand
homicide fût fait en la bonne ville de Paris ; le Carme fut pris, et il en
accusa beaucoup à la suite de la torture à laquelle on le soumit. Il est
vrai que dans la semaine de la Passion, entre Pâques fleuries {le dimanche
des Rameaux) et le dimanche qui précède, on en prit plus de cent
cinquante, et la vigile de Pâques fleuries, l'on coupa la tête à six aux
halles, on en noya, quelques-uns moururent par la violence de la torture,
quelques autres s'en tirèrent par finances, il y en eut qui s'enfuirent et
ne revinrent pas. Quand les Armagnacs virent qu'ils avaient failli à leur
entreprise, ils furent tout désespérés, ils n^épargnaient ni femmes, ni
enfants, et venaient jusques aux portes de Paris...
[Chuffart après avoir raconté quelques-uns de leurs heureux coups de
main, ajoute cette phrase textuelle :] a Partout leur venoient biens, ne
oncques depuis que le comte de Salsebry fust tué devant Orléans, ne
furent les Anglois en place dont il ne leur convint partir à très grant
dommage ou à très grant honte pour eulx. » [La haine de Chuflart contre
la Pucelle Tempêche d'assigner la vraie date du revirement de fortune. La
mort de Salisbury ne marqua point la fin des succès des Anglais; en
preuve leur victoire de Rouvray, racontée parle chroniqueur avec un si
visible accent de triomphe, et le siège d'Orléans si heureusement mené
JOURNAL DE JEAN GHUFFART, LE FAUX BOURGEOIS DE PARIS. 525
qu'ils regardaient la ville comme leur appartenant déjà. 11 aurait fallu
dire : depuis Farrivée de cette Pucelley dont il va si odieusement calom-
nier le martyre et la vie. On verra bientôt que Bedford est plus véridique.]
CHAPITRE V
PRISE ET MARTYRE DE LA PUGELLE.
Sommaire : 1. — Prise de la Pucelle; et nombre des morts, d'après ChufTart. — Le 3 sep-
tembre, prédication conti*e deux femmes qui rendaient témoignage à la Pucelle. —
Supplice de Pierronne de Bretagne.
U. — Le martyre de Jeanne. — Chuffart met sur les lèvres du prédicateur tous les
crimes imputés à Jeanne par Tinique tribunal. — D*après son aveu, c est TUniver-
site de Paris qui a été Tâme du procès. — Récit de la prétendue abjuration et de la
prétendue rechute. — Détails sur le martyre. — Sentiments divers de la foule.
[IL — Publication très solennelle à Paris de la condamnation. — Récapitulation par
le prédicateur de tous les crimes imputés à Jeanne. — Les quatre femmes mises
sur le même pied. — Toutes dirigées par Frère Richard.
IV. — La Pucelle a été bien réellement brûlée et ses cendres ont été jetées à la rivière.
— Motif de ce dernier outrage.
I
1430. Item. — Le xxui* jourde mai, dame Jeanne, la Pucelle aux Arma-
gnacs, fut prise devant Gompiëgne, par Messire Jean de Luxembourg et
ses gens, et par bien mille Anglais qui venaient à Paris ; et des hommes
à la Pucelle, il y en eut bien quatre cents tant tués que noyés ^
Item. — Le troisième jour de septembre, un dimanche, deux femmes
furent prêchées au parvis Notre-Dame. Il y avait environ la moitié d'une
année qu'elles avaient été prises à Gorbeil et amenées à Paris. La plus
âgée, Pierronne, qui était de Bretagne bretonnante, disait et soutenait que
dame Jeanne qui s'armait avec les Armagnacs était bonne, que ce qu'elle
faisait était bien fait et selon Dieu. — Item. Elle reconnut avoir reçu
deux fois en un jour le précieux corps de Notre-Seigneur. — Item, Elle
affirmait et jurait que Dieu lui apparaissait souvent en son humanité, et
lui parlait comme un ami à son ami, que la dernière fois qu'elle Tavait
vu, il était revêtu d'une longue robe blanche, et avait par-dessous une
huque vermeille ; ce qui est comme un blasphème ^
i. C'est toute exagération.
2. « Huque », courte casaque sans manches, ceinture ni boutons. (Lacurne.) il n*y a
pas Tombre dun blasphème. Saint Jean, dans son Apocalypse, nous dit : Vidi,.. similein
filio hominiSf vestitum podere, et prœcinctum ad mamiUa^ zona aurea.
526 LA VRAIE JEANNE D^ARC : LA LIBËRATRIGE.
Elle ne voulut jamais rétracter raffirmation de ce propos qu'elle
voyait souvent Dieu sous celte forme ; sur quoi ce même jour elle fut
condamnée à ôtre brûlée, et elle le fut, et elle mourut en son dire ce
môme dimanche ; l'autre fut délivrée pour cette heure.
Il
Item, — En cet an, la vigile du Saint-Sacrement, qui fut le 30 mai, au
dit an 1434, dame Jeanne qui avait été prise devant Compiègne et qu'on
nommait la Pucelle, fut en ce jour soumise à Rouen à une prédication,
alors qu'elle était sur un échafaud, où chacun pouvait la voir bien clai-
rement, vêtue en habit d'homme. Là lui furent démontrés les grands
maux et les grandes douleurs qui par elle étaient advenus en la chrétienté
et spécialement au royaume de France, comme chacun sait; comment
le jour de la sainte Nativité de Notre-Dame, elle était venue assaillir la
ville de Paris à feu et à sang, et plusieurs grands et énormes péchés
qu'elle avait faits et fait faire ; comment, à Senlis et ailleurs, elle avait fait
idolâtrer le simple peuple, étant cause par sa fausse hypocrisie qu'ils la
suivaient comme une sainte Pucelle ; car elle leur donnait à entendre
que le glorieux archange saint Michel, sainte Catherine et sainte Mar-
guerite, plusieurs autres saints et saintes lui apparaissaient souvent, lui
parlaient comme un ami parle à un ami, et non pas par révélations
comme Dieu fait quelquefois à ses amis; mais corporellement, bouche à
bouche, en ami avec un autre lui-même.
Item. — 11 est vrai qu'elle disait être âgée d'environ dix-sept ans ; elle
disait sans éprouver de honte que, malgré père, mère, parents et amis,
elle allait souvent, au pays de Lorraine, à une fontaine qu'elle appelait
bonne fontaine aux fées Notre- Seigneur^ lieu où tous ceux du pays, quand
ils avaient les fièvres, allaient pour recouvrer la santé. Ladite Jeanne la
Pucelle y allait souvent sous un arbre qui ombrageait la fontaine ; et là
lui apparurent sainte Catherine et sainte Marguerite, qui lui ordonnèrent
d'aller vers un capitaine qu'elles lui nommèrent, et elle y alla sans
prendre congé ni de père ni de mère. Ce capitaine la vêtit à la manière
des hommes, l'arma, lui ceignit Tépée, lui donna un écuyer et trois valets,
et en cet état elle fut montée sur un bon cheval. En cet état elle vint au
roi de France, et elle lui dit qu'elle était venue vers lui du comman-
dement de Dieu, qu'elle le ferait ôtre le plus grand seigneur du monde ;
qu'il fût ordonné que tous ceux qui lui désobéiraient fussent mis
à mort sans merci; que saint Michel et plusieurs anges lui avaient
donné une très riche couronne pour lui, et qu'il y avait en terre une
JOURxNAL DE JEAN GHUFFART, LE FAUX BOURGEOIS DE PARIS. 527
épée pour lui, mais elle ne lui vaudrait tant que sa guerre fusi faillie^.
Tous les jours elle chevauchait avec le roi, avec grande foison de gens
d*armes, sans aucune femme, vêtue, chaussée et armée à la guise des
hommes', un gros bâton dans sa main, et quand un de ses gens se trom-
pait, elle l'en frappait à grands coups, en femme très cruelle .
Item. — Elle dit être certaine d'entrer en paradis à la fin de ses jours.
Item. — Elle dît être toute certaine que ce sont saint Michel, sainte
Catherine, et sainte Marguerite qui lui parlent souvent, et quand elle
veut; que bien souvent elle les a vus avec des couronnes d'or en tête,
que tout ce qu'elle a fait est du commandement de Dieu, et ce qui est
plus fort, elle dit savoir une grande partie des choses à venir.
Item. — Plusieurs fois elle a pris le précieux Sacrement de TAutel, tout
armée, vêtue en guise d'homme, les cheveux arrondis, chaperon déchi-
queté, gippon, chausses vermeilles attachées avec foison d'aiguillettes ^
Certains grands seigneurs et dames, la reprenant de son vêtement de
dérision, lui disaient que c'était peu priser Notre-Seigneur que de le rece-
voir en tel habit, vu qu'elle était une femme, elle leur répondit promp-
tement que pour rien elle ne ferait autrement, qu'elle aimerait mieux
mourir que laisser son vêtement d'homme, pour défense qui lui en serait
faîte; que si elle voulait, elle ferait tonner, et ferait d'autres merveilles;
qu'une fois on Voulut lui faire déplaisir de son corps et qu'elle saillit
d*une haute tour en bas, sans se blesser aucunement.
Item. — En plusieurs lieux elle fit tuer hommes et femmes, soit dans le
combat, soit par esprit de vengeance, car qui n'obéissait pas aux lettres
qu'elle envoyait, elle les faisait mourir sans pitié, aussitôt qu'elle en
avait le pouvoir ; et elle disait et affirmait ne rien faire que par le com-
mandement que Dieu lui transmettait très souvent par l'archange saint
Michel, sainte Catherine et sainte Marguerite, qui lui faisaient ce faire ;
et non pas comme Notre-Seigneur faisait au mont Sinai, mais qu'ils lui
disaient en propres termes des secrets de l'avenir, et qu'ils lui avaient
ordonné, et lui ordonnaient toutes les choses qu'elles faisait, soit pour
son habit, soit autrement.
Telles fausses erreurs et pires encore dame Jeanne en avait quantité*.
Elles lui furent toutes déclarées devant le peuple ; tous éprouvèrent une
1. S\c^ peu intelligible. L*on ne voit nulle part que la Pucelle ait parlé d'une épée à
remettre au roi.
2. Vesttie, attachée et armée à la manière des hommes. D'après Laclr.ne, « attachée «
signifie qui a des bas d^altache.
3. Les cheveulx arrondiSf chapperon deschicquetéy gippon, chausses vermeilles attachées
à foison aiguillettes.
4. « Quelles faulces erreurs et pires erreurs avoit assez dame Jeanne » ; assez ici signifie
beaucoup. Inutile d'observer conabien tout ce fatras est calomnieux.
528 LA VRAIE JEANNE D*ARC : LA LIBÉRATRICE.
très grande horreur quand ils ouïrent raconter les grandes erreurs contre
la foi qu elle avait eues et conservait encore, car on avait beau lui démon-
trer ses grands maléfices et ses égarements, elle ne s'en effrayait pas,
elle ne s*en ébahissait pas ; au contraire elle répondait hardiment aux
articles qu'on proposait contre elle, en femme toute remplie de Tennemi
d'enfer. Il y parut bien, alors qu'elle voyait les clercs de l'Université de
Paris la prier bien humblement de se repentir, et de rétracter de si
mauvaises erreurs, et que tout lui serait pardonné, à cause de sa péni-
tence ; que sinon elle serait brûlée devant tout le peuple, et son Ame
damnée au fond des enfers, et qu'on lui montrait les préparatifs et le lieu
du bûcher qui devait la brûler bientôt, si elle ne se rétractait pas.
Quand elle vit que c'était tout de bon, elle cria merci, et se rétracta
de bouche ; son vêtement d*homme lui fut enlevé, et elle prit un habit
de femme ; mais sitôt qu'elle se vit en cet état, elle revint à son erreur
précédente, et demanda son habit d'homme. Elle fut aussitôt par tous
condamnée à mourir. Elle fut liée à un poteau sur un échafaud fait de
plâtre, et le feu fut mis par-dessous. Elle fut bientôt morte et son vête-
ment tout brûlé. Le feu fut ensuite retiré ; tout le peuple la vit toute nue
avec tout ce qui peut et doit caractériser une femme, pour lui enlever
toute incertitude.
Quand ils l'eurent contemplée à leur gré, bien morte, attachée au
poteau, le bourreau ralluma un grand feu sur sa pauvre charogne (5t^), qui
fut promptement comburée, et ses os et sa chair réduits en cendres.
11 n'en manquait pas là et ailleurs qui disaient qu'elle était martyre, et
cela pour son droit seigneur ; les autres disaient que non, et que Ton
avait mal fait de la garder si longtemps. Ainsi parlait le peuple. Mais,
quoi qu'il en soit de sa méchanceté ou de sa bonté, elle fut brûlée ce
jour-là*.
III
Le jour de Saint-Martin-le-Bouillant-, une procession générale fut faite
à Saint-Martin-des-Champs ; une prédication y eut lieu, par un frère de
l'ordre de Saint-Dominique, inquisiteur de la foi, maître en théologie. 11
repassa de nouveau tous les faits de Jeanne la Pucelle. Il disait qu'elle
avait avoué être fille de très pauvres gens; que depuis l'âge de treize ans,
J . Mais quelle mauvaiseté ou bonté quelle eust fait, elle fut arse ce jour-là. Cette phrase
semblerait prouver que l'odieux chroniqueur était moins sûr qu'il ne veut le montrer
de la malice de celle qu'il a appelée une créature en forme de femme, qui était, Dieu
le sait.
2. Le 5 juillet; fête de la translation des reliques de saint Martin.
JOURNAL DE JEAN CHUFFART, LE FAUX BOURGEOIS DE PARIS. 529
elle s*était maintenue en manière d^homme ' ; et que dès lors son père et
sa mère l'eussent volontiers fait mourir, s'ils l'avaient pu sans blesser
la conscience; que pour ce motif elle les quitta possédée par Tennemi
d'enfer, et que depuis lors elle avait vécu en homicide de la chrétienté,
respirant le feu et le sang, jusqu'au jour où elle fut brûlée. Il disait que
si elle se fût rétractée, on lui eût donné une pénitence, quatre ans de
prison au pain et à l'eau, pénitence dont elle ne fit jamais un jour, se
faisant servir en sa prison comme une dame. L'ennemi lui apparaissait
sous trois formes, à savoir, ainsi qu'elle le disait, sous la forme de saint
Michel, de sainte Catherine et de sainte Marguerite ; il avait grand'peur
de la perdre ; il faut entendre l'ennemi ou les ennemis sous la forme de
ces trois saints ; il lui dit : « Méchante créature, qui par peur du feu as
laissé ton habit, n*aie pas peur, nous te garderons fort bien contre tous » .
Par quoi, sans attendre, elle se dépouilla de ses vêtements de femme, et
se revêtit des habits qu'elle portait quand elle chevauchait, habits qu'elle
avait mis dans la paille de son lit; elle se lia tellement en l'ennemi
qu*elle dit se repentir d'avoir laissé son vêtement. Quand l'Université
ou ceux qui la représentaient virent qu'elle était ainsi obstinée, elle fut
livrée à la justice laïque pour la mort. Quand elle se vit en ce point, elle
appela les ennemis qui lui apparaissaient sous la figure de saints, mais
jamais, depuis qu'elle fut condamnée, aucun ne lui apparut, quelque
invocation qu'elle sût leur adresser ; et alors elle se ravisa, mais ce fut
trop tard.
Dans son sermon, le prédicateur disait encore quelles étaient quatre
ces femmes, et que trois avaient été prises, à savoir cette Pucelle, Pier-
ronne et sa compagne. La quatrième, nommée Catherine de La Rochelle,
est avec les Armagnacs ; elle dit que lorsqu'on consacre le précieux corps
de Notre-Seigneur, elle voit merveilles du haut mystère de Notre-Sei-
gneur Dieu. Toutes les quatre pauvres femmes ont été ainsi gouvernées
parle Cordelier, Frère Richard, celui qui attira après lui si grande multi-
tude, quand il prêcha à Paris, aux Innocents et ailleurs. Il était leur beau
Père. Le jour de Noël, à Jargeau, il donna trois fois le corps de Notre-
Seigneur à cette dame Jeanne la^Pucelle* ; ce dont il est fort à reprendre.
Cemêmejour,il l'aurait donné deux fois à Pierronne, d'après le témoin
des aveux de ces femmes et d'après quelques-uns qui furent présents
aux heures où il leur donna ainsi le précieux sacrement.
1. Si Tiiiquisiteur a ainsi parlé, il s'est trompé.
2. Au procès il n'y a pas trace de ce fait qu'on n eût pas manqué d'exploiter contre
Taccusée. Il est donc faux que cela résulte des aveux de Jeanne, comme le prédicateur
Taurait affirmé, à en croire ChufTarl.
m. 34
530 LA VRAIE JEANNE D*ARG : U LIBÉRATRICE.
IV
[En Tannée 1440, à propos de la fausse Jeanne d'Arc, Chuffart parie
encore de la vraie dans les termes suivants :] « En ce temps, il était très
grand bruit de la Pucelle, dont il a été parlé plus haut, celle qui fut brû-
lée à Rouen pour ses démérites. Il y avait alors maintes personnes qui
étaient abusées à son sujet, croyant fermement que, par sa sainteté, elle
se fût échappée du feu, et qu'on en eût brûlé une autre, en croyant la
brûler elle-mftme. Mais elle fut bien réellement brûlée, et toute la cendre
de son corps fut bien réellement jetée en la rivière, par crainte
sorcelleries qui auraient pu s'ensuivre. »
CHAPITRE VI
LES REGISTRES DU CHAPITRE DE NOTRE-DAME.
Sommaire : La majorité du chapitre anglo-bourguignonne. — Le 30 août, on pourYoit
au remplacement des officiers qui ont rejoint la Pucelle. — Nomination de délégués
convoqués par l'évèque de Thérouanne. — Le 31 août: on célébrera une messe à
Notre-Dame extra chorum, — Vote d'une somme pour les frais de la guerre. — Le
5 septembre, mesures pour la sécurité de l'église et du cloître, des reliques, du tré-
sor. — Vente du buste de la statue de saint Denis. — Le 7, procession à la mon-
tagne Sainte-Geneviève. — Attaque des ennemis et sanglants desseins qu'on leur
attribue. — Le 8, assaut très violent et très long. — Repoussé. — Grandes perles
des assiégeants. — Grand nombre de claies, de fascines, d'échelles qu'ils avaient
apportées. — Ils en ramènent une partie. — Conjectures. — Le 9, messe pour
Charles VI, par ordre de son fils.
Les registres du chapitre de Notre-Dame de Paris ont échappé aux
ravages du temps. On peut les compulser aux Archives nationales
(LL 216, f* 172). Ils présentent quelques particularités qui nous permet-
tent de juger de Témoi des esprits lorsque la Pucelle vint assiéger Paris.
Voici les indications de quelque importance que Ton y trouve.
La majorité des chanoines était anglo-bourguignonne; mais il n'est
pas douteux que la Libératrice ne comptât des partisans dans leurs rangs.
Plusieurs passèrent dans son camp, lorsqu'elle arriva à Saint-Denis. Le
chapitre pourvut à les remplacer, le 30 août, dans les fonctions qu'ils rem-
plissaient. Il chargea Jean Regnaudot de distribuer les jetons de pré-
sence à la place de Jean Pinchenot, qui s'était éloigné sans permission ;
qui recessit sine licentiâ capituli; on confie à Jean Pélillon la charge de
LES REGISTRES DU CHAPITRE DE NOTRE-DAME. 531
garder le chef de Saint-Denis à la place de Jean Guenet, qui lui aussi
est parti sans licence du chapitre. Absent aussi le chantre du chapitre.
Durant l'exil de Gerson, il avait la garde du grand et du petit sceau.
Cbuffart investi, les sceaux lui ont été remis ; mais on se demande si, en
Tabsence du chancelier, la garde des sceaux revient de droit au chantre.
Le chancelier de France, Tévôque de Thérouanne, avait ordonné que
quelques députés de la corporation fussent envoyés au palais pour neuf
heures. On en élit trois, parmi lesquels Jean Chuffart. Deux au moins
répondront à Tappel.
Le lendemain, 31 août, il est décrété que, à cause des périls du temps,
une messe sera célébrée tous les jours devant la Vierge, en dehors du
chœur, exirà chorum.
Le conseil royal a demandé une contribution pour faire face aux
dépenses de la guerre. Les trois délégués nommés la veille pourront oflFrir
Lxxx" (marcs?); et si le conseil n'est pas content, ils pourront aller
jusqu'à cent.
Le 5 septembre, trois chanoines, parmi lesquels Jean Chuffart, sont
autorisés à modifier comme ils le jugeront plus convenable les mesures
déjà prises pour la garde du cloître et de Téglise. Ils verront s'il est expé-
dient de déposer des provisions de vivres dans les tours pour l'entretien
des chanoines qui désireront s'y retirer.
Les fabriciens prendront les mesures nécessaires pour mettre les reli-
ques et le trésor à Tabri de la malice des ennemis.
L'on a vendu pour le prix de 56 saints d'or le buste de la statue de
saint Denis, et l'on a gardé le pied qui est d'argent, la tête et le diadème.
Chuffart est autorisé à louer deux moulins qui sont in coquind Sancti
Auguslim{?).
Le mercredi 7 septembre une procession solennelle a été faite à
Sainte-Geneviève, sur la montagne. Les chanoines du palais y ont assisté,
portant la vraie croix. La procession s'est faite pour obtenir la cessation
des maux présents et de l'attaque des ennemis.
Ce même jour, ces ennemis ont fait une attaque contre la ville, se pro-
mettant de mettre à mort les personnes de l'un et de l'autre sexe qui leur
tomberaient sous la main, ainsi qu'ils en avaient fait le serment et qu'ils
8*en vantaient. Le soir ils ont cessé leur attaque et se sont retirés.
Le lendemain, fête de la Nativité de la Bienheureuse Vierge Marie,
en compagnie de leur Pucelle, objet de leur confiance et comme leur
Dieu^, ils ont recommencé leur attaque vers une heure après midi.
Attaque très violente, ils l'ont prolongée de toutes leurs forces jusques
i. Gum eorum Puella in qu& tanquam in Deum suum conlidebant.
532 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉ
au milieu de la nuit. La résistance des bourge
leur confiance en Dieu et en la glorieuse Vierg
solennellement célébrée dans celte ville, a fait
remporté aucun avantage. Ils ont blessé quelq
Français; ils n'en ont tué qu'un très petit non
coup des leurs; on ne sait pas combien, parce •
les cadavres. Leur Pucellc fut blessée à la cuisi
croit, avec la vue de leurs morts et de leurs mo
retraite. Us craignaient d'être tués aussi.
Ils laissèrent un très grand nombre de fascines
laient combler les fossés ; ils en jetèrent quelq
Pucelle, son étendard en mains, vint sur les boi
dit-on, qu'elle fut blessée. Ils abandonnèrent, s
six cent cinquante échelles, et bien quatre milll
bien trois cents chars pour porter ce bagage ; il
les traînaient chargés de matières inllammables,
et de claies. Ils ramenèrent à Saint-Denis plusie
lesquels ils avaient étendu leurs blessés : d'autre
demain conduits dans Paris. Ils brûlèrent le reste
main plus de cent roues ; ce qui a fait présumer
retraite, ils avaient brûlé ce qu'elles devaient suf
contraints à une retraite ignominieuse.
Le lendemain le Dauphin, leur roi, fil célébr
Saint-Denis pour le roi Charles VI, son père '.
CHAPITRE VII
LA PUCELLE D'APRÈS LE DUC DE BOURGOGNE ET SES HOMMES DE COUR.
SoMMviui: : 1. — La cour i1»î Buurgojj:iie se hâte «le l'aire connaître au loin la prise de la
PiKM'Ue. — Letht'-i Ju duc aux habitaiiU «le Saint-Quentin, de Gand, aux ducs de
Brelajjrn»*, de Savoie.
II. — Jkan (}i:r>iai\, KVKyiï: dk Ciiklon-sir-Svom:. — Son livre De virtutibus Philippi,
— Son passage sur la Pucellc. — L'tvf.urt: .Iean Jolffroy. — Sa page déclama-
toire à l'endroit de la Pucelle.
III. — Le greffier de la chamhre des comptea du Brabant. — Les registres noirs. —
Edmond de Dvmhek et sa Chronique. — Le sire de Rosethlaer. — Sa lettre sur la
Pucelle en date du 22 avril 1429. — Ce qu'Edmond de Dynther a ajouté à cette lellre.
IV. — Le livre des Trahisons de France envers la maison de Bourgogne. — Son passage
sur la Pucelle. — Remarques.
1. Voir quelques extraits aux Pijccs justificatives J.
£ D'APRES LE DUC DE BOURGOGNE ET SES HOMMES DE COUR. 533
I
Sourgogne se hâta de porter au loin la nouvelle de ta prise
Tant d'empressement marquait le prix qu'elle attachait à
le ne se serait pas plus hâtée si la ville assiégée, et si
•nvoitée était tombée en son pouvoir.
lai, la nouvelle était connue à Paris ; Jean de Luxemboui^
an courrier à son frère, l'évèque de Thérouanne, chancelier
ur l'Angleterre, réjouir les Parisiens par l'annonce de
nement.
mOme,le duc de Boui^ogDe le mandait aux habitants de
par une lettre dont cette ville possède l'original et la
latioaale plusieurs copies. La voici très légèrement moder-
duc de Bourgogne, comte de Flandre, d'Artois, de Picardie
r. Très chers et bien-aimés, sachant que vous désirez
nouvelles, nous vous signifions que cejourd'hui xxiii* de
iix heures après midi, les adversaires de Monseigneur le roi
et les nôtres qui s'étaient mis ensemble en très grosse
ince et noutés en la ville de Compiègne, devant laquelle nous et les
le notre armée sommes logés, sont saillis de ladite ville à puissance
logis de notre avant-garde le plus prochain d'eux ; à laquelle saillie
^elle qu'ils appellent la Pucelle, avec plusieurs de leurs principaux
lines. A l'encontre desquels, beau cousin, Messire Jean de Luxem-
qui y était présent, et autres de nos gens, et quelques-uns des gens
juseigneur le roi qu'il avait envoyés par devers nous pour passer
et aller & Paris, ont fait très grande et dpre résistance ; et preste-
meu. de notre personne nous y arrivâmes, et trouvâmes que lesdits
adversaires étaient déjà reboutés {repousses), et par le plaisir de notre
huoist Créateur la chose est ainsi advenue et il nous a fait telle ghace
-qd'icelle appelée la Pl'celle a été prise ; et avec elle plusieurs capitaines,
chevaliers, écuyers et autres ont été pris, noyés et morts, dont à cette
heure nous ne savons encore les noms, sans qu'aucun de nos gens, ni des
gens de Monseigneur le roi y aient été morts ou pris, ni que de nos gens
il y ait eu vingt personnes blessées, par la grâce de Dieu.
■ De cette prise, ainsi que nous le tenons certainehent, seront grandes
NotrvELLEs partout, et sera connue l'erreur et folle créance de tous ceux
qui se sont rendus enclins et favorables es faits d'icelle femme,
u Cette chose nous vous écrivons pour nos nouvelles, espérant que vous
53i LA VRAIE JEANNE D*ARG : LA LIBÉRATRICE.
en aurez joie, confort et consolation, et en rendrez grâces et louanges à
notredil Créateur qui tout voit et connaît. Que par son benoit plaisir,
il veuille conduire le surplus de nos entreprises au bien de notre seigneur
le roi et de sa seigneurie, et au relèvement et réconfort de ses bons et
loyaux sujets.
< Très chers et bien aimés, le Saint-Esprit vous ait en sa sainte garde.
« Ecrit à Goudun, près Compiègne, le xxni* jour de mai.
« MlLET. »
Au dos est écrit : « A nos très chers et bien-aimés, les gens d'Église,
bourgeois et habitants de Saint-Quentin-en-Vermandois ».
Ce même texte était à la même heure adressé aux échevins et au con-
seil de la ville de Gand. M. Gachard le publiait en 1834 au tome II de la
collection de ses Montiments inédits de l'histoire de BelgiquCy d'après
une copie du temps conservée dans les archives de Malines. Tout est
identique, à part le nom du secrétaire qui est Chrestian. L'un et l'autre
faisaient probablement la transcription en même temps.
Un extrait de la chambre des comptes de Bretagne, fait au xvni* siècle
et conservé à la Bibliothèque nationale, nous apprend qu'un chevaucheur
fut expédié pour apprendre l'événement au duc de Bretagne. On y lit :
u A un chevaucheur du duc de Bourgogne nommé Lorraine, venu vers le
duc apporter lettres et nouvelles de la prise delà Pucelle*. »
Le duc Philippe terminait triomphalement une lettre qu'il écrivait le
25 mai à son oncle le duc de Savoie, en annonçant que le 23, vers six
heures après midi, les assiégés avaient fait une sortie et que celle qu'ils
appellent la Pucelle et plusieurs capitaines, chevaliers, écuyers et
autres, avaient été pris, noyés et tués*.
Ces missives fixent d'une manière indubitable la prise de la Libéra-
trice à la soirée du 23 mai. Si certains chroniqueurs disent que ce fut la
vigile de TAscension, qui cette année tombait le 25 mai, c'est que pour
eux le jour commençait aux premières vêpres de Toflice du lendemain.
Il
JEAN GKRMAIN ET JEAN JOUFFROY.
Malsain pour toutes les vertus chrétiennes, l'air des cours est meurtrier
pour rindépendance épiscopale. Que de maux ont attiré sur TÉglise les
i. Procès, t. V, p. 3:)2.
2. De Beaucourt, Histoire de Charles VU, l. II, p. 42!.
536 LA VRAIE JEANNE D ARC : LA LIBfiRATRICE.
hommes sont rejetés dans leur camp; quelques ennemis plus hardis
viennent les y attaquer. Nos gens font déboucher une vaillante armée à
travers la chaussée ; les ennemis sont refoulés ; ils sont renversés de leurs
chevaux ; leurs rangs sont rompus ; nos hommes les préviennent, occu-
pent rentrée du pont, pénètrent dans leurs lignes. Un pont-levis est jeté;
les ennemis tombent dans le fleuve. Plusieurs échappent des eaux, grâce
à rhumanité de nos guerriers qui leur tendent le bout de leurs lances.
« Cette détestable femme, la risée des femmes, le scandale des hommes,
couverte de ses armes à la manière des gens de guerre, est renversée de
son cheval d'un coup de lance qui la frappe en pleine poitrine ; ses arti-
fices disparaissent; ses sortilèges s'évanouissent; elle cherche à se dissi-
muler par la diversité de ses maintiens ; elle est reconnue ; elle est
prise ; on Tamène au prince ; elle est dépouillée de sa trompeuse armure;
son sexe montre bien que c'est à tort qu'elle feint d'être un homme.
Débarrassés de la pression de l'armure, ses seins retombent, et montrent
qu'elle est apte aux soins de la maternité, quoique à sa tenue et à l'inso-
lence de son langage, on eût pu la prendre pour un homme.
« Enfin elle déclare d'où elle vient, la suite de ses faits; on l'envoie
aux Anglais; et grâce à la justice de l'Église, elle subit dans les flammes
le châtiment qui lui était dû *. »
Jean JouFFRor. — Jean Jouffroy est encore un des personnages ecclé-
siastiques marquants de l'époque. Né à Luxeuil vers 1412, il fit à l'Uni-
versité de Pavie de si brillantes études qu'en cessant d'être disciple, il
y devint maître. Eugène IV le manda au concile de Ferrare. La cour de
Bourgogne l'employa au maniement des affaires les plus délicates, et lui
confia de nombreuses ambassades à Rome, en Portugal, en Castille.
Promu au siège d'Arras en 1453, il fut honoré du titre de Légat apos-
tolique auprès du duc de Bourgogne. La part qu'il prit à l'abrogation de
la Pragmatique sanction par Louis XI lui valut la pourpre cardinalice. Il
fut transféré à l'évêché d'Alby dont il mourut titulaire en 1472. Pie II
disait de Jouffroy : Judicio omnium doctus, suo doctissimus {savant au
jugement de touSy très savant à son propre jugement).
Il commit sa page contre la Pucelle au congrès de Mantoue en 1459.
Pie II, comme on le sait, y avait convoqué les princes de la chrétienté
pour les armer contre le Turc, qui venait de s'emparer de Gonstantinople.
Pie II comptait surtout sur le duc Philippe, qui, malgré la dissolution de
ses mœurs, affectait le zèle d^ la foi. Le duc envoya pour le représenter à
Mantoue Jean Jouffroy. L'évêque d'Arras prit pour sujet de sa harangue
l'éloge de son maître : De Philippo duce Burgundiœ oratio. Le factum a
I. Voir le texte latin aux Pièces justificatives K.
538 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
ennemis qui avaient pénétré en Picardie. Il campait avec son armée sar
les rives de TOise. La Pucelle, espérant le surprendre dans une partie
de chasse, arrive secrètement à travers les bois à la tète de six mille
hommes, et Tattaque soudain lorsqu^il ne s'attendait à rien. Mais le
prince, familiarisé avec toutes les pistes de Mars, rassemble ses bannières
et en vient aux mains. Une attaque par le flanc de la part des archers
fit que la jeune fille rendue à son naturel de femme ne trouva rien de
meilleur que la fuite. Elle sentit que la fraude ne peut rien, toutes les
fois qu'elle est aux prises avec la véritable valeur. Celle qui avût atta-
qué le plus éminent des princes fut vaincue; celle qui se vantait d'avoir
un ange pour guide de ses pas fuyait, et elle fut prise.
« Les ennemis de Philippe établissaient en elle le fondement de leur
confiance; quand Philippe en fut le maître, il dédaigna de la regarder;
il aurait craint de ranimer des forces abattues. Il estimait à peine digne
de lui d'avoir vaincu celle qui avait promené tant de terreur ou d'enchan-
tements à travers la Champagne, les pays de Reims, de Sens ou de Senlis,
encore qu'il estimât la terrible armée dont une femme avait été le chef,
et que, comme Homère Ta écrit d'Achille, le pire de tous les maux soit
à ses yeux la dissimulation et la fraude.
« Mais comme Ton dit que Charles YII, maintenant roi des Français,
porte aux nues cette Pucelle, et que du temps d'Alexandre, ainsi que
l'écrit Cicéron, Ton ne pouvait écrire que ce qu'agréait Alexandre, je
cesserai, selon l'avis de Plaute, de presser l'abcès*. »
11 est inutile de réfuter ce tissu de faussetés historiques et d'inco-
hérences. On croit lire quelque rhéteur d'Athènes dégénérée.
III
LE GREFFIER DE LA CHAMBRE DES COMPTES DE BRABANT
ET EDMOND DE DYNTHER.
Durant les quatre mois que Jeanne avait dû employer à triompher de
rincrédiilité de Baudricourt et de la cour de Chinon, l'attention avait
déjà commencé à ôtre attirée sur sa mission et ses promesses, même en
dehors des partis directement intéressés à la querelle. On peut en voir la
preuve à la Bibliothèque royale de Bruxelles, au tome X des registres de
la chambre des comptes de Brabant, le premier des volumes connus sous
le nom de Registres noirs, de la couleur de la couverture. Le R. P. de Smet
a bien voulu m'envoyer une copie faite par le R. P. Kieckens, d'un
1. Voir le icxlc y Pièces justiflcalives L.
LA PUCELLE D'APRES LE DUC DE BOURGOGNE ET SES HOMMES DE COUR. 539
passage qui, pour être connu et publié, n'enlève rien à la gratitude que
je dois à ces deux savants confrères.
Ce passage se trouve tout à la fois et dans les registres cités (/* 390 l*°),
et dans la Chronique d*Edmond de Dynthcr, éditée en 1855 parle docteur
Ram dans les Chroniques belges [Chap, S34^ livre sixième^ p. 493).
A part quelques variantes orthographiques^ la seule différence des deux
textes, ainsi que le marque le R. P. Kieckens, c'est que le greffier écrit
de la Pucelle eqititat^ et du roi et de la cour habent^ tandis que le chro-
niqueur écrit eqnitavit^ habuerunt. C'est une preuve d'authenticité : le
greffier écrivait au moment oîi la Pucelle était sur la scène, et le chroni-
queur alors qu'elle en avait disparu.
Personne mieux qu'Edmond de Dynther n'était au courant des secrets
de la cour des ducs de Brabant; il fut pendant quarante ans secrétaire
des quatre ducs qui s'y succédèrent, d'Antoine fils de Philippe le Hardi,
frère de Jean sans Peur, tué à Azincourt en 1415, de son fils et succes-
seur Jean IV mari de la trop fameuse Jacqueline, mort en 1427, du frère
de Jean, Philippe, mort le 4 août 1430, après lequel le duché passa à
Philippe de Bourgogne^ qui quitta le siège de Compiègne pour aller
recueillir cette succession contestée. Edmond de Dynther, conservé
d'abord dans ses fonctions, ne tarda pas à demander sa retraite. 11 profita
de son veuvage pour entrer dans les Ordres sacrés, fut pourvu d'un cano-
nicat à Saint-Pierre de Louvain, et consacra ses loisirs à écrire en
latin une Chronique des rois de Franco, et des ducs de Lorraine et de
Brabant.
Il nous dit par qui et à quelle occasion fut transmise à Bruxelles la
prophétie que le greffier consigna dans ses livres de comptes, et que
Dynther a reproduite dans sa Chronique. Le duc de Brabant avait, dans
les premiers mois de 1429, envoyé en France une ambassade pour
demander la main d'une fille d'Yolande. A la tète se trouvait un des
conseillers du duc, le sire de Rosethlaer. Or voici ce qu'écrivait ce sei-
gneur, à la date du 22 avril 1429, et ce que le chroniqueur transcrit sous
ce titre : Sequitur incidens de Puella. On trouvera le texte latin aux
Pièces justificatives \
« Le sire de Rosethlaer, que nous venons de nommer, étant à Lyon sur
le Rhône, écrivit à quelques seigneurs du conseil du duc de Brabant des
nouvelles qu'il tenait d'un chevalier, conseiller de Charles de Bourbon,
et maître de son hôtel. Il disait que le roi de France, secondé par ledit
seigneur Charles de Bourbon, d'autres princes, et par ses partisans, avait
fait une grande convocation d'hommes d'armes qui devaient se trouver à
i. Pièces justl/icatives M.
540 LA VRAIE JEANNE D*ARG : LA LIBÉRATRICE.
Blois le dernier jour d'avril de la présente année 1429, dans le but de
partir pour Orléans, et de forcer les Anglais à en lever lésine.
« Postérieurement il écrit, sur la relation. du môme chevalier qu'une
jeune fille, originaire de Lorraine, du nom de Jeanne, âgée de dix-huit
ans ou à peu près, se trouve auprès dudit roi, et qu'elle lui a dit qu elle
délivrerait Orléans, et mettra en fuite les Anglais qui l'assiègent ; qu'elle-
même sera blessée d'un trait devant Orléans, et qu'elle n'en mourra pas;
que cet été prochain le roi sera couronné à Reims ; elle lui a dit plusieurs
autres choses dont le roi garde le secret.
« Cette Pucelle chevauche chaque jour en armes, la lance au poing,
comme les autres hommes d'armes qui sont autour du roi. Le roi et ses
partisans ont grande confiance dans cette Pucelle, ainsi que cela est plus
longuement exposé dans la lettre du sire de Rosethlaer, qui fut écrite de
Lyon-sur-Rhône le 22 du même mois d'avril.
« Tout ce qui est dit de cette Pucelle, ce qu'elle a prédit, s'est réalisé.
Le siège d'Orléans fut levé, et les Anglais qui s'y trouvaient furent ou
pris, ou tués, ou mis en fuite; dans l'été indiqué, le roi fut couronné à
Reims, et presque toutes les cités, châteaux, villes et forteresses de cette
contrée furent par elle ramenés à son obéissance, les Anglais en ayant
été chassés. C'est ce qui a donné lieu aux vers suivants :
Virgo puellares artus indula viriles, etc, *. »
Après avoir sincèrement rapporté un fait indéniable, le chroniqueur
bourguignon est évidemment partagé entre la crainte de déplaire et le
cri de sa conscience ; il s'en tire en insérant au milieu de son texte latin
une note française qui lui a été remise. Voici le passage :
« Quelle a été la fin de cette Pucelle, le lecteur pourra le savoir par la
note suivante, dont voici la teneur :
« Il est vrai qu'une nommée Jeanne, soi-disant Pucelle, depuis deux ans
passés, était venue en la compagnie des Armagnacs et de ceux qui tenaient
le parti du Dauphin ; en laquelle ledit Dauphin et ceux de son parti ajou-
taient grande foi, et faisaient entendre au peuple que Dieu l'avait envoyée
par devers eux pour la rccouvrance du royaume de France ; et combien
que ladite Jeanne Pucelle portât les armes et tous les harnais de guerre
tout comme les plus hardis et meilleurs chevaliers de la compagnie, et
qu'elle tirât et frappât de l'épée les gens d'armes et autres ; ce nonobstant,
la meilleure partie du peuple de France et autres gens d'état croyaient
et ajoutaient pleine foi et créance en icellc Pucelle, estimant et mainte-
nant fermement que ce fût une chose de par Dieu ; et tellement qu'elle
1. Le texte a été traduit dans la Chronique de Thomassin. Voy. p. 258.
542 LX vraie JEAXNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
Il n'est autre que le titre du premier chapitre de la Chronique jusque-là
inédite. Elle commence au mariage de Louis d'Orléans avec une fille
des ducs de Milan, fauteurs, d'après la Chronique^ de la faction des
Armagnacs ; elle se termine à la ruine de Dinant en Belgique par le duc
Philippe, en 1466. On en connaît deux manuscrits, Tunà la Bibliothèque
laurentienne à Florence, l'autre à la Bibliothèque royale de La Haye,
tous deux du xv' siècle. Le noble éditeur, auquel ces notes sont emprun-
tées, prétend que Tœuvre est d'une incontestable valeur, malgré les exa-
gérations que la haine et la partialité y ont multipliées.
Dans ce que Ton y lit sur la Pucelle, ce ne sont pas seulement des
exagérations, ce sont de palpables faussetés sur sa famille, son premier
genre de vie, sur le rôle du Frère Richard, que l'auteur appelle Rigaud,
et dont il fait un Carme. 11 y a cependant quelques particularités que
Ton ne trouve que chez ce fanatique bourguignon, et la prise de la Pucelle
lui arrache un aveu qu'il faut retenir.
Le style de Fauteur est rude et grossier, mais énergique. Il semble
qu'il a écrit d'après les rumeurs populaires recueillies dans son parti,
sans se soucier de contrôler ce qu'il y avait de vrai dans ce qui venait à
son oreille.
Il parle de l'héroïne au chapitre cxliv [p, 197)^ à propos du siège d'Or-
léans. Voici ce qu'il en dit. Force est de rajeunir un style fort
archaïque.
« L'an ti28, la ville d'Orléans fut assiégée environ la Saint-Jean d'été
par le comte de Salisbury ; et le siège y fut jusques vers la Toussaint.
En ce siège le comte fut occis par un canon qui le frappa à la tète, alors
qu'il était en son hôtel aux faubourgs. Depuis, les Anglais n'eurent pas
de succès en France. Le Dauphin vint à Orléans à si grande puissance
qu'il fit lever le siège au milieu d'un grand désarroi.
« Les gens du Dauphin avaient alors avec eux une femme qui était
fille d'un homme de Vaucouleurs en Lorraine, tenant hôtel. C'était
une fille jeune et hardie, qui en l'hôtel de son père avait coutume de
chevaucher et de mener les chevaux au gué. Ce en quoi faisant, comme
les femmes sont de léger esprit, elle s'était souvent éprouvée à manier le
bois {les aunes) comme de courir et de virer [tourner) la lance; tellement,
que, comme il est dit, elle se mit avec les gens dudit Dauphin, et plu-
sieurs fois il fut su qu'elle s'avançait aux assauts et aux escarmouches.
« Un jour le Dauphin la voulut voir et lui fit délivrer un bon coursier
et un fin harnais [armure complète). Cela fait, il fit prononcer par un
Carme nommé Frère Rigaud, en toutes les places où il était obéi, que
cette femme était une Pucelle que Dieu avait envoyée et transmise du
Ciel pour le remettre en son royaume, et qu'il aurait toujours la victoire,
544 LA VRAIE JEANNE D'ARC ! LA LIBÉRATRICE.
du bâtard de Vcndônno, qui la bailla et la vendit à Messire Jeao de
Luxembourg son capitaine, lequel en fit présent aux Anglais, qui en firent
aussi grande fête que s'ils eussent gagné tout l'or du monde, et tantôt la
menèrent & Rouen, où elle fut, comme il a été dit ci-dessus, brûlée sur le
marché devant tout le monde. »
Un seul mot caractérise l'auteur des passages que Ton vient de lire,
qu'il soit permis de remployer : c'est un gouailleur.
Tous les documents proclament à l'envi que la Libératrice était appe-
lée : LA PucELLE. C'est donner le démenti à toutes les pièces que d'affir-
mer qu'elle était connue sous le nom de Tângélique ; ce n*est que comme
développement du premier nom que parfois Ton ajoutait peut-être le mot
de V Angélique. Le chroniqueur bourguignon est le seul à nous parler de
l'étendard opposé par les Anglais à l'étendard de la Pucelle, et de l'ins-
cription qu'ils y auraient gravée. Le fait n'est pas invraisemblable, quoi-
qu'il ne suffise pas de l'assertion de ce méprisable témoin pour le faire
donner comme certain. Ce qu'il y a à retenir, c'est Taveu contraire à
l'exposé qui précède, que les Anglais estimaient leur captive autant que
tout For du monde. Les Anglais ne furent jamais les ennemis de l'or,
et ils ont toujours passé pour connaître le prix de ce qui peut servir
ou nuire à leurs intérêts.
CHAPITRE VIII
DOCUMENTS ANGLAIS PROPRES A ÉCLAIRER L'HISTOIRE DE LA LIBÉRATRICE.
Sommaire: 1. — Pénurie de documents anglais sur la Pucelle. — Documents propres à
éclairer son histoire. — Dès le 15 avril 1429, Bedford demande que Henri VI vienne se
faire sacrer en France, et sollicite des secours. — Quelques jours après la délivrance
d'Orléans, Bedford envoie dans tous les ports de Normandie des ordres pour qu'on
arrête les soldats anglais qui fuient la France. — Le 17 juin, le conseil royal autorise
le cardinal de Winchester à être le capitaine de Farmée levée contre les hussites. —
Le 1«' juillet il ordonne que cette armée soit tournée contre la France. — Vives
plaintes de Martin V. — Excuse du Cardinal, qui prétend n'avoir pas été consulté. —
Le Pape voulant mander le cardinal à Rome, Henri VI défend à chacun de ses sujets
de l'y accompagner. — Le cardinal consigné dès le 15 décembre auprès du duc de
Bourgogne pour quatre mois. — L'archevêché de Rouen sollicité pour Cauchon.
II. — Instructions envoyées par Bedford dès le 17 juillet au conseil d'Angleterre.
— Remerciements pour l'envoi des croisés. — 11 presse l'embarquement et veut
être prévenu. — Les conquêtes du Dauphin et son sacre. — Son intention de venir
sur Paris, et son espoir d'y trouver entrée. — Bedford s'est entendu avec le duc de
Bourgogne sur les moyens de l'arrêter. — Bedford va se rendre en Normandie
pour en faire sortir les garnisons et les conduire contre Charles. — Services du
duc de Bourgogne. — Sans lui tout était perdu. — Observations.
m. — Le roi sur le continent dès le 23 avril 1430. — Les hommes d'armes engagés
546 LA VRAIE JEANNE D*ARG : LA LIBÉRATRICE.
vrancc d'Orléans, Bedford signiQait aux capitaines des ports de merde
la Normandie d'exercer une vigilance particulière pour arrêter les soldais
anglais qui fuyaient la terre de France\ Le chevaucbeur chargé de porter
le message étant de retour à Rouen le 25 mai, le régent doit Tavoir lancé
du 12 au 15 mai. Voici la constatation du reçu l^èrement rajeunie:
* ' - « L'an 1429, le vingt-cinquième jour de mai, par-devant nous, Michel
Durand, vicomte de Rouen, fut présent en sa personne Guillaume Polain,
messager à cheval, demeurant à Rouen, lequel connut et confessa avoir
eu et reçu de Pierre Sureau, receveur général de Normandie, la somme
de soixante-dix sols tournois, qui lui était due pour ses peines, salaire et
dépens d'avoir hâtivement été à cheval, en ce présent mois de mai, de
Rouen es lieux de Dieppe, Eu, Fécamp et Harfleur porter lettres closes de
par Mgr le régent du royaume de France, duc de Bedford, adressées aux
' capitaines d'iceux lieux ou à leurs lieutenants, contenant, entre autres
choses, qu'ils ne laissassent passer pour aller en Angleterre aucunes
gens de guerre anglais étant par deçà la mer; ce dont il devait avoir
pour marché à lui fait ladite somme de lxx sols tournois, de laquelle il
est tenu et se tient pour content et bien payé et en a quitté le roi notre
sire, ledit receveur général, et tous autres. Donné l'an et le jour des-
susdits. — Signé : Petit. »
( L ^ Le Pape avait institué le cardinal d'Angleterre son légat dans la croi-
sade contre les hussites. Le conseil d'Angleterre l'avait autorisé à lever
deux mille cinq cents archers, deux cent cinquante chevaliers, et par
délibération du 17 juin il l'instituait capitaine de tous les Anglais qui
marcheraient contre ces hérétiques.
C'était un acheminement à Tacte profondément malhonnête qui se
consommait le 1" juillet. Par cet acte, le conseil royal, considérant que,
après les revers survenus récemment en France, les croisés étaient néces-
saires au service du roi exposé à perdre son royaume de France, du
consentement du Cardinal, arrêtait que ce même Cardinal mettait pour
six mois les troupes levées contre les hérétiques au service de Bedford
contre la France, que ce môme Cardinal pourrait nommer maréchal de
ses troupes quiconque lui agréerait. Des lettres expédiées à Bedford lui
donnaient le pouvoir de défendre aux croisés de quitter la France avant
le 21 décembre, de faire emprisonner et punir ceux qui le tenteraient.
On s'engageait à rembourser au Saint-Père les sommes versées par lui,
en deux payements, l'un de la fin de février, l'autre du 1" mai 1430*.
Le Pape Martin V fut souverainement mécontent de voir tourner
(Contre la fille aînée de l'Kglise des armées qu'il avait soudoyées contre les
Jk Germain Leflyre-Pomalis, la Panique anglaise en mai H29, p. 20,
2. Rymer, l. IV, pars IV, p. 146-147.
548 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
pas Dieu; le combattre, c'est se combattre soi-même. Henri VI, dépouillé
de la couronne de France et d'Angleterre, est mort dans un cachot, pro-
bablement de mort violente.
11
L'instruction suivante, que Bedford donnait au roi d'armes Jarretière,
en l'envoyant au grand conseil d'Angleterre, à la date du 16 juillet 1429,
est éminemment propre à nous faire pénétrer les évéments qui se sont
passés après le sacre de Reims. A quelques rajeunissements près dans
l'expression, la voici telle qu'on peut la lire dans Rymer * :
Instruction baillée à Jarretière^ roi d'armes de par Mgr le régent et le
conseil du roi notre seigneur étant à Paris^ pour aller devers le conseil
dudit seigneur en Angleterre^ 14^9-16 juillet.
Premièrement il remerciera les seigneurs dudit conseil de l'armée
disposée et concluse [rassemblée) pour venir par deçà, oultre et par-dessus
l'armée de Monsieur le Cardinal et de Messire Radcliflfe.
Il les priera affectueusement et si instamment qu'il le pourra de vouloir
avancer ladite armée en toute célérité, en bonne et grande puissance,
afin qu'à l'aide de Dien on puisse rebouter [repousser) les ennemis, qui
déjà se sont bondés [lancés) si avant. Qu'ils veuillent aussi signifier par
deçà, en toute promptitude et sans délai, par ledit Jarretière ou par tout
autre, par leurs lettres, le temps au vrai que ladite armée sera sur le
port, afin que l'on puisse par deçà régler et disposer les affaires. 11 est
bien besoin d'adresse et de brief secours.
Item. — ^11 dira comment le Dauphin s'est mis déjà piéçà [il y a quelque
temps) sur les champs en personne avec très grosse puissance. Pour la
crainte de cette puissance, plusieurs bonnes villes, cités et châteaux se
sont déjà mis en son obéissance, sans opposition ni attendre le siège.
Telles les cités de Troyes et de Chàlons, et aujourd'hui, 16 de ce mois, il
doit arriver à Reims, où semblablement on lui fera ouverture pour
demain, et où lundi il se fera sacrer.
Item. — Incontinent après son sacre ^ il a intention de venir devant Paris,
et il a espérance d'y avoir entrée ; mais à la grâce de Notre-Seigneur, il
aura résistance par le moyen de nos seigneurs le régent et de Bour*
de pareils ordres. On peut voir dajis le môme Rymer (p. 137), le décret royal par
lequel le monarque, qui n'a pas huit ans, ordonne à son gouverneur Warwick de le
châtier quand il sera infidèle à ses leçons»
\. Rymer, t. IV, pars IV, p. 150.
U LIBÉRATRICE ET LES DOCUMENTS ANGLAIS. 549
gogne, qui toute cette semaine ont été ensemble, et vaqué continuel-
lement aux affaires du roi. On a trouvé manière d'obvier aux entreprises
des ennemis par bataille ou autrement; et Ton met toute la diligence que
Ton peut à garnir et à défendre les cités, villes et passages de la France,
et par spécial la ville de Paris, dont dépend cette seigneurie.
Item. — Il dira comment mondit seigneur de Bourgogne a fait dans le
passé, et comment il fait encore très grandement et honorablement son
devoir d'aider et servir le roi, et comment en ce besoin il s'est montré
en plusieurs manières vrai parent, ami et loyal vassal du roi, auquel il
doit être moult honorablement recommandé ; car x'eust été sa faveur,
Paris et tout le rémanent s'en alloit a ce coup *.
Item. — 11 dira comment mondit seigneur le régent se partira dans dix
jours, pour tirer {se placer) entre Normandie et Picardie, tant pour faire
avancer les Anglais étant en Normandie hors les garnisons, comme pour
aller au-devant de mondit seigneur le Cardinal.
Item. — Il dira comment les seigneurs du conseil du roi, qui sont par
deçà, s'appliquent continuellement auxdites affaires ; comment pour
aider à les conduire selon leur possibilité, ils s'emploieront loyalement
jusqu'à la mort.
Ils supplient très humblement le roi qu'il lui plaise avancer sa venue
par deçà en toute célérité possible; car s'il eût plu à Dieu qu'il y fût venu
plutôt, ainsi que déjà par deux fois je l'en avais supplié par des ambas-
sadeurs et des messagers, les inconvénients ne seraient pas tels qu'ils
sont.
Donné à Paris lexvi* jour de juillet, l'an MCCCCXXIX.
Ces aveux de Bedford doivent être pris en grande considération dans
Tappréciation des événements. Le dessein de Charles VII est de se porter
sur Paris aussitôt après le sacre, et il a espérance de réussir. Le duc de
Bourgogne est le seul qui soit un obstacle sérieux à son plein triomphe.
Sans lui c'en était fait de Paris et de tout le rémanent.
Le jour où le héraut porteur de ces nouvelles prenait le chemin de
Londres, le duc de Bourgogne arrivait à Laon, et envoyait ses ambassa-
deurs à Reims. Un effet de son double jeu était la conclusion d'une trêve
de quinze jours, sur laquelle la Pucelle, dans sa lettre du 5 août aux
habitants de Reims, s'exprimait en ces termes qu'il faut recommander
à ceux qui s'obstineraient encore à faire finir la mission au sacre : « Des
trêves qui sont ainsi faites je ne suis pas conteiite^ et je ne sais si je les
tiendrai^ et si je les tiens ce sera uniquernenl pour garder r honneur du
I. Car 96 ne feust sa faveur, Paris et tout le rémanent s'en alloit àcop.
550 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
roi. » Ainsi qu'elle le disait à Châlons, elle avait à combattre un ennemi
plus dangereux que les armées anglo-bourguignonnes : la trahison, fille
de l'ambition et plus encore de Tenvie.
III
Sacré à Londres le 6 novembre 1429, le roi de huit ans fut amené en
France et aborda à Calais le 23 avril 1430. Il ne devait pas venir seul;
une armée devait le joindre h Calais le 1'' mai. Capitaines et soldats
avaient pris leurs endentures, c'est-à-dire leurs engagements. Mais, le
moment venu, ils vinrent en petit nombre et beaucoup d'entre eux
firent défaut ; ils se cachaient. Rymer, dans le titre mis en tète de la
pièce qui va être traduite, nous dit que la cause de leurs tergiversations,
c'était la terreur inspirée par les incantations de la Pucelle. De procla-
mationibus contra capitaneos et soldarios tergiversantes incantationibm
Puellœ terrificatos. Le nom de la Pucelle ne se trouve pas dans l'édit. Un
des plus récents et des bons historiens de Jeanne d'Arc, M. l'abbé Debout,
ne croit pas au bien fondé de ce titre donné par le grand annaliste
anglais. A son avis, Tarmée anglaise ne regardait pas la Pucelle comme
une incantatrice, mais plutôt comme une envoyée du Ciel. Ce qui est
indubitable, c'est la terreur inspirée par la Libératrice aux soldats
anglais. Une foule de documents de provenance bien différente sont
unanimes pour attester le fait. Bedford dans la lettre à Charles YII pré-
sente Jeanne comme adonnée à la superstition, c'est-à-dire à la magie. Il
était trop religieux pour la combattre, si à ses yeux elle avait été évidem-
ment suscitée par le Ciel.
Le lecteur vient de voir comment, à la suite de la délivrance
d'Orléans, Bedford s'était hâté d'envoyer des ordres pour arrêter les
déserteurs dans les ports de la Normandie. A la date du 3 mai 1430,
c'est un édit royal rendu contre les officiers et les soldats infidèles à
leur engagement, qui refusaient de passer en France où le roi se trouvait
depuis le 23 avril. Voici la traduction du texte donné par Rymer.
« Le roi aux vicomtes de Londres, salut. Plusieurs capitaines et
soldats devaient passer la mer avec nous, et nous escorter dans noire
présent voyage. Au terme des endentures signées entre nous et nos capi-
taines, ils devaient le 1" mai dernier faire leurs montres, et à la suite
être à notre service pour le temps de leur engagement. Or, l'on nous
apprend qu'ils se retardent et tergiversent dans la cité de Londres, à
notre grave préjudice et mépris, contre les clauses de leurs retenues,
exposant à un manifeste péril, autant qu'il est en eux, notre personne en
U LIBÉRATRICE ET LES DOCUMENTS ANGLAIS. 551
ce moment sur le continent, le pays et nos sujets de par ici. Voulant
mettre un terme à ce pervers désordre, qui est un mépris de notre auto-
rité, un préjudice pour notre cause, nous vous enjoignons le plus étroi-
tement qu'il est en nous, nous vous commandons qu'aussitôt après la
lecture des présentes, vous fassiez proclamer en notre nom dans la ville
susdite, dans ses faubourgs, sur toutes les places où vous le jugerez plus
expédient, que tous et chacun de ces capitaines et soldats, présents dans la
ville, ou en voie de s'y rendre, de quelque état, grade et condition qu'ils
soient, qui sont retenus pour faire avec nous le voyage sur le continent,
aient à se rendre aux côtes de la mer, à Sandwich ou à Douvres, et
cela sans délai, sans retard pour leur équipement, Téquipement de leurs
chevaux, et leurs harnais ; qu'avec toute la célérité possible, ils se ren-
dent, se hâtent et s'empressent autour de notre personne, sous peine
d'être punis de la confiscation de leurs chevaux et harnais, et d*ôtre
emprisonnés selon notre volonté; que tous ceux qui, au lendemain du
jour où vous aurez fait cette proclamation, sans notre licence, ou sans la
licence de notre cher oncle Humfrey, duc de Glocester, gardien d'Angle-
terre, licence donnée par écrit, renfermant les raisons de leur retard,
munie de notre sceau ou du sceau du prince gardien, que tous ceux que
vous trouverez ainsi en retard à Londres, soient immédiatement saisis
et arrôtés avec leurs chevaux et harnais, qu'ils soient emprisonnés, que
les chevaux et harnais soient mis sous sûre garde, jusqu'à ce que nous
croyions devoir ordonner différemment de leur libération.
a Exécutez ponctuellement ces ordres conformément à l'amour que
vous avez de notre honneur, et au soin que vous avez d'éviter notre
puissante indignation.
« Témoin, Ilumfroy, duc de Glocester, gardien d'Angleterre, à la cité
royale de Cantorbéry, 3 mai* .»
Si semblable édit força les récalcitrants à s'exécuter, il n'eut pas la
puissance de leur faire attendre la fin de leurs engagements. L'édit sui-
vant semble prouver qu'ils désertaient en masse, puisque c'est sur cinq
des ports d'Angleterre qu'ordre est donné de les arrêter. Jeanne était
cependant dans les fers depuis six mois et plus, et probablement à
Rouen ou tout au moins en voie de s'y rendre. Mais la terreur qu'elle
inspirait n'avait pas disparu; aussi l'annaliste anglais donne-t-il pour
titre à l'édit qui va être traduit : Ordre d'atrestation des déserteurs abal-
lus par les vaines frayeurs de la Pucelle [De fugitivis ab exercitu, quos
ierriculamenta Puellœ exaniinaverant^ arrestaiidis).
« Henri, par la grâce de Dieu, roi d'Angleterre et de France, seigneur
1. Rtmer, t. IV, part. IV, p. 160.
552 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
d'Irlande, au vicomte de Kent, salut. Beaucoup (quàmplures) denos hom-
mes liges et de nos sujets, venus à notre suite dans notre royaume de
France, à notre service, tant pour la garde de notre personne que jpour
celle de cette contrée, se retirent, bien plus, ont passé de France dans
notre royaume d'Angleterre, avant le temps convenu, sans licence de
notre part, par fraude, subrepticement et iniquement. Les désertions
continueuty au péril, autant qu'il est en eux, de laisser sans aucune
défense notre personne, et notre royaume de France. Voulant obviera
ces coupables infidélités de nos hommes liges et de nos sujets, pourvoir
sur ce point à notre sécurité et à la sécurité de notre royaume de France,
nous vous enjoignons le plus étroitement possible, nous vous comman-
dons fortement d'arrêter et d'enchaîner tous ceux de nos hommes liges
et de nos sujets, qui sont venus de France en Angleterre sans notre spé-
ciale licence, ainsi que nous l'avons déjà indiqué; arrètez-les partout où
vous pourrez les trouver dans votre bailliage, dans des lieux de franchise
ou hors franchise, et une fois arrêtés, menez-les, ou faites-les conduire
sans délai à notre conseil d'Angleterre, pour y répondre sur les points
spécifiés. Exécutez ponctuellement cet ordre en proportion de l'amour
et de l'affection que vous avez pour la sécurité de notre personne et de
la crainte d'encourir notre puissante indignation.
« Témoin Humphroy, duc de Glocester, gardien d'Angleterre, à Wyx,
le 12 décembre, de notre règne le neuvième.
(( De semblables édils sont envoyés à la même date aux vicomtes ci-
dessous : le vicomte de Norfolk et Sulfolk; le vicomte de Londres, d'Essex
et de Sussex, le vicomte de Southampton, au constable du château royal
de Douvres, gardien des cinq ports du roi et à son lieutenant \ »
IV
UNE CONJURATION DANS PARIS, d'aPRÈS UNE LETTRE DE GRACE
ACCORDÉE A l'uN DES CONJURÉS.
ChufTart, la Chronique des Cordeliers et Fauquenbergue nous ont
parlé d'une conjuration ourdie en mars à Paris pour introduire
Charles Vil dans la capitale. Il est vraisemblable que Jeanne d'Arc faisait
allusion à ce projet qui fut sur le point d'aboutir, lorsque, le 16 mars,
elle écrivait aux habitans de Reims : « Je vous manderais encore quelques
7iouvelles dont vous seriez bien joyeux ; mais je craindrais que les lettres ne
fussent prises en c/iemin^ et que fon ne vit lesdites nouvelles.
1. Rymeh, t. IV, part. IV, p. tôO.
Ko4 LA VRAIE JEANNE D*ARG : LA LIBÉRATRICE.
sa maison, lui dit qu'un messager dont il lui avait parlé d'autres fois était
revenu pour trouver la manière de faire ladite entrée, et lui demanda
s*il voulait se mettre de son parti, qui était celui de plusieurs autres. Le
suppliant répondit que oui, s'il y avail des gens notables qui s'en entre-
missent. Perdriel lui dit que plusieurs personnes de pratique et d'autres
états de bonne et grande autorité, parmi lesquels il en nomma quelques-
uns, s'en mêleraient, et en outre, afin que ledit suppliant fût plus sûr de
la besogne, et pour aviser la manière de faire cette entrée, Perdriel vou-
lut que le messager parlât au suppliant ; sur quoi ils demeuFèrent d'accord
qu'il irait à Saint-Merry, où Perdriel ferait aller icelui messager, et delà
ils iraient en la maison du suppliant. Ce qui fut fait. Quand ledit messa-
ger, qui était très bien et proprement habillé en état de laboureur, fut en
l'hôlel du suppliant, il lui dit qu'il était religieux Carme, et que Perdriel
renvoyait vers lui ; que ni le Dauphin qu'il nommait roi, ni ceux de son
conseil, ne le voulaient croire de la mission qu'il avait remplie de la jpart
d'icelui Perdriel et autres touchant l'entrée devant dite, s'ils n'avaient
lettres de chacun d'eux, et il requit ledit suppliant de vouloir faire une
lettre ; à quoi celui-ci répondit qu'il ne ferait pas de lettre do sitôt,
qu'il s'en rapportait à Perdriel de ce qu'il en ferait, et tiendrait le même
chemin que lui. Le Carme quitta le suppliant en disant qu'il retournerait
vers Perdriel, et que par lui il lui ferait savoir ce dont ils demeureraient
d'accord, et qu'il enverrait dire par un laboureur, à Perdriel, le jour,
rheureet la manière dont nosdils ennemis voudraient faire ladite entrée.
<c Sur cela, le premier ou second dimanche de ce carême, le suppliant
ne sait lequel, Guillaume de Loir, orfèvre, alla devers lui en son hôtel
disant que Perdriel lui faisait dire que le laboureur dont il lui avait
parlé autrefois était venu. Le suppliant, qui n'avait jamais parlé audit
Guillaume de ce que dessus, lui dit qu'il ne savait pas ce qu'il voulait
dire, et Guillaume lui répondit qu'il enverrait Perdriel lui parler. Et
comme le lendemain, les serviteurs du suppliant lui dirent que Perdriel
Tavait demandé, il alla à sa maison et lui parla à son comptoir, Guil-
laume de Loir étant présent. Perdriel lui dit que le Carme qui autrefois
lui avait parlé avait apporté une abolition du Dauphin notre adversaire
par laquelle tout était pardonné, que Perdriel et plusieurs autres étaient
d'avis qu'un jour de dimanche on la lut à son de trompe à la porte Bau-
det, en présence de soixante ou quatre-vingts hommes de leur alliance.
Après cette publication, eux et le peuple qui se joindrait à eux iraient
gagner la porte Saint-Antoine, pour mettre et bouter par cette porte
dans la ville nos ennemis et adversaires qui seraient en embuscade près
de là. Quelques-uns opinaient que certain nombre de gens fussent en
embuscade à maisons prochaines de la porte de Bordelles pour la gagner
LA LIBÉRATRICE ET LES DOCUMENTS ANGLAIS. 555
soudainement, et par ce moyen faire ladite entrée par icelle: il semblait
aux autres que le plus expédient serait que quatre-vingts ou cent Écossais,
habillés comme les Anglais, portant la croix rouge, vinssent par petits
troupeaux ou compagnies par le droit chemin de Saint-Denis en cette
ville, et qu'en amenant de la marée ou du bétail ils entrassent adroite-
ment en la porte, et puis se rendissent maîtres des portiers; alors une
autre partie de nos ennemis, qui seraient embusqués près de là, vien-
draient avec puissance pour entrer dans cette dite ville, et en avoir la
maîtrise.
c( Et après cela Perdriel demanda au suppliant et à Guillaume de Loir
de quelle opinion ils étaient, lesquels dirent qu^il leur semblait que ce
serait le mieux de faire ladite entrée par cette porte Saint-Denis en la
manière dessusdite, encore que sur ce ils ne prirent pour lors aucune
conclusion. Mais Perdriel et Guillaume montrèrent au suppliant deux
cédules qu'ils avaient faites pour envoyer à notre adversaire et à ceux de
son conseil ; Tune était grande, écrite en parchemin, l'autre petite, en
papier, et pour ce qu'elles ne plurent pas au suppliant, il en fit une
autre petite qu'il bailla à Perdriel et à Guillaume, lesquels dirent qu'ils
montreraient icelles cédules à leurs autres compagnons, pour aviser
laquelle serait la meilleure.
a Le lendemain, bien matin, Guillaume, le Carme dessusdit, et deux
autres compagnons, laboureurs ou en habits de laboureurs, que le sup-
pliant ne connaissait pas, allèrent vers lui en sa maison, et lui portèrent
Tune des trois cédules, il ne sait au vrai laquelle, mais toutefois il la
signa le premier, puis la bailla à Guillaume, qui promit de la faire signer
à d'autres de leur alliance, desquels il nomma quelques-uns; et cela fait,
les dessusdits se départirent d'avec lui, et au surplus il ne sait ce que le-
dit Guillaume fit de ladite cédule, car depuis il ne vit plus ledit Carme.
Cette cédule contenait en effet créance pour le porteur d'iccUe, et était
ladite créance telle, c'est à savoir que ledit Carme était chargé de dire à
notre adversaire et à ceux de son conseil que pour faire l'entrée convenue,
ils élussent des trois voies ci-devant exposées celle qui leur semblerait
plus convenable, et qu'ils mandassent la manière, l'heure et le jour
où ils voudraient qu'elle fût exécutée.
« Avec cela Perdriel et Guillaume de Loir dirent au suppliant que
Pierre Morant, procureur en notre Châtelet de Paris, et Jacquet Guillaume
demeurant à l'Ours, à ladite porte Baudet, étaient consentants avec eux
de faire l'entrée devant dite, et qu'ils avaient avec eux quantité de gens
d'icelle porte Baudet et des environs.
« Et trois ou quatre jours après, Morant rencontra en Grève ledit sup-
pliant et lui parla de la matière, disant qu'il avait parlé à Perdriel, vu
558 LA VRArlE JEANNE D*ARC : LA LIBÉRATRICE.
lement cher à la Libératrice. C'est sans doute de lui qu'elle parlait Tannée
suivante, à la séance du 14 mars, quand elle disait avoir pensé à échanger
Franquet d'Arras, contre un homme de Paris, seigneur de fOurs; mais
qu'ayant appris que ce dernier était mort, elle avait laissé la justice
suivre son cours à l'égard du brigand Franquet.
Quoique la Pucelle ne soit pas nommée dans les pièces précédentes,
il est indispensable d'en tenir compte pour débrouiller bien des obscu-
rités de l'histoire de convention que l'on nous a léguée. Les documents
qui vont suivre la regardent immédiatement.
Indemnité donnée à Cauchon pour cent cinquante-trois jours (cinq mois)
quil a passés en voijages et en négociations^ spécialement sur le fait de la
Pucelle. — Sa quittance, — Quicherat a fait sortir, en l'imprimant, cette
intéressante pièce de l'obscurité de l'inédit où elle a reposé quatre siècles.
Le parchemin original se trouve à la Bibliothèque nationale, dans la
collection Gagnières (Titres scellés des évêchés, t. IV).
« Nous, Pierre, évêque et comte de Beauvais, pair de France, vidame
de Gerberoy, conseiller du roi notre sire, confessons avoir eu et reçu de
Pierre Sureau, receveur général de Normandie, la somme de sept cent
soixante-cinq livres tournois, qui due nous était, pour sept-vingl-treize
jours, que nous affirmons avoir vaqué au service du roi notre seigneur et
pour ses affaires, tant en la ville de Calais, comme en plusieurs voyages,
en allant devers Mgr le duc de Bourgogne et devers messire Jean de
Luxembourg, comte de Guise, en Flandre, au siège devant Compiègne,
à Beaurevoir, pour le fait de Jeanne que Ton dit la Pucelle, comme pour
plusieurs autres besognes et affaires du roi notredit seigneur, et aussi
en la ville de Rouen, par le mandement du roi notredit seigneur et de
son grand conseil, iceux sept vingt treize jours commençant le premier
jour de mai [mil] quatre cent trente et finissant le dernier jour de sep-
tembre suivant, dernier passé inclus, au prix de cent sols tournois par
jour, à nous ordonnés, pour être pris et obtenus sur ladite recette [de
Normandie]^ pour la moitié de dix livres tournois par jour à nous
ordonnés et taxés par le roi, notredit seigneur, pour chacun des jours
que nous avons vaqué et vaquerons pour ses affaires au voyage en quoi
nous sommes présentement, et jusqu'à notre retour en la ville de Paris,
comme il appert par les lettres de taxation du roi, notredit seigneur,
données le xiv* jour du mois de mai, expédiées par le trésorier et
général gouverneur des finances de Normandie.
LA LIBÉRATRICE ET LES DOCUMENTS ANGLAIS. 559
« De laquelle somme de sept cent soixante-cinq livres tournois nous
nous tenons pour content et bien payé, et en quittons le roi notredit
seigneur, ledit receveur général et tous autres. En témoin de ce, nous
avons mis à ces présentes notre signet et sceing manuel, le dernier jour
de janvier, Tan mil quatre cent et trente (a. st.).
« f P., Episcopus Belvacensis. »
Il serait intéressant de connaître par le détail l'itinéraire de cet agoni
si dévoué à l'Angleterre. Nous savons qu'en 1428 il était chargé de pré-
lever l'impôt mis sur la Champagne pour réduire Mouzon, Vaucouleurs
et quelques autres places qui, aux bords de la Meuse, tenaient encore
pour Charles VII. En 1429, quinze jours environ après la délivrance
d'Orléans, l'évêque de Beauvais était à Reims, car il est marqué comme
ayant porté le Saint-Sacrement à la Fôle-DieuV Quatre jours après il était
à Chàlons, dont depuis longtemps il était archidiacre^. Le 23 juin il
rentrait à Reims'. Il ne semble pas douteux qu'il voyageait ainsi hors de
son diocèse pour conserver sous la domination anglo-bourguignonne
les pays que la Pucelle devait traverser pour conduire le roi à Reims.
Les chroniqueurs nous ont dit que ces villes avaient renouvelé leur
serment de fidélité au traité de Troyes. N'est-ce pas à son instigation?
L'arrivée de Jeanne aux bords de la Marne et de la Seine en avril 1430
produisit grand émoi à Paris, et sur les frontières des pays encore soumis
à la domination anglo-bourguignonne. Cauchon se met en voyage dès le
1" mai. Il se rend à Calais d'abord ; le roi d'Angleterre y était arrivé dès
le 23 avril ; le prélat a dû y aller faire sa cour. Il dit qu'il a été ensuite
vers le duc de Bourgogne et Jean de Luxembourg ; mais l'un et l'autre
étaient occupés au siège de Compiègne, ou tout au moins à s'emparer
des avant-postes. Si Jeanne, comme l'affirment quelques Chroniques, a
été vendue par Flavy,-le négociateur serait-il intervenu dans le marché?
Les antécédents nous autorisent à poser la question, encore que nous
ne puissions pas y répondre. Après un voyage en Flandre, le voilà de
nouveau au siège devant Compiègne. 11 y était certainement le 14 juillet ;
c'est là qu'il fait sommation à Luxembourg et au duc Philippe d'avoir à
livrer la captive. La dame et la tante de Luxembourg s'opposaient à l'infa-
mie du mari et du neveu. Serait ce pour triompher de leur résistance
qu'il se serait renduàBeaurevoir?Il indique encore dans sa quittance qu'il
a été à Rouen. Les Etats y étaient réunis au mois d'août ; et ils ont voté
r
dix mille livres pour l'achat de la Pucelle. Etait-ce encore pour les
1. Manuscrits du chanoine Cocquault, p. 042.
2. Registres du chapitre.
3. Registres communaux de Reims, p. 1 20.
560 U VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
affaires de la Pucclle qu'il s'est rendu dans cette ville ? L'acompte d*un
voyage qui ne semble pas encore à sa fin est du dernier jour de septembre.
Or, à cette date, d'après le livre des comptes de Toumay, la victime était
livrée; elle avait quitté Beaurevoir, elle était à Arras. La quittance elle-
même nous autorise à poser ces questions, puisque la seule affaire spéci-
fiée comme ayant fait l'objet de cet itinéraire de cinq mois, c'est le fait de
Jeanne que l'on dit la Pucelle.
VI
Nous avons plusieurs pièces authentiques sur la manière dont s'est
effectué le payement de l'achat de la Pucelle. Quicherat les a reproduites
dans toute leur étendue ^ Il suffira de donner les passages dans lesquels
intervient le nom de la martyre.
Le premier, en date du 3 septembre 1430, est tiré d'une circulaire du
trésorier général Thomas Blount, et de Pierre Sureau, receveur général
des finances en Normandie. Voici le texte :
« Thomas Blount, chevalier, trésorier et général gouverneur des
finances du roi notre sire en Normandie, et Pierre Sureau, receveur
général desdites finances, commissaire du roi notredit seigneur en cette
partie, aux élus sur le fait des aides à Argentan et Exmes, et au vicomte
dudit lieu, ou à leurs lieutenants, salut.
(' Reçues par nous les lettres du roi notredit seigneur, données à
Rouen, le second jour de ce présent mois de septembre, par lesquelles
il nous est mandé et commis d'asseoir, faire cueillir et lever et recevoir
dedans le (cTici ait) dernier jour d'icelui mois la somme de quatre-vingt
mille livres pour le premier payement de Taide de vi" mil (120 000)
livres tournois octroyés au roi notredit seigneur par les gens des trois
Etats du duché de Normandie,... en l'assemblée faite à Rouen au mois
d'août passé, pour tourner et convertir, c'est à savoir dix mille livres
tournois au payement de l'achat de Jeanne la Pucelle que l'on dit être
sorcière, personne de guerre, conduisait les ostz (mimées) du Dauphin, etc. »
Ainsi c'est bien exprès, la prenière dépense à laquelle doit pourvoir
l'aide extraordinaire votée par les Etats normands, celle qui passe môme
avant le recouvrement de Louviers, c'est de payer Tachât de Jeanne la
Pucelle. Elle a été bien réellement vendue, puisqu'elle a été achetée;
la renommée publique en fait une sorcière ; c'est elle qui conduit les
armées du roi.
1. Procès y L V, p. 178 et suiv.
LA LIBÉRATRICE ET LES DOCUMENTS ANGLAIS. 561
La cassette royale s'est momentanément dépouillée de ses plus belles
espèces pour donner pleine satisfaction au vendeur. C'est ce que nous
apprend le reçu suivant du gardien de cette cassette.
« Sachent tous que je, Jean Bruyse, écuyer, garde des coffres du roi
notre sire confesse avoir eu et reçu de Pierre Sureau, receveur général
de Normandie, la somme de cinq mille deux cent quarante-neuf livres,
dix-neuf sous dix deniers obole tournois pour le pourpaiage [reddition)
et restitution de deux mille six cent trente-six nobles d or de deux sous
cinq deniers sterling, monnaie d'Angleterre, qui par lettres du roi nôtre-
dit seigneur, données à Rouen le xx"^ jour d'octobre dernier passé, expé-
diées par Monseigneur le trésorier de Normandie, m'ont été ordonnés
être payés et {m'ont été) restitués, par ledit receveur ; pour ce que,
par l'ordonnance du roi notredit seigneur, je les avais baillés des
deniers de ses dits cofifres et trésor, pour employer en certaines de ses
afTaires touchant les dix mille livres tournois payées par ledit seigneur
pour AVOIR Jeanne qui se dit la Pucelle, prisonnière de guerre : lesquels
ont été évalués à la somme de cinq mille deux cent quarante-neuf livres
dix-neuf sous, dix deniers obole tournois, à moi payée comptant, c est à
savoir en deux cents nobles d'or, et le demeurant en monnaie ; je suis
content et bien payé, et en quitte par ces présentes, le roi notredit sei-
gneur, ledit receveur et tous autres. Et en témoin de ce, j'ai signé cette
présente quittance de mon seing manuel et scellée de mon signet le
VI* jour de décembre, l'an mil CCCC trente.
Ainsi signé : « iwMS Brutse », avec paraphe ^
Le contrat stipulait-il que le payement serait effectué en espèces d'or ?
Est-ce une gracieuseté de l'acheteur? Aurait-on voulu faciliter le trans-
port de la somme? Peu importe le ressort mis en jeu parla Providence
pour imposer au contrat ce nouveau caractère de grandeur. Si le Seigneur
de Jeanne a voulu que sa fiancée fût vendue comme il l'a été lui-môme,
il a imprimé au contrat un caractère de solennité qu'il n'a pas voulu
pour lui. Judas conclut son marché clandestinement, à vil prix, le prix
d'achat d'un esclave. La vente de la Pucelle est l'objet de longues négo-
ciations ; le corps savant de l'époque, l'Université de Paris intervient
pour peser sur le vendeur ; le prix c'est le prix que l'on paye pour un roi
prisonnier; une grande province s'impose afin de parfaire la somme ; et
le métal est un métal deux fois royal, puisque c'est de Tor, et un or qui
sort de la cassette du roi.
4. iVoeês, t. y, p. 191-192.
m. 3C
562 L\ VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
Il ne nous reste plus qu'à entendre le grand homme politique de
l'Angleterre à cette époque, confesser dans un document officiel que la
fille de Jacques d'Arc a arraché la France à l'Angleterre.
VII
Les historiens citaient à l'enyi quelques lignes de Bedford disant que
les affaires d'Angleterre avaient prospéré en France jusqu'à l'arrivée
d'un suppôt d'enfer nommé la Pucelle. Dans quelle circonstance le
régent avait-il écrit ces lignes ? on l'ignorait. On renvoyait à Rymer ; or
Rymer assigne au passage cité une date impossible, Tannée 1428, alors
que la Pucelle n'était connue qu'à Domrémy.
Frappé de cette anomalie, M. Tabbé Debout passa en Angleterre,
compulsa les archives de 1429, 1430, 1431 et acquit la con\nction que
non seulement la pièce ne s'y trouvait pas, mais qu'elle n'y a jamais été.
La publication de cette observation atteignait tout à la fois la valeur
du document et l'autorité du célèbre annaliste anglais Rymer. Des
recherches ultérieures furent faites, et, au grand plaisir de M. Debout lui-
même, elles ont fait mettre la main sur le document qui par sa vraie
date n'en acquiert que plus de valeur. C'est ce que fait ressortir le
scrupuleux chercheur dans sa plaquette : Appréciation du duc de
Bedford sur Jeanne d'Arc et son œuvre. La pièce existe aux Archives
anglaises [BibL cott. Titus, E, S) ; elle était même imprimée dans les rotuli
parlamentorum^ appendice du tome V [p, 435), Bedford l'écrivit non
pas lorsque Jeanne d'Arc était suj^ la scène, mais quatre ans après son
supplice, alors que la première impression était dissipée, et qu'il exami-
nait froidement la cause du revirement de fortune subi par l'Angleterre.
Il est manifeste que l'appréciation du grand politique n'en a que plus de
poids. C'est un rapport fait au roi sur la situation de la France anglaise,
terminé par la demande d'une diminution d'impôts que les peuples ne
peuvent plus supporter. Le conseil délibéra sur ce rapport le 14 juin de
la douzième année du règne de Henri VI. Henri VI ayant été proclamé roi
d'Angleterre le 1" septembre 1422, nous sommes amenés au 14 juin 1434.
On devait peu faire attendre au conseil royal de Londres les rapports et
les demandes du« régent de France. On en peut conclure que le r^ent
aura rédigé et remis ce magnifique témoignage rendu involontairement
à la Libératrice dans les derniers jours de mai, c'est-à-dire à l'anniver-
saire du martyre.
L'élégante traduction que l'on va lire est due à la plume de M. Chaulin,
un de ces dignes magistrats qui sont descendus de leur siège, alors que
Ton a voulu y faire asseoir l'arbitraire el la tyrannie.
U LIBÉRATRICE ET LES DOCUMENTS ANGLAIS. !>63
TÉMOIGNAGE AUSSI EXPUGITE QU 'INVOLONTAIRE DU RÉGENT BEDFORD EN FAVEUR
DE LA PUGELLE.
« Mon très redouté et souverain seigneur,
a Plaise à Votre Altesse de vouloir bien se souvenir qu'à une époque
récente, je lui ai rendu compte de mes actes comme Régent résidant dans
son royaume de France, par un mémoire précis, divisé en un certain
nombre d'articles : je craignais d'avoir perdu la bienveillance de Votre
Altesse et la faveur dont je jouissais auprès d'EUe, et dans l'espoir de me
disculper, si quelque faux rapport avait été fait contre moi par des mal-
veillants qui essayeraient de ternir mon nom et ma réputation, j'ai tenu
à vous présenter humblement un compte rendu ou rapport, sur ma
conduite et la direction que j'ai donnée à votre royaume de France.
« Dans ce rapport, oîi sont consignés tous les faits relatifs à la guerre qui
a désolé votre royaume pendant votre règne, j'ai constaté que tout
d'abord nous avions traversé une heureuse période, où de grandes actions
ont été accomplies par vos fidèles hommes d'armes et vos serviteurs,
parmi lesquels j'étais, et ce, par la grâce de Dieu. Après la mort de
Monseigneur votre père, que Dieu absolve, nous avons remporté des
victoires en votre nom, et combattu pour vous dans votre lutte contre
vos ennemis : les territoires soumis à votre obédience se sont notablement
accrus, votre autorité a été reconnue par une grande partie de la province
de Brie, par la Champagne, l'Auxerrois, le Donziais, le Maçonnais,
l'Anjou, le Maine, et tout prospérait pour vous en France, jusqu'à
l'époque du siège d'Orléans, commencé sur l'avis d'un conseiller funeste,
Dieu sait qui !
Alors, il arriva par la main de Dieu, ce me semble, un coup terrible
porté à votre peuple, après l'aventure dont la personne de mon cousin
Salisbury eût à souffrir, que Dieu l'absolve. Notre peuple se trouvait
rassemblé fort nombreux à Orléans, et selon moi ses malheurs eurent
surtout pour causes ses propres fautes et ses erreurs : On eut le tort de
croire à un disciple du Démon et suppôt de VEnfer^ nommé la Pucelle^ et
(Ten avoir peur; elle usait d'enchantements mauvais et de sorcellerie, et
sous Fempire de ces procédés, le nombre de vos partisans diminua^ le
courage de ceux qui restaient disparut, en même temps que s'augmen-
iaieni la vaillance et le nombre de vos adversaires. Vos ennemis se rassem-
blèrent, et voici que des villes et de grandes cités se rendirent sans résis-
tance, ou parce qu'il était impossible de les secourir : Reims, Troyes,
ChAlons, Laon, Sens, Provins, Senlis, Lagny, Creil, Beauvais, les princi-
paies contrées champenoises, la Brie, le Beauvaisis, une partie de la
564 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
Picardie! Et cepeiidant^ après la perte d'Orléans^ prévoyant leur dccoura-
gement, j'avais envoyé à ces villes et dans ces pays soumis à votre sceptre
des conseillers dévoués, leur offrant des secours et leur proposant de ren-
forcer leurs garnisons. En outre, je me suis mis en campagne moi-même,
à la tête de ceux qui vous étaient restés fidèles pafmi votre peuple, et
aussi des troupes que mon ojicle le Cardinal avait rassemblées dans t intérêt
de r Église, secours important qui 7ious arriva fort à propos ; j'ai combattu
ainsi pendant plusieurs jours contre vos ennemis^ dont linteniion évidente
était de s'emparer du reste de la France, fai la consolation d'avoir payé de
ma personne, pour sauver vos terres de France^ et ceux de vos fidèles sujets
qui s'y trouvaient encore, et d'avoir fait tout ce que fai pu. De telle sorte
que, grâce à Dieu, on ne peut dire que, si vous avez perdu ces cités, ces
villes et ces contrées^ ce soit par ma faute. Leur perte, leur séparation
d'avec le reste du territoire, les dévastations causées par la guerre, pres-
que quotidiennement, dans votre bonne ville de Paris, et dans la partie
de votre pays de France qui vous est encore soumise, ont réduit vos
sujets à une si extrême pauvreté qu'ils ne la pourront supporter bien
longtemps : il leur est, en effet, impossible de cultiver leurs terres et leurs
vignes, de s'occuper de leur bétail, ou de quoi que ce soit, de prendre
soin de leurs propres personnes, ni de vendre aucune marchandise. Votre
conseil, qui était encore il n'y a pas très longtemps dans votre royaume
de France, n'ignore rien de tout cela. Malgré tout, votre peuple n'en est
que plus encouragé à vous conserver foi et obéissance, et cela de tout
son cœur, mais je dois vous représenter qu'il ne peut supporter les mêmes
charges et donner les mômes subsides qu'auparavant; aussi ai-je cru
nécessaire de provoquer à Calais une réunion de vos conseillers de votre
royaume de France, avec ceux d'Angleterre et mon frère. Puis, j'ai tenu
à exposer moi-même à Votre Altesse tout ce qui précède, en raison de
toutes ces infortunes et pour d'autres motifs encore ; et je suis venu dans
votre royaume, espérant que vous voudrez bien m'accorder les secours
nécessaires, et attendant les ordres que vous me donnerez, après avis de
votre conseil*. » [Vient ensuite une série de demandes sans rapports
même éloignés avec l'histoire de la Libératrice.]
1. V. Je texte anglais aux Pièces justificatives j N.
LIVRE VI
LA LIBERATRICE
D'APRÈS LA CHRONIQUE DE MOROSINI.
LIVRE VI
LA LIBÉRATRICE
D'APRÈS LA CHRONIQUE DE MOROSINL
LA CHRONIQUE MOROSINI
REMARQUES HISTORIQUES ET CRITIQUES.
De toutes les Chroniques que les pays étrangers à la querelle anglo-
française nous ont transmises sur la Libératrice, voici certainement la
plus intéressante. La première par ordre de date, elle est écrite au
cours même des événements, au fur et à mesure qu'ils s'accomplissent.
Elle a une forme à part, puisqu'elle consiste en une correspondance,
due principalement à un noble Vénitien mandant à son père les évé-
nements qui se passaient en France, d'un lieu particulièrement bien
situé pour être bien renseigné. A tous ces titres, la Chronique Morosini,
inédite jusqu'ici et presque inconnue, doit trouver place dans les histoires
de la Pucelle, non seulement comme la première des Chroniques étran-
gères, mais aussi comme celle qui nous fait saisir sur le fait même
l'impression produite dans la chrétienté entière par la céleste appari-
tion. Qu'un document de pareille valeur, après être demeuré caché durant
plus de neuf demi-siècles, soit venu à la lumière lorsque la cauçe de la
Vénérable Pucelle faisait les premiers pas dans la voie qui, tout le monde
l'espère, la fera monter sur les autels, n'y a-t-il pas là une coïncidence
extraordinaire, et comme providentielle ? L'auteur de la Vraie Jeanne
iTAre estime une faveur du Ciel de l'avoir amenée au jour ; il y voit un
effet de la Bénédiction apostolique par laquelle le Vicaire de Jésus-Christ
a bien voulu encourager ses travaux et lui dire de les continuer.
Faire connaître le concours de circonstances qui ont amené le pré-
cieux document entre ses mains, c'est justice, parce que ce sera faire
connaître ceux qui ont provoqué et secondé ses recherches.
568 LA VRAIE JEANNE D*ARG ! LA LIBÉRATRICE.
Une revue française, dont il a oublié le nom, parla en 1893 d*un
ouvrage publié à Trieste sous ce titre : Di Gtovamia d'Arco ressuscitata
degli stude stortci. L'auteur, M"* Adèle Butti, affirmait que la Chronique
inédite de Morosini, dont une copie était à Venise et l'original à Vienne,
renfermait de longues et intéressantes pages sur la Libératrice française.
Le R. P. Rivière signala cette indication à Fauteur de la Vraie Jeanne
rfVlrcqui, occupé alors à l'édition du volume précédent, n'y prêta qu'une
demi-attention et se contenta de parler à son éditeur de la voie par
laquelle il pourrait se procurer le volume de M"" Bulti. Il n'y avait eu
aucune démarche effective, lorsqu'une lettre de Venise sur un sujet
différent réveilla ses souvenirs et son attention. Il demanda qu'on lui fit
faire une transcription des pages consacrées à la Pucelle ; il y eut des
difficultés. Il s'adressa à Vienne et ne fut pas plus heureux.
C'est alors qu'il s'adressa à M. Léopold Delisle, administrateur général
de la Bibliothèque nationale à Paris. Il le savait aussi complaisant que
savant, et connu du monde érudit dans l'Europe entière. Un mot de sa
part, espérait-il, lui ouvrirait des portes jusqu'alors fermées. Son attente
ne fut pas trompée. M. Castellani, bibliothécaire de la Marcierme à
Venise, fit le meilleur accueil à la demande de son collègue de Paris, et
confia la transcription du document demandé à M. Vittorio Baroncelli, son
sous-bibliothécaire. Quelques jours après, il arrivait transcrit avec le
meilleur goût. M. Baroncelli avertissait que ce n'était qu'une partie des
pages consacrées par Morosini à la Pucelle. Elles ne prenaient pas assez
haut, ne se prolongeaient pas assez loin. On s'empressa de demander le
tout. La découverte était beaucoup plus précieuse qu'on ne l'avait
imaginé, non seulement pour l'histoire de l'Héroïne, mais aussi pour
celle de la France et de la chrétienté à la fin du xiv* siècle et au com-
mencement du xv°. C'est ce qui résulte de l'inspection de la Chronique,
et aussi d'une notice publiée en 1843 dans VArchivio storico-italiam
(t. V, p. 334), notice que découvrit M. Delisle, et dont il voulut bien,
avant de la traduire dans le Jommal des Savants, donner connaissance à
celui qui avait attiré son attention sur le manuscrit si longtemps oublié.
La Chronique Morosini est une histoire de Venise à partir de la fonda-
tion de la ville. Les cinquante premiers feuillets faisant défaut, l'histoire
dont nous sommes en possession ne commence en réalité qu'à Tannée de
l'élection du doge Dandolo (1192). Pour une raison semblable, il est
impossible de fixer jusqu'où l'auteur l'avait conduite ; elle est fruste à la
fin, et finit h l'année 1433.
Le manuscrit de Vienne est du xv* siècle. Il fut donné par le signor
Amiibate dey H abati Olivieri di Pesaro h Marco Foscarini, mort dans la
suite doge de Venise en 1763. Les manuscrits de Marco Foscarini ayant
LA CHRONIQUE MOROSINI. 571
rapporte que ce qui lui semble avoir quelque fondement, et attend sou-
vent de l'avenir la confirmation ou le démenti des nouvelles qu'il transmet
sous réserve. Il mérite de prendre rang parmi les témoins de la Vénérable.
Quelques remarques critiques accompagneront chacune des lettres
reproduites. Pour faciliter la confrontation avec les autres documents,
des divisions par chapitres avec des sommaires ont été introduites dans
la traduction.
CHAPITRE PREMIER
LA PUCBLLE JUSQU'APRÈS LA VICTOIRE DE PATAY.
Sommaire : Première lettre. — Le sort de la France lié à celui d'Orléans. — Treize bas-
tilles. — Intervention du duc de Bourgogne à la prière des Orléanais aux abois. —
Refus de Bedford. — Premières nouvelles reçues à Bruges de la délivrance d'Or-
léans. — Joie qu*y cause la défaite des Anglais. — Des prophéties annonçaient le
relèvement de la fortune du Dauphin. — Premiers bruits sur Tapparition de la
Pucelle, et sentiments qu'ils provoquent. — Ses promesses au Dauphin. — Dès le
46 janvier des marchands en écrivaient à Bruges de la Bourgogne. — Les moqueurs
punis. — A ses réponses on dirait une autre sainte Catherine. — Délivrer la France
n*était pas toute sa mission. — Apparition au roi. — Le Pape consulté. — Remarques
sur cette lettre.
Deuxième lettre, — Fausses nouvelles écrites de Bruges. — Le pape consulté. — Re-
marques.
Troisième lettre. — Fausses nouvelles de la soumission de Rouen, de Paris, de la récon-
ciliation des Français et des Anglais, et de la manière dont elle se serait opérée. —
Pénitence imposée par la Pucelle. — Elle doit conduire le Dauphin à Rome pour Ty
faire couronner. — Remarques sur ce qui a pu donner lieu à ces fausses nouvelles.
Quatrième lettre. — La Pucelle, ange du ciel. — Ses exploits : Baugency, Patay. —
Conjectures que le Dauphin est à Paris, que Bedford est mis en déroute. — Inter-
vention surnaturelle de Dieu en faveur de la France. — (Combien nécessaire. —
Rapprochement entre Notre-Dame et la Pucelle. — Le relèvement de la France est
la moindre partie de la mission de la Pucelle. — Remarques.
Cinquième lettre. — Confirmation de nouvelles déjà données. — Conjectures. —
Remarques.
Copie d'une lettre de noble sire Pancrace Justiniani en date de
Bruges, le 10 niai 1429 à son père Messire Marc Justiniani, reçue à
Venise le 18 juin. Elle est ainsi conçue :
Messire, je vous ai écrit le 4 de ce mois. Je vous faisais savoir combien
était fort le siège que les Anglais ont mis devant Orléans depuis un an
et demi ^ Je vous écrivais en môme temps comment un coup de bombarde
1. Faute de transcription ; plus loin, Fauteur dit justement : « depuis la moitié d*une
année ».
572 LA VRAIE JEANNE D*ARC : LA LIBÉRATRICE.
avait emporté le comte de Salisbury, leur général. A la suite de celle
perte, les Anglais, sans épargner ni l'argent ni les hommes, se sonl
efforcés de tout leur pouvoir de resserrer le siège, tant pour venger la
mort de ce seigneur, que pour rester victorieux. En réalité, s'ils avaient
pris Orléans, ils pouvaient facilement se rendre maîtres de la France, et
envoyer le Dauphin vivre à l'hôpital. Les Anglais donc fortifiaient de
jour en jour leurs positions; ils avaient élevé treize bastilles, si fortes
qu'elles étaient comme inexpugnables.
Cela détermina les Orléanais à députer vers le duc de Bouiçogne pour
se recommander à lui, et lui offrir de remettre spontanément leur ville
entre ses mains. Le duc leur donna de bonnes paroles, et leur promit
qu'à son pouvoir, il leur obtiendrait du régent de France, son beau-frère,
de bonnes conditions, non seulement pour eux, mais aussi pour son
cousin, le duc d'Orléans, prisonnier en Angleterre.
Ledit seigneur se trouvant à Paris, sur la fin de l'autre mois, en pour-
parlers avec le régent, voulut en obtenir qu'il levât le siège d'Orléans
aux conditions suivantes : lui duc de Bourgogne désignerait au nom de
son cousin d'Orléans les gouverneurs de la ville ; la moitié des revenus
serait au roi d'Angleterre, et l'autre moitié au duc d'Orléans pour son
entretien. La ville serait à leurs ordres pour leur permettre à leur plaisir
entrée et sortie. En outre, la commune d'Orléans serait tenue de payer
chaque année au régent la somme de dix mille écus, destinés à soutenir
la continuation de sa guerre.
Le régent en conclut qu'il déplaisait au duc de Bourgogne qu'Orléans
vint entre ses mains. Persuadé que le siège était assez avancé pour qu'il
en fût le maître dans peu de temps, il répondit qu'il ne souffrirait en
aucune manière que les terres qui étaient de la couronne de France
vinssent en d'autres mains que celles du roi ; qu'il était fort étonné que
pareilles propositions fussent faites par le duc de Bourgogne qui, plus
que tout autre, devait être jaloux qu'il en fût ainsi, qu'il paraissait que
c'était tout le contraire ; qu'il recherchait les intérêts du Dauphin plus
que ceux du roi et que son propre intérêt personnel. D'après ce que je
crois, il y eut de part et d'autre de hautes et vives paroles. Ce que l'on
sait bien, c'est que le duc de Bourgogne partit de Paris mal disposé.
A environ dix jours de là, loin de Paris, il parla à l'ambassade d'Orléans,
exposa comment les choses s'étaient passées, et finit par dire que le
Dauphin et son parti en seraient bien attristés...
Le comte seigneur de Bourgogne est venu ici ; il y est encore aujour-
d'hui ; c'est, je pense, pour gagner du temps, etc.
Depuis, sont arrivées des nouvelles de Paris, par des lettres, par des
574 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIRÉRATRICE.
sants, et qu'il voyait avec regret la partie adverse s'épuiser par la guerre.
Que Dieu qui peut tout pense et pourvoie au bien des chrétiens. Je vous
dis seulement que si Bourgogne voulait favoriser Tautre partie, ne f&tce
que par la parole, d'ici à la Saint- Jean il n'y aurait pas en France un
seul Anglais à combattre.
Avant ces nouvelles, il y a quinze jours, et depuis, on a constamment
parlé de plusieurs prophéties trouvées à Paris et d'autres choses concer-
nant le Dauphin, comme quoi il devait grandement prospérer. En vérité,
j'étais d'accord sur cela avec un Italien d'honorable condition, cependant
sans en faire grande manifestation. Beaucoup en faisaient les plus belles
moqueries du monde, surtout d'une Pucelle gardeuse de brebis, origi-
naire de vers la Lorraine. Il y a un mois et demi qu'elle alla vers le
Dauphin, et refusa de s'ouvrir à tout autre qu'à lui personnellement.
En résumé, elle lui dit que Dieu l'envoyait vers lui ; qu'elle pouvait
lui affirmer avec certitude qu'avant la Saint-Jean de juin prochain il
entrerait à Paris ; qu'il livrerait bataille aux Anglais, serait indubitable-
ment vainqueur, et [ainsi) entrerait à Paris, et qu'il serait couronné;
qu'en conséquence il devait réunir des gens de guerre pour ravitailler
Orléans et en venir aux mains avec les Anglais ; que la victoire était
certaine, et qu'il les contraindrait de lever le siège à leur grande confu-
sion. Je pourrais encore vous rapporter des faits bien étonnants ; je pour-
rais vous dire que par le moyen de cette Pucelle le Dadpuin a eu une
VISION ; ce qui nous tient en suspens moi et tous les autres.
Je me trouve avoir des lettres de marchands qui font le négoce en
Bourgogne et qui à la date du 16 janvier parlaient de ces événements et
de cette demoiselle ; le souvenir en a été rafraîchi par une autre lettre du
28 [avril?) par laquelle on annonçait qu'au dire de cette même demoi-
selle, dans peu de jours, des hommes de renom feraient lever le siège
d'Orléans.
Ce que je viens d'écrire est tiré point par point de lettres reçues. Ce
qu'elles annonçaient s'est réalisé jusqu'à ce jour. Et on dit que celui qui
écrit est un Anglais, nommé Lorenzo ***, bien connu de Maria, homme de
bien et discret. Ce qu'il mande à ce sujet, ce que je lis dans les lettres de
tant de personnes honorables, dignes de foi, me fait devenir fou. Il dit,
entre autres choses, pour l'avoir vu, qu'il est bien clair que beaucoup de
barons marchent à la suite de ladite demoiselle, et que bien des gens du
peuple se rangent autour d'elle. Il ajoute que plusieurs, pour avoir voulu
la tourner en dérision, sont certainement morts par mauvaise mort. Les
lettres se terminent par ce que je vous ai raconté. Ce que Ton voit bien
clairement, c'est qu'elle raisonne sans jamais se contredire; elle discute
avec des maîtres en théologie si bien que l'on croirait que c'est une
U CHRONIQUE MOROSINI. 575
autre sainte Galherine venue sur la lerre ; aussi beaucoup de chevaliers,
l'entendant raisonner et exposer de telles merveilles, ne font chaque jour
que trouver le miracle plus grand, au fur et à mesure qu'ils l'entendent
s'expliquer sur de si étranges choses.
Avant que les Français fussent venus à Orléans, comme je l'ai dit, je
ne savais que dire, ni ce que je devais croire, sauf que la puissance de
Dieu est grande. N'étaient les lettres que j'ai reçues à ce sujet de Bour-
gogne, je ne vous en aurais rien dit, parce que tels récits passent aux
oreilles des auditeurs pour des fables plutôt que pour toute autre chose.
Enfin, tel que je l'ai acheté, tel je vous le vends.
Le mariage de Bourgogne avec la fille du roi de Portugal est conclu ;
il sera facile à la dame d'arriver par des vaisseaux et des galères. Je
crois, d'après les bruits qui courent, que ce seigneur fera une fôte magni-
fique.
Il a été dit depuis que ladite demoiselle doit' accomplir deux autres
grands faits, après quoi elle doit mourir. Que Dieu lui donne aide, et,
comme on le dit universellement, qu'elle ne se démente pas durant une
vie longue et pleine de bonheur. Amen.
Le 18 juin il a été dit que Messire le Dauphin a envoyé une lettre au
Pape de Rome.
Remarques. — [Il est manifeste que le dernier alinéa n'appartient pas à
la lettre de Pancrace Justiniani en date du 10 mai. Morosini relate ce
qui se disait à Venise vers la mi-juin.
Quant à la lettre elle-même, elle est de tout point remarquable, et
par la confirmation qu'elle donne à des faits indiqués par d'autres docu-
ments, et par les faits nouveaux qu'elle relate.
A deux reprises, Justiniani nous dit que les bastilles anglaises étaient
au nombre de treize, en quoi il est d'accord avec le chancelier Gousino t.
Elles étaient regardées comme inexpugnables, et Orléans était réputé
perdu ; c'est affirmé dans bien d'autres documents, que plusieurs auteurs
modernes tentent inutilement d'infirmer. Orléans tombé, c'était la
France conquise, dit-il avec beaucoup d'autres; le Dauphin pour vivre
eût été réduit à l'hôpital, expression qui nous dit que la détresse per-
sonnelle du prince, mentionnée par d'autres contemporains, était bien
réelle.
Est-il bien possible que l'on ait pu connaître à Bruges le 10 mai la
levée du siège d'Orléans qui avait eu lieu le 8? Il semble que non. Pan -
èrace aura peut-être commencé sa lettre le 10, et l'aura continuée les
jours suivants. En tout cas, il a écrit lorsqu'on recevait les premières
nouvelles, ce qui explique les nombreuses inexactitudes qui se mêlent à
576 LA VRAIE JEANNE D*ARG : LA LIBÉRATRICE.
Tannonce du fait vrai dans sa substance. A noter qu'il relate Temploi
d'un feu artistiquement préparé pour déloger Glacidas. En réalité, d après
la Chronique de rétablissement de la Fête du 8 mai, on avait allumé sous
le pont qui reliait les Tourelles au boulevard de la rive gauche une sorte
de brûlot formé de matières infectes qui, parla fumée, incommodaient
fort les défenseurs, devenus assiégés d'assiégeants qu'ils étaient, ainsi
que l'indique une expression de la lettre.
Ce qui est surtout remarquable, et ce qui ne se trouve pas dans les
autres documents, ou s y trouve si faiblement indiqué que les historiens
modernes ne croient pas devoir en parler, ce sont plusieurs détails sur
l'Héroïne elle-même.
A la mi-janvier 1429, elle faisait déjà assez de bruit pour que des mar-
chands, probablement vénitiens, de la Bourgogne où ils se trouvaient,
crussent pouvoir parler de sa personne et de ses promesses dans les
lettres qu'ils écrivaient à Bruges. Pareil fait vient à l'appui de la conjec-
ture émise dans la Paysanne et rinspirée\ d'après laquelle Jeanne a dû
quitter Domrémy dans la dernière quinzaine de décembre.
Quinze jours avant la délivrance d'Orléans, un pressentiment général,
objet des conversations à Bruges, annonçait une heureuse révolution
dans la fortune du Dauphin. D'après Joseph de Maistre, ces sortes de pres-
sentiments précèdent tous les notables changements dans l'univers. Le
célèbre penseur en appelle à ce qui se passa avant 1 789 ; tout le moi^e,^^
dit-il, avait la conviction qu'on était à la veille de grands boulever-
sements.
Le fond des promesses faites par la Pucelle au Dauphin se trouve pal
tout ; il y a cependant ici une particularité digne d'être remarquée. L enî
trée du roi dans Paris est présentée comme l'objectif principal. Reims
n'est pas môme nommé, quoiqu'il soit question du couronnement.
Des morts funestes frappent les contempteurs de la Pucelle. La dépo-
sition de Paquerel en offre un exemple terrifiant.
Aux réponses de l'Envoyée du Ciel, on croirait entendre sainte Cathe-
rine. C'était en effet sainte Catherine qui soufflait les réponses à sa
fidèle disciple.
Ce qui est plus étonnant, c'est que le Dauphin aurait eu, lui aussi, une
apparition surnaturelle. Aucun historien n'a remarqué que le 22 février
Jeanne affirme la môme chose à Rouen. « Avant de me mettre à r œuvre ^
le roi a eu plusieurs apparitions et de belles révélations^. »
On disait à Venise que la délivrance de la France n'était pas toute la
U La Paysanne et nnspirée, ,. n,. *
2. Dixit quod aniequam rcx suus poncret eani in opus, ipse muUas habuit appari-
tioiies et revelaliones pulchras. (ProcèSj t. I, p. 50.)
578 LA VRAIE JEANNE D*ARC : U LIBÉRATRICE.
lettre promise par le chroniqueur. Elle ne pouvait pas avoir été écrite
de Paris toujours au pouvoir des Anglais.]
III
Au nom du Tout-Puissant Seigneur Dieu Étemel. Le 14 juillet, plu-
sieurs lettres écrites d'Avignon par très noble personne Messire Jean de
Molins nous ont appris comment Messire le Dauphin, toujours appuyé par
la demoiselle, qui de son nom s'appelle Jeanne, demoiselle illuminée par
le Saint-Esprit et inspirée de Dieu, est entré à Rouen le 23 juin. La ville
s'est rendue d'elle-même, les Anglais en sont sortis et se sont enfuis
miraculeusement. Ledit seigneur et roi a pardonné à tous, et la paix s'est
faite.
Et depuis le 23, en la fête du Bienheureux Jean-Baptiste le Gracieux
{Graziozo?)j le roi est arrivé à Paris. Tous les Anglais avec le duc de
Bourgogne sont sortis à sa rencontre pacifiquement. Tous ensemble, met-
tant au milieu la demoiselle et le Dauphin avec ses barons et ses cheva-
liers, sont entrés à Paris, en se félicitant et s'encourageant. Le Dauphin a
été proclamé suzerain de toutes les terres, châteaux et villes de France.
De très grandes fêtes ont été célébrées; on s'est réjoui, la demoiselle était
des fêtes. Pardon du passé pour tous ; il ne sera plus souvenir des torts
qu'Anglais et Français se sont faits ; tous sont venus à contrition et à
pénitence; pour conclusion bonne et parfaite paix.
La demoiselle a opéré la paix de la manière suivante : pendant un ou
deux ans les Anglais et les Français et leurs rois devront se revêtir de
draps gris brun avec une croix par-dessus ; ils jeûneront toute l'année,
et le vendredi de chaque semaine au pain et à l'eau; ils ne connaîtront
que leurs femmes légitimes, et ils promettront devant Dieu de ne vouloir
à partir de ce jour ne se donner jamais en quelque manière que ce soit
sujet de discorde.
On raconte encore que ladite demoiselle a dit à Messire le Dauphin
qu'elle voulait le conduire à Rome pour le faire couronner roi de toute
la France. Nous savons que tout ce qui a été dit de cette demoiselle s'est
réalisé. Elle s'est trouvée toujours constante dans ses affirmations; elle
est venue pour faire de magnifiques choses en ce monde. Amen.
Remarques. — [Les nouvelles données dans cette lettre sont fausses.
Charles VII ne devait entrer à Rouen que dans vingt ans, à Paris dans
sept ans. Morosini analyse la lettre de noble Jean de Molins. U peut se
faire qu'il ait transcrit comme un fait accompli ce que celui-ci donnait
LA CHRONIQUE MOROSINI. 579
comme une conjecture probable. Il est certain que la nouvelle de la
défaite de Patày consterna les Anglais. Quand elle fut donnée au conseil,
aucuns (plusieurs), dit Monstrelet, se mirent fort à pleurer. On s'attendait
à voir les vainqueurs fondre sur Paris. ChufTart écrit dans son Journal:
Le mardi devant la Saint-Jean (21 juin) fut grande émeute (émoi) que les
Arminalx dévoient entrer cette nuit à Paris, mais il n'en fut rieîi. Au loin
on aura donné comme un fait accompli ce qui pouvait vraisemblablement
se réaliser. La lettre de la Pucelle aux Anglais avait eu une divulgation
fort étendue. Jeanne qui n'y dît rien du sacre à Reims y parle de rentrée
du roi à Paris. On aura supposé qu'elle s'était portée sur la Capitale,
aussitôt après la victoire de Patay.
La réconciliation était loin d'être opérée. C'était pourtant le but dernier
poursuivi par la Pucelle ; elle ne faisait la guerre que pour arriver à une
paix ferme et durable, qui, ainsi que le dit Gerson, permit de servir Dieu
dans la justice et la sainteté.
En poussant la cour et l'armée à la confession, elle les exhortait par
suite à la pénitence; elle la pratiquait elle-même avec une rigueur qui
fait penser à ce que Louis de Gonzague devait faire après elle.
Dans les trois lettres citées, il est question de Rome, à laquelle l'accusée
de Rouen devait, disent les témoins, faire des appels réitérés.]
IV
Copie d'une lettre envoyée d'Avignon par noble personne Messire Jean de
Molins, en date du 30 juin. En voici la teneur, ainsi que nous en avertis-
sons par avance.
Je veux vous parler d'une gentille demoiselle des contrées de France ;
je dirais mieux d'un bel ange venu et envoyé de par Dieu pour relever
le bon pays de France qui était perdu sans ce secours. La demoiselle a
nom Jeanne. Elle a été dans une infinité de lieux qui se sont soulevés
contre les Anglais.
Elle a été ensuite dans une contrée qui s'appelle Baugency ; et elle a
signifié au capitaine Talbot, un seigneur anglais, d'avoir à l'en mettre en
possession, ce qu'il n'a pas voulu [d*abord\ ; toutefois Suffolk, autre sei-
gneur anglais a tant fait en faisant valoir la puissance de la demoiselle,
qu'il la lui a remise, et lui en a cédé l'entrée, à condition de conserver
saufs les personnes et Tavoir. Il vint à la suite rendre ses hommages à
la demoiselle, lui jura de ne plus s'armer en personne contre le roi de
France, eut ainsi licence de se retirer, et il partit.
Il trouva en chemin quelques soldats anglais, levés parmi les Français
580 LA VRAIE JEANNE DARG : LA LIBÉRATRICE.
{faux Français)^ pour combattre la demoiselle, et dès lors ce seigneur
Talbot, encore qu'il eût fait serment de ne pas prendre les armes contre
la couronne de France, se mit dans la compagnie de ces Anglais. La
demoiselle dit alors avec un cœur magnanime : « Allons vers lui, nous le
battrons! » Ainsi fut fait. On en vint aux mains. Le combat fut long. A la
fin trois mille cinq cents Anglais, d'autres disent trois mille furent tués;
il y eut un égal nombre de prisonniers, en sorte qu'il n'en échappa pas
un seul, chose d'autant plus merveilleuse que, du côté de la demoiselle, il
ne périt pas vingt personnes. Tous les capitaines, de Scales et beaucoap
d'autres ont été tués; Talbot a la vie sauve, mais est prisonnier.
Vous pouvez supposer que tout le pays presque jusqu'à Paris, Orléans,
Reims, Chartres, et beaucoup d'autres villes dont je ne me souviens pas,
auront fait leur soumission. Par suite je regarde comme certain qu'à
cette heure le Dauphin est à Paris, et en est maître, tant d'Anglais ayant
été tués ou faits prisonniers. Les Anglais doivent avoir perdu tout cœur.
Le duc de Bedford^ qui est à Paris a, dit-on, demandé secours au duc de
Bourgogne, mais nous savons que celui-ci ne lui a rien envoyé ; je pense
qu'il {Bedford) aura été taillé en pièces, s'il n'a pas pourvu à son salut en
fuyant ailleurs.
Voilà de bien grandes merveilles ! Qu'en deux mois une fillette ait
conquis tant de pays sans hommes d'armes, c'est bien un signe mani-
feste que ces événements ne sont pas œuvre d'une vertu humaine, mais
que c'est Dieu qui les accomplit. Dieu a considéré la longue tribulalion
endurée par le plus beau pays du monde, dont les habitants sont plus
chrétiens qu'en aucune autre contrée. Après Tavoir purifié de ses péchés
et de son orgueil, Dieu a voulu l'aider de sa main, alors qu'il était sur
le point de sa destruction finale.
C'était impossible à tout autre. Je vous affirme que sans rintervention
divine, avant deux mois, le Dauphin aurait dû fuir et tout abandonner,
car il n'aurait pas eu de quoi mettre sous la dent. Il ne lui serait pas
resté un gros pour se soutenir avec ses cinq cents hommes d'armes. Et
voyez de quelle manière Dieu est venu au secours de la France. De même
que par une femme, par Notre-Dame sainte Marie, il a sauvé le genre
humain, de mùme par cette demoiselle, une vierge pure et innocente, il a
sauvé la plus belle partie de la chrétienté. C'est une grande preuve de
notre foi ; il me semble que depuis cinq cents ans, il ne s'est pas passe
de fait plus merveilleux.
On ne le croira que lorsque tout homme vivant verra avec tous ses
sens, le prévôt de Paris prosterné devant elle, et ce qui ne pouvait pas
arriver est pourtant arrivé ; car je pense qu'à cette heure elle doit avoir
plus de quarante mille hommes à sa suite ; et voyez comment les Anglais
LA CHRONIQUE MOROSINI. 58i
pourront résister ; quand ils se verront devant elle pour l'arrêter, elle les
fera tomber morts à terre.
Voilà des choses qui paraissent incroyables ; moi-même j'ai été très
lent à les croire, et pourtant en réalité elles sont vraies, et tout homme
doit les croire. La glorieuse demoiselle a promis au Dauphin de lui don-
ner la couronne de France, et un don qui vaudra plus que la couronne
de France, et ensuite elle lui a déclaré que c'était la conquête de la Terre-
Sainte; elle l'y accompagnera. On raconte tant de choses qu'un jour ne
suffirait pas pour les écrire, nous les verrons mieux au jour le jour.
Vous apprendrez dans peu les grandes choses qu'elle doit accomplir;
elles sont au nombre de trois, outre le roi de France à mettre sur son
trône ; chacune d'elles est plus grande que cette dernière. Que Dieu nous
laisse vivre assez longtemps pour que nous puissions voir et que nous
voyons le tout.
Remarques. — [Il suffit de lire une des chroniques du second ou du
quatrième livre du présent volume pour voir les inexactitudes que noble
de Molins mêle à la nouvelle de la prise de Baugency et de la victoire de
Patay : inutile de les relever.
L'effet de tant de succès fut immense ; mais puisque, à la date du
30 juin, il ne donne la reddition de Paris que comme une conjecture, à
plus forte raison n'a-t-il pas dû la présenter comme* un fait à la date
du 23.
L'on remarquera combien l'on était convaincu que tout était perdu, sans
l'intervention divine que la Pucelle manifesta. Le rapprochement de la
Libératrice française avec la Libératrice du genre humain s'est fait dès
la première heure, tant il est naturel.
Dès la première heure aussi, on a pensé que le relèvement de la France
n'était pas le but dernier de la mission de la Pucelle. Cela se trouve bien
clairement exprimé dans les stances de Christine de Pisan. Dieu ne fai-
sait un tel miracle en faveur de la nation française, qu'afin de préparer
l'instrument dont il voulait se servir dans l'intérêt de la chrétienté et du
monde. Qui mesurera ce qui se serait passé, si fidèle à la direction et
aux demandes de Jeanne, l'on eut opéré les réformes qu'elle sollicitait?]
Copie d'une lettre de Marseille en date du 28 juin :
J'ai le plus grand plaisir que vous ayez été bien satisfait des grands
miracles que vous ont fait connaître les nouvelles de France.
582 LA VRAIE JEANNE D^ARC : LA LIBÉRATRICE.
Ainsi que vous l'aurez appris depuis, c'était bien la vérité que Ton
vous disait en vous annonçant les grands faits accomplis devant Orléans,
et à la suite la conquête de nombreuses forteresses, de beaucoup de lieux
réputés inexpugnables, de nombreux prisonniers ou hommes tués, tous;
au moins de cinq à six mille Anglais mis en fuite avec leurs principaux
capitaines, en sorte qu'il en reste peu en France. On raconte que par la
vertu de celte demoiselle le Dauphin est en possession d'une grande puis-
sance, et tous sont sur le chemin d'Orléans {de Reinu) pour le couronne-
ment. Je pense qu'il aura été couronné avant la Saint-Jean, et qu'au jour
où je vous écris il sera entré à Paris; et plaise à Dieu Notre-Seigneur
qu'il en soit ainsi.
Mais il serait long de raconter les grands miracles qu'a faits conti-
nuellement et fait encore cette demoiselle. Veuillez avoir patience et
m'excuser si je ne vous en écris pas plus long. Je vous ferai savoir tout
ce qui suivra.
Remarques. — [Cette lettre a manifestement pour but de confirmer des
nouvelles déjà données, et que l'on aurait d'abord refusé de croire, à ce
qu'il semble.
Si le sacre n^a pas eu lieu avant la Saint-Jean, il faut l'imputer aux ter-
giversations de la cour, dont la Libératrice se plaignait si vivement. Elles
étaient une faute du point de vue naturel ; il fallait profiter de la victoire,
sans donner à l'ennemi le temps de se ressaisir.
Cette lettre, comme les précédentes, présente Paris comme l'objectif
principal; en le pensant ainsi, on ne s'écartait pas de la pensée de la
Pucelle, qui avait promis de mettre le roi dans Paris, comme elle avait
promis de le faire sacrer à Reims.]
CHAPITRE 11
LA PUCELLE DEPUIS SA NAISSANCE JUSQU'A LA VEILLE DU SACRE.
Sommaire : Sixième lettre. — Age, lieu d'origine, occupations, piété, départ de la Pu-
celle. — La mission qu'elle se donne, les conditions qu'elle y met. — D abord mal
reçue. — Les secrets. — Longues épreuves. — Épreuve par la communion. — Sa
tempérance. — Sa sainteté. — Elle oblige tout le monde à se confesser. — Ses
ordonnances comme chef de guerre. — Elle exige que le Dauphin pardonne de bon
cœur. — Hais et d'autres guerriers viennent la rejoindre. — La Pucelle armée. —
Son étendard. — Les préparatifs de la campagne. — Sommation aux Anglais. —
Entrée à Orléans. — Nombre des combattants. — Prise de la première bastille. —
Nouvelle sommation le jour de l'Ascension. — Nouvelles conquêtes le jour suivant.
LA CHRONIQUE MOROSIM. 583
— Blessure de la PucelJe. — Fuite des Anglais. — Le duc de Bretagne. — Source de
ces nouvelles. — Prophéties sur la Pucelle. — Prise de Jargeau. — Victoire de Patay.
— Bedford demande instamment du secours au duc de Bourgogne. — Voyage de ce
dernier à Paris, et bruits contradictoires sur ses intentions. — Faux bruits sur Téva-
sion du duc d'Orléans. — Armée venant d*Angleterre. — Les soldats levés contre les
Russiles détournés contre la France. — Remarques sur cette importante lettre.
Septième lettre. — Départ pour le sacre. — Fable sur la conquête d'Auxerre. — Exploit
fabuleux attribué à La Hire. — Fausse nouvelle d*une victoire du duc de Bar sur le
duc de Bourgogne. — Conte sur la couronne de saint Louis.
Htdtième lettre* — Diverses fausses nouvelles.
Neuvième lettre . — Diverses fausses nouvelles. — Observations.
VI
[Voici le passage le plus long et le plus intéressant de Morosini sur
THéroîne. Le commencement et la fin montrent que c'est une lettre. Il
ne dit pas qui Ta écrite; mais tout indique que c'est Pancrace Justi-
niani qui aura fait un résumé de tout ce qu'il avait appris sur la
Pucelle.]
En Tan 1429, en date du 9 juillet, reçue le 2 août.
Nouvelles de Jeannette, la Pucelle venue au royaume de France en
Tan 1429.
Nous avons à son sujet une foule de lettres venues de Bretagne en date
du 4 juin. Nous avons des lettres d'ailleurs. Nous avons vu, entendu
des personnes dignes de foi, nous en parler, beaucoup qui l'avaient
vue. En substance tous affirment qu'il se passe par elle des événements
très miraculeux, qui sont cependant réels. Pour moi, attendu ce que l'on
rapporte de sa vie, je crois que la puissance de Dieu est grande.
Ladite Pucelle est âgée d'environ dix-huit ans, du pays de Lorraine
sur les confins de la France, elle était béguine, gardeuse de brebis, fille
d'un villageois. Au commencement de mars elle quitta son troupeau, fit
prier Dieu et ses parents et demanda à quelques gentilshommes [de
raccompagner]. Elle ne trouva aucune opposition, vu l'assurance qu'elle
leur donna d'être mue par inspiration divine...
Venue en la présence du noble Charles, le Dauphin, fils du roi de
France dernier mort, elle lui fit connaître qu'elle venait de la part de Jésus,
notre Rédempteur, pour trois choses qui auraient leur accomplissement,
disait-elle, si le roi lui accordait une ferme foi, ne craignait pas d'exposer
sa vie, procurait un amendement général, et se gouvernait comme elle
le dirait, moyennant la grâce de Dieu parle commandement duquel elle
était dirigée. La première chose pour laquelle elle venait, c'était pour faire
lever le siège mis par les Anglais autour d'Orléans, la seconde pour le
faire couronner solennellement et le faire roi de toute la France et de ses
584 LA VRAIE JEANNE D*ARC : LA LIBÉRATRICE.
dépendances, la troisième pour procurer la paix entre lui et les Anglais,
et encore afin que le duc d'Orléans sortît de sa prison d'Angleterre, par
accord fait à l'amiable; point qui, sans l'intervention de la miséricorde
divine, serait très difficile à obtenir sans grande effusion de sang de part
et d'autre. Si les Anglais ne voulaient pas accorder cette délivrance, elle
finirait par passer en Angleterre et les y contraindrait malgré eux, en
les subjuguant à leur inestimable confusion et dommage.
Le Dauphin, entendant ces choses de labouche d'une fillette, se moqua
d'elle. Il la crut folle, possédée du démon, etde toute effronterie. Celle-ci,
voyant qu'on n'ajoutait aucune foi à ses paroles, lui fit connaître des
choses qui, dit-on, n'étaient connues que de Dieu et du Dauphin. Ce qm
fut cause que celui-ci fit réunir beaucoup d'hommes de savoir ; et Von
commença à disputer avec elle, à l'éprouver de bien des manières soit
sur son état physique, soit sur ses entretiens avec des gentilshommes de
sa suite. On constata qu'elle demeurait toujours ferme dans ses dires. En
dernier lieu elle fut durant un mois soumise à l'examen de maîtres en
théologie. A la fin, considérée sa vie, et plus encore ses paroles, ses
réponses aux questions posées par ces maîtres, il fut conclu que cette
créature ne pouvait être qu'une sainte et une servante de Dieu. Tous con-
seillèrent au Dauphin de se fier à elle de tout son cœur. On m'écrit bien
d'autres choses encore, sans parler de ce que l'on raconte. Avant de
croire à ses paroles, on a eu de nombreuses preuves de sa mission, entre
autres celles-ci : Elle voulait communier, le prêtre avait deux hosties,
Tune consacrée, l'autre non consacrée; il voulut lui donner cette der-
nière. Elle la prit à la main, et lui dit que cette hostie n'était pas le corps
du Christ, son Rédempteur, mais que c'était l'autre que le prêtre avait mise
sous le corporal.
Deux onces de pain suffisent à sa vie de chaque jour, elle ne boit que
de l'eau, et si elle prend un rien de vin, c'est avec trois quarts d'eau;
elle se confesse chaque dimanche ; elle est très dévote, très pieuse, très
simple, toute pleine du Saint-Esprit.
Voici en substance les recommandations qu'elle fait à tous: elle veut
que les capitaines et seigneurs de la cour se confessent comme elle ;
qu'ils se confessent de leurs fornications; elle exige la même chose des
demoiselles. Ceux et celles qui avaient le plus offensé Dieu ; ceux qui ont
été plus cruels ; ceux qui plus qu'hommes ne le furent jamais, avaient été
esclaves de tous les vices, elle les a réduits comme les autres à faire sa
volonté, à ne pas se perdre (je ne m'étends pas à le raconter), mais à
avoir recours à la miséricorde de Dieu pour le salut de leurs âmes.
Créée capitaine et investie du gouvernement de toute l'armée du
Dauphin, elle se hâta de promulguer que personne ne fût si hardi que
586 LA VRAIE JEANNE D*ARC : LA LIBÉRATRICE.
Jeannette, en apprenant le mépris qu'avait provoqué son message,
ordonna que chacun s'armât et requit aide. Gela dit, on se compta
et il se trouva qu'ils n'étaient pas plus de deux mille pour combattre
plus de six mille Anglais. Elle les conforta si bien que, sans contesta-
tion, ils auraient pu tenir tète à dix mille. La Pucelle passa avec tous
ceux qui la suivaient devant les Anglais qui, lorsque elle était présente,
n'auraient pas été en état d'arrêter mille combattants ; elle entra ave<r
le convoi de vivres et ravitailla Orléans, sans que les Anglais fissent un
mouvement: ils se contentèrent de crier des vilenies contre elle, l'appe-
lant fille de mauvaise vie (putana), une sorcière, jetant des pierres
derrière elle avec leurs bombardes et leurs mangonneaux.
Ses gens restaurés avec ceux qui au nombre d'environ deux mille
cinq cents soldats étaient à la garde de la ville sous le commandement
du bâtard d'Orléans et d'autres capitaines, la demoiselle commanda que
chacun apprêtât ses armes, et s'avançât sans ombre de peur. Elle les
confortait en disant de ne pas craindre parce qu'ils étaient en moins
grand nombre que les Anglais, car Dieu était de leur côté.
En conclusion, ils sortirent, un mercredi, contre une bastille défendue
par six cents Anglais des plus braves et des mieux éprouvés. On combattit
tout ce jour-là sans leur faire éprouver grande perte, si bien que le soir
approchant les gens de la demoiselle manifestèrent l'intention de se
retirer. On vit alors la demoiselle lever vers le ciel ses yeux pleins de
larmes et faire une courte prière. Elle cria ensuite que tous fissent
attention à ses paroles, et elle dit que toute force avait été enlevée aux
ennemis. Et, poussant de grands cris, elle alla contre les Anglais, elle les
frappe et prend la bastille dans laquelle se trouvaient six cents Anglais
qui semblaient avoir les mains paralysées. Tous furent pris et tués. Dans
cette escarmouche périrent dix Français, les autres retournèrent se
reposer dans la ville.
Le jeudi, qui fut la fête de l'Ascension, elle sortit, dit-on, pour
observer d'un point élevé les Anglais dans leurs bastilles, lesquelles
étaient au nombre de neuf. Personne ne fut assez hardi pour s'appro-
cher de sa personne, la peur les empêchait, mais on lui dit toute sorte
de vilenies; et elle leur répondait avec beaucoup de modestie, qu'ils
devaient lever le siège, sans quoi ils feraient tous mauvaise fin.
Le vendredi, sur l'heure de tierce, la demoiselle sortit de la ville,
son étendard en mains, et suivie de tous ses gens elle alla donner l'as-
saut à une autre bastille, la plus forte de toutes, à l'extrémité opposée
du pont jeté sur le fleuve. La bastille était défendue par l'Anglais Glaci-
das, à la tête de plus de cinq cents combattants. Vers les quatre heures,
les Anglais, par crainte des Français, voulurent se retirer en deçà sur le
LA CORONIQUE MOROSLNI. 587
pont ; ils ne le purent pas ; le pont se rompit ; Glacidas tomba dans la
rivière avec plus de trois cents des siens et tous se noyèrent.
Notez que la Pucelle fut blessée à la gorge d'un vireton ; ce jour-là
même elle avait annoncé cette blessure aux capitaines, ajoutant que cela
n'aurait pas de fâcheuse conséquence.
Les plus vaillants capitaines anglais se réunirent et se fortifièrent sur
une des bastilles les plus fortes appelée Londres. Ce jour-là même la
Pucelle avec ses troupes vint Tassaillir et l'emporta de vive force. Le
capitaine anglais Molins y fut tué. La demoiselle en conclut que le
reste du camp anglais avait abandonné les autres bastilles, et s'en allait
son chemin plus vite qu'au pas. Ainsi fut levé le siège d'Orléans, grâce
à ladite demoiselle et à la glorieuse intervention de Dieu.
Sachez que, pour fuir prestement, les Anglais ont laissé toutes leurs
bombardes, une masse d'armes offensives {iante clave)^ leur matériel de
guerre. C'est devenu la propriété des Français.
Nous savons par celui qui écrit de Bretagne qu'on s'était adressé au
duc de Bretagne, et que son fils devant aller avec cinq cenls Bretons
combattre la demoiselle; ils sont retournés en Bretagne. Ainsi ce Mon-
seigneur {le parti) d'Orléans devient fort.
Toutes les nouvelles données jusqu'à ce passage de ma lettre ont été
écrites de Bourgogne ; et sont arrivées par semblables voies ; ajoutez que
pour la plupart elles ont été racontées et ouïes de la bouche de beau-
coup d'autres de diverses nations, venant, qui d'un lieu, qui d'un autre.
Tous s'accordent pour affirmer les grands miracles faits par la demoi-
selle, depuis qu'elle est avec le Dauphin. Pour moi, comme je l'ai déjà
dit, considérant que la Puissance de Dieu est grande, je ne sais propre-
ment pas ce que je dois en penser. Si quelqu'un veut croire le con-
traire, il peut le faire librement ; ni l'un ni l'autre ne se damnera pour
cela. Ce qui est bien entendu, c'est que les affaires du Dauphin vont
chaque jour en prospérant davantage, à un point que cela semble impos-
sible à croire, quand on considère l'état auquel les Anglais l'avaient
réduit, état dans lequel on voyait bien qu'il n'en pouvait plus.
A Paris l'ambassade de maître de Sasidis a trouvé plusieurs prophéties
qui font mention de cette demoiselle ; une entre autres de Bède dans
Alexandrie {sic?). On les interprète qui d'une manière, qui de l'autre.
En tout cas, voici les termes de ladite prophétie. Elle se tire des mots
qui suivent \
i. La prophétie telle qu'elle se trouve dans Morosini n'a aucun sens. Le vrai texte
est celui que Bréhal cite dans son Mémoire, et qu'il interprète en ne tenant compte,
selon les régies, que des lettres usitées pour les nombres inférieurs. (Voy. la Pucelle
devant VÉglise de son temps, p. 455.)
588 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
5
Vis Gomulcoli bis septem se sociabunt / 100
Galboniopuli bella nova parabunt | 2
Ecce béant. bella, fert vexila puella ' 1
5
1
100
o
100
1
1
1000
101
5
2
1429
Après la levée du siège d'Orléans, le comte de SuiTolk se retira dans
une place forte où il réunit neuf cents hommes. La place se nomme
Jargeau. Vers le 5 mai {le 11 jîiin) ladite demoiselle vint Tassi^er avec
ses gens, l'emporta de vive force, et fit prisonniers tous les Anglais qui
avaient échappé à la mort. Ledit comte fut fait prisonnier avec un de
ses frères et de nombreux chevaliers. Un de ses autres frères fut tué.
Cette victoire fut remportée le 12 juin.
Les capitaines anglais, réunissant toutes les forces qu'ils pouvaient
rassembler tant avec les soldats anglais qu'avec les Français de leur
parti, voulurent en venir aux mains avec les gens de la demoiselle qui
étaient, dit-on, au nombre de quatre mille Français à cheval. Ceux-ci
n'avaient pas encore rejoint les Anglais que ces derniers tournèrent les
épaules sans essayer de se défendre, ce que Ton n'avait jamais vu. La
Pucelle, assure-t-on, s'est trouvée avec tous ses hommes ; et des Anglais
il n'échappa guère que cinq cents hommes. Ont été pris le sire de
Talbot, le sire de Scales et beaucoup d'autres seigneurs. D'où vous pou-
vez conclure comment, en peu de temps, elle a fait en faveur du Dauphin
les plus éclatants et plus nombreux miracles.
Le régent est autour de Paris, il a demandé secours à Bourgogne;
sachez que tout se perd; voilà pourquoi une nouvelle ambassade est
arrivée tant en son nom qu'au nom de la ville de Paris pour savoir quel
secours on voulait lui donner ; il demande que de toute l'Angleterre on
pourvoie à la conservation du royaume de par ici.
Il a été dit, et je le crois, que ces deux jours-ci, Monseigneur de
590 U VRAIE JEAxNNE D'ARC : LA LIBÉRATRICB.
ment sur Tétendue et la nature de la mission reçue. Le couronne-
ment à Reims n'est qu'une étape, Reims n*est pas même nommé. La
Pucelle doit expulser totalement Tenvahisseur, bien plus, passer en
Angleterre pour délivrer le duc d'Orléans, si cette délivrance ne peut
pas être obtenue à l'amiable. Jeanne a d'elle-même affirmé ce dernier
point au procès de Rouen dans la séance du 12 mars, séance du soir.
La mission est conditionnelle. Le Dauphin doit obéir aux ordres que
le Ciel lui intimera par son Envoyée. Une réforme générale doit être
opérée; réconciliation avec Dieu, réconciliation de tous les partis qui
divisent les défenseurs de la cause nationale; bien plus réconciliation
finale avec les Anglais. Si le parti que la jeune fille vient relever est infi-
dèle, au lieu des bénédictions promises ce seront d'épouvantables châti-
ments. Gerson, dans son Mémoire composé après la délivrance d'Orléans,
avait depuis déjà deux mois dit la même chose, et indiqué les grandes
lignes de la réforme à opérer. L'on ne comprendra ni l'histoire, ni la
mission de la Libératrice, tant qu'on s'obstinera à voiler cet aspect ^
Ce qu'il dit de la sainteté de la jeune fille, et en particulier de son
incroyable tempérance est universellement attesté : iera begina^ c'est, à
notre connaissance, le seul texte dont on pourrait induire qu'elle appar-
tenait à quelque confraternité ou tiers-ordre. Aucun n'est spécifié.
Ce qui est dit des épreuves auxquelles la jeune fille fut soumise avant
d'être mise à Toeuvre est exact, ce n'est que par cette lettre que nous
connaissons l'épreuve par la communion.
Deux mille guerriers se seraient joints avec Jeanne aux deux mille
cinq cents qui étaient déjà dans Orléans, et les assiégeants auraient été
six mille. Ces chiffres sont très plausibles et conformes à ceux de Tabbé
Dubois.
1 . La traduction du passage de Gerson a été donnée dans la Pucelle devant r Église
de son temps, p. 28, mais à cause de son importance, voici le texte même :
« Etsi frustraretur ab omni (a totâ) exspectatione suà et nostrà prœdicta Pueila, non
oporteret concludere ea qua facta sunt, a maligno spiritu vel non a Deo facta esse,
sed vel propter nostram ingratitudinem et blasphemias... posset contingere fruslralio.
« Superadduntur quatuor civilia et thcoiogica documenta. Unum concernit regem
et consanguineos regiai domûs; secundum miiitiam régis et regni; terlium ecclesias-
ticos cum populo ; quartum puellam ipsam. Quorum documentorum iste unicus est
finis benc vivere, pie ad Deum, juste ad proximum, et sobrie hoc est virtuose et tein-
peranler ad seipsum.
« Et in speciaii pro quarto documento quod gratia Dei ostensa in hac Puella non
accipiatur et traducatur per se aut alios ad vanitates curiosas, non ad mundanos
quaîstus, non ad odia partialia, non ad seditiones contentiosas, non ad vindictam de
preteritis, non ad gloriationes ineplas, sed in mansuetudine et orationibus, cum gra-
tiarum actione quilibet laboret in id ipsum; quatenus veniat pax in cubili suo, ut de
manu inimicorum nostrorum liberati, Deo propitio, servi amus illi in sanctitatc cl
justitia coram ipf^o omnibus diebus nostris, amen. A Domino factum est istud. »
LA CHRONIQUE MOROSLNI. 591
Les incidents de la délivrance d'Orléans sont rapportés d'une manière
inexacte : le correspondant place à la prise de Saint-Loup des faits qui
se sont passés à la prise des Tourelles ; c'est peu étonnant ; le correspon-
dant était loin des lieux, et les récits des trois jours de combat devaient
lui être faits d'une manière confuse.
Jargeau fut bien emporté le 12 juin, mais la Pucelle n'y était venue
que le 11. Les capitaines restés à Orléans avaient fait vers le 15 mai, en
l'absence de laPccelle, une tentative infructueuse contre Jargeau. De là
Terreur du correspondant.
Le 10 juillet, le duc de Bourgogne entrait effectivement à Paris. Il
jouait double jeu puisque ses ambassadeurs étaient à Reims le 17.
Ce qui est dit du cardinal d'Angleterre est aussi conforme à la vérité.
Dans son ensemble, cette lettre est un des beaux documents de l'his-
toire de la Pucelle. L'on ne peut pas en dire autant du tissu des fables de
la suivante.]
VII
Copie des nouvelles sur la demoiselle, venues de France, envoyées à la
seigneurie de Venise par le marquis de Montferrat '.
Illustrissime prince, il est très vrai que le 21 juin ladite demoiselle
est partie avec tous ses hommes d'armes des bords de la Loire pour aller
à Reims y faire couronner le roi de France. Le roi lui-même est parti
le 22, la demoiselle ayant l'habitude de le précéder d'une journée ou
environ.
Le samedi 2 juillet se sont passés de notables événements à la suite de
leur arrivée devant la cité d'Âuxerre. Dès leur venue, les habitants ont
député vers le roi douze de leurs plus notables citoyens, choisis parmi
ceux qui se montraient plus favorables à sa cause. Il feignaient de vouloir
négocier et lui rendre obéissance pour qu'il entrât dans la cité. Durant
les pourparlers, les habitants mandèrent de nombreux capitaines d'hommes
d'armes, les uns Bourguignons, les autres Savoyards, tous de grands
renom, tels que le vieux de Bar, le seigneur de Varandon (?), Messire Hum-
bert, maréchal de Savoie. Ces derniers amenèrent environ huit cents de
leurs gens, que les boui^eois cachèrent dans leurs maisons, vingt et
trente dans une, soixante dans l'autre, etc.
La demoiselle voulut que douze hommes du parti du roi entrassent
1. M. Délia Santa publia dans les n<» des 17 et 24 février 1895 de la Scintilla,
journal vénitien, un texte des deux lettres suivantes, tiré des archives du couvent de
Saint-Georges-en-rUe. 11 présente d*assez nombreuses variantes avec celui de Morisini,
et en quelques passages rend Morisini intelligible.
592 LA VRAIE JEANNE D*ARC : LA LIBÉRATRICE.
dans la ville pour voir ce qui s'y passait, et elle se fit remettre un égal
nombre de citadins. Les douze envoyés royaux introduits dans, la ville
ouïrent et virent cette grande multitude d'hommes armés, tous d'une
d'une attitude très martiale, et se disposèrent à venir rapporter ce qn'ils
avaient vu et entendu. Les habitants, voyant leur trahison découverte,
s'emparèrent de leurs personnes, leur coupèrent la tète, et les clouèrent
ensuite sur les portes de la ville. A cette nouvelle, la demoiselle ordonne
qu'on se saisisse des douze habitants d'Auxerre, et qu^on leur coupe
pareillement la tète devant ces mômes portes ; elle commande ensuite
que tous viennent à l'attaque, et sur son ordre tous accourent pour monter
à l'assaut.
L'évêque de la ville fut pris au commencement de la bataille, combat-
tant les armes à la main. Il était venu avec les prêtres revêtus des orne-
ments sacrés, avec les reliques et de l'eau bénite. La demoiselle le fait
saisir ainsi que les prêtres et leur fait à tous trancher la tête ; et ensuite
elle fait massacrer tous les habitants de sept ans et au-dessus, hommes et
femmes, et elle finit par faire démanteler la ville.
Il est vrai que deux mille Anglais rôdaient autour du camp du roi,
observant si, à la faveur de quelque désordre, ils ne pourraient pas frapper
un grand coup. La demoiselle fit venir un des capitaines du roi, du nom
de La Ilire et lui dit : « Tu as accompli en ton temps de grands exploits,
mais aujourd'hui Dieu t'a choisi pour en accomplir un nouveau qui sur-
passera de beaucoup tous ceux du passé. Prends tes hommes d'armes, va
dans tel bois à deux lieues d'ici, tu y trouveras deux mille Anglais, la
lance en main ; tu les prendras, tu les tueras. ))Le capitaine obéit, trouva
les Anglais, les prit et les tua tous, comme le lui avait dit la demoiselle.
Dans la cité d'Auxerre ont trouvé la mort le vieux de Bar précédem-
ment nommé, le seigneur de Varambon, Messire le maréchal Ilumbert
avec environ six cents Savoyards. Cela fait, l'armée du roi marcha vers
une ville qui s'appelle Troycs; elle rendit obéissance ainsi que toute la
contrée traversée (?). Il est vrai que le duc de Bar, frère du roi Louis,
Leau-frèrc du roi de France, venait le joindre avec huit cents cavaliers.
Les Bourguignons, qui l'apprirent, vinrent, sur le commandement du duc,
avec douze cents cavaliers pour lui barrer le passage. On en vint aux
mains ; les Bourguignons ont été la plupart tués ou faits prisonniers.
Le duc de Bourgogne et le duc de Bedford ont réuni toutes leurs forces
dans une môme ville qui s'appelle Beauvais. Là ils ordonnent tout pour
combaltre le roi. Malgré la multitude d'hommes dont ils disposent, la
demoiselle n'en fait aucun compte. A Lyon, à Grenoble et dans les autres
pays du roi de France, on a fait des processions, de grands feux et de
grandes fûtes.
U CHRONIQUE MOROSINI. 593
L'évêquede Clcrmont avait la couronne de saint Louis. Voici comment,
à son très grand regret, il a été réduit à la rendre au roi. La demoiselle
lui dépêcha un messager avec une lettre par laquelle elle le priait de vou-
loir rendre la couronne. L'évêque répondit qu'elle avait fait un mauvais
rêve; la demoiselle lui envoya une seconde fois le même message qui
reçut la même réponse. Elle écrivit aux habitants de Clermont que si la
couronne n'était pas rendue, Dieu y pourvoirait: cela étant resté sans
effet, il tomba soudainement une si grande quantité de grêle, que cela
sembla un grand miracle. Ayant écrit une troisième fois aux susdits, la
demoiselle décrivait la forme et la contexture delà couronne que Tévôque
tenait cachée, et elle ajoutait que si elle n'était pas rendue, il y aurait un
châtiment bien pire que ceux ressentis précédemment. L'évêque, enten-
dant décrire la forme et la façon de la couronne qu'il croyait être abso-
lument inconnues de tous, très attristé et très repentant de ce qu'il avait
fait, envoya la couronne au roi et à la demoiselle.
VIII
[Le manuscrit donné par la 5cm////a rend intelligible le commencement
de cet article, qui ne Test pas dans Morosini.]
Chapitre tiré d'une autre lettre. — De France est venu un notable per-
sonnage qui se trouvait de sa personne aux premiers événements
d'Orléans à la suite de la Pucelle. U a reçu une lettre du roi lui-même
qu'a présentement en mains le seigneur marquis. On y trouve énoncées
' les victoires mentionnées dans la copie qui vient d'être rapportée et plu-
sieurs autres choses sur les conquêtes d'autres lieux et les pertes en
hommes des Anglais. La lettre se termine en disant qu'on se dispose à
aller avec la Pucelle au-devant du duc de Bourgogne, à en venir aux
mains avec lui, et qu'on a espérance d'une bonne victoire. — Le marquis
termine la sienne en disant que tout récemment, passant par le couvent
d'un abbé, personnage très digne de foi, il l'a entendu confirmer de lui-
même l'importante nouvelle de la défaite du duc de Bourgogne, et d'un
immense carnage d'Anglais, de Bourguignons, de Savoyards. L'on ne
dit pas que le duc soit prisonnier. Le marquis affirme qu'attendu la
lettre du roi à ladite personne toutes ces choses sont vraies.;
IX
Passage de la lettre de Gênes, en date du 1*' août 1429:
Je prête l'oreille à ce qui se passe en France ; les événements ne sont
m. 38
59^ LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
pas agréables à entendre *. La Pucelle prospère toujours ; elle a remporté
(le nouveau une grandissime victoire. Le bruit court que le Dauphin est
à Paris, que le régent a été tué dans la bataille, que le duc de Bour-
gogne est prisonnier. Il semble que tout cela se sait à Milan par un
capitaine à la solde du Dauphin. Il a nom Georges de Valpergue et il
aurait écrit toutes ces nouvelles. J'entends dire que le duc de Savoie Ta
écrit de la môme manière au duc de Milan.
Ce qui est rapporté dans ces deux chapitres n'a été en rien confirmé.
Observations. — [La remarque de Morosini est tout ce qu'il y a à
retenir de ces dernières lettres. Pas une goutte de sang ne fut versée à
Auxerre. Les chroniqueurs nous Tout dit à l'envie. On aura peut-être
placé à Auxerre, en le dénaturant sans limites, le massacre des prison-
niers que la Pucelle fut impuissante à empêcher après la prise de Jargeau.
Le lecteur a pu voir voir qu'un bruit semblable avait coupu en France,
s'il a lu la lettre de Jacques de Bourbon La Marche à l'évêque de Laon,
ou qui lui est du moins attribuée.
Ce qui est dit de La Hire est une altération du rôle glorieux quïl joua
à Patay.
L'on ne s'explique pas le conte à propos de la couronne de saint Louis.
L'accusée de Uouen^ pressée de dire le signe qu'elle avait donné au roi,
répondit par Tallégorie de la couronne qu'un ange aurait apportée au roi ;
et elle donna h ce propos des réponses qui, sans trahir le secret qu'elle
avait juré de ne pas révéler, étaient cependant pleines de justesse. Peut-
ôtre que, pressée aussi par Timportunité de curieux indiscrets, alors
qu'elle entrait en scène, elle aurait fait une réponse de ce genre. L'imagi-
nation populaire aura ajouté le reste.
Le duc de Bar ne rejoignit son beau-frère que quinze jours après le
sacre. En juillet, comme le remarque la Chronique dite des Cordeliers, il
était avec son beau-père au siège de Metz. C'est seulement à Compiègne
que la Libératrice s'est trouvée les armes à la main en face du duc de
Bourgogne.
Qu'on remarque comment dans toutes ces lettres on parle de la sou-
mission, de la conquête de Paris, beaucoup plus que du sacre à Reims.
C'est qu'en effet la Pucelle se donnait comme devant introduire le roi à
Paris, non moins que comme devant le faire sacrer à Reims.
Ceux qui s'étonneraient de ce que la renommée mêlait de faussetés un
récit d'événements que l'histoire n'a enregistrés qu'une fois, n'ont qu'à
se rappeler les contes que l'on faisait circuler l'année de nos grands
1. L'auteur de la lettre devait écrire à un partisan des Anglais.
LA GORONIQUE MOROSINI. 595
désastres. C'est encore plus étonnant que ceux que l'on vient de lire,
car c'étaient des contre-vérités.]
CHAPITRE III
DU SACRE JUSQU'A LA RETRAITE SUR LA LOIRE.
SoMMAiiiE : Dixième lettre. — Arrivée à Calais du cardinal d'Angleterre et d'une armée
anglaise. — Bruits divers sur les intentions du duc de Bourgogne, sur la marche
du Dauphin vers Reims et ses projets ultérieurs. — Tout se fait par le conseil de la
demoiselle. — Remai*ques.
Onzième lettre, — Le sacre et la campagne qui l'a précédé. — Dévouement de Tournay
& la France. — Le duc de Bourgogne revenu de Paris est à Arras; le régent atten-
dant le Cardinal à Pontoise. — Grande levée de troupes par le duc de Bourgogne.
— La garde de Paris. — Fausses tiouvelles sur les conquêtes du duc d'Aiençon en
Normandie. — Grands miracles accomplis. — Fausse nouvelle sur le comte de
Nevers. — Charles Vil en marche sur Paris. — Jonction de Bedford et du Cardinal.
— Remarques.
Douzième lettre. — Confirmation de la nouvelle du sacre.
Treizième lettre. — Bruits de trêves et du siège de Paris. — Remarques.
Quatorzième lettre. — Conquêtes de Charles VII après le sacre. — Le régent en Nor-
mandie. — Le duc de Bourgogne sur le point de se mettre en campagne.
Trêves inexplicables. — Remarques.
X
Dans une lettre en date de Bruges, et du 16 juillet, sire Pancrace
Justiniani écrit de nouveau à Messire Marc son père : Ce que je vous
avais annoncé comme devant arriver s'est réalisé. Le cardinal d'Angle-
terre, qui était à la tète de quatre mille hommes levés pour aller
combattre les hussites, est parti hier de Calais pour se trouver à Paris.
L'on dit qu'un égal nombre d'Anglais doit prochainement débarquer.
C'est tout ce que j'ai à dire à ce sujet.
Depuis que Monseigneur de Bourgogne est parti, les uns disent qu'il
s'est rendu à Paris, les autres le nient et affirment qu'il n'a pas voulu
s'y rendre, qu'il se trouve à Senlis... qu'il cherche h engager des pour-
parlers avec ses beaux-frères et le Dauphin. Ces beaux-frères sont Charles
de Bourbon et le comte de Vendôme. 11 voudrait, dit-on, en venir à un
accord; mais on ne croit rien de ce que je viens d'écrire.
On écrit encore que le Dauphin avec la Pucelle, à la tête de vingt-
cinq mille hommes, est passé par Troyes en Champagne, et par beau-
coup d'autres lieux. Il veut arriver à Reims, et pour le moment il ne se
met pas en peine d'occuper d'autres pays. Aussitôt après son arrivée ^
596 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA UBÉRATRICE.
Reims, il sera couronné et recevra le serment d'obéissance de ses
fidèles. D'autres disent le contraire, et chacun parle selon ses inclina-
tions. L'on pense cependant qu'il sera couronné, ou même qu'il Test
déjà. Parti de Reims, il se dirigera vers son pays (probablement nie-
de-France'!). Il paraît encore, au dire de plusieurs, que si Dieu n'y met
la main, les deux armées venant à se rencontrer, on sera forcé des deux
côtés à en venir aux prises. On a dit que Bourgogne veut se trouver
en personne à cette journée. Il a fait un grand mandement dans tous
ses États. Que Dieu qui le peut y pourvoie !
Mais retenez que le Dauphin ne fait rien que par le conseil de la
demoiselle, qui affirme qu'elle chassera entièrement les Anglais de
la France.
Remarques. — [Il faut observer ici la discrétion du correspondant,
qui ne donne comme certain que le débarquement du Cardinal, la con-
vocation des troupes féodales dans les terres du duc de Bourgogne, et
présente le reste comme des bruits qui trouvent des contradicteurs. Le
duc Philippe s'était bien rendu à Paris, où il entra le 10 juillet; mais
en même temps qu'il resserrait son alliance avec les Anglais, il faisait des
propositions de paix à Charles VII, et envoyait des ambassadeurs à Reims.
Double jeu qui ne devait que trop lui réussir.
En conjecturant que Charles VII allait se faire sacrer, s'il ne Tétait pas
déjà, Pancrace voyait juste. En disant qu'aussitôt après le sacre, il se
rendrait dans son pays, il semble bien, d'après ce qui suit, qu'il faut
entendre TIle-de-France.
Remarquer encore comment la Pucelle disait qu'elle devait absolu-
ment et entièrement chasser les Anglais du royaume.]
XI
Lettre de sire Pancrace Justiniani, venue de Bruges, en date du
27 juillet : Je vais vous rapporter tout ce que j'ai appris des nouvelles de
France jusqu'au 27 juillet. On sait avec certitude par de nombreuses
voies que vers le 12 de ce mois le Dauphin est entré en possession de
Troyes en Champagne. Avant de lui donner entrée, les habitants le firent
attendre trois jours, et après ils se soumirent très paisiblement à lui
comme à leur souverain. Il pardonna à tous très bénignement, et les
reçut avec bonté. Tout se fit par la disposition de la Pucelle, qui, à ce
qu'on dit, a le commandement, ,1a direction et gouvernement de tout.
Elle suit, dit-on, constamment le Dauphin, elle a une armée de vingt-
LA CHRONIQUE MOROSINI. 597
cinq mille combattants, sans compter ceux qui se trouvent sur la fron-
tière de la Normandie sous les ordres du duc d'Alençon, comme nous
le dirons plus loin.
Partis de Troyes, ils sont venus à Reims, où l'usage demande que
soient couronnés tous les rois de France. Ils y arrivèrent le samedi
16 de ce mois dé juillet, les portes leur en furent ouvertes sans condition
aucune; le sacre eut lieu le dimanche 17 avec toutes les cérémonies
ordinaires. Il dura depuis tierce jusqu'à vêpres environ. Tout cela est su
avec certitude par plusieurs voies. Auparavant, de nombreuses contrées
de la Champagne, telles que Châlons, Laon, Saint-Quentin, tous les
autres pays qui sont avant ces villes, lui ont rendu obéissance. Ce n'est
pas que ces contrées eussent été de son parti ; elles avaient toujours été
du parti du duc de Bourgogne, encore qu'elles se soient toujours refusées
à prêter serment aux Anglais. Elles se gouvernaient par elles-mêmes en
suivant le parti de Bourgogne.
Toumay, cité distante d'ici d'une journée (environ 40 milles), qui fu
toujours très fidèle à son seigneur le Dauphin, a fait sur son territoire
des fêtes, des processions, des feux de joie pour célébrer les victoires du
roi nouvellement sacré. C'est le sentiment de beaucoup que les habi-
tants Taideront de leurs deniers ; et il en est qui disent qu'ils équipe-
ront jusqu'à quatre mille hommes pour soutenir sa cause.
Le duc de Bourgogne est de retour de Paris ; il est arrivé à Arras le 10
{vers le 19) de ce mois. Il a amené avec lui la duchesse sa sœur, femme
du duc de Bedford, qui se proclame régent de France. Ledit régent
était parti de Paris pour se trouver à Pontoise qui est la clef de la Nor-
mandie. Il y attend le Cardinal avec tous les Anglais qui ont débarqué.
On les dit au nombre de six mille, dont trois mille payés des deniers
de l'Église pour marcher contre les hussites. Que Dieu qui est juste
juge...
Le seigneur duc a fait en Picardie et dans ses autres Etats grand man-
dement pour lever des hommes d'armes ; et selon son vouloir on affirme
qu'il sera bientôt prêt à aller avec les Anglais combattre Jeannette et le
Dauphin. Que le Christ dispose tout selon le droit !
Paris, à la grande frayeur du peuple, est gardé par trente-deux sei-
gpneurs ; seize sont Bourguignons et seize sont Anglais. Ils ont sous leurs
ordres, à ce qu'on raconte, environ trois mille hommes. Ils ont défendu
à qui que soit du peuple de sortir de la ville...
Des personnes dignes de foi donnent comme certain, et je le crois
ainsi autant qu'on peut le conjecturer, que le roi de France a mandé
à ce seigneur duc de Bourgogne de faire des préparatifs pour vouloir
bien se trouver à Saint-Denis le jour de la Magdeleine. Saint-Denis
598 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIRÉRATRICE.
est une ville à environ deux milles de Paris, où tous les rois de France
ceignent la couronne, cérémonie à laquelle doivent assister les douze
pairs. Or le duc de Bourgogne est pair à double titre, pour le comté
de Flandre et le duché de Bourgogne... Il n'y a pas à penser qu'il s'y
rende, mais, en secret, d'autres disent le contraire. Je ne sais ce que
je dois croire.
On sait que le duc d'Alençonàla tète de douze mille hommes fait bonne
guerre aux Anglais sur les frontières de la Normandie. Il se dit qu'il
s'est emparé déjà de trois ou quatre seigneuries. D'après moi, les Anglais
seront forcés de renforcer leurs forces en Normandie; heureux s'ils
parviennent à conserver leurs possessions, eu égard aux résultats des
batailles qui sont beaucoup plus favorables au roi de France qu'au
régent. Dans ces trois mois l'on fera la paix.
Nous pouvons bien dire que, de nos jours, nous avons vu des choses
très miraculeuses, comme on peut s'en convaincre en considérant ce
qui est advenu jusqu'ici. Que le Christ donne secours au droit et que
ce soit pour le bien de tous !
Il a été dit depuis plusieurs jours, sans qu'aucune lettre l'ait confirmé,
que le fils [le beau-fils) du duc de Bourgogne s'est mis à la suite du roi
de France avec trois mille barons.
Notre seigneur duc se trouve tout à l'heure à Arras. On raconte que
ces jours derniers, il a envoyé une ambassade au roi de France, ambas-
sade, qui, dit-on, les aurait laissés en plein désaccord. Il se dit que le
môme duc est prêt à combattre dans le mois d'août avec les Anglais
contre ledit roi. Je ne sais ce qu'il faut en croire.
On sait avec certitude que le roi de France a été à Noisy, à douze
lieues de Paris ; que c'était pour venir vers Paris ceindre la couronne
à Saint-Denis, solennité qu'il est dans l'obligation d'accomplir; on tient
pour certain qu'il y sera couronné ces jours-ci. Les Parisiens ont déman-
telé les murailles, comblé les fossés de Saint-Denis, en faisant réfugier
le peuple à Paris, pour que le roi, en arrivant avec son armée, ne puisse
pas s'y fortifier.
Le Cardinal et le régent sont réunis à Pontoise, à sept lieues de dis-
tance de Paris, avec toutes les forces anglaises, qui doivent être enga*
gées dans le combat. Que le Christ pourvoie au bien des chrétiens ! On
ne sait rien de ce qui a suivi, ni autre chose des événements, jusqu'au
27 juillet 1429.
Remarques. — [Cette lettre, si remplie de nouvelles, en contient fort
peu qui soient fausses. Le duc d'Alençon combattait dans l'armée de la
Pucelle, avec le titre de lieutenant général du roi. Il se rapprochait des
LA CHRONIQUE MORO&INI. 599
frontières de la Normandie par la soumission du Beauvaisis. A cette date,
Saint-Denis n'était pas démantelé, s'il l'a jamais été; cependant le Jour-
nal de Chuffard nous apprend que les habitants de la campagne, par
crainte des Armagnacs, fuyaient à Paris, emportant leurs blés mois-
sonnés avant le temps. Le comte de Nevers était le beau-fils du duc
Philippe, et en même temps son cousin germain. Il inclinait vers la
cause française, quoiqu'il ne fût pas en position de la soutenir comme
il l'aurait voulu. Le duc Philippe avait épousé la mère du jeune comte.
Bonne d'Artois, que la défaite d'Azincourt avait rendue veuve. C'était sa
tante par alliance. Elle mourut après quelques mois de mariage, mais
le duc conserva la tutelle de ses beaux-fils, tout en convolant à un
troisième mariage.]
XII. — Depuis, nous avons su par le courrier, ou mieux par la malle
{scarcella), arrivée de Bruges, d'où elle était partie à la date du
9 août 1429, comment le Dauphin avait été avec la demoiselle h trois
lieues de Paris. L'on ne sait pas encore s'il y est entré ; ce que l'on sait,
c'est qu'il a été sacré roi du royaume de France. Ce qui adviendra par
Isuite, nous ne tarderons pas à le savoir.
XIII. — Du côté de Paris, des lettres venues de Bruges, antérieures au
17 septembre, ne nous disent pas que le Dauphin ait été encore couronné
dans cette ville. Après on a donné comme un bruit que le duc avait fait
avec le Dauphin une trêve de deux mois, et puis qu'un grand nombre
d'hommes d'armes avaient été avec ce môme Dauphin et avec la demoi-
selle autour de Paris, et y avaient mis le siège. Ce que nous saurons
dans la suite, nous nous empresserons de le noter dans cette Chronique.
Dieu sait les grandissimes choses qui ont dû se passer en France, par
suite des gestes de la demoiselle dans laquelle opère la vertu divine...
Remarques. — [L'on voit l'impatience du chroniqueur de connaître la
suite des événements de France. Loin d'admettre la thèse insoutenable
de la fin de la mission à Reims, à défaut de nouvelles positives il sup-
pose que de très grandes choses ont dû se passer. Il en eût été ainsi
sans les désastreuses trêves que, justement, il a de la peine à concilier
avec le siège de Paris.]
XIV. — Copie d'une lettre de Bruges, en date du 13 septembre, écrite
par le noble Messire Pancrace Justiniani à son père Messire Marc. Voici
dans sa teneur même ce qu'elle contient :
Je vous écrivis sur les nouvelles de France quelles grandes choses s'y
étaient passées jusqu'au 27 du mois dernier {avant-dertiier). A la suite
600 LA VRAIE JEANNE D*ARC : U LIBÉRATRICE.
le roi est entré en possession de Senlis, PorUe-Santo ^ Pont-Sainte-
Maxence(?), Cholo^ Creil(?), Fonte Zabaton{??)j Beauvais, Saint-Denis.
Le régent est en Normandie avec tous les Anglais au nombre d'en-
viron six mille. Monseigneur de Bourgogne devait partir hier d'Arras
avec quatre mille hommes, pour se joindre au régent, et puis aller
secourir Paris...
On a dit aujourd'hui qu'une trêve avait été conclue jusqu'à NoPl
entre les deux partis. Il m'est impossible de me l'expliquer. A qui m'en
demanderait la raison, je répondrais que nous devons croire qu'il y a
accord entre Monseigneur de Bruges {de Bourgogne) et le roi, et que, par
ailleurs nous n'avions pas lien de le penser ^ jusqu'au 13 septembre 1429.
Depuis l'on a dit que le roi de Portugal donne sa fille en mariage au fils
{beau-fils) du duc de Bourgogne.
Remarques. — [Ce n'était pas avec le fils du duc de Bourgogne, mais
avec le duc lui-même que le mariage devait avoir lieu. Pancrace Justi-
niani avait parfaitement raison d'être ébahi d'une trêve qui reste une
des énigmes de Thistoire. Il a été déjà dit plusieurs fois dans quelle fausse
situation elle mettait la Libératrice, et quelle situation inextricable elle-
créait.]
CHAPITRE IV
DEPUIS LE RETOUR SUR LA LOIRE JUSQU'A LA CAPTIVITÉ DE LA PUCELLE.
Sommaire : Quinzième lettre, — Conquêtes des Français en Normandie, conjuration pour
leur livrer Rouen. — Grands préparatifs de guerre attribués à Charles VIL — Con-
quête fauss(Mn<>nl attribuée à la Purelle. — Ses exploits la montrent suscitée par
Dieu. — L'Université de Paris l'a dénoncée à Rome comme hérétique. — Le chan-
celier a écrit pour la défendre et la glorilier. — Le roi d'Angleterre, couronné à
Londres, se propose de passer en France. — Remarques.
Seizième lettre. — Prolongation de la trêve. — Difficile à expliquer. — Opinions diffé-
rentes sur l'attitude adoptée par le duc de Bourgogne. — Sentiment de Pancrace.
— Conquête de Louviers. — Faux récits sur les conquêtes de Charles Vil et ses res-
sources en vue de la guerre. — Redford en Normandie. — Secours reçus d'Angle-
terre. — Prochain débarquement du jeune roii
Dix-septième lettre. — Prise de Château-Gaillard. — Actifs préparatifs de guerre.
Dix-huitième lettre. — Prétendue course du roi et de la Pucelle aux portes de Paris. —
Conjuration dans cette ville. — Prétendue tentative de Luxembourg contre Corn-
piègne. — Autres fausses nouvelles.
Dix- neuvième lettre. — La victoire d'Authon. — Fausse nouvelle sur la Pucelle.
XV. — Copie (l'une lettre écrite de Bruges par noble Pancrace Justi-
niani à son père MessireMarc, en date du 20 novembre. Elle a été reçue à
Venise le 23 décembre. Voici brièvement son contenu : Messire, je vous
LA CHRONIQUE MOROSINI. 601
écrivis par la scarcella (malle) ma précédente lettre le 4 du présent
mois, je vous donnais avis de ce qui s'était passé en France jusqu'au
jour qui vient d'être indiqué. Depuis, les gens du roi (?) se sont emparés
en Normandie d'un pays appelé Veroil (Vemeuil?), pays excellent ;
ils ont conquis d'autres fortes positions et plusieurs forteresses. De plus,
à Rouen, une conjuration avait été formée par entente avec Charles de
Bourbon et le duc d'Alençon. Si elle avait réussi, on se rendait maître de
la ville, du duc de Bedford et de tous les autres Anglais.
Hier est venu devers Paris un ambassadeur de notre seigneur duc au
roi. J'ai pu savoir par lui qu'il avait été conGdentiellemcnt chargé d'une
prolongation de la trêve jusqu'au milieu de février. Le même ambas-
sadeur a dit ce que tout le monde répète que le roi de France fait de très
grands préparatifs pour être prêt au printemps: on dit qu'il aura cent
raille hommes à mettre en campagne. Gela peut être, cela me parait
cependant un nombre excessif. Ce qui est certain, c'est que tout ce mouve-
ment se produit à la voix delà Pucelle; elle est certainement bien en vie.
En preuve, c'est qu'il y a très peu de temps elle a pris d'assaut un
château très fort à cinq lieues de Paris, et ensuite elle a été mettre le
siège à Logiente (Gien? sur Loire (?). On raconte d'elle tant de merveilles
dans ces derniers jours que, si elles sont vraies, il y a de quoi être ravi
d^admiration. A mon avis, chacun selon qu'il croit, ou ne croit pas,
ajuste et accommode ses exploits, amplifie ou retranche à sa fantaisie. Ce
en quoi tout le monde s'accorde, c'est qu'elle est toujours avec le roi.
Ce qui est évident pour tous, c'est qu'à son ombre se sont accomplis des
événements tels qu'ils démontrent qu'elle est l'Envoyée de Dieu. Tout ce
qui est survenu de favorable au roi, toutes les conquêtes faites et toutes
celles qui se font présentement lui sont entièrement dues. Le croire n'est
pas un mal, et celui qui ne le croit pas ne pèche pas contre la foi.
Je me trouvais ces jours derniers à discuter à ce sujet avec quelques
religieux, et j'ai eu vent que l'Université de Paris, ou mieux les ennemis
du roi, avaient envoyé à Rome pour l'accuser auprès du Pape. Cette
Pucelle, d'après eux, serait une hérétique, et non seulement elle, mais
encore ceux qui ont foi en elle ; elle va, disent-ils, contre la foi en voulant
qu'on la croie, et en sachant prédire l'avenir. Le chancelier de l'Uni-
versité, homme très renommé, docteur en théologie, a composé un très
bel ouvrage en sa faveur, à son honneur, à sa louange et pour sa
défense. Je vous l'envoie avec cette lettre. Messire le doge, d'autres
encore, d'après ce qu'il me semble, en prendront connaissance avec grand
plaisir. Faites que lui et nos amis de chez vous reçoivent communication
des nouvelles ci-incluses ; après avoir lu ma lettre, vous pourrez la faire
circuler.
602 LA VRAIE JEANNE D^ARC : LA LIBÉRATRICE.
Le roi d'Angleterre a été couronné à Londres le 6 de ce mois ; il est
âgé de huit ans. L'on donne comme certain, et je le crois, qu'il s'ap-
prête à passer la mer au printemps avec grande puissance. L'on parle de
plus de vingt-cinq mille Anglais. Il me semble hors de doute qu'il va se
passer de grands événements au printemps. Que le Christ y pourvoie! L'on
ne sait pas encore ce que fera notre duc ; mais, d'après le bruit public, il
est disposé à tenir les promesses faites aux Anglais.
[Le reste de la lettre, ainsi que la suivante, est consacrée aux péripé-
ties par lesquelles passa la fille du roi de Portugal en se rendant auprès
de son mari, le duc de Bourgogne, et à quelques autres sujets étrangers
à l'histoire de la Pucelle.]
Remarques. — [Les Français remportèrent en réalité quelques avan-
tages en Normandie ; ils auraient été beaucoup plus marqués si, après le
retour du roi aux bords de la Loire, on avait autorisé la Pucelle à aller
avec le duc d'Alençon porter la guerre dans cette province. Puisque la
trêve empêchait d'attaquer Paris, remis au gouvernement du duc de
Bourgogne, c'est en Normandie qu,'il fallait poursuivre l'Anglais qui avait
refusé d'accéder à la trcve.
La Pucelle n'avait pas pris de place aux environs de Paris. Depuis la
retraite effectuée le 13 septembre, elle avait été retenue en deçà ou aux
bords de la Loire. Le roi ne faisait pas les grands préparatifs signalés par
Justiniani. A remarquer ce qu'il dit, que l'Université de Pari?, ennemie
acharnée du parti national, avait dénoncé à Rome la Libératrice comme
hérétique. Il serait à souhaiter que Ton cherchât dans les archives
romaines, spécialement celles du Saint-Office, si des pièces confirment
semblable assertion. Fort remarquable aussi ce qu'il dit du chancelier
Gerson, et de l'intérêt que portaient à la cause française le doge et
l'aristocratie vénitienne.]
XVL — 1429 [anc. st.). — Nouvelles reçues le 1*"" février. Copie
d'une lettre datée de Bruges du 4 janvier. Elle est de sire Pancrace Justi-
niani, fils de Messire Marc, lequel est lui-même fils d'Orsato. Très cher
père, le 8 du mois dernier je vous écrivis tout ce que nous savions de
nouveau. Je vais vous raconter ce que nous savons être arrivé ensuite.
Depuis environ le 20 du mois dernier jusqu'à aujourd'hui nous avons eu
ici en permanence un ambassadeur du roi de France au seigneur duc et
aux Anglais. La trêve qui finissait à Noël a été prolongée pour un plus
long temps, pour tout le mois de février. Voilà d'étranges choses, diffi-
ciles à expliquer. Plusieurs chuchotent secrètement qu'il y a accord entre
le duc et le roi de France, d'autres disent le contraire. Je suis de ceux qui
pensent le contraire. Je crois que le duc enverra ses hommes au secours
U CHRONIQUE MOROSINI. 603
des Anglais, mais qu'il n'ira pas personnellement. Il restera dans ce pays
pour faire plaisir à sa nouvelle femme... [Il est question d'une ambassade
de Charles de Bourbon, dont Pancrace avoue ne pas connaître l'objet.]
Les hommes du duc d'Alençon font en Normandie grande guerre aux
Anglais. Ils s'emparent de tous les châteaux et de toutes les forteresses.
Ces jours derniers ils se sont conquis une position importante par le
nombre des habitants et par son site, nommée Louviers. Il y avait cinq cents
Anglais qui tous y trouvèrent la mort. La ville se soumit par composition.
Un secrétaire du duc d'Orléans, prisonnier en Angleterre, qui venait
de vers le roi de France, est passé par ici muni d'un sauf-conduit du duc et
des Anglais. lia dit verbalement, et je le crois parce qu'il est un homme
qui mérite confiance, que les troupes du roi avaient pris La Charité-sur-
Loire et quelques autres places qui tenaient pour le duc. II ne resterait
plus à soumettre que Chartres et Paris; je parle de la France. Tout a été
emporté d'assaut, et pour dire tout ce qui se raconte (vous en croirez ce
que vous voudrez) l'on attribue toutes ces conquêtes à la Pucelle, ainsi
que mille autres merveilles. Si elles sont vraies, a domino fada est ista
et voilà de nos jours de grands prodiges.
Le roi de France est en bon point ; on le sait avec certitude. Il a
obtenu du Languedoc et de tous les pays soumis à son obéissance de très
grands subsides en argent, et en hommes. Il a une grosse armée pour
être prôt au printemps. C'est l'opinion de tous, et moi je ne pense pas
autrement, qu'il y aura certainement une grande effusion de sang, si Dieu
n'y met pas la main; que le Christ y porte remède par la sainte grâce.
Le duc de Bedford, qui était régent de France, se tient, paraît-il, à
Rouen pour garder le pays dans la mesure où il le peut. Il paraît encore
que, il y a peu de jours, environ trois mille Anglais sont venus lui donner
aide. On tient pour certain qu'au beau temps le roi d'Angleterre débar-
quera avec grande puissance. C'est ce que tout le monde croit...
[Suivent des détails sur le débarquement de la nouvelle épouse du duc
de Bourgogne, et les splendeurs des fêtes qui s'annonçaient comme d'un
extraordinaire éclat, ainsi qu'elles le furent en réalité.]
Remarques. — [Pancrace Justiniani avait parfaitement raison de ne
pouvoir pas s'expliquer la prolongation des trêves, et il devinait bien les
intentions du duc de Bourgogne. On exagérait à Bruges les succès des
Français en Normandie. Le secrétaire du duc d'Orléans outrait sans
mesure les conquêtes du parti national. La Pucelle, à cette date, de retour
de l'échec contre La Charité, était contre son vouloir retenue à la cour,
et Charles VII était loin de posséder en argent et en hommes les res-
sources qui lui sont attribuées.]
604 LA VRAIE JEANNE D*ARC I LA LIBÉRATRICE.
XVII. — Plusieurs lettres écrites de Bruges, par le noble sire Pancrace
Jusliniani à son père Messire Marc, en février 1429 (anc. 5/.), en particu-
lier du 17, donnaient, paraît-il, de nombreuses nouvelles de ces contrées.
Une dernière, en date du 4 mars 1430, plus briëve, était ainsi conçue:
Messire, le 22 du mois passé je vous écrivis ce que je savais à pareil
jour. Depuis j'ai reçu votre lettre du 4 même mois. C'est avec le plus
grand bonheur que j'ai appris votre bonne santé et votre contentement
de ce dont vous m'avez parlé. Je ferai réponse complète à votre lettre
par la malle. Je ne puis pas le faire en ce moment ; veuillez prendre un
peu patience.
En fait de nouvelles, depuis que je vous ai écrit on a dit ces jours-ci
que le roi de France avait pris Chartres ; mais la nouvelle n'ayant pas été
confirmée je ne la crois pas vraie.
Il est de toute certitude que ces jours-ci notre seigneur duc a reçu
l'annonce de la prise d'un château inexpugnable à sept lieues de Rouen,
sur la Seine, appelé Château-Gaillard (Castel Grioianie). Il y a eu compo-
sition entre les Anglais et les Français. Dans ce château était détenu pri-
sonnier un chevalier français du nom de Jean Barbazan, que le roi d'An-
gleterre avait pris et y avait renfermé. C'est un homme de très grand
mérite et vaillant capitaine. Plusieurs autres Français étaient prison-
niers avec lui ; tous ont été délivrés.
En outre on compte que le roi d'Angleterre passera la mer à Pâques,
ainsi que je vous l'avait dit dans une autre de mes lettres. Le seigneur
duc a publié le ban. Pour attirer les plus vaillants de ses guerriers, il
fait répandre le bruit qu'il y aura vingt-cinq mille Anglais et plus, c'est-
à-dire que le roi arrive avec les plus grandes forces. Tout est en ébuUi-
tion. Si le Seigneur Dieu n'y met la main, il faut que l'un des deux partis
soit entièrement ruiné, mais j'espère que Dieu, dans sa sainte miséricorde,
y pourvoira. Qu'il ne considère pas nos péchés. Je n'ai pour le moment
rien à ajouter. Reçue le 30 mars 1430.
Remarques. — [Pancrace Justiniani donnait une nouvelle preuve de
son bon jugement en ne croyant pas à la conqu(>le de Chartres. Ce qu'il
dit de la prise de Château-Gaillard et de la prochaine venue du roi d'An-
gleterre est exact.]
XVIII. — iNouvellcs de France venues par Bruges, en date de
22 mars 1430, d'après plusieurs lettres reçues par des Vénitiens et des
Florentins, apportées par la malle qui est arrivée à Borromeo de Flo-
rence, et aussi d'après plusieurs lettres du noble sire Pancrace Justi-
niani, fils de Messire Marco Orsato. Elles s'accordent, et voici ce qu'elles
disent en substance. Elles ont été reçues en la fôte de Pâques, 16 avril.]
U CHRONIQUE MOROSINI. 605
Ce qu^elles disent avant tout, c'est que le roi de France a fait une
course jusqu'aux portes de Paris, toujours accompagné de la demoiselle.
Il avait envoyé devant lui soixante cavaliers, et en avait placé cinq cents
en embuscade. Le bâtard de Saint-Pol, et trois autres capitaines avec
deux mille cavaliers, quelques-uns disent cinq mille, sortirent contre eux.
Les soixante cavaliers reculèrent tout en escarmouchant et amenèrent
les assaillants par delà Tembuscade. Ceux qui y étaient cachés leur tom-
bèrent sur le dos, et les prirent tous sans qu'il s'en échappât un seul.
Gela a été, dit-on, un coup cruel pour le duc de Bourgogne.
On dit encore qu'on a découvert à Paris une conjuration dans laquelle
quatre mille hommes au moins étaient impliqués. On a pris un Frère
mineur qui en était l'âme.
On dit de plus que La Ilire, qui était ou est capitaine du Dauphin, a
passé la rivière avec bien six mille cavaliers. Les choses s'échauiTent en
réalité.
Nous avons appris encore par les mêmes lettres comment Jean de Luxem-
bourg, se disposant à s'établir devant Gompiègne pour assaillir la ville,
mille cavaliers qui se trouvaient dans les murs de la ville, sortirent par
une porte opposée, prirent par derrière ses hommes d'armes, les tuèrent
ou les firent prisonniers, et s'emparèrent de son attirail de guerre et de
l'artillerie.
On raconte encore que le comte d'Andonto (?) a pris en Champagne un
château où se trouvait un capitaine qui faisait grands ravages dans le
pays, et comment il a fait lever le siège de Tonis (?) avec de grands
pertes pour les Anglais. Vous voyez quelles grandes choses se sont pas-
sées en peu de jours. Cela met le roi de France en voie de s'emparer de
tout le royaume, si l'accord règne [parfui les siens].
Remarques. — [Pour être tirées de plusieurs lettres, ces nouvelles,
sauf la conjuration de Paris, dont le chef était un Carme et non pas un
Franciscain, n'en sont pas plus vraies. Ni le roi, ni la Pucelle n'avaient
fait de nouvelles tentatives coûtre Paris ; il y eut d'heureux coups de
main, et des razzias de la part des Armagnacs du voisinage. Le bâtard de
Saint-Pol y fut pris.
Je cherche inutilement ce qui a pu donner lieu à ce qui est raconté ici
de Jean de Luxembourg devant Gompiègne.]
XIX. — 1430, le 25 juin. Des nouvelles de France ont été envoyées
à la seigneurie ducale, en voici le fond : elles sont favorables au roi de
France. Le prince d'Orange ayant envahi le Dauphiné, et s'étant emparé
de quatre places, le gouverneur du Dauphiné avec de nombreux hommes
d'armes du roi et les gens du Dauphiné lui a infligé une entière défaite
606 LA VRAIE JEANNE D'ARC ! LA LIBÉRATRICE.
le 11 du présent mois de juin 1430. Trois mille cavaliers ont été tués ou
pris dans la déroute. Parmi les prisonniers Ton compte les premiers
barons de Savoie qui s'étaient joints à Taggresseur. L'on mentionne Mgr de
Salneuve... (suivent de nombreux noms propres estropiés)... Ledit prince
d'Orange a eu de la peine à se sauver, avec dix-huit cavaliers, dans le
château ^d' A nthon où l'ont poursuivi les guerriers du Dauphiné et où ils
l'ont renfermé. Il tenait tant à lever une armée qu'il donnait cinquante du-
cats par lance et un salaire de onze deniers. Toutes ces nouvelles sont
favorables au Dauphin, vu que la demoiselle reste toujours pleine de vie
et d'entrain, illuminée de la grâce de Dieu et prospérant dans sa voie.
Remarques. — [Ce qui est dit du prince d'Orange et des nobles de
Savoie est vrai ; c'est la fameuse victoire d'Anthon ; mais la dernière
phrase est une contre-vérité. La victoire d'Anthon fut remportée le
11 juin, et la Pucelle avait été prise le 23 mai ; elle était prisonnière depuis
près de vingt jours. Usera bien question de sa captivité ; mais nulle part,
dans ce qui nous a été transmis de Morosini, nous n'avons trouvé une ligne
sur la manière dont elle est tombée entre les mains des ennemis. On a
dû cependant en écrire à Venise.]
CHAPITRE V
LA PUCELLE DEPUIS SA PRISE JUSQU'A SON SUPPLICE.
Sommaire : Vingtième lettre. — Fausse nouvelle sur les succès du roi et de la Pucelle.
— Nouvelle vraie de la prise et de la détention de la Pucelle. — Espérance de sa
délivrance.
Vingt et unième lettre, — La Pucelle vendue et dirigée sur Rouen. — Crainte qu'on
ne la fasse mourir. — Témoignage rendu universellement à sa vertu.
Vingt-deuxième lettre, — Ambassade de Charles VII au duc de Bourgogne pour lem-
pôcher de livrer la Pucelle aux Anglais.
Vingt-troisième lettre. — La Pucelle vendue dix mille couronnes; étroitement gardée.
— Intervention de Charles Vil pour empêcher son supplice. — Supplice. — Piété de
la martyre. — Apparition de sainte Catherine. — Douleur et menaces de Charles VII.
— Vaine espérance des Anglais qu avec sa mort finiront leurs revers.
XX. — 1430, 3 juillet (?). — Nous avons su, et on avait dit plusieurs
jours avant, que Ton avait écrit de Bruges le 3 juillet (??), que le jour de
l'Ascension la demoiselle était en parfaite entente et parfaite faveur auprès
du roi de France, Messire le Dauphin. Avec lui et ses gens d'armes elle
avait mis le siège devant Paris, si bien que les assiégés ne conservaient
plus aucune espérance de pouvoir tenir contre la couronne du Dauphin.
On a dit ensuite que la Pucelle avait été prise par les gens du duc de
LA CHRONIQUE MOROSLM. 607
Bourgogne; Ton savait que rien n'avait été statué sur son sort; on
le saurait par la suite. L'on a dit depuis que la demoiselle avait été
enfermée dans une forteresse avec plusieurs demoiselles, et entourée
d'une bonne garde. Elle ne peut pas ôtre si bien gardée que lorsque ce
sera le plaisir de Dieu, elle n'en sorte et ne revienne parmi ses gens, sans
avoir rien souffert dans sa personne.
Remarques. — [La première partie de la lettre est fausse de tout point,
la seconde n'était malheureusement que trop vraie.
Dans trois lettres, ou relations inscrites à la suite par Morosini sur les
affaires de France, il n'est pas question de la Pucelle. Ces nouvelles
étaient d'ailleurs fausses pour la plupart. Le seul correspondant bien
informé est Pancrace Jusliniani. Morosini lui emprunte une lettre qu'il
annonce ainsi :]
XXL — Nouvelles de Bruges écrites à Venise de la main de sire Pan-
crace Justiniani, fils de Messire Marc Orsato. La plus récente est datée
du 24 novembre ; elle est arrivée à Venise le 19 décembre. Elle est conçue
en ces termes : ... [Pancrace décrit les pertes éprouvées par le duc de
Bourgogne et les Anglais à la levée du siège de Compiègne, les avantages
remportés par les Français, spécialement l'occupation de Clermont-en-
Beauvaisis, la forteresse exceptée ; il parle ensuite de la Pucelle et il écrit :]
Il est absolument certain que la Pucelle a été dirigée sur Rouen vers le
roi d'Angleterre. Messire Jean de Luxembourg, qui l'a prise, en a louché
dix mille couronnes, pour l'avoir ainsi mise entre les mains des Anglais.
Quel est le sort qu'on lui réserve ? On l'ignore, mais on craint qu'on ne
la fasse mourir. En vérité, ce sont choses extraordinaires et grandes que
celles qu'elle a accomplies. Il [Pancrace) écrit qu'il en a parlé avec beau-
coup, et il en a parlé depuis qu'elle est prisonnière ; mais universelle-
ment, tous disent qu'elle est de bonne vie, très honnête, très sage ; ce qui
adviendra, nous le saurons bientôt...
Remarques. — [Dans ces lignes fort vraies, Justiniani, on peut s'en
convaincre en lisant le texte, multiplie les termes pour exprimer soit
l'excellente vie de la Pucelle, soit l'universalité du témoignage qui
l'atteste.]
XXII. — Je vais rapporter ce que, à la date du 13 décembre, nous
avons su de nouveau du côté de Bruges par l'arrivée de noble Messire
Nicolas Morosini, fils de Messire Victor. Voici ce que Ton racontait dans
ces parages.
Aussitôt que la demoiselle fut tombée entre les mains du duc de
Bourgogne, et que le bruit se répandit que les Anglais l'obtiendraient
608 LA VRAIE JEANNE D*ARC : LA LIBÉRATRICE.
moyennant deniers, le Dauphin informé envoya une ambassade vers le
duc de Bourgogne pour lui dire qu*il ne devait la livrer pour rien au
monde ; sans quoi il en tirerait vengeance sur ceux de ses hommes qui
viendraient entre ses mains...??? [Annonce de la naissance d*un fils aa
duc de Bourgogne.]
Remarques. — [C'est, avec la suivante, Tunique assertion positive des
efforts tentés par Charles VII pour délivrer celle qui lui avait mis la
couronne au front.]
XXIII. — 1431 . — Par plusieurs lettres venues de Bruges à Venise en des
jours différents, une entre autres de sire Jean Georges, fils de feu Messire
Bernard de Saint-Moïse, en date du 22 juin, par une autre reçue, dit-on, par
sire André Corner, gendre de feu sire Luc Michel de la Magdelaine, on a
su que la vertueuse demoiselle était tenue en prison du côté de Rouen
parles Anglais, qui Pavaient achetée dix mille couronnes. Venue ainsi en
leurs mains, ils ont très étroitement gardé sa personne. L'on a dit que
deux ou trois fois, ces mêmes Anglais avaient voulu la faire brûler comme
hérétique ; mais qu'ils avaient été arrêtés par les grandes menaces que
leur avait fait parvenir le Dauphin de France ; mais à la troisième fois
ces barbares Anglais, d'accord avec des Français (??), de dépit et hors
d'eux-mêmes, l'ont fait brûler à Rouen.
Avant son martyre, elle a été vue bien contrite et parfaitement bien
disposée. On raconte qu'elle a eu une apparition de la vierge sainte
Catherine qui Ta confortée et lui a dit : « Fille de Dieu, sois ferme dans
ta foi, puisque tu seras dans la gloire au nombre des vierges du Paradis ».
Elle est morte pieusement. Messire le Dauphin, roi de France, en a res-
senti une très amère douleur et a formé le dessein d'en tirer une terrible
vengeance sur les Anglais et sur les femmes anglaises. Dieu, selon son
juste pouvoir, en tirera aux yeux de tous un très grand châtiment. On
commence à en voir des signes non douteux. Paris, maintenant même,
court de jour en jour à sa ruine ; il ne peut tenir davantage et résister
plus longtemps ; tous les habitants s'en échappent et fuient, chassés par
les privations et la faim. On tient communément que les Français (lisez:
Anglais ou faux Français) l'ont fait brûler à cause des prospérités
qu'avaient eues avec elle les seigneurs français, et qu'ils devaient avoir
encore. Les Anglais se disaient en eux-mêmes: « Cette demoiselle une
fois morte, les affaires du Dauphin ne seront plus prospères ». Le con-
traire plait au Christ, d'après ce que l'on a dit de la marche des affaires ;
puisse cela être vrai !
LIVRE VII
PIECES JUSTIFICATIVES
TABLE
m. 3!»
LIVRE VII
PIÈCES JUSTIFICATIVES
TABLE
Nota. — L'on s'est attaché de préférence à donner le texte des pièces inédites, peu connues,
ou plus importantes.
LIVRE II.
(Page 72 et suiv.)
LA PUCELLE D'APRÈS LA GESTE DES NOBLES FRANÇAIS.
(Bibl. national, fs. Français n»* 5699 et SOOf.)
De ta Pucelle venue devers le roy et des merveilles d*elle. — Ces choses
durans fut admenée à Chinon par devers le roy de France une fille de simple estât,
pucelle de sainte et religieuse vie, du pays de Barrois, qui fille fut d'un pouvre laboureur
de la contrée et de sa femme, qui de leur loyal labour vi voient, aagée d'environ vint ans,
et ou au temps de son enffance avoit été pastoure, et peu savoit des choses mondaines.
Et peu parla ceste pucelle, seulement parloit de Dieu et de sa benoite mère, des anges,
des saints et saintes de Paradis, et disoit que par plusieurs fois lui avoient été dites au-
cunes révélations touchans la salvacion du roy et préservation de toute sa seigneurie,
laquelle Dieu ne vouloit lui être tollue ne usurpée, mais dont déboutez en seroient ses
ennemis. Et ces choses estoit chargée de dire et signifier au roy dedans le tems de
Saint-Jehan MIUIXXIX. Si fut la Pucelle ouye par le roy en son conseil, et là ouvrit
les choses à elle chargées, et à merveilles traicta des manières de faire vuider An-
glois du royaume, et là ne fut chief de guerre que tant proprement sceust remontrer
les manières de guerroier ses ennemis, dont le roy et tout son conseil fut esmerveillé,
car en toutes autres matières fut autant simple comme une pastoure. — Pour ceste
merveille, ala le roy à Poitiers et là mena la Pucelle qui par les notables du Parlement
et par docteurs solemnelz en théologie la fist interroguer; et, elle ouye affermèrent
que ilz la réputoient chose divine inspirée de Dieu, et tout son fait et les paroles
approuvèrent; dont en plus grant révérence la tint le roy qui à ce temps mandoit
gens de toutes pars, et grant quantité de vivres, et artillerie avoit fait mener à Blois,
pour la cité d'Orléans secourir. Si requist la Pucelle que pour le secours conduire pleust
au roy lui bailler telle gent et en tel nombre que elle requei^roit, qui ne seroit pas
grant nombre, ne grant puissance, et que pour son corps lui fut admenistré un har-
612 LA VKAIE JEANNE D'aRC : LA LIBÉRATRICE.
nois entier. Adoncques ordonna le roy que tout ce qu'elle requerroit lui feust baillé. Si
prinst la Purelle congié du roy pour aller à Orléans, et elle venue à Blois à peu de gens
séjourna illec par aucuns jours, lesquels pcndans elle fist faire un estendard blanc ou
quel elle fist pourtraire la représentation de Saint-Sauveur et de deux anges, et le dit
estandard avec tout son harnois fist beneistre en Téglise Saint-Sauveur de Blois,
auquel lieu vindrent tantost après le mareschal de Sa in te -Sévère, le sire de Rais et
e sire de Gaucourt ayant conipaignie de nobles et commun, qui une partie des vivres
chargèrent pour iceulx mener à Orléans, en la compaignie desquels se mis! la Pucelle
qui bien cuidoit que par devant les bastides du siège devers la Beauce deussent passer,
mais le chemin prinstrent par la Salloigne, et à Orléans fut amenée le pénultième jour
d'avril cellui an.
Cette Pucelle séjournante Blois en attendant la compaingnie qui à Orléans la devoil
mener escrivit et envoia par un hérault aux chiefs de guerre qui devant Orléans
tenoient siège unes lectres dont la teneur est telle :
Jhesus, Maria.
Roy d'Angleterre, faictes raison au roy du Ciel de son sang royal. Rendez lesclefz
à la Pucelle de toutes les bonnes villes que vous avez enforcées. Elle est venue de par
Dieu pour réclamer le sang royal et est toute preste de faire paix, se vous voulez faire
raison; par ainsi que vous mettez jus et paiez de ce que vous Tavez tenue.
Roy d'Angleterre, se ainsi ne le faictes, je suis chief de guerre; en quelque lieu que
je ataindray vos gens en France, se ilz ne veulent obéir, je les ferai yssir, vueillent ou
non; et se ilz veulent obéir, je les prendrai à mercy. Croiez que s'ilz ne veulent obéir,
la Pucelle vient pour les occire. Elle vient de par le roy du ciel, corps pour corps, vous
bouler hors de France ; et vous promet et certiffie la Pucelle que elle y fera si gros
hahay, que encore a mil ans en France ne fut veu si grant, se vous ne lui faictes rai-
son. Et croiez fermement que le roy du Ciel lui envolera plus de force que ne sarez
mener de tous assaulx à elle et à ses bonnes gens d'armes*.
Entre vous, archiers, compaignons d'armes, gentilz et villains 2, qui estes devant
Orléans, alezvous en en vostre pais de par Dieu; et se ainsi ne le faictes, donnez-vous
garde de la Pucelle et de vos dommages vous souviengne.
Ne prenez mie vostre opinion, que vous ne tcnrez mie France du roy du CieP, le (ils
sainte iMarie; mais la tendra le roy Charles, vray héritier à qui Dieu la donnée,
qui entrera à Paris à belle compaignie. Se vous ne créez* les nouvelles de Dieu et de
la Pucelle, en quoique lieu que vous trouverons, nous ferrons" dedeiis à horions ; et si
verrons lesquelx meilleur droit auront, de Dieu ou de vous.
Guillaume de la Poule, conte de SufFort, Jehan, sire de Talbort, et Thomas, sire do
Scalles, lieuxtenans du duc de Bethford, soi-disant régent du royaume de France pour
le roy d'Angleterre, faictes réponse se vous voulez faire paix à la cité dOrléans. Se
ainsi ne le faictes, de vos domages vous souviengne briefment ^.
Duc de Bethford, qui vous dictes régent de France pour le roy d'Angleterre, la
Pucelle vous prie et requiert que vous ne faictes"^ mie destruire. Se vous ne lui faictes
raison, elle fera ^ que les François feront le plus beau fait qui oncques feust fait en la
christianté.
1. Variantbs du journal du siège : Que le roy du ciel lui envoyra plus de force à elle et à S'S
bonnes gejis d'annes, que ne sçauriez avoir à cents assauU,
2. Gentilz et vilains ne s'y trouve pas; mais le mot vilains est dans le texte de la geste.
3. Du roy du ciel, du fils de sainte Marie.
4. Si vous ne croyez.
5. Nous lierrons.
C. Briefment ne s'y trouve pas.
7. Que ne vous faciez mie.
8. Elle fera tant que.
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 613
Escript le inardy de la ^ grant sepmaine : entendez les nouvelles de Dieu et de la
Pucelle.
Au duc de Bethford qui se dit régent le royaulme de France pour le roy d'Angleterre.
En la ville d'Orléans vint la Pucelle le pénultième jour davril l'an mil IIIIXXIX et
tantost sceust que de ses lettres et de tout le contenu, les chiefs du siège ne tindrent
compte; mais tindrent et réputèrent tous ses fais et deceulx qui créance y adjoutaicnt
héréses en la saincte foy, dont firent les héraulx prendre et en feu les vouldrent ardoir;
laquelle prinse venue à la congnoissance du bastart d'Orléans, qui adonc fut à Orléans,
manda aux Anglois, par son hérault que les héraulx lui renvoiassenl, en leur faisant
savoir que se mourir les faisoient, que d'une lelle mort feroit mourir leurs héraulx,
qui pour faist des prisonniers estoient à Orléans ou il les fiz empescher, et tous pri-
sonniers Anglois qui lors estoient en bien grant nombre; et tantost furent les héraulx
rendus.
PuissA>'CE VENUE A Orléans. — Le mardi ni" jour de may vindrent à Orléans les gar-
nisons de Montargis, Gien, Chasteauregnart du pays de Gastinois, de Chasteaudun
avec grand nombre de gens de pié garnis de traits et de guisarmes. Si vindrent le soir
nouvelles que par la Beausse venoient de Blois le mareschal de Sainte-Sévère et le
sire de Raiz qui les vivres et l'artillerie amenoient, et doubta len que audevant deus-
sent aller Anglois. Pourquoy le mercredi matin, veille de l'Ascension nu^ jour de may
rail llIIXlX, très bien malin, se partirent d'Orléans le bastard et la Pucelle armée à
grant compaignie de gens d'armes et de trait, et estendart déploie, allèrent au devant
des vivres qu'ilz rançon Irèrent, et par devant les Anglois qui de leurs bastides n'osè-
rent yssir passèrent, et dedans Orléans entrèrent environ prime.
Prinse de la Bastide de Saint-Lou. — DOrléans yssirent ledit jour environ heure
de midi aucuns des nobles avec grand nombre de gens de trait et de commun, qui fier
et merveilleux assault livrèrent contre Anglois qui la bastide Saint-Lou tenoient :
laquelle fut moult défensable et fortiffiée, et grandement garnie avoit esté par le
sire de Talbort tant de gens, de vivres, comme dabillements. En cellui assault furent
moult grevez François, et le dit assault durant, y vint hastivement la Pucelle armée
à estandart déploie, dont enforça Tassault de plus en plus. Depuis la venue de laquelle
ne fut Anglois qui François peust illec blécier; mais sur eux conquirent François la
bastide, et ou clocher de l'église se retrairent Anglois et là recommencièrent François
lassault et longuement dura. Pendant lequel fist Talbort yssir Anglois à puissance des
autres bastides pour ses gens secourir; mais à celle heure estoient yssis d'Orléans les
chiefs de guerre avec toute leur puissance, qui aux champs se misent en batailles
ordonnées entre la bastide assaillie et les autres bastides anglesches, attendans illec
Anglois pour les combattre ; mais audedans de leurs bastides fit le sire de Talbort Anglois
retraire, délaissant en abandon les Anglois de la bastide Saint-Lou, qui par puis-
sance furent conquis environ vespre ; dont fut l'occision nombrée à vin" hommes, et
arse fut et démolie la bastide en laquelle François conquisrent très grant quantité de
vivres et d'autres biens, et atant rentrèrent à Orléans la Pucelle avec les grans sei-
gneurs et leur puissance, dont par toutes les églises à celle heure furent rendues à
Dieu grâces et louanges en hymnes et oroisons dévotes, à son de cloches, que bien
ouyrent Anglois, qui de puissance par ceste perte et de courage furent fort abessiés.
Désirant fut la Pucelle Anglois faire partir du siège ; pour ce requist les chiefs de
guerre que à toute puissance yssissent le jour de l'Ascension pour assaillir la bastidci
Saint-Laurent où furent touz les plus grands chiefs de guerre et le plus de la puissance
des Anglois, et quelconque doubte ne feist que tantost ne les deust conquerre, ançois
se tenoit seure de les avoir et disoit ouvertement que Icure estoit venue; mais dyssir
I.Enla.
614 LA VRAIE JEANNE D'ARC ! LA LIBÉRATRICE.
ne besoîgner telle journée ne furent point daccord les chiefzde guerre pour lahaultece
du jour, et d*autre part furent doppinion de premièrement tant faire que conquises
peussent être les bastides et boulevars du costé de la Saloigne avec le pont, afin que de
Berri et dautres pais peust la ville recouvrer vivres, et ainsi prinst la chose delay cetle
journée à la grande dcspiaisance de laPucelle qui malcontente sen tint deschiefs et
cappitaines.
Oultre Loire passa la Pucelle a grant puissance le vendredi vi« jour de mai i an
MIIHXXIX en la veue deGlacidas, qui tantost fit désemparer et ardoir la bastide de saint
Jehan le blanc, et ses Anglois fist retraire avec ses abillements en la bastide des Augus-
tins ou boulevard et es Tournelles. Si marcha avant la Pucelle atout ses gens de pié
tenant sa voie droit au Portereau, et à celle heure nestoient encore tous ses gens pas-
sez, ançois en avoit grant partie en une isle qui peu povaient finer de vaisseauU
pour leur passage. Néanmoins tant ala la Pucelle que du boulevard aproucha et à peu
de gent illec planta son estandart; mais à celle heure survint ung cry que Anglois
venoient à puissance du côté de Saint-Privé, pour lequel cry furent espouentés les
gens qui avec la Pucelle furent, et à retraire se prindrent droit au passage de Loire,
dont a grand douleur fut la Pucelle, et de soy retirer fut contrainte à peu de gent. Si
levèrent Anglois grand huy sur les François et à puissance yssirent pour la Pucelle
poursuire, crians grans cris après elle en disant d'elle parolles dilTamables. Adoncques
tourna contre euix et tant peu qu'elle ot de gent leur flst visage et contre Anglois
marcha à grant pas, à estendart desploié. Si furent Anglois par tavoulonté de Dieu tant
espouentez que la fuite prindrent laide et honteuse. Adoncques retournèrent François
qui sur eux commencèrent la chace jusques à leurs bastides, ou Anglois se retrairent
à grant haste. Devant la bastide des Augustins sur les fossés du boulevart assist la
Pucelle son estandart, et là vint tost à grand gent le sire de Rais, et toujours allèrent
François croissant qui la bastide des Augustins prindrent d assault, ou estoient Anglois
en très grant nombre qui tous furent illec occis, et fort estoit garni de vivres et de
richesses, mais pourtant que au pillage furent François trop ententifs, fist la pou-
celle bouter le feu en la bastide ou tout fut ars.
En celluy assault fut bleciée de l'un des piez de chaucetrappes, et pourtant qu'il
anuitait fut ramenée à Orléans et grand gent laissa en siège devant le boulevart el
les tournelles, et la nuitée se depparlirent Anglois qui dedant le boulevart de Saint-
Privé esloient, ouquel ilz boutèrent le feu, puis passèrent Loire en vaisséîiulx et se
retrairent en la bastide Saint-Laurent.
Recouvrement des Tournelles d'Orléans et la mort de Glacidas. — En grand double
fut la Pucelle la nuit que sur ses gens ferissent Anglois devant les Tournelles; el
pour ce, lesamedi viii" jour de may, environ souleillevant, par Tàccort et contentement
des bourgois d'Orléans, contre l'opinion et voulontè de tous les ciiiefs et cappitainks
QUI la furent de par le ROY, sc parti la Pucelle à tout son effort et passa la Loire. Si
lui baillèrent ceulx d'Orléans canons couleuvrines et tout ce qui nécessaire estoit pour
assallir le boulevart et les Tournelles, avccques vivres et des bourgois d'Orléans de
l'une part. Et pour les dictes Tournelles assaillir et le pont conquerre, de la partie de
la ville establirent de l'autre part sur le dit pont grand nombre de gens d'armes et de
trait avec grand appareil que fait avoient les bourgois pour les arches rompues pas-
ser et les Tournelles assaillir. Si furent Anglois assaillis des deux parties moult aspre-
ment ; car à merveille gectèrent contre Anglois de canons, de couleuvrines, de grosses
arbalestes et d'autres traits ceulx d'Orléans. Fier et merveilleux fut l'assault plus que
nul qui de la mémoire des vivans eust esté oncques veu. En cet assault vindrent les
chiefs qui dedans Orléans estoient quand les manières apperceurent. Et grandement se
deffendoient Anglois qui tant gettèrent que faillant aloient leurs pouldres et autres
traits, et de lances, guisarmes, dautres basions et pierres detTendoient le boulevart et
les tournelles ; mais le dit assault durant, environ vespres list la Pucelle ses gens descen-
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 615
dre es fossés du boulevart et contremont drecier eschelles, si renforça de celle partie
Tassault de plus en plus, qui depuis prime dura jusques à six heures après-midi ; et
tant furent Ânglois chargiés de couleuvrines et auitres trait, que plus ne sosoient
monstrerà leurs deffenses ; et furent de laultre part assaillis par les tournelles dedens
lesquelles boutèrent François le feu, et à la fin tant furent oppressés de toutes pars
et tant bléciés que en eulx ne sceurent plus Ânglois deffense.
A celle heure se cuidièrent Glacidas et autres seigneurs Anglois retraire du boule-
vard es Tournelles pour leur vie sauver ; mais soubz eulx par le jugement de Dieu
rompi le pont leveis et en la rivière de Loire noièrent.
Adoncques entrèrent de toutes pars François dedans le boulevart et les Tournelles,
qui en la veue du conte de SufTort et des seigneurs de Talebort et autres chiefs de
guerre furent conquises, sans monstrer ni semblant faire d*aucun secours. Si fut là
grant occision d'Anglois; car du nombre denviron cinq cents chevaliers et escuiers,
de tous les plus preux et hardis tenuz du royaume d*Angleterre, qui là estoient soulz
Glacidas avec aucuns faulx François, ne furent retenus prisonnierz en vie, fors environ
H cents. £n cette prinse furent mors le dit Glacidas, les seigneurs de Ponnains, de
Conins, et autres nobles d*Angleterre et d^autres pais.
Après laquelle tant glorieuse victoire, par le mandement de la Pucelle qui par
dessus le pont retorna cette nuitée, furent les cloches sonnées en toutes les églises
dOrléans à moult grant solennité, rendant à Dieu grâces et louanges. Et de trait fut
la Pucelle grièvement bléciée au dit assault, avant lequel advenu elles avoit biens
dit quelle devoit être férue jusques au sang; mais tost vint à convalescence ^
De ceste desconfiture furent Anglois à grant destresse, et grant conseil tindrent cette
nuitée. Si yssirent de leurs bastides, le dimenche le Yni° jour de may an MIIIIXIX, avec-
ques leurs prisonniers et tout ce que emporter povaient, et mettant en abandon tous leurs
malades tant prisonniers comme auitres, avec leurs canons, bombardes, canons, artil-
leries, pouldres, pavaiz, habillements de guerre, et touz leurs vivres et biens, misrent
le feu à dites bastides, et en bataille de pié se misrent sur le chemin dOrléans à Mehung
à estendarts déploies. Si firent les chiefs de guerre estant à Orléans ouvrir les portes
environ souleil levant, dont à grant puissance yssirent à pié et a cheval qui sur An-
glois vouloient aler férir ; mais là survint la Pucelle qui la poursuite desconseilla, et
voult que on les laissast atant départir sans assaillir cette journée, se contre François
mie venoient pour les combatre ; mais doubtalement tournèrent Anglois le dos, et tant
à Mehung comme à Jargueau se retrairent, dont les aulcuns gettèrent parmi les
champs leurs harnois. Par ce désemparement de siège se départi le plus de la puis-
sance des Anglois, que tant en Normendie comme autre part se retrairent.
Et après ledit désemparement les Anglois encores estant en la veue de la Pucelle,
fist icelle Pucelle venir aux champs ceulx de Téglise revestus, qui a grant solem-
nité chantèrent hymnes respons et oroisons dévotes, rendans louanges et grâces à
Dieu; et ce fait issi la commune d*Orléans qui entrèrent es bastides, où moult
trouvèrent vivres et grans richesses. Et par la voulenté des bourgois furent toutes
les bastides gectées par terre et tous les foubourgs abattus, et en la ville dOrléans
furent retraiz leurs canons et bombardes.
Si se retrairent Anglois en plusieurs places par eulx conquises ; c*est à savoir le
conte de SufTort à Jargueau ; et tant à Mehung et à Baugenci comme autres places par
eulx conquises se retrairent les seigneurs de Scalles, de Talbort et autres chiefs de leur
partie» qui ces choses mandèrent hastivement au duc Jehan de Belhfort régent, qui
de ce fust moult dolent, et doubtant que aucuns de ceux de Paris pour cette descon-
fiture se deussent réduire à lobéissance du roy, et contre les Anglois faire le commun
peuple esmouvoir, se parti à très grant haste de Paris, et à Vincennes se retrait le
]. Le n° àOOl n'a pas de titres de chapitre; ils ne sont pas régulièrement indiqués dans le
n« 5699. Il y a cependant ici : Sièqk liyé de devant Oaléans.
616 U VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
dît régent, qui de toutes pars manda les barons du royaume et grant quantité de
vivres ; mais peu y vint des barons, et à délaissier les Anglois et Jes hair et despriser
se prinsrent les piquars et autres nations du royaume; mais pour que à celle heure
ne peut la pucelle larmée entretenir en desfault de vivres et paiement le mardi
X* jour de may se depparti la Pucelle accompagnée de haults seigneurs, et par deTers
le roy s*en ala qui en grant honneur la receupt et tint à Tours aucuns conseils,
lesquels feniz il manda de toutes pars ses nobles, et pour la rivière de Loire nestoier
bailla la charge au noble duc dAlençon, qui la Pucelle voult avoir en sa compaignie.
Si vindrent à grant puissance devant Jargueau, où fut le conte de SulTort à grant
compaignie d'Anglois qui la ville et le pont avoient fortifAez. Là mirent siège de toutes
pars les François le samedi jour de saint Barnabe xi* du mois de juing, de bombardes
et canons fut en peu de heures la ville fort empirée, et le dimanche ensuivant XII jour
dudit mois de juin, furent la ville et le pont pris par assault, où fut occis Alexandre
La Poule, avec grant nombre d*Anglois. Si furent illec prins et retenus prisonniers
Guillaume La Poule, conte de Suffort, Jehan La Poule son frère, et bien fut la descon-
fiture des Anglais nombrée à environ v'^ combattants, dont furent le plus occis ; car
entre les mains des gentilzhommes occioient les gens du commun tous les prisonniers
anglois qu'ils rencontroient, dont convint mener par nuit à Orléans par la rivière le
conte de SufTort, son frère et autres grants seigneurs anglois pour leur vie sauver.
Pillée fut la ville et Téglise du tout qui plaine fut de richeces, et celle nuit se retrai-
rent à Orléans le duc Dalençon, la Pucelle, les chiefs de guerre avec la chevalerie de
lost pour eulx ralTraichir, et là furent receuz à grant joye.
La prinse du pont de Mehung-sur-Loire. — En la ville Dorléans séjournèrent après
la prinse de Jargueau le duc Dalençon et la Pucelle par aucuns jours pendant lesquclz
vinrent illec à grant chevalerie le seigneur de Rais, le seigneur de Chauvigny, le
seigneur de Laval et autres grans seigneurs pour le roi Charles servir en son
armée, lequel en ce contemple vint à SuUi, et d'autre part vint à Blois à grant cheva-
lerie le conte Arthur de Richemont, connestable de France, contre lequel le roy pour
aucuns rapports avait conçeu hayne et malveillance.
Si tindrent de grants conseils dedans Orléans le duc d'AIencon, et chiefs de guerre,
et grant appareil firent faire pour siège mettre devant Mehung et Baugenci, ou se tin-
drent à celui temps le sire de Scalleset le sire de Talbort à grant compagnie d'Anglois,
et pour les garnisons desdites places renforcer mandèrent Anglois qui la Ferté Hubert
tenoient, lesquels ardirent la basse court, et abandonnanz le chastel s'en alèrenl à Bau-
gency. Si parti une nuitée le duc de Talbort de Baugenci pour aler au-devant de messire
Jehan Fastol qui à grant compaignie d'Anglois, de vivres et de traits sestoit parti de
Paris pour venir avitailler et renforcier la puissance des Anglois, mais pour ce que de la
prinse de Jargueau ouy nouvelles dedans estampes laissa les vivres, et à Yenville vint
avec sa compaignie, auquel lieu il trouva le sire de Talbort, lesquels assemblés tindrent
aucuns conseiiz.
Comment François recouvrèrent le pont de Mehun-si r-Loire et Baugenci. — Jehan
le duc Dalançon chief et lieutenant général du roy Charles de France de son armée,
accompaigné de la Pucelle, et de plusieurs haulx seigneurs, barons et nobles, entre
lesqueulx estoient messire Loys de Bourbon, conte de Vendosme, le sire de Rais, le
sire de Laval, le vidame de Chartres, le sire de Latour, et autres seigneurs, atout
grant nombre de gens de pié, et grant charroy chargié de vivres et d'appareil de
guerre, le xv^ jour de juing MIIIIXXIX se partirent d'Orléans pour siège mectre devant
Anglois, et tirant leur voye droit à Baugency se arrcstèrent devant le pont de Mehung
que avoient Anglois fortiffié et fort garny, et tantost à leur venue fut par assault prins et
garny de bonne gent,et ce fait n'arrestèrent point François, mais pensant que dedens
Baugency se feussent retrais le sire de Talbort et de Scalles, allèrent devant Baugency,
pour la venue desqueulx Anglois abandonnèrent la ville et sur le pontet ou Chastel se
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 617
retrairent. Adoncques entrèrent François dedans la ville, et le pont et le chastel par
devers Beausse assiégèrent, et là drécièrent et assortirent canons et bombardes dont
fort bâtirent le chastel.
En ceslui siège vint à grant chevalerie le conte de Richemont connestable de France
qui en tout humilité se mist à genoulz' devant la Pucelle, lui suppliant, que comme
le roy lui eust donné puissance de pardonner et remettre toutes offenses commises et
perpétrées contre lui et son auctorité, et que pour aucuns rappors senestres, le roy eust
conceu hayne et maltalent contre lui, en telle manière que par ses lettres avoit fait
faire deffense que aucun recueil, faveur, ou passage, ne luy feussent donnez pour venir
en son armée, la Pucelle de sa grâce pour le roy le voulsist recevoir au service du
roy pour y emploier son corps, sa puissance et toute sa seigneurie, en lui pardonnant
toute offense. Et à celle heure furent illec, le duc d'Alencon et tous les haulx sei-
gneurs de lost qui la Pucelle en requisirent, laquelle le leur octroya, parmy ce que en
leur présence elle receupt le serment dudit connestable de loyaument servir le roy,
sans jamais dire ne faire chose que tourner luy doyt à desplaisance Et à cesle promesse
tenir ferme sans enfraindre, et de lui estre contraire se trouvé estoit deffaillant,
s'obligèrent lesdicls seigneurs à la Pucelle par lectres de leur scellé.
Si fut adonc ordonné que ducosté de Solloingne mettroit siège le connestable devant
e pont de Baugency, mais le vendredy xvn« jour dudit mois de juing fist le bailly
d'Evreux qui fust dedans Baugenci requérir à la Pucelle trailié qui fait fut et accordé
entour minuit, en telle manière que es mains du duc d'Alencon et de la Pucelle pour
le roy Charles de France, Anglois rendroient le pont et le chastel, leurs vies sauves,
lendemain à heure de soleil levant, et sans emporter ni mener fors leurs chevaulx
et harnois avec aucuns de leurs meubles montant pour chacun ung marc d'argent
seulement, s'en pourroient franchement aler es pais de leur partie ; mais armer ne se
dévoient jusques après dix jours passés, et par cette manière se deppartirent Anglois
qui estoient nombrez à v° combattants, qui le pont et le chastel rendirent le samedi
xvin« jour de juing mil CCGCXXIX.
Gomment Meiiln fut recouvré par la fuite des seigneurs de Scalles, de Talbort et
MES5IRE Jehan Fastol chevaliers anglois. — En la ville de Mehung entrèrent une
nuitée les sires de Scalles, de Talbort, Fastol qui ou chastel de Baugenci ne peurent
avoir entrée par l'empeschementdu siège; et cuidans faire le siège désemparer, la nuit
de la composition assaillirent Anglois le pont de Mehung, mais ledit xvni^ jour de
juing, tantost que de Baugency furent Anglois deppartiz vint l'avant-garde des François
devant Mehung, et aussitost toute la puissance en bataille ordonnée. Adoncques ces-
sièrent Anglois lassauU du pont et de toute leur puissance yssirent aux champs, et tant
àpié comme à cheval semisrent en batailles ; mais à relraire se commencièrent délais-
ians Mehung avec leurs vivres et abillements, et leur chemin prindrent par la Beausse
du costé par devers Patay et partirent hastivement.
Le duc d'Alençon, la Pucelle, le conte de Vendosme, le sire de saincte Sévère et de
Boussac mareschal, messire Loys de Gulaut admirai de France, le sire de Labrel, le
sire de Laval, le sire de (îhauvigny, et autres grans seigneurs qui en batailles ordon-
nées chevauchèrent et tant asprement poursuiirent Anglois que près Pathoy les
aconsuirent au lieu dit Goynces, et furent tant près tenuz que plus ne peurent la bataille
eschever, et en ordonnance se misrent contre lesquels assemblèrent François à bataille,
et en peu deures furent Anglois desconfiz, dont fut l'occision nombrée sur le champ
par les héraulx danglelerre à plus de ii™ii« Anglois. En cette bataille qui fut le
xvni* jour de juing mil llllXXIX, furent prins les seigneurs de Talbort et de Scalles
avec plusieurs chiefs de guerre et autres nobles du pais dangleterre, qui bien furent
nombres à v" hommes. Si commença la chace sur les fuians jusques près les portes
1. Le mot à genoulx a été omis dans la Chronique éditée par Vallet de Viriville.
618 LA VRAIE JEANNE D^ARC : LA LIBÉRATRICE.
Dyehyille, en laquelle chace furent plusieurs Anglois occis. Contre les Ânglois fuiant
fermèrent les bonnes gens Dyenville les portes, montèrent sur la muraille à leurs
defTenses, et ou chastel fut à peu de compaignie un escuier anglois lieutenant du capi-
taine, qui le chastel avoit en garde: lequel congnoissant la desconiiture des Anglois
traita avec les bonnes gens du chastel rendre, sa vie sauve, et list serment d'être bon
et loyal François, à quoi ilz le recourent. Grant avoir et grans richesses demourèrent
en celle ville qui par les Anglois y avoicnt été laissiez à leur partir pour aller à la
bataille, avec grant quantité de trait, de canons et autres abillements de guerre, de
vivres et marchandises, et en Tobéissance du roy se réduisirent ceux Dyenville. Dedans
Mehung entrèrent François après la fuite des Anglois et toute pillèrent la ville.
Et de la bataille s'enfuit mcssire Jean Fastol. Et quant Anglois que en plusieurs
places furent en pais de Beausse, sicommc à Montpipeau, saint Simon et autres forte-
resses, ouirent nouvelles de ceste déconfiture, hastivement prinstrent la fuite laide
et honteuse, et le feu boutèrent dedans.
Après lesquelles tant glorieuses \ictoires et recouvrement de villes et chasteaux
faites ledit xviu* jour de juing retourna toute larmée dedans Orléans, ou receuz furent
à grant joye par les gens d'église bourgois et commun peuple, qui à Dieu en ren-
dirent grâces et louanges. Et bien cuidèrent les prodeshommes du clergié et bourgois
d'Orléans que là dcust le roy venir, pour lequel recevoir ilz firent les rues tendre a
ciel, et grant appareil vouloient faire pour honorer à sa joyeuse venue, mais dedans
Sully se tint sans venir à Orléans, dont ne furent mie contons d'aucuns qui entour le
roy estoient, et atant demoura la chose à celle fois. Pourquoi la Pucelle ala par devers
le roy, et tant fist que le xxn^jour de juing cellui an il vint à Chasteauneuf sur Loire;
auquel lieu se tirèrent par devers lui les seigneurs et chiefs de guerre, et là tint aucuns
conseilz de guerre, après lesqueulx il retourna à Sully, et à Orléans vint la Pucelle
qui toutes gens darmes fit tirer par devers le roy, avecques abillements vivres et
charroys. Dont se parti la Pucelle Dorléans, qui à Gien ala ou vint le roy à puissance,
et par héraulx manda aux capitaines et autres qui les villes et forteresses de Bonny,
Cosne, la Charité tenoient, que en son obéissance se rendissent dont ils furent reflTusans.
En la ville de Baugency séjourna après la bataille le comte de Richemont connes-
table de France par aucuns jours, attendant responce du duc Jean d'Alançon et de la
Pucelle, de haulx seigneurs qui fors sestoient portez du roy appaisier et lui faire par-
donner son nialtalent; à quoy ils ne peurent avenir, et ne voult le roy souffrir qu'il
alast par devers lui pour le servir, dont il fut en grant desplaisance.
Du RECouvRKMEM DE BosNY-suR-LoinE. — En la ville de Gien ala le roy durant ces
choses, lequel envoia devant Bonny mcssire Loys de Culant son admirai atout grant
gent ; et le dimanche après saint Jehan MlllIXXIX lui fut rendu.
Et pour ce que désirant fut la Pucelle que avant que le roy emploiast sa puissance
à recouvrer ses villes ne ses chasteaux, elle le menast tout droit à Rains pour illec
être couronné et recevoir la saincte uncion royal, à quoy estoient aucuns doppinion
roiilraire tendans ad ce que preniirreinent le roy assiégeast Cosne et la Charité, pour
les pais de Berry, d'Orléans, et du fleuve do Loire nestoier, sur ces choses tint à Gien
de grans conseils, pendant lesquels fut la royne illec menée en espérance d'estre menée
couronner à Reins avec le roy; et eulx séjournans illec vindrent au service du roy a
grant puissance les barons et haulx seigneurs de plusieurs contrées du royaulme. Si
fut en la fin le roy délibéré en son conseil de la royne renvoier à Bourges, et sans
meclre aucuns sièges sur Loire prendroit chemin droit à Rains pour sa consécracion
recevoir; adoncques retourna la royne à Bourges et de Gien se parti le roy le jour
saint Pierre ou mois de juing MCCCCXIX, à toute puissance, et tenant sa voye dn>it à
Rains, sadrecia en Aucerrois et par ses héraulx manda aux bourgois de la cité d'Au-
cerre, à ceux de Gravant, de Coulanges-les- Vineuses, qui pour le roy anglois et le duc
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 619
de Bourgoigne se tenoient, que en son obéissance se rendissent ; auquel mandement
ilz obéirent et en sa grâce les receupt, et autres villes et chasteaulx de la contrée et
bénignement leur pardonna toutes offenses. Si administrèrent au roy vivres et
charroys abondamment pour son host soustenir, et en tout ce que requérir leur
voult semploièrent en son service. Dedans Aucerre nentra pas le roy à celle fois ;
mais pour la possession en prendre et le serment recevoir du ciergié et des bourgois
renvoya de haulx seigneurs, et ce fait passa la rivière dyonne. Et de toutes pars alla
chacun jour son host croissant tant de haulx seigneurs barons et nobles, comme bour-
gois et gens de commun. Et chevauchant pais et recevant villes et places en obéis-
sance tint son chemin droit à la cité de Troies en Champaigne, dedans laquelle le duc
de Bourgoigne avait establi plusieurs cappi laines au nombre de \^ hommes darmes
pour résister contre le roy.
Du SIÈGE MIS PAR LE ROY DEVANT LA CITÉ DE Troyes. — Devaut Troics viut Ic roy Charles
de France, le mercredi vi® jour de juillet MCCCCXXIX, et là mist siège de toutes
pars. Si fist son appareil et ses bombardes asseoir et assortir sur la rive des fossez de
la cité que forte fut et bien closes de murailles, contre laquelle il commanda faire ses
bombardes gecter.
(Page 216 et si:iv.)
TEXTE DE LA CHRONIQUE DE TOURNAY.
En ce dessus dit an mil nileXXVIlI, estoient Englès, à grosse puissance en pays de
Gascongne, faisans guerre à tous les pays de entour, et par espécial devant Blois et
Orliens, où estoient plusieurs villes et forteresses tenans le parti du roi de France,
qui pour lors se tenoità Chinon, avec belle compaignie de gens d'armes, pour deffendre
son pays et résister aux Englès ses adversaires. Et estoient en sa compaignie le
marescal de Bousat, mons' de Gaucourt, mons' de Rays, La Hire et pluiseurs
aultres gentilzhommes et grand nombre de Sauldoiers, qui deffendoient le pays contre
les dits Englès; mais nonobstant quelque deffence que ils feissent ou poussent faire,
leurs adversaires prévalloient et tousjours conquestoient pays ; dont le roi estoit moult
dolant ; mais ce ne lui povait aidier à cause que le heure ne estoit point venue, en
laquelle Dieu le estoit à mettre hors de opprobre et de misère. Et fait à présumer et à
croire que pour aulcuns peschiés ou de princes ou de peuples, le ayde de Dieu fut
attargée, le roi toujours lui requerrant son ayde et souccours, et mandant souventes
fois aux collèges des églises cathédrales de son royaulme faire processions et exhorter
le peuple eulx amender et prier pour lui et son roiaulme, considérant et ramenant
en sa mémoire que les persécutions de guerre, mortalité et famine sont vergues de
Dieu à punir les énormités du peuple ou des princes.
Les Englès dont, eux efforchant mettre tout le pays à leur obéissance se assem-
blèrent en grand nombre, et assegièrent la ville et cité de Orliens, devant laquelle ilz
furent longuement, faisans plusieurs maulx au pays de entour et plusieurs envayes et
assaulx à icelle ville par fait de canons, veuglaires, serpentines et aultres hostils de
guerre. Mais ceulx de ladite ville se deffendoient si puissamment et vaillamment que
rien n'y conquestoient, fors perte des leurs. Et eulx, volants que par assault ne
povoient avoir la ville et que moult y perdoient, se advisèrent et conclurent affamer
icelle : et, pour ce faire, ils firent trenquis et bastilles encloant ladite ville et eulx
contre les courses de leurs anemis; et ne laissoint passer par terre ne par eaue,
quelques marchandises ne vivres, dont ceulx de la dite ville se poussent sustenter ou
aidier. Et ceulx de ladite ville de Orliens, eulx voiands en tel dangier et aiant peu de
620 LA VRAIE JEANNE D*ARC : LA LIBÉRATRICE.
espérance estre soucourrus, sinon de Dieu principalement, se retournèrent vers lui,
requerrant que par sa bonté et miséricorde, il lui pleust être à eulx propice, selon que
ii sçavoit que il leur estoit nécessité. Et souvent faisoient processions et dévotes
prières tout le temps dudit siège, toujours requerrant le ayde et miséricorde de Dieu.
Et quand il pleut à Dieu oïr les prières, tant du roi de France comme de ceux
d'Orliens et autres villes dudit roiaulme, et que sa volunté fut les aidier et souccourir
et jetter de l'opprobre où ils estoient, il ne excita ne promeut les corages des hommes
robustes et exercités à la guerre à eulx oster le Ghehoriel et faix de toute calamité et
misère, adfin que ils ne extimassent la victoire venir de eulx; mais leur voeillant
monstrer que toute force vient de lui et que merveilleusement et miraculeusement il
fait toutes ses oevres, il anima et enhardi ung fueble et tendre corps féminin, aiant
vescu tout son temps en purité et casteté, sans quelque reproce ni suspicion de mal
fait. Lequel corps féminin et nommé Jchenne estoit de Loraine, de une petite ville
dite Mareulle, séante entre la cité de Mes et le pont à Mouisson, distoiante II lieues de
ladite cité et III dudit Pont; et avoit icelle Jehenne demouré et servi iliec, grand
espace de temps, en aulcune censé dudit lieu.
Quand dont il pleut à Dieu subvenir et conforter le dit roiaulme de France, ceste
dite Jehenne, le roi estant à Chinon, vers l'entrée du quaresme du dessus dit an,
comparut devant lui en habit de escuier, et se déclara estre Pucelle et envolée de Dieu
à subpéditer et expulser les Englès, par armes, se partir ne se voellent amiablement,
de son roiaulme et brefvemont le mener sacrer et couronner en la ville de Rains,
malgré tous ses hayneulx et mortels anemys.
Adonl le roi, entendant les parolles et promesses de la dite Jehenne estante en
habits dissimulé, les tint pour légières et vaines, sans y adjouter foi. Et ladite Jehenne
continuante ses parolles et disante que le ayde de Dieu, duquel elle estoit envolée, ne
doit estre refusée, mais joieusement reçupte, le roi comme sage et prudent, toujours
espérant avoir aulcun souccours de la grâce de Dieu, et commémorant que anchiène-
ment femmes avoient fait merveilles, comme Judith et aultres, assembla son conseil
et autres clercs, adfin que la chose arguée et débatue par bonne et meure délibération,
il peust sravoir se aulcune conjecture de divine ayde povoit estre sentie en cesle
femme. Lesquelz clercs et conseil disputant la matière par plusieurs et diverses jour-
nées, et considéranl et srachant que les oëvres de Dieu sont incongneues, et que
plusieurs fois il avoit Tait merveilleux et miraculeux souccours aux siens, conclurent
et dirent au roi, en ceste manière : « Très chier sire, la matière que il vous a pieu nous
déclarer et mettre en conseil passe entendement humain, et ne est qui en sceust
jugier, ni affermer, car les o^hres du seul et souverain seigneur se diversifient et sont
inscrutables. Mais entendu la nécessité de votre très digne et excellente personne,
avec aussi celle de votre roiaulme, et considéré les continuées prières de vostre
peuple, espérant en Dieu, et de tous aultres amants paix et justice, et mesinement
ramené que on ne scet la volunté du seigneur, il nous semble estre bon non rejetter
ne refuser la pucelle, qui se dist estre envolée de Dieu pour vostre souccours et ayde,
nonobstant que ses promesses soient sups oëvres humaines. Mais point ne disons no
entendons que légièrement créedz à elle : car le dyable est subtil et décepvable,
tendant tout tirera lui. Et pour ce, il est juste et raisonnable que, selon la sainte
escripture, le fachiés esprouver par deux manières, c'est assavoir: par prudence
humaine, en enquérant de sa vie, de ses meurs et de son intention, comme dit St Pol :
Probate spirilus si en Deo sunt, et par dévotes oroisons, enquerre signe de aulcune
oëvre ou apparence divine, par (|uoi on puist jugier que elle est venue de Dieu, ainsi
que il fut dit au roi Acliaz : que il demandast signe, quand Dieu lui faisoit promesse
de victoire, en lui disant : jiete tibi siynum a Domino Dco tuo, et semblablemenl fist
Gédéon, qui demanda signe et plusieurs aultres. »
Lesqueles n manières le roi tint et observa selon son conseil, envers ladite Pucelle,
c'est assavoir : probation de prudence humaine et inquisition de signe de Dieu par
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 621
oroison. Pour la première, il fist la disle Pucelle tenir et estre avec lui, en sa court
mieulx de vi semaines, et le fist communiquier avec toutes gens, et aussi examiner par
seigneurs de église et aultres clercs subtilement, elle tousjours accompagnié de gens
de dévotion, dames, damoiselles, vesves et pucelles, et aulcunes fois de gens d'armes
et aultres, en la présence du roi. Mais en quelque manière que ce feust, privé ment ou
publiquement, ne fust veu ne trouvé en elle, fors bien, humilité, patience, virginité,
dévotion et honneste simplesse. Et de sa naissance et vie furent oyes pluiseurs choses
merveilleuses, conformantes à vérité. Et quand à la seconde manière de inquisition
de signe par oroison, elle interroguée de ce, respondi que devant la ville de Orliens, et
non ailleurs, le monstreroil ; car ainsi lui était ordonné de Dieu. Et le roi, après la dite
probation faite de la Pucelle, autant que à lui estoit possible, considérant la response
de icelle à lui-mesme dite touchant démonstrer aulcun signe de son envoi, et voiant
la constance et persévérance de elle requerrante instamment alor à Orliens, pour
démonstrer aulcun signe de divin souccours, ne vollut empescher le voiage, mais
lui espérant en Dieu assembla ses gens d'armes, qui estoient expars par le pays, et
les fist aprester, pour conduire ladite Pucelle vers ladite ville, sans se voulloir mons-
trer répugnant au Saint-Esperit, ou ingrat de la bonté et miséricorde de Dieu et
indigne estre de lui souccouru, comme il avoit trouvé en délibération de conseil.
Et ladite pucelle, volante les préparations qui se faisoient pour le souccours de
ladite ville de Orliens, fist, par le oltroi du roi, escripre unes lettres, lesquelles elle
envoia aux capitaines des Englès tenant siège devant icelle, desquelles la teneur
s'ensuit.
« Jhesus, Maria! toi, roi d'Engleterre, et toi, duc de Becquefort, qui te dis régent
de France, vous Guillemme de la Polie, conte de Sulfort, Jehan sire de Taleboth, et
Thomas sire d'Escables, qui te dis lieutenant du duc de Becquefort, faites raison au
roi du ciel de son sang roial ; rendes à la Pucelle, envoiée de Dieu, le roi du chiel,
les clefs de toutes les bonnes villes que vous avez prises et violées en France ; car
elle est chi venue de par Dieu, réclamer tout le sang et droit roial, et preste de faire
paix, se raison lui vouliez faire, vous déportans de France, et paiant le roi de ce que
le avez tenue. Et vous tous, archiers et compaignons de guerre, gentilz et aultres
estans devant la ville de Orliens, partez vous de par Dieu, et vous en alez en vostre
pays, et se ainsi ne le faites, attendez les nouvelles de la Pucelle, qui brefvement
vous visettera à votre grand domages. Et toi, roi d'Engleterre, fai ce que je te ai
escript : que se tu ne le fais, je suis cief de guerre, aians puissance et commission de
Dieu de bouter et encachier forciblement tes gens, partout où les ataindrerai es par-
ties de France. Que se ils voellent obéir, je arai merchi de eulx, et, sinon, je les ferai
occir. Je sui chi venue de par Dieu, le roi du ciel, pour vous expulser de France, et
tous ceulx qui voudront faire trayson, malengin ou domage au roiaulme très cris-
tien. Et ne mettez en vostre oppinion tenir le dit roiaulme de Dieu, le roi du ciel, lil
de la vierge Marie, car Charte, vrai héritier de icelui, le tenra, voeilliés ou non ; c'est
la volonté du roi du ciel et de la terre. Et ce lui est révélé par moi, qui sui Pucelle,
et que il entrera à Paris à bonne compaignie; et se vous ne vouliez croire les nouvelles
de Dieu et de la Pucelle, en quelque lieu que vous trouverons, nous ferrons dedens
à horrions et y ferons tel hahai, que, passé mil ans, ne fut si grand en France. Faites
donc raison, et créedz la Pucelle. Que se vous ne le faites, le roi du ciel lui envolera et
donra plus de force, que ne lui pourez livrer de assaulx, et pareillement à ses bonnes
gens d'armes. Et aux horrions verra-on qui ara le meilleur droit de Dieu du ciel.
Toi dont, roi d'Engleterre, et toi, duc de Becquefort, la Pucelle vous prie que vous
issiés du pays, car elle ne vous voelt détruire, en cas que lui faites raison ; mais se
vous ne le créedz, tel cop poura venir, que les Franchois en sa compaignie feront le
plus beau fait que onques fut vu en cristienneté.
Et envolez response se vouliez faire paix et vous partir de Orliens ; que se vous ne
le faites, altendez-moi à votre grand domage et brief.
622 LA VRAIE JEANNE D'ARC ! LA LIBÉRATRICE.
Escript mardi de ceste sepmaine sainte et pénultime de mars mil Ull*, XXVill.
Et ces choses ainsi faites, et le armée de France assemblée et preste, la dite Pucelle
se parti de Chinon, tirant vers Orliens, le joedi xxi* de apvril, mil lUI' XXIX, étalai
Blois, où elle attendi les vivres et puissance qui se debvoient mettre dedens la dite
ville de Orliens, jusques an joedi ensicvant, et adont elle se parti du dit Blois, aiant
son estandard de blancq satin, auquel estoit figuré Jhesu Christ séand sur les arches,
monstrant ses plaies, et à caseun lez, un angel tenant une fleur de lis.
Et estoient en sa compaignie mens" le marescal de Bousac, mons*' de Gaucourt,
mons' de Rays, Lahirc et plusieurs aultres grands seigneurs» en nombre de tous com-
battans environ m (trois) mil, que de pied que de cheval. Et menèrent avec eulx
parmi la Saloingne, environ LX carios de tous vivres, et IH1« XXX V chargés de bestail.
Et Tendemain, ilz vinrent à la dite ville de Orliens, emprès la rivière, où ceulx de la
dite ville les vinrent quérir par navires, malgré les Englès, qui ne osèrent issir de
leurs trenquis et bastilles, ne faire quelque résistence. Et la Pucelle, volante que on
le avoit mené du costé de la Saloingne, et que elle ne avait trouvé les Englés,fut très
couroucée vers les capitaines, et commencha plorer. Et incontinent charga la
compaignie que ilz retournassent au dit Blois querre les vivres que ilz y avoienl lais-
siés, et que ilz les amenassent du côté de la Biausse, et que elle les adevanceroit avec-
ques une partie de ceulx de la ville de Orliens, et bien leur dist que rien ne doutas-
sent, et que ils ne trouveroient quelque empeiscement. Et adont entra la dite Pucelle
en la ville, et ses gens retournèrent au dit Blois, en obéissant et accomplissant son
dit. Et après ilz se partirent dudit Blois, aiant le sourplus de vivre et grand nombre
de bestail, comme bœfs, porcs et moutons, le mardi lu' de mai.
Et Tendemain, veille de TAscension, ilz vinrent à Orliens du dit costé de la Biausse,
sans quelque empeiscement à Taler ne au venir, par trait ne auUrement, combien que
les Englès se assemblèrent environ xini^ combatans, pour les envaïr au retour, mais
ilz ne osèrent, car la dite Pucelle, aiante grosse puissance de ceulx de ladite ville,
ala au devant de eulx, et les reçupt malgré leurs anemis, et les conduisit en ladite
ville.
Et tosl après que Jesdits vivres furent en la ville de Orliens, la Pucelle aiante son
estandart et sa puissance, ala assaillir la bastille de St-Leu, qui estoit forte et de grand
dcffense, une partie de ses gens de cheval ordonnez à garder que les Englès de aultre
costé ne leur feissent souccours ; et la dite Pucelle, avec ceulx de sa route, venus à
ladite basteillc, firent tant, parmi le ayde et volunté de Dieu, que elle fut prise par vive
force de assault, et y morurent environ CLX Englès sans les prisonniers qui furent
environ XllU (/4). Et là conquirent grands vivres et plusieurs pièches de artillerie et
aultres bagues, sans quelque perte des leurs, sinon n hommes. Et adont se relrai-
vrent, menans tout en ladite ville.
Et lendemain feste de l'Ascension de Jhesu-Crist, la dite Pucelle aiante son estan-
dart en la main, issi de ladite ville de Orliens avec sa puissance du costé de la Sa-
loingne, et monstra semblant assaillir leur bastille. Et par une fainte retraite que elle
commanda faire, les Englès sallirent hors de icelle après eulx à grand puissance.
Et adont ladite Pucelle et Lahire voiands les dits Englès estre issus retournèrent
vigoreusement supz eulx, et les reboutèrent et poursievirent si asprement, que à
paines se poiirent retraire en leur fort ; et là morurent XXX englès. Et fut le ung de
leurs fors pris et un bolvercq et grand nombre de vitailles. Et les Englès, voiands que
ainsi ils estoient reboutez, deffirèrent 111 bastilles qui estoient du dit costé de la Sa-
loingne, et tous se retraiyrent on leur grande bastille du bout du pont.
Et ceste nuite, tint la dite Pucelle et les siens les champs, jusques au cler Jour,
dudit costé de la Saloingne. Et le dit jour commenchié esclarchir, et la Pucelle et ses
gens appointiés et ordonnez, se elTorchièrent envaïr ladite grande bastille du bout du
pont, qui estoit moult forte et comme imprenable, et où estoit grand nombre d'Englès
et belle ordonnance de deiïense de bombardes, canons et aultre trait à poure.
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 623
Laquele bastille fut telement défendue par lesdits Englès, que, par tout le jour,
Franchois rien ne y conquirent. Et ceste envaïe se continuant jusques assez tart du
vespre, la Pucelle, comme il pleut à Dieu, fut bléchée par trait lui entrant environ
ung pôle en la poitrine, deseure la dextre mamelle ; de laquelle bléchureelle se mons-
tra plus estre lie (sic) que tourblée, et demandante un peu de oie d'olive, avec coton
tira elle meismes le trait de sa poitrine et mist le dit oie dessups et dict : « Maintenant
ne ont les Englès comme rien de puissance, car ceste bléchure est le signe de leur
confusion et misère, révélé à moi de par Dieu, et de moi non déclaré jusques à
présent. » Et incontinent, elle appointée et armée, se tirante à part et appoiante sups sa
lance, tenans icelle de la main, fist semblant faire oration à Dieu, la face eslevée vers
le ciel. Et, ce fait, elle retourna aux gens d'armes et leur monstra ung lieu de ladite
bastille, leur commandant que ilz le envaïssent par là et entrent en icelle, lesquelz
obéissans, tous de ung commun accord avec elle la première, assaillirent icelle et
telement le oppressèrent, que. Dieu aidant, promplement fut prise de force. Et eulx
dedens entrez, y eubt, que pris que mors, environ v'' Englès des principaulx de leur
est. Et lesdits Englès voiands la dite bastille estre prise et eulx cuidans retraire
dedens la tour du pont, ledit pont fondi et chéi en le eaue, dessupz lequel estoit Clas-
sedas, ung de leurs ciefs souverains, et aullres grands seigneurs avec lui, jusques en-
viron XXX, qui tous furent noiez. Et ceste chose fut tenue comme miraculeuse. Et, en
ceste conqueste, gaignièrent les Franchois grand habondance de vivres et de artilleries,
comme bombardes, canons, serpentines, veuglaires et aultres engiens et bagages. Et,
le meisme jour assez tart, entra la dite Pucelle avec ses gens, en la ville de Orliens,
en grand joie de coer et rendant grâces à Dieu de la dite victoire, et menans leurs pri-
sonniers devant eulx : et leurs gens reveus, après la dite conqueste et assaut, ne trou-
vèrent que V hommes moins et peu de bléchiés. Et de ceste journée dirent aulcuns et
affermèrent que durant ledit assault, furent véus deux blancs oiseaulx sups les
espaulles de ladite Pucelle. Et les Englès prisonniers dirent et congneurent que il
leur sembloit que les Franchois se monstroient être trois fois plus que ilz ne estoient,
et que par ce avoient été si espo veniez, que ilz ne avoient quelque puissance de eulx
deffendre.
Et, le dimence après et endemain de la dite victoire et conqueste, au point du jour,
les aultres englès des Bastilles, du côté de la Biausse voiands leur maie adventure et
doubtans la puissance de la dite Pucelle, habandonnèrent leurs places et bastilles, et
s'enfuyrent tous ensemble, qui bien estoient nombres XXV*». combatants, que de pied
que de cheval. Et ceulx de la ville de Orliens, avec ladite Pucelle, voiands la fuite
desdits Englès, issirentdeladite ville, en nombre de environ v^ chevaulcheurs, et féri-
rent en la queue, et en occirent et prirent aulcuns, sans ce que ilz se retournassent
ne monstrassent quelque défense. Et la Pucelle, ce voiands, fit retraire ses gens, sans
souffrir que plus les poursievissent, disans que, puisque ilz se partoient, on ne les
dedvoit trop aggresser, et mesmement ce que il estoit dimence, jour et feste du sabbat
de Dieu, et aussi pour ce que elle leur avoit donné jour de eulx en aller jusques au
lundi. Et eulx retrais en la dite ville et reposez la nuitée se partirent de icelle, l'ende-
main matin, et alèrent es bastilles que les dits Englès avaient délaissé, es esquels ilz
trouvèrent pluiseurs vitailles, artilleries et aultres habillements de guerre, vaillables
grand somme de argent.
Et ces choses ainsi faites, la Pucelle manda au roi toute la besongne ainssi que elle
estoit; lequel, oïand ces nouvelles, fut moult Joieux, et, lost après, se parti de Chinon,
pour aler devers elle, et vint en la ville de Tours, le vendredi devant la Penthecouste
ensievant. Et il venant en icelle ville, ladite Pucelle, qui peu avant y estoit venue,
ala audevant de lui son estandart en sa main, et lui fist révérence, se inclinante des-
sups son cheval le plus bas que elle peut, le cief descouvert; et le roi à cest aborde-
ment osta son caperon et le embracha en la suslevant ; et, comme il sembla à plui-
seurs, voullentiers le euist baisée de la joie que il avoit. Et cette joieuse obviation
624 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
faite, ils enirèrent en ladite \ille de Tours, et se mirent en leurs hostelz. Et Tende-
main vinrent nouvelles au roi que le sire de Scables et le sire de Talieboth et grand
nombre de Engiès, escappez du siège de Orliens, se estoient mis et enclos à Gergeau,
à fiaugentis et à Meun : lesqueles nouvelles oyes, il manda hastivement le bastard
de Orliens et Poton de Saint-Traille, qui avoient esté capitaines de ladite ville, le
siège durant, et pluiscurs aultrcs seigneurs, estans en garnison et forteresses de là
entour. Et eulx assemblez à Tours, le roi leur commanda aler avec la Pucelle après
les dits Engiès. Et adont se parti ladite Pucelle de Tours, à bonne puissance de gens
d'armes, et alèrent asségier la ville de Gergeau, où ledit sire de Talieboth et celui de
Scables estoient avec grand nombre d'Englès ; et est icelle ville supz la rivière de
Loire, à viii lieues de Orliens. Et eulx venus devant ladite ville subitement y firent un
grand et merveilleux assault, lequel ils continuèrent, tant que ilz la prirent par force
et là fut pris le sire de Talieboth et le sire de Scables, lesqueh la Pucelle laissa aler,
par aulcun traitié que ilz promirent entretenir.
Et ce fait, aulcuns des cappitaines dirent à ladite Pucelle que elle avoit mal fait de
laissier aler les anemis du roi, ausquelz ellerespondi que briefvement seroient repris
aultre part, et que ilz ne tenroient chose que ilz euissent promis.
Et de là s'en allèrent à Meun, qui est à v lieues de Orliens, au dessoubz de ladite
rivière, et le prirent de assault et de là à Raugentis. Mais eulx venus illec, la garni-
son avec aussi la plus grand partie de ceulx de ladite ville, se estoient partis et en-
alez, et adont ceulx qui estoient demourez ou casliel les reçuprent et leur livrèrent
ladite ville et le castiel. Et, après ce, la Pucelle, avec les cappitaines et gens
d'armes, s'en alèrent audevant et contre vi" Engiès, qui venoient pour souccourrir
leurs gens, avec lesquelz se estoient mis le sire de Talieboth et celui de Scables,
que ladite Pucelle avoit laissié aler, comme dessupz est dit, et aussi pluiseurs aultres
Engiès, lesquelz avant s'enfuioient. Lesqueles n armées se entrecontrèrent emprès
Patay, en Biausse, à vi lieues de Orliens. Et illec se portèrent les Franchois si vaillam-
ment que. Dieu aidant, lesdits Engiès furent desconfis et près tous mors. Et là furent
repris le sire de Scables et celui de Talieboth et pluiseurs aultres. Et cesle baptaille
faite, et les prisonniers emmenez avec toute la despoulle, grand joie fut faite et
loenges rendues à Dieu, congnoissans que toute victoire vient de lui. Et les prisonnière
présentez au roi, il les reçupt très liement, en remerciant ladite Pucelle et les cappi-
taines, et rendant grâces à Dieu, qui donnoit corage à une femme de teles emprises.
Et adont se parti le roi, de Tours et ala à Orliens, avec plusieurs seigneurs, chevalliers,
escuiers, cappitaines et aultres; et, illec venu fut reccu à grandjoie.
Et après ces choses ainssi aciefvécs, le roi, par le conseil de la Pucelle et de aulcuns
seigneurs de sa court, se parti de la ville de Orliens, aiant belle compaignfe de gens
d'armes, et tira vers la ville et cité de Rains, pour être sacrez et couronnez. Et, en
faisant ledit voiage, mist en son obéissance pluiseurs villes et forteresses alors tenues
des Engiès, c'est assavoir: Aussoire, Sens, Troies, Chalon et aultres pluiseurs. Et, après
ce, le roi vint et entra en ladite ville de Kains, le samedi xvi« de juillet du dessupzdit
an mil III^XXIX à vu du vespre, et, l'endemain à m heures du matin, ala en l'église
Nostre-Dame, avec pluiseurs seigneurs et aultres. Et eulx entrez dedens ladite église,
elle fut close jusques à ix heures, et adont ladite église ouverte, le roy fut sacrez et
couronnez par monseigneur le archevé(iue de ladite ville et cité de Rains. Et, ce fait,
les seigneurs, qui là estoient, lui firent hommage tel que il appertenoit à leurs
seignouries et tenemens. Et adont list le roi un que ducs, que contes, et environ
ii<= chevalliers.
Et après se parti de ladite ville, prenant chemin vers Paris. Et, en ceste voie, se ren-
dirent à lui les villes qui s'ensièvent, c'est assavoir : Laon, Soissons, Compiègne, Cas-
teau-Tieri, Senlis, Beauvais, Laingni et pluiseurs aultres forteresses et casteaux. Et fait
à présupposer et extimer que se tondis euist procédé avant, tôst eust reconquesté tout
son roiaulme, car les Engiès et autres ses adversaires estoient si esbahisel elféminez.
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 625
que à paines se osoient amonstrer ne defTendre la pluspart de eulx, sans espérance de
éviter la mort, fors par fuir. Et le roi ainsi besongnant vint à Saint-Denys avec son
armée, et lui, entré en Tabaye, fit célébrer les obsèques et service du roi Charle son
père, vi« de ce nom.
Et, en tout ce voiage, la Pucelle ne avoit aultre intention, fors de elle et ses gens
assaillir la ville et cité de Paris ; devant laquele elle fist plusieurs courses, avec les
siens, et partout là entour. Et estoit courouchée que aultremcnt ne se faisoit; mais
les cappitaines ne se accordèrent assallir ladite ville; ains, par aulcuns du conseil du
roi, firent retraire leurs gens d'armes, dont il convint que ladite Pucelle se reslraiisl à
Saint-Denis, où le roi se tenoit. Et m jours après, le roi créand aulcuns de son conseil,
contre le gré de ladite Pucelle, s'en ala menant icclle avec lui, oullre la rivière de
Loire. Et là se tint tout le yver, sans gaire bcsongnicr au fait de la guerre, dont ladite
Pucelle estoit très mal contente, mais ne le povoit amender.
L'an mil llll* et XXX, tantost après Pasques, Philippe, duc de Bourgongue, et sire
Jehan de Lucembourcq, conte de Lingni, avec plusieurs cappitaines d'Kngleterre, et
aians grand puissance de gens d'armes, Englès, Bourguignons, Picars et Portugalais,
s'en alèrent en France et conquestèrent aulcunes villes et forteresses, qui se estoient
rendues au roi, au voiage de Paris, comme dessupz est dit; et tant que les dessudits,
avec leur armée, vinrent devant Compiengne, et y mirent le siège, et se fortifièrent
de bolvers et bastilles pour les afTamer. Et avoit ledit duc de Bourgongne grand nombre
de Portingalois avec lui à cause que il avoit espousé la fille du roi de Portingal, dont
les nocpces avoient été faites au mois de janvier précèdent, en la ville de Bruges;
èsquels on flst pluiseurs esbatement de joustes, tournois et aultres noblesses sump-
teuses...
[Ici le chroniqueur raconte les prodigalités du duc à ses noces ]
Leduc de Bourgongue dont, avec ses allez et armée, estant fortifiez devant ledite ville
de Ck)rapiengne pour icelle affamer, et aulcun bon cappitaine, de nom Guillaume de Flavi,
estant dedens et bien deffendant icelle avec le ayde des manans et habitans, le roi, i)ar
aulcun de son conseil, envoia en leur ayde Jehenne la Pucelle avec n^ hommes Ylaliens,
Et ladite Pucelle, venue en ladite ville, et, aulcun jour, issue pour grever leurs anemis,
avec ceulx de la ville et lesdits Ytaliens, après longe escarmuce par eulx faite, et cuidans
rentrer en icelle, furent si opprimez et constrains de leurs adversaires, que ladite
Pucelle fut retenue prisonnière et livrée en la main de messire Jehan de Lucembourcq,
lequel envoia ladite Pucelle ou castiel de Biaulieu, commandant icelle emprisonner
en une tour. Et après la prise de ladite Pucelle, le duc de Bourgongne, pour aulcuns
ses affaires de Braibant et de Liège, se parti dudit siège, laissant ses gens illec; les-
quelz y furent, avec le aultre armée, que la Toussaint approchoit.
[Ici le chroniqueur raconte la délivrance de Compiègne et puis reprend l'histoire de
Jeanne.]
Ce siège durant, Jehenne la Pucelle estoit enfermée et tenue prisonnnière en une
tour ou castiel de Biaulieu, de laquelle elle cuidante escaper, sailli de haut embas :
dont telement fut bléciée que aler ne s'en peut, et fut reprise et menée à Biaurewart,
où elle fut prisonnière tant que ledit siège fut deffait ; et adont messire Jehan de Luceni-
bourgle délivra aux Englès, lesquels le menèrent à Bouen, où longemenl fut tenue
prisonnière. Et depuis dirent et affermèrent pluiseurs que, par le envie des capitaines
de France, avec la faveur que aulcuns du conseil du roi avoient à Philippe, duc de
Bourgongne et audit messire Jehan de Lucembourcq, on trouva couleur de faire morir
ladite Pucelle par feu, en ladite ville de Bouen, non trouvant en elle aultre cause ne
culpe, fors que elle avoit esté, durans toutes les dessupzdiles conquesles, en habit
dissimulé.
(Becueil des Chroniques de Flandre, 111, p. 405-417.)
m. 40
626 U VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIRÉRATRICE.
•C (p. 240-243).
THOMAS BASIN.
PROCÈS DE LA PUCELLR (Histoire de Charles VII, liv. !ï, ch. xv et xvi, p. 8<).
Mirabanluroinnos ferme quod ad intorrogationes de lidei capitulis, etlam doclis el
liUeratis viris salis difliciles, lalis msUcana juvencula tam prudenler et caute respon-
den*L. El quuni assessoruin, qui acrius et fervenlius Anglorum querela? faulores
alque defensoros exsislebant, Iota ad hoc versaretur intentio, ut callidis etcaptiosis
interrogalionibus capta, criminis ha»reseos adjudicaretur rea, et per hoc de medio lol-
lerelur, nihil lameii validum aul efficax ad hoc ox ipsius dictis aut assertionibus
extrahere potuerunl.
Fuf'ratonim rev(»ra, ut ab his qui ojus convei'salionein el mores cognoveranl lesla-
batur, priusquam ad rogem accossisset, ac etiam poslquam inter armatonim cohorles
observata fuit, multum devola, quoties poteral, ecclesias et oratoria frequentans. Tbi
autom dum rure pascendo pecori insistorel, si audiret campanœ sonum pro elevalione
divini Corporis el Sanguinis vel pro saiulalione Beala^ Maria», cum magiio devolionis
n*rvore solita oral genu (leclcre et Deum exorare. Sed el Deo suam vovisse virginita-
lem afiirmabat: de cujus violatione, liceldiu inler armatorum grèges el impudicorum
ac moribus perdilissimorum virorum fuissel conversata, numquam tamen aliquam
infamiam perluiit. Quinimo, cum per muHeres experlas, eliam inler Anglorum existons
manus, super sua inlegritale examinala inspcclaque fuissel, non aliud de ea experiri
potuerunl nec inferre, nisi quod intemerala virginalia claustra servaret. Excusabat
ipsa viriiis vestis habilum atque tegumenlum, pra'ceptum de assumendo et utendoeo
, alque armis divinitus sibi factum asserens, ne viros, inler quos diu noctuque in expei
ditionibus bellicis obversari haberet, ad iliicitam sui alliceretconcupisoentiani, si amic-
lum inuliebrem portasset; quod vix profecto inhiberi potuissel.
Sed certe, cujuscuniciuc in ea seu simulacrum seu spécimen virtutis ehicere potuis-
sel, vix eral ut. apud quos tenebatur, se potuissel justificare, cum nihil ferventiusaul
propensius quam ipsam perditum iri et exslingui afîectarent. Una enim omnium
Anglorum sententia voxque communis erat se nunquam posse cum Francis feliciler
dimicare, aiit de cis reportare victoriam, quamdiu illa Puella, quam sortilegani ac
malelicam difîamabant, vilam ageret in humanis. Atqui quomodo innocentia secura
evadere, quidve prodesse, inler lot acerbissimorum inimicorum et calumnialorum
manus posset, quales eidem Puelko ipsi Anglici crant, atque alii permulti, qui animo-
sius eorum partes defendebant et judicio assidebant, qui eam loto annisu, quacumquo
Nia, perditum iri cupiebant?
Quum autem super iis, quas afiirmabat Sanctarum Virginum apparitiones fadas, in
una eademque confessione perseveranter maneret, diuque et multoties ileratis exami-
nationibus fatigata, sirniil etiam squalore et inedia diutini carceris macerala «M con-
fecla fuisset (in quo quidem ab Anglicis militibus, tam intus carcerem, quam a foris
juxta ostium jugiter excubantibus, asservabatur), ferunt, judicibus sibi, si id facerel,
impunitatem liberalionemque pollicentibus, aliquando eam abnegasse se habuisse
veras hujusmodi apparitiones aut divinas revelationes ; ad hoc tamen inductam ut,
coram assidentibus in judicio, ea ulterius se dicturam asserturamve abjurarel. Quœl
cum ita factum fuisset, nec minus propter hoc a duritia et asperitate carceris laxaretur,
aliquot post decursis diebus, vulgatum exstitit eam dixisse se propterea fuisse correp-
tam quod hujusmodi apparitiones el revelationes se abnegassel habuisse, denuoque
Sanctas easdem sibi in carcere apparuisse, qua.» de hoc ipsam dire increparanl.
(juum aulem ad judices ea res perlai a fuisset, ipsa ilerum ad judicium publice
exhibila, tanquam in abjuratam ha^resim relapsa, judicala exstitit el relicla ul lahs
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 627
brachio sœcularis potestaiis. Quam illico rapientes exsecntores totaque Anglorum
manus, qui in magno aumero cum rege suo Henricotum erantRothomagi, spectante
innumera pœne populorum muliitudino tam de civitale ipsa quam de agris et vicinis
oppidis (nam plurimi velut ad speclaculum publicnm propterea ad eamdem urbem con-
fluxerant), ipsa Johanna, Deum semper invocans auxiliatorem et gloriosam Domini
nostri Jesu Christi Genilricem, igné consumpta exlilit.
Collecti etiam fuerunt universi cineres, quos illic ignis tam de lignis quam de ipsis
corpore et ossibus reliquerat, et de ponte in Soquanam projecii, ne quid reliquiarum
ejusdem aliqua forsan posset superstitione tolli et servari. Et talis quidem fmis hujus
transitorioî vita; Johanna} fuit.
Exspectabit forte hujus historié lector nostrum de hujus Puella} gestis judicium, de
qua per omnem Galliam ea lempestate celeberrima fama fuit. Nos vero audenter dici-
mus et aflirmamus quod, ex processu facto contra eam (quem ipsi vidimus postquam,
ejectis Anglis, Normannia sub Caroli ditionem, velut postliminio, redierat) non sufli-
cienter constat ipsam de alicujus erronei dogmatis, contra veritatem doclrinac calho-
licaî, asserlione convictam vel in jure confessam; ac per hoc hœresis atque relapsus
satis manifeste defuisse fundamentum. Quanquam etiam, pra3terhoc, polerat processus
hujusmodi ex multis capitibusargui vitiosus, coram capitalibus inimicis sœpe per eam
recusatis, denegato sibi etiam omni consilio^quœ simplexpuellaeratjactus et habitus:
quemadraodum ex libello quem desuper, ab eodem Carolo expelito a nobis consilio,
edidlmus, si ei ad cujus vcnerit manus eum légère vacaverit, lalius poterit apparere.
Pulsis enim de Nonnannia Anglicis, idem Carolus par plures regni sui prœlatos et
divini atque humani juris doctos homines, diligenter processum pra^dictum examinari
et discuti fecit ; ei de ea materia plures ad eum libelles conscripserunt. Quibus, coram
certis a sede apostolica ad cognoscendum et judicandum de hujusmodi materia judi-
cibus delegatis, exhibilis et mature perspectis, per eosdem judices in sententiam, quam
diximusy exstitil condescensum.et sentcntia, contra eam data sub Anglorum imperio,
cassata et revocata.
Mirabitur forsan aliquis, si a Deo missa erat, quomodo sic capi et suppliciis affiei
potuerit ; sed nuUus admirari ration abili ter poterit, qui sine ulla hœsitatione crédit
sanctum sanctorum Dominum et Salvatorem nostrum, sanctos prophetas et apostolos
a Deo missos ob doctrinam salutis et fidei Deique voluntatem hominibus insinuandum
et evangelizandum, variis cruciatibus et suppliciis afTectos, triumphali martyrio hanc
vitam fîniisse mortalem ; quum etiam legamus in veteri Teslamento populum Israeli-
ticum, a Deo jussum Ghananaîorum gentes exterminare et contra suos hostes et idolâtras
pugnare, tam propter sua peccata aut alicujus etiam ex eis, aliquando prœvalentibus
eis hostibus, cecidisse et corruisse. Quis enim novit sensum Domini, aut quis consi-
liarius ejus fuit? Non tamen ita hœc dicimus, quod eamdem Johannam, modo quem
diximus ex hac misera vita prœreptam, apostolorum aut sanctorum martyrum velimus
meritis coœquare ; sed quod minime repugnantia aut inter se incompatibilia repu-
lamus, et quod a Deo, ad subveniendum regno et genti Francorum adversus hostes
suos Anglicos, qui tune regnum ipsum gravissime opprimebant, ad ipsorum Fran-
corum Anglorumque conterendam superbiam, et ut ne quis «ponat carnem brachium
suum, » sed non in Deo, sed in se ipso solo de suisque viribusglorietur, dicta Johanna
a Deo missa fuerit; et nihilominus quod eam Deus, vel ob régis vel gentis Francorum
démérita, utpote quod tantorum beneticiorum, quanta Deus per eam ipsis mirabiliter
conlulerat, ingrati, non proinde débitas egerint gratias divinitati, aut victorias eis
concessas non gratiae Dei, sed suis meritis aut viribus attribuerint (quœ mérita profecto
nulla nisi mala tune erant, quum mores corruptissimi essent, seu alia causa aliqua,
justa quidem, quoniam non est apud Deum iniquitas, licet a nobis minime cognita),
ab hostibus capi et supplicie sic eam afQci permiserit, gratiam quam gratis nec meren-
tibus dederat, ab indignis ac ingratis subtrahendo. Sœpe enim quod divina pietas
dédit gratis, tulit ingratis. Quod autem per fœminas interdum cum armis, interdum
628 LA VRAIE JEANNE D*ARG : LA LIBÉRATRICE.
sine armis, suis subvenlionem el victoriarum solatia de hostibus Deus coniulerit,
testes sunt historiœ de Debbora, Judith et Esther, quœ canoni divinarum Scripturanim
inseruntur.
D (p. 285).
(Extrait de divers manuscrits.)
EXHORTATION A SECONDER LA PUCELLE.
Virgo puellares artus induta virili
Veste, Dei monitu, properat relevare jacentem
Lillferum regem, atque suos delere nefandos
Hostes, prœcipue qui nunc sunt Aurelianis
llrbe sub, ac illam déterrent obsidione.
Et si tanta viris mens est se jungere bello,
Crédite failaces Anglos succumbere morti,
Marte puellari Gallis sternentibus illos.
Et tune finis erit pugnsc, tune fœdera prisca,
Tune amor et pietas et cœtera jura redibunt ;
Certabunt de pace viri, cunctique favebunt
Sponle suo régi, qui rex librabit et ipsis
Cunctis justitiam, quos pulchra pace fovebit.
Et modo nullus erit Anglorum pardiger hostis
Qui se Francorum pro^sumat dicere regem.
LIVRE III.
E (p. 344-34.-)).
LETTRES D'ANOBLISSEMENT DE LA PI CELLE ET DE SA PARENTÉ.
Karolus Dei gratia, Francorum rex, ad perpetuam rei memoriam.
Magnificaturi divino} celsitudinis uberrimas nitidissimasque gratias, celebri minis-
terio Puellœ, Johannœ d'Ay de Domprcmeyo, carae el dilectœ nostrac, de ballivia
Cal vi mentis seu ejus ressortis, nobis élargi tas, et, ipsa divina coopérante cicmentia,
amplificari speratas, decens arbitramur et opportunum, ipsam Puellam et suani,
nedum ejus ob officii mérita, verum et divinsc laudis praeconia, totam parentelain
dignis honorum nostrœ rcgiac majestatis insigniis attollendam et sublimandam, ut
divina claritalc sic illustrata, nostroï regia; liberalitatis aliquod munus cgregium
gcneri suo relinquat, quo divina gloria et tantarum gratiarum fama perpetuis tempo-
ribus accrescat et pcrseveret.
Notum igitur facimus universis pra'sentibus et futuris, quod nos, pra?missis attenlis,
considérantes insuper laudabilia, grataque et commodiosa servitia, nobis et nostn»
regno jam per dictam Johannam Puellam multimode impensa, et qua? in futuruin
impendi speranius, cerlisque aliis causis ad hoc animum nostrum inducentibus,
prîefatam Puellam, Jacobum d'Ay dicti loci de Dompremeyo, pal rem, Ysabellani ejus
uxorem, matrem, Jacqueminum et Johannem d'Ay el Pelrum Prerelo, fralres ipsius
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 629
PuellfiB, ET TOTAM suAM PARENTELAM ET LiGNAGiuM, cl in favoreni et pro contemplatione
ejusdem, etiam eorum poster! tatem masculinametfeinininam, in legitimo matrimonio
natam et nascituram, nobililaviinus, et per pricsentes nobilitamus et nobiles facimus,
concedenles expresse ut dicta Puella, dicti Jacobus, Ysabclla, Jacqueminus, Johannes
et Petrus, et ipsius Puella3 tota parentela et lîgnagium, ac ipsorum posterilas nata et
nascitura, in suis actibus, in judicio et extra, ab omnibus pro nobilibus habeantur et
reputentur; et ut privilegiis, libertatibus, prasrogativis, aliisque juribus, quibus alii
nobiles dicti nostri regni ex nobili génère procreati, uti consueverunt et uluntur,
gaudeant pacifiée et fruantur, eosdemque et dictam eorum posteritatem, aliorum
nobilium dicti nostri regni ex nobili stirpe procreatorum consortio aggregamus, non
obslante quod ipsi, ut dictum est, ex nobili génère ortum non sumpserint, et forsan
ALTERiis QUAM LiBER.« C0ND1T10NI8 EXISTANT... [Suit Ténumération des privilèges de
noblesse. L'exemption de la somme qu'en règle générale les anoblis devaient payer en
recevant les lettres de noblesse, se trouve exprimée en ces termes :]
Nec aliquam fînanciam nobis, vel successoribus nostris, propter banc nobilitationem
solvere quovis modo teneantur aut compellantur ; quam quidem financiam, prcTmis-
sorum intuitu et consideratione, eisdem supra nominatis, et dictai parentela; et
lignagio prœdicta; Puella;, ex nostra ampliori gratia donavimus et quitavimus, dona-
musque et quitamus per pra^sentes, ordinationibus stâtutis.... et mandalis factis, vel
faciendis ad hoc contrariis, non obstantibus quibuseumque
LIVRE IV.
G (p* 439-454)
LA CHRONIQUE DITE DES CORDELIERS.
(Bibl, nationale, fds. Français n*» 23018 r».)
l'auteur commence a parler de l.\ pucelle au f<» 483 R".
En ce temps, arriva devers le dauphin une josne fille née en Loeraine et fille d'un
povre laboureur laquelle se faisoit nommer Jennette la Pucelle. Et avoit gardé les
brebis ou village dont elle estoit née. Laquelle pucelle estoit en parolle et en conte-
nance moult innocente, comme il sambloit. Et toutes foix elle feist entendant que par
divine inspiracion elle debvoit faire mettre le dit dauphin en possession de son
royaume de France et le faire partout obéir. Et tant donna à entendre à son père et à
ses amis que elle fu par ung sien frère et autres que elle trouva ses adjoins amenée
devers iceluy dauphin. Et là par ses parolles icellui dauphin le retint à sa court et le
mist en très grant estât, dont le plus grant partie de ses gens furent moult esmcr-
veiiliés, car ilz tenoient icelle Jennette à folle et à nyce.
Celle Jennette, quant elle fu en ce party retenue du dit dauphin et mise en estai,
requist estre montée et armée comme ung homme d'armes en disant que elle feroit
merveilles. Et ainsi en fu fait. Et se commencha à mettre en armes et sievir les routes.
Et tantost après ce se assamblèrent grant foison de gens d'armes pour lever le dit
siège d'Orléans après le traictié fally, comme dit est. Et en celle assamblée se boula
et mist la dicte Pucelle et leva ung estandart où elle list mettre « Jhesus » et mainle-
noit estre envoiie de par Dieu pour mettre le dit dauphin en possession du royaume
de France.
A l'entrée du'moix de may l'an mil UU^XXIX, fu le siège levé de devant Orléans
030 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
par force et puissance de le partie du daulphin. Et y fu la dicte Pucelle qui commença
à faire merveilles, tant de fait comme de parolle, et briefment elle fist tant que elle
commença à avoir une grande renommée. Et avoient ceulx de ce party grande espé-
rance en elle. Là furent les bastilles des Engloix prises et arses. Et si eult grand
desconfitures des diz Engloix et grant occision.
Après le siège d'Orléans levé, se mist le daulphin de France sus à toute puissance,
et reconcquisrent ses gens et la Pucelle Baugensy, Meun, Gergeau et autres forlresses
pluiseurs sur les diz Engloix. Et y fu prins le seigneur de Talbo et plusieurs autres
seigneurs et cappitaines du party des diz Engloix qui furent depuis long tamps détenus
prisonniers, par especial le dit seigneur do Talbo qui fu prison à Poton de Sainte
Treille à le prise du dit lieu de Gergeau qui fu prise à assault et de force.
Le xYiii<^ jour de juing après disner, assamblèrent les gens du régent qui s*estoit
mis sus contre les gens du dit dauphin, et furent Engloix desconfQs emprès Yoinville
et Estampes. Et retourna le régent à Paris à pau de gens. Et tantost après y fu envoyés
le seigneur de ITsle-Adam.
Quant le dauphin de Viennoix fu mis sus et la Pucelle tousjours au plus près de liiy
en armes comme ung cappitaine et grant gent desoubz elle, il commença à concquesler
places et pais par le fait et renommée qui partout se commencha à espardre de la
dicte Pucelle. Et n'estoit fortresse qui à se simple parolle et semonce ne se volsist
rendre, cuidans et esperans par ses merveilles que ce fuist chose divine, car elle
faisoit merveille d'armes de son corps et manyoit ung bourdon de lance très puissan-
ment et s'en aidoit raddemenl, comme on veoit journellement. Et avec ce amon-
nestoit les gens au nom de Jhesus et faisoit preschemens, affin de attraire le peuple à
luy rendre et obéir audit daulphin. Et fist tant finalement que renommée couru par-
tout jusques a Homme qu'elle faisoit miracles et que, puis qu'elle venoit devant une
place, les gens de dedens, quelle volonté qu'ilz eussent paravant de non obéir au dit
daulphin ne à elle, cstoient tous muez et falis et n'avoient nulle puissance de eulx
defTendre contre elle et tantost se rendoient comme Sens, Ausoirre et auUres
forlresses, combien que le roy n'entra point en aucunnes, mais il eubt vivres pour
son argent etc. Et vint se grant renommée à estre continuée par le ville do Troies en
(ihampaigne qui tousjours avoit tenu le party de Bourgongne et promis de le tenir et
ensievir. Et toutes fois elle fu rendue incontinent sans cop ferir à la monicion et
semonce d'icelle Pucelle, dont toutes gens furent esbahis et meismement les princes
et seigneurs lenans le dit party de Bourgogne qui estoient en très grand doubtance.
En ce tamps, après la reddition de Troies, concquist ledit daulphin moult de ville>
et forlresses par le moi en de la Pucelle qui lors tolly tout le nom et les fais des cappi-
taines et gens d'armes de sa compaignie, dont aucuns diceulx n'estoient mie bien
contens; et mist en son obéissance tout le pais dessus le rivière de Loire, Ausserrois
cl Champaigne, excepté aucunnes forlresses que Perrinet Grasset tenoit qui oncques
ne se voiront rendre ne obéir au dit dauphin; mais fist icelui Perrinet moult de
gricfz et de contraires aux gens d'iceluy daulphin.
En ce tamps, cnvoia le duc de Bourgongne ses ambaxadeurs à Bains aflin que il
enlrelenissenl leur serment de la paix final et que il demourassenl en l'obéissance du
roy Henry et de luy, et ainsi le promisrent à faire.
Tant alla le daulphin de Viennoix et son armée que il arriva emprès Bains. Et
cependent, au moix de juing, fist le régent de France une grosse armée pour aller
contre le dit daulphin et recueilla et mist sus les gens d'armes qui estoient escappés et
sauvés de devant Orléans et Yvinville. Et endementiers que son armée se mettoil sus,
concquesloit tous jours le daulphin et sa Pucelle et tant que ilz vinrent à sept saux
emprès Bains. El envoia le dit daulphin au dit lieu semonrre ceuLx de la ville à lui
faire ouvrelure et obéissance, combien que ilz avoient promis aux ambaxateurs du duc
de Bourgongne de eulx tenir, ainsi que dit est, contre ledit daulphin.
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 631
Quant ceulx de Rains oyrent la semonce que on leur faisoit de eulx rendre, ilz allè-
rent à consseil au quel ilz se conclurent tantost de faire ouvreture et obéissance au
dit daulphin comme à leur seigneur naturel. Kt ainsi fut fait
Et chevaulçoit la dicte Pucelle devant le roy toute armée de plein harnas à estendact
deploiié; et quant elle estoit désarmée, s'avoit-elle estât et habis de chevalier, sollers
lachiés dehors pied, pourpoint et chauches justes et un chapelet sur le tieste et portoit
très nobles habis de drap d'or et de soie bien fourrés
Ënvoia (le roi) son armée et la Pucelle à Saint Denis, et il meismes y fu après sans
luy faire couroner. Et puis envoia sa puissance devant Paris par plusieurs foix, dont à
Tune le duc d'Alenchon, la Pucelle, emprès Saint Leurens, furent par ceulx de Paris
recachiés et rués jus jusques au nombre de six à sept cens hommes mors, et se retrai-
rent lors à Senlis. Et une aultre foix livrèrent assault d'un lez à la dicte ville do Paris»
en deschendant de Montmartre. Et là fîst la Pucelle merveilles, tant de parolles et
amonnestemens comme de donner cuer et hardement à ses gens de assalir. Et elle
meismes alla si près que elle fu navrée de tret en une cuisse et rachassié elle et toute
son armée. Et ne conquisrent riens à leur assault
Âinchois que le roy Charles allasl devant Paris, avoit eu ung conseil entre Tarchc-
vesque de Rains, le seigneur de la Trimouille, Poton et la Hire, d'une part, et mes-
sire Jehan de Luxembourg, le chancellier de Bourgongne, les seigneurs de Croy et
Lourdin de Saligny et autres ; mais il n'y eubt nulle conclusion de abstinences ne de
paix, et fu la journée tenue emprès la Fèrc.
Quant les gens du roy virent que ilz n'aroicnt point de obéissance à Paris, on envoia
à Gompiengne par plusieurs foix. Et enfin se rendy par traictié et fîst obéissance au
dit roy Charles, et y fu commis Villaume de Flavy cappitaine à grant puissance. Et se
rendirent lors les forteresses de Creil, le Pont Saincte Massence, Chasteauthiery, Lan-
gny et aultres plusieurs ; mais Breteuil et Chartres se tinrent avec Ponthoise, Mante,
Vernon, les Pons à Meulen,Charenton, Bois de Vinssaine et aultres. Et ainsi demeura
la guerre par tout le royaume de France.
En ce temps le ni* jour du moisd aoust, partit le régent de Paris en armes, et envoia
unes lettres au roy Charles sur le fait de ses assemblées, desquelles la teneur suit : Le
texte est celui de Monstrelet.
Non obstant ces lettres, le roy Charles ne prist ne volt prendre nulle journée de
combattre ne autrement, mais tousjours concquestoit pais. Et toutes fois furent les
deux puissances de Franchois et de Engloix par troix jours bien près lune de lautre
en plains camps; mais les Engloix, qui n'estoient point de trop si grant puissance que
les Franchoix, se encloïrent et ne volrent yssir hors de leur cloz, sinon pour combattre
à piel, et leurs ennemis estoient trop et les euissent combattus de piet et de cheval. Et
pour ce demeura la chose en ce point, excepté que il y eult aucuns gentilz hommes de
Picardie de la garnison de Paris qui estoient à cheval, lesquelx le jour Nostre-Danie
my-aoust se frappèrent en Tost du roy sur ceulx de cheval. Et là y eult ung estour de
fers de lances sans grant perte d'un costé ne d'autre. Et y furent fais chevaliers le bas-
tard de Saint Pol, Jehan de Crequi, Jehan de Brimeul, Jehan de Fosseux, Mathieu de
Landas, Anthoine de Bethune, seigneur de Moreuil, Jehan de Croy et aultres. Et
estoient à ce jour, sur le vespre, retraictes les batailles de piet de chascunc partie, et
le roy Charles retourné à Crespy en Valloix.
En ce tamps, se rendy en l'obéissance du roy Charles la cité de Beauvaix et partie
du pais de Beauvesis
Et allèrent ses gens par le pais eu diverses parties prendre par traictié et non de
force villes et chasteaulx. Et cependant commenchèrent plusieurs traictiés et parlc-
mens entre les gens du dit roy et monseigneur de Bourgogne. Et fu l'arcevesque de
Rains, chancellier d'iceluy roy, et plusieurs autres ses ambaxateurs à Arras devers le
dit duc de Bourgongne, environ la my-aoust. Et fînablement furent trieves prises
entre iceulx deux princes par le moien des ambaxateurs que le duc de Savoie avoit
632 LA VRAIE JEANNE D*ARG : LA LIBÉRATRICE.
envoie devers eulx pour le bien de la paix pourcachier. De la manière desquelles
triewes ou abstinence de guerre la vérité s^ensieui... s'ensuilt la coppie des irewes du
roy Charles par vidimus du prévôt de Paris sur le fait des trièves entre le roy cl mon-
seigneur de Bourgongne.
" A tous ceulx qui ces présentes lettres verront ou orron, Simon Morbier, chevalier,
seigneur de Villers, conseilliers du roy notre sire et garde de la prévôté de Paris,
salut. Savoir faisons que nous, l'ande grâce mil llll* et XXIX, le vendredi xim« jour
d'octobre, veismes unes lettres de Charles, soy disans roy de France, seellées de son
grand seel en chirc jaune, sur double queue, contenant la fourme qui s^ensieult :
» Charles par la grâce de Dieu roy de France, à tous ceulx qui ces présentes lettres
verront, salut. Comme pour parvenir à mectre paix dens notre royaume et faire cesser
les grans et innumérables maulx et inconvéniens qui, par les guerres et divisions qui
sont en iccluy, y sont advenu et adviennent chacun jour, aiant par le moien des
umbaxadcurs de notre très cher et très amé cousin le duc de Savoie esté nagaires
tenues aucunes journées tant par nous et nos gens que par nostre cousin de Bour-
goigne et les siens ; et pour ce que la matière de la dicte paix qui touche plusieurs
parties toutes grans et puissans, ne se puelt démener et conduire à bonne fin sans
aucun délay et trait de tamps, ait semblé ausdits embaxadeurs, qull estoit nécessaire
prendre abstinence, jusques à aucun temps convenable pour plus aisiement et conve-
nablement durant icelle traicticr de la dicte paix ; laquelle abstinence par le moien
diceulx ambaxadeurs ait été prinses et accordées entre nos gens pour et ou nom de
nous d'une part, et les gens de notre dit cousin de Bourgoigne pour et ou nom de lui,
d'autre part, et aussi au regard des Anglois leurs gens, serviteurs et subgez, se ad
ce se veullent consentir es termes et mettes qui sensuient ; ccst assavoir en tout ce
qui est par deçà la rivière de Saine, depuis Nogent-sur-Seine jusques à Harfleu, sauf
et réservées les villes, places et forteresses faisans passage sur la dicte rivière de Saine;
réservé aussi à notre dit cousin de Bourgoigne que se bon luy semble, il porra, durant
la dicte abstinence, emploïer luy et ses gens à la deffence de la ville de Paris et résister
à ceulx qui voldroient faire guerre ou porter dommage à icelle, à commenchier la
dicle abtinence, cest assavoir depuis le jour dhuy, xxvni«jour de ce présent raoys
d aoust au regard de notre dit cousin de Bourgoigne, et au regard des dits Anglois du
jour que d'iceulx aurons vcu et receu leurs lectres et consentement ; et durer jusques
au Noël prochainement venant : savoir faisons que nous, ces choses considérées,
voulans, pour la pitié que nous avons de nostre povre peuple, obvier de tout notre
cuer et intencion à la multiplicacion des ditz maulx et inconvéniens, avons baillié,
consenty et accordé, et par ces présentes baillons, consentons et accordons, bonne
et seure abstinence de guerre, pour nous, nos pais, vassaulx, subgez et serviteurs
et ceulx qu'il a en son gouvernement, et les places des dits vassaulx et serviteurs
estant es termes et limitiez dessus déclarées, et aussi pour les villes et pais ci-après
déclarez, cest assavoir la ville d'Amiens et le plat pais de notre baillage d'Amiens,
la ville d'Abbeville, et tout le pais de Pontieu, les villes de Noyon, Saint-Quentin,
Chauny, Monstreul, Corbie, Dourlens, Saint-Riquier, Saint-Wallery, Ribemont et
Térouvvane, ensamble les plats pais estant à l'environ d'icelles ; et aussi auxdiz
Anglois, et tous aux termes et limites et soubz les conditions de réservation dessus
déclarées ; à commenchier icelle abstinence ce dit xxvnr jour d'août au regard de
noire dict cousin de Bourgoingne, et au regard des dits Anglois du jour que sur ce
aurons receeu d'eulx leurs lectres et consentement; et à durer jusques au dit jour de
Noël prochainement venant, comme dit est; pourveu aussi que notre dict cousin de
Bourgoigne consente et accorde la pareille abstinence, et nous en baille ses lectres
patentes de pareille substance que cestes, et par cesle présente abstinence ne sera
aucunement déro^'ié ni préjudicié aux abstinences par cy devant ordonnées par notre
dit cousin de Savoie, entre aucuns de nos pais et de notre party et aucuns des pays de
notre dit cousin de Bourgoigne et autres, compris es dictes abstinences; mais demour-
634 LA VRAIE JEANNE D*ARG : LA LIBÉRATRICE.
exprez desnomez el déclarés, pourveu toutesvoyes que de nostre dicte ville de Paris
et desaultres placei^et lieux ci-devant exprimés en hors, ne soit fait par voyede guerre
ne aullremenl, durant icelles abstinences, chose préjudiciable ausdictes abstinences
et que de ce nostre dit cousin nous baille ses lettres, demourans toujiours les absti-
nences dessus dites on leurforcc et vertu, sans cequepar ces présentes y soit aucunement
dérogié no préjudicié. Et se par voye de fait, par volonté désordonnée ne autrement,
durant icelles abstinences, aucune chose cstoit faicte, attemptée ou innovée contre ne
ou préjudice d'icelles abstinences, la partie offendue ne porra aucunement procéder
par vengeance ne voye de fait, ne par alléguer les dites abstinence finies ou rompues;
mais en sera faicte réparation par les conRervateurs de la partie qui ara offendu. En
tesmoing de ce, etc.
» Donné à Senlis, le xvni*' jour de septembre, dessus dit. Ainsi signé par le roy en
son conseil tenu par Monseigneur le conte de Clermont, son lieutenant général os
pais deçà Saine, le conte de Vendosme, vous Ghristofre de Haucourt, le doien de Paris,
pluiseurs aultres présens. — J. Willebresme. »
Âultres coppies de lettres du roy Henry par lesquelles il c-ommist le duc de Dour-
goingne gouverneur de Paris et dailleurs :
M Henry, par la grâce de Dieu roy de France et Dengleterre, à tous ceulx qui ces
présentes lectres verront, salut. Savoir faisons que, comme nostre très chier et très
aîné oncle Jehan, régent de notre royaulme de France, duc de Bétheford, considérans
les grans affaires et divei^es charges quil a à supporter pour le présent, tant pour
le gouvernement de nostre dit royaume, comme meisment pour notre duchié de
Normandie auquel nos anemis et adversaires se sont boutés à grosses puissances, aient
prié, requis bien instamment, cordialement et adcertes notre très chier et amé oncle
Philippe, duc de Bourgongne, conte de Flandre, d'Artois, et de fiourgongne palatin et
de Namur, seigneur de Salins et de Matines, de luy aidier à conduire et supporter
partie des dittes affaires, et par espécial de prendre et accepter le gouvernement et
garde de nostre bonne ville, prévosté et visconté de Paris et des villes et villaiges de
C.harlres, de Melun, Sens, Troyes, Chaumont en Vassigny, Saint-Jangou, Vermendois,
Amiens, Tornesis et Saint-Amand et le seneschaussée de Ponthieu, réservées les villes,
chastiaux et chastelenies de Dreux, Villeneiifve-le-Roy, (a'otoy, Uue et les pais de la
conqucste faicte par feu notre très chier seigneur el père, cuy dieux perdoinst, avani
la paix final de nos royaulnies de France et de Englelerre, qui demourront en lestai el
garde où elles sont de présent ; lequel nostre oncle de Bourgongne pour amour el
honneur de nous et de notre dit oncle le régent, son biau-frère, et pour la conservacion
et entreténemenl de nostre seignourie et tuicion de nostre bonne ville de Paris ol
des lieux dessus diz, Jasoil ce qu'il ail de présent pluiseurs grans el pesans affaires
pour le gouvernement de ses pais el seignouries, en a prins el accepté le gouvernenieni
et garde; et nous, aianl ceste chose très plaisant el agréable, congnoissans par vraie
expérience le granl puissance, vaillance et léaullé de nostre dit oncle de Bourgongne;
iceluy nostre oncle de Bourgongne, par l'advis et délibéracion de notre dit onclo lo
régent el les gens de notre grand conseil en France, avons ordonné et commis, onlon-
iions et commettons par ces présentes notre lieutenant es bailliages es lieux dessus
dilz el gouvernement d'iceulx, en luy donnant plain povoir, auctorité el mandenicnt
espécial de gouverner el garder pour et au nom de nous el soubz nous, jusquo
au lamps de notre venue en nostre royaume de France, nostre ditte bonne ville de
Paris, bailliage et lieux dessus diz, ensamble nos hommes, vassaulx el subgelz
demourans es dictes villes, bailliages el lieux ; de donner ou nom de nous el soubz
nostre scel, durant le dit lamps, les seignouries, terres, rentes et revenues qui dores
en avant nous eschcrront par la rébellion et désobéissance de nos subgés aians terres
el seignouries es lieux qui sont et seront à nous réduis et obéissans, es mettes de son
gouvernement, de faire procéder aux officiers royaulx électifs par bonne et deue
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 63b
élection et confermacion, ainsi qnil est acousfumé; de disposer des aultres officiers
non électifs selon la fourme déclarée en certaines nos aultres lettres et ordonner de
toutes aultres et singulières choses, besongnes et affaires des lieux dessus diz ; de
tenir nos consaulx, y conclurre et la conclusion exécuter au lûen et honneur de nous
et conservacion de nostre dicte seignourie; et pour ce faire, convertir et emploicr
toutes les finances qui nous appartiennent es appartenances, villes, bailliages et
lieux dessus diz, ainsi que les cas le requerront, en y commettant et ordonnant de par
nous telz ofQciers que bon lui samblera, sans pour ce préjudicier ne deroghier en
autres choses à Testât et dignité de la régence de notre dit oncle le régent.
Si donnons en mandement à nos amez et féaulx conseilliers les gens de notre parle-
ment, au prévost de Paris et à tous nos baillis et aultres justiciers, officiers et subgez
à qui il appartiendra ou à leurs lieuxtenans, que nostre oncle de Bourgongne laissent
joir et user plainement des gouvernement et garde dessus ditz, et en toutes choses
concernans et regardans ce qui dit est, obéissent à luy et a ses mandemens et corn-
mandemens sans aulcun contredit; promestant en bonne foy à nostre dit oncle de
Bourgongne que toutes cl quantes foix que charge de guerre luy sourvendra es termes
dudit gouvernement, de le aidier de nos gens de Angleterre et dailleurs si avant que
raisonnablement pour le temps faire porrons, quand requis en serons par notre dit
oncle de Bourgoigne.
Donné à Paris le xnr jour d octobre, Tan de grâce mil OCCCiXXIX et de notre
règne le vu". Ainsi signées : Par le roy à la relation (du conseil) tenu par Monseigneur
le régent le royaume de France, duc de Bethefort, auquel Messeigneurs le cardinal
Dengleterre et le duc de Bourgogne, vous, les évesques de Beau vais, de Noyon, de
Paris et d*Eureux, le comte de Guise, le premier président du Parlement, labbé du
mont Saint-Micquel, le sire d'Escalles, le sire de Santés, messire Jean Fastol, messirc
Raoul Bouthillier, le sire de Saint-Liebaut, messire Jean Poupham, les seigneurs de
Clamecy et du Mesnil, le trésorier du palais à Paris, messire Guillaume le Duc, et
plusieurs aultres estoient -— Jehan Reinel '.
Ainsi quil dit est par ces lettres fut le duc de Bourgogne à Paris après les trieves
et abstinences de guerre données par le roi Charles; esquelles trieuves et abstinences
ne volrent point estre les Englois compris ; ains gherrièrent, et furent gherrier ce
tamps durant au pais de Normandie et surprirent et perdirent et gangnèrent plusieurs
places, villes et forteresses qui leur firent moult de travaux et dommages a rescou-
vrer; et par ainsi le duc de Bourgogne, après ce qull eust empris le dit gouvernement,
et sur ce conclu en plusieurs grandes mattières touchant la seureté et garde des pais
et places à luy comises, s'en retourna atout sa compagnie qui estoit grande et noble
des gens de Picardie en ses pais d'Artois et de Flandres, et là se tint' tout hiver sans
plus avantage gherrier.
Et ce temps durant furent plusieurs grans consaulx tenus des ambaxateurs des
princes sur le fait de la paix, et furent les trieuves et abstinences alongiées jusques au
mois de mars ensuivant; mais finalement la paix ne se polt trover, et faillirent les
traictiès par ce mesmement que le ville de Compiengne fust du tout désobéissant d<^
livrer passage au dit duc de Bourgongne en alant et retournant à Paris ; ce qui lui
estoit promis avec le pont sainte Maxence qui fut mis en les mains de Regnault de
Longheval du consentement des deux parties; mais Guillaume de Flavy ne volt obéir
et se tint toujiours gherriant atous lez luy et sa puissance, et se garnit ladite ville do
Compiengne pour le défendre contre tous.
Le temps des treuves durant, se dévoient tenir le roy Charles, comme il flct, oultrc
la rivière de Saine, et le régent en Normandie.
A rentrée du moix d'apvril, alla le duc de Bourgongne à Peronne et fist une très
f. Ces pièces capitales se lisent du t^ 490^^ à 49l^o.
638 LA VRAIE JEANNE D\RC : LA LIBÉRATRICE.
iniravit ac victuaiia inlromisit. Prius siquidem cives Aurelianenses in lanta penuria
fuerant, quod deliberati fucranl dare aliquam summam Anglicis, aat reddere villam
in manusducis Burgundico, et miserunl ad eum Poton de Santrailles, cum litteris cre-
dcntiœ et poteslatc tractandi cum duce Burgundiœ. Qui respondit quod sibi bene pla-
cobat, et si placeret regenti, et super boc ipse misii ad regeniem, sed regens non fuit
contentus. Imo dixit se non cessaturum, donec villam haberet et expensas quas in
obsidionc ponenda babuerat recuperaret. Dux ergo Burgundiac, bis auditis, dimisit
diclum Poton in pacc.
His itaque Iransactis, dicta puella taliter rem conduxit quod obsidionem hujusmodi
\i armorum levavit, omnes bastillias et Anglicos expugnavit et dictam villam ab
Anglicis liberavit.
Oeinde dicta Puella a dicta villa recedens plurcs villas sicul Meun et Beaugency
cepit, et Anglicos ab illa expulsit, a quibus dicti Anglici discedentes ibant versus
Parisius pcr Beaussiam. Quos dux Alenconii, comes de Richemont, connestabularius
Francias cornes de Vondosmo et dicta Puella cum exercitu insecuti, in quodani
villagio, nomine Patay, dictos Anglicos comprebenderunt, et commissa pugna, équités
Anglicorum fugere ceperunt, pedites vero in nemore adjacente et villagio se abscon-
derunt, et finaliter multis Anglicis occisis et captis, dicta Puella victoriam obtinuit ; ubi
ceciderunt circiter 111 millia Anglorum. Capti fuerunt ibi Dominus de Talbol, Dominas
de Scales, Dominus de Hungefort et pluresalii, et duravit fugausque Yenville. Dominus
autem Johannes Faslolf fuga lapsus vcnit Corbolium.
Hac igitur babita Victoria, Puella rediit ad Carolum regem Francise et dixit ei quod
voluntas Dei erat ut ipse Carolus Remis in regem coronaretur. Tune rex ad hoc omnem
exercitum suum congregavit. Et convenientibus ad eum duce Alenconii, duce Bor-
bonii, comité de Vendôme, Johanna Puella, domino de Laval, domino de la Treroouille,
domino de Rays, domino de Albret et domino de Lohéac et pluribus aliis cum maximo
exercitu apud Gien, supra Ligcrim, fuit ibi dissentio inter connestabularium et
dominuni de la Tremouille, qui regem regebaty sic quod dictus connestabularius
rovt'rsus est.
Kex autein cum céleris venit Anlissiodorum. Erant autem in exercitu régis plures
mulieres difFamala^ qua^ impediebant armatos sequi regem; unde puella irata evagi-
navit gladium quo percussit aliquas,sic quod gladius fractus est.
(lives aulem Antisiodorenses venerunt obviam régi, et, inediantibus pecuniis datis
domino de la ïromouilie, rex rivitatem pertransivit non intrando, de quo puella et
capitanci plunmum murmwarunt,
Ab illo loco venit rex anle Trecas, et stetit aliquibus diebus ante eam, a qua remeare
ad propria concluserat, nisi dicta puella intra triduum villam habituram promi-
sisset.
Dicta igitur puella approximationes et média ad faciendum assultum faciente, illi
de villa, habito consilio, ad regem venerunt, etcompositione facta quodarmati ibidem
existantes cum bonis suis recédèrent et cives obedienliam régi facerenl, villa rt'ddita
«'st, quam rex in crastinum intravit.
In qua Anglicis expulsis et capitaneisper regem ordinatis, rex à dicta villa recessit et
venit ad dictam civitatem Cathalaunensem, quaî ullro sibi portas aperuil, et ab illo
loco venit Remis ubi cum magno gaudio susceptus est, et in crastino per Archiepis-
copum Remensem coronatus est, et factus est miles per ducem Alenconii, et dominus
de Laval comes factus est, et plures scutiferi facti sunt milites.
Pausatis autem in dicta ci vitale tribus diebus, rex discessit et venit ad villam de
Vely, quîe se reddidit régi ; et deinde venit ad civitatem Lauduneusem, necnon Sues-
sionensem, qua* se reddiderunt régi. Deinde venit ad villam Gastri Theodorici, qua»
ullro se dédit et similiter Pruvinum.
Tune dux Betfordia» audiens ha'c quœsivit bellum, quod rex acceptavit; sed dictus
dux audiens regem tenere campos non venit, sed rediit Parisius. Cumque rex delibe-
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 639
rarel transire Sequanam, supervenit certa quantitas Anglicorum in dicta villa Braii,
et sic rex retrocessit et venit ad castrum Theodorici, et de ibi ad villum de Crespy, et
abhine versus Dampmartin. Tune Anglici de Parisiis exierunt et venenint apud Mi-
thri in Francia; fueruntque ambo exercitus quasi dispositi ad pugnam; sed tandem,
escarmuchiis factis hinc inde, Anglici Parisius redierunt.
Rex vero venit Compendium, cujus cives claves sibi ullro dederunt. Rege autem ibi
existente, venerunt episcopus et cives Sylvanectenses et episcopus et cives régi obe-
diontiani prœsliterunt et similiter Belvacenses.
Hiis diebus recessit dux Bethfordiit* à Parisiis et reliquit ibi dominum Ludoviruni
de Luxembourg, episcopum Morinensem, cancellarium ibidem pro rege Anglia;. Rex
autem Franciœ, ordinatis in Compendio et Belvaco capitaneis, venit Silvanectum et
abhine venit ad Sanctum Dionisium. Et tune fuerunt varii conflictus inter Angiicos
existentes Parisius et Francos in Sancto Dyonisio, quibus durantibus, totus exercitus
venit ad dimidiam Leucam prope Parisiius, et fecerunt contra villam Parisius multos
assultus, ubi dicta Puella fuit in femore sagitta vuinerata, et si quUibet de exercitu rerps
ita virilis fuisset sicut ipsa, Parisius fuisset in perirulo captionis; sed omnes alii de
capliûne dissidebant. Tune dicta puella reliquit arma sua in Sto Dyonisio.
Illo tempore, villa de Langny supra Matronam régi se reddidit. Qua capta, rex,
relictis duce Borbonii et aliis capitaneis in villis suie obedientia;, per villam de Lan-
gny rediit apud Montargis. Tune fuerunt verii conflictus et captiones villarum et roberia»
multoî inter Francos et Angiicos.
Anne Domini H30, Johannes de Luxembourg , cornes de Hotentiton, cornes d'A-
rondel cum magno exercitu venerunt ad obsidendum C.ompendium, quod cum ad
notiliam Puella*, quie era qu(e erat apud Lagny, devenisset, ipsa venit (lompendium,
et quantum potuit obsidionem impedivit.
Qua'! dum quadam vice cum exercitu villam exisset, et incaute ni mis a villa se elon-
gassei, à Rurgundio circomsepta capta est, unde non parvus dolor fuit Francis; fuit-
que diclo Domine Johanni de Luxembourg adducta, qui duxit eam Noviomum ad
ducem et ducissam Burgundia», deinde perdictum Dominum Johannem Anglicis ven-
dita fuit, et postea ducla Rothomagum, et ibi sive jure sive injuria concremala est.
J (p. 530-532)
EXTRAIT DU RECUSTRE DES DÉLlBÉRATIOxNS DU CHAPITRE
DE NOTRE-DAME
(Arch. nat., LL, 716, p. 173-174.)
Lune quinta septeiubris.
Visis artlculis in registro notarii sub die vicesima quinta augusti pro cuslodia claus-
tri et ecclesle olim factis, ad ipsos augmentendum, diminuendum et corrigendum
deputantur domini de Lanco, («hulfart, Clemens aut duo ex ipsis. Et ipsi videbunt si
sic expédiât facere provisionem victualium in turribus ecclesie pro conservatione
dominorum meorum qui volent ascenderes turres.
Ordinatum est quod domini provisores fabrice ordinabunt et disponent de reliquiis
et jocalibus ecclesie conservandis et preservandis a malitia inimicorum, secundum
eorum conscientiam ut melius poterunt.
Magister Pasquerius declaravit quod magistri J. de Lanco, P. de Ordeimonte et ipse
ceperant in thesauro ecclesie quamdam ymaginem Sancti Dyonisii auream, demptu
pede, sufQcienter designalam in inventario thesauri, et vendiderant corpus ipsius
ymaginis quod ponderabat, dempto capite et dyademate v marcas vi enoias et v ster-
640 LA VRAIE JEANNE D*ARG : LA LIBÉRATRICE.
tingas, precio lyi salutorum auri pro marca, et retinuerant pedem de argento, capat
et dyadema supradicta.
Placet dominis quod duo molendina ecclesie existentia in coquina Sancti Augustini
Iradantur ad locagium per magistrum Johannem Chuffart, camerarium clericum, ad
ulilitatem ecclesie.
Mercaril vti septembris.
Ilodic fit processio solemnis ad Sanclam Genovefam in Monte pro malicia temporis
et hostilitale ininiicoruni sedauda et pacilicanda, in qua intererunl canonici Paiacii
eu m vera Cruce. Et est sciendum quod ipsi inimici dederunt insultum contra villam
Parisiensein, credentes cain capere et quoiquot personas utriusque sexus repperirenl
in ea, prout juraverant quemadmodum ipsimet asserebant, interficere, et in vespere
cessaverunt et se retraxerunt.
In crastinum vero, cum eorum Puella, in qua tanquam in Deuin suum coniidebant,
iterum circa unam horam post meridiem, suum insultum inceperunt, fortissimeque in
eodem insullu continuaverunt, fortissime totis veribus dimicantes usque ad niediam
iioclem, sed obstante rcsistencia civium Parisiensium cum (Iducia Dei et gloriose Vir-
ginis, cujus festum in eadem villa Parisiensi honorifice celebrabatur, nihil linaliter
fecerunt, nonnullos Anglicos et alios vulneraverunt et paucissimos interfecerunt ; de
suis quani plurimos perdiderunt, quorum non fuit numerus cognitus, quiadlctuni est
quod eos combusscrunt. Eorum Puelia in femore vulnerata fuit, et credo quod propter
hoc recesserunt ; etiam una videbant socios suos morientes et inortuos, et mortem
timenles retrocesserunt. Dimiserunt maximum numeram boretarum ex quibus vole-
bant implere fossata ville, et aliquas in eis dimiserunt, paucas tamem. Puelia deffe-
rcns suum vexillum venit super fossata, in quo loco fuit, ut dicitur, vulnerata,
vTlx scalas dimiserunt et bene un milia gallice de clayes: habuerunt ad illa omnia
afferendum bene trecentum quadrigas quas ipsimet ad colla trahentes adduxerunt
oneratas pisside, borretis, scalis et clayes; quarum quadrigarum plures reduxerunt ad
Sanctum Dionysium defîerentes in eis suos vulneratos, alie Parisius adducle fuerunt
in crastinum, et reliquam partcm coniburerunt, quia reperte fuerunt rote centum,
(juaruni residuum earum presuniitur fuisse combustum in ipsa nocte ante recessum
eorum, et sic vituperose recesserunt.
In Crastinum Dalphinus eorum rex fecit celebrari plures nuissas in Sancto Dyonisio
pro rege Carolo sexto suo pâtre.
K (p. 535-530).
JEAN (;EUMA1N (De laudibus Philij^pi).
Dk captura Pontis a Choisi et Johann.*: Plelm:: (Cap. xiv).
Itcrum de campeslri bello reditur apud Pontem à Choisy, ad supra Compendium,
acriter pugnatur; praesidium concutitur, petrariis dejicitur, et voracibus flammis
cuncta conilantur ; itur ad Compendium magnum hostium praesidium ; advenit Johanna
quie puelia apud Francos ad prtTsagium famabatur; standaria et belli signa supersti-
tioso anathemate consecrat, in ventum deplicat. Irrumpit in nostros; sed ab hisstrala
(la chaussée) praeoccupatur ; pro mensura ejus diutius confligitur. Nunc hostes coni-
pelluntur ad pra?sidium, nunc nostri se intra castra continent; alii progressi hostes
in nostros irruunt ; per stratam nostri validum immittunt exercitum, depeliuntur
hostes, equis dejiciuntur, sua frangitur cohors, ad pontem aufugiunt, pnecursores nos-
tri vallum subintrant; ductili ponte in altum ducto, hostes in flumen ruunt ; plu-
rimi humanitate nostrorum cum lancearum adjumento de fluvio emergunt.
Illa obtestanda mulier, mulierum risus et virorum ofTendiculum, more militantium
642 LA VRAIE JEANNE D*ARC : U LIBÉRATRICE.
Verum cum hanc puellam Carolus SepUmus nunc Francoram rex feratur laudibos
extoliere, et Alexandri iempore, ut ait Cicero, nichil scribere liceret nisi quod Alexandre
placeret, cessabo, quod Plautus admonet, pressare vomicam.
M
(Pages 539-540.)
EXTRAIT DU REGISTRE DE LA CHAMBRE DES COMPTES DE BRUXELLES.
(1er volume des Registres noirs. — Voir ce qui en a été dit, p. 538.)
Item est verum, quod supradictus dominus de Rotselaer, existens in civitate Lugdu-
nensi super Rodanum, ex reiacione sibi facta per quemdam militem, consiiiarium et
magistrum hospitii domini Karoli de Borbonia, scripsit aliquibus dominis de consilio
domini ducis Brabancie preiibati pro novis, quod rex Francorum cum predicto domino
Karolo et aliis principibus et amicis suis fecit magnam congregacionem gentium
armorum, qui pariter convenire deberent ultima mensis apriiis presentis anni
MCCCCXXIX, animo et intencione profiiscendi versus civitatem Aurelîanensem, et
ipsam de obsidione Anglicorum liberandi. Scripsit ulterius ex ejusdem mililis reia-
cione, quodquedam pueila, oriunda ex Lotharingia, nomine Johanna, etatis xviii an-
norum vei circiler, est pênes prœdictum regem : que sibi dixit quod Aurelianenses
salvabit, et Anglicos ab obsidione efTugabit, et quod ipsa ante Aurelianis in conflictu
telo vulnerabitur, sed inde non morietur ; quodque ipse rex in ista estate futura coro-
nabitur in civitate Remensi, et plura alia que rex pênes se tenet secrète. Que quidem
pueila cotidie equitat armata cum lancea in pugno, sicut alii homines armorum
juxta regem existentes. In eadem siquidem pueila prœdictus rex et amici sui magnam
habent confidcnciam, prout in litera dicti domini de Rotselaerplenius continetur, que
fuit scripta Lugduni supra Rodanum, supradicti mensis apriiis die xxii. Et quidquid
dicitur de prsedicta pueila, et que predixit, ita evenerunt. Nam obsidio anle Aure-
lianis fuit levata, et Anglici ibidem vel capti vel occisi vel effugati (sunt). Rex fuit
Remis coronatus, et fere omnes civitates, castra, villas est municioncs illius regionis,
fugatis Anglicis, ad suam obedienciam reduxit in estate supradicta.
N
(Pages 562-563.)
BEDFORD CONSTATE DANS UN RAPPORT OFFICIEL QUE LES REVERS
DES ANGLAIS EN FRANCE DATENT DE L'APPARITION DE LA PUCELLE.
My right doubted and Soverain Lorde, lyke it youre Hieghnesse to be remem-
bred, how that not long agoo, for dyscharge of my selven as towardc any defaulte or
blâme that by any suggestion or informacion, suche as yne hâve yave matere ne
cause to, myght to the hurt of my nane or famé, or >vithdraught of youre gracious
benevolence and favour, withoule my désert, be layede upon me, touchyng my
demenyng in the governance of youre Reaume of France, l declared myself andmy
demenyng in youre saide Reaume of France, by a writying departed inlo certaine
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 643
Articles ; the whiche writyng with ail humblesse y presented to youre Hieghnesse.
In the whiche, for déclaration of the conduyt of the werre in youre saide Heaume, for
the tyme of youre noble Règne, hit is contened and is soche, that after the decesse of
m y Lorde youre Fadre, to whoos Soûle God doo mercy, by the Grâce of God, and by
Ihe gode labour and diligence of youre trewe Men and Servantz there, and me oon of
hem, wyllyng to doo the goode that Iconde, divers grete and faire dayes. And victories
were hadd there for you and in your querell upon your ennemys, and youre obéis-
sance theire notably enlargissed and encresed and brought thereto greet partie of
Boye, Champaigne, Aûcerroys, Doûziout, Nyvernoys, Maconnoys, Anjou, Maine ; and
aile thing there prospered for you, til the tyme of the Siège of Orléans, taken in hand
God knoweth by what advis. At the whiche tyme, after the adventure fallen to the
persone of my Cousin of Salysbury, whome God assoyle, there falle by the hand of
God as it semeth, a greet strook upon youre peuple that wos assembled there in
greete nombre, caused in grete partie as y trowe, of lake of sadde beleve, and ofunle-
vefull double that thei hadde of a disciple and lyme of the feende called the Pucelle,
that used fais enchauntements and sorcerie, the whiche strooke discomfiture, nought
oonly lessed in grete partie the nombre of youre peuple there but as wel with drowe
the courage of the remenent in merveillous wyse and couraied youre adverse partie
and enemys to assemble hem forthwith in grete nombre to the whiche divers of youre
greete Citées and Townes as Reyns, Troyes, Chaalons, Laon, Sens, Provins, Senlis,
Laigny, Creyl, Beauvais, and the substaunce of the Cuntres of Champaigne, Brye,
Beauvoisin, and also a partie of Picardie, yolde hère withoute resistence, or abode of
socours; howe were it that incontinent after the saide discomfiture of Orléans, I doub-
tyng of theire discouràies, sentto thayme divers your Conseillers of the same Cuntrees,
offryng hem garnison of Men and Socours. And over this with thoo that were left me
of youre peuple, forthwith the refresshyng of the retenue that myne Oncle the Car-
dinal hadd made for the Chirche, the whiche was notable, and eam thider in full good
seison, sett and kept my self o ye feelde divers days, ayens youre ennemys, that
purposed to hâve geten the remenaunt of the Cuntree. I redy there to hâve employed
my persone in youre querell, and to the sauvacion of your Lande, and of youre trewe
Subgetts there, and Sidde therto the goode that y conde; so that with Godds grâce, it
shal not be fonden that ye hâve lost in my defaulte the said Citées, Townes or
Cuntrees ; the lose and departyng of the whiche, and the neghing and dayly prees of
the Werre Iherby to youre gode Toune of Parys, and to the remenant of your Cuntree
of France, youre Subgitts of the same neither myght tille theire Lands, ne theire
Viegnes, ner occupie hem with bestaille, ner otherwyse, ner yuneto hemselfe, ner
outter any kyns of Merchandises hath dryven hem to an extrême povertee, suche as
thei may not long abyde ; as it is not unknowen into youre Counseil that was wich
yowe but late agoo in youre saïde Heaume; and causeth hem that >vith aile her hertes
désire to kepe hir trouthes and obéissance unto you, to aske of yowe for non power of
thayme self more chargeable and abydyng socours than, ever thay didde before. and
made me with ofther of your Counsaille of youre Reaume of France, to assemble at
Caleys, with my Brother and other Lordes of youre Counsaille of this Lande; and for
Iakke of Comfort there emonges other causes that moeved me, I cam into this youre
Reaume, to shewe this unto youre Hieghnesse, to th'entent of provision to be hadde
therupon, suche as it shuide lyke you by th'advis of youre Counseil hère to ordein.
644 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
CHRONACA DEL N. U. ANTONIO MOROSINI Q. MARCO
D'après une copie du manuscrit MMXLVIII de la bibliothèque Saint-Marc à Venise, revue sur
le manuscrit original N^ 6587 de la Bibliothèque impériale de Vienne.
Corando MGGCGXXVIIU in Veniezia.
»
1 (pages 969-975, f«» bOl-502*). — Copia de una letera manda el nobel homo ser
Pangrati Zustignan ady x de marzo da Bruzia a so pare miser Marcho Zustignan,
rezevuda ady xviij de zugno : dixe in questa forma.
Miser, ady iiij de questo v'6 scrito, e per le mie ve ho avixado, e dadove a saver
Tasiedio di nemixi fortisimo eser stado da torno d'Oriens, zià per ano uno e mezo. Al
quai luogo per simel ve scrisi fo morte d*una bombarda el conte de Sanlinbem chape-
tanio loro, da pu6 la morte del quai sempre i diti ingelexi, fato so poder chon dener e
con zente, plu forte Tasiedio loro faxeva, e sy per vendegar la morte del dilo signer,
chomo eziandio per otegnir la pugna loro, che al vero se i diti avese prexo Horiens,
se podeva de lizier al tuto farse signory de Franza, e mandar el dolfin per pan a
Tospedal, di quai ingelexi è dito ala ziornada i se feva plu forti al dito asiedio, e
aveva fato xiij bastie fortisime, e quasi inespugnabele ; per la quai cosa quely d'Oriens
manda al ducha de Borgogna a rechomandarse, a quelo voiandoli dar la tera libéra-
mente, dei quai signor i de de bone parole, e diseli al so poder i otegneria con el
rezente de Franza so chugnado boni pati per loro, e anchora per so cuxin el ducha de
Oriens, ch'è prixion in Ëngletera, e trovandose lo dito signor a Paris circha la fin de
Taltro mexe a parlamento chon i rezenti, voiando hotegnir da luy che Tasicdio se levese
da Horiens chon questa chondicion, che luy per nome de so cuxin d'Oriens voleva
Fïieter governadory, e che la mitade de Tintrada fose del re d'Ingletera, e de l'alti-a
mitade fose del ducha d'Oriens per so viver, e che la tera fose senpre al comando loro
de intrar e insir al so piaxer. E oltra questo, che quele coinune fose tegnude de dar
hogni ano x milia schudi al dito riziente per ainplir ai servixij delà so vera, de che
in choncluxive parando al reziente che Horgogna li desplaxeva la dita tera dovesc
vegnir in le suo man, ecrezando averla asediada per muodo che in brieve loro credeva
averla, respoxe el ducha de Borgogna che in algun muodo queli non intendeva
che le tere che aspeta ala corona de Franza dovese capitar in man d'altry cha del re,
agrevandose d'amiracion, conprendemlo che Borgogna uxase tal parole, conzio sia
che'l devcria eser coluy che plu fervente fose a tal caxion cha algun altro, anzi i
pareva el contrario, e che plu tosto el cerchase al ben del delfino, ch'a quelo del re
d'Ingletera e suo, e segundo sento fra una parte con Taltra de fo de grande e asù
parole, ma tanto se sa che de Borgogna quelo se parti da Paris non ben desposto, e
circha di x da Paris largo de là parla a Tanbasada d'Oriens e diseli, chomo la cosa iera
pasada, choncludendo, che lo dito delfin chon tuta Taltra parte séria ben tristi e da
puocho si non se valer; è nieio darli baldeza, e darli a intender che in alguna cosa
i non sende inpazeria. El conte signor de Borgogna è vegnudoqui, e anchora in questo
dy eser, crezo, perdilatar tenpo e cetera.
Da puo se à novela vene da Paris e per letere e per mesy e per marchadanty e per
plu vie, e avemo son verisime, comoa iiij. di de questo mexe, tuto el sforzo che pote
far el dolfin, che se raxionava eser xij. m. boni chavali, di quai è chapetanio Carlo de
1. Le premier chiffre indique la pagination de la copie de Venise, le second les folios de
l'original de Vienne, les lettres « Or. » indiquent le texte original.
646 LA VRAIE JEANNE D'ARC : U LIBÉRATRIGB.
eser gran miracolo, abiandola aldida raxionar de tante nolabel cose de quela.
Avanii per i franzeschi a Iloriens vegnudo chomo de là s'a dito, si che non so quelo
me diga, ne debia creder, salvo la posanza de Dio eser granda, e s'el non fose la letera
chic 6 rezevuda de ial caxion de Borgogna, niente ve ne diria, perché a Torechle di au-
ditori pluy tosto le par fa vole, che altre cose sia, e como le b conprade cusy ve le
vendo.
El maridazo de Borgogna in la lia del re de Portogalo è fato, e cusi séria de lizier
cosa la dona vegnise chon le nave o galie ; credo, segundo se dixe, quesio signor
vignerà, farà magnificha fesla, e tiense el sera in questa festa.
Fo dito da pu6, die far la dita damixela do altry granfati, e quela da pu6 die morir ;
Dio i'npresta aiudo, e como vien dito per iuty, e nuy non desmeniega per longa vita
e bona con alegreza. Amen. E ady xviij zugno è dito, miser lo dolfin de manda una
letera al papa de Roma.
II (pages 977-978, f« 502). — Da pu6 sabado dy del mexe de zugno da maitina, in
lo di delà aparenzion de sen Marche, avesemo da Broza per letera rezevuda miser
Marche Zustignan daso fio ser Prangati de dy iiij. de zugno, ly scrive delà rota dada
per miser lo dolfin a ingelexi, e de loro prexi e morty da plu de md in mm e apreso
quelo aver 6J)udo uno altro fortisimo castelo d'ingelexi, sozianzando la novela per
ordene avanti dita eser vera. E dy fati delà damixela andar prosperando molto
meio; fata la so letera in Broza ady iiij. zugno, e de qua rezevuda ady xxvj. de quelo
mexe.
Apreso avesemo una letera aver scrito miser lo dolfin da Paris a miser lopapa Mar-
tin xj. {sic) da Roma, el ienor de quela non se à anchora sapudo, ma la copia s*à dito
per miser Polo Gorer da i su6 da corte la pu6 aver abuda, e notificbarola per ordene in
questo libre, da puoy avila per letera, la quai no è de mestier notiQcharla per caxion
la se contien sovra uno ténor.
m (page 981, f® 503). — Con el nome de Tonipotente Signor eterno Dio, ady xiiij.
del mexe de iuio, e per moite lelere vegnude, e scrito si à da Vignon a Veniexia, como
ady xxiij. del mexe de zugno de Tano de mccccxxyiiij, per uno nobel homo miser Zian
da Molin, miser lo dolfin insenbre chon la damixela clamada per name Zanis, inlumi-
nada del Spirito Sancto, da Dio inspirada, ady xxiij. zugno intrase in Roan e aver
d'acordo la citade, e ingelexi fugise e insise de quela per muodo miracoloxamente, e
per lo dito signor e re perdonase a tuti, e pacifichasc con lor, e da puo a xxiij. in cl
mexe de zugno in la festa del biado san Zane Batista gracioxo, à zionto lo dito in
Paris; tuti ingelexi insembre el ducha de Borgogna insido di fuora pacifichamente ;
insembre pu6 la damixela e miser lo dolfin chon meso i su6 baroni e cavaliery in
Paris prosperando e confortandose clamado fo mazior signor per tute le tere e chastele
e vile de Franza; fato fose notabelisime feste confortandose con la donzela, e quelo
perdonando a tute giente, non se arechordando plu de l'inzurie di engelexi con i
franzeschi aver rezevude, e tornady tuti a contricion de penetencia in direta chon-
cluxion, bona e perfeta paxe, la dita donzela fexe questa rechonciliacion in questo
muodo, che per uno, over in do ani, i franzeschi e ingelexi con el Signor dovese vestir
de pano beretin con la croxieta suxo cuxida, e de dover dezunar per tuto quelo ano,
el venere di delà selemana pan e aqua per ogni domada, e de star tuti insembre in
colegacion con le su6 muier, e de non dormir plu carnalmente con altre done fuor
del sue patremonio, prometando in Dio, da questo tenpo in avanti de non voler ne
uxar descordia alguna de vera per nisuno muodo.
E da pu6 questa damixela aver dito a miser lo dolfin voler andar a Roma per farlo
incoronar delà so corona de tuta Franza, e avemo in tuto Vk dito eser seguido delà
dita damixela trovade senpre invardada in so fermeza, vegnuda per verificar magni-
fiche cose in questo monde. Amen.
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 647
IV (pages 983-986, f^"* 503 504). — Copia de una letera mandada per lo nobel homo
miser Zan da Molin da Vignon ady xxx zugno, la quai el scrive in questa forma
como diremo per avanty.
lo ve voio dir d*una zeniil damixela dele parte de Franza, anzi a dirve meio d*uno
zentil anzolo che da Dio eser vegnudo e mandado a rechonzar el bon paixe de Franza,
che zià perdudo iera, che abiando abudo la damixela, per nome dita Zanes, siando
stada in infînity luogi revelady a ingelexi, la dita andè a una tera se clama Bonacin,
e manda a dir al capetanio Tabot, segnor ingelexe, che ly dese la tera; non volse, de
che el conte Sofort, signor ingelexe, per nome delà damixela, tanto fexe, che lu i de la
tera, e voiando intrar dentro, resalvado la persona con el so aver, vene da pu6 a in-
dinar ala dita damixela, e zuray che may la so persona non s'armerave may contra
el Re de Franza, e chusi a quelo li de licencia, e partise. Da puô el trovase per camin
uno fantin ngelexe, che fono asunadyde lingua raxion de Franza, per vegnir a trovar
la dita damixela, de che no ostante lo dito signor dito Tabot, che aveva zurado de non
prender arma contra la corona de Franza, se mese luy e la so conpagnia a insenbre
con ingelexi, e la damixela chon bon cuor dise : andemo a trovarli, che i ronperemo;
e cusy fo, e vene ala bataia, e dura asay, e ala fin el de fo morti chi dixe iiJMvc, e chi
diga iiJM, e deprexi altry tanti ; di quai non de schanpase homo, ch'è grande meraveia,
e che dala parte delà donzela non de morl xx persone; e fonde morti tuti i capetani,
el signor de Schale, e di altry asay, salvo Talabort romaxe prixionier, ma fève vostro
conto, che tuti i luogi son rendudy fina apreso Paris, zià Orlens, Rens, Ziatres, chon
molti altry luogi, io non me recordo, ma io tegno de certo, che infîna questo dy el
dolfîn sia a Paris, che abiè, siandonde morti tanty ingelexi, e prexi lo reste, quali die
eser smaridy, el ducha de Renfort, ch'è in Paris, aver mandado a domandar secorso dal
ducha de Borgogna, avemo non i a mandado ninte; io intendo ch'el sia taiado a peze,
s'el no s'averà reparado via da fuzir. Parme de queste cose sia de gran meraveia, che in
do mexi che una fantineta abia aquistado tanto paixe senza giente d^arme, che ben se
pu6 cognoser, che per vertude umana non puô eser questo, ma da Dio eser piaxesto,
considerando la longa tribulacion abuda el plu gentil paixe del mondo, e queli che
sonpluy cristiani, cha giente del mondo, parandoy che Dio abia purgady i su6 pechadi
e la so soperbia à voiudo che sul ponto delà so final destrucion Dio con la soa man
aiudarli, che non iera posibel ad altry de farlo, che ven * prometo s'el non fose sta Dio
ziô, el non pasava do mexi ch'el dolfin chovegniva fuzir e lasar tuto, el quai non aveva
da manzar, ne non aver pur uno groso da sostegnirse con homeny vc d'arme. E vedè
con che muodo Ta aidado Dio, chomo per unafemena, zioèNostra Dona Sancta Maria,
che salva l'umana generacion, chusy per questa donzela purae neta Vk salvado la plu
bêla parte de cristantade ^, ch'è ben uno grande esenplo delà fede nostra, e si me par
che questo fato sia el plu solene ^ che fose zià vc any, ne non sera credo may, che
ogni omo vederà e viverà; con tuti i signali adorarla per lo proposto de Paris, che
non de podeva andar e c'andado, si che io crezo che iniina a questo dy quela abia
plu de XLM. persone la siegue, si che vedè como ingelexi porà résister, che quanti de
vignerà davanti che la manaza, chazerà morti in tera; e queste son cose che par
incredibile, e io insteso son stado asè a crederle, ma pur in efeto son vere, e
hogni omo li dà fede. La glorioxa damixela promeso a dar al dolfin de donarli la
corona de Franza, uno dono che valerà plu del reame de Franza, e apreso decla-
rarli de darly la conquista dele tere sancte, e sera de soa conpagnia. Como se dixe,
sera tante cose, che'I no me basteria uno dy a scriverle, ma ala ziomada se vederà
meio, e aldirè dir in puocho tenpo le grande cose che Pavera a far, che sono tre altre,
oltra del meter del re in Franza in caxa, ziaschaduna plu granda asè de questa, e Dio
de lasa veder tanto che nuy vezemo, e posando veder tuto.
1. Dans roriginal ; voy,
%. Or. ctnstanitade.
3. Or. soienne.
648 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
V (page 987, f<» 504). — Copia de una ietera da Maraeiade xxviij de zugno.
Piaxeme asè che abiè vezudo volentiera i miracoli grandi dele noveie de Franza, le
quai son stade vere,como da pu(S vu averè* sentido, avixandove da puô i fati d*Oriens,
e apreso de molty castcli e iere inespugnabele, e molta giente prexa e persa e tuti
Bcanpady con tuti capetany principali, e almen da v in yJM. ingelexi, in forma che paochi
ne resta in Franza, e raxioneve ' che*i dolfln per vertude de questa damixeia aver gran
posanza; è tuti tirady aia via d'Oriens per incoronarse, e stimo che avant! san Zoane
sera stado incoronado ; che al ziorno dito sia dentro a Paris, de che cusy piaqua a Dio
Nostro Signor, ma longo séria a scriverve li miracoli grandi che continuamente à fato
e fa questa damixeia. E abieme per schuxio con paciencia se plui avant! non scrivo,
ma de altro tuto seguirà ve dar6 a saver...
VI (pages 988-1000, f«' 503-505). — Nuove de Zaneta poncela vegnuda in el reame
de Franza in Tano de Mccccxxviiij.
Delà quai de avemo tante letere de Bertagna de iiij de zugno per letere per persone
degne de fede che s*à vezude ascholtar e afermar sy per questa via, como per molty
altry l'a vezude. E in sustancia ve àirb de queli che son cose miracolexime [sic], se cusy
son, che quanto per my esendo quela delà vita vien dito, crezo la posanza de Dio eser
grande, e cetera.
La dita ponzela è de etade de ani xviij o circha, in el paixe delà Rena aie confine
de Franza, che iera begina, guardatrixe de piegore, nasuda de homo de vilazo, che in
el principio del mexe de marzo partandose quela delà soa greze, e fato pregar Dio e
su6 parenti e de zentilomeni chon lie, i dity sen contradicion li consenti, dizandoy
che per inspiracion divina li moveva, e cetera.
Vegnuda la dita davanti la prexencia del nobel principo Carlo dolfino, fiol del re de
Frs^nza ultimamenle morto, notiflchandoy per parte de Jexu Nostro Redentore che a
luy piaxeva per tre caxion, le quai, como lie a quelo dexiva, cusi seguiria se ferma fede
dese quelo re, ponendo la vita se loro s'amendase e governase segundo lie, mediante
la gracia de Dio, per chomandamento de quelo Tiera ' mosa.
Prima l'iera vegnuda per levar Tasiedio, rhe ingelexi tegniva a Horiens, segonda per
incoronarlo liberamente de farlo re de tuta la Franza e sue apartinencie, terza de
far la paxie tra lu con ingelexi, e anchora che'l duchade Orliens esia de prexion d'In-
gletera per amor, ma questa ultima parle concludecosa, che se la mixicricordiadeDio
non se mete, sera forte cosa a seguir senza grandisimo spargimento de sangue d una
parte e de l'altra, e ultimamenle non contradiando ingelexi a render el miser di Oriens,
per forza paserà in fina in Engletera e contrazeralo al so dospeto, suzugando i dit!
ingelexi con infinita soa vergonza e dano.
Vezando el dolfmo dir tute cose (sic) de hocha de una fanzoleta, de luy se ne fèbefe,
credendo lie una paza e indemoniada, e tanto ardida, e de lie vezudo che aie suù
parole non n'icra da darli fede, si dise che lie notifichase le dite cose, che altry cha Dio
e luy non le savarave*, per la quai caxon, lu fato asunar molty savij homeny, e
incomenza a raxionar chon ela, e a provaria per molty muody si in le mixierie del
corpo e in el so parlar a queli ^ zentilomeni fermar d ogni cosa, e ultimamente per
gran maistry in tolegia per spacio d'uno mexe, e puo ultimamente concluxe, veziando
la soa vita, c chosloro principalmente el parlar e responder aie proposte fatoli per
queli e dite, questa tal criatura non eser altro cha santa e serva de Dio, tuti tegniva
consiono el delfino alie de tuto el so chuor li volese creder, e moite altre cose per mie
vien scrito, e anchora de qui se conta, che avanti che ly se credese a quela, i ave
1. Or. Ou avete,
2. Or. raxionent,
3. Or. Lie era.
4. Or. saverarie.
5. Or. ali.
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 649
moite pruore, ira le quai, voiandose la dita comunîgar, el prête aveya una ostia
sagrada, e Taltra no, e quela che non n'iera sagrada li volse dar, e quela la prexe per
la man, e diseli, quela nonn'eser el Corpo de Cristo so Redentor, anzi iera quclo chel
prevede ave va meso soto el corporal.
La vita de chostie non n'è altro cha do onze de pan al ziorno, e beve aqua e, se pur
beve vino, mete tre quarti d'aqua, e ogni domenega se confesa, devotisima, pienli-
sima, e sinpliclsima, tuta plena de spirito Santo. Volzè.
Quela a cbomendacion adalguno in sustancia'si è, che la dita vuol lie con i suo
capetanij e signory delà corle sy sia confesady, e sy se confesa a fornicacion, e con
tute le donzele, tra le quai, queli e quele che va contra Dio, i so corpi stady plu
crudeli e plu chativy homeny che fose may in ogno vicio per lie averli reduti insembre
con i altry ala soa volunlà che i non perlchola, ch*io non me estendo de recontarli, e
vegnir ala mixiricordia de Dio, de soa salvacione.
Subito fato lie capetania e governatrixe de tuta Toste del dolfino, la dita comanda
che nisuno non fose sy ardido che prendese per forza dai 8u6 suditi alguna cosa, se
non fose pagada, e altra mente caza a pena delà vita, e molty altry comandamenty,
tuti honesti, non me estendo de rechontarli e cetera.
Âpreso volse che nel comunegarse fazeva el dolfinocon tuti i suo suditi lagremando,
e a provarse e a prometerse liberamente e de buom cuor a perdonar a hognomo che
ly fose stado contra, e so innemigo e rebelo, e rebeli, e che tute le tere d'onde i diti
intrase, fose con bona paxe, senza fare vendeta adalguno, ne aie persone, ne a Tavcr,
denotandoli cose con bocha, e dixese, e con el chuor i fese e con le huovre i fese el
contrario, tuto el dano séria so, e che de certo in pochisimo tenpo el dolfmo con tuta
la soa giente de Franza, senza plu eserde remiedio de romagnir, d*onde, fazando questo,
in brieve de tenpo Dio i daria bona gracia per la so mixiricordia, e farial signor de
tuto el so paixe.
Spante le novele de costie per i paixi circhonstanti de Bertagna, semese uno baron
di mazior del paixe, che se clama monsignor de Rais, e quelo andadola a trovar, el
zenero de i altry capetanij, rezevudo, oservando la vita loro, e per letere fo lete, el
ducha so prior cavo di i altry a proveder de levar Tasiedio iera a Oriens tutavolta, e
stando lie a canpo con tuta la giente A comandar che a ziaschun se facese prestararme
per sechorer la citade d'Oriens, e questo circha lo mexe di avril.
La dita damixela se fexe far arme a soa persona, e chavalcha, e va armada de tute
peze, como uno soldado eplu meraveioxamcnte, e par Tabia trovado una spada antigi-
sima, che iera in una gliexia, sovra la quai fi dito aver viiij croxie, ne altra armadura
porta quela.
Porta anchora la dita uno stendardo blancho, suxo el quai è Christo Nostro Signor
meso in maniera de Trenidade, e da una man tegnir * el monde e da Taltra benedysie
e per ziaschaschuno lady è uno anzelo, che prexenta do flori de zii, tal chomo queli
porta hi reali de Franza.
Mesose la dita in ponto chou circha iJM. homeny da piè e da cavalo, e apareclada
molta vituaria a refreschar de vera, bonbarde, e veretoni, e per simel altre cose, per
avanti la se movese; per suo araldy i manda a dirli a ingelexi per tre volte i se dovese
levar da canpo, altramente capiterave ^ mal, e quela mentoando per nome tuty i
sue capetanij, fra i quai nomeneva el sire de Tabort, Ruxint e Astoifo, el conte de
Schales, el Conte de Sufuc. Claisdal Sue de Moiin, che tuti iera al dito asiedio, i quali da
lie de loro se ne fexe befe, e mandali a dirli che Tiera una ribalda e incantatrixe.
Udita Zaneta lo desprexio fatoli da queli, comanda che ogni omo se fazese inprestar
arme e recherir aiuto, e dito questo se contase per conto i non fose plu de iJM. persone,
dove ingelexi fose plu de vjm. e quela confortay per muodo che jera tutij sofîcienty
1. Or. tegnit.
2. Or. capiterarie.
650 LA YBAIE JEANNE D*ARG : LA LIBÉRATRICE.
per XM senza algun ripolso, e ladita ponzela chon tuta la so conpagnia pasa davanti
ingelexi per quelij chc niente serave siady sufîcienti per quela a contrastar a mile, e
entrase con le viluarie e refreschamento dentro da Oriens, che may ingelexi non ave
argumenlo a muovcrse ; bem cridava contra la dita a dirli vîlania, e che Tiera una pu-
iana c incaniatrixc, e de gitarli dricdo molle piere de bonbarde hover da mangano.
Refreschadi chi fo hogni oino insembrc con queli iera ala varda delà tera, che iera
cl bastardo de Aliens c allry capetanij, circha persone iJM.vc. insuma, ladita comanda
che ziaschaduno se fcse imprestar arme, e andando quela senza alguna paura, confor-
tando, che alguno non dubitase perché i fose men zente d'ingelexi, e che Dio iera dala
parte soa, e in concluxione insidi de fuoracl merchore dy avanti, la caxione quela anda
davanti una dele bastie dlngelexi, dove iera vjc. conbaianti fortisimi e inestimabely,
e tuto quel ziorno la conbatè, e feli puocho dano, che circha una ora avanti sera, esendo
la giente soa là voiando quaxi tornar, la dita fè vista vardar al Cielo lagremando, e
pu6 de brieve tuta rechomandarse crida, che ziaschun fose artento ad ascholtarla e,
dise, che ai su6 innemixi Tiera stà levado le forze con parole cridante e che a loro
ingelexi queli i feri e perse la dita bastia, su la quai iera ingelexi vjc, con le man suu,
che i pareva eserprexi e morti, ala quai scharamusia de morise x franceschi, e retor-
nadi dentro se reposava^ tuti. E la zuoba dy, che fo TAsension, dixese, insese^ de
fuora, e in quelo ziorno fo là a sovra a veder lor dele dite bastie, che iera viiij, che
nisuno non fo sy ardido de aprosemarse a lie per paura, ma ben li dixeva viiania,
e lie umelmente li respondeva chi se devese levarse, c altramente ly faria tuti la
m ala fin.
El venere dy, suxo la terza, insy la dita fuora con el stendardo so in man e, segui-
tada da tuti, vene a darli Tarsalto a una altra bastia, che iera la plu forte, e tuti avixa
che'l ponte, che pasa la riviera, su la quai iera Clavis de Tengelexe con plu de vc, e in
procesode iiij. ore, desfidandose ingelexi con i franzeschi, posandose retirar Tingelexi
de là dal ponte, non se posando plu retrar, el ponte se ronpe e cadese in la riviera
Clais capetanio chon plus de ccc, e tuti s*anega'.
Noté, che la dita fo ferida de uno vereton in la gola, e dixese quel ziorno la dise ai
capetanij suo la séria ferida, ma che la non averave mal de pericholo ; a so boutade
di capetanij ingelexi se schontrono insenbre, e si se fè forti suxo una bastia dele plu
forte, che se clama Londos, ala quai quel ziorno insy de fuora la dita donzela con la
soa conpagnia, e in concluxion la l'ave per forza, e fonde morto el sire de Moliens so
capetanio d'ingelexi, de che la damixela magina lo rcsto del canpo diingelexi abando-
nase tute le altre bastie, e andesene via plu cha de paso, e chusi fo levado Tasiedio da
llorlens per la damixela dita, mediante Dio glorioxo.
Avixandove, che tute le bonbarde e tante clave e altry apareclamenti in zenere
aveva ingelexi, lasono perschanpar, e tute fose prexeperi franzeschi, e avemo coluy
che scrive de Bertagna dixe che i sia andady al ducha de Bertagna, hover el fioldeveva
andarde a scontrar la damixela con vc. bertoni, che iera retornadi in Bertagna, quel
monsignor di Oriens se feria forte.
Le infrascrite nuove infina qua son quele scrite de Borgogna, e anchora plu per
altre vie simele, e anchora plu novelade e oldide de bocha de molti, da moite nacion,
che viene chi da uno luogo e chi da l'altro, tute se concore costie far miracoli dapuoy
con el dolfino; io, per mie, como ho dito, la posanza de Dio eser granda, non so
quelo me diga de qua a creder, e chi el contrario credi, ziaschaduno eser in so liber-
tade, che Tuno ne l'altro non de dana, ma tanto è, che'l dofino ala ziornada va prospe-
rando granmente, per muodo che lu quaxio posibel acrederle a respetode quelo inge-
lexi l'aveva reduto, como se vede ch'el non podeva pluy.
A Paris, per l'anbasada del maistro de Sasidis è stado trovado de moite profecie, che
1. Or. se reposaria.
2. Or. et insise,
3. Or. /Vi nega.
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 654
se fa mencion de questa damixela, fra le quai è una de Beda in Alexandria che queli
Taquistase e intendese a uno muodo, e uno a Taltro ; la dita dixe e Irazele per queste
parole dir6 qua de solo 5
1
Vis. Comulcoli. bis. septem. se. sotiabunt ; 100
GalboniopuUi. bella. nova, parabunt 2
Ece. béant, bêla. lune. ferl. vexila. puela \ 5
i
100
5
100
1
i
1000
101
5
2
1429
Da pu6 levado Tasiedio da Oriens, se retrase in uno caslelo el conte de Saborl, e
zionse in tera homeny viiijc, in el quai castelo, che se clama Zerzco, e circa a xv. de
mazo la dita damixela con la giente in siando a mêler Vasiedio, in choncluxion Tavc
per forza con tuti prexi e morti, e romaxe prexo lo dito conte con uno so fameio e
altry asay cavaliery, e morto uno altro so fameio, a questa vituoria e a xij. de zugno,
lo so capetanio d*ingelexi con tuta la so posanza sy d'ingelexi e franceschi fo per eser
aie man, e dixese i franceschi iera circha iiiJM. a cavalo ; avanti s'acomenzase a scontrare
con ingelexi, e de prexente voltasey le spale senza far defexa, de che non fo may
oldido dir, e dixese da pu6 se ne trova la dita damixela con tuta la so conpagnia, e in
concluxion non è schanpà dala parte diingelexi viijc. persone, e prexo el sire deTabot,
el sire de Schalese molty altry signori, si che prendene in puocho tenpo, la fexe espre-
sisimy miracoli e infinity del dolfino.
£1 regiente è intorno Paris e à mandado a fîorgogna lo secora, e abiè tuto se perde,
per la quai caxion de vegnudo novela una granda anbasada per parte soa, como per
parte de quela comunità, che secorso queli i voia dar, e cusi ne è in tuta Ingletera
che proveda de quel riame.
Fo dito, e chusy credo, monsignor de Borgogna mandera in questy do dy verso
Paris con gran giente. E molle cose se raxiona, chi dixe per eser a Tincontro con cl
dolÛn, e chi diga per tratar acordo tra lu e ingelexi ; non so quelo me debia creder
delà predita ziornada, al seguir lo saveremo meio.
lo m'aveva desmentegà, e altro non n*6 a dirve, ma como se scrive de Ingletera per
persone, homeny iijM. per andar inFranza,perplu de queli ierasoldady delgardenal
per andar incontra i Usi, che fi dito sera homeny circha vjm. in suma.
Monsignor de Borgogna è andado a Paris, e là dixese per far acordo, e chi dixe per
eser contra el dolfin, so parente ; del seguir per tenpo se saverà per altre vie.
De Ingletera a hocha per ingelexi, e altry se dixe, el ducha de Orléans, che xe stado
in prixion zià any xviiij S eser schanpado e andado al re de Scocia, el quai re faxeva
questa giente per retardar in Pranza in favor del dolfino, con una soa sorela Ta mari-
dada in el primogenito del ducha, e tiense questa novela ferma, ben che non de si a
altre raxon, ne ancora letera alguna.
Scrito fina qua, el faute à induxiado e eve letere da Londra da primo de zugno, che
non fa mencion de questo, si che non pu5 jeser, ma conprendese ingelexi abia fato
1. Or. XIIII.
652 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
levar questa nuova per aver caxon con plu onestà in n'Ëngletera se creza el dito signor
plu de quelo li ae*, di quai i dity feva grandisima stima.
De fermo se sente de Ingletera che iuta quela giente averà presto ei gardenai per
andar contra i Usy, e slatin anchuoy è pasà in Franza, e anchor di i altry dixe che de
fermo paserà viiJM. ingelexi, che hemve inprometo ano hexogno de pasar presto, econ
posanza granda, per caxon se sente la donzela eser sy a canpo con plu de xxxvm., per
conto, e ano asè di archi, per vie e pasy che su per la riviera, che son clamadala
Caretà, che abiè claro che queli pora andar al so piaxer fina aie porte de Paris. Cristo
proveza al hem di Cristiani.
Bergogna è trc ziorni eser preso a Paris ; chi sera spiera de veder, e chi del contrario
chi sera del seguir de questo; e questo avemo da Broza Gna a viiij. del mexe de luio
MCCCGXXVlllJ.
Fina qua non è afermada questa letera.
VU (pages 1000-1004, f<» 505-506). — Copia dele novele de Franza delà donzela,
mandade dal marchexe de Monferà ala signoria de Veniexia'.
Inlustrisimo principo. Elo è chosa vera che'l ziorno dy xxj de zugno la dita donzela
se party con tuta lazente d*arme de su la riviera de Loiraper andar a Rains per inco-
ronar el re de Franza, e lo dito re se parti ai dy xxij, in per6 che la dita damixela la
va davanti chontinuamente per spari i d'una ziornada, o circha, e si adevene che'l
sabado dy do luio eser sta fato moite notabel cose, da pu5 dele quai ela si andè
davanti la citade de Âustro, e in quela hora i citadini sy i manda xij anbasadori di
plu notabel homeni delà citade, e de queli li quai apareva amixi del re, mostrando de
praticar e de far obediencia al re, ch'el vegnise davanti la citade, e durando questa
praticha li citadini si mandase permolti capetanij deziente d*arme, li quai como bor-
gognoni e savonengi nominadi : lo primo fo lo vechio de Baro, lo signor de Vurando e
miser Onberto, mareschalcho savonengo, i quai sy conduse chon lor circha homeni
d'arme viijc, li quai tuti li citadini fexe aschonder per le caxe su6, in una parte xx e
XXX, e in altre xl, e cetera.
La dita donzela sy manda xij. homeny de queli del re, andadi in la citade per veder
quelo che se feva, e sy fe retornar xij. de queli delà citade, e quando ly xij. del re fo
andadi in la cita, e holdido e vezudo si gran mollitudine de giente armada, e tuti
quanti esercusl meraveioxi, voiando retornar a dir quelo che i aveva vezudo e aldido
in la cita, li citadini, vezudo el tradimento deschoverto, si prexe questi xij. del ree si
li taia la testa, e da puo le mese su le porte delà citade, e de subito, sapudo la donzela
queste cose , fexeprender li xij. delà cita e si li fe taiar le teste, e davanti le porte delà
citade, e, dapuo fato questo, fe cridarche ziaschaduno devese andar ad arsairlacitade,
e, fato el chomandamento, tuti ando a larsalto.
Lo veschovo delà citade al primo arsalto, chonbatando la citade, fo prexo, el quai
con i prevedy iera vegnudo vestido con robe e paramenty deregilione [sic], e con reli-
quie, e aqua benedeta; la dita donzela el fexe piar con tuti i prevedy e fexei taiar a
tuti le teste e, questo fato, da vij. ani, sy a homeni corne femcne, e tuti quanti sono
taiadi a peze, e fexe guastar tuta la citade.
Veritade è, che circha iJM. ingelexi sy andava scorrizando el canpo del re, per veder
s'i podeva trovar al dito canpo descordanza e de farli alcun grande dano; la dita don-
zela sy fo domandar uno capetanio del re, lo quai vien clamado Laira, e a quelo ly
dise: tu à fato per lo to tenpo de cose nobelisime, ma al di d'anchuo Dio t'a apareclado
de far una plu notabele che may festi ; prendi la toa giente d'arme e va al tal boscho
1. [Or. di quelo li se.]
2. M. Dalla Santa imprimait les deux lettres suivantes dans la Scintilla de Venise des 17 et
24 février 1895, d'après un texte trouvé dans les archives du monastère San Giorgio in Isola.
11 y a d'assez nombreuses variantes. L*on ne relève que celles qui rendent intelligibles
quelques passages de Morosini, qui ne le sont pas sans cette rectification.
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 653
lonzi de qua do lige, e là tutroverà iJM. ingelexi, tuti con le lanze in man, e tuti i pierà
eamazeray; lo quai andando a trovarli i dit! ingelexi queli prexi e morti, si como ly
ave va dilo la damixela.
Dentro dala citade de Hosera eser morto lo dito vechio de Baro e apreso el signor
de Varandom e miser Onberto mareschalchocon molti de Savona, circha vjc. Fato questo,
la giente del re de Franza si son andadi a una citade apelada Trois, e Ta fato hobe-
diencia, e simel muodoà fato la contrada di i Ongij, ed è vero chelducha de Bary,
fradelo del re Alois e chugnado del re de Franza, lo quai si vegnirà per aidar al re
con circha viijc. cavay, li borgognony, abiando sentido questo, sy li andè a trovar per
chomandamento del ducha de Borgogna chon circha cavay mcc. e, conbatudi insenbre,
i borgognexi si son stady per la mazior parte morti e prexi.
£1 ducha de Borgogna el ducha de Bertufort con tuto lo so sforzo si son reduti a una
vila clamadaBlave, e là si se mete in ponto per conbater lo dito re e con la damixela,
ma de questo, non hostante la grandisima moltitudene d'omeni chon li diti ducha a
uno, la dita donzela non defano algun conto de queste cose sovra dite, parli ben a
quela i è gran nuova *, e altro paixe delre averfatoprecesion, con grandi fuogi e festa.
Lo veschovo de Chiaramonte, lo quai sy aveva la corona de Sancto Alvixe, si la
redurà al re per questo muodo con grandisima pena, che la damixela sy i manda
uno faute chon suo letere pregandolo chel volese render la corona, lo quai sy respoxe
che la s'aveva mal insoniado, ma la dita donzela sy i manda a dir una altrafiada, res-
poxoi quelo medieximo, e si scrise a i citadini de Cieramonte, che se la corona non
fose renduda, che Dio li provederave ; questo non fo fato, e subitamente cazete tanta
quantità de tenpesta, che fo gran miracolo, e la donzela la terzavolta scrise ai prediti,
esi li scrise la forma ela fazonedeia corona, la quai el veschovo tegniva ochulta, che
se la non fose renduda molto pezio li vigneria che vegnudo non n'iera; el veschovo,
oldando nomenar la forma e la fazone delà corona, la quai non se credeva che se
savese, forte pianzando e pentandose de quelo che Taveva fato, la dita corona alo
dito re e ala damixela mandada i fose.
VIII (page 1004, f° 506). — Copia de la nuova ut supra *.
Dixese apreso, che Vk rezevudo letere dal re propio, le quai luy aveva apreso de sy e
a prexentarle, e in quele se contien tute quele vituorie e fati, che se contien in quela
copia, e molto plu cose de altryluogi aquistadi con molta ocixion d'ingclexi, chonclu-
dando in quela letera, che i se mete in ordene con la damixela de andar a trovar cl
ducha de Borgogna e dieser con quelo aie man, sperando de bona vituoria, e in con-
cluxion dixe che da puo nuovamcnte per uno abado asay degna persona, pasando da
caxa soa ultra, holtra a bocha le som afermado quela ultima notabel nuova, quela rota
del ducha de Borgogna e de tanta hocixion de persone ingelexe, bergognoni e queli
de Savoia, ma non fa mencion chel ducha sia prexo ; tute queste cose Taferma eser
vere, respeto le otintiche letere del re e delà persona.
IX (page 1004, f» 506). — Ponto delà letera da Zenoa de primo avosto 1429.
I fati de Franza bene aldo in vano che piaxer non ase ad aldir, che la poncela faza
bem, denuovo grandisima vituoria, 6 abudo de fama in Paris che'l dolfm sia, e che'l
rezente sia morto ala bataia e del ducha de Borgogna «sia prexo ; a para che queste
cose se sapian in Milan per uno capetanio soldado del dollino, che à nome Ziorzi de
Valeperga, che questo à scrito; e aldo eciam del ducha de Savoia, che cusy è sta scrito
al signor ducha de Milan.
Questy ij capitoly non è sta ben otentichadi de niente.
1. Texte de la Scintilla: Par Lion Grannovo, e altre payse, etc. Il est, ce semble, le vrai.
2. Texte de la Scintilla : Da verso Franza dise una notabel persona che e venuta qui se
trova personalmente a quelli primi fati de Oriens appresso la Poucella, che la recevudo
lettere, etc.
654 LA VRAIE JEANNB D'ARG : LA LIBÉRATRICE.
X (pages 1008-1013, f<» 507). — Per letera scrive ser Pangrati Zustignan da Broza
a miser Marcho so pare de dy xvj. de luio : de nuovo quelo che de qui ve scrisy eser
prima, che el gardenal di Ingletera, che iera con queli iiiJM. ingelexi, che deveva
andar contra i Usi, partise ieri da Cales per eser a Paris, e dixese deveva pasar de
brieve ala suma de altry tanti ingelexi, ne altro in quela se ave a dir.
Monsignor de Borgogna da pu6 el se parti alguni dixe che i'è zionto a Paris, e per
alguni de no, e ch'el non dà voiudo andar, e ch'el dite se truova a Sanlis, una giente,
e circha largo a tratar parlamento chon su5 cugnadi e con el dolfino, che è Garlo de
Barbon e'I conte de Uziamonte, e meterse d'acordo, ma de quesio se scrive niente de
crede.
Scrivese anchora el dolfmo chon la poncela e con tuta la soa giente, in suma sono
pluy de xxYM, eser pasadi da Tros de Canpagna e da molti altry luogi, per chaxiom i
anemo de trovarse per andar a Rens, e che de tuor tere per lo prexente non sende
cura, che subito a Rens zionto là el sera incoronado, e sera hobidiente dai suc fedeli,
e chi dixe el contrario, ma ziaschuno parla se non per la soa voluntade, ma tanto è,
che opinion è che questo dolfino incoronado sia, e tiensese cusl seguirà, over ch*el sia
seguido, e partidi hi sera de là el so dreto camin sera in so paixe, e par ancora, à dito
molti, che se Dio non de meta la man soa, cusy debia eser, ma a una ziomada, per
caxon sera forzo una parte con Taltra, schontrandose, e vien dito che a questa zior-
nada de vuol eser Borg. in persona, el quai à fato gran comandamento per tuti suo
luogi ; Dio che puo proveza, ma fe vostro conto, chomo fa el dolfino, niente fa se non
per lo conseio delà donzela, la quai i dixe al tuto la cacerà ingelexi de Franza.
XI (pages 1009-1010, !<> 507). — Da Bruzia, Miiijxxviiij corando, pu6 per letera reze-
vuda da ser Prangati Zustignan de xxvij luio.
Qua de soto dire quelo 6 sentido de nuove de Franza de xxvij de luio. Gerto se sa
per moite vie como circha dy xij de questo mexe, el dolfin ave Tros de Zanpagna, e che,
avanti Tavese, color dentro volse respeto * ziorni tre, e pu6 begnisimamente se rexe a
luy como so vero signor, e quelo pacifichamente perdonase a tuti, e ron begninitade
quelo i rezevete, e statin per comandamento delà poncela, la quai a lu se dixe quela
eser cavo e via e governatrixe de tuti, e contase coley siegue el dolfino, e sono cx)n lie
xxvM. persone da quela banda, senza queli sono ai confini de Normandia, che è el ducha
de Lanson, como in questa diremo.
Partidi da Tros son vegnudi a Rens, donde confina el sagrarse tuti reali de Franza,
e là i zionse el sabado ady xvj. de quelo, e senza algun contraste queli fo apreso le
porte, e la domenega ady xvij fo sagrado con tute le suo pertinencie, e dura la sagra
da terza fina cercha el vesporo, e questo se fa [sic : sa?] certo ancora per moite vie.
Avanti anchora moite tere de Zanpagna, como è Zalon, Lanfon * [sic : Lan?....^,
quanti e avanti altry asay luogi tuti vignudi ala ubidencia soa, e non tanto che tute
iera parciale, che senpre le dite iera stade con el ducha de Borgogna, ed è vero che
may non à voiudo voler el zuramento d'ingelexi, che per lor medemi s'a governado
con la parte de Borgogna.
Torim,ch'èuna tera larga de qua a una ziornada, ch'è circha mia xl. de longi, che
senpre è stada fedelisima al so signor dolfino, si se à falo suie confine feste e proce-
sione e fuogi per le vituorie de questo re novelamente sagrado ; è per opinion de
molli che i diti l'aidera de dinery,e chi diga i diti i apareclerà iiiJM. homeny per man-
darli in el so favor.
El ducha de Borgogna è tornado da Paris e zionse a Razo ady x. de questo, e con
luy à menado so sorela la duchesa de Betifor, che se clama el rexente de Franza ; el
dito rizienle iera partido da Paris per eser a Pontros, ch'è la clave de Normandia,
!• Or. respUo.
2. Or. Lansan Quantin.
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 655
e là alende el gardenal chon iuti ingelexi che iera partidy, e raxionase eser in suma
yJM., che iiJM, son pagadi per andar chontra i Usi di dener de la gliexia, e Dio ch'è
zusto zudexe, e cetera.
Questo signor ducha per la Pichardia con altry su6 luogi à fato gran mandamento de
far zenle d*arme, e de tuto segundo el voler so dixe de brieve eser presto con ingelexi
andar Zaneta al dollino. Gristo proveza ala raxione.
Paris roman guardada chon gran paura delpuovolo da xxxij signori, xvj. dala parte
de Borgogna e xvj. dala parte dlngletera; raxionase sono in soma soto la so condi-
clone circha iiJM. homeny, e ano el puovolo ordenado non posa partir alguno, noma
per Diabor non se lieva chontra loro, del quai luogo a ziornade qui n*è capetanio, e
parexini è fermani per eser certi de trovarse fuori dele fièvre poravey ochorer, e cetera.
Gristo proveza.
Dixese de certo, per persone degne de fede, e chusy credo, per quelo s'a posudo sen-
tir, el re de Franza aver mandado a questo signor ducha de Borgogna, ch'el concora
tanto, ch*el se debia voler trovar el di delà Madalena a San Donis, che è a una vila
largo da Paris circha a do mia, al quai luogo tuti i reali de Franza prende la corona,
e chovien eser tuti xij pari, e perché el ducha de Bergogna è per do, zioè per la con>
lésa de Fiandra e la duchesa de Borgogna, el dito à mandado a ingelexi el quinto per
la so persona;non n*è da raxionar el ne vada, ma in secretis multy monta lochontur
[sic : chon ta lo chontrar?], non so quelo me debia creder.
Sase, el ducha deLanson con xiJM. homeny ai confini de xNormandia far bona vera a
ingelexi, e zià se dixe aver prexo tre ho ver quatro tere ; sera forz6 segundo mi ai diti
ingelexi farsy forto in Normandia, e ben farà se i le porà tute vardar segundo le
cose adevien aie ziornade in favor del re de Franza che non n'è al regiente, c in
quesli tre mexi presto averano paze, che certo ai nostry dy se pu6 dir abiemo vezudo
cose miracoloxe asè, como se pu6 certamente conprender per quelo è seguido. Gristo
aida la raxione, e sia bem de tuty.
Ë stado dito ziàmolty ziorni,ma non se saper letera d'algun, ch'el fiol del ducha de
Borgogna a seguir el re de Franza con iiJM. barony.
Questo signor ducha se truova pur a Razo, e fase conto, che in li dy pasadi el manda
anbasada al re de Franza, la quai i à trovado segondo se dixe in dexacordo, e dixese eser
presto per tuto avosto ingelexi a conbater el dito re ; non so quelo me debia creder.
De certo se sa, el re de Franza eser stado a Nois, largo da Paris xij. lige, e vegniva
alora per Paris per tuor la corona a San Dionis, che è dele solenità che Vk ha far, c
tiense certo a questy dy el sia incoronado, el quai San Donis per queli de Paris,
esendo tuty le mure mese contra e rapite i fosy, el puovolo schanpado a Paris, e queli
solo perché, vignanonde el re con la soa giente, non se posa farse forte.
£ Irovase el gardenal el reziente aPontos, largo da Paris vij. lige, con tuto el sforzo
d*lngelexi, e non se debia eser aie mane. Gristo proveza al bem dy cristiany, e sapiè
ala ziomada niente del seguir, ne altro d'è, lina a xxvij. de luio Miiijxxviiij.
Xil (page 106, î^ 508). — Apreso avesemo per lo faute over per la scarsela vene
da Broza de dy viiij avosto de 1429, lo doliin stado con la damixela apreso a Paris a
lige tre, ma pur non se à ancora quelo sia intrado in Paris, ma bem eser stà onlo
re dele parte de Franza, ma quelo seguirà per avanti averemo de nuovo...
XllI (page 1026, (** 509). — Dale parte de Paris per letere da Broza prima de xvij.
de setenbrio de Miiijxxviiij . non avemo anchor el dolfim in Paris sia sta ancor inco-
ronado. Apreso è stado dito se diga el ducha de Borgogna si à fato tre va per mexi do
con el dolfino, e apreso una grosa giente eser con quelo e con la damixela atorno
Paris e abiala asediada, ma quelo averemo per Tavegnir noteremo in questa
cronicha per avanti, ma Dio lo sa grandisime cose eser seguido delà Franza, per i
fati delà dita damixela, per la vertu divina operada in ela...
656 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
XIV (page 1029, ^ 512). — Copia delà letera da Broza scritaper lo nobei homo
miser Prangati Zuslignan de dy xiij. de setenbrio a so pare miser Marcho ; conliem in
quesla forma e dlga. Fina a xxvij del pasado ve scrisy quanto iera seguido dele
nuovede Franza, da pu6 cl re aver abudo San Lis, Ponte Sancto Cholo, Ponte 2Labaton,
Biaves, San Donis.
In Normandia se truova el rcgienie con tuti ingelexi, in suma vJM. ho cîrcha.
Monsignor de Borgogna se deveva partir iery da Razo over Rasio con homeny iiiJH.
per eser con ei regienie, e puo con tuto ei so forzo andar a secorerParis, e la poncelacon
luy . [Sic : Lacune probable tant dans Voriginal que la copie.]
in questo dy s*à dito eser faio trieva tra una parte e Taltra fina a Nadal ; non so
intender queste raxione, ma chi me domandase, creder debiamo eser d'acordo monsi-
gnor da Broza el re, e altro non aver da far stima alguna fina ady xiij. setenbrio 1429.
Da puo fo dito el re de Portogalo marida so fia in lo fio del ducha de Borgogna.
XV (pages 1045-1058, ^ 514). — Copia de una letera mandada da Broza per lo
nobël homo ser Prangati Zustignan a so pare miser Marcho, fata ady xx. novenbrio;
con tien in questa forma in brevitade, rezevuda a xxiij. decenbrio in Veniexia.
Miser, io ve scrisy Taltra ady iiij. de questo per la scarsela, de che fin quel ziorno ve
avixiè quanto iera seguido di faty de Franza, puoy è la regiente del re aver prexo in
Normandia una tera se clama Veroil, bonisima tera, e altry forty pasy e chasteli e plu
che in Roano è stado deschoverto uno tratado, che aveva Carlo de barbon e el ducha
de Lanzon, che de certo, se la i fose andada fata, prendevano la tera el ducha de
Bechiforte, con tuto el resto d'ingelexi.
De ver Paris iery vene uno anbasador de questo signer ducha de ver el re, e, per
quelo b posudo saver, è stado solo per dever alongar la trieva con el re fina a mezo
fevrer, per lo quai anbasador à dito per quelo se devulga universalmente fra ogni
homo, ch'el re de Franza se meteva in ordine con asaisima gîente per eser presto a
tenpo nuovo, e dicono fra costoro, el dito averà dele persone cm. a canpo, che tuto puo
eser, ma parmc uno grande numéro, tanto è, che hogni homo se muove per le parole
delà poncela, la quai de certo è viva. E pur novelamente à prexo de arsalto uno cas-
lelo fortisimo lige, v. apreso Paris, e lie puoy eser ita a meter Tasiedio a la Gicnte su
l'Era. Contase da nuovo da puoclii dy in qua tante cose dl fati de costey, che se
vcritade he, è da far meraveiar ziaschuno che crede, e chi no, ziaschuno i>er raie
parer, segundo le volunlade ano, le dreza e conza, azionze e menuisie como ly pare,
ma tanto è che ogno onio concore, costey eser senpre chon el re, e claro se vede soto
honbra de costey e cose fate da Dio mandada; ch'el sia quelo è seguito in favor del
re e la conquista Va fata, e de nuovo quelo el fa, eser tuto per questa caxion ; credere
non è maie, e chi non crede non fa pero contra la fede.
Trovandonie in li dy pasadi con alguni rcgilioxi a raxionar de questa caxione, parme
che la università de Paris, overperdir meioli innemixi del re, aver* mandado a Roma
al papa achuxiar chostey, dicho questa poncela, per ereticha, le e chi ly crede, e
questo perché dicono costey fa contra la fedc per voler eser creduta, e in saper dir le
cose che debiano venire ; e in favor de costey el canzelier de la università, che è homo
solenisimo, dotor in teologia, a suo honor e laude e defexa à fato una belisima opéra,
la quai vi mando con questa, delà quai miser lo doxie credo ne averà somo piaxer, e
ancora molti altry, como a mi par ; fe che a luy e a altry nostri de li ziaschuno ne faze
participo de queste nuove, si che leta l'averè, questa la podè mandar.
El re dlngletera fo incoronado a dy vj. de questo a Londres; è de etade de ani viiij,
e dixese de certo, e cusy credo, se fazi presto per pasar a tenpo nuovo con gran po-
sanza,dixesy con plu de xxvm. ingelexi; parme eser certo debia eser de gran fati a
tenpo nuovo. Cristo proveza.
1. Or. Anna,
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 657
Questo signor ducha non se sa anchora quelo farà, ma segundo se devulga paralo
a sostegnir la proinesa fata al re d'Ëngletera.
XVI (pages 1058-1060, f*» 516). — Mccccxxviiij. Rezevuda ady primo de fevrcr.
Ësenplo d'una lelera vegnuda da Bruzia de iiij. de zener, eser da dire da ser Prangalil
Zuslignan de miser Marcho fo de miser Orsato.
Carisimo padre, ady viij. del pasado ve scrisi quanto iera de nuovo senti vemo, e
avemo per quesla quelo è seguido da puo eser.
Circha a dy xx de lallro fma qua Tanbasada del re de Franza a questo signor ducha
de Borgogna e ingelexi, la trieva che spiravaa Nadale son stada longada altermene che
sera per tuto fevrer; è slranie cose a intender queste ; trazie molty tien in secretis che
lia sia d acordo, e molty el contrario, e my son uno de queli che tien el contrario, c
credo de giente darà favor a ingelexi, ma che la soa persona ne vada o ne creda, anzi
sarà in questo paixe con la nuova spoxa a darli piaxer; e perda chi voia, lu non puù ^
venzer tal asenplo li date a tanta dignità, ma ve se conceso consentirè fone ancora
lanbasada de Carlo de Barbon so cuxin, la caxion non no may posudo saver.
La giente del ducha de Lanson in Normandia fa grande vera con Tingelexi, e prende
lute chastelee forteze,e a i dy pasady prexe unatera che si è dapersone e stazone asay
ditaLoviel,del quai luogo iera vc. ingelexi, che tuti i morino,equestai ave per tratado.
Per uno sacretario del ducha d'Oriens, ch'è prixion in Engletera, che vien de ver el re
de Franza aver parlado, e pasado de qui con salvoconduto da questo signor e da inge-
lexi, dixe a bocha, e chusy credo, perché è homo da darli fede, che la giente del re
aveva prexo la Chiarrtè su Lera, e alguni altry luogi se tegniva per questo signor, e
che altro non resta che Ziaves [?]e Parixi, digo in Franza, e tuto d'arsalto, e pludiro
ancora quelo se dixe, e credeteme quelo ve par, dixe la poncela far tute queste cose e
mile altre meraveie, che, se le sono vere, a domino facta est ista, ed è gran meraveia ai
dy nostry.
El re de Franza se truova in bon ponto, e questo se sa certo, e à abudo de ver Len-
guadocha e tuto so paixe grandisima sovencion de dinary ede giente ; là uno estremo
exercito per eser presto a tenpo nuovo, e de certo per la hopinion de tuti, e chusi credo,
se Dio non ge mete le man, è per eser una gran sparsion de sangue. Cristo per sua
santa merzè ne proveza.
El ducha de Betiforte, che iera regiente de Franza, se tiene pare * in Roan in Nor-
mandia ala guardia del paixe, al meio el puo, e par in questi puochi dy pasa in so aiuto
circha tre mile ingelexi, e de certo se tiene el re de Ingletera con grandisima posanza
paserà a tenpo nuovo, che cusi crede ogni omo.
Gorando MGGGCXXX (ancien style).
XVil (pages 1071-1073,1°» 5 18-519). — Per plu letere vegnude da Brozia dal nobel homo
ser Prangati Zustignan de miser Marcho, fa te del mexe de fevrer de Miiijxxviiij., de
dy xvij., apar luy scriva moite novele de qua, ma da pu6 in concluxion anchora per una
soa fata in Brozia a dy iiij marzo de Miiijxxx scriva soto brevitade in questa forma.
Miser, a xxij. del pasado ve scrisy el bexogno ; in queldy dapu6 avy la vostra de dy
iiij., dito che me concluxe placer asè per saver de vostra salude e a vostra consolacion
del muodo me avixè, e ala dita faro resposta a conplimento per la scarsela, che per
costuy non m'è posibele, e abiè paciencia.
Quelo eser da nuovo da pu6 ve scrisy si è che a questi dy eser dito el re de Franza
aver abudo Zetres, ma da pu6 non se à refreschado la nuova, si che io non la credo.
Pu6 in questi dy eser certisimo eser vegnudo novele a questo signor ducha ehe uno
I. Or. Non puo se venzer,
1. Or. pur au lieu de pare.
111. 42
65S LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
chaslelo inespugnabelc, largo da Hoan lije vij. suxo la riviera de Sona, clamado Cas-
tel Grixiantc, per tratado la giente del re de Franza averlo perso [sic : preso] per
le man d*ingelexi, in el quai luogo iera uno prixionier cavalier francescho, che se
clama miser Zian Barbaxion, che el re d'ingletera aveva prexo e dentro iera so
prixion, e molto homo notabelisimo e valenie capetanio, e per simel molty altry
prixionery franzexi, che li dentro iera in prixion, a questo muodo son iiberady.
Âltro se raxiona el re de Ingletera paserà ala Pasqua, como per altre ve 6 dito,
ma questo signor ducha ha fato cl so mandamento e tocha de ingelexi per trarle su5
giente notabeli xxvm. e altre personc, zioè el re fo dito eser potentisimo, e raxioneve
che le cose boie per tuto, e de certo se sto Signor Dio non de mete le su6 mane, con-
vien che Tuna dele parte vada a questa istade a nienle, ma Dio per soa santa marzè
proveda e non varda ai nostri pcchadi, ne altro non d'è per lo prexenle. RezeTuda
ady XXX marzo MCCCCXXX.
XVllI (pages 1078-1079, f» 520). - Corando lo dito milieximo de sovra [MCCCCXXX].
Nuove de Franza abude da Broza in MCCCCXXX, de dy xxij de marzo, per moite
letere rezevude per Fiorentini e Veniciani, per la sçarsela vegnuda al Bonromeo da
Fiorenza, c sy per letera del nobel omo ser Prangati Zustignan de miser Marcho
rOrsato, acordandose sovra uno ténor : in sustancia dixe in questa forma, rezevude
in le feste de Pasqua a xvij avril ; e prima se sente del re corse fina su le porte de
Paris, siando con la donzcla con quelo, e manda lx cavay e lasase in arguailo ca-
vali vc; e insy loro incontra el baslardo de Sen Poloe tre altry capetani, echi dixe con
iJM. cavay e chi con vm, c qucli lx, scharamusando, sy son tornà de driedo c conduseli
fina pasado rarguato,e puùqueli inboschady i denole aie spale e prexeli tuti, che non
d'è scanpà uno, e dixe eser stada mala bota a questo signor ducha de Borgogna, e
anchora se dixe a Paris è deschoverto uno tratado, de che iera in tratado bem iiiJM.
e prexo uno frar mener che li menava, e anchor sediga che Fiera capetanio del dolfin,
o sia, e xe pasado la riviera con bem vJM. cavay, e le cose se schalda da divero.
Pu6 d'è che, sendo miser Zovane de Lucinborgo per meter canpoa Conpigno, in voler
dar Farsallo ala tera, da chavay mile che Tiera dentro insise per altra porta al coii-
tralrio epuo i lorna aie spale, e dixese averne morti e prexi asè, e tolto a queli quaxi
tuto el chariazo chôrtiglere * ; e si dixe del conte d'Andonto à prexo uno castelo in
Canpagna, dove iera uno capetanio che faxeva gran dano al paixe, e tuti aver mesi al
fil dele spade, e si dixe aver levado Fasiedd da Tonis 2, con cadanno [?] d'ingelexi, si che
vedè quante cose da puochi di, e sono ati queli del re a dominar tuto, se sono d'a-
cordo...
XIX (pages 1093-1094, fo;î21). —MCCCCXXX ady xxv de zugno. Nuova vegnuda
in Veniexia; scrita fo ala dogal signoria in questa forma e in favor del re de Franza,
chomo el principo de Ragonia, non ^ ofendendo [.sic] aie tere del delfinado e abiando
prexo da iiij luogi, lo governador del Dolfinado, chon molta giente del re de Franza e
altra giente del Dolliiiado, ady xj. del mexe prexente de zugno de MCCCCXXX aver
rotolo predito principo, per la quai rota è sta prexi e morti chavali iiJM., in li quai se
truova prexi molli e plu nolabel honieni de Savoia, che iera con lo dito princi})0, intro
i quali de Savoia se menzona prexi monsignor de Salanova e so liolo miser Alberlin
marescalcho, Schalavrin de Leto, lo liol de miser monsignor de Valusin e lo fiol de
monsignor de San Ziorzo n uno castelo dito Contefurbo*, e miser Coter de Kupo,
e'I miser de Ais e el conte de Goret; e el dito principo de Origens apena è schanpato
1. Or. *cortigln-e.
2. Or. da Torts.
3. Or. ofjemlendo, sans la négation.
4. Or. Conte de Furbo.
•PIÈCES JUSTIFICATIVES. 659
cou cavay xvHj. e si ô reduto dentro lo castclo d'Antonin, onde è ladilagienlc del
Dolfinado, e l'ano recluxo ; apareclavase de far zente, prestandoy duchali l. per lan/a,
e de so salario duchati xj. ; e tule queste nuove eser in favor del doHino, romagnando
la donzela sana e gaiarda, aluminada da Diode gracia, prosperando la via soa...
XX (page ilOo, f° 324). — MCCCCXXX ady iij. de luio a Conpeio». Avemo abudo, e
se sa dito per plu ziorni per avanli cha da Brozia, chomo ady iij. de luio fosc scrito,
che in lo dy delà Sensa la damixela steva in cole^acion e in perfeto ainor con lo re de
Franza miser lo dolfm, con el quai la giente soa aver meso Tasicdio de Paris, per
muodo non se aver speranza queli dentro posa résister contra la corona del dolfinado ;
s'a dito quela eser sta prexa per la gienle del ducha de Borgogna, la quai donzela per
quelo non avemo se de quela sia sta defenido niente ; saverase per avanti, ma da puo
è sta dito questa donzela eser stà confinada con pluxor donzele in una forteza con
scorta de bona varda, e non posando eser tanto vardada, quando fo de piaxer de Dio,
quela se parti e ritorna ala giente soa, senza molesta delà persona soa...
XXI (pages lloo-lio6, f» 534). — La poncela de certo, quela è sta mandadaa Roan
al re di Ingletera, per la quai caxon miser Zian de Lucenburgo, che la prexe, ne à
lochado XM. corone per darla in le man d'ingelexi ; quolo soguirà de lie non se sa, ma
dubitase i non la faza morir, e vcramente queste son stranie e grande cose difaty de
costie; e scrive questo aver parlado con molty, aver parlado da puo che la fo prixio-
niera, ma pur universalmente ognomo dixe lie eser de bona vita e oncslisima e sa-
pientisima; quelo seguirà convien che in puocho tenpo se veda; che de certo, segundo
el parer d'ognomo queste caxion convien presto aver fin ; digo a vedcr chi doverà a
romagnir de sovra. I fery son caldisimy d*una parte e de l'altra e ala ziomada la
giente del re de Franza cresie e prospéra e sapientemente se governa. Dio al ben di
Cristiani proveza, ne altro per adeso non avemo de nuovo...
XXII (pages Mb8-iib9, fo b34). — Corando MCCCCXXX. Quadilo quelo s a abudo de
nuovo de XV. decenbrio, dale parte de Broza perlavegnuda del nobel omo miser Nicholo
Morexini fo de miser Vetor, como s'a dito in qucle parte.
Presentese prima che la donzela iera in man del ducha de Borgogna, e per molty
de là se devolgava che ingelexi Taveravc per denery, e sapudo questo el dolfino i man-
dase una ambasada, che per condicion del mondo i dity non devese consentir a tal
caxion, altramente i faria ai su6 chel vain le mane tal conpagnie su i confiui de Pon-
pignio [sic] como el dollin aver lolto uno castelo chon certe persone che iera vegnude
a secorso so, e aveva abudo vjc. cavay, dei quai iera circha lx. cavaliery e signoii
prixiony, in Borgogna el dito ducha aver perso moite caslele, steva el ducha de
Borgogna a parlamento chon queli de Lezie, ma credese se otignerà paxe.
Apreso noto e fazo mencion, como se sope e fose scrito, el ducha de Borgogna inge-
lexe quelo eserli nasudo uno fiol mascholo delà soa dona muier soa, fioladel re de
Portogalo, e questo eser so primogenito de quela.
Corando MGGGGXXXI (1431).
XXIII (pages 1238-1239, fo 549). — MCCCCXXXJ. Per pluxor letere vegnude da Broza
perpluy di, zionze in Veniexia una dal fio de ser Zian Zorzi fo de miser Bernardo da
San Moixè,fata ady xxij. del mexe de zugno, eper una altra sa dito vcgnuda a srr
Andréa Corner zenero fo de ser Lucha Michiel dala Madalena ; scrive de (|ua la
honesta donzela iera sostegnuda per ingelexi in le parte de Boan, rechalada per cho-
rone xm., prexa per ingelexi, tegnuda in persona [si ] in molla slrcleza ; a^e dito quela
1. Or. lion pieio.
660 LA VRAIE JEANNE D'ARC : LA LIBÉRATRICE.
per do volte 6 ver per Ire ingelexi Taveva voiudo far bruxiar per retega, se non fose
sla miser lo dolQn de Franza, mandando moUo a manazar ingelexi ; ma pur questo
non ostando ala terza fiada inpixesmady molto ingelexi con meso i franzeschi, chôme
per despeto, non abiando bon conseio, aJa terza fiada la fexe arder in Roan, e quela
per avanli questo marturio, siando molto contrita e begnisimamente ben disposta,
avanli la andese al martirio vien ditoi aparse Madona Santa Catarina Vergene, con-
fortandola e digandoy : flola de Dio, sta segura in la fede toa, conziô * tu sera in io
numéro de le vergene del paradixo in gloria; e apar morise contritamente, de che miser
lo dolfîn re de la Franza de portase amarislma doia, fazandose so conceto de farde
vendeta teribel de ingelexi e done de Ingletera a so zusta posanza, mostrando Dio
demostrerà ancora grandisima vendeta e (Ina da m6 ancora cus\ apar e infina anchuoy
in dy la citade de Paris sta de partido, quela è perroinar ala ziomada e plu non se puo
tegnir ne valer, e tute persone scanpa e esie fuora da dexaxio e famé ; tiense per opi-
nion i franzeschi [?] labia fato bruxiar per lo gran prosperamento prospéra e va pros-
perando da ogni tenpo i signor franzeschi, digando ingelexi : anchô may morta costie
questa donzela, la so ventura del dolfin non i anderà pluy segonda ; e Cristo i piaqua
i adevegna el contrario, segundo como s'a dito se questa cosa sia cusy la veritade...
1. Or. conzio sia lu sera.
TABLE DES MATIERES
Dédicace v
Bref de Sa Sainteté Léon Xill vii-viii
Au LECTEUR IX-XVI
LIVRE PREMIER
L'éTAT DES DEUX PARTIS - ORLÉANS — LE SIÈGE JUSQU'A L'ARRIVÉE
DE LA PUCELLE
CHAPITRE PREMIER (p. 3-14).
LA FRANCE ET LE PARTI NATIONAL A L*ARRIVÉE DE LA PUCELLE.
I. — Les limites de la France au commencement du xv* siècle. — Le duché
de Lorraine, le Dauphiné, la Provence reconnaissaient la suzeraineté de
FEmpire. — Liens particuliers des deux derniers pays avec la France. —
Démembrement projeté. — Les pays qui reconnaissaient la domination
anglaise. — Cette domination était loin d*ètre également acceptée par tous
les pays nominalement soumis 3-6
II. — Le roi de Bourges presque universellement abandonné. — Les familles
princières : Orléans, Anjou, Alençon, Charles de Bourbon comte de Cler-
mont, Jacques de Bourbon La Marche ; son gendre, le sire de Pardiac, un
saint, avait cependant pris les armes contre le roi. — Louis de Vendôme,
le bâtard d'Orléans. — Raoul de Gaucourt. — Regnault de Chartres, Ma-
chet, La Trémoille, Robert le Maçon, le Connétable Jean IV comte d'Ar-
magnac, le comte de Foix, Gilles de Rais, le maréchal de Boussac, Louis
de Culan, le sire de Graville. —Les Gascons : Arnault de Coaraze, LaHire,
Xaintrailles, Jean d'Aulon, le sire d'Albret. — Les Bretons : Alain Giron, de
Laval, etc 6-11
H. — Les milices royales. — Les forces de Charles Vil se «composaient prin-
cipalement d'étrangers : Espagnols, Lombards, surtout Écossais. — Impo-
pularité des Écossais. — Les services qu'ils ont rendus à la France. — Les
milices communales : Un des grands appuis de la Pucelle 11-14
CHAPITRE II (p. 14-22).
LE PARTI ANGLO-BOURGUIGNON, OU ANTINATIONAL, A l'aRRIVÉE DE LA PUCELLE.
l. — La dynastie des Lancastres affermie en Angleterre. — L'appât des comtés
et des seigneuries stimule les seigneurs anglais. — Confiscations. — Pros-
périté des premières années du règne de Henri VI. — Les soutiens du trône :
(C2 TABLE DES MATIÈRES.
le grand oncle cardinal d'Angleterre, Glocester ; L'&me de la politique
anglaise, Bedford, ses hautes qualités, ses richesses, son train royal, sa
femme Anne de Bourgogne. — Les nombreux capitaines anglais : Salis-
bury, Warwick. — Jeu de la Providence qui renversera les Lancaslres par
un autre Warwick le faiseur de rois, le petit-(ils de Salisbury et le gendre
de Richard War\> ick. — Les trois frères de La Pôle, et la fin tragique de
SufTolk. — Scales, Fastolf, Glasdal, Talbot. — Quelques faux-Français 14-18
11. — Les États du duc de Bourgogne. — Les trois frères Luxembourg :
Pierre, comte de SaintPoI, beau-père de Bedford marié en secondes noces ;
Louis de Luxembourg, évèque de ïhérouanne; Jean, comte de Ligny, sei-
gneur de Beaurevoir, meurt le jour où naquit la Pucelle, qu'il vendit. — Sa
femme, Jeanne de Béthune, attachée au parti français. — Sa tante Jeanne,
daine de Beaurevoir, marraine de Charles Vil. — Villiers de TIsle-Adam,
Toulongeon, les Vergy, le sire de Jonvelle, Perrinet Gressart. — Intermi-
nables négociations. — Humiliations et malheurs que Ton eût prévenus
en écoutant la Pucelle. — Châtiment des Lancastre et de l'Angleterre. . . 18-22
CHAPITBE 111 (p. 23-30).
LA GLERRE AU TEMPS DE L\ PLCELLE.
I. — Complication de l'art de la guerre au temps de Jeanne d'Arc. — Le che-
valier, l'écuyer, Thonime d'ai'mes. — Les archers anglais. — L'arbalète
inutilement interdite par l'Église dans la guerre entre chrétiens. — Infé-
riorité de l'armement des milices municipales. — La Pucelle excelle à
tirer parti de l'artillerie. — L'artillerie produisait déjà de puissants effets
au commencement du xv**sièclo 23-20
II. — Les forteresses qui couvraient le pays. — Empressement des villes à
se fortifier. — Les sièges. — Ce que demandait un siège. — Bastilles, bou-
levards, fossés. — Comment on comblait les fossés. — Comment on se
protégeait en montant à l'assaut. — Les mines 20-20
III. — Manière dont se recrutaient les soldats. — La solde payée au capi-
taine.—Les profits de guerre, rançon, pillage. — Part qui revenait au roi.
— Certains prisonniers 20-30
CHAPITRE IV (p. 30-38;.
ORLÉANS EN 1429.
I. — Les armoiries dOrléans. — Sa position sur la Loire. —Son site. — Ses
, jP9rtes. — Ses tours. ~ Son pont. — Le faubourg de la rive gauche, le
portereau, — Iles de la Loire.— Le port du Bosquet ou de Saint-Loup.
— Saint -Jt,9,y|) 3O-33
II. — L'Orléanais vçdeyenu apanage princier contre l'engagement pris par
jCjiprIes V. — Les prince^ jd'Orléaus. — Charles d'Orléans. — Le poète. —
L'administration du duché. — L'évèque d'Orléans, Jean de Saint-Michel.
— Administration municipale. — Les archives d'Orléans dépouillées par
le chanoine Dubois ...'..'..;...' 33 30
m. - Promesse de S^lisb^;y d'épargpcr,le$^PSse;^^ionsdu duc d'Orléans. —
Les Orléanais se préparent à soutenir le siège. — Double impôt. — Répa-
ration auXj^^nu^aiMet^. — Appel , 4. Diw^f-.L'anlillôtie.-r^i Appel aux autres
villes de jf^'^nce. — CpmJMCOt elleii.jrépQndeftli;.r'Lo*âtats.i généraux à
iJiinon. ..^ .^. , r u*,f '^^^',r\^r\r' - ».♦ • • • ■*•/• mi» »W.»I« *'4k^ ifc iilk rvjiuu!». . >i itui iw, . 36-38
TABLE DBS MATIÈRES. 663
CHAPITRE V (p. 38-57).
LE SIÈGE d'oRLÉANS JUSQu'a l'aRRIYÉE DE LA PUCELLE.
I. — Bedford libre du cùlé de TAngleterrc veut imposer l'acceptation du
traité de Troyes. — Combien le moment était favorable. — Endenture de
Salisbury. — Contingents français. — Orléans devenu l'objectif au lieu
d'Angers. — Début de la campagne. — Conquête de quarante places : Jan-
ville, Meung, Notre-Dame de Cléry, Baugency, Sully, Jargeau. —Salisbury
s'installe le 12 octobre dans le Portereau à moitié incendié. — Le boule-
vard du pont, les Tourelles emportées malgré une béroïque résistance. —
Coup qui frappe Salisbury 38-42
II. — Kalentissement dans les opérations du siège. — Elle sont reprises. —
Les Orléanais détruisent leurs faubourgs, complètent leurs armements. —
Guillaume Duisy, le coulevrinier Jean le Lorrain. — Les Anglais commen-
cent leurs bastilles sur la rive droite, et les continuent malgré les assiégés
qui essayent vainement de les arrêter 42-44
in. — La défaite de Rouvray et le comte de Clermont^ Charles de Bourbon.
— Sa fuite honteuse. — il quitte Orléans avec deux mille combattants. —
Ses vaines promesses. — Négociations pour remettre la place entre les
mains du duc de Bourgogne. — Refus hautain de Bedford. — Les Bour-
guignons rappelés du siège 44-49
IV. — L'investissement. — La bastille Saint-Loup. — Le nombre des bas-
tilles. — Leur situation. — Double fossé. — Tous les chemins interceptés.
— De la bastille de Fleury-aux-Choux 49-54
V. — Pénurie de vivres et particulièrement de pain. — Les divers ravitaille-
ments énumérés par le Journal du siège 54-56
VI. — Du nombre des assiégeants et des défenseurs 56-57
LIVRE II
PARTI FRANÇAIS — CHRONIQUES PLUS ÉTENDUES
LA CHRONIQUE DE LA. PUCELLE ET LES DEUX COUSINOT.
OBSERVATIONS CRITIQUES (p. 61-66).
CHAPITRE PREMIER (p. 66-71).
DOMRÉMY. — VAUCOULEURS. — CHINON. — POITIERS.
I. — DoliRÉMY : Naissance, occupations, âge, tempérament de la Pucelle. —
Vadcouleurs : Départ. — Baudricourt. — Premier accueil. — Instances. —
Annonce de la défaite de Rouvray. — Baudricourt vaincu. — Vêtements,
escorte. — Le nom de roi refusé au dauphin jusqu'au sacre 66-67
II. — Chixon : Heureuse traversée malgré les périls. — Incertitude du roi et
de la cour. — Première audience, le roi reconnu. — Jeanne examinée :
Contraste entre la sagesse de ses réponses et sa simplicité. — Révélation
des secrets. — Témoins de choix. — Serinent 67-69
ill. — PornERS : Sur le chemin de Poitiers. — Hôtel Rabateau. — L'examen,
le jury, particularités ; conclusion. — Visiteurs et visiteuses. — Effet pro-
664 TABLE DES MATIÈRES.
duit. — Raison des habils masculins. — Préparatifs du ravitaillement. —
La maison de la Pucelle. — Épée de Fierbois. — Prophétie sur Tinlro-
durtion du convoi. — La Pucelle à cheval. — Docteurs et guerriers émer-
veillés 69-71
CHAPITRE 11 (p. 71-83).
DÉLIVRANCE d'oRLÉANS.
I. -— Comment la Pucelle est annoncée à Orléans. — Blois; bénédiction de
la bannière. — Rassemblement de vivres et de guerriers 72-73
II. — De Blois à Orléans ; lettre aux Anglais. — Formation du convoi. —
Réforme morale et religieuse des hommes d'armes. — Voyage. — Attitude
des Anglais. — Difficultés du passage de la Loire. — Reproches et prédic-
tion de la Pucelle. — Son entrée à Orléans. — Sa tempérance. — Ce qui
advient à ses hérauts. — Changement dans les dispositions des deux armées.
— Les capitaines retournés à Blois; délibération, ils reviennent à Orléans.
— Auxiliaires accourus des environs. — Entrée du second convoi le 4 mai. 73-78
III. — Attaque infructueuse contre Saint-Loup. — La venue de la Pucelle
en fait une victoire. — Morts et prisonniers. — Action de grâces 78-79
IV. — Le jour de TAscension sans combat. — Sommation orale aux Anglais.
— Le 6, passage de la Loire. — Attaque de la bastille des Augustins. —
Péripétie. — La bastille conquise. — La Pucelle blessée aux pieds. —
Hommes d'armes bivouaquant devant les Tourelles 79-81
V. — Le 7, la Pucelle suivie des bourgeois passe la Loire contre le vouloir
des capitaines. — Les Tourelles assaillies des deux côtés. — Blessure de
Jeanne et continuation de l'attaque contre ra\is de Dunois. — La queue y.
toucïie. — Les capitaines entraînés par Tardeur de la multitude. — Résis-
tance des Anglais. — Gouttière jetée sur l'arche du pont. — Les Anglais
épuisés de forces et impuissants. — Rupture du ponl-levis et noyade. —
Inaction des Anglais de la rive droite. — Action de grâces et retour de la
Pucelle. — Amour et fréquentation des sacrements 81-83
VI. — Les Anglais consternés délibèrent de nuit, et le matin se rangent en
bon ordre et se retirent. — La Pucelle ne veut pas qu'on les poursuive. —
Hymnes et messes en plein air. — Démolition des bastilles et butin. —
Lieux de retraite des Anglais. — Douleur de Bedford, ses craintes ; coup
porté au parti anglais. — La Hire et Loré côtoient les Anglais dans leur
retraite. — Plaisante délivrance du Bourg de Bar 83-85
CHAPITRE m (p. 85-93).
CAMPAOE DE LA LOIRE.
I. — La Pucelle de retour auprès du roi ; repart avec le duc d'Alençon pour
nettoyer la Loire. — Prise de Jargeau et suites de la victoire. — Comment
Jeanne presse le roi de se faire sacrer et triomphe des oppositions de la cour.
— Sa prière aux voix et leur réponse. — Détails plus étendus sur la prise
de Jargeau. — Les assiégeants, le siège. — DAlençon préservé de la mort
par un avertissement de la Pucelle. — Un coup de Jean le Canonnier. —
Une grosse pierre sur la tète de la Pucelle, signe de la fin de la résistance.
— Prise deSufl'olk. — Prisonniers massacrés, et pourquoi? — Joie du roi,
action de grâces 85-88
II. — L'armée de la Pucelle renforcée. — Talbot quitte Baugency et va au-
TABLE DBS MATIÈRES. 665
devant de Fastolf. — L*armée française quitte Orléans, s'empare da pont
de Meung et va assiéger Baugency. — Arrivée du connétable en disgr&ce.
— 11 supplie la PucelJe de lui obtenir son pardon ; elle le promet sur la
garantie écrite donnée par les seigneurs de sa fidélité, capitulation de
Baugency 88-90
[H. — Les Anglais qui avaient attaqué le pont de Meung abandonnent la
ville après la reddition de Baugency 90
W. — Les Français les poursuivent. — - Prédiction par la Pucelle d'une vic-
toire éclatante. — Réalisation. — Janville recouvré 91-92
V. — Retour triomphal à Orléans. — Le roi vainement attendu. — La grâce
de Richemont refusée. — Le siège de Marchenoir. — Le roi à Gien 92-93
CHAPITRE IV (p. 93-101}.
L\ CAMPAGNE DU SACRE.
I. -- La Pucelle, contre Ta vis du conseil, entraîne le roi à prendre le chemin
de Reims. — La reine amenée à Gien, ramenée à Bourges. — Les sei-
gneurs accourent attirés par le nom de la Pucelle. — Beau portrait de la
guerrière. — Les pratiques de sa piété. — Le roi gouverné par La Trémoille.
— Combien le favori craint d'être supplanté. — Solde insignifiante donnée
aux hommes d'armes. — La Pucelle devance le roi. — Auxerre achète de
La Trémoille une sorte de neutralité. — Mécontentement de la Pucelle. —
Conduite de la Pucelle à son arrivée dans un village. — Les jalouses pré-
cautions de sa pudeur. — Céleste parfum de pureté. — Les gens de savoir
émerveillés de ses réponses 93-96
II. — Départ d'Auxerre. — Soumission de Saint-Florentin. — Arrivée devant
Troyes. — Résistance de la ville. — Disette extrême de l'armée. — Le
conseil délibère de se retirer : raisons. — Avis de Robert le Maçon. —
Intervention de la Pucelle, ses engagements. — Merveilleuse diligence à
préparer l'assaut. — Soudain changement des dispositions de la ville. —
Soumission au roi et conditions. — Départ de la garnison; prisonniers
français délivrés par la Pucelle. — Le roi à Troyes 96-99
III. — En chemin pour Châlons. — Réception du roi. — Le roi à Sept-Saulx.
— Les capitaines anglo-bourguignons et les habitants de Reims. — Am-
bassade envoyée au roi. — Entrée de l'archevêque le matin, du roi le soir. 99-100
IV. — Les préparatifs du sacre. — La solennité avec laquelle est apportée la
sainte Ampoule. — Le sacre. — Attitude de la Pucelle. — Ses paroles. . . . 100-101
CHAPITRE V (p. 101-109).
LA CAMPAGNE d'aPRÉS LE SACRE.
1. — Séjour à Reims. — Pèlerinage à Saint-Marcoul. — Soumission spontanée
des villes. — Itinéraire par Vailly, Soissons, Château-Thierry, Provins. ... 102
H. — Bedford sort de Paris; bruit qu'il veut combattre le roi; semblant qu'il
en fait. — Charles VU l'attend vainement. — L'armée rangée en bataille
près de Lamothe-Nangis. — La cour et le roi veulent revenir au delà de la
Loire. — Passage de Bray-sur-Seine accordé, et intercepté à la grande joie
de nombreux seigneurs et capitaines. — Retour vers Château-Thierry et
marche vers Crépy. — Arrêt à Dammartin. ~ Allégresse des populations.
— Paroles de Jeanne 102-104
in. — Les deux armées en présence près de Dammartin se retirent après
666 TABLE DBS MATIÈRES.
dlnsignifianles escarmouches. — Sommation et reddition de Compiègne,
de Bcauvais. — Dedford, dont l'armée s'est accrue de troupes levées contre
les hussltes, vient sous Senlis. — Son arrivée signalée. — Il prend position
dans un lieu bien choisi pour le couvrir ; larmée française à Montépiiloy.
— Les armées s'observent durant -deux jours. — Escarmouche plus san-
glante au coucher du soleil. — Les deux armées se retirent 104-107
IV. — Charles VII à Compiègne, à Senlis ; Bedford en Normandie. — Les
gardiens de Paris. — Le roi à Saint-Denis. — Escarmouches avec les Pari-
siens. — Assaut tenté contre Paris; dispositions prises. — La Pucelie
blessée au grand contentement de ses envieux. — Elle refuse de se retirer.
--Il faut l'emporter. — Le roi accusé de ne pas vouloir conquérir Paris
par assaut. — Peu de morts 107-109
V. — Le départ décidé ; raisons ou prétextes. — Capitaines préposés à la
garde des places. — Saint-Denis repris par les Anglais , . 109
JOURNAL DU SIÈGE D'ORLÉANS, ET L'HISTOIRE DE LA PUGELLE
JUSQU'AU RETOUR DE PARIS.
REMARQUES CRITIQUES (p. 110-113).
CHAPITRE PKEMIEU (p. 113-119).
LA PUCELLE JUSQU'a SON ENTRÉE A ORLÉANS.
I. — Naissance et occupations de la Pucelie. — Ordre du Ciel. — Accueil de
Baudricourl. — Horrible pensée. — Comment dissipée. — Influence angé-
lique de la jeune fille . — Annonce de la défaite de Rouvray. — Baudricourt
gagné. — Compagnons de voyage, leurs craintes. — La Pucelie les rassure. 1 14-1 15
II. — Arrivée à Chinon : nombreux périls évités. — Desseins extrêmes agités
à la cour. — Récit des guides. — Première audience. — Réunion et avis
du grand conseil. — Examen : la personne de la Pucelie, annonce de la
défaite de Rouvray; révélation des secrets. — Nouvel examen à Poitiers;
sentence. — Armement, étendard, épée, maison de la Pucelie 115-117
III. — Anachronismes du chroniqueur : séjour à Blois. — Lettre aux Anglais.
— Courroux, dérisions, menaces des Anglais. — Le héraut retenu i 17-118
IV^ — Préparatifs militaires et religieux à Blois. — La marche par la Sologne
et arrivée à Chécy. — Les Orléanais prévenus. — Chaude escarmouche
pour favoriser l'entrée du convoi 119
CHAPITRE H (p. 119-129).
DKLIVR\NCK d'oRLÉANS.
1. — Dunois, des seigneurs et des bourgeois vont à la rencontre de la Pucelie
à Chécy. — Seigneurs qui retournent à Blois. — La Pucelie entrant à
Orléans. — Son escorte, universelle allégresse. — L'étendard. — Hôtel de
la Pucelie. 119-120
H. — Samedi : Escarmouche sans la Pucelie et sans résultat. — Réclamation
du héraut prisonnier. — Commission qu'en le renvoyant lui donnent les
Anglais. — Sommation orale de la Pucelie et réponse. — Dimanche : Dunois
part pour Blois. — La Pucelie se montre à la foule et parcourt la ville;
enthousiasme qu'elle excite. — Nouvelle sommation orale aux Anglais el
réponse. — Lundi : la Pucelie examine les positions anglaises. — Vêpres à
Sainte-Croix 120-122
TABLE DES MATIÈRES. 667
III. — .Mercredi : la Pucelle va au-devant du convoi et des hommes d'armes
qui arrivent de Blois. — Inaction des Anglais. — La bastille Saint-Loup
attaquée, emportée, brûlée. — Les Anglais de Saint-Pouair qui veulent la
secourir tenus en respect 122-123
IV. — Jeudi : délibération du conseil, préparatifs. — Vendredi : attaque
portée sur la rive gauche. — Abandon de la bastille Saint-Jean-le-Blanc.
— Prise de la bastille des Augustins. — On se prépare à Taltaque des
Tourelles 123-124
V. — Samedi : les Tourelles vaillamment attaquées et vaillamment défen-
dues. — Blessure de la Pucelle. — Elle s'oppose à la retraite. — Signe
qu^elle donne. — Attaque du côté de la ville. — Les Anglais cherchent un
refuge dans les Tourelles. — Le pont rompu. — Noyade. — Joie des
Orléanais. — Ce qu'affirmaient les prisonniers. — Les Tourelles gardées
pendant la nuit 124-127
VI. — Dimanche : l'armée française et l'armée anglaise en présence. — La
Pucelle opposée à la poursuite. — Retraite des Anglais. — Singulière déli-
vrance d un prisonnier. — Joie d'Orléans. — Actions de grâces 127-128
VIL — Départ de plusieui*s guerriers. — Départ de la Pucelle. — Reconnais-
sance des Orléanais. — Inventions faites durant le siège. — Accord entre
les bourgeois et les hommes d'armes 128-129
CHAPITRE 111 (p. 129-137).
CAMP.\GNE DE L.\ LOIRE.
I. — Expédition inutile contre Jargeau en Tabsence de la Pucelle 129-130
IL — La Pucelle presse le roi d'aller se faire sacrer à Reims. — Opposition
de la cour. — La Pucelle inlerrogée révèle ses entretiens avec les voix. —
Le voyage de Reims est décidé après la prise de plusieurs places sur la
Loire. — Le duc d'Alençon reçoit le titre de lieutenant avec ordre d'obéir
à la Pucelle. — Départ pour Orléans 130-13J
m. — Départ pour Jargeau. — - Fausse alerte. — Le siège. - Le duc d'Alençon
miraculeusement préservé par la Pucelle. — L'assaut. — Anglais abattu
par maître Jean. — Grosse pierre sur la tête de la Pucelle ; signe de vic-
toire. — Les Anglais forcés sur le pont. — Reddition de Suffolk. — Pri-
sonniers et tués. — Pillage de Jargeau. — Retour à Orléans 131-133
IV. — On accourt de toutes parts à l'armée de la Pucelle. — En marche
pour assiéger Baugency, i)rise du pont de Meung. — Entrée dans Bau-
gency. — Arrivée du Connétable et conditions imposées à son admission
dans l'armée. — Capitulation du château et du pont de Baugency. — Le
secours amené par Fastolf dirigé contre le pont de Meung. — Retraite à
l'arrivée de l'avant-garde française 134-13o
V. — L'armée française à la poursuite de l'armée anglaise. — Victoire de
Patay, morts, prisonniers. — Reddition de Jan ville. — Terreur des Anglais,
confiance des Français. — Le roi frustre l'attente des Orléanais. — La
Trémoille empêche l'admission dans l'armée du Connétable et de ses gens.
— Mécontentement 135-137
CHAPITRE IV (p. 137-142).
CA>1P.\GNE AVANT ET APRÈS LE S.\CRE.
I. — La reine amenée de Bourges à Gien. — Ramenée à Bourges. — Départ
du roi. — Seigneurs à sa suite 137-138
668 TABLE DES MATIÈRES.
II. — Tout ce qui est dans le Journal du siège est dans la chronique de la
Pucelle, mais pas réciproquement 138-139
III. — Le roi à Saint-Denis. —Jeanne à La Chapelle. — Attaque contre Paris.
— La Pucelle dans les fossés. — Elle est blessée sans cesser d'ordonner
que Ton comble les fossés. — Emportée de force. — Éloges donnés à son
courage. — On aurait pu prendre Paris. — 11 est arrêté qu'on reviendra
sur la Loire. — Le duc de Bourbon lieutenant générai 139-14!
IV. — Le chemin du roi dans sa retraite. — Arrêt à Gien. — Le roi abusé par
le duc de Bourgogne. — Rentrée à Bourges. — Les prédictions de la Pu-
celle. — Conclusion du chroniqueur 142
JEAN GHARTIER.
OBSERVATIONS CRITIQUES SUR LES PAGES QU'iL CONSACRE A LA PUCELLE (p. 143-446).
CHAPITRE PREMIER (p. 146-149).
LA PUCELLE JISQU'a SON ENTRÉE A ORLÉANS.
I. — La Pucelle : ses instances auprès de Baudricourt. — Objet de dérision.
— Elle finit par se faire conduire. — Comment elle se présente au roi, et
le reconnaît. — Sa mission d'expulser les Anglais. — Ses merveilleuses
réponses. — Le roi se détermine à l'envoyer ravitailler Orléans, et y com-
battre. — Formation du convoi et de l'escorte à Blois. — La Pucelle et le
convoi entrent à Orléans. — Pourquoi le plus grand nombre des guerriers
rentre à Blois. — L'épée de Fierbois 146-148
II. — Conseils tenus à Blois. — Le Bâtard fait décider qu'on reviendra à
Orléans et par la Beauce 149
CHAPITRE n (p. 149-154).
DÉLIVRANCE d'ORLÉANS.
I. — Second convoi amené à Orléans par la Beauce. — Jeanne va à la ren-
contre. — Entrée à Orléans par devant la grande bastille. — Attaque et
prise de Saint-Loup 1 49-1 50
II. — Conseil tenu, et Jeanne non convoquée. •=- Une fausse attaque combi-
née. — Jeanne appelée devine ce qu'on veut lui cacher. — Explications de
Dunois. — Les plans de Jeanne en opposition avec ceux des capitaines. —
Leur réussite. — Sa bonne grdce à cheval 150-152
III. — Incident de la prise des Augustins 152
IV. — Attaque des Tourelles. — Acharnement des assaillants et des défen-
seurs. — Confiance de Jeanne. — Sa blessure et sa persévérance à com-
battre. — Prise des Tourelles. — Morts et prisonniers. — Action de
grâce ; la nuit. — Inaction des Anglais de la rive droite. — Résolution de
lever le siège 152-153
V. — Retraite le dimanche matin. — Abandon d'une partie des bagages. —
Retraite sur Meung. — Conduite que leur fait La Hire 153 154
CHAPITRE m (p. 154-157).
CAMPAGNK DE LA LOIRE.
l. — Le duc d'Alençon libéré de sa prison et de la rançon exigée. — 11 se met
à la suite de la Pucelle avec une foule d'hommes attirés par le désir de
combattre sous sa direction. — Siège de Jargeau. — La ville emportée. —
TABLE DBS MATIÈRES. 669
Les trois frères La Poule. — Morts et prisonniers. — Prise du pont de
Meung. — Siège de Baugency. — La reddition de la ville. — Arrivée de
Richemont. — Secours qu'il amène. — Accroissement de l'armée. — Con-
fiance dans la Pucelle. — Abattement des Anglais, conditions accordées
aux Anglais de Baugency 154-156
IL — Nouvelles que Talbot est en Beaucc avec son armée. — Les éclaireurs
font connaître la marche. — L'armée se met à sa poursuite. — Victoire
de Patay. — Morts et prisonniers. — Fuite de Fastolf. 156-157
CHAPITRE IV (p. 157-16?.)
LA CAMPAGNE AVANT ET APRÈS LE SACRE.
L — Le roi mis par la Pucelle sur le chemin de Reims, malgré le conseil. —
La foi à la divinité de la mission de la Pucelle attire une foule de guerriers.
— Magnifique portrait de la Guerrière et de la Sainte. — Toute-puissance
et néfaste influence de La Trémoilïe. — 11 renvoie Richemont et bon
nombre d'autres 157-159
II. — Insignifiante paye aux hommes d'armes. — La Pucelle précède le roi.
— Guerre aux femmes de mauvaise vie et épée brisée. — Composition
d'Auxerre et mécontentement de la Pucelle. — Chartier ne fait que résu-
mer la Chronique de la Pucelle 159-160
III. — Entrée du roi à Compiègne, à Senlis ; Bedford en Normandie. — Le
roi à Saint-Denis. — Jeanne à La Chapelle. — Attaque contre Paris. —
Jeanne presse Tassant. — Elle est blessée. — Jeanne suspend ses armes
devant le corps de saint Denis 160-162
CHAPITRE V (p. 162-169).
RETRAITE AU DELA DE LA LOIRE. — CE QUE CilARTlER DIT ENCORE DE LA PUCELLE.
I. — Lagny fait sa soumission au roi. — Loré en est fait capitaine. — Capi-
taines nommés à la garde des villes récemment soumises. — Le roi quitte
Saint-Denis. — L'armure complète de la Pucelle suspendue dans la basi-
lique. — Itinéraire du retour. — Saint-Denis repris par les Anglais. —
Ils enlèvent l'armure de la Pucelle. — Universel brigandage. — Le pays
appauvri. — Secours envoyé par le roi 162-164
IL — La Pucelle reprend Saint-Pierre-le-Moustier, échoue devant La Charité. 104
III. — Efforts des Anglais contre Lagny. — La Pucelle y revient. — Ren-
contre avec les Anglais. — Victoire de la Pucelle 164-165
IV. — Siège deCompiègne. — Jeanne se jette dans la place assiégée. — Ver-
sions différentes sur sa prise. — Indication sommaire des étapes de son
martyre. — Le brisement de son épée 1 65- 1 66
Appendice. — Particularités relevées dans la Chronique latine de Chartier. . 166-169
LA DOUBLE CHRONIQUE DE LA MAISON D'ALBNÇON
PAR PERCE VAL DE CA6NT.
LE DUC d'alençon (p. 170-174.)
CHAPITRE PREMIER (p. 174 179).
DE LA VENUE DE LA PUCELLE A LA DÉLIVRANCE d'oRLÉANS.
I. — Arrivée de la Pucelle à Chinon. — Étonnement causé par son merveil-
leux langage sur Dieu et sur la guerre. — Elle est examinée. — Équipée
670 TABLE DES MATIÈRES.
mililairement. — Abattement de la cour avant son arrivée. — Impossibi-
lité de ravitailler Orléans réduit à la famine. — Personne n'ose l'essayer.
— Jeanne s'offre. — Son étendard 174-176
H. — Convoi formé à Blois. — Escorte. — Orléans ravitaillé. — Second con-
voi par la Beauce. — Il est introduit sans obstacle 176
m. Préparatifs de l'attaque contre Saint-Loup. — Les capitaines chargés de
contenir les Anglais. — La bastille enlevée en face des Anglais impuis-
sants. — Ils n'osent plus s'ordonner en bataille. — Attaque des Augustins.
— Peu de gens suivent la Pucelle. — La bastille enlevée. — Les vainqueurs
passent la nuit sur le champ de bataille. — Combien les Tourelles étaient
fortes. — Glacidas. — Attaque et défense acharnées. — Elles sont enlevées. —
Glacidas noyé. — Perte des vainqueurs. — Les ponts merveilleusement
restaurés. — Les Anglais spectateurs inactifs des exploits de la Pucelle. —
Fuite des Anglais 176-179
CHAPITRE II (p. 179-184).
CAMPAGNE DR LA LOIRE.
I. — Jeanne a pour mission de délivrer le duc d'Orléans, dut-elle passer en
Angleterre. — Raisons de ses préférences pour le gendre du captif, le duc
d'Alençon. — Séjour de trois ou quatre jours dans sa famille. — La Pucelle
veut conduire le roi à Reims malgré l'opposition de la cour. — Ses pro-
messes; elle propose au duc d'Alençon de prendre Jargeau. — Les sei-
gneurs convoqués près de Romorantin 180- 181
II. — Siège de Jargeau, le 11 juin. — Assaillants et défenseurs. — Impru-
dence des milices communales. — Sommation à la place. — Disposition
de l'artillerie. — Étendard de la Pucelle. — Assaut durant quatre heures.
— La place emportée. — Les pertes des deux côtés. — Retour à Orléans.
— Admiration des capitaines pour la Pucelle 181 -182
m. — Départ pour lîaugcncy. — Composition de l'armée. — Couchée à
Meung. — Attaque de Raugency, le 16, à midi. — Arrivée du Connétable;
il est tenu en disgrâce par le lout puissant La Trénioille. — Baugency capi-
tule par crainte de la Pucelle i 82- 1 83
\\-. — Nouvelles de rapproche do Talbot. — Les Anglais de Meung grossis-
sent son armée. — Retraite sur Janville. — La Pucelle à sa poursuite. —
Victoire de Palay. — Morts et prisonniers. — Le dimanche matin, 19, passé
à Patay. — Tristesse de Richemont. — Retour à Orléans. — Actions de
grâces. — La Pucelle proclamée instrument de Dieu 183-184
CHAPITRE m (p. 184-180).
LA CAMPAGNE DU SACRE.
I. — Arrivée à Gion le 2t juin. — Grande fête à la Pucelle. — Enthousiasme
universel provoqué par les merveilles inouïes qu'elle a accomplies. — Son
chagrin des tergiversations du roi qu'on détourne du voyage de Reims. —
Elle prend les devants, entraînant le gros de l'armée à sa suite I84-18o
II. — Le roi se détermine à la suivre le 29 juin. — Soumission des forte-
resses des deux cùtés de la route. — Arrivée à Troyes, le 8 juillet. — Sou-
mission. — Séjour jusqu'au 12. — La manière dont la Pucelle somme les
villes et en ohtient la soumission. — Arrivée à Chàlons le 14. — Départ
le 1*) lH:;-i8G
TABLE DES MATIÈRES. 671
m. — Entrée trîomphanle à Reims. — Préparatifs du sacre. — Le sacre le
i 7 juillet. — • Les fonctions du duc d'Alençon. — Séjour à Reims jusqu'au
21 juilIeL — A Saint-Marcoul le 21 186
CHAPITRE IV (p. 186-193).
LA CAMPAGNE APRÈS LE SACRE.
L — La Pucelle veut rendre le roi maître de Paris et du royaume. — Grandes
conquêtes après le sacre. — Le roi à Soissons, du 23 juillet au 28. — Pau-
vreté de la ville. — Le 29 passé devant Château-Thierry; entrée le soir.—
Le l*"" août, arrivée à MontmiraiL — Le 2 à Provins et séjour jusqu'au 5.
— Le 7 à Coulomniers. — Le 10 à La F'erté-Milon. — Le 11 à Crépy. —
Le 12 à Lagny-le-Sec ; le 13 aux champs près de Dammartin. — Diligence
de la Pucelle pour amener la soumission des villes i 86- 188
il. — Le 14, les armées française et anglaise en présence près de Senli-.
— Escarmouches. — Le 15, dispositions de conscience en vue d'une
grande bataille. —Les Anglais fortiliés à la Victoire. — Escarmouches toule
la journée. — Provocations de la Pucelle. — Proposition de laisser aux
ennemis l'espace pour se déployer. — Refus des Anglais. — Le roi à Mon-
tépilloy, sa suite. — Il se retire à Crépy. — La Pucelle et l'armée attendent
Bedford qui se retire à Paris. — Le roi à Compiègne le 18. — Reddition
de Sentis. — Le roi semble fatigué de conquérir. — Tristesse delà Pucelle.
— Elle part pour Paris et entre à Saint-Denis le 26. — Bedford quitte
Paris pour défendre la Normandie 188- 190
111. — Escarmouches plus que quotidiennes contre Paris à partir du 26 août.
— La Pucelle observe la situation de la ville. — Messages au roi de venir.
— Double voyage du duc d'Alençon pour l'entraîner à Saint-Denis. — Joie
causée par son arrivée, le 7. — Persuasion universelle que la Pucelle lui
donnera Paris. — Attaque de Paris le 8. — Dispositions. — Long assaut. —
Bruyanledéfense;pas de morts, blessure sans suites graves. — Merveilles.
— La Pucelle blessée ne fait que presser l'assaut plus vivement. — Elle est
ramenée malgré elle. — Retraite à La Chapelle. — Le lendemain la Pucelle
veut recommencer l'assaut. — Montmorency et 50 ou 60 gentilshommes
viennent se mettre à la suite de la Pucelle. — Ordre du roi de venir à
Saint Denis. — Chagrin de la Pucelle. — Obéissance. — Le pont jeté sur
la Seine coupé. — Délibération du conseil. — Désir du roi de revenir sur la
Loire. — Départ le 13 septembre. — Profond chagrin de la Pucelle. — Elle
suspend ses armes à Saint-Denis. — Arrivée à Gien le 21 septembre. —
Dispersion de l'armée 190-193
CHAPITRE V (p. 193-199).
LV SUITE DE l'histoire DE LA PUCELLE JUSQU'a SON SUPPLICE.
I. — La faveur dont le duc d'Alençon jouissait auprès de la Pucelle. — 11
demande en vain de l'amènera la conquête de la Normandie. — Combien
il fut peu sensé d'arrêter les conquêtes de la Pucelle. — Ses incroyables
exploits: ce qu'elle a fait en quatre mois. — Inaction du roi. — Il relient
la Pucelle auprès de lui. — Tristesse de l'héroïne. — Conquête de quelques
places. — Échec devant La Charité. —Les causes 193-195
II. — La Pucelle mécontente quitte la cour sans prendre congé du roi. —
Son arrivée àLagny. — Elle taille en pièces une compagnie d'ennemis. —
672 TABLE DES MATIÈRES.
EfTroî dans Paris. — Les villes dans lesquelles elle séjourne. — Le siège
de Compiùgno. — La Pucelle se jette dans la ville le 24 mai. — Engage-
ment. — Embuscade, comment elle est prise 195-197
m. — Prison de la Pucelle. — Elle est vendue aux Anglais. — Ce qu^elle dit
des villes qu'elle a rendues au roi. — Prisonnière à Rouen. — Combien les
Anglais désirent la trouver coupable. — Leurs incriminations. — La sen-
tence et lexéculion 197-198
IV. — Toute-puissance de La Tréinoille. — Comment et par qui il est ren-
versé. — Inaction du roi à partir de Saint-Denis et surtout du supplice de
la Pucelle. — Elle seule a fait les conquêtes. — Ce que par pusillanimité
Charles VU a sacrifié au traité d'Arras. — Le roi et les princes du sang étant
inactifs, la défense armée revient à de simples chevaliers «98-190
LE GREFFIER DE LA ROCHELLE.
REMARQUES CRITIQUES (p. 200-201).
CHAPITRE PREMIER (p: 20^205).
LA PUCELLE JUSQU'A SON ENTRÉE A ORLÉANS.
I. — Arrivée de la Pucelle. — Son âge, son pays, son costume. — Vains
efforts pour la tromper sur la personne du roi. — Explications qu elle donne
sur son passé 202-203
II. — L'examen auquel elle est soumise ne révèle rien que de favorable. —
Son amour de la confession et de la communion, son incroyable abstinence.
— Elle émerveille les docteurs de Poitiers. — Gardée auprès de la dame
Rabateau. — Détails sur l'épée de Fierbois. — Armée, elle excelle dans;
les exercices guerriers, et spécialement dans le maniement du cheval. —
Sa lettre aux Anglais; sa sainte vie; son zèle à faire confesser la cour. . . 204- 20d
CHAPITRE 11 (p. 20O-207).
DÉLIVRANCE d'oRLÉANS.
I. — Préparation du ravitaillement d'Orléans. — Introduction sans obstacle
d'un double convoi par la Sologne et par la Deauce. — Prise de la bastide
Saint-Loup 20o- 206
II. — Préparation religieuse à l'assaut contre la bastille des Auguslins. — La
bastille est emj)orlée. — Le lendemain, conquête des Tourelles. — Les dé-
fenseurs, Glacidas, noyade. — Longueur de l'assaut. — Émerveillement de<
guerriers après une conquête qui semblait impossible. — Attitude de la
Pucelle. — Son courage malgré une grave blessure. — Sommation à Talbot.
— Départ des Anglais. — Processions à La Rochelle 206-207
CHAPITRE m (p. 207-208).
LA CAMPAGNE DE LA LOIRE.
1. — Le greffier affirme à tort que le roi se rendit à Orléans avec la Pucelle.
— Siège de Jargeau. — SuiTolk ne veut se rendre qu a la Pucelle. — Nom-
bre des défenseurs d»» Jargeau d'après Suffolk. — Reddition de Baugency.
— Les conditions 207- 2"8
H. — V'ictoire de Patay. Les morts et les prisonniers. — Le nombre des com-
battants de l'armée française, d'après une lettre du roi. — Détails intéres-
sants sur la manière dont à La Rochelle on rendit grâces à Dieu 208
TABLE DES MATIÈRES. 673
CHAPITRE IV (p. 209-212).
LA CAMPAGNE DU SACRE.
I. — Arrivée devant Troyes et résistance. — Détails non rapportés ailleurs
sur la médiation et le rôle de Tévêque, sur le Frère Richard, sa première en-
trevue avec la Pucelle et ce qu'il en dit aux habitants. — Soumission et
excuses des Troyens. — Conditions faites par le roi. — Ordre très sévère
de respecter biens et personnes. — Soummission de plusieurs villes. — Ce
que, du haut des remparts, les Troyens voyaient ou croyaient voir à lasuite
de Tarmée royale 209-21 1
II. — Le sacre. — Solennité. — Les pairs ecclésiastiques et laïques. — Ma-
nière dont la sainte ampoule est apportée. — Durée de la cérémonie. —
Enthousiasme universel. — La Pucelle près du roi. — Dignités conférées.
— Le duc de Bourgogne à Laon ; ses ambassadeurs à Reims ; ses perfides
propositions 211-212
CHAPITRE V (p. 212-213).
CAMPAGNE APRÈS LE SACRE.
I. — Le roi devant Paris. — Escarmouches, attaque ; blessure de la Pucelle.
— Retraite. — Matériel de guerre des Parisiens et miraculeuse préservation
des assiégeants. — Terreur à l'intérieur delà ville. — Le roi se retire, faute
de vivres. — Dispositions préalables 212-213
II. — Martyre de la Pucelle 213
LA CHRONIQUE DE TOURNAT.
REMARQUES CRITIQUES (p. 214-215).
CHAPITRE PREMIER (p. 216-221).
LA PUCELLE JUSQU AU DÉPART POUR ORLÉANS.
1. — Conquêtes des Anglais en France et impuissance des Français à les
arrêter. — Instant recours du roi au Ciel. — Les Anglais devant Orléans. —
Ils veulent réduire par la famine la ville qu'ils ne peuvent emporter de vive
force. — Circonvallation et contrevallations. — Les Orléanais réduits à
l'extrémité. — Leurs supplications au ciel 216-217
U. — Faiblesse de l'instrument choisi par Dieu pour mettre fin à tant de maux
et les raisons de ce choix. — Erreur du chroniqueur sur le lieu de nais-
sance de la Pucelle, et sa première condition. — Les déclarations de la
Pucelle au roi. — Incrédulité de celui-ci. — U s'entoure de conseils. —
Réponse à la consultation et conduite à tenir. — Les motifs. — L'examen
le plus attentif ne découvre que bien dans la Pucelle. — Le roi se prépare
à la mettre à l'œuvre 217-219
U. — La lettre de la Pucelle aux Anglais 219-221
CHAPITRE H (p. 221-224).
DÉUVRANCE D*0RLÉANS.
0
L — Attente à Bloîset départ. — L'étendard de la Pucelle. —L'escorte. — Le
convoi. — Jeanne trompée sur la route à suivre. — Son mécontentement.
HL 43
674 TABLE DES MATIÈRES.
— Ordre de retourner à Blois et de revenir par la Beauce. — Retour, se-
cond convoi introduit sans obstacle, malgré les Anglais rassemblés 221-222
H. — Attaque de Saint-Loup. — Dispositions prises par la Pucelle. — La vic-
toire. — Le butin 222
IIL — Attaque du côté de la Sologne. — Retraite simulée. — Retour. —
Prise d une bastille. — Trois bastilles évacuées par les Anglais 222-223
IV. — Préparatifs de nuit pour assaillir les Tourelles. — Combien elles sont
fortes. — Combat d'un jour entier. — Blessure de la Pucelle. — Son trai-
tement. — Sa prière. — Assaut victorieux. — Les Anglais tués et noyés.
— Butin. — Rentrée à Orléans. — Les pertes des Français. — Double
prodige 220-224
V. — Fuite des Anglais. — Leurs derrières inquiétés. —La Pucelle fait cesser
la poursuite. — Butin 224
CHAPITRE 111 (p. 225-229).
U SUITE DE l'histoire DE LA PUCELLE SOMMAIREMENT INDIQUÉE.
I. —Le roi et la Pucelle se rencontrent à Tours. —L'entrevue. — Convocation
des capitaines et assertions erronées du chroniqueur. — Conquête de Meung,
de Baugency. — Victoire de Patay. — Tant de succès rapportés à Dieu. . . . 225-226
U. — Bref exposé de la marche vers Reims. — Longue station du roi dans
réglise Notre-Dame, le matin du sacre. — Hommage des seigneurs. —
Création de contes et de chevaliers 227
IIL — Nombreuses villes qui se déclarent pour Charles Vil durant sa marche
vers Paris. — Facilité de conquérir tout son royaume. — Il fait faire à
Saint-Denis un service pour son père. — Paris unique objectif de la
Pucelle. — Sa profonde peine de se voir traversée. — Troupes retirées
durant Tattaque contre Paris. — Retraite du roi malgré la Pucelle. — Son
inaction et le mécontentement de la Pucelle 227-228
IV. — Forces considérables avec lesquelles le Bourguignon reprend la guerre
après Pâques. — Portugais. — Siège et blocus de Compiègne. — Prise de
la Pucelle. — Sa prison à Beaulieu et à Beaurevoir 228-229
V. — Tentative d'évasion. — Terrible accusation contre quelques capitaines
français. — Unique prétexte de condamnation 229
THOMAS BASIN. - SES CHAPITRES SUR LA PUCELLE
(p. 230-231).
CHAPITRE PREMIER (p. 231-234).
L.\ PLCELLE. — SON ADMISSION PAR LE ROI.
l. — Jeanne. — Son pays d'origine. — Sa piété. — Elle déclare être chargée par
le Ciel de messages publics et secrets auprès du roi. — Le nom de la Pu-
celle devenu son nom. — Mépris de ses ouvertures par le capitaine Bau-
dricourt. — Ce qui le fait changer de sentiment; il conduit la Pucelle au
roi. — Durant trois mois, le roi, d'après Hasin, refuse de lui parler.
— Entretiens avec l'entourage du princie. — Instances. — Promesses
et menaces. — L'état désespéré des affaires, motif de ne pas la rejeter
sans l'entendre. — Entretien secret de deux heures avec le roi. — Révéla-
tion de profonds secrets. — Convocation de la milice, la Pucelle mise à la
tête de l'armée. — Sa bannière 231-234
TABLE DES MATIÈRES. 675
CHAPITRE II (p. 234-237).
DÉUVRANCE D*0RLÉAN8 ET CAMPAGNE DE LA LOIRE.
I. — La Pucelle veut délivrer Orléans. — D'après Basin, elle aurait com-
mencé par Taltaque de Tourelles. — Manière dont, d'après lui, elle s'en
serait emparée. — Glacidas et ses compagnons tués, brûlés, noyés. — Cou-
rage des Français. — La terreur précédente du nom anglais changée en
une vaillante hardiesse de les expulser. — Ils fuient après quelques nou-
veaux succès des Français. — Le nom de la Pucelle célébré dans toute la
France. — Il glace les Anglais de terreur 234-236
II. — Les Français ranimés s'emparent de Jargeau. — Abandon de Meung et
de Baugency et fuite des Anglais. — Les Français à leur poursuite. —Vic-
toire de Patay et ses suites. — Fastolf 236-237
CHAPITRE lit (p. 237-239).
AVANT ET APRÈS LE SACRE.
D'après Basin, c'est du roi que serait venue la résolution de se faire
sacrer à Reims et couronner à Saint-Denis. — Rôle qu'il prête à Leguisé,
évoque de Troyes. — Sacre à Reims, couronnement à Saint-Denis. — Ma-
nière dont il raconte l'attaque contre Paris. — Raisons qu'il donne du
départ de Paris. — Il place après l'attaque contre Paris, la campagne de
nie-de-France 237-239
CHAPITRE IV (p. 239-243).
CAPTIvme DE U PUCELLE. — SON PROCÈS. — 80!l 8UPPUCE.
JUGEMENT DE l'hISTORIEN.
I. — Jeanne au siège de Compiègne. — Elle est prise et vendue aux Anglais.
— La cour anglaise délibère sur le sort à lui infliger. — Le procès. — Sa
longueur. — Tribunal. — Interrogatoire. — Admiration qu'excitent les
réponses de l'accusée. — Parti pris des interrogateurs. — Beau tableau de
la vie de Jeanne. — Impossibilité d'un soupçon contre sa virginité. — La
raison du port de l'habit masculin 239-240
II. — Impossibilité d'échapper à une condamnation. — La persuasion des
Anglais. — Ce que l'on rapporte de sa rétractation, des reproches des Saintes.
— Condamnée comme relapse. — Foule qui accourt à son supplice. — Sa
sainte mort. — Ses cendres jetées à la Seine. — Le motif 241- 242
III. — Jugement de Basin sur la Pucelle. — Sa réserve. — Il dit hardiment
qu'elle n a été convaincue d'aucune erreur contre la foi. — Nullité du pro-
cès de condamnation. — Son Mémoire. — Mémoires de nombreux savants
consultés pour la réhabilitation. — Leur conclusion. — La (in de la Pucelle
n'est pas une objection contre la divinité de sa mission. — Ainsi ont fini
le Rédempteur, les Apôtres, les Martyrs. — Dieu a pu la permettre à cause
des péchés du roi ou du peuple, de leur ingratitude, de leur orgueil. — La
corruption des mœurs à cette époque. — Dieu s est souvent servi des
femmes pour un rôle de consolation. — Liberté d appréciation concédée
par Basin 242-243
676 TABLE DES MATIÈRES.
GILLES LE BOUVIER, DIT LE HÉRAULT BERRT
ET SA CHRONIQUE (p. 244-245}.
LA PUCELLE D APRÈS LE HÉRAUT BERRY (p. 245-253].
I. — La Pucelle arrive et est examinée durant le carême. — Avis des doc-
teurs. — Elle est équipée 246
II. — Le héraut de la Pucelle envoyé aux Anglais emprisonné en attendant
d'être brûlé. — Fausse assertion qu'après son entrée à Orléans la Pucelle
serait revenue à Blois. — Prise de la bastille Saint-Loup. — Inutiles efforts
des Anglais pour la secourir. — Erreur du chroniqueur sur le jour de la
prise des Augustins. — Attaque des Tourelles. — Un jour entier de com-
bat. — Anglais pris, tués, ou noyés. — Fuite des Anglais 246-248
III. — Les Anglais dispersés à Jargeau, Meung et Baugency. —Secours envoyé
par Bedford. — Prise de Jargeau, de Baugency. — Retraite de Tarmée
anglaise vers Janville. — Taillée en pièces à Patay 248 -249
IV. — La Trémoille fait congédier Richemont et de Pardiac. — Le roi en se
rendant à Reims reçoit Tobéissance de Troyes, de Ch&lons. — Solennité
du sacre 249
V. — Nom des principales villes parcourues par le roi après le sacre. — Les
armées anglaise et française en présence à Thieux et auprès de Senlis. —
Quelques particularités sur cette dernière journée. — Séjour à Compiègne.
— Fallacieuses promesses de Jean de Luxembourg^ — Le roi à Saint-Denis.
— La Trémoille fait retirer Tarmée lors de Tassant contre Paris- — Bed-
ford vole au secours de la Normandie. — Itinéraire du roi dans son retour
vers la Loire. — Duplicité du duc de Bourgogne. — Sauf-conduit qui lui
donne facilité pour traiter avec le duc de Bedford 249-251
VI. — Sens et Melun se rendent français. — La Pucelle empêchée par La
Trémoille de combattre en Normandie avec le duc d'Alençon. — Échec
contre La Charité. — Couronnement du roi d'Angleterre, en Angleterre. —
Mariage du duc de Bourgogne. — Échec d'un complet pour remettre Rouen
au roi 251 -252
Vil. — Siège de Choisy, près Compiègne, par le duc de Bourgogne. — Prise
de Château-Gaillard. — La Pucelle va passer par Soissons pour revenir à
Choisy. — Intrigue du capitaine pour ne pas laisser entrer la troupe de la
Pucelle. — Trahison du capitaine de Soissons. — Prise de Choisy. — Siège
de Compiègne. — La Pucelle prisonnièreet vendue aux Anglais 252-253
MATHIEU THOMASSIN (p. 254-256).
LES PAGES DU MATHIEU THOMASSIN SUR LA PUCELLE (p. 256-267).
L — Pourquoi Charles Vil ne fut ni sacré ni couronné à la mort de son
père. — Les titres qu'il prenait. — Les moqueries de ses ennemis. — Dau-
phinois tués à Verneuil et les souvenirs mortuaires. — La France serait
devenue anglaise sans la Pucelle 257
11. — Pays d'origine de la Pucelle. — Quelques traits de son extérieur à son
arrivée à Chinon. — Elle parlait peu. — Les noms qu'elle donnait à
Charles Vil. — D'abord moquée. — Prophétie de Merlin et développements
qu'on lui donne. — Les clercs réunis en conseil et leur décision. — Obser-
vations faites sur la Pucelle ; renseignements ; combien favorables. — Signe
qu'elle a promis devant Orléans. — La Pucelle armée et à cheval. —
Lettres au roi d'Angleterre, aux hommes d'armes, aux capitaines, à Bed-
TABLE DES MATIÈRES. 677
ford. — Sa marche contre les Anglais inexpugnables à Orléans. •— Résolu-
tions désespérées agitées dans le conseil du roi. — Les exploits de Jeanne
merveilleux et comme impossibles. — Prédilection de Dieu pour la France.
— Mission de la France. — La Pucelle, le plus grand signe des prédilec-
tions de Dieu 258-262
lU. — La Chronique rimée de la Pucelle par Christine de Pisan. — Pourquoi
Thomassin choisit de la citer plutôt qu'une autre. — Christine de Pisan :
Reconnaissance à Dieu, ineffable reconnaissance due à la Pucelle. — La
Pucelle rapprochée de Moïse, de Josué, de Gédéon, des femmes de la Bible.
— Supériorité de la Pucelle. — Elle a été prophétisée, elle est Thonneur
du sexe féminin. — Apostrophe aux Anglais. — Leur règne est fini. — La
Pucelle au-dessus de tous les preux. — Sa mission est de rétablir partout
la foi. — Apostrophe aux Français renégats de leur pays. — Le sacre. —
Impuissance de la force et de la ruse pour arrêter la Pucelle 262-266
IV. — Raisons pour lesquelles Thomassin a parlé de la Pucelle. — Injures
et menaces des Anglais contre la Pucelle. — Si elle meurt avant que sa
mission soit finie, cette mission n'en sera pas moins accomplie. — Révé-
lations de secrets au roi. — La Pucelle trahie devant Compiègne. — Ses
merveilleuses réponses aux allégations portées contre elle. — L'on raconte
choses merveilleuses de son procès et de sa mort. — Regrets de l'auteur.
— Quelques autres lignes de Thomassin sur la Pucelle 266-267
LIVRE III
PARTI FRANÇAIS — LA LIBÉRATRICE D*APRÉS DES CHRONIQUES PARTICULIÈRES
DES LETTRES ET AUTRES DOCUMENTS
CHAPITRE PREMIER (p. 27i 274).
LA CHRONIQUE DU MONT-SAINT-MICHEL. — l' « ORDO » DE CHALONS.
I. — La Chronique du Mont-Saint-Michel. — Les deux points intéressants
qu'elle renferme. — Le texte 271-273
II. — Une note dans un Ordo de Châlons du xv« siècle. — Les années où la
fête de TAnnonciation tomhe le Vendredi Saint marquées par des événe-
ments extraordinaires : ce fut le cas Tannée où parut la Pucelle 273-274
CHAPITRE H (p. 274-278).
PIERRE SALA.
I. — Le livre des Hardiesses des rois. — L'auteur. — La nature des secrets
n'a pu être dévoilée que fort tard. — Le passage de Sala publié par Labbe. 275-276
n. — Dieu secours de nos rois dans leur détresse. — La Pucelle fut ce secours
pour Charles VII réduit à un état désespéré. — 11 n'y avait de succès que
pour les entreprises qu'elle inspirait, souvent contre l'avis des capitaines.
— Ce qui détermina Charles VII à l'admettre. — Voie par laquelle Sala a
connu la nature des secrets révélés. —Prière secrète, mentale, de Charles VII,
dans l'extrémité de ses malheurs, révélée par la Pucelle. — La fausse
Jeanne d'Arc démasquée par suite de ce secret révélé 276-278
^
678 TABLE DES MATIÈRES.
CHAPITRE III (p. 278-285).
L'aBRÉVIATEUR du <f PROCÈS ».
I. — Quand et dans quelles circonstances a écrit TÂbréviateur du Procès. —
L'unique manuscrit de son œuvre. — Méprise de Tabbé Dubois réfutée par
Quicherat. — L'histoire de la Pucelle mise en tète de VAbrégé du Procès.
— Parties plus remarquables. — Début de TAbréviateur sur l'intérêt sans
pareil de l'histoire de la Pucelle 279-280
II. — Sources d'information de l'auteur sur la nature des secrets. — Entre-
tien particulier avec la Pucelle conseillé au roi. — II a lieu. — Triple
requête faite mentalement à Dieu par le roi, le jour de la Toussaint. — Effet
sur le roi de cette manifestation 280-281
m. — Iniquité de la condamnation de la Pucelle, et la part prépondérante qui
en revient à l'Université de Paris. — Sentiment contraire de Gerson. —
Tout prospérait par les conseils de la Pucelle et rien sans elle. — Profonde
haine que l'envie fait concevoir à quelques capitaines. — De Lagny la
Pucelle se jette dans Gompiègne assiégé. — Elle prend part à une sortie
faite contre son sentiment. — Le signal de la retraite donné. — Fuite pré-
cipitée. — La presse empêche la Pucelle de franchir la barrière. — Elle est
prise. — Ce qui semble confirmer le sentiment qu'elle a été livrée par un
Français. — Sa captivité à Beaurevoir 281 -283
IV. — Combien le gouvernement anglais désirait posséder la Pucelle. — Résis-
tance de Luxembourg. — L'évêque de Beauvais sommé de réclamer la
Pucelle et de lui faire un procès en matière de foi. — Il consulte l'Univer-
sité de Paris qui lui en fait un devoir, et intervient par ses lettres à Luxem-
bourg. — Notification juridique de ces lettres. — La Pucelle livrée et mise
aux fers à Rouen 283-284
V. — Gauchon appelle à le seconder dans son procès les sommités de la
cléricature. — Demande et concession de lettres de territorialité. — Les
prisons ecclésiastiques iniquement refusées. — L'animosité de Gauchon et
du tribunal comparée à l'animosité de Gaïphe et du Sanhédrin contre
Notre-Seigneur 284-28o
GHAPITRE IV (p. 286-292).
ALAIN BOUCUARD ET l'aLTEUR DU « MIROIR DES FEMMES VERTUEUSES )).
I. — Alain Bouchard. — Les Grandes Annales de Bretagne. — Les points
principaux sur la Pucelle. — Le Miroir des femmes vertueuses 286-287
II. — La Pucelle interrogée avant d'être présentée au roi. — Elle le reconnaît
et demande un entretien à part. — Attitude du prince. — Révélation de la
prière absolument secrète 287-288
m. — Sagesse des plans de la Pucelle. — Jalousie qu'elle provoque. — La
Guerrière. — La Sainte. — Raison de l'habit viril 288-289
IV. — La Pucelle à Gompiègne. — Vendue par Flavy. — Annonce de sa
prise. — Barrières fermées. — Fin de Flavy 289-290
V. — Injuste condamnation de la Pucelle. — Iniquité du procès. — Appel
au Pape. — Ses cendres jetées au vent 290-292
GHAPITRE V (p. 292-296).
JEAN BOUCHET, JEAN LE FÉRON ET JACQUES GELU.
I. — Jean Bouchet, ses Annales d'Aquitaine 292
IL — La Pucelle à Vaucouleurs, à Domrémy, à Ghinon. — Le surnom de la
TABLE DES MATIÈRES. 679
Pucelle. — Informations. — Examen. — Présentation au roi. — Entretien
secret. — Impression du roi. — Nature des secrets révélés. — L*épée de
Fierbois. — Le montoir de Poitiers. — La sainteté de la Pucelle 293-204
m. — La Pucelle à Compiègne. — Vendue par Flavy. — Prétexte pour la
faire sortir. — La Pucelle prédit qu'elle est vendue et sera prise. — La
sortie. — La retraite fermée par Flavy. — Fin des prospérités de TAnglais.
— Traité de Gerson et d'Henri de Gorkum. — Épitaphe de la Pucelle.. . . . 294-295
IV. — Note de Le Féron sur le séjour de la Pucelle à Compiègne. — Corres-
pondance de Jacques Gelu 296
CHAPITRE VI (p. 296-311).
CHRONIQUE DE LA DÉLIVRANCE d'ORLÉANS ET DE LA FETE DU 8 MAI ET AUTRES DOCUMENTS.
JEAN DE MAÇON. — GUILLAUME GIRAULT.
1. — La Chronique de la délivrance d'Orléans et la Fête du 8 mai. — Manus-
crits qui la contiennent. — Diverses éditions dans les cinquante premières
années de ce siècle. — Temps où elle a dû être écrite. — Le très sage
homme Jean de Mâcon 297-299
IL — Pays d'origine, date de la naissance de Jean de M&con. — Sa grande
réputation de savoir. — Ses manuscrits. — Est-il l'auteur de la Chronique? 299-301
ilL — Texte : L'expédition de Salishury décrétée en Angleterre. — Promesse
faite au duc d'Orléans. — Début de la campagne 301
IV. — Quelques détails sur la conquête, par les Anglais, du Portereau, des
avant-postes des Tourelles, des Tourelles elles-mêmes. — Le coup qui
frappe Salishury. — C'est un châtiment. — Retraite momentanée de quel-
ques capitaines. — Ils reviennent. — La journée des Harengs. — Effroi des
nouveaux auxiliaires. — Ils se retirent 302-303
V. — La Pucelle. — Ses débuts à Domrémy, Vaucouleurs, Chinon. — Effet
produit à Orléans par son annonce. — Introduction du premier convoi.
Itinéraire. — Difficultés surmontées. — La Pucelle dans Orléans. — Som-
mation aux Anglais. -^ Réponse prophétique aux insultes de Glacidas. —
Elle assiste aux premières vêpres de la fête de la Croix. — Son entretien
avec Jean de Mâcon 303-304
VI. — Introduction du second convoi. — Détails sur la prise de Saint-Loup
le 4 mai. — Le lendemain fête de l'Ascension. — Détails sur la prise des
Augustins et le bivouaquement des vainqueurs. — Préparatifs de l'assaut
des Tourelles. — Attaque sur la double rive. — Ce qui se fait du côté de la
ville. — Un colombeau blanc sur l'étendard de la Pucelle. — Miraculeuse
facilité de l'escalade. — Mort de Glacidas. — Prisonniers, détails sur la
fuite des Anglais 304-307
VIL — Réception de la Pucelle par le roi. — Briève indication de la cam-
pagne de la Loire. — Merveilleux effet produit sur les deux partis. — Faci-
lité pour recouvrer tout le royaume 307-308
VIU. — La Fête du 8 mai établie d'un consentement unanime. — Programme
arrêté. — Apparition de saint Aignan et de saint Euverte. — Fête sem-
blable à Bourges et dans de nombreuses églises, et justement. — Parcours
de la procession. — Combien il faut être fidèle à s'y rendre. — Accord
entre les hommes d'armes et les bourgeois 308-309
IX. — Le notaire Guillaume Girault. — La délivrance consignée par lui entre
deux minutes. — Combien fut miraculeuse et divine la mission de la
Pucelle. — Double rang de fossés autour des bastilles anglaises. — Ambas-
sade du duc de Bretagne à la Pucelle 309-311
680 TABLE DBS MATIÈRES.
CHAPITRE VU (p. 314-323).
CAMPAGNE DE LA LOIRE. — PIÈCES DIVERSES.
I. — Une Chronique anonyme des ducs d'Alençon. — Jeanne avait prédit au
duc Jean d'Alençon plusieurs choses qui lui sont advenues depuis 312
II. — Lettre des seigneurs Guy et André de Laval. — Dessin de nettoyer la
Loire. — Le duc d*Alençon a le titre de généralissime et le commandement
d'obéir à la Pucelle. — Il y est fidèle. — Il fait appel à la noblesse. — La *
formation de Tarmée décrite par les seigneurs de Laval. — Ce qu*étaient
ces seigneurs, leur père, leur mère, leur grand-mère, leur famille. — La
lettre. — Arrivée à Loches. — Le jeune Dauphin, le futur Louis XI. — Ils
rejoignent le roi à Saint-Aignan. — Accueil exceptionnel qu'ils en reçoivent.
— Le roi se rendant à Selles, la Pucelle tout armée vient à leur rencontre.
— Aimable entrain avec lequel elle reçoit la visite des deux jeunes sei-
gneurs. — Son départ. — Céleste portrait tracé par les deux jeunes sei-
gneurs. — Détails sur les seigneurs qui accourent de toutes parts, notam-
ment sur le Connétable. — Les seigneurs, n'attendant rien de la cour,
veulent que leur mère aliène leur patrimoine afin de pouvoir faire digne
figure. — Cadeau de la Pucelle à leur grand-mère. — Avec quel cœur ils
protestent contre le dessein de les tenir loin de Faction. — Assurance de
la Pucelle. — Confiance de l'armée. — Touchants détails de famille 312-317
III. — La Chronique de Richemont par Gruel. — C'est une apologie. — 11 fausse
l'entrevue de la Pucelle et de Richemont. — Texte : Le Connétable ayant
réuni une très vaillante et très nombreuse compagnie se met en marche
pour venir prendre part à la guerre. — Le roi lui envoie l'ordre de ne pas
aller plus loin. — Il n'en tient aucun compte. -- Son arrivée à Baugency.
— La Pucelle se dispose à le combattre. — Mot injurieux prêté à ce sujet
à La Hire. — Attitude humiliée prêtée à la Pucelle, et fière parole qu'aurait
dite Richemont. — 11 n'en est pas moins réduit à faire le guet. — Rôle
que Gruel est le seul à attribuer à son maître dans la reddition de Meung,
la retraite de Talbot, l'engagement de la bataille de Patay, sur la date de
laquelle il se trompe notablement. — Instances de Richemont pour être
admis à servir le roi. — Il va jusqu'à embrasser les genoux de La Tré-
moille. — Dure parole du roi. — Richemont forcé de rentrer à Parthenay
au milieu des avanies 317-322
IV. — Autres pièces. — L'expression des espérances conçues consignées dans
un manuscrit du temps. — Cavalier blanc vu dans le ciel en Bas-Poitou.
— Témoignage de l'évéque de Luçon. — Le cavalier rassurant ceux que sa
vue effrayait. — Renvoi aux lettres de Perceval, de Boulainvilliers et
d'Alain Chartier 322-329
CHAPITRE VllI (p. 324-350).
I.\ libératrice, d'après CHARLES VII.
I. — Lettres annonçant les victoires remportées a ia suite de la Pucelle. —
Lettre aux habitants de Narbonne. — Le double ravitaillement d'Orléans. —
Prise de la bastille Saint-Loup. — Recouvrement de Vendôme. — Les
espérances du roi. — Il demande des prières el des actions de grâces. —
Avant l'envoi de ces lettres, une suite de courriers annoncent les événe-
ments qui ont amené la délivrance d'Orléans. — Les prouesses et les mer-
veilles de la Pucelle sont au dire de tous au-dessus de toute louange. —
Lettre au conseil Delphinal, — Les merveilles accomplies le xviii juin par le
TABLE DES MATIÈRES. 6
duc d*Âlençon et les autres capitaines étant avec la Pucelle. — invita-
tion à la joie et à la prière. — Rebauteau annonce de Lyon que Paris est
soulevé contre TAnglais, et que diaprés Talbot tout est perdu en France
pour les envahisseurs. — Remarques sur ces lettres 325-3
il. — Lettres d'anoblissement de Gut de Cailli. — La Pucelle anoblie dans
la personne de Gui de Cailli pour lequel elle avait réclamé cette faveur. —
La copie de ces lettres conservée par Peiresc ; elle est dans ses manuscrits
à Carpentras. — Texte : — Les bienfaits de Dieu présents à la mémoire de
Charles. — > Ils lui sont départis par le ministère de la Pucelle. — Les mérites
de la Vierge à son endroit sont infinis et au-dessus de toute récompense.
— Les faveurs royales doivent s'étendre sur ceux qui la secondent. — Elle
a signalé spécialement Guy de Cailli. — Guy de Cailli Ta reçue dans son
château de Reuiliy quand elle allait entrer à Orléans. — Il a été favorisé
de Tapparition des anges qui conduisaient la Pucelle. — Son honorabilité,
ses services. — Noblesse accordée ou renouvelée. — Divers privilèges. —
Concession d'armes rappelant l'apparition des anges 330-3:
111. — Exemption d'impôts concédée a Domrémy et a Greux, et vicissitudes du
PRIVILÈGE. — La Pucelle demande et obtient exemption d'impôts pour Dom-
rémy et Greux. — L'original perdu. — Copie authentique, sa teneur. —
En 1769, l'intendant de Lorraine, La Galissière, fait l'historique du privi-
lège.— Par une anomalie singulière, Domrémy l'avait perdu lorsqu'il avait
été cédé au Barrois, tandis que Greux, resté du domaine royal, en avait
constamment joui ; zèle avec lequel les rois le lui avait maintenu. — A la
réunion de la Lorraine à la France, Domrémy demande très justement à
être remis en possession de la faveur royale. — Absurde fin de non-rece-
voir du conseil royal. — A l'avènement de Louis XVI, Domrémy renou-
velle sa demande, Greux sollicite confirmation du passé. — Dédaigneux et
absurbes prétextes allégués par d'Ormesson pour refuser la demande et la
confirmation. — Rien de plus odieux que l'anéantissement du privilège
dans pareille circonstance. — il sera rétabli, si jamais la France a un gou-
vernement digne d'elle , . . . . 333-3^
iV. — Lettres d'anobussement de la Pucelle et de sa famille. — L'original en
est perdu. — Les diverses copies. — Préférence donnée au texte d'Hordal.
— Traduction de ce texte. — Fautes des copies de 1562 et 1768. — Com-
bien les lettres d'anoblissement de la Pucelle et de de Cailli s'écartent de
la forme de semblables pièces. — La substance de ces dernières. — La fin.
— Ordinairement la noblesse conférée à un seul et à sa postérité. — Com-
bien celles des lettres d'anoblissement de la Pucelle sont étendues, encore
que les nouveaux nobles n'aient d'autres titres que de lui être unis
par le sang. — Les femmes n'anoblissaient pas leurs enfants, c'est le con-
traire ici. — Pour être anobli, il fallait être de condition libre, la no-
blesse est ici concédée encore que les nouveaux nobles fussent peut-être
d'une condition non libre. — Remarques sur cette incise. — Réfutation
de ceux qui rougissent de la condition et de la pauvreté de la Libératrice.
— Certaines assertions burlesques. — C'est un trait de ressemblance de
plus de la Libératrice de la France avec le Libérateur du genre humain. . . 343-35
V^ — Ênumération d'autres actes de Charles VU en faveur de la Pucelle 3S
CHAPITRE iX (p. 351-364).
JEAN R0GIER. — LA CAMPAGNE DU SACRE, d'aPRÉS UN RÉSUMÉ DES ARCHIVES DE REIMS.
1. — Le résumé des archives de Reims par Jean Rogier. — Ce qu'était Rogier. 351 -3S
IL — Le Dauphin en marche pour Reims. — D'après ce qu'écrivait le duc de
682 TABLE DES MATIÈRES.
Bourgogne, des Rémois lui avaient promis Tentrée dans la ville. — Ce
qui lui avait donné la hardiesse de s'avancer dans un pays entièrement
ennemi. — Mêmes nouvelles de la part des habitants de Troyes, qui disent
le tenir d'un Cordelier, qui est entre leurs mains. — Us sont résolus à ré-
sister jusqu'à la mort. — Ils donnent avis de la marche de Charles, qui
leur a écrit pour requérir obéissance. — Lettre de la Pucelle aux mêmes
Troyens. — Ceux-ci envoient à Reiras message sur message pour prévenir
de l'arrivée du Dauphin et demander secours. — Ils protestent de leur
détermination de rester anglo-bourguignons; ils déprécient la Pucelle et
sa lettre. — Mômes sentiments exprimés par les habitants de Ch&lons. —
Leur étonnementdu rôle de Frère Richard. — Charles a écrit aux Rémois,
de Brienon-rÂrchevêque, pour requérir obéissance et promettre amnistie.
— Les Rémois avertissent de tout leur capitaine de Ch&tillon, qui est à
Château-Thierry. — Celui-ci ne veut se charger de la défense de la ville
qu'à la condition d'introduire ses hommes, l'armée destinée à combattre le
Dauphin n'étant pas encore prête. — On s'efforce de maintenir les Rémois
anglo-bourguignons 352-359
III. — Les Troyens ayant fait leur soumission pressent les Rémois de la faire
aussi. — Ils disent combien ils sont heureux de ce parti. — Le seigneur
de Trossy, frère de Châtillon, les en dissuade, en rapportant à sa manière
la soumission de Troyes. — Mépris déversé sur la Pucelle; indigne rappro-
chement. — Les habitants de Chàlons, soumis à leur tour, pressent les
Rémois de faire obéissance à Charles VU. — Bel éloge du roi. — Les Ré-
mois envoient une députation à Charles à Sept-Saulx 359-361
IV. — Résumé de soixante-dix lettres écrites par le roi après le sacre. — Leur
objet. — Résumé de quatre-vingt-quinze lettres écrites par Regnault de
Chartres à sa ville épiscopale. — Confusion de ce résumé où n'est tenu au-
cun compte de l'ordre chronologique. — Ce qui est dit de la Pucelle dans
ces lettres. — Il est manifeste que ce n'est pas dans une seule qu'il en est
parlé 361-364
CHAPITRE X (p. 364-372).
LE SACRE. — LETTRES DES TROIS SEIGNEURS ANGEVINS,
ET DE JACQUES DE BOURBONS.
I. — Lettre des trois seigneurs angevins a la reine et a sa mère. — Les desti-
nataires de la lettre. — Ceux qui écrivent. — Où et par qui fut trouvée
cette lettre et par qui elle en fut d'abord publiée. — Récente découverte d'une
autre copie. — Texte : Solennité du sacre. — Les pairs laïques, les pairs
ecclésiastiques. — Le cortège de la sainte ampoule apportée et rapportée.
— Durée de lacérémonie. — Acclamations enthousiastes. — Attitude de la
Pucelle. — L'entrée du roi à Troyes, à Chàlons, à Reims. — Marche directe
du roi sur Paris. — La présence du duc de Bourgogne à Laon, de ses am-
bassadeurs à Reims. — Espérance de la paix. — La Pucelle assurée de
de mettre le roi dans Paris 364-367
II. Lettre de Jacques Bourbon La Marche a l'évêque de Laon. — Sa découverte
dans les manuscrits de Vienne. — Traduite et publiée par Siméon Lucc
dans la. Revue Bleue. — Le destinataire. — 11 est étrange qu'on lui écrive
ce qu'il devait mieux savoir que le correspondant. — Inexactitude, fausse-
tés, impossibilités qui abondent dans celte lettre. — La lettre 367-372
TABLE DES MATIÈRES. 683
CHAPITRE XI (p. 372-381).
DEMANDES DE SUBSIDES POUR LE SIÈGE DE LA CHARITÉ. — JEANNE CAPTIVE
ET LE PARTI FRANÇAIS. — SUR LE CHEMIN DU CALVAIRE DE ROUEN.
I. — Lettre du sire d'Albret aux habitants de Riom. — Demande instante
d*approvisionnements de guerre afin de pouvoir continuer la campagne. —
La ville de Bourges s'impose pour envoyer, sur la demande du roi, treize
cents écus d'or au sire d'Albret et à Jeanne d*Arc devant La Charité. — 11
est douteux que le secours soit arrivé temps. — Les soudoyers condam-
nés à vivre de pillage 373- 376
II. — La prise de Jeanne. — Sentiments du vrai parti national 376-377
III. — Abbeville désireux de redevenir français. — Punition de ceux qui par-
lent contre la Pucelle 377- 378
IV. — Jeanne d'Arc à Drug^ et au Crotoy. — Sentiments de compassion,
notemment de la part des dames d'Abbeville. — Visites qu'elles lui font.
— Profond souvenir d'édification laissé par son passage. — Son confesseur,
maître Nicolas de Queuville. — La chronique de Jean Chapelle 378- 381
CHAPITRE XII (p. 381-390).
DIVERS PASSAGES SUR LA PUCELLE, EXTRAITS DES AUTEURS DU XV* SIÈCLE.
l. — Fragment d'une Chronique d'un auteur inconnu 382-383
H. — La Chronique de la Normandie 383- 384
m. — Passages de divers auteurs du xv« siècle : Pierre de Gros, Guy Pape,
Simon Phares, Jean Champier 384-385
IV. — Robert Blondel : Notice. — Divers passages sur Jeanne d'Arc dans
VOi'atio historialis. — Mission du roi de France. — Passage tiré de son
ouvrage : Reductio Normanniœ 385-390
LIVRE IV
PARTI ANQLO-BOURQUIQNON ~ CHRONIQUES ET DOCUMENTS PLUS MODÉRÉS
BN6UERRAND MONSTRE LBT (p. 393-394).
CHAPITRE PREMIER (p. 394-400).
LE SIÈGE d'ORLÉANS.
L — Armée d'élite levée en Angleterre par Salisbury et menée en France. —
La conquête d'Orléans décidée dans les conseils tenus à Paris. — L'armée
de Salisbury renforcée par les contingents levés en Normandie. — Grands
capitaines. — Conquête de places de médiocre importance 394-395
II. — Préparatifs de défense des Orléanais. — Les faubourgs et leurs églises
rasés, — Vaillante attaque et vaillante défense. — Salisbury maître de la
tête du pont. — Mortellement blessé lorsqu'il contemple la ville. — Ses
dernières recommandations 395- 397
III. — Le siège continué par les Anglais sous la conduite de Suffolk. — Efforts
flU TABLB DES MATIÈRES.
de Charles VII pour défendre Orléans. — Noms de quelques défenseurs.
— Détresse de Charles VII. — - Abandon dont il est l'objet — Sa conQitnce
en Dieu 397-398
IV. — Journée des Harengs. — Dispositions prises par les Anglo-Boui^i-
gnons. — Présomption des Français. — Désordre dans leur attaque. —
Leur ignominieuse défaite ; leurs perles. — Désespoir de Charles VII 398-399
V, — Le duc de Bourgogne à Paris, dans les premiers jours d'arril. — Am-
bassade des Orléanais demandant que leur ville soit remise entre leurs
mains comme ville neutre. — Délibération du conseil et refus plein de
mépris. — Orléans doit se rendre aux Anglais. — Les Orléanais disposés k
tout souffrir plutôt que de devenir Anglais. — Le duc de Bourgogne con-
tent de la proposition des Orléanais. — Froissé des multiples refus des
Anglais 399- *00
CHAPITRE 11 (p. 401-40S).
LA PUCELLE jusqu'à LA DËUVRAKCE D'ORLÈANS.
I. —Jeanne d'Arc à Chinon. — Son âge. — Son costume. — Son pays. —Son
passé. — Son escorte. — Ce qu'elle propose au roi. — Près de deux mois
d'attente. — Traitée d'abord de folle. — Examinée, ne parle que de Dieu.
— Finit par être écoutée, par être armée. — Son étendard. — Le ravitail-
lement décidé ■
II. — Extrémité k laquelle Orléans est réduit. — Ravitaillement opéré malgré
les Anglais. — Nombre de combattants introduits. — La Pucelle presse
l'attaque des ennemis. — Son assurance. — Prise de Saint>Loup. — Dé-
tails. — Seconde bastille enlevée. — Prise de la bastille du bout du pont
après un combat acharné. — Les morts. — Joie des Orléanais
III. — Les Anglais abandonnent le siège. — Comment. — Joie et butin des
Orléanais
CHAPITRE m [p. 405-411).
I.A CAMPAGNE DE LA LOlHf,.
I. — Le roi pressé de poursuivre la victoire. — Formation do l'armée à
Orléans. — Délibération. — Rôle de la Pucelle. — Entrée en campagne.
L'armée. — Marche sur Jargeau. — Les Anglais demandent du secours à
Rcdford. —Force» envoyées par ce dernier 40C-WT
II. — Attaque des Français contre Jargeau. — La ville emportée d'assaul.
— Pertes des Anglais. — Soumission de Meung. — Attaque contre Bau-
gency. — La Puccllc toujours à la lète de l'armée. — Sa renommée éclipse
celle des autres capilaines, jelle le découragement dans l'armée anglaise,
rend leurs chefs irrésolus. — Capilulation de la garnison de Baugency.
— Conditions. — Elle se retire. — Sur l'avis de la Pucelle, les Français se
déterminent à aller au-devant de l'armée anglaise venant de Paris 407-408
III. — Marche de l'armée française. — La victoire prédite par la Pucelle. —
L'avant-garde française. — Un cerf fait découvrir l'armée anglaise. —
Avis au gros de l'armée. — L'armée anglaise cherche h prendre ses posi-
tions. — Elle est surprise par l'attaque impétueuse de l'avant-gardc, en-
veloppée. — Son entière défaite. — Ses pertes. — Actions de grAces des
vainqueurs ; ce qu'on attendait de la Pucelle. — Le roi déterminé i pour-
suivre ses succès. — Fastolf opposé à ce qu'on livrât la bataille de Patay.
— Ses motifs. —Il est dégradé, réintégré 408- *H
TABLE DES MATIÈRES. 685
CHAPITRE IV (p. 411-414).
LA CAMPAGiNE DU SACRE.
I. — Convocation des guerriers à Bourges et à Gien. — Noms des princi-
paux seigneurs. — Jeanne d^Arc et Frère Richard. — Le Connétable en
Normandie. — Acheminement vers Auxerre. — Soumission de Saint-
Florentin et de Saint-Fargeau. — Négociations avec Auxerre. — Compo-
sition 41 1-413
II. — Campement devant Troyes. — Soumission de la ville, et de nombreux
châteaux tout autour 413
III. — Les clefs de Châlons apportées à Troyes. —• Entrée dans la ville. —
Les clefs de Reims apportées à Châlons. — La crainte de la Pucelle amène
la soumission de Reims, malgré les capitaines anglo-bourguignons. — Ces
derniers se retirent. — Intervention de TArchevôque-chancelier. — Le
cérémonie du sacre. — Le dîner à Tarchevôché. — Le neveu de TArche-
vèque capitaine de Reims 413-414
CHAPITRE V (p. 414-427).
LA CAMPAGNE APRÈS LE SACRE.
i. — Itinéraire triomphant de Charles VII à travers les villes qui se sou-
mettenL — La Hire, bailli de Vermandois. — Château-Thierry abandonné
par les Bourguignons. — Motifs 41 5
11. — Armée de dix mille hommes réunie par Bedford. — Il se met en cam-
pagne. — Lettre qu'il adresse à Charles Vil : reproches de s*aider d'une
femme désordonnée et d'un moine apostat, de pousser les peuples à se par-
jurer, de fuir le combat. — Invitation à une entrevue. — Reproches du
meurtre de Montereau. — Appel à Dieu 416-418
UI. — Bedford sur les marches de llie-de-France. — Rencontre des deux ar-
mées près de Senlis. — Forte position de Bedford. — Disposition de son
armée. — Les vivres fournis par Senlis. — La disposition de Tarmée de
Charles VU. — La Pucelle. — Les armées sont en présence pendant deux
jours. — Fortes escarmouches. — Animation des deux côtés. — Pas de
quartier. — 300 morts. — Les armées se séparent 418- 420
IV. — Les ambassadeurs de Charles VII à Arras. — Le chancelier porte la
parole. — La paix regardée comme certaine. — Soumission de Compiègne,
— Les ambassadeurs bourguignons viennent y trouver le roi. — Ceux qui
combattent la conclusion de la paix 420-422
V. — (iharles VII quitte Compiègne où il laisse Flavy pour gouverneur. —
Soumission de Senlis et d'une foule d'autres places. — D'autres n'atten-
dent que sa venue. — Pourquoi Charles VU ne poursuit pas ses conquêtes.
— Il vient à Saint-Denis. — La Pucelle pousse à l'assaut de Paris. —
Attaque. — Assaut âpre. — Défenseurs de Paris. — Blessure de Jeanne.
— La retraite sonnée à l'improviste ; ce qui confirme les Parisiens dans
leur résistance 422-424
VI. — Charles VII nomme des gouverneurs des pays nouvellement conquis
et revient vers le Berry 424-425
VU. — Trêves. — Le pont Sainte-Maxence remis aux Bourguignons. — Ra-
vages sur les marches de France et du Beauvaisis. — Grâce à ces trêves, le
duc de Bourgogne traverse insolemment les pays récemment conquis,
vient à Paris resserrer son alliance avec Bedford, et est nommé gouver-
686 TABLE DES MATIÈRES.
neurdela capitale. — Guerres durant les trêves; artifices des Bourguignons.
— Préparatifs pour la reprise des hostilités après Piques 42^-427
CHAPITRE VI (p. 427-435).
LA SUITE DES EXPLOITS DE LA PUCELLE, SA CAPTIVrrÉ ET SON MARTYRE.
I. — Le duc de Bourgogne entre en campagne en s'emparont de Goumay-
sur-Aronde. — Siège de la forteresse de Choisy. — Elle est prise et rasée.
— Les Anglais à Pont-l'Évèque. — Tentative de Jeanne pour les en débus-
quer 428429
II. — Préparatifs du siège de Compiègne. — Distribution des divers corps de
Tarmée assiégeante. — La défaite, la prise et Texécution de Franquet. . . 429-430
III. — Attaque de Jeanne contre Margny. — Visites que le capitaine recevait
en ce moment. — Le capitaine de la forteresse, Baudot de Noyelle. — Les
Français forcés à la retraite. — Jeanne la protège. — Arrivée des Anglais.
— L'héroïne est prise. — Grande joie des assiégeants. — Elle est visitée
par le duc de Bourgogne. — Remise à la garde de Jean de Luxem-
bourg 430-432
IV. — Monstrelet passe sous silence le récit de la captivité, du procès et du
martyre, et se contente de reproduire la lettre de la cour d'Angleterre au
duc de Bourgogne 432-435
LA CHRONIQUE DITE DES GORDELIERS. - SA SINGULI&RE
IMPORTANCE (p. 436-438).
CHAPITRE VII (p. 438-444).
DEPUIS l'arrivée a chino' jusqu'a la publication des trêves,
1. — La Pucelle. — Son innocence. — Sa mission. — Conduite à Chinon. —
Reçue par le Dauphin. — Regardée comme folle par le plus grand nombre.
— Armée. — Suit la guerre. — Son étendard. — Constante dans l'affirma-
tion de sa mission. — Orléans délivré, places recouvrées. — Patay 439-440
H. — La Pucelle à coté du Dauphin. — Sa grande renommée. — Aucune
ville ne peut résister à ses sommations. — Troyes se rend quoique très
attaché au duc de Bourgogne. — Le duc, à Paris, s'entend avec son beau-
frère et amène sa sœur avec lui. — Le duc de Bar au siège de Metz en
juillet. — Conquêtes de la Pucelle. — Elle éclipse la renommée des capi-
taines. — Leur jalousie. — Résistance de Perrinet Grasset 440-441
III. — Les habitants de Reims promettent fidélité au duc de Bourgogne. —
En attendant, la Pucelle fait de nouvelles conquêtes. — Reims se soumet.
— Le sacre. — La Pucelle armée et non armée. — Son costume. — Sou-
mission de Laon. — La Hire, bailli du Vermandois. — Soumission de Sois-
sons, de Senlis, et pas de Noyon 441-442
IV. — L'armée devant Paris. — Pertes près de Saint-Laurent. — Assaut à
la descente de Montmartre. — Merveilleux courage de la Pucelle. — Elle
est blessée. — Secours reçus d'Angleterre par le régent. — Conférences
pour la paix, près de La Fère. — Sans résultats. — Les villes qui font sou-
mission au Dauphin, et celles qui ne la font pas. — Lettres du régent au
Dauphin. — Charles continue ses conquêtes. — Les deux armées en pré-
sence durant trois jours. — Les Anglais refusent de sortir de leur parc. —
Soumission de Beauvais et des pays environnants 442-444
TABLE DES MATIÈRES. 687
CHAPITRE VllI (p. 444-444).
TRÊVES FALLACIEUSES. — COMPIÈGNE. — PRISON ET SUPPLICE DE LA PUCELLE.
!. — A la suite de conférences, des trêves sont conclues entre Charles Vil et
le duc de Bourgogne, à la date du 28 août ; elles sont immédiatement exé-
cutoires. — La teneur de ces trêves publiées le 14 octobre. — Liberté aux
Anglais d'accéder; au duc de Bourgogne de défendre Paris. — Ampliation
de ces trêves le 18 septembre. — Le gouvernement de Paris et Tlle-de-
France confié au duc de Bourgogne. — Combien absurdes ces trêves 444-450
II. — Les Anglais n'accèdent pas. — Le duc de Bourgogne pourvoit à la sécu-
rité de Paris et rentre en Flandre. — Continuation des pourparlers. — Le
duc de Bourgogne ne veut pas de la paix. — Il convoite Compiègne qui
lui a été promis et que Flavy refuse de livrer 451
m. — La guerre recommence (ouvertement). — Entrée en campagne. —
Anglais envoyés à Paris à la suite d'un complot découvert. — Conquête
de plusieurs places par les Bourguignons. — Le roi d'Angleterre arrive à
Calais; vaisseaux. — Provisions et hommes d'armes disséminés là où le
besoin est plus urgent. — Henri VI à Bouen en juillet seulement. — Choisy
assiégé et emporté par le duc de Bourgogne. — Vigoureuse attaque de la
Pucelle contre les Anglais qui gardent Pont-l'Évêque. — Elle est repoussée. 451-452
IV. — Le siège mis devant Compiègne. — VaiQance des assiégés. — Mer-
veilleux courage de la Pucelle. — Elle est prise 452-453
V. — Grand bruit fait par cette capture. — Joie des Bourguignons, deuil
des Français. — Jeanne tente de s'échapper de Beaurevoir. — Ce par quoi
elle se glissait rompt. — Ses meurtrissures. — Elle est vendue aux Anglais.
Procès 453
VI. — Solennité de la rétractation (prétendue) de la Pucelle. — Elle reprend
ses vêtements virils. — Condamnée, brûlée, pourquoi ses cendres sont
jetées à la Seine , 454
GILLES DE ROTE.
LES CHRONIQUES BELGES. ~ CELLE DE GILLES DE ROYE (p. 454-455).
CHAPITBE IX (p. 453-459) .
LA CHRONIQUE DE GILLES DE ROYE.
1. — Salisbury met le siège devant Orléans. - Combat de Bouvray. —
Mort de Salisbury. — Arrivée de la Pucelle. — Étendue de la mission
qu'elle dit avoir. — Examinée. — Épée de Fierbois. — Bavitaillement
d'Orléans. — Comment, dans leur extrême détresse, les Orléanais avaient
voulu traiter avec les Anglais 455-456
IL — La Pucelle fait lever le siège. — Meung, Baugency. — Particularités
sur la victoire de Patay. — L'armée du sacre. — Le Connétable écarté par
La Trémoille. — La guerre de la Pucelle aux femmes de mauvaise vie. —
Conditions faites à Auxerre et mécontentement de la Pucelle. — Soumis-
sion de Troyes, grâce à la Pucelle. — La composition. — Soumission de
Chàlons, de Beims. — Le sacre 436-457
111. — Marche triomphale de Charles Vil. — Bedford demande la bataille et
la fuit. — Charles Vil arrêté à Bray-sur-Seine. — Contraint de continuer
ses conquêtes. — Les deux armées en présence à Mitry. — Soumission de
688 TABLE DES MATIÈRES.
Crépy. — Gompiègne. — Senlis. — Beauvais. — Bedford s'éloigne de
Paris. — La ville confiée à Tévôque de Thérouanne. — Charles Vil à Saint-
Denis. — La tentative contre Paris échoue par le désaccord des capitaines
français. — Retraite du roi. — Le pays ravagé 458
IV. — Les assiégeants de Gompiègne. — La Pucelle dans la place. — Sa
prise. — Elle est conduite à Noyon à la duchesse de Bourgogne. — Vendue
aux Anglais. — Le chroniqueur ne veut pas se prononcer sur la sentence. 439
GEORGES GHA8TELAIN ET SA CHRONIQUE (p. 459-460).
GHAPITRE X (p. 461-468).
I. — Le duc de Bourgogne vient assiéger Gompiègne. — Préparatifs de dé-
fense des assiégés. — Assiette du camp. — Nombreux concours autour du
duc de Bourgogne 461-462
II. — Fouquet d'Arras. — La Pucelle le rencontre revenant du pillage. —
Gombat acharné. — Franquet prisonnier, exécuté 462-463
III. — Diligence du duc au siège de Gompiègne. — La Pucelle dans la ville.
— Ge que lui prête le chroniqueur. — La sortie. — Portrait de la Pucelle
allant au combat. — Attaque contre Margny où campe Baudo de Noyelle.
— Visiteurs quMl recevait en ce moment. — Premier succès de la Pucelle.
— Toute Tarmée assiégeante accourt. — La troupe de la Pucelle enve-
loppée se retire. — Magnanimité de Théroïne protégeant la retraite. —
Elle est prise. — Le preneur aussi joyeux que s'il avait pris un roi. — Gom-
pagnons de captivité. — Joie du duc et du camp tout entier. — La Pucelle
visitée par le duc. — Sa longue captivité à Beaurevoir 463-466
1\^^. — Livrée aux Anglais. — Le procès de Rouen d'après le chroniqueur. —
Précaution de Gauchon pour se couvrir. — L'Université de Paris. — Ins-
tances pour faire rétracter l'accusée. — Instances de la cour d'Angleterre
pour faire publier le récit menteur expédié par elle 466-468
LE NOTAIRE PIERRE COCHON ET SA CHRONIQUE (p. 468-469).
GHAPITRE Xï (p. 469-473).
1. — Siège et délivrance d'Orléans. — Idée qu'on se faisait de la Pucelle. —
Prise des villes desbord^ de la Loire. — Bataille de Patay. — Profond décou-
ragement des Anglais. — Rapidité des conquêtes avant et après le sacre.
— Terreur inspirée par la Pucelle. — Concours que lui prête le peuple. . . 470-471
IL — Rencontre près de Senlis. — Inaction des Anglais retranchés dans leur
camp. — Retraite des Français faute de vivres, retraite des Anglais. —
Siège de Paris. — Famine dans Paris. — Assaut donné à la ville. — Elle
est sur le point d'être emportée. — Victoire arrêtée par La Trémoille, par
un message du Bourguignon. — Mécontentement des assaillants. — Trêves.
— Retraite de Charles VII. — Pont jeté sur la Seine 471-473
LE GREFFIER DU PARLEMENT DE PARIS,
CLÉMENT DE FAUQUEMBERGUE
ET SES NOTES DANS LES REGISTRES JUDICIAIRES (p. 473-474).
CHAPITRE Xlï (p. 474-480).
I. — 10 mai 1429 : Bruit à Paris de la défaite des Anglais à Orléans. —
14 juin : Les Anglais vaincus à Jargeau. — Présence de la Pucelle. —
TABLE DES MATIÈRES. 689
18 juin : La défaite des Anglais à Patay. — Les prisonniers. — i9 juillet :
Le sacre de Charles de Valois à Reims le 17. — 25 juillet : Entrée à Paris
du cardinal de Winchester avec six mille soldats recrutés contre les hus-
sites. — Attente du duc de Bourgogne. — Ses préparatifs de guerre. — l^es
conquêtes de Charles de Valois. — 3 août : Départ du cardinal pour Rouen,
et de Bedford à la tète d'une armée pour la Brie. — 26 août : L'évêque de
Thérouanne réunit les curés de Paris, les supérieurs des Ordres religieux.
— Il leur fait prêter serment de fidélité au traité de Troyes, tel que les
bourgeois l'avaient prêté au duc de Bedford et au duc de Bourgogne. — 11
nomme des délégués pour le faire prêter par chaque Religieux. — Le par-
lement vaque. — Ordre de consigner les dépôts. — Emprunt. — 8 sep-
tembre : Assaut contre Paris. — Terreur des Parisiens. — Les assaillants
comptent sur un soulèvement qui n'a pas lieu. — Entente entre les habi-
tants et les hommes d'armes. — Blessure de la Pucelle. — Impossibilité
de prendre Paris. -- Bruit semé que Charles veut y faire passer la charrue. 473-479
H. — L'on apprend par Jean de Luxembourg l'issue de la sortie de Com-
piègne, la prise de la Pucelle. — 30 mai 1431 : Supplice de la Pucelle. —
Mots écrits sur sa mitre, sur un tableau. — Le juge et ses assesseurs 479-480
CHAPITRE Xllï
PIERRE EMPIS. — SA CHRONIQUE (p. 480-482).
LIVRE V
PARTI ANQLO-BOURQUIGNON — CHRONIQUES ET DOCUMENTS OUVERTEMENT HAINEUX
JEAN "(VAVRIN DE FORE8TEL.
REMARQUES CRITIQUES (p. 485-486).
CHAPITRE PREMIER (p. 486-493).
LA PUCELLE JUSQU\ LA DÉUVRAIHCE d'oRLÉANS .
I. — Exposé calomnieux de la jeunesse de la Pucelle. — Formée à sa mission
par Raudricourt. — Dédain avec lequel elle est reçue à la cour. — Examens.
— Manière dont le chroniqueur raconte le dessein de ravitailler Orléans.
— Le ravitaillement et le séjour de Jeanne à Orléans 487-489
II. — L'état du siège, d'après Wawrin. — Second récit du ravitaillement. . . 490
ni. — Discours que Wawrin prête à la Pucelle. — Conquête successive des
trois bastilles. — L'honneur en est principalement attribué à la Pucelle. —
Part prise par les capitaines 491-492
IV. — Retraite en bon ordre des Anglais dans les villes de leur obéissance ;
douleur du parti anglais. — Joie des Orléanais. — Le butin 492-493
CHAPITRE II
CAMPAGNE DE LA LOIRE (p. 493<^3).
\. — La joie du roi à la nouvelle de la délivrance d'Orléans. — Il convoque
sa noblesse. — Sentiments divers de la cour sur la Pucelle. — Réunion des
capitaines à Orléans. — Autorité que s'attribue la Pucelle 494-495
III. 44
690 TABLE DBS MATIÈRES.
II. — Siège de Baugency. — Message à Talbot qui promet secours et en de-
mande à Bedford. — 11 envoie Fastolf, auquel Wavrin est attaché. —
Arrivée à Janville 495-496
III. — D'après Wavrin, les Français se seraient détachés du siège de Bau-
gency pour venir assiéger et prendre .largeau. — La garnison anglaise de
La Ferté-Hubert vient fortifier celle de Baugency. — Il n'est bruit que de
la Pucelle. — Talbot rejoint Fastolf à Janville 496-497
IV. — Fastolf est d'avis qu'il ne faut pas combattre. — Opposition de Talbot.
— On se met aux champs. — Nouvelle et inutile insistance de Fastolf. —
Direction vers Baugency. — L'armée française sur une hauteur donne
rendez-vous pour le lendemain 497-499
V. — Les Anglais de Baugency désespérant d'être secourus en viennent à
composition. — L'armée française -cherchant l'armée anglaise sur l'invi-
tation de la Pucelle. — - Ses prophéties 499-501
Vï. — L'armée anglaise à Meung. — Elle canonne le pont la nuit et se dis-
pose à lui donner l'assaut le matin lorsqu'elle apprend la reddition de
Baugency. — Elle rétrograde en bon ordre à travers la Beauce. — Talbot
fait halle aux haies de Patay. — Il est surpris faisant ses préparatifs. —
Panique produite par un mouvement de Fastolf. — Désorganisation de
l'armée anglaise. — Ses pertes. — Fuite de Fastolf jusqu'à Étampes et
à Corbeil. — L'honneur de la victoire attribué à la Pucelle 501-503
LE FÈVRE DE SAINT-RËMY (p. 504).
CHAPITRE Ul (p. 505-512).
I. — Fantaisies de Le Fèvre de Saint-Rémy sur les personnages qui appa-
raissent à la Pucelle, et la manière dont elle entre en scène. — Il ne donne
pas une idée des combats engagés pour la délivrance d'Orléans. — Il cons-
tate la frayeur des Anglais et leur foi à une prophétie sur leur expulsion
par une Pucelle. — Il ne fait qu'indiquer la prise de Jargeau et la victoire
de Patay, attribuée à ce que les Anglais furent surpris changeant leur posi-
tion de combat 505-507
II. — Confiance inspirée par la Pucolle aux hommes d'armes et au Dauphin.
— La campagne du sacre seulement indiquée. — Erreurs dans l'énumé-
ration de ceux qui y prennent part 507
m. — Campagne après le sacre. — Grossière erreur du chroniqueur qui met
Mitry près de la Victoire 507-508
IV. — La rencontre des deux années près de Montépilioy. - Détails. — Les
Français auraient été les premiers à se retirer. — Les Anglais tirent leurs
vivres de Sentis 508-509
V. — Le roi à Compiègne. — Les défenseurs de Paris constitués par le ré-
gent qui va au secours de la Normandie. — Le roi venant à Paris sur
la promesse de la Pucelle de lui livrer la ville. — Assaut. — Départ du
roi 509-510
VI. — Siège de Choisy. — Le passage de l'Oise à Pont-l'Évôque gardé par
les Anglais. — Vive attaque de la Pucelle repoussée. — Le siège de Com-
piègne par le duc de Bourgogne et les Anglais. — La Pucelle s'y introduit.
— D'après le chroniqueur elle aurait promis de prendre le duc de Bour-
gogne. — Portrait de la Pucelle sortant contre les assiégeants. — Le
combat. — La Pucelle protégeant la retraite. — Sa prise. — Joie des Bour-
guignons. — Les hommes qui avaient cru à la Pucelle traités de gens de
léger entendement 510-512
TABLE DBS MATIÈRES. 691
JBAN CHUFFART, OU LE FAUX BOURGEOIS DE PARIS.
0BSERVAT1O!IS CRITIQUES SUR SON m JOURNAL » (p. 513-516).
CHAPITRE IV (p. 516-525^.
I. — Manière dont ChufTart commence à parler de la Pucelle. — Récits mer-
veilleux qu on faisait à Paris à son sujet. — Accomplissement de la pro-
phétie faite par elle à Glasdal. — Le cadavre de l'Anglais à Paris. —
Départ du Frère Richard 516-517
II. — La bataille de Palay racontée par ChufTart. — Frayeur de Paris au
21 juin. — Les Parisiens ne cessent dès lors de fortifier leur ville. — Le
duc de Bourgogne à Paris le 10 juillet. — Conseils tenus. — Moyens em-
ployés pour exciter les esprits contre les Armagnacs. — Renouvellement
des serments. — Le duc quitte Paris avec sa sœur la duchesse de Bedford. 518-519
m. — Progrès des Armagnacs. — Terreur des Parisiens. — Arrivée du car-
dinal de Winchester, du régent et de ITsle-Adam, le 25 juillet. — Colère
des Parisiens contre le Frère Richard. — Beauvais, Senlis se donnent aux
Français. — Les Armagnacs à Saint-Denis dès le 25 août. — Leurs excur-
sions jusqu'aux portes de Paris. — Empressement des Parisiens à fortifier
leur ville 519-520
IV. — Lettres du duc d'Alenron aux Parisiens. — Première attaque le 7 sep-
tembre. — Le grand assaut du 8. — Les apprêts pour combler les fossés.
— La Pucelle blessée. — Assaut des assiégeants et défense des assiégés. —
Les assiégeants repoussés. — Le feu à la grange des Mathurins et les morts
brûlés. — Engagements prêtés à la Pucelle. — Le nombre des morts et
des blessés d après un héraut des Armagnacs. — L'assaut repoussé par les
Parisiens 520-522
V — Retour du Régent. — Déprédations des Armagnacs à Saint-Denis. —
Saint-Denis repris et châtié. — Entrée triomphale du duc de Bourgogne
à Paris. — Délibérations. — Il prend le gouvernement de Paris à la place
de Bedford. — Départ des Anglais et leurs ravages. — Trêves du duc avec
les Armagnacs. — Ces derniers soumettent à des contributions les envi-
rons de Paris. — Départ du duc et de ses Picards qui sont de grands lar-
rons. — Les approvisionnements de Paris plusieurs fois rançonnés. — Ex-
trême misère. — Désertion de la ville. — Brigands. — On leur donne la
chasse. — Capture et supplices. — Conjuration pour mettre Charles VII
dans Paris; elle est découverte. — Aveu implicite de Chuffard 522-525
CHAPITRE V (p. 525-530).
PRISE ET MARTYRE DE L\ PUCELLE.
I. — Prise de la Pucelle et nombre des morts d'après ChufTart. — Le 3 sep-
tembre, prédication contre deux femmes qui rendaient témoignage à la
Pucelle. — Supplice de Pierronne de Bretagne 525-526
IL — Le martyre de Jeanne. — ChufTart met sur les lèvres du prédicateur
tous les crimes imputés à Jeanne par Tinique tribunal. — D*après son aveu,
c'est l'Université de Paris qui a été l'âme du procès. — Récits de la pré-
tendue abjuration et de la prétendue rechute. — Détails sur le martyre.
— Sentiments divers de la foule 526-528
III. — Publication très solennelle de la condamnation à Paris. — Récapitu-
lation par le prédicateur de tous les crimes imputés à Jeanne. — Les quatre
femmes mises sur le même pied. — Toutes dirigées par Frère Richard 528-529
692 TABLE DES MATIÈRES.
IV. — La Pucelle a été bien réellement brûlée et ses cendres ont été jetées à
la rivière. — Motifs de ce dernier outrage 530
CHAPITRE VI (p. 530-532).
LES REGISTRES DU CHAPITRE DE NOTRE-DAME.
La majorité du chapitre est anglo-bourguignonne. — Le 30 août, on pour-
voit au remplacement des officiers qui ont rejoint la Pucelle. — Nomina-
tion des délégués convoqués par Tévèque de Thérouanne. — Le 31 août :
On célébrera une messe à Notre-Dame extra -chorum. — Vote d'une somme
pour les frais de la guerre. — Le 5 septembre : Mesures prises pour la
sécurité de l'église, du cloître, des reliques, du trésor. — Vente du buste
de la statue de saint Denis. — Le 7 : Procession à la montagne Sainte-
Geneviève. — Attaque des ennemis et sanglants desseins qu'on leur
attribue. — Le 8 : Assaut très violent et très long. — Repoussé. — Grandes
pertes des assiégeants. — Grand nombre de claies, de fascines, d'échelles
apportées par eux. — Ils en ramènent une partie. — Le 9, messes pour
Charles VI, célébrées par ordre de son fils 530-531
CHAPITRE Vil (p. 532-544).
LA PUCELLE d'aPRÉS LE DUC DE BOURGOGNE ET SES HOMMES DE COUR.
1. — La cour de Bourgogne se hâte de faire connaître au loin la prise de la
Pucelle. — Lettres du duc aux habitants de Saint-Quentin, de Gand, au
duc de Bretagne, de Savoie 533-534
IL — Jean Germain, évéque de Chalon-sur-Saône. — Son livre De virtuiibus
Philippi. — Son indécent passage sur la Pucelle. — L'évoque d'Arras Jean
Jouffroy. — Sa harangue De Philippo. — Sa page de déclamations, de
faussetés, de contradictions, à l'eiidroil de la Pucelle 534-538
m. — Le greffier de la chambre des comptes de Brabant. — Les registres
noirs. — Edmond de Dynther. — Le sire de Uosethlaer. — Ce qu'il écrivait
de la Pucelle à la date du 22 avril 1429. — Ce qu'Edmond de Dynther a
ajouté à l'extrait des Registres Noirs 538-541
l\. — Le Livre des irahisom de France envers la maison de Bourgogne. — Ce
qu'il dit de la Pucelle. — Remarques 541-o4i
CHAPITRE Vlll (p. 544-564).
DOCUMENTS ANGLAIS PROPRES A ÉCLAIRER l'hISTOIRE DE LA LIBÉRATRICE.
1. — Pénurie de documents anglais sur la Pucelle. — Documents propres à
éclairer son histoire. — Dès le 15 avril 1429, Bedford demande que Henri VI
vienne se faire couronner en France, et sollicite des secours. — Quelques
jours après la délivrance d'Orléans, il envoie dans tous les ports de Nor-
mandie des ordres pour qu'on arrête les soldats anglais qui fuient la France.
— Le 17 juin, le conseil royal autorise le cardinal de ^Yinchester à être
le capitaine de larinée coiilie les hussites et le 1*"^ juillet, il ordonne que
cette armée soit tournée contre la France. — Vives plaintes de Martin V.
— Excuses du Cardinal (pii prétend n'avoir pas été consulté. — Défense à
tout sujet anglais d'accompagner à Rome le Cardinal, que l'on dit devoir y
être mandé. — Le Cardinal consigné pour quatre mois auprès du duc de
Bourgogne. — L'archevêché de Rouen sollicité pour Cauchon 545-548
TABLE DES MATIÈRES. 693
il. — Instructions envoyées par Bedford au conseil d'Angleterre dès le
16 juillet 1429. — Remerciements pour Tenvoi des croisés. — Il presse
rembarquement et veut être prévenu. — Les conquêtes du Dauphin et son
sacre. — Son intention de venir sur Paris et son espérance d'y trouver
entrée. — Mesures concertées avec le duc de Bourgogne pour l'arrêter. —
Services du duc de Bourgogne. — Sans lui tout était perdu. — Bedford va
se rendre en Normandie pour en conduire les garnisons contre Charles de
Valois. — Observations 548-550
lil. — Le roi sur le continent dès le 23 avril 1430. — Les hommes d'armes
engagés pour Vy accompagner refusent de s'embarquer. — Édit rendu
contre eux. — Édit rendu le 12 décembre 1430 contre les soldats anglais
qui désertent et repassent en Angleterre 550-552
IV. — Détails sur une conjuration ourdie à Paris pour y introduire Charles Vil,
d'après une lettre de rémission accordée à l'un des conjurés. — La Pucelle
y fait allusion dans une de ses lettres. — Noms de quelques conjurés exé-
cutés. — Le seigneur de l'hôtel de l'Ours 552-558
V. — Quittance donnée par Cauchon pour l'indemnité d'un voyage du 1" mai
au 30 septembre, entrepris dans les intérêts de la cause anglaise, et notam-
ment pour les affaires de la Pucelle. — Questions que fait naître cette
pièce 558-560
VI. — La Normandie s'impose pour payer le prix d'achat de la Pucelle. —
Urgence de cette dépense. — Espèces d'or prises avec charge de rembour-
sement dans la cassette royale. — Caractères de grandeur dans la vente
delaPucelle 560-562
VIL — L'effet de l'intervention de la Pucelle constaté par un document
émané de Bedford. — Par elle les affaires ont complètement changé de
face. — Observations critiques sur ce document 562-564
LIVRE VI
LA CHRONIQUE DE MOROSINI
REMARQUES HISTORIQUES ET CRITIQUES (p. 567-571]
CHAPITRE PREMIER (p. 571-582).
LA PUCELLE JUSQU'aPRÉS LA VICTOIRE DE PATAT.
Première lettre. — Le sort de la France lié à celui d'Orléans. — Treize bas-
tilles. — Intervention du duc de Bourgogne à la prière des Orléanais aux
abois. — Refus de Bedford. — Premières nouvelles reçues à Bruges de la
délivrance d'Orléans. — Joie qu'y cause la défaite des Anglais. — Des pro-
phéties annonçaient le relèvement de la fortune du Dauphin. — Premiers
bruits sur l'apparition de la Pucelle et sentiments qu'ils provoquent. —
Ses promesses au Dauphin. — Dès le 16 janvier des marchands en écrivaient
à Bruges de la Bourgogne. — Les moqueurs punis. — A ses réponses on
dirait une autre sainte Catherine. — Délivrer la France n'était pas toute
sa mission. — Apparition au roi. — Le Pape consulté. — Remarques sur
cette lettre 571-577
Deuxième lettre. — Fausses nouvelles écrites de Bruges. — Le Pape consulté.
— Remarques 577-578
694 TABLE DES MATIÈRES.
Troisième lettre, — Fausses nouvelles de la soumission de Rouen, de Paris, de
la réconciliation des Français et des Anglais, et de la manière dont elle se
serait opérée. — Pénitence imposée par la Pucelle. — Elle doit conduire le
Dauphin à Reims pour Ty faire couronner. — Remarques sur ce qui a pu
donner lieu à ces fausses nouvelles 578-579
Quatrième Je lire. — La Pucelle, ange du Ciel. — Ses exploits: Baugency,
Patay. — Conjectures que le Dauphin est à Paris, que Bedford est mis en
déroute. — Intervention surnaturelle de Dieu en faveur de la France. —
Combien nécessaire. — Rapprochement entre Notre-Dame et la Pucelle.
— Le relèvement de la France est la moindre partie de la mission de la
Pucelle . -— Remarques 579-581
Cinquième lettre. — Confirmation de nouvelles déjà données. — Conjectures.
— Remarques 581-582
CHAPITRE 11 (p. 582-595).
LA PUCELLE DEPUIS SA NAISSANCE JUSQu'a LA VEILLE DU SACRE.
Sixième lettre. — Age, lieu d'origine, occupations, piété, départ de la Pu-
celle. — La mission qu'elle se donne, les conditions qu'elle y met. —
D'abord mal reçue. — Les secrets. — Longues épreuves. — Épreuve par la
communion. — Sa tempérance. — Sa sainteté. — Elle oblige tout le
monde à se confesser. — Ses ordonnances comme chef de guerre. — Elle
; exige que le Dauphin pardonne de bon cœur. — Rais et d'autres guerriers
viennent la rejoindre. — La Pucelle armée. — Son étendard. — Les pré-
paratifs de la campagne. — Sommation aux Anglais. — Entrée à Orléans.
— Nombre de combattants. — Prise de la première bastille. — Nouvelle
sommation le jour de l'Ascension. — Nouvelles conquêtes le jour suivant.
— Blessure de la Pucelle. — Fuite des Anglais. — Le duc de Bretagne. —
Source de ces nouvelles. — Prophéties sur la Pucelle. — Prise de Jargeau.
— Victoire de Patav. — Bedford demande instamment du secours au duc
de Bourgogne. — Voyage de ce dernier à Paris, et bruits contradictoires
sur ses intentions. — Faux bruits sur 1 évasion du duc d'Orléans. — Armée
venant d'Angleterre. — Les soldats levés contre les hussites détournés
contre la France. — Remarques sur cette importante lettre 582-591
Septième lettre. — Départ pour le sacre. — Fable sur la conquête d'Auxerre.
— Exploit fabuleux attribué à La Hire. — Fausse nouvelle d'une victoire
du duc de Bar sur le duc de Bourgogne. — Conte sur la couronne de saint
Louis 591-503
Huitième lettre. — Diverses fausses nouvelles 593
Neuvième lettre. — Diverses fausses nouvelles. — Observations 593-595
CHAPITRE m (p. 595-000).
DU SACRE jusqu'à LA RETRAITE SUR LA LOIRE.
Dixième lettre. — Arrivée à Calais du cardinal d'Angleterre et d'une armée
anglaise. — Bruits divers sur les intentions du duc de Bourgogne, sur la
marche du Dauphin vers Reims et ses projets ultérieurs. — Tout se fait
par le conseil de la demoiselle. — Remarques 595-596
Onzième lettre. — Le sacre et la campagne qui l'a précédé. — Dévouement
de Tournay à la France. — Le duc de Bourgogne revenu de Paris est à
Arr^s; le régent attendant le Cardinal à Pontoise. — Grande levée de
TABLE DES MATIÈRES. ^95
troupes par le duc de Bourgogne. — La garde de Paris. — Fausses nou-
velles sur les conquêtes du duc d'Alençon en Normandie. — Grands mi-
racles accomplis. — Fausse nouvelle sur le comte de Nevers. — Charles VU
en marche sur Paris. — Jonction de Bedford et du Cardinal. — Remarques. 596-599
Douzième lettre. — Conlirmation de la nouvelle du sacre 599
Treizième lettre. — Bruits de trêves et du siège de Paris. — Remarques 599
Quatorzième lettre. — Conquêtes de Charles Vil après le sacre. — Le régent
en Normandie. — Le duc de Bourgogne sur le point de se mettre en cam-
pagne. — Trêves inexplicables. — Remarques 599-600
CHAPITRE IV (p. 600-606).
DEPUIS LE RETOUR SUR LA LOIRE JUSQU*A LA CAPTIVITÉ DE LA PU CELLE.
Quinzième lettre. — Conquêtes des Français en Normandie, conjuration pour
leur livrer Rouen. — Grands préparatifs de guerre attribués à Charles VU.
— Conquête faussement attribuée à la Pucelle. — Ses exploits la montrent
suscitée par Dieu. — L'Université de Paris l'a dénoncée à Rome comme
hérétique. — Le chancelier a écrit pour la défendre et la glorifier. — Le
roi d'Angleterre, couronné à Londres, se propose de passer en France. —
Remarques 600-602
Seizième lettre. — Prolongation de la trêve. — DifQcile à expliquer. — Opi-
nions différentes sur l'attitude adoptée par le duc de Bourgogne. — Senti-
ment de Pancrace. — Conquête de Louviers. — Faux récits sur les conquêtes
de Charles Vil et ses ressources en vue de la guerre. — Bedford en Nor-
mandie. — Secours reçus d'Angleterre. — Prochain débarquement du
jeune roi 602-603
Dix -septième lettre. — Prise de Château- Gaillard. — Actifs préparatifs de
guerre 604
Dix-huitième lettre. — Prétendue course du roi et de la Pucelle aux portes de
Paris. — Conjuration dans cette ville. — Prétendue tentative de Luxem-
bourg contre Compiègne. — Autres fausses nou v elles 604-605
Dix-neuvième lettre. — La victoire d'Anthon. — Fausse nouvelle sur la Pucelle. 605-606
CHAPITRE V (p. 606-608).
LA PUCELLE DEPUIS SA PRISE JUSQU'a SON SUPPLICE.
Vingtième lettre. — Fausse nouvelle sur les succès du roi et de la Pucelle. —
Nouvelle vraie de la prise et de la détention de la Pucelle. — Espérance de
sa délivrance 606-607
Vingt et unième lettre. — La Pucelle vendue et dirigée sur Rouen. — Crainte
qu'on ne la fasse mourir. — Témoignage rendu universellement à sa vertu. 607
Vingt-deuxième lettre. — Ambassade de Charles VU au duc de Bourgogne pour
l'empêcher de livrer la Pucelle aux Anglais 607-608
yingt- troisième lettre. — La Pucelle vendue dix mille couronnes; étroitement
gardée. — Intervention de Charles VII pour empêcher son supplice. —
Supplice. — Piété de la Martyre. — Apparition de sainte Catherine. —
Douleur et menaces de Charles Vil. — Vaine espérance des Anglais
qu'avec sa mort (iniront leurs revers 608
vVv
TABLB DBS MATIÈRES.
LIVRE VII
PIÈCES JUSTIFICATIVES
A. — La Pucelle d'après la Geste des nobles Français 6H-619
B. — La Pucelle d après la Chronique de Toumay 619-6^5
G. — La condamnation de la Pucelle d'après Thomas Basin 626-628
D. — Exhortation à seconder la Pucelle 628
E. — Anoblissement de la Pucelle et de sa parenté 628-629
G. — La Chronique dite des (^ordeliers 629-637
H. — La chronique de Gilles de Roye 637-639
J. — Extrait des registres du chapitre de Notre-Dame 639-640
K. — Un passage de Jean Germain sur la Pucelle 640-641
L. — Un passage de Jean Joufîroy 641-642
M. — Un passage des registres noirs de Bruxelles et d*Edmond de Dynther. .642
N. — Extrait d'un rapport officiel de Bedford 642-643
P. — Texte italien de la Chronique de Morosini sur la Pucelle 644-660
Table 661-696
ERRATA.
Pages.
Lignes.
Fautes.
Corrections.
VIII
25.
Osent en faire.
Osent faire.
6
3S.
Dix-huit mille.
Dix-huit cEirr mille.
15
13.
Dans sa neuvième année.
Dans sa huitième année.
17
16.
Mariage de Henri IV.
Mariage de Henn M.
63
Avant-dernière ligne.
1450.
1350.
81
Noie.
Se portit.
Se partit.
S49
Note.
Au livre IV.
Au livre V.
294
14.
Qui.
Qui.
31*i
1".
En allant, en avant.
En allant en avant.
348
16.
De condition de libre.
De condition libre.
362
35.
Afin par son mo\en.
Afin que par son moyen.
364
Dernière ligne.
Etant bien celui.
Etait bien celui.
545
5* avant-dernière ligne.
Lettres de sommations adressés.
Adress^'es.
547
6* avant-dernière ligne.
On remployait.
Ou les employait.
5154-96. — CuRBciL. Imprimerie Éo. CRsrf
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