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Full text of "La vraie Jeanne d'Arc .."

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LA   VRAIE    JEANNE    D'ARC 

—  iii  — 

ouvRAUB  uo!(Oh6  1^111  BRBF  DB  5.4  SAISTETÉ  LÉON  XII! 


LA  LIBÉRATRICE 


CORBEIL.     —    IMPRIMERIE     ÉD.     CRÉTÉ 


LA  VRAIE  JEANNE  D  ARC 

—  III  — 

OUTBAGK    HONORÉ    D'cN    BREF    DE    SA     SAINTETÉ    LÉON    XIII 


LA   LIBÉRATRICE 

D'APRÈS  LES  aiRONIQUES 

ET  LES  DOCUMENTS  FRANÇAIS  ET  ANGLO-BOURGUIGNONS, 

ET  LA  CHRONIQUE  INÉDITE  DE  MOROSINI 


PAR 


Jean-Baptiste-Joseph  AYROLES 

DE    LA    COMPAORIB    /m    JÉSUS 


Sache  ung  cliacan  que  Dieu  a  monxlré  et  nnoslre  ung 
chaque  jour  qu'il  a  aimé  et  aime  le  royaiilmc  de  France.... 
Mais  sur  tous  les  signes  d'amour  que  Dieu  a  envoyez  au 
royaulme  de  France,  il  oe  y  on  a  point  eu  de  si  grant 
ni  de  si  merveilleux  comme  de  ccsle  I^ucelie. 

Mathieu  Thomas8I5. 


PARIS 
GAUME    ET    G",    ÉDITEURS 

3,      RUE      DE      l'abbaye 

1897 

Droit!  de  Iraduclion  et  de  reproduction  réservés. 


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JHS 


A   SAINT  MARTIAL, 

APOTRE    DE    l'aquitaine, 

et  à  tous  les  autres  disciples  du  Seigneur  et  des  Apôtres  évangélisateurs  des  Gaules  ; 


A  SAINT  DENYS  L'ARÉOPAGITE, 

DISCIPLE    DE    SAINT    PAUL,    PREMIER    ÉVÊQUE    DE    PARIS, 
INSPIRATEUR    DE    SAINT    THOMAS    d'aQUIN ', 


A  SAINT  MARTIN, 

LE  GRAND   THAUMATURGE     DES    GAULES, 
LE    DESTRUCTEUR    DU    DRUIDÏSME     DANS    LES    CAMPAGNES; 


A   SAINT  RÉMY, 


» 


LAPOTRE    DES    FRANCS, 
LE    JEAN-BAPTISTE   DE  LA  NATION  TRÈS  CHRÉTIENNE; 


au  nom  de  tous  ceux  qui  ne  répudient  aucune  des  célestes  auréoles  dont  TËglise 
Romaine  proclame  que  Jésus-Christ  a  daigné  parer  sa  fille  aînée  ; 


l'Auteur, 

Jean-Baptiste-Joseph  AYROLES 

de  la  Compagnie  de  Jésus. 


Le  Saint  Jour  de  Noël  4896,  X!V*  centenaire  du  Baptême  de  Clovis. 


BREF  DE  SA  SAINTETÉ  LÉON  XIII 


DUecto  tUlo  Joann.  Baptlstœ  Ayroles  e  Soc.  Jbsu,  Parlslos, 

LEO  P.P.  XIII. 

DiLECTE  FILI,  SaLUTEM  ET  APOSTOLICAM  BeNEDICTIONEM. 

Rem  lu  amplam  et  operosam  dudùm  aggressus,  ut  memoriam 
Joannœ  de  ArCy  Virginis  Venerabilis,  illuslrares,  jam  doclorum 
hominum  expeclalionem  probe  suslines  et  erudilionis  copia  et 
judicii  prudentia. 

Licel  veroy  ul  inslilulum  conslanler  pergas^  nihil  libi  horlalu  sil 

m 

opus  el  laudcj  ulrumque  lamen^  pro  ipsa  rei  prœslantia^  ultro 
imperlimus.  Nam  islud  palriœ  veslrw  insigne  decuSj  idem  est  Reli- 
gionis  CalhoUcœ,  cujus  prœsertim  consilio  et  ductu^  magna  gloria^ 
verœ  ornamenta  sibi  in  omni  œtale  peperit  Gallia. 

Sic  igiiur  procédai  opéra  tua,  ut^  quod  prœcipue  speclas^  hœc 
Iota  causa  ab  hostium  religionis  ictibus^  non  invulnerata  modoy 
sed  confirmata  et  auclior  emergat, 

Sunt  prœ  ceteris  qui  res  geslas  magnanimœ  pientissimœque 
Virginis  omni  exuant  divinœ  virtutis  instinct u^  cas  dimetientes  ad 
humanse  tantum  opis  facultatem;  velqui  de  iniqua  ejus  damnatione^ 
irrogata  nempeabhominibus  Apostolicœ  huic  Sedi  maxime  infensis^ 
ipsam  criminari  Ecclesiam  non  vereantur. 

Ista  el  similia  ad  lucem  fidemque  monumentorum  sapienler 
refellerCf  inleresl  magni  ;  idque  genus  optimum  est  de  religione 
simul  ac  civitale  benè  merendi.  In  quo  tu  quidem,  dilecte  fili, 
versari  ne  cesses  alacer;  eo  nunc  magis^  quod  sacrœ  ejusdem 
causœ  cursus  proximo  decrelo  nostro,  rite  ac  légitime  cœpit. 

Interea  par  libi  in  reliquo  opère  in  omnique  consilio  tuo  auxi- 
lum  adsil  bonitatis  divinœ;  quod  Apostolicx  Benedictionis  munere 
peramanler  optamus. 

Dalum  Romœ  apud  S.  Pelrum,  die  xxvJulii,  anno  MDCCCXCIV 
Ponlificalus  noslri  decimo  septimo. 

Léo  P.p.  XIII. 


TRADUCTION 


A  noire  bien-aimé  fils  y  Jean-Baptiste  Ayroles^  de  la  Compagnie 

de  Jésus j  à  Paris^ 

LÉON  XIII,   Pape. 

BlEiN-AlMÉ    FILS,  SaLUT  ET  BÉNÉDICTION   APOSTOLIQUE. 

Dans  l'œuvre  vaste  et  laborieuse  depuis  longtemps  entreprise  par 
vous,  de  mettre  en  lumière  la  figure  de  la  vénérable  Vierge, 
Jeanne  d'Arc,  vous  répondez  dignement  à  l'attente  des  doctes,  et 
parla  richesse  de  Térudition  et  par  la  sagesse  de  vos  jugements; 
et  encore  que  pour  la  continuer  et  la  poursuivre,  vous  n'ayez  besoin 
ni  d'exhortation  ni  d'éloges,  il  Nous  platt,  à  raison  de  l'importance 
de  l'œuvre,   de  vous  départir  encouragements  et  louanges. 

C'est  qu'en  effet  celle  qui  est  l'insigne  honneur  de  votre  patrie, 
l'est  en  mêmelemps  de  la  HeligionCalholique  ;  de  la  Religion  Catholique 
dont  les  lumières  et  la  direction,  plus  que  toute  autre  cause,  ont  en 
tout  temps  fait  conquérir  à  la  France  les  fleurons  de  la  vraie  gloire. 

Conduisez  donc  votre  travail  en  sorte  que,  —  ce  qui  est  votre  but 
principal,  —  tout  ce  grand  fait  de  la  Fucelle,  non  seulement  ne  soit 
en  rien  amoindri  par  les  coups  des  ennemis  de  la  Religion,  mais 
en  ressorte  plus  constant  et  plus  éclatant. 

En  tête  de  ces  ennemis,  il  faut  placer  ceux  qui,  dépouillant  les 
exploits  de  la  magnanime  et  très  pieuse  Vierge  de  toute  inspiration 
de  la  vertu  divine,  veulent  les  réduire  aux  proportions  d'une  force 
purement  humaine  ;  ou  encore  ceux  qui,  de  son  inique  condam- 
nation portée  par  des  hommes  ennemie  très  acharnés  de  ce  Siège 
Apostolique,  osent  en  faire  un  thème  d'incrimination  contre  l'Eglise. 

Réfuter  sagement,  à  la  lumière  et  sur  la  foi  des  documents, 
pareilles  assertions,  et  celles  qui  s'en  rapprochent,  estde  très  grande 
importance  ;  c'est  une  excellente  manière  de  bien  mériter  de  la  Reli- 
gion et  de  l'Etnt. 

Ne  ckssez  pas,  bien-aimé  fils,  de  poursuivre  allègrement  ce  tra- 
vail, maintenant  surtout  que  Notre  récent  Décret  a  ouvert  le  cours 
canonique  et  régulier  de  cette  sainte  Cause.  Que  la  Bonté  Divine  vous 
continue  son  assistance  pour  le  reste  de  Tœuvre  et  l'exécution  de 
votre  plan  tout  entier  :  c'est  ce  que  Nous  vous  souhaitons  très  affec- 
tueusement en  vous  départant  Notre  Bénédiction  Apostolique. 

Donné  à  Rome,  à  Saint-Fierre,  le  xxv'  jour  de  juillet  de 
l'an  MDCCCXCIV,  de  notre  Pontifical  le  dix-septième. 

Léon   XIII,   Pape. 


AU   LECTEUR 


Le  Bref  de  Sa  Sainteté,  la  plus  haute  et  la  plus  douce  des  récom- 
penses pour  l'auteur  des  volumes  la  Vraie  Jeanne  d'Arc^  est  pour 
ceux  qui  Font  soutenu  par  leurs  paroles,  leurs  écrits,  leurs  sous- 
criptions et  leurs  prières,  un  incomparable  encouragement  qu'il  est 
heureux  de  leur  offrir  avec  l'expression  de  sa  gratitude. 

Sa  Sainteté  a  daigné  lui  dire  de  poursuivre  son  œuvre  sans  se 
laisser  en  rien  interrompre  :  in  quo  tu  quidem,  dilegte  Fili,  vacare 
NE  CESSES.  Pour  uu  vrai  catholique,  spécialement  pour  un  fils  de  Saint 
Ignace,  c'est  un  ordre  que  le  moindre  désir,  la  plus  simple  invita- 
lion  que  le  Vicaire  de  Jésus-Christ  veut  bien  lui  manifester.  Obéir 
allègrement  est  tout  à  la  fois  un  honneur  et  une  source  de  grâces. 
Les  amis  de  la  première  heure  voudront  nous  continuer  un  concours 
qui  a  été  et  demeurera  notre  force  ;  l'espérance  de  coopérer  à  une 
œuvre  que  le  Vicaire  de  Jésus-Christ  déclare  très  profitable  au  bien 
de  la  société  religieuse  et  civile,  nous  en  attirera  de  nouveaux. 

Cette  œuvre  a  été  qualifiée  en  trois  mots  par  un  des  historiens  les 
plus  accrédités  de  la  vénérable  Pucelle,  par  M.  Marins  Sepet,  qui  est 
en  même  temps  un  des  critiques  catholiques  les  mieux  posés  :  «  C'est 
un  œuvre  de  vulgarisation,  de  recherches  et  de  discussion  »,  a-t-il 
écrit. 

I 

Œuvre  de  vulgarisation,  elle  a  pour  but  de  permettre  à  quiconque 
n'est  pas  sans  quelque  culture  intellectuelle  d'étudier  la  céleste  appa- 
rition dans  les  sources  n^êmes  de  son  histoire.  11  est  nécessaire  que 
ces  sources  soient  vulgarisées,  pour  que  l'angélique  figure  apparaisse 
à  tous  les  regards,  dégagée  des  travestissements  et  des  mutilations 


X  AU  LECTEUR. 

que  lui  ont  fait  subir  les  erreurs  qu'elle  foudroie  ;  c'est  nécessaire  pour 
que  de  son  radieux  visage  tombent  les  ineffables  lumières  qui  en 
jaillissent.  La  Pucelle  est  une  démonstration  irréfragable  de  la 
divinité  du  christianisme,  un  touchant  exposé  de  son  dogme  et  de  sa 
morale,  la  justification  des  pratiques  catholiques,  un  coin  du  voile 
qui  nous  dérobe  les  réalités  invisibles  soulevé,  c'est  le  Ciel  entrevu. 
Elle  n'est  tout  cela  que  tout  autani  qu'elle  apparaît  telle  que  les  con- 
temporains la  virent  et  la  contemplèrent,  telle  qu'elle  s'est  manifestée 
elle-même  dans  les  lettres  qu'elle  a  dictées,  dans  les  réponses  que  lui 
arrachèrent  les  tortionnaires  de  Rouen.  Il  y  a  toujours  plaisir  et  profit 
à  étudier  ces  maîtresses  pièces,  à  les  rapprocher,  à  voir  comment, 
même  les  plus  hostiles,  laissent  échapper  des  aveux  précieux  à  re- 
cueillir, et  fournissent  au  penseur  le  sujet  de  profondes  réflexions. 
Donner  les  documents  dans  leur  malérialité,  dans  la  langue  où  ils 
ont  été  écrits,  en  respecter  jusqu'à  l'orthographe,  c'est  les  réserver 
aux  raffinés  de  l'érudition,  et  les  rendre  inaccessibles  à  ceux  que  des 
études  spéciales  n'auront  pas  préparés  à  les  pénétrer.  Sans  parler 
des  pièces  écrites  en  latin,  —  et  elles  sont  nombreuses,  —  en  vieil 
italien  ou  en  allemand,  les  lecteurs  qui  voudront  ou  même  seront  en 
état  de  lire  une  Chronique  française  de  la  première  partie  du  xv"  siècle 
sont  en  petit  nombre.  L'orthographe  du  temps,  si  différente  de  la 
nôtre,  en  rend  la  lecture  suivie,  pénible  et  fatigante.  Bien  des  mots 
ont  entièrement  disparu  de  la  langue.  On  ne  dit  plus  atout  pour  avec, 
adotic  pour  alors,  greigneur  pour  meilleur,  etc.  Ce  qui  est  une  plus 
fréquente  cause  de  méprise,  bien  des  mots  que  nous  possédons  encore 
ont  perdu  une  partie  des  acceptions  qu'ils  avaient  alors  ;  on  com- 
prend mal,  ou  l'on  ne  comprend  pas  tout  de  suite,  si  on  leur  donne 
l'acception  restreinte  qu'ils  ont  conservée.  Le  mot  hôtel,  qui  ne 
se  prend  plus  aujourd'hui  que  dans  le  sens  {['hôtellerie,  ou  d'habitation 
luxueuse,  désigne  au  xv*  siècle  toute  demeure  habitée  par  l'homme, 
comme  c'est  encore  l'acception  du  mot  oustal  dans  certains  patois 
du  Midi  ;  le  mot  harnais  ne  s'applique  pas  seulement  à  l'équipement 
du  cheval,  mais  à  celui  du  guerrier;  bataille,  qui  aujourd'hui  désigne 
le  combat  engagé  entre  deux  armées,  signifie  dans  les  Chroniques 
l'armée  elle-même  ;  le  mot  assai  a  souvent  la  valeur  d'un  superlatif, 
et  doit  être  pris  pour  très,  beaucoup,  fort.  Le  Glossaire  de  la  langue  du 
moyen  âge  de  Lacurne  de  Sainte-Palaye,  que  nous  avons  eu  constam- 
ment en  mains  durant  notre  travail,  se  compose  de  dix  volumes  in-4* 


AU  LECTEUR.  XI 

à  deux  colonnes,  et  nous  y  avons  inutilement  cherché  plusieurs  mots 
des  Chroniques  que  nous  avons  reproduites.  Ajoutons  que  la  cons- 
truction des  phrases  s'écarte  delà  construction  aujourd'hui  en  usage. 
Elle  prête  souvent  à  l'équivoque,  surtout  dans  l'emploi  des  pronoms 
relatifs  qui  peuvent  grammaticalement  se  rapporter  à  plusieurs 
sujets.  La  phrase,  parfois  démesurément  longue,  se  compose  de  parties 
qui  ne  sont  reliées  entre  elles  que  par  d'interminables  et.  Les  mots 
(///,  d'Ue^  semblent  faire  partie  des  articles,  avec  lesquels  ils  sont 
écrits  comme  s'ils  en  étaient  la  seconde  syllabe,  tant  ils  sont  fasti- 
dieusement  répétés.  On  les  trouve  employés  parfois,  alors  même  qu'il 
n'a  pas  été  question  du  dit  personnage.  Les  textes  cités  dans  leur 
intégrité  aux  Pièces  justificatives,  au  bas  des  pages,  ou  dans  l'ouvrage 
même,  démontreront  suffisamment  que  la  lecture  courante  de  sem- 
blables documents  est  exclusivement  réservée  à  quelques  rares  spé- 
cialistes, voués  à  des  travaux  d'érudition. 

Le  travail  de  rajeunissement  a  porté  d'abord  sur  l'orthographe 
qui  a  été  modernisée.  Aux  mots  que  ne  comprendrait  pas  de  prime 
abord  un  lecteur  médiocrement  instruit,  ont  été  substitués  les  termes 
aujourd'hui  usités.  Un  déplacement  de  mots  a  suffi  parfois  pour 
rendre  facile  l'intelligence  de  phrases  confuses  dans  le  texte.  La 
suppression  des  ^/,  des  dit^  permet  souvent  de  leur  donner  une  coupe 
qui  heurte  moins  l'oreille.  Garder  avec  cela  la  saveur  de  la  vieille 
langue  qui,  par  sa  naïveté,  s'harmonise  si  bien  avec  le  sujet,  ce  serait 
la  perfection.  Le  but  a  été  poursuivi ^  L'auteur  est  le  premier  à 
regretter  qu'il  n'ait  pas  toujours  été  atteint. 

Mutiler  un  chef-d'œuvre  de  Michel-Ange,  altérer  le  coloris 
d'un  tableau  de  Raphaël,  passe  pour  un  attentat  auprès  des  artistes. 
Quand  il  s'agit  d'un  chef-d'œuvre  des  mains  de  Dieu,  tel  que  Jeanne 
la  Pucelle,  c'est  un  sacrilège.  Altérer  sciemment  le  sens  des  textes, 
c'est  s'exposer  à  le  commettre.  Notre  conscience  nous  dit  que  nous 
sommes  innocent  de  semblable  crime  ;  c'est  avec  un  vrai  scrupule 
qu'il  a  été  procédé  aux  changements  indiqués.  Ne  faire  dire  h 
l'écrivain  que  ce  qu'il  dit,  tout  ce  qu'il  dit,  a  été  l'objet  d'une  pré- 
occupation constante.  Tous  les  jours,  non  seulement  dans  les  sciences 
sacrées,  mais  dans  tout  ordre  de  connaissances,  Ton  argumente 

1.  CeKains  chroniqueurs  écrivent  tourelles^  d'autres  tourneUes^  bastilles  et  d'autres 
bastideSf  etc.  11  n'y  avait  pas  de  raison  de  changer  ce  qui  est  parfaitement  intelligible 
pour  tout  lecteur. 


XII  AU  LECTEUR. 

d  après  des  traductions.  C  est  beaucoup  moins  qu  une  traduction 
qu'ont  subi  les  textes  de  nos  vieux  chroniqueurs  ;  le^  lecteur  pourra, 
je  Tespère,  faire  fond  sur  notre  travail,  comme  sur  le  texte  même. 
Sans  parler  de  plusieurs  textes  originaux  reproduits  aux  Pièces 
justificatives,  on  trouvera,  au  bas  delà  page,  ceux  qui  ont  paru 
amphibologiques,  ou  avoir  une  importance  spéciale. 

La  méthode  qui  vient  d'être  exposée  n'est  pas  celle  qui  est 
aujourd'hui  en  honneur.  On  s'attache  à  la  reproduction  matérielle, 
parfois  photographique  des  textes.  Cela  peut  assurer  la  conservation 
de  nos  monuments  historiques  ;  mais  borner  là  le  travail  de  l'histo- 
rien, ce  serait  faire  descendre  l'histoire  au  rang  du  métier.  Il  est 
vrai  que  le  plus  souvent  le  texte  est  accompagné  de  notes,  parfois 
trois  ou  quatre  fois  plus  étendues  que  l'écrit  original  minutieusement 
reproduit.  N'est-ce  pas  ajouter  une  difficulté  de  plus  à  une  lecture 
déjà  fatigante,  en  interrompant  par  des  renvois,  à  chaque  membre 
de  phrase,  celui  qui  l'a  entreprise  ?  N'est-ce  pas  faire  de  l'histoire  le 
domaine  exclusif  de  quelques  rares  amateurs  qui  s'en  partagent 
les  lambeaux  ?  Quelle  que  soit  la  valeur  des  annotations  et  la  somme 
de  travail  qu'elles  représentent,  l'auteur,  au  lieu  d'être  un  historien, 
reste  toujours  un  scoliaste,  titre  jusqu'ici  peu  considéré.  Quoi  qu'il  en 
soit,  la  Vraie  Jeanne  d' Arc  n'aurait  pas  mis  à  la  portée  du  plus  grand 
nombre  les  sources  de  la  plus  merveilleuse  des  histoires,  si  nous  nous 
en  étions  tenu  à  la  méthode  aujourd'hui  préconisée.  Les  amateurs 
de  l'érudition  pour  ainsi  dire  mécanique,  par  la  collation  avec  les 
originaux,  pourront  dire  si  nous  avons  réussi  à  respecter  l'intégrité 
du  sens  des  documents  reproduits. 

li 

La  Vraie  Jeanne  cCArc  est  une  œuvre  de  recherches.  Plus  l'histoire 
de  la  Libératrice  est  en  dehors  des  histoires  connues,  plus  elle  a 
besoin  d'être  appuyée  sur  des  preuves  irréfragables.  L'on  ne  sau- 
rait trop  redire  que  la  Providence  y  a  splendidement  pourvu.  Pas  de 
personnage  historique  qui  soit  entré  dans  la  postérité  porté  par 
semblable  nuée  de  témoins  bien  informés,  amis,  ennemis,  indiffé- 
rents ;  qui  se  soit  révélé  lui-même  d'une  manière  plus  sincère  et 
plus  à  l'abri  de  toute  méfiance. 

Il  y  a  longtemps  qu'on  a  commencé  à  grouper  quelques-uns  de 


XIV  AU  LECTEUR. 

L'intérêt  exceptionnel  qui  g'attache  à  Jeanne  d'Arc  a  fait  étudier 
bien  des  personnages  mêlés  de  plus  ou  moins  près  à  son  histoire.  On 
s'efforce  d'éclairer  les  moindres  faits,  de  fixer  les  lieux.  De  là  une 
multitude  de  brochures,  et  surtout  d'articles  dans  les  si  nombreuses 
revues  de  la  capitale  et  des  provinces.  Tentatives  toujours  louables,  ,] 
pas  également  heureuses  ;  plusieurs  cependant  offrent  de  précieux 
renseignements. 

De  longues  journées  ont  été  employées  à  feuilleter  ces  recueils,  et 
à  chercher,  au  milieu  de  matières  bien  disparates,  ce  qui  avait  trait 
à  rhéroïne.  Ce  qui  a  paru  mieux  fondé  et  plus  digne  d'intérêt  a 
été  recueilli  et  brièvement  analysé,  ou  même  intégralement  re- 
produit. 

Fils  d'un  ouvrier  fanatique  de  jacobinisme,  Jules  Quicherat, 
assure-t-on,  avait  conservé  dans  l'intimité  quelque  chose  de  Texalla- 
tion  révolutionnaire  de  son  père.  Plus  modéré  dans  ses  écrits,  son 
rationalisme  cependant  ne  se  fait  pas  seulement  jour  dans  ses  Aperçus 
nouveaux^  il  influe  sur  l'appréciation  des  documents  qu'il  produit.  Le 
surnaturell'offusque  ;  les  Chroniques  où  il  est  plus  élagué  ont  manifes- 
tement ses  préférences,  alors  qu'elles  sont  non  seulement  sèches,  mais 
déparées  par  de  manifestes  erreurs.  Celles  au  contraire  qui  relatent 
des  faits  merveilleux,  même  les  mieux  établis,  lui  déplaisent  et  sont 
jugées  sévèrement.  Encore  que,  comme  paléographe,  il  soit  d'une 
compétence  qu'il  nous  siérait  mal  de  contester,  il  n'est  pas  impossible 
de  constater  qu'il  n'a  pas  été  toujours  heureux  dans  le  choix  de  ses 
manuscrits,  et  que,  dans  la  transcription,  des  fautes,  d'ailleurs  assez 
rares,  lui  ont  échappé,  ou  ont  échappé  aux  copistes  qu'il  employait. 

Nous  n'entendons  pas,  par  ces  observations,  contester  que  l'histoire 
de  la  Libératrice  ne  lui  soit  grandement  redevable,  mais  seulement 
réduire  à  ses  justes  limites  un  mérite  qu'un  sentiment  louable  en  lui- 
même,  la  reconnaissance  de  ses  disciples,  a  peut-être  surfait. 

III 

La  Vraie  Jeanne  et  Arc  est  une  œuvre  de  discussion.  L'histoire  de  la 
Pucelle  frappant  toutes  les  erreurs  des  derniers  siècles,  il  n'est  pas 
étonnant  que  les  tenants  de  ces  erreurs  se  soient  efforcés  de  voiler,  de 
mutiler,  d'altérer  les  aspects  qui  les  offusquaient. 

Quels  ressorts  n'a  pas  fait  jouer,  n'emploie  pas  encore  le  naturalisme 


geDces. 


AU  LECTEUR.  Xt 

r  de  la  figure  qui  le  foudroie!  Yiolenl,  satanique 
devenu  astucieux  avec  Michelet  et  sod  école,  et  a 
e  d'un  culte  eotliousiaste  pour  Théroïne  le  brevet 
qu'il  lui  a  décerné.  La  circulaire  de  Lemmi  aux 
prouve  que,  jugeant  cette  altitude  peu  tenable,  il 
reurs  et  aux  infamies  de  son  père, 
troduits,  il  faudra,  comme  cela  a  été  fait  pour  la 
lontrer  à  quelles  tortures,  à  quelles  fausses  inter- 
nettent  les  écoles  naturalistes  de  tout  degré,  et 
e  les  difiicultés  qui  peuvent  naître  de  leurs  divcr- 


IV 


Pareil  plan  exige  de  nombreuses  pages.  Si  nous  avions  pu  hésiter 
à  le  poursuivre,  cela  ne  nous  est  plus  permis  après  les  paroles  de  Sa 
Sainteté  :  in  qtio  vacare  ne  cesses,  après  les  encouragements  qui  nous 
viennent  même  d'au  delii  des  mers. 

La  Providence  continuera  de  nous  fournir  les  moyens  matériels  par 
nos  souscripteurs,  ou  par  toute  autre  voie.  Un  de  nos  prochains  vo- 
lumes portera  les  noms  de  ceux  qui  auront  collaboré  avec  nous,  en 
souscrivant  à  toutes  les  parties  de  la  Vraie  Jeanne  d'Arc. 

On  trouvera  dans  celui-ci  tous  les  documents  que  nous  ont  légués 
le  parti  de  la  Libératrice,  le  parti  français,  et  le  parti  anglo-bourgui- 
gnon qu'elle  combattait.  Nous  avions  espéré  y  faire  entrer  les  Chro- 
niques transmises  par  les  nations  étrangères  ft  la  querelle.  L'intérêt, 
les  richesses  jusqu'à  présent  ignorées,  l'étendue  de  la  Chronique 
de  Morosini,  éditée  ici  pour  la  première  fois,  nous  ont  contraint  de 
renvoyer  les  autres  pièces  au  volume  suivant.  Il  sera  consacré  aussi 
à  la  vie  guerrière.  On  y  entendra  la  chrétienté  entière  du  xv'  siècle, 
les  témoins  oculaires  des  merveilleux  exploits,  la  Libératrice  elle- 
même  nous  révéler  ce  que  furent  les  événements  de  cette  période,  et 
surtout  la  sainteté  de  celle  qui  les  conduisait. 

Un  mot  sur  la  disposition  adoptée  ici.  C'est  d'abord  un  exposé  des 
deux  partis  en  lutte,  et  une  briève  notice  des  personnages  qui  étaient 
à  leur  tète  à  l'arrivée  de  Jeanne.  Cela  nous  évitera  des  renvois  h  des 
notes  qui  interrompraient  la  lecture.  Un  exposé  sommaire  de  l'art 
de  la  guerre  au  commencement  du  xv'  siècle  fera  mieux  comprendre 
combien  fut  merveilleuse  la  jeune  fille  de  dix-sept  ans  que  l'on  y  vit 


LIVRE    PREMIER 


L'ÉTAT  DES   DEUX  PARTIS.   —  ORLÉANS. 
LE    SIÈGE    JUSQU  A    L'ARRIVÉE    DE    LA    PUCELLE. 


m. 


LA  LIBÉRATRICE 


LIVRE  PREMIER 

L'ÉTAT  DES  DEUX  PARTIS.  —  ORLÉANS. 
LE  SIÈGE  JUSQU'A  L'ARRIVÉE  DE  LA  PUCELLE. 


CHAPITRE    PREMIER 

LA  FRANCE  ET  LE  PARTI  NATIONAL  A  L'ARRIVÉE  DE  LA  PUCELLE. 

Sommaire  :  I.  —  Les  limites  de  la  France  au  commencement  du  xv«  siècle.  —  Le  duclié 
de  Lorraine,  le  Dauphiné,  la  Provence  reconnaissant  la  suzeraineté  de  l'Empire; 
liens  des  deux  dernières  provinces  avec  la  France.  —  Démembrement  projeté.  — 
Les  pays  soumis  à  la  domination  de  l'Angleterre.  —  Cette  domination  était  loin 
d'être  également  acceptée  par  tous  les  pays  nominalement  soumis. 

II.  —  Le  roi  de  Bourges  presque  universellement  abandonné.  —  Les  familles  prin- 
cières  :  Orléans,  Anjou,  Alençon,  Charles  de  Bourbon  comte  de  Clermont,  Jacques 
de  Bourbon  la  Marche.  Son  gendre  un  saint,  le  sire  de  Pardiac,  avait  cependant 
pris  les  armes  contre  le  roi.  —  Le  bâtard  d'Orléans.  —  Louis  de  Vendôme.  —  Raoul 
de  Gaucourt,  Regnault  de  Chartres,  Machet,  La  Trémoille,  Robert  le  Maçon.  —  Le 
Connétable.  —  Jean  IV,  comte  d'Armagnac.  —  Le  comte  de  Foix.  —  Gilles  de  Rais. 
—  Le  maréchal  de  Boussac.  —  Louis  de  Culan.  —  Le  sire  de  Graviile.  —  Les  Gascons  : 
le  sire  de  Coarraze,  LaHire,  Xaintrailles,  Jean  d'Aulon,  le  sire  d'Albret. —  Les  Bretons  : 
Alain  Giron,  de  Laval.  —  Chabannes,  etc. 

UI.  —  Les  milices  royales.  —  Les  forces  de  Charles  VU  se  composaient  principalement 
de  mercenaires  étrangers  :  Espagnols,  Lombards  et  surtout  Écossais.  —  Impopularité 
des  Écossais.  —  Services  qu'ils  ont  rendus  à  la  France.  —  Les  milices  communales. 
Un  des  grands  appuis  de  la  Pucelle.  —  Le  Connétable. 


I 

Un  écrivain  du  xv*  siècle,  Gilles  le  Bouvier,  plus  connu  sous  le  nom  de 
le  Hérault  Bernj^  traçait  ainsi  les  limites  du  royaume  de  France  qu'il 
disait  le  plus  beau,  le  plus  plaisant,  le  plus  gracieux,  le  mieux  propor- 
portionné  de  tous  les  royaumes  :  Il  a  xxii  journées  de  long  de  TEcluse 


4  LA  VRAIE  JEANNE  D'AHC  I   LA  LIBÉRATRICE. 

en  Flandre  à  Saint-Jean-Pied-de-Port  à  Tentrée  du  royaume  de  Navarre  ; 
XVI  de  large  depuis  Saint-Mathieu-de-Fine-Poterne  en  Bretagne  jusqu'à 
Lyon  sur  le  Rhône.  De  TÉcluse  en  Flandre  jusqu'au  royaume  de  Navarre 
il  est  fermé  par  la  mer  ;  et  de  là  par  les  monts  Pyrénéens  jusqu'à  Narbonne  ; 
et  de  Narbonne  jusqu'à  Aigues-Mortes  par  la  mer  du  Midi  qu'on  appelle 
Méditerranée;  et  d'Aigues-Mortes  jusqu'à  Lyon  par  le  Rhône  là  où  tombe 
la  Saône;  et  dudit  Lyon  jusqu'à  Luxeuil  par  la  Saône;  et  près  de  là 
commence  le  fleuve  de  Meuse,  dont  le  même  royaume  est  fermé  contre 
les  Allemagnes,  jusqu'à  la  comté  de  Hainaut  et  au  pays  de  Liège,  et  à 
une  journée  de  là  il  est  fermé  par  l'Escaut  qui  part  d'auprès  Bouchain  en 
Cambraisis  jusqu'à  la  mer  de  Flandres,  où  tombe  ledit  fleuve  \ 

Le  royaume,  comme  on  le  voit,  avait  notablement  perdu  à  l'est  des 
limites  qu'il  avait  dix  siècles  avant,  à  la  mort  du  premier  roi  chrétien.  La 
partie  de  la  Lorraine  qui  est  sur  la  rive  droite  de  la  Meuse,  le  Dauphiné  et 
la  Provence,  relevaient,  au  moins  nominalement,  de  la  suzeraineté  de 
l'Empire.  Cependant  les  deux  derniers  pays  se  rattachaient  à  la  France  par 
des  liens  fort  étroits  qui  devaient  préparer  leur  incorporation.  La  Provence 
était  possédée  par  la  maison  d'Anjou,  tige  royale  la  plus  rapprochée  du 
trône  après  la  maison  d'Orléans.  Le  Dauphiné  y  tenait  de  plus  près 
encore,  depuis  qu'il  était  devenu  l'apanage  de  l'héritier  présomptif 
de  la  couronne.  En  fait  il  semblait  la  possession  la  moins  précaire  de 
Charles  VII,  que  le  parti  ennemi  aimait  à  appeler  le  Dauphin  Viennois. 
La  générosité  avec  laquelle  la  noblesse  dauphinoise  versait  son  sang  pour 
la  cause  française  montrait  que  le  pays  était  français  par  l'âme,  avant 
de  Tôtre  diplomatiquement,  dirions-nous  aujourd'hui.  Cependant  deux 
puissants  voisins  escomptaient  les  malheurs  du  roi  de  Bourges  dans 
Tespérance  de  se  partager  cette  province  ;  c'étaient  le  prince  d'Orange  et 
le  duc  de  Savoie  ;  les  victoires  de  la  Pucelle  ne  les  avaient  pas  fait  renon- 
cer à  leur  dessein,  puisqu'ils  envahissaient  le  Dauphiné  au  moment  où 
elle  était  prise  à  Compiègne.  La  défaite  qu'ils  subirent  à  Anthon  le 
11  juin  1430  leur  apprit  à  en  respecter  les  limites.  Ce  n'était  là  qu'un  des 
nombreux  démembrements  qu'avait  fait  méditer  la  conquête  anglaise, 
en  un  temps  où,  d'après  Jacques  Gelu,  chacun  se  croyait  en  droit  de 
pouvoir  prendre,  de  ce  qui  fut  la  France,  la  partie  qu'il  pouvait  conquérir 
et  garder.  Le  malheureux  pays,  dit  Alain  Chartier,  ressemblait  à  la  mer 
où  chacun  est  maître  de  ce  qu'il  peut  capturer.  En  fait,  voici  d'après 
un  travail  qui  épuise  le  sujet,  quels  étaient,  à  l'arrivée  de  Jeanne,  les 
pays  soumis  à  la  domination  anglaise  : 

1 .  Cilé  par  M.  Longnon,  d'après  le  P.  Labbe  qui  Ta  édité  dans  son  Abrégé  royal  (1651). 
Voir  dans  la  Revue  des  questions  historiques  (octobre  1875)  le  magistral  travail  du 
moderne  érudit,  auquel  il  sera  fail  d'autres  emprunts. 


LE  PARTI  NATIONAL.  ?► 

» 

«  Toute  la  partie  du  royaume  de  France  siluée  à  droite  de  la  Loire^ 
depuis  la  limite  commune  du  Beaujolais  et  du  Maçonnais  jusqu'à  Tembou- 
chure  du  fleuve,  reconnaissait,  à  quelques  exceptions  près,  Tautorité 
de  Henri  VI.  Les  États  de  ce  prince  s'étendaient  même  avec  le  duché  de 
Bretagne  au  delà  de  la  Loire  jusqu'à  la  limite  septentrionale  du  Poitou. 
Le  roi  légitime  n'avait  guère  conservé  au  nord  du  fleuve  que  la  partie 
septentrionale  de  l'Anjou,  de  la  Touraine,  du  Blésois,  une  partie   du 
Dunois,  la  ville  d'Orléans  alors  assiégée  et  prête  à  succomber,  le  comté 
de  Gien,  et  le  pays  de  Puysaie.  Il  était  encore  obéi  sur  quelques  points 
isolés,  le  Mont-Saint-Michel,  ïournay,  la  châtellenie  de  Vaucouleurs,  et 
peut-être  La  Ferté-Bernard.  La  suzeraineté  de  Henri  VI  s'étendait  donc 
sur  les  Flandres  française  et  belge,  l'Artois,  la  Picardie,  la  Normandie 
la  Bretagne,  le  Maine,  l'Orléanais  (en  majeure  partie),  l'Ile-de-France,  la 
Champagne,  le  Barrois,  la  Bourgogne  et  le  Nivernais.  Il  possédait  de  plus, 
dans  le  Midi,  le  Bordelais,  le  Bazadais  pour  la  plus  grande  partie,  les 
Landes,  le  Labourd  et  la  Soûle  en  qualité  de  descendant  de  Henri  Plan- 
tagenet  et  d'Eléonore  de  Guyenne,  l'épouse  répudiée  de  Louis  VII  ^  » 
La  domination  anglaise  était  loin  d'être  également  afl'ermie  dans  toutes 
ces  contrées.  Elle  était  pleinement  acceptée  à  Bordeaux,  à  Bayonne,  pays 
soumis  à  l'Angleterre  depuis  trois  siècles.  Le  commerce  se  trouvait  bici> 
de  cette  vassalité,  encore  que  la  guerre  fût  en  permanence  sur  les  fron- 
tières, le  Périgord,  l'Agenais,  le  Quercy,  contrées  qui  ne  voulaient  pa& 
devenir  anglaises.  Les  provinces  que  le  traité  de  Troyes  avait  fait  passer 
sous  le  gouvernement  immédiat  de  l'Angleterre,  telles  que  la  Normandie, 
la  Picardie,  TIle-de-France,  la  Champagne,  off'raient  à  l'étranger  un  point 
d'appui  moins  chancelant  que  celles  qui  n'en  relevaient  que  par  l'intermé- 
diaire de  puissants  feudataires.  Telle  la  Bretagne.  Le  duc  avait  juré, 
renié,  juré  encore  le  fatal  traité  :  ses  sujets  n'étaient  nullement  sympa- 
thiques à  l'étranger.  Le  duc  de  Bourgogne,  cause  de  tout  le  mal,  no 
persistait  pas  dans  l'alliance  anglaise  par  le  seul  désir  de  venger  la  mort 
de  son  père  ;  il  se  faisait  payer  sa  fidélité  par  le  comté  d'Auxerre  d'abord, 
et,  ensuite,  après  les  premières  victoires  de  Jeanne,  par  la  promesse 
de  la  Champagne  qui  reliait  ses  provinces  d'Artois  et  des  Flandres  aux 
provinces  des  deux  Bourgognes.  Ne  méditait-il  pas  pour  lui  ou  pour  sa 
postérité  la  formation  d'un  royaume  indépendant?  Il  avait  la  puissance  de 
l'un  des  premiers  rois  de  l'Europe,  et  il  traitait  avec  l'Angleterre  en  allié 
plutôt  qu'en  vassal.  Quant  au  jeune  duc  de  Bar,  René,  s'il  se  préparait  en 
ce  moment  à  faire  hommage  à  l'Anglais,  c'était  certainement  à  contre- 
cœur qu'il  se  séparait  d'un  beau-frère  avec  lequel  il  avait  été  élevé,  et  qu'il 

1.  M.  Lo?îG?iON,  /or.  dt.  p.  500. 


6  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

abandonnait  le  parti  Armagnac,  dont  son  père  et  sa  famille  avaient  été 
un  des  soutiens.  Jusqu'à  quel  point  sa  mère  Yolande  fut-elle  consultée? 
Dans  l'état  désespéré  de  son  gendre,  n'aurait-elle  pas  approuvé  que  son 
fils  prît  ses  sûretés?  c'est  ce  qu'il  est  permis  de  se  demander. 

Quoique  dans  le  volume  précédent,  il  ait  été  montré  par  le  détail  avec 
combien  de  raison  Jacques  Gelu  avançait  que  personne  n'obéissait  plus 
au  roi  de  Bourges,  il  peut  être  utile  d'insister,  et  surtout  de  faire  connaître 
les  principaux  personnages  qui  interviendront  dans  les  Chroniques. 


II 

Nous  entendrons  Monstrelet,  parlant  du  roi  de  Bourges,  nous  dire  qu'après 
la  journée  des  Harengs,  la  plupart  de  ses  princes  et  autres  des  plus  nobles 
seigneurs  l'avaient  à  peu  près  laissé ,  et  comme  abandonné^  voyant  que  de 
toutes  parts  ses  besognes  venaient  au  contraire.  Chastellain,  qu'on  serait 
tenté  d'appeler  le  Saint-Simon  de  l'époque,  tant  son  burin  a  de  profon- 
deur et  de  relief,  écrit,  dans  le  portrait  très  favorable  qu'il  a  laissé  de 
Charles  VU  :  «  Or  il  est  vrai  que  ce  roi  Charles  en  ses  jeunes  années  se 
trouva  très  importuné  et  très  oppressé  de  ses  ennemis,  tellement  que  les 
dernières  bornes  de  son  royaume  lui  étaient  ôtées,  entre  lesquelles  [bornes) 
la  fortune  lui  était  encore  très  rude,  et  lui  tenait  l'esprit  très  aigre  par 
diverses  tribulations  et  adversités  toujours  nouvelles,  tant  du  côté  de  ses 
ennemis,  Bourguignons  et  Anglais,  comme  de  ses  principaux  gens 
eux-mêmes,  routiers,  Écossais,  Espagnols,  Lombards,  qui  dominaient 
sur  lui  par  hautesse.  »  Le  chroniqueur  ajoute,  ce  qui  a  été  établi 
ailleurs  :  «  En  quoi  dévot  à  Dieu  alors  il  se  montra,  très  patient, 
mais  corrigé  peut  être  de  la  volonté  de  Dieu  de  quelques-uns  de  ses 
délits*  ». 

Sans  parler  du  duc  de  Bourgogne,  le  grand  coupable,  les  autres  princes 
du  sang  étaient  presque  tous  ou  un  obstacle,  ou  impuissants.  Louis  III 
d'Anjou,  le  frère  aîné  de  René,  duc  de  Bar,  était  occupé  à  faire  valoir  ses 
prétentions  sur  le  royaume  de  Naples.  Charles  d'Orléans,  pour  lequel 
le  parti  s'était  formé,  fait  prisonnier  à  Azincourt,  après  qu'il  avait 
dépensé  les  immenses  revenus  de  sa  famille,  qui,  dit  Chastellain,  s'éle- 
vaient bien  à  dix-huit  mille  écus,  était  disposé  à  accepter  le  traité  de 
Troyes  pour  voir  linir  une  captivité  de  près  de  quinze  ans  déjà.  Celle  de 
son  frère,  Jean,  comte  d'Angoulême,  avait  commencé  trois  ans  plus  tôt, 
ayant  été  donné  par  ce  même  Charles,  comme  gage  du  complet  payement 

1.  Chronique f  liv.  Il,  ch.  xlii. 


LE  PARTI  NATIONAL.  7 

de  la  somme  promise  pour  faire  retirer  les  Anglais  qu'il  avait  eu  le  tort 
d'appeler. 

Le  duc  d'Alençon  n'épargnait  rien  pour  parfaire  la  rançon  qu'il  avait 
promise  à  la  suite  de  sa  prise  à  Verneuil. 

Le  duc  de  Bourbon,  prisonnier  lui  aussi  depuis  Azincourt,  non  seule- 
ment signait  le  traité  de  Troyes  pour  voir  tomber  ses  fers  ;  il  acceptait 
des  conditions  si  dures  que  son  fils  et  ses  sujets  se  déclaraient  impuissants 
à  les  remplir. 

Ce  fils,  Charles,  comte  de  Clermont,  était,  dit  Chastellain,  le  plus  agile 
corps  de  France,  un  Absalon,  un  autre  Paris,  très  facondeux;  il  n'en  était 
point  pour  cela  plus  utile  à  la  couronne*.  Pour  renverser  La  Trémoille  il 
avait  pris  les  armes  en  1428,  et,  par  sa  vaine  susceptibilité,  fait  perdre 
la  journée  des  Harengs.  Beau-frère  du  duc  de  Bourgogne,  il  était  mêlé 
à  d'interminables  négociations,  qui  n'avançaient  rien. 

Jacques,  comte  de  la  Marche,  d'une  branche  cadette  de  Bourbon,  avait 

commencé  par   être  Bourguignon  ;  il  avait  épousé  en  secondes  noces 

Jeanne  U,  reine  de  Naples  ;  s'était  échappé  de  la  prison  où  sa  femme  l'avait 

enfermé  ;  il  était  en  disgrâce  auprès  de  La  Trémoillecontre  lequel  son  gendre, 

le  comte  de  Pardiac,  avait  pris  les  armes  avec  Charles  de  Bourbon,  et  le 

Connétable.  C'était  pourtant  un  saint  que  ce  comte  de  Pardiac,  dont 

Chastellain  trace  le  portrait  suivant,    qu'on  est  heureux   de   pouvoir 

opposer  aux  laideurs  dont  est  remplie  cette  abominable  époque  :  «  Il 

allait  à  Téglise  plus  modeste  qu'une  épousée;  sur  la  terre  nue  se  mettait 

à  genoux  devant  le  crucifix,  les  yeux  en  terre,  les  mains  au  ciel...  En  sa 

famille  il  n'y  avait  nul  homme  dissolu,  nul  jureur,  nul  vivant  de  rapine... 

nul  de  vicieuse  et  déshonnête  conversation...  Quotidiennement,  à  l'heure 

du  repas,  il  s'asseyait  emmi  eux,  faisait  lire  la  Bible,  livres  de  doctrine 

et  de  moralité,  livres  de  fruit  et  de*  perfection,  et  s'y  faisait  plus  en  sa 

maison  qu'en  un  réfectoire  de  Chartreux...  Nulle  défaillance  de  justice, 

mais  toute  contendance  à  vertu,  et  à  l'amour  de  Dieu,  par  despection,  ce 

me  semblait,  de  la  gloire  et  vanité  du  monde^.  »  Il  fallait  bien  que  le 

devoir  fût  difficile  à  voir,  non  moins  qu'à  accomplir,  pour  qu'en  juillet 

1428,  ce  digne  personnage,  dans  le  but  de  renverser  La  Trémoille,  ait 

cru  pouvoir  marcher,  à  la  suite  de  Richemont,  contre  le  roi  lui-même. 

Ajoutons  encore  qu'il  a  été  question  d'instruire  la  cause  de  canonisation 

de  ce  Jean  d'Orléans,  comte  d'Angoulême,  dont  la  captivité  vient  d'être 

mentionnée.  C'est  l'aïeul  de  François  P'. 

Louis  de  Bourbon,  comte  de  Vendôme,  frère  de  Jacques  de  la  Marche, 
devait  combattre  auprès  de  la  Pucelle. 

1.  Chronique j  liv.  U,  ch.  xui. 

2.  W.,  ihid. 


8  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :   LA  LIRÉRATRICE. 

De  tous  les  princes  du  sang,  celui  qui  devait  rendre  le  plus  de  services 
à  la  couronne  était  aloi^  connu  sous  le  nom  de  Jean,  bâtard  d'Orléans,  en 
attendant  de  Têtre  sous  celui  de  comte  de  Dunois.  Qu'on  ne  s'étonne  pas 
de  cette  appellation  aujourd'hui  un  peu  crue.  La  pruderie  n'est  pas  la 
caractéristique  de  la  langue  du  xvr  siècle.  C'est  le  nom  que  prend  le 
prince  dans  ses  actes  officiels,  qui  commencent  ainsi  Jean,  bâtard  cTOr- 
léans.  Le  mot  s'applique  à  bien  d'autres  dans  un  siècle  qui  fut  le  tombeau 
des  mœurs  chrétiennes  ;  les  bâtards  des  grandes  familles  foisonnent 
dans  les  Chroniques  du  temps.  L'honneur  des  mœurs  chrétiennes  s'était 
réfugié  dans  les  classes  populaires,  comme  il  l'était  plus  tard,  avant  la 
Révolution.  Le  bâtard  d'Orléans,  alors  âgé  de  vingt-sept  ans,  s'était  révélé 
en  1427  à  la  rescousse  de  Montargis,  en  forçant  les  Anglais  à  lever  le  siège 
de  cette  importante  place.  Il  avait  à  Orléans  le  titre  de  lieutenant 
général  du  roi  pour  le  fait  de  la  guerre  ;  et  il  prenait  soin  des  intérêts 
de  ses  frères  Charles  et  Jean,  prisonniers  de  l'Anglais. 

Après  Dunois,  le  représentant  royal  à  Orléans  était,  en  qualité  de  bailli, 
Raoul  de  Gaucourt,  qui  avait  en  outre  le  titre  de  grand  maître  de  la 
maison  du  roi.  Issu  de  l'une  des  plus  nobles  familles  de  Picardie,  dès 
l'âge  de  treize  ans  il  portait  les  armes,  à  la  suite  de  Charles  VI,  en  1388. 
Jusqu'à  sa  mort,  en  1461,  il  prend  part  à  tous  les  grands  événements  du 
pays.  Il  était  à  Nicopolis.  Le  désastre  d'Azincourt  entraîne  pour  lui  une 
captivité  de  dix  ans,  à  la  suite  de  laquelle  il  ne  recouvre  la  liberté  qu'au 
prix  d'une  grosse  rançon.  Il  est  présent  aux  grands  faits  de  la  délivrance 
d'Orléans  ;  il  sauve  le  Dauphiné,  dont  il  est  gouverneur,  à  la  bataille 
d'Anthon  en  1430  ;  est  fait  une  seconde  fois  prisonnier  des  Anglais  en 
1441,  donne  ses  fils  en  otage  de  la  rançon  à  payer,  et  il  entre  à  Rouen 
avec  Charles  VII  en  1449  *. 

Le  roi  était  entre  les  mains  du  sire  de  La  Trémoille.  Perceval  de  Cagny 
nous  dira  que  «  il  avait  seul  el  pour  le  tout  le  gouvernemer^t  du  corps  du 
roi,  de  toutes  ses  finances,  et  des  forteresses  de  son  royaume  étant  en  son 
obéissance  ».  Il  a  été  parlé  ailleurs  de  cet  odieux  personnage  %  ainsi  que  du 
chancelier,  Regnault  de  Chartres  ^  l'homme  de  la  diplomatie,  de  Gérard 
Machet,  le  confesseur  du  roi  *.  Le  connétable  Richemont ,  a-t-il  été  exposé 
aussi,  pour  renverser  La  Trémoille,  avait  pris  les  armes,  lorsque  la 
Pucelle  avait  fait  les  premières  démarches  auprès  de  Baudricourt^ 
L'entreprise  ayant  avorté,  les  chroniqueurs  nous  diront  à  quel  point  il 

1.  Anselme,  L  VIII,  p.  3GC. 

2.  ha  Paysanne  et  Vlnspiréey  p.  42,  43,  44,  4o. 

3.  La  Pucelle  devant  VÈglhe  de  son  temps,  p.  57. 

4.  iôù/.,  p.  9-1  i. 

5.  La  Paysanne  et  r Inspirée ,  p.  43. 


LE  PARTI  NATIONAL.  ^ 

tomba  dans  la  disgrâce  du  prince.  Un  des  sympathiques  personnages  de 
l'entourage  royal  est  Robert  le  Maçon,  seigneur  de  Trèves-en- Anjou.  Né 
dans  une  condition  humble,  ses  connaissances  juridiques  Tavaient  fait 
passer  dans  les  rangs  de  la  noblesse,  que  Charles  VI  lui  conféra  en  1410. 
En  1418.il  sauva  la  liberté  et  peut  être  la  vie  au  Dauphin;  il  en  devint  le 
chancelier,  et  quoique  en  ayant  résilié  les  fonctions  en  1422,  il  continua 
à  faire  partie  du  grand  conseil  jusqu'à  sa  mort  en  1442^. 

Si  Ton  pouvait  attendre  de  quelqu'un  une  fidélité  à  toute  épreuve, 
c'était  de  celui  dont  le  parti  national  portait  le  nom,  du  fils  et  de  Théri- 
lier  du  connétable  d'Armagnac.  Voici  quelques-uns  des  coups  de  pinceau 
du  portrait  que  nous  en  trace  Chastellain  :  «  Régnant  en  son  quartier  de 
pays,  prince  puissant  et  redouté,  fort  et  roi  à  rencontre  de  tous  ses 
cousins,  n'écoutant  personne,  ni  sujet  ni  obéissant  au  roi  qu'à  sa  volonté, 
il  possédait  villes  et  châteaux  imprenables,  et  avait  dessous  lui  meubles 
à  rinfini...  Avec  son  orgueil,  de  sa  propre  autorité,  sans  conseil  ni  aveu 
du  roi,  il  traita  de  sa  fille  avec  le  roi  des  Anglais,  au  grand  préjudice  des 
Français*.  » 

Le  comte  de  Foix,  un  Grailly,  avait  pour  ancêtres  ces  partisans  de 
l'Anglais  fameux  sous  le  nom  de  «  captai  deBuch  ».  Un  de  ses  frères  s'était 
fait  tuer  à  Montereau  en  défendant  Jean  sans  Peur.  Créé  gouverneur  du 
Languedoc  par  Charles  VI  et  par  Henri  de  Lancastre,  non  seulement  il 
fut  maintenu  après  leur  mort  ;  mais  le  gouvernement  anglais  l'avait 
chargé  de  faire  prêter  aux  habitants  de  Languedoc  et  de  Bigorre  le  ser- 
ment le  plus  explicite  au  traité  de  Troyes'.  En  1423  il  se  rallia  avec 
Richemont  au  parti  national,  fut  maintenu  dans  son  gouvernement  et 
s'y  comporta  tellement  en  souverain  qu'il  dut  en  demander  pardon  et 
en  obtenir  grâce  du  roi  en  1436. 

Un  des  premiers  compagnons  de  guerre  de  la  Pucelle,  qui  combattit  à  ses 
côtés  jusqu'au  siège  de  Paris,  fut  Gilles  de  Rais,  maréchal  de  France. 
Il  avait  vingt-cinq  ans.  On  se  demande  avec  terreur  s'il  était  alors  le 
monstre,  un  des  plus  singuliers  de  l'histoire  qui  en  compte  de  si  variés, 
le  monstre  qui  fut  brûlé  à  Nantes  en  1440,  à  l'âge  de  trente-six  ans.  Son 
récent  historien,  M.  l'abbé  Bossard,  déclare  ne  pouvoir  pas  résoudre  la 
question.  Possesseur  d'ime  immense  fortune,  abandonné  à  lui-même  dès 
son  enfance,  fou  de  tout  ce  qui  pouvait  attirer  sur  lui  le  regard,  guerre, 
magnificences  en  tout  genre,  même  dans  les  cérémonies  religieuses,  la 
curiosité,  le  désir  de  maintenir  ou  de  relever  une  fortune  jetée  à  tous  les 

i.  Anselme,  t.  IV,  p.  391. 

2.  Ghastell.\i>',  loc,  cit, 

3.  Voir  dans  Rymer,  t.  IV,  part.  IV,  p.  87  et  suiv.  de  nombreuses  pièces  établissant 
combien  le  comte  de  Foix  était  dans  les  bonnes  grâces  de  l'Anglais. 


10  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

vents,  le  rendirent  Tadorateur  du  diable,  et  lui  firent  commettre  assez 
de  crimes  pour  mériter  la  mort  à  dix  mille  coupables,  disait-il  lui-même. 
Il  offrait  à  sa  divinité  des  sacrifices  d'enfants  ;  il  lui  avait  tout  donné,  sauf 
sa  vie  et  le  salut  de  son  âme.  Le  fait  est  qu'il  mourut  en  bon  larron, 
repentant,  et  en  faisant  des  aveux  dont  Thisloire  frissonne. 

Gilles  de  Rais  fut  fait  maréchal  au  sacre  de  Reims.  Jean  de  La  Brosse, 
seigneur  de  Sainte-Sévère  et  de  Boussac,  était  alors  depuis  d*assez  longues 
années  en  possession  de  ce  titre  :  c'est  un  des  plus  vaillants  défenseurs 
d'Orléans  durant  tout  le  siège.  Il  se  trouva  à  la  délivrance  de  la  cité,  à 
la  victoire  de  Patay,  à  la  campagne  d'avant  et  d'après  le  sacre,  au  siège 
de  La  Charité,  à  la  délivrance  de  Compiègne.  Ce  vaillant  serviteur  de  la 
France  mourut  insolvable  en  1433  *. 

Louis  de  Culan,  comme  le  maréchal  de  Boussac,  était  du  Berry.  Amiral 
de  France  depuis  1422,  il  a  suivi  presque  constamment  l'héroïne,  et  est 
mort  en  1444  *. 

Jean  Malet,  sire  de  Graville,  seigneur  normand,  avait  vu  ses  terres 
confisquées  par  les  Anglais.  Il  était  grand  maître  des  arbalétriers  depuis 
1423.  C'était  aussi  un  grand  seigneur  normand  que  le  comte  d'Harcourt  et 
d'Aumale,  un  des  conseillers  influents  de  Charles  VII  '. 

Les  Gascons  abondaient  dans  les  armées  qui  marchèrent  à  la  suite  de 
la  Pucelle  :  c'était  le  sire  Raymond- Armand  de  Coarraze,  d'une  grande 
famille  du  Béarn,  seigneur  de  Coarraze  et  d'Aspet,  alliée  aux  comtes  de 
Foix  ;  il  passa  sa  vie  à  combattre  l'Anglais  ;  c'était  Thonnète  d'Aulon,  le 
maître  de  l'hôtel  de  Jeanne;  c'étaient  Poton  de  Xaintrailles,  seigneur  de 
la  petite  localité  de  môme  nom  ;  Etienne  de  Vignolles,  si  fameux  sous  le 
nom  de  La  Hire,  avec  son  frère  Amade;  il  devait  mourir  à  Montauban  en 
1444;  c'était  le  chevalier  Thermes,  de  la  famille  d'Armagnac,  qui  devait 
déposer  à  la  réhabilitation;  c'étaient  Bouzon  de  Fages,  le  sire  d'Albret. 
Le  sire  d'Albret  appelé  dans  les  documents  de  l'époque  de  Lebret,  était 
fils  du  connétable  Charles  I"  d'Albret,  tué  à  Azincourt.  Sa  mère,  Marie 
de  Sully,  avait  été  mariée  en  premières  noces  à  Guy  VI  de  La  Trémoille, 
et  de  ce  premier  mariage  avait  eu,  entre  autres  enfants,  Georges  de  La 
Trémoille.  Le  sire  d'Albret,  qui  commanda  l'expédition  de  La  Charité,  et  le 
tout-puissant  favori  de  Charles  VII,  ou  plus  exactement  le  roi  de  fait 
de  l'époque,  étaient  donc  frères  utérins  *. 

Le  Bourbonnais  était  représenté  par  Jacques  de  Chabannes,  seigneur 
de  La  Palisse,  qui  ne  devait  cesser  de  combattre  qu'à  l'expulsion  des 

1.  Anselme,  l.  Vil,  p.  71  ;  Ciiarpemier  et  Cuissart,  Journal  du  siège,  p.  11. 

2.  Anselme,  t.  VII,  p.  83. 

3.  Anselme,  t.  VIII,  p.  86. 

4.  Anselme,  t.  VI,  p.  205. 


LE  PARTI  NATIONAL.  11 

Anglais.  Il  devait  mourir  des  blessures  reçues  à  la  victoire  de  Castillon, 
qui  leur  porta  le  dernier  coup  en  1453  *. 

La  Bretagne  envoya  Alain  Giron  avec  ses  cent  lances,  Rais,  les  jeunes 
seigneurs  de  Laval,  Guy  et  André,  etc.,  et  elle  eût  fourni  un  appoint 
bien  plus  considérable  encore,  si  Ton  avait  accepté  les  services  du  Conné- 
table, qui  venait  si  bien  accompagné. 


III 

Parmi  les  réformes  que  Jeanne  devait  opérer,  et  que  Gerson  groupe 
sous  quatre  chefs,  le  chancelier  indique  celle  des  milices  du  roi  et  des 
milices  du  royaume.  Les  milices  du  roi,  c'étaient,  ce  semble,  les  milices 
nobles  et  les  milices  mercenaires  ;  et  les  milices  du  royaume,  étaient  les 
milices  bourgeoises  ou  municipales,  celles  que  les  chroniqueurs  appellent 
le  commun. 

Le  service  militaire  était  dans  Tordre  civil  le  premier  devoir  de  la 
noblesse,  créée  pour  faire  régner  la  justice  et  l'ordre  dans  ses  fiefs,  et 
pour  défendre  le  roi,  le  pays,  toutes  les  causes  nationales.  Elle  devait 
accourir  sur  le  mandement  du  roi,  chaque  feudataire  menant  à  sa  suite 
ses  vassaux  et  arrière-vassaux.  Sous  les  Mérovingiens  et  lesCarlovingiens, 
les  nobles  seuls  ont  fait  la  guerre;  mais  soit  que  la  noblesse  ne  répondît 
pas  assez  unanimement  à  Tappel  royal,  soit  qu'elle  ne  fût  pas  assez 
nombreuse  pour  résister  dans  certains  périls  extrêmes,  les  rois  de  la 
troisième  race  prennent  à  leur  services  des  bandes  mercenaires.  Réunis 
sous  la  conduite  d'un  chef  plus  hardi,  les  mercenaires  faisaient  de  la 
guerre  un  moyen  d'existence  libre  et  sans  frein.  S'ils  pouvaient  être 
utiles  pour  la  bataille,  ils  étaient,  en  dehors,  les  fléaux  du  pays.  Ils 
ont  laissé,  sous  le  nom  de  ribauds,  de  brabançons,  de  routiers,  de 
compagnons,  de  grandes  compagnies,  le  renom  d'hommes  sans 
aveu,  ne  redoutant  pas  les  périls,  il  est  vrai,  mais  prêts  à  tous  les 
excès.  Le  nom  de  brigands  leur  fut  donné  dans  les  premières  années 
du  xv*  siècle;  il  est  resté  dans  la  langue,  et  tout  le  monde  en  connaît  la 
sinistre  signification  ;  la  férocité  d'une  brute  servie  par  le  corps  et  l'in- 
telligence d'un  homme.  Ce  ne  furent  pas  les  rois  seulement  qui  sou- 
doyèrent de  ces  bandes  ;  les  seigneurs  se  donnèrent  aussi  ce  luxe  dans 
leurs  guerres  privées. 

Les  chefs  de  ces  bandes  d'aventuriers  étaient  ordinairement  des  nobles 
en  quête  de  la  fortune  qui  leur  manquait;  il  semble  bien  que  La  Hire 

1.  Anselme,  t.  VllI,  p.  365. 


12  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

el  d'autres  Gascons  devenus  depuis  si  populaires  ont  débuté  par   là. 

Abandonné  par  la  noblesse,  le  gros  des  forces  de  Charles  VII  à  Tarrivée 
de  la  Pucelle  se  composait  de  ces  bandes.  Bien  plus,  s'il  y  avait  des 
Français  dans  leurs  rangs,  les  étrangers  en  formaient  l'appoint  le  plus 
considérable.  C'étaient  des  Espagnols,  Aragonnais,  Castillans,  tels  que 
Rodrigue  de  Villandrado,  don  Cernay,  de  Partada.  C'étaient  des  Lombards. 
Dès  1423,  Charles  VII  avait  recruté  en  Lombardie  six  cents  hommes  d'armes, 
mille  hommes  de  pied.  Théaulde  Valpergue,  Borne  Caqueran,  sont  des 
Lombards.  Leur  avidité  avait  amené  la  défaite  de  Vemeuil.  Vainqueurs 
de  leur  côté,  ils  s'étaient  jetés  sur  les  bagages  des  Anglais,  sans  se 
demander  si  la  victoire  était  gagnée  à  l'aile  opposée. 

L'Kcosse  fut  la  principale  contrée  où  le  roi  de  Bourges  recrutait  pareils 
auxiliaires.  Il  y  faisait  des  levées  qui  atteignaient  quelquefois  jusqu'au 
chiffre  de  six  mille  hommes.  Ils  venaient  en  France  commandés  par 
des  membres  de  la  famille  royale,  par  le  comte  de  Bucland,  fils  du  régent 
Albany,  par  le  connétable  d'Ecosse  lui-môme,  le  duc  de  Darnley.  Ce 
n'étaient  pas  seulement  de  grosses  sommes  que  promettait  le  malheureux 
roi,  il  aliénait  en  leur  faveur  jusqu'à  des  provinces  telles  que  la  Touraine. 
Ils  vinrent  en  si  grand  nombre  que  l'on  disait  la  France  partagée  entre 
les  Anglais  et  les  Ecossais.  Ils  se  rendirent  profondément  odieux  par 
leur  orgueil,  leurs  déprédations  et  leur  gloutonnerie.  Leurs  excès  ne 
doivent  pas  cependant  faire  oublier  les  services  rendus,  et  le  sang  versé 
pour  notre  cause.  La  victoire  de  Baugé,  en  1421,  leur  fut  principalement 
due.  Pour  diminuer  l'effet  produit  sur  son  parti  par  la  défaite  de  Crevant^ 
Charles  VII  écrivait  qu'il  n'y  avait  péri  qu'un  petit  nombre  de  nobles 
Français,  mais  seulement  des  Ecossais,  des  Lombards,  et  autres  étran- 
gers, qui  avaient  coutume  de  vivre  sur  le  pays.  Dans  un  autre  volume, 
nous  avons  cité  Bazin  écrivant  que  Ton  se  consolait  du  désastre  beaucoup 
plus  grand  subi  Tannée  suivante  à  Verneuil,  parce  que  les  Ecossais  y 
étaient  tombés  en  très  grand  nombre.  On  les  retrouve  à  Rouvray  ;  le 
connétable  d'Ecosse  et  son  fils  y  périssent,  comme  avait  péri  à  Verneuil 
le  comte  de  Bucland,  devenu  connétable  de  France.  Il  y  avait  des  Ecossais 
autour  de  Jeanne  d'Arc  ;  ils  devaient  jouer  un  rôle  capital  dans  une 
conspiration  ourdie  à  Paris  pour  livrer  la  ville  au  roi,  lorsque  Jeanne 
rentrait  en  scène  à  la  fin  de  mars  1430.  Un  Ecossais  pénètre  auprès  d'elle 
dans  la  prison  d'Arras,  et  lui  montre  son  portrait.  Il  n'est  pas  invraisem- 
blable que  c'était  lui  qui  l'avait  fait. 

Leurs  excès  ne  furent  pas  toujours  sans  excuses.  Ils  n^étaient  pas  régu- 
lièrement payés;  ils  Tétaient  mal,  ou  pas  du  tout;  encore  devaient-ils 
vivre.  Ils  mouraient  pour  la  France;  pareil  souvenir  doit  tempérer  les 
sévérités  de  l'histoire.  En  récompense  de  leurs  services,  les  rois  firent 


LE  PARTI  NATIONAL.  J3 

des  Écossais  les  premiers  gardiens  de  leur  personne.  La  première 
compagnie  de  la  garde  royale  conserva  le  nom  de  garde  écossaise,  alors 
même  qu'elle  ne  comptait  plus  un  seul  Ecossais  dans  ses  rangs  ;  ce  qui 
avait  lieu  depuis  plusieurs  années,  lorsque  le  Père  Daniel  écrivait  sa  belle 
Histoire  de  la  milice  française^  en  1721  ^  C'est  du  moins  ce  qu'il 
affirme. 

Dans  le  volume  précédent  a  été  retracé  le  tableau  de  la  misère  des 
peuples  foulés  par  les  envahisseurs  et  par  les  défenseurs.  Quelque 
sombres  qu'en  soient  les  couleurs,  elles  le  sont  moins  que  la  réalité 
attestée  par  mille  documents.  Les  villes,  pour  se  mettre  à  couvert  des 
ennemis  et  des  protecteurs,  formèrent  des  milices  dans  leur  sein,  ou  plus 
exactement  se  constituèrent  en  milices,  mettant  à  la  tête  des  divers 
quartiers  des  dizainiers,  des  centeniers;  elles  s'exercèrent  au  maniement 
des  armes,  formèrent  des  archers,  des  arbalétriers,  des  canonniers,  en 
même  temps  qu'elles  se  pourvurent  des  engins  de  guerre  nécessaires. 
Pour  préparer  des  archers,  Charles  V  avait  défendu  que  le  dimanche  et 
les  fêtes  l'on  se  livrât  à  d'autres  jeux  qu'au  maniement  de  l'arc.  On  s'y 
livra  avec  tant  d'entrain  que  la  noblesse  craignit  d'être  supplantée,  et  l'on 
restreignit  le  nombre  de  ceux  qui  devaient  faire  semblable  apprentis- 
sage *. 

La  noblesse  eut  toujours  du  mépris  pour  ces  milices,  dont  l'armement 
était  nécessairement  fort  défectueux.  Les  chroniqueurs  en  parlent  en  des 
termes  qui,  à  la  désinence  près,  sont  ceux  de  Cambronne.  Cependant, 
quand  on  lit  de  près  les  Chroniques  qui  nous  racontent  les  exploits  de 
l'héroïne,  l'on  voit  que  le  commun,  pour  employer  l'expression  du  temps, 
a  fourni  à  la  Libératrice  son  meilleur  appoint  à  Orléans  et  ailleurs.  La 
multitude  l'a  suivie  avec  enthousiasme,  tandis  qu'elle  a  trouvé  en  haut 
des  envieux  qui  l'ont  traversée.  Ce  point  n'ayant  pas  été  assez  mis  en 
lumière,  les  soulignements  des  passages  où  le  fait  est  constaté  sont 
pour  attirer  l'attention  sur  une  particularité  qui  n'est  pas  sans  impor- 
tance. N'est-ce  pas  un  trait  de  plus  de  ressemblance  avec  le  divin  Fiancé, 
dont  ses  ennemis  disaient  :  Il  séduit  les  foules,  tout  le  monde  court 
après  lui  ? 

Les  milices  communales  se  rangeaient  autour  de  la  bannière  de  la 
cité,  du  patron  de  la  paroisse,  de  la  compagnie  à  laquelle  elles  appar- 
tenaient ;  les  milices  seigneuriales  autour  de  la  bannière  du  suzerain,  ou 
du  seigneur  dont  elles  relevaient.  Quand  le  roi  était  présent,  c'était  lui 
qui,  de  l'avis  de  son  conseil,  prescrivait  l'ordre  de  bataille  et  la  marche 

1.  Père  Daniel,  Histoire  de  la  milice  française,  t.  II,  p.  116. 

2.  BouTARic,  Bibliothèque  de  V École  des  chartes,  année  1861  (Organisation  militaire  de 
la  France). 


14  LA  VRAIE  JEANNE  D^ARG  :   LA  LIBÉRATRICE. 

de  l'armée.  En  son  absence,  c'était  le  lieutenant  général  qu'il  avait 
nommé.  Tel  était  Dunois  à  Orléans,  le  duc  d'Alençon  dans  la  campagne 
de  la  Loire. 

Le  premier  titre  militaire  était  celui  de  connétable.  Il  a  été  déjà  dit 
qu'Arthur  de  Richemont,  qui  en  était  investi  lors  de  la  carrière  de  la 
Libératrice,  était  tombé  dans  la  plus  entière  disgrâce.  Le  seigneur  de 
Boussac  et  de  Sainte-Sévère  était,  ce  semble,  le  seul  maréchal,  à  l'arrivée 
de  Jeanne,  puisque  de  Rais  n'obtint  ce  titre  qu'au  sacre  de  Reims. 


CHAPITRE  II 

LE  PARTI  ANGLO-BOURGUIGNON,  OU  ANTINATIONAL,  A  L'ARRIVÉE  DE  LA   PUCELLE. 

Sommaire  :  I.  —  La  dynastie  des  Lancastre  affermie  en  Angleterre.  —  L'appât  des  comtés 
et  des  seigneuries  en  France  stimule  les  seigneurs  anglais.  —  Confiscations.  — 
Prospérité  des  premières  années  du  règne  de  Henri  VI.  —  Les  soutiens  du  trône  : 
le  grand  oncle  cardinal  d'Angleterre;  Glocester;  Tàme  de  la  politique  anglaise, 
Bedford,  ses  hautes  qualités,  ses  richesses  et  son  train  royal;  sa  femme,  Anne  de 
Bourgogne.  —  Les  nombreux  capitaines  anglais  :  Salisbury,  Warvick.  — Jeu  de  la 
Providence  qui,  par  Warvick,  le  faiseur  de  rois,  renversera  l'œuvre  du  grand-père 
Salisbury,  et  du  beau-père  Richard  Warvick.  —  Les  trois  frères  de  La  Pôle  et  la 
lin  tragique  de  SulTolk,  Scales,  Fastolf,  Glasdal,  Talbot.  —  Quelques  faux  Français. 

II.  —  Les  États  du  duc  de  Bourgogne.  —  Les  trois  frères  Luxembourg  :  Pierre,  comte  de 
Saint-Pol,  beau-père  de  Bedford  marié  en  secondes  noces;  Louis  de  Luxembourg, 
évoque  de  Thérouanne;  Jean,  comte  de  Ligny,  seigneur  de  Beaurevoir;  il  meurt  le 
jour  où  naquit  la  Pucelle  vendue  par  lui.  —  Sa  femme,  Jeanne  de  Béthune,  attachée 
au  parti  français.  —  Sa  tante  Jeanne,  dame  de  Beaurevoir,  marraine  de  Charles  Vil. 
—  Villiers  de  l'Isle-Adam.  —  Toulongeon.  —  Les  Vergy.  —  Le  sire  de  Jonvelle.  — 
Perrinet  Gressart.  —  Interminables  négociations.  —  Humiliations  et  malheurs  que 
l'on  eût  prévenus,  si  Ton  avait  écouté  la  Pucelle.  —  Châtiment  des  Lancastre  et  de 
l'Angleterre. 

I 

Tandis  que  le  roi  de  France,  sans  argent  et  sans  troupes,  n'était  obéi 
de  personne,  les  Lancastre  avaient  assez  assoupli  la  nation  anglaise,  pour 
y  multiplier  les  levées,  et  obtenir  de  nouveaux  subsides.  Loin  de  pros- 
crire l'exercice  de  Tare  et  de  l'arbalète,  ils  l'encourageaient;  ils  trouvaient 
dans  leurs  Etats,  et  principalement  dans  le  pays  de  Galles,  ces  archers 
fameux  contre  lesquels  venait  se  briser  l'impétuosité  française.  Si  le  peuple 
se  plaignait  du  fardeau  des  impôts,  l'orgueil  national  était  flatté  de  voir 
la  nation  rivale  subjuguée.  Le  beau  soleil  de  France,  son  climat  tempéré, 


LE  PARTI  ANTINATIONAL.  15 

la  variété  et  la  richesse  de  ses  productions,  étaient  un  puissant  attrait 
pour  les  descendants  de  ces  seigneurs  normands  qui,  à  la  suite  de 
Guillaume  le  Conquérant,  étaient  venus  s'établir  dans  les  brumes  de  la 
Tamise  et  de  THumber. 

Leur  ardeur  était  stimulée  par  la  perspective  des  duchés,  des  comtés, 
des  seigneuries  et  des  châtellenies  qui  leur  étaient  distribués  au  fur  et  à 
mesure  de  la  conquête  ;  on  n'attendait  même  pas  la  conquête  ;  et  les  titres 
des  seigneurs  qui  refusaient  d'accéder  au  traité  de  Troyes  leur  étaient 
souvent  assignés  avant  d'être  conquis.  Il  élait  tout  naturel  qu'on  usât  de 
représailles  dans  le  parti  national.  Aussi  Charles  VII,  lorsqu'il  le  pouvait, 
dédommageait-il  les  spoliés  en  leur  donnant  les  biens  des  faux 
Français  passés  dans  le  parti  de  l'étranger. 

Henri  VI,  né  en  décembre  1421,  était  dans  sa  neuvième  année  seulement, 
lors  de  l'apparition  de  la  Libératrice.  La  double  couronne  de  France  et 
d'Angleterre  n'avait  fait  jusque-là  que  s'affermir  sur  sa  tête  depuis  près 
de  huit  ans  qu'elle  avait  été  posée  sur  son  berceau,  et  que,  d'après  le 
style  de  la  chancellerie  anglaise,  il  gouvernait  les  deux  royaumes.  Elle 
était  protégée  par  ses  oncles  et  par  les  capitaines  anglais  qui  depuis 
Azincourt  inscrivaient  leurs  noms  dans  les  annales  militaires  de  l'Angle- 
terre. 

Un  de  ses  grands-oncles  était  l'évêque  de  Winchester,  revêtu  de  la 
pourpre  par  Martin  V,  et  connu  sous  le  nom  de  cardinal  d'Angleterre.  Il 
avait  été  assez  longtemps  chancelier  du  royaume.  L'accord  était  loin 
d'être  complet  entre  le  Cardinal  et  son  neveu  Humfroy,  duc  de  Glocester, 
protecteur  ou  régent  d'Angleterre  ;  mais  l'opposition  du  prince  de 
l'Église  à  un  neveu  notoirement  scandaleux  ne  pouvait  que  lui  concilier 
Taffection  du  clei^é  et  du  peuple.  Glocester  avait  failli  tout  compromettre 
en  acceptant  les  propositions  de  l'impure  Jacqueline  de  Hainaut,  qui, 
quoique  mariée  à  un  cousin  du  duc  de  Bourgogne,  était  venue  lui  offrir 
sa  main  et  ses  héritages.  La  sagesse  de  Bedford,  régent  de  France,  était 
parvenue  à  tout  calmer. 

Bedford,  régent  de  France  pour  son  neveu,  était  le  chef  réel  et  effectif 
de  la  politique  anglaise.  L'histoire  est  sans  rancune;  et  il  ne  doit  pas  lui 
en  coûter  de  proclamer  les  qualités  supérieures  de  ce  frère  du  vainqueur 
d'Azincourt,  qui,  en  mourant,  l'avait  chargé,  au  défaut  de  l'acceptation 
du  duc  de  Bourgogne,  de  parachever  l'exécution  du  traité  de  Troyes. 
Grand  capitaine,  grand  politique,  administrateur  habile,  appliqué  aux 
affaires,  Bedford  fut  fidèle  au  mandat.  Par  les  armes,  par  la  diplomatie, 
par  des  alliances  matrimoniales,  tout  lui  prospéra,  d'après  un  aveu  que 
l'on  retrouvera  dans  la  suite,  tant' qu'il  n'eût  pas  à  faire  avec  l'envoyée 
du  Ciel,  pour  lui  une  envoyée  de  l'Enfer.  Représentant  le  roi,  son  neveu, 


16  LA   VRAIE  JEAiNNE  D'ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

investi  de  ses  pouvoirs,  il  avait  un  train  royal  ;  cent  lances  et  trois  cents 
archers  étaient  préposés  àla  garde  de  sa  personne.  Il  jouissait  d'immenses 
revenus,  prélevés  sur  les  droits  de  la  couronne,  sur  la  part  qui  lui  reve- 
nait de  la  rançon  des  prisonniers,  sur  les  provinces  qu'il  s'attribuait  au 
nom  du  roi,  son  pupille.  C'est  ainsi  qu'il  s'était  adjugé  le  Maine  et  l'Anjou, 
non  encore  entièrement  conquis.  Il  était  assisté  dans  son  gouvernement 
par  un  grand  conseil,  composé  d'Anglais,  de  Bourguignons  et  de  faux 
Français,  ou  de  Français  ralliés  à  l'étranger.  La  Normandie  avait  son 
conseil  particulier,  dont  plusieurs  membres  appartenaient  aussi  au  grand 
conseil.  Des  Anglais  de  race  occupaient  les  emplois  supérieurs,  les  hautes 
dignités,  tandis  que  les  emplois  subalternes  étaient  remplis  par  les 
Français  reniés^  par  les  faux  Français,  ainsi  que  l'on  s'exprimait  à  cette 
époque.  Anne  de  Bourgogne,  sœur  préférée  du  duc  Philippe,  épouse  très 
aimée  par  son  mari  le  duc  de  Bedford,  princesse  douée,  d'après  les 
chroniqueurs,  de  très  hautes  qualités,  était  un  lien  fort  puissant  entre  les 
deux  chefs  du  parti  anglo-bourguignon.  Elle  ne  devait  pas  peu  contri- 
buer, à  la  suite  du  sacre,  à  retenir  son  frère  dans  le  parti  anglais;  parti 
auquel  sa  mort  prématurée  porta,  trois  ans  après,  un  coup  dont  les  suites 
se  firent  promplement  sentir. 

Autour  de  Bedford  se  rangeaient  de  nombreux  seigneurs  et  capitaines 
déjà  fameux,  et  la  plupart  dans  la  force  de  Tàge.  D'après  Monstrelet,  le 
plus  subtil  et  le  plus  heureux  en  armes  était  celui  qui  avait  mis  le  siège 
devant  Orléans,  où  il  avait  trouvé  la  mort,  Thomas  de  Montégut,  comte 
de  Salisbury  et  du  Perche.  Envoyé  en  France  pour  demander  la  main 
de  Catherine,  il  n'avait  presque  pas  cessé  d'y  habiter,  tantôt  comme 
administrateur,  plus  souvent  en  guerrier  :  présent  à  Crevant,  à  Verneuil, 
il  avait  combattu  dans  TAnjou,  dans  le  Maine  et  surtout  en  Champagne. 
Il  avait  pour  frère  Robert,  comte  de  Hungerford,  dont  le  nom  revient 
aussi  dans  les  Chroniques. 

Comme  Thomas  de  Montégut,  Richard  de  Beauchamp,  comte  de 
Warwick  et  d^Aumale,  cousin  de  Salisbury,  descendait  d'une  ancienne 
famille  normande.  Henri  V  lui  avait  confié  de  délicates  missions.  Ses 
talents  militaires  lui  avaient  valu  en  quelques  circonstances  le  titre  de 
lieutenant  général  de  la  guerre,  soit  en  Normandie,  soit  môme  en  France. 
Il  fut  chargé  de  la  conduite  du  procès  de  la  Martyre  à  Rouen.  Il  avait  la 
charge  délicate  de  diriger  comme  gouverneur  l'éducation  du  jeune  roi, 
qui,  par  un  acte  officiel,  l'avait  autorisé  à  le  châtier.  Warwick  continua  à 
servir  son  roi  et  son  pays  jusqu'à  sa  mort,  arrivée  en  1440. 

Jeu  de  la  Providence,  et  néant  des  desseins  de  l'homme,  cet  enfant,  sur 
la  tète  duquel  Salisbury  et  Warwick  s'efforçaient,  au  prix  de  leur  sang,  de 
consolider  la  couronne  de  France  et  d'Angleterre,  devait,  après  avoir  perdu 


LE  PARTI  ANTINATIONAL.  17 

celle  de  France,  perdre  la  couronne  d'Angleterre,  et  même  la  vie,  des 
coups  que  porterait  à  sa  puissance  celui  qui  par  sa  mère  était  le  petit- 
fils  de  Salisbury,  et  par  son  mariage  le  gendre  de  Warwick.  Le 
War\^'ick,  en  effet,  si  fameux  dans  la  guerre  des  Deux-Roses  sous  le 
nom  de  Faiseur  de  rois,  était  Tun  et  Tautre,  et  devait  lui-même  périr 
en  combattant  celui  qu'il  avait  élevé  sur  le  trône,  après  avoir  immensé- 
ment contribué  à  ruiner  et  la  Rose  rouge  et  la  Rose  blanche,  et  les  avoir 
tour  à  tour  servies  et  combattues. 

C'est  encore  d'une  famille  normande  transplantée  en  Angleterre  que 
descendait  William  Pôle  {de  la  Pôle,  de  la  Poule  dans  les  Chroniques), 
comte  de  Suffolk  [de  Suffoc,  Suffort  pour  les  chroniqueurs),  de  Suffolk 
en  Angleterre,  de  Dreux  en  France.  Il  était  à  Orléans  avec  ses  deux 
frères,  Jean  et  Alexandre,  dont  nous  verrons  le  sort  à  Jargeau.  Présent  au 
siège  de  Rouen,  à  Crevant,  il  avait  eu  une  large  part  dans  les  dépouilles 
des  vaincus,  et  était  destiné  à  une  haute  fortune,  terminée  par  une  tra- 
gique catastrophe.  Négociateur  du  mariage  de  Henri  IV  avec  Marguerite 
d'Anjou,  fille  du  duc  René,  il  en  devint  le  favori,  porta  avec  elle  l'impo- 
pularité de  la  perte  des  possessions  anglaises  en  France.  Pour  le  sauver, 
Henri  VI  l'exila,  mais,  surpris  sur  le  vaisseau  qui  devait  le  mener  en  lieu 
sûr,  il  eut  la  tête  tranchée  sans  ombre  de  jugement  ni  de  procès. 

Thomas  Scales  {d'Escalles,  Lescalles  des  Chroniques),  baron  de  Scales 
et  de  Nucelles,  vidame  de  Chartres,  sénéchal  de  Normandie,  un  des  combat- 
tants de  Crevant  et  de  Vemeuil,  avait  guerroyé  et  devait  guerroyer  dans  la 
Basse-Normandie  contre  l'imprenable  citadelle  de  l'Archange  protecteur 
de  la  France,  le  Mont-Saint-Michel.  Il  devait  mourir  en  1460  dans  la 
guerre  des  Deux-Roses,  mais  du  côté  du  maître  qu'il  avait  toujours  servi. 

Jean  Fastolf,  dont  les  chroniqueurs  font  Fastof,  Fascot,  Fastre,  etc., 
avait,  à  l'arrivée  de  la  Pucelle,  de  trèsirillants  états  de  service  qui  lui 
avaient  valu  la  faveur  particulière  de  Talbot.  Le  régent  en  avait  fait  le 
grand  maître  de  sa  maison.  Fastolf  venait  de  s'illustrer  par  la  victoire  de 
Rouvray.  Accusé  d'avoir  fui  le  champ  de  bataille  de  Patay  sans  avoir 
combattu,  il  fut  dégradé  de  l'ordre  de  la  Jarretière,  se  justifia  dans  la 
suite,  fut  réintégré,  et  finit  par  se  retirer  dans  ses  manoirs,  où  il  se 
montra  le  protecteur  des  arts. 

Guillaume  Glasdall,  plus  connu  dans  nos  histoires  sous  le  nom  de 
Glacidas,  appelé  aussi  par  les  chroniqueurs  Classedas,  Casselay,  etc., 
s'était  élevé  d'une  position  inférieure  à  un  des  premiers  rangs  dans 
l'armée.  Lui  aussi  avait  été  à  Crevant,  à  Verneuil,  à  Montargis,  avait  fait 
la  campagne  du  Maine.  Il  avait  été  largement  récompensé,  en  particulier 
par  le  titre  de  bailli  d'Evreux.  Un  de  ses  frères,  le  sire  de  Molyns,  com- 
battait à  ses  côtés.  Les  chroniqueurs  nous  diront  qu'après  la  mort  de 
III.  2 


18  LA  VRAIE  JEANNE  D^ARG  :   LA  LIBÉRATRICE. 

Saiisbury,  Glasdall  fut  comme  l'âme  du  siège  d'Orléans.  Ils  nous  diront 
ses  grossières  insultes  contre  la  Pucelle,  et  sa  fin  tragique. 

Celui  qui  reçut  le  glorieux  surnom  d'Achille  Anglais  était  aussi,  par 
ses  ancêtres,  d'origine  française.  C'était  Jean  Talbot.  Né  en  1373,  il  avait 
été  lieutenant  général  d'Irlande  avant  de  seconder  Henri  V  dans  la  con- 
quête de  la  France.  Il  devait  mourir  octogénaire,  les  armes  à  la  main, 
à  la  bataille  de  Castillon,  qui  mit  fin  h  la  domination  anglaise  en  France, 
en  1453. 

Il  faudrait  encore  citer  Lancelot  de  Liste,  qui  au  siège  d'Orléans  eut  la 
tête  emportée  par  un  boulet,  Thomas  Rampston,  Nicolas  Bourdet  et 
bien  d'autres. 

Parmi  les  faux  Français,  on  doit  mentionner  Philippe  de  Morvilliers, 
avocat  au  parlement  de  Paris,  ardent  Bourguignon,  qui  gagna  à  la  révo- 
lution de  1418  la  présidence  du  parlement,  et  dans  la  suite  de  nombreuses 
donations.  Ce  fut  un  des  appuis  du  parti  anglais  et  la  terreur  des  Pari- 
siens. D'après  Chufîart,  l'on  ne  tombait  pas  entre  ses  mains  sans  en 
garder  une  marque  pour  le  reste  de  ses  jours*.  Simon  Morbier,  d'abord 
maître  d'hôtel  de  la  reine  Isabeau,  devint  prévôt  de  Paris  sous  la  domi- 
nation anglaise,  et  après  la  reddition  de  la  capitale,  trésorier  de  Normandie 
pour  les  Anglais  *.  Le  Bouteiller,  soupçonné  d'avoir  favorisé  la  prise  de 
Rouen,  qu'il  avait  d'abord  bien  défendu,  se  déconsidéra  en  passant  au 
service  de  l'envahisseur.  Il  le  seconda  dans  ses  conquêtes  et  en  fut 
récompensé  par  une  large  part  dans  les  dépouilles  du  parti  qu'il  avait 
d'abord  servi'. 

II 

Aux  États  que  lui  avait  laissés  son  père,  les  deux  Bourgognes,  l'Artois 
et  la  Flandre,  le  duc  Philippe  ajouta  le  Hainaut,  la  Hollande,  le  Brabant, 
le  comté  d'Auxerre.  La  Champagne  lui  était  promise.  Il  amenait  à 
l'Anglais  la  multitude  de  ses  puissants  feudataires.  A  leur  tête  il  faut 
placer  la  branche  des  Luxembourg  établis  en  France.  Avant  de  jurer  le 
traité  de  Troyes,  les  Luxembourg  firent  des  difficultés,  alléguant  que, 
s'ils  prêtaient  le  serment,  ils  y  seraient  fidèles.  Ils  tinrent  parole,  et  rien 
ne  put  les  faire  revenir,  pas  même  le  traité  d'Arras  qui  en  détacha  celui 
qui  les  avait  entraînés. 

La  famille  était  représentée  par  trois  frères  qui  tous  interviennent  dans 
les  Chroniques  qui  nous  parlent  delà  Pucelle.  L'aîné  était  Pierre  I"  de 

1.  CuuFFART,  Journal  d'un  Bourgeois  de  Paris,  éd.  Tuctey,  p.  139. 

2.  M.  LoNGNON,  Paris  sous  la  domination  anglaise,  p.  147,  note. 

3.  lo.,  Ibid,,  p.  88,  note. 


LE  PARTI  AiNTlNATlONAL.  19 

Luxembourg,  comte  de  Saint-Pol,  qui  mourut  en  1433.  Quelques  mois 
avant  de  mourir,  il  avait  donné  en  mariage,  le  20  avril,  sa  fille  Jacqueline, 
âgée  de  dix-sept  ans,  au  régent  de  France,  le  duc  de  Bedford.  Ce  fut  une 
cause  de  refroidissement  entre  le  régent  anglais  et  le  duc  de  Bourgogne. 
Bedford  n'était  veuf  que  depuis  le  13  novembre  1432  d'Anne,  sœur  de 
Philippe,  dont  il  a  été  parlé  déjà;  et  sans  en  avoir  demandé  auparavant 
le  consentement,  il  épousa  une  vassale  du  duc  ;  mais  il  devenait  par  là  le 
neveu  de  deux  puissants  appuis  de  la  cause  anglaise. 

Le  premier  de  ces  appuis  était  Louis  de  Luxembourg,  évêquc  de 
Thérouanne,  chancelier  de  France  pour  TAnglelerre.  La  cour  anglaise 
devait  le  faire  monter  sur  le  siège  de  Rouen,  et  lui  obtenir  la  pourpre  de 
cardinal. 

Le  second  était  Jean  de  Luxembourg,  comte  de  Ligny  et  bientôt  seigneur 
de  Beaurevoir.  Lieutenant  général  des  guerres  pour  le  duc  de  Bourgogne, 
le  comte  de  Ligny  se  trouve  partout  dans  les  sièges,  les  prises  de  châteaux 
et  de  forteresses.  Il  devait  passer  à  la  postérité  avec  une  flétrissure  qui 
Vy  fera  vivre  autant  que  la  Libératrice  elle-même,  puisque  c'est  le  comte 
de  Ligny,  seigneur  de  Beaurevoir,  qui  la  vendit  à  TAnglais.  Il  mourut  sans 
postérité  le  6  janvier  1440,  anniversaire  de  la  naissance  de  sa  victime. 

11  avait  épousé  Jeanne  de  Béthune,  vicomtesse  de  Meaux.  Jeanne  de 
Béthune,  ainsi  que  sa  tante  Jeanne  de  Luxembourg,  dame  de  Beaurevoir, 
ont  mérité  la  reconnaissance  de  la  Pucelle  pendant  qu'elle  était  leur 
prisonnière  à  Beaurevoir.  L'accusée  de  Rouen  témoigna  de  ce  sentiment 
devant  le  sanhédrin  qui  l'entourait  à  la  séance  du  3  mars.  Jean  de 
Luxembourg  n'ayant  pas  adhéré  au  traité  d'Arras,  ses  biens  à  sa  mort 
furent  confisqués,  mais  ils  furent  rendus  à  sa  veuve  «  en  considération  de 
ce  qu'elle  avait  toujours  eu,  en  particulier,  bonne  afl*ection  pour  le  roi*  ». 
En  date  du  10  septembre  1430,  par  suite  durant  la  captivité  de  la  Pucelle, 
Jeanne  de  Luxembourg  institua  son  neveu  de  Ligny  héritier  de 
son  manoir  de  Beaurevoir,  et  ne  tarda  pas  ensuite  à  mourir.  Jeanne 
de  Luxembourg,  dame  de  Beaurevoir,  garda  le  célibat,  fut  marraine  de 
Charles  VII,  et  inspira  à  son  frère  Pierre  de  Luxembourg  les  sentiments 
de  piété  qui  ont  fait  que  l'Église  Thonore  sous  le  titre  de  Bienheureux, 
quoiqu'il  soit  mort  à  dix-huit  ans,  décoré  de  la  pourpre  par  le  pseudo- 
pontife d'Avignon. 

Les  chroniqueurs  énuméreront  avec  une  complaisance  marquée  de 
nombreux  seigneurs  bourguignons.  Il  serait  trop  long  de  dire  un  mot  de 
chacun.  Signalons  Villiers  de  TIsle-Adam.  En  1418  il  avait  introduit  les 
Bourguignons  à  Paris,  et  assisté  impassible  aux  massacres  qui  suivirent. 

1.  GonART,  Mémoires  de  la  Société  d'émulation  de  Cambrai^  t.  XXVllI. 


20  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

Henri  de  Lancastre,  pourne  pas  Tavoir  pas  trouvé  assez  obséquieux,  le  fit 
jeter  en  prison.  11  y  resta  deux  ans  ;  Bedford  l'en  tira,  et  il  continua  à 
servir  la  cause  qui  l'avait  si  mal  récompensé.  A  la  suite  du  traité  d'Arras 
il  revint  avec  son  maître  au  parti  français  et  répara  sa  faute  de  1418  en 
contribuant  à  faire  rentrer  sous  l'obéissance  de  Charles  VU  la  capitale 
qu'il  en  avait  détachée  dix-huit  ans  auparavant.  Il  finit  par  être  mis  en 
pièces  dans  une  sédition  des  habitants  de  Bruges,  dans  le  cortège  même 
de  son  duc. 

Citons  encore  parmi  les  seigneurs  qui  se  rangeaient  autour  de  l'éten- 
dard de  Bourgogne,  la  croix  de  Saint-André,  Toulongeon,  maréchal  de 
Bourgogne  et  la  puissante  famille  des  Vergy.  Le  plus  fameux,  Antoine  de 
Vergy,  blessé  à  Montereau,  à  côté  de  Jean  sans  Peur  dont  il  était  cham- 
bellan, fut  comblé  de  faveurs  et  par  le  duc  et  par  le  roi  d'Angleterre.  Ce 
dernier  le  nomma  maréchal  de  France.  On  lui  fait  honneur  de  la  victoire 
de  Crevant,  remportée  contre  son  pays. 

/  Pour  pénétrer  dans  l'histoire  de  la  Libératrice,  il  est  important  de  se 
'  rappeler  qu'un  frère  de  La  Trémoille,  le  sire  de  Jonvelle,  était  un  des 
favoris  préférés  du  duc  de  Bourgogne.  Lorsque  les  Anglais  occupèrent 
Sully,  Jonvelle  se  rappela  que  la  seigneurie  appartenait  à  son  frère  et  s'en 
constitua  le  fidèle  gardien.  Il  n'en  fut  pas  autrement  pour  les  maisons 
que  Georges  possédait  à  Paris. 

Un  personnage  dont  la  monographie  éclaircirait  un  des   points   les 
plus  obscurs  de  la  vie  de  la  Libératrice  et  jetterait  un  grand  jour  sur 
l'époque,    est  Perrinet   Gressart,   ou  Grasset,   ainsi    que   le   nomment 
la  plupart  des  historiens,  encore  qu'il  signât  Gressart.  Il  semble  qu'il 
était   originaire   du   Poitou,  puisque,  le   13    avril  1424,  il  échange  la 
terre  de  La  Robinière,  qui  lui  vient  par  héritage  de  son  oncle  et  de  sa 
grand'mère,  une  Toillant.  Ce  fut  en  tout  cas  un  de  ces  aventuriers  dont 
foisonne  l'époque,  qui  fit  de  La  Charité-sur-Loire  comme  une  petite 
capitale,  d'où  il  sortait  pour  rançonner  le  Berry,  le  Nivernais,  l'Auxerrois, 
le  Bourbonnais.  Avec  des  formes  obséquieuses  envers  son  très  redouté 
seigneur  le  duc  de  Bourgogne,  on  le  voit  refuser  de  lui  obéir,  ne  tenir  au- 
cun compte  de  ses  saufs-conduits  et  imposer  ses  conditions  pour  accepter 
la  paix.  Ne  pouvant  être  réduit,  il  est  nommément  exclus  des    trêves 
qui  se  font;  il  se  dédommage  de  ses  pertes  prétendues  ou  réelles,  de  ce 
qu'il  prétend  lui  être  dû,  en  faisant  jeter  en  prison,  et  en  rançonnant  des 
personnages  aussi  puissants  que  l'était  le  sire  Georges  de  La  Trémoille. 
Il  le  fit  arrêter,  alors  que  le  tout-puissant  favori  se  rendait  avec  un  sauf- 
conduit  pour  des  négociations  vers  le  duc  de  Bourgogne.  Une  grosse 
rançon  put  seule  rendre  le  négociateur  à  la  liberté.  Ailleurs  il  se  saisit 
d'un  troupeau  de  pourceaux  que  Ton  conduit  à  Nevers,  parce  que  la  ville 


LE  PARTI  ANTINATIONAL.  2J 

lui  devait  je  ne  sais  quelle  somme.  LaPucelle  ne  put  parvenir  à  Texpulser 
de  son  repaire  ;  Perrinel  le  conserva  après  le  traité  d'Arras,  et  ne  reconnut 
Charles  VII  qu'après  avoir  fait  ses  conditions.  N'ayant  pas  d'enfants  de  sa 
femme  Etienne  tte  de  Cour  vol,  il  porta  sa  sollicitude  sur  ses  nièces  qu'il  maria 
richement  et  noblement.  L'une  d'elles,  Étiennetle,  fille  de  noble  homme 
Grézeville  de  La  Lande  et  de  noble  demoiselle  Jeanne  Gressard,  épousa 
François  de  Surienne,  dit  l'Aragonnais,  un  aventurier  espagnol  allié  aux 
Borgia,  venu  pour  chercher  fortune  en  France.  Perrinet  traite  François 
l'Aragonnais  comme  un  fils.  Il  en  avait  fait  un  bailli  de  Saint-Pierre- 
le-Moustier,  d'où  Jeanne  d'Arc  l'expulsa  avant  de  mettre  le  siège  devant 
La  Charité.  De  Surienne  continua  à  combattre  pour  l'Anglais,  après  le 
congrès  d'Arras*. 

L'Eglise  a  l'effusion  du  sang  chrétien  en  horreur.  Les  pontifes,  par  leurs 
légats  et  leurs  lettres,  n'ont  jamais  cessé,  durant  cette  désastreuse  guerre, 
de  rappeler  à  la  paix  ces  frères  ennemis.  Ils  faisaient  appel  à  tous  les 
intermédiaires  qui  pouvaient  seconder  leurs  vues.  Les  intermédiaires  ne 
manquaient  pas  ;  des  liens  de  parenté  unissaient  tous  ces  princes  qui  se 
déchiraient.  Aussi  les  négociations  entre  la  cour  de  France  et  la  cour  de 
Bourgogne  ne  discontinuent  presque  pas  depuis  1 422  jusqu'au  traité  d' Arras. 
Négociations  stériles  ;  le  duc  de  Bourgogne  les  élude,  lié,  disait-il,  par 
son  serment  de  ne  pas  traiter  sans  l'Anglais,  par  son  honneur  qui  veut 
qu'on  commence  par  lui  livrer  les  meurtriers  de  Montereau,  et  que  l'on 
fasse  d'humiliantes  réparations.  En  attendant  ce  que  Ton  appelle  la  paix 
finale,  Ton  conclut,  l'on  prolonge  des  trêves  fallacieuses,  mal  gardées, 
sujet  de  mutuelles  récriminations.  Elles  ne  trompèrent  pas  la  céleste 
envoyée  qui  en  était  fort  mécontente,  et  qui  aurait  voulu  et  demandait 
une  paix  solide  et  ferme.  Elle  savait  et  elle  disait  qu'on  n'aurait  cette  paix 
qu'au  bout  de  la  lance.  On  n'ajouta  pas  foi  à  sa  parole.  L'on  n'apprécierait 
pas  toute  l'étendue  des  maux  qui  punirent  ce  défaut  de  foi,  si  l'on  disait 
que  ce  fut  un  état  de  guerre  désastreux  jusqu'au  traité  d'Arras,  en  1435. 
Ce  traité  lui-même  fut  un  bien  relatif,  en  ce  qu'il  permit  de  combattre 
TAnglais  désormais  isolé  de  l'allié  qui  faisait  sa  force;  mais  il  fut  la  cause 
d'immenses  malheurs  pour  la  suite.  Charles  VII  s'y  humilia  profondement 
et  accepta  du  Bourguignon  de  bien  dures  conditions.  Le  fils  de  ce  dernier, 
Charles  le  Téméraire,  balance  la  fortune  de  Louis  XI,  et  la  fille  et  l'unique 
héritière  du  Téméraire  porte  ses  immenses  États  dans  la  maison  d'Autri- 
che ;  autant  de  semences  de  guerres  séculaires  entre  la  France  et  l'Empire. 
Le  bout  de  la  lance  de  la  Pucelle,  si  on  avait  voulu  la  seconder,  aurait 
vraisemblablement  écrasé  tous  ces  germes  d'un  si  lamentable  avenir,  en 

1.  Extrait  de  diverses  pièces  des  archives  dépaftementales  de  Dijon  et  de  Nevers. 
M.  de  Flamard,  archiviste  à  Nevers,  a  très  ohiigeamment  secondé  nos  recherches. 


22  L\  VRAIE  JEANNE  D^ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

réduisant  la  puissance  du  Bourguignon  à  ses  justes  limites.  Les  maux 
causés  au  pays  par  cette  maison  de  Bourgogne  sont  incalculables.  Sans 
vouloir  ici  entrer  dans  des  discussions  politiques,  c'est  un  fait  historique- 
ment évident  que  la  plupart  des  guerres  qui  ont  ensanglanté  notre  passé 
furent  des  guerres  de  succession  dynastique.  La  raison,  et  encore  moins 
la  foi,  n'établissent  pas  qu'il  faille  faire  égorger  par  milliers  et  milliers 
de  paisibles  cultivateurs,  ruiner  des  provinces,  pour  rétablir  un  maître, 
même  injustement  dépouillé,  à  plus  forte  raison  pour  défendre  des  droits 
litigieux.  C'est  un  progrès  sensible  de  penser  que  les  maux  si  épouvan- 
tables de  la  guerre  doivent  aujourd'hui  être  justifiés  par  des  motifs  plus 
élevés  et  qui  touchent  de  plus  près  ceux  qui  en  subissent  les  plus  lourds 
fardeaux*. 

L'Angleterre  s'épuise  pour  assurer  la  double  couronne  de  France  et 
d'Angleterre  sur  la  tête  d'un  enfant.  Cet  enfant  grandira  ;  il  sera  homme 
fait  quand,  par  la  perte  de  la  Normandie  et  de  la  Guyenne,  il  verra  le  royaume 
de  France  lui  échapper  totalement  à  l'exception  de  Calais,  mais  ce  n'est 
qu'un  prélude  :  la  couronne  d'Angleterre  tombera  de  sa  tête,  y  sera  repla- 
cée, en  tombera  encore,  et  il  mourra  lui-même  dans  la  trop  fameuse 
prison  appelée  la  tour  de  Londres,  assassiné,  pense-t-on.  Heureux  que 
les  vertus  chrétiennes  dont  il  fut  doué  lui  aient  mérité  une  autre  cou- 
ronne que  celle  qui  est  l'objet  de  ces  sanglants  jouets  !  Jouets  d'horreur. 
L'Angleterre  nagea  dans  le  sang  durant  vingt  ans  pour  savoir  si  la  Rose 
rouge  ou  la  Rose  blanche  remporterait.  Toutes  deux  y  disparurent;  la 
couronne  passa  à  un  des  petits-fils  de  cette  Catherine  pour  la  main  de 
laquelle  le  second  des  Lancastre  ensanglantait  la  France.  Ce  petit-fils, 
Henri  ïudor,  n'avait  pas  dans  les  veines  le  sang  des  Lancastre  ;  il  des- 
cendait d'un  chevalier  d'assez  médiocre  condition,  que  la  dame  restée 
veuve  avait  épousé  en  secondes  noces.  Pour  être  devenue  une  citation 
banale,  la  parole  des  Saints  Livres,  Et  niinc  reges  inteWgite  et  erudimini 
n'en  est  pas  moins  vraie,  tout  comme  cette  autre  :  Filiihominum  usquequà 
gravi  corde,  ntquid  diligitis  vanitatem  et  quœritis  mendaciiim?  X  quoi  bon 
dérouler  ce  livre  si  souillé  de  l'histoire  des  passions  humaines,  si  l'on  ne 
devait  pas  recueillir  quelques-uns  de  ces  ;enseignements  fondamentaux? 

1.  I/éloquent  prédicateur  de  Notre-Dame,  Mgr  d'Hulst,  constatait  ce  progrès,  et 
cette  différence  des  causes  de  la  guerre,  dans  sa  conférence  :  iVon  occides.  (Carême 
de  1896.) 


LA  GUERRE  AU  TEMPS  DE  LA  PUCELLE.  23 


CHAPITRE   III 

LA  GUERRE  AU  TEMPS  DE  LA  PUCELLE. 

SosiMAiRE  :  L  —  Complication  de  Tart  de  la  guerre  au  temps  de  Jeanne  d'Arc.  —  Le 
chevalier,  Técuyer,  Thomme  d'armes.  —  Les  archers  anglais.  —  L'arbalète  inutile- 
ment interdite  par  l'Église  dans  la  guerre  entre  chrétiens.  —  Infériorité  de  l'arme- 
ment des  milices  municipales.  —  La  Pucelle  excelle  à  tirer  parti  de  l'artillerie.  — 
L'artillerie  produisait  déjà  de  puissants  effets  au  commencement  du  xv«  siècle. 

ÏI.  —  Les  forteresses  qui  couvraient  le  pays.  —  Empressement  des  villes  à  se  fortifier. 

—  Les  sièges.  —  Ce  que  demandait  un  siège.  —  Bastilles,  boulevards,  fossés.  — 
Comment  on  comblait  les  fossés.  —  Comment  on  se  protégeait  en  montant  à  l'assaut. 

—  Les  mines. 

m.  —  Manière  dont  se  recrutaient  les  soldats.  —  La  solde  payée  au  capitaine.  —  Les 
profits  de  guerre,  rançon,  pillage.  —  Part  qui  revenait  au  roi.  —  Certains  prisonniers. 


I 

Ce  serait  une  erreur  de  penser,  ainsi  qu'on  le  lit  dans  quelques  basses 
histoires,  que  les  batailles  du  moyen  âge  étaient  des  chocs  impétueux  et 
comme  fortuits,  sans  ordre  et  sans  tactique.  Les  xiv®et  xv*  siècles  ont  eu 
leurs  Végèces  ;  leurs  manuscrits  ornent  notre  grand  dépôt  littéraire.  Si 
la  chevalerie  française  réputait  de  son  honneur  d'aborder  Tennemi  de 
front  et  d'exposer  sa  personne,  ce  n'était  pas  au  point  de  dédaigner  soit 
de  choisir  le  lieu  de  la  lutte,  soit  de  disposer  l'armée  dans  le  meilleur 
ordre  possible.  On  verra  qu'en  face  d'un  ennemi  occupant  une  position 
inexpugnable,  la  Pucelle  ne  fut  pas  d'avis  d'engager  le  combat,  et  se 
contenta  de  s'efiTorcer  de  l'attirer  hors  des  retranchements.  Embuscades, 
surprises,  autres  ruses  de  guerre,  tout  cela  était  bien  connu  et  appliqué 
au  moyen  âge. 

L'art  de  la  guerre  était  d'autant  plus  compliqué  au  xv''  siècle  que  l'on 
faisait  usage  des  armes  des  siècles  précédents,  en  même  temps  que  les 
armes  de  Tàge  moderne  étaient  appliquées  plus  fréquemment  et  plus 
efficacement  qu'on  le  pense  et  qu'on  ne  le  dit  parfois. 

Les  chevaliers  se  couvraient  de  fer  des  pieds  à  la  tête,  laissant  à  peine 
deux  petites  ouvertures  pour  la  vue.  De  menues  pièces  aux  genoux,  au 
cou,  des  plaques  de  fer,  s'agençant  avec  des  cottes  de  maille  et  des 
plastrons  rembourrés,  les  protégeaient  si  bien  qu'ils  étaient  presque 
invulnérables,  dit  le  Père  Daniel.  Ce  qu'ils  avaient  le  plus  à  craindre, 
c'était  d'être  renversés  de  cheval,  parce  que  Ja  pesanteur  et  la  complica- 


24  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

tion  de  leur  armure  les  empochaient  de  se  relever  facilement*.  La  tête  et 
le  poitrail  du  cheval  étaient  eux-mêmes  protégés  par  des  chanfreins  de 
métal,  et  les  flancs  par  des  flançois  en  cuir  bouilli  ^.  Les  gentilshommes, 
dès  leur  adolescence,  étaient  dressés  au  maniement  des  armes  et  aux 
exercices  qui  devaient  donner  force  et  souplesse  à  leurs  membres. 

Us  s'y  exerçaient  en  faisant  fonction  d'écuyers  autour  de  Thomme 
d'armes,  portant  les  pièces  offensives  de  son  armure,  les  lui  présentant 
au  moment  de  la  bataille,  enchaînant  les  prisonniers,  Taidant  à  monter  à 
cheval,  ou  à  se  relever  s'il  en  était  renversé.  C'est  un  sujet  controversé 
parmi  les  doctes  de  savoir  le  nombre  d'hommes  qui  accompagnaient 
Vhomme  d'armes^  ce  que  comprenait  la  lance  fournie.  La  plupart  des 
auteurs  consultés  semblent  indiquer  qu'il  y  en  avait  trois  au  moins  : 
rhomme  d'armes,  son  page,  son  coutilier  ou  valet  ^  Il  y  avait  ordinai- 
rement trois  archers  pour  un  homme  d'armes. 

C'est  aux  archers  que  l'Angleterre  dut  ses  victoires  en  rase  campagne. 
Placés  au  front  de  l'armée,  ils  recevaient  les  assaillants  par  une  grêle  de 
flèches.  Si  ces  décharges  étaient  impuissantes  à  les  arrêter,  les  chevaliers 
arrivés  au  camp  anglais  se  trouvaient  en  lace  d'une  palissade  de  pieux 
aigus,  inclinés,  dont  la  pointe  acérée  était  terminée  en  fer.  Chaque  archer 
devait  en  être  muni;  ces  pieux  étaient  aigus  des  deux  côtés,  pour  être 
facilement  fixés  en  terre.  Tandis  que  par  un  bout  ils  étaient  plantés  dans 
le  sol,  de  l'autre  ils  présentaient  au  cavalier  assez  hardi  pour  s'aventurer 
jusqu'à  l'ennemi  leur  extrémité  taillée  de  manière  à  s'enfoncer  dans  le 
poitrail  du  coursier.  Celui-ci  se  cabrait,  s'embarrassait  sur  le  terrain 
ainsi  hérissé,  renversait  non  seulement  son  cavalier,  mais  encore  les 
cavaliers  voisins.  La  noblesse  anglaise  chargeait  alors  à  la  faveur  du  dé- 
sordre, et  la  déroute  commençait.  L'Eglise,  dans  sa  sollicitude  pour  arrêter 
Teffusion  du  sang,  n'avait  pas  seulement  introduit  la  trêve  de  Dieu  ;  elle 
avait,  dans  un  concile  de  Latran,  interdit  dans  les  guerres  entre  chrétiens 
l'usage  de  l'arbalète,  comme  étant  une  arme  trop  meurtrière.  La  défense, 
d'abord  respectée  par  les  Français,  ne  l'ayant  pas  été  par  les  Anglais,  force 
fut  bien  d'en  user  aussi.  Le  cours  de  l'invention  des  engins  homicides  con- 
tinua donc  pour  en  venir  au  degré  de  perfectionnement,  où  il  est  arrivé 
de  nos  jours,  et  où  il  fait  des  progrès  qui  présagent  d'incalculables  des- 
tructions. N'arrivera-t-il  pas  un  jour  où  le  monstre  qui  désirait  que  le 
peuple  romain  n'eût  qu'une  seule  tête  pour  l'abattre  d'un  seul  coup,  serait 
presque  en  état  de  réaliser  son  rêve  d'infinie  scélératesse?  N'y  a-t-il  pas 

1.  Père  Daniel,  Histoire  de  la  milice  française  y  1. 1,  p.  383  et  passim,  p.  400. 

2.  1d.,  J6ûi.,  p.  402  et  suiv. 

3.  Mémoires  de  la  Société  archéologique  de  l'Orléanais^  t.  XI.  Dépenses  faites  pour 
secourir  Orléans,  par  M.  Loyseleur. 


LA  GUERRE  AU  TEMPS  DE  LA  PUCELLE.  25 

lieu  de  se  le  demander  en  voyant  combien  de  morts  à  la  minute  renferme 
le  canon  de  fusil  du  plus  simple  de  nos  troupiers? 

Au  XV*  siècle,  les  armes,  moins  perfectionnées,  étaient  aussi  beaucoup 
plus  nombreuses.  Il  serait  hors  de  notre  compétence,  tout  comme  en 
dehors  de  notre  sujet,  de  décrire  celles  que  Ton  trouve  mentionnées  dans 
les  Chroniques.  Il  semble  que  les  troupes  municipales,  qui  combattaient 
surtout  à  pied,  s'armaient  de  tout  ce  qui  était  à  leur  disposition,  n'ayant 
pas  pour  s'équiper  les  ressources  de  la  chevalerie,  qui  d'ailleurs,  se 
réservait  le  port  de  quelques  armes  préférées.  C'est  ainsi  qu'on  les 
voit  aller  au  siège  de  Jargeau,  non  seulement  avec  des  guisarmes,  des 
haches,  des  arbalètes,  mais  avee  des  maillets  de  plomb,  et  qu'ailleurs 
on  mentionne  même  des  frondes*. 

Tous  les  contemporains  sont  unanimes  pour  nous  dire  que  Jeanne 
montra  tous  les  talents  d'un  général  consommé  ;  le  duc  d'Alençon 
—  celui  qui  avait  dû  l'observer  de  plus  près  —  affirme  qu'elle  excellait 
surtout  à  tirer  parti  de  l'artillerie,  maxime  in  prœparatioyie  artillerie^ 
quia  midtum  benè  in  hoc  se  habebat.  Ce  sont  les  derniers  mots  de  son 
intéressante  déposition. 

Quoique  le  mot  désignât  alors  toutes  les  armes  de  trait,  que  l'arc  et 
l'arbalète  fissent  partie  de  l'artillerie,  il  faut,  croyons-nous,  entendre  par  là 
les  armes  à  feu,  qui  dès  lors  jouaient  dans  l'armée  un  rôle  beaucoup  plus 
prépondérant  que  l'on  ne  semble  le  croire.  11  y  avait  plus  de  cinquante 
ans  que  l'artillerie  produisait  des  effets  décisifs.  C'est  ainsi  qu'en  1374 
la  place  de  Saint-Sauveur  en  Normandie,  réputée  jusqu'alors  imprenable, 
cède  promptement  dès  que  les  assiégeants  sont  en  possession  du  grand 
canon  de  Caen'.  Rouen,  lors  du  siège,  en  1418,  possédait  pour  se  dé- 
fendre, d'après  un  poète  anglais,  jusqu'à  cent  canons,  trois  dans  chacune 
de  ses  tours,  dirigés  en  trois  directions  différentes^.  Il  y  avait  des  armes 
à  feu  de  calibres  bien  différents,  depuis  la  grosse  bombarde,  quipourêtre 
traînée  demandait  vingt-deux  chevaux  et  lançait  des  projectiles  de  120  et 
160  livres,  jusqu'aux  simples  coulevrines,  dont  quelques-unes  ne  pesaient 
que  12  livres,  dit  M.  Loyseleur.  On  chargeait  les  coulevrines  avec  du 
plomb,  comme  l'indique  le  mot  plombées,  par  lequel  on  indique  leurs 
projectiles.  On  chargeait  les  canons  avec  des  pierres  grossièrement 
arrondies.  Avait-on  trouvé  le  moyen  de  fabriquer  des  boulets  de  fer  ? 
il  semble  que  non  ;  c'est  l'affirmation  commune.  Il  ne  faudrait  pas  cepen- 
dant renvoyer  jusqu'au  règne  de  François  1"  l'usage  des  boulets  en  fer, 
puisque  le  Père  Daniel  cite  un  compte  de  1487,  mentionnant  des  dépenses 

1.  Journal  du  siège,  p.  90. 

2.  Mémoires  des  antiquaires  de  Normandie,  t.  XXVIil  :  Le  grand  canon  de  Caen. 

3.  Ihid.,  t.  XXVI  :  Le  siège  de  Rouen. 


26  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

faites  pour  des  boulets  en  fer,  et  des  boulets  en  pierre  de  grès*.  Les 
noms  de  mangonneaux,  de  veuglaires,  de  bombardes,  de  gros  canons, 
que  Ton  trouve  dans  les  Chroniques,  suffiraient  k  prouver  qu'il  y  avait  déjà 
de  la  variété  dans  les  grosses  armes  à  feu. 

Dans  son  Étude  sur  le  siège  d'Orléans^  M.  Loyseleur  croit  pouvoir 
affirmer  que  les  Anglais  avaient  des  canons  portant  à  huit  cents  mètres. 
L'on  ne  nie  pas  d'ailleurs  que  leur  maniement,  leur  chargement,  ne  fussent 
une  cause  de  lenteur  dans  le  parti  que  Ton  pouvait  en  tirer,  et  de  grande 
infériorité,  eu  égard  au  parti  qu'on  en  tire  aujourd'hui. 


II 

Tout  le  pays  était  hérissé  de  châteaux  et  de  forteresses,  bâtis  en  vue 
de  la  guerre,  ordinairement  sur  une  hauteur,  entourés  de  fossés,  d'avant- 
posles  de  défense,  où  une  poignée  de  braves,  retirés  parfois  dans  le 
donjon,  c'est-à-dire  dans  la  plus  forte  tour,  pouvaient  tenir  longtemps, 
pourvu  qu'une  surprise  ou  un  défaut  de  vivres  ne  les  forçât  pas  à  capi- 
tuler. L'on  ne  pouvait  pas  laisser  derrière  soi  ces  places  au  pouvoir  de 
l'ennemi,  sans  vouer  la  contrée  à  d'incessants  pillages.  Les  Chroniques 
sont  pleines  des  prises  et  des  reprises  de  ces  forteresses,  et  aussi  des 
terribles  exécutions,  des  pendaisons  de  ceux  qui  les  avaient  défendues. 
Heureux  quand  une  composition  finale  leur  permettait  de  se  retirer  le 
bâton  au  poing,  sans  bagages  et  sans  armes,  ou  qu'une  rançon  leur 
assurait  la  vie  sauve.  La  rançon,  il  fallait  pouvoir  la  payer,  et  il  n'y  avait 
guère  d'espérance  pour  bien  des  compagnons,  dont  la  corde  finissait  trop 
souvent  les  aventures.  Maître  de  ces  places,  il  fallait  ou  y  laisser  des 
gardiens  pour  les  défendre,  ou  les  démolir  pour  qu'elles  ne  pussent  plus 
servir  au  vaincu  ;  alternative  laissée  à  la  prudence  du  vainqueur,  que  l'on 
voit  adopter  tantôt  l'un,  tantôt  l'autre  parti. 

Les  villes  mettaient  leur  honneur  comme  leur  sécurité  à  s'entourer  de 
puissants  remparts,  étayés  par  de  vastes  systèmes  de  défense.  Tours 
coupant  les  murs  à  quelque  cinquante  mètres  de  distance  en  distance, 
et  dans  les  tours,  mâchicoulis,  meurtrières  et  places  pour  les  engins  de 
guerre  ;  fossés  souvent  doubles,  larges,  profonds,  disposés  de  manière  à 
pouvoir  être  facilement  remplis  par  les  eaux,  alors  qu'ils  ne  Tétaient 
pas  habituellement  ;  aux  bords  des  fossés,  des  boulevards  ;  pour  l'usage 
habituel  de  la  vie,  quatre  ou  cinq  portes  dans  les  villes  ordinaires,  mais 

i.  Père  Daniel,  Histoire  de  la  milice  française^  t.  I,  p.  449.  Un  de  nos  amis  versé  en 
ces  matières,  lisant  ces  pages,  nous  assure  d'après  ses  souvenirs  que,  dès  i400,  on 
fondait  des  boulels  en  fer.  Videant  peritiores. 


LA  GUERRE  AU  TEMPS  DE  LA  PUCELLE.  27 

portes  fortifiées,  munies  de  herses,  et  de  tout  ce  qui  était  nécessaire 
pour  lever  ou  abaisser  à  volonté  les  ponts-levis,  c'est  la  ville  du  moyen 
âge.  Nos  promenades  actuelles  portent  le  nom  de  boulevards  ou  même 
de  fossés,  parce  que  primitivement  elles  se  sont  établies  sur  les  anciens 
fossés  comblés,  ou  les  boulevards  aplanis.  Tant  que  Tartillerie  n'a  pas 
existé,  ou  a  été  dans  l'enfance,  ce  n'était  guère  que  par  un  siège  et  par 
la  famine  qu'oij  pouvait  réduire  les  villes  ainsi  fortifiées,  tant  qu'à  l'inté- 
rieur il  existait  une  milice  vigilante  pour  prévenir  les  surprises  ou  déjouer 
les  trahisons,  courageuse  pour  utiliser  les  savants  moyens  de  défense 
élevés  en  temps  de  paix.  Voilà  pourquoi  les  sièges  tiennent  si  large  place 
dans  l'histoire  militaire  ancienne  ou  même  du  moyen  âge.  Dans  la  guerre 
de  Cent  ans,  fameux  sont  les  sièges  de  Calais,  de  Cherbourg,  de  Rouen, 
de  Melun,  de  Meaux.  Nos  modernes  résistances  pâlissent  fort  à  côté  de 
rhéroïsme  déployé  par  les  défenseurs  et  les  habitants  des  cités  qui 
viennent  d'être  nommées. 

Pour  réduire  une  ville  par  la  famine,  il  fallait  opposer  fortifications  à  forti- 
fications, et  construire  une  seconde  enceinte  enveloppant  la  première, 
construire  comme  une  seconde  ville,  à  cela  près  que  tout  y  était  dirigé 
pour  forcer  la  première.  C'est  l'idée  que  Froissard  nous  donne  des  tra- 
vaux exécutés  par  Edouard  III  autour  de  Calais.  «  Le  roi  Edouard,  nous 
dit-il,  fit  bâtir  hôtels  et  maisons  et  charpenter  de  gros  merrain.  Il  fit 
couvrir  lesdites  maisons  qui  étaient  ordonnées  par  rues,  d'estrain 
(chaume)  et  de  genêts;  et  avait  en  cette  neuve  ville  du  roi  toutes  choses 
appartenant  à  une  armée  et  plus  encore,  et  place  ordonnée  pour  tenir 
marché  le  mercredi  et  le  samedi;  et  là  étaient  merceries,  boucheries, 
halles  de  drap  et  de  toutes  autres  nécessités*.  » 

Les  assiégeants  devaient  en  efiFet  se  loger,  loger  les  chevaux,  emmaga- 
siner les  armements  et  les  provisions.  C'est  à  quoi  étaient  destinées  les 
constructions  appelées  bastides,  ou  bastilles.  Pour  leur  rendre  plus 
difficile  ce  premier  établissement,  nous  verrons  les  Orléanais  raser  leurs 
faubourgs  et  toutes  les  constructions  en  dehors  des  remparts.  Les 
assiégeants  devaient  s'établir  à  une  distance  suffisante  pour  ne  pas  être 
trop  inquiétés  dans  ce  premier  travail;  élever  des  fortifications  pour 
défendre  l'accès  des  bastilles;  c'est  ce  que  désigne  le  mot  boulevard, 
constructions  en  terre,  retenues  par  des  fascines,  hérissées  de  parapets, 
renfermant  souvent  des  taudis,  espèces  de  guérites  pour  les  sentinelles  ;  le 
tout  était  joint  à  des  fossés,  off'rant  le  double  avantage  de  protéger  les 
demeures  des  assiégeants,  et  en  se  prolongeant  de  relier  les  unes  aux 
autres  les  diverses  bastilles  et  de  leur  permettre  de  communiquer  entre 

1.  Froissabd,  Chroniques,  liv.  I,  eh.  ccxcvii. 


28  LA  VRAIE  JEANiNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

elles.  Il  y  avait  souvent  double  fossé  :  Tun  du  côté  de  la  ville,  pour  se 
protéger  contre  les  assiégés  ;  l'autre  du  côté  de  la  campagne,  pour  se 
protéger  contre  les  assaillants  du  dehors,  et  aussi  arrêter  les  convois 
d'approvisionnements.  Monstrelet,  parlant  du  siège  de  Rouen,  nous  dit 
que  les  Anglais,  «  sitôt  qu'ils  purent  firent  des  fossés  entre  la  ville  et  leurs 
logis,  sur  lesquels  ils  firent  de  fortes  haies  d'épines  ;  par  quoi  lesdits 
assiégeants  ne  pouvaient  être  ni  surpris,  ni  travaillés,  sijion  par  canons 
et  par  traits...  Et  encore  lesdits  Anglais  firent  en  plusieurs  et  divers  lieux 
moult  de  fossés  profonds  en  terre  pour  pouvoir  aller  d'un  logis  à  un 
autre,  sans  être  atteints  de  traits  de  canons,  et  autres  habillements 
(machines)  de  guerre  par  lesdits  assiégés*.  »  Y  avait-il  une  rivière,  il 
fallait  en  intercepter  le  cours. 

11  est  manifeste  que  les  Anglais  ont  dû  employer  à  Orléans  les  moyens 
qui  leur  avaient  réussi  précédemment.  Un  chroniqueur  nous  dira  même 
que  jamais  encore  ils  n'avaient  déployé  tant  d'habileté.  Des  ponts-levis 
sur  les  fossés  des  assiégeants  et  des  assiégés  permettaient  de  franchir 
l'obstacle  sans  difficulté,  quand  ceux  qui  en  étaient  les  maîtres  y  trou- 
vaient leur  avantage.  Tandis  que  les  assiégés  s'efforçaient  d'arrêter,  de 
détruire  les  travaux  des  assiégeants,  les  assiégeants  de  leur  côté  cher- 
chaient à  surprendre  la  place,  à  y  faire  brèche,  à  y  pénétrer  par  assaut. 

Pour  ourdir  la  trame  du  siège  et  créer  comme  une  seconde  ville  mili- 
taire en  face  de  la  première,  il  fallait  d'abord  s'emparer  d'un  point 
important,  s'y  établir  fortement,  et  de  là  dresser  le  réseau,  en  assurer 
la  solidité,  en  ménageant  de  loin  en  loin  des  postes  fortifiés  et  bien 
défendus,  faire  une  suite  de  bastilles.  Dans  Tattaque  même  de  la  place, 
il  fallait,  si  on  le  pouvait,  arriver  jusqu'aux  fossés.  On  les  comblait  promp- 
tement  avec  des  fascines,  des  bourrées,  tout  ce  qu'on  avait  sous  la  main. 
Les  fossés  une  fois  comblés.  Ton  arrivait  aux  remparts,  l'on  appliquait 
les  échelles  et  l'on  montait,  quelquefois  sous  une  grêle  de  toutes  sortes 
de  projectiles,  pierres,  graisse  fondue,  traits,  etc.  C'était  l'assaut.  Pour 
se  protéger  contre  les  projectiles,  on  se  couvrait  de  pavois,  ou  pavés, 
sorte  de  boucliers  en  bois,  et  en  cuir,  qu'on  adaptait  aux  épaules,  et  qui 
couvraient  la  tête  tout  en  laissant  la  liberté  des  bras.  Il  existait  de  ces 
sortes  de  pavois  dont  on  se  servait  à  terre.  Montés  sur  des  roues  mobiles, 
ils  étaient  munis  de  petites  ouvertures  par  lesquelles  on  lançait  les  flèches, 
tandis  qu'on  était  soi-même  abrité. 

Quand  on  le  pouvait,  on  pratiquait  encore  des  mines.  Au  lur  et  à 
mesure  que  l'on  creusait  le  terrain,  on  l'étayait  avec  des  poutres.  Arrivé 
au  point  voulu,  on  remplissait  la  mine  de  matières  inflammables,  et  Ton 

4.  Monstrelet,  ch.  cxcvi. 


LA  GUERRE  AU  TEMPS  DE  LA  PUCELLE.  29 

y  mettait  le  feu.  Le  sol  en  s'éboulant  faisait  sauter  le  rempart,  la  tour, 
le  boulevard  qu'il  supportait;  un  vase  d'eau,  par  ses  oscillations,  avertis- 
sait les  assiégés  du  travail  souterrain.  L'on  contre-minait  alors,  et  au 
siège  de  Melun  assiégeants  et  assiégés  se  livrèrent  ainsi  des  combats  dans 
les  entrailles  de  la  terre. 

L'on  ne  comprendrait  pas  les  Chroniques,  si  l'on  n'avait  présentes  à 
Tesprit  ces  notions  rudimentaires  de  l'art  de  la  guerre  au  moyen  âge. 
Ajoutons  encore  les  détails  suivants. 


III 

Ce  n'étaient  pas  les  soldats  qui  touchaient  la  paye,  c'était  le  capitaine, 
le  chef  qui  les  avait  enrôlés.  Il  faisait  ce  que,  dans  le  langage  du  temps, 
on  appelait  une  endenture^  c'est-à-dire  un  engagement  par  un  écrit 
endenté,  à  peu  près  dans  la  forme  de  nos  mandats-poste.  11  s'obligeait 
à  fournir,  pendant  un  temps  déterminé,  ordinairement  six  mois,  un  an, 
tant  d'hommes  d'armes,  d'archers,  etc.  ;  on  lui  promettait  pour  chacun 
une  solde  convenue  ;  il  devait  au  jour  fixé  faire  ses  montres^  c'est-à-dire 
les  présenter  à  l'inspection;  il  touchait  la  somme  ;  à  lui  de  s'arranger 
avec  sa  troupe.  C'était  une  source  d'immenses  désordres.  La  pénurie  du 
trésor,  les  gaspillages  des  favoris  ne  permettaient  pas  toujours  de  payer 
le  capitaine,  et  le  capitaine  payé  ne  payait  pas  toujours  ses  soudoyés. 
Ces  derniers,  avides  de  pillages,  prompts  à  toutes  les  violences,  se  jetaient 
alors  partout  où  ils  espéraient  se  pourvoir  non  seulement  du  nécessaire, 
mais  satisfaire  leur  cupidité,  leur  luxure  ;  ils  se  portaient  contre  les 
faibles  aux  excès  décrits  ailleurs.  Parfois  ils  imposaient  ce  que  la  langue 
du  temps  appelle  des  apatissements,  c'est-à-dire  une  contribution  que 
l'on  devait  payer,  sous  peine  de  se  voir  incendié,  torturé,  emmené  pri- 
sonnier. On  cachait  ce  que  l'on  avait  de  précieux.  Pour  forcer  de  dévoiler 
le  trésor,  on  a  vu  de  ces  pillards  brûler  à  petit  feu  celui  qui  était  soup- 
çonné d'avoir  frustré  leur  avidité. 

Il  a  fallu  bien  du  temps  pour  faire  pénétrer  au  sein  des  sociétés  en 
guerre  le  respect  de  la  vie  humaine,  adoucir,  puisqu'il  ne  peut  pas 
disparaître,  ce  fléau  terrible  des  mêlées  sanglantes  et  ordonnées,  épargner 
au  moins  les  meurtres  inutiles.  A  chaque  page,  à  la  suite  de  forteresses 
emportées,  l'on  voit  des  chiffres  relativement  élevés  d'hommes  pendus. 
C'étaient  surtout  ceux  qui  n'étaient  pas  en  état  de  payer  leur  rançon. 
L'on  verra  un  chroniqueur  regretter  la  mort  des  capitaines  anglais  aux 
Tourelles,  non  pas,  comme  la  Pucelle,  par  pitié  pour  leurs  âmes,  mais 
parce  que,  prisonniers,  on  eût  pu  en  tirer  une  riche  rançon.  Ces  rançons. 


30  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARG  :  LA  LIBÉRATRICE. 

SOUS  le  nom  de  profits  de  guerre,  entraient  fort  en  ligne  de  compte.  Une 
curieuse  délibération  du  conseil  d'Angleterre,  citée  par  Rymer,  nous 
apprend  qu'un  des  motifs  mis  en  avant  pour  accepter  la  rançon  exorbi- 
tante offerte  par  le  duc  de  Bourbon,  c'est  qu'étant  malade,  il  pourrait 
mourir  dans  les  fers,  comme  il  mourut  en  effet,  et  que  Ton  serait  privé 
de  tout  profit.  On  mesurait  la  rançon  à  la  richesse  vraie  ou  présumée  du 
prisonnier.  Moyennant  des  otages,  on  permettait  quelquefois  au  captif 
d'aller  la  quérir,  ou  la  mendier  auprès  de  ses  vassaux,  de  ses  amis,  du 
suzerain.  La  fidélité  à  la  parole  donnée  est  un  des  beaux  côtés  du  moyen 
âge  ;  les  Régulus  y  abondent. 

«  L'usage  était  que  le  capitaine  reçût  le  tiers  des  prises  appartenant  à 
ses  soldats.  Sur  ce  qui  restait,  le  roi  prélevait  encore  son  tiers,  et  de 
même  son  tiers  sur  les  profits  personnels  du  capitaine*.  »  Il  faut  entendre 
par  ces  prises,  et  les  prisonniers  et  le  butin  de  toute  sorte,  armes, 
chevaux,  meubles,  etc.  Le  butin  était  vendu  à  l'encan;  le  capitaine  pré- 
sentait un  état  des  ventes,  et  jurait  que  tout  était  en  conformité  avec  la 
vérité.  Les  rois,  les  princes  du  sang  royal,  les  lieutenants  généraux, 
devaient  être  remis  au  roi,  qui  s'engageait  à  donner  aux  preneurs'  un 
dédommagement  convenable. 


CHAPITRE    IV 

ORLÉANS  EN   1429. 

Sommaire  :  1.  —  Les  arinoiries  d'Orléans.  —  Sa  position  sur  la  Loire.  —  Son  site.  — 
Ses  portes.  —  Ses  tours.  —  Son  pont.  —  Le  faubourg  de  la  rive  gauche,  le  Portereau. 

—  Iles  de  la  Loire.  —  Le  port  du  Bousquet  ou  de  Saint-Loup.  —  Saint-Loup. 

[I.  —  L'Orléanais  redevenu  apanage  princier  contre  rengagement  pris  par  Charles  V. 

—  Les  princes  d'Orléans.  —  Charles  d'Orléans.  —  Le  poète.  —  L'administration  du 
duché.  —  L'évéque  d'Orléans,  Jean  de  Saint-Michel.  —  Administration  municipale. 

—  Les  archives  municipales  dépouillées  par  le  chanoine  Dubois. 

lll.  —  Promesse  de  Salisbury  de  respecter  les  possessions  du  duc  d'Orléans.  —  Les 
Orléanais  se  préparent  à  soutenir  le  siège.  —  Double  impôt.  —  Réparations  aux 
murailles.  —  Appel  à  Dieu.  —  L'artillerie.  —  Appel  aux  autres  villes  de  France.  — 
Comment  elles  répondent.  —  Les  états  généraux  de  Chinon. 

i.  L.  Jarry,  le  Compte  de  l'armée  anglaise  au  siège  d'OrléanSy  p.  35-39. 
2.  Boucher  de  Molandon  et  de  Beaucorps,  V Armée  anglaise  vaincue  par  Jeanne  d'ArCf 
p.  194  et  suiv. 


ORLÉANS  EN  1429.  31 


I 


Trois  cœurs  figurent  sur  les  armoiries  d'Orléans.  Serait-ce  pour 
signifier  que  si  Paris  est  la  tête  de  la  France,  Orléans  en  est  le  cœur? 
sans  discuter  cette  assertion,  il  est  certain  qu'Orléans  est  sensiblement 
assis  au  centre  de  la  plus  vivifiante  des  artères  françaises,  la  Loire.  Né 
dans  les  Cévennes,  au  Gerbier- de- Joncs,  le  fleuve  central  prend  sa  course 
vers  le  nord-ouest,  et  puis  tout  à  coup,  comme  pour  prolonger  ses 
bienfaits  et  retarder  son  anéantissement  dans  TOcéan,  il  revient  sur  lui- 
même  et  fléchit  vers  le  sud,  tout  en  continuant  vers  l'ouest.  Orléans  se 
trouve  au  sommet  de  cet  angle  rentrant.  A  une  époque  où  le  commerce 
se  faisait  surtout  par  la  navigation  fluviale,  Orléans  se  trouvait  ainsi  par 
la  rivière  en  communication  avec  de  nombreuses  provinces:  le  Nivernais, 
le  Bourbonnais,  le  Forez,  vers  Test;  leBlésois,  la  Touraine,  TAnjou,  la 
Bretagne  méridionale,  au  sud-ouest. 

Bâtie  sur  la  rive  droite  de  la  Loire,  sur  un  coteau  de  médiocre  élévation, 
la  ville  étend  insensiblement  ses  pieds  vers  le  midi ,  jusqu'aux  eaux  du 
fleuve.  En  1429  son  enceinte  n'était  guère  que  le  quart  du  pourtour 
actuel  ;  mais  en  dehors  des  remparts  s'étendaient  de  populeux  faubourgs, 
réputés  les  plus  beaux  de  France,  renfermant  une  population  aussi 
nombreuse  que  celle  qui  vivait  à  l'intérieur  des  murailles.  L'enceinte 
était  un  quadrilatère  de  500  à  600  mètres  de  côté. 

Cinq  portes  mettaient  en  communication  la  ville  et  les  faubourgs.  Au 
nord  la  porte  Parisie,  route  de  Paris  ;  à  l'est  la  porte  de  Bourgogne,  à 
l'intersection  actuelle  des  rues  de  Bourgogne  et  du  Bourdon-Blanc  ;  au 
midi  la  porte  du  Pont  défendue  par  les  Tourelles  ;  au  nord-ouest  la 
porte  Bannier  non  loin  du  lieu  où  s'élève  la  statue  équestre  de  Jeanne  d'Arc  ; 
à  l'ouest  la  porte  Renard  vers  l'extrémité  de  la  rue  du  Tabour. 

Les  murailles,  épaisses  de  2  mètres  à  2°, 50,  hautes  de  6™, 50  à  10  mètres, 
étaient  bordées  de  fossés  de  13  mètres  de  largeur  et  de  6  mètres  de  pro- 
fondeur ;  elles  étaient  hérissées,  à  une  distance  qui  variait  de  60  à  70  mè- 
tres, de  près  de  quarante  tours,  à  demi  saillantes,  à  trois  étages,  de  10  mètres 
de  diamètre  \  Avec  les  nombreux  clochers  des  diverses  églises,  toutes 
ces  cimes  devaient  présenter  l'aspect  d'une  forêt  de  pierres. 

César  appelle  Genabum^  qui  est  bien,  ce  semble,  Orléans,  l'entrepôt  des 
Camutes,  Carnutorum  emporium.  Situé  sur  la  rive  droite,  Orléans  confine 
en  efiet  avec  le  pays  de  Chartres,  ou  la  Beauce,  et  met  ce  fertile  pays  en 
communication  avec  le  centre  et  le  midi  de  la  France.  Sur  la  rive  gauche, 

1.  Boucher  de  Molando:^  et  de  Beaucorps,  V Armée  anglaise  vaincue  par  Jeanne  d'Aï'c, 
p.  70  et  suiv. 


32  LA  VRAIE  JEANNE  D  ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

c'est  la  Sologne,  pays  jusqu'à  ce  siècle  stérile.  Dès  la  plus  haute  anti- 
quité un  pont  mettait  les  deux  rives  en  communication.  Celui  de  1429  a 
subsisté  jusqu'en  1760,  où  le  pont  actuel  fut  construit  à  une  légère 
distance  en  aval  du  précédent. 

L'ancien  pont  avait  dix-neuf  arches  ;  il  portait  sur  des  piliers  pour  la  plu- 
part carrés;  on  y  avait  construit  des  maisonnettes  où,  àcause  de  la  fréquence 
des  passants,  '•e  petits  commerçants  avaient  installé  leurs  boutiques.  La 
largeur  du  pont  était  de  80  pieds.  A  la  sixième  arche  on  trouvait  une  forte- 
resse appelée  la  forteresse  Saint- Antoine.  Ce  nom  lui  venait  de  deux  îlots, 
ou  comme  on  les  appelait  de  deux  mottes,  qui  étaient  au  pied,  et  sur 
lesquels  avait  été  construit,  pour  les  étrangers,  un  hôpital  dédié  à  saint 
Antoine.  La  forteresse  était  défendue  par  un  boulevard  connu  sous  le 
nom  de  la  Belle-Croix,  d'une  haute  et  magnifique  croix,  élevée  sur  le  pont, 
non  loin  de  cette  même  forteresse. 

A  la  dix-huitième  arche  se  trouvaient  les  fameuses  Tourelles,  deux  tours 
très  fortes,  jointes  par  un  bâtimentsouslequel  il  fallait  passer  pour  traverser 
le  pont.  Onaccédaitàladix-neuvième  arche  parunpont-levis.  Les  machines 
destinées  à  l'élever  et  à  l'abaisser  étaient  dans  le  bâtiment  des  Tourelles, 
ainsi  que  d'autres  engins  communs  aux  forteresses  du  temps,  tels  que  la 
herse.  Un  bras  de  la  Loire  passait  donc  entre  les  Tourelles  et  la  rive 
gauche,  qui  se  trouvait,  elle  aussi ,  puissam  ment  défendue  par  un  boulevard 
de  60  pieds  de  long,  sur  80  pieds  de  large  ;  boulevard  entouré  aussi  de 
fossés  larges  de  80  pieds.  Le  boulevard  était  fait  avec  de  la  terre  retenue 
par  des  pieux,  et  par  une  maçonnerie  du  côté  de  la  rivière.  Il  était  cou- 
ronné par  une  fraise  de  longs  pieux  plantésobliquement  et  liés  ensemble 
avec  de  longues  planches  et  des  chevilles  de  fer  *. 

Au  sortir  du  boulevard,  ou  mieux  du  pont,  on  entrait  dans  le  faubourg 
connu  encore  sous  le  nom  de  Portereau.  Il  n'y  avait  qu'une  petite  place 
à  traverser,  d'environ  deux  cents  pas,  pour  toucher  à  l'église  des  Augus- 
tins,  située  au  lieu  où  se  trouve  la  croix  devant  laquelle  stationne  encore 
aujourd'hui  la  procession  du  8  mai. 

Le  Portereau  avait  et  a  encore  pour  principale  paroisse  Téglise  Saint- 
Marceau,  mais  à  l'est  et  sur  un  des  côtés  se  trouvait  déjà  la  paroisse 
Saint-Jean-le-Blanc  ;  à  Touest,  dans  la  campagne,  à  deux  kilomètres  à 
peu  près.  Ton  voyait  la  paroisse  toujours  existante  de  Saint-Privé. 

Le  cours  de  la  Loire,  beaucoup  moins  encaissé  qu'il  ne  l'est  présente- 
ment, comptait  nombre  d'îles.  Citons  celles  dont  le  nom  revient  dans 
rhistoire  de  la  délivrance.  C'était,  en  aval  de  la  rivière,  au-dessous  du 
pont,  l'île  Charlemagne,  entre  l'église  Saint-Laurent  sur  la  rive  droite  et 

I.  L'abbé  Dubois,  Histoire  du  siùge  d'Orléans,  éditée  par  M.  Charpentier.  Voir 
p.  170  et  suiv.  la  magistrale  description  de  Tancien  pont. 


ORLÉANS  EN  1429.  33 

Saint-Privé  sur  la  rive  gauche  ;  c'était  entre  Saint-Jean-le-Blanc  et  les 
Âugustins,  nie  aux  Toiles;  enfin,  notablement  plus  en  amont,  Tile  aux 
Bœufs;  elle  était  située  entre  le  port  du  Bousquet,  appelé  encore  Saint- 
Loup,  sur  la  rive  gauche,  et  le  couvent  Saint-Loup  sur  la  rive  droite, 
au  haut  d'une  élévation.  Il  importe,  pour  rintelligence  de  ce  qui  sera  dit 
dans  la  suite,  de  se  rendre  compte  de  ces  trois  indications. 

Quand  on  sort  d'Orléans  par  la  porte  de  Bourgogne,  c'est-à-dire  en  se 
dirigeant  vers  l'est,  on  trouve  un  gracieux  mamelon  dominant  d'un  côté 
les  routes  de  Châteauneuf  et  de  Pithiviers  qui  se  joignent  à  la  base,  et 
de  l'autre  surplombant  la  Loire  d'environ  400  pieds.  C'est  Saint-Loup. 
Au  temps  de  Jeanne  d'Arc,  Saint-Loup  était  un  monastère  de  religieuses 
cisterciennes,  converti  par  les  Anglais  en  une  forte  bastille,  la  première 
qu'emporta  la  Vierge  guerrière.  La  Loire  passe  aujourd'hui  à  ses  pieds  ; 
il  n'en  était  pas  ainsi  au  xv'  siècle.  Elle  coulait  sur  la  rive  gauche  ;  des 
marécages  s'étendaient  du  côté  de  la  rive  droite  sur  laquelle  se  trouvait 
le  monastère;  venait  ensuite  la  grande  île Gharlemagne ;  plus  loin  était 
le  port  Saint-Loup  ou  du  Bousquet,  appelé  Saint-Loup  du  monastère  qui 
était  sur  la  rive  opposée,  du  Bousquet,  probablement  à  cause  des  arbustes 
au  milieu  desquels  il  était  comme  caché  ^ 


II 

Le  règne  du  roi  Jean  fut  désastreux  pour  la  France,  et  pas  seulement 
par  le  fatal  traité  de  Brétigny  ;  il  le  fut  encore  par  les  apanages  qu'il 
qu'il  constitua  à  ses  fils  ;  le  Berry  à  Jean,  l'Anjou  et  le  Maine  à  Louis, 
la  Bourgogne  à  Philippe.  Il  ne  créa  pas  seulement  comme  autant  de 
cours  rivales  de  la  cour  du  suzerain,  d'un  luxe  ruineux  pour  les  provinces  ; 
il  jetait  les  semences  de  guerres  sans  fin,  de  ces  guerres  de  successions 
princières  qui  ont  ensanglanté  notre  histoire  jusqu'à  notre  siècle.  Il 
retardait  l'unité  nationale,  et  l'ébranlait  dans  le  degré  où  elle  était  déjà 
accomplie.  Charles  V  comprit  le  danger  ;  il  abolit  les  apanages  territo- 
riaux et  ne  voulut  réserver  aux  cadets  de  la  famille  régnante  que  des 
avantages  pécuniaires.  Ce  qu'un  roi  a  établi,  son  successeur  peut  le 
détruire.  Il  en  fut  ainsi  de  la  sage  mesure  édictée  par  Charles  Y. 
Charles  VI,  après  avoir  donné  la  Touraine  en  apanage  à  son  frère  Louis, 
trouvant  trop  inférieurs  les  revenus  de  cette  province,  la  reprit,  et,  en 
échange,  donna  l'Orléanais. 

Les  Orléanais  avaient  obtenu  de   Charles   V  la  promesse  de  n'être 

i.  L'abbé  Dubois,  Histoire  du  siège  d'Orléans,  p.  188  etsuiv. 

III.  3 


34  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

jamais  distraits  du  domaine  royal,  et  de  relever  toujours  immédiatement 
de  la  couronne.  Ils  réclamèrent  Texécution  de  la  promesse  ;  Tévêque  fut 
rinterprète  de  leurs  doléances  ;  elles  ne  furent  pas  écoutées  et  le  frère 
du  monarque  devint  le  duc  d'Orléans.  Le  duché  comprenait  dix  châtelle- 
nies  ;  plusieurs  en  Beauce,  en  Gâtinais,  en  Sologne.  Louis  d'Orléans  avait 
acheté  le  comté  de  Blois  et  de  Dunois.  Valentine,  sa  femme,  lui  avait 
apporté  le  comté  d'Asti.  Il  était  en  état  de  lutter  avec  son  cousin  de  Bour- 
gogne, Jean  sans  Peur.  On  sait  ce  qui  en  résulta.  Il  a  été  déjà  dit 
plusieurs  fois  qu'à  l'arrivée  de  la  Libératrice  les  deux  fils  légitimes  du 
duc  d'Orléans  étaient  prisonniers  en  Angleterre  :  Jean,  le  plus  jeune,  depuis 
1412;  Charles,  l'aîné,  depuis  141S.  La  postérité  masculine  de  Charles  VII 
devant  finir  après  deux  générations,  le  fils  de  Charles  devait  être 
Louis  XII,  et  le  petit-fils  de  Jean,  François  P'.  C'est  probablement  la 
raison  du  particulier  intérêt  que  leur  témoigna  toujours  la  Libératrice. 

Si  les  Orléanais  avaient  vu  avec  peine  un  prince  s'interposer  entre 
eux  et  le  roi,  il  semble  cependant  qu'ils  s'attachèrent  promptement  à 
leur  duc  et  à  sa  postérité,  et  spécialement  à  Charles.  La  famille  avait 
les  qualités  qui  gagnent  les  multitudes,  du  charme  dans  la  per- 
sonne, de  l'élégance  dans  les  manières,  du  courage  sur  le  champ  de 
bataille,  beaucoup  de  magnificence  dans  le  train  de  vie,  de  la  splendeur 
dans  les  manifestations  de  la  foi,  un  fonds  de  bonté  dans  l'éclat  d'un 
luxe  qui  pesait  lourdement  sur  les  peuples.  Le  chef  de  la  race  était 
tombé  dans  la  force  de  l'âge  sous  les  coups  d'un  cousin  assassin  ;  son 
fils  languissait  dans  une  longue  captivité  ;  c'était  plus*  qu'il  n'en  fallait 
pour  obtenir  une  popularité  qui  est  à  l'honneur  de  ceux  qui  la  dépar- 
tent, plus  encore  qu'à  l'honneur  de  celui  qui  en  est  l'objet. 

Les  amis  des  lettres  saluent  dans  le  prince  captif  un  des  fondateurs 
de  notre  poésie  moderne,  bien  supérieur  à  Villon.  On  admire  dans  les 
ballades,  les  rondeaux,  les  virelais,  par  lesquels  Charles  d'Orléans  char- 
mait les  ennuis  de  sa  captivité,  la  fraîcheur,  la  délicatesse,  la  naïveté  du 
sentiment.  Faut-il  dire  que,  ayant  parcouru  ces  poésies,  nous  avons  été 
frappé  de  l'égoïsme  dont  elles  sont  l'expression?  A  part  une  prière  à  Dieu 
pour  la  cessation  de  la  guerre,  nulle  part  on  ne  rencontre  un  senti- 
ment de  compassion  pour  les  peuples  que  sa  querelle  avait  rendus  si 
malheureux  ;  nulle  part  le  nom  de  Théroïne  qui  lui  avait  rendu  sa  ville 
et  son  duché,  pas  une  allusion  à  celle  qui  lui  avait  témoigné  un  si  tou- 
chant intérêt! 

Les  officiers  du  duc  continuaient  à  administrer  le  duché  en  son 
nom,  à  en  percevoir  les  revenus,  faisant  arriver  de  larges  sommes  au 
captif.  Raoul  de  Gaucourt  était  bailli  d'Orléans,  a-t-il  été  déjà  dit. 
Guillaume  Cousinot,  dont  il  sera  bientôt  plus  longuement  parlé  à  propos 


ORLÉANS  EN  1429.  35 

de  sa  Chronique^  remplissait  les  fonctions  de  chancelier,  et  était  à  la 
tête  de  Tadministration  du  domaine  ducal.  La  charge  de  trésorier  était 
dévolue  à  Jacques  Boucher.  Les  revenus  seigneuriaux  s'accumitlaient 
entre  ses  mains  ;  il  en  faisait  passer  une  partie  au  prisonnier,  et  il  acquit- 
tait avec  le  reste  les  dettes  et  les  libéralités  du  prince. 

Le  siège  épiscopal  d'Orléans  était  occupé  par  un  de  ces  Écossais  si 
nombreux  alors  en  France,  par  Jean  de  Saint-Michel.  D'abord  chanoine, 
l'élection  du  chapitre,  en  1426,  le  porta  au  premier  rang.  Les  Chroniques 
ne  parlent  guère  de  lui  que  lorsqu'elles  donnent  le  nom  des  personnages 
qui  après  la  défaite  de  Rouvray  quittèrent  la  ville.  Il  ne  semble  pas  qu'il 
fût  à  Orléans  lors  de  la  délivrance.  On  regrette  de  lui  voir  une  attitude 
si  effacée. 

La  ville  jouissait  du  privilège,  dont  elle  était  justement  jalouse,  de  s'ad- 
ministrer elle-même.  Tous  les  deux  ans,  le  22  mars,  dans  une  élection 
à  deux  degrés,  sagement  tempérée,  douze  procureurs  étaient  élus  ;  ils 
nommaient  un  receveur,  c'est-à-dire  un  trésorier  chargé  des  recettes  et 
des  dépenses.  Il  ne  recevait  et  ne  dépensait  rien  que  sur  reçu;  à  la  fin 
de  sa  gestion,  il  rendait  ses  comptes  devant  une  assemblée  à  laquelle 
le  bailli  assistait. 

Les  trois  quarts  des  recettes  étaient  consacrés  aux  fortifications  de 
la  ville.  Ces  dépenses  étaient  inscrites  à  part  sur  un  registre  portant  le 
titre  de  «  Comptes  de  forteresses  ».  Le  clergé  fournissant  le  sixième  des 
dépenses  de  forteresses^  trois  de  ses  membres  étaient  présents  au  conseil 
des  procureurs  quand  il  s'agissait  de  déterminer  l'emploi  des  sommes 
affectées  à  la  défense  de  la  ville.  Le  quatrième  quart  des  recettes  était 
destiné  à  subvenir  aux  besoins  courants  de  la  cité. 

Dans  le  premier  quart  de  ce  siècle,  un  chanoine  d'Orléans, 
M.  Tabbé  Dubois,  a  eu  la  patience  de  dépouiller  ces  monuments  du  passé, 
et  de  faire,  surtout  en  ce  qui  regarde  le  siège  de  1429,  des  travaux  de 
grand  mérite.  N'ayant  pas  eu  le  temps  de  mettre  la  dernière  main  à  ses 
écrits,  il  les  légua  à  la  bibliothèque  de  sa  ville  natale.  M.  Paul  Charpen- 
tier a  donné  en  1894  sous  ce  titre.  Histoire  du  siège  d'Orléans^  par 
l'abbé  Dubois,  une  série  de  dissertations  fort  lumineuses.  Ce  ne  sont 
pas  tous  les  travaux  du  docte  chanoine  sur  le  célèbre  événement  et 
sur  sa  ville  natale.  Il  a  laissé  de  précieux  et  longs  extraits  des  «  Comptes 
de  la  ville  »  qu'il  a  fouillés  avec  une  patience  de  bénédictin.  Depuis,  de 
nombreux  Orléanais,  par  la  naissance  ou  par  le  domicile,  ont  écrit  sur 
le  siège.  11$  se  sont  aidés  des  écrits  de  l'érudit  chanoine,  plusieurs,  beau- 
coup plus  qu'ils  ne  l'ont  dit.  Quels  larges  emprunts  lui  a  fait  l'ingénieur 
JoUois,  qui  le  cite  à  peine.  Il  serait  facile  de  prouver  que  plus  d'une  note 
de  Quicherat  lui  a  été  prise  ;  et  l'érudit  paléographe  ne  le  nomme  que 


36  LA  VRAIE  JEAiNNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

lorsqu'il  peut  le  combattre,  avec  raison  il  est  vrai;  mais  est-jce  bien  de 
rhonnêteté  littéraire  de  ne  faire  connaître  celui  que  l'on  a  spolié  qu'en 
montrant  les  pierres  fausses  qui  se  trouvent  dans  son  trésor*? 


III 

Plusieurs  Chroniques  nous  affirment  que  le  duc  d'Orléans  avait  obtenu 
de  Salisbui'y  la  promesse  que  la  guerre  ne  s'étendrait  pas  à  ses  Etats, 
qu'il  ne  pouvait  pas  défendre.  Les  comptes  municipaux  d'Orléans 
de  1424  à  1426  mentionnent  des  sommes  payées  par  le  duché  pour  obte- 
nir abstinence  de  guerre*.  Le  bâtard  avait  récemment  traité  dans  ce 
but  ;  mais  Bedford  aurait  refusé  de  ratifier  la  convention. 

Avant  le  siège,  les  bourgeois  avaient  énergiquement  refusé  à  plusieurs 
reprises  d'admettre  des  garnisons  dans  leur  ville  ;  ils  savaient  que  ces 
défenseurs  étaient  le  plus  souvent  aussi  tyranniques  et  aussi  insolents  que 
les  ennemis  eux-mêmes^;  mais  à  l'approche  du  siège  ils  leur  ouvri- 
rent leurs  portes,  et  les  Chroniques  nous  diront  qu'ils  n'eurent  pas  à 
s'en  repentir. 

Sans  se  rassurer  sur  les  promesses  de  Salisbury,  les  Orléanais  firent 
leurs  préparatifs  de  défense.  Ils  s'imposèrent  un  premier  emprunt  dont, 
le  6  septembre  1428,  le  bâtard  d'Orléans  autorisait  la  perception,  ordon- 
nant des  contraintes  contre  les  récalcitrants  ;  ils  s'en  imposaient  un  second 
en  décembre,  et  le  lieutenant  général  faisait  une  seconde  ordonnance 
pour  en  prescrire  la  collecte*.  De  nombreux  citoyens,  notamment  les 
ecclésiastiques,  faisaient  des  dons  volontaires  ^  On  fit  aux  tours,  aux 
portes,  aux  fossés,  les  réparations  nécessaires  pour  les  rendre  inex- 
pugnables dans  la  mesure  du  possible.  On  se  garda  bien  d'oublier  d'inté- 
resser le  ciel;  des  supplications  publiques  furent  indiquées,  les  corps 
des  saints  patrons  furent  honorablement  portés  à  travers  les  rues  de  la  * 
cité*. 

Orléans  se  mit  à  fondre  des  canons  :  on  en  compta  durant  le  siège 

1.  C'est  un  procédé  commode  pour  décrier  la  science  cléricale,  lout  en  la  pillant. 
Il  est  connu  et  largement  exploité.  D'après  le  sophiste  Victor  Cousin,  les  Jésuites,  lors 
de  leur  suppression,  n'avaient  plus  d'homme  de  valeur;  et  ce  grand  maître  de  l'Uni- 
versité s'acquérait  un  des  litres  dont  il  était  le  plus  lier,  celui  de  traducteur  de  Pla- 
ton, en  éditant  sous  son  nom  la  traduction  manuscrite  qu'en  avait  laissée  un  de  ces 
Jésuites  supprimés,  le  Père  Grou. 

2.  M»i«  DE  ViLLARET,  Campagne  des  Anylais  (1421-1428),  Pièces  juslilicalives,  p.  134. 

3.  DcBois-CuARpENTiER,  p.  392  ct  suiv. 

4.  Ibid,,  p.  427  et  suiv. 

5.  Ibid.,  p.  422.  —  M'»«  de  Villaret,  p.  61  et  130. 
6    Dubois,  Ms. 


ORLÉANS  EN  1429.  37 

jusqu'à  soixante  et  onze  de  calibres  inégaux,  sur  les  tours  et  sur  les 
murailles.  Il  y  eut  douze  canonniers  payés  par  la  ville,  ayant  chacun  plu- 
sieurs servants  sous  leurs  ordres  ^  Dès  le  mois  d'octobre  le  roi  fait  venir 
d'Angers  à  Chinon  Jean  de  Montesclère,  et  l'envoie  à  Orléans  où  il  devait 
rendre  tant  de  services,  et  devenir  si  fameux  sous  le  nom  de  Jean  le 
Lorrain*.  Les  achats  de  poudre,  de  traits,  de  pierres  à  canon  remplissent 
une  fort  grande  partie  des  comptes  de  la  ville  de  1429-1430,  que 
MM.  Paul  Charpentier  et  Cuissard  ont  eu  l'heureuse  inspiration  de  faire 
imprimer.  Cinq  cents  livres  tournois  furent  payés  au  bâtard  d'Orléans 
pour  quatorze  mille  traits  qu'il  avait  fait  venir  pour  la  semaine  de  la  déli- 
vrance'. Des  provisions  de  ce  genre  abondent  dans  les  comptes  de  com- 
mune et  de  forteresse.  Dans  des  lettres  de  février  1430,  datées  de  Jargeau, 
Charles  VII  rendait  bon  témoignage  à  ces  efforts  des  Orléanais,  et  les 
en  récompensait  par  l'octroi  de   plusieurs  privilèges*. 

Les  Orléanais  firent  appel  aux  villes  de  France.  Ils  envoyèrent  un  sei- 
gneur et  un  bourgeois  solliciter  les  villes  du  Midi.  Dans  la  séance  du 
13  avril  1429,  à  Toulouse,  le  sire  de  Malhac  donne  lecture  d'une  lettre 
des  habitants  d'Orléans  priant  qu'on  veuille  bien  leur  donner  secours 
en  argent,  ou  en  matériel  de  guerres  Ces  envoyés  avaient  sans  doute 
parcouru,  ou  ils  allaient  parcourir  les  autres  villes  importantes  du  Lan- 
guedoc. La  pénurie  était  extrême  partout;  cependant  on  voit  les  habi- 
tants de  Montpellier  envoyer  du  salpêtre,  du  soufre,  des  arbalètes  ;  les 
villes  du  Bourbonnais  et  de  l'Auvergne  avaient  expédié  de  l'acier  % 
Moulins  200  livres  de  poudre  '.  C'est  donner  deux  fois  que  donner  prompte- 
ment;  Poitiers  semble  avoir  la  palme,  puisque,  dès  le  9  décembre  1428, 
le  Carme  Vilaret  reçoit  du  maire  Larcher  la  somme  de  20  livres  tournois 
pour  avoir  porté  à  Orléans  la  somme  de  neuf  cents  livres,  que  les  gens 
d'Église,  bourgeois  et  habitants  de  Poitiers,  envoient  à  ceux  d'Orléans  *.  La 
somme  était  considérable  pour  l'époque;  La  Rochelle  envoie  400  livres, 
Tours  600  livres*.  Gien,  Bourges,  Châteaudun,  Angers,  Albi,  Cler- 
mont  sont  aussi  citées  comme  ayant  fait  arriver  des  secours  en 
argent,  ou  en  munitions  de  guerre  *°.  Les  états  étaient  réunis  à  Chinon 

1.  V Armée  anglaise  vaincue  sous  les  murs  d'Orléans,  p.  81  —  Charpentier  et  Cuis- 
sard, Comptes  de  la  ville,  p.  301  et  suiv. 

2.  Ibid.y  p.  183. 

3.  Ibid.,  p.  261. 

4.  Ibid.,  p.  267. 

5.  Extrait  des  registres  municipaux  [Annales  du  Midi,  avril  1889,  p.  25). 

6.    M"«  DE  ViLLARET,  p.  146. 

7.  Inventaire  des  Archives  de  Moulins,  n^  263. 

8.  Mantellier,  Siège  d'Orléans,  p.  218. 

9.    M"«  DE  ViLLARET,  p.   140. 

iO.  Manteluer,  p.  72. 


38  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

alors  que  Salisbury  envahissait  les  bords  de  la  Loire  ;  ils  votèrent,  malgré 
la  misère  qui  régnait  partout,  un  subside  de  cinq  cent  mille  livres  ; 
le  clergé  renonça  pour  ce  payement  à  ses  privilèges  d'exemption,  en  même 
temps  qu'il  prescrivait  pour  chaque  vendredi  des  supplications  solen- 
nelles*. 


CHAPITRE  V 

LE  SIÈGE  D'ORLÉANS  JUSQU'A  L'aRRIVÉE  DE  LA  PUCELLE. 

Sommaire  :  I.  —  Bcdford,  libre  du  côté  de  rAngleterre,  veut  imposer  Tacceptation  du 
traité  de  Troyes.  —  Combien  le  moment  était  favorable.  —  Endenture  de  Salis- 
bury. —  Contingents  français.  —  Orléans  devenu  Tobjectif  au  lieu  d'Angers.  — 
Début  de  la  campagne.  —  Conquête  de  quarante  places.  —  Janville,  Meung,  Beau- 
gency,  Sully,  Jargcau.  —  Salisbury  s'installe  le  12  octobre  dans  le  faubourg  du 
Portereau  à  moitié  incendié.  —  Le  boulevard  du  Pont,  les  Tourelles  enlevés,  malgré 
une  héroïque  résistance.  —  Coup  qui  frappe  Salisbury. 

II.  —  Ralentissement  momentané  dans  les  opérations  du  siège.  —  Elles  sont  reprises. 

—  Les  Orléanais  détruisent  leurs  faubourgs,  complètent  leurs  armements.  —  Guil- 
laume Duisy  et  le  coulevrinier  Jean  le  Lorrain.  —  Les  Anglais  commencent  leurs 
bastilles  sur  la  rive  droite  et  les  continuent  malgré  les  assiégés  qui  essayent  vaine- 
ment de  les  arrêter. 

m.  —  La  défaite  de  Rouvray  et  le  comte  de  Clermont,  Charles  de  Bourbon.  —  Sa  fuite 
honteuse.  —  Il  quitte  Orléans  avec  deux  mille  combattants.  —  Ses  vaines  promesses. 

—  Négociations  pour  remettre  la  place  entre  les  mains  du  duc  de  Bourgogne.  — 
Refus  hautain  de  Bedford.  —  Les  Bourguignons  rappelés  du  siège. 

IV.  —  L'investissement.  —  La  bastille  Saint-Loup.  —  Le  nombre  des  bastilles.  — 
Leur  situation.  —  Double  fossé.  —  Tous  les  chemins  interceptés.  —  De  la  bastille  de 
Fleury  aux-Choux. 

V.  —  Pénurie  de  vivres  et  particulièrement  de  pain.  —  Les  divers  ravitaillements 
énumérés  par  le  Journal  du  siège. 

VI.  —  Du  nombre  des  assiégeants,  et  des  défenseurs  de  la  ville. 


I 

Bedford  avait  passé  dix-huit  mois  en  Angleterre.  Il  lui  avait  fallu  ce 
temps  pour  mettre  fin  aux  complications  que  lui  avait  causées  son  frère 
Glocester  par  ses  scandales,  ses  dissensions  avec  le  Cardinal,  leur  oncle,  et 
surtout  par  sa  tentative  de  mariage  avec  Jacqueline  de  Hainaut.  De  retour 
à  Paris,  dans  les  premiers  jours  d'avril  1427,  il  s'était  appliqué  à  pousser 
la  conquête  et  à  assurer  Texécution  du  traité  de  Troyes.  Un  conseil  avait 
été  formé  pour  réduire  les  dernières  places  de  la  Champagne  qui  tenaient 

i.  De  Beaucourt,  Histoire  de  Charles  VU,  t.  Il,  p.  170  et  suiv. 


LE  SIÈGE  D'ORLÉANS  JUSQU'A  L'ARRIVÉE  DE  LA  PUCELLE.  39 

encore  pour  le  parti  français  :   Beaumont,  Mouzon  et  même  Vaucou- 
leurs;  il  en  a  été  parlé  dans  le  volume  précédent*. 

L'eflFort  principal  devait  désormais  se  porter  sur  la  Loire.  S'assurer  de 
son  cours,  c'était  s'ouvrir  l'entrée  au  cœur  même  des  Étals  du  roi  de 
Bourges.  L'occasion  était  favorable  :  le  jeune  roi  était  sans  argent,  sans 
autorité,  et  n'avait  guère  pour  soldats  que  des  mercenaires  et  des  sou- 
doyés, aussi  odieux  à  ses  sujets' que  les  ennemis  eux-mêmes.  On  a  vu  que 
Thomas  de  Montagut,  comte  de  Salisbury  et  du  Perche,  allié  à  la  famille 
royale,  était  réputé  le  général  le  plus  habile  de  l'Angleterre.  Dès  le 
24  mars  1428,  il  contractait  avec  le  gouvernement  anglais  une  endenture 
ou  engagement,  par  lequel  il  s'obligeait  à  repasser  à  la  fin  de  juin  dans 
cette  France,  théâtre  de  ses  longs  exploits,  à  la  tête  de  six  cents  hommes 
d*armes,  six  chevaliers  bannerets,  trente-quatre  chevaliers  bachelets,  et 
dix-sept  cents  archers.  Aucun  ne  pourra  être  du  royaume  de  France,  ni 
de  ceux  qui,  ayant  des  possessions  en  France,  seraient  repassés  en  Angle- 
terre sans  licence  du  régent  *.  A  la  date  du  21  juin,  un  ordre  royal  prescri- 
vait à  tous  les  enrôlés  de  se  trouver  à  Sandwich  le  vendredi  suivant  ^ 

De  nouveaux  contingents  furent  levés  sur  le  continent.  Pour  soutenir 
l'expédition,  la  Normandie  fut  imposée  d'une  contribution  de  71  087  li- 
vres, et  ordre  fut  donné  aux  seigneurs  de  tenir  prêts  les  contingents 
féodaux  *. 

La  conquête  d'Angers,  et  des  parties  du  Maine  et  de  l'Anjou  non  encore 
soumises,  était  donnée,  en  Angleterre  et  en  France,  comme  le  but  de  l'ex- 
pédition. A  la  suite  de  conseils  tenus  à  Paris,  la  destination  fut  changée, 
et  Orléans  devint  l'objectif.  Il  semble,  en  effet,  que  c'était  bien  la  clef  des 
conquêtes  à  faire. 

Salisbury  entra  en  campagne  dès  la  première  quinzaine  du  mois  d'août, 
et  dès  le  5  septembre  il  écrivait  au  maire  et  aux  aldermen  de  Londres 
une  lettre  dans  laquelle  il  leur  dit  avoir  réduit  à  l'obéissance  quarante 
villes,  châteaux  et  églises  fortifiées.  Il  les  nomme.  On  y  remarque 
Nogent-le-Roi,  Rambouillet,  Marcheville,  Patay  et  surtout  Janville. 

Cette  châtellenie  de  l'Orléanais,  sur  les  confins  du  pays  Chartrain, 
était  importante,  et  facilitait  les  communications  avec  Paris.  Entourée  d'une 
double  enceinte  de  fossés  profonds,  de  murailles  flanquées  de  tourelles, 
la  grosse  tour  du  château  pouvait  ofl'rir,  et  ofl'rit  en  effet  une  sérieuse  ré- 
sistance. Salisbury,  qui  avaitassisté  à  bien  des  assauts,  déclare  n'en  avoir 

i.  La  Paysanne  et  l'Inspirée,  p.  78  et  suiv. 

2.  Rtmer,  t.  IV,  p.  28  et  135. 

3.  Ibid.,  p.  138. 

4.  De  la  Normandie  sous  radministration  anglaise  [Mémoires  des  antiquaires  de  Nor- 
mandie, t.  XXIV).         ^ 


40  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARG  :  LA  LIBÉRATRICE. 

• 

jamais  vu  d'aussi  vif  que  celui  que  lui  opposa  la  faible  garnison  du  don- 
jon de  Janville.  Salisbury  se  montrait  cruel;  tantôt  il  faisait  mettre  à 
mort  la  garnison  ennemie,  comme  au  Puiset;  tantôt  il  incendiait  la 
place,  comme  à  Toury;  d'autres  fois  il  exigeait  d'énormes  rançons,  ou  or- 
donnait d'impitoyables  massacres,  comme  à  Janville.  De  Janville  il  en- 
voya des  hérauts  sommer  Orléans  de  faire  soumission;  les  hérauts,  bien 
reçus,  furent  renvoyés  avec  quelques  présents,  mais  avec  un  refus  bien 
net  à  ses  injonctions. 

Salisbury,  dans  sa  lettre,  annonce  que  son  frère  Hungerfort  vient  de 
s'emparer  de  Mcung-sur-Loire,  conquête  facile  puisque  des  habitants 
étaient  venus  à  Janville  lui  proposer  de  lui  livrer  la  place.  La  proposition 
avait  été  acceptée  avec  l'empressement  que  méritait  la  possession  d'un 
semblable  poste.  Situé  en  aval  d'Orléans,  à  18  kilomètres,  Meung  com- 
mandait la  Loire,  et  par  son  pont,  en  dehors  de  la  ville,  communiquait  avec 
la  Sologne.  Salisbury  les  fortifia,  et,  pour  y  amener  ses  canons  et  ses  en- 
gins de  guerre,  il  fit,  le  8  septembre,  une  démonstration  contre  Orléans, 
tandis  que  ses  charrois  passaient  sans  ôtre  inquiétés.  Meung  n'est  qu'à 
6  kilomètres  de  Cléry,  sanctuaire  célèbre  de  Notre-Dame,  enrichi  par 
la  piété  des  fidèles.  Salisbury  envoya  des  Anglais  en  très  grand  nombre 
le  piller,  piller  les  chanoines  et  les  autres  là  retirés^  et  ils  firent  des  maux 
innumérables^ , 

Baugcncy,  à  8  kilomètres  en  aval  de  Meung,  à  26  kilomètres  d'Orléans, 
tomba  à  son  tour  au  pouvoir  du  généralissime.  C'était  une  nouvelle  com- 
munication avec  la  rive  gauche  par  l'antique  pont  de  cette  ville,  une  forte 
position  à  cause  du  puissant  château  qui  le  protégeait.  La  prise  de  petites 
places  d'où  l'on  aurait  pu  être  inquiété,  telles  que  Mont-Pipeau,  Marche- 
noir,  La  Ferlé-llubert,  complétaient  la  sécurité  de  l'armée  anglaise  dans 
la  Heauce'. 

Maître  du  cours  inférieur  de  la  Loire,  Salisbury  songea  au  cours  su- 
périeur. A  47  kilomètres  à  Test  d'Orléans,  c'étaient  le  château  et  la 
ville  de  Sully,  possession  de  Georges  La  Trémoille  ;  à  1 7  seulement  Jar- 
geau,  et  dans  Tintcrvalle  Châleauneuf,  résidence  préférée  des  ducs  d'Or- 
léans. Tout  fut  occupé  \  Il  fallait  ménager  Georges  La  Trémoille.  Le 
moyen  était  facile  :  un  pied  dans  les  deux  camps,  ce  n'est  pas  d'aujour- 
d'hui que  les  politiques  égoïstes  connaissent  le  système.  Il  a  été  déjà  dit 
que  le  frère  de  Georges  La  Trémoille,  le  bourguignon  de  Jonvelle,  pré- 
posé à  la  garnison  de  Sully,  veilla  fraternellement*  sur  les  biens  de  celui 

i.  Chronique  de  la  PuccllCf  édil.  de  A.  Vallkt,  p.  257. 

t>.  i6tcl.,  p.  238-259. 

:\,  Ibid.,  p.  259. 

4.  Ibid.,  259  et  suiv. 


LE  SIÈGE  D'ORLÉANS  JUSQU'A  L'ARRIVÉE  DE  LA  PUCELLE.  41 

qui  régnait  sous  le  nom  de  Charles  Vil.  Sully  et  Jargeau  étant  sur  la  rive 
gauche  de  la  Loire,  l'envahisseur  se  trouvait  ainsi  avoir  franchi  les  li- 
mites que  Ton  donne  aux  États  du  roi  de  Bourges.  Le  général  anglais, 
tout  en  rétrécissant  de  plus  en  plus  le  cercle  autour  d'Orléans,  assurait 
ses  communications  avec  Paris  et  la  Normandie. 

Le  7  octobre,  un  de  ses  lieutenants  venait  faire  une  démonstration 
contre  le  Portereau,  le  faubourg  Orléanais  de  la  rive  gauche  sur  laquelle 
Salisbury  pouvait  déjà  se  mouvoir  à  Taise.  Lui-môme  venait  y  camper 
le  12.  A  l'arrivée  de  l'ennemi,  les  Orléanais  avaient  mis  le  feu  au  faubourg, 
en  particulier  au  couvent  et  à  l'église  des  Augustins,  tandis  que,  jour  et 
nuit,  ils  travaillaient  à  fortifier  le  boulevard  à  l'entrée  du  pont.  Les  An- 
glais s'établirent  sur  les  ruines,  et,  le  feu  éteint,  se  cantonnèrent  très  for- 
tement aux  Augustins,  où  la  flamme  n'avait  fait  que  fort  imparfaitement 
son  œuvre.  Ils  y  élevèrent  bastille,  boulevard,  creusèrent  double  fossé, 
y  braquèrent  leur  artillerie,  et  se  mirent  à  canonner  le  pont,  la  ville,  les 
Tourelles  et  avant  tout  le  boulevard  qui  en  défendait  l'approche.  Ils 
abattirent  douze  moulins  sur  bateaux. 

Les  Orléanais  se  défendaient  héroïquement.  A  un  assaut  donné  au 
boulevard  susdit,  on  vit  les  femmes  jeter  sur  les  assaillants  des  cendres 
vives,  de  l'huile  bouillante,  des  graisses  fondues,  et  môme  repousser  du 
bout  de  la  lance  dans  les  fossés  les  assaillants  plus  hardis*.  Cependant 
les  Anglais,  en  môme  temps  qu'ils  travaillaient  à  plein  ciel,  travaillaient 
aussi  dans  les  entrailles  de  la  terre.  Ils  avaient  creusé  une  mine  destinée 
à  faire  sauter  le  boulevard.  Les  défenseurs,  qui  s'en  aperçurent,  y  mirent 
le  feu  et  se  retirèrent  aux  Tourelles  en  ramenant  vers  eux  le  pont-levis. 
Les  Tourelles  elles-mêmes  fortement  canonnées  devinrent  bientôt  inte- 
nables; elles  durent  être  abandonnées  à  leur  tour  le  24  octobre.  En  se 
retirant  les  assiégés  rompirent  une  ou  plusieurs  arches  du  pont,  et  se 
tortifièrent  à  la  Belle-Croix.  Les  Anglais,  de  leur  côté,  se  hâtèrent  de  ré- 
parer les  brèches  faites  aux  Tourelles,  et  de  les  rendre  défendables  et  te- 
nables  contre  toute  puissance^.  Glasdall,  le  Glacidasde  nos  histoires,  en  fut 
constitué  le  gardien. 

Cependant  Salisbury  était  monté  au  plus  haut  étage  de  la  tour.  Là,  à 
demi  caché  par  le  mur,  entre  Glacidas  et  un  chevalier,  il  contemplait 
par  une  fenêtre  l'assiette  de  la  ville.  Soudain  un  boulet  de  canon  siffle, 
passe  par  l'ouverture,  tue  le  chevalier,  et  des  éclats  du  mur  crève  un  œil 
à  Salisbury,  lui  déchire  une  joue  et  le  couche  à  terre.  On  l'emporte 
clandestinement;  il  est  dirigé  sur  Meung,  où  il  mourait  le  3  novembre. 
Qui  avait  pointé  un  coup  si  heureux?  On  le  dit  parti  de  la  tour  de  Notre- 

i.  Chronique  de  la  Pucelle,  p.  261. 
2.  Ibid.,  p.  265. 


42  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

Dame.  Od  ne  connut  jamais  la  main  qui  avait  mis  le  feu  '.  Les  Chroniques 
sont  unanimes  sur  ce  point.  On  a  dû  cependant  faire  de  minutieuses 
recherches.  Nul  doute  que  le  tireur  n'eût  été  comblé  de  félicitations  et 
bien  récompensé.  Cette  ignorance  totale  n'est  pas  pour  rendre  invrai- 
semblable le  sentiment  de  ceux  qui  y  ont  vu  la  réponse  de  Notre-Dame 
au  saccagement  de  Cléry.  Une  Chronique  qui  sera  citée  nous  dira  qu'un 
enfant  avait  allumé  la  mèche  par  espièglerie,  et  s'était  enfui.  La  mer- 
veille subsisterait  toujours;  mais,  dans  ce  cas,  comment  n'a-t-on  pas 
retrouvé  l'enfant  fortuné?  Comment  les  Cousinot  et  l'auteur  du  Journal 
du  siège  n'en  ont-ils  rien  su,  eux  des  Orléanais  et  des  contemporains? 


II 

La  mort  de  Salisbury  consterna  un  moment  les  Anglais.  La  garde  des 
Tourelles  remise  à  Glacidas,  les  principaux  chefs  se  retirèrent  momenta- 
nément pour  délibérer,  tandis  que  Bedford  venait  à  Chartres,  afin  de  suivre 
les  opérations.  Il  envoya  des  renforts  et,  durant  les  mois  de  novembre 
et  de  décembre,  les  Anglais  finirent  par  bien  s'asseoir  sur  la  rive  gauche, 
et  rendre  leurs  positions  plus  fortes  qu'elles  ne  l'avaient  été  du  temps 
de  Salisbury*.  Être  maître  de  la  rive  gauche,  c'était  intercepter  la  grande 
voie  de  communication  entre  Orléans  et  les  Etats  de  Charles.  Le  point 
de  départ  du  réseau  avait  été  bien  choisi. 

On  prévit  bien,  à  Orléans,  que  le  réseau  serait  continué.  Le  lendemain 
delaprise  des  Tourelles,  le  Bâtard,  Lallire,  Boussac,  Chabannes,  Yillars, 
Coarraze,  et  d'autres  encore,  étaient  venus  relever  le  courage  des  habi- 
tants^. Sous  leur  impulsion,  sans  doute,  les  Orléanais  prirent  et  exécu- 
tèrent une  résolution  héroïque,  celle  de  détruire  tous  leurs  faubourgs 
de  la  rive  droite  où  il  y  avait  vingt-deux  églises,  parmi  lesquelles  la  riche 
collégiale  Saint-Aignan.  Tout  fut  si  bien  rasé,  nous  dit  Jean  Chartier, 
qu'on  poiivoit  aller  à  pied  et  à  cheval  du  côté  de  la  Beauce  aux  lieux  où 
avaient  été  lesdites  églises  et  maisons.  Les  faubourgs  étaient  réputés  les 
plus  beaux  de  France,  a-t-il  été  déjà  dit.  La  population  renfermée  dans 
les  remparts  dut  en  ôtre  doublée.  L'œuvre  de  salutaire  destruction  s'exé- 
cuta en  novembre  et  en  décembre. 

Ku  même  temps,  les  Orléanais  complétaient  leurs  armements. 
Guillaume  Duisy,  très  soutil  ouvrier^  adaptait  la  grosse  bombarde  qui 
jetait  des  pierres  de  cent  vingt  livres,  le  canon  Rifflard,  et  le  canon  de 

i.  Chronique  delà  Pucelle^  p.  264.  —  Ciiarpotier  et  Cuissard,  Journal  du  siège^  p.  10. 

2.  Journal  du  siùyCj  p.  iC  et  suiv.  cl  Chronique  de  la  Pucelle^  p.  205. 

3.  Journal  du  siègcy  p.  10-11  ;  Chronique  de  la  Pucelle,  p.  263. 


LE  SIÈGE  D'ORLÉANS  JUSQU'A  L'ARRIVÉE  DE  LA  PUCELLE.  43 

Montargis,  qui  devaient  &ire  grands  dommages  aux  Anglais  *.  Ce  n'était 
que  le  début.  Le  Journal  du  siège^  dit  dans  la  suite,  que,  pour  la  défense, 
furent  trouvés  d^ innombrables  nouveautés  et  subtilités  de  guerre  plus  que 
de  longtemps  auparavant  iln^avoit  été  fait  ^.  Le  coulevrinier  maître  Jean^ 
natif  de  Lorraine^  que  F  on  disoit  le  meilleur  maître  qui  fut  lors  d'icelui 
métier  y  faisoit  sur  tous  les  autres  moult  de  mal  aux  Anglois.  Son  tir  était 
si  juste  qu'il  abattait  presque  infailliblement  Thomme  qu'il  visait,  et 
parfois  d'un  seul  coup  en  tuait  plusieurs.  Caché  derrière  l'arche  de 
Belle-Croix,  il  promenait  la  mort  aux  Tourelles,  relevait  ses  prouesses 
par  sa  bonne  humeur.  Feignant  d'avoir  été  atteint  par  l'ennemi,  il  se 
faisait  emporter  comme  mort  ou  mourant,  sous  les  yeux  des  Anglais,  et 
quelque  temps  après,  de  nouveaux  coups  leur  prouvaient  qu'il  était  bien 
vivant  ^.  Il  ne  fut  pas  sans  courir  maints  dangers.  Les  Anglais  lui  prirent 
une  fois  l'affût  de  sa  coulevrine,  une  autre  fois  sa  coulevrine  même,  et 
il  ne  se  sauva  qu'en  se  cramponnant  au  gouvernail  d'un  bateau  où  il 
n'avait  pas  pu  entrer  :  il  le  détacha  et  aborda  sur  ce  radeau  improvisé  *. 

Le  jour  de  Noël  amena  une  trêve,  de  neuf  heures  du  matin  à  trois 
heures  du  soir,  durant  lesquelles  le  Bâtard,  sur  la  demande  de  Glacidas, 
envoya  au  camp  anglais  U7ie  note  de  ménétriers^  trompettes  et  clairons 
qui  firent  grande  mélodie  '. 

La  lugubre  musique  de  la  guerre  reprit  aussitôt.  Talbot,  Scales,  et 
d'autres  seigneurs  anglais  qui,  le  1"  décembre,  avaient  amené  à  Glasdall 
un  renfort  d'hommes,  de  vivres  et  d'armes,  conduisaient  le  30  décembre 
un  renfort  de  deux  mille  cinq  cents  combattants. 

Ils  allaient  tendre  le  filet  sur  la  rive  droite.  Ils  s'emparaient  encore 
d'une  excellente  position,  de  la  hauteur  de  Saint-Laurent-les-Orgerils, 
qui  leur  était  inutilement  disputée;  elle  est  située  au  bord  de  la  Loire. 
Une  bastille,  dans  l'île  Charlemagne,  au  milieu  du  fleuve,  facilitait  les 
communications  avec  les  bastilles  de  la  rive  gauche,  Saint-Privé  d'abord 
en  face,  et  ensuite  les  Tourelles,  les  Augustins,  et  plus  tard  Saint-Jean- 
le-Blanc,  si  tant  est  qu'il  ne  fut  pas  encore  dès  lors  occupé. 

Il  restait  à  continuer  l'investissement  sur  la  rive  droite  :  c'est  ce  que 
firent  les  Anglais  dans  une  étendue  que  nous  essayerons  bientôt  de 
déterminer. 

Cela  ne  se  fit  pas  sans  qu'on  essayât  de  bien  des  manières  de  les  tra- 
verser. Il  y  eut  une  suite  de  faits  d'armes,  d'escarmouches,  de  sorties  de 

1.  Journal  du  siège,  p.  i7. 

2.  Ibid.,  p.  91. 

3.  I6id.,  p.  18. 

4.  Ihid.y  p.  28. 

5.  r6tii.,  p.  18. 


44  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC   :    LA  LIBERATRICE. 

la  part  des  assiégés,  d'attaques  de  la  part  des  assiégeants,  tantôt  par  la 
porte  Renard,  tantôt  par  le  boulevard  Belle-Croix.  Embuscades,  surprises, 
enlèvements  d'hommes  et  de  convois,  rencontres  tantôt  particulières, 
tantôt  plus  générales,  tout  ce  que  nous  en  savons  se  trouve  raconté  dans 
le  Journal  du  siège.  Ces  faits  particuliers  sont  des  épisodes  qui  ne 
regardent  pas  notre  sujet.  Si  les  Orléanais,  durant  sept  mois,  tinrent  les 
Anglais  hors  de  leur  ville,  ils  ne  purent  pas  les  empêcher  d'ourdir  leur 
trame  autour  de  la  cité,  de  resserrer  leurs  lignes,  et  de  les  amener  à  un 
point  où  leur  sort  était  humainement  désespéré,  où  l'Anglais  regardait  la 
ville  comme  moralement  conquise.  Rien  ne  contribua  plus  à  réduire  les 
assiégés  à  cette  extrémité,  que  la  défaite  de  Rouvray,  dite  la  «  journée 
des  Harengs  »,  subie  le  samedi  12  février,  premier  samedi  de  carême. 


III 

A  cette  époque  les  armées  elles-mêmes  observaient  l'abstinence  qua- 
dragésimale  dans  toute  sa  rigueur.  Pas  d'aliment  gras  du  jour  des  Cendres 
à  Pâques.  En  prévision  de  cette  nécessité,  d'immenses  provisions 
d'aliments  maigres,  et  particulièrement  de  harengs,  avaient  été  faites  à 
Paris  pour  l'armée  assiégeante  ;  les  paysans  des  environs  avaient  été 
réquisitionnés  pour  les  amener  au  camp.  Le  jour  des  Cendres,  trois  cents 
chariots  se  mirent  en  marche,  escortés  par  quinze  cents  soldats 
anglo-bourguignons  et  mille  hommes  des  communes,  sous  le  comman- 
dement de  Fastolf  et  du  prévôt  de  Paris,  Simon  Morbier. 

Cependant  Charles  VII,  pressé  par  les  sollicitations  d'Orléans  et  des 
capitaines,  voulait  frapper  un  grand  coup.  Il  avait  fait  appel  à  Charles 
de  Bourbon,  comte  de  Clermont,  et  celui-ci  était  venu  avec  une  nombreuse 
noblesse  de  l'Auvergne  et  du  Bourbonnais.  Il  était  à  Blois  avec  quatre 
mille  hommes,  ou  môme  plus.  De  nombreux  chevaliers  étaient  accourus 
à  Orléans  dans  la  pensée  d'aller  rejoindre  l'armée  du  Bourbon.  L'occasion 
était  favorable  :  on  savait  la  venue  du  convoi  ;  il  fallait  l'enlever  et 
battre  les  hommes  d'armes  qui  les  accompagnaient,  priver  les  assié- 
geants des  vivres  attendus  et  du  renfort  militaire  qui  leur  arrivait. 

Le  vendredi,  quinze  cents  hommes,  une  fleur  de  chevalerie,  parmi  eux 
de  nombreux  Ecossais,  entre  autres  Jean  Stuart,  comte  de  Damley, 
connétable  d'Ecosse,  son  frère  Guillaume  Stuart,  sortirent  d'Orléans,  et 
allèrent  rejoindre  Bourbon  et  son  armée  dans  les  environs  de  Rouvray- 
Saint-Denis.  Le  plan  fut  arrêté  :  l'on  ne  descendrait  pas  de  cheval  ; 
l'avant-garde  ne  donnerait  que  sur  l'ordre  du  chef,  le  comte  de  Clermont. 
Celui-ci,  d'après  le  Faux  Bourgeois  de  Paris,  se  tenait  si  sûr  de  la  victoire 


LE  SIÈGE  D'ORLÉANS  JUSQU'A  L  ARRIVÉE  DE  LA  PUCELLE.  45 

qu'il  avait  donné  ordre  de  ne  pas  faire  de  prisonniers,  de  tout  passer  au 
fil  de  Tépée. 

La  Hire,  les  Stuarts,  les  chevaliers  venus  d'Orléans,  destinés  à  former 
Favant-garde,  partent  en  exploration.  La  Hire  voit  les  chariots  s'avancer 
lourdement  à  la  file  les  uns  des  autres.  Le  plus  iiilgaire  bon  sens 
ordonnait  de  fondre  sur  un  équipage  si  encombrant,  sans  permettre  à 
l'ennemi  de  se  former  en  ordre  de  bataille.  L'impétueux  Gascon  en  grillait 
d'envie.  Il  envoie  à  Bourbon  courrier  sur  courrier  lui  demander  de 
pouvoir  commencer  l'attaque;  Bourbon  refuse  et  prescrit  qu'on  l'attende. 
Pendant  ce  temps  il  se  faisait  armer  chevalier,  et  faisait  lui-même  d'autres 
chevaliers. 

Fastolf  met  ce  retard  à  profit.  Il  improvise  un  camp  retranché  de  forme 
rectangulaire  avec  ses  chariots,  ne  laissant  que  deux  ouvertures  gardées 
par  les  archers.  Il  s'établit 'au  centre  avec  ses  guerriers,  qui  sont  encore 
protégés  par  d'autres  archers,  qui  tiennent  leurs  pieux  fichés  en  terre, 
l'extrémité  dirigée  contre  le  poitrail  des  chevaux  que  leur  cavaliers 
pousseraient  contre  cette  haie  de  bois  et  de  fer.  Les  menues  gens,  charre- 
tons  et  marchands,  sont  établis  en  dehors  sur  un  des  côtés. 

Les  Français  de  l'avant-garde,  n'y  tenant  plus,  s'avancent,  et  marquent 
leur  approche  par  une  grêle  de  traits  qui  tombent  sur  les  charretons  et  les 
marchands,  les  transpercent,  les  dispersent,  ou  les  forcent  à  rentrer  dans 
le  camp.  Les  Anglais  restent  immobiles.  Stuart,  n'y  tenant  plus,  descend 
de  cheval  ;  les  uns  imitent  son  exemple,  d'autres  poussent  en  avant 
leurs  dexlriers.  Les  chevaux  vont  s'enferrer  sur  les  pieux  des  archers  ; 
ou  sont  transpercés  par  les  flèches  qui  partent  du  camp  anglais.  Le 
désordre  se  met promptement parmi  les  Français;  les  chevaux  se  cabrent, 
reculent,  et  embarrassent  piétons  et  cavaliers.  Les  Anglais  sortent 
alors  de  leurs  retranchements,  tuent,  massacrent,  et  donnent  la  chasse. 
Trois  à  quatre  cents  chevaliers,  parmi  lesquels  les  deux  Stuarts  avec 
leurs  Écossais,  jonchent  bientôt  le  sol.  Dunois,  blessé,  renversé  de  cheval, 
ne  doit  son  salut  qu'à  la  diligence  des  siens  qui  le  remettent  en  selle. 
Le  comte  de  Clermont  averti,  piqué  de  voir  sa  défense  enfreinte,  ne  fait 
pas  même  semblant  de  secourir  ses  compagnons.  Il  eût  pu  ramener  la 
victoire,  car  les  Anglais,  fiers  de  ce  triomphe  inattendu,  se  débandent  dans 
la  poursuite.  Il  n'en  fit  rien.  Lui  et  ses  nouveaux  chevaliers,  voyant 
la  défaite  des  leurs,  tournent  bride  vers  Orléans  ;  e7i  quoi  ils  ne  firent 
pas  honnêtement^  mais  honteusement  *.  Les  Français  perdirent  de  trois  à 
quatre  cents  chevaliers  des  plus  marquants  ;  les  Anglais  un  seul  homme 

1.  Voir,  pour  cette  ignominieuse  journée  :  le  Journal  du  siège,  p.  39-44;  — Mon strelet, 
eh.  LH'  ;  —  Chitfart,  édit.  Tueley,  n»  495-496  ;  —  la  Chronique  de  la  Pucelle,  p.  266-269, 
tous  les  chroniqueurs. 


46  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

de  nom,  dit  Monstrelet,  les  marchands  et  valets  ne  comptant  guère  à  ses 
yeux. 

Bourbon  rentrait  à  Orléans  sur  le  minuit,  précédé  ou  suivi  des  autres 
fuyards,  heureux  de  n'être  pas  inquiétés,  ce  semble,  par  les  Anglais  qui 
tenaient  le  siège.  Grande  fut  la  consternation  à  Orléans  ;  il  y  avait  de 
quoi.  D'après  Chuffart,  les  vaincus  étaient  treize  contre  deux,  proportion 
avouée  aussi  par  la  Chronique  orléanaisc  de  l'établissement  de  la  fête 
du  8  mai,  qui  donne  le  chiffre  de  six  contre  un.  On  chercha  une 
consolation  dans  la  piété  pour  les  morts  :  les  Sluarts  furent  enterrés  dans 
la  cathédrale  où  un  service,  qui  devait  devenir  annuel,  fut  royalement 
célébré  pour  le  connétable  d'Ecosse  et  sa  femme.  Fastolf  amena  au  camp, 
avec  les  dépouilles  des  vaincus,  son  convoi  de  hareîigs^  qui  donna  le 
nom  à  la  journée.  Si  l'on  fit  semblant  de  vouloir  l'empêcher,  ce  ne  fut 
pas  au  point  de  s'entre-toucher.  C'est  que,  nous  dira  la  Chronique  de 
la  fête  du  8  mai,  les  vaincus  de  Uouvray  étaient  tellement  effrayés  de  la 
journée  qu'ils  avaient  perdue,  que  «  lorsqu'ils  virent  les  Anglais,  homme 
ne  pouvait  les  faire  issir  [sortir)  de  la  ville  ». 

Le  grand  effort  que  l'on  venait  de  faire  n'avait  donc  abouti  qu'à  une 
ignominieuse  défaite,  à  la  perte  de  braves  éprouvés,  et  à  jeter  dans 
Orléans  un  plus  grand  nombre  de  bouches  à  nourrir,  alors  qu  il  était 
nécessaire  de  ménager  la  provision  des  vivres.  On  aurait  fait  au  comte 
de  Clermont  cette  dernière  observation.  Cela  amena  le  gros  événement 
raconté  en  ces  termes  par  le  Jourtial  du  siège  :  «  Le  vendredi,  dix-huitième 
jour  de  février,  se  partit  d'Orléans  le  comte  de  Clermont,  disant 
qu'il  voulait  aller  à  Chinon,  devers  le  roi,  qui  lors  y  était.  11  emmena  avec 
lui  le  seigneur  de  La  Tour,  messire  Louis  de  Culan,  amiral,  messire 
Regnault  de  Chartres,  archevêque  de  Reims,  chancelier  de  France, 
messire  Jean  de  Saint-Michel,  évêque  d'Orléans,  natif  d'Ecosse,  La  Ilire 
et  plusieurs  autres  chevaliers  et  écuyers  d'Auvergne,  du  Bourbonnais  et 
bien  delx  mille  combattants.  Ce  dont  ceux  d'Orléans  les  voyant  partir  ne 
furent  pas  bien  contents;  mais,  pour  les  apaiser,  ils  leur  promirent  qu'ils 
les  secourraient  de  gens  et  de  vivres.  Après  ce  départ  il  ne  demeura  à 
Orléans  que  le  bâtard  d'Orléans  et  le  maréchal  de  Sainte-Sévère  avec 
leurs  gens.  Le  comte  de  Clermont,  qui  depuis  fut  duc  de  Bourbon,  s'en 
alla,  et  les  seigneurs  et  combattants  ci-dessus  nommés  avec  lui,  et  se 
mirent  dans  Blois  \  » 

Les  secours  et  les  vivres  promis  par  le  comte  de  Clermont  devaient  se 
faire  attendre  durant  plus  de  deux  mois.  On  ne  soupçonnait  pas  alors  à 
Orléans  celle  qui  devait  les  amener;  cependant  l'annonce  de  la  défaite 

1 .  Journal  du  siège,  p.  dO-52. 


LE  SIÈGE  D'ORLÉANS  JUSQU'A  L'ARRIVÉE  DE  LA  PUGELLE.  47 

de  Rouvray,  faite  par  elle  le  jour  même,  à  plus  de  cent  lieues  de  distance, 
triomphait  de  Tincrédulité  qui  jusqu'à  ce  jour  lui  avait  barré  le  chemin, 
et  décidait  Baudricourt  à  faire  quelques  cas  de  ses  promesses. 

La  journée  des  Harengs  mit  le  comble  au  désarroi  de  la  cour  ;  ce  fut  le 
moment  de  la  suprême  détresse  et  d'une  véritable  agonie.  «  Pour 
cette  maie  aventure^  dit  Monstrelet,  Charles  eut  au  cœur  grande  tristesse^ 
voyant  de  toutes  parts  ses  besognes  venir  au  contraire  et  persévérer  de  mal 
en  pis*.  » 

Chacun  songeait  à  se  tirer  le  moins  mal  qu'il  pourrait  d'une  ruine 
qui  semblait  désormais  inévitable.  Les  Orléanais  se  voyaient  abandonnés, 
tandis  que  le  nombre  des  assiégeants  s'accroissait  du  renfort  amené  par 
Fastolf.  En  vain  ils  essayaient  d'arrêter  l'investissement,  les  travaux 
avançaient  malgré  leurs  efforts  et  leurs  sorties.  Le  ravitaillement  devenait 
tous  les  jours  plus  difficile  ;  il  ne  tarderait  pas  à  être  impossible  ;  la  faim 
aurait  raison  de  leur  courage.  Ne  voulant  pas  devenir  Anglais,  ils 
pensèrent  à  introduire  dans  leurs  murs  le  duc  de  Bourgogne.  Une  dépu- 
tation  de  bourgeois  lui  fut  envoyée  sous  la  conduite  de  Poton  de 
Xaintrailles;  elle  devait  lui  représenter  que  les  Anglais  assiégeaient  une 
place  privée  de  son  défenseur  naturel,  prisonnier  en  Angleterre.  C'était 
un  prince  de  la  maison  de  France,  à  laquelle  le  duc  de  Bourgogne 
appartenait.  Pourquoi  ne  se  chargerait-il  pas,  en  attendant  la  paix  défini- 
tive, de  garder  Orléans,  dont  le  sort  seraitalors  statué  ?  Orléans  ne  refusait 
pas  de  payer  aux  Anglais  une  indemnité  en  dédommagement  des  frais 
occasionnés  par  le  siège. 

C'était  prendre  le  duc  par  l'intérêt  et  par  le  point  d'honneur.  Une  fois 
introduit  dans  Orléans,  il  aurait  en  mains  un  gage  puissant  pour  faire 
valoir  ses  conditions  de  paix  ;  il  exerçait  un  rôle  de  médiateur  en  faveur 
d'un  prince  de  son  sang,  jusqu'alors  l'ennemi  de  sa  maison.  Il  se  chargea 
d'aller  porter  lui-même  au  régent  ces  propositions,  et,  le  4  avril,  il  faisait 
une  pompeuse  entrée  à  Paris. 

Bedford  soumit  la  demande  au  grand  conseil;  elle  fut  très  mal 
accueillie.  On  remontra  les  grands  frais  et  dépenses  que  le  roi  avait  sou- 
tenus à  l'occasion  dudit  siège  :  la  ville  ne  pouvait  durer  longtemps  sans 
être  subjuguée  ;  c'était  une  des  villes  du  royaume  les  plus  utiles  à 
posséder  ;  ce  n'était  pas  raison  que  le  roi  Henri  et  ses  vassaux  eussent 
eu  les  peines  et  soutenu  les  mises  du  siège,  et  que  le  duc  de  Bourgogne 
en  eût  les  honneurs  et  les  profits  sans  coup  férir;  que  l'on  eût  mâché  le 
fruit,  et  que  le  duc  de  Bourgogne  l'avalât  *.  Le  duc  de  Bedford  disait 
qu'il  aurait  la  ville  à  sa  volonté,  et  qu'il  serait  remboursé  de  ce  qu'elle 

J.  MO.NSTRELET,  ch.  LVIII. 


48  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

lui  avait  coûté,  et  qu'il  serait  bien  courroucé  d'avoir  battu  les  buissons,  et 
qu'un  autre  eût  les  oisillons  ^  La  conclusion  fut  que  les  ambassadeurs 
d'Orléans  ne  seraient  admis,  qu'à  la  condition  de  traiter  de  la  reddition 
de  la  ville.  Ils  répondirent  être  sans  pouvoir  pour  cela,  et  ajoutèrent  que 
les  Orléanais  souffriraient  bien  des  maux  avant  de  se  soumettre  aux 
Anglais.  Ils  rapportaient  à  Orléans  le  17  avril  la  réponse  reçue  ;  mais 
déjà  un  souffle  d'espérance  passait  sur  la  ville  ;  la  ville  n'avait  pas 
encore  vu  la  Libératrice  ;  cependant  l'on  savait  ce  qu'elle  promettait,  et 
Ton  savait  que,  toutes  merveilleuses  qu'elles  étaient,  ces  promesses 
n'avaient  pas  semblé  à  dédaigner  aux  sages  de  Ghinon  et  de  Poitiers,  que 
l'on  faisait  de  grands  préparatifs  pour  seconder  celle  qui  se  donnait  comme 
l'envoyée  du  Ciel. 

Le  Bourguignon  fut  froissé  par  le  rejet  un  peu  hautain  de  sa  proposition. 
Il  ordonna  à  un  de  ses  hérauts  d'accompagner  les  ambassadeurs  à 
Orléans,  et  de  prescrire  à  tous  ses  sujets  présents  au  siège  d'avoir  à  s'en 
retirer.  «  Pour  obtempérer  à  ce  commandement  s'en  allèrent  et  dépar- 
tirent très  hâtivement  plusieurs  Bourguignons,  Picards,  Champenois  et 
moult  d'autres  des  pays  et  obéissance  dlcelui  duc  de  Bourgogne  ^.  » 

Quel  est  le  nombre  approximatif  renfermé  dans  ces  mots  plusieurs  et 
moult  d'autres  ?  Il  est  très  difficile  à  déterminer,  et  l'école  naturaliste  le 
gonfle  manifestement  beaucoup  en  le  portant  à  quinze  cents.  Des  trêves 
existaient  alors  entre  le  duc  de  Bourgogne  et  Charles  VII.  Pareil  chiffre 
eût  été  une  infraction  trop  manifeste.  Les  motifs  allégués  pour  ne  pas 
remettre  Orléans  entre  les  mains  du  duc  de  Bourgogne  eussent  été  par 
là  profondément  infirmés  ;  on  ne  pouvait  pas  dire  dès  lors  que  les  Anglais 
avaient  fait  toutes  les  mises  et  que  le  duc  de  Bourgogne  en  aurait  tous 
les  profits  sans  coup  férir;  qiiil  n'avait  pas  battu  les  buissons^  etc.  Ce 
n'était  pas  un  mince  appoint  que  quinze  cents  hommes.  Ajoutons  que 
si  la  Chronique  de  la  Pucelle  nomme  en  commençant  huit  faux  Français, 
le  Journal  du  siège ^  dans  les  incidents  si  variés  qu'il  relate,  ne  nomme 
pas,  ce  me  semble,  une  seule  fois  un  Bourguignon,  preuve  qu'ils  étaient 
peu  nombreux. 

Bedford,  pendant  qu'il  délibérait  sur  les  propositions  du  duc  de  Bour- 
gogne, pressait  le  conseil  d'outre-Manche  de  lui  expédier  secours  et  sub- 
sides. Il  réclamait  l'envoi  de  deux  cents  lances  et  douze  cents  archers. 
Il  demandait  que  le  jeune  roi  vînt  en  France,  s'y  fît  couronner  et  reçût 
les  hommages  des  grands  du  royaume,  affirmant  que  tel  était  le  désir 
instant  des  Français  ^ 

\,  Jean  Cuartier,  ch.  xiii. 

2.  Journal  du  sUgCy  p.  70. 

3.  Rymer,  t.  IV,  p.  143. 


LE  SIÈGE  D'ORLÉANS  JUSQU'A  L'ARRIVÉE  DE  LA  PUCELLE.  49 

Rien  ne  justifie  Tasserlion  de  Quicherat  que  le  conseil  d'Angleterre 
aurait  été  d*avis  d'accepter  les  propositions  du  duc  de  Bourgogne.  La 
Chronique  de  la  Pucelle^  à  laquelle  il  renvoie,  parle  de  l'entreprise  elle- 
môme.  Le  duc  de  Bedford,  y  est-il  dit,  fit  mettre  le  siège  devant  icelle 
ville  ;  il  s'agit  de  mettre  le  siège,  et  non  pas  de  le  lever  après  une  durée  de 
six  mois,  lorsque  tout  promettait  l'heureuse  issue  de  tant  de  travaux. 


IV 

Les  Anglais  n'étaient  pas  restés  oisifs  à  la  suite  de  la  journée  des 
Harengs.  Les  communications  par  la  rive  gauche  étaient  difficiles  aux 
assiégés,  les  Anglais  des  bastilles  des  Tourelles,  des  Auguslins  et  de 
Saint-Privé  surveillant  les  convois  qui  arrivaient  par  l'est  et  le  midi. 
Si  ces  communications  étaient  difficiles,  elles  n'étaient  pas  impossibles. 
Le  Journal  du  siège  raconte  plusieurs  ravitaillements  opérés  par  le  port 
du  Bousquet  ou  de  Saint-Loup.  Les  vivres,  amenés  secrètement  jusqu'à 
ce  point,  étaient  chargés  sur  des  bateaux  que  devaient  probablement  dis- 
simuler les  oseraies  de  l'île  aux  Bœufs  et  de  l'île  Charlemagne,  ou  même 
des  arbres  le  long  des  rives.  Les  bateaux  suivant  le  cours  de  la  rivière 
venaient  atterrir  à  la  Tour-Neuve.  Des  sorties  pouvaient  occuper  les 
assiégeants,  tandis  que  l'on  introduisait  les  convois  dans  la  ville.  Dès  le 
40  mars,  les  Anglais  s'établissaient  à  Saint-Loup,  sur  la  rive  droite.  Il  a 
été  dit  plus  haut  combien  était  avantageuse  une  position  qui  leur  per- 
mettait de  surveiller  le  cours  supérieur  de  la  Loire,  le  port  du  Bousquet, 
sur  la  rive  opposée,  et  les  routes  de  Gien  et  de  Pithiviers.  En  dernier 
lieu,  dès  le  20  avril,  ils  avaient  établi,  si  tant  est  qu'elle  n'y  fût  pas  déjà, 
une  garnison  et  une  bastille  à  Saint-Jean-le-Blanc,  sur  la  rive  gauche. 

Les  travaux  avaient  été  poussés  sur  la  rive  droite.  Monstrelet  nous  dit 
qu'après  sept  mois  de  siège,  les  Anglais  avoient  moult  oppressé  et  travaillé 
la  ville  d'Orléans,  par  les  fortifications,  bastilles  et  forteresses  qu'ils  avoient 
faites  en  plusieurs  lieux  jusqu'au  nombre  de  soixante^.  L'entendre  de  bas- 
tilles proprement  dites,  c'est-à-dire  de  constructions  destinées  à  servir 
de  séjour  habituel  à  des  soldats,  c'est  lui  prêter  une  erreur  ;  mais  le  chro- 
niqueur parle  de  fortifications,  de  forteresses  et  de  bastilles,  c'est-à-dire 
de  constructions  stratégiques  de  tout  genre,  et  dans  ce  sens  l'on  n'a  pas 
le  droit  de  lui  donner  un  démenti. 

La  Chronique  de  la  Pucelle^  dont  l'autorité  est  grande,  affirme  qu'il  y 
avait  des  bastilles  sur  tous  les  chemins  passants,  et  qu'elles  étaient  au 

i.  Mo!fSTR£LET,  CAront^ue,  eh.  lix. 

ni.  4 


50  LA  VRAIE  JEANNE  D  ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

nombre  de  treize.  Elle  en  énumère  quelques-unes,  et  termine  par  cette 
phrase  :  «  Aifisi  il  appert  que  la  ville  fut  enclose  de  treize  places  fortifiées 
tant  boulevarts  comme  bastides^  dont  la  cité  fut  en  telle  détresse  qu'ils  ne 
purent  avoir  secours  de  viv)*es  ni  par  eau  ni  par  terre  ^.  »  Le  nombre  treize 
est  aussi  celui  que  Ton  trouvera  dans  la  Chronique  de  Morosini.  Il  y  est 
répété  à  deux  reprises,  par  Pancrace  Justiniani,  qui  écrit  de  Bruges. 

Des  fossés,  d'une  bastille  à  l'autre,  permettaient  aux  Anglais  d  aller 
sans  être  aperçus  dans  les  divers  forts  et  pouvaient  les  protéger  dans  une 
attaque.  Il  est  certain  qu'au  moins  en  plusieurs  endroits  les  fossés  étaient 
doubles.  «  Les  Anglais,  dit  Jean  Chartier,  besognaient  à  faire  fossés  doubles^ 
ainsi  que  cela  était,  depuis  la  bastille  Saint-Laurent  y  jusqu'à  la  grande 
bastille  nommée  Londres^,  »>  Un  notaire  du  temps,  Guillaume  Girault,  nous 
dira  :  «  Toutes  icelles  forteresses  et  bastilles  étaient  closes  à  deux  parts  et 
d'une  à  l'autre.  » 

Voici,  ce  semble,  l'ordre  des  bastilles.  Au  midi,  sur  la  rive  gauche, 
Saint-Jean-Le-Blanc,  les  Augustins,  les  Tourelles,  et  Saint-Privé.  Au 
couchant,  au  milieu  de  la  rivière,  la  bastille  de  l'île  Charlemagne.  Sur 
la  rive  droite,  aux  bords  du  fleuve,  sur  une  hauteur,  la  bastille  Saint- 
Laurent,  qui  interceptait  le  chemin  de  Blois.  L'abbé  Dubois  pense  qu'elle 
devait  être  le  principal  magasin  des  Anglais,  ce  qui  est  assez  vraisem- 
blable, à  cause  de  la  facilité  des  communications  avec  la  rive  gauche. 
A  trois  ou  quatre  cents  mètres,  c'est  la  bastille  de  la  Croix-Buissée,  cou- 
pant à  l'endroit  le  plus  élevé  la  route  de  Meung  et  de  Baugency;  plus 
loin,  c'est  la  bastille  des  Douze  Pierres,  que  les  Anglais  appellent  Londres  ; 
avec  la  bastille  du  Colombier  elle  intercepte  la  route  de  Chàteaudun. 
Par  un  terrain  déprimé,  la  circonvallation  descendait  dans  le  quartier 
connu  longtemps  sous  le  nom  de  Mare-aux-Solognots,  aujourd'hui,  je 
crois,  la  rue  La  Hire.  Là  se  trouvait  la  bastille  du  Pressoir-Ars  appelée 
Rouen  par  les  Anglais.  Vers  le  nord,  dans  le  faubourg  Bannier,  entre 
l'église  Saint-Paterne,  alors  Saint-Pouair,  et  le  monastère  actuel  de  la 
Visitation,  alors  Saint-Ladre,  c'était  la  bastille  Saint-Pouair  à  laquelle  les 
assiégeants  avaient  donné  le  nom  de  Paris  '.  Entre  la  bastille  Saint-Pouair, 
au  nord,  et  la  bastille  Saint-Loup,  à  l'est,  s'étend  un  espace  de  trois  kilo- 
mètres; était-il  ouvert,  et  n'y  avait-il  pas  de  poste  anglais  dans  ce  quart  de 
cercle?  Grand  sujet  de  controverse  entre  les  archéologues.  Il  n'est  pas 
sans  importance  de  l'aborder. 

Cette  large  échancrure  se  trouvait,  il  est  vrai,  du  côté  du  nord  ;  elle 

1.  Éd.  d'AuG.  Vallet,  p.  266. 

2.  Ch.   XIII. 

3.  V^oir  Dubois-Charpentier,  Histoire  du  siège,  p.  245  et  seq.  et  M.  de  Molandon,  p.  4 
et  suiv.  :  Une  bastille  anglaise. 


LE  SIÈGE  D'ORLÉANS  JUSQU'A  L'ARRIVÉE  DE  LA  PUCELLE.  51 

donnait  accès  dans  les  pays  où  la  domination  anglaise  était  établie,  el  les 
assiégeants,  qui  procédaient  si  méthodiquement,  ont  dû  commencer  par 
s'assurer  des  points  par  lesquels  Orléans  pouvait  être  plus  aisément 
ravitaillé.  C'est  en  effet  ce  qu'ils  ont  fait.  Cependant,  par  des  détours, 
il  était  possible  d'entrer  et  de  sortir  par  si  large  ouverture.  C'est  ce  que 
remarque  Jean  Chartier,  dont  le  récit  peu  ordonné  offre  cependant  de 
précieux  détails  sur  Tinvestissement.  Après  avoir  raconté  l'arrivée  de 
Fastolf  au  camp,  arrivée  qui  eut  lieu  le  17  février,  il  ajoute  :  c  Povoient 
toujours  entrer  et  issir  {sortir)  au  dict  Orléans  gens  à  cheval,  pour  ce  que 
les  Anglois  estoient  à  pié  en  leur  grande  bastille  (Paris).  Or  y  avoit  grant 
espace  de  leur  grant  bastille  à  celle  de  Sainct-Loup,  combien  que  chasciin 
jour  besongnoient  iceids  Anglois  à  faire  fossés  doubles  pour  cuyder  empes- 
cher  y  celle  entrée,  »  Chartier  place  cette  remarque  au  milieu  de  son 
récit  ;  il  raconte  ensuite  la  mort  de  Salisbury,  qui  avait  eu  lieu  trois  mois 
avant  la  journée  des  Harengs  ;  mais  à  la  fm  de  sa  narration,  lorsqu'il 
nous  parle  de  l'état  de  la  ville  après  sept  mois  de  siège,  il  dit  «  qu'elle 
esloit  en  si  grant  nécessité  que  plus  ne  povoit  bofinement  durer  pour  la 
nécessité  de  vivres  quils  avoient,  et  encore  que  les  capitaines  fissent  ce  qu'ils 
pouvaient  pour  la  ravitailler,  on  disoit  communément  que  cette  ville  seroit 
perdue,  les  villes  d'eau,  dessus  et  au  dessous,  estoient  Anglesches;  toutes  les 
forteresses  de  la  Beauce,  réservé  Chasteaudun^  la  Fer  té-Hubert  en  la  Soulogne, 
estoient  tenues  des  ditz  Anglois,  et  n'y  avoit-on  nulle  provision,  ni  remède,  » 

Cela  n'indique-t-il  pas  qu'en  besognant  cArt5c^/n /ourles  Anglais  avaient 
intercepté  le  grand  espace  entre  la  grande  bastille  et  Saint-Loup  ?  Nous  le 
pensons,  et  nous  croyons  que  le  regretté  M.  Boucher  de  Molandon,  dans 
sa  brochure  Etudes  sur  une  bastille  anglaise  du  xv°  siècle,  a  démontré  le 
fait,  et  prouvé  que  l'on  peut  voir  encore  aujourd'hui  un  remarquable 
monument  des  travaux  anglais  autour  d'Orléans. 

A  près  de  quatre  kilomètres  au  nord  d'Orléans,  dans  la  paroisse  de 
Fieury-aux-Choux,  se  trouve  une  tranchée  bien  conservée  de  403  mètres 
de  longueur,  4", 50  de  profondeur  dans  son  état  actuel,  environ  15  mètres 
de  larçeur  au  fond.  Les  talus  sont  très  adoucis,  et  encaissés  par  des 
terres  rejetées  sur  les  bords.  Des  bois  taillis,  de  beaux  et  vieux  chênes 
ont  poussé  sur  ces  bords  et  sur  les  talus  ;  le  tout  au  milieu  de  champs 
cultivés.  Cette  tranchée  aboutit  à  un  autre  grand  fossé  qui  lui  est  per- 
pendiculaire, à  cela  près  qu'elle  en  est  séparée  par  une  chaussée  d'envi- 
ron 7  mètres  de  largeur.  Ce  second  fossé  fait  partie  d'une  enceinte  sen- 
siblement rectangulaire,  que  l'on  peut  reconnaître  au  milieu  d'un  épais 
fouillis  de  vignes,  d'arbres  fruitiers,  de  bois  taillis  et  d'épines.  Les  côtés 
de  cette  enceinte  ont  de  120  à  140  mètres,  et  enveloppent  une  superficie 
de  plus  d'un  hectare. 


52  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

Dans  cette  superficie,  y>n  remarque  une  seconde  enceinte  quadrangu- 
laire  entourée  de  fossés.  C'est  un  terre-plein,  haut  de  2  mètres  au-dessus 
du  sol,  long  de  33  à  34  mètres  de  Test  à  Touest,  sur  22  à  24  du  nord  au 
sud.  Entre  la  première  et  la  seconde  enceinte,  aux  angles,  se  remarquent 
encore  d'autres  travaux  deslmés  à  défendre  cette  dernière.  Cette  seconde 
enceinte  est  le  cœur  de  tous  ces  travaux,  qui  sont  destinés  à  la  protéger, 
et  à  couvrir  les  sorties  de  ceux  qui  l'auraient  habitée.  La  tranchée  de 
403  mètres,  prolongée  de  quelques  cents  mètres,  couperait  l'ancienne 
route  d'Orléans  à  Paris.  Il  faut  ajouter  que,  au  xv*  siècle,  ces  travaux  se 
trouvaient  dans  la  forêt,  alors  beaucoup  plus  rapprochée  d'Orléans  qu'elle 
ne  Test  aujourd'hui. 

Ce  sont  là  des  travaux  de  mains  d'homme,  qui  ne  s'expliquent  que 
dans  un  but  d'opérations  militaires.  La  ville  d'Orléans  n'avait  certes  pas 
d'intércH  à  les  entreprendre  à  pareille  distance  dans  une  forêt.  César, 
Attila,  les  protestants,  ont  pris  ou  tenté  de  prendre  d'Orléans.  César,  les 
protestants  s'en  sont  emparés  dans  deux  ou  trois  jours,  et  le  Fléau  de 
Dieu  n'a  dû  guère  s'y  arrêter  beaucoup  plus  longtemps.  Un  seul  siège  rend 
raison  de  ces  travaux  :  le  siège  des  Anglais,  qui  dura  sept  mois.  Les 
Anglais  ont  voulu  fermer  par  là  le  large  espace  entre  Saint-Loup  et 
Saint-Pouair  dont  parle  Chartier,  tout  en  ajoutant  qu'ils  besongfioient  un 
chascunjotir  pour  empescher  icelle  eyitrée.  Du  17  février  à  la  fin  d'avril,  ils 
avaient  eu  plus  de  deux  laoïs  pour  besongner. 

Aussi  un  savant  archéologue  Orléanais,  Polluche,  constatait-il  ^ue,  de 
son  temps,  on  appelait  ce  lieu  le  cmnp  des  Anglais^  appellation  entendue 
par  celui  qui  écrit  ces  lignes  d'un  paysan  auquel  il  demandait  le  chemin 
de  l'Ermitage,  ainsi  qu'on  l'appelle  plus  souvent  aujourd'hui.  Placée 
dans  la  forêt,  cette  bastille  interceptait  fort  bien  ce  qui  aurait  pu  arriver 
aux  assiégés  par  l'ancienne  route  de  Paris  ou  le  chemin  de  Chanteau; 
elle  protégeait  les  communications  entre  Saint-Loup  et  Saint-Pouair  ; 
elle  amenait  cet  état  auquel  il  ;î'y  avait,  d'après  Chartier,  ni  provisio7i,  ni 
remède.  Ainsi  que  le  dit  Cousinot,  tous  les  grands  chemins  passants  se 
trouvaient  par  là  coupés  par  des  bastilles  encloses  de  fossés  et  de  tranchées. 

Cousinot  nous  dit  encore,  et  avant  lui  le  Vénitien  Pancrace  Justiniani 
écrivait  de  Bruges,  le  10  mai  1429,  que  les  Anglais  avaient  élevé  treize 
bastilles  autour  d'Orléans  ;  l'on  ne  peut  en  énumérer  que  douze,  si  l'on  ne 
compte  pas  celle  de  Fleury-aux-Choux. 

C'est  par  cette  ouverture  dans  les  lignes  de  circonvallation  que  les 
assiégés  s'efforçaient  de  faire  entrer  les  approvisionnements,  depuis  que 
Saint-Loup  était  occupé  par  les  Anglais.  Nous  lisons,  dans  le  Journal  du 
siège ^  que  le  16  avril  les  Anglais  faillirent  détrousser  du  bétail  et  des  vivres 
qui  venaient  de  Blois  par  le  chemin  de  Fleury-aux-Choux  ;  un  prompt 


LE  SIÈGE  D'ORLÉANS  JUSQU'A  L'ARRIVÉE  DE  LA  PUCELLE.  53 

secours  des  Orléanais,  avertis  par  la  cloche  du  beffroi,  permit  au  ravi- 
taillement d'aborder*. 

La  bastille  n'était  peut-être  pas  habitée  à  celle  date.  Elle  Tétait  sûre- 
ment quatre  jours  plus  tard.  Le  Journal  nous  apprend  que  le  19  les 
Anglais  reçurent  grant  quantité  de  vivres  et  autres  habillemens  de  guerre, 
et  avec  eux  plusieurs  gens  d'armes  qui  les  conduisoient,  et  il  continue  : 

«  Le  lendemain,  environ  quatre  heures  du  matin,  se  partit  d'Orléans 
un  capitaine  nommé  Amade,  et  seize  hommes  d'armes  à  cheval  avec  lui, 
qui  allèrent  courir  environ  Fleury-aux-Choux,  où  s'étoient  logés  les 
ANGLOis  qui  avoient  amené  les  derniers  vivres,  et  ils  firent  tant  qu'ils  en 
amenèrent  six  Angloi^  prisonniers,  plusieurs  chevaux,  arcs,  trousses  et 
autres  habillemens  de  guerre  ^  » 

Voilà  bien  l'établissement  des  Anglais  aux  environs  de  Fleury-aux- 
Choux  positivement  affirmé.  Eloignés  d'Orléans,  les  Anglais  devaient 
reposer  avec  une  certaine  sécurité  à  quatre  heures  du  matin  ;  ce  qui 
explique  la  capture  faite  par  Amade  et  ses  cavaliers. 

Les  Français  étaient  moins  heureux  le  27  avril.  Laissons  parler  le 
Journal  :  «  Le  mercredi  ensuivant  saillirent  les  François  et  allèrent  en 
moult  grande  hâte  et  belle  ordonnance  jusques  à  la  croix  de  Fleury,  pour 
secourir  quelques  marchans  amenant  des  vivres  de  Blois  pour  les  ravi- 
tailler, car  ils  eurent  nouvelle  qu'il  y  avait  empeschement  ;  mais  ils  ne 
passèrent  pas  outre,  parce  qu'on  leur  vint  au-devant,  et  il  leur  fut  dit 
qu'ils  n'y  feroient  rien,  car  les  Anglois  les  avoient  déjà  détroussés  ^  »  La 
croix  de  Fleury  est  sur  le  chemin  de  Fleury-aux-Choux. 

On  sait  que  la  Pucelle,  partant  de  Blois,  voulait  s'avancer  par  la  rive 
droite.  Dunois  et  son  conseil  furent  d'avis  qu'il  serait  moins  périlleux 
de  la  faire  venir  par  la  rive  gauche.  Le  port  du  Bousquet  était  pourtant 
alors  gardé  à  la  fois  par  la  bastille  Saint-Loup  et  la  bastille  Saint-Jean- 
le-Blanc.  Comment  les  capitaines  auraient-ils  pu  penser  qu'il  était  moins 
dangereux  d'arriver  par  la  rive  gauche,  si  la  rive  droite  avait  présenté 
cette  large  ouverture  de  trois  kilomètres  s'étendant  entre  Saint-Loup  et 
Saint-Pouair  ?  Comment  la  Pucelle,  qui  cependant  ne  tentait  pas  Dieu, 
allant  le  4  mai  au-devant  du  second  convoi  de  Blois,  serait-elle  passée 
près  de  la  bastille  Saint-Paterne,  si,  en  remontant  plus  haut,  elle  eût  pu 
suivre  une  route  plus  éloignée  du  péril,  celle  de  Fleury-aux-Choux,  où 
les  contradicteurs  de  M.  de  Molandon  supposent  qu'il  n'y  avait  pas  de 
bastille,  ni  d'Anglais  ? 

Ces  arguments,  que  nous  avons  emprimtés  à  l'érudit  Orléanais,  semblent 

1.  Journal  du  siège,  p.  69. 

2.  Ibid.,  p.  71. 

3.  lOid.,  p.  72. 


54  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

convaincants.  Ils  ont  paru  tels  à  la  commission  nommée  par  le  Comité 
archéologique  de  TOrléanais  pour  examiner  les  tranchées  de  Fleury- 
aiix-Choux.  Par  la  plume  si  réservée  d'un  ingénieur  distingué,  le  vénéré 
M.  Colin,  chargé  de  faire  le  rapport,  elle  adopta  les  conclusions  du  per- 
spicace M.  Boucher  de  Molandon*. 

A  rarrivée  de  la  Pucelle,  le  29  avril,  le  blocus  était  donc  bien  com- 
plet; le  ravitaillement  était  devenu  très  difficile  ou  impossible;  et  les 
espérances  deBedford  qu'il  aurait  la  ville  à  volonté  étaient  bien  fondées. 


Les  vivres  s'épuisaient  et,  si  la  famine  n'était  pas  encore  extrême, 
la  pénurie  devait  se  faire  sentir.  Bedford  n'a  pu  parler  si  haut  que 
parce  qu'il  savait  que  bientôt  la  faim  abattrait  les  courages.  La  ville  ne 
pouvait  tenir  longtemps,  dit  Chartier,  à  cause  de  la  nécessité  des  vivres 
qui  ne  pouvaient  lui  arriver  d'aucun  côté.  Nous  entendrons  Perceval  de 
Cagny  affirmer  que,  après  la  journée  des  Harengs,  «  les  Anglois  gardèrent 
qu'aucuns  vivres  ne  pussent  venir  aux  assiégés,  qu'ils  avoient  très  grand 
DÉFAUT  DE  PAIN,  quc  uul  Capitaine  n'osoitse  charger  de  leur  en  fournir  par 
crainte  des  Anglois  ». 

11  fallait  bien  que  le  ravitaillement  fût  très  difficile  pour  que  le  signe 
proposé  parla  Pucelle  de  la  divinité  de  sa  mission  fût  l'introduction  d'un 
convoi  dans  les  murs  de  la  cité  assiégée,  et  que  ce  signe  fût  accepté. 
L'importance  du  double  approvisionnement  par  lequel  elle  ravitailla  la 
place,  avant  de  tenter  aucun  coup  contre  les  Anglais,  prouve  que  les 
besoins  étaient  urgents.  D'après  Chartier,  la  raison  pour  laquelle,  après 
le  premier  convoi,  une  partie  des  guerriers  rentra  à  Blois,  c'est  que  l'on 
craignit  de  mettre  tant  de  gens  dans  la  ville^  parce  qu'il  y  avait  peu  de 
vivres.  Encore  l'armée  se  dispersa-t-elle,  aussitôt  après  la  délivrance^ 
parce  que  les  vivres  manquaient. 

C'est  qu'en  effet  des  convois  de  centaines  de  porcs  ou  de  bœufs  sont 
peu  de  chose,  quand  ils  doivent  être  répartis  sur  une  population  de  trente 
mille  hommes,  dont  les  provisions  antécédentes  sont  à  peu  près  épuisées. 
C'était  le  cas  d'Orléans  à  l'arrivée  de  la  Pucelle.  La  population  normale 
de  la  ville  avait  dû  être  doublée  par  celle  des  faubourgs  réfugiée  à  l'inté- 
rieur, et  par  les  hommes  d'armes  venus  pour  la  défense. 

Le  Journal  du  siège  mentionne  les  convois  qui  sont  venus  renouveler 
les  provisions  des  assiégés.  On  remarque  qu'après  la  journée  des  Harengs 

1.  Voir  le  tome  IV  de  la  Société  archéologique  de  rOrléanaia,  et  la  brochure  déjà 
signalée  :  Une  bastille  anglaise,  que  nous  n'avons  fait  que  résumer. 


LE  SIÈGE  D'ORLÉANS  JUSQU'À  L'ARRIVÉE  DE  LA  PUCELLE.  55 

CCS  convois  sont  de  plus  en  plus  faibles  el^  parfois  insignifiants.  La 
nécessité  d'en  dérober  rapproche  aux  assiégeants  devait  en  effet  les 
faire  réduire  ;  et  de  plus,  les  pays  circonvoisins  devaient  être  épuisés.  Du 
reste,  voici  la  suite  des  divers  ravitaillements  mentionnés  par  le  Journal. 
Il  semble  qu'au  commencement  de  janvier  les  approvisionnements  faits 
en  vue  du  siège  étaient  en  grande  partie  consommés,  et  que  les  Orléanais 
voulurent  profiter  de  ce  que  le  blocus  n'était  pas  encore  à  moitié 
établi  pour  les  renouveler.  Le  3  janvier  on  introduit  954  pourceaux 
gros  et  gras,  et  400  moutons.  Le  Journal  ajoute  :  ce  dont  le  peuple 
d Orléans  fut  fort  joyeux^  car  ils  vexoient  au  besoin.  Le  10,  une  grande 
quantité  de  poudre  et  de  vivres  sont  encore  introduits  ;  le  12,  600  pour- 
ceaux ;  le  18  ce  sont  encore  200  pourceaux  et  40  tôtes  de  gros  bétail, 
mais  on  se  proposait  un  approvisionnement  bien  plus  considérable  : 
SOO  têtes  de  bétail  étaient  en  marche  pour  Orléans;  des  traîtres  des 
environs  de  Sandillonen  donnèrent  avisaux  Anglais  qui  s'en  emparèrent, 
alors,  ce  semble,  que  l'envoi  était  déjà  mis  en  barque.  Les  Orléanais,  pour 
recouvrer  leur  grande  embarcation,  engagèrent  un  combat  où  ils  perdi- 
rent vingt-deux  des  leurs,  et  oii  maître  Jean  fut  sur  le  point  d'être  enlevé. 

Le  31  janvier  pénètrent  8  chevaux  chargés  d'huiles  et  de  graisses  ;  le 
23  février,  ce  sont  9  chevaux  chargés  de  blé,  de  harengs  et  d'autres 
vivres  ;  le  3  mars,  12  chevaux  chargés  de  provisions  de  même  nature.  Le 
lendemain  les  Anglais  fournirent  un  approvisionnement  :  on  s'empara  de 
9  chevaux  chargés  de  provisions  que  des  marchands  et  une  demoiselle 
leur  apportaient;  cela  constitue  pour  Tespace  de  deux  mois,  36  charges  de 
chevaux.  Si  les  trente  mille  habitants  d'Orléans  ont  dû  tirer  leur  subsis- 
tance de  ces  approvisionnements,  il  en  résulte  qu'un  seul  cheval  portait 
de  quoi  nourrir  huit  cents  personnes  durant  tout  le  carême,  car  la  nature 
du  chargement  indique  des  approvisionnements  en  maigre. 

Pâques  était  cette  année  le  27  mars.  Les  approvisionnements  en  gras 
recommencent.  Le  29,  le  Journal  parle  de  l'introduction  d'aucun  nombre 
de  bestiaux  et  autres  vivres.  Le  2  avril,  ce  sont  9  bœufs  gras,  et  2  chevaux 
chargés  de  chevreaux  et  autres  vivres  ;  le  3,  ce  sont  9  tonneaux  de  vin, 
un  pourceau,  de  la  venaison,  conquis  sur  les  Anglais,  qui  les  faisaient 
passer  à  Saint-Loup  ;  le  4  avril,  43  tôtes  de  gros  bétail,  fruits  d'un  coup 
de  main  sur  Meung,  où  les  Français  tuèrent  le  capitaine  ;  le  5  avril,  des 
marchands  du  Berry,  malgré  les  Anglais  qui  les  poursuivent,  parviennent 
à  faire  entrer  101  pourceaux,  6  bœufs  gras,  et  l'on  introduit  aussi 
47  pourceaux  et  2  chevaux  chargés  de  beurre  et  de  fromage,  venant  de 
Châteaudun;  le  8,  ce  sont  26  têtes  de  gros  bétail  que  quelques  hardis 
hommes  d'armes  ont  été  butiner  jusqu'en  Normandie  ;  le  9  on  fait  passer 
17  pourceaux  et  8  chevaux  dont  6  chargés  de  blé  et  2  de  chevreaux  et  de 


56  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

porcs  ;  le  17,  encore  un  convoi  dont  le  Journal  ne  précise  pas  Tim- 
portance,  mais  qui  faillit  être  enlevé  ;  le  26  trois  chevaux  chargés  de 
poudre  et  de  vivres  ;  le  27  un  convoi  venant  de  Blois  est  capturé  par  les 
Anglais. 

On  voit  que  quelques-uns  de  ces  approvisionnements  sont  introduits 
de  très  bon  matin  ;  on  les  avait  fait  sans  doute  arriver  durant  la  nuit. 
Quand  ils  arrivaient  de  jour,  les  guetteurs  de  Saint-Pierre-en-Pont  ou 
de  Notre-Dame  devaient  les  signaler  de  loin,  et  Ton  faisait  probablement 
ce  qui  fut  fait  pour  le  convoi  de  la  Pucelle,  le  29  avril,  une  vive  attaque 
du  côté  par  lequel  ils  devaient  pénétrer. 

Perce  val  de  Cagny  nous  dit  que  les  assiégés  avaient  très  grand  défaut 
de  pain.  Le  Journal  ne  marque  comme  introduction  de  blé  que  des  charges 
entièrement  insuffisantes,  quand  elles  devaient  être  réparties  entre  trente 
mille  bouches,  auxquelles  elles  devaient  fournir  du  pain  durant  plusieurs 
mois.  Les  approvisionnements  en  viande,  et  surtout  en  viande  de  porc, 
sont  beaucoup  plus  abondants  :  les  chiffres  à  première  vue  paraissent 
élevés,  mais  lorsque  Ton  considère  que  ces  provisions  ont  dû  alimenter 
durant  deux  ou  trois  mois  trente  mille  consommateurs,  on  s'aperçoit 
aisément  que  la  population  orléanaise  a  dû  souffrir  de  la  disette.  Cela  se 
réduit  à  un  porc  pour  quinze  personnes  pendant  environ  trois  mois,  en 
défalquant  le  temps  du  carême;  à  un  bœuf  pour  cent  cinquante  personnes 
durant  le  même  espace  de  temps.  Le  calcul  justifie  pleinement  les  asser- 
tions des  chroniqueurs  qui  nous  disent  qu'Orléans  souffrait  du  manque  de 
vivres,  et  que  le  pain  y  faisait  particulièrement  défaut.  Aussi  le  convoi 
amené  par  la  Pucelle  semblc-t-il  avoir  apporté  principalement  des  grains 
et  des  farines. 

VI 

Quel  était  le  nombre  des  assiégeants  et  le  nombre  des  défenseurs? 
Question  difficile,  que  de  récents  travaux  ne  semblent  pas  avoir  résolue. 
Les  contemporains  portent  le  chiffre  de  Tarmée  anglaise  à  dix  mille.  C'est 
Tévaluation  de  Cousinot.  Monstrelet  la  porte  à  dix-huit  mille.  On  a  écrit 
que  Dunois,  dans  sa  déposition,  regarde  ce  nombre  comme  trop  élevé.  On 
a  beau  relire  la  déposition  de  Dunois,  on  n'y  trouve  rien  qui  se  rapporte 
à  la  question,  môme  de  loin.  On  a  écrit  encore  que,  d'après  Eberliard  de 
Wyndecken,  il  n'était  que  de  trois  mille.  On  regrette  les  distractions  des 
hommes  honorables  que  nous  réfutons  ici.  Eberliard  de  Wyndecken  dit 
que  les  Anglais  se  retirèrent  au  nombre  de  trois  mille,  mais  il  avait  écrit 
qu'à  la  prise  de  Saint-Loup,  il  y  avait  eu  cent  soixante-dix  morts  et  treize 
cents  prisonniers;    il  met  trente  morts  à  la  prise  des  Tourelles.  Il  est 


LE  SIÈGE  D'ORLÉANS  JUSQU'A  L'ARRIVÉE  DE  LA  PUCELLE.  57 

donc  de  toute  inexactitude  que,  d'après  lui,  les  Anglais  assiégeant 
Orléans  ne  fussent  qu'au  nombre  de  trois  mille.  Sans  prolonger  une 
discussion  qui  serait  longue  et  fastidieuse,  nous  nous  en  tenons  au  chiffre 
des  contemporains.  On  verra  plus  loin  celui  que  donne  le  correspondant 
de  Morosini. 

Le  nombre  des  défenseurs  d'Orléans  fut  très  variable.  Le  Journal  du 
siège  nous  dit  qu'après  le  départ  du  comte  de  Clermont  le  18  février,  il 
ne  resta  que  le  bâtard  d'Orléans  et  le  maréchal  de  Sainte-Sévère  avec 
leurs  gens.  Encore  ce  même  Journal  nous  apprend-il  que  le  maréchal  de 
Sainte- Séyère  en  sortit  le  18  mars  pour  aller  recueillir  la  succession  de 
son  beau-frère,  le  seigneur  de  Châteaubrun,  tué  à  la  journée  des  Harengs. 
Dans  les  derniers  jours  d'avril,  Le  Bourg  de  Mascaran  entra  accompagné 
de  quarante  combattants;  le  mardi  26,  Alain  Girou  en  amène  cent;  le 
mercredi,  soixante  viennent  du  Gâtinais;le  28,  Florent  d'Illiers  en  conduit 
quatre  cents  ;  cinquante  arrivent  le  29  avril.  Il  nous  paraît  impossible 
de  savoir  le  chiffre  avant  l'arrivée  de  ces  renforts.  D'après  une  lettre  de 
Bruges  que  l'on  trouvera  dans  la  Correspondance  de  Morosini^  la  Pucelle 
introduisit  deux  mille  guerriers  dans  Orléans,  où  il  y  en  avait  déjà 
deux  mille  cinq  cents. 


LIVRE   II 


PARTI    FRANÇAIS. 
LA  LIBÉRATRICE  D'APRÈS  LES  CHRONIQUES  PLUS  SUIVIES 

ET  PLUS  ÉTENDUES. 


LIVRE  II 

PARTI    FRANÇAIS. 
LA  LIBÉRATRICE   D'APRÈS   LES  CHRONIQUES  PLUS  SUIVIES 

ET  PLUS   ÉTENDUES. 


LA  CHRONIQUE  DE  LA  PUGELLE 

REMARQUES   CRITIQUES 
LES    DEUX    GOUSINOT 

Denys  Godefroy  fut  le  premier  qui,  dans  la  Collection  des  historiens 
de  Charles  VII,  imprima  en  1661  la  Chronique  connue  depuis  lors  sous  le 
nom  de  Chronique  de  la  Pucelle.  Il  n'en  disait  pas  Fauteur.  Réputée  une 
des  meilleures  sources  de  l'histoire  de  Théroïne,  elle  a  été  largement  mise 
à  profit  par  les  historiens  subséquents. 

Quicherat  crut  devoir  en  rabaisser  la  valeur.  D'après  lui,  c'était  une 
compilation  faite  avec  le  Journal  du  siège  d'Orléans^  la  Chronique  de 
Jean  Chartier,  et  une  autre  Chronique  peu  connue,  portant  ce  long  titre  : 
Geste  des  nobles  François^  descendus  de  la  royalle  lignée  du  noble  roy  Priant 
de  Troije  jusques  au  noble  Charles  fils  du  roy  Charles^  le  sixyesme^  qui  tant 
fut  aimé  des  nobles  et  tous  autres.  Elle  renfermait,  d'après  lui,  des  marques 
d'emprunts  faits  aux  dépositions  de  Dunois  et  du  duc  d'Alençon,  lors  du 
procès  de  la  réhabilitation  ;  ce  qui  prouvait  que  l'écrit  avait  été  composé 
après  1456. 

Vallet  de  Viri ville  combattit  ce  sentiment  dans  un  long  Mémoire,  dont 
la  lecture  occupa  durant  six  séances  Y  Académie  des  inscriptions  et  belles- 
lettres.  L'auteur  l'a  imprimé  dans  la  suite,  en  tête  de  son  édition  de  la 
Chronique  de  la  Pucelle  et  de  la  Chronique  normande  du  notaire  (et  pas  de 
l'évêque)  Pierre  Cauchon\  C'est  une  œuvre  de  longues,  de  minutieuses, 

1.  Adolphe  de  la  Hâte,  Paris,  1859. 


62  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARG  :   LA  LIBÉRATRICE. 

de  patientes  recherches,  de  grande  sagacité  paléographique,  par  laquelle 
le  professeur  de  TÉcole  des  chartes  a  bien  mérité  des  amis  de  la  Pucelle, 
heureux  de  Tapplaudir,  s'il  ne  les  avait  pas  contristés  par  les  creuses  et 
extravagantes  divagations  que, /?02/r  expliquer  la  céleste  envoyée^  ila  imagi- 
nées dans  son  Histoire  de  Charles  VIL  II  fait  justement  observer  qu'entre 
la  Chronique  et  les  dépositions  entendues  pour  la  réhabilitation,  Ton  ne 
trouve  d'autres  similitudes  que  celles  qui  doivent  exister  entre  des 
témoins  véridiques  déposant  sur  un  même  fait.  Quant  au  Journal  du 
siège ^  et  à  la  Chronique  de  Jean  Chartier,  ces  œuvres  sont  postérieures, 
et  dans  les  endroits  où  elles  ne  copient  pas,  elles  abrègent. 

Il  est  incontestable  que  la  Chronique  de  la  Pucelle  puise  dans  la  Geste 
des  nobles]  les  passages  sont  parfois  identiques;  mais  la  Geste  des  nobles 
était  un  bien  de  famille  pour  Tautcur  de  la  Chronique  de  la  Pucelle.  Le 
critique,  en  effet,  établit,  d'une  manière  fort  remarquable,  par  une  suite 
d'observations  qu'il  serait  trop  long  de  rapporter,  mais  qui  semblent 
probantes,  d'abord  que  l'auteur  de  la  Geste  est  Guillaume  Cousinot,  chan- 
celier du  duc  d'Orléans,  et,  en  second  lieu,  qye  l'auteur  de  la  Chronique 
est  un  autre  Guillaume  Cousinot,  seigneur  de  Montreuil,  neveu  du  pré- 
cédent. Vallet  ne  le  faisait  que  le  neveu  ;  M.  Boucher  de  Molandon  a 
établi,  dans  un  travail  postérieur,  que  Cousinot  de  Montreuil  était  plus 
que  le  neveu,  que  c'était  le  fils  du  chancelier*.  Le  père  et  le  fils  furent 
des  personnages  importants  et  fort  remarquables  à  leur  époque. 

Guillaume  Cousinot  I  était,  au  commencement  du  xv®  siècle,  un  avocat 
distingué  du  parlement  de  Paris.  En  1408  il  fut  choisi  par  Valentine  de 
Milan  afin  de  défendre  et  de  venger  la  mémoire  du  duc  d'Orléans,  son 
époux,  que  l'assassin  Jean  sans  Peur  faisait  si  cruellement  outrager. 
Cousinot  répondit  si  bien  h  la  confiance  qui  lui  était  témoignée,  qu'il 
devint  dès  lors  le  conseiller  préféré  de  la  maison  d'Orléans,  honneur 
qu'il  dut  payer  de  la  confiscation  de  ses  biens,  aux  jours  de  triomphe  do 
Jean  sans  Peur.  Charles  d'Orléans,  quelques  mois  avant  d'être  le  prison- 
nier d'Azincourt,  fit  de  Cousinot  son  chancelier;  c'était  lui  confier  l'admi- 
nistration de  son  duché,  toutes  les  affaires,  surtout  durant  l'interminable 
captivité,  devant  passer  par  les  mains  de  ce  premier  représentant  du 
pouvoir  dans  la  seigneurie.  Charles  VII,  en  dédommagement  des  confis- 
cations subies  comme  Armagnac,  donna  à  Cousinot  des  biens  confisqués 
sur  des  Bourguignons,  soit  en  Beauce,  soit  à  Orléans  même,  oîi  il  reçut 
en  don  l'hôtel  du  Grand-Saint-Martin,  situé  dans  la  rue  de  la  Clouterie.  Il 
rhabitait  lors  de  la  délivrance  de  la  ville.  Cousinot  conserva  jusqu'à  sa 
mort  le  titre  de  chancelier,  mais,  dès  1439,  l'âge  Tempêchant  d'en  remplir 

1.  Voir  la  brochure  :  Jacques  Boucher  y  trésorier  du  duc  d'Or/^ans,  extrait  du  tome  XllI 
des  Mémoires  de  la  Société  archéologique  de  VOrléanais. 


LA  CHRONIQUE  DE  LA  PUGELLE.  63 

la  charge,  il  en  avait  résigné  les  fonctions.  Pour  honorer  sa  vieillesse, 
Charles  VII  l'avait  nommé  président  à  mortier  au  parlement,  quoique 
son  grand  âge  Tempêchât  de  s'y  rendre*.  On  sait  qu'il  vivait  en  4442, 
mais  on  ne  connaît  pas  la  date  de  sa  mort. 

Le  chancelier  Cousinot  avait  un  fils  qui  portait  le  même  prénom  de 
Guillaume.  Une  pièce,  en  date  du  6  juin  1431,  découverte  par  M.  Doinel, 
archiviste  du  Loiret,  l'établit  d'une  manière  indubitable,  puisque  le  chan- 
celier donne  à  son  fils  Ginllaume  Cousinot^  étudiant  à  l'Université 
d'Orléans,  pour  Vaider  à  soutenir  son  état^  ses  biens  situés  en  Beauce,  à 
lui  donnés  par  le  roi  à  la  suite  de  confiscations  sur  les  Bourguignons.  Ce 
fils  est  bien  celui  que  Vallel  donne  comme  le  neveu.  C'est  établi  par  une 
seconde  pièce,  en  date  du  1"  août  1443,  due  aussi  aux  recherches  de 
M.  Doinel;  par  un  acte  de  vente  de  l'hôtel  du  Grand-Saint -Martin.  Cette 
vente  est  faite  par  Guillaume  Cousinot,  qui  n'est  pas  dit  seulement  liceii- 
cié  es  lois^  mais  encore  conseiller  et  mutlre  des  requêtes  de  F  hôtel  du  roi 
et  président  du  Dauphiné*,  titres  que,  d'après  Vallet  de  Viriville,  portait, 
dès  1442,  celui  qu'il  donne  comme  l'auteur  de  la  Chronique  de  la  Pucelle, 

Guillaume  Cousinot  II,  ou  Cousinot  de  Montreuil,  de  la  seigneurie  de 
Montreuil  près  de  Vincennes,  dont  il  fit  l'acquisition  et  prit  le  nom,  eut 
une  carrière  encore  plus  brillante  que  celle  de  son  père.  Administrateur, 
diplomate,  homme  d'épée,  Montreuil  fut  surtout  un  des  conseillers 
préférés  de  Charles  VII  et  de  Louis  XI,  qui  voulurent  l'avoir  auprès  de 
leur  personne,  alors  môme  qu'ils  lui  confiaient  des  charges  aussi  impor- 
tantes que  celle  de  bailli  de  Rouen.  Ils  le  faisaient  suppléer  et  ne  lui 
permettaient  que  de  courtes  absences.  Pris  par  les  Anglais  à  la  suite 
d'une  ambassade  en  Ecosse,  Charles  VII  imposa  la  Normandie  afin  de 
payer  la  rançon  du  conseiller  préféré.  Cousinot  vit  les  premières  années 
de  Charles  VIII,  assista  aux  états  généraux  de  Tours  en  1484 ^  Tels  sont 
les  deux  auteurs  auxquels  est  due  la  Chronique  dite  de  la  Pucelle^  quoique 
aucun  des  deux  n'ait  songé  à  lui  donner  pareil  litre.  Il  eût  été  inexact, 
l'œuvre  maintenant  connue  sous  ce  nom  n'étant  qu'un  extrait  de  deux 
autres  plus  étendues. 

La  Geste  des  nobles^  l'œuvre  de  Cousinot  père,  part,  comme  le  titre 
même  le  dit,  des  origines  fabuleuses  de  la  France.  Jusqu'à  l'époque  où 
l'auteur  a  été  presque  contemporain  des  événements,  c'est  un  abrégé 
sans  valeur  historique  des  Chroniques  de  Saint-Denis.  A  partir  du  règne  du 
roi  Jean  (1450),  dit  Vallet  de  Viriville  que  nous  ne  faisons  que  résumer, 
le  récit  prend  une  ampleur  toujours  croissante.  Il  s'étend  surtout  lorsqu'il 

1.  Vallet  de  Viriville,  op.  ciï.,  p.  16  et  suiv. 

2.  BOLXHER  DE   MoLANDON,  Op.  cit.,  p.  84-90. 

3.  Vallet  de  Viriville,  op.  cit.,  p.  22  et  suiv. 


64  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARG  :   LA  LIBÉRATRICE. 

arrive  à  la  Pucelle,  qu'il  suit  jusqu'à  Troyes.  Il  s'interrompt  soudaine- 
ment à  ce  point,  sans  même  mentionner  le  sacre,  interruption  dont  on 
ne  peut  donner  aucune  raison  suffisante.  Le  chancelier  d'ailleurs  se 
contente  de  noter  les  événements,  surtout  ceux  qui  regardent  la  maison 
d'Orléans,  et  le  parti  Armagnac,  auquel  il  appartient  manifestement. 

La  Chronique  de  Cousinot  fils  ne  part  pas  de  Priam  ou  du  roi 
Francon;  elle  n'embrasse  que  les  premières  années  de  Charles  VIL 
C'est  indiqué  par  les  premières  lignes,  ainsi  conçues  :  S'ensuivent  les 
gestes  et  aucunes  choses  advenues  du  temps  du  très  chresticn  et  très  noble 
roy  Charles  septiesme  de  ce  nom^  qui  eut  le  royaume  après  le  trespas  de 
feu  son  père  Charles  sixiesme^  lequel  trespassa  l'an  mil  quatre  cens  vingts 
deux,  le  vingt  et  uniesme  jour  d'octobre.  Jusqu'où  Cousinot  de  Montreuil 
a-t-il  conduit  son  œuvre,  ou  tout  au  moins  se  proposait-il  de  la  conduire? 
On  l'ignore.  Ce  que  Ton  possède  commence  à  l'avènement  de  Charles  VII, 
et  finit  au  retour  du  roi  après  l'échec  contre  Paris. 

Montreuil  use  du  bien  paternel  comme  d'un  bien  propre,  ou  plutôt 
il  ne  se  donne  pas  môme  la  peine  de  se  l'approprier.  Le  vice  le  plus 
saillant  de  sa  Chronique,  c'est  de  nous  offrir  souvent  deux  récits  juxta- 
posés d'un  même  fait.  Après  avoir  transcrit  la  Geste^  parfois  il  reprend 
la  narration  comme  si  le  fait  n'était  pas  déjà  raconté,  en  y  ajoutant  des 
circonstances  passées  sous  silence  par  son  père. 

Malgré  ce  défaut  de  suture  qui  déroute  le  lecteur,  Tœuvre  de  Mon- 
treuil est  d'un  grand  intérêt  et  d'une  valeur  inappréciable.  Le  chancelier 
rédigeait  une  sorte  de  diaire,  probablement  pour  la  maison  d'Orléans. 
Ecrivant  à  mesure  que  les  événements  se  déroulaient,  il  se  tait  sur  les 
ressorts  secrets  qui  les  amènent,  s'abstient  de  blâmer  les  personnes 
alors  au  pouvoir.  Son  fils  écrit  l'histoire  proprement  dite;  il  est  plus 
développé,  et  il  ne  craint  pas  de  dévoiler  les  intrigues  des  favoris  qui 
abusaient  de  la  jeunesse  du  prince  et  perdaient  la  France. 

M.  de  Beaucourt,  dans  son  Histoire  de  Charles  VU,  juge  comme  Vallet  de 
Virivillc.  «  Les  Chroniques  des  deux  Cousinot,  dit-il,  ont  une  grande  va- 
leur historique.  La  partie  consacrée  à  la  Pucelle  est  incontestablement  la 
source  la  plus  importante  pour  la  vierge  inspirée.  »  La  lecture  et  le 
rapprochement  avec  les  autres  Chroniques  confirmeront,  pensons-nous, 
les  appréciations  de  ces  deux  critiques  appartenant  à  des  camps  opposés. 
Comment  expliquer  le  jugement  si  contraire  de  Quicherat?  C'est  un  des 
cas  où  son  rationalisme  fait  fléchir  son  jugement.  Les  Cousinot,  témoins 
oculaires  des  faits,  n'hésitent  pas  à  les  rapporter  tels  qu'ils  les  ont  vus, 
ou  tels  que  les  ont  vus  ceux  qui  les  entourent.  Ils  sont  croyants,  ils  ne 
doutent  pas  que  celui  qui  a  établi  les  lois  qui  régissent  les  êtres  ne 
puisse  y   déroger.  Ils  racontent  des  faits  patents,  alors   même  qu'ils 


LA  CHRONIQUE  DE  LA  PUCELLE.  65 

accusenl  une  de  ces  dérogations.  Le  rationalisme  est  mal  à  Taise  avec  ces 
historiens.  Il  doit  rabaisser  leur  autorité  sous  peine  de  se  porter  un  coup 
mortel.  C'est  à  ce  sentiment  que  Quicherat  a  obéi,  pensons-nous,  peut- 
ôlre  d'une  manière  inconsciente,  en  jugeant  comme  il  Ta  fait  la  Chronique 
de  la  Pucelle. 

Le  chancelier  Cousinot  était  Tami  de  Jacques  Boucher.  Or  la  Pucelle, 
pendant  les  jours  passés  à  Orléans  pour  la  délivrance,  était  logée  chez 
Jacques  Boucher.  Le  maître  des  requêtes,  bien  notable  homme,  dont  parle 
la  Chronique,  en  nous  montrant  Jeanne  à  Poitiers,  était-il  Cousinot  fils? 
Plusieurs  le  pensent,  et  citent  d'autres  exemples  d'écrivains  de  l'époque, 
qui,  à  l'abri  de  l'anonyme,  rendaient  de  semblables  témoignages  à  leurs 
mérites.  Cousinot  fils,  qui  assurément  fut  maître  des  requêtes,  l'était-il  en 
mars  1429?  Cela  n'est  pas  impossible,  quoiqu'il  fût,  l'année  suivante, 
étudiant  à  l'Université  d'Orléans.  Les  études  de  droit  se  prolongeaient 
alors  durant  de  nombreuses  années,  et  ne  semblent  pas  inconciliables  avec 
le  titre  de  maître  des  requêtes  ;  mais,  dans  ce  cas,  si  Cousinot  parle  de  lui- 
même,  on  ne  peut  nier  qu'en  se  qualifiant  de  bien  notable  homme,  il 
escomptait  l'avenir;  en  1429,  il  était  trop  jeune  pour  être  bien  notable 
homme.  Peut-être  était-il  déjà  en  possession  de  la  renommée  lorsqu'il 
rédigeait  sa  Chronique;  ce  que,  d'après  Vallet  de  Viriville,  il  aurait  fait 
de  1439  à  1450. 

Parlant  de  l'escalade  des  Tourelles,  Montreuil  écrit  :  «  Si  nous 
dirent  et  affirmèrent  les  plus  grands  capitaines  françois  que.,,  ils  montè- 
rent contremont  aussi  aisément  comme  par  un  degré  y^.  On  en  conclut  qu'il 
n'était  pas  à  Orléans  lors  de  la  prise  des  Tourelles.  Cela  peut  être  ;  mais 
la  démonstration  paraît  faible.  11  aurait  pu  être  à  Orléans,  combattre 
mênie  sur  la  rive  droite,  sans  avoir  été  présent  à  l'assaut  qui  se  donnait 
sur  la  rive  gauche;  et  par  suite  ne  savoir  que  par  le  récit  des  capitaines 
ce  qui  s'y  était  passé. 

La  Bibliothèque  nationale  possède  deux  manuscrits  de  la  Geste  des 
nobles,  cotés  n***9656  et  10297, /rfs.  français',  il  en  existe  un  troisième  au 
Vatican,  fonds  de  la  reine  Christine,  n*"  897.  Vallet  a  édité  la  Geste  à  partir 
du  règne  de  Charles  VIL  On  trouvera  aux  Pièces  justificatives  les  passages 
qui  ont  trait  à  la  Pucelle.  En  les  rapprochant  de  la  Chronique  de  Mon- 
treuil, il  sera  facile  de  voir  ce  que  le  fils  a  ajouté  à  l'œuvre  du  père,  et  sa 
manière  de  procéder. 

L'on  ne  possède  pas  les  manuscrits  sur  lesquels  travailla  Godefroy; 
mais  seulement  l'exemplaire  qu'il  prépara  pour  Tédition.  Il  est  à  la  biblio- 
thèque de  l'Institut.  C'est  l'œuvre  d'un  très  habile  calligraphe.  Godefroy 
y  fit  de  nombreuses  ratures,  peut  être  à  raison  des  variantes  qu'il  trou- 
vait dans  différentes  copies,  peut-être  pour  rajeunir  le  style,  ou  pour 

IIL  5 


66  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

d'autres  motifs.  Auguste  Valiet  a  poussé  le  zèle  jusqu'à  lire  sous  les 
ratures  Texpression  première,  et  c'est  celle  qu'il  nous  dit  avoir  adoptée. 
La  Geste  est  divisée  en  chapitres  très  courts  ayant  chacun  leurs  titres 
particuliers;  il  n'y  a  pas  de  divisions  dans  le  texte  de  Godefroy.  Auguste 
Valiet  en  a  introduit,  en  cherchant  à  imiter  le  style  de  la  Geste.  Pour 
faciliter  le  rapprochement  avec  les  autres  Chroniques,  nous  avons  à  notre 
tour  introduit  des  divisions  plus  générales,  correspondant  aux  diverses 
étapes  de  la  carrière  de  Théroïne  *. 


CHAPITRE   PREMIER 

DOMRÉMY.  —  VAUCOULEURS.   —  CHINON.    —  POITIERS. 

Sommaire  :  1.  —  Domrémy  :  Naissance,  occupations,  âge,  tempérament  de  la  Pucelle.  — 
Vaucouleurs  :  Départ.  —  Baudricourt.  —  Premier  accueil.  —  Instances.  —  Annonce 
de  la  défaite  de  Rouvray.  —  Baudricourt  vaincu.  —  Vêtements  :  escorte.  —  Le  nom 
de  roi  refusé  au  Dauphin  jusqu'au  sacre. 

11.  —  CiiiNON  :  Heureuse  traversée,  malgré  les  périls.  —  Incertitudes  du  roi  et  de  la 
cour.  —  Première  audience;  le  roi  reconnu.  —Jeanne  examinée;  contraste  entre 
la  sagesse  de  ses  réponses  et  sa  simplicité.  —  Révélation  des  secrets,  témoins  de 
choix,  serment. 

m.  —  Poitiers  :  Sur  le  chemin  de  Poitiers.  —  Hôtel  Rabateau.  —  L'examen  ;  le  jury; 
particularités;  conclusion.  —  Visiteurs  et  visiteuses;  effets  produits;  raisons  des 
habits  masculins.  —  Préparatifs  du  ravitaillement.  —  La  maison  de  la  Pucelle.  — 
Épée  de  Fierbois.  —  Prophétie  sur  l'introduction  du  convoi.  —  Jeanne  d'Arc  à 
cheval.  — Docteurs  et  guerriers  émerveillés. 


I 

En  l'an  mil  quatre  cent  vingt-neul,  il  y  avait,  vers  les  marches  de 
Vaucouleurs,  une  jeune  fille,  native  d'un  pays  nommé  Domrémy,  qui  est 
tout  un  avec  le  village  de  Gras  (Greux),  de  Télection  de  Langres.  Elle 
était  fille  de  Jacques  Darc  et  d'Ysabeau  sa  femme.  C'était  une  simple 
villageoise,  qui  avait  coutume  de  garder  quelquefois  les  bêtes,  et  quand 
elle  ne  les  gardait  pas,  de  s'exercer  à  coudre,  ou  bien  elle  filait.  Elle  était 
âgée  de  dix-sept  à  dix-huit  ans,  bteti  compassée  de  membres  et  forte  [sic). 
Sans  congé  ni  de  père  ni  de  mère  (ce  n'est  pas  qu'elle  ne  leur  portât 
grand  honneur  et  révérence,  elle  les  craignait  et  respectait,  mais  elle 
n'osait  se  découvrir  à  eux  par  peur  qu'ils  n'empêchassent  son  entreprise), 

1.  Voir  aux  Pièces  justificatives  y  le  texte  de  la  Geste  des  nobles,  A. 


LA  CHRONIQUE  DE  LA  PUCELLE.  67 

un  jour  elle  s'en  vint  à  Vaucouleurs  devers  messire  Robert  de  Baudri- 
court,  un  vaillant  chevalier  tenant  le  parti  du  roi,  et  ayant  en  sa  place 
de  Vaucouleurs  foison  de  gens  de  guerre  vaillants,  faisant  guerre  tant 
aux  Bourguignons  qu'à  tous  autres  tenant  le  parti  des  ennemis  du  roi  ; 
et  Jeanne  lui  dit  simplement  les  paroles  qui  s'ensuivent:  «  Capitaine  mes- 
sire^ sachez  que  Dieu,  depuis  quelque  temps  déjà,  m'a  fait  plusieurs  fois 
savoir  et  commandé  que  f  allasse  devers  le  gentil  Dauphin,  qui  doit  être 
et  est  vrai  roi  de  France  ;  et  qu'il  me  baillât  des  gens  d'armes,  et  que  je 
lèverais  le  siège  d'Orléans,  et  le  mènerais  sacrer  à  Reims  ».  Messire  Robert 
réputa  ces  choses  moqueries  et  dérision,  s'imaginant  que  c'était  rêve  ou 
fantaisie;  et  il  lui  sembla  qu'elle  serait  bonne  pour  servir  de  honteux  ébats 
à  ses  gens  ;  et  quelques-uns  avaient  la  volonté  d'en  faire  l'essai  ;  mais  sitôt 
qu'ils  la  voyaient,  ils  étaient  refroidis  et  n'en  avaient  plus  le  vouloir. 

Elle  pressait  toujours  instamment  ledit  capitaine  de  l'envoyer  vers  le 
roi,  de  lui  faire  avoir  habillements  d'homme,  cheval  et  compagnons 
pour  la  conduire,  et,  entre  autres  choses,  elle  lui  dit  un  jour  :  «  En  nom 
Dieu,  vous  tardez  trop  à  m' envoyer;  car  aujourd'hui  le  gentil  Dauphin  a 
eu  assez  près  d'Orléans  un  bien  grand  dommage;  et  encore  sera-t-il  taillé 
de  ravoir  plus  grand,  si  vous  ne  m'envoyez  bientôt  vers  lui  ».  Le  capitaine 
mit  lesdites  paroles  en  sa  mémoire  et  imagination,  et  sut  après  que  ledit 
jour  avait  été,  quand  le  connétable  d'Ecosse  et  le  seigneur  d'Orval  furent 
déconfits  [taillés  en  pièces)  par  les  Anglais;  et  ledit  capitaine  était  en 
grande  pensée  sur  ce  qu'il  ferait;  il  délibéra  et  conclut  qu'il  l'enverrait. 
II  lui  fit  faire  vêtements  et  chaperon  d'homme,  gippon,  chausses  à  atta- 
cher, houseaux  [bottes)  et  éperons,  et  lui  bailla  un  cheval  et  un  varlet; 
puis  il  ordonna  à  deux  gentilshommes  du  pays  de  Champagne  qu'ils  la 
voulussent  conduire  ;  l'un  se  nommait  Jean  de  Metz  et  l'autre  Bertrand 
de  Pélonge;  lesquels  en  firent  grande  difficulté  et  non  sans  cause  ;  car  il 
leur  fallait  passer  au  milieu  des  périls  et  des  dangers  des  ennemis.  La- 
dite Jeanne,  connaissant  bien  leur  crainte  et  les  difficultés  qu'ils  faisaient, 
leur  dit  :  «  En  nom  Dieu,  menez-moi  vers  le  gentil  Dauphin,  et  n'ayez  nu*, 
doute;  ni  vous,  ni  moi  n'aurons  aucun  empêchement  ».  Et  il  faut  savoir 
qu'elle  ne  donna  au  roi  que  le  nom  de  Dauphin  jusqu'à  ce  qu'il  fût  sacré. 
Et  lors  lesdits  compagnons  conclurent  qu'ils  la  mèneraient  vers  le  roi, 
qui  lors  était  à  Chinon. 

II 

Ils  partirent,  et  passèrent  par  Auxerre  et  par  plusieurs  autres  villes, 
villages  et  passages  du  pays  des  ennemis;  ils  passèrent  aussi  par  les 
pays  obéissants  au  roi,  où  régnaient  les  pillards  et  les  voleurs  de  grand 


C8  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

chemin  *,  sans  avoir,  ni  trouver   aucun  empêchement,  et  ils  vinrent 

jusques  en  la  ville  de  Chinon.  Eux-mômes  (lisaient  qu'ils  avaieùt  traversé 

!    à  gué  des  rivières  bien  profondes  et  des  passages  réputés  bien  périlleux, 

'   sans  inconvénient  quelconque;  ce  dont  ils  étaient  émerveillés.  Arrivés 

en  ladite  ville  de  Chinon,  le  roi  manda  les  gentilshommes  qui  étaient 

venus  en  la  compagnie  de  la  jeune  fille,  et  les  fit  interroger  en  sa  présence; 

'   ils  ne  surent  que  dire  ce  qui  est  rapporté  ci-dessus. 

§ 

Le  roi  et  ceux  de  son  conseil  ne  savaient  si  ladite  Jeanne  devait  (^tre 
admise  à  parler  au  roi,  ou  non,  et  s'il  la  devait  faire  venir  vers  lui;  sur  quoi 
il  y  eut  diverses  opinions  et  divers  avis;  et  il  fut  conclu  qu'elle  verrait 
le  roi.  Ladite  Jeanne  fut  amenée  en  sa  présence,  et  elle  dit  qu'on  ne  la 
déçût  pas,  et  qu'on  lui  montrât  celui  auquel  elle  devait  parler.  Le  roi 
était  bien  accompagné,  et  quoique  plusieurs  feignissent  d'ôtre  le  roi, 
toutefois  elle  s'adressa  à  lui  très  directement^;  et  elle  lui  dit  que  Dieu 
l'envoyait  en  ce  lieu  pour  l'aider  et  le  secourir;  qu'il  lui  baillât  des  gens 
et  qu'elle  lèverait  le  siège  d'Orléans,  et  de  là  le  mènerait  sacrera  Reims  ; 
que  c'était  le  plaisir  de  Dieu  que  les  Anglais  s'en  allassent  en  leur  pays  ; 
et  que  s'ils  ne  s'en  allaient,  il  leur  en  arriverait  malheur'. 

Ces  choses  ainsi  faites  et  dites,  on  la  fit  ramener  en  son  logis,  et  le 
roi  assembla  son  conseil  pour  savoir  ce  qu'il  avait  à  faire.  A  ce  conseil 
se  trouvaient  l'archevêque  de  Reims,  son  chancelier,  et  plusieurs  pré- 
lats, des  gens  d'Église  et  des  laïques.  Il  fut  arrêté  que  quelques  docteurs 
en  théologie  l'entretiendraient  et  l'examineraient,  et  qu'il  y  aurait  avec 
eux  des  canonistes  et  des  légistes  ;  et  ainsi  il  fut  fait.  Elle  fut  examinée 
et  interrogée  par  diverses  fois  et  par  diverses  personnes:  et  c'était  chose 
merveilleuse  comment  elle  se  comportait  en  son  fait;  et  quand  elle  parlait 
de  ce  dont  elle  était  chargée  de  par  Dieu,  comme  elle  parlait  grande- 
ment et  notablement,  vu  qu'en  autres  choses,  elle  était  la  plus  simple 
bergère  qu'on  vît  jamais*.  Entre  autres  choses,  on  s'ébahissait  comme 
elle  avait  dit  à  messire  Robert  de  Baudricourt,  le  jour  de  la  bataille  de 
Rouvray,  autrement  dite  des  Harengs,  ce  qui  était  advenu;  et  aussi  de 
la  manière  de  sa  venue,  et  comme  elle  était  arrivée  sans  empêchement 
jusques  à  Chinon. 

\ .  Texte  :  Oà  régnoient  toutes  pilleries  et  roberies. 

2.  Assez  plaincment.  Dans  la  langue  du  moyen  ûgc,  assez,  assay  a  souvent  raccoplion 
(le  très,  fort,  beaucoup,  Plaincment  signifie  aussi  directement,  de  plana,  Voy.  Lacurnk  de 
Sainte-Palay,  Glossaire. 

3.  Texte  :  i7  leur  mescherroit. 

4.  Texte  :  Elle  fut  examinée  et  intencgée  par  diverses  fois  et  diverses  personnes  :  dont 
estait  chose  merveilleuse  comme  elle  se  portait  en  son  faict,  et  ce  qu'elle  disoit  lui  estre 
chargé  de  par  Dieu,  comme  elle  parlait  grandement  et  notablement,  veu  que  en  autres 
choses,  elle  estait  la  plus  simple  bergère  que  on  vcit  oncques. 


LA  CHRONIQUE  DE  LA  PUCELLE.  69 

Un  jour,  elle  voulut  parler  au  roi  en  particulier,  et  elle  lui  dit  :  «  Gentil  ^ 
Dauphin^  pourquoi  ne  me  croyez-vous  pas?  Je  vous  dis  que  Dieu  a  pitié  ■ 
de  vous,  de  votre  royaume,  et  de  votre  peuple  ;  car  saint  Louis  et  Charle- 
magne  sont  à  genoux  devant  lui,  en  faisant  prière  pour  vous  ;  et  je  vous 
dirai,  s'il  vous  plaît,  telle  chose,  quelle  vous  donnera  à  connaître  que  vous 
me  devez  croire,  »  Toutefois  elle  fut  contente  que  quelques-uns  de  ses 
gens  y  fussent  présents  ;  et  là,  en  la  présence  du  duc  d'Alençon,  du 
seigneur  de  Trêves,  de  Christophe  de  Harcourt,  et  de  Gérard  Machet, 
confesseur  du  roi,  qui,  à  la  requête  de  Jeanne,  jurèrent  qu'ils  n'en 
révéleraient  et  n'en  diraient  rien,  elle  dit  au  roi  une  chose  de  grande 
conséquence,  qu'il  avait  faite,  bien  secrète;  ce  dont  il  fut  fort  ébahi,  car 
il  n'y  avait  personne  qui  le  pût  savoir,  si  ce  n'est  Dieu  et  lui  ;  et,  dès  lors, 
il  fut  conclu  que  le  roi  essayerait  d'exécuter  ce  qu'elle  disait. 


III 

Toutefois  le  roi  pensa  qu'il  était  expédient  qu'on  l'amenât  à  Poitiers, 
où  étaient  la  cour  du  parlement,  et  plusieurs  notables  maîtres  en  théologie, 
tant  séculiers  que  réguliers  ;  et  il  décida  qu'il  irait  lui-môme  en  ladite 
ville.  Et,  de  fait,  le  roi  y  alla,  faisant  amener  et  conduire  ladite  Jeanne; 
et  quand  elle  fut  comme  au  milieu  du  chemin,  elle  demanda  où  on  la 
menait,  et  il  lui  fut  répondu  que  c'était  à  Poitiers.  Et  lors  elle  dit:  «  En 
nom  Dieu,  je  sais  que  j'y  aurai  bien  à  faire;  mais  Messire  m'aidera.  Or 
allons  de  par  Dieu,  » 

Elle  donc  amenée  en  la  cité  de  Poitiers,  elle  fut  logée  en  Thôtel  d'un 
nommé  maître  Jean  Rabateau,  mari  d'une  honnête  femme,  à  laquelle 
elle  fut  donnée  en  garde.  Elle  était  toujours  en  habit  d'homme  et  n'en 
voulait  vêtir  d'autre.  On  convoqua  plusieurs  notables  docteurs  en 
théologie  et  autres,  des  bacheliers,  qui  entrèrent  en  la  salle  où  elle  était  ; 
et  quand  elle  les  vit  elle  alla  s'asseoir  au  bout  du  banc  et  leur  demanda 
ce  qu'ils  voulaient.  Il  lui  fut  répondu  par  la  bouche  de  l'un  d'eux  qu'ils 
venaient  devers  elle,  parce  qu'on  disait  qu'elle  s'était  présentée  au  roi 
comme  envoyée  par  Dieu  vers  lui  ;  et  ils  lui  montrèrent  par  de  belles  et 
douces  raisons  qu'on  ne  devait  pas  la  croire.  Ils  y  furent  pendant  plus 
de  deux  heures  où  chacun  parla  à  son  tour  ;  et  elle  leur  répondit  de  telle 
sorte  qu'ils  étaient  grandement  ébahis  comment  une  si  simple  bergère, 
une  jeune  fille,  pouvait  si  prudemment  répondre. 

Entre  les  autres,  il  y  eut  un  Carme,  docteur  en  théologie,  bien  aigre 
homme,  qui  lui  dit  que  la  sainte  Écriture  défendait  d'ajouter  foi  à  telles 
paroles,  si  elle  ne  montrait  pas  des  signes  ;  elle  répondit  aussitôt  qu'elle 


70  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

ne  voulait  pas  tenter  Dieu,  et  que  le  signe  que  Dieu  lui  avait  ordonné, 
c'était  de  lever  le  siège  de  devant  Orléans  et  de  mener  sacrer  le  roi  à 
Reims  ;  qu'ils  y  vinssent  et  qu'ils  le  verraient  ;  ce  qui  semblait  chose 
forte  et  comme  impossible,  vu  la  puissance  des  Anglais,  et  que  d'Orléans 
et  de  Blois  jusqu'à  Reims,   il  n'y  avait  place  française. 

Il  y  eut  un  autre  docteur  en  Ihéologie,  de  l'ordre  des  Frères  prêcheurs, 
qui  lui  dit:  «  Jeanne,  vous  demandez  des  hommes  d'armes,  et  vous 
dites  en  môme  temps  que  c'est  le  plaisir  de  Dieu  que  les  Anglais  laissent 
le  royaume  de  France,  et  s'en  aillent  dans  leur  pays.  Si  cela  est,  il  ne 
;  faut  pas  de  gens  d'armes,  car  le  seul  plaisir  de  Dieu  peut  les  déconfire, 
et  les  faire  aller  en  leur  pays.  »  A  quoi  elle  répondit  qu'elle  demandait  des 
gens,  mais  nullement  en  grand  nombre,  qu'ils  combattraient  et  que  Dieu 
donnerait  la  victoire. 

Après  cette  réponse  faite  par  Jeanne,  les  théologiens  s'assemblèrent 
pour  voir  ce  qu'ils  avaient  à  conseiller  au  roi;  ils  conclurent,  sans  qu'un 
seul  y  contredît,  que,  bien  que  les  choses  dites  par  ladite  Jeanne  leur 
parussent  bien  étranges,  le  roi  devait  cependant  s'y  fier,  et  essayer 
d'exécuter  ce  qu'elle  disait. 

Le  lendemain  allèrent  vers  elle  plusieurs  notables  personnes,  prési- 
dents et  conseillers  du  parlement  et  autres  de  divers  états;  et  avant  d'y 
aller,  ce  qu'elle  disait  leur  paraissait  impossible  à  faire,  disant  que  ce 
n'était  que  rêveries  et  fantaisies;  mais  il  n'y  en  eut  pas  un,  quand  il  s'en 
retournait  et  l'avait  ouïe,  qui  ne  dît  que  c'était  une  créature  de  Dieu; 
et  quelques-uns  en  retournant  pleuraient  à  chaudes  larmes.  Sembla- 
blement  y  furent  dames,  demoiselles  et  bourgeoises  qui  lui  parlèrent, 
et  elle  leur  répondait  si  doucement  et  si  gracieusement  qu'elle  les  faisait 
pleurer. 

Entre  plusieurs  autres  choses,  elles  lui  demandèrent  pourquoi  elle  ne 
prenait  pas  habit  de  femme,  et  elle  leur  répondit  :  «  Je  crois  bie^i  que  cela 
vous  semble  élrange,  et  ce  n'est  pas  sans  cause  ;  mais  il  faut^  puisque  je 
me  dois  armer  et  servir  le  geyitil  Dauphin  en  armes^  que  je  prenne  des 
habits  propices  et  nécessaires  pour  cela;  et  aussi  quand  je  serai  entre  les 
hommes^  avec  des  habits  dliomme^  ils  n  auront  pas  concupiscence  mau- 
vaise à  mon  sujets  et  il  me  semble  qu'en  cet  état  je  coîiserverai  mieux  ma 
virginité  de  pensée  et  de  fait  ». 

Pendant  ce  temps,  on  faisait  grande  diligence  pour  assembler  des 
vivres,  et  spécialement  des  blés,  des  chairs  salées  et  non  salées,  afin 
d'essayer  de  les  mener  dedans  la  ville  d'Orléans.  Il  fut  délibéré  et  conclu 
qu'on  éprouverait  ladite  Jeanne  sur  le  fait  desdits  vivres;  et  on  ordonna 
pour  elle  harnois,  cheval  et  gens  ;  et  lui  fut  spécialement  baillé  pour  la 
conduire  et  être  à  sa  suite  un  bien  vaillant  et  notable  écuyer,  nommé 


LA  CHRONIQUE  DE  LA  PUGËLLE.  7j 

Jean  d'Âulon,  prudent  et  sage  ;  et  pour  page  lui  fut  assigné  un  bien  gentil 
homme,  nommé  Louis  de  Coûtes,  dit  Imerguet,  avec  d'autres  varlets  et 
serviteurs. 

Durant  ces  préparatifs,  elle  dit  qu'elle  voulait  avoir  une  épée  qui  était 
à  Sainte-Catherine-de-Fierbois,  portant  cinq  croix  en  la  lame,  assez  près 
du  manche.  On  lui  demanda  si  elle  l'avait  jamais  vue,  et  elle  dit  que 
non,  mais  qu'elle  savait  bien  qu'elle  y  était.  Elle  y  envoya,  et  il  n'y  avait 
personne  qui  sût  où  elle  était,  ni  si  elle  y  était.  Toutefois  il  y  en  avait 
plusieurs  qu'on  avait  autrefois  données  à  l'église,  lesquelles  on  fît  toutes 
regarder  ;  et  on  en  trouva  une  toute  rouillée,  qui  avait  lesdites  cinq 
croix.  On  la  lui  porta,  et  elle  dit  que  c'était  celle  qu'elle  demandait. 
Elle  fut  fourbie  et  bien  nettoyée,  et  on  lui  fit  faire  un  beau  fourreau  tout 
parsemé  de  fleurs  de  lis. 

Tant  que  Jeanne  fut  à  Poitiers,  plusieurs  gens  de  bien  allaient  tous  les^^ 
jours  la  visiter,  et  toujours  elle  disait  de  bonnes  paroles.  Entre  les  autres, 
il  y  eut  un  bien  notable  homme,  maître  des  requêtes  de  l'hôtel  du  roi  qui 
lui  dit:  «  Jeanne,  on  veut  que  vous  essayiez  de  mettre  les  vivres  dedans 
Orléans;  mais  il  semble  que  ce  sera  forte  chose,  vu  les  bastilles  qui 
sont  devant,  et  vu  que  les  Anglais  sont  forts  et  puissants.  —  En  nom 
DieUy  dit-elle,  îions  les  mettrons  dedans  à  notre  aise;  et  il  n'y  aura  pas 
Anglais  qui  saille  de  ses  bastilles^  ni  qui  fasse  semblant  de  l'empêcher.  » 

Elle  fut  armée  et  montée  à  Poitiers  ;  puis  elle  s'en  partit  *.  Et  en  che-^ 
vauchant  elle  portait  son  harnois  {so?i  équipement)  aussi  gentillement 
que  si  elle  n'eût  fait  autre  chose  tout  le  temps  de  sa  vie  ;  ce  dont  plusieurs 
s'émerveillaient;  mais  plus  que  tous  les  autres,  les  docteurs,  capitaines 
de  guerre  et  autres,  s'émerveillaient  des  réponses  qu'elle  faisait  tant 
des  choses  divines  que  de  la  guerre. 


CHAPITRE  II 

DÉLIVRANCE    D'ORLÉANS, 


Sommaire  :  L  —  Comment  la  Pucelle  est  annoncée  à  Orléans.  —  Blois,  bénédiction  de 
la  bannière,  rassemblement  de  vivres  et  de  guerriers. 

II.  —  De  Blois  à  Orléans  :  Lettre  aux  Anglais.  —  Formation  du  convoi.  —  Réforme 
morale  et  religieuse  des  hommes  d'armes.  —  Voyage.  —  Attitude  des  Anglais.  — 
Difficultés  du  passage  de  la  Loire.  —  Reproches  et  prédictions  de  la  Pucelle.  —  Son 

4.  Les  Chroniques  ne  parlent  pas  du  séjour  à  Tours  avant  le  départ  pour  Blois. 
11  est  cependant  indubitable. 


V 


72  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARG  :  LA  LIBÉRATRICE. 

entrée  à  Orléans.  —  Sa  tempérance.  —  Ce  qui  advient  à  ses  hérauts.  —  Change- 
ments dans  les  dispositions  des  deux  armées.  —  Les  capitaines  retournés  à  Blois  ; 
délibérations;  ils  reviennent  à  Orléans.  —  Auxiliaires  accourus  des  environs.  — 
Entrée  du  second  convoi  le  4  mai. 
m.  —  Attaque  infructueuse  contre  Saint-Loup.  —  La  venue  de  la  Pucelle  en  fait  une 
victoire.  —  Morts  et  prisonniers.  —  Actions  de  grâces. 

IV.  —  Le  jour  de  l'Ascension  sans  combat.  —  Sommation  orale  aux  Anglais.  —  Le  6, 
passage  de  la  Loire.  —  Attaque  de  la  bastille  des  Augustins.  —  Péripétie.  —  La  bas- 
tille conquise.  —  La  Pucelle  blessée  au  pied.  —  Hommes  d'armes  bivouaquant 
devant  les  Tourelles. 

V.  —  Le  7,  la  Pucelle  suivie  des  bourgeois,  passe  la  Loire  contre  le  vouloir  des  capi- 
taines. —  Les  Tournclles  assaillies  des  deux  côtés.  —  Blessure  de  Jeanne,  et  conti- 
nuation de  Taltaque  contre  l'avis  de  Dunois.  —  La  queue  y  touche.  —  Les  capitaines 
entraînés  par  l'ardeur  de  la  multitude.  —  Résistance  des  Anglais.  —  Gouttière 
jetée  sur  l'arche  rompue  du  pont.  —  Les  Anglais  épuisés  de  forces  et  impuissants. 
—  Rupture  du  pont-levis  et  noyade.  —  Inaction  des  Anglais  de  la  rive  droite.  — 
Actions  de  grâces  et  retour  de  la  Pucelle.  —  Son  amour  et  sa  fréquentation  des 
sacrements. 

VI.  —  Les  Anglais  consternés  délibèrent  de  nuit,  et  le  malin  se  rangent  en  bon  ordre 
et  se  retirent.  —  La  Pucelle  ne  veut  pas  qu'on  les  attaque.  —  Hymnes  et  messes  en 
plein  air.  —  Démolition  des  bastilles  ;  butin.  —  Lieux  de  retraite  des  Anglais.  — 
Douleur  de  Bedford;  ses  craintes;  coup  porté  au  parti  anglais.  —  La  Hire  et  Loré 
côtoient  les  Anglais  dans  leur  retraite.  —  Plaisante  délivrance  de  Le  Bourg  de  Bar. 


I 

Le  roi  avait  mandé  plusieurs  capitaines  pour  faire  la  conduite  et  être 
en  la  compagnie  de  ladite  Jeanne,  et  entre  autres  le  maréchal  de  Rais, 
messire  Antoine  Loré,  et  plusieurs  autres,  lesquels  conduisirent  ladite 
Jeanne  jusques  en  la  ville  de  Blois. 

Les  nouvelles  de  ladite  Pucelle  vinrent  à  Orléans.  On  y  disait  que 
c'était  une  fille  de  sainte  et  religieuse  vie,  fille  d'un  pauvre  laboureur  de 
Téleclion  de  Langres,  près  du  Barrois,  et  d'une  pauvre  femme  du  môme 
pays  qui  vivaient  de  leur  labeur;  qu'elle  était  âgée  environ  de  dix-huit 
à  dix-neuf  ans,  et  avait  été  pastoure  au  temps  de  son  enfance.  On  y 
disait  qu'elle  savait  peu  des  choses  mondaines,  parlait  peu,  et  que  le 
plus  de  son  parler  était  seulement  de  Dieu,  de  sa  benoîte  Mère,  des 
anges,  des  saints  et  saintes  du  paradis;  qu'elle  disait  que,  par  plusieurs 
fois,  des  révélations  lui  avaient  été  faites  touchant  le  salut  du  roi,  et  la 
préservation  de  toute  sa  seigneurie,  laquelle  Dieu  ne  voulait  pas  lui 
être  enlevée  ni  usurpée;  que  ses  ennemis  en  seraient  déboutés  ;  qu'elle 
était  chargée  de  signifier  ces  choses  au  roi  avant  le  terme  de  la  Saint- 
Jean  1429.  On  ajoutait  que  ladite  Pucelle  avait  été  ouïe  par  le  roi  et 
son  conseil,  devant  lesquels  elle  s'élait  ouverte  des  choses  dont  elle  était 
chargée;  qu'elle  traitait  merveilleusement  des  manières  de  faire  évacuer 


LA  CHRONIQUE  DE  LA  PUGELLE.  73 

les  Anglais  du  royaume  ;  et  qu'il  n'y  avait  pas  chef  de  guerre  qui  sût  tant 
proprement  remontrer  les  maniè)*es  de  faire  la  guerre  aux  ennemis  ;  ce 
dont  le  roi  et  son  conseil  avaient  été  émerveillés;  car,  en  toutes  autres 
matières,  elle  était  autant  simple  qu'une  pastourelle.  Pour  cette  mer- 
veille, disait-on  encore,  le  roi  était  venu  à  Poitiers,  amenant  la  Pucelie, 
qu'il  avait  fait  interroger  par  notables  clercs  du  parlement,  et  par 
docteurs  en  théologie  bien  renommés;  et,  après  l'avoir  ouïe,  ils  avaient 
affirmé  qu'ils  la  réputaient  inspirée  de  Dieu,  et  avaient  approuvé  tout 
son  fait  et  ses  paroles;  c'est  pourquoi  le  roi  la  tint  en  plus  grande 
révérence,  manda  dès  lors  des  gens  de  toutes  parts,  et  fit  mener  à  Blois 
grandes  quantité  de  vivres  et  d'artillerie  pour  secourir  la  cité  d'Orléans; 
que  la  Pucelie  avait  requis  pour  conduire  le  secours  qu'il  plût  au  roi 
de  lui  bailler  telles  gens  et  en  tel  nombre  qu'elle  le  requerrait;  que  ce 
n'était  ni  grand  nombre,  ni  grande  puissance,  et  que,  pour  son  corps,  »-\ 

elle  s'était  fait  administrer  un  hamois  tout  entier  *.  f^  '''^ 

Alors  le  roi  ordonna  que  tout  ce  qu'elle  requerrait  lui  fut  baillé  ;  puis 
la  Pucelie  prit  congé  du  roi  pour  aller  en  la  cité  d'Orléans  ;  et  arrivée  à 
Blois  avec  peu  de  gens,  elle  y  séjourna  pendant  quelques  jours  attendant 
plus  grande  compagnie.  Pendant  son  séjour,  elle  fit  faire  un  étendard 
blanc',  sur  lequel  elle  fit  peindre  la  représentation  du  saint  Sauveur  et 
de  deux  Anges,  et  elle  le  fit  bénir  en  l'église  Saint-Sauveur  de  Blois. 
Dans  cette  ville  ne  tardèrent  pas  à  arriver  le  maréchal  de  Sainte -Sévère, 
les  sires  de  Rais  et  de  Gaucourt,  et  grande  compagnie  de  nobles  et  de 
GENS  DU  COMMUN,  qui  chargèrent  une  partie  des  vivres  pour  les  mener  à 
Orléans.  Ladite  Pucelie  se  mit  en  leur  compagnie  ;  et  elle  pensait  bien 
qu'ils  allaient  passer  devant  les  bastilles  du  siège,  devers  la  Beauce  ; 
mais  ils  prirent  leur  chemin  par  la  Sologne;  et  ainsi  elle  fut  menée  à 
Orléans,  le  pénultième  jour  d'avril,  en  la  même  année  (1429). 


II 

Cette  Pucelie,  séjournant  à  Blois  pour  attendre  la  compagnie  qui  devait 
la  mener  à  Orléans,  écrivit,  et  envoya  par  un  héraut  aux  chefs  de  guerre 
qui  tenaient  le  siège  devant  Orléans,  une  lettre  dont  la  teneur  s'ensuit, 
et  elle  est  telle  '  : 

i.  Voilà  ce  que  Ton  disait  à  Orléans.  Pour  rexprimer,  Cousinot  fils  s*est  contenté  de 
transcrire  rentrée  en  matière  de  la  Geste  des  nobles^  quand  elle  en  vient  à  la  Pucelie. 
Par  le  fait,  Cousinot  père,  étant  à  Orléans  en  sa  qualité  de  chancelier,  en  a  parlé 
d'après  ce  qu'il  entendait  dire  autour  de  lui.  ' 

2.  L'étendard  fut  confectionné  à  Tours. 

3.  Jeanne  dicta  cette  lettre,  et  la  dicta  telle  qu'elle  pouvait  le  faire,  connaissant 


*;4  LA  VRAIE  JEANNE  D^ARG  :   LA  LIBÉRATRICE. 

«  Jhesus,  Maria. 

«  Roi  d'Angleterre,  faites  raison  au  roi  du  Ciel  de  son  sang  royal. 
Rendez  à  la  Pucelle  les  clefs  de  toutes  les  bonnes  villes  que  vous  avez 
forcées.  Elle  est  venue  de  par  Dieu  pour  réclamer  le  sang  royal  ;  et  elle 
est  toute  prête  de  faire  paix,  si  vous  voulez  faire  raison,  par  ainsi  que 
vous  laissiez  France*,  et  payiez  de  ce  que  vous  l'avez  tenue. 

((  Roi  d'Angleterre,  si  ainsi  ne  le  faites,  je  suis  chef  de  guerre  ;  en 
quelque  lieu  que  j'attendrai  vos  gens  en  France,  s'ils  ne  veulent  obéir, 
je  les  en  ferai  sortir,  qu'ils  veuillent  ou  non,  et  s'ils  veulent  obéir,  je  les 
prendrai  à  merci.  Croyez  que  s'ils  ne  veulent  obéir,  la  Pucelle  vient  pour 
les  occire  [faire  mourir).  Elle  vient  de  par  le  roi  du  Ciel,  corps  pour 
corps,  vous  bouter  hors  de  France,  et  vous  promet  et  vous  certifie  la 
Pucelle,  que  si  vous  ne  lui  faites  raison,  elle  y  fera  un  si  grand  hahay 
[tumulte,  carnage^  cri  de  douleur)^  que  de  mille  ans,  il  n'en  fût  vu  si 
grand  en  France.  Et  croyez  fermement  que  le  roi  du  Ciel  lui  enverra 
plus  de  force  que  vous  ne  sauriez  en  mener  dans  tous  vos  assauts  contre 
elle  et  ses  bonnes  gens  d'armes. 

«  Entre  vous,  archers,  compagnons  d'armes,  gentils  et  vaillants*,  qui 
êtes  devant  Orléans,  allez- vous-en  en  votre  pays,  de  par  Dieu,  et,  si  vous 
ne  le  faites,  donnez-vous  garde  de  la  Pucelle,  et  que  de  vos  dommages 
il  vous  souvienne.  Ne  vous  obstinez  pas  dans  votre  opinion';  vous  ne 
tiendrez  pas  France  du  roi  du  Ciel,  le  Fils  de  sainte  Marie,  mais  la  tiendra 
le  roi  Charles,  vrai  héritier,  à  qui  Dieu  l'a  donnée,  lequel  entrera  à  Paris 
en  belle  compagnie.  Si  vous  ne  croyez  les  nouvelles  de  Dieu  et  de  la 
Pucelle,  en  quelque  lieu  que  nous  vous  trouverons,  nous  frapperons  du 
fer  dans  vos  rangs  à  horions  [coups)%  et  nous  verrons  lesquels  auront 
meilleur  droit  de  Dieu  ou  de  vous. 

imparfaitement  le  français.  La  lettre  tut  répandue  au  loin,  et  nous  la  trouverons  dans 
de  nombreuses  Chroniciues.  Le  fond  et  le  ton  sont  identiques,  mais  il  y  a  quelques 
variantes  ;  elle  fut  présentée  à  Jeanne  à  Rouen  ;  le  texte  qu'elle  accepta  est  évidemment 
le  vrai.  La  dernière  phrase  diffère  notablement  en  ce  qu'elle  promet  que  le  plus  beau 
fait  qui  ait  encore  été  accompli,  sera  fait  pour  la  chrétienté.  Elle  y  invite  Bedford.  11 
faudra  y  revenir.  En  attendant,  on  remarquera  comment  Jeanne  se  donne  constam- 
ment le  nom  de  la  Pucelle  et  affirme  sa  mission  divine;  avec  quelle  énergie  elle  parle 
du  sang  royal  et  des  droits  que  confère  à  ce  sang  la  volonté  du  Fils  de  sainte  Marie. 

1.  Texte  :  Par  ainsi  que  vous  mettiez  jus.  Ce  mot  jus  qui  revient  souvent  dans  les 
Chroniques,  est  opposé  à  sursum,  il  signifie  en  bas,  à  terre,  et  mettre  ius,  laisser  de 
cùté.  (Voy.  ce  mot  dans  Lacurne  de  Saime-Palay.) 

2.  Le  mot  vilaijiSy  hommes  du  commun,  que  l'on  trouve  dans  plusieurs  textes,  nous 
semble  plus  vraisemblable. 

3.  Ne  prenez  mie  votre  opinion,  «  mie  »  est  une  négation,  pas,  jamais, 

4.  Nous  ferrons  dedans  à  horions,  (Voir  le  texte  pur  aux  Pièces  justificatives.) 


LA  GHRI^IQUE  DE  LA  PUGELLE.  75 

«  Guillaume  de  la  Poule,  comte  de  Suffort  ;  Jean,  sire  de  Talbort,  et 
Thomas,  sire  de  Scales,  lieutenant  du  duc  de  Bedford,  soi-disant  régent 
du  royaume  de  France  pour  le  roi  d'Angleterre,  faites  réponse  si  vous 
voulez  faire  paix  à  la  cité  d'Orléans.  Si  ainsi  ne  le  faites,  de  vos  dommages 
qu'il  vous  souvienne  brièvement  {ii  vous  souviendra  prochainement), 

«  Duc  de  Bedford,  qui  vous  dites  régent  de  France  pour  le  roi 
d'Angleterre,  la  Pucelle  vous  prie  et  vous  requiert  que  vous  ne  vous 
fassiez  pas  détruire.  Si  vous  ne  lui  faites  raison,  elle  fera  que  les  Français 

feront  le  plus  beau  fait  qui  oncques  fut  fait  en  la  chrétienté. 

»  

«  Ecrit  le  mardi  de  la  grande  semaine.  Entendez  les  nouvelles  de 
Dieu  et  de  la  Pucelle. 

«  Au  duc  de  Bedford  qui  se  dit  régent  [gouveimant)  le  royaume  de 
France  pour  le  roi  d'Angleterre.  » 

Lesdites  lettres   envoyées  par  la  Pucelle  aux  Anglais,  il  fut  conclu 
qu'on  irait  à  Orléans  mener  des  vivres  ;  et  en  ladite  ville  de  Blois  furent 
chargés  de  grains   plusieurs  chariots,  charrettes  et  chevaux;  et  on  y 
assembla  foison  de  bétail,  bœufs,  vaches,  brebis  et  pourceaux;  et  il  fut 
conclu  par  les  capitaines  qui  devaient  les  conduire,  comme  aussi  par  le 
bâtard  d'Orléans,  qu'on  irait  par  la  Sologne,  la  plus  grande  puissance 
des   Anglais  se  trouvant  du  côté  de  la  Beauce.  Ladite  Jeanne  ordonna 
à  tous  les  gens  de  guerre  de  se  confesser,  et  de  se  mettre  en  état  d'être  en 
la  grâce  de  Dieu;  elle  leur  fît  ôter  leurs  fillettes  et  laisser  tout  bagage  de 
péché;  puis  ils  se  mirent  tous  en  chemin  en  tirant  vers  Orléans.  Ils 
couchèrent  une  nuit  en  route   en   pleins  champs.  Quand   les  Anglais 
surent  la  venue  de  ladite  Pucelle  et  des  gens  de  guerre,  ils  désempa- 
rèrent une  bastide  qu'ils  avaient  faite  en  un  lieu  nommé  Saint-Jean-le- 
Blanc  ;  et  ceux  qui  étaient  dedans  se  retirèrent  en  une  autre  bastide  qu'ils 
avaient  faite  aux  Augustins,  près  du  bout  du  pont,  et  ladite  Pucelle  et 
ses  gens  vinrent  avec  les  vivres  vers  la  ville  d'Orléans,  au-dessus  de  la 
dite  bastide,  à  l'endroit  dudit  lieu  Saint-Jcan-le-Blanc  *. 

Ceux  de  la  ville,  aussitôt  et  incontinent,  préparèrent  et  équipèrent  des 
bateaux  pour  venir  quérir  tous  lesdits  vivres;  mais  la  chose  était  mal 
en  point,  car  le  vent  était  contraire  ;  or  on  ne  pouvait  monter  contre  le 
courant  ;  car  on  n'y  peut  conduire  les  vaisseaux,  sinon  à  force  de  voiles. 
Ce  fut  dit  à  Jeanne  qui  répondit  :  «  Attendez  un  petit  peu ^  car^  en  nom 
Dieu^  tout  entrera  en  la  ville  »,  et  soudainement  le  vent  se  changea,  en 
sorte  que  les  vaisseaux  arrivèrent  très  aisément  et  légèrement  là  où  était 
ladite  Jeanne. 

i.  Celte  assertion  sera  discutée  dans  un  autre  volume. 


76  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARG  :  LA.ilBÉRATRIGE. 

Sur  CCS  bateaux  étaient  le  bâtard  d'Orléans,  et  quelques  bourgeois  de 
la  ville,  très  désireux  de  voir  ladite  Jeanne  ;  ils  la  prièrent  et  la  requirent 
de  par  la  ville  et  de  par  les  gens  de  guerre  qui  s'y  trouvaient,  de  vouloir 
bien  venir  et  y  entrer,  disant  que  ce  serait  un  grand  réconfort  pour  tous 
s'il  lui  plaisait  d'y  venir.  Elle  demanda  alors  audit  Bâtard  :  «  Êtes-vous 
le  bâtard  cTOrléans'i —  Oui,  Jeanne.  »  Après  elle  luî  dit  :  «  Qui  vous  a 
conseillé  de  nous  faire  venir  par  la  Sologne^  et  pourquoi  pas  par  la  Beauce, 
tout  auprès  de  la  grande  puissance  des  Anglais?  Les  vivres  fussent  entrés^ 
sans  les  faire  passer  par  la  rivière.  »  Le  Bâtard,  pour  s'excuser,  répondit 
que  tel  avait  été  l'avis  de  tous  les  capitaines,  vu  la  puissance  des  Anglais 
du  côté  de  la  Beauce.  A  quoi  elle  répliqua  :  «  Le  conseil  de  Messire 
(c'est  à  savoir  de  Dieu)  est  meilleur  que  le  vôtre  et  que  celui  des  hommes; 
il  est  plus  sîir  et  plus  sage.  Vous  avez  pensé  me  décevoir  ;  mais  vous  votis 
êtes  déçus  vous-mêmes;  car  je  vous  amène  le  meilleur  secours  qu'eut  jamais 
chevalier^  ville  ou  cité  ;  c'est  le  plaisir  de  Dieu  et  le  secours  du  roi  des 
deux;  non  assurément  pour  l'amour  de  moi^  mais  cela  procède  purement 
de  Dieu,  lequel  à  la  requête  de  saint  Louis  et  de  saint  Charles  le  Grand 
a  eu  pitié  de  la  ville  cT Orléans^  et  n'a  pas  voulu  souffrir  que  les  ennemis 
eussent  le  corps  du  duc  d'Orléans  et  sa  ville.  Pour  ce  qui  est  d'entrer  en 
ville ^  il  me  ferait  mal  de  laisser  mes  gens^  et  je  ne  le  dois  pas  faire.  Ils  sont 
bien  confessés^  et  en  leur  compagnie^  je  ne  craindrais  pas  toute  la  puissance 
des  Anglais  ».  Alors  les  capitaines  lui  dirent  :  «  Jeanne,  allez-y  sûrement  ; 
car  nous  vous  promettons  de  retourner  bien  brief  vers  vous  ».  Sur  ce, 
elle  consentit  d'entrer  dans  la  ville  avec  ceux  qui  devaient  l'accompagner^ 
et  elle  y  entra.  Elle  fut  reçue  à  grande  joie,  et  logée  en  l'hôtel  du 
trésorier  du  duc  d'Orléans,  Jacques  Boucher,  où  elle  se  fit  désarmer.  Et 
c'est  la  vérité  que,  depuis  le  matin  jusqu'au  soir,  elle  avait  chevauché 
tout  armée,  sans  descendre,  sans  boire  ni  manger.  On  lui  avait  apprêté 
à  souper,  bien  et  honorablement;  mais  elle  fit  seulement  verser  du  vin 
dans  une  tasse  d'argent,  où  elle  mit  la  moitié  d'eau,  et  cinq  ou  six 
trempes  de  pain  dedans  qu'elle  mangea,  et  de  tout  le  jour  ne  prit  ni 
autre  manger,  ni  autre  boire  ;  puis  elle  s'en  alla  coucher  en  la  chambre 
qui  lui  avait  été  préparée  ;  et  avec  elle  étaient  la  femme  et  la  fille  dudit 
trésorier,  laquelle  fille  coucha  avec  ladite  Jeanne.  Ainsi  s'envint  laPucelle 
en   la  ville  d'Orléans,   le  pénultième  jour  d'avril,  l'an  mil  quatre  cent 
vingt-neuf. 

Elle  sut  bientôt  que  les  chefs  des  assiégeants  ne  faisaient  aucun 
compte  de  ses  lettres  ni  de  leur  contenu,  mais  qu'ils  réputaient  tous 
ceux  qui  croyaient  et  ajoutaient  foi  à  ses  paroles  comme  hérétiques  en 
la  sainte  foi  ;  aussi  avaient-ils  fait  arrêter  les  hérauts  de  la  Pucelle,  et  ils 
voulaient  les  faire  brûler.  Cette  prise  venue  à  la  connaissance  du  bâtard 


LA  CHRONIQUE  DE  LA  PUCELLE.  77 

d'Orléans,  pour  lors  à  Orléans,  il  manda  aux  Anglais  par  son  héraut, 
qu'ils  eussent  à  lui  renvoyer  les  hérauts  de  Jeanne,  leur  faisant  savoir 
que  s'ils  les  faisaient  mourir,  il  ferait  mourir  de  pareille  mort  leurs 
hérauts  qui  étaient  venus  à  Orléans  pour  le  fait  des  prisonniers  ;  lesquels 
il  fit  arrêter;  il  ajoutait  qu'il  en  ferait  autant  des  prisonniers  anglais, 
qui  pour  lors  se  trouvaient  en  bien  grand  nombre.  Et  tantôt  après  les 
hérauts  furent  rendus. 

Toutefois  quelques-uns  disent  que,  quand  la  Pucelle  sut  qu'on  avait 
retenu  les  hérauts,  elle  et  le  bâtard  d'Orléans  envoyèrent  dire  aux  Anglais 
de  les  renvoyer,  et  ladite  Jeanne  disait  toujours  :  «  En  nom  Dieii^  ils  ne 
leur  feront  aucun  mal  »  ;  mais  lesdits  Anglais  en  envoyèrent  seulement 
un,  auquel  elle  demanda  :  «  Que  dit  Talbot?  »,  et  le  héraut  répondit  que 
Talbot  et  tous  les  autres  Anglais  disaient  d'elle  tous  les  maux  qu'ils 
pouvaient  en  Tinjuriant,  et  que  s'ils  la  tenaient,  ils  la  feraient  brûler  : 
«  Or,  fen  retourne^  lui  dit-elle,  et  ne  fais  de  doute  que  tu  amèneras  ton 
compagnon;  et  dis  à  Talbot  que  s'il  s  arme,  je  m'armerai  aussi,  et  que  s'il 
se  trouve  en  place  devant  la  ville,  et  s'il  peut  me  prendre,  qu'il  me  fasse 
brûler;  et  si  je  le  déconfis,  qu'il  fasse  lever  le  siège,  et  que  lui  et  les  siens 
s'en  aillent  en  leur  pays.  »  Le  héraut  y  alla  et  ramena  son  compagnon. 

Et  avant  que  la  Pucelle  arrivât,  deux  cents  Anglais  chassaient  dans 
les  escarmouches  cinq  cents  Français,  et  après  sa  venue  deux  cents 
Français  chassaient  quatre  cents  Anglais  ;  et  s'en  accrut  fort  le  courage 
des  Français. 

Quand  les  vivres  furent  mis  es  vaisseaux  ou  bateaux,  et  que  Jeanne 
y  fut  montée,  le  maréchal  de  Rais,  le  seigneur  de  Loré  et  d'autres  s'en 
retournèrent  audit  lieu  de  Blois,  et  là  ils  trouvèrent  l'archevêque  de 
Reims,  chancelier  de  France,  et  ils  tinrent  conseil  sur  ce  qu'on  avait  à 
faire.  Quelques-uns  étaient  d'avis  que  chacun  s'en  retournât  en  sa  gar- 
nison ;  mais  ils  finirent  par  être  tous  d'opinion  qu'ils  devaient  retourner 
audit  lieu  d'Orléans,  pour  en  aider  et  conforter  les  habitants  au  bien  du 
roi  et  de  la  ville.  Ainsi  qu'ils  délibéraient,  vinrent  des  nouvelles  du  bâtard 
d'Orléans  qui  leur  faisait  savoir  que  s'ils  désemparaient  et  s'en  allaient, 
la  cité  était  en  voie  de  perdition  ;  et  dès  lors  il  fut  conclu  de  l'avis  de 
presque  tous,  de  retourner  et  de  mener  de  nouveau  des  vivres  à  puissance*, 
et  qu'on  irait  par  la  Beauce,  où  était  la  force  des  Anglais,  en  la  grande 
bastide  qu'on  nommait  Londres  ;  quoique  à  l'autre  fois  ils  fussent  venus 
par  la  Sologne  ;  et  toutefois  ils  étaient  trois  fois  plus  de  gens  qu'il  n'y 
en  avait  à  venir  par  la  Beauce.  Ils  firent  provision  de  grande  abondance 
de  vivres  soit  en  grains,  soit  en  bétail,  et  ils  partirent  le  troisième  jour 

1.  A  puissance,  ce  mot,  très  fréquent  dans  les  Chroniaues.  peut  signifier  «  de  vive 
force  »,  «  une  troupe  nombreuse  ». 


78  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

de  mai  ;  ils  couchèrent  la  nuit  en  un  village  qui  est  comme  à  mi-chemin 
entre  Blois  et  Orléans,  et  le  lendemain  ils  prirent  leur  chemin  vers  ladite 
ville. 

Le  troisième  jour  de  mai,  vinrent  aussi  à  Orléans  les  garnisons  de 
Montargis,  Gien,  Château-Renard,  du  pays  du  Gàtinais  et  de  Châteaudun, 
avec  grand  nombre  de  gens  de  pied,  pourvus  de  traits  et  de  guisafmes. 

Et  le  même  jour,  au  soir,  vinrent  des  nouvelles  que  le  maréchal  de 
Sainte-Sévère,  le  sire  de  Rais,  Mgr  de  Bueil  et  La  Hire,  arrivaient 
de  Blois  par  la  Beauce.  On  soupçonnait  les  Anglais  de  vouloir  aller  à 
leur  rencontre;  c'est  pourquoi  le  mercredi  matin,  veille  de  TAscension, 
quatrième  jour  de  mai  1429,  partirent  d'Orléans,  de  très  bon  matin,  le 
Bâtard  et  la  Pucelle  en  armes,  en  grande  compagnie  de  gens  d'armes  et 
de  gens  de  traits,  et  à  étendard  déployé.  Ils  allèrent  au-devant  des  vivres 
qu'ils  rencontrèrent  ;  et  ils  passèrent  ainsi  devant  les  Anglais  qui 
n'osèrent  sortir  de  leurs  bastides  ;  et  après  les  avoir  passés  ils  entrèrent 
dans  la  ville  environ  prime  [entre  sept  et  huit  heures). 


III 

Ce  môme  jour,  sur  le  midi,  quelques  nobles  sortirent  d'Orléans  avec 
un  grand  nombre  de  gens  de  trait  et  d'hommes  du  peuple,  et  ils  livrèrent 
un  fier  et  merveilleux  assaut  contre  les  Anglais  qui  tenaient  la  bastide 
Saint-Loup,  bastide  bien  défendable  et  bien  fortifiée,  le  sire  de  Talbot 
l'ayant  grandement  approvisionnée  de  gens,  de  vivres  et  de  munitions  de 
guerre.  Les  Français  furent  très  maltraités  en  cet  assaut,  auquel  vint 
très  hâtivement  la  Pucelle,  en  armes,  et  étendard  déployé;  ce  qui  fit 
reprendre  l'assaut  avec  plus  d'acharnement. 

La  Pucelle  n'avait  rien  su  de  la  sortie  des  gens  de  guerre  hors  de  la 
ville,  et  il  n'en  était  pas  nouvelles  en  son  hôtel  ni  en  son  quartier;  elle 
s'était  mise  à  dormir,  et  il  n'y  avait  audit  hôtel  que  son  page  et  la  dame 
de  céans,  qui  s'ébattaient  à  la  porte.  Soudainement  elle  s'éveilla,  se  leva, 
et  commença  à  appeler  ses  gens.  Alors  vint  la  dame,  et  avec  elle  le  page 
auquel  elle  dit  :  «  Va  quérir  mo?i  cheval.  En  nom  Dieu,  les  gens  de  la 
ville  ont  a/faire  devant  une  bastide,  et  il  y  en  a  de  blessés,  »  Elle  demanda 
qu'on  se  hâtât  de  l'armer,  et  on  lui  donna  de  quoi  s'armer.  Et  quand  elle 
fut  prête,  elle  monta  à  cheval  et  courut  sur  le  pavé,  tellement  que  le  feu 
en  jaillissait  ;  elle  alla  aussi  droit  que  si  elle  avait  su  le  chemin  par  avant  ; 
et  toutefois  jamais  elle  ne  l'avait  parcouru.  Jeanne  a  dit  depuis  que  sa 
voix  l'avait  éveillée  et  lui  avait  enseigné  le  chemin,  et  que  Messire  le  lui 
avait  fait  savoir. 


LA  CHRONIQUE  DE  U  PUGELLE.  79 

Depuis  sa  venue  sur  les  lieux,  aucun  Anglais  ne  put  y  blesser  un 
Français  ;  mais  bien  les  Français  conquirent  sur  eux  la  bastide  ;  les  Anglais 
se  retirèrent  au  clocher,  et  les  Français  recommencèrent  Tassant  qui  dura 
longuement.  Pendant  ce  temps,  Talbot  fit  sortir  les  Anglais  en  force  des 
autres  bastides  pour  secourir  ses  gens;  mais,  àla  même  heure,  étaient  sortis 
d'Orléans  tous  les  chefs  de  guerre,  avec  tous  leurs  hommes,  qui  se  mirent 
aux  champs,  ordonnés  en  bataille  entre  la  bastille  assaillie  et  les  autres 
bastides  ennemies,  attendant  les  Anglais  pour  les  combattre.  Le  sire  de 
Talbot,  ce  voyant,  fit  rentrer  ses  Anglais  au  dedans  de  leurs  bastides, 
délaissant  en  abandon  les  Anglais  de  la  bastide  Saint-Loup,  qui  furent 
conquis  de  vive  force,  environ  Theure  des  vêpres. 

Il  y  eut  audit  clocher  des  Anglais  qui  prirent  des  vêtements  de  prêtre 
OU  de  gens  d'Eglise  ;  on  voulut  les  tuer,  mais  Jeanne  les  préserva,  en 
disant  qu'on  devait  ne  rien  demander  aux  gens  d'Eglise,  et  elle  les  fit 
amener  à  Orléans. 

Les  morts  pour  les  Anglais  furent  nombres  huit- vingts  hommes  ( /tf(?)  ; 
la  bastide  fut  brûlée  et  démolie  ;  les  Français  y  conquirent  une  très  grande 
quantité  de  vivres  et  d'autres  biens.  Par  après,  la  Pucelle,  les  grands 
seigneurs,  et  leurs  hommes  rentrèrent  à  Orléans  ;  sur-le-champ  furent 
rendues  grâces  et  louanges  à  Dieu  dans  toutes  les  églises  par  hymnes  et 
dévotes  oraisons,  au  son  des  cloches,  que  les  Anglais  pouvaient  bien  ouïr, 
lesquels,  par  ce  coup,  furent  fort  abaissés  de  puissance  et  aussi  de  courage. 


IV 

La  Pucelle  désirait  ardemment  faire  lever  entièrement  le  siège  aux 
Anglais  ;  et,  pour  ce,  elle  requit  les  chefs  de  guerre  de  sortir  avec  toutes 
leurs  forces,  le  jour  de  l'Ascension,  afin  d'assaillir  la  bastide  Saint- 
Laurent,  oîi  se  trouvaient  les  plus  grands  chefs  de  guerre  avec  les  meil- 
leures forces  des  Anglais  ;  elle  ne  faisait,  nonobstant,  le  moindre  doute 
qu'elle  ne  dût  les  vaincre,  et  se  tenait  sûre  de  les  avoir;  elle  disait  ouver- 
tement que  l'heure  était  venue  ;  mais  les  chefs  ne  furent  point  d'accord 
de  sortir  et  de  combattre  ce  jour,  pour  la  révérence  de  la  fête  *  ;  et,  d'autre 
part,  leur  avis  fut  qu'il  fallait  premièrement  s'efforcer  de  conquérir  les 
boulevards  et  les  bastides  du  côté  de  la  Sologne,  ainsi  que  le  pont,  pour 
que  la  ville  pût  recevoir  des  vivres  du  Berry  et  des  autres  pays.  Ainsi  la 
chose  prit  délai  cette  journée  à  la  grande  déplaisance  de  la  Pucelle,  qui  se 

TWT  MAL  CONTENTE  DES  CHEFS  ET  DES  CAPITAINES  DE  GUERRE. 

i.  D*autres  disent  que  la  Pucelle  ne  voulut  pas  combattre  par  révérence  pour  la  fête. 


80  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARG  :  LA  LIBÉRATRICE. 

La  Pucelle  avait  grand  désir  de  sommer  par  elle-même  ceux  qui  étaient 
en  la  bastille  du  bout  du  pont  et  des  Tournelles  où  était  Glacidas,  car  on 
pouvait  leur  parler  de  l'extrémité  de  la  partie  du  pont  occupée  par  les 
assiégés;  aussi  y  fut-elle  menée.  Quand  les  Anglais  surent  qu'elle  y  était, 
ils  vinrent  en  leur  lieu  de  garde,  et  elle  leur  dit  que  le  plaisir  de  Dieu 
était  qu'ils  s'en  allassent;  sans  quoi  ils  s'en  trouveraient  mal.  Alors  ils 
commencèrent  à  se  moquer  d'elle,  et  à  l'injurier,  ainsi  que  bon  leur 
sembla;  ce  dont  elle  ne  fut  pas  contente,  mais  son  courage  s'en  accrut; 
et  elle  arrêta  d'aller  le  lendemain  les  visiter. 

L'an  mil  quatre  cent  vingt-neuf,  le  vendredi,  sixième  jour  de  mai,  les 
Français  passèrent  la  Loire  en  grande  puissance,  à  la  vue  de  Glacidas  qui 
fit  aussitôt  désemparer  et  brûler  la  bastide  de  Saint-Jean-le-Blanc,  et  fit 
retirer  ses  Anglais  avec  leur  attirail  de  guerre  en  la  bastide  des  Augustins, 
au  boulevard  et  aux  Tournelles.  La  Pucelle  marcha  en  avant  avec  ses 
gens  de  pied,  tenant  sa  voie  droit  au  Portereau.  Et  à  cette  heure  tous 
ses  gens  n'étaient  pas  encore  passés,  mais  une  grande  partie  se  trouvait 
dans  une  île,  retenus  par  la  pénurie  des  bateaux  pour  le  passage.  Néan- 
moins la  Pucelle  s'avança  tant  qu'elle  approcha  du  boulevard,  et  elle  y 
planta  son  étendard,  suivie  seulement  d'une  poignée  de  ses  gens;  mais  à 
cette  heure  un  grand  cri  fit  connaître  que  les  Anglais  venaient  avec  de 
grandes  forces  du  côté  de  Saint-Privé;  à  ce  cri,  les  gens  qui  étaient  avec 
la  Pucelle  furent  épouvantés  et  se  prirent  à  reculer  vers  le  passage  de  la 
Loire.  La  Pucelle  en  fut  en  grande  douleur,  mais  elle  fut  contrainte  de 
se  retirer  avec  une  petite  suite. 

Les  Anglais  poussèrent  alors  de  grandes  huées  à  l'adresse  des  Fran- 
çais, et  saillirent  en  nombre  afin  de  poursuivre  la  Pucelle,  faisant  de 
grands  cris  après  elle,  et  vomissant  paroles  de  diffamation.  Tout  soudain 
elle  se  tourna  vers  eux,  et  quoique  ayant  peu  de  gens  avec  elle,  elle  leur 
fit  visage,  marcha  à  leur  encontre  à  grands  pas,  son  étendard  déployé. 
Les  Anglais  en  furent  par  la  volonté  de  Dieu  si  épouvantés  qu'ils 
prirent  laide  et  honteuse  fuite.  Les  Français  se  retournèrent  alors 
et  se  mirent  h  leur  donner  la  chasse,  les  poursuivant  jusques  à  leurs 
bastides,  où  ils  se  retirèrent  à  grande  hâte.  A  cette  vue,  la  Pucelle  fixa 
son  étendard  devant  la  bastide  des  Augustins,  sur  les  fossés  du  boulevard, 
où  le  sire  de  Rais  vint  incontinent  la  joindre.  Le  nombre  des  Français 
alla  toujours  croissant,  en  sorte  qu'ils  prirent  d'assaut  la  bastide  desdits 
Augustins,  où  en  très  grande  multitude  se  trouvaient  des  Anglais  qui  y 
furent  tous  tués.  Il  y  avait  foison  de  vivres  et  de  richesses,  et  parce  que 
les  Français  se  montrèrent  trop  avides  de  pillage,  la  Pucelle  y  fit  mettre 
le  feu,  et  tout  fut  brûlé.  Dans  cette  assaut,  la  Pucelle  fut  blessée  à  l'un  de  ses 
pieds  par  une  chausse-trape  ;  et  comme  la  nuit  venait,  elle  fut  ramenée 


LA  CHRONIQUE  DE  LA  PUGELLE.  8» 

ù  Orléans,  laissant  grand  nombre  de  gens  au  siège  devant  le  boulevard 
et  les  Toumelles. 

Cette  nuit,  les  Anglais  qui  étaient  dans  le  boulevard  de  Saint-Privé,  en 
partirent  après  y  avoir  mis  le  feu;  ils  passèrent  la  Loire  sur  des  bateaux 
et  ils  se  retirèrent  en  la  bastide  Saint-Laurent. 


La  Pucelle  fut  cette  nuit  en  grande  anxiété  dans  la  crainte  que  les 
Anglais  ne  vinssent  à  se  jeter  sur  ses  gens  qui  étaient  devant  les  Tour- 
nelles.  C'est  pourquoi  le  samedi,  septième  jour  de  mai,  environ  le 
soleil  devant,  d'ACCORD   et  d'entente  avec  les  bourgeois  d'Orléans,  mais 

CONTRE  le  sentiment  ET  LA  VOLONTÉ   DE  TOUS  LES   CHEFS  ET  CAPITAINES  QUI   SE 
TROUVAIENT  LA  DE  PAR  LE  ROI,  LA  PUCELLE  PARTIT  DE  FORCE  ET  PASSA  LA  LoiRE  *. 

Comme  elle  s'apprêtait  à  partir,  on  présenta  une  alose  à  Jacques  Boucher, 
son  hôte,  qui  lui  dit  :  «  Jeanne,  mangeons  cette  alose  avant  que  vous  partiez. 
—  En  nom  Dieu,  répondit-elle,  on  n'en  mangera  pas  jusqu'au  souper,  que 
nous  repasserons  par-dessus  le  pont,  et  que  nous  ramènerons  un  goddon 
(sobriquet  des  Anglais)  qui  en  mangera  sa  part,  )> 

Les  Orléanais  donnèrent  à  la  Pucelle  des  canons,  des  coulevrincs, 
tout  ce  qui  était  nécessaire  pour  assaillir  le  boulevard  et  les  Tournelles; 
ils  lui  fournirent  des  vivres;  et  des  bourgeois  vinrent  avec  elle  pour 
l'attaque  du  côté  de  la  Sologne  ;  et  pour  assaillir  les  mêmes  Toumelles 
du  côté  de  la  ville  ;  ils  établirent  sur  la  partie  du  pont  dont  ils  étaient 
restés  les  maîtres,  un  grand  nombi*e  de  gens  d'armes  et  d'hommes  de 
trait,  avec  tous  les  appareils  qu'ils  avaient  faits  pour  passer  les  arches 
rompues  et  assaillir  les  Toumelles. 

A  cet  assaut,  Jeanne  fut,  dès  le  matin,  blessée  d'un  coup  de  trait  de 
gros  garriau,  qui  lui  traversa  Tépaule  d'outre  en  outre.  Elle-même  enleva 
le  fer,  et  fit  mettre  dans  la  blessure  du  coton  et  autres  choses  pour 
étancher  le  sang;  et  nonobstant  cette  blessure,  elle  n'en  continua  pas 
moins  à  faire  diligence  pour  faire  donner  l'assaut.  Quand  vint  le  soir,  il 
sembla  au  bâtard  d'Orléans  et  aux  autres  capitaines  qu'en  ce  jour  on 
n'aurait  pas  le  boulevard,  vu  qu'il  était  tard.  Ils  délibérèrent  entre  eux 
de  faire  cesser  l'assaut  et  de  faire  reporter  l'artillerie  en  ville  jusqu'au  len- 
demain ;  et  ils  vinrent  faire  part  à  Jeanne  de  cette  décision.  Elle  répondit 
qu'en  nom  de  Dieu  ils  entreraient  bien  brief,   et  qu'ils  n'en   fissent 

i.  Texte  :  Par  i' accord  el  consentement  des  bourgeois  d'Orléans,  mais  contre  Vopinion  et 
la  volonté  de  tous  les  chefs  et  capitaines  qui  se  trouvoient  là  de  par  le  roy,  la  Pucelle  se- 
parHt  à  tout  son  effort,  et  passa  Loire. 

m.  6 


82  LA  VRAIE  JEANNE  D^ARG  I   LA  LIBÉRATRICE. 

doute.  Néanmoins  le  combat  continuait  toujours.  La  Pucelle  demanda 
alors  son  cheval,  monta  dessus  et  laissa  son  étendard  ;  et  elle  alla  en  un 
lieu  détourné  et  fit  son  oraison  à  Dieu  ;  elle  ne  demeura  guère  qu  elle  ne 
retournât,  et  descendit  de  cheval  ;  elle  prit  son  étendard  et  dit  à  un  gen- 
tilhomme qui  était  près  d'elle  :  k  Dormez-vous  de  garde  quand  la  queue 
de  mon  étendard  touchera  cont7*e  le  boulevard.  »  Le  gentilhomme  lui  dit  un 
peu  après  :  «  Jeanne,  la  queue  y  touche.  »  Alors  elle  dit:  «  Tout  est  vétre^ 
et  entrez-y  !  » 

Les  Anglais  furent  assaillis  très  âprement  des  deux  côtés  ;  car  ceux  du 
côté  d'Orléans  faisaient  merveille,  faisant  jouer  canons,  coulevrines, 
grosses  arbalètes  et  autres  traits.  L'assaut  fut  fier  et  merveilleux,  plus 
que  jamais  on  n'en  eût  vu  de  mémoire  des  vivants.  C'est  quand  ils  en 
aperçurent  les  manières,  que  les  chefs  qui  étaient  dedans  Orléans  vinrent 
y  prendre  part.  Les  Anglais  se  défendirent  vaillamment;  ils  jetèrent  tant 
de  projectiles  que  leurs  poudres  et  leurs  traits  allaient  s'épuisant  ;  et  ils 
défendaient  le  boulevard  et  les  Tournelles  de  leurs  lances,  de  leurs 
guisarmes,  avec  d'autres  armes  manuelles,  et  avec  des  pierres. 

Et  il  faut  savoir  que,  du  côté  de  la  ville,  on  trouvait  fort  malaisément 
la  manière  d'avoir  une  pièce  de  bois  pour  traverser  l'arche  du  pont 
rompue,  et  de  faire  la  chose  si  secrètement  que  les  Anglais  ne  s'en  aper- 
çussent pas.  D'aventure  on  trouva  une  vieille  et  large  gouttière;  mais  il 
s'en  fallait  bien  trois  pieds  qu'elle  fût  assez  longue;  un  charpentier  finit 
par  y  mettre  un  prolongement  avec  de  fortes  chevilles  ;  il  descendit  en 
bas  pour  l'étayer,  et  fit  ce  qu'il  put  pour  la  consolider.  Le  commandeur 
de  Giresmes  et  plusieurs  hommes  d'armes  y  passèrent;  passage  regardé 
comme  chose  impossible,  ou  tout  a\i  moins  très  difficile,  et  l'on  conti- 
nuait toujours  à  le  rendre  moins  périlleux. 

La  Pucelle,  de  son  côté,  fit  par  ses  gens  dresser  dans  le  fossé  du  bou- 
levard des  échelles  contre-mont;  elle  renforça  de  plus  en  plus  l'assaut  qui 
dura  depuis  prime  jusques  à  six  heures  après-midi.  Par  suite  les  Anglais 
reçurent  tant  de  décharges  de  coulevrines  et  d'autres  traits,  qu'ils  n'osaient 
plus  se  montrer  à  leurs  défenses;  et  ils  étaient  assaillis  de  Tautre  côté  des 
Tournelles,  au  dedans  desquelles  les  Français  mirent  le  feu.  Enfin  les 
Anglais  furent  tant  oppressés  de  toutes  parts,  tant  blessés,  qu'ils  n'oppo- 
sèrent plus  de  défense.  A  cette  heure  Glacidas  et  les  autres  seigneurs 
anglais,  pour  sauver  leurs  vies,  pensèrent  à  se  retirer  du  boulevard  dans 
les  Tournelles;  mais,  par  jugement  de  Dieu,  le  pont-levis  rompit  sous  eux, 
et  ils  se  noyèrent  dans  la  rivière  de  Loire.  Les  Français  entrèrent  alors 
de  toutes  parts  dans  le  boulevard  et  dans  les  Tournelles,  qui  furent 
conquises  à  la  vue  du  comte  de  SufTolk,  du  seigneur  de  Talbot,  et  des 
autres  chefs  de  guerre,  sans  qu'on  les  vit   apporter,  ni  même  faire 


LA  CHRONIQUE  DE  LA  PUGELLE.  83 

semblant  d'apporter  quelque  secours.  Il  y  eut  grand  nombre  de  morts 
parmi  les  Anglais;  car  de  cinq  cents  chevaliers  et  écuyers,  réputés  les  plus 
preux  et  les  plus  hardis  du  royaume  d'Angleterre,  qui  étaient  là  avec 
d'autres  faux  Français  sous  les  ordres  de  Glacidas^  environ  deux  cents 
seulement  furent  retenus  en  vie  et  prisonniers.  En  cette  journée  mou- 
rurent Glacidas,  les  seigneurs  de  Poning  et  de  Molyns  et  autres  nobles 
d'Angleterre. 

Plusieurs  des  plus  grands  capitaines  français  nous  dirent  et  nous 
affirmèrent  que,  lorsque  Jeanne  eut  dit  les  paroles  déjà  rapportées,  ils 
montèrent  le  boulevard  à  contre-mont,  comme  s*il  y  avait  eu  des  degrés; 
et  ils  ne  savaient  voir  comment  cela  se  pouvait  faire  ainsi,  sinon  par 
œuvre  divine. 

Après  une  tant  glorieuse  victoire,  les  cloches  furent  sonnées  par  man- 
dement de  la  Pucelle  qui,  cette  nuit,  retourna  à  Orléans  par  le  pont;  et 
grâces  et  louanges  furent  en  grande  solennité  rendues  à  Dieu,  dans  toutes 
les  églises  d'Orléans. 

La  Pucelle,  comme  il  a  été  dit,  avait  été  percée  d'un  trait  à  l'assaut. 
Avant  que  cela  advint,  elle  avait  annoncé  qu'elle  en  serait  percée  jusqu'au 
sang;  mais  elle  vint  bientôt  à  convalescence.  Aussi,  après  son  arrivée, 
fut-elle  diligemment  appareillée,  désarmée  et  très  bien  pansée.  Elle  ne 
voulut  qu'un  peu  de  vin  dans  une  tasse,  où  elle  mit  la  moitié  d'eau,  et 
elle  alla  se  coucher  et  reposer. 

Il  est  à  noter  qu'avant  de  partir,  elle  ouït  la  messe,  se  confessa,  et 
reçut  en  très  grande  dévotion  le  précieux  corps  de  Jésus-Christ;  aussi  se 
confessait-elle,  et  le  recevait-elle  tkès  souvent.  Elle  se  confessa  à  plu- 
sieurs gens  de  grande  dévotion,  et  de  vie  austère,  qui  disaient  ouverte- 
ment que  c'était  une  créature  de  Dieu. 


VI 

Cette  déconfiture  mit  les  Anglais  en  très  grande  détresse,  et  ils  tinrent 
grand  conseil  durant  la  nuit.  Le  dimanche,  huitième  jour  de  mai  mil 
quatre-cent- vingt-neuf,  ils  sortirent  de  leurs  bastides  avec  leurs  prison- 
niers et  tout  ce  qu'ils  pouvaient  emporter,  mettant  à  l'abandon  tous  leurs 
malades,  tant  les  prisonniers  que  les  autres,  laissant  leurs  bombardes, 
canons,  artilleries,  poudres,  pavois,  engins  de  guerre,  tous  leurs  vivres 
et  biens;  et  ils  s'en  allèrent  en  belle  ordonnance,  étendards  déployés, 
tout  le  long  du  chemin  d'Orléans  à  Meung-sur-Loire.  Les  chefs  de  guerre 
d'Orléans  firent  ouvrir  les  portes  vers  le  soleil  levant,  et  ils  en  sortirent  à 
pied  et  à  cheval,  avec  de  grandes  forces,  dans  l'intention  de  courir  sur 


84  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

les  Anglais  ;  mais  alors  survint  la  Pucelle  qui  les  détourna  de  la  poursuite, 
et  voulut  qu'on  les  laissât  libres  de  partir  sans  les  assaillir  ce  jour-là,  à 
moins  qu'ils  ne  se  retournassent  contre  les  Français  pour  les  combattre; 
mais  ils  tournèrent  le  dos  en  bon  ordre  (doubtablement)  ;  quelques-uns 
jetèrent  leurs  harnois  dans  les  champs,  et  ils  se  retirèrent,  partie  à  Meung, 
partie  à  Jai^eau.  Par  cette  levée  du  siège,  les  Anglais  perdirent  beaucoup 
de  leur  puissance,  et  ils  se  retirèrent  tant  en  Normandie  comme  autre  part. 

Après  ledit  désemparement,  les  Anglais  étant  encore  en  vue,  la  Pucelle 
fit  venir  aux  champs  les  prêtres  vêtus  de  leurs  ornements,  qui  chantèrent 
à  grande  solennité  des  hymnes,  des  répons,  et  de  dévotes  oraisons, 
rendant  grâces  et  louanges  à  Dieu.  Elle  fit  apporter  une  table  et  un  marbre, 
et  dire  deux  messes.  Quand  elles  furent  dites,  elle  demanda  :  «  Or,  regardez 
s'ils  ont  les  visages  ou  le  dos  tourné  vers  nous?  »  On  lui  dit  qu'ils  s'en  allaient 
et  avaient  le  dos  tourné.  A  quoi  elle  répliqua  :  «  Laissez-les  aller;  il  neplatt 
pas  à  Messire  qu'on  les  combatte  aujourd'hui;  vous  les  aurez  une  autre  fois.  » 
EUeétait  seulement  armée  d'unjesseran,  àcausedela  blessure  de  la  veille. 

Cela  fait,  les  habitants  d'Orléans  se  dispersèrent,  entrant  dans  les 
bastides  où  ils  trouvèrent  largement  vivres  et  autres  biens;  puis  sur 
l'ordre  des  seigneurs  et  des  capitaines,  toutes  les  bastides  furent  jetées 
par  terre;  et  leurs  canons  et  bombardes  retirés  à  Orléans.  Les  Anglais  se 
cantonnèrent  en  plusieurs  places  par  eux  conquises,  le  comte  de  Suffolk 
à  Jargeau,  et  les  seigneurs  de  Scales,  Talbot  et  autres  chefs  de  guerre  de 
leur  parti,  soit  à  Meung,  soit  à  Baugency,  ou  en  d'autres  places,  dont  ils 
étaient  les  maîtres. 

Ils  se  hâtèrent  de  mander  ces  choses  au  régent,  le  duc  Jean  de  Bedford, 
qui  en  fut  très  affligé  et  craignit  qu'à  la  suite  de  cette  déconfiture 
quelques  Parisiens  ne  voulussent  se  réduire  en  l'obéissance  du  roi,  et  k 
cet  effet  faire  émouvoir  le  peuple  contre  les  Anglais;  il  partit  de  Paris  en 
très  grande  hâte  et  se  retira  au  bois  de  Vincennes,  où  il  manda  des  gens 
de  toutes  parts,  mais  il  en  vint  peu  ;  car  les  Picards  et  les  autres 
provinces  du  royaume,  qui  tenaient  à  son  parti,  se  prirent  à  délaisser  les 
Anglais,  à  les  haïr  et  à  les  mépriser. 

Ainsi  que  les  Anglais  s'en  allaient,  Etienne  de  Vignoles,  dit  LaHire,  et 
messire  Ambroise  de  Loré,  accompagnés  de  cent  à  six-vingts  lances, 
montèrent  à  cheval,  et  les  chevauchèrent  en  les  côtoyant,  bien  trois 
grosses  lieues,  pour  voir  et  observer  leur  maintien;  et  puis  ils  s'en  retour- 
nèrent à  Orléans. 

Les  Anglais  tenaient  prisonnier  en  leur  bastille  un  capitaine  français 
nommé  Le  Bourg  de  Bar,  qui  était  enferré  par  les  pieds  d'une  grosse  et 
pesante  chaîne,  tellement  qu'il  ne  pouvait  aller  ;  et  il  était  souvent  visité 
par  un  Augustin,  moine  anglais,  confesseur  de  Talbot,  le  maître  dudit 


LA  CHRONIQUE  DE  LA  PUCELLE.  85 

prisonnier.  Ledit  Augustin  avait  coutume  de  lui  donner  à  manger,  et 
Talbot  se  fiait  sur  lui  de  le  bien  garder  prisonnier,  espérant  d'en  avoir 
grosse  finance,  ou  par  échange  la  délivrance  d'autres  prisonniers.  Donc 
quand  ledit  Augustin  vit  les  Anglais  se  retirer  ainsi  hâtivement,  il 
demeura  avec  son  prisonnier,  résolu  de  le  mener  à  la  suite  de  Talbot  son 
maître;  et  de  fait  il  le  mena  par-dessous  le  bras,  bien  un  demi-trait  d'arc; 
mais  ils  n'eussent  pu  jamais  atteindre  les  Anglais.  Le  Bourg,  voyant  les 
Anglais  s'en  aller  en  désarroi,  connut  bien  qu'ils  avaient  eu  du  pire;  il 
prit  donc  TAugustin  à  bons  poings,  et  lui  dit  qu'il  n'irait  pas  plus  avant, 
et  que  s'il  ne  le  portait  pas  jusqu'à  Orléans,  il  lui  ferait  ou  lui  ferait  faire 
déplaisir.  Aussi,  quoique  il  y  eût  toujours  des  Français  et  des  Anglais  qui 
se  livraient  à  des  escarmouches,  l'Auguslin  porta  son  prisonnier  sur  ses 
épaules  jusqu'à  Orléans,  et  par  cet  Augustin  l'on  sut  plusieurs  choses  de 
ce  qui  se  passait  parmi  les  Anglais. 


CHAPITRE  III 

LA    CAMPAGNE    DE    LA    LOIRE. 

Sommaire  :  l.  —  La  Pucelle,  de  retour  auprès  du  roi,  repart  avec  le  duc  d'Alençon  pour 
nettoyer  la  Loire.  —  Prise  de  Jargeau  et  suites  de  la  victoire.  —  Comment  elle 
presse  le  roi  de  se  faire  sacrer,  et  triomphe  des  oppositions  de  la  cour.  —  Sa  prière 
aux  voix  et  leur  réponse.  —  Détails  plus  étendus  sur  la  prise  de  Jargeau.  —  Les 
assiégeants,  le  siège.  —  D'Alençon  préservé  de  la  mort  par  un  avertissement  de  la 
Pucelle.  —  Un  coup  de  Jean  le  Canonnier.  —  Une  grosse  pierre  sur  la  tète  de  la 
Pucelle,  signe  de  la  lin  de  la  résistance.  —  Prise  de  SufTolk.  —  Prisonniers  massa- 
crés et  pourquoi?  —  Joie  du  roi,  actions  de  grâces. 

IL  —  L'armée  de  la  Pucelle  renforcée.  —  Talbot  quitte  Baugency  et  va  au-devant  de 
Fastolf.  —  L'armée  française  quitte  Orléans,  s'empare  du  pont  de  Meung,  et  va 
assiéger  Baugency.  —  Arrivée  du  Connétable  en  disgrâce.  — 11  supplie  la  Pucelle 
de  lui  obtenir  son  pardon;  elle  le  promet  sur  la  garantie  écrite  que  les  seigneurs 
donnent  de  sa  fidélité.  —  Capitulation  de  Baugency. 

lU.  —  Les  Anglais,  qui  avaient  attaqué  le  pont  de  Meung,  abandonnent  la  ville  à  la 
suite  de  la  reddition  de  Baugency. 

IV.  —  Les  Français  les  poursuivent.  —  Prédiction  par  la  Pucelle  d'une  victoire  écla- 
tante. —  Réalisation.  —  Janville  recouvré. 

V.  —  Retour  triomphal  à  Orléans.  —  Le  roi  vainement  attendu.  —  La  grâce  de  Riche- 
mont  refusée.  —  Le  siège  de  Marcheneir.  —  Le  roi  à  Gien. 


I 

La  Pucelle  ne  pouvant  à  cette  heure,  par  défaut  de  vivres  et  de  paye- 
menty  entretenir  Tarmée,  partit  le  mardi  dixième  jour  de  mai,  accom- 


86  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARG  :   LA  LIBÉRATRICE. 

pagnée  de  hauts  seigneurs.  Elle  s'en  alla  par  devers  le  roi,  qui  la  reçut 
avec  de  grands  honneurs,  et  tint  à  Tours  plusieurs  conseils,  après  lesquels 
il  manda  ses  nobles  de  toutes  parts. 

Il  donna  la  charge  de  nettoyer  la  Loire  au  duc  d'Alençon,  qui  voulut 
avoir  la  Pucelle  en  sa  compagnie.  Ils  vinrent  avec  de  puissantes  forces 
devant  Jargeau,  où  était  le  duc  de  Suffolk  avec  de  forts  détachements 
d'Anglais  qui  avaient  fortifié  le  pont.  Les  Français  mirent  là  le  siège  de 
toutes  parts,  le  samedi,  jour  de  la  Saint-Barnabe,  onzième  jour  du  mois 
de  juin,  et  en  peu  d'heures  la  ville  fut  fort  endommagée  par  les  canons  et 
les  coulevrines.  Le  dimanche  suivant,  douzième  jour  du  même  mois,  la 
ville  et  le  pont  furent  pris  d'assaut  ;  Alexandre  de  La  Poule  y  fut  tué  avec  un 
grand  nombre  d'Anglais.  Furent  faits  prisonniers  Guillaume  de  La  Poule, 
comte  de  Suffolk,  et  Jean  de  La  Poule  son  frère.  Les  pertes  des  Anglais  furent 
évaluées  à  environ  cinq  cents  combattants,  la  plupart  tués  ;  car  les  milices 
urbaines  massacraient  entre  les  mains  des  gentilshommes  tous  les  pri- 
sonniers anglais  qu'ils  avaient  pris  à  rançon  ;  ce  qui  nécessita  de  mener 
de  nuit  et  par  eau  à  Orléans  le  comte  de  Suffolk,  son  frère,  et  d'autres 
grands  seigneurs  anglais,  afin  de  leur  sauver  la  vie.  La  ville  et  l'église 
furent  entièrement  pillées;  c'est  qu'elles  étaient  pleines  de  biens.  Cette 
nuit  rentrèrent  à  Orléans  le  duc  d'Alençon,  la  Pucelle,  et  les  chefs  de 
guerre  avec  la  chevalerie  de  l'armée,  pour  y  prendre  quelque  repos;  ils  y 
furent  reçus  à  très  grande  joie  *. 

Quand  la  Pucelle  Jeanne  fut  devant  le  roi,  elle  s'agenouilla,  et 
l'embrassa  aux  genoux,  en  lui  disant  :  «  Gentil  Dauphin,  venez  prendre 
votre  noble  sacre  à  Reims;  je  suis  fort  aiguillonnée  que  vous  y  alliez;  et  ne 
faites  nul  doute  que  vous  y  recevrez  votre  digne  sacre  ».  Alors  le  roi  çt 
quelques-uns  de  ceux  qui  étaient  devers  lui,  sachant  et  ayant  vu  les  mer- 
veilles qu'elle  avait  faites,  par  la  conduite,  le  sens,  la  prudence  et  dili- 
gence qu'elle  avait  montrés  au  fait  des  armes,  autant  que  si  elle  les  eût 
suivies  toute  sa  vie,  considérant  aussi  sa  belle  et  honnête  façon  de  vivre, 
quoique  décidés  pour  la  plupart  à  aller  en  Normandie,  changèrent  d'avis. 

Le  roi  lui-môme,  et  aussi  trois  ou  quatre  des  principaux  de  son  entou- 
rage, se  demandaient  s'il  ne  déplairait  pas  à  Jeanne  qu'on  l'interrogeât 
sur  ce  que  ses  voix  lui  disaient.  Elle  le  comprit  et  dit  :  «  En  nom  Dieu, 
je  sais  bien  ce  que  vous  pensez;  vous  voulez  que  je  vous  parle  de  la  voix 
que  j'ai  entendue  touchant  votre  sacre;  je  vous  le  dirai.  Je  me  suis  mise  en 

1.  Ici  Coiisiiiot  (le  Moiitrciiil  ne  s*est  pas  donné  la  peine  de  fondre  son  récit  avec 
celui  de  son  père.  Il  reprend  au  retour  de  Jeanne  auprès  du  roi  après  la  délivrance 
d'Orléans,  et  expose,  avec  des  développements  d'ailleura  intéressants,  ce  que  son  père 
avait  dit  succincleinenl.  On  remarque,  quoique  d'une  manière  moins  saillante,  ce 
même  défaut  dans  le  récit  de  Tassaul  des  TournollcH,  et  en  d'autres  endroits  encore. 


LA  CHRONIQUE  DE  LA  PUCELLE.  87 

mon  oraison  en  ma  manière  accoutumée.  Je  me  complaignais  parce  qu'on  ne 
voulait  pas  me  croire  de  ce  que  je  disais  et  alors  la  voix  me  dit  :  «  Fille  *, 
«  va,  va,  je  serai  à  ton  aide;  val  »  Et  quand  cette  voix  ine  vient,  je  suis  si 
réjouie  que  merveille.  »  En  disant  ces  paroles,  elle  levait  les  yeux  au  ciel, 
et  montrait  des  signes  d'une  grande  exultation. 

Et  alors  on  la  laissa  avec  le  duc  d'Alençon.  Et  pour  déclarer  plus  plei- 
nement la  prise  de  Jargeau  et  comment  eut  lieu  Tassant,  il  faut  dire  que 
lorsque  le  duc  d'Alençon  eut  délivré  ses  otages,  en  versant  la  rançon  con- 
sentie pour  sa  délivrance,  et  qu'on  vit  et  que  Ton  constata  la  conduite  de 
la  Pucelle,  le  roi,  comme  il  est  dit,  donna  la  charge  de  tout  conduire  au 
duc  d'Alençon  avec  la  Pucelle,  et  il  manda  des  gens  le  plus  diligemment 
qu'il  put.  Les  gens  accoururent  de  toutes  parts,  croyant  que  ladite 
Jeanne  venait  de  par  Dieu;  et  beaucoup  plus  pour  cette  cause  qu'en  vue 
d'avoir  soldes  ou  profits  du  roi. 

Là  vinrent  le  bâtard  d'Orléans  ;  le  sire  de  Boussac,  maréchal  de  France, 
le  sire  de  Graville,  maître  des  arbalétriers  ;  le  sire  de  Gulan,  amiral  de 
France;  Gaultier  de  Bursac  et  autres  capitaines,  qui  allèrent  tous  avec 
lesdits  ducs  et  la  Pucelle  devant  la  ville  de  Jargeau,  où  était,  comme  il 
est  dit,  le  comte  de  Suffolk.  Pendant  qu'on  asseyait  le  siège,  il  y  eut 
par  divers  jours  plusieurs  âpres  escarmouches  ;  les  assiégés  étaient 
puissants  ;  il  y  avait  comme  de  six  h  sept  cents  Anglais,  tous  gens 
vaillants. 

Cependant  on  jetait  de  la  ville,  où  l'on  était  bien  muni,  force  décharges 
de  canon,  et  de  veuglaires.  Ge  que  voyant  la  Pucelle,  elle  vint  au  duc 
d'Alençon,  et  lui  dit  :  «  Beau  duc,  ôtez-vous  du  lieu  ou  vous  êtes,  de  quelque 
manière  que  ce  soit;  car  vous  y  seriez  en  danger  d'être  atteint  par  les 
canons  ».  Le  duc  crut  ce  conseil,  et  il  n'était  pas  reculé  de  deux  toises, 
qu'un  veuglaire  fut  déchargé  de  la  ville,  et  enleva  net  la  tête  à  un  gentil- 
homme d'Anjou,  près  dudit  seigneur,  et  au  propre  lieu  où  il  était 
quand  la  Pucelle  lui  parla. 

Les  Français  furent  environ  huit  jours  ^  devant  la  ville  de  Jargeau  et  la 
battirent  fort  de  canons,  et  l'assaillirent  fort  âprement.  Geux  du  dedans 
se  défendaient  aussi  vaillamment.  Entre  autres,  il  y  avait  un  Anglais 
robuste,  armé  de  toutes  pièces,  ayant  sur  la  tête  un  fort  bassinet,  qui 
faisait  merveilles  de  jeter  de  grosses  pierres  et  d'abattre  gens  et  échelles  ; 
et  il  était  au  lieu  plus  aisé  à  assaillir.  Le  duc  d'Alençon,  qui  s'en  aperçut, 
alla  à  un  nommé  maître  Jean  le  Ganonnier,  et  lui  montra  ledit  Anglais. 
Ledit  Ganonnier  ajusta  sa  coulevrine  à  l'endroit  où  il  se  trouvait  et  où 

1  D'après  la  déposition  de  Danois  et  l'aveu  de  Jeanne  elle-mùme,  les  voix  l'appe- 
laient :  Fille  de  Dieu. 
2.  Deux  jours  seulement. 


88  LA  VRAIE  J BANNE  D'ARG  :  LA  LIBÉRATRICE. 

il  se  découvrait  beaucoup  ;  il  le  frappa  en  pleine  poitrine,  et  le  fit  choir 
dans  la  ville  où  il  mourut. 

La  Pucelle  descendit  dans  le  fossé,  son  étendard  au  poing,  au  lieu  où 
la  défense  était  plus  grande  et  plus  âpre.  Elle  fut  aperçue  par  quelques 
Anglais,  dont  Tun  prit  une  grosse  pierre  de  faix  \  et  la  lui  jeta  sur  la  tète, 
tellement  que  du  coup  elle  fut  contrainte  de  s'asseoir;  cependant  la  pierre, 
qui  était  dure,  s'émietta  en  menues  pièces;  ce  qui  fut  grande  merveille. 
Nonobstant,  elle  se  releva  assez  tôt  après,  et  dit  à  haute  voix  aux  compa- 
gnons français  :  «  Montez  hardiment^  et  entrez;  car  vous  n'y  trouverez 
plus  aucune  résistance  ». 

Ainsi  la  ville  fut  gagnée,  comme  il  a  été  dit,  et  le  comte  de  Suffblk  se 
retira  sur  le  pont  ;  il  y  fut  poursuivi  par  un  gentilhomme  nommé 
Guillaume  Regnault,  auquel  le  comte  demanda  :  «  Es-tu  gentilhomme?  » 
il  lui  répondit  que  oui.  «  Et  es-tu  chevalier?  »  et  il  répondit  que  non. 
Alors  le  comte  le  fit  chevalier,  et  se  rendit  à  lui.  Semblablement  y  fut 
pris  le  seigneur  de  La  Poule  son  frère. 

Comme  il  a  été  dit,  il  y  eut  plusieurs  morts,  et  une  multitude  de  pri- 
sonniers que  Ton  menait  à  Orléans  ;  mais  le  plus  grand  nombre  furent 
tués  en  chemin  sous  Tombre  de  quelques  débats  qui  s'émurent  entre 
Français.  La  prise  de  Jargeau  fut  mandée  aussitôt  au  roi,  qui  en  fut  très 
joyeux;  il  en  remercia  et  en  regracia  Dieu,  et  il  manda  très  diligemment 
des  gens  de  guerre  de  toutes  parts,  pour  venir  se  joindre  avec  le  duc 
d'Alençon   et  Jeanne  la  Pucelle,   et  d'autres  seigneurs  et  capitaines. 


Il 

Le  duc  d'Alençon  et  la  Pucelle  séjournèrent  à  Orléans  quelques  jours, 
durant  lesquels  vinrent  vers  eux,  avec  grande  chevalerie,  le  seigneur 
de  Rais,  le  seigneur  de  Chauvigny,  le  seigneur  de  Laval,  le  seigneur  de 
Lohéac,  son  frère,  et  d'autres  grands  seigneurs,  désireux  de  servir  le  roi 
<;n  son  armée.  Le  roi  vint  vers  ce  temps  à  Sully.  D'autre  part  arrivèrent 
ù  Blois,  avec  grande  chevalerie,  le  comte  Arthur  de  Bretagne,  conné- 
table de  France  et  frère  du  duc  de  Bretagne,  contre  lequel  le  roi,  sur 
quelques  rapports,  avait  conçu  de  la  haine  et  de  la  malveillance.  La 
l^ucelle  et  les  chefs  de  guerre  tinrent  à  Orléans  de  grands  conseils,  et 
liront  faire  de  grands  préparatifs  pour  mettre  le  siège  devant  Meung  et 
Baugcncy,  où  stationnèrcut  ence  temps  le  sire  de  Scales  et  le  sire  de  Talbot 
avec  grande  compagnie  d'Anglais.  Pour  renforcer  les  garnisons  desdites 

1 .  Pierres  de  faix^  lûerros  que  l'on  jetait  au  moyen  des  balistes,  de  grosseur  comme 
\\n  fardeau  (Voy.  Lacirne  au  mot  Faix). 


LA  CHRONIQUE  DE  LA  PUCELLE.  89 

places,  les  capitaines  mandèrent  les  Anglais  qui  tenaient  La  Ferté- 
Hubert,  et  ceux-ci,  le  commandement  reçu,  mirent  le  feu  à  la  basse-cour, 
abandonnèrent  le  château  et  s*en  allèrent  à  Baugency. 

Une  nuit,  le  sire.de  Talbot  partit  de  Baugency  pour  aller  au-devant  de 
messire  Jean  Fastolf,  qui  était  parti  de  Paris  avec  une  grande  compagnie 
d'Anglais  et  provision  de  vivres  et  de  traits  pour  ravitailler  et  conforter 
les  forces  des  Anglais  ;  mais,  ayant  appris  la  nouvelle  de  la  prise  de  Jargeau, 
Fastolf  laissa  les  vivres  à  Étampes,  et  vint  avec  sa  compagnie  à  Janville, 
lieu  où  il  trouva  le  sire  de  Talbot;  là,  s'étant  abouchés,  ils  tinrent  quelques 
conseils  *. 

Le  mercredi,  quinzième  jour  de  juin  1429,  Jean,  duc  d'Alençon,  lieute- 
nant général  de  Tarmée  du  roi,  accompagné  de  la  Pucelle  et  de  plusieurs 
hauts  seigneurs,  barons  et  nobles,  parmi  lesquels  Mgr  Louis  de 
Bourbon  comte  de  Vendôme,  le  sire  de  Rais,  le  sire  de  Laval,  le  sire 
de  Lohéac,  le  vidame  de  Chartres,  le  sire  de  La  Tour,  et  autres  seigneurs, 
avec  grand  nombre  d'hommes  de  pied,  et  grand  convoi  chargé  de  vivres 
et  d'appareils  de  guerre,  partirent  d'Orléans  pour  mettre  le  siège  devant 
quelques  places  anglaises.  Tout  en  tenant  leur  chemin  droit  vers  Baugency, 
ils  s'arrêtèrent  devant  le  pont  de  Meung,  que  les  Anglais  avaient  fortifié  et 
fort  garni,  et  aussitôt  après  leur  arrivée,  il  fut  pris  par  assaut  et  pourvu  de 
vaillants  défenseurs.  Cela  fait,  les  Français  ne  s'arrêtèrent  pas,  mais,  pen- 
sant que  les  sires  de  Talbot  et  de  Scales  s'étaient  retirés,  ils  allèrent  devant 
Baugency.  Leur  venue  fit  que  les  Anglais  abandonnèrent  la  ville  et  se 
retirèrent  sur  le  pont  et  au  château.  Les  Français  entrèrent  donc  dans  la 
ville,  et  assiégèrent  le  pont  et  le  château  par  devers  la  Beauce,  dressant 
et  pointant  de  ce  côté  canons  et  bombardes,  et  battant  fort  ledit  château. 

Le  comte  de  Richemont,  connétable  de  France,  vint  à  ce  siège  avec 
grande  chevalerie  :  avec  lui  étaient  le  comte  de  Pardiac  ;  Jacques  de 
Dinan,  frère  du  seigneur  de  Beaumanoir,  et  d'autres.  Le  Connétable  étant 
alors  en  l'indignation  du  roi,  et  à  cette  cause  tenu  pour  suspect,  se 
mit  en  toute  humilité  devant  la  Pucelle.  Il  la  supplia  que,  puisque  le  roi 
lui  avait  donné  puissance  de  pardonner  et  de  remettre  toutes  les  offenses 
commises  et  perpétrées  contre  lui  et  son  autorité,  et  que,  à  cause  de 
sinistres  rapports,  le  roi  ayant  conçu  haine  et  mal  talent  contre  lui,  au 
point  de  faire  défense  par  ses  lettres  qu'aucun  accueil,  faveur  ou  passage 
lui  fussent  donnés  pour  venir  en  son  armée,  la  Pucelle  voulût  bien,  de  sa 
grâce,  le  recevoir  à  la  place  du  roi  au  service  de  la  couronne,  résolu  qu'il 
était  d'y  employer  son  corps,  sa  puissance  et  toute  sa  seigneurie,  toute 
offense  lui  étant  pardonnée. 

1.  Ici  encore  le  défaut  de  suture  entre  le  texte  du  chancelier  et  celui  de  son  fils  est 
très  saillant. 


90  LA  YRÂIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

En  ce  moment  se  trouvaient  là  le  duc  d*Aleiiçon  et  tous  les  hauts  sei- 
gneurs de  Tarmée,  qui  firent  pareille  requête  à  la  Pucelle;  elle  la  leur 
octroya,  à  condition  de  recevoir  en  leur  présence  le  serment  dudit  Conné- 
table de  loyalement  servir  le  roi,  sans  jamais  faire  ni  dire  chose  qui  dut 
lui  tourner  à  déplaisance.  Les  seigneurs  s'obligèrent  à  la  Pucelle,  par 
lettres  scellées  de  leurs  sceaux,  à  ce  que  cette  promesse  fût  tenue  ferme, 
sans  être  enfreinte,  et  à  Ty  contraindre  de  par  le  roi  si  ledit  Connétable 
était  trouvé  infidèle. 

11  fut  alors  ordonné  que  le  Connétable  mettrait  le  siège  du  côté  de  la 
Sologne,  devant  le  pont  de  Baugency  ;  mais  le  vendredi  dix-septième  jour 
du  mois  de  juin,  le  bailli  d'Évreux,  qui  défendait  Baugency,  fit  demander  à 
la  Pucelle  de  traiter;  ce  qui  fut  fait  et  accordé  à  l'entour  de  minuit,  à  la 
condition  de  rendre  au  roi  de  France,  le  lendemain  au  soleil  levant, 
entre  les  mains  du  duc  d'Alençon  et  de  la  Pucelle,  le  pont  et  le  château; 
moyennant  quoi  les  Anglais  auraient  leurs  vies  sauves,  et  pourraient  fran- 
chement s'en  aller  en  pays  de  leur  parti,  sans  emporter  ni  mener  autre 
chose  que  leurs  chevaux  et  leurs  harnais,  et  de  leurs  meubles  montants, 
chacun  pour  la  valeur  d'un  marc  d'argent  seulement;  et  ils  ne  se  devaient 
armer  qu'après  dix  jours  passés.  C'est  en  cette  manière  que  se  retirèrent 
les  Anglais,  au  nombre  de  cinq  cents  combattants,  après  avoir  rendu  le 
pontet  le  château,  le  samedi  dix-huitième  jour  de  juin  1429. 


III 

En  la  ville  de  Meung  entrèrent  une  nuitée  les  siree  de  Talbot,  de 
Scales,  et  Fastolf,  qui  n'avaient  pu  avoir  entrée  au  château  de  Baugency, 
empêchés  qu'ils  avaient  été  par  le  siège.  Et,  dans  la  pensée  où  ils  étaient 
de  le  faire  lever,  ils  assaillirent  le  pont  de  Meung  la  nuit  même  de  la 
composition  de  Baugency  ;  mais  le  dix-huitième  jour  de  juin,  aussitôt 
que  les  Anglais  furent  partis  de  Baugency,  l'avant-garde  des  Français 
vint  devant  Meung,  et  incontinent  toutes  leurs  forces  furent  rangées  en 
bataille  bien  ordonnée.  Alors  les  Anglais  cessèrent  l'assaut  du  pont,  et 
saillirent  aux  champs  avec  toute  leur  armée,  et  ils  se  mirent  aussi  en 
ordre  de  bataille,  tant  ceux  qui  étaient  à  pied  que  ceux  qui  étaient  à 
cheval,  mais  tout  soudainement  ils  se  mirent  à  se  retirer,  délaissant  avec 
Meung  leurs  vivres  et  préparatifs  de  guerre  ;  et  ils  prirent  leur  chemin  par 
la  Beauce  du  côté  de  Patay. 


LA  CHRONIQUE  DE  LA  PUCELLE.  91 

IV 

Aussitôt  partirent  à  la  hâte  le  duc  d'Alcnçon,  la  Pucelle,  le  comte  de 
Vendôme,  le  connétable  de  France,  le  sire  de  Sainte-Sévère  et  Boussac, 
maréchal,  messire  Louis  de  Culan,  amiral  de  France,  le  sire  d'Albret,  le 
sire  de  Laval,  le  sire  de  Lohéac,  le  sire  de  Chauvigny,  et  d'autres  grands 
seigneurs  qui  chevauchèrent  ordonnés  en  bataille.  Ils  poursuivirent  si 
âprement  les  Anglais  qu'ils  les  joignirent  près  de  Patay,  au  lieu  appelé 
Coinces. 

Le  duc  d'Alençon  dit  alors  à  la  Pucelle  :  «  Jeanne,  voilà  les  Anglais  en 
bataille,  combattrons-nous?  »  Et  elle  répondit  au  duc  :  «  Avez-votis  vos 
éperons?  »  et  le  duc  de  se  récrier  :  «  Comment  donc,  nous  faudra-t-il 
reculer  ou  fuir?  »  et  elle  dit  :  «  Nenni,  en  nom  Dieu,  allez  sur  eux,  car  ils 
s'enfuiront  et  ne  tiendront  pas  ;  ils  seront  déconfits^  sans  presque  pas  de 
perte  de  nos  gens  ;  et  pour  ce  faut-il  vos  éperons  pour  les  poursuivre.  » 

Et  furent  ordonnés  coureurs  en  manière  d'avant-garde,  le  seigneur  de 
Beaumanoir,  Poton  et  La  Hire,  messires  Ambroise  de  Loré,  Thibaud  de 
Thermes  et  plusieurs  autres.  Ils  embarrassèrent  tant  les  Anglais  que  ceux- 
ci  ne  purent  plus  entendre  à  se  mettre  en  bataille;  tandis  que  les  Français 
se  jetèrent  sur  eux  en  bon  ordre,  si  bien  que  les  Anglais  furent  déconfits 
en  peu  d'heures  ;  leurs  morts  furent  nombres  sur  le  champ  de  bataille, 
parles  hérauts  d'Angleterre,  à  plus  de  deux  mille  deux  cents  Anglais.  Dans 
cette  bataille,  qui  fut  le  dix-huitième  jour  de  juin  1429,  furent  pris  les  sei- 
gneurs de  Talbot  et  de  Scales,  messire  Thomas  Rameston  et  Hungerford, 
ainsi  que  plusieurs  chefs  de  guerre,  et  autres  nobles  du  pays  d'Angle- 
terre, et  en  tout  {tués  ou  prisonniers)  le  nombre  s'éleva  bien  à  cinq  mille 
hommes.  Et  aussitôt  commença  la  chasse  des  fuyards  qui  fut  poursuivie 
jusqu'aux  portes  de  Janville,  en  laquelle  chasse  plusieurs  Anglais  fuient 
tués. 

Les  bonnes  gens  de  Janville  fermèrent  leurs  portes  aux  Anglais  qui 
fuyaient,  et  montèrent  sur  leurs  murailles  pour  les  défendre.  Il  y  avait 
alors  au  château,  avec  quelques  hommes  d'armes  seulement,  un  écuyer 
anglais,  lieutenant  du  capitaine  chargé  de  le  garder.  Connaissant  la 
déconfiture  des  Anglais,  il  traita  avec  les  bons  habitants  de  Janville  pour 
le  rendre,  en  conservant  la  vie  sauve,  et  en  faisant  le  serment  d'être  bon 
et  loyal  Français  ;  ce  à  quoi  les  habitants  le  reçurent.  11  resta  en  cette 
ville  grand  avoir,  laissé  à  leur  départ  par  les  Anglais  allant  à  la  bataille, 
grande  quantité  de  traits,  de  canons,  et  autres  engins  de  guerre,  quantité 
de  vivres  el  de  marchandises  ;  et  ceux  de  ladite  ville  se  réduisirent  aussitôt 
en  l'obéissance  du  roi. 


92  LA  VRAIE  JEANiNE  D*ARG  :   LA  LIBÉRATRICE. 

Après  la  fuite  des  Anglais,  les  Français  entrèrent  dans  Meung  et 
pillèrent  toute  la  ville.  Messire  Jean  Fastolf  s'enfuit  jusques  à  Corbeil,  et 
d'autres  avec  lui. 

Les  Anglais,  qui  étaient  en  plusieurs  autres  places  de  la  Beauce,  à 
Mont-Pipeau  et  à  Saint-Simon  et  autres  forteresses,  à  la  nouvelle  de  la 
défaite,  prirent  hâtivement  la  fuite,  après  avoir  mis  le  feu  aux  places 
qu'ils  occupaient. 


Ces  glorieuses  victoires  remportées,  ces  villes  et  châteaux  recouvrés, 
toute  Tarmée  rentra  à  Orléans,  ce  même  dix- huitième  jour  de  juin.  Elle  y 
fut  reçue  à  grande  joie  par  les  gens  d'Eglise,  les  bourgeois  et  le  commun 
peuple,  qui  en  rendirent  grâces  et  louanges  à  Dieu.  Les  gens  d'Eglise  et 
les  bourgeois  d'Orléans  pensèrent  bien  que  le  roi  viendrait  dans  la  ville  ; 
et  pour  le  recevoir  ils  firent  tendre  les  rues  à  ciel,  et  firent  grand  appareil 
pour  honorer  sa  joyeuse  venue  ;  mais  il  se  tint  dedans  Sully  sans  venir  à 
Orléans;  ce  dont  plusieurs  de  ceux  qui  étaient  autour  de  lui  ne  furent 
pas  contents. 

La  chose  en  demeura  là  pour  cette  fois  ;  ce  fut  cause  que  la  Pucelle 
alla  devers  le  roi,  et  elle  fit  tant  que,  le  vingt-deuxième  jour  de  juin,  il 
vint  à  Chàteauneuf-sur-Loire,  auquel  lieu  se  retirèrent  devers  lui  les  sei- 
gneurs et  les  chefs  de  guerre  ;  et  là  furent  tenus  plusieurs  conseils,  après 
lesquels  il  retourna  à  Sully. 

La  Pucelle  revint  à  Orléans,  et  fit  tirer  vers  le  roi  tous  les  gens 
d'armes  avec  armements,  vivres  et  charrois  ;  elle  partit  ensuite  elle-même 
d'Orléans,  ot  alla  à  Gien,  où  le  roi  vint  avec  des  troupes;  et  d'où  il  manda 
par  des  hérauts  aux  capitaines  et  autres  qui  tenaient  les  villes  et  forte- 
resses de  Bonny,  Cosnc  et  La  Charité,  de  se  rendre  à  son  obéissance;  ce 
dont  ils  furent  refusants. 

Le  comte  de  Richemont,  connétable  de  France,  séjourna  quelques 
jours  après  la  bataille  de  Patay  en  la  ville  de  Baugency,  attendant 
réponse  du  duc  d'Alençon,  de  la  Pucelle  et  des  hauts  seigneurs  qui 
s'étaient  portés  forts  d'apaiser  le  roi  et  de  lui  faire  pardonner  son 
mallalenl.  A  quoi  ils  ne  purent  parvenir;  le  roi  ne  voulut  pas  souffrir 
qu'il  allât  devers  lui  pour  le  servir;  ce  dont  il  fut  en  grande  déplaisance. 
Néanmoins  ledit  Connétable,  qui  avait  grande  compagnie  de  nobles,  dans 
le  désir  de  nettoyer  le  pays  du  duc  d'Orléans,  voulut  mettre  le  siège 
devant  Marchenoir,  près  de  Blois,  ville  garnie  de  Bourguignons  et  d'An- 
glais. Ces  derniers  en  eurent  nouvelles,  et,  par  crainte  du  siège.  Ils 
envoyèrent  sous  sauf-conduit,  à  Orléans,  par  devers  le  duc  d'Alençon, 


LA  CHRONIQUE  DE  LA  PUGELLE.  93 

qui  par  ce  temps  était  là.  Lesdits  Bourguignons  traitèrent  si  bien  qu'on 
leur  fit  pardonner  par  le  roi  toutes  offenses,  et,  qu'on  leur  donna  dix 
jours  de  terme  pour  emporter  leurs  biens,  sous  promesse  qu'ils  seraient 
et  demeureraient  à  toujours  bons  et  loyaux  Français.  Ainsi  ils  jurèrent, 
et  ils  mirent  quelques  otages  es  mains  du  duc  d'Alençon,  qui  fit  tout 
savoir  au  Connétable,  lequel  se  départit  du  siège  ;  mais  après  son  par  tement^ 
les  Bourguignons  dudit  Marchenoir  firent  tant,  qu'ils  prirent  et  retinrent 
prisonniers  quelques-uns  des  gens  du  duc  d'Alençon,  pour  recouvrer 
leurs  otages,  et  ainsi  ils  faussèrent  leurs  serments. 

Durant  ces  choses,  le  roi  était  arrivé  à  Gien,  d'où  il  envoya  messire 
Louis  de  Culan,  son  amiral,  devant  Bonny,  avec  grand  nombre  de  gens  ;  et 
le  dimanche  après  la  Saint- Jean  1429  {26jtn7i),  cette  place  lui  fut  rendue 
par  composition. 


CHAPITRE   IV 

LA   CAMPAGNE    DU    SACRE. 

Sommaire  :  I.  —  La  Pucelle,  contre  l'avis  du  conseil,  entraîne  le  roi  à  prendre  le  chemin 
de  Reims.  —  La  reine  amenée  à  Gien,  ramenée  à  Bourges.  —  Les  seigneurs 
accourent,  attirés  par  le  nom  de  la  Pucelle.  —  Beau  portrait  de  la  guerrière.  —  Les 
pratiques  de  sa  piété.  —  Le  roi  gouverné  par  La  Trémoille.  —  Combien  le  favori 
craint  d'être  supplanté.  —  Solde  insignifiante  donnée  aux  hommes  d'armes.  —  La 
Pucelle  devance  le  roi.  —  Auxerre  achète  de  La  Trémoille  une  sorte  de  neutralité. 

—  Mécontentement  de  la  Pucelle.  —  Conduite  de  la  Pucelle  à  son  arrivée  dans  un 
village.  —  Les  jalouses  précautions  de  sa  pudeur.  —  Céleste  parfum  de  pureté.  — 
Les  gens  de  savoir  émerveillés  de  ses  réponses. 

11.  —  Départ  d'Auxerre.  —  Soumission  de  Saint-Florentin.  —  Arrivée  devant  Troyes. 

—  Résistance  de  la  ville.  —  Disette  extrême  de  l'armée.  —  Le  conseil  délibère  de 
se  retirer  :  raisons.  —  Avis  de  Robert  le  Maçon.  —  Intervention  de  la  Pucelle,  ses 
engagements.  —  Merveilleuse  diligence  à  préparer  l'assaut.  —  Changement  soudain 
dans  les  dispositions  de  la  ville.  —  Soumission  au  roi  et  conditions.  —  Départ  de  la 
garnison  ;  prisonniers  français  délivrés  par  la  Pucelle.  —  Le  roi  à  Troyes. 

[[{.  —  En  chemin  pour  Chàlons.  —  Réception  du  roi.  —  Le  roi  à  Sept-Saulx.  —  Les 
capitaines  anglo-bourguignons  et  les  habitants  de  Reims.  —  Ambassade  envoyée 
au  roi.  —  Entrée  de  l'archevêque  le  matin.  —  Entrée  du  roi  le  soir. 

IV.  —  Les  préparatifs  du  sacre.  —  La  solennité  avec  laquelle  est  apportée  la  sainte 
ampoule.  —  La  cérémonie  du  sacre.  —  Attitude  de  la  Pucelle,  ses  paroles. 


1 

Cependant  la  Pucelle  était  désireuse  que  le  roi,  avant  que  d'employer 
sa  puissance  à  recouvrer  ses  villes  et  châteaux,  se  laissât  mener  tout 


94  LA  VRAIE  JEANNE  D^ARC  :   LA  UBÉRATRIGE. 

droit  à  Reims,  pour  là  être  couronné  et  recevoir  la  sainte  onction  royale; 
ce  à  quoi  plusieurs  étaient  d'opinion  contraire,  étant  d'avis  que  le  roi 
assiégeât  premièrement  Cosne  et  La  Charité  pour  nettoyer  les  pays  de 
Berry,  d'Orléans  et  du  fleuve  de  la  Loire.  Il  se  tint  à  Gien  sur  ces  choses 
de  grands  conseils,  pendant  lesquels  la  reine  fut  amenée  en  cette  ville, 
en  espérance  d'être  menée  couronner  à  Reims  avec  le  roi. 

Durant  ce  séjour,  les  barons  et  hauts  seigneurs  du  royaume  vinrent 
au  service  du  roi,  avec  grande  puissance,  et  en  la  fin  le  roi  arrêta  en 
son  conseil  de  renvoyer  la  reine  à  Bourges,  et  de  prendre  son  chemin 
droit  à  Reims,  pour  recevoir  son  sacre,  sans  mettre  aucuns  sièges  sur  la 
Loire.  La  reine  retourna  donc  à  Bourges,  et  le  roi  partit  de  Gien,  le  jour 
de  Saint-Pierre,  au  mois  de  juin  1429,  à  toute  sa  puissance,  tenant  sa 
voie  droit  à  Reims.  Et  cela  fut  par  Tinstigation  et  instances  (pourchas) 
de  Jeanne  la  Pucelle,  qui  disait  que  c'était  la  volonté  de  Dieu  qu'il  allât 
à  Reims  se  faire  couronner  et  sacrer,  et  qu'encore  qu'il  fût  roi,  toutefois 
ledit  couronnement  lui  était  nécessaire.  Plusieurs ,  et  le  roi  méme^  de  ce 
faisaient  difficulté,  vu  que  la  cité  de  Reims,  et  toutes  les  villes  et 
forteresses  de  Picardie,  Champagne,  Ile-de-France,  Brie,  Gâtinais, 
Auxerrois,  Bourgogne,  et  tout  le  pays  d'entre  la  rivière  de  la  Loire  et 
la  mer  était  occupé  par  les  Anglais  ;  cependant  le  roi  finit  par  s'arrêter 
au  conseil  de  la  Pucelle,  et  se  mit  en  devoir  de  l'exécuter  ;  il  réunit  pour 
cela  son  armée  à  Gien-sur-Loire.  Et  vinrent  en  sa  compagnie  les  ducs 
d'Alençon,  de  Bourbon,  le  comte  de  Vendôme,  ladite  Pucelle,  le  seigneur 
de  Laval,  les  sires  de  Lohéac,  de  LaTrémoille,  de  Rais,  d'Albret*i 

Plusieurs  autres  seigneurs,  capitaines  et  gens  d'armes  venaient  encore 
de  toutes  parts  au  service  du  roi  ;  et  plusieurs  gentilshommes  n'ayant 
pas  de  quoi  s'armer  et  se  monter  y  allaient  comme  archers  et  coutilliers, 
montés  sur  de  petits  chevaux;  car  chacun  avait  grande  attente  que  par 
le  moyen  d'icelle  Jeanne,  il  adviendrait  beaucoup  de  bien  au  royaume 
de  France  ;  aussi  désiraient-ils  et  convoitaient-ils  de  la  servir,  et  de 
connaître  ses  faits,  comme  étant  une  chose  venue  de  la  part  de  Dieu. 

Elle  chevauchait  toujours  armée  de  toutes  pièces  et  équipée  en  guerre, 
autant  ou  plus  que  capitaine  qui  y  fut;  et  quand  on  parlait  de  guerre, 
ou  qu'il  fallait  mettre  gens  en  ordonnance,  il  la  faisait  bel  ouïr  et  voir 
faire  les  diligences;  et  si  on  criait  quelquefois  à  l'arme,  elle  était  la  plus 
diligente  et  la  première,  fût-ce  à  pied,  fût-ce  à  cheval  ;  et  c'était  une  très 
grande  admiration  aux  capitaines  et  gens  de  guerre  de  l'entendement 
qu'elle  avait  en  ces  choses,  vu  que  dans  les  autres  elle  était  la  plus  simple 
VILLAGEOISE  QUE  l'on  VÎT  JAMAIS.  Elle  était  Irôs  dévote,  se  confessait  souvent, 

\ .  Ici  encore  Monlreuil  recommence  le  récit  de  son  père. 


LA  CHRONIQUE  DE  LA  PUCELLE.  95 

et  recevait  le  précieux  corps  de  Jésus-Christ,  elle  était  de  très  belle  vie 
et  honnête  conversation  ^ 

En  ce  temps»  le  seigneur  de  La  Trémoille  était  en  grand  crédit  auprès 
du  roi  ;  mais  il  tremblait  toujours  d'être  mis  hors  du  gouvernement,  et 
il  craignait  spécialement  le  Connétable  et  autres  de  ses  alliés  et  serviteurs. 
Aussi,  quoique  ledit  Connétable  eut  bien  douze  cents  combattants  et 
gens  de  trait,  et  avec  lui  d'autres  seigneurs  qui  fussent  volontiers  venus 
au  service  du  roi,  ledit  de  La  Trémoille  ne  le  voulut  souffrir  ;  et  il  n'y 
avait  personne  qui  eût  osé  parler  contre  icelui  de  La  Trémoille. 

Au  lieu  de  Gien-sur-Loire  fut  fait  aux  gens  de  guerre  un  payement 
de  trois  francs  par  homme  d'armes;  ce  qui  était  peu  de  chose;  puis  la 
Pucelle  en  partit  ayant  en  sa  compagnie  plusieurs  capitaines  d'hommes 
d*armes  avec  leurs  gens  ;  et  ils  s'en  allèrent  loger  à  environ  quatre  lieues 
de  Gien,  en  s'avançant  sur  le  chemin  d'Auxerre  ;  et  le  roi  partit  le 
lendemain  par  le  même  chemin. 

Et  le  jour  à\x  parlement  du  roi,  tous  ses  gens  se  trouvèrent  ensemble; 
ce  qui  était  une  belle  compagnie;  et  il  vint  avec  son  armée  s'établir 
devant  la  cité  d'Auxerre,  qui  ne  lui  fit  pas  pleine  obéissance;  car  les 
bourgeois  vinrent  devers  le  roi  lui  faire  prière  et  requête  qu'il,  voulût 
passer  outre,  en  demandant  et  sollicitant  abstinence  de  guerre;  ce  qui 
leur  fut  octroyé  par  le  moyen  et  requête  du  sire  de  La  Trémoille,  qui  en 
eut  deux  mille  écus;  ce  pourquoi  plusieurs  seigneurs  et  capitaines  furent 
très  mal  contents  d'icelui  de  La  Trémoille  et  du  conseil  du  roi,  et  la 
Pucelle  elle-même,  à  laquelle  il  semblait  qu'on  s'en  fût  bien  aisément 
emparé  par  assaut.  Toutefois  ceux  de  la  ville  donnèrent  et  délivrèrent  des 
vivres  aux  gens  du  roi,  qui  en  avaient  grande  nécessité. 

La  Pucelle,  aussitôt  qu'elle  venait  en  un  village,  avait  coutume  de 
s'en  aller  à  l'église  faire  ses  oraisons,  et  de  faire  chanter  aux  prêtres  une 
antienne  de  Notre-Dame.  Ses  prières  et  oraisons  faites,  elle  s'en  allait 
à  son  logis,  qui  lui  était  communément  préparé  en  la  plus  honnête  maison 
qu'on  pouvait  trouver,  et  où  il  y  avait  quelque  femme  honnête. 

Jamais  homme  ne  la  vit  se  baigner  ni  se  purger;  elle  le  faisait  toujours 
secrètement  ;  et  si  le  cas  advenait  qu'elle  couchât  aux  champs,  jamais 

1.  Quoique  le  texte  ait  été  très  légèrement  modifié,  le  voici  dans  sa  teneur  :  «  Elle 
chemuchoit  tousjours  armée  de  toutes  pièces^  et  en  habillement  de  guerrey  autant  ou  plus 
que  capitaine  de  guerre  qui  y  fust  ;  et  quand  on  parloit  de  guerre,  ou  qu'il  falloit  mettre 
gens  en  ordonnance,  il  la  faisoit  bel  ouyr  et  veoir  faire  les  diligences  ;  et  si  on  crioit  aucunes 
fois  à  Varme,  elle  estoit  la  plus  diligente  et  première,  fust  à  pied  ou  à  cheval  ;  et  estoit  une 
très  grande  admiration  aux  capitaines  et  gens  de  guerre,  de  l'entendement  qu'elle  avoit  en 
ces  choses,  veu  que  en  autres  elle  estoit  la  plus  simple  villageoise  que  on  vist  oncques.  Elle 
estoit  très  dévote,  et  se  confessoit  souvent,  et  recepvoit  le  précieux  corps  de  Jésus-Christ, 
estoit  de  très  belle  vie  et  honneste  conversation,  »  (Vallet  de  Viriville,  p.  312.) 


96  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

elle  ne  se  déshabillait.  Plusieurs,  même  des  grands  seigneurs,  voulaient 
savoir  s'ils  pourraient  avoir  sa  compagnie  charnelle,  et,  pour  ce,  ils 
venaient  devant  elle  gentiment  vêtus,  mais  aussitôt  qu41s  la  voyaient 
tout  leur  vouloir  coupable  cessait.  Quand  on  lui  demandait  pourquoi 
elle  était  en  habits  d'homme  et  chevauchait  en  armes,  elle  répondait 
que  cela  lui  était  ainsi  ordonné,  que  c'était  principalement  pour  mieux 
garder  ainsi  sa  chasteté,  et  aussi  que  c'eût  été  chose  trop  étrange  de  la 
voir  chevaucher  en  habits  de  femme  parmi  tant  d'hommes  d'armes.  Et 
quand  les  gens  lettrés  lui  parlaient  sur  ces  matières,  elle  leur  répondait 
si  bien  qu'ils  étaient  très  satisfaits,  disant  n^avoir  aucun  doute  qu'elle  ne 
fût  venue  de  par  Dieu. 

II 

Après  que  le  roi  se  fut  arrêté  durant  trois  jours  devant  la  ville  d'Auxerre, 
il  en  partit  avec  son  armée,  en  tirant  vers  la  ville  de  Saint-Florentin, 
dont  les  habitants  lui  firent  plénière  obéissance.  Il  ne  s'y  arrêta  guère, 
mais  il  s'en  vint  avec  son  armée  devant  la  cité  de  Troyes,  qui  était  grande 
et  grosse  ville.  Il  y  avait  dedans  de  cinq  à  six  cents  combattants,  Anglais 
et  Bourguignons,  qui  sortirent  vaillamment  à  la  rencontre  du  roi  ;  il  y 
eut  dure  et  âpre  escarmouche,  et  il  y  en  eut  de  part  et  d'autre  de  couchés 
par  terre,  car  les  gens  du  roi  les  reçurent  très  bien,  en  sorte  que  les 
Anglais  furent  contraints  de  se  retirer  derrière  les  murailles. 

Les  gens  du  roi  se  logèrent  de  côté  et  d'autre,  au  mieux  qu'ils  purent, 
et  le  roi  resta  là  cinq  ou  six  jours  sans  que  ceux  du  dedans  montrassent 
jamais  semblant  de  volonté  de  se  soumettre  à  son  obéissance  ;  on  n'y 
pouvait  trouver  appointement,  quoique  souvent  l'on  parlementât. 

Il  y  avait  pour  lors  en  l'armée  si  grande  cherté  de  pain  et  de  vivres 
que  plus  de  cinq  à  six  mille  personnes  avaient  passé  plus  de  huit  jours 
sans  manger  de  pain.  L'on  vivait  d'épis  de  blé  froissés  et  de  fèves  nou- 
velles, qu'on  trouvait  très  largement.  Et  l'on  disait  qu'un  Cordelier, 
nommé  Frère  Richard,  qui  allait  prêchant  par  le  pays,  était  venu  en  la 
ville  de  Troyes,  où,  prêchant  durant  TA  vent,  il  disait  tous  les  jours  : 
i<  Semez  des  fèves  largement,  celui  qui  doit  venir  viendra  bientôt  ».  Et 
il  fit  tellement  qu'on  sema  des  fèves  si  largement  que  ce  fut  merveille  ; 
ce  dont  l'armée  du  roi  se  nourrit  par  quelque  temps.  Et  toutefois  ledit 

PHÊCHEUR  NE  SONGEAIT  POINT  A  LA  VENUE  DU  ROI. 

Les  ducs  d'Alençon  et  de  Bourbon,  le  comte  de  Vendôme  et  plusieurs 
autres  seigneurs  et  gens  du  conseil,  furent  par  le  roi  mandés  en  grand 
nombre  pour  savoir  ce  qu'il  y  avait  à  faire.  Et  là  il  fut  remontré  par 
l'archevêque   de  Reims,    chancelier  de  France,  comment  le  roi   était 


LA  CHRONIQUE  DE  LA  PUCELLE.  97 

venu  en  ce  lieu,  et  que  ni  lui  ni  son  armée  n'y  pouvaient  demeurer  plus 
longtemps  pour  plusieurs  causes,  qu'il  remontra  longuement  et  nota- 
blement ;  c'est  à  savoir  pour  la  grande  famine  qui  y  régnait,  sans  que 
les  vivres  arrivassent  de  nulle  part  en  l'armée,  et  qu'il  n'y  avait  plus 
d'homme  qui  eût  de  l'argent.  En  outre,  disait-il,  c'était  merveilleuse 
chose  de  prendre  la  ville  et  cité  de  Troyes,  forte  par  ses  fossés  et  ses 
bonnes  murailles,  bien  garnie  de  vivres,  de  gens  de  guerre  et  de  peuple, 
ayant  toute  apparence  de  vouloir  résister  et'de  ne  pas  obéir  au  roi;  il 
fallait  ajouter  qu'on  manquait  de  bombardes,  de  canons,  d'artillerie, 
d'appareils  de  guerre  pour  battre  les  remparts  et  lui  faire  la  guerre; 
qu'il  n'y  avait  ni  ville  ni  forteresse  française  pouvant  prùter  aide  et 
secours,  plus  rapprochée  que  Gien-sur-Loire;  et  que  de  celte  ville  à 
Troyes,  il  y  avait  plus  de  trente  lieues.  Il  allégua  encore  plusieurs  autres 
grandes  et  notables  raisons  par  lesquelles  il  montrait  évidemment  qu'il 
pouvait  en  advenir  grand  inconvénient,  si  Ton  restait  longuement  là  où 
l'on  était. 

Après  cela  le  roi  ordonna  à  son  chancelier  de  demander  les  sentiments 
de  tous  ceux  qui  étaient  présents,  pour  savoir  ce  qu'il  y  avait  de  meilleur 
à  faire.  Et  le  chancelier  commença  à  demander  les  avis  en  ordonnant 
à  chacun  de  s'acquitter  loyalement  de  son  devoir,  et  de  conseiller  le 
roi  sur  ce  qu'il  y  avait  à  faire,  après  ce  qui  avait  été  dit.  Presque  tous 
ceux  qui  étaient  présents  furent  d'opinion  que,  vu  et  considéré  les  choses 
ci-dessus  déclarées,  après  que  le  roi  s'était  vu  refusé  par  la  ville  d'Auxerre 
qui  n'était  pas  pourvue  de  gens  d'armes,  ni  si  forte  que  la  ville  de  Troyes, 
et  pour  plusieurs  autres  raisons  que  chacun  alléguait  selon  son  enten- 
dement et  imagination,  le  roi  et  son  armée  devaient  s'en  retourner,  et 
que  demeurer  plus  longtemps  devant  la  ville  de  Troyes,  ou  aller  plus 
avant,  c'était,  autant  qu'ils  savaient  voir  ou  connaître,  toute  perdition 
pour  l'armée.  Les  autres  furent  d'avis  que  le  roi  allât  en  avant  en  tirant 
vers  Reims.;  le  pays  étant  plein  de  biens,  on  trouverait  assez  de  quoi 
vivre. 

Le  chancelier  en  vint  à  interroger  un  ancien  et  notable  conseiller, 
nommé  messire  Robert  le  Maçon,  seigneur  de  Trêves,  qui  avait  été 
chancelier,  homme  sage  et  prudent.  11  dit  qu'il  fallait  envoyer  quérir 
Jeanne  la  Pucelle  qui  était  en  l'armée  et  non  pas  au  conseil;  que  peut- 
être  elle  dirait  quelque  chose  de  profitable  au  roi  et  à  sa  compagnie.  Il 
dit  en  outre  que  lorsque  le  roi  avait  entrepris  ce  voyage,  il  ne  l'avait  pas 
fait  à  cause  de  lagrande  puissance  des  hommes  d'armes  dont  il  disposait, 
ni  pour  le  grand  argent  en  sa  possession  afin  de  les  payer,  ni  parce  que 
ce  voyage  lui  semblait  bien  possible;  mais  qu'il  l'avait  entrepris  unique- 
ment sur  l'admonestement  de  Jeanne  la  Pucelle,  qui  ne  cessait  de  lui 
m.  7 


LA  CHRONIQUE  DE  LA  PUCELLE.  99 

possession  de  la  ville  ;  qu'il  y  aurait  amnistie  générale,  et  que,  pour  ce 
qui  est  des  gens  d'Eglise,  il  approuverait  les  régales  et  collations  de 
bénéfices  provenant  du  roi  son  père  ;  quant  à  celles  qui  venaient  du  roi 
d'Angleterre,  ils  en  prendraient  de  nouvelles  lettres  du  roi,  et  qu'ils 
garderaient  leurs  bénéfices,  quelque  collation  qui  en  eût  été  faite  déjà 
à  d'autres. 

Ceux  de  la  ville  firent  grande  fête  et  grande  joie,  et  ceux  de  l'armée 
eurent  des  vivres  à  leur  plaisir.  Le  matin  du  lendemain,  presque  toute 
la  garnison.  Anglais  et  Bourguignons,  partirent,  se  dirigeant  là  où  ils 
voulurent  aller.  Comme  ils  maintenaient  que,  d'après  le  traité,  il  s  pouvaient 
emmener  leurs  prisonniers,  de  fait  ils  les  emmenaient  ;  mais  Jeanne  se  tint 
à  la  porte  en  disant  qu'en  nom  Dieu  ils  ne  les  emmèneraient  pas,  et  de 
fait  elle  les  garda.  Le  roi  contenta  les  Anglais  et  les  Bourguignons  en 
payant  les  rançons  auxquelles  les  prisonniers  avaient  été  mis. 

Le  roi  entra  ensuite  dans  la  ville  sur  les  neuf  heures  du  matin  ;  mais 
Jeanne  y  était  entrée  avant  lui,  et  avait  ordonné  des  gens  de  trait  le  long 
des  rues.  Avec  le  roi  entrèrent  à  cheval  les  seigneurs  et  les  capitaines 
bien  équipés,  bien  montés,  et  il  faisait  très  beau  les  voir.  Le  roi  mit 
en  la  ville  capitaines  et  officiers,  après  avoir  ordonné  au  seigneur  de 
Loré  de  rester  aux  champs  avec  les  gens  d'armes  de  l'armée.  Le  lende- 
main tous  passèrent  par  ladite  cité  en  belle  ordonnance  ;  ce  dont  les 
habitants  étaient  bien  joyeux,  et  ils  firent  serment  au  roi  d'être  bons  et 
loyaux,  et  tels  ils  se  sont  toujours  montrés  depuis. 


III 

La  Pucelle  pressait  le  roi  le  plus  diligemment  qu'elle  pouvait,  d'aller 
à  Reims,  et  ne  faisait  nul  doute  qu'il  y  serait  sacré.  Aussi  quitta-t-il  sa 
cité  de  Troyes,  et  prit-il  son  chemin  vers  Châlons  en  Champagne  avec 
toute  son  armée,  la  Pucelle  à  la  tête  des  hommes  d'armes,  armée  de 
toutes  pièces.  On  chevaucha  si  bien  que  l'on  arriva  à  Châlons.  Quand  les 
habitants  de  la  ville  surent  la  venue  du  roi,  l'évoque  et  une  grande 
multitude  de  peuple  avec  lui  vinrent  à  sa  rencontre,  et  lui  firent  pleine 
obéissance.  Il  passa  la  nuit  dans  la  ville  avec  son  armée,  et  y  établit  de 
son  autorité  des  capitaines  et  des  autorités,  ni  plus  ni  moins  qu'il  l'avait 
fait  à  Troyes. 

De  Châlons  le  roi  prit  son  chemin  sur  Reims  ;  et  il  vint  à  un  château 
qui  est  à  l'archevêque  de  Reims,  au  lieu  nommé  Sept-Saulx,  à  quatre 
lieues  de  la  ville.  Dans  cette  cité  de  Reims  étaient  les  seigneurs  de  Châ- 
tillon-sur-Marne  et  de  Saveuses,  tenant  le  parti  des  Anglais  et  des  Bour- 


100  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

guignons.  Sur  leur  ordre  et  commandement,  les  habitants  vinrent  les 
trouver,  car  Châtillon  se  disait  capitaine  de  Reims.  Les  seigneurs  leur 
demandèrent  s'ils  avaient  la  volonté  de  bien  se  tenir  et  de  se  défendre. 
Les  habitants  demandèrent  à  leur  tour  si  les  hommes  d'armes  étaient 
en  assez  grand  nombre  pour  les  aider  à  se  garder.  Ils  répondirent  que 
non,  mais  que,  s'ils  pouvaient  tenir  six  semaines,  ils  leur  amèneraient  un 
grand  secours  tant  du  duc  de  Bedford  que  du  duc  de  Bourgogne  ;  et  sur 
ce  ils  partirent,  du  consentement  des  habitaïits. 

Il  y  avait  alors  dans  la  ville  quelques  hommes  de  bonne  volonté  qui 
commencèrent  à  dire  qu'il  fallait  aller  vers  le  roi,  et  le  peuple  demanda 
qu'on  y  envoyât.  On  députa  des  notables,  tant  d'Église  que  d'autres;  et, 
après  plusieurs  requêtes  qui  furent  trouvées  opportunes,  il  fut  délibéré 
et  conclu  qu'on  laisserait  entrer  le  roi  et  l'archevêque  avec  tous  ceux  qui 
les  suivaient. 

Et  il  est  vrai  que  l'archevôque  n'avait  point  encore  fait  son  entrée 
(dans  sa  ville  épiscopale),  et  il  la  fit  le  samedi  matin.  Après  dîner,  sur  le 
soir,  le  roi  entra,  lui  et  ses  gens,  et  Jeanne  la  Pucelle  était  fort  regardée. 
Et  là  vinrent  les  ducs  de  Bar  et  de  Lorraine  et  le  seigneur  de  Commercy, 
bien  accompagnés  de  gens  de  guerre  qui  s'offraient  à  son  service*. 


IV 

Il  fut  ordonné  que  le  lendemain,  qui  fut  un  dimanche,  le  roi  prendrait 
et  recevrait  son  digne  sacre  ;  aussi  toute  la  nuit  on  fit  diligence  pour  que 
tout  fût  prêt  au  matin;  et  ce  fut  un  cas  bien  merveilleux,  car  on  trouva 
en  ladite  cité  toutes  les  choses  nécessaires,  qui  sont  grandes  ;  excepté 
qu'on  ne  pouvait  avoir  celles  qui  sont  à  Saint-Denis  en  France. 

Et  parce  que  Tabbé  de  Saint-Ilémy  n'a  pas  coutume  de  bailler  la  sainte 
ampoule,  sinon  d'après  certaines  formes  et  certaines  manières,  le  roi 
envoya  vers  lui  le  seigneur  de  Hais,  maréchal  de  France,  le  seigneur  de 
Boussac  et  Sainte-Sévère,  aussi  maréchal  de  France,  le  seigneur  de 
Graville,  maître  des  arbalétriers,  et  le  seigneur  de  Culan,  amiral  de 
France,  qui  firent  les  serments  accoutumés,  c'est  à  savoir  de  la  conduire 
sûrement,  et  aussi  de  la  reconduire  jusques  en  l'abbaye.  L'abbé,  en  grands 
habits  ecclésiastiques,  l'apporta  bien  solennellement  et  dévotement  sous 
un  poêle  jusqu'à  la  porte  devant  Saint-Denis.  Là,  l'archevêque,  pom- 

i.  C'est  une  erreur.  Les  ducs  de  Bar  et  de  Lorraine  étaient  alors  au  siège  de  Metz 
Le  duc  de  Bar,  Bené,  rejoignit  son  beau-frère  à  Provins  plus  de  quinze  jours  plus  tard, 
le  duc  de  Lorraine  ne  rompit  jamais  avec  le  parti  bourguignon.  (Voir  la  Paysanne  et 
V Inspirée,  p.  70.) 


LA  CHRONIQUE  DE  LA  PUCELLE.  101 

peusement  vêtu,  accompagné  de  chanoines,  l'apporta  dedans  la  grande 
église,  et  la  mit  sur  le  grand  autel. 

Le  roi  vint  alors  au  lieu  qui  lui  avait  été  ordonné,  habillé  des  vêtements 
propres  à  la  cérémonie,  et  l'archevêque  lui  fit  faire  les  serments  accou- 
tumés, et  il  fut  fait  chevalier  par  le  duc  d'Alençon.  Puis  Tarchevêque 
procéda  à  la  consécration,  gardant  tout  au  long  les  cérémonies  et 
solennités  contenus  au  Pontifical.  Le  roi  y  fit  comte  le  seigneur  de  Laval, 
et  il  y  eut  plusieurs  chevaliers  faits  par  les  ducs  d'Alençon  et  de 
Bourbon. 

Et  là  était  présente  Jeanne  la  Pucelle,  tenant  son  étendard  en  sa  main, 
laquelle  en  efiFet  était  cause  dudit  sacre  et  couronnement  et  de  toute 
l'assemblée.  La  sainte  ampoule  fut  rapportée  et  conduite  par  les  dessus- 
dits jusques  en  ladite  abbaye. 

Et  qui  eût  vu  la  Pucelle  accoler  {embrasser)  le  roi  à  genoux  par  les 
jambes,  et  baiser  le  pied,  pleurant  à  chaudes  larmes,  en  aurait  eu  pitié*  ; 
et  elle  provoquait  plusieurs  à  pleurer  en  disant:  «  Gentil  roi,  ores  (à cette 
heure)  est  exécuté  le  plaisir  de  Dieu  qui  voulait  que  (vous)  vinssiez  à  Reims 
recevoir  votre  digne  sacre,  en  montrant  que  vous  êtes  vrai  roi,  et  celui 
auquel  le  royaume  doit  appartenir.  » 


CHAPITRE   V 

LA  CAMPAGNE  D'APRÈS  LE  SACRE. 


Sommaire  :  I.  —  Séjour  à  Reiras.  —  Pèlerinage  à  Saint-Marcoul.  —  Soumission  spon- 
tanée des  villes.  —  Itinéraire  par  Vailly,  Soissons,  Château-Thierry,  Provins. 
11.  —  Bedford  sort  de  Paris;  bruit  qu'il  veut  combattre  le  roi,  semblant  qu'il  en  fait. 

—  Charles  VII  l'attend  vainement,  l'armée  rangée  en  bataille  près  de  La  Mothe- 
Nangis.  —  La  cour  et  le  roi  veulent  revenir  au  delà  de  la  Loire.  —  Passage  de  Bray- 
sur-Seine  accordé  et  intercepté  à  la  grande  joie  de  nombreux  seigneurs  et  capitaines. 

—  Retour  vers  Château-Thierry,  et  marche  vers  Crépy.  —  Arrêt  à  Dammartin  ;  allé- 
gresse des  populations.  —  Paroles  de  Jeanne. 

Ili.  —  Les  deux  armées,  en  présence  près  de  Dammartin,  se  retirent  après  d'insigni- 
fiantes escarmouches.  —  Sommation  et  reddition  de  Compiègne,  Beauvais.  —  Bedford, 
dont  l'armée  s'est  accrue  des  troupes  levées  contre  les  Hussites,  vient  sous  Senlis. — 
Son  arrivée  signalée.  —  11  prend  position  dans  un  lieu  bien  choisi  pour  le  couvrir, 
l'armée  française  à  Montépilloy.  —  Elles  s'observent  durant  deux  jours.  —  Escar- 
mouche plus  sanglante  au  soleil  couchant  ;  les  deux  armées  se  retirent. 

IV.  —  Charles  VII  à  Compiègne,  à  Senlis  ;  Bedford  en  Normandie.  —  Les  gardiens  de 
Paris.  —  Le  roi  à  Saint-Denis.  —  Escarmouches  avec  les  Parisiens.  —  Assaut  tenté 


i .  Ici  pitié  signifie  attendrissement^  c'est  une  des  significations  du  mot  (Lacurne)  . 


402  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

contre  Paris,  dispositions  prises.  —  [.a  Pacclle  blessée  au  grand  contentement  de 
ses  envieux.  —  Elle  refuse  de  se  retirer.  —  Il  faut  remporter.  —  Le  roi  accusé  de 
ne  pas  vouloir  conquérir  Paris  par  assaut.  —  Presque  pas  de  morts. 
V.  —  Le  départ  décidé  ;  raisons  ou  prétextes.  —  Capitaines  préposés  à  la  garde  des 
places.  —  Départ  du  roi.  —  Saint-Denis  repris  par  les  Anglais. 


I 

Le  roi  séjourna  en  la  cité  de  Reims  durant  trois  jours.  Or  il  est  vrai 
que  de  tout  temps  les  rois  de  France,  après  leur  sacre,  avaient  accoutumé 
d'aller  en  un  prieuré  dépendant  de  Téglise  de  Saint-Rémy,  nommé 
Corbigny,  assis  et  situé  à  environ  six  lieues  de  Reims.  Là  est  un  glo- 
rieux saint  qui  est  du  sang  de  France,  nommé  Saint-Marcoul,  vers  lequel 
se  rend  tous  les  ans  une  grand  affluence  de  peuple  pour  la  maladie  des 
écrouelles,  par  les  mérites  duquel  Ton  dit  que  les  rois  en  guérissent.  Et 
pour  cela  le  roi  s'en  alla  audit  lieu  de  Saint-Marcoul,  et  y  fit  bien 
dévotement  ses  oraisons  et  ses  olTrandes. 

De  ladite  église,  il  prit  son  chemin  pour  aller  en  une  petite  ville 
fermée,  nommé  Vailly,  appartenant  à  l'archevêque  de  Reims,  à  quatre 
lieues  de  Soissons  et  aussi  à  quatre  lieues  de  Laon.  Les  habitants  lui 
firent  pleine  obéissance  et  le  reçurent  grandement  bien,  selon  leur 
pouvoir.  Il  se  logea  durant  un  jour,  lui  et  son  armée,  en  ce  lieu,  et  de 
là  il  envoya  à  Laon,  qui  est  une  notable  et  forte  cité,  sommer  les  habi- 
tants de  se  mettre  en  son  obéissance  ;  ce  qu'ils  firent  très  bien  et 
volontiers.  C'est  ce  que  firent  pareillement  ceux  de  Soissons,  où  il  alla 
droit  de  Vailly,  et  où  il  fut  reçu  à  grande  joie.  Il  y  séjourna  trois  jours 
avec  son  armée  qui  se  logea  soit  dans  la  ville,  soit  dans  les  environs. 
Pendant  qu'il  y  était,  lui  vinrent  les  nouvelles  que  Château-Thierry, 
Provins,  Coulommiers,  Crécy-en-Brie,  et  plusieurs  autres  cités,  s'étaient 
rendues  françaises  et  mises  en  son  obéissance  ;  il  y  nomma  des  officiers  ; 
et  les  habitants  y  laissaient  entrer  sans  aucune  contradiction  ses  gens  et 
ses  serviteurs.  Quand  le  roi  sut  que  Château-Thierry  était  en  son 
obéissance,  après  avoir  séjourné  quelques  jours  en  la  ville  et  cite  de 
Soissons  il  se  mit  en  chemin  et  alla  audit  lieu  de  Château-Thierry,, 
d'où  il  s'en  vint  à  Provins,  et  y  passa  deux  ou  trois  jours. 


II 

Ces  choses  vinrent  à  Paris  en  la  connaissance  du  duc  de  Bedford  qui 
se  disait  régent  du  royaume  de  France  pour  le  roi  d'Angleterre,  et  il 


LA  CHRONIQUE  DE  LA  PUCELLE.  103 

annonça  qu'il  irait  combattre  le  roi.  Il  assembla  donc  des  gens  de  toutes 
parts  à  grande  puissance,  vint  à  Corbeil  et  à  Melun,  et  réunit  bien  dix 
mille  combattants  ;  ce  qui  était  grande  force. 

Quand  le  roi  sut  que  le  duc  de  Bedford  voulait  le  combattre,  lui  et  les 
gens  de  son  armée  en  furent  bien  joyeux;  il  partit  de  Provins,  tint  les 
champs  et  rassembla  son  armée  près  d'un  château  nommé  La  Mothe  de 
Nangis,  qui  est  en  Brie;  là  les  corps  de  l'armée  furent  ordonnés  très 
notablement  et  prudemment;  et  c'était  gentille  chose  de  voirie  maintien 
de  la  Pucelle  et  les  diligences  qu'elle  faisait.  Et  toujours  arrivaient  des 
nouvelles  que  le  duc  de  Bedford  s'avançait  pour  combattre;  et  pour  ce, 
le  roi  se  tint  tout  le  jour  en  plein  champ,  pensant  que  le  duc  de  Bedford 
dut  venir;  mais  il  changea  d'avis,  et  s'en  retourna  à  Paris,  quoiqu'il  eût 
en  sa  compagnie  dix  ou  douze  mille  combattants,  ainsi  qu'il  a  été  dit  ; 
le  roi  en  avait  bien  autant  ;  et  la  Pucelle,  ainsi  que  les  seigneurs  et  gens 
de  guerre  étant  avec  elle,  avaient  grand  désir  et  grande  volonté  de 
combattre. 

Quelques-uns  de  la  compagnie  du  roi  avaient  grande  envie  qu'il 
retournât  vers  la  rivière  de  Loire,  et  le  lui  conseillaient  fort,  conseil 
auquel  il  adhéra  très  volontiers  lui-même.  Étant  de  leur  sentiment,  il 
conclut  qu'il  s'en  retournerait.  Or  on  lui  fil  savoir  qu'il  pourrait  passer 
la  rivière  de  la  Seine  par  une  ville  nommée  Bray- en-Champagne,  où  se 
trouvait  un  bon  pont.  L'obéissance  et  le  passage  lui  étaient  promis  par 
les  habitants.  Mais  la  nuit  du  matin  où  il  devait  passer,  vinrent  un  certain 
nombre  d'Anglais  auxquels  on  ouvrit  les  portes  et  qui  s'établirent  dans 
la  ville;  et  parmi  les  gens  du  roi  qui  s'avancèrent,  croyant  passer  les 
premiers,  quelques-uns  furent  pris  et  les  autres  détroussés,  et  par  là  le 
passage  fut  rompu  et  empêché;  ce  dont  les  ducs  d'Alençon,  de  Bourbon 
et  de  Bar,  les  comtes  de  Vendôme  et  de  Laval,  tous  les  capitaines,  furent 
bien  joyeux  et  contents  ;  car  la  résolution  de  se  retirer  allait  contre  leur 
gré  et  volonté  ;  ils  étaient  d'avis  que  le  roi  devait  aller  de  Tavant  pour 
faire  toujours  des  conquêtes,  vu  les  forces  qu'il  avait  à  sa  disposition  et 
que  ses  ennemis  n'avaient  pas  osé  le  combattre. 

La  vigile  de  Notre-Dame  de  la  mi-août,  le  roi,  par  le  conseil  de  ces 
seigneurs  et  capitaines,  retourna  à  Château-Thierry,  passa  outre,  et  avec 
toute  son  armée,  se  dirigea  vers  Crépy-en-Valois,  et  vint  camper  en  rase 
campagne  assez  près  de  Dammartin. 

Le  pauvre  peuple  du  pays  criait  Noël  et  pleurait  de  joie  et  d'allégresse; 
la  Pucelle,  considérant  ce  spectacle,  et  qu'ils  venaient  au-devant  du  roi 
en  chantant  Te  Deum  laudamus  et  certains  répons  et  antiennes,  dit  au 
chancelier  de  France  et  au  comte  de  Dunois  :  «  En  nom  Dieu,  voici  un  bon 

PEUPLE,  BIEN  DÉVOT,  ET  QUAND  JE  DEVRAI  MOURIR  JE  VOUDRAIS  QUE  CE  FUT  EN  CE 


104  LA  VRAIE  JEAiNNE  D^ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

PAYS  ».  Le  comte  de  Dunois  lui  demanda  :  «  Jeanne,  savez- vous  quand 
vous  mourrez  et  en  quel  lieu?  »  et  elle  répondit  qu'elle  n'en  savait  rien, 
et  qu'elle  était  à  la  volonté  de  Dieu,  et  ajouta  :  «  J'ai  accompli  ce  que 
Messire  m'a  commaridé  j  de  lever  le  siège  d'Orléans  y  et  de  faire  sacrer  le 
gentil  roi;  je  voudrais  bien  qu'il  voulût  (Messire)  me  faire  ramener  auprès 
de  mon  père  et  de  ma  mère  et  garder  leurs  brebis  et  leur  bétail^  et  faire  ce 
que  f  avais  coutume  de  faire^  ».  Quand  lesdits  seigneurs  virent  Jeanne 
ainsi  parler,  et  les  yeux  au  ciel  remercier  Dieu,  ils  crurent  plus  que 
jamais  que  c'était  chose  venue  de  par  Dieu. 


III 

Le  duc  de  Bedford  était  à  Paris  avec  grand  nombre  d'Anglais  et  autres 
gens  ennemis  et  adversaires  du  roi.  Étant  venu  à  sa  connaissance  que 
le  roi  était  sur  les  champs  vers  Dammartin,  il  partit  de  Paris  avec  une 
bien  grande  et  grosse  armée,  et  s'achemina  vers  Mitry-en-France,  sous 
Dammartin,  et  il  prit  une  place  bien  avantageuse  où  il  ordonna  ses 
troupes. 

Le  roi  fit  pareillement  mettre  ses  gens  en  belle  ordonnance,  prêts  à 
livrer  bataille  si  l'autre  venait  Tassaillir,  ou  même  d'aller  à  lui  s'il  se 
mettait  lui  aussi  en  rase  campagne.  Et  pour  savoir  leur. état  et  conte- 
nance, il  fut  décidé  qu'on  y  enverrait  des  gens  par  manière  de  coureurs; 
y  fut  spécialement  envoyé  Etienne  de  Vignoles,  dit  La  Aire,  vaillant 
homme  d'armes,  ainsi  que  ceux  qui  marchaient  avec  lui.  Il  y  eut  de 
grandes  escarmouches  qui  durèrent  presque  tout  le  jour,  sans  presque 
aucune  perte  ni  dommage  d'un   côté  ni   de  l'autre.    Cependant  il  fut 
rapporté  au  roi  par  des  gens  bien  entendus  au  fait  de  la  guerre  que  le 
duc  de  Bcdlbrd  était  en  place  avantageuse  et  que  les  Anglais  s'étaient 
fortifiés,  et  c'est  pourquoi  le  roi  ne  fut  pas  conseillé  d'aller  plus  avant 
assaillir  ses  ennemis,  et  le  lendemain  le  duc  de  Bedford  avec  toute  son 
armée  s'en  retourna  à  Paris,  et  le  roi  tira  vers  Crépy-en- Valois. 

Le  roi  envoya  des  hérauts  aux  habitants  de  Compiègne  les  sommer  de 
se  mettre  en  son  obéissance;  à  quoi  ils  répondirent  qu'ils  étaient  prêts  et 
disposés  à  le  recevoir  et  à  lui  obéir  comme  à  leur  souverain  seigneur. 

De  hauts  seigneurs  allèrent  pareillement  en  la  ville  et  cité  de  Beauvais, 
dont  était  évoque  et  seigneur  un  nommé  maître  Pierre  Cauchon,  Anglais 
extrême,  quoique  Français  de  nation,  né  emprès  Reims.  Aussitôt  que  les 

i.  Elle  ne  dit  pas  qu'elle  a  accompli  toit  ce  que  Messire  lui  a  commandé;  Messire 
ne  veut  pas  la  faire  ramener  auprès  de  son  père.  La  (lucslion  sera  longuement 
discutée. 


LA  CHROiNIQUE  DE  LA  PCCELLE.  105 

habitants  virent  les  hérauts  revêtus  des  armes  de  France,  ils  crièrent 
Vive  Chartes^  roi  de  France!  et  ils  se  mirent  en  son  obéissance.  Quant 
à  ceux  qui  ne  voulurent  accepter  pareille  obéissance,  ils  les  laissèrent 
aller  avec  leurs  biens. 

Le  roi  songea  alors  à  venir  en  la  ville  de  Compiègne,  qui  lui  avait  fait 

soumission.  Il  se  dirigea  vers  Senlis,  et  s'arrêta  en  un  village  nommé 

Baron,  à  deux  lieues  de  Senlis,  ville  qui  obéissait  aux  Anglais  et  aux 

Bourguignons.  Le  matin  les  nouvelles  lui  vinrent  que  le  duc  de  Bedford 

partait  de  Paris  avec  toute  son  armée  pour  venir  à  Senlis,  et  que  de 

nouveau  quatre  mille  Anglais  lui  étaient  arrivés,  conduits  par  son  oncle 

le  cardinal  d'Angleterre.  Ledit  Cardinal  devait  les  conduire  contre  les 

Bohémiens  (hussites)  hérétiques  en  la  foi;  mais  il  les  détourna   pour 

guerroyer  contre  les  Français,  de  vrais  catholiques;  et,  comme  on  disait, 

ils  étaient  soudoyés  de  l'argent  du  Pape,  dans  le  but  qu'ils  fussent  conduits 

contre  lesdits  Bohèmes. 

Ces  choses   venues    à    la   connaissance  du  roi,   ordre    fut    donné  à 

Ambroise  de  Loré  et  au  seigneur  de  Xaintrailles  de  monter  à  cheval,  et 

d'aller  vers  Paris  ou  ailleurs,  ainsi  qu'il  leur  semblerait  bon  et  meilleur, 

pour  savoir  véritablement  ce  qu'il  en  était  du  duc  de  Bedford  et  de  son 

armée.  Ils  montèrent  diligemment  à  cheval,  et  prirent  seulement  une 

vingtaine  de  leurs  gens  des  mieux  montés,  puis  partirent  et  chevauchèrent 

si   bien  qu'ils  approchèrent  de  Tarmée  anglaise.   Ils  aperçurent   sur  le 

grand  chemin  de  Senlis  grands  tourbillons  de  poussière  qui  s'avançaient 

et  procédaient  de  la   suite  du  duc,  et  ils  envoyèrent  diligemment  un 

chevaucheur  devers  le  roi    pour  le  lui  faire  savoir;  ils  approchèrent 

encore  de  plus  près,  si  bien  qu'ils  virent  l'armée  anglaise  tirant  vers 

Senlis,  et  derechef  ils  envoyèrent  un  autre  chevaucheur  vers  le  roi  pour 

lui  dire  ce  qui  en  était. 

Le  roi  alors  et  son  armée  se  dirigèrent  très  diligemment  au  milieu  des 
champs  ;  et  s'ordonnèrent  en  ordre  de  bataille,  chevauchant  entre  la 
nvière  qui  passe  à  Baron  et  Montépilloy,  en  tirant  droit  à  Senlis.  Le  duc 
de  Bedford  et  son  armée  arrivèrent  à  l'heure  de  vêpres  près  de  Senlis,  et 
remirent  à  passer  une  rivière  qui  vient  de  cette  ville  à  Baron;  le  passage 
^Wtsiélroitqu'ilnepouvaityallerque  deux  chevaux  de  front.  Aussitôtque 
^ré  et  Xaintrailles  vi  rent  les  Anglais  s'engager  dans  ce  passage,  il  s  re  tour- 
"^èreut  en  hâte  vers  le  roi,  et  lui  en  donnèrent  l'assurance  ;  sur-le-champ 
*^  roi  fit  marcher  ses  corps  d'armée  directement  vers  ce  lieu,  pour  les 
^nabattre  au  moment  dudit  passage  ;  mais  la  plupart  des  Anglais  et 
<îonime  tous,  étaient  déjà  sur  l'autre  rive;  et  les  deux  armées  s'entrevirent 
1  une  l'autre  ;  il  y  eut  de  grandes  escarmouches,  et  de  belles  passes  d'armes 
furent  faites. 


106  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

A  cette  heure,  cYUait  comme  le  soleil  couchant.  Les  Anglais  se  logèrent 
sur  le  bord  et  au  bout  de  cette  rivière,  et  les  Français  établirent  leur 
camp  à  Montdpilloy.  Le  lendemain  au  matin,  le  roi  et  son  armée  se 
mirent  aux  champs,  et  Ton  ordonna  les  diverses  parties  de  l'armée.  Le 
duc  d'Alençon  et  le  comte  de  Vendôme  gouvernaient  le  corps  le  plus 
nombreux  ;  les  ducs  de  Bar  et  de  Lorraine  *  avaient  la  charge  du  second.  Le 
troisième,  qui  était  en  manière  d'aile,  était  sous  la  conduite  de  Rais  et  de 
Boussac,  maréchaux  de  France.  Un  autre  corps,  qui  souvent  se  mettait  en 
mouvement  pour  cscarmoucher  et  guerroyer  les  Anglais,  était  sous  le 
gouvernement  du  seigneur  d'Albret,  du  bâtard  d'Orléans,  de  Jeanne  la 
Pucelle,  de  La  Uire  et  de  plusieurs  autres  capitaines.  A  la  conduite  et  au 
gouvernement  des  archers  étaient  préposés  le  seigneur  de  Graville,  maître 
des  arbalétriers  de  France,  et  un  chevalier  limousin,  nommé  maître  Jean 
Foucault.  Le  roi  se  tenait  assez  près  de  ses  corps  d'armée,  ayant  autour 
de  sa  personne  et  en  sa  compagnie  le  duc  de  Bourbon,  le  seigneur  de 
La  Trémoille,  et  grande  foison  de  chevaliers  et  d'écuyers. 

Par  plusieurs  fois,  le  roi  chevaucha  par  devant  Tarmée  du  duc  de 
Bedford,  auprès  duquel  étaient  le  bâtard  deSaint-Polet  plusieurs  Bourgui- 
gnons, avec  les  troupes  rangées  près  d'un  village,  ayant  au  dos  un  grand 
étang  et  la  susdite  rivière  ;  ils  n'avaient  cessé  toute  la  nuit  de  se  fortifier 
très  diligemment  avec  des  pieux,  des  taudis  et  des  fossés. 

Le  roi  et  les  seigneurs  de  sa  suite  avaient  délibéré  et  conclu  qu'il  fallait 
combattre  le  duc  de  Bedford  avec  ses  Anglais  et  Bourguignons;  mais 
quand  ils  eurent  vu  et  considéré  la  place  qu'ils  occupaient,  leurs  fortifi- 
cations, ils  virent  et  connurent  qu'il  n'y  avait  nulle  apparence  de  les 
combattre  avec  succès,  en  la  place  qu'ils  occupaient.  Toutefois  les  Français 
s'approchèrent  II  environ  deux  traits  d'arbalète  des  Anglais,  et  leur  firent 
savoir  que  s'ils  voulaient  sortir  de  leur  parc,  on  les  combattrait;  ils  ne 
voulurent  jamais  sortir  ni  déloger  de  leur  enclos. 

Il  y  eut  de  grandes  et  merveilleuses  escarnmuches,  tellement  que  les 
Français  allaient  souvent  tant  à  pied  qu'à  cheval  jusques  aux  fortifications 
des  Anglais;  et  quelquefois  les  Anglais  saillaient  en  force  et  repoussaient 
les  Français;  il  y  eut  de  côté  et  d'autre  des  morts  et  des  prisonniers,  et 
toute  la  journée  se  passa  ainsi  en  escarmouches  jusques  à  environ  le  soleil 
couchant. 

Le  seigneur  de  La  Trémoille,  qui  était  bien  joli  et  monté  sur  un  grand 
coursier,  voulut  y  prendre  part.  De  fait  il  prit  sa  lance  et  vint  jusqu'au 

1.  Si  le  chroniqueur  enioinl  faire  deux  pei-sonnages  dilTérenls  du  duc  de  Bar  cl  de 
Lorraine,  il  se  trompe.  René  avail,  il  est  vrai,  rejoint  l'armée  le  3  août  à  Provins,  mai* 
son  l>eau-|)ère,  le  duc  de  Lorraine,  inclinait  toujours  pour  le  parti  anglo-bourgui- 
gnon. 


LA  CBROiNIQUE  DE  LA  PUCELLE.  iOT 

frapper;  mais  son  cheval  s'abattit,  et  si  le  cavalier  n'eût  eu  bientôt  secours, 
il  eût  été  pris  ou  tué  ;  il  fut  remonté  à  grand'peine. 

Il  y  eut  à  cette  heure  une  grande  escarmouche  ;  vers  le  soleil  couchant 
grand  nombre  de  Français  se  joignirent  ensemble,  et  vinrent  vaillamment 
jusque  près  du  parc  des  Anglais  combattre  main  à  main  et  les  provoquer; 
les  Anglais  saillirent  en  grande  foison,  à  pied  et  à  cheval  ;  les  Français 
se  renforcèrent,  et  à  cette  heure  Tescurmouche  fut  plus  vive  et  plus  rude 
qu'elle  n'avait  été  en  tout  le  jour  ;  il  y  avait  tant  de  poussière  qu'on  ne 
connaissait  ni  Français,  ni  Anglais,  tellement  que,  quoique  les  armées 
fussent  bien  près  les  unes  des  autres,  cependant  elles  ne  pouvaient  s'en- 
trevoir. Ledit  engagement  dura  jusqu'à  ce  qu'il  fût  nuit  serrée  et  obscure. 
•  Les  Anglais  se  retirèrent  tous  ensemble  et  se  serrèrent  dans  leur  parc, 
et  les  Français  aussi  se  retirèrent  dans  leur  campement  ;  les  Anglais  s'éta- 
blirent dans  leur  clos,  et  les  Français  là  où  ils  avaient  passé  la  nuit  pré- 
cédente, à  environ  demi-lieue  des  Anglais,  près  de  Montépilloy.  Les 
Anglais  le  lendemain  partirent  bien  matin  et  s'en  retournèrent  à  Paris;  et 
le  roi  et  ses  gens  s'en  allèrent  à  Crépy-en-Valois. 


IV 

Le  lendemain  le  roi  partit  de  Crépy  et  prit  son  chemin  vers  Compiègne, 
où  il  fut  reçugrandement  et  honorablement,  et  où  on  lui  rendit  obéissance. 
Il  y  commit  des  officiers,  et  ordonna  comme  capitaine  un  gentilhomme 
de  Picardie,  bien  allié  de  parents  et  d'amis,  nommé  Guillaume  de  Flavy. 

Là  les  manants  et  habitants  de  la  ville  de  Beauvais  envoyèrent  devers 
lui,  et  se  mirent  eux  et  la  ville  en  son  obéissance  ;  seniblablement  se  mirent 
en  l'obéissance  du  roi  ceux  de  Senlis,  ville  en  laquelle  le  roi  vint  se  loger. 

En  la  fin  du  mois  d'août,  le  duc  de  Bedford,  dans  la  crainte  que  le  roi 
ne  vînt  en  Normandie,  partit  de  Paris  avec  son  armée  pour  se  rendre  en 
cette  province.  Il  départit  son  armée  en  divers  lieux  de  son  obéissance 
pour  en  garder  les  places.  Il  avait  laissé  à  Paris  messire  Louis  de  Luxem- 
bourg, évoque  de  Thérouaune,  soi-disant  chancelier  de  France  pour  les 
Anglais,  un  chevalier  anglais  nommé  messire  Jean  Ralhelet,  et  un 
chevalier  français,  nommé  messire  Simon  Morbier,  qui  se  disait  alors 
prévôt  de  Paris  ;  lesquels,  pour  la  garde  et  défense  de  la  ville,  avaient  à 
leur  disposition  environ  deux  Aille  Anglais,  ainsi  que  Ton  disait. 

Vers  la  fin  dudit  mois  d'août,  le  roi  quitta  Senlis  et  s'en  vint  à  Saint- 
Denis,  où  ceux  de  la  ville  lui  ouvrirent  leurs  portes  et  firent  pleine 
obéissance  ;  et  avec  son  armée  il  s*établit  à  Saint-Denis. 

Alors  commencèrent  grandes  courses  et  escarmouches  entre  les  gens^ 


108  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARG  :  LA  LIBÉRATRICE. 

du  roi  étant  à  Saint-Denis,  et  les  Anglais  soutenus  par  les  habitants  de  Paris. 
Après  que  les  gens  du  roi  eurent  été  quelque  temps  à  Saint-Denis,  comme 
trois  ou  quatre  jours,  le  duc  d'Alençon,  le  duc  de  Bourbon,  le  comte  de 
Vendôme,  le  comte  de  Laval,  Jeanne  la  Pucelle,  les  seigneurs  de  Rais  et  de 
Boussac,  et  autres  à  leurs  suite,  vinrent  se  loger  en  un  villagequi  est  comme 
à  mi-chemin  entre  Paris  et  Saint-Denis,  et  qu'on  nomme  La  Chapelle. 

Le  lendemain,  comme  ils  étaient  plus  près,  les  escarmouches  recom- 
mencèrent plus  âpres  que  devant,  et  lesdils  seigneurs  vinrent  aux  champs 
vers  la  porte  saint-IIonoré,  sur  une  manière  de  butte  ou  de  montagne  que 
Ton  nommait  le  marché  aux  Pourceaux;  ils  y  firent  ajuster  plusieurs 
canons  et  coulevrines  pour  tirer  dans  la  ville  de  Paris,  et  en  effet  ils 
en  firent  partir  plusieurs  coups. 

Les  Anglais  circulaient  et  tournoyaient  autour  des  remparts,  les  éten- 
tards  déployés,  parmi  lesquels  s'en  trouvait  un  blanc  à  croix  vermeille; 
ils  allaient  et  venaient  par  ladite  muraille.  Quelques-uns  des  seigneurs 
qui  étaient  de  Tentropriso  voulurent  aller  jusqu'à  la  porte  Saint-IIonoré; 
entre  les  autres  s[)écialement  un  chevalier  nommé  le  seigneur  de  Saint- 
Vallier  ;  lui,  ses  gens  allèrent  jusqu'au  boulevard,  et  mirent  le  feu  aux 
barrières,  et  malgré  le  grand  nombre  d'Anglais  et  d'habitants  de  Paris 
qui  le  défendaient,  le  boulevard  fut  pris  d'assaut,  et  les  ennemis  rentrèrent 
par  la  porte  dans  la  ville. 

Les  Français  s'attendaient  à  ce  que  les  Anglais  vinssent  par  la  porte 
Saint-Denis  fondre  sur  eux  ;  c'est  pourquoi  les  ducs  d'Alençon  et  de  Bourbon 
entourés  de  leurs  gens  s'étaient  mis  comme  en  embuscade  derrière  ladite 
butte  ou  montagne  ;  et  ils  ne  pouvaient  bonnement  approcher  de  plus 
près  par  crainte  des  canons,  veuglaires  et  coulevrines  qui  tiraient  sans 
cesse  de  la  ville. 

Jeanne  dit  qu'elle  voulait  assaillir  la  ville  de  Paris;  mais  elle  n  était  pas 
bien  informée  de  la  profondeur  de  Tcau  qu'il  y  avait  dans  les  fossés;  et 
il  y  en  avait  autour  d'elle  qui  le  savaient  fort  bien  ;  mais  on  pouvait  voir 

QUE    PAi;    envie    ils    eussent   niEN    voulu   OU'iL    lui    ARRIVAT  MALE    AVENTURE*. 

Néanmoins  elle  vint  avec  grande  force,  et  nombreux  hommes  d'armes, 
parmi  lesquels  le  seigneur  de  Uais,  maréchal  de  France  ;  ils  descendirent 
en  l'arrière-fossé  avec  de  nombreux  gens  de  guerre  ;  puis  avec  sa  lance 
Jeanne  monta  sur  le  dos  d'àne,  et  se  mit  à  sonder  l'eau  qui  était  bien 
profonde.  Pendant  qu'elle  y  était  occupée,  un  trait  lui  blessa  les  deux 
cuisses,  ou  l'une  tout  au  moins. 

Ce,  nonobstant,  elle  ne  voulait  pas  se  retirer,  et  elle  se  donnait  toute 
sorte  de  soins  pour  faire  apporter  et  jeter  fagots  et  bois  dans  le  second 

1.  Si  en  avait  aucuns  audict  luii  qui  le  sçavûient  lieny  et  selon  ce  qu'on pouvoit  considérer^ 
tussent  bien  voulu  par  envie  qu'il  fut  mescheu  à  la  dicte  Jehanne,  (Page  283.) 


LA  CHRONIQUE  DE  LA  PUCELLE.  109 

fossé,  dans  Tespérance  de  passer  jusqu'au  mur  ;  ce  qui  n'était  pas  possible 
vu  la  grande  quantité  d'eau  dont  il  était  rempli.  Dès  que  la  nuit  commença, 
on  envoya  plusieurs  fois  la  quérir  ;  mais  elle  ne  voulait  en  aucune  manière  ni 
PARTIR  NI  SE  RETIRER  ;  il  fallut  quo  le  duc  d'AIençon  vint  la  quérir  et 
remmenât  sous  sa  tente.  Et  tous  se  retirèrent  à  La  Chapelle-Saint-Denis, 
où  ils  avaient  passé  la  nuit  précédente.  Le  lendemain,  les  ducs  d'AIençon  et 
de  Bourbon  revinrent  à  Saint-Denis,  où  le  roi  se  trouvait  avec  son  armée. 

Et  l'on  disait  QUE  PAR  LÂCHETÉ  DE  COURAGE,  IL  n'aVAIT  JAMAIS  VOULU  PRIINDRE 

Paris  d'assaut,  et  que  si  on  y  fut  resté  jusqu'au  matin  il  y  en  eut  eu  [dans 
Paris)  QUI  se  fussent  avisés  *. 

Il  y  eut  plusieurs  blessés,  et  comme  pas  un  mort. 


Y 

Le  douzième  jour  de  septembre,  le  roi  assembla  son  conseil  pour  savoir 
ce  qu'il  y  avait  à  faire.  Vu  que  les  habitants  de  Paris  ne  montraient 
aucun  semblant  de  vouloir  se  réduire  à  obéissance,  qu'ils  n'auraient  pas 
osé  se  concerter  sous  l'œil  des  Anglais  et  desBourguignons  qui  élaient  fort 
puissants,  que  Targent  manquait  pour  entretenir  l'armée,  le  conseil  fut 
d'avis  de  laisser  de  grosses  garnisons  dans  le  pays  conquis,  sous  le  comman- 
dement de  princes  du  sang,  et  que  le  roi  s'en  allât  vers  la  Loire  et  au  delà. 

En  exécution  de  cet  avis  du  conseil,  le  roi  laissa  le  duc  de  Bourbon,  le 
comte  de  Vcn  lôme,  messire  de  Culan,  amiral  de  France,  et  d'autres 
capitaines  ;  il  ordonna  que  le  duc  serait  son  lieutenant  et  il  laissa  dans 
Saiut-Denis  le  comte  de  Vendôme  et  Tamiral  de  Culan,  avec  grande 
compagnie  de  gens  d'armes;  il  partit  ensuite  avec  son  armée  et  vint  pren- 
dre gîte  à  Lagny-sur-Marne.  Il  partit  le  lendemain,  après  avoir  ordonné 
à  messire  Ambroise  de  Loré  de  rester  à  Lagny,  et  après  lui  avoir  assigné 
pour  compagnon  un  vaillant  chevalier  du  Limousin,  nommé  messire 
Jean  Foucault,  ainsi  que  plusieurs  gens  de  guerre. 

Quand  les  Anglais  et  les  Bourguignons  surent  que  le  roi  était  ainsi 
parti,  ils  assemblèrent  de  toutes  parts  un  grand  nombre  de  leurs  gens; 
et  ceux  de  Saint-Denis,  c'est-à-dire  le  comte  de  Vendôme  et  les  autres, 
considérant  que  la  ville  était  faible,  la  délaissèrent  et  vinrent  àSenlis. 

Cousinot  de  Montreuil  n'a  plus  qu'une  page  où  il  n'est  pas  question  de 
Jeanne  d'Arc.  A-t-il  arrêté  là  son  travail?  la  suite  en  est-elle  perdue  ?  C'est 
ce  que  l'on  ignore  jusqu'à  ce  jour. 

1.,  Et  disoit'On  qu'il  ne  crut  oncques  de  l>ische  couraige  de  voulloir  prendre  la  ville  Paris 
d'assaut,  et  que  s'ils  y  eussent  esté  jusques  au  matinj  il  en  eust  eu  qui  se  seraient  advisés. 


JOURNAL  DU  SIÈGE  D'ORLÉANS 

ET 

HISTOIRE   DE   LA   PUCELLE   JUSQU'AU    RETOUR  A   PARIS 


REMARQUES  CRITIQUES. 

En  1576,  Saturnin  Hotot,  imprimeur  de  la  ville  d'Orléans,  éditait,  par 
suite  d'une  convention  avec  la  municipalité,  un  volume  sous  le  titre 
suivant  :  Histoire  et  discours  au  vrai  du  siège  qui  fut  mis  devant  la  ville 
d'Orléans  par  les  Anglois^  le  7nardi  12  octobre  1428,  régnant  alors 
Charles  VII  de  ce  nom  roy  de  Fra?ice,  contenant  toutes  les  saillies^ 
assaults^  escarmouches  et  autres  particularités  qui,  de  jour  en  jour  y 
furent  faictes  avec  la  venue  de  Jehanne  la  Pucelle^  et  comment  par  grâce 
divine  et  force  d* armes j  elle  feist  lever  le  siège  de  devant  aux  Anglais^ 

PRISE  DE  MOT  A  MOT  SANS  AUCUN  CHANGEMENT  DE  LANGAGE,  d'uN  VIEIL  EXEM- 
PLAIRE, ESCRIPT  A  LA  MAIN  EN  PARCHEMIN,  ET  TROUVÉ  DANS  LES  ARCHIVES  DE 
LA  VILLE. 

De  1429  à  1576,  près  d'un  siècle  et  demi  s'était  écoulé,  beaucoup  plus 
qu'il  n'en  faut  pour  diminuer  fort  notablement  l'autorité  de  l'imprimé, 
qui  tire  sa  valeur  du  parchemin  qu'il  reproduit.  A  quelle  année  remonte 
ce  parchemin?  Est-il  bien  exactement  reproduit?  Deux  points  impor- 
tants sur  lesquels  doit  porter  la  critique.  Ici  encore,  comme  sur  toute 
la  période  du  siège,  les  recherches  de  l'abbé  Dubois  fournissent  des  don- 
nées de  grande  valeur.  Le  patient  chanoine  découvrit  dans  les  manus- 
crits d'un  érudit  Orléanais  du  xviii"  siècle,  Polluchc,  l'extrait  suivant  du 
compte  de  ville  de  1466  :  «  Payé  onze  sous  parisis  à  M.  Soudan,  clerc, 
pour  avoir  escript  en  parchemin  la  manière  du  siège  tenu  par  les  Anglois 
devant  Orléans  en  1428-1429  ».  Qu'était  le  clerc  Soudan?  L'abbé  Dubois 
a  encore  trouvé  la  réponse  dans  les  comptes  de  1468,  où  pour  d'autres 
écritures  se  lit  cette  mention  :  «  Payé  5*  4*  à  Soubsdan,  notaire  en  cour 
d'Eglise.  »  Un  notaire  en  cour  d'Église  était  le  plus  souvent  un  gradué 
en  droit  canonique. 

Le  parchemin  des  archives  de  la  ville  a  disparu;  mais  nous  en  avons 


JOURNAL  DU  SIÈGE  D'ORLÉANS.  IJi 

des  copies.  On  connait  en  effel  quatre  ou  cinq  manuscrits  du  Journal  du 
siège.  Deux  sont  à  la  Bibliothèque  nationale  de  Paris  ;  Tun  (Fonds  latin, 
n®  14665)  provient  de  Tabbaye  de  Saint- Victor  et  est  du  xv"  siècle,  Tautre 
fait  partie  du  célèbre  manuscrit  d'Urfé,  dont  il  a  été  parlé  dans  le  volume 
précédent  :  il  est  cousu  avant  le  Double  Procès,  mais  Técriture  accuse 
une  date  postérieure;  elle  est  du  xvi"  siècle.  On  en  trouve  un  autre  exem- 
plaire du  xvi*  siècle  à  la  Bibliothèque  de  Genève.  Le  quatrième,  écriture 
du  XV*  siècle,  fait  partie  du  manuscrit  du  Vatican  (Fonds  de  la  reine 
Christine,  n**  891).  La  Bibliothèque  impériale  de  Saint-Pétersbourg  en 
possède  un  cinquième  exemplaire. 

Le  texte  de  Saturnin  Hotot  a  été  collationné  avec  le  texte  de  la  Biblio- 
thèque nationale,  et  le  R.  Père  Rivière,  sur  ma  demande,  a  bien 
voulu  vérifier  sur  le  manuscrit  du  Vatican  certains  passages  que  je  lui 
avais  signalés.  A  deux  mots  près,  les  variantes  sont  si  peu  importantes 
qu'elles  ne  méritent  pas  d'être  signalées.  Le  scribe,  auquel  Quicherat  a 
confié  la  transcription  qu'il  a  imprimée,  a  préféré  travailler  sur  l'imprimé 
que  sur  le  manuscrit. 

C'est  donc  à  tort  que  l'abbé  Dubois  a  pensé  que  Saturnin  Hotot  avait 
introduit  dans  le  texte  du  parchemin  des  archives  d'Orléans  des  chan- 
gements qui  le  déparent.  La  fidélité  de  Timprimeur  nous  est  garantie 
par  les  manuscrits  antérieurs  dans  lesquels  on  retrouve  ce  qui  offusque 
dans  le  texte  imprimé.  Pareille  conformité  ne  peut  s'expliquer  que  parce 
que  les  manuscrits  ont  reproduit  le  texte  aujourd'hui  perdu,  mais  gardé 
dans  les  archives  de  la  ville  en  1576.  C'est  donc  au  texte  copié  en  1466 
par  le  notaire  Soudan  que  manuscrits  et  imprimé  nous  ramènent.  Faut- 
il  faire  remonter  beaucoup  plus  haut  sa  composition?  Il  ne  le  paraît  pas  ; 
tout  indique  qu'il  a  été  composé  à  la  suite  de  la  réhabilitation,  après  1 456. 

De  toutes  les  Chroniques,  le  Journal  du  siège  est  la  seule  qui  énonce 
carrément  que  la  délivrance  d'Orléans  et  le  sacre  de  Reims  constituaient 
la  mission  entière  de  la  Pucelle.  Dunois,  dans  sa  déposition,  avait  émis 
timidement  cette  assertion  démentie  par  une  foule  d'autres  documents, 
en  opposition  avec  les  paroles  maintes  fois  répétées  et  les  actes  de  la 
céleste  envoyée. 

L'abbé  Dubois,  qui  pourtant  était  loin  d'avoir  bien  des  pièces  qui 
depuis  ont  confirmé  son  assertion,  reproche  justement  à  l'auteur  de 
n'avoir  pas  dit  toute  la  vérité,  et,  par  égard  pour  les  capitaines  qui  com- 
mandaient à  Orléans,  de  n'avoir  pas  rapporté  plusieurs  faits  bien  cons- 
tatés qui  ne  leur  font  pas  honneur  \ 

Même  à  Orléans,  Jeanne  a  vaincu  malgré  l'opposition  des  chefs,  forte 

1.  L'abbé  Dubois,  Histoire  du  siège  d'Orléans^  Charpentier  et  Cuissart,  p.  6o.  —  Ne 
pas  confondre  avec  le  Journal  du  siège,  édité  par  les  mêmes  auteurs. 


il2  LA  VRAIE  JEANNE  D'aRG  :   LA  LIBÉRATRICE. 

qu'elle  était  de  Tappui  des  Orléanais,  qui  ont  fini  par  entraîner  les  capi- 
taines à  leur  suite.  Voiler  cet  aspect  de  la  délivrance,  c'est  en  diminuer 
le  merveilleux  et  rabaisser  riiéroïsm*  de  la  patriotique  cité.  Non  seule- 
ment les  deux  Gousinot,  mais  Thistoriographe  officiel,  Jean  Chartier, 
sont  plus  véridiqucs  et  moins  adulateurs  des  grands. 

Le  rédacteur  inconnu  du  Journal  est  partial  en  faveur  des  nobles.  Il 
énumère  complaisamment  les  noms  de  ceux  qui  ont  pris  part  à  la  lutte, 
et  son  histoire  du  siège  n'est  que  le  récit  des  incidents  particuliers  qui 
le  signalèrent,  sans  vue  d'ensemble  ;  au  point  qu'après  l'avoir  lu,  on  se 
rend  médiocrement  compte  de  l'état  des  choses.  D'autres  Chroniques  en 
disent,  sous  ce  rapport,  plus  en  quelques  lignes  que  le  Journal  dans  de 
longues  pages. 

Il  hlàme  les  plaintes,  pourtant  si  justes,  des  Orléanais,  lorsque,  après  la 
victoire  de  Palay,  Charles  VII  les  frustra  d'une  visite  pour  laquelle  ils 
avaient  fait  des  préparatifs,  et  qui  leur  était  si  bien  due.  Il  dissimule  que 
l'héroïne  dut  entraîner  le  roi  sur  le  chemin  de  Reims,  en  partant  de  Gien 
avec  une  partie  de  l'armée,  pour  mettre  fin  à  d'interminables  tergiversa- 
tions. D'après  son  récit,  ce  seraient  les  conseillers  du  roi  qui  l'auraient 
déterminé  à  reprendre  le  chemin  du  Bcrry  par  Bray-sur-Seine.  D'après 
les  autres  chroniqueurs,  il  était  d'accord  avec  ces  conseillers,  traîtres  ou 
tout  au  moins  mal  avisés.  S'il  dit  que  la  tentative  contre  Paris  échoua 
parce  que  les  choses  furent  mal  conduites^  il  se  garde  d'insinuer  les  causes 
honteuses  de  ce  défaut  dans  la  conduite,  et  l'on  se  demande  si  c'est  à  l'hé- 
roïne qu'il  faut  l'attribuer,  ou  à  d'autres  capitaines  mal  inspirés.  D'après 
lui,  La  Trémoille  excepté,  tous  les  grands  auraient  rempli  leur  devoir  et 
secondé  la  céleste  envoyée;  ce  qui  n'est  pas  exact. 

L'auteur  dit  que  sou  ouvrage  est  très  compendieux^  c'est-à-dire  très 
abrégé.  Qu'abrège-t-il?  Seraicnt-ce  des  registres  de  la  cité,  écrits  au  fur 
et  à  mesure  que  les  faits  se  passèrent?  Si  c'esl  possible,  nous  n'avons 
aucune  preuve  pour  l'affirmer.  Sûrement,  à  partir  de  la  campagne  de  la 
Loire,  il  a  sous  les  yeux  la  Chronicjue  des  Cousinot  II  ne  fait  que 
l'abréger  pour  la  campagne  du  sacre,  et  pour  celle  qui  a  suivi.  Aussi 
sera-t-il  inutile  de  reproduire  celte  partie,  sauf  la  dernière  page,  où  il  y 
a  quelques  détails  particuliers.  Nous  ne  reproduirons  pas  non  plus  les 
incidents  du  siège.  L'abbé  Dubois  a  dit  à  bon  droit  que  ces  détails 
étaient  nus,  décharnés  et  peu  intéressants  \ 

La  rédaclion  semble  hâtive.  Après  avoir  rapporté  que  Saint  Loup  fut 
enlevé  le  mercredi  4  mai,  ce  qui  est  exact,  il  dit  que  les  Tourelles  furent 
prises  le  samedi  6,  et  que  les  Anglais  partirent  le  dimanche  7  mai  ;  cela  ne 

1.  L'abbé  Dubois,  Histoire  du  siège  dCOrléanSy  p.  7o. 


JOURNAL  DU  SIÈGE  D'ORLÉANS.  113 

se  trouve  pas  seulement  dans  rimprimé  de  Saturnin  Hotot,  mais  aussi 
dans  les  manuscrits.  Il  fallait  bien  que  le  rédacteur  écrivit  assez  long- 
temps après  le  siège,  pour  faire  coucher  la  Pucelle  aux  Tourelles  dans  la 
nuit  du  samedi  au  dimanche.  Tout  le  monde  savait  à  Orléans  qu'elle 
était  rentrée  le  soir  môme  par  le  pont,  ainsi  qu'elle  l'avait  annoncé  le 
matin,  contre  toute  vraisemblance. 

Ce  qu'il  dit  de  la  Pucelle  avant  son  arrivée  à  Orléans  n'est  pas  à  sa 
place.  Il  en  résulte  de  la  confusion  quand  on  veut  se  rendre  compte  de 
la  suite  des  faits.  Quelques  notables  erreurs  y  seront  signalées. 

Le  style  semble  confirmer,  ainsi  que  Tobserve  l'abbé  Dubois*,  la  com- 
position postérieure  du  Journal.  Il  renferme  des  mots  inusités  en  1430. 
D'après  d'habiles  philologues,  la  langue  française  aurait  subi  de  notables 
changements  vers  le  milieu  du  xv«  siècle,  particulièrement  dans  le  centre 
de  la  France.  Ce  changement  nous  a  paru  bien  accusé  dans  le  Journal 
du  siège.  La  diction  est  relativement  moderne  ;  on  y  trouve  par  exemple 
le  mot  citoyen^  inusité,  ce  nous  semble,  avant  cette  époque.  Pour  rendre 
le  style  tout  à  fait  moderne,  il  suffit  le  plus  souvent  de  changer  les  mots 
de  place  et  de  rajeunir  l'orthographe. 

La  partie  vraiment  intéressante  du  Journal  en  ce  qui  regarde  Jeanne 
d'Arc,  c'est  l'entrée  de  l'héroïne  à  Orléans,  l'emploi  de  ses  journées 
jusqu'à  l'assaut  contre  Saint-Loup.  Il  donne  des  détails  qu'on  chercherait 
inutilement  dans  les  autres  chroniques. 

Depuis  Saturnin  Hotot,  le  Journal  du  siège  a  été  plusieurs  fois  édité. 
Quicherat  l'a  fait  entrer  dans  sa  collection.  Au  moment  où  ces  lignes  sont 
écrites,  MM.  Paul  Charpentier  et  Cuissard  ont  fait  paraître  une  nouvelle 
édition  enrichie  de  nombreuses  notes,  à  laquelle  nous  sommes  heureux 
de  renvoyer. 


CHAPITRE  PREMIER 

LA  PUCELLE  JUSQU'A  SON  ENTRÉE  A  ORLÉANS. 

SoiofAiRE  :  I.  —  Naissance  et  occupations  de  la  Pucelle.  —  Ordre  du  ciel.  —  Accueil 
de  Baudricourt.  —  Horrible  pensée;  comment  dissipée.  —  Influence  angélique  de 
la  jeune  fille.  —  Annonce  de  la  défaite  de  Houvray.  —  Baudricourt  gagné.  —  Com- 
pagnons de  voyage  ;  leurs  craintes.  —  La  Pucelle  les  rassure. 

U.  —  Arrivée  à  Ghinon;  nombreux  périls  évités.  —  Desseins  extrêmes  agités  à  la 
cour.  —  Récit  des  guides.  —  Première  audience.  —  Réunion  et  avis  du  grand 
conseil.  —  Examen  :  la  personne  de  la  Pucelle;  annonce  de  la  défaite  de  Rouvray; 

1.  L*abbé  Dubois,  Hisioire  du  siège  d'Orléans,  p.  65. 

III.  8 


114  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

révélation  des  secrets.  —  Nouvel  examen  à  Poitiers.  —  Sentence.  —  Armement, 

étendard,  épée,  maison  de  la  Pucelle. 
IIL  —  Anachronismes  du  chroniqueur.  —  Séjour  à  Blois.  —  Lettre  aux  Anglais.  — 

Courroux,  dérisions,  menaces  des  Anglais.  —  Le  héraut  retenu. 
IV.  —  Préparatifs  militaires  et  religieux  à  dois.  —  En  marche  par  la  Sologne  et 

arrivée  à  Chécy.  —  Les  Orléanais  prévenus.  —  Chaude  escarmouche  pour  favoriser 

l'entrée  du  convoi. 

• 

I 

L'auteur  du  Journal  du  siège  insère  ce  qui  suit,  entre  ce  qui  se  passa 
à  Orléans  le  mardi  8  février,  et  les  événements  du  mercredi  9  : 

«  Vers  ces  jours,  il  y  avait  une  jeune  pucelle,  nommée  Jeanne,  native 
d'un  village  en  Barrois,  appelé  Domrémy,  près  d'un  autre  dit  Gras 
(Greux),  sous  la  seigneurie  de  Vaucouleurs,  à  laquelle,  pendant  qu'autour 
de  la  maison  de  son  père  et  de  sa  mère  elle  gardait  quelques  brebis  qu'ils 
/  avaient,  ou  d'autres  fois  pendant  qu'elle  cousait  et  filait,  Notre-Seigneur 
.  apparut  visiblement  à  plusieurs  reprises.  Il  lui  commanda  d'aller  faire 
lever  le  siège  d'Orléans  et  de  faire  sacrer  le  roi  à  Reims,  l'assurant  qu'il 
serait  avec  elle,  et  que  par  son  divin  secours  et  par  la  force  des  armes 
il  lui  ferait  accomplir  pareille  entreprise. 

«  C'est  pourquoi  elle  alla  vers  messire  Robert  de  Baudricourt,  alors 
capitaine  de  Vaucouleurs,  et  lui  raconta  sa  vision,  le  priant  et  le  requé- 
rant que  pour  le  très  grand  bien  et  profit  du  roi  et  du.  royaume,  il  voulût 
lui  donner  des  vêtements  d'homme,  la  monter  d'un  cheval  et  la  faire 
mener  vers  le  roi,  ainsi  que  Dieu  lui  avait  commandé  d'aller.  Mais  il  ne 
voulut  la  croire  ni  pour  lors,  ni  pendant  plusieurs  des  jours  qui  suivi- 
rent; il  ne  faisait  au  contraire  que  se  moquer  d'elle,  réputantses  visions 
des  fantaisies  et  de  folles  imaginations,  quoiqu'il  la  gardât,  dans  la  pensée 
qu'elle  servirait  à  la  lubricité  de  ses  gens  ;  ce  en  quoi  ni  aucun  d'eux, 
ni  personne  dans  la  suite,  ne  put  se  satisfaire  ;  car  sitôt  qu'ils  la  fixaient 
leur  passion  refroidie  se  dissipait.  » 

L'auteur  du  Journal  ne  parle  plus  de  Jeanne,  qu'après  le  récit  de  la 
journée  des  Uarengs.  Il  écrit  à  la  suite  : 

«  Ce  propre  jour,  Jeanne  la  Pucelle  sut  cette  déconfiture  par  grâce 
divine;  elle  dit  à  messire  de  Baudricourt  que  le  roi  avait  eu  un  grand 
dommage  devant  Orléans,  et  qu'il  en  aurait  plus  encore,  si  elle  n'était 
pas  menée  devers  lui.  C'est  ce  qui  détermina  Baudricourt,  qui  l'avait  déjà 
éprouvée,  trouvée  très  sage,  et  croyait  presque  à  ce  qu'elle  disait  de  ses 
visions.  Comme  elle  persévérait  toujours  en  ses  premières  requêtes,  il 
la  fit  habiller  en  habits  d'homme,  ainsi  qu'elle  le  demanda,  et  il  lui  donna 
pour  la  conduire  deux  gentilshommes  do  Champagne  :  l'un  nommé 
Jean  de  Metz,  et  l'autre  Bertrand  de  Polongy,  qui  s'y  prêtèrent  bien  à 


JOURNAL  DU  SIÈGE  D'ORLÉANS.  Uo 

contre-cœur,  à  causfdes  périls  des  chemins;  cependant,  comme  Jeanne  0 
leur  assurait  qu'ils  n'auraient  aucun  mal,  ils  se  mirent  en  route  avec  elle,    • 
et  avec  deux  de  ses  frères*,  pour  aller  devers  le  roi  qui  élait  alors  à 
Chinon.  » 

Après  avoir  rapporté  quelques  incidents  du  siège,  qui  eurent  lieu  le 
14  et  le  17  février,  il  revient  à  Jeanne  dont,  par  erreur,  il  fixe  l'arrivée  à 
Chinon  du  17  au  20  février.  Voici  comment  il  s'exprime  : 


II 

«  Environ  ces  jours  arrivèrent  dans  Chinon  Jeanne  laPucelle,  et  ceux  qui 
la  conduisaient,  fort  émerveillés  d'avoir  pu  arriver  sains  et  saufs,  vu 
les  périlleux  passages  qu'ils  avaient  rencontrés,  les  dangereuses  et  grosses 
rivières  qu'ils  avaient  traversées  à  gué,  le  grand  chemin  qu'ils  avaient  dû 
parcourir,  au  long  duquel  ils  avaient  passé  par  plusieurs  villes  et  villages 
tenant  le  parti  des  Anglais  sans  parler  des  pays  français,  es  quels  se 
commettaient  d'innombrables  maux  et  pilleries.  C'est  pourquoi  ils  louè- 
rent Notre-Seigneur  de  la  grâce  qu'il  leur  avait  faite,  ainsi  que  la  Pucelle 
le  leur  avait  promis  avant  le  départ.  Ils  notifièrent  leur  fait  au  roi,  par 
devant  lequel  on  avait  déjà  par  plusieurs  fois  traité  en  conseil,  si  les 
Anglais  gagnaient  Orléans,  que  le  meilleur  était  qu'il  se  retirât  en 
Dauphiné^  et  le  conservât  avec  les  pays  du  Lyonnais,  de  Languedoc  et 
d'Auvergne,  si  toutefois  on  les  pouvait  sauver  ;  mais  tout  fut  mué.  Le 
roi  manda  les  deux  gentilshommes,  et  en  présence  des  hommes  de  son 
grand  conseil,  il  les  fit  interroger  du  fait  et  de  l'état  de  la  Pucelle;  sur 
quoi  ils  répondirent  la  vérité.  Et  à  cette  occasion  on  mit  en  délibération, 
si  on  la  ferait  parler  au  roi  ;  à  quoi  il  fut  répondu  que  oui. 

«  De  fait  elle  lui  parla,  lui  fit  la  révérence,  et  le  connut  parmi  ses  gens, 
quoique  plusieurs  feignissent  d'être  le  roi,  croyant  l'abuser;  et  non  sans 
vraisemblance,  car  elle  ne  l'avait  jamais  vu. 

«  Elle  lui  dit  par  fort  belles  paroles  que  Dieu  l'envoyait  pour  l'aider  et   / 
le  secourir,  qu'il  lui  donnât  des 
d'armes,  elle  lèverait  le  siège  d' 
Reims,  ainsi  que  Dieu  le  lui  avait  commandé  ;  que  Dieu  voulait  que  les  j 
Anglais  s'en  retournassent  en   leur  pays,  et  lui  laissassent  en  paix  un , 
royaume  qui  devait  lui  demeurer  ;  que  s'ils  ne  le  laissaient  pas,  il  leur  en 
arriverait  malheur. 

1.  En  comparant  ce  début  du  récit  avec  les  dépositions  des  témoins  rapportées  dans 
la  Paysanne  et  l'Inspirée,  on  constatera  plusieurs  inexactitudes  chez  le  chroniqueur,  qui 
ne  connaît  que  la  substance  de  la  vie  de  Domrémy  et  de  Vaucouleurs. 


gens,  car,  par  grâce  divine  et  par  force  i 
['Orléans,  et  puis  le  mènerait  sacrer  à  [ 


H6  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARG  :   LA  LIBÉRATRICE. 

«Ces  paroles  ainsi  dites  par  elle,  le  roi  la  fit  ramener  honorablement 
en  son  logis,  et  il  assembla  son  grand  conseil,  auquel  furent  présents 
plusieurs  prélats,  chevaliers,  écuyers,  avec  des  docteurs  en  théologie,  en 
lois  {civiles)  et  en  décret  {lois  canoniques).  Tous  ensemble  furent  d*avis 
qu'elle  fût  interrogée  par  des  docteurs,  pour  essayer  s'il  se  trouverait 
en  elle  des  raisons  bien  claires  qu'elle  pouvait  accomplir  ce  qu'elle  pro- 
•  mettait.  Les  docteurs  la  trouvèrent  de  si  honnête  contenance,  si  sage  en 
SCS  paroles,  qu'on  tint  grand  compte  de  la  relation  qu'ils  en  firent. 

w  Sur  cette  appréciation,  et  aussi  parce  qu'on  prouva  qu'elle  avait  su 
véritablement  le  jour  et  l'heure  de  la  journée  des  Harengs,  ainsi  qu'il 
ifut  établi  par  les  lettres  de  Baudricourt,  qui  avait  écrit  l'heure  qu'elle 
lui  avait  dite  alors  qu'elle  était  à  Vaucouleurs  ;  et  encore,  parce  que, 
môme  depuis  elle  avait  déclaré  au  roi  en  secret,  en  présence  de  son 
confesseur  et  d'un  petit  nombre  de  ses  intimes  conseillers,  un  bien  qu'il 

/  avait  fait;  ce  dont  il  fut  fort  ébahi,  car  nul  ne  le  pouvait  savoir,  sinon 
Dieu  et  lui  ;  pour  tous  ces  motifs,  il  fut  arrêté  qu'elle  serait  menée  honnê- 
tement à  Poitiers.  On  voulait  la  faire  interroger  derechef  et  s'assurer  de 
sa  persévérance,  et  l'on  voulait  aussi  trouver  de  l'argent,  pour  lui  donner 
des  gens,  des  vivres,  de  l'artillerie,  dans  le  but  de  ravitailler  Orléans. 

'  «  Elle  sut  par  grâce  divine  ce  que  Ton  se  proposait  d'elle;  car,  au  milieu 
du  chemin,  elle  dit  à  plusieurs  :  «  En  nom  DieUy  je  sais  bien  que  J'aurai 
«  beaucoup  à  faire  à  Poitiers,  où  l'on  me  mène;  mais  Messire  m'aidera;  or  y 
«  allons  de  par  Dieu,  »  Car  c'était  sa  manière  de  parler. 

«  Quand  elle  fut  audit  Poitiers,  où  était  pour  lors  le  parlement  du  roi, 
diverses  interrogations  lui  furent  faites  par  plusieurs  docteurs  et  par 
d'autres  gens  de  grand  état,  auxquelles  elle  répondit  fort  bien,  et  spé- 
cialement à  un  docteur  jacobin,  qui  lui  dit  que  si  Dieu  voulait  que  les 
Anglais  s'en  allassent,  il  n'était  pas  besoin  d'armes.  A  quoi  elle  répondit 
qu'elle  ne  voulait  que  peu  de  gens,  qu'ils  combattraient  et  que  Dieu  don- 
nerait la  victoire.  Cette  réponse  et  plusieurs  autres  qu'elle  avait  faites 
les  amenèrent  tous  à  conclure  que  le  roi  devait  se  fier  à  elle,  lui 
donner  vivres  et  gens,  et  l'envoyer  à  Orléans.  Ce  qu'il  fit. 

«  Mais  auparavant  il  la  fit  bien  armer,  et  lui  donna  de  bons  chevaux.  Il 
voulut  et  ordonna  qu'elle  eut  un  étendard,  sur  lequel,  par  son  vouloir  à 
elle.  Ton  fit  peindre  une  Majesté  et  mettre  pour  devise  :  Jhësus,  Maria. 
Le  roi  voulant  lui  donner  une  belle  épée,  elle  le  pria  qu'il  lui  plût 
d'envoyer  en  quérir  une  qui  avait  cinq  croix  en  la  lame,  près  de  la  croix, 
et  qui  était  à  Sainte-Catherine-de-Fierbois.  Le  roi,  fort  émerveillé  de 
cette  requête,  lui  demanda  si  elle  l'avait  jamais  vue;  à  quoi  elle  répondit 
que  non,  mais  que  cependant  elle  savait  qu'elle  était  à  Sainte-Catherine. 
Le  roi  y  envoya,  et  cette  épée  fut  trouvée  avec  d'autres,  données  à  ce 


JOURNAL  DU  SIÈGE  D'ORLÉANS.  117 

lieu  dans  le  temps  passé  ;  elle  fut  apportée  au  roi,  qui  la  fit  honnêtement 
mettre  en  un  fourreau,  et  garnir. 

«  Le  roi  lui  donna  pour  l'accompagner  un  bien  vaillant  et  sage  gentil- 
homme, nommé  Jean  d'Aulon,  et  pour  la  servir  en  honneur,  en  qualité 
de  page,  un  autre  gentilhomme,  nommé  Louis  de  Goûtes. 

«  Quoique  les  choses  déclarées  en  ce  chapitre  se  soient  faites  à 
plusieurs  fois  et  par  divers  jours,  je  les  ai  ici  couchées  pour  cause  de 
brièveté.  » 

Le  chroniqueur  reprend  le  récit  du  siège  à  partir  du  18  février.  Arrivé 
au  H  mars,  à  propos  de  la  bastille  Saint-Loup  édifiée  par  les  Anglais, 
il  intercale  sur  la  Pucelle  une  phrase  qui,  n'étant  pas  à  sa  place,  engendre 
la  confusion.  Voici  le  passage  : 

«  S'en  allèrent  les  Anglois  cestuy  propre  jour  (11  mars  à  Saint-Loup 
d'Orléans,  et  y  commencèrent  une  bastille  qu'ils  fortifièrent,  tendans 
tousjours  entretenir  {poursuivre)  leur  siège  contre  Orléans.  Pour  lequel 
faire  lever  se  mit  sur  les  champs  Jehanne  la  Pucelle  accompagnée  de 
grand  nombre  de  seigneurs,  chevaliers,  escuyers  et  gens  de  guerre,  garnis 
de  vivres  et  d'artillerie  ;  et  print  congé  du  roi,  qui  commanda  expres- 
sément aux  seigneurs  et  gens  de  guerre,  qu'ils  obéissent  à  elle,  comme 
à  lui,  et  aussi  le  firent-ils.  » 

La  Pucelle  n'entraà  Orléans  que  le  29  avril,  cinquante  jours  plus  tard. 
Le  chroniqueur  la  fait  séjourner  à  Blois  à  partir  du  22  mars  ;  elle  n'y  vint 
qu'après  le  20  avril.  La  lettre  aux  Anglais,  écrite  à  Poitiers  le  22  mars, 
fut  envoyée  de  Blois.  Le  chroniqueur  a  confondu  tout  cela  dans  le  pas- 
sage qui  va  être  cité. 

III 

«  Ce  même  jour  de  mardi  (22  mars),  la  Pucelle  étant  à  Blois,  où  elle 
séjournait  en  attendant  une  partie  de  ses  hommes  qui  n'étaient  pas  arri- 
vés, envoya  un  héraut  vers  les  seigneurs  et  capitaines  anglais  devant 
Orléans,  et  par  ce  héraut  leur  transmit  une  lettre  qu'elle  môme  dicta, 
ayant  en  tête  comme  principal  titre  JESUS,  MARIA,  et  commençant 
après  en  marge  comme  il  suit  : 

«  Roy  d'Angleterre,  faites  raison  au  Roy  du  Ciel,  etc.  »  {Le  texte  est  le 
même  que  celui  des  Cousinot,  à  quatre  ou  cinq  mots  près^  qui  ont  le  même 
sens.  On  trouvera  les  variantes  aux  Pièces  justificatives,  dans  la  Geste  des 
nobles.) 

«  Quand  les  seigneurs  et  capitaines  anglais  eurent  lu  et  entendu  ces 
lettres,  ils  furent  merveilleusement  courroucés,  et  par  haine  de  la  Pucelle, 
en  disant  d'elle  moult  de  vilaines  paroles,  spécialement  en  l'appelant 


118  L\  VRAIE  JEANiNE  D'ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

ribaude^  vachère^  cii  la  menaçant  de  la  faire  brûler,  ils  retinrent  le  liéraut 
porteur  des  lettres,  faisant  moquerie  de  ce  qu'elle  leur  avait  écrit.  » 

Après  cela,  le  chroniqueur  revient  au  siège  et  ne  parle  de  la  Pucelle 
que  le  29  avril  ;  mais  ne  la  quitte  plus  jusqu'à  la  fin  de  son  livre.  Il  n'est 
plus  besoin  de  morceler  son  récit. 


IV 

La  Pucelle  et  les  autres  seigneurs  et  capitaines  qui  étaient  avec  elle, 
surent  comment  les  Anglais  la  méprisaient,  et  comment  tout  eu  se 
moquant  d'elle  et  de  ses  lettres,  ils  avaient  retenu  le  héraut  qui 
les  avait  apportées.  C'est  pourquoi  ils  conclurent  qu'ils  marcheraient  en 
avant  avec  leurs  gens  d'armes,  leurs  vivres  et  leur  artillerie,  et  qu'ils 
passeraient  par  la  Sologne,  à  cause  que  la  grande  puissance  des 
Anglais  était  du  côté  de  la  Beauce  ;  cependant  ils  n'en  dirent 
rien  à  la  Pucelle,  qui  tendait  à  aller  et  à  passer  devant  eux  à  force 
armée.  Dans  ce  but  elle  ordonna  à  tous  les  gens  de  guerre,  de  se  con- 
fesser, de  laisser  toutes  leurs  femmes  folles  et  semblable  bagage;  et 
c'est  ainsi  qu'ils  s'en  allèrent,  et  firent  tant  qu'ils  vinrent  jusqu'à  un 
village  nommé  Chécy,  où  ils  couchèrent  la  nuit  suivante. 

Le  lendemain  vendredi,  vingt-neuvième  du  môme  mois  [d'aerit)^  vint 
à  Orléans  d'une  manière  certaine  la  nouvelle  que  le  roi  envoyait  par  la 
Sologne  vivres,  poudres,  canons  et  autres  provisions  de  guerre,  sous  la 
conduite  de  la  Pucelle,  laquelle  venait  de  par  Notre-Scigneur  pour  ravi- 
tailler et  réconforter  la  ville  et  faire  lever  le  siège;  ce  dont  les  habitants 
d'Orléans  furent  très  réconfortés.  Et  parce  qu'on  disait  que  les  Anglais 
s'efforceraient  d'empêcher  l'entrée  des  vivres,  il  fut  ordonné  par  la  cité 
que  chacun  fut  armé  et  bien  en  point. 

Ce  même  jour,  il  y  eut  grosse  escarmouche,  parce  que  les  Français 
voulaient  ménager  le  lieu  et  Fheure  propices  pour  l'entrée  des  vivres 
qu'on  leur  annonçait.  Afin  de  donner  aux  Anglais  à  entendre  ailleurs, 
ils  sortiront  à  grande  puissance,  et  allèrent  courir  et  escamoucher 
devant  Saint-Loup  d'Orléans.  Ils  tinrent  les  Anglais  de  si  près  que  de 
part  et  d'autre  il  y  eut  plusieurs  morts,  plusieurs  blessés  et  plusieurs 
prisonniers.  Cependant  les  Français  apportèrent  dans  la  cité  un  étendard 
des  Anglais.  Lorsque  cette  escarmouche  se  faisait,  entrèrent  dan?5  la 
ville  les  vivres  et  les  armes  que  la  Pucelle  avait  conduits  jusqu'à  Chécy. 


JOURNAL  DU  SIÈGE  D^ORLÉANS.  119 


CHAPITRE  II 

DÉLIVRANCE    D'ORLÉANS. 

Sommaire  :  I.  —  Dunois  et  d*autres  gens  de  guerre  et  des  bourgeois  vont  à  la  rencontre 
de  la  Pucelle  à  Ghécy.  —  Seigneurs  qui  retournent  à  Blois.  —  La  Pucelle  entrant  à 
Orléans;  son  escorte,  splendide  réception,  universelle  allégresse.  —  L'étendard.  — 
Hôtel  de  la  Pucelle. 

II.  —  Samedi  :  Escarmouche  sans  la  Pucelle  et  sans  résultat.  —  Réclamation  du  héraut 
prisonnier.  —  Commission  qu'en  le  renvoyant  lui  donnent  les  Anglais.  —  Somma- 
tion orale  de  la  Pucelle  et  réponse.  —  Dimanche  :  Dunois  part  pour  Blois.  —  La 
Pucelle  se  montre  à  la  foule  et  parcourt  la  ville,  enthousiasme  qu'elle  excite.  — 

•  Nouvelle  sommation  orale  aux  Anglais  et  réponse.  —  Lundi  :  La  Pucelle  examine 
les  positions  anglaises.  —  Vêpres  à  Sainte-Croix. 

lU.  —  Mercredi  :  La  Pucelle  va  au-devant  du  convoi  et  des  hommes  d'armes  qui 
arrivent  de  Blois.  —  Inaction  des  Anglais.  —  La  bastille  Saint-Loup  attaquée, 
emportée,  brûlée.  —  Les  Anglais  de  Saint-Pouair,  qui  veulent  la  secourir,  tenus  en 
respect. 

IV.  —  Jeudi  :  Délibération  du  conseil.  —  Préparatifs.  —  Vendredi  :  Attaque  portée 
sur  la  rive  gauche.  —  Abandon  de  la  bastille  Saint -Jean-le-Blanc.  —  Prise  de  la 
bastille  des  Augustins.  —  On  se  prépare  à  l'attaque  des  Tourelles. 

V.  —  Samedi  :  Les  Tourelles  vaillamment  attaquées  et  vaillamment  défendues.  — 
Blessure  de  la  Pucelle.  —  Elle  s'oppose  à  la  retraite.  —  Signe  qu'elle  donne.  — 
Attaque  du  côté  de  la  ville.  —  Les  Anglais  cherchent  refuge  dans  les  Tourelles.  — 
Le  pont  rompu.  —  Noyade.  —  Joie  des  Orléanais.  —  Ce  qu'affirmaient  les  prison- 
niers. —  Les  Tourelles  gardées  pendant  la  nuit. 

VI.  —  Dimanche  :  L'armée  française  et  anglaise  en  présence.  —  La  Pucelle  opposée  à 
la  poursuite.  —  Retraite  des  Anglais.  —  Singulière  délivrance  d'un  prisonnier.  — 
Joie  d'Orléans.  —  Actions  de  grâces. 

VIL  —  Départ  de  plusieurs  guerriers.  —  Départ  de  la  Pucelle,  reconnaissance  des 
Orléanais.  —  Inventions  faites  durant  le  siège.  —  Processions.  —  Accord  entre  les 
bourgeois  et  les  hommes  d'armes. 


I 

Au-devant  de  la  Pucelle,  allèrent  jusqu'à  Ghécy  le  bâtard  d'Orléans  et 
d'autres  chevaliers,  écuyers  et  gens  de  guerre,  tant  d'Orléans  comme 
d'autres  pays,  fort  joyeux  de  sa  venue.  Ils  lui  firent  grande  révérence  et 
bel  accueil  ;  et  ainsi  fit-elle  à  eux. 

Là  ils  arrêtèrent  tous  ensemble  que,  pour  éviter  le  tumulte  du  peuple, 
elle  n'entrerait  dans  Orléans  qu'à  la  nuit;  et  que  le  maréchal  de  Rais 
et  messire  Ambroise  de  Loré  qui,  par  le  commandement  du  roi,  l'avaient 
conduite  jusque  là,  s'en  retourneraient  à  Blois,  où  plusieurs  seigneurs  et 
gens  de  guerre  étaient  demeurés.  Ce  qui  fut  fait. 


120  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARG  :   LA  LIBÉRATRICE. 

Sur  les  huit  heures  du  soir,  malgré  tous  les  Anglais  qui  n'y  mirent  en 
rien  empêchement,  la  Pucelle  entra  à  Orléans,  armée  de  toutes  pièces, 
montée  sur  un  cheval  blanc  ;  elle  faisait  porter  devant  elle  son  éten- 
dard qui  était  pareillement  blanc,  auquel  il  y  avait  deux  anges  tenant 
chacun  une  fleur  de  lis  en  leurs  mains  ;  et  au  panon  était  peinte 
comme  une  Annonciation.  C'est  l'image  de  Notre-Dame  ayant  devant  elle 
un  ange  qui  lui  présente  un  lis.  En  entrant  ainsi  dans  Orléans,  elle  avait 
à  son  côté  gauche  le  bâtard  d'Orléans,  armé  et  monté  très  richement. 
Après,  venaient  plusieurs  autres  nobles  et  vaillants  seigneurs,  écuyers, 
capitaines  et  gens  de  guerre,  sans  compter  quelques-uns  de  la  garnison, 
et  aussi  des  bourgeois  d'Orléans,  qui  lui  étaient  allés  au-devant. 

D'autre  part  vinrent  la  recevoir  les  autres  gens  de  guerre,  bourgeois 
et  bourgeoises  d'Orléans,  portant  grand  nombre  de  torches,  et  faisant 
autres  signes  de  joie,  comme  s'ils  avaient  vu  Dieu  descendre  parmi  eux, 
et  non  sans  cause,  car  ils  avaient  plusieurs  ennuis,  travaux  et  peines,  et 
qui,  pis  est,  grande  crainte  de  n'être  pas  secourus,  et  de  perdre  tout, 
leur  corps  et  leurs  biens.  Mais  ils  se  sentaient  déjà  tous  réconfortés 
et  comme  désassiégés  par  la  vertu  divine  qu'on  leur  avait  dit  être  en 
cette  simple  pucelle,  qu'ils  regardaient  moult  affectueusement,  tant 
hommes,  femmes  que  petits  enfants.  Et  il  y  avait  très  merveilleuse 
presse  à  toucher  au  cheval  sur  lequel  elle  était,  tellement  que  l'un  de 
ceux  qui  portaient  les  torches  s'approcha  tant  de  son  étendard  que  le 
feu  prit  au  panon.  Mais  elle  frappa  son  cheval  des  éperons,  et  le  tourna 
jusqu'au  panon  dont  elle  éteignit  le  feu,  aussi  gentiment  que  si  elle 
eut  longuement  suivi  les  guerres;  ce  que  les  gens  d'armes  tinrent  à 
grande  merveille,  et  les  bourgeois  d'Orléans  aussi. 

Ils  l'accompagnèrent  au  long  de  leur  ville  et  cité,  montrant  très 
grande  allégresse,  et  tous  la  conduisirent  avec  très  grand  honneur 
jusques  auprès  de  la  porte  Renart,  en  l'hôtel  de  Jacques  Boucher,  pour 
lors  trésorier  du  duc  d'Orléans,  où  elle  fut  reçue  avec  très  grande 
joie,  avec  ses  deux  frères,  et  les  gentilshommes  (qui  l'avaient  con- 
duite), et  leur  varlet,  qui  étaient  tous  venus  du  pays  de  Barrois. 


11 

Le  lendemain  qui  fut  samedi,  dernier  jour  de  ce  mois  d'avril, 
saillirent  hors  de  la  ville  La  Ilire,  messire  Florent  d'IUiers,  et  plusieurs 
autres  chevaliers  et  écuyers,  avec  quelques  citoyens.  Etendards  déployés, 
ils  chargèrent  sur  l'armée  des  Anglais  avec  tant  d'élan  qu'ils  les  firent 
reculer,   et  emportèrent   la  place  où  ils  avaient  établi  le  guet  qu'ils 


JOURNAL  DU  SIÈGE  D'ORLÉANS.  121 

tenaient  alors  à  la  place  Saint-Pouair,  à  deux  traits  d'arc  de  la  ville.  Ce 
qui  fut  cause  qu'à  cette  heure  on  cria  tout  au  long  de  la  cité  que  cha- 
cun apportât  pailles,  bottes  et  fagots  pour  mettre  le  feu  au  logis  des 
Anglais,  dans  leur  armée  ;  mais  on  n'en  fit  rien,  car  les  Anglais  firent  de 
terribles  cris  et  se  mirent  tous  en  ordonnance.  Et  pour  cela  les  Français 
s'en  retournèrent  après  une  très  forte  et  longue  escarmouche,  durant 
laquelle  les  canons,  coulevrines  et  bombardes  tirèrent  merveilleusement, 
si  bien  que  de  part  et  d'autre  plusieurs  furent  tués,  blessés,  ou  faits 
prisonniers. 

La  nuit  venue,  la  Pucelle  envoya  deux  hérauts  vers  les  Anglais  de  Tar- 
mée,  pour  leur  mander  de  lui  renvoyer  le  héraut  par  lequel  elle  leur  avait 
fait  parvenir  ses  lettres  de  Blois.  Le  bâtard  d'Orléans  leur  manda  pareille- 
ment que,  s'ils  ne  le  renvoyaient  pas,  il  ferait  mourir  de  niale  mort 
tous  les  Anglais  prisonniers  dans  Orléans,  et  ceux  qui  y  avaient  été  en- 
voyés par  quelques  seigneurs  d'Angleterre  pour  traiter  de  la  rançon  des 
autres. 

C'est  pourquoi  les  chefs  de  Tarmée  renvoyèrent  tous  les  hérauts  et 
messagers  de  la  Pucelle,  lui  mandant  par  eux  qu'ils  la  brûleraient  et  la 
feraient  rôtir,  qu'elle  n'était  qu'une  ribaude,  et  s'en  retournât  comme  telle 
garder  les  vaches  ;  ce  dont  elle  fut  fort  peinée. 

A  cette  occasion,  sur  le  soir,  elle  alla  au  boulevard  de  Belle-Croix,  sur 
le  pont,  et  de  là  elle  parla  à  Glacidas  et  aux  autres  Anglais  des  Tou- 
relles, et  leur  dit  de  se  rendre  de  par  Dieu,  en  se  contentant  d'emporter  la 
vie  sauve  ;  mais  Glacidas  et  ceux  de  sa  suite  répondirent  vilainement, 
l'injuriant,  l'appelant  vachère  comme  précédemment,  criant  très  haut 
qu'ils  la  feraient  brûler,  s'ils  pouvaient  la  tenir;  ce  dont  elle  fut  un  peu 
affectée;  elle  leur  répondit  qu'ils  mentaient,  et,  cela  dit,  elle  revint  dans 
la  cité. 

Le  lendemain  dimanche,  en  cette  année  1429,  le  premier  jour  de  mai, 
le  bâtard  d'Orléans  partit  de  la  ville,  pour  aller  à  Blois  vers  le  comte  de 
Clermont,  le  maréchal  de  Sainte-Sévère,  le  seigneur  de  Rais,  et  plusieurs 
autres  chevaliers,  écuyers  et  gens  de  guerre. 

Ce  jour-là  aussi  Jeanne  la  Pucelle  chevaucha  par  la  ville,  accompagnée 
de  plusieurs  chevaliers  et  écuyers,  parce  que  ceux  d'Orléans  avaient  jsi 
grande  volonté  djB  la  voir  qu'ils  rompaient  presque  la  porte  de  l'hôtel  où 
elle  était  logée.  Il  y  avait  pour  la  voir  tant  de  gens  de  la  cité  que,  par  les 
rues  où  elles  passait,  on  pouvait  à  grand'peine  avancer,  car  le  peuple  ne 
pouvait  se  saouler  delà  voir.  Cela  semblait  à  tous  une  grande  merveille, 
comment  elle  pouvait  se  tenir  à  cheval  aussi  gentement  qu'elle  le  faisait. 


422  LA  VRAIE  JEANNE  D^ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

<it  à  la  vérité  elle  se  maintenait  en  toutes  manières  aussi  hautement 
qu'aurait  su  faire  un  homme  d'ai*mes,  suivant  la  guerre  dès  sa  jeunesse. 

Ce  même  jour  la  Pucelle  parla  de  nouveau  aux  Anglais  près  de  la 
Croix-Morin,  et  leur  dit  de  s'en  aller  sans  autre  condition  que  la  vie 
«auve,  et  de  s'en  retourner,  de  par  Dieu,  en  Angleterre,  sans  quoi  elle  les 
^n  ferait  repentir  ;  mais  il  lui  répondirent  d'aussi  vilaines  paroles  qu'ils 
l'avaient  déjà  fait  des  Tournelles;  c'est  pourquoi  elle  retourna  dans  Orléans. 

Le  lundi,  deuxième  jour  de  mai,  la  Pucelle  sortit  d'Orléans  à  cheval, 
et  alla  en  dehors  des  remparts  visiter  les  bastilles  et  les  positions  de 
Tarmée  anglaise  ;  le  peuple  courait  après  elle  en  très  grande  foule,  pre- 
nant très  grand  plaisir  à  la  voir  et  d'être  autour  d'elle.  Quand  elle  eut  vu 
et  regardé  à  son  aise  les  fortifications  des  Anglais,  elle  s'en  retourna  à 
l'église  de  Sainte-Croix  d'Orléans,  dans  la  cité,  et  elle  y  entendit  les 
vêpres*. 

III 

Le  mercredi,  quatrième  jour  de  ce  même  mois  de  mai,  la  Pucelle 
saillit  aux  champs,  ayant  en  sa  compagnie  le  seigneur  de  Villars,  messire 
Florent  d'illiers,  La  Hire,  Alain  Giron,  Jamet  du  Tilloy,  et  plusieurs 
autres  écuyers  et  gens  de  guerre,  en  tout  cinq  cents  combattants.  Elle 
alla  au-devant  du  bâtard  d'Orléans,  du  maréchal  de  Hais,  du  maréchal  de 
Sainte-Sévère,  du  baron  de  Colonces,  et  de  plusieurs  autres  chevaliers  et 
écuyers,  et  d'autres  gens  de  guerre,  armés  de  guisarnes  et  de  maillets 
<[c  plomb,  amenant  les  vivres  que  les  habitants  de  Bourges,  d'Angers,  de 
Tours,  deBlois,  envoyaient  aux  habitants  d'Orléans.  Tous  ces  combattants 
furent  reçus  avec  une  grande  joie  dans  la  ville,  où  ils  entrèrent  en  passant 
par  devant  la  bastille  des  Anglais,  qui  n'osèrent  sortir  un  instant,  mais 
qui  se  tenaient  prêts  en  leurs  postes  de  garde. 

En  ce  même  jour,  après  midi,  la  Pucelle  et  le  bâtard  d'Orléans  partirent 
<le  la  cité,  menant  en  leur  compagnie  grand  nombre  de  nobles  et  environ 
quinze  cents  combattants,  et  ils  allèrent  assaillir  la  bastille  Saint-Loup*. 
Us  y  trouvèrent  très  forte  résistance,  car  les  Anglais,  qui  l'avaient  beau- 
coup fortifiée,  la  défendirent  très  vaillamment  l'espace  de  trois  heures 
que  Tassant  dura,  très  âpre.  Enfin  les  Français  remportèrent  de  vive  force, 
et  tuèrent  cent  quatorze  Anglais,  et  en  prirent  et  amenèrent  dans  la 

1.  L'église  cathédrale  d'Orléans  est  dédiée  à  la  sainte  Croix,  et  la  fête  patronale  est 
fixée  au  3  mai,  jour  de  Tlnvenlion  de  la  Croix.  La  Pucelle  assistait  aux  premières 
vêpres  de  la  solennité.  Il  y  eut  une  procession  où  l'on  porta  la  Vraie  Croix. 

2.  L'auteur  omet  les  circonstances  merveilleuses  qui  attirèrent  la  Pucelle  au  milieu 
du  combat  engagé  sans  elle,  et  qui  sans  elle  ne  tournait  pas  à  l'avantage  des  Français. 


JOURNAL  DU  SIÈGE  D'ORLÉANS.  123 

ville  quarante  prisonniers;  mais  avant  de  se  retirer,  ils  abattirent,  brû- 
lèrent et  démolirent  entièrement  cette  bastille,  à  la  très  grande  peine, 
dommage  et  déplaisir  des  Anglais.  Pendant  Tassant,  une  partie  de  ceux 
qui  étaient  à  la  bastille  Saint-Pouair  saillirent  à  grande  puissance,  dans 
le  dessein  de  secourir  leurs  gens  ;  ceux  d'Orléans  en  furent  avertis  par 
la  cloche  du  beffroy  qui  sonna  par  deux  fois  ;  au  signal  le  maréchal  de 
Sain  le -Sévère,  le  seigneur  de  Gravillc,  le  baron  de  Colonces,  plusieurs 
antres  chevaliers  et  écuyers,  gens  de  guerre  et  citoyens,  en  tout  six 
cents  combattants,  saillirent  à  la  hâte  hors  d'Orléans,  et  se  mirent  aux 
champs  en  très  bel  ordre  de  bataille  à  Tencontre  des  Anglais.  Ceux-ci, 
quand  ils  virent  les  Français  ainsi  saillir  en  belle  ordonnance,  laissèrent 
leur  entreprise  de  secourir  leurs  compagnons  ;  ils  rentrèrent  dolents  et  en 
courroux  dans  leurs  bastilles,  dont  ils  étaient  sortis  en  très  grande  hâte, 
^'onobstant  leur  retour,  ceux  de  la  bastille  attaquée  se  défendirent 
avec  encore  plus  d'acharnement,  quoique  les  Français,  ainsi  qu'il  a  été 
dit,  aient  fini  par  remporter. 

IV 

Le  lendemain  jeudi,  qui  fut  TAscension  de  iNotre-Seigneur,  fut  tenu  un 
conseil  auquel  assistèrent  la  Pucelle  ',  le  bâtard  d'Orléans,  les  maréchaux 
de  Sainte-îSévère,  de  Rais,  le  seigneur  de  Gravillc,  le  baron  de  Colonces, 
le  seigneur  de  Villars,  le  seigneur  de  Xaiutrailles,  le  seigneur  de  Gau- 
court,  La  Hire,  le  seigneur  de  Coarraze,  messire  Denys  de  Chailly,  Thibaut 
de  Thermes,  Jamct  du  Tilloy,  un  capitaine  écossais  nommé  Canède, 
d'autres  capitaines  et  chefs  de  guerre,  et  aussi  les  bourgeois  d'Orléans. 
Il  s'agissait  d'aviser  et  d'arrôler  ce  qu'il  y  avait  à  faire  contre  les  Anglais 
qui  les  tenaient  assiégés.  Il  fut  conclu'^  qu'on  donnerait  l'assaut  aux 
Tournelles  et  au  boulevard  du  bout  du  pont,  quoique  les  Anglais  les 
eussent  merveilleusement  fortifiés  de  tout  ce  qui  pouvait  les  défendre,  et 
d'un  grand  nombre  de  gens  très  expérimentés  en  guerre.  Et  pour  cela  les 
capitaines  commandèrent  que  chacun  fût  prêt  le  lendemain,  et  muni  de 
toutes  choses  propres  à  donner  un  assaut.  11  fut  bien  obéi  à  ce  comman- 
dement :  dès  le  soir  on  fit  si  grande  diligence  que  tout  fut  prêt  au  plus 
malin,  et  la  Pucellè  en  fut  avertie. 

1.  Ici,  et  dans  les  deux  jours  qui  suivent,  l'auteur,  tout  en  donnant  la  place  d'hon- 
neur à  la  Pucelle,  passe  sous  silence  l'opposition  qu'elle  rencontra  de  la  part  des 
chefs.  Il  est  moins  véridique,  non  seulement  que  la  Chronique  des  (iousinot,  mais 
encore  que  rhistoriographe  officiel  Jean  Chartier.  11  n'a  pas  voulu  laisser,  dans  un 
document  officiel  de  la  ville,  trace  de  ce  qui  était  peu  honorable  pour  les  capitaines. 
Cet  esprit  se  fait  jour  tout  le  long  de  son  récit. 

2.  ()e  fut  loin  d'être  aussi  simplement  arrêté  qu'il  le  dit. 


124  LA  VRAIE  JEANNE  D'aRG  :  LA  LIBÉRATRICE. 

Elle  saillit  hors  d'Orléans,  ayant  en  sa  compagnie  le  bâtard  d'Orléans, 
les  maréchaux  de  Sainte-Sévère  et  de  Rais,  le  seigneur  de  Graville,  mes- 
sire  Florent  dllliers,  La  Hire,  et  plusieurs  autres  chevaliers  et  écuyers, 
environ  quatre  mille  combattants;  elle  passa  la  rivière  entre  Saint-Loup 
et  la  Tour-Neuve,  et  de  prime  abord  ils  prirent  Sain t- Jean- le-Blanc  dont 
les  Anglais  s'étaient  emparés  et  qu'ils  avaient  fortifié*. 

Ils  se  retirèrent  ensuite  en  une  petite  île  qui  est  en  face  de  Saint- 
Aignan.  Alors  les  Anglais  des  Tournelles  saillirent  à  grande  puissance, 
faisant  de  grands  cris,  et  ils  vinrent  les  charger  très  fort  et  de  près  ; 
mais  la  Pucelle  et  La  Ilire,  avec  une  partie  de  leurs  gens,  se  joignirent 
ensemble  et  se  retournèrent  contre  les  Anglais  avec  tant  de  force  et  de 
hardiesse  qu'ils  les  contraignirent  de  reculer  jusqu'à  leurs  boulevards 
et  tournelles.  De  pleine  venue  ils  livrèrent  un  tel  assaut  au  boulevard 
et  à  la  bastille  que  les  Anglais  avaient  fortifiés  tout  près,  au  lieu  où 
était  Téglise  des  Augustins,  qu'ils  s'en  emparèrent  de  vive  force,  déli- 
vrant grand  nombre  de  Français  qui  y  étaient  détenus  prisonniers,  tuant 
plusieurs  Anglais  qui  les  avaient  défendus  très  âprement,  en  sorte  que, 
de  part  et  d'autre,  on  y  fit  beaucoup  de  beaux  faits  d'armes.  Le  soir  de 
cette  journée  les  Français  mirent  le  siège  devant  les  Tournelles  et  les 
boulevards  qui  étaient  tout  autour;  ce  qui  fit  que,  durant  toute  la  nuit, 
ceux  d'Orléans  firent  grande  diligence  pour  porter  pain,  vin  et  autres 
vivres  aux  gens  de  guerre  tenant  le  siège. 


Le  jour  suivant,  au  plus  matin,  sixième*  jour  de  mai,  les  Français 
assaillirent  les  Tournelles,  les  boulevards  et  les  taudis  [constructions)  que 
les  Anglais  y  avaient  faits  pour  les  fortifier.  11  y  eut  un  fort  merveilleux 
assaut,  durant  lequel  furent  accomplis  plusieurs  beaux  faits  d'armes, 
tant  par  les  assaillants  que  par  les  défendants.  Il  y  avait  grand  nombre 
d'Anglais  fort  braves,  munis  abondamment  de  tous  les  moyens  de 
défense.  Ils  le  montrèrent  bien  ;  les  Français  avaient  beau  les  écheler 
par  divers  endroits,  en  nombre  très  épais;  ils  avaient  beau  les  assaillir  de 
front  au  plus  haut  de  leurs  fortifications,  avec  une  telle  vaillance  et  imc 
telle  hardiesse  qu'il  semblait  à  leur  hardi  maintien  qu'ils  se  crussent 

1.  Les  Anglais  firent  assez  peu  de  résistance.  Voyant  que  le  poste  n  était  pas 
tenable,  ils  le  démantelèrent  et  se  retirèrent  aux  Augustins. 

2.  Le  mercredi  étant  le  4,  le  samedi  est  forcément  le  septième,  et  le  dimanche  le 
huitième.  Tous  les  manuscrits  portent  le  sixième  et  le  septième ,  c'est  une  preuve  que 
Saturnin  Hotot  les  reproduisait  lidèlemenl. 


JOURNAL  DU  SIÈGE  D*ORLÉANS.  125 

immortels  ;  il  les  repoussèrent  maintes  fois,  les  précipitèrent  de  haut  en 
bas,  avec  leurs  canons  et  armes  de  trait,  avec  leurs  lances,  leurs  guisar- 
mes,  leurs  maillets  de  plomb,  et  même  avec  les  mains,  tellement  qu'ils 
en  tuèrent  et  blessèrent  plusieurs  *. 

Entre  les  autres,  la  Pucelle  y  fut  blessée  et  percée  entre  Tépaule  et  la 
gorge  si  avant  que  le  trait  passait  outre.  Tous  les  assaillants  en  eurent 
très  grande  douleur  et  chagrin  ^  et  spécialement  le  bâtard  d'Orléans,  et 
les  autres  capitaines.  Ils  vinrent  vers  elle,  et  lui  dirent  qu'il  valait  mieux 
laisser  l'assaut  jusques  au  lendemain;  mais  elle  les  réconforta  par  de  très 
belles  et  hardies  paroles,  les  exhortant  de  conserver  leur  hardiesse.  Ne 
voulant  pas  la  croire,  ils  délaissèrent  Tassant  et  se  tirèrent  en  arrière, 
voulant  faire  rapporter  leur  artillerie  jusqu'au  lendemain.  Elle  en  fut 
très  affligée  et  leur  dit  :  «  En  nom  de  Dieu,  vous  entrerez  bien  ine/ (bientôt) 
dedans^  n*en  ayez  pas  doute;  et  les  Anglais  n  auront  plus  de  force  sur  vous. 
Cest  pourquoi  reposez-vous  un  peu^  buvez  et  mangez.  »  Ce  qu'ils  firent  ; 
car  à  merveille  ils  lui  obéissaient. 

Quand  ils  eurent  bu,  elle  leur  dit  :  «  Retournez  de  par  Dieu  derechef  à 
f  assaut  ;  car  sans  nulle  faute  les  Anglais  n  auront  plus  la  force  de  se 
défendre^  et  les  Tournelles  seront  prises  avec  leurs  boulevards,  »  Cela  dit, 
elle  laissa  son  étendard,  et  s'en  alla  sur  son  cheval  en  un  lieu  détourné 
faire  oraison  à  Notre-Seigneur;  et  elle  dit  à  un  gentilhomme  qui  était 
tout  près  :  «  Donnez-vous  garde  (remarquez)  quand  la  queue  de  mon  éten- 
dard sera,  ou  touchera  contre  le  boulevard,  »  Le  gentilhomme  lui  dit  un  peu 
après  :  «  Jeanne,  la  queue  y  touche  »,  et  elle  lui  répondit  alors  :  «  Tout 
est  vôtre,  et  tj  entrez  ». 

Bientôt  après,  cette  parole  fut  reconnue  prophétie.  Car  lorsque  les 
vaillants  chefs  et  gens  d'armes  demeurés  dans  Orléans  virent  qu'on  vou- 
lait donner  un  nouvel  assaut,  quelques-uns  se  précipitèrent  de  la  cité  par- 
dessus le  pont  ;  et,  parce  que  plusieurs  arches  étaient  rompues ,  ils  menèrent 
un  charpentier  et  portèrent  des  gouttières  et  des  échelles  dont  ils  firent 
planche.  Voyant  qu'elles  n'étaient  pas  assez  long  ues  pour  porter  sur  les 
deux  bouts  d'une  des  arches  rompues,  ils  joignirent  une  petite  pièce  de 
bois  à  l'une  des  plus  grandes  gouttières,  et  firent  si  bien  qu'elle  tint.  Un 
très  vaillant  chevalier,  appelé  Nicolas  de  Giresme,5de  l'ordre  de  Rhodes, 
dit  de  Saint-Jean  de  Jérusalem,  passa  le  premier  tout  armé,  et  à  son 
exemple  plusieurs  passèrent  aussi.  On  a  dit  depuis  que  cela  avait  été 
miracle  de  Notre-Seigneur  plus  qu  autre  chose,  vu  que  la  gouttière  était 
merveilleusement  longue  et  étroite,  haute  en  l'air,  sans  avoir  aucun  appui*. 

i.  Dans  ses  interrogatoires,  la  Pucelle  avoue  cent  blessés. 

2.  Dont  tous  les  assaillants  furent  moult  dolens  et  courroucés, 

3.  On  verracependant,  dans  les  «  Comptes  de  la  Ville  »,  qu'une  grosse  pièce  de  bois  fut 


126  LA  VnAIE  JEANNE   D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

Une  fois  passés,  ils  se  mirenl,  avec  leurs  compagnons,  à  pousser  Tassant 
qui  depuis  dura  peu  de  temps  ;  car  sitôt  qu'il  eut  recommencé,  les 
Anglais  perdirent  toute  force  pour  continuer  à  résister,  et  ils  songèrent 
à  passer  du  boulevard  dans  les  Tournelles.  Peu  d^entre  eux  purent  se 
sauver,  car  de  quatre  ou  cinq  cents  combattants  qu'ils  étaient,  tous  furent 
tués  ou  noyés,  excepté  un  petit  nombre  qui  furent  faits  prisonniers  et 
qui  n'étaient  pas  grands  seigneurs.  Glacidas,  qui  était  capitaine  et  fort 
renommé  au  fait  des  armes,  le  seigneur  de  Molins,  le  seigneur  de 
Pommins,  le  bailli  do  Mantes,  plusieurs  autres  chevaliers  bannerets  et 
nobles  d'Angleterre  se  noyèrent.  En  se  précipitant  sur  le  pont  pour 
se  sauver,  il  arriva  que  le  pont  rompit  sous  leurs  pas;  ce  qui  fut 
grand  ébahissement  de  la  force  des  Anglais  (^/c?),  et  grand  dommage 
pour  les  vaillants  Français  qui  de  leur  rançon  auraient  pu  avoir  grandes 
finances. 

Toutefois  ils  lirent  éclater  grande  joie,  et  louèrent  Noire-Seigneur  de 
la  grande  victoire  qu'il  leur  avait  donnée,  et  ils  devaient  bien  le  faire; 
car  on  dit*  que  l'assaut  qui  dura  depuis  le  matin  jusqu'au  soleil  cou- 
chant, fut  si  grandement  engagé  et  repoussé,  que  ce  fut  un  des  plus 
beaux  faits  d'armes  accomplis  depuis  bien  longtemps.  Aussi  ce  fut  un 
miracle  de  Notre-Seigneur  fait  à  la  requête  de  saint  Aignan  et  de  saint 
Euverte,  jadis  évoques  d'Orléans,  et  maintenant  ses  patrons.  C'était  la 
commune  opinion  ;  elle  était  regardée  comme  fort  vraisemblable,  même 
par  les  prisonniers*  amenés.  L'un  d'eux  certifia  qu'il  lui  semblait  à  lui,  et 
à  tous  les  autres  Anglais  des  Tournelleset  des  boulevards,  il  leur  semblait^ 
quand  on  les  assaillait,  qu'ils  voyaient  tant  de  peuple  que  merveille,  et 
que  tout  le  genre  humain  était  rassemblé  contre  eux.  Aussi  tout  le  clergé 
€t  le  peuple  chantèrent  dévotement  Te  Deiim  laudamus^  et  firent  sonner 
toutes  les  cloches  de  la  ville,  remerciant  pour  cette  glorieuse  consolation 
divine  Notre-Seigneur  et  les  deux  saints  confesseurs;  ils  firent  de  toutes 
parts  de  grandes  manifestations  de  joie,  donnant  de  merveilleuses  louan- 
ges à  leurs  vaillants  défenseurs,  et  spécialement,  et  par-dessus  tous  les 
autres,  à  Jeanne  la  Pucelle. 

Elle  demeura  aux  champs^  cette  nuit,  et  les  seigneurs,  capitaines  ot 
gens  d'armes  demeurèrent  comme  elle,  tant  pour  garder  les  Tournelles 
ainsi  vaillamment  conquises,  que  pour  savoir  si  les  Anglais  de  Saint- 

achetée  pour  mettre  au  travers  iVune  des  arches  du  pont  qui  fut  rompu.  Joignait-elle? 
C'est  ce  qui  n'est  pas  dans  le  texte. 

1.  Cet  on  dit  marque  assez  que  le  chroniqueur  n'était  pas  présent  ;  ce  qui  est  confirmé 
par  l'erreur  qu'il  commet  un  peu  plus  bas,  en  faisant  coucher  Jeanne  aux  Tournelles. 

2.  Le  texte  de  Quicherat  porte  pcrsonneHj  ainsi  que  l'édition  de  1576,  mais  on  lit 
prisonniers  dans  le  manuscrit. 

3.  Erreur,  elle  rentra  en  ville. 


JOURNAL  DU  SIÈGE  D'ORLÉANS.  127 

Laurent  ne  sortiraient  pas  pour  secourir  ou  venger  leurs  compagnons,  mais 
ils  n'en  avaient  nul  vouloir. 


VI 

Tout  au  contraire,  le  lendemain  matin,  jour  de  dimanche,  septième  [Inii- 
tième)  jour  de  mai,  en  cette  même  année  mil  quatre  cent  vingt-neuf,  ils 
délogèrent  de  leurs  bastilles,  et  ainsi  firent  les  Anglais  de  Saint-Pouair  et  des 
autres  lieux;  et  tout  en  levant  le  siège,  ils  se  mirent  en  ordre  de  bataille. 
Cela  fut  cause  que  la  Pucelle,  les  maréchaux  de  Sainte-Sévère  et  de  Rais, 
le  seigneur  de  Graville,  le  baron  de  Colonces,  messire  Florent  d'Illiers,  le 
seigneur  de  Coarraze,  le  seigneur  de  Xaintrailles,  La  Hire,  Alain  Giron, 
Jamet  du  Tilloy,  et  plusieurs  autres  vaillants  gens  de  guerre  et  citoyens, 
sortirent  d'Orléans  en  grande  puissance,  et  se  placèrent  et  rangèrent 
devant  eux,  eux  aussi  en  ordonnance  de  bataille.  En  cette  disposition  les 
deux  armées  furent  très  près  Tune  de  Tautre,  l'espace  d'une  heure  entière, 
sans  se  toucher.  Ce  à  quoi  les  Français  se  résignèrent  à  regret,  pour 
obtempérer  au  vouloir  de  la  Pucelle,  qui  dès  le  commencement,  par 
amour  et  pour  l'honneur  du  saint  dimanche,  leur  en  avait  fait  le  com- 
mandement, leur  défendant  de  commencer  le  combat,  d'assaillir  les 
Anglais  ;  mais  si  les  Anglais  les  assaillaient,  elle  leur  avait  dit  de  se 
défendre  fort  et  hardiment,  de  n'avoir  aucune  peur,  et  qu'ils  seraient  les 
maitres.  L'heure  passée,  les  Anglais  se  mirent  en  chemin,  et  bien  rangés 
et  ordonnés  s'en  allèrent  à  Meung-sur-Loire,  levant  et  abandonnant 
totalement  le  siège,  qu'ils  avaient  tenu  devant  Orléans,  depuis  le 
douzième  jour  d'octobre  mil  quatre  centvingt-huit  jusqu'à  ce  jour.  Tou- 
tefois en  s'en  allant  ils  ne  purent  pas  sauver  tous  leurs  bagages  ;  car  quel- 
ques hommes  de  la  garnison  de  la  cité  les  poursuivirent,  tombèrent  par 
diverses  attaques  sur  la  queue  de  leur  armée,  leur  enlevant  grosses 
bombardes,  canons,  arcs,  arbalètes  et  autre  artillerie. 

Il  y  avait  en  ce  jour  un  Augustin  anglais,  confesseur  du  seigneur  de 
Talbot,  qui  en  son  nom  gouvernait  un  sien  prisonnier  français,  très 
vaillant  homme  d'armes,  nommé  Le  Bourg  de  Bar,  qui  avait  les  fers  aux 
pieds.  Il  le  menait  à  la  suite  des  autres  Anglais  par-dessous  le  bras,  tout 
au  petit  pas,  vu  qu'à  cause  des  fers  il  ne  pouvait  pas  aller  autrement. 
Le  prisonnier,  voyant  qu'ils  restaient  fort  en  arrière,  et  en  homme 
entendu  en  fait  de  guerre,  connaissant  que  les  Anglais  s'en  allaient  sans 
retour,  contraignit  par  force  l'Augustin  à  le  porter  sur  ses  épaules, 
jusque  dans  Qrléans,  échappant  ainsi  à  la  rançon.  Par  cet  Augustin  l'on 
sut  beaucoup  de  ce  qui  était  advenu  aux  Anglais  ;  car  il  était  fort  familier 
de  Talbot. 


i28  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

De  leur  côté  la  Pucelle,  les  autres  seigneurs  et  gens  d'armes  rentrèrent 
en  grande  joie  dans  Orléans,  à  la  très  grande  exultation  de  tout  le  clergé 
et  du  peuple.  Tous  ensemble  rendirent  à  Notre-Seigneur  très  humbles 
actions  de  grâces,  et  louanges  très  méritées,  pour  les  grands  secours,  et 
grandes  victoires  qu'il  leur  avait  données  et  envoyées  contre  les  Anglais, 
anciens  ennemis  de  ce  royaume. 


VII 

Quand  vint  l'après-midi,  messire  Florent  d'IUiers  prit  congé  des 
seigneurs  et  capitaines,  des  autres  gens  d'armes  et  aussi  des  bourgeois  de 
la  ville  ;  et  avec  les  gens  de  guerre  qu'il  avait  amenés,  retourna  à  Chà- 
teaudun  dont  il  était  capitaine,  reportant  grande  estime,  louange  et 
renommée,  pour  les  vaillants  faits  d'armes  accomplis  par  lui  et  par  ses 
gens  à  la  défense  et  au  secours  d'Orléans. 

La  Pucelle  partit  pareillement  le  lendemain,  et  avec  elle  le  seigneur  de 
Rais,  le  baron  de  Colonces  et  plusieurs  autres  chevaliers,  écuyers  et 
gens  de  guerre.  Elle  s'en  alla  devers  le  roi  lui  porter  les  nouvelles  de  la 
noble  besogne,  et  aussi  pour  le  faire  mettre  en  campagne,  afin  d'être 
couronné  et  sacré  à  Reims. 

Mais  avant  son  départ  elle  prit  congé  de  ceux  d'Orléans  qui  tous  pleu- 
raient de  joie,  et  très  humblement  la  remerciaient,  et  lui  offraient  leurs 
personnes  et  leurs  biens  pour  en  faire  à  sa  volonté  ^  Ce  dont  elles  les 
remercia  très  bénigncment  ;  et  elle  entreprit  son  second  voyage  ;  car 
elle  avait  fait  et  accompli  le  premier,  qui  était  de  lever  le  siège  d'Orléans. 
Durant  ce  siège  furent  faits  plusieurs  beaux  faits  d'armes,  escar- 
mouches, assauts,  et  furent  trouvés  innumérables  engins,  nouveautés  et 
subtilités  de  guerre,  plus  que  long  temps  auparavant  n'eût  été  fait  devant 
nulle  autre  cité,  ville  ou  château  de  ce  royaume,  ainsi  que  le  disaient 
toutes  les  gens  en  ce  connaissant,  tant  Français  qu'Anglais  qui  les  avaient 
vu  accomplir  et  inventer. 

Ce  même  jour  (/e  <?),  et  le  lendemain  aussi,  les  gens  d'Eglise,  les  seigneurs, 
capitaines,  gendarmes  et  bourgeois  qui  étaient  et  demeuraient  dans 
Orléans  firent  de  très  belles  et  solennelles  processions,  et  visitèrent  les 
églises  avec  très  grande  dévotion. 

Il  est  vrai  qu  au  commencement,  et  avant  que  le  siège  fût  assis,  les 
bourgeois  ne  voulaient  souffrir  l'entrée  d'aucun  homme  d'armes  dans  la 
ville,  par  la  crainte  qu'ils  ne  voulussent  les  piller,  ou  trop  fort  les  maîtriser. 

1.  Mais  avant  print  congié  de  ceulx  d'Orléans,  qui  tous  plouroienl  dejoye,  et  se  offraient 
eulx  et  leurs  biens  à  elle  et  à  sa  volonté. 


JOURNAL  DU  SIÈGE  D'ORLÉANS.  129> 

Toutefois  dans  la  suite  ils  laissèrent  entrer  tous  ceux  qui  voulurent  venir,. 
dès  qu'ils  connurent  qu'ils  ne  voulaient  que  les  défendre,  et  quïls  se 
comportaient  si  vaillamment  contre  leurs  ennemis.  Ils  étaient  très  unis 
avec  eux  pour  défendre  la  cité  ;  ils  se  les  partageaient  entre  eux,  dans 
leurs  maisons,  et  les  nourrissaient  des  biens  que  Dieu  leur  donnait,  aussi 
familièrement  que  s'ils  avaient  été  leurs  propres  enfants. 


CHAPITRE  III 

CAMPAGNE    DE    LA  LOIRE. 

SoMMAiiUi:  :  L  —  Expédition  inutile  contre  Jargeau  en  l'absence  de  la  Pucelle. 

11.  —  La  Pucelle  presse  le  roi  d'aller  se  faire  sacrer  à  Reims.  —  Opposition  de  la  cour. 
—  La  Pucelle  interrogée  révèle  ses  entretiens  avec  les  voix.  —  Le  voyage  de  Reims 
est  décidé  après  la  prise  de  plusieurs  places  sur  la  Loire.  —  Le  duc  d'Alençon  reçoit 
le  titre  de  lieutenant  général  du  roi,  avec  ordre  d'obéir  à  la  Pucelle.  —  Départ  pour 
Orléans. 

m.  —  Départ  pour  Jargeau.  —  Fausse  alerte.  —  Le  siège.  —  Le  duc  d'Alençon  mira- 
culeusement préservé  par  la  Pucelle.  —  L'assaut.  —  Anglais  abattu  par  maître 
Jean.  —  Grosse  pierre  sur  la  tête  de  la  Pucelle  ;  signe  de  victoire.  —  Les  Anglais 
forcés  sur  le  pont.  —  Reddition  de  SufTolk.  —  Prisonniers  et  tués.  —  Pillage  de 
Jargeau.  —  Retour  à  Orléans. 

IV.  —  On  accourt  de  toutes  parts  à  Tarmée  de  la  Pucelle.  —  En  marche  pour  assiéger 
Baugency,  prise  du  pont  de  Meung.  — Entrée  dans  Baugency.  —  Arrivée  du  Conné- 
table et  conditions  imposées  à  son  admission  dans  Tarmée.  —  Capitulation  du 
château  et  du  pont  de  Baugency.  —  Le  secours  amené  par  Fastolf  et  Talbot  dirigé 
contre  le  pont  de  Meung.  —  Retraite  à  l'arrivée  de  l'avant-garde  française. 

\,  —  L'armée  française  à  la  poursuite  de  l'armée  anglaise.  —  Victoire  de  Patay, 
morts,  prisonniers.  —  Reddition  de  Janville.  —  Terreur  des  Anglais,  confiance  des 
Français.  —  Le  roi  frustre  l'attente  des  Orléanais.  —  La  Trémoille  empêche  l'ad- 
mission dans  l'armée  du  Connétable  et  de  ses  gens.  —  Mécontentement. 


I 

Peu  de  temps  après  la  levée  du  siège,  sortirent  de  la  ville  le  bâtard 

d'Orléans,  le  maréchal  de  Sainte-Sévère,  le  seigneur  de  Graville,   le 

sei^eur  de  Coarraze,  Poton  de  Xaintrailles,  et  plusieurs  autres  chevaliers, 

écuyers  et  gens    de  guerre,   parmi  lesquels   plusieurs    portaient    des 

gaisarmes,  venus  qu'ils  étaient  de  Bourges,  de  Tours,  d'Angers,  de  Blois, 

et  d'autres  bonnes  villes  du  royaume.  Ils  allèrent  devant  Jargeau,  où^ 

durant  plus  de  trois  heures,  ils  firent  plusieurs  escarmouches  pour  voir 

s'ils  pourraient  l'assiéger. 

ni.  9 


130  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

Ils  connurent  qu'ils  ne  pourraient  y  rien  gagner,  parce  que  Teau  était 
haute  et  remplissait  les  fossés.  Ils  s'en  retournèrent  donc  sains  et  saufs, 
mais  les  Anglais  y  éprouvèrent  de  grands  dommages  ;  car  un  vaillant 
chevalier  d'Angleterre,  du  nom  de  Henri  Biset,  alors  capitaine  de  la  ville, 
y  fut  tué  ;  perte  pour  laquelle  les  Anglais  menèrent  grand  deuil. 


II 

Pendant  qu'avaient  lieu  ces  engagements,  la  Pucelle,  poursuivant  son 
chemin,  arriva  vers  le  roi.  Sitôt  qu'elle  le  vit,  elle  s'agenouilla  très  dou- 
cement devant  lui,  et  en  l'embrassant  par  les  jambes,  elle  lui  dit: 
«  Gentil  Daiiphi?ij  venez  prendre  votre  sacre  à  Reims  ;  je  suis  fort 
aiguillonnée  que  vous  y  alliez  ;  71' ayez  aucun  doute  qu'en  cette  cité  vous 
recevrez  votre  digne  sacre  ».  Le  roi  lui  fit  très  grand  accueil  ;  et  ainsi  le 
firent  tous  ceux  de  sa  cour,  en  considération  de  son  honnête  vie,  et  des 
grands  faits  et  merveilles  d'armes,  réalisés  sous  sa  conduite. 

Bientôt  après  le  roi  manda  les  seigneurs,  les  chefs  de  guerre,  les 
capitaines  et  les  autres  sages  de  sa  cour  ;  et  il  tint  plusieurs  conseils  à 
Tours  pour  savoir  ce  qu'il  y  avait  à  faire,  touchant  la  requête  de  la 
Pucelle,  qui  demandait  si  afl*ectueusement  et  si  instamment  qu'il  se 
dirigeât  vers  Reims,  assurant  qu'il  y  serait  sacré.  Sur  quoi  les  opinions 
furent  diverses.  Les  uns  conseillaient  qu'on  allât  auparavant  en 
Normandie  ;  les  autres  que  l'on  commençât  par  prendre  quelques-unes 
des  principales  places  des  rives  de  la  Loire.  Enfin  le  roi,  et  trois  ou  quatre 
de  ses  conseillers  les  plus  intimes,  s'étant  tirés  à  part,  devisaient  entre  eux 
en  grand  secret,  qu'il  serait  bon  pour  plus  de  sûreté  de  savoir  de  la 
Pucelle  ce  que  la  voix  lui  disait,  et  d'où  lui  venait  tant  de  fermeté  dans 
ses  assurances  ;  mais  ils  craignaient  de  s'enquérir  auprès  d'elle  de  la 
vérité,  de  peur  qu'elle  en  fut  mécontente.  Elle  le  connut  par  grâce  divine  : 
c'est  pourquoi  elle  vint  devers  eux  et  dit  au  roi  :  a  En  nom  de  Dieu,  je 
sais  ce  que  vous  pensez^  et  ce  que  vous  voulez  dire  de  la  voix  que  foi 
ouïe,  touchant  votre  sacre.  Je  vous  le  dirai  ;  je  me  suis  mise  en  oraison 
en  ma  manière  accoutumée^  et  je  me  complaignais  de  ce  que  Pon  ne  voulait 
pas  me  croire  de  ce  que  je  disais  y  et  alors  la  voix  me  dit  :  «  Fille  *,  wa,  t?a, 
«  va  ;  je  serai  en  ton  aide  »  ;  et  quand  cette  voix  me  vient^  je  suis  tant 

1.  Quicherat  observe  juslement  que  la  leçon  véritable  est  «  fille  de  Dieu  »,  et  que  la 
scène  se  passait  à  Loches.  L'auteur  abrège,  mais  il  est  inexcusable  d'avoir  omis  un 
mot  aussi  touchant  et  aussi  glorieux.  Tout  en  croyant  au  surnaturel,  il  était  de  ceux 
qui  craignent  que  la  manifestation  en  soit  trop  fréquente  ;  son  récit  ici  et  ailleurs 
semble  le  prouver. 


JOURNAL  DU  SIÈGE  D'ORLÉANS.  131 

réjouie  que  c'est  nieîweille.  »  Et  en  disant  ces  paroles,  elle  levait  les  yeux 
au  ciel,  en  montrant  des  signes  de  grande  exultation. 

Après  cette  manifestation,  le  roi  fut  de  nouveau  bien  joyeux,  et  il  en 
conclut  qu'il  la  croirait  et  qu'il  irait  h  Reims  ;  mais  toutefois  qu'aupa- 
ravant il  ferait  prendre  quelques  places  des  bords  de  la  Loire.  Pendant 
le  temps  qu'on  mettrait  à  les  prendre,  il  assemblerait  grande  puissance 
de  princes,  de  seigneurs,  de  gens  de  guerre  et  d'autres,  parmi  ceux  qui 
lui  obéissaient.  A  cette  fin  il  créa  son  lieutenant  général,  Jean,  duc 
d'Alençon,  nouvellement  délivré  des  mains  des  Anglais,  dans  lesquelles 
il  avait  été  prisonnier,  depuis  la  bataille  de  Verneuil  jusqu'alors  qu'il 
venait  d*en  sortir.  Il  avait  payé  partie  de  sa  rançon,  et  avait  donné  des 
gages  et  des  otages  pour  le  reste  ;  il  s'était  acquitté  depuis,  en  peu  de 
temps,  en  vendant  pour  cela  une  partie  de  ses  terres.  Il  tendait  à  en 
recouvrer  d'autres  en  aidant  et  secourant  le  roi  son  souverain  seigneur, 
qui  pour  ce  faire  lui  donna  grand  nombre  de  gens  d'armes  et  beaucoup 
d^armes  de  guerre,  et  mit  en  sa  compagnie  la  Pucelle,  en  lui  commandant 

EXPRESSÉMENT   DE  SE  CONDUIRE   ET   DE   FAIRE  ENTIÈREMENT    PAR  SON    CONSEIL.    £t 

u.  LE  FIT  AINSI,  étant  celui  qui  prenait  grand  plaisir  (le  plus  de  plaisir) 
à  la  voir  en  sa  compagnie  ;  et  aussi  le  faisaient  les  gens  d'armes,  et  encore 
les  hommes  du  peuple,  tous  la  tenant  et  la  réputant  envoyée  par  Noire- 
Seigneur  ;  et  ainsi  était-elle. 

C'est  pourquoi  le  duc  d'Alençon,  la  Pucelle  et  leurs  gens  d'armes 
prirent  congé  du  roi,  et  se  mirent  aux  champs,  tenant  belle  ordonnance. 
En  cet  état,  ils  entrèrent  peu  de  temps  après  à  Orléans,  où  ils  furent 
reçus  à  la  très  grande  joie  de  tous  les  citoyens,  et  sur  tous  les  autres  la 
Pucelle,  qu'ils  ne  pouvaient  se  rassasier  de  voir  *. 


III 

Le  duc  d'Alençon,  la  Pucelle,  le  comte  de  Vendôme,  le  bâtard  d'Orléans, 
le  maréchal  de  Sainte-Sévère,  La  Hire,  messire  Florent  d'IUiers,  Jamet 
du  Tilloy,  un  vaillant  gentilhomme  dès  lors  très  renommé  appelé  Tudual 
de  Carmoisen,  dit  Le  Bourgeoys,  de  la  nation  de  Bretagne,  avec  plusieurs 
autres  gens  de  guerre,  après  un  court  séjour  à  Orléans,  en  partirent  le 
samedi,  onzième  jour  de  juin,  formant  tous  ensemble  environ  huit  mille 
combattants,  tant  à  cheval  qu'à  pied,  parmi  lesquels  quelques-uns 
portaient  des  guisarmes,  des  haches,  des  arbalètes,  et  d'autres  des 
maillets  de   plomb.  Menant  avec  eux  une  assez  grande  artillerie,  ils 


\.  De  laquelle  veoir  ne  se  povoyent  saouler. 


in  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

allèrent  mettre  le  siège  devant  la  ville  de  Jargeau,  occupée  par  les  Anglais  ; 
en  laquelle  se  trouvaient  messire  Guillaume  de  la  Poule,  comte  de  Suffolk; 
et  ses  deux  frères  messire  Jean  et  messire  Alexandre  de  la  Poule,  avec  de 
six  à  sept  cents  combattants  anglais,  munis  de  canons  et  autre 
artillerie,  et  bien  vaillants  en  guerre,  comme  ils  le  montrèrent  bien 
durant  les  assauts  et  les  escarmouches  qu'il  eurent  à  soutenir. 

Le  siège  fut  {un  moment)  à  demi  levé  par  les  paroles  d'épouvante  de 
quelques-uns,  qui  disaient  qu'on  devait  le  suspendre  pour  aller  à 
rencontre  de  messire  Jean  Fastolf  et  d'autres  chefs  du  parti  ennemi, 
venant  de  Paris  et  amenant  des  vivres,  de  l'artillerie,  avec  bien  deux 
mille  combattants  anglais  dans  le  but  de  faire  lever  le  siège,  ou  tout  au 
moins  de  ravitailler  Jargeau  et  de  lui  donner  secours.  De  fait  plusieurs 
se  retirèrent,  et  tous  les  autres  eussent  ainsi  fait,  sans  la  Pucelle  et 
quelques  seigneurs  et  capitaines  qui,  par  leur  belles  paroles,  les  firent 
demeurer  et  ramenèrent  les  autres. 

Le  siège  fut  rassis  en  un  moment,  et  les  escarmouches  commencèrent 
contre  ceux  de  la  ville,  qui  répondirent  merveilleusement  par  leurs 
canons  et  d'autres  traits.  Plusieurs  Français  furent  tués  ou  blessés. 
Entre  les  autres,  /a  tête  fut  ôtée  par  le  coup  d'un  veuglaire,  à  un  gentil- 
homme d'Anjou  qui  s'était  mis  près  de  la  place.  Le  duc  d'Alençon,  sur 
^  Tavertissement  de  la  Pucelle  lui  remontrant  qu'il  était  en  péril,  s'était 
retiré  en  arrière  depuis  si  peu  de  temps  qu'il  n'était  pas  encore  à  deux 
toises  loin  du  chevalier  frappé.  Tout  le  long  du  jour  et  durant  la  nuit  qui 
suivit,  les  Français  déchargèrent  leurs  bombardes  et  canons  contre  la 
ville;  elle  en  fut  fort  battue  ;  trois  coups  de  Tune  des  bombardes  d'Orléans, 
dite  Bergeine  ou  BergèrCy  firent  tomber  la  plus  haute  des  tours  qui  s'y 
trouvaient. 

Aussi  le  lendemain,  un  dimanche  et  le  douzième  jour  de  juin,  les  gens 
de  guerre  français  descendirent  dans  les  fossés,  munis  d'échelles  et  de 
toutes  les  autres  pièces  nécessaires  pour  un  assaut  ;  ils  assaillirent 
merveilleusement  ceux  du  dedans,  qui  se  défendirent  très  vigoureuse- 
ment un  grand  espace  de  temps.  Il  y  avait  spécialement  sur  les  murs, 
l'un  d'eux,  très  grand  et  gros,  armé  de  toutes  pièces,  portant  sur 
la  tète  un  bassinet,  qui,  s'abandonnait  très  fort  [au  dehors),  jetait 
étonnamment  de  grosses  pierres  de  faix  et  abattait  continuellement 
les  échelles  et  ceux  qui  se  trouvaient  dessus.  Le  duc  d'Alençon  le  montra 
à  maître  Jean,  le  coulevrinier,  qui  pointa  contre  lui  sa  coulevrine. 
Du  coup  il  frappa  en  pleine  poitrine  l'Anglais  qui  se  montrait  ainsi  à 
découvert,  et  le  précipita  mort  dans  la  ville. 

D'autre  part  la  Pucelle,  pendant  Tassant,  descendit  dans  le  fossé  avec 
son  étendard,  au   lieu  où  la   résistance  était  la    plus   âpre  ;    et   elle 


JOURNAL  DU  SIÈGE  D'ORLËAiNS.  133 

alla  si  près  du  mur  qu'un  Anglais  lui  jeta  une  grosse  pierre  de  faix  *  sur 
la  tête  et  l'atteignit  de  manière  à  la  contraindre  de  s'affaisser  à  terre.  La 
pierre,  quoique  d'un  caillot  très  dur,  s'émielta  par  pièces  sans  guère 
faire  de  mal  à  la  Pucelle  ;  elle  se  releva  tout  incontinent  ;  et  montrant 
un  énergique  courage,  elle  se  mit  à  exhorter  ses  gens  de  plus  fort,  leur 
disant  de  n'avoir  nulle  crainte,  car  les  Anglais  n'avaient  plus  de  force  de 
se  défendre  contre  eux  ;  en  quoi  elle  leur  dit  la  vérité,  puisque, 
incontinent  après  ces  paroles,  les  Français,  tout  pleins  d'assurance,  se 
prirent  à  monter  contre  les  murs  avec  une  telle  hardiesse  qu'ils  entrèrent 
dans  la  ville  et  la  prirent  d'assaut. 

Quand  le  comte  de  Suffolk,  ses  deux  frères,  et  plusieurs  seigneurs 
d'Angleterre  virent  qu'ils  ne  pourraient  plus  défendre  les  remparts,  ils 
se  retirèrent  sur  le  pont;  mais,  dans  la  retraite,  messire  Alexandre,  frère 
du  comte,  fut  tué,  et  aussitôt  après  le  pont  fut  rendu  par  les  Anglais  qui 
le  reconnurent  trop  faible  pour  tenir,  et  se  voyaient  pris  par-dessus. 
Plusieurs  vaillants  gens  de  guerre  poursuivirent  les  Anglais  ;  et  il  y 
avait  en  particulier  un  gentilhomme  français,  nommé  Guillaume 
Regnault,  qui  faisait  de  grands  efforts  pour  prendre  le  comte  de  Suffolk. 
Celui-ci  lui  demanda  s'il  était  gentilhomme;  à  quoi  il  répondit  que  oui, 
et,  de  nouveau,  s'il  était  chevalier,  et  il  répondit  que  non.  Le  comte 
le  fit  chevalier  et  se  rendit  à  lui.  Furent  semblable  ment  pris  et  faits 
prisonniers  messire  Jean  de  La  Poule,  frère  du  comte,  et  plusieurs 
autres  seigneurs  et  gens  de  guerre,  parmi  lesquels  quelques-uns  furent  le 
soir  conduits  par  eau  et  de  nuit  à  Orléans,  dans  la  crainte  qu'ils  ne 
fussent  tués  ;  plusieurs  autres,  en  effet,  furent  tués  en  chemin,  par  suite 
d'un  débat  que  le  partage  des  prisonniers  fit  surgir  entre  les  Français. 
Au  regard  de  la  ville  de  Jai^eau,  tout  y  fut  pillé,  même  l'église  où  l'on 
avait  déposé  foison  de  biens. 

Cette  même  nuit,  le  duc  d'Alençon,  la  Pucelle  avec  plusieurs  seigneurs 
et  gens  d'armes,  retournèrent  à  Orléans,  où  ils  furent  reçus  à  très  grande 
joie.  De  là  ils  firent  savoir  au  roi  la  prise  de  Jargeau,  et  comment 
Tassaut  avait  duré  quatre  heures,  durant  lesquelles  eurent  lieu  grand 
nombre  de  beaux  faits  d'armes. 

De  quatre  à  cinq  cents  Anglais  y  furent  tués,  sans  compter  les  pri- 
sonniers qui  étaient  de  grand  renom,  tant  en  noblesse  qu'en  faits  de 
guerre. 

i.  Pierre  de  faix,  pierre  qu'on  jetait  par  le  moyen  des  balistes  ou  des  mangonneaux, 
de  la  grosseur  d'un  fardeau  (Glossaire  de  Lacurne). 


134  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

IV 

Le  duc  d'Alençon  et  la  Pucelle,  après  cette  conquête,  firent  un  court 
séjour  à  Orléans,  où  il  y  avait  déjà  de  six  à  sept  mille  combattants,  et  où 
l'armée  fut  renforcée  par  l'arrivée  de  plusieurs  seigneurs,  chevaliers, 
écuyers,  capitaines  et  vaillants  hommes  d'armes,  et  entre  les  autres, 
par  la  venue  du  seigneur  de  Laval,  et  du  seigneur  de  Lohéac,  son  frère, 
du  seigneur  de  Chauvigny  du  Bcrry,  du  seigneur  de  La  Tour  d'Auvergne, 
du  vidame  de  Chartres. 

Vers  ces  jours  le  roi  vint  à  Sully-sur-Loire.  A  la  vérité  son  armée 
croissait  beaucoup  ;  de  jour  en  jour  on  y  voyait  des  gens  de  toutes  les 
parties  du  royaume  soumises  à  son  obéissance. 

Le  mercredi  quinzième  jour  du  même  mois  de  juin,  le  duc  d'Alençon,  en 
sa  qualité  de  lieutenant  général  de  l'armée  du  roi,  accompagné  de  la 
Pucelle,  de  messire  Louis  de  Bourbon  comte  de  Vendôme,  «t  d'autres 
seigneurs,  capitaines  et  gens  d'armes  en  grand  nombre,  tant  à  pied 
qu'à  cheval,  partit  d'Orléans  avec  une  grande  quantité  de  vivres,  de 
charrois  et  d'artillerie,  pour  aller  mettre  le  siège  devant  Baugency,  et  en 
chemin  assaillir  le  pont  de  Meung,  quoiqu'il  fut  fortifié  par  les  Anglais, 
et  bien  garni  de  vaillantes  gens,  qui  s'efforçaient  de  bien  le  défendre. 
Mais,  malgré  leur  défense,  il  fut  pris  de  plein  assaut  sans  guère  arrêter 
l'armée. 

De  là,  conservant  bien  leur  ordonnance,  ils  partirent  le  lendemain 
bien  matin,  et  firent  tant  qu'ils  arrivèrent  devant  Baugency,  et  y 
entrèrent.  Les  Anglais  l'avaient  abandonné  pour  se  retirer  au  château 
et  sur  le  pont  qu'ils  avaient  fortifié  ;  cependant  les  Français  ne  se 
logèrent  nullement  à  l'aise.  Quelques  Anglais  s'étaient  embusqués  secrè- 
tement dans  des  maisons  et  des  masures  ;  ils  en  saillirent  soudainement 
pour  tomber  sur  les  Français  pendant  qu'ils  prenaient  leur  logis  ;  il  s'en- 
suivit une  très  forte  escarmouche,  durant  laquelle  il  y  eut  de  part  et 
d'autre  des  tués  et  des  blessés.  Les  Anglais  furent  enfin  contraints  de  se 
retirer  sur  le  pont  ou  au  château,  que  les  Français  se  mirent  à  assiéger 
du  côté  de  la  Beauce,  disposant  à  cet  effet  leurs  bombardes  et  leurs 
canons. 

A  ce  siège  arriva  Arthur,  comte  de  Richement,  connétable  de  France 
et  frère  {beau-frère)  du  duc  de  Bourgogne,  et  avec  lui  se  trouvait 
Jacques  de  Dinan,  seigneur  de  Beaumanoir,  frère  du  seigneur  de  Cha- 
teaubriand. A  son  arrivée  le  Connétable  pria  la  Pucelle,  et  par  amour 
pour  lui  les  autres  seigneurs  la  prièrent  avec  lui,  qu'elle  voulût  bien  faire 
sa  paix  avec  le  roi;  elle  le  lui  octroya,  à  la  condition  qu'il  jurerait  devant 


JOURNAL  DU  SIÈGE  D'ORLÉANS.  135 

elle  et  les  seigneurs  de  servir  loyalement  le  roi.  La  Pucelle  voulut  plus 
encore  ;  elle  exigea  que  le  duc  d'Alençon  et  les  autres  seigneurs  se  por- 
tassent garants  de  sa  fidélité,  et  en  donnassent  leurs  lettres  scellées;  ce 
qu'ils  firent.  Par  ce  moyen  le  Connétable  demeura  au  siège  avec  les  autres 
seigneurs. 

Tous  ensemble  conclurent  qu'ils  mettraient  une  partie  de  leurs  gens 
du  côté  de  la  Sologne,  pour  que  les  Anglais  fussent  assiégés  de  toutes 
parts;  mais  le  chef  des  assiégés  fit  demander  à  la  Pucelle  de  parlementer 
afin  de  traiter;  ce  qu'on  lui  accorda.  A  la  fin  du  pourparler,  qui  eut  lieu 
sur  le  milieu  de  la  nuit  de  cette  journée  {vendredi  /7),  il  fut  octroyé  que 
les  Anglais,  après  avoir  rendu  le  château  et  le  pont,  pourraient  s'en  aller 
le  lendemain,  emmener  leurs  chevaux  et  leurs  harnais,  et  emporter 
chacun  quelque  chose  de  leurs  biens  meubles  ;  mais  pas  au  delà  de  la 
valeur  d'un  marc  d'argent  ;  et  de  plus  ils  jurèrent  de  ne  s'armer  qu'après 
dix  jours  passés.  A  ces  conditions,  ils  s'en  allèrent  le  lendemain, 
dix-huitième  jour  de  juin,  et  se  retirèrent  dans  Meung.  Les  Français 
entrèrent  dans  le  château  et  y  mirent  des  gens  pour  le  garder. 

D'une  autre  part,  la  nuit  môme  qu'avait  lieu  la  composition  pour 
rendre  le  château  et  le  pont  de  Baugency,  arrivèrent  les  seigneurs  de 
Talbot  et  de  Scales,  et  messire  Jean  Fastolf.  Ayant  su  la  prise  de  la  ville 
de  Jargeau,  ils  avaient  laissé  à  Étampes  les  vivres  et  Tartillerie  qu'ils 
amenaient  de  Paris  pour  la  secourir  ;  et  ils  s'étaient  en  grande  hâte  portés 
au  secours  de  Baugency,  espérant  faire  lever  le  siège;  mais  ils  ne  purent 
pas  y  entrer,  encore  qu'ils  fussent  quatre  mille  combattants  ;  ils  trou- 
vèrent les  Français  en  telle  ordonnance  qu'ils  délaissèrent  leur  entreprise. 
Ils  retournèrent  au  pont  de  Meung  et  l'assaillirent  très  âprement;  mais 
nécessité  leur  fut  de  tout  laisser  et  d'entrer  dans  la  ville.  L'avant-garde 
des  Français  était  arrivée  le  matin  de  ce  jour,  partie  qu'elle  était  très 
hâtivement  après  la  prise  de  Baugency,  et  se  disposait  à  fondre  sur  eux. 
Aussi,  ce  même  jour,  ils  quittèrent  Meung  entièrement,  et  ils  se  mirent 
aux  champs  en  belle  ordonnance,  avec  le  dessein  d'aller  à  Janville. 


Lorsque  le  duc  d'Alençon  et  les  autres  seigneurs  français,  qui  venaient 
après  leur  avant-garde,  surent  la  retraite  des  Anglais,  ils  se  hâtèrent  le 
plus  qu'ils  purent,  tout  en  gardant  belle  ordonnance,  si  bien  que  les 
Anglais  n'eurent  pas  le  loisir  d'aller  jusqu'à  Janville,  mais  seulement 
jusqu'à  un  village  de  la  Beauce,  du  nom  de  Patay. 

Parce  que  la  Pucelle  et  plusieurs  seigneurs  ne  voulurent  pas  que  le 


436  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

gros  deTarmée  changeât  son  pas,  Ton  fit  choix  de  La  Hire,  de  Poton,  de 
Jamet  du  Tilloy,  de  messire  Ambroise  de  Loré,  de  Thibaud  de  Thermes, 
et  d'autres  vaillants  hommes  d'armes  à  cheval,  pris  soit  parmi  les  gens  du 
seigneur  de  Beaumanoir,  soit  parmi  d'autres  qui  se  mirent  en  leur  com- 
pagnie, et  on  leur  donna  la  charge  d'aller  courir  et  escarmoucher  autour 
des  Anglais  pour  les  retenir  et  les  empêcher  de  s'établir  en  forte  position. 
C'est  ce  qu'ils  firent,  et  plus  encore  ;  car  ils  fondirent  sur  les  rangs 
ennemis  avec  une  telle  impétuosité,  qu'encore  qu'ils  ne  fussent  que  de 
quatorze  à  quinze  cents,  ils  les  mirent  en  désarroi  et  en  déconfiture, 
quoique  ces  ennemis  fussent  au  nombre  de  plus  de  quatre  mille  hommes 
de  combat.  Environ  deux  mille  deux  cents  Anglais  ou  faux  Français 
restèrent  morts  sur  place  ;  les  autres  se  mirent  à  fuir,  espérant  se  sauver 
à  Janville  :  les  habitants  leur  fermèrent  les  porte  de  la  ville  ;  par  suite  ils 
durent  fuir  ailleurs,  à  Taventure.  Plusieurs  furent  encore  tués  et  pris, 
surtout  par  le  gros  de  l'armée,  qui,  au  moment  de  la  déroute,  avait  rejoint 
les  premiers  coureurs. 

Les  Français  firent  à  cette  journée  un  gain  considérable,  car  le  seigneur 
de  Talbot,  le  seigneur  de  Scales,  messire  Thomas  Rameston,  un  autre 
capitaine  appelé  Hungerfort,  y  furent  pris  avec  plusieurs  autres  seigneurs 
et  vaillants  hommes  d'Angleterre.  Les  habitants  de  Janville  n'y  perdirent 
pas  non  plus,  nombre  d'Anglais  ayant  donné  en  garde  à  plusieurs  d'entre 
eux  la  plus  grande  partie  de  leur  argent,  lorsqu'ils  étaient  passés  pour 
aller,  pensaient-ils,  secourir  Baugency. 

Les  habitants  de  Janville  se  rendirent  ce  jour-là  même  au  roi  et  à  ses 
gens  ;  ainsi  fit  encore  un  gentilhomme,  lieutenant  du  capitaine  ;  il  mit 
les  Français  dans  la  grosse  tour,  et  leur  fit  serment  d'être  dorénavant 
bon  et  loyal  envers  le  roi. 

Le  bruit  de  cette  déconfiture,  d'où  plusieurs  s'échappèrent  par  la  fuite, 
entre  autres  messire  Jean  Fastolf  qui  se  sauva  dans  Corbeil,  jeta  une 
si  grande  épouvante  parmi  les  gens  des  garnisons  anglaises  de  la  Beauce, 
telles  que  les  garnisons  de  Mont-Pipeau,  Saint-Sigismond,  et  autres 
places  fortes  et  fortifiées,  que  les  Anglais  y  mirent  le  feu  et  s'enfuirent 
en  toute  hâte. 

Au  contraire  le  cœur  crût  aux  Français.  De  toutes  parts  ils  s'assem- 
blèrent à  Orléans  dans  la  pensée  que  le  roi  y  viendrait  pour  ordonner 
le  voyage  de  son  sacre,  ce  qu'il  ne  fit  pas  ;  et  ce  dont  les  habitants  qui 
avaient  fait  tendre  les  rues  et  parer  la  ville  furent  mal  contents,  ne 
considérant  pas  les  affaires  du  roi,  qui  pour  disposer  de  son  état  se  tenait 
à  Sully-sur-Loire. 

C  est  donc  là  qu'allèrent  le  rejoindre  le  duc  d'Alençon  et  tous  les 
seigneurs  et  gens  de  guerre  qui  de  la  journée  de  Patay  s'étaient  retirés 


JOURNAL  DU  SIÈGE  D'ORLÉANS.  iZl 

à  Orléans  ;  plus  spécialement  la  Pucelle  qui  lui  parla  du  Connétable.  Elle 
lui  remontra  le  bon  vouloir  qu'il  professait  avoir  pour  sa  personne,  les 
nobles  seigneurs  et  vaillants  gens  de  guerre,  bien  quinze  cents  combattants, 
qu'il  lui  amenait^  et  le  pria  de  vouloir  bien  lui  pardonner  son  mal  talent. 
Le  roi  le  fit  à  sa  requête,  mais  par  amour  pour  La  Trémoille,  qui  avait 
la  plus  grande  autorité  autour  de  lui,  il  ne  voulut  pas  soufifrir  qu'il 
se  trouvât  avec  lui  au  voyage  de  son  sacre.  La  Pucelle  en  fut  très  déplai- 
sante; et  aussi  le  furent  plusieurs  grands  seigneurs,  capitaines  et  autres 
gens  du  conseil,  qui  voyaient  que  par  là  il  renvoyait  beaucoup  de  gens 
de  bien  et  de  vaillants  hommes.  Toutetois  ils  n'en  osaient  parler,  parce 
qu'ils  voyaient  que  le  roi  faisait  du  tout  en  tout  ce  qu'il  plaisait  à  ce 
seigneur  de  La  Trémoille.  Ce  fut  pour  lui  plaire  qu'il  ne  voulut  pas 
souffrir  que  le  Connétable  vint  devers  lui... 

...  Le  chroniqueur  raconte  par  quels  moyens  déloyaux  les  Anglo- 
Boui^uignons  de  Marchenoir  éludèrent  rengagement  qu'ils  avaient  pris 
de  rendre  la  place,  et  continue  son  récit... 

Le  dimanche  après  la  fête  de  Saint-Jean-Baptiste,  en  ce  même  an 
mil  quatre  cent  vingt-neuf,  Bonny  fut  rendu  à  messire  Louis  de  Culan, 
amiral  de  France,  qui,  par  ordre  du  roi,  était  allé  l'assiéger  avec  degrandes 
forces. 


CHAPITRE  IV 

CAMPAGNE  AVANT  ET  APRÈS  LE   SACRE. 


Sommaire  :  1.  —  La  reine  amenée  de  Bourges  à  Gien.  —  Ramenée  à  Bourges.  —  Dépari 
du  roi.  —  Seigneurs  à  sa  suite.  —  L*armée  devant  Auxerre.  —  Composition. 

11.  —  Tout  ce  qui  est  dans  le  Journal  du  siège  est  dans  la  Chronique  de  la  Pucelle,  mais 
pas  réciproquement. 

m.  —  Le  roi  à  Saint-Denis.  —  La  Pucelle  à  La  Chapelle.  —  Attaque  contre  Paris.  — 
La  Pucelle  dans  les  fossés.  —  Elle  est  blessée  sans  cesser  d'ordonner  qu'on  comble 
les  fossés.  —  Emportée  de  force.  —  Éloges  donnés  à  son  courage.  —  On  aurait  pu 
prendre  Paris.  —  Il  est  arrêté  qu'on  reviendra  sur  la  Loire.  —  Le  duc  de  Bourbon 
lieutenant  général. 

IV.  —  Le  chemin  du  roi  dans  sa  retraite.  —  Arrêt  à  Gien.  —  Le  roi  abusé  par  le  duc 
de  Bourgogne.  —  Rentrée  à  Bourges.  —  Les  prédictions  de  la  Pucelle.  —  Conclu- 
sion du  chroniqueur. 


I 

Le  roi  avait  envoyé  chercher  la  reine  Marie,  sa  femme,  fille  de  feu 
Louis,  roi  de  Sicile,  second  du  nom,  parce  que  plusieurs  étaient  d'avis 


138  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

qu'il  ramenât  couronner  avec  lui  à  Reims.  Peu  de  jours  après  elle  lui 
fut  amenée  à  Gien  ;  là  où  il  tint  plusieurs  conseils,  pour  arrêter  la  manière 
plus  convenable  à  tenir  au  voyage  de  son  sacre.  On  finit  ces  délibérations 
par  conclure  que  le  roi  renverrait  la  reine  à  Bourges,  et  que,  sans  assi^er 
Cosne  et  La  Charité-sur-Loire,  que  quelques-uns  conseillaient  de  prendre 
de  force  avant  le  départ,  le  roi  se  mettrait  en  chemin:  ce  qui  fut  fait,  car 
la  reine  étant  ramenée  à  Bourges,  le  roi  prit  sa  voie  vers  Reims. 

Il  partit  de  Gien  le  jour  de  Saint- Pierre,  en  ce  même  mois  de  juin, 
accompagné  de  la  Pucellc%  du  duc  d'Alençon,  du  comte  de  Clermont, 
depuis  duc  de  Bourbon,  du  comte  de  Vendôme,  du  seigneur  de  Laval, 
du  comte  de  Boulogne,  du  bâtard  d'Orléans,  du  seigneur  de  Lohéac,  des 
maréchaux  de  Sainte-Sévère  et  de  Rais,  de  Tamiral  de  Culan  et  des 
seigneurs  de  Thouars,  de  Sully,  de  Chaumont-sur-Loire,  de  Prie,  de 
Jamet  du  Tilloy,  et  de  plusieurs  autres  seigneurs,  nobles,  vaillants 
capitaines  et  gentilshommes,  avec  environ  douze  mille  combattants,  tous 
preux,  hardis,  vaillants  et  de  grand  courage.  Ils  Pavaient  montré  par 
avant,  le  montrèrent  alors,  et  Tout  montré  depuis  par  leurs  faits  et 
vaillantes  entreprises,  et  spécialement  en  ce  voyage,  durant  lequel  ils 
passèrent  en  allant,  et  repassèrent  au  retour,  franchement  et  sans  rien 
craindre,  par  les  pays  et  contrées  dont  les  villes,  châteaux,  ponts  et 
passages  étaient  garnis  d'Anglais  et  de  Bourguignons. 

Tenant  leur  voie,  ils  vinrent  présenter  le  siège  et  Tassant  devant  la  cité 
d'Auxerre.  De  fait  il  semblait  à  la  Pucelle  et  à  plusieurs  seigneurs  et 
capitaines  qu'il  était  aisé  de  la  prendre  d'assaut,  et  ils  voulaient  l'essayer. 
Mais  ceux  de  la  cité  donnèrent  secrètement  deux  mille  écus  au  seigneur 
de  La  Trémoille  pour  qu'il  les  préservât  d'être  assaillis.  Ils  fournirent  à 
l'armée  du  roi  beaucoup  de  vivres  qui  étaient  très  nécessaires,  et,  grâce 
à  ces  moyens,  ils  ne  firent  aucune  obéissance;  ce  dont  la  plupart  dans 
Tarméc,  et  même  la  Pucelle,  furent  très  mécontents.  Ce  mécontentement 
ne  fil  rien  changer.  Toutefois  le  roi  séjourna  durant  trois  jours  environ  ; 
il  partit  ensuite  avec  toute  son  armée,  et  s'en  alla  vers  Saint-Florentin, 
qui  se  rendit  sans  résistance. 

Il 

Comme  ou  le  voil,  il  n'est  rien  dans  \i}Jouniat  du  sirge  qui  ne  se  trouve 
dans  la  Chronique  des  (^.ousinol  ;  mais  on  chercherait  vainement  dans  le 
Journal  plusieurs  traits  (|ui  font  connaître  les  résistances  que  la  Libéra- 
trice eut  à  surmonter. 

l.  La  Puoollo  avait  pris  les  devant^*  pour  fon'or  W  \\\\  el  ses  conseillers  à  se  mettre 
en  manlie. 


JOURNAL  DU  SIÈGE  D'ORLÉANS.  139 

II  est  donc  inutile  de  reproduire  la  suite.  Citons  seulement  la  phrase 
du  Journal  sur  la  scène  qui  se  passa  après  le  sacre.  La  voici:  «  Quand 
la  Pucelle  vit  que  le  roy  estoit  sacré  et  couronné,  elle  se  agenouilla, 
présens  tous  les  seigneurs,  devant  luy,  et  en  l'embrassant  par  les  jambes, 
lui  dist  en  pleurant  à  chaudes  larmes  :  —  Gentil  roy,  or  est  exécuté  le 
plaisir  de  Dieu  qui  vouloit  que  levasse  le  siège  d'Orléans  et  que  vous 
amefictsse  en  ceste  cité  de  Reims^  recevoir  vostre  saint  sacre,  en  monstrant 
que  vous  estes  vray  roy  et  celuy  auquel  le  royaulme  de  France  doit  appar- 
tenir et  moult  foisoit  grand  pitié  à  tous  ceux  qui  la  REGARDOIENT^  » 

Dans  la  Chronique  de  Cousinot  de  Montreuil,  la  Pucelle  ne  parle  pas 
de  la  délivrance  d'Orléans.  L'auteur  du  Journal  du  siège  lui  fait  men- 
tionner la  levée  du  siège  pour  lui  faire  énumérer  les  deux  objets  auxquels 
il  restreint  bien  indûment  sa  mission. 

Parlant  de  l'essai  de  retourner  vers  le  Berry  par  Bray-sur-Seine,  le 
Journal  écrit  :  «  Lequel  (le  roi)  avoit  aucunes  gens  en  sa  compagnie, 
qui  tant  désiroient  retourner  de  là  la  rivière  de  la  Loire  que  pour  leur 
complaire  il  avoit  concludle  faire^  ».  La  Chronique  de  la  Pucelle,  à  laquelle 
le  Jowrwa/ emprunte  plusieurs  mois,  écrit  :  «  auquel  conseil  il  adhéra  fort, 
et  estoit  de  leur  opinion  ».  Ni  l'un  ni  l'autre  ne  disent  ce  que  nous  savons 
par  ailleurs  que  semblable  détermination  déplaisait  souverainement  à  la 
Pucelle. 

III 

Voici  comment  le  Journal  raconte  la  tentative  contre  Paris,  et  termine 
son  travail  : 

D'autre  part,  le  roi,  après  avoir  institué  des  capitaines  et  des  officiers  à 
Senlis,  en  partit  environ  le  dernier  jour  de  ce  mois,  et  vint  à  la  ville  de 
Saint-Denis,  où  lui  fut  rendue  plénière  obéissance.  Il  y  fut  deux  jours, 
durant  lesquels  plusieurs  courses  et  escarmouches  furent  faites  par  les 
Français  qui  se  trouvaient  à  Saint-Denis  contre  les  Anglais  de  Paris  ;  il  y 
eut  de  part  et  d'autres  plusieurs  beaux  faits  d'armes^ 

Le  troisième  jour  {après  l'arrivée  du  roi)  la  Pucelle,  le  duc  d'Alençon, 
le  duc  de  Bourbon,  le  comte  de  Vendôme,  le  comte  de  Laval,  les  maré- 
chaux de  Sainte-Sévère  et  de  Rais,  La  Hire,  Polon  et  plusieurs  autres 

i.  Journal  du  siège,  édit.  Charpentier,  p.  114.  —  Pitié  doit  se  prendre  pour  émotion^ 
une  des  acceptions  de  ce  mot.  (Voy.  Lacurne.) 

2.  J6id.,p.  115. 

3.  Le  chroniqueur  ici  et  dans  Tassaul  contre  Paris,  soit  ignorance,  soit  désir  de 
couvrir  de  bien  tristes  intrigues,  commet  plusieurs  inexactitudes.  La  Chronique  de 
Perceval  de  Cagny,  la  Chronique  dite  des  Cordeliers,  d'autres  encore,  jettent  sur  cette 
partie  de  l'histoire  de  Théroïnp  une  bien  douloureuse  lumière. 


140  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

vaillants  chevaliers,  capitaines  et  écuyers,  avec  grand  nombre  de  vaillants 
gens  de  guerre  partirent  de  Saint-Denis,  et  vinrent  loger  en  un  village, 
dit  La  Chapelle,  qui  est  comme  à  moitié  du  chemin  entre  Paris  et 
Saint-Denis. 

Le  lendemain  {8  sept.)  ils  vinrent  se  mettre  en  bonne  ordonnance  au 
marché  aux  Pourceaux,  devant  la  porte  Saint-Honoré,  et  ils  firent  braquer 
plusieurs  canons,  dont  ils  dirigèrent  les  décharges  en  plusieurs  lieux,  et 
souvent  dans  Paris.  Les  gens  de  guerre  de  la  garnison,  et  aussi  le  peuple 
y  étaient  en  armes  ;  ils  faisaient  porter  plusieurs  étendards  de  diverses 
couleurs,  qu'ils  faisaient  tournoyer,  aller  et  revenir  autour  des  remparts 
à  l'intérieur  de  la  ville  ;  parmi  ces  étendards,  il  y  en  avait  un  très  grand 
à  une  croix  rouge. 

Quelques  seigneurs  français  voulurent  s'approcher  de  plus  près,  plus 
particulièrement  le  seigneur  de  Saint- Vallier,  Dauphinois,  qui  fil  tant  que 
lui  et  ses  gens  allèrent  mettre  le  feu  au  boulevard  et  à  la  barrière  de  la 
porte  Saint-IIonoré.  Encore  qu'il  y  eut  plusieurs  Anglais  pour  les  défendre, 
toutefois  ils  jugèrent  prudent  de  rentrer  par  cette  porte  au  dedans  de 
Paris  ;  par  suite  les  Français  s'emparèrent  et  furent  les  maîtres  de  la 
barrière  et  du  boulevard. 

On    crut  que  les  Anglais  sortiraient  par  la  porte  Saint-Denis  pour 
courir  sus  aux  Français  qui  étaient  devant  la  porte  Saint-Honoré  ;  c'est 
pourquoi  les  ducs  d'Alençon  et  de  Bourbon  s'embusquèrent  derrière  la 
hauteur  qui  est  auprès  et  contre  le  marché  aux  Pourceaux;  ils  ne  pou- 
vaient pas  se  mettre  plus  près,  par  crainte  des  canons,  des  veuglaires  et 
des  coulevrines,  que  sans   discontinuer  l'on  tirait  de  Paris;  mais  ils 
perdirent  leur  peine,  car  ceux  de  Paris  n'osèrent  saillir  hors  de  la  ville. 
La  Pucclle,  voyant  leur  couard  maintien,  prit  la  résolution  de  les  assaillir 
jusques  aux  pieds  de  leurs  murailles,  et  de  fait  elle  vint  se  poster  en  leur 
présence.  Pour  ce  faire,  ayantavec  ellegrande  compagnie  de  gens  d'armes 
et  plusieurs  seigneurs,  parmi  lesquels  le  maréchal  de  Rais,  tous  en  belle 
ordonnance,  se  mirent  à  pied,  et  descendirent  au  premier  fossé.  Elle  les 
y  laissa,  et  monta  sur  le  dos  d'âne,  d'où  elle  descendit  au  second  fossé. 
Elle  plongea  sa  lance  en  divers  lieux,  tàtant  et  sondant  la  profondeur  de 
l'eau  et  de  la  vase.  Elle  y  passa  un  grand  espace  de  temps,  assez  pour 
qu'un  arbalétrier  de  Paris  lui  perça  la  cuisse  d'un  trait  ;  mais  ce  nonob- 
stant, elle  ne  voulait  pas  se  retirer  et  elle  faisait  très  grande  diligence 
pour  faire  apporter  des  fagots,  du  bois,  et  faire  combler  ce  fossé,  afin  de 
pouvoir  passer  avec  les  gens  de  guerre  jusqu'aux  remparts;  ce  qui  ne 
semblait  pas  alors  possible,  parce  que  Teau  était  trop  profonde,  qu'elle 
n'avait  pas  assez  de  ge.ns  pol'h  ce  faire,  et  aussi   parce  que  la  nuit  était 
proche.  Cependant  elle  se  tenait  toujours  sur  le  fossé,  ne  voulant  pas 


JOURNAL  DU  SIÈGE  D'ORLÉANS.  141 

retourner  ni  se  retirer  en  aucune  manière,  quelque  prière  et  requête  qui 
lui  en  fut  faite  par  plusieurs,  qui,  à  diverses  fois,  vinrent  la  requérir  de 
quitter  ce  lieu,  et  lui  remontrer  qu  elle  devait  renoncer  à  Tentreprise. 
Enfin  le  duc  d'Alençon  l'envoya  quérir,  et  la  fit  retirer  avec  toute  l'armée 
au  village  de  la  Villette  {La  Chapelle)^  où  ils  passèrent  la  nuit,  comme 
ils  y  avaient  passé  la  nuit  précédente. 

Le  lendemain  tous  retournèrent  à  Saint-Denis.  La  Pucelle  y  fut  fort 
louée  de  son  bon  vouloir  et  du  hardi  courage  qu'elle  avait  montré  de 
vouloir  assaillir  une  cité  aussi  forte,  et  si  bien  garnie  de  gens  et  d'artille- 
rie que  l'était  Paris. 

Quelques-uns  ont  dit  depuis  que  si  les  choses  eussent  été  bien  con- 
duites \  IL  Y  AVAIT  GRANDE  APPARENCE  Qu'eLLE  EN  FUST  VENUE  A  SON  VOULOIR.  Il 

y  avait  alors  dans  Paris  plusieurs  notables  personnages,  qui  reconnais- 

• 

saient  que  le  roi  Charles  septième  du  nom  était  leur  souverain  seigneur 
et  le  vrai  héritier  du  royaume  de  France,  que  c'était  à  grand  tort  et  par 
vengeance  qu'on  les  avait  séparés  de  sa  seigneurie  et  enlevés  à  son  obéis- 
sance, pour  les  mettre  en  la  main  du  roi  Henri  d'Angleterre  paravant  sa 
mort,  et  qu'on  avait  depuis  continué  sous  le  roi  Henri,  son  fils,  usurpa- 
teur de  la  plus  grande  partie  du  royaume;  et  ils  se  fussent  mis  et  réduits 
en  l'obéissance  de  leur  souverain  seigneur,  et  lui  eussent  fait  plénière 
ouverture  de  sa  principale  ville,  de  Paris,  comme  ils  le  firent  six  ans 
après.  Hs  ne  le  firent  pas  à  cette  fois  pour  les  raisons  alléguées*. 

Le  roi,  voyant  alors  qu'ils  ne  montraient  aucun  semblant  de  vouloir  se 
rendre  à  lui,  tint  plusieurs  conseils  à  Saint-Denis.  A  la  suite,  il  fut  dé- 
cidé que,  vu  l'attitude  des  habitants  de  Paris,  la  grande  puissance  des 
Anglais  et  des  Bourguignons  qui  s'y  trouvaient,  et  aussi  parce  que  le  roi 
n'avait  pas  assez  d'argent,  et  qu'il  ne  pouvait  trouver  de  quoi  entretenir 
une  si  grande  armée,  il  ferait  le  duc  de  Bourbon  son  lieutenant  général  ; 
ce  qu'il  fit,  lui  ordonnant  de  demeurer  dans  les  villes,  cités  et  places  de 
son  obéissance  en  deçà  de  la  rivière  de  la  Loire,  et  il  lui  donna  grand 
nombre  de  gens  d'armes  et  abondance  d'artillerie  pour  y  mettre  de  grosses 
garnisons,  les  garder  et  les  défendre.  Outre  cette  disposition,  il  voulut 
et  commanda  que  le  comte  de  Vendôme,  et  l'amiral  de  Culan  se  tinssent 
à  Saint-Denis,  leur  laissant  plusieurs  hommes  afin  qu'ils  pussent  y  tenir 
garnison. 

1.  Elles  ont  été  donc  mal  conduites.  En  quoi?  par  qui  ?  l'auteur  ne  le  dit  pas.  Il 
faut  le  chercher  dans  les  autres  Chroniques. 

2.  On  cherche  inutilement  les  raisons  mises  en  avant  par  le  chroniqueur. 


i42  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

IV 

Cela  fait,  le  roi  partit  le  douzième  jour  de  septembre,  et  s'en  alla  à 
Lagny-sur-Marne,  d*où  il  partit  le  lendemain,  après  y  avoir  ordonné 
comme  capitaine  messire  Âmbroise  de  Loré,  auquel  il  adjoignit  messire 
Jean  Foucault,  avec  plusieurs  gens  de  guerre.  Le  lendemain  il  était  à 
Provins,  de  là  à  Bray-sur-Seine,  que  les  habitants  réduisirent  à  son  obéis- 
sance. Il  alla  ensuite  passer  devant  Sens,  qui  ne  lui  fit  aucune  ouverture; 
il  dut  passer  à  gué,  un  peu  au-dessous  de  la  ville,  la  rivière  de  l'Yonne;  il 
se  dirigea  sur  Courtenay,  d'où,  par  Château-Renard  et  Montargis,  il 
arriva  en  dernier  lieu  à  Gien. 

Là  il  attendit  quelques  jours,  espérant  avoir  accord  avec  le  duc  de 
Bourgogne  qui  lui  avait  mandé,  par  le  seigneur  de  Charny,  qu'il  lui  ferait 
avoir  Paris,  et  qu'il  y  viendrait  en  personne.  A  cette  occasion,  le  roi  lui 
avait  envoyé  un  sauf-conduit,  pour  qu'il  pût  passer  sans  contredit  parles 
places  et  les  passages  lui  obéissant  ;  ainsi  le  fit-il;  mais,  arrivé  à  Paris,  il 
ne  tint  rien  de  ce  qu'il  avait  promis;  au  contraire,  il  fit  à  rencontre  du 
roi,  avec  le  duc  de  Bedford,  une  alliance  plus  étroite  qu'auparavant;  et, 
ce  nonobstant,  en  vertu  du  sauf-conduit,  il  repassa  sûrement  et  ouverte- 
ment par  tous  les  pays,  villes  et  passages  de  Tobéissance  du  roi,  et  il 
s'en  retourna  en  ses  pays  de  Picardie  et  de  Flandre*. 

Le  roi,  averti  au  vrai,  passa  la  Loire  et  revint  à  Bourges,  d'où  il  était 
parti  à  la  requôlc  et  sur  les  supplications  de  la  Pucelle,  qui  lui  avait  dit 
paravant  tout  ce  qui  lui  advint  du  lèvcment  du  siège  d'Orléans,  et  de 
son  saint  sacre,  aussi  de  son  retour*  ouvertement,  ainsi  que  le  lui  avait 
révélé  Notrc-Scigneur. 

En  le  remerciant  et  en  le  louant  de  sa  grâce,  je  mets  fin  par  son  octroi 
à  ce  présent  traité  très  abrégé  {très  compendieux)^  qui  porte  en  titre  :  «  Du 
siège  d'Orléans,  mis  par  les  Anglais  et  de  la  venue  et  vaillants  faits  de 
Jeanne  la  Pucelle,  et  comment  elle  les  en  fit  partir,  et  fit  sacrer  à  Reims 
le  roi  Charles  septième,  par  grâce  divine  et  force  d'armes  ». 

1.  Là  est  le  secret  de  1  échec  contre  Paris.  On  verra  à  la  Chronique  dite  des  Corde- 
liers,  le  traité  de  dupe  déjà  conclu  et  signé  lorsque  le  roi  vint  à  Saint-Denis.  Ainsi  se 
trouvent  expliquées  les  demi-révélations  que  l'on  a  vues  dans  la  Chronique  de  la 
Pucelle  et  que  Ton  trouvera  dans  bien  d'autres  Chroniques. 

2.  L'on  ne  voit  pas  ailleurs  qu'elle  ait  parlé  de  son  retour. 


CHRONIQUE   DE  JEAN   CHARTIER 

OBSERVATIONS    CRITIQUES    SUR    LES    PAGES    QUE    JEAN    CHARTIER 

CONSACRE    A    LA   PUCELLE. 

Jean  Chartier  est  rhistoriographe  officiel  de  Charles  VII.  Ce  titre  lui 
était  conféré  le  18  novembre  1437  par  Charles  VU,  six  jours  après  que 
ce  prince  venait  de  rentrer  dans  sa  capitale,  où  il  n'avait  pas  mis  les  pieds 
depuis  les  derniers  jours  de  mai  1418.  Jean  Chartier  était  chargé  de  con- 
tinuer l'œuvre  du  Religieux  inconnu  de  Saint-Denis  auquel  nous  sommes 
redevables  de  Y  Histoire  si  justement  appréciée  de  Chai*les  VI. 

Le  nouvel  historien  écrivit  d'abord  en  latin,  comme  son  prédécesseur, 
rhistoire  du  nouveau  règne.  Vallet  de  Viriville,  dans  ses  Historiens  de 
Charles  VII^  avait  signalé  les  débuts  en  cette  langue  qu'il  avait  trouvés 
dans  le  n""  5959  du  Fonds  latin  de  la  Bibliothèque  nationale  à  la  suite  de 
l'histoire  de  Charles  VI  dont  nous  venons  de  parler.  L'éminent  paléographe 
avait  pensé  que,  après  ces  premières  pages  en  latin,  Jean  Chartier  s'était 
arrêté  pour  nous  donner  en  français  la  Chronique  bien  connue  qui  a  trait  au 
règne  de  Charles  VII.  Tout  le  monde  pensait  comme  lui. 

C'est  une  erreur.  M.  Kervyn  de  Lettenhove,  dans  un  article  sous  ce 
titre  :  Notes  sur  quelques-uns  des  manuscrits  des  bibliothèques  d'Angleterre, 
écn\a,\t en  1866  dans  le  Bulletin  de  r Académie  t^oy aie  de  Belgique  :  <(  Entre 
tous  les  manuscrits  de  Sir  Thomas  Philips  concernant  le  XV"  siècle,  il  n'en 
est  aucun  qui  offre  plus  d  intérêt  qu'un  volume,  renfermant  le  seul  texte 
latin  de  Jean  Chartier  composé  avant  la  Chronique  franqaise...  Il  y  aura 
lieu  d'y  puiser  désormais  pour  F  histoire  de  Jeanne  d'Arc.  » 

Les  manuscrits  de  Sir  Thomas  Philips  ne  sont  pas  à  Londres,  mais 
entre  les  mains  de  ses  héritiers,  à  Cheltenham.  L'indication  nous  attirait 
puissamment;  un  voyage  à  travers  l'Angleterre  nous  souriait  peu,  pour 
plusieurs  raisons  qu'il  serait  inutile  d'indiquer.  La  Providence  est  venue 
à  notre  aide. 

Nos  travaux  sur  Jeanne  d'Arc  nous  ont  valu  des  relations  dont  nous 
sommes  heureux  avec  un  publiciste  bien  connu  au  delà  de  la  Manche, 
M.  Andrew  Lang.  Gomme  la  plupart  de  ses  compatriotes,  lui  aussi  est  admi- 
rateur passionné  de  la  Libératrice,  et  révolté  qu'il  puisse  se  trouver  de 


i44  LA  VRAIE  JEANNE  D  ARC  I  U  LIBÉRATRICE. 

soi-disant  Français  qui  lui  refusent  Thonneur  d'une  fête  nationale.  Celui 
qui  écrit  ces  lignes  ne  saurait  assez  reconnaître  le  zèle  et  le  désintéresse- 
ment avec  lequel  M.  Lang  s'est  employé  pour  lui  faire  arriver  la  copie 
des  pages  du  manuscrit  latin  consacrées  par  Jean  Chartier  à  la  Vierge 
lorraine. 

L'historiographe  se  fait  connaître  au  début  de  sa  Chronique,  soit  latine, 
soit  française.  Voici  la  traduction  du  prologue  de  la  Chronique  latine, 
cité  par  Vallet  de  Viriville  : 

«  Au  nom  du  Père,  du  Fils  et  du  Saint-Esprit,  et  de  laglorieuse  Vierge 
Marie,  de  Monseigneur  saint  Denis,  patron  de  la  France,  et  des  Bien- 
heureux du  Ciel. 

«  Le  roi  Très-Chrétien  ayant  naguère  ordonné  que  la  suite  des  faits 
et  gestes  de  l'histoire  serait,  comme  par  le  passé,  couchée  par  écrit,  j'ai 
été  chargé  de  ce  travail,  après  avoir  prêté  serment  à  Sa  Royale  Majesté, 
en  présence  de  plusieurs  témoins,  le  18  novembre,  en  Tan  1437  de  l'In- 
carnation, de  son  règne  le  seizième.  Après  avoir  reçu  les  lettres  du  roi  qui 
assurent  au  titulaire  de  pareil  office  la  somme  accoutumée  de  deux  cents 
livres  par  an,  quelque  défiant  que  je  sois  de  mes  forces,  je  n'ai  point  osé 
pousser  la  hardiesse  jusqu'à  me  refuser  aux  ordres  du  souverain.  La 
difficulté  s'accroît  de  la  nécessité  de  combler  une  lacune  de  quinze  ans,  la 
Chronique  de  France  n'ayant  pas  été  continuée,  ou  fort  peu,  et  étant 
restée  sans  titulaire,  depuis  le  2V  jour  d'octobre  1422,  jour  où  Charles, 
sixième  du  nom,  rendit  son  âme  au  Dieu  Très-Haut.  Il  a  donc  fallu  re- 
cueillir année  par  année,  et  pièce  par  pièce,  les  matériaux  de  cette  période.  » 

Ces  lignes  prouvent  que  ce  n'est  pas,  ainsi  que  l'avait  pensé  M.  de  Let- 
tenhove,  avant  d'être  officiellement  nommé  historiographe  que  Jean 
Chartier  a  écrit  sa  Chronique  latine. 

Dans  le  prologue  de  la  Chronique  française,  l'auteur  dit  se  nommer 
F7'ère  Jean  Chartier^  religieux  et  chantre  de  Céglise  Monseigneur  saint 
Denis,  Il  est  universellement  donné  comme  le  frère  d'Alain  Chartier 
secrétaire  du  roi,  et  de  Guillaume  Chartier,  plus  tard  évèque  de  Paris. 
11  ne  semble  pas  qu'il  faille  s'écarter  de  ce  sentiment,  parce  que,  tandis 
que  ses  frères  ont  suivi  le  roi  chassé  de  sa  capitale,  le  religieux  serait 
resté  dans  son  abbaye.  Tous  les  Français,  encore  moins  tous  les  moines 
attachés  à  la  cause  nationale,  n'ont  pas  quitté  le  territoire  envahi  par 
l'étranger.  11  leur  suffisait  de  garder  dans  la  manifestation  de  leurs  senti- 
ments intimes  une  modération  que  tout  leur  imposait.  Jérémie  com- 
mandait à  Israël  captif  de  courber  la  tête  sous  le  joug  de  son  vainqueur, 
et  de  lui  obéir.  C'était  le  châtiment  de  ses  longues  prévarications.  Dieu, 
toujours  juste,  semble  l'infliger  particulièrement  aux  catholiques  du 
xix*  siècle. 


CHRONIQUE  DE  JEAN  CHARTIER.  145 

Les  pièces  découvertes  jusqu'ici  ne  nous  font  connaître  Jean  Chartier 
qu'à  partir  de  1430.  Il  est  donné  àcette  époque  comme  prévôt  de  la  Garenne; 
en  1433  il  est  prévôt  de  Mareuil-en-Brie  ;  en  143S,  il  est  commandeur  de 
Tabbaye,  charge  qui  lui  conférait  Tadministration  de  la  justice  dans  Ten- 
clos  du  monastère,  avec  la  gestion  de  plusieurs  revenus  de  Tabbé  et  des 
religieux*.  On  vient  de  voir  qu'en  1437  il  était  grand  chantre  du  couvent; 
dignité  qui  était  une  des  premières  de  la  communauté.  Il  devait  être  assez 
jeime,  puisque,  sans  qu'on  puisse  assigner  la  date  de  sa  mort,  on  trouve 
qu'il  vivait  encore  en  1474. 

Il  a  donc  vu  la  plus  longue  partie  du  règne  de  Louis  XI.  Il  n'a  pas 
cependant  entrepris  de  le  raconter;  sa  Chronique  finit  à  la  mort  de 
Charles  VII.  Bien  inférieure  à  celle  que  son  prédécesseur  nous  a  laissée 
de  Charles  VI,  elle  est  sévèrement  jugée  par  les  modernes.  Elle  ne  doit 
être  appréciée  ici  que  pour  la  partie  consacrée  à  Jeanne  d'Arc.  Qui- 
cherat,  peu  favorable  à  l'ensemble  de  l'œuvre,  donne  le  récit  sur  la 
Pucelle,  comme  un  des  plus  circonstanciés  que  nous  ayons.  Il  ajoute  : 
tt  Comme  on  n'y  découvre  aucune  réminiscence  du  procès  de  réhabili- 
tation, c'est  une  raison  de  croire  que  le  chroniqueur  en  recueillit  les 
éléments  à  l'époque  où  il  entra  en  fonctions,  entre  1440  et  1430.  »  L'on 
peut  présumer  que  se  mettant  à  l'œuvre,  aussitôt  après  sa  nomination,  il  \ 
aura  terminé  cette  partie  avant  1443.  Il  avait  dû  voir  la  Pucelle  à  Saint- 
Denis,  durant  les  quinze  jours  qu'elle  passa  autour  de  Paris.  Quicherat  dit 
encore  :  «  On  verra  par  la  suite  que  c'est  ce  récit  qui  a  engendré  presque 
tous  les  autres,  du  moins  ceux  conçus  dans  l'esprit  français  ».  L'étude 
très  attentive  des  documents  ne  nous  a  rien  révélé  de  semblable.  Jean 
Chartier  a  puisé  dans  la  Chronique  des  Cousinot,  et  à  part  le  Journal  du 
siège  qui  reproduit  la  même  source,  rien,  à  nos  yeux,  ne  révèle  dans  les 
autres  Chroniques  une  parenté  avec  celle  de  Jean  Chartier.  Son  récit  n'est 
pas  des  plus  circonstanciés. 

Jean  Chartier  écrit  fort  mal  en  français.  Il  répète  les  mômes  mots  à 
satiété.  Ses  phrases  ternes,  monotones,  se  terminent  en  queues  superflues. 
Son  latin  ne  vaut  pas  mieux  que  son  français. 

On  possède  de  nombreux  manuscrits  de  Jean  Chartier.  Vallet  de  Viri- 
ville  en  a  fait  la  recension  dans  ses  Historiens  de  Charles  VIL  Quicherat, 
comme  l'insinue  son  collègue  en  paléographie,  n'a  pas  été  heureux  dans 
le  choix.  Il  a  reproduit  le  numéro  2691,  qui  provient  de  la  collection  du 
seigneur  de  la  Gruthuise.  Ce  vélin  in-quarto  est,  il  est  vrai,  un  chef-d'œuvre 
de  calligraphie  ;  lettres  d'or,  vignettes,  belles  miniatures,  c'est  séduisant 
pour  l'œil  ;  mais  le  texte  est  considérablement  altéré.  Non  seulement  le 

« 

i.  Feubie.5,  Histoire  de  Vabbaye  de  Saint-DeniSy  p.  364. 

III.  10 


i46  LA  VRA1£  JEANNE  D'ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

scribe  a  changé  Torthographe,  écrivant  ching  pour  cinq,  Franchois  pour 
Français,  il  a  changé  les  mots  eux-mêmes,  en  a  ajouté  et  en  a  retranché. 
C'est  sur  le  numéro  2596  que  notre  travail  de  rajeunissement  a  été  fait. 
La  raison  de  ce  choix  est  la  suivante.  Le  premier  ouvrage  profane 
imprimé  en  France,  avons-nous  lu,  ce  sont  les  Grandes  Chroniques  de 
Saint-Denis  (1476-1477).  La  Chronique  de  Chartier,  à  deux  folios  près 
omis  ou  disparus,  se  trouve  au  tome  IIP.  L'auteur  vivait  peut-être 
encore.  Or  le  texte  imprimé  est  exactement  celui  du  manuscrit  2596.  La 
collation  ne  nous  a  révélé  que  deux  mots  différents,  évidemment  fautifs 
dans  le  manuscrit,  qui  ne  le  cède  pas  d'ailleurs  en  beauté  calligraphique 
à  celui  qu'a  préféré  l'éditeur  du  Double  Procès.  Il  peut  se  faire  encore  que 
le  chroniqueur  ait  introduit  des  variantes  dans  son  texte.  Il  en  est  une 
dans  les  textes  de  Quicherat  et  de  Vallet  de  Viriville  que  nous  reprodui- 
sons à  la  suite.  Les  chapitres  de  Jean  Chartier  sont  courts.  Les  titres 
seront  conservés  dans  nos  divisions  plus  générales.  Ils  permettront  de 
juger  du  style  de  l'historiographe. 

Dans  un  appendice  sont  relevées  les  assertions  de  la  Chronique  latine 
que  Ton  ne  trouve  pas  dans  la  Chronique  française.  La  Société  de  l'His- 
toire de  France  voudra  peut-être  étudier  dans  son  entier  le  texte  que 
nous  sommes  heureux  de  signaler. 

Vallet  de  Viriville,  dans  ses  Historiens  de  Charles  VII^  M.  de  Beaucourt, 
au  tome  XXVIl  des  Mémoires  des  antiquaires  de  Normandie  (1870),  ont 
consacré  à  Jean  Chartier  des  notices  et  une  étude  qui  ont  été  mises  à 
profit  dans  les  pages  que  Ton  vient  de  lire. 


CHAPITRE    PREMIER 

LA  PUCELLE  JUSQU'A  SON   ENTRÉE  A   ORLÉANS. 

SoMMAïKE  :  I.  —  La  Pucelle.  —  Ses  inslances  auprès  de  Baudricourl.  —  Elle  est  un 
objet  de  dérision.  —  Elle  finit  par  se  faire  conduire.  —  Comment  elle  se  présente 
au  roi  et  le  reconnaît.  —  Sa  missi»)n  d'expulser  les  Anglais.  —  Ses  merveilleuses 
réponses.  —  Le  roi  se  détermine  à  l'envoyer  ravitailler  Orléans.  —  Formation  du 
convoi  et  de  l'escorte.  —  La  Pucelle  et  le  convoi  entrent  à  Orléans.  —  Pourquoi  le 
plus  grand  nombre  des  guerriers  rentre  à  Blois.  —  L'épée  de  Fierbois. 

11.  —  Conseils  tenus  à  Blois.  —  Le  Bâtard  fait  décider  que  l'on  reviendra  à  Orléans, 
et  par  1^  Beauce. 

I 

Le  XIV  chapitre)  parle  de  la  Pucelle  qui  fut  amenée  au  roy  et  comment 
elle  alla  à  tout  grosse  armée  sus  le  siège  d'Orléans  pour  mener  vivres. 


CHRONIQUE  DE  JEAN  COARTIER.  147 

En  ce  temps-là  il  vint  des  nouvelles  au  roi  de  France  qu'il  y  avait  une 
pucelle  près  de  Vaucouleurs  es  marches  du  Barrois,  âgée  de  vingt  ans  ou 
environ,  qui  par  plusieurs  fois  dit  à  un  nommé  messire  Robert  de  Bau- 
dricourt,  capitaine  dudit  Vaucouleurs,  et  à  plusieurs  autres,  qu'il  était 
de  nécessité  qu'on  la  menât  devant  le  roi  de  France,  et  qu'elle  lui  serait 
d'un  grand  secours  en  ses  guerres.  Elle  les  en  requit  par  plusieurs  fois; 
et  de  ce  ils  ne  faisaient  que  rire  et  se  moquer,  et  ils  réputaient  ladite 
pucelle  une  personne  idiote  (simple)^  et  ne  tenaient  pas  grand  compte 
de  ses  paroles.  Finalement  cette  pucelle,  nommée  Jeanne,  fit  tant  par 
ses  paroles  qu'elle  fut  amenée  vers  le  roi  de  France  par  un  nommé  Ville- 
Robert',  et  par  d'autres  en  sa  compagnie. 

Venue  devant  le  roi  elle  fit  les  inclinations  et  les  révérences  accou- 
tumées à  faire  aux  rois,  comme  si  toute  sa  vie  elle  eût  été  nourrie  à  la 
cour.  Et  en  lui  adressant  la  parole  elle  lui  dit  :  «  Diett  vous  domie  bonne 
vie,  gentil  roi  »,  quoiqu'elle  ne  le  connût  point,  qu'elle  ne  Teût  jamais 
vu,  et  qu'il  y  eût  plusieurs  seigneurs  vêtus  aussi  richement  et  plus  que 
Tétait  le  roi;  ce  qui  fit  qu'il  lui  répondit  :  «  Ce,  je  ne  suis  pas  le  roi, 
Jeanne  »  ;  et  en  lui  montrant  un  de  ses  seigneurs  :  «  Voilà  le  roi  »  ;  à 
quoi  elle  répondit  :  «  En  nom  de  Dien^  gentil  roi,  c'est  vous  qui  fêtes 
et  non  un  autre.  » 

Elle  fut  donc  examinée  et  interrogée  diligemment  par  plusieurs  sages 
clercs  et  autres  gens  de  plusieurs  états,  pour  savoir  ce  qui  l'amenait 
auprès  du  roi.  A  quoi  elle  répondit  qu'elle  venait  pour  le  mettre  en  son 
royaume  et  seigneurie,  que  Dieu  ainsi  le  voulait,  qu'elle  lèverait  le  siège 
de  devant  Orléans,  qu'ensuite  elle  le  mènerait  couronner  à  Reims, 
qu'elle  voulait  combattre  les  Anglais  quelque  part  qu'elle  les  trouvât,  et 
qu'il  convenait  que  le  roi  lui  donnât  toutes  les  forces  qu'il  pourrait 
réunir;  car  de  lever  le  siège  d'Orléans,  de  mener  sacrer  le  roi  à  Reims, 
de  déconfire  et  mettre  dehors  les  Anglais%  elle  n'en  faisait  aucun  doute. 
Elle  disait  plusieurs  autres  grandes  choses  prodigieuses  ;  elle  répondait 
merveilleusement  aux  questions  qui  lui  étaient  faites,  et  au  regard  de  la 
guerre,  il  semblait  qu'elle  y  fût  fort  expérimentée  ;  et  plusieurs  docteurs 
et  capitaines  s'émerveillaient  de  son  fait  et  des  réponses  qu'elle  faisait 
tant  sur  les  choses  divines  que  sur  la  guerre. 

Afin  de  pourvoir  aux  nécessités  du  siège  d'Orléans,  le  roi  en  son 
conseil  avisa  que  icelle  Pucelle  irait  ravitailler  la  cité,  et  ouvrer  son 
possible  audit  siège,  ainsi  qu'elle  le  requérait  chaque  jour. 

Le  roi  fit  des  mandements  à  plusieurs  gens  de  guerre  pour  faire  accohi- 

1 .  On  se  demande  vainement  d'où  Charlier  aurait  lire  ce  nom . 

2.  De  desconfire  et  débouter  hors  les  Anglais,  c'est  le  texte.  Or,  d'après  Lacirxe  débou- 
ter signifie  :  chasser,  expulser,  repousser.  (Dictionnaire  de  Tancienne  langue  française.) 


148  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

pagner  la  Pucelle  ;  parmi  lesquels  il  manda  le  sire  de  Rais,  le  sire  de 
Loré,  et  plusieurs  autres,  qui  conduisirent  et  menèrent  Jeanne  à  Blois. 
Là  ils  trouvèrent  messire  Regnault  de  Chartres,  archevêque  de  Reims, 
chancelier  de  France,  le  bâtard  d'Orléans,  La  Hire  et  d'autres  ;  et  ils 
firent  charger  plusieurs  chevaux  et  charrettes  de  blé  et  d'autres  vivres;  et 
avec  la  Pucelle  les  capitaines  prirent  leur  chemin  vers  Orléans  du  côté 
de  la  Sologne.  Ils  couchèrent  une  nuit  dehors,  et  le  lendemain  ils  arri- 
vèrent avec  le  convoi  devant  Orléans.  A  leur  arrivée  les  Anglais  aban- 
donnèrent une  de  leurs  bastilles,  celle  de  Saint  Jean-le-Blanc,  et  ceux  qui 
Toccupaient  se  retirèrent  aux  Augustins,  et  se  réunirent  à  ceux  qui  s'y 
trouvaient,  près  du  bout  du  pont. 

La  Pucelle,  le  bâtard  d'Orléans  et  plusieurs  autres  capitaines  entrèrent 
avec  tous  leurs  vivres  dans  Orléans;  les  seigneurs  de  Loré,  de  Rais,  et 
le  plus  grand  nombre  de  ceux  qui  les  accompagnaient  s'en  retournèrent 
à  Blois;  on  craignit  de  mettre  tant  de  gens  dans  la  ville,  parce  qu'il  y 
avait  peu  de  vivres. 

Jeanne,  après  qu'elle  eut  été  examinée,  avait  requis  du  roi  qu'il  lui 
plût  d'envoyer  l'un  de  ses  armuriers  à  Sainte-Catherine-de-Fierbois*, 
quérir  une  épée  venue  de  la  grâce  de  Dieu,  qui  se  trouvait  en  un  endroit 
de  l'église,  ayant  pour  empreinte  de  chaque  côté  cinq  fleurs  de  lis*.  Ce 
qui  lui  fut  accordé,  mais  le  roi  lui  demanda  si  elle  avait  jamais  été  au- 
dit lieu,  comment  elle  savait  la  forme  de  l'épée,  et  comment  elle  y  avait 
été  apportée.  Jeanne  répondit  qu'elle  n'avait  jamais  été  à  Sainte-Cathe- 
rine-de-Fierbois  ^  mais  qu'elle  savait  bien  que  cette  épée  s'y  trouvait 
entre  plusieurs  vieilles  ferrailles,  qu'elle  le  savait  par  révélation  divine, 
et  par  le  moyen  de  cette  épée  elle  devait  chasser  les  ennemis  du  royaume 
de  France,  et  mener  le  roi  recevoir  l'onction  et  la  couronne  à  Reims. 
Après  ces  explications  de  Jeanne,  un  armurier,  par  ordre  du  roi,  alla  au- 
dit lieu  de  Sainte-Catherine,  trouva  véritablement  Tépée  indiquée,  et  la 
porta  à  Jeanne,  ce  qui  était  une  bien  merveilleuse  chose.  La  Pucelle  a 
milité  avec  cette  épée,  et  mené  vaillament  la  guerre  contre  les  ennemis 
du  roi.  Ainsi  que  cela  vient  d'être  dit;  par  son  entreprise,  et  pour  son 
commencement,  Orléans  fut  ravitaillé. 

i.  Le  passage  sur  l'épée  de  Fierbois  n'est  pas  à  sa  place,  et  interrompt  confusément 
le  récit. 

2.  Le  manuscrit  de  La  Gnilhuyse,  reproduit  par  Quicherat,  porte  sans  raison  cinq 
épées.  C'étaient  cinq  croix. 

3.  C'est  une  erreur,  puisque  c'est  de  sainte  Catherine  qu'elle  s'annonça  au  roi. 


CHRONIQUE  DE  JEAN  CHARTIER.  149- 

II 

Les  sires  de  Rais  et  de  Loré  de  retour  à  Blois,  où  ils  trouvèrent  le  chan- 
celier de  France,  des  conseils  furent  tenus  par  eux  pour  savoir  ce  qu'il 
y  avait  à  faire.  Presque  tous  ceux  de  la  compagnie  étaient  d'avis  de 
retourner  à  Orléans,  pour  s'y  employer  chacun  de  leur  pouvoir  au  bien 
du  roi  et  de  la  ville  ;  et  ils  délibéraient  à  ce  sujet,  lorsque  survint  le 
bâtard  d'Orléans,  qui  requit  lesdits  seigneurs  de  faire  le  mieux  qu'ils 
pourraient  pour  donner  aide  et  secours  à  la  cité,  sans  quoi  elle  était  en 
voie  de  perdition. 

Il  fut  aussitôt  conclu  de  presque  tous  qu'on  retournerait,  qu'on  mène- 
rait des  vivres  en  quantité,  et  qu'on  irait  par  le  côté  de  la  Beauce,  où  se 
trouvaient  les  grandes  forces  des  Anglais,  en  la  grande  bastille  dont  il  a 
a  été  parlé.  Ils  avaient  fait  difficulté  la  première  fois  d'y  aller,  quand  il? 
étaient  venus  par  la  Sologne  avec  la  Pucelle,  quoiqu'ils  fussent  alors 
trois  fois  plus  de  gens  qu'ils  ne  l'étaient  maintenant  qu'ils  allaient  par  la 
Beauce. 


CHAPITRE    II 

DÉLIVRANCE    D'ORLÉANS. 

Sommaire  :  1.  —  Second  convoi  amené  à  Orléans  par  la  Beauce.  —  Jeanne  va  à  sa  ren- 
contre. —  Entrée  à  Orléans  par  devant  la  grande  bastille.  —  Attaque  et  prise  de 
Saint-Loup. 

U.  —  Conseil  tenu,  et  Jeanne  non  convoquée.  —  Une  fausse  attaque  combinée.  — 
Jeanne  appelée  devine  ce  qu'on  veut  lui  cacher.  —  Explications  de  Dunois.  —  Les 
plans  de  Jeanne  sont  ordinairement  en  opposition  avec  ceux  des  capitaines.  —  Leur 
réussite.  —  Sa  bonne  grâce  à  cheval. 

UL  —  Incidents  de  la  prise  de  la  bastille  des  Augustins. 

IV.  —  Attaque  des  Tourelles.  —  Acharnement  des  assaillants  et  des  défenseurs.  — 
Confiance  de  Jeanne.  —  Sa  blessure  et  sa  persévérance  à  combattre.  —  Prise  des 
Tourelles.  —  Morts  et  prisonniers.  —  Actions  de  grâces  ;  la  nuit.  - —  Inaction  des- 
Anglais  de  la  rive  droite.  —  Résolution  de  lever  le  siège. 

V.  —  Retraite  le  dimanche  matin.  —  Abandon  d'une  partie  des  bagages.  —  Retraite 
sur  Meung.  —  Conduite  que  leur  fait  La  Hire. 


I 

Le  XV'  chapitre  (raconte)  comment  le  bastard  d'Orléans,  les  sires  de 
et  de  Loré  menèrent  grant  quantité  de  vivres  en  la  ville  d'Orléans, 


150  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC:   LA  LIBÉRATRICE. 

et  leur  vint  au  devant  Jehanne  la  Pucelle  son  estendard  en  sa  main,  et 
comme  la  dicte  Jehanne  print  plusieurs  bastilles  sur  lesdits  Anglois. 

Ce  plan  arrêté,  la  veille  de  rAscensionS  partirent  de  nouveau  de 
Blois,  le  bâtard  d'Orléans,  les  sires  de  Rais  et  de  Loré,  et  plusieurs 
autres,  en  grande  compagnie  et  avec  grande  quantité  de  blés,  de  bétail  et 
de  vivres,  et  ils  vinrent  coucher  presque  à  mi-chemin,  entre  Blois  et 
Orléans.  Le  lendemain  au  matin,  à  presque  une  demi-lieue  d*Orléans, 
vinrent  à  leur  rencontre  Jeanne  la  Pucelle,  son  étendard  en  miains, 
La  Hire,  messire  Florent  d'IUiers  et  plusieurs  autres  capitaines.  Tous 
ensemble  vinrent  passer  devant  la  grande  bastille  nommée  Londres  (Pam), 
et  ils  entrèrent  ainsi  dans  la  ville. 

Environ  deux  ou  trois  heures  après  leur  entrée,  Jeanne  la  Pucelle,  suivie 
de  plusieurs  gens  de  guerre,  sortit  de  la  ville,  armée  de  plein  harnois 
[toutes  pièces)]  et  se  dirigea  vers  la  bastille  Saint-Loup,  où  il  y  avait 
grand  nombre  d'Anglais.  La  bastille  fut  assaillie  durement  et  très  fort,  et 
longuement  défendue  par  les  Anglais*;  mais  finalement  elle  fut  prise 
d'assaut,  à  la  vue  des  Anglais  de  la  grande  bastille,  et  tous  les  Anglais  de 
Saint-Loup  furent  tués  ou  pris.  Ceux  de  la  grande  bastille  s'étaient  mis 
en  chemin  dans  la  pensée  de  leur  porter  secours;  mais  ils  n'allèrent 
guère  loin  sans  revenir  sur  leurs  pas.  Les  Français,  après  ce  fait,* 
rentrèrent  dans  la  ville. 


II 

Le  lendemain  lut  tenu  conseil  sur  ce  qu'il  y  avait  à  faire  pour  grever 
Je  nouveau  les  assiégeants.  Le  conseil  se  tint  en  l'hôtel  du  chancelier 
d'Orléans  ;  y  assistaient  le  bâtard  d'Orléans,  La  llire,  les  sires  de  Loré  et 
de  Gaucourt,  et  d'autres  chefs  de  guerre.  L'on  délibéra  et  l'on  conclut  que 
l'on  ferait  certains  appareils  de  guerre,  comme  manteaux  de  bois,  et 
autres  taudis  pour  aller  assaillir  la  grande  bastille  du  côté  de  la  Beaucc, 
dans  le  but  de  faire  accourir  au  secours  ceux  qui  étaient  du  côté  de  la 
rivière.  C'était  une  attaque  simulée  ;  on  n'avait  pas  l'intention  d'assaillir 
la  grande  bastille  ;  mais  sitôt  que  pour  venir  en  aide  à  ceux  de  la  Beauce 
les  Anglais  de  la  Sologne  auraient  passé  la  rivière,  les  Français,  au  moyen 
des    bateaux    par   lesquels    ils    communiquaient    facilement,    devaient 

i.  Ce  devait  oire  au  moins  ravantveille,  encore  aura-t-il  fallu  qu'on  se  mît  en 
njarche  de  très  bonne  heure.  11  est  certain  que  la  Pucelle  ne  combattit  pas  le  jour  de 
l'Ascension. 

2.  Le  récit  de  Jean  Cliartier  est  sommaire  jusqu'à  être  inexact.  11  doit  être  complété 
par  la  Chronique  des  deux  Cousinot,  les  dépositions  de  d'Aulon,  de  Coules,  etc. 


CHRONIQUE  DE  JEAN  CHARTIER.  loi 

assaillir  ceux  qui  seraient  restés  à  la  garde,  du  côté  de  la  Sologne. 
Chacun  adopta  le  plan. 

La  Pucelle  n'était  point  au  conseil;  mais  elle  était  dans  Thôtel  même 
avec  la  femme  du  chancelier.  La  conclusion  prise»  il  fut  dit  qu'il  serait 
bon  d'envoyer  quérir  la  Pucelle  pour  lui  faire  part  de  ce  qui  avait  été 
arrêté.  Quelques-uns  observèrent  qu'il  n'y  avait  pas  nécessité  de  lui 
parler  du  passage  que  l'on  avait  intention  d'opérer  du  côté  de  la  Sologne, 
parce  qu'on  devait  tenir  secrète  cette  partie  du  plan  ;  qu'il  y  avait  à 
craindre  qu'elle  ne  le  révélât,  et  qu'il  suffirait  de  lui  dire  qu'on  avait 
conclu  qu'il  fallait  essayer  d'assaillir  et  de  prendre  la  grande  bastille. 

On  l'envoya  quérir  par  messire  Ambroise  de  Loré;  et  quand  elle  fut 
venue  on  lui  dit  que  la  décision  avait  été  d'essayer  de  prendre  la  grande 
bastille,  où  étaient  le  comte  de  Suffolk,  le  sire  de  Talbot,  le  sire  de 
Scalles,  messire  Jean  Fastolf  et  plusieurs  autres,  avec  de  grandes 
forces,  sans  lui  parler  de  l'intention  où  l'on  était  de  passer  devers  la 
Sologne,  ainsi  qu'il  a  été  dit.  Cet  exposé  fut  fait  par  le  chancelier  d'Or- 
léans. Lorsque  Jeanne  l'eut  entendu,  elle  répondit  à  peu  près  en  ces 
termes,  en  personne  courroucée  :  «  Dites  ce  que  vous  avez  conclu  y  Je  cèlerai 
bien  plus  grand  secret  que  celui-là  »;  et  elle  allait  et  venait  dans  l'appar- 
tement sans  s'asseoir;  et  aussitôt  le  bâtard  d'Orléans  lui  dit  en  subs- 
tance les  paroles  suivantes  :  «  Jeanne,  ne  vous  courroucez  point,  l'on  ne 
peut  pas  tout  dire  et  déclarer  h  une  fois  ;  ce  que  le  chancelier  vous  a  dit 
a  été  conclu  et  appointé;  mais  si  ceux  de  l'autre  côté  de  la  rivière,  en 
la  Sologne,  viennent  à  d^ésemparer  pour  venir  porter  aide  et  secours  à 
ceux  de  la  grande  bastille,  et  aux  autres  de  par  deçà,  nous  avons  appointé 
de  passer  de  l'autre  côté  pour  besongner  {tomber)  sur  ceux  qui  y  demeu- 
reront et  faire  ce  qui  sera  possible  ;  et  il  nous  semble  que  cette  conclu- 
sion est  bonne  et  profitable  ».  Jeanne  la  Pucelle  répondit  alors  qu'elle 
étaient  bien  contente,  que  cela  lui  semblait  ôtre  bien  avisé  ;  mais  que 
cela  fût  exécuté  ainsi  qu'il  avait  été  conclu.  Et  toutefois  de  cette  conclu- 
sion, rien  ne  fut  exécuté. 

Bien  souvent  ledit  Bâtard  et  les  autres  seigneurs  s'abouchaient  pour 
avisera  ce  qu'il  y  avait  à  faire  ;  et  quelque  conclusion  qu'ils  prissent^  quand 
Jeanne  la  Pucelle  arrivait^  elle  concluait  tout  à  l'opposite  et  toute  autre 
chose  à  faire,  et  quasi  contre  toutes  les  opinions  des  chefs  de  guerre  qui  se 
trouvaient  réunis  ;  de  quoi  toujours  lui  en  prenait  bien.  Il  ne  se  fit  pas 

CHOSE   DONT  IL    FAILLE  PARLER  QUE  CE    NE    FUT  SUR  l'eNTREPRISE  DE   JeaNNE   LA 

Pucelle.  Encore  que  les  capitaines  et  gens  de  guerre  exécutassent  ce 
qu^elle  disait,  Jeanne  allait  cependant  toujours  armée  de  son  harnais 
{de  toutes  pièces),  quoique  ce  fut  contre  la  volonté  et  l'opinion  des  mêmes 
GENS  DE  GUERRE.  Elle  montait  sur  son  coursier  tout  armée  aussi  près- 


152  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

tement  que  chevalier  qui  fût  en  la  cour  du  roi  ;  ce  dont  les  gens  de  guerre 
étaient  ébahis  et  courroucés  \ 


III 

Or  il  advint  qu'un  jour,  après  plusieurs  escarmouches  et  la  prise  de 
plusieurs  bastilles,  Jeanne  la  Pucelle  voulut  passer  la  Loire  à  puissance, 
du  côté  de  la  Sologne,  pour  en  venir  aux  mains  avec  les  Anglais  qui 
tenaient  le  siège  au  bout  du  pont,  et  qui  étaient  logés  aux  Âuguslins  et 
au  boulevard  et  à  la  bastille  au  bout  du  même  pont. 

Elle  fit  passer  en  bateau  un  grand  nombre  d'hommes  d'armes,  parmi 
lesquels  presque  tous  les  capitaines  ci-dessus  nommés.  Descendus  à  terre 
ils  virent,  vers  le  bout  du  pont,  de  sept  à  huit  cents  Anglais,  lesquels 
ne  saillirent  aucunement  pour  faire  des  escarmouches,  jusqu'à  ce  que 
les  Français  voulurent  se  retirer,  parce  qu'il  était  presque  soleil  couchant. 
Les  Anglais,  les  voyant  remonter  sur  les  bateaux  pour  passer  la  rivière, 
sortirent  des  Augustins  et  du  bout  du  pont,  et  vinrent  charger  très  fort 
les  Français,  si  bien  que  la  Pucelle  et  les  capitaines  qui  se  trouvaient 
autour  d'elle  furent  contraints  de  se  défendre  et  revinrent  sur  les  Anglais 
qui  étaient  éloignés  de  leurs  bastilles  d'environ  deux  traits  d'arc.  Ils  les 
repoussèrent  si  fortement,  qu'ils  en  tuèrent  et  en  prirent  plusieurs,  et 
que  le  couvent  des  Augustins,  que  les  Anglais  avaient  fortifié,  fut  emporté 
d'assaut,  et  que  les  Anglais  se  réfugièrent  es  boulevard  et  bastilles  du 
bout  du  pont,  devant  lesquels  demeura  toute  la  nuit  Jeanne  la  Pucelle  *, 
avec  les  sires  de  Loré  et  de  Rais,  le  bûtard  d'Orléans  et  plusieurs  autres 
capitaines. 

IV 

Le  lendemain  commença  au  matin  l'assaut  contre  le  boulevard  du  pont. 
Dans  la  bastille  se  trouvaient  deux  barons  d'Angleterre,  nommé  Tun  le 
sire  de  Molins,  l'autre  le  sire  de  Pomins,  et  un  écuyer  bien  renommé 
pour  sa  vaillance,  nommé  Guillaume  Glacidas,  qu'on  disait  tout  conduire 
et  tout  gouverner  au  fait  du  siège.  Le  boulevard  et  la  bastille  renfermaient 
environ  de  cinq  à  six  cents  Anglais,  qui  durant  le  jour  tout  entier  eurent 

\.  Ce  passage  si  explicite  de  l'historiographe  officiel  mérite  une  spéciale  attention. 
On  trouve  semblable  pensée  dans  la  plupart  des  Chroniques,  quand  on  les  lit  de  près  el 
sans  parti  pris  de  taire  ce  qui  offusque  les  préjugés  reçus.  Depuis  des  siècles  les 
historiens  dissimulent  cet  aspect.  Déjà  Godefroy,  en  éditant  la  présente  Chronique, 
biffait  ce  passage  trop  significatif. 

2.  Jean  Chartier  et  l'auteur  du  Journal  du  siège  disent  que  la  Pucelle  passa  sur  la 
rive  gauche  la  nuit  du  6  au  7  ;  il  a  été  déjà  observé  que  c'est  une  erreur. 


CHRONIQUE  DE  JEAN  CnARTIER.  153 

à  tenir  tète  àTassaut  qui  leur  était  donné.  Les  étendards  flottaient  toujours 
sur  les  bords  du  fossé;  plusieurs  fois  des  gens  de  guerre  avec  leurs 
bannières  descendaient  dans  le  fossé,  montaient  jusqu'aux  Anglais, 
combattaient  main  à  main,  et  étaient  ensuite  rejetés  au  fossé  par  les 
Anglais. 

Jeanne  disait  toujours  que  chacun  devait  avoir  bon  cœur  et  bonne 
espérance  en  Dieu,  et  que  l'heure  approchait  où  les  Anglais  seraient 
pris.  En  cet  assaut,  Jeanne,  un  peu  après  midi,  fut  blessée  à  Tépaule 
d'un  coup  de  vireton.  et,  ce  nonobstant,  elle  ne  voulut  jamais  se  retirer 
ni  s'éloigner  des  bords  du  fossé.  Environ  le  soleil  couchant,  tout  en  un 
instant,  les  Français  entrèrent  de  toutes  parts  dans  le  fossé,  grimpèrent 
le  long  des  parois  du  boulevard  et  le  prirent  d'assaut.  Trouvèrent  la  mort 
les  seigneurs  de  Molins,  de  Pomins,  Glacidas  et  plusieurs  autres,  jusques 
au  nombre  de  quatre  cents  environ  ;  le  reste  fut  fait  prisonnier.  Cette 
nuit  logèrent  du  côté  de  la  Sologne  la  Pucelle  et  les  autres  seigneurs 
déjà  mentionnés,  ainsi  que  leurs  gens,  parce  que,  les  ponts  étant  rompus*, 
Ton  ne  pouvait  rentrer  dans  la  ville  qu'en  bateau.  Le  boulevard  et 
la  bastille  emportés,  toutes  les  cloches  de  la  ville  se  mirent  à  sonner, 
et  les  habitants  à  louer  et  remercier  Dieu. 

Les  Anglais  qui  étaient  en  une  bastille  appelée  Saint-Laurent,  du  côté 
de  la  Beauce,  pouvaient  bien"  voir  la  prise  de  celle  du  pont.  Ceux  qui 
étaient  en  la  grande  bastille  nommée  Londres^,  le  sire  de  Talbot,  le 
comte  de  Suffolk,  les  sires  de  Scales,  Fastolf,  et  plusieurs  autres,  prirent 
par  suite  de  cette  défaite  le  conseil  de  se  retirer  et  de  lever  le  siège. 


Ils  partirent,  eux  et  leurs  troupes,  le  dimanche  au  matin,  lendemain 
du  jour  où  avaient  été  pris  les  boulevard  et  bastille  du  pont,  conquis 
le  samedi  soir.  Ils  délogèrent  en  très  grand  désarroi,  si  bien  qu'une 
poignée  de  gens  qui  saillirent  de  la  ville  leur  firent  laisser  la  plus  grande 
partie  de  leurs  charrois,  de  leur  artillerie,  et  d'autres  biens  encore. 
Cependant  la  partie  des  vainqueurs  qui  étaient  du  côté  de  la  Sologne  ne 
pouvait  pas  passer  la  rivière  assez  promptement  pour  inquiéter  les 
Anglais,  forts  de  quatre  mille  combattants  ou  environ.  Ces  derniers  se 
réunirent  et  s'en  allèrent  à  Meung-sur-Loire,  qui  était  en  leur  pouvoir. 

1.  Le  pont  avait  été  assez  rajusté  pour  que  la  Pucelle  rentrât  le  soir  en  ville,  ainsi 
qu^eile  Tavait  annoncé.  Il  suffit  de  comparer  ce  récit  avec  les  précédents  pour  se 
convaincre  qu'il  est  loin  d'être  des  plus  circonstanciés. 

2.  11  semble  que  la  grande  bastille  de  la  rive  droite  était  Saint-Pouair,  ou  Paris. 


io4  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARG  .'  LA  UBÉRATRICE. 

Ils  furent  chevauchés  et  escarmouches  durant  deux  ou  trois  lieues  par 
Etienne  de  Vignoles,  dit  La  Hire,  et  par  messire  de  Loré  avec  cent  ou 
six-vingts  lances  composées  d'hommes  qui  étaient  repassés  dans  la  ville 
le  soir  après  la  dernière  victoire. 

Jean  Ghartier  narre  ici  l'aventure  du  Bourg  de  Bar,  contraignant  le 
religieux  augustin,  son  gardien,  à  le  porter  dans  la  ville,  bien  que  partout 
là  entour  estaient  François  et  Anglais  qui  escarmouchoient^  et  néanmoins 
à  la  veue  des  Français  et  Anglais  se  fit  ainsi  porter,  comme  dit  est. 


CHAPITRE    III 

CAMPAGNE    DE    LA    LOIRE. 

Sommaire  :  1.  —  Le  duc  d'Alençon  libéré  de  sa  prison  et  de  la  rançon  exigée.  —  Il  se 
met  à  la  suite  de  la  Pucelle  avec  une  foule  d'hommes  d'armes,  tous  attirés  par  le 
désir  de  combattre  sous  la  direction  de  Jeanne.  —  Siège  de  Jargeau.  —  La  ville 
emportée.  —  Les  trois  frères  La  Poule.  —  Morts  et  prisonniers.  —  Prise  du  pont  de 
Meung.  —  Siège  de  Baugency.  —  La  reddition  de  la  ville.  —  Arrivée  de  Richement 

—  Secours  qu'il  amène.  —  Accroissement  de  l'armée.  —  Confiance  dans  la  Pucelle. 

—  Abattement  des  Anglais.  —  Conditions  accordées  aux  Anglais  de  Baugency. 

II.  —  Nouvelle  que  Talbot  est  en  Beauce  avec  une  armée.  —  Les  éclaireurs  font  con- 
naître sa  marche.  —  L'armée  se  met  à  sa  poursuite.  —  Victoire  de  Patay.  —  Morts 
et  prisonniers.  —  Fuite  de  Fastolf. 

I 

Le  XVP  (raconte)  comment  les  François  mirent  le  siège  devant  la  ville 
de  Gergueau  près  d  Orléans  de  laquelle  estoit  cappitaine  le  comte  de 
Suffolk,  et  d  une  destrousse  faicte  sur  les  Ânglols  où  furent  prins 
Talbot,  le  sire  de  Scales,  et  plusieurs  aultres  Ànglois. 

Le  duc  d'Alençon,  qui  avait  été  pris  à  la  journée  de  Verneuil,  venait, 
en  acquittant  sa  rançon,  de  délivrer  ses  otages  et  ses  répondants.  Le 
roi  Charles,  sur  les  instances  de  la  Pucelle,  leva  une  grande  armée,  elle 
duc  d'Alençon  manda  de  toutes  parts  des  gens  au  service  du  roi,  plus 
pour  les  mettre  à  la  suite  de  Jeanne  la  Pucelle  que  pour  tout  autre 
motif;  dans  Tespérance  qu'elle  était  divinement  envoyée,  beaucoup  plus 
que  pour  la  paye  et  profits  à  attendre  du  roi.  Grande  compagnie  de  gens 
d'armes  et  d'archers  vinrent  pareillement  joindre  le  duc  d'Alençon  et  la 
Pucelle,  dans  laquelle  on  mettait  grande  espérance.  On  y  voyait  réunis 
le  bâtard  d'Orléans,  le  sire  de  Boussac,  maréchal  de  France,  de  Culan, 


CURONIQUE  DE  JEAN  CHÂRTIER.  155 

amiral  de  France,  messire  Ambroise  de  Loré,  La  Hire,  Gaultier  de 
Boussac.  Tous  allèrent  ensemble  devant  Jargeau,  et  y  mirent  le  siège; 
et  après  plusieurs  grands  engagements  ils  firent  dresser  les  bombardes, 
confectionner  plusieurs  machines  d'approche,  afin  de  conquérir  cette 
ville,  occupée  par  les  Anglais.  Le  comte  de  Suffolk,  qui  avait  en  sa 
compagnie  de  six  à  sept  cents  Anglais,  y  commandait  pour  le  roi 
d'Angleterre.  Après  environ  huit  jours  de  siège*,  la  ville  fut  assaillie  de 
toutes  parts  et  finalement  emportée  d'assaut.  Le  comte  de  Suflfolk  fut 
fait  prisonnier  par  im  écuyer  nommé  Guillaume  Regnault,  que  ledit 
comte  fit  chevalier  {avant  de  se  rendre)  ;  fut  pris  comme  lui  son  frère 
le  sire  de  La  Poule  ;  son  autre  frère  Alexandre  de  La  Poule  fut  tué  avec 
d'autres  Anglais  au  nombre  de  trois  à  quatre  cents  ;  les  autres  furent 
faits  prisonniers  ;  la  plupart  de  ces  derniers  furent  tués  par  suite  de 
débats  survenus  parmi  les  Français  entre  Jargeau  et  Orléans.  L'armée 
rentra  dans  cette  ville. 

Le  roi  de  France  ayant  eu  connaissance  de  la  prise  de  Jargeau  manda 
de  toutes  parts  des  gens  d'armes  pour  qu'ils  s'adjoignissent  au  duc 
d'Alençon,  à  la  Pucelle,  et  aux  autres  chefs  de  guerre. 

Bientôt  après  le  duc  d'Alençon  et  ceux  qui  étaient  à  sa  suite  partirent 
d'Orléans  et  se  mirent  aux  champs  devant  la  ville  de  Meung-sur-Loire  ; 
ils  gagnèrent  sur  les  Anglais  le  pont  qui  est  près  de  la  ville,  y  établirent 
une  garnison  pour  résistera  leurs  entreprises  et  les  abattre,  en  continuant 
à  conquérir  sur  eux  ce  que  depuis  longtemps  ils  occupaient  sans  raison 
au  royaume  de  France. 

Le  lendemain  matin,  l'armée  se  remit  en  marche,  et  vint  camper 
devant  Baugency-sur-Loire  occupé  par  les  Anglais.  Les  Anglais  se 
retirèrent  aussitôt  au  château  qui  est  à  l'entrée  du  pont,  et  abandonnèrent 
la  ville  dont  s'emparèrent  le  duc  d'Alençon,  Jeanne  la  Pucelle,  le  bâtard 
d'Orléans  et  les  autres  ci- dessus  nommés.  Ils  s'y  logèrent,  et  incontinent 
ils  firent  dresser  leurs  bombardes  contre  ledit  château,  où  étaient 
renfermés  de  sept  à  huit  cents  Anglais. 

Pendant  qu'on  assortissait  les  bombardes  et  les  canons,  les  Lombards 
qui  étaient  dans  l'armée  se  faisaient  un  grand  devoir  de  tirer  contre  le 
château;  les  Anglais,  à  mesure  qu'on  les  entourait  de  toutes  parts,  ne 
faisaient  que  peu  de  résistance,  voyant  bien  que  leurs  affaires  allaient  en 
déclin.  Presque  aussitôt  après  ils  demandèrent  à  entrer  en  composition 
et  à  se  rendre. 

Ace  siège  arriva  Arthur,  connétable  de  France  et  comte  de  Richemont: 
le  seigneur  de  Beaumanoir  était  en  sa  compagnie  ;  on  disait  qu'ils  ame- 

\ .  Inexactitude,  ce  fut  après  deux  jours.  Chartier  reproduit  Terreur  de  la  Chronique 
de  la  Pucelle. 


156  LÀ  VRAIE  JEANNE  D*ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

liaient  de  mille  à  douze  cents  combattants,  ce  qui  était  un  grand  secours. 
En  outre,  chaque  jour  l'armée  grossissait  de  gens  accourus  de  tous  côtés, 
pleins  de  courage  et  de  hardiesse»  à  cause  de  la  présence  de  Jeanne  la 
Pucelle  que  plusieurs  tenaient  être  venue  du  ciel,  comme  ses  œuvres  et 
son  gouvernement  le  montraient  assez. 

Les  Anglais,  au  contraire,  étaient  fort  épouvantés  d'en  entendre  parler; 
ils  demandaient  à  parlementer  pour  la  reddition  du  pont  et  du  château. 
Finalement  on  leur  accorda  permission  de  se  retirer  et  d'emporter  leurs 
biens  ;  ils  partirent  le  lendemain  au  matin  en  rendant  le  pont  et  le  château 
de  Baugency;  par  ordonnance  des  seigneurs,  messire  Ambroise  de  Loré 
présida  à  leur  départ  et  à  leur  sortie. 


II 

Environ  une  heure  après  que  les  Anglais  étaient  partis  munis  de  saufs- 
conduits,  se  répandirent  dans  l'armée  des  bruits  que  le  sire  de  Talbot, 
le  sire  de  Scalles,  messire  Jean  Fastolf,  plusieurs  autres  seigneurs  et 
capitaines,  à  la  tôtc  de  quatre  à  cinq  mille  combattants^  étaient  passés  par 
Janville-en-Beauce,  venant  droit  à  Meung-sur-Loire.  Incontinent  des 
chevaucheurs  furent  mis  aux  champs  pour  en  savoir  la  vérité.  En 
attendant,  le  ducd'Alençon,lecomtede  Richement,  connétable  de  France, 
le  comte  de  Vendôme  et  Jeanne  la  Pucelle  faisaient  déployer  leur  armée 
dans  les  campagnes  de  Baugency,  et  la  mettaient  en  ordre  de  bataille. 

Les  chevaucheurs  ne  tardèrent  pas  à  revenir;  ils  rapportaient  avoir 
réellement  vu  les  Anglais  près  de  Meung-sur-Loire.  Ceux  qui  occupaient 
Meung  étaient  partis,  avaient  abandonné  la  ville,  s'étaient  joints  aux 
autres,  et  tous  se  dirigeaient  vers  Janville-en-Beauco. 

Ceci  venu  à  la  connaissance  du  duc  d'Alençon,  du  Connétable,  du 
comte  de  Vendôme,  du  bâtard  d'Orléans,  de  Jeanne  la  Pucelle  et  des 
autres  seigneurs  et  capitaines,  il  fut  convenu  qu'on  marcherait  en  toute 
hâte  vers  le  lieu  où  Ton  disait  qu'étaient  les  Anglais,  et  qu'on  les  com- 
battrait en  quelque  lieu  qu'ils  fussent  rencontrés.  Aussitôt  ils  se  mirent 
en  marche  et  chevauchèrent  diligemment,  droit  vers  une  église  fortifiée, 
nommée  Patay-en-Beauce.  Là  arrivèrent  les  Anglais,  les  uns  à  pied,  les 
autres  à  cheval;  ils  marchaient  toujours  leur  chemin,  quand  ils  furent 
aperçus  par  les  coureurs  et  par  Tavant-garde  française.  Le  gros  de 
l'armée  elle-même,  où  se  trouvaient  le  duc  d'Alençon,  le  Connétable,  le 
comte  de  Vendôme,  le  bâtard  d'Orléans,  Jeanne  la  Pucelle,  approcha 
de  très  près,  au  point  d'avoir  les  Anglais  en  vue.  Les  Anglais  arrêtèrent 
leur  marche  pour  prendre  place  sur  la  lisière  d'un  bois,  près  d'un  village. 


CHRONIQUE  DE  JEAiN  CHARTIER.  J57 

En  ce  moment  même,  les  coureurs  et  ravant-gârde  des  Français  fondirent 
sur  eux  avec  tant  d'impétuosité  que  ceux  qui  étaient  à  cheval,  la  plupart 
du  moins,  prirent  la  fuite;  et  ceux  qui  étaient  à  pied  —  ils  étaient  en 
grand  nombre  —  se  jetèrent  dans  le  bois  et  dans  le  village.  En  ce  moment 
arriva  Tarmée  française  elle-même.  Finalement  il  y  eut  de  deux  à  trois 
mille  Anglais  morts,  et  beaucoup  de  prisonniers,  parmi  lesquels  le  sire 
de  Talbol,  le  sire  de  Scales,  messire  Gauttierde  Hungerfort,  et  plusieurs 
grands  seigneurs  anglais.  La  chasse  *  dura  jusqu'à  Janville.  Cette  ville 
était  alors  au  pouvoir  des  Anglais  ;  elle  fut  rendue  à  Tobéissance  du  roi 
ainsi  que  plusieurs  autres  forteresses  du  pays  de  Beauce. 

Messire  Jean  Fastolf  et  plusieurs  autres  qui  purent  échapper  de  la 
bataille  se  retirèrent  à  Corbeil  ;  et  les  Français  couchèrent  audit  lieu 
de  Patay. 


CHAPITRE   IV 

LA    CAMPAGNE   AVANT   ET  APRÈS  LE  SACRE. 

Sommaire  :  1.  —  Le  roi  mis  par  la  Pucelle  sur  le  chemin  de  Reims,  malgré  son  conseil. 
—  La  foi  à  la  divinité  de  la  mission  de  la  Pucelle  attire  une  foule  de  guerriers.  — 
MagniGque  portrait  de  la  guerrière  et  de  la  sainte.  —  Toute-puissance  et  néfaste 
inlluence  de  La  Trémoille.  —  Il  renvoie  Richemont  et  bien  d'autres. 

IL  —  Insignifiante  paye  aux  hommes  d'armes.  —  La  Pucelle  précède  le  roi.  —  Guerre 
aux  femmes  de  mauvaise  vie,  et  épée  brisée.  —  Composition  d'Auxerre  et  mécon- 
tentement de  la  Pucelle.  —  Chartier  ne  fait  dans  la  suite  qu'abréger  la  Chronique 
de  la  Pucelle.  —  Omission  à  signaler. 

III.  —  Entrée  du  roi  à  Compiègne,  à  Senlis.  —  Bedford  en  Normandie.  — Le  roi  à  Saint- 
Denis.  —  Jeanne  à  La  Chapelle.  —  Attaque  contre  Paris.  —  Jeanne  presse  l'assaut, 
elle  est  blessée.  —  Jeanne  suspend  ses  armes  devant  le  corps  de  saint  Denis. 


I 

Le  XVIP  parle  comment  le  roy,  par  T admonestation  de  Jehanne  la 
Pucelle,  fist  une  grande  armée  à  Gien-sur-Loire  pour  aller  à  Rains,  et 
avoit  en  sa  compagnie  le  duc  d*Alençon,  le  duc  de  Bourbon,  le  comte  de 
Vendosme  et  plusieurs  seigneurs  et  cappit aines. 

L  an  mil  quatre  cent  vingt-neuf,  au  commencement  de  juin,  le  roi 
Charles  de  France  fit  une  grande  armée  sur  les  instances  de  Jeanne  la 

1.  L'imprimé  de  1477  a  heureusement  substitué  le  mot  chasse  au  mot  chose  du  ma- 
nuscrit. C'est  un  des  deux  mots  différents  que  la  collation  nous  a  fait  découvrir. 


158  LÀ  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

Pucelle  qui  disait  que  c'était  la  volonté  de  Dieu  que  le  roi  allât  à  Reims 
se  faire  sacrer  et  couronner  ;  car  encore  qu'il  fût  appelé  roi,  il  n'était  pas 
encore  couronné.  Malgré  les  difficultés  et  les  craintes  manifestées  par  le 
roi  et  son  conseil,  Jeanne  la  Pucelle,  par  ses  pressantes  demandes,  fit  déci- 
der que  le  roi  manderait  ce  qu'il  pourrait  trouver  de  gens  pour  entre- 
prendre le  voyage  de  son  couronnement  à  Reims,  encore  que  cette  ville 
fût  occupée  par  les  Anglais,  ainsi  que  toutes  les  villes  et  forteresses  de 
Picardie,  de  Champagne,  de  TIle-de-France,  de  la  Brie,  du  Gâtinais,  de 
TAuxerrois,  de  la  Bourgogne,  et  généralement  tout  le  pays  entre  la 
Loire  et  la  mer. 

Le  roi  convoqua  son  assemblée  à  Gien-sur-Loire.  Il  y  avait  en  sa  com- 
pagnie le  duc  d'Alençon,  le  duc  de  Bourbon,  le  comte  de  Vendôme, 
Jeanne  la  Pucelle,  le  sire  de  Laval,  le  sire  de  Rais,  le  sire  d'Albret,  le  sire 
de  Lohéac,  frère  du  sire  de  Laval,  et  plusieurs  autres  grands  seigneurs  et 
capitaines.  De  toutes  parts  les  gens  d'armes  venaient  au  service  du  roi  et 
chacun  avait  grande  attente  que,  par  le  moyen  de  Jeanne  la  Pucelle, 
beaucoup  de  biens  arriveraient  au  royaume  de  France.  Chacun  désirait 
fort  la  voir  et  connaître  ses  faits  comme  chose  venue  par  la  grâce  et 
volonté  de  Dieu. 

Jeanne  la  Pucelle  chevauchait  toujours  avec  les  gens  d'armes  et  les 
capitaines,  armée  et  équipée  en  guerre  comme   tous  les  autres  de  sa 
compagnie.  Elle  parlait  de  la  guerre  d'une  manière  aussi  entendue  qu'eût 
su  le  faire  un  capitaine.  Quant  le  cas  advenait,  qu'on  poussait  un  cri 
d'armes  ou  d'effroi,  elle  accourait  soit  à  pied,  soit  à  cheval,  aussi  vail- 
lamment que  capitaine  de  la  compagnie,  donnant  cœur  et  hardiesse  à 
tous  les  hommes  de  la  compagnie,  les  admonestant  de  faire  bon  guet  et 
bonne  garde,  ainsi  qu'il  était  expédient  de  le  faire.  Et  en  toutes  les  autres 
choses,  elle  était  une  bien  simple  personne.  Elle  menait  une  vie  belle  et 
honnête,  se  confessait  bien  souvent,  et  recevait  lecorpsdeNotre-Seigneur 
presque  toutes  les  semaines  ;  elle  était  toujours  en  habits  d'armes  ou  en 
habits  d'homme.  Et  disait-on  aussi  que  c'était  fort  étrange  chose  que  de 
voir  chevaucher  une  femme  en  telle  compagnie,  et  bien  d'autres  raisons 
l'on  disait;  et  il  n'y  avait  ni  docteur,  ni  clerc,  ni  autre  personne  qui  ne 
fut  émerveillé  de  son  fait. 

A  cette  époque  le  sire  de  La  Trémoille  était  auprès  du  roi  de  France, 
et  Ton  disait  qu'il  entrait  trop  avant  dans  le  gouvernement  du  roi.  Cela 
avait  été  cause  qu'un  grand  différend  et  débat  s'était  ému  entre  ledit  de 
La  Trémoille  et  le  connétable  de  France,  comte  de  Richement;  et  il  fallut 
que  ledit  Connétable,  qui  avait  bien  en  sa  compagnie  douze  cents  bons 
combattants,  s'en  retournât.  Pareillement  firent  plusieurs  autres  seigneurs 
et  capitaines  que  le  sire  de  La  Trémoille  redoutait;  ce  qui  fut  un  très 


CHRONIQUE  DE  JEAN  CHARTIER.  159 

grand  dommage  pour  le  roi  et  la  chose  publique  ;  car,  par  le  moyen  de 
Jeanne  la  Pucelle,  tant  de  gens  venaient  de  toutes  parts  pour  servir  le 
roi,  et  à  leurs  dépens,  que  de  La  Trémoille  et  d'autres  seigneurs  du 
conseil  étaient  bien  courroucés  d'une  telle  multitude,  par  crainte  pour 
leurs  personnes,  et  plusieurs  disaient  que  si  le  susdit  de  La  Trémoille  et 
d*autres  du  conseil  avaient  voulu  recevoir  tous  ceux  qui  venaient  au 
service  du  roi,  on  aurait  pu  aisément  recouvrer  tout  ce  que  les  Anglais 
OCCUPAIENT  AU  ROYAUME  DE  France  ;  mais  on  n'osait  pas  alors  parler  contre 
ledit  de  La  Trémoille,  quoique  chacun  vît  clairement  que  de  lui  venait 
la  faute  \ 

II 

En  ce  lieu  de  Gien-sur-Loire  fut  fait  aux  gens  de  guerre  un  payement 
tel  quel;  car  il  ne  se  montait  pas  à  plus  de  deux  ou  trois  francs  pour  chaque 
homme  d'armes.  De  ce  même  lieu  de  Gien-sur-Loire  partit  Jeanne  la 
Pucelle,  ayant  plusieurs  autres  capitaines  en  sa  compagnie;  elle  alla 
camper  à  environ  quatre  lieues  de  distance,  sur  le  chemin  de  Reims  par 
Auxerre. 

Le  roi  de  France  partit  le  lendemain  en  suivant  la  même  route,  et  avant 
la  fin  du  jour  toute  Tarmée  se  trouva  réunie. 

Il  faut  savoir  qu'il  y  avait  dans  Tarmée  plusieurs  femmes  diffamées  qui 
empêchaient  quelques  hommes  d'armes  de  suivre  diligemment  le  roi.  Ce 
que  voyant  Jeanne  la  Pucelle,  après  le  cri  d'ordre  d'aller  en  avant,  elle 
tira  son  épée,  et  en  battit  si  bien  deux  ou  trois  qu'elle  rompit  son  épée  -  ; 
ce  dont  le  roi  fut  fort  marri  ;  il  dit  qu'elle  aurait  dû  prendre  un  bâton  pour 
frapper  de  tels  coups,  sans  employer  une  épée  qui  lui  était  venue  divi- 
nement, ainsi  qu'elle  le  disait. 

1.  Texte  pur:  «  Et  pour  celle  heure  estoit  le  sire  de  La  Trimoille  avecques  le  roy  de 

France  et  disoit-on  qu'il  entreprenoit  trop  fort  le  gouvernement  du  roy,  pour  laquelle 

cause  estoit  grand  question  et  débat  meu  entre  ledit  de  La  Trimoille  et  le  connestable 

de  France  comte  de  Richemont;  pourquoy  fallut  que  ledit  connestable  qui  avoit  bien 

en  sa  compagnie  xn  cens  bons  combatans,  s'en  retournast,  et  pareillement  firent 

plusieurs  aultres  seigneurs  et  cappitaines,  desquels  le  sire  de  La  Trémoille  se  doubtoit, 

dont  ung  très  grant  dommage  fust  pour  le  roy  et  pour  la  chose  publique  ;  car  par  le 

moyen  de  ladicte  Jehanne  la  Pucelle  venoient  tant  de  gens  de  toutes  parts  devers  le 

roy  pour  le  servir  et  à  leurs  despens  que  on  disoit  que  iceulx  de  La  Trimoille  et  aullres 

du  conseil  du  roy  estoient  bien  couroucés  que  tant  y  en  venoit  pour  la  double  de 

leurs  personnes;  et  disoient  plusieurs  que  se  ledit  de  La  Trimoille  et  aullres  du  conseil 

<iu  roy  eussent  voulu  recevoir  tous  ceulx  qui  venoient  au  service  du  roy,  quilz  eussent 

peu  légierement  recouvrer  tout  ce  que  les  Angloys  occupoient  au  royaulme  de  France. 

£tn'osoit-on  parler  lors  contre  ledit  de  La  Trimoille,  combien  que  chacun  vist  clere- 

ment  que  la  faulte  venoit  de  luy.  » 

2.  C'est  à  Saint-Denis  que  le  fait  arriva,  d'après  la  déposition  du  duc  d'Alençon. 


160  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  I   LA  LiBâRATRICE. 

Ce  jour,  le  roi  chevaucha  tellement  qu'il  vint  devant  la  cité  d'Auxerre, 
qui  ne  lui  fit  pas  pleine  obéissance.  Quelques  bourgeois  vinrent  à  sa  ren- 
contre, après  avoir,  disait-on,  donné  de  l'argent  à  La  Trémoille  afin  d'ob- 
tenir pour  cette  fois  de  demeurer  en  trêve  et  abstinence  de  guerre;  ce  dont 
furent  très  mécontents  quelques  capitaines  de  Tarmée,  qui  s'en  plaignaient 
fort  et  accusaient  le  sire  de  La  Trémoille  et  quelques  conseillers  du  roi. 
Jeanne  maintenait  constamment  qu'il  fallait  donner  assaut  à  la  ville  ;  on 
finit  cependant  par  accorder  Tabstinence  demandée.  Toutefois  les  habitants 
d'Auxerre  donnèrent  pour  de  l'argent  des  vivres  à  Tarmée,  qui  en  sen- 
tait une  très  grande  nécessité  et  besoin. 

Dans  toute  la  suite,  jusqu'au  siège  de  Paris,  Chartiersuit  pas  à  pas  la 
Chronique  de  laPucelle\  il  lui  emprunte  jusqu'à  la  phrase,  il  ne  dit  rien 
que  l'on  ne  trouve  dans  Tœuvre  des  deux  Cousinot.  Il  retranche  parfois. 
C'est  ainsi  qu'il  ne  rapporte  pas  que  Jeanne  se  serait  jetée  aux  pieds  du 
roi  après  le  sacre,  et  aurait  prononcé  les  paroles  rapportées  par  la  Chra- 
nique  de  la  Pucelle  et  le  Journal  du  siège.  On  lit  à  la  place  :  «  Là  était 
Jeanne  La  Pucelle,  laquelle  tenait  son  étendard  en  mains  ;  car  elle  était 
cause  principale  du  couronnement  et  de  toute  l'assemblée  qui  se  trouvait 
ainsi  réunie,  ainsi  qu'il  a  été  dit  ». 

Ilnerapporte  pasnouplus  la  scènequi  se  serait  passée  à  Crépy-en-Valois. 

Voici  son  récit  à  partir  des  escarmouches  de  Montépilloy. 


III 

Le  jour  suivant,  le  roi  avec  son  armée  alla  droit  à  Compiègne  qui  lui 
lit  obéissance  ;  il  y  établit  comme  capitaine  un  nommé  Guillaume  de  Flavy, 
originaire  de  ce  pays.  Les  bourgeois  de  Beauvais  vinrent  l'y  trouver  pour 
lui  faire  acte  de  soumission  de  la  part  de  leur  ville. 

Semblablemenl  se  mirent  en  mouvement  Tévèquc  et  les  bourgeois  de 
Seiilis,  et  vinrent  aussi  à  Compiègne  pour  mettre  leur  ville  en  l'obéissance 
du  roi,  qui  sortit  de  Compiègne  pour  venir  à  Senlis. 

La  môme  année,  sur  lafmdumois  d'août,  le  ducdeBedfordsortitdeParis, 
gagna  la  Normandie,  amenant  son  armée,  qu'il  dissémina  en  divers  lieux 
de  ce  pays  et  d'ailleurs,  pour  garder  les  places  confiées  à  son  gouverne- 
ment et  lui  rendant  obéissance.  Il  laissa  à  Paris  messire  Louis  de  Luxem- 
bourg, évêque  de  Thérouanne,  soi-disant  chancelier  de  France,  un  chevalier 
anglais  nommé  messire  Jean  Radley;  un  autre,  natif  de  France,  du 
nom  de  messire  Simon  Morbier,  pour  lors  prévôt  de  Paris.  Pour  la  garde 
et  la  défense  de  Paris,  ils  avaient  environ  deux  mille  Anglais. 


CHRONIQUE  DE  JE\N  CHARTIER.  161 

A  la  fin  du  même  mois  d  août,  le  roi  de  France,  quittant  Senlis,  s'en  vint 
avec  son  armée  à  Saint-Denis  en  France;  les  habitants  lui  rendirent 
obéissance  et  il  y  entra  avec  ses  troupes.  Après  leur  entrée,  de  grandes 
escarmouches  commencèrent  entre  les  Français  et  les  Anglais  de  Paris. 

Trois  ou  quatre  jours  après  son  arrivée,  le  duc  d'Alençon,  le  duc  de 
Bourbon,  le  comte  de  Laval,  le  sire  d'Albret,  Jeanne  la  Pucelle,  les  sires 
de  Rais  et  de  Boussac,  maréchaux  de  France,  et  autres  en  leur  compagnie, 
se  logèrent  comme  à  mi-chemin  entre  Saint-Denis  et  Paris,  en  un 
village  nommé  La  Chapelle. 

Le  lendemain  les  ducs  nommés  et  d'autres  seigneurs  français  se  mirent 
aux  champs  près  de  la  porte  Saint-Honoré,  sur  une  butte*  qu'on  appelle 
le  marché  aux  pourceaux;  et  ils  firent  ajuster  plusieurs  canons  et  cou- 
levrines  afin  de  tirer  dans  la  ville  de  Paris.  Les  Anglais  tournoyaient  îi 
Fintérieur  le  long  des  murailles,  leurs  enseignes  déployées,  parmi  les- 
quelles Ton  remarquait  une  bannière  blanche  traversée  d'une  grande 
croix  vermeille.  A  leur  arrivée  les  Français  prirent  d'assaut  le  boulevard 
Saint-Honoré.  A  cette  prise  se  trouvait  un  chevalier  nommé  le  sire  de 
Saint-Vallier,  qui,  avec  ses  gens,  fit  grandement  son  devoir. 

Les  Français  pensaient  que  les  Anglais  et  les  autres  défenseurs  de 
Paris  sortiraient  par  la  porte  Saint-Denis,  ou  par  toute  autre  porte  pour 
tomber  sur  eux  :  voilà  pourquoi  les  ducs  d'Alençon  et  de  Bourbon,  le 
sire  de  Montmorency,  d'autres  encore,  se  tenaient  toujours  avec  de  gran- 
des forces  derrière  cette  grande  butte,  prêts  à  combattre.  Le  sire  de 
Montmorency  fut  fait  chevalier  ce  jour-là  -.  Ils  ne  pouvaient  pas  se  tenir 
plus  près  du  combat,  à  cause  des  canons  et  des  coulcvrines  qu'on  tirait 
sans  cesse  de  Paris. 

Jeanne  la  Pucelle  dit  qu'elle  voulait  donner  l'assaut  à  Paris  ;  elle  n'était 
pas  bien  informée  de  la  grande  profondeur  de  l'eau  dans  les  fossés.  Elle 
s'avança  néanmoins  avec  une  grande  suite  d'hommes  d'armes,  parmi 
lesquels  le  sire  de  Rais,  maréchal  de  France  ;  ils  descendirent  dans  Tar- 
rière-fossé,  où  ils  se  postèrent,  Jeanne,  le  maréchal  de  Rais  et  d'autres  en 
grand  nombre.  Ils  y  restèrent  tout  le  jour.  La  Pucelle  y  fut  blessée  à  la 
jambe  par  un  vireton  ^;  elle  ne  voulut  cependant  pas  sortir  de  Tarrière- 
fossé  ;  et  elle  se  donnait  grand  mouvement  pour  faire  jeter  des  fascines 
et  d'autres  bois  dans  le  principal  fossé,  dans  l'espérance  de  passer;  ce 
qui  n'était  pas  possible  à  cause  de  la  grande  quantité  d'eau. 

La  nuit  survenue,  les  ducs  d'Alençon  et  de  Bourbon  envoyèrent 
plusieurs  fois  la  quérir,  et  pour  rien  elle  ne  voulut  se  retirer.  Il  fallut  que 

i.  Butte,  petite  élévation. 

2.  Diaprés  d'autres  chroniques,  il  ne  sortit  de  Paris  que  le  lendemain. 

3.  Vireton,  trait  d*arbaiète. 

m.  il 


162  LÀ  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

le  duc  d'Alençon  vînt  la  chercher  et  la  ramener.  L'armée  se  replia  sur 
La  Chapelle,  où  elle  avait  passé  la  nuit  précédente. 

Le  lendemain  les  ducs  d'Âlençon  et  de  Bourbon,  Jeanne  la  Pucelle  et 
d'autres  retournèrent  à  Saint-Denis,  où  était  le  roi.  Les  jours  suivants 
Jeanne  la  Pucelle  suspendit  ses  armures  devait  le  précieux  corps  de  Mon- 
seigneur saint  Denis  et  de  ses  compagnons,  et  elle  les  offrit  par  grande 
dévotion  *. 


CHAPITRE  V 

RETRAITE  AU  DELA  DE  LA  LOIRE.  —  CE  QUE  JEAN  CHARTIER  DIT  ENCORE 

DE  LA  PUCELLE. 

Sommaire  :  1.  —  Lagny  fait  soumission  au  roi.  —  Loré  en  est  fait  capitaine.  —  Capi- 
taines nommés  à  la  garde  des  villes  récemment  soumises.  —  Le  roi  quitte  Saint 
Denis.  —  L*armure  complète  de  Jeanne  suspendue  dans  la  basilique.  —  Itinéraire 
du  retour.  —  Saint-Denis  repris  par  les  Anglais  ;  ils  enlèvent  l'armure  de  la  Pucelle. 
—  Universel  brigandage.  —  Le  pays  appauvri.  —  Secours  envoyés  par  le  roi. 

II.  —  La  Pucelle  reprend  Saint-Pierre-le-Moustier,  écboue  devant  La  Charité. 

m.  —  Efforts  des  Anglais  contre  Lagny.  —  La  Pucelle  y  revient.  —  Rencontre  avec 
les  Anglais.  —  Victoire  de  la  Pucelle. 

iV.  —  Siège  de  Compiègne.  —  Jeanne  se  jette  dans  la  place  assiégée.  —  Versions 
différentes  sur  sa  prise.  —  Indication  sommaire  des  étapes  de  son  martyre. 

Variante. 

Appendice  tiré  de  la  Chronique  latine. 


I 

La  Pucelle  ne  parait  plus  désormais  dans  le  récit  de  rhistoriographe 
que  par  intervalles.  Voici  les  extraits  où  il  en  est  question,  et  même 
ceux  qui  peuvent  mieux  servir  à  se  rendre  compte  des  faits. 

Le  vingt-neuvième  jour  du  mois  d'août,  en  Tan  susdit,  le  prieur  de 
Tabbaye  de  Lagny  et  Arthur  de  Saint-Marry  avec  quelques  habitants  de 
la  ville  vinrent  à  Saint-Denis  mettre  Lagny  en  Tobéissance  du  roi.  Le 
roi  chargea  le  duc  d'Alençon  d'y  envoyer  quelqu'un  ;  et  le  duc  députa 
messire  Ambroise  de  Loré  auquel  la  ville  fut  remise  par  les  bourgeois 

1 .  Ce  récit  de  Téchec  contre  Paris  et  du  départ  de  l'armée  est  écourté  dans  rhisto- 
riographe officiel.  U  sera  discuté  dans  la  suite  d'après  ce  qu'en  disent  les  diverses 
(chroniques,  et  tout  particulièrement  Perceval  de  Cagny,  et  la  Chronique  dite  des 
Cordeliers. 


CHRONIQUE  DE  JEAN  CHARTIER.  163 

et  les  habitants  ;  il  leur  fit  prêter  les  serments  accoutumés,  à  savoir  d'être 
vrais  et  loyaux  au  roi. 

Le  douzième  jour  de  septembre  de  Tan  susdit,  le  roi  de  France  ordonna 
que  le  duc  de  Bourbon,  le  comte  de  Vendôme,  messire  Louis  de  Culan 
et  plusieurs  autres  capitaines  demeureraient  aux  pays  qui  en  ce  voyage 
s'étaient  soumis  à  son  obéissance.  Il  laissa  comme  son  lieutenant  le  duc 
de  Bourbon;  et  à  Saint-Denis  il  laissa  le  comte  de  Vendôme  et  Tamiral 
de  Culan  avec  grande  compagnie  de  gens  d'armes. 

Le  roi  partit  ensuite  avec  l'autre  partie  de  ses  gens  ;  et  au  départ, 
ainsi  qu'il  a  été  dit,  Jeanne  laissa  devant  Saint-Denis  toutes  ses  armures 
complètes  dans  lesquelles  elle  avait  été  blessée  devant  Paris.  Le  roi  alla 
coucher  à  Lagny,  dont  il  confia  la  garde  à  sire  Ambroise  de  Loré  qui 
y  avait  été  déjà  envoyé,  ainsi  qu'il  a  été  dit.  Le  sire  de  Loré  accepta  cette 
chaîne;  son  chevalier  messire  Jean  Foucault  resta  avec  lui.  Le  jour 
suivant  le  roi  quitta  Lagny,  passa  la  Seine,  franchit  l'Yonne  à  un  gué 
près  de  Sens,  s'en  alla  à  Montargis  et  au  delà  de  la  rivière  de  Loire. 

Bientôt  après  Anglais  et  Bourguignons  s'assemblèrent  en  grand  nombre 
à  Paris;  les  Français  que  le  roi  avait  laissés,  lors  de  son  départ,  à 
Saint-Denis,  quittèrent  et  abandonnèrent  la  ville,  et  se  retirèrent  à  Senlis. 
Feu  après  leur  départ,  ceux  de  Paris  vinrent  à  Saint-Denis;  ils  y  trou- 
vèrent les  armures  de  Jeanne  la  Pucelle,  les  prirent  et  les  emportèrent 
sur  Tordre  de  l'évêque  de  Thérouanne,  chancelier  aux  pays  qui  obéis- 
saient au  roi  d'Angleterre.  Aucun  dédommagement  ne  fut  donné  à 
l'église  de  Saint-Denis. 

Jean  Chartier  raconte  une  tentative  contre  Lagny,  qui  fut  vaillamment 
repoussée,  et  il  continue  : 

...  En  ce  même  temps,  commencèrent  de  toutes  parts  les  pillages  et  les 
rapines  dans  les  pays  que  le  roi  de  France,  ainsi  que  cela  vient  d'être 
dit,  avait  conquis  sur  les  Anglais,  sans  que  cela  lui  eût  guère  coûté  ;  car 
sans  coup  férir  on  venait  de  toutes  parts  lui  faire  obéissance.  Ces  pays 
étaient  riches,  bien  "peuplés,  bien  cultivés.  Bientôt  après  les  laboureurs 
disparurent  des  champs,  plusieurs  villes  furent  oppressées  et  appauvries, 
plusieurs  contrées  restèrent  inhabitables  et  sans  culture;  chacun  voulait 
faire  le  maître  et  obéir  au  caprice  plus  qu'à  la  raison.  Le  duc  de  Bourbon, 
témoin  de  cette  manière  de  faire,  de  cette  désobéissance  et  de  ce  brigan- 
dage, s'en  retourna  à  son  pays. 

Le  comte  de  Vendôme  resta,  veillant  principalement  sur  la  cité  de 
Senlis.  Dans  la  suite  le  roi  lui  donna  le  gouvernement  total  de  la  contrée, 
et  envoya  à  son  aide  et  secours  le  sire  de  Boussac,  maréchal  de  France, 
avec  huit  cents  ou  mille  combattants.  C'était  de  grande  nécessité,  car 


164  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

d*un  côté  les  Anglais  venaient  de  Normandie,  d'autres  pays  et  des  places 
de  France,  faire  la  guerre  ;  et  de  l'autre,  c'était  le  duc  de  Bourgogne 
qui  tenait  le  pays  de  Picardie. 

II 

En  ce  même  temps,  par  ordre  du  roi  de  France,  fut  formée  une  armée 
en  laquelle  se  trouvait  Jeanne  la  Pucelle  avec  plusieurs  autres  capitaines. 
Ils  allèrent  devant  une  ville  appelée  Saint-Pierre-le-Moustier  et  la  prirent 
d'assaut.  Ils  vinrent  ensuite  devant  La  Charité-sur-Loire,  où  commandait 
Perrinet  Grasset,  et  y  mirent  le  siège,  disposant  quelques  bombardes, 
canons  et  autres  pièces  d'artillerie.  Ils  s'y  tinrent  durant  quelque  temps, 
et  finirent  par  lever  le  siège,  s'en  allant  sans  avoir  rien  fait,  après  avoir 
perdu,  à  ce  que  l'on  dit,  la  plus  grande  partie  de  leur  artillerie. 


III 

Chartier  raconte  de  beaux  exploits  de  la  garnison  de  Lagny,  et  com- 
ment le  brave  Ambroise  de  Loré  appelé  à  défendre  Saint-Célerin,  près 
d'Alençon,  naguère  recouvré,  triompha,  par  ses  habiles  et  audacieux 
coups  de  main,  d  une  armée  anglaise  qui  voulait  reprendre  la  forteresse. 
Le  chroniqueur  revient  à  Lagny,  si  ardemment  convoité  par  les  Anglais 
et  à  Jeanne  la  Pucelle,  et  s'exprime  ainsi  : 

En  même  temps  qu'ils  s'efforçaient  de  recouvrer  Saint-Célerin,  les 
Anglais  vinrent  pareillement  mettre  le  siège  devant  Lagny-sur-Mame. 
Après  l'avoir  battu  de  leurs  bombardes  et  canons,  et  avoir  tenté  plusieurs 
assauts,  de  là  aussi  ils  s'en  retournèrent  sans  rien  faire.  Défendaient  la 

r 

ville    messire  Jean    de    Foucault,    l'Ecossais   Quennède,    et  plusieurs 
vaillantes  gens. 

L'an  mil  quatre  cent  trente,  Jeanne  la  Pucelle  quitta  le  Berry,  et  en  com- 
pagnie de  plusieurs  gens  de  guerre  elle  vint  à  Lagny- Sur-Marne.  Il  advint 
qu'à  son  arrivée,  trois  à  quatre  cents  Anglais  traversaient  l'Ile-de-France. 
Promptement  la  Pucelle  se  met  aux  champs  avec  messire  Jean  Foucault, 
Guiffray  de  Saint-Aubin,  un  capitaine  nommé  Barie,  Quennède,  Écossais, 
et  d'autres  de  la  garnison  de  Lagny.  Ils  joignirent  les  Anglais  qui  se 
mirent  à  pied  et  se  rangèrent  le  long  d'une  haie.  Il  fut  incontinent  résolu 
par  les  Français  qu'on  les  combattrait.  Ils  vinrent  en  très  bon  ordre,  à 
pied  et  à  cheval,  tomber  sur  les  Anglais.  La  besogne  fut  très  dure  et  très 
âpre  ;  car  les  Français  n'étaient  guère  plus  nombreux  que  les  Anglais. 
Ces  derniers  finirent  par  être  déconfits,  presque  tous  tués,  et  les  autres 


CHRONIQUE  DE  JEAN  CHARTIER.  165 

pris.  Il  y  eut  aussi  des  morts  et  des  blessés  du  côté  de  Français  qui, 
avec  Jeanne  la  Pucelle,  rentrèrent  à  Lagny  en  amenant  leur  capture. 


IV 

En  Tan  dessus  dit  (1430),  messire  Jean  de  Luxembourg,  le  comte  de 
Huntinton,  le  comte  d'Arondel,  d'autres  Anglais  et  Bourguignons,  vinrent 
avec  de  grandes  forces  devant  Compiègne,  et  l'assiégèrent  des  deux 
côtés  de  rOise.  Ils  y  firent  des  bastilles  où  ils  se  tenaient.  Jeanne  la 
Pucelle,  dès  qu'elle  en  eut  connaissance,  partit  de  Lagny  pour  porter  aide 
et  secours  aux  assiégés.  Incontinent  après  son  arrivée,  de  grandes  et 
nomJbreuses  escarmouches  commencèrent  entre  les  Anglais  et  les  Bour- 
guignons d'une  part,  et  ceux  de  la  ville  de  l'autre. 

Or  il  advint  qu'un  jour  Jeanne  la  Pucelle  fit  une  sortie  très  vaillante 
et  très  hardie  ;  mais  les  Anglais  et  les  Bourguignons  chargèrent  aussi 
très  fort  sur  elle  et  sur  ses  hommes,  en  sorte  qu'elle  fut  contrainte  de 
battre  en  retraite  avec  ses  gens. 

Quelques-uns  disent  que  la  barrière  lui  fut  fermée  au  retour;  d'autres 
qu'il  y  avait  trop  grande  presse  à  l'entrée  ;  finalement  elle  fut  prise  par 
les  Anglais  et  les  Bourguignons  et  amenée  captive.  Plusieurs  gens  du  roi 
en  furent  très  dolents. 

Les  Bourguignons  de  la  compagnie  de  Luxembourg  la  tinrent  longtemps 
en  prison.  Luxembourg  la  vendit  aux  Anglais  qui  l'emmenèrent  à  Rouen, 
où  elle  fut  cruellement  traitée.  Après  l'avoir  longuement  détenue,  ils  la 
firent  brûler  publiquement  à  Rouen,  en  lui  imposant  plusieurs  maléfices, 
en  réalité  en  vertu  de  la  loi  Sic  volo^  sic  jubeo,  stat  pro  rations  volimtas. 
{Je  le  veuXj  je  V ordonne^  mon  vouloir  est  raison.) 

C'est  ainsi  que,  dans  le  numéro  2396,  Jean  Ghartier  termine  les  cha- 
pitres consacrés  à  la  Pucelle.  La  manière  est  différente,  tant  dans  le 
manuscrit  reproduit  par  Quicherat  que  dans  celui  qu'a  reproduit  Vallet 
de\iriville.  Il  y  rapporte  une  particularité  intéressante  qui  ne  se  trouve 
pas  dans  le  texte  que  nous  avons  cru  devoir  préférer.  Voici  le  passage  : 
<^  Luxembourg  la  vendit  aux  Anglais  qui  la  menèrent  à  Rouen  où  elle 
fat  durement  traitée,  tellement  qu'après  longue  dilation  de  temps,  sans 
procès,  mais  de  leur  volonté  indue,  ils  la  firent  brûler  publiquement  en 
^'te  ville  de  Rouen,  en  lui  imposant  plusieurs  maléfices  {crimes)\  ce 
^ti  fut  inhumainement  fait,  vu  la  vie  et  le  gouvernement  dont  elle  vivait, 
^^ï'  elle  se  confessait  et  recevait  chaque  semaine  le  corps  de  Nôtre- 
Seigneur,  comme  bonne  catholique. 
«  Et  il  n'y  a  point  à  douter  que  l'épée  qu'elle  envoya  quérir  en  la  chapelle 


f66  LA  VRAIE  JEANNE  D^ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

Sainte-Catherine-de-Fierbois,  dont  ci-dessus  est  fait  mention,  ne  fût 
trouvée  par  miracle,  comme  un  chacun  tenait  ;  vu  surtout  que  par  le 
moyen  d*icelle  épée,  avant  qu'elle  fût  rompue,  elle  a  fait  de  beaux 
conquets  ci-dessus  déclarés.  Et  il  faut  savoir  qu'après  la  journée  de  Pata\\ 
ladite  Jeanne  la  Pucelle  fit  faire  un  cri,  que  nul  homme  de  sa  compa- 
gnie ne  tint  aucune  femme  diffamée  ou  concubine.  Néanmoins  elle  en 
trouva  quelques-unes  transgressant  son  commandement;  et  elle  les  frappa 
d^icelle  épée  tellement  qu'elle  fut  rompue.  Et  cela  venant  promptement 
à  la  connaissance  du  roi,  elle  fut  baillée  à  ouvriers  pour  la  ressouder;  ce 
qu'ils  ne  purent  pas  faire,  ni  jamais  ils  ne  purent  la  rassembler;  ce  qui 
est  une  grande  probation  qu'elle  était  venue  divinement,  et  était  chose 
notoire  que  depuis  que  ladite  épée  fut  rompue,  ladite  Jeanne  ne  pros- 
péra en  armes  au  profit  du  roi  ni  autrement,  ainsi  qu'elle  avait  fait 
auparavant.  » 


APPENDICE 

PARTICULARITÉS  RAPPORTÉES  DANS  LA  CHRONIQUE  LATINE. 

Voici,  d'après  la  copie  qui  nous  a  été  envoyée,  les  particularités  que 
Jean  Chartier  a  consignées  dans  sa  Chronique  latine,  et  qui  ne  se  trouvent 
pas  dans  la  Chronique  française  : 

D'après  le  texte  latin,  Jeanne,  quoiqu'elle  ne  l'ait  pas  révélé,  aurait  su 
qui  avait  déposé  à  Fierbois  Tépée  avec  laquelle  elle  devait  expulser 
l'envahisseur.  La  Chronique  latine  exprime  d'une  manière  plus  claire 
que  la  Chronique  française  le  vrai  motif  pour  lequel  les  guerriers  qui 
avaient  conduit  le  premier  convoi,  au  lieu  d'entrer  à  Orléans  avec  la 
Pucelle,  étaient  retournés  à  Blois.  Ils  craignaient  d'affamer  la  ville; 
voilà  pourquoi  ils  allèrent  chercher  un  second  convoi  encore  plus  abon- 
dant que  le  premier.  Il  ne  le  fut  pas  cependant  au  point  que,  le  9  et  le 
10  mai,  les  vainqueurs  ne  dussent  se  disperser,  parce  que  la  ville,  même 
après  le  butin  fait  sur  les  Anglais,  n'était  pas  suffisamment  approvi- 
sionnée. La  Chronique  latine  indique  des  céréales,  des  bœufs,  desmoutons^ 
comme  composant  une  partie  du  second  ravitaillement.  Il  y  eut  de  l'hési- 
tation à  Blois  pour  le  tenter,  hésitation  que  l'arrivée  de  Dunois  fît  cesser. 

La  Chronique  française  fait  coucher  Jeanne  sur  la  rive  gauche  après  la 
prise  des  Tourelles  ;  la  Chronique  latine,  plus  vraie,  la  fait  rentrer  le  soir 
môme,  mais  elle  se  trompe  en  disant  qu'elle  passa  la  rivière  en  bateau  ; 
elle  revint  par  le  pont,  ainsi  qu'elle  l'avait  prédit. 


CHRONIQUE  DE  JEAN  CHARTIER.  167 

Ce  ne  sont  pas  seulement  les  nobles  qui,  après  la  délivrance  d'Orléans, 
vinrent  se  ranger  sous  la  bannière  de  Jeanne;  on  accourut  de  tout  le 
royaume  :  afflueniibxis  undique  regnicolis.  Le  récit  de  la  bataille  de  Patay 
est  suivi  du  récit,  qui  n'est  pas  à  sa  place,  de  la  brisure  de  Tépée,  de 
rimpuissance  d'en  souder  les  parties,  et  de  la  réflexion  qui  a  été  déjà 
mentionnée. 

Suivant  la  Chronique  latine,  après  la  victoire  de  Patay,  on  venait  même 
des  royaumes  étrangers  pour  marcher  à  la  suite  de  la  Pucelle.  Nedum 
regnicolœ,  verùm  etiam  alienigenœ  è  diversis  mimdi  climatibits,  La 
Trémoille  enraya  le  mouvement.  Les  vivres  fournis  à  Tarmée  française 
par  les  habitants  d'Auxerre  l'auraient  été  gratuitement^  d'après  la  Chro- 
nique laline,  tandis  que,  d'après  d'autres  Chroniques,  ce  fut  sur  argent 
comptant.  La  Chronique  latine  spécifie  que  la  garnison  de  Troyes  devait, 
aux  termes  de  la  capitulation,  amener  les  prisonniers  que  Jeanne  refusa 
de  laisser  partir,  en  contraignant  le  roi  de  payer  leur  rançon.  A  Reims 
le  roi  aurait  fait  duc  le  comte  Charles  de  Bourbon,  qui  n'était  encore 
que  comte,  son  père  vivant  dans  les  fers  à  Londres. 

Les  habitants  de  Bar-sur-Seine  n'auraient  promis  le  passage  qu'à  la 
condition  de  s'aboucher  personnellement  avec  le  roi.  N'était-ce  pas  un 
piège  ? 

De  Crépy,  le  roi  aurait  envoyé  sonder  secrètement  les  dispositions 
des  habitants  de  Beauvais  et  de  Compiègne  qui,  secrètement  aussi,  lui 
auraient  fait  savoir  qu'ils  étaient  disposés  à  lui  rendre  obéissance.  Bed- 
ford,  à  Senlis,  aurait  été  à  la  tôte  d'une  armée  de  quinze  mille  hommes. 

Le  moulin  à  vent  autour  duquel  Jeanne  livra  plusieurs  escarmouches 
aux  Parisiens  est  dit  toucher  aux  faubourgs  de  la  ville  :  Uvbis  suburbia 
langens.  De  même  les  Parisiens  en  tournoyant  autour  des  remparts  à 
l'intérieur  avec  une  bannière  blanche  traversée  par  une  croix  rouge,  la 
tenaient  assez  haute  pour  qu'elle  fût  bien  vue  des  assiégeants  :  ut  Frajicis 
arva  tenentibus  luculentissime  objiceretur.  La  blessure  reçue  par  Jeanne 
sous  les  murs  de  Paris  aurait  élé  très  profonde,  le  chroniqueur  écrivant 
que  Jeanne  s'obstinait  à  ne  pas  se  retirer,  quamquam  atrocissime  in 
crure  cum  sagitta  vulneraretur. 

II  n'y  a  pas  de  mauvais  traitements  que  les  Anglais  en  reprenant  Saint- 
Denis  n'aient  fait  subir  aux  habitants;  et  les  capitaines  préposés  aux 
pays  qui  venaient  de  faire  une  si  volontaire  soumission  s'y  seraient  livrés 
à  tous  les  excès  que  la  céleste  envoyée  avait  si  sévèrement  défendus  et 
réprimés,  lorsqu'elle  se  mit  à  leur  tète  à  Blois. 

Elle  était  alors  occupée  aux  sièges  de  Saint-Pierre-le-Mouslier  et  de  La 
Charité,  places  autour  desquelles,  d'après  la  Chronique  latine,  de  très 
nombreux  combats  furent  livrés.  Dans  la  rencontre  avec  Franquet  d'Arras, 


168  Là  vraie  JEANNE  D*ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

pas  un  homme  de  la  troupe  du  bandit  n'aurait  échappé  ;  tous  auraient 
été  tués  ou  faits  prisonniers. 

Mais  ce  qu'il  y  a  de  plus  remarquable,  ce  sont  les  dernières  lignes  que 
Jean  Chartier  consacre  à  la  Pucelle,  elles  méritent  d*6tre  traduites  à  partir 
de  la  prise  de  la  sainte  fille  à  Compiègne. 

«  Contrainte,  dit-il,  de  regagner  la  ville,  comme  elle  s'efforçait  d'y 
pénétrer,  les  ennemis  fermant  sur  elle  la  barrière,  Tempèchèrent  d'entrer 
dans  la  place;  et,  ô  douleur,  elle  fut  prise  par  le  susdit  de  Luxembourg. 
La  nouvelle  fut  pour  les  Français  un  sujet  de  profonde  douleur,  de 
gémissements  et  de  larmes.  Dans  la  suite,  ce  même  Luxembourg,  imita- 
teur du  traître  qui  vendit  le  Christ*,  osa  bien,  après  les  tourments  d*une 
longue  prison,  vendre  Tinnocente  fille  aux  Anglais,  ses  haineux  ennemis. 
Aussi  ce  profond  scélérat,  coupable  d'autres  forfaits,  un  long  temps  après, 
à  l'instigation  du  diable,  se  donna-t-il  la  mort,  en  se  pendant  dans  ses 
appartements.  On  peut  bien  lui  appliquer  cette  parole  de  TEvangile  : 
«  Malheur  à  celui  par  lequel  le  scandale  arrive,  c'est-à-dire  par  lequel 
«  rinnocent  est  sacrifié  en  victime  ».  Les  Anglais  ayant  inhumainement 
transféré  la  prisonnière  à  Rouen,  rendirent  contre  elle,  sans  ombre  de 
droit  divin  ou  humain,  par  pure  haine,  une  sentence  calomnieuse  et 
cruelle,  et  la  livrèrent  aux  flammes.  Sans  murmurer,  sans  récriminer, 
bien  plus  en  obéissant  comme  un  innocent  agneau  à  leurs  ordres  pro- 
fondément iniques,  elle  supporta  les  dérisions  prolongées  de  ceux  qui  se 
déshonorèrent  jusqu'à  la  traiter  comme  Anne  et  Caïphe  avaient  traité 
le  Christ^.  » 

C'est  donc  bien  dès  le  supplice  môme  que  les  contemporains  furent 
frappés  de  la  ressemblance  de  la  passion  de  là  Martyre  de  Rouen  avec 
la  passion  de  son  Fiancé.  Le  rapprochement  a  été  fait  avec  quelque 
étendue  dans  le  volume  :  Jeanne  cl  Arc  sur  les  autels  '.  L'auteur  ignorait 
totalement  le  texte  de  Jean  Chartier. 

Le  vendeur  de  la  Martyre  a-t-il  réellement  fini  comme  le  vendeur  du 
Christ?  Jean  de  Luxembourg  a-t-il  fini  comme  Judas?  Une  note  en  marge 
du  manuscrit  le  nie.  Elle  est  ainsi  conçue  :  mentitus  est  ille  monachus, 
qiiisqtiis  ille  sit,  [Le  moine^  quel  qu'il  soit^  en  a  menti.)  Rien  n'autorise  à 
regarder  Jean  Chartier  comme  un  menteur;  il  aura  été  trompé  par  ime 
rumeur  publique.  Cette  rumeur,  à  elle  seule,  nous  dit  le  sentiment  qu*ins- 
pira  Todieux  Luxembourg.  Le  fait  mérite  d'ailleurs  d'être  examiné  et 

1.  Ad  instar  Christi  traditoris  eam  innocenlem  Anglicis  œmulantibus..,  venundare  non 
veritiis  est. 

2.  Qtiam  non  murmuranteni  seu  rcpudiantem,  qiiinimo  eoi-um  jussibus  nequissimis,  velut 
agnus  innoccns,  obedientcm,  longe  diu  illudeuteSy  ut  Annas  et  Caiphas Christunif  turpissitne 
tractarunt. 

3.  Liv.  II,  ch.  V,  p.  123  et  suiv. 


CHRONIQUE  DE  JEAN  CHARTIER.  169 

doit  éveiller  rattention  de  ceux  qui  posséderaient  déjà,  ou  acquerraient 
un  jour  les  archives  de  la  famille. 

L'indigne  chevalier  est  mort  le  6  janvier,  le  jour  où  sa  victime  est 
venue  à  la  lumière.  L'infâme  auteur  de  l'infâme  Pucelle^  Arouet,  est  mort 
le  même  jour  que  la  sainte  contre  laquelle  il  a  accumulé  les  fanges  les 
plus  fétides  de  son  âme  scélérate.  Tout  est  disposé  avec  nombre,  poids  et 
mesure  dans  le  monde  des  esprits  comme  dans  celui  des  corps.  Les 
hommes  de  foi  peuvent  laisser  ricaner  les  esprits  superficiels,  et  conti- 
nuer à  voir  une  signification  dans  cette  correspondance  des  dates. 


LA 

DOUBLE   CHRONIQUE   DE  LA  MAISON  D'ALENÇON 

PAR 

PERCEVAL    DE    GAGNY 


JEAN  II  DUC  D^ALENÇON 


I 


Celui  que  ron  a  appelé  le  «  Père  de  V Histoire  de  France  »,  André  Du- 
chesne,  nous  a  conservé  la  double  chronique  dont  il  va  être  parlé.  L'on  ne 
les  trouve  qu'au  tome  XL  VIII  de  ses  manuscrits,  d'où  Quicherat  tira  la  plus 
étendue  pour  la  faire  imprimer  dans  \dL  Bibliothèque  de  l'Ecole  des  chartes 
(IP  série,  t.  I),  et  la  mettre  ensuite  en  tôte  du  tome  IV  de  son  Double 
Procès.  C'est  certainement  la  plus  importante  des  pièces  inédites  qu'il  ait 
publiées. 

L'auteur  se  fait  ainsi  connaître  dans  le  prologue  :  «  Perceval  de  Caigny^ 
natif  du  pays  de  Beauvoisin,  a  servi  et  demouré  en  Thostel  d'Alençon  par 
l'espace  de  quarante-six  ans  continuellement,  c'est  à  savoir,  {sous)  feu  le 
comte  Pierre  en  office  de  pannetier;  [sous)  Jean,  son  fils,  premier  duc 
d'Alençon,  [en  office)  d'escuier  d'écurie;  et  [sous)  Monseigneur  qui  est  a 
présent,  [en  office)  d'escuyer  d'écurie  et  de  maistre  d'hostel,  lesquels  tous 
et  chacun  d'eulx  lui  ont  fait  trop  plus  de  biens,  honneurs  et  proufit  que 
jamais  ne  leur  en  peut  desservir  [qu  il  puisse  jamais  le  reconnaître  par  ses 
sen)ices)^  et  encore  servira  tant  comme  il  pourra,  et  sçaira  [sau?*a),  et  que 
il  leur  vendra  à  plaisir. 

«  Et  combien  que  il  n'ait  le  sens,  mémoire,  ne  l'abililé  de  savoir  faire 
mettre  par  écrit  ce  [ce  qu'il  entreprend)^  ne  autre  chose  mendre  [moindre) 
de  plus  de  la  moitié;  pour  l'ardent  désir  qu'il  a  que  par  tous  pais  fussent 
dictes  très  honnourables  et  bonnes  paroles  à  la  louenge  et  recommenda- 
cion  de  leur  dit  hostel,  et  aussi  que  les  successeurs  de  luy  puissent  veoir^ 


LA  DOUBLE  CHRONIQUE  DE  LA  MAISON  D'ALENÇON.  171 

sçavoir  et  congnoistre  comment  et  avecque  quels  seigneurs  il  a  vescu  la 
plus  grant  part  de  son  temps,  il  a  fait  faire  eest  présent  mémoire;  et 
avecques  ce  a  voulu  faire  mettre  par  escript  aucun  pou  [peu]  des  mécbiés 
(malheurs),  guerres  et  pestilencesadvenues  en  ce  royaume  de  France  avant 
son  temps,  et  de  ce  dont  il  a  eu  congnoissance  en  Tan  MCCCCXXXVl.  » 
La  Chronique,  qui,  comme  on  le  voit,  fut  commencée  en  1436,  ne 
dépasse  pas  Tannée  1438.  Elle  est  précédée  d'une  autre  du  même  auteur, 
finissant  en  1432,  et  dont  Quicheratn'a  pas  parlé.  Celle-ci  occupe  dans  le 
manuscrit  de  Duchesne  du  folio  63  au  folio  76.  La  lignée  de  la  maison 
d'Alençon  y  est  longuement  exposée.  Le  chroniqueur  indique  comment 
elle  se  rattache  à  saint  Louis.  Le  chef  de  cette  lige  royale  fut  Charles, 
pelit-fils  de  Philippe  le-Hardi,  arrière -petit-fils  de  saint  Louis,  frère  de 
Philippe  de  Valois.  Charles  de  Valois  eut  une  nombreuse  postérité,  qui 
enrichit  l'Eglise  et  TËtat.  De  Cagny  donne  sur  chacun  d'eux  une  brève 
notice,  et  s'étend  surtout  sur  celui  qu'il  servait  lorsqu'il  écrivait,  Jean  II, 
le  second  qui  porta  le  titre  de  duc,  l'apanage  d'Alençon  .n'ayant  été 
d'abord  qu'un  comté.  Jean  II  fut  le  prince  préféré  de  la  Pucelle;  il  peut 
être  utile,  par  suite,  de  rappeler  les  litres  qui  le  rendaient  cher  à  l'héroïne, 
d'autant  plus  qu'il  finit  mal  après  avoir  bien  commencé. 


II 

Jean  II,  duc  d'Alençon,  avait  toute  sorte  de  motifs  de  détester  l'Anglais. 
Son  bisaïeul  Charles  avait  été  tué  à  Crécy,  son  aïeul  Pierre  grièvement 
blessé  au  siège  d'Hennebont,  son  père,  Jean  P',  tué  à  Azincourt,  lorsqu'il 
atteignait  le  roi  d'Angleterre,  et  brisait  sur  sa  tête  un  des  fleurons  de  la 
couronne  avec  laquelle  le  Lancastre  combattait.  Les  alliances  du  jeune 
duc,  et  son  passé,  lorsqu'il  rejoignit  l'héroïne,  n'étaient  pas  faits  pour 
tempérer  une  haine  infusée  avec  le  sang.  Né  le  2  mars  1409,  de  Jeanl" 
et  de  Marie  de  Bretagne,  sœur  de  Jean  VI  et  du  connétable  de  Richemont, 
il  avait  vu  la  meilleure  partie  de  son  patrimoine,  le  duché  d'Alençon,  le 
comté  du  Perche,  de  nombreuses  seigneuries,  confisqués  par  l'envahisseur, 
qui  en  récompensait  ses  meilleurs  capitaines.  Jean  II  épousa  dès  1424  la 
fille  de  Charles  d'Orléans  pour  la  querelle  duquel  s'était  formé  le  parti 
Armagnac;  et  cette  fille  elle-même  avait  pour  mère  Isabelle  de  France, 
renversée  du  trône  d'Angleterre  avec  son  mari  Richard  II  par  ces  Lan- 
castre qui,  après  avoir  usurpé  la  couronne  d'Angleterre,  voulaient  usurper 
celle  de  France.  Isabelle,  restée  veuve,  avait  épousé  en  secondes  noces  son 
cousin  d'Orléans  ;  et  de  ce  mariage  était  née  Jeanne  d'Orléans,  épouse 
du  jeune  duc  d'Alençon. 


n2  LA  VRAIE  JEAiNNE  D'ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

Le  prince  n'avait  pas  attendu  son  mariage  pour  combattre  l'étranger.  Il 
avait  pris  les  armes  aussitôt  qu'il  avait  pu  les  porter.  Peu  de  temps  après 
ses  noces,  il  était  à  Verneuil.  Verneuil  était  une  de  ses  seigneuries,  et  il 
n'avait  pas  peu  contribué  à  faire  engager  la  funeste  bataille.  Il  fut  relevé 
du  milieu  des  morts,  respirant  à  peine;  il  était  prisonnier.  Bedford  le  fil 
détenir  au  château  du  Crotoy,  et  ne  lui  permit  d'en  sortir  que  le 
30  octobre  1427,  moyennant  une  rançon  qui  achevait  de  ruiner  le  captif. 
C'étaient  deux  cent  mille  saints  d'or  à  verser,  plus  les  dépenses  faites 
durant  la  captivité,  que,  d'après  Cagny,  Bedford  exagéra  à  plaisir.  Le  duc 
donna  des  otages,  en  attendant  de  parfaire  la  somme;  le  payement 
intégral  n'était  pas  encore  effectué  lors  de  la  délivrance  d'Orléans;  ce  qui 
empocha  d'Alençon  d'y  prendre  part,  mais  il  se  parachevait;  aussi  vint- 
il  aussitôt  après  rejoindre  laPucelle.  Pour  se  libérer,  le  jeune  duc  donna 
les  joyaux  de  la  famille,  appréciés,  dit  toujours  de  Cagny,  bien  au-des- 
sous de  leur  valeur;  il  vendit  à  son  oncle,  le  duc  de  Bretagne,  la  seigneurie 
de  Fougères,  quoique  le  duc  fût  encore  redevable  de  la  dot  de  sa  sœur, 
cause  de  dissentiments  postérieurs.  En  attendant  de  pouvoir  combattre 
l'Anglais,  d'Alençon,  hors  de  prison,  combattait  pour  le  roi,  puisque,  dans 
la  coalition  formée  pour  renverser  La  Trémoille,  au  milieu  de  l'année  1428, 
il  leva  pour  soutenir  le  roi  un  corps  d'hommes  d'armes,  aliénant  à  cette  fin 
les  débris  de  sa  fortune.  Le  vieux  serviteur  termine  sa  première  Chronique 
par  ces  mots  :  «  En  son  âge  de  xxvi  ans,  ou  environ,  qu'il  avoit  quand 
ce  que  cy-dessus  fut  écrit,  on  n'auroitpas  cité  un  homme  de  quelque  estât, 
qui  fust  mieux  en  renommée  que  lui.  Que  Noslre  Seigneur,  par  sonsainct 
plaisir,  lui  donne  de  parfaire  et  de  finir  ses  jours  honorablement  ». 

Ce  vœu  ne  devait  pas  être  exaucé.  En  1436,  alors  qu'étaient  expulsés 
ces  Anglais  que  d'Alençon  avait  si  abhorrés  dès  ses  jeunes  années,  le 
malheureux  prince  essaya  de  renouer  des  intrigues  avec  eux  pour  les 
faire  rentrer.  Condamné  à  mort  par  ses  pairs,  Charles  VII  commua  la 
peine  en  une  prison  perpétuelle.  Cette  prison  prit  fin  à  l'avènement  de 
Louis  XI,  reconnaissant  d'avoir  trouvé  un  partisan  dans  le  duc  alors  qu'il 
nYHait  que  Dauphin.  Tous  ses  biens  lui  furent  rendus  avec  la  liberté; 
mais  le  prince  libéré  intrigua  encore  avec  Charles  le  Téméraire.  Il 
s'attira  une  seconde  condamnation  à  mort,  commuée,  comme  la  première, 
on  une  prison  perpétuelle.  Il  mourut  en  prison. 

On  est  particulièrement  attristé  de  voir  si  mal  finir  celui  auquel  la  Libé- 
ratrice témoigna  une  particulière  confiance;  celui  qui  n'usa  de  son  titre 
de  généralissime  et  de  lieutenant  du  roi  que  pour  seconder,  sans  les  con- 
trarier, les  vues  et  les  plans  de  la  céleste  envoyée.  Voilà  pourquoi  il  fallait 
rappeler  ce  qui  explique  les  préférences  de  la  Libératrice  pour  le  duc 
d'Alençon.  Ajoutons  que  la  jeune  duchesse  son  épouse  avait  des  titres 


LA  DOUBLE  CHRONIQUE  DE  LA  MAISON  D'ALENÇON.  173 

particuliers  à  raffection  de  la  Pucelle.  Orpheline  de  mère  en  naissant, 
Azincourt  l'avait  rendue  comme  orpheline  de  père  par  l'interminable 
captivité  que  Jeanne  disait  avoir  pour  mission  de  faire  cesser.  Elle  portail 
le  même  nom  que  la  fille  de  Jacques  d'Arc,  n'avait  que  deux  ans  de  plus, 
devait  mourir  un  an  après  la  martyre  de  Rouen,  et,  nous  dit  de  Cagny, 
étoit  tant  humble  et  tant  doiilce  envers  toutes  gens  que  dame  pouvait  être, 
La  première  Chronique  de  Cagny  ne  renferme  rien  sur  la  Pucelle  qui 
ne  se  trouve  dans  la  seconde,  dont  Quicherat  parle  en  ces  termes. 


III 

«  Je  n'hésite  pas,  dit-il,  à  mettre  Perceval  de  Cagny  en  tôte  des 
chroniqueurs  qui  ont  parlé  de  la  Pucelle.  Cet  honneur  lui  revient  comme 
au  mieux  instruit,  au  plus  complet,  au  plus  sincère,  à  celui  qui  le  premier 
en  date  a  témoigné  pour  elle,  et  d'une  manière  digne  d'elle,  dans  un  écrit 
destiné  à  la  postérité.  » 

Ce  jugement  demande  des  explications.  On  peut  concéder  que  personne 
n'est  mieux  instruit  de  ce  qui  regarde  la  période  à  laquelle  de  Cagny  a 
pris  part,  à  côté  de  son  maître,  généralissime  de  l'armée  dans  la  cam- 
pagne de  la  Loire,  et  occupant  un  des  premiers  rangs  à  la  suite  du  roi, 
jusqu'au  retour  en  Berry.  De  Cagny  donne  mieux  que  tout  autre  la  suite  et 
la  date  des  événements  à  partir  du  mois  de  juin  jusqu'au  milieu  de  sep- 
tembre 1429.  Son  pinceau  a  de  la  vigueur;  on  peut  regretter  trop  de 
concision.  Il  n'est  pas  le  mieux  instruit  de  ce  qui  s'est  passé  depuis 
l'arrivée  de  Jeanne  à  Chinon  jusqu'après  la  délivrance  d'Orléans;  il  y 
a  de  notables  erreurs  dans  son  récit. 

Est-il  le  plus  complet?  Oui,  si  l'on  veut  dire  qu'il  présente  avec  plus 
de  suite  la  série  des  événements;  mais  il  ne  l'est  pas  si  on  entend  par  là 
l'écrivain  qui  nous  fait  mieux  saisir  la  véritable  physionomie  de  l'héroïne. 
11  est  sous  ce  rapport  inférieur  aux  deux  Cousinot,  et  peut-èlre  à  d'autres 
encore.  De  Cagny  admet  hautement  la  divinité  de  la  mission  de  la 
Pucelle,  il  laisse  de  côté  les  détails  qui  la  font  palper;  ce  qui  n'était  pour 
déplaire  à  Quicherat. 

La  sincérité  de  Perceval  de  Cagny  semble  incontestable.  Il  écrivait  pour 
transmettre  à  l'avenir  la  mémoire  des  gestes  de  la  famille  qu'il  servait, 
et  plus  particulièrement  de  son  jeune  maître,  Jean  II  d'Alençon.  L'occa- 
sion de  lui  rapporter  l'honneur  de  la  campagne  de  la  Loire  s'offrait  d'elle- 
même,  puisque  Jean  II  avait  le  titre  de  généralissime.  Perceval  n'en  a 
rien  fait.  Il  ne  se  lasse  pas  de  présenter  et  de  montrer  la  Pucelle  comme 
l'flme  de  tous  ces  heureux  événements.  Il  ne  veut  pour  le  duc  que  Thon- 


174  LA  VRAIE  JEAiNiNE   D*ARG  :   LA  LIBÉRATRICE. 

ncur  de  Tavoir  secondée,  ainsi  que  le  roi  lui  en  avait  donné  Tordre  ;  et 
en  cela  il  a  été  bien  inspiré. 

L'on  trouve  plusieurs  fois  des  blancs  dans  la  Chronique  quand  il  s'agit 
des  dates  ou  de  menus  détails;  Ton  peut  croire  que  le  chroniqueur 
voulait  prendre  des  renseignements  ultérieurs  avant  de  les  remplir,  et 
qu'il  en  a  été  empêché  par  la  mort.  Il  est  si  sincère  qu'il  met  son  maître 
au  nombre  des  princes  dont  il  blâme  l'inaction,  à  la  suite  des  trêves 

avec  le  duc  de  Bourgogne. 

Les  découvertes  faites  depuis  la  publication  du  Double  Procès  établissent 
que  Perceval  de  Cagny  n'est  pas  le  premier  en  date  à  avoir  déposé  en 
faveur  de  la  Pucelle.  La  Chronique  de  Morosini,  écrite  au  cours  des  événe- 
ments, la  Chronique  dite  des  Cordeliers,  peut-être  la  Chronique  des  Cou- 
sinot,  les  pages  du  Breviariwn  historiale^  sans  parler  du  Mémoire  de 
Gerson,  des  Lettres  et  du  Traité  de  Jacques  Gelu,  sont  autant  d'écrits  dont 
la  composition  a  précédé  la  composition  de  la  Chronique  du  maître  de 
rhôtel  du  duc  d'Alençon.  On  peut  dire  qu'écrivant  vingt  ans  avant  la 
réhabilitation,  Tinique  sentence  de  Rouen  n'a  en  rien  ébranlé  sa  foi  dans 
l'envoyée  du  Ciel. 


CHAPITRE   PREMIER 

DE  LA  VENUE   DE  LA  PUCELLE  A  LA   DÉLIVRAxNCE  D'ORLÉANS. 

Sommaire  :  i.  —  Arrivée  de  la  Pucelle  à  Chinon.  —  Étonnement  causé  par  son  mer- 
veilleux langage  sur  Dieu  et  sur  la  guerre.  —  Elle  est  examinée.  —  Équipée  militai- 
rement. —  Abattement  de  la  cour  avant  son  arrivée.  —  Impossibilité  de  ravitailler 
Orléans  réduit  à  la  famine.  —  Personne  n'ose  l'essayer .  —  La  Pucelle  s'offre.  — 
Son  étendard. 

il.  —  Convoi  formé  à  Blois.  —  Escorte.  —  Orléans  ravitaillé.  —  Second  convoi  par  la 
Beauce.  —  11  est  introduit  sans  obstacle. 

m.  —  Préparatifs  de  l'attaque  contre  Saint-Loup.  —  Les  capitaines  chargés  de  contenir 
les  Anglais.  —  La  bastille  enlevée  en  face  des  Anglais  impuissants.  —  Ils  n'osent 
plus  s'ordonner  en  bataille.  —  Attaque  des  Augustins.  —  Peu  de  gens  suivent  la 
Pucelle.  —  La  bastille  enlevée.  —  Les  vainqueui*s  passent  la  nuit  sur  le  champ  de 
bataille.  —  Combien  les  Tourelles  étaient  fortes.  —  Glacidas.  —  Attaque  et  défense 
acharnées.  —  Les  Tourelles  sont  enlevées.  —  Glacidas  noyé.  —  Pertes  des  vain- 
queurs. —  Le  pont  merveilleusement  restauré.  —  Les  Anglais  spectateurs  inactifs 
des  exploits  de  la  Pucelle.  —  Fuite  des  Anglais. 


I 

La  venue  de  la  Pucelle  devers  le  roy.  —  En  cette  année  MCCCCXXVIII 
(a,  st.),  le  (F/*)  jour  du  mois  de  mars,  une  pucelle  de  l'âge  de  xvm  ans 


LA  CHRONIQUE  DE  PERCEVAL  DE  CAGNY.  175 

OU  environ,  des  marches  de  Lorraine  et  de  Barrois,  vint  devers  le  roi  à 
Ghinon.  Elle  était  issue  de  gens  de  simple  état  et  do  labour;  elle  disait 
toujours  de  fort  merveilleuses  choses  en  parlant  de  Dieu  et  de  ses  saints  ; 
elle  disait  que  Dieu  l'avait  envoyée  à  Taide  du  gentil  roi  Charles  pour  le 
fait  de  sa  guerre.  De  quoi  le  roi  et  tous  ceux  de  sa  maison,  et  les 
autres,  de  quelque  état  qu'ils  fussent,  se  donnèrent  de  très  grandes 
merveilles  de  ce  qu'elle  parlait  et  devisait  des  ordonnances  et  du  fait  de 
la  guerre,  autant  et  en  aussi  bonne  manière  qu'eussent  pu  et  su  le  faire  les 
chevaliers  et  lesécuyers  étant  continuellement  occupés  du  fait  de  la  guerre. 

Elle  fut  très  grandement  examinée  par  des  clercs,  des  théologiens  et  par 
d*autres,  par  des  chevaliers  et  des  écuyers,  sur  ce  qu'elle  disait  de  Dieu  et 
du  fait  de  ladite  guerre  ;  et  toujours  elle  se  tint,  et  elle  fut  trouvée  en  un 
même  propos. 

Elle  prit  et  se  mit  en  habits  d'homme  ;  elle  demanda  au  roi  de  lai 
faire  faire  des  armures  pour  s'armer,  telles  qu'elle  les  deviserait  '^iWi- 
qf(eraii);  et  qu'il  lui  donnât  des  chevaux  pour  elle  et  pour  se«  gen<;  et  il 
fut  ainsi  fait. 

Le  roi  la  tint  devers  lui  jusqu'au  mois  de  mai,  sans  qu'elle  allât  null^ 
part ' . 

Avant  sa  venue,  ni  le  roi  ni  les  seigneurs  de  son  sang  ne  «avaient 
quel  conseil  prendre,  et  depuis,  par  son  aide  et  conseil,  les  affaires  vinrent 
toujours  de  bien  en  mieux. 

Comment  la  Plcelle  commença  a  faire  la  guerre  alx  Angloi*,  —  En 
Fan  MCCCCXXIX,  la  Pucelle  entreprit  de  vouloir  montrer  pourquoi  elle 
était  venue  devers  le  roi.  —  Après  la  journée  des  Harengs,  les  Anglais  des 
bastilles  d'Orléans  s'efforcèrent  d'empêcher  que  nuls  vi%Te«  passent  venir 
à  ceux  d'Orléans;  si  bien  que  ceux-ci  avaient  très  grand  défaut  de  pain. 
Pour  y  pourvoir,  ils  envoyèrent  plusieurs  fois  devers  le  roi  qui  assembh 
ses  capitaines  pour  aviser  par  quelle  manière,  on  pourrait  leur  mener  de* 
blés  et  d'autres  vivres.  Nul  de  ces  derniers  n'osa  entreprendre  pareille 
charge  par  crainte  des  Anglais,  qui  étaient  d'un  cAté  et  d'autre  de  la 
ville,  en  bien  grand  nombre  dans  leurs  bastilles  ;  et  avec  cela  tenaient  les 
villes  et  les  places  au-dessus  et  au-dessous  delà  rivière, 

La  Pucelle,  voyant  que  nul  n'entreprenait  de  donner  sec<iurs  k  e^fte 
noble  place  d'Orléans,  et  connaissant  la  très  grande  p^.rU^  et  dom nru^e 
que  ce  serait  pour  le  roi  et  son  royaume,  de  perdre  ladite  pla/;:^,  fef\mi  le 
roi  de  lui  donner  de  ses  gens  d'armes,  et  dit  :  ^  Par  rn/m  Martin.  —  K^^x\i 
son  serment,  — je  letir  ferai  mener  de%  titret  a.  Le  roi  le  loi  nneord^  \  4',*' 
dont  elle  fut  très  joyeuse. 

1.  Elle  fut  à  Poitiers  et  à  Tours. 


176  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

Elle  fit  un  étendard,  auquel  était  Timage  de  Notre-Dame,  et  elle  prit 
jour  pour  se  trouver  à  Blois,  et  dit  que  ceux  qui  devaient  être  en  sa 
compagnie  y  vinssent,  et  qu'à  ce  jour  les  blés  et  les  autres  vivres  fussent 
prêts  à  partir  en  charrettes,  chevaux,  et  autrement.  Elle  ne  demandait 
pas  grande  compagnie  de  gens,  et  elle  disait  :  «  Par  mon  Martin^  ils  seront 
bien  menés;  n'en  faites  doubte!  » 


II 

Des  VIVRES  menés  a  Orléans.  —  Le  maréchal  de  Rais,  LaHire,  Gaucourt, 
Poton  de  Xaintrailles  et  d'autres  capitaines  furent  à  Blois  au  jour  fixé 
pour  la  conduite  des  vivres,  et  les  firent  partir  en  grande  quantité.  La 
Pucelle  les  fit  passer  par  devant  les  places  de  Baugency,  de  Meung,  et 
autres  places  garnies  d'Anglais,  sans  avoir  aucun  empêchement  pour 
le  convoi;  et  quand  elle  vint  auprès  d'Orléans,  elle  fit  descendre  {avaler)^ 
des  bateaux  de  ladite  ville,  elle  y  fit  charger  les  vivres,  y  monta  elle  et 
ses  gens,  et  ils  entrèrent  à  Orléans,  sans  obstacle,  soit  des  bastilles  da 
pont,  soit  de  celles  qui  étaient  de  l'autre  côté  de  la  rivière.  Les  habitants 
en  furent  très  grandement  réjouis,  et  à  cause  du  grand  besoin  de  vivres 
qu'ils  ressentaient,  et  à  cause  de  la  venue  de  la  Pucelle,  et  des  gens  de 
sa  compagnie.  Le  sire  de  Gaucourt  et  quelques  autres  des  capitaines 
demeurèrent  avec  elle. 

Le  bâtard  d'Orléans  et  les  autres  capitaines  dessus  nommés  retour- 
nèrent îi  Blois,  ramenant  ceux  qui  avaient  porté  les  vivres.  Elle  les  avait 
assurés  qu'ils  ne  seraient  nullement  inquiétés  à  leur  retour,  et  ainsi  en 
fut-il.  En  même  temps,  elle  leur  avait  ordonné  de  prendre  le  reste  des 
vivres  îi  Blois,  et  de  revenir  à  Orléans  par  l'autre  côté  de  la  rivière,  devers 
Paris,  et  de  n'avoir  aucune  crainte  des  Anglais.  Ils  l'exécutèrent,  comme 
elle  le  leur  avait  ordonné,  et  ils  passèrent  près  des  forteresses  desdits 
Anglais,  près  do  la  ville,  par  entre  les  bastilles,  sous  leur  vue,  sans  que 
nul  no  bougeât  do  son  logis,  comme  gens  qui  n'auraient  su  ni  pu 
s'uidor  ■. 

III 

t^^MMKNT    LA   Pl'CELLE  PRIT    ET   LEVA    LES    BASTILLES    d'OrLÉANS.     En   CCt 

au  Ml'CtiOXXlX,  le  iv"  jour  de  mai,  après  diner,  la  Pucelle  appela  les 
capitaines,  et  leur  ordonna  d'être  prêts,  eux  et  leurs  gens,  à  Theure  qu'elle 

1.  (Vest  lo  ooutraiinî.  Les  bateaux  devaient  monter  d^abord,  descendre  ensuite. 

2.  Comme  yens  qui  ne  sceussent  oupeussent  aider. 


LA  CHRONIQUE  DE  PERCEVAL  DE  CAGNY.  177 

fixa.  Elle  fut  prùte  elle-môme  et  à  cheval  plus  tôt  que  nul  des  autres 
capitaines  ;  et  elle  fit  sonner  sa  trompille  ;  son  étendard  après  elle,  elle 
alla  par  la  ville  dire  que  chacun  montât  *  ;  et  elle  vint  faire  ouvrir  la  porte 
de  Bourgogne  et  se  mit  aux  champs.  Les  gens  delà  ville,  qui  étaient  bien 
équipés  en  guerre,  avaient  ferme  espérance  qu'en  sa  compagnie  les 
Anglais  ne  pourraient  leur  faire  de  mal.  Ils  saillirent  dehors  en  très  grand 
nombre  ;  et  après  eux  se  mirent  aux  champs  les  maréchaux  de  Rais  et  de 
Boussac,  le  bâtard  d'Orléans,  le  sire  de  Graville  et  les  autres  capitaines. 
La  Pucelle  leur  ordonna  de  garder  que  les  Anglais,  qui  étaient  dans  leurs 
bastilles  en  très  grand  nombre,  ne  pussent  venir  après  elle  et  après  ses 
gens,  qui  sortaient  à  pied  de  la  ville. 

Elle  prit  peu  de  gens  d'armes  avec  elle,  et  elle  s'en  alla  devant  la  bastille 

de  l'abbaye  des  Dames,  nommée  Saint-Loup,  où  se  trouvaient  environ 

trois  cents  Anglais.  Sitôt  que  les  gens  d'Orléans  y  furent  arrivés,  ils 

allèrent  incontinent  à  Tassant^.  La  Pucelle  prit  son  étendard  et  vint  se 

mgttre  sur  le  bord  des  fossés.  Bientôt  après  ceux  de  la  place  voulurent 

se  rendre  à  elle  ;  elle  ne  voulut  pas  les  recevoir  à  rançon  et  elle  dit  qu'elle 

les  prendrait  malgré  eux,  et  elle  fit  pousser  de  plus  fort  son  assaut.  Incon- 

tineut  la  place  fut  prise,  et  presque  tous  ses  défenseurs  furent  mis  à 

mort.  Gela  fait,  elle  retourna  en  la  ville  d'Orléans,  et  avec  elle  les  sei- 

gnears  qui  l'avaient  attendue,  qui  tous  se  donnèrent  merveille  de  ses 

faits  et  de  ses  paroles.   Jamais  les  autres  Anglais  ne  se  mirent  {dans  la 

suite]  en  nulle  ordonnance,  ni  ne  firent  semblant  de  saillir  hors  de  leurs 

places,  pas  plus  que  s'ils  n'eussent  vu  ou  entendu  chose  qui  dût  leur 

déplaire. 

Tout  le  jour  du  lendemain  qui  fut  jeudi  [tAscemion)^  ni  la  Pucelle  ni 
wcun  des  capitaines  ne  bougèrent  de  la  ville. 

U  vendredi,  à  l'heure  des  vôpres,  elle  dit  que  chacun  fût  prêt  et  armé, 

®t  elle  passa  la  rivière  en  bateau  du  côté  de  la  Sologne.  Tous   ne  la 

sciviREXT  PAS,  AINSI  qo'elle  s'y  ATTENDAIT.  Aussitôt  qu'elle  fut  descendue  à 

terre,  et  une  poignée  de  gens  avec  elle,  elle  alla,  son  étendard  en  main, 

se  mettre  devant  la  bastille  des  Augustins,  et  fit  incontinent  sonner  trom- 

pîUes  pour  Tassant,  et  après,  il  ne  se  passa  guère  de  temps  que  la  place 

ne  fût  prise  '. 

Cela  fait,  ceux  de  sa  compagnie  pensaient  qu'elle  allait  retourner  coucher 

1. 11  a  été  déjà  dît  que  Saint-Loup  était  sur  une  hauteur. 

2.  Les  choses,  d'après  le  récit  du  maître  d'hôtel,  du  page,  de  Thôtesse  de  la  Pucelle, 
et  d  autres  encore,  se  passèrent  tout  autrement  que  le  raconte  de  Gagny.  Tout  ce 
commencement  est  fort  défectueux. 

3.  Le  récit  de  la  prise  des  Augustins  ne  vaut  pas  plus  que  celui  de  la  prise  de 
Saint-Loup;  les  choses  furent  loin  de  se  passer  aussi  simplement  que  le  dit  Perceval 
de  Cagny. 

in.  12 


LA  CHRONIQUE  DE  PERCEVAL  DE  CAGNY.  17^ 

Ls  DÉPARTEMENT  (départ)  DES  Englois  de  devant  Orléens.  —  Le  dimanche 
huitième  jour  de  mai,  les  seigneurs  de  Fastolf,  de  Willoughby,  de  Scales, 
et  autres  capitaines  étant  en  bien  grand  nombre  dans  plusieurs  autres 
bastilles  du  côté  de  devers  la  France^,  qui  avaient  vu  de  loin  l'assaut  que  la 
Pucelle  avait  donné  le  mercredi  à  la  bastille  Saint-Loup,  comment  elle 
l'avait  prise  d'assaut,  et  comment  ceux  qui  la  défendaient  avaient  été  mis 
à  mort  ;  et  qui,  de  leur  place,  avaient  encore  vu  les  assauts  donnés  par 
elle,  le  samedi,  aux  tours  et  à  la  bastille  du  pont  et  la  place  enlevée  par 
assaut,  ce  même  dimanche  au  matin,  ces  capitaines  mirent  le  feu  à  leurs 
logis,  et  s'en  allèrent,  la  plupart  d'entre  eux  tout  à  pied,  dans  les  villes 
et  places  de  Meung  et  de  Baugency-sur-Loire.  Ce  fut  ainsi  que  la  aoble 
cité  d'Orléans  fut  secourue  et  mise  en  liberté  par  la  Pucelle,  envoyée  de 
Dieu  à  l'aide  du  roi  de  France.  Et  huit  ou  dix  jours  après  ces  heureux 
événements,  elle  revint  vers  le  roi  à  Chinon  ^. 


CHAPITRE    II 

CAMPAGNE    DE    LA    LOIRE. 

SovsuiRE  :  1.  —  Jeanne  a  pour  mission  de  délivrer  le  duc  d'Orléans,  dût-elle  passer  en 
Angleterre.  —  Raisons  de  ses  préférences  pour  le  gendre  du  captif,  le  duc  d'Alençon. 
—  Séjour  de  trois  ou  quatre  jours  dans  sa  famille.  —  La  Pucelle  veut  conduire  le 
roi  à  Reims,  malgré  l'opposition  de  la  cour.  —  Ses  promesses.  —  Elle  propose  au 
duc  d*Alençon  de  prendre  Jargeau.  —  Les  seigneurs  convoqués  près  de  Homorantin. 

U.  —  Siège  de  Jargeau  (11  juin).  —  Assaillants  et  défenseurs.  —  Imprudence  des 
milices  communales.  —  Sommation  à  la  place.  —  Disposition  de  l'artillerie.  — 
L^'étendard  de  la  Pucelle.  —  Assaut  durant  quatre  heures.  —  La  place  emportée.  — 
Les  perles  des  deux  côtés.  —  Retour  à  Orléans.  —  Admiration  des  capitaines  pour 
Jeanne. 

m.  —  Départ  pour  Baugency.  —  Composition  de  l'armée.  —  Couchée  à  Meung.  — 
Attaque  de  Baugency  le  16  à  midi.  Arrivée  du  Connétable.  —  Il  est  tenu  en 
disgrâce  par  le  tout-puissant  La  Trémoille.  —  Baugency  capitule  par  crainte  de  la 
Rucelle. 

IV.  —  Nouvelles  de  rapproche  de  Talbot.  —  Les  Anglais  de  Meung  grossissent  son 
armée.  —  Sa  retraite  sur  Janville.  —  La  Pucelle  à  sa  poursuite,  —  Victoire  de 
Patay.  —  Morts  et  prisonniers.  —  Le  dimanche  matin  19  passé  à  Patay.  —  Tristesse 
de  Richemont.  —  Retour  à  Orléans.  —  Actions  de  grâces.  —  La  Pucelle  proclamée 
l'instrument  de  Dieu. 

1.  Remarquer  Tacception  du  mot  France, 

2.  Encore  une  erreur.  Le  roi  vint  à  Tours. 


180  LA  VRAIE  JEANNE  D  ARC  :   U  LIRÉRATRIGE. 


I 

Au  mois  de  mars  précédent,  après  son  arrivée  à  Chinon,  la  Pucelle, 
entre  les  autres  affaires  qu'elle  disait  avoir  de  par  Jésus,  affirmait  que  le 
bon  duc  d'Orléans  était  de  sa  charge,  et  que  dans  le  cas  où  il  ne  reviendrait 
pas  par  deçà,  elle  aurait  beaucoup  de  peine  pour  aller  le  quérir  en 
Angleterre.  Elle  avait  une  très  grande  joie  de  s'employer  au  recouvrement 
de  ses  places.  A  cause  de  l'amitié  et  du  bon  vouloir  qu'elle  avait  pour  le 
duc  d'Orléans,  et  aussi  parce  que  c'était  une  partie  de  sa  mission,  elle  se 
tint  très  près  du  duc  d'Alençon  qui  avait  épousé  sa  fille.  Après  son 
arrivée,  elle  ne  fut  pas  longtemps  à  Chinon  sans  aller  voir  la  duchesse 
d'Alençon,  en  l'abbaye  de  Saint-Florent,  près  de  Saumur,  où  elle  résidait. 
Dieu  sait  le  joyeux  accueil  que  lui  firent  la  mère  du  duc,  le  duc  et  sa 
femme,  ladite  fille  du  duc  d'Orléans,  durant  les  trois  ou  quatre  jours 
qu'elle  passa  audit  lieu.  Et  après  cela,  et  toujours  depuis,  ellese  tint  plus 
près  et  plus  familière  du  duc  d'Alençon  que  d'aucun  autre  ;  et  tou- 
jours, en  parlant  de  lui,  elle  l'appelait  J/on  beau  duc^  et  pas  autrement. 

L'entreprise  du  couronnement  du  roy. — Après  la  prise  des  bastilles  devant 
Orléans,  la  Pucelle  dit  au  roi,  aux  seigneurs,  et  à  tout  son  conseil,  qu'il 
était  temps  de  se  préparer  à  se  mettre  en  chemin  pour  son  couronnement 
à  Reims.  Pareil  dessein  sembla  très  difficile  à  exécutera  tous  ceux  qui  en 
ouïrent  parler.  Ils  disaient  que,  vu  la  puissance  des  Anglais  et  des 
Bourguignons  ennemis  du  roi,  considéré  que  le  roi  n'avait  pas  grandes 
finances  pour  soudoyer  son  armée,  il  lui  était  impossible  de  parfaire 
pareil  chemin.  La  Pucelle  dit  :  «  Par  mon  Martiriy  je  conduirai  le  gentil 
roi  Charles  et  sa  compagnie  jiisques  audit  lieu  de  Reins^  siirement  et  sans 
empêchement^  et  là  vous  le  verrez  couronner^  ».  Ces  paroles  venant  après 
qu'elle  avait  ravitaillé  Orléans  et  fait  lever  les  bastilles  de  devant  cette 
ville,  nul  n'osa  contredire  *.  Le  roi  fixa  un  jour  auquel  il  serait  à  Gien- 
sur-Loire,  et  il  tint  parole. 

La  Pucelle,  qui  avait  toujours  l'œil  et  la  pensée  aux  affaires  du  duc 
d'Orléans,  parla  à  son  beau  duc  d'Alençon,  et  lui  dit  que,  tandis  que  le 
roi  ferait  ses  apprêts,  et  pendant  le  temps  qu'il  mettrait  à  faire  son 
chemin  pour  aller  à  Gien,  elle  voulait  aller  délivrer  la  place  de  Jargeau 
qui  faisait  et  donnait  de  grandes  charges  à  la  ville  d'Orléans.  Incontinent, 

i ,  Sans  desiourbierj  et  là  le  verre  couronner.  —  Destourbierj  mot  fréquent  dans  cette 
Chronique,  trouble^  diversioUf  empêchement^  obstacle,  —  Voir  Lacurne,  et  Ducange  au 
mot  Desturbium,  et  là  le  verre  couronner  pourrait  signifier  aussi  :  «  là  je  le  verrai 
couronner  ». 

2.  C'est  encore  inexact;  Ton  ne  cessa  de  contredire. 


LA  CHRONIQUE  DE  PERCEVAL  DE  CAGNY.  J81 

le  duc  d'Alençon  fit  savoir  aux  maréchaux  de  Boussac  et  de  Rais,  au 
bâtard  d'Orléans,  à  La  Hire  et  à  d'autres  capitaines,  de  se  trouver  avec 
leurs  gens  à  certain  jour  à  un  village  près  de  Romorantin-en-SoIogne  ;  et 
ainsi  ils  le  firent. 

II 

L'assaut  de  Jargeau.  —  En  cet  an  MCCCCXXIX,  le  samedi  xi*' jour  du 
mois  de  juin,  environ  deux  heures  après  dîner,  le  duc  d'Alençon,  la 
Pucelle,  le  comte  de  Vendôme  et  les  autres  capitaines,  ayant  en  leur 
compagnie  de  deux  à  trois  mille  combattants,  et  autant  de  gens  des  milices 
coaiMDNALEs  *  OU  PLUS,  viureut  assiéger  la  ville  de  Jargeau,  que  gardaient 
le  comte  de  Suffolk,  deux  de  ses  frères,  et  de  sept  à  huit  cents  Anglais. 
A  l'arrivée,  les  gens  des  milices  communales,  à  qui  il  était  avis  que  rien  ne 
pouvait  tenir  contre  les  entreprises  de  la  Pucelle,  se  précipitèrent  dans 
les  fossés  sans  qu'elle  y  fût  présente,  et  sans  les  gens  d'armes  occupés  à 
se  loger  :  il  y  en  eut  de  bien  battus  ;  ils  se  retirèrent.  La  chose  demeura 
en  cet  état  pour  ce  jour. 

La  nuit,  la  Pucelle  parla  à  ceux  de  dedans  la  ville,  et  leur  dit  : 
«  Rendez  la  place  au  Roi  du  Ciel  et  au  gentil  roi  Charles,  et  vous  eyi  allez, 
ou  autrement  il  vous  mécherra  (vous  arrivera  mal)  ».  Ils  ne  tinrent  pas 
compte  des  choses  qu'elle  leur  dit.  La  nuit,  les  canons  et  les  bombardes 
furent  assis,  et  le  dimanche  venu,  environ  sur  les  neuf  heures  du  matin, 
la  Pucelle  et  le  duc  d'Alençon  firent  sonner  les  trompilles  pour  venir  à 
l'assaut. 

La  Pucelle  prit  son  étendard,  auquel  était  peint  Dieu  en  sa  majesté,  et 
de  l'autre  côté...  et  un  écu  de  France  tenu  par  deux  anges.  Elle  vint 
sur  les  fossés,  et  incontinent  un  bien  grand  nombre  de  gens  d'armes  et 
d hommes  des  communes  s'y  précipitèrent,  et  l'assaut  commença  très  dur  ; 
il  dura  de  trois  à  quatre  heures.  En  la  parfin,  la  place  fut  prise,  quoi- 
qu'il semblât  impossible  de  la  prendre  d'assaut,  vu  les  défenseurs  qu'elle 
renfermait.  De  notre  côté  nous  n'eûmes  que  seize  ou  vingt  morts.  Du  côté 
de  l'ennemi,  le  comte  de  Sufi'olk,  son  frère,  et  quarante  ou  cinquante 
autres  furent  faits  prisonniers  ;  son  autre  frère  et  le  reste  des  Anglais 
furent  mis  à  mort. 

Le  lundi  qui  suivit,  la  Pucelle,  le  duc  d'Alençon,  après  avoir  ordonné 
pour  la  garde  de  Jargeau  le  nombre  de  gens  qu'il  leur  sembla  bon,  s'en 
vinrent  dîner,    eux  et  ce  qui   restait  de  leur  compagnie,   en  la  ville 

i.  Nous  traduisons  ainsi,  ici  et  ailleurs,  les  mots  ^ensde  commun^  quand  il  s'agit 
d'expéditions  militaires.  Ce  sont  les  milices  urbaines  opposées  aux  gens  de  guerre  de 
profession,  soudoyés  par  le  roi,  par  les  seigneurs,  ou  par  de  simples  chefs  de  bande. 


iS'2  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

(l'Orléans  et  aux  viHages  situés  sur  Tua  et  Tautre  côté  de  la  rivière. 
Ils  séjournèrent  ce  jour  et  le  lendemain  qui  fut  mardi.  Ce  jour,  la 
Pocelle  fut  très  grandement  festoyée  par  ceux  de  la  ville.  Le  duc 
d'Alençon,  tous  les  autres  capitaines,  chevaliers,  écuyers,  gens  de  guerre, 
bourgeois,  tout  les  gens  du  commun  qui  l'avaient  vue,  en  étaient  si  con- 
tents que  plus  ils  ne  pouvaient  Têtre,  disant  que  Dieu  l'avait  envoyée  pour 
remettre  le  roi  en  sa  seigneurie. 


III 

Dans  la  soirée  elle  appela  son  beau  duc  d'Âlençon  et  lui  dit  :  «  Je  veux 
demain  après  dîner  aller  voir  ceux  de  Meung.  Faites  que  la  compagnie 
soit  prête  A  partir  à  cette  heiirC'Ci,i>  Le  lendemain,  mercredi,  la  Pucelle,  le 
duc  d'Alençon,  leur  compagnie,  et  vn  bien  grand  nombre  de  gens  du 
peuple^  qui  se  mirent  en  la  compagnie  de  la  Pucelle,  partirent  après 
diner  et  allèrent  coucher  auprès  de  Meung.  A  l'arrivée  une  escar- 
mouche fut  donnée  à  ceux  de  la  place,  et  il  n'en  fut  pas  fait  davantage. 

Du  siÈcE  DE  Baugkncy.  —  Lc  lendemain  jeudi,  xvi«  jour  de  juin,  la 
Pucelle,  le  duc  d'Alençon  et  toute  l'armée,  vinrent  sur  l'heure  de  midi 
mettre  le  siège  devant  la  place  de  Baugency,  et  s'établirent  dans  la  ville 
et  aux  environs.  Tout  le  reste  du  jour  il  y  eut  des  escarmouches  devant 
la  place.  La  nuit,  on  assit  les  canons  et  les  bombardes.  Messire 
Richard  Guetlin  et  Mathago  avaient  la  garde  de  la  place  avec  quatre  cents 
Anglais  sous  leurs  ordres. 

Le  vendredi,  le  comte  de  Richement,  connétable  de  France,  vint  à 
l'armée,  sur  l'avis  que  lui  avait  fait  arriver  le  duc  d'Alençon  dès 
qu'il  alla  devant  Jargeau.  Le  roi  cependant  ne  voulait  pas  qu'il  se 
mêlât  de  sa  guerre,  et  cela  à  la  sollicitation  du  sire  de  La  Trémoille  qui 
tenait  Richemont  pour  son  ennemi  ;  et  le  sire  de  La  Trémoille  avait  toute 
la  voix  du  gouvernement  du  roi.  Le  Connétable  amenant  avec  lui  cinq  ou 
six  cents  combattants,  tout  ce  jour  de  vendredi  se  passa  à  faire  des 
décharges  de  canons  et  de  bombardes  contre  ceux  de  la  place,  qui,  eux 
aussi,  répondaient  à  ceux  du  dehors  ;  on  escarmoucha,  et  chacun  fît  le 
mieux  qu'il  pouvait. 

Ceux  de  la  place  avaient  bien  connaissance  des  exploits  qu'avait 
accomplis  la  Pucelle  en  ravitaillant  la  ville  d'Orléans,  en  prenant  les 
bastilles  ;  ce  qui  fut  une  grande  merveille  ;  et  en  forçant  Jargeau.  Ils 
voyaient  que  rien  ne  pouvait  résister  contre  la  Pucelle,  qu'elle  mettait 
toute  l'ordonnance  dans  l'armée  et  la  conduisait  comme  elle  voulait,  ainsi 
que  devraient  et  pourraient  le  faire  le  Connétable  et  les  maréchaux.  Us 


LA  CHRONIQUE  DE  PERGBVAL  DE  GAGNY.  183 

se  rendirent  à  la  Pucelle  et  au  duc  d'Alençon,  sauf  leurs  corps,  leurs 
chevaux  et  leurs  harnais. 

La  nuit  du  vendredi  au  samedi,  des  nouvelles  vinrent  à  la  Pucelle  et 
au  duc  d'Alençon  que  les  seigneurs  de  Talbot  et  Fastolf  étaient  arrivés 
avec  grand  renfort  d'Anglais  à  Yenville-enBeauce,  et  qu'ils  s'avançaient 
pour  les  combattre. 

IV 

La  bataille  de  Patay.  —  Le  samedi  xvui*  jour  de  juin  MCCCCXXIX, 
la  Pucelle  et  le  duc  d'Alençon  mettaient  hors  de  la  place  de  Baugency 
les  Anglais  qui  s'étaient  rendus,  lorsque  leur  arrivèrent  les  nouvelles  que, 
durant  la  nuit  qui  venait  de  s'écouler,  Talbot  et  Fastolf  étaient  venus  à 
Meung  quérir  le  sire  de  Scales  et  ceux  de  la  garnison  de  la  ville,  qu'ils 
avaient  abandonné  la  place  et  s'en  allaient  tous  ensemble  à  Yenville. 
Environ  sur  les  huit  heures  du  matin,  la  Pucelle,  le  duc  d'Alençon  et 
toute  leur  armée  s'étaient  mis  en  campagne,  pensant  avoir  la  bataille 
avec  les  Anglais.  Quand  ils  surent  qu'ils  s'en  allaient,  ils  ordonnèrent 
l'avant-garde  et  l'armée,  et  ainsi  rangés  en  bon  ordre,  ils  marchèrent 
après  les  Anglais,  et  les  rejoignirent  près  du  village  de  Patay,  à  peu  près  à 
cinq  lieues  de  Baugency.  Quand  les  Anglais  s'aperçurent  de  la  compagnie 
qui  les  suivait,  ils  s'installèrent  dans  un  champ,  et  presque  tous  à  pied 
se  rangèrent  en  ordre  de  combat  \  L'avant-garde  de  nos  gens  fondit  sur 
eux,  et  incontinent  le  gros  de  l'armée  se  joignit  à  elle  ;  sans  guère  de 
résistance  les  Anglais  tournèrent  à  la  déroute  et  à  la  fuite.  De  deux  à 
trois  mille  furent  tués  :  Furent  faits  prisonniers  les  sires  de  Talbot,  de 

Scales,  le  fils  du  comte  de et  de  quatre  à  cinq  cents  autres  ennemis.  La 

Pucelle,  le  duc  d'Alençon,  le  connétable  de  France,  et  toute  la  compagnie 
couchèrent  au  village  de  Patay  et  aux  environs.  Le  dimanche  xix*  jour 
de  juin,  la  Pucelle,  le  duc  d'Alençon  et  toute  la  compagnie,  dînèrent 
audit  lieu  de  Patay. 

Le  duc  d'Alençon  n'osa  pas  conduire  le  Connétable  vers  le  roi  à  cause 
de  la  disgrâce  dans  laquelle  il  se  trouvait,  ainsi  qu'il  a  été  dit.  Le  comte 
de  Bichemont  retourna  en  son  château  de  Parthenay,  content  et  joyeux 
de  la  victoire  que  Dieu  avait  donnée  au  roi,  et  très  marri  de  ce  que  le  roi 
ne  voulait  pas  agréer  son  service. 

La  Pucelle,  le  duc  d'Alençon  et  toute  la  compagnie  allèrent  coucher  à 
Orléans  et  autour  de  la  ville  ;  ils  y  furent  reçus  très  grandement.  Ils 
allèrent  par  les  églises  remercier  Dieu,  la  Vierge  Marie  et  tous  les  benoîts 

I.  Us  n'en  eurent  pas  le  temps. 


184  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC;:  LA  LIBÉRATRICE. 

saints  du  Paradis,  de  la  grâce  et  de  rbonneur  que  Dieu  avait  faits  au  roi  et 
à  eux  tous,  publiant  que  c'était  par  le  moyen  de  la  Pucelle,  et  que  sans 
elle  jamais  si  grandes  merveilles  n'auraient  pu  être  accomplies.  La 
Pucelle,  le  duc  d'Alencon,  et  toute  la  compagnie  furent  audit  lieu  et  aux 
pays  des  environs,  depuis  le  dimanchcjusqu'au  vendredi  suivant,  xxm' jour 
du  même  mois. 


iCHAPITRE  III 

LA    CAMPAGNE    DU    SACRE. 

Sommaire  :  J.  —  Arrivée  à  Gien  le  24  juin.  —  Grande  fête  à  la  Pucelle.  —  Enthou- 
siasme universel  causé  par  les  merveilles  inouïes  qu'elle  a  accomplies.  —  Son 
chagrin  des  tergiversations  du  roi  qu'on  détourne  du  voyage  de  Reims.  —  Elle 
prend  les  devants,  entraînant  le  gros  de  l'armée  à  sa  suite. 

II.  —  Le  roi  se  détermine  à  la  suivre,  le  29  juin.  —  Soumission  des  forteresses  des 
deux  côtés  de  la  route.  —  Arrivée  à  Troyes  le  8  juillet.  —  Reddition.  —  Séjour 
jusqu'au  12.  —  La  manière  dont  la  Pucelle  somme  les  villes  et  en  obtient  la  sou- 
mission. —  Arrivée  à  Chalons  le  14,  départ  le  15. 

III.  —  Entrée  triomphante  à  Reims.  —  Préparatifs  du  sacre.  —  Le  sacre  le  17  juillet. 
—  Les  fonctions  du  duc  d'Alcnron.  —  Séjour  à  Reims  jusqu'au  21  juillet  ;  à  Sainl- 
Marcoul  le  21. 


I 

^  Le  commencement  du  sacre  du  hoy.  —  Ce  vendredi  bien  matin,  la  Pucelle 
dit  au  duc  d*Alen(;on  :  «  Faites  sonner  les  trompilles  et  montez  à  cheval.  Il 
est  temps  daller  vers  le  geiitil  roi  Charles  pour  le  mettre  au  chemin  de 
S071  sacre  à  Reims,  »  Ainsi  il  fui  fait.  Tous  montèrent  à  cheval  et  ceux  de 
la  ville  et  ceux  des  champs.  Ce  môme  jour,  ils  prirent  gîte  auprès  du  roi 
en  la  ville  de  Gien-sur-Loire.  Le  roi  fit  grande  fête  et  montra  grande 
joie  de  la  venue  de  la  Pucelle,  du  duc  d^Alcnçon  et  de  leur  compagnie. 
Ce  jour,  il  y  eut  de  longs  et  joyeux  entretiens  entre  tous  les  seigneurs, 
les  chevaliers,  les  écuyers,  les  gens  de  guerre,  et  les  gens  de  tout  état, 
quels  qu'ils  fussent.  Tous  tenaient  à  très  grande  merveille  les  grands  faits 
de  guerre  advenus  le  samedi  précédent,  par  Tentreprise  de  la  Pucelle,  à 
eux  et  à  toute  sa  compagnie.  Je  crois  bien  que  jamais  homme  vivant  ne 
vit  la  pareille,  telle  que  de  mettre  en  un  jour  en  Tobéissance  du  roi  trois 
notables  places,  à  savoir  la  ville  et  le  château  de  Meung-sur-Loire,  la 
ville  et  le  château  de  Baugency,  la  ville  et  le  château  d*Yenville-en- 
Beauce,  et  de  gagner  une  journée  telle  que  celle  d'auprès  de  Patay; 
sur  les  Anglais  qui  étaient  au  nombre  de...  mille,  et  nos  gens  environ... 


LA  CHBONIQUE  DE  PERCEVAL  DE  CAGX\.  1S5 

Le  roi  fut  audit  lieu  de  Gien  jusques  au  mercredi  29  juin.  La 
Pucelle  fut  très  marrie  du  long  séjour  qu*il  y  fit,  par  la  persuasion  de 
quelques  gens  de  sa  maison  qui  le  déconseillaient  d'entreprendre  le  che- 
min  de  Reims,  disant  qu*entre  Gien  et  Reims  il  y  avait  plusieurs  cités, 
villes  fermées,  châteaux  et  places  bien  garnis  d'Anglais  et  de  Bourgui- 
gnons. La  Pucelle  disait  qu'elle  le  savait  bien,  et  que  de  tout  cela  elle  ne 
faisait  nul  compte. 

Par  dépit  elle  partit  et  alla  camper  aux  champs,  deux  jours  avant  le 
départ  du  roi.  Quoique  le  roi  manquât  d'argent  pour  solder  son  armée, 
tous,  chevaliers,  écuyers,  gens  de  guerre  et  gens  du  peuple,  se  montraient 
prêts  à  aller  servir  le  roi  pour  ce  voyage  en  la  compagnie  de  la  Pucelle. 
disant  qu'ils  iraient  partout  où  elle  voudrait  aller.  E3Ie  disait  :  «  Par 
mon  Martin^  je  mènerai  le  roi  Charles  el  sa  compagnie  sûrement,  et  il 
sera  couronné  audit  lieu  de  Reims  ». 


II 

Le  29  juin,  après  plusieurs  conseils,  le  roi  partit  et  prit  son  chemin 
pour  aller  droit  à  la  cité  de  Troyes-en-Champagne.  Sur  son  chemin,  toutes 
les  forteresses,  à  droite  et  à  gauche  de  sa  voie,  se  mirent  en  obéissance.  Il 
arriva  devant  le  dit  lieu  de  Troyes  après  dîner,  le  vendredi,  mu*  jour  de 
juillet.  Les  hommes  de  la  garnison  et  les  bourgeois  de  la  ^ille  lui  furent 
désobéissants.  Ce  jour-là  et  le  lendemain  il  y  eut  de  grandes  escar- 
mouches, et  le  dimanche,  x*  jour,  ils  se  mirent  en  l'obéissance  du  roi. 
Après  diner,  il  fut  très  honorablement  reçu  en  cette  ville,  où  il  séjourna 
jusqu'au  mardi  suivant. 

Partout  où  la  Pucelle  venait,  elle  disait  à  ceux  qui  tenaient  les  places  : 
«  Rendez-vous  au  Roi  du  Ciel  et  au  gentil  roi  Charles  ^k  Elle  était  toujours 
la  première  pour  venir  parler  aux  barrières. 

Le  mardi,  le  roi  partit  de  Troyes,  et  le  jeudi  qui  suivit,  il  fut  très  hono- 
rablement reçu  en  la  cité  de  Châlons.  Le  long  du  chemin,  toutes  les 
forteresses  du  pays  se  mirent  en  son  obéissance,  parce  que  la  Pucellr? 
envoyait  quelques-uns  de  ceux  qui  étaient  sous  son  étendard  dire  par 
chacune  d'elle  à  ceux  qui  les  occupaient  :  «  Rendez-vous  au  Roi  du  Ciel  et 
au  gentil  roi  Charles  »  ;  et  ceux-ci,  ayant  connaissance  des  grandes  mer- 
veilles advenues  et  accomplies  à  la  présence  de  la  Pucelle,  se  mettai*;rit 
franchement  en  Tobéissance  du  roi,  quelques-uns  du  moins.  Quant 
à  ceux  qui  refusaient,  elle  y  allait  en  personne,  et  tous  lui  obéis- 
saient. 

En  allant  son  chemin,  elle  se  tenait  quelquefois  dans  le  gros  de  Tarmée 


186  LA  VRAIE  JEAxNNE  D'ARC:   LA  LIBÉRATRICE. 

avec  le  roi,  d'autres  fois  à  i*avant-garde,  et  d'autres  fois  à  l'arrière-garde, 
ainsi  qu'elle  le  voyait  convenable  à  son  dessein. 
Le  vendredi  le  roi  partit  dudit  lieu  de  Châlons. 


III 

Le  jour  que  le  roi  arriva  a  Reims  et  fut  sacré.  —  En  Tan  MCCCCXXIX, 
de  samedi,  xvi*  jour  de  juillet,  après  dîner,  le  roi  amva  en  la  ville  de 
Reims.  Furent  à  sa  rencontre  l'Archevêque  et  tous  les  collèges  de  la  ville, 
les  bourgeois  et  d'autres  en  bien  grand  nombre,  tous  faisant  éclater  grande 
joie  en  criant  Nouel  pour  sa  venue.  Le  jour  et  toute  la  nuit  suivante  Jes 
officiers  du  roi  et  ceux  de  son  conseil  firent  de  très  grandes  diligences, 
chacun  en  ce  que  demandait  son  office,  pour  le  fait  et  l'état  du  sacre  et 
du  couronnement  du  roi,  qui  eut  lieu  le  lendemain. 

Le  dimanche,  xvii*  jour  dudit  mois,  le  roi  fut  sacré  et  couronné  à 
Reims  par  Regnault  de  Chartres,  archevêque  du  lieu,  accompagné  de 
plusieurs  évêques,  abbés  et  autres  gens  d'Église,  comme  au  cas  il  apparte- 
nait. Ce  jour,  le  duc  d'Alençonfit  chevalier  le  roi,  et  le  servit  comme  pair 
de  France  au  lieu  du  duc  de  Bourgogne,  alors  ennemi  du  roi  et  allié  avec 
les  Anglais.  Ce  jour,  les  comtes  de  Clermont,  de  Vendôme,  et  de  Laval, 
qui  ce  jour  même  fut  fait  comte,  servirent  le  roi,  au  lieu  des  autres  pairs 
de  France  qui  n'y  étaient  pas.  Le  roi  demeura  à  Reims  jusqu'au  jeudi 
suivant,  et  ce  jour-là  il  alla  dîner,  souper  et  coucher  en  l'abbaye  de  Saint- 
Marcoul,  où  lui  furent  apportées  les  clefs  de  la  cité  de  Laon. 


CHAPITRE  IV 

LA   CAMPAGNE   APRÈS   LE   SACRE. 


;SoMMAiKE  :  1.  —  La  Pucelle  veut  rendre  le  roi  inailre  de  Paris  et  du  royaume.  — 
(irandes  conquêtes  après  le  sacre.  —  Le  roi  à  Soissons  du  23  juillet  au  29.  —  Pau- 
vreté de  la  ville.  —  Le  29  passé  devant  Château-Thierry;  le  roi  y  rentre  le  soir.  —  Le 
1"  août,  arrivée  à  Montmirail.  —  Le  2,  à  Provins  et  séjour  jusqu'au  5.  —  Le  7,  à 
Coulommiers.  —  Le  10,  à  La  Ferté-Milon.  —  Le  11,  à  Grespy.  —  Le  12,  à  Lagny-le- 
Sec.  —  Le  13,  aux  champs  près  de  Damniartin.  —  Diligence  de  la  Pucelle  pour 
amener  la  soumission  des  villes. 

IL  —  Le  14,  les  armées  française  et  anglaise  en  présence  près  de  Sentis.  —  Escar- 
mouches. —  Le  15,  dispositions  de  conscience  en  vue  d'une  grande  bataille.  — 
Les  Anglais  fortiiiés  à  La  Victoire.  —  Escarmouches  toute  la  journée.  —  Provocation 
de  la  Pucelle.  —  Proposition  de  laisser  aux  ennemis  de  l'espace  pour  se  déployer. 
—  Refus  des  Anglais.  —  Le  roi  à  Montépilloy.  —  Sa  suite.  —  11  se  retire  à  Crépy, 


LA  CORONIQUE  DE  PERCEVAL   DE  CAGNY.  187 

—  La  Pucelle  et  Tannée  attendent  Bedford  qui  rentre  à  Paris.  —  Le  roi  à  Compiègne 
le  18.  —  Reddition  de  Senlis.  —  Le  roi  semble  fatigué  de  conquérir.  —  Tristesse  de 
la  Pucelle.  —  Elle  part  pour  Paris  et  entre  à  Saint-Denis  le  26.  —  Bedford  quitte 
Paris  pour  défendre  la  Normandie. 

III.  —  Escfiirmouches  plus  que  quotidiennes  contre  Paris  à  partir  du  26  août.  —  La 
Pucelle  observe  la  situation  de  la  ville.  —  Messages  au  roi  pour  le  presser  de  venir.  — 
Double  voyage  de  d'Alençon  pour  Tentralner  à  Saint-Denis.  —  Joie  causée  par  son 
arrivée  le  7.  —Persuasion  universelle  que  la  Pucelle  lui  donnera  Paris.  —  Attaque  de 
Parisle8.  —  Dispositions.  —  Long  assaut.  —  Bruyante  défense  ;  pas  de  morts,  blessures 
sans  suites  graves.  —  Merveilles.  —  La  Pucelle  blessée  ne  fait  que  presser  Tassant 
plus  vivement.  —  Elle  est  ramenée  malgré  elle.  —  Retraite  à  La  Chapelle.  —  Le 
lendemain  la  Pucelle  veut  recommencer  Tassant.  —  Montmorency  et  cinquante  ou 
soixante  gentilshommes  viennent  se  mettre  à  la  suite  de  la  Pucelle.  —  Ordre  du  roi 
de  venir  à  Saint-Denis.  —  Chagrin  de  la  Pucelle.  —  Obéissance.  —  Le  pont  jeté  sur 
la  Seine  coupé.  —  Délibération  du  conseil.  —  Désir  du  roi  de  revenir  sur  la  Loire. 

—  Départ  le  13  septembre.  —  Profond  chagrin  de  la  Pucelle.  —  Elle  suspend  ses 
armes  à  Saint-Denis.  —  Arrivée  à  Gien  le  21  septembre.  —  Dispersion  de  Tarmée. 


I 

Comment  le  roy  après  son  sacre  print  son  chemin  a  venir  devant  Paris. 
—  La  Pucelle  avait  Tintention  de  remettre  le  roi  en  sa  seigneurie,  et  le 
royaume  en  son  obéissance.  Pour  cela,  après  la  délivrance  du  comté  de 
Champagne,  elle  le  fit  mettre  en  voyage  afin  de  venir  vers  Paris,  et  en 
s'y  rendant  il  fit  de  bien  grandes  conqu(^tes. 

Le  samedi  xxni*jour  dudit  mois,  le  roi  vint  dîner,  souper  et  coucher 
en  la  cité  de  Soissons.  Il  y  fut  reçu  et  obéi  le  plus  honorablement  que 
purent  et  surent  le  faire  les  gens  d'Eglise,  bourgeois,  et  autres  gens  de  la 
ville,  car  tout  y  était  très  pauvre  par  suite  du  sac  auquel  elle  avait  été 
abandonnée,  par  désobéissance  au  roi,  lorsqu'elle  fut  prise  sur  les  Bour- 
guignons ^ 

Le  vendredi  xxix'  du  môme  mois,  le  roi  et  son  armée  furent  tout  le 
jour  devant  Château-Thierry,  et  ses  gens  presque  tout  le  jour  en  ordre 
debataille,  dans  Tattente  que  le  duc  de  Bedford  devait  venir  les  combattre. 
Sur  le  soir  la  place  se  rendit,  et  le  roi  y  séjourna  jusqu'au  lundi,  premier 
jour  d'août. 

Ce  jour  le  roi  coucha  à  Montmirail-en-Brie. 

Le  mardi  iv  jour  du  môme  mois  d'août,  il  vint  prendre  gîte  en  la  ville 
de  Provins,  où  il  fut  reçu  le  mieux  que  faire  se  put.  Il  y  séjourna  jusques 
au  vendredi  suivant,  v*  jour  du  mois. 

Le  dimanche,  vu,  le  roi  vint  dîner  souper  et  coucher  à  Coulommiers- 
en-Brie. 

I.  Mai  1414.  Voir  la  Paysanne  et  C Inspirée,  p.  24. 


188  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

Le  mercredi,  x  du  mois,  le  roi  et  sa  compagnie  vinrent  prendre  gîte 
en  la  ville  de  La  Ferté-Milon. 

Le  lendemain  jeudi,  ce  fut  à  Crépy-en- Valois,  et  le  lendemain  vendredi 
à    Lagny-le-Sec. 

Le  lendemain,  samedi,  le  roi  tint  les  champs  tout  le  jour  près  de  Dam- 
martin-en-Gouelle,  pensant  que  les  Anglais  viendraient  le  combattre; 
mais  ils  ne  vinrent  pas. 

Pendant  le  temps  que  le  roi  mit  à  faire  son  chemin  de  Reims  à  Dam- 
martin-en-Gouelle,  la  Pucelle  fit  grande  diligence  pour  réduire  plusieurs 
places  et  les  mettre  en  Tobéissance  du  roi.  Il  en  fut  ainsi  ;  par  elle,  à  la 
suite  de  ses  démarches,  plusieurs  furent  faites  françaises. 


II 

[Commeiit)  le  roy  et  le  duc  de  Betfort  furent  l'un  devant  l'autre  près  de 
SenlIs.  —  Le  dimanche  xiv^  jour  d'août,  la  Pucelle,  le  duc  d'Alençon, 
le  comte  de  Vendôme,  les  maréchaux  et  autres  capitaines,  à  la  tête  de 
VI  à  VII  mille  combattants,  à  l'heure  de  vôpres,  vinrent  s'échelonner  en 
un  seul  rang  *  près  de  Montépilloy,  à  deux  lieues  environ  de  la  cité  de 
Senlis.  Le  duc  de  Bedford,  et  les  capitaines  anglais,  commandant  de 
VIII  à  IX  mille  Anglais,  étaient  campés  à  demi-lieue,  près  de  SenUs, 
entre  nos  gens  et  la  ville,  sur  une  petite  rivière,  en  un  village  nommé 
La  Victoire.  Ce  soir,  nos  gens  allèrent  escarmoucher  avec  les  Anglais 
près  de  leur  campement  ;  et  à  cette  escarmouche,  il  fut  fait  des  prison- 
niers de  part  et  d'autre;  du  côté  des  Anglais,  le  capitaine  d'Orbec  et 
X  ou  XII  autres  y  trouvèrent  la  mort;  il  y  eut  des  blessés  des  deux  côtés. 
La  nuit  vint,  el  chacun  se  retira  dans  son  camp. 

Le  lundi  xv'  jour  d'août  MCCCCXXIX,  dans  la  pensée  qu'on  aurait 
la  bataille  ce  jour-là  môme,  la  Pucelle,  le  duc  d'Alençon,  la  compagnie, 
chacun  de  ceux  qui  composaient  l'armée,  se  mirent,  à  part  soi,  dans  le 
meilleur  état  de  conscience  que  faire  se  peut*  ;  ils  ouïrent  la  messe  le  plus 
matin  possible;  et  après  ce,  à  cheval. 

Ils   vinrent   mettre   l'armée    près    de    l'armée  des   Anglais.   Ceux-ci 

1.  C'est  le  sens  que  nous  donnons  au  texte  :  furent  logiés  à  une  haye,  aux  champSy 
près  Montpillouer,  C'est,  d'après  Lacurne,  une  des  significations  du  mot  rangés  en  Aaîf, 
en  termes  militaires,  et  l'on  conçoit  assez  difiiciiement  six  ou  sept  mille  hommes 
derrière  une  haie. 

2.  C'est  par  suite  de  cette  préparation  si  chrétienne  que  le  seigneur  d'Ourches 
déposait  à  Vaucouleurs:  «  J'ai  vu  Jeanne  se  confesser  à  Frère  Richard  devant  la  ville  de 
Senlis,  et  recevoir  durant  deux  jours  (le  dimanche  et  le  jour  de  l'Assomption)  le  corps 
du  Christ  avec  les  ducs  de  Clermont  et  d'Alençon  ».  (La  Paysanne  et  Vlnspirée,  p.  228.) 


LA  CHRONIQUE  DE  PERCEVAL  DE  CAGNY.  189 

n'avaient  pas  bougé  du  lieu  où  ils  avaient  couché.  Toute  la  nuit  ils  s'étaient 
fortifiés  avec  des  pieux,  en  creusant  des  fossés,  en  mettant  leurs  charrois 
devant  eux  ;  la  rivière  protégeait  leurs  derrières.  Il  y  eut  tout  le  jour  de 
grandes  escarmouches,  sans  que  les  Anglais  fissent  jamais  quelque  sem- 
blant de  vouloir  sortir  de  leur  position,  sinon  pour  combat  d'escarmouche. 
Quand  la  Pucelle  vit  qu'ils  ne  sortaient  pas,  elle  vint  son  étendard  en  main 
se  mettre  à  l'avant-garde,  et  s'avança  assez  pour  venir  frapper  aux  for- 
tifications des  Anglais.  En  cette  attaque  il  y  eut  des  morts  de  côté  et  d'autre. 
Les  Anglais  ne  donnant  aucun  signe  de  vouloir  sortir  avec  leurs  grandes 
forces,  la  Pucelle  fit  retirer  tout  son  monde  jusqu'au  gros  de  l'armée  ;  et 
il  leur  fut  mandé  de  sa  part,  de  la  part  du  duc  d'Alençon,  des  capitaines, 
que  s'ils  voulaient  sortir  de  leur  parc  pour  donner  la  bataille,  nos  gens 
se  reculeraient,  et  les  laisseraient  se  mettre  en  leur  ordonnance  de 
combat.  Ils  ne  voulurent  pas  accepter,  et  ils  se  tinrent  tout  le  jour  sans 
sortir  de  leurs  fortifications,  sinon  pour  de  légers  engagements.  La  nuit 
venue,  nos  gens  revinrent  à  leur  campement. 

Le  roi  fut  tout  ce  jour  à  Montépilloy.  Etaient  en  sa  compagnie  le  duc 
de  Bar  qui  l'avait  rejoint  à  Provins,  le  comte  de  Clermont  et  d'autres 
capitaines.  Quand  le  roi  vit  qu'on  ne  pouvait  faire  sortir  les  Anglais  de 
leur  position  et  que  la  nuit  approchait,  il  retourna  prendre  gîte  à  Crépy. 
La  Pucelle,  le  duc  d'Alençon  et  leur  compagnie,  se  tinrent  toute  la 
nuit  en  leur  lieu  de  campement.  Pour  savoir  si  les  Anglais  ne  se  met- 
traient pas  à  leur  poursuite,  le  mardi  bien  matin,  ils  se  reculèrent  à 
Montépilloy,  et  ils  se  tinrent  jusques  environ  Theure  de  midi,  que  des 
nouvelles  leur  vinrent  que  les  Anglais  retournaient  à  Sentis  et  droit 
k  Paris.  Nos  gens  rejoignirent  alors  le  roi  à  Crépy. 

Le  mercredi  xvii*  jour  du  môme  mois,  les  clefs  de  la  ville  de  Com- 
piègne  furent  apportées  au  roi,  et  le  lendemain,  jeudi,  le  roi  et  sa  com- 
pagnie allèrent  prendre  gîte  en  cette  cité. 

Comme  le  roy  vint  a  Compieisgne  quand  il  ot  lesséle  duc  de  Bethford.  — 

Avant  que  le  roi  partit  de  Crépy,  il  disposa  que  le  comte  de  Vendôme,  les 

maréchaux  de  Boussac  et  de  Rais  et  d'autres  capitaines  en  leur  compa 

?nie  iraient  devant  la  cité  de  Sentis.  Après  leur  arrivée  devant  la  place, 

ceux  du  dedans  considérèrent  les  grandes  conquêtes  que  le  roi  avait 

^^iles  en  peu  de  temps  par  l'aide  de  Dieu  et  le  moyen  de  la  Pucelle,  et 

qu'ils  avaient  vu  le  duc  de  Bedford  avec  toutes  ses  forces,  qui  près  de 

leur  ville,    n'avait   pas    ose    combattre    le   roi   et    ses   fidèles,    mais 

^^e  chefs  et  soldats  s'étaient  reculés  à  Paris   et  ailleurs   aux  autres 

places;  et  ils  se  rendirent  au  roi  et  à  la  Pucelle.  Le  comte  de  Vendôme 

^^meura  gouverneur  et  gardien  de  la  place,  et  il  y  acquit  honneur  et 

<ïhevanche. 


190  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

Quand  le  roi  se  trouva  audit  lieu  de  Compiôgne,  la  Pucelle  fut  très 
marrie  du  séjour  qu'il  y  voulait  faire*.  Il  semblait  à  sa  manière  qu'à 
cette  heure  il  fût  content  de  la  grâce  que  Dieu  lui  avait  faite,  sans  vouloir 
autre  chose  entreprendre.  La  Pucelle  appela  le  duc  d'Alençon  et  lui  dit: 
«  Mon  beau  duc,  faites  apprêter  vos  gens  et  ceux  des  autres  capitaines^  et 
elle  ajouta  :  par  mon  Martin,  je  veux  aller  voir  Paris  de  plus  près  que  Je  ne 
tai  vu,  » 

Le  mardi  xxiu«  jour  d'août,  la  Pucelle  et  le  duc  d'Alençon  partirent 
de  Compiègne  d'auprès  du  roi  avec  une  belle  compagnie  de  gens.  En 
faisant  leur  chemin,  ils  vinrent  recueillir  une  partie  de  ceux  qui  avaient 
été  au  recouvrement  de  Senlis,  et  le  vendredi  suivant  xxvi*  jour  du 
môme  mois,  la  Pucelle,  le  duc  d'Alençon  et  leur  compagnie  étaient  logés 
en  la  ville  de  Saint-Denis.  Quand  le  roi  sut  qu'ils  étaient  ainsi  logés  à 
Saint-Denis,  il  vint  à  son  grand  regret  en  la  ville  de  Senlis.  Il  semblait 
qu'il  fût  conseillé  dans  le  sens  contraire  au  vouloir  de  la  Pucelle,  du  duc 
d'Alençon,  et  de  ceux  de  leur  compagnie*. 

Comme  le  duc  de  Betuford  abandonna  Paris.  —  Quand  le  duc  de  Bedford 
vit  que  la  cité  de  Senlis  était  française,  il  laissa  Paris  au  gouvernement 
des  bourgeois,  du  sire  de  l'Isle-Adam  et  des  Bourguignons  de  sa  compa- 
gnie, et  n'y  laissa  guère  d'Anglais.  Il  s'en  alla  à  Rouen  très  marri,  et  en 
grande  crainte  que  la  Pucelle  ne  remit  le  roi  en  sa  seigneurie. 


III 

Depuis  que  la  Pucelle  fut  arrivée  à  Saint-Denis,  deux  ou  trois  fois  par 
jour,  nos  gens  étaient  à  l'escarmouche  aux  portes  de  Paris,  tantôt  en 
un  lieu,  tantôt  à  un  autre,  parfois  au  moulin  à  vent  devers  {entre)  la 
porte  Saint-Denis  et  La  Chapelle.  Il  ne  se  passait  pas  de  jour  que  la 
Pucelle  ne  vînt  faire  les  escarmouches;  elle  se  plaisait  beaucoup  à 
considérer  la  situation  de  la  ville,  et  par  quel  endroit  il  lui  semblerait 
plus  convenable  de  donner  un  assaut.  Le  duc  d'Alençon  était  le  plus 
souvent  avec  elle.  Mais  parce  que  le  roi  n'était  pas  venu  à  Saint-Denis^ 
quelque  message  que  la  Pucelle  et  le  duc  d'Alençon  lui  eussent  envoyé, 
ledit  duc  d'Alençon  alla  vers  lui  le  premier  jour  de  septembre.  Il  lui  fut 

1.  C'est  là,  en  efTet,  qu'il  mit  la  dernière  main  à  la  trêve  désastreuse  par  laquelle  il 
se  laissa  berner  par  le  duc  de  Bourgogne. 

2.  Ce  n'était  que  trop  réel,  mais  le  fallacieux  traité  avec  le  duc  de  Bourgogne  était 
tenu  secret.  Il  semble  avoir  môme  échappé  aux  historiens  jusqu'à  la  dernière  paKie 
de  ce  siècle,  que  plusieurs  exemplaires  sont  sortis  de  la  poussière  des  archives.  De  là 
l'embarras  des  chroniqueurs  les  plus  sincères,  et  les  rélicences  semées  dans  leurs 
récits. 


LA  CHRONIQUE  DE  PERCEVAL  DE  CAGNY.  19 1 

dit  que  le  roi  partirait  le  2,  et  le  duc  revint  à  sa  compagnie,  et  parce  que 
le  roi  ne  venait  pas,  le  duc  d'Alençon  retourna  vers  lui  le  lundi  suivant, 
V*  du  mois.  Il  fit  tant  que  le  roi  se  mit  en  chemin,  et  le  mercredi  il  fut 
à  diner  à  Saint-Denis  ;  ce  dont  la  Pucelle  et  toute  la  compagnie  furent 
très  réjouis.  Et  il  n'y  avait  personne,  de  quelque  état  qu'il  fût,  qui  ne 
dît  :  «  Elle  mettra  le  roi  dans  Paris,  si  à  lui  ne  tient  »  {s'il  ne  r empêche 

pCLS). 

Comme  la  Pucelle  donna  l'assault  a  la  ville  de  Paris.  —  Le  jeudi 
MCCCCXXIX,  jour  de  Notre-Dame,  viii"  jour  de  septembre,  la  Pucelle, 
le  duc  d'Alençon,  les  maréchaux  de  Boussac  et  de  Rais,  d'autres  capi- 
taines avec  grand  nombre  de  gens  d'armes  et  d'hommes  de  trait,  partirent^ 
sur  les  viu  heures,  de  La  Chapelle,  près  de  Paris,  en  belle  ordonnance, 
les  uns  pour  livrer  la  bataille,  les  autres  pour  garder  de  surprise  ceux 
qui  donneraient  l'assaut. 

La  Pucelle,  le  maréchal  de  Rais,  le  sire  de  Gaucourt,  et  par  l'ordon- 
nance de  la  Pucelle  ceux  que  bon  lui  sembla*,  allèrent  donner  l'assaut  h 
la  porte  Saint-Honoré.  La  Pucelle  prit  son  étendard  en  main,  et  entra 
avec  les  premiers  dans  les  fossés,  en  face  du  marché  aux  pourceaux. 
L'assaut  fut  dur  et  long.  C'était  merveille  d'ouïr  le  bruit  et  le  fracas  des 
canons  et  des  coulevrines  que  ceux  du  dedans  jetaient  à  ceux  du  dehors; 
et  le  sifflement  de  toute  espèce  d'armes  de  trait,  en  si  grand  nombre 
qu'elles  étaient  comme  innombrables*.  Et  quoique  la  Pucelle  et  grand 
nombre  de  chevaliers,  d'écuyers  et  d'autres  gens  de  guerre,  fussent 
descendus  dans  les  fossés,  que  d'autres  se  tinssent  sur  le  bord  et 
aux  environs,  très  peu  furent  atteints  et  portés  à  terre  de  coups  de 
pierres  de  canon  ;  mais  par  la  grâce  de  Dieu  et  l'heur  de  la  Pucelle,  nul 
homme  n'en  mourut,  ni  ne  fut  blessé  au  point  de  ne  pouvoir  revenir  à 
son  aise  et  sans  aide  à  son  logis. 

L'assaut  dura  depuis  l'heure  de  midi  jusqu'à  environ  l'heure  du  jour 
faillant,  et  après  le  soleil  couchant  la  Pucelle  fut  frappée  à  la  cuisse  d'un 
trait  d'arbalète  à  hausse  pied\  Et  après  qu'elle  eut  été  atteinte,  elle 
s'efforçait  plus  fort  de  dire  que  chacun  s'approchât  des  murs  et  que  la 
place  serait  prise.  Mais  parce  qu'il  était  nuit,  qu'elle  était  blessée,  et  que 
les  gens  était  lassés  du  long  assaut  qu'ils  avaient  fait,  le  sire  de  Gau- 

1.  «  La  Pucelle,  le  maréchal  de  Rais,  le  sire  de  Gaucourt,  par  Tordonnance  d'elle 
appelé  ce  qui  bon  lui  sembla,  allèrent  »,  etc. 

2.  «  Ëstoit  merveille  à  ouyr  le  brut  et  la  noise  des  canons  et  coulevrines  que  ceulxde 
dedens/gectoient  à  ceulx  de  dehors,  et  de  toutes  manières  de  traict  à  si  grand  planté 
comme  innombrable,  t 

3.  La  Pucelle  fut  férue  d'un  trait  de  hausse  pié  d'arbalète  par  une  cuisse.  Probablement 
du  trait  d'une  arbalète  qu*on  tendait  avec  le  pied,  par  opposition  à  celles  qui  exigeaient 
un  tour. 


192  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

court  et  d'autres  vinrent  prendre  la  Pucelle,   et,  contre  son  vouloir, 
remmenèrent  hors  des  fossds.  Et  ainsi  faillit  l'assaut. 

Elle  avait  très  grand  regret  d'ainsi  se  départir,  et  disait  :  «  Par  mon 
Martin^  la  place  eiU  été  prise!  »  Ils  la  mirent  à  cheval,  et  la  ramenèrent  à 
son  logis  audit  lieu  de  La  Chapelle,  où  rentrèrent  tous  les  autres  de  la 
compagnie  du  roi,  le  duc  de  Bar,  le  comte  de  Clermont,  qui  ce  jour 
étaient  venus  de  Saint-Denis*. 

Comme  la  Pucelle  partit  de  devant  Paris  oultre  son  vouloir.  —  Le  ven- 
dredi, IX"  jour  du  même  mois,  la  Pucelle,  quoiqu'elle  eût  été  blessée  le 
jour  précédent  à  l'assaut  de  Paris,  se  leva  bien  matin,  et  fit  venir  son 
beau  duc  d'Alençon  par  lequel  elle. donnait  ses  ordres;  et  elle  le  pria  de 
faire  sonner  les  trompilles  et  de  monter  à  cheval  pour  retourner  devant 
Paris  ;  et  affirma  par  son  Martin  que  jamais  elle  n'en  partirait  sans  avoir 
la  ville.  Le  duc  d'Alençon  et  d'autres  capitaines  avaient  bien  le  vouloir 
de  seconder  son  entreprise  et  de  retourner  ;  mais  quelques-uns  ne  le 
voulaient  pas. 

Tandis  qu'ils  étaient  en  ces  pourparlers,  le  baron  de  Montmorency, 
qui  avait  toujours  tenu  le  parti  contraire  au  roi,  vint  de  l'intérieur  de  la 
ville  accompagné  dcLou  lx  gentilshommes  se  mettre  en  la  compagnie 
de  la  Pucelle;  ce  qui  donna  plus  de  cœur  et  accrut  le  courage  de  ceux  qui 
avaient  la  bonne  volonté  de  retourner  devant  la  ville. 

Tandis  que  se  faisait  le  rapprochement,  arrivèrent,  de  la  part  du  roi 
qui  était  à  Saint-Denis,  le  duc  de  Bar  et  le  comte  de  Clermont.  Ils 
prièrent  la  Pucelle  que,  sans  aller  plus  loin,  elle  retournât  auprès  du  roi 
à  Saint-Denis.  De  la  part  du  roi,  ils  prièrent  aussi  d'Alençon,  et  com- 
mandèrent à  tous  les  autres  capitaines,  de  venir  et  d'amener  la  Pucelle 
vers  lui. 

La  Pucelle  et  la  plupart  de  ceux  de  la  compagnie  en  furent  très  marris  ; 
néanmoins  ils  obéirent  à  la  volonté  du  roi,  dans  l'espérance  qu'ils  trou- 
veraient entrée  pour  prendre  Paris  par  l'autre  côté,  en  passant  laSeinesur 
un  pont  que  le  duc  d'Alençon  avait  fait  jeter  sur  la  rivière  vis-à-vis  de 
Saint-Denis;  et  ils  vinrent  ainsi  vers  le  roi. 

Le  lendemain,  samedi,  une  partie  de  ceux  qui  avaient  été  devant  Paris 
pensèrent  aller  bien  matin  passer  la  Seine  sur  ledit  pont,  mais  ils  ne  le 
purent,  parce  que  le  roi,  ayant  su  l'intention  de  la  Pucelle,  du  duc  d'Alen- 
çon et  des  autres  de  bon  vouloir,  avait  fait  passer  toute  la  nuit  à  le 
mettre  en  pièces.  Et  ils  furent  ainsi  empochés  de  passer. 

Ce  jour,  le  roi  tint  son  conseil  auquel  plusieurs  opinions  furent  émises  ; 

1.  u  Hz  la  mirent  à  cheval  et  la  ramenèrent  à  son  logis  audit  lieu  de  La  Chapelie,  et 
touz  les  autres  de  la  compaignie  le  roy,  le  duc  de  Bar,  le  comte  de  Clermont  qui  ce 
jour  esloient  venus  de  Sainct-Denys.  » 


LA  CHRONIQUE  DE  PERCEVAL  DE  CAGNY.  19J 

il  demeura  à  Saint-Denis  jusqu'au  mardi  xni''  jour  de  septembre, 
tendant  toujours  à  revenir  sur  la  Loire,  au  grand  déplaisir  de  la  Pucelle. 
Comme  le  roy  partit  de  Sainct-Denys.  —  Le  mardi  xiii,  le  roi,  d'après 
l'avis  de  quelques-uns  de  son  conseil  et  de  quelques  seigneurs  de  son 
sang,  enclins  à  accomplir  son  vouloir,  partit  après  dîner  dudit  lieu  de 
Saint-Denis.  Quand  la  Pucelle  vit  qu'elle  ne  pouvait  trouver  aucun 
remède  à  son  départ,  elle  donna  et  déposa  tout  son  harnois  complet 
devant  Timage  de  Notre-Dame  et  devant  les  reliques  de  l'abbaye  de  Saint- 
Denis  ;  et  A  SON  très  grand  regret,  elle  se  mit  en  la  compagnie  du  roi, 
qui  s'en  revint  le  plus  rapidement  qu'il  put,  et  parfois  en  faisant  son 
chemin  d'une  manière  désordonnée  et  sans  cause.  Le  mercredi  xxi%  du- 
dit mois,  il  fut  à  diner  à  Gien-sur-Loire. 

AiNSY  fut  rompu  le  vouloir   DE  LA  PuCELLE,   ET   FUT  AUSSI   ROMPUE    l'aRMÉE 
DU    ROY. 


CHAPITRE    V 

LA  SUITE  DE  L'HISTOIRE  DE  LA  PUCELLE  JUSQU'A  SON  SUPPLICE. 

Sommaire  :  I.  —  La  faveur  dont  le  duc  d'Alençon  jouissait  auprès  de  la  Pucelle.  —  Il 
demande  en  vain  de  Tamener  à  la  conquête  de  la  Normandie.  -^  Combien  il  fut 
peu  sensé  d'arrêter  les  conquêtes  de  la  Pucelle.  —  Ses  incroyables  exploits,  ce 
qu'elle  a  fait  en  quatre  mois.  —  Inaction  du  roi.  —  11  retient  la  Pucelle  auprès  de 
lui.  —  Tristesse  de  l'héroïne.  —  Conquête  de  quelques  places.  —  Échec  devant 
La  Charité.  —  Les  causes. 
U.  —  La  Pucelle  mécontente  quitte  le  roi  sans  prendre  congé  de  la  cour.  —  Son 
arrivée  à  Lagny.  —  Elle  taille  en  pièces  une  compagnie  d'ennemis.  —  Effroi  dans 
Paris.  —  Les  villes  dans  lesquelles  elle  séjourne.  —  Le  siège  de  Compiègne.  —  La 
Pucelle  se  jette  dans  la  ville,  le  24  mai.  —  Engagement,  embuscade  :  comment  elle 
est  prise. 

ill.  —  Prison  de  la  Pucelle.  —  Elle  est  vendue  aux  Anglais.  —  Ce  qu'elle  dit  des  villes 
qu'elle  a  rendues  au  roi.  —  Prisonnière  à  Rouen.  —  Combien  les  Anglais  désirent 
la  trouver  coupable.  —  Leurs  incriminations.  —  La  sentence  et  l'exécution. 

ï V .  —  Toute-puissance  de  La  Trémoille.  —  Comment  et  par  qui  il  est  renversé.  — 

Inaction  du  roi  à  partir  de  Saint-Denis  et  surtout  du  supplice  de  la  Pucelle.  —  Elle 

seule  a  fait  les  conquêtes.  —  Ce  que,  par  pusillanimité,  il  sacrifie  au  traité  d'Arras. 

—  Le  roi  et  les  princes  du  sang  étant  inactifs,  la  défense  revient  à  de  simples 

chevaliers. 

I 

Comme  le  duc  d*Alençon  se  partit  di]  roy.  —  Le  duc  d'Alençon  avait 
toujours  été  en  la  compagnie  de  la  Pucelle  :  c'était  lui  qui  l'avait  toujours 
conduite  sur  le  chemin  du  couronnement  du  roi  à  Reims,  et  de  Reims. 
III.  13 


194  •   LA  VRAIE  JEANNE  D*ARG  :   LA  LIBÉRATRICE. 

jusqu'à  Paris.  Quand  le  roi  fut  arrivé  à  Gien,  ledit  d'Âlençon  s'en  alla 
vers  sa  femme  en  sa  vicomte  de  Beaumont,  et  les  autres  capitaines  cha- 
cun en  sa  frontière;  la  Pucelle  resta  près  du  roi,  très  ennuyée  de  pareil 
DÉPART,  et  surtout  de  celui  du  duc  d*Alençon  qu'elle  aimait  très  fort, 
faisant  pour  lui  ce  qu'elle  n'eût  pas  fait  pour  un  autre. 

Peu  de  temps  après,  ledit  d'Alençon  assembla  des  gens  pour  entrer 
au  pays  de  Normandie,  vers  les  marches  de  Bretagne  et  du  Maine. 
A  cette  fin  il  requit  et  fit  requérir  le  roi  pour  qu'il  lui  plût  de  lui  envoyer 
la  Pucelle,  et  que,  par  son  moyen,  plusieurs  se  mettraient  en  sa  compa- 
gnie qui  ne  bougeraient  pas,  si  elle  ne  se  mettait  pas  elle-même  en 
campagne.  Messire  Regnault  de  Chartres,  le  seigneur  de  La  Trémoille, 
le  sire  de  Gaucourt,  qui  gouvernaient  alors  la  personne  du  roi  et  le  fait 
de  sa  guerre,  ne  voulurent  jamais  y  consentir;  ils  ne  voulurent  ni  faire, 
ni  consentir  que  la  Pucelle  et  le  duc  d'Alençon  fussent  ensemble  ;  et  il  ne 
put  depuis  la  recouvrer. 

Comme  le  roy  demoura  a  [cessa  de)  parsuivre  la  guerre.  —  Quand  le  roi 
fut  arrivé  audit  lieu  de  Gien,  lui  et  ceux  qui  le  gouvernaient  firent 
semblant  de  penser  que  c'était  assez  du  voyage  qu'il  avait  fait  ;  et  de 
longtemps  après,  le  roi  n'entreprit  sur  ses  ennemis  aucun  dessein  où  il 
voulût  être  en  personne.  On  pourrait  bien  dire  que  c'était  par  fol  con- 
seil*, si  lui  et  eux  eussent  voulu  considérer  la  très  grande  grâce  que 
Dieu  lui  avait  faite,  et  avait  faite  à  son  royaume,  par  l'entreprise  de  la 
Pucelle,  messagère  de  Dieu  sur  ce  point,  comme  on  pouvait  le  recon- 
naître par  ses  faits. 

Elle  fit  des  choses  incroyables  à  ceux  qui  ne  les  avaient  pas  vues,  et 
Ton  peut  dire  qu'elle  en  aurait  fait  encore,  si  le  roi  et  ses  conseillers  se 
fussent  bien  conduits  et  bien  maintenus  envers  elle.  C'est  en  tout  point 
manifeste,  car  en  moins  de  quatre  mois,  elle  délivra  et  mit  en  l'obéissance 
du  roi  sept  cités,  à  savoir  Orléans,  Troyes-en-Champagne,  Châlons, 
Reims,  Laon,  Soissons  et  Senlis,  et  plusieurs  villes  et  châteaux;  elle  gagna 
la  bataille  de  Patay  ;  par  son  moyen  le  roi  fut  sacré  et  couronné  à  Reims, 
et  tous,  chevaliers,  écuyers  et  autres  gens  de  guerre,  furent  très 
bien  contents  de  servir  le  roi  en  sa  compagnie,  encore  qu'ils  fussent 
petitement  soldés. 

A  la  suite  de  ce  qui  vient  d'être  rapporté,  le  roi  passa  son  temps  aux 
pays  de  Touraine,  de  Poitou  et  de  Berry.  La  Pucelle  fut  la  plupart  du 

1.  Et  depuis  de  long-tems  aprèSy  le  roy  n'entreprint  nulle  chose  à  faire  sur  ses  ennemys 
où  il  vousist  estre  en  personne.  On  powroit  bien  dire  que  ce  estait  par  son  conseU,  se 
lui  et  eulx  eussent  voulu  regarder  la  très  grant  grâce  que  Dieu  avait  faite  à  lui  et  à  son 
royaulme  par  l'entreprise  de  la  Pucelle^  message  de  Dieu  en  ceste  partie^  comme  par  ses  faiz 
povoit  estre  aperceu,  —  Quicherat  propose  de  lire  «  fol  conseil  »,  au  lieu  de  son  conseil^  ce 
qui  semble  fondé. 


IK   CHRONIQUE  DE  PERCEVAL  DE  CAGNY.  195 

temps  auprès  de  lui,  très  marrie  de  ce  qu'il  n'entreprenait  pas  de  con- 
quérir de  ses  places  sur  ses  ennemis. 

Le  roi  étant  en  sa  ville  de  Bourges,  elle  prit  quelques  capitaines  et 
conquit  trois  ou  quatre  places  sur  la  rivière  de  la  Loire,  dans  les  environs  de 
la  ville  de  La  Charité,  qui  était  tenue  par  les  Bourguignons.  Après  ces 
succès,  le  maréchal  de  Boussac  et  d'autres  capitaines  se  joignirent  à  elle, 
et  bientôt  après  elle  mit  le  siège  devant  ledit  lieu  de  La  Charité.  Elle  y 
resta  un  certain  espace  de  temps,  mais  parce  que  le  roi  n'en  vint  pas  '  à  lui 
envoyer  des  vivres  et  de  l'argent,  pour  entretenir  sa  compagnie,  elle  dut 
lever  son  siège  et  se  retirer  à  sa  grande  déplaisance. 

L'alinéa  qui  suit  est  une  interpolation^  comme  l'observe  justement 
Quicherat.  Non  seulement  il  fait  double  emploi  avec  ce  qui  suit^  mais  il 
place  à  la  fin  d'avril  un  départ  qu'immédiatement  après  il  place  à  la 
fin  de  mars. 

En  Tan  MCCCCXXX,  vers  la  fin  du  mois  d'avril,  la  Pucelle,  très  mécon- 
tente des  gens  du  conseil  du  roi  sur  le  fait  de  la  guerre,  partit  d'auprès 
du  roi,  et  s'en  alla  en  la  ville  de  Compiègne,  sur  la  rivière  de  l'Oise. 


II 

Comme  la  Plcelle  se  partit  du  roy.  —  En  l'an  MCCCCXXX  (v.   st.)  le 

jour  de  mars,  le  roi  étant  en  la  ville  de  Sully  sur-Loire,  la  Pucelle 

qui,  pour  l'avoir  vu  et  entendu,  savait  tout  le  fait,  et  la  manière  que  le 
roi  et  son  conseil  tenaient  pour  le  recouvrement  du  royaume,  et  en  était 
TRÈS  MAL  CONTEXTE,  trouva  moycu  de  se  retirer  d'auprès  d'eux.  Sans  que 
le  roi  le  sût  et  sans  prendre  congé  de  lui,  elle  fit  semblant  d'aller  se 
récréer*,  et,  au  lieu  de  retourner,  elle  alla  à  la  ville  de  Lagny-sur-Marne, 
parce  que  ceux  de  la  place  faisaient  bonne  guerre  aux  Anglais  de  Paris  et 
d^ailleurs. 

Elle  n'y  fut  guère  sans  que  les  Anglais  se  réunissent  pour  faire  une 
course  devant  ladite  place.  Elle  sut  leur  venue,  fit  monter  ses  gens  h 
cheval,  et  alla  à  leur  rencontre  malgré  leur  nombre  supérieur,  entre  la 

dite  place  et ,  elle  ordonna  à  ses  gens  de  se  jeter  sur  leurs  rangs  ;  ils 

trouvèrent  peu  de  résistance,  et  de  trois  à  quatre  cents  Anglais  restèrent 
sur  le  terrain.  La  venue  de  la  Pucelle  fit  grande  rumeur  et  grand  bruit  a 
Paris,  et  dans  d'autres  places  opposées  au  roi.  Après  cet  exploit,   la 

1.  «  Pour  ce  que  le  roy  ne  fîst  finance  de  lui  envoyer  vivres  ne  argent  pour  entretenir 
sa  compaignie.  » 

2.  «  Sans  le  sceu  du  roy,  ne  prendre  congé  de  lui,  elle  fist  semblant  d'aller  en  aucun 
esbat.  » 


196  LA  VRAIE  JEANNE   D'AIIG  :  LA  LIBÉRATRICE. 

Pucelle  passa  le  reste  de  son  temps  jusqu'au  mois  de  mai,  à  Senlis,  à 
Crépy-en- Valois,  à  Compiègne  et  à  Soissons. 

Gomme  elle  vint  a  Compiègne,  et  la  fut  prise.  —  En  l'an  MCCCCXXX,  le 
XXIV*  jour  dudit  mois  de  mai,  la  Pucelle  informée  à  Crépy  oîi  elle  était, 
que  le  duc  de  Bourgogne  avec  grand  nombre  de  gens  d'armes  et  d'autres, 
et  le  comte  d'Arondel,  étaient  venus  assiéger  Compiègne,  partit  de  Crépy 
sur  le  minuit,  à  latAte  de  trois  à  quatre  cents  combattants.  Comme  on  lui 
observait  qu'elle  avait  peu  de  gens  pour  passer  au  milieu  de  l'armée  des  Bour- 
guignons et  des  Anglais,  elle  répondit  :  «  Par  mon  Martin^  nous  sommes 
assez ^  f  irai  voir  mes  bons  amis  de  Compiègne  ».  Elle  arriva  vers  le  soleil 
levant  ;  et  sans  perte  ni  empêchement,  soit  pour  elle,  soit  pour  ses  gens,  elle 
entra  dans  la  cité.  Ce  môme  jour  les  Bourguignons  et  les  Anglais  vinrent 
à  l'escarmouche,  en  la  prairie,  devant  la  ville.  Il  fut  fait  de  grands  faits 
d'armes  d'un  côté  et  de  l'autre. 

Les  Bourguignons  et  les  Anglais,  sachant  que  la  Pucelle  était  dans  la 
ville,  pensèrent  bien  que  ceux  de  dedans  sailliraient  à  grand  effort,  et 
pour  cela  les  Bourguignons  mirent  une  grosse  troupe  de  leurs  gens  en  em- 
buscade derrière  une  grande  montagne  voisine,  appelée  le  Mont  de  Clairoy. 
Sur  les  neuf  heures  du  matin,  la  Pucelle  apprit  que  l'escarmouche  était 
forte  et  grande  en  la  prairie  devant  la  ville.  Elle  s'arma,  fit  armer  ses 
gens,  les  fit  monter  à  cheval,  et  vint  se  jeter  dans  la  mêlée.  Aussitôt 
après  sa  venue  les  ennemis  reculèrent  et  furent  mis  en  chasse.  La 
Pucelle  chargea  fort  du  côté  des  Bourguignons.  Ceux  qui  étaient  en 
embuscade,  voyant  leurs  gens  revenir  en  grand  désarroi,  sortirent  du  lieu  où 
ils  étaient  cachés,  et  à  coups  d'éperons  vinrent  se  mettre  entre  le  pont  de 
la  ville,  la  Pucelle  et  sa  compagnie.  Une  partie  d'entre  eux  tournèrent 
droit  à  la  Pucelle  ;  ils  étaient  si  nombreux  que  ceux  de  sa  compagnie  ne 
purent  en  réalité  soutenir  Tattaque,  et  dirent  à  la  Pucelle  :  «  Songez  à 
rentrer  dans  la  ville,  ou,  vous  et  nous,  sommes  perdus  !  » 

La  prinse  de  la  Plcelle.  —  Quand  la  Pucelle  les  eut  ouï  ainsi  parler, 
elle  leur  dit  très  marrie  :  «  Taisez-vous,  il  ne  tiendra  quà  vous  qu  ils  soient 
drconfils.  Ne  pensez  quà  frapper  sur  eux,  »  Pour  chose  qu'elle  dit,  ses 
gens  ne  voulurent  point  la  croire,  et  de  force  la  firent  retourner  vers  le 
ponl.  Quand  les  Bourguignons  et  les  Anglais  virent  qu'elle  revenait  sur 
ses  pas  pour  regagner  la  ville,  ils  se  postèrent  en  grand  nombre  au  bout 
du  pont.  Là  se  firent  de  grandes  armes  {f/rands  exploits).  Le  capitaine  de 
la  place,  voyant  la  grande  multitude  d'Anglais  et  de  Bourguignons  prêts 
à  entrer  sur  son  pont,  dans  la  crainte  de  perdre  la  place  à  lui  confiée,  fit 
lever  le  pont  de  la  ville  et  fermer  la  porte.  La  Pucelle  demeura  ainsi 
fermée  dehors,  n'ayant  que  peu  de  gens  avec  elle. 

Quand  les  ennemis  la  virent  en  cet  étal,  tous  s'efl'orcèrent  de  la  pren- 


LA  CHRONIQUE  DE  PERCEVAL  DE  CAGNY.  i97 

dre;  elle  résista  très  fort  contre  eux,  et  en  la  parfin  elle  fut  prise  par 
cinq  ou  six  ensemble,  les  uns  mettant  la  main  sur  elle,  les  autres  sur  son 
cheval,  chacun  d'eux  disant  :  «  Rendez-vous  à  moi,  et  baillez  la  foi  !  » 
Elle  répondit  :  «  f  ai  juré  et  baillé  ma  foi  à  autre  qu'à  vous^  et  je  lin  tien- 
drai mon  serment  »  ;  et  en  disant  ces  mots,  elle  fut  menée  au  logis  de 
Messire  Jean  de  Luxembourg. 

III 

Comme  la  Plxélle  fut  mise  en  prison.  —  Messire  Jean  de  Luxemboui^ 
la  fit  garder  en  son  logis  trois  ou  quatre  jours,  et  après  cela,  tandis  qu'il 
restait  au  siège  devant  la  ville,  il  fit  mener  la  Pucelle  en  un  château 
nommé  Beaulieu,  en  Vermandois.  Elle  y  fut  détenue  prisonnière 
l'espace  de  quatre  mois  ou  environ  ^  Ensuite  ledit  de  Luxembourg,  par 
l'entremise  de  l'évêque  de  Thérouanne,  son  frère,  chancelier  de  France 
pour  le  roi  anglais,  la  livra,  pour  le  prix  de  quinze  ou  seize  mille  saints, 
comptés  au  même  Luxembourg,  au  duc  de  Bedford,  lieutenant  en  France 
du  roi  d'Angleterre,  son  neveu.  La  Pucelle  fut  ainsi  mise  entre  les  mains 
des  Anglais,  et  menée  au  château  de  Rouen,  où  ledit  Bedford  faisait 
pour  lors  sa  demeure. 

Comme  elle  était  en  prison  au  château  de  Beaulieu,  celui  qui  avait  été 

son  maître  d'hôtel  avant  sa  prise,  et  qui  la  servit  en  prison,  lui  dit  un 

jour  :  «  Cette  pauvre  ville  de  Compiègne  que  vous  avez  tant  aimée,  sera 

cette  fois  remise  es  mains  et  en  la  subjection  des  ennemis  de  France  »,  et 

elle  lui  répondit  :  «  Non  sera,  car  toutes  les  places  que  le  roi  du  Ciel  a 

RÉDDITES  ET  REMISES  EN  LA  MAIN  ET  OBÉISSANCE  DU  GENTIL  ROI  ChaRLÉS,  PAR  MON 
MOTEX,  NE  SERONT  POINT  REPRISES  PAR  SES  ENNEMIS  EN  TANT  Qu'lL  FERA  DILIGENCE 
DE  LES  GARDER.    » 

Comme  LA  Pucelle  FUT  JUGÉE  A  MORT  EN  l'an  MCCCCXXXI,  le  xxiv''  jour  du 
^oiSDEMAY*.  —  Le  duc  de  Bedford,  l'évêque  de  Thérouanne  et  plusieurs 
autres  du  conseil  du  roi  d'Angleterre,  avaient  vu  et  connu  les  très  gran- 
des merveilles  advenues  à  l'honneur  et  au  profit  du  roi,  par  l'arrivée  et 
les  entreprises  de  la  Pucelle.  —  Ainsi  que  je  l'ai  déclaré  ci-dessus,  ses 
Paroles  et  ses  faits  semblaient  miraculeux  à  tous  ceux  qui  avaient  été  en 
sa  compagnie.  —  Donc  Bedford  et  les  dessus  nommés  la  tinrent  en  leurs 

*•  U  chroniqueur  comprend  sans  doute  dans  ces  quatre  mois  la  captivité  au  chà- 
'wu  de  Beaurevoir,  dont  il  ne  parle  pas. 

*-Perceval  de  Cagny  vivait  loin  du  drame  de  Rouen,  qu'on  prit  tant  de  soin  de 
ûénaïufgj.  —  Le  24  mai  eut  lieu  au  cimetière  de  Saint-Ouen  la  scène  de  la  prétendue 
"^jûfalion.  Ce  fut  le  30  mai  que  la  sentence  fut  intimée  à  la  Martyre,  et  qu'elle  fut 
eiecuiée.  Toute  la  phrase  du  chroniqueur,  fort  longue,  est  embrouillée  et  peu  fran- 
Ç*'8€.  Le  manuscrit  primitif  doit  être  mal  reproduit. 


198  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

prisons  à  Rouen.  Très  envieux  de  sa  vie  et  de  son  état,  ils  la  question- 
nèrent et  la  firent  questionner  de  toutes  les  manières  qu'ils  purent  et 
surent,  désirant  de  tout  leur  pouvoir  savoir  trouver  en  elle  et  sur  elle 
quelque  semblant  d'hérésie,  soit  en  ce  qu'elle  se  disait  messagère  de 
Dieu,  soit  en  ce  qu'elle  se  tenait  en  habit  désordonné,  vêtue  en  homme, 
chevauchait  armée,  et  par  paroles  et  par  faits  se  mêlait  de  tous  les  faits 
d'armes  que  le  connétable  et  les  maréchaux  pourraient  et  devraient  faire 
en  temps  de  guerre.  Sur  ces  cas  ils  la  prêchèrent,  et  en  présence  de 
plusieurs  évêques,  abbés  et  autres  clercs,  ils  firent  lire  plusieurs  articles 
contre  elle  ;  en  la  parfin  ils  émirent  leurs  avis,  et  par  eux  elle  fut  jugée, 
et  condamnée  à  être  brûlée. 

Quand  la  Pucelle  fut  arse.  —  On  devine  que  pour  une  exécution  de  si 
grand  cas,  les  gens  de  la  justice  du  roi  d'Angleterre  à  Rouen  firent  pré- 
parer un  lieu  convenable,  et  ordonnèrent  tous  les  apprêts  de  justice,  pour 
que  cette  exécution  put  être  vue  de  très  grand  peuple.  Ledit  xxiv*  jour 
de  mai,  environ  l'heure  de  midi,  la  Pucelle  fut  amenée,  le  visage  enve- 
loppé, du  château  au  lieu  où  le  feu  était  prêt.  Certaines  choses  furent 
lues  en  ladite  place,  et  après,  elle  fut  liée  au  poteau  et  brûlée.  Ainsi  l'ont 
rapporté  ceux  qui  disaient  Tavoir  vu*. 


IV 

Perceval  de  Cagny  a  continué  sa  Chronique  jusqu'en  1438.  11  peut 
être  utile  pour  l'histoire  de  la  Pucelle  de  recueillir  les  passages  suivants  : 

«  En  l'an  MCCCCXXXlll,  le  iv  du  mois  de  juin,  le  sire  de  LaTrémoille 
qui  avoit,  seul  et  pour  le  tout,  le  gouvernement  du  corps  du  roy,de  toutes 
ses  finances,  et  des  forteresses  de  son  domaine  estant  en  son  obéissance, 
fut  pris  par  nuictau  chastel  de  Chinon,  le  roi  logé  dedans.  Fit  cette  prise 
le  sire  de  Bueil  ;  à  ce  que  l'on  dit  par  l'ordonnance  de  la  reine  de  Sicile  et 
de  (Charles  d'Anjou,   son  fils,  à  l'aide  du  sire  de  Gaucourt  et  d'autres.  » 

A  propos  du  traité  d'Arras,  Cagny  a  encore  un  mot  sur  la  Pucelle.  La 
Pucelle  prédisait  ce  traité  lorsque  le  17  mars  elle  répondait  aux  accusa- 
teurs de  Rouen  :  «  Vous  verrez  que  les  Français  gagneront  bientôt  une 
grande  besogne ^  que  Dieu  enverra  aux  Français;  et  tant  quil  branlera 
presque  tout  le  royaiune  ».  Le  retour  du  duc  de  Bourgogne  au  parti 
français  produisit  en  effet  un  ébranlement  dans  tout  le  royaume. 
Les  Anglais  perdirent  leur  grand  appui  ;  mais  le  tout-puissant  duc  mit  à 
sa  réconciliation  des  conditions  fort  onéreuses  et  très  humiliantes  pour 

1.  Ces  derniers  mois  sont  une  protestation  contre  la  fausse  pucelle,  qui  faisait  parler 
d'elle  au  moment  où  de  Cagny  écrivait. 


LA  CHRONIQUE  DE  PERCEVAL  DE  CAGNY.  199 

le  roi.  Elles  indignent  le  vieux  serviteur  des  d'Alençon.  Il  écrit  à  cette 
occasion  : 

«  Depuis  que  le  roy  s'en  vint  de  la  ville  de  Sainct-Denys,  il  montra  si 
petit  vouloir  de  se  mettre  sur  {en  campagne)  pour  conquérir  son  royaume, 
que  tous  ses  chevaliers  et  escuyers  et  les  bonnes  villes  de  son  obéissance 
s'en  donnoient  très  grande  merveille.  Il  sembloit  à  la  plupart  que  ses 
plus  proches  conseillers  étoient  fort  de  son  vouloir,  et  qu'il  leur  suffisoit 
de  passer  le  tems  et  de  vivre,  surtout  depuis  la  prise  de  la  Pucelle,  par 
laquelle  le  roy  avoit  reçu  et  acquis  de  très  grands  honneurs,  et  les  biens 
cy-dessus  déclarés,  et  cela  uniquement  par  son  moyen  et  ses  bonnes 
entreprises.  Le  roy  et  ses  conseillers,  depuis  ladite  prise,  se  trouvèrent 
plus  abaissés  de  bon  vouloir  que  par  avant  ;  si  bien  que  pour  que  le  roy 
put  vivre  et  demeurer  en  son  royaume,  et  s'y  trouver  en  paix,  aucun 
d'eux  ne  sut  imaginer  d'autre  moyen  que  de  pouvoir  faire  des  appointe- 
mens  avec  le  roy  d'Angleterre  et  le  duc  de  Bourgogne.  Le  roy  montra 
bien  qu'il  en  avoit  très  grand  vouloir,  puisque  il  aima  mieux  donner  très 
largement  des  héritages  de  la  couronne  et  de  ses  meubles,  que  de  s'armer 
et  soutenir  le  faix  de  la  guerre.  » 

Il  écrit  encore  à  la  même  date  :  «  Comme  on  peut  le  voir  par  ce  qui  est 
écrit  cy-dessus,  le  roy  et  les  prochains  de  son  conseil  n'avaient  pas  grande 
volonté  de  s'armer  et  de  faire  la  guerre  de  leur  personne.  Pour  cela  les 
seigneurs  du  sang  du  roy  par  deçà  la  Seine,  les  ducs  d'Alençon  et  de 
Bourbon,  et  Messire  Charles  d'Anjou,  s'en  sont  passés  aisément.  Ils  ont 
entièrement  laissé  démener  la  guerre  au  comte  de  Richemont,  connétable 
de  France,  et  à  de  simples  capitaines  de  grand  courage  et  bon  vouloir, 
nommés  LaHire  et  Potonde  Xaintrailles  et  autres,  quigrandement  à  leur 
pouvoir  ont  soutenu  le  faix  et  la  guerre  du  roy.  » 

£n  interrompant  la  mission  de  la  Pucelle,  le  roi  et  ses  conseillers  ont 
attiré  sur  la  France  vingt  ans  de  guerre,  les  humiliations  du  traité 
d'Arras  avec  ses  suites,  la  période  dite  des  «  Écorcheurs  »,  et  empêché  des 
faveurs  qu'elle  promettait. 


LE  GREFFIER  DE  LA  ROCHELLE 

REMARQUES  CRITIQUES. 

C'est  près  de  trente  ans  après  la  publication  de  son  grand  ouvrage,  que 
J,  Quicherat  édita  la  relation  qui  va  suivre,  d'abord  dans  la  Revue  hisia- 
rique  française^  et  ensuite  dans  une  plaquette  tirée  à  soixante  exem- 
plaires. Voici  comment  le  célèbre  éruditnous  fait  connaître  le  document 
qu'il  a  tiré  de  la  poussière  des  archives. 

«  C'est  un  extrait,  fait  au  xvi*  siècle,  de  l'un  des  registres  depuis  long- 
temps détruits  de  l'hôtel  de  ville  de  La  Rochelle.  Le  manuscrit  existe 
à  la  bibliothèque  publique  de  La  Rochelle.  Il  forme  un  cahier  qui 
s'annonce  sous  ce  titre  :  «  Extrait  de  la  matricule  des  maires^  échevins  de  la 
ville  de  La  Rochelle,  contenue  au  livre  Noir  estant  en  parchemin^  dans 
lequel  sont  insérez  les  choses  qui  sont  survenues  de  remarque  et  dignes  de 
mémoire  en  chascune  mairie,  commençant  en  l'an  mil  cent  quatre-vingt- 
dix-neuf,  maire  Robert  de  Monttniral  ». 

Le  texte  fut  soigneusement  copié  pour  Quicherat  par  Tarchiviste  du 
département,  M.  de  Richemont. 

C'est  une  relation  des  gestes  de  la  Pucelle,  jusqu'à  l'attaque  contre 
Paris  inclusivement,  avec  une  mention  en  quelques  lignes  de  la  prise  de 
la  Pucelle,  de  sa  captivité  et  de  son  inique  supplice. 

Il  n'y  a  pas  de  doute  possible,  dit  Quicherat,  que  la  relation  n'ait  été 
faite  par  le  greffier  de  l'hôtel  de  ville,  durant  le  temps  si  court  où  Jeanne 
d'Arc  était  sur  la  scène,  non  pas  au  jour  le  jour,  mais  apparemment 
après  la  tentative  infructueuse  contre  Paris.  On  aura  ajouté  plus  tard  le 
paragraphe  sur  la  fin  de  l'héroïne. 

La  Rochelle  fut  une  des  villes  les  plus  fidèles  au  parti  national.  Rien 
de  plus  émouvant  que  sa  résistance  au  traité  de  Brétigny  qui  )a  livrait 
à  l'Angleterre.  Le  passage  du  chroniqueur  Froissard  a  été  cité  dans  le 
précédent  volume  ^  Charles  VII  encore  dauphin  y  convoqua  une  assemblée 
des  notables,  où  l'accident  d'un  plancher  qui  s'écroula  sous  le  poids  des 
assistants  faillit  le  faire  périr.  La  Rochelle  envoya  des  secours  pécu- 

\ .  La  Paysanne  et  VlnspiréCy  p.  254. 


202  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 


CHAPITRE    PREMIER 

L.\  PUCELLE  JUSQU'A  SON  ENTRÉE  A  ORLÉANS. 

Sommaire  :  l.  —  Arrivée  de  la  Pucelle.  —  Son  âge,  son  pays,  son  costume.  —  Vains 
efforts  pour  la  tromper  sur  la  personne  du  roi.  —  Explications  qu'elle  donne  sur 
son  passé. 

H.  —  L*examen  auquel  elle  est  soumise  ne  révèle  rien  que  de  favorable.  —  Son  amour 
de  la  confession  et  de  la  communion,  son  incroyable  abstinence.  —  Elle  émerveille 
les  docteurs  de  Poitiers.  —  Gardée  auprès  de  la  dame  Rabateau.  —  Détails  sur  Tépée 
de  Fierbois.  —  Armée,  elle  excelle  dans  les  exercices  de  la  guerre,  et  spécialement  le 
maniement  du  cheval.  —  L'écu  de  son  étendard.  —  Sa  lettre  aux  Anglais.  —  Sa 
sainte  vie.  —  Son  zèle  à  faire  confesser  la  cour. 


1 

L'an  de  grâce  mil  quatre  cent  vingt  et  neuf  fut  maire  de  la  La  Rochelle 
honorable  homme,  sire  Hugues  Guibert. 

Item,  —  Le  xxxiii®  jour  dudit  mois  de  février',  vient  devers  le  roi  notre 
seigneur,  qui  était  à  Chinon,  une  Pucelle  de  Tâge  de  seize  à  dix-sept 
ans,  née  à  Vaucouleurs  en  la  duché  de  Lorraine*  laquelle  avait  nom 
Jeanne  et  était  en  habits  d'homme,  c'est  à  savoir  :  pourpoint  noir, 
chausses  attachées^,  robe  courte  de  gros  gris  noir,  cheveux  [coupés) 
ronds,  et  noirs,  et  un  chapeau  noir  sur  la  tôte.  Elle  avait  en  sa  compa- 
gnie quatre  écuyers  qui  la  conduisaient.  Quand  elle  fut  arrivé  audit  lieu 
de  Chinon,  où,  comme  il  est  dit,  le  roi  était,  elle  demanda  à  lui  parler. 
Et  alors  on  lui  montra  Monsg'  Charles  de  Bourbon,  en  feignant  que 
c'était  le  roi  ;  mais  elle  dit  aussitôt^  que  ce  n'était  pas  le  roi,  et  qu'elle 
le  connaîtrait  bien,  si  elle  le  voyait,  encore  que  jamais  elle  ne  l'eût  vu*. 
Après  l'on  fit  venir  un  écuyer  en  feignant  que  c'était  le  roi;  mais  elle 
connut  bien  qu'il  ne  l'était  pas;  et   bientôt  après  le  roi  sortit  d'une 

1.  La  Pucelle  partit  de  Vaucouleurs  le  23  février  et  n'arriva  à  Chinon  que  le  6  mars. 
Ni  Vaucouleurs,  ni  Domrémy  ne  relevaient  du  duché  de  Lorraine,  mais  bien,  ecclé- 
siastiquement,  de  1  evèché  de  Toul  qui  était  comme  le  cœur  des  pays  compris  sous  le 
nom  de  Lorraine.  Le  greffier  aura  confondu  le  diocèse  et  le  duché.  Ceux  qui  aujour- 
d'hui disent  évêque  de  tel  département,  ou  curé  de  telle  commune,  commettent 
une  faute  encore  plus   inexcusable. 

2.  Estachées. 

3.  Tantost, 

4.  Combien  que  oncques  ne  Veust  vu. 


LE  GREFFIER  DE  LA  ROCHELLE.  203 

chambre,  et  aussitôt  qu'elle  le  vit,  elle  dit  que  c'était  lui*,  et  elle  lui  dit 
qu'elle  était  venue  à  lui  de  par  le  Roi  du  Ciel,  et  qu'elle  voulait  lui  parler. 
Et  raconte-t-on  *  qu'elle  lui  dit  en  secret  certaines  choses,  dont  le  roi 
fut  bien  émerveillé. 

Après,  la  Pucelle  lui  dit  que  s'il  voulait  faire  ce  qu'elle  lui  ordonne- 
rait, il  recouvrerait  sa  seigneurie,  et  les  Anglais  s*en  iraient  hors  de  son 
royaume.  Le  roi  notre  seigneur,  bien  émerveillé  de  la  venue  et  du  dire 
de  cette  Pucelle  et  de  son  état,  la  fit  interroger  d'où  elle  était,  quelle  avait 
été  sa  vie',  et  pour  quelle  cause  elle  était  venue.  Elle  répondit  qu'elle 
était  dudit  lieu  de  Vaucouleurs  en  Lorraine,  qu'elle  avait  toujours  gardé 
les  brebis,  et  qu'en  les  gardant,  lui  étaient  venus  par  plusieurs  fois  des 
visions  et  des  avertissements^  de  venir  par  devers  le  roi  notredit  sei- 
gneur ;  que  pour  cette  cause  elle  s'était  mise  en  chemin  et  était  venue 
de  par  le  Roi  du  Ciel.  Si  le  roi  voulait  faire  ce  qu'elle  lui  ordonnerait, 
les  Anglais  s'en  iraient  tous  de  son  royaume,  ou  y  mourraient  ;  et  il 
recouvrerait  tout  ce  qu'il  y  avait  perdu. 


II 

Le  roi  la  fit  aussi  interroger  par  ceux  de  son  conseil,  tant  clercs  que 
laïques,  pour  savoir  si  on  ne  la  trouverait  point  variant  en  ses  paroles; 
mais  elle  fut  trouvée  en  tel  état  qu'il  n'était  aucun  seigneur,  quel  qu'il 
fût',  qui  pût  rien  découvrir  contre  elle,  ni  la  reprendre  de  chose  qu'elle 
dit. 

Elle  faisait  sa  confession  chaque  jour  et  recevait  le  corps  du  Seigneur,  j  I  1 
était  femme  de  grande  dévotion  et  de  sainte  vie,  et  buvait  et  mangeait  ^ 
si  peu  que  rien*. 

La  Pucelle  demeura  quelques  jours  à  Chinon  avec  le  roi  notre  sei- 
gneur, et  après  il  s'en  vint  à  Poitiers,  et  elle  avec  lui.  A  Poitiers  le  roi 
la  fit  interroger  par  clercs  grands  et  excellents.  Ils  la  trouvèrent  si  ferme, 
répondant  si  bien  à  tout  ce  qu'on  lui  demandait,  que  ceux  qui  lui  par- 
laient en  étaient  tout  émerveillés,  et  disaient  tenir  que  son  fait  venait  et 
procédait  de  Dieu. 

Elle  fut  ensuite  donnée  en  garde  à  la  femme  de  Jean  Rabateau,  auprès 

1 .  Tantost  qu'elle  le  vit,  elle  dit  que  c'estoit  iL 

2.  Et  dit-on. 

3.  De  quoi  elle  avoit  usé. 

4.  Advisions  et  admonestemens. 

5.  Tel  fust-il. 

6.  Elle  se  fasoit  à  confesser  chascun  jour  et  recevoit  Corpus  Domini...  et  ne  buvoit  et 
mangeoit  comme  rien. 


204  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC:  LA  LIBÉRATRICE. 

de  laquelle  elle  demeura  quelque  temps,  durant  lequel  temps  elle  disait 
de  merveilleuses  choses,  tout  en  poursuivant  chaque  jour  le  roi,  pour 
qu'il  assemblât  ses  gens,  afin  de  faire  lever  le  siège  de  devant  Orléans. 

Pendant  qu'elle  était  à  Poitiers,  le  roi,  sur  ses  indications,  lui  fit  faire 
une  armure  pour  son  corps'.  Cette  armure  faite,  elle  demanda  au  roi 
d'envoyer  un  chevaucheur  à  Sainte-Catherine-de-Fierbois*,  quérir  une 
épée  qui  était  dans  un  coffre'  devant  le  grand-autel  de  l'église.  Le  roi  y 
envoya  aussitôt  un  chevaucheur  qui  demanda  aux  fabriciens*  de  l'église 
ladite  épée.  Ils  répondirent  qu'ils  ne  savaient  de  quoi  on  leur  parlait  ^ 
Le  chevaucheur  leur  dit  de  faire  diligence  pour  la  trouver,  que  le  roi  et 
la  Pucelle  le  leur  mandaient.  Les  fabriciens  et  le  chevaucheur  allèrent 
devant  l'autel,  et  dans  un  vieux  coffre  qui,  disaient  les  fabriciens, 
n'avait  pas  été  ouvert  depuis  passé  vingt  ans,  ils  trouvèrent  Tépée 
demandée.  Le  chevaucheur  l'apporta  à  la  Pucelle  qui  l'envoya  à  Tours 
pour  y  faire  faire  un  fourreau  d'ornement  d'Église  (sic). 

La  Pucelle  étant  à  Poitiers  prit  ses  armures  aussitôt  que  son  harnais 
fut  prêt.  Elle  allait  aux  champs  avec  les  gens  de  guerre,  et  elle  courait  la 
lance  aussi  bien  et  mieux  qu'aucun  homme  d'armes  qui  y  fût  ;  elle  che- 
vauchait les  coursiers  noirs,  tels  et  si  malicieux  qu'il  n'était  nul  qui 
osât  en  réalité  les  chevaucher^;  elle  faisait  tant  d'autres  merveilles 
que  chacun  en  était  tout  émerveillé. 

Elle  fit  faire  à  Poitiers  son  étendard,  sur  lequel  était  un  écu  d'azur; 
et  au  dedans  de  l'écu  im  colombeau  blanc,  qui  tenait  en  son  bec  un  rôle 
sur  lequel  était  écrit  :  De  par  le  Roi  du  Ciel', 

Cela  fait,  elle  écrivit  aux  Anglais  du  siège  d'Orléans  une  lettre  close, 
dans  la  forme  qui  suit... 

Le  texte  est  celui  de  la  Chronique  des  Cousinot,  page  74  ;  au  lieu  de 
vous  bouter  hors  de  France,  le  greffier  écrit  :  vous  bouter  hors  de  toute 
France;  au  lieu  de  compagnons  d'armes^  gentils  et  vaillants^  il  dit  : 
compagnofis  d'arènes,  gentils  et  vilains;  vilains  signifiait  alors  homme  libre 
de  la  campagne;  les  vilains  étaient  nombreux  dans  l'armée  anglaise;  ils 
sont  ici  opposés  à  gentils  qui  signifie  nobles;  ce  texte  nous  semble  préfé- 

!.  <«  Le  roy  par  son  ordonnance  lui  lit  faire  une  arnais  pour  son  corps  ».  Voir  dans 
Laci  iiNK  la  signification  de  ordonnance  et  de  harnais  au  moyen  âge. 

2.  Le  texte  j)orte  Sainte-Bradine  d^EscoboiSy  d'après  Quicherat. 

A.  «  Kn  unne  arche  devant  le  grand  hoslel  Uin  de  l'église  ». 

4.  <(  Fal)riqueurs  ». 

r».  «  Ne  savoient  que  c  estoil  ». 

0.  «  Chevauchoil  coursiers  noirs,  de  tels  et  si  malicieux  qu'il  n'estoit  nul  qui  bonne- 
ment les  osast  chevaucher  ». 

7.  «  Et  lit  faire  au  dit  lieu  de  Poitiers  son  estendard,  auquel  y  avoit  un  escu  d  azur, 
et  un  coulon  blanc  dedans  ycelluy  estoit,  lequel  coulon  tenoit  un  rôle  en  son  bec  ou 
avoit  escrit  de  par  le  roy  du  Ciel  ». 


LE  GREFFIER   DE  LA  ROCHELLE.  205 

rable.  Nous  le  retrouverons  dans  d'autres  Chroniques.  Le  greffier  con- 
tinue ainsi  : 

La  Pucelle  était  de  sainte  vie.  Elle  se  confessait  bien  souvent  et  rece- 
vait Corpus  Domini y  et  le  faisait  faire  au  roi  notre  seigneur,  et  à  tous  les 
chefs  de  guerre,  et  à  leurs  gens. 


CHAPITRE   II 

DÉLIVRANCE     D'ORLÉANS. 

SosiMAiRE  :  1.  —  Préparation  du  ravitaillement  d'Orléans.  —  Introduction  sans  obs- 
tacle d'un  double  convoi  par  la  Sologne  et  par  laBeauce.  —  Prise  de  la  bastille  Saint- 
Loup. 

If.  —  Préparation  religieuse  à  l'assaut  contre  la  bastille  desAugustins.  —  Conquête  de 
la  bastille.  —Le  lendemain,  conquête  des  Tourelles.  —  Les  défenseurs  :  Glacidas; 
noyade. —  Longueur  de  l'assaut;  émerveillement  des  guerriers  après  une  con- 
quête qui  semblait  impossible.  — -  Attitude  de  la  Pucelle.  Son  courage  malgré  une 
grave  blessure.  —  Sommation  à  Talbot.  —  Départ  des  Anglais.  —  Processions  à 
La  Rocbelle. 

I 

Après  qu'elle  eut  écrit  aux  Anglais  ces  lettres  closes,  elle  fit  ses  dispo- 
sitions^ pour  aller  ravitailler  la  cité  d'Orléans  et  s'y  rendre  en  personne. 
Étaient  avec  elle  Mons»'  de  Rais,  M.  le  bâtard  d'Orléans,  La  Hire,  et 
plusieurs  autres  seigneurs  et  gens  de  guerre.  Elle  fit  tant  qu'elle  y  entra, 
et  y  fit  entrer,  le  mercredi  huitième  *  jour  de  mai,  l'an  MCCCCXXIX, 
grande  quantité  de  vivres.  Elle-même  et  lesdits  seigneurs  y  entrèrent, 
sans  que  les  Anglais  sortissent  de  leurs  retranchements,  et  y  missent 
aucun  empêchement. 

Quand  elle  fut  entrée  dans  la  ville^,  elle  fît  retourner  les  seigneurs  à 
Blois  quérir  le  reste  des  vivres  qui  y  avaient  été  laissés,  et  leur  ordonna 
de  les  mener  hardiment  par  la  Beauce  et  de  n'avoir  pas  peur  ;  car  ils  ne 
trouveraient  personne  qui  se  mît  à  leur  traverse.  Les  seigneurs  allèrent 
à  Blois,  amenèrent  ce  qui  restait  des  vivres  par  la  Beauce,  sans  que  les 
Anglais  se  montrassent.  Par  ces  vivres  les  bonnes  gens  d'Orléans  furent 
tout  réconfortés;  car  ils  en  avaient  bien  nécessité. 

Les  vivres,  ainsi  entrés,  la  Pucelle,  les  seigneurs  et  les  gens  de  guerre, 

\ .  Elle  fit  son  ordonnance. 

2.  Date  inexacte,  ainsi  que  la  plupart  de  celles  qui  suivent.  Le  8  mai,  c'était  la  levée 
du  siège  d*Oriéans  ;  Jeanne  y  entra  le  vendredi  29  avril. 

3.  Le  fait  se  passa  avant  qu'elle  y  entrât. 


206  Là  vraie  JEANNE  D'ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

allèrent  devant  la  bastide  Saint-Loup,  la  prirent  de  force  et  par  assaut  ; 
et  il  y  mourut  bien  sept-vingts  Anglais  (140). 


II 

Item,  —  Le  vendredi  qui  suivit,  dixième  jour  (6)  de  mai,  la  Pucelle 
prit  ses  dispositions*  pour  assaillir  le  boulevard  du  pont  et  le  couvent* 
des  Augustins  ;  et  de  fait  elle  y  alla  avec  les  seigneurs  de  sa  compagnie. 
Après  qu'ils  eurent  entendu  la  messe  avec  leurs  gens,  et  se  fussent  con- 
fessés sur  Tordre  de  la  Pucelle,  elle  fit  crier  et  publier  à  son  de  trompe  : 
«  A  Tassant!  »  et  ils  s'emparèrent  promptement  du  couvent  des  Au- 
gustins. 

Le  lendemain  ils  prirent  aussi,  à  la  suite  d'un  bel  assaut,  le  boulevard 
du  bout  du  pont,  où  il  y  avait  bien  de  six  à  sept  cents  hommes  d'armes, 
ayant  pour  chef  Glacidas,  lieutenant  du  comte  de  Salisbury '.  Ce  Glacidas, 
en  se  retirant  dans  une  tour,  tomba  dans  la  Loire,  et  il  en  tomba  bien 
avec  lui  deux  ou  trois  cents  de  sa  compagnie,  le  pont  par  lequel  ils 
fuyaient  étant  venu  à  rompre  :  les  autres  furent  tués,  ou  faits  pri- 
sonniers. 

L'assaut  dura  bien  cinq  heures.  Parmi  nos  gens  il  ne  mourut  qu'un 
champion.  Les  seigneurs  et  tout  le  peuple  furent  bien  émerveillés  de 
cette  victoire;  car  le  boulevard  était  si  fort  que  Ton  tenait  que  tout  le 
monde  n'aurait  pu  le  prendre  sur  les  Anglais  qui  le  défendaient,  tant 
qu'ils  auraient  eu  des  vivres,  à  moins  cependant  que  ce  ne  fût  par  grâce 
et  puissance  divine. 

A  cet  assaut  la  Pucelle  était  armée  tout  à  blanc*,  son  étendard  dans 
une  main,  son  épée  dans  Tautre.  Elle  y  fut  blessée  d'un  trait  dans  la  poi- 
trine, mais  elle  n'en  partit  pas  pour  cela,  et  n'en  fit  compte,  encore  que 
ceux  qui  en  furent  les  témoins  et  la  virent  oter  le  trait,  aient  dit  qu'elle 
saigna  grandement  et  qu'elle  était  bien  blessée. 

Ce  nonobstant,  elle  manda  au  comte  de  Talbot,  qui  tenait  la  bas- 
tide du  côté  de  la  Beauce,  de  s'en  aller  de  par  Dieu,  et  qu'en  tout  cas^ 
elle  ne  le  trouvât  pas  le  lundi  matin  suivant,  sans  quoi  il  lui  en  prendrait 
mat.  Talbot  quitta  ladite  bastide  le  dimanche  matin,  et  s'en  alla  en 
d'autres  forteresses  anglaises  qui  étaient  autour  d'Orléans.  Les  Anglais 

i .  Fit  son  ordonnance. 

2.  Le  dit  hosteL 

3.  11  faudrait  plutôt  dire  successeur  dans  le  commandement. 

4.  Armé  à  blanc^  en  blanc,  se  disait  d'un  guerrier  qui  n'avait  sur  ses  armes  aucune 
espèce  d'ornement,  peinture,  armoirie.  (L\cl'rne.) 

5.  Et  comment  qu'il  fust. 


LE  GREFFIER  DE  LA   ROCHELLE.  207 

laissèrent  leurs  bombardes,  canons,   artillerie  et  autres   machines  de 
guerre,  et  une  grande  provision  de  vivres  ;  tout  fut  amené  à  Orléans. 
A  Tannonce  de  ces  nouvelles.  Ton  Qt  à  La  Rochelle,  deux  fois  dans  la 
semaine,  de  générales  et  dévotes  processions. 


CHAPITRE  III 

Campagne  de  la  loire. 

Sommaire  :  I.  —  Le  greffier  affirme  à  tort  que  le  roi  se  rendit  à  Orléans  avec  la 
Pucelle.  —  Siège  de  Jargeau.  —  SufTolk  ne  veut  se  rendre  qu'à  la  Pucelle.  —  Nombre 
des  défenseurs  de  Jargeau,  d'après  Suffolk.  —  Reddition  de  Baugency.  —  Les 
conditions. 

II.  —  Victoire  de  Patay,  les  morts  et  les  prisonniers.  —  Le  nombre  des  combattants  de 
Tannée  française,  d'après  une  lettre  du  roi.  —  Détails  intéressants  sur  la  manière 
dont  on  rendit  grâces  à  Dieu  à  La  Rochelle. 


I 

Iteni.  —  Après  ces  événements,  la  Pucelle  s'en  alla  vers  le  roi  pour  le 
prendre  et  Tamener  à  Orléans.  Elle  demeura  quelques  jours  avec  lui,  et 
quittant  de  nouveau  Orléans  *,  elle  ella  mettre  le  siège  devant  Jargeau, 
où  étaient  le  comte  de  Suffolk,  le  comte  de  la  Poule,  et  d'autres  seigneurs 
anglais,  à  grande  puissance. 

Aussitôt  que  la  Pucelle  fut  devant  Jargeau,  le  comte  de  Suffolk  en 
sortit  pour  aller  vers  Mons^  le  bâtard  d'Orléans  lui  demander  que  l'on 
ne  donnât  pas  l'assaut  à  la  ville,  et  qu'il  la  rendrait  ^  ;  mais,  ce  nonob- 
stant, la  place  fut  assaillie  par  l'un  des  côtés  sur  l'ordre  de  la  Pucelle,  et 
fui  promptement    prise    d'assaut   le     vendredi    x*    jour   de    juin    {le 
immche  12)  de  l'an  MCCCCXXIX. 

Quant  le  comte  de  Suffolk  vit  que  la  ville  était  prise,  et  que  Mons' 
d'Alençon  qui  y  était  ',  et  d'autres  seigneurs  voulaient  le  faire  prisonnier, 
"dit  qu'il  ne  se  rendrait  pas  à  eux,  dût-il  être  mort;  et  il  cria  à  haute 
^Oix  :  «  Je  me  rends  à  la  Pucelle  qui  est  la  plus  vaillante  femme  du  monde, 
^*îui  doit  tous  nous  subjuguer  et  mettre  à  confusion  ».  Et,  de  fait,  il  vint 
■  ^  Pucelle  et  se  rendit  à  elle  ;  et  ledit  comte  de  la  Poule  fut  remis 
PJ'isonnier  à  mondit  seigneur  d'Alençon. 

*  •  Le  chroniqueur  a  Tair  d'indiquer  que  le  roi  vint  à  Orléans,  ce  qui  est  une  erreur. 
^-  Celait  un  piège.  Il  attendait  du  secours. 

^*  11  avait  le  titre  de  généralissime,  et  à  ce  titre  le  comte  de  Suffolk  fut  remis  entre 
^<^*  ïïïains. 


208  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARG  :   LA  LIBÉRATRICE. 

A  ladite  prise  mourut  messire  Alexandre  de  la  Poule,  et  bien  de  cinq 
à  six  cents  Anglais,  et  les  autres  furent  faits  prisonniers.  Le  comte  de 
Suffolk,  après  qu'il  se  fut  ainsi  rendu,  attesta  et  affirma  par  serment  qu'il 
y  avait  dans  Jargeau  cinq  cents  chevaliers,  écuyers  et  autres  gens 
d'armes  des  meilleurs  de  toute  l'Angleterre,  et  deux  cents  archers  d'élite 
aussi,  des  meilleurs  d'Angleterre. 

Gela  fait,  la  Pucelle  et  les  seigneurs  susnommés  allèrent  mettre  le  si^c 
devant  Baugency  où  se  trouvaient  de  quatre  à  cinq  cents  Anglais,  qui 
remirent  bientôt  la  place  en  la  main  du  roi,  et  en  sortirent^  à  la  condition 
de  ne  pas  s'armer  contre  le  roi  jusqu'à  un  certain  temps. 


II 

Aussitôt  après  que  ladite  reddition  fut  faite,  ce  qui  fut  le  xvui«  jour 
de  juin,  Talbot,  Fastre  {Fastolf)^  Hongrefort,  Remston  de  Galles,  d'autres 
capitaines  et  plusieurs  Anglais  qui  étaient  nouvellement  arrivés  sur  la 
Loire,  jusques  au  nombre  d'environ  trois  cents  combattants  [trois  mille 
et  plus)^  quittèrent  la  place,  et  dans  leur  fuite  furent  poursuivis  par  nos 
gens,  si  bien  que  prisonniers  ou  morts  il  en  resta  sur  place  plus  de  deux 
mille  six  cents.  Il  n'échappa  aucun  des  chefs  anglais  que  tous  ne  fussent 
pris. 

Nos  gens  étaient  bien  seize  mille  combattants  et  plus,  ainsi  que  sur  ces 
choses  *  le  roi  notredit  seigneur  l'écrivit  à  Mons'  le  maire  et  à  Mess"  de 
La  Rochelle,  gens  d'église  et  autres. 

Ces  lettres  reçues,  M.  le  maire  s'en  alla  incontinent  en  l'église  Saint- 
Barthélémy  [Saint- Ber tomme)  de  cette  ville,  où  se  rendirent  le  plus 
grand  nombre  de  messieurs  les  bourgeois.  Là  il  fut  ordonné  de  faire 
promptement  sonner  les  services  par  toutes  les  églises  de  la  ville,  que 
chacun  s'assemblât  en  l'église  de  sa  paroisse  pour  y  remercier  Notre  Sei- 
gneur des  nouvelles  reçues,  en  chantant  le  Te  Deum  laudamus,  et  par 
d'autres  prières  et  oraisons  ;  que  ce  même  jour  au  soir  feux  nouveaux 
fussent  faits  par  les  carefours  de  la  ville,  et  qu'il  y  eût  le  lendemain  géné- 
rale et  dévote  procession  en  l'église  Notre-Dame  de  Losne.  Il  fut  fait 
ainsi  qu'il  avait  été  ordonné;  et  aux  petits  enfants  il  fut  donné  à  chacun 
une  fouace  %  pour  que  devant  ladite  procession,  ils  criassent  à  haute 
[pleine)  voix  :  NotH!  Noël! 

1.  S'emparent  dHcellCj  probablement  pour  s'en  partirent. 

2.  Ainsi  que  ces  choses  le  roy  nostredit  S""  écrivit. 

3.  Fouace,  galette  faite  de  fleur  de  farine  cuite  sous  la  cendre.  (Lacurne.) 


210  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARG  :  LA  LIBÉRATRICE. 

sa  seigneurie,  et  qu'il  était  d'avis  et  leur  conseillait  de  lui  ouvrir  et  de 
lui  faire  obéissance,  ainsi  que  raison  était  et  qu'ils  y  étaient  tenus. 
A  quoi  le  bailli  et  ceux  de  la  garnison  opposèrent  grande  contradiction  ; 
mais  néanmoins  tous  ceux  de  la  ville  étaient  d'accord  avec  leur  évèque. 

Pendant  que  Tévêque  traitait  avec  le  bailli  et  avec  ceux  de  la  garnison, 
un  saint  prud'homme,  Cordelier,  en  qui  tous  ceux  de  la  ville  et  du  pays 
avaient  grande  foi  et  confiance,  sortit  de  la  ville  pour  aller  voir  la  Pucelle. 
Sitôt  qu'il  la  vit,  et  d'assez  loin,  il  s'agenouilla  devant  elle;  et  quand  la 
Pucelle  le  vit,  elle  s'agenouilla  pareillement  devant  lui;  ils  se  firent  l'un 
à  l'autre  grand  accueil  et  grande  révérence,  et  parlèrent  longtemps 
ensemble. 

Quand  ils  se  furent  séparés,  le  Cordelier  rentra  dans  la  ville  et  prêcha 
très  grandement  au  peuple,  en  le  pressant  de  faire  son  devoir  envers  le 
roi,  lui  remontrant  comment  Dieu  dirigeait  son  fait*,  et  lui  avait  baillé 
pour  l'accompagner  et  le  conduire  à  son  sacre  une  sainte  Pucelle,  qui, 
comme  il  le  croyait  fermement,  savait  autant,  et  avait  aussi  grande 
puissance  de  savoir  les  secrets  de  Dieu  que  saint  qui  fût  en  paradis, 

w 

après  saint  Jean  l'Evangéliste;  que,  si  elle  voulait,  elle  avait  assez  de 
puissance  pour  faire  entrer  tous  les  gens  d'armes  du  roi  en  la  ville  par- 
dessus les  murs,  en  quelque  manière  qu'elle  voudrait,  et  plusieurs  autres 
choses.  Incontinent  tous  crièrent  à  vive  voix  :  «  Vive  le  roi  Charles  de 
France!  » 

Quelques-uns  de  ceux  de  la  ville  vinrent  vers  le  roi  lui  faire  obéissance 
pour  toute  la  cité  et  lui  crier  merci  [pardo7i)^  le  suppliant  de  vouloir  bien 
avoir  la  ville  pour  recommandée,  de  sorte  qu'elle  ne  fût  point  pillée 
ni  ravagée  ^,  excusant  les  habitants  par  ce  qui  a  été  dit,  l'assurant  que 
toutes  les  fois  qu'il  lui  plairait,  il  entrerait  chez  eux  à  telle  puissance 
qu'il  voudrait. 

Le  roi  fut  content  de  ces  offres;  il  ordonna  que  tous  ceux  qui  compo- 
saient la  garnison  qui  voudraient  s'en  aller  s'en  allassent,  et  que  ceux 
qui  voudraient  demeurer  demeurassent.  Il  leur  pardonnait.  Quelques-uns 
s'en  allèrent  ;  la  plupart  restèrent,  et  le  roi,  pour  éviter  tout  dommage 
et  tout  pillage,  défendit  que  nul  n'entrât  dans  la  viHe  sans  congé.  Le 
dimanche,  le  lendemain,  le  roi  y  entra  à  toute  puissance,  et  fit  crier,  sous 
peine  de  la  hart,  que  personne  ne  fût  si  hardi  que  d'entrer  dans  les  maisons 
et  de  rien  prendre  contre  le  gré  et  la  volonté  des  possesseurs;  puis  il  s'en 
retourna  sous  sa  tente  où  il  passa  toute  la  journée.  Ceux  de  la  ville  envoyè- 
rent vers  lui  grands  présents  en  vivres  et  autres  choses. 

1.  «  Advisait  son  fait  ». 

2.  Ny  destruitle;  destruit  dans  le  langage  du  temps  aie  sens  de  u  ravager  »,  encore 
plus  que  celui  de  «  anéantir  ». 


LE  GREFFIER  DE  LA  ROCHELLE.  211 

Le  lendemain  lundi,  qui  fut  le  xi®  du  mois,  le  roi  alla  ouïr  la  messe 
en  ville,  et  là  ceux  de  Reims,  de  Châlons  *  et  d'autres  bonnes  villes, 
vinrent  lui  promettre  obéissance.  Ceux  de  Reims  disaient  que  depuis 
longtemps  *  ils  attendaient  sa  venue  à  grande  joie. 

Incontinent  après  la  messe  le  roi  partit  pour  Châlons,  sans  boire  ni 
manger.  Quand  le  roi  fut  passé  avec  tous  ses  gens,  ceux  de  la  ville  qui 
étaient  sur  les  murailles  virent  une  grande  compagnie  de  gens  d'armes, 
—  ils  étaient  bien  de  cinq  à  six  mille,  —  tous  casque  en  tête  ^  ayant 
chacun  une  lance  devant,  un  fanon  blanc  en  leur  main,  qui  suivaient  le 
roi,  comme  à  la  distance  d'un  trait  d'arc  ;  ils  les  avaient  vus  pareille- 
ment à  l'arrivée  devant  la  cité.  Sitôt  que  le  roi  eût  disparu*,  ils  ne  surent 
ce  qu'ils  devinrent. 

II 

Le  xvii'  jour  du  môme  mois  de  juillet,  le  roi  fut  sacré  et  couronné 
en  la  ville  de  Reims;  et  c'était  fort  belle  chose  de  voir  le  mystère;  car  il 
fut  aussi  solennel,  et  l'on  trouva  toutes  choses,  comme  habits  royaux,  et 
tous  autres  objets  à  lui  nécessaires,  aussi  bien  appointés  pour  l'accom- 
plir, que  si  le  roi  l'eût  mandé  un  an  d'avant.  Il  y  eut  tant  de  gens  que 
c'était  chose  infinie,  et  [infinie  aussi)  la  grande  joie  que  chacun  en  avait. 

MM.  le  duc  d'Alençon,  le  comte  de  Clermont,  le  comte  de  Ven- 
dôme, les  frères  de  Laval,  de  La  Trémoille  et  de  Gaucourt,  y  furent  en 
habit  royal  \  Mgr  d'Alençon  fît  habiller  le  roi.  Losdits  seigneurs 
représentèrent  les  pairs  de  France.  Mgr  d'Albret  tint  Fépée  devant 
le  roi  durant  ledit  mystère.  Les  pairs  de  l'Eglise  y  étaient  avec  leurs 
mitres  et  leurs  croix;  Messieurs  les  évoques  de  Reims  et  de  Châlons 
qui  sont  pairs  ;  et  au  lieu  des  autres,  les  évoques  de  Sens  {de  Séez)  et 
d'Orléans  et  deux  autres  prélats. 

Pour  aller  quérir  la  sainte  ampoule  en  l'abbaye  de  Saint-Rémy,  pour 
l'apporter  à  la  grande  église  de  Notre-Dame,  où  fut  fait  le  sacre,  furent 
ordonnés  le  maréchal  de  Boussac,  les  seigneurs  de  Rais,  Gra ville  et  La  Ilire 
avec  leur  quatre  bannières,  que  chacun  portait  en  sa  main.  Tous  quatre 
étaient  armés  de  toutes  pièces,  à  cheval,  bien  accompagnés,  pour  conduire 
Tahbé  dudit  lieu  qui  apportait  ladite  ampoule.  Ils  entrèrent  à  cheval  en 

1.  C'est  contraire  au  récit  de  Rogier,  que  l'on  verra  plus  loin,  au  moins  pour  Reims. 

2.  Que  pié  ça,  «  depuis  longtemps  ».  (Laclrne.) 

3.  Tous  armés  en  chef. 

4.  Sitost  que  le  roi  fut  bougé.  «  Sortir  d^un  lieu  »  est  une  des  acceptions  de  ce  mot. 

(L%CUR?iE.) 

5.  Qui  convient  au  roi,  «  somptueux  »  ;  ainsi  il  est  dit  :  «  Les  habits  des  capitouls  de 
Toulouse  sont  appelés  habits  royaux  » .  (Lacurne.) 


212  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

ladite  grande  église  et  desOBiidirent  à  l'entrée  du  chœur,  et  après  le  sacre 
ils  la  reconduisirent  en  même  état  à  Tabbaye. 

Le  sacre  dura  depuis  neuf  heures  jusques  à  deux  heures  après  mi-jour; 
et  à  rheure  que  le  roi  fut  sacré,  et  aussi  quand  on  lui  assit  la  couronne 
sur  la  tète,  tout  homme  criait  «  Noël!  »,  et  trompettes  sonnaient  en  telle 
manière  qu'il  semblait  que  les  voûtes  de  l'église  dussent  fendre. 

Durant  le  mystère,  la  Pucelle  se  tint  toujours  joignant  le  roi,  tenant 
son  étendard  à  la  main  ;  c'était  fort  belle  chose  de  voir  les  manières  que 
tenait  le  roi,  et  aussi  la  Pucelle. 

Ce  jour,  les  frères  de  Laval  furent  faits  comtes  parle  roi,  et  le  seigneur 
de  Rais  fut  fait  maréchal  ;  le  roi  fit  aussi  plusieurs  chevaliers,  les  seigneurs 
en  firent  pareillement,  tant  qu'il  en  eut  bien  trois  cents  nouveaux. 

Le  duc  de  Bourgogne,  qui  après  avoir  été  à  Paris,  était  venu  à  Laon, 
envoya,  le  même  xvii'  jour  de  juillet,  en  ce  même  lieu  de  Reims,  une 
ambassade  pour  traiter  son  appointement  {sa  réconciliation);  mais  cette 
ambassade  n'était  que  dissimulation  et  dans  la  pensée  d'amuser  le  roi, 
qui  était  disposé  d'aller  tout  droit  à  Paris. 


CHAPITRE  V 

CAMPAGNE    APRÈS    LE    SACRE. 

Sommaire  :  I.  —  Le  roi  devant  Paris.  — Escarmouches,  attaques;  blessure  de  la  Pucelle. 
—  Uelraite.  —  Matériel  de  guerre  des  Parisiens,  et  miraculeuse  préservation  des 
assiégeants.  —  Terreur  à  l'intérieur  de  la  ville.  —  Le  roi  se  retire  faute  de  vivres: 
dispositions  préalables.  —  Prise  et  reprise  de  Chûteau-Gaillard. 

H.  —  Martyre  de  la  Pucelle. 

I 

Après  que  le  roi  fut  ainsi  couronné,  lui,  la  Pucelle  et  son  armée  s'en 
vinrent  devant  la  ville  de  Paris,  et  le  long  du  chemin,  plusieurs  châteaux 
et  forteresses  se  rendirent  au  roi.  Le  roi  et  son  armée  demeurèrent 
devant  la  ville  de  Paris  durant  quelques  jours,  pendant  lesquels  la 
Pucelle  et  grand  nombre  de  nos  gens  entrent  et  passent  en  ladite  ville  et 
y  donnent  de  grands  assauts  *  [sic]  ;  mais  ils  se  retirèrent  à  cause  de  la 

I .  II  n'est  pas  possible  que  le  Greffier  ait  voulu  dire  que  les  assiégeants  sont  entrés 
dans  Paris.  11  faut  vraisemblablement  sous-entendre  les  faubourgs,  les  environs  de 
Paris.  Le  mot  rti/ies,  qui  vient  un  peu  plus  bas,  doit,  ce  semble,  être  pris  dans  le  sens 
de  fossés.  On  voit  au  reste  que  le  greffier  rochelois  connaissait  mal  cette  partie  de 
l'histoire  de  la  Libératrice. 


LE  GREFFIER   DE  LA  ROCHELLE.  213 

nuit,  lorsque  la  Pucelle  qui  était  es  dites  ruhes  [dans  les  fossés)  fut 
blessée  à  la  jambe;  elle  fut  promptement  guérie. 

Il  est  vrai  que  c'était  très  merveilleuse  chose  que  le  grand  nombre  de 
canons  et  de  coulevrines  que  ceux  de  Paris  tiraient  contre  nos  gens  : 
mais  jamais  homme  n'en  fut  ni  blessé  ni  tué,  du  moins  qu'on  ait  pu  le 
savoir,  si  ce  n'est  Jean  de  Villeneuve,  bourgeois  de  La  Rochelle,  qui  fut 
tué  d'un  coup  de  canon.  Il  advint  que  plusieurs  de  nos  gens  furent  frappés 
desdits  canons,  mais  sans  en  recevoir  aucun  mal.  Ils  ramassaient  les 
pierres  qui  les  avaient  atteints,  et  les  montraient  à  ceux  qui  étaient  sur 
les  murailles. 

Les  bourgeois  de  Paris,  pas  plus  que  les  Anglais  et  les  Bourguignons 
qui  étaient  avec  eux,  ne  furent  pas  si  hardis  que  de  tenter  une  sortie 
contre  nos  gens.  Tant  que  le  roi  notre  seigneur  fut  devant  Paris,  les 
habitants  avaient  si  grande  peur  que  lorsque  la  Pucelle  et  nos  gens 
donnèrent  l'assaut,  ils  s'enfuyaient  dans  les  églises,  pensant  que  la  ville 
était  prise.  C'est  ce  que  plusieurs  religieux,  et  d'autres  qui  se  trouvaient 
alors  à  Paris,  rapportèrent  au  roi  notre  seigneur. 

Le  roi,  par  manque  de  vivres,  s'en  retourna  les  renouveler  sur  la  rivière 
de  Loire,  laissant  le  plus  grand  nombre  de  ses  gens  en  garnison  dans 
les  villes,  les  châteaux  et  places  qu'il  avait  pris,  pour  continuer  la  guerre 
et  opposer*  leurs  fortifications  à  ceux  de  Paris. 

Item.  —  Bientôt  après,  La  Hire  et  ses  gens  prirent  par  escalade  le 
château  de  Gaillard,  château  très  fort  dans  lequel  Mgr  de  Barbazan 
était  prisonnier.  Il  fut  délivré  et  s'en  vint  devers  le  roi.  Mais,  quelque 
temps  après,  les  Anglais  vinrent  assiéger  le  dit  château,  et  parce  qu*il 
n'y  avait  pas  de  vivres,  le  château  se  remit  en  Tobéissance  du  roi  (des 
Anglais). 

II 

Les  lignes  suivantes  ont  été  probablement  ajoutées: 

Item.  —  Les  Bourguignons  et  les  Anglais  mirent  le  siège  devant 
Compiègne  où  était  la  Pucelle.  Dans  une  sortie  qu'elle  fit,  elle  fut  prise 
et  remise  prisonnière  à  Mgr  Jean  de  Luxembourg  qui  la  bailla  aux 
Anglais.  Ceux-ci,  après  l'avoir  ténue  quelque  temps  en  prison,  la  firent 
brûler  à  Rouen  en  Normandie  sur  faux  témoignages  et  fausses  accusations. 

1.  Pour  tenir  bastides  à  ceux  de  ladite  ville  de  Paris. 


LA  CHRONIQUE  DE  TOURNAY 

KEMARQUES  CRITIQUES. 

Tournay,  la  première  capitale  de  Clovis,  fut  durant  de  longs  siècles  une 
ville  des  plus  fidèles  au  sentiment  français.  Elle  Tétait  en  particulier 
au  temps  de  Jeanne  d'Arc.  La  Libératrice  écrivit  plusieurs  fois  à  Tournay, 
et,  durant  sa  prison,  —  on  le  verra  ailleurs,  —  elle  fit  appel  à  la  générosité 
de  ses  habitants,  et  les  pria,  non  vainement,  de  venir  en  aide  à  sa  détresse. 
Les  habitants  avaient  d'autant  plus  de  mérite  de  rester  fidèles  à  la 
cause  française  que  leur  évêque,  Jean  de  Thoisy,  était  un  des  tenants 
les  plus  décidés  de  la  cause  bourguignonne,  et  résidait  auprès  du  duc 
Philippe,  en  qualité  de  chancelier. 

Tout  ce  qui  concernait  le  parti  français  était  Tobjet  d'un  intérêt  à 
part  dans  une  ville  qui  consentait  à  s'isoler  de  toutes  les  autres,  pour 
s'attacher  à  un  prince  avec  lequel  elle  ne  pouvait  correspondre  quà 
travers  cent  lieues  de  pays  ennemi.  L'attachement  au  roi  de  France 
grandissait  de  tous  les  sacrifices  faits  par  la  population  pour  acheter 
du  duc  de  Bourgogne  une  paix  payée  fort  cher  et  troublée  par  ses 
partisans. 

Tournay  avait  son  chroniqueur  officiel.  Cela  résulte  de  la  résolution 
suivante  prise  le  7  janvier  1399,  et  ainsi  rapportée  par  M.  Vandenbroeck: 
«  Les  chefs  des  consaux  sont  chargés  d'aviser  comment  les  chroniques 
de  la  ville  seront  mises  et  escriptes  en  autres  fourmes  qu'elles  ne  sont, 
par  Frère  Mathieu  du  Val,  en  lui  faisant  satisfaction  raisonnable^  ».  Le 
Frère  du  Val  a-t-il  repris  les  Chroniques  à  partir  de  la  guerre  des  Flandres 
en  1204,  et  les  a-t-il  conduites  jusques  en  1453?  Il  aurait  dû  tenir  long- 
temps la  plume,  car  c'est  la  durée  de  la  Chronique  dont  un  extrait  va 
être  donné.  Le  manuscrit  se  trouve  à  la  Bibliothèque  royale  de  Bruxelles, 
nM9  684. 

Il  fut  imprimé  dans  le  troisième  volume  des  Chroniques  de  Flandres^ 
par  le  chanoine  de  Smet,  pénitencier  de  la  cathédrale  de  Saint-Bavon 
à  Gand,  sous  la  direction  de  la  Commission  royale  de  THistoire  de 
Belgique. 

Les  Chroniques  belges  publiées  par  cette  Société  comprennent  près  de 

1.  Extrait  analytique  des  registres  des  consaux  de  Tournay,  t.  I,  p  48. 


U  CHRONIQUE  DE  TOURNAY.  215 

cent  volumes,  in-quarto,  fort  épais.  Le  chanoine  de  Smet  éditait  celle 
de  Tournay  en  1856.  Les  pages  qui  ont  trait  à  notre  héroïne  ont  été 
assez  peu  connues  en  France,  ainsi  que  les  autres  Chroniques  du  vaste 
recueil,  quel'on  verra  plus  loin. 

Quicherat,  à  l'affût  de  tout  ce  qui  regarde  Jeanne  d'Arc,  n'en  parla,  à 
ma  connaissance,  qu'en  1882  dans  la  Revue  historique.  L'éditeur  du 
Double  Procès  trouve  que  les  pages  de  la  Chronique  de  Tournay  sont 
d'une  remarquable  exactitude^  jugement  que  l'éditeur  belge  étend  à  tout 
le  règne  de  Philippe  le  Bon.  Elles  renferment  cependant  une  grosse  erreur, 
comme  on  le  verra,  sur  le  lieu  d'origine  de  la  Pucelle,  et  sur  sa  condition 
de  servante. 

Il  y   a  disproportion  dans  Thistoire  de  l'héroïne.   Convenablement 

étendue  jusqu'à  la  délivrance  d'Orléans,  elle  court  ensuite  sur  tout  le 

reste.   On  trouve  dans  la  première  partie  le  jugement  porté,  par   les 

examinateurs   de  Jeanne,   mieux   exposé   que   dans   les   résumés  que 

l'on  en  donne  ailleurs,  ainsi  que  la  lettre  aux  Anglais,  avec  quelques 

variantes;  ce  qui  prouve  la  large  diffusion  de  ces  deux  pièces,  qui  pro- 

mulgaient  les  lettres  de  créance  de  renvoyée  du  Ciel  et  l'objet  de  sa 

mission.  Le  jour  du  départ  de  Blois,  l'étendue  du  convoi,  la  déception 

de  la  Pucelle  sur  la  rive  gauche  de  la  Loire,  la  réception  que  lui  fit  le 

roi  après  la  retraite  des  Anglais,  y  sont  exposés  avec  certains  détails 

omis  dans  toutes,  ou  presque  toutes  les  autres  Chroniques.  La  partie  plus 

brève   renferme  des  assertions  de  toute  gravité,  telles  que  la  facilité 

avec  laquelle  Charles  VII,  en  obéissant  à  la  Puceïle,  aurait  pu  conquérir 

tout  son  royaume,  la  résolution  avec  laquelle  après  le  sacre  Jeanne  se 

porta  sur  Paris,  la  trahison  qui  fit  échouer  son  attaque,  l'amertume  de 

son  âme  en  voyant  sa  mission  entravée  par  ceux  qui  devaient  en  bénéficier. 

La  Chronique  se  termine  par  une  accusation  dont  la  gravité  surpasse 

toutes  les  autres,  puisque,  d'après  elle,  certains  seigneurs  de  la  cour  de 

Charles  VII  auraient  été  d'accord  avec  les  Anglais  pour  faire  mourir 

l'envoyée  du  Ciel. 

On  trouvera  aux  Pièces  justificatives  [B]  le  texte  même  de  la  Chro- 
nique de  Tournay. 


216  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 


CHAPITRE   PREMIER 

LA  PUCELLE  JUSQU'AU  DÉPART  POUR  ORLÉANS. 

Sommaire  :  1.  —  Conquêtes  des  Anglais  en  France  et  impuissance  des  Français  à  les 
arrêter.  —Instant  recours  du  roi  au  Ciel.  —  Les  Anglais  devant  Orléans.  —  Ils 
veulent  réduire  par  la  famine  la  ville  qu'ils  ne  peuvent  emporter  de  vive  force.  — 
Circonvallation  et  contrevallation.  —  Les  Orléanais  réduits  à  Textrémité.  —  Leurs 
supplications  au  Ciel. 

II.  —  Faiblesse  de  Tinstrument  choisi  par  Dieu  pour  mettre  fin  à  tant  de  maux«  et  les 
raisons  de  pareil  choix.  —  Erreurs  du  chroniqueur  sur  le  lieu  de  naissance  de  la 
Pucelle  et  sa  première  condition.  —  Les  déclarations  de  la  Pucelle  au  roi.  —Incré- 
dulité de  celui-ci.  —  Il  s'entoure  de  conseils.  —  Réponse  à  la  consultation  et  conduite 
à  tenir. — Les  motifs.  —  L'examen  le  plus  attentif  ne  découvre  que  bien  dans  la  Pucelle. 
—  Des  prodiges  ont  signalé  sa  naissance  et  sa  vie.  —  Le  roi  se  prépare  à  la  mettre  à 
l'œuvre. 

III.  —  La  lettre  de  la  Pucelle  aux  Anglais. 


I 

En  cette  annde  mil  quatre  cent  vingt-huit,  les  Anglais  étaient  avec  de 
grandes  forces  au  pays  de  Gascogne,  faisant  la  guerre  à  tous  les  pays 
d'alentour.  Ils  la  faisaient  spécialement  devant  Blois  et  Orléans,  où 
plusieurs  villes  et  forteresses  tenaient  le  parti  du  roi  de  France.  Le 
roi  se  tenait  pour  lors  à  Chinon,  avec  une  belle  compagnie  d'hommes 
d*armes,  pour  défendre  son  pays  et  résister  aux  Anglais,  ses  adversaires. 
Etaient  en  sa  compagnie  le  maréchal  de  Boussac,  Mgr  de  Gaucourt, 
Mgr  de  Rais,  La  Hire,  et  plusieurs  autres  gentilshommes,  etgrand  nombre 
d'hommes  d'armes  soudoyés,  défendant  le  pays  contre  lesdits  Anglais. 

Mais  quelque  résistance  qu'ils  fissent  ou  pussent  faire,  leurs  adversaires 
prévalaient  et  conquéraient  toujours  du  pays;  ce  qui  était  une  grande 
douleur  pour  le  roi.  Rien  ne  pouvait  l'aider,  parce  que  Theure  n'était 
pas  venue  où  Dieu  voulait  le  mettre  hors  d'opprobre  et  de  misère.  Il 
faut  présumer  et  croire  que  quelques  péchés  des  princes,  ou  des  peuples, 
relardaient  le  secours  de  Dieu,  le  roi  requérant  toujours  ce  secours  et 
cette  aide,  mandant  souvent  aux  collèges  des  églises  cathédrales  de 
son  royaume  de  faire  des  processions,  d'exhorter  le  peuple  à  s'amender, 
de  prier  pour  lui  et  son  royaume,  considérant  et  ramenant  en  sa  mémoire 
que  maux  de  guerre,  mortalité  et  famine,  sont  les  verges  avec  lesquelles 
Dieu  punit  les  énormités  du  peuple,  ou  des  princes. 

Les  Anglais  donc,  s'efTorçanl  de  réduire  tout  le  pays  à  leur  obéissance, 


LA  CHRONIQUE  DE  TOURNAY.  217 

formèrent  une  grande  armée,  et  vinrent  assiéger  la  ville  et  cité  d'Orléans. 
Ils  furent  longtemps  devant  ses  murs,  faisant  beaucoup  de  maux  aux 
pays  d'alentour,  en  même  temps  qu'ils  livraient  plusieurs  et  assauts  à  la 
ville,  avec  leurs  canons,  veuglaires,  serpentines,  et  autres  instruments  de 
guerre  ;  mais  ceux  de  la  ville  se  défendaient  si  puissamment  et  vaillam- 
ment qu'ils  n'y  gagnaient  rien,  sinon  la  perte  de  leurs  gens.  Voyant 
qu'ils  ne  pouvaient  pas  se  rendre  maîtres  de  la  ville  par  assaut,  et  qu'ils 
éprouvaient  de  grandes  pertes,  ils  se  ravisèrent,  et  résolurent  de  la 
prendre  par  famine. 

Pour  ce  faire,  ils  creusèrent  des  tranchées,  élevèrent  des  bastilles 

afin  d'enclore  la  ville,  et  de  s'enclore  eux-mêmes  contre  les  courses  de 

leurs  ennemis.  Ils  ne  laissèrent  passer  ni  par  terre,  ni  par  eau,  nulle 

marchandise,  nuls  vivres,  dont    les  assiégés  pussent  se  sustenter-  ou 

s'aider.  Ceux-ci,  se  voyant  en  si  pressant  danger  et  conservant  peu 

d'espérance  d'être  secourus  par  autre  que  par  Dieu,  se  retournèrent  vers 

lui,  le  requérant,  par  sa  bonté  et  sa  miséricorde,  qu'il  lui  plût  de  leur 

être  propice,  dans  la  mesure  où  il  voyait  que  le  demandait  leur  nécessité. 

Souvent,  durant  toute  la  durée  dudit  siège,  ils  faisaient  des  processions 

et  de  dévotes  prières,  sollicitant  l'aide  de  la  miséricorde  de  Dieu. 


II 

Quand  il  plut  à  Dieu  d'ouïr  les  prières,  tant  du  roi  de  France  que  de 

<îeux  d'Orléans  et  des  autres  ville  du  royaume,  lorsque  sa  volonté  fut 

"®  les  aider  et  secourir,  et  de  les  tirer  de  l'opprobre  où  ils  étaient  plongés, 

^  ^'excita  pas  et  n'enhardit  pas  le  courage  des  hommes  robustes  et 

^^ercés  à  la  guerre,  à  faire  tomber  des  épaules  le  fardeau  et  le  poids  de 

^t  de  calamités  et  de  misères;  il  ne  voulait  pas  qu'ils  pussent  penser 

^^  d'eux  venait  la  victoire.  Voulant  leur  montrer  que  toute  force  vient 

^®  lui,  qu'il  fait  merveilleusement  et  miraculeusement  toutes  ses  œuvres, 

"  ^nima  et  enhardit  un  faible  corps  de  femme,  qui  toute  sa  vie  avait 

^^cxi  en  pureté  et  chasteté,  sans  que  jamais  on  eût  pu  lui  reprocher 

*^cnn  mal,  ou  l'en  soupçonner.  Cette  femme  se  nommait  Jeanne.  Elle 

^*^it  de  Lorraine,  d'une  petite  ville  dite  Mareuille,  sise  entre  la  cité  de 

*^t2  et  le  Pont-à-Mousson,  distante  de  deux  lieues  de  ladite  cité,  et 

TOÎs  dudit  Pont  *.  Cette  Jeanne  avait  longtemps  demeuré  et  servi  en 

^^^  métairie  de  ce  lieu. 

^«  C'est  la  plus  grosse  erreur  d'une  Chronique  d'ailleurs  bonne.  L'auteur  se  trompe 
wssi  s'il  veut  dire  que  Jeanne  avait  été  en  service  chez  des  étrangers.  Elle  n'avait 
**^i  que  son  père. 


\ 


218  LA  VRAIE  JEANNE  D^ARG  :   LA  LIBÉRATRICE. 

Quand  il  plut  à  Dieu  d'intervenir  pour  réconforter  le  royaume  de 
France,  ladite  Jeanne,  vers  Tentrée  du  carême  de  l'an  dessus  dit  (v.  st.), 
comparut  devant  le  roi  alors  à  Ghinon,  en  habit  d'écuyer.  Elle  déclara 
être  vierge,  envoyée  par  Dieu  pour  mettre  sous  les  pieds  et  expulser  par 
les  armes  les  Anglais,  s'ils  ne  voulaient  pas  volontairement  sortir  du 
royaume,  et  dans  peu  de  temps  le  mener  sacrer  et  couronner  à  Reims, 
malgré  tous  ses  haineux  et  mortels  ennemis. 

Le  roi,  entendant  les  paroles  et  les  promesses  d'une  jeune  fille  qui 
n'avait  pas  les  habits  de  son  sexe,  les  tint  pour  vaines  et  sans  portée,  et 
n'y  ajouta  pas  foi.  Jeanne  maintint  ses  paroles,  observant  que  Taide  de 
Dieu  dont  elle  était  l'envoyée  ne  doit  pas  être  refusée,  mais  joyeusement 
acceptée.  Le  roi  alors,  en  prince  sage  et  prudent,  qui  espérait  toujours 
quelque  secours  de  la  grâce  de  Dieu,  se  remémorant  qu'anciennement 
des  femmes,  telles  que  Judith  et  d'autres,  avaient  fait  des  merveilles, 
assembla  son  conseil  et  d'autres  clercs,  afin  que  la  chose  étant  discutée 
et  débattue  dans  de  bonnes  et  mûres  délibérations,  il  pût  savoir  si  l'on 
pouvait  conjecturer  et  avoir  quelque  espérance  que  l'aide  de  Dieu  arrivait 
par  cette  femme.  Les  clercs  et  le  conseil  discutèrent  la  matière  par 
plusieurs  et  diverses  journées  ;  et  considérant,  sachant  que  les  œuvres 
de  Dieu  surpassent  notre  science,  que  plusieurs  fois  il  avait  envoyé  aux 
siens  de  merveilleux  et  miraculeux  secours,  tirèrent  leurs  conclusions, 
et  répondirent  au  roi,  en  cette  manière  : 

«  Très  cher  Sire,  la  matière  qu'il  vous  a  plu  de  nous  déclarer  et  de 
soumettre  à  nos  délibérations,  passe  l'entendement  humain;  il  n'est 
personne  qui  puisse  en  juger  et  en  décider,  car  les  œuvres  de  Tunique 
et  souverain  Seigneur  se  diversifient  et  sont  insondables  ;  mais  attendu 
la  nécessité  de  votre  très  digne  et  excellente  personne,  et  aussi  la  nécessité 
de  votre  royaume  ;  considéré  les  prières  continues  de  votre  peuple 
espérant  en  Dieu,  et  les  prières  de  tous  les  autres  amants  de  la  paix 
et  de  la  justice,  répétant  que  l'on  ne  sait  la  volonté  du  Seigneur,  il  nous 
semble  être  bon  que  vous  ne  rejetiez  pas  et  ne  dédaigniez  pas  la  Pucelle, 
qui  se  dit  envoyée  de  Dieu  pour  vous  aider  et  vous  secourir,  encore  que 
ses  promesses  dépassent  œuvre  humaine  *.  Mais  point  ne  dirons, 
ni  n'entendons  .que  vous  croyiez  légèrement  en  elle  ;  car  le  diable 
est   subtil,    habile   à    décevoir,   et  tendant  à    tirer    tout  à    lui.  C'est 

1.  Nonobstant  que  ses  œuvres  soient  sups  (super)  œuvres  humaines.  Ce  sens,  d'accord 
avec  le  texte  de  Thomassin,  corrige  le  texte  qui,  d'après  Quicherat,  a  été  donné  aux 
pages  14  et  685  de  la  Pucelle  devant  VÉglise  de  son  temps.  Le  chroniqueur  de  Tournay 
avait  sous  les  yeux  une  copie  du  résumé  de  la  sentence  de  Poitiers,  répandue  au  loin 
par  Charles  VU  et  sa  cour.  La  Libératrice  n'était  pas  seulement  en  règle  avec  l'auto- 
rité ecclésiastique  ;  Tautorisation  était  promulguée  au  loin  quand  elle  entrait  en 
scène. 


LA  CnaONIQUE  DE  TOURNAY.  219 

pourquoi  il  est  juste  et  raisonnable  que,  selon  la  Sainte  Écriture,  vous 
la  fassiez  éprouver  en  deux  manières,  à  savoir  :  par  prudence  humaine, 
vous  enquérant  de  sa  vie,  de  ses  mœurs  et  de  son  intention,  ainsi  que  le 
dit  saint  Paul:  Probate  spiritus  si  ex  Deo  sunt;  et  par  dévotes  oraisons, 
en  demandant  le  signe  de  quelque  œuvre  ou  manifestation  divine,  par 
laquelle  on  puisse  juger  qu'elle  est  venue  de  par  Dieu.  C'est  ce  qui  fut 
dit  au  roi  Achaz,  quand  Dieu,  lui  promettant  la  victoire,  lui  ordonna  de 
demander  un  signe:  Pete  tibi  signum  à  Domino  Deo  tuo.  Semblablement 
fit  Gédéon  qui  demanda  un  signe  ;  semblablement  firent  plusieurs  autres.  » 

Le  roi,  d'après  son  conseil,  observa  ces  deux  manières  vis-à-vis  de  la 
Pucelle,  à  savoir  :  probation  par  prudence  humaine,  et  inquisition  de 
signe  par  oraison. 

Pour  la  première,  il  fit  rester  la  Pucelle  avec  lui  dans  sa  cour  pendant 
plus  de  six  semaines,  il  la  fit  communiquer  avec  toutes  gens,  et  examiner 
subtilement  par  les  seigneurs  d'Église  et  d'autres  clercs  ;  elle  vécut  tou- 
jours en  la  compagnie  de  personnes  de  dévotion,  dames,  demoiselles, 
veuves  et  pucellcs;  et  quelquefois  fut  en  la  présence  du  roi,  en  compa- 
gnie d'hommes  d'armes  et  d'autres.  Mais  en  quelque  manière  que  ce  fût, 
en  particulier  et  en  public,  on  ne  vit  et  on  n'observa  rien  en  elle,  si  ce  n'est 
du  bien  :  humilité,  patience,  virginité,  dévotion  et  honnête  simplicité. 
Sur  sa  i«aissance  et  sur  sa  vie,  plusieurs  choses  merveilleuses  furent 
apprises  être  conformes  a  la  vérité. 

Quant  à  la  seconde  manière  d'inquisition,  ou  d'obtention  de  signe  par 
oraison,  la  Pucelle,  interrogée  sur  ce  point,  répondit  qu'elle  le  montrerait 
devant  Orléans  et  non  ailleurs  ;  car  cela  lui  était  ainsi  ordonné  par  Dieu. 

Le  roi,  après  avoir  fait,  autant  que  cela  lui  était  possible,  ladite  pro- 
bation de  la  Pucelle,  considérant  qu'elle  lui  avait  promis  de  montrer 
un  signe  de  sa  mission,  voyant  sa  requête  constante,  persévérante,  ins- 
tante, d'aller  à  Orléans  pour  y  démontrer  un  signe  du  divin  secours,  ne 
voulut  plus  empêcher  ce  voyage.  Mettant  son  espérance  en  Dieu,  il 
assembla  ses  gens  d'armes,  épars  dans  le  pays,  les  fit  apprêter  pour  con- 
duire la  Pucelle  à  Orléans,  sans  vouloir  se  montrer  répugner  au  Saint- 
Esprit,  ou  ingrat  envers  la  bonté  et  miséricorde  de  Dieu  et  indigne 
d'en  être  secouru,  selon  qu'il  avait  été  exposé  en  la  délibération  de  son 
conseil. 

III 

La  Pucelle,  voyant  les  préparatifs  qui  se  faisaient  pour  le  secours 
d'Orléans,  fit,  avec  la  permission  du  roi,  écrire  une  lettre  aux  capitaines 
Anglais  qui  y  tenaient  le  siège,  en  la  teneur  qui  suit  : 


/ 
/ 

I 


220  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

«  Jhesus,  Maria!  toi,  roi  d'Angleterre,  et  toi,  duc  deBedford,  qui  te  dis 
régent  de  France,  vous,  Guillaume  de  la  Poule,  comte  de  Suffolk,  Jean, 
sire  de  Talbot,  et  Thomas,  sire  de  Scales,  qui  te  dis  lieutenant  du  duc  de 
Bcdford,  faites  raison  au  roi  du  Ciel,  de  son  sang  royal;  rendez  à  la 
Pucelle  envoyée  de  Dieu  le  roi  du  Ciel,  les  clés  de  toutes  les  bonnes  villes 
que  vous  avez  prises  et  violées  en  France  ;  car  elle  est  venue  ici  de  par 
Dieu  réclamer  tout  le  sang  et  droit  royal;  elle  est  prête  de  faire  paix,  si 
raison  voulez  lui  faire,  en  partant  de  France,  et  en  payant  le  roi  de  ce 
que  vous  Tavez  tenue. 

«  Et  vous,  archers  et  compagnons  de  guerre,  nobles  et  autres  qui  êtes 
devant  la  ville  d'Orléans,  partez  de  par  Dieu,  et  allez-vous-en  votre  pays; 
et  si  ainsi  ne  le  faites,  attendez  les  nouvelles  de  la  Pucelle,  qui  bientôt 
vous  visitera  à  votre  grand  dommage. 

«  Et  toi,  roi  d'Angleterre,  fais  ce  que  je  viens  de  t'écrire.  Si  tu  ne  le 
fais,  je  suis  chef  de  guerre  ayant  puissance  et  commission  de  Dieu  de 
chasser  et  de  poursuivre  par  force  tes  gens,  partout  où  je  les  atteindrai 
ès-parties  de  France.  S'ils  veulent  obéir,  je  les  aurai  à  merci  ;  sinon,  je  les 
ferai  mettre  à  mort. 

«  Je  suis  venue  de  par  Dieu  le  roi  du  Ciel  pour  vous  expulser  du 
France,  ainsi  que  tous  ceux  qui  voudraient  faire  trahison,  malengin^  ou 
dommage,  au  royaume  Très-Chrétien. 

«  N'allez  pas  croire  que  vous  tiendrez  ledit  royaume,  de  Dieu,  le  roi 
du  Ciel,  le  fils  delà  Vierge  Marie  ;  car  Charles,  qui  en  est  le  vrai  héritier, 
le  tiendra,  que  vous  le  vouliez,  ou  non  ;  c'est  la  volonté  du  roi  du  Ciel 
et  de  la  terre.  Cela  lui  est  révélé  par  moi  qui  suis  pucelle  ;  et  qu'il  entrera 
à  Paris,  en  bonne  compagnie. 

«  Si  vous  ne  voulez  croire  les  nouvelles  de  Dieu  et  de  la  Pucelle, 
quel  que  soit  le  lieu  où  nous  vous  trouverons,  nous  vous  percerons  du 
fer  à  coups  redoublés,  et  ferons  un  tel  carnage  que,  passé  mille  ans,  il 
n'en  fût  pas  de  si  grand  en  France. 

«  Faites  donc  raison,  et  croyez  la  Pucelle.  Que  si  vous  ne  le  faites,  le 
roi  du  Ciel  lui  enverra  et  lui  donnera,  à  elle  et  à  ses  bonnes  gens  d'ai*mes, 
plus  de  force  que  vous  ne  pourrez  lui  livrer  d'assauts  ;  et  aux  horions, 
Ton  verra  qui  a  le  meilleur  droit  aux  yeux  du  Dieu  du  Ciel. 

«  Toi,  donc,  roi  d'Angleterre,  et  toi,  duc  de  Bedford,  la  Pucelle  vous 
prie  que  vous  sortiez  du  pays;  car  elle  ne  veut  pas  vous  détruire,  si  vous 
lui  faites  raison;  mais  si  vous  ne  la  croyez  pas,  tel  coup  pourra  venir  que 
les  Français  en  sa  compagnie  feront  le  plus  beau  fait  qui  jamais  fut  vu 
en  Chrétienté. 

«  Envoyez  réponse,  si  vous  voulez  faire  la  paix,  et  partir  d'Orléans.  Si 
vous  ne  le  faites,  attendez-moi  pour  votre  grand  dommage  et  dans  peu. 


LA  CHRONIQUE  DE  TOURNAY.  221 

«  Ecrit  le  mardi  de  cette  semaine  sainte,  et  le  pénultième  de  mars 

mil  nu*  XXVIU  (v.  st.)  *.  » 


CHAPITRE  II 


DÉLIVRANCE     D'ORLÉANS. 


SoMMAiBE  :  I.  —  Altente  à  Blois  et  départ.  —  L'étendard  de  la  Pucelle.  —  L'escorle,  le 
convoi.  —  Jeanne  trompée  sur  la  route  à  suivre,  son  mécontentement.  —  Ordre 
de  retourner  à  Blois  et  de  revenir  par  la  Beauce.  —  Retour  ;  second  convoi  introduit 
sans  obstacle  malgré  les  Anglais  rassemblés. 

11.  —  Attaque  de  Saint-Loup.  —  Dispositions  prises  par  la  Pucelle.  —  La  victoire,  le 
butin. 

IlL  —  Attaque  du  côté  de  la  Sologne.  —  Retraite  simulée.  —  Retour.  —  Prise  d'une 
bastille.  —  Trois  bastilles  évacuées  par  les  Anglais. 

IV.  —  Préparatifs  de  nuit  pour  assaillir  les  Tourelles.  —  Combien  elles  sont  fortes. — 
(Combat  d'un  jour  entier.  —  Blessure  de  la  Pucelle.  —  Son  traitement.  —  Sa  prière. 
—  Assaut  victorieux.  —  Les  Anglais  tués  et  noyés,  butin.  —  Rentrée  à  Orléans.  — 
Les  pertes  des  Français.  —  Double  prodige. 

V.  —  Fuite  des  Anglais.  —  Leurs  derrières  inquiétés.  —  La  Pucelle  fait  cesser  la 
poursuite.  —  Butin. 


I 

Ces  choses  ainsi  faites,  l'armée  de  France  assemblée,  les  préparatifs 
achevés,  la  Pucelle  partit  de  Chinon  [de  Tours)^  se  dirigeant  vers  Orléans, 
le  jeudi  xxi  avril  mil  IIIl^  XXIX.  Elle  alla  à  Blois,  où  elle  attendit  jus- 
qu'au jeudi  suivant  les  vivres  et  les  renforts,  qui  devaient  être  introduits 
dans  Orléans.  Elle  partit  donc  de  Blois,  ayant  son  étendard  de  satin  blanc, 
où  était  représenté  Jésus-Christ  assis  sur  les  nues,  montrant  ses  plaies, 
ayant  à  chacun  des  côtés  un  ange  tenant  une  fleur  de  lis. 

Etaient  en  sa  compagnie,  M.  le  maréchal  de  Boussac,  M.  de  Gaucourt, 
M.  de  Rais,  La  Hire,  et  plusieurs  autres  grands  seigneurs  ;  le  nombre 
des  combattants,  tant  à  pied  qu'à  cheval,  s'élevait  à  environ  trois  mille. 
Ils  menaient  par  le  côté  de  la  Sologne  soixante  chariots  pleins  de  toute 
sorte  de  vivres,  et  quatre  cent  trente-cinq  botes  de  somme  chargées. 
Le  lendemain  ils  arrivèrent  à  Orléans,  près  de  la  rivière,  où  ceux  de  la 
ville  vinrent  les  chercher  en  bateau,  malgré  les  Anglais  qui  n'osèrent 
pas  sortir  de  leurs  tranchées  et  de  leurs  bastilles,  ni  opposer  quelque 
empêchement. 

I .  Le  mardi  de  la  semaine  sainte  était  le  22  mars  et  non  pas  le  30. 


222  Là  vraie  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

La  Pucelle  voyant  qu'on  Tavait  menée  du  côté  de  la  Sologne,  et  qu'elle 
n'avait  pas  trouvé  les  Anglais,  fut  très  courroucée  contre  les  chefs,  et  se 
mit  à  pleurer.  Incontinent  elle  donna  ordre^  aux  hommes  de  sa  compa- 
gnie de  retourner  à  Blois  pour  quérir  les  vivres  qu'ils  y  avaient  laissés. 
Elle  leur  prescrivit  de  les  amener  par  la  Beauce,  leur  promettant  d'aller 
à  leur  rencontre  avec  une  partie  des  combattants  d'Orléans,  leur  affirmant 
avec  assurance  de  n'avoir  pas  de  crainte,  qu'ils  ne  trouveraient  aucun 
empêchement. 

La  Pucelle  entra  donc  à  Orléans,  et  ses  gens,  obéissants  et  exécutant 
son  ordre,  retournèrent  à  Blois.  Ils  en  repartirent  le  mardi  3*  de  mai 
avec  le  surplus  des  vivres  et  une  grande  quantité  de  bétail,  tels  que 
bœufs,  porcs  et  moutons.  Le  lendemain,  veille  de  l'Ascension,  ils  arri- 
vèrent à  Orléans,  par  le  côté  de  la  Beauce,  sans  aucun  empêchement  ni  à 
l'aller  ni  au  retour,  sans  qu'on  lançût  un  trait  contre  eux,  ni  qu'on  les 
molestât  en  aucune  manière.  Les  Anglais  cependant  se  rassemblèrent  au 
nombre  d'environ  quatorze  cents  combattants  pour  les  attaquer  au 
retour,  mais  ils  n'osèrent,  car  la  Pucelle,  avec  un  gros  renfort  de  ceux 
de  la  ville,  alla  au-devant  d'eux,  les  joignit  malgré  les  ennemis,  et  les 
conduisit  dans  la  cité. 

II 

Sitôt  que  les  vivres  furent  introduits,  la  Pucelle,  son  étendard  en 
main,  et  disposant  de  ses  forces,  alla  assaillir  la  bastille  Saint-Loup  qui 
était  forte  et  bien  défendue.  Elle  ordonna  qu'une  partie  de  ses  gens  à 
cheval  garderaient  que  les  Anglais  des  autres  bastilles  ne  vinssent  au 
secours  de  Saint-Loup;  elle-même  et  ceux  de  sa  troupe,  arrivés  à 
Saint-Loup,  firent  tant  par  l'aide  et  la  volonté  de  Dieu,  que  la  bastille  fut 
prise  d'assaut  par  vive  force.  Cent  soixante  Anglais  environ  y  furent  tués, 
et  quatorze  faits  prisonniers.  On  y  conquit  beaucoup  de  vivres,  plusieurs 
pièces  d'artillerie,  et  d'autre  butin.  Les  vainqueurs  se  retirèrent,  en 
amenant  le  tout  en  ville. 

III 

Le  lendemain  de  la  fête  de  TAscension  de  Jesus-Christ,  la  Pucelle,  son 
étendard  en  main,  sortit  de  la  ville  avec  ses  combattants,  et  passa  du 
côté  de  la  Sologne;  elle  fit  semblant  de  vouloir  assaillir  les  bastilles. 
A  la  suite  d'une  feinte  retraite  qu'elle  commanda,  les  Anglais  en  saillirent 
avec  de  grandes  forces  pour  courir  après  les  fuyards.  Alors  la  Pucelle 
et  La  Ilire,  les  voyant  hors  de  leurs  forts,  retournèrent  vigoureusement 


LA  CHRONIQUE  DE  TOURNAY.  223 

sur  eux,  et  les  poursuivirent  si  âprement  qu'ils  purent  à  peine  se  retirer 

dans  leur  bastille;  trente  Anglais  furent  tués,  un  de  leurs  forts  et  un  de 

leurs  fossés  furent  pris,  ainsi  que  grande  quantité  de  victuailles.   Les 

Anglais,  se  voyant  ainsi  repoussés,  défirent  trois  de  leurs  bastilles  du  côté 

de  la  Sologne,  et  se  retirèrent  tous  en  leur  grande  bastille  du  bout  du 

pont'. 

IV 

Cette  nuit,  la  Pucelle^  et  les  siens  tinrent  les  champs  du  côlé  de  la 
Sologne  jusqu'au  clair  jour.  Quand  le  jour  eut  commencé  à  s'éclaircir,  et 
que  la  Pucelle  eut  mis  ses  gens  en  état  et  les  eut  ordonnés,  ils  s'efîor- 
cèrent  d'envahir  cette  grande  bastille  du  bout  du  pont.  Elle  était  très 
forte  et  comme  imprenable,  renfermait  un  grand  nombre  d'Anglais,  était 
bien  disposée  pour  la  défense,  et  pourvue  de  bombardes,  de  canons,  et 
d'autres  machines  à  explosion. 

La  bastille  fut  si  bien  défendue  par  les  Anglais  que,  pendant  tout  le 
jour,  les  Français  n'y  purent  rien  gagner.  L'attaque  se  prolongeant 
jusques  assez  tard  vers  la  fin  du  jour,  il  plut  à  Dieu  que  la  Pucelle  fût 
blessée  d'un  trait  qui  lui  entra  d'environ  un  pouce  dans  la  poitrine,  au- 
dessus  de  la  mamelle  droite.  Elle  s'en  montra  plus  joyeuse  que  troublée; 
et  demandant  un  peu  d'huile  d'olive  avec  «  eslou  »  [étoiipel)^  elle  tira  le 
trait  de  la  poitrine,  versa  l'huile  par  dessus  la  plaie,  et  dit  :  «  Maintenant 
les  Anglais  n  ont  plus  de  puissance;  cette  blessure  est  le  signe  de  leur  con- 
fusion et  de  leur  malheur ^  signe  que  Dieu  m'a  révélé^  et  que  je  n'ai  pas  fait 
connaître  jusqu'à  présent  ». 

Licontinent,  pansée  et  armée,  elle  se  tira  à  part,  et  s'appuyant  sur  sa 
lance  qu'elle  tenait  dans  sa  main,  elle  se  mit  dans  l'attitude  d'une  per- 
sonne qui  fait  son  oraison  à  Dieu,  le  visage  levé  au  ciel.  Cela  fait,  elle 
retourna  vers  les  gens  d'armes,  leur  montra  un  endroit  de  la  bastille,  et 
leur  dit  d'envahir  la  forteresse  par  là,  et  d'y  entrer.  Ils  lui  obéirent  :  tous 
d'un  commun  accord,  elle-même  en  tête,  assaillirent  la  bastille  avec  tant 
de  vigueur  que,  Dieu  aidant,  elle  fut  promptement  prise  de  force,  et  qu'ils 
y  entrèrent.  Environ  cinq  cents  Anglais,  appartenant  à  l'élite  de  l'armée, 
furent  tués,  ou  faits  prisonniers.  En  voyant  la  prise  de  leur  bastille,  les 
Anglais  voulurent  se  retirer  dans  la  tour  du  pont;  mais  le  pont  fondit 
sous  leurs  pas  et  tomba  dans  l'eau,  avec  ceux  qui  étaient  dessus,  avec 
Glacidas,un  de  leurs  généraux  en  chef,  et  avec  d'autres  grands  seigneurs, 

1.  Les  Anglais,  en  effet,  abandonnèrent  Sainl-Jean-le-Blanc,  Saint-Privé  et  les 
Augustins  pour  se  concentrer  dans  les  Tourelles. 

2.  Erreur  en  ce  qui  concerne  la  Pucelle. 


•224  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

au  nombre  de  trente  environ.  Tous  furent  noyés.  L'événement  fut  regardé 
comme  miraculeux. 

En  cette  conquête  les  Français  gagnèrent  grande  abondance  de  vivres, 
et  beaucoup  d'artillerie,  bombardes,  canons,  serpentines,  veuglaires  et 
autres  engins  de  guerre,  et  conquirent  aussi  du  mobilier. 

Le  même  jour,  assez  tard,  la  Pucelle  et  ses  gens,  rentrèrent  à  Orléans, 
avec  grande  joie  au  cœur,  rendant  grâces  à  Dieu  de  la  victoire,  et  menant 
leurs  prisonniers  devant  eux. 

A  la  revue  des  gens  de  la  Pucelle,  faite  après  la  victoire  et  Tassaut,  il  ne 
se  trouva  que  cinq  hommes  de  moins,  et  quelques  blessés. 

Quelques-uns  affirmèrent  que  durant  lassant  deux  oiseaux  blancs  furent 
vus  sur  les  épaules  de  la  Pucelle.  Les  Anglais  prisonniers  dirent  et  attes- 
tèrent que  les  Français  leur  avaient  paru  trois  fois  plus  nombreux  qu'ils 
n'étaient,  et  que,  par  suite,  ils  avaient  été  si  épouvantés  qu'ils  en 
avaient   perdu    la   force   de  se   défendre. 


Le  dimanche  suivant,  lendemain  de  cette  victoire  et  de  cette  conquête, 
au  point  du  jour,  les  autres  Anglais  des  bastilles  du  côté  de  la  Beauce, 
voyant  leur  maie  aventure  et  redoutant  la  puissance  de  la  Pucelle, 
abandonnèrent  leurs  places  et  bastilles,  s'enfuirent  tous  ensemble,  au 
nombre  de  deux  mille  cinq  cents  combattants,  tant  à  pied  qu'à  cheval. 
Ceux  de  la  ville  et  la  Pucelle,  voyant  cette  fuite,  sortirent  d'Orléans  au 
nembre  d'environ  cinq  cents  chevauchcurs  ;  ils  tombèrent  sur  la  queue 
des  fuyards,  en  tuèrent  et  prirent  quelques-uns,  sans  qu'ils  se  retournas- 
sent, ou  fissent  quelque  démonstration  de  se  défendre  *.  Ce  que  voyant,  la 
Pucelle  lit  retirer  ses  gens  et  cesser  la  poursuite,  disant  que  puisqu'ils 
partaient.  Ton  ne  devait  pas  trop  les  harceler;  que  d'ailleurs  c'était 
dimanche,  jour  et  fête  du  repos  de  Dieu,  et  qu'elle  leur  avait  donné  jour 
pour  se  retirer  jusqu'au  lundi. 

L'on  rentra  dans  la  ville,  et,  la  nuit  accordée  au  repos,  le  lendemain 
ceux  d'Orléans  sortirent,  et  allèrent  aux  bastilles  délaissées  par  les 
Anglais.  Ils  y  trouvèrent  des  vivres,  de  l'artillerie  et  d'autres  armements 
de  guerre,  pour  une  grande  somme  d'argent. 

1 .  Le  chroniqueur  attribue  ici  à  la  Pucelle  ce  qui  fut  le  fait  de  La  Hire,  après  des 
incidents  racontés  par  d'autres  historiens. 


LA  CHRONIQUE  DE  TOCRNAY.  225 


CHAPITRE  III 

LA   SUITE  DE  L'HISTOIRE  DE  LA  PUCELLE  SOMMAIREMENT  INDIQUÉE. 

Sommaire:  I.  —Le roi  et  la  PucelJe  se  rencontrent  à  Tours.  -  L'entrevue.  —  Convocation 
des  capitaines.  —  Prise  de  Jargeau  et  assertions  erronées  du  chroniqueur.  — 
Conquête  de  Meung,  de  Baugency.  —  Victoire  de  Palay.  —  Tant  de  succès  rapportés 
à  Dieu. 

II.  —  Bref  exposé  de  la  marche  vers  Reims.  —  Longue  station  du  roi  dans  1  église 
Notre-Dame,  le  matin  du  sacre.  —  Le  sacre.  —  Hommage  des  seigneurs.  —  Création 
de  chevaliers. 

IH.  —  Nombreuses  villes  qui  se  déclarent  pour  Charles  Ml  durant  sa  marche  vers 
Paris.  —  Facilité  de  conquérir  tout  son  royaume.  —  11  fait  faire  à  Saint-Denis  un 
ser>-ice  pour  son  père.  —  Paris  unique  objectif  de  la  Pucelle.  —  Sa  profonde  peine  de 
!*e  voir  traversée.  —Troupes retirées  durant Tattaqae  contre  Paris.  —  Retraite  du  roi 
malgré  la  Pucelle.  —  Son  inaction,  et  le  mécontentement  de  la  Pucelle. 

IV.  —  Fcrces  considérables  avec  lesquelles  le  Bourguignon  reprend  la  guerre  après 
Pâques.  —  Portugais.  —  Siège  et  blocus  de  (k)mpiègne.  —  Prise  de  la  Pucelle.  — 
Sa  prison  à  Beaulieu  et  à  Beaurevoir. 

V.  —  Tentative  d'évasion.  —  Terrible  accusation  contre  quelques  capitaines  français. 
—  Unique  prétexte  de  condamnation. 


I 

Ces  événements  accomplis,  la  Pucelle  les  manda  au  roi  tels  qu'ils 
étaient  arrivés.  Pareilles  nouvelles  lui  causèrent  grande  joie,  et  bientôt 
après  il  partit  de  Chinon  pour  aller  vers  elle.  Il  arriva  à  Tours  le  vendredi 
suivant,  celui  qui  précède  la  Pentecôte.  La  Pucelle,  qui  y  était  venue 
un  peu  avant,  alla  à  sa  rencontre,  son  étendard  en  main,  et  lui  fit  la 
révérence,  la  tète  découverte,  en  se  baissant  sur  son  cheval,  le  plus 
profondément  qu'elle  le  put.  Le  roi,  en  Tabordant,  ôta  son  chaperon  et 
l'embrassa  en  la  soulevant,  et,  comme  il  sembla  à  plusieurs,  volontiers  il 
Fcul  baisée,  tant  il  avait  de  joie.  Après  cette  heureuse  rencontre,  ils  entrè- 
rent en  la  ville  de  Tours,  et  se  mirent  en  leurs  hôtels. 

Le  lendemain,  le  roi  reçut  nouvelles  que  le  sire  de  Scales,  le  sire  de 
Talbot  et  grand  nombre  d'Anglais  échappés  du  siège  d'Orléans,  s'étaient 
réfugiés  et  renfermés  dans  Jargeau,  Baugency  et  Meung.  Ainsi  informé, 
il  manda  en  toute  hâte  le  bâtard  d'Orléans  et  Poton  de  Xaintrailles, 
défenseurs  d'Orléans  durant  le  siège,  et  plusieurs  autres  capitaines  en 
garnison  dans  les  places  d'alentour.  Quand  ils  furent  assemblés  à  Tours, 
le  roi  leur  commanda  d'aller  avec  la  Pucelle  contre  les  Anglais. 

La  Pucelle  partit  donc  de  Tours,  à  bonne  puissance  de  gens  d'armes, 

III.  15 


226  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

et  ils  allèrent  assiéger  la  ville  de  Jargeau,  où  se  trouvaient  le  sire  de 
Talbot  et  le  sire  de  Scales  avec  un  grand  nombre  d'Anglais.  Jargeau  est 
en  amont  de  la  Loire,  à  huit  lieues  d'Orléans.  Arrivés  soudainement 
devant  la  place,  ils  lui  livrèrent  un  grand  et  merveilleux  assaut,  qu'ils 
continuèrent  jusqu'à  ce  qu'ils  s'en  fussent  emparés  de  vive  force.  Là 
furent  pris  le  sire  de  Talbot  et  le  sire  de  Scales,  que  la  Pucelle  laissa 
libres,  à  la  suite  d'un  traité  qu'ils  promirent  d'observer.  Cela  accordé, 
quelques  capitaines  dirent  à  la  Pucelle  qu'elle  avait  mal  fait  de  laisser 
aller  les  ennemis  du  roi  ;  elle  leur  répondit  qu'ils  ne  tarderaient  pas  à 
ôtre  repris  autre  part,  et  ne  tiendraient  pas  ce  qu^ils  avaient  promis*. 

De  là,  ils  s'en  allèrent  à  Meung  qui  est  à  cinq  lieues  d'Orléans%  en  aval 
de  la  rivière;  ils  prirent  cette  ville  d'assaut,  et  de  là  vinrent  à  Baugency. 
A  leur  arrivée,  ils  trouvèrent  que  la  garnison  et  la  plupart  des  habitants 
de  la  ville  étaient  partis.  Ceux  qui  étaient  demeurés  au  château  se 
rendirent  et  livrèrent  la  ville  et  le  château. 

Après  la  prise  de  cette  ville,  la  Pucelle,  les  capitaines  et  les  hommes 
d'armes,  allèrent  offrir  la  bataille  à  six  mille  Anglais  qui  venaient  secourir 
leurs  gens.  Parmi  ces  Anglais  se  trouvaient  les  sires  de  Talbot  et  de  Scales, 
que  la  Pucelle,  comme  il  vient  d*être  dit,  avait  laissés  s'en  aller,  et  aussi 
plusieurs  autres  Anglais  qui  auparavant  s'enfuyaient.  Les  deux  armées 
se  rencontrèrent  près  de  Patay-en-Beauce.  Les  Français  se  comportèrent 
si  vaillamment  que.  Dieu  aidant,  les  Anglais  furent  déconfits,  et  presque 
tous  tués.  Là  furent  repris  les  sires  de  Scales  et  de  Talbot  et  plusieurs 
autres. 

La  victoire  remportée,  et  les  prisonniers  emmenés  avec  tout  le  butin, 
grandes  réjouissances  furent  faites,  et  louanges  rendues  à  Dieu,  et  il  fut 
proclamé  que  toute  victoire  vient  de  lui.  Les  prisonniers  furent  présentés 
au  roi  ;  il  les  reçut  très  joyeusement  en  remerciant  la  Pucelle  et  les 
capitaines,  et  en  rendant  grâces  à  Dieu  qui  donnait  à  une  femme  le 
courage  de  telles  entreprises.  Il  partit  de  Tours,  et  avec  plusieurs  seigneurs^, 
chevaliers,  écuyers,  capitaines  et  autres,  il  alla  à  Orléans,  où  il  fut  reçu 
à  grande  joie'. 

1.  Les  erreurs  de  détail  fourinillenl  dans  ce  qui  regarde  la  prise  de  Jargeau.  Le  roî 
n'eut  pas  l'initiative  de  la  campagne  de  la  Loire  ;  le  bâtard  d'Orléans  s'y  trouvait,  mai^ 
pas  au  premier  rang;  les  soldats  du  roi  ne  partirent  pas  de  Tours;  Jargoau  est  à 
20  kilomètres  d'Orléans  et  non  pas  à  huit  lieues.  C'était  SufTolJc,  et  non  Talbot  nî 
Scales,  qui  y  commandait. 

2.  A  18  kilomètres. 

3.  Le  roi  avait  quitté  Tours  avant  la  campagne  de  la  Loire,  et  il  frustra  l'attente  des 
Orléanais  en  ne  les  visitant  pas,  quoiqu'ils  eussent  fait  après  Patay  de  grands  prépa- 
ratifs pour  le  recevoir. 


LA  CHRONIQUE  DE  TOURNAY.  227 


II 


Toutes  ces  choses  accomplies,  le  roi,  parle  conseil  de  la  Pucelleet  de 
quelques  seigneurs  de  sa  cour,  partit  d'Orléans  avec  une  belle  compagnie 
de  gens  d'armes  et  lira  vers  la  ville  et  la  cité  de  Reims,  pour  y  ôlre  sacré 
et  couronné.  Dans  ce  voyage,  il  mit  en  son  obéissance  plusieurs  villes  et 
forteresses  alors  occupées  par  les  Anglais,  à  savoir  Auxerre,  Sens  * ,  Troyes, 
Ghâlons  et  plusieurs  autres  ;  et  après  cela  il  arriva  à  Reims,  et  y  entra  le 
samedi  seizième  jour  de  juillet  de  Tan  ci-dessus  mil  IIII"  XXIX,  à  sept 
heures  du  soir.  Le  lendemain  à  trois  heures  du  malin,  il  alla  avec  plu- 
sieurs seigneurs  et  d'autres  à  Téglise  de  Notre-Dame,  et,  eux  entrés, 
relise  fut  close  jusqu'à  neuf  heures.  L'église  rouverte,  le  roi  fut  sacré 
et  couronné  par  Monseigneur  l'archevêque  de  ladite   ville    et  cité  de 
Reims.  Après  la  cérémonie,  les  seigneurs  qui  là  étaient,  lui  firent  hom- 
mage, tel  que  le  demandaient  leurs  seigneuries  et  possessions.  Le  roi  fit 
quatre  ducs  ou  comtes,  et  environ  deux  cents  chevaliers. 


III 

El  après  il  partit  de  Reims  en  prenant  son  chemin  vers  Paris.  Pendant 

sa  marche  dans  cette  voie,  se  rendirent  à  lui  les  villes  qui  suivent,  à 

savoir  :  Laon,  Soissons,  Compiègne,  Château-Thierry,  Senlis,  Beauvais, 

Lagny,  et  plusieurs  autres  forteresses  et  châteaux.  Il  est  à  présumer  et 

à  estimer  que  s'il  eût  toujours   marché  de   l'avant,   il  aurait  bientôt 

reconquis  tout  son  royaume;  car  les  Anglais  et  ses  autres  adversaires 

étaient  si  ébahis  et  déconcertés,  que  la  plupart  n'osaient  ni  se  montrer 

ûi  se  défendre,  ne  comptant  éviter  la  mort  que  parla  fuite. 

Le  roi  en  marchant  ainsi  vint  à  Saint-Denis  avec  son  armée.  Une  fois 
^é  à  l'abbaye,  il  fit  célébrer  les  obsèques  et  le  service  du  roi  Charles 
son  père,  \T  du  nom. 

En  tout  ce  voyage,  la  Pucelle  n'avait  qu'un  but,  assaillir,  elle  et  les 
siens,  la  ville  et  cité  de  Paris.  Elle  fit  avec  ses  gens  plusieurs  courses 
devant  les  remparts,  et  autour  de  la  place,  et  elle  était  courroucée  de  ce 

ou  «LIE  ÉTAIT  PEU  SECONDÉE*;   MAIS  LES   CAPITAINES  NE  s' ACCORDÈRENT  PAS  POUR 
'•ATTAQUE  DE  LA   VILLE*,    QUELQUES    CONSEILLERS    DU   ROI    FIRENT  RETIRER   LEURS 

'•  C'est  erroné  pour  «  Sens  ». 

}'iiioit  courrouckée  que  aultrement  ne  se  faisoit.  —  Aultrementf  d'après  Lacurne, 
•ï^oifie  «  assez,  guère  ».  Le  contexte  indique  que  c'est  dans  cette  acception  qu'il  doit 


228  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :   LA^LIBÉRATRICE. 

GENS  d'armes;  ce  qui  contraignit  la  Pucclle  à  se  retirer  elle  aussi,  à  Saint- 
Denis,  où  le  roi  se  tenait. 

Trois  jours  après,  le  roi,  donnant  créance  à  quelques-uns  de  son  conseil, 
s'en  alla,  contre  le  gré  de  la  Pucelle,  l'emmenant  avec  lui  au  delà  de  la 
Loire. 

11  se  tint  là  tout  Thiver,  sans  guère  s'adonner  aux  affaires  de  la  guerre. 
Ce  dont  la  Pucelle  était  très  mal  contente  ;  mais  elle  ne  pouvait  pas  y 
remédier. 

IV 

L'an  mil  IIIP  et  XXX  {1430),  aussitôt  après  Pâques,  Philippe,  duc  de 
Bourgogne,  le  sire  Jean  de  Luxembourg,  comte  de  Ligny,  avec  plusieurs 
capitaines  anglais,  et  un  très  grand  nombre  de  gens  d*armes,  Anglais, 
Bourguignons,  Picards  et  Portugais,  vinrent  en  France*,  et  conquirent 
quelques-unes  des  villes  et  forteresses,  qui,  comme  il  a  été  dit,  s'étaient 
rendues  au  roi,  lors  de  son  voyage  vers  Paris.  Les  seigneurs  susdits 
vinrent  avec  leur  armée  devant  Compiègne,  l'assiégèrent,  et  pour  l'affa- 
mer s'abritèrent  derrière  les  boulevards  et  bastilles  qu'ils  y  construisirent. 
Le  duc  de  Bourgogne  avait  avec  lui  grand  nombre  de  Portugais,  parce 
qu'il  avait  épousé  la  lille  du  roi  du  Portugal;  ses  noces  avaient  été  célé- 
brées le  mois  de  janvier  précédent  en  la  ville  de  Bruges...  [Ici  le  chroni- 
queur raconte  les  magnificences  et  les  profusions  du  duc  de  Bourgogne 
pour  la  célébration  de  son  hymen...  11  continue  ensuite  : 

Le  duc  de  Bourgogne  donc,  avec  ses  alliés  et  son  armée,  avait  construit 
des  forts  devant  la  ville  de  Compiègne  pour  l'affamer.  Dans  la  place  était 
un  bon  capitaine,  du  nom  de  Guillaume  de  Flavy,  qui  la  défendait  bien, 
aidé  qu'il  était  par  les  manants  et  par  les  habitants.  Le  roi,  sur  lavis 
d'un  de  ses  conseillers,  envoya  la  Pucelle  h  leur  secours  avec  deux  cents 
hommes.  Arrivée  dans  la  ville,  la  Pucelle  était  sortie  avec  ceux  de  la  cité 
cl  les  Italiens  pour  harceler  les  ennemis.  Après  une  longue  escarmouche, 
pensant  rentrer  dans  la  ville,  ils  furent  serrés  de  si  près  que  la  Pucelle 
fut  retenue  prisonnière,  et  livrée  entre  les  mains  de  messire  Jean  de 
Luxembourg.  Celui-ci  l'envoya  au  château  de  Beaulieu,  en  commandant 
de  Temprisonner  dans  une  tour. 

Le  duc  de  Bourgogne,  après  la  prise  de  la  Pucelle,  appelé  par  ses 
affaires  de  Brabant  et  de  Liège,  quitta  le  siège,  en  y  laissant  ses  gens, 

1.  Un  des  mille  exemples  où,  dans  la  langue  du  temps,  le  mot  France  est  pris  dans 
une  signilication  restreinte.  Bien  plus,  d'après  ce  qui  m'a  été  affirmé  sur  les  lieux» 
les  gens  du  Cambrésis  disent  encore  aller  en  France  quand  ils  vont  à  Beaurevoir  ou  à 
Saint-Quentin  ;  ceux  de  la  Brie  quand  ils  vont  dans  Tancienne  Ile-de-France. 


i 


LA  CHRONIQUE  DE  TOURNAY.  22^ 

qui  y  demeurèrent  avec  le  reste  de  Tarmée,  jusqu'aux  approches  de  la 
Toussaint...  [Le  chroniqueur  raconte  la  délivrance  de  Compiègne,  et 
consacre  ensuite  à  la  Pucelle  les  lignes  suivantes.] 


Durant  ce  siège,  Jeanne  la  Pucelle  était  enfermée  et  tenue  prisonnière 
en  une  tour  du  château  de  Beaulieu.  Espérant  s'en  échapper,  elle  se 
jeta  du  haut  en  bas,  et  fut  tellement  blessée  dans  sa  chute  qu'elle  ne  put 
s'enfuir.  Elle  fut  reprise,  et  menée  à  Beaurevoir,  où  elle  fut  captive 
jusqu'à  ce  que  le  siège  de  Compiègne  fût  levé.  Alors  messire  Jean  de 
Luxembourg  la  livra  aux  Anglais,  qui  la  menèrent  à  Rouen,  où  longtemps 
elle  fut  tenue  prisonnière. 

Plusieurs  ont  dit  et  affirmé  depuis  que,  à  cause  de  la  jalousie  des 
capitaines  de  France,  que  secondait  la  faveur  dont  quelques-uns  du  conseil 
du  roi  jouissaient  auprès  de  Philippe  de  Bourgogne  et  de  messire  Jean 
de  Luxemboui^\  on  trouva  couleur  de  la  faire  mourir  par  le  feu, 
à  Rouen.  On  ne  put  relever  contre  elle  aucun  motif  de  condamnation, 
aucune  faute,  si  ce  n'est  que,  durant  toutes  les  conquêtes  ci-dessus  racon- 
tées, elle  avait  porté  un  vêtement  qui  n'était  pas  celui  de  son  sexe. 

1.  Ces  accusations  si  graves  du  chroniqueur   seront  discutées  lorsque  toutes  les 
pièces  auront  été  produites. 


THOMAS    BASIN 

ET 

SES  CHAPITRES  SUR  LA  PUCELLE 

Une  notice  sur  Thomas  Basin,  évoque  de  Lisieux,  a  été  donnée  dans  le 
volume  la  Pucelle  devant  r Église  de  son  temps^^  à  propos  du  Mémoire 
que  ce  prélat  a  composé  pour  la  réhabilitation. 

Les  chapitres  qui  vont  être  reproduits  sont  tirés  de  son  Histoire  de 
Charles  VII.  Cette  histoire  a  été  écrite  à  Utrecht,  cinquante  ans  après 
les  événements,  dans  le  long  exil  auquel  Louis  XI  condamna  Basin. 
N'ayant  pas  été  signée  par  son  auteur,  elle  a  été  longtemps  attribuée  à 
un  certain  Amelgard,  dont,  d'ailleurs,  Ton  ne  sait  rien.  Quicberat  a  eu 
rhonneur  de  la  restituer  à  son  véritable  père  ;  il  a  donné  une  édition  en 
quatre  volumes  des  œuvres  de  Thomas  Basin  ;  c'est  là  qu'est  pris  le 
texte  dont  on  va  lire  la  traduction. 

L'évùquc  de  Lisieux  a  dû  écrire  son  Histoire  d'après  ses  souvenirs  per- 
sonnels. Quoique  contemporain  des  faits,  s'il  en  connaît  la  substance, 
il  est  peu  exact  dans  les  détails,  du  moins  pour  l'histoire  de  Jeanne  d'Arc. 
A  ce  point  de  vue,  loin  de  dire  comme  Siméon  Luce,  qu'il  est,  avec  Pie  II, 
celui  qui  a  écrit  avec  plus  de  justesse  sur  la  Pucelle,  il  est  vrai  d'affirmer 
qu'il  n'y  a  pas  de  chroniqueur  contemporain  de  l'héroïne  qui  ait  commis 
autant  d'erreurs  sur  le  matériel  des  faits. 

Ainsi  il  fait  conduire  Jeanne  à  Chinon  par  Baudricourt  ;  elle  aurait 
attendu  trois  mois  avant  d'ôtre  admise  en  présence  du  roi  ;  la  première 
bastille  emportée  à  Orléans  aurait  été  le  fort  des  Tourelles;  c'est  de 
Charles  Vil  que  serait  venue  l'initiative  du  voyage  pour  le  sacre  à  Reims 
et  le  couronnement  à  Saint-Denis  ;  Basin  place  après  l'attaque  contre 
Paris,  la  campagne  dans  llle-de-France  et  la  soumission  de  Compiègne, 
de  Senlis,  de  Beauvais  ;  il  n'a  pas  l'air  de  soupçonner  ce  qui  a  fait 
échouer  cette  attaque  qu'il  insinue  avoir  été  imprudente. 

Toujours  attaché  de  cœur  à  la  cause  nationale,  ayant  beaucoup  contribue 
à  la  conquête  de  Normandie,  le  prélat  normand  fut  assez  réservé  et  assez 

i.  Page  313. 


THOMAS  BASIN.  231 

prudent  pour  vivre  honoré  sous  la  domination  anglaise,  puisqu'il  fut 
d'abord  professeur  à  l'Université  de  Caen  fondée  par  Bedford,  et  élevé 
ensuite  sur  le  siège  de  Lisieux.  On  s'explique  par  là  qu'il  n'ait  connu, 
et  surtout  qu'il  ne  se  soit  rappelé,  lorsqu'il  écrivait,  que  le  gros  des  faits. 
Quoique  après  le  recouvrement  de  Rouen  il  ait  eu  en  mains  le  procès 
de  condamnation,  il  n'avait  cependant  sous  les  yeux  que  le  questionnaire 
de  Pontanus,  lorsqu'il  composait  son  Mémoire  pour  la  réhabilitation  ; 
c'est  ce  qu'il  déclare  lui-même.  Il  ne  connaissait  pas  les  informations 
faites  à  Domrémy  et  à  Orléans,  qui  sont  postérieures  à  son  écrit. 

Malgré  les  nombreuses  inexactitudes  des  détails,  les  pages  de  Basin  sur 
la  Pucelle  ont  de  la  valeur  pour  des  points  plus  importants.  Il  tenait  de 
Dunois  la  révélation  des  secrets  :  la  source  est  excellente  ;  Basin  insiste 
sur  ce  point  et  donne  de  précieux  développements  sur  la  durée  du  pre- 
mier entretien  et  l'impression  du  roi;  il  insiste  encore  sur  la  terreur  que 
la  Pucelle  ne  cessa  d'inspirer  aux  Anglais.  Vivant  parmi  eux,  il  avait  été 
bien  en  état  de  la  constater.  L'on  n'a  rien  de  meilleur  dans  les  Chroniques 
sur  l'inique  procès.  La  passion  des  juges,  Tadmiration  provoquée  par  les 
réponses  de  l'accusée,  le  tableau  de  sa  vie  angélique,  Tinjustice  de  la 
condamnation,  sont  autant  de  témoignages  précieux  à  recueillir  de  la  part 
d'un  personnage  aussi  grave  que  Thomas  Basin. 

Son  appréciation  de  la  vie  de  la  Pucelle ,  modérée  de  forme,  entourée 

des  restrictions  nécessaires  pour  ne  pas  blesser  les  susceptibilités  toujours 

vivantes  des  Anglais  et  plus  encore  des  Bourguignons,  ne  laisse  pas  de 

doute  sur  la  conviction  où  était  Tévèque  de  la  divinité  de  la  mission  de 

la  Pucelle,  alors  surtout  qu'on  rapproche  son  appréciation  de  celle  qu'il 

émet  dans  son  Mémoire,  où  il  déclare  qu'elle  lui  paraît  presque  évidente. 

Parmi  les  multiples  réponses  qu'il  donne  à  ceux  qui  se  scandaliseraient 

de  la  fin  de  la  céleste  envoyée,  il  faut  noter  celle  qu'il  tire  de  l'ingratitude 

du  roi  et  de  la  nation,  et  de  la  corruption  des  mœurs  de  l'époque. 

Basin,  qui  avait  vécu  en  Italie,  était  dans  le  mouvement  de  laRenaissance. 
U  vise  dans  son  style  à  la  période  cicéronienne,  qui  en  histoire  ne 
favorise  pas  l'exactitude,  pas  plus  qu'elle  n'est  un  signe  de  sincérité, 
quoique  celle  de  Basin  nous  semble  à  l'abri  du  soupçon. 


CHAPITRE    PREMIER 

LA  PUCELLE.  —  SON  ADMISSION  PAR  LE  ROI. 

^*^AiRE  :  Jeanne,  son  pays  d'origine,  sa  piété.  —  Elle  déclare  être  chargée  par  le 
^i^l  de  messages  publics  et  secrets  auprès  du  roi.  —  Le  nom  de  la  Pucelle  devenu 


232  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

son  nom.  —  Mépris  de  ses  ouvertures  par  le  capitaine  Baudricouri.  —  Ce  qui  le  fait 

changer  de  sentiment;  il  conduit  la  Pucelle  au  roi. 
Durant  trois  mois,  d'après  le  chroniqueur,  le  roi  refuse  de  lui  parler.  —  Entretiens 

avec  rentourage  du  prince  ;  instances,  promesses  et  menaces.  —  L*élat  désespéré 

des  affaires,  motif  de  ne  pas  la  rejeter  sans  Tentendre.    —  Entretien  secret  de 

deux  heures  avec  le  roi.  —  Révélation  de  profonds  secrets. 
Convocation  de  la  milice  ;  la  Pucelle  mise  à  la  tète  de  l'armée.  —  Sa  bannière. 

A  cette  époque  vivait  une  pucelle  du  nom  de  Jeanne,  entrant  à  peine 
dans  Tâge  de  puberté,  vierge  cependant,  ainsi  qu'elle  a  été  réputée  par 
tous.  Elle  était  née  sur  les  confins  de  la  Champagne*  et  du  Barrois,  dans 
une  ville  du  nom  de  Vaucouleurs.  Quoique  gardant  le  troupeau  de  son 
père,  elle  était  cependant  instruite  des  mystères  de  la  foi  chrétienne,  et 
avait  une  extraordinaire  ferveur  de  dévotion  envers  le  Christ,  sa  glorieuse 
Mère,  et  envers  les  saintes  vierges  Catherine,  Marguerite,  Agnès,  et 
quelques  autres.  Un  jour  vint  où  elle  se  mit  à  affirmer  avec  une  grande 
énergie  qu'elle  avait  eu  de  divines  révélations  ;  que  lorsqu'elle  paissait  le 
troupeau  dans  les  champs,  les  saintes  Vierges  qui  viennent  d'être  men- 
tionnées lui  avaient  apparu,  et  intimé  des  ordres  du  Ciel  ;  elle  disait 
.  qu'il    lui  était    commandé    d'aller   trouver  le  roi   Charles,    et  de  lui 
apporter  certains  messages  publics  et  secrets.  Quels  étaient  ces  derniers? 
C'est  ce  que  sait  le  roi,  et  ce  que  savent  ceux  auxquels  le  roi  l'a  peut-être 
révélé.   Il  y  eut  en  effet  des  messages  secrets;  d'autres  sont  devenus 
manifestes  à  tous,  ainsi  qu'on  le  verra  bientôt. 

A  la  suite  de  ces  visions  et  révélations,  Jeanne,  qui  fut  connue  dans 
toute  la  France  sous  le  nom  de  la  Pucelle,  alla  trouver  un  chevalier, 
seigneur  temporel  de  sa  ville  d'origine,  où  elle  habitait  avec  ses  parents. 
Elle  lui  disait  que  la  volonté  de  Dieu  était  qu'il  la  conduisit  au  roi  des 
Français  ;  qu'elle  avait,  pour  le  tenir  de  révélations  divines,  à  lui  manifester 
certains  commandements  qui,  s'ils  étaient  exécutés,  seraient  pour  son 
plus  grand  bien  personnel,  et  le  bien  du  royaume  de  France  tout  entier. 
Le  chevalier,  considérant  la  simplicité  de  la  jeune  fille,  connaissant  ses 
parents  dont  les  occupations  étaient  le  travail  des  champs  et  l'élève  des 
troupeaux  et  du  bétail,  ne  fit  aucun  cas  de  ses  paroles  et  ne  tint  d'abord 
aucun  compte  de  ses  demandes  :  cela  lui  paraissait  paroles  de  femmelette 
idiote  et  hors  du  bon  sens.  Cependant,  comme  elle  persévérait  dans  son 
dire,   qu'elle  le  menaçait,  s'il   méprisait  les   ordres   divins,   de  ne   pas 
échapper  à  un  chîUiment:  ayant,  comme  on  peut  le  croire  en  toute  vérité, 
donné  quelque  signe  de  la  divinité  de  sa  mission,  le  chevalier  finit  par  se 

1.  Parmi  tant  d'écrivains  conleinporains  qui  parlent  du  lieu  d'origine  de  Jeanne, 
Basin  seul  laisse  échapper  le  mot  de  (îhampagne  :  Orta  in  finibus  Campaniae  it  teirae 
Barrensis. 


THOMAS  BASIN.  233 

rendre  et  par  exécuter  ce  qui  lui  était  demandé.  Il  fait  les  préparatifs 
du  voyage,  dispose  chevaux,  serviteurs,  et  tout  ce  qui  était  nécessaire 
à  sa  condition  de  vie,  et,  du  lieu  d'origine  déjà  indiqué,  il  amène  la 
jeune  fille  au  roi  Charles. 

'  Ses  hommages  présentés  au  prince,  il  lui  expose  la  cause  de  sa  venue, 
lui  conduit  la  susdite  jeune  fille.  Le  roi  un  peu  troublé  par  la  nouveauté 
du  fait,  considérant  que  ce  n'était  qu'une  paysanne  simple,  refusa  de 
l'admettre  en  sa  présence.  Par  ses  ordres,  quelques  personnages  de  son 
conseil  et  de  sa  cour,  sont  chargés  de  demander  adroitement  et  habile- 
ment à  la  nouvelle  venue  ce  qu'elle  veut  exposer  et  révéler  au  roi,  les 
signes  de  sa  mission,  enfin  d'examiner  toutes  choses  :  elle  ne  se  lasse  pas 
de  répondre  à  tous  qu'elle  doit,  de  la  part  de  Dieu,  manifester  au  roi 
certains  secrets  qu'elle  ne  peut  dire  qu'à  lui  seul  et  pas  à  un  autre  ; 
qu'elle  donnerait  les  signes  de  sa  mission  dès  que  le  roi  lui  aurait  donné 
audience,  qu'il  ne  pourrait  pas  conserver  l'ombre  d'un  doute,  que  c'était 
bien  le  Ciel  qui  l'envoyait.  Malgré  ces  promesses,  le  roi  différa  de  l'en-  ^ 
tendre  presque  pendant  trois  mois. 

Durant  ce  temps,  les  habitants  d'Orléans  étaient  réduits  par  le  siège  à 
une  cruelle  famine  et  à  la  privation  de  bien  des  choses  nécessaires  à  la 
vie.  Jeanne  fatiguait  de  ses  obsessions  le  conseil  du  roi,  abordant  tantôt  | 
l'un,  tantôt  l'autre  de  ceux  qui  approchaient  de  plus  près  la  personne  .du 
prince  ;  elle  ne  cessait  de  dire  que  si  le  roi  voulait  l'entendre  et  obéir  aux 
ordres  du  Ciel,  il  recevrait  secours  pour  lui,  pour  les  assiégés,  pour  tout 
le  royaume,  tandis  que  s'il  persévérait  dans  son  refus  obstiné,  sa  personne, 
les  assiégés,  le  royaume  entier,  étaient,  sans  aucun  doute,  sous  le  coup  de 
désastres  et  de  calamités. 

Comme  elle  réitérait  sans  cesse  ses  promesses  et  ses  menaces,  qu'il  ne 
restait  presque  plus  d'espérance  de  délivrer  Orléans  et  de  secourir  les 
assiégés,  que  tous  étaient  réduits  à  un  extrême  désespoir,  Jean,  l'illustre 
comte  de  Dunois,  qui,  comme  nous  l'avons  dit  plus  haut,  était  le  fils  na- 
turel du  duc  d'Orléans  tué  à  Paris,  et  avec  lui  quelques  autres  de  la  cour, 
persuadèrent  au  roi,  comme  cela  se  fait  quelquefois  lorsque  tout  semble 
perdu,  qu'il  était  de  son  devoir  d'entendre  Jeanne  la  Pucelle.  D'après  ce 
qu'elle  dirait,  il  pèserait  et  examinerait  si  ce  qu'elle  promettait  devait 
être  rejeté  comme  conception  purement  humaine,  ou  humblement  accepté 
et  exécuté  comme  avis  et  commandement  venus  de  Dieu.  Ces  conseils, 
ces  instances,  l'état  désespéré  des  affaires  présentes,  décidèrent  le  roi  à 
acquiescer,  et  il  manda  la  Pucelle. 

Jeanne,  admise  en  présence  du  roi,  fit  éloigner  les  témoins,  et  eut  avec 
le  prince  un  entretien  de  plus  de  deux  heures.  Le  roi  écouta  ce  qu'elle 
voulut  lui  dire,  l'interrogea,  la  questionna  sur  ce  qu'elle  lui  exposait. 


234  L\  VRAIE  JEANNE  D*ARC  :   LA  LIBERATRICE. 

D'après  ses  paroles  et  ses  réponses,  après  les  signes  et  certaines  mani- 
festations de  très  profonds  secrets,  donnés  en  preuves  de  la  mission  et 
du  commandement  du  ciel,  il  commença  à  ajouter  quelque  foi  à  ce  qui 
lui  était  dit.  On  raconte,  —  je  le  tiens  du  comte  de  Dunois  qui  était  dans 
sa  plus  grande  intimité  —  on  raconte  que  le  roi  aurait  dit  que,  en  preuve 
de  la  vérité  de  ses  paroles,  la  Pucelle  lui  avait  exposé  des  choses  si 
cachées,  si  secrètes,  que  nul  mortel,  en  dehors  de  lui,  ne  pouvait  les 
connaître  sans  révélation  divine. 

Se  rendant  donc  à  ses  avis,  il  convoque  de  toute  part  sa  milice,  et  met 
la  Pucelle  à  la  tùte  de  son  armée  comme  le  général  divinement  désigné. 
La  tête  et  le  corps  couverts  d'un  vêtement  d'homme,  pourvue  d'armes  et 
de  chevaux,  mêlée  aux  autres  capitaines,  elle  est  envoyée  repousser  les 
ennemis  qui,  par  un  long  siège  de  plusieurs  mois,  étouffaient  Orléans. 

Ce  n'était  pas  une  jeune  fille  de  son  âge,  une  femmelette,  c'était  un 
vaillant  capitaine  expérimenté  à  la  guerre  que  Ton  croyait  voir,  alors 
qu'elle  était  à  cheval,  armée,  précédée,  en  guise  de  bannière  militaire, 
de  son  étendard,  sur  lequel  étaient  peintes  les  figures  de  la  glorieuse 
Vierge  Mère  de  Dieu,  et  de  quelques-unes  des  saintes  nommées  plus 
haut. 


CHAPITRE    II 

DÉLIVRANCE  D'ORLÉANS  ET  CAMPAGNE  DE  LA  LOIRE. 

Sommaire  :  1.  —La  Pucelle  veut  délivrer  Orléans.  —  D'après  Basin  elle  aurait  commencé 
par  1  atla(iue  des  Tourelles.  —  Conimeiit,  d'après  lui,  elle  s'en  serait  emparée.  — 
(ilacidas  et  ses  compagnons  tués,  brûlés,  noyés.  —  (lourage  des  Français.  —  La 
terreur  précédente  du  nom  anglais  changée  en  une  vaillante  hardiesse  de  les  expulser. 
—  Les  ennemis  fuient  après  quelques  nouveaux  succès  des  Français.  —  Le  nom  de 
la  Pucelle  célébré  dans  la  France  entière.  —  H  glace  les  Anglais  d'épouvante. 

11.  —  Les  Français  ranimés  s'emparent  de  Jargeau.  —  Abandon  de  Meung  et  de  Bau- 
gency  et  fuite  des  Anglais.  —  Les  Français  à  leur  poursuite.  —  Victoire  de  Palay 
et  ^es  suites.  —  Fastolf. 

1 

Les  ennemis  campaient  devant  Orléans,  retranchés  dans  leurs  cons- 
tructions, comme  dans  autant  de  six  ou  sept  très  fortes  citadelles.  La 
Pucelle  résolut  de  les  attaquer.  Les  assiégés,  pour  lesquels  leurs  rem- 
parts étaient  comme  les  murs  d'une  vaste  prison,  se  trouvaient  réduite 
aux  tourments  de  la  faim  :  Jeanne  résolut  de  mettre  im  terme  à  leur^ 
misères.  Les  soldats  obéissent  à  sa  voix  comme  à  la  voix  du  Ciel;  elle— 


THOMAS  BASIN.  235 

même  remplit  parmi  eux  Toffice  de  général  et  d'intrépide  soldat.  Tous 
ensemble,  ils  attaquent  la  très  forte  bastille  située  à  Textrémité  du  pont, 
du  côté  opposé  à  la  ville.  Elle  était  réputée  la  plus  forte,  tant  par  la  valeur 
de  ses  défenseurs  que  par  les  ouvrages  qui  la  protégeaient.  La  Pueelle  y 
pénètre.  Elle  met  le  feu  au  bas  de  la  tour  ;  la  fumée  et  la  Ûamme 
atteignent  ceux  qui,  à  la  partie  supérieure,  s'obstinent  à  la  défense.  Ils 
sont  forcés  de  pourvoir  à  leur  salut,  en  se  précipitant  en  bas,  ou  en  se 
laissant  glisser  le  long  de  cordes.  De  ce  nombre  fut  ce  vaillant  Glacidas 
auquel,  ainsi  que  nous  Tavons  dit,  Salisbury  avait  confié  toute  la  con- 
duite du  siège.  Tandis  qu'il  s'efforçait  de  fuir  la  violence  de  la  fumée  et 
du  feu,  il  se  noya  dans  les  eaux  de  la  Loire,  dont  les  flots  entouraient 
le  pied  de  la  tour.  Tous  les  autres  périrent  également  par  le  feu.  par  le 
fer,  ou  emportés  par  le  courant  du  fleuve. 

Après  cette  victoire,  les  Français,  persuadés  que  ce  qui  restait,  de  soi 
moins  difficile,  serait,  avec  le  secours  de  Dieu,  parachevé  sous  la  con- 
duite et  la  bannière  de  la  Pueelle,  dirigent  leur  forces  et  leurs  attaques 
contre  les  autres  bastilles  anglaises,  de  Tautre  coté  de  la  ville  et  sur 
l'autre  rive  du  fleuve.  Ils  sont  remplis  d'entrain  et  de  courage.  Précé- 
demment le  nom  des  Anglais  les  remplissait  d'un  tel   effroi  que  non 
seulement  ils  n'osaient  pas  les  attaquer,  mais  pas  même  les  attendre, 
encore    qu'ils   fussent  supérieurs   en    nombre    et    en    force,     et    l'on 
pouvait  pousser  le  cri   d'étonnement   de  Moïse  dans    son    cantique   : 
Comment  un  seul  en  poursuit-il  mille^  et  deux  dix  mille  !   et  sous  la 
conduite  et  l'étendard  de  la  Pueelle,  ils  se  jettent  sur  les  bastilles  et  les 
fortifications  anglaises  les  moins  accessibles  ;  ils  y  pénètrent,  et  comme 
sansefl'ort  ils  accomplissent  en  face  des  ennemis  les  entreprises  les  plus 
ardues  et  les  plus  magnifiques. 

Deux  ou  trois  bastilles  prises,  ceux  qui  les  défendaient  taillés  en  pièces 
ou  dispersés,  ceux  qui  sont  restés  dans  les  autres  fortifications  les  aban- 
donnent ou  cherchent  leur  salut  dans  la  fuite.  Le  camp  des  Anglais  est 
pillé  ;  les  bastilles,  lieux  de  leur  habitation,  bâties  en  pierres  et  en 
bois,  à  rinstar  des  forteresses  et  des  châteaux,  sont  toutes  livrées  aux 
flammes  ;  et  ainsi  la  ville  en  proie  depuis  longtemps  aux  souffrances  et  aux 
privations  de  la  disette  de  vivres,  grâce  à  la  miséricorde  divine,  est 
délivrée  sous  la  conduite  de  Jeanne,  de  ses  maux  et  de  ses  périls. 

Les  Anglais  échappés  du  siège  se  dispersent  en  diverses  forteresses  et 
en  divers  lieux.  Le  nom,  la  renommée  de  la  Pueelle,  que  dès  lors  la 
France  entière  célébra  d'une  seule  voix,  leur  avait  inspiré  un  tel  effroi 
qu'ils  semblèrent  avoir  perdu  tout  espoir  de  se  défendre,  et  ne  voir  de 
salut  que  dans  la  fuite.  Dès  lors  la  pointe  de  fer  des  flèches  anglaises, 
comme  émoussée,  ne  pénétra  plus  comme  précédemment  ;  dès  lors  le 


236  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

cours  de  la  fortune  sembla  changé  ;  dès  lors  les  affaires  des  Français  ruinées 
se  relevèrent  et  firent  espérer  un  avenir  meilleur  ;  celles  des  Anglais, 
jusqu'alors  si  prospères,  allèrent  toujours  en  déclinant.  Le  seul  nom  de 
la  Pucelle  répandit  dès  lors  une  telle  terreur  dans  leurs  âmes  que  plu- 
sieurs ont  affirmé  par  leur  grand  serment,  que  l'entendre,  voir  Tétendard 
qu  elle  portait,  suffisait  pour  qu'ils  n'eussent  plus  comme  auparavant 
force  et  courage  de  résister,  de  bander  leur  arc,  de  lancer  leurs  traits 
contre  Tennemi,  de  le  frapper  de  leur  glaive  '. 


II 

Et  parce  que,  comme  le  chante  le  poète,  la  victoire  double  ordinaire- 
ment les  forces,  que  le  succès  agrandit  le  courage,  les  Français  réconfor- 
tés par  ces  victoires  songèrent,  sous  la  conduite  de  Jeanne  et  du  comte  de 
Dunois,  le  premier  de  l'armée  française,  comme  général  et  comme  soldat, 
songèrent  à  recouvrer  les  forteresses  voisines  et  les  places  des  rives  de 
la  Loire.  La  place  de  Jargeau,  où  plus  de  huit  cents  Anglais  s'étaient 
retirés,  succomba  devant  leurs  attaques  et  leur  assaut.  Ceux  qui  s'y 
trouvaient  furent  tués  ou  faits  prisonniers.  Le  comte  de  SufFolk  fut  pris 
et  son  frère  le  sire  de  la  Pôle  fut  tué. 

Cette  nouvelle  défaite,  venant  après  celle  d'Orléans,  persuada  aux 
Anglais  qu'ils  ne  pouvaient  pas  défendre  les  autres  places,  telles  que 
Mcung  et  Baugency.  Les  abandonnant  aux  Français  qui  les  occupèrent, 
ils  réunirent,  comme  ils  le  purent,  les  débris  de  leur  armée,  et  se  mirent 
à  hâter  leur  retraite  à  travers  la  Beaucc  vers  Chartres  et  la  Normandie, 
instruits  à  leurs  dépens  que  les  rives  de  la  Loire  n'étaient  plus  désormais 
pour  eux  un  lieu  où  ils  pussent  s'arrêter  en  sûreté. 

Cette  retraite  n'échappa  pas  aux  Français,  dont  la  hardiesse  et  les  forces 
croissaient  chaque  jour  avec  les  faveurs  de  la  fortune.  Les  succès  du  pré- 
sent agrandissant  leurs  espérances  pour  l'avenir,  ayant  pour  chefs 
principaux  la  Pucelle  et  le  comte  de  Dunois,  et  au  second  rang  les  nom- 
breux capitaines  des  hommes  d'armes  du  roi,  ils  résolurent  de  poursuivre 
les  Anglais,  et,  si  c'était  en  leur  pouvoir,  d'anéantir  leurs  forces.  Il  leur 
semblait  que  c'était  de  nouveau  s'exposer  à  leurs  coups,  s'ils  les  laissaient 
déjà  vaincus,  fugitifs,  presque  morts  de  frayeur,  découragés  par  tant  de 
défaites,  se  retirer  librement  à  travers  ces  spacieuses  campagnes  de  la 

i.  Tantus  cninicx  solo  Puellu3  nomiiiecorumanimispavor  incesserat,  ut  sacramento 
inagno  eorum  pluriini  iimiarent,  quod,  solo  eo  audito,  aut  ejus  conspectis  signis,  neo 
reluctamli  vires  aniinuinque,  vel  arcus  extentendi  et  jacula  in  hostes  torquendi  seu 
feriendi,  uti  soliti  per  prius  fuerant,  ullomodo  assumere  possent.  (P.  72.) 


THOMAS  BASLN.  237 

Beauce,  s'ils leurpermettaient  par  leur  lâcheté  de  regagner  leurs  surs  abris. 
Us  les  poursuivent  donc  et  les  atteignent  dans  une  vaste  plaine  près  de  la 
ville  connue  sous  le  nom  de  Patay.  Une  fois  venus  aux  mains,  les  vaincre 
ne  fut  pas  une  affaire  ;  beaucoup  furent  tués,  nombreux  furent  les  pri- 
sonniers, le  reste  dut  son  salut  à  la  fuite.  Le  seigneur  Talbot,  comte  de 
Chérosbéry,  fut  fait  prisonnier,  et  de  nombreux  chevaliers  anglais  le  furent 
avec  lui.  Le  sire  Jean  Fastolf,  chevalier  anglais,  capitaine  d'une 
compagnie  anglaise,  échappa  par  la  fuite  ;  ce  qui  ne  fut  pas  pour  lui 
auprès  des  Anglais  le  sujet  de  petits  affronts,  et  d'un  médiocre 
opprobre. 


CHAPITRE    III 

AVANT  ET  APRÈS  LE  SACRE. 

SoMyAiRE:  D'après  Basin,  c'est  du  roi  que  serait  venue  la  résolution  de  se  faire  sacrer 
à  Reims,  et  couronner  à  Saint-Denis.  —  Rôle  qu'il  prête  à  Léguisé,  évéque  *de 
Troyes.  —  Sacre  à  Reims  ;  couronnement  à  Saint-Denis.  —  Manière  dont  il  raconte 
Tattaque  contre  Paris.  —  Raisons  qu'il  donne  du  départ  de  Paris.  —  11  place 
après  l'attaque  de  Paris  la  campagne  de  l'Ile-de-France. 

Après  tant  de  succès  pour  la  cause  française,  après  un  tel  revirement  de 
fortune,  tant  de  prospérité  et  de  bonheur  à  la  suite  de  calamités  voisines  du 
désespoir,  après  une  telle  révolution,  il  était  bien  permis  de  dire  :  Pareil 
changement  est  T œuvre  de  la  droite  du  Très-Haut,  Charles,  roi  des  Français, 
n'était  pas  encore  sacré  d'après  le  rite  des  rois  Très-Chrétiens  de  France  ; 
il  n'avait  pas  ceint  le  diadème  royal  et  la  couronne,  parce  que  Reims 
où  les  rois  sont  sacrés,  Paris  et  la  petite  ville  de  Saint-Denis  où  ils  sont 
couronnés,  étaient  au  pouvoir  des  Anglais. 

Réunissant  des  troupes  de  toutes  les  parties  du  royaume  soumis  à  son 

obéissance,  et  formant  une  grande  armée,  Charles  résolut  de  se  rendre 

è  Reims,  pour  s'y  faire  sacrer,  de  venir  à  Paris  et  à  Saint-Denis  pour  y 

être  couronné  solennellement,  comme  l'avaient  été  ses  ancêtres  et  ses 

pères.  Il  aborde  Troyes-en-Champagne,  par  les  soins  et  sur  le  conseil  de 

Jean  Léguisé,  homme  d'éminente  intégrité  et  d'éminente  sagesse,  qui  en 

occupait  la  chaire  épiscopale,  et  gouvernait  cette  Église  avec  fermeté  et 

dignité;  il  y  est  reçu  sans  obstacle  et  avec  joie  ;  il  gagne  Châlons  et  Reims  ; 

ces  villes  et  presque  toute  la  Champagne  se  mettent  d'elles-même  sous 

son  obéissance  ;  il  est  triomphalement  oint  de  Thuile  sainte  et  sacré  à 

Reims  au   milieu  des   transports  d'allégresse  des  Français.  Jeanne  la 

Pucelle  n'a  pas  quitté  l'armée  royale,  portant  son  vêtement  d'homme, 

l'armure  et  la  bannière  de  guerre  dont  il  a  été  déjà  parlé. 


238  LÀ  VRAIE  JEANNE  D^ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

Le  roi  qui  voulait  parcourir  les  autres  villes  de  son  royaume,  les  lieux 
et  les  provinces  occupés  par  Tennemi,  et  surtout  visiter  sa  très  insigne 
capitale,  Paris,  et  Saint-Denis  où  il  devait  recevoir  le  diadème  et  le  sceptre 
royaux,  résolu  qu'il  était  de  monter  sur  son  trône,  le  roi  vient  avec  son 
armée  à  Saint-Denis.  Il  eût  été  inutile  de  vouloir  résister  à  une  telle 
puissance  ;  il  y  entre  paisiblement  et  il  y  est  couronné,  ainsi  que 
Tétaient  les  nouveaux  rois. 

Durant  le  séjour  de  quelques  jours  qu'il  y  fait,  Paris  est  sommé  et 
pressé  de  recevoir  son  roi,  de  lui  donner  entrée,  et  de  lui  faire  obéissance 
comme  au  légitime  souverain.  Le  duc  de  Bedford  s'y  trouvait,  ayant  à  sa 
disposition    de   puissantes    milices   anglaises    et   bourguignonnes.   Les 
sommations  et  les  instances  sont  un  sujet  de  mépris  et  de  dérision.  Les 
Français  indignés  de  ces  outrages,  ayant  quelque  espérance  que  les  cita- 
dins,  bien   supérieurs   en   nombre   et   en  force    aux  Anglais  et  aux 
Bourguignons,  seconderaient  leur  tentative  et  leur  dessein,  tentent  une 
attaque  contre  la  ville.  Ils  commencent  l'assaut,  entrent  dans  les  fossés. 
La  Puceile    est  dans  leurs  rangs,  bien  plus  à  leur  tête,    avec  le  duc 
d'Alençon,  de  nombreux  capitaines  royaux,  et  de  nombreux  chefs  de 
milice.  Sur  les  murs  se  trouvaient  en  rangs  très  serrés  des  défenseurs 
prêts  pour  repousser  l'attaque,  qui,  avec  des  pierriers,  des  canons,  des 
balistes  et  autres  machines  de  traits,  opposent  la  plus  ferme  résistance. 
Beaucoup,  parmi  les  assaillants,  sont  tués  ou  blessés  ;  Jeanne  la  Puceile 
elle-même  est  blessée  à  la  cuisse  par  un  projectile.  Après  une  tentative 
frustrée  et  inutile  on  sonna  la  retraite,  et  les  Français  rétrogradèrent, 
non  sans  perte  et  sans  déshonneur. 

Après  cette  affaire  un  peu  témérairement  engagée  et  sans  résultat, 
les  Français  se  trouvaient  à  Saint-Denis,  presque  entourés  par  les 
ennemis  qui  occupaient  les  forteresses  et  les  cités  voisines  ;  ils  sentaient 
disette  de  vivres  et  des  autres  choses  nécessaires  à  la  vie.  Aussi  le  roi  se 
retira-t-il  avec  son  armée  vers  Senlis,  qui  était  au  pouvoir  des  Anglais. 
Pour  défendre  cette  ville,  le  duc  de  Bedford,  ayant  promptement  rassemblé 
de  nombreuses  troupes  d'Anglais,  se  hâta  d'accourir.  Il  établit  son  camp 
près  d'étangs  et  de  marais  qui  le  protégeaient,  et  faisaient  que  l'approcher 
était  difficile,  et  non  sans  périls.  Il  y  resta  quelques  jours  comme  assiégé 
par  l'armée  française,  sans  juger  avantageux  d'offrir  la  bataille  ;  il  finit 
par  se  dérober  la  nuit  avec  ses  Anglais  pour  rentrer  dans  Paris.  Après 
son  départ,  Senlis  se  donna  au  roi  ;  c'est  ce  que  firent  aussi  Compiègne, 
Beauvais,  Laon,  Soissons,  Sens,  et,  bientôt  après,  toutes  les  places  et 
forteresses  n'ayant  pas  de  garnisons,  ou  n'en  n'ayant  que  d'inférieures 
en  nombre  et  en  force  au  nombre  et  aux  forces  des  bourgeois  et  des 
habitants. 


THOMAS  BASIN.  239 

[...  Basin  raconte  ensuite  l'occupation  momentanée  de  Chartres,  de 
Louviers,  la  venue  du  roi  d'Angleterre  en  France,  et  reprend  après  This- 
loire  de  la  Pucelle.] 


CHAPITRE   IV 

CAPTIVITÉ  DE  LA  PUCELLE.   —  SON  PROCÈS.   —  SON   JUGEMENT. 

JUGEMENT  DE  L'ÉGRIVAIN. 

Sommaire  :  I.  —  Jeanne  au  siège  de  Compiègne.  —  Elle  est  prise  et   vendue  aux 
Anglais.  —  La  cour  délibère  sur  le  sort  à  lui  infliger.  —  Le  procès.  —  Sa  longueur. 

—  Tribunal.  —  Interrogatoire.  —  Admiration  qu'excitent  les  réponses  de  Taccusée. 

—  Le  parti  pris  des  interrogateurs.  —  Beau  tableau  de  la  vie  de  Jeanne.  —  Impossi- 
bilité d'un  soupçon  contre  sa  virginité.  —  La  raison  du  port  de  Thabit  masculin. 

n.  —impossibilité  d'échapper  aune  condamnation.  —  La  persuasion  des  Anglais.  — 
Ce  que  l'on  rapporte  de  sa  rétractation,  des  reproches  des  Saintes.  —  Condamnée 
comme  relapse.  —  Foule  accourue  à  son  supplice.  —  Sa  sainte  mort.  —  Ses  cendres 
sont  jetées  à  la  Seine.  —  Le  motif. 
in.  —  Jugement  de  Basin  sur  la  Pucelle.  —  Sa  réserve.  —  Il  dit  hardiment  qu'elle 
n'a  été  convaincue  d'aucune  erreur  contre  la  foi.  —  Nullité  du  procès  de  condam- 
nation. —  Son  Mémoire.  —  Mémoires  de  nombreux  savants  consultés  pour  la  réha- 
bilitation. —  Leur  conclusion.  —  La  fin  de  la  Pucelle  n'est  pas  une  objection  con- 
tre la  divinité  de  sa  mission.  —  Ainsi  ont   fini  le   Rédempteur,  les  Apôtres,  les 
martyrs.  — Dieu  a  pu  la  permettre  à  cause  des  péchés  du  roi,  ou  du  peuple,   de 
leur  ingratitude,  de  leur  orgueil.  —  La  corruption  des  mœurs  à  cette  époque.  — 
Dieu   s'est  souvent  servi  des  femmes  pour  un  rôle    de  consolation.    —  Liberté 
d  appréciation  concédée  par  Basin. 

I 

Les   Anglais    et    les    Bourguignons    assiégeaient   depuis   longtemps 
Compiègne-sur-Oise,  et  Jeanne  la  Pucelle  défendait  celte  ville  avec  de 
aombreux  et  vaillants  capitaines  et  chevaliers  français,  lorsque  l'infor- 
tunée jeune  fille  fut  victime  d'un  bien  malheureux  accident.  Un  jour, 
étant  sortie  avec  une  troupe  d'hommes  d'armes  pour  fondre  sur  Tennemi, 
elle  fut  prise  par  un  soldat  bourguignon.  Les  Anglais,  qui  avaient  soif  de 
sa  perte  et  de  sa  mort,  Tachetèrent  au  prix  d'une  grosse  somme  d'or.  Pour 
e^x,  qui  tanv  de  fois  avaient  été  taillés  en  pièces  et  mis  en  fuite  par  la 
^^e  terreur  de  son  nom,  ce  fut  le  sujet  d'une  grande  joie  et  d'une  vive 
^U^resse. 

Ds  l'amenèrent  à  Rouen  oii  le  jeune  roi  Henri  se  trouvait  avec  sa  cour 
^^  son  conseil.  Après  de  longues  délibérations  sur  le  sort  qu'il  fallait  lui 
^^ire  subir,  on  décida  qu'elle  serait  soigneusement  gardée  dans  une  prison 
P^sablement  dure  de  la  forteresse  de  Rouen,  et  qu'ayant  été  prise  sur 


240  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

les  limites  du  diocèse  de  Pierre  Cauchon,  évêque  de  Beauvais,  Tun  des 
premiers  conseillers  du  roi  d'Angleterre,  on  lui  intenterait  devant  ce 
prélat  un  procès  en  matière  de  foi. 

Le  procès  fut  long  et  mouvementé.  Pendant  plusieurs  mois,  à  divers 
jours  et  à  diverses  fois,  en  présence  des  inquisiteurs  de  la  perversité 
hérétique,  de  nombreux  professeurs  de  théologie,  de  droit  divin  et 
humain,  mandés  pour  cela  de  Paris,  la  Pucelle  eut  à  subir  de  multiples 
interrogatoires.  Les  questions  et  les  réponses  furent  très  soigneusement 
recueillies  par  des  notaires  publics,  et  consignées  dans  des  registres 
juridiques.  Presque  tous  admiraient  avec  quelle  sagesse  et  quelle  habi- 
leté cette  jeune  paysanne  répondait  sur  des  matières  de  foi  à  des  questions 
pleines  de  difficultés  même  pour  des  doctes  et  des  hommes  cultivés.  Les 
assesseurs,  partisans  résolus,  fervents  défenseurs  de  la  cause  anglaise, 
n'avaient  qu'un  but,  la  circonvenir  par  leurs  questions  équivoques  et 
captieuses,  pour  la  faire  paraître  coupable  du  crime  d'hérésie,  et  la  faire 
ainsi  périr  ;  et  cependant  ils  ne  purent  pas  lui  arracher  une  parole,  une 
assertion  qui  leur  en  fournît  un  prétexte  tant  soit  peu  solide  et  con- 
cluant. 

En  effet,  d'après  le  témoignage  de  ceux  qui  avaient  connu  sa  vie  et  sa 
conduite,  soit  avant  sa  venue  auprès  du  roi,  soit  après,  durant  le  temps 
passé  au  milieu  des  hommes  de  guerre,  elle  avait  été  très  pieuse,  fréquen- 
tant, toutes  les  fois  qu'elle  le  pouvait,  les  églises  et  les  lieux  de  prière. 
Venait-elle,  lorsqu'elle  gardait  le  troupeau  dans  les  champs,  à  entendre  la 
cloche  qui  annonçait  l'élévation  du  corps  et  du  sang  de  Dieu,  ou  sonnait 
la  Salutation  de  la  Bienheureuse  Vierge  Marie,  elle  avait  Thabitude  de  se 
mettre  à  genoux  et  de  prier  avec  une  grande  ferveur  de  dévotion. 

Elle  affirmait  avoir  voué  à  Dieu  sa  virginité  ;  et  quoique  ayant  long- 
temps vécu  au  milieu  d'hommes  d'armes,  impudiques,  entièrement 
perdus  de  mœurs,  jamais  il  ne  s'éleva  un  soupçon  qu'elle  eût  violé  son 
engagement.  Bien  plus,  des  femmes  expertes,  môme  lorsqu'elle  était  au 
pouvoir  des  Anglais,  ayant  soumis  son  intégrité  à  leur  examen  et  inspec- 
tion, ne  purent  observer  et  constater  qu'une  chose,  la  parfaite  pureté  du 
sceau  virginal. 

Elle  se  justifiait  de  porter  le  vêtement  viril,  en  affirmant  que  le  Ciel 
lui  avait  fait  un  commandement  de  le  prendre  en  même  temps  que  les 
armes,  afin  que  dans  ses  expéditions  guerrières,  passant  les  jours  et  les 
nuits  au  milieu  des  hommes,  elle  ne  fût  pas  pour  eux  l'occasion  de  désirs 
mauvais;  ce  qui  eût  été  presque  impossible,  si  elle  y  avait  vécu  en 
portant  les  habits  de  son  sexe. 


THOMAS  BASIN.  241 


II 


Mais  indubitablement,  quel  que  fût  Téclat  de  sa  vertu  feinte  ou  réelle^ 
il  était  presque  impossible  qu'elle  pût  se  justifier  auprès  de  ceux  dont  le 
désir  le  plus  ardent  et  le  plus  véhément  était  de  la  perdre  et  de  la  faire 
disparaître.  Il  n'y  avait  parmi  les  Anglais  qu'un  sentiment,  une  voix 
presque  universelle,  à  savoir  qu'on  ne  pouvait  combattre  heureusement 
les  Français  et  les  vaincre,  tant  que  respirerait  cette  Pucelle  qu'ils 
accusaient  de  sortilège  et  de  maléfice.  Comment  son  innocence  aurait- 
elle  pu  la  sauver?  A  quoi  pouvait-elle  lui  servir,  alors  qu'elle  était  entre 
les  mains  de  tant  d'ennemis  et  de  calomniateurs  acharnés,  tels  que 
Tétaient  pour  la  Pucelle  les  Anglais  et  ceux  qui,  leurs  chauds  partisans 
et  défenseurs,  siégeaient  parmi  les  juges,  résolus  de  faire  tous  leurs  efforts, 
de  tenter  toutes  les  voies  pour  contenter  leur  désir  de  la  perdre? 

Quant  aux  apparitions  des  saintes  Vierges  dont  elle  disait  être  favo- 
risée, après  avoir  persévéré  dans  la  même  affirmation,  fatiguée  par  de 
longs  examens  et  des  questions  souvent  réitérées,  amaigrie  et  épuisée 
par  l'horreur  et  les  souffrances  d'une  longue  prison,  à  l'intérieur  et  à 
l'extérieur  de  laquelle  des  soldats  anglais  étaient  toujours  en  sentinelle, 
on  raconte  {ferunt)  que,  sur  une  promesse  d'impunité  et  de  délivrance, 
faite  par  ses  juges,  elle  avait  fini  par  renier  la  vérité  de  ces  sortes  d'appa- 
ritions et  de  révélations  divines,  et  qu'elle  avait  été  induite  à  en  faire  l'aveu 
en  jugement  et  devant  des  assistants  ;  et  que,  cela  fait,  la  dureté  et  l'aspé- 
rité de  sa  prison  n'en  avaient  été  pour  cela  nullement  mitigées.  Aussi, 
quelques  jours  après,  le  bruit  se  répandit-il  qu'elle  avait  dit  avoir  été 
réprimandée  pour  avoir  renié  ces  apparitions  et  révélations;   que  les 
saintes  lui  apparaissant  de  nouveau  dans  la  prison  lui  en  avaient  fait  de 
durs  reproches. 

Ceci  rapporté  aux  juges,  elle  est  de  nouveau  traduite  publiquement 
^^  jugement,  comme  coupable  de  rechute  dans  une  hérésie  précédemment 
abjurée  ;  elle  est  jugée  relapse,  et  comme  telle  abandonnée  au  bras 
séculier.  Aussitôt  elle  est  saisie  par  les  exécuteurs  et  par  la  soldatesque 
^^^laise,  alors  nombreuse  à  Rouen  à  la  suite  de  son  roi  Henri.  En  pré- 
sence d  une  innombrable  multitude,  accourue  non  seulement  de  la  cité 
^^s  des  campagnes  et  des  villes  voisines,  —  plusieurs  étaient  venus 
^oinme  pour  un  spectacle  public,  —  Jeanne,  invoquant  sans  cesse  à 
^^^  secours  Dieu  et  la  glorieuse  Mère  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ, 
*^aime  fut  consumée  par  les  flammes. 

On  réunit  les  cendres  provenant  soit  du  bois,   soit  du  corps  et  des 
^sements,  et  du  haut  du  pont,  elles  furent  jetées  dans  la  Seine,  par 
m.  i6 


242  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

crainte  qu'un  sentiment  de  superstition  ne  fit  ramasser  et  garder  quelque 
chose  de  ces  restes.  C'est  ainsi  que  Jeanne  sortit  de  cette  vie  passagère. 


III 

Le  lecteur  désirera  peut  ôtre  savoir  notre  jugement  sur  les  faits  de  la 
Pucelle  dont,  à  cette  époque,  le  nom  remplit  la  France  entière.  S'il  est 
vrai  que  nous  n'avons  pas  la  témérité  d'affirmer  que  Dieu  est  l'auteur 
des  apparitions  et  des  révélations  qu'elle  disait  avoir  reçues,  attendu  que 
nous  n'avons  nulle  connaissance  des  signes  de  sa  mission,  signes  qui,  dit- 
on,  ont  été  manifestés  seulement  au  roi  Charles,  nous  disons  et  affirmons 
hardiment,  que  du  procès  fait  contre  elle,  procès  que  nous  avons  vu 
lorsque,  à  l'expulsion  des  Anglais,  la  Normandie  a  fait  retour  à  la  domi- 
nation de  Charles,  il  ne  résulte  pas  de  preuve  qu'elle  ait  été  convaincue 
d'une  proposition  erronée,  en  opposition  avec  la  vérité  catholique,  ou 
qu'elle  en  ait  fait  l'aveu  juridique  ;  par  suite  l'inculpation  du  crime 
d'hérésie  et  de  rechute  est  assez  manifestement  dénuée  de  fondement. 

En  outre,  on  pouvait,  d'après  plusieurs  chefs,  étahlir  que  pareil  procès 
était  vicieux  ;  il  était  intenté  et  déduit  devant  des  ennemis  mortels  souvent 
récusés  par  l'accusée;  on  lui  a  refusé  tout  conseil,  à  elle,  une  simple 
jeune  fille;  on  pourrait  voir  les  raisons  plus  longuement  exposées,  dans 
un  petit  Traité  que  nous  fimes.  pour  répondre  à  la  demande  du  roi  Charles 
qui  voulait  avoir  notre  avis,  si  ce  Mémoire  tombe  entre  les  mains  du 
lecteur. 

Les  Anglais  chassés  de  la  Normandie,  le  môme  Charles  fit  soigneuse- 
ment examiner  et  discuter  ce  même  procès  par  plusieurs  prélats  de  son 
royaume,  et  par  de  savants  jurisconsultes  versés  dans  le  droit  divin  et 
humain;  ils  lui  adressèrent  plusieurs  Mémoires  à  ce  sujet.  Transmis  aux 
juges  délégués  par  le  Saint-Siège  pour  examiner  cette  afifaire  et  en  juger, 
CCS  Mémoires  furent  mûrement  pesés.  La  sentence  fut  celle  que  nous 
venons  d'émettre:  le  jugement  porté  sous  la  domination  anglaise  fut 
cassé  et  révoqué. 

Quelqu'un  s'étonnera  peut-être,  qu'envoyée  par  Dieu  elle  ait  pu 
devenir  ainsi  prisonnière  et  être  soumise  à  de  tels  supplices.  Pareil 
étonnement  serait  en  vérité  hors  de  toute  raison  chez  ceux  qui  croient 
fermement  que  le  Saint  des  Saints,  Notre-Seigneur  et  Sauveur,  que  les 
saints  Prophètes,  les  saints  Apôtres  envoyés  pour  apporter  et  persuade 
aux  hommes  la  doctrine  du  salut,  les  commandements  divins  de  la  foi 
ont  eu  à  supporter  tant  de  tourments  et  de  supplices,  et  ont  fini  leur  vi< 
mortelle  par  le  triomphe  du  martyre.  Ne  lisons-nous  pas  encore  que  h 


THOMAS  BASIN.  243 

peuple  d'Israël,  après  avoir  reçu  de  Dieu  Tordre  d'exterminer  Chanaan, 
de  combattre  des  nations  idolâtres  ennemies  de  Dieu,  est  cependant 
parfois  tombé  abattu  sous  leurs  coups,  à  cause  de  ses  prévarications,  ou 
même  à  cause  des  prévarications  de  Tun  de  ses  membres?  Qui  donc 
connaît  les  sentiments  de  Dieu,  ou  qui  fut  son  conseiller?  En  parlant 
ainsi,  nous  ne  voulons  pas  dire  que  Jeanne,  arrachée  à  cette  triste  vie 
de  la  manière  que  nous  venons  de  dire,  doive  être  mise  sur  le  même  rang 
que  les  Apôtres  et  les  Martyrs  ;  nous  voulons  dire  qu'il  n'y  a  ni  répu- 
gnance ni  incompatibilité,  à  ce  qu'elle  ait  été  envoyée  par  Dieu  pour 
secourir  le  roi  et  le  royaume  contre  des  ennemis  qui  tyrannisaient  très 
cruellement  le  pays,  pour  humilier  l'orgueil  des  Anglais  et  des  Français, 
pour  que  personne  ne  fasse  de  la  chair  un  appui,  et,  au  mépris  de 
Dieu,  ne  se  glorifie  en  lui-même  et  en  ses  forces;  et  que  néanmoins 
Dieu  .ait  permis  qu'elle  ait  été  prise  par  les  ennemis  et  accablée  de 
supplices.  Il  a  pu  le  permettre  à  cause  des  péchés  du  roi,  ou  de  la  nation. 
Ingrats  pour  de  si  grands  bienfaits  merveilleusement  concédés  par  le 
moyen  de  Jeanne,  ils  n'ont  peut-être  pas  rendu  dedignes  actions  de  grâces, 
ou  même  ils  ont  attribué  leurs  victoires,  non  pas  à  la  gratuite  faveur 
du  Ciel,  mais  à  leurs  forces  et  à  leurs  mérites.  Leurs  mérites  à  cette 
époque  étaient  nuls,  ou  plutôt  ce  n'étaient  que  des  démérites,  les  mœurs 
étant  si  corrompues.  Toute  autre  cause  juste,  puisqu'il  n'y  a  pas  d'ini- 
quité en  Dieu,  mais  qui  nous  est  inconnue,  a  fait  qu'une  grâce  gratuite 
accordée  à  ceux  qui  ne  la  méritaient  pas,  a  été  retirée  à  des  indignes  et 
k  des  ingrats.  Souvent  en  effet  l'ingratitude  a  fait  retirer  ce  qui  avait  été 
donné  par  un  pur  effet  de  la  divine  miséricorde. 

Que  Dieu  parfois,  par  le  moyen  de  femmes,  avec  ou  sans  armes, 
console  les  siens,  et  leur  donne  île  triompher  de  leurs  ennemis,  c'est  ce 
qu'attestent  les  histoires  de  Débora,  de  Judith,  d'Estlicr  que  nous  lisons 
dans  le  canon  des  Ecritures. 

Après  cet  exposé  sur  Jeanne  Ja  Pucelle,  dont  la  mission,  les  apparitions 
elles  révélations  peuvent  être  appréciées  par  chacun  selon  qu'il  le  com- 
prendra et  le  jugera,  sur  lesquelles  on  peut  avoir  des  sentiments  dilfé- 
renls  que  nous  n'entendons  pas  interdire,  reprenons  la  suite  de  notre 
narration  * . 

^' Voir  aux  ¥iècîs  justificatives  le  texte  latin  des  dernières  pages  de  Thomas  Basin. 


GILLES  LE  BOUVIER 

DIT    LE    HÉRAUT    BERRY 

On  s'explique  assez  difficilement  que  Ton  ait  attribué  à  Alain  Chartier 
une  Chronique  dont  Fauteur  se  fait  connaître  dans  le  prologue,  à  peu 
près  dans  les  termes  suivants,  qui  se  lisent  dans  plusieurs  manuscrits  du 
XV*  siècle. 

«  Je,  Berry,  premier  Hérault  du  roy  de  France,  mon  naturel  et  souve- 
rain seigneur,  et  roy  d'armes  de  son  pays  de  Berry,  honneur  et  révérence 
à  tous  ceux  qui  ce  petit  livre  liront.  Plaise  savoir  qu'à  la  seizième  année  = 
de  mon  âge,  alors  que  chacun,  ainsy  que  nature  l'ordonne,  pense  à  s'ap — 
pliquer  là  où  sa  plaisance  l'incline,  je  pris  mon  plaisir  et  délectation  k^ 
voir  et  à  suivre  le  monde.  X  cette  heure  {vers  1402),  le  noble  royaulme  d^= 
France  et  la  noble  cité  de  Paris  avoient  la  plus  haute  renommée  de  toussa 
les  royaulmes  chrétiens.  Là  abondoient  le  plus,  prélats,  chevalerie,  mar  — 
chands,  clercs  et  commun  peuple;  là  se  trouvoient  haults  honneun 
richesses  et  plaisirs.  Je  m'appensai  de  voir  à  mon  pouvoir  les  honneui 
et  haults  faits  de  ce  très  noble  et  très  chrestien  royaulme,  de  me  trouve: 
par  le  plaisir  de  Dieu,  partout  où  je  saurois  voir  les  haultes  assemblé* 
et  haults  faicts  d'iceluy  royaulme  et  de?  aultres  à  mon  pouvoir,  et  que 
vue  d'icelles  choses  seroit  mise  par  moy  en  escrit,  tant  les  biens  fai(^ 
que  les  mauvois.  » 

Ce  n'est  pas  Denys  Godefroy  qui  a   restitué  au  héraut  Berry,  air», 
qu'on  le  lit  dans  nombre  d'écrits  modernes,  la  Chronique  dont  il  ^' 
l'auteur.  Godefroy  donnait  son  Recueil  des  historiens  de  Charles  VU 
4601  ;  or  en  1631,  dans  son  Abrégé  royal  de  F  alliance  chrotiologique 
f Histoire  sacrée  et  profane,  le  Père  Labbe  signalait,  d'après  le  savî 
André  Duchesne,  l'erreur  qui  l'attribuait  à  Alain  Chartier. 

Berry   nous  donne    d'autres   détails  personnels  dans  son   Traité  d^-^ 
armoiries^  qui  débute  ainsi  :  «  Je,  Gilles  Le  Bouvier,  dit  Berry,  premi*^** 
hérault  de  très  hault  et  très  chrestien  roy  Charles  septiesme,  par  luy  nomni^ 
et  créé  hérault  en  l'an  MCCCCXX,  et  depuis  coronné  et  créé  par  iceluy 
prince  en  son  chastel  de  Meliun  en  la  feste  de  JNoël,  roy  d'armes  des  pay^ 
et  marches  du  Berry,  etc.  » 


GILLES  LE  B0U\1ER.  245 

Roi  d'armes  était  le  titre  le  plus  haut  d'une  hiérarchie  qui  comprenait 
les   hérauts  d'armes,  le  poursuivant  d'armes,  et  les  aspirants  au  titre  de 
poursuivant,  ou  les  simples  chevaucheurs.  Les  hérauts  d'armes  avaient 
uno   haute  importance  dans  le  moyen  âge,  chargés  qu'ils  étaient  de  pro- 
clamations aussi   significatives  que  les  déclarations  de  guerre,   ou  les 
propositions  de  paix,  de  veiller  à  ce  que  dans  les  tournois  tout  se  passât 
coct  £ormément  aux  règles  de  la  chevalerie,  d'animer  les  combattants,  etc. 
Ils  devaient  être  très  versés  dans  l'art  héraldique.  Aussi  Gilles  Le  Bouvier 
a-t— ilfait  un  Traité  des  armoiries.  Il  a  écrit  une  Géographie',  un  passage 
en      a  été  cité  au  premier  chapitre  de  ce  volume:  enfin  il   a  écrit  une 
Clironique  de  l'an  1402  à  1433. 

lierrv  est  très  succinct  dans  ses  récits.  Comme  témoin  sur  la  Pucelle, 
il  la'offre  guère  d'intérêt  que  pour  ce  qui  regarde  le  siège  de  La  Charité, 
et  la  tentative  faite  par  Jeanne  afin  de  déloger  le  duc  de  Bourgogne  du 
siège  deChoisy;  pour  tout  le  reste,  c'est  presque  un  sommaire  souvent 
inexact. 

11  existe  de  nombreux  manuscrits  de  la  Chronique  de  Berrj*.  Quicherat 
se  senil  de  textes  renfermant  deux  phrases  qu'il  déclare  justement 
inintelligibles,  mais  il  a  tort  d'ajouter  qu'elles  sont  telles  dans  tous  les 
manuscrits.  Les  manuscrits  n"  2860  et  2861  renferment  des  phrases  fort 
claires,  et  en  accord  avec  le  contexte.  11  y  a  dans  le  n'  2861  plusieurs 
fsits  omis  dans  le  texte  de  Quicherat,  faits  qui  aident  à  mieux  comprendre 
t  histoire  de  Jeanne  d'Arc,  et  qui  seront  reproduits;  tel  le  recouvrement 
^'«Welun. 


LA  PUCELLE,  D'APRÈS  LE  HÉRAUT  BERRY. 

*^  ^  lE  :  1.  —   I^  Pucelle  arrive  et  est  examinée  «iurant   le  carême.  —  Avis  des 


H    ^^^  ^  «urs.  —  Elle  est  équipée. 
'.""^      ie  héraut  de  la  Pucelle  aux  Anglais  emf»ri<onné,  en  attendant  d«î  jiouvoir  être 
.  \^^*-  —  Fausse  assertion  qu'après  son  entrée  à  Orléans,  la  Pucelle  serait  revenue 
^'^is.  —  Prise  de  la  bastille  Saint-Loup.  —  Inutiles  efforts  des  Anglais  f>our  la 
*urir.  —  Erreur  du  chroniqueur  sur  le  jour  de  la  prise  des  Augustin*:.  —  .\ttaque 
Tourelles.  —  l'n  jour  entier  de  combat.  —  Anglais  pri«,   tués  ou  noyés.  — 
ûte  des  Anglais. 

Ijes  Anglais  dispersés  à  Jargeau,  Meung  et  Daugency.  —  Secours  envoyé  [>ar 
Cord.  —  Prise  de  Jargeau,  de  Baugency.  —  Retraite  de  l'armée  anglai«ï«;  ver» 
|..^^  '^Ile.  —  Taillée  en  pièces  à  Patay. 

'  ^       La  Trémoille  fait  congédier  Richemont  et  de  Pardiac.  —  Le  roi,  en  se  rendant 

..  ^^  ^im»,  reçoit  robéissance  de  Troyes,  de  Chàlons.  —  Solennité  du  sacre. 

*        *^  Nom  des  principales  villes  parcourues  par  le  roi  après  le  sacre.  —  I-es  armées 

.       ^tise  et  française  en  présence  à  Thieux  et  auprès  de  Senlis.  —  Quelques  particu- 

^^^îtés  sur  cette  dernière  journée.  —  Séjour  à  (>)mpiègne.  —  Fallacieuses  promesses 


246  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

de  Jean  de  Luxembourg.  —  Le  roi  à  Saint-Denis.  —  La  Trémoille  fait  retirer 
l'armée  lors  de  l'assaut  de  Paris.  —  Bedford  vole  au  secours  de  la  Normandie.  — 
Itinéraire  du  roi  dans  son  retour  vers  la  Loire.  —  Duplicité  du  duc  de  Bourgogne. 

—  Sauf-conduit  qui  lui  donne  facilité  pour  resserrer  son  alliance  avec  Bedford. 
VI.  —  Sens  et  Melun  se  rendent  français.  —  La  Pucelle  empêchée  par  La  Trémoille 

d'aller  combattre  en  Normandie  avec  le  duc  d'Alençon. —  Échec  contre  La  Charité. 

—  Couronnement  du  roi  d'Angleterre  en  Angleterre,  et  mariage  du  duc  de  Bour- 
gogne. —  Échec  d'un  complot  pour  remettre  Rouen  au  roi. 

VIL  —  Siège  par  le  duc  de  Bourgogne,  de  Choisy,  près  Compîègne.  —  Prise  de 
Château-Gaillard.  —  La  Pucelle  va  passer  par  Soissons  pour  venir  à  Choisy  ; 
Intrigue  du  capitaine  pour  ne  pas  laisser  entrer  la  troupe  de  la  Pucelle.  —  Disper- 
sion de  la  troupe  de  la  Pucelle.  —  Trahison  du  capitaine  de  Soissons.  —  Prise  de 
Choisy.  —  Siège  de  Compiègne.  —  La  Pucelle  prisonnière  et  vendue  aux  Anglais. 


I 

Efi  cet  an  i429,  et  en  ce  môme  temps  de  carême,  arriva  par  devers 
le  roi,  au  châtel  de  Chinon,  une  jeune  fille  de  Tâge  de  dix-huit  à  vingt  ans, 
nommée  Jeanne  la  Pucelle.  Elle  était  née  et  nourrie  d'emprès  Vaucouleurs, 
à  un  village  de  dessus  la  rivière  de  Meuse,  et  avait  été  toute  sa  jeunesse 
jusqu  à  cette  heure  à  garder  les  brebis.  Elle  vint  devant  le  roi  et  en  le 
saluant  lui  dit  ces  paroles  :  «  Que  Notre-Seigneur  l'envoyait  vers  lui  pour 
le  mener  couronner  à  Reims  et  pour  lever  le  siège  que  les  Anglais  tenaient 
devant  la  bonne  cité  d'Orléans,  et  que  Dieu,  à  la  prière  des  saints,  ne 
voulait  pas  que  ladite  cité  fut  prise  ni  périe  ». 

Sur  ces  paroles,  le  roi  la  fit  examiner  par  plusieurs  sages  docteurs  de 
son  royaume,  auxquels  elle  répondit  sagement  et  par  bonne  manière, 
tellement  que  tous  les  docteurs  étaient  d'opinion  qua  son  fait,  son  dit  et 
ses  paroles,  étaient  faits  et  dits  par  miracle  de  Dieu.  Et  pour  ce,  il  fut 
proposé  et  ordonné  en  grande  délibération  du  conseil  que,  pour  faire  et 
accomplir  les  choses  qu'elle  avait  dites,  en  intention  qu'elle  pût  les  com- 
mencer et  achever  au  plaisir  de  Dieu,  on  lui  baillerait  chevaux,  harnais  et 
gens  pour  l'accompagner  et  voir  son  fait  et  ce  que  ce  serait.  Et  tout  fut 
fait,  conseillé  et  ordonné  audit  châtel  de  Chinon  durant  ledit  temps  de 
carôme,  alors  que  un  chacun  était  en  dévotion.  Et  la  conduisaient  le  ma- 
réchal de  Rieux  [Rais)  et  le  sire  de  Culan,  l'un  maréchal  et  l'autre  amiral. 


Il 

L'an  mil  II  II'  et  vingt-neuf  fut  levé  le  siège  d'Orléans,  le  xii''  jour  de 
mai  *.  Et  en  ce  temps  se  partit  la  Pucelle  du  châtel  de  Chinon  ;  elle  prit 

1 .  Le  8  et  non  pas  le   12.  Le  récit  de  la  délivrance  d'Orléans  renferme  d'autres 
inexactitudes  :  inutile  de  les  relever. 


GILLES  LE  BOUVIER.  247 

congé  du  roi,  et  chevaucha  tant  par  ses  journées  qu'elle  arriva  dedans 
la  bonne  cité  d'Orléans  malgré  les  Anglais.  Par  un  héraut,  elle  leur 
envoya  publiquement  devant  tout  le  monde  des  lettres  portant  qu'il  s'en 
allassent,  que  Dieu  le  voulait,  que  sinon  il  leur  mescherroit  (arriverait 
malheur),  et  que  Dieu  se  courroucerait  contre  eux  s'ils  faisaient  le  con- 
traire. Lesdits  Anglais  prirent  le  héraut,  et  décidèrent  qu'il  serait  ars^ 
et  firent  faire  V  attache  (le  bûcher  [?])  pour  le  brûler.  Toutefois,  avant  qu'ils 
eussent  reçu  le  sentiment  et  conseil  de  ceux  de  l'Université  de  Paris  et 
de  ceux  tenus  de  ce  faire  [de  donner  conseil)^  ils  durent  lever  le  siège, 
furent  morts  et  déconfits,  et  partirent  si  hâtivement  qu'ils  laissèrent  le 
héraut  en  leurs  logis  tout  enferré,  et  s'enfuirent. 

La  Pucelle  visita  les  bastilles  qu'ils  avaient  élevées  ;  et  étaient  avec  elle 
le  sire  de  Rais,  maréchal  de  France,  le  bâtard  d'Orléans,  et  messire 
Louis  de  Gulan,  amiral,  et  plusieurs  autres  chevaliers  et  écuyers  dessus 
nommés.  Le  lendemain  la  Pucelle  partit  d'Orléans  et  vint  à  Blois  pour 
avoir  argent  et  vivres  *.  Cela  fait,  elle  vint  audit  lieu  d'Orléans  avec  une 
grosse  puissance  de  gens  d'armes. 

Sitôt  qu'elle  fut  entrée  en  la  ville,  le  peuple  sortit  d'Orléans  [des 
remparts)  par  le  grand  vouloir  qu'ils  avaient  d'ôtre  hors  la  servitude  des 
Anglais.  Ils  assaillirent  la  bastide  de  Saint-Loup  et  la  prirent  d'assaut.  Et 
alors  les  Anglais  qui  étaient  es  autres  bastilles  loin  de  là  se  mirent  en 
chemin  pour  secourir  la  bastille  de  Saint-Loup.  Mais  avant  qu'ils  fussent  à 
mi-chemin,  ils  aperçurent  que  le  feu  était  dedans  et  qu'elle  était  perdue 
pour  eux*. 

Etaient  allés  à  l'attaque  Mgr  le  bâtard  d'Orléans,  le  sire  de  Rais, 
et  plusieurs  autres,  quand  ils  surent  que  le  jieuple  était  ému  d'y  aller.  Ce 
fut  le  commencement  de  la  levée  du  siège.  Là  furent  morts  et  brûlés 
60  Anglais,  et  22  furent  faits  prisonniers.  Ils  furent  à  Mgr  le  bâtard 
d'Orléans.  Cette  bastille  était  tenue  par  un  capitaine  anglais  nommé 
Thomas  Guérard,  qui  était  capitaine  de  Montereau  pour  les  Anglais. 

Ce  soir  ',  les  Français  passèrent  en  bateaux  la  rivière  de  Loire,  et 
allèrent  assaillir  les  bastilles  du  côté  delà  Vicomte*  {de  la  Sologne),  et  celle 
des  Augustins  devant  la  porte  du  pont  et  les  prirent.  Et  ce  soir,  les  Français 

1.  C*est  une  erreur. 

2.  La  phrase  donnée  par  Quicherat  est  de  tout  point  inintelligible.  Il  le  constate  lui- 
même,  et  il  a  raison  ;  mais  il  a  tort  d'affirmer  que  c'est  la  phrase  donnée  par  tous  les 
manuscrits.  Le  manuscrit  23  283  est  le  seul  qui  présente  cet  imbroglio.  Les  manuscrits 
2860  et  2861  portent  la  phrase  ici  reproduite. 

3.  C'est  encore  inexact.  Entre  l'assaut  de  Saint-Loup  et  de  Saint-Augustin  se  place 
la  fête  de  TÂscension,  qui  ne  fut  pas  un  jour  de  combat. 

4.  Le  manuscrit  reproduit  par  Quicherat  porte  «  la  Beauce  »,  les  deux  autres  «  de  la 
Vicomte  ».  C'est  «  de  la  Sologne  »,  qu'il  faut  lire. 


248  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

se  retirèrent  en  la  ville,  et  la  Pucelle  avec  eux,  et  une  partie  des  gens 
demeurèrent  aux  champs  toute  la  nuit. 

Le  lendemain  au  matin,  qui  était  jour  de  samedi,  les  Français  passèrent 
de  nouveau  la  rivière  pour  assaillir  la  bastille  du  pont.  Et  là  furent  le  sire 
de  Rais,  le  bâtard  d'Orléans,  le  sire  de  Gaucourt,  le  seigneur  de  Graville, 
le  sire  de  Guitry,  le  sire  de  Coarraze,  le  sire  de  Villars,  messire  Denis  de 
Ghailly,  Tamiral  messire  Louis  de  Culan,  La  Hire,  Poton,  le  commandeur 
de  Giresme,  messire  Florent  d'IUiers,  le  Bourg  de  Mascaran,  Thibaud  de 
Thermes  et  plusieurs  autres  ;  lesquels  donnèrent  l'assaut  de  toutes  parts 
à  ladite  bastille  du  pont  depuis  le  midi  jusque  au  soleil  couchant,  et  tant, 
que  par  force  d'armes  la  bastille  fut  prise.  Et  là  moururent  les  seigneurs 
[atiglais)  de  Poynings,  et  de  Molyns,  et  un  capitaine  nommé  Glacidas, 
Anglais,  qui  était  capitaine  d'icelle  bastille.  Comme  il  pensait  se  retirer 
dedans  la  tour  du  boulevard,  le  pont  fondit,  et  lui  et  tous  ceux  qui  étaient 
sur  ce  même  pont  fondirent  en  la  rivière  de  Loire;  et  là  dedans  furent 
qui  morts,  qui  pris,  qui  noyés,  de  nu  à  V  Anglais  [de  400  à  500  Anglais). 

Le  lendemain  matin,  qui  fut  dimanche,  les  Anglais  se  levèrent  de  devant 
Orléans  et  s'en  allèrent  à  Meung-sur-Loire,  la  plupart  à  pied;  et  ils  lais- 
sèrent leurs  bastilles,  leurs  vivres  et  leur  artillerie;  ce  dont  ceux  de  la 
ville  d'Orléans  furent  moult  refaits,  et  ils  eurent  très  grand  confort  des 
vivres  qu'ils  trouvèrent  es  dites  bastilles. 


III 

Le  comte  de  Suffolk  prit  la  charge  de  cinq  cents  Anglais,  pour  les 
mener  à  Jargeau,  sur  Tordre  de  sire  de  Talbot,  lieutenant  pour  le  roi 
d'Angleterre.  Le  sire  de  Talbot  demeura  à  Meung  et  à  Baugency  jusqu'à 
ce  qu'ils  eussent  des  nouvelles  du  duc  de  Bedford,  et  de  grands  secours. 
Le  duc  leur  envoya  messire  JeanFastolfet  toutce  qu'il  put  réunir  de  gens. 

Et  lors  les  chefs  de  guerre  qui  avaient  été  dedans  la  ville  d'Orléans 
durant  le  siège,  et  Mgr  le  connétable  de  France,  comte  de  Richemont*, 
Mgr  d'Alentjon  et  Mgr  d'Albret,  vinrent  et  mirent  le  siège  à  Jargeau 
et  le  prirent  d'assaut.  Là  furent  pris  ou  tués  de  quatre  à  cinq  cents 
Anglais;  et  fut  pris,  sur  le  pont  de  la  ville  sous  lequel  passe  la  rivière  de 
Loire,  le  comte  de  Suffolk  qui  s'y  était  retiré  après  la  prise  de  la  place. 
Il  se  rendit  à  un  écuyer  d'Auvergne,  nommé  Guillaume  Regnault,  que 
le  comte  fit  chevalier  pour  que  l'on  dît  qu'il  avait  été  pris  par  un  chevalier. 
A  la  prise  des  Anglais,  qui  fut  faite  sur  le  pont  par  les  Français,  se  noya 
Alexandre  de  la  Poule,  frère  dudit  comte. 

1.  Encore  une  erreur.  Richemont  ne  fut  nullement  à  la  prise  de  Jargeau. 


GILLES  LE  BOUVIER.  24^ 

Les  Français  et  la  Pucelle  viDrent  de  là  mettre  le  siège  devant  Baugency  ; 
les  Anglais,  vu  la  peur  qu  ils  avaient  en  voyant  la  fortune  tourner  contre  eux, 
se  rendirent  et  livrèrent  Baugency  par  composition.  Dans  la  place  étaient 
de  six  à  sept  cents  Anglais,  ayant  pour  capitaine  messireGuichardGuettin. 

Quand  le  sire  de  Talbot  et  messire  Jean  Fastolf  surent  que  Baugency 
s'était  rendu  et  que  les  Anglais  s'en  étaient  allés  en  Normandie  un  bâton 
en  leur  poing,  ils  partirent  pour  se  rendre  à  Janville  \  Les  seigneurs  de 
France  le  surent  ;  ils  les  poursuivirent  bien  six  lieues,  et  ils  les  atteignirent 
en  face  d'un  fort  moustier  {monastère)  nommé  Patay.  C'est  là  que 
les  Anglais  furent  combattus  et  déconfits  ;  là  furent  pris  le  sire  de  Talbot, 
et  d'autres  jusqu'au  nombre  de  trois  cents  ;  il  y  eut  vingt  deux  cents  morts 
(2200);  messire  Jean  Fastolf  s'enfuit  avec  plusieurs  autres.  Par  cette 
journée  les  Anglais  laissèrent  Meung,  Janville,  La  Ferté,  et  d'autres 
forteresses  du  pays  de  Beauce. 


IV 

Le  roi,  instruit  de  ces  nouvelles,  s'en  alla  à  Gien  et  de  là  à  Auxerre  avec 
toute  son  armée,  et  il  vint  à  Troyes.  Il  renvoya  le  Connétable  et  contre- 
manda  le  comte  de  Pardiac,  parce  que  le  sire  de  La  Trémoille  craignait 
qu'ils  ne  voulussent  avoir  le  gouvernement  du  roi,  lui  faire  déplaisir  de 
sa  personne,  et  le  bouter  dehors. 

La  cité  de  Troyes  fit  obéissance  au  roi,  qui,  partant  de  là,  vint  à  Châlons 
qui  lui  fit  pareillement  obéissance,  et  de  là  à  Reims  où  il  fut  grandement 
accompagné  des  seigneurs  de  son  sang  et  des  barons  de  son  royaume, 
tels  que  le  duc  d'Alençon,  le  comte  de  Vendôme,  le  sire  d'Albret,  le 
bâtard  d'Orléans,  le  comte  de  Clermont,  les  maréchaux,  l'amiral, 
le  maitre  des  arbalétriers,  le  sire  de  Laval  et  moult  d'autres  barons.  Et  le 
roi  fut  sacré  et  couronné  à  Reims  en  moult  grande  solennité. 


Le  roi  partit  ensuite  de  Reims  et  vint  à  Soissons,  de  là  à  Château- 
Thierry  et  à  Provins  qu'il  mit  en  son  obéissance  ;  et  de  là  il  vint  à  Crépy- 
en-Valois.  Le  duc  de  Bedford  fit  savoir  au  roi  que  s'il  voulait  la  bataille, 
il  le  recevrait.  Et  aussitôt  les  lettres  reçues  des  mains  des  hérauts,  le 

I.  De  tous  les  chroniqueurs,  Wavrin,  que  Ton  trouvera  au  livre  IV,  est  celui  qui 
expose  le  plus  nettement  les  mouvements  qui  eurent  lieu  de  part  et  d'autre  à  la  veille, 
oo  le  jour  même  de  la  bataille  de  Patay.  Les  autres,  et  particulièrement  celui-ci, 
présentent  des  obscurités. 


250  LA  VRAIE  JEANNE  D'aRC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

roi  partit  et  vint  àLagny-Ie-Sec,  et  il  laissa  son  avant-garde  à  Dammartin. 
Les  coureurs  français  et  anglais  escarmouchèrent  tout  le  jour  sur  une 
petite  rivière  à  un  village  que  Ton  appelle  Thieux.  Sur  le  soir  de  ce  jour, 
le  duc  de  Bedford  partit  avec  toute  son  armée,  et  s'en  alla  à  Louvres.  Le 
roi  de  France  et  son  armée  étaient  à  Crépy  et  l'avant-garde  à  Baron. 

Le  lendemain,  au  point  du  jour,  Tarmée  de  Bedford  vint  près  de  Senlis 
en  un  lieu  nommé  La  Victoire.  Les  Français  étaient  logés  dans  les  villages 
d'alentour.  Quand  ils  surent  la  venue  des  Anglais,  ils  se  réunirent  et  se 
disposèrent  en  ordre  de  bataille.  Le  roi  de  France  vint  de  Crépy  à 
Montépilloy,  où  il  coucha  cette  nuit.  Le  lendemain  les  deux  armées 
furent  durant  tout  le  jour  Tune  près  de  l'autre,  sans  haie  et  sans  buisson,  à 
la  portée  d'un  trait  de  coulevrine,  et  ne  se  combattirent  pas.  Le  soir  le  roi 
se  retira  et  s'en  alla  avec  son  armée  à  Crépy,  et  le  duc  de  Bedford  à  Senlis. 

Le  lendemain  le  roi  s'en  alla  à  Compiègne  qui  lui  fit  obéissance  ;  il 
y  resta  huit  jours.  Là  vint  messire  Jean  de  Luxembourg,  qui  lui  fit  de 
grandes  promesses  de  faire  la  paix  entre  le  roi  et  le  duc  de  Bourgogne  ; 
ce  dont  il  ne  fit  rien,  sinon  le  décevoir.  Le  roi  partit  de  là  et  s'en  vint  à 
Senlis  ;  la  ville  lavait  mandé  quérir.  Son  avant-garde  passa  outre  et  vint 
à  Saint-Denis.  L'armée  était  sous  la  conduite  de  Mgr  d'Alençon,  de  la 
Pucelle  et  des  maréchaux.  Vinrent  à  l'aide  du  roi  le  duc  de  Bar  nommé 
René,  le  damoiseau  de  la  Marche  (de  Commercy)  et  celui  de  Roudemac. 

De  là  le  roi  vint  à  Saint-Denis,  et  son  armée  vint  devant  Paris  pour 
Tassaillir  ;  mais  le  sire  de  La  Thémoille  fit  retourner  les  gens  d'armes 
A  Saint-Denis. 

Le  duc  de  Bedford  vint  pour  cette  cause  (?)  à  La  Chapelle-Saint-Denis 
avec  son  armée  *,  et  de  là  il  s'en  alla  à  Rouen,  de  peur  que  la  Normandie  ne 
se  révoltât,  à  la  suite  de  Beauvais  etd'Aumale  qui  s'étaient  donnés  au  roi- 

Le  roi  partit  ensuite  de  Saint-Denis  pour  venir  en  Berry.  Il  vint  ^ 
Lagny,  qui  s'était  mis  sous  son  obéissance,  d'où  il  s'en  alla  à  Provins  e^ 
à  Bray,  qui  se  réduisit  à  lui.  Il  passa  la  rivière  d'Yonne  à  gué  lui  et  so 
armée,  près  de  Sens,  d'où  il  vint  à  Courtenay  et  à  Château-Renard, 
de  là  à  Gien. 

Il  pensait  avoir  accord  avec  le  duc  de  Bourgogne.  Le  duc  lui  av 
mandé  par  le  sire  de  Charny,  qui  lui  en  avait  apporté  les  nouvelles,  qu 
lui  ferait  avoir  Paris,  et  qu'il  viendrait  à  Paris  pour  parler  à  ceux  q^ 
tenaient  son  parti.  Pour  cette  cause  le  roi  lui  envoya  son  sauf-cond 
pour  venir  à  Paris;  mais  quand  il  fut  à  Paris,  le  duc  de  Bedford  et  L 
resserrèrent   leurs  alliances   à  l'encontrc  du  roi,   plus  fort   qu'ils 
l'avaient  fait  jusque-là  ^  Ce  même  duc   s'en  retourna  avec  son  sa 

1.  Bedford  avait  pris  le  chemin  de  la  Normandie  avant  la  tentative  contre  Paris. 

2.  Le  duc  de  Bourgogne  fut  nommé  gouverneur  de  Paris,  et  reçut  du  roi  d'Ang' 


GILLES  LE  BOUVIER.  25i 

conduit  par  les  pays  de  l'obéissance  du  roi  en  ses  pays  de  Picardie  et  de 
Flandres. 


VI 

[Dans  les  manuscrits  23282  et  2861.  on  trouve  à  la  suite  le  récit  de  la 
victoire  d'Antbon,  de  la  reddition  de  Sens  et  de  Melun,  dont  il  n'est  pas 
question  dans  le  manuscrit  2860. 

Le  récit  de  la  victoire  d'Anthon  est  anticipé.  Celle  victoire  fut  gagnée  le 
11  juin  1430,  plus  de  quinze  jours  après  la  prise  de  la  Pucelle,  contre  le 
prince  d'Orange  et  le  duc  de  Savoie  qui  voulaient  se  partager  le  Dauphiné. 
Voici  ce  qui  regarde  Sens,  et  surtout  Melun,  où  Jeanne  devait  recevoir, 
dans  la  semaine  de  Pâques  1430  {Pâques  était  le  16  avril)  la  révélation 
qu'elle  serait  prise  avant  la  Saint-Jean.] 

Ledit  an  {14W  anc,  st.),  en  hiver,  ceux  de  la  cité  de  Sens  se  réduisirent 
en  l'obéissance  du  roi,  et  eurent  leur  abolition*.  Ils  mirent  dehors  leur 
capitaine  nommé  Pierre  de  Beaufort. 

En  ce  même  an  la  ville  de  Melun  se  mit  en  l'obéissance  du  roi,  et  ils 
eurent  une  abolition. 

La  manière  dont  elle  fut  réduite  fut  celle-ci:  les  gens  de  ladite  ville 

qui  étaient  bons  Français  virent  que  la  plupart  des  gens  de  la  garnison 

avaient  été  courir  devant  Yèvres-en-Gâtinais,  pour  prendre  des  vaches. 

Les  gens  de  la  ville,  pour  parvenir  à  leurs  fins,  publièrent  qu'à  Pontoise 

il  y  avait  grande  foison  de  gens  d'armes  Picards  qui  voulaient  venir  en 

garnison  à  Melun,  et  qu'ils  voulaient  être  maîtres  des  gens  des  villes  où 

ils  se  trouvaient  :  et  ils  dirent  qu'ils  n'y  entreraient  pas.  Or  Melun  était 

tenu  par  messire  Jean  de  Luxembourg,  et  le  château  était  gardé  pour  lui 

par  Dreux  d'Humières,  avec  grand  nombre  de  gens.  Il  advint  qu'il  n'y 

uvait  dans  le  château  que  dix  personnes,  les  autres  étant  sorties  au  dehors. 

Ceux  de  la  ville  leur  ôtèrent  les  clefs,  fermèrent  les  portes,  et  envoyèrent 

quérir  promptement  le  capitaine  du  Pont-de-Seine,  le  commandeur  de 

Giresmes,  et  messire  Denis  de  Chailly  qui  se  mirent  en  la  ville,  et  en 

Vile  du  château,  qui  fut  ainsi  assiégé. 

Ceux  qui  étaient  allés  courir  trouvèrent  les  portes  fermées  et  s'en 
allèrent  à  Corbeil,  qui  tenait  pour  les  Bourguignons.  Les  gens  du  roi 
vinrent  au  siège  de  toutes  parts.  Ceux  de  Corbeil  vinrent  par  la  rivière, 
espérant  ainsi  entrer;  mais  quand  ils  surent  que  la  bastille  était  en  Tile 

terre  la  Champagne,  joignant  ainsi  ses  Étals  de  Bourgogne  à  ses  Étais  de  Flandres  et 
du  Nord.  C'était  une  formidable  puissance.  Heureusement  la  Champagne  était  à 
conquérir.  La  Pucelle  l'avait  donnée  au  roi. 
1.  Amnistie  pour  le  passé. 


252  LA   VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

du  château,  ils  s'en  retournèrent.  Ainsi  la  ville  et  le  château  furent 
réduits  au  roi,  Melun  redevint  français  et  les  Bourguignons  et  les  Anglais 
perdirent  ce  passage*. 

Le  roi  étant  à  Gien  au  retour  du  sacre,  et  le  duc  d'Alençon  avec  lui, 
celui-ci  désirait  amener  avec  lui  en  Normandie  la  Pucelle  et  les  hommes 
d'armes  du  roi  ;  mais  le  sire  de  La  Trémoille  ne  le  voulut  pas;  il 
envoya  la  Pucelle,  au  plus  fort  de  l'hiver,  avec  son  frère,  le  sire  d'Albret 
et  le  maréchal  de  Boussac  et  bien  peu  de  gens,  devant  la  ville  de  La 
Charité.  Ils  furent  là  environ  un  mois,  et  ils  en  partirent  honteusement, 
sans  que  secours  vint  à  ceux  de  dedans;  ils  y  perdirent  bombardes  et 
artillerie.  Dans  un  assaut  il  y  mourut  un  baron  du  pays  du  Dauphiné, 
nommé  Raymond  de  Montmor,  dont  fut  dommage. 

En  cet  an  fut  couronné  en  Angleterre  le  roi  Henri,  encore  bien  jeune, 
et  le  duc  de  Bourgogne  épousa  la  fille  du  roi  de  Portugal  ;  leurs  noces 
lurent  célébrées  à  Bruges-en-Flandre,  et  il  y  eut  moult  grande  fête. 

Le  duc  de  Bourbon  partit  pour  Beauvais  avec  tous  les  gens  d'armes 
des  frontières  de  France  et  de  Beauvaisis;  étaient  avec  lui  le  comte  de 
Vendôme,  l'archevêque  de  Reims,  Poton  de  Xaintrailles  et  plusieurs 
autres  capitaines  et  gens  de  guerre,  tous  assemblés  pour  entrer  à  Rouen, 
par  le  moyen  de  quelques  habitants  de  la  ville.  Or,  il  arriva  que  lesdits 
seigneurs,  en  chevauchant  entre  Beauvais  et  Rouen,  rencontrèrent  cinq 
ou  six-vingts  Anglais,  qui  descendirent  à  pied  ;  les  Français  leur  coururent 
sus  à  cheval,  mais  les  Anglais  se  défendirent  si  vaillamment  qu'à  la 
fin  les  Français  retournèrent  à  Beauvais  et  les  Anglais  demeurèrent  aux 
champs. 

VII 

L  an  mil  IIIl"  et  XXX,  le  siège  fut  mis  à  Choisy,  près  de  Compiègne, 
par  le  duc  de  Bourgogne,  les  comtes  de  Stafford  et  d'Arondel  et  messire 
Jean  de  Luxembourg,  et  h  la  fin,  ils  prirent  la  place  par  composition. 
Pendant  le  siège  un  écuyer  gascon,  nommé  Poton  de  Xaintrailles,  et  les 
gens  d'armes  de  sa  compagnie  passèrent  la  rivière  d'Aisne  entre  Soissons 
elle  Pont,  et  frappèrent  sur  ledit  siège,  ils  en  tuèrent  et  prirent  plusieurs. 
Entre  les  autres  fut  pris  un  nommé  Jean  de  Brimeu,  du  pays  de  Picardie 
{alias j  moult  riche  écuyer.) 

En  cette  saison  Etienne  de  Vignoles,  dit  La  Hire,  partit  de  Louviers 
avec  une  grande  compagnie  de  gens  d'armes.  Ils  passèrent  la  rivière  de 
hi  Seine  en  bateaux,  et  ils  vinrent  prendre  par  échelles  Château-Gaillard, 

1.  McIun  fut  repris  par  les  Anglais  dans  la  suite. 


GILLES  LE  BOUVIER.  253 

qui  est  à  sept  lieues  de  Rouen,  assis  sur  un  roc,  près  de  ladite  rivière 
de  la  Seine.  Là  ils  trouvèrent  le  sire  de  Barbazan,  prisonnier  du  roi 
d'Angleterre,  qui  avait  été  pris  {en  1420)  dans  la  ville  de  Melun,  dont 
il  était  capitaine.  Barbazan  fut  amené  vers  le  roi  notre  sire,  qui  fut  moult 
joyeux  de  sa  délivrance. 

En  ce  temps  *  la  Pucelle  partit  de  Compiègne  accompagnée  de  l'Arche- 
vêque de  Reims,  du  comte  de  Vendôme  et  de  plusieurs  autres  capitaines 
et  gens  de  guerre.  Ils  chevauchèrent  tant  qu'ils  vinrent  devant  la  ville 
de  Soissons,  pensant  passer  par  ladite  ville  pour  aller  combattre  le  duc  de 
Bourgogne  qui  était  devant  ledit  Pont-à-Choisy,  entre  les  deux  rivières 
d'Oise  et  d'Aisne. 

Quand  ils  furent  arrivés  devant  la  ville  de  Soissons,  un  écuyer  de 
Picardie  nommé  Guichard  Bournel,  que  le  comte  de  Clermont,  fils  du 
duc  de  Bourbon,  avait  fait  capitaine  de  la  place,  refusa  l'entrée  de  la 
ville  aux  seigneurs  et  gens  d'armes  ;  il  suborna  les  gens  de  la  ville  en  leur 
faisant  entendre  que  ces  seigneurs  et  gens  d'armes  venaient  pour  s'y  mettre 
en  garnison,  afin  d'amener  le  peuple  à  la  résolution  de  ne  pas  les 
admettre  dans  l'intérieur  de  la  ville.  Les  gens  d'armes  couchèrent  cette 
nuit  aux  champs  ;  et,  sur  la  fin,  quand  on  approcha  de  la  nuit,  le  capitaine 
bouta  dans  la  ville  la  Pucelle,  l'archevêque  de  Reims,  et  le  comte  de 
Vendôme  avec  une  petite  compagnie  de  leurs  gens*.  Le  lendemain  les 
gens  d'armes  s'en  allèrent  au  delà  de  la  rivière  de  la  Marne  et  de  la  Seine, 
parce  qu'ils  ne  trouvaient  pas  de  quoi  vivre  sur  le  pays,  et  aussi  qu'ils 
étaient  grands  seigneurs,  en  grand  nombre,  et  accompagnés  de  plusieurs 
gens  de  guerre. 

Ils  ne  pouvaient  pas  vivre  dans  la  ville  de  Compiègne,  car  les  habi- 
tants s'attendaient  à  ce  que,  de  jour  en  jour,  le  siège  fût  mis  devant  leurs 
murailles.  Les  seigneurs  s'en  allèrent  à  Sentis,  et  la  Pucelle  à  Compiègne. 

Incontinent  qu'ils  furent  partis  de  Soissons,  ledit  Guichard  vendit  la 
cité  au  duc  de  Bourgogne  et  la  mit  en  la  main  de  messire  Jean  de  Luxem- 
bourg ;  ce  qu'il  fit  laidement  et  contre  son  honneur. 

Cela  fait  il  s'en  alla  avec  ledit  duc,  qui  par  ce  moyen  eut  obéissance 
du  Pont-à-Choisy,  et  vint  mettre  le  siège  devant  Compiègne.  Vinrent  à 
son  aide  les  comtes  de  Stafford  et  d'Arondel,  Anglais,  avec  mille  et  cinq 
cents  combattants  qui  furent  au  siège  devant  Compiègne. 

La  Pucelle  y  fut  prise  par  un  Picard,  et  depuis  messire  Jean  de  Luxem- 
bourg la  vendit  aux  Anglais. 

1.  Pendant  le  siège  de  Choisy.  Pour  délivrer  cet  avant-poste  de  Compiègne,  la  Pucelle, 
empêchée  de  passer  la  rivière  de  l'Aisne,  fit  par  Soissons  le  détour  dont  il  va  être  parlé. 

2.  Quicherat  a  suivi  le  manuscrit  28283,  qui  n'est  guère  intelligible  ;  les  manuscrits 
2860  et  2861  expriment  bien  clairement  le  sens  ici  relaté. 


MATHIEU  THOMASSIN 


NOTES   BIOGRAPHIQUES    ET    CRITIQUES. 

Les  pages  suivantes  ne  sont  pas  tant  une  Chronique  suivie  que  l'ex- 
pression des  sentiments  provoqués  chez  les  contemporains  par  l'appa- 
rition de  la  Pucelle.  Elles  ne  manquent  pas  cependant  de  renfermer 
comme  faits  d'importantes  particularités. 

L'auteur  est  un  grave  magistrat  du  temps,  dans  la  pleine  maturité  de 
l'âge,  lorsque  parut  la  Pucelle,  qui  lui  a  survécu  de  longues  années. 
Mathieu  Thomassin,  ainsi  qu'il  nous  l'apprend  lui-même  dans  le  livre  dont 
les  pages  suivantes  sont  un  extrait,  naquit  à  Lyon  en  1391.  Il  étudia  le 
droit  à  Orléans.  Après  avoir  passé  sa  licence  il  suivit  la  cour  du  parle- 
ment, pour  s'initier  à  la  pratique  des  affaires:  il  était  à  Paris  en  4417. 
Charles  Vil  l'employa  dans  Tadministration  du  Dauphiné  ;  il  était  membre 
du  présidial  lors  de  l'apparition  de  la  Pucelle. 

Louis,  devenu  Dauphin  de  bonne  heure,  et  seigneur  du  Dauphiné  avant 
d'ôtre  Louis  XI,  lui  témoigna  plus  de  confiance  encore.  En  date  du 
20  mai  1436,  il  lui  adressait  les  lettres  patentes  suivantes  :  «  Nous, 
informé  à  plein  de  vos  sens,  science,  prudhommie,  loyauté  et  bonne 
diligence,  attendu  mèmement  que  vous  êtes  le  plus  ancien  de  nos  offi- 
ciers... vous  mandons  et  commettons  par  ces  présentes,  que  de  nos 
anciens  droits,  privilèges,  libertés,  gestes,  faits  et  autres  choses  louchant 
notredit  pays,  vous  vous  informiez  diligemment  et  au  vrai,  et  tout  ce 
que  vous  en  trouverez,  enregistrez  ou  faites  enregistrer  en  livre  et 
registre  dû,  pour  être  mis  et  gardé  en  notre  chambre  des  comptes,  à 
Grenoble,  en  perpétuelle  mémoire  ».  La  commission  était  accompagnée 
des  pouvoirs  les  plus  étendus  pour  se  faire  livrer  par  tous  et  partout 
les  pièces  qui  pourraient  servir  au  travail  assigné. 

Le  champ  était  vaste.  L'auteur  se  mit  à  l'œuvre.  Il  en  sortit  le  manus- 
crit conservé  aujourd'hui  à  la  bibliothèque  de  Grenoble  sous  le  titre  de 
((  Registre  Delphinal  ».  Bien  des  matières  certes  sont  abordées;  mais  soit 
que  l'auteur  ait  manqué  de  temps  pour  coordonner  ses  recherches,  soit 
qu'il  n'eût  pas  les  aptitudes  nécessaires,  le  «Registre  Delphinal  »  est  un 
vrai  chaos  ;  il  serait  difficile  d'en  retracer  la  marche  et  la  suite. 

Ce  qui  est  manifeste,  c'est  que  l'auteur  est  un  homme  de  foi,  profon* 


MATHIEU  THOMASSIN.  255 

dément  Chrétien  et  profondément  Français,  jaloux  du  pouvoir  civil  et 
politique  à  rencontre  du  clergé,  dont  il  combat  en  maints  endroits  les 
empiétements  réels  ou  prétendus. 

Dans  la  longue  énumération  des  privilèges  du  roi  de  France,  voici 
ceux  qu'il  met  en  tète  :  U Église  universelle,  et  tous  les  chrétien  appellent 
le  roi  de  France  Très-Chrétien  comme  chef  de  toute  Chrétie?ité.  — Le  royaume 
a  pour  spécial  protecteur^  guide^  et  défendeur  le  glorieux  Archange 
saifit  Michel.  Depuis  que  le  roi  Clovis  fut  fait  Très-Chrétieti^  les  7*ois  de 
France  jamais  ne  se  départirent  de  la  foi  chrétienne,  ils  ont  remis  sur  leur 
siège  plusieurs  Papes  qui  en  avaient  été  chassés  et  déboutés,  Thomassin  énu- 
mère  les  Papes  ainsi  rétablis,  et  les  privilèges  concédés  par  leur  recon- 
naissance, entre  autres  celui-ci  :  le  Pape  Estienne  II  excommunia  et 
mauldit  tous  estrangers  qui  vouldroient  migre  et  invader  ledit  royaulme. 
Voici  comment  il  parle  du  privilège  de  guérir  les  écrouelles  :  Par 
don  et  grâce  spéciale  de  Dieu,  les  rois  de  France  ont  autorité  et  vertu 
de  gueu'ir  des  écrouelles,..  Quand  la  personne  qui  est  malade  vient  en  foi 
et  dévotion  devers  le  roi,  lequel  après  ce  qu'il  a  ouï  la  messe  et  fait  son 
oraison  à  ce  propre,  se  vire  vers  la  personne  ou  les  personnes  malades,  leur 
fait  le  signe  de  la  croix,  et  embrasse  le  col  malade  de  la  main,  incontinent 
le  mal  cesse  et  ne  croit  plus.  J'en  ai  vu  guarir  plusieurs  au  roi  Charles 
septième,  qui  est  à  présent. . . 

Du  Ciel  fut  envoyée  xme  bannière  appelée  ['auri flambe.  D'après  Thomas- 
sin, ce  n'était  pas  l'oriflamme  môme  que,  aux  jours  de  grand  péril,  Ton 
portait  dans  les  combats,  mais  une  reproduction  minutieusement  et  reli- 
gieusement taillée  sur  le  signe  gardé  à  Saint-Denis. 

Avec  des  idées  si  hautes,  on  s'explique  Timpression  produite  par 
Tapparition  de  la  Pucelle  sur  Téminent  magistrat,  et,  qu'ainsi  qu'il  le 
dit,  il  ait  voulu  en  consigner  te  souvenir  dans  un  livre  où  il  ne  semblait 
pas  devoir  se  trouver. 

Le  Dauphiné  avait  son  gouvernement  à  part  ;  mais,  gouverné  par  l'hé- 
ritier présomptif  de  la  couronne,  il  payait  largement  dès  lors  à  la  France 
son  tribut  de  sacrifices  et  de  sang. 

La  sentence  des  docteurs  rendue  sur  la  Pucelle  à  Tentrée  de  sa  carrière, 
se  trouve  dans  Thomassin.  On  en  a  vu  la  substance  dans  la  Chronique  de 
Tournay,  on  la  retrouvera  dans  Eberard  de  Windecken;  c'est  la  confir- 
mation des  textes  isolés  qu'on  lit  dans  certains  manuscrits.  Dans  la  lettre 
aux  Anglais,  citée  précédemment,  Jeanne  s'adresse  successivement  au  roi 
d'Angleterre  et  à  tous  ceux  qui  concouraient  à  la  conquête  de  la  France; 
Thomassin  suppose  que  ce  sont  autant  de  lettres  séparées. 

Il  transcrit  les  vers  inspirés  par  la  prophétie  de  Merlin.  Il  emprunte 
de  multiples  strophes  au  petit  poème  que  Christine  de  Pisan  composa 


256  LA  VRÀlË  JEANNE  D'ARC  !   LA  LIBÉRATRICE. 

sur  la  Libératrice,  après  le  sacre,  dans  les  derniers  jours  de  juillet.  Les 
deux  poésies  prouvent  que  l'on  n  attendait  pas  seulement  l'expulsion  de 
l'Anglais,  mais  comme  une  sorte  d'âge  d'or. 

A  tous  ces  points  de  vue,  les  pages  de  Thomassin  sont  d'un  grand 
intérêt. 

Buclion,  qui  a  produit  à  la  lumière  tant  de  manuscrits  de  notre  his- 
toire ensevelis  dans  la  poussière  des  bibliothèques,  a  le  premier  publié, 
dans  son  Pafithéon  littéraire^  les  pages  de  Thomassin  sur  la  Pucelle.  La 
notice  que  l'on  vient  de  lire  sur  ce  magistrat  lui  a  été  partiellement 
empruntée. 

La  complaisance  de  M.  le  bibliothécaire  de  la  ville  de  Grenoble, 
M.  Maignen,  nous  a  fourni  toute  facilité  pour  collationner  le  texte  de 
Quicherat  avec  le  manuscrit  original.  Il  y  a  quelques  différences  dans  les 
strophes  tirées  de  Christine  de  Pisan;  elles  pourront  être  relevées 
lorsque  sera  cité  dans  son  entier  le  poème  de  la  célèbre  Vénitienne. 
A  un  mot  près  qui  sera  signalé,  les  autres  variantes  ne  portent  que  sur 
l'orthographe. 


LES  PAGES  DE  MATHIEU  THOMASSLN  SUR  LA  PUCELLE. 

Sommaire  :  l.  —  Pourquoi  Charles  Vil  ne  fut  ni  sacré  ni  couronné  à  la  mort  de  son 
père.  —  Les  titres  qu'il  prenait.  —  Les  moqueries  de  ses  ennemis.  —  Dauphinois 
tués  à  Verneuil  et  les  souvenirs  mortuaires.  —  La  France  serait  devenue  anglaii^ 
sans  la  Pucelle. 

II.  —  Pays  d'origine  de  la  Pucelle.  —  Quelques  traits  de  son  extérieur  à  son  arrivée 
à  Chinon.  —  Parlait  peu.  —  Les  noms  qu'elle  donnait  à  Charles  VU.  —  D'abord 
moquée.  —  Prophétie  de  Merlin  et  développements  qu'on  lui  donne.  —  Les  clercs 
réunis  en  conseil  et  leur  décision.  —  Observations  faites  sur  la  Pucelle;  renseigne- 
ments; combien  favorables.  —  Signe  qu'elle  a  promis  devant  Orléans.  —  La  Pucelle 
armée  et  à  cheval.  —  Lettres  au  roi  d'Angleterre,  aux  hommes  d'armes,  aux  capi- 
taines, à  Bedford.  —  Sa  marche  vers  les  Anglais  inexpugnables  à  Orléans.  —  Réso- 
lutions désespérées  agitées  dans  le  conseil  du  roi.  —  Les  exploits  de  Jeanne  mer- 
veilleux et  comme  impossibles.  —  Prédilection  de  Dieu  pour  la  France.  —  Mission 
de  la  France.  —  La  Pucelle  le  plus  grand  signe  des  prédilections  de  Dieu. 

m.  —  La  Chronique  rimée  de  la  Pucelle  par  Christine  de  Pisan.  —  Pourquoi  Tho- 
massin choisit  de  la  citer  plutôt  qu'une  autre.  --  Christine  de  Pisan  :  Reconnais- 
sance à  Dieu  ;  inclTable  reconnaissance  due  à  la  Pucelle.  —  La  Pucelle  rapprochée 
de  Moïse,  de  Josué,  de  Gédéon,  des  femmes  de  la  Bible.  —  Supériorité  de  la  Pucelle. 
—  Elle  a  été  prophétisée.  —  Elle  est  l'honneur  du  sexe  féminin.  —  Apostrophe  aux 
Anglais.  —  Leur  règne  est  fini.  —  La  Pucelle  au  dessus  de  tous  les  preux.  —  Sa 
mission  est  de  rétablir  partout  la  foi.  —  Apostrophe  aux  Français  renégats  de  leur 
pays.  —  Le  sacre.  —  Impuissance  de  la  force  et  de  la  ruse  pour  arrêter  la  Pucelle.  — 
Raisons  pour  lesquelles  Thomassin  a  parlé  de  la  Pucelle. 

IV.  —  Injures  et  menaces  des  Anglais  contre  la  Pucelle.  —  Si  elle  meurt  avant  que 
sa  mission  soit  finie,  cette  mission  n'en  sera  pas  moins  accomplie.  —  Révélation  de 


258  LA  VRAIE  JEANNE  D'aRC  :  LA  LIBÉRATRICE. 


II 

Ladite  PuccUc  était  de  Lorraine,  du  lieu  de  Vaucouleurs;  elle  fut 
amende  à  Monseigneur  le  Dauphin  par  le  châtelain  dudit  lieu,  habillée 
comme  un  homme.  Elle  avait  les  cheveux  courts  et  un  chapeau  de  laine 
sur  la  tète;  elle  portait  des  chausses^  comme  les  hommes,  de  bien  simple 
manière. 

Elle  parlait  peu,  sinon  quand  on  parlait  à  elle;  son  serment  était  :  Au 
nom  de  Dieu.  Elle  appelait  mondit  seigneur  le  Dauphin  ;  u  le  gentil  Dau- 
phin »  ;  et  ainsi  elle  l'appela  jusqu'à  ce  qu'il  fut  couronné.  Quelquefois 
elle  l'appelait  «  fauri/lambe  ».  Elle  disait  qu'elle  était  envoyée  de  par 
Dieu  pour  déchasser  les  Anglais,  et  que,  pour  ce  faire,  il  la  fallait 
armer;  dont  chacun  fut  ébahi  de  celles  nouvelles  et  de  prime  face  chacun 
disait  que  c'était  une  trufferie;  et  à  nulle  chose  qu'elle  dît  l'on  n'ajoutait 
point  de  foi. 

Clercs  et  autres  gens  d'entendement  pensèrent  sur  cette  matière,  et 
entre  les  autres  écritures  fut  trouvée  une  prophétie  de  Merlin,  parlant 
en  cette  manière  : 

Descendet  virgo  dorsum  sagit tarit, 
Et  flores  virgineos  obscur abit. 

[Une  vierge  marchera  sur  le  dos  des  archers,  et  les  lis.,.  ^)  Sur  ces  vers(?J 
furent  faits  d'autres  vers  dont  la  teneur  s'ensuit  : 

Virgo  pucUares  artusinduta  rtn/i...'. 

«  Une  vierge  aux  membres  délicats,  revêtue  d'un  vêtement  guerrier, 
s'apprête  sur  Tordre  de  Dieu  à  relever  delà  ruine  le  roi  des  lis,  à  anéan- 
tir ses  maudits  ennemis,  surtout  ceux  qui,  maintenant,  sous  les  murs 
d'Orléans,  étreignent  cette  cité  dans  un  siège  désespéré.  Guerriers,  si 
vous  avez  le  cœur  de  la  suivre  au  combat,  de  suivre  la  bannière  guer- 
rière qu'elle  est  en  train  de  préparer,  les  perfides  Anglais,  croyez-le, 
seront  anéantis;  conduits  par  ce  capitaine  enfant  les  Français  les  feront 
tomber  sous  leurs  coups.  Et  dès  lors  plus  de  guerre;  dès  lors  se  renoueront 
les  anciens  traités,  la  concorde,  la  piélé,  et  tous  les  autres  liens  sociaux. 
Les  guerriers  seront  animés  d'émulation  pour  la  paix,  et  le  cœur  de  tous 

1.  Texte  :  petits  draps. 

2.  Une  viei'yc  foulera  le  dos  de  Varcher.  Les  arcliers  faisaient  la  force  de  1  armée 
anglaise.  l*e  sens  de  ce  premier  membre  de  phrase  est  clair;  mais  il  n  en  est  pas  de 
môme  du  second.  Les  lis  sont  la  fleur  virginale  ;  loin  de  les  obscurcir,  la  Pucelle  leur 
a  donné  un  nouvel  éclat.  Obscurabit  est  certainement  une  faute  :  l'on  ne  sait  ce  qu'il 
faut  y  substituer. 

3.  Voy.  les  vers  aux  Pièces  justificatives. 


MATHIEU  THOMASSIN.  259 

>era  incliné  vers  le  roi.  Le  roi  distribuera  impartialement  la  justice  à 
ous,  en  les  faisant  tous  jouir  des  douceurs  de  la  paix.  Plus  de  léopard 
inglais  qui  se  dresse  en  ennemi  ;  plus  d'Anglais  qui  ose  se  dire  roi  des 
Français!  » 

Avant  que  Monseigneur  le  Dauphin  voulut  mettre  ou  ajouter  foi  à  la 
Pucelle,  en  prince  sage,  il  mit  cette  affaire  en  conseil  ;  les  clercs  furent 
*éunis,  lesquels,  après  plusieurs  disputations,  furent  de  Topinion  qui 
Tensuit  : 

a  Premièrement  que  mondit  seigneur  le  Dauphin,  attendu  la  nécessité 
le  lui  et  du  royaume,  et  considéré  les  continuelles  prières  du  pauvre 
peuple  envers  Dieu  et  tous  les  autres  amants  de  la  paix  et  de  la  justice, 
16  devait  point  rejeter  ni  mettre  en  arrière  ladite  Pucelle,  nonobstant 
{oe  les  promesses  et  les  paroles  de  ladite  Pucelle  soient  par-dessus  œuvres 
lumaines^  Aussi  mondit  seigneur  ne  doit  pas  ajouter  foi  et  légèrement 
îroireen  elle;  mais,  en  suivant  la  Sainte  Écriture,  il  doit  la  faire  éprouver 
;mr  deux  manières,  c'est  à  savoir  par  prudence  humaine,  en  enquérant 
de  sa  vie,  de  ses  mœurs,  de  son  intention,  comme  dit  saint  Paul  :  Probaie 
spiritus  siexDeo  sint.  —  La  seconde  manière  :  par  dévote  oraison  requérir 
à  Dieu  signe  de  quelque  œuvre  ou  espérance  divine,  par  quoi  on  puisse 
juger  que  ladite  Pucelle  est  venue  de  par  la  volonté  de  Dieu.  Ainsi  dit 
Dieu  à  Achaz,  qu'il  demanandât  signe,  quand  il  plairait  à  Dieu  qu'il  eût 
victoire,  en  lui  disant:  Pete  tibi  signum  à  Domino  Deo  tuo;  ainsi  Gédéon 
demanda  signe,  et  plusieurs  autres.  » 

Mondit  seigneur  le  Dauphin,  en  suivant  ladite  délibération,  fit  éprouver 
la  Pucelle  de  sa  naissance,  de  sa  vie,  de  ses  mœurs  et  de  son  intention, 
elu*y  trouva-t-on  que  tout  bien.  Puis  il  la  fit  garder  bien  et  honnêtement 
parTespace  de  six  semaines  en  la  toujours  examinant;  elle  fut  montrée  à 
clercs,  à  gens  d'Eglise,  à  gens  de  grande  prudence  et  dévotion,  à  gens 
d'armes,  à  femmes  honnêtes,  veuves  et  autres,  publiquement  et  secrète- 
ment. La  Pucelle  a  conversé  avec  toutes  manières  de  gens;  mais  en  elle 
on  n'a  trouvé  que  tout  bien,  comme  humilité,  virginité,  dévotion,  honnô- 
*®l^en  toutes  choses,  et  simplesse.  De  sa  naissance,  de  sa  vie,  plusieurs 

<^H0SE8  MERVEILLEUSES  ONT  ÉTÉ  DITES  COMME  VRAIES. 

Quaat  à  la  seconde  manière  de  probation,  mondit  seigneur  le  Dauphin 
1^  demanda  et  pria  qu'elle  fit  quelque  signe,  pour  quoi  on  devait  ajouter 

*•  In  autre  texte  fait  dire  aux  docteurs,  non  obstant  que  ces  promesses  soyent  seules 
"f^ke$,  Quicherat  Ta  préféré  au  point  de  voir  un  contresens  dans  celui  de  Thonias- 
^^(hocèi,  t.  IV,  p.  306,  note).  11  est  manifeste  que  le  célèbre  érudil  se  trompe.  Le 
'ens  donné  par  Thomassin  est  celui  de  la  chronique  de  Tournay  ;  il  est  plus  naturel; 
elen  adoptant  dans  notre  premier  volume  le  sentiment  de  l'éditeur  du  Double  Procès, 
ïw^us  avons  trop  accordé  à  son  autorité. 


260  LÀ  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

foi  à  elle  qu'elle  fût  envoyée  de  Dieu.  Elle  répondit  que  devant  la  ville 
d'Orléans,  elle  le  montrerait,  et  non  pas  avant'ni  en  aucun  autre  lieu;  car 
ainsi  lui  avait  été.ordonné  de  par  Dieu. 

Les  choses  dessus  dites  étant  faites,  il  fut  conclu,  attendu  ladite  pro- 
bation  faite  par  Monseigneur  le  Dauphin  en  tant  qu'à  lui  il  a  été  possible, 
et  (attendu)  que  nul  mal  n'a  été  trouvé  en  ladite  Pucelle,  et  considérée 
sa  réponse  qui  est  de  montrer  un  signe  devant  Orléans,  vu  sa  constance  et 
sa  persévérance  en  son  propos  et  ses  instantes  requêtes  de  l'armer  et 
d'aller  devant  Orléans  pour  y  montrer  signe  de  divin  secours,  [lY  fut 
conclu]  que  Monseigneur  le  Dauphin  ne  la  devait  point  empêcher  daller 
à  Orléans  avec  ses  gens  d'armes,  qu'il  la  devait  faire  conduire  honnête- 
ment, en  ayant  bonne  espérance  en  Dieu;  car  la  rebouter  ou  délaisser 
sans  apparence  de  mal,  ce  serait  répugner  au  Saint-Esprit,  et  se  rendre 
indigne  de  la  grâce  et  aide  de  Dieu,  comme  dit  Gamaliel  au  conseil 
des  Juifs  contre  les  Apôtres. 

Vue  et  considérée  la  conclusion,  mondit  seigneur  le  Dauphin  fit  armer 
et  équiper  la  Pucelle. 

J'ai  ouï  dire  à  ceux  qui  l'ont  vue  armée  qu'il  la  faisait  très  bon  voir;  et 
qu'elle  s'y  contenait  aussi  bien  qu'eût  fait  un  homme  d'armes.  Et  quand 
elle  était  sur  le  fait  des  armes,  elle  était  hardie  et  courageuse,  et  parlait 
hautement  du  fait  des  guerres.  Et  quand  elle  était  sans  harnais,  elle  était 
moult  simple  et  peu  parlante. 

Avant  qu'elle  voulût  aller  contre  les  Anglais,  elle  dit  qu'il  fallait  qu'elle 
les  sommât  et  les  requît  de  par  Dieu  d'avoir  à  vider  le  royaume  de  France. 
Elle  fit  écrire  des  lettres  qu'elle-même  dicta,  en  gros  et  lourd  langage  et 
mal  ordonné.  J'en  ai  lu  les  copies  dont  la  teneur  3'ensuit.  Et  au-dessus 
dcsdiles  lettres  il  y  avait  écrit  :  «  Entendez  les  merveilles  de  Dieu  et  delà 
Pucelle  *  ». 

«  Roi  d'Angleterre,  faites  raison  au  roi  du  Ciel  de  son  sang  royal.  Rendez 
à  la  Pucelle  les  clefs  de  toutes  les  bonnes  villes  que  vous  avez  enforcéescn 
France.  Elle  est  venue  de  par  Dieu  pour  réclamer  tout  le  sang  royal.  Elle 
est  toute  prête  de  faire  paix,  si  vous  voulez  faire  raison,  par  ainsi  que 
rendez  France  {pourvu  que  vous  rendiez  France)^  et  payez  de  ce  que  vous 
Tavez  tenue.  Et  si  ainsi  vous  ne  le  faites,  je  suis  chef  de  guerre;  en 
quelque  lieu  que  j'atteindrai  vos  gens  en  France,  s'ils  ne  veulent  obéir» 
je  les  en  ferai  issir  [sortir)^  veuillent  ou  non  ;  et  s'ils  veulent  obéir,  je  les 
prendrai  à  merci.  Elle  {/a  Pucelle)  vient  de  par  le  roi  du  Ciel,  corps  pour 
corps,  vous  bouter  hors  de  France.  Et  vous  promet  et  vous  certifie  U 
Pucelle,    qu'elle  fera  si  grand  hahay  [bruit^  remue-ménage)^  qu'il  y  1 

1 .  Thomassin  divise  on  plusieurs  lettres  le  document,  au  fond  identique, qui,  ailleurs, 
est  présenté  comme  ne  formant  qu'une  seule  et  même  pièce. 


MATHIEU  TUOMASSIN.  261 

mille  ans  qu'il  n'en  fut  si  grand  en  France.  Si  vous  ne  lui  faites  raison, 
croyez  fermement  que  le  roi  du  Ciel  lui  enverra  plus  de  force  que  vous  ne 
sauriez  lui  mener  d'assauts  à  elle  et  à  ses  bonnes  gens.  » 

Lettre  aux  gens  d'armes.  —  <•  Entre  vous  autres,  archers,  compagnons 
d'armes,  gentils  et  vilains  *,  qui  êtes  dans  Orléans,  allez  en  votre  pays  de 
par  Dieu.  Et  si  ainsi  ne  le  faites,  donnez  vous  garde  de  la  Pucelle  ;  et  de 
vos  dommages  vous  souvienne  {il  vous  souviendra)  bientôt.  Ne  persévérez 
pas  dans  vos  sentiments  '  ;  car  vous  ne  tiendrez  point  la  France  qui  est  au 
roi  du  Ciel,  le  fils  de  sainte  Marie;  mais  la  tiendra  le  roi  Charles.  Si  vous 
ne  croyez  les  nouvelles  de  Dieu  et  de  la  Pucelle,  en  quelque  lieu  que  nous 
vous  trouverons,  nous  frapperons  dedans  (dans  vos  rangs)^  à  grands 
horions,  et  nous  verrons  lesquels  auront  meilleur  droit  de  Dieu  ou  de 
vous. 

Lettre  aux  capitaines  des  Anglais.  —  «  Guillaume  La  Poule,  comte  de 
Suffolk,  Jean,  sire  de  Talbot,  et  vous,  Thomas,  sire  de  Scales,  lieutenants 
du  duc  de  Bedford,  soi-disant  régent  de  France  de  par  le  roi  d'Angleterre, 
faites  réponse  si  vous  voulez  faire  paix  à  la  cité  d'Orléans,  et  si  ainsi  ne 
le  faites,  de  vos  dommages  vous  souvienne.  » 

Autre  lettre.  —  «  Duc  de  Bedford  qui  vous  dites  régent  de  France  de 

par  le  roi  d'Angleterre,  la  Pucelle  vous  prie  et  vous  requiert  que  vous  ne 

vous  fassiez  pas  détruire.  Si  vous  ne  faites  raison,  de  vos  yeux  vous 

pourrez  voir  qu'en  sa  compagnie  les  Français  feront  le  plus  haut  fait  qui 

oncques  fut  fait  en  la  chrétienté.  » 

Ces  lettres  furent  portées  et  remises  ;  on  n'en  tint  pas  grand  compte;  et 
pour  cela  la  Pucelle  se  mit  en  devoir  de  tirer  outre  à  ce  pourquoi  elle  était 
venue.  Elle  arbora  un  étendard  dedans  lequel  était.. .^  Elle  monta  sur 
ungrand  cheval,  bien  armée  et  équipée;  et  avec  les  gens  d'armes  que 
Monseigneur  le  Dauphin  lui  donna,  elle  alla  à  Orléans  où  les  Anglais 
avaient  mis  un  siège  très  fort,  et,  selon  le  cours  de  nature,  inexpugnable. 
Il  n'y  avait  espérance  quelconque  d'avoir  secours,  ni  aide  de  la  part  des 
hommes,  car  Mgr  le  Dauphin  avait  très  peu  de  gens  pour  faire  tel  exploit. 
Détait  quasi  du  tout  au  bas,  tellement  que,  quand  la  Pucelle  vint,  on 
*VMt  mis  en  délibération  ce  que  l'on  devait  faire,  si  Orléans  était  pris. 
L'avb  de  la  plus  grande  part  fut  que  si  cette  ville  était  prise,  il  ne  fallait 
P*5 tenir  compte  du  demeurant  du  royaume,  vu  l'élat  dans  lequel  il  se 
''ouvait  et  qu'il  n'y  avait  pas  de  remède,  si  ce  n'est  que  Mgr  le  Dauphin 
^retirât  dans  ce  présent  pays  du  Dauphiné,  et  que  là  il  le  gardât  en 
attendant  la  grâce  de  Dieu.  Les  autres  disaient  qu'il  était  plus  convenable 

'•  Très  lisiblement,  et  non  pas  «  vaillants  »,  comme  récrit  Quicherat. 
2.  Texte  :  ne  prenez  mie  vostre  opinion. 
3-  Lacune  dans  le  texte. 


262  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARC  .*  LA  LIBÉRATRICE. 

d^attendre  ladite  grâce  au  royaume,  et  qui  autrement  ferait  donnerait 
trop  grand  courage  aux  ennemis;  ce  serait  tout  perdre  sans  aucun 
recours;  que  c'était  meilleur  que  de  tenir  toute  autre  voie,  car  l'autre 
parti  était  comme  une  voie  de  désespérance,  ce  qui  moult  déplaît  à 
Dieu. 

Monseigneur  le  Dauphin  étant  en  cet  état,  arriva  la  Pucelle;  et  par  son 
moyen,  et  moyennant  la  grâce  de  Dieu,  par  un  miracle  évident,  furent 
très  vaillamment  assaillies  et  prises  les  très  fortes  et  inexpugnables  bas- 
tilles que  les  Anglais  avaient  faites,  et  le  siège  fut  de  tout  point  levé  au 
très  grand  dommage  et  à  la  très  grande  confusion  des  Anglais.  Alors,  par 
la  Pucelle  et  par  les  gens  de  Monseigneur  le  Dauphin,  furent  accomplis 
des  faits  de  guerre  merveilleux  et  ainsi  comme  impossibles.  De  là  en  après 
la  Pucelle  fit  une  très  grande  poursuite  contre  les  Anglais,  en  recouvrant 
villes  et  châteaux;  elle  y  fit  plusieurs  faits  merveilleux;  car  depuis  la 
prise  d'Orléans  les  Anglais  et  leurs  alliés  n'eurent  ni  force  ni  vertu.  Par 
ainsi  le  restaurement  de  France  et  son  recouvrement  a  été  fort  mer- 
veilleux. 

Et  sache  un  chacun  que  Dieu  a  montré  et  7nontre  un  chaque  jour  quil 
a  aimé  et  aune  le  royaume  de  France.  Il  Ta  spécialement  élu  pour  son  propre 
héritage j  et  pour,  par  le  moyen  de  luiy  entretenir  la  sainte  foi  catholique 
et  la  remettre  du  tout  sus,  et  pour  ce  Dieu  ne  le  veut  pas  laisser  perdre. 
Mais  sur  tous  les  signes  d'amour  que  Dieu  a  envoyés  au  royaume  de  France^ 
il  n'y  en  a  point  eu  de  si  grand,  7ii  de  si  merveilleux  comme  celui  de  cette 
Pucelle. 

III 

Et  pour  ce,  grandes  Chroniques  en  sont  faites.  Et  entre  les  autres,  une 
notable  femme  appelée  Christine,  qui  a  fait  plusieurs  livres  en  français, 
—  je  l'ai  vue  souvent  à  Paris  —  a  fait  de  l'avènement  de  la  Pucelle  et  de  ses 
gestes  un  traité,  dont  je  mettrai  seulement  ici  le  plus  spécial  touchant 
ladite  Pucelle.  J'ai  laissé  le  demeurant  parce  que  ce  serait  trop  long  à 
mettre  ici.  J'ai  désiré  de  mettre  ici  le  traité  de  ladite  Christine  plutôt  que 
celui  des  autres,  afin  de  toujours  honorer  le  sexe  féminin  par  le  moyen 
duquel  toute  chrétienté  a  eu  tant  de  biens  ;  par  la  Pucelle  Vierge  Marie, 
la  réparation  et  restauration  de  tout  l'humain  lignage  ;  et  par  ladit« 
Pucelle  Jeanne,  la  réparation  et  restauration  du  royaume  de  France, 
qui  était  du  tout  bas,  jusques  à  prendre  fin,  n'eût  été  sa  venue.  Pourc^i 
de  chacun  elle  doit  être  bien  louée,  combien  que  {encore  que)  les  Anglais 
et  leurs  alliés  en  aient  dit  tout  le  mal  qu'ils  ont  pu  dire:  mais  les  faits  de 
ladite  Pucelle  les  ont  rendus  et  les  rendent  tous  mensongers  et  confus. 


MATHIEU  THOHASSIN.  263 

Ah  !  soyez  loué,  hault  Dieu  !  A  joinctes  mains,  grans  et  menus 

A  loy  gracier,  tous  tenuz  Grâce  te  rendons,  roy  céleste 

Sommes,  qui  donné  temps  et  lieu  Par  qui  nous  sommes  parvenus 

As,  où  ces  biens  sont  advenuz.  A  paix,  et  hors  de  grand  lempcste,etc.  *. 

«  Ah  sois  loué,  haut  Dieu!  A  toi  remercier  nous  sommes  tous  tenus,  toi 
qui  as  amené  le  temps  oîi  ces  biens  nous  sont  advenus.  A  jointes  mains, 
grands  et  petits,  grâces  te  rendons.  Roi  céleste,  par  qui  nous  sommes 
parvenus  à  la  paix,  et  hors  de  si  grande  tempôte. 

«  Et  toi,  Pucelle,  née  en  une  heure  propice,  faudrait-il  t'oublier,  toi 
que  Dieu  a  tant  honorée  que  de  te  faire  délier  les  liens  qui  tenaient  la 
France  si  étroitement  enchaînée  ?  Te  pourrait-on  assez  louer,  quand 
à  cette  terre  humiliée  tu  as  fait  par  la  guerre  donner  la  paix  ? 

«  Ah  !  Jeanne,  née  à  une  heure  propice,  béni  soit  le  Ciel  qui  te  créa, 
Pucelle  ordonnée  de  Dieu,  en  qui  le  Saint-Esprit  versa  si  grande  grâce, 
en  qui  fut  et  est  toute  largesse  de  haut  don  ;  jamais  parole  ne  te  sera 
adressée  qui  te  dise  la  reconnaissance  qui  t'est  due. 

«  De  qui  pourrait-on  dire  plus  hautes  louanges  ?  Quels  faits  dans 
le  passé  sont  au-dessus  des  tiens  ?  En  Moïse  avec  affluence  Dieu  mit 
grâces  et  vertus.  Sans  jamais  se  lasser,  il  mit  le  peuple  d'Israël  hors 
d'Egypte.  Telle,  6  Pucelle  élue,  tu  nous  as  par  miracle  affranchis  du 
malheur. 

«  Considérée  ta  personne,  qui  est  celle  d'une  jeune  pucelle,  à  qui  Dieu 
donne  pouvoir  d'être  notre  champion,  d'être  celle  qui  donne  à  la  France 
la  mamelle  de  la  paix  et  de  douce  vie,  d'abattre  la  gent  rebelle,  voici  bien 
chose  plus  que  nature. 

«  Si  Dieu  fitpar  Josué  des  miracles  en  si  grand  nombre,  s'il  lui  donna 
de  conquérir  villes  et  pays,  et  d'abattre  maints  ennemis,  Josué  était 
homme  fort  et  puissant  ;  mais,  en  un  mot,  voici  une  femme,  une  simple 
bergère,  qui  est  preux  plus  qu'homme  ne  fut  à  Rome.  Pour  Dieu  c'est 
chose  légère  ; 

«  Mais  pour  nous  jamais  nous  n'ouïmes  parler  de  si  grande 
merveille,  car  de  tous  les  preux  qui  existèrent  le  long  des  âges,  les 
prouesses  n'égalent  pas  le  fait  de  celle  qui  mit  hors  nos  ennemis  ; 
mais  c'est  Dieu  qui  agit,  qui  la  conseille,  et  en  elle  a  mis  cœur  plus  que 
d'homme. 

Cl  De  Gédéon,  qui  simple  laboureur  était.  Ton  fait  grand  compte.  Dieu 
le  fit  guerrier,  dit  le  récit  ;  contre  lui  nul  ne  tenait,  tant  il  conquêtait  ; 

1.  Le  texte  sera  donné  dans  la  suite  ;  je  hasarde  une  traduction  en  français 
moderne  des  strophes  reproduites  par  Thomassin,  non  sans  avoir  conscience  de  ce 
qu*elles  vont  perdre  de  leur  naïveté  ;  mais  peu  de  lecteurs  pourraient  les  comprendre 
sans  effoK. 


264  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

mais,  quoi  qu'on  en  raconte,  il  ne  fit  jamais  miracle  si  manifeste  que 
celui  que  voient  nos  yeux  en  la  Pucelle. 

«  Esther,  Judith  et  Ddbora  furent  dames  de  grand  mérite.  Par  elles  Dieu 
délivra  son  peuple  qui  en  servitude  était  tombé.  J'ai  appris  que  d'autres 
lureni  preiises  ainsi  qu'elles  ;  mais  plus  grand  miracle  en  ce  pourpris  {pays)^ 
Dieu  a  fait  en  cette  Pucelle. 

«  Par  miracle  et  par  divine  admonition  de  l'Ange  de  Dieu,  elle  a  été 
envoyée  au  roi  pour  ôtre  sa  providence.  Son  fait  n'est  pas  illusion.  Elle 
a  été  bien  dûment  éprouvée  en  assemblée.  En  conclusion  la  chose  est 
prouvée  par  les  faits. 

«  Elle  a  été  bien  examinée  avant  qu'on  ait  voulu  la  croire  ;  on  Ta  menée 
devant  les  clercs  et  les  sages,  pour  chercher  si  elle  disait  vrai,  avant  qu'il 
fût  notoire  que  vers  le  roi  Dieu  l'avait  transmise.  Même  on  a  trouvé  en 
histoires  que  Dieu  pour  cela  l'avait  promise. 

((  Merlin,  la  Sybille  et  Bède,  il  y  a  plus  de  cinq  cents  ans,  la  virent  en 
esprit  venir  aux  maux  de  la  France  porter  remède.  Ils  la  consignèrent 
en  leurs  écrits  et  en  firent  prophétie,  disant  qu'elle  porterait  bannière  es 
guerres  des  Français  ;  de  tout  son  fait  ils  dirent  la  manière. 

«  Sa  belle  vie  pleine  de  foi  montre  qu'elle  est  en  la  grâce  de  Dieu  ; 
ce  pourquoi  à  son  fait  Ton  ajoute  plus  créance.  Quoi  qu'elle  fasse, 
elle  a  toujours  Dieu  en  présence  ;  elle  l'appelle,  le  sert,  le  prie  dans 
ses  actes  et  dans  ses  dits,  sans  qu'en  quelque  lieu  qu'elle  soit  sa  dévotion 
faiblisse. 

«  Comme  cela  a  bien  paru  au  siège  mis  devant  Orléans,  où  se  montra 
d'abord  sa  force.  Jamais  miracle,  ainsi  que  je  le  tiens,  ne  fut  plus  clair. 
Dieu  aida  tellement  les  siens  que  les  ennemis  ne  s'aidèrent  pas  plus  que 
chiens  morts.  Là,  ils  furent  pris  et  mis  à  mort. 

«  Oh  !  quel  honneur  au  sexe  féminin  !  Il  est  manifeste  que  DieuFaime, 
alors  que  tout  ce  peuple  abattu,  par  qui  tout  le  royaume  est  abandonné, 
est  par  une  femme  relevé  et  redressé  ;  ce  que  pas  homme  n'eût  pu 
faire.  Les  traîtres  sont  délaissés  :  avant  le  fait,  à  peine  on  eût  pu  le  croire. 

«  Anglais,  rabaissez  vos  cornes,  car  jamais  en  France  vous  n'aurez  beau 
gibier.  Cessez  vos  dérisions,  vous  êtes  mat  sur  Téchiquier.  Vous  ne  le 
pensiez  pas  hier,  où  vous  vous  montriez  si  audacieux  ;  mais  vous  n'étiez 
pas  encore  au  sentier  où  Dieu  abat  les  orgueilleux. 

«  Vous  pensiez  avoir  gagné  France  et  qu'elle  dût  vous  demeurer.  Autre- 
ment il  en  va,  fausse  famille.  Vous  irez  labourer  ailleurs  si  vous  ne  voulez 
savourer  la  mort,  comme  vos  compagnons  que  loups  dévorent  peut-être, 
car  ils  gisent  morts  sur  les  sillons. 

«  Sachez  que  par  elle  les  Anglais  sont  jetés  bas  sans  jamais  plus  se  rele- 
ver; Dieu  le  veut,  il  entend  les  voix  des  bons  qu'ils  ont  voulu  opprimer. 


266  L\  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :   LA  LIBÉRATRICB. 

OU  faits  prisonniers,  et  comme  je  Tai  ouï  dire,  tous  ceux  qui  Font  com- 
bat tue  ont  été  envoyés  en  enfer  ou  en  paradis.  » 


IV 

Par  assauts  de  villes  et  de  châteaux,  par  batailles,  par  prises  de  villes 
comme  autrement,  plusieurs  autres  grands  faits  ont  été  accomplis  par  la 
Pucelle.  Ils  seraient  trop  longs  à  mettre  ici. 

Encore  que  ce  qui  a  été  fait  par  elle,  Tait  été  seulement  dans  le 
royaume  de  France  et  non  pas  dans  le  Dauphiné,  j'ai  voulu  toutefois  le 
mettre  en  ce  registre,  au  moins  le  principal,  parce  que  ces  faits  se  sont 
passés  lorsque  mondit  seigneur  Charles  était  Dauphin,  de  son  temps  et 
sous  lui,  et  aussi  parce  que,  ainsi  qu'il  a  été  dit,  le  Dauphiné  a 
été  inséparablement  uni  au  royaume.  Si  le  royaume  eût  été  perdu  (le 
Dauphiné  Teût  été  aussi  *),  ainsi  qu'on  en  a  fait  effort,  comme  il  sera 
déclaré  ci-dessous. 

D'autre  part  la  matière  de  la  Pucelle  est  si  haute  et  si  merveilleuse, 
que  c'est  chose  bien  à  noter,  et  digne  d'entrer  pour  perpétuelle  mémoire, 
dans  tous  les  livres-registres  pour  la  gloire  de  Dieu,  l'honneur  du 
royaume  et  du  Dauphiné. 

Les  Anglais  et  les  Bourguignons  disaient  de  la  Pucelle  plusieurs  paroles 
diffamablcs  et  injurieuses,  tout  en  la  menaçant,  s'ils  pouvaient  la  tenir,  de 
la  faire  mourir  mauvaisement. 
V  Elle  fut  interrogée  par  quelques-uns  de  sa  puissance,  et  si  les  Anglais 
'  avaient  le  pouvoir  de  la  faire  mourir.  Elle  répondit  que  tout  était  au 
plaisir  de  Dieu  ;  et  elle  certifia  que  si  elle  devait  mourir  avant  que  fût 
accompli  ce  pourquoi  Dieu  l'avait  envoyée,  elle  nuirait  aux  Anglais  après 
sa  mort  plus  qu'elle  n'aurait  fait  en  sa  vie,  et  que,  nonobstant  sa  mort, 
tout  ce  pourquoi  elle  était  venue  s'accomplirait.  Ainsi  il  en  a  été  fait  par 
grâce  de  Dieu,  comme  cela  se  voit  clairement  et  évidemment,  et  est  de 
notre  temps  chose  notoire.  / 

Ladite  Pucelle  a  souvent  parlé  à  mondit  seigneur  le  Dauphin  à  Paris*, 
et  lui  a  dit  des  choses  secrètes  que  peu  de  gens  savent. 

Ladite  Pucelle  fut  trahie  et  baillée  aux  Anglais  devant  la  ville  de  Com- 
piègne  ;  elle  fut  menée  à  Rouen,  et  là  on  lui  fit  un  procès  sur  sa  vie,  pour 

1.  Lacune  dans  le  texte,  remplie  par  la  phrase  entre  parenthèses.  L'effort  dont  il 
parle  est  Tenvahissement  du  Dauphiné  par  le  prince  d'Orange  et  le  duc  de  Savoie, 
loi'sque  Jeanne  fut  prise  à  Compiègne.  Ils  furent  défaits  à  Anthon,  le  H  juin  1430. 

2.  Inadvertance  de  l'écrivain  qui  savait  bien  que  la  Pucelle  n'entra  jamais  à  Paris. 
Le  Dauphin  dont  il  est  ici  question  est  le  futur  Louis  XL  11  avait  sept  ans  lorsque 
Jeanne  vint  à  la  cour  où  elle  a  dû  souvent  le  voir,  et  l'entretenir. 


Mathieu  thomassin.  267 

trouver  contre  elle  de  quoi  la  faire  mourir,  et  ils  ne  surent  trouver  rien 
autre  chose  contre  elle,  sinon  qu'elle  avait  laissé  Thabit  de  femme  et  pris 
habit  d'homme  ;  ce  qui  est  chose  défendue.  A  cela  et  aux  autres  choses  sur 
lesquelles  elle  fut  interrogée,  elle  répondit  si  bien  qu'on  ne  savait  que 
répliquer.  Et  nonobstant  cela,  elle  fut  condamnée  à  mourir  par  le  feu, 
pour  occasion  seulement  dudit  habit.  Elle  fut  menée  au  feu,  et  là  elle 
mourut  et  fut  brûlée. 

L'on  dit  que  durant  son  procès  et  à  sa  mort  furent  faites  choses  mer- 
veilleuses,  dont  procès  a  été  fait  par  autorité  de  TEglise.  Celui  qui  Ta  vu 
et  lu  en  a  eu  la  copie  qu'il  me  devait  envoyer  ;  je  ne  Tai  pas  encore 
reçue  ;  ce  dont  me  déplaît  ;  car  j'eusse  fait  ici  mention  des  choses  prin- 
cipales. 

Thomassin  a  fait  une  très  briève  Chronique  deTlIistoire  de  France,  que 
l'on  peut  lire  à  la  Bibliothèque  nationale  (FonrfA*  français^  n^"  4943  et  4969). 
Arrivé  au  règne  de  Philippe  de  Valois,  il  s'étend  longuement  sur  la  loi 
salique;  et  à  ce  propos,  il  a  sur  la  Libératrice  la  phrase  suivante  :  «  Les 
trois  choses  en  quoi  lesdits  Anglais,  en  faisant  un  procès  tel  quel  à 
rencontre  de  Jeanne  la  Pucelle,  que  je  crois  sans  doute  en  paradis,  se 
sont  efforcés  d'élever  leur  nation  par-dessus  toutes  les  autres  nations 
chrétiennes,  comme  j'ai  vu  par  écriture  authentique,  et  aussi  qu'il  est 
assez  notoire,  sont  telles  ». 


LIVRE    III 


PARTI   NATIONAL. 

CHRONIQUES  PLUS  BRÈVES.  -  LETTRES. 

AUTRES  DOCUMENTS. 


i 


LIVRE  III 

PARTI    NATIONAL. 

CHRONIQUES  PLUS  BRÈVES.  —  LETTRES. 

AUTRES  DOCUMENTS. 


icumcnts  de  ce  IIP  livre  éclairent  un  point  particulier  de  la  divine 
La  Chronique  du  Mont-Saint-Michel  nous  fait  connaître  le  jour 
rée  de  Jeanne  à  la  cour  ;  Sala,  Bouchard,  TAbréviateur  du  Pro- 
5  révèlent  la  nature  des  secrets  manifestés  à  Charles  VII  à  Chi- 
5  pièces  qui  suivent  regardent  la  levée  du  siège  d'Orléans.  La 
ïs  seigneurs  de  Laval  nous  peint  l'entrée  en  campagne  de  l'armée 
it  nettoyer  les  bords  de  la  Loire,  etc. 

t  que  ces  pièces  mettent  le  plus  en  saillie  a  déterminé  l'ordre 
uel  elles  ont  été  classées.  Ne  voulant  pas  les  mutiler,  on  y  trou- 
détails  qui  s'écartent  de  l'ordre  chronologique,  dont  il  n'a  été 
de  se  rapprocher  que  de  la  manière  qui  vient  d'être  indiquée. 


CHAPITRE    PREMIER 

CHRONIQUE  DU   M0NT-SAL\T-MICI1EL.  —  L'  «  ORDO  »  DE  CHALONS. 

:  L  —  La  Chronique  du  Monl-Saint-Michel.  —  Les  deux  points  intéressants 
^enferme.  —  Remarques  sur  sa  forme.  —  Le  texte. 

note  dans  un  Ordo  de  Chàlons  du  xv«  siècle.  —  Les  années  où  la  fôte  de 
dation  tombe  le  Vendredi  Saint  marquées  par  des  événements  extraordi- 
■—  Ce  fut  le  cas  l'année  où  parut  la  Pucelle. 


I 


)riève  Chronique  se  trouve  dans  le  manuscrit  3696  {fonds  latin) 
bliothèque  nationale.  Quicherat  l'en  tira,  et  la  plaça  dans  son 


272  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

Uecueil  en  Tattribuant  dM  Continuateur  français  de  Guillaume  de  Nangis^ 
parce  que  dans  le  manuscrit  elle  est  placée  à  la  suite  d*un  Abrégé  de  la 
vie  de  saint  Louis  par  Guillaume  de  Nangis.  Siméon  Luce  a  découvert, 
que  c'était  là  une  Chronique  du  Mont-Saint-Michel,  commençant  en  4343 
pour  fmir  en  1468.  Il  la  croit  l'œuvre  de  plusieurs  auteurs;  il  Ta  éditée 
.  avec  de  nombreuses  notes  empruntées  aux  divers  dépôts  d'archives. 

L'intérôt  des  courtes  lignes  que  la  Chronique  consacre  à  Jeanne  d'Arc 
est  dans  la  date  du  jour  de  l'arrivée  de  la  Pucelle  àChinon,  le  6  mars; 
date  qui  concorde  fort  bien  avec  d'autres  indications,  et  notamment  les 
dépositions  de  Jean  de  Metz  et  Bertrand  de  Poulengy\  La  Chronique 
dit  encore  que,  dans  celte  guerre,  les  Anglais  n'avaient  jamais  déployé 
autant  d'habileté  que  dans  le  siège  d*Orléans.  Il  y  avait  eu  cependant  des 
sièges  très  fameux.  Tels  ceux  de  Calais,  de  Cherbourg,  de  Rouen,  de 
Mclun,  de  Meaux.  La  résistance  avait  été  de  tout  héroïsme,  les  habitants 
ne  s'étant  rendus  qu'après  les  extrêmes  horreurs  de  la  faim  et  s'être 
défendus  durant  six  mois. 

Le  chroniqueur  énonce  très  brièvement  le  fait,  d'abord  en  français,  et 
ensuite  en  un  vers  latin  barbare  dans  lequel  le  mois  est  indiqué  par  le  signe 
du  zodiaque  qui  y  correspond  et  l'année  par  leslettres  numérales  qui  se 
trouvent  dans  le  vers.  Or  pour  les  nombres  inférieurs  les  Latins  usent  de 
sept  lettres  seulement,  1  =  1,  V  =5,X  =  10,  L=50,  C  =  100,  D  =  500, 
M=  1000.  Les  autres  lettres  ne  doivent  pas  entrer  dans  la  numération'. 
Même  en  partant  de  cette  règle.  Tannée  ne  semble  pas  toujours  exacte- 
temeni  désignée. 

Le  lexte  est  donné  tel  qu'il  se  lit  dans  le  manuscrit. 

L'an  mil  TIII^XXVIII  (1428  a.  s.),  le  sixième  jour  de  Mars,  la  Pucelle 
vint  au  roy. 

pLausa  sVbIt,  franCos  sVb  pIsCIbVs  aLMa  pVeLLa^. 

L'an  1429,  ladite  Pucelle  leva  le  siège  qui  estoit  à  Orléans,  là  ou  il  y 
avoit  des  plus  diverses  bastilles  et  autres  fortificacions  qui  fussent  de 
tout  le  tems  de  ceste  guerre. 

1.  Voy.  La  Paysanne  et  llmpirèe,  p.  293-298. 

2.  Dans  la  Pucelle  devant  VÉjlise  de  son  temps,  p.  455,  rinquisiteur  Jean  Bréhal  cite 
des  vers  chronogrammaliques  qu'il  interprèle  d'après  la  règle  ci-dessus  indiquée.  L«a 
valeur  numérale  des  lettres  ayant  été  marquée  en  chiffres  arabes  au-dessous  de 
chacune  de  ces  lettres,  de  savants  auteurs  ont  écrit  que  nous  faisions  de  la  fantaisie. 
Ils  n'avaient  probablement  pas  fait  attention  à  la  règle  qui  vient  d'être  rappelée.  Aussi 
ont-ils  mal  lu  le  vers  qui  commence  par  Ut  ciim,  et  non  par  Vi  ciim  Vi,  (Voir  Diction- 
naire  diplomatique ,  par  Quentin,  mot  Chiffres,  p.  186,  éd.  Migne.) 

3.  La  douce  Pucelle  tant  louée  vint  en  France  sous  le  signe  des  Poissons. 


LA  CHRONIQUE  DU   MOTT-SAlirr-lilCHEL.   —  L'   ^  O»»  •   K  CIUU>3^. 
eGCc  rVELL%  VaLe?»  ccMhIs  jcVat  AVu:LI^v)i>*. 

En  cel  an  la  dite  Pucelle  print  Jargeaa  on  estoit  le  conte  de  Safort  et 
ses  deulx  frères,  et  plus  de  500  Anglais,  et  fut  le  19*  jour  de 
Juing'.  Le  sabmedy  ensuivant  elle  vint  à  Baugencé  où  il  y  avoit  grant 
force  d'Ânglois  qui  se  rendirent  à  elle  anxitost.  Item  icel  sabmedy  jour  de 
Saint-Aubert,  elle  parsuyl  le  sire  de  Tallebot.  Sealles  et  aultres  Ai^ois. 
bien  4000,  qui  furent  desconfiz.  et  ledit  Tallebot  prins  à  Patey. 

Ista  pVeLLa,  fenM,  CaoCro  AU  a  Patei  VlùHX'. 

L*an  dessusdit  ladicte  Pucelle  mena  coun^nner  le  rov  Charles  VU*  à 
Rains,  qui  fut  couronné  le  17*  jour  de  Juillet. 

Grata  pVeLLa,  sHo,  KaroU  <e\tl  lN>De  natr. 
ReMU  ad  saCrVM  te  sl<llt  In  IVUo  •. 

Le  roy  et  elle  firent  de  grans  conquezet  s'en  retournèrent  droit  à  Tours 
et  Chinon,  et  es  marches  d*iceluy  pays  :  dont  la  Pucelle  se  partit  et 
retourna  es  François  qui  estoient  en  pais  de  France,  et  là  fut  prinse  des 
Bourgoignons  à  Compeigne.  Tan  1430. 

NVnC  Cadll  io  gemlnl<  bVrgVndo  \H:ia  pVeLU*. 

Les  Bourgoignons  qui  avoient  prins  ladicte  Pucelle  la  vendirent  aux 
Anglois.  L*an  mil  CCCCXXXI,  le  pénultième  jour  de  3Iay.  les  Anglois 
ardirent  la  Pucelle  qu*ilz  avoient  achatée  des  Bourgoignons  \ 


II 

L*AN>'ÉE    DES   EXPLOITS    DE   LA    PCCELLE  d'aFBCS    r5    UVKE   DE   l'ÉALISE 

DE   CHJkL05S. 

En  1874,  M.  Léopold  Delisle  publiait  dans  le  BulUthi  de  la  Sociétéf  de 
r Histoire  de  Paris  lanote  qui  va  être  traduite  et  qu'on  lit  en  latin  au  %'erf^o 
du  troisième  feuillet  de  garde  du  manuscrit  105Tli  de  la  Bibliothèque 
nationale.  C'est  un  Ordo  de  l'Eglise  de  Châlons.  Maître  Nicolas  de  Savigny 
dont  il  va  être  question,  chanoine  de  Paris,  doyen  de  Lisieux.  fut  un  des 

I.  La,  vaillante  Pucelle  vient  an  secours  des  Orléanais  «ïoiu  le  sîîrne  de;*  Gémeaux. 
t.  Inexactitude,  ce  fut  le  12. 

3.  Cette  Pucelle,  je  le  dirai,  fut  victorieuse  à  Patay,  sou*»  le  si^ie  du  i'^urj-s, 

4.  La  bienfaisante  Pucelle,  je  le  sais,  bon  FiLs  de  Charles  VI.  en  juillet  te  conduisit 
à  Reims  pour  ton  sacre. 

5.  Et  maintenant  sous  le  signe  des  Gémeaux  succombe  la  Pucelle  vaincue  par  le 
Itourguignon . 

6.  1^  chronogramme  fait  défaut. 

m.  \% 


274  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

avocats  les  plus  célèbres  du  commencement  du  xv'  siècle.. Il  mourut  en 
1427,  d'après  Siméon  Luce,  qui  a  très  largement  exploité  la  remarque  de 
recclésiaslique  de  Cliâlons*.  L'on  ignore  l'auteur  de  cette  remarque 
que  voici  : 

«  J*ai  lu  dans  un  livre  de  Maître  Nicolas  de  Savigny,  autrefois  avocat 
au  parlement  de  Paris,  les  lignes  suivantes  écrites  de  sa  main  :  «  L'an  du 
«  Seigneur  1407,  la  vigile  de  Saint-Clément,  jour  où  le  duc  d'Orléans, 
«  frère  du  roi  de  France  fut  tué  à  Paris,  où  les  ponts  de  Paris  furent  rom- 
((  pus,  le  Vendredi  Saint  coïncida  avec  la  fête  de  l'Annonciation.  L'on  dit 
«  que  toutes  les  fois  qu'il  en  est  ainsi,  il  arrive  des  événements  tout  à  fait 
«  extraordinaires  [stiipenda  evenient). 

«  La  coïncidence  eut  lieu  encore  en  Tan  du  Seigneur  1429;  et  peu  de 
«  temps  après  Pâques,  la  Pucelle  prit  les  armes,  leva  sa  bannière  contre 
'<  les  Anglais,  leur  fit  abandonner  le  siège  d'Orléans,  les  chassa  de  Jargeau, 
«  de  Meung,  de  Baugency,  peu  de  temps  après  les  battit  dans  la  Beauce; 
«  durant  l'été  qui  suivit,  Charles,  roi  de  France,  assisté  de  la  même 
.<  Pucelle,  passa  la  Seine  avec  son  armée,  reçut  Tobéissance  des  cités  de 
Cl  Troycs,  de  Châlons,  de  Reims,  de  Soissons,  de  Senlis,  deBeauvais,qui 
«  précédemment  tenaient  pour  les  Anglais  ;  et  par  le  seigneur  Regnault 
«  de  Chartres,  archevêque  de  Keims,  par  le  seigneur  Jean  de  Sarbruk, 
«  évêque  et  comte  de  Chàlons,  pair  de  France,  assistés  du  seigneur 
(c  JeandeTournebu,  évoque  de  Séez,  et  de  l'évêque  d'Orléans,  personnage 
«  d'origine  écossaise,  il  fut  sacré  à  Reims,  le  xvii  juillet  de  l'année  sus- 
«  énoncée  ». 

Un  peu  plus  bas,  la  même  main  a  écrit  :  «  Charles  de  France  est 
«  sacré  à  Reims;  donc  Henri  d'Angleterre  est  exclu  :  Remis  sacratiir 
«  Carolus  Francie^  Ergo  frustratus  Henriciis  Anglie  ». 


CHAPITRE  11 

PIERRE  SALA. 

Sommaire  :  l.  —  Le  livre  des  Hardiesses  des  rois.  —  L'auteur.  —  La  nature  des  secrets 
manifestés  par  la  Pucelle  n'a  pu  être  dévoilée  que  fort  tard.  —  Le  passage  de  Sah 
publié  par  Labbe. 

11.  —  Dieu,  secours  de  nos  rois  dans  leur  détresse.  —  La  Pucelle  fut  ce  secours  poui 
Charles  VII  réduit  à  un  état  désespéré.  —  Il  n'y  avait  de  succès  que  pour  les  enlr^ 
prises  qu'elle  inspirait,  souvent  contre  l'avis  des  capitaines.  —  Ce  qui  détermla 

i,  Jeanne    *Arc  â  Doinrémy,  p.  297,  note. 


276  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARG  :   LA  LIBÉRATRICE. 

texte  de  Pierre  Sala  sur  les  secrets,  un  siècle  avant  Lenglet-Dufresnoy 
auquel  Quicherat,  très  favorable  àcetabbé  peu  ecclésiastique,  fait  honneur 
(le  la  première  publication.  Laissons  parler  Pierre  Sala. 

II 

Cela  est  chose  notoire  que  de  tout  temps  Notre-Seigneur  n'a  jamais 
abandonné  les  bons  rois  dans  leur  grand  besoin.  N'avez-vous  pas  ouï, 
ci-devant,  les  beaux  miracles  qu'il  fit  pour  le  roi  Clovis,  qui  fut  le  pre- 
mier roi  chrétien,  et  dans  la  suite  pour  le  roi  Dagobert,  pour  Charles  le 
Grand,  et  pour  plusieurs  autres  rois,  et  de  fraîche  mémoire  pour  celui 
gentil  roi  Charles  VII,  dont  nous  parlons. 

Quand  après  qu'il  fut  mis  si  bas  qu'il  n'avait  plus  où  se  retirer,  sinon 
à  Bourses  et  en  quelque  château  à  Tenviron,  Notre-Seigneur  lui  envoya 
une  simple  Pucelle,  par  le  conseil  de  laquelle  il  fut  remis  en  son  entier, 
et  demeura  roi  paisible. 

Et  pour  ce  que  par  aventure  {peut-être)  il  serait  malaisé  à  entendre  à 
quelques  gens  que  le  roi  ait  ajouté  foi  aux  paroles  d'icelle,  sachez  qu'elle 
lui  fit  de  par  Dieu  un  message  tel,  qu'elle  lui  déclara  un  secret  enclos 
dedans  son  cœur,  si  bien  qu'il  ne  l'avait  de  sa  vie  révélé  à  aucune  créa- 
ture, sinon  à  Dieu  en  son  oraison.  Et  pour  cela,  quand  le  roi  ouït  celte 
Pucelle  lui  dire  à  part  ce  qui  ne  pouvait  être  su  par  elle,  sinon  par  inspi- 
ration divine,  dès  lors  il  mit  toute  sa  conduite  et  ses  espérances*,  entre 
ses  mains.  Et  encore  que  le  roi  eût  même  alors  de  bons  et  suffisants 
capitaines  pour  délibérer  du  fait  de  sa  guerre,  néanmoins  co mmanda-t-il 
qu'on  ne  fît  rien  sans  appeler  la  Pucelle.  Il  advenait  quelquefois  que  son 
opinion  était  toute  contraire  à  celte  des  capitaines  ;  mais  quoiqu'il  en  fùt^ 
s'ils  la  croyaient,  il  leur  en  prenait  toujours  bien,  et  au  contraire^  quand 
ils  voulaient  exécuter  leur  opinion  sa?is  elle,  mal  leur  en  venait^.  Mais  vous 
me  pourriez  demander  comme  j'ai  su  ce  que  je  vous  dis  à  présent,  et  je 
vais  vous  le  conter. 

.  Il  est  vrai  que  environ  Tan  mil  lliriIII"  (1480),  j'étais  de  la  chambre 
du  gentil  roi  Charles  VIII%  que  Ton  peut  bien  appeler  Hardi,  car  il  le 
montra  bien  à  Fornouc,  en  revenant  de  la  conquête  de  son  royaume  de 
Naples,  quand  accompagné  seulement  d'environ  vu"  [7000)  Français,  il 
défit  Lx  mille  Lombards,  dont  les  uns  furent  tués,  et  les  autres  s'enfui— 
rent.  Ce   gentil  roi  épousa  Madame  Anne,  duchesse  de  Bretagne  et  en 

1.  Ressources. 

2.  Le  texle  :  Et  aulaines  fois  advenoit  que  Voppinion  (Telle  estoit  toute  au  contraire  de^ 
cappitaines;  mais  quoy  qu'il  enfust,  sHls  la  croyoient,  tousjours  en  prenait  bien,  et  le  con — 
traire,  quand  ils  voulaient  exécuter  leur  oppinion  sans  elle,  mal  leur  en  venoit,  (Ms.  10420)  — 


278  LA  VRAIE  JEANNE   D  ARC  :  LA  LIB&RATRICE. 

troupeaux  aux  champs,  clic  avait  eu  inspiration  divine  pour  venir 
réconforter  le  bon  roi.  Elle  n'y  faillit  pas.  Elle  se  fit  mener  et  conduire 
par  ses  propres  parents  jusque  devant  le  roi  ;  et  là  elle  fit  son  message 
d'après  les  signes  ci-dessus,  que  le  roi  connut  être  vrais  ^.  Dès  lors  il  se 
conseilla  par  elle;  et  bien  lui  en  prit  ;  car  elle  le  conduisit  jusqu'à  Reims, 
où,  malgré  tous  ses  ennemis,  elle  le  fit  couronner  roi  de  France,  et  le 
rendit  paisible  possesseur  de  son  royaume.  Depuis,  ainsi  qu'il  plaît  à 
Dieu  d'ordonner  les  événements,  cette  sainte  Pucelle  fut  prise  et  marty- 
risée par  les  Anglais;  ce  dont  le  roi  fut  très  dolent,  mais  il  ne  put  y 
remédier. 

En  outre,  ledit  seigneur  me  conta  que  dix  ans  après  fut  amenée  au 
roi  une  autre  prétendue  Pucelle  qui  ressemblait  beaucoup  à  la  première, 
et  Ton  voulait  donner  à  entendre  parle  bruit  que  Ton  en  faisait  courir 
que  c'était  la  première  qui  était  ressuscitée*.  Le  roi  oyant  cette  nouvelle, 
commanda  qu'elle  fut  amenée  en  sa  présence.  Or  en  ce  temps  le  roi  était 
blessé  à  un  pied,  et  portait  une  botte  faulve  ;  signe  dont  ceux  qui  me- 
naient cette  trahison  avaient  averti  la  fausse  Pucelle,  pour  qu'elle  ne 
faillit  pas  à  le  reconnaître  entre  ses  gentilshommes.  Or  il  advint  qu'à 
rheure  où  le  roi  la  manda  venir  devant  lui,  il  était  en  un  jardin  sous 
une  grande  treille.  Le  roi  commanda  à  Tun  de  ses  gentilshommes  que  dès 
qu'il  verrait  entrer  la  Pucelle,  il  s'avançât  pour  l'accueillir,  comme  s'il 
était  le  roi,  ce  qu'il  fit.  Mais  elle  venue,  connaissant  au  signe  susdit 
qu'il  n'était  pas  le  roi,  le  refusa  (sic),  et  vint  droit  au  roi,  ce  dont  il  fut 
ébahi  et  ne  sut  que  dire,  sinon  en  la  saluant  bien  doucement  :  «  Pucelle 
m'amie,  vous,  soyez  la  très  bien  revenue,  au  nom  de  Dieu  qui  sait  le 
secret  qui  est  entre  vous  et  moi.  »  Alors  miraculeusement,  après  avoir 
ouï  ce  seul  mot,  cette  fausse  Pucelle  se  mit  à  genoux  devant  le  roi,  en 
lui  criant  merci;  et  sur-le-champ  elle  confessa  toute  la  trahison;  ce 
dont  quelques-uns  furent  justiciés  très  âprement,  comme  en  tel  cas  bien 
il  appartenait. 


CHAPITRE  III 

L^ABRÉVIATEUR   DU   PROCÈS. 

Sommaire  :  I.  —  Quand  et  dans  quelles  circonstances  a  écrit  TAbréviateur  du  Procèsi. 
—  L'unique  manuscrit  de  son  œuvre.  —  Méprise  de  Tabbé  Dubois,  réfutée  par  Qui- 
cherat.  —  L'histoire  de  la  Pucelle  mise  en  tète  de  TAbrégé  du  Procès.  —  Parties 

\ .  Fit  son  message  aux  enseignes  dessus  dicteSy  que  le  roy  connut  estre  vrayes, 
2.  Qui  estait  suscitée. 


L'ABRÉVUTEUR  DU   PROCÈS.  279 

plus  remarquables.  —  Début  du  chroniqueur  sur  l'intérêt  sans  pareil  de  l'histoire  de 
la  Pucelle. 

U.  —  Sources  d'informations  de  l'auteur  sur  la  nature  des  secrets.  —  Entretien  parti- 
culier avec  la  Pucelle  conseillé  au  roi.  —  Il  a  lieu.  —  Triple  requête  faite  menta- 
lement à  Dieu  par  le  roi,  le  jour  de  la  Toussaint.  —  Effet  de  cette  manifestation  sur 
le  roi. 

III.  —  iniquité  de  la  condamnation  de  la  Pucelle,  et  la  part  prépondérante  qui  en 
revient  à  l'Université  de  Paris.  —  Sentiment  contraire  de  Gerson.  —  Tout  prospé- 
rait par  les  conseils  de  la  Pucelle,  et  rien  sans  elle.  —  Profonde  haine  que  l'envie 
fait  concevoir  à  quelques  capitaines.  —  De  Lagny,  la  Pucelle  se  jette  dans  Compiègne 
assiégé.  —  Elle  prend  part  à  une  sortie  faite  contre  son  opinion.  —  Le  signal  de  la 
retraite  donné.  —  Fuite  précipitée.  —  La  presse  empêche  la  Pucelle  de  franchir  la 
barrière.  —  Elle  est  prise.  —  Ce  qui  semble  confirmer  le  sentiment  de  ceux  qui 
pensent  qu'elle  a  été  livrée  par  un  Français.  —  Sa  captivité  à  Beaurevoir. 
IV.  —  Ck>mbien  le  gouvernement  anglais  désirait  posséder  la  Pucelle.  —  Résistance 
de  Luxembourg.  —  L'évèque  de  Beauvais  sommé  de  réclamer  la  Pucelle  et  de  lui 
faire  un  procès  en  matière  de  foi.  —  H  consulte  l'Université  de  Paris,  qui  lui  en  fait 
un  devoir  et  intervient  par  ses  lettres  à  Luxembourg.  —  Notification  juridique  de 
ces  lettres.  —  La  Pucelle  livrée  et  mise  aux  fers  à  Rouen. 

.  —  Cauchon  appelle  à  le  seconder  dans  son  procès  les  sommités  de  la  cléricature.  — - 
Demande  et  concession  des  lettres  de  territorialité.  —  Les  prisons  ecclésiastiques 
iniquement  refusées.  —  L'animosité  de  Cauchon  et  du  tribunal  comparée  à  l'ani- 
mosité  de  Calphe  et  du  Sanhédrin  contre  Notre-Seigneur. 


I 

Quicherat  ayant  longuement  traité  de  Tœuvre  de  l'Abréviateur,  ce  qui 
suivre  n'est  qu'un  résumé  de  ses  observations  critiques*. 
L'ouvrage  fut  composé  en  1500  par  le  commandement  de  Louis  XII  et 
^urle  conseil  de  l'amiral  de  Gravillc.  On  n'en  connaît  jusqu'à  présent  qu'un 
^eul  manuscrit  possédé  par  la  bibliothèque  d'Orléans.  Des  fragments  en 
^)nt  été  imprimés,  particulièrement  par  Buchon  dans  son  Panthéon  litté- 
raire^ mais  on  n'a  pas  encore  édité  l'œuvre  entière.  Louis  XII  avait  de 
:xnandé  la  traduction  du  Double  Procès;  Tauteur  donna  d'abord  une  his- 
toire de  la  Pucelle,  et  à  la  suite  un  Abrégé  du  Procès  de  condamnation  et 
^e  réhabilitation. 

Il  avait  en  mains  le  manuscrit  d'Urfé  oii,  à  partir  du  3  mars,  l'on  trouve 
la  minute  en  français  du  greffier  Manchon.  Il  a  traduit  du  latin  pour 
la  partie  qui  précède.  L'abbé  Dubois  qui  n'avait  pas  vu  les  originaux 
se  persuada  et  soutint  que  pour  tout  le  procès  nous  avions  la  minute 
Irançaise,  et  qu'elle  était  dans  le  manuscrit  Orléanais;  Quicherat  l'a 
réfuté  victorieusement,  mais  on  regrette  qu'il  n'ait  fait  connaître  que 
par  cette  erreur  l'honorable  chanoine  qui  le  premier  a  porté,  dans  les 

1.  Vrocè$,  t.  IV,  p.  234-250  et  t.  V,  p.  418. 


282  LA  VRAIE  JEANNE  D^ARG  :  LA  LIBÉRATRICE. 

nonobstant  la  détermination  faite  par  Messieurs  de  TUniversité  de  Paris, 
lesquels,  par  flatterie,  et  pour  complaire  au  roi  d'Angleterre,  la  décla- 
rèrent hérétique,  contre  Topinion  de  défunt  notre  mattre  Jean  Gerson, 
chancelier  de  Notre-Dame  de  Paris,  si  savant  et  si  sage,  comme  ses 
œuvres  le  montrent,  et  en  font  le  jugement.  Laquelle  opinion,  avec  les 
raisons  qui  Je  meuvent  à  être  contre  Topinion  de  ladite  Université,  sont 
écrites  ci-après  *,  par  lesquelles  on  pourra  voir  là  où  il  y  a  plus  d'appa- 
rence de  vérité  et  de  bon  jugement. 

Et  pour  retourner  à  mon  propos  de  parler  de  la  Pucelle,  sa  renommée 
croissait  tous  les  jours,  parce  que  les  affaires  du  royaume  venaient  toutes 
à  bonne  fin,  et  que  ledit  seigneur  {le  roi)  ne  manquait  jamais  de  venir 
à  chief  [à  bout)  de  toutes  les  entreprises  qu'il  faisait  par  le  conseil  de 
ladite  Pucelle.  Aussi  elle  avait  l'honneur  et  la  grâce  de  tout  ce  qui  se 
faisait  ;  ce  dont  quelques  seigneurs  et  capitaines,  ainsi  que  je  le  trouve 
par  écrit,  conçurent  grande  haine  et  envie  contre  elle  ;  ce  qui  est  chose 
vraisemblable  et  assez  facile  à  croire,  attendu  ce  qui  advint  assez  tôt 
après. 

En  effet,  étant  à  Lagny-sur-Marne,  elle  fut  avertie  que  le  duc  de  Bour- 
gogne et  grand  nombre  d'Anglais  avaient  mis  le  siège  devant  la  ville  de 
Compiègne,  qui,  il  n'y  avait  pas  longtemps,  s'était  réduite  en  l'obéis- 
sance du  roi.  Elle  partit  avec  quelque  nombre  de  gens  d'armes  qu'elle 
avait  avec  elle,  pour  aller  secourir  les  assiégés  dudit  lieu  de  Compiègne, 
où  sa  venue  donna  grand  courage  à  ceux  de  la  ville. 

Un  ou  deux  jours  après  son  arrivée,  quelques-uns  de  ceux  qui  élaicnl 
dedans  firent  Tenlreprise  de  faire  une  saillie  sur  les  ennemis.  Et  combien 
qu'elle  ne  fût  pas  d'opinion  de  faire  cette  saillie,  ainsi  que  je  l'ai  vu  en 
quelques  Chroniques,  toutefois,  pour  ne  pas  être  notée  de  lâcheté,  elle 
voulut  bien  aller  en  la  compagnie  ;  ce  dont  il  lui  prit  mal  ;  car,  ainsi 
qu'elle   combattait   vertueusement  contre  les   ennemis,  quelqu'un  des 
Fran(^ais  fit  signe  de  la  retraite;  par  quoi  chacun  se  hâta  de  se  retirer. 
Et  elle,  qui  voulait  soutenir  l'effort  des  ennemis  pendant  que  nos  gens  se 
retiraient,  quand  elle  vint  à  la  barrière,  elle  trouva  si  grande  presse 
qu'elle  ne  put  entrer  dedans  ladite  barrière  ;  et  là  elle  fut  prise  par  les 
gens  de  Monseigneur  Jean  de  Luxembourg,  qui  était  au  siège  avec  ledit 
seigneur  le  duc  de  Bourgogne. 

Quelques-uns  veulent  dire  que  quelqu'un  des  Français  fut  cause  de 
l'empêchement  [qui  fit]  qu'elle  ne  se  pût  retirer;  ce  qui  est  chose  facile  à 

1.  Dans  Tanalyse  du  procès  de  réhabilitation,  qui  ne  sera  pas  reproduite,  puisque 
l'opuscule  de  Gerson  a  été  traduit  dans  la  Pucelle  devant  VÉglise  de  son  temps  (p.  20 
et  suiv.).  Gerson  a  écrit  son  traité  De  Puelld  plus  d  un  an  avant  queTUniversité  se  fût  pro- 
noncée ;  il  était  alors  exilé  de  Paris,  et  dans  la  plus  entière  disgrâce  de  la  corpi>ratioo. 


L*ABRÉVUTEUR   DU  PROCÈS.  283 

car  Ton  ne  trouve  point  qu'il  y  eut  aucun  Français,  au  moins 
e  de  nom,  pris  ou  blessé  en  ladite  barrière*.  Je  ne  veux  pas  dire 
la  soit  vrai,  mais,  quoi  qu'il  en  soit,  ce  fut  grand  dommage  pour 
)t  le  royaume,  ainsi  qu'on  en  peut  juger  par  les  grandes  victoires  et 
^tes  qui  furent  faites  en  si  peu  de  temps  qu'elle  fut  avec  le  roi. 
^ucelle  ayant  été  prise  par  les  gens  de  Luxemboui^  en  la  manière 
dite,icelui  Luxembourg  la  fît  mener  au  château  de  Beauvois(£«au- 

auquellieu  il  la  fît  garder  bien  soigneusement  de  jour  et  de  nuit, 
ju'il  craignait  qu'elle  n'échappât  par  art  magique,  ou  par  quelque 
aanière  subtile. 

IV 

s  cette  prise,  le  roi  d'Angleterre  et  son  conseil,  craignant  que  la 
i  échappât  par  rançon  ou  autrement,  firent  toute  diligence  pour 
aire  remettre.  A  cette  fîn,  le  conseil  envoya  plusieurs  fois  vers  le 
Bourgogne  et  Jean  de  Luxembourg;  à  quoi  icelui  de  Luxembourg 
ait  entendre,  et  il  ne  la  voulait  bailler  à  nulle  fîn  ;  ce  dont  le  roi 
îterre  était  fort  mal  content.  C'est  pourquoi  il  assembla  son  con- 
Lsieurs  fois  pour  aviser  ce  qu'il  pourrait  faire  pour  l'obtenir. 
i  la  fîn  il  lui  fut  conseillé  de  mander  l'évêque  de  Beauvais,  auquel 
montrer  que  la  Pucelle  usait  d'art  magique  et  diabolique  et  qu'elle 
Srétique  ;  qu'elle  avait  été  prise  en  son  diocèse  et  qu'elle  y  était 
lière,  que  c'était  à  lui  à  en  avoir  connaissance  et  à  en  faire  justice  ; 
1  devait  sommer  et  admonester  ledit  duc  de  Bourgogne  et  ledit 
îmbout^  de  lui  rendre  ladite  Pucelle  pour  faire  son  procès,  ainsi 
t  ordonné  aux  prélats  par  disposition  du  droit  de  faire  le  procès 
les  hérétiques;  en  offrant  de  payer  la  somme  raisonnable  qu'il 
rouvé  devoir  être  payée  pour  sa  rançon.  Laquelle  chose,  ledit 
après  plusieurs  remontrances,  accorda  de  faire  après  conseil,  s'il 
t  qu'il  dût  et  pût  le  faire*. 

>ur  ce,  il  se  conseilla  de  Messieurs  de  l'Université  de  Paris,  qui 
l'opinion  qu'il  pouvait  et  devait  le  faire.  Pour  complaire  au  roi 
terre',  ils  accordèrent  audit  évêque  qu'ils  écriraient  de  par 
•sîté  de  Paris  à  Jean  de  Luxembourg  qui  tenait  la  Pucelle  prison - 
l'il  la  devait  livrer  pour  son  procès,  et  que,  s'il  faisait  le  contraire, 

uestion  de  la  prise  de  Théroïne  sera  discutée,  lorsque  toutes  les  pièces  auront 

lites. 

chon  n'eut  pats  de  tergiversations,  quoiqu'il  ait  cherché  à  se  couvrir  de  l'Uni- 

i  se  soit  fait  gronder  par  elle  pour  ses  délais.  Il  semble  qu'il  a  été  au  camp 

.  prise  :  sûrement  il  y  vint  promptement. 

poursuites  de  l'Université  contre  Jeanne  furent  spontanées. 


286  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  I  LA  LIBÉRATRICE. 


CHAPITRE   IV 

ALAIN  BOUCHARD  ET  L'AUTEUR  DU  «  MIROIR  DES  FEMMES  VERTUEUSES  ». 

Sommaire  :  I.  —  Alain  Bouchard.  —  Les  Grandes  Annales  de  Bretagne.  —  Les  points 
principaux  sur  la  Pucelle.  —  Le  Miroir  des  femmes  vertueiÂses, 

II.  —  La  Pucelle  interrogée  avant  d'être  présentée  au  roi.  —  Elle  le  reconnaît  et 
demande  un  entretien  à  part.  —  Attitude  du  prince.  —  Révélation  de  la  prière  abso- 
lument secrète. 

III.  —  Sagesse  des  plans  de  la  Pucelle.. —  Jalousie  qu*elle  provoque.  —  La  guerrière. 
—  La  sainte.  —  Raison  de  Thabit  viril. 

IV.  —  La  Pucelle  à  Compiègne.  —  Vendue  par  Flavy.  —  Annonce  de  sa  prise.  — 
Barrières  fermées.  —  Fin  de  Flavy. 

V.  —  Injuste  condamnation  de  la  Pucelle.  —  Iniquité  du  procès.  —  Appel  au  Pape.— 
Les  cendres  jetées  aux  vents. 

I 

Alain  Bouchard ,  né  dans  le  xv*  siècle,  fut  avocat  au  parlement  de  Rennes, 
conseiller  du  duc  François  II,  et  en  grande  faveur  auprès  d'Anne  de  Ere* 
tagne.  Les  archives  du  duché  lui  furent  ouvertes  pour  la  composition  de 
ses  Grandes  Annales  de  Bretagne^  ouvrage  qui  eut  plusieurs  éditions  el 
jouit  de  la  faveur  du  public,  jusqu'à  ce  qu'il  fût  relégué  dans  l'oubli  par 
V Histoire  de  Bretagne  de  Dom  Morice.  Les  Annales  de  Bouchard  furent 
imprimées  en  1314. 

Malgré  des  inexactitudes  dans  les  détails,  les  pages  consacrées  à  Jeanne 
d'Arc  offrent  plusieurs  passages  pleins  d'intérêt,  tels  que  la  révélation 
des  secrets,  et  aussi  ce  qui  se  passa  à  Compiègne  le  matin  de  la  prise. 
L'historien  affirme  tenir  son  récit  de  deux  vieillards  présents  à  la  tou- 
chante scène  qu'il  raconte.  11  n'y  a  pas  lieu  de  suspecter  sa  bonne  foi;  il 
est  plus  difficile  de  dire  jusqu'à  quel  point  la  narration  des  vieillards  est 
véridique.  Le  portrait  qu'il  trace  de  la  Guerrière  et  de  la  Sainte  est  nn 
des  plus  complets.  Il  ne  renferme  pas  un  trait  qui  ne  soit  attesté  par 
plusieurs  autres  chroniqueurs.  Vallet  de  Yiriville,  auquel  sont  empruntées 
les  notes  biographiques  qui  viennent  d'être  données  *,  trouve  ce  portrait 
indigne  d'être  reproduit.  11  diffère  certes  de  celui  que  le  paléographe, 
devenu  historien  de  Charles  Vil,  présente  dans  son  second  volume  ;  mais 
ce  n'est  pas  Bouchard  qui  peint  de  fantaisie,  au  rebours  de  tous  ceux  qui 
ont  vu;  c'est  le  diplomatiste  qui  a  eu  le  tort  de  sortir  d'une  spécialité, 

i.  Vallet  de  Viriville,  Bibliothèque  de  f  École  des  chartes,  1855,  p.  550. 


ALAIN  BOUCHARD  ET  L'AUTEUR  DU  «  MIROIR   DES  FEMMES  VERTUEUSES  ».     287 

OÙ  nous  avons  souvent  constaté  qu'il  était  loin  d'ôtre  sans  mérite. 
11  serait  inutile  de  reproduire,  des  Annales  de  Bretagne^  ce  que  nous  ont 
appris  sur  la  Pucelle  la  plupart  des  autres  Chroniques.  11  sera  mieux  de 
se  borner  aux  pages  qui  présentent  un  intérêt  particulier. 

Le  Miroir  des  femmes  vertueuses^  opuscule  fort  goûté  dans  les  commen- 
cements du  XVI*  siècle,  emprunta  mot  pour  mot  le  récit  de  Boucher  sur 
la  Pucelle.  L'auteur  se  contenta  d'ajouter  quelques  lignes  sur  Tinlroduc- 
tion  du  procès  de  Rouen.  Entendons  maintenant  l'annaliste  raconter  la 
première  entrevue  de  la  Pucelle  et  de  Charles  VII.  Il  suppose  à  tort  que 
Jeanne  fut  conduite  à  Chinon  par  son  père  et  sa  mère. 

II 

Après  avoir  ouï  le  père  et  la  mère  parler  de  l'état  de  leur  fille,  il 
fui  décidé  qu'elle  serait  interrogée  par  le  confesseur  du  roi,  et  par 
quelques  docteurs  et  gens  du  grand  conseil,  avant  qu'elle  parlât  au  roi. 
Jeanne  la  Pucelle  fut  examinée  et  bien  amplement  interrogée  par  le 
conseil  du  roi,  auquel  elle  dit  et  déclara  les  visions  et  apparitions  qui  lui 
étaient  advenues,  sans  leur  révéler  aucunement  ce  qu'elle  avait  à  dire  au 
roi.  Elle  fut  gardée  pendant  quelques  jours,  et  chaque  jour  elle  était 
interrogée  sur  plusieurs  questions  divines  et  humaines  ;  mais  finalement 
on  la  trouva  si  constante  et  si  bien  morigénée  qu'il  fut  arrêté  qu'on  la 
ferait  parler  au  roi. 

Elle  fut  amenée  en  une  salle  où  le  roi  était  ;  elle  le  connut  et  aperçut 
entre  les  autres  seigneurs  qui  là  se  trouvaient,  encore  qu'on  cherchât  à 
'ïii  faire  entendre  que  quelque  autre  de  la  compagnie  était  le  roi  ;  mais 
el^e  disait  que  non,  et  montrant  le  roi  du  doigt,  elle  dit  que  c'était  à  lui 
<l^^elle  avait  affaire,  et  non  à  un  autre  ;  ce  dont  tous  ceux  qui  étaient  là 
tarent  émerveillés. 

Quand  Jeanne  eut  aperçu  le  roi,  elle  s'approcha  de  lui  et  lui  dit  :  «  Nobie 

^gneur^  Dieu  le  Créateur  ni' a  fait  commander  jmr  la  Vierge  Marie  sa  Mère^ 

*'  par  Madame  sainte  Catherine  et  Madame  sainte  Agnês\  ainsi  que  fêlais 

^^  champs  gardant  les  agneaux  de  mon  père  y  que  je  laissasse  tout  là,  et 

î^«i  diligence  Je  vinsse  vers  vous  pour  vous  révéler  les  moj/enspar  lesquels 

^us  parviendrez  à  être  roi  couronné  de  la  couronne  de  France j  et  mettrez 

^adversaires  hors  de  votre  royaume. Et  m'a  été  commandé  de Notre-Sei- 

/neur  que  nulle  autre  personne  que  vous  ne  sache  ce  que  f  ai  à  vous  dire.  » 

Ouand  elle  eut  dit  et  remontré  cela,  le  roi  fit  reculer  au  loin  au  bas 

d'icelle  salle  ceux  qui  s'y  trouvaient,  et  à  l'autre  bout  où  il  était  assis, 

i.  Bouchard  substitue  ici  et  ailleurs  sainte  Agnès  à  sainte  Marguerite.  Nous  ne 
lisons  nulle  part  que  Notre-Dame  ait  apparu  à  la  Pucelle. 


288  LA  VRAIE  JËANiNE  D'ARC  :   U  LIBÉRATRICE. 

il  fil  approcher  la  Pucelle.  Elle  lui  parla  par  Tespace  d'une  heure,  sans 
qu'autre  personne  qu'eux  deux  sussent  ce  qu'elle  lui  disait.  Le  roi 
larmoyait  fort  tendrement;  ses  chambellans,  qui  voyaient  sa  contenance, 
voulurent  approcher  pour  rompre  le  propos,  mais  le  roi  leur  faisait 
signe  de  reculer  et  de  la  laisser  dire. 

Quelles  paroles  ils  eurent  ensemble,  personne  n'en  a  pu  rien  savoir  ni 
connaître,  sinon  que  Ton  dit,  qu'après  la  mort  de  la  Pucelle,  le  roi,  qui 
en  fut  très  dolent,  révéla  à  quelqu'un  qu'elle  lui  avait  dit  comment,  pen 
de  jours  avant  qu'elle  vint  vers  lui,  lui  étant  par  une  nuit  couché  au  lit, 
alors  que  tous  ceux  de  sa  chambre  étaient  endormis,  il  raisonnait^  en  sa 
pensée  sur  les  grandes  affaires  oii  il  était  ;  et  comme  tout  hors  d'espé- 
rance du  secours  des  hommes,  il  se  leva  de  son  lit  en  sa  chemise,  et,  à 
côté  de  son  lit,  hors  d'icelui,  il  se  mit  à  nus  genoux;  et  les  larmes  aux 
yeux,  les  mains  jointes,  se  réputant  comme  misérable  pécheur  indigne 
d'adresser  sa  prière  à  Dieu,  il  supplia  sa  glorieuse  Mère  qui  est  reine  de 
miséricorde  et  consolatrice  des  désolés  que,  s'il  était  vrai  fils  du  roi  de 
France  et  héritier  de  la  couronne,  il  plût  à  la  Dame  de  supplier  son  Fils 
de  lui  donner  aide  et  secours  contre  ses  ennemis  mortels  et  adversaires, 
en  sorte  qu'il  pût  les  chasser  de  son  royaume,  et  icelui  gouverner  en 
paix  ;  et  s'il  n'était  pas  fils  du  roi  et  si  le  royaume  ne  lui  appartenaif  pas, 
que  le  bon  plaisir  de  Dieu  fût  de  lui  donner  patience  et  quelques  posses- 
sions temporelles,  pour  vivre  honorablement  en  ce  monde.  Le  roi  dit 
qu'à  ces  paroles,  qui  lui  furent  portées  par  la  Pucelle,  il  connut  bien 
que  Dieu  avait  véritablement  révélé  ce  mystère  à  cette  jeune  pucelle  ; 
car  ce  qu'elle  lui  avait  dit  était  vrai.  Et  jamais  autre  que  le  roi  n'en 
avait  rien  su. 

111 

Cette  pucelle  était  très  sage  et  prudente  ;  et  disait-on  qu'elle  était 
divinement  inspirée  ;  car  alors  qu'elle  n'était  pas  au  conseil  des  capi- 
taines, elle  savait  néanmoins  leurs  délibérations  et  conclusions  aussi 
bien  que  si  elle  eût  été  présente  ;  lesquelles  conclusions  n'étaient  jamais 
mises  à  exécution,  si  ellc-môme  n'en  avait  fait  ouverture  ;  ce  dont  les 
capitaines  s'émerveillaient  fort;  et  si  ce  n'eût  été  que  toutes  ses  entre- 
prises étaient  à  louer  et  venaient  à  l'honneur  du  roi  et  du  royaume,  onbct 

GRANDEMENT  MURMURÉ  CONTRE  ELLE,  ET  ELLE  EUT  ÉTÉ  RENVERSÉE  PAR  ENVIE*. 

1.  SyllogUait. 

2.  Eust  (lié  affoilée  par  cnrye.  (^est  [)ar  cette  manière  discrète  que  Alain  Bouchard 
constate  ce  qui  csl  notoire  d'après  d  autres  Chroniques  :  la  jalousie  des  capitaines.  U 
Libératrice  a  été  certainement  entravée. 


ALAIN  BOUCHARD  ET  L'AUTEUR  DU  «  MIROIR  DES  FEMMES  VERTUEUSES  ».     289 

£lle  montait  à  cheval  et  chevauchait  armée  de  toutes  pièces  aussi 
prestement  qu'aurait  su  le  faire  homme  d'armes  de  sa  compagnie  ;  elle 
courait  la  lance,  et  faisant  chose  de  guerre  semblable,  piquait  un  coursier, 
maniait  hache  et  épée  aussi  bien. que  si  elle  y  eût  été  formée  dès  son 
snfance.  En  toutes  choses  elle  était  bien  simple,  menait  une  vie  honnôte, 
jeûnait  plusieurs  jours  de  la  semaine,  se  confessait  et  recevait  le  corps 
le  Notre-Seigneur  presque  toutes  les  semaines. 

Elle  portait  des  vêtements  d'homme  pour  ôter  mauvais  désir  aux  gens 
de  guerre  ;  et  quand  elle  allait  par  le  pays,  au  logis  elle  faisait  venir 
coucher  avec  elle  l'hôtesse  du  logis  ou  ses  chambrières  ;  il  n'entrait 
dans  sa  chambre  homme  quelconque  qu'elle  ne  fût  habillée  et  prête,  sous 
peine  de  la  hart.  Elle  avait  toujours  en  la  bouche  le  nom  de  Jésus,  et 
partout  où  elle  commandait,  elle  disait:  «  Faites  de  par  Jésus;  allez  de  par 
Jésus  ;  n'en  faites  rien  de  par  Jésus  *  /  » 

[Après  avoir  dit  que  le  roi  ne  voulut  pas  admettre  Richemont  dans 
l'armée,  Bouchard  ajoute  :]  Ceux  qui  avaient  mis  le  roi  en  cette  fantaisie 
en  furent  fort  blâmés  par  la  Pucelle  et  par  les  princes  et  chefs  de  guerre 
(fcLxiv). 

IV 

(Voici  comment  l'annaliste  breton  raconte  la  prise  de  Jeanne  d'Arc  à 
!]loinpiègne  :) 

li'an  mil  CGGGXXX,  vers  le  commencement  du  mois  de  juin,  messire 
ean  de  Luxembourg,  les  comtes  de  Uautonne  [Houtinfjton)^  d'Arondel, 
Lnglais,  et  une  très  grande  compagnie  de  Bourguignons  mirent  le  siège 
levant  Compiègne,  et  il  fut  arrêté  par  Guillaume  de  Flavy,  qui  en  était 
capitaine,  que  la  Pucelle  irait  en  diligence  par  devers  le  roi  pour  re- 
couvrer et  assembler  des  gens  afin  de  faire  lever  le  siège  ;  mais  icelui  de 
Flavy  avait  fait  cette  ordonnance  parce  qu'il  avait  déjà  vendu  la  Pucelle 
^^x  lioui^uignons  et  aux  Anglais.  Pour  parvenir  à  ses  fins,  il  la  pressait 
fort  de  sortir  par  l'une  des  portes  de  la  ville,  car  le  siège  n'était  pas 
*«vant  cette  porte  ^ 

La  Pucelle,  un  jour  bien  matin,  fit  dire  la  messe  à  Saint-Jacques,  se 
^Ufessa  et  reçut  son  Gréateur  ;  elle  se  retira  près  de  l'un  des  piliers  de 
^tte  église,  et  dit  à  plusieurs  gens  de  la  ville  qui  là  se  trouvaient  :  —  Il  y 
^Vait  cent   ou    six-vingts   enfants    qui    désiraient  beaucoup  la  voir  — 

^*  Au  lieu  de  dire  «  Jésus  »,  Jeanne  disait  plus  souvent  :  «  Messire,  Notre  Sire, 
^^  Seigneur,  Mon  Seigneur  ». 

^  Quoi  qu'il  en  soit  de  la  trahison  de  Flavy,  question  qui  sera  ultérieurement  exa- 
^aée,  ce  n*est  pas  ainsi  qu*eut  lieu  la  sortie  de  Compiègne. 

m.  19 


290  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

<(  Mes  enfants  et  chers  amis^  je  vous  signifie  que  Von  m'a  vendue  et  trahie 
et  que  bientôt  je  serai  livrée  à  la  mort.  Ainsi  je  vous  supplie  que  vous  priiez 
Dieu  pour  moi,  car  je  ri  aurai  jamais  plus  de  puissance  de  faire  service 
au  roiy  ni  au  royaume  de  France.  »  Et  ces  paroles  je  les  ai  ornes  à 
Compiègne,  Tan  mil  quatre  cent  quatre  vingt  et  XVIII  au  mois  de 
juillet,  de  la  bouche  de  deux  vieux  et  anciens  hommes  de  la  ville  de 
Compiègne,  âgés  l'un  de  mi"xvni  (P^)ans,  et  l'autre  de  mi"vi  (^tf),  qui 
disaient  avoir  été  présents  en  l'église  de  Saint-Jacques  de  Compiègne, 
alors  que  la  Pucelle  prononça  ces  paroles  *. 

Quand  la  Pucelle,  en  compagnie  de  xxv  ou  xxx  archers  fut  sortie 
hors  de  la  ville  de  Compiègne,  Flavy,  qui  savait  bien  l'embuscade,  fit 
fermer  les  barrières  et  les  portes  de  la  ville.  Quand  la  Pucelle  fut  à  un 
quart  de  lieue,  elle  fut  rencontrée  par  Luxembourg  et  d'autres  Bour- 
guignons. Elle  reconnut  qu'ils  étaient  plus  forts,  elle  s'en  retourna  à  la 
hâte,  croyant  se  sauver  dans  la  ville;  mais  le  traître  Flavy  lui  avait  fait 
clore  les  barrières,  et  ne  voulut  point  lui  faire  ouvrir  les  portes.  Ce  fut 
la  cause  pour  laquelle  la  Pucelle  fut  aussitôt  prise  par  les  Bourguignons 
aux  barrières  de  Compiègne,  et  par  eux  livrée  aux  Anglais,  l'an  dessus 
dit  MCCCCXXX,  au  signe  des  Gémeaux,  ainsi  qu'il  est  manifeste  parles 
lettres  numérales  de  ce  petit  vers 

nV>C  CadIt  In  geMLnIs  bVrgVndo  VICta  pVeLL\; 

et  parce  que,  par  la  justice  des  hommes,  Flavy  ne  fut  pas  puni  de  son 
cas.  Dieu  le  Créateur,  qui  ne  voulut  pas  laisser  tel  cas  impuni,  permit 
depuis  que  la  femme  de  ce  môme  Flavy,  nommée  Blanche  d'Aurebruche, 
qui  était  fort  belle  demoiselle,  Tétouffàt  et  l'étranglât  avec  Taide  de  son 
barbier,  alors  qu'il  était  couché  en  son  lit,  au  château  de   Nesle-en- 
Tardenois  ;  meurtre  dont  elle  obtintgrâce  dans  la  suite,  du  roi  Charles  VII, 
parce  qu'elle  prouva  que  son  susdit  mari  avait  entrepris  de  la  faire  noyer. 
Quand  la  Pucelle  fut  entre  les  mains  de  messire  Jean  de  Luxembourg, 
il  la  garda  quelque  temps,  et  puis  la  vendit  aux  Anglais  qui  lui  en  don- 
nèrent un  grand  prix;  les  Anglais  la  menèrent  à  Rouen  où  elle  fut 
renfermée  en  prison  et  durement  traitée. 


Les  Anglais  firent  faire  à  Rouen  le  procès  de  la  Pucelle,  et  sous  cou- 
leur de  justice.  Toutefois  ils  ne  trouvèrent  en  elle  ni  vice,  ni  macule,  ni 

1.  Les  vieillards    auraient  eu   lun,  trente-huil  ans,  Tautre  vingt-six,  lorsqu'ils 
auraient  entendu  Jeanne  parler  ainsi. 


292  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARG  :  LA  LIBÉRATRICE. 

fut  par  le  juste  jugement  de  Dieu,  qui,  parmi  d'autres  iniquités  et  dépré- 
dations commises  par  eux,  ne  voulut  pas  que  la  condamnation  porlée 
contre  la  Pucelle  rest&t  impunie, 

Car  par  expérience  on  voit 
Ce  que  on  dit  communément. 
Que  Dieu  vrai  juge,  quonque  soit  S 
Rend  à  chacun  son  paiement. 


CHAPITRE  V 

JEAN  BOUCHET,  LE  FÉRON  ET  JACQUES  GELU. 

Sommaire:  I.  —  Jean  Bouchet.  —  Ses  Annales  d* Aquitaine. 

U.  —  La  Pucelle  à  Vaucouleurs,  à  Domrémy,  à  Chinon.  —  Le  surnom  de  la  Pucelle. 

—  Informations.  —  Examen.  —  Présentation  au  roi.  —  Entretien  secret.  —  Impres- 
sion du  roi.  —  Nature  des  secrets  révélés.  —  L  epée  de  Fierbois.  —  Le  montoirde 
Poitiers.  —  La  sainteté  de  la  Pucelle. 

lU.  —  La  Pucelle  à  Compiègne.  —  Vendue  par  Flavy.  —  Prétexte  pour  la  faire  sortir. 

—  La  Pucelle  prédit  qu'elle  est  vendue  et  sera  prise.  —  La  sortie.  —  La  retraite 
fermée  par  Flavy.  —  Fin  des  prospérités  de  FAnglais.  —  Traités  de  Gerson  et 
dllenri  de  Gorkum.  —  Épitaphe  de  la  Pucelle. 

IV.  —  Note  de  Le  Féron  sur  le  séjour  de  la  Pucelle  à  Compiègne.  —  Renvoi  à  b 
Correspondance  de  Jacques  Gelu, 


I 

Jean  Bouchet  est  un  des  écrivains  les  plus  féconds  de  la  première  partie 
du  xvr  siècle.  Né  à  Poitiers  en  1474,  il  y  mourut  vers  1550,  après  une 
vie  consacrée  aux  fonctions  de  la  magistrature  et  à  la  composition  de 
nombreux  ouvrages.  Le  plus  remarquable  est  celui  des  Annales  d* Aqui- 
taine. S'il  insiste  particulièrement  sur  l'histoire  de  la  province,  et  su^ 
tout  de  sa  ville  natale,  il  embrasse  en  réalité  Thistoire  de  France  tout 
entière,  et  môme  l'histoire  de  TAnglcterre.  Quelques  pages  sont  consa- 
crées à  la  Pucelle.  Bouchet  s'est  inspiré  de  son  contemporain  Alain 
Bouchard  ;  il  n'est  pourtant  pas  exact  de  dire  qu*il  n'a  fait  que  le  repro- 
duire ;  il  y  a  des  particularités  qui  ne  sont  pas  dans  l'auteur  des  Annales 
de  Bretagne.  Le  soin  de  rendre  à  sa  manière  des  faits  rapportés  par 
l'auteur  des  Annales  de  Bretagne  prouve  un  travail  personnel.  Les  passa- 
ges qui  vont  être  reproduits  sont  les  seuls  qui  offrent  quelque  intérêt. 

1.  Qui  que  Ton  soit. 


JEAN  BOUGHET,  LE  FËRON  ET  JACQUES  GELU.  293 

II 

[AprèsavoirrapportéquelesOrléanaisnevoyaientplusde  moyen  de  faire 

ever  le  siège,  il  continue  en  ces  termes,  à  quelques  rajeunissements  près.] 

En  si  grosse   affaire,  Dieu  n'oublia  pas  le   roi  de  France,    ni   son 

aySLume  ;  car  il  lui  envoya  une  simple  bergère  de  dix-huit  ans  ou  environ, 

loinmée  Jeanne,  native  du  village  de  Dorapreme  [sic)  près  de  Vaucou- 

eizrs  en  Lorraine,  qui  pour  Tintégritd  de  sa  vie  étail  nommée  la  Pucelle. 

Elle  s'adressa  à  Messire  Robert  de  Baudricourt,  capitaine  dudit  lieu  de 

Vaticouleurs,  et  le  pria  qu'elle  parlât  au  roi  pour  son  profil.  Cela  fut 

trouvé  étrange  par  les  princes  et  par  ceux  qui  étaient  près  de  la  per- 

soxine  du  roi.  Toutefois,  après  que  Ton  eût  envoyé  quérir  son  père  nommé 

Jacques  Dart  [sic),  Isabelle  sa  mère,  qui  étaient  de  simples  gens  de 

labeur,  de  bonne  et  honnête  vie  et  conversation,  et   qu'ils  eurent  su  de 

leur  bouche  que  Jeanne  leur  dite  fille  ne  s'était  jamais  appliquée  à  autre 

chose  qu'à  garder  les  brebis,  et  qu'elle  leur  avait  depuis  naguère  dit  que 

la  Vierge  Marie  s'était  apparue  à  elle,  et  lui  avait  commandé  de  venir  par 

devers  le  roi  le  secourir  en  ses  affaires,  et  l'avertir  d'aucunes  choses  en 

vue  de  son  profit  et  honneur,  ils  lui  avaient  donné  congé  de  ce  faire*. 

Ladite  Jeanne  fut  mise  entre  les  mains  des  docteurs  et  autres  gens,  et 
par  eux  interrogée  tant  sur  sa  vie  que  sur  quelques  points  de  notre  foi  ; 
elle  répondit  non  comme  une  simple  fille,  mais  comme  le  plus  grand 
docteur  qu'on  eût  su  trouver;  et  parce  qu'ils  connurent  qu'il  n'y  avait 
aucune  superstition,  ils  pensèrent  que  c'était  une  chose  permise  de 
Dieu. 

A  cette  raison  ils  la  firent  parler  au  roi,  lequel  pour  la  tenter  fit  mettre 

on  autre  prince  au-dessus  de  lui,  et  en  plus  grand  état;  mais  elle  le  choisit 

^^tre  les  autres,  et  après  l'avoir  salué  de  par  Dieu  et  la  Vierge  Marie, 

«île  demanda  à  lui  parler  en  secret,  ce  que  le  roi  lui  permit  en  pleine 

*^Ue;  il  fit  reculer  de  lui  tous  ceux  qui  étaient  en  sa  compagnie  à  un  coin 

^®  ladite  salle;  puis  ils  parlèrent  ensemble,  et  comme  ils  parlaient  on 

'^^yait  que  les  larmes  tombaient  des  yeux  du  roi  de  France  à  grande 

™ondance.  On  n'en  sut  jamais  la  cause,  sinon  après  la  mort  de  ladite 

Scelle  qu'il  déclara  qu'un  mois  environ  avant  que  ladite  Pucelje  vînt 

^^^lai,  comme  il  pensait  une  nuit  en  son  lit  aux  grandes  affaires  qu'il 

'•  Le  père  et  la  mère  de  la  Pucelle  ne  furent  pas  à  Chinon,  mais  Baudncourl  a  dû 
*•  'oip,  les  interroger  minutieusement,  soit  à  Vaucouleurs,  soit  à  Domrémy.  il  a 
'^mis  ces  informations  à  la  cour.  Il  peut  se  faire  que  Jacques  d'Arc  et  sa  femme 
u^nl  donné  leur  consentement  au  dépaK  de  leur  fille,  avant  même  qu'elle  eût  quitté 
Vâucouleurs. 


294  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

avait,  il  se  leva  tout  en  chemise,  et  à  genoux,  aux  pieds  de  son  lit,  il  pria 
Notre-Seigneur  que  son  plaisir  fût  de  lui  donner  secours,  si  lui,  qui 
connaît  toutes  choses,  voyait  qu'il  eût  bon  droit  en  ses  guerres  et  que- 
relles. 

Ladite  Pucelle pria   le   roi  qu'il  lui  envoya    quérir  en  relise 

Sainte-Catherine-de-Fierbois,  où  alors  il  y  avait  port  (affltience)  de 
pèlerins,  une  épée  qui  était  entre  les  ferrailles  des  prisonniers,  qui 
s'étaient  recommandés  à  cette  sainte,  et  avaient  fait  leur  voyage  {pèle- 
rinage) audit  lieu,  encore  que  la  Pucelle  n*y  eût  jamais  été.  Ce  que  fit  le 
roi  ;  et  ladite  épée  fut  apportée. 

Les  Chroniques  que  j'ai  vues  ne  déclarent  point  le  lieu  auquel  la 
Pucelle  parla  pour  la  première  fois  au  roi  Charles  Septième.  J*ai  oui  dire 
en  ma  jeunesse,  et  Tan  mil  quatre  cent  quatre-vingt-quinze,  à  feu  Chris- 
tophe du  Peirant,  demeurant  alors  à  Poitiers  et  près  de  ma  maison,  qui 
avait  près  de  cent  ans,  que  en  ma  maison  il  y  avait  une  hôtellerie  où 
pendait  l'enseigne  de  la  Rose,  où  ladite  Jeanne  était  logée,  et  qu'il  la  vit 
monter  à  cheval  tout  armée  à  blanc  pour  aller  audit  lieu  d'Orléans  ;  et 
il  me  montra  une  petite  pierre  qui  est  au  coin  de  la  rue  Saint-Étienne 
où  elle  prit  avantage  pour  monter  sur  son  cheval... 

[Bouchet  raconte  ensuite  la  délivrance  d'Orléans,  où,  entre  autres 
inexactitudes,  il  fait  mourir  Salisbury  le  dernier  jour  du  siège;  il  indique 
en  courant  les  autres  conquêtes  de  la  Pucellle  sans  parler  de  l'assaut 
contre  Paris.  Il  y  intercale  le  portrait  suivant  de  la  Pucelle  :] 

Les  princes,  voyaient  que  c'était  chose  divine  que  d'elle.  Trois  fois 
par  semaine  elle  jeûnait,  elle  se  confessait  et  recevait  le  très  précieux 
corps  de  Jésus-Christ  chacun  dimanche,  jamais  ne  jurait  ni  ne  disait 
parole  scandaleuse  ;  elle  faisait  tout  au  nom  de  Jésus,  et  quand  elle  arri- 
vait à  une  hôtellerie,  elle  faisait  toujours  coucher  avec  elle  l'hôtesse  ou 
une  de  ses  filles,  ou  une  chambrière,  et  jamais  homme  n'entrait  dans  sa 
chambre  jusqu'à  ce  qu'elle  fût  de  tout  point  vôtue  et  habillée. 


III 

[Pour  Bouchet  comme  pour  Bouchard,  Flavy  a  vendu  la  Pucelle.  Après 
avoir  dit  que  Flavy  était  capitaine  de  Compiègne  et  que  la  Pucelle  s'y 
était  jetée,  il  écrit  :] 

Au  commencement  de  juin  1430,  Messire  Jean  de  Luxemboui^,  les 
comtes  de  flauton  et  d'Arondel  avec  une  grande  compagnie  de  Bour- 
guignons allèrent  assiéger  ladite  ville  de  Compiègne.  Et  par  l'intelligence 
que  ledit  capitaine   de  Flavy  avait  avec  eux,  auxquels  il  avait  vendu  la 


296  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARC  !  LA  LIBÉRATRICE. 

IV 

L'exemplaire  des  Annales  d Aquitaine  qui  est  aujourd'hui  à  la 
Bibliothèque  nationale,  fut  la  possession  d'un  célèbre  héraldiste  et  histo- 
riographe du  XYi"  siècle,  Jean  Le  Féron.  Il  a  écrit  en  marge  les  lignes 
suivantes,  relevées  par  Vallel  de  Viriville  :  «  Ladite  Pucelle  était  logée 
au  logis  du  procureur  du  roi  à  Goinpiègne,  à  renseigne  du  Bœuf,  et 
couchait  avec  la  femme  dudit  procureur,  mère-grand  de  Maitre  Jehan 
Le  Féron,  appelée  Marie  Le  Boucher,  et  faisait  souvent  relever  de  son 
lit  ladite  Marie  pour  aller  avertir  ledit  procureur  qu'il  se  donnât  garde  de 
plusieurs  trahisons  des  Bourguignons  par  l'espace  de  sept  mois,  sept  jours, 
et  fut  la  Pucelle  prise  sur  le  pont  de  Marigny,  par  ledit  Luxembourg  ». 

Jeanne  après  son  départ  de  Sully,  est  venue  plusieurs  fois  à  Compiègne. 
Le  siège  de  Compiègne  commencé  le  20  mai  fut  levé  le  25  octobre;  cela 
ne  nous  donne  pas  sept  mois  sept  jours  ;  mais  le  Bourguignon  avant 
de  commencer  le  siège  s'empara  des  avant-postes,  et  il  a  dû  essayer  de 
pénétrer  par  la  voie  de  la  trahison  dans  la  place  convoitée.  S'il  fallait 
faire  finir  les  sept  mois  sept  jours  au  25  octobre,  il  faudrait  dire  que 
Jeanne  donnait  cet  avis  vers  le  18  mars  :  mais  rien  n'empêche  de  penser 
que  même  après  la  levée  du  siège,  il  a  fallu  veiller  quelque  temps  encore 
pour  prévenir  la  trahison. 

Après  la  production  des  documents  il  y  aura  lieu  de  discuter  sur  la 
présence  de  la  Pucelle  à  Compiègne.  En  attendant  qu'il  suffise  de  ren- 
voyer au  beau  livre  de  M.  Alexandre  Sorel  :  la  Prise  de  Jeanne  (TArc 
à  Compiègne. 

La  correspondance  de  Jacques  Gelu  avec  la  cour,  pendant  que  Jeanne 
était  soumise  aux  épreuves  racontées  par  tous  les  historiens,  a  été  rap- 
portée dans  la  Pucelle  devant  t Église  de  son  temps  (p.  2-4),  telle  que  nous 
la  fait  connaître  d'après  les  pièces  le  P.  Fornier,  Jésuite  du  xvii'  siècle.  Elle 
pourrait  trouver  ici  sa  place,  si  déjà  elle  n'avait  pas  été  produite. 


CHAPITRE  VI 

CHRONIQUE   DE    LA    DÉLIVRANCE   D'ORLÉANS   ET  DE  LA  FÊTE  DU  8  MAI,   ET  AUTRBS 
DOCUMENTS.  —  JEAN   DE  MACON.  —  GUILLAUME  GIRAULT. 

Sommaire  :  I.  —  La  Chronique  de  la  délivrance  d'Orléans  et  de  la  fôte  du  8  mai.  — 
Manuscrits  qui  la  contiennent.  —  Ses  diverses  éditions  dans  les  cinquante  dernières 


CHRONIQUE  DE  LA  DÉLIVRANCE  D'ORLÉANS  ET  DE  LA  FÊTE  DU  8  MAI.         30t 

dans  un  âge  fort  avancé.  Né  au  plus  tard  en  1360,  il  était  septuagénaire 
eu  1429,  lors  du  siège.  L'on  admet  que  la  Chronique  a  été  composée 
quinze  ou  vingt  ans  plus  tard.  Jean  de  Mâcon  Taurait  donc  écrite  à  Tâge 
de  quatre-vingt-quatre  ans.  La  voici  en  termes  quelque  peu  modernisés. 

III 

En  Tan  mil  quatre  cent  vingt  et  huit,  les  Anglais  tinrent  leur  conseil  au 
pays  d'Angleterre,  et  là  il  fut  ordonné  que  le  comte  de  Salisbury  \ 
descendrait  au  pays  de  France,  pour  conquérir  les  pays  de  Monseigneur 
d'Orléans,  lequel  ils  tenaient  prisonnier  depuis  Tan  quatre  cent  et 
quinze.  Il  avait  été  pris  par  eux  et  fait  prisonnier  à  une  journée  qui  fut 
celle  d'Azincourt,  en  laquelle  il  fut  pris  avec  plusieurs  autres  seigneurs 
de  France. 

De  six  à  sept  mille  combattants  anglais  furent  baillés  audit  comte  de 
Salisbury,  et  lors  mondit  seigneur  d'Orléans,  averti  de  ces  choses, 
considérant  le  dommage  et  la  destruction  qu'il  redoutait  advenir  en  ses 
terres  et  seigneuries  par  suite  de  ladite  entreprise  et  mission  dudit 
comte  de  Salisbury^  voulant  y  obvier  de  son  pouvoir,  s'adressa  à  ce  môme 
comte,  et^lui  recommanda  sa  terre.  Lequel  Salisbury  lui  promit  qu'il 
Tépargnerait  ',  et,  moyennant  ce,  Monseigneur  d'Orléans  lui  promit  six 
mille  écus  d'or,  à  savoir  de  lui  donner  en  gage  ^  un  joyau  qu'il  avait  en 
France.  Et  de  tout  cela  le  comte  de  Salisbury  n'en  tint  rien  ;  aussi  il  lui 
en  prit  mal,  comme  vous  l'ouïrez;  car  Dieu  l'en  punit. 

Le  comte  de  Salisbury  pour  accomplir  sa  mauvaise  volonté,  non- 
obstant la  promesse  faite  h  Monseigneur  d'Orléans,  descendit  au  pays 
de  Normandie,  tint  sa  route  droit  à  Chartres,  pritNogent-le-Roi,  et  vint 
jusqu'à  Yenville-en-Beauce,  y  mit  le  siège,  et  de  fait  prit  d'assaut 
y  celui  lieu  d'Yenville.  Ce  voyant,  ceux  de  Meung-sur-Loire  négocièrent  *, 
et  se  rendirent  sans  coup  férir.  Et  puis  il  alla  mettre  le  siège  devant 
Baug^ncy  et  devant  Jargeau  qui  se  rendirent  ^  Et  durant  cette  expédi- 
tion •,  icelui  comte  de  Salisbury  vint  piller  le  lieu  et  l'église  de  Nolre- 
Dame-de-Cléry,  dont  il  fit  très  mal,  car  en  ce  temps  il  n'y  avait  homme 
d'armes  qui  osât  y  rien  prendre,  qu'il  n'en  fût  incontinent  puni,  comme 
chacun  sait. 

1.  De  Saleberf/f  dans  le  texte. 

2.  C'est  le  sens  évident,  ce  semble,  du  texte  qui  est,  qu'il  la  supporterait. 

3.  Le  texte  du  rtianuscrit  du  Vatican  porte  de  lui  raimbre  (remerer)  ;  celui  de  Saint- 
Pétersbourg,  de  lui  rendre, 

4.  Trouvèrent  moyen,  (Voy.  Lacur!«e.) 

5.  Bougency^  Jargueau  (texte). 

6.  Et  ee  pendant. 


302  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARG  :  LA  LIBÉRATRICE. 

IV 

L'an  dessus  dit,  le  treizième  jour  d'octobre,  le  comte  de  Salisbury 
arriva  au  Portereau  d'Orléans  et  le  siège  fut  posé.  La  nuit  fut  brûlé  et 
abattu  le  monastère  des  Augustins,  pour  que  les  Anglais  ne  s*y  logeassent 
pas.  Icelui  Salisbury  ne  tarda  guère  à  donner  Tassant  audit  Portereau, 
c'est  à  savoir  au  boulevard  du  bout  du  pont,  qui  n'était  fait  que  de  fagots; 
l'assaut  dura  de  quatre  à  cinq  heures  ;  et  y  furent  blessés  Monseigneur 
de  Xaintrailles  et  Guillaume  de  La  Chapelle  qui  étaient  capitaines  ;  et  la 
défense  fut  telle  que  les  assaillants  ne  purent  rien  faire  ce  jour.  Et  puis 
après  il  arrivèrent  par-dessous  ledit  boulevard,  et  ainsi  il  fut  arrêté  qu'il 
était  expédient  de  l'abandonner. 

Le  dimanche  qui  suivit,  l'assaut  fut  donné  aux  Tourelles  devers  le 
matin,  et  à  cette  heure  ils  n'y  firent  rien.  Et  en  ce  même  jour,  environ 
deux  heures  après  midi,  Salisbury  recommença  l'assaut,  et  de  fait  il  prit 
les  Tourelles  ;  car  il  n'y  avait  homme  d'armes  qui  osât  s*y  tenir, 
à  cause  de  la  force  des  bombardes  et  canons  que  tiraient  les  Anglais. 
Les  Tourelles  prises,  le  comte  de  Salisbury  monta  au  plus  haut  étage,  et 
se  mit  à  une  fenêtre  devers  la  ville  pour  voir  le  pont  qui  était  très  bien 
armé.  Et  à  cette  heure,  de  la  ville  partit  im  canon  qui  le  frappa  à  la  tête  ; 
ce  qui  fut  l'avancement  de  sa  mort. 

Quelques-uns  disent  que  le  canon  partit  de  Saint-Antoine,  les  autres 
qu'il  partit  de  Notre-Dame,  et  que  ce  fut  un  jeune  page  qui  le  fît  partir  ;  et 
qu'il  en  soit  ainsi  {la  preuve  en  est)  que  le  canonnier  qui  avait  la  charge 
de  ladite  tour  trouva  le  page  qui  s'enfuyait.  Et  aussi  était-ce  juste  et 
raisonnable  que  ledit  comte  de  Salisbury,  ayant,  comme  il  est  dit  plus 
haut,  pillé  l'église  de  Notre-Dame-de-Cléry,  en  fût  puni  par  elle.  Ainsi 
heurté  et  frappé,  le  comte  de  Salisbury  fut  porté  à  Meung-sur-Loire  par 
quelques  Anglais,  et  là  il  mourut. 

Ce  voyant,  les  capitaines  levèrent  en  partie  leur  siège,  laissèrent  cinq 
à  six  mille  [sic)  combattants  aux  Tourelles  et  se  retirèrent  à  Paris  qui,  pour 
lors  était  anglais,  et  ils  ordonnèrent  un  nommé  Tallebot  {Talbot\ 
pour  être  leur  chef.  Les  fériés  de  Noël,  ils  revinrent  vers  Saint-Loup  pour 
remettre  leur  siège.  Pendant  ce  temps  ceux  de  la  ville  abattirent  toutes 
les  églises  et  maisons  des  faubourgs;  ce  qui  fut  un  grand  moyen  de 
conservation  *  pour  la  ville  d'Orléans  à  l'enconlre  des  Anglais. 

Environ  le  carême-prenant,  vinrent  nouvelles  que  Monseigneur  deBour- 

1.  Le  manuscrit  du  Vatican  a  écrit:  ce  qui  fut  une  grande  consolation^  non-sens 
manifeste  qui  disparait  dans  le  manuscrit  de  Saint-Pétersbourg  où  on  lit  :  grande 
conservation. 


304  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARC  :  U  LIBÉRATRICE. 

de  France,  et  plusieurs  autres  capitaines,  et  aussi  [des  soldais]  des  com- 
munes DU  PAYS  d'en  BAS,  ct  il  lui  fut  ordouné  d'amener  vivres  et  artillerie. 
Ils  vinrent  par  la  Saulogne  [Sologne)^  passsërent  par  Olivet  ou  près,  et 
arrivèrent  jusqu'à  TIle-aux-Bourdons,  qui  est  devant  Chécy.  Ceux 
d*Orléans  sachant  qu'elle  venait  furent  très  joyeux;  ils  firent  préparer 
des  chalands  en  grand  nombre.  La  rivière  était  alors  à  plein  chantier,  et 
aussi  le  vent  quittait  contraire  se  tourna  d'aval \  tellement  qu'un  chaland 
menait  deux  ou  trois  chalands  ;  qui  était  une  chose  merveilleuse,  et  fallait 
dire  que  c'était  un  miracle  de  Dieu.  Ils  passèrent  par-devant  les  bastilles 
des  Anglais  et  arrivèrent  à  leur  port  ;  et  là  chargèrent  leurs  vivres,  et 
puis  la  Pucelle  passa  la  rivière.  Là  étaient  présents  Monseigneur  de  Dunois, 
La  Ilire  et  plusieurs  autres  seigneurs  ;  et  ils  vinrent  par-devant  la  bastille 
de  Saint-Loup  où  étaient  les  Anglais. 

La  Pucelle  arriva  à  Orléans,  et  fut  logée  près  de  la  porte  Regnart;  et 
de  son  logis  elle  pouvait  voir  tout  le  siège.  Et  il  est  à  savoir  que  ceux 
d'Orléans  étaient  bien  joyeux. 

Et  pendant  ce  temps  Mgr  de  Rais,  et  les  autres  capitaines  que  la  Pucelle 
avait  amenés  ',  retournèrent  à  Blois  quérir  d'autres  vivres. 

La  Pucelle  étant  à  Orléans,  elle  alla  par  deux  ou  trois  fois  sommer  les 
Anglais  qu'ils  s'en  allassent  en  leur  pays,  et  que  le  roi  du  Ciel  le  leur 
mandait,  et  ils  lui  dirent  plusieurs  injures,  et  entre  les  autres  Glacidas, 
auquel  elle  répondit  qu'il  mentait  de  ce  qu'il  lui  disait,  et  qu'il  en  mour- 
rait sans  saigner.  Ainsi  fit-il  comme  sera  déclaré  ci-après  ;  et  Jeanne  la 
Pucelle  prenait  en  bonne  patience  les  injures  que  les  Anglais  trouvaient 
bon  de  lui  dire  et  de  lui  faire. 

Et  après,  elle  s'en  alla  à  l'église  Sainte-Croix,  et  là  elle  parla  à  Messire 
Jean  de  Mascon,  docteur,  qui  était  un  très  sage  homme,  lequel  lui  dit  : 
((  Ma  fille,  ôtes-vous  venue  pour  lever  le  siège  ?»  A  quoi  elle  répondit  : 
«  En  nom  Dieu^  oui  ».  «  Ma  fille,  dit  le  sage  homme,  ils  sont  forts  et  biea 
fortifiés,  et  ce  sera  une  grande  chose  que  de  les  mettre  hors  ».  La  Pucelle 
répondit  :  «  Rien  n'est  impossible  à  la  puissance  de  Dieu  ».  Et  en  toute  la 
ville  elle  ne  fit  honneur  à  aucun  autre. 


VI 

Le  mercredi  quatrième  jour  de  mai  l'an  vingt-et  neuf,  la  Pucelle  partit 
pour  aller  au-devant  des  autres  vivres  qu'amenait  le  sire  de  Rais.  Allèrent 

1.  «  Souffia  »  d'aval.  Les  bateaux  devaient  remonter. 

2.  Texte  de  Saint-Péterbourg;  celui  delà  Vaticane porte  :  qui  avaient  amené  la  PuctUe^ 
mais  [dus  haut  le  même  texte  de  la  Vaticane  porte  que  les  capitaines  avaient  été 
donnés  à  Jeanne. 


306  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

la  bastille  du  champ  Saint-Privé  ;  ils  étaient  en  deux  ou  ti'ois  chalands, 
mais  ils  furent  si  effrayés  qu'il  s'en  noya  beaucoup  ;  et,  qu'il  en  soit  ainsi, 
on  le  vit  depuis  par  leurs  harnois  trouvés  en  la  rivière. 
Quand  arriva  le  samedi,  septième  de  mai,  ln  conseil  flt  tenu  en  L4 

VILLE,    ET  LES  B0UKr,£01S  REQUIRENT  LA   PlCELLE  QU'eLLE  VOCLL'T  ACCOMPUR  LA 

CHARGE  qu'elle  AVAIT  DE  par  Dicu  et  aussi  de  par  le  roi;  et  à  ce  faire  elle 
fut  émue  ;  elle  parlit,  et,  montant  h  cheval,  elle  dit:  «  En  nom  Dieu  Je  le 
ferai,  ET  QUI  m'aimera,  qu'il  me  suive  !  »  Les  seigneurs  allèrent  avec  elle  et 
passèrent  la  rivière  ;  des  vivres  et  de  l'artillerie  furent  amenés  ;  et  ils 
vinrent  si  près  que,  dès  le  matin,  la  Pucelle  donna  Tassant  auxdites 
Tourelles. 

Devers  la  ville,  ceux  qui  y  étaient  firent  des  ponts  pour  donner  Tas- 
saut;  car  il  y  avait  Irois  arches  rompues  avant  que  Ton  put  joindre  les 
Tourelles.  Ce  fut  une  merveilleuse  chose  de  faire  les  ponts,  car  les 
Anglais  avaient  fait  de  grands  boulevards,  forts  et  avantageux  ;  mais  en 
tout  cela  Dicu  ouvrait,  car  lorsqu'un  homme  venait  pour  travailler 
auxdits  ponts,  il  était  ouvrier,  ainsi  que  s'il  eût  accoutumé  pareil  travail 
toute  sa  vie.  Ceux  de  la  ville  chargèrent  un  grand  chaland  plein  de  fagots, 
d'os  de  cheval,  de  savates,  de  soufre,  et  des  plus  puantes  choses  que  Ton 
sût  trouver;  il  fut  mené  entre  les  Tourelles  et  le  boulevard,  et  là  le  feu 
y  fut  mis,  qui  leur  fit  un  grand  dommage.  Et,  pour  tirer,  les  Anglais 
avaient  les  meilleurs  canons  du  royaume;  mais  un  homme  eut  jeté  uae 
boule  aussi  loin  que  pouvait  aller  la  pierre  d'iceulx  canons*  ;  ce  qui  était 
un  beau  miracle. 

Jtem.  Quand  vint  environ  quatre  heures  après  midi,  quelques  chevaliers 
virent  un  colombcau  blanc  voler  par-dessus  Tétendard  de  la  Pucelle,  el 
incontinent,  elle  dit  :  «  Dedans,  enfants!  en  îiomDien^  ils  sont  nôtres.  »  El 
jamais  on  ne  vit  grouée  {volée)  d'oisillons  se  parquer  sur  un  buisson, 
comme  chacun  monta  sur  ledit  boulevard.  Et,  ce  voyant,  Glacidas,  qui  était 
le  chef,  et  avec  lui  de  vingt  à  trente  hommes,  tombèrent  dans  la  rivière, 
car  ils  avaient  coupé  le  pont  dans  la  pensée  de  tromper  nos  gens  *.  Et 
là  fut -accomplie  la  prophétie  faite  audit  Glacidas  par  la  Pucelle  qu'il 
mourrait  sans  saigner;  ainsi  fit-il,  car  il  se  noya  avec  plusieurs  autres. 
Les  Tourelles  furent  prises,  ainsi  que  plusieurs  seigneurs  comme  le  sire 
de  Ponyngs,  le  sire  de  Molyns.  Il  y  avait  là  de  cinq  à  six  cents  combat- 
tants, si  résolus  qu'ils  ne  craignaient  pas,  durant  quinze  jours,  toute  la 
puissance  de  France  et  d'Angleterre.  Tandis  que  la  Pucelle  faisait  son 

1.  Phrase  fort  obscure;  en  voici  le  texte  :  Et  à  venir  joindre  Usdils  Anglais  avoifutl 
des  meilU'urs  canons  du  roijutilme;  mais  uncj  homme  cust  aussi  fort  getté  une  hole  cormt 
la  pien'e  pavait  aller  dUceulx  canons;  qui  estoit  un  tel  miracle. 

2.  Car  ils  avaient  copé  ledict  pont,  pour  cuidtr  tromper  nos  gens. 


CHRONIQUE  DE  LA  D&UVRA>'CE  D'ORLEOS  ET  DE  Lk  FÊTE  :<ï   S  MAI.        307 

devoir,  ceux  de  la  ville  le  faisaient  du  côté  de  la  ville  tant  par  terre  que 
par  eau.  Quant  à  ceux  qui  ne  furent  pas  tués,  la  Pucelle  le?  amena  deux 
à  deux,  prisonniers,  à  Orléans. 

lient.  Quand  vint  le  dimanche,  huitième  dudit  mai.  les  gens  des  autres 
bastilles  tinrent  conseil,  et  partirent  au  plus  matin:  là  était  TaLbot.  et  ils 
se  mirent  aux  champs.  Ce  que  voyant  ceux  de  la  ville,  ils  sortirent  avec 
toutes  leurs  forces,  la  Pucelle  avec  eux.  pour  leur  courir  sus:  mais  elle 
dit  qu'on  les  laissât  aller,  encore  que  chacun  fût  en  ordre  de  bataille,  tant 
d'un  côté  que  de  Tautre;  et  Ton  prit  entre  les  deux  armées  leurs  bom- 
bardes et  leur  artillerie  ;  mais  la  Pucelle  avec  les  seigneurs  firent  retirer 
tous  leurs  gens  ;  là  fut  faite  une  haute  et  grande  louange  à  Dieu  en  criant 
Noël.  Il  y  avait  en  la  compagnie  plusieurs  prêtres  et  gens  d'Eglise  qui 
chantaient  de  belles  hymnes  ;  et  la  Pucelle  dit  que  chacun  allât  ouïr  la 
messe.  Et  ne  demandez  pas  si  à  Orléans  chacun  faisait  grande  joie,  tant 
aux  ^lises  comme  en  plein  air,  pour  le  grand  don  que  Dieu  leur  avait 
fait. 

VII 

liem.  Il  ne  tarda  guère  que  les  seigneurs  amenèrent  la  Pucelle  vers  le 
roi  Charles  qui  était  à  Tours,  et  considérez  quelle  réception  on  leur  fit. 
Le  roi  remercia  bien  hautement  Dieu,  et  aussi  Mgr  de  Dunois  et  les  maré- 
chaux, et  La  Hire,  et  tous  les  autres  capitaines  qui  lui  avaient  tenu  com- 
pagnie. Talbot  demeura  à  Meung,  à  Baugency,  à  Jargeau  et  à  Janville, 
et  aussi  tous  ses  gens. 

Le  duc  d*Alençon  ne  tarda  guère  à  venir  avec  la  Pucelle.  Le  siège  fut 
mis  à  Jargeau,  où  était  le  comte  de  Chifort  [Suffolk).  ayant  avec  lui  plu- 
sieurs capitaines  anglais  :  il  y  avait  là  de  six  à  sept  cents  combattants  ;  et 
il  ne  fallut  que  deux  jours  pour  qu'ils  fussent  pris  de  bel  assaut.  Et  Dieu 
sait  si  ceux  d'Orléans  étaient  fainéants  '  à  mener  aux  assiégeants  artil- 
lerie, gens,  et  aussi  vivres. 

Et  puis  après  Ton  vint  par  devant  Meung-sur-Loire,  où  était  Talbot  et 
toute  sa  puissance,  mais  il  n'osa  frapper  sur  nos  gens,  car  il  était  tout 
éperdu.  Puis  nos  gens  vinrent  mettre  le  siège  devant  Baugency,  et  là  se 
trouva  Mgr  le  Connétable  de  France.  Les  Anglais  qui  là  étaient  prirent 
composition  et  s'en  allèrent  joindre  Talbot. 

Nos  gens,  dans  la  poursuite,  se  trouvaient  près  de  Patay  'PaHtoy\  contre 
ledit  Talbot;  il  fut  pris,  et  environ  quatre  mille  Anglais  y  furent  tués,  qui 
tous  s'étaient  retirés  vers  ledit  Talbot.  En  ce  jour  se  rendirent  Janville  et 

1 .  Se  faignaienif  dans  le  texte. 


308  U  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

plusieurs  autres  forteresses.  Si  on  eût  voulu  poursuivre,  on  eut  chassé 
LES  Anglais  jusqu'à  la  mer,  vu  le  courage  que  chacun  avait  ;  car  un  Fran- 
çais eût  abattu  dix  Anglais,  non  pourtant  qu'il  n'y  eût  point  de  force 
d'homme  {sic)  ;mais  tout  procédait  de  Dieu,  auquel  louange  appartient  et 
non  à  un  autre. 

VIII 

Item.  Ce  voyant,  par  Mgr  Tévôque  d'Orléans  avec  tout  le  clergé,  et  aussi 
{)ar  l'intermédiaire  et  l'ordonnance  de  Mgr  de  Dunois  frère  de  Mgr  le  duc 
dOrléans,    et  du  conseil  d*icelui,    et  aussi  de   l'avis  des   bourgeois, 
manants  et  habitants  d'Orléans,  il  fut  statué  qu'une  procession  serait 
faite  le  huitième  de  mai  ;  que  chacun  y  porterait  lumière,  qu'on  irait 
jusqu'aux  Augustius,  et  partout  où  avait  été  le  combat  ;  on  ferait  station 
en  chacun  lieu,  service  convenable  et  oraisons  ;  les  douze  procureurs  de 
la  ville  auraient  chacun  en  leurs  mains  un  cierge  où  seraient  les  armes 
de  la  ville  ;  il  en  demeurerait  quatre  [des  cierges)  à  Sainte-Croix,  quatre 
à  Saint-Euverte,  quatre  à  Suiut-Aignan;  le  lendemain  messe  pour  les 
trépassés  et  là  serait  oiTert  pain  et  vin,  et  chaque  procureur  donnerait  à 
Toffrande  huit  deniers  parisis  ;  on  porterait  les  chasses  de  Mgr  saint 
Aignan,  et  de  Mgr  saint  Euverte,  les  médiateurs  et  les  protecteurs  Je  la 
cité  et  de  la  ville  d'Orléans.  En  ce  temps,  en  effet,  plusieurs  Anglais,  qui 
étaient  au  siège,  affirmèrent  avoir  vu,  durant  le  siège,  deux  prélats  en 
habits  pontificaux  aller  en  cheminant  autour  des  murs  de  la  ville.  Aussi 
avaient-ils  été,  Mgr  saint  Euverlc  et  Mgr  saint  Aignan  les  gardes,  et  les 
protecteurs  de  la  ville  d'Orléans,  au  temps  que  les  mécréants  vinrent 
devant  icclle;  car,  h  la  prière  faite  à  Dieu  par  ces  saints,  la  ville  fut  pré- 
servée des  mainsdesdits  mécréants  ;  et  en  en  approchant,  comme  rapporte 
rhistoire,  ils  furent  tous  aveuglés,  en  sorte  qu'ils  n'eurent  point  puis- 
sance de  mal  faire  entre  ici  et  Saint-Loup. 

On  ne  peut  trop  louer  Dieu  et  les  saints  ;  car  tout  ce  qui  a  été  fait,  l'a 
été  entièrement  par  la  grâce  de  Dieu.  Aussi  doit-on  avoir  grande  dévo- 
tion à  ladite  procession,  surtout  ceux  de  la  ville  d'Orléans,  attendu  que 
ceux  de  Rourges-cn-Berry  en  font  solemnité;  mais  ils  prennent  le 
dimanche  après  l'Ascension  (car  en  Tannée  de  la  délivrance,  c'était  ce 
dimanche'). 

Plusieurs  autres  villes  en  font  aussi  solennité,  car  si  Orléans  fût  tombé 
entre  les  mains  des  Anglais,  le  demeurant  du  royaume  en  eût  été  fort 
blessé.  Ainsi,  par  reconnaissance  pour  la  grande  grâce  que  Dieu  a  voulu 

1.  Ce  membre  de  phrase  ne  se  trouve  pas  dans  le  manuscrit  de  Saint-Pétersbourg. 


CHRONIQUE  DE  U  DÉLIVRANCE  D'ORLÉANS  ET  DE  LA  FÊTE  DU  8  MAI.        309 

faire  et  démontrer  en  la  gardant  des  mains  de  ses  ennemis,  que  ladite 
sainte  et  dévote  procession  soit  continuée  et  non  pas  délaissée,  sans 
tomber  en  ingratitude,  par  laquelle  viennent  beaucoup  de  maux.  Chacun 
est  tena  d^aller  à  ladite  procession,  et  de  porter  luminaire  ardent  en  sa 
main. 

On  revient  autour  de  la  ville,  c'est  à  savoir  par  devant  Téglise  Notre- 
Dame  de  Saint-Paul,  et  là  on  fait  grande  louange  h  Notre-Dame,  et  de  là 
à  Sainte-Croix,  et  là  le  sermon,  et  la  messe  après  ;  et  aussi  comme 
dessus,  les  vigiles  à  Saint-Âignan,  et  le  lendemain  messe  pour  les  tré- 
passés. 

Et,  pour  cela,  qu'un  chacun  soit  averti  de  louer  et  de  remercier  Dieu, 
car,  par  aventure,  il  y  a  pour  le  présent  des  jeunes  gens  qui  pourraient  à 
grand'peine  croire  que  les  choses  soient  ainsi  advenues  ;  mais  croyez  que 
G*est  chose  vraie,  et  bien  grande  grâce  de  Dieu. 

Car  durant  le  siège,  il  n'y  eut  jamais  aucune  division  entre  les  gens 
d'armes  et  ceux  de  la  ville,  quoique  par  avance  ils  s'cntre-haïssaient 
comme  chiens  et  chats  ;  mais  lorsqu'ils  furent  avec  ceux  de  la  ville,  ils 
furent  comme  frères  ;  et  aussi  ceux  de  la  ville  ne  les  laissaient,  à  leur 
pouvoir,  endurer  nécessité  ou  souffrance,  en  quelque  manière  que  ce  fût^ 
Et  à  cause  du  bon  service  qu'ont  fait  les  manants  et  les  habitants  de  la 
ville  d'Orléans,  ils  sont  et  seront  en  la  bonne  grâce  du  roi,  qui  de  fait  le 
leur  a  montré  et  le  leur  montre  de  jour  en  jour,  ainsi  que  c'est  manifeste 
par  la  teneur  des  beaux  privilèges  qu'il  leur  a  donnés. 


Le  NOTAIRE  GiRAULT.  —  Lcs  mcrveillcs  accomplies  par  la  Pucelle, 
étaient  telles  qu'on  en  trouve  la  mention  plus  ou  moins  détaillée  dans  les 
écrits  les  plus  étrangers  à  la  grande  histoire.  On  a  vu  la  longue  relation 
qu'en  avait  faite,  dans  les  archives  de  la  mairie,  le  Greffier  de  la  Rochelle. 
Nous  aurons  occasion  d'en  reproduire  bien  d'autres.  Voici  celle  que 
Guillaume  Girault,  alors  notaire  à  Orléans,  insérait  entre  deux  minutes, 
Tune  du  28  avril,  l'autre  du  9  mai.  On  peut  la  voir  encore  aujourd'hui 
dans  le  registre  de  1429,  conservé  dans  l'étude  d'un  des  notaires 
d'Orléans. 

L'abbé  Dubois  l'inséra  dans  ses  doctes  recherches  ;  elle  a  été  depuis 
Tobjet  d'une  étude  particulière  de  la  part  de  M.  de  Molandon  qui  lui  a 
consacré  un  article,  au  tome  IV,  page  382,  des  Mémoires  de  la  Société 
archéologique  de  fùrléanais.  Voici  la   note  très  légèrement  rajeunie. 

«  Le  mercredy  veille  de  l'Ascension,  iiii*  jour  de  mai,  Tan  mil 
€GCCXXIX,  par  les  gens  du  roi  notre  Sire,  et  [par]  la  ville  d'Orléans, 


3iO  Lk  VRAIE  JEANNE  D*ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

présente  et  aidant  [ou  ordonnant)  Jehanne  la  Pucelle,  trouvée  par  ses 
œuvres  ^tre  vierge  et  à  ce  envoyée  de  Dieu,  Notre-Seigneur,  et  aussy 
comme  par  miracle,  fut  prinse  par  force  d'armes  la  forteresse  des  Anglais 
très  puissants  à  Saint-Loup-lez-Orléans,  qu'y  avoient  faite  et  tcnoient  les 
Anglais  ennemis  du  roi  nostre  dit  Sire,  et  y  furent  prins  et  morts 
plus  de  vi"(/î?(>)  Anglais. 

«  Le  samedy  après  l'Ascension  \de]  Notre-Seigneur  ensuivant,  w\*  jour 
dudit  mois  de  mai,  par  la  grâce  [de]  Notre-Seigneur,  et  aussy  par 
[un]  miracle  le  plus  évident  qui  eut  été  apparent  {vu)  depuis  la  mort  [de] 
Notre-Seigneur,  à  Taide  desdiles  gens  du  roy  et  de  ladite  ville  d*Orléans, 
fut  levé  le  siège  que  lesdits  Anglois  avaient  mis  es  Thorelles  du  bout  du 
pont  d'Orléans,  au  côté  de  la  Souloigne;  qui  furent  [lesquelles  Ton* 
relies  avaient  été)  prises  par  très  fort  assaut  le  mardi  douzième  jour  du 
mois  d'octobre  précédent  et  dernier  passé;  et  y  furent  morts  ou  pris 
environ  iiii*'  (400)  Anglais,  qui  gardaient  lesdites  Thorelles.  A  ce  fui 
présente  ladite  Pucelle  qui  [a]  conduit  la  besogne,  armée  de  toutes 
pièces. 

«  Et  le  dimanche  et  lundy  ensuivant,  lesdits  Anglois  s'en  allèrent  de 
Saint-Pouair  {aujourd'hui  Saint-Paterne)^  où  ils  avoient  une  forte  bas- 
tille, qu'ils  appeloient  Paris,  d'une  autre  bastille  emprcz  {rapprochée) 
qu'ils  appeloient  la  tour  de  Londres,  du  Pressoir-Ars  qu'ils  nommoient 
Rouen,  oii  ils  avoient  fait  forte  bastille,  de  Saint-Laurent  où  ils  avoient 
fait  plusieurs  forteresses  et  bastilles  ;  et  toutes  ces  forteresses  et  bastilles 
closes  à  11  parts  [des  deux  côtés)  de  fossés,  et  [cela\^  d'une  forteresse  à 
l'autre .  » 

Girault,  écrivant  le  9  mai,  ne  savait  peut-être  pas  encore  que  tous  les 
Anglais  étaient  partis  la  veille.  Il  confirme,  ce  qui  est  dit  par  d'autres 
documents,  que  les  Anglais  avaient  fait  des  tranchées  de  contre vallation 
et  de  circonvallation,  pour  se  défendre  contre  les  attaques  qui  pouvaient 
venir  du  côté  de  la  ville  et  de  la  campagne  ;  et  qu'ils  se  ménageaient 
ainsi  facilité  pour  aller  d'une  bastille  à  l'autre  sans  être  vus.  On  remar- 
quera combien,  aux  yeux  de  ce  témoin,  la  délivrance  a  été  miraculeuse. 

La  nouvelle  de  la  délivrance  d'Orléans  se  répandit  avec  une  incroyable 
rapidité,  puisqu'on  trouvera  à  la  Chronique  de  Morosini  une  lettre 
l'annonçant  de  Bruges  à  Venise  à  la  date  du  10  mai. 

Gerson  composa  aussitôt  son  traité  De  Puella,  daté  du  14  mai;  Jacques 
Gelu  y  joignit  bientôt  le  sien,  terminé  par  de  salutaires  avis  trop  négligés  ; 
ces  deux  œuvres  ont  été  presque  intégralement  traduites  dans  la  Pucelle 
devant  r Église  desoji  temps  (liv.  I,  chap.  ii  et  ni). 

Dom  Morice  écrit  dans  son  Histoire  de  Bretagne  d'après  les  Comptes  de 


CAMPAGNE  DE  LA  LOIRE.  —  PIÈCES  DIVERSES.  3H 

Maidéon  :  «  Il  [le  duc)  n'eut  pas  plus  tôt  appris  la  levée  du  siège  d'Orléans 

qu'il  députa  Yves  Milbeau  son  confesseur  vers  la  Pucelle  pour  lui  faire 

compliment  sur  sa  victoire.  Il  lui  envoya  depuis  une  dague  et  quelques 

chevaux  de  prix  par  le  sire  de  Rostrenen,  AufTroi  Guinot  et  un  poursui- 

v^ani  d'armes,  qui  allaient  de  sa  part  à  la  cour  de  France  ^ 


CHAPITRE  VII 

CAMPAGNE  DE  LA  LOIRE.   —  PIÈCES  DIVERSES. 


[AIRE  :  I.  ~  Une  Chronique  anonyme  des  ducs  d'Alençon.  —  Jeanne  avait  prédit  au 
duc  plusieurs  choses  qui  lui  sont  advenues. 
11.  —  Lettre  des  seigneurs  Guy  et  André  de  Laval.  —  Dessein  de  nettoyer  la  Loire.  — 
Le  duc  d'AIençon  reçoit  le  titre  de  généralissime  et  le  commandement  d'obéir  à  la 
Pucelle.  —  11  y  est  fidèle.  —  Il  fait  appel  à  la  noblesse.  —  La  formation  de  l'armée 
décrite  par  les  seigneurs  de  Laval.  —  Ce  qu'étaient  ces  seigneurs,  leur  père,  leur 
mère,  leur  grand'mère,  leur  famille.  —  La  lettre,  —  Arrivée  à  Loches.  —  Le  jeune 
Dauphin,  le  futur  Louis  XL  —  Ils  rejoignent  le  roi  à  Saint-Aignan  ;  accueil  excep- 
tionnel qu'ils  en  reçoivent.  —  Le  roi  se  rendant  à  Selles,  la  Pucelle  vient  tout 
armée  à  sa  rencontre.  —  Aimable  entrain  avec  lequel  elle  reçoit  la  visite  des  deux 
jeunes  seigneurs.  —  Son  départ.  —  Portrait  céleste  qu*en  tracent  les  deux  Laval. 
—  Détails  sur  les  seigneurs  qui  arrivent  de  toutes  parts,  notamment  sur  le  Conné- 
table. —  Les  jeunes  seigneurs,  n'attendant  rien  de  la  cour,  veulent  que  leur  mère 
aliène  leur  patrimoine  alin  de  pouvoir  faire  digne  ligure.  —  Cadeau  de  la  Pucelle  à 
leur  grand'mère.  —  Avec  quel  cœur  ils  protestent  contre  le  dessein  de  les  tenir  loin 
de  l'action.  —  Assurance  de  la  Pucelle.  —   Confiance  de  l'armée.  —  Touchants 
détails  de  famille. 
m.  —  La  Chronique  de  Richemont,  par  Cruel.  —  C'est  une  apologie.  —  11  fausse  l'en- 
trevue de  la  Pucelle  et  de  Richemont.  —  Texte:  Le  Connétable  ayant  réuni  une 
très  vaillante  et  très  nombreuse  compagnie  se  met  en  marche  pour  venir  prendre 
I^K  à  la  guerre.  —  Le  roi  lui  envoie  l'ordre  de  ne  pas  aller  plus  avant.  —  Il  n'en 
Vient  aucun  compte.  —  Son  arrivée  à  Baugency.  —  La  Pucelle  se  dispose  à  le  com- 
Iteltre.  —  Mot  injurieux  dit  à  ce  sujet  par  La  Ilire.  —  Attitude  huniih'ée  prêtée  à  la 
l^ucelle,  et  fière  parole  qu'aurait  dite  Richemont.  —  11  n'en  est  pas  moins  réduit  à 
f^iirele  guet. —  Rôle  que  Gruel  est  le  seul  à  attribuera  son  maître  dans  la  reddition 
4e  Meung,  la  retraite  de  Talbot,  l'engagement  de  la  bataille  de  Patay,  sur  la  date  de 
laquelle  il  se  trompe  notablement.  —  Instances  de  Richemont  pour  être  admis  à 
servir  le  roi.  —  U  va  jusqu'à  embrasser  les  genoux  de  La  Trémoille.  —  Dure  parole 
de  Charles  VIL  ^  Richemont  forcé  de  rentrer  à  Parthenay  au  milieu  des  avanies. 
—  Les  torts  de  Richemont  étaient  grands  ;  mais  une  des  conditions  de  la  grâce 
apportée  par  la  Pucelle  devait  être  l'oubli  du  passé,  sa  douleur  et  ses  justes  craintes. 
t\r  .  —  Autres  pièces.  —  L'expression  des  espérances  conçues  consignées  dans  un  ma- 
Kiuacrit  du  temps.  —  Cavalier  blanc  vu  dans  le  ciel  en  Bas-Poitou.  —  Témoignage  de 
l*évèque  de  Luçon.  —  Le  cavalier  rassurant  ceux  qu'effrayait  sa  vue.  —  Les  lettres 
^e  Perceval  de  Boulai nvilliers  et  d'Alain  Chartier. 


i.  Dom  MoKicE,  Histoire  de  Bretagne,  t.  b',  liv.  IX,  p.  558. 


312  LA  VRAIE  JEANNE  DARG  :  LA  LIBÉRATRICB. 

1 

Une  Chronique  anonyme  des  ducs  d'Alençon. 

  la  siiilc  de  la  double  (Chronique  de  Perceval  de  Cagny,  André Da- 
chesne  a  transcrit  une  autre  Chronique  des  ducs  d'Alençon,  postérieure 
d'une  quarantaine  d*ann(5e  aux  précédentes,  puisqu'il  y  est  longuement 
question  des  affaires  de  René,  le  fils  et  le  successeur  de  Jean,  le  prince 
préféré  de  la  Pucclle.  Jeanne  aurait  fait  au  beau  duc  des  prédictions  sur 
son  avenir.  C'est  le  motif  qui  fait  insérer  ici  les  lignes  où  le  fait  est  relaté 
par  le  cbroniqueur  anonyme. 

«  11  est  vrai  que  le  roi  Charles,  VII*  de  ce  nom,  étant  spolié  de  son 
royaume,  et  ses  sujets  réduits  à  très  grande  perplexité  et  merveilleuse 
tribulation,  le  bonDieu,  qui  secourt  ses  serviteurs  dans  leurs  besoins,  vou- 
lant donner  remède  et  mettre  fin  à  l'affliction  des  bons  et  loyaux  Français, 
réprouver  et  annihiler  l'orgueil  des  Anglais,  suscita  l'esprit  d'une  jeune 
Pucelle,  âgée  de  dix-huit  à  vingt  ans,  native  de  Domrémy,  duché 
de  Bar,  à  trois  petites  lieues  de  Vaucouleurs.  Dans  tout  son  temps,  elle 
n'avait  fait  autre  métier  que  de  garder  les  brebis  des  champs  ;  elle  vint 
vers  Charles,  roi  de  France,  et  lui  dit  qu'elle  lui  était  envoyée  de  par  Dieu 
pour  Taider  à  conquérir  son  royaume  possédé  par  les  Anglais,  et  que 
s'il  voulait  lui  bailler  charge  d'hommes  d  armes,  elle  le  mènerait  sacrer 
à  Reims  ;  ce  dont  le  roi  et  les  personnes  scientifiques  et  d'entendement 
de  son  entourage  furent  de  prime  facefort  moult  émerveillées  ;  néanmoins 
après  qu'elle  eût  été  interrogée  par  plusieurs  notables  et  sages  personna- 
ges, on  ajouta  foi  à  ses  paroles,  et  il  fut  conclu  qu'elle  était  divinement 
envoyée. 

«  Par  ainsi,  elle  s'adjoignit  à  l'armée  dont  le  duc  d'Alençon  avait  la 
charge  comme  lieutenant-général.  Ce  duc  fut  dénommé  et  appelé  par  elle 
le  Beau  Duc^  et  elle  lui  dit  et  déclara  plusieurs  choses,  qui  du  depuis  lui 
sont  advenues.  »  [11  n'y  a  rien  dans  la  suite  qui  ne  se  trouve  dans 
les  autres  Chroniques.] 

II 

Lettre  des  seigneurs  Guy  et  André  de  Laval. 

Les  instances  de  la  Pucelle  ayant  enfin  déterminé  la  cour  à  tenter 
d'aller  à  Reims  chercher  l'onction  du  sacre,  il  fut  résolu  que,  pendant 
les  préparatifs  du  voyage  l'on  nettoierait  la  Loire,  c'est-à-dire  que  l'on 
chasserait  les  Anglais  de  plusieurs  des  places  qu'ils  occupaient  sur  ses 


CAMPAGNE  DE  LA  LOIRE.  —   LETTRE  DES  SEIGNEURS  DE  LAVAL.  313 

rives,  en  amont  et  en  aval  d'Orléans.  Le  titre  de  généralissime  fut  conféré 
âu  duc  d'Alençon,  mais  avec  Tordre,  auquel  il  fut  fidèle,  de  se  conformer 
2i  la  direction  de  la  Pucelle.  On  fit  un  appel  aux  seigneurs  qui  s'étaient 
dispersés  à  la  suite  de  la  délivrance  d'Orléans  ;  on  convoqua  ceux  qui 
xi'avaient  pas  été  présents.  Si,  comme  le  disent  quelques  Chroniques, 
l'appel  fut  adressé  au  Connétable,  il  n'a  pu  partir  que  du  duc  d'Alençon 
«t  nullement  de  la  cour.  Le  rendez- vous  général  semble  avoir  été  fixé 
dans  les  environs  de  Romorantin  et  à  Orléans. 

La  lettre  suivante,  un  des  documents  les  plus  délicieux  de  l'histoire  de 
la  Pucelle,  va  nous  montrer  l'armée  en  formation,  et  nous  dira  l'impres- 
sion produite  par  la  Céleste  Envoyée.  Elle  est  due  à  deux  jeunes  seigneurs, 
encore  dans  la  fleur  de  leurs  années,  aux  deux  frères  Guy  et  André  de  Laval, 
destinés,  le  plus  jeune  surtout,  à  des  rôles  brillants  dans  la  suite.  André, 
seigneur  de  Lohéac,  occupe  un  rang  des  plus  honorables  dans  les 
Chroniques  du  xv*  siècle. 

Il  avait  été  fait  chevalier  à  la  journée  de  la  Gravelle  en  1423,  h  Tàge 

c)edouze  ans;  il  en  avait  par  suite  dix-huit  en  1429, et  Guy,  son  aîné,  ne 

devait  guère  dépasser  la  vingtaine.  Leur  père  était  Jean  do  Monlfort, 

seigneur  deKergolay.  11  avait  épousé,  en  1401,  Anne  de  Laval,  unique 

liéritière  de  cette  maison,  et  s'était  engagé  à  en  prendre  le  nom  et  les 

ônnes.   Il  était  mort  à  Rhodes  en  141S,  en  revenant  d'un  pèlerinage  à 

''^i^iisalem.   Anne  de  Laval,  restée  veuve   de  bonne  heure,  éleva  vail- 

'^«aament  ses  trois  fils  et  ses  deux  filles,  qui  contractèrent  de  hautes 

^'lîances.  La  lettre  elle-même  nous  diraqueJeanne,  enl429,  étaill'épouse 

^^    Xouis  de  Vendôme,  qui  l'avait  épousée  en  secondes  noces.  Or  c'est  la 

P^^stérité  de  Louis  de  Vendôme  qui  devait  un  jour  occuper  le  trône  de 

**  ■*^nce.  C'est  de  Louis  de  Vendôme  que  descend  la  maison  de  Bourbon, 

^"^  i  arriva  au  trône  avec  Henri  IV. 

t-»8  mère  d'Anne  de  Laval,  la  grand'mère  des  deux  frères,  h  laquelle 
^  lettre  est  aussi  adressée,  était  Tobjet  particulier  des  sympathies  de  la 
ératrice,  comme  le  prouve  le  petit  anneau  d'or  qu'elle  lui  avait  déjà 
"oyé,  ainsi  qu'on  le  verra.  Jeanne  honorait  probablement  en  elle  le 
venir  de  Du  Guesclin.  C'est  qu'en  effet  elle  avait  élé  la  seconde  femme 
héros  mort  sans  postérité.  Veuve  du  grand  Connétable,  elle  avait, 
^c  dispense,  épousé  son  cousin  Guy  de  Laval  K 

Père   Labbe   imprimait  cette   lettre  en  d6ol    dans   son   Abrégé 
f,  et  Denys  Godefroy  la  reproduisait  en  1661,  dans  ses  Historiens 
^^    Charles  VIL  C'est  donc  à  tort  qu'on  attribue  à  ce  dernier  d'avoir  été 
^    l^remier  à  la  publier.  On  la  trouve  dans  de  nombreux  recueils. 

*  -  AitsEuiE,  1. 111,  p.  72. 


314  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARG  :  LA  LIBÉRATRICE. 

«  Mes  très  redoutées  dames  et  mères,  depuis  que  je  vous  écrivis  de 
Sainte-Catherine-de-Fierbois,  vendredi  dernier,  j'arrivai  le  samedi  à  Lo- 
ches, et  j'allai  voir  Monseigneur  le  Dauphin*  au  chastel,  à  Tissue  des 
vêpres  en  Téglise  collégiale.  C'est  un  très  bel  et  gracieux  seigneur,  très 
bien  formé,  bien  agile  et  habile,  de  Tâge  d'environ  sept  ans  ;  et  illec 
{là)  je  vis  ma  cousine  la  dame  de  La  Trémoille  qui  me  fit  très  bonne 
chère*;  et,  comme  on  dit,  elle  n'a  plus  que  deux  mois  à  porter  son 
enfant. 

<c  Le  dimanche  j'arrivai  à  Saint-Agnan  ou  était  le  roi  ;  j'envoyai  quérir  et 
je  fis  venir  dans  mon  logis  le  seigneur  de  Trêves  ;  mon  oncle  s'en  alla 
avec  lui  au  chastel  pour  signifier  au  roi  que  j'étais  venu,  et  pour  savoir 
quand  il  lui  plairait  que  j'allasse  devers  lui;  j'eus  réponse  que  j'y  allasse 
sitôt  qu'il  me  plairait  ;  il  me  fit  très  bonne  chère,  et  médit  moult  de  bonnes 
paroles.  Et  quand  il  allait  par  la  chambre,  ou  parlait  avec  un  autre,  il  se 
retournait  chaque  fois  devers  moi,  pour  me  mettre  en  paroles  sur  quelque 
sujet  :  il  disait  que  j'étais  venu  au  besoin,  sans  mander  et  qu'il  m'en 
savait  meilleur  gré,  et  quand  je  lui  disais  que  je  n'avais  pas  amené  telle 
compagnie  que  je  désirais,  il  répondit  qu'il  suffisait  bien  de  ce  que  j'avais 
amené,  et  que  j'avais  bien  pouvoir  d'en  recouvrer  un  meilleur  nombre. 
Le  sire  de  Trêves  dit  à  sa  maison,  au  seigneur  de  La  Chapelle,  que  le  roi 
et  ceux  de  son  entourage  avaient  été  bien  contents  des  personnes  de  mon 
frère  et  de  moi,  et  que  nous  leur  revenions  bien  ;  il  jura  bien  fort  qu'il 
n'était  pas  mention  que  à  aucun  de  ses  amis  et  de  ses  parents  qu'il  eût, 
il  eût  fait  si  bon  accueil,  ni  si  bonne  chère  ;  et,  comme  il  disait,  il  n'est 
pas  maître  de  faire  bonne  chère,  ni  bon  accueil*. 

Le  lundi,  je  me  partis  avec  le  roi  \  pour  venir  à  Selles-en-Berry,  à  qua- 
tre lieues  de  Saint-Agnan  ;  le  roi  fit  venir  au-devant  de  lui  la  Pucelle,  qui 
était  de  paravant  à  Selles.  Quelques-uns  disaient  que  cela  avait  été  en 
ma  faveur  pour  que  je  la  visse.  Ladite  Pucelle  fit  très  bonne  chère  à 
mon  frère  et  à  moi  ;  elle  était  armée  de  toutes  pièces,  sauf  la  tête,  et  tenait 
la  lance  en  main. 

«  Après  que  nous  fûmes  descendus  à  Selles,  j'allai  la  voir  à  son  logis  ; 
elle  fit  venir  le  vin,  et  médit  qu'elle  m'en  ferait  bientôt  boire  a  Paris.  Cela 
semble  chose  toute  divine,  de  son  fait,  delà  voir  et  de  l'ouïr.  Elle  est  partie 
de  Selles  ce  lundi  aux  vêpres,  pour  aller  à  Romorantin,  à  trois  lieues  en 

1.  C'était  le  futur  Louis  XL 

2.  «  Chère  »    signifie,  dans  la  langue  du  moyen  âge,  tout  ce  qui  constitue  la-^fl 
réception  d*un  nouveau  venu. 

3.  Texte  :  Dont  il  n'est  pas  mestre  de  faire  bonne  chiere,  ne  bon  accueilf  comme  il^ 
disoit, 

4.  Texte  :  Me  party  d*av€c  le  roy.  Le  contexte  indique  que  ce  n'était  pas  une  sépa — 
ration. 


CAIMfillE  m  LA  LOIRE.  —  LETTRE  DES  SEIGNEURS  DE  LAVAL.  315 

allant,  en  avant  et  en  approchant  du  théâtre  des  événements*,  le  maréchal 
de  Boussac  et  grand  nombre  de  gens  armés  et  des  communes  avec  elle. 
Je  la  vis  monter  à  cheval,  armée  tout  à  blanc  ^,  sauf  ]a  tête,  une  petite 
hache  en  sa  main,  sur  un  grand  coursier  noir,  qui  à  Thuis  (/a porte)  de 
son  logis  se  démenait  1res  fort,  et  ne  souffrait  qu'elle  montât.  Et  lors  elle 
dit  :  «  MeiieZ'le  à  la  croix  »  qui  était  devant  Téglise,  auprès,  au  chemin. 
Et  lors  elle  monta  sans  qu'il  se  mût,  comme  s'il  eût  été  lié.  Et  lors  elle 
se  tourna  vers  l'huis  de  l'église,  qui  était  bien  prochain  et  dit  en  bonne 
voix  de  femme*  :  «  Vous^  les  prêtres  et  gens  d'Église,  faites  processions  et 
prières  à  Dieu  !  »  Et  alors  elle  se  retourna  à  son  chemin  en  disant  : 
«  Tirez  avant!  tirez  avant!  »,  son  étendard  ployé  que  portait  un  gracieux 
page«  et  elle  avait  sa  petite  hache  en  la  main.  Un  sien  frère,  qui  est  venu 
depuis  huit  jours,  partait  aussi  avec  elle,  tout  armé  à  blanc. 

ce  Ce  lundi  arriva  à  Selles  Mt)nseigneur  le  duc  d'Alençon,  qui  atrès  grosse 
compagnie,  et  aujourd'hui  je  lui  ai  gagné  à  la  paume  une  convenance  ^ 
Mon  frère  de  Vendôme'  n'est  point  encore  venu  ici.  J'ai  trouvé  ici  l'un  des 
gentilshommes  de  mon  frère  de  Chauvigny*,  parce  qu'il  avait  déjà  ouï  que 
j'étais  arrivé  à  Sainte-Catherine;  il  m'a  dit  qu'il  avait  écrit  aux  nobles 
de  ses  terres  et  qu'il  pense  être  bientôt  par  deçà  ;  il  dit  que  ma  «œur  est 
bien  sa  mie,  et  qu'elle  est  plus  grasse  qu'elle  n'a  accoutumé. 

«  L'on  diticiqueMonseigneur  le  Connétable  vient  avec  six  cents  hommes 
d^armes,  et  quatre  cents  hommes  de  trait,  que  Jean  de  La  Roche  vient 
aussi,  et  que  le  roi  n'eût  de  longtemps^  si  grande  compagnie  que  Ton  en 
espère  ici  ;  ni  oncques  gens  n'allèrent  de  meilleure  volonté  en  besofrae, 
qu'ils  ne  vont  à  celle-ci.  Cejourd*hui  doit  arriver  mon  cousin  de  Itaîi>  ; 
ma  compagnie  croit,  et  quoi  qu'il  arrive,  ce  qu'il  y  a,  est  d^jà  bien 
honnête  et  d'appareil;  le  seigneur  d'Argenton  y  est  l'un  des  prin^ripaux 
gouverneurs,  qui  me  fait  bien  bon  accueil  et  bonne  chère  *, 

«  Mais  de  l'argent,  il  n'y  en  a  à  la  cour  que  si  étroitement^  que  pour  le 
temps  présent,  je  n'en  espère  aucun  secours  ni  soutien^  Pour  ceU,  vontt 

I.  Tel  parait  être  le  sens  du  texte,  qui  est  celui-ci  :  En  alLmi  <tM,4uU  H  t$fff0fKy$ta 
tes  advenues,  U  mareschal  de  Boussac  et  grand  nombre  de  gens  armét  et  /Xe  (a  c//fMM4in/(  /ju^ 
elle. 

t.  «  Armé  à  blanc  »,  en  blanc  se  disait  d'un  guerrier  qui  n'ar«it  mr  k^  ^nt^^  «4M>»/f^ 
espèce  d  ornement  comme  dorure  ou  peinture,   Xoj,  LAOL««it«  aij  tr^X  I;«,av. 

3.  Texte  :  En  assés  voix  dr.  femme.  (Vor.  dans  L%ixn\t  Je*  MtMfâi^Hê^  4Km>^Â. 

4.  Le  mot  «  convenance  »  a  été  appliqué  à  ce  que  noue  uhauu^h»*,  «^j  Ur#f#^V  >*^v 
une  discrétion,  un  enjeu.  ' 

5.  Son  beau-frère. 

6.  Un  autre  beau*frère. 

7.  Texte  :  i^ii^, 

8.  Cela  signifie  probablement  que  le  seîfoeur  4  A/»«it//tt  ^^*ié>%\UAi  S,m*  U« 
Tissaux  qui  venaient  joindre  les  seigneur»  de  Laval, 


316  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC:   LA  LIBÉRATRICE. 

Madame  ma  mère,  qui  avez  mon  sceau,  n'épargnez  point  ma  terre  par 
vente,  ni  par  engagement,  ou  avisez  plus  convenable  affaire,  pour  un  cas 
où  il  faut  sauver  Thonneur  de  nos  personnes,  qui  par  défaut  serait  abaissé, 
ou  môme  en  voie  de  périr  *;  car  si  nous  ne  faisions  ainsi,  vu  qu'il  n'y  a 
point  de  solde,  nous  demeurerions  tout  seuls.  Jusques  ici  notre  fait  a 
encore  été  et  est  en  bon  honneur;  notre  venue  a  été  bien  agréable  au  roi 
et  à  ses  gens,  tous,  et  aussi  aux  autres  seigneurs  qui  viennent  de  toutes 
parts  ;  et  tous  nous  font  meilleure  chère  que  nous  ne  pourrions  vous 
récrire. 

«  La  Pucelle  m'a  dit  en  son  logis,  comme  je  suis  allé  l'y  voir,  que 
trois  jours  avant  mon  arrivée,  elle  avait  envoyé  à  vous,  mon  aïeule,  un 
bien  petit  anneau  d'or,  mais  que  c'était  bien  petite  chose,  et  qu'elle  vous 
eût  volontiers  envoyé  mieux,  considéré  ce  qui  vous  est  dû  *. 

«  Cejourd'huy,  Monseigneur  d'Alençon,  le  bâtard  d'Orléans  et  Gaucourt 
doivent  partir  de  ce  lieu  de  Selles,  et  aller  après  la  Pucelle.  Et  vous  avez 
fait  bailler  je  ne  sais  quelles  lettres  à  mon  cousin  de  La  Trémoille  et  au 
seigneur  de  Trêves,  à  Toccasion  desquelles  le  roi  s'efforce  de  me  vouloir 
retenir  avec  lui,  jusqu'à  ce  que  la  Pucelle  ait  été  devant  les  places  anglai- 
ses des  environs  d'Orléans,  où  l'on  va  mettre  le  siège;  déjà  l'on  s'est 
pourvu  d'artillerie,  et  la  Pucelle  n'a  pas  crainte'  de  n'être  pas  bientôt 
auprès  du  roi,  lequel  dit  que  lorsque  il  prendra  son  chemin  pour  tirer  en 
avant  vers  Reims,  j'irai  avec  lui;  mais  que  Dieu  ne  veuille  pas  qu'il  en 
soit  ainsi,  et  que  je  sois  loin  desdites  places*.  Autant  en  dit  mon  frère, 
et  Monseigneur  d'Alençon.  Combien  serait  abandonné  celui  qui  demeu- 
rerait^! 

«  Je  pensequele  roi  partirad'ici  ce  jeudi  pourètre  plus  près  de  Tarmée; 
et  chaque  jour  gens  viennent  de  toutes  part».  Sitôt  qu'on  aura  besogné 
{fait)  quelque  chose,  je  vous  ferai  savoir  ce  qui  aura  été  exécuté.  L'on 
espère  qu'avant  qu'il  soit  dix  jours,  la  chose  sera  bien  avancée  d'un  côté 
ou  de  l'autre;  mais  tous  ont  si  bonne  espérance  en  Dieu  que  je  crois  qu'il 
nous  aidera. 

«  Mes  très  redoutées  dames  et  mères,  nous  nous  recommandons  à  vous, 


1 .  Texte  :  Ou  advisez  plus  convenable  affaire,  là  où  nos  personnes  sont  à  eslre  sauvées,  ou 
aussi  par  deffault  abbaissées,  et  par  advenlure  en  voie  de  périr.  C'eut  été  un  déshonneur 
pour  les  jeunes  seigneurs  si,  faute  de  solde,  ils  avaient  été  abandonnés  par  leur  com- 
pagnie, qu'ils  ont  dite  déjà  bien  honnête.  Cela  me  semble  déterminer  le  sens  de  nos 
pei'sonncs,  etc. 

2.  Cojmdéré  votre  recommandation  «  Combien  vous  êtes  recommandable  ». 

3.  Et  ne  s'esmaye  point  la  Pucelle, 

4.  Mais  jà  Dieu  ne  veille  que  je  le  face  et  que  je  ne  aille, 

5.  En  entretant  en  dit  mon  frère,  et  comme  Monseigneur  d'Alençon,  ce  que  abandom 
qui  seroit  celuy  qui  demeurei*oit. 


CAMPAGNE  DE  lA  LOIRE.  — -  GUILLAUME  GRUEL.  317 

mon  frère  et  moi,  le  plus  humblement  que  nous  pouvons.  Je  vous  envoie 
des  blancs  signés  de  ma  main,  afin  que  s*il  vous  semble  bon  d'écrire  en 
date  de  cette  présente  aucune  chose  du  contenu  ci-dedans  à  Monseigneur 
le  duc  [de  Bretagne],  vous  lui  en  écriviez;  car  je  ne  lui  écris  pas  à  la 
suite*.  Qu'il  vous  plaise  aussi  nous  écrire  sommairement  de  vos  nou- 
velles ;  et  vous,  Madame  ma  mère,  en  quelle  santé  vous  vous  trouvez 
après  les  médecines  que  vous  avez  prises  ;  car  j'en  suis  à  très  grand 
malaise.  Je  vous  envoie  dessus  ces  présentes,  minute  de  mon  testament 
afin  que  vous,  mes  mères,  m'avertissiez  et  écriviez  parles  prochainement 
venants,  ce  qui  vous  semblera  bon  que  j'y  ajoute;  et  je  pense  encore 
y  ajouter  peut-être  de  moi-même  *  ;  mais  je  n'ai  eu  encore  que  peu  de 
loisir. 

«  Mes  très  redoutées  dames  et  mères,  je  prie  le  benoît  Fils  de  Dieu  qu'il 
vous  donne  bonne  vie  et  longue,  et  nous  nous  recommandons  aussi  tous 
deux  à  notre  frère  Louis',  nous  n'oublions  pas  le  liseur  de  ces  présentes*, 
le  seigneur  du  Boschet  que  nous  saluons,  ainsi  que  notre  cousine  sa  fille, 
ma  cousine  de  La  Chapelle  et  toute  votre  compagnie.  Et  pour  l'accès  et... 
nous  sollicitons  ^  de  la  chevance  au  mieux  que  faire  se  pourra  ;  nous  n'avons 
en  tout  qu'environ  trois  cents  écus  du  poids  de  France. 

«  Fait  à  Selles,  ce  mercredi  huitième  de  Juin. 

«Ce  soir  sont  arrivés  Monseigneur  de  Vendôme,  Monseigneur  de  Boussac 
et  autres  ;  et  La  Hire  s'est  approché  de  l'armée,  et  l'on  besognera  bientôt. 
Dieu  veuille  que  ce  soit  à  notre  désir. 
M  Vos  humbles  fils, 

«  Guy  et  André  de  Laval.  » 


III 

La  Chronique  d'Arthur  de  Richemont,  par  Guillaume  Gruel. 

Guillaume  Gruel  s'attacha  de  bonne  heure  à  la  fortune  d'Arthur  de 
Richemont,  et  le  suivit  dans  la  plupart  de  ses  expéditions.  Serviteur 

1.  Car  je  ne  luy  escripts  oncques  puis, 

2.  Et  y  pense  de  moy  y  adjousler  entre  deux. 

3.  Un  troisième  frère,  plus  tard  gouverneur  de  Champagne. 

4.  Nou$  nous  recommandons  aussi  à  nostre  frère  Loys  ;  et  })our  le  liseur  de  ces  présentes 
yue  nous  saluons,  La,  construclion  de  la  phrase  est  très  irrégulière.  Au  lieu  de  con- 
clure avec  plusieurs  auteurs  que  les  dames  de  Laval  ne  savaient  pas  lire,  n*est-il  pas 
plus  vraisemblable  de  supposer  que,  comme  les  reines  et  les  princesses  de  nos  jours, 
«lies  avaient  un  lecteur  d'office  ?  Une  vue  affaiblie  momentanément  aura  pu  faire 
qu'elles  eussent  besoin  d*un  lecteur  ;  Boschet  est  d'ailleurs  de  la  famille. 

5.  Et  pour  l'accès  et,.,  de  solliciter  de  la  chevance,  il  y  a  une  lacune  dans  le  texte. 


318  LA  YRAIB  JEANiNE  D'ARC  :  U  LIBÉRATRIGB. 

dévoué  il  son  maître,  il  a  voulu  le  glorifier  dans  la  postérité,  el  a  écrit 
son  histoire.  Cette  histoire  maintes  fois  reproduite  n*en  est  pas  pour 
cela  plus  véridique.  C'est,  dit  Quicherat,  une  apologie  plutôt  qu'une 
histoire.  La  partialité  de  Gruel  pour  son  héros  doit  mettre  en  garde 
contre  la  véracité  de  son  témoignage.  Cette  réserve  sera  surtout  de  mise 
en  ce  qui  concerne  les. détails  de  la  première  entrevue  de  Richemont  et  de 
la  Pucelle.  M.  Achille  Levasscur  qui,  en  1890,  a  donné,  sous  le  patronage 
de  la  Société  de  THistoire  de  France,  une  édition  plus  correcte  de  la  Chro- 
nique de  Gruel  ne  parle  pas  autrement  que  le  directeur  de  TÉcole  des 
chartes.  «  Le  récit  de  Gruel,  dit-il,  présente  plusieurs  contradictions  et 
inexactitudes  qui  doivent  nous  mettre  en  garde.  N'est-il  pas  singulier  de 
voir  Jeanne  d'Arc,  qui  engageait  d* abord  ses  hommes  d'armes  à  combattre 
le  Connétable,  se  jeter  à  ses  pieds  dès  qu'ils  sont  en  présence? En  outre, 
Richemont  était-il  bien  alors  dans  une  situation  qui  lui  permit  de  pro- 
noncer les  fières  paroles  que  Gruel  met  dans  sa  bouche?  Est-ce  bien  le 
ton  aveclequel  devait  parler  le  Connétable,  formellement  banni  de  la  cour 
et  désireux  de  rentrer  en  grâce  auprès  du  roi,  sur  lequel  Jeanne  exerçait 
une  influence  quïl  pouvait  utiliser  à  son  profit?  Gruel  semble  avoir  laissé 
libre  carrière  à  son  imagination  pour  donner  quelque  relief  au  rôle  joué 
par  son  maître  dans  celte  entrevue.  Ce  n'est  pas  à  Richemont  qu'il  faut 
attribuer  l'initiative  de  la  marche  sur  les  Anglais  ;  l'honneur  de  la  victoire 
de  Patay  revient  h  Jeanne  d'Arc.  C'est  ainsi  que  le  racontent  les  autres 
chroniqueurs  plus  désintéressés.  A  Montépilloy  Charles  VII  répondit  à 
Bedford  en  lui  offrant  la  bataille...  Jeanne  d'Arc  devait  d'ailleurs  vouloir 
et  voulait  la  réconciliation  de  tous  les  Français*.  » 

Ces  remarques  faites,^ voici,  légèrement  rajeuni,  le  récit  de  Gruel  en  ce 
qui  concerne  Jeanne  d'Arc,  chapitres  XLvm  et  xlix. 

L'an  ci-dessus  (1428  a.  st.),  en  mars,  arriva  la  Pucelle  devers  le  roi;  el 
les  Anglais  prirent  Janville  et  Baugency,  el  Meung-sur-Loire,  et  Jargeau 
et  mirent  des  bastilles  devant  Orléans. 

L'an  mil  CCCCXXIX,  mondit  seigneur  le  Connétable  se  mit  sus  en 
armes  pour  aller  secourir  Orléans;  il  assembla  une  très  belle  et  bonne 
compagnie,  en  laquelle  étaient  Monseigneur  de  Beaumanoir,  Monseigneur 
de  llostrelen  el  toutes  les  garnisons  de  Sablé  et  de  La  Flèche,  de  Durestal 
(aujourd'hui  Durtal)  el  toutes  les  garnisons  de  ces  Basses-Marches,  el 
plusieurs  notables  de  Bretagne,  comme  Robert  de  Montauban,  Messire 
Guillaume  de  Saint-Gilles,  Messire  Alain  de  Fueillée,  Messire  Brangon 
de  Ilcrpagon,  messire  Louis  de  Scorrailles,  ceux  de  sa  maison,  et  grand 

1.  Achille  Levassklu,  Bibliotftèque  de  l'École  des  chartes,  t.  XLVll,  p.  556. 


a»  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARG  :   LA  LIBÉRATRICE. 

Bl  lion  ils  tirèrent  droit  au  siège  ;  ils  ne  lui  baillèrent  pas  de  logis  poui 
.'«cte  anil.  Mondit  seigneur  se  prit  à  faire  le  guet  ;  car  nous  savons  que  lei 
auiireaux  venus  doivent  faire  le  guet\  Ils  firent  le  guet  cette  nuit  devan 
*e  chdteau  ;  et  ce  fut  le  plus  beau  guet  qui  eût  été  fait  en  France,  il  y  i 
bien  longtemps  dans  le  passé.  Et  cette  nuit  fut  faite  la  composition  pai 
Ie!^  uis^égés,  et  ils  se  rendirent  de  bien  matin. 

Le  jour  de  devant,  les  sires  de  Talbot  et  le  sire  de  Scales  et  Fastolf  e1 
aulnes  capitaines  étaient  arrivés  à  Meung-sur-Loire,  dans  le  dessein  de  venii 
combattre  ceux  du  siège  à  Baugency.  Quand  ils  surent  que  Mgr  le  Conné- 
table y  était  venu,  ils  changèrent  de  propos,  et  prirent  conseil  de  s'ei 
iiler.  Et  aussi  on  dit  à  Monseigneur,  sitôt  qu'il  fût  arrivé,  qu'il  fallail 
envoyer  des  cens  au  pont  de  Meung,  qui  tenait  pour  les  Français,  ou 
auirt^meut  quHI  serait  perdu.  Incontinent  il  y  envoya  xx  lances  et  les 
sin?iK*rs  :  Charles  de  la  Ramée  et  Pierre  Dangi  les  y  conduisirent. 

.Vu  matia.  truand  les  Anglais  furent  partis  de  Baugency,  la  Pucelle  et 
:<^uts  '.es  ^et^cneurs  partirent  à  cheval  pour  aller  vers  Meung.  Et  alon 
^  iur«*ut  les  Qouveltes  que  les  Anglais  s'en  allaient,  et  alors  la  Pucelle  e 
^:w  ^'i^nours  commencèrent  à  retourner  à  la  ville,  chacun  à  son  logis. 

INiizs^iut  M^r  de  Rostrelen  qui  s'approcha  de  Mgr  le  Connétable,  Tave  i 
i;  ok  aU      ^  ^  vous  faites  tirer  votre  étendard  en  avant,  tout  le  mon^ 
•  \>ii*s^4ài^ra    >.  Kt  ainsi  il  fut  fait.  La  Pucelle  et  tous  les  autres  vinrô 
^^v^  ot  il  fut  conclu  de  tirer  après  les  Anglais.  Les  mieux  montés  fure 
.^njsÀ  *  avaâU-^arde.  et  des  gens  furent  ordonnés  pour  chevaucher 
.  «AnÉ^iiAàSv  *es  arrêter  et  les  faire  mettre  en  bataille.  Furent  des  premie 
A»«vi*  **  l-'A  IlitVx  IVnenzac,  Giraud  de  La  Paglère,  Amadoc,  Seteve 
^  s.u^KAfci'v^vus  do  bien  à  cheval.  Mgr  le  Connétable,  Mgrd'Alençon 
V.v»:i\  Hj;»  ^ic  LavaU  Mgr  de  Lohéac,  le  maréchal  de  Rays,  le  bâ 

iir*ca»*c^  v,i;u4vv>ari  etçrand  nombre  de  seigneurs  venaient  en  ordonn 
^  ,^%«î  XaIc  lk\iuce.  et  ils  venaient  à  bien  grand  train. 

^^^    ^\v   uviuicrs  eurent  bien  chevauché  environ  cinq  lieue 

..^*^M>t^<«-viV4à;  \  vvnr  les  Anglais,  et  alors  ils  galopèrent  à  grande  c 
i^,«4^c  ;    ^  NUilc  *.   Ils  chevauchèrent  en  telle  manière  que 


w  ^vWv     ."^^^i  ^♦^î^  loisir  de  se  mettre  en  bataille,  et  ils  furent  er 
^     w       .%•    i^  i^aicut  mal  choisi  en  cette  conjoncture'  ;  le  pa; 
^ju     w^   *ivuî  ,uusi  déconfits  à  un  village   en  Beauce  qui 
'^NV^  .^v  -*4wïw4fcev  lÀ  lurent  tués  bien  xxn^  {'2W0)y  ainsi  que 
*         >.  %  ^-^^>4à%VAa(fi^  et  fui  en  la  fin  du  mois  de  mai  *.  Furer 

1^.^:^  .sHi^ï--*»*^  ,-uc^iKii^  uwUoment  à  un  connétable. 
^  ^.^  ^^  ,-^rW|n>"m-  4*^^^^  f'^  <^^  '^  6a/(n7/f  après. 


322  LA  VRAIE  JEANNE  D^ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

archevôque  d'Embrun,  écrivit  la  belle  lettre  citée  dans  la  Pucelle  devant 
r Église  de  son  temps  \  Les  rancunes  de  La  Trémoille  prévalurent  au 
grand  mécontentement  de  la  Pucelle  ;  elle  voyait  ainsi  les  faveurs 
célestes  entravées,  et  elle  devait  sentir  qu'elle  était  elle-même  un  objet 
de  méfiance,  de  la  part  de  ceux  qui,  voulant  à  tout  prix  se  maintenir  au 
pouvoir,  redoutaient  son  influ^'nce. 


IV 

AUTRES    PIÈCES. 

L'admiration  excitée  par  la  délivrance  d'Orléans  fut  portée  au  comble 
par  la  merveilleuse  campagne  de  la  Loire.  Mieux  que  César,  la  jeune 
paysanne  aurait  pu  dire:  Veni^  vidi^  vici.  Venir,  voir  et  vaincre  avaient 
été  pour  elle  chose  simultanée.  Aussi  les  contemporains  couchent-ils,  pour 
ninsi  dire  au  hasard,  sur  leurs  manuscrits,  Texpression  d'enthousiasme 
qui  déborde  de  leurs  cœurs.  En  attendant  bien  d'autres  exemples,  voici 
ce  que  Ton  peut  lire  dans  le  manuscrit  7301,  fonds  français  de  la  Biblio- 
thèque nationale,  grand  in-quarto  de  135  folios.  M.  Paulin  Paris,  qui  a 
signalé  ces  pièces  au  tome  VII,  page  377  de  son  ouvrage  les  A[anuscriis  de 
la  Bibliothèque  du  roi,  pense  que  c'est  sous  l'impression  des  derniers  évé- 
nements que  le  scribe  Kerrymel  a  tracé  les  ligues  suivantes  : 

((  Chose  certaine  est  la  détrousse  des  Anglais,  laquelle  a  été  faite  entre 
Meung  et  Orléans  en  belle  bataille,  et  là  ont  été  morts  ii"v*  (2500)  An- 
glais, et  le  surplus  de  leur  compagnie  sont  pris.  Leurs  capitaines  étaient 
Tallebot,  Fastoc  et  Escalles,  lesquels  ont  été  pris  et  morts.  Les  places  de 
Boygency  et  dudit  Meung  sont  rendus  et  plusieurs  autres  ;  et  sont  les 
besognes  [affaires)  du  roi  en  plus  haut  degré  que  [qu'elles]  ne  furent 
oucques  ;  et  [elles  le]  seront  encore  au  plaisir  de  Notre-Seigneur.  Des 
nouvelles  (rfe)  devers  le  roi  notre  seigneur  [a/mo7icen/]  que  vf  (600)  hommes 
d'armes  anglais  ont  été  tués  dedans  Jargeau.  Le  comte  de  Suffolk  s*est 
rendu  à  la  Pucelle,  agenouillé  ;  La  Poule,  son  frère,  morts  tous  deux;  et 
l'autre  fait  prisonnier.  Beaucoup  il  y  a  de  bonnes  nouvelles  dont  Kolre- 
Seigneur  soit  béni.  » 

On  lit  dans  le  même  manuscrit  le  résumé  de  la  sentence  portée  à  la 
suite  des  examens  de  Poitiers,  sentence  citée  dans  la  Pucelle  devant 
r  Église  de  son  temps^  et  que  nous  avons  trouvée  et  trouverons  encore  dans 
les  chroniqueurs.  On  y  lit  aussi  la  prophétie  de  Merlin  avec  les  vei's  Yirjo 
puellaresy  et  à  la  suite  une  mauvaise  traduction  française. 

1.  La  Pucelle  devant  VÊulise  de  son  iemps,  p.  34. 

2.  Texle  :  assez,  qui  siguiiic  souvent,  à  celte  époque,  très,  fort,  beaucoup. 


CAMPâGNB  de  U  LOIRE.  —  PIÈGES  DIVERSES.  323 

0  

Etait-ce  surexcitation  des  esprits?  Faut-il  y  voir  un  de  ces  signes 
célestes,  si  souvent  mentionnés  dans  Thistoirc,  par  lesquels  le  Maître  des 
événements  provoque  Tattention  des  peuples  ?  Voici  encore  ce  que 
Kerrymel  couche  sur  son  vélin. 

c<  L'on  voit  advenir  de  par  deçà  les  plus  merveilleuses  choses  que  Ton 
vit  jamais,  telles  que  des  hommes  armés  de  toutes  pièces  chevaucher  en 
Tair  sur  un  grand  cheval  hlanc,  et  dessus  les  armures  une  grande  bande 
blanche  *.  Ils  viennent  de  vers  la  mer  d'Espagne,  et  passent  par-dessus 
deux  ou  trois  forteresses  près  de  Talmont,  et  tirent  vers  la  Bretagne. 
Tout  le  pays  de  la  Bretagne  en  est  épouvanté  et  maudit  le  duc  pour  avoir 
fait  le  serment  aux  Anglais.  Ils  disent  qu'ils  connaissent  leur  destruction 
par  lui  [sic).  Le  roi  a  envoyé  devers  l'évêque  de  Luçon  pour  savoir  la 
vérité  de  ces  récits  '.  L'évêque  s'en  est  informé  et  a  trouvé  par  informa- 
tion que  plusieurs  gens  l'ont  vu  en  plusieurs  lieux  dans  son  évèché  ;  et 
ainsi  qu'il  passait  {/e  chetialier  aérien)^  par-dessus  un  chastel  nommé 
Bien,  près  de  Talmont,  les  gens  du  chastel,  quand  ils  le  virent  venir 
crurent  être  tous  perdus  et  foudroyés,  car  il  était  au  milieu  d'un  grand  feu 
qui  ne  touchait  pas  à  lui  de  près  de  deux  brasses  ;  et  il  tenait  en  sa  main 
nue  épée  toute  nue,  et  il  venait  chevauchant  en  l'air  avec  si  grande  impé- 
tuosité ',  qu'il  semblait  que  tout  le  chastel  fût  embrasé,  et  ceux  du  chastel 
commencèrent  à  crier  à  haute  voix,  et  lors  ledit  homme  ainsi  armé  leur 
dit  trois  fois  :  «  Ne  voua  effrayez  pas*!  »  Et  ces  choses  ont  été  affirmées  au 
roi   être  vraies  par  ledit  évêque  de  Luçon  et  par  deux  gentilshommes 
envoyés  devers  le  roi  pour  cette  cause.  Ils  ont  affirmé  l'avoir  vu,  et  plus 
de  deux  cents  personnes  [avec  eux].  Et  tant  d'autres  merveilles  que  c'est 
'Mi  grand  fait.  » 

I^s  lettres  de  Perceval  de  Boulainvilliers  au  duc  de  Milan,  d'Alain 
(ihartier  à  un  prince  inconnu,  ont  été  reproduites  dans  la  Paymmie  et 
^mj^iféc  *.  Elles  ont  été  écrites  à  la  suite  de  la  campagne  de  la  Loire,  et 
trou\r iraient  ici  leur  place,  si  elles  n'avaient  pas  été  déjà  citées. 

''  ^st  intéressant,  croyons-nous,  de  voir  la  suite  des  actes  officiels  par 

^^qv^cls  Charles  VII  a  témoigné  de  sa  foi  en  celle  qui  lui  mettait  miracu- 

'Cus^jjjgQ^  jj^  couronne  au  front,  et  a  proclamé  ses  services  au-dessus  de 

»outo  expression.  Les  voici,  encore  que  ces  pièces  aient  été  contresignées 

"^^  époques  différentes. 


'    l^es  Armagnacs  portaient  une  bande  blanche,  les  Anglais  une  bande  rouge,  les 
J*'*^  uignons  la  croix  de  Saint- André. 
^*€xle  :  de  cette  besogne. 
^^e  f  t  grand  rendon. 
'    -^c  tows  esmayez  I 
•    -ta  Pucelle  et  Vïnspirée,  p.  241  et  suiv.  ;  252  et  suiv. 


32V  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  !  LA  LIBÉRATRICE. 


CHAPITRE  VIII 

LA  LIBÉRATRICE  D'APRÈS  CHARLES  VII. 

Sommaire  :  I.  —  Lkttres  annonçant  les  victoires  remportées  a  la  suite  de  la  Plxellc. 

—  Lettre  aux  liabltanls  de  Narbonne.  —  Le  double  ravitaillement  d'Orléans.  —  Prise 
de  la  bastille  Saint-Loup.  —  Recouvrement  de  Vendôme.  —  Les  espérances  du  roi; 
il  demande  des  prières,  des  actions  de  grâces.  —  Avant  Tenvoi  de  ces  lettres,  une 
suite  de  courriers  annoncent  les  événements  qui  ont  amené  la  délivrance  d'Orléans. 

—  Les  prouesses  et  les  merveilles  de  la  Pucelle  sont,  au  dire  de  tous,  au-dessus  de 
toute  louante.  —  Lettre  au  conseil  delphinaL  —  Les  merveilles  accomplies  le  18  juin 
par  d*Alen<;on  et  les  autres  capitaines  étant  avec  la  Pucelle.  —  Invitation  à  la  joie  et 
à  la  prière.  —  Rcbauteau  annonce  de  Lyon  que  Paris  est  soulevé  contre  TAuglais, 
et  que,  d'a[)rès  Talbot,  tout  est  perdu  en  France  pour  les  envahisseurs.  —  Remarques 
sur  ces  lettres. 

II.  —  Lettres  d'anoblissement  de  Gly  de  Cailli.  —  La  Pucelle  anoblie  dans  la  personne 
de  Guy  de  Cailli  pour  lc([uel  elle  avait  réclamé  cette  faveur.  —  La  copie  de  ces 
lettres  conservée  par  Peircsc.  —  Teneur  :  les  bienfaits  de  Dieu  présents  à  la  mémoire 
de  Charles.  —  Ils  lui  sont  départis  par  Tinlermédiaire  de  la  Pucelle.  —  Les  mérites 
de  la  Vierge  à  son  endroit  sont  inïinis,  et  au-dessus  de  toute  récompense.  —  Les 
faveurs  royales  doivent  s'étendre  sur  ceux  qui  la  secondent.  —  Elle  a  signalé  spé- 
cialement Guy  de  Cailli.  —  Guy  de  Cailli  la  reçue  dans  son  château  de  Reuilly,  lors- 

.  qu'elle  allait  entrer  à  Orléans.  —  11  a  été  favorisé  de  l'apparition  des  anges  qui 
conduisaient  la  Pucelle.  —  Son  honorabilité,  ses  services.  —  Noblesse  accordée  ou 
renouvelée.  —  Divers  privilèges.  —  Concession  d'armoiries  rappelant  Tapparition 
des  anges. 

m.  —  Exemption  d'lmpots  concédée  a  Domrémy  ct  a  Greix.  —  Vicissitudes  du  privilège. 

—  La  Pucelle  demande  et  obtient  exemption  d'impôts  pour  Domrémy  et  Greux.  — 

—  L'original  perdu.  —  Copie  authentique.  —  Sa  teneur.  —  En  1769,  Tintendant  de 
Lorraine,  LaGalissière  fait  l'historique  du  privilège.  — Par  une  anomalie  singulière, 
Domrémy  l'avait  perdu,  lorsque  le  village  avait  été  cédé  au  Barrois,  tandis  que  Greux, 
resté  du  domaine  royal,  en  avait  constamment  joui.  —  Zèle  avec  lequel  les  rois  le 
lui  avaient  maintenu.  —  A  la  réunion  de  la  Lorraine  à  la  France,  Domrémy  demaude 
très  justement  à  être  remis  en  possession  de  la  faveur  royale.  — Absurde  lin  de  non- 
recevoir  du  conseil  royal.  —  A  l'avènement  de  Louis  XVI,  Domrémy  renouvelle  S4 
demande,  Greux  demande  confirmation  du  passé.  —  Dédaigneuse  réponse  et  insou- 
tenables prétextes  allégués  par  d'Ormesson  pour  refuser  la  demande  et  la  coniirmar 
tion.  —  Rien  de  plus  odieux  que  Tanéantissement  du  privilège  dans  pareille  cir- 
constance. —  11  sera  rétabli  quand  la  France  aura  un  gouvernement  aimant  sincère- 
ment la  Pucelle. 

IV.  —  Letpres  d'anoblissement  de  l\  Pucelle  et  de  sa  famille.  —  L'original  en  est 
perdu.  —  Les  diverses  copies.  —  Préférence  donnée  au  texte  de  Hordal.  —  La  In- 
duction de  ce  texte.  —  Fautes  des  copies  de  1562  et  1768.  —  Combien  les  lettres 
d'anoblissement  de  la  Pucelle  et  de  de  Cailli  s*écartcnt  de  la  forme  de  semblables 
pièces.  —  La  substance  de  ces  dernières.  —  La  fin  différente.  —  Ordinairement  la 
noblesse  conférée  à  un  seul  et  à  sa  postérité.  —  Combien  celle  de  la  Pucelle  est 
étendue,  encore  que  les  nouveaux  nobles  n'aient  d'autre  titre  que  celui  de  lui  être 
unis  par  le  sang.  —  Les  femmes  nobles  n'anoblissaient  pas  leurs  enfants,  c'est  le 
contraire  ici.  —  Pour  être  anobli,  il  fallait  être  de  condition  libre;  la  noblesse  est 


U  UBÉRATRICE  D'APRÈS  CHARLES  Vil.  3^ 

concédée  ici,  encore  que  les  nouveaux  nobles  fussent  peut-être  d'une  condition  non 
libre.  —  Remarques  sur  cette  incise.  —  Réfutation  de  ceux  qui  ri>ucî>5ent  de  la 
condition  et  de  la  pauvreté  de  la  Libératrice.  —  Certaines  assertions  burles*ines.  — 
Cest  un  trait  de  ressemblance  de  plus  de  la  Libératrice  de  la  France  avec  le  Libé- 
rateur  du  genre  humain.  —  3!aniéres  différentes  dont  le  nom  du  p^re  de  la  Pucelïe 
se  trouve  écrit.  —  Explications. 

V.  Ë.NLUÈRATIO.X    d'aUTEES  ACTES   DE  CbaELES  VU   E^l    FATECa   DE   Ll   PlŒLLZ. 


I 

Lettres  annonçant  ues  victoires  remportées  a  la  suite  de  la  Plc^lle. 

Le  roi  annonçait  aux  ailles  de  son  parti  les  succès  obtenus  par  ses 
armes.  Il  doit  exister  encore  dans  les  archives  des  villes  bien  des  lettres 
royales  faisant  part  des  victoires  qui  faisaient  sortir  la  France  du 
tombeau.  Écrites  à  la  première  nouvelle  reçue,  elles  pouvaient  parfois 
renfermer  des  inexactitudes. 

On  peut  voir  et  toucher,  aux  archives  de  la  ville  de  Narbonne.  ainsi 
que  nous  Tavons  fait  nous-mêmes,  grâce  à  Tobligeance  du  bibliothécaire, 
H.  Texier,  celle  par  laquelle  Charles  VÎI  annonçait  aux  habitants  de 
Narbonne  la  suite  des  incidents  qui  avaient  amené  la  délivrance  d'Orléans. 
Quicherat  Tédita  le  premier,  sur  les  indications  de  M.  Félix  Ravaisson. 
Il  observe,  d'après  le  contexte  même,  qu*elle  a  d&  être  écrite  du  soir  du 
9  mai  au  matin  du  10,  et  qu'elle  s'étend  au  fur  et  à  mesure  que  les  nou- 
velles arrivaient  à  Chinon.  Voici  cette  lettre,  légèrement  rajeunie  : 

«  De  par  le  roi, 

c<  Chers  et  bien-aimés,  nous  croyons  que  vous  avez  bien  vu  les  conti- 
nuelles diligences  par  nous  faites  de  donner  tous  secours  possibles  à  la 
ville  d*Orléans,  assiégée  depuis  longtemps  par  les  Anglais,  anciens 
ennemis  de  notre  royaume,  et  comment  par  diverses  fois  nous  nous 
sommes  mis  en  devoir  de  le  faire,  ayant  toujours  bonne  espérance  en 
Notre-Seigneur  que  finalement  il  y  étendrait  sa  grâce,  et  ne  permettrait 
pas  une  si  notable  cité  et  un  si  loyal  peuple  périr,  ni  choir  en  la  sujétion 
et  tyrannie  desdits  ennemis.  Et  parce  que  nous  savons  que,  comme 
loyaux  sujets,  vous  ne  pourriez  avoir  meilleure  joie  et  consolation  que 
d*en  voir  annoncer  bonnes  nouvelles,  nous  vous  apprenons  que,  à  la 
merci  de  Notre-Seigneur  dont  tout  procède,  nous  avons  avitaillé  à  puis- 
sance {de  forcé)^  bien  et  grandement  par  deux  fois  en  une  semaine, 
ladite  ville  d*Orléans,  au  vu  et  au  su  des  mêmes  ennemis,  sans  qu'ils 
aient  pu  y  résister. 

«  Et  depuis,  c'est  à  savoir  mercredi  dernier,  nos  gens  envoyés  avec 


326  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

ladit  avilaillcmcnt,  ensemble  ceux  de  la  ville,  ont  assailli  Tune  des  plus 
fortes  bastides  des  ennemis,  c*est  à  savoir  celle  de  Saint-Loup,  laquelle 
Dieu  aidant,  ils  ont  prise  et  gagnée  par  puissance  et  par  un  bel  assaut 
qui  dura  plus  de  quatre  ou  cinq  heures.  Tous  les  Anglais  qui  dedans 
étaient  y  ont  été  morts  et  tués,  sans  que  des  nôtres  il  y  ait  eu  plus  de 
deux  personnes  tuées,  et  encore  que  les  Anglais  des  autres  bastides 
fussent  alors  sortis  pour  la  bataille,  faisant  mine  de  vouloir  combattre, 
toutefois  quand  ils  virent  nos  gens  à  leur  rencontre,  ils  s'en  retournèrent 
hâtivement  sans  oser  les  attendre.  Et  nos  gens  sont  restés  à  ce  poste 
en  espérance  de  faire  de  plus  grandes  choses. 

«  D'autre  part,  nous  venons  présentement  de  recevoir  des  lettres  de  beau 
cousin  de  Vendôme,  par  lesquelles  il  nous  fait  savoir  que  son  castel  du- 
dit  lieu  de  Vendôme,  auquel  par  la  trahison  d'un  valet  de  la  garnison 
les  ennemis  étaient  de  nouveau  entrés,  a  été  prestement  recouvré  par 
nos  gens  qui  étaient  en  celle  ville  et  sur  les  marches. 

«  Toutes  ces  choses  bien  considérées,  nous  avons  bien  confiance  en  la 
miséricorde  de  Notre-Seigneur,  moyennant  aussi  la  bonne  diligence  que 
nous  entendons  faire  à  poursuivre  notre  bonne  fortune,  que  nos  affaires 
viendront  à  bonne  issue.  Ce  que  nous  voulons  bien  vous  communiquer, 
sachant  qu'ainsi  vous  le  voudrez  et  désirez,  vous  priant  et  vous  exhor- 
tant bien  cordialement  qu'en  reconnaissance  de  toutes  ces  choses,  vous 
veuillez  par  notables  processions,  prières  et  oraisons,  bien  louer  et 
regracier  notre  Créateur,  le  requérant  toujours  de  nous  être  en  aide  et 
de  conduire  nos  affaires,  car  en  vos  bonnes  prières  nous  avons  bien  grand 
espoir.  Et  en  ce  faisant  vous  ferez  bien,  et  votre  devoir,  et  nous  vous  en 
saurons  très  bon  gré.  Et  aussi  quand  les  autres  nouvelles  surviendront, 
nous  vous  les  ferons  toujours  savoir. 

«  Depuis  que  ces  lettres  ont  été  faites,  il  nous  est  venu  ici  ua  héraut^ 
environ  une  heure  après  minuit,  qui  nous  a  rapporté  sur  sa  vie  que, 
vendredi  dernier,  nos  gens  passèrent  la  rivière  par  bateaux  à  Orléans,  et 
assiégèrent  du  côté  de  la  Sologne  la  bastide  du  bout  du  pont.  Le  môme 
jour  ils  gagnèrent  le  logis  des  Auguslins,  et  le  samedi  aussi  ils  assail- 
lirent le  demeurant  de  ladite  bastide,  qui  était  le  boulevard  du  pont,  où 
il  y  avait  bien  vi**  {600)  combattants  anglais,  sous  deux  bannières  et 
sous  Tétendard  de  Chandos.  Finalement,  par  grande  prouesse  et  vaillance 
d'armes,  moyennant  toujours  la  grâce  de  Notre-Seigneur,  ils  gagnèrent 
toute  ladite  bastide.  Tous  les  Anglais  qui  y  étaient  ont  été  morts  ou 
pris.  Pour  ce,  plus  que  devant,  vous  devez  louer  et   regracier  notredit 
Créateur,  qui  n'a  pas  voulu  nous  mettye  en  oubli  de  sa  divine  clémence. 
«  Vous  ne  pourriez  assez  honorer  les  vertueux  faits  et  les  choses  mer- 
veilleuses que  ledit  héraut,  qui  a  été  présent  à  tout,  nous  a  rapportés,  et 


LA  LIBftRATRICB  DIAPRÉS  CHARLES  VII.  327 

d'autres  aussi,  de  la  Pucelle,  laquelle  a  toujours   été  en  personne  à 
rexécution  de  toutes  ces  choses  \ 

<«  Et,  depuis  encore,  avant  Tachèvement  de  ces  lettres,  sont  arrivés  devers 
nous  deux  gentilshommes  qui  ont  été  à  la  besogne,  lesquels  certifient  et 
confirment  tout,  quant  à  la  manière,  et  plus  amplement  que  ledit  héraut; 
et  de  ce  ils  nous  ont  apporté  les  lettres  de  la  main  du  sire  de  Gaucourt. 
«  En  outre  nous  eûmes  cedit  soir  certaines  nouvelles  que,  après  que 
nos  gens  eurent  samedi  dernier  pris  et  déconfît  la  bastide  du  bout  du 
pont,  les  Anglais  qui  étaient  demeurés  s'en  sauvèrent  le  lendemain  au 
point  du  jour,  et  ils  délogèrent  si  hâtivement  qu'ils  laissèrent  leurs 
bombardes,  canons,  artillerie  et  la  plupart  de  leurs  vivres  et  bagages. 
«  Donné  à  Chinon  le  x'  jour  de  mai. 

«  Signé  :  Charles. 
«  Contresigné  :  Bude.  » 

Toumay  possède  encore,  comme  Narbonne,  Toriginal  de  la  lettre  par 
laquelle  Charles  VU,  annonçait  aux  consaux  {consuls)  la  délivrance 
d'Orléans.  La  voici,  légèrement  rajeunie*  : 

«  De  par  le  roi.  Chers  et  bien-aimés.  Parce  que  nous  savons  que  plus 
grande  consolation  ne  pouvez  avoir  que  d'ouïr  souvent  du  bien  de  l'état 
et  prospérité  de  nos  affaires,  nous  vous  certifions  qu'après  que,  par  la 
grâce  de  Notre-Seigneur,  nous  eûmes  fait  ravitailler  bien  et  grandement 
la  ville  d*Orléans  ;  ce  qui  fut  vers  le  commencement  du  présent  mois  ; 
nos  gens  qui  firent  ledit  avitaillement,  assaillirent  les  Anglais  étant  en 
une  bastide  appelée  la  bastide  Saint-Loup,  devant  ladite  ville  d'Orléans  ;  iN 
prirent  icelle  d'assaut  et  de  force,  et  furent  tués  tous  les  Anglais  qui 
dedans  étaient.  Et  l'autre  jour  ensuivant,  ils  passèrent  la  rivière  de  Loire 
du  coté  de  la  Sologne;  ils  assaillirent  aussi  certaine  autre  très  fort'.' 
bastide  que  lesdils  Anglais  avaient  faite  au  bout  du  pont  d'icelle  ville: 
et  finalement,  moyennant  la  grâce  et  le  bon  aide  de  Notre-Seigneur,  iK 
la  gagnèrent  comme  l'autre,  et  es  dites  deux  bastides,  il  y  a  eu  de  i^pi 
à  huit  cents  tant  morts  que  prisonniers,  et  presque  tous  sont  rnortn. 
La  nuit  suivante,  le  demeurant  des  Anglais  étant  es  autres  ba.%tide5^ 
désemparèrent  {en  soriireni)  et  s'enfuirent  tous,  abandonnant  leur  artil- 
lerie et  tous  leurs  vivres  et  autres  biens,  et  par  ainsi  le  si^e  fut  levé,  ^r 
layille,  la  merci  Dieu,  est  demeurée  en  sa  franchise  et  liberté. 

1.  «  Et  ne  pourriez  assez  honorer  les  Tertneuz  laits  et  cfacr»e^  tn^rré^lU^*^*.  qiK  M*f 
liéraot  qui  a  été  présent,  nous  a  tout  rapporté,  ei  autres  aa«iî  <i^  U  P  v^l>,  UqtMU. 
a  toujours  été  en  personne  à  rexécution  de  toutes  ces  dK/*<:^.  * 

2.  WA3iiNC5iBMOEK,  ExtrmU  ûmil^tif£ues  dt$  miâeM  rtgUlrei  *U  Vi  xiiU  ^  r^/u/mey,  t,  (^ 
p.  329. 


328  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARG  !  U  LIBÉRATRICE. 

«  Pour  poursuivre  notre  bonne  fortune,  nous  mettrons  sus  toutes  nos 
forces,  en  espérance,  Dieu  devant*,  de  recouvrer  les  passages  qu^occupent 
encore  nos  ennemis,  et  de  faire  au  surplus  ce  que  Dieu  nous  conseillera. 

«  Auxdits  exploits  a  toujours  été  la  Pucelle,  laquelle  est  venue  vers 
nous,  ainsi  que  toutes  ces  choses  pourrez  savoir  plus  à  plein  par  le  por- 
teur de  cette  lettre,  un  clerc  et  serviteur  de  notre  ami  et  féal  conseiller 
et  chambellan,  le  sire  de  Gaucourt. 

«  Donné  en  notre  châtel  de  Loches  le  xxii*  jour  de  mai.  » 

Des  actions  de  grâce,  des  réjouissances  furent  célébrées  pour  la  déli- 
vrance d*Orléans  dans  tous  les  pays  soumis  à  Charles  VU.  Des  proces- 
sions annuelles  furent  établies  dans  plusieurs  villes  pour  perpétuer  le 
souvenir  de  l'événement. 

On  possède  la  lettre  par  laquelle  Charles  VII  annonce  la  victoire  de 
Patay  aux  habitants  de  Grenoble.  En  voici  la  teneur,  telle  qu'elle  est 
donnée  par  le  Bulletin  de  F  Académie  Delphinale*.  Ce  spécimen  pourra 
faire  juger  de  la  difficulté  que  présenteraient  nos  pièces,  si  elles  étaient 
reproduites  sans  rajeunissement  d*aucune  sorte.  La  lettre  par  laquelle 
Rebauteau  annonce  de  Lyon  les  mêmes  événements,  prouve  le  fonds  que 
Ton  faisait  sur  un  soulèvement  de  Paris  contre  les  Anglais. 

Lettre  de  Charles  VII  au  Conseil  delphinal  de  Grenoble 

(En  date  du  19  juin  1429). 

«  A  nos  amés  et  féaux  les  gens  de  notre  Conseil  du  Dauphiné. 

«  De  par  le  roy, 

«  Nos  amez  et  féaulx,  pour  ce  que  nous  savons  que  prynez  plaisir  à 
ouïr  souvent  de  la  prospérité  des  affaires  de  nous  et  de  notre  royaulme, 
nous  vous  signifions  que  hyer  qui  fut  sabmedy  xviii*  jour  de  ce  moys» 
beau  nepveu  d'Alantzon,  et  autres  seigneurs  et  cappitaines  estant  avegoo& 
LA  Pucelle  à  siège  devant  la  tour,  pont  et  forteresse  de  Beaugency» 
receurent  à  mercy  et  laissièrent  partir  de  là  nos  ennemys  estant  céans  eiL 
garnison,   qui   estoient  au   nombre  de  cinq    à   six  cens    combattants. 
Talabot,  Fastol,  le  sire  d'Escalles,  le  fils  du  comte  de  Ungrefort  et  autre» 
cappitaines  de  nos  dicts  ennemis  estant  à  Meung  sur  Loire  près  dudictliea 
de  Beaugoncy,  oyans  ces  nouvelles  de  composition,  lesquielx  avoient 
avccques  eulx   autres  trois  mille  combatans  ou  environ,  et  s'estoient 
illec  assemblez  pour  grever  notre  houst  [armée\  laissièrent  et  abandon- 
nèrent les  villes  et  chastel  et  se  mirent  en  chemin  pour  eulx  saubver. 

i.  Dieu  nous  précédant. 

2.  liulL  de  rAcadémis  Dclphinale,  1847,  t.  II,  p.  469  [Des  archives  de  Vévéchè  de  Grenoble). 


LA  LIBÉRATRICE  DIAPRÉS  CHARLES  V]I.  329 

Leur  parlement  vient  à  la  cognoyssance  de  nos  gens  ;  ils  les  poursui- 
virent bien  chaudement  en  celle   manière  que  IcsJilz  Anglois  fuyans 
furent  tous  mors  et  déconiiz  ou  prins  jusqucs  au  nombre  de  deux  à 
trois  mille  combatans,  et  sont  prisonniers  lesditz  Talabot,  Faslol,  de 
iDgrefort,  Dcscalles  et  autres  cappitaines  et  nobles  d'entre  eulx. 
«<  Ces  chouses  vous  escrions  pour  vous  resjouir  et  aussi  affin  que  pareille- 
ment les  notifiez  et  faictes  savoir  aux  gens  de  TEsglise,  nobles  et  autres  de 
noslro  pays  du  Dauphiné,  en  les  exhortans  de  faire  des  prières,  proces- 
sions et  oraisons  envers  Dieu  afin  qu'il  lui  pleyse  relaxer  sa  maind'ulcion 
et    JTclcver  nostre  peuple  de  la  misère  et  captivité  que  longuement  il  a 
souiffert,  et  que  le  puyssions  sous  la    meyn  de  sa  besnigne  clémence 
oînlenir  et  gouverner  en  bonne  paix,  union,  justice  et  tranquillité. 
«  Donné  à  Sucylly  le  xix*  jour  de  juing. 

<(  Charles.  » 

Lettre  de  Rebauteau,  magistrat  de  Lyon  sur  le  même  sujet. 

«  Â  Messieurs  du  Conseil  du  Roi-Daulphin,  à  Grenoble. 

Messieurs,  je  me  recommande  à  vous  tant  que  je  puis. 

Le  roi  vous  escrit  par  le  porteur  de  ces  présentes  la  bonne  fortune 

^'^e  Dieu  lui  a  envoyée  et  la  grante  grâce  qu'il  a  faite  à  luy  et  à  toute 

seigneurie.  Entre  autres  choses  que  Ton  m'a  escript  de  par  delà,  on 

^  escript  de  la  rébellion  de  la  ville  de  Paris  que  Ton  croit  ôtre  de  cette 

*^^Hre  contre  les  Anglois,  et  quand  Talebot  fut  pris  il  dist  que  de  cette 

^^Urele  roy  estoit  le  maistre  du  tout,  et  qu'il  n'y  avoit  plus  de  remède, 

^t    croy  qu'il  dit  vray,   la  mercy  Dieu.  Quand  nos  gens    assemblèrent 

^Vecqueles  Anglois,  Ton  m'escript  qu'ils  n'estoicnt  pas  plus  de  cent  à  six 

Vingt,  mes  si  tut  qu'ilz  virent  la  Compagnie  approcher,  ils  se  mirent  à  fuire 

^n  désarroy  et  furent  tous  mors  et  prins. 

«  Escript  à  Lyon  le  xxvu*  jour  de  juing. 
«  Le  porteur  de  cest  présente  dist  que  ceux  de  Paris  sont  en  deroy  et 
^ue  en  ont  mis  ours  tous  les  Anglois  et  ce  y  ont  escript  ou  roy. 

«  Le  tout  vostre,  Rebauteau*.  m 

Diaprés  la  lettre  du  roi,  aucun  Anglais  n'aurait  échappé  de  Patay,  et 
l^iklof  lui-même  aurait  été  pris,  ce  qui  est  inexact. 

Le  billet  de  Rebauteau  est  fort  remarquable  en  ce  qu'il  suppose  que 
lansa  chassé  les  Anglais.  La  capitale  fut,  il  est  vrai,  consternée  ;  mais 
*®  parti  national  n'était  pas  assez  fort  pour  opérer  cette  révolution.  Elle 

^'^ullde  r Académie  Delphinale,  1847, 1.  Il,  p.  439  {Des  archives  de  Vévéché  de  Grenoble). 


330  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICB.  • 

aurait  pu  avoir  lieu,  si,  au  grand  mécontentement  de  la  Pucelle,  Ton 
n'avait  pas  tergiversé  à  la  cour,  et  hésité  à  poursuivre  la  victoire. 

La  parole  de  Talbot  est  fort  remarquable.  Il  ne  fait  que  ratifier  ce  que 
promettait  la  Pucolle,  et  ce  que  Ton  aurait  certainement  obtenu,  si  Ton 
s'était  conformé  à  ses  inspirations. 

A  remarquer  l'expression  que  le  duc  d'Alençon  et  les  autres  capitaines 
sont  avec  la  Pucelle.  Elle  est,  par  suite,  le  centre  autour  duquel  les  autres 
se  groupent. 

II 

Lettres  d'anoblissement  de  Gut  de  Gailli. 

Avant  d'être  personnellement  anoblie,  la  Pucelle  le  fut  dans  la  pe^ 
sonne  de  Guy  de  Gailli,  pour  lequel  elle  avait  sollicité  cet  honneur.  Les 
mérites  de  la  Libératrice  y  sont  exaltés  en  termes  qui  ne  sont  pas  su> 
passés  dans  les  lettres  qui  lui  confèrent  la  noblesse  à  elle-même  et  à  sa 
famille. 

Guy   de   Gailli  était  possesseur  du  château   de  Reuilly,  à  près  de 
deux  kilomètres  de  Ghécy,  lorsque  Jeanne,  venant  pour  la  première  fois 
à  Orléans,  passa  la  Loire  en  face  de  cette  bourgade.  L'Envoyée  du  Ciel 
fut  reçue  à  Reuilly;  et  l'heureux  de  Gailli  s'attacha  aux  pas  de  celle  qui 
lui  avait  fait  cet  honneur.  La  pièce  suivante  nous  dira  qu'en  considération 
de  Jeanne,  les  anges  voulurent  bien  se  manifester  visiblement  au  dévoué 
chevalier.  Notre  mémoire  nous  atteste  qu'en  un  volume  qu'elle  se  refuse 
de  nous  indiquer,  nous  avons  vu  que  Guy  de  Gailli  accompagna  Jeanne -i 
lorsque,  avant  le  suprême  assaut  des  Tourelles,  elle  se  retira  à  l'écart  pou-*" 
prier.  Ge  serait  en  cette  occasion  qu'il  aurait  été  favorisé  de  la  vuede^^ 
anges. 

Ges  lettres  sont  données  en  juin  à  Sully.  La  date  du  jour  n'est  p^-- 
indiquée  ;  il  en  est  ainsi  dans  d'autres  pièces  de  cette  nature.  Gomme  To:* 
n'y  parle  que  de  la  levée  du  siège  d'Orléans,  il  est  vraisemblable  qii^ 
Ton  n'avait  pas  encore  vu  les  merveilles  de  la  journée  de  Patay. 

La  conservation  de  ce  document  est  due  au  célèbre  érudit  provenç^-J 
Nicolas-Glaude  de  Peiresc,  à  qui  Aix  élevait  récemment  une  statue  bie^ 
méritée.  L'évêque  deGarpentras,  Inguimbert,  acheta  la  bibliothèque  et  1^^ 
manuscrits  de  Peiresc.  Ils  tout  aujourd'hui  l'ornement  et  la  gloire  del^ 
bibliothèque  de  sa  ville  épiscopale.  La  présente  lettre  se  lit  au  registre  ^  » 
avec  d'autres  pièces  sur  Jeanne  d'Arc.  Quelques-unes  trouveront  peu.  *' 
être  place  dans  la  suite  de  cette  publication.  Quicherat  a  inséré  ces  lettre- 
au  tome  V  de  sa  Gollection,  sur  la  copie  envoyée  par  le  bibliothécaire  ^^ 
Garpentras.  La  traduction  suivante  a  été  faite  sur  le  texte  de  Quichera»^ 


LA  LIBÉRATRICE  D*APRÉS  CHARLES  VII.  331 

€  Charles,  roi  des  Français,  pour  perpétuelle  mémoire. 

«  Nous  aimons  à  mettre  sous  nos  yeux  l'immensité  des  bienfaits  dont 
le  Ciel  nous  comble  dans  nos  expéditions  contre  nos  mortels  ennemis, 
et  avant  tout  la  faveur  capitale  par  laquelle,  alors  que  nos  affaires  allaient 
toujours  en  déclinant,  le  siège  d'Orléans  a  été  si  heureusement  repoussé. 

f<  Cette  faveur  nous  a  été  principalement  départie  sous  les  auspices,  par 
rheureuse  arrivée,  sous  la  conduite  de  Tillustre  Pucelle,  de  Jeanne  d'Arc 
de  Domrémy,  dont  les  mérites  à  notre  endroit  sont  infinis.  Il  n'est  que 
juste  de  dire  qu'en  pénétrant  dans  cette  ville  pour  la  défendre  et  en 
repousser  nos  ennemis,  les  Anglais,  la  Pucelle  nous  a  donné  un  présage 
et  un  gage  que  nous  pourrions  facillement  recouvrer  les  autres  villes  et 
cités.  Aussi  entourer  d*une  faveur  singulière  ladite  Jeanne*  alors  que 
nos  récompenses  ne  sauraient  égaler  la  grandeur  de  ses  services,  ce 
n'est  pas  assez;  nous  devons  étendre  cette  faveur  aux  guerriers  illustrés 
par  une  longue  profession  des  armes  qui,  pour  la  levée  d'un  siège  si 
mémorable,  se  sont  empressés  de  la  seconder  ;  dont  elle  a  plus  utilisé  les 
travaux  et  Tardeur  dans  les  divers  combats  autour  do  ladite  ville  et  dans 
les  expéditions  qui  ont  suivi  depuis. 

«  Parmi  ces  guerriers,  notre  bien-aimée  Jeanne  de  Domrémy  nous  a 
principalement  recommandé,  pour  son  extrême  diligence  et  sa  fidélité  à 
combattre  à  ses  côtés,  Guy  de  Cailli,  homme  des  plus  honorables  par 
rhonnèteté  de  sa  vie,  citoyen  notable  et  de  talent  dans  la  cité  d'Orléans, 
livré  à  toutes  les  occupations  des  nobles  hommes.  Aussi  désirons-nous  le 
.  décorer  d'insignes  d'honneur  qui  soient  pour  sa  personne  et  sa  postérité 
ua  perpétuel  accroissement  de  rang. 

«  Nous  portons  donc  à  la  connaissance  de  tous  présents  et  à  venir,  que, 
dûment  informés  des  beaux  services  du  même  Guy  de  Cailli,  sachant 
comment  il  a  secondé  de  tout  son  pouvoir  les  bonnes  dispositions  de  la 
naême  Jeanne  à  notre  endroit,  comment  il  Ta  reçue  dans  son  château  de 
Reuilly,  près  de  Chécy,  lorsque  pour  la  première  fois  elle  approchait 
d'Orléans,  à  la  suite  de  divines  apparitions  des  anges  qui  l'y  invitaient, 
^^leste  faveur  dont  le  même  Guy  de  Cailli  a  été  rendu  pai'ticipant,  ainsi 
^Ue  noué  en  avons  été  pleinement  informé  par  Jeanne  elle-même*; 

L  Aurelianensis  obsidionis  felicissiina  repulsio,  quai  polissimum  peracla  est  sub 
^^spiciis  et  felici  adventu  et  conductu  inclytae  Puellœ,  ac  de  nobis  in  infinitum  meriloî 
^laoïiae  d^Arc  de  Dompremigio,  ila  ul  merito  die!  possit  adilum  et  ingressum  dictœ 
^^ell»  inistam  civitalem  ad  eam  defendendam  et  arcendos  inde  diclos  hostes  Anglicos, 
^obis  faciliorem  aditum  ad  alias  ci  vitales  et  urbes  nostras  recuperandas  promittere  et 
Ptcnuntiare  :  id  circo  singulari  favore  prosequentes  non  solum  dictam  Johannam 
^^JU8  reraunerationi  satis  contribuere  non  possumus,  sed  etiam  viros  bellicosos,  etc. 

2.  Certiores  facti...  quantum  omni  sua  potestate  bonam  erga  nos  praMnemoratac 
^Qhannœ  voluntalem  secundaverit,  eam   in  arce  Rulliaca  prope   Checiacuni  exci- 


U  LIBÉRATRICE  D'aPRËS  CHARLES  VII.  333 

«  C*est  pourquoi  que  nos  amés  et  féaux,  les  gens  de  nos  comptes,  nos 
conseillers  généraux  sur  le  fait  et  gouvernement  de  toutes  nos  finances, 
notre  bailli  d*Orléans,  nos  autres  justiciers  et  officiers  ou  leurs  lieute- 
nants, présents  et  futurs,  et  que  chacun  d'entre  eux,  selon  qu'il  lui  appar- 
tiendra, veille  à  Texécution  du  mandement  donné  par  les  présentes,  à 
savoir  qu'à  perpétuité  ils  fassent  et  laissent  jouir  paisiblement  ledit 
Guy  de  Cailli,  ladite  postérité  née  et  à  naître,  de  notre  présente  faveur, 
anoblissement,  donation,  quittance  et  concession  ;  qu'ils  ne  les  empochent 
et  molestent  en  rien  contre  la  teneur  des  présentes,  et  qu'ils  ne  souffrent 
pas  qu'ils  soient  à  ce  sujet  empfichés  ou  molestés  par  qui  que  ce  soit. 

«  Pour  donner  perpétuelle  force  aux  présentes,  nous  y  avons  apposé,  en 
Tabsence  du  grand  sceau,  notre  sceau  personnel,  réserve  faite  en  toutes 
autres  choses  de  nos  droits,  et  en  toutes  choses  du  droit  d'autrui. 

«  Donné  à  Sully,  au  mois  de  juin  de  Tan  du  Seigneur  M('CCCXXIX, 
de  notre  règne  le  septième.  » 

Et  sur  le  repli  est  écrit  :  «  Par  le  roi,  présent  l'évoque  de  Séez,  et  signé  : 
LspiCARD.  Et  sont  scellées  du  grand  sceau  de  cire  verte  en  lacs  de  soye 
rouge  et  verte,  à  double  queue.  » 

U  est  inutile  de  relever  ici  les  expressions  par  lesquelles  Charles  VII 

proclame  ce  qu'il  doit  à  Jeanne  d'Arc.  Les  mérites  de  Jeanne  envers  lui 

sont  infinis,  pas  de  récompense  humaine  qui  soit  à  leur  hauteur;  en 

délivrant  Orléans  Jeanne  donne  un  gage  que  Tennemi  sera  chassé  des 

places  et  des  villes  qu'il  occupe. 

Que  de  Cailli  ait  été  favorisé  une  fois  de  l'apparition  des  anges,  c'est 
Jeanne  qui  l'assure.  Cette  assertion  si  formelle  rend  plus  croyable  l'as- 
^rtion  par  laquelle  elle  affirmait  à  Rouen  que  le  roi  aussi  avait  été 
favorisé  de  révélations. 

III 

Exemptions  d'impôts  pour  les  habitants  de  Domrémy  et  de  Gueux. 

Historique  du  privilège. 

Celle  qui  avait  pour  mission  de  venir  au  secours  des  malheureux  et 

^  ^ut  jamais  le  courage  de  les  écarter  de  sa  personne,  songea  après  le 

^^cre  de  Reims  à  ses  compatriotes,  les  villageois  de  Domrémy  et  de  Greux. 

t-Me  avait  laissé  son  père  à  Reims  à  l'hôtel  de  l'Ane  rayé  ;   à  Châlons 

«Ile  avait  accueilli  une  députation  de  ces  bons  paysans  qui,  il  y  a  moins 

^un  an,  ne  la  connaissaient   que   sous   le   nom    de  Jeannette,    et  la 

revoyaient  la  plus  glorieuse  des  femmes  de  notre  histoire.  Elle  demanda 


394  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

totale  exemption  d'impôts  pour  Domrémy  et  Greux,  deux  sections  d'une 
seule  et  même  paroisse  S  qui  était  la  sienne.  C'était  demander  que  dans 
la  France  entière  Ton  ne  prélevât  que  les  impôts  nécessaires.  La  raison 
et  le  droit  chrétien  en  font  aux  gouvernants  un  devoir  strict  qu'ils  ne 
peuvent  violer  sans  mériter  les  qualifications  qui  mènent  les  particuliers 
au  bagne. 

Sa  demande  fut  écoutée.  A  la  date  du  31  juillet  4429,  Charles  VII 
exemptait  à  perpétuité  de  tout  impôt  les  villages  de  Domrémy  et  de 
Greux.  D'après  Charles  du  Lys,  que  sa  charge  d'avocat  général  à  la  cour 
des  aides  mettait  en  état  de  connaître  les  pièces  officielles  plus  que  les 
généalogies  non  écrites  des  descendants  de  Jeanne  d'Arc,  d*après  Charles 
du  Lys.  les  villageois  de  Domrémy  et  Greux,  molestés  dans  Tusago  de 
leur  privilège,  en  obtinrent  la  confirmation  le  6  février  1459,  de  celui-là 
môme  qui  Tavait  octroyé.  «  Dans  les  registres  de  la  cour  des  comptes, 
écrit-il  encore,  ces  deux  villages  sont  tirés  à  néant  avec  cette  mention  : 
Pour  cause  dé  la  Pticelle^  et  sur  les  registres  des  tailles  pour  Domrémy  et 
Greux,  on  lit  :  Néants  la  Pucelle  *. 

L'original  de  la  charte  concédant  le  privilège  n'existe  plus  ;  mais  il 
devait  exister  en  1769,  puisque  la  copie  suivante  porte  toutes  les  marques 
d'authenticité  qu'on  peut  désirer  dans  une  transcription  officielle.  Voici 
cette  copie  tirée  des  Archives  nationales  [Sect.  domaniale  H^  45359)j 
ainsi  que  les  intéressantes  pièces  qui  vont  suivre.  Les  vicissitudes  d'un 
privilège  si  bien  justifié  méritent  d'ôtre  racontées. 

Lettres  patentes  de  Charles  VII  qui  exemptent  (f  impôts  les  habitants 

de  Domrémy  et  de  Greux. 

31  juillet  1429. 

«  Charles,  par  la  grâce  de  Dieu,  roi  de  France.  Au  bailly  de  Chaumont, 
aux  cslus  et  commissaires  commis  et  à  commettre  à  mettre  sus 
et  imposer  les  aides,  tailles,  subsides  et  subventions  audit  bailliaigc,  et  à 
tous  nos  autres  justiciers  et  officiers,  ou  à  leurs  lieutenants,  Salut  et 
diicction.  Savoir  vous  faisons  que,  en  faveur  et  à  la  requeste  de  nostre 
bien  aimée  Jchanncla  Pucelle,  et  pour  les  grands,  haults,  notables  et  pro- 
fitables services  qu'elle  nous  a  faits  et  fait  chaque  jour  au  recouvrement 
de  notre  seigneurie,  Nous  avons  octroyé  et  octroyons  de  grâce  spéciale, 
par  ces  présentes,  aux  manans  et  habitans  des  villes  et  villaiges  de 
Greux  et  Domrémy,  audit  bailliaigc  de  Chaumont-en-Bassigny,  dont  ladicte 

1.  A  cette  époque,  et  longtemps  dans  la  suite,  le  mot  paroisse  était  rexpression 
usitée.  La  commune  n*existait  que  dans  les  villes. 

2.  Traité  sommaire  du  nom,  des  armes,  etc.,  de  la  Pucelle,  Paris,  1633,  dans  TéditioD 
vue  à  la  Bibliothèque  nationale,  p.  4s>. 


i 


LA  UB&RATRICE  D*APRËS  CHARLES  VU.  335 

Jebanne  est  native,  qu'ils  soient  dorénavant  francs,  quittes  et  exemps  de 
toutes  tailles,  aides,  subsides  et  subventions  mises  et  à  mettre  audict 
bailliaige.  Sy  vous  mandons  et  enjoignons  et  à  chascun  de  vous,  si  comme 
à  Tun  qu'il  appartiendra,  que,  de  notre  présente  grâce,  affranchissement, 
quittance  et  exemption  vous  faittes,  souffrez,  et  laissez  lesdicts  manans  et 
habitants  jouir  et  user  pleinement,  sans  leur  mettre  ou  donner,  ne  souffrir 
être  mis  ou  donnés  aucun  détourbier  ou  empeschemens  au  contraire,  lors 
ne  pour  le  temps  advenir;  et  en  cas  que  lesdicts  manans  soient  ou  seroient 
assis  et  imposés  es  dictes  tailles  et  aides,  nous  voulons  que  chascun  de 
vous  les  en  droit  soi  les  en  faites  tenir  quittes  et  paisibles.  Car  ainsi 
nous  plaist  et  voulons  estre  faict,  nonobstant  quelconques  ordonnances, 
restrictions  ou  défenses  et  mandemens  à  ce  contraires. 

<f  Donnez  à  Ghinon,  le  dernier  jour  de  juillet  Tan  de  grâce  mil  quatre 
cens  vingt-neuf  et  de  notre  règne  le  septième. 
<(  Par  le  roi  en  son  conseil, 

«  BUDE.   » 

La  pièce  H  porte  «  Données  à  Ghinon,  etc.  »  ;  cependant  il  est  très  certain 
que  le  roi  était  alors  à  Ghâteau-Thierry.  Gharles  du  Lys  a  visé  deux  fois 
ce  même  acte  avec  la  rubrique  «  Gliâteau-Thierry  ». 

Cette  pièce  est  suivie  d*une  note  «  dont  voici  quelques  lignes  :  Pour 
copie  coUationnée  sur  lesdittes  lettres  patentes  à  nous  représentées  sur 
parchemin  par  les  habitans  et  communauté  dudit  Greux,  dépositaires 
d'icelles  ainsy  que  de  différentes  lettres  patentes  confirmatives  des  mômes 
pri vilègeSy . . .  ladite  collation  faicte  à  la  requette  et  diligence  des  maire, 
sindic,  habitans  et  communauté  de  Domrémy-la-Pucelle.  »  Le  notaire 
royal  Vivenot  signait  cette  pièce  le  8  novembre  1769,  et,  le  10  novembre, 
sa  signature  était  légalisé  à  Vaucouleurs  par  le  contrôleur  Fyot,  et  par 
le  vice-délégué  de  l'intendant  de  Champagne,  Duparge. 

Ce  qui  motivait  de  la  part  des  habitants  de  Domrémy  la  demande  de 
celte  copie  authentique,  c'est  que,  par  une  anomalie  étrange,  ils  étaient 
privés  depuis  deux  siècles  du  bénéfice  de  leur  privilège,  tandis  que  les 
habitants  de  Greux  n'avaient  cessé  d'en  jouir.  11  s'est  trouvé  deux  rois  de 
France  qui  ont  eu  le  sens  assez  perverti  pour  aliéner  la  maison  de  la 
Pacelle.  L-n  vrai  Français  aurait  plutôt  souffert  Taliénation  du  Louvre.  En 
Posant  en  d'autres  mains,  le  joyau  perdit  le  privilège  qu'il  conférait  à 
^^qui  dormaient  à  son  ombre  ;  mais  avec  le  retour  de  la  Lorraine  à  la 
France,  il  redevenait  français,  et  les  habitants  de  Domrémy  réclamèrent  le 
'ôiéfice  des  lettres  de  Gharles  VIL  L'intendant  général  de  la  Lorraine  eut 
Thonneur  d'appuyer  leurs  réclamations  par  la  lettre  suivante,  adressée  à 
d'Ormesson.  Comme  elle  fait  l'historique  du  privilège,  la  voici  tout  entière  : 


336  LA  VRAIB  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

«  Monsieur,  j'ai  examiné  la  requête  présentée  au  conseil  par  les  habitans 
de  Domrémy,  que  vous  aviez  d'abord  communiquée  à  M.  d'Orfeuil  '  par 
votre  lettre  du  24  décembre  1769  et  qui  m'a  ensuite  été  renvoyée  par  lui, 
parce  que  la  communauté  de  Domrémy  est  de  mon  département.  Il  résulte 
des  éclaircissemens  que  je  me  suis  procurés  sur  cette  affaire  que 
CharlesVII,  voulant  reconnoître  les  services  importants  que  Jeanne  d'Arc, 
connue  sous  le    nom  de  la  Pucelle  d'Orléans,  avoit  rendus  à    l'Etat, 

ACCORDA,   A  LA  PHIÈRE  DE  CETTE  FILLE  CÉLÈBRE,  aUX  vilIagCS  de  GrCUX  et  Dom- 

rémy  l'exemption  de  toutes  tailles,  aides,  subsides  et  subventions  qui 
pourroient  être  imposées  à  l'avenir  dans  le  bailuage  de  Bassigny  dont  ces 
DEUX  VILLAGES  DÉPENDOiENT  ALORS.  Lcs  Icttrcs  patcutcs  qui  Contiennent  cette 
exemption  sont  du  dernier  juillet  1429. 

('  La  paroisse  deGreux  comprend  deux  villages,  celui  de  Greux  et  celui 
de  Domrémy,  qui  dépendoient  tous  deux  alors  de  la  province  de  Cham- 
pagne. Jeanne  d'Arc  est  née  dans  celui  Domrémy;  ainsi  le  privilège 
accordé  par  Charles  VII  regarde  principalement  ce  dernier  village,  et  n'a 
été  étendu  à  celui  de  Greux  que  parce  qu'il  faisoit  partie  de  la  paroisse 
qui  avoit  donné  naissance  à  cette  fille  illustre  :  le  village  de  Greux  n'ayant 
point  changé  de  domination  n'a  jamais  éprouvé  d'interruption  dans  son 
privilège,  qui  a  été  confirmé  successivement  par  tous  les  rois  à  leur  avè- 
nement au  trône. 

«  Le  village  de  Domrémy,  à  qui  ce  privilège  étoit  commun,  a  cessé  aa 
contraire  d'en  jouir  depuis  près  de  deux  siècles,  parce  qu'il  a  été  démem- 
bré de  la  province  de  Champagne,  pour  passer  sous  la  domination  des 
ducs  de  Lorraine  en  leur  qualité  de  ducs  de  Bar. 

((  Les  difficultés  qu'avoit  fait  naître  en  différentes  circonstances  la  sou- 
veraineté des  ducs  de  Lorraine  sur  le  Barrois  furent  réglées  par  un  con- 
cordat passé  le  25  janvier  1371  entre  le  roi  Charles  IX  et  le  duc  de  Lor- 
raine Charles  III.  Il  survint  dans  la  suite  de  nouvelles  difficultés,  et  il 
restoil  d'ailleurs  beaucoup  de  confusion  dans  les  limites  de  la  Champagne 
et  du  Barrois.  Le  roi  Henri  III,  qui  avait  succédé  à  Charles  IX,  et  le  duc 
Charles,  commencèrent  par  faire  régler  définitivement  les  limites  de  ces 
deux  provinces,  et  pour  achever  de  terminer  les  autres  difficultés  qui 
s'étoicnt  élevées,  Uenri  111  donna  le  8  août  1375  une  déclaration  par 
laquelle,  en  confirmant  et  expliquant  le  traité  de  1571,  il  conserva  au  duc 
de  Lorraine  tous  les  droits  de  régale  et  de  souveraineté  sur  le  Barrois,  et 
en  particulier  celui  d'établir  dans  cette  province  toutes  tailles,  aides  et 
subsides. 

«  Ce  règlement  de  limites  ayant  fait  passer  le  village  de  Domrémy  sous 

1.  Inleridant  géiiérui  de  Champagne,  dont  Greux  relevait. 


LA  LIBÉRATRICE  D'APRÈS  CHARLES  VII.  337 

la  domination  des  ducs  de  Lorraine,  il  n'est  point  surprenant  que  les  habi- 
tants de  ce  lieu  aient  cessé  de  jouir  du  privilège  qui  leur  avoit  été  accordé. 
Les  services  importans  que  Jeanne  dWrc  avoit  rendus  au  roïaume  dans 
le  tems  où  il  étoit  en  proie  aux  Anglois,  avoient  déterminé  Charles  Vil 
à  ne  pas  se  contenter  d'accorder  à  la  famille  de  cette  fille  célèbre  les 
distinctions  les  plus  honorables.  Pour  conserver  davantage  le  souvenir 
des  services  qu'elle  lui  avoit  rendus,  il  voulut  encore  illustrer  le  lieu  de 
sa  naissance,  en  lui  accordant  un  privilège  que  tous  nos  rois  ont  succes- 
sivement confirmé  ;  mais  les  ducs  de  Lorraine,  que  ces  services  ne  regar- 
doient  pas,  ne  se  crurent  pas  obligés  d'en  partager  la  reconnoissance,  et 
dès  que  les  traités  de  1571  et  de  1373  les  eurent  maintenus  dans  le  droit 
d'imposer  des  subsides  sur  le  Barrois,  et  que  le  village  de  Domrémy  eût 
fait  partie  de  cette  province,  il  se  trouva  confondu  avec  toutes  les  autres 
communautés  et  assujetti  comme  elles  à  toutes  les  impositions. 

M  Ce  village  étant  rentré  aujourd'hui  sous  la  domination  du  roi,  ses  habi- 
tans  réclament  le  privilège  dont  ils  ont  joui  depuis  Tannée  1429  jusqu'au 
moment  où  il  a  été  démembré  de  la  Champagne  pour  être  réuni  au  Bar- 
rois.  Cette  demande  meparoit  devoir  être  accueillie  très  favorablement. 

«  l*Le  village  de  Domrémy  est  le  même  que  celui  qui  est  dénommé  dans 

les  lettres  patentes  du  mois  de  juillet  1429  ;  et  ce  qui  le  prouve,  c'est  que 

ce  ^village  dépend  encore  aujourd'hui  de  la  paroisse  de  Greux,  qui  est 

également  dénommée  dans  les  mômes  lettres  patentes  ;  c'est  que  tous  les 

historiens  font  naître  Jeanne  d'Arc  à  Domrémy  près  de  Vaucouleurs,  et 

qu'il  n'y  a  jamais  eu  près  de  cette  ville  qu'un  seul  village  qui  a  emprunté 

d'elle  son  surnom  de  Domrémy-la-Pucelle  :  c'est  qu'enfin  on  y  voit  encore 

aujourd'hui  la  maison  dans  laquelle  elle  est  née  et  où  elle  a  demeuré  avec 

ses  parents,  jusqu'au    moment  où  elle  en   partit   pour    aller  trouver 

Charles  VII  à  Chinon. 

«  2*  Lorsque  les  lettres  patentes  du  dernier  juillet  1429  accordèrent  aux 
villages  de  Greux  et  de  Domrémy  Texemption  de  toute  espèce  de  sub- 
sides, Jeanne  d'Arc  avoit  rendu  à  la  France  les  services  les  plus  impor- 
tans en  faisant  lever  le  siège  d'Orléans,  en  soumettant  plusieurs  villes  au 
ï*oi,  et  en  le  conduisant  à  Reims  où  il  fut  sacré  le  17  juillet  de  la  même 
année.  Ce  fut  pour  prix  de  ces  services  que  ce  prince  voulut  illustrer  la 
patrie  de  la  Pucelle,  en  lui  accordant  un  privilège  qui  servît  à  conserver 
1^  souvenir  de  ses  grandes  actions  et  celui  de  la  reconnoissance  que  lui 
Revoit  la  France  entière. 

«Je  sais  que  plusieurs  écrivains  ont  cherché  à  jetter  des  doutes  sur  le 

^eneilleux  de  l'histoire  delà  Pucelle  ;mais  aucun  n  a  encore  tenté d'afl'ai- 

Wir  sa  gloire  et  tous  nos  historiens  conviennent  que  dans  ces  temsmalheu- 

^^tix,  ce  fut  elle  qui,  par  son  courage,  son  intrépidité  et  l'audace  qu'elle 

ni.  22 


338  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

sut  inspirer  à  Tarmée  de  Charles  VII,  changea  absolument  la  face  des 
afTaires  ;  ce  prince  lui  dut  le  commencement  des  succès  dont  son  règne 
fut  une  suite  continuelle,  et  le  monument  de  sa  reconnoissance  envers 
elle  paroît  ne  pouvoir  pas  être  trop  respecté. 

«  3°  Le  village  de  Greux  a  joui  jusqu'à  présent  de  Texemption  contenue 
dans  les  lettres  patentes  du  mois  de  juillet  1429.  Ce  privilège  aïantété 
accordé  par  le  même  titre  au  village  de  Domrémy,  il  paroltdevoir  en  jouir 
également  aujourd'hui  ;  il  sembleroit  même  que  s'il  y  avoit  une  préfé- 
rence à  accorder  à  Tun  de  ces  deux  villages,  elle  devroit  l'êlre  à  celui  de 
Domrémy,  puisque  c'est  dans  ce  dernier  que  Jeanne  d'Arc  est  née,  et 
que  le  privilège  accordé  par  Charles  VII  n'a  été  étendu  au  village  de 
Greux  que  parce  que  c'est  dans  ce  lieu  qu'est  située  la  paroisse  de 
laquelle  ces  deux  villages  dépendent.  L'interruption  que  celui  de  Dom- 
rémy a  éprouvée  dans  la  jouissance  de  ce  privilège  ne  me  paroît  pas 
devoir  être  un  obstacle  à  son  rétablissement,  parce  que  ses  habitans  ne 
l'ont  perdu  qu'en  passant  sous  une  domination  étrangère,  parce  que  la 
possession  du  village  de  Greux  semble  avoir  réclamé  dans  tous  les  tems 
en  faveur  de  celle  de  Domrémy,  et  parce  qu'enfin  la  confirmation  succes- 
sivement faite  par  nos  rois  d'un  titre  commun  à  ces  deux  villages  paroît 
avoir  assuré  à  l'un  et  l'autre  la  conservation  du  privilège  qu'il  contient. 

«  Ces  motifs,  monsieur,  me  déterminent  à  penser  qu'il  n'y  a  aucun 
inconvénient  d'ordonner  l'exécution  des  lettres  patentes  du  dernier  juil- 
let 1429,  et  de  maintenir  en  conséquence  les  habitans  de  Domrémy  dans 
l'exemption  des  subsides  qui  leur  avoit  été  accordée  par  ces  lettres 
patentes. 

«  J'ai  l'honneur  de  vous  renvoïer  la  requête  des  habitans  de  Domrémy 

et  les  pièces  qui  y  étoient  jointes. 

«  Je  suis  avec  respect,  monsieur,  votre  très-humble  et  très-obéissant 

serviteur, 

<c  De  La  Galaisière.  » 

A  une  demande  si  juste  et  si  bien  motivée,  le  conseil,  en  décembre  1771, 
répondit  en  alléguant  les  édits  de  1614  et  de  1634,  fort  étrangers  à  la 
question. 

Les  voici  tels  qu'ils  sont  cités  :  «  Les  édits  de  1614  et  1634  portent,  l'un  : 
«Art.  10...Quelesdescendans  des  frères  delaPucelle  d'Orléans  qui  vivent 
à  présent  noblement  jouiront  à  l'avenir  des  privilèges  de  noblesse  et  leur 
postérité  de  mâle  en  mâle,  vivans  noblement,  même  ceux  qui  pour  cet 
effet  ont  obtenu  nos  lettres  patentes  et  arrêts  de  nos  cours  souveraines  ; 
mais  ceux  qui  n'ont  pas  vécu  et  ne  vivent  à  présent  noblement,  ne 
jouiront  plus  à  l'avenir  d'aucuns  privilèges.  Les  filles  et  femmes  aussi  des- 


LA  LIBÉRATRICE  DIAPRÉS  CHARLES  VII.  339 

cendans  des  frères  de  la  Pucellè  d'Orléans  n'anobliront  plus  leurs  maris  h 
Ta  venir  ». 

L'édit  de  1634  porte,  article  7  :«  Que  les  descendans  des  frères  de  la  Pucel  le 
d'Orléans  insérés  au  corps  de  la  noblesse  et  vivans  à  présent  noblement 
jouiront  des  privilèges  de  la  noblesse,  et  leur  postérité  de  mule  en  mâle 
vivans  noblement.  Mais  ceux  qui  n'ont  vécu  et  ne  vivront  à  présent  noble- 
ment ne  jouiront  plus  à  l'avenir  d'aucuns  privilèges  ;  comme  aussi  les 
filles  et  femmes  descendans  des  frères  de  la  Pucelle  d'Orléans  n'anobli- 
ront plus  leurs  maris  à  l'avenir.  » 

Et  l'on  écrit  à  la  suite  de  la  demande  :  «  Décidé  que  toutes  ces  exemp- 
tions ont  été  révoquées  par  les  édits  de  1614  et  1634  ». 

Les  habitants  de  Domrémy  ayant  renouvelé  leur  demande  à  l'avène- 
ment de  Louis  XYI,  voici  ce  qui  fut  répondu  de  Paris  le  18  février  1776  : 

ce  La  demande  des  habitans  de  Domrémy  a  déjà  été  rejettée  en  1771  ; 
les  édils  de  1614  et  de  1634  ayant  éteint  les  privilèges  accordés  à  la 
famille  même  de  la  Pucelle,  on  n'a  pas  cru  que  les  habitans  du  village 
dans  lequel  elle  était  née  dussent  être  traités  avec  plus  de  faveur. 

«  C'est  par  ces  mêmes  motifs,  monsieur,  que,  tout  récemment,  le  con- 
seil a  refusé  d'accueillir  la  demande  en  confirmation  de  privilège  que 
renouveloient  les  habitants  de  Greux  à  Tavènement  de  Sa  Majesté  à  la 
couronne.  Ainsi  les  habitants  de  Domrémy  ne  verront  plus  avec  envie 
cette  différence  qui  ne  faisoit  que  multiplier  leurs  vaines  prétentions  sans 
leur  donner  plus  de  solidité.  » 

Dans  une  lettre  à  d'Ormesson,  en  date  du  2i  février  1776,  La  Galai- 
sière  lui  fait  savoir  qu'il  a  communiqué  aux  habitans  de  Domrémy  la 
décision  intervenue. 

Les  instances  des  habitants  de  Greux,  dont  on  trouve  les  pièces  dans  la 
même  liasse,  achèveront  de  nous  faire  connaître  l'historique  du  glorieux 
privilège. 

11  faut  rendre  cette  justice  à  nos  rois.  Ils  avaient  confirmé  en  termes 
Ws  chaleureux  le  privilège  concédé  par  Charles  VII,  jusqu'à  l'époque 
^ominieuse  qui  devait  voir  la  fin  de  la  monarchie.  La  liasse  d'où  tout 
^iest  tiré  renferme  une  copie  authentiquée  d'une  double  confirmation 
<le  Louis  XV,  Tune  du  10  août  1723,  l'autre  du  26  janvier  1730,  copie 
faite  très  probablement  pour  arrêter  la  néfaste  interruption  qui  allait  se 
produire.  Or,  dans  les  lettres  confirmatives  de  1723,  on  lit  que  les  habi- 
tants de  Greux  ayant  été  molestés  dans  la  jouissance  de  leurs  privilèges, 
un  arrêt  du  conseil  royal  du  mois  de  février  1683  défendit  semblables 


340  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

tracasseries  à  l'avenir  sous  peine  d'avoir  à  payer  l'amende   énorme  de 
quinze  cens  livres. 

A  l'avènement  de  Louis  XVI,  les  habitants  de  Greux  demandèrent  con- 
firmation de  leur  privilège.  On  voulut  avoir  l'avis  de  l'intendant  de 
Champagne,  M.  Bouille  d'Orfeuil.  Il  répondit  par  la  lettre  suivante, 
du  15  septembre  1775  : 

«  Monsieur,  j'ai  reçu  les  deux  lettres  que  vous  m'avez  fait  l'honneur  de 
m'écrire  le  16  avril  et  le  24  juillet  dernier,  concernant  le  projet  cy-joint 
de  lettres  patentes  que  les  habitans  de  Greux,  élection  de  Chaumont  et 
subdélégation  de  Vaucouleurs,  ont  présenté  au  conseil  pour  obtenir  la 
confirmation  des  privilèges  de  leur  paroisse. 

«  Je  me  suis  procuré,  monsieur,  des  éclaircissemens  certains  sur  la 
nature  et  Torigine  des  privilèges  des  habitans  de  Greuic.  Ces  privilèges, 
qui  leur  ont  été  accordés  par  lettres  patentes  de  Charles  VII  du  31  juil- 
let  1429,  en  considération  des  services  importans  rendus  à  TEtal  par 
Jeanne  d'Arc,  dite  Pucelle  d'Orléans,  native  de  leur  paroisse,  consistent 
dans  l'exemption  et  franchise  de  toutes  tailles,  subsides,  aydes,  subven- 
tions et  autres  impositions  généralement  quelconques  mises  et  à  mettre. 
Il  ne  paroît  pas  que  ces  habitans  en  aient  obtenu  le  renouvellement  sous 
les  régnes  de  Louis  XI,  de  Charles  VIII,  ni  de  François  P';  mais  ils  ont 
toujours  été  confirmés  depuis  très  exactement  à  chaque  nouvel  avène- 
ment au  trône,  savoir  par  lettres  patentes  de  Henri  II  du  9  avril  1551,  par 
celles  de  François  II  du  15  octobre  1559,  par  celles  de  Henri  III  do 
25  janvier  1584,  de  Henri  IV  du  24  mars  1596,  de  Louis  XIII  du  moisde 
juin  1610,  de  Louis  XIV  du  mois  de  mars  1656,  et  enfin  par  celles  de 
Louis  XV  du  19  août  1723. 

«  Il  n'y  a  aucun  lieu  de  présumer  que  ces  privilèges  et  immunités  aient 
été  révoqués.  Les  édits  de  1614  et  1634  doivent  être  regardés  comme 
ARSOLUMEWT  ÉTRANGERS  aux  habitaus  de  Greux,  puisque  ils  n'ont  été  rendu* 
que  pour  restraindre  les  privilèges  dont  jouissoient  précédemment  lei  . 
descendans  de  la  Pucelle  d'Orléans*.  Il  paroît  au  surplus  que,  à  l'époque 
de  1429  date  del'origine  des  privilèges  accordés  à  la  paroisse  de  Greux,  C6 
village  et  celui  de  Domrémy  qui  ne  sont  distans  que  d'une  portée  de  fastl 
formoient  une  seule  et  môme  communauté;  mais  en  1571,  Charles IX 
céda  Domrémy  à  Charles  III,  duc  de  Lorraine.  Ce  village  a  toujoiff* 
dépendu  depuis  de  celte  province;  ce  ncst  qu'en  1767  qu'il  est  rentré 
éventuellement  sous  la  domination  de  la  France,  et  il  fait  encore  aujour-' 
d'huy  partie  de  la  généralité  de  Lorraine.  Il  n'est  donc  pas  étonnant  qu^ 

1.  C'est  par  mégarde  que  le  secrétaire  laisse  échapper  étourdimenl  les  mois  :  ï* 
postérité  de  la  Pucelle, 


342  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

ne  possèdent  aucun  terrain  communal  que  deux  cents  arpents  de  bois 
rassail,  chargé  de  rentes  seigneuriales  très  considérables.  Ce  qui  prouve 
la  modicité  de  ce  village,  c'est  qu'il  n'augmente  pas  en  nombre  d'habi- 
tans,  comme  les  autres  circonvoisins.  Si  on  supprime  leurs  privil^es, 
ils  seront  réduits  la  plus  grande  partie  à  la  mendicité.  » 

Les  raisons  des  habitants  de  Domrémy  et  de  Greux  étaient  aussi  pé- 
remptoires  que  celles  de  l'agneau  de  la  fable.  Le  conseil  du  roi  répondit 
avec  plus  de  politesse  dans  la  forme,  mais  avec  aussi  peu  de  raison  dans  le 
fond  que  le  loup  de  La  Fontaine.  Il  supprima  le  privilège,  comme  le 
loup  supprima  Tagncau. 

La  mesure  est  tout  à  fait  digne  de  la  plus  ignominieuse  époque  de  notre 
histoire.  C'est  lorsque,  en  faisant  retour  à  la  France,  la  Lorraine  lui 
apportait  le  plus  précieux  joyau  de  nos  monuments,  qu'un  conseil  royal 
stupide  la  découronnait  autant  qu'il  était  en  lui  du  signe  qui  devait  en 
dire  à  tous  la  valeur  et  le  prix.  Il  est  vrai  que  c'était  l'époque  où  Arouel 
laissait  tomber  de  sa  hotte  de  pornographe  la  souillure  de  toute  littéra- 
ture que  l'infernal  génie  osa  bien  intituler  :  la  Pticelle.  On  sait  qu'une 
ignoble  noblesse  en  faisait  ses  délices.  L'insultant  mépris  avec  lequel  on 
répondait  aux  justes  raisons  des  pauvres  habitants  de  Domrémy  et  de 
Greux  ne  semble-t-il  par  trahir  des  êtres  nourris  de  l'immonde 
pâture? 

On  refusait  à  la  Pucellc,  à  la  Libératrice  de  la  France,  les  quelques 
deniers  qu'elle  avait  demandé  aux  générations  à  venir  d'épargner  à  la 
misère  des  habitants  du  lieu  qui  Tavait  vue  naître  ;  et  Ton  prodiguait  des 
millions  pour  bâtir  des  palais  aux  créatures  innomables  qu'elle  poursui- 
vait de  la  pointe  de  sonépée!  Le  peuple  de  France  geignait  pour  ces 
Circés  dont  les  mains  distribuaient  les  portefeuilles  des  ministres,  des 
brevets  de  généraux,  et,  faut-il  le  dire,  choses  plus  augustes  encore! 

Qu'on  ne  s'étonne  pas  si  la  justice  divine  a  laissé  germer  de  cette  gan- 
grène les  bourreaux  qui  devaient  en  être  le  châtiment.  Si  on  a  pu  dire 
que  le  vieil  empire  romain  était  mûr  pour  les  Barbares,  le  temps  où  se 
produisait  Tinfamie  qui  vient  d'être  rappelée  était  mûr  pour  les  Marat, 
les  Robespierre,  ces  émules  des  Genséric  et  des  Attila. 

Ce  sont  les  deux  derniers  Valois,  Charles  IX  qui  a  commandé  la  Saint- 
Barthélémy,  Henri  III  l'assassin  des  chefs  catholiques,  les  Guises,  qui 
ont  aliéné  la  maison  de  la  Pucelle.  Dieu  a  biffé  leur  race.  Rien  de  leur 
postérité  dans  ces  palais  qu'ils  auraient  dû  céder  plutôt  que  la  Santa  Casa 
de  la  France,  la  maison  de  Jacques  d'Arc. 

Infortuné  Louis  XVI  !  Un  des  premiers  actes  de  son  règne  a  été,  d'après 
l'avis  d'un  conseil  imbécile,  de  supprimer  le  privilège  de  Greux  respecté 


LA   LIBÉRATRICE  D*APRËS  CHARLES  VII.  343 

par  tous  ses  prédécesseurs.  Il  supprimait  le  privilège,  témoin  subsistant 
de  cette  parole  dite  à  tout  vrai  roi  de  France  :  «  Vous  serez  le  lieutenant  du 
roi  du  Ciel,  qui  est  roi  de  France».  Le  suzerain,  ainsi  politiquement  écon- 
duit,  a  laissé  le  vassal  à  ses  propres  forces,  et  tout  en  couronnant  le  chré- 
tien de  Tauréole  du  martyre,  a  laissé  tomber  le  roi  qui  ne  comprenait 
plus  le  miracle  de  sa  légitimité  et  de  ses  droits. 

La  Libératrice  n'a  jamais  demandé  de  lettres  d'anoblissement  pour  sa 
famille.  La  seule  récompense  humaine  qu'elle  ait  sollicitée,  c'est  l'exemp- 
tion d'impôts  pour  Greux  et  Domrémy.  Le  sol  français  se  couvre  de 
statues  et  de  monuments  à  son  honneur.  Ne  relèvera-t-on  pas  le  monu- 
ment de  son  choix,  celui  qu'elle  a  demandé  ?  Qui  peut  douter  qu'il  ne  soit 
celui  qui  serait  le  plus  agréable  à  ses  yeux  ?  Le  pouvoir  qui  voudra  véri- 
tablement l'honorer  fera  droit  à  sa  requête.  Les  registres  de  l'impôt  por- 
teront de  nouveau  pour  Greux  et  Domrémy,  l'antique  mention  :  Néant, 
laPucelle.  Il  appartient  à  ceux  qui  ont  action  sur  l'opinion  publique,  de 
travailler  en  ce  sens  jusqu'à  ce  que  les  feuilles  de  l'impôt  répètent  la 
formule  :  «  Domrémy  et  Greux  ont  à  jamais  payé  leur  dette  à  la  France  en 
lui  donnant  la  Pucelle  ». 

IV 

Les  lettres  d'anoblissement  de  la  famille  de  la  Pucelle. 

L'original  des  lettres  d'anoblissement  de  la  Pucelle  et  de  sa  famille 
n'existe  pas  plus  que  celui  qui  concédait  exemption  d'impôts  à  Greux  et  à 
Domrémy.  On  en  possède  plusieurs  vidimus^  ou  copies  déclarées  officielle- 
ment authentiques,  et  insérées  comme  telles  au  «  Trésor  des  chartes  ».  Des 
descendants  de  la  famille  anoblie  ayant  voulu  en  réclamer  les  privilèges 
ont  dû  prouver  et  leur  descendance,  et  en  même  temps  exhiber  le  titre. 
C'est  ainsi  que  ce  titre  se  trouve  sous  la  date  de  1562,  au  Trésor  des 
chartes,  dans  un  acte  de  Henri  II  en  faveur  de  Robert  Le  Fournier,  baron 
deToumebu,  et  de  Lucas  du  Chemin,  seigneur  de  Féron*.  Denys 
Godefroy  a  reproduit  cette  copie,  elle  a  été  reproduite  partiellement  ou 
dans  son  intégrité  par  bien  d'autres,  et  notamment  dans  notre  siècle  par 
Rochon,  Michaud,  Quicherat. 

In  incendie  ayant  détruit  en  1737  la  plus  grande  partie  des  archives 
«e  la  cour  des  comptes,  un  édit  du  roi  ordonna  à  tous  ceux  qui  avaient 
«es  titres  qui  y  ressortissaient  d'en  faire  la  présentation,  et  copie  en  fut 
*"^  pour  réparer,  dans  la  mesure  du  possible,  les  ravages  du  feu.  Parmi 
ces  copies  se  trouve  une  reproduction  des  lettres  d'anoblissement  de  la 

*•  Arch.  imt.  Trésor  des  Charles,  reg.  260. 


344  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARG  :   LA  LIBÉRATRICE. 

Pucelle  que  Vallet  de  Yiriville  se  croit  autoris(^  à  donner  comme  la  meil- 
leure. L'on  ne  reconnaît  pas  ici  la  sûreté  ordinaire  du  paléographe.  Onn  en 
a  pas  imprimé  d'aussi  manifestement  et  lourdement  fautives.  Peut-être  le 
critique  a-t-il  été  entraîné  par  le  désir  d'appuyer  une  de  ses  thèses.  Lui 
qui  se  fit  admonester  pour  avoir  ajouté  à  son  nom  patronymique  celui 
de  «  de  Viriville  »  tient  à  dépouiller  le  nom  d'Arc  de  Tapostrophe,  et 
veut  qu'on  l'écrive  «  Darc  ».  Il  s'appuie  sur  la  copie  de  1738;  mais  on 
est  bien  forcé  de  dire  que  la  pièce  ne  lui  en  donne  pas  le  droit.  Le 
nom  d'Arc  y  revient  trois  fois,  les  deux  premières  fois  il  est  écrit 
(fArc\  ce  n'est  qu'à  la  troisième  qu'on  lit  Darc  *.  Une  recension  des  textes 
des  érudits  de  profession  ménage  parfois  de  ces  surprises  et  de  plus  impor- 
tantes à  ceux  qui  n'ont  pas  pour  leurs  assertions  la  foi  aveugle  que  le 
clan  naturaliste  exige  vis-à-vis  de  ses  coryphées.  Le  vidimus  de  Henri  II, 
comme  on  le  verra,  n'est  pas  non  plus  exempt  de  fautes. 

Le  texte  le  meilleur  semble  être  celui  qui  fut  donné  en  4612  par  un 
membre  de  la  famille ,  par  Hordal,  dans  son  volume  bien  connu:  Heroinaeno- 
bilissimœ  Johannœ  Davc  Lotharingœ,..  historia^.  Un  ami  de  Hordal,  le  fameux 
jurisconsulte  Pierre  Grégoire,  dans  son  traité  Z)e  republica  {liy.  XI,  chap.  x), 
avait  reproduit  les  lettres  d'anoblissement,  quelques  années  avant 
Hordal.  Elles  présentent  plusieurs  variantes  avec  celui  de  Hordal  que 
nous  traduisons.  Hordal  dit  que  son  texte  a  été  enregistré  à  la  cour  des 
comptes  à  la  date  du  16  janvier  1429  (a.  st.)  et  qu'il  se  lit  au  folio  cxxidu 
Registre  de  chartes  de  celte  époque. 

En  voici  la  traduction  : 

«  Chaules,  roi  des  Français,  pour  perpétuelle  mémoire. 

((  Exalter  l'effusion  des  grâces  si  éclatantes  que  la  Divine  Majesté  nous  a 
départies  par  le  signalé  ministère  de  notre  chère  et  aimée  Pucelle,  Jeanne 
Darc  de  Domrémy,  du  bailliage  de  Chaumont  ou  de  son  ressort,  et 
celles  que  nous  en  espérons  encore,  par  le  secours  de  la  divine  Clémence, 
c'est  notre  but;  et  à  cette  fin  nous  croyons  convenable  et  opportun  que 
ce  ne  soit  pas  seulement  la  Pucelle,  mais  encore  toute  sa  parenté  qui, 
non  pas  tant  pour  ses  services  que  comme  expression  de  divine  louange, 
soit  élevée  et  exaltée  par  de  dignes  marques  d'honneur  de  la  part  de 
Notre  Royale  Majesté.  Celle  qu'environne  une  si  divine  clarté,  laissante 
la  race  d'où  elle  est  sortie  un  don  insigne  de  notre  royale  libéralité,  la 
gloire  de  Dieu  ira  se  perpétuant  et  se  prolongeant  dans  toute  la  suite 
des  âges  avec  le  souvenir  de  si  magnifiques  grâces  que  notre  don  procla- 
mera. 

1.  Arch.  nal.  Section  domaniale,  H.  1o3d. 

2.  Page  151. 


LA  UBÉRATRICE  D'APRÈS  CEARUS  VH.  »^ 

«  Sachent  donc  tous,  dans  le  présent  et  dans  l'avenir,  qu'attendu  ce  <iut 
vient  d*ètre  exposé,  en  considération  des  louables,  agréables  et  opportuns 
services  rendus  à  nous  et  à  notre  royaume  de  bien  des  manières  par  Jeanne 
la  Pucelle,  en  considération  de  ceux  que  nous  en  attendons  à  Favenir. 
pour  d'autres  motifs  qui  nous  y  incitent,  nous  avons  anobli  cette  même 
Pucelle,  et,  en  son  honneur  et  considération,  Jacques  Day.  dudit  Dom- 
rémy,  son  père;  Isabelle,  sa  mère,  femme  du  même  Jacques:  Jacquemin 
et  Jean  Day  et  Pierre  Pierrelol,  ses  frères,  toute  sa  parenté  et  son  lignage, 
toute  leur  postérité  masculine  et  féminine,  née  et  à  naître  en  légitime 
mariage.  Par  les  présentes,  par  grâce  spéciale,  de  science  certaine  et 
de  la  plénitude  de  notre  pouvoir,  nous  les  anoblissons  et  les  faisons 
nobles,  concédant  expressément  que  ladite  Pucelle.  lesdits  Jacques. 
Isabelle,  Jacquemin,  Jean  et  Pierre,  toute  la  parenté  et  lignage  de  la 
même  Pucelle,  et  leur  .'postérité  née  ou  à  naître  en  l^itime  mariage, 
dans  leurs  actes,  devant  et  hors  les  tribunaux,  soient  par  tous  tenus  et 
réputés  nobles  ;  qu'ils  jouissent  et  usent  pacifiquement  des  privilèges, 
libertés,  prérogatives  et  droits  quelconques  dont  ont  coutume  de  jouir  et 
d'user  les  autres  nobles  de  notre  rovaume  issus  de  race  noble.  Nous  les 
mettons,  eux  et  leur  susdite  postérité,  au  rang  des  autres  nobles  de  notre 
royaume,  issus  de  race  noble,  nonobstant  que.  comme  il  a  été  dit,  ils 
ne  soient  pas  par  leur  origine  de  race  noble,  et  que  peut-être  ils  soient 
d'une  condition  autre  que  l.\  condition  libre. 

«  Nous  voulons  encore  que  les  susnommés  et  leur  postérité  masculine 
puissent,  toutes  les  fois  qu*ils  en  auront  la  volonté,  recevoir  de  tout 
chevalier  le  baudrier  et  les  insignes  de  la  chevalerie.  En  outre  nous 
concédons  aux  susnommés  et  à  leur  postérité  masculine  et  féminine,  née 
ou  à  naître  en  légitime  mariage,  de  pouvoir  acquérir  tant  des  personnes 
nobles  que  de  toute  autre  des  fiefs,  arrière-fiefs,  et  biens  nobles  ;  de  pou- 
voir conserver,  garder  et  retenir  à  perpétuité  les  biens  ainsi  acquis  ou  à 
acquérir,  sans  que  dans  le  présent  ou  à  l'avenir  on  puisse  les  en  dépossé- 
der par  défaut  de  noblesse. 

(X  Que  pour  cet  anoblissement  ils  ne  soient  tenus  ni  contraints  de  payer 
quoique  ce  soit,  soit  à  nous,  soit  à  nos  successeurs,  car,  en  considération  des 
motifs  ci-dessus  allégués,  par  surcroit  de  grâce,  nous  avons  fait  rémission 
et  donné  quittance  aux  susnommés,  à  la  parenté  et  lignage  de  la  même 
Pucelle,  de  toute  somme  à  verser,  et  nous  leur  en  faisons  don  et  quittance 
par  les  présentes,  nonobstant  les  ordinations,  statuts,  édits,  usages,  révo- 
cations, coutumes,  inhibitions  et  mandements  à  ce  contraires,  faits  ou  à 
faire,  et  quels  qu'ils  soient. 

«  C'est  pourquoi  que  nos  amés  et  féaux  préposés  à  nos  comptes,  que  nos 
trésoriers  soit  généraux,  soit  commissaires  députés  ou  à  députer  sur  le 


346  Là  vraie  JEANNE  D'ARC  :   LA  LIB&RATRICB. 

fait  de  nos  finances,  que  le  bailli  dudit  bailliage  de  Chaumont,  que  nos 
autres  hommes  de  justice,  ou  leurs  lieutenants  présents  et  à  venir,  que 
chacun  d'entre  eux  en  ce  qui  le  regarde,  sache  qu'il  lui  est  enjoint  par 
les  présentes  de  faire  que  ladite  Jeanne  la  Pucelle,  lesdits  Jacques, 
Isabelle,  Jacquemin,  Jean  et  Pierre,  que  toute  la  parenté  et  lignage  de 
cette  même  Pucelle,  que  leur  susdite  postérité  née  ou  à  naitre  en  légitime 
mariage,  use  et  jouisse  pacifiquement  maintenant  et  à  Tavenir  de  nos 
présentes  grâces,  anoblissement  et  concession,  sans  leur  susciter,  contre 
la  teneur  des  présentes,  empêchement  ou  molestation  d'aucune  sorte, 
ne  souffrant  pas  que  qui  que  ce  soit  leur  suscite  empêchement  ou 
obstacle. 

«  Pour  que  nos  présentes  aient  perpétuelle  valeur  et  force,  nous  y  avons 
fait  apposer  notre  sceau  en  Tabsence  du  grand,  à  ce  destiné  ;  voulons 
qu'en  tout  le  reste  notre  droit  demeure  sauf,  et  qu'en  toutes  choses  soit 
sauf  le  droit  d'autrui. 

«  Donné  à  Meung-sur-Yèvre  au  mois  de  décembre  de  Tan  1429,  de  notre 
règne,  le  huitième.  Sur  le  repli  :  De  par  le  roi,  présents  l'évêque  de  Séez, 
les  seigneurs  de  La  Trémoille  et  de  Trêves  et  d'autres.  Signé  :  Mallièbes. 

«  Vue  et  expédiée  à  la  chambre  des  comptes,  le  16  janvier  de 
l'an  1429  (a.  st.),  et  enregistrée  au  livre  des  chartes  de  ce  temps,  f*cxxi. 

«  A.  Greelle  *.   » 

Une  des  fautes  grossières  du  texte  de  1738,  c'est  qu'il  y  est  dit  qu'on 
anoblit  la  postérité  masculine  et  féminine  de  la  Pucelle,  addition  qui  ne 
se  trouve  pas  dans  les  autres  textes.  L'on  n'a  jamais  fait  à  la  Pucelle 
rinjure  de  supposer  qu'elle  pût  cesser  d'être  la  Pucelle.  Ce  même  texte 
et  celui  de  Quicherat  font  dire  au  roi  qu'il  accorde  aux  nouveaux  anoblis 
et  à  leur  postérité  masculine  et  fémviijie  le  droit  de  se  faire  armer  che- 
valiers. La  chevalerie  ne  se  conférant  pas  aux  femmes,  le  mot  féminine 
est  un  non-sens  qui  ne  se  trouve  pas  dans  le  texte  deHordal.  Les  nouveaux 
anoblis  devaient  payer  au  Trésor  une  somme  variant  avec  la  valeur  des 
biens  que  leur  anoblissement  allait  soustraire  à  l'impôt.  On  voit  qu'ici  il 
y  a  complètement  exemption  de  cette  redevance.  Le  texte  de  Quicherat 
porte  que  cette  exemption  est  accordée  virtute  prœdecessorum^  c'est 
encore  un  non-sens.  Le  texte  de  Hordal  porte  :  virtute  prœmissorum\  il 
est  manifestement  le  bon.  Inutile  de  relever  les  autres  variantes,  qui  ont 
peu  d'importance. 

Comme  celles  qui  anoblissaient  de  Cailli,  ces  lettres  d'anoblissement 
s'écartent  totalement  des  formes  usitées  dans  pareils  documents.   Les 

i.  Voir  le  texte  latin  aux  Pièces  justificatives  y  E. 


LA  LIBÉRATRICE  DIAPRÉS  CHARLES  VII.  347 

lettres  ordinaires  d'anoblissement  se  composent  de  trois  parties.  Une 
phrase  générale  rappelle  la  fin  de  l'institution  de  la  noblesse  :  exalter  le 
mérite  et  lui  susciter  des  imitateurs  ;  phrase  plus  ou  moins  étendue,  expri- 
mant un  même  sens  en  termes  différents,  car  il  n'y  a  pas  de  formule 
identique.  Dans  la  seconde  partie,  on  rappelle  les  mérites  du  nouvel  anobli, 
ses,  titres  à  la  faveur  concédée.  Dans  les  vingt-cinq  ou  trente  pièces  par- 
courues par  nous,  nous  avons  constaté  que,  dans  la  plupart,  on  mentionnait 
que  si  le  nouveau  noble  était  issu  de  parents  plébéiens,  il  était  cependant 
de  condition  libre  :  liberœ  tamen  conditionis.  Enfin  la  troisième  partie, 
conçue  en  termes  identiques  dans  toutes  les  pièces,  énumère  les  privilèges 
concédés  par  les  lettres  de  noblesse. 

Ici  tout  est  exceptionnel.  La  fin  proposée  est  d'exalter  les  magnificences 
de  la  libéralité  divine  qui  resplendissent  dans  le  ministère  conféré  à 
Jeanne  la  Pucelle.  On  veut  que  le  souvenir  s'en  perpétue  à  travers  les 
Ages.  Voilà  pourquoi  on  anoblit  sans  doule  celle  qui  en  a  été  l'instrument, 
et  on  a  bien  soin  de  dire  que  tout  se  fait  en  sa  considération  ;  mais  que 
pouvait  être  la  noblesse  humainement  concédée  pour  celle  qui  en  avait 
reçu  une  si  haute  de  la  main  de  Dieu?  Les  lettres  insinuent  ce  que  disent 
en  termes  exprès  les  lettres  d'anoblissement  de  Cailli  ;  les  mérites  de 
la  Pucelle  sont  au-dessus  de  toute  appréciation  et  de  toute  récompense 
humaine  ;  voilà  pourquoi  pareille  faveur  étant  à  son  endroit  bien  peu 
significative,  on  Tétend  à  ceux  qui  n'ont  pour  Tobtenir  que  l'honneur  de 
lui  être  unis  par  le  sang  ;  dérogation  qui,  par  le  contraste  même,  sera 
une  hymne  perpétuelle  de  divine  louange  :  Nediim  ob  officii  mérita^ 
verum  et  divinœ  taudis  prœconia. 

En  règle  générale,  la  noblesse  n'était  conférée  qu'à  un  seul,  et  à  sa 
postérité  masculine  ;  la  descendance  féminine  était  noble,  il  est  vrai,  mais 
impuissante  à  transmettre  la  noblesse,  qui  ne  s'étendait  aux  fils  de 
demoiselles  nobles,  qu'à  la  condition  qu'elles  avaient  des  nobles  pour 
maris.  Ici,  au  contraire,  la  Pucelle  fait  rejaillir  la  noblesse  sur  tout  ce  qui 
se  rattache  et  se  rattachera  dans  la  suite  des  âges  au  sang  qui  coule  dans 
ses  veines.  Ce  sont  non  seulement  son  père,  sa  mère,  ses  frères,  qui  sont 
expressément  nommés  ;  c'est  encore  toute  sa  parenté,  tout  son  lignage, 
avec  toute  la  postérité  née  et  à  naître.  L'on  se  demande  jusqu'à  quel 
degré  de  parenté  pouvait  refluer  dans  la  ligne  ascendante,  une  conces- 
sion si  étendue  ?  11  est  certain,  par  les  enquêtes  publiées  par 
MM.  de  Bouteiller  et  de  Braux,  que  des  neveux  et  des  arrière-neveux 
d'Isabelle  Romée,  la  mère  de  la  Pucelle,  ont  réclamé  le  bénéfice  des 
lettres  d'anoblissement  concédées  immédiatement  à  celle  qui  n'était  que 
leur  cousine  germaine,  et  qu'ils  ont  obtenu  gain  de  cause.  Soit  que 
Jacques  d'Arc  n'eût  pas  de  frère,  soit  que  l'état  de  pauvreté  de  leur  pos- 


348  LA  VRAIE  JEANNE  D'aRC  :   U  LIBÉRATRICE. 

térité  ne  leur  permît  pas  de  vivre  noblement,  il  n'y  a  pas,  à  ma  connais- 
sance, de  ligne  collatérale  du  côté  paternel  qui  ait  fait  valoir  le  titre  qui 
nous  occupe. 

A  la  différence  des  lettres  de  noblesse  ordinaires,  les  femmes  se  ratta- 
chant à  la  Pucelle  anoblissaient  leur  postérité,  alors  môme  qu'elles  épou- 
saient des  roturiers.  La  preuve,  ce  sont  les  restrictions  apportées  par 
Louis  XIII,  ainsi  que  cela  résulte  des  pièces  citées  dans  Tarticle  précé- 
dent, à  un  privilège  qui,  disait-on,  multipliait  trop  les  familles  nobles. 

Pour  être  noble,  il  fallait  être  de  condition  libre.  Une  dérogation 
expresse  du  roi  pouvait  seule  faire  exception  à  la  règle.  Cette  dérogation 
se  trouve  ici  formellement  exprimée  dans  Tincise  :  non  obstante  qcod 

IPSI...     FORSAN    ALTERIUS  QUAM    libers    CONDITIONIS   EXISTANT.     CcUX     qui    OUt 

avancé  que  c'était  là  une  formule  de  chancellerie  ont  énoncé  une  si 
énorme  contre-vérité  qu'elle  rend  leur  témoignage  fort  suspect  sur  bien 
d'autres  points.  C'est  le  contraire  qui  est  vrai.  Le  plus  souvent  il  est  dit, 
a-t-il  été  observé,  que  l'anobli  est  d'origine  plébéienne,  mais  de  condition  de 
libre.  Il  serait  très  vraisemblablement  difficile  de  trouver  une  autre  pièce  de 
ce  genre  où  se  trouve  pareille  incise  ;  ce  qui  la  rend  d'autant  plus  digne 
d'attention.  Le  forsan  n'est-il  pas  là  pour  atténuer  un  fait  que  l'on  ne  rap- 
pelle qu'à  regret,  et  uniquement  pour  assurer  la  validité  de  la  concession  ? 
Le  forsan  alterius  quam  liberté  conditionis  existant  affccte-t-il  et  la  Pu- 
celle et  toute  la  parenté,  ou  la  parenté  seulement  ?  Il  semble  bien  que  la 
Pucelle  doit  y  être  comprise.  Si  c'était  la  parenté  seulement,  il  eût  été 
bien  plus  simple  de  restreindre  l'anoblissement  à  la  famille  de  Jeanne  et 
de  ne  pas  rappeler  ce  qui,  au  moyen  âge,  était  profondément  humiliant. 
N'est-il  pas  de  toute  inconvenance  de  dire  à  celui  que  Ton  fait  passer  au 
premier  rang  qu'on  le  prend  dans  le  plus  infime,  et  quelle  excuse  peut- 
il  y  avoir  si  non  une  impérieuse  nécessité  qui  contraint  de  le  rappeler? 
Ces  considérations  semblent  une  forte  preuve  que  la  famille  d'Arc 
n'appartenait  pas  à  la  condition  des  hommes  libres.  Etait-elle  de  condition 
servile?  Cela  n'est  pas  invraisemblable.  Qu'on  remarque  seulement  que 
l'affranchissement  ne  s'opérait  pas  d'une  manière  uniforme,  et  qu'on  ne 
rompait  pas  toujours  d'un  seul  coup  tous  les  anneaux  du  servage. 
M.  Lefèvre  a  écrit  dans  la  Bibliothèque  de  l'École  des  chartes  *  :  «  En  1300, 
tous  les  vilains  sortent  de  leur  caste  et  montent  à  la  liberté  ;  les  uns 
l'atteignent,  d'autres  restent  à  moitié  de  F  échelle  et  gagnent  une  position 
tolérable  ».  Dans  le  volume  précédent,  il  a  été  dit  qu'au  xv®  siècle  le 
servage  était  la  condition  normale  des  manants  en  Champagne,  et  qu'il 
fallait  prouver  l'état  de  liberté  ^ 

1.  Lefèvre,  Bibliothèque  de  l'École  des  chartes,  4«  série,  t.  IV.  p.  434. 

2.  La  Paysanne  et  Vlmpirée,  p.  217. 


LA  LIBÉRATRICE  D'APRÈS  CHARLES  VII.  349 

m 

M.  Henri  Sée,  dans  une  Etude  sur  le  servage^  a  écrit  plus  récemment  : 
«  Les  maires  et  les  autres  sergents  du  domaine  appartiennent  presque 
toujours  à  la  classe  servile  et  sont  choisis  parmi  les  habitants  de  la  villa; 
leurs  enfants  restent  hommes  de  corps,  eux-mêmes  sont  soumis  à  la 
justice  seigneuriale;  ils  jouissent  cependant  de  nombreux  privilèges  ». 
A  ceux  qui,  sur  la  foi  de  Siméon  Luce,  seraient  tentés  de  faire  de  Jacques 
d'Arc  le  principal  personnage  de  Domrémy,  parce  que  durant  quelque 
temps  il  y  porta  le  titre  de  doyen,  opposons  ces  lignes  de  M.  Robiou,  dans 
les  Questions  historiques  :  «  Le  doyen  parait  ici  remplir  Toffice  d'huis- 
sier et  de  gardien  des  coupables.  Seu/^  il  ne  représenterait  que  la  dé- 
pendance ;  mais  le  maire  est  déjà  un  fonctionnaire  et  communique  au 
doyen  un  caractère  quasi  municipal.  » 

Un  survivant  de  Tancienne  Sorbonne  s'est  passé,  paraît-il,  vers  le  mi- 
lieu de  ce  siècle,  la  fantaisie  de  donner  par  le  menu  le  détail  de  la  fortune 
de  Jacques  d'Are,  comptant  les  arpents  de  ses  terres,  de  ses  prés,  de  ses 
vignes,  et  jusqu'à  la  somme  tenue  en  réserve  pour  les  besoins  imprévus. 
Pas  l'ombre  d'une  preuve  de  pareilles  assertions,  se  produisant  quatre 
cents  après  la  mort  du  père  de  la  Pucelle,  à  rencontre  des  documents 
contemporains  qui  le  disent  pauvre.  En  histoire.  Ton  ne  tient  pas  compte 
des  pasquinades;  voilà  pourquoi  il  n'a  pas  été  fait  mention  de  celle-ci 
dans  la  Paysanne  et  l'Inspirée,  Elle  n'est  mentionnée  présentement  que 
parce  qu'on  la  trouve  dans  quelques  ouvrages  écrits  dans  de  louables 
intentions,  mais  sans  souci  des  sources  historiques. 

Chateaubriand  a  dit  que  t aristocratie  est  de  sa  nature  ingrate  et 
ingagnable  quand  on  ri  est  pas  7ié  dans  ses  rangs  *.  L'humilité  de  la  nais- 
sance de  la  Libératrice  de  la  France,  comme  celle  du  Libérateur  du 
genre  humain,  offusque  l'orgueil  de  ceux  qui  sont  nés  dans  des  condi- 
tions plus  élevées.  Yoilà  pourquoi  on  veut  l'en  faire  sortir.  Il  faut 
l'accepter  telle  que  le  Ciel  la  fit.  Une  fois  de  plus  Dieu  s'est  abaissé  vers 
ce  qui  était  plus  bas,  et  a  donné  aux  petits  un  nouveau  gage  de  ses  prédi- 
lections. Fût-elle  née  serve,  l'intervention  divine  n'en  serait  que  plus  ma- 
nifeste, et  la  gloire  de  la  sainte  fille  n'en  serait  nullement  diminuée. 
Celle  dont  l'histoire  semble  sur  tant  de  points  calquée  sur  la  vie  du  Ré- 
dempteur du  monde  rappellerait  par  sa  naissance  ce  que  l'Apôtre  a  dit 
du  Sauveur  :  Étant  dans  la  forme  de  Dieu,  il  s'est  anéanti  Jusqu'à 
pretidre  la  forme  de  r esclave. 

Jacques  d'Ay^  Jacques  Day^  Jacques  d'Ai\  Jacques  d'Arc^  Jacques  Darc, 
les  divers  textes  des  lettres  d'anoblissement  de  la  Pucelle  écrivent  le  nom 
de  toutes  ces  manières,  même  les  pièces  réputées  les  plus  authentiques. 

i.  HoBiou,  Questions  historiques,  l.  XV'III,  p.  387. 

2.  Chateaubriand,  Mémoires  d* outre-tombe,  Mirabeau,  p.  367,  édit.  de  1864. 


350  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

Pourquoi  tant  de  divergences?  Quicherat  pense  qu'elles  tiennent  aux 
diverses  manières  dont  le  mot  d'Arc  était  prononcé  en  Lorraine.  Cela 
semble  peu  admissible.  L'accent  lorrain  admet  l'r,  et  ne  Télide  pas.  Il 
semble  plus  vrai  de  dire  que  ce  que  nous  appelons  le  nom  de  famille 
était  peu  usité  pour  les  roturiers,  au  xv*"  siècle.  La  Pucelle  ne  l'a  jamais 
revendiqué  ;  elle  a  dit  au  contraire  que  les  filles  portaient  dans  son  pays 
le  nom  de  leur  mère,  encore  qu'elle  n'ait  jamais  dit  s'appeler  Romée.  Nous 
n'avons  pas  souvenance  d'avoir  vu  une  seule  Chronique  du  temps  qui  l'ail 
appelée  du  nom  aujourd'hui  si  populaire  de  Jeanne  d'Arc  ;  c'est  cons- 
tamment Jeanne  la  Pucelle,  ou  la  Pucelle.  Pourquoi  ne  pas  lui  rendre  le 
nom  qu'elle  se  donnait  ? 


C'est  un  soulagement  pour  Thistorien  de  pouvoir  affirmer,  d'après  la 
Chronique  Morisini,  que  Charles  VII  fit  de  sérieux  efforts  auprès  de  Jean 
de  Luxembourg  et  du  duc  de  Bourgogne  pour  que  la  captive  de  Beaurevoir 
ne  fût  pas  livrée  aux  Anglais  ;  auprès  des  Anglais  pour  la  soustraire  au 
bûcher.  On  sait  que  la  nouvelle  de  son  supplice  lui  causa  une  très  vive 
douleur.  D'après  la  Chronique  vénitienne,  il  éclata  en  menaces  contre  les 
bourreaux. 

Maître  de  Rouen,  un  de  ses  premiers  actes  fut  de  charger  Bouille,  le 
doyen  de  Noyon,  d'étudier  le  procès  de  condamnation  afin  d'en  rechercher 
les  viceç.  La  lettre  par  laquelle  il  lui  donne  à  cet  effet  les  plus  amples 
pouvoirs  a  été  reproduite  dans  la  Pucelle  devant  F  Église  de  son  temps  *.  On 
peut  y  lire  aussi  une  lettre  du  cardinal  d'Estouteville  *,  et  une  autre  du 
grand  inquisiteur  Bréhal  ^,  attestant  combien  la  revision  de  l'inique  sen- 
tence lui  tenait  à  cœur.  On  suppose  qu'il  a  fait  auprès  de  Nicolas  V  et 
de  Calixte  III  d'activés  démarches  pour  en  presser  l'exécution.  L'on  n'en 
a  pas  encore  cité  des  preuves  positives,  du  moins  à  notre  connaissance. 

La  sentence  de  réhabilitation  a  été  promulguée  à  Rouen  et  à  Orléans. 
L'a-t-elle  été  ailleurs  et  notamment  à  Paris,  où  la  sentence  de  condam- 
nation le  fut  avec  tant  d'appareil?  Il  est  à  souhaiter  qu'on  mette  au 
jour  des  pièces  authentiques  établissant  qu'on  a  eu  pour  promulguer  la 
réparation  autant  de  zèle  qu'on  en  déploya  pour  divulguer  l'inique 
flétrissure. 

1.  La  Pucelle  devant  iÉglise  de  son  tempSy  p.  200. 

2.  Ibid.,  p.  236. 

3.  Ibid.,  p.  238. 


JEA5  BOUER.  —  LA  CAVPAâ?(£  K   SACRE.  iM 


CHAPITRE   IX 

JEAN   ROGIER.  —  U  CAMPAGXE  PU  SACRE.  D  APRÈS  IN  RÉSUME  r»ES  ARCHIVES 

DE  REIMS. 

SOMMAIRE  :  I.  —  Le  résumé  de*  archive?  de  Reim>  f»ar  Jean  RosritT.  —  Ce  quV'Uit  Roder. 

il.  —  Le  Dauphin  en  marche  pour  Reims.  —  D'après  ce  qu'écrivait  le  duc  de  R^ur- 
gogne,  des  Rémois  lui  avaient  pn>mis  l'entrée  dans  la  ville.  —  Ce  qui  lui  avait 
donné  la  hardiesse  de  s'avancer  dans  un  pays  entièrement  ennemi.  —  Même  nou- 
velle de  la  part  des  habitants  de  Troyes,  qui  disent  le  tenir  d'un  Conielier  qui  est 
entre  leurs  mains.  —  Ils  sont  résolus  à  résister  jusqu'à  la  mort.  —  Ils  donnent  avis 
de  la  marche  de  Charles,  qui  leur  a  écrit  pour  requérir  obéissance.  —  Lettre  de  la 
Pucelle  aux  mêmes  Troyens.  —  Ceux-ci  envoient  à  Reims  message  sur  message  pour 
prévenir  de  l'arrivée  du  Dauphin,  et  demander  secours.  — Ils  protestent  de  leur  dé- 
termination de  rester  anglo-bourguignons,  ils  déprécient  la  IHicelle  et  sa  lettre.  — 
Mêmes  sentiments  exprimés  par  les  habitants  de  Ciiàlons.  —  Leur  étonnement  du 
rôle  de  F.  Richard.  —  Charles  a  écrit  aux  Rémois  de  Rrienon- l'Archevêque,  pour 
requérir  obéissance  et  promettre  amnistie.  —  Les  Rémois  avertissent  de  ce  qui  se 
passe  leur  capitaine,  de  Châtillon,  qui  est  à  Ciiàt eau-Thierry:  celui-ci  ne  veut  se 
charger  de  la  défense  de  la  ville  qu'à  la  condition  d'introduire  ses  hommes.  Tannée 
destinée  à  combattre  le  Dauphin  n'étant  pas  prête.  —  On  s'efforce  de  maintenir  les 
Rémois  anglo-bourguignons. 

lu.  —  Les  Troyens  ayant  fait  leur  soumission  pressent  les  Rémois  de  la  faire  à  leur 
tour.  —  Ils  disent  combien  ils  sont  heureux  de  ce  parti.  —  Le  seigneur  de  Trossy, 
frère  de  Châtillon,  les  en  dissuade,  en  rapportaut  à  sa  manière  la  soumission  de 
Troyes.  —  Mépris  déversé  sur  la  Pucelle;  indigne  rapprochement.  —  Les  habitants 
de  Chàlons,  soumis  à  leur  tour,  pressent  les  Rémois  de  faire  obéissance  à  Charles  Vil. 

—  Bel  éloge  du  roi.  —  Les  Rémois  envoient  une  députation  à  Charles  à  Sept-Saulx. 
IV.   —  Résumé  de  soixante-dix  lettres  écrites  par  le  roi  après  le  sacre.  —  Leur  objet. 

—  Résumé  de  quatre-^ingt-quinze  lettres  écrites  par  Regnault  de  Chartres  à  sa 
ville  épiscopale.  —  Confusion  de  ce  résumé,  où  il  n'est  tenu  aucun  compte  de  Tordre 
chronologique.  —  Ce  qui  est  dit  de  la  Pucelle  dans  ces  lettres.  —  II  est  manifeste 
que  ce  n'est  pas  dans  une  seule  qu'il  en  est  question. 


I 

Le  document  qui  va  être  produit  ne  peut  que  dans  une  large  acception 
être  donné  comme  un  document  contemporain  de  Théroïne.  C'est  le 
résumé  de  pièces  qui  seraient  aujourd'hui  fort  précieuses  si  le  temps  ne 
les  avait  détruites.  Ce  résumé  est  de  la  première  partie  du  xvii*  siècle. 
n  a  été  fait  par  un  notable  bourgeois  de  Reims,  Jean  Rogier. 

Jean  Rogier,  membre  de  Téchevinage  de  sa  ville  natale,  fut  porté  plu- 
sieurs fois  au  premier  rang  de  la  magistrature  urbaine  en  qualité  de 
procureur,  c'est-à-dire  comme  administrateur  des  deniers  municipaux. 


352  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

Il  était  curieux  de  connaître  Torigine  des  institutions  de  la  noble  cité, 
l'histoire  de  Reims  durant  les  trois  ou  quatre  derniers  siècles.  Avec  son 
ami,  Nicolas  Bergier,  comme  lui  curieux  du  passé,  il  se  mit  à  étudier  les 
chartes,  les  lettres  et  autres  documents,  dont  plus  que  beaucoup  d'autres 
villes  Reims  abondait.  Il  était  en  correspondance  suivie  avec  le  savant 
André  Duchesne,  et  lui  transmettait  avec  beaucoup  de  désintéresse- 
ment les  pièces  qu'il  découvrait,  et  croyait  pouvoir  lui  être  agréables. 

M.  Varin,  le  laborieux  éditeur  des  Archives  de  Reims,  dans  les  prolé- 
gomènes historiques  et  biographiques  mis  en  tête  de  ses  compacts  et 
nombreux  volumes  (p.  cxxi),  cite  une  longue  lettre  dans  laquelle 
Rogier  manifeste  son  regret  de  connaître  bien  imparfaitement  le  latin,  et 
la  difficulté  qu'il  éprouve  à  déchiffrer  les  vieilles  écritures.  L'aveu  honore 
sa  modestie  et  concilie  l'estime  à  sa  personne.  Encore  faut-il  peut-être 
en  tenir  compte  dans  l'appréciation  de  certaines  pièces  de  toute  gravité 
que  nous  ne  connaissons  que  par  les  analyses  qu'il  nous  en  a  laissées. 
Telles,  par  exemple,  les  lettres  de  Regnault  de  Chartres  sur  la  Pucelle. 

Rogier  nous  a  conservé  des  détails  intéressants  sur  la  soumission  de 
Troyes,  Chàlons  et  Reims,  trois  villes  fort  anglo-bourguignonnes, 
comme  presque  la  Champagne  entière,  disposées  à  repousser  toutes 
ensemble  la  Pucelle  et  le  roi,  et  qui,  soudainement,  ouvrirent  leurs 
portes.  Nous  lui  devons  la  conservation  de  la  lettre  de  Jeanne  d'Arc  aux 
habitants  de  Troyes,  lettre  courte  mais  singulièrement  expressive,  que  Ton 
ne  trouve  que  chez  lui. 

Rogier  semble  avoir  fini  son  travail  en  1620;  mais  il  ne  cessa  de  le  per- 
fectionner jusqu'à  sa  mort,  survenue  en  1637.  On  possède  plusieurs  ma- 
nuscrits de  son  œuvre  ;  le  meilleur  est  à  la  bibliothèque  de  Reims 
(2  vol.  in-f°).  C'est  du  moins  le  sentiment  de  Pierre  Varin,  que  nous  ne 
faisons  qu'abréger,  et  chez  lequel  est  pris  l'extrait  que  Ton  va  lire  *. 


II 

En  Tan  mil  quatre  cent  vingt-neuf,  les  Anglais  ayant  été  chassés  du 
siège  qu'ils  tenaient  devant  la  ville  d'Orléans,  par  le  secours  de  Jeanne  la 
Pucelle,  et  toute  leur  armée  ayant  été  défaite  aux  environs  de  Baugency, 
Meung,  et  en  d'autres  lieux,  le  Dauphin,  qui  était  le  roi  Charles  Septième 
[mais  il  sera  ainsi  nommé  jusques  à  son  arrivée  à  Troyes  afin  de  rendre 
ce  présent  recueil  conforme  aux  lettres  et  avis  qui  y  sont  rapportés],  le 
Dauphin  prit  la  résolution,  par  l'avis  de  son  conseil,  de  s'acheminer  en 

1.  StatutSy  1. 1",  II*  part.,  p.  596  et  suiv. 


JEAN  ROGIER.  —  LA  CAMPAGNE  DU  SACRE.  353 

Champagne  pour  venir  se  faire  sacrer  et  couronner  roi  de  France,  en  la 
ville  de  Reims.  Suivant  ce  que  le  duc  de  Bourgogne  écrit  aux  habitants 
de  Reims,  en  faisant  réponse  aux  lettres  que  lesdits  habitants  lui  avaient 
envoyées,  le  Dauphin  avait  eu  quelque  assurance  de  la  part  de  quelques 
habitants  de  la  ville  que,  s'il  venait  en  Champagne,  les  portes  de  la  ville 
de  Reims  lui  seraient  ouvertes.  Le  duc  de  Bourgogne  dit  dans  ses  lettres 
qu'il  était  averti  que  quelques-uns  des  habitants,  par  lettres  ou  par  mes- 
sages, avaient  mandé  et  fait  venir  lesdits  adversaires,  en  les  assurant 
qu'une  fois  arrivés  par  ici,  on  leur  ferait  ouverture  des  portes  de  la  ville 
et  entière  obéissance  ;  autrement  ils  n'auraient  pas  été  si  hardis  que  de 
venir  en  ces  marches  ^ 

Ce  Cordelier  qui  fut  pris  par  ceux  de  Troyes,  comme  il  sera  dit  ci- 
après,  confirme  fort  ce  que  le  duc  de  Boui^ogne  en  avait  écrit,  disant  à 
ceux  de  Troyes,  qu'il  avait  vu  trois  ou  quatre  bourgeois  qui  se  don- 
naient comme  de  la  ville  de  Reims,  lesquels  disaient  entre  autres  choses 
à  icelui  Dauphin  d'aller  sûrement  à  Reims,  et  qu*ils  se  faisaient  fort  de 
le  mettre  dans  la  ville.  Encore  que  l'histoire  de  France  ne  fasse  point  men- 
tion de  ces  particularités,  que  l'on  pourrait  croire  inventées,  il  ne  faut 
nullement  douter  que  cela  ne  soit  ainsi  :  les  lettres  du  duc  de  Bourgogne 
sont  encore  en  bonne  forme  ainsi  que  celles  des  habitants  de  Troyes 
touchant  le  rapport  du  Cordelier;  et  aussi  les  effets  ont  suivi ^ 

Au  cours  de  cet  acheminement  du  Dauphin,  on  remarque  une  grande 
prudence  de  la  part  des  habitants  de  Reims.  Pour  ne  pas  donner  de  mau- 
vais soupçon  contre  eux  aux  chefs  qui  gouvernaient  pour  TAnglais,  ils 
leur  baillaient  avis  de  tout  ce  qu'ils  apprenaient  dudit  acheminement  et 
de  Tétat  de  la  ville  de  Reims,  et  ils  mandaient  qu'on  empêchât  les  pas- 
sages dudit  Dauphin  ;  mais  pas  un  mot  de  demande  de  secours  pour  dé- 
fendre et  garder  ladite  ville,  et  ils  n'en  voulurent  pas  recevoir  comme  il 
sera  dit  ci-après. 

Il  faut  noter  que  depuis  Orléans  jusqu'à  Reims  tout  était  à  la  dévotion 
de  l'Anglais.  Philibert  de  Meulan,  à  la  tète  d'une  compagnie  de  gens 
d'armes,  de  Nogent-sur-Seine  où  il  était,  écrivit  aux  habitants  de  Reims, 
le  1**  jour  de  juillet  1429,  que  le  Dauphin  et  sa  puissance  étaient  à  Mon- 
tai^s  et  se  vantaient  d'aller  à  Sens,  se  promettant  que  ceux  de  Sens  leur 
feraient  ouverture;  mais  qu'il   était    bien  assuré    du  contraire,  qu'ils 

1.  C'est,  ce  semble,  une  conjecture  faite  par  ceux  qui,  ne  croyant  pas  à  la  mission  de 
laPucelle,  ne  pouvaient  pas  s  expliquer  la  marche  si  hardie  de  Charles  VII  en  plein 
pays  ennemi. 

2.  Tout  ce  passage  de  Rogier  est  peu  intelligible.  S'agit-il  du  Cordelier  Hichard  ou 
de  l'un  de  ses  confrères?  Richard  n'a  pas  été  pris  par  les  Troyens.  Lui-même  n'a  cru 
à  Jeanne  d'Arc  que  lorsqu'elle  est  arrivée  à  Troye**.  Les  effets  qui  ont  suivi  avaient 
une  autre  cause,  sur  laquelle  Rogier  passe  trop  légèrement. 

m.  23 


354  LA  YRAIË  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

attendaient  le  secours  du  roi  d'Angleterre,  de  Monsieur  le  régent  et  de 
Monseigneur  de  Bourgogne  ;  que  les  habitants  de  ladite  ville  avaient  pris 
et  portaient  la  croix  de  Saint-André,  et  que  la  ville  d'Auxerre  et  les 
autres  du  pays  ne  se  souciaient  ni  des  Armagnacs,  ni  de  la  Pucelle,  et 
que  si  les  habitants  de  Reims  avaient  besoin  de  lui,  il  les  viendrait 
secourir  avec  sa  compagnie,  comme  bon  chrétien  doit  faire  *. 

Les  habitants  de  Troyes  baillèrent  pareil  avis  aux  habitants  de  Reims, 
et  le  môme  jour,  leur  mandant  que  les  ennemis  du  roi  {d'Angleterre)  et 
du  duc  de  Bourgogne  étaient  près  d'Auxerre  pour  aller  à  Reims,  et  que 
s'il  advenait  qu'eux-mômes  fussent  requis  par  lesdits  ennemis  de  faire 
quelque  chose  de  contraire  au  parti  qu'ils  tenaient,  qu'ils  étaient  délibé- 
rés de  faire  une  réponse  entièrement  négative,  et  de  se  tenir  au  parti  du 
roi  et  du  duc  de  Bourgogne  jusqu'à  la  mort  inclusivement. 

Le  Dauphin  arriva  près  de  la  ville  de  Troyes  le  cinquième  jour  de 
juillet.  11  manda  aux  habitants  comment,  par  avis  de  son  conseil,  il  avait 
entrepris  d'aller  à  Reims  pour  y  recevoir  son  sacre  et  son  couronnement, 
que  son  intention  était  de  passer  le  lendemain  par  la  ville  de  Troyes,  et 
à  cette  fm  il  leur  mandait  et  commandait  de  lui  rendre  Tobéissance  qu'ils 
lui  devaient,  de  se  disposer  à  le  recevoir,  sans  être  arrêtés  par  la  diffi- 
culté ou  la  crainte  des  choses  passées,  pouvant  penser  qu'il  en  voulût 
prendre  vengeance,  ce  qu'il  n'avait  pas  en  volonté  ;  mais  que  s'ils  se 
gouvernaient  envers  leur  souverain  comme  ils  le  devaient,  il  mettrait 
tout  en  oubli,  et  les  tiendrait  en  sa  bonne  grâce. 

Jeanne  la  Pucelle  écrivit  pareillement  auxdits  habitants  en  cette 
façon  : 

Jhesus  t  Maria. 

«  Très  chers  et  bo7is  amis^  s'il  ne  tient  à  vous  ^  seigneurs^  bourgeois  et 
habitans  de  la  ville  de  Troyes^  Jehanne  la  Pucelle  vous  ynande  et  votis  fait 
savoir  de  par  le  roi  du  Ciel^  son  droiturier  et  souverain  Seigneur^  au  ser- 
vice royal  duquel  elle  est  U7i  chascunjour  *,  que  vous  fassiez  vraie  obéissance 
et  recon7ioissance  au  gentil  roy  de  Fratice  qui  sera  bien  brief  [bientôt]  à 
Reims  et  a  Paris,  qui  que  viemie  coiitre^  et  en  ses  bonnes  villes  du  saint 
RGYAULME,  à  l'aidcdu  roi  Jhesus. 

1.  Philibert  de  Meulan  était  probablement  un  de  ces  condottieri  de  l'époque,  dont  le 
métier  était  de  se  battre,  et  qui  n'aimaient  pas  à  chômer.  li  ne  semble  pas  que 
(Charles  Vil  ait  voulu  passer  par  Sens  drftis  ce  premier  voyage.  Les  habitants  de  Reims, 
quoique  insinue  Uogier,  furent  anglo-bourguignons  très  chaleureux;  mais  ils  ne  se 
souciaient  pas  d'avoir  dans  leurs  murs  des  auxiliaires  non  moins  onéreux  pour  leurs 
alliés  que  pour  leurs  ennemis. 

2.  Si  vous  voulez  qu'il  en  soit  ainsi. 

3.  Texte  :  Duquel  elle  est  chascun  jour  en  son  service  roial. 


JEAN  ROGIER.  —  LA  CAMPAGNE  DU  SACRE.  353 

a  Loy aulx  François,  venez  au-devant  du  rofj  Charles  et  quiln'y  ait  point 
de  faute,  et  n'ayez  aucune  inquiétude  '  pour  vos  corps  et  vos  biens  si 
ainsi  le  f eûtes.  Et  si  ainsi  ne  le  faites,  je  vous  promets  et  certifie  sur  vos  vies, 
QUE  NOUS  ENTRERONS  à  Caide  de  Diett,  en  toutes  les  villes  qui  doivent  être 
DU  SAINT  ROYAULME,  et  y  fcTons  bonnc  paix  ferme,  qui  que  vienne  contre. 

A  Dieu  vous  commant  (vous  recommande),  Dieu  soit  garde  de  vous,  s'il  lui 
plaist.  Response  6ri>/ (prompte)  devant  la  cité  de  Troyes.  Escrit  à  Sainct- 
Paies  ^ y  le  mardi  quatriesme  jour  de  juillet.  » 

De  tout  ce  qui  est  dit  ci-dessus,  les  habitants  de  Troyes  baillèrent  avis 
aux  habitants  de  Reims,  en  leur  envoyant  copie  desdites  lettres,  comme 
on  voit  par  leurs  lettres  écrites  le  môme  jour  cinquième  du  mois  de 
juillet,  mandant  comme  ils  attendaient  ce  jour  les  ennemis  du  roi  et  du 
duc  de  Bourgogne  pour  ôtre  assiégés  par  eux.  Contre  pareille  entreprise, 
quelque  puissance  qu'eussent  lesdits  ennemis,  vu  et  considéré  la  juste 
querelle  qu'ils  tenaient  et  les  secours  de  leurs  princes  qui  leur  avaient  été 
promis,  ils  étaient  résolus  de  plus  en  plus  de  se  garder  eux,  et  ladite  cité, 
en  Tobéissance  du  roi  et  du  duc  de  Bourgogne,  et  cela  jusqu'à  la  mort, 
ainsi  qu'ils  Pavaient  tous  juré  sur  le  précieux  corps  de  Jésus -Christ.  Ils 
priaient  les  habitants  de  Reims,  comme  frères  et  loyaux  amis,  d'avoir 
pitié  d'eux,  et  d'envoyer  par  devers  Monseigneur  le  régent,  et  le  duc  de 
Boui^ogne  pour  les  requérir  et  supplier  de  prendre  pitié  de  leurs  pauvres 
sujets  et  d'aller  les  secourir. 

Par  d'autres  lettres  écrites  le  même  jour,  à  cinq  heures  après  midi,  sur 
les  murs  de  la  ville,  les  mêmes  habitants  de  Troyes  baillent  avis  à  ceux 
de  Reims,  comment  l'ennemi  et  adversaire  en  sa  personne,  et  avec  sa 
puissance,  était  arrivé  cedit  jour,  environ  neuf  heures  du  matin,  devant 
la  ville,  et  y  avait  mis  le  siège  ;  comment  il  leur  avait  envoyé  ses  lettres 
closes  signées  de  sa  main,  scellées  de  son  scel  secret,  contenant  ce  qui  est 
transcrit  ci-devant.  Ces  lettres  ayant  été  lues  au  conseil,  après  délibération 
il  avait  été  répondu  aux  hérauts  qui  les  avaient  apportées,  et  auxquels 
on  n'avait  pas  donné  entrée  dans  la  ville,  que  les  seigneurs,  les  cheva- 
liers et  écuyers  qui  étaient  dans  Troyes  de  par  le  roi  et  de  par  le  duc  de 
Bourgogne  avaient  juré  et  fait  serment,  et  les  habitants  avec  eux,  de  ne 
pas  laisser  entrer  dans  la  ville  quelqu'un  de  plus  fort  qu'eux  ;  et  que  à 
rencontre  de  ce  serment  ceux  qui  étaient  dans  la  ville  n'oseraient  y  intro- 
duire ledit  Dauphin  ;  et  en  outre,  pour  excuser  les  habitants,  il  avait  été 

1.  Texte  :  Et  ne  vous  doublez  de  vos  corps,  etc. 

2.  Saint-Phal,  à  20  kilomètres  de  Troyes,  possédait  alors  un  château  donl  on  peut 
reconnaître  la  vaste  enceinte.  Le  seigneur  était,  en  1429,  Etienne  de  Vaudry,  comte 
de  Joigny ,  gouverneur  du  Tonnerrois.  U  était  Bourguignon . 


356  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARG  :  LA  LIBÉRATRICE. 

ajouté  à  celte  réponse,  que  quelque  fut  leur  vouloir,  ils  étaient  empêchés 
par  la  grande  multitude  des  gens  de  guerre  présents  dans  la  ville  et  qui 
étaient  plus  forts  qu'eux.  Cette  réponse  ainsi  faite,  un  chacun  s'était  retiré 
sur  les  murs  à  son  poste,  avec  Tintention  et  volonté  ferme  de  résister 
jusqu'à  la  mort,  si  on  faisait  aucun  effort  contre  eux  ;  et  il  leur  semblait 
que,  au  plaisir  de  Dieu,  ils  rendraient  bon  compte  de  ladite  cité  ;  et  de 
nouveau  ils  requéraient  les  habitants  de  Reims  d'avoir  à  envoyer  par  devers 
le  régent  et  le  duc  de  Bourgogne  remontrer  leur  nécessité.  Ils  mandaient 
aussi  comment  ils  avaient  reçu  des  lettres  de  Jeanne  la  Pucelle  qu'ils  appe- 
laient Coquarde  *,  laquelle  ils  certifiaient  être  une  folle  pleine  du  diable, 
que  sa  lettre  n'avait  ni  rime  ni  raison,  et  qu'après  en  avoir  fait  lecture  et 
s'en  être  bien  moqués,  ils  l'avaient  jetée  au  feu,  sans  lui  faire  aucune  ré- 
ponse, d'autant  que  ce  n'était  que  moquerie.  Ils  mandaient  aussi  que 
quelques-uns  des  compagnons^  de  ladite  ville  avaient  pris  un  Cordelier 
qui  avait  su,  confessé  et  juré  en  paroles  de  prêtre  et  sous  la  foi  de  ses 
vœux  de  religion,  qu'il  avait  vu  trois  ou  quatre  bourgeois  se  donnant 
comme  de  la  ville  de  Reims  qui  entre  autres  choses  disaient  au  Dauphin 
qu'il  allât  sûrement  à  Reims,  et  qu'ils  se  portaient  forts  de  le  mettre 
dedans  ladite  ville.  Et  iceux  de  Troyes  mandaient  à  ceux  de  Reims  de 
prendre  avis  sur  ce,  et  d'observer  à  qui  l'on  se  fiait. 

Les  habitants  de  Chàlons  reçurent  pareils  avis  des  habitants  de 
Troyes  touchant  la  venue  et  l'arrivée  du  Dauphin,  et  de  plus,  que  les 
lettres  de  Jeanne  la  Pucelle  avaient  été  portées  à  Troyes  par  un  nommé 
Frère  Richard  le  Prêcheur^.  Ils  en  baillèrent  avis  aux  habitants  de  Reims, 
leur  mandant  qu'ils  avaient  été  fort  ébahis  dudit  Frère  Richard,  d'autant 
plus  qu'ils  estimaient  que  ce  l'iit  un  très  bon  prud'homme;  mais  qu'il 
était  devenu  sorcier.  Ils  mandaient  aussi  que  les  habitants  de  Troyes  fai- 
saient forte  guerre  aux  gens  du  Dauphin,  avec  plusieurs  autres  paroles  de 
bravade  ;  et  que,  sur  ces  nouvelles,  ceux  de  Chàlons  avaient  intention 
de  tenir  et  de  résister  de  toutes  leurs  puissances  à  rencontre  desdits 
ennemis. 

Les  habitanisde  Reims  reçurent  pareillement  des  lettres  du  Dauphin, 
écrites  le  quatrième  jour  de  juillet,  par  lesquelles  il  leur  mandait  qu'ils 
pouvaient  bien  avoir  reçu  nouvelles  de  la  bonne  fortune  et  des  victoires 
qu'il  avait  plu  à  Dieu  de  lui  donner  sur  les  Anglais,  ses  anciens  ennemis, 
devant  la  ville  d'Orléans,  etdepuis.à  Jargeau,  Baugency,  Meung-sur-Loire, 
en  chacun  desquels  lieux  ses  ennemis  avaient  reçu  très  grand  dommage; 

1.  Fille  léjrèiv  et  ilo  mauvais  renom. 

2.  {\k>  n'est  que  sous  les  nuu*s  de  Troyes  que  Jeanne  el  le  Frère  Richard  se  sont 
rencontrés  pour  la  première  fois.  Nou^  en  a>ons  pour  garant  la  parole  de  Jeanne 
elle-même. 


JEAN  ROGIER.  —  LA  CAMPAGNE  DU  SACRE.  357 

que  tous  leurs  chefs,  et  des  autres  jusqu'à  quatre  mille,  y  étaient  morts 
ou  demeurés  prisonniers.  Ces  choses  étant  advenues  par  grâce  divine 
plus  que  par  œuvre  humaine,  de  l'avis  des  princes  de  son  sang  et  lignage 
et  de  son  grand  conseil,  il  s'était  acheminé  pour  aller  en  ladite  ville  de 
Reims  afin  d'y  prendre  son  sacre  et  couronnement.  Par  quoi  il  leur 
mandait,  sur  la  loyauté  et  Tobéissance  qu'ils  lui  devaient,  de  se  disposer 
à  le  recevoir  de  la  manière  accoutumée  pour  ses  prédécesseurs,  sans 
qu'on  pût  en  faire  aucune  difficulté  pour  les  choses  passées,  et  par  la 
crainte  que  Ton  pourrait  avoir  qu'il  les  eût  encore  en  sa  mémoire,  leur 
certifiant  que  s'ils  se  gouvernent  envers  lui  ainsi  que  faire  se  doit,  il  les 
traitera  en  toutes  leurs  affaires  comme  bons  et  loyaux  sujets.  Pour  être 
plus  avant  informé  de  leur  intention,  il  serait  très  content  qu'avec  le 
héraut  qu'il  envoie,  quelqu'un  de  ladite  ville  voulût  venir  par  devers  lui, 
que  l'on  pourrait  y  aller  sûrement  en  tel  nombre  qu'ils  l'aviseraient, 
sans  qu'il  y  fût  mis  aucun  empêchement.  Donné  à  Brienon-l'Archevêque* 
le  jour  que  dessus. 

Le  seigneur  de  Châtillon,  capitaine  de  la  ville  de  Reims,  durant  le 
temps  de  ces  nouvelles,  n'était  pas   à  Reims,  mais  à  Château-Thierry  ; 
ce  qui  fut  cause  que  les  habitants  de  ladite  ville  envoyèrent  vers  lui  en 
diligence  le  bailli  de  Reims,  le  huitième  jour  du  môme  mois  de  juillet. 
Ils  lui  baillèrent  avis  de  tout  ce  qui  a  été  rapporté  ci-devant  ;  et  de  plus, 
sur  ces  nouvelles,  ils  s'étaient  assemblés  pour  prendre  un  parti,  ce  qu'ils 
n'avaient  pas  pu  faire  à  cause  du  peu  de  gens  qui  s'étaient  trouvés  en 
rassemblée  ;  que  depuis  ils  avaient  fait  assembler  le  commun  [le  peuple) 
par  quartiers  ;  que  tous  avaient  répondu  et  promis  de  vivre  et  de  mourir 
avec  le  conseil  et  les  gens  notables  de  la  ville,  de  se  gouverner  en  bonne 
Bnion  et  faire  selon  leur  bon  avis  et  conseil,  sans  murmurer,  ni  sans  faire 
réponse  autrement  que  par  l'avis  et  l'ordonnance  du  capitaine  de  la  ville 
ou  de  son  lieutenant.  Le  bailli  eut  charge  de  lui  dire,  parmi  plusieurs 
.autres  choses,  qu'on  le  recevrait  dans  la  ville  avec  quarante  ou  cin- 
quante chevaux,  pour  communiquer  des  affaires  de  la  ville. 

Le  seigneur  de  Châtillon  envoya  à  Reims,  pour  répondre  à  ce  que  dessus, 

Pierre  de  la  Vigne  porteur  de  ses  lettres,  auquel  il  avait  remis  certains 

articles  dressés  par  lui,  avec  créance  pour  les  dire  de  par  lui  aux  habi- 

Jants,  demandant  qu'on  lui  fit  réponse,  et  que  si  on  voulait  les  garder 

et  entretenir  sans  les  enfreindre,  il  se  disposerait  à  vivre  et  à  mourir 

avec  eux. 

Articles  envoyés  aux  habitants  de  Reims  par  le  seigneur  de  Châtillon, 
capitaine  de  ladite  ville  : 

1.  Brienon-r Archevêque,  à  quatre  lieues  de  Joigny,  et  moins  de  trois  de  Saint- 
Florentin. 


358  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARG  :  LA  LIBÉRATRICE. 

«  Que  ladite  ville  soit  bien  et  hâtivementj^emparée  {mise  en  état  de 
défense), 

«  Pour  garder  icellc,  il  faut  avoir  au  moins  trois  ou  quatre  cents  com- 
battants qui  y  demeurent  jusqu'à  ce  que  l'entreprise  du  Dauphin  contre 
elle  soit  faillie  ;  il  avait  «îcrit  à  Monseigneur  le  régent  et  au  duc  de  Bour- 
gogne d'y  envoyer  chevaliers  et  écuyers  notables  pour  y  résister  à  ladite 
entreprise,  il  n'avait  aucune  réponse  ;  c'est  pourquoi  il  était  nécessaire 
d'envoyer  en  la  comté  de  Rethel,  et  partout  où  l'on  pourra  dans  les  lieux 
voisins  de  la  ville,  là  où  il  y  aura  possibilité  d'en  trouver. 

«  Si  leur  volonté  est  qu'il  se  mette  dans  la  ville,  il  ne  le  promettra  qu'à 
la  condition  d'en  avoir  la  garde  ainsi  que  du  château  de  Porte-Mars,  dans 
lequel  il  consentira  bien  qu'avec  lui  s'y  trouvent  cinq  ou  six  notables  de 
la  même  ville.  Il  en  agit  ainsi  par  crainte  de  la  commotion  du  peuple,  et 
parce  qu'il  lui  semble  que  c'est  dans  leur  intérêt  et  pour  leur  sécurité. 
Que  Ton  pourvoie  à  ce  qu'il  y  ait  des  provisions  nécessaires  pour  lui  et 
pour  ceux  qui  l'assisteront  et  viendront  avec  lui,  et  comment  on  pourrait 
les  gouverner  {sic)  et  contenter. 

«  Si  l'on  veut  observer  ces  articles,  il  est  prêt  de  se  mettre  avec  eux  ; 
pour  sa  décharge  il  garde  le  double  de  cette  stipulation  ;  qu'on  lui  réponde 
hâtivement,  d'autant  que  si  le  Dauphin  venait  devant  la  ville  il  ne 
pourrait  s'y  bouter.  » 

On  peut  facilement  juger  par  la  conduite  du  seigneur  de  Châtillon  en 
ces  occurences,  qu'il  avait  reconnu  que  le  dessein  des  habitants  de  Reims 
était  d'admettre  et  de  recevoir  le  Dauphin  dans  la  ville.  C'est  pourquoi  il 
ne  voulait  pas  y  venir  qu'il  ne  fût  le  plus  fort. 

Depuis,  le  môme  seigneur  de  Châtillon  avec  les  seigneurs  de  Saveuse 
et  de  risle-Adam  vinrent  en  la  ville  de  Reims  avec  un  grand  nombre  de 
leurs  gens  ;  ils  exposèrent  plusieurs  choses  aux  habitants  de  la  part  du 
duc  de  Bourgogne  et  en  particulier  que  l'armée  destinée  à  résister  au 
Dauphin  ne  pouvait  être  prête  que  dans  cinq  à  six  semaines.  Sur  quoi 
lesdits  habitants  ne  voulurent  point  permettre  que  les  gens  desdits  sei- 
gneurs entrassent  dans  la  ville  de  Reims,  ce  qui  fut  cause  que  les  seigneurs 
de  Châtillon,  de  Saveuse  et  de  TIsle-Adam  se  retirèrent. 

De  toutes  parts  on  écrivait  aux  habitants  de  Reims  pour  les  encourager 
à  se  maintenir  en  Tobéissance  du  roi  {d'Angleterre)  et  du  duc  de  Bour- 
gogne. Ainsi  Colart  de  Mailly,  bailli  de  Vermandois,  écrivit  le  dixième 
jour  de  juillet,  que  le  duc  de  Bourgogne  et  messire  Jean  de  Luxembourg 
devaient  entrer  à  Paris  le  jour  qui  précédait  la  date  de  ses  lettres  ;  que  les 
Anglais,  au  nombre  de  huit  mille  combattants,  étaient  descendus  en  la 
comté  de  Boulogne,  et  que,  de  bref,  il  y  aurait  pour  résister  aux  ennemis 
la  plus  belle  et  grande  compagnie  qui  ait  été  depuis  vingt  ans  en  ce 


JEAN  ROGIER.  —  LA  CAMPAGNE  DU  SACRE.  359 

royaume  ;  que  le  duc  de  Bourgogne  avait  envoyé  son  armée  aux  pas- 
sages par  où  étaient  venus  les  ennemis  pour  empocher  leur  retour,  et 
qu'ainsi  ils  ne  retourneraient  pas  tous  en  leurs  lieux. 


III 

Les  habitants  de  Troyes  ayant  reçu  en  leur  ville  le  roi  Charles  Sep- 
tième, qui  jusqu'alors  avait  été  appelé  et  nommé  le  Dauphin,  ils  en 
baillèrent  avis  le  môme  jour  qui  était  le  onzième  de  juillet,  aux  habitants 
de  Reims.  Ils  leur  mandèrent  comment  le  roi  Charles  étant  arrivé  devant 
leur  ville,  outre  la  lettre  déjà  mentionnée,  qu'il  leur  avait  fait  savoir 
qu'on  pouvait  aller  devers  lui  en  toute  sécurité,  que  Révérend  Père  en 
Dieu  Monseigneur  leur  évêque  y  étant  allé,  le  roi  leur  remontra  et  exposa 
très  hautement  et  très  prudemment  les  causes  pour  lesquelles  il  était  arrivé 
devers  eux,  disant  que,  par  le  trépas  du  feu  roi  son  père,  lui  survivant 
était  le  seul  et  unique  héritier  du  royaume  ;  que,  pour  ce  motif,  il  avait 
entrepris  le  voyage  de  Reims  afin  de  s'y  faire  sacrer,  et  qu'il  se  rendrait 
dans  les  autres  parties  de  son  royaume  afin  de  les  réduire  en  son  obéis- 
sance ;  qu'il  pardonnerait  tout  le  passé  sans  rien  réserver,  et  qu'il  tiendrait 
ses  sujets  en  paix  et  en  franchise  telle  que  le  roi  saint  Louis  tenait  son 
royaume.  Ces  choses  leur  ayant  été  rapportées,  il  fut  délibéré  et  conclu 
en  une  grande  assemblée  de  lui  rendre  plénière  obéissance,  attendu  son 
bon  droit,  qui  est  tel  que  chacun  peut  le  savoir,  moyennant  qu'il  leur 
ferait  abolition  générale  de  tous  les  cas,  qu'il  ne  leur  laisserait  point  de 
garnison,  et  qu'il  abolirait  les  aides,  la  gabelle  exceptée  ;  ce  dont  lui  et 
son  conseil  furent  d'accord.  Pour  ces  causes,  les  habitants  de  Troyes 
priaient  les  habitants  de  Reims  de  faire  audit  roi  plénière  obéissance  telle 
qu'ils  l'avaient  faite,  afin  de  s'entretenir  toujours  ensemble  en  une  môme 
seigneurie  et  de  pouvoir  préserver  de  périls  leurs  corps  et  leurs  biens; 
car,  s'ils  ne  l'avaient  pas  ainsi  fait  eux-mômes,  ils  étaient  tous  perdus  de 
corps  et  de  biens,  et  ils  ne  voudraient  pas  que  ce  fût  à  faire  ;  il  leur  déplai- 
sait d'avoir  tant  tardé;  l'on  sera  très  joyeux,  quand  on  l'aura  fait,  d'au- 
tant plus  que  c'est  le  prince  de  la  plus  grande  discrétion,  entendement  et 
vaillance,  qui  de  longtemps  soit  issu  de  la  noble  maison  de  France. 

Jean  de  Châtillon,  seigneur  de  Troissy,  frère  du  capitaine  de  Reims,  par 
sa  lettre  écrite  de  Châtillon  le  treizième  jour  de  juillet,  mandait  aux 
habitants  de  Reims  qu'il  avait  appris  que  l'entrée  du  roi  en  la  ville  de 
Troyes  ne  s'était  pas  faite  du  consentement  des  seigneurs  de  Rochefort  et 
de  Plancy,  ni  des  autres  seigneurs,  chevaliers  et  écuyers  qui  s'y  trou- 
vaient; que  ladite  entrée  avait  été  faite  par  la  séduction  de  l'évoque  et 


360  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

(lu  doyen  de  Troyes,  par  le  moyen  d'un  Gordelier  nommé  Frère  Richard. 
Le  commun  de  ladite  ville  (le  peuple)  alla  en  très  grand  nombre  vers 
lesdits  seigneurs,  chevaliers  et  écuyers,  leur  dire  que  s'ils  ne  voulaient 
pas  tenir  le  traité  quils  avaient  fait  pour  le  bien  public,  ils  mettraient  les 
gens  du  roi  dans  la  ville,  qu'ils  le  voulussent  on  non.  Ledit  de  Ghàtillon 
mandait  aussi  que  les  ennemis  n'avaient  fait  aucun  effort,  qu'ils  n'avaient 
pas  de  quoi  manger  et  étaient  près  de  passer  outre;  que  lesdits  chevaliers 
et  écuyers  étaient  sortis  de  la  ville  par  traité,  leurs  biens  et  leurs  corps 
saufs,  moyennant  qu*ils  auraient  un  marc  de  chacun  des  prisonniers 
qu'ils  avaient  pris.  L'écuyer  qui  lui  avait  apporté  ces  nouvelles  certifiât 
avoir  vu  Jeanne  la  Pucelle,  qu'il  était  présent  quand  les  seigneurs  de 
Rochefort,  Philibert  de  Molant  et  d'autres  l'interrogèrent  ;  qu'il  leur  avait 
affirmé  par  sa  foi  que  c'était  la  plus  simple  chose  qu'il  vit  jamais,  et  qu'en 
son  fait  il  n'y  avait  ni  rime  ni  raison,  non  plus  que  dans  le  plus  sot  qu  il 
vit  oneques  ;  il  ne  la  comparait  pas  à  si   vaillante  femme    comme  ma- 
dame d'Or*,  et  que  les  ennemis  ne  faisaient  que  se  moquer  de  ceux 
qui  en  avaient  crainte. 

Regnault  de  Chartres,  archevêque  de  Reims  et  chancelier  de  France, 
avait  toujours  assisté  le  roi  Charles  VU,  spécialement  durant  le  temps  de 
sa  régence,  de  sorte  qu'il  n'avait  eu  aucune  part  aux  affaires  qui  s'étaient 
passées  dans  la  ville  de  Reims  depuis  l'entrée  du  duc  de  Bourgogne  en 
cette  ville.  Étant  à  Troyes  avec  le  roi,  il  manda  aux  habitants  de  Reims, 
par  ses  lettres  du  douzième  de  juillet,  qu'ils  eussent  à  se  disposer  pour 
recevoir  honorablement  le  roi  à  son  sacre  ;  à  quoi  faire  il  les  priait  et 
exhortait. 

Les  habitants  de  la  ville  de  Chàlons  ayant  pareillement  reçu  le  roi 
Charles  en  leur  ville,  en  baillèrent  avis  aux  habitants  de  Reims  par  leurs 
lettres  du  seizième  de  juillet.  Ils  leur  mandaient  que  le  roi  Charles  avait 
envoyé  vers  eux  un  héraut  appelé  Montjoie,  leur  disant  par  icelui  de  se 
disposer  à  le  recevoir  et  à  lui  rendre  pleine  obéissance,  et  que  sur  ce,  ils 
avaient  député  certains  ambassadeurs  pour  aller  de  leur  part  vers  lui  à 
Lestré;  qu'ils  y  furent  bénignement  reçus  et  favorablement  ouïs;  àleur 
retour  à  Chàlons,  après  avoir  été  entendus  en  assemblée  générale,  il 
avait  été  conclu  par  tous  de  recevoir  le  roi  Charles,  et  de  lui  rendre 
entière  obéissance  comme  à  leur  souverain;  qu'ils  avaient  été  au-devant 
de  lui  porter  les  clefs  de  la  ville  qu'il  avait  reçues  bénignement;  après 
quoi  il  était  entré  dans  la  ville.  Dans  ces  lettres  ils  louent  fort  la  per* 
sonne  du  roi,   comme  étant  doux,  gracieux,  compatissant  et  miséri- 

1.  Une  servante,  ou  mieux  une  baladine,  attachée  à  la  cour  de  Bourgogne,  qu'ell© 
égayait  par  ses  tours  de  force  et  par  ses  farces.  Sa  longue  chevelure  blonde  lui  avait 
valu  le  nom  de  «  madame  d'Or  ». 


J 


362  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARG  :  LA  LIBÉRATRICE. 

rapports  contre  la  fidélité  qu'ils  lui  devaient,  il  n'avait  voulu  y  ajouter 
aucune  foi,  se  tenant  trop  assuré  de  leur  fidélité;  qu'un  nommé 
Jean  Labbé  lui  avait  dit  qu'il  y  avait  plusieurs  gens  qui  avaient  promis 
de  rendre  la  ville  de  Reims  au  duc  de  Bourgogne,  d'autres  qui  avaient 
dit  que  le  jour  du  Saint-Sacrement  on  avait  enti^epris  d'y  faire  entrer  le 
duc  de  Bourgogne,  et  il  témoigne  par  toutes  ses  lettres  qu'il  avait  un 
grand  soin  de  la  ville  de  Reims,  une  grande  confiance  aux  habitants 
d'icelle. 

Regnault  de  Chartres,  archevêque  de  Reims  et  chancelier  de  France, 
par  quatre-vingt-quinze  lettres  missives  que  depuis  le  sacre  du  roi  Charles 
il  écrivit  aux  habitants  de  Reims,  se  reconnaît  une  grande  affection  et 
bonne  volonté  à  leur  égard.  Il  leur  baille  avis  de  toutes  les  affaires  qui  se 
passaient  tant  pour  la  guerre  que  pour  les  traités  de  paix,  il  assiste  tant 
de  sa  faveur,  que  de  ses  moyens  les  députés  de  Reims  qui  étaient  journel- 
lement en  cour  pour  les  affaires  de  la  ville  ;  il  prêta  auxdits  habitants  la 
somme  de  quatre  mille  livres  pour  bailler  à  Monsieur  le  Connétable,  afin 
de  l'aider  à  entretenir  son  armée  occupée  en  Champagne  à  réduire  les 
places  à  l'obéissance  du  roi  ;  et  sur  la  nécessité  qu'il  dit  en  une  de  ses 
lettres  avoir  de  son  argent,  il  jure  sur  sa  foi  qu'il  paye  ses  dépens  en  la 
campagne,  comme  il  le  fait  dans  les  villes  ;  ce  qui  fait  croire  que  cela 
n'était  pas  commun,  parmi  les  seigneurs  de  sa  qualité,  de  payer  la  cam- 
pagne. 

Sur  les  fausses  nouvelles  qu'un  nommé  Jean  le  Gros  faisait  courir, 
pour  intimider  le  peuple,  que  le  duc  de  Bourgogne  était  aux  champs  avec 
une  grande  armée,  que  le  roi  d'Angleterre  était  arrivé  à  Calais,  ledit 
Archevêque  mande  que  le  roi  a  donné  bon  ordre  partout.  Il  donne  avis 
des  offres  que  ledit  duc  avait  faites  à  Guillaume  de  Flavy,  gouverneur  de 
Compiègne,  pour  qu'il  lui  rendît  ladite  ville,  lui  offrant  un  grand  mariage 
de  plusieurs  milliers  de  saints  d'or,  et  que  ledit  Flavy  lui  avait  répondu 
que  ladite  ville  appartenait  au  roi,  et  non  à  lui. 

Il  mande  aussi  qu'il  était  averti  que  quelques  habitants  avaient  entrepris 
de  mettre  la  ville  de  Reims  entre  les  mains  du  duc  de  Bourgogne,  il  prie 
que  Ton  fasse  bonne  garde,  de  se  représenter  ce  qui  avait  failli  arriver  à 
Troyes;  qu'il  est  averti  que  quelques-uns  de  Paris,  pleins  de  toute  ini- 
quité, avaient  envoyé  à  Reims  un  religieux  des  Blancs-Manteaux,  afm,  par 
son  moyen  et  par  le  moyen  d'autres  de  la  ville,  tant  gens  d'Klglise  que 
séculiers,  ils  pussent  mettre  à  perdition  ladite  ville  et  plusieurs  personnes 
de  tous  états,  qu'il  avait  mandé  à  son  officiai  et  à  ses  autres  officiers  d'en 
faire  justice,  et  il  requiert  de  par  le  roi  qu'on  y  tienne  la  main...  Il 
mande  que  Ton  fasse  sortir  les  gens  de  guerre  qui  étaient  à  Beyne,  qu'il 
fera  sortir  les  Écossais  qui  étaient  dans  Cormicy,  qu'il  a  eu  avis  de  la 


JEAN  BOGIER.  —  LA  C\MPaGNE  DU  SACRE.  363 

déloyauté  de  Jean  Labbé,  qu'il  n'avait  pis  voulu  ajouter  foi  à  ses  fausses 
paroles,  et  il  mandait  que  justice  en  fût  faite. 

Il  donne  avis  des  abstinences  de  guerre  prises  avec  le  duc  de  Bour- 
gogne, de  la  commission  qu'il  avait  avec  Monsieur  le  Connétable  pour 
traiter  de  la  paix  avec  ledit  duc.  et  de  plusieurs  particularités  qui  se  sont 
passées  pendant  le  temps  du  pourparler  de  paix,  de  ce  qui  se  passait  avec 
TAnglais,  de  la  journée  prise  à  Arras  pour  faire  la  conclusion  de  ladite 
paix,  en  laquelle  se  devraient  trouver  quatre  Cardinaux. 

//  donne  pareillement  avis  de  la  prise  de  Jeanne  la  Pucelle  devant  Com- 
piègftey  et  comme  elle  ne  voulait  croire  conseil,  ains  (msis)  faisait  font  à  son 
plaisir;  qu'il  était  venu  vers  le  roi  un  jeune  pastour  gardeur  de  brebis  des 
montagnes  de  Gévaudan  en  révéché  de  Mende.  lequel  dirait  ne  plus  ne 
moins  qu  avait  fait  Jeamie  la  Pucelle,  et  qu'il  avait  commandement  de 
Dieu  d'aller  avec  les  gens  du  roi,  et  que  sans  faute  les  Anglais  et  Hourgui^ 
gnons  seraient  déconfits;  et  sur  ce  quon  lui  dit  que  les  Anglais  avaient  fait 
mourir  Jeanne  la  Pucelle,  il  leur  répondit  que  tant  plus  il  leur  en  mécher- 
rait  (arriverait  mal)  ;  et  que  Dieu  avait  souffert  prendre  (qu'on  prît) 
Jeamxe  la  Pucelle^  parce  qu'elle  s'était  constituée  en  orgueiL  et  pour  les 
riches  habits  quelle  avait  prisy  et  quelle  n  avait  pas  fait  ce  que  Dieu  lui 
avait  commandé;  aim  avait  fait  sa  volonté. 

Il  mandait  aussi  comme  Monsieur  le  duc  d'Orléans,  lequel  avait  été 
tenu  vingt-cinq  ans  prisonnier  en  Angleterre,  était  arrivé  à  Calais,  et  do 
là  était  allé  à  Gra vélines,  etc.. 

[Voilà  avec  le  contexte  le  fameux  passage  sur  Jeanne  d'Arc.  Il  est 
manifeste  que,  en  résumant  les  quatre-vingt-quinze  lettres  de  TArche- 
vêque-chancelier  aux  bourgeois  de  la  ville  archiépiscopale,  Rogier  n'a 
nullement  suivi  Tordre  chronologique.  Avant  de  parler  des  malen- 
contreuses missives  de  Regnault  de  Chartres  sur  celle  qu'il  avait  approu- 
vée à  Poitiers,  TAbréviateur  rapporte  celles  qui  regardent  le  congrès 
d* Arras,  qui  fut  tenu  cinq  ans  après  la  prise  de  Jeanne;  d'un  bond, 
après  avoir  narré  Tintervention  du  triste  berger  du  Gévaudan,  il  en 
vient  au  rachat  du  duc  d'Orléans,  qui  ne  fut  opéré  que  dix  ans  après  la 
sortie  de  Compiègne.  Ce  pôle-môle  n'est  pas  sans  diminuer  l'autorité 
d'une  pareille  analyse.  On  voudrait  avoir  le  texte  môme  de  Tincrimination 
du  prélat  sur  la  mémoire  duquel  pèsent  semblables  lignes.  Il  est  mani- 
feste que  le  chancelier  a  parlé  de  la  Libératrice  dans  plusieurs  de  ses 
lettres,  et  la  conjecture  émise  dans  la  Pucelle  devant  l'Église  de  son  temps 
(page  82)  devient  certitude,  quand  on  lit  le  passage  entier  de  Téchcvin  de 
Reims.  Il  a  été  déjà  discuté.  Les  inculpations  du  malheureux  pastour 
contre  celle  qu'il  prétendait  sottement  remplacer  et  continuer  n'atteignent 
pas  la  Vénérable;  elles  retombent  sur  celui  qui  s'en  est  fait  l'écho.  Quand 


364  LA  VRAIE  JEANNE  D^ARG  :   LA  LIBÉRATRICE. 

toutes  les  pièces  auront  été  produites,  il  faudra  revenir  sur  le  rôle  de 
rArchevèque-chancelier. 

Rogier  ne  dit  rien  de  la  cérémonie  du  sacre  de  Charles  VII;  il  a  cru 
sans  doute  qu'il  suffisait  du  livre  où  il  a  raconté  d'une  manière  géné- 
rale comment  les  choses  devaient  se  passer.  Les  détails  en  sont  très 
intéressants,  et  le  seraient  bien  plus,  s'il  n  avait  pas  semé  de  grosses  et 
nombreuses  fautes  de  latin  les  multiples  oraisons  liturgiques,  si  propres 
à  donner  la  juste  idée  de  la  royauté  chrétienne  et  de  la  souveraineté, 
telle  que  TKglise  la  conçoit. 

Ce  que  Rogier  ne  nous  a  pas  décrit,  trois  seigneurs  angevins  vont  le 
mettre  sous  nos  yeux.] 


CHAPITRE  X 

LE  SACRE.  — LETTRES  DE  TROIS  SEIGNEURS  ANGEVINS  ET  DE  JACQUES  DE  BOURBON. 

Sommaire  :  1.  —  Lettre  de  trois  seigneurs  angevins  a  la  reine  et  a  sa  mère.  —  Les 
destinai  aires  de  la  lettre;  ceux  qui  écrivent.  —  Où  et  par  qui  fut  trouvée  et  d'abord 
publiée  cette  lettre.  —  Récente  découverte  d'une  autre  copie.  —  Solennité  du  sacre. 
—  Les  pairs  laïques,  les  pairs  ecclésiastiques.  —  Le  cortège  de  la  sainte  ampoule 
apportée  et  rapportée.  —  Durée  de  la  cérémonie.  —  Enthousiastes  acclamations. 
--  Attitude  de  la  Purelle.  —  L'entrée  du  roi  à  Troyes,  à  Châlons,  à  Reims.  - 
Marche  directe  du  roi  sur  Paris.  —  La  présence  du  duc  de  Bourgogne  à  Laon,  de 
ses  ambassadeurs  à  Reims.  —  Espérance  de  paix.  —  La  Pucelle  assurée  de  mettre  le 
roi  dans  Paris. 

II.  —  Lettre  de  .Iacoies  de  Boi rbon  La  Marche  a  l'évéqle  de  Laon.  —  Sa  découverte 
dans  les  manuscrits  de  Vienne.  —  Traduite  et  publiée  par  Siinéon  Luce  dans  la 
Revue  Bleue.  —  Le  destinataire.  —  11  est  étrange  qu'on  lui  écrive  ce  qu'il  était  en 
état  de  mieux  savoir  que  le  correspondant.  —  Jacques  de  Bourbon.  —  Inexactitudes, 
faussetés,  impossibilités  qui  abondent  dans  cette  lettre. 


I 

Lettre  de  trois  seigneurs  angevins  a  la  reine  ]\Lvrie  d'Anjou,  et  a  sa 
MÈRE  Yolande.  —  xNous  avons  ici  le  récit  du  sacre  écrit  au  sortir  de  la 
cérémonie.  On  se  rappelle  que  la  reine  Marie  d'Anjou,  mandée  h  Gienpour 
être  couronnée  à  Reims  avec  son  époux,  avait  été  ramenée  à  Bourges,  où 
elle  se  trouvait  avec  sa  mère,  la  reine  de  Sicile,  Yolande.  On  n'a  pas  de 
peine  à  imaginer  avec  quelle  impatience  les  deux  reines  devaient 
attendre  des  nouvelles  de  la  marche  royale,  et  du  couronnement  qui 
devait  en  être  le  terme.  Si  le  royaume  de  Naples  et  de  Sicile  était  le  plus 
brillant  apanage  de  la  maison  d'Anjou,  le  plus  solide  étant  bien  celui 


LE  SACRE  :  LETTRE  DE  TROIS  SEIGNEURS  ANGEVINS.  365 

dont  elle  tirait  son  nom.  C'était  en  Anjou,  à  Angers  ou  à  Saumur  que 
résidait  le  plus  souvent  Yolande,  quand  elle  n'était  pas  à  la  cour  de  son 
gendre.  Elle  avait  aussi  sa  cour  à  elle,  et  elle  était  brillante.  Les  trois 
gentilshommes  qui  écrivent  étaient  probablement  des  seigneurs  de  cette 
cour.  D'après  Quicherat,  le  premier  signataire  en  serait  le  premier  per- 
sonnage, puisqu'il  ne  serait  autre  que  Pierre  de  Beauvau,  sénéchal 
d* Anjou  et  du  Poitou. 

Le  Père  Ménétrier  publia  le  premier  la  lettre  des  trois  gentilshommes 
dans  sa  Bibliothèque  instructive  (t.  P%  p.  90).  Il  la  reproduisit  d'après 
l'original  possédé  par  Tabbaye  de  la  Bénissons-Dieu-en-Forez.  Dans  ces 
dernières  années,  vers  1888,  on  en  a  découvert  une  copie  dans  les  archi- 
ves de  Riom;  l'écriture  est,  dit-on,  de  la  première  partie  du  xv*  siècle. 
L'auteur  de  la  découverte,  M.  Boyer,  a  publié  le  texte  de  Riom  ;  il 
dififère  très  peu  de  celui  du  Père  Menestrier. 

Voici,  légèrement  rajeuni,  le  texte  publié  par  M.  Boyer  : 

«  Nos  souveraines  et  très  redoutées  Dames,  qu'il  plaise  à  vous  de  savoir 
que  hier  le  roi  arriva  en  cette  ville  de  Reims,  où  il  trouva  toute  obéis- 
sance plénière,  et  aujourd'hui  il  a  été  sacré  et  couronné  ;  cela  a  été 
moult  belle  chose  à  voir  le  bel  mystère  ;  car  il  a  été  aussi  solennel, 
toutes  choses  ont  été  trouvées  appointées  aussi  bien  convenablement 
pour  faire  la  chose,  soit  couronne  et  habits  royaux  et  autres  choses  à 
ce  nécessaire,  comme  si  on  Teùt  mandé  un  an  auparavant  ;  et  il  y  a  eu 
tant  de  gens  que  c'est  chose  infinie  à  écrire,  et  aussi  la  grande  joie  que 
chacun  y  avait. 

«  Messeigneurs  les  ducs  d'Alençon,  le  comte  de  Clermont,  le  comte  de 
A^endôme,  les  seigneurs  de  Laval,  le  seigneur  de  La  Trémoille,  y  ont  été 
€n  habits  royaux,  et  Monseigneur  d'Alençon  a  fait  le  roi  chevalier.  Les 
clessusdits  représentaient  les  pairs  de  France,  Monseigneur  d'Albret  a 
tenuTépée  devant  le  roi  durant  ledit  mystère. 

«  Pour  les  pairs  de  l'Église,  y  étaient  avec  leurs  crosses  et  mitres,  Mes- 
seigneurs de  Reims,  de  Châlons  qui  sont  pairs;  et  au  lieu  des  autres  les 
^vêquesde  Séez  et  d'Orléans,  et  deux  autres  prélats*.  C'est  Monseigneur 
ie  Reims  qui  a  fait  le  mystère  et  le  sacre  qui  lui  appartient^. 

^  -  Les  évêques  de  Laon  et  de  Troyes.  Les  six  évèchés  pairies  étaient  Reims,  Laon, 
wvais,  Noyon,  Châlons  et  Soissons.  Reauvais  et  Noyon  étaient  occupés  par  des 
'■^lats  très  déclarés  pour  la  cause  anglo-bourguignonne  ;  Soissons  devait  adhérer 
1^«^  le  sacre.  Des  six  pairies  laïques,  il  n'en  restait  plus  qu'une  :  elles  avaient  été 
^^inies  à  la  couronne.  La  pairie  du  duché  de  Rourgogne  avait  pour  titulaire  l'auteur 
^    tout  le  mal,  le  duc  de  Rourgogne,  alors  fort  déconcerté. 

^.  Cela  peut  vouloir  dire  :  «  fonction  qui  lui  revient  »  ;  ou  bien  :  «  le  sacre  qui  est  le 
*^*^d  de  la  cérémonie  ». 


366  LA  VRAIE  JEANNE  D  ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

«  Pour  aller  quérir  la  sainte  ampoule  en  l'abbaye  de  Saint-Rémy,  et 
pour  rapporter  en  la  grande  église  de  Notre-Dame,  où  a  été  fait  le  sacre, 
furent  ordonnés  le  maréchal  de  Boussac,  les  seigneurs  de  Rais,  Graville, 
et  r Amiral,  avec  leur  quatre  bannières,  que  chacun  portait  en  sa  main, 
armés  de  toutes  pièces,  à  cheval,  bien  accompagnés,  pour  conduire  Tabbé 
dudit  lieu  qui  portait  ladite  ampoule;  et  ils  entrèrent  à  cheval  en  ladite 
grande  église,  et  ils  descendirent  à  l'entrée  du  chœur.  C'est  en  cet  appa- 
reil qu'ils  l'ont  rendue  en  ladite  abbaye  après  le  service,  lequel  service 
a  duré  depuis  neuf  heures  jusqu'à  deux  heures  ;  et  à  Theure  que  le  roi 
fut  sacré,  et  aussi  quand  on  lui  assit  la  couronne  sur  la  tète,  tout  homme 
cria  «  Noël  !  »  et  les  trompilles  sonnèrent  en  telle  manière  qu'il  semblait 
que  les  voûtes  de  l'église  dussent  fendre. 

«  Et,  durant  ledit  mystère,  la  Pucelle  s'est  toujours  tenue  joignant  du 
roi,  tenant  son  étendard  en  sa  main;  et  était  moult  belle  chose  de  voiries 
belles  manières  que  faisait  le  roi,  et  aussi  la  Pucelle.  Dieu  sait  si  vous  y 
avez  été  bien  souhaitées. 

«  Aujourd'hui  ont  été  faits  comtes  par  le  roi  le  sire  de  Laval,  le  sire  de 
Sully,  et  Rais  maréchal. 

«  Vendredi,  il  y  eut  huit  jours,  le  roi  mit  le  siège  devant  Troyes,  et  il 
leur  fit  moult  forte  guerre.  Ils  vinrent  à  obéissance;  et  il  y  entra  par 
composition  le  dimanche  suivant.  S'ils  ne  lui  eussent  pas  fait  obéissance 
à  son  plaisir,  il  les  eut  pris  de  vive  force,  car  c'est  une  chose  moult  mer- 
veilleuse de  voir  la  grande  puissance  de  gens  qui  sont  en  sa  compagnie. 
«  Le  lundi  ensuivant,  le  roi  se  départit  de  Troyes,  tenant  son  chemin 
vers  Chàlons.  Ceux  de  Châlons  ont  envoyé  devant  lui  à  demi-journée 
pour  lui  rendre  obéissance.  Le  roi  y  entra  jeudi  et  en  partit  vendredi 
tenant  son  chemin  vers  cette  ville  {de  Reims)^  et  pareillement  ceux  de 
cette  ville  sont  venus  au-devant  du  roi  lui  rendre  obéissance;  ils  sont  bien 
joyeux  de  sa  venue  et  le  montrent  à  leur  pouvoir. 

(c  Le  roi  doit  en  partir  demain  tenant  son  chemin  droit  a  Paris.  On  dit 
en  cette  ville  que  le  duc  de  Bourgogne  y  a  été,  et  s'en  est  retourné  à 
Laon,  où  il  est  à  présent.  Il  a  envoyé  devers  le  roi  une  ambassade  qui 
arriva  hier  en  cette  ville.  A  cette  heure,  nous  espérons  que  bon  traité 
s'y  trouvera  {sera  fait)  avant  qu'ils  partent. 

«  La  Pucelle  ne  fait  nul  doute  qu'elle  ne  mette  Paris  a  l'obéissance. 

'<  Audit  sacre,  le  roi  a  fait  plusieurs  chevaliers,  et  aussi  les  seigneurs  pairs 

en  font  tant  que  [c'est]  merveilles;  et  il  y  en  a  plus  de  trois  cents  nouveaux. 

«  Par  deçà  le  roi  n'entend  {ne  pense)  qu'à  faire  son  chemin,  et  pour 

ce  ne  besogne  en  rien  autre  choses 

1.  Cette  phrase  n'est  pas  dans  Quicheral. 


LE  SACRE  :  LETTRE  DE  JACQUES  DE  BOURBON.  367 

«  Nos  souveraines  et  redoutées  Dames,  nous  prions  le  Benoît  Saint- 
Esprit  qu'il  vous  donne  bonne  vie  et  longue. 

«  Ecrit  à  Reims  ce  dimanche  xvu'  jour  de  juillet. 
«  Vos  très  humbles  et  obéissants  serviteurs, 

«  Beauveau,  Moreau,  Lusse.  » 

Et  au  dos  est  écrit  :  «  A  la  reine  et  à  la  reine  de  Sicile,  nos  souveraines 
et  très  redoutées  Dames.  » 

II 

Lettre  de  Jacques  de  Bourbon  La  Marche  a  l'évêque  de  Laon.  —  Cette 
lettre  est  restée  ensevelie  jusqu'à  ces  dernières  années  dans  les  ar- 
chives de  la  Bibliothèque  impériale  de  Vienne,  sous  le  n*  6939  de  la 
section  des  manuscrits.  Quoique  signalée  dès  1851  par  le  professeur 
Guillaume  Watenbach,  elle  a  dû  attendre  plus  de  quarante  ans  la  pleine 
lumière  de  l'impression.  M.  Bougenot,  délégué  à  Vienne  par  le  ministère 
pour  une  mission  scientifique,  prit  copie  du  texte  qui  est  en  latin. 
Siméon  Luce  en  donna  la  traduction  dans  la  Revue  Bleiie^  numéro  du 
13  février  1892.  C'est  cette  traduction,  à  défaut  du  texte  latin  non  par- 
venu entre  mes  mains,  qui  va  être  reproduite,  après  quelques  remarques 
sur  le  destinataire,  sur  celui  qui  écrit  et  sur  le  contenu  du  document. 

L'évoque  de  Laon  à  cette  époque  était  Guillaume  de  Champeaux, 
prélat  d'assez  peu  édifiante  mémoire,  tout  entier  à  Tadministration  des 
finances  publiques,  qui  fut  présent,  d'après  le  Gallia\  au  couronnement 
de  Charles  VIL  II  connaissait  mieux  que  Jacques  de  Bourbon  les  événe- 
ments accomplis,  en  étant  informé  par  ceux  qui  non  seulement  y  avaient 
îtssisté  en  témoins,  mais  en  acteurs.  Jacques  de  Bourbon  ne  devait  pas 
l'ignorer. 

Jacques  de  Bourbon,  comte  de  La  Marche,  frère  de  Louis  de  Bourbon- 
Vendôme,  beau-père  du  seigneur  de  Pardiac,   récemment  évadé  des 
prisons  de  Naples  où  sa  femme  Jeanne  l'avait  renfermé,  avait  com- 
fflencé  par  être  Bourguignon,  et  comme  tel  avait  été  durant  quelque 
temps  prisonnier  des  Armagnacs,  qui  s'étaient  emparés  de  sa  personne 
au  Puiset-en-Beauce.  Gruel  nous  a  dit  que  ses  services  avaient   été 
refusés  avec  ceux  de  Richemont,  encore  qu'il  s'offrit  à  servir  le  roi  avec 
très  belle  compagnie.  Jacques  de  La  Marche  ne  parle  pas  de  ce  refus, 
pas  plus  que  de  celui  qu'essuya  Richemont,  ainsi  que  le  comte  de  Pardiac 
que  le  correspondant  appelle  son  fils. 

1.  Gallia^  t.  IX,  col.  551  :  Adfuit  coronalioni  régis  Caroli  VU. 


368  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

II  semble  qu'on  a  réuni  deux  lettres  en  une  seule.  Dans  la  première, 
la  campagne  de  la  Loire  est  décrite,  non  sans  de  nombreuses  inexacti- 
tudes ;  la  seconde  est  consacrée  au  sacre  et  à  ce  qui  a  suivi,  et  là  les 
inexactitudes,  si  la  date  est  la  vraie,  deviennent  des  impossibilités.  Le 
roi  n'est  entré  à  Château-Thierry  que  le  29  juillet,  et  la  lettre  qui  annonce 
cet  événement  est  censée  écrite  du  24.  Ce  n'est  pas  à  Reims  que  les  villes 
nommées  ont  fait  leur  soumission.  Quelques-unes  de  ces  villes,  Noyon, 
Saint-Quentin,  Sens,  ne  firent  pas  leur  soumission  durant  cette  campagne. 

Bedford  s'est  montré  très  fidèle  à  son  neveu,  et  n'a  jamais  songé  à  se 
faire  sacrer.  11  fut  question,  parait-il,  d^enlever  la  sainte  ampoule. 

Tout  ce  qui  est  dit  sur  Auxerre  est  une  fable  ;  mais  ce  qu'il  y  a  d'étrange, 
c'est  que  cette  fable  fut  colportée  dans  toute  la  Haute-Italie,  et  que  nous 
la  retrouverons  dans  la  Chronique  Morosini. 

Écrivant  à  un  évoque  français,  qui  avait  longtemps  séjourné  dans  le 
Midi,  où  Jacques  de  La  Marche,  comme  seigneur  de  Castres  et  d'autres 
fiefs  méridionaux,  devait  aussi  habiter  souvent,  il  n'est  pas  vraisemblable 
qu'il  ait  écrit  en  latin.  Peut-être  la  lettre  a-t-elle  été  traduite  en  celte 
langue  pour  en  faciliter  la  circulation  en  Allemagne. 

Sous  le  bénéfice  de  ces  remarques,  voici  la  lettre  telle  que  l'a  donnée 
la  Revue  sus-indiquée. 

Copie  crime  lettre  adressée  par  le  roi  Jacques  à  Févéque  de  Laon, 

«  Grâce  aux  bons  soins  de  notre  Perceval,  il  nous  a  été  apporté  sûres 
nouvelles  tant  par  écrit  que  verbalement,  et  aussi  par  certaines  lettres 
que  nous  avons  reçues  de  La  Uire.  Ledit  Perceval  a  môme  été  témoin 
oculaire  de  quelques-uns  des  faits  qu'il  nous  a  racontés. 

«  Et  d'abord  on  a  pris  d'assaut  Jargcau,  où  cinq  cents  combattants  du 
côté  des  Anglais  ont  été  occis.  Le  comte  de  Suffolk  et  La  Poule,  son  frère, 
ont  été  faits  prisonniers  par  le  bâtard  d'Orléans;  un  autre  frère  dudit 
comte  a  été  occis. 

((  La  Pucelle  s'est  éloignée  d'Orléans  le  mercredi  quatorzième  jour  de  juin 
pour  mettre  le  siège  devant  le  château  de  Meung,  où  étaient  le  seigneur 
de  Scalcs  et  autres,  jusques  au  nombre  de  six  cents  combattants.  En  sa 
compagnie  étaient  notre  cousin  d'Alençon  et  notre  frère  de  Vendôme, 
tous  deux  capitaines  de  l'armée,  le  maréchal  de  Sainte-Sévère,  Tamiral 
de  France,  les  seigneurs  de  Laval  et  de  Rais,  le  bâtard  d'Orléans,  La  Hire 
et  autres  seigneurs  et  capitaines  en  grand  nombre,  lesquels  avisèrent 
que  mieux  serait  de  marcher  sur  Baugency  et  d'assiéger  ladite  forteresse; 
et  ainsi  firent-ils,  et  au  lendemain  y  mirent  le  siège.  Talbot  avait  évacué 
ladite  forteresse  la  nuit  précédente  pour  réunir  ses  gens  et  livrer  bataille 


LE  SACBB  :   LBrraS  de  JACOCBS  de  B0UmK>5.  3fti 

aux  nôtres,  et  telle  était  Tardeur  des  siens  et  la  confiance  qn'ils  araioit 
en  leurs  forces,  que  les  nôtres  eussent-ils  été  en  nombre  triple  ils  en 
voulaient  venir  à  bout;  et  lesdits  Anglais  ayant  ainsi  réoni  leurs  forces, 
arrivèrent  à  former  un  corps  d*armée  de  trois  mille  cinq  cents  com- 
battants. 

«  A  Tarrivée  de  nos  gens,  les  Anglais,  qui  occupaient  la  forteresse  de 
Baugency,  se  rendirent  le  samedi,  au  lever  du  jour,  et  promirent,  sous 
serment,  de  ne  se  point  armer  contre  le  roi  pendant  deux  mois.  Richard 
Guetin  et  Mathago,  capitaines  de  la  garnison,  furent  gardés  comme  otages  : 
et  leurs  soudoyés  ayant  vide  la  place,  se  retirèrent  dans  la  direction 
du  Mans,  avec  leurs  chevaux  et  leurs  harnais. 

«  A  leur  départ  de  Baugency.  les  nôtres,  apprenant  que  les  ^t*glaî* 
après  avoir  évacué  le  château  de  Meung  s'avançaient  en  bonne  ordon- 
nance et  se  préparaient  au  combat,  en  éprouvèrent  une  grande  joie  :  car 
ils  ne  désiraient  rien  autre  chose.  Ils  les  poursuivirent  dans  la  direction 
de  Jan ville  jusqu'à  un  lieu  nommé  Saint-Sigismond  ei  ^tné  à  deux 
lieues  de  Patay.  C*est  là  que  les  ennemis,  ayant  choisi  pour  livrer 
bataille  une  position  à  leur  convenance,  descendirent  de  leur^  chevaux, 
et  attendirent  de  pied  ferme  l'attaque  de  nos  gens. 

<c  A  Tavant-garde,  de  notre  côté,  se  trouvaient  le  bâtard  d'Oriéan«  rrt  le 
maréchal  de  Sainte-Sévère:  Poton  et  Amault  Guilhem  étaient  les  gar- 
diens de  ladite  avant-garde.  Après  venaient  les  archers  et  les  arbalétriers 
formant  le  principal  corps  d'armée  qui  comptait  parmi  «e§  chefs 
Mgr  d*Alençon,  Mgr  de  Vendôme,  et  le  connétable  de  France  arrivé  de 
la  veille.  La  Hire  était  particulièrement  chaigé  de  la  directirjn  de  ^^ 
corps  d'armée  dans  les  rangs  duquel  combattaient  la  plupart  de%  capi- 
taines mercenaires  et  des  seigneurs. 

«  L'arrière-garde  marchait  sous  les  ordres  de  la  Pucelle.  de  firavî!I(Ç:. 
grand  maître  des  arbalétriers,  des  seigneurs  de  La%'al.  de  Bai*  et  de  ^aint- 
Gilles,  accompagnés  d'autres  chefs  de  guerre  en  fort  grand  nombre.  Tout^ 
cette  masse  d'hommes,  fantassins  et  cavaliers,  s'écoulait  précipitamment 
et  un  peu  pêle-mêle,  tant  on  craignait  de  ne  pas  arriver  à  t^mp»  pour 
joindre  l'ennemi.  Notre  avant-garde  \int  donner  contre  lef  archers 
anglais  qui  ne  tardèrent  pas  à  fuir  en  désordre,  lorsqu'ils  eurent  %u  â  la 
suite  de  ce  premier  choc  tomber  quatorze  cents  combattante:  puje  c^ 
fuyards  s*étant  ralliés  revinrent  pour  rétablir  le  corol/at  an  nombre  de 
huit  cents  fantassins;  mais  ils  furent  mis  en  déroute  et  taiil^'^  *^u  pièces 
par  notre  principal  corps  d'armée.  Ils  s'ensuivit  un  eauve-qni-peut  ic^ué^ 
rml  de  la  part  des  Anglais,  auxquels  nos  gens  se  mirent  k  donner  la 
chasse. 

«  Lorsque  Talbot,  fait  prisonnier  par  La  Hire  et  Poton  de  Xajntraillet, 
m.  ^^ 


370  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

fut  pris,  il  était  à  cheval,  mais  il  ne  portait  pas  d'éperons,  vu  que  lui  et 
les  autres  chefs  anglais  s'étaient  remis  précipitamment  en  selle  pour 
prendre  la  fuite.  Le  seigneur  de  Scales  est  prisonnier  de  Girault  de  La 
Paillière  ;  Messire  Jean  Falstoflf,  d'Arnault  Guilhem,  frère  de  La  Hire  ;  le 
seigneur  deHungerford,  du  duc  d'Alençon;  Falcombridge,  d'Amadoc  autre 
frère  de  La  Hire  ;  Messire  Thomas  Guérard,  de  Messire  Théaude  de  Val- 
pergue;  Richard  Spencer  et  Fitz-Walter,  dudit  d'Alençon.  Bref  les  prison- 
niers sont  au  nombre  de  quinze  cents.  En  résumé,  sur  trois  mille  cinq 
cents  Anglais,  deux  cents  hommes  d'armes  à  cheval  tout  au  plus  ont 
réussi  à  s'échapper,  entre  autres  le  traître  Tassin  Gandin.  On  leur  a  donné 
la  chasse  jusqu'à  Janville.  Les  habitants  ont  fermé  leurs  portes  aux 
fuyards  et  en  ont  tué  un  grand  nombre  ;  puis  ils  se  sont  rendus  au  roi, 
et  ont  apporté  les  clefs  de  la  place  à  la  Pucelle. 

«  Durant  cette  poursuite  et  le  jour  même  de  la  bataille,  on  a  vu  arriver 
de  Bretagne  trois  cents  chevaliers  et  écuyersqui  sont  venus  spontanément 
servir  le  roi,  et  se  sont  mis  sous  les  ordres  et  en  la  compagnie  du  Conné- 
table. Leduc  de  Bretagne  lui-même  a  envoyé  son  fils  et  le  comte  d'Etam- 
pes,  son  frère,  au  service  du  roi,  qui  a  chargé  notre  frère  de  se  rendre  à 
Chartres  à  la  requête  des  habitants  de  cette  ville. 

«  Le  roi  doit  s'avancer  vers  La  Charité-sur-Loire  en  passant  par  Auxerre 
et  par  Reims,  où  doit  avoir  lieu  la  cérémonie  du  sacre.  La  Pucelle  a 
voulu  que  Ton  tienne  ce  chemin  \  Elle  a  dit  que  vers  ces  régions,  il 
doit  se  livrer  une  grande  bataille,  mais  que  le  roi  remportera  la 
victoire. 

«  La  cité  de  Paris  et  plusieurs  autres  cités  du  royaume  ont  adressé  au 

duc  de  Bourgogne  des  demandes  de  secours.  Le  duc  de  Bedford  et  le  comte 

de  Warwick  ont  dépêché  des  messagers  en  Angleterre  pour  réclamer  des 

renforts  et  font  armer  jusqu'aux  prêtres. 

«  La  Pucelle  annonce  —  et  puissent  ses  paroles  se   réaliser  !  —  que 

le  roi  d'Ecosse  doit   faire  à  bref  délai   une   invasion   en  Angleterre. 

S'il  en  était  ainsi,  il  ne  saurait  arriver  rien  de  plus  heureux  au  roi,  notre 

Sire^ 
<(  Beau-frère  {cousin  germa'm)  de  Clermont  et  notre  fils  {le  gendre)  de 

Pardiac  doivent  rester  pendant  toute  cotte  semaine  en  la  compagnie  du 

roi,  et  il  me  déplaît  qu'ils  aient  mis  tant  de  temps  à  le  rejoindre. 

«  On  dit  qu'un  grand  nombre  d'habitants  de  Liège  et  de  Toumay  sont 

venus  trouver  le  roi  qui,  avant  le  vingtième  jour  du  présent  mois  de 

juillet,  aura  sous  ses  ordres,  nous  en  avons  le  ferme  espoir,  plus  de  trente 

mille  combattants. 

I.  (Tost  un  nou-sens. 

*^.  («ola  n'avait  aucun  fondement. 


LE  SACRE  :  LETTRE  DE  JACQUES  DE  BOURBON.  371 

Jhesus  7  Maria. 

«<  Voici  les  noms  des  seigneurs  qui  ont  fait  partie  du  cortège  royal  le  jour 
où  le  roi  a  été  sacré  dans  la  cité  de  Reims,  le  17  juillet  1429.  Et  d'abord 
Monseigneur  le  comte  d'Alençon,  Monseigneur  Charles  de  Bourbon 
comte  de  Ciermont,  Monseigneur  le  comte  de  Vendôme,  Monseigneur  de 
La  Trémoille,  et  Monseigneur  de  Laval  ;  prélats,  Monseigneur  Tarche- 
véque  de  Reims,  qui  a  mis  la  couronne  sur  la  tète  du  roi,  Tévèque 
d*Orléans,  Tévêque  de  Séez,  Tévèque  de  Châlons.  L'abbé  de  Saint-Ré my 
a  oint  le  roi^ 

c<  Le  seigneur  d'Albret,  pour  ce  jour,  a  été  lieutenant  du  Connétable.  Ce 
même  jour  le  seigneur  de  Rais  a  été  fait  maréchal  de  France  à  la  place 
du  seigneur  de  La  Fayette. 

«  Monseigneur  le  duc  d'Alençon  a  fait  chevalier  le  roi  notre  Sire  et  Ton 
a  fait  ledit  jour  deux  cent  quarante  nouveaux  chevaliers.  Et  la  Pucelle  est 
restée  près  du  roi,  pendant  toutes  ces  cérémonies,  tenant  en  main  son 
étendard. 

«  Les  cités  et  forteresses  dont  les  noms  suivent  se  sont  mises  en 
Tobéissance  du  roi. 

«  La  cité  d'Auxerre  a  été  prise  d'assaut.  Quatre  mille  cinq  cents  bour- 
geois de  cette  ville  ont  été  tués,  et  aussi  quinze  cents  hommes  d'armes 
tant  chevaliers  qu'écuyers  des  partis  de  Bourgogne  et  de  Savoie,  et,  dans 
le  nombre,  la  plupart  des  grands  seigneurs  de  Bourgogne. 

«  Les  cités  de  Troyes,  de  Châlons  et  de  Reims  ont  également  fait  leur 
soumission.  C'est  à  Reims  qu'ont  été  apportées  au  roi  notre  Sire  les 
clefs  de  la  cité  épiscopale  de  Laon,  de  Saint-Quentin,  de  la  cité  épiscopale 
de  Noyon,  de  la  cité  épiscopale  de  Sentis,  de  Compiègne,  de  Sézanne,  de 
la  cité  archiépiscopale  de  Sens,  de  Provins.  La  reddition  de  toute  cette 
partie  du  comté  de  Champagne  qui  appartient  au  duc  d'Orléans  a  suivi  la 
prise  de  Château-Thierry  où  se  trouvait  le  seigneur  de  Châtillon,  qui 
devait  venir  vers  le  roi  à  la  faveur  d'un  sauf-conduit.  Montaiguillon  et 
Vertus,  entre  autres  places,  ont  reconnu  son  autorité  et  lui  ont  prêté 
serment  d'obéissance. 

«  Les  seigneurs  de  La  Trémoille  et  de  Laval  ont  été  faits  comtes  le  jour 
même  du  sacre. 

«  Le  roi  a  donné  à  La  Ilire  le  comté  de  Longueville  en  Normandie, 
ainsi  que  tout  ce  qu'il  pourra  conquêter  en  ce  pays. 

«  Monseigneur  le  bâtard  d'Orléans  et  Monseigneur  le  maréchal  de 
Boussac  sont  allés  tous  deux  inviter  l'abbé  de  Saint-Rémy  à  apporter  la 

i.  C'est  une  énormité  ;  sacrer  le  roi  était  un  des  grands  privilèges  de  rArchevôque 
de  Reims. 


372  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :   LA  UBÉRATRICE. 

sainte  ampoule  en  vue  de  Tonction  royale.  Laquelle  ampoule  ledit  abbé 
a  trouvée  abondamment  pourvue  du  saint-chrême  tandis  qu'au  contraire, 
comme  il  Ta  affirmé  par  serment,  il  Tavait  trouvée  vide  à  l'époque  où  le 
duc  de  Bedford  voulut  naguère  se  faire  sacrer  et  oindre  comme  roi  de 
France. 

«  Le  roi  a  chevauché  toute  la  journée  du  dimanche  portant  sur  sa  tète 
la  couronne  de  France. 

«  Il  a  fait  lui-même  pacifiquement  son  entrée  dans  toutes  les  autres 
cités  qui  se  sont  rangées  sous  son  obéissance,  excepté  Auxerre  qu  il  a 
fallu  emporter  de  vive  force,  ainsi  qu'il  a  été  dit  plus  haut. 

«  Le  roi  a  maintenant  en  sa  compagnie  trente  mille  cavaliers  et  vingt 
mille  fantassins,  et  il  y  a  grande  disette  de  vivres  partout  sur  son  pas- 
sage. Les  Anglais  se  sont  repliés  en  masse  du  côté  de  la  Normandie;  ils 
sont  en  petit  nombre  et  comme  frappés  de  stupeur. 

«  Monseigneur  le  duc  de  Bourgogne  se  tient  coi  sans  faire  un  mouve- 
ment. Le  bruit  court  qu'il  ne  veut  à  aucun  prix  marcher  contre  le  roi  en 
personne,  et  qu'il  est  fort  impatient  de  voir  la  Pucelle. 

«  Le  roi  a  quitté  Reims  le  jeudi  21  juillet,  et  a  fait  route  pour  le  château 
'du  Crotoy,  d'où  il  doit  s'avancer  vers  Calais  pour  conquérir  tous  les  ports 
de  mer  occupés  par  les  Anglais,  avant  que  Tennemi  ait  eu  le  temps  de 
les  fortifier  et  qu'il  ait  reçu  des  renforts  :  il  entend  ensuite  faire  une  expé- 
dition en  Normandie. 

«  Donné  le  24*  jour  de  juillet  de  l'an  1429.  » 


CHAPITRE    XI 

DEMANDES  DE  SUBSIDES  POUR   LE  SIÈGE  DE  LA  CHARITÉ.   —  JEANNE  CAPTIVE 
ET  LE  PARTI   FRANÇAIS.  —  SUR   LE  CHEMIN   DU  CALVAIRE  DE  ROUEN. 


ISoMMAinE  :  I.  —  Lettre  du  sire  d'Albret  aux  habitants  de  Riom.  —  Demande  instante 
d'approvisionnements  de  guerre  afin  de  pouvoir  continuer  la  campagne.  —  La  ville 
de  Bourges  s'impose  pour  envoyer,  sur  la  demande  du  roi,  treize  cents  écus  d'or  au 
sire  d'Albret  et  à  Jeanne  d'Arc  devant  La  Charité.  —  Il  est  douteux  que  le  secours 
soit  arrivé  à  temps.  —  Les  soudoyers  condamnés  à  vivre  de  pillage. 

II.  —  La  prise  de  Jeanne.  —  Sentiments  du  vrai  parti  national. 

III.  —  Abbeville  désireux  de  redevenir  français.  —  Punition  de  ceux  qui  parlent  contre 
la  Pucelle. 

IV.  —  Jeanne  d'Arc  à  Drugy  et  au  Crotoy.  —  Sentiments  de  compassion,  notamment 
de  la  part  des  dames  d'Abbeville.  —  Visites  qu'elles  lui  font.  —  Profond  souvenir 
d'édilication  laissé  par  son  passage.  —  Son  confesseur,  maître  Nicolas  de  Queu- 
ville. 


374  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

par  Tardent  désir  que  vous  avez  de  voir  lesdites  places  vidées  et'délivrées, 
et  pour  votre  bien  et  le  bien  des  pays  voisins  de  ces  places,  nous  vous 
prions  de  nous  aider  ;  veuillez  par  notre  aimé  Jean  Merle,  que  pour  cette 
cause  nous  envoyons  par  devers  vous,  nous  envoyer  présentement  le  plus 
largement  que  vous  pourrez  et  saurez  en  ce  moment,  secours  de  poudres 
à  canon,  salpêtre,  soufre,  arbalètes  et  autres  provisions  de  guerre,  pour 
que  notre  entreprise  ne  soit  pas  longue,  et  que,  par  faute  de  poudres  et 
des  autres  choses  dessus  dites,  le  fait  ne  soit  nullement  empêché  ni 
retardé. 

Et  de  ce  que  touchant  ledit  fait,  vous  dira  de  par  nous  le  porteur  des 
présentes,  veuillez  le  croire  et  lui  donner  pleine  foi  et  créance;  et  incon- 
tinent délivrez-lui,  lui  baillez  et  lui  faites  bailler  et  délivrer  ce  qui  sera 
nécessaire  pour  amener  et  conduire  devant  la  ville  de  La  Charité,  où 
Jeanne  la  Pucelle,  Mgr  de  Montpensier  et  nous,  allons  présente- 
ment mettre  le  siège.  Et  de  quoi  vous  voudrez  nous  aider,  de  vos  volontés 
et  intention  sur  ce  qui  vient  d'être  dit,  faites-nous-le  savoir  par  ledit 
Jean  Merle  ;  et  avec  cela  {dites-nous)  si  vous  voulez  chose  que  faire 
puissions,  nous  le  ferons  ;  il  le  sait  Notre-Seigneur,  qui  vous  ait  en  sa 
garde.  Ecrit  à  Moulins  le  neuvième  jour  de  novembre. 

Signé  :  «  Le  sire  de  Lebret  (Albret). 

«  Comte  de  Dreux  et  de  Gaure, 
«  Lieutenant  sur  le  fait  de  la  guerre  du  pays  de  Berry 
«  pour  Mgr  le  roi  Charles.  » 
Sur  r adresse  : 

«  A  mes  très  chers  et  grands  amis,  les  gens  d'Église,  bourgeois  et 
habitants  de  la  ville  de  Riom.   » 

Les  comptes  de  la  ville  de  Clermont  et  de  Riom  prouveront  qu'il  fut 
fait  quelque  envoi,  mais  bien  inférieur  aux  besoins,  ainsi  que  cela 
résulte  de  la  pièce  suivante,  que  La  Thaumassière  a  imprimée  dans  son 
Histoire  du  Berry ^  et  que  Quicherat  a  reproduite. 

Contribution  de  la  ville  de  Bourges  pour  le  siège  de  La  Charité. 

«  A  tous  ceux  qui  ces  présentes  lettres  verront,  Guillaume  Bastard, 
licencié  en  droit  canon  et  civil,  lieutenant  de  Monseigneur  le  bailli  de 
Berry,  salut. 

«  Savoir  faisons  qu'aujourd'hui  nous  séant  en  jugement,  illec  [là)  assis- 
tant plusieurs  des  plus  notables  bourgeois  et  gens  de  conseil  de  ladite 
ville,  est  venu  par-devant  nous  Pierre  de  Be^umont,  procureur  desdits 
bourgeois  et  habitants  de  ladite  ville  de  Bourges,  disant  que  promptement 


376  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

de  rannée,  écrite  par  les  comtes  de  Nevers  et  de  Rethel  aux  conseillers 
du  duc  de  Bourgogne? 

Dans  celte  lettre,  que  nous  avons  eue  entre  les  mains  aux  archives  de 
la  Côte-d'Or,  les  deux  seigneurs  disent  qu'il  n'y  a  aucun  fonds  à  faire  sur 
les  assurances  de  paix  données  par  La  Trémoille  ;  bien  plus,  tous  ceux  de 
l'adverse  partie  qui  sont  sur  les  frontières  sont  des  étrangers  \  ils  ne  sont 
ni  paiés^  ni  soldoyés,  ils  n'ont  de  quoi  vivre  et  se  soutenir  que  par  le 
moyen  de  la  guerre  qu'incessamment  ils  font  et  feront  sur  les  pays 
des  jeunes  comtes.  Nous  répétons  qu'une  monographie  sur  pièces  de 
Perrinet  Gressart  contribuerait  à  faire  la  lumière  sur  ce  triste  événe- 
ment de  l'histoire  de  la  Libératrice. 


II 

Plusieurs  chroniqueurs  nous  ont  parlé  de  la  prise  de  la  Vierge  guer- 
rière à  Compiègne.  Leurs  récits  peu  concordants  le  sont  encore  moins 
avec  ceux  du  parti  antinational.  Après  la  production  de  tous  les  docu — 
ments,  il  faudra  les  discuter. 

Grande  fut  la   consternation  du  parti  français.  M.  Maignen,  actuelle — 
ment  bibliothécaire  de  la  ville  de  Grenoble,  a  le  premier  découvert  dans^ 
un  Èvangéliaire  de  Grenoble  renfermant  des  pièces  bien  bigarrées,  les 
trois  oraisons  composés  pour  solliciter,  au  saint  sacrifice  de  la  messe,  la. 
délivrance  de  la  Captive.  Elles  ont  été  reproduites  dans  la  Pucelle  devant 
rÉglise  de  son  temps.  On  y  trouve  aussi  la  substance  de  la  lettre  écrite 
à  Charles  Vil  par  Jacques  Gelu,  archevêque  d'Embrun,  pour  lui  recom- 
mander, s'il  ne  veut  pas  encourir  le  blâme  ineffaçable  d'une  noire  ingra- 
titude, de  n'épargner  ni  argent,  ni  quelque  prix  que  ce  soit,  pour  le  rachat 
de  la  Pucelle.  Le  Père  Marcellin  Former,  de  la  Compagnie  de  Jésus,  nous 
a  conservé  ce  très  précieux  détail,  et  d'autres  encore,  dans  son  Histoire 
des  Alpes  Maritimes  ou  Cottiennes.  L'ouvrage  était  inédit  lorsque  s'impri- 
mait notre  volume.  Nous  devions  cette  primeur  à  la  complaisance  de 
M.  l'abbé  Guillaume,  archiviste  de  Gap,  qui  depuis  a  tiré  l'œuvre  du 
Jésuite  de  la  poussière  de  l'inédit,  où  elle   était  restée  plongée  durant 
plus  de  deux  siècles.  C'est  de  la  part  de  l'auteur  et  de  l'éditeur  un  des 
innombrables  monuments  du  zèle  et  du  savoir  du  clergé,  qu'il  faut  d'au- 
tant plus  signaler  que  les  efforts  de  la  science  laïque  tendent  à  les  faire 
oublier,  tout  en  se  parant  des  dépouilles.  Le  clergé  de  Tours  fit  des  proces- 
sions nu-pieds  pour  obtenir  la  délivrance  de  l'Envoyée  du  Ciel  *.   Il  est 

1.  Voir  dans  la  Pucelle  devant  rÉglise  de  son  tempSy  p.  76,  le  chapitre:  la  Pucelle  et 
le  Cleryé  du  parti  français. 


LES  SYMPATHIES  D'ABBEVILLE  POUR  LA  PUGELLE.  377 

vraisemblable  que  des  recherches  ultérieures  nous  révéleront   encore 
d'autres  touchants  détails  sur  ce  point. 


III 

Les  SYMPATHIES  d*Abbeville  pour  la  Libératrice. 

Monstrelet  nous  dira  qu'Âbbeville  ne  demandait  qu'à  se  donnera 
Charles  VII,  lorsque  le  malheureux  roi  interrompit  le  cours  de  con- 
quêtes qui  ne  lui  coûtaient  rien.  Les  dispositions  du  maire  et  des 
échevins  nous  sont  révélées  par  une  curieuse  pièce  tirée  par  Quicherat 
du  Trésor  des  chartes  (/,  175^  pièce  iSo),  C'est  une  lettre  de  rémission 
accordée  par  Henri  YI,  à  la  date  du  6  juillet  1432,  à  deux  habitants  de 
la  ville,  auxquels  il  en  avait  pris  mal,  pour  avoir  parlé  outrageusement 
de  la  Pucelle,  et  de  ses  partisans.  Quoique  la  ville  fût  soumise  à  l'Anglais, 
les  partisans  français  y  étaient  assez  nombreux  pour  tenir  loin  d'eux  les 
insulteurs  delà  Libératrice,  et  môme,  par  une  suite  de  curieuses  circons- 
tances, les  faire  garder  en  prison  à  Amiens  par  ceux  dont  ces  faux 
Français  soutenaient  la  cause.  Voici  la  partie  de  la  pièce  qui  démontre 
les  sentiments  patriotiques  des  échevins  d'Abbevilie.  Le  style  en  est 
rajeuni  : 

«Henri,  parlagràce  de  Dieu,  roide  France  et  d'Angleterre,  savoir  faisons 
à  tous  présents  et  à  venir,  que,  de  la  part  de  Colin  Gouye,  dit  le  Sourd, 
et  de  Jeannin  Daix,  dit  Petit,  natifs  de  la  ville  d'Abbevilie,  nous  a  été 
exposé  ce  qui  suit  :  Dans  tout  leur  temps,  ils  se  sont  maintenus  et  gou- 
vernés en  notre  service  :  Après  que  nos  ennemis  et  adversaires  ayant  en 
leur  compagnie  la  femme  vulgairement  appelée  la  Pucelle  furent  venus 
en  notre  royaume  et  pays  de  France  et  par  spécial  devant  notre  ville  de 
PariSf  un  certain  jour  lesdits  suppliants  étant  en  la  compagnie  d'un 
nommé  Colin  Broyart,  devant  et  assez  près  de  l'hôtel  d'un  maréchal 
nommé  Guillaume  Dupont,  en  notre  ville  d'Abbevilie,  ils  entendirent  que 
quelques-uns  parlaient  des  faits  et  abusions  (tromperies)  de  ladite  nommée 
vulgairement  la  Pucelle,  et  par  spécial  un  héraut,  auquel  héraut  Petit 
dit  :  «  Bran,  bran  ;  quelque  chose  qu'ait  fait  et  dit  cette  femme,  ce  n'est 
qu'abusion  »  ;  ce  que  dirent  pareillement  Colin  et  autres  des  assistants  ; 
€  que  Ton  ne  devait  pas  ajouter  foi  à  cette  femme  ;  que  ceux  qui  avaient 
créance  en  elle  étaient  fols  et  sentaient  la  persinée*  »,  ou  en  substance 

1.  Lieu  planté  de  persil.  Le  persil  croll  sur  les  tombes  dans  les  campagnes;  c'est 
une  plante  funéraire  ;  c'était  dire  que  ceux  qui  avaient  créance  en  la  Pucelle  seraient 
mis  ou  devaient  être  mis  à  mort. 


378  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

paroles  semblables  ;  «  et  en  outre  {i/s  dirent)  qu'il  y  en  avait  dans  cette 
ville  plusieurs  autres  qui  sentaient  la  persinée  »;  ne  pensant  par  là  donner 
charge  à  aucun  des  bons  bourgeois,  manants  et  habitants  de  notre  dite 
ville.  Pour  ce  cas,  et  pour  d'autres  paroles  dont  ils  ont  été  soupçonnés 
par  le  maire  etéchevinsde  la  ville  d'Abbeville,  lesdits  suppliants  et  Colin 
Broyart  furent  faits  prisonniers  par  lesdits  maire  et  échevins  et  tenus 
longuement  en  étroites  et  dures  prisons,  et  mis  en  nos  prisons  d*AbbeviUe 
où  ils  furent,  un  certain  espace  de  temps,  en  grande  rigueur  par  le  fait 
desdits  maire  et  échevins.  » 

La  lettre  de  rémission  continue  à  raconter  les  aventures  des  suppliants. 
Ils  s'échappèrent  de  prison,  et  allèrent  servir  dans  l'armée  anglaise  à 
Gompiègne  et  ailleurs.  Étant  retournés  à  Abbeville,  leurs  sentiments  poli- 
tiques leur  attirèrent  querelle  et  soulevèrent  les  esprits  contre  leurs 
personnes,  au  point  qu'ils  durent  s'enfuir  secrètement.  L'on  prononça 
contre  eux  la  peine  de  bannissement,  et  les  gens  de  Montreuil  les  ayant 
saisis,  lorsqu'ils  allaient  à  Lagny  prendre  service  dans  les  troupes  an- 
glaises, ils  furent  remis  au  bailli  d'Amiens  ;  c'est  des  prisons  de  cette 
ville  qu'ils  sollicitent  des  lettres  de  grâce  qui  leur  sont  accordées. 

Pareilles  dispositions  rendent  très  vraisemblables  les  marques  de 
sympathie  que,  au  rapport  d'un  auteur  du  xvi*  siècle,  les  dames  d' Abbeville 
aimèrent  à  donner  à  la  Captive,  sur  le  chemin  de  son  calvaire.  Cet  auteur 
est  le  Père  Ignace  de  Jésus-Maria.  Dans  sa  belle  Histoire  des  comtes  de 
Ponthieii  et  mayetirs  (maires)  d' Abbeville^  il  n'a  pas  su  résister  au 
plaisir  d'y  insérer,  en  bons  termes,  l'histoire  entière  de  la  Pucelle.  La 
démarche  des  dames  d'Abbeville  ne  nous  étant  connue  que  par  lui,  le 
passage  va  être  reproduit.  Le  Père  Ignace  de  Jésus-Maria  éditait  son 
livre  en  1637*.  Quicherat  pense  qu'il  avait  en  mains  des  documents 
perdus  aujourd'hui. 

IV 

Les  DAMES  d' Abbeville.  —  Les  moines  et  les  notables 

DE  Saint-Riquier. 

((  Aussitôt  qu'elle  {la  Pucelle)  fut  entre  les  mains  de  ses  ennemis,  elle 
fut  menée  au  château  de  Beaulieu,  et  de  là  à  Beaurevoir,  dont  était  sei- 
gneur Jean  de  Luxembourg,  chevalier;  puis  elle  fut  conduite  au  château 

i .  La  première  partie  du  xvii«  siècle  abonde  en  pages  fort  belles  sur  la  Pucelle. 
Celles  du  Père  Caussin,  dans  son  ouvrage  la  Cour  sainte^  sont  exquises.  Le  mouvement 
se  ralentit  avec  le  règne  personnel  de  Louis  XIV  pour  ne  reprendre  avec  pareille 
intensité  qu'au  magistral  panégyrique  de  Tabbé  Pie,  en  1844. 


INTÉRÊT  ET  COMPASSION  TÉMOIGNÉS  A  JEANNE  CAPTIVE.  379 

de  Drugy,  près  de  Saint-Riquier,  où  les  anciens  religieux  de  Tabbaye  la 
visitèrent  par  honneur,  à  savoir  Dom  Nicolas  Bourdon,  prévôt,  et  Dom 
Chappelin,  grand  aumônier,  avec  les  principaux  de  la  ville  ;  et  tous 
avaient  compassion  de  la  voir  persécutée,  elle  très  innocente. 

»  Du  château  de  Drugy,  qui  appartenait  alors  à  Tabbaye  de  Saint-lliquier 
et  est  maintenant  ruiné,  elle  fut  menée  au  château  du  Crotoy,  où,  par  la 
Providence  divine,  elle  entendait  souvent  le  saint  sacrifice  de  la  messe 
que  célébrait,  en  la  chapelle  du  château,  le  chancelier  de  Téglise  cathé- 
drale de  Notre-Dame  d'Amiens,  nommé  M'  Nicolas  de  Queuville*, 
docteur  en  droits,  homme  fort  notable,  qui  pour  lors  y  était  détenu 
prisonnier.  Il  lui  administrait  les  sacrements  de  confession  et  de  la 
très  sainte  Eucharistie,  et  disait  beaucoup  de  bien  de  cette  vertueuse  et 
très  chaste  fille. 

«  Quelques  dames   de   qualité,  des   demoiselles   et  des  bourgeoises 
d*Abbeville,  lallaient  voir  comme  une  merveille  de  leur  sexe  et  comme 
une  âme  généreuse,  inspirée  de  Dieu  pour  le  bien  de  la  France.  Elles  la 
congratulaient  d'avoir  eu  le  bonheur  de  la  voir  si  constante  et  si  rési- 
gnée à  la    volonté  de  Notre-Seigneur,    lui  souhaitaient  toutes   sortes 
de  faveurs  du  ciel.  La  Pucelle  les  remerciait  cordialement  de  leur  chari- 
table visite,  se  recommandait  à  leurs  prières,  et  les  baisant  aimablement, 
leur  disait  adieu.  Ces  vénérables  personnes  jetaient  des  larmes  de  ten- 
dresse en  prenant  congé  d'elle,  et  s'en  retournaient  de  compagnie  par 
bateau  sur  la  rivière  de  Somme,  comme  elles  étaient  venues  ;  car  il  y  a 
cinq  lieues  d'Abbeville  au  Crotoy. 

«  Après  que  ces  honnêtes  dames  furent  parties,  la  Pucelle,  admirant 
leur  franchise,  leur  candeur  et  leur  naïveté,  disait  :  «  Ah  !  que  voici  un 
"  bon  peuple,  plût  à  Dieu  que  je  fusse  si  heureuse,  lorsque  je  finirai  mes 
«jours,  que  je  pusse  être  enterrée  en  ce  pays  ». 

«  Au  commencement  de  l'année  1430  (anc.  st.),  le  13  de  janvier,  l'An- 
glais envoya  un  mandement  par  lequel  il  ordonnait  que  la  Pucelle  fût 
transférée  du  Crotoy  à  Rouen,  et  qu'elle  fut  mise  es  mains  de  Frère  Jean 
Magistri,  de  Tordre  des  Frères  Prêcheurs,  inquisiteur  de  la  foi  ^  pour 
Ja  faire  examiner  à  M*  Pierre  Cuuchon,   évêque   de   Beauvais,  en  la 
juridiction  spirituelle  duquel  elle  avait  été  prise,  afin  de  lui  faire  son 
procès. 

1.  Nicolas  de  Quiefdeville  fut  chancelier  du  chapitre  d'Amiens  de  1412  à  1438.  Il 
mourut  le  !•'  mai  i438.  (Note  communiquée  j)ar  le  R.  P.  Watrigant,  d'après  le 
manuscrit  517  de  la  bibliothèque  d'Amiens.)  Il  était  vraisemblablement  emprisonné 
pour  motif  politique,  comme  vrai  Français. 

2.  II  semble  résulter  des  premières  pièces  du  procès  que  Jeanne  est  arrivée  à  Rouen 
vers  la  fin  de  décembre  1430.  Elle  fut  remise  entre  les  mains  des  Anglais,  et  non  pas 
entre  celles  de  Le  Maître. 


380  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :   LA  LIBËRATRICE. 

«  Elle  dit  donc  adieu  à  ceux  du  château  du  Crotoy  qui  regrettaient  son 
départ  ;  car  elle  les  avait  grandement  consolés.  On  voit  encore  la  chambre 
où  elle  couchait,  qui  retint  depuis  ce  temps-là  quelque  respect,  quand  on 
y  entre  (sic). 

«  Au  sortir  des  murailles  de  la  ville  du  Crotoy,  on  la  mit  dans  une 
barque,  accompagnée  de  plusieurs  gardes,  pour  lui  faire  passer  le  trajet 
de  la  rivière  de  Somme,  qui  est  fort  large  en  cet  endroit,  à  cause  que  c'est 
Tembouchure  de  la  mer  Océane,  qui  contient  environ  demi-lieue  quand 
le  flux  est  monté,  et  elle  descendit  à  Saint- Valéry  qu'elle  salua  du  cœur 
et  des  yeux,  étant  patron  du  pays  de  Vimeux,  où  elle  entrait,  comme  elle 
avait  salué  Téglise  de  Saint-Riquier,  patron  du  pays  de  Ponthieu  d  où 
elle  sortait. 

«  Elle  ne  s'arrêta  pas  en  la  ville  de  Saint- Valéry  ;  car  ses  gardes  la  con- 
duisirent à  la  ville  d'Eu,  et  de  là  à  Dieppe,  puis  enfin  à  Rouen  qui  était 
la  ville  qu'on  avait  choisie  pour  être  le  dernier  théâtre  d'honneur  où  la 
vertu  de  notre  sainte  fille  devait  paraître.  »  [Arrêtons  ici  nos  emprunts 
à  l'histoire  des  maires  d'Abbeville. 

La  Pucellc  a  séjourné  assez  longtemps  au  Crotoy,  où  elle  nous  dit  avoir 
été  favorisée  de  l'apparition  de  saint  Michel.  Ce  que  le  Père  Ignace  de 
Jésus-Maria  affirme  du  chancelier  de  l'église  d'Amiens  avait  été  déjà 
attesté  au  procès  de  réhabilitation  par  le  chevalier  Aymond  de  Macy.  Il  a 
déposé  avoir  entendu  de  la  bouche  du  savant  prêtre  l'excellent  témoi- 
gnage rendu  à  la  piété  de  Jeanne.  C'est  de  la  part  du  haut  dignitaire 
de  l'église  d'Amiens  un  témoignage  équivalent  à  celui  que  le  savant  Jean 
de  Mâcon  lui  avait  rendu  à  Orléans,  et  que  lui  ont  rendu  Jean  Paquerel, 
Jean  Colin,  Guillaume;^  Front,  tous  ceux  qui  ont  eu  la  consolation  d'être 
les  dépositaires  des  secrets  de  son  âme. 

Ce  n'est  pas  seulement  la  tradition  du  pays  qui  affirme  ce  que  dit  ici  Iç 
Père  Ignace  de  Jésus-Maria,  que  Jeanne  coucha  à  Drugy,  près  de  Saint- 
Riquier.  C'est  ce  qui  est  raconté  dans  une  Chronique  manuscrite,  compo- 
sée en  1492  par  le  notaire  apostolique  Jean  Chapelle.  Elle  est  en  latin 
et  se  trouve  à  la  Bibliothèque  nationale,  dans  le  Recueil  de  Dom  Grenier 
sur  la  Picardie, 

Voici  la  traduction  du  texte  cité  par  Quicherat  :1  «  Cette  même  an- 
née, les  Anglais  voulurent  soumettre  la  ville  d'Orléans  ;  et  à  ce  sujet 
il  arriva  une  chose  merveilleuse  et  bien  vraie.  Pendant  que  le  roi 
Charles,  encore  jeune  et  depuis  peu  arrivé  au  trône,  s'occupait  de  re- 
pousser lesdits  Anglais,  survint  une  jeune  pucelle,  du  nom  de  Jeanne, 
originaire,  disait-on,  de  la  Lorraine.  Armée,  elle  dit  au  roi  avec  grande 
assurance  :  «  Ne  crains  pas;  je  suis  une  vierge  guerrière  que  Dieu  envoie 
«  pour  ta  cause,  et  au  secours  de  ta  ville  d'Orléans  pour  la  délivrer  de  ses 


INTÉRÊT  ET  COMPàSSIOxN  TÉMOIGNÉS  A  JEANNE  CAPTIVE.  381 

«  ennemis.  A  Taide  du  Très-Haut,  je  les  mettrai  en  fuite.  Je  te  conduirai  à 
«  Reims,  pour  que  tu  y  sois  sacré  comme  roi  et  pour  que  tu  sois  couronné 
«  dans  la  ville  de  Saint-Denis. J'accomplirai  ces  choses;  n'en  doute  pas,  car 
«  je  suis  renvoyée  de  Dieu.  » 

«De  fait,  elle  Taccomplit.  En  armes,  à  la  tête  de  son  armée,  elle  vainquit 
les  Anglais,  força  leurs  bastilles  devant  Orléans,  les  défît,  et  ils  prirent  la 
fuite.  Elle  fit  prisonniers  le  comte  de  Talbot  et  d'autres  Anglais,  en  allant 
à  Reims  faire  sacrer  le  roi.  Elle  subjugua  et  rendit  au  royaume  Auxerre, 
Sens,  Troyes,  Châlons,  Provins,  Reims,  Soissons,  Laon,  Noyon,  Com- 
piègne,  Senlis,  Saint-Denis,  et  plusieurs  autres  villes,  cités,  forteresses  et 
châteaux  qui  obéissaient  aux  Anglais. 

«  Toutes  ces  choses  accomplies,  ladite  Jeanne  la  Pucelle  fut  prise  devant 
Compiègne,  retenue  en  prison,  et  enfin  mise  entre  les  mains  des  Anglais. 
Comme  on  la  conduisait  à  Rouen  pour  lui  couper  le  cou  et  la  brûler, 
elle  s'arrêta  et  passa  la  nuit  au  château  de  Drugy.  Dans  ce  château,  la 
virent  Dom  Nicolas,  prévôt,  Dom  Jean  Chapellin,  aumônier  et  plusieurs 
autres  religieux  de  cette  église.  Il  en  sera  mémoire  dans  l'avenir,  car  la 
haine  que  lui  avaient  vouée  les  Anglais  était  inique.  » 

Le  chroniqueur,  qui  écrit  fort  mal  le  latin,  n'a  d'autorité  que  pour  ce 
qu'il  dit  du  château  de  Drugy.  Inutile  de  relever  plusieurs  inexactitudes. 
11  confirme  d'autant  plus  le  récit  d'Ignace  de  Jésus-Maria,  que,  d'accord 
l'un  et  l'autre  sur  le  nom  du  prévôt  et  de  l'aumônier,  ils  diffèrent  en  ce 
que  l'un  leur  adjoint  d'autres  religieux  et  l'autre  les  principaux  citoyens 
de  Saint-Riquier.  Quoiqu'ils  puissent  avoir  raison  tous  deux,  cette 
divergence  semble  établir  que  l'historien  des  comtes  de  Ponthieu  ne 
travaillait  pas  sur  la  Chronique  dont  on  vient  de  voir  un  extrait. 


CHAPITRE  XII 

DIVERS  PASSAGES  SUR  LA  PUCELLE,   EXTRAITS  DES  AUTEURS  DU  XV*  SIÈCLE. 

Soxmaibe:  I.  —  Fragment  dune  Chronique  d'un  auteur  inconnu. 

IL  —  La  Chronique  de  Normandie. 

UL  —  Passages  de  divers  auteurs  du  xv"  siècle  :  Pierre  de  Gros,  Guy  Pape,  Simon 

Phares,  Jean  Champier. 
IV.  —  Robert  Blondel  :  Notice.  —  Divers  passages  sur  Jeanne  d'Arc  dans  ÏOratio  his- 

toriaUs.  —  Mission  du  roi  de   France.  —  Passage  tiré  de  son  ouvrage  :  Reductio 

yormanniœ. 


382  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARG  :  LA  LIBÉRATRICE. 

I 

Vallet  de  Yiriville  a  trouvé  au  British  Muséum  (w*  1542)  un  manuscrit 
du  xv''  siècle,  renfermant  une  histoire  incomplète  de  la  Normandie.  On 
y  lit  sur  la  Pucelle  un  passage  que  Fauteur  de  la  découverte  a  imprimé 
dans  ses  Historietis  de  Charles  Vll^  à  la  suite  de  la  Chronique  de  Jean 
Chartier. 

Ce  passage  ne  renferme  rien  que  les  chroniqueurs  déjà  cités  ne.nous 
aient  dit  bien  souvent,  et  d'une  manière  beaucoup  moins  inexacte.  Quil 
suffise  donc  d'en  citer  la  fin,  à  partir  de  Tattaque  contre  Paris.  Après 
avoir  dit  que  le  roi  entra  à  Saint-Denis  sans  nul  contredit,  le  chroniqueur 
continue  en  ces  termes  : 

«  La  Pucelle,  Mgr  d'Alençon,  et  partie  des  gens  du  roi  allèrent  devant 
Paris,  et  incontinent  qu'ils  furent  arrivés,  ils  firent  saillir  [descendré)  leurs 
gens  es  fossés  pour  donner  Tassant.  A  quoi  ceux  de  la  place  firent  grande 
résistance,  en  tirant  fort  de  canons  et  grosses  arbalètes,  qui  firent  peu  de 
de  mal,  fors  (5/  ce  n'est)  à  la  Pucelle  qui  fut  blessée  d'un  vireton  à  son 
harnais  [armure)  des  jambes  ;  par  quoi  elle  et  ses  gens  se  tirèrent  à 
Saint-Denis  devers  le  roi,  lequel  bientôt  après  se  partit  et  vint  passer  la 
Seine  et  se  rafraîchir  à  Tours  et  à  Chinon. 

«  L'an  mil  quatre  cent  trente,  après  que  le  roi  fut  retourné  de  son  cou- 
ronnement et  arrivé  enTouraine,  la  Pucelle  retourna  au  pays  de  France^ , 
011  étaient  demeurés  grande  partie  des  gens  du  roi,  tant  à  Compiègne 
qu'es  places  qu'il  avait  conquises.  Et  après  qu'elle  eut  tourné  et  vti  une 
partie  du  pays,  elle  se  relira  audit  lieu  de  Compiègne.  Elle  étant  dedans, 
les  Bourguignons  vinrent  courir  devant,  et  ils  avaient  mis  plusieurs  em- 
bûches tout  autour.  Icelle  Pucelle  sortit  à  l'escarmouche  avec  plusieurs 
de  ses  gens,  elle  se  lança  si  avant  qu'elle  se  trouva  entre  lesdites  embû- 
ches, où  elle  fut  prise  et  amenée  par  iceux  Bourguignons.  Et  après  qu'ils 
l'eurent  longuement  gardée  ils  la  vendirent  es  Anglais  qui  Tachetèrent 
bien  chèrement. 

((  Et  après  ce,  ils  la  menèrent  à  la  ville  de  Rouen,  où  elle  fut  empri- 
sonnée l'espace  de  long  temps.  Elle  fut  questionnée  par  les  plus  grands 
hommes,  sages  et  plus  élevés^  de  leur  parti,  pour  savoir  si  les  victoires 
qu'elle  avait  eues  sur  eux  étaient  faites  par  enchantements,  par  carraulx', 
ou  autrement.  Ils  la  trouvèrent  de  si  belle  réponse,  et  elle  leur  bailla 
solutions  si  raisonnables   que  par  longtemps  il  n'y  eut  nul  d'entre  eux 

1.  Nouvel  exemple  que  le  mot  France  se  prenait  couramment  pour  <<! 'Ile-de-France». 

2.  Grignours  dans  le  texte.  D'après  Lacirne,  c'est  le  comparatif  de  u  grand  ». 

3.  Flèche,  foudre,  d'après  Lacirne. 


DIVERS  PASSAGES  SUR  LA  PUCELLE.  383 

qui,  selon  le  droit,  osât  la  juger  à  mort  ;  mais  finalement  ils  la  firent  ardre 
{brûler)  publiquement,  ou  une  autre  femme  semblable  à  elle  ;  de  quoi 
moult  de  gens  ont  été  et  sont  encore  de  diverses  opinions*.  » 


II 

La  Chronique  de  Normandie.  —  Elle  a  été  bien  souvent  imprimée,  dit 
Quicherat,  soit  à  Rouen,  soit  ailleurs.  Elle  conduit  le  récit  des  événe- 
ments jusqu^au  recouvrement  de  la  Normandie,  et,  d'après  Quicherat, 
aurait  été  composée  peu  après  la  mort  de  Charles  VII  ;  elle  parle  en  ces 
termes  du  siège  d'Orléans  et  de  la  Pucelle  :  elle  est  aussi  inexacte  que 
brève.  La  voici  : 

«  L'an  mil  quatre  cent  vingt-neuf,  le  comte  de  Salisbury  assembla  les 
Anglais  à  Chartres  en  grande  puissance,  et  dit  à  maître  Jean  de  Meung, 
magicien,  qu'il  voulait  aller  mettre  le  siège  à  Orléans.  Et  maître  Jean  lui 
dit  qu'il  gardât  sa  tôle  *.  Le  siège  y  fut  mis,  si  bien  que  ceux  de  la  ville, 
voyant  que  les  Anglais  avaient  gagné  la  tour  qui  était  sur  le  pont  et  que 
secours  ne  leur  venait  point,  demandèrent  des  trêves  pour  parlementer 
et  mettre  leur  ville  à  composition.  Durant  les  trêves,  Salisbury  était  en 
une  fenêtre  à  cette  tour  du  pont,  d  où  il  regardait  la  ville  ;  et  un  écolier 
mit  le  feu  à  une  pièce  d'artillerie  qui  était  afustée  {pointée)  pour  tirer  à 
cette  tour,  dont  la  pierre  frappa  Salisbury  par  la  tête  dont  il  mourut. 
Aussitôt  les  Anglais  crièrent  trahison  ',  à  l'arme,  à  l'assaut,  qu'ils  don- 
nèrent très  fort  contre  la  ville  ;  mais  les  écoliers  leur  firent  forte  résis- 
tance et  les  Anglais  furent  vaillamment  reboutés  {repoussés). 

«  Les  Français  vinrent  au  secours  de  la  ville  avec  la  Pucelle  qui  lors 
commença  à  régner,  et  les  Anglais  levèrent  le  siège.  Ils  se  mirent  en 
faite  et  Talbot  fut  fait  prisonnier  *.  Les  Français  devancèrent  les  Anglais 
à  Patay,  et  là  fut  grande  déconfiture  des  Anglais  ;  et  ils  redoutèrent  tant 
la  Pucelle,  qu'il  leur  semblait  que  partout  où  elle  serait  ils  n'auraient 
jamais  la  victoire. 
«  En  Tan  mil  quatre  cent  XXXP,  Messire  Jean  de  Luxembourg,  le 

1.  L*auteur  écrivait  très  probablement  lorsque  la  fausse  Pucelle  était  sur  la  scène. 
L'allusion  est  manifeste. 

2.  Le  Mystère  d*Orléans,  dont  la  valeur  historique  n*est  pas  à  dédaigner,  a  consacre 
une  scène  à  cette  prédiction.  Salisbury  et  Glacidas  consultent  maître  Jean  des  Boillons. 
Le  devin  répond  au  premier  de  bien  garder  sa  iête^  au  second  qu'il  n*a  pas  de  blessure 
à  craindre,  et  quMI  mourra  sans  saigner. 

3.  Loin  de  crier  irahisony  les  Anglais  s'efforcèrent  de  dissimuler  le  coup  qui  les 
frappait.  U  n'y  eut  pas  de  trêve. 

4.  Ce  ne  fut  pas  à  la  levée  du  siège  d'Orléans. 

5.  Lisez  4430. 


384  LA  VRAIB  JEANNE  D*ARG  :   LA  LIBÉRATRICE. 

comte  d'Arondel,  et  plusieurs  Anglais  et  Boui^uignons  vinrent  avec  une 
grande  armée  mettre  le  siège  devant  Compiëgne  ;  laquelle  chose  venue 
à  la  connaissance  de  Jeanne  la  Pucelle,  pour  lors  à  Lagny-sur-Marne, 
elle  se  partit  dudit  Lagny  pour  venir  secourir  les  assiégés  à  Compiègne, 
et  depuis,  de  jour  en  jour,  il  y  eut  de  grandes  escarmouches  entre  les 
Anglais  et  Bourguignons  d'une  part  et  ceux  de  la  ville  d'autre  part.  Or  il 
advint  un  jour  que  la  Pucelle  fit  une  saillie  vaillamment  ;  mais  les  Anglais 
chargèrent  si  fort  sur  elle  et  sa  compagnie  qu'elle  fut  prise. 

«  Et  ce  firent  faire  par  envie  les  capitaines  de  France,  pour  ce  que,  si 
aucuns  [quelques)  faits  d'armes  se  faisaient,  la  renommée  était  telle  par 
tout  le  monde  que  la  Pucelle  les  avait  faits. 

«  Ladite  Jeanne  la  Pucelle  fut  détenue  en  prison  par  les  gens  de  Mes- 
sire  Jean  de  Luxembourg  ;  et  puis  il  la  vendit  aux  Anglais  qui  la  menè- 
rent à  Rouen.  Elle  fut  prêchée  à  Saint-Ouen,  et  puis  après  menée  au 
Vieux-Marché,  où  elle  fut  brûlée,  et  la  poudre  [la  cendre)  mise  à  vau  le 
vent.  » 

III 

Bien  des  auteurs  français  du  xv*  siècle  ont  fait  en  passant  mention  de 
la  Pucelle.  Tel  le  Franciscain  Pierre  de  Gros,  dans  son  Jardin  des  nobles, 
ouvrage  inédit,  signalé  par  M.  Paulin  Paris  dans  son  Histoire  des 
manuscrits  de  la  Bibliothèque  du  roi.  Pierre  de  Gros  écrivait  en  1463. 
M.  Paulin  Paris  a  relevé  dans  le  manuscrit  du  Franciscain  plusieurs 
passages  pleins  d'intérêt.  Il  cite,  entre  beaucoup  d'autres,  la  phrase 
suivante  :  «  Au  royaume  de  France  est  la  souveraine  lumière  de  la  foi, 
qui  est  l'Université  de  Paris  :  aux  rois  de  France,  signes  merveilleux  et 
miracles  Dieu  a  montré  comme  en  la  sainte  ampoule  et  l'oriQant 
[ori/lam?ne) es  fleurs  de  lis  et  en  la  Pucelle*.  » 

Guy  Pape.  —  Denys  Godefroy  cite  comme  étant  de  ce  célèbre  juris — - 
consulte  du  xv'  siècle  un  passage  dont  voici  la  traduction  *  :  «  De  nos^ 
temps  j'ai  vu  une  Pucelle,  du  nom  de  Jeanne,  qui  commença  à  régneria 
[incepit  regnare)  Tannée  où  je  fus  fait  docteur.  Se  revêtant  par  inspira — 
tion  divine  d'armes  guerrières,  elle  releva  en  ii30  (?5)  le  royaume  di^ 
France,  chassa  les  Anglais  à  main  armée,  et  rendit  au  susdit  roi  Charles  - 
son  royaume  de  France.  Cette  Pucelle  régna  trois  ou  quatre  ans  »  [moin^-M 
dun  an), 

Simon  Phares.  —  C'était  un  botaniste  et  un  astrologue,    pensionna 
comme  astrologue  par  Charles  Vil.  Dans  une  Histoire  des  astrologues  ^ 

i.  Paulin  Paris,  Histoire  des  manuscrits  de  la  Bibliothèque  du  roi,  t.  II,  p.  149. 


386  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

poème  d'environ  mille  vers,  sous  ce  titre  :  la  Complainte  des  bons  Fran- 
çais {De  complanctu  bonortim  Gallicorum).  Bon  Français,  Blondel  Tétait, 
puisque,  comme  Thomas  Basin  qu'il  loue  dans  un  autre  de  ses  écrits,  il 
avait  fui  la  Normandie  pour  échapper  à  la  domination  anglaise.  Son 
poème,  que  nous  avons  parcouru,  n'est  pas  toujours  en  règle  avec  les 
lois  d'une  stricte  prosodie,  mais  il  est  plein  d'un  souffle  de  patriotisme 
qui  n'a  rien  de  factice*.  Il  fut  traduit  en  vers  français  par  un  clerc 
normand  du  nom  de  Robinet. 

Robert  Blondel  était  prêtre.  En  1449,  lors  de  la  rupture  des  trêves 
avec  les  Anglais,  il  faisait  l'éducation  du  comte  d'Ëtampes,  fils  de  Robert 
de  Bretagne.  Il  écrivit,  cette  fois  en  prose  latine,  une  exhortation  véhé- 
mente à  Charles  VII,  pour  le  pousser  à  entreprendre  la  conquête  de  la 
iNormandie.  L'ouvrage  intitulé  Oratio  historialis  se  trouve  à  la  Biblio- 
thèque nationale,  sous  la  cote  13838.  Il  en  existe  encore  deux  copies, 
[cotes  6^34  et  5964),  cette  dernière  de  la  main  d'André  Duchesne.  Le  lan- 
gage de  Blondel  est  hardi,  si  hardi  que  le  scribe  Anquetil,  chargé  de 
présenter  le  livre  au  roi,  craignait  d'exécuter  l'ordre  reçu,  et  ne  l'accom- 
plit que  sur  commandement  réitéré.  Blondel  ne  ménage  pas  les  objur- 
gations pour  secouer  l'inertie  de  Charles  VII  ;  il  se  fait  la  plus  haute  idée 
de  la  mission  de  la  France,  et  encore  que  la  Pucelle  n'eût  pas  encore 
été  réhabilitée,  il  ne  doute  pas  qu'elle  n'ait  été  miraculeusement  envoyée 
par  le  Ciel.  Il  en  parle  à  deux  reprises  dans  Y  Oratio  historialis. 

Au  chapitre  xli,  à  propos  de  l'usurpation  de  la  couronne  de  France 
par  Ilenri  de  Lancastre,  il  écrit  :  «  La  couronne  de  France  n'était  ni 
vermoulue,  ni  brisée;  Henri,  notre  plus  antique  ennemi,  s'en  saisit  et  la 
déroba.  Une  funeste  conjuration  l'en  déclara  l'héritier.  Le  bras  de  Dieu 
la  lui  enleva,  et  par  le  mystère  de  la  Vierge  envoyée  d'en  haut,  il  la 
replaça  miraculeusement,  contre  toute  attente,  sur  la  tête  de  Charles, 
que  la  fraude  et  la  haine  en  avaient  injustement  dépouillé.  » 

Il  est  plus  explicite  et  plus  étendu  au  chapitre  xliu  ;  et  il  tire  pour  le 
roi  et  pour  la  France  du  miracle  de  la  Pucelle  des  conséquences  en  par- 
faite conformité  avec  les  sentiments  de  Jeanne  ;  nous  ne  résistons  pas  au 
plaisir  de  citer.  Après  avoir  donné  plusieurs  preuves  que  Charles  VIT 
avait  été  injustement  déshérité  par  le  traité  de  Troyes,  il  présente  comme 

1.  Blondel  portait  déjà  de  son  temps  contre  Paris  une  accusation  bien  plus  vraie 
aujourd'hui.  11  voyait  dans  Paris  la  cause  des  maux  de  la  France.  En  preuve  les  vers 
suivants  : 

Urbis  Parisius,  si  fas  est  dicere  veruiu, 

Ilorrida  seditio,  fons  est  et  origo  malorum, 
et  encore  : 

Vae  tibi,  Parisius,  nobis  mala  cuncta  ministrans, 

Et  tibi  damna  paris. 


ROBERT  BLONDEL.  387 

supérieur    à   tous   les    autres    Targument   tiré    de    la  mission    de  la 
Pucelle.  Voici  comment  il  s'exprime  : 

«  Ne  parlons  pas,  j'y  consens,  de  votre  injuste  et  criminelle  exhéréda- 
tion.  Votre  miraculeux  couronnement,  très  illustre  prince,  enlève  tout 
allument  et  tout  doute  aux  hommes  de  sens.  Vous  étiez  réduit  à  la 
dernière  extrémité.  Est-ce  par  la  puissance  des  hommes,  par  le  secours 
des  princes  que  vous  avez  pu  recevoir  votre  très  auguste  sacre?  Pour  un 
si  haut  mystère,  une  simple  Pucelle,  innocente,  née  dans  une  humble 
condition,  vous  a  été  envoyée  par  Dieu,  ainsi  qu'il  faut  pieusement  le 
croire.  Vous  étiez  envahi  de  toutes  parts  :  ce  que  les  hommes  ne  pouvaient 
pas  faire,  elle  l'a  fait  ;  elle  vous  a  apporté  un  secours  tombé  du  Ciel. 
A  travers  les  rangs  d'ennemis  acharnés,  triomphant  de  cruels  tyrans, 
ce  que  vous  ne  pouviez  pas  attendre  des  efforts  humains,  elle  vous  a 
glorieusement  introduit  à  Reims.  Là  la  sainte  ampoule,  jusqu'alors  des- 
séchée, a  débordé  d'une  huile  céleste*,  et  avec  votre  sacre  vous  avez  reçu 
les  insignes  de  la  royauté. 

«  0  Charles,  roi  Très-Chrétien,  par  les  entrailles  de  Jésus-Christ  dont 
par  droit  héréditaire  vous  êtes  le  vassal  privilégié,  écoutez  ce  que  la 
sincère  affection  de  ma  charité,  le  zèle  de  l'extension  de  la  foi  me 
pressent  de  dire  à  votre  piété.  Vous  avez  à  relever  votre  royaume  cala- 
miteusement  affligé,  à  venger  le  patrimoine  du  Christ  souillé  par  les 
infidèles.  Méditez  souvent  le  très  haut  mystère  de  votre  couronnement, 
la  délivrance  qu'en  ce  jour  vous  avez  promise  à  votre  peuple.  Ce  que 
par  serment  vous  avez  promis  à  votre  couronne  et  à  votre  royaume, 
hâtez-vous  d'en  faire  sentir  les  salutaires  effets.  Sans  quoi  je  redoute  que 
le  suprême  Empereur,  qui  tient  dans  sa  main  tous  les  États,  mais  parti- 
culièrement le  vôtre  comme  son  royaume  de  prédilection,  ne  vous  fasse 
sentir  les  effets  de  sa  colère,  en  punition  de  l'oubli  de  ses  immenses 
bienfaits... 

«  0  Charles,  athlète  très  particulièrement  prédestiné  à  la  défense  de 
la  foi,  —  singularissime'fidei  Athleta^  —  que  tardez-vous  à  délivrer  votre 
royaume  des  durs  oppresseurs...  qui  vous  empêchent  de  secourir  le 
saint  patrimoine  du  Christ  si  dévasté...  de  trouver  partout  des  actes  de 
vertu  à  exercer.  Poursuivez  vaillamment  la  guerre,  et,  c'est  ma  ferme 
conviction,  jamais  cœur  ne  rêva  de  demander  à  Dieu  une  victoire  pareille 
à  celle  qui  attend  les  lis  en  France  et  dans  le  monde,  si  vous  savez  vous 
m  outrer  courageux.  » 

Cette  promesse  est  celle  qui  termine  la  lettre  de  Jeanne  aux  Anglais, 
alors  qu'elle  assure  qu'en  sa  compagnie  les  Français  accompliront  en 

1.  Blondel  croit  que  l'huile  de  la  sainte  ampoule  comme  tarie  pendant  la  domina- 
tion anglaise  avait  soudainement  reparu  pour  le  sacre  de  Charles  Vil, 


388  LA  VRAIE  JEANNE  D  ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

faveur  de  la  chrétienté /^jo/î/s  beau  fait  qui  encore  ait  été  fait.  Le  langage 
de  Blondel  rend  si  bien  raison  de  la  faveur  unique  accordée  à  la  France 
par  la  Pucelle,  il  est  si  bien  en  accord  avec  les  sentiments  intimes  de  la 
Libératrice,  qu'on  nous  pardonnera  d'en  traduire  encore  quelques  lignes. 
Blondel  dans  une  hardie  prosopopée  fait  parler  les  prédécesseurs  de 
Charles  VIL  Voici,  au  chapitre  xvli,  quelques-unes  des  paroles  par 
lesquelles  saint  Louis  presse  Charles  VII  d'expulser  les  Anglais. 

«  De  tous  les  Etats  policés,  le  plus  excellent  c'est  le  royaume  de  France 
quand  il  ne  forme  qu'un  seul  et  même  corps.  La  foi  chrétienne  lui 
confère  un  éclat  sans  pareil.  La  puissance  divine  le  dirige  et  le  gouverne 
avec  les  tempéraments  d'une  souveraine  équité.  Ceux  qui  sont  appelés 
à  le  régir  doivent  unir  pour  le  défendre  le  courage  d*un  grand  cœur  à 
une  joyeuse  ardeur  pour  le  métier  des  armes.  Le  corps  vit  par  l'âme, 
le  royaume  de  France  par  la  vraie  religion  ;  la  foi  du  Christ  en  est  la 
suprême  loi.  0  cher  petit-fils,  appelé  à  être  à  la  tête  d'un  si  beau 
royaume,  ce  n'est  pas  pour  vous  endormir  dans  le  repos  et  l'inertie; 
vous  êtes  né  non  pour  vous,  mais  pour  le  salut  et  la  défense  de  votre 
royaume  et  de  la  foi  catholique.  » 

On  aime  à  croire  que  ces  objurgations  réveillèrent  Charles  VII,  plus 
que  les  reproches  de  la  Sorel,  dont  nous  parlent  certaines  histoires.  Ce 
qui  est  certain,  c'est  que  la  conquête  de  la  Normandie  et  de  la  Guyenne 
suivirent  de  très  près  ;  celle  de  la  Normandie  Tannée  même,  celle  de  la 
Guyenne  Tannée  suivante.  Le  glorieux  événement  tenta  la  plume  de  Ro- 
bert Blondel.  Il  écrivit  sous  le  titre  de  Reductio  Normanniœ  {Recouvrement 
de  la  Normandie)  un  volume  dont  la  Bibliothèque  nationale  possède  trois 
copies,  dans  le  fonds  latin,  n°*  o964,  6194,  6198.  Il  fut  composé  en  1454. 
Robert  Blondel  était  alors  le  précepteur  de  Charles,  duc  de  Berry,  le 
second  fils  de  Charles  VII,  et  le  fils  préféré  depuis  que  le  fils  aîné,  le 
futur  Louis  XI,  donnait  à  son  père  de  si  amers  déboires. 

Dans  ce  nouvel  ouvrage,  Blondel  a  une  page  sur  la  Pucelle.  Elle  se  lit 
au  chapitre  xu  de  la  IV®  partie  (/°  9i  du  ix"  5964).  La  voici  traduite  en 
français  : 

«  Angleterre,  nation  rapace,  nation  sacrilège,  combien  fut  laborieux 
pour  toi  avec  ses  ouze  immenses  bastilles,  le  siège  de  la  ville  illustre 
par  sa  foi  et  sa  valeur,  de  la  ville  boulevard  du  royaume,  d'Orléans.  Tu 
osas  bien  profaner  et  piller,  avec  le  village  adjacent,  le  temple  de  Notre- 
Dame-de-Cléry,  fameux  par  d'infinis  miracles  de  tout  genre,  riche  de 
tant  de  dons.  Ce  fut,  ô  sacrilège,  le  principe  de  tes  revers. 

«  Ce  féroce  comte  de  Salisbury,  conducteur  de  ce  siège  barbare,  à 
demi  caché  regardait  par  la  fenêlre  de  la  citadelle  du  pont  l'assiette  de  la 
ville,  lorsque  d'une  main  inconnue,  quelques-uns  disent  de  celle  d'un 


390  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBËRATRIGE. 

Elle  conduit,  à  travers  des  nuées  d'ennemis  farouches,  Charles  alors 
Dauphin,  jusqu'à  Reims  pour  y  recevoir  la  céleste  onction.  Celui  qui 
naguère,  dépouillé  du  royaume  par  l'infâme  conjuration  des  siens,  était 
poursuivi  par  des  traîtres  comme  l'ennemi  de  la  couronne,  est  mainte- 
nant ceint  du  sacré  diadème  par  la  Providence  de  Dieu  ;  vrai  et  légitime 
héritier  du  sceptre,  il  est  comme  tel  élevé  sur  le  trône.  » 

Quand  Blondel  écrivait  cette  page,  le  procès  de  réhabilitation  était 
entrepris,  mais  la  sentence  n'était  pas  rendue.  On  ignore  la  date  de  la 
mort  du  prêtre  si  français  ;  il  vivait  encore  en  1460.  Il  écrivit,  ou  tout  au 
moins  traduisit,  à  la  demande  de  la  reine,  la  pieuse  Marie  d'Anjou,  le 
Traité  ascétique  des  douze  portes  de  r enfer. 


LIVRE   IV 


PARTI   ANGLO-BOURGUIGNON. 

CHRONIQUES  ET  DOCUMENTS  PLUS  MODÉRÉS, 

PEU   OU   POINT  DEFAVORABLES. 


^ 


LIVRE  IV 

PARTI  ANGLO-BOURGUIGNON. 

CHRONIQUES  ET  DOCUMENTS  PLUS  MODÉRÉS, 

PEU    OU  POINT    DÉFAVORABLES. 


ENGUERRAND  DE  MONSTRELET 

ÏIii.guerrand  de  Monstrelet  est  de  tous  les  chroniqueurs  celui  que, 
"^<l^^'à  notre  siècle,  les  histoires  aimaient  le  plus  à  citer,  pour  la  période 
'^^^^t  il  a  retracé  les  annales. 

^tonstrelet  est  Picard  d'origine,  issu,  dit-il,  de  noble  famille,  quelques- 
in^  eroient  par  voie  de  bâtardise.  Il  naquit  vers  1390  et  mourut  en  1453. 
^^  parti  bourguignon,  il  était  particulièrement  attaché  à  Jean  de 
'^^^embourg.  Aussi  cherche-t-il  à  mettre  son  protecteur  particulièrement 
^^  ^cène,  et  lui  fait-il  une  large  place  dans  sa  Chronique.  On  connaît  assez 
ï^^^  les  fonctions  qu'il  exerça  durant  sa  vie.  Il  nous  apprend  lui-même 
ï^'il  était  à  Compiègne,  lorsque  la  Vénérable  y  fut  prise. 

Sa  Chronique  s'étend  de  1400  à  1444.  Elle  fut  imprimée  de  bonne  heure, 

^^tsla  fin  du  xv*  siècle.  Les  éditions  en  ont  été  multipliées  dans  la  suite. 

^ans  notre  siècle,  Buchon  Ta  fait  entrer  dans  sa  collection  ;  M.  Douet 

^Wrc  en  a  donné  une  édition  sous  le  patronage  de  la  Société  de  l'Histoire 

^e  France.  On  possède   de  nombreux  manuscrits  de  la  Chronique  de 

Monstrelet. 

Ses  pages  sur  la  Libératrice,  malgré  quelques  inexactitudes  de  détail, 
sont,  à  deux  points  près,  réservées,  assez  complètes  et  enchâssées  dans  le 
cadre  des  événements.  Elles  renferment  de  précieux  aveux.  Il  a  eu  le  tort 
de  recueillir,  sur  le  séjour  de  la  Vierge  à  Neufchâteau,  l'impure  fable  qui 
avait  cours  à  la  cour  de  Bourgogne,  fable  par  laquelle  on  prétendait 
expliquer  les  merveilles  de  la  guerrière.  Jeanne,  servante  d'aubei^e  à 
Neufchâteau,  y  aurait  pris  les  allures  de  la  libre  cavalière.  Le  conte  a  passé 
de  confiance  de  la  Chronique  de  Monstrelet  dans  une  foule  d'écrits^ 
même  émanés  de  plumes  catholiques. 


394  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

L'on  n'a  pas  observé  que  le  procès  de  réhabitation  réduit  à  néant  cette 
injurieuse  invention.  £n  racontant  la  prise  de  la  Libératrice  à  Compiëgnc, 
Monstrelet  promet  de  donner  la  suite  de  l'histoire  de  la  prisonnière.  Il  se 
contente  de  reproduire  le  récit  menteur  envoyé  par  la  cour  anglaise  au 
duc  de  Bourgogne  et  aux  princes  de  la  chrétienté.  Il  est  permis  d  y  voir 
un  calcul  de  sa  part. 

Ce  ne  sont  pas  seulement  les  pages  qui  regardent  directement  la 
Pucelle  qui  vont  être  insérées,  mais  toutes  celles  qui  aident  à  mieux 
connaître  son  histoire,  et  notamment  les  désastreuses  trêves  qui  interrom- 
pirent sa  céleste  mission. 


CHAPITRE   PREMIER 

LE  SIÈGE  D^ORLÉANS. 


Sommaire  :  l.  —  Armée  d'élite  levée  en  Angleterre  par  Salisbury  et  menée  en  France. 

—  La  conquête  d'Orléans  décidée  dans  les  conseils  tenus  à  Paris.  —  L'armée  de 
Salisbury  renforcée  par  les  contingents  levés  en  Normandie.  —  Grands  capitaines. 

—  Conquête  de  places  de  médiocre  importance.  —  Préparatifs  de  défense  des 
Orléanais.  —  Les  faubourgs  et  leurs  églises  rasés.  —  Vaillante  attaque  et  vaillante 
défense.  —  Salisbury  maître  de  la  tête  du  pont.  —  Mortellement  blessé  lorsqu'il 
contemple  la  ville.  —  Ses  recommandations  avant  de  mourir. 

II.  —  Le  siège  continué  par  les  Anglais  sous  la  conduite  de  SufTolk  :  efforts  de 
(jharles  Vil  pour  défendre  Orléans.  —  Noms  de  quelques  défenseurs.  —  Détresse 
de  (Iharles  Vil.  —  Abandon  dont  il  est  l'objet.  —  Sa  confiance  en  Dieu. 

Ul.  —  Journée  des  Harengs.  —  Dispositions  prises  par  les  Anglais.  —  Présomption  des 
Français,  désordre  dans  leur  attaque.  —  Leur  ignominieuse  défaite  ;  leurs  pertes.  - 
Désespoir  de  Charles  VU. 

IV.  —  Le  duc  de  Bourgogne  à  Paris  dans  les  premiers  jours  d'avril.  —  Ambassade  des 
Orléanais  demandant  que  leur  ville  soit  remise  entre  ses  mains,  comme  ville  neutre. 

—  Délibération  du  conseil  anglais,  et  refus  plein  de  mépris.  —  Orléans  doit  se 
rendre  aux  Anglais.  —  Les  Orléanais  disposés  à  tout  souffrir  plutôt  que  de  devenir 
Anglais.  —  Le  duc  de  Bourgogne  content  de  la  proposition  des  Orléanais,  froissé  des 
nmlti[»les  refus  des  Anglais. 


I 

Chapitre  lu.  —  Commoit  le  comte  de  Salseberi  vint  en  France  à  tout 
grand  gent,  en  l'aide  du  duc  de  Bethefort, 

Au  mois  (le  mai,  le  comte  do  Salisbury,  homme  expert  cl  très 
renommé  en  armes,  convoqua,  par  Tordre  du  roi  Henri  et  de  son  grand 
conseil,  jusqu'à  six  mille  combattants  ou  environ,  gens  d'élite  et  éprouvés 
en  armes  pour  la  plupart,  dans  le  but  de  les  amener  en  France  à  l'aide 


CHRONIQUE  DE  MONSTRELET.  395 

du  duc  de  Bedford  qui  se  disait  régent.  Il  en  envoya  d'abord  trois  mille 
à  Calais,  d'où  ils  allèrent  à  Paris  pour  toujours  continuer  la  guerre  contre 
les  Français. 

Environ  la  Saint-Jean,  le  même  comte  de  Salisbury  passa  la  mer  avec 
le  surplus  de  ses  gens,  vint  à  Calais,  et  par  Saint-Pol,  Dourlens  et 
Amiens,  arriva  à  Paris,  où  il  fut  joyeusement  reçu  par  le  comte  {sic) 
de  Bedford,  et  tout  le  conseil  de  France,  du  roi  Henri. 

Après  l'arrivée  de  Salisbury,  de  grands  conseils  furent  tenus  durant 
plusieurs  jours  sur  le  fait  de  la  guerre.  Il  fut  conclu  qu'icelui  comte, 
après  qu'ils  auraient  mis  sous  l'obéissance  du  roi  Henri  quelques  mé- 
chantes places  occupées  par  ses  adversaires,  irait  mettre  le  siège  devant 
la  cité  d'Orléans,  qui,  à  ce  qu'ils  disaient,  leur  était  fort  nuisible. 

Ce  plan  arrêté,  l'on  convoqua  de  toutes  parts  et  l'on  manda  de  par 
le  roi  Henri  et  de  par  le  régent  les  Normands  et  ceux  qui  tenaient  le 
parti  de  l'Angleterre.  L'on  y  mit  une  telle  diligence  que  peu  de  temps 
après,  Salisbury  eut  sous  ses  ordres  jusqu'à  dix  mille  combattants, 
parmi  lesquels  le  comte  de  Suffolk,  le  seigneur  de  Scales,  le  seigneur 
de  Talbot,  le  seigneur  de  Lille,  Anglais,  Chassedoch  {G/asdal)  et  plu- 
sieurs autres  vaillants  et  très  experts  hommes  d'armes,  qui  après  avoir 
été  durant  quelques  jours  reçus  au  milieu  des  fêtes  et  des  honneurs  à 
Paris,  ainsi  qu'il  a  été  dit,  quittèrent  cette  ville  et  ses  alentours  avec  le 
comte  de  Salisbury...  [Monstrelet  raconte  la  prise  de  Nogent-le-Roi, 
Janville,  Jargeau,  etc.,  et  en  vient  au  siège  d'Orléans.] 


II 

Chapitre  un.  —  Comment  le  comte  de  Salsebery  assiégea  la  cité  d'Or- 
téanSy  où  il  fut  occis. 

Après  que  le  comte  de  Salisbury  eut  conquis  et  mis  en  l'obéissance  du 
roi  Henri  de  Lancastre,  Janville,  Meung  et  plusieurs  autres  villes  et 
forteresses  des  pays  environnants,  il  se  disposa  très  diligemment  pour 
aller  assiéger  la  noble  cité  d'Orléans,  et  de  fait,  durant  le  mois  d'octobre, 
il  arriva  avec  toute  sa  puissance  devant  ladite  cité.  Ceux  qu'elle  renfer- 
mait dans  ses  murailles,  attendant  depuis  longtemps  sa  venue,  avaient 
disposé  leurs  fortiQcations,  fait  provision  d'armements  de  guerre,  de 
vivres,  choisi  des  hommes  exercés  aux  armes  et  belliqueux  pour  résister 
et  se  défendre.  Et  même  pour  qu'il  ne  put  pas  aisément  s'établir  avec 
ses  gens  autour  de  la  ville,  ni  se  fortifier,  les  habitants  d'Orléans  avaient 
fait  abattre  et  démolir  de  tous  côtés  en  leurs  faubourgs  de  bons  et  no- 
tables édifices,  parmi  lesquels  furent  renversées  jusqu'à   douze  églises 


396  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

et  plus,  dont  quatre  des  ordres  mendiants;  et  avec  ces  églises  beau- 
coup de  belles  et  riches  maisons  de  plaisance^  qu'y  possédaient  les 
bourgeois.  Ils  poussèrent  si  loin  celte  œuvre  de  destruction  qu'on  pou- 
vait voir  tout  à  découvert  les  faubourgs  et  les  environs,  et  décharger 
comme  en  plaine  les  canons  et  les  autres  instruments  de  guerre. 

Toutefois  ledit  comte  de  Salisbury  ne  tarda  pas  longtemps  à  s'établir 
avec  ses  Anglais  près  de  la  ville,  encore  que  ceux  du  dedans  se  défen- 
dissent vigoureusement  de  tout  leur  pouvoir,  faisant  plusieurs  sorties, 
déchargeant  canons,  coulevrines,  et  autres  artilleries  qui  tuaient  ou 
mettaient  hors  de  combat  plusieurs  Anglais.  Cependant  les  Anglais  les 
repoussèrent  si  vaillamment  et  si  promptement,  qu'ils  s'approchèrent 
plusieurs  fois  des  remparts  au  point  d'étonner  les  Orléanais  par  leur 
hardiesse  et  leur  courage.  Dans  une  de  ces  attaques  hardies,  le  comte 
de  Salisbury  fit  assaillir  la  tour  du  bout  du  pont  jeté  sur  la  Loire,  qu'il 
prit  et  conquit  en  assez  brief  de  temps,  avec  un  petit  boulevard  qui  était 
fort  près,  malgré  la  résistance  des  Français.  Il  établit  plusieurs  de  ses 
gens  dans  la  tour,  pour  que  ceux  de  la  ville  ne  pussent  pas  tomber  par 
ce  côté  sur  son  armée.  D'autre  part,  lui,  ses  capitaines  et  tous  les  siens 
se  logèrent  fort  près  de  la  ville  dans  des  décombres,  dans  lesquels,  ainsi 
que  c'est  la  coutume  des  Anglais,  il  fit  creuser  plusieurs  logements  dans 
la  terre,  des  taudis,  et  autres  appareils  de  siège  pour  éviter  les  traits  dont 
ceux  de  la  ville  les  servaient  très  largement*. 

Cependant  le  comte  de  Salisbury,  le  troisième  jour  après  son  arrivée 
devant  la  cité,  entra  dans  la  tour  du  Pont  où  il  avait  logé  ses  gens,  et 
monta  au  second  étage  ;  là  il  se  mit  à  une  fenêtre  donnant  sur  la  ville, 
regardant  très  attentivement  ses  alentours,  pour  mieux  voir  et  imaginer 
comment  et  par  quelle  manière  il  pourrait  la  prendre  et  la  subjuguer. 
Comme  il  était  à  cette  fenêtre,  soudainement,  de  la  ville,  la  pierre  d'un 
veuglaire  fend  l'air,  et  va  frapper  contre  la  fenêtre  où  se  trouvait  le 
comte  qui,  au  bruit  du  coup,  se  retirait  de  l'ouverture  ;  mais  il  fut  atteint 
très  grièvement,  mortellement,  des  éclats  de  la  fenêtre,  eut  une  grande 
partie  du  visage  entièrement  emportée,  tandis  qu'un  gentilhomme  qui 
était  à  ses  côtés  tomba  sur-le-champ  raide  mort.  Cette  blessure  porta 
au  cœur  de  tous  ses  gens  grande  tristesse  ;  car  il  en  était  fort  craint  et 
aimé;  et  on  le  tenait  pour  le  plus  habile,  le  plus  expert  et  le  plus  heu- 
reux dans  les  combats  de.  tous  les  princes  et  capitaines  du  royaume 
d'Angleterre.    Toutefois  il  vécut  encore    huit  jours  dans  cet  état  de 

1 .  Se  loga  luy  et  ses  capitaines  avec  tous  les  siens  assez  prés  de  la  ville  en  aucunes  viései 
masures  là  estant,  èsquelles  comme  ont  accoutumé  iceulx  Anglois,  firent  plusieurs  lo{fis 
dedens  terre,  taudis  et  autres  habillemens  de  guerre,  pour  eschever  le  trait  de  ceulx  de  la 
ville  dont  Hz  estoient  très  largement  servis. 


CHRONIQUE  DE  MONSTRELET.  397 

blessure.  Ayant  mandé  tous  ses  capitaines,  il  leur  commanda  de  par  le 
roi  d^ Angleterre  de  continuer  à  réduire  sans  retard*  cette  ville  à  son 
obéissance,  se  fit  porter  à  Meung,  et  y  mourut  au  bout  de  huit  jours  des 
suites  de  sa  blessure. 

III 

Le  comte  de  Suffolk  devint  capitaine  général  des  Anglais  en  son  lieu 
et  place,  ayant  sous  lui  les  seigneurs  de  Scales,  de  Talbot,  Lancelot  de 
Lille,  Glacidas  et  plusieurs  autres.  Malgré  la  perte  qu'ils  venaient  de  faire 
de  leur  chef  et  souverain  Connétable,  ils  reprirent  confiance  en  eux- 
mêmes,  et,  d'un  commun  accord,  ils  se  disposèrent  en  toute  diligence  à 
continuer  Tœuvre  commencée,  par  toutes  les  voies  et  manières  possibles  ; 
ils  firent  construire  en  plusieurs  lieux  des  bastilles  et  des  fortifications 
kTintérieur  desquelles  ils  se  logèrent,  pour  éviter  les  surprises  et  les 
eavahissements  de  leurs  ennemis. 

De  son  côté,  le  roi  Charles  de  France,  sachant  que  les  Anglais,  ses 
anciens  ennemis  et  adversaires,  voulaient  subjuguer  et  mettre  en  leur 
obéissance  la  très  noble  cité  d'Orléans,  avait  déterminé,  avant  leur  arri- 
vée, au  sein  de  son  conseil,  qu'il   la  défendrait    de  tout  son  pouvoir, 
dans  la  persuasion  que  si  elle  tombait  entre  les  mains  de  ses  ennemis,  ce 
serait  la  destruction  totale  de  ses  frontières,  de  son  pays,  et  sa  propre 
niine.  Il  envoya  donc  à  son  secours  une  grande  partie  de  ses  meilleurs 
et  plus  fidèles  capitaines,  Boussac  et  le  seigneur  d'Eu,  et  avec  eux  le 
kàlard  d'Orléans,  chevalier,  les  seigneurs  de  Gaucourt  et  de  Graville, 
'fi  seigneur  de  Villars,  Poton  de  Xaintrailles,  La  Ilire,  Messire  Théodore 
Qe  Yalpergue,   Messire  Louis   de    Gaucourt,  et   plusieurs  autres  très 
vaillants  hommes,  fort  renommés  en  armes  et  de  grande  autorité.  Ils 
avaient  journellement  avec  eux  de  douze  à  quatorze  cents  combattants, 
gens  d'élite,  bien  éprouvés  aux  armes,  tantôt  plus,  tantôt  moins,  car  le 
siège  ne  fut  jamais  si  fermé  que  les  assiégés  ne  pussent  se  rafraîchir  de 
gens  et  de  vivres,  et  aller  à  leurs  besognes,  quand  bon  leur  semblait,  et 
qa'ils  avaient  la  volonté  de  le  faire.  Durant  ce  siège,  les  assiégés  firent 
plusieurs   sorties  sur  les  assiégeants...  Mais,  d'après  les  rapports  que 
nous  ont  faits  quelques  notables  des  deux  partis,  je  n'ai  point  su  qu'ils 
aient  fait  grand  dommage  à  leurs  ennemis,  sinon  par  les  canons  et  autres 
engins  qu'ils  tiraient  de  la  ville... 

Chapitre    lv.  —  ...  Durant  le   temps  que  les  Anglais  tenaient  leur 
siège  devant  la  noble  cité,  le  roi  Charles,  comme  il  a  été  dit,  était  fort 

î,San$  dissimulation,  relard,  un  des  sens  du  mot  «  dissimulation  »,  d'après  Lacurne. 


308  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

bas^  Il  avait  été  à  peu  près  délaissé,  et  était  comme  abandonné  par  la 
plus  grande  partie  de  ses  princes,  et  autres  des  plus  nobles  capitaines 
qui  voyaient  que  de  toutes  parts  ses  affaires  tournaient  au  pire*.  Néan- 
moins il  avait  toujours  bonne  affection  et  confiance  en  Dieu,  désirant  de 
tout  son  cœur  avoir  traité  de  paix  avec  le  duc  de  Bourgogne;  ce  qu'il 
avait  plusieurs  fois  requis  par  ses  ambassadeurs  ;  mais  on  n'avait  pas 
encore  pu  trouver  un  moyen  qui  fût  au  gré  des  parties. 


IV 

Chapitre  lvi.  —  Comment  les  Anglois^  allant  au  secours  du  siège  dOr- 
léanSy  rencontrèrent  les  François  qui  les  assaillirent. 

[Après  avoir  décrit  le  départ  de  Paris  de  quatre  ou  cinq  cents  chariots, 
escortés  par  environ  seize  cents  combattants,  et  mille  hommes  des  com- 
munes, et  avoir  parlé  des  trois  ou  quatre  mille  Français  qui  les  atten- 
daient dans  les  environs  de  Rouvray,  Monstrelet  décrit  ainsi  la  funeste 
journée  des  Harengs.] 

Les  Anglais  firent  en  très  grande  diligence  de  leurs  charrois,  en  plein 
champ,  un  grand  parc  auquel  ils  laissèrent  deux  issues  pour  ouverture, 
et  ils  se  mirent  à  Tintérieur,  les  archers  à  la  garde  de  ces  entrées,  et  les 
hommes  d'armes  assez  près,  aux  lieux  convenables.  A  Tun  des  côtés,  le 
plus  fort,  étaient  les  marchands,  les  charretons,  les  pages,  et  autres 
gens  de  petite  défense  avec  les  chevaux.  En  cet  état,  les  Anglais  atten- 
dirent bien  deux  heures  leurs  ennemis,  qui  en  grand  bruit  vinrent  se 
mettre  en  bataille  devant  le  parc,  hors  de  la  portée  des  traits.  11  leur 
semblait,  attendu  leur  grand  nombre,  la  diversité  des  ennemis  ramassés 
de  différents  pays  (il  n'y  avait  que  cinq  à  six  cents  Anglais  venus  d'An- 
gleterre), qu'ils  ne  pouvaient  échapper  de  leurs  mains,  et  qu'ils  seraient 
bientôt  vaincus.  Néanmoins  quelques-uns  craignaient  beaucoup  le 
contraire,  parce  que  les  capitaines  français  n'étaient  pas  d'accord  entre 
eux,  les  uns,  spécialement  les  Écossais,  voulant  combattre  et  livrer 
bataille  à  pied,  et  les  autres  voulant  demeurer  à  cheval...  Ils  allèrent 
assez  promptement,  les  uns  à  pied,  les  autres  à  cheval,  attaquer  et  com- 
battre leurs  ennemis  qui  les  reçurent  très  courageusement.  Les  archers 
anglais,  qui  étaient  très  bien  défendus  par  leurs  charrois,  commencèrent 

1.  «  Estoit  très  fort  au-dessous  ». 

2.  (c  Et  Tavoient  au  peu  près  laissé  comme  abandonné  la  plus  grande  partie  de  set 
princes  et  autres  des  plus  nobles  seigneurs,  voyant  que  de  toutes  parts  ses  besoîgnes 
lui  venoicnt  au  contraire.  Néanmoins  il  avoit  toujours  bonne  affection  et  confiance 
en  Dieu.  » 


CHRONIQUE  DE  MONSTRELET.  399 

à  tirer  très  raidemcnt,  et  de  pleine  venue  ils  firent  reculer  loin  d'eux 
ceux  qui  étaient  à  cheval  avec  leurs  hommes  d*armes.  Le  connétable 
d'Ecosse  et  ses  gens  combattirent  dès  lors  à  Tune  des  entrées,  mais,  pour 
être  bref,  ils  furent  déconfits,  et  moururent  sur  la  place  le  connétable 
d'Ecosse...  et  bien  jusqu  à  six- vingts  gentilshommes  et  d'autres  jusqu'au 
nombre  de  cinq  ou  six  cents  combattants,  la  plus  grande  partie  Écossais... 
et  n'y  eut  de  mort  de  la  partie  des  Anglais,  de  gens  de  nom,  qu'un  seul 
homme  nommé  Bresanteau,  neveu  de  Messire  Morbier,  prévôt  de  Paris... 
Et  pouvaient  être  les  Anglais  environ  dix-sept  cents  combattants  de  bonne 
étoffe,  sans  les  communes,  et,  comme  il  est  dit  ci-dessus,  les  Français 
étaient  bien  de  trois  à  quatre  mille... 

Pour  laquelle  maie  aventure  ainsi  advenue,  Charles  eut  au  cœur  grande 
Iristesse,  voyant  de  toutes  parts  ses  besognes  venir  au  contraire  de  mal 
en  pis.  La  dessus  dite  bataille  de  Rouvray  fut  faite  la  nuit  des  Brandons 
(<**  dimanche  de  Carême)  environ  trois  heures  après  midi*. 


V 

Le  chapitre  lvu,  consacré  à  Jeanne  d'Arc,  sera  reproduit  après  le  lviu". 
Ce  dernier  complétera  l'idée  de  l'état  d'Orléans  lorsque  la  Pucelle  y  fit 
son  entrée. 

Chapitre  lvui.  —  Comment  de  par  le  roi  Charles  et  ceux  de  la  ville 
iOHians^  vinrent  ambassadeurs  en  la  cité  de  Paris^  pour  faire  traité  au 
due  de  Bedfordy  afin  que  ladite  ville  d'Orléans  demeurast  paisible. 

Au  commencement  de  cet  an^,  le  duc  de  Bourgogne  accompagné  de 

su  cents  chcvaucheurs  ou  environ,  vint  à  Paris  vers  le  duc  de  Bedford 

par  lequel  il  fut  très  joyeusement  reçu,  ainsi  que  par  sa  sœur,  femme  du 

même  duc  Là  ne  tardèrent  pas  à  venir  Poton  de  Xaintrailles,  Pierre 

<l'Oi]çin,  et  d'autres  nobles  ambassadeurs  envoyés  par  le  roi  Charles,  et 

par  ceux  de  la  ville  et  cité  d'Orléans  très  fort  molestés  et  resserrés  '  par 

le  si^e  des  Anglais.  Ils  voulaient  traiter  avec  le  duc  de  Bedford  et  le 

conseil  du  roi  Henri  d'Angleterre,  pour  que  la  ville  d'Orléans  sortît  de 

son  oppression  etdemeurât  paisible,  remise  qu'elle  serait  entre  les  mains 

1.  La  nuit  des  Brandons,  le  samedi.  La  journée  du  dimanche  était  censée  commencer 
avec  les  premières  vêpres. 

2.  L*année  commençant  à  Pâques,  qui  tombait  cette  année  le  27  mars,  on  doit 
entendre  les  derniers  jours  de  mars  ou  les  premiers  d  avril.  ChufTart  dît  que  ce  fut 
le  4  avril. 

3.  Ont  mouU  fort  estoient  molestés  et  contraints.  Contrainty  de  conriclus,  avait  alors 
comme  première  acception  le  sens  de  lier,  enchaîner. 


400  LA  VRAIE  JEANNE   D'aRC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

du  duc  de  Bourgogne,  qui  y  établirait  un  gouverneur  à  son  plaisir,  et  la 
tiendrait  comme  neutre  ;  d'autant  plus  que  le  duc  d'Orléans  et  son  frère, 
le  comte  d'Angoulême,  qui  depuis  longtemps  en  étaient  les  droituriers 
seigneurs,  étaient  prisonniers  en  Angleterre,  et  n'étaient  point  de  ladite 
guerre. 

Le  duc  de  Bedford  convoqua  plusieurs  fois  son  conseil  pour  avoir  son 
avis  et  ses  sentiments  sur  semblable  requête.  Le  conseil  ne  put  venir  à 
s'accorder  sur  pareille  demande.  Plusieurs  remontrèrent  au  duc  de  Bedford 
les  grands  frais  et  les  grandes  dépenses  du  roi  Henri  pour  le  siège  ;  il  y 
avait  perdu  plusieurs  de  ses  meilleurs  hommes  ;  la  ville  ne  pouvait  pas 
longtemps  tenir  sans  être  subjuguée,  et  les  habitants  étaient  dans  le  plus 
grand  péril  ;  c'était  une  des  villes  du  royaume  dont  il  importait  le  plus 
d'être  les  maîtres,  pour  des  raisons  qu'ils  en  posaient.  D'autres  témoi- 
gnaient leur  mécontentement  à  la  pensée  qu'elle  serait  remise  entre  les 
mains  du  duc  de  Bourgogne.  Il  n'était  point  raisonnable  que  le  roi  Henri 
et  ses  vassaux  eussent  eu  les  peines  et  soutenu  les  mises,  et  que  le  duc  de 
Bourgogne  en  eût,  sans  coup  férir,  les  honneurs  et  les  profits.  Un  con- 
seiller, maître  Raoul  le  Sage,  dit  qu'il  ne  serait  jamais  en  un  lieu  où  Ton 
mâcherait  [le  fruit]  au  duc  de  Bourgogne,  pour  que  ce  même  duc  Tavalàt. 
Finalement,  l'affaire  débattue  et  examinée,  la  conclusion  fut  qu'on  n*en- 
tendrait  pas  les  Orléanais  s'ils  ne  voulaient  traiter  avec  les  Anglais  et  leur 
rendre  la  ville. 

En  entendant  cette  réponse,  les  ambassadeurs  répliquèrent  qu'ils 
étaient  sans  pouvoir  pour  traiter  sur  ce  pied  ;  et  qu'ils  savaient  bien  que 
les  Orléanais  endureraient  bien  des  maux,  avant  de  se  mettre  en  l'obéis- 
sance et  sujétion  des  Anglais.  Ces  conclusions  données,  les  ambassa- 
deurs repartirent  et  retournèrent  en  la  noble  ville  d'Orléans,  où  ils  firent 
connaître  l'accueil  fait  à  leur  proposition. 

Cependant  le  duc  de  Bourgogne,  à  propos  de  ces  affaires,  fut  content 
des  ambassadeurs  Orléanais.  Si  cela  avait  plu  au  roi  et  à  son  conseil, 
c'eût  été  bien  volontiers  qu'il  aurait  assumé  le  gouvernement  de  la  ci 
et  ville  d'Orléans,  tant  pour  l'amour  de  son  beau  cousin  le  duc  d'Orléans 
que  pour  éviter  les  suites  qui  pouvaient  résulter  de  sa  prise;  mais  le^ 
Anglais,  alors  en  grande  prospérité,  ne  songeaient  pas  que  la  roue  de  I^ 
fortune  pouvait  tourner  contre  eux  ;  et  quoique,  en  ce  voyage,  le  duc  d^ 
Bourgogne  eût  fait  plusieurs  requêtes  à  son  beau-frère  le  duc  de  Bedfor 
tant  pour  lui  comme  pour  ses  gens,  peu  lui  furent  accordées.  Apre 
environ  trois  semaines  de  séjour  en  la  noble  et  royale  ville  de  Paris,  î 
retourna  en  son  pays  de  Flandre. 


LA  CHRONIQUE  DE  MONSTRELET.  401 


CHAPITRE   II 

LA  PUCELLE  JUSQU'A  LA  DÉLIVRANCE  D'ORLÉANS. 

Sommaire  :  1.  —  Jeanne  d'Arc  à  Chinon.  —  Son  âge.  —  Son  costume.  —  Son  pays.  — 
Son  passé.  —  Son  escorte.  —  Ce  qu'elle  propose  au  roi.  —  Près  de  deux  mois 
d'attente.  —  Traitée  d'abord  de  folle.  —  Examinée.  —  Ne  parle  que  de  Dieu. 
—  Finit  par  être  écoutée,  par  être  armée.  —  Son  étendard.  —  Le  ravitaillement 
décidé. 

ff.  —  Extrémité  à  laquelle  Orléans  est  réduit.  —  Ravitaillement  opéré  malgré  les 
Anglais.  —  Nombre  de  combattants  introduits.  —  La  Pucelle  presse  lattaque  des 
ennemis.  —  Son  assurance.  —  Prise  de  saint  Loup.  —  Détails.  —  Seconde  bastille 
enlevée.  —  Prise  de  la  bastille  du  bout  du  pont  après  un  combat  acharné.  —  Les 
morts.  —  Joie  des  Orléanais. 

III.  —  Les  Anglais  abandonnent  le  siège.  —  Comment.  —  Joie  et  butin  des  Orléanais. 


I 

Chapitre  lvii.  —  Comment  une  Puce/le  iiommée  Jeanne  y  vifit  devers  le 
roi  Charles  à  Chinon^  où  il  se  tenoit^  et  comment  ledit  roi  Charles  la 
retint  avec  lui. 

En  l'an  dessus  dit  {14^28  anc.  st.)  vint  devers  le  roi  Charles  de 
France,  à  Chinon,  où  il  se  tenait  une  grande  partie  du  temps,  une 
pucelle,  jeune  fille,  âgée  de  vingt  ans  ou  environ,  nommée  Jeanne, 
laquelle  était  vêtue  et  habillée  en  guise  d'homme.  Elle  était  née  des  par- 
ties entre  Bourgogne  et  Lorraiûe,  d'une  ville  nommée  Droimy  [Dom- 
rémy)j  assez  près  de  Yaucouleurs. 

Cette  pucelle  Jeanne  fut,  pendant  un  grand  espace  de  temps,  cham- 
brière en  une  hôtellerie  ;  elle  était  hardie  à  chevaucher  les  chevaux  et  à 
les  mener  boire,  et  à  faire  des  apertises  {tours),  et  autres  habiletés  que 
les  jeunes  filles  n'ont  point  coutume  de  faire  ^  Elle  fut  mise  en  chemin 
et  envoyée  vers  le  roi  par  un  chevalier  nommé  Messire  Robert  de  Bau- 
dricourt,  de  par  le  roi  capitaine  de  Yaucouleurs,  qui  lui  bailla  des  che- 
vaux et  quatre  ou  six  compagnons.  Elle  disait  être  pucelle,  inspirée  de 
la  gr&ce  divine,  et  être  envoyée   vers  icelui  roi  pour  le  remettre   en 

1.  Apertise,  On  désignait  par  le  mot  apertise  les  qualités  par  lesquelles  une  personne 
se  fait  connaître  comme  la  force,  Tagilité,  l'adresse,  la  valeur,  etc.  (Lacurne).  Une  note 
marginale  du  ms.  8346,  rectifie  ainsi  cette  assertion  :  «  Toute  sa  vye  fut  hergière,  gar^ 
dont  les  berbis,  jusqu'elle  fust  menée  devers  le  roy,  ne  jamès  n'avait  veu  cheval  au  moins 
pour  monter  dessus  ». 

ni.  26 


402  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

possession  de  son  royaume,  dont  il  était  chassé  et  débouté  à  tort  et  qui 
était  en  fort  ^  mauvais  état.  Elle  fut  environ  deux  mois  en  Thôtel  du  roi, 
Tadmonestant  par  ses  paroles  de  lui  donner  gens  et  aide,  et  qu'elle 
relèverait  son  royaume^. 

Durant  ce  temps,  ni  le  roi  ni  son  conseil  n'ajoutaient  que  peu  de  foi  à 
ses  promesses,  et  à  chose  qu'elle  sût  dire  ;  on  la  tenait  pour  une  folle 
dont  l'esprit  était  dévoyé*.  Pour  de  si  grands  princes,  en  effet,  comme 
pour  tout  noble  personnage,  telles  et  semblables  paroles  sont  suspectes 
et  périlleuses  à  croire,  principalement  pour  ne  pas  attirer  l'ire  de  Notre- 
Seigneur,  mais  aussi  pour  les  dérisions  qu'on  pourrait  s'attirer  des  parlers 
du  monde.  Néanmoins,  après  qu'elle  fût  demeurée  quelque  temps  en 
l'état  qui  vient  d'être  dit,  on  lui  vint  en  aide  ;  on  lui  donna  et  gens  et 
équipement  de  guerre^  ;  et  elle  arbora  un  étendard  où  elle  fit  peindre  la 
représentation  de  notre  Créateur.  Aussi  toutes  ses  paroles  étaient  du  nom 
de  Dieu.  Ce  qui  faisait  qu'une  grande  partie  de  ceux  qui  la  voyaient  et 
l'entendaient  parler,  avaient  cette  confiance  et  cette  inclination^  à  croire 
qu'elle  était  inspirée  de  Dieu,  ainsi  qu'elle  disait  Tôtre. 

Elle  fut  par  plusieurs  fois  examinée  par  de  notables  clercs,  par  d'autres 
hommes  sages,  de  grande  autorité,  afin  de  savoir  plus  à  plein  son  inten- 
tion ;  elle  fut  toujours  constante  en  son  propos,  disant  que  si  le  roi  voulait 
la  croire,  elle  le  remettrait  en  sa  seigneurie,  et  depuis  ce  temps,  elle  fit 
des  œuvres  ^  dont  elle  acquit  grande  renommée,  ainsi  que  ce  sera  plus  à 
plein  déclaré  ci-après. 

Lorsqu'elle  vint  vers  le  roi,  se  trouvaient  auprès  du  prince  le  duc 
d'Alençon,  le  maréchal  de  Rais,  et  plusieurs  autres  capitaines,  car  le  roi 
avait  tenu  un  grand  conseil  pour  le  fait  du  siège  d'Orléans.  De  Chinonil 
alla  à  Poitiers,  et  la  Pucelle  avec  lui. 

Bientôt  après,  il  fut  ordonné  que  le  maréchal  mènerait  des  vivres  et 
d'autres  approvisionnements  nécessaires  à  Orléans,  avec  des  renforts. 
Jeanne  la  Pucelle  voulut  faire  partie  de  l'expédition;  elle  fit  requête  qu'on 
lui  donnât  ce  qui  était  nécessaire  pour  s'armer  et  s'équiper  ;  ce  qui  lui 
fut  donné.  Bientôt  après,  elle  arbora  son  étendard  et  elle  alla  à  Blois  où 
se  faisait  la  réunion,  et  de  là  à  Orléans  avec  les  autres. 

Elle  était  toujours  armée  de  toutes  pièces,  et  en  ce  même  voyage, 

1.  En  assez  pauvre  état.  Voir  dans  Lacurne  au  mol  Àsseis^  combien  souvent  il  si- 
gnifie beaucoupy  très,  etc.,  dans  la  langue  du  moyen  âge. 

2.  Exaukeroit  sa  signourie, 

3.  Dévoyée  desanté,  «  malade  d'esprit,  dont  la  tôte  est  dérangée  ».  (Lacur^e.) 

4.  Eabillemens  de  guerre.  Expression  très  fréquente  chez  les  chroniqueurs,  qui  pour- 
rait signifier  aussi  :  «  tout  ce  qui  est  nécessaire  pour  la  guerre  ». 

5).  Avaient  grande  crédence  et  variacion  qu'elle  fust  inspirée,  etc. 
6.  Fist  aulcunes  besongnes. 


LA  CHRONIQUE  DE  MONSTRELET.  403 

plusieurs  gens  de  guerre  se  mirent  sous  sa  conduite  ^  Et  quand  elle  fut 
arrivée  dans  la  cité  d'Orléans,  on  lui  ût  très  grand  accueil,  beaucoup  de 
gens  se  réjouirent  de  sa  venue,  comme  vous  entendrez  le  rappeler  plus 
longuement  sans  trop  tarder. 

II 

Chapitre  lix.  —  Comment  la  Pucelie  Jehanne  et  plusieurs  capitaines 
franehois  rafraischirent  la  ville  (T Orléans  de  vivres  et  de  gens  d'armes^  et 
depuis  levèrent  le  siège. 

Depuis  sept  mois  environ  les  capitaines  anglais  avec  leurs  gens  fai- 
saient le  siège  d'Orléans.  La  ville  était  fort  oppressée  et  travaillée  tant  par 
leurs  machines  de  guerre  que  par  les  fortifications,  bastilles  et  for- 
teresses qu'ils  avaient  élevées  en  plusieurs  lieux,  jusques  au  nombre  de 
soixante,  et  les  assiégés  voyaient  bien  que  la  prolongation  les  mettait 
en  péril  d'être  mis  en  la  servitude  et  obéissance  de  leurs  ennemis.  Déci- 
dés et  disposés  à  résister  de  tout  leur  pouvoir,  et  à  empêcher  pareille  ex- 
trémité par  tous  moyens  que  trouver  ils  pourraient,  ils  envoyèrent  vers  le 
roi  Charles,  pour  en  avoir  secours  de  gens  et  de  vivres. 

De  quatre  à  cinq  cents  combattants  environ  leur  furent  envoyés  ; 
depuis  il  en  vint  bien  sept  mille  avec  des  vivres,  qui  étaient  conduits  par 
ces  hommes  d'armes  par  la  rivière  de  la  Loire  ;  avec  eux  vint  Jeanne  la 
Pucelie'.  Jusques  à  ce  jour  elle  avait  fait  peu  de  choses  dont  il  fût 
quelque  renommée. 

Les  assiégeants  s'efforcèrent  de  conquérir  ce  convoi  de  vivres  ;  mais  il 
fut  bien  défendu  par  la  Pucelie  et  par  ceux  qui  étaient  avec  elle,  et  il  fut 
préservé  ;  les  habitants  de  la  ville  en  furent  bien  ravitaillés  ;  et  ils  furent 
très  joyeux  tant  de  la  venue  de  la  Pucelie  que  des  vivres  ainsi  intro- 
duits. 

Le  lendemain,  qui  fut  un  jeudi',  Jeanne  se  leva  très  matin,  et,  s'adres- 
sant  à  plusieurs  capitaines  de  la  ville  et  autres  gens  de  guerre,  les  exhorta 
et  les  pressa  très  fort  par  ses  paroles  de  s'armer  et  de  la  suivre,  car, 
disait-elle,  elle  voulait  assaillir  et  combattre  les  ennemis,  ajoutant  qu'elle 
savait  sans  faillir  qu'ils  seraient  vaincus. 

Ces  capitaines  et  les  autres  gens  de  guerre  étaient  tous  émerveillés  de 
ses  paroles;  la  plupart  se  mirent  en  armes,  et  s'en  allèrent  avec  elle 

i.  On  aura  remarqué,  sans  qu'il  soit  nécessaire,  de  Tobserver,  combien  Monstrelet 
fait  ici  d'omissions  et  rapetisse  le  rôle  de  Théroïne. 

2.  Monstrelet  se  trompe  s'il  veut  dire  que  les  vivres  arrivèrent  en  remontant  la 
rivière,  et  se  trompe  aussi  en  disant  que  le  convoi  fut  attaqué. 

3.  L'erreur  sur  le  jour  est  la  moindre  de  celles  que  l'auteur  a  mêlées  à  la  prise  de 
Saint-Loup. 


404  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

assaillir  la  bastille  de  Saint-Loup,  qui  était  très  forte,  et  que  défendaient 
de  trois  à  quatre  cents  Anglais  ou  environ.  Ils  furent  très  promptement 
vaincus,  morts,  pris,  et  mis  en  déplorable  état*  ;  la  fortification  fut  entiè- 
rement démolie  et  livrée  au  feu  et  à  la  flamme.  Ladite  Pucelle  s'en 
retourna  ainsi  dans  la  cité  d'Orléans,  où  elle  fut  très  grandement  honorée 
et  festoyée  de  toutes  gens. 

Le  lendemain,  qui  fut  le  vendredi,  la  Pucelle  Jeanne  sortit  de  nouveau 
de  la  ville  avec  un  certain  nombre  de  combattants,  et  alla  assaillir  la 
seconde  bastille  pleine  d'Anglais.  Comme  la  première,  elle  fut  gagnée  et 
emportée;  et  ceux  qui  y  étaient  renfermés  furent  mis  à  mort  et  passés 
au  fil  de  Tépée.  La  Pucelle  ayant  fait  mettre  en  feu  et  embraser  cette 
seconde  bastille,  retourna  dans  Orléans,  où,  plus  que  devant,  elle  fut 
encore  exaltée  et  honorée  par  tous. 

Le  lendemain  samedi,  elle  assaillit  ayec  grande  vaillance  et  grande 
ardeur  la  très  forte  bastille  du  bout  du  pont  qui  était  merveilleusement  et 
puissamment  fortifiée.  Là  se  trouvait  la  fleur  des  meilleurs  gens  de 
guerre  de  TAngleterre,  et  la  véritable  élite  des  hommes  d'armes.  Ils  se 
défendirent  très  longuement  et  très  habilement;  mais  cela  ne  leur  valut 
guère  ;  de  vive  force  et  par  prouesse  de  bataille  ils  furent  pris  et 
conquis,  et  la  grande  partie  fut  mise  à  Tépée.  Parmi  les  morts  fut  un 
très  renommé  et  vaillant  capitaine  anglais,  appelé  Classedas  {G/asdal}^ 
et  avec  lui  le  seigneur  de  Molins,  le  bailli  d'Évreux,  et  plusieurs  autres 
nobles  hommes  de  grand  étal. 

Après  cette  conquête,  retournèrent  dans  la  ville  Jeanne  la  Pucelle  et 
les  Français,  sans  n'avoir  perdu  que  peu  de  leurs  gens.  Et  quoique, 
d'après  la  commune  renommée,  la  Pucelle  passât  pour  avoir  conduit  ces 
trois  attaques,  néanmoins  tous  les  capitaines,  ou  au  moins  la  plus  grande 
partie  d'entre  eux,  qui  durant  le  siège  avaient  été  dans  Orléans,  se  trou- 
vèrent à  ces  assauts.  Ils  s'y  comportèrent,  chacun  de  leur  côté,  aussi 
vaillamment  que  gens  de  guerre  doivent  le  faire  en  pareil  cas,  si  bien 
qu'en  ces  trois  bastilles  de  six  à  huit  cents  combattants  furent  tués,  ou 
faits  prisonniers,  et  les  Français  ne  perdirent  qu'environ  cent  hommes 
de  tous  étals. 

III 

Le  lendemain  dimanche,  les  capitaines  anglais,  à  savoir  le  comte  de 
Suffolk,  Talbot,  le  seigneur  de  Scales  et  plusieurs  autres,  voyant  la  prise 
de  leurs  bastilles  et  la  perte  de  leurs  gens  résolurent  de  s'assembler  et 

1 .  Mis  à  grand  ineschiev. 


406  LA  VRAIE  JEANNE  D'aRC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

qu'on  attendait  de  la  Puceile.  —  Le  roi  déterminé  à  poursuivre  ses  succès.  — 
Fastolf  opposé  à  ce  qu'on  livrât  la  bataille  de  Patay.  —  Ses  motifs.  —  Sa  fuite.  —  U 
est  dégradé,  réintégré. 


I 

Chapitre  lx.  —  Comment  le  roy  de  France^  à  la  requeste  de  la  Puceile 
et  des  autres  capitaines  estans  à  Orléans^  leur  envoia  crans  gens  d'armes 
pour  aler  sur  ses  ennemis. 

Les  Français  qui  étaient  dans  Orléans  *,  à  savoir  les  capitaines  avec 
Jeanne  la  Puceile,  envoyèrent  d'un  commun  accord  plusieurs  messages 
au  roi  de  France,  pour  lui  raconter  les  besognes  victorieuses  qu'ils  avaient 
faites,  et  comment  les  Anglais  ses  ennemis  étaient  partis  et  retirés  dans 
leurs  garnisons,  lui  demandant  d'envoyer  sans  délai  le  plus  de  gens 
qu'il  pourrait  trouver,  ainsi  que  plusieurs  grands  seigneurs,  afin  de  pou- 
voir poursuivre  leurs  ennemis  effrayés  par  la  perte  qu'ils  venaient  de 
faire  ;  ils  lui  demandaient  de  se  mettre  lui-même  en  marche  en  personne, 
pour  aller  de  l'avant.  Pareilles  nouvelles  furent  très  agréables  au  roi  et 
à  son  conseil  ;  et  c'était  bien  raison. 

Incontinent  furent  mandés  auprès  du  roi  le  Connétable  ',  le  duc 
d'Alençon,  Charles  seigneur  d'Albret,  et  plusieurs  autres  grands  seigneurs, 
qui  pour  la  plupart  furent  envoyés  à  Orléans. 

D'autre  part  le  roi,  quelque  temps  après,  se  dirigea  vers  Gien,  amenant 
avec  lui  un  très  grand  nombre  de  combattants. 

Les  capitaines  qui  déjà  se  trouvaient  à  Orléans,  les  princes  et  les  grands 
seigneurs  qui  y  étaient  récemment  arrivés,  tinrent  ensemble  de  grands 
conseils  pour  décider  s'ils  poursuivraient  les  Anglais  ;  conseils  auxquels 
la  première  appelée  était  Jeanne  la  Puceile,  qui  en  ce  temps  était  à  Tapo- 
gée  de  son  règne.  Finalement,  au  milieu  du  mois  de  mai,  (le  siège  avait 
été  levé  au  commencement  de  ce  mois),  les  Français  se  mirent  en  cam- 
pagne au  nombre  de  cinq  à  six  mille  combattants,  avec  charrois  et 
armements  de  guerre,  et  prirent  droit  leur  chemin  vers  Jargeau,  que 
défendaient  le  comte  de  Suffolk  et  ses  frères. 

Déjà,  ces  derniers  avaient  par  avance  expédié  plusieurs  messages  à  Paris 
vers  le  duc  de  Bedford,  lui  annonçant  les  pertes  et  les  malheureux  événe- 
ments survenus  devant  Orléans,  le  requérant  de  vouloir  bien  envoyer 
promptement  des  secours,  sans  quoi  ils  étaient  en  péril  d'être  repousses, 
et  de  perdre  plusieurs  villes  et  forteresses  qu'ils  occupaient  dans  la  Beauce 

1.  La  Puceile,  ainsi  que  la  plupart  des  capitaines,  quittèrent  Orléans  aussitôt  après 
la  délivrance. 

2.  C'est  là  une  des  nombreuses  erreurs  de  détail  de  ce  chapitre  de  Monstrelet, 
quand  il  parle  des  Français. 


LA  CHRONIQUE  DE  MOiNSTRELET.  407 

et  sur  les  bords  de  la  Loire.  Le  duc  de  Bedford  fut  très  contristé  et  fort 
chagrin  de  ces  mauvaises  nouvelles.  Considérant  cependant  qu'il  fallait 
pourvoir  aux  choses  les  plus  nécessaires,  il  manda  hâtivement  de  tous  les 
pays  de  son  obéissance  des  gens  de  guerre,  en  fit  réunir  de  quatre  à  cinq 
mille  qu'il  fit  mettre  en  chemin,  et  marcher  droit  vers  le  pays  d'Orléans, 
sous  la  conduite  de  Messire  Thomas  de  Rampston,  du  bâtard  de  Thian 
et  de  plusieurs  autres  ;  il  promettait  que  bientôt  après  il  irait  à  leur 
suite  avec  de  plus  grandes  forces  qu'il  avait  demandées  en  Angleterre. 


Il 

Chapitre  lxi.  —  Comment  la  Pucelle^  le  Connestable  de  Franche,  et  le 
^  duc  (TAtenchonj  et  leurs  routes  (bandes)  conquirent  la  ville  de  Gargeaux  ; 
et  la  bataille  de  Patay,  où  les  Franchoix  desconfirent  les  Anglois. 

Or,  il  est  vrai  que  le  Connétable  de  France,  le  duc  d'Alençon,  Jeanne 
la  Pucelle,  et  les  autres  capitaines  français  étant  ensemble  en  campagne, 
ainsi  qu'il  a  été  dit,  chevauchèrent  tant  durant  quelques  jours  \  qu'ils 
vinrent  devant  Jargeau  où  se  trouvait  le  comte  de  SufTolk,  avec  trois  ou 
quatre  cents  de  ses  gens  et  les  habitants  de  la  ville,  qui  aussitôt  se  mirent 
en  toute  diligence  en  état  de  défense  ;  mais  ils  furent  promptement  envi- 
ronnés de  toutes  parts  des  Français,  qui  de  fait  commencèrent  en 
plusieurs  endroits  d'attaquer  avec  grande  activité.  L'assaut  dura  assez 
longtemps,  terrible  et  très  acharné.  Les  Français  le  poursuivirent  si 
ftprement  que,  malgré  les  défenseurs,  ils  pénétrèrent  dans  la  ville  et  la 
conquirent  par  prouesse.  Dès  leur  entrée,  trois  cents  combattants 
anglais  furent  tués,  parmi  lesquels  l'un  des  frères  du  comte  de  Suffolk. 
Ce  même  comte  et  son  frère  le  seigneur  de  La  Pôle  furent  faits  prison- 
niers, ainsi  que  soixante  de  leurs  gens  ou  même  plus. 

La  ville  et  le  château  de  Jargeau  conquis  et  subjugués,  les  Français  s'y 
rafraîchirent  tout  à  leur  aise  ;  et,  partant  de  là,  ils  allèrent  à  Meung,  qui 
leur  fît  promptement  obéissance.  D*un  autre  côté,  les  Anglais  qui  tenaient 
La  Ferté-Hubert  s'enfuirent  et  se  réfugièrent  à  Baugency.  Ils  y  furent 
poursuivis  par  les  Français  qui  se  logèrent  devant  eux  en  plusieurs 
endroits.  Jeanne  la  Pucelle  était  toujours  en  avant,  en  tête,  avec  son 
étendard.  Et  dès  lors,  dans  toutes  les  marches  des  environs,  nul  homme 
de  guerre  à  côté  d'elle,  ne  faisait  plus  grand  bruit,  ni  n'avait  pas  grande 
renommée  ^. 

i.  D^Orléans  à  Jargeau,  il  n'y  a  que  17  kilomètres;  le  Connétable  n'était  pas  à 
la  prise  de  Jargeau.  C'est  le  1 1  juin  que  l'armée  quitta  Orléans. 
2.  Tovjour$  Jehanne  la  Pucelle  ou  front  devant,  atout  (avec)  son  estendart.  Et  lors,  par 


408  LA  VRAIE  JEANNE  D'aRG  I  LA  LIBÉRATRICE. 

Les  principaux  capitaines  anglais,  qui  se  trouvaient  dans  Baugency, 
voyant  que,  par  la  renommée  de  cette  Pucelle,  la  fortune  s'était  entière- 
ment tournée  contre  eux,  que  plusieurs  villes  et  forteresses,  les  unes 
forcées  d'assaut  par  la  vaillance  des  armes,  les  autres  à  la  suite  de 
traités,  s'étaient  mises  en  Tobéissance  de  leurs  ennemis  ;  et  aussi  que  leurs 
gens  étaient  pour  la  plupart  très  ébahis  {démoralisés)  et  épouvantés,  qu'ils 
ne  leur  trouvaient  pas  leur  résolution  et  leur  intelligence  accoutumées, 
mais  qu'ils  avaient  le  plus  grand  désir  de  se  retirer  sur  les  marches  de  la 
Normandie  \  les  capitaines  anglais  ne  savaient  que  faire,  ni  à  quel  parti 
s'arrêter,  n'ayant  ni  certitude  ni  assurance  d'être  bientôt  secourus.  Par 
suite  de  ces  considérations,  ils  traitèrent  avec  les  Français.  Les  conditions 
furent  qu'ils  s'en  iraient  avec  leurs  biens,  leurs  corps  et  leurs  vies  saufs, 
et  ils  remettraient  la  place  en  Tobéissance  du  roi  Charles  ou  de  ses  com- 
mis. Le  traité  ainsi  conclu,  les  Anglais  partirent  et  prirent  leur  chemin 
par  la  Beauce,  en  se  dirigeant  vers  Paris.  Les  Français  entrèrent 
joyeusement  dans  Baugency,  et,  à  l'exhortation  de  Jeanne  la  Pucelle, 
ils  arrêtèrent  d'aller  à  la  rencontre  des  Anglais',  qui,  ainsi  qu'on  leur 
avait  donné  à  entendre,  et  c'était  vrai,  venaient  des  parties  de  Paris 
pour  les  combattre. 

III 

Ils  se  mirent  donc  à  pleins  champs,  accrus  chaque  jour  par  gens  nou- 
veaux qui  venaient  à  eux  de  plusieurs  marches.  Le  Connétable,  le  maré- 
chal de  Boussac,  La  Hire,  Poton  et  quelques  autres  capitaines  furent 
ordonnés  pour  former  l'avant-garde  ;  les  autres  chefs  étaient  le  duc 
d'Alençon,  le  bâtard  d'Orléans.  Le  maréchal  de  Rais  était  conducteur  de 
l'armée  qui  suivait  d'assez  près  l'avant-garde  ^  ;  ils  pouvaient  être  de  six 
à  huit  mille  combattants. 

Quelques-uns  des  chefs  demandèrent  à  Jeanne  la  Pucelle  ce  qu'il  y  avait 
à  faire,  et  ce  qu'il  lui  paraissait  bon  d'ordonner  ;  elle  répondit  pour 
vrai  queleurs  anciens adversairesles  Anglais  venaient  pour  les  combattre, 

toutes  les  marches  de  là  environ,  n'estoitplus  grand  bruit  ne  renommée  comme  il  estait  d'elU 
de  nul  aultre  homme  de  guerre.  Monstrelet  revient  souvent  sur  cette  affirmation,  sans 
indiquer  autrement  ce  que  disent  les  autres  chroniqueurs,  à  savoir  que  plusieurs 
hommes  de  guerre  en  étaient  profondément  jaloux.  Quicherat  a  écrit  :  Et  de  nul  aultre 
homme  de  guerre.  Cet  et  rend  la  phrase  inintelligible. 

i.  VoiantSf  par  la  renommée  d'icelle  Pucelle,  fortune  estre  ainsi  du  tout  tournée  contre 
eulx  et  aussy  que  leurs  gens,  pour  la  plus  grande  partie  étaient  moult  ébahis  et  espoantés  et 
ne  les  trouvoient  pas  de  tel  propos  de  prudence  qu'ilz  acoient  acoustumé,  ains  estaient  très 
désirans  d'eul^e  retraire  sur  les  marches  de  Normandie,  etc. 

2.  Assés  prés,  pourrait  signifier  aussi  «  de  très  près  ». 


410  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

furent  prompiement  environnés  et  frappés  par  les  Français,  n'ayant  pas 
eu  le  temps  de  s'abriter  derrière  leurs  pieux  aiguisés,  ainsi  qu'ils  avaient 
coutume  de  le  faire.  Par  suite,  sans  faire  éprouver  grand  dommage  aux 
Français,  ils  furent  très  promptement  et  facilement  abattus,  déconfits  et 
entièrement  vaincus.  Il  resta  bien,  morts  sur  place,  environ  dix-huit  cents 
Anglais  ;  il  y  en  eut  de  prisonniers  de  cent  à  six-vingts,  parmi  lesquels 
les  principaux  étaient  les  seigneurs  de  Scales,  de  Talbot,  d'Hongerfort, 
Messire  Thomas  Rampston,  et  plusieurs  autres  des  plus  notables  jusqu'au 
nombre  susdit.  De  ceux  qui  y  furent  morts  les  principaux  étaient...  *.  Les 
autres  gens  du  dernier  ou  de  moyen  état  étaient  de  ceux  que  les  Anglais 
amènent  de  leur  pays,  et  qui  sont  destinés  à  mourir  en  France  ^. 

Après  cette  affaire,  qui  eut  lieu  environ  deux  heures  après  midi,  tous 
les  capitaines  français  se  réunirent,  rendant  dévotement  et  humblement 
grâces  à  Dieu,  leur  Créateur.  Et  ils  se  livrèrent  ensemble  aune  grande  joie 
pour  leur  victoire  et  pour  une  si  bonne  fortune.  Ils  se  logèrent  pour  cette 
nuit  en  cette  ville  de  Patay,  située  à  deux  lieues  de  Janville-en-Beauce, 
et  cette  journée  porte  à  tout  jamais  le  nom  de  Patay.  Le  lendemain,  les 
Français  repartirent  avec  leurs  prisonniers  et  les  riches  dépouilles  des 
Anglais  morts  sur  le  champ  de  bataille.  C'est  ainsi  qu'ils  rentrèrent  à 
Orléans,  tandis  qu'une  partie  de  leurs  gens  se  logèrent  aux  environs^  au 
milieu  des  transports  de  joie  de  tout  le  peuple.  Jeanne  la  Pucelle,  spécia- 
lement, acquit  en  ces  besognes  si  grande  louange  et  si  grande  renommée 
qu'il  semblait  à  toutes  gens  que  les  ennemis  du  roi  n'eussent  plus  puis- 
sance de  lui  résister,  et  que,  dans  peu,  le  roi  dût,  par  son  moyen,  être 
entièrement  remis  et  rétabli  en  son  royaume. 

Elle  alla  avec  les  autres  capitaines  vers  le  roi  qui  se  réjouit  beaucoup 
de  leur  retour  et  fit  à  tous  très  honorable  réception.  Après  quoi  il  décida, 
avec  les  gens  de  son  conseil,  de  mander  des  pays  de  son  obéissance  le 
plus  de  gens  de  guerre  qu'il  pourrait  afin  de  marcher  en  avant  et  de  pour- 
suivre ses  ennemis. 

Item.  — A  la  journée  de  la  bataille  de  Patay,  avant  que  les  Anglais  sus- 
sent l'arrivée  de  leurs  ennemis,  messire  Jean  Fastolf,  un  des  principaux 
capitaines,  celui  qui  devait  s'enfuir  sans  coup  férir,  se  trouvant  en  con- 
seil avec  les  autres  fit  plusieurs  remontrances;  à  savoir  comment  tous 
savaient  les  pertes  qu'ils  avaient  faites  de  leurs  gens  devant  Orléans,  à 
Jargeau  et  en  d'autres  lieux,  où  ils  avaient  eu  du  pire  ;  leurs  gens  étaient 
très  ébahis  et  effrayés,  et  leurs  ennemis  au  contraire  très  enorgueillis  et 
très  ranimés.  C'est  pourquoi  son  avis  était  qu'on  se  retirât  dans  les 
châteaux  et  les  lieux  qui,  aux  environs,  tenaient  leur  parti,  de  ne  point 

1 .  Lacune  dans  les  mss. 

2.  Tels  et  si  fais  qu'ils  ont  accoustumez  de  amener  de  leur  pais  mourir  en  France. 


LA  CHRONIQUE  DE  MONSTRELET.  411 

combattre  les  ennemis  avec  tant  de  hâte,  d'attendre  que  leurs  gens  fus- 
sent mieux  rassurés,  et  aussi  que  fussent  arrivés  d'Angleterre  les  secours 
que  le  régent  devait  prochainement  amener.  Ces  observations  ne  furent 
pas  agréables  à  plusieurs  des  capitaines,  spécialement  à  Messire  Jean  de 
Talbot,  qui  dit  que,  si  les  ennemis  venaient,  il  les  combattrait.  Et  parce 
que,  ainsi  qu'il  a  été  rapporté,  Fastolf  s'enfuit  de  la  bataille  sans  coup 
férir,  il  fut  pour  ce  motif  grandement  blâmé,  lorsqu'il  vint  devant  son 
seigneur,  le  duc  de  Bedford;  Bedford  finit  par  lui  enlever  Tordre  de  la 
Jarretière  blanche  S  qu'il  portait  autour  de  la  jambe.  Mais  depuis,  tant 
pour  les  observations  qu'il  avait  faites  qui  semblaient  assez  raisonnables, 
que  pour  plusieurs  autres  excuses  qu*il  mit  en  avant,  ledit  ordre  de  la 
Jarretière  lui  fut  rendu  par  sentence  judiciaire  ;  il  en  sortit  cependant  un 
grand  débat  entre  icelui  Fastolf  et  sire  Jean  de  Talbot,  alors  que  ce 
dernier  revint  de  sa  captivité,  à  la  suite  de  cette  bataille. 

A  cette  besogne  furent  faits  chevaliers,  du  coté  des  Français,  Jacques 
de  Miily,  Gilles  de  Saint-Simon,  Louis  de  Marconnay,  Jean  de  La  Haye 
et  plusieurs  autres  vaillants  hommes. 


CHAPITRE    IV 

LA    CAMPAGNE    DU    SACRE. 

SosuiAiRE  :  1.  —  Convocation  des  guerriers  à  Bourges  et  à  Gien.  —  Noms  des  princi- 
paux seigneurs.  —  Jeanne  d'Arc  et  Frère  Richard.  —  Le  Connétable  en  Normandie. 
—  Acheminement  vers  Auxerre.  —  Soumission  de  Saint- Fargeau  et  de  Saint- 
Florentin.  —  Négociations  avec  Auxerre.  —  Composition. 

II.  —  Campement  devant  Troyes.  —  Soumission  de  la  ville  et  de  nombreux  chà- 
t  eaux  tout  autour. 

III.  —  Les  clefs  de  Chàlons  apportées  à  Troyes.  —  Entrée  dans  la  ville.  —  Los  clefs 
de  Reims  apportées  à  Chàlons.  —  La  crainte  do  la  Pucelle  amène  la  soumission  de 
Reims,  malgré  les  capitaines  anglo-bourguignons.  —  Ces  derniei*s  se  retirent.  — 
Intervention  de  rArchevéque-chancelier.  —  La  cérémonie  du  sacre.  —  Le  diner  à 
Tarchevéché.  —  Le  neveu  de  TArchevèque,  capitaine  de  Reims. 


I 

Chapitre  Lxni.  —  Comment  Charles,  roi  de  Franche,  se  mist  sur  les 
champs  atout  grand  foison  de  chevalerie  et  de  gens  d'armes^  auquel  voiage 
mist  en  son  obeyssance  plusieurs  villes  et  citez, 

1.  En  conclusion  lui  fu  osté  l'ordre  du  blancq  Jarrelicr. 


412  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

Durant  ce  temps,  Charles,  roi  de  France,  assembla  à  Bourges-en-Berry 
une  très  grande  multitude  de  gens  d'armes  et  d'hommes  de  trait.  Parmi 
eux  se  trouvaient  le  duc  d'Alençon,  Charles  de  Bourbon,  comte  de  Cler- 
mont,  Arthur,  connétable  de  France,  comte  de  Richemont,  Charles  d'An- 
jou, son  beau-frère  et  frère  du  roi  René  de  Sicile,  le  bâtard  d'Orléans,  le 
cadet  d'Armagnac,  Charles,  seigneur  d'Albret,et  plusieurs  autres  person- 
nages élevés  et  puissants  barons,  des  duchés  et  comtés  d'Aquitaine,  de 
Gascogne,  du  Poitou,  du  Berry,  et  de  plusieurs  autres  bons  pays.  Il  se 
mit  aux  champs  avec  eux  tous,  et  vint  de  là  à  Gien-sur-Loire.  Jeanne  la 
Pucelle  était  toujours  avec  lui  ;  et  en  la  compagnie  de  Jeanne  se  trouvait 
un  prêcheur  nommé  Frère  Richard,  de  l'ordre  de  Saint- Augustin,  qui  na- 
guère avait  été  débouté  de  Paris  et  de  plusieurs  lieux  de  l'obéissance  des 
Anglais,  où  il  avait  fait  plusieurs  prédications  dans  lesquelles  il  se  mon- 
trait trop  ouvertement  favorable  aux  Français  et  être  de  leur  parti  *. 

Du  lieu  de  Gien,  le  roi  prit  son  chemin  vers  Auxerre.  Cependant  le 
Connétable,  avec  un  certain  nombre  de  gens  d'armes,s'en  alla  en  Normandie 
vers  Evreux  pour  empêcher  les  garnisons  du  pays  de  se  réunir  autour  du 
duc  de  Bedford.  D'autre  part  le  cadet  d*Armagnac  fut  renvoyé  et  com- 
mis à  la  garde  du  duché  d'Aquitaine  et  du  Bordelais^.  Sur  son  chemin,  le 
roi  mit  sous  son  obéissance  deux  petites  villes  déclarées  pour  lé  roi  Henri  : 
Saint-Florentin  et  Saint-Fargeau.  Elles  promirent  de  se  conduire  à  l'ave- 
nir envers  le  roi  et  ses  délégués  comme  doivent  le  faire  de  bons  et  loyaux 
sujets  envers  leur  souverain  ;  elles  prirent  aussi  du  roi  sûreté  et  promesse 
d'être  maintenues  et  gouvernées  en  bonne  justice,  et  selon  leurs  anciennes 
coutumes. 

De  là  il  vint  à  Auxerre  ;  et  il  envoya  sommer  les  habitants  de  vouloir 
le  recevoir  comme  leur  naturel  et  droiturier  seigneur;  ce  que  de  premier 
abord  ils  ne  furent  point  contents  d'accorder.  Néanmoins  plusieurs 
ambassadeurs  furent  envoyés  de  côté  et  d'autre,  et  un  traité  finit  par 
intervenir  entre  les  deux  parties.  Ceux  d'Auxerre  promirent  de  faire  au 
roi  telle  et  pareille  obéissance  que  feraient  les  villes  de  Troyes,  Châlons 
et  Reims.  A  cette  condition  et  en  fournissant  aux  gens  du  roi  pour  leur 

1.  Tout  ce  passage  renferme  de  nombreuses  erreurs.  Ni  le  Connétable,  ni  Charles 
d'Anjou  n'étaient  dans  l'armée  réunie  après  Patay.  La  réunion  ne  se  fit  pas  à  Bourges, 
mais  à  Gien.  —  Frère  Ilichard  ne  vit  pas  Jeanne  avant  l'arrivée  à  Troyes;  il  n*était 
pas  de  l'ordre  de  Saint-Âugustin,  mais  bien  de  Saint-François.  Le  principal  motif  de 
son  expulsion  de  Paris  ne  fut  pas  son  attachement  au  parti  national.  Au  sortir  de 
Paris,  il  n'a  pas  quitté  les  pays  anglo-bourguignons. 

2.  Richemont  et  de  Pardiac  avaient  pris  les  armes  contre  Charles  VU,  pour  ren- 
verser La  Trémoille,  moins  d'un  an  auparavant.  La  Pucelle  fut  impuissante  à  les 
faire  réintégrer.  S'ils  combattirent  pour  la  cause  nationale,  ce  fut  sur  leur  propre 
initiative. 


f 


LA  CHRONIQUE  DE  MONSTRELET.  413 

argent  des  vivres  et  d'autres  approvisionnements,  ils  demeurèrent  en  paix 
et  le  roi  les  tint  pour  excusés  pour  cette  fois. 


II 

Le  roi  vint  de  là  à  Troyes-en-Champagne,  et  campa  tout  autour.  Trois 
jours  s'écoulèrent  avant  que  les  habitants  consentissent  à  le  recevoir  pour 
seigneur.  Après  ces  trois  jours,  sur  certaines  promesses  qui  leur  furent 
faites,  ils  lui  firent  pleine  ouverture  ;  et,  avec  ses  gens,  le  mirent  dans 
la  ville,  où  il  ouït  la  messe.  Après  les  serments  accoutumés  qulls  se  firent 
mutuellement  les  uns  aux  autres,  le  roi  retourna  en  son  logis  au  dehors, 
et  fit  publier  par  plusieurs  fois,  tant  dans  Tarmée  que  dans  la  ville,  que, 
sous  peine  de  la  hart  {la  cordé)^  nul,  de  quelque  état  qu'il  fût,  ne  fît  en 
rien  dommage  aux  habitants  de  Troyes,  ni  à  aucun  de  ceux  qui  s'étaient 
mis  en  son  obéissance.  Dans  ce  voyage,  Tavant-garde  était  sous  la  conduite 
des  deux  maréchaux  de  France,  Boussac  et  le  seigneur  de  Rais,  avec  les- 
quels se  trouvaient  La  Hire,  Poton  de  Xaintrailles  et  d'autres  capitaines. 
Durant  ce  voyage  se  mirent  en  Tobéissance  du  roi  Charles  un   très 
grand  nombre  de  bonnes  villes  et  de  châteaux,  dans  les  environs  de  la 
roule  qu'il  suivait.   Déclarer  la  reddition  de  chacune  en   particulier, 
je  le  passe  pour  cause  de  brièveté. 


III 

Chapitre  LXIV.  —  Comment  le  roy  Chartes  de  France^  atout  (/rande  et 
noble  chevalerie,  et  atout  grand  7iombre  de  gens  d armes,  s' en  vint  en  la 
cité  de  RainSj  oti  il  fut  sacré. 

Item. —  Charles  roi  de  France  étant  encore  à  Troyes,  des  députés  de  Châ- 
lons-en-Champagne  vinrent  lui  apporter  les  clefs  de  leur  ville  et  cité, 
et  lui  promettre  de  la  part  d'icelle  de  lui  faire  toute  obéissance.  Le  roi, 
»près  leur  arrivée,  vint  audit  lieu  de  Chàlons,  où  les  habitants  le  reçu- 
[  rent  bénignement  et  en  toute  humilité.  Là  lui  furent  pareillement  appor- 
^  les  clefs  de  la  ville  de  Reims,  avec  promesse,  comme  pour  la  ville 
précédente,  de  lui  faire  toute  obéissance  et  de  le  recevoir  comme  le 
Mturel  seigneur  de  la  cité. 

Le  seigneur  de  Saveuse,  avec  un  certain  nombre  de  gens  d'armes, 

a>'ait  été  naguère  en  cette  cité  de  Reims  pour  la  maintenir  en  l'obéissance 

du  roi  Henri  el  du  duc  ;  le  gouverneur  et  grand  nombre  des  habitants 

lui  avaient  promis  de  soutenir  jusqu'à  la  mort  le  parti  et  la  querelle  du 


414  LA  VRAIE  JEANNE  D^ARG  :  LA  LIBÉRATRICE. 

roi  Henri  et  du  duc,  mais,  nonobstant  ce  serment,  par  crainte  de  la 
Pucelle,  qui,  d'après  ce  qu'on  leur  donnait  à  entendre,  faisait  de  grandes 
merveilles,  ils  se  mirent  en  Tobéissance  du  roi  Charles,  quoique  le  sei- 
gneur de  Châtillon  et  le  seigneur  de  Saveuse,  leurs  capitaines,  leur 
pussent  remontrer  pour  leur  persuader  le  contraire.  Ces  deux  seigneurs, 
voyant  leur  résolution  et  de  quel  côté  était,  leur  affection,  quittèrent 
Reims  ;  car  les  habitants  de  la  ville  n'avaient  rien  voulu  entendre  à  leurs 
remontrances,  et  leur  avaient  fait  des  réponses  dures  et  assez  étranges. 
Après  les  avoir  ouïes,  les  seigneurs  de  Saveuse  et  de  Châtillon  retour- 
nèrent à  Château-Thierry. 

Ceux  de  Reims  avaient  déjà  décidé  de  recevoir  le  roi  Charles.  Ce  qu'ils 
firent,  par  l'intervention  de  TArchevêque  de  la  ville,  chancelier  du  roi 
Charles,  et  par  l'intervention  de  plusieurs  autres.  Le  roi  entra  dans  la 
ville  et  cilé  de  Reims,  le  vendredi,  seizième  jour  de  juillet*,  avec  une 
partie  de  sa  chevalerie.  Le  dimanche  qui  suivit,  il  fut  sacré  et  couronné 
en  qualité  de  roi  par  ledit  Archevêque,  dans  l'église  Notre-Dame  de 
Reims,  en  présence  de  ses  princes  et  prélats,  et  de  toute  la  baronnerie 
et  chevalerie  qui  étaient  dans  la  ville.  Là  se  trouvaient  le  duc  d'Alençon, 
le  comte  de  Clermont,  le  seigneur  de  La  Trémoille,  qui  était  son  princi- 
pal gouverneur,  le  seigneur  de  Beaumanoir,  Breton,  le  seigneur  deMailly 
enTouraine.  Tous  étaient  en  habits  royaux  ;  ils  représentaient  les  nobles 
pairs  de  France,  ainsi  et  de  la  manière  que  la  coutume  était  de  le  faire. 

Le  sacre  fait  et  accompli,  le  roi  alla  dîner  en  l'hôtel  épiscopal  de  l'Ar- 
chevêque ;  les  seigneurs  et  les  prélats  l'accompagnaient.  L'Archevêque  de 
Reims  s'assit  à  sa  table.  Le  roi  fut  servi  à  son  dîner  par  le  duc  d'Alençon 
et  le  comte  de  Clermont  avec  plusieurs  autres  grands  seigneurs.  Le  roi 
fit  le  jour  de  son  sacre  trois  chevaliers  dans  Téglise,  parmi  lesquels  le 
damoiseau  de  Commercy.  A  son  départ,  il  laissa  à  Reims  pour  en  être 
le  capitaine  Antoine  de  Hellande,  neveu  de  l'Archevêque. 


CHAPITRE    V 

LA    CAMPAGNE   APRÈS   LE   SACRE. 

Sommaire  :  i.  —  Itinéraire  triomphanl  de  Charles  VU  à  Iravei^s  les  villes  qui  se  sou- 
mettent. —  La  Hire,  bailli  du  Verniandois.  —  Château -Thierry  abandonné  par  le» 
Bourguignons.  —  Motifs. 

11.  —  Armée  de  dix  mille  hommes  rassemblée  par  Bedford.  —  il  se  met  en  campagne. 
—  Lettre  qu'il  adresse  à  Charles  VH.  —  Reproches  de  s'aider  d'une  femme  désor> 
donnée  et  d'un  moine  apostat,  de  pousser  les  peuples  à  sa  parjure,  de  fuir  le  combat. 

1.  Le  seizième  jour  de  juillet  était  le  samedi,  ce  fut  le  jour  de  l'entrée  du  roi. 


U  CHRONIQUE  DE  MONSTRELET.  415 

—  Invitation  à  une  entrevue,  reproches  du  meurtre  de  Montereau.  —Appel  à  Dieu. 
ill.  —  Bedford  sur  les  marches  de  ille-de-France.  —  Rencontre  des  deux  armées  près 

de  Senlis.  —  Forte  position  de  Bedford.  —  Disposition  de  son  armée.  —  Les  vivres 
fournis  par  Senlis.  —  La  disposition  de  Tarmée  de  Charles  VIL  —  La  Pucelle.  — 
Les  années  sont  en  présence  durant  deux  jours.  —  Fortes  escarmouches.  —  Ani- 
mation des  deux  côtés  ;  pas  de  quartier.  —  300  morts.  —  Les  armées  se  séparent. 

IV.  —  Les  ambassadeurs  de  Charles  VU  à  Arras.  —  Le  chancelier  porte  la  parole.  — 
La  paix  regardée  comme  certaine.  —  Soumission  de  Compiègnc.  —  Les  ambassa- 
deurs bourguignons  viennent  trouver  le  roi.  —  Ceux  qui  combattent  la  conclusion 
de  la  paix. 

V.  —  Charles  VII  quitte  Compiègne  où  il  laisse  Flavy  pour  gouverneur.  —  Soumission 
de  Senlis  et  d*une  foule  d*autres places.  —D  autres  n'attendent  que  la  venue  du  roi.  — 
Pourquoi  Charles  Vil  ne  poursuit  pas  ses  conquêtes.  —  il  vient  à  Saint-Denis.  —  La 
Pucelle  pousse  à  Tassant  de  Paris.  —  Attaque.  —  Assaut  âpre.  —  Défenseurs  de  Paris. 

—  Blessure  de  Jeanne.  —  La  retraite  sonnée  à  l'improviste.  —  Ce  qui  confirme  les 
Parisiens  dans  leur  résistance. 

VI.  —  Charles  W  nomme  des  gouverneurs  des  pays  nouvellement  conquis  et  revient 
vers  le  Berry. 

VIL— Trêves.  — Le  Pont-Sainte- Maxence  remis  aux  Bourguignons.  —  Uavages  sur  les 
marches  de  France  et  du  Beauvaisis.  —  Grâce  à  ces  trêves,  le  duc  de  Bourgogne 
traverse  insolemment  les  pays  récemment  conquis,  vient  à  Paris  resserrer  son 
tllfance  avec  Bedford,  et  est  nommé  gouverneur  de  la  capitale.  —  Guerres  durant 
les  trêves  ;  artifices  des  Bourguignons.  —  Préparation  de  la  reprise  des  hostilités 
tprès  PAques. 


En  sortant  de  Reims  le  roi  alla  en  pèlerinage  à  Corbigny,  visiter  Saint- 
Marcon.  Là,  leshabitants  de  la  ville  de  Laon  vinrent  lui  faire  obéissance, 
eomme  avaient  fait  ceux  des  villes  dont  il  a  été  fait  mention.  De  Corbi- 
gny le  roi  vint  à  Soissons  et  à  Provins,  qui,  sans  opposition  aucune,  lui 
firent  pleine  ouverture.  Il  constitua  alors  La  Ilire  comme  nouveau 
btilii  du  Vermandois,  à  la  place  de  Colard  de  Mailly,  que  le  roi  dWngle- 
terrey  avait  précédemment  commis. 

Le  roi  vint  ensuite  avec  ses  gens  devant  Château-Thierry.  Le  seigneur 
de  Châtillon,  Jean  de  Croy,  Jean  de  Brimeux  et  quelques  autres  nobles, 
grands  seigneurs,  déclarés  pour  le  duc  de  Bourgogne,  s'y  étaient 
renfermés  avec  environ  quatre  cents  combattants.  Sentant  que  Tensem- 
We  de  la  ville  inclinait  à  faire  obéissance  au  roi  Charles,  n'attendant  pas 
de  prompt  secours,  n'étant  pas  suffisamment  pourvus  à  leur  plaisir,  ils 
rendirent  au  roi  cette  forte  ville  et  son  château,  et  la  quittèrent  sains  et 
8aafsavec  tous  les  biens.  Ils  allèrent  à  Paris  vers  le  duc  de  Bedford,  qui 
formait  une  grande  assemblée  de  gens  d'armes  pour  venir  combattre  le 
roi  Charles  et  son  armée. 


416  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

II 

Chapitre  lxv.  —  Comment  le  duc  de  Bethford  fit  moult  grande  assem- 
blée  de  gens  d' aimes  pour  aller  combattre  le  roi  Charles^  et  comment  il  lui 
envoya  ses  lettres. 

Pendantee  même  temps,  le  régent,  duc  de  Bedford,ayantréum  à  peu  près 
dix  mille  combattants,  amenés  d'Angleterre^  ou  recrutés  en  Normandie  et 
en  quelques  autres  marches  de  France,  vint*de  Rouen  à  Paris,  et  partit  de 
Paris,  cherchant  à  rencontrer  le  roi  Charles  pour  lui  livrer  bataille;  il 
chemina  durant  plusieurs  jours  à  travers  la  Brie,  et  arrivé  à  Montereau- 
fault-Yonne,  il  envoya  par  ses  messagers  des  lettres  scellées  de  son 
sceau,  dont  voici  la  teneur  : 

«  Nous,  Jean  de  Lancastre,  régent  de  France  et  duc  de  Bedford,  à 
vous,  Charles  de  Valois,  qui  aviez  coutume  de  vous  nommer  Dauphin  de 
Viennois,  et  maintenant  sans  cause  vous  dites  roi  ;  c'est  injustement  que 
vous  avez   formé   de  nouvelles  entreprises   contre  la    couronne  et  la 
seigneurie  de  très  haut  et  excellent  prince,  et  mon  souverain  seigneur, 
Henri,  par  la  grâce  de  Dieu,  vrai,  naturel  et  droiturier  roi  de  France  et 
d'Angleterre,  en  donnant  à  entendre  au  simple  peuple  que  vous  venez 
pour  lui  donner  la  paix  et  la  sécurité.  Cela  n*est  pas  et  ne  peut  être,  vu 
les  moyens  que  vous  avez  tenus  et  tenez  encore,  vous  qui  faites  séduire 
et  abuser  le  peuple  ignorant,  et  vous  faites  aider  principalement,  ainsi 
que  nous  en  sommes  informé,  par  des  gens  superstitieux  et  condamnés, 
tels  qu'une  femme  désordonnée,  travestie  *,  portant  vêtement  d'homme^ 
et  de  gouvernement  dissolu,  et  aussi  d'un  Frère  mendiant,  apostat  et 
séditieux,  tous  deux,  selon  la  Sainte  Écriture,  abominables  à  Dieu  ;  vous^ 
qui,  par  force  et  par  la  violence  des  armes,  avez  occupé  au  pays  de  Cham- 
pagne et  ailleurs  plusieurs  cités,  villes  et  châteaux  appartenant  à  Mon- 
seigneur le  roi  ;  vous  qui  avez  contraint  et  induit  les  sujets   qui   y 
demeuraient  à  se  montrer  déloyaux  et  parjures,  en  leur  faisant  rompre 
et  violer  la  paix  finale  des  royaumes  de  France  et  d'Angleterre,  paix 
solennellement  jurée  par  les  rois  de  France  et  d'Angleterre  alors  vivants, 
et  par  les  grands  seigneurs,  prélats,  barons,  et  par  les  trois  États  de  ce 
royaume. 

«  Nous,  pour  garder  et  défendre  le  vrai  droit  de  mondit  seigneur  le 
roi,  et,  à  l'aide  du  Tout-Puissant  pour  vous  repousser  vous  et  votre 
armée  de  ses  pays  et  seigneuries,  nous  nous  sommes  mis  en  campagne, 

1.  11  ne  dit  pas  qu'ils  avaient  été  recrutés  pour  la  croisade  contre  les  hussites. 

2.  Difformèc,  que  l'on  trouve  dans  la  Chronique  des  Cordeliers,  parait  préférable  à 
diffamée,  texte  de  Monstrelet. 


LA  CHRONIQUE  DE  MONSTRELET.  417 

nous  tenons  les  champs  de  notre  personne  avec  les  forces  que  Dieu  nous 
a  données  ;  et  comme  vous  Tavez  su  et  le  savez,  nous  vous  avons  pour- 
suivi et  nous  vous  poursuivons  de  lieu  en  lieu  dans  l'espérance  de  vous 
trouver  et  vous  rencontrer  ;  ce  que  nous  n'avons  pas  encore  pu  faire, 
parce  que  vous  vous  êtes  dérobé  et  vous  dérobez  encore. 

(c  C'est  pourquoi  nous  qui  désirons  de  tout  notre  cœur  que  la  guerre 
soit  abrégée,  nous  vous  sommons  et  vous  requérons,  si  vous  êtes  un 
prince  ami  de  Thonneur,  que  vous  ayez  pitié  et  compassion  du  pauvre 
peuple  chrétien,  qui  depuis  longtemps  à  cause  de  vous  a  été  inhumaine- 
ment traité,  foulé  et  opprimé,  pour  que  bientôt  il  soit  àTabri  de  tant  dafflic- 
tiens  et  de  douleurs,  et  que  la  guerre  prenne  fin.  Prenez  au  pays  de  Brie, 
où  nous  sommes  vous  et  nous,  ou  en  Ille-de-France  qui  est  bien  voisine 
de  tous  deux,  une  place  aux  champs  qui  soit  convenable  et  raisonnable  ; 
fixez  un  jour  prochain  et  apte,  tel  que  peut  le  comporter  et  le  demande  le 
voisinage  des  lieux  où  nous  sommes  pour  le  présent,  nous  et  vous.  Si,  en 
ce  jour  et  en  ce  lieu,  vous  voulez  comparaître  en  votre  personne,  escorté 
par  la  femme  travestie  et  par  Tapostat  ci-dessus  désigné,  escorté  par  tous 
les  parjures  et  autres  auxiliaires  que  vous  voudrez  et  pourrez  trouver, 
nous,  au  plaisir  de  Notre-Seigneur,  nous  y  comparaîtrons,  c'est-à-dire  Mon- 
seigneur le  roi  en  notre  personne.  Et  alors  si  vous  voulez  offrir,  ou  mettre 
en  avant  quelque  chose  pour  le  bien  de  la  paix,  nous  prêterons  roreille, 
et  nous  ferons  tout  ce  que  doit  et  peut  faire  un  prince  catholique.  Nous 
sommes    et  serons   toujours    enclin  et  disposé    à  prendre    toutes  les 
bonnes  voies  d'une  paix  non  feinte,  ni  altérée,  ni  dissimulée,  ni  violée  ou 
parjurée,  telle  que  le  fut  à  Montereau-fault- Yonne,  celle  dont  par  votre 
faute  et  votre  consentement,  provint  le    terrible,   détestable   et  cruel 
ïûeurtre  commis  contre  les  lois  et  l'honneur  de  la  chevalerie,  en  la  per- 
sonne de  feu  notre  cher  et  très  aimé  père,  le  duc  Jean  de  Bourgogne, 
<iue  Dieu  pardonne.  Cette  paix  ayant  été  ainsi  enfreinte,  violée  et  parjurée 
par  vous,  tous  les  nobles,  tous  les  sujets  de  ce  royaume  et  d  ailleurs,  sont 
demeurés  et  demeurent  à  tout  jamais  quittes  et  libres  de  vous  et  de  votre 
obéissance,  à  quelque  état  que  vous  ayez  pu  et  puissiez  venir  ;  vous  les 
avez  absous  et  déliés  de  tout  serment  de  fidélité  et  de  sujétion,  comme 
cela  peut  être  démontré  clairement   par  vos  lettres  patentes  signées  de 
votre  main  et  scellées  de  votre  sceau. 

«  Toutefois,  si,  à  cause  de  l'iniquité  et  de  la  malice  des  hommes,  nous 
ue  pouvons  arriver  au  bien  de  la  paix,  chacun  de  nous  pourra  bien  gar- 
der et  défendre  sa  cause  et  sa  querelle  par  Tépée,  ainsi  que  lui  en  don- 
nera grâce  Dieu,  qui  en  est  le  seul  juge,  et  auquel  et  pas  à  un  autre, 
niondit  seigneur  doit  en  répondre.  Nous  le  supplions  très  humblement, 
comme  celui  qui  connaît  le  vrai  droit  et  la  juste  querelle  de  mondit 

III.  27 


418  LA  VRÂlE  JEANNE  D*ARG  :  LA  LIBÉRATRICE. 

seigneur,  de  vouloir  en  disposer  à  son  plaisir.  Par  suite  le  peuple  de  ce 
royaume,  désormais  à  Tabri  de  si  grands  foulements  et  si  grandes 
oppressions,  pourra  demeurer  en  longue  paix,  sécurité  et  repos  ;  ce  que 
doivent  quérir  et  demander  tous  les  rois  et  princes  chrétiens,  qui  ont 
charge  de  gouvernement. 

<c  Faites-nous  donc  savoir  promptement,  sans  plus  de  délai,  et  sans 
perdre  le  temps  en  écritures  et  en  arguties,  ce  que  vous  en  voudrez  faire; 
car  si  par  votre  faute  adviennent  de  grands  maux  et  inconvénients,  tels 
que  continuation  de  la  guerre,  pillages,  rançonnements  et  occisions  de 
gens,  nous  prenons  Dieu  à  témoin,  et  nous  protestons  devant  lui,  et  devant 
les  hommes,  que  nous  n'en  serons  pas  la  cause,  et  que  nous  avons  fait  et 
faisons  notre  devoir,  que  nous  nous  mettons  et  voulons  nous  mettre  en 
tous  termes  de  raison  et  d'honneur,  soit  préalablement  par  le  moyen  de 
la  paix,  soit  par  journée  de  bataille,  en  vertu  du  droit  des  princes,  puisque 
autrement  il  ne  se  peut  faire  entre  puissants  princes. 

«  En  témoin  de  ce,  nous  avons  fait  sceller  les  présentes  de  notre 
sceau. 

«  Donné  audit  lieu  de  Montereau-où-fault-Yonne,  le  septième  jour 
d'août  de  Tan  mil  quatre  cent  vingt-neuf. 

Ainsi  signé  : 

«  Par  Monseigneur, 
«  Le  régent  du  royaume  de  France, 

«  Le  duc  DE  Bedfohd  *.  » 


III 

Chapitre  m.  —  Continent  le  roy  Charles  de  France  et  le  duc  de  Bethford, 
et  leur  puissance  rancontrèrent  Ciin  Vautre  vers  le  Mont-Espilloy. 

Après  ces  choses,  le  duc  de  Bedford,  voyant  qu'il  ne  pouvait  rencontrer 
en  une  position  avantageuse  le  roi  Charles  et  son  armée,  et  que  plusieurs 
villes  et  forteresses  lui  faisaient  soumission  sans  coup  férir  et  sans  résis- 
tance, se  retira  avec  son  armée  sur  les  marches  de  l'Ile-de-France,  dans 
le  but  d'empôcher  que  les  principales  villes  ne  se  tournassent  contre  lui, 
ainsi  qu'avaient  fait  les  autres.  D'autre  part,  le  roi  Charles,  qui  était  déjà 
venu  à  Crépy,  où  il  avait  été  reçu  et  obéi  en  souverain,  se  mit  en  marche 
ù  travers  la  Brie,  en  se  rapprochant  de  Senlis.  En  ce  lieu  les  armées  du 
roi  Charles  et  du  duc  de  Bedford  se  trouvèrent  l'une  et  l'autre  fort  près 
du  Monlépilloy,  à  côté  d'une  ville  nommée  Le  Bar  [Baron). 

\ .  Cette  lettre  est  aussi  donnée  par  la  Chronique  dite  des  Cordeliers.  L*orthographe 
est  différente,  mais  le  sens  est  le  même  à  deux  mots  près. 


LA  CHRONIQUE  DE  MONSTRELET.  419 

De  part  et  d'autre  on  fit  des  préparatifs,  afin  de  prendre  des  avantages 

ponr  le  combat  qui  semblait  imminent.  Le  duc  de  Bedford  prit  position 

en  un  fort  lieu,  s'adossant  par  derrière  et  sur  les  côtés  à  de  fortes  haies 

d*épines.  Au  front  de  Tarmée  il  disposa  les  archers,  en  bon  ordre,  tous  à 

pied,  ayant  chacun  devant  eux  leurs  pieux  aiguisés,  fichés  en  terre.  Le 

r^ent,  avec  sa  seigneurie  et  les  autres  nobles,  était  près  des  archers;  ils 

étaient  massés  en  un  seul  corps  de  bataille  ;  entre  autres  enseignes,  on 

remarquait  les  deux  bannières  de  France  et  d'Angleterre.  Avec  elles  était 

Tétendard  de  Saint-Georges,  porté  ce  jour-là  par  le  chevalier  Jean  de 

Villiers,  seigneur  de  TIsle-Adam.  Dans  Tarraée  de  Bedford,  Ton  comptait 

de  six  à  huit  cents  des  gens  du  duc  de  Bourgogne.  Les  principaux 

étaient  :  le  seigneur  de  TIsle-Adam,  Jean  de  Croy,  Jean  de  Créquy, 

Antoine  de  Béthune,  Jean  le  Fosseux,  le  seigneur  de  Saveuse,  Messire  Hue 

de  Lannoy,  Jean  de  Brimeu,  Jean  deLannoy,  Messire  Simon  de  Lalaing, 

Jean,  bâtard  de  Saint-Pol,  et  plusieurs  autres  hommes  de  guerre,  parmi 

lesquels  quelques-uns  furent  en  ce  jour  faits  chevaliers.  Le  bâtard  de 

Saint-Pol  le  fut  de  la  main  du  duc  de  Bedford  ;  les  autres,  comme  Jean 

de  Croy,  Jean  de  Créquy,  Antoine  de  Béthune,  Jean  le  Fosseux,  le  Liégeois 

d*IIumières,   par  les  mains  d'autres  notables  chevaliers.  Toutes  choses 

ainsi  mises  sur  pied,  il  faut  savoir  que  les  Anglais  et  ceux  de  leur  nation 

étaient  réunis  dans  Tarmée,  sur  la  main  gauche,  tandis  que  les  Picards 

et  ceux  de  la  nation  de  France  étaient  à  l'opposé.  Ils  se  tinrent  ainsi  en 

ordre  de  bataille,  comme  il  a  été  dit,  par  un  long  espace  de  temps  ;  ils 

étaient  campés  si  avantageusement  qu'il  ne  pouvaient  être  envahis  par 

derrière  sans  que  les  attaquants  ne  s'exposassent  à  de  très  grandes  pertes 

et  à  grand  danger  ;  avec  cela  ils  étaient  pourvus  et  rafraîchis  de  vivres 

et  des  autres  choses  nécessaires  par  la  bonne  ville  de  Senlis,  qui  était 

près. 

D'autre  part,  le  roiCharles,  avec  ses  princes  etses  capitaines,  fit  ordonner 
ses  combattants.  L'on  voyait  dans  son  avant-garde  la  plus  grande  partie 
de  ses  plus  vaillants  et  plus  experts  hommes  de  guerre  ;  les  autres 
demeurèrent  dans  le  corps  de  Tarmôe,  où  était  le  roi,  excepté  quelques- 
uns  qui,  par  manière  d'arrière -garde,  furent  placés  sur  les  derrières,  du 
calé  de  Paris.  Avec  le  roi  se  trouvait  une  très  grande  multitude  de 
gens,  bien  plus  sans  comparaison  qu'il  n'en  existait  dans  l'armée  anglaise. 
Du  côté  de  Charles,  on  voyait  Jeanne  la  Pucelle,  ayant  toujours  divers 
sentiments,  tantôt  voulant  combattre  ses  ennemis,  et  tantôt  non  \ 

Néanmoins  les  deux  parties,  ainsi  l'une  devant  l'autre,  prêtes  au  com- 
bat, furent  sans  se  désordonner  durant  deux  jours  et  deux  nuits  environ. 

1.  Monstrelet  est  le  seul  qui  attribue  à  la  Pucelle  cet  étal  d'incertitude. 


420  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

Pendant  ce  temps  il  y  eut  plusieurs  grandes  escarmouches  et  plusieurs 
attaques,  qu'il  serait  trop  long  de  raconter  dans  le  détail.  Entre  les  autres, 
il  y  en  eut  une,  âpre  et  sanglante  qui  dura  bien  une  heure  et  demie,  du 
côté  des  Picards.  Ceux  qui  donnèrent  du  côté  du  roi  Charles  étaient  en 
grande  partie  des  Écossais,  et  d'autres,  en  très  grand  nombre,  qui  combat- 
tirent très  fort  et  très  âprement  ;  spécialement  les  archers  des  deux  armées 
firent  des  décharges  nombreuses  de  leurs  traits  avec  beaucoup  de  courage. 

Quelques-uns  des  plus  experts  des  deux  armées,  voyant  ainsi  les  ren- 
contres se  multiplier,  pensaient  bien  qu'on  ne  se  séparerait  pas,  sans  que 
Tune  des  deux  ne  fût  mise  en  déroute  et  vaincue.  Elles  se  séparèrent 
cependant,  non  sans  que  dans  les  deux  camps,  il  y  eût  largement  des 
morts  et  des  blessés.  Le  duc  de  Redford  fut  grandement  content  des 
Picards  qui  dans  rengagement  s'étaient  cette  fois  comportés  vaillamment. 
A  leur  retour  de  la  mêlée,  le  duc  de  Bedford  passa  plusieurs  fois  devant 
leurs  rangs,  les  remerciant  très  humblement  à  plusieurs  reprises,  disant  : 
«  Mes  amis,  vous  êtes  de  très  bonnes  gens,  vous  avez  soutenu  grand  faix 
pour  nous;  ce  dont  nous  vous  remercions  très  grandement;  et  nous  vous 
prions,  s'il  nous  vient  quelque  affaire,  que  vous  persévériez  en  votre 
vaillance  et  hardiesse.  » 

En  ces  jours  les  parties  étaient  fort  animées  les  unes  contre  les  autres  ; 
aucun  homme,  de  quelque  état  qu'il  fût,  n'était  pris  à  rançon  ;  mais,  sans 
pitié  ni  miséricorde,  tous  ceux  qui  pouvaient  être  atteints,  tant  d'un  côté 
que  de  l'autre,  étaient  mis  à  mort.  Ainsi  que  j'en  fus  informé,  il  y  eut  dans 
ces  escarmouches  environ  trois  cents  morts,  les  deux  parties  comprises  ; 
mais  je  ne  sais  de  quel  côté  ils  furent  les  plus  nombreux.  Après  ces  deux 
jours,  ou  environ,  les  deux  armées  se  séparèrent  Tune  de  l'autre,  sans  plus 
rien  faire. 

IV 

Chapitre  lxvii.  —  Comment  le  roi  Charles  de  France  envoya  ses  ambas- 
sadeurs à  Arras  vers  le  duc  de  Bourgogne  K 

Pendant  ce  temps,  les  ambassadeurs  du  roi  Charles  de  France  étaient 
venus  à  Arras,  vers  le  duc  de  Bourgogne,  pour  traiter  de  paix  entre  ces 
deux  parties.  Les  principaux  de  ces  ambassadeurs  étaient  l'archevêque 
de  Reims,  Christophe  de  Harcourt,les  seigneurs  de  Dam  pierre,  de  Gaucourt 

1.  Quicherat  n'a  pas  donné  ce  chapitre,  indispensable  pour  bien  se  rendre  compte 
comment  la  mission  divine  fut  interrompue.  Aussitôt  après  Keims,  contre  les  avis  de 
la  Céleste  Envoyée,  on  se  prêta  à  des  trêves,  à  des  négociations  fallacieuses  avec  le  duc 
de  Bourgogne  pour  le  séparer  de  l'alliance  anglaise.  En  réalité,  on  lui  fournit  les 
moyens  de  porter  à  son  allié  le  secours  le  plus  opportun,  et  Ion  arrêta  le  secours 
divin. 


U  CHRONIQUE  DE  MONSTRELET.  42! 

et  de  Fontaines,  chevaliers,  avec  (l*autres  gens  d'état  qui  trouvèrent  à 
à  Arras  le  duc  et  son  conseil.  A  leur  arrivée,  ils  requirent  audience  du- 
dit  duc,  et,  quelques  jours  après,  ils  se  rendirent  à  son  hôtel  où,  par  la 
bouche  de  TArchevèque,  l'objet  de  l'ambassade  fut  exposé  très  sagement 
et  authentiquement,  en  présence  de  la  chevalerie,  du  conseil,  et  de  plu- 
sieurs autres  admis  à  cette  audience.  Il  remontra,  entre  autres  choses,  la 
parfaite  affection,  le  vrai  désir  du  roi  de  faire  la  paix  avec  lui  et  d'en  venir 
à  un  traité;  ajoutant  que,  pour  y  parvenir,  ce  même  roi  était  content  de 
défaire  des  avances  et  de  condescendre  *,  en  faisant  des  offres  de  répara- 
lion  plus  qull  n'appartenait  h  sa  majesté  royale.  Il  excusa  le  roi  sur  sa 
jeunesse  de  Thomicide  perpétré  autrefois  en  la  personne  du  feu  duc  Jean 
de  Bourgogne,  son  père,  alléguant  qu'en  ses  jeunes  années  il  était  sous 
le  gouvernement  de  gens  qui  n'avaient  pas  d'égards  et  de  considération 
au  bien  du  royaume  ni  de  la  chose  publique,  et  qu'en  ce  temps  il  n'aurait 
osé  ni  les  dédire  ni  se  les  aliéner.  Ces  considérations  et  plusieurs  autres 
fort  notables,  exposées  par  l'Archevêque,  furent  ouïes  avec  faveur  par  le 
duc  et  par  les  siens.  A  la  iin  il  fut  répondu  aux  ambassadeurs  :  «  Monsei- 
gneur a  bien  ouï  ce  que  vous  avez  dit  :  il  aura  avis  sur  ce,  et  vous  fera 
réponse  dans  peu  de  jours  ». 

L'Archevêque  retourna  à  son  hôtel,  et  avec  lui  ses  collègues  d'ambas- 
sade que  toutes  gens  honoraient.  Pour  lors  la  plupart  des  gens  du  pays 
étaient  très  désireux  de  voir  la  paix  et  la  concorde  s'établir  entre  le  roi  et 
lé  duc  de  Bourgogne.  Ceux  du  moyen  et  du  bas  état  y  étaient  même  si 
affectionnés  que,  dès  lors,  avant  qu'il  fût  intervenu  paix  ou  trêve,  ils 
allaient  à  la  ville  d'Arras,  vers  le  chancelier  de  France,  pour  en  impétrer 
en  très  grand  nombre  des  lettres  de  rémission,  des  lettres  de  grâce,  des 
offices  et  plusieurs  autres  faveurs  royales,  comme  si  le  roi  eftt  été  déjà 
pleinement  en  sa  seigneurie,  et  qu'ils  en  eussent  été  certains.  Ils  obte- 
naient du  chancelier  la  plupart  des  faveurs  sollicitées.  Par  suite,  le  duc  de 
Boui^ogne  fut,  durant  plusieurs  jours,  en  délibération  avec  son  conseil 
privé,  et  les  affaires  entre  les  parties  furent  très  approchées. 

Chapitre  lxix.  —  Comment  la  ville  de  Compiègne  se  rendit  au  roy 
Charles^  et  du  retour  des  ambassadeurs  de  France^  qui  estoient  aies  vers  le 
duc  de  Bourgoigne. 

Après  la  journée  de  Senlis,  où  le  roi  Charles  et  le  duc  de  Bcdford 
avaient  été  avec  toutes  leurs  forces  l'un  contre  l'autre,  le  roi  revint  à 
Crépy-en- Valois.  Là  lui  furent  apportées  les  nouvelles  que  les  habitants 
de  Compiègne  voulaient  lui  faire  obéissance  ;  aussi,  sans  nul  délai,  se 

1 .  De  lui  commeUre  et  condescendre. 


422  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARG  :  U  LIBÉRATRICE.. 

rendit-il  dans  cette  ville,  où  il  fut  reçu  en  grande  liesse  des  habitants, 
et  il  se  logea  en  son  hôtel  royal.  C'est  là  que  revinrent  vers  lui  le  chan- 
celier et  les  autres  ambassadeurs  qu'auparavant  il  avait  envoyés  vers  le 
duc  de  Bourgogne,  avec  lequel  ils  avaient  tenu  des  conférences 
étroites  *,  ainsi  qu'avec  ses  conseillers.  Cependant  il  n'y  avait  pas  eu 
d'accord  arrôté  ;  mais,  en  conclusion,  il  avait  été  convenu  que  le  duc  en- 
verrait de  son  côté  une  ambassade  vers  le  roi  Charles  pour  avoir  son  avis 
et  continuer  les  conférences.  Je  fus  alors  informé  que  la  plupart  des 
principaux  conseillers  du  duc  de  Bourgogne  avaient  grand  désir  et  affec- 
tion à  ce  que  les  deux  parties  opérassent  leur  réconciliation.  Toutefois 
Maître  Jean  de  Thoisy,  évoque  de  Tournay,  et  Messire  Hue  de  Lannoy, 
qui  venaient  présentement  de  vers  le  duc  de  Bedford,  et  étaient  chargés 
par  lui  de  faire  des  observations  au  duc  de  Bourgogne,  de  l'exhorter  à 
tenir  le  serment  fait  au  roi  Henri,  n'étaient  pas  bien  contents  que  le 
traité  se  fit.  C'est  sur  leur  parole  que  la  conclusion  fut  retardée,  et  qu'on 
prît  une  autre  journée  pour  envoyer  une  légation  vers  le  roi  Charles. 
Elle  fut  confiée  à  Messire  Jean  de  Luxembourg,  évêque  d'Arras,  à  Messire 
David  de  Brimeu  et  à  d'autres  notables  et  discrètes  personnes... 

[Monstrelet,  pour  épargner  la  réputation  de  son  maître  ou  même  celle 
de  Charles  VII,  coupables,  le  premier  d'un  rôle  de  duplicité,  le  second 
d^imbécillité,  fait  ici  une  omission  de  toute  importance.  Des  trêves  qui 
devaient  durer  jusqu'à  Noël,  et  dont  la  teneur  fut  prolongée  jusqu*à 
Pâques,  furent  conclues  le  28  août  à  Compiègne.  Leur  texte  va  être  donné 
dans  la  Chronique  dite  des  Cordeliers.  Il  jette  le  plus  grand  jour  sur 
l'échec  contre  Paris,  et  sur  tout  le  reste  de  la  carrière  de  la  Libératrice 
jusqu'à  sa  captivité.] 

V 

Chapitre  lxx.  —  Comment  le  roy  de  France  fit  assaillir  la  cité  de  Paris. 

Le  roi  Charles  de  France  étant  encore  à  Compiègne  reçut  des  nouvelles 
d'après  lesquelles  le  duc  de  Bedford,  le  régent,  s'en  allait  avec  une  armée 
en  Normandie  pour  combattre  le  Connétable,  qui  travaillait  fort  le  pays  du 
côté  d'Evreux.  Par  suite,  le  roi  Charles  quitta  Compiègne  après  un  séjour 
de  douze  jours  environ,  y  laissant  Guillaume  d«  Flavy  pour  capitaine. 
Avec  son  armée  il  allaà  Senlisqui,  après  traité,  se  rendit  au  roi.  Il  se  logea 
dans  ses  murs  avec  une  grande  partie  de  ses  gens  ;  les  autres  se  logèrent 
dans  les  villages  environnants. 

En  ces  jours  firent  obéissance  au  roi  plusieurs  villes  et  forteresses  : 

1.  Texte:  Us  avaient  tenus  plusieurs  destroicts parîemens. 


U  CHRONIQUE  DE  MONSTRELET.  423 

Beauvais,    Creil,   Pont-Sainte-Maxence,    Choisy,  Gournay-sur-Aronde, 
Remy,  la  Neuville-en-Heez,  et  de  Tautre  côté  Mognay,  Chantilly,  Saintincs 
et  plusieurs  autres.  Lui  firent  aussi  serment  les  seigneurs  de  Montmo- 
rency et  de  Moy. 
Et,  en  vérité,  si,  avec  son  armée,  il  flt  venu  a  Saint-Quentin,  Corbie, 

^lENS,  AbBEVILLE,  et  DEVANT  PLUSIEURS  AUTRES  VILLES  ET  CHATEAUX  FORTS,  LA 
plupart  DE  LEURS  HABITANTS  ÉTAIENT  TOUT  PRÊTS  A  LE  RECEVOIR  COMME  SEIGNEUR, 
ET  ILS  NE  DÉSIRAIENT  AUTRE  CHOSE  AU  MONDE  QUE  DE  LUI  FAIRE  OBÉISSANCE  ET 
PLEINE  OUVERTURE  \ 

Toutefois  il  ne  fut  pas  conseillé  de  s'avancer  si  avant  sur  les  marches 
du  duc  de  Bourgogne,  tant  parce  qu'il  le  sentait  fort  de  gens  d'armes, 
que  pour  Tespérance  qu'il  avait  qu'il  se  fît  entre  eux  quelque  bon 
traité. 

Après  un  séjour  de  peu  de  jours  à  Senlis,  le  roi  en  partit  et  avec  toute 
son  armée  alla  se  loger  à  Saint-Denis;  les  gens  s'en  étaient  enfuis  à  Paris, 
je  veux  dire  les  plus  grands  bourgeois  et  plus  notables  habitants.  Ses 
gens  se  logèrent  à  Aubervilliers,  à  Montmartre,  et  aux  villages  près  de 
Paris. 

Alors  était  avec  le  roi  Jeanne  la  Pucelle,  qui  avait  très  grande  renommée. 
Chaque  jour  elle  exhortait  le  roi  et  ses  princes  à  faire  assaillir  la  ville 
de  Paris.  Il  fut  conclu  que  cet  assaut  serait  livré  le  lundi  42  septembre^ 
Cette  conclusion  arrêtée,  on  fit  apprêter  tous  les  gens  de  guerre,  et  ce 
lundi  le  roi  se  mit  en  bataille  entre  Paris  et  Montmartre,  ses  princes  avec 
lui. 

La  Pucelle,  avec  l'avant-garde  qui  était  fort  nombreuse,  s'en  alla,  son 
étendard  en  mains,  à  la  porte  Saint-Honoré,  faisant  porter  avec  elle 
plusieurs  échelles,  des  fagots,  et  d'autres  appareils  nécessaires  à  un 
assaut.  Là  elle  fit  entrer  plusieurs  de  ses  gens  à  pied  dans  les  fossés  et 
elle  commença  l'assaut  à  dix  heures  environ  ;  il  fut  très  dur,  âpre  et 
cruel,  et  dura  sans  discontinuer  de  quatre  à  cinq  heures,  ou  même  plus. 
Les  Parisiens  se  défendirent  vigoureusement  et  avec  grand  courage, 
soutenus  qu'ils  étaient  par  Louis  de  Luxembourg,  évêque  de  Thérouanne 
et  chancelier  de  France  pour  le  roi  Henri,  et  par  plusieurs  autres  notables 
chevaliers  que  le  duc  de  Bourgogne  leur  avait  envoyés,  tels  que  le  sei- 
gneur de  Gréquy,  le  seigneur  de  l'Isle-Adam,  Messire  Simon  de  Lalaing, 

i.  Et  pour  vérité^  sHl,  à  toute  sa  puissanchCf  fusl  venu  à  Sainct^Quentirif  Corbie^  Amieni^f 
AbbettllCj  et  plusieurs  autres  fortes  villes  et  fors  chasteaulx,  la  plus  grande  partie  des  hahi- 
tans  d'ycelles  estaient  tous  pretz  de  le  recevoir  à  seigneur  y  et  ne  desiroient  au  monde  aultre 
chose  que  de  lui  faire  obeyssance  et  plaine  ouverture.  Et  c'est  alors  que  Charles  VII  con- 
cluait des  trêves,  à  Tinsu  et  entièrement  contre  Tavis  de  la  Pucelle  ! 

2.  Ce  fut  le  8.  —  Monstrelet  est  inexact  dans  toute  cette  partie  pour  laquelle  il  faut 
consulter  Percerai  de  Gagny.  Le  roi  ne  bougea  pas  de  Saint-Denis. 


424  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

Messire  Waleran  de  Beauval,  et  d'autres  notables  hommes  qui  avaient 
amené  quatre  cents  combattants.  Avant  ledit  assaut,  on  avait  assigné  à 
chacun,  par  capitainerie,  la  garde  des  ]ieux propices  et  convenables.  Pen- 
dant cet  assaut,  plusieurs  Français  furent  renversés  et  abattus,  un  très 
grand  nombre  furent  tués  et  blessés  par  les  canons,  les  coulevrines,  et 
les  autres  armes  de  trait  que  les  Parisiens  déchargeaient  contre  eux. 

Jeanne  la  Pucelle  fut  très  fort  navrée  {blessée);  elle  demeura  tout  le 
jour  dans  les  fossés  derrière  le  revers  du  talus  *,  jusqu'au  soir  que  Gui- 
chard  de  Thiembronne  et  d'autres  allèrent  la  quérir.  D'autre  part  il 
y  eut  plusieurs  blessés  parmi  les  défenseurs  de  la  ville.  Finalement,  les 
capitaines  français,  voyant  leurs  gens  en  si  grand  péril,  et  considérant 
qu'il  leur  était  impossible  d'emporter  la  ville  de  force,  alors  que  les 
Parisiens  étaient  unanimes  à  vouloir  se  défendre,  sans  qu'il  y  eût 
division  parmi  eux,  firent  soudainement  sonner  la  retraite,  et  retour- 
nèrent à  leurs  logis,  en  emportant  les  morts  et  les  blessés.  Le  lendemain 
le  roi  Charles,  triste  et  affligé  de  la  perte  de  ses  gens,  s*en  alla  à  Senlis 
pour  procurer  la  guérison  et  les  soins  des  blessés.  Les  Parisiens  se  con* 
firmèrent  encore  les  uns  les  autres  dans  leur  dessein,  promettant  qu'ils 
résisteraient  jusqu'à  la  mort  de  toutes  leurs  forces,  au  roi,  qui,  à  ce  que 
l'on  disait,  voulait  entièrement  les  détruire.  Peut-être  le  craignaient-ils, 
se  sentant  gravement  coupables  envers  lui  qu'ils  avaient  privé  de  sa  capi- 
tale, et  vu  qu'ils  avaient  mis  à  mort  plusieurs  de  ses  loyaux  sujets,  comme 
il  a  été  plus  pleinement  exposé  ailleurs. 

Chapitre  lxxii.  —  [Le  chroniqueur  raconte  comment,  pendant  ce 
temps,  le  duc  de  Bourgogne  s'efforçait  de  raffermir  dans  la  fidélité 
à  sa  cause  ces  mêmes  villes  d'Amiens  et  d'Abbeville  qu'il  nous  a 
dit  désirer  plus  que  tout  au  monde  faire  obéissance  à  Charles  VU. 
Le  duc  fit  si  bien  qu'elles  s'armèrent  pour  être  prêtes  à  le  suivre  dès 
qu'il  le  voudrait.] 

VI 

Chapitre  lxxii.  —  Com??ient  le  roi  Charles  de  France  s'en  retourna  en 
Touraine  et  en  Berry. 

Charles,  roi  de  France,  voyant  que  la  ville  de  Paris,  la  capitale  de  son 
royaume,  ne  voulait  pas  se  mettre  en  son  obéissance,  arrêta  avec  ses  con- 
seillers de  laisser  des  gouverneurs  et  des  capitaines  institués  par  lui  dans 
toutes  les  bonnes  villes,  cités  et  châteaux  rentrés  en  son  obéissance,  et  de 

1 .  Texte  :  derrière  une  dodenne. 


U  CHRONIQUE  DE  MONSTRELET.  425 

retourner  ensuite  es  pays  de  Touraine  et  de  Berry.  La  chose  ainsi 
conclue,  il  constitua  chef  principal  dans  TIle-de-France  et  le  Beauvaisis 
Charles  de  Bourbon  comte  de  Clermont,  et  avec  lui  le  comte  de  Ven- 
dôme et  le  chancelier.  Le  comte  de  Clermont  et  le  chancelier  se  tenaient 
le  plus  souvent  en  la  ville  de  Beauvais,  et  le  comte  de  Vendôme  à 
Senlis,  Guillaume  de  Flavy  à  Compiègne,  Messire  Jacques  •  de  Cha- 
bannes  à  Creil.  Le  roi,  avec  les  grands  seigneurs  qui  Tavaient  accompagné 
dans  son  expédition,  retourna  do  Senlis  à  Crépy  ;  et  de  là,  par  devers  Sens 
en  Bourgogne,  il  retourna  aux  pays  ci-dessus  indiqués. 


VII 

Toutefois  les  trêves  furent  confirmées  entre  les  Bourguignons  et  les 
Finançais  jusqu'au  jour  des  prochaines  Pâques,  et  avec  cela  le  passage  du 
/^ont-Sainte-Maxence,  que  tenaient  les  Français,  fut  remis  entre  les 
ocLains  de  Renauld  de  Longue  val  pour  en  être  gardé. 

Xa  marche  de  France  et  de  Beauvaisis  demeura  par  là  en  grande  tri- 
i>VM.lation.  Ceux  qui  étaient  es  forteresses  et  garnisons,  tant  les  Français 
ixa^  les  Anglais,  couraient  chaque  jour  les  uns  contre  les  autres.  Par 
smxite  de  ces  courses,  les  villages  des  environs  commencèrent  à  se 
<i^|peiipler,  et  les  bonnes  gens  et  les  habitants  se  retiraient  es  bonnes 
villes. 

[Tous  les  chroniqueurs  constatent  à  Tenvi  le  néfaste  résultat  des  trêves 
conclues  à  rencontre  des  avis  de  la  Pucellc.  Les  Anglais  n'y  accédèrent 
P^s;  les  Bourguignons  se  travestirent  en  Anglais  afin  de  pouvoir  conti- 
ï^xier  à  guerroyer  contre  les  Français,  et  ceux-ci  les  poursuivirent  comme 
^xiglais.  Les  pays  redevenus  français  furent  foulés  par  les  deux  partis. 
^e  duc  de  Bourgogne  avait  promis  de  mettre  Charles  VII  dans  Paris, 
^l  avait,  pour  s'y  rendre,  obtenu  un  sauf-conduit  à  travers  le  Beauvaisis, 
^e  Valois  et  les  autres  contrées  qui  venaient  de  proclamer  Charles  VIL 
Dles  traversa  en  effet  avec  sa  sœur,  la  duchesse  de  Bedford,  qui,  pour  le 
maintenir  dans  Talliance  anglaise,  ne  Tavait  pas  quitté  depuis  le  mois  de 
juillet.  Parti  de  Hesdin  le  20  septembre,  il  s'avança  à  petites  journées, 
avec  l'appareil  d'un  triomphateur,  ainsi  que  l'indique  Monstrelet  par  le 
titre  même  du  chapitre  lxxiii  :  Comment  le  duc  Philippe  de  Bourgogne 
en  grand  appareil  rameiia  sa  sœur  en  la  cité  de  Paris  au  duc  de  Bedford 
son  mari.  Il  longea  Senlis  sans  y  entrer,  et  reçut  avec  froideur  les  hon- 
neurs que  lui  rendirent  Regnault  de  Chartres  et  le  comte  de  Clermont, 
son  beau-frère.  Laissons  parler  Monstrelet  :] 

Le  duc  fut  grandement  regardé  des  Français  qui,  soit  à  pied,  soit  à 


426  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :   LA  UBÉRATRICE. 

cheval,  étaient  sortis  de  Senlis...  Le  duc  armé  de  toutes  pièces,  la  tête 
exceptée,  s'avançait  monté  sur  un  très  bon  et  excellent  cheval,  et  était 
très  richement  habillé.  Après  lui  étaient  sept  ou  huit  pages,  montés 
chacun  sur  un  bon  coursier.  L'archevêque  de  Reims,  chancelier  de 
France,  arriva  le  premier  en  rase  campagne  au-dessus  de  Senlis  pour  lui 
faire  révérence  et  hommage.  Charles  de  Bourbon,  comte  de  Clermont, 
vint  bientôt  après,  accompagné  d'environ  soixante  chevaliers.  Lorsqu'il 
fut  arrivé  assez  près  du  duc,  les  deux  ôtèrent  leurs  chaperons,  et  incli- 
nèrent leurs  chefs  l'un  à  l'autre,  en  se  disant  quelques  paroles  de  salu- 
tation, mais  sans  s'embrasser,  comme  témoignage  de  grand  amour  et  de 
joie,  ainsi  qu'ont  coutume  de  le  faire  ceux  qui  sont  aussi  prochains  de 
sang  qu'ils  l'étaient  l'un  à  l'autre.  Après  cette  salutation  et  révérence,  le 
duc  de  Bourbon  alla  baiser  et  embrasser  sa  belle-sœur  de  Bedford,  qui 
était  près,  à  la  droite  du  duc  de  Bourgogne.  Ils  se  firent  brièvement  quel- 
ques compliments.  Il  retourna  bientôt  vers  son  beau-frère  le  duc  de 
Bourgogne.  L'on  ne  vit  point  que  celui-ci  donna  grand  semblant  d'amour 
pour  lui,  ni  désir  de  prolonger  l'entretien.  Sans  chevaucher  l'un  avec 
l'autre,  sans  faire  longue  conduite,  ils  se  séparèrent  en  prenant  congé 
l'un  de  l'autre  au  propre  lieu  où  ils  s'étaient  abordés  et  rencontrés... 

[Le  couple  entra  triomphalement  à  Paris.  Bedford  était  revenu  de  Nor- 
mandie pour  le  recevoir,  il  s'avança  à  sa  rencontre,]  «  et  là  furent  faites 
grandes  accolées  et  joyeuse  réception...  fut  faite  moult  grande  joie  des 
Parisiens.  Si  y  criait-on  Noël  partout  sur  le  passage. 

«  Entre  les  autres  choses,  les  Parisiens  requirent  au  duc  de  Bour- 
gogne qu'il  lui  plut  de  se  charger  du  gouvernement  de  la  ville  de  Paris 
qui  avait  pour  lui  très  grande  affection.  Ils  étaient  tout  prêts  et  armés 
pour  maintenir  sa  querelle  et  celle  de  feu  son  père...  Laquelle  chose  le 
duc  leur  accorda  jusques  après  Pâques  prochaines.  »  [C'est-à-dire  jusques 
après  l'expiration  des  trêves  fallacieusement  conclues  avec  Cliarles  VII. 
En  attendant,  les  deux  beaux-frères  conclurent  qu'après  Pâques  l'on 
recommencerait  la  guerre  de  concert  pour  recouvrer  les  villes  et  les 
contrées  qui  avaient  abandonné  leur  cause. 

Bedford  et  sa  femme  allèrent  en  Normandie,  le  duc  de  Bourgogne 
établit  de  ses  capitaines  dans  la  capitale  et  les  environs  ;]  «  et  après  avoir 
séjourné  à  Paris  durant  l'espace  de  trois  semaines,  il  s'en  retourna  par 
les  chemins  par  lesquels  il  était  venu  en  son  pays  d'Artois  et  de  là  en 
Flandre  ». 

[La  guerre  devait  recommencer  à  Pâques  ;  mais  les  gens  du  duc  de 
Bourgogne  n'eurent  pas  la  patience  d'attendre.  C'est  ce  que  nous  dit  le 
chroniqueur  par  le  titre  même  du  chapitre  lxxiv  et  par  les  premières 
lignes  qui  vont  être  reproduites.] 


LA  CHRONIQUE  DE  MONSTRELET.  427 

Chapitre  lxxiv.  —  Comment  les  Français  et  les  Bourguignons  couraient 
Pun  sur  r autre  nonobstant  les  trêves  qui  y  étaient. 

Durant  le  temps  dessus  dit,  alors  que  les  trôves  étaient  accordées 
entre  le  roi  Charles  et  le  duc  de  Bourgogne  jusques  aux  Pâques  suivantes, 
ces  mêmes  parties  couraient  néanmoins  très  souvent  Tune  sur  l'autre.  Et 
même,  pour  embellir  leur  querelle,  quelques-uns  de  ceux  qui  tenaient  le 
parti  du  duc  de  Boui^ogne,  se  boutaient  avec  les  Anglais  qui  n'avaient 
pas  trêve  avec  les  Français,  et  avec  eux  [les  Anglais)  ils  faisaient  pleine 
guerre  auxdits  Français  ;  et  les  Français  pareillement  couraient  et  fai- 
saient pleine  guerre  aux  Boui^uignons,  feignant  les  dessusdits  Bourgui- 
gnons être  des  Anglais,  et  à  cause  desdiles  trêves  il  y  avait  peu  ou  néant 
de  sécurité. 

[Tel  fut  le  résultat  de  ces  trêves  si  fort  improuvées  par  la  Vénérable. 
Son  histoire  à  partir  du  sacre  est  de  toute  obscurité,  lorsque  Ton  ne 
tient  pas  compte  de  cette  tortueuse  diplomatie. 

La  guerre  allait  recommencer  ouvertement  après  Pâques  ;  le  duc  de 
Bourgogne  avait  profité  de  Tintervalle  pour  en  faire  les  préparatifs.  Il 
convoitait  particulièrement  Compiègne.  C'était  la  clef  des  communications 
de  ses  possessions  du  Nord  avec  rilc-de-France.  Les  conseillers  du  roi 
avaient  été  assez  faibles  pour  s'engager  de  lui  en  laisser  la  garde  jus- 
qu'à la  paix.  Les  habitants  de  Compiègne  refusèrent  d'accepter  un  tel 
compromis.  De  là  chez  le  duc  un  profond  ressentiment  et  des  projets 
d'atroce,  vengeance.  Pâques,  alors  commencement  de  Tannée,  une  fois 
arrivé,  Philippe  se  hâta  de  s'emparer  des  places  qui  étaient  comme  les 
avant-postes  de  Compiègne.  Écoutons  Monstrelet  nous  le  dire.  Après 
avoir  vainement  tenté  de  l'arrêter,  la  Pucelle  allait  devant  Compiègne 
entrer  dans  la  carrière  de  son  martyre.  C'est  par  le  martyre  quelle  devait 
acheter  ce  que  on  ne  lui  avait  permis  de  réaliser  par  les  armes.] 


CHAPITRE  VI 

U  SUITE  DES  EXPLOITS  DE  LA  PUCELLE,  SA  CAPTIVITÉ,  SON    MARTYRE. 

Sommaire  :  1.  —  Le  duc  de  Bourgogne  entre  en  campagne  en  s'emparanl  de  Gournay- 
sur-Âroade.  —  Siège  de  la  forteresse  de  Choisy.  —  Elle  est  prise  et  rasée.  —  Les 
Anglais  à  Pont-rÉvôque.  —  Tentative  de  Jeanne  d'Arc  pour  les  en  débusquer.  — 
Échec. 

II.  —  Préparatifs  du  siège  de  Compiègne.  —  Distribution  des  divers  corps  de  l'armée 
assiégeante.  —  La  Pucelle  combat  Franquet  d'Arras.  —  Défaite,  prise,  exécution  de 
Franquet  d^Arras. 

UL  -  Attaque  de  Jeanne  d'Arc  contre  Margny.  —  Visite  que  recevait  en  ce  moment  le 


428  LA  VRAIE  JEANNE  D'AKC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

capitaine  de  la  forteresse,  Baudot  de  Noyelle.  —  Secours  qui  lui  arrivent.  —  Les 
Français  forcés  à  la  retraite.  —  Jeanne  la  protège.  —  Arrivée  des  Anglais.  —  L'Hé- 
roïne est  prise.  —  Grande  joie  des  assiégeants.  —  Elle  est  visitée  par  le  duc  de 
Bourgogne.  —  Remise  à  la  garde  de  Jean  de  Luxembourg. 
IV.  —  Monslrelet  passe  sous  silence  le  récit  de  la  captivité,  du  procès  et  du  martyre, 
et  se  contente  de  reproduire  la  lettre  de  la  cour  d'Angleterre  au  duc  de  Bourgogne. 


I 

Chapitre  lxxxii.  —  Comment  le  duc  ae  Bourgogne ,  atout  sa  puissance j 
alla  logier  devant  Gournay-sur-Aronde. 

Au  commencement  de  cet  an  {Pâques  1430^  16  avril)^  le  duc  de  Bour- 
gogne, partant  de  Montdidier,  alla  camper  à  Gournay-sur-A ronde,  devant 
la  forteresse  de  cette  place  appartenant  à  Charles  de  Bourbon,  comte  de 
Clermont,  son  beau-frère.  Là  il  fit  sommer  Tristan  de  Magnelers  qui  en 
était  le  capitaine  de  lui  rendre  ladite  forteresse,  sans  quoi  il  lui  ferait 
donner  l'assaut.  Tristan,  voyant  que  raisonnablement  il  ne  pourrait  pas 
résister  à  la  puissance  du  duc  de  Bourgogne,  traita  avec  ses  envoyés, 
s'engageant  à  rendre  la  forteresse  le  1"  août  prochain,  si  le  roi 
Charles  ou  ceux  de  son  parti  n'avaient  pas  combattu  ledit  duc;  il  promit 
qu'en  attendant  ni  lui  ni  ses  gens  ne  porteraient  pas  les  armes  contre  le 
parti  bourguignon.  Par  ainsi  il  demeura  paisible  jusqu'au  jour  fixé. 

[Monslrelet  raconte  que  ce  qui  fit  accepter  au  duc  cette  composition,  ce 
fut  la  nouvelle  que  le  damoiseau  de  Commercy  assiégeait  Montaigut.  Il  se 
mit  en  devoir  d'aller  avec  Luxembourg  combattre  Saarbriick  ;  mais 
celui-ci,  averti  qu'il  aurait  à  faire  à  si  forte  partie,  leva  précipitamment  le 
siège.  Ce  départ  venu  à  la  connaissance  des  deux  puissants  ennemis,  le 
duc  de  Bourgogne  s'en  alla  à  Noyon  avec  toute  son  armée. J 

Chapitre  lxxxhi.  —  Comment  le  duc  de  Bourgogne  alla  mettre  le  siège 
devant  le  chastel  de  Choisy^  lequel  il  conquist. 

Après  que  le  duc  de  Bourgogne  eût  séjourne  en  la  cité  de  Noyon  envi- 
ron huit  jours,  il  alla  mettre  le  siège  devant  le  château  de  Choisy-sur- 
Aisne,  forteresse  défendue  par  Louis  de  Flavy,  qui  la  tenait  de  Messire 
Guillaume  de  Flavy  [son  frère).  Le  duc  fit  dresser  plusieurs  machines 
de  guerre  pour  ruiner  et  abattre  ce  château,  qui  en  fut  si  endommagé, 
que  les  assiégés  firent  avec  les  délégués  du  duc  de  Bourgogne  un  traité, 
d'après  lequel  ils  se  retirèrent  la  vie  sauve  en  emportant  leurs  biens,  et 
rendirent  la  forteresse.  Après  leur  départ,  elle  fut  sans  délai  démolie  et 
rasée.  Le  duc  fit  jeter  un  pont  par-dessus  la  rivière  de  TOise  pour  passer, 
lui  et  ses  gens,  vers  Compiègne,  du  côté  de  Montdidier. 


LA  CHRONIQUE  DE  MONSTRELET.  429 

Durant  ce  temps  le  seigneur  de  Saveuse  et  Jean  de  Brinieu  avaient  été 
commis  avec  tous  leurs  gens  pour  garder  les  faubourgs  de  Noyon  ;  ils 
étaient  appuyés  par  le  seigneur  de  Montgommerry  et  d'autres  capitaines 
anglais  campés  au  Pont-l'Évèque,  pour  que  les  habitants  de  Compiègne 
n'empêchassent  pas  les  vivres  que  Ton  amenait  à  Tarmée  du  duc.  Or  il 
advint  que  certain  jour  ceux  de  Compiègne,  à  savoir  Jeanne  la  Pucelle, 
Messire  Jacques  de  Chabannes,  Messire  Théaulde  de  Valpergue,  Messire 
Rigault  de  Fontaines,  Poton  de  Xaintrailles  et  d'autres  capitaines  fran- 
çais, à  la  tête  d'environ  deux  mille  combattants,  vinrent  entre  le  point 
du  jour  et  le  lever  du  soleil,  au  Pont-l'Évêque,  où  les  Anglais  étaient 
logés.  Ils  les  attaquèrent  avec  grand  courage,  et  il  y  eut  une  très  rude  et 
âpre  escarmouche,  durant  laquelle  accoururent  au  secours  des  Anglais 
les  seigneurs  de  Saveuse  et  Jean  de  Brimeu  avec  leurs  gens.  Ce  secours 
donna  aux  Anglais  grand  courage.  Tous  ensemble  ils  repoussèrent  leurs 
ennemis  qui  déjà  étaient  entrés  bien  avant  dans  les  postes  anglais.  De 
ces  derniers,  trente  environ  furent  morts  ou  blessés  ;  autant  du  côté  des 
Français  qui,  après  ce  coup,  se  retirèrent  h  Compiègne  d'où  ils  étaient 
venus.  A  partir  de  ce  jour,  les  Anglais  fortifièrent  avec  grande  diligence 
les  alentours  de  leurs  logis. 

Le  duc  de  Bourgogne,  quand  il  eut  terminé  l'entière  démolition  de  la 
forteresse  de  Choisy,  dont  il  a  été  parlé,  alla  se  loger  dans  la  forteresse  de 
Coudun,  à  une  lieue  de  Compiègne  ;  Messire  Jean  de  Luxembourg  se 
logea  à  Clairoy,  Messire  Baudot  de  Noyelle  avec  un  certain  nombre  de 
gens  reçut  ordre  de  s'établir  à  Margny,  sur  la  chaussée  ;  le  seigneur  de 
Montgommerry,  Anglais,  et  ses  gens  campèrent  à  Venette,  le  long  de  la 
prairie.  Des  gens  venaient  au  duc  de  plusieurs  parties  de  ses  pays  ;  il  avait 
Vintention  d'assiéger  la  ville  de  Compiègne  et  de  la  réduire  à  l'obéissance 


du  roi  Henri  d^Angleterre. 


II 


Chapitre  lxxxiv.  —  Comment  Jeanne  la  Pucelle  rua  Jus  Franquet 
iAnas  et  lui  fit  trancher  la  tête. 

A  l'entrée  du  mois  de  mai  *,  fut  défait  et  pris  un  vaillant  homme 
d'armes  nommé  Franquet  d'Arras,  du  parti  du  duc  de  Bourgogne,  qui 
avec  environ  trois  cents  hommes  d'armes  avait  été  courir  sur  les  marches 
de  ses  ennemis,  vers  Lagny -sur-Marne.  A  son  retour  il  fut  rencontré  par 
Jeanne  la  Pucelle  qui  avait  avec  elle  quatre  cents  Français.  Elle  assaillit 
très  courageusement  et  très  vigoureusement  Franquet  et  ses  gens  à  plu- 

1.  Par  suite,  avant  la  reddition  de  Choisy  et  la  tentative  sur  Ponl-rEvôque. 


430  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

sieurs  reprises  ;  car  les  archers  de  Franquet  s'étant  mis  à  pied  en  très 
bonne  ordonnance  se  défendirent  si  vaillamment  dans  une  première  et 
dans  une  seconde  attaque  que  la  Pucelle  et  ses  gens  n'eurent  aucun 
avantage  sur  eux  ;  mais  elleiinit  par  mander  toutes  les  garnisons  de  Lagny 
et  des  autres  forteresses  de  Tobéissance  du  roi  Charles.  Les  combattants 
accoururent  en  grand  nombre  avec  coulevrines,  arbalètes,  et  autres  pièces 
de  guerre.  Les  tenants  du  duc  de  Boui^ogne,  après  avoir  fait  éprouver 
h  leurs  ennemis  de  grandes  perles  en  hommes  et  en  chevaux,  finirent 
par  être  entièrement  vaincus  et  déconfits;  la  plus  grande  partie  fut  passée 
au  fil  de  Tépée.  La  Pucelle  fit  même  trancher  la  tête  à  Franquet,  qui  fut 
grandement  plaint  de  son  parti,  parce  que  en  armes  il  était  homme  de 
vaillante  conduite. 

III 

Chapitre  lxxxvi.  —  Comment  Jehanne  la  Pucelle  fut  prinse  des 
Bourguignons  devant  Compiègne. 

Tandis  que  le  duc  de  Bourgogne  était  logé  à  Goudun,  comme  il  a  été 
dit,  et  ses  gens  d*armes  dans  les  autres  villages  autour  de  Goudun  et  de 
Gompiègne,  il  advint  la  veille  au  soir  de  TAscension  *,  à  cinq  heures 
après  midi,  que  Jeanne  la  Pucelle,  Poton  et  d'autres  capitaines,  appuyés 
de  cinq  à  six  cents  combattants,  bien  armés,  les  uns  à  pied,  les  autres  à 
cheval,  saillirent  de  Gompiègne  par  la  porte  du  pont,  du  côté  de  Montdi- 
dier.  Ils  avaient  Tinlention  de  combattre  Mcssire  Baudot  de  Noyelle  et  de 
s'emparer  de  son  logis,  qui,  comme  il  a  été  dit  ailleurs,  était  à  Margny, 
au  bout  de  la  chaussée.  A  cette  heure  môme,  Messire  Jean  de  Luxem- 
bourg était  venu  de  son  logis  vers  celui  de  Messire  Baudot,  avec  le  sei- 
gneur de  Créquy,  huit  ou  dix  gentilshommes  arrivés  tous  à  cheval, 
n'ayant  qu'une  assez  petite  suite,  lis  regardaient  de  quelle  manière  on 
pourrait  assiéger  Gompiègne,  quand  les  Français  commencèrent  à 
approcher  très  fort  de  Margny  où  ils  étaient,  pour  la  plupart  tous 
désarmés. 

Gependant  ils  se  réunirent  en  assez  peu  de  temps,  et  une  très  grande 
mêlée  comnieni^a,  durant  laquelle  on  cria  à  Tarme  de  plusieurs  côtés,  tant 
du  côté  des  Bourguignons  que  du  côté  des  Anglais.  Les  Anglais  se  mirent 
en  ordre  de  bataille  contre  les  Français  sur  la  prairie,  en  dehors  de 
Venette  où  ils  étaient  établis.  Ils  étaient  environ  cinq  cents  combattants. 
D'un  autre  côté,  les  gens  de  messire  Jean  de  Luxembourg,  logés  à  Glairoy, 

I.  La  mût  de  r Ascension.  Lon  comptait  la  journée  à  partir  des  premières  vêpres 
d'une  fêle,  ou  à  partir  de  la  soirée.  En  1430,  l'Ascension  tombait  le  25  mai.  La  vigile 
élait  censée  commencée  le  23  au  soir. 


LA  CHRONIQUE  DE  MONSTRELET.  431 

sachant  cette  surprise,  vinrent,  plusieurs  hâtivement,  secourir  leur 
seigneur  et  capitaine,  qui  soutenait  l*attaquc,  et  autour  duquel  la  plupart 
des  autres  se  ralliaient;  le  seigneur  de  Créquy  fut  très  durement  blessé  au 
visage  durant  le  combat. 

Le  combat  avait  duré  assez  longtemps,  lorsque  les  Français,  voyant 
leurs  ennemis  se  multiplier  en  grand  nombre,  se  retirèrent  vers  la  ville, 
la  Pucelle  toujours  avec  eux,  sur  les  derrières,  faisant  grande  manière  de 
soutenir  ses  gens  et  de  les  ramener  sans  perte.  Mais  ceux  de  la  partie  de 
Bourgogne,  considérant  que  de  toutes  parts  leur  arrivaient  prompts 
secours,  les  approchèrent  vigoureusement,  et  se  jetèrent  sur  eux  de  plein 
élan.  A  la  fin,  la  Pucelle,  ainsi  que  j'en  fus  informé,  fut  tirée  en  bas  de  son 
cheval  par  un  archer  auprès  duquel  était  le  bâtard  de  Wendonne,  auquel 
elle  se  rendit  et  donna  sa  foi.  Celui-ci  Temmena  à  Margny,  où  elle  fut  mise 
sous  bonne  garde.  Avec  elle  furent  pris  Poton  le  Bourguignon  et 
quelques  autres,  mais  pas  en  grand  nombre. 

Les  Français  rentrèrent  à  Compiègne,  chagrins  et  attristés  de  leur 
perte;  ils  eurent  spécialement  ungrand  déplaisir  de  la  prise  de  la  Pucelle, 
Au  contraire,  ceux  du  parti  bourguignon  et  les  Anglais  en  furent  très 
joyeux,  plus  que  d'avoir  pris  cinq  cents  combattants  ;  car  ils  ne  craignaient 
et  ne  redoutaient  aucun  capitaine,  aucun  chef  de  guerre,  autant  que 
jusqu'à  ce  jour  ils  avaient  redouté  cette  Pucelle. 

Bientôt  après,  le  duc  de  Bourgogne  vint  avec  ses  gens  de  guerre  de  son 
logis  de  Coudun  en  la  prairie  devant  Compiègne.  Là  se  rassemblèrent  les 
Anglais,  le  duc,  et  ceux  des  autres  postes  en  très  grand  nombre,  poussant 
ensemble  de  grands  cris  et  se  laissant  aller  à  de  grandes  réjouissances 
pour  la  prise  de  la  Pucelle.  Le  duc  alla  la  voir  au  lieu  où  elle  était,  lui 
adressa  quelques  paroles  dont  je  n'ai  pas  souvenance,  quoique  je  fusse 
présent.  Le  duc  et  tous  les  autres  se  retirèrent  ensuite,  chacun  en  leur 
logis,  pour  la  nuit. 

La  Pucelle  demeura  en  la  garde  et  sous  le  gouvernement  de  Messire 
Jean  de  Luxemboui^,  qui  dans  les  jours  suivants  l'envoya  sous  bonne 
escorte  au  château  de  Beaulieu,  et  de  là  àBeaurevoir,  où  elle  fut  long- 
temps prisonnière,  ainsi  que  cela  sera  plus  pleinement  démontré  dans  la 

suite. 

[Monstrelet  ne  tient  pas  sa  parole.  Du  séjour  àBeaurevoir,  de  la  vente 
de  la  prisonnière  aux  Anglais,  du  procès,  il  ne  dit  rien  ;  il  se  contente  d'in- 
sérer le  récit  menteur  adressé  par  le  gouvernement  anglais  à  tous  les  rois 
et  princes  de  la  chrétienté.  Ce  récit  fait  partie  des  actes  posthumes 
ajoutés  par  Cauchon  au  procès  de  condamnation.  Il  n'y  a  de  dilTérence 
que  dans  le  début  accommodé  au  destinaire,  et  dans  une  phrase  au 
milieu  du  faux  exposé,  pour  attribuer  au  duc  de  Bourgogne  l'honneur 


432  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

d'avoir  fait  la  Pucelle  prisonnière  ;  ce  que  Ton  se  garde  de  dire  dans  Tori- 
ginal.  Monstrelet  a  probablement  pensé  mettre  par  là  à  couvert  sa 
véracité  d'historien.  Il  n'aurait  pu  parler  de  ce  qu'il  a  omis  qu'en  faisant 
injure  à  vérité,  ou  en  flétrissant  ceux  pour  lesquels  il  écrit,  le  vendeur 
de  la  Pucelle,  son  grand  protecteur,  Jean  de  Luxembourg,  ou  le  duc  de 
Bourgogne  dont  il  convoitait  les  faveurs.  Il  a  cru  éviter  la  difficulté  en 
transcrivant  un  document  transmis  officiellement  au  duc  de  Bourgogne.] 


IV 

Chapitre  cv.  —  Comment  Jehanne  la  Pucelle  fui  condempnée  à  estre 
arse  et  77iise  à  mort  dedans  la  cité  de  Rouen. 

Suit  la  condamnation  prononcée  en  la  cité  de  Rouen  contre  Jeanne  la 
Pucelle,  ainsi  que  cela  peut  apparaître  par  les  lettres  envoyées  de  par  le 
roi  Henri  d'Angleterre  au  duc  de  Bourgogne.  En  voici  la  copie: 

«  Très  cher  et  très  aimé  oncle,  la  fervente  dilection  que  nous  vous 
connaissons  comme  vrai  prince  catholique  envers  notre  mère  la  sainte 
Eglise  et  pour  l'exaltation  de  notre  sainte  foi,  nous  avertit  et  nous  presse 
de  vous  exposer  et  de  vous  écrire  ce  qui,  à  Thonneur  de  notredite  mère  la 
sainte  Eglise,  pour  la  fortification  de  notre  foi  et  l'extirpation  d'erreurs 
pestilentielles,  a  été  fait  naguère  solennellement  en  cette  ville  de  Rouen. 
La  commune  renommée  a  partout  divulgué  comment  cette  femme  qui 
se  faisait  appeler  Jeanne  la  Pucelle^  erronée  devineresse,  s'était,  il  y  a 
deux  ans  et  plus,  en  violation  de  la  loi  divine  et  contre  l'état  de  son  sexe 
féminin,  révolue  d'habits  d'homme,  chose  abominable  devant  Dieu,  et 
en  cet  état  s'était  transportée  vers  notre  ennemi  capital  et  le  vôtre,  lui 
donnant  souvent  à  entendre,  à  lui,  à  ceux  de  son  parti,  gens  d'Eglise, 
nobles  et  peuple,  qu'elle  était  envoyée  de  par  Dieu,  se  vantant  pré- 
somptueusement  d'avoir  de  fréquentes  commuuications  personnelles  et 
visibles  avec  saint  Michel  et  une  grande  multitude  d'anges  et  de  saintes 
du  paradis,  telles  que  sainte  Catherine  et  sainte  Marguerite.  Par  ces  faux 
donnés  à  entendre,  par  l'espérance  de  victoires  futures  qu'elle  promet- 
tait, elle  détourna  plusieurs  cœurs  d'hommes  et  de  femmes  de  la  voie  de 
la  vérité,  et  les  convertit  à  des  fables  et  à  des  mensonges. 

«  Elle  se  revêtit  encore  d'armes  réservées  aux  chevaliers  et  aux 
écuyers,  leva  bannière,  et,  par  un  excès  d'outrage,  d'orgueil  et  de  pré- 
somption, demanda  à  avoir  et  à  porter  les  très  nobles  et  excellentes  armes 
de  France  ;  ce  qu'elle  obtint  en  partie,  et  elle  les  porta  en  plusieurs  com- 
bats et  assauts,  et  ses  frères  aussi,  ainsi  que  l'on  dit  ;  c'est  à  savoir  un 


LA  CHRONIQUE  DE  MONSTRELET.  433 

écu  à  champ  d'azur  avec  deux  fleurs  de  lis  d'or,  et  une  épée  la  pointe  en 
haut,  férue  en  une  couronne. 

(c  En  cet  état,  elle  s'est  mise  aux  champs,  a  conduit  gens  d'armes  et 
gens  de  trait  en  expéditions  et  par  grandes  compagnies,  pour  commettre 
et  faire  d'inhumaines  cruautés,  répandre  le  sang  humain,  provoquant 
séditions  et  commotions  dans  le  peuple,  Tinduisant  au  parjure  et  à  de 
pernicieuses  rébellions,  aux  superstitions,  à  fausse  créance,  perturbant 
toute  vraie  paix,  rallumant  de  mortelles  guerres,  se  laissant  adorer  et 
révérer  de  plusieurs  comme  femme  sanctifiée,  faisant  d'autres  œuvres 
damnables  en  divers  cas  trop  longs  à  rapporter,  toutefois  bien  connus 
en  plusieurs  lieux,  excès  dont  presque  toute  la  chrétienté  a  été  fort 
scandalisée. 

«  La  divine  puissance  a  eu  pitié  de  son  peuple  fidMe  ;  elle  ne  Tapas  laissé 
longtemps  en  péril,  elle  n'a  pas  souffert  qu'il  demeurât  dans  les  vaines, 
dangereuses  erreurs  et  crédulités  où  il  se  jetait  si  malheureusement  ;  sa 
grande  miséricorde  et  clémence  a  voulu  permettre  que  ladite  femme  ait 
été  prise  en  votre  armée  dans  le  siège  que  vous  teniez  alors  devant 
Compiègne,  et  que  par  votre  bon  moyen  *,  elle  ait  été  mise  en  notre 
obéissance  et  domination. 

«  L'évêque  dans  le  diocèse  duquel  elle  avait  été  prise  nous  ayant  requis 
de  la  lui  faire  délivrer,  vu  qu'il  était  son  juge  ordinaire  ecclésiastique,  et 
qu'elle  était  notée  et  difl'amée  pour  crimes  de  lèse-majesté  divine,  nous, 
tant  pour  la  révérence  de  notre  sainte  mère  Eglise  dont,  comme  il  est  de 
raison,  nous  voulons  préférer  les  saintes  ordonnances  à  nos  propres  faits 
et  volontés,  que  pour  l'honneur  et  l'exaltation   de  notre  sainte  foi,  lui 
flmes  bailler  ladite  Jeanne  pour  que  son  procès  lui  fût  fait,  sans  vouloir 
que  les  gens  et  les  officiers  de  notre  justice  séculière  en  tirassent  aucune 
vengeance  ou  châtiment,  quoique  nous  eussions  pu  raisonnablement  et 
licitement  le  faire,  attendu  les  grands  dommages  et  désastres,  les  hor- 
ribles homicides  et  détestables  cruautés,  et  les  autres  maux  innombrables 
qu'elle  avait  commis  à  l'encontre  de  notre  seigneurie,  et  du  peuple  loyal 
qui  nous  est  resté  obéissant. 

«  Cet  évèque,  après  s'être  adjoint  le  vicaire  de  l'inquisiteur  des  erreurs 
6l  hérésies,  après  avoir  appelé  un  grand  et  notable  nombre  de  solennels 
maîtres  et  docteurs  en  théologie  et  en  droit  canon,  commença  le  procès 
^grande  solennité  et  avec  la  gravité  réclamée  par  semblable  aflaire.  Lui, 
et  ledit  inquisiteur,  juges  en  cette  partie,  ayant  par  plusieurs^  et  diverses 
journées  interrogé  ladite  Jeanne,  firent  mûrement  examiner  ses  aveux  et 
ses  assertions  par  lesdits  maîtres  et  docteurs,  et  généralement  par  toutes 

t.  Dans  la  lettre  aux  autres  princes  chrétiens,  Ton  ne  trouve  pas  ce  membre  de 
phrase. 

III.  28 


434  LÀ  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

les  facultés  de  notre  très  chère  et  très  aimée  fille,  TUnivcrsité  de  Paris, 
à  laquelle  lesdits  aveux  et  lesdites  assertions  furent  envoyés.  Après  dé- 
libération et  discussion,  lesdits  juges  trouvèrent  cette  Jeanne  supersti- 
tieuse, devineresse,  idolâtre,  invoqueresse  des  diables,  blaspbémeresse 
envers  Dieu,  ses  saints  et  ses  saintes,  schismatique,  et,  par  bien  des  fois, 
errante  en  la  foi  de  Jésus-Christ. 

«  Pour  la  réduire  et  ramener  à  l'unité  et  à  la  communion  de  notre  mère 
sainte  Église,  pour  la  purifier  de  si  horribles,  détestables  et  pernicieux 
crimes  et  péchés,  guérir  son  âme  et  la  préserver  de  perpétuelle  peine  et 
damnation,  elle  fut  souvent,  pendant  bien  longtemps,  très  doucement  et 
très  charitablement  admonestée  de  rejeter  et  de  détester  toutes  ces 
erreurs,  et  de  vouloir  retourner  ainsi  humblement  dans  la  bonne  voie  et 
droit  sentier.  Mais  le  très  périlleux  et  divisé  {sic)  esprit  d'oi^ueil  et 
d*outrageuse  présomption,  qui  s'efforce  toujours  d'empêcher  et  perturber 
l'union  et  la  paix  des  loyaux  chrétiens,  occupa  tellement  et  tint  si  bien  en 
ses  liens  la  volonté  d'icelle  Jeanne  que,  malgré  toutes  les  saines  doctrines 
ou  conseils,  malgré  toutes  les  douces  exhortations  qu'on  lui  administra, 
son  cœur  endurci  et  obstiné  ne  se  voulut  humilier  ni  amollir  ;  au  con- 
traire elle  se  vantait  souvent  que  toutes  les  choses  qu'elle  avait  faites 
étaient  bien  faites,  qu'elle  les  avait  faites  du  commandement  de  Dieu  et 
des  saintes  Vierges  qui  lui  avaient  visiblement  apparu  ;  et,  ce  qui  pis  est, 
elle  ne  reconnaissait  et  ne  voulait  reconnaître  [d autre  jugé]  en  terre  que 
Dieu  et  les  saints  du  paradis,  refusant,  récusant  le  jugement  de  Notre 
Saint-Père  le  Pape,  du  Concile  général  et  de  toute  l'Église  militante. 

«  Les  juges  ecclésiastiques,  voyant  sa  volonté  si  profondément  et  si  long- 
temps endurcie  et  obstinée  la  firent  amener  devant  le  cierge  et  le  peuple 
assemblé  en  très  grande  multitude.  Là,  solennellement  et  publiquement, 
pour  l'exaltation  de  notre  foi  chrétienne,  Textirpation  des  erreurs,  l'édi- 
fication et  l'amendement  du  peuple  chrétien,  furent,  par  un  notable 
maître  en  théologie,  prêches,  exposés  et  déclarés  ses  cas,  crimes  et 
erreurs  ;  et  derechef  elle  fut  charitablement  admonestée  de  retourner  à 
l'union  de  la  sainte  Eglise,  et  de  corriger  ses  fautes  et  errements  ;  en 
quoi  elle  demeura  encore  pertinuce  et  obstinée.  Ce  que  considérant,  les 
juges  procédèrent  à  prononcer  contre  elle  la  sentence  introduite  et 
ordonnée  par  le  droit  en  pareil  cas.  Mais  avant  que  la  sentence  fût  lue 
dans  son  entier,  elle  commença  le  semblant  de  muer  son  courage,  disant 
qu'elle  voulait  retourner  à  sainte  Église  ;  ce  que  les  juges  et  le  clergé 
ouïrent  volontiers  et  avec  joie  ;  ils  la  reçurent  bénignement  [à  pénitence\ 
espérant  que  par  ce  moyen  son  âme  et  son  corps  seraient  rachetés  de 
perdition  et  de  tourments.  Elle  se  soumit  donc  à  rordonnance  de  sainte 
Église,  révoqua  de  sa  bouche  et  abjura   publiquement  ses  erreurs    et 


LA  CHRONIQUE  DE  MONSTRELET.  435 

détestables  crimes,  signant  de  sa  propre  main  la  cédule  de  cette  révoca- 
tion et  abjuration.  Par  suite,  notre  compatissante  mère  sainte  Église,  se 
réjouissant  de  voir  la  pécheresse  revenir  à  pénitence,  voulant  ramener 
avec  les  autres  la  brebis  qui,  après  s'être  égarée  et  fourvoyée  dans  le 
désert,  était  trouvée  et  recouvrée,  mère  sainte  l%lise  condamna  icelle 
Jeanne  à  la  prison  pour  y  faire  une  salutaire  pénitence.  Mais  elle  n'y  fut 
guère,  sans  que  le  feu  de  Torgueil  qui  semblait  s'être  éteint  ne  se  réem- 
brasât par  les  souffles  de  Tennemi,  et  n'éclatât  en  flammes  pestilentielles; 
la  malheureuse  femme  rechuta  dans  les  erreurs  et  faux  emportements, 
qu'elle  avait  proférés  par  avant  et,  comme  il  vient  d*ètre  dit,  révoqués 
et  abjurés. 

«  Pour  ces  faits,  conformément  à  ce  qu'ordonnent  les  jugements  et  ins- 
titutions de  sainte  Église,  afin  que  dorénavant  elle  ne  contaminât  pas  les 
autres  membres  de  Jésus-Christ,  elle  fut  de  nouveau  prèchée  publique- 
ment ;  et  comme  retombée  es  crimes  et  fautes  par  elle  accoutumés,  elle 
fat  délaissée  à  la  justice  séculière  qui  incontinent  la  condamna  à  être 

brûlée. 

«  Voyant  sa  fin  approcher,  elle  connut  pleinement  et  confessa  que  les 
esprits  qu'elle  disait  lui  avoir  souvent  apparu  étaient  mauvais  et  menson- 
gers, que  fausses  étaient  les  promesses  qu'ils  lui  avaient  faites  plusieurs 
fois  de  la  délivrer  ;  et  elle  confessa  ainsi  qu'elle  avait  été  par  eux  moquée 

et  déçue. 

«  Elle  fut,  par  la  justice  séculière,  menée,  tout  enchaînée,  au  Vieux- 
Marché  dedans  Rouen,  et  là  elle  fut  publiquement  brûlée,  à  la  vue  de  tout 
le  peuple.  » 

Le  roi  d'Angleterre  signifia  par  lettres  ce  qui  s'était  passé  au  duc  de 
Bourgogne,  afin  que  cette  exécution  de  justice,  fût,  par  le  duc  et  par  les 
autres  princes,  publiée  en  divers  lieux,  et  que  leurs  gens  et  leurs  sujets 
fassent  dorénavant  plus  affermis  et  mieux  avertis  de  ne  pas  donner 
créance  à  telles  ou  semblables  erreurs  que  celles  qui  avaient  régné  à 
l'occasion  de  la  Pucelle. 
[Cest  ainsi  que  le  chroniqueur  termine  son  récit  sur  la  Vénérable.] 

*•  Texte  :  enrageries. 


LA  CHRONIQUE  DITE  DES  CORDELIERS 

A  défaut  du  nom  de  l'auteur  jusqu'ici  inconnu,  Ton  désigne  sous  ce 
nom  un  Abrégé  d'histoire  universelle^  de  la  création  du  monde  à  Tan  1433, 
dont  le  manuscrit  se  trouve  à  la  Bibliothèque  nationale,  inscrit  dans  le 
fonds  français,  sous  le  numéro  23  0i8.  Ces  sortes  de  productions,  nom- 
breuses au  XV'  siècle,  n'ont  de  valeur  que  pour  les  temps  contemporains 
ou  quasi  contemporains  de  l'écrivain.  C'est  alors  un  récit  datant  de 
l'époque  des  événements  racontés.  Telle  est,  pour  la  fin  du  xiv*  siècle  et 
le  commencement  du  xv%  la  Chronique,  dite  des  Cordeliers,  parce  qu'elle 
provient  du  couvent  de  ces  religieux,  à  Paris. 

M.  Douet  d'Arc,  le  premier,  a  inséré,  à  la  suite  de  son  édition  de  Mons- 
trelet,  un  fragment  de  la  Chronique  des  Cordeliers  de  1400  à  1422.  U 
n'atteint  donc  pas  l'histoire  de  la  Pucelle.  Vallet  de  Viriville  et  Siméon 
Luce  en  ont  cité  plusieurs  passages  ayant  trait  à  la  Libératrice.  Qui- 
cherat  ne  semble  l'avoir  connue  qu'à  la  fin  de  sa  vie.  Il  en  parle  ainsi 
dans  un  de  ses  derniers  écrits  :  «  L'auteur,  dit-il,  à  en  juger  par  son 
langage  était  Picard.  Il  était  Bourguignon  déclaré.  Ses  informations,  sans 
être  des  plus  sûres,  lui  ont  appris  des  choses  que  les  autres  chroniqueurs 
ont  ignorées.  Il  fut  en  situation  de  se  procurer  des  pièces  officielles,  de 
celles  du  moins  que  le  gouvernement  anglo-bourguignon  faisait  cir- 
culer. Il  donne  in  extenso  le  texte  de  l'armistice  conclu  entre  Charles  Vil 
et  le  duc  de  Bourgogne,  et  ce  texte  est  à  lui  seul  d'une  importance 
capitale.  » 

Cette  appréciation  nous  paraît  fort  juste.  Les  chroniqueurs  donnent  à 
entendre  à  l'envi,  quand  ils  ne  le  disent  pas  expressément,  qu'il  se  passa 
quelque  chose  de  louche  dans  l'assaut  contre  Paris.  La  clef  de  l'énigme 
nous  est  fournie  par  la  Chronique  des  Cordeliers.  Il  a  fallu  traîner 
Charles  VII  de  Compiègne  et  de  Senlis  à  Saint-Denis.  L'explication  est 
dans  la  pièce  couchée  tout  au  long  dans  la  Chronique  des  Cordeliers. 
Le  28  août,  il  avait  signé,  à  Compiègne,  une  trêve  avec  le  duc  de  Bour- 
gogne, trêve  exécutoire  dès  le  jour  môme,  en  vertu  de  laquelle  il  y  avait 
suspension  d'hostilité  jusqu'à  Noël.  Les  Anglais  étaient  libres  d'y 
adhérer  ;  le  duc  était  autorisé  à  défendre  Paris,  c'est-à-dire  à  repousser 
les  troupes  de  Charles  VII  et  la  Pucelle  elle-même. 


LA  CHRONIQUE  DITE   DES  GORDELIERS.  437 

«  NoTREDiT  COUSIN  DE  BOURGOGNE,  lira-t-on  dans  le  texte j  pourra ,  durant 
ladite  trêve,  s'employer  lui  et  ses  gens  à  la  défense  de  la  ville  de  Paris  et 
résister  à  ceux  qui  voudraient  faire  la  gueire  ou  porter  dommage  à  cette 
ville,  » 

Ceux  qui  voulaient  faire  la  guerre  à  Paris,  c'était  avant  tous  la  Pucelle 
qui,  depuis  son  apparition,  ne  cessait  de  répéter  qu'elle  y  introduirait  le 
roi. 

Et  c*est  lorsque  tout  lui  a  réussi,  alors  que  les  villes  s'ouvrent  d'elles- 
mêmes,  lorsqu'elle  va  frapper  ce  coup  décisif,  que  l'on  conclut  secrète- 
ment des  trêves  avec  ses  ennemis,  qu'on  autorise  ces  mêmes  ennemis  à 
la  combattre  et  à  combattre  ceux  qui  la  suivent  !  C'était  toute  aberration. 
On  est  autorisé  à  tout  supposer  de  la  part  des  conseillers  qui  avaient 
amené  le  faible  monarque  à  apposer  sa  signature  au  bas  d'un  acte 
semblable. 

Le  Bourguignon,  paraît-il,  avait  promis  de  donner  Paris  au  roi.  Devait- 
on  croire  à  sa  parole  plus  qu'à  celle  de  l'Envoyée  du  Ciel  qui  disait  alors 
sans  doute  ce  qu'elle  répétait  plus  tard,  qu'avec  le  Boui^uignon  on  n'au- 
rait la  paix  qu'au  bout  de  la.  lance  ?  Il  en  profita  pour  introduire  dans 
Paris  risle-Adam  et  une  élite  de  ses  gens  de  guerre,  pour  y  venir  lui- 
même  avec  le  faste  décrit  par  Monstrelet,  pour  y  conclure  l'étrange  traité 
par  lequel  il  devenait  gouverneur  de  Paris,  jusqu'à  l'arrivée  du  jeune 
roi  d'Angleterre  en  France.  Position  étrange  au  suprême  degré.  Comme 
duc  de  Boui^ogne  il  ne  pouvait  pas  combattre  Charles  VII,  mais  il  le 
pouvait  comme  gouverneur  de  Paris  au  nom  des  Anglais,  qui  n'adhérè- 
rent pas  à  la  trêve.  Monstrelet  nous  a  dit  que  ses  gens  se  prévalurent  de 
pareil  titre,  et  qu'ils  continuèrent  la  guerre,  non  comme  au  service  du 
duc  de  Bourgogne,  mais  comme  au  service  des  Anglais.  Quant  au  duc 
lui-même,  il  profita  des  trêves  qui  furent  prolongées  jusqu'à   Pâques 
pour  célébrer  son  mariage  avec  la  fille  du  roi  de  Portugal  et  se  préparer, 
ainsi  qu'il  a  été  dit,  à  reprendre  ostensiblement  la  guerre  à  l'expiration  des 
trêves,  ce  qu'il  fit. 

Il  fallait  ce  nouveau  trait  de  ressemblance  de  la  Libératrice  avec  son 
Seigneur,  avec  celui  dont  la  vertu  la  remplissait.  Le  voilà.  D'elle  aussi  on 
peut  dire  :  «  Elle  est  venue  parmi  les  siens,  et  les  siens  ne  l'ont  pas  7'eçue)). 
L'histoire  n'a  rien  à  dissimuler.  Elle  a  le  regret  de  dire  que  l'àme  de 
<îette louche  diplomatie  fut  l'archevêque-chancelier,  Regnault  de  Chartres. 
Le  prolongement  de  la  trêve  fut  vraisemblablement  son  œuvre.  Le  Gallia 
^l^liana  nous  dit  qu'en  octobre  1429  il  était  à  Saint-Denis,  en  confé- 
wnces  si  secrètes  qu'elle  ne  sont  connues  que  de  Celui  qui  connaît  tout^ 

i.  Qallia  christ,  t.  IX,  col.  139. 


438  LA  VRAIE  JEANNE  D^ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

La  Chronique  des  Cordeliers,  très  brève  sur  la  première  partie  de  la  vie 
guerrière  de  la  Pucelle,  a  de  fort  précieux  détails  sur  ce  qui  suivit 
l'assaut  contre  Paris.  Elle  confond  les  temps,  en  rapportant  la  rencontre 
de  Montépilloy  et  la  soumission  des  villes  du  Valois  et  du  Beauvaisis 
après  la  tentative  contre  Paris. 

Le  chroniqueur  constate  à  plusieurs  reprises  que  tout  se  faisait  par  la 
Pucelle  et  n'a  pas  un  mot  défavorable.  Ceux  qui  lui  reprochent  la  phrase 
par  laquelle,  parlant  de  la  tentative  d'évasion  de  Beaurevoir,  il  écrit  : 
«  Par  son  malice^  elle  (la  Pucelle)  quida  escapper  par  les  fenêtres^  mais 
ce  à  quoy  elle  s'avaloit  rompy  »,  attribuent  au  mot  malice  un  sens  qu'il  n'a 
pas  sous  la  plume  de  l'auteur.  Il  signifie  ici:  adresse^  habileté^  comme  il 
le  conserve  encore  dans  la  locution  :  ce  n'est  pas  malin.  Qui  donc  a  vu 
un  mal  moral  dans  l'acte  d'un  prisonnier  de  guerre  cherchant  à  s'évader? 
La  Chronique  nous  fournit  une  excellente  excuse  pour  une  faute  avouée 
par  la  prisonnière,  mais  dénuée  de  la  gravité  que  beaucoup  d'historiens 
lui  attribuent.  La  Pucelle  ne  s'est  pas  jetée  simplement  par  la  fenêtre  du 
donjon,  elle  a  cherché  à  se  laisser  glisser  par  un  appui  qui  s'est  rompu. 

Le  style  de  la  Chronique  est  embarrassé.  On  pourra  en  juger  par  le 
texte  qu'on  trouvera  presque  entièrement  aux  Pièces  justificatives. 


CHAPITRE  VII 

DEPUIS  L'ARRIVÉE  A  CHINON  JUSQU'A  LA  PUBLICATION   DES  TRÊVES. 

Sommaire  :  I.  —  La  Pucelle,  son  innocence.  —  Sa  mission.  —  Conduite  à  Chinon.  — 
Reçue  par  le  Dauphin,  regardée  comme  folle  par  le  plus  grand  nombre.  —  Armée. 

—  Suit  la  guerre.  —  Son  étendard.  —  Constante  dans  l'affirmation  de  sa  mission. 

—  Orléans  délivré,  places  recouvrées.  —  Patay. 

11.  —  La  Pucelle  à  côté  du  Dauphin.  —  Sa  grande  renommée.  —  Aucune  ville  ne  peut 
résister  à  ses  sommations.  —  Troyes  se  rend,  quoique  très  attaché  au  duc  de  Bour- 
gogne. —  Le  duc  à  Paris  s'entend  avec  son  beau-frère,  et  amène  sa  sœur  avec  lui. 

—  Le  duc  de  Bar  au  siège  de  Metz  en  juillet.  —  Conquêtes  de  la  Pucelle.  —  Elle 
éclipse  la  renommée  des  capitaines,  leur  jalousie.  —  Résistance  de  Perrinet  Grasset. 

m.  —  Les  habitants  de  Reims  promettent  fidélité  au  duc  de  Bourgogne.  —  En  atten- 
dant, la  Pucelle  fait  de  nouvelles  conquêtes.  —  Reims  se  soumet.  —  Le  sacre.  — 
La  Pucelle  armée,  et  non  armée.  —  Son  costume.  —  Soumission  de  Laon.  —  La 
llire,  bailli  du  Vermandois.  —  Soumission  de  Soissons,  de  Senlis;  et  pas  de  Noyon. 

IV.  —  L'armée  devant  Paris.  —  Pertes  près  de  Saint-Laurent.  —  Assaut  à  la  descente 
de  Montmartre.  —  Merveilleux  courage  de  la  Pucelle.  — Elle  est  blessée.  —  Secours 
reçus  d'Angleterre  par  le  régent.  —  Conférences  pour  la  paix  près  de  La  Fère  ;  sans 
résultats.  —  Les  villes  qui  font  soumission  au  Dauphin,  et  celles  qui  ne  la  font  pas. 

—  Lettres  du  régent  au  Dauphin.  —  Charles  continue  ses  conquêtes.  —  Les  deux 
armées  en  présence  durant  l rois  jours.  —  Les  Anglais  refusent  de  sortir  de  leur 
parc.  —  Soumission  de  Beauvais  et  des  pays  environnants. 


440  LA  VRAIE  JEANNE   D*ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

Le  dix-huitième  jour  de  juin,  après  dîner,  les  gens  du  régent,  qui 
s'étaient  réunis  mis  en  campagne  contre  ceux  du  Dauphin,  furent  corn- 
plètements  défaits  près  d'Yenville  et  d'Étampes.  Le  r^ent  retourna  à 
Paris  avec  peu  de  ses  gens*  ;  le  seigneur  de  TIsle-Adam  fut  aussitôt  après 
envoyé  dans  cette  ville. 

II 

Le  Dauphin  viennois  ainsi  relevé,  la  Pucelle  se  tenant  toujours  auprès 
de  lui  armée  comme  un  capitaine  et  ayant  grand  nombre  de  gens  sous 
ses  ordres,  le  Dauphin  commença  à  conquérir  places  et  pays,  grâce  aux 
exploits  de  la  Pucelle  et  à  la  renommée  qui  commença  partout  à  se  ré- 
pandre de  la  jeune  fille.  Il  n'y  avait  pas  de  forteresse  qui,  sur  sa  simple 
parole  et  sommation,  ne  voulût  se  rendre,  pensant  et  espérant  à  cause  de 
ses  merveilles  que  c'était  chose  divine.  Elle  faisait  merveilles  d'armes 
avec  son  corps,  maniait  très  puissamment  le  bourdon  de  sa  lance,  et 
s'en  aidait  aisément,  ainsi  qu'on  le  voyait  journellement. 

Avec  cela  elle  admonestait  les  gens  au  nom  de  Jésus,  et  faisait  des  prè- 
chements  pour  inviter  le  peuple  à  se  rendre  à  lui  et  à  obéir  au  Dauphin. 
Elle  fit  tant  enfin  que  la  renommée  qu'elle  faisait  des  miracles  courut 
partout,  jusques  à  Rome.  L'on  disait  que  dès  qu'elle  venait  devant  une 
place,  les  gens  de  dedans,  quelque  volonté  qu'ils  eussent  avant  de  n'obéir 
ni  au  Dauphin  ni  à  elle,  étaient  tous  changés,  sans  courage,  privés  de 
toute  puissance  pour  se  défendre  contre  elle,  et  se  rendaient  tout  aussi- 
tôt, comme  firent  Sens  ^  et  d'autres  forteresses,  encore  que  le  roi 
n'entrât  pas  dans  quelques-unes,  mais  il  en  obtint  des  vivres  pour  son 
argent. 

Une  si  grande  renommée  suivit  la  Pucelle  jusques  à  Troyes -en-Cham- 
pagne, ville  qui  avait  toujours  tenu  le  parti  de  Bourgogne,  et  avait  pro- 
mis de  le  tenir  et  de  ne  pas  s'en  séparer.  Et  cependant  la  ville  se  rendit 
incontinent,  sans  coup  férir,  sur  Tadmonition  et  sommation  d'icelle 
Pucelle.  Ce  dont  toutesgens  furent  ébahis,  surtout  Mes  princes  et  seigneurs 
tenant  le  parti  de  Bourgogne,  qui  étaient  en  grande  perplexité. 

A  l'entrée  de  juillet,  le  duc  de  Bourgogne  accompagné  de  Messire  Jean 
de  Luxembourg  et  d'autres  seigneurs  de  Picardie  alla  à  Paris  pour  pren- 
dre des  mesures  et  s'assurer  des  forces  à  rencontre  des  entreprises  du 

4.  Le  chroniqueur  veut  sans  doute  parler  de  la  défaite  de  Palay.  Le  régent  n'y  était 
pas.  il  confond  le  prince  avec  Fastolf,  le  grand  maitre  de  son  hôtel. 

2.  C'est  inexact  pour  Sens. 

3.  C'est  une  des  acceptions  du  mot  «  niesmement  »,  la  seule  d'accord  avec  le  con- 
texte. (Lacurne.) 


LA  CHRONIQUE  DITE  DES  CORDELIERS.  441 

Dstuphin;  ils  s'en  retournèrent  ensuite  en  Picardie.  Le  duc  ramena  avec 
lui  sa  sœur,  femme  du  régent,  qui  resta  longtemps  avec  lui  à  cause  des 
grsLiids  périls  qui  semblaient  devoir  advenir  en  France. 

EIn  cette  saison  {en  juillet)^  le  duc  de  Bar  tenait  le  siège  devant  Metz- 
ea-Lorraine  :  il  y  fut  un  bon  espace  de  temps  avec  grandes  forces  ;  mais 
ils  finirent  de  part  et  d'autre  par  trouver  ouverture  à  un  traité  de  paix, 
et  le  siège  fut  levé  à  la  suite  de  l'accommodement. 

En  ce  temps,  après  la  reddition  de  Troyes,  le  Dauphin  conquit  beau- 
coup de  villes  et  de  forteresses  par  le  moyen  de  la  Pucelle,  qui  dès  lors 
attira  tout  le  renom  des  faits  des  capitaines  et  des  gens  de  sa  compagnie  ; 

CE  DONT  QUELQUES-UNS  DE  CES  DERNIERS   NE  FURENT    NULLEMENT    CONTENTS.   Elle 

mit  en  son  obéissance  tout  le  pays  au-dessus  de  la  Loire,  TAuxerrois  et 
.  la  Champagne,  à  l'exception  de  quelques  forteresses  tenues  par  Perrinet 
Grasset,  qui  ne  voulut  jamais  se  rendre  ni  obéir  audit  Dauphin,  mais  fit 
beaucoup  de  dommages  et  de  maux  avec  ses  gens. 


III 

En  ce  temps,  le  duc  de  Boui^ogne  envoya  ses  ambassadeurs  à  Reims 
pour  exhorter  les  habitants  à  garder  leur  serment  de  lui  rester  unis  jus- 
que la  paix  finale,  et  de  demeurer  en  l'obéissance  du  roi  Henri  et  de  lui- 
même;  et  ils  promirent  d^ainsi  le  faire. 

Le  Dauphin  viennois  et  son  armée  s'avancèrent  tellement  qu'ils  arri- 
vèrent près  de  Reims.  Cependant,  au  mois  de  juin,  le  régent  de  France 
avait  fait  une  grosse  armée  pour  aller  contre  ledit  Dauphin,  recueillant 
et  mettant  sur  pied  tous  ceux  qui  s'étaient  échappés  et  s'étaient  sauvés 
d'Orléans  et  d'Yenville;  mais,  pendant  qu'il  mettait  son  armée  sur  pied, 
le  Dauphin  et  la  Pucelle  faisaient  tous  les  jours  des  conquêtes,  et  étaient 
*nivés  à  Sept-Saulx  non  loin  de  Reims.  Le  Dauphin  envoya  sommer 
'w  habitants  de  cette  ville  de  lui  ouvrir  leurs  portes,  et  de  lui  rendre 
obéissance,  malgré  qu'ils  eussent  promis  aux  ambassadeurs  du  duc  de 
Bourgogne,  ainsi  qu'il  a  été  dit,  de  résister  à  ce  même  Dauphin. 

Quand  les  habitants  de  Reims  entendirent  la  sommation  qu'on  leur 
Wsaitdese  rendre,  ils  se  réunirent  en  conseil,  conclurent  aussitôt  d'ouvrir 
'®urs  portes  et  de  rendre  obéissance  au  Dauphin,  comme  à  leur  seigneur 
^turel,  et  ainsi  il  fut  fait. 

L'archevêque  de  Reims,  chancelier  du  Dauphin,  entra  à  Reims  le 
'^juillet,  et  il  y  fit  son  entrée  avec  une  très  grande  suite.  Il  fut  reçu  et 
''^licite  très  grandement. 

Eu  la   compagnie   du  Dauphin,  pour  faire  son  entrée  à  Reims,  le 


442  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

dimanche  xyii**  jour  du  mois  de  juillet*,  étaient  les  comtes  de  Richemont, 
d'Alençon,  les  seigneurs  de  La  Trémoille,  de  Bosquiaux,  de  Grandpré, 
de  Graville,  de  Gamaches,  Poton  de  Xaintrailles,  les  seigneurs  de  Gau- 
court  et  de  Dampierre,  Christophe  d'Harcourt,  Etienne  de  Vignoles 
dit  La  Ilire,  la  Pucelle  et  autres  capitaines  et  seigneurs  en  très  grand 
nombre.  Il  avait  en  sa  compagnie  une  forte  armée  de  gens  d'armes  et 
d'iiOMMES  DES  COMMUNES  quicroissait  tousles  jours.  Ledit  jour,  il  fut  sacré 
en  Téglise  de  Reims  par  rArchevèque.  Le  jeudi  suivant  il  fut  à  Saint- 
Marcoul  pour  la  guérison  des  malades. 

La  Pucelle  chevauchait  devant  le  roi,  armée  de  toutes  pièces,  l'éten- 
dard déployé.  Quand  elle  était  désarmée,  elle  portait  l'habit  et  avait  l'état 
d'un  chevalier,  des  souliers  avec  des  lacets  en  dehors  du  pied,  pourpoint 
et  chausses  justes,  un  petit  chapeau  sur  la  tête;  elle  portait  de  très 
nobles  habits  de  draps  d'or  et  de  soie,  bien  fourrés. 

Pendant  que  le  roi  Charles  était  à  Reims,  il  envoya  à  Laon,  qui  lui  fit 
pareillement  obéissance  et  ouvrit  ses  portes  aux  envoyés  ;  lui-même  n'y 
vint  pas  ;  mais  Je  xxii'  dudit  mois  de  juin  (juillet)^  La  Hire,  en  qualité  de 
nouveau  bailli  du  Veruiandois  nommé  par  le  roi,  s'assit  en  siège  royal. 
Henri  David  fut  fait  prévôt  et  capitaine  de  Laon,  où,  comme  il  vient 
d'être  dit,  le  roi  n'entra  point.  Il  laissa  Saint-Quentin  qui  resta  sans  lui 
faire  ni  lui  refuser  obéissance. 

Il  vint  à  Soissons,  de  là  à  Senlis  qui  se  rendirent  à  lui  ainsi  que 
l'avaient  fait  les  autres  villes  dont  il  a  été  fait  mention;  mais  Noyonne 
lui  fit  nulle  obéissance.  Le  roi  se  tint  quelque  temps  à  Senlis,  d'où  il 
envoya  son  armée  et  la  Pucelle  à  Saint-Denis  ;  il  y  vint  lui-même  après, 
et  ne  s'y  fit  pas  couronner. 


IV 

Il  envoya  son  armée  devant  Paris*  par  plusieurs  fois.  Dans  une  de  ces 
attaques,  près  de  Saint-Laurent,  le  duc  d'Alençon  et  la  Pucelle  furent 
repoussés  et  battus,  jusqu'à  avoir  de  six  à  sept  cents  morts  ^  ;  et  ils  se  reti- 
rèrent alors  à  Senlis  [Saint 'Denis),  Une  autre  fois  ils  livrèrent  l'assaut  du 
côté  qui  se  trouve  à  la  descente  de  Montmartre.  LaPucelle  y  fit  merveille 
par  ses  paroles,  par  ses  pressantes  invitations,  donnant  cœur  et  hardiesse 

1.  L'entrée  eut  lieu  le  10  au  soir,  et  Uichemont  n'y  était  pas. 

2.  L'ordre  des  faits  compris  dans  tout  le  paragraphe  iv  est  complètement  renversé. 
Le  chroniqueur  met  après  l'assaut  contre  Paris  une  suite  d'événements  accomplis 
avant  cette  tentative.  Peut-élre  n'a-t-il  pas  eu  le  temps  d'ordonner  ces  dernières  pages 
de  son  œuvre. 

3.  Aucune  autre  chronique  ne  parle  de  pareille  perte. 


LA  CHRONIQUE  DITE  DES  CORDEUERS.  U3 

à  ses  gens  d'aller  à  Tassaut  ;  elle  s* avança  elle-même  de  si  près  quelle 
fut  blessée  d'un  trait  à  la  cuisse.  Repoussée,  elle  et  son  armée.  Tassant  ne 
leur  valut  aucun  avantage.  La  ville  de  Paris  était  gardée  et  défendue  par 
le  seigneur  de  Saveuse,  messire  Hue  de  Lannoy.  les  bâtards  de  Saint-Pol 
et  de  Thyans  et  d'autres. 

Pendant  ce  temps,  le  régent  de  France  tenait  la  campagne  sur  la  rivière 
de  la  Seine  avec  son  armée.  Avec  lui  étaient  le  cardinal  de  Winchester 
et  le  seigneur  de  Villougby,  arrivés  depuis  peu  avec  six  mille  combattants. 
-^  Avant  que  le  roi  Charles  allât  devant  Paris,  il  y  avait  eu  un  conseil 
entre  Tarchevëque  de  Reims,  le  seigneur  de  La  Trémoille.  Poton  et 
La  Hire  d'une  part,  et  Messire  Jean  de  Luxembourg,  le  chancelier  de 
Boui^ogne,  les  seigneurs  de  Croy  et  Lourdin  de  Saligny  de  Tautre;  mais, 
en  conclusion,  on  n*en  vint  ni  à  une  trêve  ni  à  une  paix.  La  journée  fut 
tenue  près  de  La  Fère.    - 

Quand  les  gens  du  roi  virent  que  Paris  ne  viendrait  pas  à  obéissance, 
des  députés  furent  par  plusieurs  fois  envoyés  à  Compiègne.  La  ville  se  rendit 
par  traité  et  fit  obéissance  au  roi  Charles.  Guillaume  de  Fla\y  y  fut 
commis  pour  capitaine  avec  de  grandes  forces. 

Alors  se  rendirent  les  forteresses  de  Creil.  le  Pont-Sainte-Maxence, 
Château-Thierry,  Lagny  et  plusieurs  autres  ;  mais  Brcteuil,  Chartres  tin- 
rent bon,  ainsi  que  Pontoise,  Mantes,  Vemon.  le  Pont-à-Meulan,  Charen- 
ton,  le  bois  de  Vincennes  et  d'autres.  La  guerre  demeura  ainsi  par  tout 
le  royaume  de  France. 

En  ce  temps,  le  troisième  jour  du  mois  d*aoùt,  le  régent  partit  en 
armes  de  Paris,  et  envoya  une  lettre  au  roi  Charles  sur  le  fait  de  ses 
guerres  et  conquêtes.  Xe  chroniqueur  cite  ici  la  lettre  déjà  reproduite 
dans  la  Chronique  de  Monstrelet«  page  4:j2. 

Nonobstant  ces  lettres,  le  roi  Charles  ne  prit  et  ne  voulut  prendre 
aucune  journée,  ni  pour  combattre  ni  pour  conférer  ;  mais  il  conquérait 
toujours  de  nouveaux  pays.  Toutefois  les  deux  armées  française  et 
anglaise  furent  durant  trois  jours  bien  près  Tune  de  Tautre  en  rase  cam- 
pagne; mais  les  Anglais,  moins  en  force  que  les  Français,  se  renfermèrent 
dans  une  clôture  et  ne  voulurent  pas  sortir  de  leur  enceinte,  sinon 
pour  combattre  à  pied  ;  leurs  ennemis  étaient  trop  nombreux,  et  ils  les 
eussent  combattus  à  pied  et  à  cheval.  Pour  cela  la  chose  demeura  en  ce 
point,  excepté  que  quelques  gentilshommes  de  Picardie  de  la  garnlHon 
de  Paris  étant  à  cheval,  attaquèrent,  en  la  fête  de  Notre-lJame  de  la 
mi-août,  ceux  de  Tarmée  du  roi  qui  eux  aussi  élaieril  h  riliuval.  Il  y 
eut  alors  une  passe  de  fers  de  lance  sans  grande  perle  ni  d'un  côté  ni 
de  l'autre...  Sur  le  soir  de  ce  jour,  les  bataillons  h  pied  d(»  cliaciinn 
des  parties  se  retirèrent,  et  le  roi  Charles  retourna  h  (^n'|»y-iîn-VuloiM... 


444  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARG  :  LA  UBÉRATRICE. 

En  ce  temps,  la  cité  de  Beauvais  et  une  partie  du  pays  de  Beauvaisis 
se  mirent  en  Tobéissance  du  roi  Charles.  Et  ses  gens  allèrent  par  le  pays 
de  divers  côtés,  prendre,  non  de  force,  mais  par  traités,  villes  et  châteaux. 


CHAPITRE  VIII 

TRÊVES  FALLACIEUSES.  —  COMPIÈGNE.   —  PRISON  BT  SUPPLICE  DE  LA  PUCELLE. 

Sommaire  :  i.  —  A  la  suite  de  conférences,  des  trêves  sont  conclues  entre  Charles  VU 
el  le  duc  de  Bourgogne  à  la  date  du  28  août,  et  sont  immédiatement  exécutoires.  — 
La  teneur  de  ces  trêves  publiée  le  14  octobre.  —  Liberté  aux  Anglais  d'accéder,  et 
au  duc  de  Bourgogne  de  défendre  Paris.  —  Ampliation  de  ces  trêves  le  18  sep- 
tembre. —  Le  gouvernement  de  Paris  et  de  Tlle-de-France  confié  au  duc  de  Bour- 
gogne. —  [Combien  absurdes  ces  trêves.] 

II.  —  Les  Anglais  n'accèdent  pas.  —  Le  duc  de  Bourgogne  pourvoit  à  la  sécurité  de 
Paris  et  rentre  en  Flandre.  —  Continuation  des  pourparlers.  —  Le  duc  de  Bour- 
gogne ne  veut  pas  de  la  paix.  —  Il  convoite  Compiègne,  qui  lui  a  été  promis  et  que 
Flavy  refuse  de  livrer. 

m.  —  La  guerre  recommence  [ouvertement].  —  Entrée  en  campagne.  —  Anglais 
envoyés  à  Paris,  à  la  suite  d'un  complot  découvert.  —  Conquête  de  plusieurs  places 
parles  Bourguignons.  —  Le  roi  d'Angleterre  arrive  à  Calais;  vaisseaux.  —  Provi- 
sions et  hommes  d'armes  disséminés  là  où  le  besoin  est  plus  urgent.  —  Henri  VI 
à  Rouen  en  juillet  seulement.  —  Choisy  assiégé  et  emporté  par  le  duc  de  Bour- 
gogne. —  Vigoureuse  attaque  de  la  Pucelle  contre  les  Anglais,  qui  gardent  Pont- 
l'Évèque.  —  Elle  est  repoussée. 

IV.  —  Le  siège  mis  devant  Compiègne.  —  Vaillance  des  assiégés.  —  Merveilleux 
courage  de  la  Pucelle.  —  Elle  est  prise. 

V.  —  Grand  bruit  fait  par  cette  capture.  —  Joie  des  Bourguignons.  —  Deuil  des 
Français.  —  Jeanne  tente  de  s'échapper  de  Beaurevoir.  —  Ce  par  quoi  elle  se  glis- 
sait se  brise.  —  Ses  meurtrissures.  —  Elle  est  vendue  aux  Anglais.  —  Procès. 

VI.  —  Solennité  de  la  rétractation  (prétendue)  de  la  Pucelle;  elle  reprend  les  vête- 
ments virils.  —  Condamnée,  brûlée.  —  Pourquoi  ses  cendres  sont  jetées  à  la  Seine. 


I 

Cependant  plusieurs  négociations  et  conférences  commencèrent  entre 
les  gens  dudit  roi  et  Monseigneur  de  Bourgogne.  Environ  mi-aoùt,  Tar- 
chevôquc  de  Reims ,  chancelier  dudit  roi,  et  plusieurs  autres  ambassadeurs 
furent  envoyés  à  Arras  vers  le  duc  de  Bourgogne.  Finalement,  des  trêves 
furent  conclues  entre  ces  deux  princes  par  Tentremise  des  ambassadeurs 
que  le  duc  de  Savoie  avait  envoyés  vers  eux  afin  d'y  négocier  le  bien  de 
la  paix. 

Quelles  furent  les  conditions  de  ces  trêves  ou  abstinences  de  guerre,  on 
peut  le  savoir  en  toute  vérité  par  la  copie  des  lettres  qui  en  furent  faites. 


LA  CHRONIQUE  DITE  DES  CORDELIERS.  445 

Copie  des  trêves  du  roi  Charles  d'après  le  vidimus  du  prévôt 

de  Paris. 

«  A  tous  ceux  qui  ces  présentes  lettres  verront  et  ouïront,  Simon 
Morbier,  chevalier,  seigneur  de  Villers,  conseiller  du  roi  notre  Sire  et 
garde  de  la  prévôté  de  Paris,  salut.  Savoir  faisons  que  nous.  Tan  de 
grâce  mil  Ilir  et  XXIX  (1429),  le  vendredi  xiv*  (14)  jour  d'octobre, 
vimes  une  lettre  de  Gbarles,  soi-disant  roi  de  France,  scellées  de  son 
grand  sceau  en  cire  jaune,  sur  double  queue,  contenant  la  forme  qui 
s'en  suit  : 

€  Charles  par  la  grâce  de  Dieu,  roi  de  France,  à  tous  ceux  qui  les 
présentes  lettres  verront,  salut.  Pour  parvenir  à  mettre  la  paix  dans  notre 
royaume,  et  faire  cesser  les  grands  et  innombrables  maux  et  calamités 
qui,  à  la  suite  des  guerres  et  divisions  qui  y  régnent,  y  sont  advenus  et 
y  adviennent  chaque  jour,  certaines  négociations  ont  été  ménagées 
naguère  par  les  ambassadeurs  de  notre  très  cher  et  très  aimé  cousin 
le  duc  de  Savoie,  entre  nous  et  nos  gens  d'une  part,  et  notre  cousin  le 
duc  de  Bourgogne  et  ses  gens  de  l'autre. 

«  La  matière  de  cette  paix  touchant  à  des  points  très  graves  et  très 
importants,  ne  se  peut  discuter  et  être  conduite  à  bonne  fin  sans  deman- 
der du  délai  et  long  espace  de  temps.  C'est  pourquoi  il  a  semblé  auxdits 
ambassadeurs  qu'il  était  nécessaire  de  conclure  des  trêves  jusqu'à  un 
temps  convenable,  afin  durant  ces  trêves  de  traiter  plus  aisément  et 
plus  mûrement  de  ladite  paix.  Par  le  moyen  des  susdits  ambassadeurs, 
ces  trêves  ont  été  arrêtées  et  accordées  entre  nos  gens  et  en  notre  nom 
d'une  part,  et  les  gens  de  notre  cousin  de  Bourgogne  et  en  son  nom 
d  autre  part,  et  aussi  entre  les  Anglais,  leurs  gens,  leurs  ^rvileurn  et 
sujets,  s'ils  veulent  t  consentir,  dans  les  termes  et  les  limites  qui  suiv^mt, 
à  savoir  pour  tout  le  pays  qui  est  en  deçà  de  la  rivière  de  la  Heitut,  fU'.pmn 
Nogent-sur-Seine  jusqu'à  Harfleur,  sauf  et  réservées  les  villes,  [pIsu'j-a  et 
forteresses  donnant  passage  sur  cette  même  rivière  de  i^tm^^  r^riMrrv^ 
aussi  que,  si  bon  lui  semble,  notredit  cousin  de  Bourgogne  potfrr» 
durant  ladite  trêve  s'employer  lui  et  ses  ge5s  a  la  vtrzyn^t  ift  la  muâh,  uk 
Paris,  et  résister  a  ceux  qui  voudraient  faire  la  ovzmuz  ou  rf^nita  it4mnhht 

A  CKTTE  VILLE.  CeTTE  TRÊVE  COXlfENCERA  AUJOURD'HUI  2^  iht%  UAOIJ  y^ftif  t'M 

qui  concerne  notredit  cousin  de  Bourgogne:  et  pour  \h^  Afi^M%,  U 
jour  où  nous  aurons  reçu  leurs  lettres  et  coim^^iem^ut  ;  H  ^11^  âur^'.rfi 
jusqu'à  Noël  prochain. 

«  Savoir  faisons  que  nous,  ces  choses  cow^i4^r4^.  roniM$$i  jf^mr  1* 
pitié  que  nous  avons  de  notre  pamre  peuple,  ohrU^r  4^  Umt  ti^Àr^.  ^^0fnr 


446  Ik  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

et  intention  à  la  multiplication  desdits  maux  et  inconvénients,  avons 
donné,  consenti  et  accordé,  et  par  ces  présentes  donnons,  consentons  et 
accordons  bonne  et  sûre  abstinence  de  guerre  pour  nous,   nos  pays, 
vassaux,  sujets  et  serviteurs,  et  les  places  desdits  vassaux  et  serviteurs, 
étant  dans  les  termes  et  limites  ci-dessus  déclarés,  et  aussi  pour  les 
villes  et  pays  ci-dessus  déclarés,  à  savoir  la  ville  d'Amiens  et  le  plat  pays 
d^environ  du  bailliage  d'Amiens,  la  ville  d'Âbbeville  et  tout  le  pays  de 
Ponthieu,  les  villes  de  Noyon,  Saint-Quentin,  Chauny,  Montreuil,  Corbie, 
Doullens,   Saint-Riquier,   Saint- Valéry,  Ribemont,  et  Thérouanne,  en- 
semble les  plats  pays  qui  sont  aux  environs  de  ces  villes  ;  et  aussi  auxdits 
Anglais  es  termes  et  limites  et  sous  les  conditions  et  réserves  ci-dessus 
déclarées.  Commencera  cette    abstinence  cedit  xxviu*  jour   d'août  au 
regard  de  notredit  cousin  de  Bourgogne  ;  et  au  regard  desdits  Anglais 
du  jour  que  sur  ce  nous  aurons  reçu  d'eux  leurs  lettres  et  consentement, 
et  durera  jusqu'audit  jour  de  Noël  prochainement  venant,  ainsi  qu'il  est 
dit,  pourvu  aussi  que  notredit  cousin  de  Bourgogne  consente  et  accorde 
pareille  abstinence  et  nous  en   donne   ses   lettres  patentes   de  pareil 
contenu  que  celles-ci. 

«  Par  cette  présente  abstinence  il  ne  sera  nullement  dérogé  ni  préju- 
dicié  aux  abstinences  ci-devant  ordonnées  par  notre  cousin  de  Savoie 
entre  quelques-uns  de  nos  pays  et  de  notre  parti,  et  quelques-uns  des 
pays  de  notre  cousin  de  Bourgogne  et  autres  compris  dans  lesdites 
abstinences  ;  mais  ces  Irôves  conserveront  leur  force  et  leur  vertu 
obligatoire,  durant  le  temps  et  selon  la  forme  et  la  manière  contenues 
dans  les  lettres  échangées  à  ce  sujet.  Durant  le  temps  de  cette  présente 
trêve,  aucune  des  parties  qui  Tauront  consentie  ne  pourront  dans  les 
termes  et  limites  ci-dessus  désignées,  prendre,  acquérir,  conquérir  l'une 

SUR  l'autre  AUCUNE  DES  VILLES,  PLACES  OU  FORTERESSES  QUI  Y  SONT  COMPRISES  ; 
ILS  n'admettront  l'obéissance  d'aucune,  au  CAS  ou  CES  VILLES,  PLACES  OU 
FORTERESSES  VOUDRAIENT  SE  RENDRE  A  l'oBÉISSANCE  DE  l'uNE  DES  PARTIES*. 

«  Afin  que  cette  présente  abstinence  soit  mieux  gardée  et  entretenue, 
nous  avons  pour  nous  et  de  notre  part  ordonné  conservateur  d'icelle  nos 
amés  et  féaux  Rigault,  seigneur  de  Fontaines,  chevalier,  notre  cham- 
bellan, et  Poton  de  Xaintrailles,  notre  premier  écuyer  et  maître  de  notre 
écurie,  auxquels  et  à  chacun  d'entre  eux  nous  donnons  plein  pouvoir, 
autorité  et  mandement  spécial  de  réparer  et  de  faire  tout  ce   qui  par 

1.  Il  suit  de  cette  clause  qu'au  cas  où  Paris  aurait  été  emporté  le  8  septembre,  ou 
même  aurait  ouvert  ses  portes,  (Charles  VU  n'aurait  pas  pu  en  prendre  possession,  soit 
parce  que  le  duc  de  Bourgogne  était  autorisé  à  défendre  la  ville,  soit  parce  que  en  ce 
cas  les  Anglais  n'auraient  pas  manqué  d'accéder  à  la  trêve  du  28  août.  Qu'on  s*étonne 
après  cela  si  les  auteurs  de  celte  inqualifiable  trêve  ont  fait  échouer  l'Héroïne.  Le 
succès  les  aurait  souverainement  embarrassés. 


LA  CHRONIQUE  DITE  DES  GORDELIERS.  447 

quelqu'un  de  nos  vassaux,  sujets  et  serviteurs,  serait  fait,  attenté  ou 
innové  de  contraire  ou  de  préjudiciable  à  la  présente  trêve  ;  de  poursuivre 
et  requérir  vis-à-vis  des  conservateurs  qui  sur  ce  seront  ordonnés  pour 
la  partie  de  notre  cousin  de  Bourgogne  la  réparation  de  tout  ce  qui  de 
son  côté  serait  fait,  attenté  ou  innové  de  contraire  ou  préjudiciable  à 
cette  trêve;  et  généralement  de  faire  par  nosdits  conservateurs  et  par 
chacun  d'eux  tout  ce  qu'il  appartient  et  appartiendra  de  faire  en 
pareil  cas. 

<c  Par  suite,  nous  donnons  mandement  à  tous  nos  lieutenants,  conné- 
tables, maréchaux,  maîtres  des  arbalétriers,  ami|;al  et  autres  chefs  de 
guerre,  à  tous  les  capitaines  et  gens  d'armes  et  de  trait  qui  sont  à  notre 
service,  à  tous  nos  autres  justiciers,  officiers  et  sujets,  ou  à  leurs  lieute- 
nants, que  la  présente  abstinence  soit  par  eux  gardée,  entretenue  et 
observée  inviolablement,  sans  l'enfreindre  ni  secrètement,  ni  ouverte- 
ment, en  quelque  manière  que  ce  soit,  pendant  qu'elle  durera  ;  et  qu'ils 
obéissent  diligemment,  prêtent  et  donnent  conseil,  confort,  assistance  et 
aide,  s'il  en  est  besoin  et  en  sont  requis,  aux  conservateurs  par  nous  à 
cela  ordonnés  et  à  chacun  d'eux,  à  leurs  commis  et  députés,  en  toutes 
choses  regardant  l'entretien  et  conservation  de  ladite  trêve,  et  la  répa- 
ration de  ce  qui  serait  attenté  ou  innové  de  contraire,  si  le  cas  advenait 
en  quelque  manière. 

«  Donné  à  Gompiègne  le  xxviii*  jour  d'août,  l'an  de  grâce  mil  CCCC 
et  vingt-neuf  et  le  septième  de  notre  règne.  Ainsi  signé,  de  par  le  roi  : 

«    J.    VlLLEBRESNE.    » 

Autre  copie  sur  le  fait  desdites  abstinences, 

«  A  tous  ceux  que  ces  présentes  lettres  verront,  Simon  Morhier,  etc., 
savoir  faisons  que  nous,  Tan  de  grâce  mil  IIIP  et  àTlIX  (1429),  le  jeudi 
xui*  jour  d'octobre,  vîmes  une  lettre  de  Charles,  soi-disant  roi  de  France, 
dont  la  teneur  suit  : 

«  Charles,  etc.  Pour  parvenir  au  bien  de  la  paix  et  faire  cesser  les  grands 
maux  et  dommages  qui,  par  suite  des  guerres  et  des  divisions  existantes, 
sont  advenus  et  adviennent  chaque  jour  en  notre  royaume,  certaines 
abstinences  de  guerre  ont  été  arrêtées  et  décrétées  naguère,  par  l'inter- 
médiaire des  ambassadeurs  de  notre  très  cher  et  très  aimé  cousin  le  duc 
Je  Savoie,  entre  nous  d'une  part  et  notre  cousin  de  Bourgogne  d'autre 
part,  devant  durer  depuis  le  vingt-huitième  jour  d'août  dernier  jusqu'au 
jour  de  Noël  prochain,  selon  la  forme,  les  conditions,  et  les  réserves 
contenues  et  déclarées  en  certaines  de  nos  lettres  sur  ce  faites,  et  données 
en  notre  ville  de  Compiègne  le  vingt-huitième  jour  d'août  ci-dessus 


448  L\  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

indiqué.  Comme  dans  lesdites  abstinences  ne  sont  nullement  compris  notre 
ville  de  Paris,  notre  château  du  bois  de  Vincennes,  nos  ponts  de  Cha- 
renton  et  de  Saint-Cloud,  et  la  ville  de  Saint-Denis,  Savoir  faisons  que 
nous,  ces  choses  considérées,  et  pour  certaines  autres  causes  et  considé- 
rations à  ce  nous  mouvant,  avons,  en  ampliant  de  notre  part  lesdites 
abstinences,   consenti  et  accordé,  et  par  ces  présentes  consentons  et 
accordons  que  notre  ville  de  Paris,  notre  château  du  bois  de  Vincennes, 
nos  ponts  de  Charenton  et  de  Saint-CIoud,  et  la  ville  de  Saint-Deois, 
soient  compris  dans  lesdites  abstinences,  tout  ainsi  que  si  lesdites  villes 
et  lieux  y  eussent  été  expressément  nommés  et  déclarés,  pourvu  toute- 
fois que  ceux  de  notre  ville  de  Paris,  et  des  autres  lieux  et  places  ci- 
devant  exprimés  comme  en  dehors,  ne  fassent  durant  ces  abstinences, 
par  voie  de  guerre  ou  autrement,  rien  de  préjudiciable  à  la  trêve,  et 
que  de  ce  notre  cousin  nous  donnera  des  lettres;  les  abstinences  dessus- 
dites  restent  en  leur  force  et  vertu,  sans  qu*il  y  soit  en  rien  préjudicié  ni 
dérogé  par  les  présentes. 

«  Si  par  voie  de  fait,  par  volonté  désordonnée,  ou  de  toute  autre  ma- 
nière, quelque  chose  était  fait,  attenté,  innové  de  contraire  ou  d'opposé 
à  ces  abstinences,  la  partie  offensée  ne  pourra  nullement  procéder  par 
vengeance  ou  voie  de  fait,  alléguer  que  lesdites  abstinences  ont  pris  fin 
ou  sont  rompues  ;  mais  la  réparation  en  sera  faite  par  les  conservateurs 
de  la  partie  qui  aura  offensé. 

((  En  témoin  de  ce,  nous  avons  fait  mettre  notre  sceau  à  ces  pré- 
sentes. 

«  Donné  à  Senlis,  le  dix-huitième  jour  de  septembre,  Tan  de  grâce  1429, 
et  le  septième  de  notre  règne.  Ainsi  signé  :  Par  le  roi  en  son  conseil, 
tenu  par  Mgr  le  comte  de  Clermont,  son  lieutenant  général  es  pays  en 
deçà  de  la  Seine,  le  comte  de  Vendôme,  nous,  Christophe  de  Harcourt, 
le  doyen  de  Paris,  et  plusieurs  autres  présents. 

«   J.    ViLLEBRESNE.    » 

Autre  copie.  —  Lettres  du  roi  Henri  par  lesquelles  il  commet  le  duc 
de  Bourgogne  au  gouvernement  de  Paris  et  d'ailleurs, 

«  Henri,  par  la  grâce  de  Dieu,  roi  de  France  et  d'Angleterre,  à  tous  ceux 
qui  les  présentes  verront,  salut.  Savoir  faisons  ce  qui  suit  :  Notre  très 
cher  et  très  aimé  oncle,  Jean,  régent  de  notre  royaume  de  France,  duc 
de  Bedford,  considérant  les  grandes  affaires  et  les  diverses  charges  qu'il 
a  à  supporter  pour  le  présent,  tant  pour  le  gouvernement  de  notredit 
royaume,  comme  surtout  pour  notre  duché  de  Normandie,  sur  lequel 
nos  ennemis  et  adversaires  se  sont  jetés  à  grosse  puissance,  a  prié,  requis 


CHRONIQUE  DITE  DES  CORDELIERS.  449 

bien  instamment,  cordialement  et  sincèrement  S  notre  très  aimé  et  très 
cher  oncle,  Philippe,  duc  de  Bourgogne,  comte  de  Flandre,  d'Artois  et 
de  Boui^ogne',  palatin   de  Namur,  seigneur  de  Salins  et  de  Malines, 
de  Taider  à  conduire  et  supporter  une  partie  desdites  affaires,  et  spécia- 
lement de  prendre  et  d'accepter  le  gouvernement  et  la  garde  de  notre 
bonne  ville,  prévôté  et  vicomte  de  Paris,  et  des  villes  et  des  villages  de 
Chartres,  de  Melun,  Sens,  Troyes,  Ghaumont-en-Bassigny,  Saint-Jangou, 
Yermandois,  Amiens,  Tournaisis  et  Saint-Âmand,  et   la  sénéchaussée 
du  Ponthieu,  en  exceptant  toutefois  les  villes,  châteaux  et  châtellenies 
de  Dreux,  VilIeneuve-le-Roi,  Crotoy,  Rue,  et  les  pays  conquis  par  feu 
notre  très  cher  seigneur  et  père,  que  Dieu  pardonne,  avant  la  paix  finale 
de  nos  royaumes  de  France   et  d'Angleterre  (le  traité  de  Troyes)^  qui 
demeureront  en  l'état  et  garde  où  ils  sont  à  présent.  Notre  oncle  de 
Bourgogne,  par  amour  et  par  honneur  pour  nous  et  pour  notredit  oncle 
le  r^ent  son  beau-frère,  pour  la  conservation  et  l'entretien  de  notre 
seigneurie  et  la  défense  de  notre  bonne  ville  de  Paris  et  des  lieux  susdits, 
encore  qu'il  ait  présentement  plusieurs  grandes  et  pesantes  affaires  pour 
le  gouvernement  de  ses  pays  et  seigneuries,  a  pris  cependant  le  gouver- 
nement et  la  garde  à  lui  offerts. 

«  Et  nous,  ayant  cette  disposition  à  très  grand  plaisir  et  agrément,  con- 
naissant par  une  véritable  expérience  la  grande  puissance,  vaillance  et 
loyauté  de  notredit  oncle  de  Bourgogne,  de  l'avis  et  après  délibération 
de  notredit  oncle  le  régent  et  des  gens  de  notre  grand  conseil  de  France, 
avons  ordonné  et  commis,  ordonnons  et  commettons  notre  oncle   de 
Boui^ogne,  notre  lieutenant  aux  bailliages  et  lieux  ci-dessus  désignés, 
et  à  leur  gouvernement,  en  lui  donnant  plein  pouvoir,  autorité  et  mande- 
ment spécial  de  gouverner  et  de  garder  pour  nous,  au  nom  de  nous  et 
sous  nous,  jusques  au  temps  de  notre  venue  en  France,  notredite  bonne 
ville  de  Paris,  bailliages  et  lieux  susdits,  ensemble  nos  hommes,  vassaux 
et  sujets  demeurants  es  dites  villes,  bailliages  et  lieux;  de  donner  en 
notre  nom  et  sous  noire  sceau,  durant  ledit  temps,  les  seigneuries,  terres, 
rentes  et  revenus  qui  dorénavant  nous  écherront  par  la   rébellion  et 
désobéissance  de  nos  sujets  ayant  terres  et  seigneuries  aux  lieux  qui  sont 
miseront  réduits  ànotre  obéissance,  dans  les  limites  de  son  gouvernement  ; 
de  faire  procéder  par  bonne  et  due  élection  et  confirmation,  ainsi  qu'il  est 
accoutumé,  aux  offices  royaux  électifs  ;  de  disposer  des  autres  offices  non 
électifs  selon  la  torme  déclarée  en  certaines  de  nos  autres  lettres,  et  d'or- 
donner de  toutes  les  autres  et  particulières  choses,  nécessités  et  affaires 

^'^mèrement,  est  une  des  multiples  acceptions  du  mot  acerbes.  On  pourrait  encore 
dire  affectueusement  (Voy.  Lacurne). 
2.  Franche- Comté. 

ni.  29 


450  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

(les  lieux  susdits;  détenir  nos  conseils,  d'y  conclure  et  d'exécuter  les 
conclusions  pour  notre  bien  et  notre  honneur  et  la  conservation  de  nôtre- 
dite  seigneurie  ;  et,  pour  ce  faire,  de  recueillir  et  d'employer  toutes  les 
finances  qui  nous  appartiennent  dans  les  dépendances,  villes,  bailliages 
et  lieux  ci-dessus  désignés,  ainsi  que  les  cas  le  requerront,  y  commettant 
et  ordonnant  de  par  nous  tels  officiers  que  bon  lui  semblera  ;  le  tout  sans 
préjudicier  ni  déroger  en  autres  choses  à  l'état  et  à  la  dignité  de  la  régence 
du  régent  notredit  oncle. 

«  Ainsi  donnons  mandement  à  nos  aimés  et  féaux  conseillers  les  gens 
de  notre  parlement,  au  prévôt  de  Paris,  et  à  tous  les  baillis  et  autres  jus- 
ciers,  officiers  et  sujets  à  qui  il  appartiendra,  et  à  leurs  lieutenants,  de 
laisser  notre  oncle  de  Bourgogne  jouir  et  user  pleinement  des  gouverne- 
ments et  garde  dessus  dits,  et  en  tout  ce  qui  concerne  et  regarde  ce  qui 
vient  d'être  dit,  de  lui  obéir  sans  aucun  contredit  à  lui,  à  ses  mandements 
et  commandements  ;  promettant  en  bonne  foi  à  notredit  oncle  de  Bour- 
gogne, que  toutes  et  chaque  fois  que  charge  de  guerre  lui  surviendra  dans 
les  limites  dudit  gouvernement,  nous  l'aiderons,  dès  que  par  lui  nous  en 
serons  requis,  de  nos  gens  d'Angleterre  et  d'ailleurs,  autant  que  raison- 
nablement nous  pourrons  alors  le  faire.  En  témoin  de  ce,  etc. 

«  Donné  à  Paris  le  xm*  jour  d'octobre  de  Tan  de  grâce  1429,  de  notre 
règne  le  septième. 

«  Ainsi  signé  :  Par  le  roi  à  la  relation  du  conseil  tenu  par  Mgr  le 
régent  du  royaume  de  France,  duc  de  Bedford,  auquel  étaient  présents 
Messeigneurs  le  cardinal  d'Angleterre  et  le  duc  de  Bourgogne,  vous,  les 
évoques  de  Beauvais,  de  Noyon,  de  Paris  et  d'Évreux,  le  comte  de 
Guise  S  le  premier  président  du  parlement,  l'abbé  du  Mont-Saint- 
Michel,  le  sire  de  Scales,  le  sire  de  Santés,  Messire  Jean  Fastolt, 
Messire  Raoul  Bouteiller,  le  sire  de  Suint-Liébaut,  Messire  Jean  Poupham, 
les  seigneurs  de  Clamecy  et  du  Mcsnil,  le  trésorier  du  palais  à  Paris, 
Messire  le  duc,  et  plusieurs  autres. 

((  Jehan  Reinel.  » 

[Le  chroniqueur  va  nous  dire  que  les  Anglais  n'adhérèrent  pas  à  la 
trêve;  mais  si,  comme  duc  de  Bourgogne,  Philippe  était  lié,  il  ne  l'était 
pas  comme  gouverneur  de  Paris  et  des  autres  pays  confiés  à  sa  garde  par 
le  roi  anglais.  Ses  lieutenants  étaient  autorisés  à  dire,  comme  ils  dirent 
en  effet,  qu'ils  ne  combattaient  pas  les  Français  comme  Bourguignons, 
mais  comme  étant  au  service  de  T  Angle  terre.  Reprenons  la  suite  de  la 
Chronique.] 

1.  Jean  de  Luxembourg. 


CHRONIQUE  DITE  DES  CORDEUERS  451 


II 


Ainsi  qu'il  est  dit  par  ces  lettres,  le  duc  de  Bourgogne  vint  à  Paris  après 
les  trêves  et  les  abstinences  de  guerre  données  par  le  roi  Charles,  trêves 
et  abstinences  dans  lesquelles  les  Anglais  ne  voulurent  pas  être  compris. 
Ils  continuèrent  àguerroyer.  Les  guerres  se  prolongèrent  durant  ce  temps 
en  Normandie.  Les  Anglais  surprirent,  perdirent,  et  reprirent  plusieurs 
places,  villes  et  forteresses,  dont  le  recouvrement  leur  demanda  beaucoup 
de  travaux  et  de  dépenses. 

Le  duc  de  Bourgogne,  après  qu'il  se  fut  chargé  du  gouvernement,  et 
qu'il  eut  pris  d'importantes  mesures  pour  la  sûreté  et  la  garde  des  pays 
et  des  places  à  lui  confiés,  s'en  retourna  avec  sa  grande  et  noble  compa- 
gnie de  gens  de  Picardie  en  ses  possessions  d'Artois  et  de  Flandre.  Il 
s'y  tint  tout  l'hiver  sans  guerroyer. 

Durant  ce  temps  les  ambassadeurs  des  princes  tinrent  de  grands  con- 
seils sur  le  fait  de  la  paix  ;  les  trêves  et  abstinences  furent  prolongées 
jusqu'au  mois  de  mars  suivant  ;  mais  Jinalemcnt  l'on  ne  put  arriver  à 
conclure  la  paix  ;  les  traités  ne  purent  aboutir,  principalement  parce  que 
la  ville  de  Compiègne  refusa  d'obéir  et  de  livrer  passage  au  duc  de  Bour- 
gogne, lorsqu'il  allait  à  Paris,  ou  en  revenait,  ce  qui  lui  avait  été  promis, 
ainsi  que  le  Pont-Sainte-Maxence  qui,  du  consentement  des  deux  partis, 
fut  remis  entre  les  mains  de  Regnault  de  Longueval  ;  mais  Guillaume  de 
Flavy  refusa  d'obéir  ;  il  se  tint  toujours  guerroyant  tantôt  d'un  côté,  tantôt 
de  l'autre,  lui  et  toutes  ses  forces  ;  et  il  pourvut  la  ville  de  tout  ce  qui  était 
nécessaire  pour  la  défendre  contre  tous. 

Durant  le  temps  des  trêves,  le  roi  Charles  devait  se  tenir  au  delà  de 
la  rivière  de  la  Seine,  ce  qu'il  fit;  et  le  régent  en  Normandie. 


III 

Le  xxi*  jour  de  mars,  les  trêves  étant  expirées,  la  guerre  recommença 
de  toutes  parts  en  France. 

A  l'entrée  du  mois  d'avril,  le  duc  de  Bourgogne  alla  à  Péronne  et  fit 
une  très  grande  assemblée  de  gens  d'armes  afin  de  se  porter  devant 
Compiègne;  parce  qu'il  y  avait  en  cette  ville  une  très  forte  garnison  qui 
empêchait  le  passage  vers  Paris  et  faisait  beaucoup  de  maux  aux  pays  des 
environs. 


V5* 


452  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

En  ce  temps,  le  viii*  jour  d'avril,  le  bâtard  de  Clarence  entra  à  Paris 
avec  de  grosses  forces  d'Anglais.  Il  y  avait  été  mandé  par  le  seigneur 
de  risïe-Adam  et  par  d'autres,  parce  que  quarante  dizainiers  de  cette  ville 
avaient  formé  le  complot  et  pris  l'engagement,  à  ce  qu'on  disait,  de  livrer 
la  ville  au  roi  Charles.  Il  y  en  eut  un  grand  nombre  de  pris  ;  mais  peu 
furent  exécutés,  parce  que  l'affaire  s'arrangea  et  prit  assez  bonne  fin. 

Le  jeudi  après  les  fêtes  de  Pâques,  le  xx*  jour  d'avril,  l'an  1430,  Mes- 
sire  Jean  de  Luxembourg,  le  seigneur  de  Croy  et  d'autres  capitaines 
partirent  avec  tous  leurs  gens  de  Péronne  et  passèrent  l'Oise.  Informaient 
l'avant-garde  de  l'armée  du  duc  de  Boui^ogne.  Il  les  suivit  et  partit  de 
Péronne  le  samedi  qui  suit  les  Pâques  closes  [Quasimodo^  cette  année 
23  avril).  Ils  allèrent  conquérir  plusieurs  places  au  pouvoir  de  leurs 
ennemis,  telles  que  Avesnes,  la  Tour  de  Goumay  et  d'autres. 

Le  jour  de  Saint-Georges,  xxiii«  jour  d'avril,  le  jeune  roi  d'Angleterre 
arriva  à  Calais,  escorté  d'après  la  renommée  par  quarante-huit  vaisseaux, 
amenant  deux  mille  hommes,  et  de  grosses  provisions  de  bétail  et  de  vivres 
qui  furent  dirigées  sur  la  Normandie.  Les  gens  d'armes  furent  envoyés  en 
plusieurs  contrées  tant  de  Normandie  que  de  France,  et  aussi  devant 
Compi^ne  et  ailleurs,  partout  où  besoin  était.  Le  jeune  roi  demeura  ù 
Calais  jusqu'au  mois  de  juillet  suivant,  qu'il  fut  mené  à  Abbeville,  de  là 
à  Rouen  où  il  séjourna  ensuite  pendant  un  grand  espace  de  temps. 

Après  plusieurs  places  prises  par  les  gens  du  duc  de  Bourgogne  sur 
leur  chemin  de  Compiègne,  le  siège  fut  mis  au  pont  de  Choisy,  où  Guil- 
laume de  Flavy  avait  établi  de  grosses  garnisons.  Le  duc  de  Bourgogne 
vint  à  ce  siège,  et  fit  tirer  par  engins  nombreuses  pierres  contre  la  place  ;  il 
fit  tant  que  les  assiégés  prirent  la  fuite,  et  de  nuit  se  retirèrent  à  Compiègne 
en  mettant  partout  le  feu.  Ils  abandonnèrent  la  place  Icxvi'  jour  de  mai. 

En  ce  temps,  les  Anglais  arrivèrent  au  Pont-rÉvôquc,  près  de  Noyon. 
Là  ils  furent  un  jour  assaillis  par  les  hommes  de  la  garnison  de  Com- 
piègne et  par  d'autres,  formant  une  armée  de  quatre  mille  hommes,  dont 
on  disait  que  la  Pucelle  était  capitaine.  Les  Anglais,  qui  n'étaient  que 
douze  cents  hommes,  se  défendirent  très  grandement  ;  mais  ils  auraient 
eu  rude  besogne  s'ils  n'eussent  été  secourus  par  Mgr  de  Saveuse  qui  se 
tenait  à  Saint-Eloy-de-Noyon,  avec  huit  cents  hommes  qui  repoussèrent 
les  ennemis. 

IV 

Le  xx!*"  jour  de  mai,  le  siège  fut  mis  d'un  côté,  par  deçà  de  l'Oise,,  de- 
vant Compiègne,  où  les  comtes  d'Houtiton,  d'Arondel,  vinrent  avec  nom- 


454  LA  VRAIE  JEANiNE  D'ARC  '.  LA  LIBÉRATRICE. 

VI 

Le  pénultième  jour  de  mai  (1431),  Jeannette  La  Pucèlle  fut  brûlée  à 
Rouen,  après  avoir  été  d'abord  condamnée  à  la  prison,  s'étant  rétractée 
de  ses  erreurs,  à  la  suite  de  noble  prédication  faite  sur  sa  conduite  audit 
lieu  de  Rouen  en  présence  du  régent  de  France,  de  plusieurs  hauts  prin- 
ces et  prélats  tant  de  France  que  d'Angleterre,  du  grand  conseil  du  roi 
Henri  et  de  tous  ceux  qui  voulurent  Tentendre  ;  mais  dès  qu'elle  vit  qu'on 
la  voulait  mettre  en  habit  de  femme,  elle  révoqua  sa  rétractation,  et  dit 
qu'elle  voulait  mourir  comme  elle  avait  vécu,  et  partant  elle  fut  condamnée 
à  être  brûlée. 

Les  cendres  de  son  corps  furent  par  sacs  jetées  en  la  rivière,  pour 
que  jamais  on  ne  pût  en  faire,  ni  tenter  d'en  faire  des  sorcelleries,  ou 
méchante  chose. 


GILLES  DE  ROYE 

La  vaste  publication  des    Chroniques   belges  a  enrichi  l'histoire  de 
Jeanne  d'Arc  de  six  ou  sept  documents  nouveaux,  peu  connus  en  France, 
où,  jusqu'à  présent,  ils  n'ont  pas  été  publiés  dans  leur  hitégralité.  On  n'a 
guère  fait  qu'emprunter  quelques  phrases  à  la  Chronique  de  Tournay, 
reproduite  dans  le  second  livre  de  ce  volume. 

Nous  n'avons  pas  souvenance  d'avoir  vu  la  mention  de  celle  de  Gilles 
de  Roye,  insérée  en  1870  par  M.  Kervyn  de  Lettenhove  dans  son  volume 
des  Chroniqueurs  de  F  abbaye  des  Dunes,  Les  pages  qui  regardent  la 
Pucelle  sont  cependant  très  substantielles  dans  leur  concision.  La  Libé- 
ratrice y  est  présentée  sous  son  véritable  aspect,  et  les  légères  erreurs 
qu'on  pourrait  y  signaler  ne  portent  que  sur  des  faits  de  minime  ou  de 
nulle  importance. 

L'auteur  était  sujet  du  duc  de  Bourgogne.  C'est  ce  qui  explique  le  seul 
mot  qu'on  pourrait  reprendre  dans  son  œuvre  ;  il  est  dans  la  dernière 
phrase  où  il  dit  que  Jeanne  ixxi  justeynejit  ou  injustement  brûlée  à  Rouen. 
Tout  le  récit  qui  précède  montre  que  ce  fut  très  injustement  ;  mais  le  bon 
moine  a  voulu  se  mettre  à  couvert  en  refusant  de  flétrir  directement  et 
explicitement  les  bourreaux  de  Rouen. 

C'était  en  effet  un  bon  moine  que  Gilles  de  Roye.  D'après  la  notice  que 


LA  CHRONIQUE  DE  GILLES  DE  ROYE.  455 

lui  a  consacrée  son  noble  éditeur,  il  naquit  en  1413,  six  jours  après  la 
bataille  d'Âzincourt,  et  il  mourut  un  an  avant  la  bataille  de  Guinegatte, 
en  1478.  Il  enseigna  au  monastère  des  Bernardins  à  Paris,  fut  abbé  de 
Royaumont  de  1453  à  1459,  et  se  retira  ensuite  à  son  abbaye  des  Dunes; 
il  y  vécut  en  grande  réputation  de  savoir  et  plus  encore  de  sainteté. 
Il  prédit  le  jour  de  sa  mort. 

Il  écrivit  en  latin  une  Chronique  qui  s'étend  de  1413  à  1431.  Voici  la 
traduction  des  pages  consacrées  à  la  Pucelle  \ 


CHAPITRE   IX 

LA  CHRONIQUE  DE  GILLES  DE  ROYE. 

Sommaire  :  I.  —  Salisbury  met  le  siège  devant  Orléans.  Combat  de  Houvray.  — 
Mort  de  Salisbury.  —  Arrivée  de  la  Pucelle.  —  Étendue  de  la  mission  qu'elle  dit  avoir 
reçue. —  Examinée.  — Épée  de  Fierbois.  —  Ravitaillement  d'Orléans.  —  Comment, 
dans  leur  extrême  détresse,  les  Orléanais  avaient  voulu  traiter  avec  les  Anglais. 

II.  —  La  Pucelle  fait  lever  le  siège.  —  Meung,  Baugency.  —  Particularités  sur  la  vic- 
toire de  Patay.  —  L'armée  du  sacre.  —  Le  Connétable  écarté  par  La  Trémoille.  — 
La  guerre  de  la  Pucelle  aux  femmes  de  mauvaise  vie.  —  Conditions  faites  à  Auxerre 
et  mécontentement  de  la  Pucelle.  —  Soumission  de  Troyes,  grâce  à  la  Pucelle.  — 
La  composition.  —  Soumission  de  Chàlons,  de  Reims,  le  sacre. 

m.  —  Marche  triomphale  de  Charles  VU.  —  Bedford  demande  la  bataille  et  la  fuil. 

—  Charles  Vil  arrêté  à  Bray-sur-Seine  est  contraint  de  continuer  ses  conquêtes.  — 
Les  deux  armées  en  présence  à  Mitry.  —  Soumission  de  Crépy,  Compiègne,  Senlis, 
Be&uvais.  —  Bedford  s'éloigne  de  Paris.  —  La  ville  confiée  à  l'évêque  de  Thérouanne. 

—  Charles  VII  à  Saint-Denis.  —  La  tentative  contre  Paris  échoue  par  le  désaccord 
des  capitaines  français.  —  Retraite  du  roi.  —  Le  pays  ravagé. 

IV.  —  Les  assiégeants  de  Compiègne.  —  La  Pucelle  dans  la  place.  —  Sa  prise.  — 
Conduite  à  Noyon  à  la  duchesse  de  Bourgogne.  —  Vendue  aux  Anglais.  —  Le  chro- 
niqueur ne  veut  rien  dire  de  l'équité  ou  de  l'iniquité  de  sa  condamnation. 


1 

Cette  même  année  {14S8)^  le  comte  de  Salisbury,  le  comte  de  Suffolk, 
le  sire  de  Talbot,  à  la  tête  d'une  grande  armde,  mirent  le  siège  devant 
Orléans,  et  construisirent  des  bastilles  de  tous  les  côtés  de  la  ville. 
Pour  alimenter  les  assiégeants,  sire  Jean  Fastolf  et  sire  Simon  Morbier 
prévôt  de  Paris,  conduisaient  de  cette  ville  à  Orléans  de  nombreux 
chariots  chargés  de  vivres,  principalement  de  harengs.  Instruits  du  fait, 
le  duc  de  Bourbon,  le  connétable  d'Ecosse  et   La  Hire  vinrent  à  leur 

L  Ou  trouvera  le  texte  aux  Pièces  justificatives  y  IL 


456  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

rencontre  avec  une  nombreuse  armée.  La  bataille  s'engagea,  la  victoire 
resta  aux  Anglais,  et  le  connétable  d'Ecosse,  le  seigneur  d'Orval^  frère  du 
seigneur  d'Albret,  et  plusieurs  autres,  tombèrent  sur  le  champ  de  bataille. 
Le  duc  de  Bourbon  prit  la  fuite,  et  les  vivres  arrivèrent  aux  soldats  du  siège. 
Un  jour,  vers  l'heure  du  dîner,  le  comte  de  Salisbury  regardait  la  ville 
du  haut  de  la  bastille  du  pont.  La  pierre  d'un  canon  tiré,  par  Ton  n'a  pas 
su  qui,  vint  frapper  contre  la  fenêtre  où  il  était  en  observation.  Un  éclat 
rejaillit  contre  la  figure  du  comte  qui  trois  jours  après  mourut  de  la 
blessure. 

En  ce  temps,  se  présenta  devant  le  Dauphin  une  Pucelle  originaire  de 
Vaucouleurs  en  Barrois,  son  pays.  Elle  se  disait  envoyée  de  Dieu  pour 
battre  les  Anglais,  les  expulser  du  royaume  de  France,  rendre  au 
Dauphin  tout  l'héritage  paternel,  et  le  conduire  à  Reims  pour  y  être 
couronné. 

Dès  son  arrivée,  elle  parlait  admirablement.  Soumise  à  l'examen,  elle 
répondait  à  tout,  comme  si  elle  avait  passé  toute  sa  vie  sous  les  armes. 
Elle  envoya  à  Sainte-Catherine-de-Fierbois  y  quérir  une  épée  dont  Dieu 
lui  avait  révélé  l'existence,  et  avec  laquelle  elle  devait  vaincre  les  Anglais. 
L'envoyé  trouva  tout  comme  elle  l'avait  indiqué.  Le  Dauphin  la  garda 
auprès  de  lui.  En  attendant,  il  rassembla  la  plus  forte  armée  qu'il  pût 
former,  et  envoya  cette  armée  avec  ses  capitaines  et  la  Pucelle  porter  à 
Orléans  un  convoi  de  vivres.  En  dépit  des  assiégeants,  la  Pucelle  entra 
dans  la  ville,  et  y  introduisit  les  vivres. 

Avant  ce  ravitaillement,  les  habitants  d'Orléans  étaient  dans  une  telle 
disette  de  vivres  qu'ils  avaient  voulu  écarter  les  Anglais  à  prix  d'argent, 
ou  remettre  la  ville  entre  les  mains  du  duc  de  Bourgogne.  Ils  lui 
envoyèrent,  muni  de  lettres  de  créance,  Poton  de  Xaintrailles,  avec  pouvoir 
de  traiter  avec  lui.  Le  duc  répondit  qu'il  agréait  beaucoup  la  proposition, 
si  elle  plaisait  au  régent,  et  il  lui  envoya  des  délégués  pour  traiter  de 
Taffaire.  Le  régent  ne  fut  pas  content;  il  protesta  qu'il  ne  lèverait  le 
siège  que  lorsqu'il  se  serait  rendu  maître  de  la  ville,  et  aurait  recouvré 
toutes  les  dépenses  faites.  Le  duc  de  Bourgogne,  sur  cette  réponse,  ren- 
voya Poton  en  paix. 

Il 

i^i9.  —  A  la  suite  de  ces  faits,  la  Pucelle  conduisit  si  bien  les  affaires 
qu'elle  fit  à  main  armée  lever  le  siège,  s'empara  des  bastilles,  battit  les 
Anglais,  et  en  délivra  la  ville. 

Quittant  Orléans,  elle  s'empara  de  plusieurs  autres  villes,  telles  que 
Meung  et  Baugency  et  en  chassa  les  Anglais  qui,  dans  leur  fuite,  prirent 


458  Là  vraie  JEANNE  D  ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

III 

Après  trois  jours  d'arrêt  dans  cette  cité,  le  roi  en  partit  et  vint  à  Vailly 
qui  se  rendit  à  lui  ;  il  vint  à  Laon  ^  et  à  Soissons  qui  lui  firent  soumis- 
sion, ensuite  à  Château^Thierry  dont  la  soumission  fut  spontanée,  ainsi 
que  celle  de  Provins. 

Le  duc  de  Bedford,  à  ces  nouvelles,  demanda  la  bataille,  ce  que  le  roi 
accepta;  mais  apprenant  que  le  roi  tenait  les  champs,  il  ne  vint  pas;  il 
rentra  à  Paris.  Le  roi  méditait  de  passer  la  Seine  à  Bray,  lorsqu'un 
certain  nombre  d'Anglais  y  rentrèrent  ;  il  revint  alors  sur  ses  pas  jusqu'à 
Château-Thierry,  d'où  il  alla  à  Crépy,  et  ensuite  non  loin  de  Dammartin. 
Les  Anglais  sortirent  de  Paris,  et  vinrent  à  Mitry-en-France;  les  deux 
armées  semblaient  disposées  à  en  venir  aux  mains  :  mais,  après  quelques 
escarmouches  des  deux  côtés,  les  Anglais  rentrèrent  à  Paris. 

Le  roi  vint  à  Compiègne  dont  les  clefs  lui  furent  spontanément  remises. 
Pendant  quïl  s'y  trouvait,  l'évoque  et  les  bourgeois  de  Senlis  ainsi  que 
les  citoyens  de  Beauvais,  vinrent  lui  promettre  obéissance. 

Durant  ces  jours,  le  duc  de  Bedford  s'éloigna  de  Paris  dont  il  laissa  la 
garde  à  Louis  de  Luxembourg,  évêque  de  Thérouanne,  qui  y  remplissait 
les  fonctions  de  chancelier  pour  le  roi  d'Angleterre.  Le  roi  de  France 
ayant  nommé  des  capitaines  à  Compiègne  et  à  Beauvais  vint  à  Senlis, 
d'où  il  s'avança  jusqu'à  Saint-Denis. 

Il  y  eut  alors  divers  engagements  entre  les  Anglais  qui  étaient  à  Paris 
et  les  Français  campés  à  Saint-Denis.  A  la  suite  de  ces  engagements, 
/  l'armée  française  s'avança  jusqu'à  une  demi-lieue  de  Paris,  et  ron  fit 
contre  la  ville  plusieurs  assauts  dans  lesquels  la  Pucelle  fut  atteinte  à 
la  cuisse  par  un  trait.  Si  tous  les  hommes  d'armes  avaient  eu  son  cou- 
rage, Paris  aurait  été  en  grand  danger  d'ôtre  pris;  mais  tous  les  .autres 
ÉTAIENT  EN  DÉSACCORD  SUR  l'entreprise  (de  captioTie  dîssidebant).  C'est  alors 
que  la  Pucelle  déposa  ses  armes  dans  Téglise  de  Saint-Denis. 

Dans  ces  conjonctures  la  ville  de  Lagny-sur-Marne  se  rendit  au  roi. 
Le  roi  en  prit  possession,  laissa  le  duc  de  Bourbon  et  d'autres  capitaines 
à  la  garde  des  villes  de  son  obéissance,  et  par  Lagny  revint  à  Montargis. 
Il  y  eut  alors  entre  les  Anglais  et  les  Français  diverses  rencontres,  prises 
de  villes,  et  de  nombreux  pillages. 

1.  Le  roi  n'alla  pas  à  Laon. 


GEORGES  GHASTELLAIN  ET  SA  CHRONIQUE.  459 

IV 

[Sous  la  date  de  1430,  le  chroniqueur  consacre  à  la  Pucelle  les  lignes 
suivantes:]  L'an  du  Seigneur  li30,  Jean  de  Luxembourg,  le  comte  de 
Hotington,  le  comte  d'Arondel  vinrent  avec  une  grande  armée  assiéger 
Compiègne.  La  Pucelle,  qui  était  à  Lagny,  sitôt  qu'elle  en  eut  connais- 
sance, entra  dans  Compiègne,  et,  autant  qu'elle  put,  fit  obstacle  au  siège. 

Un  jour  à  la  tête  d'une  troupe  d'hommes  d'armes,  elle  fit  une  sortie 
dans  laquelle  elle  s'éloigna  trop  imprudemment  de  la  ville.  Entourée  par 
les  Boui^uignons,  elle  fut  prise.  Ce  ne  fut  pas  l'objet  de  peu  de  douleur 
pour  les  Français.  Elle  fut  adjugée  au  susdit  seigneur  Jean  de  Luxem- 
bourg qui  la  conduisit  à  Noyon  ^  au  duc  et  à  la  duchesse  de  Bourgogne. 
Le  même  seigneur  Jean  la  vendit  dans  la  suite  aux  Anglais.  Conduite  à 
Rouen,  elle  y  fut  soit  justement,  soit  injustement  brûlée. 


GEORGES  GHASTELLAIN  ET  SA  CHRONIQUE 

Georges  Chastellain  fut  appelé  par  ses  contemporains  la  perle,  l'étoile 
des  historiographes.  Personne,  disait-on,  ne  maniait  mieux  la  langue 
française  :  une  si  haute  renommée  ne  sauva  cependant  pas  ses  ouvrages 
d'an  oubli  plus  que  séculaire.  Durant  longtemps  on  ne  connut  du  fécond 
écrivain  qu'un  de  ses  écrits  les  moins  étendus  :  Recollection  des  merveilles 
amiues  en  notre  temps. 

Bachon  exhuma,  en  1825,  les  fragments  d'une  Chronique  dont  Chastel- 
lain est  l'auteur,  et  la  reproduisit  dans  son  Panthéon  littéraire.  L'attention 
était  éveillée.  D'autres  manuscrits  furent  découverts,  assez  pour  que,  en 
1865,  M.  Kervyn  de  Lettenhove  ait  pu  former  huit  volumes  in-octavo  des 
CEuvres  de  l'écrivain  flamand.  Encore  en  reste-t-il  d'autres  à  retrouver, 
si  elles  ne  sont  pas  à  jamais  perdues. 

Le  docte  éditeur,  dans  la  notice  pleine  d'érudition  mise  en  tête  de  la 
publication,  nous  apprend  que  Georges  Chastellain  naquit  à  Alost  en  1403, 
d'une  famille  noble.  Un  goût  précoce  pour  l'élude  le  retint  à  l'Université 
de  Louvain,  jusqu'à  l'âge  de  vingt-cinq  ans.  11  s'éprit  alors  de  l'amour 

^-  Si,  comme  le  dit  Gilles  de  Roye,  la  Pucelle  a  été  conduite  à  Noyon  pour  être  vue 
P»rla  jeune  duchesse,  nous  serions  fixés  sur  la  date  de  celte  entrevue.  La  duchesse 
*niva  à  Noyon  le  6  juin.  (Voy.  Noyon,  par  M.  iMaizièros.) 


460  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

des  voyages  et  des  aventures,  fut  quelque  temps  au  service  du  duc  de 
Bourgogne,  et  passa  en  France  après  le  traité  d'Arras.  Il  y  vécut  dix  ans, 
lié  avec  les  plus  hauts  personnages  de  la  cour,  honoré  de  nombreux 
bienfaits  de  la  part  de  Charles  VIL  Rentré  dans  les  Etats  de  son  souverain, 
il  fut  accueilli  avec  faveur  par  le  duc  Philippe,  qui  lui  confia  d'honorables 
emplois,  le  chargea  de  plusieurs  ambassades,  et  lui  conféra  le  titre  de 
conseiller. 

Chastellain,  dégoûté  du  monde,  renonça  à  la  vie  publique  et  se  retira 
à  Valenciennes.  Le  duc  le  logea  dans  le  château  de  La  Salle  le  Comte, 
qu'il  y  possédait,  lui  constitua  d'abord  une  rente  quotidienne  de  18  sols 
11  gros,  bientôt  plus  que  doublée  par  une  pension  annuelle,  allouée  à 
condition  qu'il  mettrait  par  escript  choses  nouvelles  et  morales^  en  quoy  il 
est  expert  et  cognoissant,  et  aussi  par  manière  de  Chroniques  les  faits  dignes 
de  mémoire.  Chastellain  reçut  le  titre  à'indiciaire^  c'est-à-dire  d'historio- 
graphe. 

Chastellain  mérita  sa  pension.  Il  écrivit  avec  de  longs  détails  l'histoire 
de  Philippe  le  Bon  et  celle  de  son  fils  Charles  le  Téméraire  jusqu'au 
siège  de  Neuss.  Malheureusement  on  n'en  a  retrouvé  que  des  fragments 
qui  font  beaucoup  regretter  l'ensemble.  L'on  ne  se  trompait  pas  en 
saluant  dans  Chastellain  le  premier  écrivain  français  de  son  temps.  Il  a 
le  relief  de  Saint-Simon  avec  moins  de  dureté. 

Ce  que  l'on  possède  sur  la  libératrice  part  du  retour  de  la  Pucelle  à 
Lagny  jusqu'à  son  supplice. 

Le  Fèvre  de  Saint-Rémy,  dont  la  Chronique  très  défavorable  à  la  Libé- 
ratrice sera  citée  dans  le  livre  suivant,  envoyait  à  Georges  Chastellain 
le  canevas  des  faits.  C'est  à  Saint-Rémy  qu'il  faut  attribuer  le  conte 
inventé  sur  ce  qui  précéda  la  sortie  de  Compiègne. 

Un  historiographe  officiel  du  duc  de  Bourgogne  ne  pouvait  pas  se 
prononcer  contre  le  brigandage  de  Rouen.  Chastellain  essaye  de  le 
justifier,  et  dans  son  vain  essai  donne  des  détails  précieux  à  enregistrer. 

Personne  n'a  parlé  avec  plus  de  splendeur  de  l'intrépidité,  de  la  ma- 
gnanimité de  la  jeune  fille,  de  la  place  qu'elle  tenait  dans  son  parti  et  dans 
le  parti  ennemi.  Le  témoignage  est  doublement  précieux,  parce  qu'il  est 
celui  d'un  adversaire,  et  aussi  parce  que,  d'après  Pontus  Heuterus, 
Chastellain  avait  vu  la  Pucelle.  Ses  sentiments  intimes  se  manifestent 
plus  clairement  dans  quelques  strophes  poétiques  qui  seront  citées  dans 
un  autre  volume. 


CHRONIQUE  DE  GEORGES  GHASTELUIN.  461 


CHAPITRE  X 

DERNIERS  EXPLOITS,    PRISE  ET  CONDAMNATION  DE  LA  PUCELLE. 

SouxAiRE  :  I.  —  Le  duc  de  Bourgogne  vient  assiéger  Compiègne.  —  Préparatifs  de 
défense  des  assiégés.  —  Assiette  du  camp.  —  Nombreux  concours  autour  du  duc  de 
Bourgogne. 

II.  —  Franquet  d*Arras.  —  La  Puceile  le  rencontre  revenant  du  pillage.  —  Combat 
acharné.  —  Franquet  prisonnier,  exécuté. 

III.  —  Diligence  du  duc  au  siège  de  Compiègne.  —  La  Pucelle  dans  la  ville.  —  Ce  que 
lui  prête  le  chroniqueur.  —  La  sortie.  —  Portrait  de  la  Pucelle  allant  au  combat.  — - 
Attaque  contre  Margny  où  campe  Baudot  de  Noyelle.  — Visiteurs  qu'il  recevait  en  ce 
moment.  -♦  Premier  succès  de  la  Pucelle.  —  Toute  l'armée  assiégeante  accourt.  — 
La  troupe  de  la  Pucelle  enveloppée  se  retire.  —  Magnanimité  de  Théroïne  protégeant 
la  retraite.  —  Elle  est  prise.  —  Le  preneur  aussi  joyeux  que  s'il  avait  pris  un  roi. 
—  Compagnons  de  captivité.  —  Joie  du  duc  et  du  camp  tout  entier.  —  La  Pucelle 
visitée  par  le  duc.  —  Sa  longue  captivité  à  Beaurevoir. 

iV.  —  Livrée  aux  Anglais.  —  Le  procès  de  Rouen  d'après  le  chroniqueur.  —  Précau- 
tion de  Cauchon  pour  se  couvrir.  —  L'Université  de  Paris.  —  Instances  pour  faire 
rétracter  l'accusée.  —  Instances  de  la  cour  d'Angleterre  pour  faire  publier  le  récit 
menteur  expédié  par  elle. 


I 

Livre  II.  —  Chapitre  xi.  —  Comment  le  duc  se  logea  devant  Compiègne 
à  grant  puissance. 

Aussitôt  après  que  le  Pont-à-Choisy  eut  été  pris  et  démoli,  le  duc  fit 
incontinent  déloger  son  armée  du  lieu  où  elle  était,  et  lui  fit  repasser  la 
rivière  de  TOise  pour  tirer  droit  à  Compiègne  ;  car  c'est  là  qu'il  désirait 
mettre  le  siège.  Il  y  vint  lui-môme  en  personne  loger  à  une  lieutte  près 
de  la  ville,  que  ceux  du  dedans  avaient  bien  mise  à  point,  et  bien  rem- 
parée  par  dehors  de  gros  et  puissants  boulevards  et  d'autres  fortifications, 
avertis  qu'ils  étaient  de  longtemps  que  le  siège  y  viendrait.  Pour  ce  motif 
y  étaient  venus,  afin  de  la  garder,  les  plus  gens  de  guerre  et  de  plus 
grande  valeur  qui  fussent  dans  le  parti  des  Français,  car  la  perte  de  la  place 
leur  eût  causé  un  dur  chagrin,  et  grand  mal  en  la  fin  *  ;  aussi  leur  seyait-il 
bien  de  la  défendre  soigneusement. 

Or,  comme  je  vous  l'ai  dit,  le  duc  était  venu  loger  à  Coudun,  le  comte 
de  Ligny  à  Clairoy,  Messire  Baudot  de  Noyelle  à  Margny  sur  la  chaussée, 
et  le  seigneur  de  Montgommerry  avec  ses  Anglais  à  Yenette,  au  bout  de 

1.  Car  la  perte  d'icelle  leur  eust  moult  tourné  à  dur  y  et  à  grand  meschief  en  la  fin. 


462  LA  VRAIE  JEANNE  D^ARG  :   LA  LIBÉRATRICE. 

la  prairie.  Là,  les  gens  de  diverses  nations,  Boui^uignons,  Flamands, 
Picards,  Allemands,  Haynuyers,  vinrent  se  rendre  auprès  du  duc  pour 
renforcer  sa  puissance.  Tous  y  furent  reçus  et  les  bienvenus,  encore  qu'il 
y  eût  beaucoup  de  seigneurie  et  de  gens  de  grand  fait,  tels  que  le  comte  de 
Ligny,  et  le  seigneur  de  Croy,  Messire  Jean  son  frère,  le  seigneur 
de  Créquy,  le  seigneur  de  Santés,  le  seigneur  de  Comines,  le  seigneur  de 
Manines,  les  trois  frères,  Messire  Jacques,  Messire  David  et  Messire 
Florimond  de  Brimeu,  Messire  Le  Bègue  de  Lannoy,  tous  chevaliers  de 
rOrdre  \  sans  les  autres  en  grand  nombre  dont  les  noms  ne  se  mettent 
pas.  On  peut  bien  penser  sans  se  tromper  qu'il  y  en  avait  largement  avec 
un  tel  prince,  surtout  en  un  tel  lieu,  où  il  s'agissait  de  montrer  son  pou- 
voir et  Teffort  dont  il  était  capable. 


11 

Chapitre  xii.  —  Comment  la  Puce  lie  combattit  et  déconfit  Pratique  t 
dArras, 

Or  il  me  souvient  maintenant  comment  un  peu  par  avant  que  la 
Pucelle  fût  venue  au  secours  de  Compiègne,  un  jour,  un  gentilhomme 
d'armes,  nommé  Franquetd'Arras,  tenant  le  parti  bourguignon,  était  allé 
courir  vers  Lagny-sur-Marne,  bien  accompagné  de  vaillants  gens  d'armes 
et  d'archers,  au  nombre  de  trois  cents  environ.  Son  aventure  voulut  qu'à 
son  retour,  il  fut  rencontré  par  cette  Pucelle  dont  les  Français  faisaient 
leur  idole,  qui  avait  avec  elle  quatre  cents  Français,  bons  combattants. 
Dès  qu'ils  s'entrevirent,  ni  l'un  ni  l'autre  ne  pouvait  ni  ne  voulait  par 
honneur  fuir  la  bataille  ;  avec  cette  différence  près  que  le  nom  de  la 
Pucelle  était  déjà  si  grand  et  si  fameux  que  chacun  la  redoutait  comme 
une  chose  dont  on  ne  savait  bien  juger  ni  en  bien  ni  en  mal  ;  mais  elle 
avait  déjà  fait  et  mené  à  terme  tant  d'entreprises  que  ses  ennemis  en 
avaient  peur,  et  que  ceux  de  son  parti  l'adoraient,  principalement  pour 
le  siège  d'Orléans,  où  elle  fit  œuvres  merveilleuses,  pareillement  pour  le 
voyage  de  Reims,  là  où  elle  mena  couronner  le  roi,  et  ailleurs  dans 
d'autres  grandes  affaires  dont  elle  prédisait  les  suites  et  les  événements*. 

i .  De  la  Toison  d'Or,  que  le  duc  venait  d'établir  depuis  fort  peu  de  temps.  Chas- 
tellain  en  parle  souvent. 

2.  ^i  voult  ainsij  son  aventure  que  ceste  PucellBy  de  qui  Pranchois  faisaient  leur  ydoUe  le 
rencontra  en  son  retour,,,  excepté  que  le  nom  de  la  Pucelle  estoit  si  grand  et  si  fameux  que 
chacun  la  resongnoit  comme  une  chose  dont  on  7îe  satoil  comment  jugier,  ne  en  bien^  ne  en 
mal;  mes  tant  avoit  fait  j à  de  besongnes  et  menées  à  chiefque  ses  ennemys  la  doubtoient, 
et  raouroient  ceulx  de  son  party,  principalement  pour  le  siège  d'Orliens,  là  où  elle  ouvra 
mcndlles  ;  pareillement  pour  le  voyatjede  Rains,  là  où  elle  mena  le  roy  couronner ^  et  ailleurs 
en  aultres  grans  affaires  dont  elle  prèdisoit  les  aventures  et  les  dvénemens. 


CHRONIQUE  DE  GEORGES  GHASTELLAIN.  463 

Or,  ce  Franquet  était  un  courageux  homme  que  rien  n'ébahissait;  qui 
vit  bien  que  le  seul  remède  à  son  cas  était  de  combattre  la  Pucelle,  ne 
respirant  de  son  côté  que  de  tomber  sur  les  Bourguignons,  et  ne  cherchant 
toujours  qu'à  inciter  les  Français  à  batailler  contre  eux  ^  Les  deux  parties 
en  vinrent  aux  mains  et  combattirent  longuement  sans  que  les  Français 
remportassent  d'avantage  sur  les  Bourguignons,  ayant  cependant  moins 
de  forces  que  leurs  adversaires  *,  mais  ils  étaient  hommes  de  grande  valeur 
et  de  bonne  défense,  à  cause  des  archers  qu'ils  avaient  avec  eux,  qui 
avaient  mis  pied  à  terre. 

Quand  la  Pucelle  vit  que  rien  ne  se  ferait  si  elle  n'avait  encore  de  plus 
grandes  forces,  elle  manda  en  toute  hâte  la  garnison  entière  de  Lagny,  et 
ainsi  fit-elle  des  garnisons  d'alentour,  pour  qu'on  vînt  l'aider  à  coucher  à 
terre  cette  petite  poignée  de  gens,  dont  on  ne  pouvait  être  maître. 
Accourus  précipitamment,  ils  reprirent  un  troisième  combat  contre 
Franquet.  Celui-ci,  sans  songera  se  sauver  parla  fuite,  espérant  toujours 
s'échapper  et  sauver  ses  gens  par  vaillance,  finit  par  être  pris,  tandis  que 
ses  gens  étaient  tués  pour  la  plupart  et  tous  déconfits.  Conduit  prisonnier, 
il  fut  dans  la  suite  décapité  par  la  cruauté  de  cette  femme  qui  désirait 
sa  mort  '  ;  ce  dont  grandes  plaintes  furent  faites  dans  son  parti,  car  il  était 
vaillant  homme  et  bon  guerrier. 


III 

Chapitre  xiv.  —  Comment  la  Pucelle  issit  dehors  Compiegne  à  Rencontre 
des  Bourguignons j  et  comment  elle  fut  prise  en  ceste  envahye. 

Je  reviens  au  logis  du  duc,  principal  sujet  de  ce  récit.  Il  était  à  Coudun, 
projetant  toujours  d'approcher  de  plus  en  plus  près  de  la  place,  pour  clore 
l'investissement  et  fixer  le  siège  ainsi  qu'il  appartenait  ;  il  y  mit  sens  et 
entendement  pour  le  faire  bien  et  convenablement,  et  le  plus  possible  à 
son  honneur. 

Or,  il  est  vrai  que  la  Pucelle  dont  il  est  tant  fait  mention  ci-dessus  était 
entrée  de  nuit  dans  Compiegne.  Après  y  avoir  reposé  deux  nuits,  le 
second  jour  elle  donna  à  connaître  plusieurs  folles  imaginations  ^  ;  elle 
mit  en  avant  et  dit  avoir  reçu  certaines  révélations  divines  annonçant 
que  de  grands  événements  allaient  advenir.  Faisant  donc   une  grande 

1.  Texte:  «'  La  Pucelle  mallement  enflambée  sur  les  Bourguignons,  et  ne  queroit 
tousjours  qu*à  inciter  François  à  bataille  encontre  eux  ». 

2.  C'est  un  Bourguignon  qui  parle. 

3.  Ce  fut  une  des  inculpations  portées  contre  Jeanne,  qui  s'en  justifia  pleinement. 

4.  Folles  phanlosmeries. 


464  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

assemblée  du  peuple  et  des  gens  de  guerre  qui  follement  avaient  mis  en 
elle  grande  créance  et  foi,  elle  fit  tenir  les  portes  closes  depuis  le  matin 
jusqu'après  dîner  bien  tard,  et  leur  dit  comment  sainte  Catherine  lui  était 
apparue,  pour  lui  signifier,  de  la  part  de  Dieu,  que  ce  jour  même,  il  vou- 
lait qu'elle  se  mît  en  armes,  qu'elle  sortît  à  rencontre  des  ennemis  du  roi, 
les  Anglais  et  les  Bourguignons  ;  que  sans  doute  elle  aurait  la  victoire 
et  les  déconfirait  ;  que  le  duc  de  Bourgogne  serait  pris  en  personne,  et 
que  la  meilleure  partie  de  ses  gens  seraient  tués  et  déconfits^. 

Les  Français  ajoutèrent  foi  à  ses  dits,  et  le  peuple  qui  croit  légèrement 
crut  à  ces  folles  illusions,  parce  que,  dans  des  cas  semblables,  ils  avaient 
quelquefois  trouvé  vérité  en  ses  paroles,  qui  n'avaient  toutefois  nul  fonde- 
ment de  certitude  dans  le  principe  de  bonté,  mais  bien  une  claire  appa- 
rence de  déceptions  de  l'ennemi,  comme  il  parut  en  la  fin  *.  Or,  toutes  les 
classes  de  gens  du  parti  de  delà  étaient  ancrées  dans  l'opinion  que  cette 
femme  était  une  sainte  créature,  une  chose  divine  et  miraculeuse,  envoyée 
pour  le  relèvement  du  roi  français  '.  Quand  donc  elle  mit  en  avant  pré- 
sentement à  Compiègne  une  si  haute  entreprise  que  celle  de  déconfire  le 
duc  de  Bourgogne,  de  l'emmener  prisonnier  en  personne,  nul  ne  se  trouva 
qui  ne  voulût  être  de  si  haute  besogne,  et  qui  volontiers  ne  s'engage&t 
tout  joyeux  pour  une  si  haute  délivrance,  par  laquelle  ils  seraient  au- 
dessus  de  leurs  ennemis.  Tous  d'un  commun  assentiment,  à  la  re- 
quête de  ladite  femme,  coururent  à  leurs  armes,  et  faisant  joie  de  ce  qui 
devait  leur  donner  un  sentiment  tout  contraire,  ils  lui  offrirent  une  suite 
prête  à  sortir  avec  elle  dès  qu'elle  voudrait. 

Elle  monta  à  cheval,  armée  comme  le  serait  un  homme,  et  parée  sur 
son  armure  d'une  huque  de  riche  drap  d'or  vermeil.  Elle  chevauchait  un 
coursier  gris  pommelé,  très  beau  et  très  fier,  et  se  maintenait  en  son  har- 
nois  et  en  ses  manières  comme  l'eût  fait  un  capitaine  meneur  d'une  grande 
armée.  En  cet  état,  son  étendard  haut  levé  et  flottant  au  vent,  bien  accom- 
pagnée de  beaucoup  de  nobles  hommes,  sur  les  quatre  heures  après-midi, 
elle  sortit  de  la  ville  qui  tout  le  jour  avait  été  fermée,  pour  faire  semblable 
entreprise  par  une  vigile  de  l'Ascension.  Elle  amena  avec  elle  tout  ce 

1.  C'est  emprunté  à  Lefèvre  de  Saint-Hémy.  La  preuve  de  la  fausseté  de  ce  récit, 
c'est  qu'au  procès  où  Ton  chercha  de  tant  de  manières  à  démontrer  la  fausseté  des 
prédictions  de  Jeanne,  il  ne  fut  pas  question  de  cette  annonce,  si  cruellement 
démentie  par  les  faits. 

2.  Texte  :  Parce  qu'en  cas  semllaUe  avoicnt  trouvé  aukunes  foys  vérité  en  ses  dis,  qui 
n'avoient  nul  fondement  toutes  voies  de  certaine  bonté,  ains  apparence  de  déception  d'ennemi^ 
comme  il  parut  en  la  fin, 

3.  Or  estoient  toutes  manières  de  gens  du  party  de  là  boutez  en  Vopinion  que  ceste 
femme  icy  fust  une  saincte  créaturey  une  chose  divine  et  miraculeuse,  envoyée  pour  le  relêie- 
ment  du  roy  franchois. 


i 


LA  CHRONIQUE  DE  GEORGES  GHASTELLÂIN.  465 

qui  pouvait  porter  les  armes,  soit  à  pied,  soit  à  cheval,  au  nombre  de  cinq 
cents  hommes  ;  elle  se  décida  à  venir  fondre  sur  le  logis  qu'occupait  Mes- 
sire  Baudot  de  Noyelle,  chevalier  bien  hardi,  vaillant,  que  ses  hauts  faits 
ont  depuis  fait  élire  pour  frère  de  l'Ordre  ;  il  campait,  comme  vous  avez 
ouï,  à  Mai^ny,  au  bout  de  la  chaussée. 

Or,  le  hasard  voulut  que  le  comte  de  Ligny,  le  seigneur  de  Créquy,  et 
plusieurs  autres  chevaliers  de  l'Ordre  fussent  partis  de  leur  logis  qui  les 
tenait  à  Clairoy,  avec  l'intention  de  venir  au  logis  de  Messire  Baudot.  Ils 
venaient  tout  désarmés,  sans  penser  à  avoir  à  combattre,  en  capitaines 
qui  vont  d'un  campement  à  un  autre  campement.  Comme  ils  cheminaient 
en  devisant,  ils  entendirent  une  très  grande  clameur  et  le  bruit  d'une 
mêlée  au  lieu  vers  lequel  ils  se  dirigeaient.  La  Pucelle  y   était  déjà 
entrée,  et  elle  commençait  à  tuer  et  à  abattre  gens  par  terre,  comme  si 
tout  eût  été  sien.  Les  seigneurs  envoyèrent  hâtivement  quérir  leurs 
armes,  et,  afin  de  secourir  Messire  Baudot,  mandèrent  venir  leur  gens  ;  et 
avec  ceux  de  Margny  qui  étaient  pour  la  plupart  désarmés  et  pris  au 
dépourvu,  ils  commencèrent  à  faire  ii  rencontre  de  leurs  ennemis  toute 
aigre    et    fière   résistance.    Parfois    les   assaillants    furent    raidement 
repoussés,  d'autres  fois  aussi  ceux  qui  étaient  assaillis,  pressés  de  près, 
avaient  bien  dur  souffrir,  parce  qu'ils  étaient  surpris,  épars  et  non  armés. 
Mais  le  bruit  qui  se  faisait  entendre  de  partout,  la  grande  confusion  des 
voix  qui  se  mêlaient,  fit  venir  des  gens  de  tous  côtés  et  affluer  vers  les 
Bourguignons  plus  de  secours  qu'il  n'en  fallait.  Le  duc  lui-même  et  ceux 
de  son  logis  qui  étaient  loin  s'aperçurent  assez  promptement  de  ce  qui 
se  passait,  et  s'apprêtèrent  à  venir  à  Margny  et  y  vinrent  en  effet;  mais 
avant  que  le  duc  pût  arriver  avec  les  siens,  les  Bourguignons  avaient 
déjà  repoussé  les  Français  bien  arrière  de  leur  logis. 

Les  Français  commençaient  à  se  retirer  tout  doucement  avec  leur 
Pucelle,  comme  gens  qui  ne  trouvaient  pas  avantage  sur  leurs  ennemis, 
mais  plutôt  péril  et  dommage.  Ce  que  voyant,  les  Bourguignons,  émus 
de  sang,  non  contents  de  les  avoir  chassés  en  se  défendant,  s'ils  ne  leur 
causaient  pas  une  plus  grande  perte  en  les  poursuivant  de  près,  se 
jetèrent  valeureusement  sur  eux  à  pied  et  à  cheval,  et  leur  portèrent 
grand  dommage. 

La  Pucelle  passant  nature  de  femme  soutint  le  grand  faix  du  combat,  et 
se  donna  beaucoup  de  peine  pour  sauver  sa  compagnie  de  perte,  demeu- 
rant à  l'arrière  comme  chef  du  troupeau  et  la  tète  la  plus  vaillante  \  La 
fortune  permit  que  ce  fut  la  fin  de  sa  gloire,  son  dernier  combat,  et 

1.  La  Pucelle,  passant  nature  de  femme,  soutint  grand  fès,  et  mist  beaucoup  peine  à 
sauver  sa  con^agnie  de  perte,  demorant  derrier  comme  chief  et  comme  la  plus  vaillant  du 
troupeau. 

m.  30 


466  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

qu'elle  ne  dut  plus  porter  les  armes.  Un  archer,  raide  homme  et  bien 
aigre,  outré  de  dépit  qu'une  femme  dont  il  avait  tant  ouï  parler  pût 
prétendre  à  repousser  tant  de  vaillants  hommes,  ainsi  qu'elle  Tavait 
entrepris,  la  prit  de  côté  par  sa  huque*  de  drap  d'or,  et,  la  tirant  du 
cheval,  la  fit  étendre  de  son  long  à  terre.  Malgré  ses  efforts,  et  quelque 
peine  que  prissent  ses  gens  pour  la  secourir,  elle  ne  put  y  être  remontée. 
Un  homme  d'armes,  nommé  le  bâtard  de  Wandonne,  qui  survint  au 
moment  de  sa  chute,  la  pressa  de  si  près  qu^elle  lui  donna  sa  foi  parce 
qu'il  se  disait  homme  noble.  Plus  joyeux  que  s'il  avait  eu  un  roi  entre 
SES  mains  S  il  l'amena  hâtivement  à  Margny,  et  là  la  tint  en  sa  garde 
jusqu'à  la  fm  du  combat.  Furent  pris  auprès  d'elle  Poton  le  Bourguignon, 
un  gentilhomme  d'armes  du  parti  français,  le  frère  de  la  Pucelle,  son 
maître  d'hôtel,  et  quelques  autres  en  petit  nombre  qui  furent  menés  à 
Margny,  et  mis  sous  bonne  garde. 

Les  Français  voyant  la  journée  tourner  contre  eux,  et  leur  coup  de  main 
de  petit  profit,  se  retirèrent  dans  le  plus  bel  ordre  qu'ils  purent,  dolents 
et  confus.  De  l'autre  côté,  Bourguignons  et  Anglais,  joyeux  de  leur 
capture,  retournèrent  au  logis  de  Margny,  où  le  duc  arrivait  avec  tous 
ses  gens,  pensant  venir  à  temps  pour  la  mêlée,  lorsque  tout  était  déjà 
fait,  et  qu'était  mené  à  terme  tout  ce  qui  pouvait  s'en  faire.  On  lui  dit  ce 
que  l'on  venait  d'acquérir,  et  comment  la  Pucelle  était  prisonnière  avec 
quelques  autres  capitaines.  Qui  en  fut  très  joyeux?  ce  fut  lui*.  Il  alla  la 
voir  et  la  visiter,  et  échangea  avec  elle  quelques  paroles  qui  ne  sont  pas 
venues  jusqu'à  moi  ;  je  ne  m'en  enquis  pas  plus  avant;  il  la  laissa  là,  et 
la  mit  en  la  garde  de  Messire  Jean  de  Luxembourg,  qui  l'envoya  en  son 
château  de  Beaurevoir,  où  elle  demeura  longtemps  prisonnière. 


IV 

Chapitre  xlvii.  —  Comment  Jehanne  la  Pucelle  fut  jugiée  et  arse  à 
Rouen. 

On  a  bien  mémoire  comment  cette  femme  que  les  Français  appelaient 
la  Pucelle  avait  été  prise  dans  une  sortie  qu'elle  fit  devant  Compiègne 
contre  les  Bourguignons,  et  comment  Messire  Jean  de  Luxembourg  la 
tint  pendant  quelque  temps  prisonnière  en  son  château  de  Beaurevoir* 
11  l'envoya  ensuite  à  Rouen  entre  les  mains  du  roi  anglais  et  de  ses  offi- 
ciers pour  la  faire  dûment  interroger  et  examiner  sur  son  état  et  sa  con- 

1.  Dans  le  texte  de  M.  de  Lettenhove  on  lit  :  «  manteau  de  drap  d'or  ». 

2.  Texte  :  Plus  joyeulx  que  sHl  eust  eu  ung  roy  entre  ses  mains» 

3.  Texte  :  Qui  moult  en  fut  joyeux?  ce  fut  il. 


LA  CHRONIQUE  DE  GEORGES  CHASTELLAIN.  467 

dition.  Ses  faits  recouvraient  plusieurs  hérésies  et  étranges  choses  bien 
périlleuses,  sur  lesquelles  il  était  nécessaire  d'avoir  un  très  grand  et  très 
mûr  conseil  pour  en  décider  salutairemcnt  en  vraie  et  bonne  justice, 
comme  le  cas  le  demandait. 

C'est  la  vérité  qu  après  que  cette  Jeanne,  dite  la  Pucellc,  eût  été  prise 
et  délivrée  entre  les  mains  du  roi  anglais,  Tévèque  du  diocèse  oii  elle 
avait  été  prise  Tavait  fait  demander  très  instamment,  afin  de  Tavoir 
devers  lui  pour  l'examiner  comme  son  juge  ordinaire.  Pour  ce  motif  il 
avait  même  envoyé  vers  le  roi  anglais  en  la  cité  de  Rouen  où  il  se  tenait. 
Le  roi,  considérant  que  le  cas  était  fort  raisonnable,  la  lui  délivra  volon- 
tiers. Ledit  évoque  commit  pour  être  examinateur  avec  lui  le  vicaire  de 
rinquisiteur  de  la  foi,  s'adjoignant  en  outre  grand  nombre  de  maîtres  en 
théologie,  de  docteurs  solennels  qui  tous  assistèrent  aux  interrogatoires. 
Toutes  les  hérésies,  superstitions  et  erreurs  dans  lesquelles  cette  femme 
était  tombée,  clairement  connues  et  prouvées,  tant  par  sa  propre  confes- 
sion comme  par  diverses  investigations  et  claires  circonstances  de  son 
cas,  lesdits  examinateurs  les  ayant  notées  par  points  et  par  articles,  les 
envoyèrent  à  Paris  pour  être  considérées  et  discutées  publiquement  en 
l'Université,  afin  que  jamais,  en  nul  temps  à  venir,  ils  ne  pussent  être 
notés  pour  avoir  procédé  légèrement  en  ce  cas,  par  affection  ou  par  haine, 
mais  seulement  en  toute  voie  d'équité,  et  en  vue  du  salut  des  âmes,  pour 
qu'il  pût  et  dût  apparaître  à  tout  le  monde  que  tout  avait  été  bien  et  jus- 
tement fait.  Ces  points  vus  et  examinés  en  assemblée  générale  furent, 
après  mûre  délibération  de  toute  l'Université,  jugés  et  condamnés  comme 
pleins  de  dol  et  des  méchancetés  de  l'ennemi,  et  en  même  temps  ladite 
Jeanne  fut  jugée  hérétique,  blasphémeresse  contre  Dieu,  et  siiperstitieuso 
devineresse. 

Cette  condamnation  prononcée  par  toutes  voies  contre  la  personne  cl 
les  aveux  de  Jeanne,  les  examinateurs,  au  nom  de  sainte  Église  qui 
voudrait  sauver  toutes  les  âmes,  les  réduire  à  vrai  et  bon  état,  sans  faire 
mourir  personne  par  justice  séculière,  se  contentant  d'une  punition  salu- 
taire en  prison  ou  autrement,  les  examinateurs  n'omirent  aucun  effort, 
aucune  peine,  firent  de  longues  et  de  diverses  instances  pour  que  cett.' 
femme  rétractât  les  fausses  déceptions  par  lesquelles  l'ennemi  Tavait 
conduite,  pour  qu'elle  retournât  à  la  vraie  lumière  de  vérité  et  contrition 
[de  ses  péchés]^  délaissant  les  fausses  et  erronnées  opinions  et  imagina- 
tions qu'elle  avait  conçues  et  qu'elle  maintenait  contre  l'honneur  de  la 
divine  majesté,  et  pour  sa  perpétuelle  damnation  ;  mais  leurs  instances  et 
leurs  labeurs  portèrent  si  peu  de  fruit  qu'à  cause  de  la  diabolique  obsti- 
nation en  laquelle  elle  persévérait  et  voulait  persévérer  toujours,  elle 
fut  livrée  finalement  à  la  justice  séculière,  à  Rouen,  pour  faire  d'elle  ce 


468  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

qu'elle  en  jugerait.  L'Église  se  désintéressa  d'elle  après  avoir  bien  sainte- 
ment fait  son  devoir,  et  elle  laissa  la  justice  temporelle  agir  selon  Tap- 
partenir  du  cas. 

Comment  toute  l'affaire  avait  été  conduite  et  démenée,  le  roi  anglais 
le  notifia  expressément  au  duc  de  Bourgogne,  son  oncle,  par  ses  lettres, 
dont  la  teneur  est  celle  qui  suit  : 

«  Très  cher  et  très  aimé  oncle,  etc.  »  [suivent  les  lettres  déjà  rapportées 
dans  la  Chronique  de  Monstrelet.] 

Chastellain  ajoute  :  «  Le  roi  d'Angleterre  signifia  ces  choses  au  duc  de 
Bourgogne,  afin  que  cette  exécution  fut  publiée  par  lui,  comme  par  les 
autres  princes  chrétiens  dans  tous  ses  pays  et  auprès  de  ses  sujets,  pour 
abolir  et  extirper  Terreur  et  les  mauvaises  créances  qui,  sur  cette  femme, 
étaient  déjà  éparses  par  toute  la  chrétienté.  » 


LE   NOTAIRE  PIERRE    COCHON 

Ce  n'est  nullement  du  bourreau  de  la  Pucelle,  du  Caïphe  de  Beauvais 
qu'il  s'agit;  mais  de  l'un  des  douze  notaires  apostoliques  que  Ton 
comptait  à  Rouen  alors  que  la  Pucelle  y  subissait  son  martyre.  Celui-ci 
a  laissé  une  Chronique  que  le  premier  éditeur,  Yallet  de  Viriville,  a 
appelée  Chronique  Normande^  appellation  que  lui  a  maintenue  le  second 
éditeur,  M.  de  Robillard  de  Beaurepairc. 

M.  de  Beaurepaire  a  étudié  avec  son  ordinaire  diligence,  et  apprécié, 
avec  la  justesse  d'esprit  qu'on  lui  connaît,  la  Chronique  Normande  et 
son  auteur.  D'après  le  docte  archiviste,  Pierre  Cochon  est  né  vers  1390, 
au    pays   de   Caux,    à    Fontaine-le-Dun    dans   la    vicomte    d'Arqués, 
aujourd'hui  dans  l'arrondissement  de  Dieppe.  Il  serait  mort  vers  1456. 
Prôtre,  il  exerça  les  fonctions   de  notaire  apostolique,  c'est-à-dire  de 
notaire    nommé    médiatement   par  le    Pape,    qui    avait    délégué   à   la 
corporation  des  notaires  de  Rouen  le  droit  de  choisir  leurs  collègues. 
Pierre  Cochon  fut  l'ami  de  Manchon,  le  greffier  du  procès  de  Rouen,  et 
lui  succéda  dans  la  cure  de  Vitledeur.  On  les  voit  nommés  tous  deux  simul- 
tanément exécuteurs  testamentaires  d'un  collègue,  et  ils  boivent  ensemble 
à  l'hôtel  de  la  Pierre,   près  la  cour   du   parlement.  Il  est  à  croire  que 
Cochon  partageait  vis-à-vis  de  la  Martyre  les  sentiments  de  son  ami,  qui .» 
pendant  un  mois,  pleura  au  souvenir  du  supplice  de  la  victime. 

Pierre  Cochon,  dans  sa  Chronique,   embrasse,  comme  il   pouvait   la 


LA  PUGELLE,  D'APRÈS  LE  NOTAIRE  PIERRE  COCHON.  469 

connaître,  l'histoire  non  seulement  de  la  Normandie,  mais  de  la  France 
à  partir  de  1108  jusqu'en  1430.  Il  s'arrête  lorsque  la  Pucelle  arrive  à 
Rouen.  Pourquoi  nVt-il  paspoussé  plus  loin  son  œuvre?  MM.  de  Beau- 
repaire  et  Auguste  Yallet  pensent  que  c'est  parce  qu'il  n'aurait  pas  pu 
écrire  sans  péril  ce  qu'il  pensait  du  forfait  de  la  place  du  Vieux-Marché. 
Le  juge  prévaricateur  qui  l'avait  commis,  ayant  poursuivi  et  puni  les 
propos  accusateurs  du  Dominicain  Bosquier,  aurait,  à  plus  forte  raison, 
poursuivi  et  puni  les  écrits  d'un  officier  de  la  cour  archiépiscopale; 
conjecture  plausible  quoique  sans  caractère  de  certitude. 

Soucieux  des  besoins  du  peuple  auquel  il  appartenait  par  sa  naissance, 
le  notaire  Pierre  Cochon  est  attaché  au  parti  bourguignon,  qui  aux  yeux 
de  la  multitude  séduite  défendait  les  intérêts  populaires.  Il  n*aime  pas  les 
Anglais,  mais  il  déteste  les  Armagnacs,  défenseurs  d*une  noblesse  immo- 
rale, oppressive  et  insolente.  Il  tient  aux  privilèges  de  Tordre  ecclésias- 
tique et  les  défend  vigoureusement.  Son  langage  est  trivial,  quelquefois 
grossier,  intéressant  toutefois  dans  sa  rude  franchise.  La  Pucelle  était  dans 
les  rangs  de  ces  Armagnacs  abhorrés.  L'écrivain  normand  ne  partage 
pas  vis-à-vis  d'elle  les  sentiments  de  Jean  ChufiFard,  le  faux  bourgeois  de 
Paris.  S'il  ne  lui  donne  pas  dans  les  événements  la  place  qu'elle  y  a  rem- 
plie,   du  moins  il  s'abstient  à  son  égard  de  tout  terme  injurieux.    Il 
n'est  pas  tellement  démocrate   qu'il   ne  rende  justice  aux  sentiments 
d'humanité  de  Charles  VII  qui  avait  recommandé  aux  capitaines  conqué- 
rants des  places    de   Normandie    de    ne    faire    sentir   leurs   rigueurs 
qu'aux  Anglais  et  d'épargner  les  Français.  Le  chroniqueur  ne  fait  que 
rappeler,  non  sans  les  confondre  quelquefois,  les  faits  passés  au  sud  de 
la  Loire,  oumùme  de  la  Seine.  Il  a  quelques  particularités  remarquables 
sur  les  événements  plus  à  portée  de  son  observation.  Tels  le  profond 
découragement  des  Anglais,  après  la  défaite  de  Patay  ils  voulaient  fuir 
la  France  ;  la  part  des  milices  communales  dans  les  guerres  de  la  Pucelle  ; 
Hnaction   des  Anglais  immobiles  derrière  leurs  retranchements   aux 
journées  de  Senlis;  la  disette  de  vivres  qui  força  l'armée  française  à  ne 
pas  prolonger  l'attente  de  la  bataille  ;  la  cause  de  l'échec  sur  Paris  ;  la 
construction  du  pont  sur  la  Seine  attestée  par  Perceval  de  Cagny. 


CHAPITRE   XI 

LA  PUCELLE,   D'APRÈS  LE  NOTAIRE  PIERRE  COCHON. 

Sommaire  :  I.  —  Siège  et  délivrance  d*Orléans.  —  Idée  qu'on  se  faisait  de  la  Pucelle. 
"-  Prise  des  villes  des  bords  de  la  Loire.  —  Bataille  de  Patav.  —  Profond  découra- 


l 


470  LA  YBAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

gemenl  des  Anglais.  —  Rapidité  des  conquêtes  avant  et  après  le  sacre.  —  Terreur 
inspirée  par  la  Pucelle.  —  Concours  que  lui  prête  le  peuple. 
U.  —  Rencontre  près  de  Senlis.  —  Inaction  des  Anglais  retranchés  dans  leur  camp.  — 
Retraite  des  Français  faute  de  livres  ;  retraite  des  Anglais.  —  Siège  de  Paris.  — 
Famine  dans  Paris.  —  Assaut  donné  à  la  \ille.  —  Elle  est  sur  le  point  d'être  emportée. 
—  Victoire  arrêtée  par  La  Trémoille,  par  un  message  bourguignon.  —  Mécontente- 
ment des  assaillants.  —  Trêves.  —  Retraite  de  Charles  VU.  —  Pont  jeté  sur  la  Seine. 


I 

L'an  1 428,  avant  Pâques  le  siège  fut  mis  par  les  Anglais  devant  la  ville 
d'Orléans,  où  ils  se  fortifièrent  très  fort  de  fossés,  boulevards  et  bastilles. 
Et  ils  y  furent  jusqu'au  mois  de  juin*  de  l'an  1429.  En  ce  mois,  ceux  de 
dedans  la  ville  sortirent  avec  une  autre  quantité  de  gens  d'armes,  et  une 
jeune  fille  que  l'on  appelait  la  Pucelle.  Plusieurs  disaient  qu'elle  était 
envoyée  de  par  Dieu,  pour  aider  Charles,  Dauphin,  fils  de  Charles,  roi  de 
France,  trépassé,  à  recouvrer  son  royaume,  qu'avait  conquis  Henri,  roi 
d'Angleterre,  dont  devant  il  est  fait  mention.  Lesdits  gens  d'armes  et  la 
Pucelle  sortirent  ainsi,  assaillirent  de  force  les  boulevards  des  Anglais,  y 
mirent  le  feu,  et  tuèrent  une  grande  quantité  d'Anglais,  tant  qu'il  fallut 
que  lesdits  Anglais  levassent  le  siège,  s'enfuissent;  et  ainsi  ils  furent 
tous  ébahis. 

Item.  En  cet  an,  etaudit  mois  de  juin,  environ  la  Saint-Jean,  les  Anglais 
se  rallièrent  pour  aller  contre  les  Français  qui  les  avaient  ainsi  battus*, 
et  ils  les  trouvèrent  plus  tôt  qu'ils  n'en  auraient  eu  besoin ',  car  lesdits 
Français  prirent  deux  forteresses,  l'une  nommée  Jargeau,  l'autre  Bau- 
gency;  ils  y  tuèrent  grande  quantité  desdits  Anglais,  ils  y  gagnèrent 
grosses  finances,  des  canons,  des  bombardes  et  d'autres  instruments  de 
guerre  ;  et  incontinent  ils  vinrent  vers  une  forteresse  nommée  Janville. 
Ils  trouvèrent  et  rencontrèrent  les  Anglais  à  grosse  compagnie,  et  là  ils 
tombèrent  [deffèrirent)  sur  eux  si  âprement  que  les  Anglais  ne  savaient 
comment  se  défendre.  Plusieurs  y  furent  tués,  les  autres  faits  prisonniers, 
et  les  Français  demeurèrent  les  maîtres. 

Là  furent  pris  trois  grands  seigneurs  anglais,  à  savoir  le  comte  de 
Suffolk,  M.  de  Scalles  (cTEscal/ez),  et  un  nommé  Talbot  qui  était  un  des 
bons  routiers  des  Anglais.  Il  n'échappa  des  Anglais  qu'un  nommé  Jean 
Fastoff,  avec  sept  ou  huit  cents  Anglais  qui  étaient  à  cheval.  Ils  s'en- 
fuirent quand  ils  virent  que  la  partie  tournait  mal;  s'ils  eussent  été  à 
pied,  comme  ceux  du  gros  de  l'armée,  il  ne  serait  pas  demeuré  un  seul 

i.  Jusqu'au  8  mai. 

2.  Texte  :  Cnpponnés. 

3.  Texte  :  Plustôt  que  meslier  ne  leur  estoit. 


LA  PUCELLE,  D* APRÈS  LE  NOTAIRE  PIERRE  COCHON.  471 

homme  qui  n'eût  été  mort  ou  prisonnier  ;  et  là  les  Anglais  furent  bien 
matéSf  plus  que  jamais  ils  ne  Tavaienl  été  en  France.  Us  voulaient  s'en 
retourner  en  Angleterre  et  laisser  le  pays,  si  le  régentleût  souffert  ;  et  les 
Anglais  étaient  alors  si  anéantis  qu'un  Français  en  eût  chassé  trois  \ 

Item.  En  cet  an,  tant  audit  mois  de  juin  qu'au  mois  de  juillet  qui  sui- 
vit, les  Français  prirent  deux  forteresses,  Tune  nommée  Meung  et  Tautre 
Janville,  et  aussi  audit  mois  de  juillet  ils  conquirent  plusieurs  autres 
places  fortes,  comme  Troyes,  Auxerre,  Reims,  et  plusieurs  autres. 
Le  Dauphin  se  fit  sacrer  à  Reims  par  TArchevôque  du  lieu,  qui  était  en  sa 
compagnie,  et  au  sacre  Ton  fit  beaucoup  de  grands  (beaucoup  de  cheva- 
liers^ comtes^  etc.). 

Après,  il  conquit  plusieurs  forteresses  comme  Gompiègne,  Senlis  et 
plusieurs  autres.  Chacun  redoutait  ledit  Charles;  il  reconquit  en  deux 
mois  ce  que  les  Anglais  avait  mis  plus  de  trois  ans  à  conquérir.  L'on 
craignait  moult  cette  Pucelle^;  car  elle  usait  de  sommation,  et  disait 
que  si  Ton  ne  se  rendait  pas,  elle  prendrait  d'assaut.  Elle  avait  avec  elle 
grande  quantité  de  gens  dupays  (du  peuple  des  lieux  par  où  elle  passait), 
à  pied;  lesquels  faisaient  très  bien  leur  devoir  et  l'avaient  fait  es  batailles 
contre  les  Anglais^.  Car  les  Anglais  les  avaient  menacés  de  mettre  le  feu. 
pourquoi  ils  étaient  plus  indignés  contre  eux. 


II 

Item.  En  cet  an  1429,  au  mois  d'août  qui  suivit,  les  Français  prirent  la 
cité  de  Beauvais.  Après  cette  prise  les  Anglais  firent  leur  criée  de  mar- 
che, et  allèrent  près  de  Senlis.  Là  était  le  duc  de  Bedford,  régent,  avec 
très  grande  compagnie  d'Anglais.  Ledit  Charles  y  fut  avec  toute  son 
armée,  et  il  mit  les  Anglais  en  tel  respect,  qu'ils  étaient  réunis  en  une 
même  masse,  et  qu'ils  n'osaient  pas  sortir  de  leur  place  ni  se  séparer  de 
la  longueur  d'un  trait  d'arc  \  Et  lesdils  Anglais  avaient  des  pieux  de  haie 
aigus,  fixés  autour  d'eux,  et  les  Français  ne  pouvaient  ni  les  grever  ni 
courir  susà  cause  desdits  pieux.  Et  n'eussent  été  lesdits  pieux,  les  Anglais 

i.  El  s'en  VQuloxeni  retourner  en  Angleten^e  et  lessier  ainsi  le  pais  se  le  régent  leur  eust 
souffert f  et  estoient  adonc  Anglois  si  abolis  que  ung  Franchois  en  eust  cachié  trois, 

2.  Bt  douhtoit  chascun  ledit  Charles  et  conquit  en  deux  mois  ce  que  les  An(flois  avoioit 
mis  à  conquerre  plus  de  trois  ans,  et  cregnoit  Von  moult  ceste  Pucelle. 

3.  Texte  :  Et  avoit  avec  elle  grant  quantité  de  gens  de  pais  a  pié,  lesquels  faisoient  trds 
bien  leur  devoir,  et  avoient  fait  es  batailles  contre  les  Anglois. 

4.  Ledict  Charles  mit  lesdits  Anglois  en  telle  subjection,  car  ils  estoient  tous  en  wvj 
trouppel,  et  n'eussent  oséiceulx  Anglois  partir  place  et  ne  eulx  séparer  la  longueur  d'un 
trait  d'arc. 


472  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

eussent  eu  beaucoup  à  souffrir.  Finalement,  par  défaut  de  vivres*,  vu  la 
multitude  qu'ils  étaient,  les  Français  durent  se  retirer,  et  eux  retirés,  les 
Anglais  s'en  allèrent,  et  il  n'y  eut  pas  de  bataille,  et  ledit  régent  s'en 
vint  à  Vernon... 

En  ce  temps,  au  mois  d'août  Tan  1429,  en  la  fin  dudit  mois  d'août, 
ledit  Charles  vint  mettre  le  siège  devant  Paris  avec  le  duc  d'Alençon, 
messire  Charles  de  Bourbon,  la  Pucelle  dont  devant  il  est  fait  mention,  le 
duc  de  Bar,  accompagnés  de  trente  à  quarante  milles  hommes,  tant 
Français,  Uennuyers,  Liégeois  comme  Barrois.Ils  étaient  logés  à  Saint- 
Denis,  à  Montmartre  et  autres  lieux  autour  de  Paris  ;  et  ils  mirent  la 
ville  en  telle  sujétion  qu'il  n'y  venait  vivres  de  nul  côté,  et  les  vivres 
étaient  si  chers  en  la  ville  que  c'était  grand  merveille. 

Et  ils  y  furent  bien  près  de  six  semaines*,  et  quand  ils  virent  qu'ils  ne  se 
rendaient  pas,  le  roi  Charles  et  ceux  de  sa  compagnie  avisèrent  qu'on 
leur  ferait  assaut.  L'assaut  fut  si  âpre  et  si  merveilleux  que  ceux  de  dedans 
furent  tout  ébahis,  et  il  n'y  avait  homme  qui  osât  s'aventurer  dessus  le 
mur  à  cause  des  traits  de  ceux  qui  assaillaient.  Lesdits  assaillants  avaient 
une  manière  d'instruments  nommés  couleuvres  {sic)  qui  jetaient  des 
pierres  et  des  plombées,  mais  ne  faisaient  point  de  noise,  sinon  un  peu 
siffler;  elles  jetaient  aussi  droit  qu'une  arbalète;  l'assaut  fui  si  fort  que 
ceux  de  dedans  avaient  comme  abandonné  la  défense  du  mur  ;  et  les  assaiU 
lants  étaient  si  près  du  rempart  qu'il  ne  fallait  que  lever  les  échelles  dont 
ils  étaient  bien  pourvus^  pour  qu'ils  eussent  été  dedatis^. 

Mais  il  y  fut  avisé  par  un  nommé  Messire  de  LaTrémoille^  du  côté  dudit 
Charles;  il  y  aurait  eu  trop  occision,  car  les  assaillants,  comme  Ton  disait, 
avaient  intention  de  massacrer  et  de  mettre  le  feu. 

Etaussil'on  disait  que  M.  de  Bourgogne  avait  envoyé  un  héraut  devers 
ledit  Charles  en  disant  qu'il  tiendrait  l'appointement  qu'il  avait  fait  avec 
le  môme  Charles,  et  qu'il  cessât  lui  et  ses  gens.  S'il  y  avait  appointe- 
ment  entre  eux,  ni  quel  il  était,  je  n'en  saurais  parler,  mais  toutefois  il  y 
eut  trêves  jusqu'à  la  Noël  qui  suivit;  Charles  Ht  ainsi  sonner  la  retraite 
durant  ledit  assaut,  et  ainsi  ils  se  retirèrent,  et  je  crois  quHls  eussent 

\ .  L'armée  française,  alors  fort  nombreuse,  devait  promptement  épuiser  le  pays, 
tandis  que  l'armée  anglaise  pouvait  se  ravitailler  par  Senlis,  qui  était  encore  anglo- 
bourguignon  :  elle  campait  aux  portes  de  cette  ville,  à  la  Victoire. 

2.  Le  chroniqueur  entend  peut-être  le  temps  écoulé  depuis  Ventrée  dans  la  Brie, 
jusqu'au  départ  pour  le  Rerry.  La  Pucelle  fut  à  Saint-Denis  et  autour  de  Paris  du 
2G  août  au  13  septembre. 

3.  Texte  :  Et  fu  l'assaut  si  fort  que  ceulx  de  dens  avaient  comme  tout  désemparé  le  mur^ 
et  estoient  lesdits  assaillants  si  près  des  murs  qu'il  ne  falloit  mes  que  lever  les  escheUes  dont 
ils  estoient  lien  garnySy  comme  (pour  que)  ils  eussent  été  dedens;  mais  fut  avisé  par  un 
nommé  Messire  de  La  Trimoille. 


LES  NOTES  DE  CLÉMENT  DE  FAUQUEMBERGCE,  GREFFIER  DU  PARLEMENT.  473 

gagné  la  ville  de  Pans,  si  on  les  eût  laissé  faire.  Et  il  y  en  eut  plusieurs 
de  la  compagnie  dudil  Charles  qui  de  ce  furent  moult  courroucés,  comme 
le  duc  d'Alençon  et  spécialement  le  comte  d'Armagnac.  Celui-ci  haïssait 
ceux  de  Paris,  parce  que  dans  le  passé  ils  avaient  tué  son  père.  Et  en 
faisant  ledit  assaut  le  comte  d'Armagnac  et  ses  gens  étaient  sur  un  des 
culés,  afin  que  afin  que  si  quelqu'un  de  ladite  ville  s'en  fût  voulu  sortir 
ou  fuir,  on  l'eût  pris,  ou  mis  à  mort. 

Et  durant  ledit  siège,  ils  firent  un  pont  au-dessous  de  Paris  pour  garder 
la  Seine;  et  cela  fait  ainsi,  ledit  Charles  s'en  retourna,  avec  ses  gens  par 
les  moyens  dessusdits,  comme  Ton  disait. 

[Iln'est  plus  question  de  la  Pucelle  dans  lesquelques  pages  qui  suivent. 
Le  notaire  y  raconte  la  prise  et  reprise  de  plusieurs  places  de  Normandie.] 


LE    GREFFIER   DU    PARLEMENT   DE    PARIS 

CLÉMENT  DE  FAUQUEMBERGUE 

ET    SES    NOTES    DANS   LES    REGISTRES    JUDICIAIRES. 

C'est  entre  les  arrêts  judiciaires  dont  il  avait  la  charge  de  tenir  note, 
que  le  greffier  du  parlement  de  Paris,  Clément  de  Fauquembergue,  a 
intercalé,  à  mesure  que  la  nouvelle  en  arrivait  à  Paris,  la  mention  des 
événements  qui  sont  l'histoire  de  la  Pucelle.  Les  historiens  avaient  déjà 
utilisé  quelques-unes  de  ces  notes.  Quicherat  les  a  toutes  réunies  et 
publiées  dans  le  Double  Procès.  Nous  les  avons  collationnées  avec  l'ori- 
ginal que  l'on  peut  voir  aux  Archives  nationales. 

En  enregistrant  la  délivrance  d'Orléans,  Clément  de  Fauquembergue 
s'est  passé  la  fantaisie  de  crayonner  à  la  marge  une  femme  vue  de  profil 
portant  une  épée  d'une  main,  et  une  bannière  de  l'autre  ;  mais  rien,  dit 
justement  Quicherat,  ne  mérite  moins  le  nom  de  portrait  de  la  Pucelle 
que  pareil  jeu  de  la  plume. 

Il  est  manifeste  que  l'officier  judiciaire  ne  pouvait  pas  inscrire  sur  les 
registres  de  la  cour  suprême,  entièrement  dévouée  à  l'Anglais,  Texpres- 
sion  de  son  admiration  et  de  sa  foi  envers  la  Pucelle.  C'eût  été  vouloir 
tout  à  la  fois  perdre  sa  position  et  s'exposer  à  de  grandes  peines.  Aussi 
se  coBtente-t-il  de  relater  les  nouvelles  telles  qu'elles  arrivent  à  son 
oreillei  évitant  toute  parole  injurieuse  pour  la  Pucelle,   comme  toute 


474  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

louange.  Sa  conscience  lui  défendait  Tinjure,  et  la  prudence  la  louange. 

On  sait  que  le  parlement  à  cette  époque  comptait  un  égal  nombre  de 
conseillers  ecclésiastiques  et  laïques.  Clément  de  Fauquembergue  était 
prêtre,  chanoine  d'Amiens  et  de  Cambrai.  Il  ne  parait  pas  qu'il  eût  grand 
attachement  pour  la  domination  anglaise.  La  paix  d'Arras  lui  causa  un 
grand  soulagement  dont  il  consigne  Texpression  dans  son  registre. 
Sur  le  point  d'aller  prendre  ses  vacances,  le  5  septembre  1435,  il  termine 
ses  rédactions  par  cette  expression  de  joie.  Hinc  me  digressum  nwic  his 
Deiis  appulit  horis.  Conticui;  tandem  et  hic  facto  fine  quievi  ah  exercitio 
htijus  officii.  Deo  gratias.  Clemens.  Le  traité  d'Arras  lui  permettait  de 
se  dégager  d'un  emploi  qui  le  faisait  officier  ministériel  du  roi  d'Angle- 
terre. Le  mot  conticui  exprime  Teffort  qu'il  avait  dû  s'imposer  pour  ne 
pas  éclater.  Il  ne  demanda  pas  la  permission  de  se  retirer  ;  il  alla  sans 
congé  occuper  sa  stalle  de  chanoine  de  Cambrai,  et  fut  absent  à  la  ren- 
trée, ainsi  qu'en  font  foi  les  registres  mêmes  du  parlement. 

La  paix  d'Arras,  comme  Tavait  prédit  la  Pucelle,  avait  fait  branler 
tout  le  royaume.  Aussi,  le  8  novembre  1435,  les  conseillers  délibèrent-ils 
pour  savoir  s'ils  reprendront,  selon  l'usage,  leurs  séances  à  la  Saint-Martin, 
le  H  novembre.  La  raison  d'en  douter  c'est  que  depuis  n'a  guères  grand 
nombre  de  villes  et  de  païs  se  sont  tournés  à  F  autre  obéissance^  et  aussi 
parce  que  le  greffier  civil  de  ladite  cour  s'est  parti  naguère  pour  la  ville 
de  Cambrai  dont  il  est  chanoine  (P*  107).  Trois  folios  plus  loin  sont  ins- 
crites les  lettres  de  Henri  VI  substituant  Jean  de  Lespine  au  conseiller 
Maître  Clément  de  Fauquemberge,  licencié  en  droit  canon  et  civil^  qui  s'est 
départi  de  notre  bonne  ville  de  Paris  sans  le  congié  et  licence  de  nous  ou  de 
nos  gens  et  officiers  [à]  qu'il  ap par tie^it^  et  transporté  en  la  ville  de  Cambrai 
en  Cambraisis  ou  ailleurs,  hors  de  notre  royaume  de  France^  où  il  demeure. 

Les  notes  sont  rédigées  en  français;  mais,  de  temps  en  temps,  le 
greffier  se  sert  du  latin  pour  exprimer  à  mots  couverts  quelque  chose 
de  ses  sentiments. 


CHAPITRE  XII 

NOTES  SUR  L'   «  HISTOIRE  DE  LA  PUCELLE  »   PAR  LE  GREFFIER  DU  PARLEMENT 

DE  PARIS. 

SoMMAiRK  :  I.  —  10  mai  1429  :  Bruit  à  Paris  de  la  défaite  des  Anglais  à  Orléans.  — 
14  juin  :  Los  Anglais  vaincus  a  Jargcau.  —  Présence  de  la  Pucelle.  —  18  juin  :  La 
défaite  des  Anglais  à  Patay.  —  Les  prisonniers.  —  10  juillet  :  Le  sacre  de  Charles  de 
Valois  à  Reims  le  17.  —  25  juillet  :  Entrée  à  Paris  du  cardinal  de  Winchester  a%-ec 
cinq  mille  soldats  recrutés  contre  les  hussites.  —  Attente  du  duc  de  Bourgogne.  — 
Ses  préparatifs.  —  Les  conquêtes  de  Charles  de  Valois.  —  3  août  :  Départ  du  cardinal 


LES  NOTES  DE  CLËMENT  DE  FAUQUEMBERGUE,  GREFFIER  DU  PARLEMENT.     475 

d^Angleterre  pour  Rouen,  de  Bedford  et  de  son  armée  pour  la  Drie.  —  20  août  : 
L'éréque  de  Thérouanne  réunit  les  curés  de  Paris,  les  supérieurs  des  ordres  reli- 
gieux. —  Il  leur  fait  prêter  le  serment  de  fidélité  au  traité  de  Troyes,  iv\  que  l'avaient 
prêté  les  boui^eois  au  duc  de  Bedford  et  au  duc  de  Bourgogne.  —  Il  nomme  des 
délégués  pour  le  faire  prêter  par  chaque  religieux.  —  Le  parlement  vaque.  —  Ordre 
de  consigner  les  dépôts.  — Emprunt.  —8  septembre  :  Assaut  contre  Paris.  —  Terreur 
des  Parisiens.  — Les  assaillants  comptent  sur  un  soulèvement  qui  n'a  pas  lieu.  — 
Entente  entre  les  habitants  et  les  hommes  d  armes.  —  Blessure  de  la  Pucellc.  — 
Impossibilité  de  prendre  Paris.  —  Bruit  semé  que  Charles  veut  y  faire  passer  la 
charrue. 
11.  —  25  mai  1430  :  L'on  apprend  par  Jean  de  Luxembourg  l'issue  de  la  sortie  de  (iOm- 
piègne,  la  prise  de  la  Pucelle.  —  30  mai  1431  :  Supplice  de  la  Pucelle.  —  Mots  écrits 
sur  sa  mitre;  sur  un  tableau.  —  Le  juge  et  ses  assesseurs. 


I 

Mardi  x*  jour  de  mai,  il  fut  rapporté  et  dit  publiquement  à  Paris,  que 
dimanche  dernier  passé,  les  gens  du  Dauphin  en  grand  nombre,  après 
plusieurs  assauts  continuellement  entretenus  par  force  d'armes,  étaient 
entrés  dans  la  bastide  que  tenaient  de  par  le  roi,  Guillaume  Glasdal  et  les 
autres  capitaines  et  gens  d'armes  anglais,  avec  la  tour  de  l'issue  du  pont 
d^Orléans  par  delà  la  Loire;  et  que  ce  jour  les  autres  capitaines  et  gens 
d'armes  tenant  le  siège  et  les  bastides,  par  deçà  la  Loire,  devant  la  ville 
d'Orléans,  s'étaient  partis  d'icelles  bastides,  et  avaient  levé  leur  siège 
pour  aller  conforter  ledit  Glasdal  et  ses  compagnons,  et  pour  combattre 
les  ennemis  qui  avaient  en  leur  compagnie  une  Pucelle,  seule  ayant 
bannière  entre  les  ennemis,  ainsi  qu'on  le  disait.  Quis  eventus  fuerit,  , 
nomt  bellorum  dux  etprinceps potentissimiis  in  prœlio^. 

Mardi  xiv*  jour  de  ce  mois  (de  juin),  les  gens  d'armes  du  Dauphin, 
après  plusieurs  assauts  continuels  et  entretenus  depuis  le  samedi  précé- 
dent, recouvrèrent  et  prirent  par  force  d'armes  la  ville  de  Jargeau- 
sur-Loire,  où  s'étaient  retirés  en  garde  et  garnison  le  comte  de  Suffolk  et 
autres  gens  de  guerre  anglais.  Ils  furent  pris  par  assaut,  à  la  volonté 
{discrétion)  des  ennemis  qui  avaient  en  leur  compagnie  une  Pucelle 
portant  bannière,  ainsi  que  l'on  disait  ;  laquelle  avait  été  présente  à  faire 
lever  [partir)  les  gens  d'armes  étant  es  bastides  devant  Orléans*. 

1.  L'on  ne  connaissait  pas  encore  à  Paris  toute  1  étendue  de  la  défaite,  et  Ion  sup- 
posait à  tort  que  les  défenseurs  des  bastilles  de  la  rive  droite  avaient  quitté  leurs 
positions  pour  soutenir  Glasdal.  D'après  le  texte  latin,  c  était  un  bruit  auquel  Fau- 
quembergue  n'ajoutait  pas  entièrement  foi,  puisqu'il  s'en  rapporte  à  ce  qu'en  savait  le 
dieu  des  batailles.  Une  note  postérieure  ajoutée  par  le  greffier  renvoie  au  25  mai  de 
Tannée  suivante,  où  se  trouve  relatée  la  prise  de  Jeanne  à  Compiègne  (?). 

2.  Fauquembergue  écrit  tantôt  «  Orléans  »,  tantôt  «  Orliens  >»,  ce  qui  réfute  l'asser- 
tion de  Tabbé  Dubois  affirmant  qu'en  1429,  on  n'écrivait  qu'u  Orliens  ». 


476  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

Ce  jour  (xviii*  de  juin)  Messire  Jean  Fastolf,  le  sire  de  Scales,  Messire 
Thomas  de  Rampston  et  autres  capitaines,  gens  d^armes  et  archers 
anglais,  qui  s'étaient  assemblés  pour  conduire  des  vivres  et  porter 
secours  au  sire  de  Talbot,  d'autres  capitaines  et  gens  d'armes  anglais  qui 
naguère  étaient  en  la  garde  et  garnison  des  villes  et  forteresses  de  Meung 
et  de  Baugency-sur-Loire,  furent  rencontrés  aux  ehamps  entre  Meung  et 
Baugency,  et  par  attaque  ^  furent  déconfits  par  les  ennemis,  qui  étaient 
presque  en  pareil  nombre.  En  la  compagnie  desquels  ennemis  était  la 
Pucelle  qui  avait  été  avec  eux  le  x*  jour  de  mai,  à  lever  le  siège  devant 
Orléans,  et  le  xiii®  jour  de  ce  mois  à  la  prise  et  recouvrance  de  Jaigeau 
par  lesdits  ennemis.  Dans  la  rencontre  ci-dessus  dite,  entre  autres  prison- 
niers, iceux  ennemis  prirent  ledit  Talbot,  Rampston  etdeScales,  à  ce  que 
Ton  disait.  Et  ledit  Fastolf  se  retira  et  retourna  vers  le  duc  de  Bedford 
alors  à  Corbeil.  Et  hic  subciibuerunt  Anglici  absque  defensione^  ut  fertur 
(et  là  les  Anglais,  à  ce  que  Ton  rapporte,  furent  vaincus  sans  tenter  de  se 
défendre). 

Ce  jour  {x\x  juillet)  fut  dit  publiquement  à  Paris  comme  nouvelles  que 
Messire  Charles  de  Valois,  dimanche  dernier  passé,  xvn*  jour  de  ce  mois, 
avait  été  sacré  en  Féglise  de  Reims,  en  la  manière  que  son  père  et  les 
autres  rois  de  France  ont  été  sacrés  par  ci-devant. 

Lundi  xxv*  jour  de  juillet,  le  cardinal  à'^x^iev  [Winchester)^  qui  avait 
nouvellement  passé  la  mer  avec  grand  nombre  de  gens  d'armes  et  archers 
d'Angleterre,  au  nombre  de  cinq  mille  ou  environ,  dans  Tintention 
d'aller  combattre  les  Bohémiens  {Ips  hussites)  et  autres  hérétiques,  vint 
et  entra  à  Paris  avec  le  duc  de  Bedford  son  neveu,  régent,  accompagnés 
desdits  gens  d'armes  et  archers  et  d'autres.  Ils  y  attendaient  la  venue, 
aide  ou  assistance  du  duc  de  Bourgogne,  qui  avait  fait  et  faisait  grand 
mandement  de  gens  d'armes  {parmi)  ses  sujets  et  ses  alliés,  en  intention 
de  résister  et  combattre  Messire  Charles  de  Valois  et  ses  gens  d'armes 
qui  naguère  avaient  été  reçus  à  Troyes,  à  Châlons,  à  Reims,  à  Laon  et  en 
plusieurs  autres  villes  de  ce. royaume,  naguère  à  lui  (C^«r/^5)  désobéis- 
santes, ainsi  qu'on  le  disait.  De  intentione  judicet  Deus  (que  Dieu  juge 
rintention  de  ces  villes).  , 

Ce  jour  (m*  d'août),  le  cardinal  d'Exeter  partit  de  Paris,  accompagné 
seulement  de  ses  familiers  et  domestiques  pour  aller  et  demeurer  à  Rouen. 
Il  laissa  à  Paris  grand  nombre  des  gens  d'armes  et  d'hommes  de  trait 
qu'il  avait  naguère  amenés  dans  cette  ville.  La  Shdemain  ils  partirent 
avec  le  duc  de  Bedford,  neveu  du  même  cardinal,  régent,  afin  de  raccom- 
pagner et  combattre  les  ennemis  qui  étaient  au  pays  de  Brie  et  aux 

1 .  Texte  :  desroy. 


LES  NOTES  DE  CLÉMENT  DE  FAUQUEMBERGUE,  GREFFIER  DU  PARLEMENT.     477 

environs,  dans  plusieurs  villes  et  forteresses  qu'ils  avaient  nouvellement 
recouvrées,  et  oîi  ils  avaient  trouvé  fort*  prompte  obéissance,  sans 
leur  donner  assaut,  ni  en  venir  aux  armes  et  à  bataille.  \ 

Vendredi  xxvi*  jour  d'août,  messire  Louis  de  Luxembourg,  évoque  de 
Thérouanne  et  chancelier  de  France,  vint  en  la  chambre  du  parlement, 
où  étaient  les  présidents  et  conseillers  des  troi^  chambres  dudit  par- 
lement, les  maîtres  des  requêtes  de  Thôtel,  TévOque  de  Paris,  le  prévôt 
de  Paris,  les  maîtres  et  clercs  des  comptes,  les  avocats  et  procureurs  de 
céans,  l'abbé  de  Chàtillon,  le  prieur  de  Corbeil,  M*"  J.  Chuffart,  M.  Pas- 
quier  de  Vaux*,  le  doyen  de  Saint-Marcel,  le  commandeur  de  Saint- 
Antoine,  le  trésorier  de  Saint-Jacques  de  l'Hôpital,  le  prieur  de  Sainte- 
Catherine,  le  prieur  des  Jacobins,  le  prieur  des  Carmes,  le  prieur  des 
Célestins,  le  curé  de  Saint-Nicolas-des-Champs,  le  curé  de  Saint-Médard, 
le  curé  de  Sainte-Croix,  les  fermiers  de  la  cure  Saint-André-des-Arts, 
Jacques  de  Loi,  M.  J.  Dufour,  M.  Jeh.  Dieulefist,  le  curé  de  Saint-Inno- 
cent, M.  J.  de  Burv,  M.  J.  Taleuse,  M.  J.  l'rches,  J.  de  Ruis  dit  Dvna- 
dam,  M.  Jeh.    Murray,  M.  P.  Guirault,  M.  Jeh.  Bonpain  et  plusieurs 
autres.  Conformément  à  ce  qui  avait  été  juré  par  plusieurs  habitants  de 
cette  ville  de  Paris,  en  présence  du  duc  de  Bedford,  régent,  et  du  duc  de 
Boui^ogne,  siégeants  alors  en  la  salle  de  céans  sur  Seine,  un  jour  avant 
le  dernier  départ  du  duc  de  Bourgogne  de  cette  ville  de  Paris,  ainsi  que 
lavaient  juré  plusieurs  habitants  de  Paris  en  la  présence  du  mùme  duc  de 
Bedford,  avant  qu'il  s'éloignât  de  Paris,  les  susdits  firent  serment  de 
vivre  en  paix  et  union  en  cette  ville,  sous  l'obéissance  du  roi  de  France 
et  d'Angleterre,  selon  le  traité  de  la  paix  {/e  traité  ae  Troyps), 

Ce  jour,  le  chancelier  en  présence  des  gens  du  conseil  du  roi  réunis  en 
la  chambre  du  parlement,  commit  Maître  Philippe  de  Rully,  trésorier  de 
la  Sainte-Chapelle  et  maître  des  requêtes  de  Thôtel,  et  Maître  Marc  de 
Foras,  archidiacre  de  Thérische  (?),  maître  des  comptes  du  roi,  pour  re- 
cevoir  des  serments  pareils  des  gens  d'Eglise  séculiers  et  réguliers.  Le 
lendemain  et  les  jours  suivants,  lesdits  commis  allèrent  es  chapitres, 
es  couvents  et  églises  de  la  ville  pour  faire  ce  qui  vient  d'ôtre  dit. 

A  la  suite,  la  cour  a  vaqué  par  plusieurs  journées  ;  il  n'y  a  pas  eu  d'as- 
semblée, séans  les  présidents  et  conseillers  pour  ouïr  les  plaidoiries,  ni 
pour  entendre  à  l'expédition  des  causes  et  des  procès  en  la  manière  accou- 
tumée; mais  seulement  quelques-uns  des   présidents  sont  venus  en  la 


înt 


chambre  du  parlemeift  f)our  ouïr  les  requêtes  des  causes  urgentes  et 

1.  Texte  :  assez  prompte  obéissance.  Il  a  été  dit  ({ue  dans  la  langue  du  moyen  àgo, 
assez  signifie  souvent  :  très,  fort.  Nous  pensons  que  c'est  ici  le  cas. 

2.  Délégués  par  TUniversité,  sur  l'ordre  donné  par  le  chancelier  qui,  sans  doute, 
ravaît  aussi  intimé  aux  religieux  ici  nommés. 


478  LA  VRAIB  JEANNE  D'ARG  I   LA  LIBÉRATRICE. 

nécessaires,  et  pour  pourvoir  aux  cas  qui  survenaient  à  roccasion 
gens  d'armes  de  Messire  Charles  de  Valois,  qui  étaient  en  plusieurs  villes 
et  cités  aux  environs  de  Paris. 

Mercredi  vu*  jour  de  septembre,  après  la  relation  de  Messire  Philippe 
de  Morvilliers  et  de  Messire  Richard  de  Cbancey,  présidents,  il  futappointé 
que  la  somme  de  quatre-vingt-quatre  livres  parisis,  mise  en  dépôt  es  mains 
de  M*  Jean  Coletier  par  Jacques  Vivian,  serait  baillée  au  receveur  dé  Paris 
commis  à  recevoir  les  dépôts,  etc.,  ainsi  que  plus  à  plein  c'est  contenu  au 
registre  des  plaidoiries. 

Il  est  vrai  que  lors  on  faisait  prendre  et  lever  de  par  lé  roi  tous 
dépôts,  et  que  Ton  imposait  des  emprunts  aux  églises  et  personnes  ecclé- 
siastiques, aux  bourgeois  et  habitants  de  la  ville  de  Paris,  pour  payer  et 
entretenir  les  gens  d'armes  chargés  de  garder  la  ville  et  ses  habitants  à 
rencontre  des  gens  d'armes  de  Messire  Charles  de  Valois,  qui  se  troavaient 
à  Saint-Denis,  et  en  plusieurs  places  aux  environs  de  Paris. 

Jeudi  viii^jour  de  septembre  MCCCCXXIX,  fête  de  la  Nativité  de  la 
Mère   de  Dieu,  les  gens  d'armes  de  Messire  Charles  de  Valois  étaient 
assemblés  en  grand  nombre  auprès  les  murs  de  Paris,  du  côté  de  la 
porte  Saint-Honoré,  espérant  grever  et  endommager  la  ville  et  les  habi- 
tants de  Paris  par  commotion  de  peuple  plus  que  par  puissance  ou  force 
d'armes  ;  environ  deux  heures  après  midi,  ils  commencèrent  à  faire  sem- 
blant de  vouloir  assaillir  la  ville  ;  et  hâtivement  plusieurs  d'entre  eux, 
qui  étaient  sur  la  place  aux  Pourceaux  et  aux  environs,  non  loin  de  la 
susdite  porte,  portant  de  longues  bourrées  et  des  fagots  descendirent  et 
se  boutèrent  es  premiers  fossés,  où  il  n'y  avait  point  d'eau  ;  et  ils  jetèrent 
lesdites  bourrées  et  les  fagots  dans  l'autre  fossé  voisin  des  mui^,  èsquels 
il  y  avait  grande  eau. 

Et  à  cette  heure,  il  y  eut  dans  Paris  gens  affectés  [(effrayés)  ou  corrom- 
pus, qui  poussèrent  un  cri  en  toutes  les  parties  de  la  ville  de  çà  et  delà 
les  ponts,  criant  que  tout  était  perdu,  que  les  ennemis  étaient  entrés  dans 
Paris,  et  que  chacun  se  retirât  et  fît  diligence  de  se  sauver.  Et  à  cette  voix, 
à  une  même  heure  de  l'approche  des  ennemis,  tous  les  gens  étant  lors 
es  sermons  sortirent  des  églises  de  Paris,  furent  très  épouvantés,  se  reti- 
rèrent la  plupart  en  leurs  maisons  et  fermèrent  leurs  portes.  Mais  pour 
cela,  il  n'y  eut  pas  d'autre  commotion  de  fait  parmi  les  habitants  de 
Paris.  Ceux  qui  étaient  députés  à  la  garde  et  défense  des  portes  et  des 
murs  demeurèrent  à  leur  poste  ;  et  à  leur  aide  survinrent  plusieurs  des 
habitants  qui  firent  très  bonne  et  forte  résistance  aux  gens  dudit  Messire 
Charles  de  Valois.  Ceux-ci  se  tinrent  dans  le  premier  fossé  et  au  dehors 
sur  la  place  aux  Pourceaux  et  aux  environs,  jusqu'à  dix  ou  onze  heures 
do  nuit,  qu'ils  se  départirent  à  leur  dommage. 


lES  NOTES  DE  CLÉMENT  DE  FAUQUEMBERGUE,  GREFFIER  DU  PARLEMENT.  479 

f  armi  eux  il  y  eut  plusieurs  morts  et  navrés  de  traits  et  de  canons, 
tre  les  autres  fut  blessée  d*un  trait  en  la  jambe  une  femme  que  Ton 
appelait  laPucelle,  qui  conduisait  Tarmée  avec  les  autres  capitaines  dudit 
Kessire  Charles  de  Valois.  Ils  s'attendaient  à  grever  Paris  plus  par  ladite 
conmotion  {soulèvement)  que  par  assaut  ou  force  d'armes;carsi  pourchaque 
boxnme  qu^ils  avaient  alors,  ils  en  eussent  eu  quatre  ou  mc^^meplus,  aussi 
bien  armés  qu'ils  Tétaient \  ils  n'auraient  jamais  pris  Paris  ni  par  assaut  ni 
siège,  tant  qu'il  y  aurait  eu  des  vivres  dans  la  ville  ;  et  elle  en  était  pourvue 
pour  longtemps.  Les  habitants  étaient  fort  unis  avec  les  hommes  d'armés 
pour  résister  à  Tassant  et  à  l'entreprise  dont  nous  venons  de  parler,  princi- 
palement '  parce  qu'on  avait  dit  et  Ton  disait  publiquement  à  Paris,  que  le- 
dit Hessire  de  Valois,  fils  du  roi  Charles  VI  dernièrement  trépassé,  au- 
quel Dieu  pardonne,  avait  abandonné  à  ses  gens  Paris  et  ses  habitants, 
grands  et  petits,  de  tous  états,  hommes  et  femmes,  et  que  son  intention 
était  de  faire  passer  la  charrue  sur  Paris,  une  ville  peuplée  d'habitants 
très  chrétiens  ;  ce  que  Ton  ne  saurait  croire  que  difficilement'. 


II 

Jeudi  xxv'  jour  de  ce  mois  {mai  1430)^  Messire  Louis  de  Luxembourg, 
évèque  de  Thérouanne,  chancelier  de  France,  reçut  des  lettres  de  messire 
Jean  de  Luxembourg,  son  frère,  chevalier,  qui  entre  autres  choses  faisaient 
mention  que  mardi  passé,  dans  une  sortie  faite  par  les  capitaines  et  gens 
d'armes  de  Messire  Charles  de  Valois,  alors  dans  la  ville  de  Compiègne, 
centrales  gens  du  duc  de  Bourgogne  qui  étaient  venus  camper  aux  appro- 
ches de  cette  ville  dans  Tin tenli on  de  l'assiéger,  les  gens  de  Messire  Charles 
de  Valois  furent  tellement  contraints  de  reculer  que  plusieurs  d'entre 
eux  n'eurent  nullement  le  loisir  de  rentrer  dans  la  ville.  Les  uns,  au  péril 
de  leur  vie,  se  jetèrent  dans  la  rivière  qui  coule  le  long  des  murs;  les 
autres  demeurèrent  prisonniers  dudit  Messire  Jean  de  Luxembourg  et  des 
gens  du  duc  de  Bourgogne.  Entre  les  autres  y  fut  prise  et  retenue  pri- 
sonnière la  femme  que  les  gens  dudit  Messire  Charles  appelaient  la 

^•Grammaticalement,  ces  mots  se  rapportent  aux  assaillants,  mais  vu  les  habitudes 
des  écrivains  du  temps,  de  jeter  presque  au  hasard  les  membres  accessoires  d'une 
phrase,  ii  semble  d'après  le  contexte  qu'il  faut  entendre  :  armés  comme  ils  relaient,  dos 
habitants  de  Paris. 

2.  C'est,  dans  la  langue  du  moyen  âge,  la  signification  ordinaire  du  mot  :  «  même- 
nent  »  qui  est  celui  du  texte. 

3.  Le  greffier  insère  ces  dernières  lignes  en  latin  :  Quod  erat  sua  intentio  redigendi 
ad  aratrum  urbem  Parisiensem  Christianissimis  civibus  habitatam;  quod  non  erat  facile 
crcdendum. 


480  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

Pucelle,  qui  courait  fortune  en  armes  '  avec  eux,  et  avait  été  présente  à 
Tassautet  déconfiture  des  Anglais  qui  tenaient  les  bastides  devant  Orléans, 
et  qui  tenaient  la  ville  de  Jargeau  et  autres  villes  et  forteresses,  ainsi 
que  cela  a  été  écrit  au  registre,  sous  la  date  du  10  mai  1429. 

Le  trentième  jour  de  mai  MGGCCXXXI,  par  procès  d'Église,  Jeanne, 
qui  se  faisait  appeler  la  Pucelle,  qui  avait  été  prise  à  une  sortie  de  la  ville 
de  Compiègne,  par  les  gens  de  Messire  Jean  de  Luxembourg,  qui  avec 
d'autres  étaient  au  siège  de  ladite  ville,  ainsi  que  cela  est  mentionné  au 
registre  à  la  date  du  25  mai  1430,  Jeanne  a  été  livrée  aux  flammes  et 
brûlée  en  la  ville  de  Rouen. 

En  la  mitre  qu'elle  avait  sur  la  tète  étaient  inscrits  les  mots  qui  suivent  : 
«  Hérétique,  Relapse,  Apostate,  Idolâtre»,  et  sur  un  tableau  devant  Técha- 
faud  où  était  la  dite  Jeanne,  étaient  écrits  ces  mots  :  «  Jeanne  qui  s'est 
fait  nommer  la  Pucelle,  menteresse,  pernicieuse,  abuseresse  du  peuple, 
devineresse,  superstitieuse,  blasphémeresse  de  Dieu,  présomptueuse, 
mal  créant  de  la  foi  de  Jésus-Christ,  vanteresse,  idolâtre,  cruelle,  dissolue, 
invocateresse  de  diables,  apostate,  schismatique  et  hérétique  ». 

La  sentence  fut  prononcée  par  Messire  Pierre  Gauchon,  évêque  de  Beau- 
vais,  au  diocèse  duquel  elle  avait  été  prise,  à  ce  qu'on  dit*.  Il  appela  à 
faire  le  procès  plusieurs  notables  gens  d'Église  de  la  duché  de  Normandie, 
gradués  en  science,  ainsi  que  plusieurs  théologiens  et  juristes  de 
l'Université  de  Paris,  comme  c'est,  dit-on,  plus  à  plein  contenu  audit 
procès. 

Sur  les  gestes  de  cette  Jeanne,  voyez  plus  haut  le  registre  du  10  mai 
1429,  etc.  —  On  rapporte  qu'à  ses  derniers  moments,  condamnée  au 
feu  comme  relapse,  elle  se  repentit  avec  de  grandes  larmes,  et  qu'on  vit 
en  elle  les  signes  d'une  vraie  contrition.  Que  Dieu  soit  propice  et  misé- 
ricordieux à  son  âme  '  ! 


CHAPITRE  XIII 

PIERRE  EMPIS.   ■—  SA  BRIÈVE  CHRONIQUE. 

Pierre  Empis  est  un  moine  du  couvent  des  chanoines  réguliers  de 
Bethléhem,  près  de  Louvain.  Il  naquit  à  Tirlemont,  entra  fort  jeune  dans 

1 .  Avait  chevance  en  armes  avec  eux. 

2.  Comme  dit  est, 

3.  Ce  dernier  alinéa  est  en  latin  :  De  gestis  hujus  Johannx  vide  suprà  in  registro,  et 
fertur  quod  in  extremis  postquam  fuit  relapsa  ad  ignem  applicata,  pœnituit  lacrymabiliter 
et  in  ea  apparuerunt  signa  pœnitentiœ,  Deus  sux  animœ  sit  propitius  et  misericors. 


U  CHRONIQUE  DE  PIERRE  EMPIS.  481 

son  couvent,  y  fit  profession  en  1467,  en  devint  le  prieur  en  1491,  et  y 
mourut  en  1523.  Il  a  écrit  une  Chronique  qui  commence  au  règne  de 
Charles  YI  et  finit  à  la  captivité  de  Maximilien  à  Bruges  en  1485.  Elle  est 
r^ardée  comme  une  des  meilleures  de  Tépoque.  Le  tableau  des 
malheurs  du  temps,  des  mœurs,  des  événements,  y  est  exposé  avec 
chaleur  et  vérité.  Dès  le  xvm*'  siècle,  il  avait  été  question  de  Timprimer. 
C'est  ce  qu'a  fait  M.  le  baron  Kervyn  de  Lettenhove  sous  les  auspices 
de  la  Société  d'Histoire  de  Belgique. 

Son  chapitre  sur  la  Pucelle  est  très  concis,  mais  plein  et  favorable  à  la 
Pucelle.  En  voici  la  traduction  : 

Il  y  avait  auprès  de  Vaucouleurs  une  jeune  fille  de  vingt  ans  qui  par  la 
perpétuelle  intégrité  de  son  corps  mérita  le  nom  de  la  Pucelle.  Emue  de 
pitié  à  la  vue  des  calamités  de  son  temps,  elle  va  trouver  Robert  gouver- 
neur de  sa  ville,  affirmant  que  si  elle  était  conduite  auprès  du  roi  Charles, 
elle  ne  serait  pas  d'un  médiocre  secours  dans  l'extrémité  à  laquelle  on 
était  réduit.  Robert  n'eut  d'abord  pour  elle  que  du  mépris.  Sa  persévé- 
rance obtint  qu'il  la  fit  conduire  au  roi.  Examinée  sur  l'ordre  du  prince 
par  de  sages  personnages,  elle  affirme  sans  sedémentir  qu'elle  est  envoyée 
pour  rétablir  le  roi  Charles  dans  son  royaume.  Il  existe  dans  le  pays  de 
Tours  une  église  dédiée  à  sainte  Catherine,  objet  d'une  grande  vénération, 
et  pour  cela  enrichie  de  dons  précieux  que  Tony  conserve.  De  ce  nombre 
était  une  épée  antique  h  double  tranchant,  sur  laquelle  des  lis  étaient 
sculptés.  Jeanne  demanda  que  cette  épée  antique  lui  fût  donnée.  On  la 
trouva,  on  en  fit  disparaître  la  rouille,  et  on  la  lui  donna.  La  Pucelle 
était  parmi  les  combattants,  revêtue  d'une  armure  complète,  montée  sur 
un  fort  et  généreux  coursier,  qu'elle  maniait  adroitement  comme  l'aurait 
fait  un  chevalier. 

L'an  1429,  elle  vient  avec  une  armée  à  Orléans  assiégé  par  les  Anglais 
el  en  proie  à  la  famine.  Elle  passe  le  fleuve,  et  introduit  des  vivres  à 
travers  les  positions  ennemies.  La  ville  ravitaillée,  elle  s'empare  des  forts 
des  Anglais  et  les  contraint  de  lever  le  siège. 

Au  mois  de  juin  1429,  elle  presse  le  roi  Charles  de  prendre  la  route 
<le  Reims  pour  y  recevoir  l'onction  royale.  Roi  des  Français,  il  en  devien- 
^aplus  vénérable  à  son  peuple,  plus  terrible  à  l'armée  anglaise.  Charles, 
^uine  voyait  que  sainteté  dans  la  vie  si  pure  de  la  Pucelle,  ni  rien  de 
féminin  dans  ses  paroles  et  ses  œuvres,  prend  le  chemin  de  Reims  avec 
ws  capitaines  et  son  armée.  Jeanne  la  Pucelle  le  fait  reconnaître  pour 
leur  roi  par  les  habitants  de  Troyes  et  de  Reims.  La  Pucelle,  tenant  son 
étendard  en  main,  tout  armée,  dans  la  joie,  assiste  au  couronnement 
du  roi,  auquel  ses  seules  exhortations  avaient  fait  obtenir  le  sacre. 

III.  31 


482  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARG  !   LA  LIBÉRATRICE. 

A  la  suite,  bien  des  villes  et  des  forteresses  sont  forcées,  ou  font  spon- 
tanément leur  soumission.  Les  Anglais  et  les  Bourguignons  assi^eant 
Compiègne,  Jeanne  se  jette  dans  la  place  pour  secourir  les  assiégés. 
Peu  de  temps  après,  dans  une  sortie  qu'elle  fait  contre  les  ennemis, 
tandis  qu'à  la  suite  d'un  insuccès  elle  regagne  la  ville,  la  presse  des 
soldats  lui  en  ferme  l'entrée.  Elle  est  prise  et  vendue  aux  Anglais,  qui 
l'interrogent  en  ennemis.  Ils  la  déclarent  magicienne  et  versée  dans  la 
magie.  Elle  périt  à  Rouen  consumée  par  le  feu. 


LIVRE    V 


PARTI  ANGLO-BOURGUIGNON. 
CHRONIQUES  ET  DOCUMENTS  OUVERTEMENT  HOSTILES 

ET  HAINEUX. 


•1 


nil 


LIVRE   V 

PARTI  ANGLO-BOUROUrONON. 
CHRONIQUES  ET  DOCUMENTS  OUVERTEMENT  HOSTILES 

ET  HAINEUX. 


JEAN  WAVRIN,  seigneur  de  Forestel. 


REMARQUES  CRITIQUES. 

Jean  Wavrin  est  un  bâtard  d'une  ancienne    et  grande  famille    de 
Picardie*.  Non  seulement   il  parvint  à  être  légitimé,   mais  encore  à 
occupera  la  cour  de  Philippe,  duc  de  Bourgogne,  les  charges  de  conseiller 
f        ^t  de  chambellan.  Il  doit  être  né  vers  les  dernières  années  du  xiv*  siècle, 
puisqu'il  assista  comme  héraut  d'armes  à  la  journée  d'Azincourt,   où 
Périrent  son  père  et  Tunique  représentant  légitime  de  la  famille. 

Wavrin,  préférant  prendre  rang  parmi  les  combattants  que  compter 

l^  coups  qu'ils  se  portaient,  quitta  la  carrière  de  héraut  d'armes  pour 

^^ Venir,  dans  le  sens  strict  du  mot,  un  homme  d'armes.  Il  fit  partie 

en  1420  d'une  expédition  contre  les  hussites,  et  au  retour,  Bourguignon 

«éclaré,  prit  part  aux  batailles  de  Crevant,  de  Verneuil,  et  à  la  guerre 

^^    duc   de  Bourgogne   contre  Jacqueline.  Il  passa  bientôt  après  au 

Service  direct  et  immédiat  de  l'armée  anglaise.    Bedford  l'envoya  en 

^^^sion  dans  l'Orléanais,   et  l'attacha  au  service   de   son    homme  de 

^^fiance,  du  grand  maître  de  sa  maison,   Fastolf,  le  vainqueur  de 

^^Uvray,  avant  d'être  le   fuyard  de  Patay.  II  est  vraisemblable  qu'il 

^^tinuaà  servir  dans  l'armée  anglaise  jusqu'au  traité  d'Arras,  après 

^^liel  il  serait  revenu  au  service  de  son  seigneur  naturel,  le  duc  de 

«Bourgogne,  qui,  avec  les  titres  déjà  rappelés,  lui  fit  des  dons  importants. 

Ces  hautes  faveurs  et  ses  exploits  ne  l'auraient  pas  sauvé  de  l'oubli, 

1.  Anselme,  t.  VI,  p.  713. 


486  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

s'il  n'avait  pas  écrit.  Le  sujet  qu'il  choisit  témoigne  de  la  sympathie  qu'il 
garda  toujours  aux  Anglais.  Il  écrivit  V  Histoire  de  F  Angleterre  depuis 
les  temps  fabuleux  jusqu'à  Tannée  1472.  Son  texte  enrichi  de  notes  forme 
cinq  volumes  de  la  belle  Collection  des  historiens  de  la  Grande-Bretagne, 
La  Société  de  l'Histoire  de  France  a  édité  ce  qui  dans  Wavrin  a  trait 
à  l'Histoire  de  France.  M*'«  Dupont,  à  laquelle  cette  tâche  fut  confiée,  l'a 
fait  précéder  de  chapitres  préliminaires  auxquels  sont  empruntées  la 
plupart  des  indications  que  l'on  vient  de  lire. 

Forestel  compose  son  récit  en  insérant  mot  à  mot  les  pages  déta- 
chées des  chroniqueurs  qui  l'ont  précédé,  tels  que  Froissart,  de  Saint- 
Rémy,  Monstrelet,  Leclerc.  Pour  ce  qui  regarde  la  Libératrice,  il  suit 
pas  à  pas  la  Chronique  de  Monstrelet,  l'amplifiant  le  plus  souvent,  mais 
surtout  l'envenimant.  Il  est  loin  d'imiter  la  réserve  du  premier.  Il  donne 
un  sens  défavorable  aux  faits  que  Monstrelet  se  contente  de  relater. 

Ses  amplifications  sont  accompagnées  de  nombreuses  inexactitudes. 
C'est  ainsi  qu'il  fait  commencer  le  siège  de  Baugency  avant  celui  de 
Jargeau,  et  fait  courir  la  Pucelle  de  la  première  ville  à  la  seconde  pour  la 
faire  revenir  emporter  .une  place  dont  le  siège  ne  dura  pas  deux  jours. 
L'on  dirait  qu'il  n'a  idée  ni  des  lieux  ni  de  la  suite  des  événements;  il 
assistait  cependant  à  la  bataille  de  Patay,  comme  attaché  à  la  personne 
de  Fastolf,  avons-nous  dit.  Aussi  s'efiForce-t-il  de  justifier  son  maître. 
Le  lecteur  pourra  juger  de  la  valeur  de  l'apologie.  Wavrin  donne  à  cette 
occasion,  sur  les  préludes  de  la  journée  de  Patay,  des  détails  que  l'on  ne 
trouve  que  dans  sa  Chronique. 

Certains  modernes  nous  paraissant  apprécier  trop  favorablement 
Wavrin  de  Forestel,  Ton  trouvera  ici  tout  ce  qu'il  dit  sur  la  Pucelle 
jusqu'à  la  bataille  de  Patay.  Il  rend  malgré  lui  à  la  Libératrice  de  pré- 
cieux témoignages. 


CHAPITRE    PREMIER 

LA  PUCELLE  JUSQU'A  LA  DÉLIVRANCE  D'ORLÉANS. 

Sommaire  :  I.  —  Exposé  calomnieux  de  la  jeunesse  de  la  Pucelle.  ~  Formée  à  sa  mis- 
sion par  Baudricourt.  —  Dédain  avec  lequel  elle  est  d'abord  accueillie.  —  Examens. 
—  Manière  dont  le  chroniqueur  raconte  le  dessein  de  ravitailler  Orléans,  le  ravi- 
taillement et  le  séjour  de  Jeanne  à  Orléans. 

11.  —  L  étal  du  siège  d'après  Wavrin.  —  Second  récit  du  ravitaillement. 

[11.  -  Discours  que  Wavrin  prête  à  la  Pucelle.  —  Conquête  successive  des  trois  bas- 
tilles. —  L'honneur  en  est  principalement  attribué  à  la  Pucelle.  —  Part  prise  par 
les  capitaines. 


CHRONIQUE  DE  WAYRIN  DE  FORESTEL.  487 

iV.  —  Retraite  en  bon  ordre  des  Anglais  dans  les  villes  de  leur  obéissance.  —  Dou- 
leur du  parti  anglais.  —  Joie  des  Orléanais.  —  Le  butin. 


[Le  chroniqueur,  au  chapitre  vu  de  son  quatrième  livre,  raconte  la 
victoire  remportée  à  Rouvray  par  les  Anglais.  Il  dit  que  la  conduite  du 
convoi  était  confiée  à  Jean  Fastre  (Fastolf)  qui  moult  était  sage  et  pru- 
dent, auquel  se  fiait  grandement  le  duc  de  Bedford,  régent,  car  il  était 
son  premier  chambellan  et  son  grand  maître  d'hôtel.  D'après  lui,  les 
Anglais  étaient  environ  seize  cents  combattants  de  bonne  étoffe  sans  les 
communes,  et  les  Français  étaient  six  mille  hommes  tous  faits  et  experts 
en  armes.  Les  Français  y  perdirent  six-vingts  gentilshommes  et  autres 
jusqu'au  nombre  de  cinq  cents  combattants  ;  et  de  la  part  des  Anglais, 
il  n'y  mourut  des  gens  de  nom  qu'un  seul,  un  très  bel  écuyer  et  vaillant 
homme,  le  neveu  du  prévôt  de  Paris. 

Il  introduit  Jeanne  d'Arc  dans  le  chapitre  suivant  qui,  par  son  titre 
même,  nous  dit  l'idée  qu'il  s'en  fait.] 

Chapitre  viii. —  Comment  Jeanne  la  Pucelle  vint  devers  le  roi  de  France 
à  Chinon  en  pauvre  état,  et  de  son  abus. 

En  cet  an  que  pour  lors  on  comptait  mil  quatre  cent  et  vingt-huit  («.  5/.), 
le  siège  étant  à  Orléans,  vint  devers  Je  roi  Charles  de  France  à  Chinon, 
où  il  se  tenait  pour  lors,  une  jeune  fille  qui  se  disait  Pucelle,  âgée  de 
vingt  ans  ou  environ,  nommée  Jeanne.  Elle  était  vôtue  et  habituée  en 
gnise  d'homme,  née  des  parties  entre  Bourgogne  et  Lorraine,  d'une  ville 
nommée  Domrémy,  assez  près  de  Vaucouleurs.  Cette  Jeanne  fut  pendant 
un  long  espace  de  temps  demeurant  en  une  hôtellerie,  oii  elle  était  très 
hardie  à  chevaucher  les  chevaux,  à  les  mener  boire,  et  aussi  à  faire 
auti'es  appartises  {tours)  et  habiletés  que  les  jeunes  filles  n'ont  pas  cou- 
tume de  faire,  laquelle  fut  envoyée  devers  le  roi  de  France  par  un  che- 
valier nommé  Messire  Robert  de  Baudricourt,  capitaine  dudit  lieu  de 
Vaucouleurs,  commis  de  par  ledit  roi^  Charles.  Messire  Robert  lui  donna 
^cs  chevaux  et  cinq  ou  six  compagnons,  et  si  V introduisit  (la  forma),  et  lui 
apprit  ce  qu'elle  devait  dire  et  faire,  et  la  manière  qu'elle  avait  à  tenir, 
^disant  Pucelle  inspirée  de  la  Providence  divine,  et  qu'elle  était  trans- 
mise devers  ledit  roi  Charles  pour  le  restituer  et  remettre  en  la  posses- 
sion de  tout  son  royaume  généralement,  dont  il  était,  comme  elle  disait, 
chassé  et  débouté  à  tort  . 

1.  Wavrin  envenime  la  phrase  de  Monstrelet,  en  disant  que  Jeanne  avait  été  formée 
ison  rôle  par  Baudricourt,  en  affirmant  que  c'était  Baudricourt  qui  lui  avait  suggéré 


488  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

Cette  Pucelle  était  à  sa  venue  en  fort  pauvre  état  ;  elle  fut  environ 
deux  mois  en  Thôtel  du  roi,  lequel  par  plusieurs  fois,  ainsi  qu'elle  y  avait 
été  formée^  elle  admonesta  par  ses  paroles  de  lui  donner  gens  et  aide  et 
qu'elle  rebouterait  et  chasserait  ses  ennemis,  exalterait  son  nom  et  am- 
plifierait ses  seigneuries*  ;  certifiant  que  de  cela  elle  en  avait  eu  bonne' 
révélation;  mais  quoiqu'elle  sût  dire,  en  ce  commencement,  le  roi  ni 
ceux  de  son  conseil  n'ajoutaient  pas  grande  foi  à  ses  paroles  et  à  ses» 
instances.  Et  on  ne  la  tenait  alors  en  la  cour  que  comme  une  folle  des — 
voyée  '  [hors  de  bon  sens),  parce  qu'elle  se  vantait  de  conduire  à  bonn_  ^^ 

fin  une  si  haute  besogne  qu'elle  semblait  chose  impossible  aux  hau^:: s 

princes,  vu  qu'eux  tous  ensemble  n'y  avaient  pu  pourvoir.  C'est  pourqucuDi 
Ton  tournait  ses  paroles  en  folie  et  en  dérision,  car  il  semblait  bien  à  ci  .s 
princes  que  c'était  chose  périlleuse  d'y  ajouter  foi,  à  cause  des  blaî 
phèmes  [moqueries  ?)  qui  pourraient  s'ensuivre,  et  des  paroles 
brocards  du  peuple,  vu  que  c'est  une  grande  confusion  à  homme  sa| 
d'être  abusé  pour  croire  trop  légèrement,  spécialement  en  choses  sus 
pectes  de  leur  nature. 

Néanmoins,  après  que  la  Pucelle  eût  demeuré  en  la  cour  du  roi  en  a 
état  durant  un  bon  espace  de  temps,  elle  fut  mise  en  avant  et  reçut  aide^ 
elle  arbora  un  étendard  où  elle  fit  peindre  la  figure  et  représentation  d< 
Notre-Seigneur  Jésus-Christ.  Toutes  ses  paroles  étaient  pleines  du  noi 
de  Dieu.  C'est  pourquoi  une  grande  partie  de  ceux  qui  la  voyaient  ^  * 
entendaient  parler,  e?i  fols  qu'ils  étaient  *,  avaient  grande  confiance  e^  * 
inclination  [à  croire)  qu'elle   fût  inspirée,  ainsi  qu'elle  disait.  Elle  fut 
plusieurs  fois  examinée  par  de  notables  clercs  et  gens  de  grande  auto- 
rité, afin  de  s'enquérir  et  de  savoir  plus  à  plein  son  intention  ;  mais 
toujours  elle  maintenait  son  propos,  disant  que  si  le  roi  la  voulait  croire 
elle  le  rétablirait  en  sa  seigneurie.  Maintenant  pareil  propos,  elle  con- 
duisit à  heureuse  fin  certaines  besognes,  qui  lui  valurent  grande  renom- 
mée, bruit  et  exhaussement;  ce  dont  il  sera  parlé  plus  à  plein  ci-après. 

Lorsqu'elle  vint  devers  le  roi,  se  trouvaient  à  la  cour  le  duc  d'Alençon, 
le  maréchal  de  Rais,  et  plusieurs  autres  grands  seigneurs  et  capitaines 
avec  lesquels  le  roi  avait  tenu  conseil  sur  le  fait  du  siège  d'Orléans. 

de  se  dire  Pucelle,  envoyée  par  Dieu.  Monslrelet  se  lait  sur  ce  qui  faisait  parler  la 
Pucelle,  et  il  n'insinue  pas  que  c'était  sans  raison  que  Charles  se  disait  chassé  du 
royaume. 

1.  Monslrelet  se  conlenle  de  dire  qu'(^  elle  exaucerait  (relèverait)  sa  seigneurie  >'.  Ce 
qui  n'a  rien  d'anlichrélien,  tandis  que  la  phrase  de  Wavrin  sent  la  vaine  gloire  et 
l'ambition. 

2.  Suffisante  révélation,  suffisant  y  propre  au  but.  (Godefrov.) 

3.  Monslrelet  a  mis  dévoyée  de  santé, 

4.  Monstrelet  n'a  pas  cette  incise. 


CHRONIQUE  DE  WAVRIN  DE  FORESTEL.  489 

Celte  Pucelle  s'en  alla  bientôt  avec  lui  de  Ghinon  à  Poitiers,  où  le  roi 
ordonna  que  ledit  maréchal  mènerait  des  vivres,  de  Tartillerie  et  d'autres 
approvisionnements  nécessaires  audit  lieu  d'Orléans,  avec  une  forte 
escorte.  La  Pucelle  voulut  aller  avec  le  maréchal  ;  elle  fit  donc  requête 
qu'on  lui  donnât  équipement  pour  s'armer,  ce  qui  lui  fut  délivré  ;  puis 
son  étendard  au  vent,  ainsi  qu'il  a  été  dit,  elle  s'en  alla  à  Blois  où  se 
faisait  l'assemblée,  et  de  là  à  Orléans  avec  les  autres;  elle  était  toujours 
armée  de  toutes  pièces,  et  dans  ce  même  voyage  plusieurs  gens  d'armes 
se  mirent  sous  sa  conduite  ^ 

Quand  la  Pucelle  fut  venue  dans  la  cité  d'Orléans,  on  lui  fit  très  bon 
accueil,  et  plusieurs  furent  très  joyeux  de  la  voir  être  en  leur  compagnie. 

Lorsque  les  gens  de  guerre  français  qui  avaient  amené  les  vivres  dans 
Orléans  s'en  retournèrent  devers  le  roi,  la  Pucelle  demeura  à  Orléans. 
Elle  fut  requise  par  La  Ilire  et  quelques  capitaines  d'aller  avec  les  autres 
aux  escarmouches  ;  elle  répondit  qu'elle  n'irait  point,  si  les  gens  d'armes 
qui  l'avaient  amenée  n'étaient  aussi  avec  elle  ;  ils  furent  redemandés  de 
Blois  et  des  autres  lieux  où  ils  étaient  déjà  retirés.  Ils  retournèrent  à 
Orléans  où  ils  furent  joyeusement  reçus  par  cette  Pucelle.  Elle  leur  alla 
au-devant  pour  leur  témoigner  de  leur  bienvenue  ^  disant  qu'elle  avait 
bien  vu  et  considéré  le  gouvernement  des  Anglais,  et  que  s'ils  voulaient 
la  croire  elle  les  ferait  tous  riches. 

Elle  commença  ce  même  jour  à  saillir  hors  de  la  ville,  et  s'en  alla 
moult  vivement  assaillir  une  des  bastilles  des  Anglais  qu'elle  prit  par 
force;  et  depuis  en  continuant  elle  fit  des  choses  très  merveilleuses  % 
dont  il  sera  en  son  ordre  fait  mention  ci-après. 

[Au  milieu  de  ses  assertions  sans  preuves,  contraires  aux  faits,  hai- 
neuses, Wavrin  constate  les  longs  et  sérieux  examens  subis  par  la 
Pucelle,  les  défiances  qui  raccueillirent.  Qui  est/o/  de  ceux  qui  s'étant 
readus  après  ces  interminables  épreuves  en  ont  été  récompensés  par  les 
événements  que  Wavrin  constate  ivès  é?7ierveillables^y  ou  du  chroniqueur 
qui  leur  accole  semblable  épithète  ?  Au  chapitre  suivant  il  raconte  lam- 
bassade  envoyée  par  les  Orléanais  au  duc  de  Bourgogne  qui  par  le  fait 
coïncida  avec  les  six  premières  semaines  de  l'entrée  en  scène  de  la 
Pucelle. 

Il  revient  ensuite  à  la  délivrance  d'Orléans,  non  sans  se  répéter.  J 

i.  Il  serait  trop  long  de  relever  les  inexactitudes  dont  fourmille  tout  ce  passage. 

2.  Pour  les  bienvingner.  Qui  ne  regretterait  pas  ce  mot  aujourd'hui  intraduisible  ? 

3.  Très  émei^veillableSf  encore  un  mot  aujourd'hui  sans  équivalent. 


490  Lk  VRAIE  JEANNE  D*ARC  :  LA  LIBftRATRIGE. 

II 

Chapitre  x.  —  Comment  Jehanne  la  Puce  lie  fui  cause  du  siège  levé  de 
devant  Orlf/e?is  et  des  bastilles  qui  furent  prises  par  les  François. 

Les  Anglais  mettaient  grand'peine  et  labeur  de  nuit  et  de  jour  pour 
mettre  en  Tobéissance  du  roi  Henri  la  ville  d'Orléans. 

Les  compagnons  qui  la  défendaient  se  voyaient  très  fort  oppressés  par 
la  diligence  des  assiégeants,  par  leurs  engins,  et  par  les  bastilles  qu  ils 
avaient  faites  autour  de  la  ville  jusqu'au  nombre  de  vingt-deux.  Par  icelle 
continuation  ils  étaient  en  péril  d'être  mis  en  la  servitude  et  obéissance 
de  leurs  ennemis  les  Anglais.  Ils  se  disposèrent  à  tous  les  périls  et 
conclurent  de  résister  de  tout  leur  pouvoir  et  par  toutes  les  manières  que 
bonnement  employer  ils  pourraient.  Pour  mieux  y  réussir,  ils  envoyè- 
rent devers  Je  roi  Charles  afin  d'avoir  aide  de  gens  et  de  vivres;  de 
quatre  à  cinq  cents  combaltiints  leur  furent  alors  envoyés  ;  et  bientôt 
après  il  leur  en  fut  bien  envoyé  sept  mille  avec  plusieurs  bateaux 
chargés  de  vivres,  venant  le  long  de  la  rivière  sous  la  guide  et  conduite 
de  ces  mêmes  gens  d'armes,  en  la  compagnie  desquels  fut  Jeanne  la 
Pucelle,  dont  mention  a  été  faite  ci-dessus,  qui  n'avait  pas  encore  fait 
grand'chose  qui  la  recommandât. 

Les  capitaines  anglais  tenant  le  siège,  sachant  la  venue  des  bateaux  et 
de  ceux  qui  les  guidaient,  s'efforcèrent  aussitôt  et  à  la  hâte  de  résister 
fortement  pour  les  empêcher  d'aborder  en  la  ville  d'Orléans  ;  et  d'autre 
part  les  Français  .s^évig auraient  par  force  d'armes  pour  les  y  bouter. 
A  l'aborder  des  vaisseaux  pour  passer,  il  y  eut  mainte  lance  rompue, 
mainte  flèche  décochée,  et  main  coup  d'engin  [de  machine)  jeté  ;  il  y 
eut  si  grande  noise  [mêlée)  faite  tant  par  les  assiégés  que  par  les  assié- 
geants, tant  par  les  défendants  que  parles  assaillants,  que  c'était  horreur 
de  l'ouïr;  mais  quelque  force  ou  résistance  que  sussent  faire  les  Anglais, 
les  Français  tout  malgré  eux  mirent  leurs  bateaux  à  sauveté  [en  sécurité) 
dedans  la  ville  :  ce  dont  les  Anglais  furent  moult  troublés,  et  les  Fran- 
çais bien  joyeux  de  leur  bonne  aventure.  Des  Français,  plusieurs 
entrèrent  aussi  en  la  ville,  où  ils  furent  les  bienvenus  tant  pour  les 
vivres  qu'ils  amenaient,  comme  pour  la  Pucelle  qu'ils  avaient  ra- 
menée [sic)  avec  eux,  et  ils  firent  de  toutes  parts  très  joyeuse  chère 
[réjouissance)  pour  le  beau  secours  que  Charles  leur  envoyait,  à  quoi  ils 
voyaient  clairement  la  bienveillance  qu'il  avait  pour  eux;  ce  dont  les 
habitants  se  réjouissaient  grandement,  faisant  éclater  telle  allégresse 
qu'ils  étaient  clairement  entendus  des  assiégeants*. 

\.  Menant  tel  ylay  que  tout  pîaincment  étaient  oys  des  assiégeants,  Wavrina,  dans  tout 


CHRONIQUE  DE  WAVRIN  DE  FORESTEL.  491 

III 

Puis  quand  ce  vinl  le  lendemain  qui  était  un  jeudi*,  Jeanne,  levée  de 
fort  matin,  parla  en  conseil  à  quelques  capitaines  et  chefs  de  chambre, 
leur  remontrant  par  vives  raisons,  comment  ils  étaient  venus  en  cette 
cité  uniquement  pour  la  défendre  à  rencontre  des  anciens  ennemis  du 
royaume  de  France  qui  fort  l'oppressaient,  au  point  qu'elle  la  voyait  en 
grand  danger,  si  bonne  provision  n  y  était  promptement  apportée  ;  qu'elle 
les  pressait  d'aller  s'armer.  Elle  fit  tant  par  ses  paroles  qu'elle  leur  per- 
suada de  ce  faire,  et  leur  dit  que  s'ils  voulaient  la  suivre,  elle  ne  doutait 
pas  de  porter  aux  ennemis  tel  dommage  qu'à  toujours  il  en  serait  mé- 
moire, et  que  ces  ennemis  maudiraient  le  jour  de  sa  venue. 

Tanl  les  prêcha  la  Pucelle  que  tous  allèrent  s'armer  avec  elle,  et  qu'ils 
sortirent  ainsi  en  bonne  ordonnance  de  la  ville  ;  et  au  partir  elle  dit  aux 
capitaines  :  «  Seigneurs,  prenez  courage  et  bon  courage  ;  avant  qu'il  soit 
passé  quatre  jours,  vos  ennemis  seront  vaincus^  ».  Et  les  capitaines  et 
gens  de  guerre  présents  ne  pouvaient  assez  s'émerveiller  de  ces  paroles. 

Ils  marchèrent  alors  en  avant,  et  moult  fièrement  vinrent  aborder  une  des 
bastilles  de  leur  ennemis  que  l'on  appelait  la  bastille  Saint-Loup.  Elle 
était  moult  forte  ;  il  s'y  trouvait  de  trois  à  quatre  cents  combattants  ;  en 
fort  brief  terme  ils  furent  conquis,  pris  et  tués,  et  la  bastille  brûlée  et 
démolie.  Cela  fait  la  Pucelle  et  les  siens  s'en  retournèrent  joyeusement 
en  la  cité  d'Orléans,  où  elle  fut  universellement  honorée  et  louée  de 
toutes  manières  de  gens. 

Derechef  le  lendemain  qui  fut  vendredi,  elle  et  ses  gens  sortirent  de  la 
ville,  et  elle  alla  envahir  la  seconde  bastille  qui  fut  aussi  prise  de  bel 
assaut,  et  ceux  qui  la  défendaient  furent  tous  morts  ou  pris.  Après  qu'elle 
eut  fait  abattre,  brûler  et  entièrement  mettre  à  néant  ladite  bastille,  elle 
se  retira  en  la  ville,  ou  plus  qu'auparavant,  elle  fut  honorée  et  exaltée 
par  tous  les  habitants. 

Le  samedi  suivant,  la  Pucelle  sortit  derechef  et  s'en  alla  envahir  la 
bastille  du  bout  du  pont,  laquelle  était  forte  et  grande  à  merveille,  et 
avec  cela  garnie  de  grande  quantité  de  combattants,  des  meilleurs  et  des 

le  morceau,  amplifié  Monslrclet  qui  lui  sert  de  canevas,  beaucoup  par  pure  imagina- 
tion. En  transposant  ici  la  fîn  du  chapitre  vin  donné  plus  haut,  le  récit  serait  plus 
exact,  ainsi  que  le  remarque  Quicherat. 

1.  Ce  n'est  ni  le  lendemain  de  son  entrée,  ni  un  jeudi,  que  Jeanne  frappa  son  pre- 
mier coup. 

2.  D'autres  auteurs  rapportent  cette  prophétie  ;  elle  n'a  pas  cependant  été  faile  pour 
exciter  à  Tassaut  de  Saint-Loup,  qui  eut  lieu  tout  autrement  que  ne  le  raconte  le 
faux  Français. 


492  LA  VRAIE  JEANNE  D*ABG  :  LÀ  LIBÉRATRICE. 

plus  éprouvés  parmi  les  assiégeants.  Ils  se  défendirent  longuement  et 
vaillamment,  mais  rien  ne  leur  valut  ;  à  la  fin  ils  furent  comme  les 
autres  déconfits,  pris  et  morts.  Parmi  les  morts  furent  le  seigneur  de 
Molins,  Glacidas  un  moult  vaillant  écuyer,  le  bailli  d'Évreuxet  plusieurs 
autres  hommes  nobles  et  de  haut  état.  Après  cette  belle  conquête,  les 
Français  retournèrent  joyeusement  en  la  ville. 

Nonobstant  que  dans  les  trois  assauts  dessusdits,  la  Pucelle,  d'après  le 
bruit  commun,  emportât  la  renommée  et  Thonneur  d'en  avoir  été  la 
principale  conductrice,  néanmoins  s'y  trouvèrent  la  plupart  des  capi- 
taines français  qui  durant  le  siège  avaient  conduit  les  affaires  de  la 
ville,  et  dont  il  a  été  fait  mention  ci-dessus.  Aux  assauts  et  conquêtes  des 
bastilles,  ils  se  gouvernèrent  hautement  chacun  de  leur  côté,  ainsi  qu'en 
pareil  cas  doivent  faire  des  gens  de  guerre  tels  qu'ils  étaient,  si  bien 
qu'en  ces  bastilles  il  y  eut  de  sept  à  huit  cents  Anglais  pris  ou  tués,  et 
que  les  Français  y  perdirent  environ  cent  hommes  de  tous  états. 


IV 

Le  dimanche  suivant,  les  capitaines  anglais,  à  savoir  le  comte  de 
Suffolk,  le  seigneur  de  Talbot,  le  seigneur  de  Scales  et  les  autres,  voyant 
la  prise  et  la  destruction  de  leurs  bastilles  et  de  leurs  gens,  prirent  con- 
clusion que  tous  s'en  iraient  en  un  seul  corps  d'armée,  laissant  le  siège, 
logis  et  fortifications,  et  au  cas  où  les  assiégés  les  poursuivraient  pour 
les  combattre,  il  les  attendraient  et  les  recevraient;  sinon  ils  s'en  iraient 
en  bonne  ordonnance,  chacun  d'eux  es  bonnes  villes,  châteaux  et  forte- 
resses qui  tenaient  pour  lors  le  parti  d'Angleterre  :  cette  conclusion,  qui 
sembla  à  tous  la  plus  profitable  qu'on  pouvait  élire  en  la  présente  con- 
joncture, fut  arrêtée,  accordée  et  tenue. 

En  exécutant  ce  plan,  le  dimanche,  bien  matin,  ils  abandonnèrent 
toutes  les  bastilles,  logis  et  fortifications  où  ils  s'étaient  tenus  durant  le 
siège,  mirent  le  feu  en  certains  lieux,  puis  se  mirent  en  ordre  de  bataille, 
ainsi  qu'il  a  été  dit,  et  qu'ils  l'avaient  tous  résolu  ;  ils  s'y  tinrent  un  long 
espace,  attendant  que  les  Français  vinssent  les  combattre  ;  ceux-ci  ne 
montrèrent  aucun  semblant  de  ce  faire.  J'ai  été  informé  qu'ils  retardèrent 
et  s'abstinrent  par  le  conseil  et  exhortation  de  la  Pucelle  Jeanne,  à  laquelle 
ils  ajoutaient  grande  créance. 

Les  Anglais  donc,  voyant  et  sachant  alors  de  combien  en  vérité  leur 
puissance  était  affaiblie,  virent  bien  que  continuer  à  séjourner  en  ce  lieu 
ne  serait  pas  pour  eux  chose  de  grand  sens  ;  ils  se  mirent  en  chemin, 
s'éloignant  de  la  ville  en  belle  et  bonne  ordonnance,  et  quand  ils  se  virent 


CHRONIQUE  DE  WAVRIN   DE  FORESTEL.  493 

hors  de  la  poursuite  de  leurs  adversaires,  ils  se  séparèrent  prenant  congé 
les  uns  des  autres,  et  s'en  allèrent  chacun  dans  les  garnisons  de  leur 
obéissance,  à  Texception  des  grands  seigneurs  et  des  capitaines  qui  s'en 
allèrent  à  Paris,  vers  le  régent  pour  lui  conter  leurs  aventures,  et  avoir 
ordre  et  conseil  sur  leurs  afiFaires.  Le  régent  et  tous  ceux  tenant  le 
parti  d'Angleterre  furent  moult  dolents  de  cette  perte,  mais  pour  cette 
heure,  ils  ne  le  pouvaient  amender,  et  il  leur  convint  de  souffrir. 

Les  Français  qui  étaient  dedans  Orléans  furent  moult  joyeux  du  départ 
des  Anglais  leurs  ennemis,  de  se  voir  eux  et  la  cité  délivrés  à  leur  très 
grand  honneur  du  dangereux  péril  où  ils  étaient  ;  et  pour  ce  qui  est  des 
bourgeois,  bourgeoises,  manants  et  habitants  de  la  cité,  chacun  de  son 
côté  se  réjouit,  louant  et  remerciant  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  de  ce 
qu'il  les  avait  ainsi  préservés  du  malheur  et  des  mains  de  leurs  ennemis, 
qui  s'étaient  retirés  à  leur  confusion,  après  les  avoir  tenus  en  sujétion 
un  si  grand  espace  de  temps. 

Plusieurs  gens  de  guerre  furent  alors  envoyés  en  quelques  bastilles  qui 
n'avaient  pas  été  atteintes  par  le  feu  ;  ils  y  trouvèrent  très  grande  abon- 
dance de  biens  et  de  vivres,  qu'ils  mirent  en  sûreté,  et  ces  mêmes  bastilles 
furent  prestement  démolies  et  brûlées,  pour  que  les  Anglais  ne  pussent 
plus  s'y  loger. 


CHAPITRE  II 

CAMPAGNE   DE   LA    LOIRE. 

Sommaire  :  1.  —  La  joie  du  roi  à  la  nouvelle  de  la  délivrance  d'Orléans.  —  11  convoque 
sa  noblesse.  —  Sentiments  divers  de  la  cour  sur  la  Pucelle.  —  Réunion  des  capi- 
taines à  Orléans.  —  Autorité  que  s'attribue  la  Pucelle. 

II.  —  Siège  de  Daugency.  —  Message  à  Talbot  qui  promet  secours  et  en  demande  à 
Bedford.  —  Il  envoie  Fastolf  auquel  Wavrin  est  attaclié.  —  Arrivée  et  arrêt  à 
Janville. 

III.  —  D*après  Wavrin,  les  Français  se  seraient  détachés  du  siège  de  Baugency  pour 
venir  assiéger  et  prendre  Jargeau.  —  La  garnison  anglaise  de  La  Ferté-Ilubert  vient 
fortifier  celle  de  Baugency.  —  11  n'est  bruit  que  de  la  Pucelle.  —  Les  Anglais  à 
Janville  avertis  de  la  prise  de  Jargeau  et  de  Meung.  —  Talbot  y  rejoint  Fastolf. 

IV.  —  Délibération  sur  le  parti  à  prendre.  —  Fastolf  est  d'avis  qu'il  ne  faut  pas  com- 
battre. —  Opposition  de  Talbot.  —  On  se  met  en  campagne.  —  Nouvelle  et  inutile 
insistance  de  Fastolf.  —  Ils  se  dirigent  vers  Baugency.  —  Ils  rencontrent  l'armée 
française  en  ordre  de  bataille  sur  une  hauteur.  —  Elle  renvoie  la  bataille  au 
lendemain. 

V.  —  Les  Français  font  dire  aux  assiégés  de  Baugency  qu'ils  ne  seront  pas  secourus.  — 
Perplexité  de  ces  derniers.  —  Ils  en  viennent  à  composition  et  se  retirent.  —  La 
Pucelle  persuade  aux  Français  d'aller  à  la  recherche  des  Anglais.  —  Leur  armée 
s*accroit  chaque  jour.  —  Dans  quel  ordre  elle  se  met  en  marche.  —  Prophétie  de 
la  Pucelle. 


494  U  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  U  LIRÉRATRIGE. 

VI.  —  L*armée  anglaise  à  Meung.  —  Elle  canonne  le  pont  durant  toute  la  nuit.  — 
Elle  se  dispose  à  lui  donner  Tassaut  le  matin  lorsqu'arrive  la  nouvelle  de  la  reddi- 
tion de  Baugcncy.  —  Elle  rétrograde  en  bon  ordre  à  travers  la  Beauce.  —  La  dispo- 
sition de  Tarmée.  —  Les  coureurs  annoncent  que  Tarmée  française  est  à  leur  pour- 
suite. —  Talbot  se  prépare  à  l'attendre  aux  haies  de  Patay.  —  Ses  mesures.  —  Les 
Français,  avertis  par  un  cerf,  fondent  sur  les  Anglais  avant  que  le  gros  de  Tarmée 
ait  joint  l'avant-garde.  —  Fastolf  se  hâtant  pour  cette  jonction,  ce  mouvement  est 
pris  pour  une  fuite  par  Tavant-garde  qui  se  débande.  —  Désespoir  de  Fastolf  que 
Ton  presse  de  fuir.  —  Les  Français  complètement  maîtres.  —  Pertes  des  Anglais.  — 
Fastolf  et  Wavrin  fuient  jusqu'à  Étampes,  jusqu'à  Corbeil.  —  Les  Français  couchent 
à  Patay,  rentrent  à  Orléans.  —  L'honneur  de  la  victoire  attribué  à  la  Pucelle. 


I 

Après  la  levée  du  siège,  les  Français  qui  étaient  dans  Orléans,  spécia- 
lement les  capitaines  et  Jeanne  la  Pucelle,  d'un  commun  accord 
envoyèrent  leurs  messages  devers  le  roi  Charles,  annoncer  les  victorieuses 
besognes  ci-dessus  racontées  et,  par  eux  accomplies,  comment  à  la  fin 
les  Anglais  ses  ennemis  avaient  abandonné  le  siège  de  devant  Orléans, 
et  s'étaient  retirés  dans  leurs  garnisons. 

De  ces  nouvelles,  le  roi  fut  joyeux  et  en  remercia  moult  humblement 
son  Créateur.  Bientôt  après  les  capitaines  qui  se  trouvaient  à  Orléans 
écrivirent  conjointement  au  roi,  lui  demandant  que  le  plus  grand  nombre 
de  gens  d'armes  et  de  trait  qu'il  pourrait  trouver,  il  les  envoyât  diligem- 
ment vers  eux,  avec  quelques  grands  seigneurs  pour  les  conduire,  afin 
qu'ils  pussent  aller  charger  leurs  ennemis  qui  en  ce  moment  les  redou- 
taient fort,  surtout  à  cause  du  bruit  de  la  Pucelle  dont  il  était  déjà  grande 
renommée  par  le  pays.  On  en  faisait  grandes  devises  en  la  chambre  du 
roi,  quelques-uns  disant  que  tous  les  exploits  se  faisaient  par  ses 
conseils  et  entreprises,  les  plus  sages  ne  sachant  que  penser  d'elle. 

Les  capitaines  écrivaient  encore  au  roi  que  lui-même  en  personne  tirât 
en  avant  dans  le  pays,  que,  pour  attirer  le  peuple,  sa  présence  vaudrait 
plus  que  celle  d'un  grand  nombre  d'autres  hommes.  Ces  nouvelles  furent 
moult  agréables  et  firent  grand  plaisir  au  roi  et  à  ceux  de  son  conseil.  Incon- 
tinent furent  mandés  avenir  devers  lui  le  connétable  de  France  *,  le  duc 
d'Alençon,  le  seigneur  d'Albret,  et  plusieurs  autres  grands  seigneurs,  qui 
pour  la  plupart  furent  envoyés  à  Orléans;  et  le  roi  d'un  autre  côté, 
certain  temps  après,  vint  à  Gien  avec  un  grand  nombre  de  gens  de  guerre. 
Les  capitaines  qui  les  premiers  étaient  venus  à  Orléans  tinrent  avec  les 
seigneurs  dernièrement  venus  de  grands  conseils,  pour  décider  s'ils  pour- 
suivraient les  Anglais  pour  les  jeter  hors  des  places  qu'ils  tenaient  au  pays 

1 .  Le  roi  fut  fort  loin  de  mander  le  Connétable,  et  il  faut  attribuer  à  la  Pucelle  les 
instances  de  se  mettre  en  chemin  que  le  chroniqueur  attribue  aux  capitaines. 


CHRONIQUE  DE  WAVRIN  DE  FORESTEL.  495 

deBeauce^ou  autrement.  La  Pucelle  était  toujours  appelée  ences  conseilsj 
elle  était  alors  en  grand  règne,  et  elle  voulait  que  toutes  choses  se 
gouvernassent  par  elle  et  se  conduisissent  à  son  plaisir. 


II 

Finalement  de  la  mi-mai  que  le  siège  avait  été  levé  de  devant  Orléans, 
i  rentrée  du  présent  mois  (juin),  les  Français  se  mirent  aux  champs  au 
nombre  d'environ  cinq  à  six  mille  combattants,  tous  gens  d'élite,   très 
experts  et  habiles  en  fait  de  guerre.  Tous  ensemble,    ils  tirèrent  vers 
Baagency  *,  séant  à  deux  lieues  de  Meung-sur-Loire,  et  ils  y  mirent  le 
siège.  En  cette  place  étaient  en  garnison  un  Anglais-Gascon  nommé  Ma- 
thago  *y  Messire  Richard  Guettin  et  un  autre  ancien  chevalier  anglais.  Ils 
se  laissèrent  enclore  et  assiéger  là  dedans  ;  ils  y  furent  fortement  moles- 
tés et  leurs  murs  durement  battus  de  canons  et  engins  à  pierres,  qui,  nuit 
6t  jour,  ne  cessaient  de  rebondir.  Ils  étaient  pareillement  servis  d'autres 
divers  engins  de  guerre  et  subtils  moyens  d'attaque  ',  en  sorte  qu'il  était 
impossible  aux  assiégés  de  tenir  longtemps  s'ils  ne  recevaient  pas  de 
secours. 

Dans  une  saillie  qu'ils  firent  sur  les  ennemis,  ils  mirent  hors  de  lu 
place  un  messager  qui,  chevauchant  avec  grande  diligence,  arriva  jusqu'au 
seigneur  Talbot,  pour  lequel  il  portait  des  lettres  de  créance. 

Il  lui  exposa  la  charge  qu'il  avait  de  par  les  assiégés,  et  celui-ci  Toyant 
parler  lui  dit  qu'il  y  pourvoirait  le  plus  bref  que  faire  il  le  pourrait;  qu'il 
recommandait  aux  compagnons  qui  l'envoyaient  de  faire  bonne  dili- 
gence* et  bon  devoir,  de  se  défendre,  que  brièvement  ils  auraient  bonnes 
lio-uvelles  de  lui,  car  à  la  vérité  il  désirait  moult  les  secourir,  ainsi  qu'il 
^n  était  bien  raison,  vu  qu'ils  étaient  de  ses  gens. 

Lie  seigneur  de  Talbot  annonça  donc  le  plus  tôt  qu'il  pût  toutes  ces 

ïiouvelles  au  duc  de  Bedford  qui  fit  promptement  appareiller  des  gens 

dans  les   contrées  tenant  la  querelle  du  roi  Henri.    Vinrent  ceux  qui 

fixrent  mandés,  et  moi-môme  acteur  dessus  dit,   qui  en  ce  temps  étais 

nouvellement  revenu  des  marches  de  l'Orléanais...  De  retour  à  Paris  vers 

le  régent  avec  environ  six-vingts  combattants,  il  me  retint  dès  lors  de 

*•  C'est  une  erreur.  Wavrin  fait  venir  deux  fois  la  Pucelle  au  siège  de  Daugency,  et 
prolonge  le  siège  de  cette  place  bien  plus  qu'il  ne  le  fut  en  réalité.  Le  i  1  juin,  Tarmée 
'^DÇaise  vint  assiéger  Jargeau,  le  17  Baugency.  11  est  vraisemblable  que  le  messager, 
*I^*il  dit  être  parti  de  Baugency,  partit  en  réalilé  de  Jargeau. 

2-  C'est  une  erreur.  Mathew  Goug  élait  Anglais. 

^'  Habillements. 

*•  Texte  :  Qu'ils  feissent  bonne  chière  et  bon  devoir. 


496  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBERATRICE. 

iout  point  au  service  du  roi  Henri    sous  messire  Jean  Fastolf,  gran^  _ 
maître  d'hôtel  dudit  régent,  auquel  il  ordonna  d'aller  au  paysdeBeauc 
porter  secours  à  ceux  qui  étaient  assiégés  dedans  Baugency. 

Nous  partimes  en  la  compagnie  dudit  Fastolf,  cette  fois  environ 
cents  combattants,  aussi  bien  pris  que  j'en  eusse  jamais  vus  au  pays 
France.  En  cette  brigade  étaient  Messire  Thomas  de  Rampston^  Anglais  ^ 
et  plusieurs  autres  chevaliers  et  écuyers  natifs  du  royaume  d'Angleterr 
Nous  partimes  tous  ensemble  de  Paris  et  all&mes  coucher  à  Etampes, 
nous  fûmes  trois  jours  ;  nous  partimes  le  quatrième  et  nous  cheminftm«h»  _.^ 
par  la  Beauce,  tant  que  nous  arrivâmes  à  Janville.  C'est  une  très  boni^^}^ 
petite  ville,  ayant  à  l'intérieur  une  grosse  tour  à  manière  de  donjon^  q-    -^• 
naguère  avait  été  prise  par  le  comte  de  Salisbury.  Nous  fûmes  dura^  :^/ 
quatre  jours  dans  cette  ville,  attendant  encore  de  plus  grandes  forces  q^j^ 
le  duc  de  Bedford  nous  devait  envoyer;  car  il  avait  demandé  secours    et 
aide  en  Angleterre,  en  Normandie,  et  de  tous  côtés.  Or,  nous  dirons  un 
peu  l'état  des  Français  qui  tenaient  le  siège  de  Baugency. 


III 

Chapitre  x.  —  Comment  le  Connestable  de  France^  le  duc  d'Alenchonei 
la  Pucelle  prirent  Ghergeaux, 

Or,  il  est  vrai  qu'en  ces  mômes  jours,  où  les  seigneurs  anglais  à 
savoir,  Messire  Jean  Fastolf,  Messire  Thomas  de  Rampston  et  ses  troupes 
séjournaient  dans  Janville,  le  connétable  de  France,  le  duc  d'Alençon, 
Jeanne  la  Pucelle  et  les  autres  capitaines  français,  réunis,  comme  il  a  été 
déjà  dit,  devant  Baugency,  le  siège  bien  garni,  s'en  partirent  au  nombre 
d'environ  cinq  ou  six  mille  combattants,  et  se  mirent  en  chemin  vers 
Jargeau  où  ils  parvinrent*.  Tenait  garnison  en  cette  ville  le  sire  de  Suffolk 
avec  de  trois  à  quatre  cents  Anglais,  natifs  d'Angleterre,  et  les  manants 
de  la  cité  qui  prestement  et  en  toute  diligence  se  mirent  en  défense 
quand  ils  virent  les  Français  qui  bientôt  les  eurent  environnés  de  toutes 
parts,  et  commencèrent  à  les  envahir  très  aigrement,  à  les  assaillir  par 
plusieurs  côtés.  L'assaut  dura  un  bon  espace  de  temps,  continué  merveil- 
leusement. Les  Français  firent  tant  par  leur  grande  diligence  et  travail 
que,  malgré  les  Anglais  leurs  ennemis,  ils  entrèrent  dans  la  ville  par 
force  d'armes.  A  cette  prise,  environ  trois  cents  Anglais  furent 
tués,  parmi  lesquels  un  frère  du  comte  de  Suffolk.    Ce  comte  et  un 

1.  Jargeau  fut  pris  avant  le  siège  de  Baugency  et  le  Connétable  n'était  nullement 
présent.  Dans  tout  ce  chapitre  x,  Wavrin  se  livre  à  sa  fantaisie  et  confond  toutes 
choses. 


498  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARC  !   LA  UBÉRATRICE. 

avant,  de  laisser  les  assiégés  de  Baugency  prendre  avec  les  Français  le 
meilleur  traité  qu'ils  pourraient  avoir,  et  pour  eux  de  se  retirer  es  villes, 
châteaux  et  forteresses  tenant  leur  parti,  de  ne  point  combattre  leurs 
ennemis  en  si  grande  hâte,  d'attendre  jusqu'à  ce  que  leurs  gens  fussent 
plus  rassurés,  et  qu'à  eux  fussent  venus  se  joindre  ceux  que  le  régent 
duc  de  Bedford  devait  leur  envoyer. 

Ces  remontrances  faites  en  plein  conseil  par  Messire  Jean  Fastolf  ne 
furent  pas  agréables  à  plusieurs  des  autres  capitaines,  et  spécialement 
au  seigneur  de  Talbot,  qui  dit  qu'alors  qu'il  n'aurait  que  ses  gens  et 
ceux  qui  le  voudraient  suivre,  il  irait  combattre  à  Taide  de  Dieu  et  de 
Monseigneur  saint  Georges. 

Messire  Jean  Fastolf,  voyant  alors  que  nulle  observation  ou  remon- 
trance ne  valait  pas  plus  que  s'il  n'avait  rien  dit,  se  leva  du  conseil.  Ainsi 
firent  tous  les  autres,  et  chacun  s'en  alla  à  son  logis.  Il  fut  commandé 
aux  capitaines  et  aux  chefs  d'escadre  [compagnies)  d'être  prêts  le  lende- 
main au  matin  pour  se  mettre  aux  champs  et  aller  là  où  leurs  souverains 
l'ordonneraient.  Ainsi  se  passa  cette  nuit.  Puis  au  matin  ils  sortirent  tous 
hors  de  la  porte,  et  se  mirent  en  pleins  champs,  étendards,  pennons  et 
guidons  au  vent. 

Après  que  tous  furent  hors  de  la  ville  en  bonne  ordonnance,  tous  les 
chefs  s'assemblèrent  de  nouveau  en  groupe  au  milieu  d'un  champ,  et 
Messire  Jean  Fastolf  parla  encore,  déduisant  et  remontrant  plusieurs 
raisons  pour  ne  pas  passer  plus  avant,  mettant  devant  les  entendements 
toutes  les  craintes  de  dangers  et  de  périls  que,  selon  son  imagination,  ils 
pouvaient  bien  encourir,  et  aussi  qu'ils  n'étaient  qu'une  poignée  de  gens, 
eu  égard  au  nombre  des  Français;  que  si  la  fortune  leur  était  contraire, 
tout  ce  que  le  roi  Henri  avait  conquis  par  grand  labeur  et  long  temps 
serait  en  voie  de  perdition  ;  c'est  pourquoi  il  vaudrait  mieux  se  refréner 
un  peu  et  attendre  que  leur  armée  fût  renforcée.  Ces  remontrances  ne 
furent  pas  encore  agréables  au  seigneur  de  Talbot,  ni  aussi  aux  chefs  de 
l'armée.  C'est  pourquoi  Messire  Jean  Fastolf,  voyant  que,  quelque  obser- 
vation qu'il  sût  faire,  il  ne  pouvait  rien  pour  empêcher  ses  compagnons 
de  vouloir  poursuivre  leur  entreprise,  il  cotnmanda  aux  étendards  de 
prendre  le  chemin  de  Meung.  Vous  eussiez  vu  par  cette  Beauce  qui  est 
ample  et  large  les  Anglais  chevaucher  en  très  belle  ordonnance,  et  puis 
quand  ils  furent  parvenus  à  une  lieue  près  de  Meung  et  assez  près  de 
Baugency,  les  Français  avertis  de  leur  venue,  au  nombre  d'environ 
six  mille  combattants,  ayant  pour  chefs  Jeanne  la  Pucelle,  le  duc 
d'Alençon,  le  bâtard  d'Orléans,  le  maréchal  de  La  Fayette,  La  Hire, 
Poton  et  d'autres  capitaines,  se  rangèrent  et  se  mirent  en  bataille  sur  une 
petite  montagnette,  pour  mieux  voir,  et  s'assurer  de  la  contenance  des 


CHRONIQUE  DE  WAVRIN  DE  FORESTEL.  499 

Anglais.  Ceux-ci  s'apercevant  clairement  que  les  Français  étaient  rangés 
en  ordre  de  bataille,  et  pensant  qu'ils  allaient  venir  les  combattre,  com- 
mandement exprès  fut  fait  immédiatement  de  par  le  roi  Henri  d'Angle- 
terre, que  chacun  se  mît  à  pied,  et  que  tous  les  archers  eussent  leurs 
pieux  en  arrêt  devant  eux,  ainsi  qu'ils  ont  coutume  de  le  faire  quand  ils 
pensent  devoir  être  combattus.  Quand  ils  virent  que  les  Français  ne  se 
mouvaient  pas  de  leurs  positions,  ils  envoyèrent  vers  eux  deux  hérauts, 
disant  qu'ils  étaient  trois  chevaliers  {sic)  qui  les  combattraient  s'ils 
avaient  la  hardiesse  de  descendre  de  leur  élévation  et  de  venir  vers  eux. 
Il  fut  répondu  de  par  les  gens  de  la  Pucelle  :  «  Allez  vous  loger  pour 
aujourd'hui,  car  il  est  trop  tard  ;  mais  demain,  au  plaisir  de  Dieu  et  de 
Notre-Dame,  nous  nous  verrons  de  plus  près.  » 

Les  seigneurs  anglais,  voyant  alors  qu^ils  ne  seraient  pas  combattus, 
quittèrent  leur  campement,  et  chevauchèrent  vers  Meung,  où  ils  prirent 
leurs  logis  pour  cette  nuit  ;  car  ils  ne  trouvèrent  nulle  résistance  dans  la 
ville,  le  pont  seul  tenant  pour  les  Français.  Il  fut  conclu  par  les  capitaines 
anglais  que  cette  nuit  ils  feraient  battre  ledit  pont  par  leurs  engins, 
canons  et  veuglaires,  afin  d'avoir  passage  de  Tautre  côté  de  la  rivière.  Ils 
le  firent  ainsi  qu'ils  se  l'étaient  proposé  durant  cette  nuit  qu'ils  passèrent 
à  Meung  jusqu'au  lendemain. 

Or,  retournons  aux  Français  qui  étaient  devant  Baugency,  et  nous 
parlerons  ensuite  des  Anglais  en  lieu  et  temps. 


Chapitre  xiii.  —  Comment  les  François  eurent  par  composition  le  chas- 
tel  de  Beaugensi  que  tenoient  les  Anglois^  et  la  journée  que  les  Anglois 
perdirent  à  Pathai  contre  les  François. 

Comme  vous  l'avez  vu,  les  Anglais  étaient  logés  à  Meung,  tandis  que 
les  Français  tenaient  le  siège  devant  Baugency.  Ils  pressaient  fort  les 
assises,  leur  faisant  entendre  qu'ils  ne  recevraient  pas  le  secours  qu'ils 
attendaient,  que  ceux  qui  devaient  l'amener  étaient  retournés  vers  Paris. 

Ce  que  voyant  et  entendant  lesdits  assiégés,  ainsi  que  plusieurs  sembla- 
bles paroles  que  leur  disaient  les  Français,  ils  ne  surent  bonnement  à  quel 
parti  et  à  quel  conseil  ils  devaient  s'arrêter  comme  au  meilleur  et  au 
plus  profitable.  Ils  considéraient  que  par  la  renommée  de  Jeanne  la 
Pucelle  les  courages  anglais  étaient  fort  altérés  et  défaillis  ;  ils  voyaient, 
ce  leur  semblait,  la  fortune  tourner  raidement  sa  roue  à  leur  encontre  ; 
ils  avaient  déjà  perdu  plusieurs  villes  et  forteresses  qui,  les  unes  par  force, 
les  autres  par  traité,  s'étaient  remises  en  l'obéissance  du  roi  de  France, 


500  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

principalement  par  les  entreprises  de  ladite  Pucelle;  ils  voyaient  leurs 
gens  amatis,  et  ne  leur  trouvaient  plus  maintenant  le  même  et  ferme 
propos  de  prudence  qu'ils  avaient  coutume  de  leur  trouver  ;  mais  tous, 
ce  leur  semblait,  étaient  très  désireux  de  se  retirer  sur  les  marches  de 
Normandie,  abandonnant  ce  qu'ils  tenaient  en  llle-de-France,  et  dans  les 
pays  environnants.  En  considérant  ces  choses  et  plusieurs  autres  qui  se 
présentaient  à  leurs  imaginations,  ils  ne  savaient  quel  parti  choisir,  car 
ils  n'étaient  pas  acertenés  d'avoir  prompt  secours;  mais  s'ils  avaient  su 
qu'il  était  si  près  d'eux,  ils  ne  se  fussent  pas  rendus  de  sitôt.  Toutefois 
finalement,  vu  les  incertitudes  qu'ils  mettaient  dans  leur  fait,  ils  trai- 
tèrent avec  les  Français  du  mieux  qu'ils  purent,  ayant  obtenu  comme 
conditions  qu'ils  s'en  iraient  la  vie  sauve  et  emmèneraient  tous  leurs 
biens,  et  que  la  place  demeurerait  en  l'obéissance  du  roi  Charles  et  de  ceux 
qui  étaient  commis  à  sa  place.  Le  traité  ainsi  fait,  le  samedi  matin  les 
Anglais  partirent,  prenant  leur  chemin  vers  Paris  à  travers  la  Beauce, 
et  les  Français  entrèrent  dans  Baugency. 

Puis,  à  la  persuasion  de  la  Pucelle  Jeanne,  ils  conclurent  qu'ils  allaient 
se  mettre  à  la  recherche  des  Anglais,  jusqu'à  ce  qu'ils  les  auraient 
trouvés  en  pleine  Beauce,  en  un  lieu  avantageux  pour  le  combat,  et  que 
là  ils  les  combattraient  ;  car  il  n'était  pas  douteux  que  les  Anglais, 
dès  qu'ils  sauraient  la  reddition  de  Baugency,  ne  s'en  retournassent  vers 
Paris,  à  travers  la  Beauce,  où  il  leur  semblait  qu'ils  en  auraient  bon 
marché.  Or,  pour  exécuter  leur  projet,  lesdits  Français  se  mirent  aux 
champs.  Chaque  jour  il  leur  pleuvait,  il  leur  arrivait  de  divers  lieux 
des  gens  nouveaux.  Donc  à  faire  Tavant-garde  furent  ordonnés  le  conné- 
table de  France,  le  maréchal  de  Boussac,  La  Hire,  Poton  et  d'autres 
capitaines  ;  les  autres,  tels  que  le  duc  d'Alençon,  le  bâtard  d'Orléans,  le 
maréchal  de  Rais  étaient  les  conducteurs  de  l'armée  et  suivaient  de  fort 
près^  ladite  avant-garde.  Les  Français  pouvaient  être  en  tout  de  douze 
à  treize  mille  combattants. 

Il  fut  alors  demandé  à  la  Pucelle  par  quelques-uns  des  principaux 
seigneurs  et  capitaines  quelle  chose  lui  semblait  de  présent  bonne  à  faire. 
Elle  répondit  qu'elle  était  certaine  et  savait  en  toute  vérité  que  les 
Anglais  leurs  ennemis  les  attendaient  pour  les  combattre,  et  dit  en  outre 
qu'on  chevauchât  en  avant  contre  eux  et  qu'ils  seraient  vaincus. 
Quelques-uns  lui  demandèrent  où  on  les  trouverait,  auxquels  elle  fit 
réponse  que  l'on  chevauchât  hardiment  et  que  l'on  aurait  bon  conduit. 
Ainsi  les  divers  corps  de  l'armée  française  se  mirent  en  chemin  en 
bonne  ordonnance,  les  plus  experts,  montés  sur  fleur  de  chevaux,  au 

1.  Le  texte  est:  CLssez  de  prc2, mais,  comme  nous  l'avons  observé  plusieurs  fois,  dans 
la  langue  du  moyen  âge  assez  signifie  souvent  :  très,  fort,  (Voy.  L\cur>'£.) 


CHRONIQUE  DE  WAVRIN  DE  FORESTEL.  501 

nombre  de  60  ou  80  hommes,  étant  mis  en  avant  pour  la  découverte,  et 
ainsi  chevauchant  ce  samedi  par  long  espace,  ils  arrivèrent  fort  près  de 
leurs  ennemis  les  Anglais,  comme  vous  pourrez  ouïr  ci-après. 


VI 

Ainsi  donc,  comme  il  a  été  dit  ci-dessus,  les  Anglais  s'étaient  logés 

i  Meung,  avec  l'intention  de  conquérir  le  pont  pour  aller  rafraîchir*  de 

vivres  la  garnison  de  Baugency,   qui  dès  le  soir  s'était   rendue   aux 

Français;  ce  dont  les  Anglais  ne  savaient  rien.  Ce  samedi,  en  effet, 

environ  huit  heures  du  matin,  après  que  les  capitaines  eurent  ouï  la 

messe,  il  fut  crié  et  publié  dans  Tarmée  que  chacun  se  préparât  et  se 

mit  en  point,  se  pourvoyant  de  pavois,  d'huis,  de  fenêtres  et  d'autres 

appareils  nécessaires  pour  assaillir  ledit  pont  qui,  la  nuit  précédente,  avait 

été  rudement  battu  de  nos  engins.  Comme  nous  étions  tous  garnis  de  ce 

dont  il  était  besoin  pour  l'assaut  et  prêts  à  partir  pour  commencer,  il 

advint  que   juste  à  cette  heure  arriva  un  poursuivant   Urarmes]  qui 

venait  tout  droit  de  Baugency.  Il  dit  aux  seigneurs  nos  capitaines  que  la 

ville  et  le  château  de  Baugency  étaient  en  la  main  des  Français,  qui,  à 

son  départ,  se  mettaient  aux  champs  pour  les  venir  combattre. 

Il  fut  alors  promptement  commandé  dans  tous  les  quartiers,  par  les 
capitaines  anglais,  que  tous  laissassent  l'assaut,  qu'on  se  tirât  aux 
champs,  et  qu*à  mesure  qu'on  arriverait  aux  champs  hors  de  la  ville, 
chacun  de  son  côté  se  mit  en  bel  ordre  de  bataille.  La  chose  fut  faite 
moult  agrément  (avec  promptitude).  L'avant-garde  se  mit  d'abord  en 
chemin,  conduite  par  un  chevalier  anglais  qui  portait  un  étendard  blanc  ; 
puis  l'on  mit  entre  Tavant-garde  et  le  gros  de  l'armée  l'artillerie,  les 
vivres  et  les  marchands  de  tous  états.  Après,  venait  Tarmée  dont  étaient 
conducteurs  Messire  Jean  Fastolf,  le  seigneur  de  Talbot,  Messire  Thomas 
Rampston  et  autres.  Puis  chevauchait  l'arrière-garde  qui  ne  se  com- 
posait que  d'Anglais. 

Quand  cette  compagnie  fut  en  rase  campagne,  on  prit,  en  chevauchant 
en  belle  ordonnance,  le  chemin  vers  Patay,  si  bien  que  Ton  en  vint  ù 
une  lieue  près;  et  là  on  s'arrêta,  car  les  coureurs  de  l'arrière-garde 
avertirent  qu'ils  avaient  vu  venir  beaucoup  de  gens  après  eux  qu'ils 
comptaient  être  les  Français  Et  alors,  pour  en  savoir  la  vérité,  les  sei- 
gneurs anglais  envoyèrent  quelques-uns  de  leurs  gens  courir  à  cheval  ; 

i .  Le  pont  conquis,  les  Anglais  auraient  longé  la  rive  gauche  jusqu'à  Baugency, 
dont  la  garnison  s'élail  retirée  sur  le  ponl  que  canonnait  Tarniée  française  campée  sur 
la  rive  droite. 


502  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

lesquels  retournèrent  bientôt,  et  firent  relation  auxdits  seigneurs  que  les 
Français  venaient  après  eux,  chevauchant  rondement,  en  très  grosse 
puissance  ;  en  effet,  on  ne  tarda  guère  à  les  voir  venir. 

Il  fut  alors  ordonné  par  nos  capitaines  que  ceux  de  Tavant-garde,  les 
marchands,  les  victuailles  et  l'artillerie  iraient  devant  prendre  place  tout 
le  long  des  haies  qui  étaient  près  de  Patay.  Laquelle  chose  fut  ainsi  faite. 
Puis  Tarmée  marcha  si  bien  qu'elle  vint  entre  deux  fortes  haies  entre 
lesquelles  les  Français  devaient  passer.  Et  alors  le  seigneur  de  Talbot, 
voyant  le  lieu  avantageux,  dit  qu'il  descendait  à  pied  avec  cinq  cents 
archers  d'élite,  et  qu'il  se  tiendrait  là,  gardant  le  passage  contre  les 
Français  jusques  à  ce  que  l'armée  et  Farrière-garde  seraient  jointes,  et 
Talbot  prit  place  aux  haies  de  Patay,  avec  l'avant-garde  qui  là  attendait. 
Le  seigneur  de  Talbot,  gardant  cet  étroit  passage  à  rencontre  des  ennemis, 
espérait  pouvoir  revenir  de  lui-môme  rejoindre  le  gros  de  Tarmée  en 
côtoyant  les  haies,  que  les  Français  le  voulussent  ou  non  ;  mais  il  en  fut 
tout  autrement. 

Les  Français  venaient  très  rapidement  après  leurs  ennemis,  qu'ils  ne 
pouvaient  pas  encore  aborder,  ne  sachant  pas  le  lieu  où  ils  étaient,  lors- 
que, par  hasard,  les  avant-coureurs  virent  un  cerf  sortir  des  bois  et, 
prenant  son  chemin  vers  Patay,  aller  se  jeter  dans  l'armée  des  Anglais. 
Ceux-ci  à  cette  vue  poussèrent  un  grand  cri,  ne  sachant  pas  que  leurs 
ennemis  fussent  si  près  d'eux.  Par  ce  cri  les  dessusdits  coureurs  fran- 
çais furent  acertenés  que  c'étaient  les  Anglais,  et,  bientôt  après,  ils  les 
virent  bien  manifestement.  Ils  envoyèrent  quelques-uns  de  leurs  compa- 
gnons annoncera  leurs  capitaines  ce  qu'ils  avaient  vu  et  trouvé,  en  leur 
faisant  savoir  de  chevaucher  en  avant  par  bonne  ordonnance,  et  que 
c'était  l'heure  de  besongner.  Ceux-ci  se  préparèrent  promptement 
de  tous  points,  et  chevauchèrent  si  bien  qu'ils  eurent  les  Anglais  bien 
clairement  sous  leurs  yeux. 

Quand  les  Anglais  virent  les  Français  les  approcher  de  si  près,  ils  se 
hâtèrent  le  plus  qu'ils  purent,  afin  de  se  rendre  aux  haies  avant  leur 
arrivée,  mais  ils  ne  surent  pas  exécuter  leur  mouvement  si  prompte- 
ment, qu'avant  qu'ils  fussent  joints  à  leur  avant-garde  auxdites  haies,  les 
Français  s'étaient  précipités  à  l'étroit  passage  où  était  le  seigneur  de 
Talbot.  Et  alors  Messire  Jean  Fastolf,  courant  et  chevauchant  vers  ceux 
de  l'avant-garde  pour  se  joindre  à  eux,  ceux  de  ladite  avant-garde  pen- 
sèrent que  tout  était  perdu  et  que  les  compagnies  étaient  en  fuite.  C'est 
pourquoi  le  capitaine  de  l'avant-garde,  pensant  qu'il  en  était  vraiment 
ainsi,  avec  son  étendard  blanc  prit  la  fuite,  et  ses  gens  avec  lui,  et  tous 
abandonnèrent  la  haie. 

Alors  Messire  Jean  Fastolf,  voyant  le  danger  de  la  fuite,  connaissant 


CHRONIQUE  DE  WAYRIN  DE  FORESTEL.  503 

tout  aller  très  mal,  fut  conseillé  de  se  sauver.  Il  lui  fut  dit,  moi  acteur  {sic) 
étant  présent,  qu'il  prit  garde  à  sa  personne,  car  la  bataille  était  perdue 
pour  eux.  Il  voulait  à  toutes  forces  rentrer  en  la  bataille,  et  là  attendre 
le  sort  que  Notre-Seigneur  lui  voudrait  envoyer,  disant  qu'il  aimait  mieux 
être  mort  ou  pris  que  fuir  honteusement  et  abandonner  ainsi  ses  gens, 
et  avant  qu'il  voulût  partir,  les  Français  avaient  rabattu  le  seigneur  de 
Talbot,  ils  l'avaient  fait  prisonnier  et  tous  ses  gens  étaient  morts,  et  les 
Français  étaient  déjà  si  avant  dans  la  bataille  qu'ils  pouvaient  à  leur 
volonté  prendre  ou  occire  {liter)  ceux  que  bon  leur  semblait.  Finalement 
les  Anglais  y  furent  déconfits  avec  peu  de  pertes  de  la  part  des  Français. 
Du  tôté  des  Anglais  il  y  mourut  bien  deux  mille  hommes,  et  il  y  eut 
bien  deux  cents  prisonniers. 

Ainsi  alla  cette  besogne  comme  vous  venez  de  l'ouïr.  Ce  que  voyant 
Messire  Jean  Fastolf,  il  s'en  partit  bien  malgré  lui  à  très  petite  compa- 
gnie, menant  le  plus  grand  deuil  que  jamais  je  visse  faire  à  un  homme. 
Et  en  vérité,  il  se  fut  remis  en  la  bataille,  n'eussent  été  ceux  qui  étaient 
avec  lui,  spécialement  Messire  Jean,  bâtard  de  Thian,  et  autres  qui  l'en 
détournèrent.  Il  prit  son  chemin  vers  Étatfipes,  et  moi  je  le  suivis  comme 
étant  mon  capitaine,  auquel  le  duc  de  Bedford  m'avait  commandé 
d'obéir,  bien  plus  de  servir  sa  personne.  Nous  arrivâmes  une  heure  après 
minuit  à  Étampes  où  nous  couchâmes,  et  le  lendemain  à  Corbeil. 

Ainsi,  comme  vous  l'entendez,  les  Français  obtinrent  la  victoire  audit 
lieu  de  Patay  où  ils  couchèrent  cette  nuit,  rendant  grâces  à  Notre-Seigneur 
de  leur  belle  fortune  Et  le  lendemain  ils  partirent  de  Patay,  qui  est 
situé  à  deux  lieues  de  Janville.  Du  nom  de  cette  place,  cette  bataille  por- 
tera perpétuellement  le  nom  de  journée  de  Patay.  Et  de  là  les  Français 
s'en  allèrent  avec  leur  butin  et  leurs  prisonniers  à  Orléans  où  ils  furent 
universellement  conjouis  de  tout  le  peuple. 

Après  cette  belle  victoire,  tous  les  capitaines  français  qui  s'y  étaient 
trouvés,  Jeanne  la  Pucelle  avec  eux,  s'en  allèrent  vers  le  roi  Charles  qui 
moult  les  conjouit  [félicita)  et  les  remercia  grandement  de  leur  service 
et  diligence.  Ils  lui  dirent  que  par-dessus  tout  on  devait  savoir  gré  à  la 
Pucelle  qui,  de  cette  heure,  fut  du  conseil  privé  du  roi  *.  Et  là  il  fut  conclu 
dassembler  le  plus  grand  nombre  d'hommes  de  guerre  que  l'on  pourrait 
dans  les  pays  obéissants  audit  roi,  afin  qu'il  pénétrât  en  avant  dans  les 
pays  et  poursuivit  ses  ennemis. 

1.  Cette  assertion  que  Ton  ne  trouve  que  chez  W'avrin  est  démentie  par  les  faits. 


JEAN  LE  FÈVRE  DE  SAINT-RÉMY 


REMARQUES  CRITIQUES. 

Jean  Le  Fèvre  de  Saint-Rémy  naquit  près  d'Abbeville  vers  1394,  et 
mourut  à  Bruges  vers  1474.  Tout  jeune  il  fut  poursuivant  d'armes  sous 
Jean  sans  Peur.  Il  persévéra  dans  la  carrière  où  il  s'était  engagé,  et 
en  1422,  il  fut  créé  héraut  d'armes  sous  le  nom  de  Charolais.  Lors  de 
l'institution  de  la  Toison  cTOr  il  en  devint  le  roi  d'armes,  et  il  échangea 
son  nom  de  Charolais  contre  celui  de  Toison  d'Or.  Cher  au  duc  de  Bour- 
gogne, l'un  de  ses  plus  intimer  officiers,  il  en  reçut  des  dons  nombreux, 
et  fut  honoré  de  plusieurs  délicates  missions. 

Toison  d'Or  était  septuagénaire  lorsque,  en  1464,  il  entreprit  d'écrire 
ses  Mémoires',  il  en  est  sorti  la  Chronique  qui  porte  son  nom;  elle 
s'étend  de  1407  à  1460.  Il  confia  son  écrit  à  Chastellain  qui  s'en  est  ins- 
piré. Le  Laboureur  inséra  dans  sa  traduction  de  la  belle  Histoire  de 
Charles  VI,  par  le  Religieux  de  Saint-Denis,  la  partie  de  la  Chronique  de 
Le  Fèvre  qui  s'étend  de  1407  à  1422.  Buchon  l'édita  tout  entière. 

A  en  juger  par  les  chapitres  qui  relatent  les  événements  qui  se  dérou- 
lèrent sous  la  conduite  de  la  Pucelle,  la  Chronique  n'est  pas  seulement 
succincte;  elle  est  très  inexacte.  Il  traite  l'héroïne  d'une  manière  fort 
superficielle,  cavalière,  rapetisse  sans  mesure  son  rôle,  en  taisant  la  part 
qui  lui  revient  dans  les  faits,  et  taxe  de  gens  de  folle  créance  ceux  qui 
comptèrent  sur  elle.  Les  faussetés  qu'il  invente  sur  les  débuts  de  la 
Pucelle  donnent  droit  de  ne  pas  croire  ce  qu'il  lui  plaît  de  narrer  des 
promesses  faites  par  l'héroïne  avant  sa  sortie  de  Compiègne.  Il  est  le  seul 
à  nous  en  parler  ;  car  Georges  Chastellain  n'a  fait  qu'embellir  de  sa  dic- 
tion la  donnée  fournie  par  Le  Fèvre  de  Saint-Rémy,  qui,  venons-nous  de 
dire,  lui  envoyait  son  écrit.  Le  Fèvre  semble  peu  croire  au  surnaturel, 
l'élague  ou  le  persifle.  N'est-ce  pas  ce  qui  explique  le  jugement  très 
favorable  porté  parQuicherat  sur  une  œuvre  pleine  d'énormes  faussetés, 
qui  n'apprend  rien,  et  nous  semble  être,  avec  celle  de  Wavrin  de  Forestel, 
au  dernier  rang  des  Chroniques  qui  traitent  avec  quelque  étendue  de 
l'apparition  de  la  Libératrice? 


CHRONIQUE  DE  LE  FËYRE  DE  SAINT-RÉMY.  505 


CHAPITRE    III 

CHRONIQUE  DE  LE  FÉVRE  DE  SAINT-RÉMY. 

Sommaire  :  1.  —  Fantaisies  de  Saint-Rémy  sur  les  personnages  qui  apparaissaient  à  la 
Pucelle,  et  la  manière  dont  elle  entra  en  scène.  —  Il  ne  donne  pas  idée  des  combats 
engagés  pour  la  délivrance  d*Orléans.  —  Il  constate  la  frayeur  des  Anglais,  et  leur 
foi  à  une  prophétie  sur  leur  expulsion  par  une  Pucelle.  —  Il  ne  fait  qu'indiquer  la 
prise  de  Jargeau,  la  victoire  de  Patay,  attribuée  à  ce  que  les  Anglais  furent  surpris 
changeant  leur  position  de  combat. 

II.  —  Confiance  inspirée  par  la  Pucelle  aux  hommes  d*armes  et  au  Dauphin.  —  La 
campagne  du  sacre  seulement  indiquée.  —  Erreurs  dans  1  enumération  de  ceux  qui 
y  prennent  part. 

IIL  —  Campagne  après  le  sacre.  —  Erreur  du  chroniqueur  qui  met  Mitry  près  de 
La  Victoire. 

IV.  —  La  rencontre  des  deux  armées  près  de  Montépilloy.  —  Détails.  —  Les  Français 
auraient  été  les  premiers  à  se  retirer.  —  Les  Anglais  tiraient  leurs  vivres  de  Senlis. 

V.  —  Le  roi  à  Compiègne.  —  Les  défenseurs  de  Paris  constitués  par  le  régent,  qui  va 
au  secours  de  la  Normandie.  —  Le  roi  venant  à  Saint-Denis  sur  la  promesse  de 
la  Pucelle  de  lui  livrer  Paris.  —  Assaut.  —  Départ  du  roi . 

VI.  —  Siège  de  Choisy.  —  Le  passage  de  l'Oise  à  Pont-l'Évéque  gardé  par  les  Anglais. 
—  Vive  attaque  de  la  Pucelle  repoussée.  —  Choisy  enlevé.  —  Le  siège  de  Compiègne 
par  le  duc  de  Bourgogne  et  les  Anglais.  —  La  Pucelle  s'y  introduit.  —  D'après  le 
chroniqueur  elle  aurait  promis  de  prendre  le  duc  de  Bourgogne.  —  Portrait  de  la 
Pucelle  sortant  contre  les  assiégeants.  —  Le  combat.  —  La  Pucelle  protégeant  la 
retraite.  —  Sa  prise.  —  Joie  du  duc  de  Bourgogne.  —  Les  hommes  qui  avaient  cru 
à  la  Pucelle  traités  de  gens  de  léger  entendement. 


I 

Chapitre  eux.  —  Comment  la  Pucelle  Jehanne  vint  en  bruit  et  fut  ame- 
née au  siège  d'Orléans,  —  Comment  elle  saillit  avec  les  Fraiichois  sur  les 
Anglois  et  fut  le  siège  abandonné. 

Or  il  convient  de  parler  d'une  aventure  qui  advint  en  France,  la  non- 
pareille,  je  crois,  qui  y  advint  jamais.  En  un  village  sur  les  marches  de 
Lorraine,  il  y  avait  un  homme  et  une  femme,  mariés  ensemble,  qui 
eurent  plusieurs  enfants,  parmi  lesquels  une  jeune  fille,  qui,  dès  Tâge 
de  sept  à  huit  ans,  fut  mise  à  garder  les  brebis  aux  champs  et  fit 
longtemps  ce  métier. 

Or,  du  temps  qu'elle  avait  ou  pouvait  avoir  dix-huit  ou  vingt  ans,  il  est 
vrai  qu'elle  put  dire  qu'elle  avait  souvent  des  révélations  de  Dieu  ;  que 
vers  elle  venait  la  glorieuse  Vierge  Marie  accompagnée  de  plusieurs 
anges,  saints  et  saintes,  parmi  lesquels  elle  nommait  Madame  sainte 


506  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

Catherine,  et  David  le  prophète,  avec  sa  harpe  qu'il  sonnait  mélo- 
dieusement*. Elle  disaitenfin,  entre  les  autres  choses^  avoir  eu  révélation 
de  la  part  de  Dieu,  par  la  bouche  de  la  Vierge  Marie,  de  se  mettre  en 
armes,  et  que  par  elle,  Charles,  Dauphin  du  Viennois,  serait  remis  en  sa 
terre  et  seigneurie,  et  qu'elle  le  mènerait  sacrer  et  couronner  à  Reims. 

Ces  nouvelles  vinrent  à  un  gentilhomme  de  la  marche  qui  l'arma,  la 
monta  d'un  cheval,  et  la  mena  à  Orléans,  à  rencontre  des  Anglais  qui  y 
tenaient  le  siégea  II  y  fit  assembler  le  bâtard  d'Orléans  et  plusieurs 
autres  capitaines  auxquels  il  conta  ce  que  disait  cette  fille  nommée 
Jeanne  la  Pucelle.  De  fait  elle  fut  interrogée  de  plusieurs  sages  et  vail- 
lants hommes,  qui  se  boutèrent  en  voie  de  la  croire,  et  ajoutèrent  en  icelle 
si  grande  foi  qu'ils  abandonnèrent  et  mirent  leurs  corps  en  toute  aventure 
{à  tout  hasard)  avec  elle'. 

Il  est  vrai  qu'un  jour  elle  leur  dit  qu'elle  voulait  combattre  les 
Anglais  ;  elle  assembla  ses  gens,  et  se  prit  à  assaillir  les  Anglais  par 
leur  plus  forte  bastille,  que  gardait  un  chevalier  d'Angleterre  nommé 
Cassedag  (Glasdall).  Cette  bastille  fut  assaillie  et  prise  de  bel  assaut  par 
ladite  Pucelle  et  par  ses  vaillants  hommes,  et  Cassedas  y  fut  tué  ;  ce  qui 
sembla  chose  miraculeuse,  vu  la  force  de  la  bastille  et  les  gens  qui  la 
gardaient.  Le  bruit  de  cette  prise  courut  parmi  les  Anglais,  et  finalement 
quand  ils  ouïrent  que  pareille  entreprise  était  l'œuvre  de  la  Pucelle,  ils 
furent  très  épouvantés.  Ils  disaient  entre  eux  avoir  une  prophétie  conte- 
nant qu'une  Pucelle  devait  les  jeter  hors  de  France  et  les  défaire  de  tous 
points.  Ils  levèrent  le  siège  et  se  retirèrent  dans  quelques  places  de  leur 
obéissance  autour  d'Orléans. 

Parmi  eux  le  comte  de  Suffolk  et  le  seigneur  de  La  Poule,  son  frère, 
se  tinrent  à  Jargeau  ;  mais  ils  n'y  restèrent  guère  que  cette  ville  ne  fût 
prise  d'assaut.  Le  seigneur  de  La  Poule  et  plusieurs  Anglais  y  trou- 
vèrent la  mort.  Les  Anglais  rassemblèrent  leurs  forces  pour  retourner  à 
Paris  vers  le  régent  ;  mais  ils  furent  suivis  de  si  près  par  les  Dauphinois 
qu'ils  se  trouvèrent  en  ordre  de  bataille  l'un  devant  l'autre  auprès  d'un 
village  de  la  Beauce  qui  se  nomme  Patay.  Les  Anglais,  espérant  trouver 
une  place  plus  avantageuse  que  celle  où  ils  étaient,  la  quittèrent;  mais 
les  Dauphinois  fondirent  sur  eux  avec  tant  d'impétuosité  qu'ils  les  défirent 
et  les  déconfirent  de  tous  points.  Là  furent  pris  le  comte  de  Suffolk,  le 

i.  Jeanne  n'a  jamais  dit  avoir  vu  Notre-Dame,  ni  le  roi  David,  ni  sa  harpe.  Sonnait 
mdlodieusement  d'après  le  dernier  éditeur  de  Le  Fèvre,  M.  François  Morand,  tandis  que 
Quicherat  écrit  sonnait  merveilleusement, 

2.  Inutile  de  faire  remarquer  comment  tout  cela  est  mutilé  et  inexact. 

3.  Il  faut  avoir  pour  le  surnaturel  l'horreur  de  Quicherat  pour  mettre  au  nombre 
des  bons  chroniqueurs  celui  qui  résume  avec  une  pareille  désinvolture  tout  ce  qui 
a  précédé  la  délivrance  d'Orléans,  et  cette  délivrance  elle-même. 


CHRONIQUE  DE  LE  FÈVRE  DE  SAINT-RÉMY.  507 

seigneur  de  Talbot  et  tous  les  capitaines  excepté  Messire  Jean  Fastolf  ; 
ce  dont  il  eut  dans  la  suite  de  grands  reproches  étant  chevalier  de  la 
Jarretière.  Cependant  il  s'excusa  fort,  disant  que  si  on  eût  voulu  Ten 
croire,  la  chose  ne  fût  pas  ainsi  advenue  de  leur  part.  Les  Anglais  furent 
ainsi  déconfits,  et  cette  bataille  se  nomma  la  bataille  de  Patay. 


II 

Chapitre  cxx.  —  Comment  le  Dauphin  fut  couronné  roy  de  France  à  Reims. 
—  De  plusieurs  villes  qui  se  rendirent  à  luy.  —  Comment  le  duc  de 
Bethfort  lui  alla  allencontre  et  présenta  la  bataille,  —  Des  faicts  de  la 
Pucelle  quy  mena  le  roy  devant  Paris. 

Vous  avez  ouï  comment  Jeanne  la  Pucelle  fut  tellement  en  bruit  parmi 
les  gens  de  guerre,  que  réellement  ils  croyaient  que  c'était  une  femme 
envoyée  de  par  Dieu,  par  laquelle  les  Anglais  seraient  reboutés  hors  du 
royaume. 

Cette  Pucelle  fut  menée  vers  le  Dauphin  qui  la  vit  volontiers,  et, 
comme  les  autres,  ajouta  en  elle  grande  foi  ^  Il  fit  un  grand  mande- 
ment {appel)  auquel  répondirent  nombre  de  princes  de  son  sang,  c'est  à 
savoir  les  ducs  de  Bourbon,  d'Alençon  et  de  Bar,  Arthur,  connétable  de 
France,  les  comtes  d'Armagnac,  de  Pardiac*  et  de  Vendôme,  le  seigneur 
d'Albret,  le  bâtard  d'Orléans,  le  seigneur  de  La  Trémoille,  et  plusieurs 
grands  seigneurs  de  France  et  d'Ecosse.  Très  grande  fut  Tarmée  du 
Dauphin  avec  laquelle  il  se  tira  droit  à  Troyes-en-Champagne  ;  la  ville 
lui  fut  promptement  rendue  ;  les  habitants  lui  firent  obéissance  ;  ainsi 
firent  ceux  de  Châlons  et  de  Reims.  En  cette  ville  de  Reims  il  fut  sacré, 
oint  et  couronné  roi  de  France.  Ainsi  Charles,  septième  de  ce  nom,  fut 
sacré  à  Reims,  comme  vous  avez  ouï. 


III 

Après  que  le  roi  eut  séjourné  un  petit  peu  de  temps  en  la  ville  de 
Reims,  il  s'en  alla  en  une  abbaye,  nommée  Corbigny,  où  Ton  vénère' 

1.  Le  chroniqueur  semble  indiquer  que  ce  fut  seulement  après  la  délivrance 
d^Oriéans  que  Charles  Vil  vit  la  Pucelle  :  cela  suffit  pour  apprécier  la  valeur  de  sa 
Chronique. 

2.  Le  duc  de  Bar,  le  Connétable,  le  comte  de  Pardiac  n'étaient  pas  de  la  campagne 
du  sacre. 

3.  Où  on  aoure.  Le  mot  aoure,  adorer,  dans  les  chroniqueurs  comme  dans  la  Sainte 
Écriture,  n'était  pas,  comme  il  l'est  aujourd'hui,  réservé  au  culte  de  latrie. 


508  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

saint  Marconi,  là  où  Ton  dit  qu'il   prend  la  dignité  et  le  privilège  de 
guérir  les  écrouelles. 

Ces  choses  faites,  il  passa  la  rivière  de  Marne  et  se  trouva  à  Crépy- 
en-Valois. 

Quand  le  régent  sut  que  le  roi  avait  été  sacré  à  Reims  et  qu'il  marchait 
par  le  pays  pour  tirer  droit  à  Paris,  il  assembla  une  grande  compagnie 
d'Anglais  et  de  Picards  entre  lesquels  étaient  Messire  Jean  de  Créquy, 
Messire  Jean  de  Croy,  le  bâtard  de  Saint-Pol,  Messire  Hue  de  Lannoy, 
sage  et  vaillant  chevalier,  Jean  de  Brimeu  et  d'autres,  qui  se  trouvèrent 
en  grande  puissance  en  un  village  nommé  Mitry-en-France,  et  les  Fran- 
çais et  leur  puissance  étaient  en  un  autre  village  nommé...  (Thieux)...  à 
deux  lieues  près  de  Crépy-en-Valois,  et  là  étaient  le  duc  d'Alençon,  la 
Pucelle,  et  plusieurs  autres  capitaines.  Le  régent,  qui  désirait  la  bataille 
contre  les  Français,  approcha  d'eux  jusqu'à  une  abbaye  qui  s'appelle  La 
Victoire,  et  qui  n'est  pas  loin  d'une  tour  qui  s'appelle  Mont-Epilloy.  Il  y 
arriva  environ  la  mi-août  l'an  mil  CCCCXXIX*. 


IV 

Le  roi  ouït  la  messe  à  Crépy,  puis  monta  à  cheval  armé  d'une  brigan- 
dine,  et  se  tira  aux  champs  où  il  trouva  une  grande  et  belle  compagnie 
qui  l'attendait.  Toutefois  le  duc  d'iVlençon  et  la  Pucelle  étaient  déjà  en 
avant  et  se  trouvaient  bien  près  des  Anglais  avant  la  venue  du  roi.  Quand 
le  roi  fut  arrivé,  lui  et  ses  gens  ordonnèrent  le  gros  de  l'armée  en  un  seul 
grand  corps  à  cheval,  et  avec  ce  deux  autres  compagnies,  par  manière  de 
deux  ailes*,  et  avec  cela  le  roi  avait  un  grand  nombre  de  gens  de  pied. 
Quant  aux  Anglais,  ils  ne  formèrent  de  leurs  combattants  qu'un  seul 
corps,  et  tous  à  pied,  excepté  le  bâtard  de  Saint-Pol,  Messire  Jean  de  Croy 
et  quelques  autres  en  petit  nombre,  qui,  voyant  que  parmi  les  Français  les 
hommes  d'armes  ne  descendaient  pas  à  pied,  montèrent  à  cheval. 

Il  faisait  ce  jour  grande  chaleur  et  merveilleusement  grande  poussière. 
Or  il  advint  qu*à  Tun  des  bouts  de  l'armée  des  Anglais,  les  Français  firent 
tirer  la  plupart  de  leurs  gens  de  trait,  et  avec  une  compagnie  de  gens  à 
cheval  ils  assaillirent  les  Anglais.  Il  y  eut  de  côté  et  d'autre  maintes 
flèches  tirées.  Le  régent,  pour  renforcer  ses  gens  là  où  le  combat  était 
engagé,   envoya  une  compagnie  sans  que  ni  les  Français  ni  les  Anglais 

1.  Ce  résumé  de  la  campagne  qui  suivit  le  sacre  n'est  pas  seulement  très  fruste,  il 
est  inexact.  Il  confond  Mitry  et  La  V^ictoire,  qui  sont  à  huit  ou  dix  lieues  de  distance. 

2.  Texte  :  Ordonnèrent  une  belle  grande  bataille  à  cheval  et  avec  che  deulx  aultres  corn- 
paignies  à  manière  de  deulx  elles. 


CHRONIQUE  DE  LE  FÈVRE  DE  SAINT-RÉMY.  509 

fissent  changer  à  leurs  armées  leur  ordre  de  bataille.  Quand  les 
Français  virent  que  les  Anglais  et  les  Picards  tenaient  pied  et  com- 
battaient vaillamment,  ils  se  retirèrent  et  ils  ne  s'abordèrent  plus  ensuite 
Tun  contre  l'autre,  sinon  par  escarmouches. 

A  ce  que  j'ai  ouï  dire,  celui  qui  se  montra  ce  jour  le  plus  hommed'armes 
et  rompit  le  plus  de  lances,  ce  fût  le  bâtard  de  Saint-Pol.  Messire  Jean 
de  Croy  y  fut  blessé  d'un  pied,  et  en  resta  estropié  toute  sa  vie.  Ainsi  se 
passa  cette  journée,  comme  vous  Tavez  ouï,  sans  que  autre  chose  y  fût 
faite.  Quand  ce  fut  vers  le  soleil  couchant,  le  roi  se  retira  dans  la  ville  de 
Grépy,  et  les  autres  dans  les  villages  à  Tenlour. 

Or  il  faut  parler  des  Anglais.  11  est  vrai  que  quelques-uns  s'aperçurent 
bien  de  la  retraite  des  Français  et  qu'ils  voulaient  les  poursuivre  ;  mais 
le  régent,  par  crainte  d'embûches,  ne  le  voulut  pas  permettre;  car,  d'après 
ce  que  j'ai  ouï  du  nombre  des  Français,  ils  étaient  de  cinq  à  six  mille 
équipés  de  toutes  pièces  *.  Quand  les  Français  furent  ainsi  partis,  les 
Anglais  logèrent  dans  une  abbaye  des  environs  et  envoyèrent  quérir  des 
vivres  à  Senlis^. 


Le  lendemain  le  roi  et  toute  l'armée  se  mirent  en  belle  ordonnance 
auprès  de  la  ville  de  Crépy,  avec  leurs  chariots  et  leurs  bagages.  Ces 
dispositions  prises,  le  roi  se  mit  aux  champs,  tourna  le  dos  aux  Anglais 
et  s'en  vint  à  Compiègne.  Cette  ville  tenait  le  parti  des  Anglais  ;  mais  sans 
aucune  résistance,  ouverture  en  fut  faite  au  roi  qui  y  fut  reçu  avec 
grande  joie.  Le  roi  y  séjourna  cinq  jours,  et  y  tint  conseil  sur  ce  qu'il 
avait  à  faire. 

Quand  le  régent  sut  que  le  roi  était  entré  à  Compiègne  sans  aucune 
opposition,  il  craignit  fort  que  plusieurs  villes  en  l'obéissance  des  Anglais 
ne  se  tournassent  du  parti  du  roi.  Cela  fut  cause  qu'il  retourna  à  Paris 
avec  son  armée  ;  là  il  laissa  pour  en  avoir  la  garde  Louis  de  Luxembourg 
évéque  de  Thérouanne,  chancelier  de  France  pour  les  Anglais,  le 
seigneur  de  l'Isle-Adam,  alors  maréchal  de  France,  et  aussi  plusieurs 
seigneurs  d'Angleterre  ;  et  il  s'en  alla  en  Normandie  pourvoir  à  la  garde 
des  bonnes  villes  et  forteresses. 

Le  roi  après  avoir  séj  ourné,  comme  il  est  dit,  à  Compiègne,  prit  avec 
son  armée  le  chemin  pour  venir  droit  à  Paris,  la  Pucelle  lui  ayant 
promis  de  l'y  introduire  et  que  de  cela  il  ne  devait  concevoir  aucun 

1.  Harnois  de  jambes. 

2.  Les  Anglais  pouvaient  s'approvisionner  à  Senlis,  tandis  que  les  vivres  devaient 
faire  défaut  aux  Français. 


510  LA  VRAIE  JEANNE  D^ARG  :  LA  LIBfiRATRICE. 

doute.  Toutefois  elle  faillit  à  sa  parole,  comme  vous  allez  lentendre. 

Au  sortir  de  Compiègne  le  roi  tira  droit  à  Senlis  qui  lui  fit  obéissance, 
puis  à  Saint-Denis  où  il  entra.  Sur  les  remontrances  que  faisait  la  Pucelle, 
il  fut  disposé  que  Paris  serait  assailli,  Le  jour  de  lassant  venu,  la  Pucelle 
armée  et  équipée  fut  avec  son  étendard  parmi  les  premiers  assaillants  ; 
elle  s'avança  si  près  qu'elle  fut  blessée  d'un  trait.  Mais  les  Anglais  défen- 
dirent si  bien  la  ville  que  les  Français  ne  purent  rien  contre  et  se  reti- 
rèrent à  Saint-Denis. 

Le  roi,  après  plusieurs  jours  de  séjour  à  Saint-Denis,  voyant  la  ville  de 
Paris  trop  fort  gardée,  se  retira  au  delà  de  la  Seine  et  donna  congé  à  la 
plupart  de  ses  gens,  qui  se  mirent  en  garnison  dans  plusieurs  villes,  à 
Beauvais,  Senlis,  Compiègne,  Soissons,  Crépy  et  plusieurs  autres,  en 
deçà  de  la  Seine,  du  côté  de  la  Picardie,  d'où  ils  firent  forte  guerre  tant 
aux  Anglais  qu'aux  gens  du  duc. 

Cette  année  se  passa  ainsi  que  vous  venez  de  l'ouïr  ;  il  s'y  passa  encore 
plusieurs  autres  choses  qui  seraient  trop  longues  à  raconter. 


VI 

1430.  —  Chapitre  clxvi.  —  Comment  le  duc  de  Bourgogne  assiégea  la 
ville  de  Compiengne^  où  la  Pucelle  Jeanne  fut  prinse  par  une  sallye 
quelle  feist. 

Au  mois  de  mai  MCCCCXXX  le  duc  mit  le  siège  devant  une  forteresse 
assise  sur  la  rivière  deTAisne,  près  de  la  ville  de  Compiègne,  et  nommée 
le  Pont-à-Choisy.  Il  fallait  passer  une  grosse  rivière  nommée  TOise, 
et  on  la  passait  à  un  village  nommé  le  Pont-l'Evôque,  fort  près  de  la 
cité  de  jNoyon;  le  passage  en  était  gardé  par  deux  vaillants  chevaliers 
d'Angleterre. 

En  ce  passage  les  adversaires  du  duc  s'étaient  assemblés  en  grand 
nombre  pour  le  combalttre  ;  dans  leurs  rangs  était  Jeanne  la  Pucelle, 
qui  était  comme  le  chef  de  l'armée  du  roi  alors  adversaire  du  duc  ;  et 
les  adversaires  croyaient  qu'elle  mettrait  fin  à  la  guerre,  car  elle  disait 
que  cela  lui  était  révélé  par  la  bouche  de  Dieu  et  de  quelques  saints 
Les  adversaires  du  duc  projetèrent  d'aller  battre  ceux  qui  gardaient  le 
pont,  et  de  fait  ils  les  assaillirent  très  raidement;  mais  les  chevaliers  des- 
susdits se  défendirent  si  vaillament  que  les  ennemis  ne  les  purent  vaincre. 
Il  est  vrai  que  le  seigneur  de  Saveuse  et  d'autres  gens  du  duc  vinrent 
les  aider  et  secourir  en  toute  diligence  ;  il  y  eut  de  côté  et  d'autres  beau- 
coup de  blessés;  ce  fut  tout  ce  que  les  assaillants  obtinrent  sur  l'heure. 
Ils  retournèrent  chacun  en  leurs  villes  et  forteresses  ;   et  les  chevaliers 


CHRONIQUE  DE  LE  FÈVRE  DE  SAINT-RÉMY.  511 

demeurèrent  gardiens  dudit  pont,  tant  que  le  duc  fut  au  Pont-à-Choisy, 
où  il  resta  dix  jours,  après  lesquels  s'^enfuirent  ceux  qui  gardaient  la 
place. 

Après  que  le  duc  eut  pris  le  Pont-à-Choisy,  il  repassa  ledit  pont  et  la 
rivière,  et  se  logea  à  une  lieue  près  de  Gompiègne  et  son  armée  dans  les 
villages  des  environs.  Il  ordonnait  ses  gens  pour  mettre  le  siège  devant 
cette  ville  qui  est  grosse  et  grande,  de  grand  tour,  enclose  en  partie  de 
deux  rivières  l'Oise  et  TAisne  qui  se  joignent  devant  ou  tout  près  de  ses 
murailles  et  où  commandait  comme  capitaine  un  écuyer  nommé 
Guillaume  de  Flavy,  qui  faisait  de  grands  maux  dans  les  pays  du  duc, 
quand  par  une  nuit  la  Pucelie  vint  à  Gompiègne,  où  elle  fut  deux  nuits 
et  un  jour.  Le  second  jour  elle  dit  avoir  eu  révélation  de  Dieu  qu'elle 
mettrait  les  Bourguignons  en  déconfiture.  Elle  Bt  fermer  les  portes  de  la 
ville,  assembla  ses  gens  et  ceux  de  la  place,  et  leur  dit  la  révélation  qui, 
à  ce  qu'elle  disait,  lui  avait  été  faite,  c'est  à  savoir  que  Dieu  lui  avait  fait 
dire,  par  sainte  Gatherine,  qu'elle  fît  en  ce  jour  une  sortie  contre  les 
ennemis,  qu^elle  déconfirait  le  duc,  qu'il  serait  pris  de  sa  personne,  que 
tous  ses  gens  seraient  pris,  morts  et  mis  en  fuite,  et  que  de  cela  elle  ne 
faisait  nul  doute*. 

Or  il  est  vrai  que  les  gens  de  son  parti  le  crurent  par  la  créance  qu'ils 
avaient  en  elle.  Les  portes,  ce  jour-là,  restèrent  fermées  jusqu'à  deux 
heures  après  midi  que  la  Pucelie  sortit,  montée  sur  un  très  beau  coursier, 
très  bien  armée,  pleinement  équipée,  et  portant  par-dessus  une  riche 
buque  de  drap  d'or  vermeil  ;  derrière  flottait  son  étendard  et  marchaient 
tous  les  gens  de  guerre  de  la  ville  de  Gompiègne,  et  ils  allèrent  en  très 
belle  ordonnance  assaillir  les  gens  des  premiers  logis  du  duc. 

Là  était  un  vaillant  chevalier  nommé  Baudot  de  Noyelle  qui  fut  depuis 
chevalier  de  l'ordre  de  la  Toison  d'Or.  Lui  et  ses  gens,  nonobstant  qu'ils 
furent  surpris,  se  défendirent  très  vaillamment.  Pendant  le  combat,  le 
comte  de  Ligny,  ayant  en  sa  compagnie  le  seigneur  de  Gréquy,  tous  deux 
chevaliers  de  l'ordre  de  la  Toison  d'Or,  et  avec  eux  un  petit  nombre  de 
gens,  se  mirent  à  approcher  la  Pucelie  et  ses  combattants.  La  résistance 
opposée  par  le  poste  de  Baudot  de  Noyelle,  et  aussi  le  grand  nombre  des 
gens  du  duc,  qui  arrivaient  de  toutes  parts  au  lieu  de  la  mêlée,  commen- 
cèrent à  faire  reculer  la  Pucelie  et  ses  hommes.  Les  Bourguignons  se 
jetèrent  sur  eux  avec  tant  de  force  que  plusieurs  en  furent  pris,  morts  et 
noyés. 

La  Pucelie  la  toute  dernière  soutenait  le  faix  de  ses  adversaires,  quand 
elle  fut  prise  par  l'un  des  gens  du  comte  de  Ligny,  ainsi  que  son  frère  et 

1.  S*il  y  avait  le  moindre  fondement  dans  cette  assurance  donnée  par  la  Pucelie, 
on  n'eût  pas  manqué  de  Falléguer  au  procès  où  il  n  en  est  pas  question. 


512  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARG  :  LA  LIBËRATRICB. 

son  maître  d'hôtel.  Laquelle  Pucelle  fut  menée  à  grande  joie  vers  le  duc, 
qui  venait  en  toute  diligence  h  Taide  et  au  secours  de  ses  gens.  D  fut  très 
joyeux  de  cette  prise  pour  le  grand  nom  qu'avait  icelle  Pucelle;  car  il  ne 
semblait  pas  à  plusieurs  de  son  parti  que  ses  œuvres  fussent  autres  que 
miraculeuses. 

[Le  Fèvre,  à  propos  du  berger  du  Gévaudan,  écrit  sur  la  Pucelle  la 
phrase  incidente  qui  suit  :] 

Chapitre  clxxxx.  —  De  la  bataille  du  bergier  où  les  François  furent 
desconfits  des  Anglois. 

Vous  avez  ouï  parler  comment  quelques  hommes  de  léger  entendement 
et  de  créance  volage  se  mirent  à  croire  que  les  faits  de  la  Pucelle  étaient 
chose  miraculeuse  et  permise  de  par  Dieu;  ce  que  plusieurs  furent  fort 
enclins  à  croire.  Or,  après  la  mort  de  Jeanne  la  Pucelle,  quelques 
hommes,  aussi  de  folle  créance,  mirent  en  avant  un  fol  et  innocent  berger, 
qui,  comme  Jeanne  la  Pucelle,  disait  avoir  eu  des  révélations  divines  lui 
ordonnant  de  prendre  les  armes  pour  secourir  le  noble  roi  de  France,  etc. 


JEAN  CHUFFART 

ou 
LE   PRÉTENDU    BOURGEOIS    DE    PARIS 


REMARQUES  BIOGRAPHIQUES  ET  CRITIQUES. 

De  toutes  les  Chroniques,  voici  la  plus  haineuse  à  Tendroit  de  la 
Pacelle,  et  celle  où  Jusqu'à  notre  siècle,  les  historiens  ont  puisé  le  plus  lar- 
gement, lorsqu'ils  ont  eu  à  parler  de  la  tentative  contre  Paris  et  de  la 
fin  de  la  Martyre.  Elle  était  connue  sous  le  titre  de  Journal  d'un  Bour- 
geois de  Paris. 

Les  laborieuses  et  sagaces  recherches  du  dernier  éditeur,  M.  Tuetey, 
sont  parvenues  à  lever  le  voile  de  Tanonyme.  L'auteur  du  Journal  n'est 
pas  un  bourgeois,  mais  un  ecclésiastique  universitaire  de  Tépoque,  Jean 
Chuffart.  Les  inductions  de  M.  Tuetey  semblent  concluantes.  Elles  sont 
tirées  du  Journal  même  et  de  ce  que  par  ailleurs  diverses  archives 
ont  fait  connaître  sur  Jean  Chuffart.  Voici  un  résumé  des  indications  de 
H.  Tuetey,  complété  par  quelques  recherches  particulières. 

Né  à  Toumay,  Chuffart  ne  partagea  pas  les  sentiments  français  de  sa 
ville  natale.  Aussi,  ayant  voulu  s'y  rendre  en  novembre  1429,  y  fut-il 
mis  en  prison  comme  anglo-bourguignon;  il  en  coûta  500  couronnes 
d'or  à  son  père  pour  le  faire  rendre  à  la  liberté ^  A  cette  date,  Jean 
Chuffart  était  un  des  premiers  personnages  du  monde  ecclésiastique  de 
Paris,  où  très  vraisemblablement  il  était  venu  d  abord  pour  ses  études. 
Son  lieu  d'origine  l'attachait  à  la  nation  de  Picardie,  et  il  était  de  la 
faculté  des  décrets,  c'est-à-dire  de  la  nation  et  de  la  faculté  les  plus 
dévouées  au  Bourguignon.  Maître  es  arts,  il  avait  eu  en  1421  son  quartier 
de  rectorat.  Licencié  es  lois,  chanoine  de  Notre-Dame,  il  obtint  après 
Gerson  le  titre  de  chancelier  du  chapitre,  ce  qui  le  faisait  en  même  temps 
chancelier  de  l'Université,  charge éminente,  «sur  laquelle,  écrivait  Machet 
le  confesseur  du  roi,  repose  le  poids  des  bonnes  études  de  l'Université 

1.  M.  VA!fDE:fBROECK,  Extroîts  analytiques  des  registres  des  consuls  de  Toumay,  t.  H, 
p.  355. 

m.  33 


514  U  VRAIE  JEANNE  D'aRG  :  LA  LIBËRATRIGE. 

tout  entière  ».  Ghuflart  était  si  inférieur  à  sa  charge  que  Machet  le  pressa 
très  vivement  de  la  résigner.  Ghuffart  avait  promis,  mais  il  ne  se  hâta 
pas  de  remplir  sa  promesse  \  si  tant  est  qu'il  n'ait  pas  différé  jusqu'à 
la  mort. 

Gela  nous  donne  droit  de  supposer  que  la  politique,  plus  que  le  mérite, 
aura  porté  Ghuffart  à  cette  haute  dignité.  Il  en  fut  investi  le  29  aoûtl429, 
après  la  mort  de  Gerson.  Il  a  dû  en  exercer  les  fonctions  longtemps  avant, 
car,  depuis  le  concile  de  Gonstance,  Gerson,  abhorré  de  ses  confrères  de 
Paris,  n'aurait  pas  pu  sans  péril  rentrer  dans  la  capitale. 

Ghuffart  exerçait  une  autre  chancellerie;  il  était  chancelier  de  la  reine 
Isabeau  de  Bavière.  Il  semble  avoir  été  un  de  ses  conseillers  les  plus  écou- 
tés, puisque  l'odieuse  reine  l'institua  un  des  exécuteurs  actifs  et  non 
seulement  honorifiques  de  ses  volontés  testamentaires. 

Parlant  des  Armagnacs,  Jean  Ghuffart  nous  dit  qu'ils  revenaient  de  leurs 
excursions  troussés  de  biens  comme  un  hérisson  de  pommes.  On  peut 
lui  retourner  la  comparaison,  et  dire  qu'il  fut  troussé  de  bénéfices  ecclé- 
siastiques comme  un  hérisson  de  pommes  :  chancelier  de  Notre-Dame, 
chanoine  et  môme  doyen  de  Saint-Germain-l'Auxerrois,  chanoine  de 
Sainte-Opportune,  chanoine  et  doyen  de  Saint-Marcel,  curé  de  Saint-Lau- 
rent, curé  de  Sainte-Opportune.  Sans  doute  que  des  prêtres  à  portion 
congrue  remplissaient  les  fonctions  du  titulaire,  qui  se  réservait  le  gros 
des  revenus.  G'était  un  des  révoltants  abus  de  l'époque. 

Cela  ne  suffit  pas  à  son  ambition,  puisque,  après  la  rentrée  de  Ghar- 
les  VII,  en  1437,  il  parvint  à  se  faire  nommer  conseiller  clerc  au  parle- 
ment. L'on  ne  s'étonne  pas  de  trouver  souvent  dans  les  registres  du 
chapitre  le  nom  d'un  personnage  de  telle  amplitude. 

Ghuffart  tenait  son  Journal.  II  commence  à  Tannée  1408]et  ne  se  ferme 
qu'en  1449. 

G'estle  «journal  de  Paris  »  durant  toute  cette  période.  Les  événements 
qui  se  passent  au  dehors  n'y  sont  mentionnés  qu'à  cause  de  leur  contre- 
coup sur  la  capitale;  rien  ne  nous  fait  mieux  connaître  la  physionomie 
delà  ville  à  cette  époque.  En  un  style  sans  prétention,  parfois  énergique 
et  pittoresque,  plus  souvent  trivial,  bas  jusqu'à  la  grossièreté,  la  gazette 
mentionne  en  quelques  mots  les  événements  politiques  et  religieux,  le 
prix  des  denrées,  les  épidémies,  la  température,  les  récoltes,  les  phéno- 
mènes extraordinaires,  les  indicibles  souffrances  de  la  multitude.  Il  faut 
rendre  cette  justice  à  Jean  Ghuffart;  il  ressent  les  calamités  des  peuples 
et  en  a  une  réelle  compassion. 
G'est,  ce  semble,  ce  sentiment  qui  a  déterminé  le  parti  politique  auquel 

1.  Lettre  xxxviii  de  Machet  à  Brisson,  manuscrit,  fds.  latin,  8577,  et  apud  Lan:«ot, 
Historia  gymnasii  Navarrœ,  t.  Il,  p.  536. 


JOURNAL  DE  JEAN  GUUFFART,  LE  FAUX  BOURGEOIS  DE  PARIS.  515 

le  chroniqueur  est  resté  attaché  toute  sa  vie.  Il  est  cabochien,  démocrate, 
jusqu'à  pallier  les  excès  les  plus  violents  de  la  démagogie,  tels  que  les 
massacres  de  1418  :  il  ne  perd  pas  une  occasion  de  faire  ressortir  le 
commun^  c'est-à-dire  le  parti  populaire. 

Cabochien,  il  est  comme  son  parti  dévoué  à  Jean  sans  Peur,  et  pour 
venger  sa  mort  il  embrasse  le  parti  de  l'Anglais.  Ses  sympathies  pour  le 
duc  Philippe  sont  moins  vives  que  celles  qu'il  a  éprouvées  pour  son 
père  ;  elles  existent  cependant,  quoiqu'il  s'en  plaigne  et  le  blùme  dans 
certaines  circonstances.  Plus  Bourguignon  qu'Anglais  il  fait  de  la  domi- 
nation des  insulaires  un  résumé  qui  témoigne  que,  s'il  lui  fut  d'abord 
attaché,  il  en  était  pleinement  désaffectionné  lorsque  Paris  redevint  Fran- 
çais. <c  Oncques  les  Juifs,  dit-il,  qui  furent  menés  en  Ghaldce  en  capti- 
vité ne  furent  pis  menés  que  le  pauvre  peuple  de  Paris.  Les  Anglais  furent 
moult  longtemps  gouverneurs  de  Paris,  mais  j'estime  en  ma  conscience 
que  nul  ne  fit  semer  ni  blé,  ni  avoine,  ni  faire  une  cheminée,  si  ce  n'est 
le  régent,  lequel  faisait  toujours  maçonner...  Les  Anglais  de  leur  droite 
nature  veulent  toujours  guerroyer  leurs  voisins  sans  cause  ;  par  quoi  ils 
meurent  mauvaisement,  car  alors  {en  1436)^  il  en  était  mort  en  France 
pins  de  soixante-seize  mille.  » 

Ceux  que  Chuffart  déteste  du  fond  de  Tàme,  ce  sont  les  Armmays  et 
leur  chef,  Charles  de  Valois.  Sa  haine  est  vivace  et  perce  alors  qu'il 
cherche  à  la  dissimuler.  Les  Armagnacs  en  devenant  maîtres  de  Paris 
sont  devenus  les  Français,  etle  Dauphin  viennois  s'appelle  Charles  Yll.  Le 
ton  du  chroniqueur  change,  pas  assez  cependant  pour  dissimuler  ledémo- 
cratequi  se  trahitpour  quiconque  sait  lire.  Charles  Vil  ne  lui  est  guère  plus 
sympathique  que  Charles  de  Valois.  Ne  pouvant  pas  décemment  s'en 
prendre  au  roi,  il  s'en  prend  à  ceux  qui  le  tiennent  «  comme  on  fait 
un  enfant  en  tutelle  ».  Môme  le  recouvrement  de  Rouen  ne  le  fait  pas 
sortir  de  ces  dispositions  de  mal  content. 

Chuffart  est  tout  dévoué  à  l'Université  dans  laquelle  il  tient  un  rang  si 
élevé.  A  ses  yeux  c'est  la  grande  autorité  doctrinale.  Quoiqu'il  ne  sem- 
ble pas  qu'il  se  soit  engagé  dans  les  funestes  discussions  dogmatiques  par 
lesquelles  l'Université  de  Paris  détruisait  ladivine  constitution  de  l'Eglise, 
Ton  ne  peut  pas  douter  qu'il  n'ait  partagé  les  sentiments  de  sescollègues. 
Ces  dispositions  de  Chuffart  étaient  dans  toute  leurvéhémence  lorsque 
la  Pucelle  vint  ramener  la  victoire  dans  les  rangs  de  ces  Armagnacs  dont 
Chuffart  avait  décrit  avec  une  si  manifeste  complaisance  la  défaite  à  la 
journée  des  Harengs.  Chuffard,  comme  l'Université  entière,  était  incapa- 
ble de  voir  le  miracle  de  Dieu.  La  Vierge  est  celle  qu'aux  bords  de  la 
Loire  Ton  appelle  la  Pucelle.  C'est  ime  créature  e7i  forme  de  femme  qui 
esij  Dieu  le  sait.  Les  merveilles  qui  ont  marqué  son  enfance  et  sa  jeunesse 


516  LA  VRAIE  JEANNE  DARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

se  racontent  à  Paris.  Privé  de  tout  moyen  de  contrôle,  Ghuffart  n'ai 
écrit  pas  moins  que  tout  cela  est  controuvé.  Il  tait  lesexploitsde  rhéroîne 
au  point  de  ne  pas  même  mentionner  le  sacre  de  Reims.  Ce  sur  quoi  il 
s'étend,  c'est  l'échec  contre  Paris,  ce  sontles  crimes  imputés  à  la  Martyre 
par  l'inique  tribunal. 

Ghuffart  est  un  témoin  précieux  de  la  haine  des  Parisiens,  et  surtout 
de  l'Université,  à  rencontre  de  la  Libératrice. 


CHAPITRE  IV 

LE  JOURNAL  DE  CnUFFART.  —  LA  PUCELLE  JUSQU'A  SA  CAPTIVlTfi. 

Sommaire  :  l.  —  Manière  dont  Ghuffart  commence  à  parler  de  la  PuccHe.  —  Récits 
merveilleux  qu'on  faisait  à  Paris  sur  la  Pucelle.  —  Accomplissement  de  la  prophétie 
faite  par  elle  à  Glasdal.  —  Le  cadavre  de  l'Anglais  à  Paris.  —  Départ  de  Frère  Richard 
de  Paris. 

IL  —  La  bataille  de  Patay  racontée  par  ChufTard.  —  Frayeur  de  Paris  au  21  Juin.  - 
Les  Parisiens  ne  cessent  dès  lors  de  fortifier  leur  ville.  —  Le  duc  de  Bourgogne  à 
Paris  le  10  juillet.  -—  Conseils  tenus.  —  Moyens  employés  pour  exciter  les  esprits 
contre  les  Armagnacs.  —  Renouvellement  des  serments.  —  Le  duc  quitte  Paris  avec 
sa  sœur  la  duchesse  de  Bedford.  ., 

m.  —  Progrès  des  Armagnacs.  —  Terreur  des  Parisiens.  —  Arrivée  du  cardinal  de 
Winchester,  du  i*égent  et  de  l'Isle-Adam,  le  25  juillet.  —  Colère  des  Parisiens  contre 
le  Frère  Richard.  —  Beauvais,  Sentis  se  donnent  aux  Français.  —  Les  Armagnacs  à 
Saint-Denis  dès  le  2o  août.  —  Leurs  excursions  jusqu'aux  portes  de  Paris.  —  Em- 
pressement des  Parisiens  à  forlitier  leurs  portes  et  leurs  remparts. 

IV.  —  Lettres  du  duc  d'Alençon  aux  Parisiens.  —  Première  attaque  le  7  septembre.  — 
Le  granS  assaut  du  8.  —  Les  apprêts  pour  combler  les  fossés.  —  La  Pucelle  blessée. 

—  Elîorts  des  assiégeants  et  des  assiégés.  —  Les  assiégeants  repoussés.  —  Le  feu  à 
la  grange  des  Mathurins,  et  les  morts  brûlés.  —  Engagements  prêtés  à  la  Pucelle.  — 
Le  nombre  des  morts  et  des  blessés,  d'après  un  héraut  des  Armagnacs.  —  L'assaut 
repoussé  par  le  commun. 

V.  —  Retour  du  régent.  —  Déprédations  des  Armagnacs  à  Saint-Denis.  —  Saint-Denis 
repris  et  châtié .  —  Entrée  triomphale  du  duc  de  Bourgogne  à  Paris.  —  Délibérations. 

—  Il  prend  le  gouvernement  de  Paris  à  la  place  de  Bedford.  —  Départ  des  Anglais 
et  leurs  ravages.  —  Trêve  du  duc  avec  les  Armagnacs.  —  Ces  derniers  soumettent 
à  des  contributions  les  environs  de  Paris.  —  Départ  du  duc  et  de  ses  Picards,  qui 
sont  de  grands  larrons. 

VI.  —  Les  approvisionnements  de  Paris  plusieurs  fois  rançonnés.  —  Extrême  misère. 

—  Désertion  de  la  ville.  —  Brigands.  —  On  leur  donne  la  chaise.  —  Capture  et 
supplices.  —  Conjuration  pour  mettre  le  roi  dans  Paris.  —  Elle  est  découverte.  — 
Aveu  implicite  de  Chuffart. 

1 

liemiayril  1429  .  —  II  y  avait  en  ce  temps  une  Pucelle,  ainsi  qu'on  par- 
lait sur  les  bords  de  la  Loire,  qui  se  disait  prophète  ;  elle  disait  :  «Telle 


JOURNAL  DE  JEAN  CHUFFART,  LE  FAUX  BOURGEOIS  DE  PARIS.       517 

chose  adviendra  pour  vrai  ».  Elle  était  entièrement  opposée  au  régent  de 
France  et  à  ses  adhérents.  L'on  disait  que  malgré  tous  ceux  qui  tenaient 
le  siège  d'Orléans,  elle  était  entrée  dans  la  cité  avec  grand  nombre  d'Ar- 
magnacs, et  grande  quantité  de  vivres,  sans  que  ceux  de  l'armée  s'en 
fassent  émus,  quoiqu'ils  les  vissent  passer  près  d'eux  à  la  distance  d'un 
ou  deux  traits  d'arc.  Il  y  avait  si  grande  nécessité  de  vivres  dans  Orléans 
qu'un  homme  eût  bien  mangé  pour  trois  blancs  de  pain  à  son  dîner. 

Plusieurs  autres  choses  racontaient  de  la  Pucelle  ceux  qui  aimaient 
lesArmagnacs  plus  que  les  Bourguignons  et  que  le  régent  de  France.  Ils 
affirmaient  que,  lorsqu'elle  était  bien  petite  et  qu'elle  gardait  les  brebis, 
les  oiseaux  des  bois  et  des  champs  à  son  appel  venaient  manger  son  pain 
dans  son  giron  (^^</'  ses  genoux)^  comme  s'ils  avaient  été  privés.  En  vérité, 
c'est  controuvé,  in  oeritate  apocryphum  est. 

Item.  —  En  ce  temps,  les  Armagnacs  firent  lever  le  siège  d'Orléans,  et 

en  firent  de  force  partir  les  Anglais.  Cette  Pucelle  allait  partout  avec 

eux,  armée,  portant  son  étendard,  où  il  n  y  a  d'écrit  que  le  mot  :  Jhesm. 

On  rapportait  qu'elle  avait  dit  à  un  capitaine  anglais  de  partir  du  siège 

avec  ses  gens,  ou  que  mal  leur  en  prendrait  et  honte  à  tous.   Celui-ci 

l'injuria  beaucoup  de  paroles,  clamant  qu'elle  était  une  ribaude  et  une 

p...n.  Elle  lui  répondit  que  bien  malgré  eu\  ils  partiraient  tous  dans  bien 

peu,  mais  qu'il  ne  le  verrait  pas,  et  que  là  serait  tuée  une  grande  partie 

de  sa  gent.  Ainsi  il  en  advint,  car  il  se  noya  avant  que  le  massacre  eût  lieu. 

Depuis, ce  capitaine^  fut  péché  et  dépecé  par  quartiers,  bouilli, embaumé 

et  port^  à  Saint-Merry,  déposé  durant  huit  ou  dix  jours  en  la  chapelle  de 

devant  le  cellier,  et  nuit  et  jour  quatre  cierges  ou  torches  brûlaient  devant 

spn  corps,  et  après  il  fut  emporté  dans  son  pays  pour  y  ôtrc  enterré. 

liem.  —  En  ce  temps,  partit  le  Frère  Richard.  Le  dimanche  qui  précéda 
le  jour  où  il  devait  partir,  il  fut  dit  dans  Paris  qu'il  devait  prêcher  au  lieu, 
ou  tout  près,  où  Mgr  saint  Denis  fut  décollé  avec  maints  autres  martyrs^. 
Il  y  alla  plus  de  six  mille  personnes  de  Paris  ;  la  plupart  partirent  de 
Paris  le  samedi  au  soir  par  nombreuses  bandes,  pour  avoir  meilleure 
place  le  dimanche  au  matin;  elles  couchèrent  aux  champs,  dans  de  vieilles 
masures,  le  mieux  qu'elles  purent;  mais  son  fait  fut  empoché.  Comment? 
de  cela  je  m'en  tais;  mais  il  ne  prêcha  point  ;  ce  dont  les  bonnes  gens  de 
Paris  furent  fort  émus.  11  ne  prêcha  plus  de  cette  saison  à  Paris,  d'où  il 
dut  partir'. 

1.  Glasdal. 

2.  Montmartre,  au  lieu  où  se  trouve  la  chapelle  des  Dames  Auxiliatrices^  au  bas  des 
escaliers  conduisant  à  la  basilique  du  Vœu  nalional. 

3.  Il  sera  parlé  de  la  raison  dans  un  article  consacré  au  Frère  Kichard  dans  un  autre 
volume. 


518  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

II 

Item,  —  En  ce  temps  les  Armagnacs  tenaient  les  champs,  et  y  détrui- 
saient tout.  Environ  huit  mille  Anglais  furent  commis  entre  eux,  mais 
quand  vint  le  jour  que  les  Anglais  rencontrèrent  les  Armagnacs  ils 
n'étaient  pas  plus  de  six  mille  et  les  Armagnacs  étaient  dix  mille.  Aussi 
coururent-ils  sus  aux  Anglais  très  âprement,  et  les  Anglais  ne  refusèrent 
pas  le  combat. 

Il  y  eut  de  part  et  d  autre  grand  carnage;  mais  à  la  fin  les  Anglais  ne 
purent  soutenir  plus  longtemps  les  coups  des  Armagnacs,  qui  étaient 
plus  du  double  des  Anglais  et  les  enveloppèrent  de  toutes  parts.  Les 
Anglais  furent  défaits,  et,  à  ce  qu'on  disait,  il  y  eut  bien  quatre  mille 
morts  et  plus.  On  ne  sait  pas  à  Paris  le  nombre  des  morts  parmi  leurs 
ennemis*. 

Item,  —  Le  mardi  qui  précéda  la  Saint-Jean  (2/  /wm),  il  y  eut  grande 
émotion,  parce  que,  disait-on,  les  Armagnacs  devaient  cette  nuit  entrera 
Paris  ;  mais  il  n'en  fut  rien. 

Depuis,  sans  cesser  ni  jour  ni  nuit,  ceux  de  Paris  renforcèrent  le  guet 
et  firent  fortifier  les  murs.  Ils  y  mirentgrand  nombre  de  canons  et  d'au- 
tre artillerie  ;  ils  changèrent  le  prévôt  des  marchands  et  les  échems; 
ils  firent  un  nommé  Guillaume  Sanguin,  prévôt  des  marchands  ;  les  éche- 
vins  furent  Imbert  des  Champs,  mercier  et  tapissier,  Collin  de  Neufville, 
poissonnier,  Jean  de  Dampierre, mercier,  RemondMarc,  drapier.  Ils  furent 
nommés  et  institués  la  première  semaine  de  juillet. 

Le  dixième  jour  du  même  mois,  le  duc  de  Bourgogne  vint  à  Paris,  un 
dimanche  environ  six  heures  après  diner.  Il  n'y  demeura  que  cinq  jours 
durant  lesquels  il  y  eu  très  grand  conseil.  On  fit  une  procession  géné- 
rale et  un  très  beau  sermon  à  Notre-Dame  de  Paris. 

Au  palais  on  donna  lecture  de  la  charte  ou  lettre  d'après  laquelle 
les  Armagnacs  avaient  jadis  conclu  la  paix  en  la  main  du  légat  du 
Pape,  et  en  outre  l'on  dit  comment  tout  était  pardonné  de  l'un  et  de 
l'autre  côté,  comment  le  Dauphin  et  le  duc  de  Bourgogne  firent  les  grands 
serments  et  reçurent  ensemble  le  précieux  corps  de  Notre-Seigneur, 
le  nombre  de  chevaliers  de  nom  des  deux  partis  qui  s'y  trouvaient; 
tous  mirent  leurs  signatures  et  leurs  sceaux  en  ladite  lettre  ou  charte  ; 
l'on  dit  ensuite  comment  le  duc  de  Bourgogne,  voulant  et  désirant  la 
paix  du  royaume,  et  voulant  accomplir  la  promesse  qu'il  avait  faite,  se 
soumit  à  aller  au  lieu  que  le  Dauphin  et  son  conseil  voudraient  ordonner, 

J.  (i'est  la  journée  de  Patay  travestie. 


JOURNAL  DE  JEAN  CHUFFART,  LE  FAUX  B0UR6E0TS  DE  PARIS.       519 

qu'ainsi  fut  fixée  par  le  Dauphin  et  ses  complices  la  place  en  laquelle 
le  duc  de  Bourgogne  comparut,  lui  le  dixième  de  ses  chevaliers  les  plus 
intimes;  comment,  étant  à  genoux  devant  le  Dauphin,  il  fut  traîtreuse- 
ment assassiné,  ainsi  que  chacun  sait.  Après  la  conclusion  de  cette  lettre, 
m  grand  murmure  s'éleva.  Tels  étaient  très  attachés  aux  Armagnacs, 
qui  les  prirent  en  très  grande  haine.  Après  cette  émotion,  le  régent  de 
France,  duc  de  Bedford,  fit  faire  silence  ;  le  duc  de  Bourgogne  se  plaignit 
de  la  paix  ainsi  enfreinte,  et  ensuite  de  la  mort  de  son  père,  et  à  la  suite 
il  fit  lever  les  mains  au  peuple  que  tous  seraient  bons  et  loyaux  au 
r^ent  et  au  duc  de  Boui^ogne.  Les  seigneurs  promirent  par  leur  foi 
de  garder  la  ville  de  Paris. 

Le  samedi  suivant  le  duc  de  Bourgogne  partit  de  Paris,  emmenant 
avec  lui  sa  sœur,  la  femme  du  régent  ;  le  régent  s'en  alla  d'autre  part 
avec  ses  gens  à  Pontoise,  et  le  seigneur  Yillicrs  de  l'Isle-Adam  fut  élu 
capitaine  de  Paris. 

III 

Les  Armagnacs  entrèrent,  cette  semaine,  dans  la  cité  d*Auxerrc  ;  ils 
vinrent  à  Troyes,  et  y  entrèrent  sans  trouver  de  résistance. 

Quand  ceux  des  villages  d'alentour  Paris  surent  que  les  Armagnacs 
conquéraient  ainsi  le  pays,  ils  emportèrent  leurs  biens  et  leurs  meubles, 
scièrent  leurs  blés  avant  qu'ils  fussent  mûrs,  et  les  apportèrent  dans  la 
ville  de  Paris. 

Quelque  temps  après,  les  Armagnacs  entrèrent  à  Gompiègneet  gagnèrent 
les  châtellenies  d'alentour  privées  de  toute  défense. 

Les  habitants  de  Paris  avaient  grand'peur,  car  il  n'y  avait  pas  de 
seigneur  dans  la  ville  ;  mais  le  jour  de  Saint-Jacques,  en  juillet,  ils  furent 
un  peu  réconfortés  ;  ce  jour  vinrent  à  Paris  le  cardinal  de  Winchester 
et  le  régent  de  France  ;  ils  avaient  en  leur  compagnie  foison  de  gens 
d*armes  et  d'archers,  bien  environ  quatre  mille  hommes;  le  sire  Je 
risle-Adam  avait  environ  sept  cents  Picards,  sans  compter  la  commune 
de  Paris. 

Item.  —  Pour  vrai  le  Cordelier  qui  prêcha  aux  Innocents  et  assemblait 
tant  de  peuple  à  son  sermon,  comme  il  a  été  dit,  pour  vrai  il  chevauchait 
avec  les  Armagnacs.  Aussitôt  que  ceux  de  Paris  furent  certains  qu'il 
chevauchait  ainsi,  et  que  par  ses  discours  il  faisait  ainsi  tourner  les 
cités  qui  avaient  fait  serment  au  régent  de  France  ou  à  ses  délégués,  ils 
le  maudissaient  de  Dieu  et  de  ses  saints,  et  qui  pis  est,  par  dépit  de  lui, 
ils  recommencèrent  les  jeux  de  tables,  de  boules,  dés,  bref  tous  ceux 
qu'il  avait  défendus;  ils  laissèrent  même  une  médaille  d'étain  sur  laquelle 


520  LÀ  VRAIE  JEANNE  D*ARG  :  LA  LIB£RATRICE. 

('•tait  empreint  le  nom  de  Jésus  qu'il  leur  avait  fait  prendre,  et  prirent 
tous  la  croix  de  Saint-André. 

//em,  environ  la  fin  (i/'aorf^),  se  rendirent  aux  Armagnacs  la  cité  de 
Beauvais  et  la  cité  de  Senlis. 

Item.  —  Le  xxv*  jour  d'août,  ils  prirent  la  cité  de  Saint-Denis,  et  le 
lendemain  ils  couraient  jusqu'aux  portes  de  Paris.  Pas  un  homme  n'osait 
sortir  pour  cueillir  un  fruit  à  sa  vigne,  ou  du  verjus,  ni  aller  aux  marais 
rien  ramasser.  Par  suite  tout  enchérit. 

Item^  la  vigile  de  Saint-Laurent  la  porte  Saint-Martin  fut  fennfc.  11 
fut  crié  que  nul  ne  fût  si  osé  que  d'aller  à  Saint-Laurent  par  dévotion,  ni 
pour  nulle  marchandise,  sous  peine  de  la  corde.  Aussi  personne  n'y 
vint-il,  et  la  fête  de  Saint-Laurent  fut  en  la  grande  cour  Saint-Martin... 

Item^  la  première  semaine  de  septembre  de  l'an  mil  IIIP  XXIX  (1429) 
les  quarteniers,  chacim  en  son  quartier,  commencèrent  à  fortifier  Paris, 
aux  portes  par  des  boulevards  ;  aux  maisons  qui  étaient  sur  les  mnrs 
en  y  faisant  disposer  des  canons,  et  sur  les  murs  des  tonneaux  pleins  de 
pierres  ;  en  faisant  redresser  les  fossés  en  dehors  de  la  ville  ;  en  faisant 
dresser  des  barrières  au  dehors  et  au  dedans. 


IV 

En  ce  temps,  les  Armagnacs  firent  écrire  des  lettres  scellées  du  sceau 
du  comte  d'Alençon.  Les  lettres  portaient  :  «  A  vous,  prévôt  de  Paris, 
prévôt  des  marchands  et  échevins  ».  Ils  étaient  nommés  par  leurs  noms. 
On  leur  mandait  des  salutations  par  beau  langage,  longuement,  dans  la 
pensée  de  diviser  le  peuple  et  de  l'exciter  contre  eux  ;  mais  on  aperçut 
bien  leur  malice,  et  on  leur  manda  de  ne  plus  jeter  de  papier  pour  cela, 
et  Ton  n'en  tint  nul  compte. 

Item.  —  La  vigile  de  la  Nativité  de  Notre-Dame,  en  septembre,  les 
Armagnacs  vinrent  assaillir  les  murs  de  Paris  qu'ils  croyaient  emporter 
d'assaut  ;  mais  ils  y  gagnèrent  peu,  si  ce  n'est  de  la  douleur,  de  la  honte 
et  du  malheur  ;  car  plusieurs  d'entre  eux  en  emportèrent  blessures  pour 
toute  leur  vie,  qui  auparavant  étaient  entièrement  sains  ;  mais  fou  ne 
croit  que  lorsqu'il  en  tient.  Je  le  dis  pour  eux,  qui  étaient  si  mal  inspirés, 
étaient  pleins  d'une  si  folle  créance,  que  sur  la  parole  d'une  créature 
en  forme  de  femme  qui  était  avec  eux  et  qu'on  nommait  la  Pucelle,  — 
ce  que  c'était,  Dieu  le  sait  —  le  jour  de  la  Nativité  de  Notre-Dame  ils 
formèrent  la  résolution,  tous  d'un  accord,  d'assaillir  Paris  à  pareil  jour*. 

I .  L'armée  de  la  Pucelle  n'était  pas  restée  oisive.  Un  pont  jeté  sur  la  rivière  près  de 
Saiiil-Denis  permettait  de  courir  sur  la  rive  droite,  du  coté  d'Asnières  et  de  Saint- 


JOURNAL  DE  JEAN  GHUFFART,  LE  FAUX  BOURGEOIS  DE  FARIS.  521 

Ils  s'assemblèrent  bien  douze  mille  ou  plus;  ils  vinrent  sur  Theure  de 
la  grand'messe,  entre  xi  et  xii  heures,  leur  Pucelle  avec  eux,  menant 
très  grand  nombre  de  chariots,  de  charrettes,  de  chevaux,  tous  chargés 
de  grandes  bourrées  à  trois  liens,  pour  combler  les  fossés  de  Paris.  Ils 
commencèrent  l'assaut  entre  la  porte  Saint-Honoré  et  la  porte  Saint- 
Denis.  L'assaut  fut  très  cruel.  En  assaillant,  ils  disaient  beaucoup  de 
vilaines  paroles  à  ceux  de  Paris. 

Là  était  leur  Pucelle,  avec  son  étendard,  sur  le  dos  d'âne  *  des  fossés. 
Elle  disait  à  ceux  de  Paris  :  «  Rendez-vous  à  nous  promptement  de  par 
Jésus  ;  car  si  vous  ne  vous  rendez  pas  avant-  la  nuiij  nous  entrerons  par 
force j  que  vous  le  veuillez  ou  non^  et  vous  serez  tous  mis  à  mort  sans 
merci,  n  —  «Vraiment,  dit  quelqu'un,  paillarde,  ribaude!  ))Et  il  lui  envoie 
droit  un  trait  de  son  arbalète  qui  lui  perce  la  jambe  d'outre  en  outre,  et 
elle  dut  s'enfuir.  Un  autre  perça  d'outre  en  outre  le  pied  de  celui  qui 
portait  son  étendard.  Quand  celui-ci  se  sentit  blessé,  il  leva  sa  visière 
pour  voir  à  ôter  le  virèton,  et  un  autre  le  vise,  le  saigne  entre  les  deux 
yeux,  et  le  blesse  à  mort  ;  ce  dont  la  Pucelle  et  le  duc  d'Alençon 
jurèrent  depuis  quils  auraient  aimé  mieux  perdre  quarante  des  meilleurs 
hommes  d^armes  de  leur  compagnie. 

L'assaut  fut  très  cruel  de  part  et  d  autre  ;  il  dura  bien  jusques  à  quatre 
heures  après  diner,  sans  que  l'on  sût  qui  avait  l'avantage.  Un  peu  après 
quatre  heures,  ceux  de  Paris  prirent  cœur  en  eux-mêmes  ;  ils  firent 
contre  les  assaillants  de  telles  décharges  de  canons  et  d'autres  machines 
de  trait,  que  force  leur  fut  de  reculer,  d'abandonner  leur  attaque,  et  de 
se  retirer.  Celui  qui  pouvait  le  mieux  s'en  aller  était  le  plus  heureux. 
Ceux  de  Paris  avaient  de  grands  canons  qui  largement  atteignaient  de 
la  porte  Saint-Denis  jusqu*au  delà  de  Saint-Lazare;  ils  leur  tiraient  au 
los,  ce  dont  ils  furent  très  épouvantés.  Ils  furent  ainsi  mis  en  fuite; 
mais  personne  ne  sortit  de  Paris  pour  les  suivre  par  peur  de  leurs 
embûches. 

En  s'en  allant  ils  mirent  le  leu  à  la  grange  des  Mathurins,  près  des 
Porcherons.  Ils  jetèrent  dans  les  flammes,  ainsi  que  jadis  le  faisaient  les 
païens  à  Rome,  ceux  de  leurs  gens  morts  à  l'assaut,  qu'ils  avaient  troussés 
en  très  grand  nombre  sur  leurs  chevaux.  Ils  maudissaient  beaucoup 
leur  Pucelle  qui  leur  avait  promis  que  sans  faute  ils  gagneraient  de 
force  à  cet  assaut  la  ville  de  Paris  ;  qu'elle  y  coucherait  cette  nuit  ; 

[îennain-en-Laye.  Une  lettre  de  rémission  découverte  par  M.  Germain  Lefèvre-Pontalîs 
(permet  de  constater  que  Tarmée  française  avait  occupé  deux  châteaux  situés  entre 
>aint-Gennain  et  Poissy,  les  forteresses  de  Béthemont  et  de  Montjoie-Saint-Denis. 
Bibliotkèque  de  V École  dea  chartes,  t.  XLXVI,  1885.) 
i.  Texte  :  condoîy  relevé  d  un  fossé,  terre  relevée  entre  deux  sillons.  (LACL•R^E.) 


522  LA  VRAIE  JEANNE  D^ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

qu'eux  tous  aussi  ;  que  tous  seraient  enrichis  des  biens  de  la  cité  ;  que 
l'on  mettrait  à  Tépée  ou  que  Ton  brûlerait  dans  les  maisons  tous  ceux 
qui  y  mettraient  quelque  opposition  ;  mais  Dieu,  qui  par  une  femme 
nommée  Judith  changea  la  grande  entreprise  d'Holopheme,  disposa 
dans  sa  miséricorde  qu*il  en  fût  autrement  qu'ils  ne  pensaient. 

Le  lendemain  ils  vinrent  sous  sauf-conduit  quérir  leurs  morts.  Le 
héraut  qui  vint  avec  eux  fut  par  le  capitaine  de  Paris  sommé  de  dire 
sous  la  foi  du  serment  combien  il  y  avait  de  blessés  parmi  leurs  gens.  Il 
jura  qu'il  y  en  avait  bien  quinze  cents,  dont  bien  cinq  cents  ou  plus 
étaient  morts  ou  blessés  à  mort. 

Il  est  vrai  qu'en  cet  assaut,  il  n'y  avait  presque  nul  homme  d'armes, 
si  ce  n'est  quarante  ou  cinquante  Anglais,  qui  y  firent  fort  bien  leur 
devoir.  Ceux  de  Paris  enlevèrent  aux  Armagnacs  la  plus  grande  partie 
de  leurs  charrois  avec  lesquels  ils  avaient  amené  leurs  bourrées.  Bien 
ne  pouvait  leur  en  prendre  de  vouloir  faire  pareille  occision  le  jour  de 
la  sainte  Nativité  de  Notre-Dame. 


Environ  trois  ou  quatre  jours  après,  le  régent  vint  à  Paris,  et  envoya 
de  ses  gens  à  Saint-Denis.  Les  Armagnacs  en  étaient  partis  sans  rien 
payer  de  leurs  dépenses,  ayant  promis  à  ceux  de  Saint-Denis  de  les  payer 
avec  le  butin  de  Paris  quand  ils  y  seraient  entrés  ;  mais  ils  faillirent  à 
leur  intention.  C'est  pourquoi  ils  trompèrent  leurs  hôtes  de  Saint-Denis 
et  d'ailleurs.  Et  ce  qu'il  y  eut  de  pis  pour  ces  derniers,  c'est  qu'ils 
encoururent  la  grande  indignation  du  régent,  du  prévôt  de  Paris  et  des 
échevins,  parce  que,  sans  coup  férir,  ils  s'étaient  rendus  aux  Armagnacs, 
et  ils  en  furent  condamnés  à  de  très  grosses  amendes. 

Le  vendredi,  dernier  jour  de  septembre  de  Tan  mil  IIIl'  XXIX,  le  duc 
de  Bourgogne  vint  à  Paris  avec  une  très  belle  compagnie,  si  nombreuse 
qu'il  fallut  les  loger  dans  les  ménages,  dans  les  maisons  vides  en  très 
grand  nombre  à  Paris,  et  leurs  chevaux  couchaient  avec  les  porcs  et 
les  vaches.  Il  vint  par  la  porte  Saint-Martin  et  amena  avec  lui  sa  sœur, 
femme  du  duc  de  Bedford,  régent  de  France;  il  avait  devant  lui  dix 
hérauts  tous  vêtus  des  cottes  d'armes  du  seigneur  à  qui  chacun  apparte- 
nait, il  avait  autant  de  trompettes;  et  en  cette  pompe  ou  vaine  gloire, 
ils  allèrent  par  la  rue  Maubuée  à  Madame  sainte  Avoye  faire  leurs  obla- 
tions,  et  de  là  ils  allèrent  à  Saint-Paul. 

Environ  huit  jours  après,  vint  le  cardinal  de  Winchester  avec  belle 
compagnie  ;  ils  tinrent  plusieurs  conseils,  si  bien  qu'à  la  fin,  à  la  requête 


JOURNAL  DE  JEAN  CHUFFART,  LE  FAUX  BOURGEOIS  DE  PARIS.      523 

de  rUniversité,  du  parlement  et  de  la  bourgeoisie  de  Paris,  il  fut  ordonné 
que  le  duc  de  Bedford  serait  gouverneur  de  Normandie,  et  que  le  duc 
de  Boui^ogne  serait  régent  de  France*.  Ainsi  il  fut  fait.  C'est  avec  très 
grand  regret  que  le  duc  de  Bedford  laissait  son  gouvernement,  regret 
ressenti  par  sa  femme  ;  mais  il  fallut  ainsi  faire. 

Les  Anglais  partirent  un  samedi  soir  et  allèrent  à  Saint-Denis,  non 
sans  faire  passablement  de  mal.  Le  duc  de  Bourgogne  ne  partit  pas  avec 
eux  ;  il  conclut  des  trêves  avec  les  Armagnacs  pour  la  ville  de  Paris  et 
les  faubourgs  seulement'.  Les  villages  d'alentour  payaient  contribution 
aux  Armagnacs;  pas  homme  de  Paris  n'osait  mettre  le  pied  hors  des 
faubourgs  sans  encourir  la  mort,  la  captivité,  ou  être  rançonné  plus  qu'il 
n'avait  vaillant  ;  et  il  n'osait  rendre  la  pareille.  Il  ne  venait  rien  à  Paris, 
propre  à  nourrir  vie  d'homme,  qui  n  eût  été  rançonné  deux  ou  trois  fois 
au-delà  de  sa  valeur. 

Le  duc  de  Bourgogne,  après  avoir  séjourné  environ  quinze  jours  à 
Paris,  en  partit  la  vigile  de  Saint-Luc  (17  octobre).  Il  emmena  avec  lui  ses 
Picards,  qu'il  avait  introduits  dans  Paris,  au  nombre  d'environ  six  mille, 
eux  aussi  fort  larrons,  ainsi  qu'il  parut  bien  en  toutes  les  maisons 
où  ils  furent  logés.  Aussitôt  qu'ils  furent  hors  de  Paris,  la  malheureuse 
guerre  ayant  commencé,  ils  ne  rencontraient  pas  un  homme  sans  le 
piller  ou  le  battre.  Quand  l'avant-garde  fut  partie,  le  duc  de  Bourgogne 
fit  crier,  comme  par  manière  d'apaiser  les  gens  simples,  que,  si  Ton 
voyait  les  Armagnacs  venir  assaillir  Paris,  l'on  se  défendît  le  mieux  que 
Ton  pourrait,  et  il  laissa  ainsi  la  ville  sans  garnison.  Voyez  là  tout  le 
bien  qu'il  fit;  or  les  Anglais  n'étaient  point  nos  amis,  parce  qu'on  les 
avait  mis  hors  du  gouvernement... 

[Dans  les  pages  qui  suivent,  le  chroniqueur  raconte  les  coups  heu- 
reux des  Armagnacs  et  les  ravages  qu'ils  exerçaient  autour  de  Paris.  Il 
est  utile  de  connaître  certains  passages  de  son  récit  ;  ils  expliquent  pour- 
quoi la  Pucelle  avait  hâte  de  quitter  la  cour  ;  ils  font  comprendre  certains 
mots  couverts  d'une  de  ses  lettres  aux  habitants  de  Reims,  et  aussi  en 
quelles  circonstances  elle  avait  voulu  échanger  Franquet  d'Arras  contre  le 
maître  de  l'hôtel  de  TOurs  blanc. J 

Rien  ne  venait  à  Paris  qui  ne  fût  rançonné  deux  ou  trois  fois  ;  et  quand 
c'était  arrivé,  il  fallait  le  vendre  si  cher  que  les  pauvres  gens  n'en  pou- 

1.  C'est  de  cette  manière  que  le  Bourguignon  tenait  sa  promesse  de  livrer  Paris  à 
Charles  VII,  et  usait  du  sauf-conduit  pour  l'aller  et  le  retour  accordé  par  le  prince 
trop  crédule. 

2.  Les  trêves  étaient  déjà  signées  plus  d'un  mois  avant  la  date  donnée  ici.  Chuffard 
n'est  pas  au  courant  de  ce  qui  se  passait  dans  les  régions  de  la  politique.  Il  est  vrai 
qu'elles  furent  amplifiées  en  octobre. 


524  LA  VRAIE  JEANNE  D^ARG  :  LA  LIBÉRATRICE. 

valent  avoir.  11  en  advint  une  grande  douleur.  Foison  de  pauvres  ménagers, 
dont  quelques-uns  avaient  femme  et  enfants  et  les  autres  non,  sortirent 
en  grand  nombre  de  Paris,  comme  par  manière  d'aller  promener  ou 
gagner  leur  vie  ;  la  grande  pauvreté  dont  ils  souffraient  les  jeta  dans  le 
désespoir;  ils  s'attroupèrent  avec  d'autres  qu'ils  trouvèrent,  et  à  la  sug- 
gestion de  Tennemi  {du  diable)^  ils  commencèrent  à  faire  tous  les  maux 
que  chrétiens  peuvent  faire.  11  fut  nécessaire  de  s'assembler  pour  les 
prendre  de  force.  A  la  première  fois  on  en  prit  quatre-vingt-dix-huit,  et 
peu  de  jours  après  on  en  pendit  douze  au  gibet  de  Paris,  le  2  janvier;  et 
le  10  on  en  conduisit  onze  aux  halles,  et  on  coupa  la  tète  à  dix.  Le  onzième 
était  un  très  beau  jeune  homme  d'environ  vingt-quatre  ans;  il  était 
déshabillé  et  Ton  se  préparait  à  lui  bander  les  yeux,  quand  une  jeune 
fille  des  halles  vint  hardiment  le  demander,  et  fit  tant  par  sa  bonne 
poursuite  qu'il  fut  ramené  au  Ghfttelet,  et  à  la  suite  ils  se  marièrent... 
Pâques  fut  le  16  avril... 

liem.  —  En  ce  temps,  quelques-uns  des  grands  de  Paris,  du  parlement, 
du  Châtelet,  des  marchands  et  gens  de  métier  firent  ensemble  la  conju- 
ration de  mettre  les  Armagnacs  dans  Paris,  quelque  dommage  qui  pût 
leur  en  arriver.  Ils  devaient  être  marqués  de  certain  signe  quand  les 
Armagnacs  entreraient  dans  Paris,  et  qui  n'aurait  pas  ce  signe  était  en 
péril  de  mort.  Un  Carme,  nommé  Frère  Pierre  d'Allée,  était  porteur  des 
lettres  d'un  côté  à  l'autre.  Dieu  ne  voulut  pas  souffrir  que  si  grand 
homicide  fût  fait  en  la  bonne  ville  de  Paris  ;  le  Carme  fut  pris,  et  il  en 
accusa  beaucoup  à  la  suite  de  la  torture  à  laquelle  on  le  soumit.  Il  est 
vrai  que  dans  la  semaine  de  la  Passion,  entre  Pâques  fleuries  {le  dimanche 
des  Rameaux)  et  le  dimanche  qui  précède,  on  en  prit  plus  de  cent 
cinquante,  et  la  vigile  de  Pâques  fleuries,  l'on  coupa  la  tête  à  six  aux 
halles,  on  en  noya,  quelques-uns  moururent  par  la  violence  de  la  torture, 
quelques  autres  s'en  tirèrent  par  finances,  il  y  en  eut  qui  s'enfuirent  et 
ne  revinrent  pas.  Quand  les  Armagnacs  virent  qu'ils  avaient  failli  à  leur 
entreprise,  ils  furent  tout  désespérés,  ils  n^épargnaient  ni  femmes,  ni 
enfants,  et  venaient  jusques  aux  portes  de  Paris... 

[Chuffart  après  avoir  raconté  quelques-uns  de  leurs  heureux  coups  de 
main,  ajoute  cette  phrase  textuelle  :]  a  Partout  leur  venoient  biens,  ne 
oncques  depuis  que  le  comte  de  Salsebry  fust  tué  devant  Orléans,  ne 
furent  les  Anglois  en  place  dont  il  ne  leur  convint  partir  à  très  grant 
dommage  ou  à  très  grant  honte  pour  eulx.  »  [La  haine  de  Chuflart  contre 
la  Pucelle  Tempêche  d'assigner  la  vraie  date  du  revirement  de  fortune.  La 
mort  de  Salisbury  ne  marqua  point  la  fin  des  succès  des  Anglais;  en 
preuve  leur  victoire  de  Rouvray,  racontée  parle  chroniqueur  avec  un  si 
visible  accent  de  triomphe,  et  le  siège  d'Orléans  si  heureusement  mené 


JOURNAL  DE  JEAN  GHUFFART,  LE  FAUX  BOURGEOIS  DE  PARIS.      525 

qu'ils  regardaient  la  ville  comme  leur  appartenant  déjà.  11  aurait  fallu 
dire  :  depuis  Farrivée  de  cette  Pucelley  dont  il  va  si  odieusement  calom- 
nier le  martyre  et  la  vie.  On  verra  bientôt  que  Bedford  est  plus  véridique.] 


CHAPITRE  V 

PRISE  ET  MARTYRE  DE  LA  PUGELLE. 

Sommaire  :  1.  —  Prise  de  la  Pucelle;  et  nombre  des  morts,  d'après  ChufTart.  — Le  3  sep- 
tembre, prédication  conti*e  deux  femmes  qui  rendaient  témoignage  à  la  Pucelle.  — 
Supplice  de  Pierronne  de  Bretagne. 

U.  —  Le  martyre  de  Jeanne.  —  Chuffart  met  sur  les  lèvres  du  prédicateur  tous  les 
crimes  imputés  à  Jeanne  par  Tinique  tribunal.  —  D*après  son  aveu,  c  est  TUniver- 
site  de  Paris  qui  a  été  Tâme  du  procès.  —  Récit  de  la  prétendue  abjuration  et  de  la 
prétendue  rechute.  —  Détails  sur  le  martyre.  —  Sentiments  divers  de  la  foule. 

[IL  —  Publication  très  solennelle  à  Paris  de  la  condamnation.  —  Récapitulation  par 
le  prédicateur  de  tous  les  crimes  imputés  à  Jeanne.  —  Les  quatre  femmes  mises 
sur  le  même  pied.  —  Toutes  dirigées  par  Frère  Richard. 

IV. — La  Pucelle  a  été  bien  réellement  brûlée  et  ses  cendres  ont  été  jetées  à  la  rivière. 
—  Motif  de  ce  dernier  outrage. 

I 

1430.  Item.  — Le  xxui*  jourde  mai,  dame  Jeanne,  la  Pucelle  aux  Arma- 
gnacs, fut  prise  devant  Gompiëgne,  par  Messire  Jean  de  Luxembourg  et 
ses  gens,  et  par  bien  mille  Anglais  qui  venaient  à  Paris  ;  et  des  hommes 
à  la  Pucelle,  il  y  en  eut  bien  quatre  cents  tant  tués  que  noyés  ^ 

Item.  —  Le  troisième  jour  de  septembre,  un  dimanche,  deux  femmes 
furent  prêchées  au  parvis  Notre-Dame.  Il  y  avait  environ  la  moitié  d'une 
année  qu'elles  avaient  été  prises  à  Gorbeil  et  amenées  à  Paris.  La  plus 
âgée,  Pierronne,  qui  était  de  Bretagne  bretonnante,  disait  et  soutenait  que 
dame  Jeanne  qui  s'armait  avec  les  Armagnacs  était  bonne,  que  ce  qu'elle 
faisait  était  bien  fait  et  selon  Dieu.  —  Item.  Elle  reconnut  avoir  reçu 
deux  fois  en  un  jour  le  précieux  corps  de  Notre-Seigneur.  —  Item,  Elle 
affirmait  et  jurait  que  Dieu  lui  apparaissait  souvent  en  son  humanité,  et 
lui  parlait  comme  un  ami  à  son  ami,  que  la  dernière  fois  qu'elle  Tavait 
vu,  il  était  revêtu  d'une  longue  robe  blanche,  et  avait  par-dessous  une 
huque  vermeille  ;  ce  qui  est  comme  un  blasphème  ^ 

i.  C'est  toute  exagération. 

2.  «  Huque  »,  courte  casaque  sans  manches,  ceinture  ni  boutons.  (Lacurne.)  il  n*y  a 
pas  Tombre  dun  blasphème.  Saint  Jean,  dans  son  Apocalypse,  nous  dit  :  Vidi,..  similein 
filio  hominiSf  vestitum  podere,  et  prœcinctum  ad  mamiUa^  zona  aurea. 


526  LA  VRAIE  JEANNE  D^ARC  :  LA  LIBËRATRIGE. 

Elle  ne  voulut  jamais  rétracter  raffirmation  de  ce  propos  qu'elle 
voyait  souvent  Dieu  sous  celte  forme  ;  sur  quoi  ce  même  jour  elle  fut 
condamnée  à  ôtre  brûlée,  et  elle  le  fut,  et  elle  mourut  en  son  dire  ce 
môme  dimanche  ;  l'autre  fut  délivrée  pour  cette  heure. 


Il 

Item,  —  En  cet  an,  la  vigile  du  Saint-Sacrement,  qui  fut  le  30  mai,  au 
dit  an  1434,  dame  Jeanne  qui  avait  été  prise  devant  Compiègne  et  qu'on 
nommait  la  Pucelle,  fut  en  ce  jour  soumise  à  Rouen  à  une  prédication, 
alors  qu'elle  était  sur  un  échafaud,  où  chacun  pouvait  la  voir  bien  clai- 
rement, vêtue  en  habit  d'homme.  Là  lui  furent  démontrés  les  grands 
maux  et  les  grandes  douleurs  qui  par  elle  étaient  advenus  en  la  chrétienté 
et  spécialement  au  royaume  de  France,  comme  chacun  sait;  comment 
le  jour  de  la  sainte  Nativité  de  Notre-Dame,  elle  était  venue  assaillir  la 
ville  de  Paris  à  feu  et  à  sang,  et  plusieurs  grands  et  énormes  péchés 
qu'elle  avait  faits  et  fait  faire  ;  comment,  à  Senlis  et  ailleurs,  elle  avait  fait 
idolâtrer  le  simple  peuple,  étant  cause  par  sa  fausse  hypocrisie  qu'ils  la 
suivaient  comme  une  sainte  Pucelle  ;  car  elle  leur  donnait  à  entendre 
que  le  glorieux  archange  saint  Michel,  sainte  Catherine  et  sainte  Mar- 
guerite, plusieurs  autres  saints  et  saintes  lui  apparaissaient  souvent,  lui 
parlaient  comme  un  ami  parle  à  un  ami,  et  non  pas  par  révélations 
comme  Dieu  fait  quelquefois  à  ses  amis;  mais  corporellement,  bouche  à 
bouche,  en  ami  avec  un  autre  lui-même. 

Item.  —  11  est  vrai  qu'elle  disait  être  âgée  d'environ  dix-sept  ans  ;  elle 
disait  sans  éprouver  de  honte  que,  malgré  père,  mère,  parents  et  amis, 
elle  allait  souvent,  au  pays  de  Lorraine,  à  une  fontaine  qu'elle  appelait 
bonne  fontaine  aux  fées  Notre- Seigneur^  lieu  où  tous  ceux  du  pays,  quand 
ils  avaient  les  fièvres,  allaient  pour  recouvrer  la  santé.  Ladite  Jeanne  la 
Pucelle  y  allait  souvent  sous  un  arbre  qui  ombrageait  la  fontaine  ;  et  là 
lui  apparurent  sainte  Catherine  et  sainte  Marguerite,  qui  lui  ordonnèrent 
d'aller  vers  un  capitaine  qu'elles  lui  nommèrent,  et  elle  y  alla  sans 
prendre  congé  ni  de  père  ni  de  mère.  Ce  capitaine  la  vêtit  à  la  manière 
des  hommes,  l'arma,  lui  ceignit  Tépée,  lui  donna  un  écuyer  et  trois  valets, 
et  en  cet  état  elle  fut  montée  sur  un  bon  cheval.  En  cet  état  elle  vint  au 
roi  de  France,  et  elle  lui  dit  qu'elle  était  venue  vers  lui  du  comman- 
dement de  Dieu,  qu'elle  le  ferait  ôtre  le  plus  grand  seigneur  du  monde  ; 
qu'il  fût  ordonné  que  tous  ceux  qui  lui  désobéiraient  fussent  mis 
à  mort  sans  merci;  que  saint  Michel  et  plusieurs  anges  lui  avaient 
donné  une  très  riche  couronne  pour  lui,   et  qu'il  y  avait  en  terre  une 


JOURxNAL  DE  JEAN  GHUFFART,  LE  FAUX  BOURGEOIS  DE  PARIS.  527 

épée  pour  lui,  mais  elle  ne  lui  vaudrait  tant  que  sa  guerre  fusi  faillie^. 

Tous  les  jours  elle  chevauchait  avec  le  roi,  avec  grande  foison  de  gens 
d*armes,  sans  aucune  femme,  vêtue,  chaussée  et  armée  à  la  guise  des 
hommes',  un  gros  bâton  dans  sa  main,  et  quand  un  de  ses  gens  se  trom- 
pait, elle  l'en  frappait  à  grands  coups,  en  femme  très  cruelle . 

Item.  —  Elle  dit  être  certaine  d'entrer  en  paradis  à  la  fin  de  ses  jours. 

Item.  —  Elle  dît  être  toute  certaine  que  ce  sont  saint  Michel,  sainte 
Catherine,  et  sainte  Marguerite  qui  lui  parlent  souvent,  et  quand  elle 
veut;  que  bien  souvent  elle  les  a  vus  avec  des  couronnes  d'or  en  tête, 
que  tout  ce  qu'elle  a  fait  est  du  commandement  de  Dieu,  et  ce  qui  est 
plus  fort,  elle  dit  savoir  une  grande  partie  des  choses  à  venir. 

Item.  —  Plusieurs  fois  elle  a  pris  le  précieux  Sacrement  de  TAutel,  tout 
armée,  vêtue  en  guise  d'homme,  les  cheveux  arrondis,  chaperon  déchi- 
queté, gippon,  chausses  vermeilles  attachées  avec  foison  d'aiguillettes  ^ 
Certains  grands  seigneurs  et  dames,  la  reprenant  de  son  vêtement  de 
dérision,  lui  disaient  que  c'était  peu  priser  Notre-Seigneur  que  de  le  rece- 
voir en  tel  habit,  vu  qu'elle  était  une  femme,  elle  leur  répondit  promp- 
tement  que  pour  rien  elle  ne  ferait  autrement,  qu'elle  aimerait  mieux 
mourir  que  laisser  son  vêtement  d'homme,  pour  défense  qui  lui  en  serait 
faîte;  que  si  elle  voulait,  elle  ferait  tonner,  et  ferait  d'autres  merveilles; 
qu'une  fois  on  Voulut  lui  faire  déplaisir  de  son  corps  et  qu'elle  saillit 
d*une  haute  tour  en  bas,  sans  se  blesser  aucunement. 

Item.  —  En  plusieurs  lieux  elle  fit  tuer  hommes  et  femmes,  soit  dans  le 
combat,  soit  par  esprit  de  vengeance,  car  qui  n'obéissait  pas  aux  lettres 
qu'elle  envoyait,  elle  les  faisait  mourir  sans  pitié,  aussitôt  qu'elle  en 
avait  le  pouvoir  ;  et  elle  disait  et  affirmait  ne  rien  faire  que  par  le  com- 
mandement que  Dieu  lui  transmettait  très  souvent  par  l'archange  saint 
Michel,  sainte  Catherine  et  sainte  Marguerite,  qui  lui  faisaient  ce  faire  ; 
et  non  pas  comme  Notre-Seigneur  faisait  au  mont  Sinai,  mais  qu'ils  lui 
disaient  en  propres  termes  des  secrets  de  l'avenir,  et  qu'ils  lui  avaient 
ordonné,  et  lui  ordonnaient  toutes  les  choses  qu'elles  faisait,  soit  pour 
son  habit,  soit  autrement. 

Telles  fausses  erreurs  et  pires  encore  dame  Jeanne  en  avait  quantité*. 
Elles  lui  furent  toutes  déclarées  devant  le  peuple  ;  tous  éprouvèrent  une 

1.  S\c^  peu  intelligible.  L*on  ne  voit  nulle  part  que  la  Pucelle  ait  parlé  d'une  épée  à 
remettre  au  roi. 

2.  Vesttie,  attachée  et  armée  à  la  manière  des  hommes.  D'après  Laclr.ne,  «  attachée  « 
signifie  qui  a  des  bas  d^altache. 

3.  Les  cheveulx  arrondiSf  chapperon  deschicquetéy  gippon,  chausses  vermeilles  attachées 
à  foison  aiguillettes. 

4.  «  Quelles  faulces  erreurs  et  pires  erreurs  avoit  assez  dame  Jeanne  »  ;  assez  ici  signifie 
beaucoup.  Inutile  d'observer  conabien  tout  ce  fatras  est  calomnieux. 


528  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

très  grande  horreur  quand  ils  ouïrent  raconter  les  grandes  erreurs  contre 
la  foi  qu  elle  avait  eues  et  conservait  encore,  car  on  avait  beau  lui  démon- 
trer ses  grands  maléfices  et  ses  égarements,  elle  ne  s'en  effrayait  pas, 
elle  ne  s*en  ébahissait  pas  ;  au  contraire  elle  répondait  hardiment  aux 
articles  qu'on  proposait  contre  elle,  en  femme  toute  remplie  de  Tennemi 
d'enfer.  Il  y  parut  bien,  alors  qu'elle  voyait  les  clercs  de  l'Université  de 
Paris  la  prier  bien  humblement  de  se  repentir,  et  de  rétracter  de  si 
mauvaises  erreurs,  et  que  tout  lui  serait  pardonné,  à  cause  de  sa  péni- 
tence ;  que  sinon  elle  serait  brûlée  devant  tout  le  peuple,  et  son  Ame 
damnée  au  fond  des  enfers,  et  qu'on  lui  montrait  les  préparatifs  et  le  lieu 
du  bûcher  qui  devait  la  brûler  bientôt,  si  elle  ne  se  rétractait  pas. 

Quand  elle  vit  que  c'était  tout  de  bon,  elle  cria  merci,  et  se  rétracta 
de  bouche  ;  son  vêtement  d*homme  lui  fut  enlevé,  et  elle  prit  un  habit 
de  femme  ;  mais  sitôt  qu'elle  se  vit  en  cet  état,  elle  revint  à  son  erreur 
précédente,  et  demanda  son  habit  d'homme.  Elle  fut  aussitôt  par  tous 
condamnée  à  mourir.  Elle  fut  liée  à  un  poteau  sur  un  échafaud  fait  de 
plâtre,  et  le  feu  fut  mis  par-dessous.  Elle  fut  bientôt  morte  et  son  vête- 
ment tout  brûlé.  Le  feu  fut  ensuite  retiré  ;  tout  le  peuple  la  vit  toute  nue 
avec  tout  ce  qui  peut  et  doit  caractériser  une  femme,  pour  lui  enlever 
toute  incertitude. 

Quand  ils  l'eurent  contemplée  à  leur  gré,  bien  morte,  attachée  au 
poteau,  le  bourreau  ralluma  un  grand  feu  sur  sa  pauvre  charogne  (5t^),  qui 
fut  promptement  comburée,  et  ses  os  et  sa  chair  réduits  en  cendres. 

11  n'en  manquait  pas  là  et  ailleurs  qui  disaient  qu'elle  était  martyre,  et 
cela  pour  son  droit  seigneur  ;  les  autres  disaient  que  non,  et  que  Ton 
avait  mal  fait  de  la  garder  si  longtemps.  Ainsi  parlait  le  peuple.  Mais, 
quoi  qu'il  en  soit  de  sa  méchanceté  ou  de  sa  bonté,  elle  fut  brûlée  ce 
jour-là*. 

III 

Le  jour  de  Saint-Martin-le-Bouillant-,  une  procession  générale  fut  faite 
à  Saint-Martin-des-Champs  ;  une  prédication  y  eut  lieu,  par  un  frère  de 
l'ordre  de  Saint-Dominique,  inquisiteur  de  la  foi,  maître  en  théologie.  11 
repassa  de  nouveau  tous  les  faits  de  Jeanne  la  Pucelle.  Il  disait  qu'elle 
avait  avoué  être  fille  de  très  pauvres  gens;  que  depuis  l'âge  de  treize  ans, 

J . Mais  quelle  mauvaiseté  ou  bonté  quelle  eust  fait,  elle  fut arse  ce  jour-là.  Cette  phrase 
semblerait  prouver  que  l'odieux  chroniqueur  était  moins  sûr  qu'il  ne  veut  le  montrer 
de  la  malice  de  celle  qu'il  a  appelée  une  créature  en  forme  de  femme,  qui  était,  Dieu 
le  sait. 

2.  Le  5  juillet;  fête  de  la  translation  des  reliques  de  saint  Martin. 


JOURNAL  DE  JEAN  CHUFFART,  LE  FAUX  BOURGEOIS  DE  PARIS.      529 

elle  s*était  maintenue  en  manière  d^homme  '  ;  et  que  dès  lors  son  père  et 
sa  mère  l'eussent  volontiers  fait  mourir,  s'ils  l'avaient  pu  sans  blesser 
la  conscience;  que  pour  ce  motif  elle  les  quitta  possédée  par  Tennemi 
d'enfer,  et  que  depuis  lors  elle  avait  vécu  en  homicide  de  la  chrétienté, 
respirant  le  feu  et  le  sang,  jusqu'au  jour  où  elle  fut  brûlée.  Il  disait  que 
si  elle  se  fût  rétractée,  on  lui  eût  donné  une  pénitence,  quatre  ans  de 
prison  au  pain  et  à  l'eau,  pénitence  dont  elle  ne  fit  jamais  un  jour,  se 
faisant  servir  en  sa  prison  comme  une  dame.  L'ennemi  lui  apparaissait 
sous  trois  formes,  à  savoir,  ainsi  qu'elle  le  disait,  sous  la  forme  de  saint 
Michel,  de  sainte  Catherine  et  de  sainte  Marguerite  ;  il  avait  grand'peur 
de  la  perdre  ;  il  faut  entendre  l'ennemi  ou  les  ennemis  sous  la  forme  de 
ces  trois  saints  ;  il  lui  dit  :  «  Méchante  créature,  qui  par  peur  du  feu  as 
laissé  ton  habit,  n*aie  pas  peur,  nous  te  garderons  fort  bien  contre  tous  » . 
Par  quoi,  sans  attendre,  elle  se  dépouilla  de  ses  vêtements  de  femme,  et 
se  revêtit  des  habits  qu'elle  portait  quand  elle  chevauchait,  habits  qu'elle 
avait  mis  dans  la  paille  de  son  lit;  elle  se  lia  tellement  en  l'ennemi 
qu*elle  dit  se  repentir  d'avoir  laissé  son  vêtement.  Quand  l'Université 
ou  ceux  qui  la  représentaient  virent  qu'elle  était  ainsi  obstinée,  elle  fut 
livrée  à  la  justice  laïque  pour  la  mort.  Quand  elle  se  vit  en  ce  point,  elle 
appela  les  ennemis  qui  lui  apparaissaient  sous  la  figure  de  saints,  mais 
jamais,  depuis  qu'elle  fut  condamnée,  aucun  ne  lui  apparut,  quelque 
invocation  qu'elle  sût  leur  adresser  ;  et  alors  elle  se  ravisa,  mais  ce  fut 
trop  tard. 

Dans  son  sermon,  le  prédicateur  disait  encore  quelles  étaient  quatre 
ces  femmes,  et  que  trois  avaient  été  prises,  à  savoir  cette  Pucelle,  Pier- 
ronne  et  sa  compagne.  La  quatrième,  nommée  Catherine  de  La  Rochelle, 
est  avec  les  Armagnacs  ;  elle  dit  que  lorsqu'on  consacre  le  précieux  corps 
de  Notre-Seigneur,  elle  voit  merveilles  du  haut  mystère  de  Notre-Sei- 
gneur  Dieu.  Toutes  les  quatre  pauvres  femmes  ont  été  ainsi  gouvernées 
parle  Cordelier,  Frère  Richard,  celui  qui  attira  après  lui  si  grande  multi- 
tude, quand  il  prêcha  à  Paris,  aux  Innocents  et  ailleurs.  Il  était  leur  beau 
Père.  Le  jour  de  Noël,  à  Jargeau,  il  donna  trois  fois  le  corps  de  Notre- 
Seigneur  à  cette  dame  Jeanne  la^Pucelle*  ;  ce  dont  il  est  fort  à  reprendre. 
Cemêmejour,il  l'aurait  donné  deux  fois  à  Pierronne,  d'après  le  témoin 
des  aveux  de  ces  femmes  et  d'après  quelques-uns  qui  furent  présents 
aux  heures  où  il  leur  donna  ainsi  le  précieux  sacrement. 

1.  Si  Tiiiquisiteur  a  ainsi  parlé,  il  s'est  trompé. 

2.  Au  procès  il  n'y  a  pas  trace  de  ce  fait  qu'on  n  eût  pas  manqué  d'exploiter  contre 
Taccusée.  Il  est  donc  faux  que  cela  résulte  des  aveux  de  Jeanne,  comme  le  prédicateur 
Taurait  affirmé,  à  en  croire  ChufTarl. 

m.  34 


530  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARG  :  U  LIBÉRATRICE. 

IV 

[En  Tannée  1440,  à  propos  de  la  fausse  Jeanne  d'Arc,  Chuffart  parie 
encore  de  la  vraie  dans  les  termes  suivants  :]  «  En  ce  temps,  il  était  très 
grand  bruit  de  la  Pucelle,  dont  il  a  été  parlé  plus  haut,  celle  qui  fut  brû- 
lée à  Rouen  pour  ses  démérites.  Il  y  avait  alors  maintes  personnes  qui 
étaient  abusées  à  son  sujet,  croyant  fermement  que,  par  sa  sainteté,  elle 
se  fût  échappée  du  feu,  et  qu'on  en  eût  brûlé  une  autre,  en  croyant  la 
brûler  elle-mftme.  Mais  elle  fut  bien  réellement  brûlée,  et  toute  la  cendre 
de  son  corps  fut  bien  réellement  jetée  en  la  rivière,  par  crainte 
sorcelleries  qui  auraient  pu  s'ensuivre.  » 


CHAPITRE    VI 

LES  REGISTRES  DU  CHAPITRE  DE  NOTRE-DAME. 

Sommaire  :  La  majorité  du  chapitre  anglo-bourguignonne.  —  Le  30  août,  on  pourYoit 
au  remplacement  des  officiers  qui  ont  rejoint  la  Pucelle.  —  Nomination  de  délégués 
convoqués  par  l'évèque  de  Thérouanne.  —  Le  31  août:  on  célébrera  une  messe  à 
Notre-Dame  extra  chorum,  —  Vote  d'une  somme  pour  les  frais  de  la  guerre.  —  Le 
5  septembre,  mesures  pour  la  sécurité  de  l'église  et  du  cloître,  des  reliques,  du  tré- 
sor. —  Vente  du  buste  de  la  statue  de  saint  Denis.  —  Le  7,  procession  à  la  mon- 
tagne Sainte-Geneviève.  —  Attaque  des  ennemis  et  sanglants  desseins  qu'on  leur 
attribue.  —  Le  8,  assaut  très  violent  et  très  long.  —  Repoussé.  —  Grandes  perles 
des  assiégeants.  —  Grand  nombre  de  claies,  de  fascines,  d'échelles  qu'ils  avaient 
apportées.  —  Ils  en  ramènent  une  partie.  —  Conjectures.  —  Le  9,  messe  pour 
Charles  VI,  par  ordre  de  son  fils. 

Les  registres  du  chapitre  de  Notre-Dame  de  Paris  ont  échappé  aux 
ravages  du  temps.  On  peut  les  compulser  aux  Archives  nationales 
(LL  216,  f*  172).  Ils  présentent  quelques  particularités  qui  nous  permet- 
tent de  juger  de  Témoi  des  esprits  lorsque  la  Pucelle  vint  assiéger  Paris. 
Voici  les  indications  de  quelque  importance  que  Ton  y  trouve. 

La  majorité  des  chanoines  était  anglo-bourguignonne;  mais  il  n'est 
pas  douteux  que  la  Libératrice  ne  comptât  des  partisans  dans  leurs  rangs. 
Plusieurs  passèrent  dans  son  camp,  lorsqu'elle  arriva  à  Saint-Denis.  Le 
chapitre  pourvut  à  les  remplacer,  le  30  août,  dans  les  fonctions  qu'ils  rem- 
plissaient. Il  chargea  Jean  Regnaudot  de  distribuer  les  jetons  de  pré- 
sence à  la  place  de  Jean  Pinchenot,  qui  s'était  éloigné  sans  permission  ; 
qui  recessit  sine  licentiâ  capituli;  on  confie  à  Jean  Pélillon  la  charge  de 


LES  REGISTRES  DU  CHAPITRE  DE  NOTRE-DAME.  531 

garder  le  chef  de  Saint-Denis  à  la  place  de  Jean  Guenet,  qui  lui  aussi 
est  parti  sans  licence  du  chapitre.  Absent  aussi  le  chantre  du  chapitre. 
Durant  l'exil  de  Gerson,  il  avait  la  garde  du  grand  et  du  petit  sceau. 
Cbuffart  investi,  les  sceaux  lui  ont  été  remis  ;  mais  on  se  demande  si,  en 
Tabsence  du  chancelier,  la  garde  des  sceaux  revient  de  droit  au  chantre. 

Le  chancelier  de  France,  Tévôque  de  Thérouanne,  avait  ordonné  que 
quelques  députés  de  la  corporation  fussent  envoyés  au  palais  pour  neuf 
heures.  On  en  élit  trois,  parmi  lesquels  Jean  Chuffart.  Deux  au  moins 
répondront  à  Tappel. 

Le  lendemain,  31  août,  il  est  décrété  que,  à  cause  des  périls  du  temps, 
une  messe  sera  célébrée  tous  les  jours  devant  la  Vierge,  en  dehors  du 
chœur,  exirà  chorum. 

Le  conseil  royal  a  demandé  une  contribution  pour  faire  face  aux 
dépenses  de  la  guerre.  Les  trois  délégués  nommés  la  veille  pourront  oflFrir 
Lxxx"  (marcs?);  et  si  le  conseil  n'est  pas  content,  ils  pourront  aller 
jusqu'à  cent. 

Le  5  septembre,  trois  chanoines,  parmi  lesquels  Jean  Chuffart,  sont 
autorisés  à  modifier  comme  ils  le  jugeront  plus  convenable  les  mesures 
déjà  prises  pour  la  garde  du  cloître  et  de  Téglise.  Ils  verront  s'il  est  expé- 
dient de  déposer  des  provisions  de  vivres  dans  les  tours  pour  l'entretien 
des  chanoines  qui  désireront  s'y  retirer. 

Les  fabriciens  prendront  les  mesures  nécessaires  pour  mettre  les  reli- 
ques et  le  trésor  à  Tabri  de  la  malice  des  ennemis. 

L'on  a  vendu  pour  le  prix  de  56  saints  d'or  le  buste  de  la  statue  de 
saint  Denis,  et  l'on  a  gardé  le  pied  qui  est  d'argent,  la  tête  et  le  diadème. 
Chuffart  est  autorisé  à  louer  deux  moulins  qui  sont  in  coquind  Sancti 
Auguslim{?). 

Le  mercredi  7  septembre  une  procession  solennelle  a  été  faite  à 
Sainte-Geneviève,  sur  la  montagne.  Les  chanoines  du  palais  y  ont  assisté, 
portant  la  vraie  croix.  La  procession  s'est  faite  pour  obtenir  la  cessation 
des  maux  présents  et  de  l'attaque  des  ennemis. 

Ce  même  jour,  ces  ennemis  ont  fait  une  attaque  contre  la  ville,  se  pro- 
mettant de  mettre  à  mort  les  personnes  de  l'un  et  de  l'autre  sexe  qui  leur 
tomberaient  sous  la  main,  ainsi  qu'ils  en  avaient  fait  le  serment  et  qu'ils 
8*en  vantaient.  Le  soir  ils  ont  cessé  leur  attaque  et  se  sont  retirés. 

Le  lendemain,  fête  de  la  Nativité  de  la  Bienheureuse  Vierge  Marie, 
en  compagnie  de  leur  Pucelle,  objet  de  leur  confiance  et  comme  leur 
Dieu^,  ils  ont  recommencé  leur  attaque  vers  une  heure  après  midi. 
Attaque  très  violente,  ils  l'ont  prolongée  de  toutes  leurs  forces  jusques 

i.  Gum  eorum  Puella  in  qu&  tanquam  in  Deum  suum  conlidebant. 


532  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :   LA  LIBÉ 

au  milieu  de  la  nuit.  La  résistance  des  bourge 
leur  confiance  en  Dieu  et  en  la  glorieuse  Vierg 
solennellement  célébrée  dans  celte  ville,  a  fait 
remporté  aucun  avantage.  Ils  ont  blessé  quelq 
Français;  ils  n'en  ont  tué  qu'un  très  petit  non 
coup  des  leurs;  on  ne  sait  pas  combien,  parce  • 
les  cadavres.  Leur  Pucellc  fut  blessée  à  la  cuisi 
croit,  avec  la  vue  de  leurs  morts  et  de  leurs  mo 
retraite.  Us  craignaient  d'être  tués  aussi. 

Ils  laissèrent  un  très  grand  nombre  de  fascines 
laient  combler  les  fossés  ;  ils  en  jetèrent  quelq 
Pucelle,  son  étendard  en  mains,  vint  sur  les  boi 
dit-on,  qu'elle  fut  blessée.  Ils  abandonnèrent,  s 
six  cent  cinquante  échelles,  et  bien  quatre  milll 
bien  trois  cents  chars  pour  porter  ce  bagage  ;  il 
les  traînaient  chargés  de  matières  inllammables, 
et  de  claies.  Ils  ramenèrent  à  Saint-Denis  plusie 
lesquels  ils  avaient  étendu  leurs  blessés  :  d'autre 
demain  conduits  dans  Paris.  Ils  brûlèrent  le  reste 
main  plus  de  cent  roues  ;  ce  qui  a  fait  présumer 
retraite,  ils  avaient  brûlé  ce  qu'elles  devaient  suf 
contraints  à  une  retraite  ignominieuse. 

Le  lendemain  le  Dauphin,  leur  roi,  fil    célébr 
Saint-Denis  pour  le  roi  Charles  VI,  son  père  '. 


CHAPITRE    VII 

LA  PUCELLE  D'APRÈS  LE   DUC   DE  BOURGOGNE  ET  SES   HOMMES  DE  COUR. 

SoMMviui:  :  1.  —  La  cour  i1»î  Buurgojj:iie  se  hâte  «le  l'aire  connaître  au  loin  la  prise  de  la 
PiKM'Ue.  —  Letht'-i  Ju  duc  aux  habitaiiU  «le  Saint-Quentin,  de  Gand,  aux  ducs  de 
Brelajjrn»*,  de  Savoie. 

II.  —  Jkan  (}i:r>iai\,  KVKyiï:  dk  Ciiklon-sir-Svom:.  —  Son  livre  De  virtutibus  Philippi, 
—  Son  passage  sur  la  Pucellc.  —  L'tvf.urt:  .Iean  Jolffroy.  —  Sa  page  déclama- 
toire à  l'endroit  de  la  Pucelle. 

III.  —  Le  greffier  de  la  chamhre  des  comptea  du  Brabant.  —  Les  registres  noirs.  — 
Edmond  de  Dvmhek  et  sa  Chronique.  —  Le  sire  de  Rosethlaer.  —  Sa  lettre  sur  la 
Pucelle  en  date  du  22  avril  1429.  —  Ce  qu'Edmond  de  Dynther  a  ajouté  à  cette  lellre. 

IV.  —  Le  livre  des  Trahisons  de  France  envers  la  maison  de  Bourgogne.  —  Son  passage 
sur  la  Pucelle.  —  Remarques. 

1.  Voir  quelques  extraits  aux  Pijccs  justificatives  J. 


£  D'APRES  LE  DUC  DE  BOURGOGNE  ET  SES  HOMMES  DE  COUR.     533 


I 

Sourgogne  se  hâta  de  porter  au  loin  la  nouvelle  de  ta  prise 
Tant  d'empressement  marquait  le  prix  qu'elle  attachait  à 

le  ne  se  serait  pas  plus  hâtée  si  la  ville  assiégée,  et  si 

•nvoitée  était  tombée  en  son  pouvoir. 

lai,  la  nouvelle  était  connue  à  Paris  ;  Jean  de  Luxemboui^ 

an  courrier  à  son  frère,  l'évèque  de  Thérouanne,  chancelier 

ur  l'Angleterre,  réjouir  les  Parisiens  par   l'annonce   de 

nement. 

mOme,le  duc  de  Boui^ogDe  le  mandait  aux  habitants  de 
par  une  lettre  dont  cette  ville  possède  l'original  et  la 

latioaale  plusieurs  copies.  La  voici  très  légèrement  moder- 


duc  de  Bourgogne,  comte  de  Flandre,  d'Artois,  de  Picardie 

r.  Très  chers  et    bien-aimés,    sachant  que  vous    désirez 

nouvelles,  nous  vous  signifions  que  cejourd'hui  xxiii*  de 

iix  heures  après  midi,  les  adversaires  de  Monseigneur  le  roi 

et  les  nôtres  qui  s'étaient  mis  ensemble  en  très  grosse 

ince  et  noutés  en  la  ville  de  Compiègne,  devant  laquelle  nous  et  les 

le  notre  armée  sommes  logés,  sont  saillis  de  ladite  ville  à  puissance 

logis  de  notre  avant-garde  le  plus  prochain  d'eux  ;  à  laquelle  saillie 

^elle  qu'ils  appellent  la  Pucelle,  avec  plusieurs  de  leurs  principaux 

lines.  A  l'encontre  desquels,  beau  cousin,  Messire  Jean  de  Luxem- 

qui  y  était  présent,  et  autres  de  nos  gens,  et  quelques-uns  des  gens 

juseigneur  le  roi  qu'il  avait  envoyés  par  devers  nous  pour  passer 

et  aller  &  Paris,  ont  fait  très  grande  et  dpre  résistance  ;  et  preste- 

meu.  de  notre  personne  nous  y  arrivâmes,  et  trouvâmes  que  lesdits 

adversaires  étaient  déjà  reboutés  {repousses),  et  par  le  plaisir  de  notre 

huoist  Créateur  la  chose  est  ainsi  advenue  et  il  nous  a  fait  telle  ghace 

-qd'icelle  appelée  la  Pl'celle  a  été  prise  ;  et  avec  elle  plusieurs  capitaines, 

chevaliers,  écuyers  et  autres  ont  été  pris,  noyés  et  morts,  dont  à  cette 

heure  nous  ne  savons  encore  les  noms,  sans  qu'aucun  de  nos  gens,  ni  des 

gens  de  Monseigneur  le  roi  y  aient  été  morts  ou  pris,  ni  que  de  nos  gens 

il  y  ait  eu  vingt  personnes  blessées,  par  la  grâce  de  Dieu. 

■  De  cette  prise,  ainsi  que  nous  le  tenons  certainehent,  seront  grandes 
NotrvELLEs  partout,  et  sera  connue  l'erreur  et  folle  créance  de  tous  ceux 
qui  se  sont  rendus  enclins  et  favorables  es  faits  d'icelle  femme, 
u  Cette  chose  nous  vous  écrivons  pour  nos  nouvelles,  espérant  que  vous 


53i  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARG  :  LA  LIBÉRATRICE. 

en  aurez  joie,  confort  et  consolation,  et  en  rendrez  grâces  et  louanges  à 
notredil  Créateur  qui  tout  voit  et  connaît.  Que  par  son  benoit  plaisir, 
il  veuille  conduire  le  surplus  de  nos  entreprises  au  bien  de  notre  seigneur 
le  roi  et  de  sa  seigneurie,  et  au  relèvement  et  réconfort  de  ses  bons  et 
loyaux  sujets. 

<  Très  chers  et  bien  aimés,  le  Saint-Esprit  vous  ait  en  sa  sainte  garde. 
«  Ecrit  à  Goudun,  près  Compiègne,  le  xxni*  jour  de  mai. 

«    MlLET.  » 

Au  dos  est  écrit  :  «  A  nos  très  chers  et  bien-aimés,  les  gens  d'Église, 
bourgeois  et  habitants  de  Saint-Quentin-en-Vermandois   ». 

Ce  même  texte  était  à  la  même  heure  adressé  aux  échevins  et  au  con- 
seil de  la  ville  de  Gand.  M.  Gachard  le  publiait  en  1834  au  tome  II  de  la 
collection  de  ses  Montiments  inédits  de  l'histoire  de  BelgiquCy  d'après 
une  copie  du  temps  conservée  dans  les  archives  de  Malines.  Tout  est 
identique,  à  part  le  nom  du  secrétaire  qui  est  Chrestian.  L'un  et  l'autre 
faisaient  probablement  la  transcription  en  même  temps. 

Un  extrait  de  la  chambre  des  comptes  de  Bretagne,  fait  au  xvni*  siècle 
et  conservé  à  la  Bibliothèque  nationale,  nous  apprend  qu'un  chevaucheur 
fut  expédié  pour  apprendre  l'événement  au  duc  de  Bretagne.  On  y  lit  : 
u  A  un  chevaucheur  du  duc  de  Bourgogne  nommé  Lorraine,  venu  vers  le 
duc  apporter  lettres  et  nouvelles  de  la  prise  delà  Pucelle*.  » 

Le  duc  Philippe  terminait  triomphalement  une  lettre  qu'il  écrivait  le 
25  mai  à  son  oncle  le  duc  de  Savoie,  en  annonçant  que  le  23,  vers  six 
heures  après  midi,  les  assiégés  avaient  fait  une  sortie  et  que  celle  qu'ils 
appellent  la  Pucelle  et  plusieurs  capitaines,  chevaliers,  écuyers  et 
autres,  avaient  été  pris,  noyés  et  tués*. 

Ces  missives  fixent  d'une  manière  indubitable  la  prise  de  la  Libéra- 
trice à  la  soirée  du  23  mai.  Si  certains  chroniqueurs  disent  que  ce  fut  la 
vigile  de  TAscension,  qui  cette  année  tombait  le  25  mai,  c'est  que  pour 
eux  le  jour  commençait  aux  premières  vêpres  de  Toflice  du  lendemain. 


Il 

JEAN  GKRMAIN  ET  JEAN  JOUFFROY. 


Malsain  pour  toutes  les  vertus  chrétiennes,  l'air  des  cours  est  meurtrier 
pour  rindépendance  épiscopale.  Que  de  maux  ont  attiré  sur  TÉglise  les 


i.  Procès,  t.  V,  p.  3:)2. 

2.  De  Beaucourt,  Histoire  de  Charles  VU,  l.  II,  p.  42!. 


536  LA  VRAIE  JEANNE  D  ARC  :  LA  LIBfiRATRICE. 

hommes  sont  rejetés  dans  leur  camp;  quelques  ennemis  plus  hardis 
viennent  les  y  attaquer.  Nos  gens  font  déboucher  une  vaillante  armée  à 
travers  la  chaussée  ;  les  ennemis  sont  refoulés  ;  ils  sont  renversés  de  leurs 
chevaux  ;  leurs  rangs  sont  rompus  ;  nos  hommes  les  préviennent,  occu- 
pent rentrée  du  pont,  pénètrent  dans  leurs  lignes.  Un  pont-levis  est  jeté; 
les  ennemis  tombent  dans  le  fleuve.  Plusieurs  échappent  des  eaux,  grâce 
à  rhumanité  de  nos  guerriers  qui  leur  tendent  le  bout  de  leurs  lances. 
«  Cette  détestable  femme,  la  risée  des  femmes,  le  scandale  des  hommes, 
couverte  de  ses  armes  à  la  manière  des  gens  de  guerre,  est  renversée  de 
son  cheval  d'un  coup  de  lance  qui  la  frappe  en  pleine  poitrine  ;  ses  arti- 
fices disparaissent;  ses  sortilèges  s'évanouissent;  elle  cherche  à  se  dissi- 
muler par  la  diversité  de  ses  maintiens  ;  elle  est  reconnue  ;  elle  est 
prise  ;  on  Tamène  au  prince  ;  elle  est  dépouillée  de  sa  trompeuse  armure; 
son  sexe  montre  bien  que  c'est  à  tort  qu'elle  feint  d'être  un  homme. 
Débarrassés  de  la  pression  de  l'armure,  ses  seins  retombent,  et  montrent 
qu'elle  est  apte  aux  soins  de  la  maternité,  quoique  à  sa  tenue  et  à  l'inso- 
lence de  son  langage,  on  eût  pu  la  prendre  pour  un  homme. 

«  Enfin  elle  déclare  d'où  elle  vient,  la  suite  de  ses  faits;  on  l'envoie 
aux  Anglais;  et  grâce  à  la  justice  de  l'Église,  elle  subit  dans  les  flammes 
le  châtiment  qui  lui  était  dû  *.  » 

Jean  JouFFRor.  —  Jean  Jouffroy  est  encore  un  des  personnages  ecclé- 
siastiques marquants  de  l'époque.  Né  à  Luxeuil  vers  1412,  il  fit  à  l'Uni- 
versité de  Pavie  de  si  brillantes  études  qu'en  cessant  d'être  disciple,  il 
y  devint  maître.  Eugène  IV  le  manda  au  concile  de  Ferrare.  La  cour  de 
Bourgogne  l'employa  au  maniement  des  affaires  les  plus  délicates,  et  lui 
confia  de  nombreuses  ambassades  à  Rome,  en  Portugal,  en  Castille. 
Promu  au  siège  d'Arras  en  1453,  il  fut  honoré  du  titre  de  Légat  apos- 
tolique auprès  du  duc  de  Bourgogne.  La  part  qu'il  prit  à  l'abrogation  de 
la  Pragmatique  sanction  par  Louis  XI  lui  valut  la  pourpre  cardinalice.  Il 
fut  transféré  à  l'évêché  d'Alby  dont  il  mourut  titulaire  en  1472.  Pie  II 
disait  de  Jouffroy  :  Judicio  omnium  doctus,  suo  doctissimus  {savant  au 
jugement  de  touSy  très  savant  à  son  propre  jugement). 

Il  commit  sa  page  contre  la  Pucelle  au  congrès  de  Mantoue  en  1459. 
Pie  II,  comme  on  le  sait,  y  avait  convoqué  les  princes  de  la  chrétienté 
pour  les  armer  contre  le  Turc,  qui  venait  de  s'emparer  de  Gonstantinople. 
Pie  II  comptait  surtout  sur  le  duc  Philippe,  qui,  malgré  la  dissolution  de 
ses  mœurs,  affectait  le  zèle  d^  la  foi.  Le  duc  envoya  pour  le  représenter  à 
Mantoue  Jean  Jouffroy.  L'évêque  d'Arras  prit  pour  sujet  de  sa  harangue 
l'éloge  de  son  maître  :  De  Philippo  duce  Burgundiœ  oratio.  Le  factum  a 

I.  Voir  le  texte  latin  aux  Pièces  justificatives  K. 


538  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

ennemis  qui  avaient  pénétré  en  Picardie.  Il  campait  avec  son  armée  sar 
les  rives  de  TOise.  La  Pucelle,  espérant  le  surprendre  dans  une  partie 
de  chasse,  arrive  secrètement  à  travers  les  bois  à  la  tète  de  six  mille 
hommes,  et  Tattaque  soudain  lorsqu^il  ne  s'attendait  à  rien.  Mais  le 
prince,  familiarisé  avec  toutes  les  pistes  de  Mars,  rassemble  ses  bannières 
et  en  vient  aux  mains.  Une  attaque  par  le  flanc  de  la  part  des  archers 
fit  que  la  jeune  fille  rendue  à  son  naturel  de  femme  ne  trouva  rien  de 
meilleur  que  la  fuite.  Elle  sentit  que  la  fraude  ne  peut  rien,  toutes  les 
fois  qu'elle  est  aux  prises  avec  la  véritable  valeur.  Celle  qui  avût  atta- 
qué le  plus  éminent  des  princes  fut  vaincue;  celle  qui  se  vantait  d'avoir 
un  ange  pour  guide  de  ses  pas  fuyait,  et  elle  fut  prise. 

«  Les  ennemis  de  Philippe  établissaient  en  elle  le  fondement  de  leur 
confiance;  quand  Philippe  en  fut  le  maître,  il  dédaigna  de  la  regarder; 
il  aurait  craint  de  ranimer  des  forces  abattues.  Il  estimait  à  peine  digne 
de  lui  d'avoir  vaincu  celle  qui  avait  promené  tant  de  terreur  ou  d'enchan- 
tements à  travers  la  Champagne,  les  pays  de  Reims,  de  Sens  ou  de  Senlis, 
encore  qu'il  estimât  la  terrible  armée  dont  une  femme  avait  été  le  chef, 
et  que,  comme  Homère  Ta  écrit  d'Achille,  le  pire  de  tous  les  maux  soit 
à  ses  yeux  la  dissimulation  et  la  fraude. 

«  Mais  comme  Ton  dit  que  Charles  YII,  maintenant  roi  des  Français, 
porte  aux  nues  cette  Pucelle,  et  que  du  temps  d'Alexandre,  ainsi  que 
l'écrit  Cicéron,  Ton  ne  pouvait  écrire  que  ce  qu'agréait  Alexandre,  je 
cesserai,  selon  l'avis  de  Plaute,  de  presser  l'abcès*.  » 

11  est  inutile  de  réfuter  ce  tissu  de  faussetés  historiques  et  d'inco- 
hérences. On  croit  lire  quelque  rhéteur  d'Athènes  dégénérée. 


III 

LE  GREFFIER  DE  LA  CHAMBRE  DES  COMPTES  DE  BRABANT 

ET  EDMOND  DE  DYNTHER. 

Durant  les  quatre  mois  que  Jeanne  avait  dû  employer  à  triompher  de 
rincrédiilité  de  Baudricourt  et  de  la  cour  de  Chinon,  l'attention  avait 
déjà  commencé  à  ôtre  attirée  sur  sa  mission  et  ses  promesses,  même  en 
dehors  des  partis  directement  intéressés  à  la  querelle.  On  peut  en  voir  la 
preuve  à  la  Bibliothèque  royale  de  Bruxelles,  au  tome  X  des  registres  de 
la  chambre  des  comptes  de  Brabant,  le  premier  des  volumes  connus  sous 
le  nom  de  Registres  noirs,  de  la  couleur  de  la  couverture.  Le  R.  P.  de  Smet 
a  bien  voulu  m'envoyer  une  copie  faite  par  le  R.  P.  Kieckens,  d'un 

1.  Voir  le  icxlc y  Pièces  justiflcalives  L. 


LA  PUCELLE  D'APRES  LE  DUC  DE  BOURGOGNE  ET  SES  HOMMES  DE  COUR.     539 

passage  qui,  pour  être  connu  et  publié,  n'enlève  rien  à  la  gratitude  que 
je  dois  à  ces  deux  savants  confrères. 

Ce  passage  se  trouve  tout  à  la  fois  et  dans  les  registres  cités  (/*  390  l*°), 
et  dans  la  Chronique  d*Edmond  de  Dynthcr,  éditée  en  1855  parle  docteur 
Ram  dans  les  Chroniques  belges  [Chap,  S34^  livre  sixième^  p.  493). 
A  part  quelques  variantes  orthographiques^  la  seule  différence  des  deux 
textes,  ainsi  que  le  marque  le  R.  P.  Kieckens,  c'est  que  le  greffier  écrit 
de  la  Pucelle  eqititat^  et  du  roi  et  de  la  cour  habent^  tandis  que  le  chro- 
niqueur écrit  eqnitavit^  habuerunt.  C'est  une  preuve  d'authenticité  :  le 
greffier  écrivait  au  moment  oîi  la  Pucelle  était  sur  la  scène,  et  le  chroni- 
queur alors  qu'elle  en  avait  disparu. 

Personne  mieux  qu'Edmond  de  Dynther  n'était  au  courant  des  secrets 
de  la  cour  des  ducs  de  Brabant;  il  fut  pendant  quarante  ans  secrétaire 
des  quatre  ducs  qui  s'y  succédèrent,  d'Antoine  fils  de  Philippe  le  Hardi, 
frère  de  Jean  sans  Peur,  tué  à  Azincourt  en  1415,  de  son  fils  et  succes- 
seur Jean  IV  mari  de  la  trop  fameuse  Jacqueline,  mort  en  1427,  du  frère 
de  Jean,  Philippe,  mort  le  4  août  1430,  après  lequel  le  duché  passa  à 
Philippe  de  Bourgogne^  qui  quitta  le  siège  de  Compiègne  pour  aller 
recueillir  cette  succession  contestée.  Edmond  de  Dynther,  conservé 
d'abord  dans  ses  fonctions,  ne  tarda  pas  à  demander  sa  retraite.  11  profita 
de  son  veuvage  pour  entrer  dans  les  Ordres  sacrés,  fut  pourvu  d'un  cano- 
nicat  à  Saint-Pierre  de  Louvain,  et  consacra  ses  loisirs  à  écrire  en 
latin  une  Chronique  des  rois  de  Franco,  et  des  ducs  de  Lorraine  et  de 
Brabant. 

Il  nous  dit  par  qui  et  à  quelle  occasion  fut  transmise  à  Bruxelles  la 
prophétie  que  le  greffier  consigna  dans  ses  livres  de  comptes,  et  que 
Dynther  a  reproduite  dans  sa  Chronique.  Le  duc  de  Brabant  avait,  dans 
les  premiers  mois  de  1429,  envoyé  en  France  une  ambassade  pour 
demander  la  main  d'une  fille  d'Yolande.  A  la  tète  se  trouvait  un  des 
conseillers  du  duc,  le  sire  de  Rosethlaer.  Or  voici  ce  qu'écrivait  ce  sei- 
gneur, à  la  date  du  22  avril  1429,  et  ce  que  le  chroniqueur  transcrit  sous 
ce  titre  :  Sequitur  incidens  de  Puella.  On  trouvera  le  texte  latin  aux 
Pièces  justificatives  \ 

«  Le  sire  de  Rosethlaer,  que  nous  venons  de  nommer,  étant  à  Lyon  sur 
le  Rhône,  écrivit  à  quelques  seigneurs  du  conseil  du  duc  de  Brabant  des 
nouvelles  qu'il  tenait  d'un  chevalier,  conseiller  de  Charles  de  Bourbon, 
et  maître  de  son  hôtel.  Il  disait  que  le  roi  de  France,  secondé  par  ledit 
seigneur  Charles  de  Bourbon,  d'autres  princes,  et  par  ses  partisans,  avait 
fait  une  grande  convocation  d'hommes  d'armes  qui  devaient  se  trouver  à 

i.  Pièces  justl/icatives  M. 


540  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARG  :  LA  LIBÉRATRICE. 

Blois  le  dernier  jour  d'avril  de  la  présente  année  1429,  dans  le  but  de 
partir  pour  Orléans,  et  de  forcer  les  Anglais  à  en  lever  lésine. 

«  Postérieurement  il  écrit,  sur  la  relation. du  môme  chevalier  qu'une 
jeune  fille,  originaire  de  Lorraine,  du  nom  de  Jeanne,  âgée  de  dix-huit 
ans  ou  à  peu  près,  se  trouve  auprès  dudit  roi,  et  qu'elle  lui  a  dit  qu  elle 
délivrerait  Orléans,  et  mettra  en  fuite  les  Anglais  qui  l'assiègent  ;  qu'elle- 
même  sera  blessée  d'un  trait  devant  Orléans,  et  qu'elle  n'en  mourra  pas; 
que  cet  été  prochain  le  roi  sera  couronné  à  Reims  ;  elle  lui  a  dit  plusieurs 
autres  choses  dont  le  roi  garde  le  secret. 

«  Cette  Pucelle  chevauche  chaque  jour  en  armes,  la  lance  au  poing, 
comme  les  autres  hommes  d'armes  qui  sont  autour  du  roi.  Le  roi  et  ses 
partisans  ont  grande  confiance  dans  cette  Pucelle,  ainsi  que  cela  est  plus 
longuement  exposé  dans  la  lettre  du  sire  de  Rosethlaer,  qui  fut  écrite  de 
Lyon-sur-Rhône  le  22  du  même  mois  d'avril. 

«  Tout  ce  qui  est  dit  de  cette  Pucelle,  ce  qu'elle  a  prédit,  s'est  réalisé. 
Le  siège  d'Orléans  fut  levé,  et  les  Anglais  qui  s'y  trouvaient  furent  ou 
pris,  ou  tués,  ou  mis  en  fuite;  dans  l'été  indiqué,  le  roi  fut  couronné  à 
Reims,  et  presque  toutes  les  cités,  châteaux,  villes  et  forteresses  de  cette 
contrée  furent  par  elle  ramenés  à  son  obéissance,  les  Anglais  en  ayant 
été  chassés.  C'est  ce  qui  a  donné  lieu  aux  vers  suivants  : 

Virgo  puellares  artus  indula  viriles,  etc,  *.  » 

Après  avoir  sincèrement  rapporté  un  fait  indéniable,  le  chroniqueur 
bourguignon  est  évidemment  partagé  entre  la  crainte  de  déplaire  et  le 
cri  de  sa  conscience  ;  il  s'en  tire  en  insérant  au  milieu  de  son  texte  latin 
une  note  française  qui  lui  a  été  remise.  Voici  le  passage  : 

«  Quelle  a  été  la  fin  de  cette  Pucelle,  le  lecteur  pourra  le  savoir  par  la 
note  suivante,  dont  voici  la  teneur  : 

«  Il  est  vrai  qu'une  nommée  Jeanne,  soi-disant  Pucelle,  depuis  deux  ans 
passés,  était  venue  en  la  compagnie  des  Armagnacs  et  de  ceux  qui  tenaient 
le  parti  du  Dauphin  ;  en  laquelle  ledit  Dauphin  et  ceux  de  son  parti  ajou- 
taient grande  foi,  et  faisaient  entendre  au  peuple  que  Dieu  l'avait  envoyée 
par  devers  eux  pour  la  rccouvrance  du  royaume  de  France  ;  et  combien 
que  ladite  Jeanne  Pucelle  portât  les  armes  et  tous  les  harnais  de  guerre 
tout  comme  les  plus  hardis  et  meilleurs  chevaliers  de  la  compagnie,  et 
qu'elle  tirât  et  frappât  de  l'épée  les  gens  d'armes  et  autres  ;  ce  nonobstant, 
la  meilleure  partie  du  peuple  de  France  et  autres  gens  d'état  croyaient 
et  ajoutaient  pleine  foi  et  créance  en  icellc  Pucelle,  estimant  et  mainte- 
nant fermement  que  ce  fût  une  chose  de  par  Dieu  ;  et  tellement  qu'elle 

1.  Le  texte  a  été  traduit  dans  la  Chronique  de  Thomassin.  Voy.  p.  258. 


542  LX  vraie  JEAXNE  D'ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

Il  n'est  autre  que  le  titre  du  premier  chapitre  de  la  Chronique  jusque-là 
inédite.  Elle  commence  au  mariage  de  Louis  d'Orléans  avec  une  fille 
des  ducs  de  Milan,  fauteurs,  d'après  la  Chronique^  de  la  faction  des 
Armagnacs  ;  elle  se  termine  à  la  ruine  de  Dinant  en  Belgique  par  le  duc 
Philippe,  en  1466.  On  en  connaît  deux  manuscrits,  Tunà  la  Bibliothèque 
laurentienne  à  Florence,  l'autre  à  la  Bibliothèque  royale  de  La  Haye, 
tous  deux  du  xv'  siècle.  Le  noble  éditeur,  auquel  ces  notes  sont  emprun- 
tées, prétend  que  Tœuvre  est  d'une  incontestable  valeur,  malgré  les  exa- 
gérations que  la  haine  et  la  partialité  y  ont  multipliées. 

Dans  ce  que  Ton  y  lit  sur  la  Pucelle,  ce  ne  sont  pas  seulement  des 
exagérations,  ce  sont  de  palpables  faussetés  sur  sa  famille,  son  premier 
genre  de  vie,  sur  le  rôle  du  Frère  Richard,  que  l'auteur  appelle  Rigaud, 
et  dont  il  fait  un  Carme.  11  y  a  cependant  quelques  particularités  que 
Ton  ne  trouve  que  chez  ce  fanatique  bourguignon,  et  la  prise  de  la  Pucelle 
lui  arrache  un  aveu  qu'il  faut  retenir. 

Le  style  de  Fauteur  est  rude  et  grossier,  mais  énergique.  Il  semble 
qu'il  a  écrit  d'après  les  rumeurs  populaires  recueillies  dans  son  parti, 
sans  se  soucier  de  contrôler  ce  qu'il  y  avait  de  vrai  dans  ce  qui  venait  à 
son  oreille. 

Il  parle  de  l'héroïne  au  chapitre  cxliv  [p,  197)^  à  propos  du  siège  d'Or- 
léans. Voici  ce  qu'il  en  dit.  Force  est  de  rajeunir  un  style  fort 
archaïque. 

«  L'an  ti28,  la  ville  d'Orléans  fut  assiégée  environ  la  Saint-Jean  d'été 
par  le  comte  de  Salisbury  ;  et  le  siège  y  fut  jusques  vers  la  Toussaint. 
En  ce  siège  le  comte  fut  occis  par  un  canon  qui  le  frappa  à  la  tète,  alors 
qu'il  était  en  son  hôtel  aux  faubourgs.  Depuis,  les  Anglais  n'eurent  pas 
de  succès  en  France.  Le  Dauphin  vint  à  Orléans  à  si  grande  puissance 
qu'il  fit  lever  le  siège  au  milieu  d'un  grand  désarroi. 

«  Les  gens  du  Dauphin  avaient  alors  avec  eux  une  femme  qui  était 
fille  d'un  homme  de  Vaucouleurs  en  Lorraine,  tenant  hôtel.  C'était 
une  fille  jeune  et  hardie,  qui  en  l'hôtel  de  son  père  avait  coutume  de 
chevaucher  et  de  mener  les  chevaux  au  gué.  Ce  en  quoi  faisant,  comme 
les  femmes  sont  de  léger  esprit,  elle  s'était  souvent  éprouvée  à  manier  le 
bois  {les  aunes)  comme  de  courir  et  de  virer  [tourner)  la  lance;  tellement, 
que,  comme  il  est  dit,  elle  se  mit  avec  les  gens  dudit  Dauphin,  et  plu- 
sieurs fois  il  fut  su  qu'elle  s'avançait  aux  assauts  et  aux  escarmouches. 

«  Un  jour  le  Dauphin  la  voulut  voir  et  lui  fit  délivrer  un  bon  coursier 
et  un  fin  harnais  [armure  complète).  Cela  fait,  il  fit  prononcer  par  un 
Carme  nommé  Frère  Rigaud,  en  toutes  les  places  où  il  était  obéi,  que 
cette  femme  était  une  Pucelle  que  Dieu  avait  envoyée  et  transmise  du 
Ciel  pour  le  remettre  en  son  royaume,  et  qu'il  aurait  toujours  la  victoire, 


544  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  !  LA  LIBÉRATRICE. 

du  bâtard  de  Vcndônno,  qui  la  bailla  et  la  vendit  à  Messire  Jeao  de 
Luxembourg  son  capitaine,  lequel  en  fit  présent  aux  Anglais,  qui  en  firent 
aussi  grande  fête  que  s'ils  eussent  gagné  tout  l'or  du  monde,  et  tantôt  la 
menèrent  &  Rouen,  où  elle  fut,  comme  il  a  été  dit  ci-dessus,  brûlée  sur  le 
marché  devant  tout  le  monde.  » 

Un  seul  mot  caractérise  l'auteur  des  passages  que  Ton  vient  de  lire, 
qu'il  soit  permis  de  remployer  :  c'est  un  gouailleur. 

Tous  les  documents  proclament  à  l'envi  que  la  Libératrice  était  appe- 
lée :  LA  PucELLE.  C'est  donner  le  démenti  à  toutes  les  pièces  que  d'affir- 
mer qu'elle  était  connue  sous  le  nom  de  Tângélique  ;  ce  n*est  que  comme 
développement  du  premier  nom  que  parfois  Ton  ajoutait  peut-être  le  mot 
de  V Angélique.  Le  chroniqueur  bourguignon  est  le  seul  à  nous  parler  de 
l'étendard  opposé  par  les  Anglais  à  l'étendard  de  la  Pucelle,  et  de  l'ins- 
cription qu'ils  y  auraient  gravée.  Le  fait  n'est  pas  invraisemblable,  quoi- 
qu'il ne  suffise  pas  de  l'assertion  de  ce  méprisable  témoin  pour  le  faire 
donner  comme  certain.  Ce  qu'il  y  a  à  retenir,  c'est  Taveu  contraire  à 
l'exposé  qui  précède,  que  les  Anglais  estimaient  leur  captive  autant  que 
tout  For  du  monde.  Les  Anglais  ne  furent  jamais  les  ennemis  de  l'or, 
et  ils  ont  toujours  passé  pour  connaître  le  prix  de  ce  qui  peut  servir 
ou  nuire  à  leurs  intérêts. 


CHAPITRE    VIII 

DOCUMENTS  ANGLAIS  PROPRES  A  ÉCLAIRER  L'HISTOIRE  DE  LA  LIBÉRATRICE. 

Sommaire:  1.  —  Pénurie  de  documents  anglais  sur  la  Pucelle.  —  Documents  propres  à 
éclairer  son  histoire.  —  Dès  le  15  avril  1429,  Bedford  demande  que  Henri  VI  vienne  se 
faire  sacrer  en  France,  et  sollicite  des  secours.  —  Quelques  jours  après  la  délivrance 
d'Orléans,  Bedford  envoie  dans  tous  les  ports  de  Normandie  des  ordres  pour  qu'on 
arrête  les  soldats  anglais  qui  fuient  la  France.  —  Le  17  juin,  le  conseil  royal  autorise 
le  cardinal  de  Winchester  à  être  le  capitaine  de  Farmée  levée  contre  les  hussites.  — 
Le  1«' juillet  il  ordonne  que  cette  armée  soit  tournée  contre  la  France.  —  Vives 
plaintes  de  Martin  V.  —  Excuse  du  Cardinal,  qui  prétend  n'avoir  pas  été  consulté.  — 
Le  Pape  voulant  mander  le  cardinal  à  Rome,  Henri  VI  défend  à  chacun  de  ses  sujets 
de  l'y  accompagner.  —  Le  cardinal  consigné  dès  le  15  décembre  auprès  du  duc  de 
Bourgogne  pour  quatre  mois.  —  L'archevêché  de  Rouen  sollicité  pour  Cauchon. 

II.  —  Instructions  envoyées  par  Bedford  dès  le  17  juillet  au  conseil  d'Angleterre. 
—  Remerciements  pour  l'envoi  des  croisés.  —  11  presse  l'embarquement  et  veut 
être  prévenu.  —  Les  conquêtes  du  Dauphin  et  son  sacre.  —  Son  intention  de  venir 
sur  Paris,  et  son  espoir  d'y  trouver  entrée.  —  Bedford  s'est  entendu  avec  le  duc  de 
Bourgogne  sur  les  moyens  de  l'arrêter.  —  Bedford  va  se  rendre  en  Normandie 
pour  en  faire  sortir  les  garnisons  et  les  conduire  contre  Charles.  —  Services  du 
duc  de  Bourgogne.  —  Sans  lui  tout  était  perdu.  —  Observations. 

m.  —  Le  roi  sur  le  continent  dès  le  23  avril  1430.  —  Les  hommes  d'armes  engagés 


546  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARG  :  LA  LIBÉRATRICE. 

vrancc  d'Orléans,  Bedford  signiQait  aux  capitaines  des  ports  de  merde 
la  Normandie  d'exercer  une  vigilance  particulière  pour  arrêter  les  soldais 
anglais  qui  fuyaient  la  terre  de  France\  Le  chevaucbeur  chargé  de  porter 
le  message  étant  de  retour  à  Rouen  le  25  mai,  le  régent  doit  Tavoir  lancé 
du  12  au  15  mai.  Voici  la  constatation  du  reçu  l^èrement  rajeunie: 

*  '  -  «  L'an  1429,  le  vingt-cinquième  jour  de  mai,  par-devant  nous,  Michel 
Durand,  vicomte  de  Rouen,  fut  présent  en  sa  personne  Guillaume  Polain, 
messager  à  cheval,  demeurant  à  Rouen,  lequel  connut  et  confessa  avoir 
eu  et  reçu  de  Pierre  Sureau,  receveur  général  de  Normandie,  la  somme 
de  soixante-dix  sols  tournois,  qui  lui  était  due  pour  ses  peines,  salaire  et 
dépens  d'avoir  hâtivement  été  à  cheval,  en  ce  présent  mois  de  mai,  de 
Rouen  es  lieux  de  Dieppe,  Eu,  Fécamp  et  Harfleur  porter  lettres  closes  de 
par  Mgr  le  régent  du  royaume  de  France,  duc  de  Bedford,  adressées  aux 
'  capitaines  d'iceux  lieux  ou  à  leurs  lieutenants,  contenant,  entre  autres 
choses,  qu'ils  ne  laissassent  passer  pour  aller  en  Angleterre  aucunes 
gens  de  guerre  anglais  étant  par  deçà  la  mer;  ce  dont  il  devait  avoir 
pour  marché  à  lui  fait  ladite  somme  de  lxx  sols  tournois,  de  laquelle  il 
est  tenu  et  se  tient  pour  content  et  bien  payé  et  en  a  quitté  le  roi  notre 
sire,  ledit  receveur  général,  et  tous  autres.  Donné  l'an  et  le  jour  des- 
susdits. —  Signé  :  Petit.  » 

(  L  ^  Le  Pape  avait  institué  le  cardinal  d'Angleterre  son  légat  dans  la  croi- 
sade contre  les  hussites.  Le  conseil  d'Angleterre  l'avait  autorisé  à  lever 
deux  mille  cinq  cents  archers,  deux  cent  cinquante  chevaliers,  et  par 
délibération  du  17  juin  il  l'instituait  capitaine  de  tous  les  Anglais  qui 
marcheraient  contre  ces  hérétiques. 

C'était  un  acheminement  à  Tacte  profondément  malhonnête  qui  se 
consommait  le  1"  juillet.  Par  cet  acte,  le  conseil  royal,  considérant  que, 
après  les  revers  survenus  récemment  en  France,  les  croisés  étaient  néces- 
saires au  service  du  roi  exposé  à  perdre  son  royaume  de  France,  du 
consentement  du  Cardinal,  arrêtait  que  ce  même  Cardinal  mettait  pour 
six  mois  les  troupes  levées  contre  les  hérétiques  au  service  de  Bedford 
contre  la  France,  que  ce  môme  Cardinal  pourrait  nommer  maréchal  de 
ses  troupes  quiconque  lui  agréerait.  Des  lettres  expédiées  à  Bedford  lui 
donnaient  le  pouvoir  de  défendre  aux  croisés  de  quitter  la  France  avant 
le  21  décembre,  de  faire  emprisonner  et  punir  ceux  qui  le  tenteraient. 
On  s'engageait  à  rembourser  au  Saint-Père  les  sommes  versées  par  lui, 
en  deux  payements,  l'un  de  la  fin  de  février,  l'autre  du  1"  mai  1430*. 

Le  Pape  Martin  V  fut  souverainement  mécontent  de  voir  tourner 
(Contre  la  fille  aînée  de  l'Kglise  des  armées  qu'il  avait  soudoyées  contre  les 

Jk  Germain  Leflyre-Pomalis,  la  Panique  anglaise  en  mai  H29,  p.  20, 
2.  Rymer,  l.  IV,  pars  IV,  p.  146-147. 


548  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

pas  Dieu;  le  combattre,  c'est  se  combattre  soi-même.  Henri  VI,  dépouillé 
de  la  couronne  de  France  et  d'Angleterre,  est  mort  dans  un  cachot,  pro- 
bablement de  mort  violente. 

11 

L'instruction  suivante,  que  Bedford  donnait  au  roi  d'armes  Jarretière, 
en  l'envoyant  au  grand  conseil  d'Angleterre,  à  la  date  du  16  juillet  1429, 
est  éminemment  propre  à  nous  faire  pénétrer  les  évéments  qui  se  sont 
passés  après  le  sacre  de  Reims.  A  quelques  rajeunissements  près  dans 
l'expression,  la  voici  telle  qu'on  peut  la  lire  dans  Rymer  *  : 

Instruction  baillée  à  Jarretière^  roi  d'armes  de  par  Mgr  le  régent  et  le 
conseil  du  roi  notre  seigneur  étant  à  Paris^  pour  aller  devers  le  conseil 
dudit  seigneur  en  Angleterre^  14^9-16  juillet. 

Premièrement  il  remerciera  les  seigneurs  dudit  conseil  de  l'armée 
disposée  et  concluse  [rassemblée)  pour  venir  par  deçà,  oultre  et  par-dessus 
l'armée  de  Monsieur  le  Cardinal  et  de  Messire  Radcliflfe. 

Il  les  priera  affectueusement  et  si  instamment  qu'il  le  pourra  de  vouloir 
avancer  ladite  armée  en  toute  célérité,  en  bonne  et  grande  puissance, 
afin  qu'à  l'aide  de  Dien  on  puisse  rebouter  [repousser)  les  ennemis,  qui 
déjà  se  sont  bondés  [lancés)  si  avant.  Qu'ils  veuillent  aussi  signifier  par 
deçà,  en  toute  promptitude  et  sans  délai,  par  ledit  Jarretière  ou  par  tout 
autre,  par  leurs  lettres,  le  temps  au  vrai  que  ladite  armée  sera  sur  le 
port,  afin  que  l'on  puisse  par  deçà  régler  et  disposer  les  affaires.  11  est 
bien  besoin  d'adresse  et  de  brief  secours. 

Item.  — ^11  dira  comment  le  Dauphin  s'est  mis  déjà  piéçà  [il  y  a  quelque 
temps)  sur  les  champs  en  personne  avec  très  grosse  puissance.  Pour  la 
crainte  de  cette  puissance,  plusieurs  bonnes  villes,  cités  et  châteaux  se 
sont  déjà  mis  en  son  obéissance,  sans  opposition  ni  attendre  le  siège. 
Telles  les  cités  de  Troyes  et  de  Chàlons,  et  aujourd'hui,  16  de  ce  mois,  il 
doit  arriver  à  Reims,  où  semblablement  on  lui  fera  ouverture  pour 
demain,  et  où  lundi  il  se  fera  sacrer. 

Item.  — Incontinent  après  son  sacre ^  il  a  intention  de  venir  devant  Paris, 
et  il  a  espérance  d'y  avoir  entrée  ;  mais  à  la  grâce  de  Notre-Seigneur,  il 
aura  résistance  par  le  moyen  de  nos  seigneurs  le  régent  et  de  Bour* 

de  pareils  ordres.  On  peut  voir  dajis  le  môme  Rymer  (p.  137),  le  décret  royal  par 
lequel  le  monarque,  qui  n'a  pas  huit  ans,  ordonne  à  son  gouverneur  Warwick  de  le 
châtier  quand  il  sera  infidèle  à  ses  leçons» 
\.  Rymer,  t.  IV,  pars  IV,  p.  150. 


U  LIBÉRATRICE  ET  LES  DOCUMENTS  ANGLAIS.  549 

gogne,  qui  toute  cette  semaine  ont  été  ensemble,  et  vaqué  continuel- 
lement aux  affaires  du  roi.  On  a  trouvé  manière  d'obvier  aux  entreprises 
des  ennemis  par  bataille  ou  autrement;  et  Ton  met  toute  la  diligence  que 
Ton  peut  à  garnir  et  à  défendre  les  cités,  villes  et  passages  de  la  France, 
et  par  spécial  la  ville  de  Paris,  dont  dépend  cette  seigneurie. 

Item.  —  Il  dira  comment  mondit  seigneur  de  Bourgogne  a  fait  dans  le 
passé,  et  comment  il  fait  encore  très  grandement  et  honorablement  son 
devoir  d'aider  et  servir  le  roi,  et  comment  en  ce  besoin  il  s'est  montré 
en  plusieurs  manières  vrai  parent,  ami  et  loyal  vassal  du  roi,  auquel  il 
doit  être  moult  honorablement  recommandé  ;  car  x'eust  été  sa  faveur, 
Paris  et  tout  le  rémanent  s'en  alloit  a  ce  coup  *. 

Item.  — 11  dira  comment  mondit  seigneur  le  régent  se  partira  dans  dix 
jours,  pour  tirer  {se  placer)  entre  Normandie  et  Picardie,  tant  pour  faire 
avancer  les  Anglais  étant  en  Normandie  hors  les  garnisons,  comme  pour 
aller  au-devant  de  mondit  seigneur  le  Cardinal. 

Item.  —  Il  dira  comment  les  seigneurs  du  conseil  du  roi,  qui  sont  par 
deçà,  s'appliquent  continuellement  auxdites  affaires  ;  comment  pour 
aider  à  les  conduire  selon  leur  possibilité,  ils  s'emploieront  loyalement 
jusqu'à  la  mort. 

Ils  supplient  très  humblement  le  roi  qu'il  lui  plaise  avancer  sa  venue 
par  deçà  en  toute  célérité  possible;  car  s'il  eût  plu  à  Dieu  qu'il  y  fût  venu 
plutôt,  ainsi  que  déjà  par  deux  fois  je  l'en  avais  supplié  par  des  ambas- 
sadeurs et  des  messagers,  les  inconvénients  ne  seraient  pas  tels  qu'ils 
sont. 

Donné  à  Paris  lexvi*  jour  de  juillet,  l'an  MCCCCXXIX. 

Ces  aveux  de  Bedford  doivent  être  pris  en  grande  considération  dans 
Tappréciation  des  événements.  Le  dessein  de  Charles  VII  est  de  se  porter 
sur  Paris  aussitôt  après  le  sacre,  et  il  a  espérance  de  réussir.  Le  duc  de 
Bourgogne  est  le  seul  qui  soit  un  obstacle  sérieux  à  son  plein  triomphe. 
Sans  lui  c'en  était  fait  de  Paris  et  de  tout  le  rémanent. 

Le  jour  où  le  héraut  porteur  de  ces  nouvelles  prenait  le  chemin  de 
Londres,  le  duc  de  Bourgogne  arrivait  à  Laon,  et  envoyait  ses  ambassa- 
deurs à  Reims.  Un  effet  de  son  double  jeu  était  la  conclusion  d'une  trêve 
de  quinze  jours,  sur  laquelle  la  Pucelle,  dans  sa  lettre  du  5  août  aux 
habitants  de  Reims,  s'exprimait  en  ces  termes  qu'il  faut  recommander 
à  ceux  qui  s'obstineraient  encore  à  faire  finir  la  mission  au  sacre  :  «  Des 
trêves  qui  sont  ainsi  faites  je  ne  suis  pas  conteiite^  et  je  ne  sais  si  je  les 
tiendrai^  et  si  je  les  tiens  ce  sera  uniquernenl  pour  garder  r honneur  du 

I.  Car  96  ne  feust  sa  faveur,  Paris  et  tout  le  rémanent  s'en  alloit  àcop. 


550  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

roi.  »  Ainsi  qu'elle  le  disait  à  Châlons,  elle  avait  à  combattre  un  ennemi 
plus  dangereux  que  les  armées  anglo-bourguignonnes  :  la  trahison,  fille 
de  l'ambition  et  plus  encore  de  Tenvie. 


III 

Sacré  à  Londres  le  6  novembre  1429,  le  roi  de  huit  ans  fut  amené  en 
France  et  aborda  à  Calais  le  23  avril  1430.  Il  ne  devait  pas  venir  seul; 
une  armée  devait  le  joindre  h  Calais  le   1''  mai.  Capitaines  et  soldats 
avaient  pris  leurs  endentures,  c'est-à-dire  leurs  engagements.  Mais,  le 
moment  venu,  ils  vinrent  en  petit  nombre  et  beaucoup  d'entre  eux 
firent  défaut  ;  ils  se  cachaient.  Rymer,  dans  le  titre  mis  en  tète  de  la 
pièce  qui  va  être  traduite,  nous  dit  que  la  cause  de  leurs  tergiversations, 
c'était  la  terreur  inspirée  par  les  incantations  de  la  Pucelle.  De  procla- 
mationibus  contra  capitaneos  et  soldarios  tergiversantes  incantationibm 
Puellœ  terrificatos.  Le  nom  de  la  Pucelle  ne  se  trouve  pas  dans  l'édit.  Un 
des  plus  récents  et  des  bons  historiens  de  Jeanne  d'Arc,  M.  l'abbé  Debout, 
ne  croit   pas  au  bien  fondé  de  ce  titre  donné  par  le  grand  annaliste 
anglais.  A  son  avis,  Tarmée  anglaise  ne  regardait  pas  la  Pucelle  comme 
une  incantatrice,  mais  plutôt  comme  une  envoyée  du  Ciel.  Ce  qui  est 
indubitable,  c'est  la  terreur   inspirée   par    la   Libératrice  aux   soldats 
anglais.  Une  foule  de  documents  de  provenance   bien  différente  sont 
unanimes  pour  attester  le  fait.  Bedford  dans  la  lettre  à  Charles  YII  pré- 
sente Jeanne  comme  adonnée  à  la  superstition,  c'est-à-dire  à  la  magie.  Il 
était  trop  religieux  pour  la  combattre,  si  à  ses  yeux  elle  avait  été  évidem- 
ment suscitée  par  le  Ciel. 

Le  lecteur  vient  de  voir  comment,  à  la  suite  de  la  délivrance 
d'Orléans,  Bedford  s'était  hâté  d'envoyer  des  ordres  pour  arrêter  les 
déserteurs  dans  les  ports  de  la  Normandie.  A  la  date  du  3  mai  1430, 
c'est  un  édit  royal  rendu  contre  les  officiers  et  les  soldats  infidèles  à 
leur  engagement,  qui  refusaient  de  passer  en  France  où  le  roi  se  trouvait 
depuis  le  23  avril.  Voici  la  traduction  du  texte  donné  par  Rymer. 

«  Le  roi  aux  vicomtes  de  Londres,  salut.  Plusieurs  capitaines  et 
soldats  devaient  passer  la  mer  avec  nous,  et  nous  escorter  dans  noire 
présent  voyage.  Au  terme  des  endentures  signées  entre  nous  et  nos  capi- 
taines, ils  devaient  le  1"  mai  dernier  faire  leurs  montres,  et  à  la  suite 
être  à  notre  service  pour  le  temps  de  leur  engagement.  Or,  l'on  nous 
apprend  qu'ils  se  retardent  et  tergiversent  dans  la  cité  de  Londres,  à 
notre  grave  préjudice  et  mépris,  contre  les  clauses  de  leurs  retenues, 
exposant  à  un  manifeste  péril,  autant  qu'il  est  en  eux,  notre  personne  en 


U  LIBÉRATRICE  ET  LES  DOCUMENTS  ANGLAIS.  551 

ce  moment  sur  le  continent,  le  pays  et  nos  sujets  de  par  ici.  Voulant 
mettre  un  terme  à  ce  pervers  désordre,  qui  est  un  mépris  de  notre  auto- 
rité, un  préjudice  pour  notre  cause,  nous  vous  enjoignons  le  plus  étroi- 
tement qu'il  est  en  nous,  nous  vous  commandons  qu'aussitôt  après  la 
lecture  des  présentes,  vous  fassiez  proclamer  en  notre  nom  dans  la  ville 
susdite,  dans  ses  faubourgs,  sur  toutes  les  places  où  vous  le  jugerez  plus 
expédient,  que  tous  et  chacun  de  ces  capitaines  et  soldats,  présents  dans  la 
ville,  ou  en  voie  de  s'y  rendre,  de  quelque  état,  grade  et  condition  qu'ils 
soient,  qui  sont  retenus  pour  faire  avec  nous  le  voyage  sur  le  continent, 
aient  à  se  rendre  aux  côtes  de  la  mer,  à  Sandwich  ou  à  Douvres,  et 
cela  sans  délai,  sans  retard  pour  leur  équipement,  Téquipement  de  leurs 
chevaux,  et  leurs  harnais  ;  qu'avec  toute  la  célérité  possible,  ils  se  ren- 
dent, se  hâtent  et  s'empressent  autour  de  notre  personne,  sous  peine 
d'être  punis  de  la  confiscation  de  leurs  chevaux  et  harnais,  et  d*ôtre 
emprisonnés  selon  notre  volonté;  que  tous  ceux  qui,  au  lendemain  du 
jour  où  vous  aurez  fait  cette  proclamation,  sans  notre  licence,  ou  sans  la 
licence  de  notre  cher  oncle  Humfrey,  duc  de  Glocester,  gardien  d'Angle- 
terre, licence  donnée  par  écrit,  renfermant  les  raisons  de  leur  retard, 
munie  de  notre  sceau  ou  du  sceau  du  prince  gardien,  que  tous  ceux  que 
vous  trouverez  ainsi  en  retard  à  Londres,  soient  immédiatement  saisis 
et  arrôtés  avec  leurs  chevaux  et  harnais,  qu'ils  soient  emprisonnés,  que 
les  chevaux  et  harnais  soient  mis  sous  sûre  garde,  jusqu'à  ce  que  nous 
croyions  devoir  ordonner  différemment  de  leur  libération. 

a  Exécutez  ponctuellement  ces  ordres  conformément  à  l'amour  que 
vous  avez  de  notre  honneur,  et  au  soin  que  vous  avez  d'éviter  notre 
puissante  indignation. 

«  Témoin,  Ilumfroy,  duc  de  Glocester,  gardien  d'Angleterre,  à  la  cité 
royale  de  Cantorbéry,  3  mai*  .» 

Si  semblable  édit  força  les  récalcitrants  à  s'exécuter,  il  n'eut  pas  la 
puissance  de  leur  faire  attendre  la  fin  de  leurs  engagements.  L'édit  sui- 
vant semble  prouver  qu'ils  désertaient  en  masse,  puisque  c'est  sur  cinq 
des  ports  d'Angleterre  qu'ordre  est  donné  de  les  arrêter.  Jeanne  était 
cependant  dans  les  fers  depuis  six  mois  et  plus,  et  probablement  à 
Rouen  ou  tout  au  moins  en  voie  de  s'y  rendre.  Mais  la  terreur  qu'elle 
inspirait  n'avait  pas  disparu;  aussi  l'annaliste  anglais  donne-t-il  pour 
titre  à  l'édit  qui  va  être  traduit  :  Ordre  d'atrestation  des  déserteurs  abal- 
lus  par  les  vaines  frayeurs  de  la  Pucelle  [De  fugitivis  ab  exercitu,  quos 
ierriculamenta  Puellœ  exaniinaverant^  arrestaiidis). 

«  Henri,  par  la  grâce  de  Dieu,  roi  d'Angleterre  et  de  France,  seigneur 

1.  Rtmer,  t.  IV,  part.  IV,  p.  160. 


552  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

d'Irlande,  au  vicomte  de  Kent,  salut.  Beaucoup  (quàmplures)  denos  hom- 
mes liges  et  de  nos  sujets,  venus  à  notre  suite  dans  notre  royaume  de 
France,  à  notre  service,  tant  pour  la  garde  de  notre  personne  que  jpour 
celle  de  cette  contrée,  se  retirent,  bien  plus,  ont  passé  de  France  dans 
notre  royaume  d'Angleterre,  avant  le  temps  convenu,  sans  licence  de 
notre  part,  par  fraude,  subrepticement  et  iniquement.  Les  désertions 
continueuty   au  péril,    autant  qu'il  est   en  eux,  de  laisser  sans  aucune 
défense  notre  personne,  et  notre  royaume  de  France.  Voulant  obviera 
ces  coupables  infidélités  de  nos  hommes  liges  et  de  nos  sujets,  pourvoir 
sur  ce  point  à  notre  sécurité  et  à  la  sécurité  de  notre  royaume  de  France, 
nous  vous  enjoignons  le  plus  étroitement  possible,  nous  vous  comman- 
dons fortement  d'arrêter  et  d'enchaîner  tous  ceux  de  nos  hommes  liges 
et  de  nos  sujets,  qui  sont  venus  de  France  en  Angleterre  sans  notre  spé- 
ciale licence,  ainsi  que  nous  l'avons  déjà  indiqué;  arrètez-les  partout  où 
vous  pourrez  les  trouver  dans  votre  bailliage,  dans  des  lieux  de  franchise 
ou  hors  franchise,  et  une  fois  arrêtés,  menez-les,  ou  faites-les  conduire 
sans  délai  à  notre  conseil  d'Angleterre,  pour  y  répondre  sur  les  points 
spécifiés.  Exécutez  ponctuellement  cet  ordre  en  proportion  de  l'amour 
et  de  l'affection  que  vous  avez  pour  la  sécurité  de  notre  personne  et  de 
la  crainte  d'encourir  notre  puissante  indignation. 

«  Témoin  Humphroy,  duc  de  Glocester,  gardien  d'Angleterre,  à  Wyx, 
le  12  décembre,  de  notre  règne  le  neuvième. 

((  De  semblables  édils  sont  envoyés  à  la  même  date  aux  vicomtes  ci- 
dessous  :  le  vicomte  de  Norfolk  et  Sulfolk;  le  vicomte  de  Londres,  d'Essex 
et  de  Sussex,  le  vicomte  de  Southampton,  au  constable  du  château  royal 
de  Douvres,  gardien  des  cinq  ports  du  roi  et  à  son  lieutenant  \  » 


IV 

UNE  CONJURATION  DANS  PARIS,   d'aPRÈS  UNE  LETTRE    DE  GRACE 

ACCORDÉE  A  l'uN  DES  CONJURÉS. 

ChufTart,  la  Chronique  des  Cordeliers  et  Fauquenbergue  nous  ont 
parlé  d'une  conjuration  ourdie  en  mars  à  Paris  pour  introduire 
Charles  Vil  dans  la  capitale.  Il  est  vraisemblable  que  Jeanne  d'Arc  faisait 
allusion  à  ce  projet  qui  fut  sur  le  point  d'aboutir,  lorsque,  le  16  mars, 
elle  écrivait  aux  habitans  de  Reims  :  «  Je  vous  manderais  encore  quelques 
7iouvelles  dont  vous  seriez  bien  joyeux  ;  mais  je  craindrais  que  les  lettres  ne 
fussent  prises  en  c/iemin^  et  que  fon  ne  vit  lesdites  nouvelles. 

1.  Rymeh,  t.  IV,  part.  IV,  p.  tôO. 


Ko4  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARG  :  LA  LIBÉRATRICE. 

sa  maison,  lui  dit  qu'un  messager  dont  il  lui  avait  parlé  d'autres  fois  était 
revenu  pour  trouver  la  manière  de  faire  ladite  entrée,  et  lui  demanda 
s*il  voulait  se  mettre  de  son  parti,  qui  était  celui  de  plusieurs  autres.  Le 
suppliant  répondit  que  oui,  s'il  y  avail  des  gens  notables  qui  s'en  entre- 
missent. Perdriel  lui  dit  que  plusieurs  personnes  de  pratique  et  d'autres 
états  de  bonne  et  grande  autorité,  parmi  lesquels  il  en  nomma  quelques- 
uns,  s'en  mêleraient,  et  en  outre,  afin  que  ledit  suppliant  fût  plus  sûr  de 
la  besogne,  et  pour  aviser  la  manière  de  faire  cette  entrée,  Perdriel  vou- 
lut que  le  messager  parlât  au  suppliant  ;  sur  quoi  ils  demeuFèrent  d'accord 
qu'il  irait  à  Saint-Merry,  où  Perdriel  ferait  aller  icelui  messager,  et  delà 
ils  iraient  en  la  maison  du  suppliant.  Ce  qui  fut  fait.  Quand  ledit  messa- 
ger, qui  était  très  bien  et  proprement  habillé  en  état  de  laboureur,  fut  en 
l'hôlel  du  suppliant,  il  lui  dit  qu'il  était  religieux  Carme,  et  que  Perdriel 
renvoyait  vers  lui  ;  que  ni  le  Dauphin  qu'il  nommait  roi,  ni  ceux  de  son 
conseil,  ne  le  voulaient  croire  de  la  mission  qu'il  avait  remplie  de  la  jpart 
d'icelui  Perdriel  et  autres  touchant  l'entrée  devant  dite,  s'ils  n'avaient 
lettres  de  chacun  d'eux,  et  il  requit  ledit  suppliant  de  vouloir  faire  une 
lettre  ;  à  quoi  celui-ci  répondit  qu'il  ne  ferait  pas  de  lettre  do  sitôt, 
qu'il  s'en  rapportait  à  Perdriel  de  ce  qu'il  en  ferait,  et  tiendrait  le  même 
chemin  que  lui.  Le  Carme  quitta  le  suppliant  en  disant  qu'il  retournerait 
vers  Perdriel,  et  que  par  lui  il  lui  ferait  savoir  ce  dont  ils  demeureraient 
d'accord,  et  qu'il  enverrait  dire  par  un  laboureur,  à  Perdriel,  le  jour, 
rheureet  la  manière  dont  nosdils  ennemis  voudraient  faire  ladite  entrée. 
<c  Sur  cela,  le  premier  ou  second  dimanche  de  ce  carême,  le  suppliant 
ne  sait  lequel,  Guillaume  de  Loir,  orfèvre,  alla  devers  lui  en  son  hôtel 
disant  que  Perdriel  lui  faisait  dire  que  le  laboureur  dont  il  lui  avait 
parlé  autrefois  était  venu.  Le  suppliant,  qui  n'avait  jamais  parlé  audit 
Guillaume  de  ce  que  dessus,  lui  dit  qu'il  ne  savait  pas  ce  qu'il  voulait 
dire,  et  Guillaume  lui  répondit  qu'il  enverrait  Perdriel  lui  parler.  Et 
comme  le  lendemain,  les  serviteurs  du  suppliant  lui  dirent  que  Perdriel 
Tavait  demandé,  il  alla  à  sa  maison  et  lui  parla  à  son  comptoir,  Guil- 
laume de  Loir  étant  présent.  Perdriel  lui  dit  que  le  Carme  qui  autrefois 
lui  avait  parlé  avait  apporté  une  abolition  du  Dauphin  notre  adversaire 
par  laquelle  tout  était  pardonné,  que  Perdriel  et  plusieurs  autres  étaient 
d'avis  qu'un  jour  de  dimanche  on  la  lut  à  son  de  trompe  à  la  porte  Bau- 
det, en  présence  de  soixante  ou  quatre-vingts  hommes  de  leur  alliance. 
Après  cette  publication,  eux  et  le  peuple  qui  se  joindrait  à  eux  iraient 
gagner  la  porte  Saint-Antoine,  pour  mettre  et  bouter  par  cette  porte 
dans  la  ville  nos  ennemis  et  adversaires  qui  seraient  en  embuscade  près 
de  là.  Quelques-uns  opinaient  que  certain  nombre  de  gens  fussent  en 
embuscade  à  maisons  prochaines  de  la  porte  de  Bordelles  pour  la  gagner 


LA  LIBÉRATRICE  ET  LES  DOCUMENTS  ANGLAIS.  555 

soudainement,  et  par  ce  moyen  faire  ladite  entrée  par  icelle:  il  semblait 
aux  autres  que  le  plus  expédient  serait  que  quatre-vingts  ou  cent  Écossais, 
habillés  comme  les  Anglais,  portant  la  croix  rouge,  vinssent  par  petits 
troupeaux  ou  compagnies  par  le  droit  chemin  de  Saint-Denis  en  cette 
ville,  et  qu'en  amenant  de  la  marée  ou  du  bétail  ils  entrassent  adroite- 
ment en  la  porte,  et  puis  se  rendissent  maîtres  des  portiers;  alors  une 
autre  partie  de  nos  ennemis,  qui  seraient  embusqués  près  de  là,  vien- 
draient avec  puissance  pour  entrer  dans  cette  dite  ville,  et  en  avoir  la 
maîtrise. 

c(  Et  après  cela  Perdriel  demanda  au  suppliant  et  à  Guillaume  de  Loir 
de  quelle  opinion  ils  étaient,  lesquels  dirent  qu^il  leur  semblait  que  ce 
serait  le  mieux  de  faire  ladite  entrée  par  cette  porte  Saint-Denis  en  la 
manière  dessusdite,  encore  que  sur  ce  ils  ne  prirent  pour  lors  aucune 
conclusion.  Mais  Perdriel  et  Guillaume  montrèrent  au  suppliant  deux 
cédules  qu'ils  avaient  faites  pour  envoyer  à  notre  adversaire  et  à  ceux  de 
son  conseil  ;  Tune  était  grande,  écrite  en  parchemin,  l'autre  petite,  en 
papier,  et  pour  ce  qu'elles  ne  plurent  pas  au  suppliant,  il  en  fit  une 
autre  petite  qu'il  bailla  à  Perdriel  et  à  Guillaume,  lesquels  dirent  qu'ils 
montreraient  icelles  cédules  à  leurs  autres  compagnons,  pour  aviser 
laquelle  serait  la  meilleure. 

a  Le  lendemain,  bien  matin,  Guillaume,  le  Carme  dessusdit,  et  deux 
autres  compagnons,  laboureurs  ou  en  habits  de  laboureurs,  que  le  sup- 
pliant ne  connaissait  pas,  allèrent  vers  lui  en  sa  maison,  et  lui  portèrent 
Tune  des  trois  cédules,  il  ne  sait  au  vrai  laquelle,  mais  toutefois  il  la 
signa  le  premier,  puis  la  bailla  à  Guillaume,  qui  promit  de  la  faire  signer 
à  d'autres  de  leur  alliance,  desquels  il  nomma  quelques-uns;  et  cela  fait, 
les  dessusdits  se  départirent  d'avec  lui,  et  au  surplus  il  ne  sait  ce  que  le- 
dit Guillaume  fit  de  ladite  cédule,  car  depuis  il  ne  vit  plus  ledit  Carme. 
Cette  cédule  contenait  en  effet  créance  pour  le  porteur  d'iccUe,  et  était 
ladite  créance  telle,  c'est  à  savoir  que  ledit  Carme  était  chargé  de  dire  à 
notre  adversaire  et  à  ceux  de  son  conseil  que  pour  faire  l'entrée  convenue, 
ils  élussent  des  trois  voies  ci-devant  exposées  celle  qui  leur  semblerait 
plus  convenable,  et  qu'ils  mandassent  la  manière,  l'heure  et  le  jour 
où  ils  voudraient  qu'elle  fût  exécutée. 

«  Avec  cela  Perdriel  et  Guillaume  de  Loir  dirent  au  suppliant  que 
Pierre  Morant,  procureur  en  notre  Châtelet  de  Paris,  et  Jacquet  Guillaume 
demeurant  à  l'Ours,  à  ladite  porte  Baudet,  étaient  consentants  avec  eux 
de  faire  l'entrée  devant  dite,  et  qu'ils  avaient  avec  eux  quantité  de  gens 
d'icelle  porte  Baudet  et  des  environs. 

«  Et  trois  ou  quatre  jours  après,  Morant  rencontra  en  Grève  ledit  sup- 
pliant et  lui  parla  de  la  matière,  disant  qu'il  avait  parlé  à  Perdriel,  vu 


558  LA  VRArlE  JEANNE  D*ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

lement  cher  à  la  Libératrice.  C'est  sans  doute  de  lui  qu'elle  parlait  Tannée 
suivante,  à  la  séance  du  14  mars,  quand  elle  disait  avoir  pensé  à  échanger 
Franquet  d'Arras,  contre  un  homme  de  Paris,  seigneur  de  fOurs;  mais 
qu'ayant  appris  que  ce  dernier  était  mort,  elle  avait  laissé  la  justice 
suivre  son  cours  à  l'égard  du  brigand  Franquet. 

Quoique  la  Pucelle  ne  soit  pas  nommée  dans  les  pièces  précédentes, 
il  est  indispensable  d'en  tenir  compte  pour  débrouiller  bien  des  obscu- 
rités de  l'histoire  de  convention  que  l'on  nous  a  léguée.  Les  documents 
qui  vont  suivre  la  regardent  immédiatement. 


Indemnité  donnée  à  Cauchon  pour  cent  cinquante-trois  jours  (cinq  mois) 
quil  a  passés  en  voijages  et  en  négociations^  spécialement  sur  le  fait  de  la 
Pucelle.  —  Sa  quittance,  —  Quicherat  a  fait  sortir,  en  l'imprimant,  cette 
intéressante  pièce  de  l'obscurité  de  l'inédit  où  elle  a  reposé  quatre  siècles. 
Le  parchemin  original  se  trouve  à  la  Bibliothèque  nationale,  dans  la 
collection  Gagnières  (Titres  scellés  des  évêchés,  t.  IV). 

«  Nous,  Pierre,  évêque  et  comte  de  Beauvais,  pair  de  France,  vidame 
de  Gerberoy,  conseiller  du  roi  notre  sire,  confessons  avoir  eu  et  reçu  de 
Pierre  Sureau,  receveur  général  de  Normandie,  la  somme  de  sept  cent 
soixante-cinq  livres  tournois,  qui  due  nous  était,  pour  sept-vingl-treize 
jours,  que  nous  affirmons  avoir  vaqué  au  service  du  roi  notre  seigneur  et 
pour  ses  affaires,  tant  en  la  ville  de  Calais,  comme  en  plusieurs  voyages, 
en  allant  devers  Mgr  le  duc  de  Bourgogne  et  devers  messire  Jean  de 
Luxembourg,  comte  de  Guise,  en  Flandre,  au  siège  devant  Compiègne, 
à  Beaurevoir,  pour  le  fait  de  Jeanne  que  Ton  dit  la  Pucelle,  comme  pour 
plusieurs  autres  besognes  et  affaires  du  roi  notredit  seigneur,  et  aussi 
en  la  ville  de  Rouen,  par  le  mandement  du  roi  notredit  seigneur  et  de 
son  grand  conseil,  iceux  sept  vingt  treize  jours  commençant  le  premier 
jour  de  mai  [mil]  quatre  cent  trente  et  finissant  le  dernier  jour  de  sep- 
tembre suivant,  dernier  passé  inclus,  au  prix  de  cent  sols  tournois  par 
jour,  à  nous  ordonnés,  pour  être  pris  et  obtenus  sur  ladite  recette  [de 
Normandie]^  pour  la  moitié  de  dix  livres  tournois  par  jour  à  nous 
ordonnés  et  taxés  par  le  roi,  notredit  seigneur,  pour  chacun  des  jours 
que  nous  avons  vaqué  et  vaquerons  pour  ses  affaires  au  voyage  en  quoi 
nous  sommes  présentement,  et  jusqu'à  notre  retour  en  la  ville  de  Paris, 
comme  il  appert  par  les  lettres  de  taxation  du  roi,  notredit  seigneur, 
données  le  xiv*  jour  du  mois  de  mai,  expédiées  par  le  trésorier  et 
général  gouverneur  des  finances  de  Normandie. 


LA  LIBÉRATRICE  ET  LES  DOCUMENTS  ANGLAIS.  559 

«  De  laquelle  somme  de  sept  cent  soixante-cinq  livres  tournois  nous 
nous  tenons  pour  content  et  bien  payé,  et  en  quittons  le  roi  notredit 
seigneur,  ledit  receveur  général  et  tous  autres.  En  témoin  de  ce,  nous 
avons  mis  à  ces  présentes  notre  signet  et  sceing  manuel,  le  dernier  jour 
de  janvier,  Tan  mil  quatre  cent  et  trente  (a.  st.). 

«  f  P.,  Episcopus  Belvacensis.  » 

Il  serait  intéressant  de  connaître  par  le  détail  l'itinéraire  de  cet  agoni 
si  dévoué  à  l'Angleterre.  Nous  savons  qu'en  1428  il  était  chargé  de  pré- 
lever l'impôt  mis  sur  la  Champagne  pour  réduire  Mouzon,  Vaucouleurs 
et  quelques  autres  places  qui,  aux  bords  de  la  Meuse,  tenaient  encore 
pour  Charles  VII.  En  1429,  quinze  jours  environ  après  la  délivrance 
d'Orléans,  l'évêque  de  Beauvais  était  à  Reims,  car  il  est  marqué  comme 
ayant  porté  le  Saint-Sacrement  à  la  Fôle-DieuV  Quatre  jours  après  il  était 
à  Chàlons,  dont  depuis  longtemps  il  était  archidiacre^.  Le  23  juin  il 
rentrait  à  Reims'.  Il  ne  semble  pas  douteux  qu'il  voyageait  ainsi  hors  de 
son  diocèse  pour  conserver  sous  la  domination  anglo-bourguignonne 
les  pays  que  la  Pucelle  devait  traverser  pour  conduire  le  roi  à  Reims. 
Les  chroniqueurs  nous  ont  dit  que  ces  villes  avaient  renouvelé  leur 
serment  de  fidélité  au  traité  de  Troyes.  N'est-ce  pas  à  son  instigation? 

L'arrivée  de  Jeanne  aux  bords  de  la  Marne  et  de  la  Seine  en  avril  1430 
produisit  grand  émoi  à  Paris,  et  sur  les  frontières  des  pays  encore  soumis 
à  la  domination  anglo-bourguignonne.  Cauchon  se  met  en  voyage  dès  le 
1"  mai.  Il  se  rend  à  Calais  d'abord  ;  le  roi  d'Angleterre  y  était  arrivé  dès 
le  23  avril  ;  le  prélat  a  dû  y  aller  faire  sa  cour.  Il  dit  qu'il  a  été  ensuite 
vers  le  duc  de  Bourgogne  et  Jean  de  Luxembourg  ;  mais  l'un  et  l'autre 
étaient  occupés  au  siège  de  Compiègne,  ou  tout  au  moins  à  s'emparer 
des  avant-postes.  Si  Jeanne,  comme  l'affirment  quelques  Chroniques,  a 
été  vendue  par  Flavy,-le  négociateur  serait-il  intervenu  dans  le  marché? 
Les  antécédents  nous  autorisent  à  poser  la  question,  encore  que  nous 
ne  puissions  pas  y  répondre.  Après  un  voyage  en  Flandre,  le  voilà  de 
nouveau  au  siège  devant  Compiègne.  11  y  était  certainement  le  14  juillet  ; 
c'est  là  qu'il  fait  sommation  à  Luxembourg  et  au  duc  Philippe  d'avoir  à 
livrer  la  captive.  La  dame  et  la  tante  de  Luxembourg  s'opposaient  à  l'infa- 
mie du  mari  et  du  neveu.  Serait  ce  pour  triompher  de  leur  résistance 
qu'il  se  serait  renduàBeaurevoir?Il  indique  encore  dans  sa  quittance  qu'il 
a  été  à  Rouen.  Les  Etats  y  étaient  réunis  au  mois  d'août  ;  et  ils  ont  voté 

r 

dix  mille  livres  pour  l'achat  de  la  Pucelle.   Etait-ce  encore  pour    les 

1.  Manuscrits  du  chanoine  Cocquault,  p.  042. 

2.  Registres  du  chapitre. 

3.  Registres  communaux  de  Reims,  p.  1 20. 


560  U  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

affaires  de  la  Pucclle  qu'il  s'est  rendu  dans  cette  ville  ?  L'acompte  d*un 
voyage  qui  ne  semble  pas  encore  à  sa  fin  est  du  dernier  jour  de  septembre. 
Or,  à  cette  date,  d'après  le  livre  des  comptes  de  Toumay,  la  victime  était 
livrée;  elle  avait  quitté  Beaurevoir,  elle  était  à  Arras.  La  quittance  elle- 
même  nous  autorise  à  poser  ces  questions,  puisque  la  seule  affaire  spéci- 
fiée comme  ayant  fait  l'objet  de  cet  itinéraire  de  cinq  mois,  c'est  le  fait  de 
Jeanne  que  l'on  dit  la  Pucelle. 

VI 

Nous  avons  plusieurs  pièces  authentiques  sur  la  manière  dont  s'est 
effectué  le  payement  de  l'achat  de  la  Pucelle.  Quicherat  les  a  reproduites 
dans  toute  leur  étendue  ^  Il  suffira  de  donner  les  passages  dans  lesquels 
intervient  le  nom  de  la  martyre. 

Le  premier,  en  date  du  3  septembre  1430,  est  tiré  d'une  circulaire  du 
trésorier  général  Thomas  Blount,  et  de  Pierre  Sureau,  receveur  général 
des  finances  en  Normandie.  Voici  le  texte  : 

«  Thomas  Blount,  chevalier,  trésorier  et  général  gouverneur  des 
finances  du  roi  notre  sire  en  Normandie,  et  Pierre  Sureau,  receveur 
général  desdites  finances,  commissaire  du  roi  notredit  seigneur  en  cette 
partie,  aux  élus  sur  le  fait  des  aides  à  Argentan  et  Exmes,  et  au  vicomte 
dudit  lieu,  ou  à  leurs  lieutenants,  salut. 

('  Reçues  par  nous  les  lettres  du  roi  notredit  seigneur,  données  à 
Rouen,  le  second  jour  de  ce  présent  mois  de  septembre,  par  lesquelles 
il  nous  est  mandé  et  commis  d'asseoir,  faire  cueillir  et  lever  et  recevoir 
dedans  le  (cTici  ait)  dernier  jour  d'icelui  mois  la  somme  de  quatre-vingt 
mille  livres  pour  le  premier  payement  de  Taide  de  vi"  mil  (120  000) 
livres  tournois  octroyés  au  roi  notredit  seigneur  par  les  gens  des  trois 
Etats  du  duché  de  Normandie,...  en  l'assemblée  faite  à  Rouen  au  mois 
d'août  passé,  pour  tourner  et  convertir,  c'est  à  savoir  dix  mille  livres 
tournois  au  payement  de  l'achat  de  Jeanne  la  Pucelle  que  l'on  dit  être 
sorcière,  personne  de  guerre,  conduisait  les  ostz  (mimées)  du  Dauphin,  etc.  » 

Ainsi  c'est  bien  exprès,  la  prenière  dépense  à  laquelle  doit  pourvoir 
l'aide  extraordinaire  votée  par  les  Etats  normands,  celle  qui  passe  môme 
avant  le  recouvrement  de  Louviers,  c'est  de  payer  Tachât  de  Jeanne  la 
Pucelle.  Elle  a  été  bien  réellement  vendue,  puisqu'elle  a  été  achetée; 
la  renommée  publique  en  fait  une  sorcière  ;  c'est  elle  qui  conduit  les 
armées  du  roi. 

1.  Procès  y  L  V,  p.  178  et  suiv. 


LA  LIBÉRATRICE  ET  LES  DOCUMENTS  ANGLAIS.  561 

La  cassette  royale  s'est  momentanément  dépouillée  de  ses  plus  belles 
espèces  pour  donner  pleine  satisfaction  au  vendeur.  C'est  ce  que  nous 
apprend  le  reçu  suivant  du  gardien  de  cette  cassette. 

«  Sachent  tous  que  je,  Jean  Bruyse,  écuyer,  garde  des  coffres  du  roi 
notre  sire  confesse  avoir  eu  et  reçu  de  Pierre  Sureau,  receveur  général 
de  Normandie,  la  somme  de  cinq  mille  deux  cent  quarante-neuf  livres, 
dix-neuf  sous  dix  deniers  obole  tournois  pour  le  pourpaiage  [reddition) 
et  restitution  de  deux  mille  six  cent  trente-six  nobles  d  or  de  deux  sous 
cinq  deniers  sterling,  monnaie  d'Angleterre,  qui  par  lettres  du  roi  nôtre- 
dit  seigneur,  données  à  Rouen  le  xx"^  jour  d'octobre  dernier  passé,  expé- 
diées par  Monseigneur  le  trésorier  de  Normandie,  m'ont  été  ordonnés 
être  payés  et  {m'ont  été)  restitués,  par  ledit  receveur  ;  pour  ce  que, 
par  l'ordonnance  du  roi  notredit  seigneur,  je  les  avais  baillés  des 
deniers  de  ses  dits  cofifres  et  trésor,  pour  employer  en  certaines  de  ses 
afTaires  touchant  les  dix  mille  livres  tournois  payées  par  ledit  seigneur 
pour  AVOIR  Jeanne  qui  se  dit  la  Pucelle,  prisonnière  de  guerre  :  lesquels 
ont  été  évalués  à  la  somme  de  cinq  mille  deux  cent  quarante-neuf  livres 
dix-neuf  sous,  dix  deniers  obole  tournois,  à  moi  payée  comptant,  c  est  à 
savoir  en  deux  cents  nobles  d'or,  et  le  demeurant  en  monnaie  ;  je  suis 
content  et  bien  payé,  et  en  quitte  par  ces  présentes,  le  roi  notredit  sei- 
gneur, ledit  receveur  et  tous  autres.  Et  en  témoin  de  ce,  j'ai  signé  cette 
présente  quittance  de  mon  seing  manuel  et  scellée  de  mon  signet  le 
VI*  jour  de  décembre,  l'an  mil  CCCC  trente. 

Ainsi  signé  :  «  iwMS  Brutse  »,  avec  paraphe  ^ 

Le  contrat  stipulait-il  que  le  payement  serait  effectué  en  espèces  d'or  ? 

Est-ce  une  gracieuseté  de  l'acheteur?  Aurait-on  voulu  faciliter  le  trans- 
port de  la  somme?  Peu  importe  le  ressort  mis  en  jeu  parla  Providence 
pour  imposer  au  contrat  ce  nouveau  caractère  de  grandeur.  Si  le  Seigneur 
de  Jeanne  a  voulu  que  sa  fiancée  fût  vendue  comme  il  l'a  été  lui-môme, 
il  a  imprimé  au  contrat  un  caractère  de  solennité  qu'il  n'a  pas  voulu 
pour  lui.  Judas  conclut  son  marché  clandestinement,  à  vil  prix,  le  prix 
d'achat  d'un  esclave.  La  vente  de  la  Pucelle  est  l'objet  de  longues  négo- 
ciations ;  le  corps  savant  de  l'époque,  l'Université  de  Paris  intervient 
pour  peser  sur  le  vendeur  ;  le  prix  c'est  le  prix  que  l'on  paye  pour  un  roi 
prisonnier;  une  grande  province  s'impose  afin  de  parfaire  la  somme  ;  et 
le  métal  est  un  métal  deux  fois  royal,  puisque  c'est  de  Tor,  et  un  or  qui 
sort  de  la  cassette  du  roi. 

4.  iVoeês,  t.  y,  p.  191-192. 

m.  3C 


562  L\  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

Il  ne  nous  reste  plus  qu'à  entendre  le  grand  homme  politique  de 
l'Angleterre  à  cette  époque,  confesser  dans  un  document  officiel  que  la 
fille  de  Jacques  d'Arc  a  arraché  la  France  à  l'Angleterre. 


VII 

Les  historiens  citaient  à  l'enyi  quelques  lignes  de  Bedford  disant  que 
les  affaires  d'Angleterre  avaient  prospéré  en  France  jusqu'à  l'arrivée 
d'un  suppôt  d'enfer  nommé  la  Pucelle.  Dans  quelle  circonstance  le 
régent  avait-il  écrit  ces  lignes  ?  on  l'ignorait.  On  renvoyait  à  Rymer  ;  or 
Rymer  assigne  au  passage  cité  une  date  impossible,  Tannée  1428,  alors 
que  la  Pucelle  n'était  connue  qu'à  Domrémy. 

Frappé  de  cette  anomalie,  M.  Tabbé  Debout  passa  en  Angleterre, 
compulsa  les  archives  de  1429,  1430,  1431  et  acquit  la  con\nction  que 
non  seulement  la  pièce  ne  s'y  trouvait  pas,  mais  qu'elle  n'y  a  jamais  été. 
La  publication  de  cette  observation  atteignait  tout  à  la  fois  la  valeur 
du  document  et  l'autorité  du  célèbre  annaliste  anglais  Rymer.  Des 
recherches  ultérieures  furent  faites,  et,  au  grand  plaisir  de  M.  Debout  lui- 
même,  elles  ont  fait  mettre  la  main  sur  le  document  qui  par  sa  vraie 
date  n'en  acquiert  que  plus  de  valeur.  C'est  ce  que  fait  ressortir  le 
scrupuleux  chercheur  dans  sa  plaquette  :  Appréciation  du  duc  de 
Bedford  sur  Jeanne  d'Arc  et  son  œuvre.  La  pièce  existe  aux  Archives 
anglaises  [BibL  cott.  Titus,  E,  S)  ;  elle  était  même  imprimée  dans  les  rotuli 
parlamentorum^  appendice  du  tome  V  [p,  435),  Bedford  l'écrivit  non 
pas  lorsque  Jeanne  d'Arc  était  suj^  la  scène,  mais  quatre  ans  après  son 
supplice,  alors  que  la  première  impression  était  dissipée,  et  qu'il  exami- 
nait froidement  la  cause  du  revirement  de  fortune  subi  par  l'Angleterre. 
Il  est  manifeste  que  l'appréciation  du  grand  politique  n'en  a  que  plus  de 
poids.  C'est  un  rapport  fait  au  roi  sur  la  situation  de  la  France  anglaise, 
terminé  par  la  demande  d'une  diminution  d'impôts  que  les  peuples  ne 
peuvent  plus  supporter.  Le  conseil  délibéra  sur  ce  rapport  le  14  juin  de 
la  douzième  année  du  règne  de  Henri  VI.  Henri  VI  ayant  été  proclamé  roi 
d'Angleterre  le  1"  septembre  1422,  nous  sommes  amenés  au  14  juin  1434. 
On  devait  peu  faire  attendre  au  conseil  royal  de  Londres  les  rapports  et 
les  demandes  du«  régent  de  France.  On  en  peut  conclure  que  le  r^ent 
aura  rédigé  et  remis  ce  magnifique  témoignage  rendu  involontairement 
à  la  Libératrice  dans  les  derniers  jours  de  mai,  c'est-à-dire  à  l'anniver- 
saire du  martyre. 

L'élégante  traduction  que  l'on  va  lire  est  due  à  la  plume  de  M.  Chaulin, 
un  de  ces  dignes  magistrats  qui  sont  descendus  de  leur  siège,  alors  que 
Ton  a  voulu  y  faire  asseoir  l'arbitraire  el  la  tyrannie. 


U  LIBÉRATRICE  ET  LES  DOCUMENTS  ANGLAIS.  !>63 


TÉMOIGNAGE  AUSSI    EXPUGITE   QU 'INVOLONTAIRE    DU    RÉGENT   BEDFORD  EN   FAVEUR 

DE   LA   PUGELLE. 

«  Mon  très  redouté  et  souverain  seigneur, 

a  Plaise  à  Votre  Altesse  de  vouloir  bien  se  souvenir  qu'à  une  époque 
récente,  je  lui  ai  rendu  compte  de  mes  actes  comme  Régent  résidant  dans 
son  royaume  de  France,  par  un  mémoire  précis,  divisé  en  un  certain 
nombre  d'articles  :  je  craignais  d'avoir  perdu  la  bienveillance  de  Votre 
Altesse  et  la  faveur  dont  je  jouissais  auprès  d'EUe,  et  dans  l'espoir  de  me 
disculper,  si  quelque  faux  rapport  avait  été  fait  contre  moi  par  des  mal- 
veillants qui  essayeraient  de  ternir  mon  nom  et  ma  réputation,  j'ai  tenu 
à  vous  présenter  humblement  un  compte  rendu  ou  rapport,  sur  ma 
conduite  et  la  direction  que  j'ai  donnée  à  votre  royaume  de  France. 

«  Dans  ce  rapport,  oîi  sont  consignés  tous  les  faits  relatifs  à  la  guerre  qui 
a  désolé  votre  royaume  pendant  votre  règne,  j'ai  constaté  que  tout 
d'abord  nous  avions  traversé  une  heureuse  période,  où  de  grandes  actions 
ont  été  accomplies  par  vos  fidèles  hommes  d'armes  et  vos  serviteurs, 
parmi  lesquels  j'étais,  et  ce,  par  la  grâce  de  Dieu.  Après  la  mort  de 
Monseigneur  votre  père,  que  Dieu  absolve,  nous  avons  remporté  des 
victoires  en  votre  nom,  et  combattu  pour  vous  dans  votre  lutte  contre 
vos  ennemis  :  les  territoires  soumis  à  votre  obédience  se  sont  notablement 
accrus,  votre  autorité  a  été  reconnue  par  une  grande  partie  de  la  province 
de  Brie,  par  la  Champagne,  l'Auxerrois,  le  Donziais,  le  Maçonnais, 
l'Anjou,  le  Maine,  et  tout  prospérait  pour  vous  en  France,  jusqu'à 
l'époque  du  siège  d'Orléans,  commencé  sur  l'avis  d'un  conseiller  funeste, 
Dieu  sait  qui  ! 

Alors,  il  arriva  par  la  main  de  Dieu,  ce  me  semble,  un  coup  terrible 
porté  à  votre  peuple,  après  l'aventure  dont  la  personne  de  mon  cousin 
Salisbury  eût  à  souffrir,  que  Dieu  l'absolve.  Notre  peuple  se  trouvait 
rassemblé  fort  nombreux  à  Orléans,  et  selon  moi  ses  malheurs  eurent 
surtout  pour  causes  ses  propres  fautes  et  ses  erreurs  :  On  eut  le  tort  de 
croire  à  un  disciple  du  Démon  et  suppôt  de  VEnfer^  nommé  la  Pucelle^  et 
(Ten  avoir  peur;  elle  usait  d'enchantements  mauvais  et  de  sorcellerie,  et 
sous  Fempire  de  ces  procédés,  le  nombre  de  vos  partisans  diminua^  le 
courage  de  ceux  qui  restaient  disparut,  en  même  temps  que  s'augmen- 
iaieni  la  vaillance  et  le  nombre  de  vos  adversaires.  Vos  ennemis  se  rassem- 
blèrent, et  voici  que  des  villes  et  de  grandes  cités  se  rendirent  sans  résis- 
tance, ou  parce  qu'il  était  impossible  de  les  secourir  :  Reims,  Troyes, 
ChAlons,  Laon,  Sens,  Provins,  Senlis,  Lagny,  Creil,  Beauvais,  les  princi- 
paies  contrées  champenoises,  la  Brie,  le  Beauvaisis,   une  partie  de  la 


564  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

Picardie!  Et  cepeiidant^  après  la  perte  d'Orléans^  prévoyant  leur  dccoura- 
gement,  j'avais  envoyé  à  ces  villes  et  dans  ces  pays  soumis  à  votre  sceptre 
des  conseillers  dévoués,  leur  offrant  des  secours  et  leur  proposant  de  ren- 
forcer leurs  garnisons.  En  outre,  je  me  suis  mis  en  campagne  moi-même, 
à  la  tête  de  ceux  qui  vous  étaient  restés  fidèles  pafmi  votre  peuple,  et 
aussi  des  troupes  que  mon  ojicle  le  Cardinal  avait  rassemblées  dans  t intérêt 
de  r Église,  secours  important  qui  7ious  arriva  fort  à  propos  ;  j'ai  combattu 
ainsi  pendant  plusieurs  jours  contre  vos  ennemis^  dont  linteniion  évidente 
était  de  s'emparer  du  reste  de  la  France,  fai  la  consolation  d'avoir  payé  de 
ma  personne,  pour  sauver  vos  terres  de  France^  et  ceux  de  vos  fidèles  sujets 
qui  s'y  trouvaient  encore,  et  d'avoir  fait  tout  ce  que  fai  pu.  De  telle  sorte 
que,  grâce  à  Dieu,  on  ne  peut  dire  que,  si  vous  avez  perdu  ces  cités,  ces 
villes  et  ces  contrées^  ce  soit  par  ma  faute.  Leur  perte,  leur  séparation 
d'avec  le  reste  du  territoire,  les  dévastations  causées  par  la  guerre,  pres- 
que quotidiennement,  dans  votre  bonne  ville  de  Paris,  et  dans  la  partie 
de  votre  pays  de  France  qui  vous  est  encore  soumise,  ont  réduit  vos 
sujets  à  une  si  extrême  pauvreté  qu'ils  ne  la  pourront  supporter  bien 
longtemps  :  il  leur  est,  en  effet,  impossible  de  cultiver  leurs  terres  et  leurs 
vignes,  de  s'occuper  de  leur  bétail,  ou  de  quoi  que  ce  soit,  de  prendre 
soin  de  leurs  propres  personnes,  ni  de  vendre  aucune  marchandise.  Votre 
conseil,  qui  était  encore  il  n'y  a  pas  très  longtemps  dans  votre  royaume 
de  France,  n'ignore  rien  de  tout  cela.  Malgré  tout,  votre  peuple  n'en  est 
que  plus  encouragé  à  vous  conserver  foi  et  obéissance,  et  cela  de  tout 
son  cœur,  mais  je  dois  vous  représenter  qu'il  ne  peut  supporter  les  mêmes 
charges  et  donner  les  mômes  subsides  qu'auparavant;  aussi  ai-je  cru 
nécessaire  de  provoquer  à  Calais  une  réunion  de  vos  conseillers  de  votre 
royaume  de  France,  avec  ceux  d'Angleterre  et  mon  frère.  Puis,  j'ai  tenu 
à  exposer  moi-même  à  Votre  Altesse  tout  ce  qui  précède,  en  raison  de 
toutes  ces  infortunes  et  pour  d'autres  motifs  encore  ;  et  je  suis  venu  dans 
votre  royaume,  espérant  que  vous  voudrez  bien  m'accorder  les  secours 
nécessaires,  et  attendant  les  ordres  que  vous  me  donnerez,  après  avis  de 
votre  conseil*.  »  [Vient  ensuite  une  série  de  demandes  sans  rapports 
même  éloignés  avec  l'histoire  de  la  Libératrice.] 

1.  V.  Je  texte  anglais  aux  Pièces  justificatives j  N. 


LIVRE    VI 


LA    LIBERATRICE 
D'APRÈS   LA  CHRONIQUE  DE  MOROSINI. 


LIVRE   VI 

LA    LIBÉRATRICE 
D'APRÈS  LA  CHRONIQUE  DE  MOROSINL 


LA     CHRONIQUE     MOROSINI 

REMARQUES  HISTORIQUES  ET  CRITIQUES. 

De  toutes  les  Chroniques  que  les  pays  étrangers  à  la  querelle  anglo- 
française  nous  ont  transmises  sur  la  Libératrice,  voici  certainement  la 
plus  intéressante.  La  première  par  ordre  de  date,  elle  est  écrite  au 
cours  même  des  événements,  au  fur  et  à  mesure  qu'ils  s'accomplissent. 
Elle  a  une  forme  à  part,  puisqu'elle  consiste  en  une  correspondance, 
due  principalement  à  un  noble  Vénitien  mandant  à  son  père  les  évé- 
nements qui  se  passaient  en  France,  d'un  lieu  particulièrement  bien 
situé  pour  être  bien  renseigné.  A  tous  ces  titres,  la  Chronique  Morosini, 
inédite  jusqu'ici  et  presque  inconnue,  doit  trouver  place  dans  les  histoires 
de  la  Pucelle,  non  seulement  comme  la  première  des  Chroniques  étran- 
gères, mais  aussi  comme  celle  qui  nous  fait  saisir  sur  le  fait  même 
l'impression  produite  dans  la  chrétienté  entière  par  la  céleste  appari- 
tion. Qu'un  document  de  pareille  valeur,  après  être  demeuré  caché  durant 
plus  de  neuf  demi-siècles,  soit  venu  à  la  lumière  lorsque  la  cauçe  de  la 
Vénérable  Pucelle  faisait  les  premiers  pas  dans  la  voie  qui,  tout  le  monde 
l'espère,  la  fera  monter  sur  les  autels,  n'y  a-t-il  pas  là  une  coïncidence 
extraordinaire,  et  comme  providentielle  ?  L'auteur  de  la  Vraie  Jeanne 
iTAre  estime  une  faveur  du  Ciel  de  l'avoir  amenée  au  jour  ;  il  y  voit  un 
effet  de  la  Bénédiction  apostolique  par  laquelle  le  Vicaire  de  Jésus-Christ 
a  bien  voulu  encourager  ses  travaux  et  lui  dire  de  les  continuer. 

Faire  connaître  le  concours  de  circonstances  qui  ont  amené  le  pré- 
cieux document  entre  ses  mains,  c'est  justice,  parce  que  ce  sera  faire 
connaître  ceux  qui  ont  provoqué  et  secondé  ses  recherches. 


568  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARG  !   LA  LIBÉRATRICE. 

Une  revue  française,  dont  il  a  oublié  le  nom,  parla  en  1893  d*un 
ouvrage  publié  à  Trieste  sous  ce  titre  :  Di  Gtovamia  d'Arco  ressuscitata 
degli  stude  stortci.  L'auteur,  M"*  Adèle  Butti,  affirmait  que  la  Chronique 
inédite  de  Morosini,  dont  une  copie  était  à  Venise  et  l'original  à  Vienne, 
renfermait  de  longues  et  intéressantes  pages  sur  la  Libératrice  française. 
Le  R.  P.  Rivière  signala  cette  indication  à  Fauteur  de  la  Vraie  Jeanne 
rfVlrcqui,  occupé  alors  à  l'édition  du  volume  précédent,  n'y  prêta  qu'une 
demi-attention  et  se  contenta  de  parler  à  son  éditeur  de  la  voie  par 
laquelle  il  pourrait  se  procurer  le  volume  de  M""  Bulti.  Il  n'y  avait  eu 
aucune  démarche  effective,  lorsqu'une  lettre  de  Venise  sur  un  sujet 
différent  réveilla  ses  souvenirs  et  son  attention.  Il  demanda  qu'on  lui  fit 
faire  une  transcription  des  pages  consacrées  à  la  Pucelle  ;  il  y  eut  des 
difficultés.  Il  s'adressa  à  Vienne  et  ne  fut  pas  plus  heureux. 

C'est  alors  qu'il  s'adressa  à  M.  Léopold  Delisle,  administrateur  général 
de  la  Bibliothèque  nationale  à  Paris.  Il  le  savait  aussi  complaisant  que 
savant,  et  connu  du  monde  érudit  dans  l'Europe  entière.  Un  mot  de  sa 
part,  espérait-il,  lui  ouvrirait  des  portes  jusqu'alors  fermées.  Son  attente 
ne  fut  pas  trompée.  M.    Castellani,  bibliothécaire  de    la    Marcierme  à 
Venise,  fit  le  meilleur  accueil  à  la  demande  de  son  collègue  de  Paris,  et 
confia  la  transcription  du  document  demandé  à  M.  Vittorio  Baroncelli,  son 
sous-bibliothécaire.  Quelques  jours  après,   il  arrivait  transcrit  avec  le 
meilleur  goût.  M.  Baroncelli  avertissait  que  ce  n'était  qu'une  partie  des 
pages  consacrées  par  Morosini  à  la  Pucelle.  Elles  ne  prenaient  pas  assez 
haut,  ne  se  prolongeaient  pas  assez  loin.  On  s'empressa  de  demander  le 
tout.    La  découverte  était   beaucoup   plus   précieuse  qu'on   ne   l'avait 
imaginé,  non  seulement  pour  l'histoire  de  l'Héroïne,  mais  aussi  pour 
celle  de  la  France  et  de  la  chrétienté  à  la  fin  du  xiv*  siècle  et  au  com- 
mencement du  xv°.  C'est  ce  qui  résulte  de  l'inspection  de  la  Chronique, 
et  aussi  d'une  notice  publiée  en  1843  dans  VArchivio  storico-italiam 
(t.  V,  p.  334),  notice  que  découvrit  M.  Delisle,  et  dont  il  voulut  bien, 
avant  de  la  traduire  dans  le  Jommal  des  Savants,  donner  connaissance  à 
celui  qui  avait  attiré  son  attention  sur  le  manuscrit  si  longtemps  oublié. 

La  Chronique  Morosini  est  une  histoire  de  Venise  à  partir  de  la  fonda- 
tion de  la  ville.  Les  cinquante  premiers  feuillets  faisant  défaut,  l'histoire 
dont  nous  sommes  en  possession  ne  commence  en  réalité  qu'à  Tannée  de 
l'élection  du  doge  Dandolo  (1192).  Pour  une  raison  semblable,  il  est 
impossible  de  fixer  jusqu'où  l'auteur  l'avait  conduite  ;  elle  est  fruste  à  la 
fin,  et  finit  h  l'année  1433. 

Le  manuscrit  de  Vienne  est  du  xv*  siècle.  Il  fut  donné  par  le  signor 
Amiibate  dey  H  abati  Olivieri  di  Pesaro  h  Marco  Foscarini,  mort  dans  la 
suite  doge  de  Venise  en  1763.  Les  manuscrits  de  Marco  Foscarini  ayant 


LA  CHRONIQUE  MOROSINI.  571 

rapporte  que  ce  qui  lui  semble  avoir  quelque  fondement,  et  attend  sou- 
vent de  l'avenir  la  confirmation  ou  le  démenti  des  nouvelles  qu'il  transmet 
sous  réserve.  Il  mérite  de  prendre  rang  parmi  les  témoins  de  la  Vénérable. 
Quelques  remarques  critiques  accompagneront  chacune  des  lettres 
reproduites.  Pour  faciliter  la  confrontation  avec  les  autres  documents, 
des  divisions  par  chapitres  avec  des  sommaires  ont  été  introduites  dans 
la  traduction. 


CHAPITRE   PREMIER 

LA  PUCBLLE  JUSQU'APRÈS  LA  VICTOIRE  DE  PATAY. 

Sommaire  :  Première  lettre.  —  Le  sort  de  la  France  lié  à  celui  d'Orléans.  —  Treize  bas- 
tilles. —  Intervention  du  duc  de  Bourgogne  à  la  prière  des  Orléanais  aux  abois.  — 
Refus  de  Bedford.  —  Premières  nouvelles  reçues  à  Bruges  de  la  délivrance  d'Or- 
léans. —  Joie  qu*y  cause  la  défaite  des  Anglais.  —  Des  prophéties  annonçaient  le 
relèvement  de  la  fortune  du  Dauphin.  —  Premiers  bruits  sur  Tapparition  de  la 
Pucelle,  et  sentiments  qu'ils  provoquent.  —  Ses  promesses  au  Dauphin.  —  Dès  le 
46  janvier  des  marchands  en  écrivaient  à  Bruges  de  la  Bourgogne.  —  Les  moqueurs 
punis.  —  A  ses  réponses  on  dirait  une  autre  sainte  Catherine.  —  Délivrer  la  France 
n*était  pas  toute  sa  mission.  —  Apparition  au  roi.  —  Le  Pape  consulté.  —  Remarques 
sur  cette  lettre. 

Deuxième  lettre,  —  Fausses  nouvelles  écrites  de  Bruges.  —  Le  pape  consulté.  —  Re- 
marques. 

Troisième  lettre.  —  Fausses  nouvelles  de  la  soumission  de  Rouen,  de  Paris,  de  la  récon- 
ciliation des  Français  et  des  Anglais,  et  de  la  manière  dont  elle  se  serait  opérée.  — 
Pénitence  imposée  par  la  Pucelle.  —  Elle  doit  conduire  le  Dauphin  à  Rome  pour  Ty 
faire  couronner.  —  Remarques  sur  ce  qui  a  pu  donner  lieu  à  ces  fausses  nouvelles. 

Quatrième  lettre.  —  La  Pucelle,  ange  du  ciel.  —  Ses  exploits  :  Baugency,  Patay.  — 
Conjectures  que  le  Dauphin  est  à  Paris,  que  Bedford  est  mis  en  déroute.  —  Inter- 
vention surnaturelle  de  Dieu  en  faveur  de  la  France.  —  (Combien  nécessaire.  — 
Rapprochement  entre  Notre-Dame  et  la  Pucelle.  —  Le  relèvement  de  la  France  est 
la  moindre  partie  de  la  mission  de  la  Pucelle.  —  Remarques. 

Cinquième  lettre.  —  Confirmation  de  nouvelles  déjà  données.  —  Conjectures.  — 
Remarques. 


Copie  d'une  lettre  de  noble  sire  Pancrace  Justiniani  en  date  de 
Bruges,  le  10  niai  1429  à  son  père  Messire  Marc  Justiniani,  reçue  à 
Venise  le  18  juin.  Elle  est  ainsi  conçue  : 

Messire,  je  vous  ai  écrit  le  4  de  ce  mois.  Je  vous  faisais  savoir  combien 
était  fort  le  siège  que  les  Anglais  ont  mis  devant  Orléans  depuis  un  an 
et  demi  ^  Je  vous  écrivais  en  môme  temps  comment  un  coup  de  bombarde 

1.  Faute  de  transcription  ;  plus  loin,  Fauteur  dit  justement  :  «  depuis  la  moitié  d*une 
année  ». 


572  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

avait  emporté  le  comte  de  Salisbury,  leur  général.  A  la  suite  de  celle 
perte,  les  Anglais,  sans  épargner  ni  l'argent  ni  les  hommes,  se  sonl 
efforcés  de  tout  leur  pouvoir  de  resserrer  le  siège,  tant  pour  venger  la 
mort  de  ce  seigneur,  que  pour  rester  victorieux.  En  réalité,  s'ils  avaient 
pris  Orléans,  ils  pouvaient  facilement  se  rendre  maîtres  de  la  France,  et 
envoyer  le  Dauphin  vivre  à  l'hôpital.  Les  Anglais  donc  fortifiaient  de 
jour  en  jour  leurs  positions;  ils  avaient  élevé  treize  bastilles,  si  fortes 
qu'elles  étaient  comme  inexpugnables. 

Cela  détermina  les  Orléanais  à  députer  vers  le  duc  de  Bouiçogne  pour 
se  recommander  à  lui,  et  lui  offrir  de  remettre  spontanément  leur  ville 
entre  ses  mains.  Le  duc  leur  donna  de  bonnes  paroles,  et  leur  promit 
qu'à  son  pouvoir,  il  leur  obtiendrait  du  régent  de  France,  son  beau-frère, 
de  bonnes  conditions,  non  seulement  pour  eux,  mais  aussi  pour  son 
cousin,  le  duc  d'Orléans,  prisonnier  en  Angleterre. 

Ledit  seigneur  se  trouvant  à  Paris,  sur  la  fin  de  l'autre  mois,  en  pour- 
parlers avec  le  régent,  voulut  en  obtenir  qu'il  levât  le  siège  d'Orléans 
aux  conditions  suivantes  :  lui  duc  de  Bourgogne  désignerait  au  nom  de 
son  cousin  d'Orléans  les  gouverneurs  de  la  ville  ;  la  moitié  des  revenus 
serait  au  roi  d'Angleterre,  et  l'autre  moitié  au  duc  d'Orléans  pour  son 
entretien.  La  ville  serait  à  leurs  ordres  pour  leur  permettre  à  leur  plaisir 
entrée  et  sortie.  En  outre,  la  commune  d'Orléans  serait  tenue  de  payer 
chaque  année  au  régent  la  somme  de  dix  mille  écus,  destinés  à  soutenir 
la  continuation  de  sa  guerre. 

Le  régent  en  conclut  qu'il  déplaisait  au  duc  de  Bourgogne  qu'Orléans 
vint  entre  ses  mains.  Persuadé  que  le  siège  était  assez  avancé  pour  qu'il 
en  fût  le  maître  dans  peu  de  temps,  il  répondit  qu'il  ne  souffrirait  en 
aucune  manière  que  les  terres  qui  étaient  de  la  couronne  de  France 
vinssent  en  d'autres  mains  que  celles  du  roi  ;  qu'il  était  fort  étonné  que 
pareilles  propositions  fussent  faites  par  le  duc  de  Bourgogne  qui,  plus 
que  tout  autre,  devait  être  jaloux  qu'il  en  fût  ainsi,  qu'il  paraissait  que 
c'était  tout  le  contraire  ;  qu'il  recherchait  les  intérêts  du  Dauphin  plus 
que  ceux  du  roi  et  que  son  propre  intérêt  personnel.  D'après  ce  que  je 
crois,  il  y  eut  de  part  et  d'autre  de  hautes  et  vives  paroles.  Ce  que  l'on 
sait  bien,  c'est  que  le  duc  de  Bourgogne  partit  de  Paris  mal  disposé. 
A  environ  dix  jours  de  là,  loin  de  Paris,  il  parla  à  l'ambassade  d'Orléans, 
exposa  comment  les  choses  s'étaient  passées,  et  finit  par  dire  que  le 
Dauphin  et  son  parti  en  seraient  bien  attristés... 

Le  comte  seigneur  de  Bourgogne  est  venu  ici  ;  il  y  est  encore  aujour- 
d'hui ;  c'est,  je  pense,  pour  gagner  du  temps,  etc. 
Depuis,  sont  arrivées  des  nouvelles  de  Paris,  par  des  lettres,  par  des 


574  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIRÉRATRICE. 

sants,  et  qu'il  voyait  avec  regret  la  partie  adverse  s'épuiser  par  la  guerre. 
Que  Dieu  qui  peut  tout  pense  et  pourvoie  au  bien  des  chrétiens.  Je  vous 
dis  seulement  que  si  Bourgogne  voulait  favoriser  Tautre  partie,  ne f&tce 
que  par  la  parole,  d'ici  à  la  Saint- Jean  il  n'y  aurait  pas  en  France  un 
seul  Anglais  à  combattre. 

Avant  ces  nouvelles,  il  y  a  quinze  jours,  et  depuis,  on  a  constamment 
parlé  de  plusieurs  prophéties  trouvées  à  Paris  et  d'autres  choses  concer- 
nant le  Dauphin,  comme  quoi  il  devait  grandement  prospérer.  En  vérité, 
j'étais  d'accord  sur  cela  avec  un  Italien  d'honorable  condition,  cependant 
sans  en  faire  grande  manifestation.  Beaucoup  en  faisaient  les  plus  belles 
moqueries  du  monde,  surtout  d'une  Pucelle  gardeuse  de  brebis,  origi- 
naire de  vers  la  Lorraine.  Il  y  a  un  mois  et  demi  qu'elle  alla  vers  le 
Dauphin,  et  refusa  de  s'ouvrir  à  tout  autre  qu'à  lui  personnellement. 

En  résumé,  elle  lui  dit  que  Dieu  l'envoyait  vers  lui  ;  qu'elle  pouvait 
lui  affirmer  avec  certitude  qu'avant  la  Saint-Jean  de  juin  prochain  il 
entrerait  à  Paris  ;  qu'il  livrerait  bataille  aux  Anglais,  serait  indubitable- 
ment vainqueur,  et  [ainsi)  entrerait  à  Paris,  et  qu'il  serait  couronné; 
qu'en  conséquence  il  devait  réunir  des  gens  de  guerre  pour  ravitailler 
Orléans  et  en  venir  aux  mains  avec  les  Anglais  ;  que  la  victoire  était 
certaine,  et  qu'il  les  contraindrait  de  lever  le  siège  à  leur  grande  confu- 
sion. Je  pourrais  encore  vous  rapporter  des  faits  bien  étonnants  ;  je  pour- 
rais vous  dire  que  par  le  moyen  de  cette  Pucelle  le  Dadpuin  a  eu  une 
VISION  ;  ce  qui  nous  tient  en  suspens  moi  et  tous  les  autres. 

Je  me  trouve  avoir  des  lettres  de  marchands  qui  font  le  négoce  en 
Bourgogne  et  qui  à  la  date  du  16  janvier  parlaient  de  ces  événements  et 
de  cette  demoiselle  ;  le  souvenir  en  a  été  rafraîchi  par  une  autre  lettre  du 
28  [avril?)  par  laquelle  on  annonçait  qu'au  dire  de  cette  même  demoi- 
selle, dans  peu  de  jours,  des  hommes  de  renom  feraient  lever  le  siège 
d'Orléans. 

Ce  que  je  viens  d'écrire  est  tiré  point  par  point  de  lettres  reçues.  Ce 
qu'elles  annonçaient  s'est  réalisé  jusqu'à  ce  jour.  Et  on  dit  que  celui  qui 
écrit  est  un  Anglais,  nommé  Lorenzo  ***,  bien  connu  de  Maria,  homme  de 
bien  et  discret.  Ce  qu'il  mande  à  ce  sujet,  ce  que  je  lis  dans  les  lettres  de 
tant  de  personnes  honorables,  dignes  de  foi,  me  fait  devenir  fou.  Il  dit, 
entre  autres  choses,  pour  l'avoir  vu,  qu'il  est  bien  clair  que  beaucoup  de 
barons  marchent  à  la  suite  de  ladite  demoiselle,  et  que  bien  des  gens  du 
peuple  se  rangent  autour  d'elle.  Il  ajoute  que  plusieurs,  pour  avoir  voulu 
la  tourner  en  dérision,  sont  certainement  morts  par  mauvaise  mort.  Les 
lettres  se  terminent  par  ce  que  je  vous  ai  raconté.  Ce  que  Ton  voit  bien 
clairement,  c'est  qu'elle  raisonne  sans  jamais  se  contredire;  elle  discute 
avec  des  maîtres  en  théologie  si  bien  que  l'on  croirait  que  c'est  une 


U  CHRONIQUE  MOROSINI.  575 

autre  sainte  Galherine  venue  sur  la  lerre  ;  aussi  beaucoup  de  chevaliers, 
l'entendant  raisonner  et  exposer  de  telles  merveilles,  ne  font  chaque  jour 
que  trouver  le  miracle  plus  grand,  au  fur  et  à  mesure  qu'ils  l'entendent 
s'expliquer  sur  de  si  étranges  choses. 

Avant  que  les  Français  fussent  venus  à  Orléans,  comme  je  l'ai  dit,  je 
ne  savais  que  dire,  ni  ce  que  je  devais  croire,  sauf  que  la  puissance  de 
Dieu  est  grande.  N'étaient  les  lettres  que  j'ai  reçues  à  ce  sujet  de  Bour- 
gogne, je  ne  vous  en  aurais  rien  dit,  parce  que  tels  récits  passent  aux 
oreilles  des  auditeurs  pour  des  fables  plutôt  que  pour  toute  autre  chose. 
Enfin,  tel  que  je  l'ai  acheté,  tel  je  vous  le  vends. 

Le  mariage  de  Bourgogne  avec  la  fille  du  roi  de  Portugal  est  conclu  ; 
il  sera  facile  à  la  dame  d'arriver  par  des  vaisseaux  et  des  galères.  Je 
crois,  d'après  les  bruits  qui  courent,  que  ce  seigneur  fera  une  fôte  magni- 
fique. 

Il  a  été  dit  depuis  que  ladite  demoiselle  doit'  accomplir  deux  autres 
grands  faits,  après  quoi  elle  doit  mourir.  Que  Dieu  lui  donne  aide,  et, 
comme  on  le  dit  universellement,  qu'elle  ne  se  démente  pas  durant  une 
vie  longue  et  pleine  de  bonheur.  Amen. 

Le  18  juin  il  a  été  dit  que  Messire  le  Dauphin  a  envoyé  une  lettre  au 
Pape  de  Rome. 

Remarques.  —  [Il  est  manifeste  que  le  dernier  alinéa  n'appartient  pas  à 
la  lettre  de  Pancrace  Justiniani  en  date  du  10  mai.  Morosini  relate  ce 
qui  se  disait  à  Venise  vers  la  mi-juin. 

Quant  à  la  lettre  elle-même,  elle  est  de  tout  point  remarquable,  et 
par  la  confirmation  qu'elle  donne  à  des  faits  indiqués  par  d'autres  docu- 
ments, et  par  les  faits  nouveaux  qu'elle  relate. 

A  deux  reprises,  Justiniani  nous  dit  que  les  bastilles  anglaises  étaient 
au  nombre  de  treize,  en  quoi  il  est  d'accord  avec  le  chancelier  Gousino  t. 
Elles  étaient  regardées  comme  inexpugnables,  et  Orléans  était  réputé 
perdu  ;  c'est  affirmé  dans  bien  d'autres  documents,  que  plusieurs  auteurs 
modernes  tentent  inutilement  d'infirmer.  Orléans  tombé,  c'était  la 
France  conquise,  dit-il  avec  beaucoup  d'autres;  le  Dauphin  pour  vivre 
eût  été  réduit  à  l'hôpital,  expression  qui  nous  dit  que  la  détresse  per- 
sonnelle du  prince,  mentionnée  par  d'autres  contemporains,  était  bien 
réelle. 

Est-il  bien  possible  que  l'on  ait  pu  connaître  à  Bruges  le  10  mai  la 
levée  du  siège  d'Orléans  qui  avait  eu  lieu  le  8?  Il  semble  que  non.  Pan  - 
èrace  aura  peut-être  commencé  sa  lettre  le  10,  et  l'aura  continuée  les 
jours  suivants.  En  tout  cas,  il  a  écrit  lorsqu'on  recevait  les  premières 
nouvelles,  ce  qui  explique  les  nombreuses  inexactitudes  qui  se  mêlent  à 


576  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARG  :  LA  LIBÉRATRICE. 

Tannonce  du  fait  vrai  dans  sa  substance.  A  noter  qu'il  relate  Temploi 
d'un  feu  artistiquement  préparé  pour  déloger  Glacidas.  En  réalité,  d  après 
la  Chronique  de  rétablissement  de  la  Fête  du  8  mai,  on  avait  allumé  sous 
le  pont  qui  reliait  les  Tourelles  au  boulevard  de  la  rive  gauche  une  sorte 
de  brûlot  formé  de  matières  infectes  qui,  parla  fumée,  incommodaient 
fort  les  défenseurs,  devenus  assiégés  d'assiégeants  qu'ils  étaient,  ainsi 
que  l'indique  une  expression  de  la  lettre. 

Ce  qui  est  surtout  remarquable,  et  ce  qui  ne  se  trouve  pas  dans  les 
autres  documents,  ou  s  y  trouve  si  faiblement  indiqué  que  les  historiens 
modernes  ne  croient  pas  devoir  en  parler,  ce  sont  plusieurs  détails  sur 
l'Héroïne  elle-même. 

A  la  mi-janvier  1429,  elle  faisait  déjà  assez  de  bruit  pour  que  des  mar- 
chands, probablement  vénitiens,  de  la  Bourgogne  où  ils  se  trouvaient, 
crussent  pouvoir  parler  de  sa  personne  et  de  ses  promesses  dans  les 
lettres  qu'ils  écrivaient  à  Bruges.  Pareil  fait  vient  à  l'appui  de  la  conjec- 
ture émise  dans  la  Paysanne  et  rinspirée\  d'après  laquelle  Jeanne  a  dû 
quitter  Domrémy  dans  la  dernière  quinzaine  de  décembre. 

Quinze  jours  avant  la  délivrance  d'Orléans,  un  pressentiment  général, 
objet  des  conversations  à  Bruges,  annonçait  une  heureuse  révolution 
dans  la  fortune  du  Dauphin.  D'après  Joseph  de  Maistre,  ces  sortes  de  pres- 
sentiments précèdent  tous  les  notables  changements  dans  l'univers.  Le 
célèbre  penseur  en  appelle  à  ce  qui  se  passa  avant  1 789  ;  tout  le  moi^e,^^ 
dit-il,  avait  la  conviction  qu'on  était  à  la  veille  de  grands  boulever- 
sements. 

Le  fond  des  promesses  faites  par  la  Pucelle  au  Dauphin  se  trouve  pal 
tout  ;  il  y  a  cependant  ici  une  particularité  digne  d'être  remarquée.  L  enî 
trée  du  roi  dans  Paris  est  présentée  comme  l'objectif  principal.  Reims 
n'est  pas  môme  nommé,  quoiqu'il  soit  question  du  couronnement. 

Des  morts  funestes  frappent  les  contempteurs  de  la  Pucelle.  La  dépo- 
sition de  Paquerel  en  offre  un  exemple  terrifiant. 

Aux  réponses  de  l'Envoyée  du  Ciel,  on  croirait  entendre  sainte  Cathe- 
rine. C'était  en  effet  sainte  Catherine  qui  soufflait  les  réponses  à  sa 
fidèle  disciple. 

Ce  qui  est  plus  étonnant,  c'est  que  le  Dauphin  aurait  eu,  lui  aussi,  une 
apparition  surnaturelle.  Aucun  historien  n'a  remarqué  que  le  22  février 
Jeanne  affirme  la  môme  chose  à  Rouen.  «  Avant  de  me  mettre  à  r œuvre ^ 
le  roi  a  eu  plusieurs  apparitions  et  de  belles  révélations^.  » 

On  disait  à  Venise  que  la  délivrance  de  la  France  n'était  pas  toute  la 

U  La  Paysanne  et  nnspirée,  ,.  n,.  * 

2.  Dixit  quod  aniequam  rcx  suus  poncret  eani  in  opus,  ipse  muUas  habuit  appari- 
tioiies  et  revelaliones  pulchras.  (ProcèSj  t.  I,  p.  50.) 


578  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARC  :  U  LIBÉRATRICE. 

lettre  promise  par  le  chroniqueur.  Elle  ne  pouvait  pas  avoir  été  écrite 
de  Paris  toujours  au  pouvoir  des  Anglais.] 


III 

Au  nom  du  Tout-Puissant  Seigneur  Dieu  Étemel.  Le  14  juillet,  plu- 
sieurs lettres  écrites  d'Avignon  par  très  noble  personne  Messire  Jean  de 
Molins  nous  ont  appris  comment  Messire  le  Dauphin,  toujours  appuyé  par 
la  demoiselle,  qui  de  son  nom  s'appelle  Jeanne,  demoiselle  illuminée  par 
le  Saint-Esprit  et  inspirée  de  Dieu,  est  entré  à  Rouen  le  23  juin.  La  ville 
s'est  rendue  d'elle-même,  les  Anglais  en  sont  sortis  et  se  sont  enfuis 
miraculeusement.  Ledit  seigneur  et  roi  a  pardonné  à  tous,  et  la  paix  s'est 
faite. 

Et  depuis  le  23,  en  la  fête  du  Bienheureux  Jean-Baptiste  le  Gracieux 
{Graziozo?)j  le  roi  est  arrivé  à  Paris.  Tous  les  Anglais  avec  le  duc  de 
Bourgogne  sont  sortis  à  sa  rencontre  pacifiquement.  Tous  ensemble,  met- 
tant au  milieu  la  demoiselle  et  le  Dauphin  avec  ses  barons  et  ses  cheva- 
liers, sont  entrés  à  Paris,  en  se  félicitant  et  s'encourageant.  Le  Dauphin  a 
été  proclamé  suzerain  de  toutes  les  terres,  châteaux  et  villes  de  France. 
De  très  grandes  fêtes  ont  été  célébrées;  on  s'est  réjoui,  la  demoiselle  était 
des  fêtes.  Pardon  du  passé  pour  tous  ;  il  ne  sera  plus  souvenir  des  torts 
qu'Anglais  et  Français  se  sont  faits  ;  tous  sont  venus  à  contrition  et  à 
pénitence;  pour  conclusion  bonne  et  parfaite  paix. 

La  demoiselle  a  opéré  la  paix  de  la  manière  suivante  :  pendant  un  ou 
deux  ans  les  Anglais  et  les  Français  et  leurs  rois  devront  se  revêtir  de 
draps  gris  brun  avec  une  croix  par-dessus  ;  ils  jeûneront  toute  l'année, 
et  le  vendredi  de  chaque  semaine  au  pain  et  à  l'eau;  ils  ne  connaîtront 
que  leurs  femmes  légitimes,  et  ils  promettront  devant  Dieu  de  ne  vouloir 
à  partir  de  ce  jour  ne  se  donner  jamais  en  quelque  manière  que  ce  soit 
sujet  de  discorde. 

On  raconte  encore  que  ladite  demoiselle  a  dit  à  Messire  le  Dauphin 
qu'elle  voulait  le  conduire  à  Rome  pour  le  faire  couronner  roi  de  toute 
la  France.  Nous  savons  que  tout  ce  qui  a  été  dit  de  cette  demoiselle  s'est 
réalisé.  Elle  s'est  trouvée  toujours  constante  dans  ses  affirmations;  elle 
est  venue  pour  faire  de  magnifiques  choses  en  ce  monde.  Amen. 

Remarques.  —  [Les  nouvelles  données  dans  cette  lettre  sont  fausses. 
Charles  VII  ne  devait  entrer  à  Rouen  que  dans  vingt  ans,  à  Paris  dans 
sept  ans.  Morosini  analyse  la  lettre  de  noble  Jean  de  Molins.  U  peut  se 
faire  qu'il  ait  transcrit  comme  un  fait  accompli  ce  que  celui-ci  donnait 


LA  CHRONIQUE  MOROSINI.  579 

comme  une  conjecture  probable.  Il  est  certain  que  la  nouvelle  de  la 
défaite  de  Patày  consterna  les  Anglais.  Quand  elle  fut  donnée  au  conseil, 
aucuns  (plusieurs),  dit  Monstrelet,  se  mirent  fort  à  pleurer.  On  s'attendait 
à  voir  les  vainqueurs  fondre  sur  Paris.  ChufTart  écrit  dans  son  Journal: 
Le  mardi  devant  la  Saint-Jean  (21  juin)  fut  grande  émeute  (émoi)  que  les 
Arminalx  dévoient  entrer  cette  nuit  à  Paris,  mais  il  n'en  fut  rieîi.  Au  loin 
on  aura  donné  comme  un  fait  accompli  ce  qui  pouvait  vraisemblablement 
se  réaliser.  La  lettre  de  la  Pucelle  aux  Anglais  avait  eu  une  divulgation 
fort  étendue.  Jeanne  qui  n'y  dît  rien  du  sacre  à  Reims  y  parle  de  rentrée 
du  roi  à  Paris.  On  aura  supposé  qu'elle  s'était  portée  sur  la  Capitale, 
aussitôt  après  la  victoire  de  Patay. 

La  réconciliation  était  loin  d'être  opérée.  C'était  pourtant  le  but  dernier 
poursuivi  par  la  Pucelle  ;  elle  ne  faisait  la  guerre  que  pour  arriver  à  une 
paix  ferme  et  durable,  qui,  ainsi  que  le  dit  Gerson,  permit  de  servir  Dieu 
dans  la  justice  et  la  sainteté. 

En  poussant  la  cour  et  l'armée  à  la  confession,  elle  les  exhortait  par 
suite  à  la  pénitence;  elle  la  pratiquait  elle-même  avec  une  rigueur  qui 
fait  penser  à  ce  que  Louis  de  Gonzague  devait  faire  après  elle. 

Dans  les  trois  lettres  citées,  il  est  question  de  Rome,  à  laquelle  l'accusée 
de  Rouen  devait,  disent  les  témoins,  faire  des  appels  réitérés.] 


IV 

Copie  d'une  lettre  envoyée  d'Avignon  par  noble  personne  Messire  Jean  de 
Molins,  en  date  du  30  juin.  En  voici  la  teneur,  ainsi  que  nous  en  avertis- 
sons par  avance. 

Je  veux  vous  parler  d'une  gentille  demoiselle  des  contrées  de  France  ; 
je  dirais  mieux  d'un  bel  ange  venu  et  envoyé  de  par  Dieu  pour  relever 
le  bon  pays  de  France  qui  était  perdu  sans  ce  secours.  La  demoiselle  a 
nom  Jeanne.  Elle  a  été  dans  une  infinité  de  lieux  qui  se  sont  soulevés 
contre  les  Anglais. 

Elle  a  été  ensuite  dans  une  contrée  qui  s'appelle  Baugency  ;  et  elle  a 
signifié  au  capitaine  Talbot,  un  seigneur  anglais,  d'avoir  à  l'en  mettre  en 
possession,  ce  qu'il  n'a  pas  voulu  [d*abord\  ;  toutefois  Suffolk,  autre  sei- 
gneur anglais  a  tant  fait  en  faisant  valoir  la  puissance  de  la  demoiselle, 
qu'il  la  lui  a  remise,  et  lui  en  a  cédé  l'entrée,  à  condition  de  conserver 
saufs  les  personnes  et  Tavoir.  Il  vint  à  la  suite  rendre  ses  hommages  à 
la  demoiselle,  lui  jura  de  ne  plus  s'armer  en  personne  contre  le  roi  de 
France,  eut  ainsi  licence  de  se  retirer,  et  il  partit. 

Il  trouva  en  chemin  quelques  soldats  anglais,  levés  parmi  les  Français 


580  LA  VRAIE  JEANNE  DARG  :  LA  LIBÉRATRICE. 

{faux  Français)^  pour  combattre  la  demoiselle,  et  dès  lors  ce  seigneur 
Talbot,  encore  qu'il  eût  fait  serment  de  ne  pas  prendre  les  armes  contre 
la  couronne  de  France,  se  mit  dans  la  compagnie  de  ces  Anglais.  La 
demoiselle  dit  alors  avec  un  cœur  magnanime  :  «  Allons  vers  lui,  nous  le 
battrons!  »  Ainsi  fut  fait.  On  en  vint  aux  mains.  Le  combat  fut  long.  A  la 
fin  trois  mille  cinq  cents  Anglais,  d'autres  disent  trois  mille  furent  tués; 
il  y  eut  un  égal  nombre  de  prisonniers,  en  sorte  qu'il  n'en  échappa  pas 
un  seul,  chose  d'autant  plus  merveilleuse  que,  du  côté  de  la  demoiselle,  il 
ne  périt  pas  vingt  personnes.  Tous  les  capitaines,  de  Scales  et  beaucoap 
d'autres  ont  été  tués;  Talbot  a  la  vie  sauve,  mais  est  prisonnier. 

Vous  pouvez  supposer  que  tout  le  pays  presque  jusqu'à  Paris,  Orléans, 
Reims,  Chartres,  et  beaucoup  d'autres  villes  dont  je  ne  me  souviens  pas, 
auront  fait  leur  soumission.  Par  suite  je  regarde  comme  certain  qu'à 
cette  heure  le  Dauphin  est  à  Paris,  et  en  est  maître,  tant  d'Anglais  ayant 
été  tués  ou  faits  prisonniers.  Les  Anglais  doivent  avoir  perdu  tout  cœur. 
Le  duc  de  Bedford^  qui  est  à  Paris  a,  dit-on,  demandé  secours  au  duc  de 
Bourgogne,  mais  nous  savons  que  celui-ci  ne  lui  a  rien  envoyé  ;  je  pense 
qu'il  {Bedford)  aura  été  taillé  en  pièces,  s'il  n'a  pas  pourvu  à  son  salut  en 
fuyant  ailleurs. 

Voilà  de  bien  grandes  merveilles  !  Qu'en  deux  mois  une  fillette  ait 
conquis  tant  de  pays  sans  hommes  d'armes,  c'est  bien  un  signe  mani- 
feste que  ces  événements  ne  sont  pas  œuvre  d'une  vertu  humaine,  mais 
que  c'est  Dieu  qui  les  accomplit.  Dieu  a  considéré  la  longue  tribulalion 
endurée  par  le  plus  beau  pays  du  monde,  dont  les  habitants  sont  plus 
chrétiens  qu'en  aucune  autre  contrée.  Après  Tavoir  purifié  de  ses  péchés 
et  de  son  orgueil,  Dieu  a  voulu  l'aider  de  sa  main,  alors  qu'il  était  sur 
le  point  de  sa  destruction  finale. 

C'était  impossible  à  tout  autre.  Je  vous  affirme  que  sans  rintervention 
divine,  avant  deux  mois,  le  Dauphin  aurait  dû  fuir  et  tout  abandonner, 
car  il  n'aurait  pas  eu  de  quoi  mettre  sous  la  dent.  Il  ne  lui  serait  pas 
resté  un  gros  pour  se  soutenir  avec  ses  cinq  cents  hommes  d'armes.  Et 
voyez  de  quelle  manière  Dieu  est  venu  au  secours  de  la  France.  De  même 
que  par  une  femme,  par  Notre-Dame  sainte  Marie,  il  a  sauvé  le  genre 
humain,  de  mùme  par  cette  demoiselle,  une  vierge  pure  et  innocente,  il  a 
sauvé  la  plus  belle  partie  de  la  chrétienté.  C'est  une  grande  preuve  de 
notre  foi  ;  il  me  semble  que  depuis  cinq  cents  ans,  il  ne  s'est  pas  passe 
de  fait  plus  merveilleux. 

On  ne  le  croira  que  lorsque  tout  homme  vivant  verra  avec  tous  ses 
sens,  le  prévôt  de  Paris  prosterné  devant  elle,  et  ce  qui  ne  pouvait  pas 
arriver  est  pourtant  arrivé  ;  car  je  pense  qu'à  cette  heure  elle  doit  avoir 
plus  de  quarante  mille  hommes  à  sa  suite  ;  et  voyez  comment  les  Anglais 


LA  CHRONIQUE  MOROSINI.  58i 

pourront  résister  ;  quand  ils  se  verront  devant  elle  pour  l'arrêter,  elle  les 
fera  tomber  morts  à  terre. 

Voilà  des  choses  qui  paraissent  incroyables  ;  moi-même  j'ai  été  très 
lent  à  les  croire,  et  pourtant  en  réalité  elles  sont  vraies,  et  tout  homme 
doit  les  croire.  La  glorieuse  demoiselle  a  promis  au  Dauphin  de  lui  don- 
ner la  couronne  de  France,  et  un  don  qui  vaudra  plus  que  la  couronne 
de  France,  et  ensuite  elle  lui  a  déclaré  que  c'était  la  conquête  de  la  Terre- 
Sainte;  elle  l'y  accompagnera.  On  raconte  tant  de  choses  qu'un  jour  ne 
suffirait  pas  pour  les  écrire,  nous  les  verrons  mieux  au  jour  le  jour. 
Vous  apprendrez  dans  peu  les  grandes  choses  qu'elle  doit  accomplir; 
elles  sont  au  nombre  de  trois,  outre  le  roi  de  France  à  mettre  sur  son 
trône  ;  chacune  d'elles  est  plus  grande  que  cette  dernière.  Que  Dieu  nous 
laisse  vivre  assez  longtemps  pour  que  nous  puissions  voir  et  que  nous 
voyons  le  tout. 

Remarques.  —  [Il  suffit  de  lire  une  des  chroniques  du  second  ou  du 
quatrième  livre  du  présent  volume  pour  voir  les  inexactitudes  que  noble 
de  Molins  mêle  à  la  nouvelle  de  la  prise  de  Baugency  et  de  la  victoire  de 
Patay  :  inutile  de  les  relever. 

L'effet  de  tant  de  succès  fut  immense  ;  mais  puisque,  à  la  date  du 
30  juin,  il  ne  donne  la  reddition  de  Paris  que  comme  une  conjecture,  à 
plus  forte  raison  n'a-t-il  pas  dû  la  présenter  comme*  un  fait  à  la  date 
du  23. 

L'on  remarquera  combien  l'on  était  convaincu  que  tout  était  perdu,  sans 
l'intervention  divine  que  la  Pucelle  manifesta.  Le  rapprochement  de  la 
Libératrice  française  avec  la  Libératrice  du  genre  humain  s'est  fait  dès 
la  première  heure,  tant  il  est  naturel. 

Dès  la  première  heure  aussi,  on  a  pensé  que  le  relèvement  de  la  France 
n'était  pas  le  but  dernier  de  la  mission  de  la  Pucelle.  Cela  se  trouve  bien 
clairement  exprimé  dans  les  stances  de  Christine  de  Pisan.  Dieu  ne  fai- 
sait un  tel  miracle  en  faveur  de  la  nation  française,  qu'afin  de  préparer 
l'instrument  dont  il  voulait  se  servir  dans  l'intérêt  de  la  chrétienté  et  du 
monde.  Qui  mesurera  ce  qui  se  serait  passé,  si  fidèle  à  la  direction  et 
aux  demandes  de  Jeanne,  l'on  eut  opéré  les  réformes  qu'elle  sollicitait?] 


Copie  d'une  lettre  de  Marseille  en  date  du  28  juin  : 

J'ai  le  plus  grand  plaisir  que  vous  ayez  été  bien  satisfait  des  grands 
miracles  que  vous  ont  fait  connaître  les  nouvelles  de  France. 


582  LA  VRAIE  JEANNE  D^ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

Ainsi  que  vous  l'aurez  appris  depuis,  c'était  bien  la  vérité  que  Ton 
vous  disait  en  vous  annonçant  les  grands  faits  accomplis  devant  Orléans, 
et  à  la  suite  la  conquête  de  nombreuses  forteresses,  de  beaucoup  de  lieux 
réputés  inexpugnables,  de  nombreux  prisonniers  ou  hommes  tués,  tous; 
au  moins  de  cinq  à  six  mille  Anglais  mis  en  fuite  avec  leurs  principaux 
capitaines,  en  sorte  qu'il  en  reste  peu  en  France.  On  raconte  que  par  la 
vertu  de  celte  demoiselle  le  Dauphin  est  en  possession  d'une  grande  puis- 
sance, et  tous  sont  sur  le  chemin  d'Orléans  {de  Reinu)  pour  le  couronne- 
ment. Je  pense  qu'il  aura  été  couronné  avant  la  Saint-Jean,  et  qu'au  jour 
où  je  vous  écris  il  sera  entré  à  Paris;  et  plaise  à  Dieu  Notre-Seigneur 
qu'il  en  soit  ainsi. 

Mais  il  serait  long  de  raconter  les  grands  miracles  qu'a  faits  conti- 
nuellement et  fait  encore  cette  demoiselle.  Veuillez  avoir  patience  et 
m'excuser  si  je  ne  vous  en  écris  pas  plus  long.  Je  vous  ferai  savoir  tout 
ce  qui  suivra. 

Remarques.  —  [Cette  lettre  a  manifestement  pour  but  de  confirmer  des 
nouvelles  déjà  données,  et  que  l'on  aurait  d'abord  refusé  de  croire,  à  ce 
qu'il  semble. 

Si  le  sacre  n^a  pas  eu  lieu  avant  la  Saint-Jean,  il  faut  l'imputer  aux  ter- 
giversations de  la  cour,  dont  la  Libératrice  se  plaignait  si  vivement.  Elles 
étaient  une  faute  du  point  de  vue  naturel  ;  il  fallait  profiter  de  la  victoire, 
sans  donner  à  l'ennemi  le  temps  de  se  ressaisir. 

Cette  lettre,  comme  les  précédentes,  présente  Paris  comme  l'objectif 
principal;  en  le  pensant  ainsi,  on  ne  s'écartait  pas  de  la  pensée  de  la 
Pucelle,  qui  avait  promis  de  mettre  le  roi  dans  Paris,  comme  elle  avait 
promis  de  le  faire  sacrer  à  Reims.] 


CHAPITRE  11 

LA   PUCELLE  DEPUIS  SA  NAISSANCE  JUSQU'A  LA  VEILLE  DU  SACRE. 

Sommaire  :  Sixième  lettre.  —  Age,  lieu  d'origine,  occupations,  piété,  départ  de  la  Pu- 
celle. —  La  mission  qu'elle  se  donne,  les  conditions  qu'elle  y  met.  —  D  abord  mal 
reçue.  —  Les  secrets.  —  Longues  épreuves.  —  Épreuve  par  la  communion.  —  Sa 
tempérance.  —  Sa  sainteté.  —  Elle  oblige  tout  le  monde  à  se  confesser.  —  Ses 
ordonnances  comme  chef  de  guerre.  —  Elle  exige  que  le  Dauphin  pardonne  de  bon 
cœur.  —  Hais  et  d'autres  guerriers  viennent  la  rejoindre.  —  La  Pucelle  armée.  — 
Son  étendard.  —  Les  préparatifs  de  la  campagne.  —  Sommation  aux  Anglais.  — 
Entrée  à  Orléans.  —  Nombre  des  combattants.  —  Prise  de  la  première  bastille.  — 
Nouvelle  sommation  le  jour  de  l'Ascension.  —  Nouvelles  conquêtes  le  jour  suivant. 


LA  CHRONIQUE  MOROSIM.  583 

—  Blessure  de  la  PucelJe.  —  Fuite  des  Anglais.  —  Le  duc  de  Bretagne.  —  Source  de 
ces  nouvelles.  —  Prophéties  sur  la  Pucelle.  —  Prise  de  Jargeau.  —  Victoire  de  Patay. 

—  Bedford  demande  instamment  du  secours  au  duc  de  Bourgogne.  —  Voyage  de  ce 
dernier  à  Paris,  et  bruits  contradictoires  sur  ses  intentions.  —  Faux  bruits  sur  Téva- 
sion  du  duc  d'Orléans.  —  Armée  venant  d*Angleterre.  —  Les  soldats  levés  contre  les 
Russiles  détournés  contre  la  France.  — Remarques  sur  cette  importante  lettre. 

Septième  lettre.  —  Départ  pour  le  sacre.  —  Fable  sur  la  conquête  d'Auxerre.  —  Exploit 
fabuleux  attribué  à  La  Hire.  —  Fausse  nouvelle  d*une  victoire  du  duc  de  Bar  sur  le 
duc  de  Bourgogne.  —  Conte  sur  la  couronne  de  saint  Louis. 

Htdtième  lettre*  —  Diverses  fausses  nouvelles. 

Neuvième  lettre .  —  Diverses  fausses  nouvelles.  —  Observations. 


VI 

[Voici  le  passage  le  plus  long  et  le  plus  intéressant  de  Morosini  sur 
THéroîne.  Le  commencement  et  la  fin  montrent  que  c'est  une  lettre.  Il 
ne  dit  pas  qui  Ta  écrite;  mais  tout  indique  que  c'est  Pancrace  Justi- 
niani  qui  aura  fait  un  résumé  de  tout  ce  qu'il  avait  appris  sur  la 
Pucelle.] 

En  Tan  1429,  en  date  du  9  juillet,  reçue  le  2  août. 

Nouvelles  de  Jeannette,  la  Pucelle  venue  au  royaume  de  France  en 
Tan  1429. 

Nous  avons  à  son  sujet  une  foule  de  lettres  venues  de  Bretagne  en  date 
du  4  juin.  Nous  avons  des  lettres  d'ailleurs.  Nous  avons  vu,  entendu 
des  personnes  dignes  de  foi,  nous  en  parler,  beaucoup  qui  l'avaient 
vue.  En  substance  tous  affirment  qu'il  se  passe  par  elle  des  événements 
très  miraculeux,  qui  sont  cependant  réels.  Pour  moi,  attendu  ce  que  l'on 
rapporte  de  sa  vie,  je  crois  que  la  puissance  de  Dieu  est  grande. 

Ladite  Pucelle  est  âgée  d'environ  dix-huit  ans,  du  pays  de  Lorraine 
sur  les  confins  de  la  France,  elle  était  béguine,  gardeuse  de  brebis,  fille 
d'un  villageois.  Au  commencement  de  mars  elle  quitta  son  troupeau,  fit 
prier  Dieu  et  ses  parents  et  demanda  à  quelques  gentilshommes  [de 
raccompagner].  Elle  ne  trouva  aucune  opposition,  vu  l'assurance  qu'elle 
leur  donna  d'être  mue  par  inspiration  divine... 

Venue  en  la  présence  du  noble  Charles,  le  Dauphin,  fils  du  roi  de 
France  dernier  mort,  elle  lui  fit  connaître  qu'elle  venait  de  la  part  de  Jésus, 
notre  Rédempteur,  pour  trois  choses  qui  auraient  leur  accomplissement, 
disait-elle,  si  le  roi  lui  accordait  une  ferme  foi,  ne  craignait  pas  d'exposer 
sa  vie,  procurait  un  amendement  général,  et  se  gouvernait  comme  elle 
le  dirait,  moyennant  la  grâce  de  Dieu  parle  commandement  duquel  elle 
était  dirigée.  La  première  chose  pour  laquelle  elle  venait,  c'était  pour  faire 
lever  le  siège  mis  par  les  Anglais  autour  d'Orléans,  la  seconde  pour  le 
faire  couronner  solennellement  et  le  faire  roi  de  toute  la  France  et  de  ses 


584  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

dépendances,  la  troisième  pour  procurer  la  paix  entre  lui  et  les  Anglais, 
et  encore  afin  que  le  duc  d'Orléans  sortît  de  sa  prison  d'Angleterre,  par 
accord  fait  à  l'amiable;  point  qui,  sans  l'intervention  de  la  miséricorde 
divine,  serait  très  difficile  à  obtenir  sans  grande  effusion  de  sang  de  part 
et  d'autre.  Si  les  Anglais  ne  voulaient  pas  accorder  cette  délivrance,  elle 
finirait  par  passer  en  Angleterre  et  les  y  contraindrait  malgré  eux,  en 
les  subjuguant  à  leur  inestimable  confusion  et  dommage. 

Le  Dauphin,  entendant  ces  choses  de  labouche  d'une  fillette,  se  moqua 
d'elle.  Il  la  crut  folle,  possédée  du  démon,  etde  toute  effronterie.  Celle-ci, 
voyant  qu'on  n'ajoutait  aucune  foi  à  ses  paroles,  lui  fit  connaître  des 
choses  qui,  dit-on,  n'étaient  connues  que  de  Dieu  et  du  Dauphin.  Ce  qm 
fut  cause  que  celui-ci  fit  réunir  beaucoup  d'hommes  de  savoir  ;  et  Von 
commença  à  disputer  avec  elle,  à  l'éprouver  de  bien  des  manières  soit 
sur  son  état  physique,  soit  sur  ses  entretiens  avec  des  gentilshommes  de 
sa  suite.  On  constata  qu'elle  demeurait  toujours  ferme  dans  ses  dires.  En 
dernier  lieu  elle  fut  durant  un  mois  soumise  à  l'examen  de  maîtres  en 
théologie.  A  la  fin,  considérée  sa  vie,  et  plus  encore  ses  paroles,  ses 
réponses  aux  questions  posées  par  ces   maîtres,  il  fut  conclu  que  cette 
créature  ne  pouvait  être  qu'une  sainte  et  une  servante  de  Dieu.  Tous  con- 
seillèrent au  Dauphin  de  se  fier  à  elle  de  tout  son  cœur.  On  m'écrit  bien 
d'autres  choses  encore,  sans  parler  de   ce  que  l'on  raconte.  Avant  de 
croire  à  ses  paroles,  on  a  eu  de  nombreuses  preuves  de  sa  mission,  entre 
autres  celles-ci  :  Elle  voulait  communier,  le  prêtre  avait  deux  hosties, 
Tune  consacrée,  l'autre  non  consacrée;  il  voulut  lui  donner  cette  der- 
nière. Elle  la  prit  à  la  main,  et  lui  dit  que  cette  hostie  n'était  pas  le  corps 
du  Christ,  son  Rédempteur,  mais  que  c'était  l'autre  que  le  prêtre  avait  mise 
sous  le  corporal. 

Deux  onces  de  pain  suffisent  à  sa  vie  de  chaque  jour,  elle  ne  boit  que 
de  l'eau,  et  si  elle  prend  un  rien  de  vin,  c'est  avec  trois  quarts  d'eau; 
elle  se  confesse  chaque  dimanche  ;  elle  est  très  dévote,  très  pieuse,  très 
simple,  toute  pleine  du  Saint-Esprit. 

Voici  en  substance  les  recommandations  qu'elle  fait  à  tous:  elle  veut 
que  les  capitaines  et  seigneurs  de  la  cour  se  confessent  comme  elle  ; 
qu'ils  se  confessent  de  leurs  fornications;  elle  exige  la  même  chose  des 
demoiselles.  Ceux  et  celles  qui  avaient  le  plus  offensé  Dieu  ;  ceux  qui  ont 
été  plus  cruels  ;  ceux  qui  plus  qu'hommes  ne  le  furent  jamais,  avaient  été 
esclaves  de  tous  les  vices,  elle  les  a  réduits  comme  les  autres  à  faire  sa 
volonté,  à  ne  pas  se  perdre  (je  ne  m'étends  pas  à  le  raconter),  mais  à 
avoir  recours  à  la  miséricorde  de  Dieu  pour  le  salut  de  leurs  âmes. 

Créée  capitaine  et  investie  du  gouvernement  de  toute  l'armée  du 
Dauphin,  elle  se  hâta  de  promulguer  que  personne  ne  fût  si  hardi  que 


586  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

Jeannette,  en  apprenant  le  mépris  qu'avait  provoqué  son  message, 
ordonna  que  chacun  s'armât  et  requit  aide.  Gela  dit,  on  se  compta 
et  il  se  trouva  qu'ils  n'étaient  pas  plus  de  deux  mille  pour  combattre 
plus  de  six  mille  Anglais.  Elle  les  conforta  si  bien  que,  sans  contesta- 
tion, ils  auraient  pu  tenir  tète  à  dix  mille.  La  Pucelle  passa  avec  tous 
ceux  qui  la  suivaient  devant  les  Anglais  qui,  lorsque  elle  était  présente, 
n'auraient  pas  été  en  état  d'arrêter  mille  combattants  ;  elle  entra  ave<r 
le  convoi  de  vivres  et  ravitailla  Orléans,  sans  que  les  Anglais  fissent  un 
mouvement:  ils  se  contentèrent  de  crier  des  vilenies  contre  elle,  l'appe- 
lant fille  de  mauvaise  vie  (putana),  une  sorcière,  jetant  des  pierres 
derrière  elle  avec  leurs  bombardes  et  leurs  mangonneaux. 

Ses  gens  restaurés  avec  ceux  qui  au  nombre  d'environ  deux  mille 
cinq  cents  soldats  étaient  à  la  garde  de  la  ville  sous  le  commandement 
du  bâtard  d'Orléans  et  d'autres  capitaines,  la  demoiselle  commanda  que 
chacun  apprêtât  ses  armes,  et  s'avançât  sans  ombre  de  peur.  Elle  les 
confortait  en  disant  de  ne  pas  craindre  parce  qu'ils  étaient  en  moins 
grand  nombre  que  les  Anglais,  car  Dieu  était  de  leur  côté. 

En  conclusion,  ils  sortirent,  un  mercredi,  contre  une  bastille  défendue 
par  six  cents  Anglais  des  plus  braves  et  des  mieux  éprouvés.  On  combattit 
tout  ce  jour-là  sans  leur  faire  éprouver  grande  perte,  si  bien  que  le  soir 
approchant  les  gens  de  la  demoiselle  manifestèrent  l'intention  de  se 
retirer.  On  vit  alors  la  demoiselle  lever  vers  le  ciel  ses  yeux  pleins  de 
larmes  et  faire  une  courte  prière.  Elle  cria  ensuite  que  tous  fissent 
attention  à  ses  paroles,  et  elle  dit  que  toute  force  avait  été  enlevée  aux 
ennemis.  Et,  poussant  de  grands  cris,  elle  alla  contre  les  Anglais,  elle  les 
frappe  et  prend  la  bastille  dans  laquelle  se  trouvaient  six  cents  Anglais 
qui  semblaient  avoir  les  mains  paralysées.  Tous  furent  pris  et  tués.  Dans 
cette  escarmouche  périrent  dix  Français,  les  autres  retournèrent  se 
reposer  dans  la  ville. 

Le  jeudi,  qui  fut  la  fête  de  l'Ascension,  elle  sortit,  dit-on,  pour 
observer  d'un  point  élevé  les  Anglais  dans  leurs  bastilles,  lesquelles 
étaient  au  nombre  de  neuf.  Personne  ne  fut  assez  hardi  pour  s'appro- 
cher de  sa  personne,  la  peur  les  empêchait,  mais  on  lui  dit  toute  sorte 
de  vilenies;  et  elle  leur  répondait  avec  beaucoup  de  modestie,  qu'ils 
devaient  lever  le  siège,  sans  quoi  ils  feraient  tous  mauvaise  fin. 

Le  vendredi,  sur  l'heure  de  tierce,  la  demoiselle  sortit  de  la  ville, 
son  étendard  en  mains,  et  suivie  de  tous  ses  gens  elle  alla  donner  l'as- 
saut à  une  autre  bastille,  la  plus  forte  de  toutes,  à  l'extrémité  opposée 
du  pont  jeté  sur  le  fleuve.  La  bastille  était  défendue  par  l'Anglais  Glaci- 
das,  à  la  tête  de  plus  de  cinq  cents  combattants.  Vers  les  quatre  heures, 
les  Anglais,  par  crainte  des  Français,  voulurent  se  retirer  en  deçà  sur  le 


LA  CORONIQUE  MOROSLNI.  587 

pont  ;  ils  ne  le  purent  pas  ;  le  pont  se  rompit  ;  Glacidas  tomba  dans  la 
rivière  avec  plus  de  trois  cents  des  siens  et  tous  se  noyèrent. 

Notez  que  la  Pucelle  fut  blessée  à  la  gorge  d'un  vireton  ;  ce  jour-là 
même  elle  avait  annoncé  cette  blessure  aux  capitaines,  ajoutant  que  cela 
n'aurait  pas  de  fâcheuse  conséquence. 

Les  plus  vaillants  capitaines  anglais  se  réunirent  et  se  fortifièrent  sur 
une  des  bastilles  les  plus  fortes  appelée  Londres.  Ce  jour-là  même  la 
Pucelle  avec  ses  troupes  vint  Tassaillir  et  l'emporta  de  vive  force.  Le 
capitaine  anglais  Molins  y  fut  tué.  La  demoiselle  en  conclut  que  le 
reste  du  camp  anglais  avait  abandonné  les  autres  bastilles,  et  s'en  allait 
son  chemin  plus  vite  qu'au  pas.  Ainsi  fut  levé  le  siège  d'Orléans,  grâce 
à  ladite  demoiselle  et  à  la  glorieuse  intervention  de  Dieu. 

Sachez  que,  pour  fuir  prestement,  les  Anglais  ont  laissé  toutes  leurs 
bombardes,  une  masse  d'armes  offensives  {iante  clave)^  leur  matériel  de 
guerre.  C'est  devenu  la  propriété  des  Français. 

Nous  savons  par  celui  qui  écrit  de  Bretagne  qu'on  s'était  adressé  au 
duc  de  Bretagne,  et  que  son  fils  devant  aller  avec  cinq  cenls  Bretons 
combattre  la  demoiselle;  ils  sont  retournés  en  Bretagne.  Ainsi  ce  Mon- 
seigneur {le  parti)  d'Orléans  devient  fort. 

Toutes  les  nouvelles  données  jusqu'à  ce  passage  de  ma  lettre  ont  été 
écrites  de  Bourgogne  ;  et  sont  arrivées  par  semblables  voies  ;  ajoutez  que 
pour  la  plupart  elles  ont  été  racontées  et  ouïes  de  la  bouche  de  beau- 
coup d'autres  de  diverses  nations,  venant,  qui  d'un  lieu,  qui  d'un  autre. 
Tous  s'accordent  pour  affirmer  les  grands  miracles  faits  par  la  demoi- 
selle, depuis  qu'elle  est  avec  le  Dauphin.  Pour  moi,  comme  je  l'ai  déjà 
dit,  considérant  que  la  Puissance  de  Dieu  est  grande,  je  ne  sais  propre- 
ment pas  ce  que  je  dois  en  penser.  Si  quelqu'un  veut  croire  le  con- 
traire, il  peut  le  faire  librement  ;  ni  l'un  ni  l'autre  ne  se  damnera  pour 
cela.  Ce  qui  est  bien  entendu,  c'est  que  les  affaires  du  Dauphin  vont 
chaque  jour  en  prospérant  davantage,  à  un  point  que  cela  semble  impos- 
sible à  croire,  quand  on  considère  l'état  auquel  les  Anglais  l'avaient 
réduit,  état  dans  lequel  on  voyait  bien  qu'il  n'en  pouvait  plus. 

A  Paris  l'ambassade  de  maître  de  Sasidis  a  trouvé  plusieurs  prophéties 
qui  font  mention  de  cette  demoiselle  ;  une  entre  autres  de  Bède  dans 
Alexandrie  {sic?).  On  les  interprète  qui  d'une  manière,  qui  de  l'autre. 
En  tout  cas,  voici  les  termes  de  ladite  prophétie.  Elle  se  tire  des  mots 
qui  suivent  \ 

i.  La  prophétie  telle  qu'elle  se  trouve  dans  Morosini  n'a  aucun  sens.  Le  vrai  texte 
est  celui  que  Bréhal  cite  dans  son  Mémoire,  et  qu'il  interprète  en  ne  tenant  compte, 
selon  les  régies,  que  des  lettres  usitées  pour  les  nombres  inférieurs.  (Voy.  la  Pucelle 
devant  VÉglise  de  son  temps,  p.  455.) 


588  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

5 

Vis  Gomulcoli  bis  septem  se  sociabunt /    100 

Galboniopuli  bella  nova  parabunt |       2 

Ecce  béant. bella,  fert  vexila  puella '       1 

5 

1 

100 

o 

100 

1 

1 

1000 

101 

5 

2 


1429 


Après  la  levée  du  siège  d'Orléans,  le  comte  de  SuiTolk  se  retira  dans 
une  place  forte  où  il  réunit  neuf  cents  hommes.  La  place  se  nomme 
Jargeau.  Vers  le  5  mai  {le  11  jîiin)  ladite  demoiselle  vint  Tassi^er  avec 
ses  gens,  l'emporta  de  vive  force,  et  fit  prisonniers  tous  les  Anglais  qui 
avaient  échappé  à  la  mort.  Ledit  comte  fut  fait  prisonnier  avec  un  de 
ses  frères  et  de  nombreux  chevaliers.  Un  de  ses  autres  frères  fut  tué. 
Cette  victoire  fut  remportée  le  12  juin. 

Les  capitaines  anglais,  réunissant  toutes  les  forces  qu'ils  pouvaient 
rassembler  tant  avec  les  soldats  anglais  qu'avec  les  Français  de  leur 
parti,  voulurent  en  venir  aux  mains  avec  les  gens  de  la  demoiselle  qui 
étaient,  dit-on,  au  nombre  de  quatre  mille  Français  à  cheval.  Ceux-ci 
n'avaient  pas  encore  rejoint  les  Anglais  que  ces  derniers  tournèrent  les 
épaules  sans  essayer  de  se  défendre,  ce  que  Ton  n'avait  jamais  vu.  La 
Pucelle,  assure-t-on,  s'est  trouvée  avec  tous  ses  hommes  ;  et  des  Anglais 
il  n'échappa  guère  que  cinq  cents  hommes.  Ont  été  pris  le  sire  de 
Talbot,  le  sire  de  Scales  et  beaucoup  d'autres  seigneurs.  D'où  vous  pou- 
vez conclure  comment,  en  peu  de  temps,  elle  a  fait  en  faveur  du  Dauphin 
les  plus  éclatants  et  plus  nombreux  miracles. 

Le  régent  est  autour  de  Paris,  il  a  demandé  secours  à  Bourgogne; 
sachez  que  tout  se  perd;  voilà  pourquoi  une  nouvelle  ambassade  est 
arrivée  tant  en  son  nom  qu'au  nom  de  la  ville  de  Paris  pour  savoir  quel 
secours  on  voulait  lui  donner  ;  il  demande  que  de  toute  l'Angleterre  on 
pourvoie  à  la  conservation  du  royaume  de  par  ici. 

Il  a  été  dit,  et  je  le  crois,  que  ces  deux  jours-ci,  Monseigneur  de 


590  U  VRAIE  JEAxNNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICB. 

ment  sur  Tétendue  et  la  nature  de  la  mission  reçue.  Le  couronne- 
ment à  Reims  n'est  qu'une  étape,  Reims  n*est  pas  même  nommé.  La 
Pucelle  doit  expulser  totalement  Tenvahisseur,  bien  plus,  passer  en 
Angleterre  pour  délivrer  le  duc  d'Orléans,  si  cette  délivrance  ne  peut 
pas  être  obtenue  à  l'amiable.  Jeanne  a  d'elle-même  affirmé  ce  dernier 
point  au  procès  de  Rouen  dans  la  séance  du  12  mars,  séance  du  soir. 

La  mission  est  conditionnelle.  Le  Dauphin  doit  obéir  aux  ordres  que 
le  Ciel  lui  intimera  par  son  Envoyée.  Une  réforme  générale  doit  être 
opérée;  réconciliation  avec  Dieu,  réconciliation  de  tous  les  partis  qui 
divisent  les  défenseurs  de  la  cause  nationale;  bien  plus  réconciliation 
finale  avec  les  Anglais.  Si  le  parti  que  la  jeune  fille  vient  relever  est  infi- 
dèle, au  lieu  des  bénédictions  promises  ce  seront  d'épouvantables  châti- 
ments. Gerson,  dans  son  Mémoire  composé  après  la  délivrance  d'Orléans, 
avait  depuis  déjà  deux  mois  dit  la  même  chose,  et  indiqué  les  grandes 
lignes  de  la  réforme  à  opérer.  L'on  ne  comprendra  ni  l'histoire,  ni  la 
mission  de  la  Libératrice,  tant  qu'on  s'obstinera  à  voiler  cet  aspect  ^ 

Ce  qu'il  dit  de  la  sainteté  de  la  jeune  fille,  et  en  particulier  de  son 
incroyable  tempérance  est  universellement  attesté  :  iera  begina^  c'est,  à 
notre  connaissance,  le  seul  texte  dont  on  pourrait  induire  qu'elle  appar- 
tenait à  quelque  confraternité  ou  tiers-ordre.  Aucun  n'est  spécifié. 

Ce  qui  est  dit  des  épreuves  auxquelles  la  jeune  fille  fut  soumise  avant 
d'être  mise  à  Toeuvre  est  exact,  ce  n'est  que  par  cette  lettre  que  nous 
connaissons  l'épreuve  par  la  communion. 

Deux  mille  guerriers  se  seraient  joints  avec  Jeanne  aux  deux  mille 
cinq  cents  qui  étaient  déjà  dans  Orléans,  et  les  assiégeants  auraient  été 
six  mille.  Ces  chiffres  sont  très  plausibles  et  conformes  à  ceux  de  Tabbé 
Dubois. 

1 .  La  traduction  du  passage  de  Gerson  a  été  donnée  dans  la  Pucelle  devant  r Église 
de  son  temps,  p.  28,  mais  à  cause  de  son  importance,  voici  le  texte  même  : 

«  Etsi  frustraretur  ab  omni  (a  totâ)  exspectatione  suà  et  nostrà  prœdicta  Pueila,  non 
oporteret  concludere  ea  qua  facta  sunt,  a  maligno  spiritu  vel  non  a  Deo  facta  esse, 
sed  vel  propter  nostram  ingratitudinem  et  blasphemias...  posset  contingere  fruslralio. 

«  Superadduntur  quatuor  civilia  et  thcoiogica  documenta.  Unum  concernit  regem 
et  consanguineos  regiai  domûs;  secundum  miiitiam  régis  et  regni;  terlium  ecclesias- 
ticos  cum  populo  ;  quartum  puellam  ipsam.  Quorum  documentorum  iste  unicus  est 
finis  benc  vivere,  pie  ad  Deum,  juste  ad  proximum,  et  sobrie  hoc  est  virtuose  et  tein- 
peranler  ad  seipsum. 

«  Et  in  speciaii  pro  quarto  documento  quod  gratia  Dei  ostensa  in  hac  Puella  non 
accipiatur  et  traducatur  per  se  aut  alios  ad  vanitates  curiosas,  non  ad  mundanos 
quaîstus,  non  ad  odia  partialia,  non  ad  seditiones  contentiosas,  non  ad  vindictam  de 
preteritis,  non  ad  gloriationes  ineplas,  sed  in  mansuetudine  et  orationibus,  cum  gra- 
tiarum  actione  quilibet  laboret  in  id  ipsum;  quatenus  veniat  pax  in  cubili  suo,  ut  de 
manu  inimicorum  nostrorum  liberati,  Deo  propitio,  servi amus  illi  in  sanctitatc  cl 
justitia  coram  ipf^o  omnibus  diebus  nostris,  amen.  A  Domino  factum  est  istud.  » 


LA  CHRONIQUE  MOROSLNI.  591 

Les  incidents  de  la  délivrance  d'Orléans  sont  rapportés  d'une  manière 
inexacte  :  le  correspondant  place  à  la  prise  de  Saint-Loup  des  faits  qui 
se  sont  passés  à  la  prise  des  Tourelles  ;  c'est  peu  étonnant  ;  le  correspon- 
dant était  loin  des  lieux,  et  les  récits  des  trois  jours  de  combat  devaient 
lui  être  faits  d'une  manière  confuse. 

Jargeau  fut  bien  emporté  le  12  juin,  mais  la  Pucelle  n'y  était  venue 
que  le  11.  Les  capitaines  restés  à  Orléans  avaient  fait  vers  le  15  mai,  en 
l'absence  de  laPccelle,  une  tentative  infructueuse  contre  Jargeau.  De  là 
Terreur  du  correspondant. 

Le  10  juillet,  le  duc  de  Bourgogne  entrait  effectivement  à  Paris.  Il 
jouait  double  jeu  puisque  ses  ambassadeurs  étaient  à  Reims  le  17. 

Ce  qui  est  dit  du  cardinal  d'Angleterre  est  aussi  conforme  à  la  vérité. 

Dans  son  ensemble,  cette  lettre  est  un  des  beaux  documents  de  l'his- 
toire de  la  Pucelle.  L'on  ne  peut  pas  en  dire  autant  du  tissu  des  fables  de 
la  suivante.] 

VII 

Copie  des  nouvelles  sur  la  demoiselle,  venues  de  France,  envoyées  à  la 
seigneurie  de  Venise  par  le  marquis  de  Montferrat  '. 

Illustrissime  prince,  il  est  très  vrai  que  le  21  juin  ladite  demoiselle 
est  partie  avec  tous  ses  hommes  d'armes  des  bords  de  la  Loire  pour  aller 
à  Reims  y  faire  couronner  le  roi  de  France.  Le  roi  lui-même  est  parti 
le  22,  la  demoiselle  ayant  l'habitude  de  le  précéder  d'une  journée  ou 
environ. 

Le  samedi  2  juillet  se  sont  passés  de  notables  événements  à  la  suite  de 
leur  arrivée  devant  la  cité  d'Âuxerre.  Dès  leur  venue,  les  habitants  ont 
député  vers  le  roi  douze  de  leurs  plus  notables  citoyens,  choisis  parmi 
ceux  qui  se  montraient  plus  favorables  à  sa  cause.  Il  feignaient  de  vouloir 
négocier  et  lui  rendre  obéissance  pour  qu'il  entrât  dans  la  cité.  Durant 
les  pourparlers,  les  habitants  mandèrent  de  nombreux  capitaines  d'hommes 
d'armes,  les  uns  Bourguignons,  les  autres  Savoyards,  tous  de  grands 
renom,  tels  que  le  vieux  de  Bar,  le  seigneur  de  Varandon  (?),  Messire  Hum- 
bert,  maréchal  de  Savoie.  Ces  derniers  amenèrent  environ  huit  cents  de 
leurs  gens,  que  les  boui^eois  cachèrent  dans  leurs  maisons,  vingt  et 
trente  dans  une,  soixante  dans  l'autre,  etc. 

La  demoiselle  voulut  que  douze  hommes  du  parti  du  roi  entrassent 

1.  M.  Délia  Santa  publia  dans  les  n<»  des  17  et  24  février  1895  de  la  Scintilla, 
journal  vénitien,  un  texte  des  deux  lettres  suivantes,  tiré  des  archives  du  couvent  de 
Saint-Georges-en-rUe.  11  présente  d*assez  nombreuses  variantes  avec  celui  de  Morisini, 
et  en  quelques  passages  rend  Morisini  intelligible. 


592  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

dans  la  ville  pour  voir  ce  qui  s'y  passait,  et  elle  se  fit  remettre  un  égal 
nombre  de  citadins.  Les  douze  envoyés  royaux  introduits  dans,  la  ville 
ouïrent  et  virent  cette  grande  multitude  d'hommes  armés,  tous  d'une 
d'une  attitude  très  martiale,  et  se  disposèrent  à  venir  rapporter  ce  qn'ils 
avaient  vu  et  entendu.  Les  habitants,  voyant  leur  trahison  découverte, 
s'emparèrent  de  leurs  personnes,  leur  coupèrent  la  tète,  et  les  clouèrent 
ensuite  sur  les  portes  de  la  ville.  A  cette  nouvelle,  la  demoiselle  ordonne 
qu'on  se  saisisse  des  douze  habitants  d'Auxerre,  et  qu^on  leur  coupe 
pareillement  la  tète  devant  ces  mômes  portes  ;  elle  commande  ensuite 
que  tous  viennent  à  l'attaque,  et  sur  son  ordre  tous  accourent  pour  monter 
à  l'assaut. 

L'évêque  de  la  ville  fut  pris  au  commencement  de  la  bataille,  combat- 
tant les  armes  à  la  main.  Il  était  venu  avec  les  prêtres  revêtus  des  orne- 
ments sacrés,  avec  les  reliques  et  de  l'eau  bénite.  La  demoiselle  le  fait 
saisir  ainsi  que  les  prêtres  et  leur  fait  à  tous  trancher  la  tête  ;  et  ensuite 
elle  fait  massacrer  tous  les  habitants  de  sept  ans  et  au-dessus,  hommes  et 
femmes,  et  elle  finit  par  faire  démanteler  la  ville. 

Il  est  vrai  que  deux  mille  Anglais  rôdaient  autour  du  camp  du  roi, 
observant  si,  à  la  faveur  de  quelque  désordre,  ils  ne  pourraient  pas  frapper 
un  grand  coup.  La  demoiselle  fit  venir  un  des  capitaines  du  roi,  du  nom 
de  La  Ilire  et  lui  dit  :  «  Tu  as  accompli  en  ton  temps  de  grands  exploits, 
mais  aujourd'hui  Dieu  t'a  choisi  pour  en  accomplir  un  nouveau  qui  sur- 
passera de  beaucoup  tous  ceux  du  passé.  Prends  tes  hommes  d'armes,  va 
dans  tel  bois  à  deux  lieues  d'ici,  tu  y  trouveras  deux  mille  Anglais,  la 
lance  en  main  ;  tu  les  prendras,  tu  les  tueras.  ))Le  capitaine  obéit,  trouva 
les  Anglais,  les  prit  et  les  tua  tous,  comme  le  lui  avait  dit  la  demoiselle. 
Dans  la  cité  d'Auxerre  ont  trouvé  la  mort  le  vieux  de  Bar  précédem- 
ment nommé,  le  seigneur  de  Varambon,  Messire  le  maréchal  Ilumbert 
avec  environ  six  cents  Savoyards.  Cela  fait,  l'armée  du  roi  marcha  vers 
une  ville  qui  s'appelle  Troycs;  elle  rendit  obéissance  ainsi  que  toute  la 
contrée  traversée  (?).  Il  est  vrai  que  le  duc  de  Bar,  frère  du  roi  Louis, 
Leau-frèrc  du  roi  de  France,  venait  le  joindre  avec  huit  cents  cavaliers. 
Les  Bourguignons,  qui  l'apprirent,  vinrent,  sur  le  commandement  du  duc, 
avec  douze  cents  cavaliers  pour  lui  barrer  le  passage.  On  en  vint  aux 
mains  ;  les  Bourguignons  ont  été  la  plupart  tués  ou  faits  prisonniers. 

Le  duc  de  Bourgogne  et  le  duc  de  Bedford  ont  réuni  toutes  leurs  forces 
dans  une  môme  ville  qui  s'appelle  Beauvais.  Là  ils  ordonnent  tout  pour 
combaltre  le  roi.  Malgré  la  multitude  d'hommes  dont  ils  disposent,  la 
demoiselle  n'en  fait  aucun  compte.  A  Lyon,  à  Grenoble  et  dans  les  autres 
pays  du  roi  de  France,  on  a  fait  des  processions,  de  grands  feux  et  de 
grandes  fûtes. 


U  CHRONIQUE  MOROSINI.  593 

L'évêquede  Clcrmont  avait  la  couronne  de  saint  Louis.  Voici  comment, 
à  son  très  grand  regret,  il  a  été  réduit  à  la  rendre  au  roi.  La  demoiselle 
lui  dépêcha  un  messager  avec  une  lettre  par  laquelle  elle  le  priait  de  vou- 
loir rendre  la  couronne.  L'évêque  répondit  qu'elle  avait  fait  un  mauvais 
rêve;  la  demoiselle  lui  envoya  une  seconde  fois  le  même  message  qui 
reçut  la  même  réponse.  Elle  écrivit  aux  habitants  de  Clermont  que  si  la 
couronne  n'était  pas  rendue,  Dieu  y  pourvoirait:  cela  étant  resté  sans 
effet,  il  tomba  soudainement  une  si  grande  quantité  de  grêle,  que  cela 
sembla  un  grand  miracle.  Ayant  écrit  une  troisième  fois  aux  susdits,  la 
demoiselle  décrivait  la  forme  et  la  contexture  delà  couronne  que  Tévôque 
tenait  cachée,  et  elle  ajoutait  que  si  elle  n'était  pas  rendue,  il  y  aurait  un 
châtiment  bien  pire  que  ceux  ressentis  précédemment.  L'évêque,  enten- 
dant décrire  la  forme  et  la  façon  de  la  couronne  qu'il  croyait  être  abso- 
lument inconnues  de  tous,  très  attristé  et  très  repentant  de  ce  qu'il  avait 
fait,  envoya  la  couronne  au  roi  et  à  la  demoiselle. 

VIII 

[Le  manuscrit  donné  par  la  5cm////a  rend  intelligible  le  commencement 
de  cet  article,  qui  ne  Test  pas  dans  Morosini.] 

Chapitre  tiré  d'une  autre  lettre.  —  De  France  est  venu  un  notable  per- 
sonnage qui  se  trouvait  de  sa  personne  aux  premiers  événements 
d'Orléans  à  la  suite  de  la  Pucelle.  U  a  reçu  une  lettre  du  roi  lui-même 
qu'a  présentement  en  mains  le  seigneur  marquis.  On  y  trouve  énoncées 
'  les  victoires  mentionnées  dans  la  copie  qui  vient  d'être  rapportée  et  plu- 
sieurs autres  choses  sur  les  conquêtes  d'autres  lieux  et  les  pertes  en 
hommes  des  Anglais.  La  lettre  se  termine  en  disant  qu'on  se  dispose  à 
aller  avec  la  Pucelle  au-devant  du  duc  de  Bourgogne,  à  en  venir  aux 
mains  avec  lui,  et  qu'on  a  espérance  d'une  bonne  victoire.  —  Le  marquis 
termine  la  sienne  en  disant  que  tout  récemment,  passant  par  le  couvent 
d'un  abbé,  personnage  très  digne  de  foi,  il  l'a  entendu  confirmer  de  lui- 
même  l'importante  nouvelle  de  la  défaite  du  duc  de  Bourgogne,  et  d'un 
immense  carnage  d'Anglais,  de  Bourguignons,  de  Savoyards.  L'on  ne 
dit  pas  que  le  duc  soit  prisonnier.  Le  marquis  affirme  qu'attendu  la 
lettre  du  roi  à  ladite  personne  toutes  ces  choses  sont  vraies.; 


IX 

Passage  de  la  lettre  de  Gênes,  en  date  du  1*'  août  1429: 

Je  prête  l'oreille  à  ce  qui  se  passe  en  France  ;  les  événements  ne  sont 
m.  38 


59^  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

pas  agréables  à  entendre  *.  La  Pucelle  prospère  toujours  ;  elle  a  remporté 
(le  nouveau  une  grandissime  victoire.  Le  bruit  court  que  le  Dauphin  est 
à  Paris,  que  le  régent  a  été  tué  dans  la  bataille,  que  le  duc  de  Bour- 
gogne est  prisonnier.  Il  semble  que  tout  cela  se  sait  à  Milan  par  un 
capitaine  à  la  solde  du  Dauphin.  Il  a  nom  Georges  de  Valpergue  et  il 
aurait  écrit  toutes  ces  nouvelles.  J'entends  dire  que  le  duc  de  Savoie  Ta 
écrit  de  la  môme  manière  au  duc  de  Milan. 
Ce  qui  est  rapporté  dans  ces  deux  chapitres  n'a  été  en  rien  confirmé. 

Observations.  —  [La  remarque  de  Morosini  est  tout  ce  qu'il  y  a  à 
retenir  de  ces  dernières  lettres.  Pas  une  goutte  de  sang  ne  fut  versée  à 
Auxerre.  Les  chroniqueurs  nous  Tout  dit  à  l'envie.  On  aura  peut-être 
placé  à  Auxerre,  en  le  dénaturant  sans  limites,  le  massacre  des  prison- 
niers que  la  Pucelle  fut  impuissante  à  empêcher  après  la  prise  de  Jargeau. 
Le  lecteur  a  pu  voir  voir  qu'un  bruit  semblable  avait  coupu  en  France, 
s'il  a  lu  la  lettre  de  Jacques  de  Bourbon  La  Marche  à  l'évêque  de  Laon, 
ou  qui  lui  est  du  moins  attribuée. 

Ce  qui  est  dit  de  La  Hire  est  une  altération  du  rôle  glorieux  quïl  joua 
à  Patay. 

L'on  ne  s'explique  pas  le  conte  à  propos  de  la  couronne  de  saint  Louis. 
L'accusée  de  Uouen^  pressée  de  dire  le  signe  qu'elle  avait  donné  au  roi, 
répondit  par  Tallégorie  de  la  couronne  qu'un  ange  aurait  apportée  au  roi  ; 
et  elle  donna  h  ce  propos  des  réponses  qui,  sans  trahir  le  secret  qu'elle 
avait  juré  de  ne  pas  révéler,  étaient  cependant  pleines  de  justesse.  Peut- 
ôtre  que,  pressée  aussi  par  Timportunité  de  curieux  indiscrets,  alors 
qu'elle  entrait  en  scène,  elle  aurait  fait  une  réponse  de  ce  genre.  L'imagi- 
nation populaire  aura  ajouté  le  reste. 

Le  duc  de  Bar  ne  rejoignit  son  beau-frère  que  quinze  jours  après  le 
sacre.  En  juillet,  comme  le  remarque  la  Chronique  dite  des  Cordeliers,  il 
était  avec  son  beau-père  au  siège  de  Metz.  C'est  seulement  à  Compiègne 
que  la  Libératrice  s'est  trouvée  les  armes  à  la  main  en  face  du  duc  de 
Bourgogne. 

Qu'on  remarque  comment  dans  toutes  ces  lettres  on  parle  de  la  sou- 
mission, de  la  conquête  de  Paris,  beaucoup  plus  que  du  sacre  à  Reims. 
C'est  qu'en  effet  la  Pucelle  se  donnait  comme  devant  introduire  le  roi  à 
Paris,  non  moins  que  comme  devant  le  faire  sacrer  à  Reims. 

Ceux  qui  s'étonneraient  de  ce  que  la  renommée  mêlait  de  faussetés  un 
récit  d'événements  que  l'histoire  n'a  enregistrés  qu'une  fois,  n'ont  qu'à 
se  rappeler  les  contes  que  l'on  faisait  circuler  l'année  de  nos  grands 

1.  L'auteur  de  la  lettre  devait  écrire  à  un  partisan  des  Anglais. 


LA  GORONIQUE  MOROSINI.  595 

désastres.  C'est  encore  plus  étonnant  que  ceux  que  l'on  vient  de  lire, 
car  c'étaient  des  contre-vérités.] 


CHAPITRE   III 

DU   SACRE  JUSQU'A  LA  RETRAITE  SUR  LA  LOIRE. 

SoMMAiiiE  :  Dixième  lettre.  —  Arrivée  à  Calais  du  cardinal  d'Angleterre  et  d'une  armée 
anglaise.  —  Bruits  divers  sur  les  intentions  du  duc  de  Bourgogne,  sur  la  marche 
du  Dauphin  vers  Reims  et  ses  projets  ultérieurs.  —  Tout  se  fait  par  le  conseil  de  la 
demoiselle.  —  Remai*ques. 

Onzième  lettre,  —  Le  sacre  et  la  campagne  qui  l'a  précédé.  —  Dévouement  de  Tournay 
&  la  France.  —  Le  duc  de  Bourgogne  revenu  de  Paris  est  à  Arras;  le  régent  atten- 
dant le  Cardinal  à  Pontoise.  —  Grande  levée  de  troupes  par  le  duc  de  Bourgogne. 

—  La  garde  de  Paris.  —  Fausses  tiouvelles  sur  les  conquêtes  du  duc  d'Aiençon  en 
Normandie.  —  Grands  miracles  accomplis.  —  Fausse  nouvelle  sur  le  comte  de 
Nevers.  —  Charles  Vil  en  marche  sur  Paris.  —  Jonction  de  Bedford  et  du  Cardinal. 

—  Remarques. 

Douzième  lettre.  —  Confirmation  de  la  nouvelle  du  sacre. 
Treizième  lettre.  —  Bruits  de  trêves  et  du  siège  de  Paris.  —  Remarques. 
Quatorzième  lettre.  —  Conquêtes  de  Charles  VII  après  le  sacre.  —  Le  régent  en  Nor- 
mandie. —  Le  duc  de  Bourgogne  sur  le  point  de  se  mettre  en  campagne. 
Trêves  inexplicables.  —  Remarques. 

X 

Dans  une  lettre  en  date  de  Bruges,  et  du  16  juillet,  sire  Pancrace 
Justiniani  écrit  de  nouveau  à  Messire  Marc  son  père  :  Ce  que  je  vous 
avais  annoncé  comme  devant  arriver  s'est  réalisé.  Le  cardinal  d'Angle- 
terre, qui  était  à  la  tète  de  quatre  mille  hommes  levés  pour  aller 
combattre  les  hussites,  est  parti  hier  de  Calais  pour  se  trouver  à  Paris. 
L'on  dit  qu'un  égal  nombre  d'Anglais  doit  prochainement  débarquer. 
C'est  tout  ce  que  j'ai  à  dire  à  ce  sujet. 

Depuis  que  Monseigneur  de  Bourgogne  est  parti,  les  uns  disent  qu'il 
s'est  rendu  à  Paris,  les  autres  le  nient  et  affirment  qu'il  n'a  pas  voulu 
s'y  rendre,  qu'il  se  trouve  à  Senlis...  qu'il  cherche  h  engager  des  pour- 
parlers avec  ses  beaux-frères  et  le  Dauphin.  Ces  beaux-frères  sont  Charles 
de  Bourbon  et  le  comte  de  Vendôme.  11  voudrait,  dit-on,  en  venir  à  un 
accord;  mais  on  ne  croit  rien  de  ce  que  je  viens  d'écrire. 

On  écrit  encore  que  le  Dauphin  avec  la  Pucelle,  à  la  tête  de  vingt- 
cinq  mille  hommes,  est  passé  par  Troyes  en  Champagne,  et  par  beau- 
coup d'autres  lieux.  Il  veut  arriver  à  Reims,  et  pour  le  moment  il  ne  se 
met  pas  en  peine  d'occuper  d'autres  pays.  Aussitôt  après  son  arrivée  ^ 


596  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  UBÉRATRICE. 

Reims,  il  sera  couronné  et  recevra  le  serment  d'obéissance  de  ses 
fidèles.  D'autres  disent  le  contraire,  et  chacun  parle  selon  ses  inclina- 
tions. L'on  pense  cependant  qu'il  sera  couronné,  ou  même  qu'il  Test 
déjà.  Parti  de  Reims,  il  se  dirigera  vers  son  pays  (probablement  nie- 
de-France'!).  Il  paraît  encore,  au  dire  de  plusieurs,  que  si  Dieu  n'y  met 
la  main,  les  deux  armées  venant  à  se  rencontrer,  on  sera  forcé  des  deux 
côtés  à  en  venir  aux  prises.  On  a  dit  que  Bourgogne  veut  se  trouver 
en  personne  à  cette  journée.  Il  a  fait  un  grand  mandement  dans  tous 
ses  États.  Que  Dieu  qui  le  peut  y  pourvoie  ! 

Mais  retenez  que  le  Dauphin  ne  fait  rien  que  par  le  conseil  de  la 
demoiselle,  qui  affirme  qu'elle  chassera  entièrement  les  Anglais  de 
la  France. 

Remarques.  —  [Il  faut  observer  ici  la  discrétion  du  correspondant, 
qui  ne  donne  comme  certain  que  le  débarquement  du  Cardinal,  la  con- 
vocation des  troupes  féodales  dans  les  terres  du  duc  de  Bourgogne,  et 
présente  le  reste  comme  des  bruits  qui  trouvent  des  contradicteurs.  Le 
duc  Philippe  s'était  bien  rendu  à  Paris,  où  il  entra  le  10  juillet;  mais 
en  même  temps  qu'il  resserrait  son  alliance  avec  les  Anglais,  il  faisait  des 
propositions  de  paix  à  Charles  VII,  et  envoyait  des  ambassadeurs  à  Reims. 
Double  jeu  qui  ne  devait  que  trop  lui  réussir. 

En  conjecturant  que  Charles  VII  allait  se  faire  sacrer,  s'il  ne  Tétait  pas 
déjà,  Pancrace  voyait  juste.  En  disant  qu'aussitôt  après  le  sacre,  il  se 
rendrait  dans  son  pays,  il  semble  bien,  d'après  ce  qui  suit,  qu'il  faut 
entendre  TIle-de-France. 

Remarquer  encore  comment  la  Pucelle  disait  qu'elle  devait  absolu- 
ment et  entièrement  chasser  les  Anglais  du  royaume.] 


XI 

Lettre  de  sire  Pancrace  Justiniani,  venue  de  Bruges,  en  date  du 
27  juillet  :  Je  vais  vous  rapporter  tout  ce  que  j'ai  appris  des  nouvelles  de 
France  jusqu'au  27  juillet.  On  sait  avec  certitude  par  de  nombreuses 
voies  que  vers  le  12  de  ce  mois  le  Dauphin  est  entré  en  possession  de 
Troyes  en  Champagne.  Avant  de  lui  donner  entrée,  les  habitants  le  firent 
attendre  trois  jours,  et  après  ils  se  soumirent  très  paisiblement  à  lui 
comme  à  leur  souverain.  Il  pardonna  à  tous  très  bénignement,  et  les 
reçut  avec  bonté.  Tout  se  fit  par  la  disposition  de  la  Pucelle,  qui,  à  ce 
qu'on  dit,  a  le  commandement,  ,1a  direction  et  gouvernement  de  tout. 
Elle  suit,  dit-on,  constamment  le  Dauphin,  elle  a  une  armée  de  vingt- 


LA  CHRONIQUE  MOROSINI.  597 

cinq  mille  combattants,  sans  compter  ceux  qui  se  trouvent  sur  la  fron- 
tière de  la  Normandie  sous  les  ordres  du  duc  d'Alençon,  comme  nous 
le  dirons  plus  loin. 

Partis  de  Troyes,  ils  sont  venus  à  Reims,  où  l'usage  demande  que 
soient  couronnés  tous  les  rois  de  France.  Ils  y  arrivèrent  le  samedi 
16  de  ce  mois  dé  juillet,  les  portes  leur  en  furent  ouvertes  sans  condition 
aucune;  le  sacre  eut  lieu  le  dimanche  17  avec  toutes  les  cérémonies 
ordinaires.  Il  dura  depuis  tierce  jusqu'à  vêpres  environ.  Tout  cela  est  su 
avec  certitude  par  plusieurs  voies.  Auparavant,  de  nombreuses  contrées 
de  la  Champagne,  telles  que  Châlons,  Laon,  Saint-Quentin,  tous  les 
autres  pays  qui  sont  avant  ces  villes,  lui  ont  rendu  obéissance.  Ce  n'est 
pas  que  ces  contrées  eussent  été  de  son  parti  ;  elles  avaient  toujours  été 
du  parti  du  duc  de  Bourgogne,  encore  qu'elles  se  soient  toujours  refusées 
à  prêter  serment  aux  Anglais.  Elles  se  gouvernaient  par  elles-mêmes  en 
suivant  le  parti  de  Bourgogne. 

Toumay,  cité  distante  d'ici  d'une  journée  (environ  40  milles),  qui  fu 
toujours  très  fidèle  à  son  seigneur  le  Dauphin,  a  fait  sur  son  territoire 
des  fêtes,  des  processions,  des  feux  de  joie  pour  célébrer  les  victoires  du 
roi  nouvellement  sacré.  C'est  le  sentiment  de  beaucoup  que  les  habi- 
tants Taideront  de  leurs  deniers  ;  et  il  en  est  qui  disent  qu'ils  équipe- 
ront jusqu'à  quatre  mille  hommes  pour  soutenir  sa  cause. 

Le  duc  de  Bourgogne  est  de  retour  de  Paris  ;  il  est  arrivé  à  Arras  le  10 
{vers  le  19)  de  ce  mois.  Il  a  amené  avec  lui  la  duchesse  sa  sœur,  femme 
du  duc  de  Bedford,  qui  se  proclame  régent  de  France.  Ledit  régent 
était  parti  de  Paris  pour  se  trouver  à  Pontoise  qui  est  la  clef  de  la  Nor- 
mandie. Il  y  attend  le  Cardinal  avec  tous  les  Anglais  qui  ont  débarqué. 
On  les  dit  au  nombre  de  six  mille,  dont  trois  mille  payés  des  deniers 
de  l'Église  pour  marcher  contre  les  hussites.  Que  Dieu  qui  est  juste 
juge... 

Le  seigneur  duc  a  fait  en  Picardie  et  dans  ses  autres  Etats  grand  man- 
dement pour  lever  des  hommes  d'armes  ;  et  selon  son  vouloir  on  affirme 
qu'il  sera  bientôt  prêt  à  aller  avec  les  Anglais  combattre  Jeannette  et  le 
Dauphin.  Que  le  Christ  dispose  tout  selon  le  droit  ! 

Paris,  à  la  grande  frayeur  du  peuple,  est  gardé  par  trente-deux  sei- 
gpneurs  ;  seize  sont  Bourguignons  et  seize  sont  Anglais.  Ils  ont  sous  leurs 
ordres,  à  ce  qu'on  raconte,  environ  trois  mille  hommes.  Ils  ont  défendu 
à  qui  que  soit  du  peuple  de  sortir  de  la  ville... 

Des  personnes  dignes  de  foi  donnent  comme  certain,  et  je  le  crois 
ainsi  autant  qu'on  peut  le  conjecturer,  que  le  roi  de  France  a  mandé 
à  ce  seigneur  duc  de  Bourgogne  de  faire  des  préparatifs  pour  vouloir 
bien  se  trouver  à  Saint-Denis   le  jour  de  la  Magdeleine.  Saint-Denis 


598  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIRÉRATRICE. 

est  une  ville  à  environ  deux  milles  de  Paris,  où  tous  les  rois  de  France 
ceignent  la  couronne,  cérémonie  à  laquelle  doivent  assister  les  douze 
pairs.  Or  le  duc  de  Bourgogne  est  pair  à  double  titre,  pour  le  comté 
de  Flandre  et  le  duché  de  Bourgogne...  Il  n'y  a  pas  à  penser  qu'il  s'y 
rende,  mais,  en  secret,  d'autres  disent  le  contraire.  Je  ne  sais  ce  que 
je  dois  croire. 

On  sait  que  le  duc  d'Alençonàla  tète  de  douze  mille  hommes  fait  bonne 
guerre  aux  Anglais  sur  les  frontières  de  la  Normandie.  Il  se  dit  qu'il 
s'est  emparé  déjà  de  trois  ou  quatre  seigneuries.  D'après  moi,  les  Anglais 
seront  forcés  de  renforcer  leurs  forces  en  Normandie;  heureux  s'ils 
parviennent  à  conserver  leurs  possessions,  eu  égard  aux  résultats  des 
batailles  qui  sont  beaucoup  plus  favorables  au  roi  de  France  qu'au 
régent.  Dans  ces  trois  mois  l'on  fera  la  paix. 

Nous  pouvons  bien  dire  que,  de  nos  jours,  nous  avons  vu  des  choses 
très  miraculeuses,  comme  on  peut  s'en  convaincre  en  considérant  ce 
qui  est  advenu  jusqu'ici.  Que  le  Christ  donne  secours  au  droit  et  que 
ce  soit  pour  le  bien  de  tous  ! 

Il  a  été  dit  depuis  plusieurs  jours,  sans  qu'aucune  lettre  l'ait  confirmé, 
que  le  fils  [le  beau-fils)  du  duc  de  Bourgogne  s'est  mis  à  la  suite  du  roi 
de  France  avec  trois  mille  barons. 

Notre  seigneur  duc  se  trouve  tout  à  l'heure  à  Arras.  On  raconte  que 
ces  jours  derniers,  il  a  envoyé  une  ambassade  au  roi  de  France,  ambas- 
sade, qui,  dit-on,  les  aurait  laissés  en  plein  désaccord.  Il  se  dit  que  le 
môme  duc  est  prêt  à  combattre  dans  le  mois  d'août  avec  les  Anglais 
contre  ledit  roi.  Je  ne  sais  ce  qu'il  faut  en  croire. 

On  sait  avec  certitude  que  le  roi  de  France  a  été  à  Noisy,  à  douze 
lieues  de  Paris  ;  que  c'était  pour  venir  vers  Paris  ceindre  la  couronne 
à  Saint-Denis,  solennité  qu'il  est  dans  l'obligation  d'accomplir;  on  tient 
pour  certain  qu'il  y  sera  couronné  ces  jours-ci.  Les  Parisiens  ont  déman- 
telé les  murailles,  comblé  les  fossés  de  Saint-Denis,  en  faisant  réfugier 
le  peuple  à  Paris,  pour  que  le  roi,  en  arrivant  avec  son  armée,  ne  puisse 
pas  s'y  fortifier. 

Le  Cardinal  et  le  régent  sont  réunis  à  Pontoise,  à  sept  lieues  de  dis- 
tance de  Paris,  avec  toutes  les  forces  anglaises,  qui  doivent  être  enga* 
gées  dans  le  combat.  Que  le  Christ  pourvoie  au  bien  des  chrétiens  !  On 
ne  sait  rien  de  ce  qui  a  suivi,  ni  autre  chose  des  événements,  jusqu'au 
27  juillet  1429. 

Remarques.  —  [Cette  lettre,  si  remplie  de  nouvelles,  en  contient  fort 
peu  qui  soient  fausses.  Le  duc  d'Alençon  combattait  dans  l'armée  de  la 
Pucelle,  avec  le  titre  de  lieutenant  général  du  roi.  Il  se  rapprochait  des 


LA  CHRONIQUE  MORO&INI.  599 

frontières  de  la  Normandie  par  la  soumission  du  Beauvaisis.  A  cette  date, 
Saint-Denis  n'était  pas  démantelé,  s'il  l'a  jamais  été;  cependant  le  Jour- 
nal de  Chuffard  nous  apprend  que  les  habitants  de  la  campagne,  par 
crainte  des  Armagnacs,  fuyaient  à  Paris,  emportant  leurs  blés  mois- 
sonnés avant  le  temps.  Le  comte  de  Nevers  était  le  beau-fils  du  duc 
Philippe,  et  en  même  temps  son  cousin  germain.  Il  inclinait  vers  la 
cause  française,  quoiqu'il  ne  fût  pas  en  position  de  la  soutenir  comme 
il  l'aurait  voulu.  Le  duc  Philippe  avait  épousé  la  mère  du  jeune  comte. 
Bonne  d'Artois,  que  la  défaite  d'Azincourt  avait  rendue  veuve.  C'était  sa 
tante  par  alliance.  Elle  mourut  après  quelques  mois  de  mariage,  mais 
le  duc  conserva  la  tutelle  de  ses  beaux-fils,  tout  en  convolant  à  un 
troisième  mariage.] 

XII.  —  Depuis,  nous  avons  su  par  le  courrier,  ou  mieux  par  la  malle 
{scarcella),  arrivée  de  Bruges,  d'où  elle  était  partie  à  la  date  du 
9  août  1429,  comment  le  Dauphin  avait  été  avec  la  demoiselle  h  trois 
lieues  de  Paris.  L'on  ne  sait  pas  encore  s'il  y  est  entré  ;  ce  que  l'on  sait, 
c'est  qu'il  a  été  sacré  roi  du  royaume  de  France.  Ce  qui  adviendra  par 
Isuite,  nous  ne  tarderons  pas  à  le  savoir. 

XIII.  —  Du  côté  de  Paris,  des  lettres  venues  de  Bruges,  antérieures  au 
17  septembre,  ne  nous  disent  pas  que  le  Dauphin  ait  été  encore  couronné 
dans  cette  ville.  Après  on  a  donné  comme  un  bruit  que  le  duc  avait  fait 
avec  le  Dauphin  une  trêve  de  deux  mois,  et  puis  qu'un  grand  nombre 
d'hommes  d'armes  avaient  été  avec  ce  môme  Dauphin  et  avec  la  demoi- 
selle autour  de  Paris,  et  y  avaient  mis  le  siège.  Ce  que  nous  saurons 
dans  la  suite,  nous  nous  empresserons  de  le  noter  dans  cette  Chronique. 
Dieu  sait  les  grandissimes  choses  qui  ont  dû  se  passer  en  France,  par 
suite  des  gestes  de  la  demoiselle  dans  laquelle  opère  la  vertu  divine... 

Remarques.  —  [L'on  voit  l'impatience  du  chroniqueur  de  connaître  la 
suite  des  événements  de  France.  Loin  d'admettre  la  thèse  insoutenable 
de  la  fin  de  la  mission  à  Reims,  à  défaut  de  nouvelles  positives  il  sup- 
pose que  de  très  grandes  choses  ont  dû  se  passer.  Il  en  eût  été  ainsi 
sans  les  désastreuses  trêves  que,  justement,  il  a  de  la  peine  à  concilier 
avec  le  siège  de  Paris.] 

XIV.  —  Copie  d'une  lettre  de  Bruges,  en  date  du  13  septembre,  écrite 
par  le  noble  Messire  Pancrace  Justiniani  à  son  père  Messire  Marc.  Voici 
dans  sa  teneur  même  ce  qu'elle  contient  : 

Je  vous  écrivis  sur  les  nouvelles  de  France  quelles  grandes  choses  s'y 
étaient  passées  jusqu'au  27  du  mois  dernier  {avant-dertiier).  A  la  suite 


600  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARC  :  U  LIBÉRATRICE. 

le   roi   est   entré  en  possession  de   Senlis,  PorUe-Santo ^  Pont-Sainte- 
Maxence(?),  Cholo^  Creil(?),  Fonte  Zabaton{??)j  Beauvais,  Saint-Denis. 

Le  régent  est  en  Normandie  avec  tous  les  Anglais  au  nombre  d'en- 
viron six  mille.  Monseigneur  de  Bourgogne  devait  partir  hier  d'Arras 
avec  quatre  mille  hommes,  pour  se  joindre  au  régent,  et  puis  aller 
secourir  Paris... 

On  a  dit  aujourd'hui  qu'une  trêve  avait  été  conclue  jusqu'à  NoPl 
entre  les  deux  partis.  Il  m'est  impossible  de  me  l'expliquer.  A  qui  m'en 
demanderait  la  raison,  je  répondrais  que  nous  devons  croire  qu'il  y  a 
accord  entre  Monseigneur  de  Bruges  {de  Bourgogne)  et  le  roi,  et  que,  par 
ailleurs  nous  n'avions  pas  lien  de  le  penser ^  jusqu'au  13  septembre  1429. 
Depuis  l'on  a  dit  que  le  roi  de  Portugal  donne  sa  fille  en  mariage  au  fils 
{beau-fils)  du  duc  de  Bourgogne. 

Remarques.  —  [Ce  n'était  pas  avec  le  fils  du  duc  de  Bourgogne,  mais 
avec  le  duc  lui-même  que  le  mariage  devait  avoir  lieu.  Pancrace  Justi- 
niani  avait  parfaitement  raison  d'être  ébahi  d'une  trêve  qui  reste  une 
des  énigmes  de  Thistoire.  Il  a  été  déjà  dit  plusieurs  fois  dans  quelle  fausse 
situation  elle  mettait  la  Libératrice,  et  quelle  situation  inextricable  elle- 
créait.] 

CHAPITRE    IV 

DEPUIS  LE  RETOUR  SUR  LA  LOIRE  JUSQU'A  LA  CAPTIVITÉ  DE   LA   PUCELLE. 

Sommaire  :  Quinzième  lettre,  —  Conquêtes  des  Français  en  Normandie,  conjuration  pour 
leur  livrer  Rouen.  —  Grands  préparatifs  de  guerre  attribués  à  Charles  VIL  —  Con- 
quête fauss(Mn<>nl  attribuée  à  la  Purelle.  —  Ses  exploits  la  montrent  suscitée  par 
Dieu.  —  L'Université  de  Paris  l'a  dénoncée  à  Rome  comme  hérétique.  —  Le  chan- 
celier a  écrit  pour  la  défendre  et  la  glorilier.  —  Le  roi  d'Angleterre,  couronné  à 
Londres,  se  propose  de  passer  en  France.  —  Remarques. 

Seizième  lettre.  —  Prolongation  de  la  trêve.  —  Difficile  à  expliquer.  —  Opinions  diffé- 
rentes sur  l'attitude  adoptée  par  le  duc  de  Bourgogne.  —  Sentiment  de  Pancrace. 
—  Conquête  de  Louviers.  —  Faux  récits  sur  les  conquêtes  de  Charles  Vil  et  ses  res- 
sources en  vue  de  la  guerre.  —  Redford  en  Normandie.  —  Secours  reçus  d'Angle- 
terre. —  Prochain  débarquement  du  jeune  roii 

Dix-septième  lettre.  —  Prise  de  Château-Gaillard.  —  Actifs  préparatifs  de  guerre. 

Dix-huitième  lettre.  —  Prétendue  course  du  roi  et  de  la  Pucelle  aux  portes  de  Paris.  — 
Conjuration  dans  cette  ville.  —  Prétendue  tentative  de  Luxembourg  contre  Corn- 
piègne.  —  Autres  fausses  nouvelles. 

Dix- neuvième  lettre.  —  La  victoire  d'Authon.  —  Fausse  nouvelle  sur  la  Pucelle. 

XV.  —  Copie  (l'une  lettre  écrite  de  Bruges  par  noble  Pancrace  Justi- 
niani  à  son  père  MessireMarc,  en  date  du  20  novembre.  Elle  a  été  reçue  à 
Venise  le  23  décembre.  Voici  brièvement  son  contenu  :  Messire,  je  vous 


LA  CHRONIQUE  MOROSINI.  601 

écrivis  par  la  scarcella  (malle)  ma  précédente  lettre  le  4  du  présent 
mois,  je  vous  donnais  avis  de  ce  qui  s'était  passé  en  France  jusqu'au 
jour  qui  vient  d'être  indiqué.  Depuis,  les  gens  du  roi  (?)  se  sont  emparés 
en  Normandie  d'un  pays  appelé  Veroil  (Vemeuil?),  pays  excellent  ; 
ils  ont  conquis  d'autres  fortes  positions  et  plusieurs  forteresses.  De  plus, 
à  Rouen,  une  conjuration  avait  été  formée  par  entente  avec  Charles  de 
Bourbon  et  le  duc  d'Alençon.  Si  elle  avait  réussi,  on  se  rendait  maître  de 
la  ville,  du  duc  de  Bedford  et  de  tous  les  autres  Anglais. 

Hier  est  venu  devers  Paris  un  ambassadeur  de  notre  seigneur  duc  au 
roi.  J'ai  pu  savoir  par  lui  qu'il  avait  été  conGdentiellemcnt  chargé  d'une 
prolongation  de  la  trêve  jusqu'au  milieu  de  février.  Le  même  ambas- 
sadeur a  dit  ce  que  tout  le  monde  répète  que  le  roi  de  France  fait  de  très 
grands  préparatifs  pour  être  prêt  au  printemps:  on  dit  qu'il  aura  cent 
raille  hommes  à  mettre  en  campagne.  Gela  peut  être,  cela  me  parait 
cependant  un  nombre  excessif.  Ce  qui  est  certain,  c'est  que  tout  ce  mouve- 
ment se  produit  à  la  voix  delà  Pucelle;  elle  est  certainement  bien  en  vie. 

En  preuve,  c'est  qu'il  y  a  très  peu  de  temps  elle  a  pris  d'assaut  un 
château  très  fort  à  cinq  lieues  de  Paris,  et  ensuite  elle  a  été  mettre  le 
siège  à  Logiente  (Gien?  sur  Loire  (?).  On  raconte  d'elle  tant  de  merveilles 
dans  ces  derniers  jours  que,  si  elles  sont  vraies,  il  y  a  de  quoi  être  ravi 
d^admiration.  A  mon  avis,  chacun  selon  qu'il  croit,  ou  ne  croit  pas, 
ajuste  et  accommode  ses  exploits,  amplifie  ou  retranche  à  sa  fantaisie.  Ce 
en  quoi  tout  le  monde  s'accorde,  c'est  qu'elle  est  toujours  avec  le  roi. 
Ce  qui  est  évident  pour  tous,  c'est  qu'à  son  ombre  se  sont  accomplis  des 
événements  tels  qu'ils  démontrent  qu'elle  est  l'Envoyée  de  Dieu.  Tout  ce 
qui  est  survenu  de  favorable  au  roi,  toutes  les  conquêtes  faites  et  toutes 
celles  qui  se  font  présentement  lui  sont  entièrement  dues.  Le  croire  n'est 
pas  un  mal,  et  celui  qui  ne  le  croit  pas  ne  pèche  pas  contre  la  foi. 

Je  me  trouvais  ces  jours  derniers  à  discuter  à  ce  sujet  avec  quelques 
religieux,  et  j'ai  eu  vent  que  l'Université  de  Paris,  ou  mieux  les  ennemis 
du  roi,  avaient  envoyé  à  Rome  pour  l'accuser  auprès  du  Pape.  Cette 
Pucelle,  d'après  eux,  serait  une  hérétique,  et  non  seulement  elle,  mais 
encore  ceux  qui  ont  foi  en  elle  ;  elle  va,  disent-ils,  contre  la  foi  en  voulant 
qu'on  la  croie,  et  en  sachant  prédire  l'avenir.  Le  chancelier  de  l'Uni- 
versité, homme  très  renommé,  docteur  en  théologie,  a  composé  un  très 
bel  ouvrage  en  sa  faveur,  à  son  honneur,  à  sa  louange  et  pour  sa 
défense.  Je  vous  l'envoie  avec  cette  lettre.  Messire  le  doge,  d'autres 
encore,  d'après  ce  qu'il  me  semble,  en  prendront  connaissance  avec  grand 
plaisir.  Faites  que  lui  et  nos  amis  de  chez  vous  reçoivent  communication 
des  nouvelles  ci-incluses  ;  après  avoir  lu  ma  lettre,  vous  pourrez  la  faire 
circuler. 


602  LA  VRAIE  JEANNE  D^ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

Le  roi  d'Angleterre  a  été  couronné  à  Londres  le  6  de  ce  mois  ;  il  est 
âgé  de  huit  ans.  L'on  donne  comme  certain,  et  je  le  crois,  qu'il  s'ap- 
prête à  passer  la  mer  au  printemps  avec  grande  puissance.  L'on  parle  de 
plus  de  vingt-cinq  mille  Anglais.  Il  me  semble  hors  de  doute  qu'il  va  se 
passer  de  grands  événements  au  printemps.  Que  le  Christ  y  pourvoie!  L'on 
ne  sait  pas  encore  ce  que  fera  notre  duc  ;  mais,  d'après  le  bruit  public,  il 
est  disposé  à  tenir  les  promesses  faites  aux  Anglais. 

[Le  reste  de  la  lettre,  ainsi  que  la  suivante,  est  consacrée  aux  péripé- 
ties par  lesquelles  passa  la  fille  du  roi  de  Portugal  en  se  rendant  auprès 
de  son  mari,  le  duc  de  Bourgogne,  et  à  quelques  autres  sujets  étrangers 
à  l'histoire  de  la  Pucelle.] 

Remarques.  —  [Les  Français  remportèrent  en  réalité  quelques  avan- 
tages en  Normandie  ;  ils  auraient  été  beaucoup  plus  marqués  si,  après  le 
retour  du  roi  aux  bords  de  la  Loire,  on  avait  autorisé  la  Pucelle  à  aller 
avec  le  duc  d'Alençon  porter  la  guerre  dans  cette  province.  Puisque  la 
trêve  empêchait  d'attaquer  Paris,  remis  au  gouvernement  du  duc  de 
Bourgogne,  c'est  en  Normandie  qu,'il  fallait  poursuivre  l'Anglais  qui  avait 
refusé  d'accéder  à  la  trcve. 

La  Pucelle  n'avait  pas  pris  de  place  aux  environs  de  Paris.  Depuis  la 
retraite  effectuée  le  13  septembre,  elle  avait  été  retenue  en  deçà  ou  aux 
bords  de  la  Loire.  Le  roi  ne  faisait  pas  les  grands  préparatifs  signalés  par 
Justiniani.  A  remarquer  ce  qu'il  dit,  que  l'Université  de  Pari?,  ennemie 
acharnée  du  parti  national,  avait  dénoncé  à  Rome  la  Libératrice  comme 
hérétique.  Il  serait  à  souhaiter  que  Ton  cherchât  dans  les  archives 
romaines,  spécialement  celles  du  Saint-Office,  si  des  pièces  confirment 
semblable  assertion.  Fort  remarquable  aussi  ce  qu'il  dit  du  chancelier 
Gerson,  et  de  l'intérêt  que  portaient  à  la  cause  française  le  doge  et 
l'aristocratie  vénitienne.] 

XVL  —  1429  [anc.  st.).  —  Nouvelles  reçues  le  1*""  février.  Copie 
d'une  lettre  datée  de  Bruges  du  4  janvier.  Elle  est  de  sire  Pancrace  Justi- 
niani, fils  de  Messire  Marc,  lequel  est  lui-même  fils  d'Orsato.  Très  cher 
père,  le  8  du  mois  dernier  je  vous  écrivis  tout  ce  que  nous  savions  de 
nouveau.  Je  vais  vous  raconter  ce  que  nous  savons  être  arrivé  ensuite. 
Depuis  environ  le  20  du  mois  dernier  jusqu'à  aujourd'hui  nous  avons  eu 
ici  en  permanence  un  ambassadeur  du  roi  de  France  au  seigneur  duc  et 
aux  Anglais.  La  trêve  qui  finissait  à  Noël  a  été  prolongée  pour  un  plus 
long  temps,  pour  tout  le  mois  de  février.  Voilà  d'étranges  choses,  diffi- 
ciles à  expliquer.  Plusieurs  chuchotent  secrètement  qu'il  y  a  accord  entre 
le  duc  et  le  roi  de  France,  d'autres  disent  le  contraire.  Je  suis  de  ceux  qui 
pensent  le  contraire.  Je  crois  que  le  duc  enverra  ses  hommes  au  secours 


U  CHRONIQUE  MOROSINI.  603 

des  Anglais,  mais  qu'il  n'ira  pas  personnellement.  Il  restera  dans  ce  pays 
pour  faire  plaisir  à  sa  nouvelle  femme...  [Il  est  question  d'une  ambassade 
de  Charles  de  Bourbon,  dont  Pancrace  avoue  ne  pas  connaître  l'objet.] 

Les  hommes  du  duc  d'Alençon  font  en  Normandie  grande  guerre  aux 
Anglais.  Ils  s'emparent  de  tous  les  châteaux  et  de  toutes  les  forteresses. 
Ces  jours  derniers  ils  se  sont  conquis  une  position  importante  par  le 
nombre  des  habitants  et  par  son  site,  nommée  Louviers.  Il  y  avait  cinq  cents 
Anglais  qui  tous  y  trouvèrent  la  mort.  La  ville  se  soumit  par  composition. 

Un  secrétaire  du  duc  d'Orléans,  prisonnier  en  Angleterre,  qui  venait 
de  vers  le  roi  de  France,  est  passé  par  ici  muni  d'un  sauf-conduit  du  duc  et 
des  Anglais.  lia  dit  verbalement,  et  je  le  crois  parce  qu'il  est  un  homme 
qui  mérite  confiance,  que  les  troupes  du  roi  avaient  pris  La  Charité-sur- 
Loire  et  quelques  autres  places  qui  tenaient  pour  le  duc.  II  ne  resterait 
plus  à  soumettre  que  Chartres  et  Paris;  je  parle  de  la  France.  Tout  a  été 
emporté  d'assaut,  et  pour  dire  tout  ce  qui  se  raconte  (vous  en  croirez  ce 
que  vous  voudrez)  l'on  attribue  toutes  ces  conquêtes  à  la  Pucelle,  ainsi 
que  mille  autres  merveilles.  Si  elles  sont  vraies,  a  domino  fada  est  ista 
et  voilà  de  nos  jours  de  grands  prodiges. 

Le  roi  de  France  est  en  bon  point  ;  on  le  sait  avec  certitude.  Il  a 
obtenu  du  Languedoc  et  de  tous  les  pays  soumis  à  son  obéissance  de  très 
grands  subsides  en  argent,  et  en  hommes.  Il  a  une  grosse  armée  pour 
être  prôt  au  printemps.  C'est  l'opinion  de  tous,  et  moi  je  ne  pense  pas 
autrement,  qu'il  y  aura  certainement  une  grande  effusion  de  sang,  si  Dieu 
n'y  met  pas  la  main;  que  le  Christ  y  porte  remède  par  la  sainte  grâce. 

Le  duc  de  Bedford,  qui  était  régent  de  France,  se  tient,  paraît-il,  à 
Rouen  pour  garder  le  pays  dans  la  mesure  où  il  le  peut.  Il  paraît  encore 
que,  il  y  a  peu  de  jours,  environ  trois  mille  Anglais  sont  venus  lui  donner 
aide.  On  tient  pour  certain  qu'au  beau  temps  le  roi  d'Angleterre  débar- 
quera avec  grande  puissance.  C'est  ce  que  tout  le  monde  croit... 

[Suivent  des  détails  sur  le  débarquement  de  la  nouvelle  épouse  du  duc 
de  Bourgogne,  et  les  splendeurs  des  fêtes  qui  s'annonçaient  comme  d'un 
extraordinaire  éclat,  ainsi  qu'elles  le  furent  en  réalité.] 

Remarques.  —  [Pancrace  Justiniani  avait  parfaitement  raison  de  ne 
pouvoir  pas  s'expliquer  la  prolongation  des  trêves,  et  il  devinait  bien  les 
intentions  du  duc  de  Bourgogne.  On  exagérait  à  Bruges  les  succès  des 
Français  en  Normandie.  Le  secrétaire  du  duc  d'Orléans  outrait  sans 
mesure  les  conquêtes  du  parti  national.  La  Pucelle,  à  cette  date,  de  retour 
de  l'échec  contre  La  Charité,  était  contre  son  vouloir  retenue  à  la  cour, 
et  Charles  VII  était  loin  de  posséder  en  argent  et  en  hommes  les  res- 
sources qui  lui  sont  attribuées.] 


604  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARC  I  LA  LIBÉRATRICE. 

XVII.  —  Plusieurs  lettres  écrites  de  Bruges,  par  le  noble  sire  Pancrace 
Jusliniani  à  son  père  Messire  Marc,  en  février  1429  (anc.  5/.),  en  particu- 
lier du  17,  donnaient,  paraît-il,  de  nombreuses  nouvelles  de  ces  contrées. 
Une  dernière,  en  date  du  4  mars  1430,  plus  briëve,  était  ainsi  conçue: 

Messire,  le  22  du  mois  passé  je  vous  écrivis  ce  que  je  savais  à  pareil 
jour.  Depuis  j'ai  reçu  votre  lettre  du  4  même  mois.  C'est  avec  le  plus 
grand  bonheur  que  j'ai  appris  votre  bonne  santé  et  votre  contentement 
de  ce  dont  vous  m'avez  parlé.  Je  ferai  réponse  complète  à  votre  lettre 
par  la  malle.  Je  ne  puis  pas  le  faire  en  ce  moment  ;  veuillez  prendre  un 
peu  patience. 

En  fait  de  nouvelles,  depuis  que  je  vous  ai  écrit  on  a  dit  ces  jours-ci 
que  le  roi  de  France  avait  pris  Chartres  ;  mais  la  nouvelle  n'ayant  pas  été 
confirmée  je  ne  la  crois  pas  vraie. 

Il  est  de  toute  certitude  que  ces  jours-ci  notre  seigneur  duc  a  reçu 
l'annonce  de  la  prise  d'un  château  inexpugnable  à  sept  lieues  de  Rouen, 
sur  la  Seine,  appelé  Château-Gaillard  (Castel  Grioianie).  Il  y  a  eu  compo- 
sition entre  les  Anglais  et  les  Français.  Dans  ce  château  était  détenu  pri- 
sonnier un  chevalier  français  du  nom  de  Jean  Barbazan,  que  le  roi  d'An- 
gleterre avait  pris  et  y  avait  renfermé.  C'est  un  homme  de  très  grand 
mérite  et  vaillant  capitaine.  Plusieurs  autres  Français  étaient  prison- 
niers avec  lui  ;  tous  ont  été  délivrés. 

En  outre  on  compte  que  le  roi  d'Angleterre  passera  la  mer  à  Pâques, 
ainsi  que  je  vous  l'avait  dit  dans  une  autre  de  mes  lettres.  Le  seigneur 
duc  a  publié  le  ban.  Pour  attirer  les  plus  vaillants  de  ses  guerriers,  il 
fait  répandre  le  bruit  qu'il  y  aura  vingt-cinq  mille  Anglais  et  plus,  c'est- 
à-dire  que  le  roi  arrive  avec  les  plus  grandes  forces.  Tout  est  en  ébuUi- 
tion.  Si  le  Seigneur  Dieu  n'y  met  la  main,  il  faut  que  l'un  des  deux  partis 
soit  entièrement  ruiné,  mais  j'espère  que  Dieu,  dans  sa  sainte  miséricorde, 
y  pourvoira.  Qu'il  ne  considère  pas  nos  péchés.  Je  n'ai  pour  le  moment 
rien  à  ajouter.  Reçue  le  30  mars  1430. 

Remarques.  —  [Pancrace  Justiniani  donnait  une  nouvelle  preuve  de 
son  bon  jugement  en  ne  croyant  pas  à  la  conqu(>le  de  Chartres.  Ce  qu'il 
dit  de  la  prise  de  Château-Gaillard  et  de  la  prochaine  venue  du  roi  d'An- 
gleterre est  exact.] 

XVIII.  —  iNouvellcs  de  France  venues  par  Bruges,  en  date  de 
22  mars  1430,  d'après  plusieurs  lettres  reçues  par  des  Vénitiens  et  des 
Florentins,  apportées  par  la  malle  qui  est  arrivée  à  Borromeo  de  Flo- 
rence, et  aussi  d'après  plusieurs  lettres  du  noble  sire  Pancrace  Justi- 
niani, fils  de  Messire  Marco  Orsato.  Elles  s'accordent,  et  voici  ce  qu'elles 
disent  en  substance.  Elles  ont  été  reçues  en  la  fôte  de  Pâques,  16  avril.] 


U  CHRONIQUE  MOROSINI.  605 

Ce  qu^elles  disent  avant  tout,  c'est  que  le  roi  de  France  a  fait  une 
course  jusqu'aux  portes  de  Paris,  toujours  accompagné  de  la  demoiselle. 
Il  avait  envoyé  devant  lui  soixante  cavaliers,  et  en  avait  placé  cinq  cents 
en  embuscade.  Le  bâtard  de  Saint-Pol,  et  trois  autres  capitaines  avec 
deux  mille  cavaliers,  quelques-uns  disent  cinq  mille,  sortirent  contre  eux. 
Les  soixante  cavaliers  reculèrent  tout  en  escarmouchant  et  amenèrent 
les  assaillants  par  delà  Tembuscade.  Ceux  qui  y  étaient  cachés  leur  tom- 
bèrent sur  le  dos,  et  les  prirent  tous  sans  qu'il  s'en  échappât  un  seul. 
Gela  a  été,  dit-on,  un  coup  cruel  pour  le  duc  de  Bourgogne. 

On  dit  encore  qu'on  a  découvert  à  Paris  une  conjuration  dans  laquelle 
quatre  mille  hommes  au  moins  étaient  impliqués.  On  a  pris  un  Frère 
mineur  qui  en  était  l'âme. 

On  dit  de  plus  que  La  Ilire,  qui  était  ou  est  capitaine  du  Dauphin,  a 
passé  la  rivière  avec  bien  six  mille  cavaliers.  Les  choses  s'échauiTent  en 
réalité. 

Nous  avons  appris  encore  par  les  mêmes  lettres  comment  Jean  de  Luxem- 
bourg, se  disposant  à  s'établir  devant  Gompiègne  pour  assaillir  la  ville, 
mille  cavaliers  qui  se  trouvaient  dans  les  murs  de  la  ville,  sortirent  par 
une  porte  opposée,  prirent  par  derrière  ses  hommes  d'armes,  les  tuèrent 
ou  les  firent  prisonniers,  et  s'emparèrent  de  son  attirail  de  guerre  et  de 
l'artillerie. 

On  raconte  encore  que  le  comte  d'Andonto  (?)  a  pris  en  Champagne  un 
château  où  se  trouvait  un  capitaine  qui  faisait  grands  ravages  dans  le 
pays,  et  comment  il  a  fait  lever  le  siège  de  Tonis  (?)  avec  de  grands 
pertes  pour  les  Anglais.  Vous  voyez  quelles  grandes  choses  se  sont  pas- 
sées en  peu  de  jours.  Cela  met  le  roi  de  France  en  voie  de  s'emparer  de 
tout  le  royaume,  si  l'accord  règne  [parfui  les  siens]. 

Remarques.  —  [Pour  être  tirées  de  plusieurs  lettres,  ces  nouvelles, 
sauf  la  conjuration  de  Paris,  dont  le  chef  était  un  Carme  et  non  pas  un 
Franciscain,  n'en  sont  pas  plus  vraies.  Ni  le  roi,  ni  la  Pucelle  n'avaient 
fait  de  nouvelles  tentatives  coûtre  Paris  ;  il  y  eut  d'heureux  coups  de 
main,  et  des  razzias  de  la  part  des  Armagnacs  du  voisinage.  Le  bâtard  de 
Saint-Pol  y  fut  pris. 

Je  cherche  inutilement  ce  qui  a  pu  donner  lieu  à  ce  qui  est  raconté  ici 
de  Jean  de  Luxembourg  devant  Gompiègne.] 

XIX.  —  1430,  le  25  juin.  Des  nouvelles  de  France  ont  été  envoyées 
à  la  seigneurie  ducale,  en  voici  le  fond  :  elles  sont  favorables  au  roi  de 
France.  Le  prince  d'Orange  ayant  envahi  le  Dauphiné,  et  s'étant  emparé 
de  quatre  places,  le  gouverneur  du  Dauphiné  avec  de  nombreux  hommes 
d'armes  du  roi  et  les  gens  du  Dauphiné  lui  a  infligé  une  entière  défaite 


606  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  !  LA  LIBÉRATRICE. 

le  11  du  présent  mois  de  juin  1430.  Trois  mille  cavaliers  ont  été  tués  ou 
pris  dans  la  déroute.  Parmi  les  prisonniers  Ton  compte  les  premiers 
barons  de  Savoie  qui  s'étaient  joints  à  Taggresseur.  L'on  mentionne  Mgr  de 
Salneuve...  (suivent  de  nombreux  noms  propres  estropiés)...  Ledit  prince 
d'Orange  a  eu  de  la  peine  à  se  sauver,  avec  dix-huit  cavaliers,  dans  le 
château  ^d' A nthon  où  l'ont  poursuivi  les  guerriers  du  Dauphiné  et  où  ils 
l'ont  renfermé.  Il  tenait  tant  à  lever  une  armée  qu'il  donnait  cinquante  du- 
cats par  lance  et  un  salaire  de  onze  deniers.  Toutes  ces  nouvelles  sont 
favorables  au  Dauphin,  vu  que  la  demoiselle  reste  toujours  pleine  de  vie 
et  d'entrain,  illuminée  de  la  grâce  de  Dieu  et  prospérant  dans  sa  voie. 

Remarques.  —  [Ce  qui  est  dit  du  prince  d'Orange  et  des  nobles  de 
Savoie  est  vrai  ;  c'est  la  fameuse  victoire  d'Anthon  ;  mais  la  dernière 
phrase  est  une  contre-vérité.  La  victoire  d'Anthon  fut  remportée  le 
11  juin,  et  la  Pucelle  avait  été  prise  le  23  mai  ;  elle  était  prisonnière  depuis 
près  de  vingt  jours.  Usera  bien  question  de  sa  captivité  ;  mais  nulle  part, 
dans  ce  qui  nous  a  été  transmis  de  Morosini,  nous  n'avons  trouvé  une  ligne 
sur  la  manière  dont  elle  est  tombée  entre  les  mains  des  ennemis.  On  a 
dû  cependant  en  écrire  à  Venise.] 


CHAPITRE  V 

LA  PUCELLE  DEPUIS  SA  PRISE  JUSQU'A  SON  SUPPLICE. 

Sommaire  :  Vingtième  lettre.  —  Fausse  nouvelle  sur  les  succès  du  roi  et  de  la  Pucelle. 

—  Nouvelle  vraie  de  la  prise  et  de  la  détention  de  la  Pucelle.  —  Espérance  de  sa 
délivrance. 

Vingt  et  unième  lettre,  —  La  Pucelle  vendue  et  dirigée  sur  Rouen.  —  Crainte  qu'on 
ne  la  fasse  mourir.  —  Témoignage  rendu  universellement  à  sa  vertu. 

Vingt-deuxième  lettre,  —  Ambassade  de  Charles  VII  au  duc  de  Bourgogne  pour  lem- 
pôcher  de  livrer  la  Pucelle  aux  Anglais. 

Vingt-troisième  lettre.  —  La  Pucelle  vendue  dix  mille  couronnes;  étroitement  gardée. 

—  Intervention  de  Charles  Vil  pour  empêcher  son  supplice.  —  Supplice.  —  Piété  de 
la  martyre.  —  Apparition  de  sainte  Catherine.  —  Douleur  et  menaces  de  Charles  VII. 

—  Vaine  espérance  des  Anglais  qu  avec  sa  mort  finiront  leurs  revers. 

XX.  —  1430,  3  juillet  (?).  — Nous  avons  su,  et  on  avait  dit  plusieurs 
jours  avant,  que  Ton  avait  écrit  de  Bruges  le  3  juillet  (??),  que  le  jour  de 
l'Ascension  la  demoiselle  était  en  parfaite  entente  et  parfaite  faveur  auprès 
du  roi  de  France,  Messire  le  Dauphin.  Avec  lui  et  ses  gens  d'armes  elle 
avait  mis  le  siège  devant  Paris,  si  bien  que  les  assiégés  ne  conservaient 
plus  aucune  espérance  de  pouvoir  tenir  contre  la  couronne  du  Dauphin. 

On  a  dit  ensuite  que  la  Pucelle  avait  été  prise  par  les  gens  du  duc  de 


LA  CHRONIQUE  MOROSLM.  607 

Bourgogne;  Ton  savait  que  rien  n'avait  été  statué  sur  son  sort;  on 
le  saurait  par  la  suite.  L'on  a  dit  depuis  que  la  demoiselle  avait  été 
enfermée  dans  une  forteresse  avec  plusieurs  demoiselles,  et  entourée 
d'une  bonne  garde.  Elle  ne  peut  pas  ôtre  si  bien  gardée  que  lorsque  ce 
sera  le  plaisir  de  Dieu,  elle  n'en  sorte  et  ne  revienne  parmi  ses  gens,  sans 
avoir  rien  souffert  dans  sa  personne. 

Remarques.  —  [La  première  partie  de  la  lettre  est  fausse  de  tout  point, 
la  seconde  n'était  malheureusement  que  trop  vraie. 

Dans  trois  lettres,  ou  relations  inscrites  à  la  suite  par  Morosini  sur  les 
affaires  de  France,  il  n'est  pas  question  de  la  Pucelle.  Ces  nouvelles 
étaient  d'ailleurs  fausses  pour  la  plupart.  Le  seul  correspondant  bien 
informé  est  Pancrace  Jusliniani.  Morosini  lui  emprunte  une  lettre  qu'il 
annonce  ainsi  :] 

XXL  —  Nouvelles  de  Bruges  écrites  à  Venise  de  la  main  de  sire  Pan- 
crace Justiniani,  fils  de  Messire  Marc  Orsato.  La  plus  récente  est  datée 
du  24  novembre  ;  elle  est  arrivée  à  Venise  le  19  décembre.  Elle  est  conçue 
en  ces  termes  : ...  [Pancrace  décrit  les  pertes  éprouvées  par  le  duc  de 
Bourgogne  et  les  Anglais  à  la  levée  du  siège  de  Compiègne,  les  avantages 
remportés  par  les  Français,  spécialement  l'occupation  de  Clermont-en- 
Beauvaisis,  la  forteresse  exceptée  ;  il  parle  ensuite  de  la  Pucelle  et  il  écrit  :] 

Il  est  absolument  certain  que  la  Pucelle  a  été  dirigée  sur  Rouen  vers  le 
roi  d'Angleterre.  Messire  Jean  de  Luxembourg,  qui  l'a  prise,  en  a  louché 
dix  mille  couronnes,  pour  l'avoir  ainsi  mise  entre  les  mains  des  Anglais. 
Quel  est  le  sort  qu'on  lui  réserve  ?  On  l'ignore,  mais  on  craint  qu'on  ne 
la  fasse  mourir.  En  vérité,  ce  sont  choses  extraordinaires  et  grandes  que 
celles  qu'elle  a  accomplies.  Il  [Pancrace)  écrit  qu'il  en  a  parlé  avec  beau- 
coup, et  il  en  a  parlé  depuis  qu'elle  est  prisonnière  ;  mais  universelle- 
ment, tous  disent  qu'elle  est  de  bonne  vie,  très  honnête,  très  sage  ;  ce  qui 
adviendra,  nous  le  saurons  bientôt... 

Remarques.  —  [Dans  ces  lignes  fort  vraies,  Justiniani,  on  peut  s'en 
convaincre  en  lisant  le  texte,  multiplie  les  termes  pour  exprimer  soit 
l'excellente  vie  de  la  Pucelle,  soit  l'universalité  du  témoignage  qui 
l'atteste.] 

XXII.  —  Je  vais  rapporter  ce  que,  à  la  date  du  13  décembre,  nous 
avons  su  de  nouveau  du  côté  de  Bruges  par  l'arrivée  de  noble  Messire 
Nicolas  Morosini,  fils  de  Messire  Victor.  Voici  ce  que  Ton  racontait  dans 
ces  parages. 

Aussitôt  que  la  demoiselle  fut  tombée  entre  les  mains  du  duc  de 
Bourgogne,  et  que  le  bruit  se  répandit  que  les  Anglais  l'obtiendraient 


608  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

moyennant  deniers,  le  Dauphin  informé  envoya  une  ambassade  vers  le 
duc  de  Bourgogne  pour  lui  dire  qu*il  ne  devait  la  livrer  pour  rien  au 
monde  ;  sans  quoi  il  en  tirerait  vengeance  sur  ceux  de  ses  hommes  qui 
viendraient  entre  ses  mains...???  [Annonce  de  la  naissance  d*un  fils  aa 
duc  de  Bourgogne.] 

Remarques.  —  [C'est,  avec  la  suivante,  Tunique  assertion  positive  des 
efforts  tentés  par  Charles  VII  pour  délivrer  celle  qui  lui  avait  mis  la 
couronne  au  front.] 

XXIII.  — 1431 .  —  Par  plusieurs  lettres  venues  de  Bruges  à  Venise  en  des 
jours  différents,  une  entre  autres  de  sire  Jean  Georges,  fils  de  feu  Messire 
Bernard  de  Saint-Moïse,  en  date  du  22  juin,  par  une  autre  reçue,  dit-on,  par 
sire  André  Corner,  gendre  de  feu  sire  Luc  Michel  de  la  Magdelaine,  on  a 
su  que  la  vertueuse  demoiselle  était  tenue  en  prison  du  côté  de  Rouen 
parles  Anglais,  qui  Pavaient  achetée  dix  mille  couronnes.  Venue  ainsi  en 
leurs  mains,  ils  ont  très  étroitement  gardé  sa  personne.  L'on  a  dit  que 
deux  ou  trois  fois,  ces  mêmes  Anglais  avaient  voulu  la  faire  brûler  comme 
hérétique  ;  mais  qu'ils  avaient  été  arrêtés  par  les  grandes  menaces  que 
leur  avait  fait  parvenir  le  Dauphin  de  France  ;  mais  à  la  troisième  fois 
ces  barbares  Anglais,  d'accord  avec  des  Français  (??),  de  dépit  et  hors 
d'eux-mêmes,  l'ont  fait  brûler  à  Rouen. 

Avant  son  martyre,  elle  a  été  vue  bien  contrite  et  parfaitement  bien 
disposée.  On  raconte  qu'elle  a  eu  une  apparition  de  la  vierge  sainte 
Catherine  qui  Ta  confortée  et  lui  a  dit  :  «  Fille  de  Dieu,  sois  ferme  dans 
ta  foi,  puisque  tu  seras  dans  la  gloire  au  nombre  des  vierges  du  Paradis  ». 
Elle  est  morte  pieusement.  Messire  le  Dauphin,  roi  de  France,  en  a  res- 
senti une  très  amère  douleur  et  a  formé  le  dessein  d'en  tirer  une  terrible 
vengeance  sur  les  Anglais  et  sur  les  femmes  anglaises.  Dieu,  selon  son 
juste  pouvoir,  en  tirera  aux  yeux  de  tous  un  très  grand  châtiment.  On 
commence  à  en  voir  des  signes  non  douteux.  Paris,  maintenant  même, 
court  de  jour  en  jour  à  sa  ruine  ;  il  ne  peut  tenir  davantage  et  résister 
plus  longtemps  ;  tous  les  habitants  s'en  échappent  et  fuient,  chassés  par 
les  privations  et  la  faim.  On  tient  communément  que  les  Français  (lisez: 
Anglais  ou  faux  Français)  l'ont  fait  brûler  à  cause  des  prospérités 
qu'avaient  eues  avec  elle  les  seigneurs  français,  et  qu'ils  devaient  avoir 
encore.  Les  Anglais  se  disaient  en  eux-mêmes:  «  Cette  demoiselle  une 
fois  morte,  les  affaires  du  Dauphin  ne  seront  plus  prospères  ».  Le  con- 
traire plait  au  Christ,  d'après  ce  que  l'on  a  dit  de  la  marche  des  affaires  ; 
puisse  cela  être  vrai  ! 


LIVRE  VII 


PIECES  JUSTIFICATIVES 
TABLE 


m.  3!» 


LIVRE    VII 

PIÈCES   JUSTIFICATIVES 
TABLE 


Nota.  —  L'on  s'est  attaché  de  préférence  à  donner  le  texte  des  pièces  inédites,  peu  connues, 

ou  plus  importantes. 


LIVRE   II. 


(Page  72  et  suiv.) 

LA    PUCELLE   D'APRÈS   LA   GESTE  DES   NOBLES   FRANÇAIS. 

(Bibl.  national,  fs.  Français  n»*  5699  et  SOOf.) 

De  ta  Pucelle  venue    devers    le   roy  et  des   merveilles  d*elle.  —  Ces  choses 
durans  fut  admenée  à  Chinon  par  devers  le  roy  de  France  une  fille  de  simple  estât, 
pucelle  de  sainte  et  religieuse  vie,  du  pays  de  Barrois,  qui  fille  fut  d'un  pouvre  laboureur 
de  la  contrée  et  de  sa  femme,  qui  de  leur  loyal  labour  vi voient,  aagée  d'environ  vint  ans, 
et  ou  au  temps  de  son  enffance  avoit  été  pastoure,  et  peu  savoit  des  choses  mondaines. 
Et  peu  parla  ceste  pucelle,  seulement  parloit  de  Dieu  et  de  sa  benoite  mère,  des  anges, 
des  saints  et  saintes  de  Paradis,  et  disoit  que  par  plusieurs  fois  lui  avoient  été  dites  au- 
cunes révélations  touchans  la  salvacion  du  roy  et  préservation  de  toute  sa  seigneurie, 
laquelle  Dieu  ne  vouloit  lui  être  tollue  ne  usurpée,  mais  dont  déboutez  en  seroient  ses 
ennemis.  Et  ces  choses  estoit  chargée  de  dire  et  signifier  au  roy  dedans  le  tems  de 
Saint-Jehan  MIUIXXIX.  Si  fut  la  Pucelle  ouye  par  le  roy  en  son  conseil,  et  là  ouvrit 
les  choses  à  elle  chargées,  et  à  merveilles  traicta  des  manières  de  faire  vuider  An- 
glois  du  royaume,  et  là  ne  fut  chief  de  guerre  que  tant  proprement  sceust  remontrer 
les  manières  de  guerroier  ses  ennemis,  dont  le  roy  et  tout  son  conseil  fut  esmerveillé, 
car  en  toutes  autres  matières  fut  autant  simple  comme  une  pastoure.  —  Pour  ceste 
merveille,  ala  le  roy  à  Poitiers  et  là  mena  la  Pucelle  qui  par  les  notables  du  Parlement 
et  par  docteurs  solemnelz  en  théologie  la  fist  interroguer;  et,  elle  ouye  affermèrent 
que  ilz  la  réputoient  chose  divine  inspirée  de  Dieu,  et  tout  son  fait  et  les  paroles 
approuvèrent;  dont  en  plus  grant  révérence  la  tint  le  roy  qui  à  ce  temps  mandoit 
gens  de  toutes  pars,  et  grant  quantité  de  vivres,  et  artillerie  avoit  fait  mener  à  Blois, 
pour  la  cité  d'Orléans  secourir.  Si  requist  la  Pucelle  que  pour  le  secours  conduire  pleust 
au  roy  lui  bailler  telle  gent  et  en  tel  nombre  que  elle  requei^roit,  qui  ne  seroit  pas 
grant  nombre,  ne  grant  puissance,  et  que  pour  son  corps  lui  fut  admenistré  un  har- 


612  LA  VKAIE  JEANNE  D'aRC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

nois  entier.  Adoncques  ordonna  le  roy  que  tout  ce  qu'elle  requerroit  lui  feust  baillé.  Si 
prinst  la  Purelle  congié  du  roy  pour  aller  à  Orléans,  et  elle  venue  à  Blois  à  peu  de  gens 
séjourna  illec  par  aucuns  jours,  lesquels  pcndans  elle  fist  faire  un  estendard  blanc  ou 
quel  elle  fist  pourtraire  la  représentation  de  Saint-Sauveur  et  de  deux  anges,  et  le  dit 
estandard  avec  tout  son  harnois  fist  beneistre  en  Téglise  Saint-Sauveur  de  Blois, 
auquel  lieu  vindrent  tantost  après  le  mareschal  de  Sa  in  te -Sévère,  le  sire  de  Rais  et 
e  sire  de  Gaucourt  ayant  conipaignie  de  nobles  et  commun,  qui  une  partie  des  vivres 
chargèrent  pour  iceulx  mener  à  Orléans,  en  la  compaignie  desquels  se  mis!  la  Pucelle 
qui  bien  cuidoit  que  par  devant  les  bastides  du  siège  devers  la  Beauce  deussent  passer, 
mais  le  chemin  prinstrent  par  la  Salloigne,  et  à  Orléans  fut  amenée  le  pénultième  jour 
d'avril  cellui  an. 

Cette  Pucelle  séjournante  Blois  en  attendant  la  compaingnie  qui  à  Orléans  la  devoil 
mener  escrivit  et  envoia  par  un  hérault  aux  chiefs  de  guerre  qui  devant  Orléans 
tenoient  siège  unes  lectres  dont  la  teneur  est  telle  : 

Jhesus,  Maria. 

Roy  d'Angleterre,  faictes  raison  au  roy  du  Ciel  de  son  sang  royal.  Rendez  lesclefz 
à  la  Pucelle  de  toutes  les  bonnes  villes  que  vous  avez  enforcées.  Elle  est  venue  de  par 
Dieu  pour  réclamer  le  sang  royal  et  est  toute  preste  de  faire  paix,  se  vous  voulez  faire 
raison;  par  ainsi  que  vous  mettez  jus  et  paiez  de  ce  que  vous  Tavez  tenue. 

Roy  d'Angleterre,  se  ainsi  ne  le  faictes,  je  suis  chief  de  guerre;  en  quelque  lieu  que 
je  ataindray  vos  gens  en  France,  se  ilz  ne  veulent  obéir,  je  les  ferai  yssir,  vueillent  ou 
non;  et  se  ilz  veulent  obéir,  je  les  prendrai  à  mercy.  Croiez  que  s'ilz  ne  veulent  obéir, 
la  Pucelle  vient  pour  les  occire.  Elle  vient  de  par  le  roy  du  ciel,  corps  pour  corps,  vous 
bouler  hors  de  France  ;  et  vous  promet  et  certiffie  la  Pucelle  que  elle  y  fera  si  gros 
hahay,  que  encore  a  mil  ans  en  France  ne  fut  veu  si  grant,  se  vous  ne  lui  faictes  rai- 
son. Et  croiez  fermement  que  le  roy  du  Ciel  lui  envolera  plus  de  force  que  ne  sarez 
mener  de  tous  assaulx  à  elle  et  à  ses  bonnes  gens  d'armes*. 

Entre  vous,  archiers,  compaignons  d'armes,  gentilz  et  villains  2,  qui  estes  devant 
Orléans,  alezvous  en  en  vostre  pais  de  par  Dieu;  et  se  ainsi  ne  le  faictes,  donnez-vous 
garde  de  la  Pucelle  et  de  vos  dommages  vous  souviengne. 

Ne  prenez  mie  vostre  opinion,  que  vous  ne  tcnrez  mie  France  du  roy  du  CieP,  le  (ils 
sainte  iMarie;  mais  la  tendra  le  roy  Charles,  vray  héritier  à  qui  Dieu  la  donnée, 
qui  entrera  à  Paris  à  belle  compaignie.  Se  vous  ne  créez*  les  nouvelles  de  Dieu  et  de 
la  Pucelle,  en  quoique  lieu  que  vous  trouverons,  nous  ferrons"  dedeiis  à  horions  ;  et  si 
verrons  lesquelx  meilleur  droit  auront,  de  Dieu  ou  de  vous. 

Guillaume  de  la  Poule,  conte  de  SufFort,  Jehan,  sire  de  Talbort,  et  Thomas,  sire  do 
Scalles,  lieuxtenans  du  duc  de  Bethford,  soi-disant  régent  du  royaume  de  France  pour 
le  roy  d'Angleterre,  faictes  réponse  se  vous  voulez  faire  paix  à  la  cité  dOrléans.  Se 
ainsi  ne  le  faictes,  de  vos  domages  vous  souviengne  briefment  ^. 

Duc  de  Bethford,  qui  vous  dictes  régent  de  France  pour  le  roy  d'Angleterre,  la 
Pucelle  vous  prie  et  requiert  que  vous  ne  faictes"^  mie  destruire.  Se  vous  ne  lui  faictes 
raison,  elle  fera  ^  que  les  François  feront  le  plus  beau  fait  qui  oncques  feust  fait  en  la 
christianté. 

1.  Variantbs  du  journal  du  siège  :  Que  le  roy  du  ciel  lui  envoyra  plus  de  force  à  elle  et  à  S'S 
bonnes  gejis  d'annes,  que  ne  sçauriez  avoir  à  cents  assauU, 

2.  Gentilz  et  vilains  ne  s'y  trouve  pas;  mais  le  mot  vilains  est  dans  le  texte  de  la  geste. 

3.  Du  roy  du  ciel,  du  fils  de  sainte  Marie. 

4.  Si  vous  ne  croyez. 

5.  Nous  lierrons. 

C.  Briefment  ne  s'y  trouve  pas. 

7.  Que  ne  vous  faciez  mie. 

8.  Elle  fera  tant  que. 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES.  613 

Escript  le  inardy  de  la  ^  grant  sepmaine  :  entendez  les  nouvelles  de  Dieu  et  de  la 
Pucelle. 
Au  duc  de  Bethford  qui  se  dit  régent  le  royaulme  de  France  pour  le  roy  d'Angleterre. 

En  la  ville  d'Orléans  vint  la  Pucelle  le  pénultième  jour  davril  l'an  mil  IIIIXXIX  et 
tantost  sceust  que  de  ses  lettres  et  de  tout  le  contenu,  les  chiefs  du  siège  ne  tindrent 
compte;  mais  tindrent  et  réputèrent  tous  ses  fais  et  deceulx  qui  créance  y  adjoutaicnt 
héréses  en  la  saincte  foy,  dont  firent  les  héraulx  prendre  et  en  feu  les  vouldrent  ardoir; 
laquelle  prinse  venue  à  la  congnoissance  du  bastart  d'Orléans,  qui  adonc  fut  à  Orléans, 
manda  aux  Anglois,  par  son  hérault  que  les  héraulx  lui  renvoiassenl,  en  leur  faisant 
savoir  que  se  mourir  les  faisoient,  que  d'une  lelle  mort  feroit  mourir  leurs  héraulx, 
qui  pour  faist  des  prisonniers  estoient  à  Orléans  ou  il  les  fiz  empescher,  et  tous  pri- 
sonniers Anglois  qui  lors  estoient  en  bien  grant  nombre;  et  tantost  furent  les  héraulx 
rendus. 

PuissA>'CE  VENUE  A  Orléans.  —  Le  mardi  ni"  jour  de  may  vindrent  à  Orléans  les  gar- 
nisons de  Montargis,  Gien,  Chasteauregnart  du  pays  de  Gastinois,  de  Chasteaudun 
avec  grand  nombre  de  gens  de  pié  garnis  de  traits  et  de  guisarmes.  Si  vindrent  le  soir 
nouvelles  que  par  la  Beausse  venoient  de  Blois  le  mareschal  de  Sainte-Sévère  et  le 
sire  de  Raiz  qui  les  vivres  et  l'artillerie  amenoient,  et  doubta  len  que  audevant  deus- 
sent  aller  Anglois.  Pourquoy  le  mercredi  matin,  veille  de  l'Ascension  nu^  jour  de  may 
rail  llIIXlX,  très  bien  malin,  se  partirent  d'Orléans  le  bastard  et  la  Pucelle  armée  à 
grant  compaignie  de  gens  d'armes  et  de  trait,  et  estendart  déploie,  allèrent  au  devant 
des  vivres  qu'ilz  rançon Irèrent,  et  par  devant  les  Anglois  qui  de  leurs  bastides  n'osè- 
rent yssir  passèrent,  et  dedans  Orléans  entrèrent  environ  prime. 

Prinse  de  la  Bastide  de  Saint-Lou.  —  DOrléans  yssirent  ledit  jour  environ  heure 
de  midi  aucuns  des  nobles  avec  grand  nombre  de  gens  de  trait  et  de  commun,  qui  fier 
et  merveilleux  assault  livrèrent  contre  Anglois  qui  la  bastide  Saint-Lou  tenoient  : 
laquelle  fut  moult  défensable  et  fortiffiée,  et  grandement  garnie  avoit  esté  par  le 
sire  de  Talbort  tant  de  gens,  de  vivres,  comme  dabillements.  En  cellui  assault  furent 
moult  grevez  François,  et  le  dit  assault  durant,  y  vint  hastivement  la  Pucelle  armée 
à  estandart  déploie,  dont  enforça  Tassault  de  plus  en  plus.  Depuis  la  venue  de  laquelle 
ne  fut  Anglois  qui  François  peust  illec  blécier;  mais  sur  eux  conquirent  François  la 
bastide,  et  ou  clocher  de  l'église  se  retrairent  Anglois  et  là  recommencièrent  François 
lassault  et  longuement  dura.  Pendant  lequel  fist  Talbort  yssir  Anglois  à  puissance  des 
autres  bastides  pour  ses  gens  secourir;  mais  à  celle  heure  estoient  yssis  d'Orléans  les 
chiefs  de  guerre  avec  toute  leur  puissance,  qui  aux  champs  se  misent  en  batailles 
ordonnées  entre  la  bastide  assaillie  et  les  autres  bastides  anglesches,  attendans  illec 
Anglois  pour  les  combattre  ;  mais  audedans  de  leurs  bastides  fit  le  sire  de  Talbort  Anglois 
retraire,  délaissant  en  abandon  les  Anglois  de  la  bastide  Saint-Lou,  qui  par  puis- 
sance furent  conquis  environ  vespre  ;  dont  fut  l'occision  nombrée  à  vin"  hommes,  et 
arse  fut  et  démolie  la  bastide  en  laquelle  François  conquisrent  très  grant  quantité  de 
vivres  et  d'autres  biens,  et  atant  rentrèrent  à  Orléans  la  Pucelle  avec  les  grans  sei- 
gneurs et  leur  puissance,  dont  par  toutes  les  églises  à  celle  heure  furent  rendues  à 
Dieu  grâces  et  louanges  en  hymnes  et  oroisons  dévotes,  à  son  de  cloches,  que  bien 
ouyrent  Anglois,  qui  de  puissance  par  ceste  perte  et  de  courage  furent  fort  abessiés. 

Désirant  fut  la  Pucelle  Anglois  faire  partir  du  siège  ;  pour  ce  requist  les  chiefs  de 
guerre  que  à  toute  puissance  yssissent  le  jour  de  l'Ascension  pour  assaillir  la  bastidci 
Saint-Laurent  où  furent  touz  les  plus  grands  chiefs  de  guerre  et  le  plus  de  la  puissance 
des  Anglois,  et  quelconque  doubte  ne  feist  que  tantost  ne  les  deust  conquerre,  ançois 
se  tenoit  seure  de  les  avoir  et  disoit  ouvertement  que  Icure  estoit  venue;  mais  dyssir 

I.Enla. 


614  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  !  LA  LIBÉRATRICE. 

ne  besoîgner  telle  journée  ne  furent  point  daccord  les  chiefzde  guerre  pour  lahaultece 
du  jour,  et  d*autre  part  furent  doppinion  de  premièrement  tant  faire  que  conquises 
peussent  être  les  bastides  et  boulevars  du  costé  de  la  Saloigne  avec  le  pont,  afin  que  de 
Berri  et  dautres  pais  peust  la  ville  recouvrer  vivres,  et  ainsi  prinst  la  chose  delay  cetle 
journée  à  la  grande  dcspiaisance  de  laPucelle  qui  malcontente  sen  tint  deschiefs  et 
cappitaines. 

Oultre  Loire  passa  la  Pucelle  a  grant  puissance  le  vendredi  vi«  jour  de  mai  i  an 
MIIHXXIX  en  la  veue  deGlacidas,  qui  tantost  fit  désemparer  et  ardoir  la  bastide  de  saint 
Jehan  le  blanc,  et  ses  Anglois  fist  retraire  avec  ses  abillements  en  la  bastide  des  Augus- 
tins  ou  boulevard  et  es  Tournelles.  Si  marcha  avant  la  Pucelle  atout  ses  gens  de  pié 
tenant  sa  voie  droit  au  Portereau,  et  à  celle  heure  nestoient  encore  tous  ses  gens  pas- 
sez, ançois  en  avoit  grant  partie  en  une  isle  qui  peu  povaient  finer  de  vaisseauU 
pour  leur  passage.  Néanmoins  tant  ala  la  Pucelle  que  du  boulevard  aproucha  et  à  peu 
de  gent  illec  planta  son  estandart;  mais  à  celle  heure  survint  ung  cry  que  Anglois 
venoient  à  puissance  du  côté  de  Saint-Privé,  pour  lequel  cry  furent  espouentés  les 
gens  qui  avec  la  Pucelle  furent,  et  à  retraire  se  prindrent  droit  au  passage  de  Loire, 
dont  a  grand  douleur  fut  la  Pucelle,  et  de  soy  retirer  fut  contrainte  à  peu  de  gent.  Si 
levèrent  Anglois  grand  huy  sur  les  François  et  à  puissance  yssirent  pour  la  Pucelle 
poursuire,  crians  grans  cris  après  elle  en  disant  d'elle  parolles  dilTamables.  Adoncques 
tourna  contre  euix  et  tant  peu  qu'elle  ot  de  gent  leur  flst  visage  et  contre  Anglois 
marcha  à  grant  pas,  à  estendart  desploié.  Si  furent  Anglois  par  tavoulonté  de  Dieu  tant 
espouentez  que  la  fuite  prindrent  laide  et  honteuse.  Adoncques  retournèrent  François 
qui  sur  eux  commencèrent  la  chace  jusques  à  leurs  bastides,  ou  Anglois  se  retrairent 
à  grant  haste.  Devant  la  bastide  des  Augustins  sur  les  fossés  du  boulevart  assist  la 
Pucelle  son  estandart,  et  là  vint  tost  à  grand  gent  le  sire  de  Rais,  et  toujours  allèrent 
François  croissant  qui  la  bastide  des  Augustins  prindrent  d  assault,  ou  estoient  Anglois 
en  très  grant  nombre  qui  tous  furent  illec  occis,  et  fort  estoit  garni  de  vivres  et  de 
richesses,  mais  pourtant  que  au  pillage  furent  François  trop  ententifs,  fist  la  pou- 
celle  bouter  le  feu  en  la  bastide  ou  tout  fut  ars. 

En  celluy  assault  fut  bleciée  de  l'un  des  piez  de  chaucetrappes,  et  pourtant  qu'il 
anuitait  fut  ramenée  à  Orléans  et  grand  gent  laissa  en  siège  devant  le  boulevart  el 
les  tournelles,  et  la  nuitée  se  depparlirent  Anglois  qui  dedant  le  boulevart  de  Saint- 
Privé  esloient,  ouquel  ilz  boutèrent  le  feu,  puis  passèrent  Loire  en  vaisséîiulx  et  se 
retrairent  en  la  bastide  Saint-Laurent. 

Recouvrement  des  Tournelles  d'Orléans  et  la  mort  de  Glacidas.  —  En  grand  double 
fut  la  Pucelle  la  nuit  que  sur  ses  gens  ferissent  Anglois  devant  les  Tournelles;  el 
pour  ce,  lesamedi  viii"  jour  de  may,  environ  souleillevant,  par  Tàccort  et  contentement 
des  bourgois  d'Orléans,  contre  l'opinion  et  voulontè  de  tous  les  ciiiefs  et  cappitainks 
QUI  la  furent  de  par  le  ROY,  sc  parti  la  Pucelle  à  tout  son  effort  et  passa  la  Loire.  Si 
lui  baillèrent  ceulx  d'Orléans  canons  couleuvrines  et  tout  ce  qui  nécessaire  estoit  pour 
assallir  le  boulevart  et  les  Tournelles,  avccques  vivres  et  des  bourgois  d'Orléans  de 
l'une  part.  Et  pour  les  dictes  Tournelles  assaillir  et  le  pont  conquerre,  de  la  partie  de 
la  ville  establirent  de  l'autre  part  sur  le  dit  pont  grand  nombre  de  gens  d'armes  et  de 
trait  avec  grand  appareil  que  fait  avoient  les  bourgois  pour  les  arches  rompues  pas- 
ser et  les  Tournelles  assaillir.  Si  furent  Anglois  assaillis  des  deux  parties  moult  aspre- 
ment  ;  car  à  merveille  gectèrent  contre  Anglois  de  canons,  de  couleuvrines,  de  grosses 
arbalestes  et  d'autres  traits  ceulx  d'Orléans.  Fier  et  merveilleux  fut  l'assault  plus  que 
nul  qui  de  la  mémoire  des  vivans  eust  esté  oncques  veu.  En  cet  assault  vindrent  les 
chiefs  qui  dedans  Orléans  estoient  quand  les  manières  apperceurent.  Et  grandement  se 
deffendoient  Anglois  qui  tant  gettèrent  que  faillant  aloient  leurs  pouldres  et  autres 
traits,  et  de  lances,  guisarmes,  dautres  basions  et  pierres  detTendoient  le  boulevart  et 
les  tournelles  ;  mais  le  dit  assault  durant,  environ  vespres  list  la  Pucelle  ses  gens  descen- 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES.  615 

dre  es  fossés  du  boulevart  et  contremont  drecier  eschelles,  si  renforça  de  celle  partie 
Tassault  de  plus  en  plus,  qui  depuis  prime  dura  jusques  à  six  heures  après-midi  ;  et 
tant  furent  Ânglois  chargiés  de  couleuvrines  et  auitres  trait,  que  plus  ne  sosoient 
monstrerà  leurs  deffenses  ;  et  furent  de  laultre  part  assaillis  par  les  tournelles  dedens 
lesquelles  boutèrent  François  le  feu,  et  à  la  fin  tant  furent  oppressés  de  toutes  pars 
et  tant  bléciés  que  en  eulx  ne  sceurent  plus  Ânglois  deffense. 

A  celle  heure  se  cuidièrent  Glacidas  et  autres  seigneurs  Anglois  retraire  du  boule- 
vard es  Tournelles  pour  leur  vie  sauver  ;  mais  soubz  eulx  par  le  jugement  de  Dieu 
rompi  le  pont  leveis  et  en  la  rivière  de  Loire  noièrent. 

Adoncques  entrèrent  de  toutes  pars  François  dedans  le  boulevart  et  les  Tournelles, 
qui  en  la  veue  du  conte  de  SufTort  et  des  seigneurs  de  Talebort  et  autres  chiefs  de 
guerre  furent  conquises,  sans  monstrer  ni  semblant  faire  d*aucun  secours.  Si  fut  là 
grant  occision  d'Anglois;  car  du  nombre  denviron  cinq  cents  chevaliers  et  escuiers, 
de  tous  les  plus  preux  et  hardis  tenuz  du  royaume  d*Angleterre,  qui  là  estoient  soulz 
Glacidas  avec  aucuns  faulx  François,  ne  furent  retenus  prisonnierz  en  vie,  fors  environ 
H  cents.  £n  cette  prinse  furent  mors  le  dit  Glacidas,  les  seigneurs  de  Ponnains,  de 
Conins,  et  autres  nobles  d*Angleterre  et  d^autres  pais. 

Après  laquelle  tant  glorieuse  victoire,  par  le  mandement  de  la  Pucelle  qui  par 
dessus  le  pont  retorna  cette  nuitée,  furent  les  cloches  sonnées  en  toutes  les  églises 
dOrléans  à  moult  grant  solennité,  rendant  à  Dieu  grâces  et  louanges.  Et  de  trait  fut 
la  Pucelle  grièvement  bléciée  au  dit  assault,  avant  lequel  advenu  elles  avoit  biens 
dit  quelle  devoit  être  férue  jusques  au  sang;  mais  tost  vint  à  convalescence  ^ 

De  ceste  desconfiture  furent  Anglois  à  grant  destresse,  et  grant  conseil  tindrent  cette 
nuitée.  Si  yssirent  de  leurs  bastides,  le  dimenche  le  Yni°  jour  de  may  an  MIIIIXIX,  avec- 
ques  leurs  prisonniers  et  tout  ce  que  emporter  povaient,  et  mettant  en  abandon  tous  leurs 
malades  tant  prisonniers  comme  auitres,  avec  leurs  canons,  bombardes,  canons,  artil- 
leries, pouldres,  pavaiz,  habillements  de  guerre,  et  touz  leurs  vivres  et  biens,  misrent 
le  feu  à  dites  bastides,  et  en  bataille  de  pié  se  misrent  sur  le  chemin  dOrléans  à  Mehung 
à  estendarts  déploies.  Si  firent  les  chiefs  de  guerre  estant  à  Orléans  ouvrir  les  portes 
environ  souleil  levant,  dont  à  grant  puissance  yssirent  à  pié  et  a  cheval  qui  sur  An- 
glois vouloient  aler  férir  ;  mais  là  survint  la  Pucelle  qui  la  poursuite  desconseilla,  et 
voult  que  on  les  laissast  atant  départir  sans  assaillir  cette  journée,  se  contre  François 
mie  venoient  pour  les  combatre  ;  mais  doubtalement  tournèrent  Anglois  le  dos,  et  tant 
à  Mehung  comme  à  Jargueau  se  retrairent,  dont  les  aulcuns  gettèrent  parmi  les 
champs  leurs  harnois.  Par  ce  désemparement  de  siège  se  départi  le  plus  de  la  puis- 
sance des  Anglois,  que  tant  en  Normendie  comme  autre  part  se  retrairent. 

Et  après  ledit  désemparement  les  Anglois  encores  estant  en  la  veue  de  la  Pucelle, 
fist  icelle  Pucelle  venir  aux  champs  ceulx  de  Téglise  revestus,  qui  a  grant  solem- 
nité  chantèrent  hymnes  respons  et  oroisons  dévotes,  rendans  louanges  et  grâces  à 
Dieu;  et  ce  fait  issi  la  commune  d*Orléans  qui  entrèrent  es  bastides,  où  moult 
trouvèrent  vivres  et  grans  richesses.  Et  par  la  voulenté  des  bourgois  furent  toutes 
les  bastides  gectées  par  terre  et  tous  les  foubourgs  abattus,  et  en  la  ville  dOrléans 
furent  retraiz  leurs  canons  et  bombardes. 

Si  se  retrairent  Anglois  en  plusieurs  places  par  eulx  conquises  ;  c*est  à  savoir  le 
conte  de  SufTort  à  Jargueau  ;  et  tant  à  Mehung  et  à  Baugenci  comme  autres  places  par 
eulx  conquises  se  retrairent  les  seigneurs  de  Scalles,  de  Talbort  et  autres  chiefs  de  leur 
partie»  qui  ces  choses  mandèrent  hastivement  au  duc  Jehan  de  Belhfort  régent,  qui 
de  ce  fust  moult  dolent,  et  doubtant  que  aucuns  de  ceux  de  Paris  pour  cette  descon- 
fiture se  deussent  réduire  à  lobéissance  du  roy,  et  contre  les  Anglois  faire  le  commun 
peuple  esmouvoir,  se  parti  à  très  grant  haste  de  Paris,  et  à  Vincennes  se  retrait  le 

].  Le  n°  àOOl  n'a  pas  de  titres  de  chapitre;  ils  ne  sont  pas  régulièrement  indiqués  dans  le 
n«  5699.  Il  y  a  cependant  ici  :  Sièqk  liyé  de  devant  Oaléans. 


616  U  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

dît  régent,  qui  de  toutes  pars  manda  les  barons  du  royaume  et  grant  quantité  de 
vivres  ;  mais  peu  y  vint  des  barons,  et  à  délaissier  les  Anglois  et  Jes  hair  et  despriser 
se  prinsrent  les  piquars  et  autres  nations  du  royaume;  mais  pour  que  à  celle  heure 
ne  peut  la  pucelle  larmée  entretenir  en  desfault  de  vivres  et  paiement  le  mardi 
X*  jour  de  may  se  depparti  la  Pucelle  accompagnée  de  haults  seigneurs,  et  par  deTers 
le  roy  s*en  ala  qui  en  grant  honneur  la  receupt  et  tint  à  Tours  aucuns  conseils, 
lesquels  feniz  il  manda  de  toutes  pars  ses  nobles,  et  pour  la  rivière  de  Loire  nestoier 
bailla  la  charge  au  noble  duc  dAlençon,  qui  la  Pucelle  voult  avoir  en  sa  compaignie. 
Si  vindrent  à  grant  puissance  devant  Jargueau,  où  fut  le  conte  de  SulTort  à  grant 
compaignie  d'Anglois  qui  la  ville  et  le  pont  avoient  fortifAez.  Là  mirent  siège  de  toutes 
pars  les  François  le  samedi  jour  de  saint  Barnabe  xi*  du  mois  de  juing,  de  bombardes 
et  canons  fut  en  peu  de  heures  la  ville  fort  empirée,  et  le  dimanche  ensuivant  XII  jour 
dudit  mois  de  juin,  furent  la  ville  et  le  pont  pris  par  assault,  où  fut  occis  Alexandre 
La  Poule,  avec  grant  nombre  d*Anglois.  Si  furent  illec  prins  et  retenus  prisonniers 
Guillaume  La  Poule,  conte  de  Suffort,  Jehan  La  Poule  son  frère,  et  bien  fut  la  descon- 
fiture des  Anglais  nombrée  à  environ  v'^  combattants,  dont  furent  le  plus  occis  ;  car 
entre  les  mains  des  gentilzhommes  occioient  les  gens  du  commun  tous  les  prisonniers 
anglois  qu'ils  rencontroient,  dont  convint  mener  par  nuit  à  Orléans  par  la  rivière  le 
conte  de  SufTort,  son  frère  et  autres  grants  seigneurs  anglois  pour  leur  vie  sauver. 
Pillée  fut  la  ville  et  Téglise  du  tout  qui  plaine  fut  de  richeces,  et  celle  nuit  se  retrai- 
rent  à  Orléans  le  duc  Dalençon,  la  Pucelle,  les  chiefs  de  guerre  avec  la  chevalerie  de 
lost  pour  eulx  ralTraichir,  et  là  furent  receuz  à  grant  joye. 

La  prinse  du  pont  de  Mehung-sur-Loire.  —  En  la  ville  Dorléans  séjournèrent  après 
la  prinse  de  Jargueau  le  duc  Dalençon  et  la  Pucelle  par  aucuns  jours  pendant  lesquclz 
vinrent  illec  à  grant  chevalerie  le  seigneur  de  Rais,  le  seigneur  de  Chauvigny,  le 
seigneur  de  Laval  et  autres  grans  seigneurs  pour  le  roi  Charles  servir  en  son 
armée,  lequel  en  ce  contemple  vint  à  SuUi,  et  d'autre  part  vint  à  Blois  à  grant  cheva- 
lerie le  conte  Arthur  de  Richemont,  connestable  de  France,  contre  lequel  le  roy  pour 
aucuns  rapports  avait  conçeu  hayne  et  malveillance. 

Si  tindrent  de  grants  conseils  dedans  Orléans  le  duc  d'AIencon,  et  chiefs  de  guerre, 
et  grant  appareil  firent  faire  pour  siège  mettre  devant  Mehung  et  Baugenci,  ou  se  tin- 
drent à  celui  temps  le  sire  de  Scalleset  le  sire  de  Talbort  à  grant  compagnie  d'Anglois, 
et  pour  les  garnisons  desdites  places  renforcer  mandèrent  Anglois  qui  la  Ferté  Hubert 
tenoient,  lesquels  ardirent  la  basse  court,  et  abandonnanz  le  chastel  s'en  alèrenl  à  Bau- 
gency.  Si  parti  une  nuitée  le  duc  de  Talbort  de  Baugenci  pour  aler  au-devant  de  messire 
Jehan  Fastol  qui  à  grant  compaignie  d'Anglois,  de  vivres  et  de  traits  sestoit  parti  de 
Paris  pour  venir  avitailler  et  renforcier  la  puissance  des  Anglois,  mais  pour  ce  que  de  la 
prinse  de  Jargueau  ouy  nouvelles  dedans  estampes  laissa  les  vivres,  et  à  Yenville  vint 
avec  sa  compaignie,  auquel  lieu  il  trouva  le  sire  de  Talbort,  lesquels  assemblés  tindrent 
aucuns  conseiiz. 

Comment  François  recouvrèrent  le  pont  de  Mehun-si  r-Loire  et  Baugenci.  —  Jehan 
le  duc  Dalançon  chief  et  lieutenant  général  du  roy  Charles  de  France  de  son  armée, 
accompaigné  de  la  Pucelle,  et  de  plusieurs  haulx  seigneurs,  barons  et  nobles,  entre 
lesqueulx  estoient  messire  Loys  de  Bourbon,  conte  de  Vendosme,  le  sire  de  Rais,  le 
sire  de  Laval,  le  vidame  de  Chartres,  le  sire  de  Latour,  et  autres  seigneurs,  atout 
grant  nombre  de  gens  de  pié,  et  grant  charroy  chargié  de  vivres  et  d'appareil  de 
guerre,  le  xv^  jour  de  juing  MIIIIXXIX  se  partirent  d'Orléans  pour  siège  mectre  devant 
Anglois,  et  tirant  leur  voye  droit  à  Baugency  se  arrcstèrent  devant  le  pont  de  Mehung 
que  avoient  Anglois  fortiffié  et  fort  garny,  et  tantost  à  leur  venue  fut  par  assault  prins  et 
garny  de  bonne  gent,et  ce  fait  n'arrestèrent  point  François,  mais  pensant  que  dedens 
Baugency  se  feussent  retrais  le  sire  de  Talbort  et  de  Scalles,  allèrent  devant  Baugency, 
pour  la  venue  desqueulx  Anglois  abandonnèrent  la  ville  et  sur  le  pontet  ou  Chastel  se 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES.  617 

retrairent.  Adoncques  entrèrent  François  dedans  la  ville,  et  le  pont  et  le  chastel  par 
devers  Beausse  assiégèrent,  et  là  drécièrent  et  assortirent  canons  et  bombardes  dont 
fort  bâtirent  le  chastel. 

En  ceslui  siège  vint  à  grant  chevalerie  le  conte  de  Richemont  connestable  de  France 
qui  en  tout  humilité  se  mist  à  genoulz'  devant  la  Pucelle,  lui  suppliant,  que  comme 
le  roy  lui  eust  donné  puissance  de  pardonner  et  remettre  toutes  offenses  commises  et 
perpétrées  contre  lui  et  son  auctorité,  et  que  pour  aucuns  rappors  senestres,  le  roy  eust 
conceu  hayne  et  maltalent  contre  lui,  en  telle  manière  que  par  ses  lettres  avoit  fait 
faire  deffense  que  aucun  recueil,  faveur,  ou  passage,  ne  luy  feussent  donnez  pour  venir 
en  son  armée,  la  Pucelle  de  sa  grâce  pour  le  roy  le  voulsist  recevoir  au  service  du 
roy  pour  y  emploier  son  corps,  sa  puissance  et  toute  sa  seigneurie,  en  lui  pardonnant 
toute  offense.  Et  à  celle  heure  furent  illec,  le  duc  d'Alencon  et  tous  les  haulx  sei- 
gneurs de  lost  qui  la  Pucelle  en  requisirent,  laquelle  le  leur  octroya,  parmy  ce  que  en 
leur  présence  elle  receupt  le  serment  dudit  connestable  de  loyaument  servir  le  roy, 
sans  jamais  dire  ne  faire  chose  que  tourner  luy  doyt  à  desplaisance  Et  à  cesle  promesse 
tenir  ferme  sans  enfraindre,  et  de  lui  estre  contraire  se  trouvé  estoit  deffaillant, 
s'obligèrent  lesdicls  seigneurs  à  la  Pucelle  par  lectres  de  leur  scellé. 

Si  fut  adonc  ordonné  que  ducosté  de  Solloingne  mettroit  siège  le  connestable  devant 
e  pont  de  Baugency,  mais  le  vendredy  xvn«  jour  dudit  mois  de  juing  fist  le  bailly 
d'Evreux  qui  fust  dedans  Baugenci  requérir  à  la  Pucelle  trailié  qui  fait  fut  et  accordé 
entour  minuit,  en  telle  manière  que  es  mains  du  duc  d'Alencon  et  de  la  Pucelle  pour 
le  roy  Charles  de  France,  Anglois  rendroient  le  pont  et  le  chastel,  leurs  vies  sauves, 
lendemain  à  heure  de  soleil  levant,  et  sans  emporter  ni  mener  fors  leurs  chevaulx 
et  harnois  avec  aucuns  de  leurs  meubles  montant  pour  chacun  ung  marc  d'argent 
seulement,  s'en  pourroient  franchement  aler  es  pais  de  leur  partie  ;  mais  armer  ne  se 
dévoient  jusques  après  dix  jours  passés,  et  par  cette  manière  se  deppartirent  Anglois 
qui  estoient  nombrez  à  v°  combattants,  qui  le  pont  et  le  chastel  rendirent  le  samedi 
xvin«  jour  de  juing  mil  CCGCXXIX. 

Gomment  Meiiln  fut  recouvré  par  la  fuite  des  seigneurs  de  Scalles,  de  Talbort  et 
MES5IRE  Jehan  Fastol  chevaliers  anglois.  —  En  la  ville  de  Mehung  entrèrent  une 
nuitée  les  sires  de  Scalles,  de  Talbort,  Fastol  qui  ou  chastel  de  Baugenci  ne  peurent 
avoir  entrée  par  l'empeschementdu  siège;  et  cuidans  faire  le  siège  désemparer,  la  nuit 
de  la  composition  assaillirent  Anglois  le  pont  de  Mehung,  mais  ledit  xvni^  jour  de 
juing,  tantost  que  de  Baugency  furent  Anglois  deppartiz  vint  l'avant-garde  des  François 
devant  Mehung,  et  aussitost  toute  la  puissance  en  bataille  ordonnée.  Adoncques  ces- 
sièrent  Anglois  lassauU  du  pont  et  de  toute  leur  puissance  yssirent  aux  champs,  et  tant 
àpié  comme  à  cheval  semisrent  en  batailles  ;  mais  à  relraire  se  commencièrent  délais- 
ians  Mehung  avec  leurs  vivres  et  abillements,  et  leur  chemin  prindrent  par  la  Beausse 
du  costé  par  devers  Patay  et  partirent  hastivement. 

Le  duc  d'Alençon,  la  Pucelle,  le  conte  de  Vendosme,  le  sire  de  saincte  Sévère  et  de 
Boussac  mareschal,  messire  Loys  de  Gulaut  admirai  de  France,  le  sire  de  Labrel,  le 
sire  de  Laval,  le  sire  de  (îhauvigny,  et  autres  grans  seigneurs  qui  en  batailles  ordon- 
nées chevauchèrent  et  tant  asprement  poursuiirent  Anglois  que  près  Pathoy  les 
aconsuirent  au  lieu  dit  Goynces,  et  furent  tant  près  tenuz  que  plus  ne  peurent  la  bataille 
eschever,  et  en  ordonnance  se  misrent  contre  lesquels  assemblèrent  François  à  bataille, 
et  en  peu  deures  furent  Anglois  desconfiz,  dont  fut  l'occision  nombrée  sur  le  champ 
par  les  héraulx  danglelerre  à  plus  de  ii™ii«  Anglois.  En  cette  bataille  qui  fut  le 
xvni*  jour  de  juing  mil  llllXXIX,  furent  prins  les  seigneurs  de  Talbort  et  de  Scalles 
avec  plusieurs  chiefs  de  guerre  et  autres  nobles  du  pais  dangleterre,  qui  bien  furent 
nombres  à  v"  hommes.  Si  commença  la  chace  sur  les  fuians  jusques  près  les  portes 

1.  Le  mot  à  genoulx  a  été  omis  dans  la  Chronique  éditée  par  Vallet  de  Viriville. 


618  LA  VRAIE  JEANNE  D^ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

Dyehyille,  en  laquelle  chace  furent  plusieurs  Anglois  occis.  Contre  les  Ânglois  fuiant 
fermèrent  les  bonnes  gens  Dyenville  les  portes,  montèrent  sur  la  muraille  à  leurs 
defTenses,  et  ou  chastel  fut  à  peu  de  compaignie  un  escuier  anglois  lieutenant  du  capi- 
taine, qui  le  chastel  avoit  en  garde:  lequel  congnoissant  la  desconiiture  des  Anglois 
traita  avec  les  bonnes  gens  du  chastel  rendre,  sa  vie  sauve,  et  list  serment  d'être  bon 
et  loyal  François,  à  quoi  ilz  le  recourent.  Grant  avoir  et  grans  richesses  demourèrent 
en  celle  ville  qui  par  les  Anglois  y  avoicnt  été  laissiez  à  leur  partir  pour  aller  à  la 
bataille,  avec  grant  quantité  de  trait,  de  canons  et  autres  abillements  de  guerre,  de 
vivres  et  marchandises,  et  en  Tobéissance  du  roy  se  réduisirent  ceux  Dyenville.  Dedans 
Mehung  entrèrent  François  après  la  fuite  des  Anglois  et  toute  pillèrent  la  ville. 

Et  de  la  bataille  s'enfuit  mcssire  Jean  Fastol.  Et  quant  Anglois  que  en  plusieurs 
places  furent  en  pais  de  Beausse,  sicommc  à  Montpipeau,  saint  Simon  et  autres  forte- 
resses, ouirent  nouvelles  de  ceste  déconfiture,  hastivement  prinstrent  la  fuite  laide 
et  honteuse,  et  le  feu  boutèrent  dedans. 

Après  lesquelles  tant  glorieuses  \ictoires  et  recouvrement  de  villes  et  chasteaux 
faites  ledit  xviu*  jour  de  juing  retourna  toute  larmée  dedans  Orléans,  ou  receuz  furent 
à  grant  joye  par  les  gens  d'église  bourgois  et  commun  peuple,  qui  à  Dieu  en  ren- 
dirent grâces  et  louanges.  Et  bien  cuidèrent  les  prodeshommes  du  clergié  et  bourgois 
d'Orléans  que  là  dcust  le  roy  venir,  pour  lequel  recevoir  ilz  firent  les  rues  tendre  a 
ciel,  et  grant  appareil  vouloient  faire  pour  honorer  à  sa  joyeuse  venue,  mais  dedans 
Sully  se  tint  sans  venir  à  Orléans,  dont  ne  furent  mie  contons  d'aucuns  qui  entour  le 
roy  estoient,  et  atant  demoura  la  chose  à  celle  fois.  Pourquoi  la  Pucelle  ala  par  devers 
le  roy,  et  tant  fist  que  le  xxn^jour  de  juing  cellui  an  il  vint  à  Chasteauneuf  sur  Loire; 
auquel  lieu  se  tirèrent  par  devers  lui  les  seigneurs  et  chiefs  de  guerre,  et  là  tint  aucuns 
conseilz  de  guerre,  après  lesqueulx  il  retourna  à  Sully,  et  à  Orléans  vint  la  Pucelle 
qui  toutes  gens  darmes  fit  tirer  par  devers  le  roy,  avecques  abillements  vivres  et 
charroys.  Dont  se  parti  la  Pucelle  Dorléans,  qui  à  Gien  ala  ou  vint  le  roy  à  puissance, 
et  par  héraulx  manda  aux  capitaines  et  autres  qui  les  villes  et  forteresses  de  Bonny, 
Cosne,  la  Charité  tenoient,  que  en  son  obéissance  se  rendissent  dont  ils  furent  reflTusans. 

En  la  ville  de  Baugency  séjourna  après  la  bataille  le  comte  de  Richemont  connes- 
table  de  France  par  aucuns  jours,  attendant  responce  du  duc  Jean  d'Alançon  et  de  la 
Pucelle,  de  haulx  seigneurs  qui  fors  sestoient  portez  du  roy  appaisier  et  lui  faire  par- 
donner son  nialtalent;  à  quoy  ils  ne  peurent  avenir,  et  ne  voult  le  roy  souffrir  qu'il 
alast  par  devers  lui  pour  le  servir,  dont  il  fut  en  grant  desplaisance. 


Du  RECouvRKMEM  DE  BosNY-suR-LoinE.  —  En  la  ville  de  Gien  ala  le  roy  durant  ces 
choses,  lequel  envoia  devant  Bonny  mcssire  Loys  de  Culant  son  admirai  atout  grant 
gent  ;  et  le  dimanche  après  saint  Jehan  MlllIXXIX  lui  fut  rendu. 

Et  pour  ce  que  désirant  fut  la  Pucelle  que  avant  que  le  roy  emploiast  sa  puissance 
à  recouvrer  ses  villes  ne  ses  chasteaux,  elle  le  menast  tout  droit  à  Rains  pour  illec 
être  couronné  et  recevoir  la  saincte  uncion  royal,  à  quoy  estoient  aucuns  doppinion 
roiilraire  tendans  ad  ce  que  preniirreinent  le  roy  assiégeast  Cosne  et  la  Charité,  pour 
les  pais  de  Berry,  d'Orléans,  et  du  fleuve  do  Loire  nestoier,  sur  ces  choses  tint  à  Gien 
de  grans  conseils,  pendant  lesquels  fut  la  royne  illec  menée  en  espérance  d'estre  menée 
couronner  à  Reins  avec  le  roy;  et  eulx  séjournans  illec  vindrent  au  service  du  roy  a 
grant  puissance  les  barons  et  haulx  seigneurs  de  plusieurs  contrées  du  royaulme.  Si 
fut  en  la  fin  le  roy  délibéré  en  son  conseil  de  la  royne  renvoier  à  Bourges,  et  sans 
meclre  aucuns  sièges  sur  Loire  prendroit  chemin  droit  à  Rains  pour  sa  consécracion 
recevoir;  adoncques  retourna  la  royne  à  Bourges  et  de  Gien  se  parti  le  roy  le  jour 
saint  Pierre  ou  mois  de  juing  MCCCCXIX,  à  toute  puissance,  et  tenant  sa  voye  dn>it  à 
Rains,  sadrecia  en  Aucerrois  et  par  ses  héraulx  manda  aux  bourgois  de  la  cité  d'Au- 
cerre,  à  ceux  de  Gravant,  de  Coulanges-les- Vineuses,  qui  pour  le  roy  anglois  et  le  duc 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES.  619 

de  Bourgoigne  se  tenoient,  que  en  son  obéissance  se  rendissent  ;  auquel  mandement 
ilz  obéirent  et  en  sa  grâce  les  receupt,  et  autres  villes  et  chasteaulx  de  la  contrée  et 
bénignement  leur  pardonna  toutes  offenses.  Si  administrèrent  au  roy  vivres  et 
charroys  abondamment  pour  son  host  soustenir,  et  en  tout  ce  que  requérir  leur 
voult  semploièrent  en  son  service.  Dedans  Aucerre  nentra  pas  le  roy  à  celle  fois  ; 
mais  pour  la  possession  en  prendre  et  le  serment  recevoir  du  ciergié  et  des  bourgois 
renvoya  de  haulx  seigneurs,  et  ce  fait  passa  la  rivière  dyonne.  Et  de  toutes  pars  alla 
chacun  jour  son  host  croissant  tant  de  haulx  seigneurs  barons  et  nobles,  comme  bour- 
gois et  gens  de  commun.  Et  chevauchant  pais  et  recevant  villes  et  places  en  obéis- 
sance tint  son  chemin  droit  à  la  cité  de  Troies  en  Champaigne,  dedans  laquelle  le  duc 
de  Bourgoigne  avait  establi  plusieurs  cappi laines  au  nombre  de  \^  hommes  darmes 
pour  résister  contre  le  roy. 

Du  SIÈGE  MIS  PAR  LE  ROY  DEVANT  LA  CITÉ  DE  Troyes.  —  Devaut  Troics  viut  Ic  roy  Charles 
de  France,  le  mercredi  vi®  jour  de  juillet  MCCCCXXIX,  et  là  mist  siège  de  toutes 
pars.  Si  fist  son  appareil  et  ses  bombardes  asseoir  et  assortir  sur  la  rive  des  fossez  de 
la  cité  que  forte  fut  et  bien  closes  de  murailles,  contre  laquelle  il  commanda  faire  ses 
bombardes  gecter. 


(Page  216  et  si:iv.) 
TEXTE  DE  LA  CHRONIQUE  DE  TOURNAY. 

En  ce  dessus  dit  an  mil  nileXXVIlI,  estoient  Englès,  à  grosse  puissance  en  pays  de 
Gascongne,  faisans  guerre  à  tous  les  pays  de  entour,  et  par  espécial  devant  Blois  et 
Orliens,  où  estoient  plusieurs  villes  et  forteresses  tenans  le  parti  du  roi  de  France, 
qui  pour  lors  se  tenoità  Chinon,  avec  belle  compaignie  de  gens  d'armes,  pour  deffendre 
son  pays  et  résister  aux  Englès  ses  adversaires.  Et  estoient  en  sa  compaignie  le 
marescal  de  Bousat,  mons'  de  Gaucourt,  mons'  de  Rays,  La  Hire  et  pluiseurs 
aultres  gentilzhommes  et  grand  nombre  de  Sauldoiers,  qui  deffendoient  le  pays  contre 
les  dits  Englès;  mais  nonobstant  quelque  deffence  que  ils  feissent  ou  poussent  faire, 
leurs  adversaires  prévalloient  et  tousjours  conquestoient  pays  ;  dont  le  roi  estoit  moult 
dolant  ;  mais  ce  ne  lui  povait  aidier  à  cause  que  le  heure  ne  estoit  point  venue,  en 
laquelle  Dieu  le  estoit  à  mettre  hors  de  opprobre  et  de  misère.  Et  fait  à  présumer  et  à 
croire  que  pour  aulcuns  peschiés  ou  de  princes  ou  de  peuples,  le  ayde  de  Dieu  fut 
attargée,  le  roi  toujours  lui  requerrant  son  ayde  et  souccours,  et  mandant  souventes 
fois  aux  collèges  des  églises  cathédrales  de  son  royaulme  faire  processions  et  exhorter 
le  peuple  eulx  amender  et  prier  pour  lui  et  son  roiaulme,  considérant  et  ramenant 
en  sa  mémoire  que  les  persécutions  de  guerre,  mortalité  et  famine  sont  vergues  de 
Dieu  à  punir  les  énormités  du  peuple  ou  des  princes. 

Les  Englès  dont,  eux  efforchant  mettre  tout  le  pays  à  leur  obéissance  se  assem- 
blèrent en  grand  nombre,  et  assegièrent  la  ville  et  cité  de  Orliens,  devant  laquelle  ilz 
furent  longuement,  faisans  plusieurs  maulx  au  pays  de  entour  et  plusieurs  envayes  et 
assaulx  à  icelle  ville  par  fait  de  canons,  veuglaires,  serpentines  et  aultres  hostils  de 
guerre.  Mais  ceulx  de  ladite  ville  se  deffendoient  si  puissamment  et  vaillamment  que 
rien  n'y  conquestoient,  fors  perte  des  leurs.  Et  eulx,  volants  que  par  assault  ne 
povoient  avoir  la  ville  et  que  moult  y  perdoient,  se  advisèrent  et  conclurent  affamer 
icelle  :  et,  pour  ce  faire,  ils  firent  trenquis  et  bastilles  encloant  ladite  ville  et  eulx 
contre  les  courses  de  leurs  anemis;  et  ne  laissoint  passer  par  terre  ne  par  eaue, 
quelques  marchandises  ne  vivres,  dont  ceulx  de  la  dite  ville  se  poussent  sustenter  ou 
aidier.  Et  ceulx  de  ladite  ville  de  Orliens,  eulx  voiands  en  tel  dangier  et  aiant  peu  de 


620  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

espérance  estre  soucourrus,  sinon  de  Dieu  principalement,  se  retournèrent  vers  lui, 
requerrant  que  par  sa  bonté  et  miséricorde,  il  lui  pleust  être  à  eulx  propice,  selon  que 
ii  sçavoit  que  il  leur  estoit  nécessité.  Et  souvent  faisoient  processions  et  dévotes 
prières  tout  le  temps  dudit  siège,  toujours  requerrant  le  ayde  et  miséricorde  de  Dieu. 
Et  quand  il  pleut  à  Dieu  oïr  les  prières,  tant  du  roi  de  France  comme  de  ceux 
d'Orliens  et  autres  villes  dudit  roiaulme,  et  que  sa  volunté  fut  les  aidier  et  souccourir 
et  jetter  de  l'opprobre  où  ils  estoient,  il  ne  excita  ne  promeut  les  corages  des  hommes 
robustes  et  exercités  à  la  guerre  à  eulx  oster  le  Ghehoriel  et  faix  de  toute  calamité  et 
misère,  adfin  que  ils  ne  extimassent  la  victoire  venir  de  eulx;  mais  leur  voeillant 
monstrer  que  toute  force  vient  de  lui  et  que  merveilleusement  et  miraculeusement  il 
fait  toutes  ses  oevres,  il  anima  et  enhardi  ung  fueble  et  tendre  corps  féminin,  aiant 
vescu  tout  son  temps  en  purité  et  casteté,  sans  quelque  reproce  ni  suspicion  de  mal 
fait.  Lequel  corps  féminin  et  nommé  Jchenne  estoit  de  Loraine,  de  une  petite  ville 
dite  Mareulle,  séante  entre  la  cité  de  Mes  et  le  pont  à  Mouisson,  distoiante  II  lieues  de 
ladite  cité  et  III  dudit  Pont;  et  avoit  icelle  Jehenne  demouré  et  servi  iliec,  grand 
espace  de  temps,  en  aulcune  censé  dudit  lieu. 

Quand  dont  il  pleut  à  Dieu  subvenir  et  conforter  le  dit  roiaulme  de  France,  ceste 
dite  Jehenne,  le  roi  estant  à  Chinon,  vers  l'entrée  du  quaresme  du  dessus  dit  an, 
comparut  devant  lui  en  habit  de  escuier,  et  se  déclara  estre  Pucelle  et  envolée  de  Dieu 
à  subpéditer  et  expulser  les  Englès,  par  armes,  se  partir  ne  se  voellent  amiablement, 
de  son  roiaulme  et  brefvemont  le  mener  sacrer  et  couronner  en  la  ville  de  Rains, 
malgré  tous  ses  hayneulx  et  mortels  anemys. 

Adonl  le  roi,  entendant  les  parolles  et  promesses  de  la  dite  Jehenne  estante  en 
habits  dissimulé,  les  tint  pour  légières  et  vaines,  sans  y  adjouter  foi.  Et  ladite  Jehenne 
continuante  ses  parolles  et  disante  que  le  ayde  de  Dieu,  duquel  elle  estoit  envolée,  ne 
doit  estre  refusée,  mais  joieusement  reçupte,  le  roi  comme  sage  et  prudent,  toujours 
espérant  avoir  aulcun  souccours  de  la  grâce  de  Dieu,  et  commémorant  que  anchiène- 
ment  femmes  avoient  fait  merveilles,  comme  Judith  et  aultres,  assembla  son  conseil 
et  autres  clercs,  adfin  que  la  chose  arguée  et  débatue  par  bonne  et  meure  délibération, 
il  peust  sravoir  se  aulcune  conjecture  de  divine  ayde  povoit  estre  sentie  en  cesle 
femme.  Lesquelz  clercs  et  conseil  disputant  la  matière  par  plusieurs  et  diverses  jour- 
nées, et  considéranl  et  srachant  que  les  oëvres  de  Dieu  sont  incongneues,  et  que 
plusieurs  fois  il  avoit  Tait  merveilleux  et  miraculeux  souccours  aux  siens,  conclurent 
et  dirent  au  roi,  en  ceste  manière  :  «  Très  chier  sire,  la  matière  que  il  vous  a  pieu  nous 
déclarer  et  mettre  en  conseil  passe  entendement  humain,  et  ne  est  qui  en  sceust 
jugier,  ni  affermer,  car  les  o^hres  du  seul  et  souverain  seigneur  se  diversifient  et  sont 
inscrutables.  Mais  entendu  la  nécessité  de  votre  très  digne  et  excellente  personne, 
avec  aussi  celle  de  votre  roiaulme,  et  considéré  les  continuées  prières  de  vostre 
peuple,  espérant  en  Dieu,  et  de  tous  aultres  amants  paix  et  justice,  et  mesinement 
ramené  que  on  ne  scet  la  volunté  du  seigneur,  il  nous  semble  estre  bon  non  rejetter 
ne  refuser  la  pucelle,  qui  se  dist  estre  envolée  de  Dieu  pour  vostre  souccours  et  ayde, 
nonobstant  que  ses  promesses  soient  sups  oëvres  humaines.  Mais  point  ne  disons  no 
entendons  que  légièrement  créedz  à  elle  :  car  le  dyable  est  subtil  et  décepvable, 
tendant  tout  tirera  lui.  Et  pour  ce,  il  est  juste  et  raisonnable  que,  selon  la  sainte 
escripture,  le  fachiés  esprouver  par  deux  manières,  c'est  assavoir:  par  prudence 
humaine,  en  enquérant  de  sa  vie,  de  ses  meurs  et  de  son  intention,  comme  dit  St  Pol  : 
Probate  spirilus  si  en  Deo  sunt,  et  par  dévotes  oroisons,  enquerre  signe  de  aulcune 
oëvre  ou  apparence  divine,  par  (|uoi  on  puist  jugier  que  elle  est  venue  de  Dieu,  ainsi 
que  il  fut  dit  au  roi  Acliaz  :  que  il  demandast  signe,  quand  Dieu  lui  faisoit  promesse 
de  victoire,  en  lui  disant  :  jiete  tibi  siynum  a  Domino  Dco  tuo,  et  semblablemenl  fist 
Gédéon,  qui  demanda  signe  et  plusieurs  aultres.  » 

Lesqueles  n  manières  le  roi  tint  et  observa  selon  son  conseil,  envers  ladite  Pucelle, 
c'est  assavoir  :  probation  de  prudence  humaine  et  inquisition  de  signe  de  Dieu  par 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES.  621 

oroison.  Pour  la  première,  il  fist  la  disle  Pucelle  tenir  et  estre  avec  lui,  en  sa  court 
mieulx  de  vi  semaines,  et  le  fist  communiquier  avec  toutes  gens,  et  aussi  examiner  par 
seigneurs  de  église  et  aultres  clercs  subtilement,  elle  tousjours  accompagnié  de  gens 
de  dévotion,  dames,  damoiselles,  vesves  et  pucelles,  et  aulcunes  fois  de  gens  d'armes 
et  aultres,  en  la  présence  du  roi.  Mais  en  quelque  manière  que  ce  feust,  privé  ment  ou 
publiquement,  ne  fust  veu  ne  trouvé  en  elle,  fors  bien,  humilité,  patience,  virginité, 
dévotion  et  honneste  simplesse.  Et  de  sa  naissance  et  vie  furent  oyes  pluiseurs  choses 
merveilleuses,  conformantes  à  vérité.  Et  quand  à  la  seconde  manière  de  inquisition 
de  signe  par  oroison,  elle  interroguée  de  ce,  respondi  que  devant  la  ville  de  Orliens,  et 
non  ailleurs,  le  monstreroil  ;  car  ainsi  lui  était  ordonné  de  Dieu.  Et  le  roi,  après  la  dite 
probation  faite  de  la  Pucelle,  autant  que  à  lui  estoit  possible,  considérant  la  response 
de  icelle  à  lui-mesme  dite  touchant  démonstrer  aulcun  signe  de  son  envoi,  et  voiant 
la  constance  et  persévérance  de  elle  requerrante  instamment  alor  à  Orliens,  pour 
démonstrer  aulcun  signe  de  divin  souccours,  ne  vollut  empescher  le  voiage,  mais 
lui  espérant  en  Dieu  assembla  ses  gens  d'armes,  qui  estoient  expars  par  le  pays,  et 
les  fist  aprester,  pour  conduire  ladite  Pucelle  vers  ladite  ville,  sans  se  voulloir  mons- 
trer  répugnant  au  Saint-Esperit,  ou  ingrat  de  la  bonté  et  miséricorde  de  Dieu  et 
indigne  estre  de  lui  souccouru,  comme  il  avoit  trouvé  en  délibération  de  conseil. 
Et  ladite  pucelle,  volante  les  préparations  qui  se  faisoient  pour  le  souccours  de 
ladite  ville  de  Orliens,  fist,  par  le  oltroi  du  roi,  escripre  unes  lettres,  lesquelles  elle 
envoia  aux  capitaines  des  Englès  tenant  siège  devant  icelle,  desquelles  la  teneur 
s'ensuit. 

«  Jhesus,  Maria!  toi,  roi  d'Engleterre,  et  toi,  duc  de  Becquefort,  qui  te  dis  régent 
de  France,  vous  Guillemme  de  la  Polie,  conte  de  Sulfort,  Jehan  sire  de  Taleboth,  et 
Thomas  sire  d'Escables,  qui  te  dis  lieutenant  du  duc  de  Becquefort,  faites  raison  au 
roi  du  ciel  de  son  sang  roial  ;  rendes  à  la  Pucelle,  envoiée  de  Dieu,  le  roi  du  chiel, 
les  clefs  de  toutes  les  bonnes  villes  que  vous  avez  prises  et  violées  en  France  ;  car 
elle  est  chi  venue  de  par  Dieu,  réclamer  tout  le  sang  et  droit  roial,  et  preste  de  faire 
paix,  se  raison  lui  vouliez  faire,  vous  déportans  de  France,  et  paiant  le  roi  de  ce  que 
le  avez  tenue.  Et  vous  tous,  archiers  et  compaignons  de  guerre,  gentilz  et  aultres 
estans  devant  la  ville  de  Orliens,  partez  vous  de  par  Dieu,  et  vous  en  alez  en  vostre 
pays,  et  se  ainsi  ne  le  faites,  attendez  les  nouvelles  de  la  Pucelle,  qui  brefvement 
vous  visettera  à  votre  grand  domages.  Et  toi,  roi  d'Engleterre,  fai  ce  que  je  te  ai 
escript  :  que  se  tu  ne  le  fais,  je  suis  cief  de  guerre,  aians  puissance  et  commission  de 
Dieu  de  bouter  et  encachier  forciblement  tes  gens,  partout  où  les  ataindrerai  es  par- 
ties de  France.  Que  se  ils  voellent  obéir,  je  arai  merchi  de  eulx,  et,  sinon,  je  les  ferai 
occir.  Je  sui  chi  venue  de  par  Dieu,  le  roi  du  ciel,  pour  vous  expulser  de  France,  et 
tous  ceulx  qui  voudront  faire  trayson,  malengin  ou  domage  au  roiaulme  très  cris- 
tien.  Et  ne  mettez  en  vostre  oppinion  tenir  le  dit  roiaulme  de  Dieu,  le  roi  du  ciel,  lil 
de  la  vierge  Marie,  car  Charte,  vrai  héritier  de  icelui,  le  tenra,  voeilliés  ou  non  ;  c'est 
la  volonté  du  roi  du  ciel  et  de  la  terre.  Et  ce  lui  est  révélé  par  moi,  qui  sui  Pucelle, 
et  que  il  entrera  à  Paris  à  bonne  compaignie;  et  se  vous  ne  vouliez  croire  les  nouvelles 
de  Dieu  et  de  la  Pucelle,  en  quelque  lieu  que  vous  trouverons,  nous  ferrons  dedens 
à  horrions  et  y  ferons  tel  hahai,  que,  passé  mil  ans,  ne  fut  si  grand  en  France.  Faites 
donc  raison,  et  créedz  la  Pucelle.  Que  se  vous  ne  le  faites,  le  roi  du  ciel  lui  envolera  et 
donra  plus  de  force,  que  ne  lui  pourez  livrer  de  assaulx,  et  pareillement  à  ses  bonnes 
gens  d'armes.  Et  aux  horrions  verra-on  qui  ara  le  meilleur  droit  de  Dieu  du  ciel. 
Toi  dont,  roi  d'Engleterre,  et  toi,  duc  de  Becquefort,  la  Pucelle  vous  prie  que  vous 
issiés  du  pays,  car  elle  ne  vous  voelt  détruire,  en  cas  que  lui  faites  raison  ;  mais  se 
vous  ne  le  créedz,  tel  cop  poura  venir,  que  les  Franchois  en  sa  compaignie  feront  le 
plus  beau  fait  que  onques  fut  vu  en  cristienneté. 

Et  envolez  response  se  vouliez  faire  paix  et  vous  partir  de  Orliens  ;  que  se  vous  ne 
le  faites,  altendez-moi  à  votre  grand  domage  et  brief. 


622  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  !  LA  LIBÉRATRICE. 

Escript  mardi  de  ceste  sepmaine  sainte  et  pénultime  de  mars  mil  Ull*,  XXVill. 
Et  ces  choses  ainsi  faites,  et  le  armée  de  France  assemblée  et  preste,  la  dite  Pucelle 
se  parti  de  Chinon,  tirant  vers  Orliens,  le  joedi  xxi*  de  apvril,  mil  lUI'  XXIX,  étalai 
Blois,  où  elle  attendi  les  vivres  et  puissance  qui  se  debvoient  mettre  dedens  la  dite 
ville  de  Orliens,  jusques  an  joedi  ensicvant,  et  adont  elle  se  parti  du  dit  Blois,  aiant 
son  estandard  de  blancq  satin,  auquel  estoit  figuré  Jhesu  Christ  séand  sur  les  arches, 
monstrant  ses  plaies,  et  à  caseun  lez,  un  angel  tenant  une  fleur  de  lis. 

Et  estoient  en  sa  compaignie  mens"  le  marescal  de  Bousac,  mons*'  de  Gaucourt, 
mons'  de  Rays,  Lahirc  et  plusieurs  aultres  grands  seigneurs»  en  nombre  de  tous  com- 
battans  environ  m  (trois)  mil,  que  de  pied  que  de  cheval.  Et  menèrent  avec  eulx 
parmi  la  Saloingne,  environ  LX  carios  de  tous  vivres,  et  IH1«  XXX V  chargés  de  bestail. 
Et  Tendemain,  ilz  vinrent  à  la  dite  ville  de  Orliens,  emprès  la  rivière,  où  ceulx  de  la 
dite  ville  les  vinrent  quérir  par  navires,  malgré  les  Englès,  qui  ne  osèrent  issir  de 
leurs  trenquis  et  bastilles,  ne  faire  quelque  résistence.  Et  la  Pucelle,  volante  que  on 
le  avoit  mené  du  costé  de  la  Saloingne,  et  que  elle  ne  avait  trouvé  les  Englés,fut  très 
couroucée  vers  les  capitaines,  et  commencha  plorer.   Et  incontinent    charga  la 
compaignie  que  ilz  retournassent  au  dit  Blois  querre  les  vivres  que  ilz  y  avoienl  lais- 
siés,  et  que  ilz  les  amenassent  du  côté  de  la  Biausse,  et  que  elle  les  adevanceroit  avec- 
ques  une  partie  de  ceulx  de  la  ville  de  Orliens,  et  bien  leur  dist  que  rien  ne  doutas- 
sent, et  que  ils  ne  trouveroient  quelque  empeiscement.  Et  adont  entra  la  dite  Pucelle 
en  la  ville,  et  ses  gens  retournèrent  au  dit  Blois,  en  obéissant  et  accomplissant  son 
dit.  Et  après  ilz  se  partirent  dudit  Blois,  aiant  le  sourplus  de  vivre  et  grand  nombre 
de  bestail,  comme  bœfs,  porcs  et  moutons,  le  mardi  lu'  de  mai. 

Et  Tendemain,  veille  de  TAscension,  ilz  vinrent  à  Orliens  du  dit  costé  de  la  Biausse, 
sans  quelque  empeiscement  à  Taler  ne  au  venir,  par  trait  ne  auUrement,  combien  que 
les  Englès  se  assemblèrent  environ  xini^  combatans,  pour  les  envaïr  au  retour,  mais 
ilz  ne  osèrent,  car  la  dite  Pucelle,  aiante  grosse  puissance  de  ceulx  de  ladite  ville, 
ala  au  devant  de  eulx,  et  les  reçupt  malgré  leurs  anemis,  et  les  conduisit  en  ladite 
ville. 

Et  tosl  après  que  Jesdits  vivres  furent  en  la  ville  de  Orliens,  la  Pucelle  aiante  son 
estandart  et  sa  puissance,  ala  assaillir  la  bastille  de  St-Leu,  qui  estoit  forte  et  de  grand 
dcffense,  une  partie  de  ses  gens  de  cheval  ordonnez  à  garder  que  les  Englès  de  aultre 
costé  ne  leur  feissent  souccours  ;  et  la  dite  Pucelle,  avec  ceulx  de  sa  route,  venus  à 
ladite  basteillc,  firent  tant,  parmi  le  ayde  et  volunté  de  Dieu,  que  elle  fut  prise  par  vive 
force  de  assault,  et  y  morurent  environ  CLX  Englès  sans  les  prisonniers  qui  furent 
environ  XllU  (/4).  Et  là  conquirent  grands  vivres  et  plusieurs  pièches  de  artillerie  et 
aultres  bagues,  sans  quelque  perte  des  leurs,  sinon  n  hommes.  Et  adont  se  relrai- 
vrent,  menans  tout  en  ladite  ville. 

Et  lendemain  feste  de  l'Ascension  de  Jhesu-Crist,  la  dite  Pucelle  aiante  son  estan- 
dart en  la  main,  issi  de  ladite  ville  de  Orliens  avec  sa  puissance  du  costé  de  la  Sa- 
loingne, et  monstra  semblant  assaillir  leur  bastille.  Et  par  une  fainte  retraite  que  elle 
commanda  faire,  les  Englès  sallirent  hors  de  icelle  après  eulx  à  grand  puissance. 
Et  adont  ladite  Pucelle  et  Lahire  voiands  les  dits  Englès  estre  issus  retournèrent 
vigoreusement  supz  eulx,  et  les  reboutèrent  et  poursievirent  si  asprement,  que  à 
paines  se  poiirent  retraire  en  leur  fort  ;  et  là  morurent  XXX  englès.  Et  fut  le  ung  de 
leurs  fors  pris  et  un  bolvercq  et  grand  nombre  de  vitailles.  Et  les  Englès,  voiands  que 
ainsi  ils  estoient  reboutez,  deffirèrent  111  bastilles  qui  estoient  du  dit  costé  de  la  Sa- 
loingne, et  tous  se  retraiyrent  on  leur  grande  bastille  du  bout  du  pont. 

Et  ceste  nuite,  tint  la  dite  Pucelle  et  les  siens  les  champs,  jusques  au  cler  Jour, 
dudit  costé  de  la  Saloingne.  Et  le  dit  jour  commenchié  esclarchir,  et  la  Pucelle  et  ses 
gens  appointiés  et  ordonnez,  se  elTorchièrent  envaïr  ladite  grande  bastille  du  bout  du 
pont,  qui  estoit  moult  forte  et  comme  imprenable,  et  où  estoit  grand  nombre  d'Englès 
et  belle  ordonnance  de  deiïense  de  bombardes,  canons  et  aultre  trait  à  poure. 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES.  623 

Laquele  bastille  fut  telement  défendue  par  lesdits  Englès,  que,  par  tout  le  jour, 
Franchois  rien  ne  y  conquirent.  Et  ceste  envaïe  se  continuant  jusques  assez  tart  du 
vespre,  la  Pucelle,  comme  il  pleut  à  Dieu,  fut  bléchée  par  trait  lui  entrant  environ 
ung  pôle  en  la  poitrine,  deseure  la  dextre  mamelle  ;  de  laquelle  bléchureelle  se  mons- 
tra  plus  estre  lie  (sic)  que  tourblée,  et  demandante  un  peu  de  oie  d'olive,  avec  coton 
tira  elle  meismes  le  trait  de  sa  poitrine  et  mist  le  dit  oie  dessups  et  dict  :  «  Maintenant 
ne  ont  les  Englès  comme  rien  de  puissance,  car  ceste  bléchure  est  le  signe  de  leur 
confusion  et  misère,  révélé  à  moi  de  par  Dieu,  et  de  moi  non  déclaré  jusques  à 
présent.  »  Et  incontinent,  elle  appointée  et  armée,  se  tirante  à  part  et  appoiante  sups  sa 
lance,  tenans  icelle  de  la  main,  fist  semblant  faire  oration  à  Dieu,  la  face  eslevée  vers 
le  ciel.  Et,  ce  fait,  elle  retourna  aux  gens  d'armes  et  leur  monstra  ung  lieu  de  ladite 
bastille,  leur  commandant  que  ilz  le  envaïssent  par  là  et  entrent  en  icelle,  lesquelz 
obéissans,  tous  de  ung  commun  accord  avec  elle  la  première,  assaillirent  icelle  et 
telement  le  oppressèrent,  que.  Dieu  aidant,  promplement  fut  prise  de  force.  Et  eulx 
dedens  entrez,  y  eubt,  que  pris  que  mors,  environ  v''  Englès  des  principaulx  de  leur 
est.  Et  lesdits  Englès  voiands  la  dite  bastille  estre  prise  et  eulx  cuidans  retraire 
dedens  la  tour  du  pont,  ledit  pont  fondi  et  chéi  en  le  eaue,  dessupz  lequel  estoit  Clas- 
sedas,  ung  de  leurs  ciefs  souverains,  et  aullres  grands  seigneurs  avec  lui,  jusques  en- 
viron XXX,  qui  tous  furent  noiez.  Et  ceste  chose  fut  tenue  comme  miraculeuse.  Et,  en 
ceste  conqueste,  gaignièrent  les  Franchois  grand  habondance  de  vivres  et  de  artilleries, 
comme  bombardes,  canons,  serpentines,  veuglaires  et  aultres  engiens  et  bagages.  Et, 
le  meisme  jour  assez  tart,  entra  la  dite  Pucelle  avec  ses  gens,  en  la  ville  de  Orliens, 
en  grand  joie  de  coer  et  rendant  grâces  à  Dieu  de  la  dite  victoire,  et  menans  leurs  pri- 
sonniers devant  eulx  :  et  leurs  gens  reveus,  après  la  dite  conqueste  et  assaut,  ne  trou- 
vèrent que  V  hommes  moins  et  peu  de  bléchiés.  Et  de  ceste  journée  dirent  aulcuns  et 
affermèrent  que  durant  ledit  assault,  furent  véus  deux  blancs  oiseaulx  sups  les 
espaulles  de  ladite  Pucelle.  Et  les  Englès  prisonniers  dirent  et  congneurent  que  il 
leur  sembloit  que  les  Franchois  se  monstroient  être  trois  fois  plus  que  ilz  ne  estoient, 
et  que  par  ce  avoient  été  si  espo veniez,  que  ilz  ne  avoient  quelque  puissance  de  eulx 
deffendre. 

Et,  le  dimence  après  et  endemain  de  la  dite  victoire  et  conqueste,  au  point  du  jour, 
les  aultres  englès  des  Bastilles,  du  côté  de  la  Biausse  voiands  leur  maie  adventure  et 
doubtans  la  puissance  de  la  dite  Pucelle,  habandonnèrent  leurs  places  et  bastilles,  et 
s'enfuyrent  tous  ensemble,  qui  bien  estoient  nombres  XXV*».  combatants,  que  de  pied 
que  de  cheval.  Et  ceulx  de  la  ville  de  Orliens,  avec  ladite  Pucelle,  voiands  la  fuite 
desdits  Englès,  issirentdeladite  ville,  en  nombre  de  environ  v^  chevaulcheurs,  et  féri- 
rent  en  la  queue,  et  en  occirent  et  prirent  aulcuns,  sans  ce  que  ilz  se  retournassent 
ne  monstrassent  quelque  défense.  Et  la  Pucelle,  ce  voiands,  fit  retraire  ses  gens,  sans 
souffrir  que  plus  les  poursievissent,  disans  que,  puisque  ilz  se  partoient,  on  ne  les 
dedvoit  trop  aggresser,  et  mesmement  ce  que  il  estoit  dimence,  jour  et  feste  du  sabbat 
de  Dieu,  et  aussi  pour  ce  que  elle  leur  avoit  donné  jour  de  eulx  en  aller  jusques  au 
lundi.  Et  eulx  retrais  en  la  dite  ville  et  reposez  la  nuitée  se  partirent  de  icelle,  l'ende- 
main  matin,  et  alèrent  es  bastilles  que  les  dits  Englès  avaient  délaissé,  es  esquels  ilz 
trouvèrent  pluiseurs  vitailles,  artilleries  et  aultres  habillements  de  guerre,  vaillables 
grand  somme  de  argent. 

Et  ces  choses  ainsi  faites,  la  Pucelle  manda  au  roi  toute  la  besongne  ainssi  que  elle 
estoit;  lequel,  oïand  ces  nouvelles,  fut  moult  Joieux,  et,  lost  après,  se  parti  de  Chinon, 
pour  aler  devers  elle,  et  vint  en  la  ville  de  Tours,  le  vendredi  devant  la  Penthecouste 
ensievant.  Et  il  venant  en  icelle  ville,  ladite  Pucelle,  qui  peu  avant  y  estoit  venue, 
ala  audevant  de  lui  son  estandart  en  sa  main,  et  lui  fist  révérence,  se  inclinante  des- 
sups son  cheval  le  plus  bas  que  elle  peut,  le  cief  descouvert;  et  le  roi  à  cest  aborde- 
ment  osta  son  caperon  et  le  embracha  en  la  suslevant  ;  et,  comme  il  sembla  à  plui- 
seurs, voullentiers  le  euist  baisée  de  la  joie  que  il  avoit.  Et  cette  joieuse  obviation 


624  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :   LA  LIBÉRATRICE. 

faite,  ils  enirèrent  en  ladite  \ille  de  Tours,  et  se  mirent  en  leurs  hostelz.  Et  Tende- 
main  vinrent  nouvelles  au  roi  que  le  sire  de  Scables  et  le  sire  de  Talieboth  et  grand 
nombre  de  Engiès,  escappez  du  siège  de  Orliens,  se  estoient  mis  et  enclos  à  Gergeau, 
à  fiaugentis  et  à  Meun  :  lesqueles  nouvelles  oyes,  il  manda  hastivement  le  bastard 
de  Orliens  et  Poton  de  Saint-Traille,  qui  avoient  esté  capitaines  de  ladite  ville,  le 
siège  durant,  et  pluiscurs  aultrcs  seigneurs,  estans  en  garnison  et  forteresses  de  là 
entour.  Et  eulx  assemblez  à  Tours,  le  roi  leur  commanda  aler  avec  la  Pucelle  après 
les  dits  Engiès.  Et  adont  se  parti  ladite  Pucelle  de  Tours,  à  bonne  puissance  de  gens 
d'armes,  et  alèrent  asségier  la  ville  de  Gergeau,  où  ledit  sire  de  Talieboth  et  celui  de 
Scables  estoient  avec  grand  nombre  d'Englès  ;  et  est  icelle  ville  supz  la  rivière  de 
Loire,  à  viii  lieues  de  Orliens.  Et  eulx  venus  devant  ladite  ville  subitement  y  firent  un 
grand  et  merveilleux  assault,  lequel  ils  continuèrent,  tant  que  ilz  la  prirent  par  force 
et  là  fut  pris  le  sire  de  Talieboth  et  le  sire  de  Scables,  lesqueh  la  Pucelle  laissa  aler, 
par  aulcun  traitié  que  ilz  promirent  entretenir. 

Et  ce  fait,  aulcuns  des  cappitaines  dirent  à  ladite  Pucelle  que  elle  avoit  mal  fait  de 
laissier  aler  les  anemis  du  roi,  ausquelz  ellerespondi  que  briefvement  seroient  repris 
aultre  part,  et  que  ilz  ne  tenroient  chose  que  ilz  euissent  promis. 

Et  de  là  s'en  allèrent  à  Meun,  qui  est  à  v  lieues  de  Orliens,  au  dessoubz  de  ladite 
rivière,  et  le  prirent  de  assault  et  de  là  à  Raugentis.  Mais  eulx  venus  illec,  la  garni- 
son avec  aussi  la  plus  grand  partie  de  ceulx  de  ladite  ville,  se  estoient  partis  et  en- 
alez,  et  adont  ceulx  qui  estoient  demourez  ou  casliel  les  reçuprent  et  leur  livrèrent 
ladite  ville  et  le  castiel.  Et,  après  ce,  la  Pucelle,  avec  les  cappitaines  et  gens 
d'armes,  s'en  alèrent  audevant  et  contre  vi"  Engiès,  qui  venoient  pour  souccourrir 
leurs  gens,  avec  lesquelz  se  estoient  mis  le  sire  de  Talieboth  et  celui  de  Scables, 
que  ladite  Pucelle  avoit  laissié  aler,  comme  dessupz  est  dit,  et  aussi  pluiseurs  aultres 
Engiès,  lesquelz  avant  s'enfuioient.  Lesqueles  n  armées  se  entrecontrèrent  emprès 
Patay,  en  Biausse,  à  vi  lieues  de  Orliens.  Et  illec  se  portèrent  les  Franchois  si  vaillam- 
ment que.  Dieu  aidant,  lesdits  Engiès  furent  desconfis  et  près  tous  mors.  Et  là  furent 
repris  le  sire  de  Scables  et  celui  de  Talieboth  et  pluiseurs  aultres.  Et  cesle  baptaille 
faite,  et  les  prisonniers  emmenez  avec  toute  la  despoulle,  grand  joie  fut  faite  et 
loenges  rendues  à  Dieu,  congnoissans  que  toute  victoire  vient  de  lui.  Et  les  prisonnière 
présentez  au  roi,  il  les  reçupt  très  liement,  en  remerciant  ladite  Pucelle  et  les  cappi- 
taines, et  rendant  grâces  à  Dieu,  qui  donnoit  corage  à  une  femme  de  teles  emprises. 
Et  adont  se  parti  le  roi,  de  Tours  et  ala  à  Orliens,  avec  plusieurs  seigneurs,  chevalliers, 
escuiers,  cappitaines  et  aultres;  et,  illec  venu  fut  reccu  à  grandjoie. 

Et  après  ces  choses  ainssi  aciefvécs,  le  roi,  par  le  conseil  de  la  Pucelle  et  de  aulcuns 
seigneurs  de  sa  court,  se  parti  de  la  ville  de  Orliens,  aiant  belle  compaignfe  de  gens 
d'armes,  et  tira  vers  la  ville  et  cité  de  Rains,  pour  être  sacrez  et  couronnez.  Et,  en 
faisant  ledit  voiage,  mist  en  son  obéissance  pluiseurs  villes  et  forteresses  alors  tenues 
des  Engiès, c'est  assavoir:  Aussoire,  Sens,  Troies,  Chalon  et  aultres  pluiseurs.  Et,  après 
ce,  le  roi  vint  et  entra  en  ladite  ville  de  Kains,  le  samedi  xvi«  de  juillet  du  dessupzdit 
an  mil  III^XXIX  à  vu  du  vespre,  et,  l'endemain  à  m  heures  du  matin,  ala  en  l'église 
Nostre-Dame,  avec  pluiseurs  seigneurs  et  aultres.  Et  eulx  entrez  dedens  ladite  église, 
elle  fut  close  jusques  à  ix  heures,  et  adont  ladite  église  ouverte,  le  roy  fut  sacrez  et 
couronnez  par  monseigneur  le  archevé(iue  de  ladite  ville  et  cité  de  Rains.  Et,  ce  fait, 
les  seigneurs,  qui  là  estoient,  lui  firent  hommage  tel  que  il  appertenoit  à  leurs 
seignouries  et  tenemens.  Et  adont  list  le  roi  un  que  ducs,  que  contes,  et  environ 
ii<=  chevalliers. 

Et  après  se  parti  de  ladite  ville,  prenant  chemin  vers  Paris.  Et,  en  ceste  voie,  se  ren- 
dirent à  lui  les  villes  qui  s'ensièvent,  c'est  assavoir  :  Laon,  Soissons,  Compiègne,  Cas- 
teau-Tieri,  Senlis,  Beauvais,  Laingni  et  pluiseurs  aultres  forteresses  et  casteaux.  Et  fait 
à  présupposer  et  extimer  que  se  tondis  euist  procédé  avant,  tôst  eust  reconquesté  tout 
son  roiaulme,  car  les  Engiès  et  autres  ses  adversaires  estoient  si  esbahisel  elféminez. 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES.  625 

que  à  paines  se  osoient  amonstrer  ne  defTendre  la  pluspart  de  eulx,  sans  espérance  de 
éviter  la  mort,  fors  par  fuir.  Et  le  roi  ainsi  besongnant  vint  à  Saint-Denys  avec  son 
armée,  et  lui,  entré  en  Tabaye,  fit  célébrer  les  obsèques  et  service  du  roi  Charle  son 
père,  vi«  de  ce  nom. 

Et,  en  tout  ce  voiage,  la  Pucelle  ne  avoit  aultre  intention,  fors  de  elle  et  ses  gens 
assaillir  la  ville  et  cité  de  Paris  ;  devant  laquele  elle  fist  plusieurs  courses,  avec  les 
siens,  et  partout  là  entour.  Et  estoit  courouchée  que  aultremcnt  ne  se  faisoit;  mais 
les  cappitaines  ne  se  accordèrent  assallir  ladite  ville;  ains,  par  aulcuns  du  conseil  du 
roi,  firent  retraire  leurs  gens  d'armes,  dont  il  convint  que  ladite  Pucelle  se  reslraiisl  à 
Saint-Denis,  où  le  roi  se  tenoit.  Et  m  jours  après,  le  roi  créand  aulcuns  de  son  conseil, 
contre  le  gré  de  ladite  Pucelle,  s'en  ala  menant  icclle  avec  lui,  oullre  la  rivière  de 
Loire.  Et  là  se  tint  tout  le  yver,  sans  gaire  bcsongnicr  au  fait  de  la  guerre,  dont  ladite 
Pucelle  estoit  très  mal  contente,  mais  ne  le  povoit  amender. 

L'an  mil  llll*  et  XXX,  tantost  après  Pasques,  Philippe,  duc  de  Bourgongue,  et  sire 
Jehan  de  Lucembourcq,  conte  de  Lingni,  avec  plusieurs  cappitaines  d'Kngleterre,  et 
aians  grand  puissance  de  gens  d'armes,  Englès,  Bourguignons,  Picars  et  Portugalais, 
s'en  alèrent  en  France  et  conquestèrent  aulcunes  villes  et  forteresses,  qui  se  estoient 
rendues  au  roi,  au  voiage  de  Paris,  comme  dessupz  est  dit;  et  tant  que  les  dessudits, 
avec  leur  armée,  vinrent  devant  Compiengne,  et  y  mirent  le  siège,  et  se  fortifièrent 
de  bolvers  et  bastilles  pour  les  afTamer.  Et  avoit  ledit  duc  de  Bourgongne  grand  nombre 
de  Portingalois  avec  lui  à  cause  que  il  avoit  espousé  la  fille  du  roi  de  Portingal,  dont 
les  nocpces  avoient  été  faites  au  mois  de  janvier  précèdent,  en  la  ville  de  Bruges; 
èsquels  on  flst  pluiseurs  esbatement  de  joustes,  tournois  et  aultres  noblesses  sump- 
teuses... 
[Ici  le  chroniqueur  raconte  les  prodigalités  du  duc  à  ses  noces  ] 
Leduc  de  Bourgongue  dont,  avec  ses  allez  et  armée,  estant  fortifiez  devant  ledite  ville 
de  Ck)rapiengne  pour  icelle  affamer,  et  aulcun  bon  cappitaine,  de  nom  Guillaume  de  Flavi, 
estant  dedens  et  bien  deffendant  icelle  avec  le  ayde  des  manans  et  habitans,  le  roi,  i)ar 
aulcun  de  son  conseil,  envoia  en  leur  ayde  Jehenne  la  Pucelle  avec  n^  hommes  Ylaliens, 
Et  ladite  Pucelle,  venue  en  ladite  ville,  et,  aulcun  jour,  issue  pour  grever  leurs  anemis, 
avec  ceulx  de  la  ville  et  lesdits  Ytaliens,  après  longe  escarmuce  par  eulx  faite,  et  cuidans 
rentrer  en  icelle,  furent  si  opprimez  et  constrains  de  leurs  adversaires,  que  ladite 
Pucelle  fut  retenue  prisonnière  et  livrée  en  la  main  de  messire  Jehan  de  Lucembourcq, 
lequel  envoia  ladite  Pucelle  ou  castiel  de  Biaulieu,  commandant  icelle  emprisonner 
en  une  tour.  Et  après  la  prise  de  ladite  Pucelle,  le  duc  de  Bourgongne,  pour  aulcuns 
ses  affaires  de  Braibant  et  de  Liège,  se  parti  dudit  siège,  laissant  ses  gens  illec;  les- 
quelz  y  furent,  avec  le  aultre  armée,  que  la  Toussaint  approchoit. 

[Ici  le  chroniqueur  raconte  la  délivrance  de  Compiègne  et  puis  reprend  l'histoire  de 
Jeanne.] 

Ce  siège  durant,  Jehenne  la  Pucelle  estoit  enfermée  et  tenue  prisonnnière  en  une 
tour  ou  castiel  de  Biaulieu,  de  laquelle  elle  cuidante  escaper,  sailli  de  haut  embas  : 
dont  telement  fut  bléciée  que  aler  ne  s'en  peut,  et  fut  reprise  et  menée  à  Biaurewart, 
où  elle  fut  prisonnière  tant  que  ledit  siège  fut  deffait  ;  et  adont  messire  Jehan  de  Luceni- 
bourgle  délivra  aux  Englès,  lesquels  le  menèrent  à  Bouen,  où  longemenl  fut  tenue 
prisonnière.  Et  depuis  dirent  et  affermèrent  pluiseurs  que,  par  le  envie  des  capitaines 
de  France,  avec  la  faveur  que  aulcuns  du  conseil  du  roi  avoient  à  Philippe,  duc  de 
Bourgongne  et  audit  messire  Jehan  de  Lucembourcq,  on  trouva  couleur  de  faire  morir 
ladite  Pucelle  par  feu,  en  ladite  ville  de  Bouen,  non  trouvant  en  elle  aultre  cause  ne 
culpe,  fors  que  elle  avoit  esté,  durans  toutes  les  dessupzdiles  conquesles,  en  habit 
dissimulé. 

(Becueil  des  Chroniques  de  Flandre,  111,  p.  405-417.) 


m.  40 


626  U  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIRÉRATRICE. 


•C  (p.  240-243). 

THOMAS  BASIN. 
PROCÈS  DE  LA  PUCELLR  (Histoire  de  Charles  VII,  liv.  !ï,  ch.  xv  et  xvi,  p.  8<). 

Mirabanluroinnos  ferme  quod  ad  intorrogationes  de  lidei  capitulis,  etlam  doclis  el 
liUeratis  viris  salis  difliciles,  lalis  msUcana  juvencula  tam  prudenler  et  caute  respon- 
den*L.  El  quuni  assessoruin,  qui  acrius  et  fervenlius  Anglorum  querela?  faulores 
alque  defensoros  exsislebant,  Iota  ad  hoc  versaretur  intentio,  ut  callidis  etcaptiosis 
interrogalionibus  capta,  criminis  ha»reseos  adjudicaretur  rea,  et  per  hoc  de  medio  lol- 
lerelur,  nihil  lameii  validum  aul  efficax  ad  hoc  ox  ipsius  dictis  aut  assertionibus 
extrahere  potuerunl. 

Fuf'ratonim  rev(»ra,  ut  ab  his  qui  ojus  convei'salionein  el  mores  cognoveranl  lesla- 
batur,  priusquam  ad  rogem  accossisset,  ac  etiam  poslquam  inter  armatonim  cohorles 
observata  fuit,  multum  devola,  quoties  poteral,  ecclesias  et  oratoria  frequentans.  Tbi 
autom  dum  rure  pascendo  pecori  insistorel,  si  audiret  campanœ  sonum  pro  elevalione 
divini  Corporis  el  Sanguinis  vel  pro  saiulalione  Beala^  Maria»,  cum  magiio  devolionis 
n*rvore  solita  oral  genu  (leclcre  et  Deum  exorare.  Sed  el  Deo  suam  vovisse  virginita- 
lem  afiirmabat:  de  cujus  violatione,  liceldiu  inler  armatorum  grèges  el  impudicorum 
ac  moribus  perdilissimorum  virorum  fuissel  conversata,  numquam  tamen  aliquam 
infamiam  perluiit.  Quinimo,  cum  per  muHeres  experlas,  eliam  inler  Anglorum  existons 
manus,  super  sua  inlegritale  examinala  inspcclaque  fuissel,  non  aliud  de  ea  experiri 
potuerunl  nec  inferre,  nisi  quod  intemerala  virginalia  claustra  servaret.  Excusabat 
ipsa  viriiis  vestis  habilum  atque  tegumenlum,  pra'ceptum  de  assumendo  et  utendoeo 
,  alque  armis  divinitus  sibi  factum  asserens,  ne  viros,  inler  quos  diu  noctuque  in  expei 
ditionibus  bellicis  obversari  haberet,  ad  iliicitam  sui  alliceretconcupisoentiani,  si  amic- 
lum  inuliebrem  portasset;  quod  vix  profecto  inhiberi  potuissel. 

Sed  certe,  cujuscuniciuc  in  ea  seu  simulacrum  seu  spécimen  virtutis  ehicere  potuis- 
sel, vix  eral  ut.  apud  quos  tenebatur,  se  potuissel  justificare,  cum  nihil  ferventiusaul 
propensius  quam  ipsam  perditum  iri  et  exslingui  afîectarent.  Una  enim  omnium 
Anglorum  sententia  voxque  communis  erat  se  nunquam  posse  cum  Francis  feliciler 
dimicare,  aiit  de  cis  reportare  victoriam,  quamdiu  illa  Puella,  quam  sortilegani  ac 
malelicam  difîamabant,  vilam  ageret  in  humanis.  Atqui  quomodo  innocentia  secura 
evadere,  quidve  prodesse,  inler  lot  acerbissimorum  inimicorum  et  calumnialorum 
manus  posset,  quales  eidem  Puelko  ipsi  Anglici  crant,  atque  alii  permulti,  qui  animo- 
sius  eorum  partes  defendebant  et  judicio  assidebant,  qui  eam  loto  annisu,  quacumquo 
Nia,  perditum  iri  cupiebant? 

Quum  autem  super  iis,  quas  afiirmabat  Sanctarum  Virginum  apparitiones  fadas,  in 
una  eademque  confessione  perseveranter  maneret,  diuque  et  multoties  ileratis  exami- 
nationibus  fatigata,  sirniil  etiam  squalore  et  inedia  diutini  carceris  macerala  «M  con- 
fecla  fuisset  (in  quo  quidem  ab  Anglicis  militibus,  tam  intus  carcerem,  quam  a  foris 
juxta  ostium  jugiter  excubantibus,  asservabatur),  ferunt,  judicibus  sibi,  si  id  facerel, 
impunitatem  liberalionemque  pollicentibus,  aliquando  eam  abnegasse  se  habuisse 
veras  hujusmodi  apparitiones  aut  divinas  revelationes  ;  ad  hoc  tamen  inductam  ut, 
coram  assidentibus  in  judicio,  ea  ulterius  se  dicturam  asserturamve  abjurarel.  Quœl 
cum  ita  factum  fuisset,  nec  minus  propter  hoc  a  duritia  et  asperitate  carceris  laxaretur, 
aliquot  post  decursis  diebus,  vulgatum  exstitit  eam  dixisse  se  propterea  fuisse  correp- 
tam  quod  hujusmodi  apparitiones  el  revelationes  se  abnegassel  habuisse,  denuoque 
Sanctas  easdem  sibi  in  carcere  apparuisse,  qua.»  de  hoc  ipsam  dire  increparanl. 

(juum  aulem  ad  judices  ea  res  perlai  a  fuisset,  ipsa  ilerum  ad  judicium  publice 
exhibila,  tanquam  in  abjuratam  ha^resim  relapsa,  judicala  exstitit  el  relicla  ul  lahs 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES.  627 

brachio  sœcularis  potestaiis.  Quam  illico  rapientes  exsecntores  totaque  Anglorum 
manus,  qui  in  magno  aumero  cum  rege  suo  Henricotum  erantRothomagi,  spectante 
innumera  pœne  populorum  muliitudino  tam  de  civitale  ipsa  quam  de  agris  et  vicinis 
oppidis  (nam  plurimi  velut  ad  speclaculum  publicnm  propterea  ad  eamdem  urbem  con- 
fluxerant),  ipsa  Johanna,  Deum  semper  invocans  auxiliatorem  et  gloriosam  Domini 
nostri  Jesu  Christi  Genilricem,  igné  consumpta  exlilit. 

Collecti  etiam  fuerunt  universi  cineres,  quos  illic  ignis  tam  de  lignis  quam  de  ipsis 
corpore  et  ossibus  reliquerat,  et  de  ponte  in  Soquanam  projecii,  ne  quid  reliquiarum 
ejusdem  aliqua  forsan  posset  superstitione  tolli  et  servari.  Et  talis  quidem  fmis  hujus 
transitorioî  vita;  Johanna}  fuit. 

Exspectabit  forte  hujus  historié  lector  nostrum  de  hujus  Puella}  gestis  judicium,  de 
qua  per  omnem  Galliam  ea  lempestate  celeberrima  fama  fuit.  Nos  vero  audenter  dici- 
mus  et  aflirmamus  quod,  ex  processu  facto  contra  eam  (quem  ipsi  vidimus  postquam, 
ejectis  Anglis,  Normannia  sub  Caroli  ditionem,  velut  postliminio,  redierat)  non  sufli- 
cienter  constat  ipsam  de  alicujus  erronei  dogmatis,  contra  veritatem  doclrinac  calho- 
licaî,  asserlione  convictam  vel  in  jure  confessam;  ac  per  hoc  hœresis  atque  relapsus 
satis  manifeste  defuisse  fundamentum.  Quanquam  etiam,  pra3terhoc,  polerat  processus 
hujusmodi  ex  multis  capitibusargui  vitiosus,  coram  capitalibus  inimicis  sœpe  per  eam 
recusatis,  denegato  sibi  etiam  omni  consilio^quœ  simplexpuellaeratjactus  et  habitus: 
quemadraodum  ex  libello  quem  desuper,  ab  eodem  Carolo  expelito  a  nobis  consilio, 
edidlmus,  si  ei  ad  cujus  vcnerit  manus  eum  légère  vacaverit,  lalius  poterit  apparere. 
Pulsis  enim  de  Nonnannia  Anglicis,  idem  Carolus  par  plures  regni  sui  prœlatos  et 
divini  atque  humani  juris  doctos  homines,  diligenter  processum  pra^dictum  examinari 
et  discuti  fecit  ;  ei  de  ea  materia  plures  ad  eum  libelles  conscripserunt.  Quibus,  coram 
certis  a  sede  apostolica  ad  cognoscendum  et  judicandum  de  hujusmodi  materia  judi- 
cibus  delegatis,  exhibilis  et  mature  perspectis,  per  eosdem  judices  in  sententiam,  quam 
diximusy  exstitil  condescensum.et  sentcntia,  contra  eam  data  sub  Anglorum  imperio, 
cassata  et  revocata. 

Mirabitur  forsan  aliquis,  si  a  Deo  missa  erat,  quomodo  sic  capi  et  suppliciis  affiei 
potuerit  ;  sed  nuUus  admirari  ration abili ter  poterit,  qui  sine  ulla  hœsitatione  crédit 
sanctum  sanctorum  Dominum  et  Salvatorem  nostrum,  sanctos  prophetas  et  apostolos 
a  Deo  missos  ob  doctrinam  salutis  et  fidei  Deique  voluntatem  hominibus  insinuandum 
et  evangelizandum,  variis  cruciatibus  et  suppliciis  afTectos,  triumphali  martyrio  hanc 
vitam  fîniisse  mortalem  ;  quum  etiam  legamus  in  veteri  Teslamento  populum  Israeli- 
ticum,  a  Deo  jussum  Ghananaîorum  gentes  exterminare  et  contra  suos  hostes  et  idolâtras 
pugnare,  tam  propter  sua  peccata  aut  alicujus  etiam  ex  eis,  aliquando  prœvalentibus 
eis  hostibus,  cecidisse  et  corruisse.  Quis  enim  novit  sensum  Domini,  aut  quis  consi- 
liarius  ejus  fuit?  Non  tamen  ita  hœc  dicimus,  quod  eamdem  Johannam,  modo  quem 
diximus  ex  hac  misera  vita  prœreptam,  apostolorum  aut  sanctorum  martyrum  velimus 
meritis  coœquare  ;  sed  quod  minime  repugnantia  aut  inter  se  incompatibilia  repu- 
lamus,  et  quod  a  Deo,  ad  subveniendum  regno  et  genti  Francorum  adversus  hostes 
suos  Anglicos,  qui  tune  regnum  ipsum  gravissime  opprimebant,  ad  ipsorum  Fran- 
corum Anglorumque  conterendam  superbiam,  et  ut  ne  quis  «ponat  carnem  brachium 
suum,  »  sed  non  in  Deo,  sed  in  se  ipso  solo  de  suisque  viribusglorietur,  dicta  Johanna 
a  Deo  missa  fuerit;  et  nihilominus  quod  eam  Deus,  vel  ob  régis  vel  gentis  Francorum 
démérita,  utpote  quod  tantorum  beneticiorum,  quanta  Deus  per  eam  ipsis  mirabiliter 
conlulerat,  ingrati,  non  proinde  débitas  egerint  gratias  divinitati,  aut  victorias  eis 
concessas  non  gratiae  Dei,  sed  suis  meritis  aut  viribus  attribuerint  (quœ  mérita  profecto 
nulla  nisi  mala  tune  erant,  quum  mores  corruptissimi  essent,  seu  alia  causa  aliqua, 
justa  quidem,  quoniam  non  est  apud  Deum  iniquitas,  licet  a  nobis  minime  cognita), 
ab  hostibus  capi  et  supplicie  sic  eam  afQci  permiserit,  gratiam  quam  gratis  nec  meren- 
tibus  dederat,  ab  indignis  ac  ingratis  subtrahendo.  Sœpe  enim  quod  divina  pietas 
dédit  gratis,  tulit  ingratis.  Quod  autem  per  fœminas  interdum  cum  armis,  interdum 


628  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARG  :  LA  LIBÉRATRICE. 

sine  armis,  suis  subvenlionem  el  victoriarum  solatia  de  hostibus  Deus  coniulerit, 
testes  sunt  historiœ  de  Debbora,  Judith  et  Esther,  quœ  canoni  divinarum  Scripturanim 
inseruntur. 


D  (p.  285). 
(Extrait  de  divers  manuscrits.) 

EXHORTATION  A  SECONDER  LA  PUCELLE. 

Virgo  puellares  artus  induta  virili 
Veste,  Dei  monitu,  properat  relevare  jacentem 
Lillferum  regem,  atque  suos  delere  nefandos 
Hostes,  prœcipue  qui  nunc  sunt  Aurelianis 
llrbe  sub,  ac  illam  déterrent  obsidione. 

Et  si  tanta  viris  mens  est  se  jungere  bello, 
Crédite  failaces  Anglos  succumbere  morti, 
Marte  puellari  Gallis  sternentibus  illos. 

Et  tune  finis  erit  pugnsc,  tune  fœdera  prisca, 
Tune  amor  et  pietas  et  cœtera  jura  redibunt  ; 
Certabunt  de  pace  viri,  cunctique  favebunt 
Sponle  suo  régi,  qui  rex  librabit  et  ipsis 
Cunctis  justitiam,  quos  pulchra  pace  fovebit. 
Et  modo  nullus  erit  Anglorum  pardiger  hostis 
Qui  se  Francorum  pro^sumat  dicere  regem. 


LIVRE    III. 

E  (p.  344-34.-)). 
LETTRES  D'ANOBLISSEMENT  DE  LA  PI  CELLE  ET  DE  SA  PARENTÉ. 

Karolus  Dei  gratia,  Francorum  rex,  ad  perpetuam  rei  memoriam. 

Magnificaturi  divino}  celsitudinis  uberrimas  nitidissimasque  gratias,  celebri  minis- 
terio  Puellœ,  Johannœ  d'Ay  de  Domprcmeyo,  carae  el  dilectœ  nostrac,  de  ballivia 
Cal  vi  mentis  seu  ejus  ressortis,  nobis  élargi  tas,  et,  ipsa  divina  coopérante  cicmentia, 
amplificari  speratas,  decens  arbitramur  et  opportunum,  ipsam  Puellam  et  suani, 
nedum  ejus  ob  officii  mérita,  verum  et  divinsc  laudis  praeconia,  totam  parentelain 
dignis  honorum  nostrœ  rcgiac  majestatis  insigniis  attollendam  et  sublimandam,  ut 
divina  claritalc  sic  illustrata,  nostroï  regia;  liberalitatis  aliquod  munus  cgregium 
gcneri  suo  relinquat,  quo  divina  gloria  et  tantarum  gratiarum  fama  perpetuis  tempo- 
ribus  accrescat  et  pcrseveret. 

Notum  igitur  facimus  universis  pra'sentibus  et  futuris,  quod  nos,  pra?missis  attenlis, 
considérantes  insuper  laudabilia,  grataque  et  commodiosa  servitia,  nobis  et  nostn» 
regno  jam  per  dictam  Johannam  Puellam  multimode  impensa,  et  qua?  in  futuruin 
impendi  speranius,  cerlisque  aliis  causis  ad  hoc  animum  nostrum  inducentibus, 
prîefatam  Puellam,  Jacobum  d'Ay  dicti  loci  de  Dompremeyo,  pal  rem,  Ysabellani  ejus 
uxorem,  matrem,  Jacqueminum  et  Johannem  d'Ay  el  Pelrum  Prerelo,  fralres  ipsius 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES.  629 

PuellfiB,  ET  TOTAM  suAM  PARENTELAM  ET  LiGNAGiuM,  cl  in  favoreni  et  pro  contemplatione 
ejusdem,  etiam  eorum  poster! tatem  masculinametfeinininam,  in  legitimo  matrimonio 
natam  et  nascituram,  nobililaviinus,  et  per  pricsentes  nobilitamus  et  nobiles  facimus, 
concedenles  expresse  ut  dicta  Puella,  dicti  Jacobus,  Ysabclla,  Jacqueminus,  Johannes 
et  Petrus,  et  ipsius  Puella3  tota  parentela  et  lîgnagium,  ac  ipsorum  posterilas  nata  et 
nascitura,  in  suis  actibus,  in  judicio  et  extra,  ab  omnibus  pro  nobilibus  habeantur  et 
reputentur;  et  ut  privilegiis,  libertatibus,  prasrogativis,  aliisque  juribus,  quibus  alii 
nobiles  dicti  nostri  regni  ex  nobili  génère  procreati,  uti  consueverunt  et  uluntur, 
gaudeant  pacifiée  et  fruantur,  eosdemque  et  dictam  eorum  posteritatem,  aliorum 
nobilium  dicti  nostri  regni  ex  nobili  stirpe  procreatorum  consortio  aggregamus,  non 
obslante  quod  ipsi,  ut  dictum  est,  ex  nobili  génère  ortum  non  sumpserint,  et  forsan 
ALTERiis  QUAM  LiBER.«  C0ND1T10NI8  EXISTANT...  [Suit  Ténumération  des  privilèges  de 
noblesse.  L'exemption  de  la  somme  qu'en  règle  générale  les  anoblis  devaient  payer  en 
recevant  les  lettres  de  noblesse,  se  trouve  exprimée  en  ces  termes  :] 

Nec  aliquam  fînanciam  nobis,  vel  successoribus  nostris,  propter  banc  nobilitationem 
solvere  quovis  modo  teneantur  aut  compellantur  ;  quam  quidem  financiam,  prcTmis- 
sorum  intuitu  et  consideratione,  eisdem  supra  nominatis,  et  dictai  parentela;  et 
lignagio  prœdicta;  Puella;,  ex  nostra  ampliori  gratia  donavimus  et  quitavimus,  dona- 
musque  et  quitamus  per  pra^sentes,  ordinationibus  stâtutis....  et  mandalis  factis,  vel 
faciendis  ad  hoc  contrariis,  non  obstantibus  quibuseumque 


LIVRE    IV. 
G  (p*  439-454) 

LA   CHRONIQUE  DITE  DES   CORDELIERS. 

(Bibl,  nationale,  fds.  Français  n*»  23018  r».) 

l'auteur   commence  a  parler  de  l.\  pucelle  au  f<»  483   R". 

En  ce  temps,  arriva  devers  le  dauphin  une  josne  fille  née  en  Loeraine  et  fille  d'un 
povre  laboureur  laquelle  se  faisoit  nommer  Jennette  la  Pucelle.  Et  avoit  gardé  les 
brebis  ou  village  dont  elle  estoit  née.  Laquelle  pucelle  estoit  en  parolle  et  en  conte- 
nance moult  innocente,  comme  il  sambloit.  Et  toutes  foix  elle  feist  entendant  que  par 
divine  inspiracion  elle  debvoit  faire  mettre  le  dit  dauphin  en  possession  de  son 
royaume  de  France  et  le  faire  partout  obéir.  Et  tant  donna  à  entendre  à  son  père  et  à 
ses  amis  que  elle  fu  par  ung  sien  frère  et  autres  que  elle  trouva  ses  adjoins  amenée 
devers  iceluy  dauphin.  Et  là  par  ses  parolles  icellui  dauphin  le  retint  à  sa  court  et  le 
mist  en  très  grant  estât,  dont  le  plus  grant  partie  de  ses  gens  furent  moult  esmcr- 
veiiliés,  car  ilz  tenoient  icelle  Jennette  à  folle  et  à  nyce. 

Celle  Jennette,  quant  elle  fu  en  ce  party  retenue  du  dit  dauphin  et  mise  en  estai, 
requist  estre  montée  et  armée  comme  ung  homme  d'armes  en  disant  que  elle  feroit 
merveilles.  Et  ainsi  en  fu  fait.  Et  se  commencha  à  mettre  en  armes  et  sievir  les  routes. 
Et  tantost  après  ce  se  assamblèrent  grant  foison  de  gens  d'armes  pour  lever  le  dit 
siège  d'Orléans  après  le  traictié  fally,  comme  dit  est.  Et  en  celle  assamblée  se  boula 
et  mist  la  dicte  Pucelle  et  leva  ung  estandart  où  elle  list  mettre  «  Jhesus  »  et  mainle- 
noit  estre  envoiie  de  par  Dieu  pour  mettre  le  dit  dauphin  en  possession  du  royaume 
de  France. 

A  l'entrée  du'moix  de  may  l'an  mil  UU^XXIX,  fu  le  siège  levé  de  devant  Orléans 


030  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

par  force  et  puissance  de  le  partie  du  daulphin.  Et  y  fu  la  dicte  Pucelle  qui  commença 
à  faire  merveilles,  tant  de  fait  comme  de  parolle,  et  briefment  elle  fist  tant  que  elle 
commença  à  avoir  une  grande  renommée.  Et  avoient  ceulx  de  ce  party  grande  espé- 
rance en  elle.  Là  furent  les  bastilles  des  Engloix  prises  et  arses.  Et  si  eult  grand 
desconfitures  des  diz  Engloix  et  grant  occision. 

Après  le  siège  d'Orléans  levé,  se  mist  le  daulphin  de  France  sus  à  toute  puissance, 
et  reconcquisrent  ses  gens  et  la  Pucelle  Baugensy,  Meun,  Gergeau  et  autres  forlresses 
pluiseurs  sur  les  diz  Engloix.  Et  y  fu  prins  le  seigneur  de  Talbo  et  plusieurs  autres 
seigneurs  et  cappitaines  du  party  des  diz  Engloix  qui  furent  depuis  long  tamps  détenus 
prisonniers,  par  especial  le  dit  seigneur  do  Talbo  qui  fu  prison  à  Poton  de  Sainte 
Treille  à  le  prise  du  dit  lieu  de  Gergeau  qui  fu  prise  à  assault  et  de  force. 

Le  xYiii<^  jour  de  juing  après  disner,  assamblèrent  les  gens  du  régent  qui  s*estoit 
mis  sus  contre  les  gens  du  dit  dauphin,  et  furent  Engloix  desconfQs  emprès  Yoinville 
et  Estampes.  Et  retourna  le  régent  à  Paris  à  pau  de  gens.  Et  tantost  après  y  fu  envoyés 
le  seigneur  de  ITsle-Adam. 

Quant  le  dauphin  de  Viennoix  fu  mis  sus  et  la  Pucelle  tousjours  au  plus  près  de  liiy 
en  armes  comme  ung  cappitaine  et  grant  gent  desoubz  elle,  il  commença  à  concquesler 
places  et  pais  par  le  fait  et  renommée  qui  partout  se  commencha  à  espardre  de  la 
dicte  Pucelle.  Et  n'estoit  fortresse  qui  à  se  simple  parolle  et  semonce  ne  se  volsist 
rendre,  cuidans  et  esperans  par  ses  merveilles  que  ce  fuist  chose  divine,  car  elle 
faisoit  merveille  d'armes  de  son  corps  et  manyoit  ung  bourdon  de  lance  très  puissan- 
ment  et  s'en  aidoit  raddemenl,  comme  on  veoit  journellement.  Et  avec  ce  amon- 
nestoit  les  gens  au  nom  de  Jhesus  et  faisoit  preschemens,  affin  de  attraire  le  peuple  à 
luy  rendre  et  obéir  audit  daulphin.  Et  fist  tant  finalement  que  renommée  couru  par- 
tout jusques  a  Homme  qu'elle  faisoit  miracles  et  que,  puis  qu'elle  venoit  devant  une 
place,  les  gens  de  dedens,  quelle  volonté  qu'ilz  eussent  paravant  de  non  obéir  au  dit 
daulphin  ne  à  elle,  cstoient  tous  muez  et  falis  et  n'avoient  nulle  puissance  de  eulx 
defTendre  contre  elle  et  tantost  se  rendoient  comme  Sens,  Ausoirre  et  auUres 
forlresses,  combien  que  le  roy  n'entra  point  en  aucunnes,  mais  il  eubt  vivres  pour 
son  argent  etc.  Et  vint  se  grant  renommée  à  estre  continuée  par  le  ville  do  Troies  en 
(ihampaigne  qui  tousjours  avoit  tenu  le  party  de  Bourgongne  et  promis  de  le  tenir  et 
ensievir.  Et  toutes  fois  elle  fu  rendue  incontinent  sans  cop  ferir  à  la  monicion  et 
semonce  d'icelle  Pucelle,  dont  toutes  gens  furent  esbahis  et  meismement  les  princes 
et  seigneurs  lenans  le  dit  party  de  Bourgogne  qui  estoient  en  très  grand  doubtance. 

En  ce  tamps,  après  la  reddition  de  Troies,  concquist  ledit  daulphin  moult  de  ville> 
et  forlresses  par  le  moi  en  de  la  Pucelle  qui  lors  tolly  tout  le  nom  et  les  fais  des  cappi- 
taines et  gens  d'armes  de  sa  compaignie,  dont  aucuns  diceulx  n'estoient  mie  bien 
contens;  et  mist  en  son  obéissance  tout  le  pais  dessus  le  rivière  de  Loire,  Ausserrois 
cl  Champaigne,  excepté  aucunnes  forlresses  que  Perrinet  Grasset  tenoit  qui  oncques 
ne  se  voiront  rendre  ne  obéir  au  dit  dauphin;  mais  fist  icelui  Perrinet  moult  de 
gricfz  et  de  contraires  aux  gens  d'iceluy  daulphin. 

En  ce  tamps,  cnvoia  le  duc  de  Bourgongne  ses  ambaxadeurs  à  Bains  aflin  que  il 
enlrelenissenl  leur  serment  de  la  paix  final  et  que  il  demourassenl  en  l'obéissance  du 
roy  Henry  et  de  luy,  et  ainsi  le  promisrent  à  faire. 

Tant  alla  le  daulphin  de  Viennoix  et  son  armée  que  il  arriva  emprès  Bains.  Et 
cependent,  au  moix  de  juing,  fist  le  régent  de  France  une  grosse  armée  pour  aller 
contre  le  dit  daulphin  et  recueilla  et  mist  sus  les  gens  d'armes  qui  estoient  escappés  et 
sauvés  de  devant  Orléans  et  Yvinville.  Et  endementiers  que  son  armée  se  mettoil  sus, 
concquesloit  tous  jours  le  daulphin  et  sa  Pucelle  et  tant  que  ilz  vinrent  à  sept  saux 
emprès  Bains.  El  envoia  le  dit  daulphin  au  dit  lieu  semonrre  ceuLx  de  la  ville  à  lui 
faire  ouvrelure  et  obéissance,  combien  que  ilz  avoient  promis  aux  ambaxateurs  du  duc 
de  Bourgongne  de  eulx  tenir,  ainsi  que  dit  est,  contre  ledit  daulphin. 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES.  631 

Quant  ceulx  de  Rains  oyrent  la  semonce  que  on  leur  faisoit  de  eulx  rendre,  ilz  allè- 
rent à  consseil  au  quel  ilz  se  conclurent  tantost  de  faire  ouvreture  et  obéissance  au 
dit  daulphin  comme  à  leur  seigneur  naturel.  Kt  ainsi  fut  fait 

Et  chevaulçoit  la  dicte  Pucelle  devant  le  roy  toute  armée  de  plein  harnas  à  estendact 
deploiié;  et  quant  elle  estoit  désarmée,  s'avoit-elle  estât  et  habis  de  chevalier,  sollers 
lachiés  dehors  pied,  pourpoint  et  chauches  justes  et  un  chapelet  sur  le  tieste  et  portoit 
très  nobles  habis  de  drap  d'or  et  de  soie  bien  fourrés 

Ënvoia  (le  roi)  son  armée  et  la  Pucelle  à  Saint  Denis,  et  il  meismes  y  fu  après  sans 
luy  faire  couroner.  Et  puis  envoia  sa  puissance  devant  Paris  par  plusieurs  foix,  dont  à 
Tune  le  duc  d'Alenchon,  la  Pucelle,  emprès  Saint  Leurens,  furent  par  ceulx  de  Paris 
recachiés  et  rués  jus  jusques  au  nombre  de  six  à  sept  cens  hommes  mors,  et  se  retrai- 
rent  lors  à  Senlis.  Et  une  aultre  foix  livrèrent  assault  d'un  lez  à  la  dicte  ville  do  Paris» 
en  deschendant  de  Montmartre.  Et  là  fîst  la  Pucelle  merveilles,  tant  de  parolles  et 
amonnestemens  comme  de  donner  cuer  et  hardement  à  ses  gens  de  assalir.  Et  elle 
meismes  alla  si  près  que  elle  fu  navrée  de  tret  en  une  cuisse  et  rachassié  elle  et  toute 
son  armée.  Et  ne  conquisrent  riens  à  leur  assault 

Âinchois  que  le  roy  Charles  allasl  devant  Paris,  avoit  eu  ung  conseil  entre  Tarchc- 
vesque  de  Rains,  le  seigneur  de  la  Trimouille,  Poton  et  la  Hire,  d'une  part,  et  mes- 
sire  Jehan  de  Luxembourg,  le  chancellier  de  Bourgongne,  les  seigneurs  de  Croy  et 
Lourdin  de  Saligny  et  autres  ;  mais  il  n'y  eubt  nulle  conclusion  de  abstinences  ne  de 
paix,  et  fu  la  journée  tenue  emprès  la  Fèrc. 

Quant  les  gens  du  roy  virent  que  ilz  n'aroicnt  point  de  obéissance  à  Paris,  on  envoia 
à  Gompiengne  par  plusieurs  foix.  Et  enfin  se  rendy  par  traictié  et  fîst  obéissance  au 
dit  roy  Charles,  et  y  fu  commis  Villaume  de  Flavy  cappitaine  à  grant  puissance.  Et  se 
rendirent  lors  les  forteresses  de  Creil,  le  Pont  Saincte  Massence,  Chasteauthiery,  Lan- 
gny  et  aultres  plusieurs  ;  mais  Breteuil  et  Chartres  se  tinrent  avec  Ponthoise,  Mante, 
Vernon,  les  Pons  à  Meulen,Charenton,  Bois  de  Vinssaine  et  aultres.  Et  ainsi  demeura 
la  guerre  par  tout  le  royaume  de  France. 

En  ce  temps  le  ni* jour  du  moisd  aoust,  partit  le  régent  de  Paris  en  armes,  et  envoia 
unes  lettres  au  roy  Charles  sur  le  fait  de  ses  assemblées,  desquelles  la  teneur  suit  :  Le 
texte  est  celui  de  Monstrelet. 

Non  obstant  ces  lettres,  le  roy  Charles  ne  prist  ne  volt  prendre  nulle  journée  de 
combattre  ne  autrement,  mais  tousjours  concquestoit  pais.  Et  toutes  fois  furent  les 
deux  puissances  de  Franchois  et  de  Engloix  par  troix  jours  bien  près  lune  de  lautre 
en  plains  camps;  mais  les  Engloix,  qui  n'estoient  point  de  trop  si  grant  puissance  que 
les  Franchoix,  se  encloïrent  et  ne  volrent  yssir  hors  de  leur  cloz,  sinon  pour  combattre 
à  piel,  et  leurs  ennemis  estoient  trop  et  les  euissent  combattus  de  piet  et  de  cheval.  Et 
pour  ce  demeura  la  chose  en  ce  point,  excepté  que  il  y  eult  aucuns  gentilz  hommes  de 
Picardie  de  la  garnison  de  Paris  qui  estoient  à  cheval,  lesquelx  le  jour  Nostre-Danie 
my-aoust  se  frappèrent  en  Tost  du  roy  sur  ceulx  de  cheval.  Et  là  y  eult  ung  estour  de 
fers  de  lances  sans  grant  perte  d'un  costé  ne  d'autre.  Et  y  furent  fais  chevaliers  le  bas- 
tard  de  Saint  Pol,  Jehan  de  Crequi,  Jehan  de  Brimeul,  Jehan  de  Fosseux,  Mathieu  de 
Landas,  Anthoine  de  Bethune,  seigneur  de  Moreuil,  Jehan  de  Croy  et  aultres.  Et 
estoient  à  ce  jour,  sur  le  vespre,  retraictes  les  batailles  de  piet  de  chascunc  partie,  et 
le  roy  Charles  retourné  à  Crespy  en  Valloix. 
En  ce  tamps,  se  rendy  en  l'obéissance  du  roy  Charles  la  cité  de  Beauvaix  et  partie 

du  pais  de  Beauvesis 

Et  allèrent  ses  gens  par  le  pais  eu  diverses  parties  prendre  par  traictié  et  non  de 
force  villes  et  chasteaulx.  Et  cependant  commenchèrent  plusieurs  traictiés  et  parlc- 
mens  entre  les  gens  du  dit  roy  et  monseigneur  de  Bourgogne.  Et  fu  l'arcevesque  de 
Rains,  chancellier  d'iceluy  roy,  et  plusieurs  autres  ses  ambaxateurs  à  Arras  devers  le 
dit  duc  de  Bourgongne,  environ  la  my-aoust.  Et  fînablement  furent  trieves  prises 
entre  iceulx  deux  princes  par  le  moien  des  ambaxateurs  que  le  duc  de  Savoie  avoit 


632  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARG  :   LA  LIBÉRATRICE. 

envoie  devers  eulx  pour  le  bien  de  la  paix  pourcachier.  De  la  manière  desquelles 
triewes  ou  abstinence  de  guerre  la  vérité  s^ensieui...  s'ensuilt  la  coppie  des  irewes  du 
roy  Charles  par  vidimus  du  prévôt  de  Paris  sur  le  fait  des  trièves  entre  le  roy  cl  mon- 
seigneur de  Bourgongne. 

"  A  tous  ceulx  qui  ces  présentes  lettres  verront  ou  orron,  Simon  Morbier,  chevalier, 
seigneur  de  Villers,  conseilliers  du  roy  notre  sire  et  garde  de  la  prévôté  de  Paris, 
salut.  Savoir  faisons  que  nous,  l'ande  grâce  mil  llll*  et  XXIX,  le  vendredi  xim«  jour 
d'octobre,  veismes  unes  lettres  de  Charles,  soy  disans  roy  de  France,  seellées  de  son 
grand  seel  en  chirc  jaune,  sur  double  queue,  contenant  la  fourme  qui  s^ensieult  : 

»  Charles  par  la  grâce  de  Dieu  roy  de  France,  à  tous  ceulx  qui  ces  présentes  lettres 
verront,  salut.  Comme  pour  parvenir  à  mectre  paix  dens  notre  royaume  et  faire  cesser 
les  grans  et  innumérables  maulx  et  inconvéniens  qui,  par  les  guerres  et  divisions  qui 
sont  en  iccluy,  y  sont  advenu  et  adviennent  chacun  jour,  aiant  par  le  moien  des 
umbaxadcurs  de  notre  très  cher  et  très  amé  cousin  le  duc  de  Savoie  esté  nagaires 
tenues  aucunes  journées  tant  par  nous  et  nos  gens  que  par  nostre  cousin  de  Bour- 
goigne  et  les  siens  ;  et  pour  ce  que  la  matière  de  la  dicte  paix  qui  touche  plusieurs 
parties  toutes  grans  et  puissans,  ne  se  puelt  démener  et  conduire  à  bonne  fin  sans 
aucun  délay  et  trait  de  tamps,  ait  semblé  ausdits  embaxadeurs,  qull  estoit  nécessaire 
prendre  abstinence,  jusques  à  aucun  temps  convenable  pour  plus  aisiement  et  conve- 
nablement durant  icelle  traicticr  de  la  dicte  paix  ;  laquelle  abstinence  par  le  moien 
diceulx  ambaxadeurs  ait  été  prinses  et  accordées  entre  nos  gens  pour  et  ou  nom  de 
nous  d'une  part,  et  les  gens  de  notre  dit  cousin  de  Bourgoigne  pour  et  ou  nom  de  lui, 
d'autre  part,  et  aussi  au  regard  des  Anglois  leurs  gens,  serviteurs  et  subgez,  se  ad 
ce  se  veullent  consentir  es  termes  et  mettes  qui  sensuient  ;  ccst  assavoir  en  tout  ce 
qui  est  par  deçà  la  rivière  de  Saine,  depuis  Nogent-sur-Seine  jusques  à  Harfleu,  sauf 
et  réservées  les  villes,  places  et  forteresses  faisans  passage  sur  la  dicte  rivière  de  Saine; 
réservé  aussi  à  notre  dit  cousin  de  Bourgoigne  que  se  bon  luy  semble,  il  porra,  durant 
la  dicte  abstinence,  emploïer  luy  et  ses  gens  à  la  deffence  de  la  ville  de  Paris  et  résister 
à  ceulx  qui  voldroient  faire  guerre  ou  porter  dommage  à  icelle,  à  commenchier  la 
dicle  abtinence,  cest  assavoir  depuis  le  jour  dhuy,  xxvni«jour  de  ce  présent  raoys 
d  aoust  au  regard  de  notre  dit  cousin  de  Bourgoigne,  et  au  regard  des  dits  Anglois  du 
jour  que  d'iceulx  aurons  vcu  et  receu  leurs  lectres  et  consentement  ;  et  durer  jusques 
au  Noël  prochainement  venant  :  savoir  faisons  que  nous,  ces  choses  considérées, 
voulans,  pour  la  pitié  que  nous  avons  de  nostre  povre  peuple,  obvier  de  tout  notre 
cuer  et  intencion  à  la  multiplicacion  des  ditz  maulx  et  inconvéniens,  avons  baillié, 
consenty  et  accordé,  et  par  ces  présentes  baillons,  consentons  et  accordons,  bonne 
et  seure  abstinence  de  guerre,  pour  nous,  nos  pais,  vassaulx,  subgez  et  serviteurs 
et  ceulx  qu'il  a  en  son  gouvernement,  et  les  places  des  dits  vassaulx  et  serviteurs 
estant  es  termes  et  limitiez  dessus  déclarées,  et  aussi  pour  les  villes  et  pais  ci-après 
déclarez,  cest  assavoir  la  ville  d'Amiens  et  le  plat  pais  de  notre  baillage  d'Amiens, 
la  ville  d'Abbeville,  et  tout  le  pais  de  Pontieu,  les  villes  de  Noyon,  Saint-Quentin, 
Chauny,  Monstreul,  Corbie,  Dourlens,  Saint-Riquier,  Saint-Wallery,  Ribemont  et 
Térouvvane,  ensamble  les  plats  pais  estant  à  l'environ  d'icelles  ;  et  aussi  auxdiz 
Anglois,  et  tous  aux  termes  et  limites  et  soubz  les  conditions  de  réservation  dessus 
déclarées  ;  à  commenchier  icelle  abstinence  ce  dit  xxvnr  jour  d'août  au  regard  de 
noire  dict  cousin  de  Bourgoingne,  et  au  regard  des  dits  Anglois  du  jour  que  sur  ce 
aurons  receeu  d'eulx  leurs  lectres  et  consentement;  et  à  durer  jusques  au  dit  jour  de 
Noël  prochainement  venant,  comme  dit  est;  pourveu  aussi  que  notre  dict  cousin  de 
Bourgoigne  consente  et  accorde  la  pareille  abstinence,  et  nous  en  baille  ses  lectres 
patentes  de  pareille  substance  que  cestes,  et  par  cesle  présente  abstinence  ne  sera 
aucunement  déro^'ié  ni  préjudicié  aux  abstinences  par  cy  devant  ordonnées  par  notre 
dit  cousin  de  Savoie,  entre  aucuns  de  nos  pais  et  de  notre  party  et  aucuns  des  pays  de 
notre  dit  cousin  de  Bourgoigne  et  autres,  compris  es  dictes  abstinences;  mais  demour- 


634  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARG  :   LA  LIBÉRATRICE. 

exprez  desnomez  el  déclarés,  pourveu  toutesvoyes  que  de  nostre  dicte  ville  de  Paris 
et  desaultres  placei^et  lieux  ci-devant  exprimés  en  hors,  ne  soit  fait  par  voyede  guerre 
ne  aullremenl,  durant  icelles  abstinences,  chose  préjudiciable  ausdictes  abstinences 
et  que  de  ce  nostre  dit  cousin  nous  baille  ses  lettres,  demourans  toujiours  les  absti- 
nences dessus  dites  on  leurforcc  et  vertu,  sans  cequepar  ces  présentes  y  soit  aucunement 
dérogié  no  préjudicié.  Et  se  par  voye  de  fait,  par  volonté  désordonnée  ne  autrement, 
durant  icelles  abstinences,  aucune  chose  cstoit  faicte,  attemptée  ou  innovée  contre  ne 
ou  préjudice  d'icelles  abstinences,  la  partie  offendue  ne  porra  aucunement  procéder 
par  vengeance  ne  voye  de  fait,  ne  par  alléguer  les  dites  abstinence  finies  ou  rompues; 
mais  en  sera  faicte  réparation  par  les  conRervateurs  de  la  partie  qui  ara  offendu.  En 
tesmoing  de  ce,  etc. 

»  Donné  à  Senlis,  le  xvni*'  jour  de  septembre,  dessus  dit.  Ainsi  signé  par  le  roy  en 
son  conseil  tenu  par  Monseigneur  le  conte  de  Clermont,  son  lieutenant  général  os 
pais  deçà  Saine,  le  conte  de  Vendosme,  vous  Ghristofre  de  Haucourt,  le  doien  de  Paris, 
pluiseurs  aultres  présens.  —  J.  Willebresme.  » 

Âultres  coppies  de  lettres  du  roy  Henry  par  lesquelles  il  c-ommist  le  duc  de  Dour- 
goingne  gouverneur  de  Paris  et  dailleurs  : 

M  Henry,  par  la  grâce  de  Dieu  roy  de  France  et  Dengleterre,  à  tous  ceulx  qui  ces 
présentes  lectres  verront,  salut.  Savoir  faisons  que,  comme  nostre  très  chier  et  très 
aîné  oncle  Jehan,  régent  de  notre  royaulme  de  France,  duc  de  Bétheford,  considérans 
les  grans  affaires  et  divei^es  charges  quil  a  à  supporter  pour  le  présent,  tant  pour 
le  gouvernement  de  nostre  dit  royaume,  comme  meisment  pour  notre  duchié  de 
Normandie  auquel  nos  anemis  et  adversaires  se  sont  boutés  à  grosses  puissances,  aient 
prié,  requis  bien  instamment,  cordialement  et  adcertes  notre  très  chier  et  amé  oncle 
Philippe,  duc  de  Bourgongne,  conte  de  Flandre,  d'Artois,  et  de  fiourgongne  palatin  et 
de  Namur,  seigneur  de  Salins  et  de  Matines,  de  luy  aidier  à  conduire  et  supporter 
partie  des  dittes  affaires,  et  par  espécial  de  prendre  et  accepter  le  gouvernement  et 
garde  de  nostre  bonne  ville,  prévosté  et  visconté  de  Paris  et  des  villes  et  villaiges  de 
C.harlres,  de  Melun,  Sens,  Troyes,  Chaumont  en  Vassigny,  Saint-Jangou,  Vermendois, 
Amiens,  Tornesis  et  Saint-Amand  et  le  seneschaussée  de  Ponthieu,  réservées  les  villes, 
chastiaux  et  chastelenies  de  Dreux,  Villeneiifve-le-Roy,  (a'otoy,  Uue  et  les  pais  de  la 
conqucste  faicte  par  feu  notre  très  chier  seigneur  el  père,  cuy  dieux  perdoinst,  avani 
la  paix  final  de  nos  royaulnies  de  France  et  de  Englelerre,  qui  demourront  en  lestai  el 
garde  où  elles  sont  de  présent  ;  lequel  nostre  oncle  de  Bourgongne  pour  amour  el 
honneur  de  nous  et  de  notre  dit  oncle  le  régent,  son  biau-frère,  et  pour  la  conservacion 
et  entreténemenl  de  nostre  seignourie  et  tuicion  de  nostre  bonne  ville  de  Paris  ol 
des  lieux  dessus  diz,  Jasoil  ce  qu'il  ail  de  présent  pluiseurs  grans  el  pesans  affaires 
pour  le  gouvernement  de  ses  pais  el  seignouries,  en  a  prins  el  accepté  le  gouvernenieni 
et  garde;  et  nous,  aianl  ceste  chose  très  plaisant  el  agréable,  congnoissans  par  vraie 
expérience  le  granl  puissance,  vaillance  et  léaullé  de  nostre  dit  oncle  de  Bourgongne; 
iceluy  nostre  oncle  de  Bourgongne,  par  l'advis  et  délibéracion  de  notre  dit  onclo  lo 
régent  el  les  gens  de  notre  grand  conseil  en  France,  avons  ordonné  et  commis,  onlon- 
iions  et  commettons  par  ces  présentes  notre  lieutenant  es  bailliages  es  lieux  dessus 
dilz  el  gouvernement  d'iceulx,  en  luy  donnant  plain  povoir,  auctorité  el  mandenicnt 
espécial  de  gouverner  el  garder  pour  et  au  nom  de  nous  el   soubz  nous,  jusquo 
au  lamps  de  notre  venue  en  nostre  royaume  de  France,  nostre  ditte  bonne  ville  de 
Paris,   bailliage  et    lieux  dessus  diz,   ensamble  nos   hommes,  vassaulx  el  subgelz 
demourans  es  dictes  villes,  bailliages  el  lieux  ;  de  donner  ou  nom  de  nous  el  soubz 
nostre  scel,  durant  le  dit  lamps,  les  seignouries,  terres,  rentes  et  revenues  qui  dores 
en  avant  nous  eschcrront  par  la  rébellion  et  désobéissance  de  nos  subgés  aians  terres 
el  seignouries  es  lieux  qui  sont  et  seront  à  nous  réduis  et  obéissans,  es  mettes  de  son 
gouvernement,  de   faire  procéder  aux  officiers  royaulx  électifs  par  bonne  et  deue 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES.  63b 

élection  et  confermacion,  ainsi  qnil  est  acousfumé;  de  disposer  des  aultres  officiers 
non  électifs  selon  la  fourme  déclarée  en  certaines  nos  aultres  lettres  et  ordonner  de 
toutes  aultres  et  singulières  choses,  besongnes  et  affaires  des  lieux  dessus  diz  ;  de 
tenir  nos  consaulx,  y  conclurre  et  la  conclusion  exécuter  au  lûen  et  honneur  de  nous 
et  conservacion  de  nostre  dicte  seignourie;  et  pour  ce  faire,  convertir  et  emploicr 
toutes  les  finances  qui  nous  appartiennent  es  appartenances,  villes,  bailliages  et 
lieux  dessus  diz,  ainsi  que  les  cas  le  requerront,  en  y  commettant  et  ordonnant  de  par 
nous  telz  ofQciers  que  bon  lui  samblera,  sans  pour  ce  préjudicier  ne  deroghier  en 
autres  choses  à  Testât  et  dignité  de  la  régence  de  notre  dit  oncle  le  régent. 

Si  donnons  en  mandement  à  nos  amez  et  féaulx  conseilliers  les  gens  de  notre  parle- 
ment, au  prévost  de  Paris  et  à  tous  nos  baillis  et  aultres  justiciers,  officiers  et  subgez 
à  qui  il  appartiendra  ou  à  leurs  lieuxtenans,  que  nostre  oncle  de  Bourgongne  laissent 
joir  et  user  plainement  des  gouvernement  et  garde  dessus  ditz,  et  en  toutes  choses 
concernans  et  regardans  ce  qui  dit  est,  obéissent  à  luy  et  a  ses  mandemens  et  corn- 
mandemens  sans  aulcun  contredit;  promestant  en  bonne  foy  à  nostre  dit  oncle  de 
Bourgongne  que  toutes  cl  quantes  foix  que  charge  de  guerre  luy  sourvendra  es  termes 
dudit  gouvernement,  de  le  aidier  de  nos  gens  de  Angleterre  et  dailleurs  si  avant  que 
raisonnablement  pour  le  temps  faire  porrons,  quand  requis  en  serons  par  notre  dit 
oncle  de  Bourgoigne. 

Donné  à  Paris  le  xnr  jour  d  octobre,  Tan  de  grâce  mil  OCCCiXXIX  et  de  notre 
règne  le  vu".  Ainsi  signées  :  Par  le  roy  à  la  relation  (du  conseil)  tenu  par  Monseigneur 
le  régent  le  royaume  de  France,  duc  de  Bethefort,  auquel  Messeigneurs  le  cardinal 
Dengleterre  et  le  duc  de  Bourgogne,  vous,  les  évesques  de  Beau  vais,  de  Noyon,  de 
Paris  et  d*Eureux,  le  comte  de  Guise,  le  premier  président  du  Parlement,  labbé  du 
mont  Saint-Micquel,  le  sire  d'Escalles,  le  sire  de  Santés,  messire  Jean  Fastol,  messirc 
Raoul  Bouthillier,  le  sire  de  Saint-Liebaut,  messire  Jean  Poupham,  les  seigneurs  de 
Clamecy  et  du  Mesnil,  le  trésorier  du  palais  à  Paris,  messire  Guillaume  le  Duc,  et 
plusieurs  aultres  estoient  -—  Jehan  Reinel  '. 

Ainsi  quil  dit  est  par  ces  lettres  fut  le  duc  de  Bourgogne  à  Paris  après  les  trieves 
et  abstinences  de  guerre  données  par  le  roi  Charles;  esquelles  trieuves  et  abstinences 
ne  volrent  point  estre  les  Englois  compris  ;  ains  gherrièrent,  et  furent  gherrier  ce 
tamps  durant  au  pais  de  Normandie  et  surprirent  et  perdirent  et  gangnèrent  plusieurs 
places,  villes  et  forteresses  qui  leur  firent  moult  de  travaux  et  dommages  a  rescou- 
vrer;  et  par  ainsi  le  duc  de  Bourgogne,  après  ce  qull  eust  empris  le  dit  gouvernement, 
et  sur  ce  conclu  en  plusieurs  grandes  mattières  touchant  la  seureté  et  garde  des  pais 
et  places  à  luy  comises,  s'en  retourna  atout  sa  compagnie  qui  estoit  grande  et  noble 
des  gens  de  Picardie  en  ses  pais  d'Artois  et  de  Flandres,  et  là  se  tint'  tout  hiver  sans 
plus  avantage  gherrier. 

Et  ce  temps  durant  furent  plusieurs  grans  consaulx  tenus  des  ambaxateurs  des 
princes  sur  le  fait  de  la  paix,  et  furent  les  trieuves  et  abstinences  alongiées  jusques  au 
mois  de  mars  ensuivant;  mais  finalement  la  paix  ne  se  polt  trover,  et  faillirent  les 
traictiès  par  ce  mesmement  que  le  ville  de  Compiengne  fust  du  tout  désobéissant  d<^ 
livrer  passage  au  dit  duc  de  Bourgongne  en  alant  et  retournant  à  Paris  ;  ce  qui  lui 
estoit  promis  avec  le  pont  sainte  Maxence  qui  fut  mis  en  les  mains  de  Regnault  de 
Longheval  du  consentement  des  deux  parties;  mais  Guillaume  de  Flavy  ne  volt  obéir 
et  se  tint  toujiours  gherriant  atous  lez  luy  et  sa  puissance,  et  se  garnit  ladite  ville  do 
Compiengne  pour  le  défendre  contre  tous. 

Le  temps  des  treuves  durant,  se  dévoient  tenir  le  roy  Charles,  comme  il  flct,  oultrc 
la  rivière  de  Saine,  et  le  régent  en  Normandie. 

A  rentrée  du  moix  d'apvril,  alla  le  duc  de  Bourgongne  à  Peronne  et  fist  une  très 

f.  Ces  pièces  capitales  se  lisent  du  t^  490^^  à  49l^o. 


638  LA  VRAIE  JEANNE  D\RC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

iniravit  ac  victuaiia  inlromisit.  Prius  siquidem  cives  Aurelianenses  in  lanta  penuria 
fuerant,  quod  deliberati  fucranl  dare  aliquam  summam  Anglicis,  aat  reddere  villam 
in  manusducis  Burgundico,  et  miserunl  ad  eum  Poton  de  Santrailles,  cum  litteris  cre- 
dcntiœ  et  poteslatc  tractandi  cum  duce  Burgundiœ.  Qui  respondit  quod  sibi  bene  pla- 
cobat,  et  si  placeret  regenti,  et  super  boc  ipse  misii  ad  regeniem,  sed  regens  non  fuit 
contentus.  Imo  dixit  se  non  cessaturum,  donec  villam  haberet  et  expensas  quas  in 
obsidionc  ponenda  babuerat  recuperaret.  Dux  ergo  Burgundiac,  bis  auditis,  dimisit 
diclum  Poton  in  pacc. 

His  itaque  Iransactis,  dicta  puella  taliter  rem  conduxit  quod  obsidionem  hujusmodi 
\i  armorum  levavit,  omnes  bastillias  et  Anglicos  expugnavit  et  dictam  villam  ab 
Anglicis  liberavit. 

Oeinde  dicta  Puella  a  dicta  villa  recedens  plurcs  villas  sicul  Meun  et  Beaugency 
cepit,  et  Anglicos  ab  illa  expulsit,  a  quibus  dicti  Anglici  discedentes  ibant  versus 
Parisius  pcr  Beaussiam.  Quos  dux  Alenconii,  comes  de  Richemont,  connestabularius 
Francias  cornes  de  Vondosmo  et  dicta  Puella  cum  exercitu  insecuti,  in  quodani 
villagio,  nomine  Patay,  dictos  Anglicos  comprebenderunt,  et  commissa  pugna,  équités 
Anglicorum  fugere  ceperunt,  pedites  vero  in  nemore  adjacente  et  villagio  se  abscon- 
derunt,  et  finaliter  multis  Anglicis  occisis  et  captis,  dicta  Puella  victoriam  obtinuit  ;  ubi 
ceciderunt  circiter  111  millia  Anglorum.  Capti  fuerunt  ibi  Dominus  de  Talbol,  Dominas 
de  Scales,  Dominus  de  Hungefort  et  pluresalii,  et  duravit  fugausque  Yenville.  Dominus 
autem  Johannes  Faslolf  fuga  lapsus  vcnit  Corbolium. 

Hac  igitur  babita  Victoria,  Puella  rediit  ad  Carolum  regem  Francise  et  dixit  ei  quod 
voluntas  Dei  erat  ut  ipse  Carolus  Remis  in  regem  coronaretur.  Tune  rex  ad  hoc  omnem 
exercitum  suum  congregavit.  Et  convenientibus  ad  eum  duce  Alenconii,  duce  Bor- 
bonii,  comité  de  Vendôme,  Johanna  Puella,  domino  de  Laval,  domino  de  la  Treroouille, 
domino  de  Rays,  domino  de  Albret  et  domino  de  Lohéac  et  pluribus  aliis  cum  maximo 
exercitu  apud  Gien,  supra  Ligcrim,  fuit  ibi  dissentio  inter  connestabularium  et 
dominuni  de  la  Tremouille,  qui  regem  regebaty  sic  quod  dictus  connestabularius 
rovt'rsus  est. 

Kex  autein  cum  céleris  venit  Anlissiodorum.  Erant  autem  in  exercitu  régis  plures 
mulieres  difFamala^  qua^  impediebant  armatos  sequi  regem;  unde  puella  irata  evagi- 
navit  gladium  quo  percussit  aliquas,sic  quod  gladius  fractus  est. 

(lives  aulem  Antisiodorenses  venerunt  obviam  régi,  et,  inediantibus  pecuniis  datis 
domino  de  la  ïromouilie,  rex  rivitatem  pertransivit  non  intrando,  de  quo  puella  et 
capitanci  plunmum  murmwarunt, 

Ab  illo  loco  venit  rex  anle  Trecas,  et  stetit  aliquibus  diebus  ante  eam,  a  qua  remeare 
ad  propria  concluserat,  nisi  dicta  puella  intra  triduum  villam  habituram  promi- 
sisset. 

Dicta  igitur  puella  approximationes  et  média  ad  faciendum  assultum  faciente,  illi 
de  villa,  habito  consilio,  ad  regem  venerunt,  etcompositione  facta  quodarmati  ibidem 
existantes  cum  bonis  suis  recédèrent  et  cives  obedienliam  régi  facerenl,  villa  rt'ddita 
«'st,  quam  rex  in  crastinum  intravit. 

In  qua  Anglicis  expulsis  et  capitaneisper  regem  ordinatis,  rex  à  dicta  villa  recessit  et 
venit  ad  dictam  civitatem  Cathalaunensem,  quaî  ullro  sibi  portas  aperuil,  et  ab  illo 
loco  venit  Remis  ubi  cum  magno  gaudio  susceptus  est,  et  in  crastino  per  Archiepis- 
copum  Remensem  coronatus  est,  et  factus  est  miles  per  ducem  Alenconii,  et  dominus 
de  Laval  comes  factus  est,  et  plures  scutiferi  facti  sunt  milites. 

Pausatis  autem  in  dicta  ci  vitale  tribus  diebus,  rex  discessit  et  venit  ad  villam  de 
Vely,  quîe  se  reddidit  régi  ;  et  deinde  venit  ad  civitatem  Lauduneusem,  necnon  Sues- 
sionensem,  qua*  se  reddiderunt  régi.  Deinde  venit  ad  villam  Gastri  Theodorici,  qua» 
ullro  se  dédit  et  similiter  Pruvinum. 

Tune  dux  Betfordia»  audiens  ha'c  quœsivit  bellum,  quod  rex  acceptavit;  sed  dictus 
dux  audiens  regem  tenere  campos  non  venit,  sed  rediit  Parisius.  Cumque  rex  delibe- 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES.  639 

rarel  transire  Sequanam,  supervenit  certa  quantitas  Anglicorum  in  dicta  villa  Braii, 
et  sic  rex  retrocessit  et  venit  ad  castrum  Theodorici,  et  de  ibi  ad  villum  de  Crespy,  et 
abhine  versus  Dampmartin.  Tune  Anglici  de  Parisiis  exierunt  et  venenint  apud  Mi- 
thri  in  Francia;  fueruntque  ambo  exercitus  quasi  dispositi  ad  pugnam;  sed  tandem, 
escarmuchiis  factis  hinc  inde,  Anglici  Parisius  redierunt. 

Rex  vero  venit  Compendium,  cujus  cives  claves  sibi  ullro  dederunt.  Rege  autem  ibi 
existente,  venerunt  episcopus  et  cives  Sylvanectenses  et  episcopus  et  cives  régi  obe- 
diontiani  prœsliterunt  et  similiter  Belvacenses. 

Hiis  diebus  recessit  dux  Bethfordiit*  à  Parisiis  et  reliquit  ibi  dominum  Ludoviruni 
de  Luxembourg,  episcopum  Morinensem,  cancellarium  ibidem  pro  rege  Anglia;.  Rex 
autem  Franciœ,  ordinatis  in  Compendio  et  Belvaco  capitaneis,  venit  Silvanectum  et 
abhine  venit  ad  Sanctum  Dionisium.  Et  tune  fuerunt  varii  conflictus  inter  Angiicos 
existentes  Parisius  et  Francos  in  Sancto  Dyonisio,  quibus  durantibus,  totus  exercitus 
venit  ad  dimidiam  Leucam  prope  Parisiius,  et  fecerunt  contra  villam  Parisius  multos 
assultus,  ubi  dicta  Puella  fuit  in  femore  sagitta  vuinerata,  et  si  quUibet  de  exercitu  rerps 
ita  virilis  fuisset  sicut  ipsa,  Parisius  fuisset  in  perirulo  captionis;  sed  omnes  alii  de 
capliûne  dissidebant.  Tune  dicta  puella  reliquit  arma  sua  in  Sto  Dyonisio. 

Illo  tempore,  villa  de  Langny  supra  Matronam  régi  se  reddidit.  Qua  capta,  rex, 
relictis  duce  Borbonii  et  aliis  capitaneis  in  villis  suie  obedientia;,  per  villam  de  Lan- 
gny rediit  apud  Montargis.  Tune  fuerunt  verii  conflictus  et  captiones  villarum  et  roberia» 
multoî  inter  Francos  et  Angiicos. 

Anne  Domini  H30,  Johannes  de  Luxembourg ,  cornes  de  Hotentiton,  cornes  d'A- 
rondel  cum  magno  exercitu  venerunt  ad  obsidendum  C.ompendium,  quod  cum  ad 
notiliam  Puella*,  quie  era  qu(e  erat  apud  Lagny,  devenisset,  ipsa  venit  (lompendium, 
et  quantum  potuit  obsidionem  impedivit. 

Qua'!  dum  quadam  vice  cum  exercitu  villam  exisset,  et  incaute  ni  mis  a  villa  se  elon- 
gassei,  à  Rurgundio  circomsepta  capta  est,  unde  non  parvus  dolor  fuit  Francis;  fuit- 
que  diclo  Domine  Johanni  de  Luxembourg  adducta,  qui  duxit  eam  Noviomum  ad 
ducem  et  ducissam  Burgundia»,  deinde  perdictum  Dominum  Johannem  Anglicis  ven- 
dita  fuit,  et  postea  ducla  Rothomagum,  et  ibi  sive  jure  sive  injuria  concremala  est. 


J  (p.  530-532) 


EXTRAIT   DU   RECUSTRE    DES   DÉLlBÉRATIOxNS    DU    CHAPITRE 

DE  NOTRE-DAME 

(Arch.  nat.,  LL,  716,  p.  173-174.) 

Lune  quinta  septeiubris. 

Visis  artlculis  in  registro  notarii  sub  die  vicesima  quinta  augusti  pro  cuslodia  claus- 
tri  et  ecclesle  olim  factis,  ad  ipsos  augmentendum,  diminuendum  et  corrigendum 
deputantur  domini  de  Lanco,  («hulfart,  Clemens  aut  duo  ex  ipsis.  Et  ipsi  videbunt  si 
sic  expédiât  facere  provisionem  victualium  in  turribus  ecclesie  pro  conservatione 
dominorum  meorum  qui  volent  ascenderes  turres. 

Ordinatum  est  quod  domini  provisores  fabrice  ordinabunt  et  disponent  de  reliquiis 
et  jocalibus  ecclesie  conservandis  et  preservandis  a  malitia  inimicorum,  secundum 
eorum  conscientiam  ut  melius  poterunt. 

Magister  Pasquerius  declaravit  quod  magistri  J.  de  Lanco,  P.  de  Ordeimonte  et  ipse 
ceperant  in  thesauro  ecclesie  quamdam  ymaginem  Sancti  Dyonisii  auream,  demptu 
pede,  sufQcienter  designalam  in  inventario  thesauri,  et  vendiderant  corpus  ipsius 
ymaginis  quod  ponderabat,  dempto  capite  et  dyademate  v  marcas  vi  enoias  et  v  ster- 


640  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARG  :  LA  LIBÉRATRICE. 

tingas,  precio  lyi  salutorum  auri  pro  marca,  et  retinuerant  pedem  de  argento,  capat 
et  dyadema  supradicta. 

Placet  dominis  quod  duo  molendina  ecclesie  existentia  in  coquina  Sancti  Augustini 
Iradantur  ad  locagium  per  magistrum  Johannem  Chuffart,  camerarium  clericum,  ad 
ulilitatem  ecclesie. 

Mercaril  vti  septembris. 

Ilodic  fit  processio  solemnis  ad  Sanclam  Genovefam  in  Monte  pro  malicia  temporis 
et  hostilitale  ininiicoruni  sedauda  et  pacilicanda,  in  qua  intererunl  canonici  Paiacii 
eu  m  vera  Cruce.  Et  est  sciendum  quod  ipsi  inimici  dederunt  insultum  contra  villam 
Parisiensein,  credentes  cain  capere  et  quoiquot  personas  utriusque  sexus  repperirenl 
in  ea,  prout  juraverant  quemadmodum  ipsimet  asserebant,  interficere,  et  in  vespere 
cessaverunt  et  se  retraxerunt. 

In  crastinum  vero,  cum  eorum  Puella,  in  qua  tanquam  in  Deuin  suum  coniidebant, 
iterum  circa  unam  horam  post  meridiem,  suum  insultum  inceperunt,  fortissimeque  in 
eodem  insullu  continuaverunt,  fortissime  totis  veribus  dimicantes  usque  ad  niediam 
iioclem,  sed  obstante  rcsistencia  civium  Parisiensium  cum  (Iducia  Dei  et  gloriose  Vir- 
ginis,  cujus  festum  in  eadem  villa  Parisiensi  honorifice  celebrabatur,  nihil  linaliter 
fecerunt,  nonnullos  Anglicos  et  alios  vulneraverunt  et  paucissimos  interfecerunt  ;  de 
suis  quani  plurimos  perdiderunt,  quorum  non  fuit  numerus  cognitus,  quiadlctuni  est 
quod  eos  combusscrunt.  Eorum  Puelia  in  femore  vulnerata  fuit,  et  credo  quod  propter 
hoc  recesserunt  ;  etiam  una  videbant  socios  suos  morientes  et  inortuos,  et  mortem 
timenles  retrocesserunt.  Dimiserunt  maximum  numeram  boretarum  ex  quibus  vole- 
bant  implere  fossata  ville,  et  aliquas  in  eis  dimiserunt,  paucas  tamem.  Puelia  deffe- 
rcns  suum  vexillum  venit  super  fossata,  in  quo  loco  fuit,  ut  dicitur,  vulnerata, 
vTlx  scalas  dimiserunt  et  bene  un  milia  gallice  de  clayes:  habuerunt  ad  illa  omnia 
afferendum  bene  trecentum  quadrigas  quas  ipsimet  ad  colla  trahentes  adduxerunt 
oneratas  pisside,  borretis,  scalis  et  clayes;  quarum  quadrigarum  plures  reduxerunt  ad 
Sanctum  Dionysium  defîerentes  in  eis  suos  vulneratos,  alie  Parisius  adducle  fuerunt 
in  crastinum,  et  reliquam  partcm  coniburerunt,  quia  reperte  fuerunt  rote  centum, 
(juaruni  residuum  earum  presuniitur  fuisse  combustum  in  ipsa  nocte  ante  recessum 
eorum,  et  sic  vituperose  recesserunt. 

In  Crastinum  Dalphinus  eorum  rex  fecit  celebrari  plures  nuissas  in  Sancto  Dyonisio 
pro  rege  Carolo  sexto  suo  pâtre. 


K  (p.  535-530). 
JEAN   (;EUMA1N    (De  laudibus  Philij^pi). 
Dk  captura  Pontis  a  Choisi  et  Johann.*:  Plelm::  (Cap.  xiv). 

Itcrum  de  campeslri  bello  reditur  apud  Pontem  à  Choisy,  ad  supra  Compendium, 
acriter  pugnatur;  praesidium  concutitur,  petrariis  dejicitur,  et  voracibus  flammis 
cuncta  conilantur  ;  itur  ad  Compendium  magnum  hostium  praesidium  ;  advenit  Johanna 
quie  puelia  apud  Francos  ad  prtTsagium  famabatur;  standaria  et  belli  signa  supersti- 
tioso  anathemate  consecrat,  in  ventum  deplicat.  Irrumpit  in  nostros;  sed  ab  hisstrala 
(la  chaussée)  praeoccupatur  ;  pro  mensura  ejus  diutius  confligitur.  Nunc  hostes  coni- 
pelluntur  ad  pra?sidium,  nunc  nostri  se  intra  castra  continent;  alii  progressi  hostes 
in  nostros  irruunt  ;  per  stratam  nostri  validum  immittunt  exercitum,  depeliuntur 
hostes,  equis  dejiciuntur,  sua  frangitur  cohors,  ad  pontem  aufugiunt,  pnecursores  nos- 
tri vallum  subintrant;  ductili  ponte  in  altum  ducto,  hostes  in  flumen  ruunt  ;  plu- 
rimi  humanitate  nostrorum  cum  lancearum  adjumento  de  fluvio  emergunt. 

Illa  obtestanda  mulier,  mulierum  risus  et  virorum  ofTendiculum,  more  militantium 


642  LA  VRAIE  JEANNE  D*ARC  :  U  LIBÉRATRICE. 

Verum  cum  hanc  puellam  Carolus  SepUmus  nunc  Francoram  rex  feratur  laudibos 
extoliere,  et  Alexandri  iempore,  ut  ait  Cicero,  nichil  scribere  liceret  nisi  quod Alexandre 
placeret,  cessabo,  quod  Plautus  admonet,  pressare  vomicam. 


M 

(Pages  539-540.) 

EXTRAIT  DU  REGISTRE  DE  LA  CHAMBRE  DES  COMPTES  DE  BRUXELLES. 

(1er  volume  des  Registres  noirs.  —  Voir  ce  qui  en  a  été  dit,  p.  538.) 

Item  est  verum,  quod  supradictus  dominus  de  Rotselaer,  existens  in  civitate  Lugdu- 
nensi  super  Rodanum,  ex  reiacione  sibi  facta  per  quemdam  militem,  consiiiarium  et 
magistrum  hospitii  domini  Karoli  de  Borbonia,  scripsit  aliquibus  dominis  de  consilio 
domini  ducis  Brabancie  preiibati  pro  novis,  quod  rex  Francorum  cum  predicto  domino 
Karolo  et  aliis  principibus  et  amicis  suis  fecit  magnam  congregacionem  gentium 
armorum,  qui  pariter  convenire  deberent  ultima  mensis  apriiis  presentis  anni 
MCCCCXXIX,  animo  et  intencione  profiiscendi  versus  civitatem  Aurelîanensem,  et 
ipsam  de  obsidione  Anglicorum  liberandi.  Scripsit  ulterius  ex  ejusdem  mililis  reia- 
cione, quodquedam  pueila,  oriunda  ex  Lotharingia,  nomine  Johanna,  etatis  xviii  an- 
norum  vei  circiler,  est  pênes  prœdictum  regem  :  que  sibi  dixit  quod  Aurelianenses 
salvabit,  et  Anglicos  ab  obsidione  efTugabit,  et  quod  ipsa  ante  Aurelianis  in  conflictu 
telo  vulnerabitur,  sed  inde  non  morietur  ;  quodque  ipse  rex  in  ista  estate  futura  coro- 
nabitur  in  civitate  Remensi,  et  plura  alia  que  rex  pênes  se  tenet  secrète.  Que  quidem 
pueila  cotidie  equitat  armata  cum  lancea  in  pugno,  sicut  alii  homines  armorum 
juxta  regem  existentes.  In  eadem  siquidem  pueila  prœdictus  rex  et  amici  sui  magnam 
habent  confidcnciam,  prout  in  litera  dicti  domini  de  Rotselaerplenius  continetur,  que 
fuit  scripta  Lugduni  supra  Rodanum,  supradicti  mensis  apriiis  die  xxii.  Et  quidquid 
dicitur  de  prsedicta  pueila,  et  que  predixit,  ita  evenerunt.  Nam  obsidio  anle  Aure- 
lianis fuit  levata,  et  Anglici  ibidem  vel  capti  vel  occisi  vel  effugati  (sunt).  Rex  fuit 
Remis  coronatus,  et  fere  omnes  civitates,  castra,  villas  est  municioncs  illius  regionis, 
fugatis  Anglicis,  ad  suam  obedienciam  reduxit  in  estate  supradicta. 


N 
(Pages  562-563.) 

BEDFORD  CONSTATE  DANS  UN  RAPPORT  OFFICIEL  QUE  LES  REVERS 
DES  ANGLAIS  EN  FRANCE  DATENT  DE  L'APPARITION  DE  LA  PUCELLE. 

My  right  doubted  and  Soverain  Lorde,  lyke  it  youre  Hieghnesse  to  be  remem- 
bred,  how  that  not  long  agoo,  for  dyscharge  of  my  selven  as  towardc  any  defaulte  or 
blâme  that  by  any  suggestion  or  informacion,  suche  as  yne  hâve  yave  matere  ne 
cause  to,  myght  to  the  hurt  of  my  nane  or  famé,  or  >vithdraught  of  youre  gracious 
benevolence  and  favour,  withoule  my  désert,  be  layede  upon  me,  touchyng  my 
demenyng  in  the  governance  of  youre  Reaume  of  France,  l  declared  myself  andmy 
demenyng  in  youre  saide  Reaume  of  France,  by  a  writying  departed  inlo  certaine 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES.  643 

Articles  ;  the  whiche  writyng  with  ail  humblesse  y  presented  to  youre  Hieghnesse. 
In  the  whiche,  for  déclaration  of  the  conduyt  of  the  werre  in  youre  saide  Heaume,  for 
the  tyme  of  youre  noble  Règne,  hit  is  contened  and  is  soche,  that  after  the  decesse  of 
m  y  Lorde  youre  Fadre,  to  whoos  Soûle  God  doo  mercy,  by  the  Grâce  of  God,  and  by 
Ihe  gode  labour  and  diligence  of  youre  trewe  Men  and  Servantz  there,  and  me  oon  of 
hem,  wyllyng  to  doo  the  goode  that  Iconde,  divers  grete  and  faire  dayes.  And  victories 
were  hadd  there  for  you  and  in  your  querell  upon  your  ennemys,  and  youre  obéis- 
sance theire  notably  enlargissed  and  encresed  and  brought  thereto  greet  partie  of 
Boye,  Champaigne,  Aûcerroys,  Doûziout,  Nyvernoys,  Maconnoys,  Anjou,  Maine  ;  and 
aile  thing  there  prospered  for  you,  til  the  tyme  of  the  Siège  of  Orléans,  taken  in  hand 
God  knoweth  by  what  advis.  At  the  whiche  tyme,  after  the  adventure  fallen  to  the 
persone  of  my  Cousin  of  Salysbury,  whome  God  assoyle,  there  falle  by  the  hand  of 
God  as  it  semeth,  a  greet  strook  upon  youre  peuple  that  wos  assembled  there  in 
greete  nombre,  caused  in  grete  partie  as  y  trowe,  of  lake  of  sadde  beleve,  and  ofunle- 
vefull  double  that  thei  hadde  of  a  disciple  and  lyme  of  the  feende  called  the  Pucelle, 
that  used  fais  enchauntements  and  sorcerie,  the  whiche  strooke  discomfiture,  nought 
oonly  lessed  in  grete  partie  the  nombre  of  youre  peuple  there  but  as  wel  with  drowe 
the  courage  of  the  remenent  in  merveillous  wyse  and  couraied  youre  adverse  partie 
and  enemys  to  assemble  hem  forthwith  in  grete  nombre  to  the  whiche  divers  of  youre 
greete  Citées  and  Townes  as  Reyns,  Troyes,  Chaalons,  Laon,  Sens,  Provins,  Senlis, 
Laigny,  Creyl,  Beauvais,  and  the  substaunce  of  the  Cuntres  of  Champaigne,  Brye, 
Beauvoisin,  and  also  a  partie  of  Picardie,  yolde  hère  withoute  resistence,  or  abode  of 
socours;  howe  were  it  that  incontinent  after  the  saide  discomfiture  of  Orléans,  I  doub- 
tyng  of  theire  discouràies,  sentto  thayme  divers  your  Conseillers  of  the  same  Cuntrees, 
offryng  hem  garnison  of  Men  and  Socours.  And  over  this  with  thoo  that  were  left  me 
of  youre  peuple,  forthwith  the  refresshyng  of  the  retenue  that  myne  Oncle  the  Car- 
dinal hadd  made  for  the  Chirche,  the  whiche  was  notable,  and  eam  thider  in  full  good 
seison,  sett  and  kept  my  self  o  ye  feelde  divers  days,  ayens  youre  ennemys,  that 
purposed  to  hâve  geten  the  remenaunt  of  the  Cuntree.  I  redy  there  to  hâve  employed 
my  persone  in  youre  querell,  and  to  the  sauvacion  of  your  Lande,  and  of  youre  trewe 
Subgetts  there,  and  Sidde  therto  the  goode  that  y  conde;  so  that  with  Godds  grâce,  it 
shal  not  be  fonden  that  ye  hâve  lost  in  my  defaulte  the  said  Citées,  Townes  or 
Cuntrees  ;  the  lose  and  departyng  of  the  whiche,  and  the  neghing  and  dayly  prees  of 
the  Werre  Iherby  to  youre  gode  Toune  of  Parys,  and  to  the  remenant  of  your  Cuntree 
of  France,  youre  Subgitts  of  the  same  neither  myght  tille  theire  Lands,  ne  theire 
Viegnes,  ner  occupie  hem  with  bestaille,  ner  otherwyse,  ner  yuneto  hemselfe,  ner 
outter  any  kyns  of  Merchandises  hath  dryven  hem  to  an  extrême  povertee,  suche  as 
thei  may  not  long  abyde  ;  as  it  is  not  unknowen  into  youre  Counseil  that  was  wich 
yowe  but  late  agoo  in  youre  saïde Heaume;  and  causeth  hem  that  >vith  aile  her  hertes 
désire  to  kepe  hir  trouthes  and  obéissance  unto  you,  to  aske  of  yowe  for  non  power  of 
thayme  self  more  chargeable  and  abydyng  socours  than,  ever  thay  didde  before.  and 
made  me  with  ofther  of  your  Counsaille  of  youre  Reaume  of  France,  to  assemble  at 
Caleys,  with  my  Brother  and  other  Lordes  of  youre  Counsaille  of  this  Lande;  and  for 
Iakke  of  Comfort  there  emonges  other  causes  that  moeved  me,  I  cam  into  this  youre 
Reaume,  to  shewe  this  unto  youre  Hieghnesse,  to  th'entent  of  provision  to  be  hadde 
therupon,  suche  as  it  shuide  lyke  you  by  th'advis  of  youre  Counseil  hère  to  ordein. 


644  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 


CHRONACA  DEL  N.  U.  ANTONIO  MOROSINI  Q.  MARCO 

D'après  une  copie  du  manuscrit  MMXLVIII  de  la  bibliothèque  Saint-Marc  à  Venise,  revue  sur 
le  manuscrit  original  N^  6587  de  la  Bibliothèque  impériale  de  Vienne. 

Corando  MGGCGXXVIIU  in  Veniezia. 

» 

1  (pages  969-975,  f«»  bOl-502*).  —  Copia  de  una  letera  manda  el  nobel  homo  ser 
Pangrati  Zustignan  ady  x  de  marzo  da  Bruzia  a  so  pare  miser  Marcho  Zustignan, 
rezevuda  ady  xviij  de  zugno  :  dixe  in  questa  forma. 

Miser,  ady  iiij  de  questo  v'6  scrito,  e  per  le  mie  ve  ho  avixado,  e  dadove  a  saver 
Tasiedio  di  nemixi  fortisimo  eser  stado  da  torno  d'Oriens,  zià  per  ano  uno  e  mezo.  Al 
quai  luogo  per  simel  ve  scrisi  fo  morte  d*una  bombarda  el  conte  de  Sanlinbem  chape- 
tanio  loro,  da  pu6  la  morte  del  quai  sempre  i  diti  ingelexi,  fato  so  poder  chon  dener  e 
con  zente,  plu  forte  Tasiedio  loro  faxeva,  e  sy  per  vendegar  la  morte  del  dilo  signer, 
chomo  eziandio  per  otegnir  la  pugna  loro,  che  al  vero  se  i  diti  avese  prexo  Horiens, 
se  podeva  de  lizier  al  tuto  farse  signory  de  Franza,  e  mandar  el  dolfin  per  pan  a 
Tospedal,  di  quai  ingelexi  è  dito  ala  ziornada  i  se  feva  plu  forti  al  dito  asiedio,  e 
aveva  fato  xiij  bastie  fortisime,  e  quasi  inespugnabele  ;  per  la  quai  cosa  quely  d'Oriens 
manda  al  ducha  de  Borgogna  a  rechomandarse,  a  quelo  voiandoli  dar  la  tera  libéra- 
mente,  dei  quai  signor  i  de  de  bone  parole,  e  diseli  al  so  poder  i  otegneria  con  el 
rezente  de  Franza  so  chugnado  boni  pati  per  loro,  e  anchora  per  so  cuxin  el  ducha  de 
Oriens,  ch'è  prixion  in  Ëngletera,  e  trovandose  lo  dito  signor  a  Paris  circha  la  fin  de 
Taltro  mexe  a  parlamento  chon  i  rezenti,  voiando  hotegnir  da  luy  che  Tasicdio  se  levese 
da  Horiens  chon  questa  chondicion,  che  luy  per  nome  de  so  cuxin  d'Oriens  voleva 
Fïieter  governadory,  e  che  la  mitade  de  Tintrada  fose  del  re  d'Ingletera,  e  de  l'alti-a 
mitade  fose  del  ducha  d'Oriens  per  so  viver,  e  che  la  tera  fose  senpre  al  comando  loro 
de  intrar  e  insir  al  so  piaxer.  E  oltra  questo,  che  quele  coinune  fose  tegnude  de  dar 
hogni  ano  x  milia  schudi  al  dito  riziente  per  ainplir  ai  servixij  delà  so  vera,  de  che 
in  choncluxive  parando  al  reziente  che  Horgogna  li  desplaxeva  la  dita  tera  dovesc 
vegnir  in  le  suo  man,  ecrezando  averla  asediada  per  muodo  che  in  brieve  loro  credeva 
averla,  respoxe  el  ducha  de  Borgogna  che  in  algun  muodo  queli  non  intendeva 
che  le  tere  che  aspeta  ala  corona  de  Franza  dovese  capitar  in  man  d'altry  cha  del  re, 
agrevandose  d'amiracion,  conprendemlo  che  Borgogna  uxase  tal  parole,  conzio  sia 
che'l  devcria  eser  coluy  che  plu  fervente  fose  a  tal  caxion  cha  algun  altro,  anzi  i 
pareva  el  contrario,  e  che  plu  tosto  el  cerchase  al  ben  del  delfino,  ch'a  quelo  del  re 
d'Ingletera  e  suo,  e  segundo  sento  fra  una  parte  con  Taltra  de  fo  de  grande  e  asù 
parole,  ma  tanto  se  sa  che  de  Borgogna  quelo  se  parti  da  Paris  non  ben  desposto,  e 
circha  di  x  da  Paris  largo  de  là  parla  a  Tanbasada  d'Oriens  e  diseli,  chomo  la  cosa  iera 
pasada,  choncludendo,  che  lo  dito  delfin  chon  tuta  Taltra  parte  séria  ben  tristi  e  da 
puocho  si  non  se  valer;  è  nieio  darli  baldeza,  e  darli  a  intender  che  in  alguna  cosa 
i  non  sende  inpazeria.  El  conte  signor  de  Borgogna  è  vegnudoqui,  e  anchora  in  questo 
dy  eser,  crezo,  perdilatar  tenpo  e  cetera. 

Da  puo  se  à  novela  vene  da  Paris  e  per  letere  e  per  mesy  e  per  marchadanty  e  per 
plu  vie,  e  avemo  son  verisime,  comoa  iiij.  di  de  questo  mexe,  tuto  el  sforzo  che  pote 
far  el  dolfin,  che  se  raxionava  eser  xij.  m.  boni  chavali,  di  quai  è  chapetanio  Carlo  de 

1.  Le  premier  chiffre  indique  la  pagination  de  la  copie  de  Venise,  le  second  les  folios  de 
l'original  de  Vienne,  les  lettres  «  Or.  »  indiquent  le  texte  original. 


646  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  U  LIBÉRATRIGB. 

eser   gran  miracolo,  abiandola  aldida  raxionar  de  tante  nolabel  cose   de  quela. 

Avanii  per  i  franzeschi  a  Iloriens  vegnudo  chomo  de  là  s'a  dito,  si  che  non  so  quelo 
me  diga,  ne  debia  creder,  salvo  la  posanza  de  Dio  eser  granda,  e  s'el  non  fose  la  letera 
chic  6  rezevuda  de  ial  caxion  de  Borgogna,  niente  ve  ne  diria,  perché  a  Torechle  di  au- 
ditori  pluy  tosto  le  par  fa  vole,  che  altre  cose  sia,  e  como  le  b  conprade  cusy  ve  le 
vendo. 

El  maridazo  de  Borgogna  in  la  lia  del  re  de  Portogalo  è  fato,  e  cusi  séria  de  lizier 
cosa  la  dona  vegnise  chon  le  nave  o  galie  ;  credo,  segundo  se  dixe,  quesio  signor 
vignerà,  farà  magnificha  fesla,  e  tiense  el  sera  in  questa  festa. 

Fo  dito  da  pu6,  die  far  la  dita  damixela  do  altry  granfati,  e  quela  da  pu6  die  morir  ; 
Dio  i'npresta  aiudo,  e  como  vien  dito  per  iuty,  e  nuy  non  desmeniega  per  longa  vita 
e  bona  con  alegreza.  Amen.  E  ady  xviij  zugno  è  dito,  miser  lo  dolfin  de  manda  una 
letera  al  papa  de  Roma. 

II  (pages  977-978,  f«  502).  —  Da  pu6  sabado  dy  del  mexe  de  zugno  da  maitina,  in 
lo  di  delà  aparenzion  de  sen  Marche,  avesemo  da  Broza  per  letera  rezevuda  miser 
Marche  Zustignan  daso  fio  ser  Prangati  de  dy  iiij.  de  zugno,  ly  scrive  delà  rota  dada 
per  miser  lo  dolfin  a  ingelexi,  e  de  loro  prexi  e  morty  da  plu  de  md  in  mm  e  apreso 
quelo  aver  6J)udo  uno  altro  fortisimo  castelo  d'ingelexi,  sozianzando  la  novela  per 
ordene  avanti  dita  eser  vera.  E  dy  fati  delà  damixela  andar  prosperando  molto 
meio;  fata  la  so  letera  in  Broza  ady  iiij.  zugno,  e  de  qua  rezevuda  ady  xxvj.  de  quelo 
mexe. 

Apreso  avesemo  una  letera  aver  scrito  miser  lo  dolfin  da  Paris  a  miser  lopapa  Mar- 
tin xj.  {sic)  da  Roma,  el  ienor  de  quela  non  se  à  anchora  sapudo,  ma  la  copia  s*à  dito 
per  miser  Polo  Gorer  da  i  su6  da  corte  la  pu6  aver  abuda,  e  notificbarola  per  ordene  in 
questo  libre,  da  puoy  avila  per  letera,  la  quai  no  è  de  mestier  notiQcharla  per  caxion 
la  se  contien  sovra  uno  ténor. 

m  (page  981,  f®  503).  —  Con  el  nome  de  Tonipotente  Signor  eterno  Dio,  ady  xiiij. 
del  mexe  de  iuio,  e  per  moite  lelere  vegnude,  e  scrito  si  à  da  Vignon  a  Veniexia,  como 
ady  xxiij.  del  mexe  de  zugno  de  Tano  de  mccccxxyiiij,  per  uno  nobel  homo  miser  Zian 
da  Molin,  miser  lo  dolfin  insenbre  chon  la  damixela  clamada  per  name  Zanis,  inlumi- 
nada  del  Spirito  Sancto,  da  Dio  inspirada,  ady  xxiij.  zugno  intrase  in  Roan  e  aver 
d'acordo  la  citade,  e  ingelexi  fugise  e  insise  de  quela  per  muodo  miracoloxamente,  e 
per  lo  dito  signor  e  re  perdonase  a  tuti,  e  pacifichasc  con  lor,  e  da  puo  a  xxiij.  in  cl 
mexe  de  zugno  in  la  festa  del  biado  san  Zane  Batista  gracioxo,  à  zionto  lo  dito  in 
Paris;  tuti  ingelexi  insembre  el  ducha  de  Borgogna  insido  di  fuora  pacifichamente ; 
insembre  pu6  la  damixela  e  miser  lo  dolfin  chon  meso  i  su6  baroni  e  cavaliery  in 
Paris  prosperando  e  confortandose  clamado  fo  mazior  signor  per  tute  le  tere  e  chastele 
e  vile  de  Franza;  fato  fose  notabelisime  feste  confortandose  con  la  donzela,  e  quelo 
perdonando  a  tute  giente,  non  se  arechordando  plu  de  l'inzurie  di  engelexi  con  i 
franzeschi  aver  rezevude,  e  tornady  tuti  a  contricion  de  penetencia  in  direta  chon- 
cluxion,  bona  e  perfeta  paxe,  la  dita  donzela  fexe  questa  rechonciliacion  in  questo 
muodo,  che  per  uno,  over  in  do  ani,  i  franzeschi  e  ingelexi  con  el  Signor  dovese  vestir 
de  pano  beretin  con  la  croxieta  suxo  cuxida,  e  de  dover  dezunar  per  tuto  quelo  ano, 
el  venere  di  delà  selemana  pan  e  aqua  per  ogni  domada,  e  de  star  tuti  insembre  in 
colegacion  con  le  su6  muier,  e  de  non  dormir  plu  carnalmente  con  altre  done  fuor 
del  sue  patremonio,  prometando  in  Dio,  da  questo  tenpo  in  avanti  de  non  voler  ne 
uxar  descordia  alguna  de  vera  per  nisuno  muodo. 

E  da  pu6  questa  damixela  aver  dito  a  miser  lo  dolfin  voler  andar  a  Roma  per  farlo 
incoronar  delà  so  corona  de  tuta  Franza,  e  avemo  in  tuto  Vk  dito  eser  seguido  delà 
dita  damixela  trovade  senpre  invardada  in  so  fermeza,  vegnuda  per  verificar  magni- 
fiche  cose  in  questo  monde.  Amen. 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES.  647 

IV  (pages  983-986,  f^"*  503  504).  —  Copia  de  una  letera  mandada  per  lo  nobel  homo 
miser  Zan  da  Molin  da  Vignon  ady  xxx  zugno,  la  quai  el  scrive  in  questa  forma 
como  diremo  per  avanty. 

lo  ve  voio  dir  d*una  zeniil  damixela  dele  parte  de  Franza,  anzi  a  dirve  meio  d*uno 
zentil  anzolo  che  da  Dio  eser  vegnudo  e  mandado  a  rechonzar  el  bon  paixe  de  Franza, 
che  zià  perdudo  iera,  che  abiando  abudo  la  damixela,  per  nome  dita  Zanes,  siando 
stada  in  infînity  luogi  revelady  a  ingelexi,  la  dita  andè  a  una  tera  se  clama  Bonacin, 
e  manda  a  dir  al  capetanio  Tabot,  segnor  ingelexe,  che  ly  dese  la  tera;  non  volse,  de 
che  el  conte  Sofort,  signor  ingelexe,  per  nome  delà  damixela,  tanto  fexe,  che  lu  i  de  la 
tera,  e  voiando  intrar  dentro,  resalvado  la  persona  con  el  so  aver,  vene  da  pu6  a  in- 
dinar  ala  dita  damixela,  e  zuray  che  may  la  so  persona  non  s'armerave  may  contra 
el  Re  de  Franza,  e  chusi  a  quelo  li  de  licencia,  e  partise.  Da  puô  el  trovase  per  camin 
uno  fantin  ngelexe,  che  fono  asunadyde  lingua  raxion  de  Franza,  per  vegnir  a  trovar 
la  dita  damixela,  de  che  no  ostante  lo  dito  signor  dito  Tabot,  che  aveva  zurado  de  non 
prender  arma  contra  la  corona  de  Franza,  se  mese  luy  e  la  so  conpagnia  a  insenbre 
con  ingelexi,  e  la  damixela  chon  bon  cuor  dise  :  andemo  a  trovarli,  che  i  ronperemo; 
e  cusy  fo,  e  vene  ala  bataia,  e  dura  asay,  e  ala  fin  el  de  fo  morti  chi  dixe  iiJMvc,  e  chi 
diga  iiJM,  e  deprexi  altry  tanti  ;  di  quai  non  de  schanpase  homo,  ch'è  grande  meraveia, 
e  che  dala  parte  delà  donzela  non  de  morl  xx  persone;  e  fonde  morti  tuti  i  capetani, 
el  signor  de  Schale,  e  di  altry  asay,  salvo  Talabort  romaxe  prixionier,  ma  fève  vostro 
conto,  che  tuti  i  luogi  son  rendudy  fina  apreso  Paris,  zià  Orlens,  Rens,  Ziatres,  chon 
molti  altry  luogi,  io  non  me  recordo,  ma  io  tegno  de  certo,  che  infîna  questo  dy  el 
dolfîn  sia  a  Paris,  che  abiè,  siandonde  morti  tanty  ingelexi,  e  prexi  lo  reste,  quali  die 
eser  smaridy,  el  ducha  de  Renfort,  ch'è  in  Paris,  aver  mandado  a  domandar  secorso  dal 
ducha  de  Borgogna,  avemo  non  i  a  mandado  ninte;  io  intendo  ch'el  sia  taiado  a  peze, 
s'el  no  s'averà  reparado  via  da  fuzir.  Parme  de  queste  cose  sia  de  gran  meraveia,  che  in 
do  mexi  che  una  fantineta  abia  aquistado  tanto  paixe  senza  giente  d^arme,  che  ben  se 
pu6  cognoser,  che  per  vertude  umana  non  puô  eser  questo,  ma  da  Dio  eser  piaxesto, 
considerando  la  longa  tribulacion  abuda  el  plu  gentil  paixe  del  mondo,  e  queli  che 
sonpluy  cristiani,  cha  giente  del  mondo,  parandoy  che  Dio  abia  purgady  i  su6  pechadi 
e  la  so  soperbia  à  voiudo  che  sul  ponto  delà  so  final  destrucion  Dio  con  la  soa  man 
aiudarli,  che  non  iera  posibel  ad  altry  de  farlo,  che  ven  *  prometo  s'el  non  fose  sta  Dio 
ziô,  el  non  pasava  do  mexi  ch'el  dolfin  chovegniva  fuzir  e  lasar  tuto,  el  quai  non  aveva 
da  manzar,  ne  non  aver  pur  uno  groso  da  sostegnirse  con  homeny  vc  d'arme.  E  vedè 
con  che  muodo  Ta  aidado  Dio,  chomo  per  unafemena,  zioèNostra  Dona  Sancta  Maria, 
che  salva  l'umana  generacion,  chusy  per  questa  donzela  purae  neta  Vk  salvado  la  plu 
bêla  parte  de  cristantade  ^,  ch'è  ben  uno  grande  esenplo  delà  fede  nostra,  e  si  me  par 
che  questo  fato  sia  el  plu  solene  ^  che  fose  zià  vc  any,  ne  non  sera  credo  may,  che 
ogni  omo  vederà  e  viverà;  con  tuti  i  signali  adorarla  per  lo  proposto  de  Paris,  che 
non  de  podeva  andar  e  c'andado,  si  che  io  crezo  che  iniina  a  questo  dy  quela  abia 
plu  de  XLM.  persone  la  siegue,  si  che  vedè  como  ingelexi  porà  résister,  che  quanti  de 
vignerà  davanti  che  la  manaza,  chazerà  morti  in  tera;  e  queste  son  cose  che  par 
incredibile,  e  io  insteso  son  stado  asè  a  crederle,  ma  pur  in  efeto  son  vere,  e 
hogni  omo  li  dà  fede.  La  glorioxa  damixela  promeso  a  dar  al  dolfin  de  donarli  la 
corona  de  Franza,  uno  dono  che  valerà  plu  del  reame  de  Franza,  e  apreso  decla- 
rarli  de  darly  la  conquista  dele  tere  sancte,  e  sera  de  soa  conpagnia.  Como  se  dixe, 
sera  tante  cose,  che'I  no  me  basteria  uno  dy  a  scriverle,  ma  ala  ziomada  se  vederà 
meio,  e  aldirè  dir  in  puocho  tenpo  le  grande  cose  che  Pavera  a  far,  che  sono  tre  altre, 
oltra  del  meter  del  re  in  Franza  in  caxa,  ziaschaduna  plu  granda  asè  de  questa,  e  Dio 
de  lasa  veder  tanto  che  nuy  vezemo,  e  posando  veder  tuto. 

1.  Dans  roriginal  ;  voy, 
%.  Or.  ctnstanitade. 
3.  Or.  soienne. 


648  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

V  (page  987,  f<»  504).  —  Copia  de  una  ietera  da  Maraeiade  xxviij  de  zugno. 

Piaxeme  asè  che  abiè  vezudo  volentiera  i  miracoli  grandi  dele  noveie  de  Franza,  le 
quai  son  stade  vere,como  da  pu(S  vu  averè*  sentido,  avixandove  da  puô  i  fati  d*Oriens, 
e  apreso  de  molty  castcli  e  iere  inespugnabele,  e  molta  giente  prexa  e  persa  e  tuti 
Bcanpady  con  tuti  capetany  principali,  e  almen  da  v  in  yJM.  ingelexi,  in  forma  che  paochi 
ne  resta  in  Franza,  e  raxioneve  '  che*i  dolfln  per  vertude  de  questa  damixeia  aver  gran 
posanza;  è  tuti  tirady  aia  via  d'Oriens  per  incoronarse,  e  stimo  che  avant!  san  Zoane 
sera  stado  incoronado  ;  che  al  ziorno  dito  sia  dentro  a  Paris,  de  che  cusy  piaqua  a  Dio 
Nostro  Signor,  ma  longo  séria  a  scriverve  li  miracoli  grandi  che  continuamente  à  fato 
e  fa  questa  damixeia.  E  abieme  per  schuxio  con  paciencia  se  plui  avant!  non  scrivo, 
ma  de  altro  tuto  seguirà  ve  dar6  a  saver... 

VI  (pages  988-1000,  f«'  503-505).  —  Nuove  de  Zaneta  poncela  vegnuda  in  el  reame 
de  Franza  in  Tano  de  Mccccxxviiij. 

Delà  quai  de  avemo  tante  letere  de  Bertagna  de  iiij  de  zugno  per  letere  per  persone 
degne  de  fede  che  s*à  vezude  ascholtar  e  afermar  sy  per  questa  via,  como  per  molty 
altry  l'a  vezude.  E  in  sustancia  ve  àirb  de  queli  che  son  cose  miracolexime  [sic],  se  cusy 
son,  che  quanto  per  my  esendo  quela  delà  vita  vien  dito,  crezo  la  posanza  de  Dio  eser 
grande,  e  cetera. 

La  dita  ponzela  è  de  etade  de  ani  xviij  o  circha,  in  el  paixe  delà  Rena  aie  confine 
de  Franza,  che  iera  begina,  guardatrixe  de  piegore,  nasuda  de  homo  de  vilazo,  che  in 
el  principio  del  mexe  de  marzo  partandose  quela  delà  soa  greze,  e  fato  pregar  Dio  e 
su6  parenti  e  de  zentilomeni  chon  lie,  i  dity  sen  contradicion  li  consenti,  dizandoy 
che  per  inspiracion  divina  li  moveva,  e  cetera. 

Vegnuda  la  dita  davanti  la  prexencia  del  nobel  principo  Carlo  dolfino,  fiol  del  re  de 
Frs^nza  ultimamenle  morto,  notiflchandoy  per  parte  de  Jexu  Nostro  Redentore  che  a 
luy  piaxeva  per  tre  caxion,  le  quai,  como  lie  a  quelo  dexiva,  cusi  seguiria  se  ferma  fede 
dese  quelo  re,  ponendo  la  vita  se  loro  s'amendase  e  governase  segundo  lie,  mediante 
la  gracia  de  Dio,  per  chomandamento  de  quelo  Tiera  '  mosa. 

Prima  l'iera  vegnuda  per  levar  Tasiedio,  rhe  ingelexi  tegniva  a  Horiens,  segonda  per 
incoronarlo  liberamente  de  farlo  re  de  tuta  la  Franza  e  sue  apartinencie,  terza  de 
far  la  paxie  tra  lu  con  ingelexi,  e  anchora  che'l  duchade  Orliens  esia  de  prexion  d'In- 
gletera  per  amor,  ma  questa  ultima  parle  concludecosa,  che  se  la  mixicricordiadeDio 
non  se  mete,  sera  forte  cosa  a  seguir  senza  grandisimo  spargimento  de  sangue  d  una 
parte  e  de  l'altra,  e  ultimamenle  non  contradiando  ingelexi  a  render  el  miser  di  Oriens, 
per  forza  paserà  in  fina  in  Engletera  e  contrazeralo  al  so  dospeto,  suzugando  i  dit! 
ingelexi  con  infinita  soa  vergonza  e  dano. 

Vezando  el  dolfmo  dir  tute  cose  (sic)  de  hocha  de  una  fanzoleta,  de  luy  se  ne  fèbefe, 
credendo  lie  una  paza  e  indemoniada,  e  tanto  ardida,  e  de  lie  vezudo  che  aie  suù 
parole  non  n'icra  da  darli  fede,  si  dise  che  lie  notifichase  le  dite  cose,  che  altry  cha  Dio 
e  luy  non  le  savarave*,  per  la  quai  caxon,  lu  fato  asunar  molty  savij  homeny,  e 
incomenza  a  raxionar  chon  ela,  e  a  provaria  per  molty  muody  si  in  le  mixierie  del 
corpo  e  in  el  so  parlar  a  queli  ^  zentilomeni  fermar  d  ogni  cosa,  e  ultimamente  per 
gran  maistry  in  tolegia  per  spacio  d'uno  mexe,  e  puo  ultimamente  concluxe,  veziando 
la  soa  vita,  c  chosloro  principalmente  el  parlar  e  responder  aie  proposte  fatoli  per 
queli  e  dite,  questa  tal  criatura  non  eser  altro  cha  santa  e  serva  de  Dio,  tuti  tegniva 
consiono  el  delfino  alie  de  tuto  el  so  chuor  li  volese  creder,  e  moite  altre  cose  per  mie 
vien  scrito,  e  anchora  de  qui   se  conta,  che  avanti  che  ly  se  credese  a  quela,  i  ave 

1.  Or.  Ou  avete, 

2.  Or.  raxionent, 

3.  Or.  Lie  era. 

4.  Or.  saverarie. 

5.  Or.  ali. 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES.  649 

moite  pruore,  ira  le  quai,  voiandose  la  dita  comunîgar,  el  prête  aveya  una  ostia 
sagrada,  e  Taltra  no,  e  quela  che  non  n'iera  sagrada  li  volse  dar,  e  quela  la  prexe  per 
la  man,  e  diseli,  quela  nonn'eser  el  Corpo  de  Cristo  so  Redentor,  anzi  iera  quclo  chel 
prevede  ave  va  meso  soto  el  corporal. 

La  vita  de  chostie  non  n'è  altro  cha  do  onze  de  pan  al  ziorno,  e  beve  aqua  e,  se  pur 
beve  vino,  mete  tre  quarti  d'aqua,  e  ogni  domenega  se  confesa,  devotisima,  pienli- 
sima,  e  sinpliclsima,  tuta  plena  de  spirito  Santo.  Volzè. 

Quela  a  cbomendacion  adalguno  in  sustancia'si  è,  che  la  dita  vuol  lie  con  i  suo 
capetanij  e  signory  delà  corle  sy  sia  confesady,  e  sy  se  confesa  a  fornicacion,  e  con 
tute  le  donzele,  tra  le  quai,  queli  e  quele  che  va  contra  Dio,  i  so  corpi  stady  plu 
crudeli  e  plu  chativy  homeny  che  fose  may  in  ogno  vicio  per  lie  averli  reduti  insembre 
con  i  altry  ala  soa  volunlà  che  i  non  perlchola,  ch*io  non  me  estendo  de  recontarli,  e 
vegnir  ala  mixiricordia  de  Dio,  de  soa  salvacione. 

Subito  fato  lie  capetania  e  governatrixe  de  tuta  Toste  del  dolfino,  la  dita  comanda 
che  nisuno  non  fose  sy  ardido  che  prendese  per  forza  dai  8u6  suditi  alguna  cosa,  se 
non  fose  pagada,  e  altra  mente  caza  a  pena  delà  vita,  e  molty  altry  comandamenty, 
tuti  honesti,  non  me  estendo  de  rechontarli  e  cetera. 

Âpreso  volse  che  nel  comunegarse  fazeva  el  dolfinocon  tuti  i  suo  suditi  lagremando, 
e  a  provarse  e  a  prometerse  liberamente  e  de  buom  cuor  a  perdonar  a  hognomo  che 
ly  fose  stado  contra,  e  so  innemigo  e  rebelo,  e  rebeli,  e  che  tute  le  tere  d'onde  i  diti 
intrase,  fose  con  bona  paxe,  senza  fare  vendeta  adalguno,  ne  aie  persone,  ne  a  Tavcr, 
denotandoli  cose  con  bocha,  e  dixese,  e  con  el  chuor  i  fese  e  con  le  huovre  i  fese  el 
contrario,  tuto  el  dano  séria  so,  e  che  de  certo  in  pochisimo  tenpo  el  dolfmo  con  tuta 
la  soa  giente  de  Franza,  senza  plu  eserde  remiedio  de  romagnir,  d*onde,  fazando  questo, 
in  brieve  de  tenpo  Dio  i  daria  bona  gracia  per  la  so  mixiricordia,  e  farial  signor  de 
tuto  el  so  paixe. 

Spante  le  novele  de  costie  per  i  paixi  circhonstanti  de  Bertagna,  semese  uno  baron 
di  mazior  del  paixe,  che  se  clama  monsignor  de  Rais,  e  quelo  andadola  a  trovar,  el 
zenero  de  i  altry  capetanij,  rezevudo,  oservando  la  vita  loro,  e  per  letere  fo  lete,  el 
ducha  so  prior  cavo  di  i  altry  a  proveder  de  levar  Tasiedio  iera  a  Oriens  tutavolta,  e 
stando  lie  a  canpo  con  tuta  la  giente  A  comandar  che  a  ziaschun  se  facese  prestararme 
per  sechorer  la  citade  d'Oriens,  e  questo  circha  lo  mexe  di  avril. 

La  dita  damixela  se  fexe  far  arme  a  soa  persona,  e  chavalcha,  e  va  armada  de  tute 
peze,  como  uno  soldado  eplu  meraveioxamcnte,  e  par  Tabia  trovado  una  spada  antigi- 
sima,  che  iera  in  una  gliexia,  sovra  la  quai  fi  dito  aver  viiij  croxie,  ne  altra  armadura 
porta  quela. 

Porta  anchora  la  dita  uno  stendardo  blancho,  suxo  el  quai  è  Christo  Nostro  Signor 
meso  in  maniera  de  Trenidade,  e  da  una  man  tegnir  *  el  monde  e  da  Taltra  benedysie 
e  per  ziaschaschuno  lady  è  uno  anzelo,  che  prexenta  do  flori  de  zii,  tal  chomo  queli 
porta  hi  reali  de  Franza. 

Mesose  la  dita  in  ponto  chou  circha  iJM.  homeny  da  piè  e  da  cavalo,  e  apareclada 
molta  vituaria  a  refreschar  de  vera,  bonbarde,  e  veretoni,  e  per  simel  altre  cose,  per 
avanti  la  se  movese;  per  suo  araldy  i  manda  a  dirli  a  ingelexi  per  tre  volte  i  se  dovese 
levar  da  canpo,  altramente  capiterave  ^  mal,  e  quela  mentoando  per  nome  tuty  i 
sue  capetanij,  fra  i  quai  nomeneva  el  sire  de  Tabort,  Ruxint  e  Astoifo,  el  conte  de 
Schales,  el  Conte  de  Sufuc.  Claisdal  Sue  de  Moiin,  che  tuti  iera  al  dito  asiedio,  i  quali  da 
lie  de  loro  se  ne  fexe  befe,  e  mandali  a  dirli  che  Tiera  una  ribalda  e  incantatrixe. 

Udita  Zaneta  lo  desprexio  fatoli  da  queli,  comanda  che  ogni  omo  se  fazese  inprestar 
arme  e  recherir  aiuto,  e  dito  questo  se  contase  per  conto  i  non  fose  plu  de  iJM.  persone, 
dove  ingelexi  fose  plu  de  vjm.  e  quela  confortay  per  muodo  che  jera  tutij  sofîcienty 

1.  Or.  tegnit. 

2.  Or.  capiterarie. 


650  LA  YBAIE  JEANNE  D*ARG  :  LA  LIBÉRATRICE. 

per  XM  senza  algun  ripolso,  e  ladita  ponzela  chon  tuta  la  so  conpagnia  pasa  davanti 
ingelexi  per  quelij  chc  niente  serave  siady  sufîcienti  per  quela  a  contrastar  a  mile,  e 
entrase  con  le  viluarie  e  refreschamento  dentro  da  Oriens,  che  may  ingelexi  non  ave 
argumenlo  a  muovcrse  ;  bem  cridava  contra  la  dita  a  dirli  vîlania,  e  che  Tiera  una  pu- 
iana  c  incaniatrixc,  e  de  gitarli  dricdo  molle  piere  de  bonbarde  hover  da  mangano. 

Refreschadi  chi  fo  hogni  oino  insembrc  con  queli  iera  ala  varda  delà  tera,  che  iera 
cl  bastardo  de  Aliens  c  allry  capetanij,  circha  persone  iJM.vc.  insuma,  ladita  comanda 
che  ziaschaduno  se  fcse  imprestar  arme,  e  andando  quela  senza  alguna  paura,  confor- 
tando,  che  alguno  non  dubitase  perché  i  fose  men  zente  d'ingelexi,  e  che  Dio  iera  dala 
parte  soa,  e  in  concluxione  insidi  de  fuoracl  merchore  dy  avanti,  la  caxione  quela  anda 
davanti  una  dele  bastie  dlngelexi,  dove  iera  vjc.  conbaianti  fortisimi  e  inestimabely, 
e  tuto  quel  ziorno  la  conbatè,  e  feli  puocho  dano,  che  circha  una  ora  avanti  sera,  esendo 
la  giente  soa  là  voiando  quaxi  tornar,  la  dita  fè  vista  vardar  al  Cielo  lagremando,  e 
pu6  de  brieve  tuta  rechomandarse  crida,  che  ziaschun  fose  artento  ad  ascholtarla  e, 
dise,  che  ai  su6  innemixi  Tiera  stà  levado  le  forze  con  parole  cridante  e  che  a  loro 
ingelexi  queli  i  feri  e  perse  la  dita  bastia,  su  la  quai  iera  ingelexi  vjc,  con  le  man  suu, 
che  i  pareva  eserprexi  e  morti,  ala  quai  scharamusia  de  morise  x  franceschi,  e  retor- 
nadi  dentro  se  reposava^  tuti.  E  la  zuoba  dy,  che  fo  TAsension,  dixese,  insese^  de 
fuora,  e  in  quelo  ziorno  fo  là  a  sovra  a  veder  lor  dele  dite  bastie,  che  iera  viiij,  che 
nisuno  non  fo  sy  ardido  de  aprosemarse  a  lie  per  paura,  ma  ben  li  dixeva  viiania, 
e  lie  umelmente  li  respondeva  chi  se  devese  levarse,  c  altramente  ly  faria  tuti  la 
m  ala  fin. 

El  venere  dy,  suxo  la  terza,  insy  la  dita  fuora  con  el  stendardo  so  in  man  e,  segui- 
tada  da  tuti,  vene  a  darli  Tarsalto  a  una  altra  bastia,  che  iera  la  plu  forte,  e  tuti  avixa 
che'l  ponte,  che  pasa  la  riviera,  su  la  quai  iera  Clavis  de  Tengelexe  con  plu  de  vc,  e  in 
procesode  iiij.  ore,  desfidandose  ingelexi  con  i  franzeschi,  posandose  retirar  Tingelexi 
de  là  dal  ponte,  non  se  posando  plu  retrar,  el  ponte  se  ronpe  e  cadese  in  la  riviera 
Clais  capetanio  chon  plus  de  ccc,  e  tuti  s*anega'. 

Noté,  che  la  dita  fo  ferida  de  uno  vereton  in  la  gola,  e  dixese  quel  ziorno  la  dise  ai 
capetanij  suo  la  séria  ferida,  ma  che  la  non  averave  mal  de  pericholo  ;  a  so  boutade 
di  capetanij  ingelexi  se  schontrono  insenbre,  e  si  se  fè  forti  suxo  una  bastia  dele  plu 
forte,  che  se  clama  Londos,  ala  quai  quel  ziorno  insy  de  fuora  la  dita  donzela  con  la 
soa  conpagnia,  e  in  concluxion  la  l'ave  per  forza,  e  fonde  morto  el  sire  de  Moliens  so 
capetanio  d'ingelexi,  de  che  la  damixela  magina  lo  rcsto  del  canpo  diingelexi  abando- 
nase  tute  le  altre  bastie,  e  andesene  via  plu  cha  de  paso,  e  chusi  fo  levado  Tasiedio  da 
llorlens  per  la  damixela  dita,  mediante  Dio  glorioxo. 

Avixandove,  che  tute  le  bonbarde  e  tante  clave  e  altry  apareclamenti  in  zenere 
aveva  ingelexi,  lasono  perschanpar,  e  tute  fose  prexeperi  franzeschi,  e  avemo  coluy 
che  scrive  de  Bertagna  dixe  che  i  sia  andady  al  ducha  de  Bertagna,  hover  el  fioldeveva 
andarde  a  scontrar  la  damixela  con  vc.  bertoni,  che  iera  retornadi  in  Bertagna,  quel 
monsignor  di  Oriens  se  feria  forte. 

Le  infrascrite  nuove  infina  qua  son  quele  scrite  de  Borgogna,  e  anchora  plu  per 
altre  vie  simele,  e  anchora  plu  novelade  e  oldide  de  bocha  de  molti,  da  moite  nacion, 
che  viene  chi  da  uno  luogo  e  chi  da  l'altro,  tute  se  concore  costie  far  miracoli  dapuoy 
con  el  dolfino;  io,  per  mie,  como  ho  dito,  la  posanza  de  Dio  eser  granda,  non  so 
quelo  me  diga  de  qua  a  creder,  e  chi  el  contrario  credi,  ziaschaduno  eser  in  so  liber- 
tade,  che  Tuno  ne  l'altro  non  de  dana,  ma  tanto  è,  che'l  dofino  ala  ziornada  va  prospe- 
rando  granmente,  per  muodo  che  lu  quaxio  posibel  acrederle  a  respetode  quelo  inge- 
lexi l'aveva  reduto,  como  se  vede  ch'el  non  podeva  pluy. 

A  Paris,  per  l'anbasada  del  maistro  de  Sasidis  è  stado  trovado  de  moite  profecie,  che 

1.  Or.  se  reposaria. 

2.  Or.  et  insise, 

3.  Or.  /Vi  nega. 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES.  654 

se  fa  mencion  de  questa  damixela,  fra  le  quai  è  una  de  Beda  in  Alexandria  che  queli 
Taquistase  e  intendese  a  uno  muodo,  e  uno  a  Taltro  ;  la  dita  dixe  e  Irazele  per  queste 

parole  dir6  qua  de  solo 5 

1 

Vis.  Comulcoli.  bis.  septem.  se.  sotiabunt ;  100 

GalboniopuUi.  bella.  nova,  parabunt 2 

Ece.  béant,  bêla.  lune.  ferl.  vexila.  puela \     5 

i 

100 

5 

100 

1 

i 

1000 

101 

5 

2 

1429 

Da  pu6  levado  Tasiedio  da  Oriens,  se  retrase  in  uno  caslelo  el  conte  de  Saborl,  e 
zionse  in  tera  homeny  viiijc,  in  el  quai  castelo,  che  se  clama  Zerzco,  e  circa  a  xv.  de 
mazo  la  dita  damixela  con  la  giente  in  siando  a  mêler  Vasiedio,  in  choncluxion  Tavc 
per  forza  con  tuti  prexi  e  morti,  e  romaxe  prexo  lo  dito  conte  con  uno  so  fameio  e 
altry  asay  cavaliery,  e  morto  uno  altro  so  fameio,  a  questa  vituoria  e  a  xij.  de  zugno, 
lo  so  capetanio  d*ingelexi  con  tuta  la  so  posanza  sy  d'ingelexi  e  franceschi  fo  per  eser 
aie  man,  e  dixese  i  franceschi  iera  circha  iiiJM.  a  cavalo  ;  avanti  s'acomenzase  a  scontrare 
con  ingelexi,  e  de  prexente  voltasey  le  spale  senza  far  defexa,  de  che  non  fo  may 
oldido  dir,  e  dixese  da  pu6  se  ne  trova  la  dita  damixela  con  tuta  la  so  conpagnia,  e  in 
concluxion  non  è  schanpà  dala  parte  diingelexi  viijc.  persone,  e  prexo  el  sire  deTabot, 
el  sire  de  Schalese  molty  altry  signori,  si  che  prendene  in  puocho  tenpo,  la  fexe  espre- 
sisimy  miracoli  e  infinity  del  dolfino. 

£1  regiente  è  intorno  Paris  e  à  mandado  a  fîorgogna  lo  secora,  e  abiè  tuto  se  perde, 
per  la  quai  caxion  de  vegnudo  novela  una  granda  anbasada  per  parte  soa,  como  per 
parte  de  quela  comunità,  che  secorso  queli  i  voia  dar,  e  cusi  ne  è  in  tuta  Ingletera 
che  proveda  de  quel  riame. 

Fo  dito,  e  chusy  credo,  monsignor  de  Borgogna  mandera  in  questy  do  dy  verso 
Paris  con  gran  giente.  E  molle  cose  se  raxiona,  chi  dixe  per  eser  a  Tincontro  con  cl 
dolÛn,  e  chi  diga  per  tratar  acordo  tra  lu  e  ingelexi  ;  non  so  quelo  me  debia  creder 
delà  predita  ziornada,  al  seguir  lo  saveremo  meio. 

lo  m'aveva  desmentegà,  e  altro  non  n*6  a  dirve,  ma  como  se  scrive  de  Ingletera  per 
persone,  homeny  iijM.  per  andar  inFranza,perplu  de  queli  ierasoldady  delgardenal 
per  andar  incontra  i  Usi,  che  fi  dito  sera  homeny  circha  vjm.  in  suma. 

Monsignor  de  Borgogna  è  andado  a  Paris,  e  là  dixese  per  far  acordo,  e  chi  dixe  per 
eser  contra  el  dolfin,  so  parente  ;  del  seguir  per  tenpo  se  saverà  per  altre  vie. 

De  Ingletera  a  hocha  per  ingelexi,  e  altry  se  dixe,  el  ducha  de  Orléans,  che  xe  stado 
in  prixion  zià  any  xviiij  S  eser  schanpado  e  andado  al  re  de  Scocia,  el  quai  re  faxeva 
questa  giente  per  retardar  in  Pranza  in  favor  del  dolfino,  con  una  soa  sorela  Ta  mari- 
dada  in  el  primogenito  del  ducha,  e  tiense  questa  novela  ferma,  ben  che  non  de  si  a 
altre  raxon,  ne  ancora  letera  alguna. 

Scrito  fina  qua,  el  faute  à  induxiado  e  eve  letere  da  Londra  da  primo  de  zugno,  che 
non  fa  mencion  de  questo,  si  che  non  pu5  jeser,  ma  conprendese  ingelexi  abia  fato 

1.  Or.  XIIII. 


652  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

levar  questa  nuova  per  aver  caxon  con  plu  onestà  in  n'Ëngletera  se  creza  el  dito  signor 
plu  de  quelo  li  ae*,  di  quai  i  dity  feva  grandisima  stima. 

De  fermo  se  sente  de  Ingletera  che  iuta  quela  giente  averà  presto  ei  gardenai  per 
andar  contra  i  Usy,  e  slatin  anchuoy  è  pasà  in  Franza,  e  anchor  di  i  altry  dixe  che  de 
fermo paserà  viiJM.  ingelexi,  che  hemve  inprometo  ano  hexogno  de  pasar  presto,  econ 
posanza  granda,  per  caxon  se  sente  la  donzela  eser  sy  a  canpo  con  plu  de  xxxvm.,  per 
conto,  e  ano  asè  di  archi,  per  vie  e  pasy  che  su  per  la  riviera,  che  son  clamadala 
Caretà,  che  abiè  claro  che  queli  pora  andar  al  so  piaxer  fina  aie  porte  de  Paris.  Cristo 
proveza  al  hem  di  Cristiani. 

Bergogna  è  trc  ziorni  eser  preso  a  Paris  ;  chi  sera  spiera  de  veder,  e  chi  del  contrario 
chi  sera  del  seguir  de  questo;  e  questo  avemo  da  Broza  Gna  a  viiij.  del  mexe  de  luio 
MCCCGXXVlllJ. 

Fina  qua  non  è  afermada  questa  letera. 

VU  (pages  1000-1004,  f<»  505-506).  —  Copia  dele  novele  de  Franza  delà  donzela, 
mandade  dal  marchexe  de  Monferà  ala  signoria  de  Veniexia'. 

Inlustrisimo  principo.  Elo  è  chosa  vera  che'l  ziorno  dy  xxj  de  zugno  la  dita  donzela 
se  party  con  tuta  lazente  d*arme  de  su  la  riviera  de  Loiraper  andar  a  Rains  per  inco- 
ronar  el  re  de  Franza,  e  lo  dito  re  se  parti  ai  dy  xxij,  in  per6  che  la  dita  damixela  la 
va  davanti  chontinuamente  per  spari  i  d'una  ziornada,  o  circha,  e  si  adevene  che'l 
sabado  dy  do  luio  eser  sta  fato  moite  notabel  cose,  da  pu5  dele  quai  ela  si  andè 
davanti  la  citade  de  Âustro,  e  in  quela  hora  i  citadini  sy  i  manda  xij  anbasadori  di 
plu  notabel  homeni  delà  citade,  e  de  queli  li  quai  apareva  amixi  del  re,  mostrando  de 
praticar  e  de  far  obediencia  al  re,  ch'el  vegnise  davanti  la  citade,  e  durando  questa 
praticha  li  citadini  si  mandase  permolti  capetanij  deziente  d*arme,  li  quai  como  bor- 
gognoni  e  savonengi  nominadi  :  lo  primo  fo  lo  vechio  de  Baro,  lo  signor  de  Vurando  e 
miser  Onberto,  mareschalcho  savonengo,  i  quai  sy  conduse  chon  lor  circha  homeni 
d'arme  viijc,  li  quai  tuti  li  citadini  fexe  aschonder  per  le  caxe  su6,  in  una  parte  xx  e 
XXX,  e  in  altre  xl,  e  cetera. 

La  dita  donzela  sy  manda  xij.  homeny  de  queli  del  re,  andadi  in  la  citade  per  veder 
quelo  che  se  feva,  e  sy  fe  retornar  xij.  de  queli  delà  citade,  e  quando  ly  xij.  del  re  fo 
andadi  in  la  cita,  e  holdido  e  vezudo  si  gran  mollitudine  de  giente  armada,  e  tuti 
quanti  esercusl  meraveioxi,  voiando  retornar  a  dir  quelo  che  i  aveva  vezudo  e  aldido 
in  la  cita,  li  citadini,  vezudo  el  tradimento  deschoverto,  si  prexe  questi  xij.  del  ree  si 
li  taia  la  testa,  e  da  puo  le  mese  su  le  porte  delà  citade,  e  de  subito,  sapudo  la  donzela 
queste  cose ,  fexeprender  li  xij.  delà  cita  e  si  li  fe  taiar  le  teste,  e  davanti  le  porte  delà 
citade,  e,  dapuo  fato  questo,  fe  cridarche  ziaschaduno  devese  andar  ad  arsairlacitade, 
e,  fato  el  chomandamento,  tuti  ando  a  larsalto. 

Lo  veschovo  delà  citade  al  primo  arsalto,  chonbatando  la  citade,  fo  prexo,  el  quai 
con  i  prevedy  iera  vegnudo  vestido  con  robe  e  paramenty  deregilione  [sic],  e  con  reli- 
quie,  e  aqua  benedeta;  la  dita  donzela  el  fexe  piar  con  tuti  i  prevedy  e  fexei  taiar  a 
tuti  le  teste  e,  questo  fato,  da  vij.  ani,  sy  a  homeni  corne  femcne,  e  tuti  quanti  sono 
taiadi  a  peze,  e  fexe  guastar  tuta  la  citade. 

Veritade  è,  che  circha  iJM.  ingelexi  sy  andava  scorrizando  el  canpo  del  re,  per  veder 
s'i  podeva  trovar  al  dito  canpo  descordanza  e  de  farli  alcun  grande  dano;  la  dita  don- 
zela sy  fo  domandar  uno  capetanio  del  re,  lo  quai  vien  clamado  Laira,  e  a  quelo  ly 
dise:  tu  à  fato  per  lo  to  tenpo  de  cose  nobelisime,  ma  al  di  d'anchuo  Dio  t'a  apareclado 
de  far  una  plu  notabele  che  may  festi  ;  prendi  la  toa  giente  d'arme  e  va  al  tal  boscho 

1.  [Or.  di  quelo  li  se.] 

2.  M.  Dalla  Santa  imprimait  les  deux  lettres  suivantes  dans  la  Scintilla  de  Venise  des  17  et 
24  février  1895,  d'après  un  texte  trouvé  dans  les  archives  du  monastère  San  Giorgio  in  Isola. 
11  y  a  d'assez  nombreuses  variantes.  L*on  ne  relève  que  celles  qui  rendent  intelligibles 
quelques  passages  de  Morosini,  qui  ne  le  sont  pas  sans  cette  rectification. 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES.  653 

lonzi  de  qua  do  lige,  e  là  tutroverà  iJM.  ingelexi,  tuti  con  le  lanze  in  man,  e  tuti  i  pierà 
eamazeray;  lo  quai  andando  a  trovarli  i  dit!  ingelexi  queli  prexi  e  morti,  si  como  ly 
ave  va  dilo  la  damixela. 

Dentro  dala  citade  de  Hosera  eser  morto  lo  dito  vechio  de  Baro  e  apreso  el  signor 
de  Varandom  e  miser  Onberto  mareschalchocon  molti  de  Savona,  circha  vjc.  Fato  questo, 
la  giente  del  re  de  Franza  si  son  andadi  a  una  citade  apelada  Trois,  e  Ta  fato  hobe- 
diencia,  e  simel  muodoà  fato  la  contrada  di  i  Ongij,  ed  è  vero  chelducha  de  Bary, 
fradelo  del  re  Alois  e  chugnado  del  re  de  Franza,  lo  quai  si  vegnirà  per  aidar  al  re 
con  circha  viijc.  cavay,  li  borgognony,  abiando  sentido  questo,  sy  li  andè  a  trovar  per 
chomandamento  del  ducha  de  Borgogna  chon  circha  cavay  mcc.  e,  conbatudi  insenbre, 
i  borgognexi  si  son  stady  per  la  mazior  parte  morti  e  prexi. 

£1  ducha  de  Borgogna  el  ducha  de  Bertufort  con  tuto  lo  so  sforzo  si  son  reduti  a  una 
vila  clamadaBlave,  e  là  si  se  mete  in  ponto  per  conbater  lo  dito  re  e  con  la  damixela, 
ma  de  questo,  non  hostante  la  grandisima  moltitudene  d'omeni  chon  li  diti  ducha  a 
uno,  la  dita  donzela  non  defano  algun  conto  de  queste  cose  sovra  dite,  parli  ben  a 
quela  i  è  gran  nuova  *,  e  altro  paixe  delre  averfatoprecesion,  con  grandi  fuogi  e  festa. 

Lo  veschovo  de  Chiaramonte,  lo  quai  sy  aveva  la  corona  de  Sancto  Alvixe,  si  la 
redurà  al  re  per  questo  muodo  con  grandisima  pena,  che  la  damixela  sy  i  manda 
uno  faute  chon  suo  letere  pregandolo  chel  volese  render  la  corona,  lo  quai  sy  respoxe 
che  la  s'aveva  mal  insoniado,  ma  la  dita  donzela  sy  i  manda  a  dir  una  altrafiada,  res- 
poxoi  quelo  medieximo,  e  si  scrise  a  i  citadini  de  Cieramonte,  che  se  la  corona  non 
fose  renduda,  che  Dio  li  provederave  ;  questo  non  fo  fato,  e  subitamente  cazete  tanta 
quantità  de  tenpesta,  che  fo  gran  miracolo,  e  la  donzela  la  terzavolta  scrise  ai  prediti, 
esi  li  scrise  la  forma  ela  fazonedeia  corona,  la  quai  el  veschovo  tegniva  ochulta,  che 
se  la  non  fose  renduda  molto  pezio  li  vigneria  che  vegnudo  non  n'iera;  el  veschovo, 
oldando  nomenar  la  forma  e  la  fazone  delà  corona,  la  quai  non  se  credeva  che  se 
savese,  forte  pianzando  e  pentandose  de  quelo  che  Taveva  fato,  la  dita  corona  alo 
dito  re  e  ala  damixela  mandada  i  fose. 

VIII  (page  1004,  f°  506).  —  Copia  de  la  nuova  ut  supra  *. 

Dixese  apreso,  che  Vk  rezevudo  letere  dal  re  propio,  le  quai  luy  aveva  apreso  de  sy  e 
a  prexentarle,  e  in  quele  se  contien  tute  quele  vituorie  e  fati,  che  se  contien  in  quela 
copia,  e  molto  plu  cose  de  altryluogi  aquistadi  con  molta  ocixion  d'ingclexi,  chonclu- 
dando  in  quela  letera,  che  i  se  mete  in  ordene  con  la  damixela  de  andar  a  trovar  cl 
ducha  de  Borgogna  e  dieser  con  quelo  aie  man,  sperando  de  bona  vituoria,  e  in  con- 
cluxion  dixe  che  da  puo  nuovamcnte  per  uno  abado  asay  degna  persona,  pasando  da 
caxa  soa  ultra,  holtra  a  bocha  le  som  afermado  quela  ultima  notabel  nuova,  quela  rota 
del  ducha  de  Borgogna  e  de  tanta  hocixion  de  persone  ingelexe,  bergognoni  e  queli 
de  Savoia,  ma  non  fa  mencion  chel  ducha  sia  prexo  ;  tute  queste  cose  Taferma  eser 
vere,  respeto  le  otintiche  letere  del  re  e  delà  persona. 

IX  (page  1004,  f»  506).  —  Ponto  delà  letera  da  Zenoa  de  primo  avosto  1429. 

I  fati  de  Franza  bene  aldo  in  vano  che  piaxer  non  ase  ad  aldir,  che  la  poncela  faza 
bem,  denuovo  grandisima  vituoria,  6  abudo  de  fama  in  Paris  che'l  dolfm  sia,  e  che'l 
rezente  sia  morto  ala  bataia  e  del  ducha  de  Borgogna  «sia  prexo  ;  a  para  che  queste 
cose  se  sapian  in  Milan  per  uno  capetanio  soldado  del  dollino,  che  à  nome  Ziorzi  de 
Valeperga,  che  questo  à  scrito;  e  aldo  eciam  del  ducha  de  Savoia,  che  cusy  è  sta  scrito 
al  signor  ducha  de  Milan. 

Questy  ij  capitoly  non  è  sta  ben  otentichadi  de  niente. 

1.  Texte  de  la  Scintilla:  Par  Lion  Grannovo,  e  altre  payse,  etc.  Il  est,  ce  semble,  le  vrai. 

2.  Texte  de  la  Scintilla  :  Da  verso  Franza  dise  una  notabel  persona  che  e  venuta  qui  se 
trova  personalmente  a  quelli  primi  fati  de  Oriens  appresso  la  Poucella,  che  la  recevudo 
lettere,  etc. 


654  LA  VRAIE  JEANNB  D'ARG  :  LA  LIBÉRATRICE. 

X  (pages  1008-1013,  f<»  507).  —  Per  letera  scrive  ser  Pangrati  Zustignan  da  Broza 
a  miser  Marcho  so  pare  de  dy  xvj.  de  luio  :  de  nuovo  quelo  che  de  qui  ve  scrisy  eser 
prima,  che  el  gardenal  di  Ingletera,  che  iera  con  queli  iiiJM.  ingelexi,  che  deveva 
andar  contra  i  Usi,  partise  ieri  da  Cales  per  eser  a  Paris,  e  dixese  deveva  pasar  de 
brieve  ala  suma  de  altry  tanti  ingelexi,  ne  altro  in  quela  se  ave  a  dir. 

Monsignor  de  Borgogna  da  pu6  el  se  parti  alguni  dixe  che  i'è  zionto  a  Paris,  e  per 
alguni  de  no,  e  ch'el  non  dà  voiudo  andar,  e  ch'el  dite  se  truova  a  Sanlis,  una  giente, 
e  circha  largo  a  tratar  parlamento  chon  su5  cugnadi  e  con  el  dolfino,  che  è  Garlo  de 
Barbon  e'I  conte  de  Uziamonte,  e  meterse  d'acordo,  ma  de  quesio  se  scrive  niente  de 
crede. 

Scrivese  anchora  el  dolfmo  chon  la  poncela  e  con  tuta  la  soa  giente,  in  suma  sono 
pluy  de  xxYM,  eser  pasadi  da  Tros  de  Canpagna  e  da  molti  altry  luogi,  per  chaxiom  i 
anemo  de  trovarse  per  andar  a  Rens,  e  che  de  tuor  tere  per  lo  prexente  non  sende 
cura,  che  subito  a  Rens  zionto  là  el  sera  incoronado,  e  sera  hobidiente  dai  suc  fedeli, 
e  chi  dixe  el  contrario,  ma  ziaschuno  parla  se  non  per  la  soa  voluntade,  ma  tanto  è, 
che  opinion  è  che  questo  dolfino  incoronado  sia,  e  tiensese  cusl  seguirà,  over  ch*el  sia 
seguido,  e  partidi  hi  sera  de  là  el  so  dreto  camin  sera  in  so  paixe,  e  par  ancora,  à  dito 
molti,  che  se  Dio  non  de  meta  la  man  soa,  cusy  debia  eser,  ma  a  una  ziomada,  per 
caxon  sera  forzo  una  parte  con  Taltra,  schontrandose,  e  vien  dito  che  a  questa  zior- 
nada  de  vuol  eser  Borg.  in  persona,  el  quai  à  fato  gran  comandamento  per  tuti  suo 
luogi  ;  Dio  che  puo  proveza,  ma  fe  vostro  conto,  chomo  fa  el  dolfino,  niente  fa  se  non 
per  lo  conseio  delà  donzela,  la  quai  i  dixe  al  tuto  la  cacerà  ingelexi  de  Franza. 

XI  (pages  1009-1010,  !<>  507).  —  Da  Bruzia,  Miiijxxviiij  corando,  pu6  per  letera  reze- 
vuda  da  ser  Prangati  Zustignan  de  xxvij  luio. 

Qua  de  soto  dire  quelo  6  sentido  de  nuove  de  Franza  de  xxvij  de  luio.  Gerto  se  sa 
per  moite  vie  como  circha  dy  xij  de  questo  mexe,  el  dolfin  ave  Tros  de  Zanpagna,  e  che, 
avanti  Tavese,  color  dentro  volse  respeto  *  ziorni  tre,  e  pu6  begnisimamente  se  rexe  a 
luy  como  so  vero  signor,  e  quelo  pacifichamente  perdonase  a  tuti,  e  ron  begninitade 
quelo  i  rezevete,  e  statin  per  comandamento  delà  poncela,  la  quai  a  lu  se  dixe  quela 
eser  cavo  e  via  e  governatrixe  de  tuti,  e  contase  coley  siegue  el  dolfino,  e  sono  cx)n  lie 
xxvM.  persone  da  quela  banda,  senza  queli  sono  ai  confini  de  Normandia,  che  è  el  ducha 
de  Lanson,  como  in  questa  diremo. 

Partidi  da  Tros  son  vegnudi  a  Rens,  donde  confina  el  sagrarse  tuti  reali  de  Franza, 
e  là  i  zionse  el  sabado  ady  xvj.  de  quelo,  e  senza  algun  contraste  queli  fo  apreso  le 
porte,  e  la  domenega  ady  xvij  fo  sagrado  con  tute  le  suo  pertinencie,  e  dura  la  sagra 
da  terza  fina  cercha  el  vesporo,  e  questo  se  fa  [sic  :  sa?]  certo  ancora  per  moite  vie. 

Avanti  anchora  moite  tere  de  Zanpagna,  como  è  Zalon,  Lanfon  *  [sic  :  Lan?....^, 
quanti  e  avanti  altry  asay  luogi  tuti  vignudi  ala  ubidencia  soa,  e  non  tanto  che  tute 
iera  parciale,  che  senpre  le  dite  iera  stade  con  el  ducha  de  Borgogna,  ed  è  vero  che 
may  non  à  voiudo  voler  el  zuramento  d'ingelexi,  che  per  lor  medemi  s'a  governado 
con   la  parte  de  Borgogna. 

Torim,ch'èuna  tera  larga  de  qua  a  una  ziornada,  ch'è  circha  mia  xl.  de  longi,  che 
senpre  è  stada  fedelisima  al  so  signor  dolfino,  si  se  à  falo  suie  confine  feste  e  proce- 
sione  e  fuogi  per  le  vituorie  de  questo  re  novelamente  sagrado  ;  è  per  opinion  de 
molli  che  i  diti  l'aidera  de  dinery,e  chi  diga  i  diti  i  apareclerà  iiiJM.  homeny  per  man- 
darli  in  el  so  favor. 

El  ducha  de  Borgogna  è  tornado  da  Paris  e  zionse  a  Razo  ady  x.  de  questo,  e  con 
luy  à  menado  so  sorela  la  duchesa  de  Betifor,  che  se  clama  el  rexente  de  Franza  ;  el 
dito  rizienle  iera  partido  da  Paris  per  eser  a  Pontros,  ch'è  la  clave  de  Normandia, 

!•  Or.  respUo. 

2.  Or.  Lansan  Quantin. 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES.  655 

e  là  alende  el  gardenal  chon  iuti  ingelexi  che  iera  partidy,  e  raxionase  eser  in  suma 
yJM.,  che  iiJM,  son  pagadi  per  andar  chontra  i  Usi  di  dener  de  la  gliexia,  e  Dio  ch'è 
zusto  zudexe,  e  cetera. 

Questo  signor  ducha  per  la  Pichardia  con  altry  su6  luogi  à  fato  gran  mandamento  de 
far  zenle  d*arme,  e  de  tuto  segundo  el  voler  so  dixe  de  brieve  eser  presto  con  ingelexi 
andar  Zaneta  al  dollino.  Gristo  proveza  ala  raxione. 

Paris  roman  guardada  chon  gran  paura  delpuovolo  da  xxxij  signori,  xvj.  dala  parte 
de  Borgogna  e  xvj.  dala  parte  dlngletera;  raxionase  sono  in  soma  soto  la  so  condi- 
clone  circha  iiJM.  homeny,  e  ano  el  puovolo  ordenado  non  posa  partir  alguno,  noma 
per  Diabor  non  se  lieva  chontra  loro,  del  quai  luogo  a  ziornade  qui  n*è  capetanio,  e 
parexini  è  fermani  per  eser  certi  de  trovarse  fuori  dele  fièvre  poravey  ochorer,  e  cetera. 
Gristo  proveza. 

Dixese  de  certo,  per  persone  degne  de  fede,  e  chusy  credo,  per  quelo  s'a  posudo  sen- 
tir, el  re  de  Franza  aver  mandado  a  questo  signor  ducha  de  Borgogna,  ch'el  concora 
tanto,  ch*el  se  debia  voler  trovar  el  di  delà  Madalena  a  San  Donis,  che  è  a  una  vila 
largo  da  Paris  circha  a  do  mia,  al  quai  luogo  tuti  i  reali  de  Franza  prende  la  corona, 
e  chovien  eser  tuti  xij  pari,  e  perché  el  ducha  de  Bergogna  è  per  do,  zioè  per  la  con> 
lésa  de  Fiandra  e  la  duchesa  de  Borgogna,  el  dito  à  mandado  a  ingelexi  el  quinto  per 
la  so  persona;non  n*è  da  raxionar  el  ne  vada,  ma  in  secretis  multy  monta  lochontur 
[sic  :  chon  ta  lo  chontrar?],  non  so  quelo  me  debia  creder. 

Sase,  el  ducha  deLanson  con  xiJM.  homeny  ai  confini  de  xNormandia  far  bona  vera  a 
ingelexi,  e  zià  se  dixe  aver  prexo  tre  ho  ver  quatro  tere  ;  sera  forz6  segundo  mi  ai  diti 
ingelexi  farsy  forto  in  Normandia,  e  ben  farà  se  i  le  porà  tute  vardar  segundo  le 
cose  adevien  aie  ziornade  in  favor  del  re  de  Franza  che  non  n'è  al  regiente,  c  in 
quesli  tre  mexi  presto  averano  paze,  che  certo  ai  nostry  dy  se  pu6  dir  abiemo  vezudo 
cose  miracoloxe  asè,  como  se  pu6  certamente  conprender  per  quelo  è  seguido.  Gristo 
aida  la  raxione,  e  sia  bem  de  tuty. 

Ë  stado  dito  ziàmolty  ziorni,ma  non  se  saper  letera  d'algun,  ch'el  fiol  del  ducha  de 
Borgogna  a  seguir  el  re  de  Franza  con  iiJM.  barony. 

Questo  signor  ducha  se  truova  pur  a  Razo,  e  fase  conto,  che  in  li  dy  pasadi  el  manda 
anbasada  al  re  de  Franza,  la  quai  i  à  trovado  segondo  se  dixe  in  dexacordo,  e  dixese  eser 
presto  per  tuto  avosto  ingelexi  a  conbater  el  dito  re  ;  non  so  quelo  me  debia  creder. 
De  certo  se  sa,  el  re  de  Franza  eser  stado  a  Nois,  largo  da  Paris  xij.  lige,  e  vegniva 
alora  per  Paris  per  tuor  la  corona  a  San  Dionis,  che  è  dele  solenità  che  Vk  ha  far,  c 
tiense  certo  a  questy  dy  el  sia  incoronado,  el  quai  San  Donis  per  queli  de  Paris, 
esendo  tuty  le  mure  mese  contra  e  rapite  i  fosy,  el  puovolo  schanpado  a  Paris,  e  queli 
solo  perché,  vignanonde  el  re  con  la  soa  giente,  non  se  posa  farse  forte. 

£  Irovase  el  gardenal  el  reziente  aPontos,  largo  da  Paris  vij.  lige,  con  tuto  el  sforzo 
d*lngelexi,  e  non  se  debia  eser  aie  mane.  Gristo  proveza  al  bem  dy  cristiany,  e  sapiè 
ala  ziomada  niente  del  seguir,  ne  altro  d'è,  lina  a  xxvij.  de  luio  Miiijxxviiij. 

Xil  (page  106,  î^  508).  —  Apreso  avesemo  per  lo  faute  over  per  la  scarsela  vene 
da  Broza  de  dy  viiij  avosto  de  1429,  lo  doliin  stado  con  la  damixela  apreso  a  Paris  a 
lige  tre,  ma  pur  non  se  à  ancora  quelo  sia  intrado  in  Paris,  ma  bem  eser  stà  onlo 
re  dele  parte  de  Franza,  ma  quelo  seguirà  per  avanti  averemo  de  nuovo... 

XllI  (page  1026,  (**  509).  —  Dale  parte  de  Paris  per  letere  da  Broza  prima  de  xvij. 
de  setenbrio  de  Miiijxxviiij .  non  avemo  anchor  el  dolfim  in  Paris  sia  sta  ancor  inco- 
ronado. Apreso  è  stado  dito  se  diga  el  ducha  de  Borgogna  si  à  fato  tre  va  per  mexi  do 
con  el  dolfino,  e  apreso  una  grosa  giente  eser  con  quelo  e  con  la  damixela  atorno 
Paris  e  abiala  asediada,  ma  quelo  averemo  per  Tavegnir  noteremo  in  questa 
cronicha  per  avanti,  ma  Dio  lo  sa  grandisime  cose  eser  seguido  delà  Franza,  per  i 
fati  delà  dita  damixela,  per  la  vertu  divina  operada  in  ela... 


656  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

XIV  (page  1029,  ^  512).  —  Copia  delà  letera  da  Broza  scritaper  lo  nobei  homo 
miser  Prangati  Zuslignan  de  dy  xiij.  de  setenbrio  a  so  pare  miser  Marcho  ;  conliem  in 
quesla  forma  e  dlga.  Fina  a  xxvij  del  pasado  ve  scrisy  quanto  iera  seguido  dele 
nuovede  Franza,  da  pu6  cl  re  aver  abudo  San  Lis,  Ponte  Sancto  Cholo,  Ponte  2Labaton, 
Biaves,  San  Donis. 

In  Normandia  se  truova  el  rcgienie  con  tuti  ingelexi,  in  suma  vJM.  ho  cîrcha. 

Monsignor  de  Borgogna  se  deveva  partir  iery  da  Razo  over  Rasio  con  homeny  iiiJH. 
per  eser  con  ei  regienie,  e  puo  con  tuto  ei  so  forzo  andar  a  secorerParis,  e  la  poncelacon 
luy .  [Sic  :  Lacune  probable  tant  dans  Voriginal  que  la  copie.] 

in  questo  dy  s*à  dito  eser  faio  trieva  tra  una  parte  e  Taltra  fina  a  Nadal  ;  non  so 
intender  queste  raxione,  ma  chi  me  domandase,  creder  debiamo  eser  d'acordo  monsi- 
gnor da  Broza  el  re,  e  altro  non  aver  da  far  stima  alguna  fina  ady  xiij.  setenbrio  1429. 
Da  puo  fo  dito  el  re  de  Portogalo  marida  so  fia  in  lo  fio  del  ducha  de  Borgogna. 

XV  (pages  1045-1058,  ^  514).  —  Copia  de  una  letera  mandada  da  Broza  per  lo 
nobël  homo  ser  Prangati  Zustignan  a  so  pare  miser  Marcho,  fata  ady  xx.  novenbrio; 
con  tien  in  questa  forma  in  brevitade,  rezevuda  a  xxiij.  decenbrio  in  Veniexia. 

Miser,  io  ve  scrisy  Taltra  ady  iiij.  de  questo  per  la  scarsela,  de  che  fin  quel  ziorno  ve 
avixiè  quanto  iera  seguido  di  faty  de  Franza,  puoy  è  la  regiente  del  re  aver  prexo  in 
Normandia  una  tera  se  clama  Veroil,  bonisima  tera,  e  altry  forty  pasy  e  chasteli  e  plu 
che  in  Roano  è  stado  deschoverto  uno  tratado,  che  aveva  Carlo  de  barbon  e  el  ducha 
de  Lanzon,  che  de  certo,  se  la  i  fose  andada  fata,  prendevano  la  tera  el  ducha  de 
Bechiforte,  con  tuto  el  resto  d'ingelexi. 

De  ver  Paris  iery  vene  uno  anbasador  de  questo  signer  ducha  de  ver  el  re,  e,  per 
quelo  b  posudo  saver,  è  stado  solo  per  dever  alongar  la  trieva  con  el  re  fina  a  mezo 
fevrer,  per  lo  quai  anbasador  à  dito  per  quelo  se  devulga  universalmente  fra  ogni 
homo,  ch'el  re  de  Franza  se  meteva  in  ordine  con  asaisima  gîente  per  eser  presto  a 
tenpo  nuovo,  e  dicono  fra  costoro,  el  dito  averà  dele  persone  cm.  a  canpo,  che  tuto  puo 
eser,  ma  parmc  uno  grande  numéro,  tanto  è,  che  hogni  homo  se  muove  per  le  parole 
delà  poncela,  la  quai  de  certo  è  viva.  E  pur  novelamente  à  prexo  de  arsalto  uno  cas- 
lelo  fortisimo  lige,  v.  apreso  Paris,  e  lie  puoy  eser  ita  a  meter  Tasiedio  a  la  Gicnte  su 
l'Era.  Contase  da  nuovo  da  puoclii  dy  in  qua  tante  cose  dl  fati  de  costey,  che  se 
vcritade  he,  è  da  far  meraveiar  ziaschuno  che  crede,  e  chi  no,  ziaschuno  i>er  raie 
parer,  segundo  le  volunlade  ano,  le  dreza  e  conza,  azionze  e  menuisie  como  ly  pare, 
ma  tanto  è  che  ogno  onio  concore,  costey  eser  senpre  chon  el  re,  e  claro  se  vede  soto 
honbra  de  costey  e  cose  fate  da  Dio  mandada;  ch'el  sia  quelo  è  seguito  in  favor  del 
re  e  la  conquista  Va  fata,  e  de  nuovo  quelo  el  fa,  eser  tuto  per  questa  caxion  ;  credere 
non  è  maie,  e  chi  non  crede  non  fa  pero  contra  la  fede. 

Trovandonie  in  li  dy  pasadi  con  alguni  rcgilioxi  a  raxionar  de  questa  caxione,  parme 
che  la  università  de  Paris,  overperdir  meioli  innemixi  del  re,  aver*  mandado  a  Roma 
al  papa  achuxiar  chostey,  dicho  questa  poncela,  per  ereticha,  le  e  chi  ly  crede,  e 
questo  perché  dicono  costey  fa  contra  la  fedc  per  voler  eser  creduta,  e  in  saper  dir  le 
cose  che  debiano  venire  ;  e  in  favor  de  costey  el  canzelier  de  la  università,  che  è  homo 
solenisimo,  dotor  in  teologia,  a  suo  honor  e  laude  e  defexa  à  fato  una  belisima  opéra, 
la  quai  vi  mando  con  questa,  delà  quai  miser  lo  doxie  credo  ne  averà  somo  piaxer,  e 
ancora  molti  altry,  como  a  mi  par  ;  fe  che  a  luy  e  a  altry  nostri  de  li  ziaschuno  ne  faze 
participo  de  queste  nuove,  si  che  leta  l'averè,  questa  la  podè  mandar. 

El  re  dlngletera  fo  incoronado  a  dy  vj.  de  questo  a  Londres;  è  de  etade  de  ani  viiij, 
e  dixese  de  certo,  e  cusy  credo,  se  fazi  presto  per  pasar  a  tenpo  nuovo  con  gran  po- 
sanza,dixesy  con  plu  de  xxvm.  ingelexi;  parme  eser  certo  debia  eser  de  gran  fati  a 
tenpo  nuovo.  Cristo  proveza. 

1.  Or.  Anna, 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES.  657 

Questo  signor  ducha  non  se  sa  anchora  quelo  farà,  ma  segundo  se  devulga  paralo 
a  sostegnir  la  proinesa  fata  al  re  d'Ëngletera. 

XVI  (pages  1058-1060,  f*»  516).  —  Mccccxxviiij.  Rezevuda  ady  primo  de  fevrcr. 
Ësenplo  d'una  lelera  vegnuda  da  Bruzia  de  iiij.  de  zener,  eser  da  dire  da  ser  Prangalil 
Zuslignan  de  miser  Marcho  fo  de  miser  Orsato. 

Carisimo  padre,  ady  viij.  del  pasado  ve  scrisi  quanto  iera  de  nuovo  senti vemo,  e 
avemo  per  quesla  quelo  è  seguido  da  puo  eser. 

Circha  a  dy  xx  de  lallro  fma qua  Tanbasada  del  re  de  Franza  a  questo  signor  ducha 
de  Borgogna  e  ingelexi,  la  trieva  che  spiravaa  Nadale  son  stada  longada  altermene  che 
sera  per  tuto  fevrer;  è  slranie  cose  a  intender  queste  ;  trazie  molty  tien  in  secretis  che 
lia  sia  d  acordo,  e  molty  el  contrario,  e  my  son  uno  de  queli  che  tien  el  contrario,  c 
credo  de  giente  darà  favor  a  ingelexi,  ma  che  la  soa  persona  ne  vada  o  ne  creda,  anzi 
sarà  in  questo  paixe  con  la  nuova  spoxa  a  darli  piaxer;  e  perda  chi  voia,  lu  non  puù  ^ 
venzer  tal  asenplo  li  date  a  tanta  dignità,  ma  ve  se  conceso  consentirè  fone  ancora 
lanbasada  de   Carlo  de  Barbon  so  cuxin,  la  caxion  non  no  may  posudo  saver. 

La  giente  del  ducha  de  Lanson  in  Normandia  fa  grande  vera  con  Tingelexi,  e  prende 
lute  chastelee  forteze,e  a  i  dy  pasady  prexe  unatera  che  si  è  dapersone  e  stazone  asay 
ditaLoviel,del  quai  luogo  iera  vc.  ingelexi, che  tuti  i  morino,equestai  ave  per  tratado. 

Per  uno  sacretario  del  ducha  d'Oriens,  ch'è  prixion  in  Engletera,  che  vien  de  ver  el  re 
de  Franza  aver  parlado,  e  pasado  de  qui  con  salvoconduto  da  questo  signor  e  da  inge- 
lexi, dixe  a  bocha,  e  chusy  credo,  perché  è  homo  da  darli  fede,  che  la  giente  del  re 
aveva  prexo  la  Chiarrtè  su  Lera,  e  alguni  altry  luogi  se  tegniva  per  questo  signor,  e 
che  altro  non  resta  che  Ziaves  [?]e  Parixi,  digo  in  Franza,  e  tuto  d'arsalto,  e  pludiro 
ancora  quelo  se  dixe,  e  credeteme  quelo  ve  par,  dixe  la  poncela  far  tute  queste  cose  e 
mile  altre  meraveie,  che,  se  le  sono  vere,  a  domino  facta  est  ista,  ed  è  gran  meraveia  ai 
dy  nostry. 

El  re  de  Franza  se  truova  in  bon  ponto,  e  questo  se  sa  certo,  e  à  abudo  de  ver  Len- 
guadocha  e  tuto  so  paixe  grandisima  sovencion  de  dinary  ede  giente  ;  là  uno  estremo 
exercito  per  eser  presto  a  tenpo  nuovo,  e  de  certo  per  la  hopinion  de  tuti,  e  chusi  credo, 
se  Dio  non  ge  mete  le  man,  è  per  eser  una  gran  sparsion  de  sangue.  Cristo  per  sua 
santa  merzè  ne  proveza. 

El  ducha  de  Betiforte,  che  iera  regiente  de  Franza,  se  tiene  pare  *  in  Roan  in  Nor- 
mandia ala  guardia  del  paixe,  al  meio  el  puo,  e  par  in  questi  puochi  dy  pasa  in  so  aiuto 
circha  tre  mile  ingelexi,  e  de  certo  se  tiene  el  re  de  Ingletera  con  grandisima  posanza 
paserà  a  tenpo  nuovo,  che  cusi  crede  ogni  omo. 

Gorando  MGGGCXXX  (ancien  style). 

XVil  (pages  1071-1073,1°»  5 18-519).  —  Per  plu  letere  vegnude  da  Brozia  dal  nobel  homo 
ser  Prangati  Zustignan  de  miser  Marcho,  fa  te  del  mexe  de  fevrer  de  Miiijxxviiij.,  de 
dy  xvij.,  apar  luy  scriva  moite  novele  de  qua,  ma  da  pu6  in  concluxion  anchora  per  una 
soa  fata  in  Brozia  a  dy  iiij  marzo  de  Miiijxxx  scriva  soto  brevitade  in  questa  forma. 

Miser,  a  xxij.  del  pasado  ve  scrisy  el  bexogno  ;  in  queldy  dapu6  avy  la  vostra  de  dy 
iiij.,  dito  che  me  concluxe  placer  asè  per  saver  de  vostra  salude  e  a  vostra  consolacion 
del  muodo  me  avixè,  e  ala  dita  faro  resposta  a  conplimento  per  la  scarsela,  che  per 
costuy  non  m'è  posibele,  e  abiè  paciencia. 

Quelo  eser  da  nuovo  da  pu6  ve  scrisy  si  è  che  a  questi  dy  eser  dito  el  re  de  Franza 
aver  abudo  Zetres,  ma  da  pu6  non  se  à  refreschado  la  nuova,  si  che  io  non  la  credo. 

Pu6  in  questi  dy  eser  certisimo  eser  vegnudo  novele  a  questo  signor  ducha  ehe  uno 

I.  Or.  Non  puo  se  venzer, 
1.  Or.  pur  au  lieu  de  pare. 

111.  42 


65S  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

chaslelo  inespugnabelc,  largo  da  Hoan  lije  vij.  suxo  la  riviera  de  Sona,  clamado  Cas- 
tel  Grixiantc,  per  tratado  la  giente  del  re  de  Franza  averlo  perso  [sic  :  preso]  per 
le  man  d*ingelexi,  in  el  quai  luogo  iera  uno  prixionier  cavalier  francescho,  che  se 
clama  miser  Zian  Barbaxion,  che  el  re  d'ingletera  aveva  prexo  e  dentro  iera  so 
prixion,  e  molto  homo  notabelisimo  e  valenie  capetanio,  e  per  simel  molty  altry 
prixionery  franzexi,  che  li  dentro  iera  in  prixion,  a  questo  muodo  son  iiberady. 

Âltro  se  raxiona  el  re  de  Ingletera  paserà  ala  Pasqua,  como  per  altre  ve  6  dito, 
ma  questo  signor  ducha  ha  fato  cl  so  mandamento  e  tocha  de  ingelexi  per  trarle  su5 
giente  notabeli  xxvm.  e  altre  personc,  zioè  el  re  fo  dito  eser  potentisimo,  e  raxioneve 
che  le  cose  boie  per  tuto,  e  de  certo  se  sto  Signor  Dio  non  de  mete  le  su6  mane,  con- 
vien  che  Tuna  dele  parte  vada  a  questa  istade  a  nienle,  ma  Dio  per  soa  santa  marzè 
proveda  e  non  varda  ai  nostri  pcchadi,  ne  altro  non  d'è  per  lo  prexenle.  RezeTuda 
ady  XXX  marzo  MCCCCXXX. 

XVllI  (pages  1078-1079,  f»  520).  -  Corando  lo  dito  milieximo  de  sovra [MCCCCXXX]. 
Nuove  de  Franza  abude  da  Broza  in  MCCCCXXX,  de  dy  xxij  de  marzo,  per  moite 
letere  rezevude  per  Fiorentini  e  Veniciani,  per  la  sçarsela  vegnuda  al  Bonromeo  da 
Fiorenza,  c  sy  per  letera  del  nobel  omo  ser  Prangati  Zustignan  de  miser  Marcho 
rOrsato,  acordandose  sovra  uno  ténor  :  in  sustancia  dixe  in  questa  forma,  rezevude 
in  le  feste  de  Pasqua  a  xvij  avril  ;  e  prima  se  sente  del  re  corse  fina  su  le  porte  de 
Paris,  siando  con  la  donzcla  con  quelo,  e  manda  lx  cavay  e  lasase  in  arguailo  ca- 
vali  vc;  e  insy  loro  incontra  el  baslardo  de  Sen  Poloe  tre  altry  capetani,  echi  dixe  con 
iJM.  cavay  e  chi  con  vm,  c  qucli  lx,  scharamusando,  sy  son  tornà  de  driedo  c  conduseli 
fina  pasado  rarguato,e  puùqueli  inboschady  i  denole  aie  spale  e  prexeli  tuti,  che  non 
d'è  scanpà  uno,  e  dixe  eser  stada  mala  bota  a  questo  signor  ducha  de  Borgogna,  e 
anchora  se  dixe  a  Paris  è  deschoverto  uno  tratado,  de  che  iera  in  tratado  bem  iiiJM. 
e  prexo  uno  frar  mener  che  li  menava,  e  anchor  sediga  che  Fiera  capetanio  del  dolfin, 
o  sia,  e  xe  pasado  la  riviera  con  bem  vJM.  cavay,  e  le  cose  se  schalda  da  divero. 

Pu6  d'è  che,  sendo  miser  Zovane  de  Lucinborgo  per  meter  canpoa  Conpigno,  in  voler 
dar  Farsallo  ala  tera,  da  chavay  mile  che  Tiera  dentro  insise  per  altra  porta  al  coii- 
tralrio  epuo  i  lorna  aie  spale,  e  dixese  averne  morti  e  prexi  asè,  e  tolto  a  queli  quaxi 
tuto  el  chariazo  chôrtiglere  *  ;  e  si  dixe  del  conte  d'Andonto  à  prexo  uno  castelo  in 
Canpagna,  dove  iera  uno  capetanio  che  faxeva  gran  dano  al  paixe,  e  tuti  aver  mesi  al 
fil  dele  spade,  e  si  dixe  aver  levado  Fasiedd  da  Tonis  2,  con  cadanno  [?]  d'ingelexi,  si  che 
vedè  quante  cose  da  puochi  di,  e  sono  ati  queli  del  re  a  dominar  tuto,  se  sono  d'a- 
cordo... 

XIX  (pages  1093-1094,  fo;î21).  —MCCCCXXX  ady  xxv  de  zugno.  Nuova  vegnuda 
in  Veniexia;  scrita  fo  ala  dogal  signoria  in  questa  forma  e  in  favor  del  re  de  Franza, 
chomo  el  principo  de  Ragonia,  non  ^  ofendendo  [.sic]  aie  tere  del  delfinado  e  abiando 
prexo  da  iiij  luogi,  lo  governador  del  Dolfinado,  chon  molta  giente  del  re  de  Franza  e 
altra  giente  del  Dolliiiado,  ady  xj.  del  mexe  prexente  de  zugno  de  MCCCCXXX  aver 
rotolo  predito  principo,  per  la  quai  rota  è  sta  prexi  e  morti  chavali  iiJM.,  in  li  quai  se 
truova  prexi  molli  e  plu  nolabel  honieni  de  Savoia,  che  iera  con  lo  dito  princi})0,  intro 
i  quali  de  Savoia  se  menzona  prexi  monsignor  de  Salanova  e  so  liolo  miser  Alberlin 
marescalcho,  Schalavrin  de  Leto,  lo  liol  de  miser  monsignor  de  Valusin  e  lo  fiol  de 
monsignor  de  San  Ziorzo  n  uno  castelo  dito  Contefurbo*,  e  miser  Coter  de  Kupo, 
e'I  miser  de  Ais  e  el  conte  de  Goret;  e  el  dito  principo  de  Origens  apena  è  schanpato 

1.  Or. *cortigln-e. 

2.  Or.  da  Torts. 

3.  Or.  ofjemlendo,  sans  la  négation. 

4.  Or.  Conte  de  Furbo. 


•PIÈCES  JUSTIFICATIVES.  659 

cou  cavay  xvHj.  e  si  ô  reduto  dentro  lo  castclo  d'Antonin,  onde  è  ladilagienlc  del 
Dolfinado,  e  l'ano  recluxo  ;  apareclavase  de  far  zente,  prestandoy  duchali  l.  per  lan/a, 
e  de  so  salario  duchati  xj.  ;  e  tule  queste  nuove  eser  in  favor  del  doHino,  romagnando 
la  donzela  sana  e  gaiarda,  aluminada  da  Diode  gracia,  prosperando  la  via  soa... 

XX  (page  ilOo,  f°  324).  —  MCCCCXXX  ady  iij.  de  luio  a  Conpeio».  Avemo  abudo,  e 
se  sa  dito  per  plu  ziorni  per  avanli  cha  da  Brozia,  chomo  ady  iij.  de  luio  fosc  scrito, 
che  in  lo  dy  delà  Sensa  la  damixela  steva  in  cole^acion  e  in  perfeto  ainor  con  lo  re  de 
Franza  miser  lo  dolfm,  con  el  quai  la  giente  soa  aver  meso  Tasicdio  de  Paris,  per 
muodo  non  se  aver  speranza  queli  dentro  posa  résister  contra  la  corona  del  dolfinado  ; 
s'a  dito  quela  eser  sta  prexa  per  la  gienle  del  ducha  de  Borgogna,  la  quai  donzela  per 
quelo  non  avemo  se  de  quela  sia  sta  defenido  niente  ;  saverase  per  avanti,  ma  da  puo 
è  sta  dito  questa  donzela  eser  stà  confinada  con  pluxor  donzele  in  una  forteza  con 
scorta  de  bona  varda,  e  non  posando  eser  tanto  vardada,  quando  fo  de  piaxer  de  Dio, 
quela  se  parti  e  ritorna  ala  giente  soa,  senza  molesta  delà  persona  soa... 

XXI  (pages  lloo-lio6,  f»  534).  —  La  poncela  de  certo,  quela  è  sta  mandadaa  Roan 
al  re  di  Ingletera,  per  la  quai  caxon  miser  Zian  de  Lucenburgo,  che  la  prexe,  ne  à 
lochado  XM.  corone  per  darla  in  le  man  d'ingelexi  ;  quolo  soguirà  de  lie  non  se  sa,  ma 
dubitase  i  non  la  faza  morir,  e  vcramente  queste  son  stranie  e  grande  cose  difaty  de 
costie;  e  scrive  questo  aver  parlado  con  molty,  aver  parlado  da  puo  che  la  fo  prixio- 
niera,  ma  pur  universalmente  ognomo  dixe  lie  eser  de  bona  vita  e  oncslisima  e  sa- 
pientisima;  quelo  seguirà  convien  che  in  puocho  tenpo  se  veda;  che  de  certo,  segundo 
el  parer  d'ognomo  queste  caxion  convien  presto  aver  fin  ;  digo  a  vedcr  chi  doverà  a 
romagnir  de  sovra.  I  fery  son  caldisimy  d*una  parte  e  de  l'altra  e  ala  ziomada  la 
giente  del  re  de  Franza  cresie  e  prospéra  e  sapientemente  se  governa.  Dio  al  ben  di 
Cristiani  proveza,  ne  altro  per  adeso  non  avemo  de  nuovo... 

XXII  (pages  Mb8-iib9,  fo  b34).  —  Corando  MCCCCXXX.  Quadilo  quelo  s  a  abudo  de 
nuovo  de  XV.  decenbrio,  dale  parte  de  Broza  perlavegnuda  del  nobel  omo  miser  Nicholo 
Morexini  fo  de  miser  Vetor,  como  s'a  dito  in  qucle  parte. 

Presentese  prima  che  la  donzela  iera  in  man  del  ducha  de  Borgogna,  e  per  molty 
de  là  se  devolgava  che  ingelexi  Taveravc  per  denery,  e  sapudo  questo  el  dolfino  i  man- 
dase  una  ambasada,  che  per  condicion  del  mondo  i  dity  non  devese  consentir  a  tal 
caxion,  altramente  i  faria  ai  su6  chel  vain  le  mane  tal  conpagnie  su  i  confiui  de  Pon- 
pignio  [sic]  como  el  dollin  aver  lolto  uno  castelo  chon  certe  persone  che  iera  vegnude 
a  secorso  so,  e  aveva  abudo  vjc.  cavay,  dei  quai  iera  circha  lx.  cavaliery  e  signoii 
prixiony,  in  Borgogna  el  dito  ducha  aver  perso  moite  caslele,  steva  el  ducha  de 
Borgogna  a  parlamento  chon  queli  de  Lezie,  ma  credese  se  otignerà  paxe. 

Apreso  noto  e  fazo  mencion,  como  se  sope  e  fose  scrito,  el  ducha  de  Borgogna  inge- 
lexe  quelo  eserli  nasudo  uno  fiol  mascholo  delà  soa  dona  muier  soa,  fioladel  re  de 
Portogalo,  e  questo  eser  so  primogenito  de  quela. 

Corando  MGGGGXXXI  (1431). 

XXIII  (pages  1238-1239,  fo  549).  —  MCCCCXXXJ.  Per  pluxor  letere  vegnude  da  Broza 
perpluy  di,  zionze  in  Veniexia  una  dal  fio  de  ser  Zian  Zorzi  fo  de  miser  Bernardo  da 
San  Moixè,fata  ady  xxij.  del  mexe  de  zugno,  eper  una  altra  sa  dito  vcgnuda  a  srr 
Andréa  Corner  zenero  fo  de  ser  Lucha  Michiel  dala  Madalena  ;  scrive  de  (|ua  la 
honesta  donzela  iera  sostegnuda  per  ingelexi  in  le  parte  de  Boan,  rechalada  per  cho- 
rone  xm.,  prexa  per  ingelexi,  tegnuda  in  persona  [si  ]  in  molla  slrcleza  ;  a^e  dito  quela 

1.  Or.  lion  pieio. 


660  LA  VRAIE  JEANNE  D'ARC  :  LA  LIBÉRATRICE. 

per  do  volte  6 ver  per  Ire  ingelexi  Taveva  voiudo  far  bruxiar  per  retega,  se  non  fose 
sla  miser  lo  dolQn  de  Franza,  mandando  moUo  a  manazar  ingelexi  ;  ma  pur  questo 
non  ostando  ala  terza  fiada  inpixesmady  molto  ingelexi  con  meso  i  franzeschi,  chôme 
per  despeto,  non  abiando  bon  conseio,  aJa  terza  fiada  la  fexe  arder  in  Roan,  e  quela 
per  avanli  questo  marturio,  siando  molto  contrita  e  begnisimamente  ben  disposta, 
avanli  la  andese  al  martirio  vien  ditoi  aparse  Madona  Santa  Catarina  Vergene,  con- 
fortandola  e  digandoy  :  flola  de  Dio,  sta  segura  in  la  fede  toa,  conziô  *  tu  sera  in  io 
numéro  de  le  vergene  del  paradixo  in  gloria;  e  apar  morise  contritamente,  de  che  miser 
lo  dolfîn  re  de  la  Franza  de  portase  amarislma  doia,  fazandose  so  conceto  de  farde 
vendeta  teribel  de  ingelexi  e  done  de  Ingletera  a  so  zusta  posanza,  mostrando  Dio 
demostrerà  ancora  grandisima  vendeta  e  (Ina  da  m6  ancora  cus\  apar  e  infina  anchuoy 
in  dy  la  citade  de  Paris  sta  de  partido,  quela  è  perroinar  ala  ziomada  e  plu  non  se  puo 
tegnir  ne  valer,  e  tute  persone  scanpa  e  esie  fuora  da  dexaxio  e  famé  ;  tiense  per  opi- 
nion i  franzeschi  [?]  labia  fato  bruxiar  per  lo  gran  prosperamento  prospéra  e  va  pros- 
perando  da  ogni  tenpo  i  signor  franzeschi,  digando  ingelexi  :  anchô  may  morta  costie 
questa  donzela,  la  so  ventura  del  dolfin  non  i  anderà  pluy  segonda  ;  e  Cristo  i  piaqua 
i  adevegna  el  contrario,  segundo  como  s'a  dito  se  questa  cosa  sia  cusy  la  veritade... 

1.  Or.  conzio  sia  lu  sera. 


TABLE    DES   MATIERES 


Dédicace v 

Bref  de  Sa  Sainteté  Léon  Xill vii-viii 

Au   LECTEUR IX-XVI 


LIVRE   PREMIER 

L'éTAT   DES    DEUX    PARTIS    -    ORLÉANS    —    LE    SIÈGE    JUSQU'A    L'ARRIVÉE 

DE    LA    PUCELLE 


CHAPITRE  PREMIER  (p.  3-14). 

LA   FRANCE  ET  LE  PARTI   NATIONAL  A   L*ARRIVÉE  DE   LA   PUCELLE. 

I.  —  Les  limites  de  la  France  au  commencement  du  xv*  siècle.  —  Le  duché 
de  Lorraine,  le  Dauphiné,  la  Provence  reconnaissaient  la  suzeraineté  de 
FEmpire.  —  Liens  particuliers  des  deux  derniers  pays  avec  la  France.  — 
Démembrement  projeté.  —  Les  pays  qui  reconnaissaient  la  domination 
anglaise.  —  Cette  domination  était  loin  d*ètre  également  acceptée  par  tous 

les  pays  nominalement  soumis 3-6 

II.  —  Le  roi  de  Bourges  presque  universellement  abandonné.  —  Les  familles 
princières  :  Orléans,  Anjou,  Alençon,  Charles  de  Bourbon  comte  de  Cler- 
mont,  Jacques  de  Bourbon  La  Marche  ;  son  gendre,  le  sire  de  Pardiac,  un 
saint,  avait  cependant  pris  les  armes  contre  le  roi.  —  Louis  de  Vendôme, 
le  bâtard  d'Orléans.  —  Raoul  de  Gaucourt.  —  Regnault  de  Chartres,  Ma- 
chet,  La  Trémoille,  Robert  le  Maçon,  le  Connétable  Jean  IV  comte  d'Ar- 
magnac, le  comte  de  Foix,  Gilles  de  Rais,  le  maréchal  de  Boussac,  Louis 
de  Culan,  le  sire  de  Graville.  —Les  Gascons  :  Arnault  de  Coaraze,  LaHire, 
Xaintrailles,  Jean  d'Aulon,  le  sire  d'Albret.  —  Les  Bretons  :  Alain  Giron,  de 

Laval,  etc 6-11 

H.  —  Les  milices  royales.  —  Les  forces  de  Charles  Vil  se  «composaient  prin- 
cipalement d'étrangers  :  Espagnols,  Lombards,  surtout  Écossais.  —  Impo- 
pularité des  Écossais.  —  Les  services  qu'ils  ont  rendus  à  la  France.  —  Les 
milices  communales  :  Un  des  grands  appuis  de  la  Pucelle 11-14 

CHAPITRE  II  (p.  14-22). 

LE  PARTI   ANGLO-BOURGUIGNON,    OU   ANTINATIONAL,    A    l'aRRIVÉE  DE   LA   PUCELLE. 

l.  —  La  dynastie  des  Lancastres  affermie  en  Angleterre.  —  L'appât  des  comtés 
et  des  seigneuries  stimule  les  seigneurs  anglais.  —  Confiscations.  —  Pros- 
périté des  premières  années  du  règne  de  Henri  VI.  —  Les  soutiens  du  trône  : 


(C2  TABLE  DES  MATIÈRES. 

le  grand  oncle  cardinal  d'Angleterre,  Glocester  ;  L'&me  de  la  politique 
anglaise,  Bedford,  ses  hautes  qualités,  ses  richesses,  son  train  royal,  sa 
femme  Anne  de  Bourgogne.  —  Les  nombreux  capitaines  anglais  :  Salis- 
bury,  Warwick.  —  Jeu  de  la  Providence  qui  renversera  les  Lancaslres  par 
un  autre  Warwick  le  faiseur  de  rois,  le  petit-(ils  de  Salisbury  et  le  gendre 
de  Richard  War\>  ick.  —  Les  trois  frères  de  La  Pôle,  et  la  fin  tragique  de 

SufTolk.  —  Scales,  Fastolf,  Glasdal,  Talbot.  —  Quelques  faux-Français 14-18 

11.  —  Les  États  du  duc  de  Bourgogne.  —  Les  trois  frères  Luxembourg  : 
Pierre,  comte  de  SaintPoI,  beau-père  de  Bedford  marié  en  secondes  noces  ; 
Louis  de  Luxembourg,  évèque  de  ïhérouanne;  Jean,  comte  de  Ligny,  sei- 
gneur de  Beaurevoir,  meurt  le  jour  où  naquit  la  Pucelle,  qu'il  vendit.  —  Sa 
femme,  Jeanne  de  Béthune,  attachée  au  parti  français.  —  Sa  tante  Jeanne, 
daine  de  Beaurevoir,  marraine  de  Charles  Vil.  —  Villiers  de  TIsle-Adam, 
Toulongeon,  les  Vergy,  le  sire  de  Jonvelle,  Perrinet  Gressart.  —  Intermi- 
nables négociations.  —  Humiliations  et  malheurs  que  Ton  eût  prévenus 
en  écoutant  la  Pucelle.  —  Châtiment  des  Lancastre  et  de  l'Angleterre. . .        18-22 


CHAPITBE   111  (p.  23-30). 

LA  GLERRE  AU  TEMPS  DE  L\   PLCELLE. 

I.  —  Complication  de  l'art  de  la  guerre  au  temps  de  Jeanne  d'Arc.  —  Le  che- 
valier, l'écuyer,  Thonime  d'ai'mes.  —  Les  archers  anglais.  —  L'arbalète 
inutilement  interdite  par  l'Église  dans  la  guerre  entre  chrétiens.  —  Infé- 
riorité de  l'armement  des  milices  municipales.  —  La  Pucelle  excelle  à 
tirer  parti  de  l'artillerie.  —  L'artillerie  produisait  déjà  de  puissants  effets 

au  commencement  du  xv**sièclo 23-20 

II.  —  Les  forteresses  qui  couvraient  le  pays.  —  Empressement  des  villes  à 
se  fortifier.  —  Les  sièges.  —  Ce  que  demandait  un  siège.  —  Bastilles,  bou- 
levards, fossés.  —  Comment  on  comblait  les  fossés.  —  Comment  on  se 
protégeait  en  montant  à  l'assaut.  —  Les  mines 20-20 

III.  —  Manière  dont  se  recrutaient  les  soldats.  —  La  solde  payée  au  capi- 
taine.—Les  profits  de  guerre,  rançon,  pillage.  —  Part  qui  revenait  au  roi. 

—  Certains  prisonniers 20-30 

CHAPITRE  IV  (p.  30-38;. 

ORLÉANS    EN    1429. 

I.  —  Les  armoiries  dOrléans.  —  Sa  position  sur  la  Loire.  —Son  site.  —  Ses 
,  jP9rtes.  —  Ses  tours.  ~  Son  pont.  —  Le  faubourg  de  la  rive  gauche,  le 

portereau,  —  Iles  de  la  Loire.—  Le  port  du   Bosquet  ou  de  Saint-Loup. 

—  Saint -Jt,9,y|) 3O-33 

II.  —  L'Orléanais  vçdeyenu  apanage  princier  contre  l'engagement  pris  par 
jCjiprIes  V.  —  Les  prince^  jd'Orléaus.  —  Charles  d'Orléans.  —  Le  poète.  — 
L'administration  du  duché.  —  L'évèque  d'Orléans,  Jean  de  Saint-Michel. 

—  Administration  municipale.  —  Les  archives  d'Orléans  dépouillées  par 

le  chanoine  Dubois ...'..'..;...' 33  30 

m.  -  Promesse  de  S^lisb^;y  d'épargpcr,le$^PSse;^^ionsdu  duc  d'Orléans.  — 
Les  Orléanais  se  préparent  à  soutenir  le  siège.  —  Double  impôt.  —  Répa- 
ration auXj^^nu^aiMet^.  —  Appel , 4. Diw^f-.L'anlillôtie.-r^i Appel  aux  autres 
villes  de  jf^'^nce.  —  CpmJMCOt  elleii.jrépQndeftli;.r'Lo*âtats.i généraux  à 
iJiinon.  ..^  .^. ,  r  u*,f  '^^^',r\^r\r'  -  ».♦  •  •  •  ■*•/•  mi»  »W.»I«  *'4k^  ifc  iilk  rvjiuu!». .  >i  itui  iw,  .  36-38 


TABLE  DBS  MATIÈRES.  663 

CHAPITRE  V  (p.  38-57). 

LE  SIÈGE   d'oRLÉANS  JUSQu'a   l'aRRIYÉE   DE   LA  PUCELLE. 

I.  —  Bedford  libre  du  cùlé  de  TAngleterrc  veut  imposer  l'acceptation  du 
traité  de  Troyes.  —  Combien  le  moment  était  favorable.  —  Endenture  de 
Salisbury.  —  Contingents  français.  —  Orléans  devenu  l'objectif  au  lieu 
d'Angers.  —  Début  de  la  campagne.  —  Conquête  de  quarante  places  :  Jan- 
ville,  Meung,  Notre-Dame  de  Cléry,  Baugency,  Sully,  Jargeau.  —Salisbury 
s'installe  le  12  octobre  dans  le  Portereau  à  moitié  incendié.  —  Le  boule- 
vard du  pont,  les  Tourelles  emportées  malgré  une  béroïque  résistance.  — 

Coup  qui  frappe  Salisbury 38-42 

II.  —  Kalentissement  dans  les  opérations  du  siège.  —  Elle  sont  reprises.  — 
Les  Orléanais  détruisent  leurs  faubourgs,  complètent  leurs  armements.  — 
Guillaume  Duisy,  le  coulevrinier  Jean  le  Lorrain.  —  Les  Anglais  commen- 
cent leurs  bastilles  sur  la  rive  droite,  et  les  continuent  malgré  les  assiégés 

qui  essayent  vainement  de  les  arrêter 42-44 

in.  —  La  défaite  de  Rouvray  et  le  comte  de  Clermont^  Charles  de  Bourbon. 

—  Sa  fuite  honteuse.  —  il  quitte  Orléans  avec  deux  mille  combattants.  — 
Ses  vaines  promesses.  —  Négociations  pour  remettre  la  place  entre  les 
mains  du  duc  de  Bourgogne.  —  Refus  hautain  de  Bedford.  —  Les  Bour- 
guignons rappelés  du  siège 44-49 

IV.  —  L'investissement.  —  La  bastille  Saint-Loup.  —  Le  nombre  des  bas- 
tilles. —  Leur  situation.  —  Double  fossé.  —  Tous  les  chemins  interceptés. 

—  De  la  bastille  de  Fleury-aux-Choux 49-54 

V.  —  Pénurie  de  vivres  et  particulièrement  de  pain.  —  Les  divers  ravitaille- 
ments énumérés  par  le  Journal  du  siège 54-56 

VI.  —  Du  nombre  des  assiégeants  et  des  défenseurs 56-57 


LIVRE  II 

PARTI     FRANÇAIS    —    CHRONIQUES    PLUS    ÉTENDUES 


LA  CHRONIQUE  DE   LA.  PUCELLE   ET    LES   DEUX  COUSINOT. 

OBSERVATIONS  CRITIQUES  (p.  61-66). 

CHAPITRE   PREMIER   (p.    66-71). 

DOMRÉMY.    —   VAUCOULEURS.   —   CHINON.   —  POITIERS. 

I.  —  DoliRÉMY  :  Naissance,  occupations,  âge,  tempérament  de  la  Pucelle.  — 
Vadcouleurs  :  Départ.  —  Baudricourt.  —  Premier  accueil.  —  Instances.  — 
Annonce  de  la  défaite  de  Rouvray.  —  Baudricourt  vaincu.  —  Vêtements, 
escorte.  —  Le  nom  de  roi  refusé  au  dauphin  jusqu'au  sacre 66-67 

II.  —  Chixon  :  Heureuse  traversée  malgré  les  périls.  —  Incertitude  du  roi  et 
de  la  cour.  —  Première  audience,  le  roi  reconnu.  —  Jeanne  examinée  : 
Contraste  entre  la  sagesse  de  ses  réponses  et  sa  simplicité.  —  Révélation 

des  secrets.  —  Témoins  de  choix.  —  Serinent 67-69 

ill.  —  PornERS  :  Sur  le  chemin  de  Poitiers.  —  Hôtel  Rabateau.  —  L'examen, 
le  jury,  particularités  ;  conclusion.  —  Visiteurs  et  visiteuses.  —  Effet  pro- 


664  TABLE  DES  MATIÈRES. 

duit.  —  Raison  des  habils  masculins.  —  Préparatifs  du  ravitaillement.  — 
La  maison  de  la  Pucelle.  —  Épée  de  Fierbois.  —  Prophétie  sur  Tinlro- 
durtion  du  convoi.  —  La  Pucelle  à  cheval.  —  Docteurs  et  guerriers  émer- 
veillés          69-71 


CHAPITRE  11  (p.  71-83). 

DÉLIVRANCE    d'oRLÉANS. 

I.  -—  Comment  la  Pucelle  est  annoncée  à  Orléans.  —  Blois;  bénédiction  de 

la  bannière.  —  Rassemblement  de  vivres  et  de  guerriers 72-73 

II.  —  De  Blois  à  Orléans  ;  lettre  aux  Anglais.  —  Formation  du  convoi.  — 
Réforme  morale  et  religieuse  des  hommes  d'armes.  —  Voyage.  —  Attitude 
des  Anglais.  —  Difficultés  du  passage  de  la  Loire.  —  Reproches  et  prédic- 
tion de  la  Pucelle.  —  Son  entrée  à  Orléans.  —  Sa  tempérance.  —  Ce  qui 
advient  à  ses  hérauts.  —  Changement  dans  les  dispositions  des  deux  armées. 

—  Les  capitaines  retournés  à  Blois;  délibération,  ils  reviennent  à  Orléans. 

—  Auxiliaires  accourus  des  environs.  —  Entrée  du  second  convoi  le  4  mai.        73-78 

III.  —  Attaque  infructueuse  contre  Saint-Loup.  —  La  venue  de  la  Pucelle 

en  fait  une  victoire.  —  Morts  et  prisonniers.  —  Action  de  grâces 78-79 

IV.  —  Le  jour  de  TAscension  sans  combat.  —  Sommation  orale  aux  Anglais. 

—  Le  6,  passage  de  la  Loire.  —  Attaque  de  la  bastille  des  Augustins.  — 
Péripétie.  —  La  bastille  conquise.  —  La  Pucelle  blessée  aux  pieds.  — 
Hommes  d'armes  bivouaquant  devant  les  Tourelles 79-81 

V.  —  Le  7,  la  Pucelle  suivie  des  bourgeois  passe  la  Loire  contre  le  vouloir 
des  capitaines.  —  Les  Tourelles  assaillies  des  deux  côtés.  —  Blessure  de 
Jeanne  et  continuation  de  l'attaque  contre  ra\is  de  Dunois.  —  La  queue  y. 
toucïie.  —  Les  capitaines  entraînés  par  Tardeur  de  la  multitude.  —  Résis- 
tance des  Anglais.  —  Gouttière  jetée  sur  l'arche  du  pont.  —  Les  Anglais 
épuisés  de  forces  et  impuissants.  —  Rupture  du  ponl-levis  et  noyade.  — 
Inaction  des  Anglais  de  la  rive  droite.  —  Action  de  grâces  et  retour  de  la 
Pucelle.  —  Amour  et  fréquentation  des  sacrements 81-83 

VI.  —  Les  Anglais  consternés  délibèrent  de  nuit,  et  le  matin  se  rangent  en 
bon  ordre  et  se  retirent.  —  La  Pucelle  ne  veut  pas  qu'on  les  poursuive.  — 
Hymnes  et  messes  en  plein  air.  —  Démolition  des  bastilles  et  butin.  — 
Lieux  de  retraite  des  Anglais.  —  Douleur  de  Bedford,  ses  craintes  ;  coup 
porté  au  parti  anglais.  —  La  Hire  et  Loré  côtoient  les  Anglais  dans  leur 
retraite.  —  Plaisante  délivrance  du  Bourg  de  Bar 83-85 

CHAPITRE    m  (p.  85-93). 

CAMPAOE   DE   LA   LOIRE. 

I.  —  La  Pucelle  de  retour  auprès  du  roi  ;  repart  avec  le  duc  d'Alençon  pour 
nettoyer  la  Loire.  —  Prise  de  Jargeau  et  suites  de  la  victoire.  —  Comment 
Jeanne  presse  le  roi  de  se  faire  sacrer  et  triomphe  des  oppositions  de  la  cour. 

—  Sa  prière  aux  voix  et  leur  réponse.  —  Détails  plus  étendus  sur  la  prise 
de  Jargeau.  —  Les  assiégeants,  le  siège.  —  DAlençon  préservé  de  la  mort 
par  un  avertissement  de  la  Pucelle.  —  Un  coup  de  Jean  le  Canonnier.  — 
Une  grosse  pierre  sur  la  tète  de  la  Pucelle,  signe  de  la  fin  de  la  résistance. 

—  Prise  deSufl'olk.  —  Prisonniers  massacrés,  et  pourquoi?  —  Joie  du  roi, 

action  de  grâces 85-88 

II.  —  L'armée  de  la  Pucelle  renforcée.  —  Talbot  quitte  Baugency  et  va  au- 


TABLE  DBS  MATIÈRES.  665 

devant  de  Fastolf.  —  L*armée  française  quitte  Orléans,  s'empare  da  pont 
de  Meung  et  va  assiéger  Baugency.  —  Arrivée  du  connétable  en  disgr&ce. 
—  11  supplie  la  PucelJe  de  lui  obtenir  son  pardon  ;  elle  le  promet  sur  la 
garantie  écrite  donnée  par  les  seigneurs  de  sa  fidélité,  capitulation  de 
Baugency 88-90 

[H.  —  Les  Anglais  qui  avaient  attaqué  le  pont  de  Meung  abandonnent  la 
ville  après  la  reddition  de  Baugency 90 

W.  —  Les  Français  les  poursuivent.  — -  Prédiction  par  la  Pucelle  d'une  vic- 
toire éclatante.  —  Réalisation.  —  Janville  recouvré 91-92 

V.  —  Retour  triomphal  à  Orléans.  —  Le  roi  vainement  attendu.  —  La  grâce 
de  Richemont  refusée.  —  Le  siège  de  Marchenoir.  —  Le  roi  à  Gien 92-93 


CHAPITRE  IV  (p.  93-101}. 

L\   CAMPAGNE   DU   SACRE. 

I.  --  La  Pucelle,  contre  Ta  vis  du  conseil,  entraîne  le  roi  à  prendre  le  chemin 
de  Reims.  —  La  reine  amenée  à  Gien,  ramenée  à  Bourges.  —  Les  sei- 
gneurs accourent  attirés  par  le  nom  de  la  Pucelle.  —  Beau  portrait  de  la 
guerrière.  — Les  pratiques  de  sa  piété.  —  Le  roi  gouverné  par  La  Trémoille. 

—  Combien  le  favori  craint  d'être  supplanté.  —  Solde  insignifiante  donnée 
aux  hommes  d'armes.  —  La  Pucelle  devance  le  roi.  —  Auxerre  achète  de 
La  Trémoille  une  sorte  de  neutralité.  —  Mécontentement  de  la  Pucelle. — 
Conduite  de  la  Pucelle  à  son  arrivée  dans  un  village.  —  Les  jalouses  pré- 
cautions de  sa  pudeur.  —  Céleste  parfum  de  pureté.  —  Les  gens  de  savoir 
émerveillés  de  ses  réponses 93-96 

II.  —  Départ  d'Auxerre.  — Soumission  de  Saint-Florentin.  — Arrivée  devant 
Troyes.  —  Résistance  de  la  ville.  —  Disette  extrême  de  l'armée.  —  Le 
conseil  délibère  de  se  retirer  :  raisons.  —  Avis  de  Robert  le  Maçon.  — 
Intervention  de  la  Pucelle,  ses  engagements.  —  Merveilleuse  diligence  à 
préparer  l'assaut.  —  Soudain  changement  des  dispositions  de  la  ville.  — 
Soumission  au  roi  et  conditions.  —  Départ  de  la  garnison;  prisonniers 
français  délivrés  par  la  Pucelle.  —  Le  roi  à  Troyes 96-99 

III.  —  En  chemin  pour  Châlons.  — Réception  du  roi.  —  Le  roi  à  Sept-Saulx. 

—  Les  capitaines  anglo-bourguignons  et  les  habitants  de  Reims.  —  Am- 
bassade envoyée  au  roi.  —  Entrée  de  l'archevêque  le  matin,  du  roi  le  soir.      99-100 

IV.  —  Les  préparatifs  du  sacre.  —    La  solennité  avec  laquelle  est  apportée  la 

sainte  Ampoule.  —  Le  sacre.  —  Attitude  de  la  Pucelle.  —  Ses  paroles. . . .     100-101 

CHAPITRE  V  (p.  101-109). 

LA    CAMPAGNE    d'aPRÉS    LE    SACRE. 

1.  —  Séjour  à  Reims.  —  Pèlerinage  à  Saint-Marcoul.  —  Soumission  spontanée 
des  villes.  —  Itinéraire  par  Vailly,  Soissons,  Château-Thierry,  Provins. ...  102 

H.  —  Bedford  sort  de  Paris;  bruit  qu'il  veut  combattre  le  roi;  semblant  qu'il 
en  fait.  —  Charles  VU  l'attend  vainement.  —  L'armée  rangée  en  bataille 
près  de  Lamothe-Nangis.  —  La  cour  et  le  roi  veulent  revenir  au  delà  de  la 
Loire.  —  Passage  de  Bray-sur-Seine  accordé,  et  intercepté  à  la  grande  joie 
de  nombreux  seigneurs  et  capitaines.  —  Retour  vers  Château-Thierry  et 
marche  vers  Crépy.  —  Arrêt  à  Dammartin.  ~  Allégresse  des  populations. 

—  Paroles  de  Jeanne 102-104 

in.  —  Les  deux  armées  en  présence  près  de  Dammartin  se  retirent  après 


666  TABLE  DBS  MATIÈRES. 

dlnsignifianles  escarmouches.  —  Sommation  et  reddition  de  Compiègne, 
de  Bcauvais.  —  Dedford,  dont  l'armée  s'est  accrue  de  troupes  levées  contre 
les  hussltes,  vient  sous  Senlis.  —  Son  arrivée  signalée.  —  Il  prend  position 
dans  un  lieu  bien  choisi  pour  le  couvrir  ;  larmée  française  à  Montépiiloy. 

—  Les  armées  s'observent  durant -deux  jours.  —  Escarmouche  plus  san- 
glante au  coucher  du  soleil.  —  Les  deux  armées  se  retirent 104-107 

IV.  —  Charles  VII  à  Compiègne,  à  Senlis  ;  Bedford  en  Normandie.  —  Les 
gardiens  de  Paris.  —  Le  roi  à  Saint-Denis.  —  Escarmouches  avec  les  Pari- 
siens. —  Assaut  tenté  contre  Paris;  dispositions  prises.  —  La  Pucelie 
blessée  au  grand  contentement  de  ses  envieux.  —  Elle  refuse  de  se  retirer. 
--Il  faut  l'emporter.  —  Le  roi  accusé  de  ne  pas  vouloir  conquérir  Paris 

par  assaut.  —  Peu  de  morts 107-109 

V.  —  Le  départ  décidé  ;  raisons  ou  prétextes.  —  Capitaines  préposés  à  la 

garde  des  places.  —  Saint-Denis  repris  par  les  Anglais , .  109 

JOURNAL  DU  SIÈGE  D'ORLÉANS,   ET  L'HISTOIRE  DE  LA   PUGELLE 

JUSQU'AU    RETOUR   DE    PARIS. 

REMARQUES  CRITIQUES  (p.  110-113). 

CHAPITRE  PKEMIEU  (p.  113-119). 

LA   PUCELLE   JUSQU'a   SON   ENTRÉE  A   ORLÉANS. 

I.  —  Naissance  et  occupations  de  la  Pucelie.  —  Ordre  du  Ciel.  —  Accueil  de 
Baudricourl.  —  Horrible  pensée.  —  Comment  dissipée.  —  Influence  angé- 
lique  de  la  jeune  fille .  —  Annonce  de  la  défaite  de  Rouvray.  —  Baudricourt 
gagné.  —  Compagnons  de  voyage,  leurs  craintes.  —  La  Pucelie  les  rassure.    1 14-1 15 

II.  —  Arrivée  à  Chinon  :  nombreux  périls  évités.  —  Desseins  extrêmes  agités 
à  la  cour.  —  Récit  des  guides.  —  Première  audience.  —  Réunion  et  avis 
du  grand  conseil.  —  Examen  :  la  personne  de  la  Pucelie,  annonce  de  la 
défaite  de  Rouvray;  révélation  des  secrets.  —  Nouvel  examen  à  Poitiers; 
sentence.  —  Armement,  étendard,  épée,  maison  de  la  Pucelie 115-117 

III.  —  Anachronismes  du  chroniqueur  :  séjour  à  Blois.  —  Lettre  aux  Anglais. 

—  Courroux,  dérisions,  menaces  des  Anglais.  —  Le  héraut  retenu i  17-118 

IV^  —  Préparatifs  militaires  et  religieux  à  Blois.  —  La  marche  par  la  Sologne 

et  arrivée  à  Chécy.  —  Les  Orléanais  prévenus.  —  Chaude  escarmouche 

pour  favoriser  l'entrée  du  convoi 119 

CHAPITRE  H  (p.  119-129). 

DKLIVR\NCK    d'oRLÉANS. 

1.  —  Dunois,  des  seigneurs  et  des  bourgeois  vont  à  la  rencontre  de  la  Pucelie 
à  Chécy.  —  Seigneurs  qui  retournent  à  Blois.  —  La  Pucelie  entrant  à 
Orléans.  —  Son  escorte,  universelle  allégresse.  —  L'étendard.  —  Hôtel  de 
la  Pucelie. 119-120 

H.  —  Samedi  :  Escarmouche  sans  la  Pucelie  et  sans  résultat.  —  Réclamation 
du  héraut  prisonnier.  —  Commission  qu'en  le  renvoyant  lui  donnent  les 
Anglais.  —  Sommation  orale  de  la  Pucelie  et  réponse.  —  Dimanche  :  Dunois 
part  pour  Blois.  —  La  Pucelie  se  montre  à  la  foule  et  parcourt  la  ville; 
enthousiasme  qu'elle  excite.  —  Nouvelle  sommation  orale  aux  Anglais  el 
réponse.  —  Lundi  :  la  Pucelie  examine  les  positions  anglaises.  —  Vêpres  à 
Sainte-Croix 120-122 


TABLE  DES  MATIÈRES.  667 

III.  —  .Mercredi  :  la  Pucelle  va  au-devant  du  convoi  et  des  hommes  d'armes 
qui  arrivent  de  Blois.  —  Inaction  des  Anglais.  —  La  bastille  Saint-Loup 
attaquée,  emportée,  brûlée.  —  Les  Anglais  de  Saint-Pouair  qui  veulent  la 
secourir  tenus  en  respect 122-123 

IV.  —  Jeudi  :  délibération  du  conseil,  préparatifs.  —  Vendredi  :  attaque 
portée  sur  la  rive  gauche.  —  Abandon  de  la  bastille  Saint-Jean-le-Blanc. 

—  Prise  de  la  bastille  des  Augustins.  —  On  se  prépare  à  Taltaque  des 
Tourelles 123-124 

V.  — Samedi  :  les  Tourelles  vaillamment  attaquées  et  vaillamment  défen- 
dues. —  Blessure  de  la  Pucelle.  —  Elle  s'oppose  à  la  retraite.  —  Signe 
qu^elle  donne.  —  Attaque  du  côté  de  la  ville.  —  Les  Anglais  cherchent  un 
refuge  dans  les  Tourelles.  —  Le  pont  rompu.  —  Noyade.  —  Joie  des 
Orléanais.  —  Ce  qu'affirmaient  les  prisonniers.  —  Les  Tourelles  gardées 
pendant  la  nuit 124-127 

VI.  —  Dimanche  :  l'armée  française  et  l'armée  anglaise  en  présence.  —  La 
Pucelle  opposée  à  la  poursuite.  —  Retraite  des  Anglais.  — Singulière  déli- 
vrance d  un  prisonnier.  —  Joie  d'Orléans.  —  Actions  de  grâces 127-128 

VIL  —  Départ  de  plusieui*s  guerriers.  —  Départ  de  la  Pucelle.  —  Reconnais- 
sance des  Orléanais.  —  Inventions  faites  durant  le  siège.  —  Accord  entre 
les  bourgeois  et  les  hommes  d'armes 128-129 

CHAPITRE  111  (p.  129-137). 

CAMP.\GNE   DE   L.\    LOIRE. 

I.  —  Expédition  inutile  contre  Jargeau  en  Tabsence  de  la  Pucelle 129-130 

IL  —  La  Pucelle  presse  le  roi  d'aller  se  faire  sacrer  à  Reims.  —  Opposition 
de  la  cour.  —  La  Pucelle  inlerrogée  révèle  ses  entretiens  avec  les  voix.  — 
Le  voyage  de  Reims  est  décidé  après  la  prise  de  plusieurs  places  sur  la 
Loire.  —  Le  duc  d'Alençon  reçoit  le  titre  de  lieutenant  avec  ordre  d'obéir 

à  la  Pucelle.  —  Départ  pour  Orléans 130-13J 

m.  —  Départ  pour  Jargeau.  — -  Fausse  alerte.  —  Le  siège.  -  Le  duc  d'Alençon 
miraculeusement  préservé  par  la  Pucelle.  —  L'assaut.  —  Anglais  abattu 
par  maître  Jean.  —  Grosse  pierre  sur  la  tête  de  la  Pucelle  ;  signe  de  vic- 
toire. —  Les  Anglais  forcés  sur  le  pont.  —  Reddition  de  Suffolk.  —  Pri- 
sonniers et  tués.  —  Pillage  de  Jargeau.  —  Retour  à  Orléans 131-133 

IV.  —  On  accourt  de  toutes  parts  à  l'armée  de  la  Pucelle.  —  En  marche 
pour  assiéger  Baugency,  i)rise  du  pont  de  Meung.  —  Entrée  dans  Bau- 
gency.  —  Arrivée  du  Connétable  et  conditions  imposées  à  son  admission 
dans  l'armée.  —  Capitulation  du  château  et  du  pont  de  Baugency.  —  Le 
secours  amené  par  Fastolf  dirigé  contre  le  pont  de  Meung.  —  Retraite  à 
l'arrivée  de  l'avant-garde  française 134-13o 

V.  —  L'armée  française  à  la  poursuite  de  l'armée  anglaise.  —  Victoire  de 
Patay,  morts,  prisonniers.  —  Reddition  de  Jan ville.  —  Terreur  des  Anglais, 
confiance  des  Français.  —  Le  roi  frustre  l'attente  des  Orléanais.  —  La 
Trémoille  empêche  l'admission  dans  l'armée  du  Connétable  et  de  ses  gens. 

—  Mécontentement 135-137 

CHAPITRE  IV  (p.  137-142). 

CA>1P.\GNE  AVANT  ET  APRÈS   LE   S.\CRE. 

I.  —  La  reine  amenée  de  Bourges  à  Gien.  —  Ramenée  à  Bourges.  —  Départ 
du  roi.  —  Seigneurs  à  sa  suite 137-138 


668  TABLE  DES  MATIÈRES. 

II.  —  Tout  ce  qui  est  dans  le  Journal  du  siège  est  dans  la  chronique  de  la 
Pucelle,  mais  pas  réciproquement 138-139 

III.  —  Le  roi  à  Saint-Denis.  —Jeanne  à  La  Chapelle.  —  Attaque  contre  Paris. 

—  La  Pucelle  dans  les  fossés.  —  Elle  est  blessée  sans  cesser  d'ordonner 
que  Ton  comble  les  fossés.  —  Emportée  de  force.  —  Éloges  donnés  à  son 
courage.  —  On  aurait  pu  prendre  Paris.  —  11  est  arrêté  qu'on  reviendra 

sur  la  Loire.  —  Le  duc  de  Bourbon  lieutenant  générai 139-14! 

IV.  —  Le  chemin  du  roi  dans  sa  retraite.  —  Arrêt  à  Gien.  —  Le  roi  abusé  par 
le  duc  de  Bourgogne.  —  Rentrée  à  Bourges.  —  Les  prédictions  de  la  Pu- 
celle. —  Conclusion  du  chroniqueur 142 

JEAN  GHARTIER. 

OBSERVATIONS    CRITIQUES    SUR    LES   PAGES    QU'iL  CONSACRE  A    LA    PUCELLE  (p.    143-446). 

CHAPITRE  PREMIER  (p.  146-149). 

LA   PUCELLE  JISQU'a   SON    ENTRÉE  A   ORLÉANS. 

I.  —  La  Pucelle  :  ses  instances  auprès  de  Baudricourt.  —  Objet  de  dérision. 

—  Elle  finit  par  se  faire  conduire.  —  Comment  elle  se  présente  au  roi,  et 
le  reconnaît.  —  Sa  mission  d'expulser  les  Anglais.  —  Ses  merveilleuses 
réponses.  —  Le  roi  se  détermine  à  l'envoyer  ravitailler  Orléans,  et  y  com- 
battre. —  Formation  du  convoi  et  de  l'escorte  à  Blois.  —  La  Pucelle  et  le 
convoi  entrent  à  Orléans.  —  Pourquoi  le  plus  grand  nombre  des  guerriers 

rentre  à  Blois.  —  L'épée  de  Fierbois 146-148 

II.  —  Conseils  tenus  à  Blois.  —  Le  Bâtard  fait  décider  qu'on  reviendra  à 
Orléans  et  par  la  Beauce 149 

CHAPITRE  n  (p.  149-154). 

DÉLIVRANCE    d'ORLÉANS. 

I.  —  Second  convoi  amené  à  Orléans  par  la  Beauce.  —  Jeanne  va  à  la  ren- 
contre. —  Entrée  à  Orléans  par  devant  la  grande  bastille.  —  Attaque  et 

prise  de  Saint-Loup 1 49-1 50 

II.  —  Conseil  tenu,  et  Jeanne  non  convoquée.  •=-  Une  fausse  attaque  combi- 
née. —  Jeanne  appelée  devine  ce  qu'on  veut  lui  cacher.  —  Explications  de 
Dunois.  —  Les  plans  de  Jeanne  en  opposition  avec  ceux  des  capitaines.  — 

Leur  réussite.  —  Sa  bonne  grdce  à  cheval 150-152 

III.  —  Incident  de  la  prise  des  Augustins 152 

IV.  —  Attaque  des  Tourelles.  —  Acharnement  des  assaillants  et  des  défen- 
seurs. —  Confiance  de  Jeanne.  —  Sa  blessure  et  sa  persévérance  à  com- 
battre. —  Prise  des  Tourelles.  —  Morts  et  prisonniers.  —  Action  de 
grâce  ;  la  nuit.  —  Inaction  des  Anglais  de  la  rive  droite.  —  Résolution  de 

lever  le  siège 152-153 

V.  —  Retraite  le  dimanche  matin.  —  Abandon  d'une  partie  des  bagages.  — 
Retraite  sur  Meung.  —  Conduite  que  leur  fait  La  Hire 153  154 

CHAPITRE  m   (p.  154-157). 

CAMPAGNK   DE   LA    LOIRE. 

l.  —  Le  duc  d'Alençon  libéré  de  sa  prison  et  de  la  rançon  exigée.  —  11  se  met 
à  la  suite  de  la  Pucelle  avec  une  foule  d'hommes  attirés  par  le  désir  de 
combattre  sous  sa  direction.  —  Siège  de  Jargeau.  —  La  ville  emportée.  — 


TABLE  DBS  MATIÈRES.  669 

Les  trois  frères  La  Poule.  —  Morts  et  prisonniers.  —  Prise  du  pont  de 
Meung.  —  Siège  de  Baugency.  —  La  reddition  de  la  ville.  —  Arrivée  de 
Richemont.  —  Secours  qu'il  amène.  —  Accroissement  de  l'armée.  —  Con- 
fiance dans  la  Pucelle.  —  Abattement  des  Anglais,  conditions  accordées 

aux  Anglais  de  Baugency 154-156 

IL  —  Nouvelles  que  Talbot  est  en  Beaucc  avec  son  armée.  —  Les  éclaireurs 
font  connaître  la  marche.  —  L'armée  se  met  à  sa  poursuite.  —  Victoire 
de  Patay.  —  Morts  et  prisonniers.  —  Fuite  de  Fastolf. 156-157 

CHAPITRE   IV  (p.  157-16?.) 

LA   CAMPAGNE  AVANT   ET   APRÈS   LE  SACRE. 

L  —  Le  roi  mis  par  la  Pucelle  sur  le  chemin  de  Reims,  malgré  le  conseil.  — 
La  foi  à  la  divinité  de  la  mission  de  la  Pucelle  attire  une  foule  de  guerriers. 

—  Magnifique  portrait  de  la  Guerrière  et  de  la  Sainte.  —  Toute-puissance 
et  néfaste  influence  de  La  Trémoilïe.  —  11  renvoie  Richemont  et  bon 
nombre  d'autres 157-159 

II.  —  Insignifiante  paye  aux  hommes  d'armes.  —  La  Pucelle  précède  le  roi. 

—  Guerre  aux  femmes  de  mauvaise  vie  et  épée  brisée.  —  Composition 
d'Auxerre  et  mécontentement  de  la  Pucelle.  —  Chartier  ne  fait  que  résu- 
mer la  Chronique  de  la  Pucelle 159-160 

III.  —  Entrée  du  roi  à  Compiègne,  à  Senlis  ;  Bedford  en  Normandie.  —  Le 
roi  à  Saint-Denis.  —  Jeanne  à  La  Chapelle.  —  Attaque  contre  Paris.  — 
Jeanne  presse  Tassant.  —  Elle  est  blessée.  —  Jeanne  suspend  ses  armes 
devant  le  corps  de  saint  Denis 160-162 

CHAPITRE  V  (p.  162-169). 

RETRAITE  AU  DELA   DE   LA   LOIRE.    —   CE  QUE   CilARTlER   DIT   ENCORE  DE   LA    PUCELLE. 

I.  —  Lagny  fait  sa  soumission  au  roi.  —  Loré  en  est  fait  capitaine.  —  Capi- 
taines nommés  à  la  garde  des  villes  récemment  soumises.  —  Le  roi  quitte 
Saint-Denis.  —  L'armure  complète  de  la  Pucelle  suspendue  dans  la  basi- 
lique. —  Itinéraire  du  retour.  —  Saint-Denis  repris  par  les  Anglais.  — 
Ils  enlèvent  l'armure  de  la  Pucelle.  —  Universel  brigandage.  —  Le  pays 
appauvri.  —  Secours  envoyé  par  le  roi 162-164 

IL  —  La  Pucelle  reprend  Saint-Pierre-le-Moustier,  échoue  devant  La  Charité.  104 

III.  —  Efforts  des  Anglais  contre  Lagny.  —  La  Pucelle  y  revient.  —  Ren- 
contre avec  les  Anglais.  —  Victoire  de  la  Pucelle 164-165 

IV.  —  Siège  deCompiègne.  —  Jeanne  se  jette  dans  la  place  assiégée.  —  Ver- 
sions différentes  sur  sa  prise.  —  Indication  sommaire  des  étapes  de  son 
martyre.  —  Le  brisement  de  son  épée 1 65- 1 66 

Appendice.  —  Particularités  relevées  dans  la  Chronique  latine  de  Chartier. .     166-169 

LA    DOUBLE    CHRONIQUE   DE    LA  MAISON  D'ALBNÇON 

PAR  PERCE  VAL   DE  CA6NT. 

LE  DUC  d'alençon  (p.  170-174.) 
CHAPITRE  PREMIER   (p.   174  179). 

DE   LA    VENUE   DE   LA   PUCELLE   A    LA   DÉLIVRANCE   d'oRLÉANS. 

I.  —  Arrivée  de  la  Pucelle  à  Chinon.  —  Étonnement  causé  par  son  merveil- 
leux langage  sur  Dieu  et  sur  la  guerre.  —  Elle  est  examinée.  —  Équipée 


670  TABLE  DES  MATIÈRES. 

mililairement.  —  Abattement  de  la  cour  avant  son  arrivée.  —  Impossibi- 
lité de  ravitailler  Orléans  réduit  à  la  famine.  —  Personne  n'ose  l'essayer. 

—  Jeanne  s'offre.  —  Son  étendard 174-176 

H.  —  Convoi  formé  à  Blois.  —  Escorte.  —  Orléans  ravitaillé.  —  Second  con- 
voi par  la  Beauce.  —  Il  est  introduit  sans  obstacle 176 

m.  Préparatifs  de  l'attaque  contre  Saint-Loup.  —  Les  capitaines  chargés  de 
contenir  les  Anglais.  —  La  bastille  enlevée  en  face  des  Anglais  impuis- 
sants. —  Ils  n'osent  plus  s'ordonner  en  bataille.  —  Attaque  des  Augustins. 

—  Peu  de  gens  suivent  la  Pucelle. —  La  bastille  enlevée.  —  Les  vainqueurs 
passent  la  nuit  sur  le  champ  de  bataille.  —  Combien  les  Tourelles  étaient 
fortes.  —  Glacidas.  —  Attaque  et  défense  acharnées.  —  Elles  sont  enlevées.  — 
Glacidas  noyé.  —  Perte  des  vainqueurs.  —  Les  ponts  merveilleusement 
restaurés.  —  Les  Anglais  spectateurs  inactifs  des  exploits  de  la  Pucelle.  — 

Fuite  des  Anglais  176-179 

CHAPITRE   II  (p.    179-184). 

CAMPAGNE   DR   LA   LOIRE. 

I.  —  Jeanne  a  pour  mission  de  délivrer  le  duc  d'Orléans,  dut-elle  passer  en 
Angleterre.  —  Raisons  de  ses  préférences  pour  le  gendre  du  captif,  le  duc 
d'Alençon.  —  Séjour  de  trois  ou  quatre  jours  dans  sa  famille.  —  La  Pucelle 
veut  conduire  le  roi  à  Reims  malgré  l'opposition  de  la  cour.  —  Ses  pro- 
messes; elle  propose  au  duc  d'Alençon  de  prendre  Jargeau.  —  Les  sei- 
gneurs convoqués  près  de  Romorantin 180- 181 

II.  —  Siège  de  Jargeau,  le  11  juin.  —  Assaillants  et  défenseurs.  —  Impru- 
dence des  milices  communales.  —  Sommation  à  la  place.  —  Disposition 
de  l'artillerie.  —  Étendard  de  la  Pucelle.  —  Assaut  durant  quatre  heures. 

—  La  place  emportée.  —  Les  pertes  des  deux  côtés.  —  Retour  à  Orléans. 

—  Admiration  des  capitaines  pour  la  Pucelle 181  -182 

m.  —  Départ  pour  lîaugcncy.  —  Composition   de  l'armée.  —  Couchée  à 

Meung.  —  Attaque  de  Raugency,  le  16,  à  midi.  — Arrivée  du  Connétable; 
il  est  tenu  en  disgrâce  par  le  lout  puissant  La  Trénioille.  —  Baugency  capi- 
tule par  crainte  de  la  Pucelle i  82- 1 83 

\\-.  —  Nouvelles  de  rapproche  do  Talbot.  —  Les  Anglais  de  Meung  grossis- 
sent son  armée.  —  Retraite  sur  Janville.  —  La  Pucelle  à  sa  poursuite.  — 
Victoire  de  Palay.  —  Morts  et  prisonniers.  — Le  dimanche  matin,  19,  passé 
à  Patay.  —  Tristesse  de  Richemont.  —  Retour  à  Orléans.  —  Actions  de 
grâces.  —  La  Pucelle  proclamée  instrument  de  Dieu 183-184 

CHAPITRE   m   (p.    184-180). 

LA    CAMPAGNE   DU    SACRE. 

I.  —  Arrivée  à  Gion  le  2t  juin.  —  Grande  fête  à  la  Pucelle.  —  Enthousiasme 
universel  provoqué  par  les  merveilles  inouïes  qu'elle  a  accomplies.  —  Son 
chagrin  des  tergiversations  du  roi  qu'on  détourne  du  voyage  de  Reims.  — 

Elle  prend  les  devants,  entraînant  le  gros  de  l'armée  à  sa  suite I84-18o 

II.  —  Le  roi  se  détermine  à  la  suivre  le  29  juin.  —  Soumission  des  forte- 
resses des  deux  cùtés  de  la  route.  — Arrivée  à  Troyes,  le  8  juillet.  —  Sou- 
mission. —  Séjour  jusqu'au  12.  —  La  manière  dont  la  Pucelle  somme  les 
villes  et  en  ohtient  la  soumission.  —  Arrivée  à  Chàlons  le  14.  —  Départ 

le  1*) lH:;-i8G 


TABLE  DES  MATIÈRES.  671 

m.  —  Entrée  trîomphanle  à  Reims.  —  Préparatifs  du  sacre.  —  Le  sacre  le 
i 7  juillet.  — •  Les  fonctions  du  duc  d'Alençon.  —  Séjour  à  Reims  jusqu'au 
21  juilIeL  —  A  Saint-Marcoul  le  21 186 


CHAPITRE   IV    (p.    186-193). 

LA   CAMPAGNE  APRÈS   LE   SACRE. 

L  —  La  Pucelle  veut  rendre  le  roi  maître  de  Paris  et  du  royaume.  —  Grandes 
conquêtes  après  le  sacre.  —  Le  roi  à  Soissons,  du  23  juillet  au  28.  —  Pau- 
vreté de  la  ville.  —  Le  29  passé  devant  Château-Thierry;  entrée  le  soir.— 
Le  l*""  août,  arrivée  à  MontmiraiL  —  Le  2  à  Provins  et  séjour  jusqu'au  5. 

—  Le  7  à  Coulomniers.  —  Le  10  à  La  F'erté-Milon.  —  Le  11  à  Crépy.  — 
Le  12  à  Lagny-le-Sec  ;  le  13  aux  champs  près  de  Dammartin.  —  Diligence 

de  la  Pucelle  pour  amener  la  soumission  des  villes i  86- 188 

il.  —  Le  14,  les  armées  française  et  anglaise  en  présence  près  de  Senli-. 

—  Escarmouches.  —  Le  15,  dispositions  de  conscience  en  vue  d'une 
grande  bataille.  —Les  Anglais  fortiliés  à  la  Victoire.  —  Escarmouches  toule 
la  journée.  —  Provocations  de  la  Pucelle.  —  Proposition  de  laisser  aux 
ennemis  l'espace  pour  se  déployer.  —  Refus  des  Anglais.  —  Le  roi  à  Mon- 
tépilloy,  sa  suite.  —  Il  se  retire  à  Crépy.  —  La  Pucelle  et  l'armée  attendent 
Bedford  qui  se  retire  à  Paris.  —  Le  roi  à  Compiègne  le  18.  —  Reddition 
de  Sentis.  — Le  roi  semble  fatigué  de  conquérir.  —  Tristesse  delà  Pucelle. 

—  Elle  part  pour  Paris  et  entre  à  Saint-Denis  le  26.  —  Bedford  quitte 

Paris  pour  défendre  la  Normandie 188- 190 

111.  —  Escarmouches  plus  que  quotidiennes  contre  Paris  à  partir  du  26  août. 

—  La  Pucelle  observe  la  situation  de  la  ville.  —  Messages  au  roi  de  venir. 

—  Double  voyage  du  duc  d'Alençon  pour  l'entraîner  à  Saint-Denis.  —  Joie 
causée  par  son  arrivée,  le  7.  —  Persuasion  universelle  que  la  Pucelle  lui 
donnera  Paris.  —  Attaque  de  Paris  le  8.  —  Dispositions.  —  Long  assaut.  — 
Bruyanledéfense;pas  de  morts,  blessure  sans  suites  graves.  — Merveilles. 

—  La  Pucelle  blessée  ne  fait  que  presser  l'assaut  plus  vivement.  —  Elle  est 
ramenée  malgré  elle.  —  Retraite  à  La  Chapelle.  —  Le  lendemain  la  Pucelle 
veut  recommencer  l'assaut.  —  Montmorency  et  50  ou  60  gentilshommes 
viennent  se  mettre  à  la  suite  de  la  Pucelle.  —  Ordre  du  roi  de  venir  à 
Saint  Denis.  —  Chagrin  de  la  Pucelle.  —  Obéissance.  —  Le  pont  jeté  sur 
la  Seine  coupé.  —  Délibération  du  conseil.  —  Désir  du  roi  de  revenir  sur  la 
Loire.  —  Départ  le  13  septembre.  —  Profond  chagrin  de  la  Pucelle.  —  Elle 
suspend  ses  armes  à  Saint-Denis.  —  Arrivée  à  Gien  le  21  septembre.  — 
Dispersion  de  l'armée 190-193 

CHAPITRE  V  (p.  193-199). 

LV   SUITE   DE   l'histoire   DE   LA   PUCELLE   JUSQU'a   SON   SUPPLICE. 

I.  —  La  faveur  dont  le  duc  d'Alençon  jouissait  auprès  de  la  Pucelle.  — 11 
demande  en  vain  de  l'amènera  la  conquête  de  la  Normandie.  —  Combien 
il  fut  peu  sensé  d'arrêter  les  conquêtes  de  la  Pucelle.  —  Ses  incroyables 
exploits:  ce  qu'elle  a  fait  en  quatre  mois.  —  Inaction  du  roi.  —  Il  relient 
la  Pucelle  auprès  de  lui.  —  Tristesse  de  l'héroïne.  —  Conquête  de  quelques 
places.  —  Échec  devant  La  Charité.  —Les  causes 193-195 

II.  —  La  Pucelle  mécontente  quitte  la  cour  sans  prendre  congé  du  roi.  — 
Son  arrivée  àLagny.  —  Elle  taille  en  pièces  une  compagnie  d'ennemis.  — 


672  TABLE  DES  MATIÈRES. 

EfTroî  dans  Paris.  —  Les  villes  dans  lesquelles  elle  séjourne.  —  Le  siège 
de  Compiùgno.  —  La  Pucelle  se  jette  dans  la  ville  le  24  mai.  —  Engage- 
ment. —  Embuscade,  comment  elle  est  prise 195-197 

m.  —  Prison  de  la  Pucelle.  —  Elle  est  vendue  aux  Anglais.  —  Ce  qu^elle  dit 
des  villes  qu'elle  a  rendues  au  roi.  —  Prisonnière  à  Rouen.  —  Combien  les 
Anglais  désirent  la  trouver  coupable.  —  Leurs  incriminations.  —  La  sen- 
tence et  lexéculion 197-198 

IV.  —  Toute-puissance  de  La  Tréinoille.  —  Comment  et  par  qui  il  est  ren- 
versé. —  Inaction  du  roi  à  partir  de  Saint-Denis  et  surtout  du  supplice  de 
la  Pucelle.  —  Elle  seule  a  fait  les  conquêtes.  —  Ce  que  par  pusillanimité 
Charles  VU  a  sacrifié  au  traité  d'Arras.  —  Le  roi  et  les  princes  du  sang  étant 
inactifs,  la  défense  armée  revient  à  de  simples  chevaliers «98-190 

LE  GREFFIER   DE   LA    ROCHELLE. 

REMARQUES   CRITIQUES  (p.  200-201). 

CHAPITRE  PREMIER  (p:  20^205). 

LA  PUCELLE  JUSQU'A  SON  ENTRÉE  A  ORLÉANS. 

I.  —  Arrivée  de  la  Pucelle.  —  Son  âge,  son  pays,  son  costume.  —  Vains 
efforts  pour  la  tromper  sur  la  personne  du  roi.  —  Explications  qu  elle  donne 

sur  son  passé 202-203 

II.  —  L'examen  auquel  elle  est  soumise  ne  révèle  rien  que  de  favorable.  — 
Son  amour  de  la  confession  et  de  la  communion,  son  incroyable  abstinence. 

—  Elle  émerveille  les  docteurs  de  Poitiers.  —  Gardée  auprès  de  la  dame 
Rabateau.  —  Détails  sur  l'épée  de  Fierbois.  —  Armée,  elle  excelle  dans; 
les  exercices  guerriers,  et  spécialement  dans  le  maniement  du  cheval.  — 

Sa  lettre  aux  Anglais;  sa  sainte  vie;  son  zèle  à  faire  confesser  la  cour. . .     204- 20d 

CHAPITRE  11   (p.   20O-207). 

DÉLIVRANCE    d'oRLÉANS. 

I.  —  Préparation  du  ravitaillement  d'Orléans.  —  Introduction  sans  obstacle 
d'un  double  convoi  par  la  Sologne  et  par  la  Deauce.  —  Prise  de  la  bastide 
Saint-Loup 20o-  206 

II.  —  Préparation  religieuse  à  l'assaut  contre  la  bastille  des  Auguslins.  — La 
bastille  est  emj)orlée.  — Le  lendemain,  conquête  des  Tourelles.  —  Les  dé- 
fenseurs, Glacidas,  noyade.  —  Longueur  de  l'assaut.  —  Émerveillement  de< 
guerriers  après  une  conquête  qui  semblait  impossible.  — Attitude  de  la 
Pucelle.  —  Son  courage  malgré  une  grave  blessure.  — Sommation  à  Talbot. 

—  Départ  des  Anglais.  —  Processions  à  La  Rochelle 206-207 

CHAPITRE   m  (p.   207-208). 

LA    CAMPAGNE    DE    LA    LOIRE. 

1.  —  Le  greffier  affirme  à  tort  que  le  roi  se  rendit  à  Orléans  avec  la  Pucelle. 

—  Siège  de  Jargeau.  —  SuiTolk  ne  veut  se  rendre  qu  a  la  Pucelle.  —  Nom- 
bre des  défenseurs  d»»  Jargeau  d'après  Suffolk.  —  Reddition  de  Baugency. 

—  Les  conditions 207- 2"8 

H.  —  V'ictoire  de  Patay.  Les  morts  et  les  prisonniers. —  Le  nombre  des  com- 
battants de  l'armée  française,  d'après  une  lettre  du  roi.  —  Détails  intéres- 
sants sur  la  manière  dont  à  La  Rochelle  on  rendit  grâces  à  Dieu 208 


TABLE  DES  MATIÈRES.  673 

CHAPITRE  IV  (p.  209-212). 

LA  CAMPAGNE    DU   SACRE. 

I.  —  Arrivée  devant  Troyes  et  résistance.  —  Détails  non  rapportés  ailleurs 
sur  la  médiation  et  le  rôle  de  Tévêque,  sur  le  Frère  Richard,  sa  première  en- 
trevue avec  la  Pucelle  et  ce  qu'il  en  dit  aux  habitants.  —  Soumission  et 
excuses  des  Troyens.  —  Conditions  faites  par  le  roi.  —  Ordre  très  sévère 
de  respecter  biens  et  personnes.  —  Soummission  de  plusieurs  villes.  —  Ce 
que,  du  haut  des  remparts,  les  Troyens  voyaient  ou  croyaient  voir  à  lasuite 

de  Tarmée  royale 209-21 1 

II.  —  Le  sacre.  —  Solennité.  —  Les  pairs  ecclésiastiques  et  laïques.  —  Ma- 
nière dont  la  sainte  ampoule  est  apportée.  —  Durée  de  la  cérémonie.  — 
Enthousiasme  universel.  —  La  Pucelle  près  du  roi.  —  Dignités  conférées. 

—  Le  duc  de  Bourgogne  à  Laon  ;  ses  ambassadeurs  à  Reims  ;  ses  perfides 
propositions 211-212 

CHAPITRE  V   (p.  212-213). 

CAMPAGNE  APRÈS   LE   SACRE. 

I.  —  Le  roi  devant  Paris.  —  Escarmouches,  attaque  ;  blessure  de  la  Pucelle. 

—  Retraite.  —  Matériel  de  guerre  des  Parisiens  et  miraculeuse  préservation 
des  assiégeants.  —  Terreur  à  l'intérieur  delà  ville.  —  Le  roi  se  retire,  faute 

de  vivres.  —  Dispositions  préalables 212-213 

II.  —  Martyre  de  la  Pucelle 213 

LA  CHRONIQUE  DE  TOURNAT. 

REMARQUES  CRITIQUES  (p.  214-215). 

CHAPITRE  PREMIER  (p.  216-221). 

LA  PUCELLE  JUSQU  AU  DÉPART  POUR  ORLÉANS. 

1.  —  Conquêtes  des  Anglais  en  France  et  impuissance  des  Français  à  les 
arrêter.  —  Instant  recours  du  roi  au  Ciel.  —  Les  Anglais  devant  Orléans.  — 
Ils  veulent  réduire  par  la  famine  la  ville  qu'ils  ne  peuvent  emporter  de  vive 
force.  —  Circonvallation  et  contrevallations.  —  Les  Orléanais  réduits  à 
l'extrémité.  —  Leurs  supplications  au  ciel 216-217 

U.  —  Faiblesse  de  l'instrument  choisi  par  Dieu  pour  mettre  fin  à  tant  de  maux 
et  les  raisons  de  ce  choix.  —  Erreur  du  chroniqueur  sur  le  lieu  de  nais- 
sance de  la  Pucelle,  et  sa  première  condition.  —  Les  déclarations  de  la 
Pucelle  au  roi.  —  Incrédulité  de  celui-ci.  —  U  s'entoure  de  conseils.  — 
Réponse  à  la  consultation  et  conduite  à  tenir.  —  Les  motifs.  —  L'examen 
le  plus  attentif  ne  découvre  que  bien  dans  la  Pucelle.  —  Le  roi  se  prépare 
à  la  mettre  à  l'œuvre 217-219 

U.  —  La  lettre  de  la  Pucelle  aux  Anglais 219-221 

CHAPITRE  H  (p.   221-224). 

DÉUVRANCE   D*0RLÉANS. 

0 

L  —  Attente  à  Bloîset  départ.  —  L'étendard  de  la  Pucelle.  —L'escorte.  —  Le 

convoi.  —  Jeanne  trompée  sur  la  route  à  suivre.  —  Son  mécontentement. 

HL  43 


674  TABLE  DES  MATIÈRES. 

—  Ordre  de  retourner  à  Blois  et  de  revenir  par  la  Beauce.  —  Retour,  se- 
cond convoi  introduit  sans  obstacle,  malgré  les  Anglais  rassemblés 221-222 

H.  —  Attaque  de  Saint-Loup.  —  Dispositions  prises  par  la  Pucelle.  —  La  vic- 
toire. —  Le  butin 222 

IIL  —  Attaque  du  côté  de  la  Sologne.  —  Retraite  simulée.  —  Retour.  — 
Prise  d  une  bastille.  —  Trois  bastilles  évacuées  par  les  Anglais 222-223 

IV.  —  Préparatifs  de  nuit  pour  assaillir  les  Tourelles.  —  Combien  elles  sont 
fortes.  —  Combat  d'un  jour  entier.  —  Blessure  de  la  Pucelle.  —  Son  trai- 
tement. —  Sa  prière.  —  Assaut  victorieux.  —  Les  Anglais  tués  et  noyés. 

—  Butin.  —  Rentrée  à  Orléans.  —  Les  pertes  des  Français.  —  Double 
prodige 220-224 

V.  —  Fuite  des  Anglais.  —  Leurs  derrières  inquiétés.  —La  Pucelle  fait  cesser 

la  poursuite.  —  Butin 224 

CHAPITRE  111  (p.  225-229). 

U   SUITE  DE   l'histoire  DE   LA  PUCELLE   SOMMAIREMENT  INDIQUÉE. 

I.  —Le  roi  et  la  Pucelle  se  rencontrent  à  Tours.  —L'entrevue.  —  Convocation 
des  capitaines  et  assertions  erronées  du  chroniqueur.  —  Conquête  de  Meung, 
de  Baugency.  —  Victoire  de  Patay.  —  Tant  de  succès  rapportés  à  Dieu. . . .     225-226 

U.  —  Bref  exposé  de  la  marche  vers  Reims.  —  Longue  station  du  roi  dans 
réglise  Notre-Dame,  le  matin  du  sacre.  —  Hommage  des  seigneurs.  — 
Création  de  contes  et  de  chevaliers 227 

IIL  —  Nombreuses  villes  qui  se  déclarent  pour  Charles  Vil  durant  sa  marche 
vers  Paris.  —  Facilité  de  conquérir  tout  son  royaume.  —  Il  fait  faire  à 
Saint-Denis  un  service  pour  son  père.  —  Paris  unique  objectif  de  la 
Pucelle.  —  Sa  profonde  peine  de  se  voir  traversée.  —  Troupes  retirées 
durant  Tattaque  contre  Paris.  —  Retraite  du  roi  malgré  la  Pucelle.  —  Son 
inaction  et  le  mécontentement  de  la  Pucelle 227-228 

IV.  —  Forces  considérables  avec  lesquelles  le  Bourguignon  reprend  la  guerre 
après  Pâques.  —  Portugais.  —  Siège  et  blocus  de  Compiègne.  —  Prise  de 

la  Pucelle.  —  Sa  prison  à  Beaulieu  et  à  Beaurevoir 228-229 

V.  —  Tentative  d'évasion.  —  Terrible  accusation  contre  quelques  capitaines 
français.  —  Unique  prétexte  de  condamnation 229 

THOMAS  BASIN.  -  SES  CHAPITRES  SUR   LA   PUCELLE 

(p.  230-231). 

CHAPITRE  PREMIER  (p.  231-234). 

L.\   PLCELLE.    —    SON   ADMISSION    PAR   LE   ROI. 

l. —  Jeanne.  —  Son  pays  d'origine.  —  Sa  piété.  —  Elle  déclare  être  chargée  par 
le  Ciel  de  messages  publics  et  secrets  auprès  du  roi.  —  Le  nom  de  la  Pu- 
celle devenu  son  nom.  —  Mépris  de  ses  ouvertures  par  le  capitaine  Bau- 
dricourt.  —  Ce  qui  le  fait  changer  de  sentiment;  il  conduit  la  Pucelle  au 
roi.  —  Durant  trois  mois,  le  roi,  d'après  Hasin,  refuse  de  lui  parler. 
—  Entretiens  avec  l'entourage  du  princie.  —  Instances.  —  Promesses 
et  menaces.  —  L'état  désespéré  des  affaires,  motif  de  ne  pas  la  rejeter 
sans  l'entendre.  —  Entretien  secret  de  deux  heures  avec  le  roi.  —  Révéla- 
tion de  profonds  secrets.  —  Convocation  de  la  milice,  la  Pucelle  mise  à  la 
tête  de  l'armée.  —  Sa  bannière 231-234 


TABLE  DES  MATIÈRES.  675 

CHAPITRE  II  (p.  234-237). 

DÉUVRANCE  D*0RLÉAN8  ET  CAMPAGNE  DE  LA   LOIRE. 

I.  —  La  Pucelle  veut  délivrer  Orléans.  —  D'après  Basin,  elle  aurait  com- 
mencé par  Taltaque  de  Tourelles.  —  Manière  dont,  d'après  lui,  elle  s'en 
serait  emparée.  —  Glacidas  et  ses  compagnons  tués,  brûlés,  noyés.  —  Cou- 
rage des  Français.  —  La  terreur  précédente  du  nom  anglais  changée  en 
une  vaillante  hardiesse  de  les  expulser.  —  Ils  fuient  après  quelques  nou- 
veaux succès  des  Français.  —  Le  nom  de  la  Pucelle  célébré  dans  toute  la 
France.  —  Il  glace  les  Anglais  de  terreur 234-236 

II.  —  Les  Français  ranimés  s'emparent  de  Jargeau.  —  Abandon  de  Meung  et 
de  Baugency  et  fuite  des  Anglais.  —  Les  Français  à  leur  poursuite.  —Vic- 
toire de  Patay  et  ses  suites.  —  Fastolf 236-237 

CHAPITRE   lit    (p.   237-239). 

AVANT  ET  APRÈS   LE  SACRE. 

D'après  Basin,  c'est  du  roi  que  serait  venue  la  résolution  de  se  faire 
sacrer  à  Reims  et  couronner  à  Saint-Denis.  —  Rôle  qu'il  prête  à  Leguisé, 
évoque  de  Troyes.  —  Sacre  à  Reims,  couronnement  à  Saint-Denis.  —  Ma- 
nière dont  il  raconte  l'attaque  contre  Paris.  —  Raisons  qu'il  donne  du 
départ  de  Paris.  —  Il  place  après  l'attaque  contre  Paris,  la  campagne  de 
nie-de-France 237-239 

CHAPITRE  IV  (p.  239-243). 

CAPTIvme    DE  U    PUCELLE.  —  SON    PROCÈS.    —    80!l  8UPPUCE. 

JUGEMENT  DE  l'hISTORIEN. 

I.  —  Jeanne  au  siège  de  Compiègne.  —  Elle  est  prise  et  vendue  aux  Anglais. 

—  La  cour  anglaise  délibère  sur  le  sort  à  lui  infliger.  —  Le  procès.  —  Sa 
longueur.  —  Tribunal.  —  Interrogatoire.  —  Admiration  qu'excitent  les 
réponses  de  l'accusée.  —  Parti  pris  des  interrogateurs.  —  Beau  tableau  de 
la  vie  de  Jeanne.  —  Impossibilité  d'un  soupçon  contre  sa  virginité.  —  La 

raison  du  port  de  l'habit  masculin 239-240 

II.  —  Impossibilité  d'échapper  à  une  condamnation.  —  La  persuasion  des 
Anglais.  —  Ce  que  l'on  rapporte  de  sa  rétractation,  des  reproches  des  Saintes. 

—  Condamnée  comme  relapse. —  Foule  qui  accourt  à  son  supplice.  —  Sa 

sainte  mort.  —  Ses  cendres  jetées  à  la  Seine.  —  Le  motif 241-  242 

III.  —  Jugement  de  Basin  sur  la  Pucelle.  —  Sa  réserve.  —  Il  dit  hardiment 
qu'elle  n  a  été  convaincue  d'aucune  erreur  contre  la  foi.  —  Nullité  du  pro- 
cès de  condamnation.  —  Son  Mémoire.  —  Mémoires  de  nombreux  savants 
consultés  pour  la  réhabilitation. —  Leur  conclusion.  —  La  (in  de  la  Pucelle 
n'est  pas  une  objection  contre  la  divinité  de  sa  mission.  —  Ainsi  ont  fini 
le  Rédempteur,  les  Apôtres,  les  Martyrs.  —  Dieu  a  pu  la  permettre  à  cause 
des  péchés  du  roi  ou  du  peuple,  de  leur  ingratitude,  de  leur  orgueil.  —  La 
corruption  des  mœurs  à  cette  époque.  —  Dieu  s  est  souvent  servi  des 
femmes  pour  un  rôle  de  consolation.  —  Liberté  d  appréciation  concédée 

par  Basin 242-243 


676  TABLE  DES  MATIÈRES. 

GILLES  LE  BOUVIER,  DIT  LE  HÉRAULT  BERRT 
ET  SA  CHRONIQUE   (p.  244-245}. 

LA  PUCELLE  D  APRÈS  LE  HÉRAUT  BERRY  (p.  245-253]. 

I.  —  La  Pucelle  arrive  et  est  examinée  durant  le  carême.  —  Avis  des  doc- 
teurs. —  Elle  est  équipée 246 

II.  —  Le  héraut  de  la  Pucelle  envoyé  aux  Anglais  emprisonné  en  attendant 
d'être  brûlé.  —  Fausse  assertion  qu'après  son  entrée  à  Orléans  la  Pucelle 
serait  revenue  à  Blois.  —  Prise  de  la  bastille  Saint-Loup.  — Inutiles  efforts 
des  Anglais  pour  la  secourir.  —  Erreur  du  chroniqueur  sur  le  jour  de  la 
prise  des  Augustins.  —  Attaque  des  Tourelles.  —  Un  jour  entier  de  com- 
bat. —  Anglais  pris,  tués,  ou  noyés.  —  Fuite  des  Anglais 246-248 

III.  —  Les  Anglais  dispersés  à  Jargeau,  Meung  et  Baugency.  —Secours  envoyé 
par  Bedford.  —  Prise  de  Jargeau,  de  Baugency.  —  Retraite  de  Tarmée 
anglaise  vers  Janville.  —  Taillée  en  pièces  à  Patay 248  -249 

IV.  —  La  Trémoille  fait  congédier  Richemont  et  de  Pardiac.  —  Le  roi  en  se 
rendant  à  Reims  reçoit  Tobéissance  de  Troyes,  de  Ch&lons.  —  Solennité 

du  sacre 249 

V.  —  Nom  des  principales  villes  parcourues  par  le  roi  après  le  sacre.  —  Les 
armées  anglaise  et  française  en  présence  à  Thieux  et  auprès  de  Senlis.  — 
Quelques  particularités  sur  cette  dernière  journée.  —  Séjour  à  Compiègne. 

—  Fallacieuses  promesses  de  Jean  de  Luxembourg^ —  Le  roi  à  Saint-Denis. 

—  La  Trémoille  fait  retirer  Tarmée  lors  de  Tassant  contre  Paris-  —  Bed- 
ford vole  au  secours  de  la  Normandie.  —  Itinéraire  du  roi  dans  son  retour 
vers  la  Loire.  —  Duplicité  du  duc  de  Bourgogne.  —  Sauf-conduit  qui  lui 

donne  facilité  pour  traiter  avec  le  duc  de  Bedford 249-251 

VI.  —  Sens  et  Melun  se  rendent  français.  —  La  Pucelle  empêchée  par  La 
Trémoille  de  combattre  en  Normandie  avec  le  duc  d'Alençon.  —  Échec 
contre  La  Charité.  —  Couronnement  du  roi  d'Angleterre,  en  Angleterre.  — 
Mariage  du  duc  de  Bourgogne.  —  Échec  d'un  complet  pour  remettre  Rouen 

au  roi 251  -252 

Vil.  —  Siège  de  Choisy,  près  Compiègne,  par  le  duc  de  Bourgogne.  —  Prise 
de  Château-Gaillard.  —  La  Pucelle  va  passer  par  Soissons  pour  revenir  à 
Choisy.  —  Intrigue  du  capitaine  pour  ne  pas  laisser  entrer  la  troupe  de  la 
Pucelle.  —  Trahison  du  capitaine  de  Soissons.  —  Prise  de  Choisy.  —  Siège 
de  Compiègne.  —  La  Pucelle  prisonnièreet  vendue  aux  Anglais 252-253 

MATHIEU  THOMASSIN  (p.  254-256). 

LES   PAGES   DU    MATHIEU   THOMASSIN    SUR    LA   PUCELLE    (p.    256-267). 

L  —  Pourquoi  Charles  Vil  ne  fut  ni  sacré  ni  couronné  à  la  mort  de  son 
père.  —  Les  titres  qu'il  prenait.  —  Les  moqueries  de  ses  ennemis.  —  Dau- 
phinois tués  à  Verneuil  et  les  souvenirs  mortuaires.  —  La  France  serait 
devenue  anglaise  sans  la  Pucelle 257 

11.  —  Pays  d'origine  de  la  Pucelle.  —  Quelques  traits  de  son  extérieur  à  son 
arrivée  à  Chinon.  —  Elle  parlait  peu.  —  Les  noms  qu'elle  donnait  à 
Charles  Vil.  —  D'abord  moquée.  —  Prophétie  de  Merlin  et  développements 
qu'on  lui  donne.  —  Les  clercs  réunis  en  conseil  et  leur  décision.  —  Obser- 
vations faites  sur  la  Pucelle  ;  renseignements  ;  combien  favorables.  —  Signe 
qu'elle  a  promis  devant  Orléans.  —  La  Pucelle  armée  et  à  cheval.  — 
Lettres  au  roi  d'Angleterre,  aux  hommes  d'armes,  aux  capitaines,  à  Bed- 


TABLE  DES  MATIÈRES.  677 

ford.  —  Sa  marche  contre  les  Anglais  inexpugnables  à  Orléans.  •—  Résolu- 
tions désespérées  agitées  dans  le  conseil  du  roi.  —  Les  exploits  de  Jeanne 
merveilleux  et  comme  impossibles.  —  Prédilection  de  Dieu  pour  la  France. 

—  Mission  de  la  France.  —  La  Pucelle,  le  plus  grand  signe  des  prédilec- 
tions de  Dieu 258-262 

lU.  —  La  Chronique  rimée  de  la  Pucelle  par  Christine  de  Pisan.  —  Pourquoi 
Thomassin  choisit  de  la  citer  plutôt  qu'une  autre.  —  Christine  de  Pisan  : 
Reconnaissance  à  Dieu,  ineffable  reconnaissance  due  à  la  Pucelle.  —  La 
Pucelle  rapprochée  de  Moïse,  de  Josué,  de  Gédéon,  des  femmes  de  la  Bible. 

—  Supériorité  de  la  Pucelle.  —  Elle  a  été  prophétisée,  elle  est  Thonneur 
du  sexe  féminin.  —  Apostrophe  aux  Anglais.  — Leur  règne  est  fini.  —  La 
Pucelle  au-dessus  de  tous  les  preux.  —  Sa  mission  est  de  rétablir  partout 
la  foi.  —  Apostrophe  aux  Français  renégats  de  leur  pays.  —  Le  sacre.  — 
Impuissance  de  la  force  et  de  la  ruse  pour  arrêter  la  Pucelle 262-266 

IV.  —  Raisons  pour  lesquelles  Thomassin  a  parlé  de  la  Pucelle.  —  Injures 
et  menaces  des  Anglais  contre  la  Pucelle.  —  Si  elle  meurt  avant  que  sa 
mission  soit  finie,  cette  mission  n'en  sera  pas  moins  accomplie.  —  Révé- 
lations de  secrets  au  roi.  —  La  Pucelle  trahie  devant  Compiègne.  —  Ses 
merveilleuses  réponses  aux  allégations  portées  contre  elle.  —  L'on  raconte 
choses  merveilleuses  de  son  procès  et  de  sa  mort.  —  Regrets  de  l'auteur. 

—  Quelques  autres  lignes  de  Thomassin  sur  la  Pucelle 266-267 


LIVRE  III 

PARTI     FRANÇAIS    —    LA    LIBÉRATRICE    D*APRÉS    DES    CHRONIQUES    PARTICULIÈRES 

DES    LETTRES    ET    AUTRES    DOCUMENTS 


CHAPITRE  PREMIER  (p.  27i  274). 

LA   CHRONIQUE   DU   MONT-SAINT-MICHEL.   —  l'  «  ORDO  »   DE   CHALONS. 

I.  —  La  Chronique  du  Mont-Saint-Michel.  —  Les  deux  points  intéressants 
qu'elle  renferme.  —  Le  texte 271-273 

II.  —  Une  note  dans  un  Ordo  de  Châlons  du  xv«  siècle.  —  Les  années  où  la 
fête  de  TAnnonciation  tomhe  le  Vendredi  Saint  marquées  par  des  événe- 
ments extraordinaires  :  ce  fut  le  cas  Tannée  où  parut  la  Pucelle 273-274 

CHAPITRE  H  (p.  274-278). 

PIERRE  SALA. 

I.  —  Le  livre  des  Hardiesses  des  rois.  —  L'auteur.  —  La  nature  des  secrets 
n'a  pu  être  dévoilée  que  fort  tard.  —  Le  passage  de  Sala  publié  par  Labbe.    275-276 

n.  —  Dieu  secours  de  nos  rois  dans  leur  détresse.  —  La  Pucelle  fut  ce  secours 
pour  Charles  VII  réduit  à  un  état  désespéré.  —  11  n'y  avait  de  succès  que 
pour  les  entreprises  qu'elle  inspirait,  souvent  contre  l'avis  des  capitaines. 
—  Ce  qui  détermina  Charles  VII  à  l'admettre.  —  Voie  par  laquelle  Sala  a 
connu  la  nature  des  secrets  révélés. —Prière  secrète,  mentale,  de  Charles  VII, 
dans  l'extrémité  de  ses  malheurs,  révélée  par  la  Pucelle.  —  La  fausse 
Jeanne  d'Arc  démasquée  par  suite  de  ce  secret  révélé 276-278 


^ 


678  TABLE  DES  MATIÈRES. 

CHAPITRE  III  (p.  278-285). 

L'aBRÉVIATEUR    du    <f    PROCÈS  ». 

I.  —  Quand  et  dans  quelles  circonstances  a  écrit  TÂbréviateur  du  Procès.  — 
L'unique  manuscrit  de  son  œuvre.  —  Méprise  de  Tabbé  Dubois  réfutée  par 
Quicherat.  —  L'histoire  de  la  Pucelle  mise  en  tète  de  VAbrégé  du  Procès. 
—  Parties  plus  remarquables.  —  Début  de  TAbréviateur  sur  l'intérêt  sans 

pareil  de  l'histoire  de  la  Pucelle 279-280 

II.  —  Sources  d'information  de  l'auteur  sur  la  nature  des  secrets.  —  Entre- 
tien particulier  avec  la  Pucelle  conseillé  au  roi.  —  II  a  lieu.  —  Triple 
requête  faite  mentalement  à  Dieu  par  le  roi,  le  jour  de  la  Toussaint.  —  Effet 

sur  le  roi  de  cette  manifestation 280-281 

m.  —  Iniquité  de  la  condamnation  de  la  Pucelle,  et  la  part  prépondérante  qui 
en  revient  à  l'Université  de  Paris.  —  Sentiment  contraire  de  Gerson.  — 
Tout  prospérait  par  les  conseils  de  la  Pucelle  et  rien  sans  elle.  —  Profonde 
haine  que  l'envie  fait  concevoir  à  quelques  capitaines.  —  De  Lagny  la 
Pucelle  se  jette  dans  Gompiègne  assiégé.  —  Elle  prend  part  à  une  sortie 
faite  contre  son  sentiment.  —  Le  signal  de  la  retraite  donné.  —  Fuite  pré- 
cipitée. —  La  presse  empêche  la  Pucelle  de  franchir  la  barrière.  —  Elle  est 
prise.  —  Ce  qui  semble  confirmer  le  sentiment  qu'elle  a  été  livrée  par  un 
Français.  —  Sa  captivité  à  Beaurevoir 281  -283 

IV.  —  Combien  le  gouvernement  anglais  désirait  posséder  la  Pucelle.  —  Résis- 
tance de  Luxembourg.  —  L'évêque  de  Beauvais  sommé  de  réclamer  la 
Pucelle  et  de  lui  faire  un  procès  en  matière  de  foi.  —  Il  consulte  l'Univer- 
sité de  Paris  qui  lui  en  fait  un  devoir,  et  intervient  par  ses  lettres  à  Luxem- 
bourg. —  Notification  juridique  de  ces  lettres.  —  La  Pucelle  livrée  et  mise 

aux  fers  à  Rouen 283-284 

V.  —  Gauchon  appelle  à  le  seconder  dans  son  procès  les  sommités  de  la 
cléricature.  —  Demande  et  concession  de  lettres  de  territorialité.  —  Les 
prisons  ecclésiastiques  iniquement  refusées.  —  L'animosité  de  Gauchon  et 
du  tribunal  comparée  à  l'animosité  de  Gaïphe  et  du  Sanhédrin  contre 
Notre-Seigneur 284-28o 

GHAPITRE  IV  (p.  286-292). 

ALAIN    BOUCUARD   ET   l'aLTEUR  DU   «  MIROIR   DES   FEMMES   VERTUEUSES  )). 

I.  —  Alain  Bouchard.  —  Les  Grandes  Annales  de  Bretagne.  —  Les  points 
principaux  sur  la  Pucelle.  —  Le  Miroir  des  femmes  vertueuses 286-287 

II.  —  La  Pucelle  interrogée  avant  d'être  présentée  au  roi. —  Elle  le  reconnaît 
et  demande  un  entretien  à  part.  —  Attitude  du  prince.  —  Révélation  de  la 

prière  absolument  secrète 287-288 

m.  —  Sagesse  des  plans  de  la  Pucelle.  —  Jalousie  qu'elle  provoque.  —  La 
Guerrière.  —  La  Sainte.  —  Raison  de  l'habit  viril 288-289 

IV.  —  La  Pucelle  à  Gompiègne.  —  Vendue  par  Flavy.   —  Annonce  de  sa 

prise.  —  Barrières  fermées.  —  Fin  de  Flavy 289-290 

V.  —  Injuste  condamnation  de  la  Pucelle.  —  Iniquité  du  procès.  —  Appel 

au  Pape.  —  Ses  cendres  jetées  au  vent 290-292 

GHAPITRE   V  (p.  292-296). 

JEAN  BOUCHET,  JEAN  LE  FÉRON  ET  JACQUES  GELU. 

I.  —  Jean  Bouchet,  ses  Annales  d'Aquitaine 292 

IL  —  La  Pucelle  à  Vaucouleurs,  à  Domrémy,  à  Ghinon.  —  Le  surnom  de  la 


TABLE  DES  MATIÈRES.  679 

Pucelle.  —  Informations.  —  Examen.  —  Présentation  au  roi.  —  Entretien 
secret.  —  Impression  du  roi.  —  Nature  des  secrets  révélés.  —  L*épée  de 
Fierbois.  —  Le  montoir  de  Poitiers.  —  La  sainteté  de  la  Pucelle 293-204 

m.  —  La  Pucelle  à  Compiègne.  —  Vendue  par  Flavy.  —  Prétexte  pour  la 
faire  sortir.  —  La  Pucelle  prédit  qu'elle  est  vendue  et  sera  prise.  —  La 
sortie.  —  La  retraite  fermée  par  Flavy.  —  Fin  des  prospérités  de  TAnglais. 
—  Traité  de  Gerson  et  d'Henri  de  Gorkum.  —  Épitaphe  de  la  Pucelle.. . . .     294-295 

IV.  —  Note  de  Le  Féron  sur  le  séjour  de  la  Pucelle  à  Compiègne.  —  Corres- 
pondance de  Jacques  Gelu 296 

CHAPITRE  VI  (p.  296-311). 

CHRONIQUE  DE  LA  DÉLIVRANCE  d'ORLÉANS  ET  DE  LA  FETE  DU  8  MAI  ET  AUTRES  DOCUMENTS. 

JEAN   DE  MAÇON.    —  GUILLAUME  GIRAULT. 

1.  —  La  Chronique  de  la  délivrance  d'Orléans  et  la  Fête  du  8  mai.  —  Manus- 
crits qui  la  contiennent.  —  Diverses  éditions  dans  les  cinquante  premières 
années  de  ce  siècle.  —  Temps  où  elle  a  dû  être  écrite.  —  Le  très  sage 
homme  Jean  de  Mâcon 297-299 

IL  —  Pays  d'origine,  date  de  la  naissance  de  Jean  de  M&con.  —  Sa  grande 
réputation  de  savoir.  —  Ses  manuscrits.  —  Est-il  l'auteur  de  la  Chronique?    299-301 

ilL  —  Texte  :  L'expédition  de  Salishury  décrétée  en  Angleterre.  —  Promesse 
faite  au  duc  d'Orléans.  —  Début  de  la  campagne 301 

IV.  —  Quelques  détails  sur  la  conquête,  par  les  Anglais,  du  Portereau,  des 
avant-postes  des  Tourelles,  des  Tourelles  elles-mêmes.  —  Le  coup  qui 
frappe  Salishury.  —  C'est  un  châtiment.  —  Retraite  momentanée  de  quel- 
ques capitaines.  —  Ils  reviennent.  —  La  journée  des  Harengs.  —  Effroi  des 
nouveaux  auxiliaires.  —  Ils  se  retirent 302-303 

V.  —  La  Pucelle.  —  Ses  débuts  à  Domrémy,  Vaucouleurs,  Chinon.  —  Effet 
produit  à  Orléans  par  son  annonce.  —  Introduction  du  premier  convoi. 
Itinéraire.  —  Difficultés  surmontées.  —  La  Pucelle  dans  Orléans.  —  Som- 
mation aux  Anglais.  -^  Réponse  prophétique  aux  insultes  de  Glacidas.  — 
Elle  assiste  aux  premières  vêpres  de  la  fête  de  la  Croix.  —  Son  entretien 

avec  Jean  de  Mâcon 303-304 

VI.  —  Introduction  du  second  convoi.  —  Détails  sur  la  prise  de  Saint-Loup 
le  4  mai.  —  Le  lendemain  fête  de  l'Ascension.  —  Détails  sur  la  prise  des 
Augustins  et  le  bivouaquement  des  vainqueurs.  —  Préparatifs  de  l'assaut 
des  Tourelles.  —  Attaque  sur  la  double  rive.  —  Ce  qui  se  fait  du  côté  de  la 
ville.  —  Un  colombeau  blanc  sur  l'étendard  de  la  Pucelle.  —  Miraculeuse 
facilité  de  l'escalade.  —  Mort  de  Glacidas.  —  Prisonniers,  détails  sur  la 

fuite  des  Anglais 304-307 

VIL  —  Réception  de  la  Pucelle  par  le  roi.  —  Briève  indication  de  la  cam- 
pagne de  la  Loire.  —  Merveilleux  effet  produit  sur  les  deux  partis.  —  Faci- 
lité pour  recouvrer  tout  le  royaume 307-308 

VIU.  —  La  Fête  du  8  mai  établie  d'un  consentement  unanime.  —  Programme 
arrêté.  —  Apparition  de  saint  Aignan  et  de  saint  Euverte.  —  Fête  sem- 
blable à  Bourges  et  dans  de  nombreuses  églises,  et  justement.  —  Parcours 
de  la  procession.  —  Combien  il  faut  être  fidèle  à  s'y  rendre.  —  Accord 

entre  les  hommes  d'armes  et  les  bourgeois 308-309 

IX.  —  Le  notaire  Guillaume  Girault.  —  La  délivrance  consignée  par  lui  entre 
deux  minutes.  —  Combien  fut  miraculeuse  et  divine  la  mission  de  la 
Pucelle.  —  Double  rang  de  fossés  autour  des  bastilles  anglaises.  —  Ambas- 
sade du  duc  de  Bretagne  à  la  Pucelle 309-311 


680  TABLE  DBS  MATIÈRES. 

CHAPITRE  VU  (p.  314-323). 

CAMPAGNE  DE    LA   LOIRE.   —    PIÈCES   DIVERSES. 

I.  —  Une  Chronique  anonyme  des  ducs  d'Alençon.  —  Jeanne  avait  prédit  au 

duc  Jean  d'Alençon  plusieurs  choses  qui  lui  sont  advenues  depuis 312 

II.  —  Lettre  des  seigneurs  Guy  et  André  de  Laval.  —  Dessin  de  nettoyer  la 
Loire.  —  Le  duc  d*Alençon  a  le  titre  de  généralissime  et  le  commandement 
d'obéir  à  la  Pucelle.  —  Il  y  est  fidèle.  —  Il  fait  appel  à  la  noblesse.  —  La  * 
formation  de  Tarmée  décrite  par  les  seigneurs  de  Laval.  —  Ce  qu*étaient 
ces  seigneurs,  leur  père,  leur  mère,  leur  grand-mère,  leur  famille.  —  La 
lettre.  —  Arrivée  à  Loches.  —  Le  jeune  Dauphin,  le  futur  Louis  XI.  —  Ils 
rejoignent  le  roi  à  Saint-Aignan.  —  Accueil  exceptionnel  qu'ils  en  reçoivent. 

—  Le  roi  se  rendant  à  Selles,  la  Pucelle  tout  armée  vient  à  leur  rencontre. 

—  Aimable  entrain  avec  lequel  elle  reçoit  la  visite  des  deux  jeunes  sei- 
gneurs. —  Son  départ.  —  Céleste  portrait  tracé  par  les  deux  jeunes  sei- 
gneurs. —  Détails  sur  les  seigneurs  qui  accourent  de  toutes  parts,  notam- 
ment sur  le  Connétable.  —  Les  seigneurs,  n'attendant  rien  de  la  cour, 
veulent  que  leur  mère  aliène  leur  patrimoine  afin  de  pouvoir  faire  digne 
figure.  —  Cadeau  de  la  Pucelle  à  leur  grand-mère.  —  Avec  quel  cœur  ils 
protestent  contre  le  dessein  de  les  tenir  loin  de  Faction.  —  Assurance  de 

la  Pucelle.  —  Confiance  de  l'armée.  —  Touchants  détails  de  famille 312-317 

III.  —  La  Chronique  de  Richemont  par  Gruel.  —  C'est  une  apologie.  —  11  fausse 
l'entrevue  de  la  Pucelle  et  de  Richemont.  —  Texte  :  Le  Connétable  ayant 
réuni  une  très  vaillante  et  très  nombreuse  compagnie  se  met  en  marche 
pour  venir  prendre  part  à  la  guerre.  —  Le  roi  lui  envoie  l'ordre  de  ne  pas 
aller  plus  loin.  —  Il  n'en  tient  aucun  compte.  --  Son  arrivée  à  Baugency. 

—  La  Pucelle  se  dispose  à  le  combattre.  —  Mot  injurieux  prêté  à  ce  sujet 
à  La  Hire.  — Attitude  humiliée  prêtée  à  la  Pucelle,  et  fière  parole  qu'aurait 
dite  Richemont.  —  11  n'en  est  pas  moins  réduit  à  faire  le  guet.  —  Rôle 
que  Gruel  est  le  seul  à  attribuer  à  son  maître  dans  la  reddition  de  Meung, 
la  retraite  de  Talbot,  l'engagement  de  la  bataille  de  Patay,  sur  la  date  de 
laquelle  il  se  trompe  notablement.  —  Instances  de  Richemont  pour  être 
admis  à  servir  le  roi.  —  Il  va  jusqu'à  embrasser  les  genoux  de  La  Tré- 
moille.  —  Dure  parole  du  roi.  —  Richemont  forcé  de  rentrer  à  Parthenay 

au  milieu  des  avanies 317-322 

IV.  —  Autres  pièces.  —  L'expression  des  espérances  conçues  consignées  dans 
un  manuscrit  du  temps.  —  Cavalier  blanc  vu  dans  le  ciel  en  Bas-Poitou. 

—  Témoignage  de  l'évéque  de  Luçon.  —  Le  cavalier  rassurant  ceux  que  sa 
vue  effrayait.  —  Renvoi  aux  lettres  de  Perceval,  de  Boulainvilliers  et 
d'Alain  Chartier 322-329 

CHAPITRE  VllI  (p.  324-350). 

I.\   libératrice,   d'après    CHARLES   VII. 

I.  —  Lettres  annonçant  les  victoires  remportées  a  ia  suite  de  la  Pucelle.  — 
Lettre  aux  habitants  de  Narbonne.  —  Le  double  ravitaillement  d'Orléans.  — 
Prise  de  la  bastille  Saint-Loup.  —  Recouvrement  de  Vendôme.  —  Les 
espérances  du  roi.  —  Il  demande  des  prières  el  des  actions  de  grâces.  — 
Avant  l'envoi  de  ces  lettres,  une  suite  de  courriers  annoncent  les  événe- 
ments qui  ont  amené  la  délivrance  d'Orléans.  —  Les  prouesses  et  les  mer- 
veilles de  la  Pucelle  sont  au  dire  de  tous  au-dessus  de  toute  louange.  — 
Lettre  au  conseil  Delphinal,  —  Les  merveilles  accomplies  le  xviii  juin  par  le 


TABLE  DES  MATIÈRES.  6 

duc  d*Âlençon  et  les  autres  capitaines  étant  avec  la  Pucelle.  —  invita- 
tion à  la  joie  et  à  la  prière.  —  Rebauteau  annonce  de  Lyon  que  Paris  est 
soulevé  contre  TAnglais,  et  que  diaprés  Talbot  tout  est  perdu  en  France 

pour  les  envahisseurs.  —  Remarques  sur  ces  lettres 325-3 

il.  —  Lettres  d'anoblissement  de  Gut  de  Cailli.  —  La  Pucelle  anoblie  dans 
la  personne  de  Gui  de  Cailli  pour  lequel  elle  avait  réclamé  cette  faveur.  — 
La  copie  de  ces  lettres  conservée  par  Peiresc  ;  elle  est  dans  ses  manuscrits 
à  Carpentras.  —  Texte  :  —  Les  bienfaits  de  Dieu  présents  à  la  mémoire  de 
Charles.  — >  Ils  lui  sont  départis  par  le  ministère  de  la  Pucelle.  —  Les  mérites 
de  la  Vierge  à  son  endroit  sont  infinis  et  au-dessus  de  toute  récompense. 

—  Les  faveurs  royales  doivent  s'étendre  sur  ceux  qui  la  secondent.  —  Elle 
a  signalé  spécialement  Guy  de  Cailli.  —  Guy  de  Cailli  Ta  reçue  dans  son 
château  de  Reuiliy  quand  elle  allait  entrer  à  Orléans.  —  Il  a  été  favorisé 
de  Tapparition  des  anges  qui  conduisaient  la  Pucelle.  —  Son  honorabilité, 
ses  services.  —  Noblesse  accordée  ou  renouvelée.  —  Divers  privilèges.  — 
Concession  d'armes  rappelant  l'apparition  des  anges 330-3: 

111.  —  Exemption  d'impôts  concédée  a  Domrémy  et  a  Greux,  et  vicissitudes  du 
PRIVILÈGE.  —  La  Pucelle  demande  et  obtient  exemption  d'impôts  pour  Dom- 
rémy et  Greux.  —  L'original  perdu.  —  Copie  authentique,  sa  teneur.  — 
En  1769,  l'intendant  de  Lorraine,  La  Galissière,  fait  l'historique  du  privi- 
lège.—  Par  une  anomalie  singulière,  Domrémy  l'avait  perdu  lorsqu'il  avait 
été  cédé  au  Barrois,  tandis  que  Greux,  resté  du  domaine  royal,  en  avait 
constamment  joui  ;  zèle  avec  lequel  les  rois  le  lui  avait  maintenu.  —  A  la 
réunion  de  la  Lorraine  à  la  France,  Domrémy  demande  très  justement  à 
être  remis  en  possession  de  la  faveur  royale.  —  Absurde  fin  de  non-rece- 
voir  du  conseil  royal.  —  A  l'avènement  de  Louis  XVI,  Domrémy  renou- 
velle sa  demande,  Greux  sollicite  confirmation  du  passé.  —  Dédaigneux  et 
absurbes  prétextes  allégués  par  d'Ormesson  pour  refuser  la  demande  et  la 
confirmation.  —  Rien  de  plus  odieux  que  l'anéantissement  du  privilège 
dans  pareille  circonstance.  —  il  sera  rétabli,  si  jamais  la  France  a  un  gou- 
vernement digne  d'elle , . . . .    333-3^ 

iV.  —  Lettres  d'anobussement  de  la  Pucelle  et  de  sa  famille.  —  L'original  en 
est  perdu.  —  Les  diverses  copies.  —  Préférence  donnée  au  texte  d'Hordal. 

—  Traduction  de  ce  texte.  —  Fautes  des  copies  de  1562  et  1768.  —  Com- 
bien les  lettres  d'anoblissement  de  la  Pucelle  et  de  de  Cailli  s'écartent  de 
la  forme  de  semblables  pièces.  —  La  substance  de  ces  dernières.  —  La  fin. 

—  Ordinairement  la  noblesse  conférée  à  un  seul  et  à  sa  postérité.  —  Com- 
bien celles  des  lettres  d'anoblissement  de  la  Pucelle  sont  étendues,  encore 
que  les  nouveaux  nobles  n'aient  d'autres  titres  que  de  lui  être  unis 
par  le  sang.  —  Les  femmes  n'anoblissaient  pas  leurs  enfants,  c'est  le  con- 
traire ici.  —  Pour  être  anobli,  il  fallait  être  de  condition  libre,  la  no- 
blesse est  ici  concédée  encore  que  les  nouveaux  nobles  fussent  peut-être 
d'une  condition  non  libre.  —  Remarques  sur  cette  incise.  —  Réfutation 
de  ceux  qui  rougissent  de  la  condition  et  de  la  pauvreté  de  la  Libératrice. 

—  Certaines  assertions  burlesques.  —  C'est  un  trait  de  ressemblance  de 

plus  de  la  Libératrice  de  la  France  avec  le  Libérateur  du  genre  humain. . .     343-35 
V^  —  Ênumération  d'autres  actes  de  Charles  VU  en  faveur  de  la  Pucelle 3S 

CHAPITRE  iX  (p.  351-364). 

JEAN   R0GIER.  —  LA  CAMPAGNE   DU   SACRE,   d'aPRÉS   UN   RÉSUMÉ  DES   ARCHIVES   DE   REIMS. 

1.  —  Le  résumé  des  archives  de  Reims  par  Jean  Rogier.  —  Ce  qu'était  Rogier.    351  -3S 
IL  —  Le  Dauphin  en  marche  pour  Reims.  —  D'après  ce  qu'écrivait  le  duc  de 


682  TABLE  DES  MATIÈRES. 

Bourgogne,  des  Rémois  lui  avaient  promis  Tentrée  dans  la  ville.  —  Ce 
qui  lui  avait  donné  la  hardiesse  de  s'avancer  dans  un  pays  entièrement 
ennemi.  —  Mêmes  nouvelles  de  la  part  des  habitants  de  Troyes,  qui  disent 
le  tenir  d'un  Cordelier,  qui  est  entre  leurs  mains.  —  Us  sont  résolus  à  ré- 
sister jusqu'à  la  mort.  —  Ils  donnent  avis  de  la  marche  de  Charles,  qui 
leur  a  écrit  pour  requérir  obéissance.  —  Lettre  de  la  Pucelle  aux  mêmes 
Troyens.  —  Ceux-ci  envoient  à  Reiras  message  sur  message  pour  prévenir 
de  l'arrivée  du  Dauphin  et  demander  secours.  —  Ils  protestent  de  leur 
détermination  de  rester  anglo-bourguignons;  ils  déprécient  la  Pucelle  et 
sa  lettre.  —  Mômes  sentiments  exprimés  par  les  habitants  de  Ch&lons.  — 
Leur  étonnementdu  rôle  de  Frère  Richard.  —  Charles  a  écrit  aux  Rémois, 
de  Brienon-rÂrchevêque,  pour  requérir  obéissance  et  promettre  amnistie. 

—  Les  Rémois  avertissent  de  tout  leur  capitaine  de  Ch&tillon,  qui  est  à 
Château-Thierry.  —  Celui-ci  ne  veut  se  charger  de  la  défense  de  la  ville 
qu'à  la  condition  d'introduire  ses  hommes,  l'armée  destinée  à  combattre  le 
Dauphin  n'étant  pas  encore  prête.  —  On  s'efforce  de  maintenir  les  Rémois 
anglo-bourguignons 352-359 

III.  —  Les  Troyens  ayant  fait  leur  soumission  pressent  les  Rémois  de  la  faire 
aussi.  —  Ils  disent  combien  ils  sont  heureux  de  ce  parti.  —  Le  seigneur 
de  Trossy,  frère  de  Châtillon,  les  en  dissuade,  en  rapportant  à  sa  manière 
la  soumission  de  Troyes.  —  Mépris  déversé  sur  la  Pucelle;  indigne  rappro- 
chement. —  Les  habitants  de  Chàlons,  soumis  à  leur  tour,  pressent  les 
Rémois  de  faire  obéissance  à  Charles  VU.  —  Bel  éloge  du  roi.  —  Les  Ré- 
mois envoient  une  députation  à  Charles  à  Sept-Saulx 359-361 

IV.  —  Résumé  de  soixante-dix  lettres  écrites  par  le  roi  après  le  sacre.  —  Leur 
objet.  —  Résumé  de  quatre-vingt-quinze  lettres  écrites  par  Regnault  de 
Chartres  à  sa  ville  épiscopale.  —  Confusion  de  ce  résumé  où  n'est  tenu  au- 
cun compte  de  l'ordre  chronologique.  —  Ce  qui  est  dit  de  la  Pucelle  dans 
ces  lettres.  —  Il  est  manifeste  que  ce  n'est  pas  dans  une  seule  qu'il  en  est 

parlé 361-364 

CHAPITRE  X  (p.  364-372). 

LE   SACRE.   —   LETTRES  DES  TROIS  SEIGNEURS  ANGEVINS, 
ET   DE  JACQUES   DE   BOURBONS. 

I.  —  Lettre  des  trois  seigneurs  angevins  a  la  reine  et  a  sa  mère.  —  Les  desti- 
nataires de  la  lettre.  —  Ceux  qui  écrivent.  —  Où  et  par  qui  fut  trouvée 
cette  lettre  et  par  qui  elle  en  fut  d'abord  publiée.  —  Récente  découverte  d'une 
autre  copie.  —  Texte  :  Solennité  du  sacre.  —  Les  pairs  laïques,  les  pairs 
ecclésiastiques.  —  Le  cortège  de  la  sainte  ampoule  apportée  et  rapportée. 

—  Durée  de  lacérémonie.  —  Acclamations  enthousiastes.  —  Attitude  de  la 
Pucelle.  —  L'entrée  du  roi  à  Troyes,  à  Chàlons,  à  Reims.  —  Marche  directe 
du  roi  sur  Paris.  —  La  présence  du  duc  de  Bourgogne  à  Laon,  de  ses  am- 
bassadeurs à  Reims.  —  Espérance  de  la  paix.  —  La  Pucelle  assurée  de 

de  mettre  le  roi  dans  Paris 364-367 

II.  Lettre  de  Jacques  Bourbon  La  Marche  a  l'évêque  de  Laon.  —  Sa  découverte 
dans  les  manuscrits  de  Vienne.  —  Traduite  et  publiée  par  Siméon  Lucc 
dans  la.  Revue  Bleue.  —  Le  destinataire.  —  11  est  étrange  qu'on  lui  écrive 
ce  qu'il  devait  mieux  savoir  que  le  correspondant.  —  Inexactitude,  fausse- 
tés, impossibilités  qui  abondent  dans  celte  lettre.  —  La  lettre 367-372 


TABLE  DES  MATIÈRES.  683 

CHAPITRE  XI  (p.  372-381). 

DEMANDES    DE    SUBSIDES    POUR    LE    SIÈGE    DE    LA    CHARITÉ.    —    JEANNE    CAPTIVE 
ET   LE  PARTI  FRANÇAIS.  —   SUR  LE  CHEMIN   DU   CALVAIRE   DE  ROUEN. 

I.  —  Lettre  du  sire  d'Albret  aux  habitants  de  Riom.  —  Demande  instante 
d*approvisionnements  de  guerre  afin  de  pouvoir  continuer  la  campagne.  — 
La  ville  de  Bourges  s'impose  pour  envoyer,  sur  la  demande  du  roi,  treize 
cents  écus  d'or  au  sire  d'Albret  et  à  Jeanne  d*Arc  devant  La  Charité.  —  11 
est  douteux  que  le  secours  soit  arrivé  temps.  —  Les  soudoyers  condam- 
nés à  vivre  de  pillage 373-  376 

II.  —  La  prise  de  Jeanne.  —  Sentiments  du  vrai  parti  national 376-377 

III.  —  Abbeville  désireux  de  redevenir  français.  —  Punition  de  ceux  qui  par- 
lent contre  la  Pucelle 377-  378 

IV.  —  Jeanne  d'Arc  à  Drug^  et  au  Crotoy.  —  Sentiments  de  compassion, 
notemment  de  la  part  des  dames  d'Abbeville.  —  Visites  qu'elles  lui  font. 
—  Profond  souvenir  d'édification  laissé  par  son  passage.  —  Son  confesseur, 
maître  Nicolas  de  Queuville.  —  La  chronique  de  Jean  Chapelle 378-  381 

CHAPITRE  XII  (p.  381-390). 

DIVERS   PASSAGES   SUR   LA  PUCELLE,   EXTRAITS   DES  AUTEURS   DU   XV*   SIÈCLE. 

l.  —  Fragment  d'une  Chronique  d'un  auteur  inconnu 382-383 

H.  —  La  Chronique  de  la  Normandie 383-  384 

m.  —  Passages  de  divers  auteurs  du  xv«  siècle  :  Pierre  de  Gros,  Guy  Pape, 

Simon  Phares, Jean  Champier 384-385 

IV.  —  Robert  Blondel  :  Notice.  —  Divers  passages  sur  Jeanne  d'Arc  dans 
VOi'atio  historialis.  —  Mission  du  roi  de  France.  —  Passage  tiré  de  son 
ouvrage  :  Reductio  Normanniœ 385-390 


LIVRE   IV 

PARTI    ANQLO-BOURQUIQNON    ~    CHRONIQUES    ET    DOCUMENTS    PLUS     MODÉRÉS 


BN6UERRAND    MONSTRE LBT    (p.   393-394). 
CHAPITRE  PREMIER  (p.   394-400). 

LE   SIÈGE  d'ORLÉANS. 

L  —  Armée  d'élite  levée  en  Angleterre  par  Salisbury  et  menée  en  France.  — 
La  conquête  d'Orléans  décidée  dans  les  conseils  tenus  à  Paris.  —  L'armée 
de  Salisbury  renforcée  par  les  contingents  levés  en  Normandie.  —  Grands 
capitaines.  —  Conquête  de  places  de  médiocre  importance 394-395 

II.  —  Préparatifs  de  défense  des  Orléanais.  —  Les  faubourgs  et  leurs  églises 
rasés,  —  Vaillante  attaque  et  vaillante  défense.  —  Salisbury  maître  de  la 
tête  du  pont.  —  Mortellement  blessé  lorsqu'il  contemple  la  ville.  —  Ses 
dernières  recommandations 395-  397 

III.  —  Le  siège  continué  par  les  Anglais  sous  la  conduite  de  Suffolk.  —  Efforts 


flU  TABLB  DES  MATIÈRES. 

de  Charles  VII  pour  défendre  Orléans.  —  Noms  de  quelques  défenseurs. 
—  Détresse  de  Charles  VII.  — -  Abandon  dont  il  est  l'objet  —  Sa  conQitnce 
en  Dieu 397-398 

IV.  —  Journée  des  Harengs.  —  Dispositions  prises  par  les  Anglo-Boui^i- 
gnons.  —  Présomption  des  Français.  —  Désordre  dans  leur  attaque.  — 

Leur  ignominieuse  défaite  ;  leurs  perles.  —  Désespoir  de  Charles  VII 398-399 

V,  —  Le  duc  de  Bourgogne  à  Paris,  dans  les  premiers  jours  d'arril.  —  Am- 
bassade des  Orléanais  demandant  que  leur  ville  soit  remise  entre  leurs 
mains  comme  ville  neutre.  —  Délibération  du  conseil  et  refus  plein  de 
mépris.  —  Orléans  doit  se  rendre  aux  Anglais.  —  Les  Orléanais  disposés  k 
tout  souffrir  plutôt  que  de  devenir  Anglais.  —  Le  duc  de  Bourgogne  con- 
tent de  la  proposition  des  Orléanais.  —  Froissé  des  multiples  refus  des 
Anglais 399-  *00 

CHAPITRE  11  (p.  401-40S). 

LA   PUCELLE  jusqu'à  LA  DËUVRAKCE  D'ORLÈANS. 

I.  —Jeanne  d'Arc  à  Chinon.  —  Son  âge. — Son  costume.  —  Son  pays.  —Son 
passé.  —  Son  escorte.  —  Ce  qu'elle  propose  au  roi.  —  Près  de  deux  mois 
d'attente.  —  Traitée  d'abord  de  folle.  —  Examinée,  ne  parle  que  de  Dieu. 
—  Finit  par  être  écoutée,  par  être  armée.  —  Son  étendard.  —  Le  ravitail- 
lement décidé ■ 

II.  —  Extrémité  k  laquelle  Orléans  est  réduit.  —  Ravitaillement  opéré  malgré 
les  Anglais.  —  Nombre  de  combattants  introduits.  —  La  Pucelle  presse 
l'attaque  des  ennemis.  —  Son  assurance.  —  Prise  de  Saint>Loup.  —  Dé- 
tails. —  Seconde  bastille  enlevée.  —  Prise  de  la  bastille  du  bout  du  pont 
après  un  combat  acharné.  —  Les  morts.  —  Joie  des  Orléanais 

III.  —  Les  Anglais  abandonnent  le  siège.  —  Comment.  —  Joie  et  butin  des 
Orléanais 

CHAPITRE  m   [p.  405-411). 

I.A    CAMPAGNE   DE    LA    LOlHf,. 

I.  —  Le  roi  pressé  de  poursuivre  la  victoire.  —  Formation  do  l'armée  à 
Orléans.  —  Délibération.  —  Rôle  de  la  Pucelle.  —  Entrée  en  campagne. 
L'armée.  —  Marche  sur  Jargeau.  —  Les  Anglais  demandent  du  secours  à 
Rcdford.  —Force»  envoyées  par  ce  dernier 40C-WT 

II.  —  Attaque  des  Français  contre  Jargeau.  —  La  ville  emportée  d'assaul. 

—  Pertes  des  Anglais.  —  Soumission  de  Meung.  —  Attaque  contre  Bau- 
gency.  —  La  Puccllc  toujours  à  la  lète  de  l'armée.  — Sa  renommée  éclipse 
celle  des  autres  capilaines,  jelle  le  découragement  dans  l'armée  anglaise, 
rend  leurs  chefs  irrésolus.  —  Capilulation   de  la  garnison  de  Baugency. 

—  Conditions.  —  Elle  se  retire.  —  Sur  l'avis  de  la  Pucelle,  les  Français  se 
déterminent  à  aller  au-devant  de  l'armée  anglaise  venant  de  Paris 407-408 

III.  —  Marche  de  l'armée  française.  —  La  victoire  prédite  par  la  Pucelle.  — 
L'avant-garde  française.  —  Un  cerf  fait  découvrir  l'armée  anglaise.  — 
Avis  au  gros  de  l'armée.  —  L'armée  anglaise  cherche  h  prendre  ses  posi- 
tions. —  Elle  est  surprise  par  l'attaque  impétueuse  de  l'avant-gardc,  en- 
veloppée. —  Son  entière  défaite.  —  Ses  pertes.  —  Actions  de  grAces  des 
vainqueurs  ;  ce  qu'on  attendait  de  la  Pucelle.  —  Le  roi  déterminé  i  pour- 
suivre ses  succès.  —  Fastolf  opposé  à  ce  qu'on  livrât  la  bataille  de  Patay. 

—  Ses  motifs.  —Il  est  dégradé,  réintégré 408- *H 


TABLE  DES  MATIÈRES.  685 

CHAPITRE  IV    (p.   411-414). 

LA   CAMPAGiNE   DU   SACRE. 

I.  —  Convocation  des  guerriers  à  Bourges  et  à  Gien.  —  Noms  des  princi- 
paux seigneurs.  —  Jeanne  d^Arc  et  Frère  Richard.  —  Le  Connétable  en 
Normandie.  —  Acheminement  vers  Auxerre.  —  Soumission  de  Saint- 
Florentin  et  de  Saint-Fargeau.  —  Négociations  avec  Auxerre.  —  Compo- 
sition       41 1-413 

II.  —  Campement  devant  Troyes.  —  Soumission  de  la  ville,  et  de  nombreux 
châteaux  tout  autour 413 

III.  —  Les  clefs  de  Châlons  apportées  à  Troyes.  —•  Entrée  dans  la  ville.  — 
Les  clefs  de  Reims  apportées  à  Châlons.  —  La  crainte  de  la  Pucelle  amène 
la  soumission  de  Reims,  malgré  les  capitaines  anglo-bourguignons.  —  Ces 
derniers  se  retirent.  —  Intervention  de  TArchevôque-chancelier.  —  Le 
cérémonie  du  sacre.  —  Le  dîner  à  Tarchevôché.  —  Le  neveu  de  TArche- 

vèque  capitaine  de  Reims 413-414 

CHAPITRE   V    (p.   414-427). 

LA  CAMPAGNE  APRÈS  LE  SACRE. 

i.  —  Itinéraire  triomphant  de  Charles  VII  à  travers  les  villes  qui  se  sou- 
mettenL  — La  Hire,  bailli  de  Vermandois.  —  Château-Thierry  abandonné 
par  les  Bourguignons.  —  Motifs 41 5 

11.  —  Armée  de  dix  mille  hommes  réunie  par  Bedford.  —  Il  se  met  en  cam- 
pagne. —  Lettre  qu'il  adresse  à  Charles  Vil  :  reproches  de  s*aider  d'une 
femme  désordonnée  et  d'un  moine  apostat,  de  pousser  les  peuples  à  se  par- 
jurer, de  fuir  le  combat.  —  Invitation  à  une  entrevue.  —  Reproches  du 
meurtre  de  Montereau.  —  Appel  à  Dieu 416-418 

UI.  —  Bedford  sur  les  marches  de  llie-de-France.  —  Rencontre  des  deux  ar- 
mées près  de  Senlis.  —  Forte  position  de  Bedford.  —  Disposition  de  son 
armée.  —  Les  vivres  fournis  par  Senlis.  —  La  disposition  de  Tarmée  de 
Charles  VU.  —  La  Pucelle.  —  Les  armées  sont  en  présence  pendant  deux 
jours.  —  Fortes  escarmouches.  —  Animation  des  deux  côtés.  —  Pas  de 
quartier.  —  300  morts.  —  Les  armées  se  séparent 418-  420 

IV.  —  Les  ambassadeurs  de  Charles  VII  à  Arras.  —  Le  chancelier  porte  la 
parole.  —  La  paix  regardée  comme  certaine.  —  Soumission  de  Compiègne, 

—  Les  ambassadeurs  bourguignons  viennent  y  trouver  le  roi.  —  Ceux  qui 
combattent  la  conclusion  de  la  paix 420-422 

V.  —  (iharles  VII  quitte  Compiègne  où  il  laisse  Flavy  pour  gouverneur.  — 
Soumission  de  Senlis  et  d'une  foule  d'autres  places.  —  D'autres  n'atten- 
dent que  sa  venue.  —  Pourquoi  Charles  VU  ne  poursuit  pas  ses  conquêtes. 

—  Il  vient  à  Saint-Denis.  —  La  Pucelle  pousse  à  l'assaut  de  Paris.  — 
Attaque.  —  Assaut  âpre.  —  Défenseurs  de  Paris.  —  Blessure  de  Jeanne. 

—  La  retraite  sonnée  à  l'improviste  ;  ce  qui  confirme  les  Parisiens  dans 

leur  résistance 422-424 

VI.  —  Charles  VII  nomme  des  gouverneurs  des  pays  nouvellement  conquis 

et  revient  vers  le  Berry 424-425 

VU.  —  Trêves.  —  Le  pont  Sainte-Maxence  remis  aux  Bourguignons.  —  Ra- 
vages sur  les  marches  de  France  et  du  Beauvaisis.  —  Grâce  à  ces  trêves,  le 
duc  de  Bourgogne  traverse  insolemment  les  pays  récemment  conquis, 
vient  à  Paris  resserrer  son  alliance  avec  Bedford,  et  est  nommé  gouver- 


686  TABLE  DES  MATIÈRES. 

neurdela  capitale.  —  Guerres  durant  les  trêves;  artifices  des  Bourguignons. 

—  Préparatifs  pour  la  reprise  des  hostilités  après  Piques 42^-427 

CHAPITRE  VI  (p.  427-435). 

LA   SUITE  DES   EXPLOITS   DE   LA   PUCELLE,  SA  CAPTIVrrÉ   ET    SON   MARTYRE. 

I.  —  Le  duc  de  Bourgogne  entre  en  campagne  en  s'emparont  de  Goumay- 
sur-Aronde.  —  Siège  de  la  forteresse  de  Choisy.  —  Elle  est  prise  et  rasée. 

—  Les  Anglais  à  Pont-l'Évèque.  —  Tentative  de  Jeanne  pour  les  en  débus- 
quer       428429 

II.  —  Préparatifs  du  siège  de  Compiègne.  —  Distribution  des  divers  corps  de 
Tarmée  assiégeante.  —  La  défaite,  la  prise  et  Texécution  de  Franquet. . .    429-430 

III.  —  Attaque  de  Jeanne  contre  Margny.  —  Visites  que  le  capitaine  recevait 
en  ce  moment.  —  Le  capitaine  de  la  forteresse,  Baudot  de  Noyelle.  —  Les 
Français  forcés  à  la  retraite.  —  Jeanne  la  protège.  —  Arrivée  des  Anglais. 

—  L'héroïne  est  prise.  —  Grande  joie  des  assiégeants.  —  Elle  est  visitée 
par  le  duc  de  Bourgogne.  —  Remise  à  la  garde  de  Jean  de  Luxem- 
bourg      430-432 

IV.  —  Monstrelet  passe  sous  silence  le  récit  de  la  captivité,  du  procès  et  du 
martyre,  et  se  contente  de  reproduire  la  lettre  de  la  cour  d'Angleterre  au 

duc  de  Bourgogne 432-435 

LA    CHRONIQUE  DITE    DES  GORDELIERS.  -  SA    SINGULI&RE 

IMPORTANCE   (p.   436-438). 

CHAPITRE  VII  (p.  438-444). 
DEPUIS  l'arrivée  a  chino'  jusqu'a  la  publication  des  trêves, 

1.  —  La  Pucelle.  —  Son  innocence.  —  Sa  mission.  —  Conduite  à  Chinon.  — 
Reçue  par  le  Dauphin.  —  Regardée  comme  folle  par  le  plus  grand  nombre. 

—  Armée.  —  Suit  la  guerre.  —  Son  étendard.  —  Constante  dans  l'affirma- 
tion de  sa  mission.  —  Orléans  délivré,  places  recouvrées.  —  Patay 439-440 

H.  —  La  Pucelle  à  coté  du  Dauphin.  —  Sa  grande  renommée.  —  Aucune 
ville  ne  peut  résister  à  ses  sommations.  —  Troyes  se  rend  quoique  très 
attaché  au  duc  de  Bourgogne.  —  Le  duc,  à  Paris,  s'entend  avec  son  beau- 
frère  et  amène  sa  sœur  avec  lui.  —  Le  duc  de  Bar  au  siège  de  Metz  en 
juillet.  —  Conquêtes  de  la  Pucelle.  —  Elle  éclipse  la  renommée  des  capi- 
taines. —  Leur  jalousie.  —  Résistance  de  Perrinet  Grasset 440-441 

III.  —  Les  habitants  de  Reims  promettent  fidélité  au  duc  de  Bourgogne.  — 
En  attendant,  la  Pucelle  fait  de  nouvelles  conquêtes.  —  Reims  se  soumet. 

—  Le  sacre.  —  La  Pucelle  armée  et  non  armée.  —  Son  costume.  —  Sou- 
mission de  Laon.  —  La  Hire,  bailli  du  Vermandois.  —  Soumission  de  Sois- 
sons,  de  Senlis,  et  pas  de  Noyon 441-442 

IV.  —  L'armée  devant  Paris.  —  Pertes  près  de  Saint-Laurent.  —  Assaut  à 
la  descente  de  Montmartre.  —  Merveilleux  courage  de  la  Pucelle.  —  Elle 
est  blessée.  —  Secours  reçus  d'Angleterre  par  le  régent.  —  Conférences 
pour  la  paix, près  de  La  Fère.  —  Sans  résultats.  —  Les  villes  qui  font  sou- 
mission au  Dauphin,  et  celles  qui  ne  la  font  pas.  —  Lettres  du  régent  au 
Dauphin.  —  Charles  continue  ses  conquêtes.  —  Les  deux  armées  en  pré- 
sence durant  trois  jours.  — Les  Anglais  refusent  de  sortir  de  leur  parc.  — 
Soumission  de  Beauvais  et  des  pays  environnants 442-444 


TABLE  DES  MATIÈRES.  687 

CHAPITRE  VllI  (p.  444-444). 

TRÊVES  FALLACIEUSES.   —  COMPIÈGNE.   —  PRISON   ET  SUPPLICE  DE  LA   PUCELLE. 

!.  —  A  la  suite  de  conférences,  des  trêves  sont  conclues  entre  Charles  Vil  et 
le  duc  de  Bourgogne,  à  la  date  du  28  août  ;  elles  sont  immédiatement  exé- 
cutoires. —  La  teneur  de  ces  trêves  publiées  le  14  octobre.  —  Liberté  aux 
Anglais  d'accéder;  au  duc  de  Bourgogne  de  défendre  Paris.  —  Ampliation 
de  ces  trêves  le  18  septembre.  —  Le  gouvernement  de  Paris  et  Tlle-de- 
France  confié  au  duc  de  Bourgogne.  —  Combien  absurdes  ces  trêves 444-450 

II.  —  Les  Anglais  n'accèdent  pas.  —  Le  duc  de  Bourgogne  pourvoit  à  la  sécu- 
rité de  Paris  et  rentre  en  Flandre.  —  Continuation  des  pourparlers.  —  Le 
duc  de  Bourgogne  ne  veut  pas  de  la  paix.  —  Il  convoite  Compiègne  qui 
lui  a  été  promis  et  que  Flavy  refuse  de  livrer 451 

m.  —  La  guerre  recommence  (ouvertement).  —  Entrée  en  campagne.  — 
Anglais  envoyés  à  Paris  à  la  suite  d'un  complot  découvert.  —  Conquête 
de  plusieurs  places  par  les  Bourguignons.  —  Le  roi  d'Angleterre  arrive  à 
Calais;  vaisseaux.  —  Provisions  et  hommes  d'armes  disséminés  là  où  le 
besoin  est  plus  urgent.  —  Henri  VI  à  Bouen  en  juillet  seulement.  —  Choisy 
assiégé  et  emporté  par  le  duc  de  Bourgogne.  —  Vigoureuse  attaque  de  la 
Pucelle  contre  les  Anglais  qui  gardent  Pont-l'Évêque.  —  Elle  est  repoussée.    451-452 

IV.  —  Le  siège  mis  devant  Compiègne.  —  VaiQance  des  assiégés.  —  Mer- 
veilleux courage  de  la  Pucelle.  —  Elle  est  prise 452-453 

V.  —  Grand  bruit  fait  par  cette  capture.  —  Joie  des  Bourguignons,  deuil 
des  Français.  —  Jeanne  tente  de  s'échapper  de  Beaurevoir.  —  Ce  par  quoi 
elle  se  glissait  rompt.  —  Ses  meurtrissures.  —  Elle  est  vendue  aux  Anglais. 

Procès 453 

VI.  —  Solennité  de  la  rétractation  (prétendue)  de  la  Pucelle.  —  Elle  reprend 
ses  vêtements  virils.  —  Condamnée,  brûlée,  pourquoi  ses  cendres  sont 

jetées  à  la  Seine , 454 

GILLES   DE   ROTE. 

LES    CHRONIQUES   BELGES.    ~    CELLE  DE  GILLES  DE  ROYE  (p.  454-455). 

CHAPITBE  IX  (p.  453-459) . 

LA  CHRONIQUE    DE    GILLES  DE   ROYE. 

1.  —  Salisbury  met  le  siège  devant  Orléans.  -  Combat  de  Bouvray.  — 
Mort  de  Salisbury.  —  Arrivée  de  la  Pucelle.  —  Étendue  de  la  mission 
qu'elle  dit  avoir.  —  Examinée.  —  Épée  de  Fierbois.  —  Bavitaillement 
d'Orléans.  —  Comment,  dans  leur  extrême  détresse,  les  Orléanais  avaient 
voulu  traiter  avec  les  Anglais 455-456 

IL  —  La  Pucelle  fait  lever  le  siège.  —  Meung,  Baugency.  —  Particularités 
sur  la  victoire  de  Patay.  —  L'armée  du  sacre.  —  Le  Connétable  écarté  par 
La  Trémoille.  —  La  guerre  de  la  Pucelle  aux  femmes  de  mauvaise  vie.  — 
Conditions  faites  à  Auxerre  et  mécontentement  de  la  Pucelle.  —  Soumis- 
sion de  Troyes,  grâce  à  la  Pucelle.  —  La  composition.  —  Soumission  de 
Chàlons,  de  Beims.  —  Le  sacre 436-457 

111.  —  Marche  triomphale  de  Charles  Vil.  —  Bedford  demande  la  bataille  et 
la  fuit.  —  Charles  Vil  arrêté  à  Bray-sur-Seine.  —  Contraint  de  continuer 
ses  conquêtes.  —  Les  deux  armées  en  présence  à  Mitry.  —  Soumission  de 


688  TABLE  DES  MATIÈRES. 

Crépy.  —  Gompiègne.  —  Senlis.  —  Beauvais.  —  Bedford  s'éloigne  de 
Paris.  —  La  ville  confiée  à  Tévôque  de  Thérouanne.  —  Charles  Vil  à  Saint- 
Denis.  —  La  tentative  contre  Paris  échoue  par  le  désaccord  des  capitaines 

français.  —  Retraite  du  roi.  —  Le  pays  ravagé 458 

IV.  —  Les  assiégeants  de  Gompiègne.  —  La  Pucelle  dans  la  place.  —  Sa 
prise.  —  Elle  est  conduite  à  Noyon  à  la  duchesse  de  Bourgogne.  —  Vendue 
aux  Anglais.  —  Le  chroniqueur  ne  veut  pas  se  prononcer  sur  la  sentence.  439 

GEORGES   GHA8TELAIN    ET   SA   CHRONIQUE  (p.  459-460). 

GHAPITRE  X  (p.  461-468). 

I.  —  Le  duc  de  Bourgogne  vient  assiéger  Gompiègne.  —  Préparatifs  de  dé- 
fense des  assiégés.  —  Assiette  du  camp.  —  Nombreux  concours  autour  du 

duc  de  Bourgogne 461-462 

II.  —  Fouquet  d'Arras.  —  La  Pucelle  le  rencontre  revenant  du  pillage.  — 
Gombat  acharné.  —  Franquet  prisonnier,  exécuté 462-463 

III.  —  Diligence  du  duc  au  siège  de  Gompiègne.  —  La  Pucelle  dans  la  ville. 

—  Ge  que  lui  prête  le  chroniqueur.  —  La  sortie.  —  Portrait  de  la  Pucelle 
allant  au  combat.  —  Attaque  contre  Margny  où  campe  Baudo  de  Noyelle. 

—  Visiteurs  quMl  recevait  en  ce  moment.  —  Premier  succès  de  la  Pucelle. 

—  Toute  Tarmée  assiégeante  accourt.  —  La  troupe  de  la  Pucelle  enve- 
loppée se  retire.  —  Magnanimité  de  Théroïne  protégeant  la  retraite.  — 
Elle  est  prise.  —  Le  preneur  aussi  joyeux  que  s'il  avait  pris  un  roi.  —  Gom- 
pagnons  de  captivité.  —  Joie  du  duc  et  du  camp  tout  entier.  —  La  Pucelle 
visitée  par  le  duc.  —  Sa  longue  captivité  à  Beaurevoir 463-466 

1\^^.  —  Livrée  aux  Anglais.  —  Le  procès  de  Rouen  d'après  le  chroniqueur.  — 
Précaution  de  Gauchon  pour  se  couvrir.  —  L'Université  de  Paris.  —  Ins- 
tances pour  faire  rétracter  l'accusée.  —  Instances  de  la  cour  d'Angleterre 
pour  faire  publier  le  récit  menteur  expédié  par  elle 466-468 

LE   NOTAIRE    PIERRE    COCHON    ET   SA    CHRONIQUE    (p.    468-469). 

GHAPITRE   Xï  (p.  469-473). 

1.  —  Siège  et  délivrance  d'Orléans.  —  Idée  qu'on  se  faisait  de  la  Pucelle.  — 
Prise  des  villes  desbord^  de  la  Loire.  —  Bataille  de  Patay.  —  Profond  décou- 
ragement des  Anglais.  —  Rapidité  des  conquêtes  avant  et  après  le  sacre. 

—  Terreur  inspirée  par  la  Pucelle.  —  Concours  que  lui  prête  le  peuple. . .     470-471 
IL  —  Rencontre  près  de  Senlis.  —  Inaction  des  Anglais  retranchés  dans  leur 

camp.  —  Retraite  des  Français  faute  de  vivres,  retraite  des  Anglais.  — 
Siège  de  Paris.  —  Famine  dans  Paris.  —  Assaut  donné  à  la  ville.  —  Elle 
est  sur  le  point  d'être  emportée.  —  Victoire  arrêtée  par  La  Trémoille,  par 
un  message  du  Bourguignon.  —  Mécontentement  des  assaillants.  — Trêves. 

—  Retraite  de  Charles  VII.  —  Pont  jeté  sur  la  Seine 471-473 

LE    GREFFIER    DU    PARLEMENT    DE    PARIS, 

CLÉMENT    DE    FAUQUEMBERGUE 

ET   SES   NOTES    DANS  LES  REGISTRES  JUDICIAIRES  (p.  473-474). 

CHAPITRE  Xlï  (p.  474-480). 

I.  —  10  mai  1429  :  Bruit  à  Paris  de  la  défaite  des  Anglais  à  Orléans.  — 
14  juin  :  Les  Anglais  vaincus  à  Jargeau.  —  Présence  de  la  Pucelle.  — 


TABLE  DES  MATIÈRES.  689 

18  juin  :  La  défaite  des  Anglais  à  Patay.  —  Les  prisonniers.  —  i9  juillet  : 
Le  sacre  de  Charles  de  Valois  à  Reims  le  17.  —  25  juillet  :  Entrée  à  Paris 
du  cardinal  de  Winchester  avec  six  mille  soldats  recrutés  contre  les  hus- 
sites.  —  Attente  du  duc  de  Bourgogne.  —  Ses  préparatifs  de  guerre.  —  l^es 
conquêtes  de  Charles  de  Valois.  —  3  août  :  Départ  du  cardinal  pour  Rouen, 
et  de  Bedford  à  la  tète  d'une  armée  pour  la  Brie.  —  26  août  :  L'évêque  de 
Thérouanne  réunit  les  curés  de  Paris,  les  supérieurs  des  Ordres  religieux. 
—  Il  leur  fait  prêter  serment  de  fidélité  au  traité  de  Troyes,  tel  que  les 
bourgeois  l'avaient  prêté  au  duc  de  Bedford  et  au  duc  de  Bourgogne.  —  11 
nomme  des  délégués  pour  le  faire  prêter  par  chaque  Religieux.  —  Le  par- 
lement vaque.  —  Ordre  de  consigner  les  dépôts.  —  Emprunt.  —  8  sep- 
tembre :  Assaut  contre  Paris.  —  Terreur  des  Parisiens.  —  Les  assaillants 
comptent  sur  un  soulèvement  qui  n'a  pas  lieu.  —  Entente  entre  les  habi- 
tants et  les  hommes  d'armes.  —  Blessure  de  la  Pucelle.  —  Impossibilité 
de  prendre  Paris.  --  Bruit  semé  que  Charles  veut  y  faire  passer  la  charrue.  473-479 
H.  —  L'on  apprend  par  Jean  de  Luxembourg  l'issue  de  la  sortie  de  Com- 
piègne,  la  prise  de  la  Pucelle.  —  30  mai  1431  :  Supplice  de  la  Pucelle.  — 
Mots  écrits  sur  sa  mitre,  sur  un  tableau.  —  Le  juge  et  ses  assesseurs 479-480 

CHAPITRE  Xllï 

PIERRE   EMPIS.   —  SA   CHRONIQUE   (p.   480-482). 


LIVRE    V 

PARTI    ANQLO-BOURQUIGNON    —    CHRONIQUES    ET    DOCUMENTS    OUVERTEMENT    HAINEUX 


JEAN  "(VAVRIN   DE   FORE8TEL. 

REMARQUES   CRITIQUES  (p.    485-486). 

CHAPITRE  PREMIER  (p.  486-493). 

LA    PUCELLE  JUSQU\   LA   DÉUVRAIHCE   d'oRLÉANS  . 

I.  —  Exposé  calomnieux  de  la  jeunesse  de  la  Pucelle.  —  Formée  à  sa  mission 
par  Raudricourt.  —  Dédain  avec  lequel  elle  est  reçue  à  la  cour.  —  Examens. 

—  Manière  dont  le  chroniqueur  raconte  le  dessein  de  ravitailler  Orléans. 

—  Le  ravitaillement  et  le  séjour  de  Jeanne  à  Orléans 487-489 

II.  —  L'état  du  siège,  d'après  Wawrin.  —  Second  récit  du  ravitaillement. . .  490 
ni.  —  Discours  que  Wawrin  prête  à  la  Pucelle.  —  Conquête  successive  des 

trois  bastilles.  —  L'honneur  en  est  principalement  attribué  à  la  Pucelle.  — 

Part  prise  par  les  capitaines 491-492 

IV.  —  Retraite  en  bon  ordre  des  Anglais  dans  les  villes  de  leur  obéissance  ; 
douleur  du  parti  anglais.  —  Joie  des  Orléanais.  —  Le  butin 492-493 

CHAPITRE  II 

CAMPAGNE  DE   LA   LOIRE  (p.    493<^3). 

\.  —  La  joie  du  roi  à  la  nouvelle  de  la  délivrance  d'Orléans.  —  Il  convoque 
sa  noblesse.  —  Sentiments  divers  de  la  cour  sur  la  Pucelle.  —  Réunion  des 

capitaines  à  Orléans.  —  Autorité  que  s'attribue  la  Pucelle 494-495 

III.  44 


690  TABLE  DBS  MATIÈRES. 

II.  —  Siège  de  Baugency.  —  Message  à  Talbot  qui  promet  secours  et  en  de- 
mande à  Bedford.  —  11  envoie  Fastolf,  auquel  Wavrin  est  attaché.  — 
Arrivée  à  Janville 495-496 

III.  —  D'après  Wavrin,  les  Français  se  seraient  détachés  du  siège  de  Bau- 
gency pour  venir  assiéger  et  prendre  .largeau.  —  La  garnison  anglaise  de 
La  Ferté-Hubert  vient  fortifier  celle  de  Baugency.  —  Il  n'est  bruit  que  de 

la  Pucelle.  —  Talbot  rejoint  Fastolf  à  Janville 496-497 

IV.  —  Fastolf  est  d'avis  qu'il  ne  faut  pas  combattre.  —  Opposition  de  Talbot. 

—  On  se  met  aux  champs.  —  Nouvelle  et  inutile  insistance  de  Fastolf.  — 
Direction  vers  Baugency.  —  L'armée  française  sur  une  hauteur  donne 
rendez-vous  pour  le  lendemain 497-499 

V.  —  Les  Anglais  de  Baugency  désespérant  d'être  secourus  en  viennent  à 
composition.  —  L'armée  française  -cherchant  l'armée  anglaise  sur  l'invi- 
tation de  la  Pucelle.  — -  Ses  prophéties 499-501 

Vï.  —  L'armée  anglaise  à  Meung.  —  Elle  canonne  le  pont  la  nuit  et  se  dis- 
pose à  lui  donner  l'assaut  le  matin  lorsqu'elle  apprend  la  reddition  de 
Baugency.  —  Elle  rétrograde  en  bon  ordre  à  travers  la  Beauce.  —  Talbot 
fait  halle  aux  haies  de  Patay.  —  Il  est  surpris  faisant  ses  préparatifs.  — 
Panique  produite  par  un  mouvement  de  Fastolf.  —  Désorganisation  de 
l'armée  anglaise.  —  Ses  pertes.  —  Fuite  de  Fastolf  jusqu'à  Étampes  et 
à  Corbeil.  —  L'honneur  de  la  victoire  attribué  à  la  Pucelle 501-503 

LE    FÈVRE    DE    SAINT-RËMY    (p.    504). 

CHAPITRE  Ul  (p.  505-512). 

I.  —  Fantaisies  de  Le  Fèvre  de  Saint-Rémy  sur  les  personnages  qui  appa- 
raissent à  la  Pucelle,  et  la  manière  dont  elle  entre  en  scène.  —  Il  ne  donne 
pas  une  idée  des  combats  engagés  pour  la  délivrance  d'Orléans.  —  Il  cons- 
tate la  frayeur  des  Anglais  et  leur  foi  à  une  prophétie  sur  leur  expulsion 
par  une  Pucelle.  —  Il  ne  fait  qu'indiquer  la  prise  de  Jargeau  et  la  victoire 
de  Patay,  attribuée  à  ce  que  les  Anglais  furent  surpris  changeant  leur  posi- 
tion de  combat 505-507 

II.  —  Confiance  inspirée  par  la  Pucolle  aux  hommes  d'armes  et  au  Dauphin. 

—  La  campagne  du  sacre  seulement  indiquée.  —  Erreurs  dans  l'énumé- 

ration  de  ceux  qui  y  prennent  part 507 

m.  —  Campagne  après  le  sacre.  —  Grossière  erreur  du  chroniqueur  qui  met 
Mitry  près  de  la  Victoire 507-508 

IV.  —  La  rencontre  des  deux  années  près  de  Montépilioy.  -  Détails.  —  Les 
Français  auraient  été  les  premiers  à  se  retirer.  —  Les  Anglais  tirent  leurs 

vivres  de  Sentis 508-509 

V.  —  Le  roi  à  Compiègne.  —  Les  défenseurs  de  Paris  constitués  par  le  ré- 
gent qui  va  au  secours  de  la  Normandie.  —  Le  roi  venant  à  Paris  sur 
la  promesse  de  la  Pucelle  de  lui  livrer  la  ville.  —  Assaut.  —  Départ  du 

roi 509-510 

VI.  —  Siège  de  Choisy.  —  Le  passage  de  l'Oise  à  Pont-l'Évôque  gardé  par 
les  Anglais.  —  Vive  attaque  de  la  Pucelle  repoussée.  —  Le  siège  de  Com- 
piègne par  le  duc  de  Bourgogne  et  les  Anglais.  —  La  Pucelle  s'y  introduit. 

—  D'après  le  chroniqueur  elle  aurait  promis  de  prendre  le  duc  de  Bour- 
gogne. —  Portrait  de  la  Pucelle  sortant  contre  les  assiégeants.  —  Le 
combat.  —  La  Pucelle  protégeant  la  retraite.  —  Sa  prise.  —  Joie  des  Bour- 
guignons. —  Les  hommes  qui  avaient  cru  à  la  Pucelle  traités  de  gens  de 

léger  entendement 510-512 


TABLE  DBS  MATIÈRES.  691 

JBAN    CHUFFART,   OU    LE   FAUX    BOURGEOIS  DE    PARIS. 

0BSERVAT1O!IS   CRITIQUES   SUR    SON    m    JOURNAL   »    (p.    513-516). 

CHAPITRE   IV  (p.  516-525^. 

I.  —  Manière  dont  ChufTart  commence  à  parler  de  la  Pucelle.  —  Récits  mer- 
veilleux qu  on  faisait  à  Paris  à  son  sujet.  —  Accomplissement  de  la  pro- 
phétie faite  par  elle  à  Glasdal.  —  Le  cadavre  de  l'Anglais  à  Paris.  — 
Départ  du  Frère  Richard 516-517 

II.  —  La  bataille  de  Palay  racontée  par  ChufTart.  —  Frayeur  de  Paris  au 
21  juin.  —  Les  Parisiens  ne  cessent  dès  lors  de  fortifier  leur  ville.  —  Le 
duc  de  Bourgogne  à  Paris  le  10  juillet.  —  Conseils  tenus.  —  Moyens  em- 
ployés pour  exciter  les  esprits  contre  les  Armagnacs.  —  Renouvellement 

des  serments.  —  Le  duc  quitte  Paris  avec  sa  sœur  la  duchesse  de  Bedford.  518-519 
m.  —  Progrès  des  Armagnacs.  —  Terreur  des  Parisiens.  —  Arrivée  du  car- 
dinal de  Winchester,  du  régent  et  de  ITsle-Adam,  le  25  juillet.  —  Colère 
des  Parisiens  contre  le  Frère  Richard.  —  Beauvais,  Senlis  se  donnent  aux 
Français.  —  Les  Armagnacs  à  Saint-Denis  dès  le  25  août.  —  Leurs  excur- 
sions jusqu'aux  portes  de  Paris.  —  Empressement  des  Parisiens  à  fortifier 

leur  ville 519-520 

IV.  —  Lettres  du  duc  d'Alenron  aux  Parisiens.  —  Première  attaque  le  7  sep- 
tembre. —  Le  grand  assaut  du  8.  —  Les  apprêts  pour  combler  les  fossés. 

—  La  Pucelle  blessée.  —  Assaut  des  assiégeants  et  défense  des  assiégés.  — 
Les  assiégeants  repoussés.  —  Le  feu  à  la  grange  des  Mathurins  et  les  morts 
brûlés.  —  Engagements  prêtés  à  la  Pucelle.  —  Le  nombre  des  morts  et 
des  blessés  d  après  un  héraut  des  Armagnacs.  —  L'assaut  repoussé  par  les 
Parisiens 520-522 

V  —  Retour  du  Régent.  —  Déprédations  des  Armagnacs  à  Saint-Denis.  — 
Saint-Denis  repris  et  châtié.  —  Entrée  triomphale  du  duc  de  Bourgogne 
à  Paris.  —  Délibérations.  —  Il  prend  le  gouvernement  de  Paris  à  la  place 
de  Bedford.  —  Départ  des  Anglais  et  leurs  ravages.  —  Trêves  du  duc  avec 
les  Armagnacs.  —  Ces  derniers  soumettent  à  des  contributions  les  envi- 
rons de  Paris.  —  Départ  du  duc  et  de  ses  Picards  qui  sont  de  grands  lar- 
rons. —  Les  approvisionnements  de  Paris  plusieurs  fois  rançonnés.  —  Ex- 
trême misère.  —  Désertion  de  la  ville.  —  Brigands.  —  On  leur  donne  la 
chasse.  —  Capture  et  supplices.  —  Conjuration  pour  mettre  Charles  VII 
dans  Paris;  elle  est  découverte.  —  Aveu  implicite  de  Chuffard 522-525 

CHAPITRE  V  (p.  525-530). 

PRISE  ET  MARTYRE    DE   L\    PUCELLE. 

I.  —  Prise  de  la  Pucelle  et  nombre  des  morts  d'après  ChufTart.  —  Le  3  sep- 
tembre, prédication  contre  deux  femmes  qui  rendaient  témoignage  à  la 
Pucelle.  —  Supplice  de  Pierronne  de  Bretagne 525-526 

IL  —  Le  martyre  de  Jeanne.  —  ChufTart  met  sur  les  lèvres  du  prédicateur 
tous  les  crimes  imputés  à  Jeanne  par  Tinique  tribunal.  —  D*après  son  aveu, 
c'est  l'Université  de  Paris  qui  a  été  l'âme  du  procès.  —  Récits  de  la  pré- 
tendue abjuration  et  de  la  prétendue  rechute.  —  Détails  sur  le  martyre. 

—  Sentiments  divers  de  la  foule 526-528 

III.  —  Publication  très  solennelle  de  la  condamnation  à  Paris.  —  Récapitu- 
lation par  le  prédicateur  de  tous  les  crimes  imputés  à  Jeanne.  — Les  quatre 
femmes  mises  sur  le  même  pied.  —  Toutes  dirigées  par  Frère  Richard 528-529 


692  TABLE  DES  MATIÈRES. 

IV.  —  La  Pucelle  a  été  bien  réellement  brûlée  et  ses  cendres  ont  été  jetées  à 
la  rivière.  —  Motifs  de  ce  dernier  outrage 530 

CHAPITRE  VI  (p.  530-532). 

LES   REGISTRES   DU   CHAPITRE  DE  NOTRE-DAME. 

La  majorité  du  chapitre  est  anglo-bourguignonne.  —  Le  30  août,  on  pour- 
voit au  remplacement  des  officiers  qui  ont  rejoint  la  Pucelle.  —  Nomina- 
tion des  délégués  convoqués  par  Tévèque  de  Thérouanne.  —  Le  31  août  : 
On  célébrera  une  messe  à  Notre-Dame  extra -chorum.  —  Vote  d'une  somme 
pour  les  frais  de  la  guerre.  —  Le  5  septembre  :  Mesures  prises  pour  la 
sécurité  de  l'église,  du  cloître,  des  reliques,  du  trésor.  —  Vente  du  buste 
de  la  statue  de  saint  Denis.  —  Le  7  :  Procession  à  la  montagne  Sainte- 
Geneviève.  —  Attaque  des  ennemis  et  sanglants  desseins  qu'on  leur 
attribue. —  Le  8  :  Assaut  très  violent  et  très  long. —  Repoussé.  —  Grandes 
pertes  des  assiégeants.  —  Grand  nombre  de  claies,  de  fascines,  d'échelles 
apportées  par  eux.  —  Ils  en  ramènent  une  partie.  —  Le  9,  messes  pour 
Charles  VI,  célébrées  par  ordre  de  son  fils 530-531 

CHAPITRE  Vil  (p.  532-544). 

LA   PUCELLE   d'aPRÉS   LE   DUC  DE  BOURGOGNE  ET  SES   HOMMES    DE   COUR. 

1.  —  La  cour  de  Bourgogne  se  hâte  de  faire  connaître  au  loin  la  prise  de  la 
Pucelle.  —  Lettres  du  duc  aux  habitants  de  Saint-Quentin,  de  Gand,  au 
duc  de  Bretagne,  de  Savoie 533-534 

IL  —  Jean  Germain,  évéque  de  Chalon-sur-Saône.  —  Son  livre  De  virtuiibus 
Philippi.  —  Son  indécent  passage  sur  la  Pucelle.  —  L'évoque  d'Arras  Jean 
Jouffroy.  —  Sa  harangue  De  Philippo.  —  Sa  page  de  déclamations,  de 
faussetés,  de  contradictions,  à  l'eiidroil  de   la  Pucelle 534-538 

m.  —  Le  greffier  de  la  chambre  des  comptes  de  Brabant.  —  Les  registres 
noirs.  —  Edmond  de  Dynther.  —  Le  sire  de  Uosethlaer.  —  Ce  qu'il  écrivait 
de  la  Pucelle  à  la  date  du  22  avril  1429.  —  Ce  qu'Edmond  de  Dynther  a 
ajouté  à  l'extrait  des  Registres  Noirs 538-541 

l\.  —  Le  Livre  des  irahisom  de  France  envers  la  maison  de  Bourgogne.  —  Ce 
qu'il  dit  de  la  Pucelle.  —  Remarques 541-o4i 

CHAPITRE    Vlll  (p.  544-564). 

DOCUMENTS   ANGLAIS    PROPRES   A    ÉCLAIRER    l'hISTOIRE    DE    LA    LIBÉRATRICE. 

1.  —  Pénurie  de  documents  anglais  sur  la  Pucelle.  —  Documents  propres  à 
éclairer  son  histoire.  —  Dès  le  15  avril  1429,  Bedford  demande  que  Henri  VI 
vienne  se  faire  couronner  en  France,  et  sollicite  des  secours.  —  Quelques 
jours  après  la  délivrance  d'Orléans,  il  envoie  dans  tous  les  ports  de  Nor- 
mandie des  ordres  pour  qu'on  arrête  les  soldats  anglais  qui  fuient  la  France. 

—  Le  17  juin,  le  conseil  royal  autorise  le  cardinal  de  ^Yinchester  à  être 
le  capitaine  de  larinée  coiilie  les  hussites  et  le  1*"^  juillet,  il  ordonne  que 
cette  armée  soit  tournée  contre  la  France.  —  Vives  plaintes  de  Martin  V. 

—  Excuses  du  Cardinal  (pii  prétend  n'avoir  pas  été  consulté.  —  Défense  à 
tout  sujet  anglais  d'accompagner  à  Rome  le  Cardinal,  que  l'on  dit  devoir  y 
être  mandé.  —  Le  Cardinal  consigné  pour  quatre  mois  auprès  du  duc  de 
Bourgogne.  —  L'archevêché  de  Rouen  sollicité  pour  Cauchon 545-548 


TABLE  DES  MATIÈRES.  693 

il.  —  Instructions  envoyées  par  Bedford  au  conseil  d'Angleterre  dès  le 
16  juillet  1429.  —  Remerciements  pour  Tenvoi  des  croisés.  —  Il  presse 
rembarquement  et  veut  être  prévenu.  —  Les  conquêtes  du  Dauphin  et  son 
sacre.  —  Son  intention  de  venir  sur  Paris  et  son  espérance  d'y  trouver 
entrée.  —  Mesures  concertées  avec  le  duc  de  Bourgogne  pour  l'arrêter.  — 
Services  du  duc  de  Bourgogne.  —  Sans  lui  tout  était  perdu.  —  Bedford  va 
se  rendre  en  Normandie  pour  en  conduire  les  garnisons  contre  Charles  de 
Valois.  —  Observations 548-550 

lil.  —  Le  roi  sur  le  continent  dès  le  23  avril  1430.  —  Les  hommes  d'armes 
engagés  pour  Vy  accompagner  refusent  de  s'embarquer.  —  Édit  rendu 
contre  eux.  —  Édit  rendu  le  12  décembre  1430  contre  les  soldats  anglais 
qui  désertent  et  repassent  en  Angleterre 550-552 

IV. — Détails  sur  une  conjuration  ourdie  à  Paris  pour  y  introduire  Charles  Vil, 
d'après  une  lettre  de  rémission  accordée  à  l'un  des  conjurés.  —  La  Pucelle 
y  fait  allusion  dans  une  de  ses  lettres.  —  Noms  de  quelques  conjurés  exé- 
cutés. —  Le  seigneur  de  l'hôtel  de  l'Ours 552-558 

V.  —  Quittance  donnée  par  Cauchon  pour  l'indemnité  d'un  voyage  du  1"  mai 
au  30  septembre,  entrepris  dans  les  intérêts  de  la  cause  anglaise,  et  notam- 
ment pour  les  affaires  de  la  Pucelle.  —  Questions  que  fait  naître  cette 

pièce 558-560 

VI.  —  La  Normandie  s'impose  pour  payer  le  prix  d'achat  de  la  Pucelle.  — 
Urgence  de  cette  dépense.  —  Espèces  d'or  prises  avec  charge  de  rembour- 
sement dans  la  cassette  royale.  —  Caractères  de  grandeur  dans  la  vente 
delaPucelle 560-562 

VIL  —  L'effet  de  l'intervention  de  la  Pucelle  constaté  par  un  document 
émané  de  Bedford.  —  Par  elle  les  affaires  ont  complètement  changé  de 
face.  —  Observations  critiques  sur  ce  document 562-564 


LIVRE   VI 

LA    CHRONIQUE    DE     MOROSINI 

REMARQUES    HISTORIQUES     ET    CRITIQUES    (p.     567-571] 


CHAPITRE  PREMIER  (p.  571-582). 

LA   PUCELLE  JUSQU'aPRÉS   LA    VICTOIRE   DE    PATAT. 

Première  lettre.  —  Le  sort  de  la  France  lié  à  celui  d'Orléans.  —  Treize  bas- 
tilles. —  Intervention  du  duc  de  Bourgogne  à  la  prière  des  Orléanais  aux 
abois.  —  Refus  de  Bedford.  —  Premières  nouvelles  reçues  à  Bruges  de  la 
délivrance  d'Orléans.  —  Joie  qu'y  cause  la  défaite  des  Anglais.  —  Des  pro- 
phéties annonçaient  le  relèvement  de  la  fortune  du  Dauphin.  —  Premiers 
bruits  sur  l'apparition  de  la  Pucelle  et  sentiments  qu'ils  provoquent.  — 
Ses  promesses  au  Dauphin.  —  Dès  le  16  janvier  des  marchands  en  écrivaient 
à  Bruges  de  la  Bourgogne.  —  Les  moqueurs  punis.  —  A  ses  réponses  on 
dirait  une  autre  sainte  Catherine.  —  Délivrer  la  France  n'était  pas  toute 
sa  mission.  —  Apparition  au  roi.  —  Le  Pape  consulté.  —  Remarques  sur 
cette  lettre 571-577 

Deuxième  lettre.  —  Fausses  nouvelles  écrites  de  Bruges.  —  Le  Pape  consulté. 
—  Remarques 577-578 


694  TABLE  DES  MATIÈRES. 

Troisième  lettre,  —  Fausses  nouvelles  de  la  soumission  de  Rouen,  de  Paris,  de 
la  réconciliation  des  Français  et  des  Anglais,  et  de  la  manière  dont  elle  se 
serait  opérée.  —  Pénitence  imposée  par  la  Pucelle.  —  Elle  doit  conduire  le 
Dauphin  à  Reims  pour  Ty  faire  couronner.  —  Remarques  sur  ce  qui  a  pu 
donner  lieu  à  ces  fausses  nouvelles 578-579 

Quatrième  Je  lire.  —  La  Pucelle,  ange  du  Ciel.  —  Ses  exploits:  Baugency, 
Patay.  —  Conjectures  que  le  Dauphin  est  à  Paris,  que  Bedford  est  mis  en 
déroute.  —  Intervention  surnaturelle  de  Dieu  en  faveur  de  la  France.  — 
Combien  nécessaire.  —  Rapprochement  entre  Notre-Dame  et  la  Pucelle. 

—  Le  relèvement  de  la  France  est  la  moindre  partie  de  la  mission  de  la 
Pucelle .  -—  Remarques 579-581 

Cinquième  lettre.  —  Confirmation  de  nouvelles  déjà  données.  —  Conjectures. 

—  Remarques 581-582 

CHAPITRE   11  (p.  582-595). 

LA   PUCELLE   DEPUIS   SA   NAISSANCE  JUSQu'a   LA   VEILLE   DU    SACRE. 

Sixième  lettre.  —  Age,  lieu  d'origine,  occupations,  piété,  départ  de  la  Pu- 
celle. —  La  mission  qu'elle  se  donne,  les  conditions  qu'elle  y  met.  — 
D'abord  mal  reçue.  —  Les  secrets.  —  Longues  épreuves.  —  Épreuve  par  la 
communion.  —  Sa  tempérance.  —  Sa  sainteté.  —  Elle  oblige  tout  le 
monde  à  se  confesser.  —  Ses  ordonnances  comme  chef  de  guerre.  —  Elle 

;  exige  que  le  Dauphin  pardonne  de  bon  cœur.  —  Rais  et  d'autres  guerriers 
viennent  la  rejoindre.  —  La  Pucelle  armée.  —  Son  étendard.  —  Les  pré- 
paratifs de  la  campagne.  —  Sommation  aux  Anglais.  —  Entrée  à  Orléans. 

—  Nombre  de  combattants.  —  Prise  de  la  première  bastille.  —  Nouvelle 
sommation  le  jour  de  l'Ascension.  —  Nouvelles  conquêtes  le  jour  suivant. 

—  Blessure  de  la  Pucelle.  —  Fuite  des  Anglais.  —  Le  duc  de  Bretagne.  — 
Source  de  ces  nouvelles.  —  Prophéties  sur  la  Pucelle.  —  Prise  de  Jargeau. 

—  Victoire  de  Patav.  —  Bedford  demande  instamment  du  secours  au  duc 
de  Bourgogne.  —  Voyage  de  ce  dernier  à  Paris,  et  bruits  contradictoires 
sur  ses  intentions.  —  Faux  bruits  sur  1  évasion  du  duc  d'Orléans.  —  Armée 
venant  d'Angleterre.  —  Les  soldats  levés  contre  les  hussites  détournés 
contre  la  France.  —  Remarques  sur  cette  importante  lettre 582-591 

Septième  lettre.  —  Départ  pour  le  sacre.  —  Fable  sur  la  conquête  d'Auxerre. 

—  Exploit  fabuleux  attribué  à  La  Hire.  —  Fausse  nouvelle  d'une  victoire 
du  duc  de  Bar  sur  le  duc  de  Bourgogne.  —  Conte  sur  la  couronne  de  saint 

Louis 591-503 

Huitième  lettre.  —  Diverses  fausses  nouvelles 593 

Neuvième  lettre.  —  Diverses  fausses  nouvelles.  —  Observations 593-595 


CHAPITRE   m  (p.  595-000). 

DU    SACRE  jusqu'à    LA    RETRAITE    SUR    LA    LOIRE. 

Dixième  lettre.  —  Arrivée  à  Calais  du  cardinal  d'Angleterre  et  d'une  armée 
anglaise.  —  Bruits  divers  sur  les  intentions  du  duc  de  Bourgogne,  sur  la 
marche  du  Dauphin  vers  Reims  et  ses  projets  ultérieurs.  —  Tout  se  fait 
par  le  conseil  de  la  demoiselle.  —  Remarques 595-596 

Onzième  lettre.  —  Le  sacre  et  la  campagne  qui  l'a  précédé.  —  Dévouement 
de  Tournay  à  la  France.  —  Le  duc  de  Bourgogne  revenu  de  Paris  est  à 
Arr^s;  le  régent  attendant  le  Cardinal  à  Pontoise.  —  Grande  levée  de 


TABLE  DES  MATIÈRES.  ^95 

troupes  par  le  duc  de  Bourgogne.  —  La  garde  de  Paris.  —  Fausses  nou- 
velles sur  les  conquêtes  du  duc  d'Alençon  en  Normandie.  —  Grands  mi- 
racles accomplis.  —  Fausse  nouvelle  sur  le  comte  de  Nevers.  — Charles  VU 
en  marche  sur  Paris.  —  Jonction  de  Bedford  et  du  Cardinal.  —  Remarques.     596-599 

Douzième  lettre.  —  Conlirmation  de  la  nouvelle  du  sacre 599 

Treizième  lettre.  —  Bruits  de  trêves  et  du  siège  de  Paris.  —  Remarques 599 

Quatorzième  lettre.  —  Conquêtes  de  Charles  Vil  après  le  sacre.  —  Le  régent 
en  Normandie.  —  Le  duc  de  Bourgogne  sur  le  point  de  se  mettre  en  cam- 
pagne. —  Trêves  inexplicables.  —  Remarques 599-600 

CHAPITRE  IV  (p.  600-606). 

DEPUIS    LE   RETOUR   SUR    LA   LOIRE  JUSQU*A   LA  CAPTIVITÉ   DE    LA   PU  CELLE. 

Quinzième  lettre.  —  Conquêtes  des  Français  en  Normandie,  conjuration  pour 
leur  livrer  Rouen.  —  Grands  préparatifs  de  guerre  attribués  à  Charles  VU. 
—  Conquête  faussement  attribuée  à  la  Pucelle.  —  Ses  exploits  la  montrent 
suscitée  par  Dieu.  —  L'Université  de  Paris  l'a  dénoncée  à  Rome  comme 
hérétique.  —  Le  chancelier  a  écrit  pour  la  défendre  et  la  glorifier.  —  Le 
roi  d'Angleterre,  couronné  à  Londres,  se  propose  de  passer  en  France.  — 
Remarques 600-602 

Seizième  lettre.  —  Prolongation  de  la  trêve.  —  DifQcile  à  expliquer.  —  Opi- 
nions différentes  sur  l'attitude  adoptée  par  le  duc  de  Bourgogne.  —  Senti- 
ment de  Pancrace.  —  Conquête  de  Louviers.  —  Faux  récits  sur  les  conquêtes 
de  Charles  Vil  et  ses  ressources  en  vue  de  la  guerre.  —  Bedford  en  Nor- 
mandie. —  Secours  reçus  d'Angleterre.  —  Prochain  débarquement  du 
jeune  roi 602-603 

Dix -septième  lettre.  —  Prise  de  Château- Gaillard.  —  Actifs  préparatifs  de 
guerre 604 

Dix-huitième  lettre.  —  Prétendue  course  du  roi  et  de  la  Pucelle  aux  portes  de 
Paris.  —  Conjuration  dans  cette  ville.  —  Prétendue  tentative  de  Luxem- 
bourg contre  Compiègne.  —  Autres  fausses  nou  v elles 604-605 

Dix-neuvième  lettre.  —  La  victoire  d'Anthon.  —  Fausse  nouvelle  sur  la  Pucelle.    605-606 


CHAPITRE  V  (p.  606-608). 

LA   PUCELLE   DEPUIS   SA   PRISE  JUSQU'a   SON   SUPPLICE. 

Vingtième  lettre.  —  Fausse  nouvelle  sur  les  succès  du  roi  et  de  la  Pucelle.  — 
Nouvelle  vraie  de  la  prise  et  de  la  détention  de  la  Pucelle.  —  Espérance  de 
sa  délivrance 606-607 

Vingt  et  unième  lettre.  —  La  Pucelle  vendue  et  dirigée  sur  Rouen.  —  Crainte 
qu'on  ne  la  fasse  mourir.  —  Témoignage  rendu  universellement  à  sa  vertu.  607 

Vingt-deuxième  lettre.  —  Ambassade  de  Charles  VU  au  duc  de  Bourgogne  pour 
l'empêcher  de  livrer  la  Pucelle  aux  Anglais 607-608 

yingt- troisième  lettre.  —  La  Pucelle  vendue  dix  mille  couronnes;  étroitement 
gardée.  —  Intervention  de  Charles  VII  pour  empêcher  son  supplice.  — 
Supplice.  —  Piété  de  la  Martyre.  —  Apparition  de  sainte  Catherine.  — 
Douleur  et  menaces  de  Charles  Vil.  —  Vaine  espérance  des  Anglais 
qu'avec  sa  mort  (iniront  leurs  revers 608 


vVv 


TABLB  DBS  MATIÈRES. 


LIVRE   VII 

PIÈCES    JUSTIFICATIVES 

A.  —  La  Pucelle  d'après  la  Geste  des  nobles  Français 6H-619 

B.  —  La  Pucelle  d  après  la  Chronique  de  Toumay 619-6^5 

G.  —  La  condamnation  de  la  Pucelle  d'après  Thomas  Basin 626-628 

D.  —  Exhortation  à  seconder  la  Pucelle 628 

E.  —  Anoblissement  de  la  Pucelle  et  de  sa  parenté 628-629 

G.  —  La  Chronique  dite  des  (^ordeliers 629-637 

H.  —  La  chronique  de  Gilles  de  Roye 637-639 

J.   —  Extrait  des  registres  du  chapitre  de  Notre-Dame 639-640 

K.  —  Un  passage  de  Jean  Germain  sur  la  Pucelle  640-641 

L.  —  Un  passage  de  Jean  Joufîroy 641-642 

M.  —  Un  passage  des  registres  noirs  de  Bruxelles  et  d*Edmond  de  Dynther.  .642 

N.  —  Extrait  d'un  rapport  officiel  de  Bedford 642-643 

P.  —  Texte  italien  de  la  Chronique  de  Morosini  sur  la  Pucelle 644-660 

Table 661-696 


ERRATA. 

Pages. 

Lignes. 

Fautes. 

Corrections. 

VIII 

25. 

Osent  en  faire. 

Osent  faire. 

6 

3S. 

Dix-huit  mille. 

Dix-huit  cEirr  mille. 

15 

13. 

Dans  sa  neuvième  année. 

Dans  sa  huitième  année. 

17 

16. 

Mariage  de  Henri  IV. 

Mariage  de  Henn  M. 

63 

Avant-dernière  ligne. 

1450. 

1350. 

81 

Noie. 

Se  portit. 

Se  partit. 

S49 

Note. 

Au  livre  IV. 

Au  livre  V. 

294 

14. 

Qui. 

Qui. 

31*i 

1". 

En  allant,  en  avant. 

En  allant  en  avant. 

348 

16. 

De  condition  de  libre. 

De  condition  libre. 

362 

35. 

Afin  par  son  mo\en. 

Afin  que  par  son  moyen. 

364 

Dernière  ligne. 

Etant  bien  celui. 

Etait  bien  celui. 

545 

5*  avant-dernière  ligne. 

Lettres  de  sommations  adressés. 

Adress^'es. 

547 

6*  avant-dernière  ligne. 

On  remployait. 

Ou  les  employait. 

5154-96.  —  CuRBciL.  Imprimerie  Éo.  CRsrf 


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