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L'EMPIRE D^VNJNAM
ET
LE PEUPLE ANNAMITE.
LIBRAIRIE FÉLIX ALCAN- ^
LANE88AN (de), député. X.' Expansion ôoloniale de la ^
Franoe. Etade économlqoe, politique et géographique sur les \
établiMemenls français d'outre-mer. 1 foii toI. in-S, arec ^]
cartes. 1886. 12 fr. Y
LANESSAN (de). Ija Tunisie. 1 toL in-8 avec une carte en cou-
leurs. 1887. 5 fr.
LANESSAN (de). Ii*Zndo-Gliine française. Etude écono-
mique, politique et administrative sur la Ck>cliinchine, le
Cambodge, TAnnam et le Tonkin. 1 vol. in-8 avec 5 cartes en
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WAHL, professeur au Ivcée Lakanal. L'Algérie. 1 vol. In- 8,
2« édit. 5 fr. '
GAFPAREL (P ), professeur à la Faculté des lettres de Dijon.
I«es Colonies françaises. 1 vol. In*8, 4« édit. 5 fr.
LAVELEYE (Em. de). L'Afrique centrale. 1 vol. in-12. 3 fr.
LAVELEYE (Em. de). La Péninsnle des Balkans (Vienne,
Croatie, Bosnie, Serbie, Bulgarie, Roumélie, Turquie, Rouma-
nie), 2« édit. 2 vol. in-i2. 1888. 10 fr.
HARTMANN (R.). Les Peuples de l'Afrique. 1 voL in-8, de
la Bibliothèque sdêntiUquê tftlematiùnale, avec figures, 2* édit.,
cartonné. 6 fr.
GIRARD DE RIALLE. Les Peuples de l'Afrique et de
r Amérique. 1 vol. in-18 de la liibUothique uUU. 60 cent.
GIRARD DE RIALLE. Les Peuples de l'Asie et de l'Eu-
rope, i vol. in-18 de la Bibliothèque utile. 60 cent.
FAQUE. Llndo-CShine française. 1 vol. in-18 de la BibU
tùque uUlê. 60 cent.
BLERZY (H.). Les Colonies anglaises. 1 voL in-18 de la
BibiiêtkèiUê utiU. 60 cent
OUVRAGES CLASSIQUES DR GÉOGRAPHIE
PAR Lm BOUGIBR,
Abomi él«ve àê VÉoiA» uormàlm, ProfMMur an «olMfe MoUbi.
Précis de géographie physique, politique et mili-
taire, à l'usage des candidats aux Ecoles militaires et aux
deux baccalauréats. 1 vol. in-12, 2« édit. reçue. Br. 7 tr. Gart.
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TEarope. 1 fort vol. in-12. Br. 3 fr. 50. Cart. 4 fr.
Géographie de la France et de ses possessions coloniales.
1 vol. in-12, 3« èdit. Br. 3 fr. 50. Cart. 4 fr.
Géographie de l'Airique, de l'Asie, de l'Océanie et
de l'Amérique, i vol. in-12 {tout presse).
IH96. — ABBBVILLE. TYP. ET 8TÊII. A. RBTAUX. » 18S0.
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LE PEUPLE ANNAMITE
APBRCU Sim lA GÉOGRAPHIB, L8S PROOUCTIOIIS, L'UIDUSTRII
LES MOSURS £T LBS COOTUMBS DB L'ANIIAII
Publié $ou$ Ut auspices de V Administration des colonies
or.
kymXÈ ET MIS A JOUR
PAR
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J. SILVESTRE Cà'
Adminbtrateor principal «& Coehinehina,
Profameiir è !*£'«!« des Soienoet PoUtiquet.
A.va>e une etiree «le l*A.afi«fln« Itor* texte
PARIS
ANCIENNE LIBRAIRIE GERMER BAILLIÈRE ET O*
FÉLIX ALCAN, ÉDITEUR
108, BOULEVARD SAINT-GBRMAIN, i08
1889.
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L'empire; DiàJSKM! ! A
ET
LE PEUPLE ANNAMITE.
AVERTISSEMENT
En 1855, Gailiaume Pauthier publia « le Livre de
« Marco Polo, citoyen de Venise, conseiller privé et
c commissaire impérial de Khoubilaî-Kbaân, rédigé
c en français sous sa dictée, en 1278, par Rusticien
c de Pise »• Ce vieux livre était d'actualité. Nous
tentons aujourd'hui une œuvre identique.
On a beaucoup écrit déjà sur les pays qui forment,
à rheure actuelle, Tlndo-Gbine française; on peut
dire pourtant que les ouvrages de fonds sont rares.
On a, en abondance, des c Impressions de voyage »,
des choses vues et écrites en courant; encore les
auteurs ont-ils le plus généralement décrit ces pays
d'après ce qu'ils avaient observé dans la basse-Go-
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cHieQhtM; à* présent Gpchmcb'me frauçaise, on dans
lcfàrs**%ictti^OQS'àirâVefs rAnoam ou le Tonkin et,
iovolontairement, sans faire une part suffisante au
trouble de la situation, ils ont conclu de l'exception
à la règle générale, de la partie au tout.
De grandes erreurs en ont résulté. La basse-Co-
cbincbine, par exemple, n'est qu'une colonie anna-
mite de fondation récente (deux cents et quelques
.années). Nouveaux venus, les Annamites se sont
mélangés avec les populations déjà établies, avant
de les étouffer ou de les refouler, et s'ils ont conservé
incontestablement leurs lois et la plupart de leurs
usages nationaux, il n'en est pas moins certain que
la nécessité d'un régime spécial a dû s'imposer, que
des coutumes bybridesse sont établies, sur lesquelles
sont venues ensuite se greffer des pratiques quasi
européennes, et que, par conséquent, il faut se
transporter sur un autre champ d'observations si
Ton veut bien étudier le peuple annamite, dans ses
institutions, son caractère et ses moyens propres.
Quant à l'Annam et au Tonkin, les événements
qui y sont survenus depuis quinze ans y ont com^
plètement désorganisé les pouvoirs publics, boule-
versé les règles sociales, dispersé les populations et
tari pour un temps les sources de la richesse agri^
cole, industrielle et commerciale. Cet état de trouble
a été singulièrement aggravé par l'intervention des
armées chinoises et surtout des bandes des « Dra-
peaux noirs », et, naturellement, dans une pareille
anarchie, ce sont les vices du caractère national et
%r-^
^''
AtBRTISSBIlBirr. 3
de Torganisation politique, administrative ou sociale
qui ont dà frapper le plus vivement l'attention des
observateurs de passage.
On voit ainsi que, dans tous les cas, les auteurs
des travaux récents sur Tempire d'Annamet le peuple
annamite ne pouvaient guère échapper à de grosses
erreurs de faits et d'appréciations.
D'autre part, les lois de l'empire, sages dans leurs
principes et bien appropriées au tempérament et à la
civilisation annamites, n'ont pour ainsi dire plus été
appliquées depuis la mort de Thiêu-Tri (1847). Le
successeur de ce dernier a bien plus gouverné par
ses ministres que par lui-même et, malheureusement,
dans ces dernières années surtout, ses choix n'ont
pas été heureux. Jamais, peut-être, la vénalité, les
prévarications, les dilapidations n'avaient atteint un
tel degré, et l'exemple parti de si haut s'est propagé
jusque dans les derniers rangs du peuple. De là,
l'oubli des lois et des devoirs, le mépris des auto-
rités et les attentats commis sur les personnes et sur
les biens, avec d'autant plus de facilité que le fruit
de ces méfails servait trop souvent à corrompre le
fonctionnaire public chargé de les réprimer. Enfin,
l'agitation causée par tous ces événements, d'ori-
gine intestine ou extérieure, a fait monter à la sur-
face des couches nouvelles, et toutes ces causes
réunies ont considérablement changé Taspect des
choses.
Mais ces désordres, qui bouleversent la surface,
n'ont ea réalité rien changé au fond; ce serait tdm-
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%.
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4 L'EMPÏHE D'AN-WAM.
ber dans une erreur féconde en conséquences funestes
que de juger TAnnam et son peuple d'après le spec-
tacle qu'ils présentent depuis que nous les agitons,
et que de prétendre faire de l'ordre avec ce désordre:
un bon médecin veut connaître les prodromes avant
de se prononcer sur la maladie et avant d'y appliquer
un remède.
La bibliographieannamite établie pour la première
fois, en 1867, par M. Barbie du Bocage, comptait
470 numéros; nous ne nous tromperons sans doute
pas de beaucoup si nous disons que, depuis vingt-
un ans, ce chiffre a doublé. Nos connaissances géné-
rales se sont-elles accrues dans la même proportion?
Il est permis d'en douter.
Mais si les bons ouvrages sont rares, touchant
l'Annam tel que nous avons pu le voir depuis trente
ans, on peut dire qu'il n'en existe à peu près point
qui nous satisfassent du moment qu'il s'agit de l'état
dans lequel se trouvait cet empire quand la France
est intervenue directement dans ses destinées. Il
serait bien important cependant, — aujourd'hui que
le Protectorat nous impose le devoir d'assurer l'ordre
et la prospérité à une vingtaine de millions d'Asia-
tiques, — que les jeunes gens désireux de se préparer
aux carrières indo-chinoises pussent trouver rassem-
Wés les principaux éléments d'une étude sûre et
aussi complète que possible.
Un ouvrage présente, à notre connaissance, incon-
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AVERTISSEMENT. 5
testabiement ces caractères; c'est l'Aperçu sur la
géographie^ les productions^ l'industrie, les mœurs
elles coutumes du royaume d'Annam, qui fat inséré
sans nom d'auteur au « Courrier de Saigon » en
1875 et 1876. Mais à cette époque ce journal, officiel,
n'était tiré qu'à un petit nombre d'exemplaires ; pour
Beaucoup de raisons» la plupart ont dû se perdre
et il est bien difficile, à Tbeure présente, de s'en
procurer commodément la collection. C'est pourquoi
V Aperçu en question est tout à fait ignoré, sinon à
Saigon, du moins en France, et c'est surtout en
France qu'il importe de mieux connaître nos pays
de rindo-Cbine.
' Telles sont les considérations qui ont motivé et
qui nous semblent justifier l'utilité et l'opportunité
de la publication que nous avons entreprise.
L'oubli dans lequel on a laissé tomber une Étude
d'une telle valeur est regrettable à tous égards:
sous le titre modeste que nous avons dit, elle cache
une œuvre autrement intéressante et autrement sûre
que bien des écrits qui traitent de la même matière.
Plus connue, elle aurait pu rendre de réels services:
toutes les fois qu'il a fallu présenter un tableau
quelque peu exact de la Cocbinchine, on n'a pas
manqué d'y recourir (par exemple, pour V « État de
la Cocbinchine eu 1878 » et les < Notices colo-
niales » pour Texposition d'Anvers).
C'est dans cette conviction que nous avons
demandé à M. le Sous-Secrétaire d'État aux Colonies
et obtenu de pouvoir publier, sous les auspices de
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6 L'EMPIRE D'AN-NAM.
l'Ecole des Sciences Politiqnes, le texte primitif de
cet Aperçu, augmenté de quelques notes indispen-
sables et de notices aussi sobres que possible, desti-
nées uniquement à mettre h peu près à jour une
œuvre arrêtée à l'année 1858.
Cette Étude, disions-nous, a été publiée sans nom
d'auteur. Ce n'est point, en effet, l'œuvre d'un seul :
à la simple lecture on reconnaîtra qu'elle est le
résumé d'observations précises, suivies durant de
longues années et sur des points différents de l'em-
pire d'Annam, par des hommes de bonne foi, mêlés
à la vie annamite et, conséquemment, bien placés
pour apprécier et pour décrire exactement les choses
du milieu populaire. L'extrême réserve qu'ils mon-
trent dans les questions de gouvernement et de
législation prouve qu'ils ont vécu loin des pouvoirs
publics, et ces considérations réunies nous donnent
à penser que ce document provient, en tant que
fonds, des missionnaires français de la première
moitié du dix-neuvième siècle. Quelqu'un d'entre
eux, — M. Le Grand de La Liraye, peut-être, — l'a
dû condenser, mettre en ordre et compléter vers
1859, pour éclairer le Commandant en chef du corps
expéditionnaire français, et le Gouverneur de la co-
lonie de Cochinchine, appréciant justementsa valeur,
l'a voulu faire connaître à tous en le publiant plus
tard (1875), en feuilleton au « Courrier de Sai-
gon ».
On remarquera que l'auteur de V Aperçu, après
avoir annoncé qu'il traitera, dans des articles à part,
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AVERTISSEMENT. 7
certaines questions spéciales, telles que celles qui
regardent le gouvernement, l'histoire du pays, etc.,
n'a pas tenu ses promesses. Ce complément doit être
recherché dans les « Notes historiques sur la nation
annamite », par M. Le Grand de la Liraye (Saigon,
186S), parues dix ans avant VAperçu que nous
rééditons aujourd'hui.
Mais, d'après des indices qui ressortent visiblement
dans certaines parties imparfaitement coordonnées
de cette Étude, on s'aperçoit aisément que quelques
renseignements s'arrêtent à une époque antérieure à
l'année 1847 ; d'autres vont jusqu'en 1858. Depuis
lors, de grands progrès ont été réalisés; des
recherches, des découvertes ont élargi le cercle de
nos connaissances; la nécessité s'imposait de mettre
l'ouvrage au courant, dans les questions générales
les plus importantes, du moins, — comme il fallait
aussi développer certains points intéressants, indi^
qués seulement par l'auteur, pour les mettre mieux
à la portée du lecteur, sous le jour où ils se pré-
sentent actuellement.
C'est pourquoi nous nous sommes permis, après
avoir respecté scrupuleusement le texte primitif,
dans la 1^' partie, d'y joindre un Appendice qui eût,
certes, exigé de bien autres développements, mais
que nous avons dû forcément borner aux choses
essentielles et qui forme la 2"* partie du livre. Les
notices qui le composent pourront présenter quelque
intérêt: les unes ajoutent aux choses connues cer-
tains détails assez ignorés, ayant cependant leur
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I L'EMPIRB D'AN-NAM.
importance et qui sont exposés à se perdre ; — les
autres servent à préciser ou à compléter des sujets
iosufflsamments traités, ou oubliés par l'auteur dé
VAperçu.
Quant à la carte, reproduite d'après Mgr Taberd,
nous avons tenu à la joindre à la 1^« partie, pour
deux raisons qui semblent sérieuses: d'abord,
parce que, à part la modification apportée aux
limites de l'empire du côté du Cambodge, sous
Thiôu-Tri, elle représente exactement l'état des con-
naissances géographiques dans la presqu'île orien-
tale de l'Indo-Ghine à l'époque où écrivait l'auteur ;
— ensuite, parce qu'elle constitue un document que
la France et l'Annam pourraient avoir à faire valoir,
le jour où Ton aurait à régler des différends suscep-
tibles de s'élever, relativement à certaines provinces
de la vallée du Mé-Kong. C'est un titre à conserver
soigneusement.
Enfin, nous dirons encore que l'auteur de l'Appen-
dice ne se fait aucune illusion sur sa valeur : il n'a
fait, somme toute, que continuer l'œuvre de compi-
lation vérifiée, accomplie dans la 1'® partie de ce
livre et, telle qu'elle est, nous offrons au lecteur
cette publication, avec la conviction qu'il y avait là
un devoir à remplir envers le pays, et avec l'espoir
d'avoir peut-être fait œuvre utile.
J. S.
Rochefort, 1"' novembre 1888,
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PREMIÈRE PARTIE.
APERÇU SUR LA GÉOGRAPHIE, LES PRODUCTIONS,
L'INDUSTRIE, LES MŒURS & LES COUTUMES
DU ROYAUME D'AN-NAM.
( « Courrier de Saïgoh » 1875-1876).
CHAPITRE PREMIER.
APERÇU SUR LA GÉOGRAPHIE GÉNÉRALE.
J. Tonkinois et Cochinchinois. — Balbi, dans son Ta-
bleau de la classification des peuples deVAsie( Abrégé
de géographie, 3* édition, Paris, page 667), dit que
« les Annamites sont divisés en Tông-kinois, qui sont
« les plus nombreux, et en Cochinchinois, qui, dans
« ces derniers temps, sont devenus la nation domi-
« nanie de l'empire annamite et une des plus puis-
« santés de l'Asie, par les progrès qu'ils ont fait dans
« l'art de la guerre, en adoptant la discipline des Eu-
« i*opéens. » Il est vrai que le pays est divisé en deux
parties bien distinctes ; celle du sud, appelée Dang-
trong, Trong-nam, et celle du nord appelée Dang-ngoai,
Ngoai-bac; en d'autres termes : voie de l'intérieur ou
midi, et voie de l'extérieur ou nord. Cette division tient
SÏLVESTM. — An-nàm» 3.
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iO L'EMPIRE D'AIf-RÀM.
à la nature des lieux et à l'histoire ancienne du pays ;
elle ne peut autoriser à faire d'un seul et même peuple
deux peuples distincts, dont l'un soit Tông-kinois et
l'autre Cochinchinois ; car les Tông-kinois et les Co-
chinchinois sont identiquement, pour l'origine, le lan-
gage, les coutumes et le gouvernement, le même
peuple qui s'appelait Giao-chi, au temps des premiers
empereurs chinois, et qu'on ne connaît maintenant
dans tout l'Orient que sous le nom d'Annamites. Le
mot de Gochinchine n'existe nullement dans la langue
du pays et dans les annales chinoises ; il vient des
Portugais du dix-septième siècle, qui ont voulu avoir
sur cette côte un Cochin de Chine, comme ils avaient
un Cochin de IHnde. Pour le mot Tông-kinh, que nous
écrivons Tông-king, il n'est connu que de quelques
marchands chinois, et il vient probablement du dixième
siècle, temps où trois dynasties régnaient simultané-
ment sur la Chine. L'une d'elles, habitant le lun-nan
et le Quang-si, possédait tout le Tông-king actuel, et
Tappe ait < chef-lieu de l'est », signification littérale
du mot (1).
Le peuple qui habite maintenant le sud, c'est-à-dire
la Cochinehine, est venu peu à peu du Tông-king
depuis les quinzième et seizième siècles. Avant ce
temps, on voyait le peuple tsiampois posséder toute la
côte, de Siam à Canton; les Annamites Tout détruit
peu à peu, et au quinzième siècle ce peuple n'habitait
plus le littoral que jusqu'à la hauteur de Tourane.
Alors, comme monuments et comme sûreté contre ses
attaques^ dea villes fortifiées furent bâties aux envi-
(i) Voir la deuxième partie, »<> *. Annamiteit Tonkinois $i
Coùhinchinots,
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TONKINOIS ET GOCHlNCamOIS. li
rons de Hué, la capitale actuelle, dans la partie qu'on
appelle Bai-troi; et toute la partie comprise entre Tou-
yane et le Sông-gianh, limite du Tông-king, fut assi-
gnée comme lieu d'exil à tous ceux qui étaient tombés
sous le coup de la loi ; ce fut là, par suite, le rendez-
vous de grand nombre d'aventuriers, qui, joints aux
exilés, fournirent plus tard un point d'appui à la foule
nombreuse des mandarins mécontents^ des gens de
marque et de toutes classes, qui quittèrent le Tông-
king, vers le milieu du quinzième siècle, pour former
une cour imposante au jeune héritier de la famille des
Nguyén, ou descendant des premiers maires du palais
des Le. Ce jeune prince, fuyant pour éviter la mort
dont le menaçait inévitablement son beau-frère Trinh,
se déclara maire du palais ou Chua pour le midi, tan-
dis que Trinh avait le môme titre pour le gouverne-
ment du nord. Par suite, de grandes rivalités entre
les deux familles des maires du palais du nord et du
midi. 11 y eut alors comme deux peuples différents :
celui du Tông-king et celui de la Cochinchine, jus-
qu'au règne des « montagnards de l'ouest », ou plutôt
jusqu'à la conquête de Gia-long, en 1802, que le
peuple annamite est redevenu ce qu'il était d'origine
et de fait : une seule nation, un seul et même gou-
vernement.
Comme monument de Tépoque à laquelle se fit
l'émigration des Annamites dans le sud, d'une manière
fixe et durable, on voit encore, au-dessus du fleuve
Gianh, une petite île fortifiée qu'on appelait Thang-ông-
Ninh, du nom d'un des plus fumeux partisans de l'il-
lustre fugitif, et dont la légende est encore récitée en
vers par tous les aveugles des différents marchés du
royaume*
Digitized by L3OOQ IC
li L'EMPIRE D'AN-NAM.
Depuis cette époque de la grande invasion dans le
midi et de la constitution d'un pouvoir royal à Hué,
c'en fut fait du peuple tsiampois, comme nation. Les
rois Nguyén de Hué, disposant toujours de masses affa*
mées fuyant les grands fléaux qui arrivent si souvent
au Tông-king, poursuivirent cette nation jusqu'à ses
derniers retranchements, et les derniers rois Minh-
mang, Thiéu-tri et Tu-duc, se sont appliqués tout
particulièrement à la refouler de plus en plus dans le
sud, dans le Binh-thuân où on retrouve encore quel-
ques-uns de ses monuments, mais où Ton ne la recon-
naît plus.
Pour ce qui est de la différence qu'auraient pu appor-
ter entre les deux populations du nord et du sud, le
climat et le sol différents, aussi bien que les alliances
avec les peuples voisins, je n'en vois pas de bien
notables pour le type physique et pour les mœurs.
Dans le nord et dans le sud, au Tông-king et à la
Cochinchine, on voit partout l'Annamite avec son
même langage, avec ses mêmes coutumes de manger
le bétel et de se noircir les dents, sa même physiono-
mie de figure ouverte, spirituelle et rusée, sa cheve-
lure noire, son nez épalé et écrasé, les pommettes de
ses joues saillantes, ses lèvres plus grosses que min-
ces; son front haut et large; son teint un peu jaune
et cuivré; sa stature moyenne, bien prise et élancée,
hardie et résolue; sa démarche prompte et active; son
abord respectueux, méfiant^ puis poli et affable; son
caractère, enfin, léger, vaniteux, moqueur, peu inté-
ve6M\ passionné au jeu et avide de plaisirs; enfîu
craiûLli; mais dévoué et fidèle. La seule différence que
Von leurrait apprécier, c'est que le Cochinchinois est
riiûias ^ai, moins raffine et moins prévenant que le
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SUPERFICIE ET FRONTIÈRES. 1.1
Tông-kinois; que son abord enfla se rapproche de
celui d'un Malais ou d'un Siamois.
IL Superficie et frontières. — Balbi ne donne, en
parlant des limitations du royaume annamite, que des
démarcations très générales et très vagues. Il remar-
que à peine le vaste plateau. que forment entre elles
la chaîne annamitique du littoral-est et la chaîne
Lao -siamoise qui est au-delà du Meïcong, ce plateau
au milieu duquel coule, dans presque toute sa lon-
gueur, le Meïcong, vraie limite du royaume anna-
mite dans toute la région de l'ouest, pour le sépa-
rer du Laos et de Siam. Les deux rives de ce grand
fleuve sont habitées par les Laociens, qui, du côté de
Siam, sont tributaires de Siam, et du côté d'Annam
sujets d'Annam, au moins de droit. Depuis ce fleuve
jusqu'à la chaîne annamitique du côté de l'est, il y a
différentes peuplades qu'on appelle sauvages, qui
vivent dans une certaine indépendance, qui ont un
langage et des usages particuliers, et dont on ne con-
naît pas précisément Torigine. Ce bassin du Meïcong,
qui s'étend au nord jusque dans le Thibet,est peut-être
par-dessus tout, le pays de l'or, des diamants et des
pierres précieuses, des bois, des mines de toutes espè
ces, et la clef pour soutirer toutes les richesses de
Siam et de TAnnam, qui peuvent balancer celles de
toute l'Inde. Les Espagnols de Manille visitèrent en
1596, cette plaine qui fut explorée plus tard, en 16ii,
par Gérard Van Wurstorf, au nom de la Hollande.
Tout le littoral qui est compris entre la chaîne anna-
mitique et la mer, depuis le 9** jusqu'au 23o de latitude
nord, c'est-à-dire jusqu'à la Chine, tout ce littoral
dis-je, est occupé par la population annamite propre*
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14 L'EMPIRE D'AN-NÀM.
ment dite et les plus faibles restes de la nation tsiam-
poiçe. C'est là qu'est toute la force du pays, et c'est là
que la fertilité du sol, les ressources de la pêclie et
d'un commerce assez actif avec la Chine, et autrefois
le Japon, ont attiré la grande fourmilière d'hommes
qui composent cette nation. Au nord, la limite du pays
est la frontière de Chine, du lun-an et du Quang si.
Elle est formée par une chaîne de montagnes dont
cinq pics sont appelés Ngu-linh (les 5 spirituels), limite
des temps anciens. Cette frontière est connue dans le
pays actuellement sous le nomde Giap-ai et Phân-mao
Co-ré (crinière divisée, herbe qui se bifurque). On
prétend, en effet, qu'à la vraie limite, l'herbe se verse
au nord pour la Chine et au sud pour l'Annam. Au
nord ouest, peuplades du lun-nan; au sud, Phu-quôc
et Poulo-Gondore.
Le père de Rhodes estimait que tout le Ton-kin
était bien grand comme la France, et qu'il était quatre
fois grand comme la Cochinchine, qui alors ne comp-
tait pas toutes les provinces de Binh-thuân et de Dông-
nai. Suivant Crawfurd, on peut évaluer la surface de
tout le royaume à 98,000 milles carrés, la longueur
étant de 900 milles géographiques sur 180 milles de
largeur.
///. Principaux cours d^eau.— Parmi les fleuves et
les cours d'eau dont ce beau royaume est inondé à
profusion, et dont le père de Rhodes compte 24 pour
la haute Cochinchine et 50 pour le Tonkin, les géo-
graphes placent, avec raison, le Meïcong au premier
rang. En chinois, il porte le nom de Cau-long-gianh,
et peut-être aussi de Lou-tse-kiang; il a sa source
dans le Thibet. La direction de ce fleuve est du nord
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PRmCIPAUX COURS D'EAU. iS
au sud avec d'immenses détours, tantôt à Test tantôt
à l'ouest; sur un parcours de plus de six cents lieues,
il traverse tout le lun-nan chinois et, après avoir pro-
bablement donné naissance à l'Irawadi qui passe à Ava
et à Rangoon, au Thaluya, qui va se jeter dans la mer
à Martaban, et au Mingnam qui arrose les murs de
Bang-kok, il parcourt encore 20** de latitude, avant
d'arriver à la mer par les 5 et 6 embouchures de
Mylho, de Ham-luông, de Co-kien et de Ba-tliac. Les
affluents nombreux qu'il reçoit à ses deux rives, soit
de la chaîne du Laos, soit de la chaîne annamitique
sont peu connus ; mais on remarque le renflement
considérable et le grand-lac (Bién-hô, mer, étang)
qu'il forme avant de franchir l'enceinte des deux
chaînes de montagnes qui semblent se rejoindre dans
'e sud pour mettre obstacle à son passage à la mer.
Ce fleuve est un des plus beaux de l'Asie, et un navire
européen peut le remonter jusqu'à 60 milles de son
embouchure. On ledit navigable pour les embarcations
du pays jusqu'à vingt journées de marche au-dessus
de Saigon (1). Les alluvions immenses qu'il forme
depuis des siècles et qu'il continue à former encore à
ses différentes embouchures, après avoir franchi- ses
derniers obstacles, sont on ne peut plus dignes d'at-
tention; car si elles étaient habitées et plantées con-*
venablement, elles suffiraient seules à nourir toute la
population du royaume (2).
(1) Les premiers voyageurs hollandais donnaient au Mé-Kong
trois embouchures : l'Umbequamme (l'incommode), la Japonaise
et celle de Saigon. La première est appelée aujourd'hui Cokien,
la seconde Bras-de-Mytho; quant à l'embouchure de Saigon, on
sait qu'elle ne communique avec le Mé-Kong que par des ca-
naux intérieurs, et qu'elle appartient à un fleuve distinct, le
Dong.Nal.
<2) (Voir la d^nxiôme parUe, n« lliL$ coure du Âlê-Kong,
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IG L'EMPIRE D*AN-NAM.
Après le Meïcong, vient pour la grandeur le Sông-
koï,ou Sông-câ du Tông-king.Il est appelé en chinois
Nhi-hà-giang, et en annamite Sông-cà ou grand fleuve,
Sông-ba-bien (fleuve de Ké-kieu), Song-bô-dé (fleuve
de Bôdê). Il descend du lun-nam nord et sud jusqu'à
Ké-kieu (Ké-cho), recevant deux affluents considé-
rables, le Sông-chai et le Sông-thao, et ensuite, de
Ké-kieu il se dirige à l'est jusqu'à la mer, formant sur
son passage plusieurs îles, dont les plus considérables
sont Nam-xang, province de Hà-nôi, et Gon-hanh, pro-
vince de Nam-dinh. A la hauteur de Nam-xang, à près
de 20 lieues de son embouchure, il est d'une largeur
immense qui s'agrandit déplus en plus jusqu'à la mer,
où il va se jeter à Ba-lat, à Gua-lac et à Luc-bo (Tarn,
toa). Ce grand fleuve a de remarquable son passage
par Tancienne capitale du Tông-King, par Nam-din,li
la deuxième ville du pays, et par Héan, l'ancienne
factorerie hollandaise, française et anglaise, établie
là au temps de Louis XIV. Les alluvions qu'annuelle-
ment il charrie des hauts plateaux du nord-ouest ont
formé et forment encore des provinces, mais elles
encombrent ses embouchures devenues presque
infranchissables une grande partie de l'année aux na-
vires, si ce n'est aux époques des grandes marées
d'équinoxe. Ces embouchures forment des bancs à 9
et 10 milles de la côle, et dans les diff'érents chenaux
qui serpentent au milieu de ces longs bancs et qui
sont à peine indiqués par les pêcheries qu'on y voit
partout, on ne trouve guère qu'un mètre, un mètre
cinquante d'eau. Ce n'est qu'une fois entré dans les
terres, qu'on trouve cette belle masse d'eau de 20 à
3S pieds de profondeur, qui peut supporter, jusqu'à
Ke-kieu, le tonnage des plus grands navires, saut
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PRINCIPAUX COURS D'EAU. 17
encore quelques endroits près de Nam-dinh, où la
navigation, en temps ordinaire, ne peut se faire qu'en
barques du pays. On voit tous les ans, à Ké-cho et à
Nam-dinh, quelques jonques chinoises, du port de 4 à
500 tonneaux, et calant de 12 à 13 pieds d'eau ; elles
entrent aux équinoxes et restent toute une année dans
le port sans en pouvoir sortir (1).
« Le cours de ces deux grands fleuves, dit Balbi,
dépasse celui de tous les autres du royaume.» Ils
sont tous les deux étrangers au royaume par leur
source, qui se perd dans les montagnes du Yun-nan,
aussi bien que celle d'un autre fleuve tout à fait au
nord du Tông king, et dont le nom m'est inconnu,
quoique j'aie pu admirer la beauté de ses rives, suivre
ses longs détours dans la province de Quang-yén,
éprouver la valeur de ses nombreux pirates^ et voir
les immenses marécages dont il est presque partout
bordé (2), Tous les autres fleuves sont indigènes, et
prennent leur source du versant oriental de la chaîne
annamitique. Les plus remarquables sont :
î" Le Sông-chay et le Sông-thao dans le nord-ouest,
qui n'ont rien de particulier que leurs nombreuses
(i) Mgr Retord, vicaire apostolique du Tonkin occidental»
écrivait en octobre 1854 :
« Tout ce bassin paraît être un terrain d'alluvion provenant
du sol des montagnes, que les fleuves charrient et accumulent
sur les bords de rOcéan. Le fond, exhaussé par. ce remblai
continuel, devient terre ferme à son tour ; chaque année un cer-
tain espace est conquis sur les flots et il s'établit tous les jours
de nouveaux villages dans les endroits que la mer occupait il y
a dix ou quinze ans On peut particulièremenl citer tout l'arron-
dissement de Kim-Son, où il y a près de vingt mille chrétiens,
qui s'est tout formé depuis que je suis ici et qui ne cesse de
s'agrandir d'une manière considérable. » Annales ds la propa-
gatton de la foi).
(2) Il s'agit sans doute du Thai-Binh que Ton suppose aujour-
d'hui descendre du lac Ba-Bè, au N.-O. de Cao-Bang
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18 L'EMPIRE D'AN-NAM.
cascades, leur long parcours etleurjonctioa au Song-
ea, fleuve de Ké-kieû.
2" Le fleuve de So-kiên et Sông-ba, qui passe peu
loin au sud de Ké-kieû, et ensuite à Van-sang, le plus
joli chef-lieu de département que je connaisse ; de là,
il passe à Vinh-tri, chef-lieu ordinaire de la commu-
nauté des missionnaires français depuis près de deux
cents ans; à Luc-bô, camp royal et d'approvisionne-
ment, et enfin à Tam-toa, pagode royale. Il reçoit de
nombreux affluents sur son passage, et il va se jeter
à la mer par la plus profonde et la plus navigable
embouchure qu'il y ait au Tông-king, pour remonter
à Ké-kieû et à Nam-dinh; elle s'appelle Gua-dai. Ce
fleuve a une grande importance pour le commerce
intérieur du pays qu'il fournit de bois pour la cons-
truction et de feuilles pour les toitures ; aussi on a
fait de grands travaux pour le faire communiquer au
grand fleuve par un canal à peu près naturel qu'on a
creusé et élargi depuis Phu-sa (Luc-bô) jusqu'à Nam-
dinh. Il est mis en outre en rapport avec les provinces
du midi, par le moyen de plusieurs rivières, ce qui
fait qu'il baigne aussi trois provinces très importan-
tes, et qu'il est peut-être le fleuve le plus connu et le
plus fréquenté du pays. Ses rives, d'ailleurs, sont du
plus bel aspect que l'on puisse voir.
3' Le Sông-ma, de la province de XuThanh-Hoa-
noi qui est plus au midi; il a pour affluent le Song-xa,
et il n'a de remarquable que son étendue vers Tçuest,
au travers des forêts et des déserts qu'on dit être la
patrie primitive des illustres familles Le et Trinh, jus-
qu'aux peuplades les plus reculées du royaume, son
passage au chef-lieu de département, et le commerce
de cire des Laotiens, de sel du pays, de cannelle, de
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PRINCIPAUX COURS D'ëAU. 19
bois et de fer qui est considérable. Il y a un fond de
sable, beaucoup de grèves et peu d'eau, si ce n'est
aux époques d'inondations, qui là ne sont pas régu-
lières, comme dans le nord du Tông-king. Un canal a
été creusé pour le joindre à un autre petit fleuve qui
passe au milieu du chef-lieu de département, et va se
jeter peu loin de là à la mer, de sorte qu'on serait
tenté de lui donner deux embouchures différentes. Ce
canal, comme celui dont j'ai parlé plus haut, est un
beau travail qui a bien de 2 à 4 milles de long, sur
50 à 60 pieds de large. Il a été fait surtout pour des-
servir les carrières de marbre noir dont le roi fait un
grand usage et un grand profit.
4° Le Song-ghêp sur la limite de Xu-thanh et de
Xu-nghê (1). Il remplit une grande étendue par ses
ramifications nombreuses ; mais ses rives sont inha-
bitées, et il est d'ailleurs peu navigable ; son embou-
chure très large est un bon abri pour les bateaux de
pêche contrariés par la mer.
5** Le Song-mo, en Xu-nghê, la province la plus mé-
ridionale du Tông-king; il va se jeter à la mer par
trois embouchures différentes, Manh-son, Gua-tro et
Trang-canh, endroits très commerçants et très
riches.
6*» Le Sông-gianh, limite naturelle du Tông-king et
de la Cochinchine, qui est remarquable par les dunes
de sable qui le resserrent à son embouchure. On le dit
très profond, et il roulait, du temps des Portugais, de
l'or et de l'argent. C'est cet or et cet argent qui ont
donné lieu aux premiers édits de proscription contre
les étrangers.
(1) FroYinces 4« Thanh hoa et Nçhê An,
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20 L'EMPIRE D'AN-NAM.
Et voilà, ea abrégé, ce que je sais des fleuves du
Tông-king, qui sont admirables par la manière dont
ils sont, pour la plupart reliés entre eux. Ils procu-
rent la plus grande fecilité pour voyager et pour corn
muniquer de province à province : grande ressource
pour un pays qui n'a pas de routes tracées et bien
entretenues comme chez nous. Je doute qu'il y ait
une contrée au monde où les cours d'eau soient si
bien distribués, et dont les rives soient plus belles
qu'au Tông-king. La nî^ture en a fait les plus grands
frais, et de siècle en siècle, les populations qui s'y
sont groupées peu à peu ont ajouté les travaux de
canalisation, de certains embellissements et des cul-
tures, qui les rendent presque partout délicieux.
Pour ce qui est des fleuves de la Cochinchine « ils
« ont, dit Balbi, un cours très borné, au moins du côté
« de la mer, à cause de la proximité de la chaîne
a annamitique qui leur donne naissance. De l'autre
« côté de cette chaîne, ils vont se jeter dans le Meï -
< cong » et je n'en connais aucun. On dit que les indi-
gènes exploitent facilement la richesse de leur lit,
pour y trouver la matière de leurs bracelets d'or et
d'argent, et leurs ornements de diamants et de pierres
précieuses. Us plongent au moyen d'une longue perche
très flexible, qui, fixée en terre à Tune de ses extré-
mités, se courbe par leur poids suspendu à l'autre et
les relève facilement, à leur volonté, du fond des plus
grauds gouffres ; ce qui donnerait à croire qu'il y a
aussi de ce côté des courants d'eau considérables.
IV. Iles. — Balbi ne parle point des lies de la côte
annamite. Les plus remarquables et les seules habi-
tées sont, au N.-N.-E. du Tong-king, au fond du golfe :
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ILBS. 21
!• Les îles qui font partie de ce qu'on appelle dans
le pays Phô-van-ninh. Sur la limite du côté de Can-
ton, ce sont: An-lang-phô, enclavée dans le terri-
toire de Canton; Ngoc-son ou Tra-cô; Xuâa-Lan, sur
laquelle se trouve le dernier mandarinat annamite, du
côté de la Chine ; Yan-hoan et plusieurs autres de
moindres dimensions. De ce côté, il y a un dédale
d'îlots et de rochers de toute forme, qui donnent séjour
à un grand nombre de pirates et dont Taspect est des
plus féeriques que l'on puisse voir. On ne peut mieux
s'en faire une idée qu'en s'imaginant des groupes de
châteaux ou de fortifications en ruines, dont on voit des
tours démantelées, des ouvertures de souterrains, des
cours verdoyantes, des arcades entières ou à demi
conservées, des lacs obstrués, des donjons et des
esplanades à batteries. Sans la crainte d'être dévalisé
dans ces lieux déserts, on ne se lasserait pas de con-
sidérer toutes ces merveilles que la main de l'homme
n'a pas travaillées, et qu'elle est impuissante à imiter.
2* Bay-xa, «ou les sept communes », où l'on voit des
pêcheries, et qui sert de relèvement pour entrer dans
le fleuve à l'entrée duquel se trouve la rade et le
marché chinois appelé Cua-cam (1) et, plus avant, le
chef-lieu du département de Hai-duong ou Sanh-dong,
qui a une certaine importance. Le marché chinois
dont je viens de parler est le point le plus commode, à
ce qu'il parait, pour soutirer la plus grande partie des
richesses du pays, comme le riz, les gommes, les
métaux et certains objetsd'industrie. Aussi on y trouve
depuis une quinzaine d'années une allée et venue con-
sidérable de navires chinois qui y font la contrebande,
(1) Nous y avons fondé Hai-Phong.
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^ L'BMPIRË D'ÂN-NAM.
et qui y trouvent un bon mouillage et un abri sûr.
3® Quan-hanh (Con-hanh) et Nam-xang, qui se trou-
vent dans le grand fleuve, et qui sont très peuplées et
très fertiles. On y cultive en grand la canne à sucre
dont on obtient de très beaux produits. C'est entre
Quan-hanh et Nam-xang que se trouve l'emplacement
de l'ancienne factorerie hollandaise, française et
anglaise du dix-septième siècle, appelée Phô-héan, et
où l'on voit encore me enceinte de mut ailles et une
assez forte population chinoise qui l'habite. Entre
Quan-hanh et Bay-xa, du côté de la mer, est, à ce qu'il
paraît, une nouvelle formation d'îles que les Chinois
ont achetées du roi Minh-mang, il y a quinze ou vingt
ans, quand il y avait encore à cet endroit six brasses
d'eau de profondeur, dit-on. Minh-mang se moqua
d'eux, mais il reçut leur argent et voilà que, ces der-
nières années, les Chinois ont commencé la culture de
ces nouvelles élévations, et qu'ils y ont bâti des mai-
sons qui pourront leur servir de comptoir pour se
mettre chez eux, à l'aljri des vexations mandarines.
En descendant la côte du Tông-king, vers le midi, on
trouve grand nombre de pentes îles qui ne sont point
habitées, à l'exception de Bien son qui forme un point
militaire : Hon-mê et Biên-son, qui sont renommées
pour leurs abris entre Xu-thanh et Xu-nghê, circons-
crivent à 8 ou 9 milles en mer, une des plus belles
rades que l'on puisse voir. Elle donne sur un petit
fleuve qui ne manque pas de profondeur et dont le
fond est de vase ; pour la dominer, les ofiiciers fran-
çais venus à l'aide de Gia-long, avaient construit sur
le continent un fort dont on voit encore de bien beaux
restes. Gomme lieu de constructions, je pense que ce
serait le mieux choisi dti Tônk-kiûg, et ce doit être le
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ILES. 23
plus facile pour opérer un débarquement, et pour
isoler le nord des provinces du sud.
Celte rade a été fréquentée par les Portup^ais et les
Espagnols des seizième et dix-septième siècles, et ce
fut là qu'abordèrent les premiers missionnaires en
1624. Une inscription de lettres à demi effacées est
montrée encore par les habitants comme monument
de ce fait. La population chrétienne y est nombreuse
(environ 2,000 âmes) et elle jouit d'une aisance remar-
quable.
Plus loin on trouve Hon-ngu qui sert aussi de bon
abri aux pécheurs surpris par les bourrasques, et de
point d'observation pour reconnaître la côte. De grandes
et riches chrétientés comme Mauh-son, Cua-tro,
Trang-canh, s'en trouvent peu éloignées sur la
côte.
En Cochinchine on remarque Hon-hanh, dont la
longueur peut être de 8 lieues, à l'estime, sur 3 lieues
danssaplus grande largeur; puis Hon-son-cha etHai.
wen qui forment la tant renommée rade de Tourane
que nos navires de guerre connaissent, et dont Cook
fait un si bel éloge. Au midi de cette rade est l'em-
bouchure du Hoi-han et l'ancienne ville de Fai-fo,
que les Japonais avaient autrefois choisie comme cen-
tre de leur commerce et dont ils étaient propriétaires.
Au nord de cette rade, mais séparé par le continent,
à une bonne journée de marcheuse trouve Gua-thuûn,
ou port de Thuân, formé par l'embouchure du petit
fleuve, assez profond, qui conduit à la capitale actuelle,
Hué. C'est là sa grande importance (1).
Tourane, ou Han-san, fut cédée en 1787 à la France.
(1) Aujourd'hui appelé Thuân An»
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24 l*empirb; D'AN-NAM.
avec un territoire stérile et étroit de 40 milles de long
sur 8 à 10 de large, avec l'Ile de Hai-wen et Fai-fo.
La France n'en a jamais pris possession. Ce port est,
comme on peut s'en assurer par l'inspection de la
carte^ dans une position unique et très avantageuse
pour dominer dans les mers de Chine, et pour faire le
commerce de ce vaste empire, du Japon, de Bornéo et
de Manille.
En continuant de longer la côte vers le sud, on
remarque encore Culao-ré, dont les habitants font un
commerce très-étendu, dont le principal objet est la
soie; Cam-ranh, dans la province de Nhà-trang, qui
forme la seconde rade, rade qui pourrait devenir très
importante si l'on voulait isoler les deux peuples
vaincus du Tsiampa et du Cambodge, de leurs vain-
queurs les Cochinchinois, et aussi soutirer par là
toutes les richesses du grand bassin formé par les
chaînes de montagnes du pays et le Meïcong.
Poulo-Condore, en tournant la côte vers le sad-
ouest. Les Anglais y fondèrent une colonie en 1704,
mais elle fut peu de temps après détruite par les
Makassars de Bornéo, et depuis lors il* n'en est plus
question.
Phu-quôc (Koh-dond, Kô-trol) à l'entrée du golfe
de Siam, très-fertile et très-peuplée. Elle est remar-
quable par ses hautes marées, dit Crawfurd, sa riche
végétation, sa pèche du trépang, et j'ajouterai sa posi-
tion maritime. C'est dans cette île que se réfugia
Nguyên-anh, ou Gia-long, après ses malheurs; mais il
ne put y rester faute de ressources pour s'y défendre,
et il lui fallut s'enfuir à Poulo-way (Hon-duc), île
déserte, où Mgr d'Adran le rencontra et le secourut,
car il y mourait de faim et de misère. Une foule
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VILLES PRINCIPALES. i5
de petits tlots se trouvent jetés çà et là, an nord
de cette grande ile, jusqu'au canal naturel que les rois
annamites ont fait élargir à grands Trais, pour relier
toute cette extrémité du royaume à la province de
Gia-dinh ou Saigon, depuis la destruction du Cam-
bodge (1).
Poulo-ubi ou Hon-khoai, qui forme Textrême limite
du royaume au 8^ 25', et Hon-tram, ou Cô-cong,
enclavée dans les possessions siamoises du nord du
golfe et servant d'avant-poste militaire.
V. Villes principales. — Les principales villes du
royaume sont :
l"" Hué ou Phu-xu&n, dans la Cocbinchine, au 16' 30'
et la capitale actuelle. Elle est construite sur un fleuve,
c grande et forte, » dit Balbi. Ses ouvrages intérieurs
et extérieurs, construits par des oflBciers français,
sont immenses et d'une grande solidité. Elle a trois en-
ceintes de murailles en briques, neuf portes d'entrée.
M. Finlayson loue les greniers, les magasins, les
casernes et les arsenaux de terre et de mer, dont la
plupart s^élèvent sur les bords d'un canal navigable
qui traverse la ville. < Dans l'arsenal se trouve un
musée « d'artillerie où l'on voit les modèles de tous
les c canons en usage chez les nations européennes » .
Il ne dit pas que ces foudres de guerre sont Tobjet
d'un culte qui consiste à leur donner des dignités et
des diplômes, à leur faire des sacrifices aux princi-
pales époques de l'année, et, dans les circonstances où
leur service est exigé, à les récompenser avec du thé
(1) Canal de Vinh Té, qui relie le golfe de Siam au Mé-Kong
par Chaudoc.
SiLVUnui. — AfiMêm.
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i6 L*BNPIRE D'AN-HAM.
et des mets exquis, quand ils ont bien mérité, et à les
châtier quand ils sont reconnus coupables de méfaits.
Six temples sont consacrés aux héros qui so sont
distingués sous Gia-long (l'un d'eux est dédié à la
mémoire de Mgr d'Adran) ; ils forment, pour ainsi
dire, le panthéon annamite. Selon M. White, on
à employé à ces travaux, pendant vingt ans, près de
cent mille hommes. Le fossé qui environne la place a
3 lieues de circuit et 100 pieds de large, et les murs
ont 60 pieds de hauteur. La citadelle est de (orme
carrée ; le palais de l'Empereur est aussi vaste que
massif. Cette ville possède une fonderie de canons,
qui, après la suppression de celle du Cambodge, est
devenue la seule du royaume; mais, certes, s'il en
faut juger par ce qui a eu lieu en ISIt?, on ne sera pas
tenté d'attribuer à cette fonderie une grande impor-
tance; car les meilleurs ouvriers n'ont pu fondre que
quelques pouces des pièces dont la commande était de
7 pieds de long ; le métal ne coulait pas, et il a fallu
un édit du roi pour réunir en quantité des plumes de
volailles, de tous les environs, alîn de former des
éventails dont la puissance suffit à rendre liquide au
feu ce qui n'en sortait qu'à demi-dur. Hué est aussi la
station ordinaire d'une forte section de la flotte des
galères, et tous les ans on construit sur ses chantiers
des bâtiments de guerre, les uns d'après les modèles
européens (ce qui n'existe plus depuis 1847),les autres
d'après des modèles qui sont un mélange des formes
européennes et asiatiques. — Quant à la population,
c'est assurément une des plus pauvres que l'on puisse
voir. M. Hamilton en fait monter le chiffre à 30,000
âmes, mais elle doit aller au moins à 100,000, y
compris les femmes du palais qu'on dit élré au nom-
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TRINCIPALES VILLES. 27
bre de 5,000, et la nombreuse garnison : soldats, ou-
vriers, commis, comédiens, qu'on peut évaluera 30 et
40,000 hommes.
2* Ké-cho,« le marché», au Tông-king, et la capitale
de la dynastie Le. Elle est située sur le Sông-ca. Le
père Alexandre de Rhodes dit qu'elle est une fort
grande et fort belle ville, où les rues sont larges, le
peuple infini, et le circuit des murailles au moins de
six bonnes lieux (il y habitait en 1627) ; Richard la dit
égale à Paris en étendue, et cependant M. de la Bissa-
chère ne lui accorde que 40,000 habitants ; cela pour-
rait se concilier dès que l'on sait que des cabanes, des
jardins, de larges rues et de vastes terrains couverts
de décombres et de bambous en occupent la plus
grande partie ; mais Dampier estimait que de son
temps cette ville avait bien 20,000 maisons, ce qui
vaut, dit Crawfurd, 200,000 habitants. Ce chiffre n'est
peut-être pas beaucoup au-dessus de la vérité. Moi je
ferais monter la population annamite à 120 et 130,000
âmes et la population chinoise à 8 et 10,000. Les palais
du roi et des mandarins sont seuls construits en bri-
ques ; la résidence des derniers souverains est très
vaste, mais elle tombe en ruines, et une partie seule-
ment sert en ce moment de demeure au vice-roi du
Tông-king. Dans les environs de Ké-cho, on voyait du
temps de Baron (1) et Ton voit encore, selon M. Ghai-
gneau, la triple enceinte de l'ancienne ville, et les
ruines d'un ancien palais qui avait six à sept milles de
circonférence, et dont les cours pavées en marbre, les
portes, les restes de ses appartements annoncent que
c'était un des plus magnifiques monuments de l'Asie
(I) Voir la deuxième partie, n« m : Baron,
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Î8 I/EMPIRE D»AN-NAM.
Cette ville remonte au moins à Tan 600 après Jésus*
Christ, comme je le dirai plus loin, dans le précis
historique. Elle a toujours été d'une grande importance
par sa position et par l'étendue de son commerce.
Malgré qu'elle ne soit plus la résidence royale, c'est
encore, je crois, la première ville du royaume pour
les arts, l'industrie, le commerce, la richesse, la popu-
lation, le savoir-vivre et les études. Il faudrait dire que
dans tout le royaume il n'y a pas d'autre industrie
qu'à Ké-cho, et que tout le Tông-king, toute la Cochin-
chine ne peuvent se passer d'elle. C'est là que viennent
les hommes de lettres, les bons ouvriers, les gros
commerçants ; c'est de là que sortent les objets d'art
pour la nécessité et les objets d'art pour le luxe ; c'est
là^ enfin, qu'est le cœur de la nation. Aussi une grande
route relie cette ville à Hué, et à tous les chefs-lieux
de département. Cette grande route, construite par
Gia-long, est maintenant assez mal entretenue ; mais
elle est remarquable par sa longueur et par les postes
qui la desservent de distance en distance. La lati-
tude de Ké-cho est de 22° 26' nord, et sa longitude
102« 55' est.
3<» Saigon (nommé Louk-noui par les naturels),
ancienne capitale du royaume du Cambodge, conquise
par les Annamites. Elle est située sur une péninsule
formée par la réunion de deux fleuves et elle se com-
pose de deux villes distinctes : la ville nouvelle dite
Bengali, et la ville ancienne nommée Saigon. Tout près
de la liremière s'élève une ancienne citadelle cons-
truite sous la direction des ingénieurs français, qui
n'était, pas encore achevée en 1821 . Pour la force et
rétendue elle rivalise avec les fortifications de Hué.
JLu milieu de la ville s'élève un vaste palais bâti par
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PIllNGIPÀLBS YILLBS. W
le roi, qui cependant n'y a jamais résidé. Selon M.
Wbite, lieutenant de la marine américaine, qui l'a vu
en 1819, l'arsenal maritime ne le cède guère aux éta-
blissements de ce genre qui sont en Europe. Il y a
compté 190 galères, d'une construction excellente,
longues de 40 à 100 pieds, et portant les unes 16 canons
et les autres de 4 à 6. Ces pièces étaient en cuivre et
de la plus belle fonte. Cette ville, d'ailleurs, est d'une
grande importance pour la domination dans le golfe
de Siam et pour faire le commerce de toute la côte
malaise jusqu'à Singapour. Dans les environs immé-
diats de cette ville, on voit le monument que la recon-
naissance de Gia-long a élevé à celui qu'il appelait le
< Maître illustre», c'est-à-dire à son vertueux et habile
ministre Tévêque d'Adran. C'est une plate-forme sur-
montée d'une belle maison, dont la conservation ou
garde est confiée à un détachement de la garde royale
encore aujourd'hui ; c'est là que sont les restes du
grand évéque, auxquels on a joint, en 1847^ ceux de
Mgr Duclos, qui avait été précédemment délivré d'une
longue captivité, à Tourane, avec MM. Charrier, Miche,
Galy et Berneux par VHéroïne. (1)
4** Oudon (Lauwek, Laweik, Loech), bâtie sur une
île formée par un bras du Meïcong, et traversée par
plusieurs canaux. Selon Van Wurstorf,qui la visita en
1637, toutes les maisons étaient contiguës et le long
d'une digue. Le palais de l'ancien roi du Cambodge,
d'une architecture très simple et bâti en bois,létait
resplendissant d'or et d'argent à l'intérieur. Cette ville
renfermait un temple très beau, dont le toit était sou"
(1) Voir la deuxième partie, n« IV : Satgon avant Voccupalion
française,
SîLvrsTRB. — Ànnam^ 2.
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30 L'EMPIRE D'AW-NAM.
tenu par des piliers de bois vernissé, avec des ornô-
ments en relief et dorés ; le pavé en était précieux, et
l'on y voyait trois grandes statues couvertes d'or.
Maintenant cette ville n'existe pour ainsi dire plus,
depuis que la cour du Cambodge s'est transportée à
Panomping, plus vers le nord (1).
Après ces villes du premier rang, nous devrions
citer, pour le Tông-king, les villes de Vi-hoang, chef-
lieu de la province de Nam-dinh et qui a bien SO à
60,000 habitants. C'est un point de commerce très
important. Celles de Hai-duong, de Van-sang, de Hung-
yén, et quelques autres marchés du royaume.
Pour la Cochinchine, Nhà-trang, où on remarque
un beau port qui annonce un commerce étendu, un
chantier de constructions et des fortifications ; Qui-
nhon, qui a une nombreuse population, quelques tra-
vaux de sûreté et un débouché sur la mer ; et enfin
Fai-fo, dont les enviçons sont remarquables par plu-
sieurs grottes magnifiques et un palais taillé dans le
marbre, dont on peut voir la description dans la
relation de M. Itier ; mais il nous tarde de finir avec
ces articles.
Toutes les autres villes du royaume sont une agglo-
mération plus ou moins considérable de maisons, de
jardins, de bambous, de différents villages, de diffé-
rentes communes, groupés autour d'une enceinte qui
renferme les tribunaux de la province ou de l'arron-
dissement, et les soldais qui y font le service. Il y a
çà et là quelques camps, quelques postes militaires ou
de {douane, quelques greniers du roi pleins de riz. Ces
postes sont censés suffire au pays pour sa sûreté, mais
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DIVISIONS DU TBKRITOIRE. 31
ils sont, en général, de peu d'importance, et c'est à
peine s'ils pourraient se mettre à l'abri des bandes de
brigands qui, chaque année, malgré eux ou de conr
cert avec eux, infestent la contrée. Je n'en connais
qu'un, au Tông-king, qui soit de 400 hommes ; les
autres n'ont pour la plupart que SO ou 60 individus
armés de sabres, d'un tambour, de piques, et sur-
tout de barques pour poursuivre les pauvres gens
qu'ils rançonnent d'une manière étrange et impitoyable
sous différents prétextes, pour assouvir leur cupidité.
VI, Divisions du territoire. Aspect général et pro-
ductions principales de chaque région. — Notre
sujet devient de plus en plus intéressant : les divi-
sions administratives nous indiquent un pays civi-
lisé et digne d'attention, en même temps qu'elles nous
donnent déjà un aperçu des richesses et dt^s revenus
de la contrée, dont je parlerai ensuite d'une manière
plus spéciale.
On remarque tout d'abord que les deux grandes
divisions, Tông-king (Dang-ngoai, voie du dehors,
Annam septentrional) et Gochinchine (Dang-trong,
voie du dedans, Annam méridional) sont démarquées
par trois limites dont l'une est civile, l'autre militaire,
la troisième simplement naturelle.
1° Hoanh-son, qui est une ceinture de montagnes
très abruptes, laissant seulement le passage d'une
grande route qui borde la mer et qui relie ensemble
les deux capitales du royaume. La position de cette
ceinture de rochers est si belle et d'une protection si
sûre que le roi Gia-long, en la voyant, ne put s'empê-
cher de s'écrier « Hoanh-son, nhâtdai, khadi van dai
dong than» ; mots chinois qui veulent dire que Hoanb-*
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32 L'BMPIRK D'AP(-NàM.
soa est uQe ceinture que Tou peut prendre pour le
repos de dix mille siècles ; c'est la limite civile et
ofTicielle pour séparer Quang-binh de Hà-tinh. Au
pied de cette ceinture, qui va E. et 0., depuis la mer
jusqu'aux hauts plateaux, on voit une baie assez
remarquable par son étendue, qui se tit)uve un peu
au nord du Sông-gianh.
2" Luy-say, ou muraille fortifiée, au sud de ce même
Sông-gianh. Elle a été élevée par les anciens maires
du palais du sud, pour se rendre indépendants de la
maison des Trinh qui régnait au Tông-king. C'est une
limite militaire qui n'a d'importance qu'à certaines
époques. Elle a été ruinée en partie, je crois, par 6ia-
long et ses successeurs, et on n^'en voit plus que des
restes.
3"* Le fleuve Sông-gianh, qui est la limite avouée
partout par les populations, Au nord de ce cours
d'eau on se dit : nguôi dang ngoai (homme de la voie
extérieure), et au sud : nguôi dang trong (homme de
la route intérieure).
Ensuite le pays est divisé en provinces et sous-
provinces. Les provinces sont divisées en sous-pré-
iécLures et en arrondissements : de là, San-chinh,
Sang-tay et Phu, Huyên. Dans les sous-préfectures et
les arrondissements il y a des cantons (Tông), et les
cantons se forment d'un plus ou moins grand nombre
de communes ou Xa, qui portent différentes déno-
minations, suivant leur po,)ulation et suivant les
titres de concession. Ces cantons et communes ont
des chefs qui sont du peuple et qui dépendent des
mandiiritis pour tout ce qui regarde le roi et les
corvées; ils se rendent le plus indépendants qu'ils le
peuvent du gouvernement et, au Tông-king du moins,
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DIVISIONS DU TERRITOIRE. 83
ils parviennent assez bien à se maintenir contre les ve-
xations des mandarins et les empiétements delà cour.
Voici maintenant le nom des provinces da royaume
à commencer par le nord :
l'» Au Tông-king, sur la rive gauche du Sôag-Ca :
1. Quang-yén, limitrophe de Quang-tông ;
2. Hai-duong ou Sanh-dong ;
3. Bac-ninh;
4. Thai-nguyên ;
5. Cao-bang :
6. Lang-son;
7. La grande partie de Nam-dinh ;
8. Hung-yén;
Hai-duong, Bac-ninh, Hung-yén et Nam-dinh, sont
des provinces très peuplées et très fertiles; elles
sont inondées une grande partie de l'année. Thai-
nguyén est riche en mines de zinc, de charbon, de
plomb et même de mercure, que les Chinois exploi-
tent au nom du roi. Quang-Yén est presque désert,
mais sur son littoral, on voit des stations de navires
chinois qui soutirent en grande quantité les richesses
minérales et végétales du pays, pour Canton et le
Fo-kien. Cao-bang était autrefois un petit royaume
qui n'a maintenant d'importance, ainsi que Lang-son,
qu'à cause de ses stations militaires et des routes de
contrebande pour le commerce avec le lun-nan.
2" Sur la rive droite du Sông-Ca, au sud et à l'ouest,
sont d'abord le reste de la province de Nam-dinh, qui
ne forme plus qu'un arrondissement de ce côté, et
ensuite, 1* Ninh-binh; 2** Xu-thanh-hoa; 3" en
remontant au nord-ouest, Son-Tây; 4" Hà-nôi, dont le
chef-lieu est Ké-kieu (Kécho) ; 6* Hung-hoa ; 6"^ Tuyén-
quang.
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34 L'KMPIRE n'AN-NAM.
On s'accorde à raconnattre que c'est la population
de Hà-noï qui offre le plus de ressources sous le rap-
port du caractère. Cette province peut assurément
prétendre à être la première et la plus belle des
royaumes du Tôiig-king et de Cochinchine à tous
égards. Ninh-binh lui est bien inférieure, mais elle a de
remarquable les atterrissements prodigieux qui l'ont
augmentée presque du double depuis 50 ou 60 ans.
Ces terrains nouveaux donnent de doubles mois-
sons qui peuvent, dans les bonnes années, nourrir à
elles seules tout le Tông-king. Son cheMieu, Van-
sang, est pour sa situation la plus jolie ville que je
connaisse, et il est relié par les cours d'eau qui y
aboutissent de toutes parts, à toutes les directions
des autres chefs-lieux du pays; aussi les navires du
roi stationnent toujours en grand nombre sous son
abri, pour y prendre l'impôt de toutes les provinces.
Xu-thanh-hoa est couverte de fer, de cuivre, de
résine, de marbre et de bois de fer. Ce sont ses mon-
tagnes, tout à fait dans le sud-ouest, qui fournissent
la meilleure cannelle du monde, à Trinh-van et à
Thuong-dong ; elle a quelques nids d'hirondelles, des
puits excellents, du sel en abondance et à très bon
marché, et des bestiaux (bœufs ou buffes) plus que
toutes les autres provinces ensemble. Ses grand mar-
chés échangent l'or et l'argent, la cire, la soie, le
coton, les tissus du Laos, et des cymbales qui ont une
grande réputation.
Tuyéïi-quanget Hung-hoa, dans le nord-ouest, sont
renommées par leurs mines d'or et d'argent, qui sont
cenï^ées servir aux besoins du gouvernement, sous la
surveillance de mandarins avides, qui en partagent
avec les Chinois les plus nombreux produits.
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DITISIONS DU TEKRlTOlllB. 3t>
Ces provinces, en outre, fournissent, en grande
quantité le beau vernis qu'on appelle laque, et une
très bonne quantité Je thé et de tabac.
Pour Son-tây, on n'y voit rien de bien particulier,
si ce n'est \e Lac-Tho, petit pays où habite la peu-
plade appelée Muong, sur laquelle M. de laBissachère
aécrit un petit ouvrage très critiqué. De nombreux
Chinois (8 à 10,000), y habitent depuis 7 ou 8 ans et
y trouvent de l'or en quantité, qu'ils envoient à Can-
ton encore chargé des matières hétérogènes qui le
supportent, afin de ne pas trop exciter la cupidité des
Annamites.
3*» Au midi de Xu-thanh-hoa est le départemunt de
Xu-nghé et la sous-province de Hà-tinh. Ce départe-
ment est une provmce assez stérile; aussi tous les
hommes, il y a 40 ou 50 ans, y étaient soldats. Il est
cependant remarquable par son commerce de la côte,
commerce d'arec, de sel, de coton, de bois de Galam-
bac, etc., par les mines de fer et par h" caractère
énergique, rusé, positif et subtil de ses habitants, qui
sont les Normands et les Gascons du royaume. Voilà
pour le Tông-king.
En Gochinchine, du temps du P. de Rhodes, le Cam-
bodge et le Tsiampa n'étant pas annihilés comme
aujourd'hui, on comptait à partir du 12* au 18' degré
de latitude nord six provinces : Sin-sa, Quoam-bin,
Cham, Quoam-nhia, Qui-nhon et Ran-ran; à présent
nous avons :
V Quang-binh;
2* Thua-thién;
3° Quang-nam, l'ancienne province de Cham ;
4" Quang-ngaï ;
5° Binh-dinh ;
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36 L'BMPIRE D'AN-NAM
6* Phu-yên ;
7» Nhà-trang (Ran-ran d'autrefois);
8* Khanh-hoa, formé de Yên-khanh et deBinh-hoa;
9"" Binh-lhu&Q (ou le Tsiampa) ;
lO"" Biôn-hoa ou Dông-nai;
11*» Phan-yén (Saigon);
12*» Dinh-thuong (Mytho);
13" Vinh-lhanh (Long-ho) ;
14" Chaudoc (ou An-giang);
IS"" Nam-vang (l'ancien Cambodge);
16'Hàlién (ouGancao);
17» Gô-sat ou (Pur-sat).
Quang-binh, Thua-thiéa et Quang-nam forment ce
que nous appelons la haute Cocbinchineou Cochin-
chine septentrionale.
11 n'y a là de remarquable que le centre du gouver-
nement actuel et un terrain de sable très élevé. La
population y est pauvre, les habitants manquent pour
la plupart des ressources de la vie. Le commerce y
était autrefois florissant, et le P. de Rhodes parle de
la province de Cham comme de la plus importante
dn la Cochinchine. Cependant tout y parait mince à
présent : les Japonais n'y sont plus ; la cour, de pater-
xielle et généreuse qu'elle était, est devenue sou-
cieuse, despote et impitoyablement tyrannique, et
c'est à peine si l'on voit encore quelques barques
jeier Tancre à la dérobée sur ses côtes.
Quang-ngaï, Binh-din;», Phu-yên, Nhà-trang, Khanh-
tioa, Binh-thuân, forment la moyenne Cochinchine.
La vie de la côte reprend à Quang-ngaï et devient
de plus en plus active jusqu'au renflement consi-
dérable qui forme les provinces de Khanh*hoa et de
Binh-thuân. On y trouve du coton en grande partie
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DIVISIONS DU TERRITOIRE. 37
tilé, des soies grèges et des tissus remarquables ;
de Thuile, un enduit résineux qui est d'un grand usage
dans le pays et qui ressemble assez au galipot de nos
marins ; des bois d'aigle, d'agalloche et de calambac ;
de l'ébène, de Tivoire, du sucre, de l'aloès et du
poivre.
Le P. de Rhodes s'étonne que l'on fasse une telle
prodigalité de soie dans le pays, qu'elle serve à faire
les filets des pêcheurs et les cordages des galères, et
que le sucre ne s'y vende que deux sous la livre. Il
parle aussi des nids d'hirondelles, qu'on trouve en
quantité sur la côte ; il attribue la haute qualité de
ces nids à la nourriture de cette espèce d'hirondelles
de mer, qui ne vit, d'après lui, que de calambac; car
c'est dans cette région que se trouve le meilleur
calambac du monde, ce bois si odoriférant qui sert à
tant de médecines. Il y en a de trois sortes, continue
le même père ; le plus précieux s^appelle calambac ;
l'odeur en est admirable ; il sert à fortifier le cœur, et
il est employé contre toutes sortes de venins. En ce
pays là même il se vend au poids de l'or, et les indi-
gènes rappellent Ky-nam; les deux autres sont
l'aquila et le calambac ordinaire.
Le Binh-dinh est une masse de fer; tout son sol en
est couvert, et ce fer est si pur que les indigènes
n'ont qu'à le forger pour s'en servir, comme du reste
dans tout le pays. Le Phu-yên excelle par ses soieries
et ses tissus; le Tsiampa ou Binh thuân produit de la
soude que les naturels appellent Cac-lôï; on y remar-
que des tours mahométanes, à l'abri desquelles se
sont réfugiés les restes de la nation Tsiampoise, car
cette nation est malaise, demi-mahométane et demi-
payenne. Cette province renferme encore quelques
SiLTism. •— Annam. 3
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38 L'EMPIRE D'AN-NAM.
'tribus indépendantes et belliqueuses ; mais dans la
partie soumise il n'y a que des villages, dont Padaran
et Phanry sont les principaux. Des pèlerinages se font
de là à la Mecque, où Ton envoie des sujets pour la
prêtrise, comme de toute la côte malaise.
Le P. de Rhodes dit expressément qu'en haute et
moyenne Cochinchine, comme au Tông-king « des
« inondations ont lieu chaque année. La terre y est
« fertile, dit-il; elle y est arrosée par 24 belles rivières
€ qui font une inondation réglée, toutes les années,
« en novembre et en décembre, et quelquefois il y en
« a trois, qui engraissent la terre et la rendent très
« productives. En ce temps là, on ne va que sur des
« barques, et les maisons sont tellement faites qu'on
f les ouvre par en bas, pour donner passage à l'eau :
a car elles sont posées pour cela sur de gros piliers. »
Il paraîtrait que les terrains auraient singulièrement
haussé, depuis le temps du Révérend Père; car, quoi-
que les inondations existent tous les ans en Cochin-
chine, elles sont loin d'être aussi générales qu'il le
donne à entendre, et ce qu'il dit ici s'appliquerait
bien mieux aux cinq ou six provinces baignées par le
grand fleuve du Tông-king : Ninh-binh, Nam-dinh,
Hai-duong, Hung-yên, Bac-ninh et Hà-nôi.
Mais parlons enfin de Gia-dinh ou Dông-nai, et de
toute la partie sud-ouest que nous désignons sous le
nom de basse Cochinchine.
Ces deux grandes provinces ne sont annamites que
depuis 1824 (1). A cette époque le roi du Cambodge
mourut, laissant trois enfants dont le second, Huinh,
(1) L'auteur n'entend évidemment parler ici que de Nam-
Vang et Gô-SaU
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DIVISIONS DU TEttRlTOlRE, 3»
fatpriset mis en prison à Hué, où on lui coupa lé
nerf du talon. De retour au Cambodge, après une
assez longue captivité, les Cambodgiens, refoulés à
l'ouest du Meïcong, n'en voulant plus pour roi, ils
élurent à sa place le troisième fils 4u roi défunt,
lequel était bonze et règne à présent sur Nam-Vàng-
trân (1), qui forme à peu près tout le royaume du
Cambodge actuel. Toute cette basse Cochinchine est
on ne peut plus fertile et poissonneuse ; j'en ai déjà
parlé au sujet du grand fleuve Méicong. La population
n'y est pas assez considérable, et elle n'y a pas suffi-
samment les garanties que pourrait lui donner un
bon gouvernement.
On y a fait cependant, au milieu des alluvions, des
travaux de canalisation qui ont, dit-on, coûté à Minh-
mang des sommes immenses, et au moyen desquels
on a établi presque partout des voies de communica-
tion de la plus grande utilité ; reste l'entretien de ces
canaux et l'achèvement de celui de Châudôc à Hàtiên.
Après la division des provinces, il faudrait encore
dire quelque chose des peuplades de la vallée-est ou
de la rive gauche du Meïcong, sur le versant opposé
à celui du littoral. Ces peuplades sont peu connues ;
on les dit sauvages, et leur grande occupation est de
chercher les paillettes d^argent que roulent presque
tous les courants d'eau de cette partie. Leur état est
très arriéré et très précaire ; ils manquent de vête-
ments, et ils cultivent à peine leurs champs.
Sans parler du Cambodge, on peut distinguer le
Laos annamite, apparemment composé de trois par^
(i) Nam-Vaog. Voir dans la deuxième partie VhUtùri^ue âè là
conquête du iBas-Camboâgê par VAnnamé
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40 L'EMPIRE D*AIf-NAM.
ties distinctes : Le royaume du petit Laos, à l'ouest
du Tông-king méridional, dont il est tributaire ; la
capitale est Han-niech, suivant M. de la Bissachère;
le royaume de Tiem, mentionné par Marini et Van
Wursthorf, est situé dans les montagnes de la haute
Cochinchine, od il joint la partie méridionale du pays
des Lan-jam ou Lant-changt (véritables Siamois) dont
Sandapoura est la capitale; enfin, le royaume de Bao,
dont parlent Tipannier, le P. de Rhodes, Dampier et
autres, qui était tributaire du Tông-king suivant
Marini.
Les deux rives duMeïcong sont, du reste, occupées
depuis Dông-nai jusqu'au Yun-nan, par des peuplades
de Laociens qui sont les plus insoumises de toutes
ces contrées. Ensuite, en revenant dans les monta-
gnes vers la mer, on trouve un assez grand nombre
de peuplades plus ou moins indépendantes, régies par
des coutumes particulières et ayant un langage diffé-
rent. Ce sont les Moi, les Roï, qui sont, dit-on, très
sauvages et très cruels, et les Loïqui habitent les hauts
plateaux de Tuam et de Binh-thuân, en Cochinchine.
Au Tông-king, les gens de Vien-cham, que le roi
annamite a aidés à repousser les Siamois et par
lesquels il a été trahi. Ils se trouvent à peu près à la
hauteur de Xu-nghê, dans les montagnes. Puis les
Muong, qui peuplent ce fameux Lac-tho dont on s'est
tant occupé, quoiqu'il ne soit qu'à une journée et
demie de Ké-cho.
Cette famille occupe une grande étendue de terrain
au sud de la province de Son-tây, jusqu'aux limites du
Xu-thanh-hoa. L'organisation de ses nombreux villa-
ges est très remarquable au point de vue de la féo-
dalité et du régime domestique. Chaque village a une
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DIVISIONS DU TERKITOIRE. 41
famille noble qui a de grands droits et de grands
devoirs, avec haute et basse justice. Ces familles
nobles ne peuvent se mésallier, et elles sont à la tête
du civil et du religieux de la communauté, qui tient
souverainement à honneur de les conserver et défen-
dre. Il faut dire cependant que les dernières guerres
de Minh-mang ont beaucoup changé les choses, en
introduisant au milieu de ces peuplades la puissance
des mandarins royaux et le régime communal, avec
renseignement chinois, comme il existe au Tông-
king.
Les Muong n'ont pu encore relever la tête, mais
leurs affections sont encore vivantes; qu'une main
de fer cesse de s'appesantir sur eux, et ils repren-
dront bientôt leurs anciennes coutumes. Je pense que
leur effectif pourrait monter à 3 ou 400,000 âmes.
C'est une belle race d'hommes, dont les plus grands
défauts sont l'ivrognerie et la paresse. Ils ont une
grande passion pour la chasse et sont très vindicatifs
et superstitieux. Il y a peu de maisons où l'on ne
trouve plusieurs fusils à mèche, qu'ils ajustent sur
leur joue droite pour tirer, au risque de se casser la
tête. Il font les plus grands sacrifices pour se pro-
curer ces armes fabriquées par les Annamites, et
qu'ils sont à présent obligés de tenir cachées.
Les maladies rendent le séjour dans ce pays très
redoutable. Il est reconnu comme impossible d'y
aller, sans être atteint de la fièvre des forêts, et sans
en revenir ou ruiné de forces, ou tourmenté de
tumeurs intérieures qui se forment dans la poitrine
ou dans les flancs, et que l'on garde d'ordinaire toute
sa vie. On remarque aussi chez les habitants beau-
coup d'hydropiques, et beaucoup d^obésités du bas
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4Î L'EMPIRE D*AN-IfAM.
des jambes, surtout chez les femmes, même les plus
jeunes.
Enfin, tout au nord-ouest du Tông-king, nous avons
les Quan, divisés en sept familles que l'on appelle
Tliat-toc, et qui sont bien moins remarquables que les
Muong dont je viens de parler. Leur effectif n'est pas
nombreux et ils sont à peine civilisés.
En terminant cet article des divisions administra-
tives du pays, je dois faire mention d'un traité de géo-
graphie du royaume, imprimé en chinois et en deux
volumes, par ordre de Minh-mang. Cet ouvrage est
très remarquable, et il est à déplorer que les divisions
de provinces aient encore changé depuis lors, et qu'il
n'y ait pas de nouvelles éditions en rapport avec la
géographie actuelle. Pour ce qui est des cartes, Mgr
Taberden a fait imprimer une à la tête de son diction-
naire annamite, et il l'a faite d'après un relevé de
côtesassez exact, fait probablement par M. Ghaigneau,
et d'après une carte annamite qu'il s'était procurée à
ja capitale. Elle est très défectueuse pour le Tông-
king, bonne pour le littoral de la Gochinchine, et
inexacte pour le cours du Meicong qu'elle rapproche
trop delà chaîne annamitique. Elle parle ensuite d'un
Nuoc-stieng ou royaume de Stieng, d'Atauba-thành
qui n'existent pas, etc.
Cependant elle donne de bonnes indications pour
les rades, les villes, la route royale et ses postes, les
montagnes et la plupart des provinces. Pour ce qui
est des cartes anciennes, le P. de Rhodes les trouvait
trop défectueuses, et disait : « qu'il ne savait pas d'où
€ ii est arrivé que ce beau royaume (le Tông-king) a
« été sifortinconnu, que nos géographes d'Europe n'en
Œ ont même pas su le nom et n'en disent quasi rien,
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DIVISIONS DU TERRITOIRE. 43
« dans toutes leurs cartes... Ils le confondent avec
a la Gochinchine et ne disent souvent de ces pays
« quasi que des mensonges, faisant bien souvent rire
« ceux qui ont été sur les lieux. » Depuis le P. de
Rhodes, le tracé exact de la côte par les officiers
français au service de 6ia-long et par les hydrographes
de la Compagnie anglaise, nous a donné de grandes
facilités pour faire de bonnes cartes d'où le Tông-
king ne peut être rayé ; mais pour l'intérieur du pays,
jusqu'à ce qu'on puisse en sûreté se servir d'instru-
ments européens et être autorisé par une commission
à parcourir librement le pays, on n*aura que des à-peu-
près, surtout au Tông-king, qui a une plus grande lar-
geur. Gomment donner au public desimpies à-peu-près,
dans 1 état actuel de notre science géographique?
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CHAPITRE II.
VUE GÉNÉRALE DES GRANDES DIVISIONS NATURELLES; —
DU SOL, DU CLIMAT, DES PRODUCTIONS, ETC.
I. Grandes divisions naturelles. — Au Tông-king
le sol se divise ea trois grands plateaux différents.
Le premier, au Nord-Ouest, est formé par les provinces
de Lang-son, Gao-bang, Thai-nguyén, Hung-hoa, Tuyén-
quang et Son-tây : c'est le plateau des montagnes, que
les indigènes appellent «la partie de Doai » (ouest). Elle
s'étend depuis Kécho jusqu'aux Quang-si, Yun-nan et
Laos.
Le second est une plaine assez basse, divisée en
plusieurs parties par de petites chaînes de collines
qui descendent vers la mer, dans un sens horizontal
par rapport aux grandes chaînes du Nord-Ouest, et
semée çà et là de rochers, jusqu'au lieu du littoral
actuel, pour servir comme d'arêtes aux alluvions
prodigieuses qui se détachent depuis des siècles du
haut plateau précédent. Il est formé des provinces de
Quang-yên, Hai-duong, Bac-ninh, Ha-nôi, Hung-yén,
Nam-dinh et Ninh-Binh, et les gens du pays le désignent
sous le nom de Xu-nam.
Enfin le troisième plateau formerait les provinces
de Xu-thanh-hoa, de Nghè-an et de Hà-tinh, jusqu'à
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DU SOL 45
la Gochinchine : c'est en général un terrain élevé et
peu remarquable comme fertilité ; il prend le nom de
de Xu-thanh.
II. Du sol. — Le second plateau se distingue des
deux autres par les inondations qui le couvrent cha-
que année presque en entier, les alluvions qui l'en-
graissent et l'agrandissent peu à peu, la fertilité qui
en résulte et la population qui s'y est agglomérée de
telle sorte qu'on dirait que la grande majorité de la
nation est là réunie sur ce petit cadre, qui ne présente
pas le dixième de la surface générale du royaume.
Les inondations, depuis des siècles, ont lieu à par-
tir de la fin du sixième mois jusqu'au douzième, c'est-
à-dire depuis le mois d'août et de septembre jusqu^en
janvier et février. Elles charrient toujours des détri-
tus d'arbres et de végétaux, des sables, des terres
mêlées qui sont annuellement si considérables que je
ne fais aucune difficulté d'affirmer qu'elles ont peu à
peu formé toute cette plaine.des sept provinces dont
je parle.
Il parait que quand Ké-cho aété bâtie par les Chi-
nois, au huitième siècle de notre ère, la mer baignait
ses murs et que toutes les provinces au-dessous de
cette ville jusqu'à la mer n'existaient pas. Il est certain
que j'ai vu annuellement cette plaine s'augmenter peu à
peu, soit en élévation soit en étendue, par les inonda-
lions périodiques qui ne manquent jamais d'avoir lieu.
Les inondations descendent d'un plateau très élevé;
elles proviennent de la fonte des neiges sur les nom-
breux versants du Nord-Ouest et parcourent une assez
grande étendue de terrains de forêts, pour qu'en
s'amoncelant elles entraînent avec elles une quantité
#SVLVESl'ftE. — Annami 3i
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46 L'EMPÎRE D'AN-NAM.
considérable de tourbe et d'arbres renversés. Elles
apportent donc (ce qui estàpeine croyable) deschamps
entiers, de l'épaisseur de deux ou trois pieds, qui flot-
tent sur les eaux avec leurs maisons et leurs planta-
tions, et toujours une couche considérable de terre,
battue et pétrie avec des détritus des forêts, vient
donner à ces terrains une fertilité admirable et des
moissons magnifiques. J'ai vu plusieurs villages cou-
verts tout d'un coup, en entier et dans une étendue de
un à deux milles anglais, de deux à trois pieds en
moyenne de cette alluvion. Je connais particulière-
ment deux communes qui ont été ainsi envahies au
point d'être obligées de faire changer, dans leurs
titres de concession royale, la nature de leurs anciens
terrains, pour diminuer les impôts, et recommencer à
nouveau les divisions pour chaque famille. Il y a 40 à
50 ans, le tiers à peu près de la province de Ninh-
binh n'existait pas, et à présent sur ce nouveau sol,
il y a une agglomération de population immense. Le
roi vient d'y créer, ces dernières années, une sous-
préfecture, celle de Kim-son.
Les atterrissements continuent encore vers le sud-
est de cette province, et il y aura lieu de former encore
un nouvel arrondissement. On peut calculer que
chaque année, sur cette lisière, il s'élève 2,000 arpents
de terre labourable. L'arpent étant de 100 pieds car-
rés, cela donne une assez belle surface qui s'étendra
probablement jusqu'à un rocher à cinq ou six milles
en mer. Après cela, où s'aggloméreront les tourbes
charriées par les grands fleuves jusqu'à la côte? On
peut prévoir qu'elles s'entasseront de plus en plus
vers le nordj jusqu'à ce que la ligne du littoral soit
rempliei
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DU SOL. 17
Ces alluvions laissent encore chaque année, en
moyenne, sur la surface générale de ce plateau des
six ou sept provinces de la plaine, de deux à trois
pouces français de vase quand Tinondation est consi-
dérable. Quelquefois elles n'apportent en certains en-
droits que du sable, et alors elles ruinent tout à coup
un village ; mais cela arrive rarement. Il faut seule-
ment les considérer comme la fortune du pays et la
cause du rassemblement de population immense
qu'on y remarque, malgré l'inconvénient de ne se ser-
vir que de barques pour aller d'un lieu à l'autre et
d'être ainsi obligé de se priver du bien-être et des
ressources que procure l'entretien des animaux
domestiques.
Au milieu d'un déluge pareil, il faut que tout le
monde soit un peu marin et ait une barque à sa dis-
position. Aussi fait-on partout une grande quantité
de petites nacelles en bambou tressé, qui sont très
légères et très maniables, et dont les unes peuvent
contenir une dizaine de personnes, les autresun moins
grand nombre. Quand il arrive qu'on ne peut s'en
servir, à cause d'une digue ou d'un terrain trop élevé,
alors on les porte facilement jusqu'à un autre endroit.
Les hommes, les femmes, les enfants savent avec
beaucoup d'adresse se servir de ces barques qu'on
dirige au moyen de deux petites palettes que l'on tient
de chaque main (Pi-boi) ou d'une grande perche flexi-
ble que l'on enfonce dans l'eau et dans la vase tout-à-
fait sur l'arrière de la nacelle. Le coup d'œil de ces
petites barques, qui traversent en tous sens la plaine
inondée, est des plus pittoresques et des plus curieux.
La manière de bâtir en usage dans ce pays est auss^
tout à fait commode pour l'habitation de ces mare-
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48 L'EMPIRE D'AN-NAM.
cages. Leurs maisons sont éievées sur un tertre de
terre apportée, de deux à trois pieds d'élévation et
même quelquefois de huit à dix, et elles ne ser com-
posent que de bois unis ensemble par des traverses
et des cloisons qui ne font pas de résistance aux cou-
rants d'eau qui viennent les heurter ; Teau passe au
travers, et s'il faut élever le plancher on n'est jamais
embarrassé pour le superposer à la hauteur voulue.
Du reste, il y a d'immenses travaux d'endiguement
faits par tout le pays, pour régulariser l'inondation,
la rejeter autant que possible dans le courant des
fleuves et briser sa trop grande impétuosité. Ces tra-
vaux sont de beaux remblais de terre de vingt mètres
environ de base et de six à dix de hauteur, sur un
parcours de dix à quinze lieues de chemin. Ils ne
sont point indignes de nos levées de chemins de fer;
on les appelle Dang-quai, et les cantons prennent
grand soin de les conserver en bon état. Aussitôt
qu'ils sont rompus par un courant trop violent, on
bat le gros tambour qui appelle à la corvée les contin-
gents communaux ; et si le travail surpasse les forces
de la localité, le mandarin militaire du département
doit venir avec ses soldats pour présider aux efforts
de plusieurs cantons qu'il convoque aussitôt. Ces
digues servent en même temps de routes pour
les communications de province à province, et
elles ont ainsi une double importance. Le dernier
vice-roi du Tông-king,Thuong-giai, excité sans doute
par les réclamations d'un grand nombre de localités
qui avaient horriblement souffert, en 1852, de Tinon-
dalion qui eut lieu alors,avait pensé détruire engrandc
partie (.-es beaux travaux, parce que le terrain des
dilTéronîs lieux n'est plus le même que celui qui exis-
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DU SOL. 49
tait à l'époque où on les a commencés ; jfnais il est
mort avant d'avoir pu mettre la main à l'œuvre, et il
est heureux, je crois, que son dessein n'ait pas été
suivi.
Ainsi donc, la fertilité incomparable de ces champs,
qui se couvrent en très peu de temps des plus belles
moissons, la manière de construire les maisons, Tha-
bitude qu'on a presque partout de se servir de jolies
et commodes barques en bambou, et de plus quelques
travaux d'endiguement, font trouver habitables ces
grands marais. J'ajouterai que le poisson s'y trouve
en abondance et qu'il y est de très bonne qualité. Ces
pauvres gens, qui n'ont point toute notre vie faite
d'une foule d'usages grecs, romains, celtiques et gau-
lois superposés les uns sur les autres, ces pauvres
gens, dis-je, qui se contentent de peu, d'une ration de
riz avec quelques condiments faits de poisson et de
sel, d'une natte et d'un abri quel qu il soit, ne trou-
vent rien de mieux que leur plaine inondée et leur
maison noyée dans les eaux. On peut vivre, cela suf-
lit. Ils ont du riz et du thé pour aliments ; pour com-
bustible, ils ont Id paille de leurs cliamps; pour bois
à tout usage, les magnifiques bambous qui entourent
partout leurs villages et leurs maisons. Que peut-il leur
manquer? D'ailleurs l'inondation disparaît à la fin du
douzième mois, et la belle végétation que l'on voit
alors de tous côtés autour de soi, rompt la monotonie
de la saison passée et fait oublier les misères et les
contre-temps que l'on a éprouvés.
Cette grande plaine, ainsi fécondée, fournit surtout
du riz, et la quantité de ce riz est suffisante pour nour-
rir tout le Tông-king et la haute Cochincliine, sans
compter qu'il s'en fait une grande réserve chaque
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80 L'EMPIRE DAN-NAM.
année par le roi et les riches particuliers, et que les
Chinois en exportent une quantité très considérable,
soit à Haï-nan, soit à Canton et au Fo-kien.
Il y a deux moissons : celle du cinquième et celle du
dixième mois lunaire. La moisson du dixième mois
ne vient ordinairement que sur des terrains élevés ;
cependant beaucoup d'endroits jouissent du bénéfice
de la double moisson et font ainsi la richesse du
pays.
Le troisième plateau, formé des trois départements
de Xu-thanh, de Xu-nghêetde Hâ-tinh, est, comme je
l'ai dit, un terrain élevé ; il offre beaucoup moins de
ressourcesagronomiques, parce qu'il n'est pas fécondé
par des inondations régulières et aussi générales.
Xu-nghé même est une province stérile. Cependant la
culture du coton, des plantes oléagineuses, des igna-
mes et du maïs s'y fait avec succès, ainsi que l'édu-
cation des vers à soie, que l'on nourrit avec le mûrier,
arbuste planté en forme de haie sur les terrains les
plus sablonneux. La culture du riz ne suffit pas à la
nourriture des habitants, et l'on est obligé d'avoir
recours au commerce pour compléter l'approvision-
nement. Aussi, sur toute cette belle côte, on voit un
grand nombre de points où il se fait un commerce
très actif et très lucratif.
Mais revenons au premier plateau, formé par les
provinces du Nord et du Nord-Ouest du Tông-king ; il
est moiîis peuplé ; il a une population mêlée d'Anna-
mites, de tribus dépendantes et de Chinois errants ;
mais il est le plus riche en minéralogie et en bois de
toutes sortes. Il s'élève peu à peu en majestueux am-
phitliéâtre, et sa teinte brune, que l'on aperçoit de la
mer en abordant la côte du golfe, présente un de»
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DU SOL. 51
plus beaux coups d'œil que j'aie jamais vus dans mes
voyages.
J'ai parlé de la végétation de la plaine ; j'aurais pu
parler des saillies d'un certain bitume que l'on voit
en Xu-thanh, et qui tient de Tencens et de la térében-
thine. Les gens du pays s'en servent pour s'éclairer
et pour faire quelques médecines contre les faiblesses
d'estomac et les coliques. J'aurais pu parler du mer-
cure qui suinte en plusieurs endroits, dans la province
de Haï-duong; j'aurais pu parler encore des marbres
et des ambres des terrains nouvellement formés, mais
tout cela est peu de chose comparativement à la ri-
chesse géologique du haut plateau des montagnes, qui
regorge d'or, d^argent, de cuivre, de zinc, de fer, de
plomb et de charbon de terre. A en croire les Tonki-
nois, et ils ont raison, il n'y a pas de pays plus riche
que le leur, et au sein de la pauvreté ils s'en font une
gloire. Du reste, c'est un trésor qu'il gardent au grand
Dragon^ et auquel ils ne touchent pas de peur de cou-
per la veine royale, comme ils le disent dans leur
langage superstitieux. Autrefois, les Portugais et les
Espagnols ont chargé leurs navires des différents mé-
taux du Tông-king, qu'ils exploitaient par plusieurs
voies différentes ; à présent, ce sont exclusivement les
Chinois qui se chargent de l'exploitation des mines
pour le servirede Sa Majesté, dans les endroits où il
n'est pas trop à craindre, à ce qu'il paraît, de couper
la veine royale, c'est-à-dire de briser la destinée de
la dynastie régnante. Ces mines d'or et d'argent
étaient exploitées, d'après Marini, dès l'époque de
1625 à 1630, et un auteur (Grawfurd) fait monter le
produit annuel de l'argent seulement à 100 piculs ou
tt,000 kilogramme»* Les Chinois, tout en livrant quel-
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52 L'EMPIRE D'AN-NAM.
qaes produits au roi et aux mandarins qui les surveil-
lent, profitent' de la confiance dont ils jouissent pour
enrichir la Chine, leur patrie, et ils font des fortunes
fabuleuses qu'ils ne peuvent emporter en entier chez
eux. Aussi, il y a de nombreux pirates, soit sur mer,
soit sur terre, soit sur les fleuves, et il se trouve peu
de communes où il n'y ait des trésors enfouis pour
servir à plusieurs générations.
On raconte à ce sujet, dans le pays, des choses
merveilleuses.
Quoi qu'il en soit, il est certain que les Chinois font
d'immenses fortunes au Tông-king et que les métaux
d'or et d'argent enfouis par eux, par le roi et par les
riches particuliers du pays sont en quantités considé-
rables. Pour le cuivre, j'en ai vu au Xu-thanh, près de
K'iuim, pays natal de la famille Le, une mine, qui,
d'après les gens du pays, aurait bien un gisement
d'une ou deux lieux de tour, et dont j'ai vu de beaux
produits dérobés à la vigilance des mandarins et tra-
vaillés en forme de vases pour l'usage domestique.
Le métal en paraît naturellement très pur et d'une
belle couleur, plutôt jaune que rouge. Cette mine est
enseveUe obscurément dans les rochers et dans les
forêts. Elle domine, comme bien d'autres encore, les
générations d'hommes timides et superstitieux que
Ton enterre à ses pieds, et elle attend peut-être que
les autres parties du monde s'épuisent et se fatiguent
pourouvrirson sein aux besoins des peuples. Du reste,
je ne signale cette mine que pour la connaître particu-
lièrement ; tous les vases du pays, chaudrons, cuvettes,
cafetières, crachoirs, elc, sont en cuivre, ce qui
prouve qu'il doit y en avoir une grande quantité^ et
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DU SOL. o3
qu'il doit être d'un facile travail, vu les faibles moyens
de l'industrie annamite.
On dit que dans les montagnes il y a du charbon de
terre en abondance, et c'est en eflfet la ligne que les
Anglais exploitent en Birmanie ; tous les forgerons du
pays s'en servent, et je crois qu'il est très bon mar-
ché. Maintenant est-il meilleurque le charbon Chinois,
qui ne vaut rien ? Est-ce de l'anthracite ou de la
houille ? Je n'en sais absolument rien (1). Pour le
soufre et le salpêtre, il y en a aussi beaucoup sur ce
plateau, et il est excellent. On en fait une grande con-
sommation dans le pays pour les feux d'artifice,
dont la population est avide, et surtout contre la gale
qui est un mal très commun partout chez les Anna-
mites. Il n'y a pas de petit marché où l'on ne puisse
s'en procurer ; cependant on ne voit aucune trace de
volcan nulle part. On remarque, dans beaucoup d'en-
droits, un petit cube d'environ 0.03 cent., qui est
noir, dur et lamelleux, à paillettes blanches ou jaunes
quand on les brise : il est appelé or vif par les natu-
rels, et sert à la médecine, surtout pour les accouche-
ments difficiles. En brûlant il répand une forte odeur
de soufre : c'est, je pense, un sulfure d'argent.
Pour la Gochinchine, au sujet du sol, je n'ai rien à
ajouter à ce que j'ai dit en parlant des divisions admi-
nistratives du royaume, parce que je ne la connais pas
assez. On peut y distinguer trois plateaux distincts :
celui du littoral, celui du versant ouest de la chaîne
anamitique, en regard du Meicong et, enfin, les em-
bouchures de ce grand fleuve qui forment la Basse-
Cochinchine ou Dông-nai et Gia-dinh ; il pourrait se
(1) Voir la deuxième partie, n» V : /a Houille au Tonkin.
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U I/EMPIRE D*AN-NAM.
faire qu'il y eût là peut-être encore plus de richesses
minéralogiques qu'au Tông-king (i) ; mais parlons du
climat.
IIL Du Climat. — La chaleur et le froid, la séche-
resse et rhumidité, le beau temps et la pluie, le chan-
gement des saisons et leur durée, les vents et les
tempêtes, la salubrité et Tinsalubrité : voilà, je crois,
ce dont il faut parler en fait de climat. Je ne connais
point d'observations barométriques qui puissent me
donner la hauteur moyenne des plus hauts et des plus
bas plateaux du pays, par rapport au niveau de la
mer ; ce que je sais, c'est que la température ne varie
pas beaucoup du Tông-king à la Gochinchine, même
dans les montagnes, où la chaleur est étouffante pen-
dant les six ou huit mois de l'année où elle règne
dans toute la contrée. Elle est de 25 à 32% 36 et 37»
au plus, depuis mars jusqu'en novembre, et de 6° au
dessus de zéro jusqu'à 15 et 20*, le reste du temps. Au
Tông-king et à la Gochinchine, cette chaleur, diffé-
rente aux deux époques précitées, est tempérée et
modifiée par deux moussons, Tune du S. E. appelée
Gio-nôm, pour le printemps et l'été, et l'autre du S- 0.
au N. 0. appelée Gio-mây, pour l'automne et l'hiver.
Celle du Sud-Est est d'un grand agrément, au milieu
des chaleurs d'avril, de mai et de juin ; elle est beau-
coup pluS/régulière que l'autre, aussi les gens du pays
construisent-ils leurs maisons de manière à profiter
de sa brise, qui suit les heures de marée et qui est
aussi gaie que fratche et légère. Il est à remarquer que
(1) Les recherches faites jusqu'à présent sont loin d'avoir jus-
tifié cette supposition •
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CLIMAT. »n
quand ce vent du Sud-Est remonte à l'Est, il occa-
sionne des maux de tête, des frissons et la fièvre. Le
vent de la mousson Sud-Est occasionne aussi des
orages et des bourrasques qui sont l'effroi des pêcheurs,
quand il incline trop vers le sud ou qu'il varie brus-
quement d'une direction à une autre. Ces orages et
ces bourrasques, qui durent une ou deux heures seu-
lement, et quelquefois même un instant, sont de deux
sortes : Giông et Tô. Je ne suis pas assez bon marin
pour en donner exactement la différence ; cependant
le Tô est plus subit et ne cause pas de variation bien
sensible du ciel et de la mer ; tandis que le Giông se
dessine par les nuages et se signale par les éclairs et
le tonnerre ; il dure plus longtemps, mais il est moins
prompt et moins terrible, à moins que deux de ces
bourrasques ne se rencontrent ou ne se succèdent ;
alors les flots s'amoncellent en sens inverse et se
heurtent : la coque des frêles embarcations des pau-
vres pêcheurs et des caboteurs delà côte est menacée,
s'ils n'ont pas eu le temps de chercher un abri, et
tous les ans il y en a un grand nombre de brisées et
d'anéanties, malgré l'habileté de ceux qui les montent.
Le Tô n'en veut qu'à la mâture, qu'il rase quelquefois
tout-à-coup, avant qu'on ait eu le temps de le voir
venir. Pour les tempêtes, elles ont lieu dans la saison
des pluies, aux mois d'août, septembre et octobre. Les
Chinois les appellent Ty-phong ou « quatre vents »,
parce qu'elles font en huit ou douze heures, et quelque
fois plusieursjours de suite, le tour du compas. Les plus
terribles, je crois, sont celles qui commencent par les
vents d'Est et du Sud. J'en ai vu une, en 1851, qui a
ravagé un diamètre de bien quinze lieues. Les eaux
de la mer avaient envahi le littoral de la province de
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56 I/KMPIRE I>*AN-NAM.
Ninh-binh et y avaient surpris les pauvres gens occu-
pés à faire des nattes. On disait alors que plus de
10,000 personnes avaient péri dans les flots. Les
maisons,' dansjle reste de la provincejiet dans celle de
Nam-dinli, étaient J presque partout; renversées; les
arbres les plus forts étaient ou déracinés ou rompus
par la moitié à la naissance des branches ; les haies
de bambous qui entourent les villages étaient tressées,
tordues, et ne ressemblaient plus à de la verdure,
mais exactement à des quenouilles de filasse; il était
impossible de marcher contre le vent,etje me rappelle
très bien que ce jour-là nous n'avons pu faire cuire
notre riz, si ce n'est à dix ou onze heures du soir que
le temps est devenu plus calme et plus tranquille.
Pendant cette saison des pluies on voit aussi, dans
le golfe du Tông-king, des trombes qui font quelque-
fois de. grands ravages. En 1845, je pus jouir d'un coup
d'œil de ce phénomène, dont j'avais entendu parler.
Il me faisait l'effet d'un beau nuage noir de dix à
quinze mètres de large et ressemblant assez pour la
forme à une corne d'abondance un peu tordue. Il
n'était pas éloigné de notre barque, et les matelots
chinois brûlaient force papier-monnaie pour conjurer
les mauvais génies, quand un vent violent venant du
large vint le briser et nous jeter dans une petite baie,
où nous nous trouvâmes fort heureux de n'avoir perdu
que notre gouvernail, qui fut fracassé au moment
même où nous jetions l'ancre.
Il est inutile de parler de la foudre et du tonnerre,
parce que, en Gochinchine et au Tông-king, il n'a rien
de plus particulier Jqu'à Singapour et à Malacca; dans
tous les pays chauds et à riche végétation, ils sont
fréquents et pour ainsi dire journaliers.
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CLIMAT. o7
J'ai remarqué qu'au Tông-king la chaleur était très
humide, et que c'était surtout durant la saison chaude
que, dans les maisons et parmi les effets, on trouvait le
plus de moisissures. Cette humidité provient des ri-
zières et des dernières évaporations des eaux de l'inon-
dation au commencement du printemps. Il doit en être
de même en basse Cochinchine ; aussi, à cette époque,,
il y a beaucoup de maladies dans le pays, des fai-
blesses d'estomac, des coliques, des pesanteurs de
tête, des fièvres malignes, la dyssenterie et le choléra.
Pendant l'inondation beaucoup de familles ne peuvent
enterrer leurs morts ; alors les cadavres, amarrés à
des pieux, se trouvent en beaucoup d'endroits dépo-
sés sur la vase ; puis les exhalaisons boueuses jointes
au dégagement considérable produit par la fermenta-
tion des végétaux, dont la sève est forte partout à
cette époque, sont des causes bien suffisantes pour
expliquer les épidémies qui, chaque année, désolent
une population d'ailleurs assez mal nourrie, vêtue et
logée. Tant que les eaux couvrent le pays, le Tông-
king est salubre et tout le monde, en général, s'y
porte bien. Ce n'est donc qu'à cette époque, fin de
février et commencement de mars, qu'il ya de grandes
précautions à prendre, surtout par rapport à Teau,
qu^il faut bien filtrer et épurer avant de la boire,
comme, du reste, partout dans ces pays, et en toute
saison.
Les Chinois et les Annamites ont horreur de l'eau
froide, et sont sans doute payés pour/cela. Ils ne boi-
vent jamais, autant que possible, que de l'eau qui a
bouilli et qui a été infusée avec quelques feuilles de
Trà (Thé). Les Européens, qui préfèrent l'eau froide,
la font d'ordinaire filtrer au charbon ou au sable, et
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58 L EMPÎRE D'AN-NAM.
quand ils en ont le moyen, ils font comme les gens
riches du pays, qui recueillent les eaux de pluie et les
conservent dans d'immenses vases en terre cuite,
qu'on se procure en certaines provinces.
Pendant quelques mois de Tannée, Teau est si trou-
ble partout qu'il faut la battre avec de l'alun pour la
rendre potable, c'est-à-dire, assez bonne pour cuire
le riz et faire les infusions du thé. Cette eau, battue
avec de l'alun, est un peu laxative, comme l'eau de
Paris ; mais elle n'a, je crois, aucun mauvais effet.
Les gens des barques surtout en font une grande con-
sommation, pendant que les fleuves charrient les
débris des montagnes ; ils ne s'en portent pas plus
mal. Dans le plateau de la plaine du Tông-king, il est
difficile d'avoir de bons puits, et dans le reste du pays
il y a une superstition qui empêche d'en creuser, de
peur de briser la veine royale dont j'ai parlé plus
haut. C'est pour cela que les rives des fleuves sont si
peuplées ; l'eau des rivières est, du reste, après les
eaux de pluie, la meilleure et la plus saine. On
remarque dans les conversations des Annamites, qu'ils
attribuent à l'eau toutes les maladies occasionnées
par un changement d'habitation, et il y en aura pres-
que toujours. Ainsi, si l'on va de la plaine aux mon-
tagnes et réciproquement, ou d'un village à un autre,
et qu'on tombe malade, c'est le « ngâ nuoc, » ou chute
par l'eau. Ils nous expliquent que le malaise a lieu par
le manque de «phuc-thuy-thô», ou d'habitude (1). On
dit que le Tông-king et laCochinchine sont 1res malsains
et qu'un étranger doit s'y attendre à être presque
(1) Phuc thuy tho : se •faire au climat. (Dictionnaire du P,
Le Grand de ia Uraie)*
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ANIMAUX, 50
toujours malade. Cependant^ supposons quelqu'un»
parexemple, ayant la liberté et le confortable européen
que se donnent les Anglais en Maiaisie (1), les Espa-
gnols aux Philippines et les Hollandais à Batavia ; je
prétends qu'il n'y aurait pas plus d'insalubrité chez
les Annamites qu'il n'y en a dans les pays que je viens
de nommer. La Cochinchine, surtout le littoral, est
très salubre ; il n'en faut retrancher que les plaines
du Dông-nai qui ne sont, pour ainsi dire, que des
rizières. Au Tông-king, les montagnes de l'ouest de
Xu-thanh, ou le Lac-thô, sont mortelles pour les
étrangers; mais le reste de la chaîne est habitable et
l'on y va sans s'exposer, si ce n'est peut-être à Ai lao,
à la hauteur de Quang-binh, en haute Cochinchine.
Pour tout le plat pays du Tông-king, j'en ai déjà parlé;
il n'y a de redoutables que les mois de février et mars,
et encore les maladies qui ont lieu tous les ans ne
sont pas des fléaux par trop terribles. Ce n'est que
de loin en loin que des épidémies, comme celles de
1849 et 1850, viennent décimer la population. Je
ne crois pas qu'il y ait de contrée où la population du
littoral se porte mieux, en toute saison, que celle
de la côte des deux grandes divisions du pays. Le cli-
mat d'Annam n'est donc pas mortel ; il faut y prendre
certaines précautions, et l'on y remarque que les
étrangers qui ont pu résister aux premiers effets de la
température et des habitudes locales , vivent très
longtemps.
IV. Des animaux sauvages et domestiques. —
Les animaux sauvages du Tông-king sont dans la
partie montagneuse et dans les provinces du midi. On
(1) A Singapour.
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60 L'EMPIRE D'AN-NAM.
n'en voit jamais dans le plateau de Xu-nam,du moins
depuis Ké-cho, But-son et Van-sang jusqu'à la mer.
Il ne faut pas penser â comparer le Tông-king à Siam,
au Laos, à la Malaisie et même à la Gochinchine, sous
ce rapport. Il y a quelques éléphants de petite espèce,
et pour les tigres, ils sont généralement de la moindre
grosseur et peu nombreux; ce sont des léopards plutôt
que des tigres. On voit quelques ours, quelques san-
gliers et un assez grand nombre de bœufs sauvages
appelés «bô-tât», dont les cornes sont d'une dimension
énorme. Pour les cerfs et les chevreuils ou daims, on
les voit partout, dans les campagnes accidentées de
Ninh-binh, de Xu-thanh et de plusieurs autres pro-
vinces. Parmi les quadrupèdes de moindre grandeur,
on remarque le renard musqué, la marmotte, l'écureuil,
quelques chamois, des loutres, une espèce de lièvre
(con-tho), des porcs-épics, des hérissons et des rats
de toutes grosseurs. Pour ce qui est des rats, il y en
à une espèce musquée qui est fort puante et très désa-
gréable, à tel point que les chats et les chiens en ont
horreur ; mais les rats de rizières sont très estimés,
et les jeunes hommes du village se réunissent à cer-
taines époques pour en faire la chasse et se donner
un régal extraordinaire, et toujours honoré de
copieuses libations de vin du pays. Il n^y a pas de
contrée au monde, je crois, où il y ait autant de gre
nouilles et de crapauds, et d'autant d'espèces. Il faut
absolument s'habituer à les voir habiter votre maison
et votre chambre, et finir par se plaire en leur com-
pagnie.
Pour les reptiles, au Tông-king, il y en a beaucoup
d'espèces dont le venin est mortel. On y remarque le
« tran • ou serpent-boa; le « mày-gâm », dont la tète
s'aplatit et devient très large quand il s'irrite; i
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AMBfAUX. 61
semble avoir deux têtes, Tune à chacune de ses ex-
trémités ; on coupe celle qui est la véritable, quand il
est encore vivant, et on la met infuser dans de l'al-
cool pour s'en servir contre les rhumatismes et les
maladies froides ; le « hô-mang » ; le hô-lua » , dont la
piqûre est la plus terrible, et puis un petit serpent
noir, qui est gros comme la moitié du petit doigt, et
très dangereux comme le cent-pieds, hôte obligé des
vieilles toitures. Il y a ensuite une grande quantité
de serpents d'eau qui ne sont pas malfaisants et, entre
autres, une espèce que les gens du pays voient, avec
plaisir, venir prendre l'air sur le faîte de leurs mai-
sons ou même pénétrer dans les appartements pour
faire la chasse aux rats ou aux souris. Un genre en-
core remarquable est le caméléon, qui pullule en cer-
tains endroits. Il y en a une grande variété, comme
des lézards, et les Annamites estiment beaucoup sa
chair qui, en effet, est très bonne. J'en ai vu de la
grosseur d'un enfant nouveau-né, ayant environ
quatre pieds de long et revêtus d'une peau tachetée
de jaune sur un luisant fond noir du plus bel effet.
C^est un petit crocodile, sauf la cruauté. Cette espèce
est seulement l'effroi des grenouilles et des rats de
rivières, et personne n'en a peur.
Le Tông-king est le pays des sangsues par excel-
lence; elles y sont très belles et très bonnes, mais
sans aucune utilité pour les gens du pays, qui ne s'en
servent pas. Le riz ne donne pas déjà tant de sang
pour que l'on en ait besoin souvent, comme nos gens
d'Europe nourris au pain, au vin et à la viande. Dans
les forêts il y en a une espèce qu'on appelle « vat »
et qui saute des arbres sur les passants, au point qu'il
est impossible d'y aller sans se voir en peu de temps
?ilve-;tre — Annam. 4
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62 L'EMPtRK D'AN-NAM.
couvert de sang. Sur les bords de la mer, daas les
terrains vaseux, il y a, au dixième et onzième mois,
une espèce de vers gros comme le petit doigt et assez
longs, que les gens du pays mangent avec délices : c'est
le « rûoi » ; ils en font des pâtés très épicés et trouvés
fort bons.
En fait d'oiseaux, il y a une immense variété d'échas-
siers, de cigognes, etc., qui se nourrissent dans les
rizières des petits poissons qu'on y voit toujours en
abondance. Dans les montagnes on trouve le paon,
l'argus, les toucans, une espèce d'oiseau noir à col-
lerette et à crête jaunes, et deux espèces de merles et
de grives qui parlent et chantent à merveille, et que
les particuliers nourrissent en cage pour Tagrément
de leur habitation (yen khan saû), une profusion de
perroquets, surtout d'une petite espèce grosse comme
le canarie, et qui a de particulier qu'ils se perchent
toujoursla tête en bas ; des poules sauvages, des gobe-
mouches charmants, des tourterelles, des hirondelles,
des moineaux et des bandes de sarcelles, de canards-
raquettes, de pigeons ramiers que l'on prend par mil-
liers au moyen de filets et que l'on peut se procurer,
à certaines époques sur tous les marchés, à profu^
sion.
Les poissons abondent aussi au Tông-king, soit
dans les fleuves, soit dans les rivières et les étangs.
Les Tôngkinois ont une véritable passion pour la
pisciculture et il n'y a si petite habitation qui n*ait
son étang particulier, soigné avec méthode et grand
soin. Aussitôt que quelqu'un arrive, si l'on veut lui
faire honneur, après les premières salutations, il n'y
a rien de plus pressé que de mettre les jeunes gar-
çons de la maison à visiter l'étan et les femmes à
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ANIMAUX. 63
préparer les assaisonnements nécessaires de feuilles
aromatiques, de sauce parfumée qu'il faut pour man-
ger les poissons, que l'on coupe par tranches très
minces et que l'on ne fait pas cuire d'ordinaire, sui-
vant l'espèce; cela s'appelle « an-goï. » Ces poissons
de vivier sont le cà-tram, le cà-mé, le cà-sop, le cà-
trê, dont je ne vois pas d'analogue en France, si ce
n'est que le premier serait la carpe, le deuxième la
brème et le troisième une espèce de truite, qui est
rusée au point que c'est passé en proverbe partout.
Il y a, pour aviver les étangs dont je parle, des
marchands de fretin qui parcourent chaque année le
pays en tout sens, et qui ont le talent de conserver
vivante, pendant deux, trois et quatre jours de
marche, leur petite fortune. Ils portent pour cela,
aux deux extrémités d'un bambou, mis par le milieu
sur leurs épaules, deux grands vases à demi pleins
d*eau qu'ils agitent continuellement par une allure
régulière et cadencée. Ils sont toujours bien reçus
partout ; et pour cinq ou six sous de notre monnaie,
on peut renouveler les plus grands étangs, qu'on divise
alors en plusieurs compartiments, suivant le besoin
des lieux. Le cà-tram est assurément le poisson d'eau
douce le plus beau, le meilleur et le plus abondant
qu'il y ait au Tông-king ; il pèse de trois à quinze,
vingt et même trente livres. On remarque après lui
des anguilles dont une espèce exquise, appelée « tiét-
înh », était autrefois réservée à la cour; des tortues
de rizières, d'eau courante et de mer. J'en ai vu que
quatre hommes forts pouvaient à peine porter et sur
le dos de laquells nous sommes montés huit per-
sonnes.
Sur la côte, au sixième et septième mois lunaires,
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64 1/EMPIRE D'AN-!SAM.
jusqu'au huitième et neuvième, on voit arriver chaque
année des bancs de sardines, de petites chevrettes, de
cà-bo, de cà-trong, de cà-tricli, de cà-chun, de ha-
rengs et de morues, que les pêcheurs prennent à
pleines barques pour en faire l'objet d'un grand com-
merce. Les grandes espèces sont desséchées au
soleil ou même rôties au feu. Elles se conservent
indéfiniment et sont vendues comme poisson sec,
aliment très sain et très cher dans le pays; les
petits servent à faire des condiments très recher-
chés et très précieux pour l'hygiène et la cuisine do-
mestique. Un de ces condiments s'appelle et nuoc-
mam », ou eau de mam, et se fait ainsi: on mélange
une égale quantité de poisson et de sel, soient cent
livres. Il se fait alors une ^ réduction aqueuse à
laquelle on ajoute trente ou quarante livres de riz
brûlé. Après quelques jours on passe la liqueur, que
l'on fait cuire au feu à plusieurs reprises, et l'on
obtient ainsi une essence très forte, qu'en plusieurs
endroits on laisse cristalliser et que l'on trouve par-
tout très savoureuse.
Quoi qu'en disent nos marins, il y a des baleines
au Tông-king, mais seulement aux mois de novembre
et décembre. La magnifique baie de Gua-bang en est
alors remplie. Ces baleines ont, d'après les gens de
l'endroit, de quinze à vingt pieds d'épaisseur. Dans le
pays on les regarde comme créées par Dieu pour
sauver les naufragés, et Ton cite à l'appui le sauvetage
du roi Gia- long. Il est certain qu'on leur rend un culte et
que, quand il en meurt sur le rivage, les mandarins de
l'arrondissement prélèvent une contribution d'argent,
de nattes et d'étoffes, pour lui faire des sacrifices et
des obsèques dignes d'elles ; ensuite il est fait un rap-
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ANIMAUX. 6S
port à la cour. Il y a aussi des scies, des espadons et
des marsouins ; des mollusques très gros et très bons
à manger, et des huîtres dont une espèce a de très
belles perles. Pour les autres coquillages, je ne les
connais pas assez pour en parler, si ce n'est de la
nacre appelée « xacu », dont les Tongkinois font de
très belles incrustations sur ébène ou sur autre bois.
Du reste, je ne crois pas la côte très riche en ce
genre.
En Cochinchine, en ce qui est des animaux sauvages,
il y a une mention particulière à faire pour les cro-
codiles de Dông-nai, qui y fourmillent. Il n'y en a
point au-dessus du Tsiampa, et il y a peine de mort
pour celvii qui en apporterait l'espèce en moyenne et
haute Gochinchine. Les éléphants et les tigres y
sont très beaux et très nombreux, et répandus dans
le pays jusqu'au Xu-nghê; les singes y sont en
quantité, tandis qu'au Tông-king ils sont assez rares.
Soit en Gochinchine, soit au Tông-king, les insectes,
mouches ou moustiques sont un vrai fléau pendant la
saison chaude. On ne peut dormir sans un mousti-
quaire et souvent même il faut attendre deux ou trois
heures du matin pour pouvoir reposer en paix. Les
abeilles ne sont pas soignées et cultivées par les Anna-
mites ; ils préfèrent abandonner ces intéressantes
créatures à leur instinct naturel et aller leur prendre,
aux branches des arbres ou dans les creux des ro-
chers, le fruit de leurs travaux. L'Annamite, en fait
d'insectes, n'apprécie que le ver à soie, dont le soin
préoccupe la majeure partie des femmes du royaume.
On voit à certaines époques des nuages de sauterelles
ravager la contrée, et l'on ne peut se faire idée de
leur prodigieuse quantité et des dévastations qu'elles
??!LVF,stP.R — Antiam. i.
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^ L*EMPIRB D'AW-NAM.
produisent, sans en avoir été témoin. En 1862, j'en
ai vu, en plein midi, l'air obscurci ; on battait alors le
tambour de détresse dans toutes les communes et on
les tuait à coups de bâton pour en faire des monceaux
gros comme des maisons. Le gouvernement don-
nait une récompense en argent aux communes qui
pouvaient en détruire un ta (mesure de six pieds de
diamètre sur sept ou huit de hauteur (1). Ces nuées
allaient du N.-O., vers l'est et ensuite vers le sud;
elles ont parcouru tout le royaume et détruit complè-
tement la moisson dans beaucoup d'endroits. Pour se
dédommager de leurs ravages, on s'est mis à les
manger et à en faire un condiment avec le sel. Ce
mets allait de pair avec les nymphes des alvéoles de
ruches d'abeilles et avec les vers à soie, lors de la
dépouille du cocon, dont ce peuple est fort friand.
Parlons maintenant, après ces quelques aperçus,
des animaux domestiques. Ils sont, comme le disent
fort bien les formules chinoises que l'on apprend à
tous les enfants, ceux de tous les pays : le cheval, le
bœuf ou le buffle, le porc, la brebis, le chien, le chat
et la poule.
En Cochinchine, il y a une petite race de chevaux
, dans le genre de celle d'Aracan. Elle est très bonne
et très vive, quoique ayant la tête fort laide et désa-
gréable. Il n'y en a pas une grande quantité, parce
que cet animal ne sert absolument qu'au luxe. Cepen-
dant, pour 30 francs on peut s'en procurer un bon.
Le bœuf et le buffle, au Tông-king et en Cochinchine,
ne se multiplient pas non plus considérablement. Les
travaux de la terre sont très peu de chose et il suffit de
(1) Le « ta M PsL nn poids de CO kilog. îOO. Nous rappelons
M piciil '».
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ANIMAITX. 67
la remuer un peu pour la faire produire. Dans les
pays de rizières, le buffle est indispensable, parce
que lui seul peut travailler et vivre dans Teau ; le
bœuf alors est inutile, il ne sert que pour les cultures
de coton, d'ignames, de canne à sucre, etc. Tout ce
grand peuple ne vit à l'ordinaire que de riz et de
légumes; ce n'est qu'à des époques rares dans Tan-
née qu'il se permet des repas de viande, et alors c'est
le porc et la volaille qui en font le plus souvent les
frais, d'autant plus que pour abattre un buffle il faut
l'autorisation du mandarin et, par conséquent, payer
un tribut. Pour le bœuf, il est peu estimé comme nour-
riture et regardé même comme dangereux. Du reste,
pour huit à quinze francs de notre monnaie on a un
bœuf et pour vingt-cinq à quarante un buffle d'âge.
jr Le buffle est très beau, mais le bœuf est de petite taille
î et a un bourrelet de chair sur le cou, à la naisçancei
Tde l'encolure.
H Je n'ai vu qu'au Xù-thanh nourrir et élever ce bétail
'ren troupeaux considérables. J'en ai vu là des quatre,
^cinq cents et mille appartenir à un seul particulier,
f En Xu-thanh et en Doai, les communes qui ont de
r grands pâturages construisent un parc commun et
I ont une garde particulière pour veiller le jour et la
r nuit sur les troupeaux ; c'est une partie de la cor-
, vée da village ; mais ces communes sont peu nom-
breuses. L'Annamite, comme le Chinois, rit et rougit
de l'usage du lait, du beurre et du fromage; il ne peut
concevoir apparemment qu'on se fasse volontiers
frère de nourrice d'un veau ou d'un nghé (1). Quel-
qu'un qui voudrait lutter contre ce préjugé, dans Tin-*-
[ (i) Nglï«^ î petit dp Irt lmfflfi«s^
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68 L'EMPIRE D'AN-NAM.
térieup du pays, se rendrait ridicule et se perdrait de
réputation.
En revanche du peu de bétes à cornes qu'il y a dans
le pays, on nourrit partout une grande quantité de
porcs. Au Tông-king, chaque maison en a plusieurs,
et là il est facile de les élever avec le résidu du riz
pilé, les troncs de bananiers, les feuilles et surtout
certaines herbes, appelées <c bèo », qui viennent sur
les étangs avec une végétation étonnante. Les Chi-
nois en font le commerce, et je crois que ce sont les
meilleurs porcs du monde. On sait que leur chair est
regardée comme très saine et comme pouvant rem-
placer celle du veau d'Europe. Les plus gros, de la
pesanteur d'environ 250 livres, coûtent au plus 40
et 50 francs ; les ordinaires 6 et 10 francs. J'en ai
acheté de 6 francs et j'avais de quoi former vingt -
cinq stables de quatre personnes chacune. Il est à
remarquer que, dans ce pays, un cochon tué est
mangé en entier sur place, et qu'on ne sait pas le
saler. Seulement on ménage un peu de sa graisse
pour les fritures et autres besoins du ménage; c'est
le îiecplus tiltrà de l'économie en ce genre.
Il y a des boucs et des chèvres au Tông-king et en
Côchinchine; mais la brebis y manque complètement.
Aussi on ne connaît que les laines d'importation chi-
noise; mais, pour le mouton, nous avons le chien qui
sert fidèlement et de garde à la maison et de plat de
table dans les festins. La chair en est bonne quand
l'animal n'a pas plus de trois ans et qu'il a été affran-
chi. Les médecins la regardent comme échauffante et
la défendent à leurs malades. Il s'en fait, par les gens
qui se portent bien et surtout par les maraudeurs, une
grande consommation. Je n'ai vu partout que deux
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PRODUCTIONS 69^
espèces de chiens: Tune appelée « song-ngâu », ve-
nant du Yun-nam, et ressemblant assez bien à l'es-
pèce danoise; et l'autre, qui est le chien chinois à
poils rougeàtres et à tète de renard.
La volaille, soit oie, soit poule, soit canard, est éle-
vée avec soin et en grande quantité. Elle est d'un
grand usage dans les petits sacrifices, et les œufs sont
unrevenuasseznetpour les pauvres gens. On connaît
la passion de tous ces peuples de TExtréme -Orient pour
les combats de coqs. Cette espèce de coqs, qu'on
appelle « chôi », est vraiment magnifique et l'on ne
peut, sans l'avoir vu, se faire une idée de son achar-
nement au combat et de sa soif de vengeance.
On distingue plusieurs espèces de poules, comme
partout ; mais il y en a une particulière, dont les os
sont tous noirs et qui est très bonne pour les conva-
lescents. On connaît en France la poule de Gochin-
chine : c'est la plus répandue dans le pays. Au Tông-
kyig on vend une poule de quatre à six sous de notre
monnaie et on a une douzaine d'œufs pour deux sous
et même moins. Au Tông-king encore on voit des trou-
peaux de canards qui couvrent des champs entiers ; ils
ont des gardiens et des chiens à leur service et, pour
un certain tribut payé à des propriétaires ou aux com-
munes, ils vont paître un ou plusieurs jours, tantôt
dans un champ, tantôt dans un autre. On les fait éclore
au jour par milliers et leur ponte abondante est une
bonne ressource pour le pays et pour les Chinois, qui
en font confire une grande quantité pour leurs voya-
ges de traversée.
F. Des productions. — En parlant des animaux du
pays, je n'ai pas eu en vue de faire une page d'histoir^L
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J7i) L'EMPIRE D'AN-lfAM.
naturelle; je n'ai eu en vue que dédire grosso modo ce
qu'il y a de plus remarquable et ce que tout le monde
sait dans le royaume. De même ici, en parlant des
productions, je ne les considère que sous un point de
vue facile, en rapport par exemple avec le confortable
de la population, la vie, le vêtement, l'habitation et
la construction, Thygiène et le luxe.
Pour la vie proprement dite, nous avons le riz, le
maïs et le millet, les tubercules et les racines, la canne
à sucre, les légumes, le poivre et le sel, les fruits et
le thé. Pour le vêtement, le coton et le chanvre, la soie
et quelques écorces, l'indigo, le tubercule « nàu » et
quelques arbres ouarbustesà couleur. Pour l'habitation
ou la construction, les bois, le bambou et les joncs.
Pour l'hygiène, les plantes médicinales, soit à l'état
sauvage, soit à l'état de culture domestique ; enfin,
pour le luxe, certains fruits, certaines essences et
certains produits. Suivons cet ordre :
1** Pour la vie proprement dite : le riz. — C'est la
spécialité des endroits bas et marécageux, qui tout en
donnant souvent la maladie et la mort à leurs habi-
tants, d'un autre côté leur fournissent avec prodiga-
lité le moyen de se sustenter et de vivre. On ne con-
naît au Tông-king et à la Cochinchine ni le froment,
ni nos autres blés d'Europe. On peut en semer et avoir
quelques bonnes récoltes ; mais il dégénère en peu de
temps et c'est tout au plus si la troisième année on
peut obtenir un rendement qui vaille la semence et
qui ait Tair de froment. Du reste, il vient avec une
grande rapidité ; car on le sème à la St-Luc ou fin
octobre, et la récolte s'en fait au mois de janvier.
Nous en avons semé à la fin de décembre et il est
devenu magnifique en herbe et en tige ; mais au mois
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PRODUCTIONS. 71
de mars nous n'avions que de la paille et un épi plein
de poudre noire.
Il serait difficile de persuader aux Annamites d'en-
treprendre cette culture, parce que la réduction en
farine compliquerait trop les moyens de vivre, et que
le froment, simplement décortiqué, broyé et bouilli,
n'est guère mangeable. C'est donc le riz qui, comme
chez tous les peuples de TExtrème-Orient, est ici le
grand aliment, l'aliment par excellence et le soutien
de la vie ; c'est le riz qui est la préoccupation de toute
cette population répandue dans les forêts, sur les mon-
tagnes et dans la plaine. C'est pour le riz que l'on fait
des travaux d'endiguement et d'écoulement des eaux,
pour pouvoir profiter d'une position favorable. C'est
pour le riz enfin que des villages entiers quelquefois^
et des particuliers souvent, abandonnent leur village
natal, afin de ne pas mourir de faim et pouvoir élever
leur nombreuse famille.
Il y a une espèce de riz des montagnes que l'on
sème dans les cendres des forêts auxquelles on a mis
le feu. Ce riz est excellent, mais il a très peu de volume
et n'offre pas une ressource alimentaire suffisante à
une population si considérable ; d'ailleurs, pour le
cultiver et le récolter, il faut se faire l'hôte des tigres,
des éléphants et des léopards, et le peuple annamite,
en général, n'est pas malais sous ce rapport, La grande
quantité de riz du royaume vient dans des marécages
et certains endroits peu élevés qu'on peut irriguor à
volonté, ou que l'on dispose de manière à retenir les
eaux des pluies, qui sont abondantes aux mois d'août
et de septembre ; ces deux espèces de terrains donnent
lieu aux deux principales moissons de Tannée : la
moisson du 5' et la moisson du 10* mois lunaire (juin
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72 L'EMPIRE DAN-NAM.
et juillet, novembre et décembre). A la fin du mois
de janvier, quand les eaux de l'inondation commen-
cent à diminuer, on remue avec la charrue les tour-
bes et les herbes des terrains dont on peut disposer,
et l'on pique aussitôt le plant de riz que Ton a fait
germer dans un endroit à part et qui a déjà de 20 à 30
centimètres de haut. 11 en faut un dixième d'arpent
pour planter un arpent. Aux mois d'août et de septem-
bre, on pense à cultiver les endroits élevés, parce que
les eaux de Tinon.lation sont déjà grandes et qu'il n'y
a que les endroits privilégiés, c'est-à-dire ni trop haut
ni trop bas, qui puissent jouir du bienfait d'une dou-
ble récolte, comme on le voit, en général, dans les
terrains du plateau de Xu-nam, dont j'ai parlé précé-
demment.
J'ai dit que le riz est semé dans un endroit à part,
puis arraché pour être piqué dans les champs. C'est
en effet la méthode générale du Tông-king et de la
Basse-Cochinchine. Dans quelques provinces, cepen-
dant, où il n'y a que des terrains hauts et des maréca-
ges insignifiants, on le sème à la volée, comme notre
grain d'Europe; mais c'est une faible exception. Ce
sont les femmes qui plantent le riz, et il est assez
curieux de les voir, à deux, suivre un homme qui mar-
che à reculons et qui leur indique, avec un bâton de
chacune de ses mains, l'endroit où elles doivent, cha-
cune pour sa ligne, piquer leurs cinq ou six brins de
riz. Cet ouvrage, du reste, se fait très vite, et six
femmes peuvent planter, en un jour, leurs cent pieds
carrés ou un arpent. Les hommes, à ce qu'il paraît,
n'ont pas assez de souplesse dans les reins pour tenir
ce travail longtemps.
On distingue beaucoup d'espèces ou qualités de riz
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, ï»ftODtJCTIONS. 78
entre autres le riz rouge et le riz blanc ; mais surtout
le riz ordinaire « luà-thé » et le riz gommeux « luà-
nép ». Ce riz gommeux sert aux sacrifices et aux plats
d'honneur des festins ; on le fait cuire dans des vases
percés par le fond, que l'on superpose à des chaudiè-
res pleines d'eau bouillante, lesquelles émettent, pen-
dant une ou plusieurs heures,dela vapeur qui l'amollit
Tagglutineet le cuit. Il sert aussià faire du vin, c'est-à-
dire un alcool dont l'usage n'est que trop répandu;
car je crois qu'il y a peu de pays où l'ivrognerie soit
de meilleur ton qu'au Tông-king et en Gochinchine,
où un homme en place ne peut traiter une affaire
sérieuse de la commune ou du canton, sans avoir bu
et sans être plus ou moins hors de lui-même.
Cet alcool a une certaine force à la seconde
distillation, qui peut donner, je pense, 18 à 18
degrés. On en obtient de plus concentré qui sert à
faire des liqueurs aromatiques, très bonnes pour la
santé. Il est de beaucoup supérieur au sam-sou chi-
nois, quoiqu'il soit fait de la même manière ; ce qui
donnerait à supposer que le luà-nép, ou riz gommeux
annamite, est meilleur que celui de Chine. Il sert enfin
à faire des gâteaux mêlés de graisse et de la mouture
d'un certain pois du pays, appelé « dâu-xanh ». Ces
gâteaux, enveloppés dans des feuilles choisies, que
chaque ménagère a le soin de planter près de sa mai-
son, sont cuits dans l'eau, au bain-marie ; ils sont
excellents. On les appelle « binh-chung » et on ne les
voit paraître qu'aux jours de grandes fêtes.
Pour le riz ordinaire, tout le monde sait maintenant
comment on le mange : avec des bâtonnets. En Chine
et dans les royaumes adjacents, quand il est cuit il est
sec, et tous les grains se séparent. On ne le fait pas
SavBSTU. — Ama' 5
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^4 EMPIHE D*AN.NAM.
crever comme chez nous ; on lui fait seulement absor-
ber une quantité d'eau connue, qui ramollit et le rend
un peu pâteux.
Il est servi dans de petits vases de porcelaine ou de
terre ; on porte ces vases à son menton, et Ton pousse
avec ses bâtonnets Taliment en quantité suffisante
dans la bouche ; ensuite on porte ses bâtonnets le plus
délicatement sur les plats de condiments qui sont pla*
ces sur la table, pour en prendre quelques parcelles,
et celte occupation alternative, suivie d^une bonne
lasse de the tout à la tin du repas, l'orme partout la
manière uiuverselle de manger suivant les rites.
J'ai parlé des lieux où le riz vient en plus grande
abondance. La plaine de Xu-nam nourrit tout le Tông-
king et fournit une grande quantité à Texpbrtation
chinoise, malgré les défenses du roi. En Cochinchine,
les marécages de Dông-nai et de Binh-dinh nourris-
sent le reste de la population. Les riches particuliers
et mandarins du royaume ont tous des réserves de riz
très considérables, et le roi a des greniers qui peuvent
sulfire à ses mandarins et à son armée pendant plus
de 20 ans. Car le riz se conserve longtemps avec
facilité; plus il vieillit et plus il a de qualité. Dans
toutes les maisons un peu à l'aise, on trouve un ton-
neau de vieux riz qu'on appelle « Tran-mi », de 8 à 10
ans de récolte, dont l'emploi est excellent pour les
malades, et dont on fait de très bonnes infusions en le
faisant brûler.
Le mais n'est pas de très ancienne date dans le
pays ; mais sa culture a pris de l'extension partout,
dans les provinces peu favorisées de marécages et de
rizières. Il est très beau, et il est devenu d'une grande
ressources pour les pauvres gens. On n'en fait point
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PttOftUCtlONS. 75
de farine, on ne le pile même pas, et pour le manger
on se contente de le faire bouillir dans de l'eau. Un
aliment pareil devait avoir du succès chez un peuple
pauvre et assez paresseux. On doit donc s'étonner
qu'il n'ait pas été connu plus tôt. Cela tient au peu de
communications qu'a l'Annamite avec le reste du
monde.
Le millet est en petite quantité ; sa culture n'oSi*e
pas assez d'avantages pour qu'on l'entreprenne en
grand, d'autant plus qu'il faut de la vigilance pour le
préserver des oiseaux. On ne lui donne donc que quel-
ques bandes de terre peu éloignées des habitations.
Le Sésame a beaucoup plus de succès, parce qu'il
est beaucoup plus précieux par sa qualité huileuse, et
qu'il sert à plusieurs usages ; on en voit des cultures
remarquables.
Tubercules et racines. — Le riz est la première cul-
ture du pays; mais la seconde est sans contredit les
tubercules. Il y en a qui viennent sur les terrains secs
et sablonneux : ce sont les ignames, dont on voit
deux espèces, l'une rouge et l'autre jaune. Elles sont
d'un bon rapport et de bonne qualité. Les 100 livres
coûtent 10 et 15 sous de notre monnaie. Le goût de ces
ignames est trop savoureux et trop sucré pour qu'on en
fasse une nourriture habituelle; d'ailleurs cet aliment
est échaufihnt, aussi ne sert-il, en général, comme le
mais du reste, que de collation et de troisième repas.
Cependant il y a des populations qui ne vivent, la
plus grande partie de l'année, que d'ignames, et Ton
remarque chez elle beaucoup d'obésités et de faibles-
ses de tempérament, avec un caractère léger, timide
et apathique. Il y a d'autres tubercules qui viennent
dans reau et les marais ; l'espèce de ceux-ci, la plus
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76 L'EMPIRE D'AN-NAM.
répandue et la meilleure, est le « Gù-ao », dont un
arpent se vend sur place jusqu'à 100 ligatures. Ce
tubercule est noirâtre et son goût est un peu celui de
la châtaigne d'eau appelée Macre.
Outre ces deux espèces, qui sont les principales, il
y a le navet que l'on coupe par tranches, comme le
font les Chinois, pour le confire dans du sel et en faire
des conserves. Ensuite un tubercule de montagnes,
gros et rond, absolument comme une belle toupie, et
armé d'une tige assez courte qui a un très beau pana-
che à feuilles frisées. Ce tubercule a cela de particu-
lier qu'on prend pour le multiplier les boutons ou
excroissances charnues dont il est porteur. Ainsi d'un
seul on peut ordinairement en avoir sept ou huit.
Enfin viennent les racines, dont la plus remarquable
est le «Gù-mai ». On peut l'entretenir dans les jardins,
mais elle vient des montagnes où on la trouve grosse
comme une fort racine d'arbre, et d'une longueur le
plus souvent introuvable. Elle est très farineuse et
d'excellente qualité, soit pour la simple nourriture,
soit pour la médecine. Il y a des monticules où se
se trouve cette précieuse racine, qui nourrissent des
villages entiers.
Plusieurs autres racines sont connues dans le pays
et il y en a une, entre autres, que Ton plante sur les
nouveaux terrains de tourbe pour les dessécher.
Pour les pommes de terre d'Europe et les patates,
les Annamites ne les connaissent pas. Au Tông-king,
on a essayé d'en planter à plusieurs reprises; les essais,
pour ces fruits comme pour d'autres graines, n'ont
pas réussi. Quelquefois on a une première récolte, et
l'année suivante, rien. J'ai semé beaucoup de graines
çt de pépins de toutes sortes, et je n'ai jamais pu
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PRODUCTIONS. 77
'avoir un bon résultat, (^.es graines et ces pépins,
transportés, sont comme des oiseaux mis en cage ou
des poissons de vivier: la fécondité s'éteint. De plus
de 200 espèces de graines que nous avions fait venir
d'Europe, bien soignées et bien conservées dans une
double boîte de fer blanc et de bois, nous avons eu
de magnifiques radis, deux choux-fleurs et un chou
frisé. Les radis, avec la plus belle rave et la plus belle
tige que l'on puisse voir, n'ont pu donner une seule
graine et nous en avons été quittes pour la curiosité.
Légumes. — Pour parler des légumes il faudrait
parler des jardins annamites ; or, ce qu'il y a de mieux
à faire, c'est d'en dire peu de choses, parce que l'An-
namite n'est pas jardinier. S'il est pauvre, il ne pense
qu'au riz et aux ignames, et s'il est un peu à l'aise,
que sa maison soit propre, tout son luxe est de faire
devant chez lui une petUe cour en terre battue, bien
soignée, qui sert aux femmes pour faire sécher leurs
petites provisions de ménage, et un petit bocage der-
rière pour avoir jun peu d'ombre; quelques oiseaux
en cage qui le réjouissent de leur chant, un petit vase
où il met des poissons rouges, et un peu plus loin un
vivier pour la pêche. Tout le reste est champs, lisière
d'étang et grande culture. Cependant on voit soigner
le gingembre, la mélisse, le pouliot, la menthe, le
safran, la petite ciguë, les oignons et les échalottes,
pour faire de temps en temps quelques ragoûts, et le
« cû-riêng », tubercule dont le goût est très âpre,
très aromatique et très gommeux, pour le régal de
chair canine si goûtée.
On voit aussi des moutardiers dont on fait de bonnes
salades, quelques laitues très rares, une espèce de
pois vert et deux espèces de pois ronds (noir et vert)
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78 L'EMPIRE D'À1I4IAM.
qu'on cultive avec assez de soin et qui sont d'un grand
usage pour les convalescents, lorsqu'ils sont bouillis
avec du sucre ou de la mélasse, ou simplement avec
de Teau et du sel, suivant le genre de maladie.
Il y a ordinairement, auprès des étangs, un petit
carré qui jouit du trop plein de Teau et qui possède
les < râu^ông, r&u-thôi, » espèces d'herbes à tuyaux
qui font de bonnes salades, et çk et là les « r&u-sam i
(pourpier) et « râu-gién » (brèves des créoles). Le
râu-sam vient dans les terrains secs et ferrugineux ;
les paysans le détruisent autant qu'ils le peuvent
autour de leurs habitations, je ne sais pourquoi, si ce
n'est à cause d'une anecdote d'un des premiers empe-
reurs de la Chine, dont je ne me rappelle pas bien.
Dans deux ou trois localités du Tông-king il y a de
beaux choux pommés, qu'il est impossible de se pro-
curer ailleurs. Pour les carottes, les asperges, etc.,
je n'en ai jamais vu. En revanche, il y a partout une
grande quantité de melons, citrouilles, coloquintes et
mélongènes. Le meilleur melon est la petite espèce
que l'on appelle melon-rat (duà chùot).
Autour des étangs on appose des rames qui se
couvrent de tous ces fruits et qui, au bout de quelques
mois, font la joie et la cupidité de la petite famille qui
habite la maison. On-y va voir souvent; les mamans
crient et tempêtent; mais enfin on finit toujours par
dépouiller l'intéressante charmille qui, privée de
frulLs^ ne tarde pas à se flétrir et à être arrachée.
Les mélongènes, appelées c cà i, sont ordinaire-
ment salées ou confites dans le miel et la mélasse. Il
s'en fait une grande consommation et on les voit
tenir rang dans une moyenne culture. C'est une
espèce de tomate verte qui ne vaut pas notre tomate
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PRODUCTIONS. 7S
d'Europe, mais qui a bien son mérite. Elle vient très
vite, de sorte que j'ai vu des champs qui jouissaient
du bénéfice de la double moisson de riz annuelle,
donner entre les deux une forte récolte de ces fruits.
Les aubergines de Chine sont à peine connues dans le
pays.
Canne à sucre. — La canne à sucre est cultivée
partout en Cochinchîne et au Tông-king. Je ne sais
pas s'il existe une maison tant soit peu à Taise où il
n'y en ait un petit bouquet dans le petit jardinet,
pour servir de dessert après le repas et d'occupa-
tion aux petits enfants. Cette espèce devient très haute
et très effilée ; les nœuds en sont très espacés et le
jus en est très savoureux ; son écorce est rouge et
d'un brun foncé. Dans quelques endroits elle est belle
et forte; mais, pour la grande culture, je ne la crois
pas d'un bon rapport, parce qu'elle est trop sèche. Les
plus belles cannes à sucre du Tông-king sont dans
les deux îles deNàm-xang et deQuan-hanh, à l'em-
bouchure du grand fleuve. Elles sont blanches ; elles
montent très haut; elles sont fortes et juteuses. Tout
le sucre de la consommation est indigène; on ne s'en
sert point pour édulcorerle thé et les autres boissons;
on le mange tel quel comme dessert et on le mêle
aussi quelquefois à quelques pâtés. J'ai connu un
malade qui est mort après en avoir mangé trois livres,
que l'on avait eu l'imprudence de lui donner. Il se
fait une plus grande consommation dé mélasse que de
sucre, parce qu'elle donne moins de travail à faire et
parce qu'il est plus facile de s'en servir pour confire
les mélongènes, les oranges, les tomates, et façonner
les petites friandises qui exercent les loisirs et
J'adresse des femmes pour leurs enfants ou leurs
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SO L'EMPIRE D'AN-NAM.
hôtes. La livre de sucre coûte de trois à quatre sous
de notre monnaie, et la livre de mélasse de un à deux.
Les moyens employés pour la fabrication du sucre
sont très pauvres et très misérables ; cependant, le
sucre qui en provient est beau et bien cristallisé. Pour
extraire le jus des cannes, ils se servent d'une double
grande vis, mise en mouvement par des buffles, et
qui ne donne pas une économie de temps et de pro-
duits ; mais enfin elle est de coutume, et comme elle
est d'un beau travail pour le pays, on la ferait changer
difficilement. Dans plusieurs endroits, pour faire
blanchir le sucre, on l'enduit de tourbe et de vase;
mais alors il perd sa saveur, et Je ne sais vraiment pas
qui a pu leur mettre en tête de faire une pareille opé-
ration pour avoir du sucre un peu plus blanc que jaune.
On trouvedans tous les grands marchés du sucre can-
di qui est très estimé pour les convalescents et, dans
quelques localités, une espèce de sucre en pains for-
tement troués, comme la composition dont se servent
les Espagnols pour édulcorer le grand verre d'eau
qu'ils boivent après leur méridienne (au moins à
Manille). On l'appelle « dùong-phôi. »
Cette culture de la canne à sucre devrait être sur-
veillée et encouragée par le gouvernement, puisqu'elle
est connue partout; elle donnerait un des plus grands
produits du royaume et autant elle en pourrait donner,
autant la Chine pourrait en absorber; mais le roi
annamite n'a rien moins à cœur que d'avoir une popu-
lation riche et à l'aise.
Poivre et sel. — Dans la haute Cochinchine, aux
environs de la capitale actuelle, on cultivre le poivre
avec succès, mais en petites quantités ; il est, dit-on,
excellent. Au Tông-king, on ne le connaît que comme
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PRODUCTIONS. 81
objet d'importation et l'on s'en sert à peine. On l'achète
comme objet de luxe ou de médicament, comme le
clou de girofle et la noix muscade : aussi n'en trouve-t-
on que dans les grands centres où il y a commerce chi-
nois . Il est remplacé comme condi ment par le gingembre
et surtout par le nuoc-mam, eau de sel, et de poisson
dont j'ai parlé plus haut. Enrevanche, le sel est abon-
dant dans les deux royaumes, mais surtout au Tông-
king, où on le vend six à huit sous la charge d'homme,
soit soixante livres. Sur la côte de Xu-thanh et de Xu-
nghê on en fait beaucoup, quoiqu'il n'y ait pas de
marais salants comme en France. On le fait par le
moyen du lavage des monticules de terre que l'on
sature de matières salines en y versant l'eau de mer.
La chaleur du soleil, qui est forte et puissante en ce
pays, sèche promptement la terre de ce monticule,sur
lequel ori verse de nouveau et à plusieurs reprises
l'eau saline.
Quant on voit que ce monticule a absorbé déjà
une grande quantité de sel, on le lave alors à l'eau
douce, et cette lavure, mise dans des chaudières,
donne par l'évaporation un produit bien cristallisé et
assez beau, quoique souvent un peu gris et terreux.
On fait une immense consommation de sel dans tout
le pays, et il n'y a point de gemmes, que je sache, qui
puissent le remplacer pour les hauts plateaux.
Fruits. — Les Annamites, comme je l'ai dit plus
liaut, ne sont pas jardiniers ; cependant on trouve
dans les provinces des fruits excellents et en abon-
dance. Celui qui offre le plus de ressources pour la
vie, et dont il se fait une plus grande consommation
est, sans contredit, le fruit du bananier, dont on voit
bien huit ou dix espèces. Le plus beau est celui que
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.i
8t L'RMPmi D*ÀIf-IfAM.
les Malais appellent pissang-radjah (banane royale), et
que les Aanamites appellent < chuoi-xanh » (banane
verte); mais celui dont on se fatigue le moins et qui
est le meilleur pour la santé est le < chuoi-mat i».
Ensuite viennent les < chuoi-hot », bananes à pépins ;
les « chuoi-linh », bananes musquées ; les « chuoi"
but », bananes de Bouddah, etc.
Après la banane on peut parler des oranges, des
limons, pamplemousses, etc., etc. Les oranges du
Tông-king sont réputées les meilleures du monde, et
je ne sais vraiment pourquoi la Gochinchine, en gé-
néral, n'en a pas. L'orange, au Tông-king, est le fruit
d*bonQeur pour les présents du premier de Tan, et
c'est peut-être le seul fruit que Ton cherche à conser-
ver cliez soi le plus longtemps possible. Pour cela on
a soin rie lui ôter le pied et d'enduire de chaux l'en-
droii où il fait défaut, de manière à ce que Tair ne
pénètre pas à l'intérieur.
On distingue beaucoup d'espèces de grosses et de
petites oranges, et les provinces où on les trouve en
plus grande abondance et de meilleure qualité, auss
bien que les limons (très variés), sont les provinces
qui forment le plateau de Xu-nam. L'oranger se
renouvelle dans le pays. Les Annamites ne connaissent
nil'écusson ni la greffe. Les pamplemousses sont de
deux espèces: Tune blanche et l'autre violette; ils
n'ont rien de plus remarquable qu'ailleurs.
Ensuite vient le fruit du jaquier, espèce de laurier
el d'arbre à pain, dont on est très friand et qui supplée
jusqu*à un certain point la nourriture. Un Annamite
mange volonliers un fruit tout entier, c'est-à-dire de
deux à trois livres pesant, et après cela il va se jeter
dans un étang pour y prendre un bain qui lui aide une
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PRODUCTIONS. 8S
digestion pénible. On en voit une espèce dont la chair
est très gluante et une autre très dure et très sèche,
mais plus aromatisée ^t plus savoureuse. On fait quel-
quefois^ des pépins, une pâte assez gommeuse et très
amère qui sert aux pauvres gens ; en la mêlant avec du
sucre et de la cannelle commune, on peut obtenir une
espèce de chocolat, et cela n'a rien de bien étonnant
puisque ce fruit est dans Je genre du cacao ; mais le
meilleur parti que Ton pourrait tirer de ces pépins,
qui sont gros et en grande quantité, ce serait
d'en faire de la fécule comme de nos marrons
d'Inde.
Outre le fruit du jaquier, qui est très recherché, on
admire encore son beau bois rouge, souvent fortement
veiné de noir, qui est très dur et qui peut remplacer
avantageusement notre bois de cerisier. Il n'y a rien
à dire, je crois, des ananas, papayes, mangues, yeux
de dragon, goyaves, caramboles, grenades, litchis et
autres fruits du pays. On les trouve là ce qu'ils sont sur
la presqu'île malaise et le littoral sud de Canton. On ne
voit point de cacaos et de cafés, quoique ces arbustes
y viennent beaux et productifs. L'Annamite ne se
doute pas de leur utilité. On ne voit pas non plus de
vigne, si ce n'est une espèce sauvage, très belle en
bois mais stérile. On ne voit pas non plus de poirier,
de pommier, qui puisse tant soit peu nous rappeler
l'Europe.
La pomme d'or, de grosse et de petite espèce, avec
ou sans noyau, ne ressemble à aucun de nos fruits.
Sa chair est flasque et très acide. On la mange avec
plaisir; mais si on y applique le fer, il se forme aussitôt
un oxyde qui la rend acre et presque immangeable.
Elle provient de l'arbre appelé « thi », dont le boisest
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84 L'EMVIHK DAN-NAM.
très recherché par les imprimeurs ; on peut le com-
parer au noyer.
Pour tout fruit européen, les Annamites ont la
pêche en plein vent, quelques fraises et framboises,
quelques mauvaises châtaignes et des macres ou
« quâ-âu. » Le coing, ils le font venir séché du
Céleste-Empire ; c'est pour Tusage de la médecine.
Thé. — Les Annamites se servent, comme leurs voi-
sins de Chine, de plusieurs espèces de feuilles pour
pallier l'eau qu'ils boivent, et ils ont, comme eux,
leur thé de luxe et leur thé ordinaire. On ne peut
recevoir quelqu'un chez soi sans lui offrir une tasse
de thé ; aussi la théière est toujours en permanence
sur râtre de l'habitation. La grande quantité de thé de
luxe qui se consomme dans le pays vient du Fo-kien
et de Canton, et coûte de 2 à 3 et 5 francs la livre ; il
n'y a que les riches particuliers qui en boivent en cer-
taines circonstances de la qualité de 20 et 30 francs.
Les Annamites ne savent pas préparer ce produit.
On ne voit chez eux, en fait de conserves de thé :
1** que le thé en pain, appelé « man-hao », qui vient
des parages avoisinant le Yun-nam, que les mission-
naires préfèrent pour la boisson ordinaire, que les
Chinois emportent à Canton pour le vendre à haut
prix et que les gens du pays estiment peu ; â*" le thé
simplement séché au soleil, dont la meilleure qualité
est le « chè-bang » ; et 3° le thé en graine. Ils font
aussi, avec les feuilles tendres et la fleur de cet
arbrisseau, une sorte de gâteau mêlé de farine et de
mélasse qui est très apprécié et qui fait honneur aux
mains, d'ordinaire délicates, qui l'ont préparé. Mais
nous en sommes à un article de boisson, et il ne faut
pas oublier le bon thé vert que Ton voit cultivé avec
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PRODUCTIONS. 88
soin dans un grand nombre de localités, surtout en
Ninh-binh et chez les Muongs du Lac-thô, et puis le
« vôi», grand arbre qu'on plante autour des étangs et
qui devient aussi beau que nos plus beaux noyers. Sa
feuille donne une infusion excellente quand on y est
habitué et qu'on a envie de dormir; elle n'est, du
reste, pas moins acre et caustique que les feuilles
vertes du thé que j'appelle thé vert.
Le thé est à peu près cultivé comme nos vignes de
Bretagne, sauf les nombreux labours et la taille. Il
devient un fort arbuste, qui dépérit par le haut des
branches au bout d'aune dizaine d'années, tandis que le
pied se couvre de lichens blancs. Ce sont les femmes
qui s'occupent exclusivement de sa récolte, et comme
cette récolte est journalière et que chaque maison à
peu près a une portion du petit monticule ou du ter-
rain vague où se trouve le jardin à thé de la com-
mune, c'est là que se fait le plus exactement la
gazette de la localité, aussi bien que dans les jardins
à bétel, dont je parlerai pjus tard. Cette gazette s'en-
richit ensuite des différents marchés des environs et
supplée parfaitement à la liberté de la presse, qui n'est
pas connue au Tông-king.
Huiles. — Les Tôngkinois ne se doutent même pas,
je crois, qu'on fasse de l'huile avec le coco ; non pas
qu'ils n'aient ce fruit, mais sa petite quantité fait ré-
server sa chair intérieure, qui a un goût de noiselte
assez délicat, pour les collations de régal. Les Cochin-
chinois sont plus avancés sous ce rapport.
L'huile dont on se sert dans la grande majorité de
l:i population pour l'éclairage est l'huile du ricin,
(•.onimuii partout, dont on distingue deux espèces:
1 j blanc et le violet (oe dernier ne sert qu*à la médc**
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86 L'EMPIRE D'AN-NAM.
cine). Le ricin donne une très facile, très prompte et
très abondante récolte; il vient dans les marécages
comme sur les montagnes et on en voit partout pour
l'exploitation ou pour les simples besoins domestiques.
La livre de son huile se vend deux sous environ et la
lumière qu'il donne est suffisante, quoique souvent
jaune et fumante comme notre résine de Bretagne.
Pour l'apprêt de leurs mets, les Annamites ont
l'huile de pistache et de sésame ; l'huile de sésame, un
peu gommeuse, n'est pas agréable pour un usage con-
tinuel, mais l'huile de pistache vieillie est aussi bonne,
à mon avis, que l'huile d'olive. Du reste, il yen a peu;
on se la procure difficilement et à un haut prix. Sur
le littoral on trouve quelques huiles de poisson d'assez
mauvaise qualité^qu^on ne voit pas dans le commerce.
En Gochinchine et en Xu-nghê on trouve un peu de
térébenthine et une huile forte et résineuse qui sert à
enduire les barques et les paniers, qui se vend à bon
marché et qui a d'excellentes propriétés. On la tire
d'un arbuste laiteux et gommeux, dans le genre de
l'aloës et du ricin. Je ne connais pas d'autres espèces
d'huiles que celles dont je viens de parler. Pour l'ex-
traire de la graine de ricin et de la pistache, on a de
grandes auges à broyer, et ensuite les marmites qui
font au besoin le sucre, le sel, les gâteaux de riz et
toutes sortes de friandises ; on fait évaporer l'eau qui
a servi à laver la matière concassée et pilée, et l'on a
à la suite de plusieurs opérations, une huile pure qui
brûle d'ordinaire parfaitement.
i° Pour les vêtements. — Après avoir parlé des pro-
ductions qui ont rapport à la vie proprement dite de
la population, parlons maintenant de celles qui ont
rapport aux vêtements. Ce sont:
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PRODUCTIONS. 87
Le coton et le chanvre. — J'ai vu peu d'arbres à
coton. Le coton du pays provient d'un arbuste de la
force du chardon, que nos naturalistes connaissent
sans doute. On le cultive dans toutes les provinces sur
les terrains hauts et sablonneux, et il demande très
peu de soin. Son rendement est très abondant et pres-
que toujours sûr. On le sème au mois de février et la
récolte se fait aux mois de juin et juillet. Les gens du
pays se servent, pour Tégrainer, d'un tourniquet à
cylindre et en bois assez ingénieux, mais qui est trop
petit et qui n'avancerait pas beaucoup la besogne si
toute la population ne s'en mêlait un peu. Pour le filer
ils ont le rouet simple et à un seul fuseau, de notre
vieux style celtique ou gaulois ; la fil obtenu n'est que
mal tordu, peu uni et peu propre à faire un bon tis-
sage. Ce fil est très cher par rapport aux tissus et le
revient du tisserand lui donne à peine de quoi se
nourrir ; aussi, depuis que le commerce des Chinois a
repris au Tông-king, après la mort de Minh-mang et
de Thiéu-tri, on leur vend volontiers le coton brut
pour leur acheter du fil, qui vient souvent d'Amé-
rique, et plutôt encore des calicots européens qui sont
à meilleur marché que les cotonnades du pays. Aussi
voit-on maintenant dans tous les villages des habille-
ments de ce genre apportés par le commerce étran-
ger,
La pièce de coton fabriquée dans le pays, avec une
laize d'un pied et demi au plus sur 10 mètres de long,
coûte de 2 à 3 francs. Le fil pour la tisser ne s'achète
pas moins de 1 fr. 50 c, et il faut une bonne journée
de travail avec les métiers que l'on a; ainsi quel
peut être le profit» quand il faut aller acheter ce fil
assez loin et qu'il faut en outre s'éclairer le soir? Ce
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88 L'KMIMP.K H'AN-NAM.
sont, engénéral, les femmes qui fout ces tissus, comme
ceux de la soie, dont je parlerai plus tard, et comme
elles les font à temps perdu, tout en gardant la mai-
son et en veillant sur leurs enfants, elles ont quelques
petits bénéfices qui aident le ménage. Il y a aussi des
villages entiers, hommes et femmes, qui se livrent à
celte industrie, occupant les vieillards et les enfants
à passer le coton et à filer. Ces villages sont ordinai-
rement à l'aise, d'autant qu'ils peuvent faire les prix
des marchés voisins; mais c'est une exception.
Ainsi donc, en résumé, le coton est abondant et de
bonne qualité. Sa culture est facile et sûre, mais la
filature et le tissage sont de peu d'importance. Les
Chinois et les Européens feront bien d'enlever aux
Annamites tout leur coton brut, qui peut occuper à
l'année de nombreuses filatures, ou de leur donner
des moyens de le travailler mieux qu'ils ne le font.
Pour le chanvre, ils n'en ont que comme objet de luxe,
comme les filets dont on se sert pour porter les voya-
geurs et qu'on trouve à acheter au Xu-nghé et au Xu-
thanh. Les marins n'en connaissent pas l'usage pour
leurs cordages et c'est à peine si les pêcheurs en font
quelques fils, quelques ficelles pour leur art.
La soie. — Le père de Rhodes s'étonnait, dès l'an-
née 1624, de l'abondance de la soie au Tông-king et à
la Cochinchine, abondance telle que la soie servait à
faire des filets pour la pêche et les cordages des ga-
lères. Depuis lors, je ne crois pas que cette abondance
ail diminué en rien ; je serais même porté à croire
(|u'el[e a augmenté en raison de la population, qui est
certainement devenue plus considérable. Non seule-
ment la soie sert à faire beaucoup de filets pour la
jpêche^ mais encore elle sert à faire les tentures dû
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PRODUCTIONS. 89
luxe, à confectionner les moustiquaires, à produire
à peu près tout le fil de la consommation pour les
besoins ordinaires et à donner au moins la moitié des
habillements du pays, sans compter que son exporta-
tion est encore considérable, soit à Canton, soit au
Yun-nam, soit à Singapore. Toutes les maisons un peu
à Taise nourrissent des vers à soie, surtout en Gochin-
chine et sur les plateaux élevés du Tông-king. J'ai vu
des maisons de particuliers ayant des chambres fort
grandes consacrées à la magnanerie et où le jour et
Tair étaient ménagés avec soin, parle moyen d'ouver-
tures et de tapisserie en papier clair et transparent ;
ces maisons faisaient quinze et vingt livres de soie
par an. Nulle part il n'y a de magnaneries du gouver-
nement ou d'exploiteur en grand. Cette industrie est
donc, comme toutes celles du pays, du reste, l'occupa-
tion des petits propriétaires. 11 parait qu'à certaines
époques le ver-à-soie est très impressionnable et qu^il
faut le garantir d'un certain courant d'air qui lui est
mortel ; c'est une préoccupation, et l'on n'y réussit
pas toujours. Pour le nourrir, on a dans le pays une
grande quantité de mûriers, dont j'ai déjà parlé.
La pièce de soie, de même laize et de même lon-
gueur que celle que j'ai citée pour le coton, coûte
dans le pays de 3 à 5 francs, et je parle du tissu le
plus simple et le plus clair. Il y en a un peu plus serré,
qu'on appelle « dâu-tu-là » (tête de soie), qui coûte de
6 à 8 francs ; il n'est pas inférieur à nos gros tissus
de soie et il fait un très bon profit. Il y a aussi des
tissus à ramages et à fleurs, des satins, des brochures
do a soi », des tissus mêlés d'or et d'argent, du crêpe,
quelques velours. La quantité n'en est pas trop consi-
dérable, mais la façon en est remarquable et pourrait
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90 L'EMPIRK D'AiN-NAM.
faire, pour quelques-uns, la fortuue de nos tisseurs de
Roubaix.
C'est ce que nous appelons foulard et doublure qui
fait la grande consommation, et il y a peu de maisons
où il n'y ait plusieurs femmes qui n'en fabriquent.
Aussi, voit-on tout le monde en porter, partout et en
toute saison, à moins que les gros travaux de la cam-
pagne n'y mettent obstacle.
Outre le coton et la soie, les Annamites ont une
espèce d'écorce, appelée « thon », qu'on fait macérer
dans l'eau, qu'on broie et qu'on flle pour en faire un
tissu préférable à celui du coton, si incommode
dans les pays chauds; il se vend presque aussi cher
que la soie et il est assez difficile de s'en procurer, si
ce n'est à certaines époques et seulement dans la pro-
vince de l'ancienne capitale du Tông-king, où on le
reçoit des points limitrophes de la Chine. C'est comme
une grosse espèce de ma-pou. Pour les autres écorces,
l'ananas est inconnu comme pouvant servir à l'habil-
lement et les écorces de coco ne servent qu'à faire
quelques câbles de mâture, auxquels on préfère encore
le rotin.
Indigo et arbres à couleurs. — L'indigo est abon-
dant au Xu-nghê, et ce que j'en sais, c'est que le
commerce en est lucratif, qu'il est vendu en boules de
la grosseur d'une bille de billard, c'est-à-dire à son
état le plus brut ; qu'il est regardé comme inférieur à
celui de l'importation chinoise, et qu'il sert pour pres-
que toutes les teintures du pays.
Les Tông-kinois sont, je crois, le premier peuple du
monde pour la teinture noire du coton, et j'entends par-
ler surtout des habitants de Ké-kiéu (Ké-cho) et de
Nam-dinh, En France et partout oa ne peut porter le
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PRODUCTIONS. 91
coton noir sans en être sali, et on ne peut le laver sans
qu'il perde sa couleur. Au Tông-king ce n'est pas cela.
La teinture est d'un beau noir, et on peut la soumettre
à toutes les épreuves ordinaires sans la voir p&lir,.la
laver dix et quinze fois sans la voir changer. Cette
couleur est naturelle et provient de deux feuilles, dont
Tune est d'un grand et bel arbre appelé « sây » ; je
ne connais pas l'autre (1). La décoction ou macération
de ces feuilles se mêle par certains procédés et
plusieurs lavages à la couperose, à l'indigo et à la
colle de charpentier. Du reste, je n'ai jamais pu en
avoir le secret, même à prix d'argent. La simple
feuille du sây donne seule une très-belle couleur
noire, qu'on peut passer à l'indigo et coller, mais elle
n'est pas solide et il faut des procédés particuliers
pour produire ces belles teintures, dont j'ai parlé, et
qui ne sont connues pour le coton qu'au Tông-king
seulement. Pour la soie, en Gochinchine, on se sert
d'une tourbe qui donne un lustre très brillant qu'on
estime dans le pays, mais qui se détruit à la transpi-
ration et donne une odeur désagréable. Le noir mat,
qui est le plus commun et en même temps le plus
solide et plus propl*e, est, en général, préféré.
La couleur rouge s'obtient de l'écorce et des bois
d'une espèce d'acacia» appelée « cây-vang », très
abondant dans les forêts deNinh-binh etdeXu-thanh.
Mais une couleur que je puis appeler nationale et que
tout le monde recherche pour les habits dé coton
que l'on veut teindre à bon marché, c'est la couleur
(i) C'ait Farbrd appelé bàng : larges feuilles ressemblant au
laurier femelle que 1 on rencontre dans la Haute -Vienne, la Dor-
dogne et la Charente. (Gombrilacêes — termioalia vemicia —
Bêdamier). S. D^
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92 I/KMPIRK D'AN-NAM.
« nàa », provenant du tubercule de ce nom, très
commun dans le pays et article d'un grand com-
merce à Nam-dinh et à Hà-nôi, Il n'y a pas un Anna-
mite, se piquant de tenir aux usages et à la simplicité
primitives, qui n'ait un habit de cette couleur, au
moins pour les voyages et les travaux des champs.
Cette couleur, on peut l'obtenir soi-même ; elle est
d'un gros rouge mat et fauve timnt sur le violet ; elle
donne le moyen de paraître, envers et contre tout, un
peu pro pre dans sa mise, même dans les plus mau-
vais temps.
Les autres couleurs sont peu usitées dans le pays,
si ce n'est une couleur cendrée et tuant sur le bleu,
qui tient aussi aux anciennes coutumes. La couleur
bleue sert au double turban que les jeunes femmes
portent aux grandes fêtes. On voit quelques doublures
d'habit d'hiver en couleur verte. Pour le jaune, ii
vient de Chine et il est réservé à la cour, si ce n'est
le jaune naturel des tissus de soie non teints, que les
gens dé barques portent beaucoup.
3*^ Pour V habitation et les constructions. — On
trouve dans tout le royaume annamite, du nord au
sud, une ligne de forêts immenses qui, en certains
endroits, ne sont pas éloignées de la mer et qui par-
tout, dans chaque province, sont desservies par de
nombreux cours d'eau et des fleuves. Ces forêts peu-
vent fournir les plus beaux bois de la grande et de la
petite construction à vingt royaumes comme le royau-
me annamite. Mais le plus estimé et le plus recherché
de tous ces bois, par ce peuple pauvre, tyrannisé et
peu entreprenant, est, sans contredit, le bambou.
Aussi, chaque maison, chaque village est muni, sou-
vent h double et à triple enceinte, de sa plantation de
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PRODICTIONS. 03
bambous, sur les bords de la mer, comme dans la
plaine et sur les montagnes. On en voit à profusion
partout, et l'on dirait qu'il ne suffit pas encore à la
consommation. On doit le planter et le planter en-
core ; son prix ne baisse pas ; c'est le meilleur rap-
port en fait de plantations et son usage est le plus
universel que Ton puisse voir. Aussi, quand on inter-
roge un Européen et qu'il répond que sa patrie n'a pas
cet arbre ou ce roseau, on s'étonne que l'Europe soit
un pays où Ton puisse vivre.
On le mange, comme nouvelle pousse ; on en fait
du papier; on en fait des liens et de la corde; on en
fait des treillis, des textures à tout usage, des pa-
niers, des nattes, des cloisons ; on en construit des
barques ; on en fait des pipes et des tuyaux de pipe ;
ou en fait des vases même à supporter le feu ; des
bottes et des coffres laqués de la meilleure solidité et
du plus bel effet ; on en fait des chapeaux ; on en fait
des bâtons qui sont les meilleures armes du pays, des
rames et des échalas ; ses épines et sa haie fourrée
forment de puissantes défenses pour les habitations;
on l'aiguise pour en faire de petits pieux pointus,
dont on garnit le devant des forteresses pour empê-
cher l'ennemi d'approcher, et chaque soldat doit tou-
jours en avoir sur lui une certaine provision ; on en
fait des objets sonores pour les appels et les signaux;
on en fait des ponts pour passer les torrents ; on en
fait des bâtonnets pour manger le riz , et des cure-
dents pour se nettoyer la bouche après chaque repas ;
on en fait des caractères et des planches d'impri-
merie ; enfin, on en fait des maisons. On peut juger
par là de la quantité qu'il en faut à un peuple de
trente et quarante millions d'individus.
Le bmnbou est très diversifié dans ses espèces. 11 y
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94 L^EMPIRE D*Â!f-NAHt.
en a qui vient très gros, d'un pied de diamètre «t qui,
quoique creux, peut disputer de force, comme soutien,
avec les meilleurs bois du pays. Aussi beaucoup de
maisons l'ont pour colonnes : c'est le « buong ». Il y
en a qui est très épineux et très noué ; il y en a de
très élancé et très lisse; il y en a qui a Jla peau bi-
garrée ; il y en a enfin qui ressemble au roseau ordi-
naire et qui en a toutes les qualités.
Les principales espèces sont le buong, le tré, le nua
et le hop. Un beau pied de bambou ordinaire, de deux
pouces de diamètre, coûte ordinairement de8 à 9 sous,
ce qui est vraiment très cher, comparativement à tout
le reste. Une haie de bambou donne deux pousses par
an; d'une pousse à l'autre^ la tige devient assez forte
pour servir à tous les usages marqués plus haut.
Pour Tenceinte d'un arpent de terre, on peut comp-
ter sur KO et 60 flrancs de rente annuelle. Le bambou
domestique demande, dans plusieurs localités, quel-
que soin pour être bien planté à la saison convenable^
pour être chaussé peu à peu et pour être soigné quand
il est trop vieux ou malade ; mais ce soin, en résumé»
est peu de chose, et presque partout on voit cet arbre
abandonné à sa seule nature.
Viennent maintenant les bois de fer ; le < xoan »,
ou espèce de frêne; le « trac », bois d'un beau rouge,
le jacquier et le c thi » dont j'ai déjà parlé; Tébène,
le sapin et tous les bois que les naturels désignent,
in globo^ sous le nom de € tap » ou mêlés. Les bois
de fer ont quatre espèces (tu thiét lim) (1) : Tune
(1) L'expression Tu thiéi lim désigne les quatre espèoet de boit
de fer, qui sout :
Trac.
MUD.
Go.
bèn.
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..^^U
î>RODtîCTlONS. 98
jaune, l'autre rouge, une noire, et la quatrième blan-
chissante. Ils sont réservés par le roi pour la cons-
truction de ses navires, de ses magasins, des temples
et des mandarinats. Le roi actuel a cependant permis
à son peuple, pour ses usages domestiques, celui qui
n'a que dix à onze pieds de long et qu'on désigne par
les noms de « doan-lim » ou lim court. La quantité
des bois de fer est très grande, surtout dans les forêts
de Xu-thanh et de Quang-binh ; mais comme les Anna-
mites ont peu de moyens pour l'extraire, il est difficile
de s'en procurer beaucoup en peu de temps dans le
pays. Ces pauvres gens sont vraiment malheureux
d'être obligés d'en fournir au roi ; car après les avoir
traînés chez le mandarin avec des frais considérables
aux dépens de la commune, le misérable les reftise
souvent pour les obliger à lui procurer de plus beaux
pieds et faire ainsi son profit particulier de leurs
sueurs inutile**; c'est quelquefois vraiment aftreux de
voir des populations entières soumises à un despo-
tisme que l'on ne connaît que dans les colonies à
esclaves.
Il est à remarquer que les lieux où il y a beaucoup
de racines de bois de fer sont les plus malsains et
qu'on ne peut s'y garantir de la fièvre et de la dyssen-
terie, à moins d'y être né. C'est du moins ce que l'on
dit dans le pays.
Il pourrait donc se faire que les navires construits
avec ce bois engendrassent des maladies ; ce qui est
à démontrer.
f Le xoan est un bois très recherché pour les faites
des habitations, parce qu'on le dit incorruptible,et que
jamais il n'est mangé par les vers. Il n'est pas très
gros d'ordinaire, et les plus beaux n'ont jamais plus
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9ô L'KMPIRE DAN-NAM.
de six à sept pouces de diamètre. Il donne facilement
une gomme qui sert à l'imprimerie et aux teintures,
mais qui ne vaut pas notre gomme de cerisier, elle
est plus flasque et moins chargée d'essence.
Le Trac est un beau bois qui est en général préféré
à l'ébène pour les incrustations de nacre.
Le sapin n'existe, je crois, qu'au Xu-nghê : il four-
nit à la mâture et il donne à sa racine, quand il est
bien vieux, disent les livres chinois, une excrois-
sance tuberculeuse qui ressemble à une boule de
plâtre et qu'on emploie beaucoup dans la méde-
cine ; c'est une agglomération de sa gomme. Pour la
térébenthine, c'est à peine si on la trouve dans le
commerce.
Je dois encore parler du rotin du Tông-king. Les
Chinois le préfèrent à tous les autres, qui sont trop
durs et trop cassants, et par conséquent ne peuvent
servir pour les gros cordages des mâtures et pour les
tissus de naltes ; celui du Tông-king atteint seul ce
double objet ; aussi, c'est un grand article d'exporta-
tion. Je ne dis rien de Tusage que font les Chinois, les
Japonais et les Annamites de cette liane épineuse pour
les peines et les corrections ; il est maintenant connu
de tout le monde. Venons enfin aux joncs.
Les joncs se rattachent au bambou par la petite
espèce « hop » , que j'ai mentionnée plus haut.
Il me suffît de parler du genre qu'on appelle « Coi »,
qui sert à faire les belles nattes que nous admirons et
les toitures d'un grand nombre de maisons du pays.
Il se plante dans les terrains qui avoisinent la mer, et
son produit est lucratif, d'autant qu'il sert à épuiser
des terrains trop imprégnés de matières câlines pour
les rendre cultivables; l'arpent de cette plantation
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PRODUCTIONS* 97
peut rapporter de 40 à 60 francs par an, après les deux
premières coupes.
4** Pour Vhygiène. — Les productions en rapport
avec l'hygiène sont toutes les plantes médicinales, et
pour s'en rendre très bien compte, il faudrait pren-
dre en main la flore annamite que Ton trouve à la fin
du dictionnaire que Mgr Taberd a fait imprimer à
Calcutta. Le pays est riche pour la médecine, et les
Chinois l'exploitent largement. Pour FAnnamite, il
ne connaît que de loin ses richesses ; il achète sa
médecine toute préparée par les habitants du Céleste
Empire, et il ne fait attention, chez lui, qu'à la can^
nelle, au musc, au bois de cerf, aux bois d'aigle,
d'agalloche et de benjoin, au gingembre, à une petite
espèce de gensen, au datura strammonium et à
quelques autres plantes peu nombreuses.
La cannelle est un monopole royal et personne ne
peut la cultiver chez soi ni même s'en servir, sans
s'exposer à perdre sa fortune et à se faire mettre en
prison ; cependant on en vend à peu près partout en
cachette, et Crawfurd estime à 250 à 300,000 livres
anglaises le débit qui s'en fait annuellement.
On nourrit le renard musqué pour avoir son produit,
qui est de la meilleure qualité et qui sert beaucoup
dans la confection des pilules. Du deuxième mois
lunaire jusqu'au quatrième, on va à la chasse du cerf
pour avoir la petite corne gommeuse, de 4 à 5 pouces
qui lui pousse au milieu du front et qui tombe au
bout d'un certain temps : c'est le « lac nhung », qui se
vend au poids de Tor et qui fait, comme la cannelle et
le ky-nam, des cures merveilleuses. Cette petite corne
est molle, très gommeuse et de la pesanteur de 2 pu 3
onces, c'est-à-dire suffisante pour faire la fortune du
SiLVF.STRF.. — Annam.
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98 L'EMPIRE D'AN-NAM.
village, quand il n'est pas obligé de la donner pour
rien au roi ou aux mandarins. On trouve dans les
forêts, aux pieds de certains arbres de diflférentes
espèces, les excroissances ou agglomérations rési-
neuses que nous appelons calambac, bois d'aigle ou
d'agalloche et benjoin. Le datura strammonium sert
de remède contre la rage, quand sa période n'est pas
encore déclarée ; on fait simplemeat infuser cinq ou
six de ses feuilles, on jette la première eau, comme
trop chargée de poison, et l'on fait avaler au malade
une forte tasse, qui le surexcite, le met en sueur,
l'enragé ainsi artificiellement et le sauve.
Le gingembre sert à toutes les potions du pays
comme assaisonnement nécessaire. Pour tout le reste,
je ne vois rien de bien intéressant à rapporter ; —
achevons ce long article.
8" Pour le luxe. — Arec et bétel. — Comme luxe
de la vie, nous avons partout le bétel et l'arec ; quel-
ques farines; quelques essences, comme : laques,
aloès, camphre, cire, encens, opium ; quelques pro-
duits de fabrique ; du tabac, des fleurs, etc.
On appelle « manger du bétel », se servir d'une feuille
de ce nom, qui ressemble au lierre, qu'on racle avec
un peu de chaux et qu'on mâche avec un quartier de
noix d'arec. Cette mastication produit un goût frais,
piquant, qui est très agréable quand on y est habitué.
La salive devient alors rouge couleur de sang ; les
nerfs du cerveau se sentent stimulés, et l'on éprouve
dans la poitrine une douce chaleur qui fait du bien et
repose. Les Annamites se font un article de cérémonie
obligatoire d'en présenter aux étrangers qui viennent
les visiter et aux amis et connaissances qu'ils rencon-
trent chemin fkisant. Après un repas, il en faut pour
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^p
PRODUCTIONS 9Ô
se purifier la bouche, et il n'y a pas un Annamite qui
n'en ait dans une petite bourse consacrée à cet usage
ou dans le nœud de son mouchoir, de sa ceinture.
Riches ou pauvres, seigneurs ou petit peuple, tous
mâchent le bétel, le conservent et le portent sur eux
partout. On fera grâce du thé, mais jamais de cette
bouchée parfumée qui est le signe le plus nécessaire
de l'honneur et de l'amitié. Aussi on plante beaucoup
de bétel, beaucoup d'aréquiers, et la plus grande quan-
tité de chaux du pays est consommée dans le mélange
de ces deux produits. On peut comparer la culture de
cette liane à celle de la vigne, ou mieux encore à celle
de la vanille, qui est de son genre et de son espèce.
Les jardins à bétel sont faits au moyen d'échalas et
d'une toiture que Ton met ou que l'on ôte suivant les
saisons. Ces jardins sont d'ordinaire fermés à clef, ce
qui est bien extraordinaire dans ce pays, et ce qui
marque que c'est le trésor de la maison, auquel on ne
doit laisser toucher personne. Le produit de 10 à 16
pieds carrés d'un terrain planté de bétel donnerait
bien, dans de bonnes conditions, de 80 à 100 francs de
rente par an. La feuille se cueille au fur et à mesure
du besoin que l'on a, pour se faire un peu de monnaie
au marché voisin, ou pour consommer à la maison;
elle ne peut se conserver fraîche plus de 7 à 8 jours;
après elle ne vaut plus rien.
Pour l'aréquier, c'est un arbre qui s^élève à une
belle hauteur et qui est du genre du dattier et du
cocotier, mais qui a la tète formée d'un plus élégant
panache de feuilles dentelées et moins pendantes.
L'écorce qui se trouve à la naissance de ces feuilles
est excellente pour faire des enveloppes d'objets de
toutes sortes, et Ton s'en sert beaucoup partout; enfin
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100 I/EMPIRR D'A>-N\M.
c'est sa grappe qui donne la noix qu'on mange avec le
bétel. Cette grappe sort d'abord en magnifique bou-
quet vert et blanc, qui répand une odeur très suave et
très enivrante, à peu près conime celle de l'oranger.
Un aréquier met cinq à six ans à venir, avant de don-
ner un rapport; mais alors on peut compter, en
moyenne, sur 1 franc de revenu annuel par aréquier.
Cet arbre est très sensible à l'eau et aux courants
d'air de certains vents ; trois jours d'inondation suffi-
sent pour le faire périr. Pour le guérir de certaines
maladies auxquels il est sujet, on fixe une cheville
qui pénètre jusqu'au cœur de l'arbre, à 8 et 15 pouces
au-dessus du sol, et la dérivation de la sève lui vaut
apparemment la saignée que l'on opère pour les coups
de sang et les apoplexies. Les Annamites le plantent
autour de leurs maisons, dont il est le plus bel orne-
ment, et ce n'est que dans certaines provinces qu'on
le trouve planté en forêts. Le fruit de Taréquier se
mâche vert ou séché au soleil, suivant l'époque : en
Xu-nghô et en Xu-thanh, on en fait un grand com-
merce qui est très lucratif.
Farines. — En fait de farines, je ne connais au
Tông-king que la farine de riz et celle d'un tubercule
appelé « Cù-mai ». On en fait des bouillies pour les
convalescents et des friandises mêlées avec la mélasse
ou le sésame, mais jamais de pain proprement dit.
On voit une espèce de vermicelle, très acide et assez
malsain, qu'on fait avec la farine de riz ; on voit aussi
certains petits pains très minces et très recherchés
partout, qu'on appelle « banh-da», qui proviennent
de cette même farine; le « banh-giây », ou pain de
giây, est fait d'un riz gluant que l'on décortique et que
Ton pile jusqu'à ce qu'il s'agglutine parfaitement, de
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PRODUCTIONS^ . . - ^ - .-- -MOI
manière à faire un beau gàfeaû rond^ cl'une^pçucç
d'épaisseur environ sur o à^6,d^'-dî?P?^^^:- 'A :'< ::<
Laque. — Un arbuste très abondant dans les hau-
teurs de Doai, le l'hus verni, ou augia sinensis, donne
la laque ou le « so'n » , dont les Chinois emportent la
plus grande partie, quoiqu^on en fasse une immense
consommation dans le pays. La laque du Tông-king
est excellente et préférée à toutes les autres. Mélan-
gée avec l'huile, le so'n ou vermillon et Tor, elle donne
ces beaux vases, ces belles boîtes rouges et à illus-
trations du Tông-king, qui font l'admiration des voya-
geurs. Seule, elle est d'un gris foncé qui produit le
noir à l'application sur bois ; c'est un des beaux reve-
nus du pays et Tun des plus nécessaires dans l'état
actuel des choses.
Aloès. — L'aloès n'est guère récolté qu'en Cochin-
chine, où on le dit de première qualité. L'once se
vend 3 à 4 sous de notre monnaie dans le sud, et de
5 à 6 au ïông-king, ce qui fait Tarticle d'un beau
commerce. Il sert à faire des médecines et des par-
fums; ces médecines servent pour les maladies pro-
venant de réchauffement des humeurs et pour les
frictions des tumeurs, contusions, engorgements; les
parfums mêlés au miel, au bois d'aigle et à la farine,
se brûlent aux principales époques de l'année sur des
cassolettes, dans les maisons et dans les temples.
Camphre. — Le camphre du pays est mal soigné et
on ne sait pas le porphyriser pour en obtenir un beau
cristal. Au Tông-king, il est en petite quantité, et je
n'ai jamais vu l'espèce de laurier qui le donne. Pour
Tempêcher de s'évaporer, les naturels le mêlent avec
du poivre.
Cire. — La cire ne sert pas aux Annamites ponr
8Vf,vt?sVRH. -*' Annfié. • i)
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réclairage; 'il ny a gfuère que les mandarins qui en
û^i.i^liçcà'kï^ lédroj^ s'en servir. La grande
quantité de cire qui Sfient'du Laos et de quelques pro-
vinces du nord-ouest et du midi, est emportée par les
Chinois ou absorbée par les prêtres du pays et quel-
ques médecins. Elle coûte du reste plus cher qu'en
Europe.
Encens. — L'encens se vend dans tous les grands
marchés du Tông-king. Il y en a que Ton compose de
la râpure du bois d'aigle mêlée à la cire vierge; il est
d'un parfum très délicat et on en fait une grande con-
sommation pour le culte des idoles et des ancêtres.
C'est avec cette substance que Ton enduit les petits
bâtons que Ton voit brûler partout.
Opium. - L'opium est acheté des Chinois, qui l'ap-
portent en grosses boules du Yun-nam ; cette boule,
pesant à peu près 10 à 12 livres, se vend environ
300 francs. Dans le pays, comme en Chine du reste,
on le mêle à certains ingrédients pour en augmenter
la quantité et en diminuer la force ; les consomma-
teurs ne s'en plaignent pas. Les Chinois, au lieu de
prendre seulement la substance laiteuse, huileuse et
gommeuse du pavot, comme les Anglais, font tout
cuire ensemble : pieds, racines, graines et feuilles.
Du reste, il y a une espèce de pavot arbuste qui est
bien différente de celle que nous connaissons ; elle
s'appelle « A-phu-dong ». On en voit chez quelques
particuliers, et j'ai vu dans le pays, des gâteaux d'un
opium sec et peu huileux qui en provenait et qu'on
m'assurait être excellent pour la médecine.
C baux. — Pour ce qui est des produits de fabrique,
j'en ai déjà mentionné un certain nombre et je ne
veux plus parler que de la chaux qu'on fait au Tông-
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PRODUCTIONS. i«3
king, ou avec des coquilles d'huîtres (et c'est la meil-
leurej, ou avec des pierres de marbre et les calcaires
qu'on trouve partout. J'ai vu quelques fours à chaux,
mais beaucoup de particuliers, et môme les gardiens
de buffles, cuisent eux-mêmes ce produit, tant on a de
facilité pour l'extraire. On s'en sert à peine pour la
construction, on le mêle avec du papier, du sel et du
miel, pour* faire des réservoirs à eau qu'on met devant
la porte de sa maison pour se laver les pieds quand
on entre, ou comme objet d'agrément. J'ai vu brûler
à demi de petits coquillages que l'on pile ensuite, que
l'on passe au tamis et que Ton mastique dans un mor-
tier avec du papier et du sable fin pour faire des puits
très solides et imperméables, qui conservent les eaux
de pluie, si précieuses partout.
Tabac. — Enfin vient le tabac, qui est en général
mal séché, mal récolté et mal fermenté pour l'usage
du fumeur. Il est de bonne qualité et gorameux, quand
il est coupé vert, haché et préparé pour mâcher avec
le bétel, et séché ; il est léger, et n'a presque pas
d'essence. Pour le brûler, on est obligé de le tremper
dans une dissolution de nitre qui lui donne un goût
fade et désagréable. Le meilleur que Ton puisse se
procurer dans le pays est celui qui vient des frontières
du Yun-nam, et qu'on appelle tabac de «sông-ngau » ;
il est excellent. Les femmes du pays ne le fument
qu'en cigarettes, en petites boulettes d'une ou deux
bouffées seulement, que Ton met sur la petite ouver-
ture d'un vase plein d'eau qui a un trou à sa paroi
pour aspirer la fumée. Je veux parler de la pipe-
écuelle (diéu-bat), la plus en usage, et objet de luxe
pour les citoyens ou citoyennes riches, qui se la font
porter à leur suite par un enfant ou un domestique.
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m L'EMPIRE D'AN NAM.
C'est une chose curieuse que de voir plusieurs chefs
de villages réunis, surtout quand ils sont un peu
échauffés par le vin et qu'ils parlent affaires. Assis à
la manière de nos tailleurs, ils conversent très haut,
en se faisant les honneurs de cet instrument. Ils cher-
chent alors avec beaucoup d'embarras, dans leurs
ceintures, un peu de tabac qu'ils appliquent aussitôt
sur le vase, avec une méthode recherchée, et pour
tous la même. Ils demandent en criant une allumette
de bambou enflammée et, tenant d'une main le tube
aspirateur et de l'autre l'allumette en question, ils
sont emportés par la conversation et bientôt, en
jurant, il leur faut demander d^autre feu ; enfin, quand
ils ont réussi à aspirer à longs traits une abondante
fumée, ils se redressent avec une majesté et un sérieux
incomparables, pour rendre après quelques instants,
par les \ eux, par le nez, par la bouche et par les
oreilles le parfum qui les enivre. C'est vraiment une
scène à peindre, que j'invite nos artistes d'Europe à
reproduire pour avoir une belle page des mœurs du
pays.
Fleurs. — Les Annamites ne connaissent pas, pour
ainsi dire, le luxe des fleurs du pays ; ce serait faire
un article d'histoire naturelle et ce n'est pas mon but.
Le rosier vient très facilement, mais ses fleurs sont
simples et peu variées. L'altéa, très commun partout,
a deux espèces principales : l'une blanche et Taulre
rouge. Sa fleur est un^beau p mâche qu'on appelle
« hoa-dâm-but » ou fleur de la passion de Bouddha.
Le « cây-dai », genre d'aloès, a d'abondantes roses
blanches qui répandent une odeur très suave ; le da-
tura strammonium, ou datura farox, a pour fleur, les
l^lus beaux colliers du monde^ Ensuite les cactus> de
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PRODUCTIONS. 105
jolis petits arbustes, espèces de buis et de myrtes,
le petit grenadier et le petit goyavier de Chine, la
crête de coq, et un laurier panaché, appelé t huyét-
du » ; voilà pour le parterre. On voit de plus, dans
quelques endroits,le safran, qui sertàquelques apprêts
culinaires, et le nénuphar dont tout le monde connaît
la magnifique floraison. Il donne une graine, supportée
à l'extrémité de son pistil, qui s'allonge en forme de
pommette d'arrosoir, et cette graine est réputée pour
très rafraîchissante et très nourrissante. Aussi on en
donne souvent aux convalescents de la fièvre.
Mais le but que je m'étais proposé, de donner une
idée générale des principales productions du pays, est
je crois suffisamment atteint. Il est bien temps de
parler des autres ressources'qu'offre ce beau royaume,
sous le rapport de sa population, dej'impôt, du com-
merce et de l'armée. (1)
(1) Le lecteur à rencontré jusqu'ici, et rencontrera encore,
dans la suite, quelques naïvetés, pas mal d'erreurs et des tour-
nures de phrases qui ne paraîtront point surprenantes si l'on
se rappelle que \es rédacteurs de l'Aperçu étaient des hommes
ayant quitté la France .vers 1830, et vivant exclusivement de la
vie annamite, depuis une quinzaine d'années.
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CHAPITRE III.
QUESTIONS ETHNOGRAPHIQUES.
I. De la population. — En Chine, on désigne
toute la masse du peuple par < les cent familles »
(Bach-tinh), qui apparemment sont venues de la
plaine de Sennaar pour s'établir dans le Ghen-sé, et de
là envahir peu à peu tout Tempire actuel. Chez les
Annamites, on trouve seulement les noms de neuf ou
dix maisons primitives, dont les plus illustres sont
celles qui ont régné : les Trieû, Lé, Ly, Trân, Nguyôn
etTrinh.
La population à laquelle ces noms servent comme
de titre, de désignation d'origine et d'unité nationale,
forme maintenant, avec le Japon, la nation la plus
nombreuse de l'Extrôme-Orient. Le Japon, d'après
Siebord et Burgher, compte 33 à 34 millions d'habi-
tants ; le Birman, Siam, la Malaisie et le Laos, ne for-
ment pas à eux tous un effectif de 20 millions. Le
royaume annamite, à mon avis, n'a pas moins de
35 millions d'habitants, et je lui donnerais plus volon-
tiers 40 que 30 millions. Il n'y a pas de recensement
officiel et de dénombrement légal qui puisse nous
donner d'autorité le chiffre de la population ; mais.
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QUESTIONS ETHNOGRAPHIQUES. 107
comme indication d'un calcul approximatif, il y a le
nombre de communes, donné par le gouvernement de
Minh-mang, de 1820 à 1840. Ce nombre est de 3,752
communes pour la Cochinchine et de 10,261 pour le
Tông-king. J'ai calculé que chaque commune pouvait
avoir en moyenne de 15 à 1,800 âmes; ainsi donc, le
total des communes étant de 14,013, on aurait de
21,019,500 à 25,223,400 pour tout le royaume organisé
en communes, sans compter la population qui n'es*
pas annamite, et qui est dispersée sur les plateaux des
montagnes de l'ouest et dans la vallée du Meïcong ;
soit 2 à 3 millions, pour avoir 27 à 28 millions en
tout (1>
Je ne puis me persuader que ce chiffre ne soit pas
au-dessous de la vérité, en considérant que les com-
munes se sont fort multipliées sous le règne de Minh-
mang, et que grand nombre de concessions ont été
accordées à différents particuliers pour démembrer
les grands villages. Prenons pour la Cochinchine le
tiers de ce chiffre, d'après la donnée du nombre des
communes, soit 8 millions, et 2 ou 3 millions pour les
peuplades soumises; nous avons ainsi donc 34 à
35 millions, chiffre nn peu faible à mon avis. Il ne
peut être trop fort. Il y a au Tông-king une population
effrayante, dans la plaine de Xu-nam; il est difficile de
s'en faire une idée sans l'avoir vue. On se demande
comment ces pauvres gens peuvent trouver les moyens
de vivre, même quand l'année est bonne. Il faut con-
naître la fertilité du sol, la sobriété de ce peuple,
l'égalité des fortunes et le bien-être que procurent
(1) Voir la d«miôme partie, ii« Vllt, Population e^ Finances d$
VAnnam,
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408 I.'EMPIRt: D*AN-WAM.
certains usages dujpays pour s'en rendre un peu
compte.
Quand les fléaux, ou des tempétes/ou d'une inonda-
tion extraordinaire, ou des insectes ou animaux malfai-
sants, viennent ravager les champs et détruire, en
grande partie, les ressources de la vie, alors la misère
est immense. On voit des populations considérables
réduites à manger jusqu'aux racines des haies plantées
autour de leurs maisons, et un grand nombre de pau-
vres gens et d'infirmes mourir complètement de faim.
S'il fallait attendre sept à huit mois, comme en Eu-
rope, une nouvelle moisson, enverrait en peu de temps
ces pays dépeuplés; mais, comme je l'ai déjà dit, il
n'en est pas ainsi au Tông-king, et les plus grands
fléaux n'attaquent la population que pour un temps
assez court et limité, de deux ou trois mois au plus.
Dans ce royaume, je ne vois point de guerres qui
aient pu, depuis le quinzième siècle au moins, dimi-
nuer considérablement le nombre des habitants. Il n'y
a que la guerre « des montagnards de l'Ouest, » vers la
tin du dix-huilième siècle, et la restauration de Gia-
long sur le trône ; mais je n'estime pas à 200,000 hom-
mes la perte qu'a alors éprouvée, par le fer, la nation,
pendant environ trente ans. Cette guerre a été faite
par de très faibles moyens, et les familles qui régnaient
ont été tour à tour massacrées impitoyablement avec
leurs principaux partisans; le peuple cependant n'en
a pas énormément souffert, à part quelques localités
plus malheureuses, qui ont payé pour la plupart des
autres. Les fléaux épidémiques ont fait plus de mal, et
l'on peut citer le choléra ou la peste de 1789 à 1850
qui, chaque fois, ont dû emporter le quinzième au
moins de la population. Pour les émigrations, il n'y en
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QUESTIONS ETHIfOGRAPHIQUES. i09
a que dans l'intérieur du pays, du Tông-king en Go-
chinchine, par exemple, et d'une province à une autre.
On ne voit.point d'Annamites en Chine, ni en Birmanie,
ni en Malaisie ; seulement à Siam il y en a, depuis des
siècles, quelques milliers, descendants des soldats au
service du roi, ou de prisonniers amenés captifs par
suite des guerres qui ont eu lieu. L'émigration qui se
fait dans le Sud et qui a lieu déjà depuis deux ou trois
cents, ans, sur la côte de Nhà-trang et de Dông-naï, à
mesure que la conquête s'affermit et se consolide,
prouverait que la population, loin de diminuer, s'ac-
croît au contraire et se multiplie; c'est à la richesse du
pays, au moyen d'y vivre facilement, et aussi bien à
la bonté des institutions communes, qu'il faut en attri-
buer la cause.
Mais examinons maintenant ce qu'est cette grande
population annamite et ce qu'elle fait : 1^ Ce qu'elle
est, avec son type physique et son type national, c^est-
à-dire sa langue, ses coutumes et usages, ses institu-
tions civiles et religieuses ; 2° ce qu'elle fait, comme
travail, comme industrie et comme occupation de ses
loisirs ; nous aurons par là une connaissance de son
caractère et la mesure de son intelligence, de
sa civilisation, de son bien-être et de son importance
comme nation.
//. Type physique^ type national. — J'ai parlé, dans
l'aperçu géographique, des cheveux noirs des Anna-
mites, de leur front haut et large, de leur nez épaté
et écrasé, des pommettes de leurs joues saillantes, de
leurs lèvres plus grosses que minces, de leurs dents
noircies, de leur peu de barbe, de leur teint un peu
cuivré, de leur physionomie ouverte, spirituelle et
SILVE8TRB.-* Ànanm. 7
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140 L'EMPIRE DAN-NAM.
rusée, de leur stature moyeune, bien prise et élancée
hardie et résolue, de leur démarche prompte et active
et de leur abord méfiant et respectueux, puis poli et
affable ; je n'ai que peu de choses à ajouter à ce por-
trait. Les hommes bouclent leurs cheveux en chignon
sur la téte^ sans les tresser ainsi que les femmes. H
n'y a que les enfants, petits garçons ou filles, que l'on
rase jusqu'à l'âge de onze à douze ans, dans le but
probablement de les tenir propres et de s'éviter de la
peine. Les hommes qui ont de la barbe, et ils en ont
rarement avant trente et quarante ans, la portent en
ayant grand soin de diminuer les moustaches de
manière à ce qu'elles ne soient qu'un petit cordon au-
dessus des lèvres, et que les deux extrémités de la
bouche soient couvertes de longs poils, ce qui leur
donne un air un peu sauvage et qui ne manque pas
d'originalité.
IIL Costume. — Les vêtements, outre le turban,
sont, pour le haut du corps, une jaquette cousue sur le
devant et fermant sur le côté par trois boutons ; à
l'épaule et au collet par deux auti^es. Cet habit, des-
cendant jusqu'aux genoux, est très décent, et il est le
même pour les hommes et pour les femmes ; seule-
ment, les femmes ont de plus un mamillaire, ou car-
reau d'étoffe attaché à la ceinture par deux cordons
et au cou par un ruban qui se noue derrière la tête et
flotte sur l'habit de dessus, ce qui les dispense, croient-
elles, de se boutonner jusqu'au collet, du moins les
femmes mariées.
Pour le bas du corps, les hommes portent le pan-
talon flottant, et la grande majorité des femmes, le
sarrau long. Je dis la grande majorité cies femmes
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QUESTIONS ETHNOGRAPHIOUES. 11
parce que Miuh-mang, dans ses fureurs tyranniques, a
fait un édit pour obliger les femmes de son royaume
à porter le pantalon chinois, édit qui a révolté tout le
monde et mis ce roi à deux doigts de sa perte ; mais
qui a fait enfin que les grandes dames des mandarins
et de la cour, et qu'une partie des femmes de Cochiu-
cbine, sont des femmes à porter culotte.
Des chaussures» il en est à peine question dans le
pays, et il n'est pas de bon ton de se présenter chez
quelqu'un avec des souliers ou des sandales ; il faut
les laisser bien loin à la porte ; cependant j'ai vu de
vieux chefs de villages et des médecins porter des bas
pendant l'hivei;, et partout on connaît l'usage des
semelles de cuir tenant au cou-de-pied et au gros orteil
par deux courroies fixées aux deux talonà ; mais cela
ne peut servir qu'à la maison et tout à fait en famille.
Le peuple n'en a pas, et même, en suivant les ordon-
nances royales et les coutumes, il n'est permis d'en
porter qu'à un seul cuir et blanchies. Il est de fait que
si l'on se présentait devant un homme en place avec
des sandales, soit doubles, soit simples, soit de cuir
blanc ou rouge, on serait aussitôt puni de sa hardiesse
et malhonnêteté, non pas qu'il y ait parquet, tapis ou
salon à salir, mais parce que c'est un signe de res-
pect auquel on tient d'ancienne date. Quand on voyage,
on n'a rien de plus pressé, et cela est assez naturel,
que de quitter ses « drép », comme on les appelle, si
on en a^ pour marcher nu*pieds. Comme on a fait
cela dès son enfance, la peau de la plante des pieds
s'est assez bien durcie pour qu'on puisse marcher
longtemps avant d'y avoir mal*
Si les Annamites portaient habituellement les vête-
ments dont je viens de parler^ on ne serait pas choqué,
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112 L'EMPIRE D'ÂN-NAM.
en arrivant dans le pays, de voir des hommes dans
les champs et dans leurs maisons, qui sont tout nus,
sauf un petit vêtement purement de forme qui indique
qu'ils ont encore des pensées de modestie et de rete-
nue, et des femmes qui ne gardent d'ordinaire que
leur sarrau et leur mamillaire. On finit par s'habituer
à ce coup d'œil et à croire que la pauvreté, la cha-
leur du pays et les travaux pénibles, le plus souven
au milieu de la vase des rizières, sont des raisons
suffisantes pour ne trouver rien à dire à cet usage,
d'autant qu'on ne voit pas bien les inconvénients qui
en résultent, et que tout le monde l'adopte comme
une simplicité, L'Annamite, ainsi accoutré, n'en est
pas moins fier et de franche allure ; il a son sourire,
dans la cornière duquel est sa bouchée de bétel ; il a
son éventail dont il se sert souvent et qu'il pique dans
son turban ; il vous aborde alors, comme si de rien
n'était. Les femmes pourtant, quand elles voient un
étranger, s'empressent de jeter un habit sur leurs
épaules, mais elles ne le mettent pas pour cela, c'est
seulement une afTaire de parade et de bon ton. Les
hommes, chez eux aussi, quand ils en ont le moyen,
font quelques frais de mise et de tenue, mais seule-
ment quand ils reçoivent des supérieurs. Quand ils
vont voir quelqu'un ou qu'ils doivent assister à quel-
ques cérémonies, ils sont toujours vêtus ; ils ne peu-
vent manquer de l'être, et les soldats et les manda-
rins, dans leurs fonctions, ont toujours des^habits.
C'est par cette nudité, presque ordinaire chez eux,
que les Annamites se rapprochent des Malais et des
Indiens ; mais on peut remarquer qu'ils ne se font
aucun signe sur la peau, qu'ils ne portent point d'or-
nements d'or, d'argent ou de pierreries. Leurs dents
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QUEST10>S ETHNOGnAPHIQUES. 113
seules sont soumises à une mode universelle pour les
hommes et les femmes qui sont en âge de se marier;
il faut qu'elles soient noires, autrement on ne serait
pas censé faire partie de la nation et on ne pourrait
pas penser à s'établir. Au quinzième siècle, quand les
mandarins chinois gouvernaient au nom du Céleste
Empereur, ils voulurent abolir cet usage, et alors la
révolte éclata sur tous les points. On voulait détruire
jusqu'aux restes d'une nationalité déjà trop opprimée.
Depuis ce temps, la Chine a perdu sans retour son
autorité sur le royaume. Des voyageurs disent que les
gens du pays mangent du bétel pour se noircir les
dents ; mais non, les Annamites emploient un acide
violent qulls mêlent à du noir minéral et à du miel ;
pour appliquer cette composition, il faut s'abstenir
pendant quelques jours du bétel et suivre un régime ;
il faut môme passer vingt-quatre heures sans rien
prendre et se bâillonner la bouche pendant tout ce
temps avec des feuilles de bananier, pour empêcher
tout contact de Tair. Cet enduit préserve les dents,
en même temps qu'il sert de signe distinctif, et
quoique la plupart des vieillards soient privés de
leurs dents, comme à peu près partout, cependant
il est unique d'entendre dire que quelqu'un eut les
dents mauvaises ou malades.
IV. Marques extérieures de respect. — Pour saluer
une personne marquante, les Annamites entrelacent
leurs doigts, joignent leurs mains qu'ils renversent
un peu plus bas que leur ceinture, et en s'inclinant
profondément ils disent : « Lây ông, lây bà, » suivant
que c'est un homme ou une femme. Pour un ami ou
un égal, sans s'incliner, ils se servent seulement de
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Ui I/EMPIRi: D'AN-NAM.
ces paroles : «Chào chu, chào bac, chào cô, chào di »;
c'est le salut de rencontre ; mais quand ils ont une
visite de cérénaonie à faire, un supérieur à saluer, des
présents à offrir, une affaire à traiter, ils joignent, en
se présentant, leurs mains sur la poitrine et les éloi-
gnant de manière qu'en s'inclinant elles retombent
sur les genoux, ils se prosternent jusqu'à terre, les
mains jointes et renversées pour appuyer le front, qui
s'y applique ; ils recommencent jusqu'à trois ou quatre
fois ce salut qui est civil et religieux tout à la fois. Ce
n'est point pour eux une humiliation, mais un signe
d'honneur, de considération et de respect, qui a pour
motif aussi bien an sentiment de joie et de reconnais-
sance que de crainte. On les contrarie beaucoup quand
on les empêche de saluer ainsi; ils se regardent alors
comme humiliés et indignes de témoigner leurs sen-
* timents.
Ces grands saluts sont toujours accompagnés d'un
petit présent, quel qu'il soit, une bouchée de bétel,
par exemple, offerte sur le petit plateau de rigueur,
et d'un petit discours qui met au fait'de l'objet de leur
visite. Ce présent reçu est un signe que leur démarche
n'est pas inutile, et il faut de très graves raisons pour
le refuser. Quand ils sont devant les grands manda-
rins, pour un procès ou une affaire de haute impor-
tance, ils se mettent d'ordinaire à genoux, à une assez
grande distance, ayant un brin d'herbe dans la bou-
che ; ils élèvent alors à deux mains leur placet au-
dessus de leur tête et ils se traînent ainsi jusqu'au
tribunal, où un huissier vient les recevoir. Est-ce uu
usage touchant, ou simplement une humiliation trop
grande ? A-t-on en vue de se rabaisser jusqu'au rang
des animaux, ou de faire penser que si l'on doit être
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I
QUESTIONS ETHWOORAPHIQUES. 115
juste et bon à Tégard des bêtes, à plas forte raison on
doit l'être à l'égard des hommes ? Le fait est que les
juges sont toujours touchés de voir un malheureux
exprimer énergiquement le besoin qu'il a qu'on le
sauvegarde et qu'on prenne sa défense.
Après avoir considéré le premier abord de l'Anna-
mite, il faut pénétrer un peu dans Tintérieur de la
contrée et parcourir les provinces, afin de remarquer
l'nnité de son langage, ses coutumes et ses usages
particuliers pour construire et se loger, recevoir chez
lui et vivre en famille, instruire les enfants et les
établir, enterrer les morts et porter le deuil des
défunts ; enfin, pour apprécier ses institutions reli-
gieuses, politiques et civiles.
V. Langage, écriture. — Partout TAnnamite parle
la môme langue, au 8. et au N. depuis le 28» jusqu'au
23% dans la Gochinchine et au Tông-king. Je ne veux
point parler ici des peuplades soumises, That-toc,
Meuongs, Tsiampois, Roï, Moï et Loï, dont j'ai déjà
parlé et qui ont un langage ou des patois différents
que je ne connais pas. Je n'ai en vue que les vingt-
cinq à trente millions d'hommes qui composent la
nation dominante. Il y a peu de peuples qui aient une
langue aussi uniforme partout ; car je vois chez les
Chinois, à la vérité, une langue écrite la même par-
tout, et une prononciation mandarine reconnue dans
tout l'empire ; mais ils ont une grande quantité de
dialectes difiTérents, sans compter les principaux de
Canton et de Nanking, de telles sortes que deux indi-
vidus de villages différents ont souvent de la peine à
se comprendre sans écrire. Dans le royaume d'Annam,
le Tôngkinois est compris partout, et je ne vois, entre
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ii6 L'EMPIRE D'AN-NAM.
les différentes provinces, que quelques variétés pour
la prononciation plus ou moins grave et légère, et
pour l'observation plus ou moins exacte des tons ; car
l'annamite comme le chinois, est une langue de mono-
syllabes et de tons. On y trouve les trois tons élevés
et les trois tons bas. Ces tons ont pour but de multi-
plier les mots, qui sont peu nombreux, comme dans
toutes les langues primitives ou très anciennes. Ainsi
chaque mot a plusieurs tons différents qui lui donnent
des significations diverses. Par exemple : la, veut dire
crier; là, un fer à repasser ; la, une chose extraor-
dinaire ; to, une feuille ; la, s'évanouir ; la, de Teau
pure. Il en est ainsi de tous les autres mots en
général.
Les Chinois ont gouverné la nation annamite pendant
de longs siècles; ils lui ont donc imposé leur littéra-
ture et leur législation. C'est ce qui fait que les Anna-
mites, tout en conservant leur idiome particulier, ont
emprunté, pour parler, beaucoup de locutions chi-
noises, et ensuite ontrejeté leur propre langagecomme
barbare, de mauvais goût, et ne pouvant servir qu'à
la vie domestique. Le chinois est la langue du gouver-
nement. Tout ce qui est du ressort des mandarins doit
être en chinois, comme édits, ordonnances, pétitions,
procédures, testaments, compositions pour les con-
cours, compliments, lettres d'affaires. C'est aussi la
langue de la littérature, de tout ce qui mérite l'impres-
sion ou la représentation publique. Ce n'est pas que la
langue annamite, quoique pauvre pour tout ce qui
regarde la métaphysique et la religion, ne soit trc j
spirituelle, très variée et très agréable pour la conver-
sation ; ce n'est pas non plus, qu'il n'y ait de jolies
poésies et de charmants récits pour les chants popu-
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QUESTIONS ETHNOGRAPHIQUES. 117
laires, mais Topinioa veut que cet idiome soit plutôt
un patois qu'une langue.
Les Annamites, dans les temps anciens, avaient-ils,
pour écrire, des caractères particuliers ? Personne
n^'est maintenant à même de le dire. Le fait est que
pour écrire l'annamite, il faut prendre une racine pour
la signification, et une euphonique pour le son dans
la langue chinoise, et comme il n'y a point d'unité
dans l'adoption de ces caractères, et que chacun à peu
près, suivant sa science particulière, choisit à volonté
son euphonique et sa racine, il s'en suit qu'il y a sou-
vent une grande confusion et un grand embarras. II a
été très facile d'appliquer nos lettres d'Europe à l'écri-
ture de cette langue, en employant quelques signes
pour les longues et les brèves et pour les tons. Il est
à déplorer seulement que, les Portugais ayant com-
mencé, nous ayons des lettres qui n'ont pas une pro-
nonciation générale, comme le cA, 1'^ et le d non
barré ; ainsi Ké-kieu, nom de l'ancienne capitale, nous
l'écrivons Ké-cho, ce qui a fait écrire Ké-cho sur les
cartes; or, dans le pays, personne ne connaît Ké-cho,
et en Europe il faut être Portugais pour se douter que
Ké-cho se prononce Ké-kieu.
VL Temples et habitations des particuliers. —
Mais passons aux habitations et aux temples. Ce qui
frappe le voyageur, au premier aspect, c'est de voir
la campagne couverte à perte de vue de massifs de
bambous très verdoyants et très beaux. Tous ces mas-
sifs de verdure, tous ces bocages, tous ces petits bois
sont des villages ou des temples. Gomme je l'ai déjà
dit plus haut, chaque village et chaque habitation a
son enceinte particulière^ Cette enceinte est d'ordi->
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H8 L'BMPIRK O'AN-NAM.
naire très fournie, surtout en -Gochincliine, et elle a
une ou plusieurs coupures qui servent d'entrée ou de
sortie et qui sont garnies d'une petite claie hérissée
d'épines, tenue par le haut à deux poteaux et se fer-
mant par le bas au moyen d'une perche qui se che-
ville au besoin dans un gros pieu.
Dans un pays où il y a beaucoup de voleurs, ce sys-
tème de clôture est indispensable, et puis toutes ces
haies de la commune et des particuliers forment un
dédale, un labyrinthe presque impénétrable aux man-
darins et aux satellites, de manière que partout on a
quelques garanties contre les gens du roi et les voleurs,
utilité bien appréciable dans un tel pays. Par ce moyen,
chacun est chez soi, le plus pauvre homme comme le
plus riche, et un individu pris dans un village ou une
maison à une heure indue, ne pouvant prétexter qu'il
se trompe ou qu'il s'égare, est de bonne prise. Un
mandarin ne peut s'engager dans tous ces tours et
détours des habitations, sans compromettre sa dignité;
et, s'il a vraiment à faire quelque part, il doit faire
venir préalablement le maire de la commune et le chef
de la famille. S'il ne le fait pas, il s'expose à des ava-
nies dont alors personne n'est responsable.
Les maisons sont, pour la plupart, des construc-
tions de peu d'importance et d'une apparence très
misérable. On voit d'abord une petite cour carrée, de
terre battue qui est très unie et très soignée, qu'on
appelle « sàn. » Autour de cette cour, qui sert aux
besoins du ménage, sont plantés des aréquiers, et à
quelques pieds de ces arbres est élevé le remblai de
terre qui sert de plateau ou d'assise à la maison prin-
cipale et aux constructions de décharge. Ces remblais
ont un pied, trois, six ou dix pieds d'élévation, sui*
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QUESTIONS ITHNOGRAPHIQUES. 119
vant les localités plus sèches ou plus humides. La mai-
son principale se présente presque partout de face avec
le midi « Huong-nam » ; c'est la position traditionnelle
et de bon ton, d'autant qu'elle donne l'avantage de
profiter des brises de la mousson sud-est» pendant
l'été, et du soleil pendant l'hiver. Cependant, depuis
que la magie, quoique défendue par la loi chinoise,
est autorisée par l'usage qu'en font la cour, les hom-
mes en place et les lettrés, quand des malheurs sur-
viennent dans une famille, les astrologues font abattre
et vendre la maison, et changer sa façade, sous le
rapport de Texposition ; c'est ce qui explique pourquoi,
au Tông-king, beaucoup de maisons ne sont pas tour-
nées au midi. Il paraît, du reste, qu'en Gochinchine
on ne tient pas autant à ce bon usage. Pour ce qui est
de la maison elle-même, elle est faite ordinairement de
quelques colonnes de résistance, et de pieux de bam-
bous chevillés très ingénieusement avec du bois et
non avec des clous, difficiles à se procurer partout.
Les colonnes étant posées, on fUit des treillis de pieux
à pieux, on les enduit de terre battue avec de la paille
et de la balle; on laisse quelques ouvertures pour don-
ner le jour nécessaire. Ces ouvertures ont des volets
tressés qui se ferment quand on n'a plus besoin de
voir clair ; on a une toiture couverte de joncs, de
feuilles ou de paille, et ainsi on a une maison qui n'est
pas un palais, mais qui devient le sanctuaire domes-
tique, qui suffit aux besoins et qui finit, par la cou-
tume, à être trouvée belle. On n'y voit point de fenêtres
à vitres ; on n'y voit point non plus de cheminée pour
la fumée. Il y a une petite chambre sans porte, dans la
maison ou un peu en dehors, pour servir de cuisine,
et quand on y fait du feu, la fumée passe par le toit
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120 L'EMPIRE D'AN-MâM.
et par la porte, un peu partout. Mais on voit une
chambre de réception et une chambre particulière
qui attirent l'attention. Au milieu de cette chambre
de réception se trouve un petit plancher, élevé de
quatre à cinq pouces de terre, superposé quelquefois
d'une estrade plus haute, et le tout couvert de nattes,
pour s'asseoir les jambes pliées, pour converser et
mâcher le bétel et pour prendre les repas. Cinq ou
six personnes peuvent y tenir à l'aise. Ce petit plan-
cher est un signe d'honneur, et les femmes, les enfants
et les domestiques ne s'y asseoient pas d'ordinaire, à
moins d'être tout à fait en famille. Une natte est éten-
due par terre à leur intention. Au bout de la salle on
voit la table des sacrifices, ou «giuong-té, » et un petit
reposoir orné des tablettes des ancêtres, de vases à
offrandes, d'une lampe et de sentences pour la pros-
périté de la famille, et enfin de papiers-monnaie et de
bâtons d'encens que l'on brûle pour le repos des
morts. De plus, il y a quelquefois une table de luxe
pour mettre le thé, le bétel, et un crachoir en cuivre
et un accoudoir; mais on ne doit pas chercher de
chaises ni de fauteuils, car le plus souvent on n'en
trouverait pas.
Les maisons des gens riches ont d'assez belles
colonnes de beau bois; un péristyle de trois à quatre
pieds de large fait le tour de la maison, et la colon-
nade qui forme proprement la construction se repose
sur la colonnade du péristyle par des bouts de poutres,
d'ordinaire sculptés en têtes de dragon, qui res-
sortent un peti en dehors. Les cloisons alors sont de
planches par derrière, et par devant de chaux battue
avec du papier; elles sont peintes, souvent, de diffé-
rents sujets de la vie champêtre. Les toitures n'offrent
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QUESTIONS ETHNOGRAPHIQUES. 121
rien de plus particulier que celles déjà mentionnées;
seulement elles sont plus propres et plus soignées.
Dans ces maisons riches, outre la salle de réception^
on remarque un petit salon pour boire le thé (nhà-
chè), fumer et converser à l'aise. Au fond de ce petit
salon est une ouverture à coulisse qui donne sur un
petit bosquet ou sur un petit monticule fait avec art,
de pierres venues du littoral de la mer. Devant, se
trouve le réservoir où se jouent des petits poissons,
et Ton remarque quelquefois autour une allée pavée
de coquillages. Plus loin sont les étangs dont j'ai parlé
plus haut et qui servent de vivier et de lavoir. S'il n'y
a pas d'eau de mare tout près des maisons, il faut alors
y suppléer par un grand vase toujours plein, placé à
l'entrée de la cour, afin de pouvoir se laver les pieds
chaque fois qu'on rentre à la maison.
Il y a peu de maisons, même riches, qui soient
bâties en briques et couvertes en tuiles ; la maison de
bois est préférée, elle est plus commode, demande
moins d'entretien et dure plus longtemps quand on a
1^ moyen et le goût de bien choisir. Les constructions
en bois sont même adoptées pour les greniers du roi
et pour un grand nombre de temples, tels que Mieû-
nghè et pagodes royales. On ne voit guère que les
temples Ghùa (l), de la religion bouddhique et les
autels, suivant la religion de Confucius, pour l'adora-
tion des astres, qui soient en pierres. On trouve une
grande quantité de ces monuments religieux sur toute
la surface du pays et ils indiquent plutôt un objet de
cérémonie, un lieu de réunion, qu'une croyance.
(1) Miêu-Ngliè ; Temple au génie du lieu. Miôu*Chùa : Templa
bouddhique ou aux aucôtrea (Leg. de la L,);
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12S I/EMPIRE D'AN-MAM.
Aussi, on en voit peu de remarquables, de splendide-
ment travaillés et dignes d'attention.
Tout homme du peuple bien né, chez les Annamites,
se pique de savoir faire sa maison, pour tout ce .qui
ne regarde pas le luxe, comme sculpture, travaux sur
bois de choix, etc. Cela vient d'un usage assez remar-
quable dans le pays, qui fait qu'une maison ne peut
s'élever sur pied sans que tout le village soit invité à
venir aider à rapporter des terres pour le remblai, à
ajuster les colonnes, à couvrir le toit et à prendre part
en fin de compte au repas qui est la suite obligée du
service rendu. C'est ce qui fait qu'en un jour on voit
une maison s'élever comme par enchantement, là où
hier il n'y avait rien, il n'y avait aucune disposition
prise ; et ainsi cette construction devient une école
d'éducation, une étude d'appréciation des différentes
capacités, un rapprochement des citoyens, un service
rendu, une occupation utile et une ressource pour
tout le monde. Il en est de même pour les renouvel-
lements de toitures, qui se font aux septième et hui-
tième mois lunaires, avant Thiver.
L'hospitalité chez ce peuple est naturellement généi
reuse, mais méfiante, à cause du despotisme auquel il
est soumis, et du paupérisme causé partout par l'ex-
cédent de population. On a toujours à craindre de
recevoir chez soi un émissaire des avides mandarins»
ou un aventurier qui a perdu au jeu, ou un voleur de
profession. Quand on s'est assuré qu'il n'est rien de
tout cela, et qu'on a affaire à un simple voyageur éloi-
gné de son foyer domestique, alors on le voit avec
plaisir, on partage généreusement avec lui l'ordinaire
du ménage et on lui fait le plus d'honneur que l'oa
peut.
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QUESTIONS ETHNOGRAPHIQUES. itZ
Ce peuple est bon et doux, et en général, il n'est
pas intéressé. Si le nouvel hôte est un étranger de
marque, on s'empresse à lui laver les pieds, on l'in-
vite à venir s'asseoir sur le petit plancher d'honneur
qu'on couvre des nattes les plus propres ; on lui pré-
sente le bétel et le thé ; on fait le plus de frais pos-
sible pour Tapprêt de son repas, et quand il sort de la
maison, on vient le saluer et lui témoigner par quelque
petit présent de thé, de tissus ou même d'argent, l'af-
fection que Ton a pour lui et l'intérêt qu'on lui porte.
Si c'est un étranger d'un rang ordinaire, il est chez
lui partout, et il peut se regarder comme l'enfant de
la maison et agir en^conséquence,
VIL De la famille. —Nous voici arrivés à l'examen
de la vie de famille proprement dite ; cette vie de
famille, les rapports de mari et femme, de parents et
enfants, et réciproquement, m'ont paru très raison-
nables et d'un grand bon sens, sauf quelques formes
provenant de la législation chinoise ; car il me faut
distinguer ici la vie de famille officielle ou autorisée
par les lois, de la vie de famille vraie et réelle, telle
que l'ont faite l'usage, la force des choses et le carac-
tère de la nation. D'après le code chinois, le père de
famille n'a, pour ainsi dire, point de devoirs à rem-
plir à l'égard de sa femme et de ses enfants ; ils sont
abandonnés à son bon sens et à son intérêt. Il est
regardé comme le propriétaire de sa femme qu'il a
dû acheter, et de ses enfants qui sont son bien. Dans
sept cas prévus il peut répudier son épouse pour pas-
ser à une nouvelle alliance; il doit la regarder comme
de beaucoup son inférieure, comme son humble ser-
vante, ou comme une enfant qu'il faut surveiller; il
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124 L'EMPillE D'AN-NAM.
faut donc la châtier quand elle le mérite. Enfin, il
peut être polygame. De là suit Tétat humiliant des
femmes dans tout TOrient, et leur peu d'autorité dans
la famille. A l'égard de ses enfants, d'après la loi chi-
noise, le père de famille est un maître souverain qui
peut exiger d'eux, par tous les moyens, le respect et
la soumission, qui peut les vendre et les réduire en
esclavage, et qui peut, à plus forte raison, les marier
sans aucun consentement de leur part. Pour les biens,
à l'exception des majorats de la famille, il peut les
aliéner sans aucun contrôle. A l'époque de sa mort,
si les enfants sont mineurs, la mère, ne se remariant
pas, le remplace d'office pour l'éducation et pour l'ad-
ministration des biens, sauf la haute représentation
de l'atné de la parenté ; si elle se remarie, elle appar-
tient à un nouveau mattre, et alors elle n'est plus rien
pour ses enfants, qui sont aussitôt sous le pouvoir de
l'ainé de la famille du défunt, lequel devient, de droit
et de fait, le chef responsable de tous ses cadets, et
on lui doit respect et soumission complètement et
sans arrière-pensée.
Ces rapports de mari à femme et de parents aux
enfants sont une partie des trois chaînes ou c Tam-
Guong » que Gonfucius enseigne être les trois grands
devoirs sociaux.
Maintenant, que fait l'Annamite payen à côté d'un
grand peuple de deux à trois cents millions d*hommes,
qui Ta gouverné pendant des siècles et lui a imposé
son éducation littéraire, religieuse et politique ?
L'Annamite est bon et tranquille ; il a de l'esprit et
il sait s'en servir ; il a du cœur et de la générosité. Il
adoptera donc une législation qui est toute faite, qui
est sage dans l'ensemble de ses prescriptions et qui
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QUESTIONS ËTHN06RAPHIQUIS, 125
peut lui servir au besoin ; mais dans la pratique^ il
la modifiera dans ce qu'elle a de trop dur, de trop
sévère et de trop sujet à graves inconvénients. Il
dira lui aussi qu'il achète sa femme ; dans son lan-
gage, il l'appellera assez ordinairement son enfant ;
il la répudiera dans certains cas extrêmement rares ;
dans sa jeunesse d'époux, il la châtiera quelquefois ;
on le verra ici ou là, avec le consentement obligé, du
reste, de sa femme, épouser des concubines et puis
s'en vouloir des complications qui résultent de cet
état de choses. Enfin, dans la famille, on le verra cor-
rigeant ses enfants et ses putnés, môme déjà grands,
avec le terrible rotin ; on le verra aussi les vendre et
les marier sans demander leur consentement. Cepen-
dant j'afRrmerai que la femme annamite n'est point
esclave, qu'elle jouit au contraire d'une grande auto-
rité dans le ménage et qu'elle y est toujours honorée
quand elle s'y conduit bien ; j'affirmerai aussi que les
enfants sont élevés comme il faut chez un peuple
aussi pauvre et aussi nombreux. Une grande preuve
dace que j'avance, c'est que la vieillesse des vieux
parents (père aussi bien que mère), est heureuse et
prospère, et qu'on leur rend avec, je crois, plus d'af-
fection et de dévouement que chez aucun peuple, sur
le retour de leur âge, ce qu'ils ont dépensé de peines
et de sueurs pour l'éducation de leurs enfants.
Les femmes, au Tông-king et à la Gochinchine, ne
sont pas à petits pieds et retenues, comme en Chine,
à la maison. Elles vont aux champs dont elles font en
grande partie la culture, les hommes étant dérangés
pour le service de la milice et les corvées du roi, des
mandarins et de la commune. Elles vont presque
journellement aux marchés delà contrée pour vendre
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leurs petits produits, acheter ce dont elles ont besoin
et entretenir ainsi le ménage. Elles se donnent une
peine infinie et incessante pour tout cela, et sans
elles, il serait impossible à la grande majorité des
familles de vivre tant soit peu honorablement. La vie
extérieure qu'elles mènent leur donne une habitude
de réflexion, de retenue et de force de caractère qui
relève ordinairement leurs brillantes qualités de l'es-
prit et du cœur. Les enfants ne voient pour ainsi dire
qu'elles dans le ménage^ et ce sont elles qui, seules à
peu près, les soignent, les reprennent et les châtient.
Elles doivent donc prendre un ton d'autorité et de
commandement que les enfants respectent et que les
maris nécessairement supportent avec plaisir. Du
reste, elles se font un devoir d'observer les coutumes.
Elles n'appellent jamais leurs maris que maîtres (Thày),
ou père (Gha). Elles leur feront honneur, elles les
serviront ou veilleront à ce qu'ils soient servis, et
devant les étrangers,jamais elles ne s'asseoieront avec
eux ou avec leur fils aîné. Ainsi se mitigé la rudesse
de la législation pour les femmes mariées, et cela a
lieu de plus en plus, à mesure que les années s'accu-
mulent et que la vieillesse arrive. Pour les jeunes
filles, elles ont la vie de leurs mères et ne dépen-
dent, pour ainsi dire, que d'elles. Quand la mère
vient à manquer, ce sont elles qui tiennent la mai-
son, et le père ou le frère aîné leur en abandonne
toute la conduite. Heureuses elles seraient, s'il n'y
avait pas à redouter d'autres dominations, s'il n'y
avait pas, je veux dire, l'aîné de la parenté, homme
quelquefois presque étranger et toujours à craindre.
Mais les Annamites, dira-t-on, châtient leurs
enfants avec le rotin; ils les vendent et ils leî*
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QUESTIONS ETHIfOGRAPHIQURS. ' H7
marient comme un objet dont on veut se défaire.
Gela ne prouve pas qu'ils n'aient pour eux qu'une
affection intéressée, quand on connaît un peu les
usages de cette nation.
Le rotin, à mon avis, est le meilleur correctif de
l'irrévérence, de l'étourderie, de la paresse ou de
l'emportement de la jeunesse, quand il est admi-
nistré justement, avec mesure et sans colère. Les
enfants, avec ce régime, apprennent la soumission
qu'il faut absolument obtenir ; le régime n'en souffre
pas comme de manger du pain sec et de rester
longtemps à genoux, et ils n'en restent pas moins
attachés à ceux qui les élèvent et leur apprennent
h devenir quelque chose. Ce régime, du reste, est
celui du pays, et on ne verra jamais les parents
rejeter leur enfant, comme en Chine, parce que
c'est une fille dont ils ne veulent pas, ou parce que
c'est un être mal conformé. Les filles, dans ce pays,
font aussi bien et mieux la fortune de la maison,
par leur industrie et leur assiduité au travail que
les garçons. L'avenir d'un ménage est assuré quand
il y a beaucoup de filles dans la famille. Pour les
petits estropiés en naissant, on les plaint, on en a
pitié et on les élève comme les autres. Du reste,
c'est h peine si l'on en voit et si l'on entend dire
qu'il y en ait. On ne verra jamais un Annamite se
plaindre de ce qu'il a trop d'enfants ; il regarde
comme une grande bénédiction d'en avoir le plus
possible^ et comme il ne pense point à avoir des
enfants riches et qui aient de grands biens, il croit
fermement qu'ils trouveront comme lui place sous
la vaste calotte des cieux et du riz à manger; cela
suffît. Ce n'est que dans l'épreuve de malheurs arri-
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118 L'KMPIRiS D'AIMIAM.
vés tout à coup et sans remède qu'on le voit vendre
ses enfants; mais alors c'est pour procurer à ces
petits êtres un bien-être qu'il ne peut leur donner
chez lui, car l'enfant vendu, d'après la loi et les
usages, n'est point esclave ; c'est un enfant adoptif
qui a sa part d'héritage dans la maison qui l'achète.
Quant aux mariages sans consentement, s'ils se fai-
saient tous de la sorte, et si, comme en Chine ou dans
rinde, ils se faisaient dès l'&ge le plus tendre, ce
serait absolument un grand abus et une incroyable
tyrannie ; mais non, les parents ont des droits légis-
latifs dont ils n'usent pas à la rigueur, du moins le
plus souvent, et dans ce pays on ne connaît pas les
flançailles ou les mariages avant au moins douze ou
quinze ans. Ainsi, encore une fois, chez les Annamites,
la législation prescrit des limites, donne des cadres à
remplir au besoin ; mais les usages, le bon sens d'un
cœur bien né et la force des choses règlent, sui-
vant les lieux et les circonstances, ce qui est le
plus convenable et le plus conforme à la nature. Il
y a des abus à déplorer partout ; mais Dieu n'a pas
eu en vue de créer et de gouverner le plus parfait des
mondes possibles.
Les femmes annamites, abaissées par la législation
et par l'usage plus ou moins rigoureux des droits
qu'elle confère, se relèvent dans leur famille et dans
la société qui les entoure.Onvoit partout des femmes,
soit épouses, soit veuves ou jeunes personnes, jouir
d'une grande autorité chez elles et dans leurs villages;
aussi ne les voit-on pas se plaindre du rang qu'elles
occupent et qu'elles tiennent à garder avec exacti-
tude, je dirais même religion, La chevalerie française
a son beau côté qui mérite l'imitation de toutes les
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QUESTIONS ETHNOGRAPHIQUES. if»
nations chrétiennes» mais elle a aussi ses abus» qui
ont été énormes à certaines époques et qui le sont
encore aujourd'hui. Elle ne peut être le guide d'un
peuple payen. Il peut donc y avoir un milieu entre
notre état social à Tégard des femmes et une tyrannie
sauvage qui ne reconnaît que la raison du plus fort ;
et il faut qu'un peuple soit bien dégradé pour ne pas
reconnaître le mérite d'une femme qui n'a de vie que
pour ses enfants, qu'elle élève avec tout le soin et la
sollicitude dont elle est capable ; ce n'est pas le cas
du peuple dont je parle.
J'ai fait entendre plus haut que les filles, dans une
famille annamite» sont les bienvenues et qu'elles sont
la richesse de la maison par leur plus grande assiduité
aux travaux des champs et du ménage 'et par leur
plus grande adresse et économie ; j'ajouterai encore
par les présents et l'avoir qu'elles procurent à leurs
parents lors des fiançailles et du mariage. D'après la
loi» elles ne doivent point avoir de partage dans les
biens de l'héritage» à moins que» dans les huit degrés
de parenté masculine» il n'y ait point d'homme qui
puisse être leur atné. La coutume permet qull y ait
en leur faveur des dispositions testamentaires pour
les biens qui ne font pas partie du majorât» et elles
en profitent. D'ailleurs» n'étant pas soumises à la
milice et à la corvée comme les hommes» il leur est
facile de réaliser des bénéfices qui les mettent à
même d'acquérir, soit en jouissance, soit en pro-
priété» les immeubles qui se vendent à si bon marché
partout. C'est ainsi qu'elles possèdent et qu'on les
voit en général plus riches que les hommes, qui, jus-
qu'à trente et quelques années, ont à peine le temps
de gagner le strict nécessaire de la vie.
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130 L*ËMPIRE D*AN-nAN«
Mais si les enfants du sexe féminin sont bien reçus
d'un père ou d'une mère annamites quand la Provi-
dence les leur envoie, cependant c'est le garçon qui
est l'objet de la grande espérance et de tous les désirs,
parce qu'une famille qui n'a pas de représentant dans
la chambre communale, aux cérémonies et aux repas
qui marquent la hiérarchie dans la petite république,
cette famille, dis-je, est isolée et perdue dans la masse
et n'a pour ainsi dire qu'une vie empruntée. D'ail-
leurs, il n'y a que les hommes qui aient véritablement
un nom dans l'Etat ; il n'y a point d'enregistrement
de naissances ; il y a un nombre limité de noms pour
chaque commune dans les actes de donation du ter-
ritoire par le roi, et il n'y a que les hommes qui
en soient responsables et qui puissent le porter pour
les charges que ces donations impliquent. Les femmes,
ainsi, ne font pas partie du peuple du roi ; elles sont
seulement de la vie domestique. Elles ont à peine
une existence civile. Si elles sont mariées, elles sçnt
chez leur mari ; si elles ne le sont pas, elles sont sou-
mises à leur père ou à leur atné de famille, qui doit
avoir soin d'elles et veiller seul à l'observation de
leurs droits. Si elles se trouvent, par défaut d'enfants
mâles, mêlées dans les huit degrés de leur parenté,
héritières d'un majorât, elles ont alors un titre ; mais
elles n'ont pas pour cela un nom civil qui puisse figu-
rer sur les registres officiels. Plus tard, quand je par-
lerai de l'origine et du gouvernement des communes,
je ferai alors comprendre ce que j'entends par ces
noms civils ; je ne puis parler ici que des noms pro-
pres de la vie domestique, et des noms particuliers
que chacun a dans le village et dans la famille.
Quand un end^t commônoi à marcber, ou même ua
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QUKSTIONS ETHNOGRAPUtQUES. l31
peu plus tard, on lui impose un nom désignatif, pris
ordinairement dans les mots des deux cycles qui
servent à former la période de soixante ans, et qu'on
appelle le «Tên-tuc» ou nom vulgaire. Je ne sais pour-
quoi les payens affectent, d'ordinaire, de donner à leurs
enfants des noms d'animaux malfaisants ou de choses
grossières et triviales : on dit que c'est pour empêcher
les mauvais génies de leur nuire. Les tilies gardent
d^ordinaire ce nom jusqu'au mariage, si ce n'est que
dans les bonnes familles, on leur donne souvent un
surnom en rapport avec les événements de la fin de
leur enfance, surtout quand elles sont filles uniques.
Mais les garçons, arrivés à l'âge de puberté, reçoivent
toujours un second nom pris dans les meilleures signi-
fications de la langue chinoise, eu égard aux circons-
tances et aux sentiments dont les parents sont alors
affectés: c'est le «Tên-goi» ou appellatif. Après l'impo-
sition de ce nom, le jeune homme doit laisser pousser
ses cheveux et se noircir les dents, et le père et la
mère prennent le Qom de leur fils ainsi devenu
homme, car jusque là ils n'étaient pas censés en avoir
depuis leur mariage ; on les appelait du nom géné-
rique de « bo-do, me-do », père rouge, mère rouge.
L'imposition de ce nom donne lieu d'offrir un repas ou
un présent de bétel au village, et je ne vois aucune
cérémonie civile ou religieuse qui la rende plus
solennelle, pas même l'inscription. Outre le nom de
l'âge viril, il y a encore deux noms fictifs, dont le
premier se prend dans les neuf ou dix grandes
familles du royaume, et le second dans les deux titres
Van et Vu (lettres, armes), qui font la noblesse du
pays. Ainsi, nar exemple, un individu qui s'appellera
Hoa, sign^t^ Lô-van-hoa ou Ng-vu-hoa. Il y a encore,
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I3f L'EMPIRE D'AN-NAM.
pour les tablettes des ancêtres, un nom que l'on
appelle caché, « Tén-hem», qui ne peut jamais servir
d'appellatif. C*est faire une grande injure à quelqu'un
que de l'appeler de ce nom, ou de celui qu'il avait
étant encore enfant- On ne doit jamais en parler, et
il n'en est question que dans les malédictions prove-
nant de la haine et de la colère.
Suivons maintenant Fenfant qui a atteint l'âge de
raison, jusqu'à Tâge de quinze à seize ans qu'il est
requis pour la corvée du village ; car il n'est question
ici que des garçons. Nous en sommes aux écoles du
pays et à l'éducation qu'on y reçoit.
VIII. Instruction publique. — L'éducation chinoise
est imposée aux Annamites, comme la législation et
les principales coutumes ; on ne pense pas à appren-
dre la langue qu'on parle au foyer domestique et dans
les marchés. Aussi la langue annamite n'a point de
livres» ni d'auteurs qui aient encore pensé à en écrire.
Toute composition en langue vulgaire est traitée de
doctrine grossière et de mauvais goût (1). Ainsi donc,
il faut apprendre le chinois, et toute la science qu'il
comporte. Pour cela, je ne vois pas d'établissements,
de collèges, d'institutions, comme nous en voyons
partout en Europe. Il y a seulement des concours du
gouvernement, pour les examens qui ont lieu une
fois ou deux fois tous les trois ans dans les principales
provinces, et, dans chaque ville de département et
d'arrondissement, un mandarin d'office pour enseigner
ceux qui se préparent aux grades du baccalauréat, de
(i) Cependant, deux poèmes en langue vulgaire, Luc-van-Tién
et Tuy-Kiêu, jouissent d'une grande popularité, sont connus et
chantés par tous les indigènes de la Basse-Gochlnchine.
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QUESTIONS ETHNOGRAPHIQUES. m
la licence et du doctorat. Mais la maison de ce man-
darin, comme celles de tous les maîtres d'écoles des
différents villages, n'est qu'un externat où chacun
vient, sans y être obligé par aucun règlement dispo-
sitif. La liberté d'enseignement est la plus complète
qu'il soit possible de voir; le gouvernement donne les
grades par des mandarins commissionnés annuelle-
ment à cet effet, d'après les compositions qui ont pour
sujet les livres classiques et élémentaires de la Chine;
mais voilà tout. Est maître de lettres qui veut et
comme il le veut, soit qu'il ait des grades, soit qu'il
n'en ait pas, sans contrôle et sans aucune responsa-
bilité officielle. Chacun s'instruit comme il le peut et
comme il l'entend. L'un étudie avec son père, l'autre
reste chez lui et nourrit un maître qui le guide dans
ses études ; un autre va à l'école de son village, de
son arrondissement ou de sa province, suivant son
âge et sa capacité, et ainsi le gouvernement n'a d'au-
tres prétentions que de choisir, dans la masse des
sujets qui se présentent, les hommes dont il a besoin.
Il y a peu de villages qui n'aient leurs écoles particu-
lières pour les enfants, La commune donne quelques
champs aux maîtres qui viennent les tenir; de plus,
chaque enfant doit fournir ce qu'on appelle « l'huile
dé la lampe, » c'est-à-dire une petite subvention, et
ensuite les présents de premier de l'an et des autres
époques, aussi bien que certaines corvées au besoin ;
d'où il suit que ce pédagogue trouve une vie facile et
honorable à peu près partout. Dans ces écoles, les
enfants chantent à qui mieux mieux, tous ensemble
et confusément, les morceaux qu'ils apprennent par
cœur et qu'on leur fait écrire. C'est ce qui s'appelle
étudier les « caractères », étude très longue, qui peut
SiLVKSTiii. — Annam. S
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134 L'EMPIRE D AN-N\M.
durer le plus grande partie de la vie d'un homme, et
qui absorbe les vingt à trente premières années d'un
lettré, avant qu'il soit à même d'apprendre quelque
chose. Le but qu'on se propose n'est pas de donner
aux enfants un enseignement scientifique et religieux,
mais à peu près uniquement d'apprendre à lire et à
peindre. Cependant il y a de bonnes sentences dans
les livres élémentaires de la Chine, pour apprendre à
respecter la majesté du roi et l'autorité des parents et
de Tatné ; pour inculquer la subordination, la retenue
et la justice, et développer certains sentiments reli-
gieux qui indiquent l'existence de Dieu, l'immortalité
de l'âme, la nécessité de faire le bien et d'éviter le
mal, en vue d'une récompense et d'une peine...., la
nécessité enfin d'une religion. A mon avis, l'éducation
chinoise, basée sur l'étude des annales de l'empire,
des quatre livres élémentaires, des cinq Kings, et dé-
gagée de toutes les gloses impies, sophistiques et
obscures qui les accompagnent, l'éducation chinoise,
dis-je, ainsi comprise, est très propre à former l'es-
prit et le cœur, et cela est d'autant plus vrai qu ua
certain milieu entre la grossière ignorance et les raf-
finements de ia science et du goût est ce qui rend le
plus heureux et tranquille un grand peuple. Confucius
et les annalistes chinois supposent plutôt une religion
qu'ils ne renseignent dans leurs livres. On ne doit
guère y trouver à redire qu'au culte des ancêtres
recommandé presque à chaque page par le grand
philosophe. Ce culte, tel qu'il le décrit, ne peut éviter
la tache de superstition, du moins d'après l'interpré-
tation qu'en a fait actuellement partout l'usage, qui y
a mêlé beaucoup^ d'absurdités. Le but que se proposait
le grand moraliste était de faire une idole des parents.
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QUESTIONS lîliHNOGKAPHIQUES. 13?»
au sein de la famille, et des gouvernements, dans
l'Etat, afin que la paix régnât partout, que Ton vît le
bien se faire, le mal s'éviter, et que tout homme se
rendit ainsi digne de la bénédiction du Ciel. Ce grand
homme assurément n'était pas incrédule ; mais il était
dans les ténèbres que sa profonde intelligence ne
pouvait suffire à dissiper. Il éprouvait, sans doute,
comme le dit Tertulien, que toute âme est naturelle-
ment chrétienne, c'est-à-dire portée vers Dieu, et
inquiète quand elle ne sent pas sa présence ; et, ju-
geant les autres comme il se jugeait lui-même, il
abandonnait au sentiment intime du cœur de chacun
ce qu'il ne pouvait expliquersuffisamment,'pourparler
des conditions nécessaires d'une bonne vie civile et
domestique. Mais, revenons à nos enfants annamites
étudiant les « caractères » et les sentences chinoises.
Ils étudient pendant huit, dix et douze ans pour ap-
prendre à lire et à écrire ; c'est pour pouvoir occuper
plus tard quelques loisirs de leur vie, apprendre quel-
quefois un peu de médecine, ou même d'astrologie et
de magie ; mais principalement, pour pouvoir se mêler
aux affaires du canton et de la commune, y obtenir
quelque place, savoir dresser les actes d'un procès et
faire des contrats et un testament. Ils ont appris par
cœur douze à quinze volumes des annales chinoises ;
demandez-leur où est la Chine, ils n'en savent, ma
foi, rien. Il leur reste un fonds de doctrine morale
assez étendu ; mais demandez- leur compte de leur
croyance, ils ne savent que répondre, et ils s'étonnent
qu'on puisse penser à exiger une pareille exactitude
et un esprit d'analyse aussi profond. Cela vient de ce
que les maîtres n'enseignent jamais autre chose que la
lettre et le gros sens littéral, et encore, pour cela, ils
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136 L'ËMPIKB D*A^•nAM.
se servent d'un langage barbare et confus qui n'ap-
prend rien d'ordinaire. Saint-Paul avait bien raison,
en parlant de la science de son temps, de dire qu'elle
enfle inutilement et que les généalogies et autres
choses de ce genre ne servent à rien.
La première éducation terminée, pour les garçons,
vient la corvée du village, et puis l'établissement, les
fiançailles et le mariage. Les filles restent à la mai-
son, aidant leur mère, soignant les petits enfants,
labourant les champs et moissonnant leurs récoltes;
nourrissant les vers-à-soie, cueillant le bétel et les
arecs, tissant la soie ou le coton, allant au marché
voisin avec leurs compagnes, cuisant le riz et apprê-
tant le repas de famille, et enfin faisant avec sollici-
tude ce qu'elles feront toute leur vie.
JX. Des mariages. — Parlons des mariages. Quand
deux jeunes gens pensent à s'unir ensemble, c'est la
bouchée de bétel, comme en toute autre circonstance,
qui est choisie pour les premiers frais d'entrevue et
pour le signe d'honneur de la demande et de l'accep-
tation. Un jeune homme aurait de la peine à demander
à une jeune fille ou à ses parents si Ton veut bien de
lui; il faut un usage qui, reçu partout, le dispense de
dire peut-être des trivialités ou des maladresses, et
qui, interprêtant sûrement ses sentiments et sa posi-
tion, lui fÏLSse comprendre avec vérité ce qu'il a à
espérer ou à craindre. Cet usage, c'est l'offrande et
l'acceptation ou le refus du bétel, de Tarée et des ac-
cessoires ordinaires.Cesaccessoires,pour deux jeunes
gens pauvres et abandonnés qui s'aiment et qui se
veulent, sont quelques paroles échangées et une pro-
messe ; mais ordinairement ce sont des présents
offerts aux parents ou à Tatné de la jeune fille, aux
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QUESTIONS ETHNOGRAPHIQUES. 487
principales époques de l'année, comme premier de
l'an, cinquième jour du cinquième mois, jour anniver-
versaire des défunts, pendant quelquefois plusieurs
années, ce qui s'appelle « làm-ré ». ou faire à demi.
Ces présents étant reçus, et la bouchée de bétel ac-
ceptée, le jeune bomme est regardé comme serviteur
de la maison; il doit y venir travailler aux semailles
et à la moisson, et si on lui fait alors des questions
sur sa position, il répond qu'il a mangé le bétel avec
telle personne (an trâu càu), ou bien, s'il est riche,
qu'il l'a achetée. D'après la loi, s'il vient à se désister
il perd tous ses frais et le prix de ses peines ; mais si
c'est la jeune fille qui revient sur sa parole donnée,
ou si elle est coupable envers son fiancé, d'injures
graves, alors elle doit rembourser les présents
qu'elle a reçus, et qui sont estimés par arbitre, aussi
bien que le travail fait par le jeune homme. Comme
cela arrive quelquefois, il est bon d'avoir des témoins,
et c'est pour cela que, quand le bétel pour les fian-
çailles est accepté, on va aussitôt saluer le village ou
le fonctionnaire qui le représente. De ces formalités
suit le mariage, et alors il faut que le jeune homme
paie un tribut à la commune de sa future épouse et
s'y fasse enregistrer; cela s'appelle « nôp-cheo », cé-
rémonie qui rend le mariage ferme et durable. Ce
tribut est légalement de trois masses, ou six sous ;
mais quand la fille doit quitter le village dont elle fait
partie, la somme devient plus forte (10 et 20 francs
souvent), parce qu'alors le village se dépeuple et qu'il
y a lieu à compensation. Ce tribut, une fois payé, et
l'enregistrement, fait par le maire ou le gardien des
archives, terminé, on ajourne la cérémonie des noces,
qui doit être plus ou moins brillante, suivant les
I . ■ • . . -i *»
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188 L'EMPIRE D'AN-NAV.
moyens de chacun. La famille du garçon doit en faire
les frais ; mais on s'arrange pour que tous les parents
y contribuent un peu. Ces frais sont pour la conduite
de la mariée chez son époux (le Dua-daû), pour les
cadeaux (them) qu*on lui fait, et pour le repas qui
termine le tout. Je ne vois rien de religieux dans tout
cela, si ce n'est quelques offrandes envoyées au tem-
ple et les mets (cung) offerts aux ancêtres et aux
génies de la famille, comme dans toutes les autres
circonstances.
La loi ne permet pas les mariages clandestins, c'est-
à-dire qu'il faut se faire enregistrer pour être vrai-
ment marié. H y a pourtant un grand nombre de
pauvres gens qui n'ont leur cheo ou enregistrement
nulle part,. et cela n'est pas trop étonnant, dans un
pays où l'on ne tient pas compte des naissances et
des décès, et où, le plus souvent, les questions liti-
gieuses sur la propriété, les héritages, sont résolues
par arbitres,
La loi chinoise marque des empêchements de con-
sanguinité et de deuil, qui sont de rigueur légale et
qui sont très généralement observés, malgré quelques
exceptions. Les communes tiennent beaucoup à leur
observation, et je ne sache pas que le gouvernement
en donne jamais dispense. Les empêchements de con-
sanguinité sont pour les huit degrés de la ligne mas-
culine, à partir de la souche et en la comptant. On
distingue le Hô-nôï, ou parenté intérieure, du Hô-ngoai,
ou parenté extérieure, c'est-à-dire la parenté pater-
nelle et la parenté maternelle, les femmes étant la
parenté extérieure. Ainsi, hommes et femmes ne
peuvent se marier avec leurs consanguins des huit
degrés du Hô-nôï ; mais on peut se marier avec ses
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1
QUESTIONS ETHNOGRAPHIQUES. 139
plus proches parents du Hô-ngoai, parce qu'une femme,
en se mariant, quitte sa famille pour appartenir à celle
de son mari. Un jeune homme pourra donc épouser sa
tante devenue veuve, ou la fllle de sa tante, sans trou-
bler l'ordre légal (si elle n'est pas une tante par
alliance).
Les empêchements de deuil sont d'ordinaire un
grand obstacle au mariage, et un grand défaut, une
grande exagération de la loi chinoise. J'ai vu nombre
de personnes être obligées d'attendre trois, six et huit
ans pour pouvoir se marier, après une parole déjà
donnée. Le deuil est de trois ans pour les père et
mère, soit naturels, soit adoptifs, pour les nourrices
et pour les ascendants ; il est de un an, six mois et
trois mois, pour les autres parents. Ainsi, <iuand on
n'a pas eu le temps de se marier avant leur mort, il
faut attendre le temps prescrit ; l'avenir est compro-
mis, et Ton ne voit aucun avantage réel sortir claire-
ment de cet usage sévère et outré. Heureusement que,
dans certains cas, les communes, quand elles ne
craignent pas un délateur, font un procès-verbal qui
antidate le cheo, de manière à ce que les parents
soient censés morts après le mariage de leurs enfants;
mais ce procès-verbal est difficile à obtenir, parce que
tout le village est alors impliqué dans l'affaire, et qu'il
peut en résulter, de la part des mandarins, des vexa-
tions souvent très onéreuses.
En fait de contrat des biens qu'apportent à la com-
munauté les deux conjoints, je n'en vois point de
traces, si ce n'est que dans les testaments on fait men-
tion des biens d^acquêts de la communauté et de chacun
avant son mariage. Du reste, le chef de la famille
administre comme il l'entend, le bien qu'il a entre les
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140 L'EMPIRE D'AN.NAN.
mains, et les enfants héritent suivant la loi et les dis-
positions testamentaires. Je ne vois point de dot
comme chez nous, qui soit inaliénable, et en général,
au Tông-king, les époux s'entendent ensemble du mieux
qu'ils le peuvent, et les femmes gardent l'administra-
tion des biens qu'elles peuvent avoir, parce que, sans
doute, le mari est censé n'avoir acheté et épousé
que leur personne.
Enfin les mariages se sont faits, au milieu souvent
de grands obstacles et de grandes traverses. Il
s'agira bientôt des enfants. Ces enfants, dont la
bonne moitié est emportée par la petite vérole, gran-
diront comme ils pourront au sein de la pauvreté
de leur famille, qui les aime et les chérit. Mais outre
ces enfants de nature, on voit chez les Annamites, dans
presque toutes les maisons un peu à Taise, des enfants
d'adoption qui sont soumis à toutes les règles de la
législation et de la coutume pour les propres enfants,
et qui jouissent également des mêmes privilèges. Ils
doivent donc soumission et obéissance à ceux qui les
ont achetés ou adoptés, aussi bien qu'à ceux qui les
remplacent, et ils ont part à l'héritage de leur nouvelle
famille. Ces enfants sont achetés à des parents pauvres
ou pris à des père et mère insolvables, ou demandés
à des amis, connaissances, dans la gène et le besoin.
Cette coutume est sage et d'une haute portée pour le
bien-être d'une immense population comme celle de
ce pays, et elle a des résultats très heureux.
X. Funérailles et deuil légal. — Mais passons à la
mort et à l'enterrement des gens de ce pays ; nous
avons à y remarquer la sépulture, le deuil, l'élection
de l'atné et les anniversairesi
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QUESTIONS ETHNOGRAPHIQUES. l41
Quand quelqu'un vient à rendre le dernier soupir,
on lui ferme les yeux, ou lui couvre la figure avec une
feuille de papier, et l'on apporte des matières odo-
rantes et aromatiques, ou simplement des feuilles de
thé, pour brûler dans sa couche ou près de lui. On
avertit la commune, qui fait battre le gros tambour
pour avertir tout le monde du décès de la personne,
et cela fait, on pense à ensevelir le mort. Pour cela,
on lui lave quelquefois le corps avec du vin, et on le
revêt, s'il est riche, de ses plus beaux vêtements et
d'autres encore que l'on fait faire à la hâte ; s'il est
pauvre, on lui coud un habit de coton blanc que l'on
met par dessus ses habits ordinaires, et on l'enveloppe
ensuite d'une natte. 11 y a peu de gens qui soient
enterrés sans bière. Les maîtres de lettres et les vieux
parents ont soin de s'en faire donner longtemps à
l'avance par leurs élèves ou par leurs enfants ; c'est
le présent qu'ils estiment le plus et qu'ils aiment à
mettre en évidence dans le lieu le plus apparent de la
maison, d'autant que c'est un meuble de beau bois, et
souvent il est laqué, doré et orné de figures embléma-
tiques. On est flatté de penser qu'ayant trouvé pendant
Sa vie l'habitation dans sa famille, on ne manquera pas
de demeure après sa mort. Si le défunt n'a pas de
bière ainsi préparée, on fait venir un charpentier pour
en faire, ou mieux encore on va s'en procurer chez
le médecin de la localité, qui en fait le commerce tout
en vendant ses drogues. C'est encore un usage où per-
sonne ne trouve rien à redire.
Le corps une fois mis dans la bière, si l'enterrement
est solennel, on entend les joueurs d'instruments de
deuil faire retentir leurs airs funèbres, et les apprêts
4e la sépulture ont lieu. Oqi demande à la commune soq
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L
142 L'KMPIRK D'APi-NAM.
brancard ; le village désigne la corvée des porteurs et
le maître de cérémonie. On prépare sur le chemin de
petits reposoirs et des offrandes, et Ton dispose de
tout ce qui est d'usage pour un grand repas. Il n'y a
point de police dans le royaume qui prenne officiel-
lement acte du décès et qui règle le laps de temps à
s'écouler entre la mort et l'enterrement, ou qui
s'occupe du lieu et de la manière où et dont il se fera.
Il y a des peuplades voisines de la plaine, où on laisse
les morts deux, trois et dix ans dans la maison, jus-
qu'à ce qu'on ait le moyen de faire les frais de la sépul-
ture et du repas exigé par le village. J'ai habité, dans
les montagnes du Làc-thô, une chambre où il y avait
un mort depuis plus de quinze ans. Il était mis dans
un arbre creusé et hermétiquement fermé à l'ouver-
ture ; sur le milieu, il y avait un bambou creux qui
communiquait à l'intérieur de cet arbre, et qui, s'éle-
vant jusqu'au-dessus du toit, dégageait peu à peu les
exhalaisons putrides de la décomposition du cadavre.
Cependant les Annamites enterrent toujours les morts,
après un, deux ou trois jours. Mais ont-ils des cime-
tières comme les Mahométans, ou même comme les
Chinois, leurs voisins, pour les enterrer? Non. On ne
voit nulle part de cimetières proprement dit; mais on
voit partout des tombeaux isolés, sur le bord des
routes, sur la rive des fleuves, au milieu des champs,
autour des haies de banibou du village,dans les halliers
déserts, sur le versant des petites collines et dans les
jardins. L'Annamite tient à être enterré sur sa pro-
priété ou dans les lieux indiqués, par leur position et
leur conformation, comme prospères à l'avenir des
familles. On croit à l'existence d'un grand dragon ou
d'une grande veine terrestre indiquée par le site des
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QUESTIONS ETHNOGRAPHIQUES. 143 .
collines et des vallées. Il faut un astrologue pour en-
juger et choisir le tombeau, de manière que la pros-
périté de la famille en dépende et que ses membres
puissent sortir de l'obscurité vulgaire. Qnand on voit,
çiprès quelques années, qu'on s'est trompé, il faut alors
changer les tombeaux et c'est ce qui fait que beau-
coup de gens riches se ruinent en frais de sépultures
et de superstitions qui occasionnent toujours des fes-
tins et des repas coûteux; car, pour les tombeaux eux-
mêmes, il n'y a jamais un grand luxe ; ce sont sim-
plement des relevés de terre ayant six à sept pieds
de long sur deux ou trois de large, et un et demi à deux
de hauteur.
Ces relevés doivent être eatrelenus et soignés tous
les ans aux époques des anniversaires ; mais il y a
une chose à remarquer ici, c'est que, quand ils sont
plus longs que larges, ils indiquent une date de décès
récente, et quand ils ont uniquement un petit monti-
cule rond et conique, ils marquent que c'est une sépul-
ture déjà ancienne; car on distingue : coucher les
morts, les asseoir et les mettre debout.
On ne connaît point les monuments en bâtisse, les
dalles ni les pierres à inscriptions ; je n'en ai vu nulle
part et il n'y en a pas ; seulement, pour les person-
nages un peu marquants dans la contrée, on élève un
petit hangar sur la tombe du défunt et on l'entoure
d'une palissade jusqu'au temps du troisième anniver-
saire, qui est la fin du deuil.
La grande cérémonie de l'enterrement consiste sur-
tout dans la conduite que fait le village. Pour cela,
chaque commune fait les frais d'un brancard, qui est
d^ordinaire très soigné. Dans les communes riches, il
y en a plusieurs pour les différents degrés de solen-
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144 L'EMPIRE DAN IVAM.
nité. Ils se composent d'une maisonnette superposée
à deux ou quatre bras sculptés par le bout en forme
de tête de dragon, le tout laqué et doré sur vermillon.
On les orne de bandelettes ou de drapeaux de soie de
différentes couleurs ; un mattre de cérémonies règle
la marche, qui est toujours excessivement lente et
mesurée ; la représentation de la commune est en deuil,
c'est-à-dire en habits blancs, et marche devant sur
deux lignes, après les insignes, les tambours et les
instruments d'usage ; enfin, la foule marche derrière
ou sur les côtés, laissant la parenté suivre du plus
près possible le brancard.
Après avoir porté solennellement le défunt au lieu
de sa dernière demeure, les parents, revêtus d'habits
de deuil et échevelés, se prosternent contre terre et
font entendre de grands cris de désolation et des
phrases, chantées d'un ton plaintif, qui expriment leurs
regrets. Les jours du premier de Pan et de l'anniver-
saire, on les y retrouve encore à la même place et dans
la même position ; souvent encore, ils viendront en
particulier et comme à la dérobée ; aussi, plus d'une
fois, on est surpris d'entendre, du milieu de la cam-
pagne ou de la haie qui environne le village, les déso-
lations d'une mère ou d'une épouse, ou les plaintes
d'un lils abandonné et orphelin. Ce mélange de tris-
tesse, à la joie ou à l'indifférence de ceux qui paraissent
vivre en paix au milieu de leurs occupations ordi-
naires, excite alors un sentiment de mélancolie dont
il est difficile de se défendre et qui paraît toujours
nouveau.
Le deuil prescrit par la loi chinoise est de trois ans
pour les père et mère et ceux qu'on leur assimile,
comme les maîtres de lettres, la nourrice, les parents
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QtJESTlONS ETHNOGRAPfilQUES. 145
adoptifs. Ce deuil consiste à s^'abstenir pendant tout
ce temps des repas et des cérémonies brillantes, à ne
pas se marier, à faire les anniversaires et à porter
un habit blanc, qui, la première année, ne doit point
avoir d'ourlet à ses extrémités, et qui, le jour de
l'enterrement et des premiers anniversaires, doit être
d'un tissu clair et ressemblant à nos toiles de cane-
vas de tapisserie. Ce deuil est d'une grande rigueur ;
il a force de loi partout, et ses différentes prescrip-
tions sont toutes sauvegardées par des clauses péna-
les, au moins dans la pratique.
Pour ce qui est des anniversaires, par là même
qu'ils font partie essentielle du deuil, ils sont aussi
exigés légalement, et l'aîné d'une famille est chargé
d'en faire les frais et de convoquer d'autorité sa pa-
renté pour y contribuer. Cette charge de l'aîné donne
lieu aux majorats, c'est-à-dire à une part prélevée en
grand sur l'héritage, part qui s'appelle huong-hoa (ou
encens et feu). C'est un dixième des immeubles. Ce
dixième, ou droit d'aînesse, est inaliénable, il ne peut
être ni vendu ni acheté ; seulement, on peut quel-
quefois l'engager pour quelques années, suivant les
dettes ou les besoins dont on est onéré.
L^ainé, dans une famille, est choisi par le rang de
naissance, jusqu'au huitième degré de mâle en mâle
mais quelquefois aussi, il est choisi parmi les enfants
adoptifs ou parmi les enfants qui sont plus aptes à
en remplir les charges ; il faut pour cela une lettre
visée par le mandarin du lieu et un présent ou un
repas à la commune ; c'est ce qui s'appelle « Lâp^tu»
(fonder une lignée). Dans les écoles, c'est le premier
étudiant par ancienneté qui est le « truong-trang » ou
l'aîné, et qui a la charge de convoquer ses condisci-
SiLVESTRE. — Annam. 9
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146 L'EMPIRE D'APÏ-NAM.
pies aux anniversaires du maître décédé, et d'exiger
d'eux les contributions nécessaires pour en supporter
les frais ; car celui-là n'a pas de majorât en biens-
fonds. Ce droit de convocation et de perception qu'ont
les aînés, soit dans leurs familles, soit parmi leurs
condisciples, est un des usages qui a le plus d'incon-
vénients graves, tant il est vrai qu'il y peu de
bonnes choses qui n'aient leur mauvais côté.
Soit dans les sépultures, soit dans les anniversaires,
quoiqu'on n'y voit pas de bonzes ou autres prêtres
du paganisme, il y a toujours un grand nombre de
superstitions, de manifestations, de croyances absur-
des, d'offrandes et de sacrifices qui sont réprouvés par
la froide raison. On ne se réunit pas seulement eu
mémoire des pirents défunts, mais on se réunit en-
core pour feire des choses insensées qu'un esprit et
un cœur droits ne peuvent admettre. Les aînés, quand
ils ne sont pas obéis, même avec l'aide du rotin, vont
se plaindre au mandai'in qui, heureux de trouver oc-
casion honorable de se faire un bénéfice à peu de
frais, défend leurs droits avec beaucoup de sollici-
tude et d'empressement. Il en est de même pour les
anniversaires communs du village, où le maire et le
gardien des archives tiennent lieu de l'aîné, et obli-
gent, bon gré mal gré, tous ceux qui sont de leur
ressort, à honorer les défunts par la contribution et
les cérémonies de coutume.
Outre les deuils et anniversaires des villages, des
écoles et de la famille, il y a encore les deuils et
anniversaires de la famille royale et des mandarins.
Quand un roi ou un membre important de la
fhmille royale vient à mourir, le deuil est annonce
dans toutes les provinces, et 11 consiste, dans tout le
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QUESTIONS ETttNOGRAt>rtlÛOËS. U1
royaume, à s^abstenir des festins, des vêtements de
soie rouge et des comédies. Pour le roi, il dure trois
ans. Les mandarins s'habillent de blanc et il y ft des
. cérémonies funèbres dans tous les chefs-lieux de
département, auxquelles sont invités tous les fonc-
tionnaires qui en ressortissent. A la capitale, on fait
au roi défunt des obsèques presque fabuleuses, tant
il y a de dépenses faites inutilement et sarfs autre
but que la magniiicence. Des richesses immenses
sont englouties dans la mer, dans les fleuves et dans
le mausolée où les milliers» de femmes dû précédent
règne sont enfermées à vie. Un appareil porftpeux se
développe sur tous les points, et un cortège Immense
4^ enfants de la cour, de la parenté royale, des man-
darins dé tous grades et de l'armée, accompagne et
relève là cérémonie.
Comme dans chaque commune il y a uti temple
qui sert aux anniversaires, de même à la cour et dans
la localité d'où la famille royale tire sôù origine (Bai-
den, en Xu-thanh), il y a un Tu-miêu qui sert à Tado-
ration et aux sacrifices de tous les défunts de la dy-
nastie régnante. C'est là que doivent venir rendre
leurs hommages tous les lettrés qui veulent devenir
mandarins et entrer en charge. Les licenciés et les
docteursi doivent y yenir èù droit, tandis que les
grades inférieurs des Tu-tai n*y viennent que volon-
tairement.
Le roi oblige les mandarins à venir à son temple
•des ancêtres; les communes obligent leurs habitants
k venir à leurs anniversaires et à y Contribuer, aussi
bien que les âtnés d'une famille ou d'une école obli-
gent leurs subordonnés. Ce n'est pas tout: les man-
darins font aussi des àhniver^aifes particuliers âui-
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148 L'EMPIRE D*AÎI-NAM.
quels les chefs de canton, les gros particuliers cpii ont
de l'autorité dans le pays, voyant que l'exemple est
bon à suivre, font aussi des « giô » ou anniversaires ;
de sorte que ce culte des ancêtres devient un réseau
immense qui couvre tout le pays, et un fléau partout.
XL Etat politique. — On peut déjà juger par ces
détails, ce que sont, en grande partie, les institutions
civiles et religieuses de la nation annamite.
Dans un article à part, je parlerai du gouvernement.
Je me contenterai de remarquer ici que s'il y a du
despotisme et de la tyrannie dans la législation et
dans l'accomplissement de certains usages, cepen-
dant l'esclavage est inconnu et la servitude est en
horreur. Aussi, la plus grande égalité règne parmi
tous les citoyens. Tout Annamite peut aspirer aux
emplois, tout Annamite peut posséder, tout Annamite
peut se plaindre aux mêmes tribunaux, et la justice
n'a de privilèges pour personne. L'Annamite obéit au
roi, aux mandarins et aux autres employés subalternes
qui administrent la chose publique ; il paie le tribut
des terres qu'il possède et il fait la corvée ; mais
voilà tout. H ne voit de distinction que celle que
donne l'autorité officielle ; il ne connaît d'autres sei-
gneurs que les mandarins en place. La dynastie
royale est pour lui quelque chose de sacré, comme
garantie contre les révolutions et les changements ;
mais il ne connaît point d'autres titres héréditaires,
et tout mandarin qui revient dans ses foyers est peu-
ple comme avant.
Toute la population du royaume est sur ce pied de
droit et de devoirs, d'usages et de coutumes, les peu-
plades soumises comme la nation dominante, U n^ ^
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QUESTIONS ETHNOGRAPHIQUES. 449
point de parias dans cette société, et je ne vois de
distinction, par rapport à la législation, que pour les
« ngu-cu •, les « thuy-cu » et les lépreux.
Les ngu-cu sont les étrangers qui viennent s'établir
dans un village sans appartenir à une famille qui ait
un nom officiel ; les thuy-cu sont les gens qui vivent
sur les barques, qui ont en possession un fleuve ou
une partie du fleuve et qui ne peuvent bâtir sur terre.
Cependant, tous ces gens peuvent jouir de tous les
avantages de la législation, à la réserve d'un ou deux
points désignés ; ils ne sont point esclaves et ne sont
en aucune façon mis hors la loi.
Le régime de cette société est donc un régime mo-
narchique de liberté, d'égalité et de propriété, qui est
très bien compris et qui fait qu'on se tromperait en
pensant qu'on pourrait dépayser l'Annamite pour le
soumettre au régime brutal de nos colonies. On
pourra, comme du Chinois, peut-être, en faire un bon
fermier, mais jamais un esclave qu'on fait lever,
manger, travailler et se coucher à telle heure, soit
pour toute la vie, soit seulement pour dix ans ou
moins de temps encore.
XIL Religions. — Pour ce qui est des institutions
religieuses, il faut remarquer tout d*abord que la
liberté n'est pas complète comme je l'ai déjà fait
sentir.
Il est vrai qu'en général, on peut croire, adorer et
pratiquer ce que l'on veut ; mais il y a une exception
pour la religion chrétienne, qui est prohibée partout,
sous les peines les plus sévères, soit que celte reli-
gion s'oppose à plusieurs points de la législation, en
ce qui regarde la polygamie, le culte du deuil et
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IftO LEMPIRB D'AIf-NAM.
Tadoratioa des génies, soit qu'elle provienne d'une
prédication d'étrangers.
Ensuite chaque commune est obligée d*avoir un
temple pour les ancêtres, chaque province, chaque
arrondissement, chaque canton sont soumis à un chef
qui oblige à certaines cérémonies. Chaque membre
d'une famille ou d'une école est sous la juridiction
d'qo atpé pour le culte des défunts.
Le roi n'admet personne aux charges sans un sa-
crifice préalable au miéu royal et à Confticlus; de
plus encore, en ce qui regarde la religion bouddhiste,
le roi donne des diplômes à tous les esprits que doi-
vent adorer les différentes communes, et confère de
temps à autre de nouvelles dignités à ces génies, sujets
du rtls du Ciel^ et il faut bon gré mal gré que
Ton reçoive avec respect ces patentes royales, et
qu'on les conserve avec soin, sous peine d'être cou-
pable d'injures envers le roi. Àtnsl donc les cons-
ciences sont violentées en plusieurs manières, et une
populqtjon libre est humiliée de se voir soumise à des
prescriptions qui ne regardent pas un gouvernement
civil, indifférent pour tout ce qui ne compromet pas
la morale publique et la santé commune, et qui doit
se montrer d'autant moins exigeant qu'il a moins de
moyens de s'assurer qu'il est en possession de la vé-
rité.
Le P. Alexandre de Rhodes distingue chez les Anna-
mites, comme en Chine, trois sortes de religion :
Celle du roi et des nobles, qui adorent le Ciel et les
astres, et font pour cela quatre autels aux quatre
coins d'un tertre réservé pour le ciel, le soleil, la
lune et la terre ; c'est la religion officielle ;
Celle des idolâtres, qui adorent certains dieux par-
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QURSTÎONS ETrmonR.VPlIlQURS. 151
ticulfer^, autrefois des rois, des grands hommes,
comme Gonfucius, etc. (c'est celle des bonzes) ;
Et enfla celle des sorciers qui sont, dit le R. Père,
en grand nombre et fort méchants. Pour moi, je dis-
tinguerais autrement les quatre religions qui sont
reconnues ou tolérées par le gouvernement, et qui
sont établies partout et d'ordinaire pratiquées confu-
sément ensemble :
1° Celle qui ressort des livres de Gonfucius, inter-
prétés comme ils le sont à présent ; elle consiste à
adorer le ciel et la terre au printemps et à l'automne
(xuân thu nhi hj), sans doute pour avoir un bon
gouvernement; Gonfucius, pour avoir sa science
infuse et devenir un grand lettré ; enfin les ancêtres,
pour avoir une fionne postérité;
2" Celle de Phât ou Fo, qui est le bouddhisme; mais
dont on retranche chez les Annamites la plupart des
croyances, des pratiques et toutes les abstinences, ne
conservant que ses temples et, en quelques endroits,
ses prêtres ;
3'^ Celle des esprits, hommes, animaux ou choses,
reconnus pour merveille-ix : c*eu Tidolâtrio propre-
rpent dite.
4' Enfin celle des sorciers, qui adopte tout, qui fait
brûler du papier-monnaie, qui fait des évocations, des
sortilèges, et qui fait de l'astrologie pour choix de
terrains convenables aux habitations et aux tombeaux,
qui fait enfin de la bonne aventure pour choix de
noms heureux, pour direction de rencontres ou de
sentiers propices, etc.
Partout ces religions sont mêlées ensemble, obser-
vées à la fois, et c'est un dédale immense où personne
ne peut se reconnaître. I^es lettrés les plus instruits,
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152 l/EMPIRE DAN-NAM.
les mandarins les plus élevés en charge, la cour elle-
même, tout en se piquant de ne suivre que la droite rai-
son et méprisant tout ce qui n'est pas convenu dans les
livres classiques de la haute antiquité, tous, dis-je,
suivent le torrent de la pratique et font venir, dans
les principales circonstances de la vie, des jongleurs
et des magiciens pour se guider et se conformer à
Tusage. C'est un signe de la richesse et du haut rang
que tout le monde regarde, et une occasion de faire
des repas. Or, on peut dire des Annamites, en fait de
religion, ce que disait Saint-Paul des Cretois : t leur
Dieu, c'est leur ventre, quorum DeuSy venter est. »
En somme, ils ne croient à rien, ils font un festin.
Ces festins, outre qu'ils satisfont à la gourmandise,
marquent la hiérarchie d'un village ou d'un canton ;
il y a tables supérieures, tables inférieures; il y a
morceaux de tête, morceaux de pieds, morceaux
d'épaules et morceaux de reins. Il est donc immanqua-
ble qu'on estime par-dessus tout ces hiérarchies gas-
tronomiques, pour s'inquiéter peu si c'est d'un tom-
beau ou d'un temple qu'il soit question. L'important
est qu'il y ait une raison d'être à ces repas. Aussi, si
l'on fait une contribution pour bâtir ou réparer un
temple, la plus grande partie sera convertie en man-
des et en vin ; s'il s'agit d'autres cérémonies religieu-
ses, comme enterrements, anniversaires, processions,
pour la pluie, destruction de sorts, etc., etc., c'est
toujours la même chose, et peu importe que ce soit
un ancêtre ou un génie, une brute ou un animal que
Ton adore. Le ventre est satisfait (phi bong phi da) :
la religion est excellente.
Aussi les chrétiens désignent toujours les païens,
au milieu desquels ils vivent, par ces mots très expres-
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QUESTIONS ETHNOGRAPHIQUES. S5S
sîfs et très vrais : nguoi vô dao, ké ngoai daa^ sans
religion, en dehors de la religion ; c'est l'appel (atif
d*usage. Cependant, il faut bien le remarquer, on en-
tend partout répéter ces mots : va phuc tai troî, la
peine et la récompense viennent du ciel. Et dans les
malheurs, ils s'écrient toujours : Troi oit cha oif me
oi f Oh ciel I oh père t oh ! mère I C'est l'expression
d'un sentiment inné à tout homme, celui de l'exis-
tence d'un être suprême, créateur, rémunérateur et
vengeur. Dans les grandes calamités publiques, ou
voit aussi des sentiments d'une vraie piété se manifes-
ter souvent; c'est que l'homme malheureux a besoin
d'une religion. Mais chez les Annamites, comme chez
tous les peuples païens, c'est plutôt un mauvais génie
qu'il s'agit de conjurer et d'apaiser, qu'une divinité
bonne et compatissante à supplier, honorer et aimer.
Pour les femmes, qui n'assistent point aux festins et
qui n'y ont de part que par certaines contributions
qu'elles sont obligées de donner ou qu'elles donnent
volontairement, on remarque chez elles plus de senti*
ments religieux que chez les hommes, et un sentiment
pieux provenant tantôt de la crainte, tantôt de l'espé-
rance, au sujet de la perte ou de la conservation de leur
famille, semble les affecter plus puissamment. Aussi
on les voit avec plus d'assiduité faire des offrandes
aux idoles, consulter les sorts, et observer une foule
de prescriptions de la sorcellerie et des différents cul-
tes en vigueur. Elles exigent souvent de leurs maris
des actes religieux; elles se plaignent qu'ils soient
indifférents et insensibles. Elles les excitent quelque-
fois à faire de grandes dépenses et même à se rui-
ner pour prévenir certains malheurs que des si^çnes,
comme chants d'oiseaux, pattes de poules, rencon-
SiLTiSTiB. — Amum. itm
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1^4 1/E.MPÎR.E p'AN-NAM.
très, eifi., etc., désignent conime certains. Enfin, ce
sont eJjes qi|i spnt le principal soutien d*un amas d'ob-
servances et de superstitions dont le détail serait im-
mense et que l'on retrouve partout. Aussi, dites à un
homme instruit et sensé que vous êtes étonné de lui
voir pratiquer tant d'absurdités, il vous répondra qu'il
est obligé de le faire à cause de sa femme et de ses
enfants qui ne lui laisseraient pas de repos si quelque
malheur arrivait. Voilà donc comment, dans les mau-
vaises religions, comme dans la bonne, Thomme, plus
livré à ses passions, est en général impie ou indiffé-
rent, tandis que la femme est pieuse et craintive.
^e ne vois pour ainsi dire point de prêtres païens,
comme on en voit à Siam, dans Tlnde et même en
Chiné* -Il y a quelques bonzes dans les provinces du
Nord qui avoislnent le Yun-nan ; il y en a aussi quel-
ques-uns près de quelques temples bouddhistes du
Midi; mais la plupar); des provinces n'en ont p^s qui
méritent une mention quelconque.
. Ils spnt rare3 partout, et, en effet, à quoi bon tant
d'austérités pour dire des sottises que presque per-
sonne ne croit. L'Annamite trouvé, tout aussi bieh que
le prêtre de sa commune, pour les cérémonies dont il
a besoin pour faire quelques extras, soit un vieillard
de l'endroit qui, trop vieux pour reniplir des fonctions
civiles, a cependant encore assez de force pour porter
le bonnet à lisières, pour offrir le petit plateau de par-
lies nobles de l'animal égorgé, brûler l'encens des
vases de l'autel, faire les saluts et les prostrations
pendant que l'on verse les libations de vin, et enflo,
manger le plat d'honneur.
11 est tout consacré par son âge et ses çheyeux
J^Ji^nQSf et peu importent du reste sa conduite et séâ
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OCESnONS ETHNOGRAPHIQUES. 155
principes. Les tambours et les cymbales feront du bruit,
toute l'assistance des hommes, en tenue cérémoniale,
se prosternera; le repas aura lieu avec Tordre pres-
crit et une bonne partie des contributions pour la
fête ira enrichir les plus huppés de l'endroit. Que
peut-on voir de mieux ?
Pour le culte officiel du gouvernement, ce sont les
mandarins et le roi qui sont les prêtres ; pour les an-
niversaires des familles, ce sont les aînés. Ce n'est
donc que par luxe et étalage que quelquefois on
voit des bonzes ou des sorciers figurer dans des fêtes
religieuses. Les époques principales des solennités,
outre celles des anniversaires dont j'ai parlé, sont le
premier de l'an, les commencements du printemps et
de l'automne, et les jours du l"*" et du 15 de chaque
lune. A toutes ces époques, on entend la nuit les gros
tambours de chaque localité battre d'une manière pro-
longée et en mourant (decrescendo) , pendant l'espace
d'environ trois minutes et à plusieurs reprises ; on
entend aussi quelques cloches ou quelques cymbales
des temples. Ces sons ont leur charme.
Quand il y a des sécheresses trop prolongées et trop
menaçantes, des processions sont indiquées et toutes
les communes d'un canton doivent apporter le bran-
card qui représente leur génie particulier. On a soin de
faire ces processions quand on aperçoit un change-
ment de temps, et on bat alors le tambour jusqu'à ce
que les nuages se crèvent en eau. Si la pluie tombe
pendant la cérémonie ou aussitôt après, le génie du
canton reçoit une récompense pécuniaire du roi, que
l'on va imnaédiatement chercher au chef-lieu de l'ar-
rondissement. S'il n'y a rien, on injurie le ciel et les
génies, on renverse leurs brancards, on leur jettfe de
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156 L'EMPÎRE D'AN-NAM.
la terre et de la boue et tout le monde s*en amuse ;
ils ne sont pas « thicng » ou spirituels, et voilà de la
religion païenne libre, facile et amusante.
Au premier de Tan, le roi fait la cérémonie du Tê-
gîao, qui consiste à aller en grande solennité et porté
sur un brancard au temple du Ciel et de la Terre, où
il fait lui-même les sacrifices, comme Thiên-tu (fils du
Ciel). C'est la seule fois dans Tannée qu'il sorte de son
palais pour se montrer à tout son peuple prosterné de
tous les côtés sur son passage, et n'osant mettre de
la témérité à le regarder, même à la dérobée.
Il y a peu de prêtres proprement dits : il y a,
comme le dit le P. de Rhodes, une foule de sorciers et
de magiciens qui prennent le nom de Phu-thuy, Phap-
mon, de Thây-dia-ly et de Ba-cot. C'est pour faire des
« Pha-nguc » ou destruction de l'enfer, des « Phan-ac
et On-dich » qui tourmentent les vivants ou délivrent
d'une épidémie, des « Vang-ma » pour envoyer de la
monnaie aux défunts, ou bien c'est pour appliquer
l'observation des astres à la bonne aventure pour les
maisons, les objets perdus ou volés, les sentiers, etc.,
comme le « Thieu-van-da-ly, le Boi-koc, le Xem-so-
xem-tuong » ; ou bien encore pour appliquer « THô-
Cay-nen, Cô-hôn, ou Vun-bép » (perche rappelant le
combat de Bouddha avec le diable et qui s'élève dans
chaque maison au premier de l'an ; support pour les
vases du foyer), ou bien encore pour régler les céré-
monies qu'on doit observer à l'égard des différents
génies les plus en vogue, comme :
Thai eue;
Mue mui ;
Bàn cô ;
Tarn hoang ;
Mi oa ;
Lao tu ;
Ngoc hoàng;
Truong nghi;
Tiôn su ;
Thành hoan^
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Thuong ôàug ;
Ly ông trang ;
Vua trinh;
Thiên loi ;
Diêm vuong ;
ThA công ;
QUBSTIONS ETHNOGR.VPHIQOKS. 157
Thô chu ;
Hà ba thuy quan ;
Pham nham ;
Etc., etc.
et des choses inanimées, et des animaux, et des hom-
mes, et des prostituées que l'on adore.
J'ai vu en Xu-thanh un grand village où l'on adorait
un voleur et où, la veille de sa fête, chacun des habi-
tants, petits et grands , devait aller voler quelque
chose, si peu que ce fût, sous peine d'une amende. J'ai
vu un autre village jeter son génie à la mer parce que
beaucoup d'enfants étaient morts de la petite vérole,
et quelques joufô après porter en triomphe un mât de
navire chinois jeté par la tempête sur le rivage, et
qu'on avait fait laquer, peindre et dorer pour rempla-
cer le dieu noyé.
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CHAPITRE IV.
SAVOIR, iXDUSTRlK, OCCUPATION DES LOISIRS
Il nous reste à voir ce que fait cette population an-
namite comme travail, comme industrie et comme
occupation de ses loisirs. Il faudra pour cela classer
des groupes et parler tour à tour des lettrés et des
fonctionnaires, des médecins, des artisans et des la-
boureurs; mais commençons par ce qu'il y a de com-
mun à ces diverses classes, comme occupation des
loisirs.
J'ai parlé des fêtes religieuses et des repas, qu'on
doit plutôt considérer chez les Annamites comme de
simples distractions que comme l'expression d'un sen-
timent pieux profondément senti. Malgré la tenue
grave et guindée qu'on y remarque quelquefois, on n'y
voit ordinairement point de croyance, point de con-
viction. C'est seulement une forme qu'on a reçue de
la coutume. J'ai donc à dire quelque chose de la comé-
die et des jeux.
I. Théâtre. — La comédie se joue dans toutes les
grandes communes aux époques solennelles de Tan-
née. Il y a des troupes de comédiens qui sont appelées
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SA.VOIR, irïDnSTUK, OCCUÏ^VTION DES LOISIRS. 159
à cet eSfet et pour lesquelles on fait d'énormes con-
tributions, vu la pauvreté des habitants.
Ces troupes sont de deux sortes ; les Phuong-nha-
tro et les Phuong-cheo. Ces derniers sont des bouffons,
des magiciens, des gens de toute sorte qui se réunis-
sent afin de gagner quelque argent en amusant le bas
peuple par des représentations ordinairement burles-
ques et grossières, pleines de mots à double sens ou
de chants erotiques entremêlés du son des tambours;
c'est à peu près le charlatanisme de nos foires et de
nos places publiques. Les hommes qui en font partie
sont des gens assez mai famés partout et qui sont sus-
ceptibles de faire tous les métiers, au besoin. Une fois,
j'en ai fait jouer devant moi la représentation de Mo-
cua-ai ou Phong-vuong (couronnement du roi par les
ambassadeurs chinois), et quoique la pièce fût bonne,
cependant, soit à cause de la musique, soit à cause de
la figurç des acteurs, je n'ai jamais rien vu qui me
dQnnât mieux Tidée d'une scène infernale.
Mais les phuong-nha-tro sont des comédiens paten-
tés et titrés par le gouvernement. Ce sont des villages
entiers» hommes, femmes et enfants, qui ont un terri-
toire et qui forment une commune à la charge de
fournir au roi, tous les ans, un nombre de sujets voulu
pour le théâtre de sa majesté. Par là, ils ont le droit
et le monopole de la comédie dans un arrondissement
ou une province, et ils peuvent prétendre à donner
seuls toutes les grandes représentations qui ont lieu
dans les localités de leur ressort. Ils sont enrégimen-
tés avec des grades de capitaine, de nhât-am, 1*^ et
2* son, de cai et de bep (fourrier, sergent), comme
dans l'armée. Ils passent leur vie à labourer leurs
obaiaps,à s'exercer à jouer des instruments et au déj^jit.
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i60 L'EMPIRE D'AIf-NAM.
Comme instruments, ils ont le thap-luc-uyên, ou
instrument à seize cordes en métal sur des chevalets
en bois sonore, en ivoire ou en corne. Ces chevalets
se disposent sur un tronc creux, long de quatre pieds
et large de sept à huit pouces, à Tune et l'autre de
ses extrémités, à la longueur des cordes et suivant
les airs que l'on veut jouer. Ces cordes se touchent
au moyen d'un ongle en fer adapté à l'index ou au
pouce. Le son de cet instrument est des plus agréa-
bles et ressemble au son argentin du clavecin ; il se
prête admirablement à la déclamation des morceaux
de poésie dans ces langues monosyllabiques et chan-
tées. Après lui, vient le nhi-uyên ou violon à deux
cordes, ayant un long manche monté sur un morceau
creux de corne ou de bambou en forme de pavillon et
garni, du côté où s'appliquent les deux cordes, d'une
peau de serpent.
On joue avec l'archet entre les cordes, qui sont de
soie. Les sons, moins forts peut-être que ceux du vio-
lon d'Europe, sont cependant agréables et pénétrants.
Ensuite, on voit le tam-uyôn, à trois cordes, monté
aussi sur peau de serpent et qu'on pince comme la
guitare pour marquer la mesure ; le son en est très
fort et très raide. Puis, la guitare grande et petite,
qui est à peu près comme la nôtre.
Enfin, le monocorde ou dan-bau, fait d'un gros bam-
bou coupé par la moitié et à l'un des bouts duque
passe un manche, tandis qu'à l'autre est une corde
d'acier qui va se nouer jusqu'à l'extrémité de ce man-
che, devenu là très flexible, et qu'on agite légèrement
au moyen de l'ouverture calculée des doigts pendant
qu'on touche la corde avec une cheville en bois. Le
son de cet instrument est très touchant et trèsdéii-^
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SAVOIR, INDUSTRIE, OCCUPATION DES LOISIRS. 161
cat; il se prête parfaitement à ritnitation des vagis-
sements d'un enfant ou des soupirs d'une mère attris-
tée» et la nuit, en voyageant, on aime à entendre le
lettré ou le laboureur qui veille dans l'obscurité de
sa demeure et qui enjoué pour se distraire un peu.
Pour les instruments à vent, on ne voit que la flûte
en roseau. Gomme complément de l'orchestre, il y a
des tambours, dont une espèce est longue et se tou-
che avec les mains (trong-cam); les castagnettes, les
trac ou bois sonores et les vergettes à sapèques pour
la mesure. Mais, en général, les Phung-nha-tro ou
comédiens titrés ne jouent que des instruments à
cordes, qui sont les seuls instruments nobles, dont ils
se servent pour accompagner le débit de leurs mor-
ceaux poétiques.
Outre le son des instruments, ils y ajoutent encore
la gesticulation avec un éventail, qui ne manque pas
de faire un très bel effet, quand elle est bien com-
prise. Dans cette gesticulation, on voit des poses et
quelques pas de danse très modérés et très rares ;
car les Annamites, comme les Chinois, méprisent la
danse proprement dite, et l'amiral Laplace a eu tort de
rouver en Gochin chine des bayadères, comme on en
voit dans l'Inde. Ce n'est plus cela.
Mais quelles pièces représentent d'ordinaire ces
phtwng-nha-tro? Je n'en sais vraiment rien, si ce
n'est que j'ai entendu quelquefois des récits, soit en
langue du pays, soit en chinois et le plus souvent
mêlés, qui étaient très bien dits et très bien chantés :
c'est un ivrogne qui a fini par mettre le désordre dans
sa famille ; c'est une mère qui a perdu son enfant ei
qui le retrouve; c'est un lettré qui parvient aux char-
ges après mille soucis, beaucoup d'inconvénients, it
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us î/KMPmK O'AN-NAM.
ne trouve point de compensation à ses peines; ce sont
des parents qui quittent le lieu de leur naissance pour
aller vivre dans les forêts et trouver le moyen d'y
élever leur nombreuse famille, etc., etc. En résumé,
le théâtre annamite est bien inférieur au théâtre chi-
nois, mais il a son mérite, et il passionne singulière-
ment tous ceux qui ont le moyen d'en payer les frais,
je veux dire d'en payer les acteurs, car je ne vois
point de décorations qui en vaillent la peine.
Quand un mandarin, ou un village, ou un riche par-
ticulier veut se donner le plaisir de la comédie, il
reçoit les acteurs dans une grande pièce où il y a des
nattes pour s'asseoir, un tambour et des cymbales
pour marquer les passages brillants ou la fin des
phrases; enfin, des plariches de différentes hauteurs
pour les personnes invitées, et de la lumière, s'il fait
nuit ; voilà tout. Les acteurs ont des vêtements de soie
et quelques habits brodés sur laine; ils se fardent la
ligure et je no vois rien de plus.
H, Jeu. — Un autre délassement des Annamites est
le jeu des cartes chinoises, qui est, comme partout,
une des grandes plaies de la population. Les hommes
en place et les jeunes gens jouent avec passion, et se
ruinent presque toujours. Il y a dans presque tous les
villages des maisons d'usuriers qui exploitent les
joueurs en leur prêtant de l'argent avec une retenue
d'un dixième, sans compter le payement de la soirée
et le bénéfice de ce qu'on appelle la soucoupe, c'est-
à-dire les arrhes de chaque partie. Ils sont le fléau des
la nilles, et ils ruinent des villages entiers, dont ils
a'îcaparent les champs et les maisons jusqu'au temps
d'un payement presque toujours impossible.
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SAVOIR, FNnUSTRIÇ:, OCCUPATION DES LOISIRS 163
Le x^ic dia ou jeu d'une sapèque tournée dans un
vase couvert, pour avoir «marqué» ou « non mar-
qué, » eat aussi terrible que le jeu de cartes, et on
parle de personnes qui ont gagné 40 et 50,000 francs^
ou perdu autant à ce jeu là. C'est énorme poui un pays
où ioo francs en valent 1,000 de chez nous, relative-
ment. L'Annamite ne conçoit pas que l'on puisse jouer
aux sapèques tournées ou aux cartes sans l'intérêt de
l'argent. Il y met une telle passion qu'il oublie tout
alors, même de nianger et de dormir, et qu'il compte
pour rien d'y perdre jusqu'à ses dernières ressources,
jusqu'à ses derniers habits; et cela existe, en général,
paripijes vieillards, parmi les jeunes gens et les plus
petits enfants, parmi les mandarins, les lettrés, les
geps riches, comme parmi la classe la plus pauvre.
De là, la désolation de tant de familles ; de là, les
vexations de tant de gens en place ; de là encore les
bandes de brigands qui infestent tous les ans le pays.
Il y a une autre sorte de jeu appelé « co » (Ltidas
latrimculorum) , qui ressemble à notre jeu d'échec,
mais qui se joue différemment ; c'est lemème que celui
des Chinois. Dans les grands jours de fête, au l"f de
l'an surtout, il se joue vivant, si je puis parler ainsi ;
c'est-à-dire que deux communes jouent ensemble,
l'une devant fournir des jeunes lilles et l'autre des
garçons. Ces jeunes Ailes et ces garçons se placent
dans une campagne, comme les pièces d'un échiquier,
et les chefs des deux localités, assis sur des estrades,
indiquent devant toute la populations des environs,
alors réunie, les diverses mutations du jeu, qui est
d'ordinaire très brillant, très goûté, très joyeux, et
sujet, comme on le pense, aux plus graves inconvé-
nients
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164 L'EMPIRE D'AN-NAM.
Pour les autres délassements et occupations de loi^
sirs, je n'en vois pas de bien remarquables, si ce n'est
quelques scènes de sauteurs de oorde, faiseurs de
tours de force et de gymnastique, jongleurs qui ne
sont pas forts, et les joutes au bâton ou au sabre, aux-
quelles s'exercent tous les garçons des villages; enfin,
les combats de coqs, surtout en Gochinchine, et le
jeu innocent du cerf-volant au Tonkin, On est étonné
de voir, dans chaque village, pendant la mousson
S^O., les hommes les plus sérieux et les plus âgés,
s'amuser h lancer dans les airs, pendant des journées
et des nuits entières, ce morceau de papier, monté
d'un tube qui siffle et bourdonne. C'est une préoccu-
pation de toute l'année pour monter ce joujou, de
manière à ce qu'il soit, sinon le plus beau de la con-
trée, du moins le plus remarquable de la localité. Tant
il est vrai qu'on peut s'amuser souvent à bon mar-
ché à tout Age.
///. Science des lettrés. — La science proprement
dite, ne fait pas l'occupation des Annamites. Il y a
un gros savoir répandu partout, un même degré
dinstruction, une même routine, mais je ne vois nulle
part de la science. En philosophie, en théologie, en
mathématiques, en astronomie, je ne trouve aucune
méthode, aucun travail d'analyse, aucun principe
avéré, aucune recherche. En physique, en histoire
naturelle, c'est la même chose, à part quelques recet-
tes traditionnelles qui n'ont pris aucun développe-
ment; en géographie et en histoire, les lettrés et les
fonctionnaires ne savent même pas où est l'Empire
Céleste Ils comptent 18 royaumes pour toute la terre,
et le reste est repaire de pirates et de forbans. Or,
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SAVOIR, lNDUSTRIË,|OCCl)PAtION DES LOISlUS. 16^
ces 18 royaumes sont les 18 provinces de l'empire,
dont ils connaissent plus ou moins militairement
l'histoire, sans s'occuper de leur position respective.
Ils ne se doutent nullement de l'existence de nos atlas,
qu'ils mépriseraient, du reste, n'en connaissant pas
l'importance et le but. Pour l'histoire de leur pays,
oUe est purement traditionnelle; elle n'a aucun mo-
nument écrit, si ce n'est un amas de fables compilées
du temps de Minh-mang et maintenant retirées de la
circulation. Pour la jurisprudence, il y a les douze
volumes de la loi chinoise, dont je ne connais pas de
commentaires; il est défendu au peuple de se les pro-
curer, et les mandarins les lisent à peine.
Je parle de la science et non de l'éducation, du
haut savoir et non de l'étude. L'éducation première
est très répandue partout, et un assez grand nombre
de gens lettrés étudient dans toutes les provinces du
royaume ; on s'applique à connaître les caractères e
le style des livres chinois, pour pouvoir écrire faci-
lement, soit en vers soit en prose, sur un sujet de
littérature. On recherche de plus, dans l'étude 4es
lettres, la clarté d'idées, la sagacité et l'adresse suffi-
santes pour éviter d'être trompé, et plus souvent
encore, pour tromper ses semblables et pour arriver
à des fins lucratives qu'on se propose presque tou-
jours. Le lettré est un type de fourberie, de politesse
et de pédantisme remarquable; il n'est pas savapt,
mais il est adroit, subtil et beau parleur ; il n'est pas
riche d'ordinaire, mais il a des formes pour tous }es
actes de sa vie ; il met son turban de telle manière,
il a une figure amaigrie par les veilles, mais des yeux
perçants; il soigne le peu de barbe qu'il peut avoir, et
il s'épile avec soin; il laissepusser de grands ongles»
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166 L'EMPIRE D'AN-ÎSAM.
comme marque de ses occupations habituelles; il
tient à la main un éventail qu'il sait agitera âa façon ;
il s'asseoit avec distinction, se lève et salue de même,
en baissant les yeux pour regarder; il marche avec
emphase et a toujours Pair de composer des vers ; il
ne rit qu'avec calcul, et il craint toujours d'être en
contravention avec quelques rites et cérémonies ; sa
prononciation est légère et recherchée ; s'il satisfait
ses passions, ce n'est qu'avec délicatesse, et s'il est
mandarin et qu'il veuille vous voler, ce sera avec
politesse et égards ; aussi les lettrés et les mandarins
sont-ils craints, comme des sépulcres blanchis qui ne
renferment que des germes de maladies ; mais cepen-
dant on les honore, parce qu'on à besoin d'eux et
que dans un royaume d'aveugles un borgne peu
être roi.
Le lettré a grandi, et de petit écolier qu'il était, il
est devenu quelque chose: poète, beau parleur, pédant,
maître de procès, hommes d'affaires ; mais, en ftiit
(le principes, il ne sait guère plus que les enfante, les
artisans et les laboureurs de son pays. H a trouvé
dans les livres qu'il y a un fluide suprême, qu'il y a
deux éléments : « âm et duong, » l'un d'action et de
force, l'autre de repos, de faiblesse et d'inertie ; que
ces deux éléments, en s'unissant ensemble, ont pro-
duit tous les êtres, qui se réduisent en général à cinq :
« Thuy, Hoa, Moc, Kim, Tho » ; l'eau, le feu, le bois, le
métal et la terre, et qui sont aussi cinq planètes; qu'il
y a trois chaînes de l'ordre social (tam-cuong) et
trois grands corps : le soleil, la lune et la terre ; qua-
tre points cardinaux et quatre saisons ; cinq choses
ordinaires, cinq actions: du roi, des sujets, des époux
et parents, des enfants aînés et cadets, des amis;
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SAVOitt. IMDUStRIK, OC(^Ut>ATIO?i DES LOtSlRS. «f
qu'il y a âix principales artères et six périodes de
temps (luc-giap); sept hop ou unions : est, ouest,
nord, sud, dessus, dessous, milieu; huit divisions
lunaires; neuf ordres de dignités (cuu-pham) ; dix-
huit royaumes et vingt-huit constellations ; il trouve
en outre quelques sentences de sagesse et de bon
ordre pour une société; voilà tout. Dans le gouverne-
ment, il n'y a point de concours autres que les con-
cours de littérature pour le baccalauréat. Il n'y a point
d'académies; il y a seulement, dans les ministères,
une commission nommée pour l'édition du calendrier
qu'on envoie chaque année à tous les maires de vil-
lages et à tous les fonctionnaires. Cette commission
adapte le calendrier chinois aux exigences du lieu et
prédit quelquefois des éclipses, en même temps qu'elle
donne les années de la période des cycles décimal
et duodénaire, et qu'elle indique les jours fastes et
néfastes.
Ce calendrier donne l'année lunaire, qui commence
avec la lune de mars, et il marque les piois interca-
laires, qui ont lieu tous les trois ans, pour Tcxcédant
des onze jours de chaque année sur la marche du
soleil.
Du reste, le système du cycle, des mesures, des
poids, des monnaies et de la numération est le même
qu'en Chine et au Japon. Le cycle de la période de
soixante ans se forme de la combinaison de deux
nomenclatures: l'une de dix lettres et l'autre de
douze. En accouplant la première lettre de la nomen-
clature de dix, qui est giap, avec la première lettre de
la nomenclature de douze, qui est ft, et en épuisant la
combinaison jusqu'à ce qu'on revienne à cette pre-
mière jonction, on a soixante unions de lettres et six
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m
L'EMPIRB D*AN-NAIt.
fois la lettre giap^ ce qui fait qu'on appelle cette
période luc-giap ou six fois giap.
1. Giap. — Ti.
12.
At —
Hoi.
2. At. — Suu.
13.
Binli _
Ti.
3. Binli. — Dau.
14.
Dinh -
Suu.
4. Dinh. — Meo.
15.
Mo -
Dan.
5. Mo. - Thin
46.
Ky
Meo.
6. Ki. — Tl.
17.
Canh —
Thin.
7. Canh. — Ngo.
18.
Tan —
Ti.
8. Tan. — Mui.
19.
Nham -
Ngo.
Hifui.
9. Nham. — Thau.
20.
Qui
10. Qui. — Dau.
21.
Giap —
Than.
11. Giap — Tuât.
22.
At -
Etc., etc.
Dau.
Les lettres du cycle duodénaire sont :
Ti(rat).
Ngo (bufQe)
,
Suu (bœuf).
Mui (chèvre
».
Dan (tigre).
Than (singe
).
Meo (Il pin).
Dau (poule
coq).
Tliin (dragon).
Tuât (chienl
.
Ti (serpent).
Hoi (porc, sanglier)
Et celles du cycle décim
al:
Giap.
Ki.
At.
Canh.
Binh.
Tan.
Dinh.
Nham.
Mo.
Qui.
dont je ne connais pas la signification, si ce n'est
qu'on dit que les Japonais les regardent comme le
dédoublement des cinq éléments : l'eau naturelle et
l'eau à l'usage de l'homme, le feu latent et le feu
allumé, le bois en général et le bois façonné, l'élé-
ment métallique et le métal travaillé, la terre inculte
et la terre labourée, ce qui donne matière à dix lettres.
La nomenclature de douze lettres sei*t aussi à mesu-
rer le temps du jour et de la nuit, qui sont de deux
heures chacun et qu'on appelle « canh » . De onze
heures du soir à une heure, c'est l'heure de ti ou du
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SAVOIR, INDUSTRIE, OCCUPATION DES LOISIRS. 109
rat; de une à trois, celle du bœuf; de trois à cinq,
celle du tigre ; de cinq à sept, celle du lapin ; de sept
à neuf, celle du dragon; de neuf à onze, celle du ser-
pent ; de onze heures à une heure de l'après-midi,
celle du buffle, etc., etc., etc. Dans tous les chefs-
lieux de canton, il y a des tambours qui marquent,
depuis le coucher du soleil jusqu'au matin, les veilles
de la nuit ; ce sont les «trong-canh, » et ils suivent
d'ordinaire les signaux donnés par les forts du roi, où
l'on se sert de clepsydres à eauj pour compter les
heures.
Les lettres du cycle sont très anciennes et on les
fait remonter aux « bat-quai » ou grandes divisions de
Phuc Hi. Pour ce qui est de la période de soixante
ans, le tribunal des mathématiques de Pékin a décidé,
en 1684, que cette année-là était la première de la
soixante-septième période, qui a fini en 1743; la
soixante-huitième a donc été de 1743 à 1803, et nous
sommes dans la soixante neuvième qui doit se terminer
en 1863. Cette année (1858), nous avons Mô-ngo ; il
nous restera ki-mui, canh-than, tan-dau, nham-tuât
et qui-hoi ; alors, on recommencera giap-ti.
Les autres mesure=^ de temps, chez les Annamites,
sont les règnes des différents rois : « Minh-mang thap-
tu-nién» (quatorzième année de Minh-mang); «Thiêu-lri
that-nién» (septième année de Thiéu-tri) ; «Tu-duc
nguyên-niên (première année de Tu-Duc), par exem-
ple (1).
Les années, les mois, les jours, les heures sont
divisés en bon, trung et mat : commencement, milieu
et fin ; les heures sont divisées en khac, espèce de
(i) Soit, respectivement, les années 1833, 1847, 1848.
SiLnsfRi. — Aimmn* 10
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I
<|Tiftfl-â'hè!ire dtf dix-huit à vingt minutes, en giay
(moment) et en phiit (minutes). Les années communes
ôntdouse lunaisons et trois cent cinquante^quatre
jours ; celles qui ont un mois intercalaire en ont
donc ivGh cent quatre-vingt-quatre, et celles qui en
ont deux, quatre cent quatorze.
Les mois commencent de la lune de mars et 9è
divisent en deux dénominations comme il suit :
, i i*' de la lune, 21 février, va thuy, aqua pluoia.
C 15* jour 6 mars, kin trâp, motus rèpHliùm.
^ c 1*' de la lune. 22 mars, xuân phâii.
I 15«Jottr 6 avrii,thauH m Inli, tfinp«Hotortlas.
g 4 !•' de la lune. 23 avril, côt vu, frufum pluvia,
t 15«joui 7 mai, lâp ha.
, ( l*' de la lune. 22 mai, tieu man, pan>a clavis,
* 15«Jouf 7 juin, mang chung.
!•' de la lune. 22 juin, ha chi.
15* Jour 8 juillet, tieu thu.
^ ^ i*' de la lune. 2i juiUet, dai thu.
( 15* Jour,.,..,. 9 août, lâp thu.
. ( !•' de la lune. 24 août, xn thu, finii calorie.
C 15* jour 9 septembre, bach lo, ras ùlhui,
^ i 1*' de la lune. 24 septembre, thu phân.
( 45* jour 9 octobre, han lô, (rigiduê toê,
^ < !•' de la lune. 21 octobre, suong giang.
( 15* jour 8 novembre, lâp dong.
. t !•' de la lune. 28 novembre, tiôu tayêt, parcd noa:.
i 15'jour 8 décembre, dai tuyèt.
.. Il*' de la lune. 22 décembre, dôngehi.
I 15* jour. ...... 6 janvier, tiôu han.
.^ il*' de 1* lune. 21 janvier, dai han.
( 15* jour 5 février, lâp xuân.
Ck>mme on en peuf juger par le climat désigné et le
péel# 6e ne sont pas les Annamites qui ont comtM>sé
ces éphémérides; elles viennent évidemment de
Pékin.
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SAVOîn, INDUSTRIS, OCCUPATION DES LêlfllM. iH
lY. Poids et mesures. — Lm autr^es mesuras 99ût :
Pour les capacités : le hoc (charge dé riz pouf un
homme) ; le luoag, mesure d'enviroo deux pieds de
long sur un de large et un demi de profondeur ; le bal,
ou écuelle suffisante pour nourrir un liomme dans st
journée^ et le dau^ qui e^ la moitié et qui est seule*
ment une mesure populaire.
Pour les longueurs : le thuoo ou pied» plus grand
d'un pouce que notre pied de roi; le tac ou pouce,
dont il faut douze pour faire un pied; le ngu de cinq
ou de sept pieds, et le truoifig de dix ; le dàm, distance
à laquelle on aperçoit à peine un buffle ; le If ou la
dixième partie d'une lieue de vingt-cinq au degré, et
le cung, qui est la marche de deux ou trois bonnes
heures et qui vaut certainement trois à quatre lieues
de poste.
Pour les champs, il y a le m&u ou cent pieds carrés,
qui vaut dix sao ou trente ngu carrés, ou neuf cents
hgu de surface. Le sao se divise en dix mleng, le
mîeng enthan, le ihàn en un ngu carré ; ensuite, vient
le ghe, qui a un pied carré.
Je ne connais point de mesure pour led liquides;
seulement, pour la profondeur d'un fleuve ou de la
mer, ils ont le say ou brasse, dont ils se servent
pour mesurer les ondulations du sol.
En fait de poids on a le nén ou livre de 10 onces,
ou 390 gram. 05 ; le yen de 10 livrer ou 6 kilogr. 2'i8;
le binh de 50 livres ; le ta de 100 livres et le quan de
600; puis la livre de 16 onces ou 62& gram. 08, qui
excède notre livre française de 4 onces 3 drachmes et
27 grains, ou 9.53; Tonce qui est de 39 gram. 05; le
dôn^^ ou 3 gram. 905 ; enfin, les phan, ly, bao, tbiét,
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17Î L'BMPIRB irAIf-NAM.
qui sont des dixièmes de l'once ou des dixièmes de
dixième.
Les balances sont réglées d'après le système déci-
mal, comme en Chine depuis si longtemps, comme
Nen-dong, Phan-ly-hao. Ces balances sont une ver-
gette pointée pour faire courir le poids de plomb qui
est l'unité, et une petite soucoupe en cuivre suspen-
due à son pied; elles sont très bien faites et très
sensibles. Pour le poids spécifique, il est à peine
connu, si ce n'est celui qui consiste à peser à sec, à
peser dans l'eau et à prendre la différence.
Les monnaies sont le nên-trung-binh et tu-ma,
différant tant soit peu de pesanteur, ou 10 onces chi-
noises; il vaut 81 fr. 87 cent. Pour l'argent, il y a
quatre-vingt-quinze parties pures et cinq d'alliage ; le
thoi, dont le poids n'est pas déterminé ; le dinh ou
dixième partie du nên et qui vaut 8 fr. et quelquefois
10; le tam de Minh-mang, imitation de la piastre
espagnole, mais qui, sur deux cent quarante parties
d'argent, en a quatre-vingts de cuivre; elle n'est plus
dans le commerce et elle sert seulement de récom-
pense aux vieux chefs de canton ou aux vieux capi-
taines. Enfin, la sapèque de zinc de quarante à
quarante-deux grains, la masse de soixante sapèques
et la ligature de dix masses ou six cents sapèques;
elle pèse environ un kilogramme. Ces monnaies sont
de zinc, d'argent ou d'or. Il n'y en a plus de cuivre
depuis Gia-long, parce que les navires européens s'en
emparaient pour y trouver un bénéfice considérable.
Pour la numération et l'art de calculer, les Anna-
mites ont la nomenclature de leurs voisins et le
fameux banh-tinh ou tablette à boules, d'un rang de
deux en haut et de cinq en bas, sur sept à huit lignes
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SAVOIR, INDUSTRIE, OCCUPATION DES LOISIRS. i7S
que forment les vergettes de 1er qui passent par le
milieu de ces boules. La nomenclature donne un, dix,
cent, mille et dizaine de mille ou « van » ; ensuite
dizaine de van, centaine de van, millier de van ou «uc,»
enfin dizaine d'uc, millier d'uc ou « binh, » etc., etc.
Il y a dans le pays des livres de calcul, comme le
sach-thong-tong, et d'arpentage, cuu-chuong; ils sont
assez peu lus, mais les Annamites s'exercent beaucoup
à compter sur la tablette chinoise, ou au moyen de
petites chevilles faites exprès, ou même avec des
sapèques ; on en trouve un assez grand nombre qui
ont de grandes dispositions pour le calcul, et nous
avons été étonnés souvent de les voir résoudre les
problèmes les plus difficiles sans nous rendre compte
de la méthode qu'ils employaient. Ce peuple a beau-
coup de bon sens et de subtilité dans l'esprit, par
conséquent une grande aptitude à toute chose.
V. Musique.—rdii parlé plus haut, à l'occasion de la
poésie, de la musique ; j'ajouterai ici que si* les
Annamites sont passablement poètes, ils ne peuvent
pas se vanter, pas plus que les Chinois, d'être musi-
ciens.
Ils parlent des huit sons et leur orchestre s'appelle
aussi ba-tam (huit sons); on ne sait ce qu'ils veulent
dire par là. Un thème chinois appelé « o-xe-xang » est
exécuté partout, comme la base de ces huit merveilles,
et on n'entend que ce morceau avec quelques accom-
pagnements dans les provinces du royaume et partout.
Le reste est débit, déclamations ou imitations de la
nature. Ces langues ayant des tons tout faits, la
musique doit s'y adapter et ne pas prétendre que des
phrases aillent à un air fait d'avance; aussi, quand ils
SiLYnru. — ÀMumé ^ . . iO.
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17^ L'EMPIRE D'AÎH-N\M.
entendent un Européen chanter et qu'on leur dempinde
s*ijs trouvent un air beau, ils vous répondent simple-
ment qu'ils ne comprennent pas; alors, tout est Qui.
lis n'ont pas Fidée de nus tons et demi-tons, de no^
gammes majeures et mineures; ils sont très loin de
s'en douter le moindrement. Parlons donc de la méde-
cine et des médecins.
VL Savoir des médecins. — Les livres chinois,
tt*aitant de la médecine et de l'histoire naturelle des
plantes, ne sont enseignés officiellement par personne
et ne donnent lieu à aucun concours public. Le fils
étudie avec son père, le neveu avec sort oncle, et
quelques sujets chinois avec lé pratici.^rt qui s'est fait
la plus grande réputation dans l'endroit. De même
que maître d'école. Test qui veut, de même aussi est
médecin et docteur qui prétend en faire son
métier.
Et pourquoi, en effet, celui qui a un talent, soit
naturel, soit acquis, pour être utile à ceux qui l'en-
tourent ; pourquoi, dis-je, serait-il obligé de se faire
approuver par le gouvernement comme ne pouvant
guérir qu'avec les drogues en ...ates ou en ...ures
d'une académie? Mon talent peut tuer quelqu'un,
mais il peut aussi le guérir. Est-ce un diplôme qui le
changera beaucoup? On a confiance en moi; je la
mérite probablement, cette confiance, et si je ne la
mérite pas, est-ce le gouvernement qui me la fera
mériter davantage? Enfin, ce qu'il y a de bon chez
les Annamites, comme chez les Chinois, c'est que
personne ne croit empiéter sur les droits d*un autre
en fait de médecine ; c'est que personne ne se doute
qu'il empêche quelqu'un d'avoir une clientèle, et puis
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SAVOIR, INDUSTRIE, OGGOPATION DES LOISIRS. 176
encore» c'est que tout médecin est peuple comme 1q
peuple.
Ce n'est point un seigneur d'jiineou (}0ux communes»
qui ait besoin de se faire payer les frais de son édu-
cation» le train d'une grande maison» $j$9 cbevs^ux» sa
voiture et l'avenir brillant d'une femilleè ïl y n par-
tout des médecins, et en grand nQmbjre; Tf^mulatiou
leur fait une néc^essilé d'étudier, de ^'insjruire, de se
conduire d'une manière digne d^ leurs fpnctipns, et
le peuple les voit se multiplier avec la plus grand#
satisfatîcon.
< On se moquera, dit le P. de flho(}e8| de ces peu-
« ples^ si je dis que se fait médecin qui veut, et on
« croit qu'il ne fait pas bon se tior^ 4^ gens qui se
c doivent bien jouer des malades; a)ais pourtant,
« moi, qui ai été entre leurs mains et qui suis témoin
< de ce qu'ils savent faire, je pui$ dir^ qu'ils n'en
«( cèdent point à nos médecins et que n^^me, en quel-
t qiie chose, ils les surpassent. Il est vrai que parmi
« eu^ il n'y a point d'université PÙ Hpn apprenne la
« médecine, mais c'est une science qui s'enseigne de
c père en fils. Ils ont des livres particuliers qui ne
a sortent jamais des familles, ou spnt los secrets de
« Tart qu'ils ne communiquent à perspnne. Ils excel-
a lent particulièrement dans la science du poulSi où
« ils doivent apprendre tous les secrets de la maladie,
a Aussitôt que le médecin vient voir le malkde, il lui
« prend le pouls et demeure plus d'un quart-d'heure
« à le considérer; puis il est obligé de dire au malade
c en quel endroit il a mal et tous les accidents qu'il à
« eus depuis sa maladie. Ils divisent le pouls en trois
€ parties et disent que la première répond à la tôtCi
« l'autre ik l'estomac et la trpisièo^^ ^u ventre ; ^us^
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176 L'EMPIRE D'AN-NAM.
« le touchent-ils avec trois doigts, et, à dire vrai, ils
« le connaissent fort bien. Ils ne purgent jamais aux
« fièvres intermittentes, mais ils donnent seulement
« quelques médicaments qui corrigent le tempéra-
« ment des humeurs; j'ai expérimenté moi-môme
« qu'avec cela ils chassent la fièvre, pour le moins
« aussi souvent que Ton fait en Europe avec tant de
« purgations, de lavements et de saignées. »
ï^e P. de Rhodes achève ce récit en disant que les
médecins ne sont payés qu'après la guérison du
malade et que sa mort les prive de toute rétribution.
C'est la coutume et c'est une garantie de ses soins et
de son savoir. En général, ce qu'on donne au médecin
est facultatif, sauf le prix des potions qu'il donne,
dont tout le monde connaît le prix et qu'ordinaire-
ment on achète soi-même aux marchés chinois du
pays. On loge et on nourrit le médecin pendant qu'il
soigne le malade de votre maison ; on lui fait un pré-
sent quand il s'en va, et au premier de l'an et au jour
des anniversaires, on ne manque pas d'aller le saluer
et de lui offrir quelque chose. Il y a cependant des
médecins qui, pour les pauvres gens, reçoivent con-
sultation et fournissent, au détail seul de la maladie»
les médecines convenables ; alors ils se font payer la
peine de couper, de laver, d'arranger ces médica-
ments, et ils trouvent ainsi un petit bénéfice suffisant
pour vivre ; ce sont nos droguistes d'autrefois, et i!s
ne jouissent pas d'une grande réputation comme
savants et hommes capables.
Le P. de Rhodes, dans le passage cité plus haut,
semble n'avoir en vue que la médecine du pays pro-
prement dite, quand il dit que les Annamites ont des
livres particuliers qui ne sorlentjamais des familles...
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SAVOIR, INDUSTRIE, OCCUPATION DES LOISIRS. 177
mais il est bon de distinguer ici la médecine chinoise
de la médecine annamite, le thuoc-bac du thuoc-nam
ou gia-tuyén. La médecine annamite se compose
d'une foule de recettes traditionnelles, basées sur
l'usage de simples feuilles, fleurs, fruits et racines
que l'on trouve dans le pays même et qu'on ne sou-
met pas aux procédés de la pharmacie ou droguerie
chinoise. Elles ont souvent de très heureux effets,
mais elles ne jouissent pas d'une grande réputation,
parce qu'elles sont vulgaires et sans une théorie bien
travaillée. La science médicale proprement dite, c'est
la science des livres chinois qui en traitent ; c'est la
science, par exemple, du fameux banthao ou table
des herbes, livre très étendu, très précieux, très
savant, et jouissant d'une égale réputation en Chine,
au Japon et en Annam.
C'est encore ia science du y-hoc et de plusieurs
autres ouvrages indiquant les signes des maladies, les
différences des tempéraments... et la composition des
potions diverses qui leur doivent convenir; enfin,
c'est la connaissance des traités sur le pouls ou sur la
mesure des articulations pour l'application du moxa.
Le pouls est fait pour indiquer le degré de bonté ou
de corruption, le degré de chaleur ou de froid, le
degré de circulation ou d'obstruction du sang; sa
surabondance ou sort défaut d'équilibre avec les
humeurs. Il indique par-là l'affection des principaux
organes du corps humain, et la théorie chinoise,
fondée sur des appréciations déjà très anciennes et
vérifiées tous les jours par les faits, est digne, je
crois, de la plus grande attention. Le moxa ou brû-
lure d'absinthe sur les différentes articulations du
corps, à certaine distance de tel ou tel organe, suj-
Digitized by LjOOQ IC
178 L'EVPIHJB D'ANJNAM.
vant les maladies, est un remède qui a des effets
puissants pour toute maladie qui esta Tétat chronique;
mais son applipalion demande une grande attentipa
et une grande pratique. La mesure des articulations
doit être faite, et il faut qu'elle soit bien exacte,
autrement le moxa produit les plus fâcheux effets.
La science médicale de tous ces pays se borne à la
connaissance de la vertu des simples, à la destruc-
tion des diverses maladies par l'étude des principaux
organes ; à la préparation des médecines naturelles
sans changer leur état primitif (c'est-à-dire sans en
tirer simplement la quintessence) et à la composition
des potions. On ne fait pas une science de Tanatomie
détaillée, et on n'emploie jamais la chirurgie, pas
même pour faire vivre un enfant qui est dans le sein
de sa mère qui vient d'expirer. Toutes les maladies
se traitent par l'intérieur, aussi bien les lésions d^or-
ganes que les lésions proprement dites. Cela fait,
qu'en général, nos médecins d'Europe méprisent la
Chine et la regardent comme incapable de fournir k
la science des données remarquables ; mais je crois
qu'ils n'ont pas raison. Il ne peut se faire qu'un grand
peuple qui existe depuis plus de 4,000 ans n'ait pas eu
et n'ait pas de bons médecins et des théoriei^ suffi-
santes pour la guérison de nos maladies.
Il n'est pas besoin d'être si grand apatoraiste, si fort
chimiste, si fort érndit dans les nouvelles nomencla-
tures de l'histoire naturelle, ou si habile chirurgien
pour être un bon médecin. Le talent de faire de la
médecine est un talent naturel, qui se développe avec
une certaine application, un certain soin et une cer-
taine pratique, et qui ne suppose, je crois, que àe$
données générales et peu nombreuses. ïl me semble
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SAVOÎR, INDUSTRIE, OCCUPATION DES LOtSlRS. ll9
que Ton naît médecin comme on naît poète ; Hîppo-
crate était apparemment un bon médecin, et cepen-
dant il n'avait, avec la grosse science d'alors, que sa
profonde sagacité et son tact extraordinaire. Je serais
tenté d'affirmer qu'en Chine, on trouvera plus qu'on
n'a trouvé dans Hippocrate et nos plus célèbres méde-
cins pratiques. La théorie chinoise est peut-être ce
qu'il y a de plus simple et de meilleur, et ses indica-
tions pour potions fortîBantes ou potions à guérir ont
toujours des résultats heureux entre les mains d'un
homme habile. Chez les Annamites, comme chez les
Chinois, le défaut de concours publics (qui pourraient
avoir lieu sans qu'on obligeât tout médecin à y venir,
|)our exercer son art, pour avoir un privilège), le
défaut de concours, dis-Je, qui donneraient lieu à des
grades honorifiques et à l'émulation, fait qu'il y a peu
de bonâ médecins dans la grosse masse de ceux qui
exercent la médecine, du moins pour ce qui est de la
connaissance du pouls et de l'application du moxa;
mais enfin il y en a.
Les Annamites ne s'occupent guère de la pharma-
cie. Lès Chinois ont le monopole, peu disputé, de la
préparation de toutes les médecines désignées dans
les livres classiques, et ce monopole est l'objet d'un
grand commerce qui leur donne des bénéfices suffi-
sants pour payer à peu près tout ce qu'ils achètent
dans le pays. Je ne puis donner d'autre raison de cela
que celle de l'aptitude plus grande qu'ont les Chinois
pour tout ce qui demande beaucoup de temps et beau-
eoup de soins.
Les potions se composent ordinairement de sept à
huit simples que l'on taille assez mince, et que l'on
met à maoérer^ d» manière à avoir un t thang >
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i«0 L*EMPÎRE b'AN-NAUl.
c'est-à-dire une eau bien imprégnée, que l'on doit
boire à deux reprises différentes. Elles ne sont presque
jamais nuisibles; elles demandent souvent un long
temps avant d'opérer un grand changement, mais
elles y parviennent presque toujours quand elles sont
faites avec soin.
Pour ce qui est des maladies, elles sont, engénéral,
ce qu'elles sont partout, c'est-à-dire affections ou
lésions de nos organes. On remarque au Tonkin des
coliques suivies de cholérine et de peste ; des fièvres,
dont Tune qu'on appelle « luoï-dèn » (langue
noire) est terrible : c'est l'équivalent de la fièvre
typhoïde; des maladies de poitrine; des coups de
sang, que les getis appellent coups de vent (phai-
gio); des surdités, des cécités et enfin la petite vérole.
On voit peu d'estropiés ou d'individus contrefaits. Je
ne me rappelle en avoir vu nulle part. Gela tient pro-
bablement à la manière dégagée et libre qu'adoptent
les femmes pour se vêtir et pour élever leurs enfants*
qui restent nus jusqu'à l'âge de trois, six et dix
ans.
La petite vérole est un fléau qui emporte chaque
année le tiers au moins des enfants, et il y a une
chose remarquable ici, c'est que nous n'avons jamais
pu conserver le vaccin qu'on nous envoyait de France,
malgré tous les renseignements possibles et toutes les
précautions que nous avons prises. Nous n^avons pu,
non plus, nous en procurer dans le pays; nous
avons vacciné pendant cinq à six mois, renouvelant
avec précaution le virus et le conservant avec la plus
grande sollicitude. Tout à coup, nous nous sommes
trouvéSj sur différents points et à une même époque,
privés tous ensemble de ce qui faisait l'objet de
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SAVOIR, iNDDStRte, OCCUt>ATÏON DÈS LOtSiRS. M
notre plus grande espérance, pour la conservation
des earants ; ensuite, tous nos essais subséquents ont
été infructueux et sans aucun résultat. L'inoculation
est connue en Chine, mais je doute qu'elle soit prati-
quée, car dans ce pays on ne peut faire tout ce que
nous faisons en Europe.
L'anatomie et la chirurgie donneraient lieu à toute
espèce de calomnies et de vengeances ; il en est de
même à peu près de l'inoculation. Comme elle produit
la maladie, quelquefois assez forte pour donner la
mort, un médecin ne s'exposerait pas è s'en servir#
Aussi, la petite vérole est-elle traitée par le moyen de
potions et de certains palliatifs; peu de médecins
réussissent à la traiter efficacement.
Pour les maladies qu'on appelle du haut-mal et de la
lèpre (sot-mau, tat-phung), elles sont, comme par^
tout, sans remède. Du reste, il y en a peu dans le
pays, eu égard à la population. Il n'en est pas dB ces
maladies comme de la gale ou autres maladies de
peau. La gale est plus facile à guérir que les dartres,
qni résistent ordinairement à tout traitement et durant
toute la vie, soit d'une manière continue, soit d'une
manière périodique. Il y a médecines chinoises,
médecines malaises, médecines annamites pour la
traiter ; c^est inutile. Mais la gale ne résiste pas aux
préparations de soufre. Quand elle se déclare bien,
elle est un brevet de santé, et il esta remarquer qu'elle
se communique plus difficilement qu'en Europe.
VIL Art et métiers. — Des lettrés, des médecins et
des maladies, nous passons aux artisans, aux arts et
aux métiers, à l'industrie, en un mot. Je l'ai fait en-
tendre plus haut, le despotisme de la cour et des man-
SlLTiSTKi. — * Àmum, 11
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18Î L'EMPIRE DAN-NAM.
darins éioulTe le talent et l'adresse naturels de ce
peuple. Aussitôt que quelqu'un se distingue par quoique
travail bien fait ou par quelque heureuse découverte,
il doit craindre d'être envoyé à la capitale ou au chef-
lieu de son département pour y passer sa vie, pour y
être souvent enchaîné, pour ne point recevoir de sa-^
laire, et pour laisser mourir chez lui de faim et de
misère sa femme et ses enfants. Aussi ne voit-on guère
d'industrie chez les Annamites que pour ce qui regarde
les nécessités de la vie domestique, et encore en Co-
chinchine, dans les provinces qui avoisinent la capi-
tale, on n'en voit pas.D'ailleurs les Annamites, en fait
d'arts et métiers, sont infiniment au-dessous de la
Chine, qu'ils ne copient que de très loin. Ce qu'on
admire chez eux, ce sont : la dorure sur bois et ver-
millon par l'application de feuilles d'or; Tincrustation
de la nacre sur bois et de l'argent émaillé sur cuivre ;
la teinture noire des cotonnades et la fonte Je diffé-
rentes espèces de cymbales. Pour tout le reste, à part
encore certains tissages de soie, on voit à peine quel-
ques peaux de buffles tannées pour en faire des san-
dales. On ne voit point de porcelaines autres que
celles que les chinois importent par leurs navires. On
voit seulement quelques poteries de terre argileuse, où
aucun vernis n'est en usage, si ce n'est peut-être celui
des vases à chaux qu'on remarque dans chaque mai-
son pour la manducation du bétel, et qui est vert-clair.
La peinture est à son état primitif, et les peintres, très
ignorants delà perspective, bornent leur talent à faire
quelques illustrations où figurent toujours les quatre
animaux symboliques : le diagon, le sphinx, la tortue
et l'aigle; ou à imiter quelque scène de la vie cham-
pêtre. '
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SAVOIR, INDUSTRIE, OCGOPATIOIN DES LOISIRS. 188
Les charpentiers» tourneurs et graveurs, font au
beséin qtielquesdéeoupures d'assez bon goût, pour le
iuxe^ mais peu nombreuses. Le travail des métaux est
des plus pauvres qu'on puisse voir. Il donne du fer et
des outils grossièrement forgés, quoique de bonne
trempe; des objets en enivre pour le ménage, qui
n^ont rien de bie.n remarquable, des bijouteries d'ar-
gent, d'or ou de cuivre, soit noir, soit blanc, qui ne
sont que peu de chose, comme les garnitures de pla-
teaux et de tinsses à thé; enfin des alambics eu plomb»
étain et zinc pour faire les liqueurs, et des fils de lai-
ton, d'argent ou d'or. C'est là tout le savoir-faire du
pays, et il serait inutile d'y chercher de grandes
manufactures, de grandes fabriques; tout se fait en
petit et d'oi^ihaire dans le secret. Les ouvriers se
déplacent souvent et parcourent le pays pour n'appar-
tenir autant que possible à aucune localité qui soit
responsable de leur talent, et à part quelques villages
qui sont obligés d'en fournir au roi, comme condition
de leur existence, on n'en trouve nulle part que par
occasion.
Laissons donc les artisans, avec leur adresse natu-
relle et leur peu de moyen de faire de grandes choses ;
occupons-nous des laboureurs, des pécheurs et des
chasseurs. Les laboureurs sont la grande classe de la
population : riches et pauvres, hommes et femmes,
vieillards et enfants ; il n'y a, à proprement parler,
que les mandarins et quelques lettrés qui ont des
diplômes, ou qui ont acheié aux communes des titres
d'exemption, qui ne soient pas laboureurs.
Tout le reste du peuple sait tenir la charrue, semer,
planter et moissmmer, et tout le monde s'en fait un
besoin et un honneur. La eulture, du reste,, est it
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184 L*EIIPIRB D'AN-NAM.
l'état de simplicité la plus parfaite. C'est à peine si
elle se sert des engrais comme moyen de production,
et elle consiste dans le simple labour à la bêche ou à
la charrue, avec les observations de temps et de sai-
son les plus communes et les plus universelles. Cette
culture suffit dans un pays aussi fertile, et elle donne
abondamment aux besoins de la vie de cette grande
population ; elle fournit même a^ commerce étranger
une quantité considérable de plusieurs denrées dont
ont besoin Haï-nam et Canton.
Pour ce qui est de la pêche,elle donne sur toute la côte
et dans les fleuves du pays, du moins au Tông-king,
les plus abondants produits, comme je Tai déjà dit, au
sujet de la géographie. Les pêcheurs font donc une
partie considérable de la population ; il y en a qui
habitent la mer avec toute leur famille: ce sont les
« Tâu-Ô » si redoutés dans le pays, parce qu'ils font la
piraterie; mais c'est le petit nombre. Les pêcheurs
de la côte ont le droit de posséder une terre, et ils
forment des communes ayant un territoire, comme
les gens de Tinlérieur. Les pêcheurs des fleuves ont
cela de particulier qu'ils ne vivent que sur leurs
barques et que le roi leur partage des étendues de
fleuves plus ou moins considérables, suivant les
lieux et suivant leur importance de population.
Par là, ils possèdent les fleuves dont ils paient le tri-
but ; niais ils n'ont pas le droit d'habiter à terre.
La chasse est peu connue dans la plaine du Tông-
king; mais dans les montagnes on voit les villages se
réunir pour chasser le tigre, le cerf, le sanglier et le
paon. Comme les armes à feu et les piques sont défen-
dues, ils se servent alors de pieux ferrés et de filets •
Ils partagent leurs gens en trois bandes: Tune qui
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SAVOIR, INDUSTRIE» OCCUPATION DES LOISIRS. 185
tient les filets dans les passes, l'autre qui attend pour
piquer ranimai quand il s'engage dans les filets, et la
troisième en(in qui bat les fourrés. L'animal pris sert
sur place de régal à tous les invités ; mais il est à
craindre, si c'est un cerf qui ait cette corne gom-
meuse dont j'ai parlé plus haut et qui s'appelle
« nhung », que le mandarin ne le sache ; si c'est un
tigre, on ne pourra guère se dispenser non plus d'aller
lui porter la fourrure et les pieds. Du reste, les os de
tigre et les bots de cerf servent à faire deux bonnes
médecines très recherchés, qui se vendent très cher
partout; c'est le cao-hao-côt et le cao-ban-long. C'est
une ràpure très fine que Ton fait consommer et agglu-
tiner de manière à former des tablettes gélatineuses
excellentes pour les maladies de la moelle épinière et
de la poitrine. Les Annamites se servent aussi, comme
les Malais, de trappes et de lacets aux aréquiers ou à
de forts bambous, pour détruire les bêtes féroces qui
rôdent autour de leurs villages. Pour les oiseaux, ils
ont aussi les filets^ l'arquebuse à flèche et les gluaux.
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CHAPITRE V
CONCLUSIONS.
/. Remarqties mr le caractère des Annamites. —
Tous les détails que je viens de donner pourraieni
suffire, je crois, pour donner une idée assez complet e
du caractère des Annamites, de leur civilisation, do
leur bien-être et de Timportance qu'on doit leur donr
ner comme nation civilisée. Je parlerai dans un article
spécial du gouvernement et de l'histoire du pays, et
Ton verra bien, je m'imagine, (tu'après la Chine et le
Japon, il n'y a pas de peuple, dans tout cet Extrême-
Orient, qui mérite davantage Talt^ntion du voyageur.
< Les Annamites, dit le P. de Rhodes, sont moins
« orgueilleuK que les Chinois et ils sont plus terribles
a et meilleurs soldats. » Ajoutons que les qualités de
l'Armamite sont la sagacité, lin grand Tonds d'intelli-
gence et de discernement et un tact remarquabi f
voilà pour l'esprit ; une grande générosité et un fideie
attachement ; voilà pour le cœur. L'Annamite est
méfiant, et en gén«Tal il n'aime pas les nouveautés;
mais il les accepte, quand il en voit bien la raison. Il
a des superstitions auxquelles il se livre soiivent
sans frein, mais il n'est pas fanatique ; il craint les
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LE CARACTÈRE DBS ANNAMITES. i87
étrangers, mais il ne les hait pas. Il se soumet volon-
tiers à la plus grande tyrannie et aux plus pénibles
travaux de la corvée, pour le bon ordre et le bien
public, mais il a en horreur l'esclavage. Enfin, il est
timide, mais de cette timidité, je dirai bretonne, qui
résiste peu à peu et longtemps à la force brutale qu'il
ne peut affronter en face. Son cœur est bon et com-
patissant, et pour lui, l'homme sans affection (vô-tàm)
est un monstre (nguoi-vô-la) : quand il a prononcé
celte expression de nguoi-vô-tàm, c'est le dernier
terme de son mépris.
Les défauts de ce peuple sont la légèreté, et la
vanité qui en est la source. Il aime le brillant, il aime
à se vanter, à être brave quand il n'y a pas lieu da
craindre. Aussitôt que la peur a pénétré dans le cœur
d'un Annamite, au lieu d'être comprimée, elle prend
de l'extension et de la force, et tout est à peu près
fmi. Après cela, il revient et reprend les choses
comme avant.
Je ne vois que la population de Hà-nôi, au Tông-
king, qui offre cette solidité de caractère qui tient un
bon milieu entre la trop grande crainte et la trop
grande confiance, et qui adopte la ligne de con-
duite à toute épreuve. Les autres défauts proviennent
de la pauvreté, qui engendre la ruse, et le mensonge,
la gourmandise, le jeu et Tivrognerie, une certaine
rapacité et l'esprit de vengeance.
J'ai lu quelque part, des Birmans, que ^ c'est un
« axiome de vanité nationale d'affirmer qu'ils sontsans
« égaux dans leur adresse à cacher la vérité La sin-
€ cériié et la franchise leur sont inconnues, Texpé-
« rience leur apprendde bonne heure à être prudents,
« et ils pratiquent la dissimulation dans toutes les
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188 L'ËMPIKB D'AN-NAM.
« actions de leur existence. Heureux ou malheureux,
ff leur physionomie ne trahit ni la joie, ni le chagrin.
« Questionnés sur le sujet le plus insignifiant, ils vous
« font une réponse indirecte. Leurs promesses sont
« vaines, leurs protestations d'amitié sans valeur ; ils
« ont recours à la haine et à la fraude, comme à des
« moyens légitimes d'arriver à leurs fins, et ils les
« regardent comme si nécessaires, que l'homme qui
« ne saurait employer ni l'imposture, ni le stratagème
« pour atteindre son but, passerait à leurs yeux pour
« un imbécile. »
Ce 'portrait, trop'chargé pour les Annamites, leur
pst"cependant applicable dans une certaine mesure.
Le régime de vexations auquel ce peuple est soumis a
mis partout une habitude de détours et de fraudes qui
est partout regardée comme honorable. Cependant
elle ne provient pas d'une nature sournoise, âpre et
insensible, comme chez les Birmans. Les Annamites
sont menteurs et froids par forme. Aussi ils dis-
tinguent toujours ce qu'ils appellent la raison et la
réalité (ly, tinh), c'est-à-dire qu'ils ne sont menteurs
que quand ils voient trop d'inconvénients à dire la
vérité, et que la sagesse doit faire accepter comme
vraies des raisons plausibles qui répondent suffisam-
ment à desquestions trop embarrassar)tes. C'est comme
une affaire de convention, et l'habitude fait vite
reconnaître ce qu'il est de la réalité. Ils font en cela
parade de sagacité et de savoir-faire, et ordinairement
ils ont assez raison, parce que personne ne s'y
trompe.
Pour la gourmandise, le jeu et Tivrognerie, ce sont
dans ce pays de grands fléaux. L'Annamite, à son
ordinaire domestique, est très sobre; il ne mangd
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LE CARACTÈRE DBS ANNAMITES. 189
presque jamais de viande, il ne boit presque jamais
fie vin, mais les repas publics sont multipliés par les
affaires de la commune et du canton, par les cons-
tructions ou réparations de maisons, par les anniver-
saires et fêtes religieuses, par les mariages et les
enterrements, et alors on voitdes populationsentiëres
perdre le bon-sens et la raison. On ne va nulle part
sans voir de nombreux ivrognes, et, comme partout,
je crois, ils sont incorrigibles. Ils ne croient pouvoir
traiter une affaire sans être à même de dire des
sottises au besoin ; ils n'ont pas Tintelllgence libre si
le sang ne leur monte pas à la tête, et ils ne pensent
pas \ se présenter devant un mandarin ou un homme
en place, sans s'être fouetté la bile avec au moins 30
sapèques de vin de riz.
L'envie d^avoir est aussi une passion très prononcée
chez eux ; mais il ne faut pas croire que ce soit pré-
cisément pour s'enrichir et accumuler un trésor ; non,
c'est pour jouer et s'enivrer sur place. L'Annamite
aime la pauvreté dans son ménage, et il la pratique par-
faitement. Rarement l'industriel, le voleur porte chez
lui le fruit de' sa maraude; rarement le mandarin
devient opulent dans ses charges: il retourne au
foyer à peu près comme il en était sorti, c'est-à-dire
sans le sou. Il se fait alors maître de procès ou méde-
cin pour gagner sa vie. Que sont donc devenues toutes
les sommes qu'il a prises ici et là, aux communes et
aux particuliers de sa juridiction ? Il a joué, il s'est
fait faire la comédie, il a fumé de l'opium et il s'est
enivré ; c'est une des grandes pages de son histoire.
Le sentiment de la vengeance estfortem> nt exprimé
dans le langage du pays^ mais il se produit par peu de
faits bien graves dans les mœurs générales. Les que-
SiLVRSTRK. — AllMOm. 11.
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190 L'EMPIRE D'AN-NAX.
relies, les imprécations et malédicHon^ sont très vives :
mais les voies de fait, les meurtres Jas incendies, etc J
sont excessivement rares. La grande vengeance con-
siste à maudire une famille et tous ses ancêtres, à
exciter les enfants à profaner un tombeau, et à susci-
ter des procès qui n'ont pas, d'ordinaire, d'autres con-
séquences qu^ les coups de rolin et la perte d'un peu
d'argent. L'Annamite est colère, mais il n'est pas vin-
dicatif.
Je remarquerai enfln, pour achever ce portrait des
mœurs du pays, que, malgré une bonne vie de famille
et une grande retenue prescrite par les usages sévères
des polices communales, il y a un dévergondage de
paroles impures, soit comme imprécations, soit
commesimplesjoyeuselés, qui surpassent tout ce qu'il
est possible d'imaginer ; cela ressort presque néces-
sairement du paganisme et des défauts que j'ai suffi-
samment mentionnés.
IL Ressources du pays sous les rapports financier,
commercial et militaire. — Il s'agit, d'après ce titrô,
del'imiJôt, du commerce et de I armée ; ce quej'aià ôii
dire ne peut être bien long ; il me suffit d'en parler Je
la manière la plus élémentaire possible.
V Impôts (1). - Il y a quatres sortes dimpôts difTé-
rents: l'impôt sur les immeuble), soit en natui*e, soit
en argent; l'iinpôt personnel ou taxe; l'impôt sur le
commerce, qui est perçu aux douanes ; et une sorte
d'impôt appelé « ihuc-san, » qui est particulier à
certains villages devant livrer aux rois certaines prô^*
U) Voir U â« paru») n» VL Àêêiêik i$$ imp4là.
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RESSOUKCES DU PAYS. i91
ductions pu certaines choses rares qu'ils peuvent et
qu'ils doivent se procurer.
Après ces impôts viennent les réserves royales, sur
la cannelle, le bois de fer, la cire, l'ivoire, les jeunes
pousses gommeuses du cerf (loc-nhung), les élé-
phants, les argus (cam-ke), les nids d'hirondelles, les
piprres précieuses et les mines, tous objets qui sont
interdits au peuple plus ou moins sévèrement, '.e roi
confie aux Chinois la culture de la cannelle, comme il
leur confie l'exploitation des mines. C'est à Thuong-
dong et h Trinh-van, dans les montagnes de la pro-
vince de Thanh-hoa, que se trouve la cannelle la p'us
renommée. Celle de Cochinchine que l'on désigne
sous le nom de « qaa-quang », est en plus grande
quantité au Tông-king; mais elle lui est très infé-
rieure ; aussi la trouve-t-on assez facilement dans le
commerce.
La cannelle dont je parle, comme réserve royale,
vaut 80 et 100 francs l'once, c'est-à-dire à peu près le
prix de l'or non forgé, quand elle est de première
qualité ; mais on en trouve à 15, 20 et 30 francs.
L'amiral Cécile, en 1847, avait demandé à Mgr Retord,
quelques plantes de cette fameuse cannelle pour la
transplantera Bourbon; on a pu, avec les plus grandes
peines, s'en procurer cinq pieds, qui n'ont pu suppor-
ter la mer et qui sont devenus parconséqnentinutiles.
Cette cannelle a des effets prodigieux dans toutes les
maladies d'épuisement, pour les tempéraments qui
peuvent la supporter ; mais pour s'en servir il faut la
connaître parfaitement, et quoi qu'on s'exerce beau-
coup à cette connaissance, peu de gens réussissent.
L'impôt sur les immeubles est différent suivant les
lerrains, qui sont de trois sortes : terrains quan-<Bên
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iOt L'EMPIRE DAN-NAM.
OU royaux ; terrains susceptibles de passer en héritage
et de former des majorats (tu-dién) et terrains de
montagnes, de rivages, terrains vagues. Les terrains
de 1'* classe paient 3 francs Tarpent de 100 pieds
carrés ; ceux de 2* de 1 fr. 60 à 2 fr. De plus, ces
deux catégories paient une redevance en riz, qui est
à peu près la charge d'un homme par arpent.
Pour les autres terrains, il n'y a rien de bien fixe,
et ils paient d'ordinaire, »w globo^ pour l'étendue con-
cédée dans le décret de donation, et le plus souvent
même ils ne paient rien. L'impôt en nature approvi-
sionne les greniers du roi, qu'on voit dans tous les
chefs-lieux de province et sur quelques autres points
de territoire. On dit que le roi a encore pour vingt-
cinq et trente années de réserve, de quoi nourrir son
armée et tous ses fonctionnaires. Mais pour se faire
une idée du chiffre qu'atteint le tribut en argent de
tous les immeubles, il faudrait connaître la superficie
en arpents de tout ce qui est cultivé dans tout le
royaume, ou bien encore mieux l'effectif marqué dans
les différents titres de donation pour chaque com-
mune. D'après la géographie de Minh-mang, il y a en
tout 14,013 communes ; mettons qu'en moyenne cha-
que commune paie l'impôt à 3 francs de 200 arpents
déterre, cela donne 8,407,800 francs. Pour le tribut
en nature d'une charge d'homme, c'est-à-dire de 1 tv. 50
cent, par arpent, nous avons 1,682,560 francs; ce qui
fait en tout 10,088,360 francs. Avec l'organisation
actuelle, ce résultat n'est peut-être pas éloigné de la
vérité, car le peuple cultive plus de la moitié, plus des
deux tiers de ce qui est marqué dans lesdits titres
de donation.
On compteordinairement 600,000 noms du catalogue
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RESSOURCES DU PAYS. 193
royal pour la milice : comme la taxe personnelle est
de 1 franc, nous n'avons pas une somme bien consi-
dérable à enregistrer.
Pour ce qui est du revenu dea douanes, il est diffi-
cile de Tapprécier sans renseignements officiels,parc6
que ces douanes sont affermées à des particulieif >
pour une somme qui varie suivant l'importance des
lieux.
Le grand mandarin Thuong-giai a d'ailleurs obtenu
du jeune roi qui règne actuellement, qu'on en dimi-
nuât le nombre. J'en connais bien une dizaine au
Tông-king qui ont été achetées de 00 à 100,000 francs,
et qui paient en outre, annuellement, une certaine
somme, mais je ne puis faire une appréciation à ce
sujet. Ces douanes sont une des calamités du pays,
par leur puissance et la corruption de leurs employés,
qui font partager leurs profits aux mandarins locaux,
et qui rançonnent impitoyablement le pauvre peuple,
malgré les tarifs, qui ne sont connus de personne.
Le « thuc-san » et les réserves pour bois de fer,
nids d'hirondelles, nhung et certains fruits, pierres
précieuses et mines, doit fournir au roi d'immenses
richesses, qui le rendent un des plus riches princes
de TAsie, sans compter qu'il y a encore le tribut des
gens de barque et la corvée pour les travaux publics,
qui se fait aux frais et dépens des communes, sans
compter encore le travail des ouvriers charpentiers,
fondeurs, forgerons, ébénistes, brodeurs, imprimeurs,
qui sont fournis par diflFérents villages, comme charge
obligée, et qui travaillent à peu près gratis pour les
plaisirs de Sa Majesté. Le roi, en fait de charges, n'a
que le paiement de son armée d'environ 50,000 hom-
mes, ce qui fait 50>000 francs par mois, soit 600,000
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104 L'EMPIRE D'AN-NAM.
francs par an; le paiement de ses mandarins, mettons
1,500,000 francs ; l'entretien de ses nnvires, de ses
forts, de sps greniers, au plus 1,000,000 ; enfin, ses
femmes, qui ont toutes une trentaine de suivantes et
qui forment un effectif de S,000, dit-on; soit pour les
fiais qu'elles occasionnent, 500,000 francs ; cela ne
ferait à mon estime que 3,600,000 francs de dépenses.
Mettons de plus 500,n00 francs pour les femmes de
son père, nourries dans le mausolée, et pour les en-
fants de la famille royale, qu'on appelle « duc-(5ng »,
dont il reste encore 90 de Minh-mang, son père ; cela
fait en tout 4,000,000. Il doit donc y avoir des trésors
immenses, amassés chaque année, si on en juge par
ce tableau approximatif, et par les réserves du riz
dont il y a encore pour vingt-cinq et trente années,
toute son armée et le personnel de son gouvernement
et de sa famille étant nourris au courant. Aussi
enterre-t-on avec le roi décédédes sommes immenses,
et dans le palais du roi vivant on enfouit continuelle-
ment de l'or et de l'argent, dans des pièces de bois
de fer creuses. Je crois qu'en s'emparant du royaume,
et en fouillant les tombeaux et les jar Jins de la cour
on trouverait de quoi entretenir la fortune d'un grand
royaume.
Que sont devenus les trésors de la famille Le et
tant de contributions des peuplades soumises et du
peuple annamite depuis déjà des siècles ? Assurément
ce n'est pas le peuple qui les a repris, et ce ne sont
pas les travaux publics qui les ont absorbés, pas
plus quele^ présents faits à des p irticuliers ou encore
les subventions accordées dans les grands fléaux qui
ont ravage le pays. C'tst donc le roi qui en jouit
seul ; c*es£ donc lui qui s'en regarde comme seul res-
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J
COMMKRCg. 195
ponsable. Il est certain que l'usage au'il ea fait ue
peut le ruiner. Le dernier vice-roi au Tông-kiag^
Tliuong-giaî, était effrayé partout de la misèrç du
peuple, et disait hardiment au roi qu'il fallait fouiller
ses trésors et les répandre au milieu de ses sujels:
mais ses paroles n'ont eu d'autre effet que de lui
attirer la défian» e, et le peuple est resté pauvre
comme il l'était auparavant, et le royaume est aussi
nul en fait de monuments, d'établissements, de tra-
vaux d'utilité publique, qu'il Test à présent (1).
2" Commerce. — Le roi Minh-mang faisait à lui
seul le commerce de ^extérieur et ta plus grande
partie du commerce de Tintérieur de son royaume. Il
avait réussi à chasser la majeure partie des Chinois
établis au TÔnk-king et en Oông-naï; ses navires fs^its
à l'européenne et ses jonques de guepre allaient à
Singapore, à Manille, à 6atavia et à Macao, pour y
vendre, à son compte, le plus de riz, de bois d'ébène,
d'ivoire, d'écoi ces colorantes, de cornes de cerf, de
cannelle de calambac, d'ambre, de sucre, de soie, de
laque, d'huile et de pierres précieuses qu'ils pouvaient.
Il vendait de plus, à son peuple, aux navires euro-
péens et aux Chinois ces marnes matières, en se
servant de ses soldats pour recevoir ce qu'il livrait»
bon gré mal gré, à ses acheteurs, qu'il mettait en
prison, qu'il faisait battre de verges, qu'il forçait à
signer des contrats pour les faire rendre quelquélois,
(1) Voir la 2* partie, n» Vil. Populaton et /Inanwi dêl'Ànnam,
Lorsqu'on arrâU, à la fio de 1868, i'ei^ol Htoi-^Nghi dàikà
son refuge de TaJiao, ou tiOuva sur loi de àom^reuK papiei^s
importants, qotaQimeut uu indiquant l'emplacement de dix çi^
clieltes dans lesqueUes des trésors ont été enfouis, à Hué, dans
U ciiadéUe royale.
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196 UBMPIRE D*Alf-NAM.
qu'il trompait, enfin, d'une manière infâme. On Ta vu
faire porter par ses soldats des charges de tuyaux de
pipe, portés à dos jusqu'à 60 et 60 lieues, et par con-
séquent brisés et mis hors d'état de servir à quelque
chose; ces tuyaux de pip^ devaient être imposés à tous
les marchands des chefs-lieux d'arrondissement et
payés argent comptant. On Ta vu fréter un navire de
Bordeaux, de la maison Balguerie et Vannier, capitaine
Borel, pour lui apporter de France 6,000 ou 12,000
fusils et je ne sais combien de canons ; le marché fut
écrit et signé, mais quand ces objets arrivèrent, le
rpi fit rendre le contrat par toutes sortes de moyens
violents, puis il essaya les armes, et ne crut devoir
payer que celles qui, chargées jusqu'à la gueule,
n'éclataient pas ; enfin, pour le tiers de la somme, qui
devait être payé en argent, il donna la monnaie de
zinc du pnys, à la moitié dfi la valeu^ intrinsèque (elle
fut jetée à la mer par le capitaine) ; pour le ^
tiers payé en sucre, on n'eut guère que du sable» et
pour le 3* des denrées plus ou moins bonnes.
De plus, c'était Minh-mang le grand acheteur du
royaume, et tout ce que les Chinois ou les navires
étrangers apportaient du dehors, lui seul pouvait
l'acheter; et le même système de fourberies et de
fraudes avait lieu, en toute occasion et partout.
On conçoit, par là, combien le commerce du pays
a dû souffrir de cet état de choses, et combien peu
de commerçants ont dû être tentés de s'exposer à des
avanies à peu près certaines et irréparables. Aussi on
pourrait se demander si c'était un but politique que
Minhmang se proposait, afin d'isoler son peuple, le
plus possible, des autres nations et de régner en maître
sur un trône qui chancelait encore. Quoiqu'il en soit
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GOMMERGfi. 197
des rigueurs de Thiêu-tri et de Tu-duc, ce système
de trafic n'a plus lieu, et si Ton ne voit pas les nations
d'Europe profiter des bénéfices que peut procurer
abondamment le commerce de ce royaume, du moins
on voit partout les Chinois revenir en grand nombre
et user largement de leurs privilèges. Il est encore
défendu aux Annamites de sortir du royaume, sous
peine de mort; mais dans Tintérieur de leur pays ils
ont une assez grande étendue de territoire, une suffi-
sante abondance de productions diverses pour satis-
faire les premiers besoins des diverses populations,
et ils sont libres d'aller où ils veulent et de vendre
ou d'acheter ce qui leur convient; aussi les marchés
sont très multipliés partout, et ils donnent une vie
très active et très animée à toutes les provinces.
D'après ce que j'ai dit au sujet de la géographie
proprement dite du pays, on peut juger suffisamment
de l'objet de ce commerce, soit chinois, soit pure-
ment annamite. Je n'en parlerai pas davantage, si ce
n'est d'une manière générale. Les Chinois importent
du thé de luxe, des médecines, de l'opium, des por-
celaines, des étoffes de laine, et surtout nos coton-
nades d'Europe ou d'Amérique, avec quelques objets
de curiosité qu'ils achètent à Hong-kong, comme hor-
logerie et verroterie; ils exportent du riz, du rotin,
de la laque^ de l'huile, du vin de riz, du sel, de la
soie, de la cire, des médecines brutes, des métaux,
des pierres précieuses, des bois de teinture, des
ignames, des porcs. Malgré les défenses sévères du
gouvernement, on voit tous les ans une assez grande
quantité de barques du Dông-naï et de la moyenne
Cocbinchine faire le commerce à Singapore et à
Siam ; elles y portent du riz, de l'ivoire, de Tébène,
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It8 I/KMPIRR n-AN-NAW.
des dents de crocodile, des écorces,da camphre et les
autres objets que j'ai mentionnés pour les Chinois.
On serait tenté de croire ces barques très pauvres e(
très dénuée de tout, en ne jugeant que par les appa-
rences» mais je les crois très riches et bien munies
d'objets de prix qui ne se vendent qu'en secret et eu
cachette.
Au Tonkin, je ne vois pas d'autre commerce anna-
mite que celui de la côte sur le riz, les arecs, le sel et
le condiment « nuoc-mam », dont j'ai parlé précé-
demment. Les arecs et le sel, sont de première
nécessité pour le pays, et le commerce qu'on en fait
est lucratif, mais moins que celui du riz, qui rap-
porte d'ordinaire cent et quelques pour cent. Les
barques, vont le porter à Lapau, ou en Xu-thanh et
Xu-nghô. Elles l'achètent sur le pied de 1 franc les
36 et 40 mesures, et au bout de 15 jours, un mois,
elles le revendent au même taux les 15, 13 ou 20 me-
sures. C'est énorme et c'est assurément un défaut
dans le gouvernement, pour une matière d'aussi
grande et d'aussi nécessaire consommation. Le com*
meroe des fleurs, et surtout celui des bois de cons-
truction, du bambou, des feuilles à toiture et de la
poterie^ n'est pas très considérable; mais par là
même enrichit ceux qui ont le courage d'affronter la
vie des forêts, et l'adresse de ne pas se laisser voler
par les mandarins.
Maintenant sur quelles données doit-on baser l'im^
portation et l'exportation des différents produits ? Je
ne puis en rien dire absolument. Les Chinois ont une
cinquantaine de grandes jonques de 150 à 200 ton-
neaux, qui, chaque année, viei^nprjt dans le pays, et
une centaine de barques de moindre grandeur.
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AliMÉË, Id9
Pour le^ Annamites, ils n'ont que de» barques de
pêche, dont les plus grandes peuvent jauger de 60 à
10) tonneaux; en porter le chiffre à 600 serait, je
crois, beaucoup trop ; que ferait en eflTet ce peuple,
de tant de barques? Les plus grandes traversées ne
durent que 7 à 8 jours, et c'est à peine si l'on voit
les barques du Tonkin venir en Cochinchine, et les
barques de Cochinchine au Tonkin. si ce de sont
celles, du roi, ou celles des particuliers frétées par le
roi pour aller chercher le tribut. — Le grand com-
mercé se fait à pied, par l'intérieur, du Yun-tJari à
Ké-cho, de Ké-cho à Hué, et de Hué à Dông-naï. Tout
le reste n'est, pour ainsi dire, (lu'un accessoire. Ainsi
il est impossible, je crois, de donner même des appro-
xirnalions raisonnables de l'écoulement et de la con-
sommation des productions du pays.
3° Armée. - Les officiers français qui vinrent, h la
suite de Mgr d'Adran, aider Nguyén-anh à reconqué-
rir son royaume, organisèrent à l'européenne une
armée de 6,00 ) hommes, et depuis on a voulu con-
server le mode de cette organisation. On a fait des
fusils de munition français, on fait de la poudre et
des cartouches; quelques compagnies s'exercent dans
les départements à faire l'exercice de la charge en
douze temps ; les soldats ont des habillements en laine
et des parements de différentes couleurs pour les dis-
tinguer du peuple et de régiment a régiment ; mais
voilà à peu près tout ce qu'il y a d'européen dans
l'armée annamite. Tout le reste est à la chinoise,
c'est-à-dire à peu près comme chacun l'entend, pour
l'ordre et la discipline. Il y a des régiments de 5 à
600 hommes; ceux de la Cochinchine s'appellent
« Vé, * et ceux du tonkin « Go »; un « dôi, » capi-
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iÛO L'EMPIRE D'AM-NAN.
taine» est à la iéte de 50 hommes» et sous lui, il n'y a
point d'ofRciers» si ce ne sont des grades ou fonctions
qu'il donne à sa volonté. Il y a un général et un sous-
général, € linh-binh » et « pholinh » (qui s'appelle
aussi pho-vé ou pho-co).
Ainsi rétat-mfiûop n'est composé que de trois grades
officiels, ce qui simplifie beaucoup les choses. Les
capitaines vont ordinairement à la tête de leur com-
pagnie, indépendamment de leur régiment, et ils dé-
pendent à peu près autant des mandarins du départe-
ment que de leur général. Ils vont garder les « don »
ou forteresses dont chaque province a un plus ou
moins grand nombre, surtout sur la ligne de la route
royale ; ils vont garder les greniers du roi et surveiller
les distributions de riz qui s'y font pour le service du
gouvernement ; ils restent auprès des mandarins de
chaque <( phu », ayant alors un commandant qui prend
le titre de « tri-phung»,ou auprès de leur général qui
réside au chef-lieu de département; enfin ils font la
patrouille à chaque fin d'année, et ils obtiennent des
mandarins l'ordre écrit d'aller visiter les différents
villages, pour aller chercher les malfaiteurs, mais
surtout pour avoir ce qu'ils appellent les présents du
premier de l'an.
Le général est ordinairement chargé de surveiller
quelques grands travaux qui ont lieu dans certaines
localités, comme construction de navires, canalisa-
tions, chargement des barques qui portent le tribut.
Et voilà à peu près ce que c'est que l'armée du roi en
temps de paix. S'agit-il de la guerre? Alors un des
grands mandarins de la cour ou des départements est
nommé à cet effet. — Il organise alors de son mieux
l'armée qui doit combattre sous ses ordres» prenant
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ARMÉE. toi
dans les provinces, et surtout en Cochinchine, tout
ce qu'il p.eut y prendre, et tâchant de s'entourer de
volontaires et de gens qui lui soient attachés. Ainsi
Thuong-giai, envoyé ces dernières années contre les
bandes qui venaient du Quang-si pour ravager le pays,
a réussi, dans l'espace d'environ quatre mois, à se
former une armée de 15,000 hommes, des prisonniers,
non condamnés à mort, dont il avait demandé au roi
l'élargissement. Avec cette armée, il a réussi à se
faire craindre, et à dissiper les brigands qui, mainte-
nant, amassent l'or à pleines mains dans les monta-
gnes du Son-tây.
Dans le pays on dit que le catalogue du roi a
600,000 noms susceptibles de la milice. Ces noms doi-
vent donner de 1 sur 7 pour le Tonkin, et de 1 sur 3
pour la Cochinchine; il devrait donc y avoir, en pre-
nant une moyenne de 1 sur 5, dis-je, 120,000 hommes
sous les armes. Les mandarins, certainement, font
fournir au roi du riz pour une armée de ce chiffre, si
elle existe d'après les catalogues ; mais, en fait, je ne
pense pas qu'il y ait une armée de plus de 15 à 20,000
hommes de troupes réglées, et de 25 à 30,000 de
troupes ordinaires sous les armes dans les départ e
ments; soit 50,000 hommes. A la capitale, il y aurait
encore 10,000 hommes, au plus 15; cela ferait en
tout 60 ou 65,000 ; je ne crois pas me tromper beau-
coup. Les mandarins renvoient chez eux le plus de
soldats qu'ils peuvent, afin de s'emparer de la portion
de riz et de la paie d'argent qu'a chaque soldat par
mois. Les soldats ne sont pas fâchés de pouvoir vivre
tranquilles au sein de leur famille, d'autant qu'ils
sont tous mariés; alors ils briguent cette faveur, et
foat encore pour l'obtenir» des présents considérables»
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ÙKïî fEMPiRE D'AN-NAH.
Toat cela fiait que l'armée, qui devrait être de 10,000
hommes dans un département comme Rà-nôî, pa^
exemple, n^est pas de K,OOJ ; et moins le département
est important, plus la fraude est considérable.
J'ai dit que dans ce royaume il y avait des fusils de
munition français, mais ce n'est que pour un petit
nombre de soldats d'élite. L'armée, en général, n'est
pourvue que de sabres et de piques; et comme les
sabres sopt très rares, la pi<|ue est l'arme obligée. Le
soldat annamite porte un petit chapeau en bambou, en
forme de cône aplati et surmonté d'un bouton en
cuivre; il a un bouclier en rotin qui couvre plus de la
moitié de son corps, et qui est très pesant et très
embarrassant ; un sabre, si on lui en donne, et une
pique garnie de fer, qui peut avoir 6 à 7 pieds de
hauteur: Comme complémeiit obligé, il faut encore ua
sac de chevilles de bambous aiguisées parlebout,
pour planter le soir autour de son cam,»ement, afin
d*empécher Tennemi d'approcher. Avec tout cela, le
guerrier annamite, comme le cipaye du Bengale, va
nu-pieds, et comme ordre de miirche, à l'imitation de
la Chine, il n'en a pas ; c'est au premier rendu et au
plus habile à se débrouiller. On les voit s'exercer à la
joute du sabre et du bAton, et vraiment ils y mettent
une prétention infinie. On a une bonne récréation dé
voir leurs poses, leurs postures inariiales et exagé-
rées, aussi bien que leurs contorsions comiques.
Dans le cas où la côte serait menacée par l'ennemi.
Je puis dire, par ce qui se passe jourueiiement, que
personne ne paraîtrait y faire beaucoup attention. On
attendrait les événements^ et si l'ennemi se retirait,
alors on ferait beaucoup de tapage et de bruit ; les
mandarins feraient des ra^orts au roi, pour hii dire
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ARMÉE. ÎOS
qu'ils ont chassé les brigands, et le roi Terait an édit
à tous ses sujets pour se gloritler des victoires rem-
portées et de la valeur de ses armes. En 18&U» quand
les Anglais sont venus jusqu'à Tembouchuredu grand
neuve du Tonkin, poursuivre les navires chinois qui
s'y étaient réfugiés, ils en ont coulé au moins 60; les
mandarins annamites, qui avaient laissé pénétrer les
pirates jusqu'au cœur de leur ville, firent croire aa
roi qu'ils les avaient chassés et détruits, et comme
pièces de conviction, ils envoyèrent les débris de
voiles et d'armes, aussi bien que la tête des cadavres
flottant sur l'eau qu'ils purent recueillir facilement.
Ils en furent récompensés, et le plus eifronté d'entre
eux devint alors grand mandarin.
En 1845, lorsqu'une frégate américaine (la Consti--
tution)y passant par Touranne, réclama Mgr Lefebvre,
alors prisonnier à Hué, le roi refusa de rendre Sa
Grandeur à d'autres qu'à des Français ; mais comme
le Commodore, en se mettant sous voiles, fit tirer à la
fois ses deux bordées de batteries comme salut me-
naçant et fait pour étonner, il y eut alors un édit pour
toutes les provinces, afin de manifester la haute clé-
mence du souverain qui, par amour de son peuple,
avait été obligé de chasser du royaume, des barbares
qui étaient venus mettre le désordre dans les ports de
la mer qui lui étaient soumis.
Mais si Tennemi tenait sur la côte et commençait
des opérations de campagne, que ferait alors le gou-
vernement, avec l'armée dont j'ai parlé, les quelques
vaisseaux à Teuropéenne, et les quelques barques
royales qui sont çà et là dans les ports ? Je pense que
si le roi avait bien à cœur de se défendre contre une
invasion étrangère, il pourrait réunir sur un point,
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104 î/BMPIRK P'AN-NAU.
dans Terpace d'un mois environ, un eft'ectif de 15 à
20,000 hommes qui pourraient tenir tête à des Chinois
et à des Siamois, comme ils l'ont toujours montré,
mais qui ne pourraient pas se défendre contre un
régiment français muni d'une artillerie de campagne.
L'affaire qui eut lieu en 1847, sous le commande-
ment de MH. Lapierre et Rigault de Genouilly, peut
donner une idée assez exacte de l'état actuel des for-
ces du pays et des moyens de les réunir. Treize cor-
vettes à l'européenne, de 6 à 800 tonneaux, furent
réunies dans la passe ou en dehors de la passe de
Touranne, avec une trentaine de grandes barques
armées en guerre; il devait bien y avoir, sur tous ces
navires, de 4 à 5,000 hommes ; le roi avait fait un édit
à tous les mandarins de provinces, pour que, dans
l'espace de temps le plus court, ils eussent à exécuter
ses ordres. Il mit un mois à réunir les 10,000 hommes
qui devaient garder le port, et à amasser les quantités
de bambous, de paille, de résine, de graisse et de
peaux de bufQe, dont il voulait se servir pour incen-
dier les deux navires.
En deux heures de tir, la Victorieuse avait coulé
les 5 navires de la passe, dont les équipages se jetaient
à la mer, désespérés, et devant les 10,000 hommes de
troupes d'élite, on dressait, le soir, sur le rivage, des
tentes pour soigner les blessés.
Deux cents hommes auraient alors marché sur Hué,
avec une pièce de canon, que le roi eût, je crois,
quitté sa capitale, et qu'on aurait obtenu de lui toutes
les conditions que l'on eût désirées (i).
(1) Voir la 2* partie, n» Vllî, Lois militaires comprises dans le
Code annamite.
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DEUXIÈME PARTIE.
APPENDICE.
« Un Etat qui en a conquis un autre le traite d'une des quatre
manières suivantes : il continue à le gouverner selon ses lois et
ne prend pour lui que l'exercice du Gouvernement politique et
civfl; ou il donne un nouveau gouvernement politique et civil ;
uu il détruit la société et la disperse dans d'autres ; ou enfin il
extermine tous les citoyens.
« La première manière est conforme au droit des gens que
nous suivons aujourd'hui ; la quatrième est plus conforme au
droit des gens des Romains ; sur quoi je laisse à juger à quel
point nous sommes devenus meilleurs. «
(Montesquieu. — L'Esprit des lois, livre X, chap. III},
« Dans ces conquêtes, il ne suffit pas de laisser à la nation
vamcue ses lois ; il est peut-être plus nécessaire de lui laisser
ses mœurs, parce qu'un peuple connaît, aime et défend toujours
plus ses mœurs que ses lois.
« Les Français ont été chassés neuf fois de l'Italie, à cause,
disent les historiens, de leur insolence à l'égard des femmes et
des filles. »
(Idem. — Livre X, chap. XI).
SiLinsm. Àmum. 12
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ANNAMITES, TONKINOIS ET COCHINCHINOIS.
Depuis que les Européens s'occupent des pays de
rindo-Chine, la pins étrange confusion règne dans
les noms adoptés par les voyageurs et les écrivains
pour désigner les Etats, les villes, les fleuves, etc., de
cette région ; il en est résulté des erreurs ethnolo-
giques contre lesquelles on a souvent essayé de réa*
gir, mais sans grand succès, d'ailleurs, auprès de la
masse des lecteurs.
En dépit des meilleures raisons de toute sorte, on
voit souvent l'habitude s'établir et triompher; c'est
ainsi que le plus grand Empire du monde a été, suc-
cessivement, pour les Romains : la Sérique ; ponv les
Indous : Tchina; pour les Arabes : Thsin; pour Mar<50
Polo, le Cathay ou Khildi; pour nous : la Chine ou
le Céleste Impire; tandis que les principaux intéres-
sés, lesîndigènes, appelaient leur pays, selon l'époque:
Tchoung-Koué (Empire du milieu), ou Ta-Thsing,
Ta-Minh, Ta-T/ianh Koué, du nom des dynasties
régnantes.
En ce qui regarde les pays de l'Indo-Chine orien-
tale, dont nous nous occupons ici, une confusion
pareille s'est produite, d'autant plus grande que nous
les connaissons moins peut-être; Ton en est venu jus
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ANIfAMITES, TOWKmOIS ET COCHINCHINOIS. 107
qu^à y voir deux peuples, — Tonkinois et Annamites, —
très différents, ennemis, les premiers vaincus et asser-
vis par les seconds depuis Gia-Lotijç (1802), et l'on
entend parler couramment d'un roya"me du Tonkin,
qui comprendrait les territoires au Nord de la pro-
vince de Ttianh-lioa, — d'un Annarn proprement
diti s'étendant du Tlianli-hoa au Binh-Thuàn inclusi-
vement, — et de\^ Basse-Cochinchine, formée des
pays au Sud du Binh-Tliuân jusqu'aux royaumes du
Cambodge et de Siam.
Il est possible, évidemment, il peut être utile même
à des vues politiques de remanier la carte de TEmpire
d'Annam, de changer les divisions administratives et
d'imposer des dénominations nouvelles, sans trop se
préoccuper des droits de l'histoire; mais des actes
officiels, des traités même eussent ils détini ces
règles nouvelles d'une manière claire et précise, il
serait encore permis, intéressant au moins, de recher-
cher et de montrer, preuves en main, quels noms ont
appartenu ou appartiennent 'encore à ces diff'îrents
pays et repondent mieux aux données historiques ou
aux usages locaux.
C'est ce que nous allons essayer de faire ici, en en
appelant aux témoignages d'un certain nombre de
savants, qui ont, à diverses époques, traité de l'his-
tpire de l'Annam ou en ont visité les diverses parties.
/ L'origine de la race annamite est mal connue;
d'après sa langue elle parait à M. Philastre « être un
rameau de la même souche que les Chinois » (1). Le
même auteur ajoute que, d'après ses annales, elle est
venue des montagnes vers la mer et du nord au sud;
(1) Le Gode annamite, nouvelle traduction complète, par P.
L.-F. Philastre. Paris, 1876. AverUssement.
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306 LmiPIRB D'AN-NAlf.
elle a traversé la partie de la Chine qui forme aujour-
d'hui les provinces du Qaang-Tày (Kouang*Si) et du
Quang-Dông (Canton), et c'est après des guerres et
des envahissements successifs qu'elle a peuplé le Tonr
kin et la Gochinchine centrale. Enfin la conquête de
la Basse-Cochinchine, enlevée, province par pro-
vince, aux Cambodgiens, n'a commencé que depuis
trois siècles et demi environ. Bien que cette dernière
conquête soit relativement très moderne, il ne reste
plus un seul Cambodgien, dans les trois premières
provinces conquises (Bien*hoà, Saïgon, Mytho) et ce
n'est que dans la partie occidentale et méridionale de
la quatrième province, en allant du nord au sud (Yinh-
Long, rive droite du Bassac) qu'on commence à
retrouver la population conquise.
M. Philastre conclut de ce fait que la race anna-
mite est essentiellement destructive dans ses con-
quêtes, qu'elle ne s'assimile que peu et difficilement
les races qu'elle subjugue, et que, par suite, elle a pu
se maintenir dans un état relatif de pureté. Mais pen-
dant qu'elle s'étendait vers le sud, elle était elle-
même souvent attaquée, refoulée et subjuguée, au
nord, par des invasions chinoises et, à diverses
reprises, pendant de longues périodes, elle a été vas-
sale de l'Empire chinois. C'est peut-être encore plutôt
à la première de ces deux causes qu'à la seconde
qu'il faut attribuer la presque identité des notions et
des idées fondamentales des Annamites avec celles
des Chinois.
6. Janneau (1), lui aussi, admet comme établi que
(1) Biiai iur l'origine de la langue annamite, par G. Janneau.
~ HulleUn de la Société des itudeà indQ-ekinoiie^ de Saigon, animée
1883, - Saïgon, 1884,
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^^
ANNAMITES, TONKINOIS Et COCHINGHINOIS. â09
la nation annamite a eu autrefois son autonomie,
qu'elle n'est devenue chinoise que par une conquête
qui a eu lieu il y n plus de 4000 ans et dont l'intluence
a été radicale et décisive pour les vaincus. Législa-
tion, coutumes, littérature, tout est devenu presque
entièrement chinois chez le peuple d'Annam, et il
n'est guère que deux éléments susceptibles d'obser-
vation qui aient échappé, dans une certaine mesure,
à une absorption aussi complète; ce sont les carac-
tères physiques de la race et la langue vulgaire, qui
attestent loriginalité de l'annamite actuel; encore
faut-il remarquer que le type et la langue parlée sont
aujourd'hui bien différents de ce qu'ils ont dû être
avant l'invasion chinoise. Les mélanges^avec des indi-
vidus de race chinoise, avec des Cambodgiens, de^'.
Malais, des Siamois et autres, qui s'accomplissent
d'une façon continue, depuis tant de siècles, permet-*
traient difficilement de déterminer la part d'altération
du type primitif, due à chacun de ces divers peuples
et de retrouver, par l'étude anatomique du type anna-
mite actuel, les caractères du type autochthone. Un
seul de ces caractères subsisterait encore, dans lequel
on reconnaîtrait le signe le plus persistant de la race
primitive; c'est l'écartement remarquable du gros
orteil, qui a donné lieu à cette dénomination de Kiao-
Tchi (Giao-Chï), employée primitivement dans les
annales chinoises pour désigner le peuple autoch-
thone de l'Annam; mais aujourd'hui ce signe ne se
présente bien nettement que chez de rares individus,
n'appartient point réellement à telles ou telles familles
et ne se produit, on peut dire, que par un effet d'ata-
visme.
L'opinion que soutient Jeanneau avait trouvé déjà,
SiLTUTiB. — Anmm. li.
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210 L'EMPIRE D'AM-NÀM.
il y a vingt-six ans, un défenseur éclairé et convaincu
,60 M. Léon de Rosny. Dans son livre surl'Fndo-Chine
(1), livre si remarqué en son temps et qui nous a été
si utile aux premiers jours de l'occupation de la
Cocliinchine, nous relevons ces conclusions, que les
découvertes qui ont suivi n'ont pu infiriner, pensons-
nous:
« 1° La principale race autochthone de l'Annam
doit être nettement distinguée de la race chinoise
proprement dite.
€ 2** Cette race, tout en possédant des caractères
communs aux différentes populations tartares, offre un
type qui la sépare des Tartares mandchoux et mon-
gols de l'Asie^îentrale, et aussi, bien qu*à un moindre
degré, de la nation thibétaine.
« 3" Elle présente des traits communs avec les tri-
bus qui habitent les montagnes du Yun-Nan, et
quelques affinités singulières, mais inexpliquées, avec
les indigènes du Kouang-Toung et du Foh-Kien. .
a 4» La nation cochinchinoise actuelle semble être
le résultat d'un double mélange : 1» de l'élément
autochthone avec un élément de provenance chinoise ;
2'^ de ce même élément autochthone avec un élér
ment de provenance hmdoue (?), ce dernier dans une
proportion relativement assez faible.
« S** La linguistique confirme la non-parenté des
autochthones de l'Annam avec les Chinois.
« 6° L'ethnographie des régions intérieures de la
Cochirichine, bien qu'à peine abordée, laisse soup-
çonner cependant l'existence d'une population malaise
(1) Tableau delà Cochinchinê, par MM. E. Cortembert et L6oii
d% Hoiny. -^ Paris, 1862.
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ANNAMITES, TONKINOIS ET COCHINCHINOIS. 8H
dans cette contrée, à une date sans doute antérieure
ou contemporaine de la première émigration chi-
noise. »
Ces données, surtout si l'on considère qu'ici Gochin-
chine est mis pour Annam, nous semblent peu con*-
testables, et, partant de là, nous admettrons avec
Luro (1), que les ancêtres de la nation annamite
doivent être recherchés parmi ces tribus que l'histoire
chinoise,à partir du moment où elle présente quelque
certitude, désigne sous le nom générique de Kiao Tchi.
et qui formèrent, dès I année 2879 avant Jésus-Christ,
un État comprenant la région montagneuse du Tonkin
actuel, le sud du Yun-Nan, la partie sud-ouest de la
province de Canton et le midi de celle de Kouang-
Si.
Il ne s'agit point ici, évidemment, d'un Etat com-
pacte, homogène, comparable à nos nationalités mo-
dernes; sous la pression de l'influence chinoise, les
tribus KlaO'Tchi, que les annales appellent aussi Peh-
Youé (« Ba Viét, ou les 100 familles au-delà des fron-
tières»), ne formèrent sans doute qu'une sorte de con-
fédératio I politique, sous l'autorité d un prince chi-
nois, et les dénominations variées que nous voyons
employées, touchant cette épo|ue, dans l'histoire
annamite : — Man-Viêt, Au-Viêt, Lac-Viêt, etc. —
ne sont que des noms donnés à des tribus occupant
des territoires distincts, quasi-indépendantes, batail-
lant entre elles, et dont l'ensemble est appelé Nam-
Viêt, Viêt'Nam, Viêt thuong^ Nhât-Nam, Giao-Nam,
ou, par une expression plus générale, Nam-Chiêu^
nom qui restera plus tard au royaume de Nan^
(i) Lt payé (f innam, par E. Luro. — Parli, 1878.
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Sis L*EMPIRE D'AN-.NAII.
Tchao (1) (Yun^Nan, capitale Talifou)» quand le
rameau qui devait fonder FEmpire d'Annam se sera
séparé pour marcher vers la mer et descendre au sud.
On trouve ces noms usités dès le premier volume
des Annales chinoises et dans Thistoire des premières
dynasties. Les tribus Kiao-Tchi, à l'époque de Cliun e^
de Xuyên-Huc (2,285 av. J.-C), sont déjà indiquées
au nombre des quatre peuples barbares(TuDzi) établis
sur les limites de TEmpire, au sud» depuis le Yun-Nan
jusqu'à Canton*
Dans les légendes annamites on retrouve, sous des
formes fabuleuses, la trace de faits historiques dont
les dates sont assez difficiles à déterminer, mais qui,
dans tous les cas, remontent à des époques extrême-
ment reculées. D'après ces récits, le premier qui put
réunir les Ba-viêt sous son autorité fut un descendant
de Ghin-Noung, empereur de la haute antiquité chi-
noise, cité par Gonfucius dans la seconde partie du
Hi'Tse et que les auteurs font vivre entre le trente-
troisième et le vingt-huitième siècle avant notre ère(2).
(1) M. Léon de Rosny, dans l'ouvrajre cité ci-dessus, dit que^
dans rantiquité, d'après les auteurs chinois. (Tai Tsing yih-touug
chi, livre CGGXXII, p. 1), la Coehinehine formait le pays de Nan'
Kiao, Elle est menUounée sous ce nom dans le caapitre Yao*
Tien, duChou-King.
Sse.ma-tsièu eu parle également dans ses Mémoires historiques
(SsC'Ki) ou livre consacré à l'empereur Chun (Yao, 2,3îi7 ; —
Chun, 2,285 av. J.-C.j. Sous les Tchéou (1184 à 256 av. J.-G.)
cette région formait le pays de Yowh'CnanO'Chi ; en 2i9 on
appela Peh'Youek (Ba Vièt) les tribus du Tonkin, et la Cochia-
•nine Lin Yih, du uom de sa capitale.
Dans la géographie de la dynastie es Tsin, en parlant de Tex-
S édition de Ma Vouen (Ma-Viên des Annamites), sous le règne
e Kouang-Wou, on dit que la Cochinchins portait le nom de
SianO'Liu et dépendait de la priucipaute.de JihSan (Nhât-Nam
des Annamites). Il est bon de faire remarquer qu'ici M. de Rosny
entend par Cochinchins VAnnam tout entier.
(2) M. Léon de Rosny, op. cit. p. 143, — d après le P. Marini«
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ANIfAMITBS, TONKINOIS ET COGHINGHINOIS. 2iâ
Son petit-flls, Dé-Minh, établit son fils cadet, nommé
Lôc-Tuc» comme roi des pays du sud (appelés alors
Xich^Qui, Diables roufçes), avec le titre deKinh-Duong-
Yuong, pendant que Tainé, Dô-Nghi, gouvernait les
pays du nord (2878 av. J.-C.)
Plus tard, Lac-Long-Quân, fils de Lôc-Tuc, étant
allé à la cour impériale, épousa la fille de l'empereur
Dé-Lai, et conséquemment sa parente, ou, selon
d*autres, enleva une femme du harem. Il en eut 100
fils, raconte la légende ; mais plus tard, il dut s'en
séparer : t Tu es de la race des génies,' lui dit-il, et
moi de la race du dragon ; comment pourrions-nous
vivre d'accord? Séparons-nous (1). » Ils se partagèrent
leurs fils et les territoires; d'où la fondation du
royaume de Van-Lang, sur le littoral, et de celui de
Ba-Thuc (actuellement Gao Bang). Par la suite, Via»-
Lang se subdivisa en deux gouvernements : Son-
Tinh^ région des montagnes, et Son-Thuy, région
maritime ; la capitale de ce dernier se trouvait à la
montagne de T&n-Yiên, dans la province actuelle de
Nghé-An.
A Toccasion du mariage d'une fille de Ly-Thé, roi
de Van-Lang^ une guerre s'éleva entre les princes de
Son-Tinh et de Son^Thuy ; le roi deBa-TAeic en pro-
fita pour attaquer Phong-Châu capitale de Van-Lang.
— Ly-Thé, surpris, se suicida; les populations se sou-
mirent et les deux royaumes furent réunis en un seul,
— AU'LaCf — dont la capitale fut établie dans le
Viét'Thu'o'ng et appelée Lao-Thanh (Tu-Long q\\
Côn-Lôn). M. Le Grand de la Liraye assure que les
(1) Cours d'histoire annamite, par P,*J,-B, Truong-Vioh-Ky.
^ Saïgon, 4875, ^
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tii L'EMPIRE D'AN-NAM.
ruines de cette immense place se voient encore sur la
lisière des forêts septentrionales du Tonkin et qu'il en
est fait mention chaque année sur la carte de l'em-
pire chinois imprimée dans le calendrier officiel (1).
Cette fusion des royaumes de VanLang et de Ba-
Thuc en un seul, formé d'ailleurs de tribus de même
race, eut lieu en 257 av. J.-G.
D'autre part, le « Livre sacré des Annales » dit
qu'en 1110 av. J.-C, sous Tching-Wang, des Tchéou,
une ambassade vint de YouéTchang apporter le tri-
but ; pour son retour, le ministre Tchéou-Koung lui
fit présent de boussoles ou chars magnétiques. Le
YouéTchang comprenait, selon 6. Pauthier (4), le
Siam, le Laos et la Cochinchine actuels ; mais F. Gar-
nier est d'avis que Youé-Tchang est, pour les Chi-
nois, LaO'Tchoua^ et ce serait de ce nom que ceux-ci
désigneraient encore le royaume laotien de Luang-
Prabang et Vien-Chan, qui s'appelait jadis Muoiig-
Choa.
. Sous l'empereur Thsin-chi-hoang-ti (246 à 210 av.
J.-C), l'ensemble de ces territoires était appelé
Tân-tuong-dia, terre à éléphants des « Tân. »
6. Pauthier rapporte que Thsin-chi-hoang-ti, le
Napoléon chinois, ayant rétabli la paix à l'intérieur et
sur les frontières du nord, pensa à conquérir et à
soumettre de nouveaux peuples (213 av. J. C). Ce
furent les pays de Nan-Youé, de Siang-Kiun, de
Nan-Hai ("mer méridionale), tous situés au midi de la
Chine d'alors et que l'on désignait sous le nom de
Ji'Nan, pays au sud du soleil (Nhât-nam des chro-
(i) Notes hiitoriques sur la nation annamite, par le P. Le Grand
deia Liraye. — Saigon, 1865.
(2) La Chine, par G. PautMer, p. 84. - Paris, i837.
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ANNAMITES, TONKINOIS ET COCflINCHiNOIS. 2lH
niques annamites, Gannan des jésuites). L^émigration
d'abord, la conquête ensuite, réduisirent donc à
l'obéissance les tribus Giao-Chi : leurs chefs hérédi-
taires furent reconnus par la Chine et reçurent le titré
de Quân^ sous l'autorité de]; commandants militaires
chinois ; plus tard on en vint à diviser le pays en
préfectures, en réunissant ensemble un certain
nombre de tribus, sous les dominations territoriales
de Nam-Vièty Nam-Binhy Annam.eic, (1)
Le général chinois qui subjugua les Ba-viêt profita
des tro'ibles qui suivirent la m )rt deThsin-chi-hoang-
ti et entraînèrent la chute de la dynastie des Thsin,.
pour se déclarersouverain indépendant des territoires
conquis (209 av. J.-C); il prit le titre de Vo-Dê, son
royaume fut appelé Youé-Nan (Viêt Nam), et il en
étendit les limites vers Canton et Fokien au nord,
jusqu'au TruongQuân dans les montagnes du sud-
ouest, et aux dépens du Lin-Y (Lâm-âp) dans le sud
jusqu'à Touranne. — En 197, il divisa le Viêt Nam en
deux gouvernements : Giao-chi et Cu-u-châu^ ayant
chacun un seigneur particulier,
La nouvelle dynastie impériale (Hàn), impuissante à
le faire rentrer dans l'obéissance mais voulant con-
server au moins une apparence de suzeraineté, lui
envoya l'investiture avec les insignes royaux et le
titre de roi d'Annam^ dit M. Truong-Vinh-Ky (2).
C'est la première fois qu'on voit ce vocable, — An-
nam, midi pacifié^ — appliqué au pays des Ba-Viêt ;
(1) D'après le P. Amlot, l'Empire de Thsin-chi-hoaug-ti s'éten^
dait, de l'est à l'ouest, depuis la, Corée jusqu'au royaume
d'Ava, « englobant le Ji-Nan (sud du soleil), formé de Nau-Vouô,
<jU 6iaug-Kiouo, et de Nau-Haï, r*
(2) P.-J.-B. Truong-Vinh-Ky, op cit. . .,
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116 L'EMPIRE D'An-NAM.
mais il faut dire que l'on verra encore» postérieure-
ment, les Annales chinoises rappeler plus volontiers
Viét'Nam, et lorsqu'il retombera sous le joug des
empereurs, il sera partagé à des chefs chinois, par
seigneuries ou préfectures, sous un gouverneur géné-
ral de Giao(i).
En 227 de notre ère, la Chine étant divisée en trois
États (période des Tam'Quôc)^ Ngô centralisa à Hiép-
phô les deux gouvernements de Giao-Châu et de
Quang-Châu ; en 263 on nomma un c Maréchal com-
mandant de TAnnam » (Annam tuong qu&n dô dôc).
— Ce fut la première fois, selon M. Le Grand de la
Liraye, qu'apparut dans les titres le nom d'Annam,
et il est à remarquer que cette fois encore la cour
impériale entra en compasition afln de conserver
une apparence de suzeraineté ; d'ailleurs, que ce soit
à cette époque ou 460 ans plus tôt, il suffit de cons-
tater l'antiquité de la dénomination et de reconnaître
qu'elle s'ajoutait au titre du chef gouvernant la région
que nous appelons aujourd'hui Tonkin.
EnS&l, un indigène, Ly-Phi, se proclama empereur
du Midi (Nam-Déj, après avoir chassé le gouver-
neur chinois de Giao; il s'installa dans Long-Bien, la
capitale, adopta le chiffre Yan-Xuàn, et, trois ans
(1) Ce fut l'empereur Hiao-Où-Ti (140 à 87 av. J.-C.) qui mit
fla a l'état indépendaut de Nam-Viél qu'avait fondé ce géoéral
cliLDoîs (Triêu-Da des auteurs annamites ; Tchaoto des notices
historiques publiées par les Missionnaires jésuites au dix-hui-
tième siècle; - letlrei édifiantes et curieuses, tome IX). Le
Nam-Viét fut alors divisé en trois départements: Kiao-Tchi,
ca|ïltale Kiao-Tchéou (Hà-Nôï) ; KieoU'Tehing dont la capitale
ét.ut dans le pays de Tsing-hoa-fou de la carte des Jésuites ; —
Jih-Nan (Gannan de la même carte, 1320], capitale Kouang-Nau-
fou. — G est au sud de cette dernière ville qui se trouvait, ea
Tau 3 S de l'ère vulgaire, la limite du Tonkin et de la Cochin-
chîBt,
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ANNA»tlTES, TONkïNOîS Et COCftlNClllNOÎS. îil
après, changea soa titre pour celui d* « empereur
de Nam-'Viêt. » Mais, en 602, l'autorité de la Chine y
fut rétablie, et le pays de Giao fut ainsi divisé :
Hoàn-Chdu (Nghê-An), Viêt-Thuong (Tonkin méri-
dional) et Jih'Nan (Nhât-Nam) sur le littoral du
golfe du Tonkin. — Vingt ans plus tard, Giao fui
érigé en protectorat de tout le midi, sous le vocable
« Annam dô hô phù » ; il comprenait les préfectures
de GiaoChâu, 8 huyéns ou arrondissements ; Luc-
Chdu, î huyéns; — Phong-ChâUy 5 huyéns; — Aï-
ChâUyQ huyéns; — Hoàn-Châu. 4 huyéns; — Truong-
Châu, 4 huyéns ; — Phuoc-Lôc-ChâUy 3 huyéns ;
Thang-Châu, 3 huyéns ; — Chi-Châu, 7 huyéns; — Fo-
Nga-Châu, 5 huyéns ; — Diên-Chdu, 6 huyéns ; — Fo-
An-Chdu, 2 huyéns; — et Duc-hoa-Châu ou préfec-
ture des Meuongs. — L'organisation, comme on voit,
se dessinait déplus en plus; un essai de centralisation
fut tenté en 758. Minh-hoang-ti voulut faire de Giao
une simple province ou gouvernement de l'Empire,
mais en 768 on dut revenir à l'ancienne forme, sous
la dénomination d^ Annam.
Au neuvième siècle, l'histoire nous montre TAnnam
disputé à ses maîtres chinois par les armées de Nan-
Tchao, à l'ouest, et celles deLm-F. Les chefs de Lin-Y,
{Lam-Ap des annamites, « campements forestiers »)
avaient envahi Aï-Chàu et HoànChâu (Nghé-An), qui
leur avaient été précédemment enlevés, d'ailleurs, et
y avaient fondé un royaume queles Annales chinoises
appellent Bi-Thê ou Tey.
Jusqu'au milieu du troisième siècle de l'ère vul-
gaire, Lin-Y avait été compris dans le Ji-Nan; il
était borné à l'est par la mer, à l'ouest par Trao-Khué,
au sud par Ghan-Lap (Cambodge) et au nord par l'An*
SiLYiSTiui. — Antiâm. 13
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218 L'EMPIRE D'ANNAM.
nam. En 358, le gouverneur de Giao y porta la guerre
et s*empara de plus de cinquante villes ou forteresses.
C'est la première fois que les Annales chinoises
parlent de Lin-Y, et une note dit que le pays s'appe-
lait O'Ly dans le nord et Thabé dans le sud. Il s'agit
évidemment ici, selon nous, d'un Etat diflérent de
celai que nous appelons Tancien royaume de Giampa,
attribuant ainsi à un vaste territoire le nom d'une
capitale (Nagara-Campa, Campapura) et considérant
comme un seul empire Tensemble des petits Etats
Tchams qui se partageaient le littoral, depuis le sud
du Tonkin jusqu'aux bouches du Mé-Kong.
Le peuple annamite, dit M. Âbel Bergaigne (1),
part du Tonkin, descend le long de la côte orientale
de rindo-Ghine, s'étendant aux dépens du peuple
tcham, qu'il finit par subjuguer entièrement. — L'em-
pire tcham s'appelait d'un nom dont l'orthographe
sanscrite est Campa; Marco Polo l'appellent Zyamba.
Les anciens auteurs japonais qui ont écrit sur leurs
relations avec les pays de Tlndo-Chine parlent du
Champan, qu'ils appellent aussi Rm-yu (Lin-Yi des
Chinois) ou villages en pays de forêts, et Sen-Jiyo
(Ghan-Yu), qu'ils placent au sud de l'Annam (2).
Quoi qu'il en soit, le gouverneur général de Giao
marcha contre les envahisseurs de Lin Y, reprit les
préfectures d'Aï et de Hoàn, qu'il mit à feu et à sang;
lestroupes de Lin-Y furent si bien écrasées et repous-
sées si loin qu'elles perdirent leur propre capitale et
durent en fonder une nouvelle plus au sud, à Tcheng,
« port de mer voisin de la ville de Tcheng-Tching,
(i) L*ancien royaume f'e Campa, par Abel Bergaigue. — Jour-
nal auM^ue, 1888.
(2) LËDn de Rosny, op. cit.
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ANNAMITES, TONKINOIS ET COCHtNCHINOïS. 2l9
qui a donné son nom au royaume» (808) (1). Les his-
toriens faiàant remonter à cette époque la fondation
de la ville de Hué (2), nous nous croyons d'autant plus
autorisé à identifier Tcheng-Tchingavec cette dernière
localité que, loraque Nguyén-hoàng constitua en
gouvernement distinct du Tonkin les provinces du
sud (Quang-Nam ou Chàm et Ttiuân-Hoa (Hué actuel),
il établit sa capitale où se trouvait précédemment
celle du royaume de Tcheng-Tching (Ghiêm-Thành
des Annamites), et l'on sait que les Nguyén, jusqu à
ce jour, n'ont pas déplacé le siège du gouvernement.
Quant à Nan-Tchao (Nam-Chiêu des Annamites), si
ce nom a pu être attribué, dans des temps très anté-
rieurs, à tous les pays immédiatement au sud de la
Chine, il n'en était plus ainsi en 862, année de l'inva-
sion de l'Annam : iVaw-rcAao constituait alors un
état indépendant, organisé en une forte confédération
de tribus, dont la principale aurait été appelée du
nom de Muong-Xa (3). Ce nouvel afflux du torrent
humain qui, du centre asiatique oriental, roulait vers
le littoral, s'empara de l'Annam; repoussé par les
forces chinoises (car il est à remarquer que les indi-
gènes ne firent aucune résistance, et pour cause,
sans doute), il revint par trois fois à la chaîne, et ce
ne fut qu'après plus de dix ans d'efforts que les
Huinh'Dâu (têtes jaunes) réussirent à le refouler
définitivement vers sa source, où il formait encore, à
(1) Notices historiques. (Lettres édi/lantes et curieuses, tome IX.;
— Nous peDSous plutôt que Tchtng devint Tcheng-Tching
(Thành, place forte, cité) à partir du moment où elle fut érigée
en capitale.
(2) Léon de Rosny, op. cit.
(3] 11 existe encore des Muone»-Xa dispersés par groupes au
Tonkin, dans la région du haut fleuve Rouge*
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Mo L'EMPIRË D'Ad-NAU.
la Ou du neuvième siècle, ua royaume puissant, corn-
preaant presque tout ieYun-Naa actuel, une poroon
du Koueï-Tchéou et du Su-Tchouen, enfin de grandes
surfaces dans le Thibet, l'A va et jusqu'au Bengale.
Ta-li-fou était sa capitale, et ses armées formidables
et aguerries combattirent longtemps contre les Tni-
bétains et les Chinois ; aussi l'Histoire a-t-elle mscnt
Nan-Tchao au nombre des « quatre fléaux de TEm-
pire. » (!) '
Comme il n'entre pas dans notre sujet d'écrire autre
chose que ce qui a trait aux différentes dénominations
appliquées aux pays de l'Indo-Ghine française, nous
clorons ici ces digressions pour reprendre notre
rapide revue de quelques pages de l'histoire d'An-
nam.
Année 968. — Dinh-bô-Linh, fondateur de la pre-
mière dynastie annamite du moyen âge, donna au
royaume qu'il créa, sur les ruines du gouvernement
général de Giao, le nom de Dai-Cu-Viêt; en 975, u
nomma son fils roi de Nam-Viêt (Vuong, roi subor-
donné). Cet dignité lui fut confirmée par la cour im-
riale.
986. - Lô-Hàng, chef de la deuxième dynastie anna-
mite, décerna des titres royaux à chacun de ses no
flls et les établit en différents P0»«^ <*" „* , r-iei'
sous des titres variés, tels que « Roi du culte au w ,
Roi de la ville de l'Est. Roi du Sud », etc. ^ ^J^'
riens appellent cette période le temps des do^J^ o»
qtuin; - la Chine avait envoyé au dernier rejeton oe
Uinh-bô-Unh l'investiture comme Rot de (^tao
(.Quâo-Vuong).
^1) Lettres édifiantee et eurietuet, op. cit.
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ANNAMITES, TONKINOIS ET GOCHINGHINOIS. m
1054. — Ly-thanh-Tông, troisième roi de la dynas-
tie Ly (indigène), changea le nom de Giao-Chi pour
celui de Dai-Viét,
1186. — L'empereur Hiao-Tsoung (des Soung) en-
voya à Ly-cao-Tông, septième souverain de la dy-
nastie annamite Ly, le titre de Roi d'Annam
(Annam quân vuong), mais toujours c roi subordonné,
tributaire * , — Kiun Wang, — et c'est le même titre
qu'obtint de la cour impériale, en 1230, Trân-Ganh,
premier souverain de la dynastie Trân. Les notices
des Jésuites disent Gan ou Ngan-Nan.
: En 1402, l'usurpateur HÔ-qui-Ly changea le nom
à^ Annam pour celui de Dai-Ngu ; mais l'Empereur
Yong-F^o, lui accordant l'investiture l'année suivante,
maintint le vocable d'Annam et, lorsqu'après la chute
de l'usurpateur le pays retomba encore une fois, —
la dernière, — sous le joug chinois, on vit reparaître
dans les actes officiels Tancienne dénomination de
KiaO'Tchi. — Selon un mémoire et la carte présentés
à l'Empereur par le général Tchang-Pou, à son retour
de TAnnam, la région désignée sous ce nom comptait
alors 3,120,000 familles, et mesurait 1,760 lis de
TEst à rOuest, — 2,800 lis du Nord au Sud, les dis-
tances estimées (à raison de 280 à 300 lis pour un
d^gré) par journée de marche de l'armée, ce qui
expliqueraft les dimensions quelque peu exagérées
données à l'Annam de l'époque.
Le grand événement de la restauration et de l'indé-
pendance annamite date Je 1428. « Nous devons, dit
M. le Grand de la Liraye, le considérer comme le
dernier affranchissement de la nation et comme son
émancipation la plus complète possible de la Chine.
Déjà, à plusieurs reprises, TAnnciai a secoué le joug
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322 L*EMPIRE D'AN-NAM.
chinois ; mais le souvenir du Grand-Empire régnait
toujours dans les idées du peuple et, dans les jours
d'exaspération, on recourait à l'Empereur comme à
Tarbitre-né de tous les différends. Cette fois, les der-
niers liens se brisent, ce semble, pour toujours ; la
nation annamite conserve de la Chine ce qu^elle en a
reçu pendant tant de siècles : l'éducation, la langue,
la littérature, la religion, la législation, la médecine
et les arts; elle continue & avoir avec elle desrap*
ports respectueux ; elle envoie des embassades ; elle
fait reconnaître ses souverains à leur avènement;
elle donne droit d'aînesse et de bourgeoisie à tous les
Chinois qui viennent commercer chez elle ; mais elle
se sent assez forte pour se gouverner d'elle-même
et par elle-même ; elle vit enfin d'une vie qui lui est
propre et qui n'accepte aucun contrôle. Cet état de
chose dure depuis lors jusqu'à nos jours (I). »
Obligée d'accepter les conséquences de la révolu-
tion de 1428, la cour impériale, toujours soucieuse de
a sauver la face », ne reconnut à Lè-huy-Loï que le
titre de gouverneur héréditaire de Giao-Chi ; et ce
dernier, tout en prenant celui de Dé (Ti) pour affirmer
son indépendance, voulut que sa capitale Thang-Long
(Hànôî de nos jours) fut appelée Giao-Chi-Dông-Kinh
(KiaO'Tchi-Tông-Tou des Chinois) par opposition à
Tây-Kinh (capitale de l'Ouest, Ly-Tou des Chinois,
située à Tsing-hiao-fou de la carte des Jésuites), et
c'est pour cette raison, disent ces derniers, que depuis
ce temps on donne au royaume de GanNan le nom
de Tông-King ou Tonkin (2).
(1) Le Grand de la Liraye, op. cit.
(2) Lettres é4iflante8 et curieuses, op« cit.
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' 1
ANNAMITES, TONKINOIS ET COGHÎNGHINOIS. 223
Dès cette époque, Tcheng-Tching n'est plus capitale
rrun Etat malais, mais elle est voisine d'un de leurs
avant-postes fortifiés, car les Malais ont été repoussés,
dans le sud. jusqu'aux environs du cap Choumay, et.
c'est sans doute à la ligne de fortifications qui les
séparait des territoires conquis récemment par les
Annamites que la région, devenue plus tard provinces
de Quang-Nam et de Qiang-Nghia, dut le nom de Cô-
Luf/(l). Les annales annamites appellent alors Xiêm-
Ba le royaume limitrophe de leurs possessions méri-
dionales; celui-ci tenta vainement de reprendre, en
1352, son ancienne capitale (Hué, appelée alors
Hoà-Gliàu par les Annamites), revint à la charge obs-
tinément, et Tràn-duê-Tông se décida à porter la
guerre par terre et par mer jusqu'à Thi-Nai (port du
Binh-Dinh actuel), non loin duquel se trouvait la nou-
velle capitale de l'Empire malais, nommée Chà-Bàn
par les Annamites. Cette entreprise fut un désastre
pour les Annamites (1377), et Ton voit les Giampois
continuer leurs incursions sur le territoire annamite.
En 1384, ils vinrent dans le Thanh-hoà et s'avancèrent
même jusque dansles environs de DôngKinh; cepen-
dant, ils ne purent se maintenir sur leurs anciens ter-
ritoires recouvrés, puisque nous voyons Hô-qui-Ly
maître à Hoà-Châu (Hué) en 1393.
C'est au mois de septembre 1516 que Fernao Ferez
de Andrade, navigateur portugais, aborda, le prerùier,
en Annam; depuis l'année 1471 les Annamites s'étaient
rendus maîtres de nouveaux territoiresencore enlevés
au Ciampa : la citadelle de Thi-Naï etChà-Bàn, la capi-
(1) Cô-Luy, cédé à rAnnam en. i403, devînt une principauté
tributaire, divisée en deux arrondissements, — Thang-Hoa et
Tu-Nghia, — sous un chef ciampois.
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224 L'EMPIRE D'AM-NAM.
taie, avaient été prises et le pays divisé en trois princi-
pautés, sous des chers ciampois soumis. C'est à cette
époque, sans^doute, que le royaume de Ciampa, ainsi
diminué, transféra sa capitale au cap Padaran, à Pan-
duranga— pura, où d'anciennes ruines ont été signa-
lées par M. Aymonier (1).
Dès Tannée 1552, les Portugais établirent un comp-
toir à Macao et commercèrent avec les pays voi-
sins (i2); Joao de Barros, qui écrivit à la même
époque, employa le premier la dénomination de
Cauchy "China : « En quittant ce royaume de Cam-
bodge, dit-il, on entre dans un autre royaume appelé
Campa il confine au royaume que nous appelons
Cauchy-China » — Douze ou treize ans plus lard,
le Camoêns faisait naufrage, durant la traversée de
Macao à 6oa et, se sauvant à la nage, abordait aux
bouches du Mékong, élevant d'une main au-dessus de
l'eau, rapporte la légende, ses Lusiades.--ku dixième
chant de ce poème, nous voyons Gamoëns s'écrier :
« Vois se dérouler la côte appelée Champa, dont la
c forêt est embellie de bois odoriférants ; vois Cauchi*
€ china, à peine connue encore, et l'anse ignorée
« d'Ainao »
Il n'est pas sans intérêt de citer encore d'autres
noms des premiers Européens venus dans TAnnam,
(1) Excursions et reconnaissances, n» 24, — p. 225. — 1885
Vancien royaume d$ Campa, par Abel Bergaigne, p. 52.
(2) Rappelons que Yasco de Gama aborda en 1497 sur les
côtes ouest de l'Inde. — Diego Lopez de Sigueîra toucha à Ma-
lacca en 1509 et Albuquerque envoya une ambassade à Siam en
1511. Fernand Mindez Pinto parcourut, en io40, le littoral de
rindo-Chine, depuis Poulo-Condoie jusqu'à Haï-Nan ; mais il ne
Çarla guère que du Tsiampa et de la Cochlncliiue (C(J-Tcheu,
cUing).
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AtflfAMITES, TONKINOIS ET GOGHINGHINOIS. 295
ne serait-ce que pour mieux reconnaître Torigine de
certaines appellations.
En 1895 arriva le missionnaire espagnol Diego
Advarte. — Ghristoval de Jaque raconte (1606) que le
capitaine Juan Xuares Gallinato, après avoir visité le
Kambodgey se rendit au Champa et en Cochinchine. —
Dans le Champa, dit-il, on pratiquait des sacrifices hu-
mains, on promenait le dieu dans un char garni d'épées,
et les dévots se pressaient sur son passage afin d'être
saintement mutilés ou mis en pièces (comme dans les
solennités hindoues» à la grande pagode de Jaggernât).
Une montagne fort élevée, qu'il appelle « Labarela »
(Varela?), séparait le Champa de la Cochinchine.
Pour arriver en Cochinchine, Gallinato suivit « la
côte agréable des royaumes de Sinoa et de Cachan,
qui formaient alors des Etats distincts. »
Le 18 janvier 1615, deux missionnaires, — Diego
de Carvalho, portugais, et Buzomi, italien, — débar-
quèrent à Touranne avec des chrétiens japonais
fuyant les persécutions. Depuis longtemps déjà les
Japonais commerçaient librement avec les pays de
rindo-Chine, et ces relations n'ont cessé qu'à la suite
de l'édit de 1365, par lequel le Sho-6un interdit aux
Japonais de sortir de l'Empire. C'est alors, sans doute,
que beaucoup de familles japonaises se fixèrent en
Indo-Chine : les Hollandais en trouvèrent établies à la
capitale du Tonkin et aussi à Touranne, dont ils font
le port d'un royaume qu'ils appellent Quinam (Nam
Ky) (1). Le D' Maget a rencontré au Tonkin des indi-
(1) Voyage du yacht hollandais GroU du Japon au Tonkin, du
Zi janvier au % aoûi 1637, par A. -J. -G. Geerts, conseiller au mi-
nistère de l'intérieur, au Japon, etc., etc. — Èiscufsiont elrecon-
naissaneety n» 13. Saigon, 1882,
SUVttTRE. — AwMm* 13*
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2:<i I/EMPIHE D'AN-WAM.
gènes groupés par villages, qui oût tous le type japo-
nais, ne se marient qu'enlre eux et ont gardé le sou-
venir de leurs ancêtres du Japon; ils ont la spécialité
de la fabrication de la porcelaine à dessins bleus, qui
rappelle celle du Japon (prov. de Kizen ou Kin Zin).
Leurs voyages dans le sud de la péninsule orientale
ont laissé des traces dans les anciennes cartes, où l'on
voit, dans le delta du Hé-Kong, la branche appelée
aujourd'hui Cua-Tiêu (ou bras de My-Tho), désignée
sous le nom de «rivière japonaise». Les Japonais
remontaient jusqu'à Phnom-Penh : nous avons, nous-
mème, trouvé enfouies en terre, dans cette dernière
localité, des pièces d'un service de table de flabrica-
tion évidemment japonaise, et très anciennes, de la
fkmille chrysanthèmo-pœonienne et portant sur les
fonds en relief le Gnkimon, c'est-à-dire la fleur de
chrysanthème, armoirie de la famille qui, depuis 2,000
ans, occupe le trône du Japon. Il est vrai que cette
céramique n'est pas datée.
Les anciens auteurs japonais, parlant de l'Indo-
Chine, font remonter assez haut leurs relations avec
ces pays. Selon le « Ko-Kou-Sen-Kuwa-Kagami » (mi-
roir des monnaies anciennes de la Chine et du Japon),
dès im le Japon entretenait des rapports avec Tlndo*
Chine. Le capitaine J.-M. James, « Narration offoreign
travel of modem Japanese adventures », raconte
l'histoire du fameux aventurier Yamada-Nagamasa,
qui vint à Siam en 1615, y fut général, régent, vice-
roi et y appela un grand nombre de ses compatriotes,
des Samuraï sans emploi. Il y mourut empoisonné en
1639 (1). Ces mêmes auteurs se servent des exprès-
(1) Kài Gai4iien,^ HUioirê des voyages d*ou^ê-m9r^ par Saito
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1
ANNAMITES, TONKINOIS ET COCHINCHÏNOIS. 227
sions suivantes pour désigner les diflërentes parties
de r Indo-Chine :
KO'Tchi (Giao-Chi) ; Nan-Sho (Nan-Tchao, Nam-
Ghieû). — Selon la grande encyclopédie sinico-japo-
naise (« Wa-Kan-San-Zaï-dzu-yé », vol. XIII, p. 30)>
la capitale du Tonkin est appelée Ko-Tchi ; mais plus
tard ils l'appellent ToKiyo (Dôug-Kinh des Anna-
mites, ou capitale de TEst), et la distinguent de Sait ou
Seï'Kiyo (Tây-Kinh, Tây-Dô des Annamites, ou capi-
tale de l'Ouest).
Ils parlent aussi du JitSu-Nan (Jih-Nan des Chi-
nois) ; mais sous le vocable d'An-iVam, ils réunissent
ce que nous distinguons sous les noms de Tonkin,
Gochinchine et Giampa. S'ils bnt parfois employé le
nom àeDaï'Ri (Ta-Li des Chinois), ce n'a été, sans
doute, que pour se conformer à un usage chinois, qui
consiste à désigner un empire par le nom de la
dynastie régnante (les Ly postérieurs furent au pou-
voir depuis 1010 de l'ère vulgaire jusqu'en 1234).
Pour le Cambodge, ils disent To-ho-Sai, Kalakana
ou Kabochiya ; mais ils y distinguent la partie Nord,
— Shin-Ro (Chen-La des Chinois).
Un français, le P. Alexandre de Rhodes, arriva en
Annam en 1624, ou plutôt en 1627, s'il faut en croire
la relation qu'il a publiée à Lyon en 1652 (1).
Masakani. — Tokio, 1850. Excursions et reconnaissances, n» 14J
Saigon, i882. — Transactions asiatic Society of Japan, VU
3- partle.p. 191. — 1879.
(1) Tunkinensis Historia, libri II, quorum altéra status tempo -
ralii hujus regni, altero mirabilis evangelicœ prœdicationis pro-
gressus referuntur, ab anno 1627 ad 1646. — Lugduni, 1 652. In-4.
— Dans une relation des Divem voyages et Missiom du P. AUx.
de Rhodes en la Chine et autres royaumes de ^Orient, etc. —
1653, — on trouve une carte du Tumkin ef de la Çochinchine, qui
ne se retrouverait pas dans les rééditions parues en 1666 et
1668.
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nS L'EMPIRE D'AN-NAM.
Enfin, en 1692, le gouverneur portugais de Macao
envoya une ambassade au roi de Cochinchine. En
racontant comment cette ambassade fut reçue en
audience publique et solennelle, et magnifiquement
traitée par le souverain, qu'il appelle Joao Yiçira,
Tauteur (1) donne cette étymologie du nom de Cochin--
chine : « Les Portugais, entendant appeler la cour de
ce royaume Kecho et remarquant que les naturels-
avaient une grande ressemblance avec les Chinois,
firent, avec quelques corruptions, de Kecho et China
le nom et le mot Cochinchinois. » Il y a dans cette
simple phrase tout un bouquet d'erreurs, bien excu-
sables sans doute si Ton se reporte au temps où elles
furent commises, mais qui n'en sont pas moins regret-
tables puisqu'elles ont contribué à accréditer une
confusion géographique et ethnographique que nous
voyons subsister aujourd'hui encore : les indigènes de
TAnnam n'ont point une telle ressemblance avec les
Chinois ; si le lieu où fut reçue l'ambassade portugaise
était appelé Kecho, c'est que les étrangers n'étaient
regardés que comme des commerçants et reçus, à ce
titre, dans les centres commerciaux (Ké-Cho', — le
marché). Enfin, l'on peut constater encore une autre
erreur, qui prouve que les Portugais de l'époque
n'avaient pas une connaissance bien exacte des divi-
sions politiques de l'Indo-Chine, ni de la configuration
des côtes. Ne voyons-nous pas, en effet, le Gâmoêns,
dans ses Lusiades, après avoir énuméré le Cambodge,
le Ciampa et la Cochinchine, citer « Tanse inconnue
d'Ainao » (Haï-Nan). Les navigateurs portugais ne
(1) Noticias sumfnarias dos perseguieoes daMissam de Coehin-
cMna, etc. — Publié à LisbouDe eu 1700, chez Miguel MarescaU
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ANNAMITES, TONKINOIS fiT COCHINCRINOIS, 1^
connaissaient donc pas, à cette époque, le détroit de
Haï-Nan ; leurs navires, pour se rendre de Macao à
Goa, contournaient donc alors, par le sud, la grande
île de ce nom, et ils n'avaient pas exploré le Tond du
golfe du Tonkin ; ils abordaient aux côtes de la
Cocbinchine, qui se présentaient à eux dès qu'Us trou-
vaient la mer libre à tribord, mais ils paraissent avoir
ignoré, au seizième siècle, que plus au nord se trou-
vait un état plus puissant et plus riche, dont la capi-
tale, Dông-Kinh, s'appelait aussi Kecho.
Au dix-septième siècle, les Hollandais, mieux ren-
seignés, vinrent au Tonkin (en 1637). D'après un
manuscrit retrouvé par M. A. J. G. Geerts et inséré aux
Excursions et reconnaissances (1), Karel Hartsinck
quitta la rade de Kout-chi (où les Hollandais avaient
un établissement à la pointe N. E. de VUe Hirado
depuis 1609) le 31 janvier 1637, pour se rendre au
Tonkin, dont il appelle la capitale Cat-chioti (Ké-Cho
des Annamites. Prononcez: Ké-Tkieu). Il se rendit
ensuite dans la Cocbinchine (qu'il nomma Quinam
comme les Japonais), notamment à Hué, Fancienae
Tcheng-Tching, qu'il distingue parfaitement du Ton-
kin. Karel Hartsinck revint en 1648 ei fonda, pour le
compte de la Compagnie hollandaise, un comptoir k
Fo-yén (Phô-Hiên), situé, croit-on, sur l'emplacement
de la douane de Phu-Ly, non loin du chef-lien actuel
de la province de Hung-yên, et qui fut abandonné en
1700 par Jacob van Loo.
Cette distinction, qu'établissaient les Hollandais
entre le Tonkin et la Cocbinchine et dont n'avaient
pas parlé les Portugais, répond à des événenienls trop
(1) N» 13, 1882.
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i
Î30 l.'KMPinK n.W-NAM.
intéressants pour que nous ne nous y arrêtions pas
un instant.
Le lecteur nous pardonnera de nous attarder ainsi
sur cette nouvelle pag« de l'histoire de TAnnam en
considération de la grande importance que présentent
ces événements dans le sujet que nous étudions ici.
Le seizième siècle avait trouvé TAnnam en pleine
anarchie ; des prétendants se levaient contre la
famille réo:nante, et des généraux puissants, des
familles Mac, Trinh et Nguyên, se disputaient le pou-
voir, sous des fantômes de souverains sans force ni
prestige.
En 1527, Mac-dang-Dong usurpa le trône d'Annam,
après avoir fait mettre à mort le roi Lê-cung-Hoàng et
ses partisans ; le général Nguyôn-Cam (\) put échap-
per au poignard en s'enfuyant au Laos, où il recueillit
le (ils du roi Lê-chiêu-Tông, prédécesseur de Lê-
cung-Hoàng.
En 1531 un corps de partisans des Le s'avança sur
le Sông-Ma (fleuve qui traverse la province de Thanh •
lioa) et parvint, après quelques succès remportés sur
les troupes des Mac, jusqu'à la capitale de l'Ouest
(Tây-Do, en Thanh-Hoa). L'impéritie de son chef fut
cause qu'il essuya alors une complète déroute; mais
(1) Les aDcôtres de Nguyên-GacQ avaient joué depuis le dixième
siècle un rôle important dans les afifaires de l'Annam. L^his-
toire cite particulièrement N<çuyên-Bac, qai fut l'un des princi-
paux officiers de Dinh-bô-Linh, le fondateur de la première
dynastie annamite du moyen âge (968 à 980) ; — en 1460, le roi
Le-lhanh-Tông avait choisi son épouse dans cette famille, et le
frère de la reine avait été élevé au rang de prince. Le fils de ce
dernier, Nguyên-hoang-Du, avait commandé les armées du roi
Lô-chiêu-Tông (1517 à 1523), et dès cette époque, les NguyÔQ
s'étaient trouvés en rivalité avec les Trinh. — Ce sont les desr
cendants de ces Nguyên qui occupent le trône d'Annam depuis
le commencement du dix-neuvième siècle.
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ANNAMITES, TONKINOIS ET COCHINCHINOIS. 231
Nguyèn-Cam eu rassembla les débris au Laos, les
grossît de nouvelles recrues et proclama roi le prince
Lê-Ninh, fiU et légitime liéritier de Lé-chiêu-Tông
(1533).
Il serait trop long de raconter ici les efforts extraor-
dinaireia que coûta au général Nguyên-Gam la restau-
ration des souverains légitimes; en 1540, il s'empara
de la province de Nghê-An ; en 1541, le Thanh-Hoa et
Tây-Do tombèrent en son pouvoir ; en 1545, il venait
d'occuper la province de Son-Nam (Ninh Binh et Nam
Diïih de nos jours) quand il mourut empoisonné.
Le roi regretta amèrement cette perte, et il conféra
des titres élevés aux deux Bis qu'il laissait, — Nguyên-
Tông et Nguyén-Hoàng, encore en bas-âge ; — son
gendre, Trinb-Eiém, Tut mis h sa place à la tête deâ
affaires militaires et autres. Le siège du gouverne-
ment des Le fut établi alors à Van-Lai-Sach, province
de Thanh-Hoa.
Trinh-Kiêm poursuivit, avec siiccès d'abord, l'œuvre
de la restauration si bien commencée par son beau-
père ; après avoir attiré dans son camp un grand
nombre d'anciens partisans des Mac, il s'avança jus-
qu'à Dông Kinh en 1551, mais dut bientôt rentrer dans
le Thanh-Hoa. Après des alternatives de revers et de
succès il put reprendre l'offensive en 1559, et, tour-
nant la capitale du Tonkin, il marcha par Bac-Ninh
contre le siège de la puissance de ses adversaires.
Les Mac profitèrent de ce mouvement pour envahir
le Thanh-Hoa ; ils purent s'emparer de la capitale des
Le, mais échouèrent devant An-Truong, ofi s'était
concentrée la résistance de ceux-ci et, apprenant
l'approché de renforts détachés de l'armée de Trinh,
ils s'empressèrent de rentrer au Tonkin»
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381 L*EMPtRE D'àH-MAM.
Ea 1562, Trinli s'établit définitivement dans le Son*^
Nam. En 1569, il fut élevé au rang de c Thuong-phu »»
le plus élevé après la dignité souveraine, qu'il trans^
mit à son âls, établissant ainsi l'hérédité de sa charge.
Cette préoccupation de fonder une dynastie avait
inspiré naturellement à Trinh-Kiém des sentiments
hostiles à ses deux beaux-frêres, en qui lui apparais*
saient des compétiteurs possibles.
Le fils aine de Nguyén-Cam, — Uông, —étant venu
à mourir, Trinh résolut de se débarrasser du plus
jeune frère, — Hoàng, — en le faisant mourir à son
tour. Celui-ci, prévenu par sa sœur, affecta de pren-
dre un rôle modeste et de s'effacer ; il demanda et
obtint le gouvernement des provinces méridionales
récemment conquises (Thuân-Hoa et Quang-Nam) mais
en partie occupées par les Mac. Pendant dix ans, de
1562 à 157i, il guerroya contre ces derniers ; un coup
de main heureux, préparé par des intrigues féminines,
lui valut enfin un succès éclatant, qui assura sa pré-
pondérance dans le sud, et à partir de ce moment il
travailla à s'isoler dans son gouvernement, pendant
que les Trinh s'emparaient peu à peu du pouvoir
effectif à la cour des rois Lé.
L'année 1593 fut marquée par d'importants événe-
ments : au premier mois, Trinh-Tông, fils et héritier
de Trinh-Kiém, remporta une victoire décisive sur les
Mac, dont les principaux furent faits prisonniers et
mis à mort; trois mois après, le roi LÔ-thô-Tông
entrait en maître dans Hà-Nôï, Tancienne Thang-Long
et la Dông-Kinh de Lé-huy-Loï,dont la famille en avait
été chassée soixante-six ans auparavant. — A cette
nouvelle, Nguyên-Hoàng quitta son gouvernement et,
à la tête d'une véritable armée, destinée selon lui à
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ANNAMITES, TONKINOIS ET COGHINGHINOIS. 233
aider au complet écrasement des Mac, mais en réalité
sa sauvegarde, il vint à la capitale saluer le souverain
et lui offrir le tribut des provinces du sud.
Accueilli avec toutes les apparences des meilleurs
sentiments,Nguyén-Hoàng fut employé par Trinh-Tông,
pendant six ou sept ans, à combattre les derniers par-
tisans des Mac, qui avaient reparu par bandes, dans
les provinces de Hai-Dzuonget de Nam-Dinh; il réussit
à les disperser et, en 1396, les Mac se trouvèrent
refoulés dans les provinces de Thai-Nguyên et de Cao-
Bang, dont la possession leur fut reconnue par la cour
de Chine. — S'attribuant tout Thonneurdes succès de
Nguyén, Trinh se fit décerner par le roi Lô le titre de
« Prince de la paix » (Binh-an-Yuong) et, plus que
jamais, il fit plier TEtat sous sa main de fer.
Mécontent à juste titre, inquiété d'ailleurs par les
intrigues qui s'agitaient autour de lui, Nguyén-Hoàng
résolut de retourner dans son gouvernement du Sud
chercher un abri contre les dangers qui menaçaient
même sa vie à Hà-Nôî. Usant de ruse, il réussit à
mettre à la voile, au 5* mois de l'année 1599, non sans
laisser dans le camp des Trinh des germes de discorde,
qui éclatèrent peu après et mirent ceux-ci à deux
doigts de la perte, et rentré dans sa résidence, à Tabri
derrière les montagnes de Touranne et de Hué, il prit
alors lui-môme le titre de prince (Tiôn-Nguyén-Vuong),
en 1600.
Il y eut, dès lors, rupture ouverte entre Nguyén et
Trinh : le premier proclama son indépendance du
second et prétendit traiter désormais avec lui sur le
pied d'une complète égalité, sous l'autorité souveraine
durolLÔ; le Tonkin, à partir de cette époque, est
appelé Dàng-Ngoc(i (voie extérieure, à cause de set
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234 L'EMPrRR D'A?r-!«AM.
situation limitrophe de la Chine) et les provinces du
sud Ddng-Trong (voie intérieure), — dénominations
qai impliquent bien toujours l'idée d'un tout, mais
divisé en deux portions absolument distinctes et jouis-
sant, chacune, d'une sorte d'autonomie, qui s'accen-
tuera de plus en plus par la suite.
Occupés à lutter contre de nouveaux et sanglants
désordres intérieurs, d'un côté, et d'un autre côté
contre de nouveaux efforts de la part des Mac, les
Trinh parurent fermer les yeux sur la conduite des
Nguyê'i ; ceux-ci ne s'y trompèrent pas et, d'ailleurs,
les Trinh tentèrent, et par les armes et par la trahison,
de rétablir leur suprématie ; cependant, ils avaient
repris leurs rapports entre eux, car nous voyons
Nguyén-phuoc-Nguyên (Saï-Vuong), fils et héritier
de Nguyêfi-Hoàng, envoyer une ambassade porter à
Hànôï des compliments de condoléance à l'occasion
de la mort de Trinh-Tông, en 1623. Cette ambassade
fut bien accueillie ; mais pour rappeler le gouverneur
du Sud à ses devoirs de subordination, oubliés à tel
point que, depuis des années, il avait cessé de four-
nir aucuns contingents militaires ni contributions
d'aucune sorte, Trinh-Trang lui conféra le titre de
a pho-Nguyên-Soai » (gouverneur en second), et l'in-
vita à reprendre les envois d'impôts au Trésor royal.
Cet avertissement, demeuré sans effet, fut renouvelé
en' 16i5 et en 1626, et, décidé à user des moyens ex-
trêmes, Trinh fit alors intervenir directement l'auto-
rité royale : Saï-Vuong fut invité à envoyer à la cour
de Hànôï son fils comme otage, plus 30 éléphants de
guerre et 30 jonques. C'était un ultimatum; une guerre
ouverte éclata alors entre le nord et le sud de l'Annam,
et dans les premières rencontres, les armées de la
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ANNAMITIiS, TONKIXOÏS RT COCHINCHlIfOlS. 2Vi
Cpchinehine batiirent celles du Tonkin, commandées
par Trinh-Trang et le roi Lê-tliân-Tông en personne.
Bes révoiles et un retour des Mac rappelèrent les
forces tonkinoises sur les bords du fleuve Rouge ;
mais on peut dire que, depuis cette époque, la lutte
entre le nord et le sud ne fit que s'accentuer et s'aggra-
ver. Pendant 13 ans, lesNguyên se tinrent avec succès
sur la défensive ; mais en 1653 ils passèrent le fleuve
Cinh-Giang à leur tour et se rendirent maîtres de la
partie septentrionale de la province de Bô-Ghanh ; ils
avaient poussé leur avant-garde jusqu'aux limites du
Thanh-Hoa et lancé des émissaires jusque dans la pro-
vince de Nam-Dinh quand la défaite de l'un de leurs
généraux les obligea à battre en retraite sur le Linli-
Giang.
Ils avaient cependant gardé le Nghô An ; mais les
populations, accablées d'exactions par les généraux du
Sud, lasses aussi de voir leur territoire servir de champ
de bataille à l'interminable querelle des Trinhetdes
Nguyên, se soulevèrent en masse et, en 1660, Uiên-
Vuong, successeur de Saï-Vuong, se retrouva dans
les anciennes limites du gouvernement du Sud.
L'année suivante, les Tonkinois reprirent roflbnsive
et passèrent de Linh-Giang; vaincus, ils regagnèrent
en désordre leurs positions primitives et, pour se gar-
der d'un retour de Tennemi, les Co.3liinclunois éle-
vèrent aloi's cette ligne de fortifications que Ton voit
tracée sur les cartes de l'époque, allant de Trân-Ninli
à la mer et défendant ainsi les passages de lu frontière
(Bô-Ghanh au nord, Quang-Binh au sud). On l'appelle
« Luy-Sây » (palissade fortifiée). 1662. —
Pendant un siècle encore, on verra les forces de
l'empire s'épuiser autour de cette muraille» dans des
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236 L'EMPIRB D'AIf-MAM.
luttes fratricides, excitées par les seules rivalités de
deux familles ; et, pour y mettre fia, il faudra quej
dans un soulèvement formidable, le peuple lui-même
intervienne et balaie tous ces rois et ces princes. Il ne
saura, malheureusement , profiter de sa liberté con-
quise que pour s'offrir au joug de nouveaux maîtres
qui, renversés à leur tour, céderont enfin la place à
lliomme de génie qui sut, au commencement du dix*
neuvième siècle, reconstituer TAnnam en un seul em-
pire homogène, puissant et prospère.
Pendant que ces événements se déroulaient, les
Cochinchinois combattaient aussi pour étendre leur
puissance au sud, aux dépens du Ciampa ; en 1658,
rendus au Fhu-Yén actuel, ils envahissaient déjà,
par infiltration, Baria (Hôi-Xui) et Dông-Nat (Saigon);
ils s'en rendirent maîtres par les armes peu après:
i L'an Mâu-tuât, il- de l'empereur Thai-tôn (1658;,
pendant l'automne et au 9* mois, le roi du Cambodge,
Néac-ông-Chan, viola les frontières annamites (1).
c Le gouverneur de la province du Tr&n-bién-dinh
(actuellement Phu-yén), nommé Yen, le major géné-
ral Minh et le capitaine Xuàn marchèrent avec 2,000
hommes à la rencontre des Cambodgiens et parvinrent,
après vingt-quatre jours, au lieu dit Môi-Xui (Baria)
en plein royaume du Cambodge. — Môi-Xui fut pris
par les Annamites et le roi cambodgien» Néac-ông-
Chan, fut fait prisonnier et porté dans une cage jus-
qu'à la province de Quang-Binh. » (i)
(1) Ou plutôt les frontières du Ciampa, tributaire de l'Annam*
puisque l'on voit le gouverneur de la province frontière anna-
mite marcher vingt-quatre «jours pour atteindre Baria.
(2) Gia Dinh thung chi. Histoire et description de la Basse
CocMnchine^ par Trân-hôi-Duc; -r traductloa Aul)<uret, Paris,
Imprimerie impériale, i863.
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ANNÀMlîfiSt tONkiNOIS Et COCtimctllflOlS. ÎZI
On ât gr&ce à Néac-ông-Chan, mais le Cambodge
dut reconnaître la suzeraineté de TAnnam et payer
tribut à Hué.
En 1675. à propos de troubles dans la famille royale
du Cambodge, une armée annamite reparut dans ce
pays, commandée par le gouverneur de la province de
Khanh'Hoa; elle s'empara de Saïgon, deGô-Bich et
de Nam-Vang (Phnom-Penh) (1).
L'ordre rétabli, les troupes de TAnnam se retirèrent^
mais pour reparaître en 1680 et s'établir définitive-
ment à Saïgon, et, à partir de 1699, la cour de Hué
nomma un Gouverneur général et Envoyé impérial
pour la partie du Cambodge alors annexée, laquelle
fut divisée en deux provinces : Trân-bién (Bién-hoa)
et Phdn-Trân (Saïgon). Plus tard, la conquête s'éten-
dra progressivement, jusqu'à absorber le Cambodge
tout entier, comme on le voit dans la carte de
Mgr Taberd.
Gomme nous ne prétendons pas raconter ici, dans
plus de détails, les guerres d'envahissement poursui-
vies par les Cochinchinois contre le Ciampa et le Cam-
bodge, ni leurs sanglantes querelles avec leurs frères
tonkinois, nous ne poursuivrons pas nos recherches
dans l'histoire de l'Annam; aussi bien avons-nous
atteint le but que nous nous étions proposé, soit de
conduire le lecteur au point où l'Empire annamite se
trouve absolument divisé en deux parties, véritable-
ment indépendantes Tune de l'autre» toujours en riva-
lité, souvent en guerre, mais cependant toujours unies
(1) Les Annamites avaient donc enlevé au Ciampa, depuis
1658. une province de plus et ce dernier, réduit au seul Binh-
Thuan, devait finir par ciisparaitre tout à fait à la fin du dix-hui-
tième tiède*
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238 L*£MPmE DAPf-IfAM.
par un lien national sous la souveraineté nominale de
la famille royale Le.
Résumons et concluons.
A son berceau la nation annamite nous apparaît au
sud-est du Tliibet ; d'où, cédant à nous ne savons
quelles poussées ou à son propre besoin d'expansion,
nous la voyons descendre au Yun-Nan et se répandre
ensuite sur les territoires compris dans un grand
triangle, dont la base est tracée par le fond du golfe
du Tonkin. Aux premiers jours de l'histoire no'is
la trouvons là, divisée par tribus obéissant à des
chefs indépendants les uns des autres, batailleuses,
unies par un lien de parenté, mais sans lien politique.
Alors se présentent les Chinois, organisés, puissants
et favorisés d'un degré de civilisation déjà fort avancée.
Par infiltration d'abord, par leur prestige et plus tard
par leurs armes, ils imposent leur autorité h ces popu-
lations désunies, qu'ils nomment KiaO'Tchi(GïSiO'Gh\)
à cause d'une particularité physique qui les distingua,,
mais que, prises en masse, ils appellent « les 100
familles au-delà des frontières » (Peh-Youë, Ba-Viét).
Un premier groupement se fait vers le vingt-hui~
tième siècle avant Tère chrétienne; il est suivi bientôt
d'un fractionnement en deux royaumes : Ba-Thuc,
dans la partie montagneuse, au nord, — et Van-Long^
plus près de la mer, divisé en deux gouvernements»
Son-Tinh et Son-Thuy ; mais en l'année 287 avant
J.-G.. nous les voyons tous réunis en un seul, nommé
Au-LaCy avec Lao-Thanh pour capitale, dans le pays
des tribus supérieures.
A ce moment se produit un essai de décentralisation
politique, pour arriver, du reste, à une véritable cen-
tralisation administrative. Des gouverneurs chinois
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ANNAMITES, TONKINOIS ET COCHINCHINOIS. 2S9
leur sont imposés, et, seloa la position des territoires
compris dans le ressort de leur fonction, leurs titres
les disent : gouverneur des tribus du Sud (Nan-Youë,
Nam-Viêt ou Viêt-Nam), des tribus supérieures (Viêt-
thuong), des Kiao du Sud (Nan-Kiao, Nam-Giao), etc.
On appellera aussi la région Ji-iVam fNhât-Nam, Gan-
Nan des Jésuites, Sud du Soleil), ou bien encore, à la
suite de guerres plus ou moins heureuses, Nam-Binh
ou Annarriy Midi pacifié, Midi paisible. Nous ne parle-
rons pas des noms plus spéciaux, tels que celui de
Tân duong dia, terre à éléphants des Tân.
Très remuants, obligeant leurs maîtres jaunes à de
continuels efforts pour les maintenir dans la sujétion,
les « cent tribus méridionales » ont dû procurer fré-
quemment aux généraux et aux gouverneurs impé-
riaux, qui les écrasaient en détail, l'occasion de s'enor-
gueillir de leurs faciles triomphes, et l'on s'explique
ainsi le fréquent retour de ce vocable dans les titres
conférés aux pacificateurs, « An-Nam », fréquence
telle que le pays en a gardé le nom à partir des pre-
mières années de notre ère vulgaire, au regard de la
Chine du moins.
Le fondateur de la première dynastie annamite des
temps modernes adopta, pour l'empire, le nom de
Daï-CU'Viêt (le grand et antique Viêt), en 968, et le
même nom se retrouve encore en 1084, sous Ly-thanh-
Tông ; mais l'empereur chinois maintint toujours les
anciennes dénominations: Nam-Viêt en 975, Kiao-Tchi
en 980, AnNam en H86. L'usurpateur Hô-qui-Ly
changea le ï\omd\innam pour celui de Daë-iVgfw (1402),
qui disparut avec lui, lors du rétablissement des gou-
verneurs chinois. Lê-huy-Loi, restaurateur de l'indé-
pendance annamite et fondateur de la dynastie des
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iiO L'EMPtRË D'AN-IfAli.
Lé postérieurs (1428), appela sa capitale Dông-Kinh
(Hà-Dôï de DOS jours), et, par Tusage» ce nom a été
étendu à toute la région qui est encore pour nous le
Tonkin : limitée au Nord, dès cette époque, par les
frontières de la Chine et s'étendant au Sud jusqu'à
la province de Nghé-An inclusivement, comme de nos
jours encore. Elle comprenait donc tous les territoires
des anciens Giao, augmentés des provinces conquises
sur le royaume de Lin-y (L&m-àp des Annamites).
Les missionnaires jésuites du dix-septième siècle,
qui écrivaient d'après les meilleurs documents chi-
nois, n'ont point Tait les confusions que nous avons
signalées ; leurs « Notices historiques sur la Cochin-
chine et le Tonkin » (1) disent qu'à cette époque la
Cochinchine avait le nom de Lin-y, qui fut aussi le
nom de la capitale du pays, et que le Tonkin était
connu sous les noms de Kiao-Tchi, de Nan-Kiao et
de You'é-Tchang.
Klaproth a identifié Lin-y à Siam ; d'autres ont con-
fondu ce Lin-y avec le Xiém-Ba et Tcheng-Tching.
Aucune de ces opinions n'est la nôtre. Ce que rappor-
tent les Annales chinoises de la mat*che du général
Ma-Yuen, de la capitale du Tonkin à Lin-y (33 ap. J.-C),
démontre que les limites de ces deux états se trou-
vaient alors vers le sud de Kouang Nan-fou (de la
carte des Jésuites), qui appartenait déjà au Tonkin,
et, pour y parvenir, l'armée chinois ^ dut se tracer
une route à travers d'épaisses forêts entre Hing-Hoa-
fou et Kouang-Nan-fou (des rives du fleuve Rouge à
l'embouchure du Song-Ca de Nghé-An), forêts qui ont
donné naissance au nom même de Lin-y ou Lâm-dp
(1) leUfM idi/ianteê et curieuses^ op, cit.
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ANNAltlTËS. tONkmOIS Et COCHiKCHiNOtS. 241
(campements forestiers), à une époque où cet Etal
comprenait encore le Nghê-An tout entier.
Vaincus encore une fois et refoulés vers le sud, les
gens de Lin-y fondèrent une nouvelle capitale à
Tchen^Tching (aujourd'hui Hué), en 808 de notre ère,
et cet Etat porte le nom de Chiêm-Thanh dans l'his-
loire annamite. Plus tard, ils reculeront successive-
ment au Binh-Dinh, au cap Yarela, au cap Padaran et
au Binh-Thuân, où la fin du dix-septième siècle verra
leur dispersion définitive.
Le P. Marini, qui arriva au Tonkin en 1638 et y
passa 14 ans, écrivait que l'Annam se divisait, de son
temps, en trois parties : Tonkin, Gochinchine et Ciu-
canghe (1). Marco Polo parle des pays d^Anin (Annam)?
de Ziampa (Giampa) et de Toloman ou Coloman
(Komen, Kambodge) (2) ?
Gomme on Ta pu voir, parmi les noms employés
par la Ghine, soit pour désigner les populations, soit
pour composer les titres de leurs gouverneurs ou
princes, celui d'An-Nam a été le plus usité et s'est
maintenu, s'étendant à l'ensemble des pays sujets ou
tributaires des anciens 6iao-Gbi, depuis les frontières
méridionales de l'Empire jusqu'aux rives du Mé-Kong;
cependant des décrets de Gia-Long et de ses succes-
seurs adoptèrent d'abord le nom de l'antique Viêh
iyaw,puis celui de Daï-iVam, encore en usage aujour-
d'hui dans les actes du gouvernement. M. de la Bissa-
chère affirme que le pays nommé Tonkin par les
Européens est appelé Nuoc-Annam (royaume d*Ah-
(1) Délie missioni de padrL... etc, Roma, 1657.
(2} Marsden. Travels of Marco Polo. Livre 111, chap. V, p, 584.
— F. Garaler croit, avec Al. Yule, qu'il s'agit ici de la ville de
Ho-mi-Tchéou, au Yuu-Nau.
SavuTRi. ^ Amum» I4
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Nam) par les indigènes, et que sous cette dénomina-
tion sont compris le Tonkin et la Cochinchine (1) ; le
même auteur confirme aussi que le nom de Tonkin vient
de ce que Ton a attribué à l'Etat la dénomination de
sa capitale, — Dông-Kinh, — qui signifie capitale de
l'Est. Tout le monde est d'accord sur ce dernier
point.
L'origine du nom de la Cochinchine a été plus dis-
cutée. Nous avons vu Topinion des anciens auteurs
portugais; Luro, après avoir cité cette opinion (2),
croit plus juste de supposer que ce nom « vient des
caractères chinois au moyen desquels la côte dut être
désignée pour la première fois aux Européens par
quelque pilote cantonais : Cô-Cheng^Ching signifie
ancien Ciampa (3). Car Cheng-Ching est souvent
employé en cette langue pour désigner le Ciampa
qui était, aux premiers siècles de notre ère, la région
centrale longeant la côte qui va du Tonkin à la Basse-
Cochinchine. » — Luro ajoute, que les caractères
Cheng-Ching, que les Annamites prononcent Cfctém-
ThanhySoni employés au lieu de Lâm-âp ou Chiêm--
BUy pour désigner le Ciampa, et, selon lui, Chiêm-
Thanh, « qui véritablement ne peut désigner que la
capitale du Ciampa» était probablement située dans le
[{} La fiissacUère. Exposé statistique du Tonkin, Londres,
1811.
(2) E. Luio. Le pays d'Annam. — Paris, 1878.
' (3) Nous pensons plutôt que ces premiers navigateurs euro-
péens^ Portugais de Macao et ayant des pilotes cantonais, abor-
dèrent dans la baie de Touranne, où ils s établirent au comptoir
de Faï-Fo ; et comme les Annamites s'étaient déjà emparés de
ce point, refoulant au sud les possesseurs primitifs et se substi-
tuant à leur autorité, les pilotes chinois désignèrent la région
sous le nom connu jusqu'à ce moment et dirent ; Gô-Tcheng-
Tching, c'est-à-dire, Tancien royaume de Tchen^-Tching. Et les
Portugais prononcèrent; Cauchychina; d'ôû Cochinchln*.
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ANNAMITES, TONKINOIS RT COCHINCHLNOIS. 243
Quang-Binh. ». Le caractère Co ou Cou signifie Ancien.
Bien qu'il commette une erreur historique et géogra-
|)!iique, en confondant Gheng-Ching avec Lâm-âp et
e Giampa, Luro nous semble cependant avoir jugé
assez exacteroent de I origine du nom de la.Gochin-
chine. Gelte erreur qu'il commet existait déjà dans le
Tableau de la Cochinchine de MM. Goi tambert et
Léon de Rosiiy, où il est dit que, « à la suite des
guerres qui eurent lieu en 1195, l'Empereur chinois
Ning-Tsoung confirma la souveraineté du roi du
Kambodge sur la Gochinchine et les petits états de
Ghen-pan, Tchen-li, Teng-lieou-meï et Pou-Kan, le
tout formant désormaiisle royaume de Tchen-Tehing.i
— M, de Rosny fait aussi observer (page 169), que, des
documents chinois, il paraît résulter que l'on doit
entendre sous le nom d'Annarn une contrée corres-
pondant à peu près au Tonkin de nos jours; Tehen-
Tching — la Gochinchine -— était plus au sud.
Enfin, M. Gortambert dit que c'est à tort qu'on
appelle CocAmcAm^ tout l'empire d'Annam: «ce terme
doit être réservé à une région maritime de la monar-
chie annamite; mais ici même Tapplication en est
encore douteuse, car les uns appellent Cochinchine
tout ce que les indigènes nomment Dàng-Trong, c'est-
à-dire toute la contrée qui forme, en s'arrondissant,
la côte sud-est et sud de la péninsule, depuis la limite
méridionale du Tonkin jusqu'à la frontière du royaume
du Kambodge; d'autres restreignent cette dénomina-
tion à la partie la plus orientale de l'empire, en y com-
prenant ni le Tsiampa, ni le Kambodge annamite ».
— Gependant, pour se conformera un usage
établi parmi les Européens, il veut bien admettre
qu'on entende par Cochinchine tout le Dàng-Trong,
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144 L'EMPIRE D'AR-NAM.
ainsi divisé : au nord la Cochinchine proprement
dite, formée des haute et moyenne Gochinchines, y
compris le Tsiampa, — au sud la basse-Cochinchine
ou Kambodge annamite.
Disons donc, pour terminer, que, des données si
diverses et parfois si contradictoires que nous avons
longuement exposées, il nous semble qu'on peut con-
clure que le nom d'An-nam (Daï-Nam de la cour de
Hué) est celui qui convient le mieux à l'ensemble de
l'Empire, depuis les frontières de la Chine jusqu'à
celles du Kambodge. Au moment de la conquête
française, cet empire formait trois grandes divisions :
V au nord le Dàng-Ngoai, Bac-Ky ou Dông-Kinh ; —
2^ au centre le Dàng-Trong ou Hué-Ky ; — 3' au sud,
le Dông-Naï ou Nam-Ky, qui furent désignées respec-
tivement, par les Européens, le plus généralement
sous les noms de Tonkin, de Cochinchine proprement
dite (haute et moyenne), et de Basse-Cochinchine ou
Kambodge annamite. Toute autre dénomination peut
donc être tenue pour arbitraire, sinon fautive ; quant
au Ciampa, ce n'est plus qu'un souvenir, et ce nom
ne figurait dans les titres épiscopaux de Mgr Taber,
il y a cinquante ans, que par respect des traditions,
coume on voyait naguère le roi de Sardaigne s'inti-
tuler aussi roi de Chypre et de Jérusalem.
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II
LE COURS DU ME-KONCf
L'auteur de V Aperçu suppose que le Mé-Kong, avant
d'atteindre le 29"^ de lattitude, donne naissance à
i'Irraouaddi et au Mé-Nam. Cette opinion ne parait
plus soutenabie aujourd'hui ; mais nous allons voir
qu'elle est conforme aux données recueillies par les
anciens géographes auprès des indigènes.
On sait que Mac-Leod avait reconnu, en 1837, le
Mé-Kong jusqu'à Xièn-Hong (vers le 22^ de lat.); mais
ce voyageur avait exploré la région bien plus que le
ctmrs du fleuve, et l'on peut dire que, en 1866, lors
du départ de la commission d'exploration dirigée par
le commandant de Lagrée, l'hydrographie du Mé-Kong
s'arrêtait à Gratieh, à 450 kilomètres environ de la
mer.
Le hollandais Gérard van Wursthorf, qui remonta
le Mé-Kong jusqu'à Viên-Chang, n'a publié aucun
r^seignement géographique sérieux ; il avait sans
doute ses raisons d'en agir ainsi : on connaît les
rivalités qui divisaient alors Hollandais et Portugais.
Christoval de Jaque, dans sa relation, avait dit que :
41 Chacun des royaumes du Cambodge, du Pégou et
SlLtRSTRl. — AMMM. 14.
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246 I/EMPfRK n'A!N NAM.
de Rachon était arrosé par un bras du Gange » ; —
mais c'est surtojt le jésuite Jean-Marie Leria, qui
pénétra au Laos par la voie du Mé-Kong et y séjourna
quatre ans, de 1643 à 1647, qui a le plus contribué à
répandre cette erreur, faisant naître le Mé-Nam et le
Mé-Kong d'un fleuve unique du Laos. Marini, lui,
avait réuni au Mé-Kong le fleuve du Pégou, et les
choses en étaient là quand Mouliot vint mourir à
Luang-Prabang.
Une commission d'exploration fut constituée à
Saigon le 1""^ juin 1866; elle se composait de six fran-
çais,' dont les noms ne sont certes point oubliés :
MM. Doudart de Lagrée, organisateur et chef de
l'entreprise;
Garnier, qui mit en ordre et publia les travaux
de la commission ;
Delaporte, l'habile dessinateur de la commis-
sion;
les docteurs Thorel et Joubert;
de Carné.
Elle quitta Saïgon le 6 juin, arriva le 8 à Gompong-
Luông, alors capitale du royaume Khmer, et en partit
le 21, commençant ses travaux par la visite des ruines
d'Ang-Kor, restes merveilleux d'un art et d'une civili-
sation entrevus par Mouhot, mais véritablement ré-
vélés par le commandant de Lagrée.
Dans un style charmant, où le savoir et le pitto-
resque captivent à la fois l'attention du lecteur,
F. Garnier nous a raconté (i) les aventures et les dé-
(1) Voyage d'exploration en Indo-Chine, — Paris, Hachette et
Cî« 1873.
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T.F COURS nu Mfi-KONO. 247
couvertes de nos vaillants compatriotes. — Le 25 mai
1867, au matin, ils quittaient Luang-Prabang ; à partir
de ce moment, ils pénétraient dans l'inconnu, —
terra incognita, peut-on dire. — Le soir du même
jour, ils s arrêtaient au confluent d'une rivière aux
eaux noires et calmes, affluent de gauche du Grand-
Fleuve, qui la saisissait et l'entraînait, par tourbil-
lons, dans les flots jaunes de son cours torrentueux.
C'était le Nam-Hou. M. deLagrée, vaguement rensei-
gné par des populations timides, inquiètes et dissimu-
lées, comprit cependant, grâce à cet admirable sens
intuitif dont il a donné tant de preuves, qu'il se trou-
vait là en présence d'une route plus facile et plus
directe vers les provinces méridionales de la Chine.
Il eut la pensée de se lancer dans cette voie nou-
velle. Que n'a-t-il suivi cette heureuse inspiration!
Nous savons aujourd'hui, par les découvertes du
IJ'^ Néïs et celles plus récentes de M. Pavie, ainsi que
par les itinéraires de la colonne française qui, en
1887, s'est frayé une route à coups de fusils, malgré
les bandes des « pavillons noirs », de Lao-Kaï à Diên-
Biên-phu; nous savons, dis-je, que le Nam-Hou est
une large et belle rivière, descendue du Yun-Nan,
fréquentée par un important mouvement commercial,
et qui permet de rejoindre, relativement sans peine
et sans fatigues, la rivière Noire, puis le Sông-Coï, le
fleuve Rouge, la grande artère tonkinoise.
Mais M. F. Garnier, après avoir remonté le Nam
Hou quelques milles, n'y trouvant qu'une largeur
d'une cinquantaine de mètres, avec cinq mètres de
profondeur uniforme, ne crut pas devoir pousser plus
loin sa reconnaissance; concluant que cette rivière
ne présentait pas les aliurei d'un cours d'eau long-
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248 L*EMPIRB D'AN-NAM.
temps navigable, il émit une opinion qui ne pouvait
encouragera adopter cette voie et Ton continua à
remonter le Mé-Kong.
Il serait puéril de reprocher à F, Garnier cette ap-
préciation ni la résolution qui en fut la conséquence.
Certes, nul, plus que lui, ne Tut ardent et dévoué à
l'œuvre entreprise et il n'est que juste de lui attribuer,
après le commandant de Lagrée, la plus large part
dans les résultats obtenus; mais les amis du regretté
commandant ne peuvent se défendre d'amers retours
en songeant aux conséquences possibles du change-
ment d'itinéraire entrevu par H. de Lagrée. L'explo-
ration du Nam-Hou, c'était la découverte d'une com-
munication sûre et facile entre les deux bassins du
Mé-Kong et du Sông-Goï, l'ouverture d'une voie com-
merciale entre le Laos, le Yun-Nan et les ports du
Tonkin, d'épouvantables difficultés de voyage évi-
tées, moins de fatigues et de dangers ; enfin un retour
plus prompt, commode et assuré par fleuve Rouge.
Au lieu de cela, les explorateurs se reprennent à con-
tinuer de remonter péniblement le Mé-Kong jusqu'à
Xién-Kong (100 et quelques milles), où il leur faut
abandonner "leurs barques le 21 juin. De là, ils che-
minent lentement et péniblement, à petite distance de
la rive droite du fleuve ; mais ils arrivent alors en
territoire birman et, à partir de ce moment, on les
voit se heurter à chaque pas à des difficultés de toute
sorte, en même temps que les forces physiques s'épui-
sent, que les santés s'altèrent.
Le 7 octobre, ils ne sont rendus qu'à Xiên-Hong ;
ils se retrouvent au bord du Grand-Fleuve : en trois
mois et demi,. ils n'ont avancé que d'une cinquantaine
de lieues à peine vers sa source. 11 faut bien se déci-
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LE COURS DU MA-KONG. 24d
der alors à renoncer au projet primitif» reconnu itn»
praticable.
Le 29 mai, ils avaient vu l'embouchure de la Se-
Ngum, « petite rivière peu intéressante en elle-même,
dit F. Garnier, mais importante à signaler parce que,
du versant opposé de la chaîne qui lui donne nais-
sance, descend la branche la plus orientale du Mé-
Nam. Les sources des deux cours d'eau ne sont sé-
parées que par un très faible espace et, d'après les
renseignements des indigènes, il suffirait, à l'époque
des hautes eaux, de traîner une barque pendant un
ou deux milles, sur un terrain assez uni, pour sortir
du bassin du Mé-Kong et recommencer à naviguer
dans celui du Mé-Nam. — Est-ce cette proximité qui
a fait croire à la communication indiquée sur nos
anciennes cartes? >»
D'autres indices, des bruits vagues mais persistants,
circulant chez les riverains et recueillis par les Anna-
mites de l'escorte, avaient contribué à taire presque
admettre par M. Garnier la possibilité d'une source
commune au Mé Kong et à quelque autre grand cours
d'eau ; en tout cas, ils lui avaient paru renfermer une
indication admissible. Parlant des impatiences et des
velléités de retour en Cochinchine manifestées par
les Annamites, que la longueur du voyage effrayait
déjàet que prenait la nostalgie du foyer, M. Garnier
raconte leurs inquiétudes et leurs espérances, telles
qu'ils les lui dirent, dès Luang-Prabang :
« Ong quan (monsieur le chef), m'avaient-ils dit
souvent, lorsque je les emmenais avec moi sur le
fleuve faire des sondages, — ne sommes-nous pas
allés assez loin encore et n^avez-vous point déjà, sur
votre cartel assez de rochers, asses; de cataractes^
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3r>0 I/EMPIRE D'AN-NAM.
jjssez de détours? Jusqu'où irons-nous donc ainsi?
« — Nous voulons savoir, leur répondais-je, d*où
vient ce fleuve, et c'est lui qui nous mène. Où ? Nous
n*en savons pas plus long que vous; mais nous irons,
nous le pouvons, jusqu'à ses sources.
« Ils soupiraient alors, en regardant l'eau, large et
profonde.
« — C'est bien loin cela, disaient-ils, et ce grand
fleuve n'est pas près de finir...
« — Qu'en savez- vous? leur répondais-je pour les
encourager; — il sort peut-être tout formé d'un grand
lac et, dans ce cas, demain nous en pouvons voir la
fin »•
« Cette porte ouverte à l'espérance suffisait pour
ranimer leurs courages et ramener la gaieté naturelle
à leur race. Je les surprenais parfois demandant aux
indigènes des nouvelles du grand lac qui donnait nais-
sance au Mé-Kong, et on leur répondait souvent de
façon à confirmer leur secret espoir. Tous les habi-
tants de rindo-Cliine ont conservé le vague souvenir
de leur ancien lieu d'origine, ce plateau de l'Asie cen-
trale, semé de grands lacs qui se déchargent par de
grandes rivières, et ils attribuent volontiers aujour-
d'hui une origine lacustre aux fleuves dont ils habi-
tent les rives. C'est d'après leurs dires que les anciens
géographes ont cru longtemps à l'existence d'un
grand lac d'où seraient sortis à la fois le Mé-Nam et
le Mé-Kong » (1).
L'exploration du cours du Mé-Kong s'arrêta donc
hXiéi-Hong, vers le 22' lat. N. et, traversant le
fleuve, qu'ils ne devaient plus revoir, nos vaillants
(1) Voyage d* exploration en Indo-Chine, t. 1, p. 350.
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■Si'-faL^
LE COURS DU MÉ-KOKG. ^i
compatriotes s'engageaient, le 7 octobre 1867, dans
ce long et périlleux voyage, qui devait coûter la vie
au chef regretté qui les avait conduits jusqu'à deux
journées de marche du fleuve Bleu, leur but nouveau.
Sur quelles autorités s'est appuyé F. Garnier pour
tracer, sur sa carte, le cours supérieur du Mé-Kong à
partir du 22" ? Sans doute sur la carte de Klaproth. Il
conduit le fleuve jusque par 32% au cœur du Thibet,
sous les noms de Lang-Tsiang-Kiang et de Lao-Kiao (1)^
et coulant parallèlement au Yang-Tse-Kiang supérieur^
au Salouen et à l'Irraouaddi.
« Le plateau du Tibet, dit-il, forme au centre de
l'Asie comme une immense terrasse dont les bords
sont dessinés, sans interruption, au Nord, à rOues|;
et au Sud par de hautes chaînes de montagnes, mais
qui va en s'abaissant graduellement vers l'Est et
déverse de ce côté la plus grande partie de ses eaux.
C'est surtout par Pangle Sud-Est, que s'échappent la
plupart des fleuves qu'il alime nte. Là, dans un espace
de moins de soixante lieues, le Brahmapoutre, l'ira-
ouaddy, la Salouen, le Cambodge, le Yang-Tse-Kiang,
quelque temps arrêtés et contenus par la puissante
barrière de l'Himalaya, réussisent à se frayer un pas.
sage et tracent de profonds sillons dans les flanc
déjà légèrement affaissés de cet énorme soulèvement
Ses derniers contre-forts se prolongent cependant
encore assez dans cette direction pour donner nais-
sance au fleuve de Canton, le Si-Kiang, au fleuve du
(1) Klaproth place la source du Mé-Kong aux pieds des mout^
Koutkoun, par 35» lat. N., et là ce cours d'eau porterait le nom
de Dzalchou. — D'autre part, on lit dans le tome XXXVl, année
1864, des Annales dJ la propagation de la foi, que le Mé-Kong,
au point où il est appelé Lau-Tsau-Kiang, dans le Thibet, est
déjà tm grand cours a eau torrenteux.
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tèi l'empibe d^an-ràn.
Tong-king, le Ho-Ti-Kiang, et au fleuve de Siam, le
MéfOam ; mais ces rivières, quoique comparables aux
plus grands cours d'eau de l'Europe, ne sauraient être
fldises sur la môme ligne que celles qui précèdent, dont
les sources» encore peu connues, sont probablement
toutes situées à Tintérieur du plateau lui-môme, i
M. F, Garnier n'a pu vérifier ces hypothèses, et Von
peut dire qu'au-delà de Xiên-Kong, nul européen n'a
encore remonté le cou rs du Mé-kong, que nous sachions,
du moins. Il a fallu, évidemment, que le commandant
(le Lagrée reconnùtqùe la voie était impraticable pour
que la commission d'exploration abandonnât ainsi
complètement le but indiqué, car les instructions
qu'eUe avait reçues au départ s^CKprimaient ainsi, à
rarlicle « But de Texpédilion »•:
€ Déterminer géographiquement le cours du fleuve
par une reconnaissance rapide poussée le plus loin
possible ; chemin faisant, étudier les ressources de3
pays traversés, et rechercher par quels mayens effi-
caces on pourrait unir commercialement la vallée
supérieure du Mé-kong au Cambodge et à la Gochin-
chine j tels sont, en résumé, les objets essentiels que
vous ne devez jamais perdre ne vue.»
Or, l'on peut remarquef, en lisant les Conclmions
âfénérate* du compte rendu du voyage (t. I, p, 545),
que finalement le Mé-kong se trouve quelque peu
oublié, au profit de vues d'ensemble, de conceptions
savantes, ingénieuses, grandioses, -sans doute, mais
assez étrangères au but primitif.
Nous nous expliquons fort bien, étant donné le
caractère si net et si formel des instructions de l'ami'
rai de la Grandière, et étant connu l'esprit d'ordre et
les sentiments qui animaient le regretté commandant
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LE codas M MÉ-koiN(;. âsli
de Lagrée, que ce dernier a'ait pas abandOQùé Texplo-
ration du fleuve p6ur celle du Nam-Hôu, lorsqu'il ren-
contra le confluent dé cette rivière, reconnue si
importante aujourd'hui, puisqu'il pouvait alors se
flatter de pouvoir contiauer la reconnaissance ' du
fleuve; mais, si Ton doit regretter qu'il n'y soit pas
revenu de Xiêng-Hon ou de Xiên-Kong, au lieu ;
de pousser sa marche- vers le fleuve Bleu, combien
plus ne regreUera-t-on pas qu'il n'ait pris la route du .
Ho-Ti-Kiang, lorsqu^il eut rassemblé, sur le cours de
ce fleuve (Sông-Goï, fleuve Rouge du Tonkin), lors de
son passage dans le Yun-Nan, les renseignements,
dont parle F. Garmer (1)^ et lorsqu'il eut acquis la;
conviction que la^oute du fleuve houge, qu'il venait,
de découvrir, toujours guidé . par celte intuition, • si .
remarquable chez lui, et malgré les invitations qui
tendaient à le faire remonter au nord, que cette route
une fois exploitée serait le plus utile des résultats de
son voyage! (2) Eh effet, tous ses compagnons,
comme lui, voyaient dès ce moment que « cette com-
munication, si ardemment cherchée et désiféë, ce
déversoir par lequel devra s'écouler un jour dans un
port français le trop plein dès richesses de la Chine
occidentale, c'est du Sông-Coï et non pas du Mé-Kong
qu'ilfaut l'attendre» (3). - . .•
Le commandant de Lagrée mourut à Tong-Tchouen
• (4) Rapport de M. de Lagrée,^ daté de Se-Mao (Chine); 30 octo-
bre 1867. Ministère delà Marine, Archives des colonies. — C'est
dans ce rapport qne M. de Lagrée expose les raisons qui Tont*
déterminé à abandonner le Mo -Kong' ( V. Doudart de 4.agrée au.
Cambodge et en Indo-Chine, par F. Julien^ 2' édit. Paris, 1886).
(2) Rapport de*M. de tagrée, daté du YiulN-an, 6 janvier 1868
(F. Julien, op. cit.) . ; ;
(3) De Carné. Voyage dans VlnHo-Chine et dans.Venvpiré chi-
îloi«, p.517. . . î
SiLVisTRE. — Aimium. iâ
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'.A**^ i-"
le 12 mars 1858; — irois mois plus tard» la commission
d'exploration arrivait à Shang-Haï et, le iO juin sui-
vant, elle débarquait à Saigon les restes de Thomme
de bien, de science, d'énergie et d'abnégation patrio-
tique, qui repose aujourd'hui dans la solitude d'un
cimetière cochinchinois, au milieu de tant d'autres
dévouements ignorés ou oubliés.
Si nul européen n'a pu tracer et décrire de visu le
cours du hautMé-kong,il n'en est pas de môme d'un
de ses très proches voisins, le Brahmapoutre. Le récit
de cette exploration, perdu dans la collection des
Annales de la propagation de lafoi^ peut être utile-
ment cité ici, parce qu'il donnera une idée suffisante
do la physionomie du terrain et permettra d'établir
une comparaison intéressante avec les hypothèses
avancées par F. Garnier.
M. Krick, de la Société des Hissions étrangères,
partit de Saikowk le 18 décembre 18ël. «Il y avait
un an et demi que je contemplais la neige du Thibet,
il était temps de passer du spectacle à l'action », écri-
vait-il à M. Foucûud, professeur de thibétain à Paris.
Il n'ignorait point h^s difficultés etlesdangers de l'en-
treprise, il savait le peu de succès de tous les efforts
tentés jusqu'alors pour pénétrer dans l'Himalaya, mais
une ardente conviction, une rare énergie le poussaient
• en avant. En effet, il ne trouvait rien, dans les antécé-
dents, qui pût lui donner quelque espoir; à différentes
reprises, six européens, entourés de toutes les chances
de réussite, pouvoir, argent, protection, guides, sol-
dats et suite nombreuse, s'étaient vus obligés de
rebfousser chemin; deuxpatifs, placés dans le^m^U-
leurescpn^'tions desuceès, avaient égalçmet^ ^9ué»
devant la résistance ouverte ou dissimulée dâft RjOipUtr
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I
r*
LE COURS BU llé-K0JIO« |^
lations et des autorités locales, encore plus que devant
les obstacles matériels. « £t moi, dil if .Krick, je n'fivais
que Lorrain, ipon cliieifi lidële, qui seri;blât décidé à
me suivre. Je voyais et je comprenais les difficultés
de mon entreprise ; je ne me faisais aucuqe illusion
de zèle ou d'imagination. Dii reste, i} n'y a rien comme
la présence de la mort pour caln^er les écarts de nos
facultés». C'était donc de parti*pris et de sang froid
qu'il pénétrait dans cette région (pconnue et redou-
table, qu'il a décrite ainsi :
« La chaîne des Himalayas, qui court 4u Nord à l'Est,
le long de la vallée d'Assam, jusque dans 1 empire
birman, est d'une hauteur, d'une aspérité, d'une sau-
vagerie à en fiiire, dans toute la force de l'expression,
une barrière infranchissable élevée entre ja plaine
du Sud et le Thibet, au Nord. Plus d'un touriste verrait
succomber aux premiers efforts santé et courage,
deux auxiliaires rigoureusement indispensables pour
effectuer une pareille ascension ; et comme si la
nature n'avait pas déj^ accumulé trop d'obstacles, les
peuples et tribus sauvages qui habitent ces régions
semblent être placés là exprès, comme des senti-
nelles fidèles et inexorables, pouréconduirequ égorger
rimprudent voyageur qui se met à leur portée. »
A partir de Tchoumpourq* dernier village d'Ass^m,
plus de chemin ; les Michemis ouvrent des sentiers à
la belle saison, mais durant les pluies toute trace de
leur passage disparait sous une végétation exubérante.
L'explorateur doit alors suivre sa direction tantôt
dans le lit du Brahmapoutre, tantôt dans 1^ forêt, en
iai^ant sa trouée le coutelas à la main.
Le âO décembre, il passe le Oér^ k gué, puis l^
YitbiiHi, et s'engage dans ufi ehaïaiâ de montagnes.
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IM L'EMPIRE D'AN-NAM.
« Il Taut alors, dit H. Krick, passer d'une montagne à
une autre sur une chaussée d'un mètre à peine de
largeur ; de chaque côté, précipices de plusieurs millç
pieds. Arrivé sur l'autre cime J'ai la vue la plus gran-
diose possible ; on dirait un panorama lait exprès pour
récompenser le voyageur de sa peine. Je vois se
dérouler devant moi toute la vallée d'Assam jusqu'à
Saïkowk à ma droite ; sur ma gauche et à huit ou dix
kilomètres se dessine la tranchée du Brahmapoutre.
Au sud, rimmense plaine étale ses forêts, et le grand
fleuve qui l'arrose serpente en mille bras à travers ce
paysage. Du poi it que j'occupe, les arbres les plus
élevés me paraissent comme des têtes de clioux. Nou^
dominons, à plusieurs centaines de pieds, la couche
des brouillards, qui suivent à flots la profondeur da^
gorges, refoulés par un vent du sud.
c Voici que nous avons monté un jour et demi, et
toujours à pic; l'échelle de Jacob ne devait pas êtpe
plus perpendiculaire. Pas de chemin; nous le tracions.
Quelquefois cependant nous apercevions une espèce
de sentier. Je n'ai pas d'instrument pour mesurer
notice hauteur, mais mon calcul me dit de neuf à dix
mille pieds. Le capitaine Bowlott trouve huit mijle
pieds à cette montagne là-bas, (jue je domine de beau-
coup. Quoique si élevé, je suis au milieu de la plus
riche végétation. — Ne croyez pas cependant que je
sois en extase devant une vue si grandiose : sur les
Himalayas je ne vois rien du tout; ces montagnes ne
sont pas comme les autres, plus on monte plus il reste
à monter, et quand on s'est épuisé à gravir un pic,
qui paraissait tout dominer, on le trouve entouré d'au-
tres sommets qui bornent tout Tborizon. Les Hima-
layas peuvent être comparés aux vagues de l'Océan ;
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LE COURS DU MÉ-KONG. «57
ils ne sont pas une chatne, ils sont un monde de mon-
tagnes; pourbienenjuger,il faudrait planer au-dessus,
dans un ballon. Ainsi, voilà un jour et demi que nous
montons, et qu'ai-je devant moi? Le pic Sincoutrou,
colosse dont les pieds reposent sur la tête de deux
autres géants (!) ».
Après avoir contourné la base du Sincoutrou, le
hardi missionnaire poursuit sa marche en avant, à
ti^avers des forêts de bambous épineux, aux tiges
penchées et entremêlées, pur des pentes raides et
glissantes, où, une fois tombé, l'on roule ju3qu*.\ ce
que Ton ait la chance de pou voir s'accrocher à quelque
chose: il descend le lit du Tiding, qui coule au sud-
est, vers le Brahmapoutre. « Il faudrait des ailes, dit
sa relation, pour voyager par ce pays de précipices ;
j'aurai du bonheur si j'arrive jusqu'au bout »
Il rencontre le Pramô, un affluent du grand fleuve,
venant du Nord-Ouest et dont les tourbillons mugissent
à une sombre profondeur, formant, aux pieds des
roches noires, des abîmes écumants. Le 4 janvier 1852,
il traverse le hameau de Kotta, le dernier centre
habité avant la frontière du Thibet, et le lendemain
il se trouve au confluent de l'ispack et du Brahma-
(1) Dans ses Souvenirs d*uH voyage dans la Tartarie et le
TkWet, M. Hue dît que, depuis Lha-Ssa jusqu'à la province de
bu-Tchouen, on ne voit que vastes chaînes de montagnes entre-
coupées de cataractes, de gouffres profonds et d'étroits défilés.
Ces montagnes sont tantôt entassées pêle-mêle, tantôt rangées
et pressées symétriquement les unes contre les autres, comme
les dents d'une immense scie. Les Chinois, dans leurs relations
de voyage, disent qu'elles « réclament la vie des voyageurs ». —
Les Thibétalns nomment plaine tout ce qui ne va pas se çerdre
dans les nuages, et chemin tout ce qui n'est pas précipice ou
labyrinthe.
M. Hue n'a jamais rencontré ce « plateau du Thibet » dont
parle F, Garnier,
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fti8 L'Klllt>mfe D'All.f<At.
poutre. léi, M talléë s'élargit Je chëmfnrfttnéiiore;
les crêtes, jusque là dépouillées de Yérdure, secou-
i*onnent de grands pins vigoureux^ et t il lui semble
revoiries montîignes des Vosges *. Ayant gravi un pic
colossal, il découvre une large Vallée, recouverte par
les alluvions du Brahmapoutre; au loin se dessine un
assemblage de points noirs. Qu'est-ce ?0n lui répond:
« Un village thibétain t. Il Oiit deux pas de plus, il ea
aperçoit un autre à ses pieds. C'est le Thibet I G'e^
Oiialoung I Après deux jours de marche à travers un
pays frais et riant, qui s'étale sur les deux rives du
fleuve, en hameaux populeux, en champs bien culti-
vés, en jardins admirables, en belles forêts de pins,
M. Krick atteignit le bourg de Sommeu. Le 18 mars
suivant, il était de retour à Saîkowh, ayant remonté le
Brahmapoutre jusqu'à sa source.
La trop courte notice qu'il a consacrée à ce sup(*rbe
fleuve, qui tient le second rang parmi les fleuves
sacrés de l'Inde, — le Gange étant le premier, — esrt
bien digne de fixer un moment notre attention. « C6
que je puis affirmer, dit-il, parce que je l'ai vu, c'est
la puissance de ses eaux, l'irrésistible élan de sa
course, la sauvage beauté de se^ rives et sa voix tort*
nante, qui ébranle la solitude. Il sort d'une montagne
située au Nord-Est de la province d'Assam; la tran-
chée qui le reçoit à sa naissance ressemble à un étroit
canal taillé entre deux roches à pic. Profondément
encaissé dans ses murs de granit, il lave et blanchit
de son écume les obstacles qui l'emprisonnent. Sa
largear, depuis le Bralimacoimdo jusjju'au Tliihet,
est de cent-cinquante à deux cents raèties. Le lit du
fleuve, trop étroit pour son volume, la pente du sol,
tout encombrée de rochers, donnent à sob eoul« une
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• LE COURS DU MÉ-KONG. 2S<^
rapidité si impétueuse, que je n'ti pas vu un seul
endn^ît où le plus rigoureux éléphant pourrait tenir
pied fterme une seconde. Il ne coule pas, il bondit avec
fureur; il ne murmure pas, il mugit à se faire entendre
à distance comme un tonnerre lointain. Sa surface,
depuis Sorameu jusqu'aux plaines de l'Assam, n'est
qu'une nappe d'écume blanche......
« Le Brahmapoutre reçoit un grand nombre de
rivières assez considérables et, ce qui prouve la puis-
sance de son cours, il ne parait pas plus fort après un
confluent qu'il ne Tétait au-dessus. Aucun bateau ne
saurait passer d'un bord à l'autre : les ponts suspen-
dus (1) sont l'unique voie de communication entre les
deux rives de ce torrent désordonné » .
Tous ceux qui ont quelque peu pénétré dans l'inté-
riPurderindo-Ghine et qui, d'ailleurs, ont lu l'ouvrage
de M. Garnier, conviendront que le tableau qui pré-
cède pourrait vraisemblablement être rapporté au
Mé-Kong supérieur.
M. Krick avait été précédé au Thibet par MM. Hue
et Gabet, qui y arrivèrent en 1846, par le désert de la
Tartarie, et séjournèrent à Lha-Ssa; ils en furent
expulsés par ordre du gouvernement chinois et con-
duits à Canton. En 18^9^ M. Renou passa la frontière
(1) Ces ponts sont formés de longs et solides rotins que les
indigènes tendent d'un bord à l'antre, attachés à des troncs
d'arbres ou à des rochers. Celui qui veut traverser s'assied
dans une boucle, en rotin elle aussi, enfilée dans le gros cor-
dage tendu autant que possible, et se lance en glissant sur la
partie déclive du système avec une vitesse qu'augmentent son
propre poids et les surfaces polies du rotin ; la moitié du par-
cours ainsi accomplie, le reste s'achève en s^aidaut des pieds et
des mains. On établit ces appareils sur les points où le fleuve est
plus étréltebient encaissé ; mais d'ailleurs, M. Krick a trouvé
dans cette région des rotins gros comme le bras et long de plus
de cent cinquante pieds.
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Î60 L'KMPIRB D AN-NAM.
du St^-Tchouen et parvint à Tsiambo, chef-lieu de la
province de Kham (1), à moitié chemin de Lha-Ssa,
qu'il estima être à ?iOO lieues de Ta-Tsien-fou, ville
frontière du Su-Tchouen. C'est là qu'il fut arrêté et
renvoyé à Canton.
M. Krick, qui avait dû rebrousser chemin lors de
son voyage de Tannée 1851-52» à cause de Tétat de
guerre dans lequel il trouva le pays, se remit en route
en 1853, se dirigeant à travers le pays des Abors; de
ce côté encore il trouva les tribus en guerre et dut
s'arrêter. La même année, M. Renou réussit à péné-
trer dans le Thibet par le Yun-Nan; il parvint dans le
petit royaume de Tsa-Rong, qui comprend 22 villages,
a pour chet-lieu Men-Kong et relève directement de
Lha-Ssa. Avec l'aide d'un confrère, M. Pages, il fonda
un établissement à Bonga (2), sur un point ainsi décrit
par Mgr Chauveau, coadjuteur du vicaire apostolique
du Yun-Nan (lettre du 12 janvier 1855) :
« Il est une vallée restée inconnue jusqu'à ce jour
à tous les géographes, formant l'extrémité méridio-
nale du royaume de Tsa-Rong qui relève directement
de Lha-Ssa et où, par conséquent, les Chinois n'ont
aucune juridiction. Cette gorge, demeurée inculte
depuis de longues années, pourrait occuper les bras
(1) M, Hue dit que Tsiamdo, capitale de la province de Kham,
est protégée par deux rivières — le Dza-Tchou et rOm-Tchou —
qui, après avoir coulé Tune à l'est et l'autre à l'ouest de la ville,
se réunissoiit pour former le Ya-Lang-Kiang. Ce dernier coiu*s
d'eau traverse, du nord au midi, la province de Yun-Nan, la Co-
chinchine, et va se jeter dans la mer de Chine. ^ La vallée de
Tsiamdo est entourée de hautes montagnes.
{Souvenirs d'un voyage dans la Tar tarie et le Thibety en 1844,
45 et 46, par M. Hue.)
(2) Un peu au-dessus du 28° lat. N., par environ 94<>30' long E.,
sur le Salouen. Le Mé-Kong n'en est pas éloigné de plus de dix
lieues, de l'autre côté de la chaîne de montagnes.
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lE COURS DU MÉ-KONG. m
de vingt familles. Les montagnes qui Tavoisinerit sont
couvertes de vastes et magnifiques forêts. Au milieu
d'une petite plaine, qui s'étend à leurs pieds, est un
tertre entouré d'arbres séculaires' ; on y voit encore
des ruines, indice probable que cette vallée n'a pas
toujours été déserte ^. — MM. Renou et Pages furent
pillés et chassés en 1858; mais ils purent y revenir
plus tard, et d'autres missionnaires avec eux.
De son côté, M. Krick, accompagné cette fois par
H. Boury, reprit en 185 i le chemin du Thibet par la
vallée du Brahmapoutre, qu'il avait déjà explorée; ils
étaient parvenus à s'installer dans une tribu tliibé-
taine quand ils tombèrent l'un et l'autre sous le cou-
teau des sauvages Michemis.
Hais cet inabordable Thibet attirait irrésistiblement
nos missionnaires français. En 1857, à cinq cents
lieues de distance, MM. Bernard et Desgodins s'enga-
gèrent dans les défilés du Setledje, principal affîuent
de rindus. Ils allaient atteindre le but de leur voyage
quand la méfiance de quelques chefs de tribus leur
ferma le passage. — On sait que M. Desgodins a pu
enfin s'établir au Thibet, l'étudier, le faire connaître;
mais le cours du haut Mé-Kong reste toujours ignoré,
sa source est toujours aussi inconnue, et les travaux
de MM. Réveil 1ère et de Fessigny, tous deux orficiers
distingués de notre marine, n'ont guère dépassé Stung-
Treng.
Les Anglais nous donneront-ils la solution de ce
problème? Depuis une cinquantaine d'années ils ont
abordé la question, indirectement, il est vrai, en cher-
chant la route qui leur permettra d'amener dans leurs
ports du golfe de Bengale les produits du Laos, du
Thibet, du Yun-Nan, du Su-Tchouen, etc., en échange
SitYismiB. — Annem. 18.
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de teurd propt^ëd impôrlatioris. LèdocteQ^RieHdfdsoÂ
explora, le premier, en 1829, le terrain entre Mmda-
lày et Xiên-Mûï ; — en 1885 le mnjor Mac Leod se
rendit de Moulmein an Laos birman, tous deux f\irent
les précurseurs de ces liardis voyageura que nous
avons vus, depuis lors, au prix d'elTorls que n'ont pas
encore récompensés des résultats réels et complets, se
lancer à la recherche d'une route possible, de Rari-
gourt au Yun-Nan, traversant le Sillang, le Salouen,
le Mé-Ping et le Mé-Kong, tous encaissés pt^olondé-
ment, torrentueux, bordés de chaînes de montagnesT
escarpées, entassées dans un désordre inénarrable.
Parmi les différents projets mis en avant, le gouver-
nement anglo-indien fit étudier plus spécialement
celui dont le tracé a adopté la voie généralement sui-
vie par le commerce entre Birmans et Chinois, et que
parcoururent autrefois les armées des Jaunes dans les
guerres contré Ava et Pégou. Une commission for-
mée du major Sladen, du capitaine Williams, du doc-
teur Andersen et dé trois négociantsd<^Rangoun, par-
tit de celte dernière localité , en 1888 , remonta
l*Irraouàddi jusqu'à Bhâmo, explora le bassin d'un de
ses affluents, le Taping, jusqu'à Momeïn, mais ne put
àllfer plus loin. Pour remplir sa tâche, il lui eût fallu
eôcdre franchir la série des contreforts de rriimalaya
oriental et les vallées des hauts Salouen et Mé-Kong,
gagner Talifou, puis le fleuve Bleu ; mais rinsarrec*
lion des MdUométan.s était alors mallressedu Yun-Nan.
Quelques années plus tard, rinsurreclion écrasée,
on tenta de reprendre cette exploration avnc Y Me
précieuse des données recueillies. M. Ma'grtry partit
dé Pékin secrètement en août 1874^ reuMithia le fleuve
Sldu^ pm le YHea-Iiàni^ l'an d6 ses Âfflddatd^ et tri-^
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Lé COURS DU !VI^:-K0NG. ^3
versdHt le Koù^î-Tehéou, le Yuti-Nân, les montagnes
et les #alieès qui sépsifent la Chitie de la Birmanie, il
arriva à Momeïn, d'où il' descendit, par le Tàping, à
Bhâmo. Lhy il fUt rejoint, le 15 janvier, par Texpédl-
tlon veniie de Rdngobïi sous les ordres du coloùel
Horatlus Brown, et après quelques jours dé repos,
l'infatigable VDyilgeu^ reprenait cette route du nord
qu'il venait de parcourir en cinq mois, au prix de
véritables prodiges d'énergie, d'adresse et d'intelli-
gence, il marchait en avant-garde, reconnaissant et
préparant les Voies à l'expédition, qui suivait, quand
il Alt si malheureusement assassiné par des bandits
chinois le 21 février, aux environs de Manouaïne-
attaqué lui-même, le colonel Brown dut se replier sur
Bhâmo et fut obligé de renoncer à l'entreprise.
MaislaraortdeM.«Margâry ne fut pas inutile : là
convention de Tché-fou (octobre 1875) ouvrit Tinté-
rieur de la Chine à l'activité européenne; un consul
— M. Colborne-Baber — fut installé à Tchong-King-
Ibu et Ton vit, en 1877, deux voyageurs anglais par-
courir la route du Yun-Nan à Bhâmo, MM. Mac-Càrthy
et Gill ; plus tard, MM. Solteau et Stevenson purent
aller de Bhâmo à Han-Kao (1880-81), et MM. Colquhoun
et Wahab de Canton à Bhâmo (18SÎ). Tous ces explo-
rateurs ont constaté que les cours d'eau nés des Hima-
layas, — 8i Hang, Salouen, Nan-Ting, Mé-Kong, —
sont profondément encaissés dans dés vallées étroites,
coupés par d'énormes et nombreux rapides, et peu-
vent être regardés comme des torrents formidables,
qui, tombant de terrasse en terrasse, ont creusé et
creusent encore, violemment, leur voie entre les
montagnes et les rochers escarpés.
Enfin^ dans un mémoire inséré aux « Excursions et
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264 L'EMPIRE D*A1!-NAM.
reconnaissances » (n® 9, 1881), M. Boulangier, ingé-
nieur des ponts-et-chaussées enCochinchine,a étudié
le débit du Mé-Kong. Ce travail établit que le fleuve,
par la largeur cumulée de ses bouches (trente kilo*
mètres), écoule annuellement 1,400 milliards de mè-
tres-cubes d'eau, soit 1,400 kilomètres-cubes, qui
tiennent en suspension plus d'un litre de matières
solides (argile et sable) par mètre-cube. Si Ton sup-
pose que ces 1,400 millions de mètres-cubes de ma-
tières alluviales se répandent dans la mer de Chine
sur une épaisseur uniforme de 1 mètre, la surface
couverte aurait une étendue de 140,000 hectares. Ainsi
s'explique la rapidité du développement alluvionnaire
de la Cochinchine, si visible à la pointe de Cà-Mâu et
que l'on peut déjà mesurer en comparant aux cartes
récentes les travaux hydrographiques de MM. Héraud
Manen et Vidalin.
En présence de ces chiffres formidables, M. Bou-
langier calcule qu'avec les matières solides que le
Mé-Kong enlève tous les ans à l'Himalaya ou à la pé-
ninsule de rindo-Chine, « on pourrait élever tout
autour de la France, de Dunkerque à Nice, sur un
développement de 1,500 kilomètres, une muraille
ayant 1,000 mètres carrés de section, c'est-à-dire par
exemple 20 mètres d'épaisseur moyenne et 50 mètres
de hauteur. Au bout d'un siècle, il serait possible de
remplacer cette muraille par une chaîne de mon-
tagnes, haute de 400 mètres et large de 500 à la
base. T*
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BARON. — SA RELATION TOUCHANT LE TONKIN
(1685.)
Au nombre des auteurs qui ont écrit sur l'Annam
et qui sont le plus oubliés, il faut citer BARON, qui
méritait mieux certainement, non seulement à cause
de l'exactitude de ses renseignements et de la modé-
ration de ses appréciations, mais encore parce qu'il a
écrit dans le but de redresser les erreurs étranges
commises par Tavernier, erreurs qui sont telles que
l'on se demande comment ce dernier a pu ainsi tra-
vestir les données souvent exactes, d'ailleurs, recueil-
lies par son frère.
La relation de Baron, parue en anglais dans le
recueil de Churchill (1732), a été traduite en français
et reproduite au tome XXXIII de THisioire générale
des voyages, de l'abbé Prévost (édition Didot, 1751).
L'auteur était né au Tonkin ; il n'est pas dit s'il était
d'origine européenne, ou seulement f tonkinien »,
converti et instruit par les missionnaires.
L'abbé Grazier, dans sa grande histoire de la Chine
(1729) a cité plusieurs fois Baron ; d'après lui, Baron
était de nationalité anglaise mais né au Tonkin,
d'un père anglais et d'une mère indigène ; il s'excuse,
auprès de son éditeur, et demande indulgence pour
l'imperfection de son style.
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Î66 LRMPIRE D*AN-!fAM.
Il écrivit en 1635, et se proposa de rétablir la
Yérifé contre les fantastiques descriptions de Taver-
nier (1), dont il avait en connaissance. Déjà, il avait
senti toute Timportance commerciale du Tonkin : il
indique la facilité avec laquelle ce pays pourrait
devenir la route du négoce entre la mer et les pro-
vinces chinoises du Yun-Nan et du Kouang-Si; il a vu
clairement, 200 ans à l'avance, la question qu'on
agite aujourd'hui.
La relation de Baron commence par une description
fort sommaire de la contrée, au point de vue géogra-
phique et climatérique. Elle indique le Tonkin comme
une région relativement tempérée ; pendant les moi$
pluvieux — avril, mai et juin — le climat n'est pas
sain ; en juillet et août régnent des chaleurs exces-
sives; mais de septembre à mars le climat est tem-
péré. (1 fait même froid l'hiver.
Dans cette relation, qui ne présente généralement
pas les exagérations que l'on peut reproober à tant
d'autres, nous relèverons quelques passages intéres-
sants, bien propres à montrer combien ont peu
changé, depuis 200 ans, les mœurs et les coutumes.
Dès le début, un détail permet d'apprécier le mou-
vement du cabotage à l'embouchure par laquelle
s'écoulait le commerce de l'intérieur du Tonkin :
« L'ile principale (à l'entrée), dit Baron, est l'île de
« Twon-Bene (lie des brigands des Portugais, auj.
< Cat-Ba?). Sur celle lie se trouve la garde avancée
« ou guet général, constituant, pour ceuiK gui l'ogcu*
(1) Éeldiioh d*un voyage au Tonkin, par J..B. Tavernier, -
1630-1670, — rééditée parle Co«IHOj-te#.f&ôna^,'88 ^act0bre;4««3
et f uiv.
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BARaW. — SA hfcLATÏON T01ICHA!1T LE TONKIÎN. t67
« pent, l'oITice le plus lucratif du royaume. Les
« barques venant de tingway et de feuiati, et celles
« qui voul dans ces provinces paient un droit d'une
« rixdale et demie par grande barque, et les atitres à
« proportion. Cette do'iane ne rapporte pas moins
« d'un million de rixdales.
« En dehors de Gacho (Hà-Nôï), il n'y a pas trois
« villes qui méritent ce nom. Mais les aldéas (villages)
« sont fort rapprochées les unes des autres. Gacho,
« située par 21 degrés de lattitude, à 40 lieues de la
« mer, peut se comparer, pour l'étendue, à plusieurs
« villes fameuses de l'Asie; mais elle remporte sur
« presque toutes par le nombre de ses habitants.
« Le premier et le quinzième jour de la nouvelle
« lune, il s'y lient un marché considérable qui attire
« une quantité incroyable de peuple. Chaque genre
« de commerce a sa rue spéciale, attribuée exclusi-
« vement à un ou plusieurs villap^es, dont les habl-
« tanis ont seuls le droit d'y établir leurs magasins.
« Les jours de marché, la foule qui s'y presse est
« tellement considérable que c'est avancer beaucoup
« que d'y faire cent pas dans une demi-heure ».
Sachant ce qui précède, on comprend aisément que
la cnpitaie du Tonkin ait reçu le surnom de Ké-Gho
(Ké-Kieu, Ké-Tieu) ou Le Marché.
« Le rbi, les généraux» les princes et les grands
« résident à Gacho, ainsi que les Cours de justice.
« Bien que les palais et les éJifices publics occupeat
« une grunde étendue, ils sont peu remarquables
« par eux mêmes, et un grand bûtiment de bois ea
« fait la partie principale. Tout le reste est bfttlen
bambous et argile^ à l'exceptioa des comptoirs
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26S l/BMPIRB D*Alf-NAM.
« étrangers, construits en briques. Les palds ont été
« ruinés parla guerre ancienne.
« Un formidable corps de milice est toujours prêt
« aux ordres du roi. L'arsenal et les majçasins sont au
« bord du fleuve, près d'une tle sablonneuse où Ton
« conserve le Thecada (?)
« Le Sông-Koï, ou Grande Rivière, prend sa source
« en Chine, traverse Cacho après un très long cours,
« et va se jeter dans la baie d'Aynam par plusieurs
« embouchures praticables aux vaisseaux médiocres.
« Une multitude de bateaux circulent sur le fleuve,
c mais tous ceux qui vivent sur ces barques ont, en
« même temps, un domicile dans les villages ».
La description de la ville caoitale n'indique pas,
comme on voit, une cité d'aspect bien luxueux; Cacho
n*est remarquable que par l'étendue et le commerce,
— comme Hâ-nôï, de nos jours.
L'exactitude des détails contenu dans la relation de
Baron doit donner une certaine valeur aussi à Ténu-
mération des forces du royaume, qui suit la descrip-
tion de la ville.
« Par le nombre, les forces du Tonkin sont formi-
« dables; elles comprennent 140,000 hommes bien
« armés, dont 8 à 10,000 cavaliers. Les éléphants de
« guerre sont au nombre de 350. Mais ces troupes si
« nombreuses ne sont guère redoutables : les tonki-
« niens ne sont nullement courageux
« Le roi possède 220 bâtiments, grands et petits,
« bons plutôt sur les rivières qu'à la mer, servant
< surtout pour les fêtes et les amusements, et allant
€ presque tous à la rame, dépourvus de mftts. lis
« portent à la proue un canon de 4 livres. En outre,
« 500 barques-twinges, légères à la voile, faibles
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BARON. — SA RELATION TOUCHANT LB TONKIN. 261
€ pour la guerre, maïs propres à porter des vivres et
« des soldats.
« L'arsenal de Cacho est bien fourni de canons de
« divers calibres, les uns fabriqués dans le pays« et
€ les autres achetés aux tratiquants étrangers. Les
« munitions représentent un approvisionnement très
€ convenable ».
Cette énumération des ressources militaires dont
disposait le roi d'Annam explique les succès et les
conquêtes des Annamites sur le Giampa et le Cam-
bodge. Mais Baron dit que « les tonkiniens ne sont nul-
lement courageux » : cette appréciation semble quel-
que peu contredite par leur conduite dans les guerres
conti nuelles qulls ont soutenues et menées au succ^
tinaly pour l'expulsion des Chinois d'abord, puis pour
la conquête des territoires du Sud ; et Ton peut dire
même que, sans Tintervention de la France dans ses
destinées, depuis trente ans, TAnnam, aujourd'hui,
régnerait en mattre jusqu'aux rives du Mé-Nam. En
tout cas, par l'expérience que nous en avons faite en
Basse-Cochinchine et plus récemment au Tonkin, on
sait à n'en pouvoir douter que les Annamites, encadrés
d'Européens, se battent comme les meilleurs soldats
et se font tuer bravement. Le reproche de couardise
et d'inaptitude à la guerre, que Baron adresse
aux Annamites, paraît devoir revenir bien plus aux
chefs qu*aux soldats, si même ces défauts ne sont
plutôt la conséquence d'une mauvaise oi^anisation et
d'une ignorance militaire absolue.
< Les soldats, dit-il, sont enclins naturellement à la
c mollesse ; ils végètent toute leur vie dans leur état,
< sans aucun stimulant et sans espoir d'avancement ;
< l'argent et la faveur seuls conduisent à tout* Les
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270 L'EMPlhE l)AW-ÎIA5l.
« gtlettes cohsistent à ttàre grand bruit et à di^^yer
« un grand appareil de bagages.
t Les Tonkiiiiens sont querelleurs et parlent en
« guerre pour le plus léger motif; mais Ils S'arrêtent
« devant les murs d'une ville ou sur le bord d*une
« rivière ; puis, dès que la guerre devient trop feah-
< glante» ils retournent chez eux.
Baron aurait pu ajouter que leurs généraux sont
adonnés à une sorte d'astrologie militaire, peu propre
à développer l'esprit d'initiative et à favoriser l'en-
train dans l'armée. On en jugera par le curieux docu-
ment dont nous donnons ici la traduction et qui a été
pris, avec les papiers d'un chef annamite, au Tonkin
en 1884:
« Je vous ai précédemment envoyé un tableau sem-
« blableà celui-ci; mais le Thây (1), n'ayant pas con-
« sidéré que le troisième mois n'a pas trente jours (2),
« a commis des erreurs ; ses calculs ont été refaits,
« du t' au 20 du quatrième mote. Ces calculs sont
• exacts; vous pourrez donc vous en servir. Brûlez
« l'autre avis.
« Les jours et heures favorables pour combattre et
remporter la victoire sont indiqués ci-après :
«^Le !•', de 3 h. à 5 h. du matin, très favorable ; —
de 5 h. à 7 h., favorable.
« Le 2, défavorable.
• Le 3, de 3 h. à 5 h. du soir, très favorable.
« Le 4, de 7 h. à 9 h. du soir, très favorable ; mais
les gens nés dans les années Thân et Méo ne doivent
pas combattre.
(1) I/aôtrouome, ou plutôt l'astrologue offieiel.
(2) 11 3^ ai des tûoii de vingt-neuf jourt.
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BARON. — SA RELATION TOUCHANT LK TONKIN. Hi
« Le 5, de 5 h. à 10 h. du' ihatiti, assei fevbràblé.
a Le 6, de 3 h. à 5 h. du soir, favorable.
« Le 7, de 11 h. du soir à 2 h. du matin, défavo-
rable. L'ennemi attaquera à Timproviste.
« Le 8, de 3 h. à 4 h. du matin, très favorable, si l'on
prend roffensive.— De 7 h. à 10 h. du matin, favorable.
« Le 9, défavorable. Les chefs doivent veiller des
côtés nord et ouest.
« Le 10, défavorable.
« Le 11, défavorable de 11 h. du soir à 3 h. du
matin. L'ennemi attaquera du côté nord. Lesfrens nés
dans les ùnnées Biuli et Ngo doivent bien veiller sur
eux-mêmes.
« Le 12, de minuit à 2 h. du matin, très favorable;
de 7 11. à 9 h. du soir, favorable. Les gens nés dans
les années Mao doivent s'abétenir de combattre.
« Le 13, de 2 h. à 7 h. du soir, très favorable. Les.
gen5 nés dans les années Ngo et Ty doivent veiller sur
eux-mêmes.
« Le 14, défavorable. Il faut veiller surtout des
côtés nord et ouest car l'ennemi cherchera à attaquer
de ces côtés.
« Le le, de 4 h. à 9 h. du matin, très favorable.
On pourra disperser l'ennemi aussi aisément qu'on
fend un b imbou, mais les chefs nés dans les années
Su-u et Dân doivent veiller sur eux-mêmes
« Le 16, dé 2 h. à 4 h. du soir, assez favorable; de
8 h. à minuit il faut être vigilant car l'ennemi tentera
une surprise.
« Le 17, de 10 h. du matin à minuit, veiller du côté
du nord.
« Le 18j de 8 h. à 9 h. du matin, assez fevorabie;
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i72 L'KMPIRE D*AW-NAM.
mais il vaudra mieux ne rien tenter, de peur qu'il
n'arrive malheur aux chers nés dans les années Ti et
Ngo.
« Le 19, défavorable.
« Le 20» de 4 h. du soir à minuit très Favorable ; on
pourra faire beaucoup de prisonniers ».
Si nous ne nous trompons, pour les afTaires de nuit
les heures du lever et du coucher de la lune entrent
pour beaucoup dans ces prévisions. En tout cas, ou
comprendra aisément qu'ainsi conduits, les Tonki-
nois aient paru < peu hardis » à Raron.
Passant ensuite au caractère et aux mœurs des
• Tonkiniens », Fauteur les dépeint de la manière
suivante :
« Bien que la valeur soit chose rare au Tonkin, les
habitants ont Phumeur inquiète et turbulente et le
roi se trouve obligé de ies tenir continuellement par
des mesures de rigueur. Les révoltes et les conspira-
tions sont fréquentes, mais la superstition en est plu-
tôt la cause que Tambition. Les mandnrins et les sei-
gneurs prennent rarement part à ces séditions.
« Les Tonkiniens sont envieux et pleins de mali-
gnité; l'orgueil leur ôte la curiosité de voir les autres
pays; ils n*ont d'estime que pour le leur. Ils ont la
mémoire heureuse et la pénétration vive; les sciences
leur plaisent, surtout parce qu'elles mènent aux digni-
tés publiques et aux honneurs. »
A propos des impôts, B iron dit que « certains fonc-
tionnaires, les officiers et les soldats sont exempts de
taxes. Tous les autres habitants sont taxés. Si un mar-
chand est établi dans la capitale, il est taxé à son
aldéa et à la capitale également. Un jeune homme de
dix-huit à vingt ans est taxé de 3, 4, S ou 6 rixdales
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BARON. — SA RELATIOIN TOnCHANT LE TONKIN. 273
par an, suivant la fertililé du terroir. Ce tribut se paie
en avril et octobre^ époque de la moisson du riz.
c En plus de la taxe^ il est dû aux seigneurs une
sorte de service appelé Vecquan. Le Vecquan est une
prestation pour Tenlrelien et la réparation des murs,
des chemins, palais du roi et édifices publics. Les
artisans doivent six mois par an au Vecquan, sans
rémunération. Par bonté on peut leur accorder la
nourriture. Pendant les six autres mois, ils peuvent
disposer de leur temps pour leurs travaux personnels.
c Les habitants des aldéas pauvres, qui ne peuvent
payer la taxe, sont employés à couper l'herbe pour la
cavalerie 1 1 les éléphants de TEtat. Ils sont tenus,
non seulement de la couper, mais encore de la trans^
portera la capitale 9.
Nous ne suivrons pas Baron dans les nombreux
renseignements qu'il donne sur l'instruction publique
et les grades universitaires, sur les funérailles, le
deuil, la religion, les idoles et les superstitions, pas
plus que dans le chapitre consacré à l'histoire suc-
dncte du Toukiri.Ce ne serait que répéter, en d'autres
termes, ce que nous avons déjà dit. Notons seule-
ment, en passant, la description qull fait du palais du
Chuà du Tonkin.
c Le palais est situé au milieu de' Cacho, entouré
d'un mur et environné d'un grand nombre de petites
maisons habitées par les soldats. Les édifices mté-
rieurs ont deux étages ; leurs portes sont hautes et
majestueuses ; les appartements renferment quantité
de choses rares et précieuses; l'or et les laques
splendides y abondent.
« Les écuries contiennent les plus beaux chevaux
et les plus beaux éléphants. Derrière le palais
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s'étendent de superbes jardins avec des bosquets»
des étangs, etc. »
Baron attribue à un prince qu'il nomme Cibalvie, la
construpUon d'un magnifique palais de marbre, dont
il ne reste plus que des ruines.
Çn i66o, le pays était divisé en six provinces t sans
y comprendre, dit Baron, le pays de CaBang et une
partie du royaume de Botçes. » Cent ans plus tard,
d'apràs les « Lettres édifiantes et curieuses », le
Topkin était divisé en onze province ou Xu, savoir :
l^ La province du Midi (Son-Nam) ; 2* la province de
rftst (ffai-puong) ; 3» la province du Nord (Kinh-Bac);
4^* la province de l'Ouest (Son-Tay ou Xu-Doai);
Ç" Yén-Quang ; 6'' Lang-Bac ; T* Thai-Nguyén ;
8^ Tuyén-quang ; 9" Hiing-Hoa ; 10° ThanU-Hoa ;
11' Ngbé-An. La capitale, Hà-nôi (ou Thaog-Long),
formait un gouvernement distinct, était regardée
comme centre commun, et les quatre premières
proviaces tiraient leurs noms de leur position par
rapport à cette ville. Ces quatre provinces principales
étaient appelées Tu-trân, et les autres Phiên-trdn.
Chaque province avait un gouverneur général
n^iliiaire (Quan-tiân ou Trântliu) et un juge civil
(Hiôp-trân) ; la province du Midi et celle de Tlianh-Hoa
avaient, chacune, deux gouverneurs généraux et deux
juges civils, depuis les grandes guerres civiles. La
partie supérieure de la province d'i Midi s'appelait
Kçitn-thuong et avait son chef-lieu à Trân-châa, à en-
vjroo 20 lieues au-dessous de Hà-nôï, sur la route
^*Qyale; la partie inférieure (Nam-Ha) avait pour
chef-lieu Vi-hoang. Précédemment,, le chef-lieu de
§Q^-Pîain éîait ^ Pt^ô-Jliéa^ oi^ s'établirent les facto-
ir^ripg européennes.
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BARON. — SA RELATION TOUCHANT LE TOnKlIf. 27(1
La partie N. (Je Ja province de Thanb-hoa s'appelait
Thanh-)ioa-ngoai, et la partie S., Tbanhhoa-nôi. Cette
province est regardée comme le berceau des fan^illas
royales Lêy Trinh elNguyên.
Quant à la Cochinchine, que Baron non^me « pro-
vince de Giang », par cette raison, sans doute, qu'elle
comprenait les territoires illimités qui s'étendaient au
sud du Sông-Gianb (ou Giang), elle était divisée déjà,
a^ ^^iQps du P. Alexandre de Rbodes, en six provin-
ces : TbuâpHoa, Quang-Binh, Cbam, Quang-Ngbia,
Qui-Ninb et Rau-van, cette dernière situé dans finté-^
rieur d^s tgrres. L'empire annamite s'arré^^it alors à
la limite actuelle du Quang-Yén, où commençait le
Ciampa. A mesure que la Cochinchine a conquis de
nouveaux territoires, le nombre des provinces s'est
augmenté et les dénominations ont changé; les suc-
cesseurs du P, de Rhodes comptaient huit provinces :
Quang- Hinh, Dinb-Cat, Hoé Cbam, Quang-Ngbia, Qui-
Ninb ou Qui-Nhon, Phu-yên etNba-Ru ou BiohKhanb.
Au commencement du dix-huitième siècle, on trouve
deux nouvelles provinces, ajoutées aux huit ci-des-
sus : Dinh-Ngoi (Bô-chanh, au N. du mur de Luy-Sây,
entre le Tonkin et la Cochinchine) et Nbi-Trang, au
S. de Nha-Ru. Vers le milieu du mén^e siècle, les ex-
tensions de la puissance annamite au midi ont amené
la création des provinces de Phân-Rang (ou Binh-
Thuân, (ormée des restes du Ciimpa)et deDông-Naï,
partie du Cambodge, qui s'étendit, peu après, jusqu'à
former d'abord quatre provinces : Dông-Naï, Saïgon,
Myibo et Lông-Hô ; — puis six provinces: les mêmes,
plus An-giang et Hà-tiéiH. — En 1838, Mgr Taberd
comptait, dans l'empire d*Annam, 34 provinces, sa-
voir, du Nord au Sud :
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tl6 L'BNPIRB D'ÂM-^iAII.
l"" Tonkin ou Dàng-Ngoai : Lang-Son on Lang-
Bac, Cao-Bang, Thai-Nguyén, Tuyén*Quaag, Quang-
Yèu, Bac-Ninh, Hai-Duong, Hung-Hoa, Son-Tèy, Ha-
noï, Son-Nam, Nam-Dinh, Ninb-Binh oa Thanh Hoa-
ngoai, SoQ-Thai ou Tiianh-Hoa-nôi, Nghô-An, Bô-
Chinh-ngoai. — 16.
2" Cochinchine extérieure : BÔ-Chinh-trong, Quang-
Binh, Quand-Tri, Quang-Duc (Hué). — 4.
S' Cochinchine intérieure ou DdngTrong : Qaang-
Nam, Quang-Nghia, Binb Dinh ou Qui-Khon, Phu-
Yên, Nhà-traug ou Binh-boa, Binh-Thuân. — 6.
' 40 Gia-Dinh: Bién-Hoà, Phan-Yén, Dinh-Tuong,
Viuh-Thanh, Châu-dôc, Hà-tiên. — 6.
5^ Ancien Cambodge : Gô-Sat, Nam-Vang. — 2.
Soit, en totalité, Sï provinces.
Touchant les ressources agricoles, industrielles et
commerciales du Tonkin, Baron dit que < la soie est
une des richesses de la contrée; Télëve des vers-à-
soie ne s'y fait pas avec moins d'habileté qu'en
Chine. Une partie des soies écrues est expédiée au
Japon. Cette industrie y est si développée que les pau-
vres, comme les riches, sont vêtus d'habits de soie.
< La soie est le seul produit d'exportation ; les
Portugais et les Castillans avaient d'abord accaparé
ce commerce, mais aujourd'hui (1) ce sont les Hol-
landais et les Chinois qui portent au Japon la soie
écrue. Les Anglais et les Hollandais achètent la
majeure partie de la soie travaillée.
« L'or vient de Chine; Targent provient des An-
glais, des Hollandais et des Chinois qui trafiquent
dans le pays.
(1) 1680.
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fiAtimi. — SA ftELATIOlH tOtCHANT LE TONICI». tli
« Le commerce domestique consiste en riz, poisson
salé et autres articles d'alimentation; la soie est
aussi fobjet d'un certain négoce intérieur : elle sert
à la confection des vêtements et des meubles. Mais les
marchands retirent peu de profit de leur commerce
avec la Chine, parce qu'il faut donner des cadeaux
considérables aux mandarins des frontières. Les Chi-
nois eux-mêmes ne sont pas à Tabri de ces concus-
sions.
« Une des maximes de la cour est d'empêcher les
particuliers de devenir trop riches ; aussi ferme-t-elle
les yeux sur les exactions des fonctionnaires.
« Il y a auTonkin des mines de fer et de plomb ; elles
fournissent la quantité nécessaire à tous les usages ».
On peut s'étonner que Baron n'ait pas parlé des
dépôts de houille.
« Le commerce, dit-il encore, est peu florissant
pour plusieurs raisons. D*abord les marchands du
pays achètent toujours aux étrangers à trois ou quatre
mois de crédit ; par suite, ces derniers courent des
risques pour leurs marchandises et éprouvent tou-
jours une certaine peine à se faire payer. Pas un seul
marchand du Tonkin n'a le pouvoir ou le courage
d'employer d'un seul coup 2,000 écus en marchan-
dises.
< Cependant le Tonkinien est moins trompeur et
perfide quele Chinois, parce quHl estmoins intelligent.
En second lieu, la majeure partie de l'argent passe à
la Chine, pour y acheter la monnaie de cuivre, qui
monte et baisse au gré de la cour. Il n'y a pas de
monnaie de cuivre au coin du prince. L'empreinte est
assez rapidement effacée par l'usage, et cette monnaie
perd ainsi sa valeur.
SavBSTRK. — Aimam, 1«
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c Quoique le gouvernemeut fasse peu de cas du
eommerce avec les étrangers, il lire de grosses somr
oies des droits et taxes qu'il l^ur impose (nous avons
dit que la douane de Twon-Bene rapportait un million
de rixdales). Mais il en reste peu au trésor : Tentre-
tien de Tarmée et les dépenses inutile^ at>sorbent
presque tout. C'est pitié qu'on ne retire pas plus de
profit du commerce pour enrichir le royauipe. I^
Tonkin est, en effet, bordé par deux des plus ricbes
provinces de la Gliine et il serait facile d'y faire pas-
ser leur commerce.
« Il ne serait pas moins aisé d'y attirer les marclian*
dises de TEurope et des Indes, et I4 Utierté qu'on
pourrait accorder aux Européen s de porier leur copa
merce dans l'intérieur tournerait égalemeqt à l'avan-
tage du Roi et des habitants. Mais la crainte de quel-
que invasion, qui n'est guère h redouter, éloigne la
cour de tout ce qui pourrait laisser péqétrer les fron-
tières » .
Malgré la brièveté de pette noticç, qui n'e^t en
somme qn'une sorte de. résumé de pelle de garoR»
on peut voir que l'Annam ft peu pjiaïigé depuis
deux cents ans. Tel il était en 168a, tel potis ff^vons
trouvé en 1898.
Mais Baron avait compris quel ensemble de res-
sources devait posséder le Tqn^in, pour qu'une
population si dense pût s'y maiptflpir et i|e déve-
lopper, en dépit de guerres interminables, d'une
administration écrasi^iite et surtout des #bus d'uQ
système de prestation qqi pren^t aii peuple la
moitié de son labeur. On popYiendra que ses vues
sur l'avenir commercial du pap spp( trè^ remar-
quables.
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IV
sAtGôN Avant L'oceupATtdN faançaise.
En 1668, les Atinamites, qui s'étaient déjà iatre^^
doits par gi^odped isolés dans lés t)rovinees eambod-
giennes de MôiXul (Baria) et de Dông-Naï (Bien Hoà)^
envoyèrent des troupes du Phti-Yôn, qui battirent le
roi du Cambodge et l'obligèrent à reconnaître la suEe^
raineté de l'Annam. En 167S, ils occupèrent Saigon^
Gô-Bich et même Nam-Vang (Phnom-Penh) ; le goU-
verdement du Cambodge ftit alors partagé entre les
princes eambodgiens Néac-Thu, qui régna àOudôn, et
Néac-Non^ dont la capitale fut établie à Saigon (Prey-
Nokor).
Mais cinq ans plus tard survint un événement qui
décida dd sort du Bas-Cambodge. Un partisan de la
dynastie Minh, vaincu par les Mandchonx et obligé de
f\iir de Canton» vint avec ses soldats, au nombre de
trois mille^ aborder à Touranne et fit sa soumission
au Chuà de la COthinchine plutOt que de suhik* le jdug
des Taïaare». t Hiên-Vuong hésita, dit P,-i.-B. Traong-
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i80 L'KMPIRB D'ÀN-NÀIf.
Vinh-Ky (1). Ces gens pouvaient chercher à le trom-
per, et il pouvait être imprudent d'admettre dans le
royaume des étrangers dont la langue, le costume,
les usages différaient de ceux du pays. D'un autre
côté, il lui paraissait aussi difficile de repousser abso-
lument ces hommes qui se présentaient, réclamant de
devenir sujets annamites, pour ne pas manquer à la
fidélité envers leur souverain. »
Hién Vuong tourna habilement la difficulté: il diri-
gea les nouveaux venus vers les contrées du Dông-
Na¥, où régnait un roi du Cambodge sous sa suzerai-
neié. Par ce moyen, le chuà réalisa, d'un coup, trois
excellentes opérations, ^ l'occupation d*une portion
du territoire cambodgien sans sacrifices d'hommes
ni d'argent, l'extension de sa puissance et l'éloigné-
ment d'hôtes assez dangereux. Les émigrants firent
voile vers le sud de la presqu'île ; leur flotte donna
dans la baie de Ganh-Ray, et là se divisant, les uns
remontèrent le fleuve du Dông-Naï, les autres le Soî-
rap. Les premiers prirent terre et s'établirent à Ban-
Lan (aujourd'hui Bién-Hoà), les seconds gagnèrent
Mytho, sur la branche orientale du Mé-Kong (2).
Pendant que la colonie de Bién-Hoà fondait un
centre agricole et commercial, où Ton vit venir bien-
tôt des trafiquants européens, malais, chinois et japo-
nais; la colonie de Mytho, véritable avant-garde formée
d^aventuriers indisciplinés et plus hardis, menaçait le
royaume cambodgien d'Oudôn, rançonnait la naviga-
tion et interceptait le commerce du fleuve. Le roi
cambodgien de Saigon fit appel à la cour de Hué, qui
(1)
(2)
Histoire annamite, op. cit. — T. JI, p. 460.
Gia Dinh Thung • M. Histoire et destription de la Bane*
Ççchinchine, traduites par G, An|)aret, — Paris, i863,
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SATGON AVANT L'OCCUPATION FRANÇAISE. iÔi
n'attendait qu'un prétexte pour achever son œuvre
d'asservissement complet des pays khmers; une armée
annamite vint alors» battant à la fois et Chinois et
Cambodgiens» et la soumission obtenue» elle prit
définitivement ses cantonnements à Bén-Nghé (le
Saigon actuel) en 1689. Dix ans après, le pays de Dông-
Naï fut organisé en deux provinces annamites, Trân-
Biên et Phân-Trân, avec Bién-Hoà et Saigon pour
chefs-lieux. Les rôles dressés à cette époque ne comp-
tent que quarante mille familles dans toute retendue
de ces deux provinces ; alors on rassembla des gens
de la Cochinchine, que Ton transporta dans l(^s nou-
veaux territoires ; des terres leur furent distribuées et
Ton fonda des villages, des bourgs, des hameaux
annamites, qui consommèrent l'éviction des posses-
seurs primitifs.
A partir de cette époque, les empiétements de l'An-
nam dans le Bas-Cambodge s'accomplirent, et -—régu-
lièrement, peut-on dire. En 1715, un aventurier
cantonais, Mac-Cu-U, qui avait réussi à s'établir indé-
pendant à Hàtiên, sur le golfe de Siam, fit hommage
au Chuà de Hué des territoires qu'il avait pu enlever
à l'autorité du roi du Cambodge et, ayant reçu le titre
de Hâu (marquis), avec le grade de général, il fut
nommé gouverneur héréditaire de Hàtién. Ses des-
cendants ont conservé ce rang jusqu'au règne de
Minh-Mang (1820-1841).
Pendant ce temps-là, les agrandissements du Cam-
bodge annamite avaient été poussés de Uyllio à Cai-
Bé, puis à Long-Hô (Vinh-Long), et l'on comptait, en
1733, deux provinces de plus : Dinh-Tuong et Long*Hô»
sur le Mé-Kong.
L'année 17;i9 mit fin au règne du provisoire sous
Sylvestre. — Awmw. 46.
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i82 l/EMPinK n .\N->iAM.
lequel était restée la Basse-Cochinchinft, et lëè nou^
veaux territoires furent placées sous Pethpife èsi lb\&
et règlements communs au reste du rôyautrte. Un
gouverneur général (Kinh-Luoc, Envoyé royal) fiit
chargé de la haute administration des provinces,
depuis le Khanh-Hoa jusqu'au Lon«ç-Hd, et sa résidence
fut établie h Saigon,dans un camp fortifié qu'on ûommâ
Dôn-Dinh (1). 1754.
Dès Tannée suivante, l'armée annamite s^avançà
dans le Cambodge; les Khmers, affaiblis par leurs
divisions intestines, ne surent lui opposer aucune
résistance sérieuse et perdirent successivement où
cédèrent par traité aux généraux du Chuà de Hué
d'immenses portions de leurs territoires: en 1780,
Châudôc était tète de frontière de la Basse-Cochia-
chine (2), du côté du Cambodge, et le gouverneur de
Hàtiên, Mac-Ton, (ils et successeur de Mac-Gu-U,
possédait tout le littoral du golfe de Siam, depuis
Campôt jusqu'à Cà-llâu. 11 ne restait plus aux Cambod-
giens, dans le delta, que les pays dont nous avons
formé plus tard les arrondissements de Bén-Tré, Mo-
Cây, Trà-On, Trà-Vinh, Cân-Tho', Long-Xuyên et Soc
Trang, enclavés alors dans les possessions annamites
et destinés fatalement à passer entre les mains dés
envahisseurs. Ce n'est, toutefois, qu'en 182Î que la
conquête et l'occupation de ces derniers lerrilôirès
furent complètes et définitives.
(1) Le çauip de Dôu-Diuh était situé dans la pariie du Saigou
a8luel îqui borde la rive gauehé ùel'arropO ehinois, firé sou
cénilu^t ,év^ la. ritière de SaigoQ Qu y établit Dlud ^rd hk
iâârcHé an Clid'-âoî (V.-G/à DinK Thung Chi. f. Ûl Vûnd^
chefs de la révolutioa des Tây Soû( 1774-180i^if» Jfiattfé Se la
Baâse^Goehinchiue, prit le titrede Roi de Bôn-I^^f^h.
[2 Appelée (lèé eette époque Gia-Dinh.
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SAIGON AVA'^T L'OCCUPATIOIM FRANÇAISK. lêS
babH cette revue rapide des dittérentes phases de
rextensioQ de la puissance annamite dans le sud de la
presqu'île indô-chinolse, nous ne nous sommes pas
occupé des démêlés avec Siam, et nous n'avons pas
parlé de l'occupation des provinces septentrionales
du Cambodge, qui furent, quelque temps, annexées au
territoire de l'empire d'Annaiti par Minh-Mang (I).
Il sulîlsait, en effet, à l'objet que nous nous proposons
dans celte notice, d'établir les origines historiques de
la BasseCocliinchine, telle que nous l'avons trouvée
il y a trente ans, pour traiter ensuite, plus spéciale-
ment, de Saigon.
C'est au palais du gouvernement, à Saigon, daris
les Vitrines du musée paléolithique créé par M. Lé
Myre de Vilers, que Ton peut voir les uniques ves-
tiges, qui aient été découverts jusqu'à présent, dô
l'existence des populations préhistoriques suf les
bords dé Id riVière de Saigon. Le petit hoaibre des
pièces trouvées, leur dissémination, la nature des
matériaux et la grossièreté des façons autorisent à
pensei* que nos sauvages prédécesseurs en étaient
encore à l'enfance de la vie sociale. Etl efibt, M. lé
docteur Corre, qui a décrit ces objets (2), n'a reconnu
que dfes espèces de ciseaux en coin et dés herniiiieties,
en gk^ès siliceux Ou en pétrosllex, grossièrement
polis, trêâ inférieurs en tous points aux instrumenta
(|u'on rencontré au tiambodge, éàûé les dépôts dé
(1) Volt" la caflÊ dô AJgr Tabefd. - Ëd 1847, ft la suite d'iiiî
aeedrâ avee les siamois, ees provinces furent j^ôtraeédées par la
cour de Hué à Néac-Ang-Puong, à uni elle envoya les slgues
dlûireslltili'd qui U créaient roi du Cambodge, sotis là suzérài-
n#jt^ 4e l'Adam.
Bàcursittns 0t r§connai$$ance$^ n^ 1. — 1S98, pages 125 et
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M fKMPîRR D*AN-NAM.
Som-rong-sen ; pas d'autres armes ou outils ; on n'a
trouvé qu'une hachette en bronze.
A quel rameau de la famille humaine faut-il ratta-
cher ces aborigènes? On en est encore réduit aux
conjectures. Selon toute apparence, il s'agit là d'in-
dividus unis par d'étroits liens de parenté avec ces
tribus à demi-sauvages que l'on rencontre aujourd'hui
encore, éparses, indépendantes et sous les dominations
les plus diverses, depuis le Teraï indien jus4u'aux
rives du Yangtse-kiang. Pressés, refoulés par des
invasions venues de tous les points de l'horizon (par
les Mongoliques du nord et du nord-est, Thibétains,
Chinois et Annamites; par lesAryas et les Dravidiens,
venus du nord-ouest et du sud-ouest ; par les Malais
du sud et du sud-est), obéissant à leur propre besoin
d'expansion, ou à la poussée d'autres peuples en mi-
gration, les sauvages autochthones aux formes simien-
nes, dont les bas-reliefs des monuments khmers nous
ont conservé les types, durent abandonner le littoral
et les plaines méridionales, pour se réfugier sous le
couvert des forêts, dans les multiples ramifications
des Himalayas.
Là, farouches, en proie à toutes les misères et à
tous les dangers des luttes journalières pour Texis-
tence et la liberté, il en est qui combattent encore^
depuis plus de 5,000 ans, au dire des annales chinoise:^,
pour une indépendance à laquelle ils tiennent plus
qu'à leur vie. L'air empesté, les eaux empoisonnées
de leurs refuges leur font un rempart infranchissable;
eux seuls réussissent à vivre dans celte zone meur-
trière. Le climat les décime pourtant, au point que
leur disparition totale est relativement proche, mais
du moins le dernier d'entre eux pourra mourir libre.
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SAIGON AVANT L'OCCUPATION FRANÇAISE. J88
loin des conquérants odieux. CTest leur rêve» « tant la
haine des races est puissante, comme dit le sinolo-
gue Guillaume Pauthier, et tant le sang de celles qui
ont toujours été à Tétat sauvage a horreur des peuples
civilisés, qui leur paraissent sans doute dans un état
de dégradation servile » .
On peut admettre comme certain que les premiers
immigrants qui attaquèrent Tlndo-Chine orientale
(celle dont nous parlons) par le sud, furent des Malais»
ou du moins d^s individus venus des pays que nous
appelons aujourd'hui Malaisie. Celui qui, le premier,
aborda sur le rivage de la plus grande des deux pénin-
sules fut quelque écumeur de mer, surpris par la tem-
pête, et que le souffle déchaîné du sud-ouest ou les
courants entraînèrent sur ces côtes. Ayant peut-être
déjà observé les lois régulières des moussons, il put»
sans doute, effectuer son retour à la saison du nord*
est et, renseignés par lui, ses hardis compagnons de
Java osèrent lancer leurs praos dans les hasards d'une
navigation si aventureuse. Ils vinrent alors en si grand
nombre qu'ils purent fonder, sur le littoral, à partir
des bouches du Mékong, des royaumes qui étendirent
leurs conquêtes dans le nord, jusqu'n ce que, au qua-
trième siècle de notre ère chrétienne, ils eurent atteint
les limites des territoires déjà occupés par les Chinois
et qui sont le Tonkin de nos jours.
Alors s'engagea la lutte entre l'élément malais et
l'élément mongolique, lutte extraordinaire, qui dura
jusqu'à la fin du siècle dernier. L'indomptable Malais
succomba sous les gros bataillons des Chinois d'abord«
des Annamites ensuite, et ce qui en subsiste encore
aujourd'hui vit ^ dispersé, sans lien politique, sous le
nom générique de Chi^m (de Cbi^n^-Ba» le Ciampa de
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fc ■'■!*■
***»> I /RMWRt: D'AN-NAM.
Marco-Polo), dans le Binh-Thuân, près dé î4jr-lftnh
et au Cambodge.
Les nouveaux venus prirent donc pied sur le littoral»
à l'abri des hautes terres qui s'alignent selon li direc-
tion nord-ouest et sud-ouest, de Tây-Ninh au cap thi-
Wan etqui baignaient alors dans les eaux de l'irkinlense
estuaire du Mé-Kong, — aujourd'hui comblé, — les
pieds de leurs plateaux diluviens, et les tidnldes abori-
gènes, impuissants à résister et incapables dé se sôtt>
mettre au joug d'un maitre, durent se retirer dani lés
régions montagneuses et forestières de l'intérieur» oft
nous retrouvons encore leurs descendanlà.
Cette opinion était celle de M. le docteur Harmand :
« Les races qui se disputent, dit-il (1), le sol immense
de la presqu'île indo-chinoise sont des plus nombreu-
ses et des plus variées. Les unes sont descendues
sans doute du massif oriental du Thibet, en suivant
les vallées des grands fleuves, le Hong-giang, le Mé-
Kong, rirraouaddy, laSalouen, le Mé-nam. Les autres,
probablement, par essaims successifs, sont venues
aborder la presqu'île par ses côtes, soit par le golfe
de Siam, soit par la mer de Chine.
« Toutes ces populations, si différentes déjà, n'ont
pas trouvé une terre vierge et inoccupée. Avant elles
le sol était la propriété de peuples qui, setnble-t-îl
ont couvert entièrement la presqu'île jusque dans
i'Assam, l'Aracan, la plus grande partie de la pénin-
sule de Halacca, et qui s'étendaient plus loin encore,
probablement jusqu'aux Philippines et aux grandes
îles d*Haïaam, de Sumatra et de Bornéo.
1) Les races indo-chinoises." Mémoires de la Société d*anthre^
poiogie de Paris. T. U, 2^ série, 1875.
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SAIGON AVANT L'OCCDt>ATiON FRANÇAISE. 2Sl
f Sans qu'il soit encore possible, je pense, (Je savoir
^*ils venaient du dehors, ou si ce sont eux, au con-
traire, qui ont envoyé de lointaines colonies à l'exté-
rieur, on peut être certain que leur présence remonte
à l8^ plus haute antiquité.
« Coupées en inille tronçons par les envahisseurs,
ç^s tribus déshéritées se sont trouvées désagrégées,
(3t augmentant elles-n)émes comme à plaisir leur mor-
cellement inflni, sans aucun lien national qui ait pu
leur foijrnir pne force de réaction suffisante, elles
sont devenues le rebut des vainqueurs çt comme le
grand mîirché de leurs esclaves ».
A défayt de documents certains, on pept raisonner
(î'^pfès pg? hypothèses, d'autant plus admissibles que
1q nature et la configuration du sol, les lois des vents
et fiouranls généraux, et les caractères ethnologiques
q^e présentent, aujourd'hui encore, le§ descendants
d^ Qe^ premiers occupants des bords de la rivière de
Saïgpn, ne peuvent que les justifier.
CQOaipencée à une époque qu'il n'est pas possible,
fiçtiiçi)|prnent,de déterminer même approximativement,
1^ conquête dii littoral delà presqu île iJe rindo-Chine
pgf de|( Malais remontant du Sud au Ii^ord, semble
n'avpir atteint qu'au quatrième siècle de notre ère les
frontières méridionales du Tonkin C'est cette époque
qu'ils apparaissent brusquement dans les annales chi-
noises, et la lutte s'engage dès le premier contact,
pour se continuer presque sans in erruptionjmplaca-
gle, jusqu'i^u complet anéantissement de toute 1(|
puissance malaise.
Nous avons parlé préc^4em(nent (1) ^ps ^iOiSrentes
(1) Vdif 9Miii 1 • inmmtm^ ^Qi^n^u it C9chmhinQi$.
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étapes parcourues par les conquérants annamites
depuis le Nghé-An jusqu'au Binh-Thuân» d'après les
historiens de l'Anaam ; mais nous ne savons rien des
événements survenus pendant la période malaise aux
bouches du MéKong. LesChàms ont-ils écrit leur his-
toire ? Ont-ils des livres, des documents? On l'affirme,
Janneau tout le premier, et nous n'avons pas de rai-
sons d'en douter ; espérons que l'on pourra les retrou-
ver, si M. Aymonnier ne Ta déjà fait.
£n tout cas, ils ont gardé des souvenirs, des tradi-
tions, bien vagues peut-être, mais intéressants néan-
moins. 11 nous a été donné, autrefois, de rencontrera
Tfty-Ninli un Chàm, marabout (1), réputé savant parmi
ses congénères du village de Dông-Tac, qui nous a
conté que, selon les traditions, il existait dans les
temps anciens un royaume chàm qui comprenait tout
le pays, de Tfty-Nmh à Saigon, et dont le roi — un
boiteux — s'appelât Cà-bat. Les princes Pô-Nu-Cay,
Pô-Koc et Pô -Sun étaient ses ministres. — Il y eut
alors une invasion : des gens venus du Nord-Ouest,
en grand nombre, inondèrent le pays et s'en rendirent
maîtres malgré la résistance des Chàms. Vaincu, le
roi boiteux s'enfuit à Bén-Ri-Bôn-Rang (2) ; les vain-
queurs établirent un roi khmer à Saïgon et emme-
nèrent le peuple en esclavage.
(1) Ces Chàms sont mahométans. Daus l'histoire du Ciampa,
on voit citer des noms de rois, dont la forme est parfaitement
caractéristique ; ainsi, au dixième siècle, nous trouvons Gheleyn-
teman, Suleynteman (Soliman, habillé à la chiuoise). Détrul à
noter : l'islamisme n'a été introduit à Java qu'au quinzième
siècle, et ce serait une reine du Ciampa qui y aurait amené les
premiers missionnaires mahomélans. -
(2) C'est-à-dire le Binh-Thuâu, le Pari-Penang des Chàms du
Cambodge et, plus particulièrement, la portion du littoral com-
prise entre les deux baies de Phan-Ri et de Phan-Rang.
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SAIGON AVANT L*OCCUt>AtION rRANÇAlSE. 289
Ce récit du marabout est corroboré par la « Chro-
nique des anciens rois du Cambodge » (1), où il est
dit qu'Aschay (2) fut dépossédé par les Klimers vers
289 av. J.-C, et que les Chàms établis dans le pays de
Kuk-thlok, dispersés et vaincus, se retirèrent au Sud.
Plus tard, les conquérants descendirent eux-mêmes
jusqu'aux limites de l'estuaire, et c'est alors qu'ils se
seraient emparés des états de Cà-Bat, qui s'enfuit au-
près de son voisin, peut-être son suzerain, le roi de
Phan-Ri; son peuple aurait été emmené en esclavage
à Mahâ-Nokor. Un roi khmer fut installé à Saigon dès
cette époque, et le nom que prit alors sa capitale,
« PreyNokor » — la forêt royale, — indique assez
rétat des lieux.
F. Garnier place au douzième siècle (de H53à 1186)
l'envahissement du pays chàm par lesKhmers et l'éta-
blissement du roi de Prey-Nokor ; nous pensons que
ces événements se passèrent eu 1197, et nous les
trouvons indiqués dans les annales chinoises, qui rap-
portent qu'en Tannée 1179 le roi chàm Tseouyana
envahît le Tchin-La, mais se contenta de le piller, et
qu'en 1197, les Khmers prenant leur revanche, s'empa-
rèrent du royaume chàm et le soumirent à un roi
cambodgien (3).
Ainsi dépossédés au Sud, perdant en même temps
leurs provinces, les unes après [les autres, dans le
Nord, les Chàms, que les Européens n'ont connus
(1) Traduite et commentée par M. AymoDiiier, Exe, et reconn.
Q... 4. _ 1880).
(2) Aujourd'hui encore, chez les Chàms, les appellatifs Pô,
Chay signifient roi, prince, altesse. (G. Jeauneau, Manuel pra-
tique de lanaue cambodgienne).
(3) Ce fut là, sans doute, le TchlnLa d*cau,
SiLViSTRE — Annam. 1 7
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ièO LEMPIRE DAN-NàM.
qu'en pleine décadence, en étaient réduits à peu près
au territoire du Binh-Thuân, au commencement du
dix-huitième siècle. Le roi Tang et son gendre, nommé
Heun, étant moris vers 1775, l'Annam s'annexa encore
ce dernier débris du Ciampa, qu'un gouverneur admi-
nistra désormais. Quatorze siècles de luttes acharnées
contre des peuples puissants comme les Chinois, te-
naces ou résolus comme les Khmers et les Annamites,
avaient diminué, affaibli les Chàms au point qu'il n'en
existait plus qu'un bien petit nombre autour du der-
nier de leurs rois, à l'heure de la crise finale. Le
vainqueur les laissa vivre en paix dans les cantons
montagneux où ils s'étaient retirés en abandonnant le
littoral; il leur permit de garder un fantôme de roi
auquel on accorda le titre de quan-lrân, et respecta
leurs usages, leurs mœurs et leur religion.
A vrai dire, les Malais n'ont laissé aucune trace de
leur station sur les bords de la rivière de Saigon ;
pas de monuments, comme au Binh-Dinh,— pas même
un de ces noms de rivière, de rivage ou de province
qu'on rencontre dans certaines parties du Cambodge.
S'il y en a existé, et l'on n'en peut douter, les Anna-
mites, quis'y sont substitués aux Khmers, ont fait table
rase de tout cela, ainsi que de tout ce qui rappelle les
périodes antérieures, ou du moins ils ont si bien déna-
turé les noms qu'il est actuellement bien difficile de
les reconnaître,sauf dans les provinces les plus récem-
ment conquises.
De l'époque cambodgienne de Saigon et de la pé-
riode des tiraillements entre Khmers et Annamites
(1675 à 1699) pour la possession de cette résidence,
nous n'avons à dire rien de plus que ce qu'on a lu
plus haut, si ce n'est que, rompant avec les pratiques
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SAIGON AVANT L'OCCUPATION FRANÇAISE. 291
administratives des mandarins cambodgiens, les
Annamites s'occupèrent, dès leur arrivée, de dévelop-
per l'exploitation agricole du terrain : de bonnes
mesures, sages et intelligentes, parfois peu conformes
au droit strict, sans doute, mais éminemment politi-
ques, furent décidées et appliquées. C'est ainsi que,
pour établir des communications faciles entre le Mé-
Kong et Srtïgon, ils canalisèrent la rivière que nous
appelons « arrôyo de la Poste », d'abord, et plus tard
le rach Ngua, qui fut relié à Tarroyo chinois en 1819.
La révolte des Tây-Son éclata au Binh-Dinh en 1774:
à la fin de l'année 1775 les rebelles s'emparèrent de
Hué et le chuà Diué-Tôn dut s'enfuir au Quang-Nam,
puis à Saigon (1776), qui se divisait alors en deux
parties: Bôn-Nghé, l'agglomération populaire, et Bên-
Tliành, la citadelle, où résidaient les autorités royales.
En 1777, les Tây-Son marchèrent sur Saigon, et Diué-
Tôn se réfugia à Dôn-Lam, dans la province de Biên-
Hoa, d'où il revint à Saigon lorsque l'un de ses géné-
raux, nommé Nhon, chef d un corps de partisans
(Dôog-Son), eut repoussé l'ennemi, qui ne se retira
pas, d'ailleurs, sans avoir vidé les greniers de la
place.
L'année suivante, on vit reparaître les Tây-Son; ils
reprirent Saigon, occupèrent tout le pays environnant
et le chuà dut se réfugier à Long-Xuyên. C'est dans
celle même année 1778 que la plupart des Chinois,
dont les pères, un siècle auparavant, étaient venus
fonder des établissements à Bién-Hoa et à Mytho, se
décidèrent à transférer leur comptoir auprès de Pliân-
Tràn (qu Phân-Yén), chef-lieu de la province de Gia-
Dinh. Le centre commercial ainsi loiidé, lut appelé
Tai-Ngon par les Chinois; iious avons vu ce ùom,
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29S L*ENPlRfi D*AN-NAM.
depuis lors et grâce à Terreur que nous avons com-
mise, passer à Bên-Nghé (1) et Bôn-Thành réunis,
sous cette forme nouvelle < Saigon », tandis que nous
désignions le comptoir chinois du nom vulgairement
usité parmi les Annamites, ^ Cho-Len » ou le grand
marché.
En 1779, le prince Nguyèn-phuoc-Anh, qui avait suc-
cédé à Diué-Tôn mis à mort par les Tày-Son, se mit
à la tête des troupes royales et reprit Saigon (2) ; il y
fut proclamé chuà de la Cochinchine en 1781, sous le
chiffre 6ia-Hung, qu'il changea pour celui de Gia-
Long, en 1801 ; mais en 1783, il vit reparaître les
forces rebelles. La flotte royale tenta vainement de
les arrêter dans la baie du cap Saint Jacques ; elle
avait pris position au lieu dit Nga-Bây, à Gan-Gio, mais
Tennemi favorisé par le vent et la marée rompit les
lignes, dispersa la flotte et, chassant devant lui les
forces royales, remonta jusqu'à Saigon, qui venait
d'ouvrir ses portes, d'ailleurs, à une armée de 10.000
hommes, venue du Binh-Dinh sous le commandement
de Long-Nhuong (3). Le prince Nguyén-phuoc-Anh
(1) Appelé aussi Ngu-u-Tan.
(2) Nous dirons ffénéralement Saigon pour nous conformer à
l'usage établi par les Français; on a vu qu'il faudrait, plus exac-
tement dire Gia-Dinh ou Phân-Trân.
(3) En racontant ce combat naval, l'auteur du Gia Dinh Hiung
CfU dit qu'un capitaine français, nommé Manoê, qui comman.
dait un navire de la flotte rovale, résista pendant longtemps aux
attaques répétées des rebelles. Ceux-ci se réunirent en grand
nombre pour entourer son bâtiment, auquel ils finirent par pou-
voir mettre le feu, et Manoô se fit sauter plutôt que de se ren-
dre. C'était un matelot breton, attaché à l'évêque d'Adran,
Mgr Pigueau de Béhaiue. Après sa mort, le roi lui conféra de
hautes dignités et sou nom fut inscrit sur une tablette conservée
dans le panthéon des grands hommes de TAnnam.
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SAIGON AVANT L'OCCUPATION FRANÇAISE. 293
dut se retirer à Mi-Qui (Ba-6iông), près de Mytho, où
il rassembla de nouveaux contingents.
« Long-Nhuong, par la prise de Gia-Dinh, se trou-
vait maître de toute la Basse-Gochinchine. Car cet
homme n'était pas seulement un guerrier, il était en
même temps un très bon administrateur et, bien dif-
férent des généraux envoyés par Nhac(l), la première
fois, il sut tenir partout le pays dans sa main par des
postes bien établis, soit à terre, soit sur le ^ cours
d'eau et la côte, et par une discipline sévère en même
temps que bienveillante pour les populations » (2).
Mais ce général, qui avait reçu à l'occasion de ses
succès le titre de roi de Dôn-Dinh, fut rappelé au
Binh-Dinh, et trois mois après son départ Saigon
retombait au pouvoir des troupes royales.
Au cours des opérations menées par les Tây-Son
autour de Gia-Dinh, l'un de leurs meilleurs généraux,
nommé Ngan, avait été lué dans une embuscade ten-
due par les soldats chinois des régiments Hoa-Ngaï.
Pour venger sa mort, le chef des rebelles poursuivit ces
Chinois, les cerna et les extermina jusqu'au dernier;
Cholen fut mis à sac, et l'on n'épargna pas plus les
marchands que les soldats. Tout ce qui portait la
queue fut massacré indistinctement : « il en périt en
cette occcasion plus de dix mille, raconte l'historien
Trân-Hoï-Duc ; la terre fut couverte de cadavres
depuis Bên-Nghé jusqu'à Saigon, et comme on les
jetait dans la rivière, elle en fut réellement arrêtée
dans son cours ; personne ne voulut manger de pois-
Ci)
(2)
Chef principal de la révolte des Tây-Son.
Notes hiitoriqites snr la nation annamite^ par le P. Le
Grand de la Liraye. — Saïçon, 1865»
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«94 L'EMPIRE D'AN-NAM.
son pendant un espace de temps qui ne (Jura pas
moins de trois mois. Les marchandises de tontes
sortes, appartenant aux Chinois, telles que thé, étoiles
de soie, remèdes, parfums, papiers, jonchèrent la
route pendant longtemps, sans que personne osât y
toucher » (l).
Au sixième mois de l'année I78i, les Tây-Son mar-
chèrent encore une lois sur Saigon et s'en emparèrent
de nouveau. Les royaux avaient accumulé les défenses
et les obstacles autour de la place et dans la rivière;
mais les brûlots préparés pour détruire la flotte
ennemie furent rejetés par le vent et la marée sur la
flotte royale qu'ils incendièrent et, pendant que les
rebelles occupaient Saigon pour la quatrième fois,
Nguyên-phuoc-Anh s'enfuyait à Myiho, puis à Sadec
et, enfin, à Phu-Quôc, une île du golfe de Siam.
Pendant cinq ans, ce prince eira, réduit parfois à
la dernière extrémité. Ce n'est point ici le monient de
raconter ses revers et ses succès ; disons seulement
que c'est durant cette période qu'il envoya Tévêque
d'Adran et le prince héritier en France conclure un
traité et demander des secours à Louis XVI Sans les
attendre, toutefois, il rassembla de nouvelles forces
et, le 8 du huitième mois de Tannée 1789, il était de
nouveau maître de Saigon, où il établit sa résidence
dans le fort de Binh-Duong, vulgairement appelé Thi-
Nghô, sur le bord d'un affluent de la rivière de Saigon,
qui enveloppe la ville au nord et porte actuellement,
sur nos cartes, le nom d arroyo de l'Avalanche, à
(1) Gia Dinh Thung Chi, 2* partie, chap. II, p. 195. Les régi-
ments chinois de Hoa-Ngaï étaient des volontaires, qui, dû p2irti
des Tây-Son, étaient passés en masse soas le drapeau des
Nguyên, en 1776.
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SAIGON AVANT L'OCCUPATION FRANÇAISE. 29S
cause d'une canonnière française qni y demeura long-
ten)ps en slation, dans les premiers jours de notre
occupation.
Nguyên-phuoc-Anh était définitivement en posses-
sion du pays de Gia-Dinh. Cette même année, il vit
revenir heureusement Mgr Pigneau dç Béhaine et le
Dông-Gung, amenant, sinon des troupes françaises,
du moins des officiers, des navires, des armes et des
inunitions, acquis à l'aide d'un subside de deux mil-
lions de francs accordé gracieusement par le roi de
France au roi de Gochmchine, sur sa cassette parti-
culière. A la même époque aussi, il lui naquit un
second fils, qui fut plus tard empereur sous le chiffre
Minh-Mang. « Il venait de naître, disent les « Notes
historiques » de M. de la Liraye, au carrefour qui est
derrière la citadelle (1), sur le territoire de Tân-Dinh
et à Tendroit actuel de la « pagode Barbet », que
Minh-Mang fit élever plus tard sous le titre de Khai-
Tuong (aurore de présage), en mémoire de sa nais-
sance dans des circonstances si heureuses».
Pendant quatre ans, les officiers et les ingénieurs
français s'appliquèrent à organiser et à exercer l'ar-
mée ; M. Victor d'Olivier de Puimanel (plus connu
sous le nom de « colonel Olivier ») traça une ville
régulière et construisit une citadelle selon les règles
des fortifications permanentes européennes, appro-
priées aux exigences de l'art annamite et à la nature
des matériaux.
Le plan de la ville do Saigon, dessiné en i790, a été
levé en 1795 par M. Brun, ingénieur attaché au ser-
vice du roi de Gochinchine. La ville s'étend âl, comme
(4) GeUe démolit par ordre de Minh-Mang «n 1837.
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m LI- MPIIIE D'AN-NAM.
aujourd'hui, sur la rive droite de la rivière, entre le
rach Thi-Nghê (arroyo de rAvalanche) et rarroyo
chinois; ou commercial. Régulièrement Ttracée, elle
comptait plus de 40 rues,'large3 de 15 à 20 mètres, et
généralement parallèles ou perpendiculaires aux quais;
deux canaux s'avançaient au cœur de la ville (1) et
servaient à Técoulement^des eaux des parties maré-
cageuses, telles que celles qui, comblées aujourd'hui,
en totalité ou*en partie, se trouvaient entre la vieille
route de Cholen et l'arroyo chinois (marais Boresse)
ou sur l'emplacement'du boulevard de Canton.
Au centre de la ville se trouvait la citadelle, im-
mense carré baslionné, mesurant un périmètre de
2,500 mètres environ, à la crête de feu, avec deux
demi-lunes sur les faces S.-0.,N.-0. et N.-E. On y
pénétrait par deux portes sur chaque face, ouvertes
dans les courtines.l L'axe de la citadelle se trouvait
dans le prolongement de la route actuelle du troisièm.e
pont de l'Avalanche, c'est-à-dire que l'ouvrage aurait
été également partagé, perpendiculairement aux faces
N.-O. — S.-E., par notre rue Nationale.
Dans la citadelle se trouvaient :
Au centre, le palais du roi, ayant devant sa façade
S.-E. la place d'armes, le parc d'artillerie de campa-
gne et un monumental mât de pavillon (c'est le côté
qui regardait la rivière). — A gauche du palais royal,
la résidencefdu prince héritier, et derrière le palais
la demeure de la reine. — A'droite'du palais, l'arse-
nal et les^f orges, ateliers de charronnage, etc., com-
(1) L'un, situé vers les terrains où nous avons placé les maga-
sins des Subsistances, a été comblé par nous ; Tautre a étécoui-
blé en partie (square lUgauU de Genouilly) et en partie garni de
berges pavées.
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SAIGON AVANT L'OCCUPATION FRANÇAISE. 297
prenant dix bâtiments régulièrement rangés. — Dans
les demi-lunes au centre des faces N.-E., N.-O. et
S.-O., des magasins à poudre ; la demi-lune au centre
de la face S.-E. restait réservée au mât de pavillon.
— Entre le logement de la reine et la poudrière de la
face N.-O., Thôpital. — A gauche du palais et der-
rière la résidence du prince royal, les magasins de
l'armée, comprenant neuf bâtiments.
Avec ses terre-plein, remparts, fossés et glacis,
cette citadelle couvrait un superficie de 65 hectares
environ. En dehors et au pied des glacis de la face
N.-O. se trouvaient les casernements de l'armée, à
cheval sur la route du troisième pont de l'Ava-
lanche.
La défense de la place s'appuyait à la rivière de
Saigon et faisait face à la plaine des tombeaux; une
enceinte (un mur en terre) enveloppait toute la ville,
partant du point où nous avons construit le deuxième
pont de l'Avalanche, suivant la rive droite du rach
Thi-Nghéet se dirigeant ensuite à l'O., pour aller
couper en avant la route de ThuânKéou et se rabattre
ensuite sur Cho-Len, avec des forts espacés de dis-
tance en distance. En aval de la ville étaient, sur la
rive droite un petit fort bastîonné (le fort du Sud), et
un fort plus grand, de même forme, sur la rive gauche
(le fort du Nord).
On remarquait, entre la face N.-E. de la citadelle et
le rach Thi-Nirhé, à 200 mètres des glacis, la maison
de l'évoque d'Adran, an centre d'un quartier qui a dû
être la chrétienté de Thi-Nghé et que Ton a rejeté de
l'autre côté de la rivière lorsque, après la révolte de
Kbôi et la reprise de Saigon, sous Minh-Mang, on a
reconstruit la citadelle où elle est présentement. La
SiLYBSTRB — Annam» il*
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59S L'EMPIRE D'AN-NAM.
maison de Tévêque devait se trouver sur l'emplace-
ment oii ont existé longtemps nos magasins généraux
des Subsistances, au-dessus du jardin botanique. C'est
là qu'après sa mort, Mgr Pigneau de Béhaine a été
exposé (1799), et c'est de là qu'est parti le cortège
qui l'a conduit à sa dernière demeure, longeant les
faces N.-E. et N.-O. de la citadelle, pour aller prendre
la route du troisième pont de l'Avalanche.
Sur la rive droite de cet arroyo, adroite en arrivant
au premier pont, étaienl des chantiers de construc-
tions navales et, un peu plus bas, un bassin de ra-
doub. D'autres chantiers du même genre existaient
au bord de la rivière de Saigon, où est aujourd'hui
notre parc d'artillerie.
Vers l'emplacement de la prison centrale actuelle
était la Monnaie; — et, à peu près où se trouvent
aujourd'hui les marchés couverts, les briqueteries
du roi. A Cho-qian existaient les magasins des
vivres (1).
Lorsque Finlayson visita Saigon, au cours de son
voyage à Siam et à Hné, à la suite deCrawfurd (1821-
18i2j, la ville, bien qu'inachevée et fort délaissée de-
puis que la cour s'en était retirée, présentait encore
un aspect qui frappa le voyageur. « Lorsque nous
approchâiues enfin de Saigon, dil-il (2), nous fûmes
surpris de voir se développer devant nous une cité
aussi étendue. Elle est bâtie principalement sur la rive
(1) Voir, d'alUeurs, la carte de Tiff^énieur Brun, au Dépôt gé-
néral de la Marine, u^ 292.
(2) George Finlayson The miss on lo Siam, and Hué the envi'
iai of Cocfiin-Ckina in ihe years 18li-22. BibliotUèque univer.
selle des Voyages. Traduction d'Albert Montemont. Àrnuoid
Aobrée^ édit.
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SAIGON AVANT L'OCCUPATION FRANÇAISE. 299
gauche (t ), et quand nous descendîmes sur le quai,
bien que nous eussions suivi cette rive pendant plu-
sieurs milles, nous ne vîmes pas encore la fin des
maisons Les habitations sont placées les unes à
côté des autres, et soigneusement alignées le long de
rues spacieuses et bien aérées, ou sur les bords de
jolis canaux. La distrilmtion des rues est supérieure
^ celle de beaucoup de capitales de l'Europe.
« Dans la soirée, nous fûmes visités pav
M. Diard (2), aimable français fort instruit, dont la
médecine était la profession, et qui avait été conduit
dans ces contrées par son désir de poursuivre l'étude
de l'histoire naturelle ».
Plus loin, parlant de Saigon et de Cho-Len, Finlay-
son dit que celle de ces deux villes « bâtie le plus
récemment s'appelle Bingeh ; l'autre, située à dis.
tance d'un ou deux milles de la première, se nomme
Saigon.
« Bingeh est contiguë à une forteresse qui a été
construite depuis peu d'années sur les principes de li
fortification européenne. Elle est munie d'un glacis
dans les règles, (i'un fossé plein d'eau (3), d'un haut
rempart, et commande la contrée environnante. Elle
est de forme carrée, et chacun des côtés a environ
un demi mille de longueur. Mais elle n'est pas encore
achevée; on n'a point encore fait d embrasures ni
(1) Plus exactement, à gauche en remontant la rivière.
(2) P. Diard, correspondant du Muséum, a écrit des Rensei-
gnements sur les ressources naturelles de la Cochinchive et sur IH
cultures que le pays comporte. {Annales du commerce extérieur,
n«> 4466, nrtars 1866).
(3) En 1662, ce qui restait de ces fossés, à demi comblés eu
1836, mesurait encore une vingtaine de mètres de largeur, sur
cinq mètres de profondeur. '
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300 I/KMPmE DAISNAM.
monté de canons sur les murs. Le zig-zag est fort
court, et le passage de l'entrée principale est en
droite ligne ; les portes sont belles et ornées dans le
style chinois
« La ville de Saigon est bâtie sur une branche con-
sidérable de la grande rivière, et sur les bords d'une
multitude de canaux, Elle est le centre du commerce
de cette fertile province; car, en général, il n'y a que
très peu de négociants à Bingeh. Quelques colons
venus de Chine font le négoce sur une vaste échelle,
mais les Cochinchlnois eux-mêmes sont, pour la plu-
part, trop pauvres pour s'engager dans les entreprises
de cette nature
« Les bazars de Saigon renferment en plus grande
abondance tout ce qu'on trouve dans ceux de Bingeh.
De la porcelaine grossière, des crêpes du Tonkin, des
soies, des satins, des éventails chinois, etc., sont les
marchandises qu'on voit le plus communément dans
les boutiques. Les rues sont droites, larges et com-
modes, la population est considérable ».
On voit que, depuis le rétablissement de la paix,
Saigon, et Cho-Len, son faubourg commercial, avaient
repris leur activité, refait leur fortune et rouvert l'ère
de leur prospérité. Dans les années qui suivirent le
passage de Crawfurd et de Finlayson ce mouvement
ne fit que s'accentuer, sous la sage et sévère adminis-
tration du vice-roi Lê-vanDuyêt : en 1830, le com-
merce chinois de Cho-Len exportait déjà annuelle-
ment 12,000 tonneaux de riz, 2,200 tonneaux de coton,
400 de sucre, 120 d'épices, 20 de cire, et d'autres pro-
duits tels que Técaille, l'ivoire, les holothuries, les
plantes médicinales; mais non sans peine, à cause des
restrictions administratives, qui étaient telles qu'au
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SAIGON AVANT L'OCCUPATION FRANÇAÎSE. Î^Ol
dire de l'auteur du Gia-Dinh Thung Chi, des denrées,
trop abondantes pour les besoins fie la consommation
locale, se perdaient faute de pouvoir être exportées
(par exemple, l'huile d'arachides). Aussi, tout se
vendait à vil prix : 100 cattis de sel valaient dix cen-
times (1).
Mais à cette époque survint une crise qui mit en
péril l'existence même de Saigon, coupable d'avoir
failli enlever tout le territoire de la Basse-Gochinchine
à l'autorité de l'empereur Minh-Mang. Au huilièmc
mois de l'année Nhâm-Thin (1832) mourut Lê-van-
Duyêt, vice-roi de Gia-Dinh. Ce haut fonctionnaire
avait, pour des motifs qu'il serait trop long d'exposer
ici, encouru la haine de Minh-Mang; tant qu'il vécut,
l'empereur le ménagea, craignant d'exciter le mécon-
tentement du peuple, qui vénérait en lui l'un des
héros de la guerre des Tây-Son, l'ami de feu Tempe-
reur Gia-Long et l'homme de bien qui avait rétabli
l'ordre, la paix et la prospérité dans la Basse-Gochin-
chine. Le vice- roi mort, l'empereur supprima sa charge
et divisa lé pays de Gia-Dinh en six provinces dis-
tinctes, ayant chacune un gouverneur particulier ;
aussitôt après, il prescrivit au gouverneur de la
province de Saigon (qui avait conservé le nom de Gia-
Dinh) d'instituer, sous sa présidence, un tribunal
pour examiner les actes du défunt vice-roi et faire le
procès à sa mémoire. On incarcéra tous ses amis et
ses familiers.
Parmi ces derniers se trouvait un officier supérieur,
(1) 100 cattis équivalent à un picul, du poids de 60 kilog. 400.
J/'^talon du picul correspondait au poids de 40 Ugatures de sa-
\ âiques de zinc au chiffre de Gia-Long,
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30t I/EMPIRE D*AN-niM.
du nom de Kbôi, tonkiuois hardi et courageux, oui
résolut de prolester à main armée contre Todieuse
vengeance de la cour.
Le complot formé par lui éclata au cinquième mois
de l'année 1833. — Sous prétexte d'un service reli-
gieux en riioi neur de son père, il réunit une ving-
taine d'amis résolus et, dans la nuit du 19, grâce à
des connivences certaines avec les soldats de la forte-
PCise, — tonkinois pour la plupart, — ils égorgent le
gouverneur et les principaux mandarins, s'emparent
de larsenal et des magasins, ouvrent les prisons el
arment tous les détenus.
Le 20 au matin, ils furent attaqués, dans la cila-
delle, où ils s'étaient retranchés, par des troupes de
marine commandées par Lê-van-Bôn; celles-ci furent
repoussées, et avec une telle vigueur qu'elles se rem-
barquèrent précipitamment et que la flotte leva l'an-
cre, pour aller porter à Hué la nouvelle de la rébel-
lion.
Maître de la situation, Khôi s'empressa de soulever
les six provinces et d'organiser le mouvement : par
persuasion oU par crainte, il entraîna dans ses projeta
les préfets, sous-préfets et chefs de village, auxquelsi
il annonça l'arrivée prochaine du prince Hoàng-
Tôn (1), pour* se mettre à leur télé et faire de la Basâè-
Cochinchine un royaume indépendant. Le peuple ne
fut aucunement troublé dans ses travaux et sa tran-
quillité ; des volontaires vinrent en grand nombre
(i) Fils du Dông-Cung, élève de Tévêque d'Adran, que le tes-
tament de son grand-père, Gia-Long, avait dépouillé de ses droits
à la succession au trône, au profit de Minh-Mang, tils d'une
épouse de deuxième rang. On ne put étaMr la culpabUité (Je
rfiàng-Tôïi, mth U n'en fit pas moms mis à mort p&f la s^U.
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SAIGON AYANT L'OCCUPATION FRANÇAISE. 308
s'enrôler sous le drapeau de Khôi, on réorganisa l'ar-
mée et il fut pourvu à tous les emplois.
Mais, de son côté, la cour de Hué avait fait dili-
gence pour rassembler des forces capables de répri-
mer la rébellion et, en même temps, des agents se-
crets s'étaient répandus dans les provinces pour fo-
menter une contre-révolution, aidée d'ailleurs pj^r
Thai-côngTriêu, maréchal des troupes rebelles, qui
trahissait déjà la cause de Khôi.
Au neuvième mois, on apprit que l'armée impériale
était arrivée à Baria. Sous prétexte de lever de nou*-
velles recrues, Triéu partit dans les provinces de
l'Ouest, et de là il se mit en relations avec Jes anciens
mandarins, réfugiés au Cambodge, et avec les géné«
raux de l'armée campée à Baria, engageant ces der-
niers à marcher en avant et à commencer les hosti-
lités; de son côté, il se réservait d'exploiter, pen-
dant ce temps-là, le sentiment de réaction qu'avaient
fait naître, dans le peuple, l'avidité et les brutalités
des nouveaux chefs improvisés par JChôi, ainsi que j§
découragement causé par l'absence du prince fausse-
ment annoncé.
Les troupes impériales entrèrent en Basse-Çochia-
chine; elles étaient commandées par Trân-van-Nang,
Nguyén-van-Trong et Truong-minh-Gian. Insufflsaoï-
ment préparé à les combattre, Khôi dut se contenter
de les attendre à Saigon. Elles purent donc, sans coup
férir, arriver jusqu'à Binh-Tây (1) et s'y retrancher.
C'est là que le traître Triéu vint se joindre à elles.
Après un certain nombre de combais malheureux
(i) Qui portait a^ors le nom de^liO-Teu.
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304 L*RMPIRB n*AN-IfAM.
dans les environs de Saigon, les rebelles, reconnais-
sant leur impuissance à soutenir la lutte en rase cam-
pagne, résolurent de s'enfermer dans la citadelle et
d'y résister jusqu'à l'arrivée des secours que Khôi
avait demandés à BangKock (l).
A cet effet, ils accïimulèrent des approvisionne-
ments dans la place et en fermèrent les portes. Il s'y
trouvait environ 2,000 hommes, des femmes et des
enfants ; on y retint même un prêtre français, M. Mar-
chand ; et beaucoup de commerçants chinois» qu'on
y avait attirés, s'y virent retenus.
Au dixième mois, la citadelle se trouva complète-
ment investie et l'armée impériale en commença le
siège en règle; les assiégeants élevèrent des fortifi-
cations, creusèrent des tranchées, firent des travaux
d'approche. Après plusieurs assauts, repoussés avec
de grandes pertes, ils durent se contenter d'investir
étroitement la citadelle, afin de la réduire par la
famine. Il leur fallut, du reste, faire face à l'invasion
des Siamois, qui apparurent au premier mois de
l'année Giap-Ngo (1834) ; leurs troupes de terre
avaient passé à travers le Cambodge et leur flotte
débouchait par le canal de Vinh-TÔ (d'Hà-tiên à Châu-
Dôc). Les Siamois descendirent le Grand-Fleuve jus-
qu'au Vam-Nao, tuant, brûlant, détruisant tout ce qui
leur résistait; arrivés là, ils s'arrêtèrent devant les
postes fortifiés établis par les Annamites, principale-
(1) Khôi a-t-il réellement appelé les Siamois ? Certains le nient
et disent que ceux-ci n'ont fait que profiter des troubles, selon
leur politique habituelle, pour essayer d'agrandir leur terri-
toire. Ils se bornèrent, du reste, à faire une incursion dans
Touest de la Basse-Cochinchiue, pûlant le pays et emmenant en
captivité un grand nombre d'Annamites, parmi lesquels environ
1580 chrétiens, ainsi qu'un missionnaire français, M. Régerean.
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i
SAIGON AVAM L'OCCUPATION FRA^ÇA!SK. 305
ment à Cô-Hoii, — commune de Tu-Dién, — et les
deux partis se contentèrent de s'observer, jusqu'à ce
que Trièu, qui commandait les troupes envoyées de
Saigon, se fût décidé à tomber à l'improviste sur les
Siamois. Ceux-ci, surpris, mis en déroute, battirent
en retraite précipitamment, et les Annamites les
reconduisirent, la lance dans les reins, jusqu'à Kam-
pôt, sur le golfe de Siam.
L'investissement de la citadelle de Saigon n'en
avait été aucunement relâché ; pour le rendre plus
étroit encore et se préparer à donner de nouveaux
assauts, les généraux assiégeants firent une levée de
jeunes soldats : chaque village dut fournir un homme
par cinq habitants inscrits. Mais, aux efforts de l'at-
taque, la défense sut opposer une résistance telle que
le siège ne dura pas moins de deux ans et huit
mois.
Le 13 du septième mois de l'année At-Vi (1836), le
général en chef, sachant que les rebelles, décimés par
le feu et les maladies, avaient épuisé les vivres et les
munitions et se trouvaient réduits à la dernière extré-
mité, prit des dispositions pour une attaque générale
et définitive : pendant trois jours et trois nuits, toute
l'artillerie des assiégeants tonna sans interruption
contre la place ; dans la nuit du IS au 16 on cessa le
feu et, à quatre heures du matin,quand les défenseurs,
accablés de fatigue, commençaient à prendre quelque
repos, on dressa subitement les échelles pour l'assaut
et, de tous côtés à la fois, les impériaux escaladèrent
les remparts. — Ecrasés sous le nombre, ayant d'ail-
leurs brûlé leur dernière cartouche, les soldats de
Khôi se défendirent avec toute l'énergie du désespoir
et la certitude qu'il ne leur devait point être fait
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.^06 L::MPinE dan ^AM.
quartier. La Tictoire coûta cher aux assiége§pt§;
aussi, dans leur exaspération, firent-ils couler dê^
ruisseaux de sang i
Tous ceux qui ne périrent pas dans l'action furent
réservés pour le dernier acte de cette tragédie : lëâ
principaux chefs, enfermés dans des cages, furent
transportés à Hué, où ils furent soumis au supplice
atroce de la mort lente; — M. Marchand fui compris
dans ce nombre, ainsi que le fils de Khôi, un pauvre
enfant de sept ans, qui fut affreusement torturé,
tenaillé, déchiqueté tout vivant, à la place de son
père, mort avant la fin du siège. Ce dernier, même,
subit une peine posthume : ses ossements, broyés soui
le pilon, furent bourrés dans un canon chargé, qu'ofl
s'en fut tirer au large, en mor. Quant aux autres pri-
sonniers, au nombre de 1137, — hommes, femmes et
enfants, — on les mena, comme un troupeau, sur léâ
glacis de la citadelle; ils durent creuser une foése
large et profonde, sur le bord de laquelle ils fui'eril
égorgés en masse, et leurs cadavres empilés dans là
fosse commune, furent recouverts d'un monticule de
terre que l'on voit encore dans Ib. plaine des lombeaux,
vers l'entrée du champ-de-tir actuel. Des indigènes
l'ont appelé « le lombeau des rebelles», d'autres « le
monument de la terreur ».
Ces événements fournirent à la haine de Minh-Mang
un grief de plus contre la mémoire du feu gouverneuf
général Lê-van-Duyêt ; on lui reprocha de n'avoir pas
su inculquer à ses administrés des sentiments de fidé-
lité et d'obéissance envers leur souverain, et après
avoir renversé le mausolée que lui avait consacré la
piété des siens, on dressa sur sa sépulture un poteau
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SAIGON AVANT L'OCCUPATION FRANÇAISE 307
chargé de chaînes, avec cette inscription : « Gi-g}t
l'eunuque qui osa résister à la loi(l), » *
Quant à la citadelle du colonel Olivier, qu'il avait
été si difficile de reprendre aux rebelles, l'empereur
la condamna elle aussi : elle fut rasée, ses remparts
furent renversés, et il n'en resta pas pierre sur pierre.
— L'auteur de cette notice a pu, il y a quelque vingt-
cinq ans, suivre le tracé de ses fossés à-demi comblés ;
naguère encore ils étaient très reconnaissal)les aux
abords de la place du Château-d'eau. Lors des tra-
vaux de nivellement exécutés pour établir la plate-
forme de la cathédrale de Saigon, les déblais cohsiàé-
rables qu'on dut enlever mirent à découvert uHa
épaisse couche de cendres et de débris carbonisés; —'
probablement les restes de l'incendie des magasins de
Khôi; — on y recueillit des masses de sapéques dfe
cuivre soudées par le feu, des quantités de boulets eti
fer et en pierre et, plus profondé nent, des corps d'en-
fants morts pendant le siège et que, faute de cercueils,
on avait ensevelis dans des jarres en terre cuite. La
cathédrale s'élève, en effet, sur l'emplacement qui
était compris entre les bastions 0. et S. de l'ancienne
citadelle, à l'intérieur et près de la face S. 0.
Par ordre de Minh Mang, on se mit aussitôt à cons-
truire une nouvelle citadelle, de dimensions bien plus
restreintes, et plus rapprochée de Tarroyo de l'Ava-
lanche ; c'est celle que bombarda l'amiral Rigault de
(1) Sous le règne de Thiêii-Tri, successeur de Minh-Mang, un
décret autorisa l*^s parents de Duyôt à rétabUr le tombeau. Ce
inonuinent se volt encore aujourd'hui, non loin de l'inspection
do Binh-Hoi ; il est entretenu aux fruii de la colonie, comme
cevLK. consacrés à la mémoire de Pigueau de Béhalne, de Lagréè
et de Garnier trois grands français dont les noms resteront
éclatants, dans l'histoire de Tlndo-Chine.
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308 L'EMPIRB D'AN NAM.
Geuouilly et dans laquelle nous avons construit les
belles casernes de l'infanterie de marine.
Saigon ne se releva qu'imparfaitement du coup que
lui avait porté l'insurrection de 1833-36 ; cependant, à
l'apparition des Français, en 1859, une quarantaine de
villages étaientgroupés autour de la citadelle, remplis*
sant l'espace compris entre les rivières de Thi-Nghé,
de Bên-Ngliéet de Gho-Len, avec une population d'en-
viron 50,000 âmes. Le commerce avait repris, non
point sans doute avec celte activité et cette importance
que provoquait Tadministration intelligente et ferme
du vice-roi Lê-van-Duyêt : une nuée de mandarins et
d'employés de Hué, insouciants et avides, s'était abat-
tue sur les six provinces de la Basse Cochinchine ; —
mais une certaine tranquillité favorisait les petites
transactions. Quant à l'aspect de la ville, on peut dire
que rien n'y rappelait la cité régulière qu'avaient
tracée les ingénieurs français : du jour où Saigon,
descendue d'abord de son rang de capitale royale,
avait encore perdu sa vice-royauté, les édifices cons-
truits par Gia-Long avaient été détruits ou abandonnés
les rues, envahies par la végétation et les empiéte-
ments des particuliers, n'étaient plus que des sentiers
tortueux et semés de fondrières ; des maisons, grou-
[)ées ici sans ordre, éparses là-bas ; telle se présen-
tait GiaDinh à l'occupation française, dominée par sa
forteresse, — un grand carré bastionné,aux remparts
revêtus en maçonnerie. Finlayson n'eût pas reconnu
là celte cité qui excita son admiration quarante ans
auparavant ; mais le génie de la France, après avoir
balayé et assaini ces ruines et ces cloaques, en a fait
une ville admirable, la Métropole de l'Indo-Chine.
Nous avons le droit d'être fiers de l'œuvre nationale
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SAIGON AVANT L'OCCUPATION FRANCAISK 309
et surtout ceux qui, à quelque titre que ce soit, — sol-
dats, marins, colons, ou fonctionnaires, — ont apporté
le concours de leurs forces, de leur intelligence et de
leur dévouement à cette grande et belle entre-
prise.
Nous nous sommes proposé d'esquisser un aperçu
de ce que fut « Saigon avant l'occupation française »;
on sait ce qu'il est devenu depuis cette occupation :
d'autres Tout dit, avec autant de savoir que d'auto-
rité, et leurs écrits sont assez connus pour qu'il nous
soit permis de clore ici cette notice.
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".*>
.A HOUILLE AU TONKIN.
Les gisements houillers du Tonkin ont attiré, dans
ces dernières années, l'attention du Gouvernement et,
à différentes reprises, des savants et des spécialistes
ont reçu mission de les aller étudier sur place, notam-
ment MM. Fuchs et Saladin (1881) et M. Sarran
(1885-86). C'est aux travaux de ce dernier, plus
récents» que nous empruntons les renseignements
généraux qui vont suivre (1).
L'étude complète et déiaillée du terrain houiller,
qu'a pu faire M. Sarran au Tonkin, a permis de cons-
tater que la bande des gisements carbonilères part de
l'extrémité orientale de l'île deKé-Bao et s'étend jus-
qu'au-delà de Bac-Ninh, sur une longueur de plus de
deux cents kilomètres ; elle participe par ses bas- fonds
aux conditions du Delta, et par ses collines (de Hon-
Gây à Tiên-Yén, par Phu-Lang-Tliuong) à celles de la
partie haute. Les monts Kéké, Cliéo, Phu-Son et
(1) Etude sur le bassin houiller du Tonkin, par E. Sarran,
ingénieur colonial des Mines. — Paris, ChaUamel et O: —
1888.
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LA HOUILLE ÀÙ TONKIN. âH
DÔng-Son s'y rattachent, et dans leur ensemble \ei
uns et les autres constituent les premiers contreforts
du massif compris entre le Delta et la frontière chi-
noise.
,, De Ké-Bao à Hon-Gây, le long de la côte, la forma-
tion houillère s'élève à une altitude de trois cents à
giiatre cents mètres; à partir de Hon-Gây et jusqu'à
Dông-Triêu, l'altitude des collines se maintient aux
eqvirons de deux cents à trois cents mètres ; et de
bông-Triêu aux Sept-Pagodes et à Phu-Yên, le terrain
houiller forme au-dessus du sol Je faibles élévations.
M. Sarran pense que ce terrain s'étend encore plus à
l'Ouest, y ers la rivière Claire, à Phu-Doan-Hung, vers
le fleuve Rouge et la rivière Noire. Cette liypothèse
Sicmble d'autant mieux justifiée que l'on connaît
Texistence d'immenses dépôts houillers au Yun-Nan.
Les assises visibles du terrain hoqiller s'infléchis-
sent généralement vers le Nord; encaissé entre des
grès dévoniens et des calcaires carbonifères,, ce
terrain varie souvent dans son amplitude et sa
direction.
L'ensemble de la formation houillère se divise en
deux systèmes, ayant chacun un étage stérile au mur
et un étage charbonneux au toit. Un cinquième étage
recouvre le tout, composé de roches stériles, c'est-à-
dire ne contenant pas de couches utilisables de char-
bon.
L'étage stérile supérieur est forme de grès à gros
éléments de quartz fortement cimentés. Au-dessous
se présentent, dans Tordre de succession des dépôts
houillers, les deux systèmes susdits, que M. Sarran
énumère en indiquant, pour chaque étage, la descrip-
tion des rochôs qui le composent^ le nombre et là
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312 f/EMMRR D'AN'IlAlli.
puissance des couches de combuslible, ainsi que ia
nature de ce combustible.
I. — Système supérieur. — 1* Etage charbonneux.
— Puissance = 100 à 150 mètres. Cet étage comprend
une région généralement schisteuse, avec quelques
grès fins et plusieurs couches de houille donnant une
épaisseur de charbon utile de 10 à 12 mètres; matières
volatiles = 17 0/0 ; cendres = 3 à 6 0/0. — Se ren-
contre au ruisseau de FHyène, aux mines Henriette,
Jauréguiberry et Mai'guerite ; à Tembarcadère des
Chinois, à Claireville; à Gia-Ham et à Ha-Tou ; à l'île
de Ké-Bao, dans les affleurements de l'intérieur.
2* Etage stérile. — Puissance == 150 à 200 mètres.
— Fortes assises de grès à gros grains de quartz
blanc; se voit au contact de la faille de Claireville, au
sommet Jaune, sur la rive de la rivière Fuchs, en
remontant le ruisseau des Mines, sur le chemin de la
mine Jauréguiberry, dans la rivière de Campha et à
l'entrée de la rivière de Ké-Bao.
II. — Système inférieur. — 1» Etage charbonneux.
— Puissance = 250 à 300 mètres. — Comprend une
région peu schisteuse, si ce n'est au voisinage des
couches. Grès à gros grains de quartz blanc, schistes
noirs, minerai de fer en couches et en nodules. Les
grès et quelques conglomérats sont généralement for-
tement cimentés par le fer. Des régions ferrugineuses
au mur de certaines couches de houille donnent un
aspect particulier au terrain.
On compte, dans cet étage charbonneux, quatorze
couches, dont qiielquesunes déplus de cinq mètres
d'épaisseur. Trois de ces couches forment, à la base
de rétage, un faisceau à part ; les onze autres cou-
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LA HOUILLE AU TONKIN. 313
ches sont groupées en un nouveau faisceau séparé du
premier par une centaine de mètres de grès et schistes
en plusieurs bancs. L'épaisseur totale de combustible
utile n'est pas inférieure à 20 mètres. — Matières
volatiles = 12 0/0; cendres = 3 à 6 0/0.
Cet étage s'observe dans les deux vallées de POEuf,
dans la rivière Nagotna, dans celle des Mines avant
Claire ville,sur la rive gauche de la rivière Fuchs, ainsi
qu'aux affleurements des îles Bayard, d'Hon-Gay et
du sommet Buisson, et aux affleurements de Gampha
et de la côte de Ké-Bao.
2" Etage stérile. — Puissance = 400 mètres. —
Composé de grès à gros grains de quartz, généralement
peu cimentés, se désagrégeant au jour, surtout à la
partie inférieure de l'étage ; dans la partie haute, les
grès sont mieux cimentés, plus durs et ferrugineux.
Se développe fortement à l'Ouest de la passe du Gua-
Luc, à la montagne du poste optique(l),et au delà, vers
Quang-Yén; on le voit aussi formant les collines voi-
sines de la côte entre la passe du Cua-Luc et Gia-Ham,
à Hoan-Bo et sur toute l'étendue comprise entre la
baie de Hon-6ay et les montagnes de Marbre, où il
constitue des collines de faible élévation. Enfin, si
l'on en juge par les nombreux galets de quartz blanc
que roule la rivière de Campha, il doit affleurer dans
cette rivière et dans le Sông-Bang-Gian.
L'étude du terrain houiller du Tonkin a conduit
M. Sarran à reconnaître qu'il existe, là, un gisement
qui, sur une étendue de 40,000 hectares, contient une
masse de charbon de plus de douze milliards de ton-
nes, — immense richesse en combustible, pouvant
(1) Qui reliait, en i886, la baie d'Halong à Hal-Phong.
Suintm — Ammmi. il
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^
su
LEMPIRE D'AN-NAM.
fournir pendant six cents ans une production égale h
celle de toutes les houillères de France. On sait que
cette production est estimée à vingt millions de ton-
nes par année.
Voilà, pour la quantité; quant à la qualité, on va
voir, par l'exposé suivant des résultats des expériences
faites, que les charbons du Tonkin peuvent rivaliser
avec ceux d'Anzin et de Cardiflf.
Des essais de plusieurs sortes ont été faits, sdr des
points différents et par divers services, notamment
dans les laboratoires de Hà-Nôî et de Toulon, et sur
les bâtiments de la flotte ; on a opéré sur des charbons
à l'état naturel et sur des briq lettes.
V Au laboratoire de Hâ-Nôï, 37 échantillons ont
....
CHARBON
TENEUR
privé
PHOVENAxNGE
de ceodrei.
OBSEtlVATIONS
* •
-
II
î
•a
Il
.S *
£
II
è^
lie de Hon-Gay, couche
Vo
Vo
«^/o
Vo
dans une ancien ue
attaque
38.5
6 »
40 9
59.1
Pas de famée, flanime
})l^Dche, cendres
lUve droite delà vallée
blanches.
des Mines
8 »
8 »
8.7
81.3
Uq pea de famée,
cendres ^'ris-clair.
IIedeKé.Bao
20.5
19 »
25.3
74.7
Un feu de famée.
Couches sur le chemin
cendres jaune sale.
deHa-TouàGia-Hara.
22.5
1 »
22.7
77.3
Un pen de fusiée,
Couche de 1 mètre
cendrt-s gris-blan-
dans rtle du Sommet-
châtre. .
Buisson
8 »
3 n
8.2
81.8
Pas de famée, cendres
Ile deHon--Gay, couche
grijiblancbâtre.
de 6 à 7 m*^tres au
nord de Tîle ....
8 »
3»
8.2
91.8
Pas de fil r.ée, flamme
blanche, cendres
'
^___
_^^^
jri^blanphilij. ^,
Digitized by L3OOQ IC
LA HOUILLE AU TONKIN 315
été çssayés, provenant tous des dépôts situés depuis
Hon-Gay jusqu'à Ké-Bao. — Parmi ces échantillons,
nous citerons entre autres et comme très caractéris-
tiques, ceux ayant donné les résultats ci-devant.
Aucun des échantillons duTonkinn'adonnéde coke
agglutin^, ni mênie marqué un commencement de
distillation, pn moyenne, ils ont donné, en matières
volatiles :
Pour Hon-Cfay, Tîle du Sommet-Buisson, les rivières
des Aiines et de Tdiuf 12.16 Vo
Pour ClaîrevUle et let rivière de l'Hyène 12.10 Vo
Pour Ha-Tou et Gia-Ham 20 . 90 Vo
Pour Campha 11.00 Vo
Pour Vue de Ké-Bao 14.61 Vo
2° Au laboratoire de la Jfarine à Toulon, des essais
ont été faits sur six échantillons, qui ont donné :
Carbone. Matières volatiles. Ceadres.
Rivière des mines T7.775 14.213 8.012
Galerie Tureime 78.732 16.636 4.612
Attaque Jauréguiberry. . . 77.475 17.703 4.822
Rivière de l'Hyène 73.860 21.339 4.801
Mine Marguerite 76.393 17.907 5.700
Mille ffenrietfe.. 76.^71 17.056 6.07â
Pas de coke ni semblant d'agglutination. Gendres
blanches ou légèrement grisâtres pour les roches,
rougeàtres pour les poussières.
Tous ces résultats indiquent bien un combustible
maigre du type Anzin,CardiffètGhampclauson (Gard).
I^e teneur en matières volatiles est plus faible dans
les couches du système inférieur que dans celles du
système supérieur, mais Pécart n*est pas tel qu'on
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316 L'EMPIRE D'AN-NAM.
puisse faire deux types différents de ces deux char-
bons ; on peut tout au plus conclure à un avantage en
faveur des couches du système supérieur.
3' A bord du cuirassé le Turenne on a fait un
essai sur une tonne de charbon, prise à Hon-6ay, à
la chaudière auxiliaire disposée pour la distillation de
Teau de mer. Il a été constaté que ce charbon appar-
tient à la catégorie des charbons maigres. Proportions
des fins, 81 0/0 ; brûle sans flamme ni fumée, est
exempt de pyrite de fer, très pur. Le résidu de la
combustion : cendres blanches, sans mâchefer.
D'autres essais faits à bord de VAdour et du
Kép^ ont donné des résultats peu satisfaisants à la
forge ; mais on doit tenir grand compte de cette cir-
constance que le charbon livré pour ces expériences
provenait d'anciennes extractions et avait été pris
à la surface ; il était très friable. En effet, quoique
extrait de galeries ayant de 12 à 25 mètres de profon-
deur (Léonice et Turenae), tous ces charbons ne sau-
raient être considérés autrement que comme charbons
d'affleurement.
Mais, tels quels, transformés en briquettes, ils ont
donné de bons résultats à la Commission des essais,
au port de Toulon, et au laboratoire de l'usine de
Valdonne, des briquettes contenant88.700/0de char-
bon du Tonkin et 11.30 0/0 de brai ont donné :
Carbone 73. i )
Eléments volatils 20.5 [ 100
Cendres 4.1 )
Avec une plus forte compression, à la transforma-
tion du charbon en briquettes, laproportiondu brai
employé pourrait être abaissée à 8 0/0.
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Ih. HOUILLE AU TONKIN. 3i7
Cet aperça sommaire démontre suffisamment que
les charbons du Tonkin, dont on a vu l'immense
importance, ne le cèdent en rien au combustible de
Chine et d'Australie, et qu'ils rivalisent avec TAnzin
et le Cardiff par leur extrême pureté, la rareté de la
pyrite de fer et par un développement de calorique
tout au moins équivalent à celui fourni par ces char-
bons.
Si, maintenant, Ton veut rechercher l'avenir com-
mercial ouvert à ce produit, il est indispensable de
jeter un coup d'œil sur les resscrurces analogues que
présentent la Chine et le Japon. — Ces deux pays
possèdent des gisements importants, où toutes les
variétés sont représentées, depuis l'anthracite jusqu'au
lignite; mais en Chine il n'existe pas encore d'exploi-
tation régulière et normale, ni de moyens de transport
économiques, aussi le million de tonnes que l'on y
consomme annuellement provient-il presque exclu-
siment du Japon et de l'Australie, quoique l'on y pos-
sède des gisements énormes au Hou-Nan, au Chan-
Tung, au Su-Tchouen, au Chan-Si, au Ho-Nan, au
Quang-Tung, en Mandchourie et à Formose. — Quant
au Japon, où l'anthracite, la houille et le lignite sont
également très abondants, la production houillère
s'est élevée en 1875, d'après M. Geerts, à 390,000
tonnes anglaises, fournies par Takashima, Miiké,
Imabuku, Taku, Karatsu, Hirado, etc. et représentant
une valeur de 9,750,000 francs.
Le développement des relations commerciales ne
pourra, évidemment, qu'amener une plus grande con-
sommation de charbon, de Singapoore à Sliang-Haï,
sans parler des besoins croissants de notre division
navale de l'Ëxtréme-Orient, de la flottille locale, des
SaYiiTKi.— ImuMi i%0
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318
L'EMPIRE n'AN-WAHf.
transports du commerce et des usines au Jonkin, en
Annam et eh Basse-Gochinchine. Or, les prix d'une
tonne de hoiiijle, à la fin de 1885, étaient :
A Singapoore
A Saïgoa
î
23'08
45'S3
33'75
30'?3
43'00
c3
J
"1
SI
1
M
32f08
»
M
»
.«^ s"
»
»
»
62^30
»
33'75
21 '00
40f50
34^02
o5'65
42nj
46^70
»
46^5
»
»
»
»
16^68
»
A Hong-KoDg
A Shaûg-Hal
A Haï.PhODg
Les conditions réunies au Tonkin pour Texploita-
tion des charbonnages permettent de tenir pour cei*-
tain que la houille pourra se livrer au poft d'embar-
quement à raison de 9 à 10 fr. la tonne, et tjtie les
briquettes pourront l'être au prix de 20 à 2'i francs.
Si l'on compare ces prix eiltre eux, on reconnaîtra
que, le prix du fret ajouté (I), il existe encore liù écaW
considérable en fttveur des charbons tonkinois. ^ ^
Comme on voit, les houilles du Tonkin, indépen-
damment de leur uliliié pour la flotte et nos Colonies
de rindo- Chine, ont des débouchés assurés letpcrtir-
ront entrer en lutle, sur les miarchéâ de l'Extréiïie-
Orient, avec des avantages incontestables.
(1) La distance du Tonkin aux divers ports des mers de Chine
est de :
Haï-Phong à Saigon 830 milles.
— Singapoore. 1,467 —
— HougKoug. 420 —
— fcaniUe....^. 1,080 —
— Shana-Hai. 1,^00 —
^ toliohama. 2,100 —
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VI
ASSIETTE DES IMPOTS.
Le ministère des finances centralise le service (Jes
revenus et des dépenses de l'empire, lesquels sont
administrés tout simplement comme ceux d'un pro-
priétaire, et, disons- le tout d'un suite, d'un proprié-
taire négligent et peu scrupuleux.
Nous allons examiner ici les règles fiscales prati-
quées jusqu'à ces temps derniers en Annam, et nous
en profiterons pour parler du régime de la propriété.
^près l'avènement de Gia-Long C1801), de la fron-
tière de la Chine à celle du Cambodge, Tempire d'An-
nam a formé un tout uni, la race annamite dominant
par la force et par la ruse les populations diverses
évincées de leurs droits, dépouillées de leur autono-
mie : Thôs, Meuongs, Ghams, Mois, etc.— Les mêmes
lois et règlements ont été appliqués à tous, sauf des
tempéraments imposés par des motifs purement poli-
tiques et locaux, et acceptés pour un temps par la
cour de Hué; celle-ci a toujours tendu, en effet, à
plier les populations, sans distinction aucune, sous un
même niveau autoritaire et absolu. Son objectif est
l'organisation chinoise.
Certes, atteindre à l'organisation administrative de
la Chine, ce n'élait point arriver à la perfection; dans
cet immense « Empire da Milieu » l'Administration,
qui tend à faire de la centralisation à putrance» — o^
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3i0 L'KMPIRE D'AN-NAlf.
le voit de mieux en mieux, à mesure que les moyens
de communication rapide se développent par la vapeur
et par l'électricité, — passe pour soumise à des règles
bien confuses et assez arbitraires. Imitateur servile,
le gouvernement de TAnnam a copié, dans ses lois et
règlements, les lois et règlements chinois (le code de
Gia-Long en fournit la preuve), et étant donné le
caractère national, il a augmenté dans la pratique
cette confusion et cet arbitraire; aussi peut-on dire
que Tassiette des impôts ne repose sur aucun principe
fixe, à moins qu'on n'admette le bon plaisir gouver-
nemental comme un principe durable.
Il faut donc, si l'on veut se rendre compte des règles
sur lesquelles sont basés les quotités et modes de per-
ception des impôts, ainsi que l'emploi des revenus,
s'en référer à certaines doctrines, que nous expose-
rons brièvement, en détaillant les diverses contribu-
tions publiques. L'Annamite ne les discute pas, mais il
est certain qu'il s'efforce, plus ou moins ouvertement,
de se soustraire à leurs effets, sous l'œil complaisant
du mandarin, jamais dupe,presque toujours complice.
Les charges légales qui pèsent sur le peuple sont les
suivantes
1° Impôts personnels. — Le souverain est réputé
« père et mère du peuple » ; tout émane de lui, tout
lui doit revenir. Ses sujets sont ses fils, et l'usage,
aussi bien que le code, établissant que les enfants ne
peuvent rien posséder en propre du vivant du père de
famille, il est clair que le sujet ne peut rien refuser
de sa fortune au souverain, dès que celui-ci le lui
demande. Mais, ce principe posé, les rois d'Annam ne
Tout naturellement pas appliqué dans sa rigueur ; ils
se contentent d'exiger une simple contribution per-
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ASSIETTE DES IMPOTS. ^i
sonnelle, de la part de tout homme adulte, sans pré*
judice du tribut qu'ils prélèvent, soit en deniers, soit
en nature, sur les produits de l'agriculture, du com-
merce et de l'industrie.
Sont soumis aux contributions personnelles tous les
hommes valides, propriétaires ou non, depuis l'âge de
18 ans jusqu'à 54 ans accomplis- Si, dans une famille^
il existe en même temps un père ayant moins de
54 ans et deux fils, par exemple, de plus de 18 ans,
tous les trois doivent payer l'impôt personnel. Cet
impôt, dans ces dernières années, était fixé à une liga-
ture, deux tiens par personne, plus une taxe par
foyer, de six tiens par personne et deux bols de riz (1).
Les jeunes gens de 18 à 20 ans et les hommes de 55 à
60 ne payaient que la demi-taxe.
2<* Impôts fonciers. — En vertu du principe ci-des-
sus, renouvelé du régime patriarcal, le fonds du
territoire de TEmpire appartient au souverain. Telle
devait être, en effet, la règle absolue dans les temps
où les familles vivaient disséminées, sans lien poli-
tique ; mais ces familles s'étant réunies par tribus, les
tribus s'étant soudées pour former une nation, le pas-
teur de cet immense troupeau, dépositaire des droits
et devoirs de la grande famille, s'est vu obligé d'alié-
ner une partie de ceux-ci. Il ne l'a fait toutefois qu'à
titre conditionnel.
« Le sol est ma propriété, prétend-il ; mais j'en
dois remettre à chacun autant qu'il en peut faire fruc-
tifier. Je ne vends point, moi Etat, moi le roi, le
(1) La ligature, formée de 600 sapèques de zinc, est de valeur
très variable ; en 1862 nous la comptions pour uu franc, aujour-
d'hui elle ne vaut pas plus de 75 centimes. Le bol de riz est
l'équivalent d'un Uôn, ç'çst-à-dire d'un dixi^n^e de la ligature (ou
quan-tUn).
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su L*EMPIRE P'Alf-IfiJLM.
suprême père de famille; — jedonne, et chacun pourra
jouir do fruit de don travail, transmettre à ses héri-
tiers, acquérir d*un autre détenteur, échanger, vendre.
Mais, en retour du don que je Tais, le donataire devra
sans interruption cultiver, produire et me remettre
une part des fruits obtenus. Si quelqu'un cesse, durant
trois années consécutives, de cultiver et de payer Sfi
quote-part des charges publiques, je romps le contrat,
je reprends la terre pour en disposer en faveur d'un
autre, sans qu'il puisse y avoir ouverture à aucune
revendication. »
Tel est bien, aujourd'hui encore et au fond, le prin-
cipe sur lequel repose la propriété foncière en Annam.
Certains lettrés, nourris à l'école de Confucius^ nous
ont développé les raisons philosophiques qui justifient
à leurs yeux l'existence de cette espèce de contrat
bilatéral. < Eh effet, disent-ils, nous formons une
grande famille et chacun doit apporter sa part d'ef-
forts à la satisfaction des besoins de tous. Si quel-
qu'un détient, sans profit pour la grande famille, uùe
portion du sol nourricier, il nuit à ses frères et il n'est
que juste que le père de famille lui retire cette por*
tion négligée pour là confier à des mains plus^ labo-
rieuses"; celles-ci sauront mieux procurer au peuple
les productions nécessaires à sa subsistance,* et en
même temps, elles apporteront au Trésor royal la ju^té
part qui lui revient et qu'à défaut du mauvais citoyen,
les atftres èont obligés de payer. » . .
Essentiellement agricole, Tactivité annamite n'a pas
obtenu du souverain la concession de toutes les par-
ties quelconques du soi susceptibles c|*ê|rè e^plôîji^es.
Le peuple peut occuper, mettre en rapport, exploiter
les tèrrëj â culture, les forêts,^ lés ports, le^ïHtQf^»
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ASSIETTE DES IMPOTS. 343
lés rivières et les lacs; mais, par des dispositions ins-
érîtës (iatis là loi, le gouvernement s'est, réservé
expressëhient les carrières et les mines, coihmè it s^est
réserve en fait toutes les transactions avéb rétrangér.
bha vu parfois déroger à cette règle, notamment
potir l'exploitation des terrains houiilers de Tourahne
et de quelques gisements métallirères; de même,
qiielctaes étrangers ont été admis au commerce d'im-
portâtibri et d'exportation dans l'Annam; mais ce sont
des mesures d'exception, prises toujours avec la plus
grande répugnance et, la plupart du teînpsi en faveur
dé Chinois qui, à vrai dire, ne sont j)às considérés
comme des étrangers, mais bieii comiîië des cousins,
sinon des frères.
 l'oriçine, ces réserves ont-elles été liiotivëès par
lin âëritiment de sollicitude, qui rësulUl de la ërâînte
des dangers auxquels sont exposées jâ ékmé et là vie
des commerçants et des travailleurs âans de longs
voyages sur mer ou à travers des frofitiêres nqial
Mméèia, d^ns les travaux sur un sol , vierge, en des
lîéùx isolés, généralement déserts et exposés aux
méfaits des brigands et des bêtes fauves ? C'est pos-
sibie ; mai^ il est possible aussi que la ^bliti(|ue soup-
çpnifiéuse de la cour d'Annam et qiiè ses exigences
jalouses aieril voulu interdire au peuple l'accès d'une
source dé richesses et d'habitudes luxueuses, qui pou-
vaient induire les sujets dans une voie d'indépendance
contraire aux vues du gouvernemerii.
Disons encore que les terres concédées àiix parti-
culiers demeurent grevées de servitudes et doivent
subir, .8403 dédommagement, les expropriations recqn-
ntlës nécessaires pour les travaui lâilitaires, les
routes, canaux, etc.
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Za L'EMPIRE D'àN*:«AM.
En règle générale, les terres sont classées suivtmt
leur rendement moyen. Ce classement a été fait sous
Gia-Long par une commission nommée à cet effet ; il
a été remanié en la dix-septième année de Minh-Hang
et, depuis cette époque, aucune mesure générale nou-
velle n'ayant été prise, on a continué à faire applica-
tion des tarifs adoptés.
Au premier rang viennent les rizières. Il y en a qui
donnent deux récoltes par an, — au Tonkin; — ce
sont celles qui se trouvent placées à des hauteurs
moyennes et peuvent être irriguées facilement. Les
rizières qui ne donnent qu'une seule récolte se ren-
contrent sur les terrains trop élevés pour être irrigués
convenablement ou sur les terrains trop bas pour être
drainés ; mais, d'ailleurs, le rendement annuel total
des unes et des autres ne présente pas de différences
bien considérables.
On divise les rizières en trois catégories :
1° et 2*. Celles situées sur le bord des fleuves, dans
des alluvions récentes et particulièrement fertiles
{Phu-sa-thuc-Cùc et Phu-sa-tu-diên) ; 3» Rizières
ordinaires.
Elles doivent, toutes, un impôt en deniers fixé à 3
tiens par mâu, et un impôt en nature qui varie de 80
thung à 20 (1). — Les champs de mérite distribués
par les villages et les fondations pieuses (công-diênet
Gông-tu) sont soumis aux mêmes contributions que
les terrains des particuliers.
Viennent ensuite les cultures diverses, — mûriers,
plantations de thé, de cannes-à-sucre, légumes,
(i) Le mâu est une mesure agraire égale à uii demi-hectare
euviroD ; le thung est un panier dont 26 font un hoc ou à peu
prés 30 litres.
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ASStBTTE DÉS iMPOt^ â25
joncs-à-nattes ; les étangs, rivières, mares cultivées ;
les terrains des pagodes, des habitations ; les jardins
d'aréquiers et de cocotiers. — Les plus imposés
paient une ligature trois tiens le mâu, et les moins
quatre tiens.
3*» Produits manufacturés. — Ne sont pas l'objet
d'une réglementation générale ; mais chaque village
est soumis à une redevance particulière pour
les objets qu'il fabrique. Les produits les plus impor-
tants sont les étoffes de soie et de coton, l'alcool de
riz, les papiers, les nattes.
4* Pêcheries. — Ce n'est, dans certaines parties de
l'Annam, qu'un produit affermé ; mais au Toukin, où
l'industrie de la pèche est peu développée et le pois-
son relativement rare, on a voulu favoriser d'un
dégrèvement ceux qui se livrent à ce dur métier et
chaque pêcheur paie seulement une ligature par an,
avec dispense de l'impôt personnel.
5" Distilleries d'alcool de riz. — Les alambics seuls
sont imposés et d'après les deux dimensions généra-
lement usitées : — l''^ classe = 40 ligatures par an ;
2® classe = 30 ligatures.
6" Exploitation des forêts domaniales. — Cette
exploitation est libre; pas de réglementation: la
richesse forestière de l'Etat est telle que la cour de
Hué n'a pas encore senti le besoin de régler les
coupes, ni de s'occuper du reboisement, et l'on voit,
dans certains cantons, les indigènes brûler de grandes
surfaces de forêts pour y substituer des cultures
vivrières précaires. Ce sont surtout les nomades qui
se rendent coupables de ces méfaits, contre lesquels
l'administration française tente vainement de réagir,
en Basse-Cochincbine, depuis 30 ans. En pays anna-
StiTEinB. — Aimai»* 19
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diO L'fiMPlRB D'A1I»NAM.
mite, les bois abattus acquittent les droits lors du pas-
sage des radeaux aux postes des douanes intérieures.
Certaines essences sont réservées au service du gou-
vernement.
7* Capitation des Chinois. — Les Chinois inscrits,
c'est-à-dire fixés dans le pays, payaient deux taéls par
an, soit environ 20 ligatures. Les Chinois non ins-
crits étaient exempts de la taxe.
S** Exemption du service militaire. Led habitants des
sous-préfectures de Tho-Xuong et de Vinh-Thuân
(ville de Hànôi) acquittaieùt un droit de trois liga-
tures par homme valide et par an, pour être exemptés
de la conscription. Nous supposons qu'il en doit être
de même à Hué, mais sans pouvoir rien affirmer.
9° Fermes. — Le commerce de l'opium, interdit en
principe, était cependant exercé partout et affermie
par province. Depuis peu, les fermes de Popium ont
été supprimées en fait, par ordre du Ministre de la
marine et des colonies, puis on a essayé de les réta-
blir ; mais en réalité le commerce de Popium ne rap-
porte plus que des sommes insignifiantes, depuis dé
regrettables réformes douanières. Comme il s'agit de
présenter ici le compte des revenus du gouvernement
annamite, tels qu'ils se présentaient avant notre in-
tervention, nous nous en tiendrons aux renseigne-
ments que nous avons recueillis touchant Tancien
état de choses.
Au Tonkin, les pêcheries de certains lacs sont affer-
mées à prix débattu; il en était de même du commerce
des nids d'hirondelles, des plumes-à-éventail, des
produits des forêts tels que la cire, le miel, l'huile, etc.
iO'' Impôf des maisons communes. Une ligaturé ôt
deux tîêîis'par an.
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ASSIETTE DES ÎMt>OTS. 327
Dans chaque province, l'assiette de ces impôts pré-
sente des particularités qu'il serait fastidieux d'énu-
mérer par le détail; dans la plupart deB provinces il
existe aussi diverses contributions spéciales que nous
nous contenterons d'indiquer et qui ne présentent, du
reste, qu'un intérêt de curiosité auquel nous aurons
suffisamment satisfait en donnant comme exemple ce
qui se passe dans la province de Hànôï.
Trois villages qui, ensemble, comptent 139 inscrits
et devraient annuellement 260 ligatures à titre d'impôt
personnel, sont tenus de fournir 247 pièces de soie
estimées à une valeur de 1984 ligatures.
Neuf villages qui, ensemble, comptent 969 inscrits
et devraient annuellement 1663 ligatures 3 tiens à titre
d'impôt personnel, sont tenus de fournir 3016 pièces
de cotonnade estimées à une valeur de 10,626 lig. 50.
Deux villages qui, ensemble, comptent 128 inscrite
et devraient annuellement 232 ligl 20 pour impôt per-
sonnel, ont à fournir 835,380 feuilles de papier, d'une
valeur de 6810 lig. 20.
Voilà donc 14 villages qui, comptant eii totalité
1236 inscrits, devraient payer 2155 lig. 20 et fournir
176 soldats; le Gouvernement les exonère de ces
charges, mais en échangé il leur impose des contri-
butions en nature, prélevées sur l'industrie locale et
dont la valeur, fixée par les agents du fisc eux-mêmes
s^élève à 19,420 lig. 70. D'un côté les villages béné-
ficient de rèxonératiori de l'impôt personnel et des
frais qu'occasionnerait Tentretien de 176 soldats sous
le drapeaux, — soit environ 26,795 lig. 20 (1) ; —
(1) Au Totik'in, lé ûdiribi'ê dé ëoldats que devait fournir le vU-
iHge était compté daûs la proportion dé un soldat par Sfï|)t ins-
crits; le peferûtélnent ae faisait paruïF les'- ^itt^ de vingt- à ^ua*-
rant» ans et le village donnait à chaque soldat un siQ)side qui
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3tS l'empire 0*A!f-!fÀM.
d'autre part, ils ont h livrer au fisc divers produits
manufacturés que ce dernier estime ne valoir que
19.420 lig. 70. II semble, dès lors, que ces villages
bénéficient d'une différence de 7,374 lig. 50 ; mais les
agents du fisc ont toujours soin de n'apprécier la
valeur des produits qu aux deux tiers de la réalité,
aussi les contribuables, en fin de compte, payent-ils
2,335 lig. 85 do plus qu'ils ne doivent effectivement.
La cour de Hué fait, en outre, acheter chaque annéj
par ses mandarins, les matières et objets divers qu'il
lui platt. Ces réquisitions» toujours tarifiées aux deux
tiers de la valeur réelle, portent principalement sur
les étoffés de soie ou de colon, les bois de constnic*
tion, les briques et tuiles, le salpêtre, les papiers, les
nattes, etc. On augmente ainsi arbitrairement la
somme des impôts qui sont dus, et cette chaîne pèse
lourdement sur les artisans.
Presque toutes les provinces du Tonkin, — et sans
doute aussi celles du reste de FAnnam, — sont ainsi
souir.ises à des impositions qui varient d'après tes
productions locales, et qui donnent lieu à des faits dou-
blement reprreltables, en ce quils résultent d'un arbi-
traire inouï et qu'ils causent, dans l'administration
financière, un désordre, une confusion, tels que la cour
de Hué n'a jamais su exactement le chiffre des rede-
vances imputables à chaque province, encore moins
celui des valeurs imputées réellement.
Eu ce qui regarde les populations semi-indépen-
dantes, qui sont dispersées dans les régions monta-
gneuses et forestières et qu'on connaît sous les noms
yariait de cent vingt à cent soixante ligatures par an, et qui
consistait généralement dans la jouissance d'une parceUe de
trois à quatre màus des rizières communales (Công-Dièn).
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ASSIETTE DES IMPOTS. 329
de Muong, Thô, Châu, Mèo, Xa, Nung, etc., Tassiette
des impôts est encore plus irrégulière. Dans la pro-
vinôe de Thai-Nguyêo, les gens de Cu-Bong, Mang-Ta,
Trinli-Tu doivent fournir annuellement trois kilo- .
grammes de cire, quatre pièces de cotonnade blanche,
uhe pièce d'une étoffe particulière dite « des Muongs »
et cinquante briquetsà feu; d'autres doivent des étoffes,
du bois d'aigle, de l'ivoire, des rotins, de la résine,
des torches, etc. Le montant de ces impositions est
fl^é par les fonctionnaires annamites, selon le bon
plaisir et, à défaut du produit en nature, les contri-
buables sont obligés à en verser la valeur représen-
tative en deniers, d'après une estimation débattue plus
ou moins loyalement.
Nous ne pouvons nous dispenser de toucher ici, à
la question des richesses métallifères de l'Annam. Les
« Excursions et reconnaissances » — (n° 16) — ont
donné la nomenclature des gisements exploités dans
la première moitié de ce siècle et qui sont, actuelle-
linent, à peu près tous abandonnés. Les auteurs euro-
péens qui ont écrit sur le Tonkin au dix-septième
Siècle parlent des fortunes considérables qu'en
tiraient alors les Chinois, qui les exploitaient par les
procédés les plus primitifs. Des Espagnols, des Portu-
gais chargeaient leurs navires des métaux du Tonkin.
Selon le document reproduit par la Revue susdite,
on connaissait :
En Annam :
au Quang-Nam, une mine d'or, une de cuivre, une
de zinc ;
au Nghô-An, une mine d'or;
au Thanh-Hoa, une mine d'argent et une de
cuivre.
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•730 I/EMPIRJE p'ATJ-NAM.
au TonkiQ :
à Bac-Ninh, une mine d'or et quatre mines de
fer ;
à Thaï-Nguyên, six mines d*or, dix d'argent, une
d*étain, douze de fer, cinq de zinc, deux de plomb;
à HungHoa, quatre mines d'or, deux d'argent, cinq
de cuivre :
à Tuyén-Quang, huit mines d'or, une d'argent, deux
de cuivre, deux de fer, une de plomb;
à Lang-Son, neuf mines d'or, cinq de fer ;
à Cao-Bang, quatre mines d'or, qu itre de fer ;
à Son-Tây, deux mines de fer ;
à Haï-Duong, une mine de zinc.
Le gouvernement n'aurait tiré des exploiteurs de
ces mines qu'un revenu annuel de 8i,6â7 francs; mais
on verra, dans les comptes reproduits ci-après^ que
ces revenus s'élevaient en réalité à 448,367 lig. 52.
Le compte des recettes de l'empire a été ainsi éta-*
bli par le ministère des finances de l'Annam, pour
l'année 1878:
lo Comptes généraux :
Impôts fonciers de 3,560,040
mâus de terres cultivées,
dont 2,908,441 en rizières et
651,599 en cultures diverses. 15,086.718 lig.
versées, partie en nature,
partie en numéraire.
Impôts personnels (507,060
inscrits, 153,602 fonction-
naires et militaires exempts),
capitation des chinois, capi-
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ASSIETTE OES IMPOTS. 33!
tation (Jes propriétaires (3
ti^ns par mâu), bacs, pêche-
ries, barques, etc . . . . 3,028,517
Redevances payées pour Tex-
ploitation des mines d'or. . 63,470
Redevances payées pour Tex-
ploitation des mines d'ar-
gent, de cuivre, de plomb,
etc 384,897 lig. 52
Total 18,563,602 lig. 52
2* Produits variables par province :
Dans ce compte sont compris
les produits établis par pro-
vince et portant sur les
douanes, des fermes, etc.,
qui montent ensemble à . . 20,884,642 lig. 62
Total général .... 39,448,245 lig. 14
Nous utiliserons ces renseignements dans la note
qui suit, relative aux « finances de TAnnam. »
Depuis l'établissement du protectorat on s'est fort
occupé de remanier l'assiette des impôts, pour les
appuyer sur des données plus régulières ; il en est
arrivé, de ces projets, comme de tant d'autres, morts-
nés, qui ont été formés depuis le temps de F. Garnier
jusqu'à ce jour. Dans tous les cas, nous pensons qu'il
serait dangereux d'accomplir brusquement des boule-
versements radicaux dans des institutions auxquelles
les indigènes tiendront d'autant plus que les charges
pécuniaires qui en résultent pour eux sont relative*
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332 L'EMPIRE D'À!f.!fAlf.
ment légères. Il ne faut pas oublier que nous sommes
encore considérés comme des étrangers, que notre
influence est mal assise, et ce n'est pas en frappant
le peuple d'impôts inaccoutumés, dans un moment où
les misères de la guer^e étrangère et des troubles
intérieurs sont encore bien grandes, que nous pour*
rons rintéresser au maintien de notre établissement
et l'affectionner à nos institutions.
Progressivement, nous pourrons réyisôr la classifi-
cation des cultures ; en attendant^ il faut prendre les
choses telles qu'elles se présentent, quitte à prescrire
le plus tôt possible rétablissement des rôles « de
grande correction », sous le contrôle de nos résidents,
doublés des gouverneurs de province, substitués, pour
la circonstance, aux Envoyés impériaux du système
annamite.
Mais il est une réforme qui devait être immédiate-
ment appliquée : l'unification des modes d'acquitte-
ment des contributions, c'est-à-dire la substitution
complète des impôts en deniers aux redevances en
nature. Non seulement cette réforme ne paraît pré-
senter aucun inconvénient, mais elle offre même,
entre autres avantages, celui d'être souhaitée par la
grande majorité des contribuables, qui se trouveraient
déchargés désormais de pertes, de soins matériels, de
corvées qui donnent lieu à des plaintes générales.
Pour cela il suffit de taxer les produits en nature
d'après les moyennes du commerce : ces moyennes
seraient justes et suffisantes. En effet, le mouvement
commercial, retenu par les anciens usages et contra-
rié d'ailleurs par le défaut de moyens de transport et
Uinsécurité des voies de circulation, n'a pris encore
qu'un essor modéré ; dans un avenir que nous aimons
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ASSIBTTE DES IMPOTS. 333
à croire prochain, ce mouvement va se développer et
les profits des producteurs étant augmentés d'autant,
il y aura lieu naturellement à des remaniements des
tarirs, en même temps qu'on établira des classifications
meilleures et des procédés nouveaux d'établissement
des rôles.
Cette oaodification du système de paiement de l'im-
pôt doit être d'autant mieux admise par les indigènes,
que sur certains points du territoire, soit par faveur,
soit par nécessité, le gouvernement annamite a déjà
permis à des villages de verser, en totalité, le mon-
tant de leurs impôts en numéraire* Ce sont, au Tonkin :
dans la province de Nirih-Binh, les villages du huyén
de Lac-Chinh ; — dans la province de Hung-Hoa, les
Thap-Luc-Châu ; — dans la province de ThaïNguyên,
les deux buyéns de Cam-Hoa et de BachThông; —
dans la province de Quang-Yén, Tién-Yén et Vân-
Dôn.
En ce qui concerne les monopoles, un seul peut
subsister maintenant que nous avons ouvert les ports
à de libres importations et exportations, l'opium ; nous
pensons qu'on ne doit pas craindre de le frapper lour-
dement.
Toutes les réformes qui ont été faites sur ces objets,
dans la Cochinchine française, ont été acceptées sans
de grandes difficultés par les contribuables; nous
devons ce résultat au compte sérieux que l'on a tenu
d'un facteur important, le temps. — Obligés de laisser
aux mandarins et aux notables, c'est-à-dire à la por-
tion hostile de la population, le soin d'établir les rôles
et de répartir les contributions, nous serions certaine-
ment exposés, en remaniant aujourd'hui celles-ci, à
voir le poids des charges publiques tomber entière-
SiLVBSTRE. — Anuam. 1».
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334 L'EMPIRE D'AN-NAM.
ment sur le peuple, quoi que nous fassions, et le parti
ennemi s'en ferait une arme terrible pour combattre
notre influence.
En matière d'impôt foncier, il ne faut pas se faire
Tillusion de croire qu'on obtiendra aisément la péré-
quation de l'impôt ; ne parlons pas du cadastre : on
sait que c'est une opération longue et coûteuse, qu
ne pourra être entreprise avant bien des années. Que
l'on se contente donc, présentement, d'exiger des
déclarations plus conformes à la réalité, pour les ins-
criptions aux rôles personnels et fonciers, et que l'on
ne commette pas la faute de supprimer brusquement
les privilèges dont Jouissent certaines catégories
d'Annamites.
Quant à l'impôt des barques et à celui des patentes,
il n'y a certainement rien qui s'oppose à ce qu'ils soient
réglementés immédiatement. Si, jusqu'à présent, les
barques n'ont été frappées d'aucune contribution par-
ticulière, cela tient à ce que les douanes intérieures
les grevaient déjà de lourdes charges; aujourd'hui
que ces douanes sont abolies et les charges qui en
résultaient supprimées, rien de plus juste que d'as-
treindre les barques au paiement d'un impôt équiva-
lent, comme dans la Cochinchine française. — Les
douanes intérieures dispensaient également d'un impôt
spécial sur les commerçants établis ; mais leur sup-
pression doit entraîner l'établissement de la contribu-
tion des patentes : il serait peu équitable de déchar-
ger l'industriel et le commerçant, pour laisser peser
sur le propriétaire foncier et le cultivateur tout le
poids des charges publiques ; il n'est pas un indigène
qui n'en convienne. i
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VII
POPULATION ET FINANCES DE L'AN-NAM.
D'après des renseignements que l'on a pu puiser
dans les archives même de la cour de Hué, le minis-
tère des finances comptait, en 1878i 607,060 inscrits
pour TAnnam tout entier et, en 1880, 346,779 inscrits
dans les 13 provinces laissées au Tpnkin par le
traité du 6 jiiiu. Nous avons voulu vérifier ce der-
nier chiffre dans une réunion tenue à Hànôï, en 1888,
par les gouverneurs des provinces ; faute dé mieux
et jusqu'à preuve du contraire, nous tiendrons pour
aussi approximatives que possible les données recueil-
lies en cette circonstance.
Interrogés sur la population de leurs provinces
respectives, les mandarins n'ont pu fournir aucune
donnée exacte ; mais, après une longue discussion et
des calculs très débattus, ils sont tombés d'accord
sur les comptes suivants : h>..
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386
L*BMPIRE D'Alf-NAM.
PROVINCES
Hàndi (My-duc compris)
Ninh-Biuh
Nam>DiDh
Hunff-Yèn
Hai-bzu'ong
QuaDg- Yen
So'u tAy.,...,
Himg-Hoà
Tuyen-Quaug , . . . .
Bac-Niuh
Thai-Nguyên
Lang-son
Cao-bang
Totaux.
HABITANTS
1.613.025
758.750
1.756.700
513.350
1.236,875
90.975
1.552.006
230.475
134.680
1.59i.350
234.200
232.750
275.325
10.243.461
DeuBt être
inserits
il rdle d'impotj
pereoBosl
129.042
60.700
140.536
41.148
98.950
7.278
124.160
20.038
10.774
127.548
18.736
18.600
20.026
817.536
Cette proportion de 817,536 inscrits sur 10,243,461
habitants est fournie par le rapport qu'ont admis les
mandarins et d'après lequel on compte, en moyenne,
sur 25 habitants de tout sexe et de tout âge, 5 hom-
mes, parmi lesquels, généralement, deux individus
peuvent être astreints à la contribution personnelle ;
cette proportion n'a rien d'exagéré et, pourtant, elle
nous présente un chiffre d'inscrits supérieur de
470,457 au nombre relevé dans les renseignements
fournis par la cour de Hué. Cet écart considérable n'a
causé aucune surpriseaux mandarins qui conviennent
au contraire qu'il peut être lenu comme étant au-
dessous de la réalité; car c'est un fait bien connu
d'eux-mêmes que les villages dissimulent environ les
deux tiers des inscrits.
Mnis, en nous contentant du résultat ainsi obtenu
et en tenant compte des malheurs de la dernière
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POPULATION ET FINANCKS DE L'AN-NAM. 837
guerre, qui ont dû, fatalement, faire des vides, soit
par la mort, soit en dispersant les populations, nous
espérons que Ton voudra bien considérer le chiffre
des inscrits fournis par la cour de Hué comme pou-
vant être doublé.
Les mêmes recherches étant faites pour les impôts
fonciers et les contributions diverses nous donne-
raient sans doute des résultats identiques; d'où nous
pourrions déduire, pour les impôts justement exigibles
au Tonkin, un total de 32,301,262 ligatures.
Les auteurs qui ont écrit sur l'administration de
Tempire de TAnnam sont très divisés dans toutes ces
questions et il n*en pouvait être autrement, par cette
raison que chacun d'eux n'a pu étendre ses obser-
vations au delà du milieu étroit dans lequel il agissait,
et a raisonné, pour l'ensemble, d'après les quelques
ca* particuliers qu'il avait pu étudier ou d'après les
renseignements qui lai avaient été fournis par des
indigènes plus ou moins compétents. Au temps où
écrivait M. Le Grand de la Liraye, le nombre des ins-
crits au rôle d'impôt personnel se serait élevé pour
tout l'empire à600,000,et la taxe qui leur était imposée
était d'une ligature et demie, ce qui aurait, de ce chef,
créé au Trésor un revenu de 900,000 ligatures. Cette
estimation est manifestement inférieure à la réalité,
et M. Louvet est aussi de cet avis que la totalité de la
population de l'Annam est d'au moins 20,000,000
d'âmes, dont 8,000,000 d'hommes de 18 à 60 ans ; mais
que le gouvernement touche à peine le cinquième des
contributions personnelles qui devraient lui revenir
Partant de ces données, quelle richesse peut être
attribuée au trésor impérial ? Doit-on penser que les
13 millions mis sous scqueiirj en juillet 1885 repré-
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sentaient l'avoir du Trésor I Nous avons de bonnes
raisons de penser le contraire, et l'on va voir,
par le calcul suivant, basé sur des données qui sont
au moins très vraisemblables, que nous sommes bien
loin de compte. Nous ne raisonnerons, pour le détail,
que sur ce qui se passe au Tonkin, où nous avons pu
étudier Tensemble des institutions et acquérir ainsi
des vues générales que Ton peut, jusqu'à un certain
point, appliquer au reste de l'empire, en tenant
compte, cependant, de cette considération que le
Tonkin est incomparablement plus peuplé et plus fer-
tile que les Haute et Moyenne Gochinchines.
Au commencement du siècle, l'empire d'Annam
comprenait; le Tonkin,— la haute et la moyenne
Cochinchine, — la Basse-Cochinchine (aujourd'hui
Cochinchine française). Sous Minh-Mang, — de 1821
à 1840, — la domination annamite s'est étendue àur
une bonne partie du Cambodge, restituée ensuite aux
rois khmers.
L'agriculture, l'industrie, le commerce intérieur
étaient et sont restés jusqu'à ce jour, au moins en
pays demeurés annamites, ce que nous les voyons
actuellement.
La cour de Hué s'est toujours réservé le commerce
avec l'étranger.
Les rôles des impôts sont encore, à peu de chose
près, tels qu'ils ont été établis sous 6ia-Long, el le
cadastre date de la 17" année de Minh-^ang (lb37).
Si l'on doit tenir compte des terres huuvellèmerit
mises en culture et des quelques augmentations d'im-
pôts qui ont eu lieu sous Tu-Duc, après la perte de la
Basse-Cochinchine, on peut admettre, d'autre part,
que ces nouvelles sources de revenus ont pu com-
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POPULATION ET FI!VANÇES J)Ç ^L'AN-NAM. m
penser, à peine, la perte des territoires restitués au^
Khmers ou cédés à la France dans la valléç et le delta
du Mé-Kong.
Il peut donc être tenu pour exact qu'en prenant
comme terme moyen le rendement d'une année pos-
térieure à la perte de la Basse-Cochinohiue mais
antérieure à la dernière guerre en Annam et au Ton-
kin, nous aurons une donnée suffisamment approxi-
mative pour nous permettre d'évaluer, grosso modo
au moins, les revenus moyens des souverains de
l'Annam depuis 85 ans.
On sait qu'yen* Anna'm il n'existe pas de Trésor
publiCy mais bien ua Trésonfmp^naJ, sans contrôle de
la part des contribuables, à la disposition de Tempe-
reur, comme serait la cassette d'un des rois de l'Eu-
rope. L'empire est une immense ferme ; le souverain
en est le propriétaire, les sujets ne sont que des fer-
miers. Les impôts et autres revenus sont versés au
propriétaire, qui en dispose à son gré, sans autres
obligations que celles qui incombent à tout proprié-
taire soucieux de conserver son bien et les travail-
leur qui le font valoir.
Telle est la situation réelle, dépouillée de tout
artifice.
Cette année moyenne, dont il a été parlé plus haut,
nous est justement offerte dans les comptes des recet-
tes et dépenses pour l'année 1878. Ces comptes ont
été communiqués par le ministère des financés de
Hué . On pourra peut-être soupçonner la communica-
tion d'être entachée de fraude, étant donné qu'elle a
été faite à la France, sujette à caution, par l'Annam,
plein de méfiance : le chiffre des recettes a pu être
allégé et celui des dépenses majoré. Quoiqu'il en soit
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340 L'BMPIIII D'AN'lUlf.
et pour ne pas être accusé d'exagération, nous tien-
drons ces chiffres pour exacts, jusqu'à preuve du con-
traire.
En 1878, le montant des recettes a été (Cocbincbine
française non comprise, bien entendu) de :
Ligatures.
Impôt foncier (payé partie en deniers,
partie en nature) 15,086,718
Impôt personnel et capitations. . . . 3,028,517
Fermages des mines d'or 63,470
— — d'argent, etc. . . 384,837
Impôts variabIes(douanes, opium, fermes
diverses, droits variés) 20,884,642
Ensemble . . . 39,448,244
Dans la même année, le compte des dé-
penses a été de :
Dépenses en nature: pour la cour, les
mandarins, l'armée, les services pu-
blics = 1,302,828 mesures de riz . . 7,816,968
Dépenses en deniers, pour les mêmes . 2,311,542
Ensemble . . . 10,128,510
Nota : les communes étaient tenues de
livrer à la cour et aux provinces, en sus
des impôts ci-dessus, des produits
en nature : étoffes, bois de construc-
tion, produits variés à l'infini, dont
nous négligeons de porter la valeur
en compte.
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POPULATION ET FINANCES DE L'AN-NAM. Ui
Balance :
Recettes . . . • . 39,448,244
Dépenses 10,128,510
Reste . . . 29,319,734
Gia Long était peu prodigue : il n'a môme pas payé
ses dettes envers MgrPigneau de Béhaine, évéque d'A-
dran, et a peu enrichi les officiers français qui l'ont
servi ; mais il a construit des forteresses et une flotte,
fait des achats d'armes et de munitions. Nous concéde-
rons donc qu'il a dépensé la totalité des revenus de
l'empire et que son successeur a trouvé le Trésor
absolument vide. C'est peut-être très réel et, alors,
il n'y aurait plus à s'étonner de l'avarice proverbiale
de Minh-Mang, Thieû-Tri et Tu-Duc.
6ia-Long est mort en janvier 1821. Il s'est écoulé
64 ans depuis cette époque jusqu'en 1886, époque à
laquelle s'ar-
rêtent nos
calculs . • 39,448,244X64= 2,824,687,616 lig.
Il faut en déduire :
' Les dégrèvements accordés
annuellement et dont le maxi-
mum légal serait de :
3,088,645x64 = 197,673,280
' Les remises d'impôts, distribu-
tions, dons à l'occasion des
avènements ou événements heu-
reux ou mémorables, que nous
aurons largement estimés si
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lis I/BMPIRE D'Alf-NAM.
nous adoptons le cbiflnre qui
précède 197,673,280
3» Les dépenses générales an-
nuelles. . 10,128,510x64= 648,224,640
4' Les frais de la guerre que l'An-
nam a soutenue contre nous pen-
dant 27 ans et qui n'ont certes
point dépassé 8,000,000 par an,
en moyenne, soit :
6,000,000X27= 135,000,000
»• Les détournements attribués
aux mandarins de la cour,
durant les dix dernières années
surtout. Nous accorderons qu'ils
ont pu s'élever à 1/3 des reve-
nus bruts, soit :
13,149,414 X 64 = 841,862,496
Récapitulons : ensemble des reve-
nus des 64 dernières années. . 2,524^687,616
197,673,280
197,673,280
648,224,640
Déductions: ^ 135,000,000
841,562,496
2,020,133,696 . . 2,020,133,696
Reste . . . 504,584,020
ou, en francs (la ligature comp-
tée pour fr. 75) 378,416,515
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POPULATION ET FINANCES DR L*AN-NAM, 343
Notre calcul de probabilités a besoin d'être appuyé
sur d'autres opinions que la nôtre.
M. Le Grand de la Liraye parle d*immenses réser-
ves, qui font de l'empereur d'Annam un des plus
riches monarques de l'Extrême-Orient, M. Luro estime
que les recettes de l'empire atteignent bien 40,ft00,000
de francs. M. Louvet, qui conclut de ce qu'il n'a pu,
depuis 1862, s'acquitter des 25,000,000 de contribu-
tion de guerre qui lui ont été imposés par la France
et l'Espagne alliés, que l'empereur d'Annam est pau-
vre, s'appuie là sur un argument sans grande valeur
à nos yeux, car le mauvais vouloir systématique de
la cour de Hué a été seul en jeu; il établit ainsi le
budget de ses recettes :
Contributions directes. -
Francs.
Impôt foncier.
i2,000,000
Taxe person-
nelle. . .
1,000,000
Taxe des Chi-
nois . . .
4,000,000
Taxe des métis.
1,200,000
Total pour les contributions directes . . 15,200,000
Contributions indirectes.— Douanes . . 3,000,000
— Ferme d'o-
pium . . 8,000,000
— Réserves roya-
les (1) . . 10,000,000
Total pour les contributions indirectes . 21,000,000
(1) M. Louvet entend par Béserve royale, certains monopoles
que le gouvernement s'attribue, dont il est absolument défendu
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au L'EMPIBE D'AR-IfAM.
Résumé :
Contributions directes i5,200,000
Contributions indirectes 21,000,000
Total du budget des recettes .... 36,200,000
On remarquera que toutes ces évaluations sont
encore supérieures aux nôtres, et M. Louvet, tenant
compte de la diminution causée par la perte de la
Basse-Cochinchine, admet que les recettes du Trésor
impérial peuvent encore s'élever à 30,000,000 de fr.
— Nous avons basé nos calculs sur des recettes de
27,786.183 francs.
. Mais on se demandera, maintenant, comment les
378,415,515 francs que nous prétendons avoirdû exis-
ter, au minimum, à l'état de réserve dans le Trésor
impérial, n'ont pas été découverts dans le palais ou
la citadelle de Hué, quand ils sont tombés aux mains
de nos troupes, le 5 juillet 1885 au matin ? L'explica-
tion de ce fait est bien simple et j'oserai dire que les
Français sont, dans le pays, les seuls à l'ignorer.
Dès que les régents Tuong et Thuyét ont eu con-
naissance de l'arrivée à la baie de Hà-Lam (ou Ha-
Long), au Tonkin, du général de Courcy et des ren-
forts qu'il amenait, ne doutant plus de Tinsuccës de
l'intrigue qu'ils poursuivaient jusqu'à Paris ; sachant,
d'ailleurs, que les Chinois, complètement battus et
mis hors du Tonkin par le général Brière de Tlsle,
n'étaient pas près de leur donner effectivement les
secours matériels qu'il leur fallait, ils ont décidé de
aux pa,rticuliers de trafiquer et qui sont : la caunelle, les bois
durs réservés pour les constructions de l'Etat, l'ivoire, les cornes
de cerf recherchées par la médecine chinoise, les mines, etc.
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POPULATION ET FINANCES DE L'AN-NAM. 348
jouer une parlie suprême. Voici ce que l'on ôciivnit
sur ce sujet, le 11 septembre 1885 :
€ Vous avez suivi, dans les journaux, les péripéties
€ de la guerre contre les « Pavillons-Noirs» d'abord,
c puis contre la Chine. Nous avons eu des hauts et
« des bas, tantôt on a chanté victoire, tantôt on a
« crié que tout était perdu. En réalit<^, lacampagne a
« été dure et coûteuse, mais nos braves petits soldats
c n'ont jamais boudé à la besogne, et, somme toute,
« nous étions tirés d'affaire à notre honneur, quand
€ a éclaté un nouveau pétard. Je veux parler de Tat-
« taque du 5 ju'llet à Hué. S'est-on demandé, en
€ France, ce qu'espéraient les mandarins de la cour
€ d'Ânnam ? Personne, sans doute, n'est assez ren-
« seifené sur le compte de ces gens-là, à Paris et ici
€ même, pour avoir vu clair dans leur jeu. — Après
€ avoir constaté l'insuccès des efforts du colosse
c chinois, ils ne s^attendaient, parbleu, pas à une vic-
€ toire par la force des armes ; mais après avoir
« suivi, avec un intérêt facile à comprendre, la crise
€ qui a suivi en France la nouvelle de la retraite de
€ Lang-son, ils vous ont vus, énervés, chavirer leMi-
« nistère et mettre un moment sur le tapis la question
« de l'abandon du Tonkin
€ Je ne fais qu'analyser la politique de la cour de
« Hué. — Donc, celle-ci s'était dit : « Si nous réus-
€ sissons à massacrer le général en chef et ses i,000
c soldats ; si seulement nous les chassons de Hué et
« les repoussons jusqu'au port de Thuân-ân, un nou-
€ veau tumulte éclatera en France. Paris cassera tout,
€ le nouveau Ministère jeté à bas, sera remplacé par
€ ceux qui ont parlé d'évacuer le Tonkin, et notre but
« sera atteint ». — Avouez que ce n'était pas mal
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340 LEMPIRB D'AN-NAM.
€ raisonner et que les choses se seraient bien passées
€ ainsi, si le coup avait réussi? Heureusement il n'a
€ pas réussi. »
En prévision de ces événements et pour « sauver la
caisse » , dans tous les cas, ils ont chargé un officier
général de la garde impériale, le Dê-Dôc Bich, d'en-
lever, avec Taide de ses troupes, toutes les valeui*s
du Trésor, et de les transporter en lieu sûr. A partir
des premiers jours du mois de juin, on put voir filer
des convois vers Cam-Lô d'abord, puis vers le Laos
et les provinces au nord de la capitale. Les valeurs,
consistant en lingots d'or et d'argent, avaient été, au
préalable, divisées par lots renfermés dans des caisses
enveloppées de nattes et munies d'un solide bambou
pour les porteurs, et pendant tout le mois de juin les
convois se succédèrent sans interruption. Quand le$
circonstances obligèrent Tuong et Thuyêt à jeter le
masque, tout l'or du Trésor était à l'abri (1), sauf un
reliquat de lingots d'argent qui, avec un certain stock
de médailles, fut évalué à 13,000,000 de francs.
A celte époque, on a pu connaître tout ce qui vient
d'être dit, et Ton a eu la preuve du déplacement des
valeurs du Trésor, en en reprenant une parti3 (un peu
plus de quatre millions de francs), que nous avons
découverte en pleine province de Quang-Binh^ dans
une expédition improvisée, dont nous retrouvons, sur
un carnet, quelques notes qui ne sont pas sans intérêt
dans la thèse soutenue ici. Voici ces noies, transcrites
telles quelles et à titre de document :
(1) Les dépèches du général de Goure;, jiui ont éAé publiées,
eu font fol : u n'existait plus un lingot d'or dans le Trésor, et
l'on sait que c'est dans ce métal précieux que' la càur àcctîiinilaît
ses réserves.
Digitized by L3OOQ IC
POPULATIOff ET flNANCES DE L'AN-NAM. 347
« 23 juillet. — Le « Hugon » mouille à midi devant
le port de Dông-Hoï. Le commandant de B... vjent à
bord et nous fait connaître qu'une expédition va par-
tir pour surprendre Hàm-Nghi dans un refuge où Ta
conduit Thuyêt, à 12 ou 14 heures de marche du port.
Ma présence et surtout celle du gouverneur de Hànôï,
qui m'accompagne, pouvant être de la plus grande
utilité politique, au cas où le jeune empereur tombe-
rait entre nos mains, je débarque immédiatement. —
Aussitôt rendu à terre, je vais voir le gouverneur de
Quang-Binh et conférer avec lui ; en même temps, je
lance de tous côtés des indigènes de nôtre suite en
quête de renseignements.
« 24 juillet. — Nos émissaires sont de retour et
nous confirment que l'Empereur est bien dans les en-
virons. — Nouvelle conférence avec le Gouverneur de
Quang-Binh : en présence des certitudes que nous
avons, il finit par avouer au Tông-Dôc et à moi que hi
cour a fait filer le Trésor et en a dispersé lés valeurs
dans des localités diverses. Dans sa province, il exis-
terait, selon lui :
« Trente caisses de barres d'argent (1) à Dinh-Diên,
ainsi réparties : dix-neuf dans le fort nouvellement
construit, quatre au village de Van-Xuân, cinq à
Xuân-Hué, une à Dai-Phuc, une à Hu-u Lôc.
« Cinquante caisses de barres d'argent chez un an-
cien ministre, nommé VÔ-trung-Binh, qui demeure
dans un village voisin.
« Cinquante caisses de barres d'or chez un autre
grand mandarin, Lô-mô-Khai.
. (1) Chaque caisse contenait 50 barres d'argent, d'nne valeur
de 81 fr. 57 ; soit ; 4,078 fr. 50. — Les caisses d,e barres d'or en
Contenaient autant, valant chaéune, 1,386 fir. 80; soit 6^,340 fr.
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548 L'EMPIRE D'Alf-NAM.
< Nous arrivons ù deux heures du soir au village de
Loug-Dai, où nous constatons que l'on a établi une
route large, bien nivelée» qui descend à la rivière
par une rampe en escaliers, entaillée dans la berge.
C'est la route qui conduit dans le Nghé-An par les
montagnes; elle a été réparée il y a un mois par
ordre de la cour, ainsi que nous le confirme le Ly
truong du village de Xuftn-Duc, qui ajoute que la cour
Ta voulue large et facile « à cause du Trésor que Von
transporte pour le soustraire aux Français. »
« 25 juillet. — Nous avons couché dans la pagode
préparée pour Tétape de Hàm Nghi. Un émissaire, qui
revient de Van-Xuân, nous apprend queThuyêt et sa
suite n'ont pas amené l'Empereur jusque-là : en che-
min, ils ont appris l'occupation de Dông-Hoï et sont
retournés vers Câm-lô. Il existe réellement des cais-
ses de barres d'argent à Van-Xuân.
€ Arrivés au fort de Van-Xuân à 2 h. 3/4 ; les Anna-
mites l'ont évacué, à l'exception d'un quan et d'une
trentaine de soldais. Le quan vient au-devant de nous
et se met à notre disposition. Point de traces de Hàra-
Nghi ni de son cortège. Interrogé, le quan livre 21
caisses de l)arres d'argent et fait apporter les 9 autres
caisses, qui se trouvent dans le village. Elles avaient
été enterrées sous des dépôts de matériaux de cons-
truction ; je les remets, contre récépissé, au chef de
bataillon 6 qui doit, avec sa troupe, garder le fort
de Van-Xuân
26 juillet. — Retour à Dông hoï, où Ton me remet
une lettre de Vo-trung-Binh, Tsincien ministre des
finances, qualifiée d'urgente et dans laquelle il dit
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POPULATION ET FtNANdI^.S OE l'AN-NAM. 34»
qu' « ayant élé appelé à Gâtn-lô, il lui y a été remis 30
caisses de barres d'argent pour les garder. Il a dû en
employer 3 pour solde et gratifications aux soldats
qui Tont accompagné, mais il lui en reste encore 27
qu'il envoie à Dông-hoï sous l'escorte du Quan-Lê,
closes et scellées ainsi qu'elles lui ont été conriées. »
— Nous envoyons quelques-uns des nôtres au-de-
vant du convoi pour presser sa marc'ie et le pro-
téger au besoin.
« 27 juillet. — rapprends que les habitants des
villages de Lang-bac, de Con-Diên et de Mô-huong
ont enlevé à des fuyards de Tescorte de Hàm-Nghi
et Thuyôt 16 barres d'or que ces soldats ont volées ;
on les oblige à les restituer au Trésor.
« En route pour Thuân-An le même jour. »
Ainsi donCy comme on voit, le déplacement du
Trésor et la dispersion des valeurs en dépôts con-
fiés à des fidèles ne peuvent être contestés, et le
fait était assez connu, dans le pays, pour qu'il nous
ait sufii de trois jours de recherches pour découvrir
et faire rentrer dans les caisses de la province de
Quang-Binh, par le moyen de nos émissaires tonki-
nois, protégés il est vrai par quelques troupes fran-
çaises, 2,516 barres d'or (2,516 X 1,386 Jr. 80 =
3,489,188 fr. 80) et 5,850 barres d'argent (5,860 x
81 fr. 57 = 477,180 fr. 60) représentant une valeur
totale de près de 4 millions. Nous croyons pouvoir
affirmer que nous aurions pu recouvrer bien d'autres
millions, de la même façon, et l'on conviendra que
la question du Tonkin se serait présentée sous un
aspect bien différent de celui qu'elle semble avoir au-
SiLTESTRB. — Annam. 20
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38i) L*EMt>tRE D'AN-flÀfit.
jonrd'hui encore, si le Ministère avait pu annoncer
aux Chambres que, désormais, le Trésor dé. l'Empe-
reur Dông-Khanh pourra suffire à toutes les dépen-
ses de la pacidcation, de la réorganisation de TAn-
nam et du toiikin, aux travaux reconnus d'utilité
publique, etc.
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VIII
OIS MILITAIRKS COMPRISES DANS LK CODK
ANNAMITE,
Les Annamites ont emprunté aux Chinois leurs lois
militaires, leur tactique, leur stratégie ; en cela ils se
sont trompés, et la moindre étude psychologique le
démontre du premier coup. Leur caractère national,
leur tempérament, leurs traditions, leur histoire sont
si différents de ceux des Chinois, qu'on les voit,d'eux-
mémes, s'affranchir des entraves du form^Iisofie chi-
nois dès qu'un danger réel les menace, s'ils ont auprès
d'eux des conseillers européens, plus ardents à la lutte
armée, plus experts dans lart de s'enjtre-détruire. On
les voit alors s'instruire, s'organiser, marner adroite-
ment des armes et un matériel perfectionnés, faire
preuve de qualités militaires ignorées des Chinois. Ils
l^ont montré à différentes époques et, pour ne parler
que de circonstances récentes, à la fin du siècle der-
nier, jsous la direction de l'évêque d'Adran et des offi-
ciers français appelés par lui, — et depuis trente ans
dans nos rangs, en Cochinchine et au Tonkin. On n'en
voit pas moins les lois et coutumes, en Annam comme
en C^ine, placer au second rang i^ hommes de^uerre,
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3St L'EMPIRE D'AN-IfAM.
pendant que, en réalité, la force des choses leur donne
la plupart du temps les premières placent. Hais les pré*
jugés, puissants là-bas encore plus que chez nous»
ont empêché pourtant la chose militaire de prendre»
dans les affaires publiques, l'influence prépondérante
qu'elle a eue en Europe et, tout en bataillant autant
que nous, ils n'accordent pas aux généraux autant de
prestige que nous le faisons.
Leurs traités sur l'art de la guerre, leurs classiques
remontent au temps des Tchéou, c'est-à-dire du dou-
zième au quatrième siècle avant l'ère chrétienne, et
on les a peu modifiés depuis cette époque, si ce n*est»
peut-être, dans les moyens politiques recommandés
aux chefs d'armée. Li-hong-Ciang a fait appel à des
moyens modernes, empruntés aux Européens ; mais
Li-hong-Chang fait exception, et il ne fait, somme
toute, la plupart du temps, qu'appliquer l'un des
grands préceptes de la tactique jaune, en opposant les
uns aux autres, les hommes et les forces des Euro-
péens ; il n'a rien changé au fonds des principes.
Les missionnaires du dix-septième siècle et du dix-
huitième ont traduit, entre autres ouvrages chinois,
les instructions de Sun-Tse, et Ton trouve dans les
travaux du P. Amiot des choses aussi curieuses qu'ins-
tructives,surtout parce que les Annamitesont toujours
tenu à les copier servilement, en dépit de la loi des
milieux, qui transforme les caractères.
Tout le monde sait que les habitants des plaines»
habitués à des climats tempérés, propriétaires d'un
sol fertile qui leur fait une existence facile» sont d'un
naturel pacifique; or» la Chine est formée surtout de
plaines : le tempérament chinois est donc foncière-
ment pacifique. Mais le sol de TAnnam est bien
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LOIS MILITAIRES COMPRISES DANS LE CODE ANNAMITE. 3:i3
différent : les Annamites sont marins ou monta-
gnards, conséquemment nerveux» batailleurs, et ils
l'ont bien prouvé par leurs continuelles guerres de
conquête jusqu'à la fin du siècle dernier.
Quoi qu'il en soit, puisque nous n'étudions ici que
les règles, nous nous bornerons à exposer celles-ci
telles qu'elles sont passées en force de loi.
ftl. de Contenson, ancien attaché militaire en Chine,
cite dans un ouvrage qu'il a publié en 1884 — Chine et
Extrême-Orient — le passage suivant du livre de Sun-
Tse :
« Travaillez sans cesse à créer des embarras à Ten-
« nemi; vous le pouvez de plusieurs façons, mais
« voici la meilleure. N'oubliez rien pour lui débau-
« cher ce qu'il aura de mieux dans son parti : offres,
« présents, caresses, que rien ne soit omis. Trompez
« même, s'il le faut; engagez les gens d'honneur qui
« sont chez lui à des actions honteuses et indignes de
« leur réputation, à des actions dont ils aient lieu de
« rougir quand elles sont connues, et ne manquez pas
« de les faire divulguer.
« Entretenez des relations directes avec tout ce qu'il
« y a de plus vicieux du côté de Tennemi, servez-vous-
« en pour arriver à vos fins en leur adjoignant d'au-
« très vicieux ; traversez leur gouvernement, semez la
« discorde parmi leurs chefs, fournissez des sujets de
« colère aux uns contre les autres, faites-les murmu-
« rer contre leurs officiei's, ameutez les subalternes
« contre leurs supérieurs, faites en sorte qu'ils man-
« quent de vivres et de munitions, répandez parmi
eux quelques airs de musique voluptueuse qui leur
« amollisse le cœur, envoyez-leur des femmes pour
€ achever de les corrompre. Tâchez qu'ils sortent
SiuvESTR-E. — Antiêm. 10.
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«
,%'$4 L'EMPIBE D*AN*IfA¥.
« lorsqu'il faudrait qu'ils soient dans leur camp
c et qu'ils soient tranquilles dans leur camp lors-
n qu'il Taudrait qu'ils tinssent la campagne. Faites-
« leur donner de fausses alarmes et de faux avis. En-
c gagez dans vos intérêts les gouverneurs des provin-
f ces ; voilà à peu près ce que vous avez à faire, si
€ VOUS voulez triompher par l'adresse et la ruse I »
— Ces théories sont vieilles comme le monde et M.
Jametel a pu dire avec raison que « Machiavel n'a été,
après tout, qu'un vulgaire plagiaire dont la tâche s'est
bornée à traduire en italien les préceptes des hommes
d'Etat jaunes » ; mais ce qui peut étonner, c'est que
ces préceptes n'aient pas varié jusqu'à nos jours et,
pour preuve, je mets sous le» yeux du lecteur la tra-
duction d'un manifeste du vice-roi des deux Kouang
(Canton et Kouang-Si), que nous avons saisi au Ton-
kin à la fin de l'année 1884 :
« Par décret impérial :
€ Nous, Truong, Ministre de la Guerre et Vice-Roi
« de Quang-Dônget de Quang-Si; — Banh, Ministre
« de la Guerre, Précepteur des enfants impériaux et
« Assistant du Vice-Roi de Quand-Dông et de Quang-
« Si;— Tuong, ancien Tông-dôc (gouverneur) de
€ Quang-Dông et Quang-Si, Précepteur des enfants
« impériaux et assistant du Vice-Roi de Quand-Dông
« et de Quang-Si ; Nghê, Assesseur du Ministre de la
« Guerre et Tuâii-phu de Quang-Dông.
« Faisons savoir aux habitants du Quang-Dông et
« du Quang-Si, aux habitants des côtes du Nord et
« du Sud, aux pécheurs, aux ouvriers, aux commer-
« çants et aux habitants de Saigon, de Tân-gia-ba
H (Singapour?), de 6a-tân-Lang, aux habitantsjde Hoa-
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LOIS MILITAIRES COMPRISES DANS LE GODE ANNAMITE. 355
« Quoi que les Français sont injustement venus faire
« la guéfre dans ùotre pays, piller les ïiabîtaïitsrpar-
« tout où ils sont allés, ils ont tout détruit. Le Ciel et
<r les hommes en sont irrités.
' « Ceux d'entre vous qui ont du patriotisme doivent :
« louer des navires, se faire aider pour les diriger
« par des mécaniciens et se rendre directement dans
« la mer de Chine et dans les mers tributaires de la
« Chine ; aiTéter les navires français, pour les attaquer
« devant et derrière ; s'enrôler dans l'armée des Fran-
« çais pour détruire leurs navires, mettre le feu dans
« leurs poudrières^ se faire employer comme ouvriers-
« mécaniciens, et, au lieu de réparer Ips machines
« des navires, faire en sorte qu'elles soient endom-
« magées ; se faire accepter comme pilotes, pour con-
« duire leurs navires sur des équeils ou dans les bas-
« fonds ; se faire leurs domestiques pour mettre du
« poison dans leurs aliments ; se faire leur^ espions
« et, au lieu de leur dire la vérité, les induire en
« erreur le plus possible, pour qu'ils n'aillent jamais
« au-devant de l'armée chinoise; faire en sorte de
« connaître leurs délibérations et leurs plans d'atta-
« que pour les répandre partout dans le public, et
« rapporter, de point en point, tout ce qui se passe
ft chez eux, touchant ces questions.
« Tous ceux qui auront fourni la preuve d'avoir
« accompli une de ces prescriptions seront immédia-
c( tement récompensés. Et d'accord avec les Tông-dôc
« et Tuân-phu des mers (Préfets maritimes), nous
« demanderons au Gouvernement de grandes dignités
i( pour eux, sans qu'ils soient obligés de suivre degré
« par degré la hiérarchie administrative.
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356 L'KMPIRE D'AN-llAM.
• Tontes les dépenses qu'ils auront faites leur seront
« remboursées par le Gouvernement.
« De plus, tous ceux qui auront levé une compa-
« gnie de 500 hommes et réussi à prendre soit Saïgon^
« soit Haf-phong ou autres villes appartenant aux
« Français, seront élevés dans de hautes dignités.
« EflTorcez-vous donc de venir en aide au Couver-
« nement. Et nous» Vice-Roi, nous n'oublierons pas ce
« que nous disons.
< Le 21 du 7* mois de la 10' année de Quang-Tu,
(10 septembre 1884).
Les classiques militaires de la Chine, qui sont aussi
ceux de TAnnam, ont été traduits en français par le
P. Amiot (1) et comprennent les ouvrages de Sun-Tse,
de Ou-Tse, de Sema. Ce sont, pour les gradués militai-
res (docteurs, licenciés ou simples bacheliers;, les
équivalents de Conrucius et de Mencius pour les gra-
dués civils. Le plus estimé est celui de Sun-Tse, qui
vivait vers le temps d'Homère, et Ton est surpris de
tmuver des principes et des théories militaires dictés
par un jugement, une justesse de vues que nos mo-
dernes tacticiens n'ont pas dépassés. Je conseille de
lire VArt militaire des Chinois^ mais je tiens à citer
ici, pour donner une idée de la valeur du plus impor*
tant et du plus estimé des traités que renferme la tra-
duction du P. Amiot, du livre de Sun-Tse, quelques
extraits très courts, mais très caractéristiques.
Sun-Tse a divisé son livre en treize chapitres, qui
traitent : 1" Du fondement de l'Art militaire, — 2° Des
commencements de la campagne, — 3" De ce qu'il faut
(1) ArtmiUtaire des Chinois, Paris, Didot, n72.
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LOIS MILITAIRES COMPRISES DANS LE CODE ANNAMITE. 357
avoir prévu avant le combat, — 4° De la contenance
des troupes, — 5" De Thabileté dans le gouvernement
des troupes, — 6* Des véritables ruses, — T Des
avantages qu'il faut se procurer, — 8° Des neuf chan-
gements, — 9^ De la conduite que les troupes doiven
tenir, — lO'* De la connaissance du terrain, — H" Des
neuf sortes de terrain, — 12° Précis de la manière de
combattre par le feu, — 13° De la manière d'employer
les dissensions et de mettre la discorde.
Nous lisons dans le septième chapitre : c Un enne-
€ mi surpris est à demi vaincu. — N'oubliez pas
« d'entretenir des intelligences secrètes avec les
« ministres étrangers, et soyez toujours instruit des
« desseins que peuvent avoir les princes alliés ou
< tributaires, des intentions bonnes ou mauvaises de
« conx qui peuvent influer sur la conduite du maître
« que vous servez et vous attirer des ordres et des
t défenses susceptibles de traverser vos projets, et
€ rendre par là vos soins inutiles. Votre prudence
€ et votre valeur ne sauraient tenir longtemps contre
€ leurs cabales ou leurs mauvais conseils. Pour obvier
< à cet inconvénient, consultez-les dans certaines
c occasions, comme si vous aviez besoin de leurs
c lumières; que tous leurs amis soient les vôtres, ne
€ soyez jamais divisé d'intérêt avec eux, cédez-leur
c dans les petites choses; en un mot, entretenez
€ Punion la plus étroite qu'il vous sera possible.
« Je demande de vous qrelque chose de plus encore :
« ayez une connaissance exacte et de détail de tout
€ ce qui vous environne ; sachez où il y a une forêt,
« un petit bois, une rivière, un ruisseau, un;terrain
c aride et pierreux, un lieu marécageux et malsain,
« une montage, une QotUne^ une petite 0}évaUoa| uq
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f vallou, ua précipice, un défilé, un c|w^inp ouvert,
tf enfin tout ce qui peut iservir ou nuii^e au^ troupes
f que vous commandez. S'il arrive que ypu^ soyez
€ hors d'état de pouvoir être instruit par vous-même
c de ravantage et du désavantage du terrain, ayez au
« moins des guides sur lesquels vous pouvez compter
« sûrement. >
, Au chapitre vni nous noterons ce passage:
€ Avant de songer à vous procurer quelque avan-
< tage, comparez-le avec le travail, 1^ peine, les
< dépenses et Içs pertes d'hommes et ie munition^
« qu'il pourra vous occasionner. Sachez à peu près si
« vous pouvez le conserver aisément, après cela vou^
« vous déterminerez à le prendre ou à le laisser, sui-
€ vaut les lois d*une saine prudence,
« Dans les occasions où il faudra prendre prompte-
« ment son parti, n'allez pas vouloir attendre le^
€ ordres du prince. S'il est des cas oi\, il faut agir
f contre des ordres reçus, n'hésitez pas, agissez sans
«r crainte, La première et principale intention de celui
« qui vous met à la tête de ses troupes, c'est que vous
« soyez vainqueur des ennemis. S'il avait prévu l8^
« circonstance où vous vous trouvez, il aurait dicté
« lui-même la conduite que vous voulez tenir.
« Le général doit éviter une trop grande ardeur à
« affronter la mort, ardeur téméraire, qu'on honore
« souvent des beaux noms de courage, d'intrépidité
« et de valeur, mais qui, au fond, ne mérite guère
« que celui de lâcheté. Un général qui s'expose sans
fc nécessité, comme le ferait un simple soldat, qui
« semble chercher les dangers et la mort, qui con^bat
« et qui fait combattre jusqu'à la çleraière ei^trémité,
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LOIS MiLîTAiRÈs Comprises dalns le cobE annamite. 'M
€ est un homme qui mérite de mourir. C'est un
« homme sans tête, qui ne saurait trouver aucune
« ressource pour se tirer d*un mauvais pas ; c'est uq
« lâche qui ne saurait souffrir le moindre échec sans
<r être consterné et qui se croit perdu si tout ne lui
« réussit. »
L'auteur expose avec autant de vigueur les incon-
vénients du système contraire et recommande d'évitei;
un trop grande complaisance ou une compassion trop
tendre pour les soldats : t Si vous voulez tirer parti de
leur service, faites en sorte qu'ils ne soient jamais
oisifs. »
Dans le neuvième chapitre se trouvent des conseils
pratiques qui ne seraient certes point déplacés dans
nos modernes règlements sur le service en campagne.
« Eclairez toutes les démarches de l'ennemi, ayez des
<c espions de distance en distance jusqu'au milieu de
« leur camp et jusque sous la tente de leur généraU
f Ne négligez rien de ce qu'on pourra vous rapporter,
« faites attention à tout.
a Si ceux de vos gens que vous avez envoyés à la
« découverte vous font dire que les arbres sont en
« mouvement, quoique par un temps calme, concluez
« que l'ennemi est en marche. Il peut se faire qu'il
« veuille venir à vous; disposez toutes choses, prépa-
« rez-vousà bien le recevoir, étaliez même au-devant
« de lui. Si Ton vous rapporte que les champs sont
« couverts d'herbes, et que ces herbes sont hautes,
« tenez-vous sans cesse s'ur vos gardes; veillez con-
« tinuellement de peur de quelque surprise. Si l'on
« vous dit qu'on a vu des oiseaux attroupés, voler
« par bandes, sans s'arrêter, soyez en défiance, on
« vient vous espionner ou vous tendre deh pièges ;
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MO L'EHfine d'an-nam.
e mais si» outre ces oiseaux, on voit encore un grand
c nombre de quadrupèdes courir la campagne, comme
c s'ils n'avaient point de gtte, c'est une marque que
c les ennemis sont aux aguets. Si Ton vous rapporte
c qu'on aperçoit au loin des tourbillons dépoussière
c s'élever dans les airs, concluez que les ennemis
c sont en marche. Dans les endroits où la poussière
« est basse et épaisse, ce sont les gens de pied ; dans
c les endroits où* elle est moins épaisse et plus
< élevée ce sont la cavalerie et les chars. Si Ton
c vous avertit que les ennemis sont dispersés et
c ne marchent que par pelotons, c'est une marque
c qu'ils ont eu à traverser quelque bois, qu'ils ont l'ait
c des battues et qu'ils sont fatigués ; ils cherchent
€ à se rassembler. Si vous apprenez qu'on aperçoit
c dans les campagnes des gens de pied et des gens
c à cheval aller et venir, dispersés çà et là par petites
c bandes, ne doutez pas que les ennemis ne soient
€ campés. »
Le dixième chapitre développe ce principe toujours
si vrai que < un bon général doit connaître tous les
f lieux qui sont ou peuvent devenir le théâtre de la
« guerre^ aussi distinctement qu'il connaît tous les
c coins et les recoins des cours ou jardins de sa
« maison.
c Avec une connaissance exacte du terrain, un
€ général peut se tirer d'affaire dans les circons-
c tances les plus critiques ; il peut se procurer des
c secours qui lui manquent, il peut empêcher ceux
c qu'on envoie à l'ennemi ; il peut avancer, reculer et
e régler toutes ses démarches comme il le jugera à
c propos ; il peut disposer des marches de l'ennemi
et faire^ à son gré, qu'il avance ou qu'il lecule; il
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I
'^^:&
LOIS MILITAIRES COMPRISES DANS LE CODE ANNAMITE, ^i
« peut le harceler sans crainte d'être surprix \\kU
« même ; il peut Tincommoder de mille manièraa •(
« parer deson côté à tous les dommages qu'on voudrait
« lui causer; il peut finir ou prolonger la caqdpagne,
« selon qu'il le juj^era plus expédient pour sa gloire
« ou pour ses intérêts. »
L'auteur conseille ensuite, dans le chapitre xi, de
se procurer paciQquement tous les secours dont oh
aura besoin et de n'employer la Torce que lorsque les
autres moyens auront été inutiles, c Faites en sorte
« dit-il, que les habitants des villages et de la o%m-
« pagne puissent trouver leur intérêt à venir d'eux-
« mêmes vous offrir leurs denrées.
« Le reste étant égal, on est plus fort de moitié
« lorsqu'on combat chez soi
« Dès que votre armée sera hors des frontières,
c faites en fermer les avenues, déclarez la partie du
« sceau qui est CDtre vos mains (1), ne souffres pas
« qu'on écrive ou qu'on reçoive des nouvelles. •
Pour terminer ces citations auxquelles Je me com-
(1) M. de Gonteuson, qui cite ces extraits daai CkiW f^
JBac<A^/na-Ori«n(, rappelle que les généraux avaient entre les mains
la moitié d'im des sceaux de l'Empire, dont l'autre moitié restait
entre les mains du souverain ou de ses ministres; quand Us cre-
vaient des ordres, ces ordres n'étaient scellés que d'une moitié
de sceau, qui devait s'ajuster à la leur. Déchirer la partie du sceau
restée aux mains du général revient doue à dire que l'on n'a
plus d'ordres à recevoir et qu'il faut désormais s'mspirer des
circonstances U est dit, du reste, au chapitre vui : « La oir-
« constance seule doit déierminer le général; ii ne doit pas s'en
u tenir a un systôjij gjuéral, ni à une manière unique d i gou*
a verner. Chaque jour, chaque occasion, chaque c|rcoii9l4aQe
« demande une application particulière des mêmes prii^cipes.
« Le^ principes sont bons en eux-mêmes ; mais l^pplioalieii
(( qu'on eu fait les rend souvent mauvais, n
SiLTiSTRB. — Aiuum, 2i
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plais» il faut bien l'avouer, je tiens à extraire encore
quelques lignes du treizième chapitre.
c Punissez sévèrement, récompensez avec lai^esse ;
c multipliez les espions, ayez-en partout, dans le
c propre palais du prince ennemi, dans Thôtel de ses
c ministres, sous les tentes de ses généraux; ayez
c une liste des principaux o£Qciers qui sont à son ser-
c vice, sachez leurs noms, leurs surnoms, le nombre
c de leurs enfants, de leurs parents, de leurs amis,
c de leurs domestiques ; que rien ne se passe chez eux
c que vous n'en soyez instruit.
c Vous aurez vos espions partout : vous devez sup-
c poser que l'ennemi aura aussi les siens. Si vous
c venez à les découvrir, gardez-vous bien de les faire
€ mettre à mort ; leurs jours doivent vous être infi-
€ ment précieux. Les espions des ennemis vous ser-
c viront efficacement, si vous mesurez tellement vos
€ démarches, vos paroles et toutes vos actions, qu'ils
c ne puissent jamais donner que de faux avis à ceux
c qui les ont envoyés. >
A la tête de l'armée annamite se trouve le Trung-
Quân (maréchal du centre), assisté de quatre maré-
chaux : TiénQuân (maréchal d'avantgarde),Haû-Quân
maréchal d'arrière-garde), Ta-quân (maréchal de
gauche), Hu-u-quân (maréchal de droite). Ce sont les
Colonnes de V Empire; à la mort du souverain ils re-
çoivent ses dernières volontés et sont chargés de
veiller à la transmission du pouvoir.
L'armée sert par bans: après avoir passé trois
mois sous les drapeaux, le soldat rentre pour trois
mois dans ses foyers, et ainsi de suite pendant dix
ans.
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•*
À
l
LOIS MILITAIRES COMPRISES DANS LE G0DB|AMNAMITE. 3^3
On distingue dans l'armée, les linh-vê (troupes
impériales) et les linh-co (troupes provinciales). Les
premiers se recrutent dans la Cochinchine» du Binh-
Dinh au Nghô-An; les autres se recrutent dans les
autj^es provinces et ne vont pas servir à Hué.
Le régiment (infanterie ou marine) comprend 500
hompies; — 10 régiments forment une division.
Il y .a aussi les linh-lé, ou milices des préfets ou
sous^préfets, — les linh-tram, milices du service
postal^ les gens de police et d'administration, les
Linh-tuân-thành ou gardes urbains.
 la tète des forces militaires d'une province est,
selon l'importance, un Dé Dôc ou un Lanh-Binh»
On trouve, dans le code annamite (1), touf^uq
long chapitre consacré aux lois militaires.
Cinq titres : i"" de la garde des demeures du sou-
verain,
2* des institutions militaires,
3^ des postes de surveillance sur les
routes de terre et d'eau,
4** des écuries et troupeaux,
5*» des courriers à pied et à cheval.
On parle longuement des prescriptions du titre I'*^
aux Lois rituelles; il n'y est question que du souverain ;
Le Titre III renferme des règlements de police
générale.
Le Titre IV a trait aux haras et troupeaux.
Le Titre V au service postal.
C'est le. Titre II qui doit particulièrement nous
occuper.
(1) Traduction de M. Philastrê
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a64 L'EMPIRE D AN-NAM.
c Ce titre» dit uq avertissement inscrit en tête de
Partiole 181, traite d'une façon générale des institu-
tions conoernant les armées. Ceux qui commandent
en chef les armées et qui vont en campagne doivent
se conformer, selon les cas, à ces lois et se repor-
ter aux instructions militaires codifiées autrefois à la
citadelle de Gia-Dinh, • c'est-à-dire probablement,
pense M. Philastre, aux instructions donnéi^s par Gia-
Long lui-même pendant la guerre des Tây-So'n ; à
moins quUlne s'agisse des règlements établis par les
officiers français venus auprès de Tévêque d'Adran,
et qui sont perdus, jusqu'à présent du moins.
En çrande partie, le Titre II s'adresse à ceux qui
commandent les troupes :
L'article 181 détermine la conduite que doivent
tenir les généraux en présence de l'ennemi» et la
règle qui leur est tracée peut se résumer ainsi : s'il
est urgent d'agir immédiatement, ils doivent le faire
de leur propre initiative et sous leur responsabilité ;
mais, s'il n'y a pas urgence, ils sont tenus de prendre
les ordres du gouvernement et d'attendre ses ordres,
sous peine décent coups, de la dégradation et de ren-
voi en servitude militaire à une frontière éloignée.
Les opérations engagées, si le général se trouve
dans la nécessité d'appeler des renforts, il s'adresse
aux commandants des forces les plus voisines, sans
s'occuper de la règle hiérarchique, et ceux-ci doivent
déférer à ses réquisitions, en conformant leur action
au plan qui leur a été tracé par le premier général
engagé, après qu'ils se sont concertés. Ils doivent
informer immédiatement le gouvernement des causes
de l'uigence des ordres donnés et des mouvements
exécutés en conformité de ces ordres; s'ils ne se
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LOIS MILITAIKES COMPRiSKS DANS LE CODE AKNAMITE. 365
prêtent pas secours ou ne rendent pas comptai ils
$ont passibles des peines ci-dessus.
Cet article a pour titre, dans le code chinois : € De
l'initiative du commandement des troupes, b
Lorsque le commandant en chef a reçu des instruc-
lions du gouvernement, et ne conforme pas ses mou-
vements aux ordres qu'il a reçus, il est puni de la
décapitation, à moins qu'il ne soit résulté aucun évé-
nement préjudiciable à l'armée ni aux afifaires (ar-
ticle 186).
Tout général en chef qui traitera avec légèreté les
affaires de l'armée, restera dans l'inaction sans motif
séi leux, s'abstiendra d'adresser les rapports qu'il doit
au souverain, laissera se démoraliser ses troupes, sera
condamné à la décapitation immédiate (D. 1 de l'ar-
ticle 189).
En temps de paix, les généraux commandant sur les
frontières doivent seborner à surveiller, s'informer et
prendre des précautions pour la garde du territoire.
S'ils commettent des actes de violence sur des per-
sonnes ou de pillage sur des biens en dehors des fron-
tières, faisant naitre ainsi des complications et des
représailles, ils sont punis de cent coups, dégradés et
envoyés en servitude (art. 190).
L'article 182 traite des devoirs des généraux opé-
rant sous les ordres d'un commandant en chef, au
point de vue de la subordination et des rapports
qu'ils lui doivent. Dans les cas peu graves, c'est le
commandant en chef qui apprécie et punit ; dans les
cas graves, c'est le souverain.
Toat général qui garde une frontière, une position
importante ou une place forte doit tout faire pour la
conserver; il doit, s'il le faut (dit le G. 0., art. 189),
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M L'isIMPIRB D'AN-NAM.
sacrifier sa vie daos ce but. S'il la laisse tomber auic
mains de l'ennemi, soit qu'il ait manqué d'énergie»
soit quMl n'ait pas su prendre de suffisants moyens.de
défense» il est puni de la décapitation. < Dans la garde
c d^ine position militaire» dit le Code chinois» on ne
< peut admettre aucune négligence ; pendant la nuit»
« il doit être dérendu de circuler ; dans les tentes, la
« plus grande attention doit être apportée au feu. •
Aux frontières et dans les places fortes, les lois sur
le service militaire doivent être scrupuleusement
observées; les troupes doivent être exercées,- les for^
tifications maintenues en bon état, les armes et les
vêtements bien entretenus. Le commandant en est
responsable. S'il manque à ce devoir, il est puni, pour
la première fois, de quatre-vingts coups, perd deux
degrés de mérite, mais reste en place ; à la première
i*écidive» il subit cent coups, perd quatre degrés de
mérite» mais conserve encore sa position. Mais si. le
désordre va jusqu'à la révolte des troupes, le com-
mandant est puni de cent coups, il est dégradé et
envoyé en servitude à une frontière éloignée, et même,
si devant la révolte des soldats, au lieu de sévir, d'ar-
rêter et de punir les coupables, il abandonne son
poste, il encourt la décapitation (art. 191).
Les colonels et capitaines ont charge de maintenir
les soldats sous les drapeaux. S'ils leur permettent de
quitter les rangs pour se livrer au commerce ou à
Tagriculture, ou s'ils les détournent de leurs obliga-
tions militaires pour les employer à leur service privé,
ils sont punis d'après le nombre d'hommes ainsi
détournés : quatre-vingts coups pour un homme, et en
augmentant jusqu'à cent coups et la dégradation. S'il
^'y a pas eu connivence avec le soldat absent» mais
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LOIS MILITAIRES COMPRISES DANS LE GODB ANNAMITE. 357
seulement négligence de la part de rofficier, le Code
est moins sévère et admet une certaine progression
conforme au principe en vertu duquel la peine aug-
mente à mesure que diminue le grade : quarante coups
de rotin» pour un soldat en faute,au dôï; pour cinq sol-
dats, au pho-quan ; pour dix soldats, au cbanh-quan;
pour cinquante soldats, au commandant particulier
du cantonnement. La peine augmente d'un degré quand
les nombres doublent, c'est-à-dire que le comman-
dant, par exemple, n^est passible que de quarante
coups encore, si le nombre est de quatre-vingt-dix-
neuf.
Les chefs militaires qui emploient des soldats à leur
service particulier, sans pour cela les détourner de
Tarmée, sont encore punis : quarante coups pour un
homme, quatre-vingts coups au maximum ; de plus,
on décompte le nombre de journées de travail, et le
salaire est confisqué à l'Etat. Il n'est accordé de tolé-
rance qu'à Toccasion des événements de famille
(mariage ou funérailles).
Pour assurer ces défenses, il est prescrit aux oflR-
ciers de se dénoncer entre eux (art. 136).
Tout cela est bien tombé en désuétude
Les mêmes défenses sont faites aux dignitaires
militaires (Công ou Hâu), mais ce n'est qu'à la
deuxième récidive qu'ils sont l'objet d'un rapport au
souverain (art. 197).
Tout officier ou soldat qui, ayant reçu l'ordre de se
mettre en campagne, ne rejoint pas le drapeau, sera
cassé s'il est officier, puni par cent coups s'il est
simple soldat et, d'ailleurs, remis dans le rang (D. 1
de l'art. 187).
Ce décret a aggravé la pénalité ^e l'art. 187, quipe
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36« i. KMPinr: d'an-nam.
prononçait que soixante-dix coups pour un jour de
retard, qtiËlre-vin^ls coups pour quaue joui'S, etc.
(aupmenlaiion d'un degré par irois jours).
Celui qui simule une maladie ou une infirmité, se
Messe ou s'estropie pour se soustraire au service
militaire, est puni d'après le retard qu'il a mis à
rejoindre son corps, avec augmentation d'un degré.
Dans ce cas et dans le précédent, le maximum est de
cent coups.
Il n'en est pas moins incorporé, à moins qu'il
ne se soit rendu réellement impropre au service,
auquel cas on le remplace par un homme capable,
pris dans sa fïimille (art. 18^.
En présence de l'ennemi, celui qui manque à un
délM fixé est dégradé et mis en jugement s'il est offi-
cier, puni de cent coups s'il est simple soldat, et les
prisonniers qu'il aurait laits sont confisqués à l'Etat.
Les prisonniers de guerre sont, avec les victimes d'un
jugement, les seuls esiîlaves reconnus.
La lâcheté devant l'ennemi, au cours d'une action,
doit être réprimée sur-le-champ. Le Code chinois dit
que « le commandant des troupes fera exécuter quel-
ques-uns tJes fuyards pour effrayer les autres. » (D. 1
de rart. 187).
Ëû Vertu de Tart. 187, les soldats qui, pendant Tac-
tion, prennent la fuite, sont décapités.
Il n'est pas permis au militaire appelé de se faire
remplacer, sous peine de cent coups pour lui et
quatre-vingts pour le remplaçant, et il est incorporé.
Il y a exception si le remplaçant est un homme de la
famille, non loué, ou si le remplacé a fait constater
par son chef qu^il est réellement impropre au service,
îldme o^ligatioit est imposée aux médecins désigné^
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LOIS MILITAIRES COMPRISES DANS LE CODE ANNAMITE. 90d
pour le service de santé d'une armée en campagne
(art. 188).
Les soldats qui, en campagne, ne respectent pas
leurs chefs, ne se conforment pas aux ordres donnés,
commettent des désordres sont : le principal coupable
puni de mort; les co-auteurs, cent coups et trois
mois de cangue. Mais alors, les commandants sont
mis à la disposition du ministre de la guerre (D. 1 de
rart. 187).
Toutes sentinelles qui, en présence de Tennemî, ne
proviennent pas et sont cause d'un dommage pour
l'armée, sont punies de la décapitation.
Le pillage, même en pays ennemi, est puni : prin-
cipal coupable, cent coups; co-auteurs, quatre-vingt-
dix coups. Si, à cette occasion, il a été blessé quel-
qu'un : décapitation ou cent coups et la servitude
nrilitaire à une frontière éloignée, selon le cas.
En cas de pillage à Tintérieur : décapitation sans
distinction entre le principal coupable et les co-au-
teurs.
Les chefs qui favorisent ou même tolèrent ces actes
sont punis de la même peine que les auteurs, sauf en
cas de condamnation à mort : commutation en l'exil
(art. 190).
Les soldats qui se révoltent contre leurs chefs sont
punis selon les lois sur les complots de rébellion ou
de trahison, en distinguant si le complot est ou n'a
pas été suivi d'actes d'exécution (art/ 223 et 224).
La vente par des militaires des armes, vêtements,
etc., qui leur ont été fournis par TEtat, est punie de
cent coups et de la servitude militaire ; s'ils sont offi-
ciers, ils seront dégradés. Les acheteurs subissent
quarante coups si les objets sont de ceux que le peuple
SiLTtITllI. <— ilMMilé Si*
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870 L'ëMPIRG: D'A?f-NAM
peut posséder ; au cas contraire, on applique les dis-
positions de l'art. 198, c'est-à-dire quatre-vingts coups
peur an objet, et cent coups et l'exil à 3000 lis au
maximum.
L'Etat reprend ces objets.
Si l'acheteur est militaire lui-même, le vendeur seul
%t puni; mais le prix de vente est confisqué (art. 193).
Pour les objets seulement mis en gage, mêmes
peines, avec diminution d'un d< gré (D. 1 deTart. 193).
Là destruction volontaire d'objets militaires est
punie depuis quatre-vingts coups par objet jusqu'à la
décapitation. Perte ou destruction involontaire :
mêmes peines diminuées de trois degrés pour les ofïi-
ciers, de quatre degrés pour les soldats. Dans tous les
cas, on poursuit le rembourse.ment de la valeur. Ces
dispositions ne regardeiii pas évidemment les pertes
dans un combat (an. 194).
La désertion en temps de paix est pun'e de quatre-
vingts coups et le soldat est réintégré fart. 196) ; en
temps de guerre, cent coups pour la première fois ;
strangulation en cas de récidive. Les chefs de village
sont tenus d'arrêter les déserteurs (art, 198). Trois
décrets ajoutés à l'arlicle étendent et aggravent ces
dispositions : les déserteurs des armées en campagne
de guerre sont décapités.
Les individus non militaires, qui vont à la suite de
l'armée sont soumis aux lois militaires (art. 198, D. 1).
L'art. 199 prévoit des mesures d'humanité en faveur
des parents des militaires. Quand l'un de ces derniers
a été tué à l^ennemi et qu'il laisse une épouse sans
efatatitS) ou des enlants en bas âge, on leur donne à
titre de secours la moitié de sa solde et de ses rations.
A ûétaixi de veuve ou d'orphelin, ce sont les père et
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j
LOIS HILITAIRES COMPRISES DAlfS LE CODE ANNAMITE. 37t
mjftre qbi en bénéficient, s'ils n'ont pas d'autre enfant
ni de ressourees (art. 199).
MATERIEL BT APPROVISIONNBAIBNTS MILITAIRES.
Les commandants de troupes adressent leurs
demandés de fonds et de vivres au Ministre des finan-
ces, et leurs demandes d'armes, munitions, équipe-
iiiént^ àti Ministre de la guerre; — ceux chargés de
la garde des frontières s'adressent aux autorités t)ro-
vinciaies, en même temps qu'ils rendent bompte à
leurs chëfë hiérarchiques, afin que le Souverain soit
informé, apprécie et décide. Si des retards sont appor-
tés, celui qui en est coupable, fût-ce le Ministre, est
puni dé IttO coups et dégradé sans pouvoir être téin-
tégré, — et s'il est résulté de ce retard quelctiie erreût
ou accident dans les opérations dé l'ûrméè, là pèinè
est la décapitation (art. 19S).
Si le service chargé de fournir à l'armée des armés,
vivres, etc.. dépasse le délai fixé ou livre des quan-
tités insuffisantes, les coupables subissent 100 coups.
Dans le cas où il en résulterait des accidents ou er-
reurs datis les opérations de l'armée, décapitation
(art. 196).
Toute personne de condition militaire qui s'enfuira
en abandonnant le convoi qu'elle était chargée de
transporter ou d'escorter, sera punie corume celui (Jttl
déserte une place qu'il était chargé de garder, et l'on
n'aura pas à distinguer s'il s'agit d'un transport OU
d'un retôUi» à vide (D. III de l'art. 188).
11 est interdit aux gens du peuple de posséder des
armes de guerre^ équipements et autres objets mili-
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[
ya L'EMPIRE DAW'NAM.
taires» sous peine de 80 coups pour chaque objet. La
même peine s'applique à ceux qui en fabriquent.
Maximum : 100 coups et Texil à 3,000 lis. — Si ce
sont des objets hors de service, le fait n'est pas puni,
mais les objets sont conOsqués. — On peut avoir des
lances, sabres, arbalètes, arcs, flèches, etc. parce
qu'il est reconnu que le peuple c en fait usage », dit le
C. 0. (art. 195).
En cas de fabrication de canons, la répression est
excessive : tous les coupables, jusqu*aux ouvriers
employés, sont décapités; leur épouse, leurs fils sont
condamnés à l'esclavage ; leurs biens sont confisqués.
Les propriétaires des maisons voisines de la fonderie,
les chefs de la commune subissent la strangulation;
les fonctionnaires civils et militaires chargés du gou-
vernement et de la surveillance du lieu sont dégradés,
ceux qui centralisent les services du territoire dans
lequel se trouve le lieu, ainsi que le gouverneur de la
province sont mis à la disposition du Ministre. (D. 1
de l'açt. 195).
La possession du soufre et du salpêtre, et le com-
merce en gros de ces matières (50 livres de soufre,
100 livres de salpêtre) sont punis de 100 coups et de
3 ans de travail pénible ; toutefois, si le possesseur
n'en a point fait commerce, sa peine est abaissée d'un
degré. L'État confisque les matières, et les voisins,
patrons de barque, etc.. sont impliqués dans les pour-
suites. — Les orfèvres et pharmaciens, qui emploiejot
du soufre ou salpêtre, n'en peuvent avoir plus de 10
livres à la fois, encore faut-il une autorisation renou-
velée à chaque achat.
Celui qui fabriquerait de la poudre et la vendrait
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LOIS MILITAIRES COMPRISBS DANS LE r.ODE ANNAMITE. 373
serait condamné à la servitude militaire. (D. 11 de
l'art. 193).
Les individus à la suite d'une armée, qui voleront
des chevaux, des objets d*équipement mil taire, etc.,
seront décapités (D. 1 de l'art. 198). — Les soldats qui
s'enfuiront en emportant des rations, de l'argent ou
des chevaux de l'armée seront punis d'après les dis-
positions de Tart. 234, avec augmentation d'un degré
(D. II de l'art. l98).
DE LA DIVULGATION DES ORDRES, PLANS BT AUTRES CHOSES
MILITAIRES.
* Lorsqu'il s'agit de conduire des troupes pour Gom-
« battre et envahir un pays étranger, dit le G. 0. de
<i l'art. 184, OU pour arrêter et saisir des rebelles ou
a traîtres, le gouvernement trace une ligne génémle
« de la conduite des opérations; les généraux font
« exécuter les mouvements et prescrivent les mesures
« à prendre. » Ceux qui divulguent ces ordres et pians,
et sont cause que les ennemis en ont Connaissance,
sont punis de la décapitation; —s'il s'agit de rapports
des généraux, qui sont ainsi divulgués, la peine est de
100 coups et 3 ans de travail pénible.
Le fait seul d'ouvrir une dépêche close et scellée,
d'un fonctionnaire quelconque, est puni de 60 coups,
lors même qu'il ne s'agit pas d'affaire militaire
(art 184).
Pour maintenir ddns la discrétion toute personne
de condition militaire ou civile, il est établi que celles
qui auront des relations privées avec des gens des
royaumes étrangers envoyés à la cour^ qui les fpé'
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i
l
374 L'EMPIBE O'AN-MAM.
qaenteFont et divulgoeront, sous un prétexte quel-
conque^ou laisseront pénétrer quelque chose, seront
toujours envoyées en servitude militaire (D. 1 de
rart.lSi).
Le titre III des Lois militaires traite, avons-nous
dit, de mesures de police générale, dont Texécution
est confiée aux autorités militaires. Il s'agit ici, sur-
tout, de la surveillance des frontières en vue d'empê-
cher rémigration et Tespionnage.
Quiconque veut voyager au loin doit se pourvoir
d'un passe-port, sous peine de ne pouvoir traverser
les postes de surveillance établis sur les routes et les
cours d'eau (douanes intérieures). Si Ton passe furti-
vement par le poste : 80 coups ; en évitant le poste :
90 coups. Si le fait a lieu aux frontières, la tentative
est punie de 100 coups et 3 ans de travail pénible; et
si les coupables ont réussi et ont eu des relations en
dehors des frontières : strangulation. — La tolérance,
ou la connivence, ou la négligence dos gardiens sont
sévèrement punies (art. 201).
Les quatre décrets qui font suite à l'art. 201 et à
l'art. 282 contiennent de nombreuses dispositions
relatives aux passe-ports, à la circulation des indi-
gènes (non annamites), à l'évasion des criminels et
des esclaves par les frontières. Il faudrait les citer
toutes ici.
Les postes de surveillance ne doivent pas, sous pré-
texte de visite, retenir abusivement les gens et les
barques; il y va, pour un jour de retard, de 20 coups,
etc., etc., jusqu'à 80 coups (art. 203).
On a introduit dans cet article un règlement tou-
chant les possesseurs des bacs.
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LOIS MILITAIRES COMPRISES DANS LE CODE ANNAMITE. 375
La surveillance des espions fait l'objet de Part. 204.
Lès espions sont mis à la question afin qu'ils fassent
connaiire leurs plans et leurs complices : ils sont tous
punis de la décapitation.
Le décret 1, qui fait suite, ressortit aux lois com-
merciales plus qu'aux lois militaires, en réalité : il
prononce des peines contre ceux qui ont des relations
avec les pays étrangers, ou qui fréquentent les tribus
sauvages, se livrent au commerce avec elles, habitent
avec elles, etc , etc.; s'ils commettent quelque faute
dans ces conditions, ils sont tous envoyés en servitude
militaire à une frontière éloignée (sauf le cas de peine
capitale, bien entendu). — De même, le deuxième
décret a trait à la police du commerce.
DES ÉCURIES ET TROUPEAUX.
Ce que nous appelons les Haras ressortit au Minis-
tère de la guerre. Il est chargé de rélève et du
dressage des chevaux et des éléphants de l'Etat
(art. 206).
Les art. 209 et 210 traitent de la conservation et de
l'entretien des haras et des troupeaux.
Les particuliers n'ont pas le droit d'abattre privé-
ment leurs propres chevaux, bœufs et buffles, sous
peine de 100 coups et de la confiscation de la peau,
des comcs et tendons (art. 207). Ce même article traite
encore des cas où quelqu'un tue ou blesse des ani-
maux domestiques d'autrui, et des dégftts causés par
les animaux d'un propriétaire sur le terrain d'autrui
ou à des personnes. Ces dispositions sont évidemment
des lois générales. Il est permis de frapper et même
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â7d l/EMPIRE-D'AN-1AM.
de tuerled animaux qui tnordéntoil fîrappëiil de la
corne ou du pied.
LeD. I, qui fait suite, âssimiile le boucher qui abat
un animal en état de rendre des services, en particu-
lier qui t«e sa propre bête (100 coups).
L'art. 208 oblige le propriétaire d'Un animal réputé
méchant à prendre des mesures de précaution afin
qu'il ne puisse blesser personne; ainsi, ces animaux
doivent porter une marque très apparente d'avertisse-
ment pour le public et être solidement attachés. Si un
chien devient enragé, son propriétaire doit le tuer.
Quiconque se dispense de ces mesures de précaution
est puni, pour ce seul fait, dé 40 coups, et s'il arrive
que par sa négligence quelqu'un soit blessé ou tué, il
est jugé et puni comme coupable de blessures ou meur-
tre par mégarde; mais, par application des dispositions
des articles 259 et 261, on autorise le rachat de la
peine par une amende dont le montant revient à la
famille de la victime.
Si le propriétaire a excité l'animal contre quelqu'un,
le fait est considéré comme blessures oU tneurti o
dans une rixe; mais il y a — on se demande pourquoi
— diminution d'un degré de la peine. Quand on a
excité un chien, par exemple, contre d'autres ani-
maux, qui sont blessés ou tués, la peine est de
40 coups, en sus d'un juste dédommagement.
Enfin, le titré V s'occupe du service postal (tram).
Ce service, tout officiel, n'est pas à l'usage du public,
mais seulement du gouvernement et de ses agents,
pour les affaires publique^». Il se fait au moyen de
courriers à pied, à cheval, en voiture ou en bateau.
Les douze articles compris dans ce titre constituent
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LOIS MILITAIRES CaMPRISES DANS LE CODE ANNAMITE. 37?
tout m règlement d^administration publique, et il
sufRt de Ipa lire j^ttentivem^nt pour connaître d'un©
manière suffisante le systèiae postal ofliqiel de l'A^-r
nam. Nous allons les résumer aussi brièvç(nei|t que
possible.
Conique l^ Qbinois, les Annamites ont établi d@s
relais de poste sur le parcours des grandes voies de
communications ; ces relais sont géiiéralement dis-
tants entPf^ eux, de lE} Us (soit 9 kilomètres, le U
étant d'enviroa 600 rpètres), quelquefois moins,
quelquefois plus, suivant la configuration du terrain.
Daqs chaque station se trouve un directeur respon-
sable du service.
Si les bâtiments de la poste ne sont pas entretenus
en bon état, ai le mobilier et les fournitures nécessai-
res ne sont pas au complet, s'il manque quelqiie linh
(soldat du service postal) ou si l'on emploie des indi-
vidus impropres au service, le directeur est puni de
50 coups (art. 213). — Ces relais de po§te servent
aussi de gîtes d'étape à certains agents du gouverne-
ment qui voyagent dans les provinces pour un service
public, c'est-à-dire aux personnes et fonctionnaires
qui ont reçu des ordres spéciaux du souverain et qui
vont les exécuter. Il y a, pour cela, un certain nombre
de salles réservées et quiconque, fonctionnaire ou
particulier, couche sans en avoir le droit dans une
de ces salles est puni de 50 coups (art. 218).
Les art, 2il et 216 règlent les détails du service
de transmission des dépêches et les soins dont on
doit les entourer : aussitôt le pli reçu, on l'enregistre
et il doit repartir séance tenante, afin que les piétons
parcourent 300 lis en 24 heures, soit environ 180 kilo-
mètres, ce qui donne une vitesse moyenne de 7 kilo-
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n
378 l'empibe d'an-nam.
mètres 1/2 par heare, sous peine de 20 à SO coaps,
selon la darée du retard» soit au bureau, soit en route.
Pour les courriers à cheval, les délais sont toujours
fixés à l'avance.
Les détériorations, pertes, soustractions, etc.. de
dépêches sont punies de peines variables d'apré^
rimportance du fait. ,
Le chef du service postal, dans chaque préfecture
ou sous-préfecture, doit spécialement et continuelle*-
ment parcourir et surveiller toutes les stations de son
territoire ; le directeur général de la province inspecte
personnellement, une fois par mois, les diverses sta-
tions et vérifie les écritures.
Personne ne peut employer les gens du tram pour
un service privé, — ou même public autre que celui
des dépêches officielles, ~ sous peine de 40 coups et
d'une amende fixée d'après le nombre d'hommes et
de journées détournés (art. 214).
Le détournement d'une dépêche ofacielle est puni
avec la plus grande rigueur. — Lorsqu'il s'agit d'un
pli adressé au souverain, il y va de la décapitation ;
— à l'un des six ministères ou au tribunal des cen-
seurs, diminution de 2 degrés (art. 212).
Les art. 215, 219, 2il et 222 traitent des droits
accordés aux personnes envoyées en mission, ainsi
qu'aux fonctionnaires et agents des divers tribunaux
ou services, sur les relais de tram et les populations
des pays qu'ils traversent. Ces droits sont fixés par lés
règlements, et si quelqu'un les outrepasse, il est pas-
sible de peines déterminées; par exemple, s'il exige
plus de vivres et d'argent qu'il ne lui en revient, —
s'il astreint des personnes du peuple à la corvée de
transporter des fardeaux ou des palanquins, — s'il
emploie les moyens de l'Ëtat è des transports privés.
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TABLE DES MATIÈRES
AvKRTîssBiiENT Page 1
PREMIÈRE PARTIE
Aperçu sur la géographie, les productions,
l'industrie, les moeurs etles coutumes du
ROYAUME d'ANNAM.
chapitre PREMIER
Aperçu sur la géographie générali.
t. Tonkinois et Cochinchinois. — II. Superficie et frontières. —
III. Principaux cours d*eau. — IV. lies. — V. Villes princi-
pales. — VI. Divisions du territoire ; aspect général et produc-
tions principales de chaque région 9
CHAPITRE DEUXIÈME
Vue générale des grandes divisions naturelles ; du sol,
du climat, des productions, etc.
I. Grandes divisions naturelles. — II. Du sol. — III. Du climat.
— IV. Des animaux sauvages et domestiques. — V. Des pro-
ductions, considérées : 1<» pour la vie proprement dite (riz,
mais, millet, sésame, tubercules et racines, légumes, canne-à-
sucre, poivre et sel, fruits, thé, huiles) ; 2* pour les vêtements
(coton, chanvre, soie ; indigo et arbres à couleurs) ; pour l'ha-
bitation et les constructions ; 4" pour l'hygiène ; 5* pour le
luxe (arec, bétel, farines, laque, aloès, camphre, cire, encens,
opium, chaux, tabac, fleurs) 44
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380 I/KMWRE D'AN .NAM.
CHAPITRE TROISIÈME
QlESTIONS ETHNOGRAPHIQUES.
I. De lapapulitiou. — II. Type physique, type national. ^ II.
Costume. — IV. Marques extérieures du respect. — V. Lau-
f^age, écriture. — VI. Temples et habitations des particuliers.
— VII. De la famille. — VIII Instruction publique. — IX. Des
mariages. — X. Funérailles et deuil légal. — XI Etat poli-
tique. — XII. Religions... , 106
CHAPITRE QUATRIÈME
Savoir, industrie, occupation des loisirs.
I. Théâtre. - II. Jeu. — III. Science des Lettrés. - IV. Poids et
mesures. — V. Musique. — VI. Savoir des médecins. ~ VII.
Arts et métiers , 158
CHAPITRE CINQUIÈME
Conclusions. "^
I. Remarques sur le caractère des Annamites, -r II. Ressources
du pays sous les rapports financier, commercial et militaire;
1" Impôts ; 2° Commerce; 3° Armée 186
DEUXIÈME PARTIE
Appendice
1. Annamites, Tonkinois et Cochinchinois , . . . . 206
11. Le cours du Mé-Koug , , , 245
III. Baron Si relation touchant le Tonkiu, 1685 263
IV. Saigon, avant l'occupation franf;ai8e 279
V. La houille au Toukin 309
VI Assiette des impôls 319
VU. Population et finances de l'Aunam 334
Vlil. Lois militaires comprises dans Je Code annamite... 3t;o
Cartb de l'Ann'Am (hors texte).
5074. — AMEVILLE, TYP. ET STÉR, A. RBTAOX. — 1889.
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4. A. BAIN. L'esprit et le corps considérés 8^u point de vue
de leurs relations, 4* édition.
5. PETTIGREW. La locomotion chez les animaux, 2« éd., ill.
6. HERBERT SPENCER. Introd. à la science sociale, 9« édit.
7. OSCAR SCHMIDT. Descendance et darwinisme. 5« édition.
8. H. MAUDSLEY. Le crime et la folie, 5* édition.
9. VAN BENEDEN. Les commensaux et les parasites dans
le règne animal, 3* édition, illustré.
10. BALFOUR STEWART. La conservation de l'énergie, suivie
d'une étude sur La Nature de la force, par P. de Saint-
Robert, 4« édition, illustré.
11. DRAPER. Les conflits de la science et de la religion, 8« éd.
12. Léon DUMONT. Théorie scientifique de la sensiblUté, 3« éd.
13. SCHUTZENBER6ER. Les fermentations, 5* édition, illustré,
14. WHITNËY. La vie du langage, 3<» édition.
15. COOKE et BERKELEY. Les champignons, 4* éd., illustré,
16. BERNSTEIN. Les sens, 4« édition, illustré.
17. BERTHELOT. La synthèse chimique, 6« édition.
18. V06EL. La photographie et la chimie de la lumière, 4« éd.
i9./LUYS. Le cerveau et ses fonctions, 6* édition, illustré.
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20. W. STANLEY JEVONS. Lm moniMde et to méoulame do
l'èohaage, 4* édition.
21. FUCfIS. Lm TOloans et las tremUements de terre, 5« éd*
22. GÉNÉRAL BRIALMONT. Lêl défense des États et les
camps retranchée, 3* édition avec fig. et 2 pL hors texte.
23. A. DE QUATREPAGES. L'espèce humaine, 9« édition.
24. BLASERNA et HELMHOLTZ. Le son et ]amasi<iue, 4* éd.
25. ROSENTHAL. Les mnsoles et les nerfs, 3« édition, Ulustré.
26. BRUCKB et HELMHOLTZ. Principes sdentifiques des
beaoz-arts, 3* édition, illastré.
27. WURTZ. La théorie atomique, 5« édition, avec préface de
M. Ch. Friedel.
28. 29. SECCHI (Le Pèrô). Les étoiles, 2* édition, illustré.
30. N. JOLT. L'homme avant les métaux, 4« édit., illustré.
31. A. BAIN. La science de l'éducation, 6* édition.
32, 33. THURSTON et HIRSCH. Hist. de lamachlneà vapeur. 3* éd.
34. R. HARTMANN. Les peuples de l'Afrique, 2« édit., illustré.
35. HERBERT SPENCER. Les hases de la morale érolntion-
niste, 4* édition.
36. Th.-H. HUXLEY. L'éorevisse, introduction à Tétude de la
zoologie, illustré.
37. DE RORERTT. La sooiologle, 2» é(^ition.
38. O.-N. ROOD. Théorie scientifique des couleurs et leurs
applicationsà l'art et à l'industrie, avec fig. et pl.hors texte.
39. DE SAPORTA et MARION. L'évolution du règne végétal.
Les cryptogames, illustré.
40. 41. CHARLTON-BASTIAN. Le système nerveux et la pen-
sée. 2 vol. illustrés.
42. JAMES SULLT. Les illusions des sens et de l'esprit, il] . 2* éd.
43. A. DE CANDOLLE. Origine des plantes cultivées, 3« édit.
44. TOUNG. Le Soleil, illustré.
45. 46. J. LUBBOCK. Les Fourmis, les Abeilles et les Ouépes.
47. Ed. PERRIER. La phUos. soologique avant Darwin, 2« éd.
48. STALLO. La matière et la phsrsique moderne.
49. MANTEGAZZA. La phsrsion. et l'expression des sentiments.
50. DE MEYER. Les organes de la parole, illustré.
51. DE LANESSAN. Introduction à^la botanique. Le sapin.
52. 53. DE SAPORTA et MARION. L'évolution du règne végétal.
Les phanérogames, 2 volumes illustrés.
54. TROUESSART. Les microbes, les ferments et les moisis-
illustré.
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55. HARTMANN. Les singes anthropdîdes, illustré.
56. SCHMIDT. Les mammifères dans leors rapports avec leurs
ancêtres géologic[aes, illustré.
57. BINET et FÉRË. Le magnétisme animal, 2« éd., illustré.
58. 59. ROMANES. L'inteUlgenoe des animaux. 2 vol. illustrés.
60. F. LAGRANGE. Physiologie des exercices dn corps.
61 . DREYFUS (Camille). L'évolution des mondes et des sociétés.
62. DAUBRÉE. Les régions Invisibles du globe et des espaces
célestes, illustré.
63. 64. SIR JOHN LUBBOCK. L'homme préhistorique. 3« édi-
tion, 2 volumes illustrés.
65. RICHET (Gh.). La chaleur animale, illustré.
66. FALSAN. La période glaciaire, illustré.
II. ~- MÉDECINE ET SCIENCES.
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LÉPiNE. 1 vol. in-8, avec fig. 15 fr.
BOUCHARDAT De la glycosurie on diabète sneré, son
traitement hygiénique, 1883, 2» édition. 1 vol. grand in-8^, suivi
de notes et documents sur la nature et le traitement de la goutte,
la gravelle urique, sur Poligurie, le diabète insipide avec excès
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par rophthalmoseopie. 1 vol. in-8, avec atlas col. 9 fr.
BOUCHOT «ET DESPRÉS. Dictionnaire de médecine et de
thérapeutique médicales et chlrur^cales, comprenant
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rapeutiques de chaque maladie, la médecine opératoire, les ac-
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Télectrisation, la matière médicale, les eaux minérales, et un
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trites, des salpln{i(ltes et des cancers de l'utérus.
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et de Tétranger^ et de leur emploi dans les maladies chroniques,
3« édition, 1883. 1 vol. in-8. 10 fr.
DDRAND-FARDEL. Traité pratique des maladies des
irlelllards, 2* édition. 1 fort vol. gr. in-8. 14 fr.
FERRIER. De la localisation des maladies cérébrales.
Traduit de l'anglais par H.-C. de Varignt, suivi d*nn mémoire de
MM. Gharcot et Pitrbs sur les Localisations motrices dans les
hémisphères de Vécorce du cerveau. 1 vol. in-8 avec 67 fig. dans le
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dictionnaires. 1 vol. in-12 de 600 pages. ^2' année, 1886. 7 fr.
GINTRAG. Traité théorique et pratique des maladies
de l'appareil nerveux. 4 vol. gr. in- 8. 28 fr.
GOUBERT. Hanuel de l'art des autopsies cadavériques,
surtout dans ses applications à Tanat. pathol. (n-18, avec 145 fig.
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HÉRARD, GORNIL et HANOT. De la phthtole pulmonaire.
1 vol. in-8, avec figures dans le texte et planches coloriées.
2« édition. 20 fr.
KUNZE. Manuel de médecine pratique, traduit de Talle-
mand par M. Knoeri. 1 vol. in-18. 4 fr. 50
LANGEREADX. Traité historique et pratique de la syphi-
lis. 2» édition. 1 vol. gr. in-8, avec fig. et planches CQjor. 17 fr.
MARTINEAU. Traité clinique des affections de l'utérus.
1 fort vol. gr. in-8. 14 fr.
MAUDSLEY. Le crtme et la folie. 1 vol. in-8. S» édit. 6 fr.
MAUDSLEY. La patholoff;ie de l'esprit. 1 vol. in-8. 10 fr.
MURCHISON. De la fièTre typhoïde, avec notes et introduc-
tion du docteur H. Gubneau db Mussy. 1 vol. in-8, avec figures
dans le texte et planches hors texte. 10 fr.
NIEMEYER. Éléments de pathologie interne et de théra-
peutique, traduit de Tallemand, annoté par A^. Gornil. 3« édit.
franc., augmentée de notes nouvelles. 2 vol. gr. in-8. 14 fr.
ONIMUS et LEGROS. Traité d'électricité médicale. 1 fort
vol. in-8, avec 275 figures dans le texte. 2« édition. 17 fr.
RILLIET et BARTHEZ. Traité clinique et pathologique
des maladies des enfants. 3* édit., refondue et augmentée.
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Tome II, fort vol. gr. iû-8. 1887, 14 fr.
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TAYLOR. Traité de médecine légale, traduit sur la 7« édition
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B. — Pathologie chirurgicale.
AN6ER (Benjamin). Traité iconographique des fractures
et luxations, précédé d'une introduction par M. le professeur
Velpeau. 1 fort volume in-4, avec 100 planches hors texte, colo-
riées, contenant 254 figures, et 127 bpis intercalés dans le texte.
2e tirage, 1886. Relié. 150 fr.
61LLR0TH. Traité de patliolos^ie ciiirurgicaie générale,
traduit de l'allemand, précédé d'une introd. par M. le prof. Vbr-
NEuiL. 1880, 3* tirage. 1 fort vol. gr. in-8, avec 100 ng. dans le
texte. 14 fr.
Conflprès français de chirurs^le. Mémoires et discussions, pu-
bliés par M. Pozzi, secrétaire général.
1" session : 1885, 1 fort vol. gr. in-8. 14 fr.
2e session : 1886, 1 fort vol. gr. in-8, avec flg. 14 fr.
3* session : 1887, 1 fort vol. gr. in-8. 14 fr.
DE ARLT. Des blessures de l'œil, considérées an point de
vue pratique et médico-légal. 1 vol. in-18. 3 fr. 50
DELORME. Traité de chirurgie de guerre. 2 vol. gr. in-8o,
avec lig. dans le texte. Tome 1. 16 fr.
Tome II (sous'presse),
6ALEZ0WSKI. I>es cataractes et de leur traitement.
1" fascicule, 1 vol. in-8. 3 fr. 50
JAMAIN ET TERRIER. Manuel de petite ciiirurgle. 6« édit.,
refondue. 1 vol. gr. in-18 de 1000 pages, avec 450 fig. 9 fr.
JAMAIN ET TERRIER. Manuel de pathologie et de clinique
chirurgicales. 3* édition. Tome 1, 1 fort vol. in-18. 8 fr.
Tome II, 1 vol. in-18. 8 fr.
Tome m, 1 vol. in-18. 8 fr.
Tome IV, terminant l'ouvrage (soi» presse),
LE FORT. La chirurgie militaire et les Sociétés de secours
en France et à l'étranger. 1 vol. gr. in-8, avec fig. 10 fr.
UëBREICH. Atlas d'ophtalmoscople, représentant Tétat nor-
mal et les modiQcations pathologiques du fond de l'œil vues à Toph-
talmoscope. 3« édition, 1885, atlas in-f« de 12 planches, 59 figures
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MALGAIGNE et LE FORT. Manuel de médecine opératoire.
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texte. 16 fr.
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RICHARD. Pratlqne Journalière de la ehlmrsle. 1 vol.
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SOËLBERG- WELLS. Traité pratique des maladies des
yeux. 1 fort vol. gr. in-8, avec ligures. 15 fr.
TERRIER. Éléments de pathologie ehlrnrfcleale générale.
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2^ fascicule : Complications des lésions traumatiques. Lésions in-
flammatoires, i vol. in-8, 1886. 6 fr.
Le 3* et dernier fascicule paraîtra ea 1889.
TRUC. Du traitement ehirurgleal de la péritonite.
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VIRCHOW. Pathologie des tumeurs, cours professé à l'uni-
versité de Berlin, traduit de Tallemand par le docteur Aronssohn.
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globe de l'œil, 1 vol. gr. in-8. 12 fr.
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de formuler, suivi d'un Précis sur les eaux minérales naturelles
et artificielles, d'un Mémorial thérapeutique, de notions sur l'em-
ploi des contrepoisons et sur les secours à donner aux empoi-
sonnés et aux asphyxiés. 1888, 28* édition, revue, corrigée, i vol.
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tenant le mode d'action, l'emploi et les doses des médicaments
simples et composés prescrits aux animaux domestiques, par les
médecins vétérinaires français et étrangers, et suivi d'un Mémorial
thérapeutique. 3«édit. 1 vol. in-18, br. 3fr. 50, cart. 4 fr., rel. 4fr. 50.
BOUCHARDAT. Manuel de matière médicale, de théra»
pentique comparée et de pharmaeie. 5<» édition. 2 vol.
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BOUCHARDAT. De U glycosurie ou diabète sucré, son
. traitement hygiénique. 1883, 2« édition. 1 vol. grand in-8, suivi de
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la gravelle urique, sur l'oUgurie, le diabète insipide avec excès
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Anne jusqu'à nos jours, par Jff. Beynald, 1 vol. in-18. 2* éd. . 3 50
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La Science et la Conscience.
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Classification des sciences. 4* édit.
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L'ordre social et l'ordre moral.
De la philosophie sociale.
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Bentham et Grote.
La religion naturelle.
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Le Darwinisme. 3« édition.
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Pensées et fragments. 9* édition.
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définitions empiriques. 2e édit.
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J. Locke, sa vie, son œuvre.
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Lee sciences naturelles et la philo-
■ophie de l'Inoonsoient.
Hie^el.
Les preuves du transformisme.
Psychologie cellulaire.
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Les nationahtés.
Barthélémy Safait-Hilaire.
De la métaphysique.
La philos., la religion et les sciences.
A. Espinas.
Philosophie expérim. en Italie.
P. Siciliani.
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allemands.
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