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Full text of "Les gloires maritimes de la France: L'amiral Roussin"

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I L'AMIRAL BAUDIM 



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JURIEN DE LA GRAVIERE 



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LIBRAIRIE PLON 

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L'AMIRAL BAUDIN 



L'auteur et les éditeurs déclarent réserver leurs droits de tra- 
duction et de reproduction à l'étranger. 

' Cet ouvrage a été déposé au ministère de l'intériéar (section de 
la librairie), en mai 1S88. 



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PARIS. — TYPOGRAPHIE DB B. PI.O.V, NOURRIT ET C ie , RUE GARANGlÈRB, 8. 



LES GLOIRES MARITIMES DE LA FRANCE 



L'AMIRAL BAUDIN 



J.URIEN DE LA GRAVIÈRE, '■ i '•" •*' i 

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PARIS 

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L'AMIRAL BAUDIM 



CHAPITRE PREMIER. 



LES SOUVENIRS INEDITS DE L AMIRAL CHARLES BAUDIN. 






L'ancienne marine, — la marine d'avant Riche- 
lieu, — ne connaissait que trois grades, comme la 
marine des galères : enseigne, capitaine comman- 
dant, capitaine pourvu de la commission d'amiral. 
En plus d'une circoçstance, on pourrait souhaiter 
qu'il en fût encore ainsi. On trouverait alors dans 
chaque grade, suivant la nature de la mission à 
remplir, des prudents ou des audacieux, des Tour- 
ville ou des Nelson, des Doria ou des don Juan 
d'Autriche. On a remarqué que les nations, au sor- 
tir de la guerre civile, deviennent presque toujours 
des nations conquérantes : la raison en est simple j 
la guerre civile engendre déjeunes généraux. L'em- 
pereur Napoléon ne s'arrêtait guère à ces distinc- 
tions gênantes de capitaine de vaisseau et de capi- 

l 



2 L'AMIRAL BAUDIN. 

taine de frégate, de vice-amiral et de contre-amiral ; 
il semble même qu'il ail montré, vers l'année 1812 , 
un penchant très-marqué à chercher les hommes 
dont il avait besoin dans les rangs inférieurs de 
cette marine si cruellement éprouvée, qu'avec une 
persistance infatigable il appelait une dernière fois 
à renaître. Le commandement de plusieurs frégates 
fut, à cette époque, confié à des officiers que leur 
grade ne destinait à commander que des corvettes 
ou des bricks. Charles Baudin fut un de ces capi- 
taines. 

Les vaillants officiers, espoir, dans leur jeunesse, 
d'un règne qui finissait, honneur et force, dans 
leur maturité, de deux autres gouvernements suc- 
cessivement emportés par la tourmente révolution- 
naire, je les ai presque tous connus au début de 
ma carrière. Quand je parle marine, il m'est bien 
difficile de ne pas répéter involontairement leurs 
leçons; quand j'interroge le passé pour y puiser 
des exemples, ce n'est jamais sans un certain regret 
que j'invoque d'autres souvenirs que ceux de leurs 
exploits. Ai-je besoin, en effet, de rétrograder jus- 
qu'à Louis XIV pour apprendre à la génération en 
qui repose notre fortune à venir, comment on fran- 
chit un goulet réputé inexpugnable? L'entrée de 



SOUVENIRS INEDITS. 



vive force d'une escadre à voiles dans le Tage, en- 
treprise que n'osèrent, au temps de notre occupa- 
tion, affronter les Anglais, est, à coup sûr, un fait 
d'armes dont auraient été fiers les Duquesne et les 
Duguay-Trouin. La prise du château de Saint-Jean 
d'Ulloa, « ce Gibraltar des Indes » , assis sur un récif, 
honore-t-elle moins les armes françaises que le 
bombardement de Gênes ou le bombardement d'Al- 
ger? Saint- Jean d'Ulloa, Tanger, Mogador, ce sont 
des résultats complets et décisifs, obtenus avec de 
chétifs moyens sur des côtes au plus haut degré 
périlleuses. Que pourrions-nous donc demander de 
mieux aux lointaines légendes des vieux siècles de 
gloire? Que nous promettra de plus éclatant notre 
formidable marine à vapeur, avec ses puissantes 
machines, ses flancs invulnérables et son artillerie 
monstrueuse? 

A côté de ces noms sacrés par la victoire, j'au- 
rais bien d'autres noms illustres à citer, quand 
même je voudrais me borner à la période de renais- 
sance qui commence en 1809 pour finir en 1814. 
Rosamel, Dupotet, de Mackau, Hugon, Lalande, de 
Rigny, Roussin, Baudin, de La Susse, Parseval 
sortent de l'école qu'ont fondée les Duperré, les 
Émériau, les Bouvet, les Hamelin, les Motard, les 



4 L'AMIRAL baudin. 

Cosmao, les Plassan, les Bourayne, — si j'en oublie, 
on voudra bien remarquer que j'omets à dessein le 
nom de mon père. — Tous ces hommes de guerre, 
si remarquables à des titres divers, avaient un trait 
commun qui m'a vivement frappé : ils ne mettaient 
rien au-dessus de la prise d'une frégate anglaise. 

Des frégates anglaises! On n'en a jamais pris 
beaucoup. L'amiral Roussin, près de qui j'ai passé 
de si longues heures, quand de cruelles souffrances 
le condamnaient, après deux ministères, à l'inac- 
tion, m'a très-peu parlé de sa campagne du Tage; 
en revanche, il ne se lassait pas de m'entretenir de 
ses croisières dans l'Inde. L'amiral Baudin n'eût 
point échangé, j'en suis convaincu, son combat du 
Renard contre la conquête de tout le Mexique. Aussi, 
le jour où, cédant aux sollicitations de ses enfants, le 
vainqueur de Saint-Jean d'Ulloa et de la Vera-Cruz 
essaya de rassembler ses souvenirs, consentit même, 
par un suprême effort, à les confier au papier, le 
vit-on déposer la plume dès qu'il fut arrivé à l'année 
1815. On eût dit qu'à partir de ces jours néfastes, 
l'histoire cessait d'offrir quelque intérêt et ne mé- 
ritait plus d'être racontée. 

Si incomplet qu'il soit, le manuscrit rédigé en 
1847 n'en est pas moins un manuscrit de trois cent 



SOUVENIRS INEDITS. 5 

cinquante-sept pages in-folio. On le mettait hier à 
ma disposition, m'abandonnant le soin d'en faire 
l'usage que je jugerais le plus utile à l'instruction 
de nos officiers. Pour atteindre ce but, il m'a paru 
qu'il me suffirait de condenser un travail qui por- 
tait en lui-même toute sa valeur technique et litté- 
raire. Je laisserai donc autant que possible la parole 
à l'amiral Baudin, n'interrompant que bien rare- 
ment par mes réflexions son récit. On ne recon- 
naîtra pas seulement le héros à ses actes, on retrou- 
vera aussi l'homme dans son style. 



CHAPITRE IL 

l'institution de m. savouré et les idées du général 

bonaparte. 



Charles Baudin était né à Paris le 21 juillet 1784. 
Il appartenait à une famille originaire de la Lorraine, 
famille de magistrature et de fmaflce, qui vint se 
fixer à Sedan sous le règne de Louis XIV. Le père 
de Charles Baudin, maire de Sedan depuis l'année 
1789, fut élu en 1791 membre de l'Assemblée légis- 
lative pour le déparlement des Ardennes, repré- 
senta le même département à la Convention et y 
vota contre la mort du Roi, en motivant son vote. 

Le vaillant marin dont nous entreprenons d'es- 
quisser l'histoire avait commencé son éducation au 
collège de Sedan; il vint l'achever à Paris, où son 
père l'appela au mois d'avril 1794, c'est-à-dire au 
plus fort de la Terreur. Le 21 prairial de l'an II de 
la République, Charles fut mis en pension chez le 
citoyen Savouré, rue de la Clef, auprès de Sainte- 



LES IDÉES DU GÉNÉRAL BONAPARTE- ? 

Pélagie, a C'était, nous apprend le futur amiral, 
la seule maison d'éducation de l'ancienne Université 
qui fût restée ouverte. Homme de conscience et de 
courage, M. Savouré avait maintenu chez lui l'en- 
seignement religieux. Le nombre des élèves était 
de cent vingt à cent trente. Le personnel des pro- 
fesseurs se composait à peu près exclusivement du 
chef de l'institution et de ses fils; M. Savouré diri- 
geait lui-même les classes de troisième, de seconde 
et de rhétorique. Nous avions pour aumônier un 
excellent homme, l'abbé Puisié, dont le souvenir 
m'est encore cher. Je n'oublierai jamais les bontés , 
de ce digne prêtre et ses leçons d'une morale si 
pure : ses façons affectueuses et dignes lui ga- 
gnaient tous les cœurs. J'étais en vacances chez 
mon père quand éclata le mouvement du 13 ven- 
démiaire an IV contre la Convention. Ce fut dans 
cette journée que mon père, alors président de l'As- 
semblée, rencontra pour la première fois le général 
Bonaparte et se prit pour lui d'une admiration pro- 
fonde. Au mois de mars de Tannée 1796, j'eus, à 
mon tour, l'occasion de contempler d'assez près 
l'homme qui venait de faire rentrer dans l'ordre 
les sections insurgées. Je montais le grand escalier 
par lequel on arrivait du réfectoire de la pension 



8 L'AMIRAL BAUDIN. 

aux appartements occupés par M. Savouré, lorsque 
j'entendis une voiture s'arrêter à la porte. D'un 
coupé jaune, d'assez médiocre apparence, attelé de 
deux chevaux de couleur différente, sort un petit 
homme, pâle et maigre, à longs cheveux noirs flot- 
tant sur les tempes, qui monte l'escalier en même 
temps que moi, entre dans l'antichambre et de- 
mande le citoyen Savouré, a Monsieur, dit le visi- 
teur, — dans ce temps-là pourtant il n'était pas 
seulement d'usage, il était d'une prudence vulgaire 
de dire : citoyen, — Monsieur, j'ai cherché dans 
tout Paris une maison d'éducation qui réunît à la 
tradition des bonnes et anciennes études de l'Uni- 
versité la tradition de l'enseignement religieux 
aujourd'hui partout oublié; je dois vous avouer que 
je n'ai trouvé que la vôtre. J'ai un jeune frère dont 
l'éducation s'est malheureusement ressentie des 
temps de trouble dont nous sortons à peine : je viens 
vous demander de vouloir bien l'admettre au nombre 
de vos élèves. Je suis nommé général en chef de 
l'armée d'Italie : je pars dans quelques jours, de- 
main ou après-demain peut-être; si, pendant mon 
absence, vous voulez bien avoir la bonté de m'a- 
dresser, chaque décade, le bulletin des progrès de 
mon frère, quelque occupé que je puisse être des 



LES IDEES DU GENERAL BONAPARTE. 9 

soins de mon commandement, comptez que je trou- 
verai toujours le temps de vous répondre. » 

L'épisode, si intime qu'il paraisse, a bien son 
intérêt. Ainsi donc ce n'est pas en 1802, c'est en 
96 que « Napoléon perçait sous Bonaparte » . Le 
général auquel la révolution aux abois devait son 
salut, faisait, — nous ne devons guère nous en 
étonner, — « ouvrir, suivant l'expression du jeune 
Baudin, à M. Savouré de grands yeux » ; dès cette 
époque, en dépit du canon de vendémiaire, il con- 
tenait en germe le souverain qui écrira, le 13 dé- 
cembre 1805, à M. de Champagny : « Mon premier 
devoir est d'empêcher qu'on n'empoisonne la mo- 
rale de mon peuple. L'athéisme, qui ôte à l'homme 
ses consolations et ses espérances, est destructeur 
de toute morale, sinon dans les individus, du moins 
dans les nations. » 

a Quelques jours après, continue l'amiral, Bona- 
parte amena son frère. Jérôme avait, je crois, 
un an ou deux de plus que moi. Il était maigre, 
d'une taille élégante, d'une figure agréable. Quand 
le général revint à Paris, après sa brillante cam- 
pagne, il vint de nouveau rendre visite à M. Sa- 
vouré. Comme la première fois, il descendit dans 
la cour et fut l'objet des acclamations des élèves. 

î. 



10 l'amiral baudin. 

Lorsqu'il partit pour l'Egypte, il laissa Jérôme à la 
pension, chargeant Barras de surveiller son éduca- 
tion, — choix bien peu sûr et le pire assurément 
qu'il pût faire. — Deux fois par décade, les aides 
de camp de Barras venaient à la pension chercher 
Jérôme. Les études du jeune frère de Bonaparte 
souffraient naturellement de ces trop fréquentes 
sorties. M. Savouré écrivit à Barras la lettre sui- 
vante : 

« Citoyen directeur, 
« Lorsque le général Bonaparte m'a confié le 
soin de l'éducation de son jeune frère, il a voulu 
que j'en fisse un homme instruit et capable. Or je 
dois vous dire que rien n'est plus contraire à ce 
but que la fréquentation continuelle de vos aides 
de camp. Veuillez donc, citoyen directeur, me 
laisser entièrement maître de l'éducation du jeune 
Jérôme, ou bien retirez-le de chez moi. 
« Salut et respect. » 

u Barras n'était pas capable d'apprécier un tel 
homme : il prit M. Savouré au mot et retira Jérôme 
de la pension, au commencement de l'année 1799. 

11 le mit d'abord à Juilly, puis à Saint-Germain, 
chez M. Mac Dermott. » 



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CHAPITRE III. 



LE RETOUR d' EGYPTE. MORT DU REPRÉSENTANT 

BAUDIN DES ARDENNES. 



« L'automne de 1797 me vit entrer en rhéto- 
rique. Je comptais un peu plus de treize ans. Mes 
études avaient été bonnes, et je ne me rappelle pas 
sans un certain plaisir mes petits succès de collège. 
Il m'arriva même, — honneur dont je suis resté 
fier, — d'être deux fois couronné à la fête publique 
de la Jeunesse, fêle républicaine qui se célébrait, 
autant qu'il m'en souvient, le 10 germinal de 
chaque année. Toutes les pensions de Paris y con- 
couraient, chacune présentant au concours son 
élève le plus distingué. Au mois d'août 1 799, mes 
humanités se trouvèrent terminées. L'ambition de 
mon père n'était pas encore à mon sujet complète- 
ment satisfaite. Nommé membre de l'Institut dans 
la classe des sciences morales et politiques, lorsque 
la loi du 3 brumaire an IV fondit en un seul corps 



»' ■•»■ 



12 L'AMIRAL BAUD1N. 

les quatre académies, mon père attachait le plus 
grand prix à me donner au moins un aperçu de 
toutes les connaissances humaines. J'eus un maître 
de dessin et un maître de mathématiques ; le pein- 
tre Vincent, un des confrères de mon père, offrit 
de me recevoir dans son atelier, quand je serais un 
peu plus avancé; le géomètre Lacroix promettait de 
me pousser en mathématiques; Gail, l'helléniste, me 
fortifierait sur le grec; Audran m'apprendrait l'hé- 
breu, le chaldaïque, le syriaque; Mentelle se char- 
geait de la géographie. La plupart des confrères de 
mon père, pour ne pas dire tous, lui étaient extrê- 
mement attachés et m'auraient volontiers donné 
des soins. Mon instruction était donc destinée à 
être complète : une douloureuse catastrophe vint 
tout à coup l'interrompre. 

« La France traversait une situation très-critique. 
Elle avait perdu presque tout le fruit de ses vic- 
toires : la malheureuse défait" de Novi nous con- 
traignait à évacuer l'Italie; l'armée d'Allemagne 
venait de repasser le Rhin, et déjà les Autrichiens 
menaçaient notre frontière du Var. Le désordre des 

ù 

finances était extrême, le Directoire sans considé- 
ration et sans force; des clubs anarchiques réveil- 
laient l'esprit du jacobinisme. Un changement de 



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le retour d'égypte. 13 

gouvernement semblait une nécessité inévitable. 
Mon père souffrait profondément de cet état de 
choses. Il avait eu plusieurs conférences avec les 
deux directeurs Sieyès et Roger-Ducos : il en avait 
eu également avec quelques-uns de ses collègues 
du Conseil des Anciens. Le 21 vendémiaire an VIII, 
— 12 octobre 1799, — il dînait, avec quelques 
amis politiques, chez le restaurateur Billot, qui 
occupait alors la maison qu'on voit en face du pont 
Royal, au coin de la rue du Bac et du quai Voltaire : 
à dix heures du soir, on vint le chercher de la part 
de Sieyès. Chez Sieyès, dans le salon d'attente, se 
promenait déjà, de long en large, le général Mo- 
reau, qui arrivait de l'armée d'Italie. Mon père 
aimait beaucoup Moreau; il appréciait ses talents 
militaires, sa simplicité républicaine, son caractère 
privé. Moreau, en voyant entrer mon père, cou- 
rut à lui et l'embrassa. L'entrevue fut très-affec- 
tueuse : mon père en fut vivement ému. Après 
quelques instants, on vint les prévenir que Sieyès 
les attendait tous deux dans son cabinet. Ils le 
trouvèrent seul : dès que la porte fut fermée, Sieyès 
leur dit : « Devinez ce que j'ai à vous annoncer ! 
Je vous le donne en dix, je vous le donne en cent, 
je vous le donne en mille : vous ne devinerez ja- 



«wm^a 



14 L f AMlRAL baudin. 

mais! Bonaparte vient de débarquer à Fréjus! — 
Eh bien, dit Moreau, voilà votre homme. Vous me 
faisiez venir ici pour effectuer, au besoin, un mou- 
vement militaire. Bonaparte vous convient bien 
mieux : il a, bien plus que moi, la faveur du peu- 
ple et celle de l'armée. » Mon père, à ces paroles, 
fut transporté de joie : il avait une très-haute opi- 
nion du général Bonaparte. Il le regardait comme 
le seul homme capable de ramener la victoire au 
dehors et de dominer l'anarchie au dedans. Il était 
plus de minuit quand mon père revint aux Tuile- 
ries, où il occupait, en sa qualité de directeur des 
Archives nationales, l'appartement qui fut, après 
1830, assigné pour logement au prince de Join- 
ville. En descendant de voiture, il donna tout ce 
qu'il avait dans sa bourse au cocher et entra chez 
ma mère, ivre de bonheur et d'espoir. Jusqu'à deux 
heures du matin, il resta auprès d'elle au coin du 
feu, lui faisant part de toutes ses idées sur l'avenir 
de la France, pour laquelle il entrevoyait les des- 
tinées les plus prospères. Ma mère eut beaucoup de 
peine à obtenir qu'il se couchât, tant il était animé : 
à six heures, mon père voulut se lever. Il se mit 
sur son séant, poussa un cri et tomba mort. Il 
n'avait que cinquante ans. 






LE RETOUR D'EGYPTE. 15 

« La douleur de ma mère et la mienne ne peu- 
vent se décrire : aujourd'hui encore, après plus de 
quarante-cinq années, je ressens cette perte cruelle 
aussi vivement que le premier jour. Je n'ai rien 
connu au monde de plus vertueux, de meilleur, de 
plus parfait que mon père; je n'ai rencontré nul 
homme, quelque élevé qu'il fût en dignités, en 
fortune, en vertus, de qui je me sois jamais dit : 
a Je voudrais élre le (ils de cet homme, plutôt que 
celui du père que la nature m'avait donné. » 

a La mort de mon père fut vivement sentie par 
la grande majorité de ses collègues. Malgré son 
extrême modestie, il avait inspiré une estime et 
une affection générales : des regrets publics et 
presque unanimes furent donnés à sa mémoire. Un 
service funèbre fut célébré pour lui à Saint-Ger- 
main l'Auxerrois. C'était la première cérémonie de 
ce genre en France depuis l'abolition du culte ca- 
tholique en 1793 : distinction bien méritée, à 
coup sûr, par mon père, qui, dans les temps les 
plus funestes, au fort de la Terreur, eut toujours le 
courage de réclamer le libre exercice de la religion 
chrétienne et les pieuses funérailles qu'on refusait 
alors aux morts. » 






CHAPITRE IV. 

UN ASPIRANT DE L'ANNÉE 1800. LA PREMIÈRE 

CAMPAGNE. 



« Nous restions, ma mère et moi, sans fortune» 
Aucun parti n'avait été pris à mon égard, lorsque 
le 18 brumaire mit au. pouvoir le général Bona- 
parte. A peine nommé consul, Bonaparte s'em- 
pressa d'envoyer à ma mère son aide de camp, le 
général Victor, depuis maréchal et duc de Bellune, 
pour lui témoigner la part qu'il prenait à ses 
regrets et lui exprimer le désir que j'entrasse dans 
la marine. Ma mère, encore dans ces premiers 
moments de douleur où une femme n'a guère de 
volonté à elle, répondit qu'elle ferait de moi tout ce 
qui plairait au consul. M. Bourdon de Vatry, alors 
ministre de la marine, se montra extrêmement bien- 
veillant. En peu de jours, mon sort fut décidé. Je 
ne possédais pas la plus légère idée de ce que pou- 
vait être le métier de marin ; j'avais seulement le 



UN ASPIRANT DE L'ANNÉE 1800. 17 

goût des voyages, et je ne demandais pas mieux que 
d'embrasser une carrière qui m'offrait la perspec- 
tive de satisfaire cette inclination. Le ministre me 
plaça pendant quelque temps au Dépôt des cartes et 
plans de la marine, où je reçus du digne M. Buache 
et de son collaborateur, M. Pazumeau, les premières 
notions d'hydrographie. Vers la fin de frimaire, le 
commissaire principal de la marine au Havre, M. Le 
Vacher, retournant de Paris à son poste, je lui fus 
confié par le ministre. 

a Le premier navire de guerre sur lequel je fus 
embarqué s'appelait le Foudroyant. C'était une 
prame, — navire mixte à voiles et à rames, — de 
douze canons de 24, commandée par un brave 
lieutenant de vaisseau appelé Tu vache, dont je me 
rappellerai toujours l'excellent accueil, ainsi que 
celui de son second, le lieutenant Lebail. Il leur 
fallait beaucoup d'indulgence pour faire si bonne 
réception à un jeune novice qui se présentait avec 
toute l'inexpérience et, par conséquent, avec tous 
les ridicules d'un Parisien sortant du collège. Je 
ne fus pas d'ailleurs longtemps sous leurs ordres : 
au bout d'un mois, le Foudroyant fut désarmé, et 
je passai sur une des canonnières de la flottille 
destinée à la défense de la côte. Cette canonnière, 



18 L'AMIRAL BAUDIN. 

assez méchant bateau, n'avait point de nom : elle 
était désignée par son numéro — le numéro 46. 
Elle portait le guidon du commandant de la flottille, 
le capitaine Helloin de Vaudreuil. Pendant les six 
mois que je passai sur ce navire, notre navigation 
se borna uniquement à quelques sorties en rade du 
Havre. J'étais, du reste, fort libre, et j'employais 
mon temps à me perfectionner dans l'étude des 
mathématiques et du dessin. 

« Au mois de juin 1800, je subis mon examen 
d'aspirant de deuxième classe. J'eus pour examina- 
teur Monge le jeune, frère du célèbre mathémati- 
cien. Je fus reçu d'emblée. On faisait alors au 
Havre les préparatifs de l'expédition de découverte 
aux terres australes. Je ne pouvais entendre parler 
d'une semblable campagne sans désirer ardemment 
y prendre part. J'écrivis à ma mère et aux amis de 
mon père à Paris : ils s'employèrent activement à 
seconder mon projet, mais il leur fallut s'adresser 
au premier Consul en personne, car les places, dans 
cette expédition, étaient extrêmement recherchées. 

« Enfin, je fus agréé et je commençai mon ser- 
vice d'aspirant à bord du Géographe, grande et 
belle corvette, toute neuve, de trente-deux canons, 
que devait monter le commandant de l'expédition, 



UN ASPIRANT DE L f ANNÉE 1800. 19 

le capitaine de vaisseau Nicolas Baudin. Nous por- 
tions le même nom : aucun lien de parenté ne nous 
unissait. Ma joie était extrême : le bonheur de por- 
ter l'uniforme, d'exercer ma petite part d'autorité, 
la perspective d'un voyage lointain et fécond en 
aventures, tout cela m'enivrait. 

a Nous arrivâmes à l'île de France ' dans les pre- 
miers jours de mars 1801, après cent cinquante 
jours de traversée. Cette colonie, tout en restant 
attachée à la France, s'était cependant maintenue 
indépendante en ce qui concernait le régime de 
l'esclavage : elle avait su résister aux décrets de la 
Convention , qui proclamaient l'affranchissement 
des nègres. Elle maintint ainsi dans son sein l'ordrç 
et la prospérité, faisant respecter en même temps, 
dans les mers de l'Inde, le pavillon français. On 
était fort patriote à l'île de France : notre arrivée 
y excita un intérêt général. Après quarante jours de 
relâche, nous fîmes voile pour la Nouvelle-Hol- 
lande 2 , le 25 avril 1801. Je ne raconterai pas toutes 

1 Voyez, à la fin du volume, la carte de Vile de France ou île 
Maurice. 

9 Voyez à la fia du volume : 1° la carte de la mer des Indes, 
du cap de Bonne -Espérance au cap Comorin ; 2° la carte de la 
mer des Indes du cap Comorin à l'océan Pacifique; 3° daus le 
voyage de la corvette la Bayonnaise (E. Pion, Âourrit et O, édi- 
teurs), la carte du grand archipel d'Asie. 



20 l'amiral baudin. 

les épreuves de cette campagne d'exploration, une 
des plus pénibles, mais en même temps une des 
plus instructives que j'aie faites. Aucune misère ne 
nous fut épargnée : dyssenterie, scorbut, manque 
de vivres, privation d'eau, tout ce qui peut aigrir 
les caractères et décimer un équipage fut notre lot, 
comme il avait été celui de l'expédition de d'En- 
trecasteaux. Vers la Gn de l'année 1802, nous 
avions reconnu la terre de Leuwin, jeté l'ancre dans 
la baie des Chiens-Marins, relâché deux fois à Ti- 
mor, exploré la côte de Van Diémen : on ne saurait 
se faire une idée de l'état de délabrement et de 
dénûment général auquel nous étions réduits. La 
saison était rigoureuse et nos pau\ r res matelots 
manquaient de vêtements : ceux qu'on avait embar- 
qués en France se trouvaient trop petits pour des 
hommes dans la force de l'âge; ils auraient à peine 
convenu à des enfants. Quant aux vivres, nous 
n'avions que du biscuit rempli de vers, des salai- 
sons pourries, du riz gern?é; pour toute boisson, 
une eau-de-vie de riz nauséabonde qu'on appelle 
arack. Lorsque les souffrances et les privations 
furent arrivées à un point tout à fait intolérable, le 
commandant reconnut la nécessité de suspendre 
notre exploration et d'aller chercher les moyens de 



UN ASPIRANT DE L'ANNÉE 1800. 21 

la poursuivre à rétablissement anglais de Port- 
Jackson, situé sur la côte orientale de l'Australie. 
Nous fûmes accueillis avec une grande cordialité à 
Port-Jackson : le gouverneur était le capitaine King, 
de la marine royale britannique, ancien lieutenant 
et collaborateur fort distingué du célèbre Cook. 
Fondée au commencement de l'année 1788, la colo- 
nie comptait alors quatorze années d'existence. 
Dans cette jeune colonie jetée au bout du monde, nous 
trouvâmes toutes les ressources nécessaires pour 
nous réparer et nous ravitailler. Le 18 novembre, 
nous mîmes à la voile et reprîmes l'exploration de 
la côte méridionale de la Nouvelle-Hollande. La 
reconnaissance du sud achevée, nous entreprîmes 
celle de l'ouest et du nord-ouest. Le 7 mai 1803, 
après une campagne beaucoup plus fructueuse que 
les campagnes des deux années précédentes, nous 
relâchions de nouveau à Timor. 

« Le 3 juin, nous quittâmes Timor avec l'inten- 
tion de visiter la côte septentrionale de la Nouvelle- 
Hollande, principalement le golfe de Carpentarie. 
La saison était malheureusement contraire à nos 
projets : les vents soufflaient avec force de l'est. 
Nous luttâmes courageusement pendant un mois. 
Le commandant finit par désespérer de pouvoir 



22 L'AMIRAL BAUDIN. 

s'élever dans Test : il annonça publiquement qu'i 1 
allait continuer ses efforts pendant toute la durée 
de la lune. Si la lune nouvelle n'amenait pas un 
changement favorable dans le temps, il considére- 
rait la campagne comme terminée et ferait route 
pour l'île de France. 

ce Le commandant était alors malade et très-fati- 
gué. Il crachait le sang; le dégoût commençait à 
s'emparer de lui. Il n'attendit même pas l'époque 
qu'il avait fixée pour renoncer à la continuation du 
voyage. Un soir, à neuf heures, le 7 juillet 1803, il 
parut sur le pont et donna l'ordre à l'officier de 
quart de mettre le cap à l'ouest, en d'autres termes, 
de faire route pour l'île de France. En un instant, 
la nouvelle se répand dans tout le navire. La moitié 
de l'équipage était couchée : elle se lève et accourt 
dans un transport de joie. On se félicitait, on s'em- 
brassait. La nuit se passa dans les danses et les 
chants ; personne n'eut l'idée d'aller se livrer au 
sommeil. Le 7 août, nous arrivâmes à l'île de 
France. Peu de jours après, l'état de notre comman- 
dant s'aggrava, et nous le perdîmes. Il avait montré 
une très-grande force d'âme dans ses derniers jours. 

ce Le 16 mai 1803, la guerre éclata de nouveau 
entre l'Angleterre et la France : le 16 décembre, 



UN ASPIRANT DE L'ANNÉE 1800. 23 

nous mîmes à la voile pour opérer notre retour 
dans les mers d'Europe. La traversée fut heureuse : 
nous touchâmes à Bourbon, au cap de Bonne- 
Espérance, et, le 25 mars 1804, après trois ans et 
cinq mois de campagne, nous entrâmes à Lorient. 
Les énormes collections d'histoire naturelle et les 
animaux vivants que nous rapportions furent sur- 
le-champ expédiés à Paris. Ma mère habitait Dun- 
kerque : j'obtins un congé pour aller la voir. En 
passant par Paris, j'y trouvai mon brevet d'en- 
seigne. Les congés passent vite : à l'expiration du 
mien, je fus envoyé à Brest, où se trouvait rassem- 
blée une escadre de vingt et un vaisseaux, sous le 
commandement du vice-amiral Ganteaume. Je dé- 
sirais beaucoup en faire partie, car c'est toujours 
dans les escadres nombreuses que s'acquiert l'in- 
struction sans laquelle il n'est pas de véritable offi- 
cier de guerre. Je fus donc très-désappointé lors- 
que, le lendemain même de mon arrivée à Brest, 
je fus nommé au commandement de la canonnière 
n° 97. Le général Caffarelli, préfet maritime, crut 
me faire grand plaisir en m'assignant cet emploi : 
je n'avais pas vingt ans. La faveur était ambitionnée 
par beaucoup d'officiers; elle ne fut pour moi 
qu'une déception. » 



CHAPITRE V. 

LA FRÉGATE « LA PIEMONTAISE » • LE CYCLONE. 

Les souvenirs de jeunesse sont toujours les plus 
vifs : l'amiral Baudin s'y attarderait peut-être; pre- 
nons un instant sa place et résumons en quelques 
lignes son séjour sur la rade de Brest. Au mois de 
février 1805, la canonnière n° 97 reçut l'ordre 
d'opérer son désarmement; l'enseigne de vaisseau 
Baudin passa sans regret de ce bâtiment, qui satis- 
faisait peu ses instincts de marin, non plus comme 
capitaine, mais comme simple officier de quart, sur 
la Diligente, charmante corvette armée de vingt 
canons et citée pour sa marche tout à fait supé- 
rieure. L'été de 1805 se passa néanmoins sans 
qu'aucune circonstance vînt seconder le désir d'ac- 
tivité d'un officier qui commençait à sentir ses 
forces et qui cherchait avec ardeur l'occasion de 
montrer ce qu'il savait faire. L'escadre sortit deux 
fois : ce fut pour aller mouiller sur la rade de Ber- 



LA FRÉGATE « LA PIÉMONTAISE >. 25 

tfaaume et pour revenir bientôt, ainsi que le chan- 
taient alors les aspirants, « poussée par un vent 
d'ouest, de Berthaume à Brest » . Quelques-uns de 
nos vaisseaux se trouvèrent engagés avec la léte 
d'une des colonnes de l'escadre anglaise : il n'y eut 
là qu'une simple escarmouche, une escarmouche 
sans conséquences sérieuses, sans tués ni blessés 
de part ou d'autre. A quoi bon être embarqué sur 
un navire doué de toutes les qualités d'un merveil- 
leux corsaire, pour passer son temps à évoluer 
autour de la roche Mingan? Charles Baudin ne 
tarda pas à échanger sa corvette pour un vaisseau. 
Un ordre de l'amiral Willaumez le transborda de la 
corvette la Diligente sur le vaisseau V Ulysse, com- 
mandé par le capitaine Allemand. V Ulysse était 
un curieux échantillon de cette flotte qui, pour se 
grossir numériquement, ne craignait pas de faire 
flèche de tout bois. Vieille carcasse de construction 
espagnole, ce vaisseau ne comptait pas moins de 
cinquante-quatre années de service. Bâti en bois de 
cèdre, bois justement considéré par les ingénieurs 
de la Péninsule comme impérissable, il n'eût pas 
cependant, par suite de l'affaiblissement de ses 
liaisons, tenu la mer pendant quinze jours. Il faisait 
bonne figure sur les états qu'on mettait sous les 

2 



26 L'AMIRAL BAUD1N. 

yeux de l'Empereur; il n'aurait pu servir qu'à com- 
promettre l'escadre à laquelle on l'eût attaché. 

ce Rester sur ce vaisseau, nous dit l'amiral Baudin 
avec un accent d'humeur qui se rencontre bien 
rarement dans ses mémoires, c'était se condamner 
à ne jamais aller à la mer. J'écrivis à M. Forestier, 
qui dirigeait alors à Paris le personnel de la marine : 
je lui demandais de me faire employer activement 
et, s'il était possible, dans un service lointain. 
Courrier par courrier, l'ordre vint de m' expédier 
à Saint-Malo, où je serais embarqué sur la frégate 
la Piémontaise. Le commandant de la Piémontaise, 
le capitaine Epron, m'accueillit à merveille et me 
désigna tout d'abord pour son officier de manœuvre. 
Nous quittâmes Saint-Malo dans le courant de dé- 
cembre 1805 : je me revis enfin en pleine mer. La 
Piémontaise était construite sur les plans d'un ingé- 
nieur nommé M. Pestel, ingénieur assez mal vu dans 
son corps, parce qu'il sortait de la classe des con- 
structeurs du commerce : M. Peslel n'en avait pas 
moins fait descendre des chantiers un navire d'une 
marche quelquefois surprenante. Cependant notre 
traversée de Saint-Malo a l'île de France fut loin 
d'être aussi rapide qu'elle aurait dû l'être. Le capi- 
taine Epron passait la ligne pour la première fois : 



LA FRÉGATE « LA PIÉ MOXTAISE ». 27 

il s'enfonça dans le golfe de Bénin, espérant y cap- 
turer quelques négriers. Nous ne rencontrâmes pas 
un seul navire anglais et, pour comble de malheur, 
nous perdîmes un temps précieux à vouloir nous 
rapprocher de la côte d'Afrique. Quand nous mouil- 
lâmes enfin au cap de Bonne-Espérance, nous y 
trouvâmes un vaisseau de la Compagnie danoise des 
Indes, V Aigle blanc, que nous avions laissé, deux 
mois auparavant, au nord de l'équateur. La marche 
de Y Aigle blanc était pourtant de moitié inférieure 
à la nôtre. 

a Le 15 mars 1806, nous venions de doubler le 
cap de Bonne-Espérance : nous fûmes assaillis, 
entre Madagascar et l'île Bourbon, par un des ter- 
ribles coups de vent qui désolent si fréquemment 
ces parages. Nous perdîmes non- seulement nos 
mâts de perroquet, dont nous n'avions pas eu la 
précaution de nous débarrasser, mais aussi notre 
petit mât de hune. Quelques officiers émirent alors 
l'avis de laisser porter vent arrière pour éviter de 
plus fortes avaries. Malheureusement il y avait dans 
l'état-major un officier d'un certain âge, jadis 
commandant d'un navire de flottille dans la Man- 
che, promu depuis quelques mois au grade d'en- 
seigne de vaisseau. Il était arrivé à ce brave 



28 L'AMIRAL BAUDIN. 

homme de fuir vent arrière sur un mauvais lougre 
et d'avoir la poupe défoncée : depuis ce temps il 
était toujours effrayé, quand il entendait parler de 
fuir vent arrière avec grosse mer. Il s'imaginait 
qu'on allait couler bas. Sa conviction était si pro- 
fonde qu'il 6nit par la faire partager au capitaine 
Épron. Nous nous obstinâmes donc à tenir le tra- 
vers. Il en résulta que nous perdîmes successive- 
ment notre grand mât et notre mât d'artimon. Le 
mât de misaine et le mât de beaupré restèrent en 
place, mais ils furent étêtés. Chargée par une mer 
énorme et couchée sur le côté, la frégate courait 
risque d'être défoncée par la mâture, qui battait 
avec violence contre le flanc de tribord. Je proposai 
au capitaine de mettre, en virant de bord, les mâts 
brisés au vent de la frégate : nous pourrions ainsi 
saisir et couper le gréement qui retenait ces mal- 
heureux espars convertis en béliers. Le capitaine 
Epron croyait la manœuvre impossible : il me per- 
mit cependant de la tenter. Je l'accomplis avec une 
facilité extrême. Une fois délivrés de notre mâture, 
nous fûmes hors de danger. » 

Fuir vent arrière, ce n'est pas toujours la ma- 
nœuvre indiquée dans un cyclone. Que fut— il sur- 
venu si l'on eût ainsi précipité la Piémontaise au 



LA FRÉGATE « LA PIÉMONTAISE ». 29 

centre du tourbillon? Le vieil enseigne de vaisseau, 
en admettant toutefois qu'il eût survécu à l'aven- 
ture, se serait cru le droit de triompher, et pour- 
tant il aurait, en cette occasion, devancé son siècle 
sans le savoir. La loi qui régit les tempêtes tour- 
nantes n'a pas été découverte depuis plus de qua- 
rante ans, et c'est bien un cyclone, non pas un coup 
de vent ordinaire, qu'éprouva la Piémontaise à 
l'entrée du canal de Mozambique. 



2. 



»« H I ^»» <»■ ^il— 



CHAPITRE VI. 



PRISE DU « WARREN HAST1NGS » . LE LIEUTENANT 

MORE AU. 



La campagne de la Piémontaise dans les mers 
de l'Inde est restée célèbre ; personne ne l'a encore 
racontée avec ce ton de sincérité et de juvénile 
enthousiasme dont nous trouverons empreinte à 
chaque ligne la relation du vaillant amiral. « Dès 
que le mauvais temps fut passé, nous dit-il, nous 
réparâmes le mieux que nous pûmes nos avaries. 
Regréée avec des mâts de fortune, la Piémontaise 
recouvra une partie de sa supériorité de marche. 
Quelques jours après, nous atterrîmes sur l'île de 
France. C'était le soir : seul à bord, je connaissais 
les côtes de cette île. J'offris de conduire la frégate 
au mouillage, malgré la nuit, en traversant la croi- 
sière ennemie, dont les fusées de signaux nous 
annonçaient la présence. A deux heures du matin, 



PRISE DU « WAHREN HASTINGS '. 31 

nous étions devant le Port-Louis 1 : mon avis était 
de nous rapprocher de la côte et d'y jeter un pied 
d'ancre pour attendre le jour. La manœuvre sem- 
blait indiquée, puisque l'ennemi se trouvait dans 
le voisinage et que nous avions de graves avaries. 
Le capitaine Epron préféra se tenir sous voiles. 
Vers cinq heures du soir, pendant que nous cou- 
rions la bordée de terre, une erreur de sonde fut 
cause que nous échouâmes à petite distance de la 
pointe des Canonniers. La batterie qui défendait 
la pointe ouvrit le feu sur nous. Un officier fut 
expédié dans une embarcation pour arrêter ce zèle 
intempestif et faire connaître aux compatriotes qui 
nous canonnaient notre nationalité. La batterie tira 
sur l'embarcation. L'officier de la Piémontaise, 
découragé, tourna les talons et revint à bord. 
J'obtins la permission de prendre sa place. Sans 
me laisser intimider par un feu assez mal dirigé 
d'ailleurs, je fis force de rames vers la batterie et 
je parvins à faire entendre raison à celui qui la 
commandait. 

a A peine échappés à ce danger, nous allions en 
courir un autre de nature infiniment plus sérieuse. 

1 Voyez, à la fin du volume, la carte de Vile de France. 



32 L'AMIRAL BAUDIN. 

Un vaisseau de ligne anglais paraissait sous le 
vent : attiré par le bruit de la canonnade, il faisait 
force de voiles pour nous joindre. Ce vaisseau était 
le Sceptre, vaisseau de soixante-quatorze canons. 
Dès que nous le reconnûmes, nous cessâmes de 
jeter à la mer notre artillerie, dont nous avions 
commencé à nous alléger. Un pilote nous vint, en 
ce moment critique, du Port-Louis. Nous étions à 
trois lieues environ du port. Le vaisseau ennemi 
n'était plus éloigné que d'une portée et demie de 
canon, quand, par une chance inespérée, nous 
parvînmes à nous remettre à flot. Malgré notre voi- 
lure réduite, nous soutînmes la chasse avec avan- 
tage, pendant plus d'une heure. Nous réussîmes 
enfin à gagner le mouillage intérieur du Port- 
Louis. Le Sceptre ne voulut pas nous abandonner 
sans nous envoyer au moins sa bordée : tirée de 
trop loin, cette bordée ne nous fit aucun mal. » 

Nous retrouverons, dans le cours de ce récit, 
d'autres exemples des méprises auxquelles donnait 
lieu la crainte, toujours présente, d'un ennemi ingé- 
nieux à se déguiser. Les signaux de reconnaissance 
de jour et de nuit ont une importance extrême en 
temps de guerre : nous avons tort d'en négliger 
l'usage en temps de paix. Tous les mouvements 



PRISE DU « WARREX HASTINGS ». 33 

d'une escadre d'évolutions, tous ses exercices de- 
vraient n'être qu'une répétition des manœuvres et 
des précautions qu'exigerait une croisière réelle. Il 
faudrait que, sous ce rapport, la déclaration de 
guerre ne vînt rien changer à nos habitudes. Voilà, 
suivant mon humble appréciation, la vraie tactique 
navale, celle dont il importe de multiplier et de 
méditer chaque jour les leçons, « Au Port-Louis, 
continue l'amiral, je trouvai mon ami Moreau, un 
de mes anciens compagnons du Géographe. Il était 
alors second lieutenant sur la frégate la Canon- 
nière. Ce fut une grande joie pour moi. La place 
de premier lieutenant sur la Piémontaise vint à 
vaquer : je proposai Moreau au capitaine Epron, 
qui l'accepta. J'étais donc encore une fois réuni à 
mon ami le plus cher, à l'homme que je considé- 
rais comme le meilleur officier, — le plus grand, 
allais-je dire, — que possédât alors notre marine. » 
Ses amis! l'amiral Baudin ne s'est jamais fait 
faute de les grandir. C'est là, qu'on nous permette 
de le remarquer en passant, un des traits saillants 
de son caractère. Nous devons, il est vrai, tenir 
compte des tendances et du ton général de l'épo- 
que : la sensibilité avait remplacé dans les âmes, 
tout imprégnées des leçons de Jean-Jacques, la fer- 



34 L'AMIRAL BAUDIN. 

veur religieuse. N'insistons pas et hâtons-nous de 
rendre la parole à l'enthousiaste enseigne de la 
Piémontaise. 

a Nos avaries, poursuit-il, grâce aux ressources 
et au bon vouloir du port, furent promptement ré- 
parées. Nous allâmes, sur-le-champ, établir notre 
croisière au sud et sous le méridien même de l'île 
de France. Le 21 juin 1806, nous rencontrâmes le 
vaisseau de la Compagnie des Indes, le Warren 
Hastings. Ce vaisseau portait quarante - quatre 
canons : il ne se rendit qu'après trois heures de 
combat. Le vent grand frais, la mer houleuse lui 
donnaient sur nous des avantages et contribuèrent 
à prolonger sa résistance. Dès qu'il eût amené son 
pavillon, nous mîmes en panne pour l'envoyer 
amariner. Nous en étions alors à une encablure ou 
deux par sa joue de sous le vent. Pendant que nous 
mettions une embarcation à la mer, le Warren 
Hastings laissa brusquement arriver sur nous, dans 
l'espoir de nous démâter, peut-être même de nous 
couler bas par la supériorité de sa masse. Nous 
manœuvrâmes aussitôt de façon à prévenir un choc 
qui devait nous être fatal; nous ne pûmes cepen- 
dant empêcher que le vaisseau anglais ne nous 
abordât, nous enlevant ainsi notre grand mât de 



PRISE DU « WARREN HASTIXGS ». 35 

liane avec la grand'vergue et brisant ensuite notre 
beaupré. 

a Quand les deux navires commencèrent à se 
heurter, Moreau, qui, en sa qualité de premier lieu- 
tenant, était posté sur le gaillard d'avant, avait 
sauté à bord de l'anglais, entraînant à sa suite le 
premier peloton d'abordage. Une rencontre qu'une 
faible résistance et court, sans s'arrêter, vers le 
gaillard d'arrière. Le capitaine Larkins, — ainsi se 
nommait le commandant du Warren Hastings, — 
se tenait encore auprès du gouvernail, et la barre, 
qu'on n'avait pas eu le temps de redresser, se trou- 
vait toute au vent. La manœuvre déloyale était prise 
sur le fait : Moreau ne put contenir son indignation. 
Pendant qu'il reprochait au capitaine Larkins d'avoir 
voulu éviter la capture par un acte de félonie, il 
gesticulait avec véhémence. Le poignard, — ou 
plutôt la dague, — qu'il portait à la main, atteignit 
légèrement le capitaine anglais entre deux côtes. 
« Emmenez-le à bord de la frégate ! » dit Moreau à 
deux de ses hommes. L'ordre fut exécuté sur-le- 
champ; il le fut même avec une brutalité que l'ani- 
mation du combat ne saurait suffire à excuser, 

«J'avais, pendant ce temps, demandé au capitaine 
Epron la permission de remettre à un autre officier 



36 L'AMIRAL BAUDIN. 

le commandement de la manœuvre pour sauter 
moi-même à l'abordage. Au moment où je me dis- 
posais à franchir l'intervalle qui séparait les deux 
navires, j'aperçus le capitaine anglais, tombé, je ne 
sais trop comment, entre le IVarren Hastings et la 
Piémont aise . Il s'était accroché à une manœuvre ; 
le moindre mouvement de l'une ou de l'autre masse 
pouvait l'écraser. Me laisser glisser jusqu'à la pré- 
ceinte, saisir le capitaine anglais et l'aider à gravir 
le bord fut l'affaire d'un instant. Le malheureux, 
arraché à une mort presque certaine, m'adressait les 
plus vifs remercîments. Je me hâtai de me soustraire 
à l'expression de sa reconnaissance et je le fis con- 
duire au poste des blessés. L'aventure, défigurée 
par d'odieux récits, occupa beaucoup toute la 
presse de l'Iode et même celle de l'Europe. Elle 
valut à mon pauvre ami beaucoup d'injures vrai- 
ment imméritées, et à moi des éloges bien supé- 
rieurs au mérite de mon action l . » 



1 Le rapport du capitaine Larkins a été publié dans le Naval 
Chronicle; il confirme, pour le fond, la narration de l'amiral 
Baudin. La vivacité du lieutenant Moreau s'y trouve seulement 
représentée sous le jour le plus odieux, et Je capitaine Larkins n'est 
plus le seul qu'on représente comme « poignardé après que le vais- 
seau s'est rendu, — stabbed after surrender ». 

La tête du pirate Moreau fut mise à prix par les autorités de 
l'Inde. « Les matelots de la Pièmontaise* raconte gravement l'his- 



PRISE DU « WARREN HASTIKGS ». 37 

torien William James, étaient armés comme de vrais assassins. 
Chacun d'eux portait un poignard fixé dans une des boutonnières 
de sa jaquette. La prise du Warren Hastings fut accompagnée de 
scènes qui auraient mieux convenu à un corsaire algérien ou à un 
pirate malais qu'à un navire de guerre européen. Le lieutenant 
Moreau, ce monstre de Moreau, était complètement ivre. Il ne 
poignarda pas seulement le capitaine Larkins, il frappa encore de 
sept coups de poignard aux deux bras un jeune midshipman , 
M. James Bayton. » 

Si l'amitié de l'amiral Baudin ne fût venue protéger la mémoire 
du premier lieutenant de la Piémontaise, cet officier, de qui ses 
pins brillants camarades n'attendaient pas moins que i la régéné- 
ration de la marine française * , aurait laissé derrière lui la plus 
triste renommée. A quoi tient donc la gloire, et qu'il est prudent 
d'attendre sa récompense d'un juge plus infaillible que l'opinion 
publique ! 

Moreau eut sur-le-champ le pressentiment de la fatalité qui allait 
le poursuivre, a Je ne tomberai jamais vivant , dit-il à son ami , 
entre les mains des Anglais. > Il ne tint que trop bien parole. 

Le 4 mars 1808, la Piémontaise rencontrait à la hauteur du cap 
Gomorin la frégate de Sa Majesté Britannique le San Fiorenzo. Un 
combat acharné s'engagea : trois jours de suite les frégates, après 
une canonnade plus ou moins prolongée, se quittèrent, se reprirent, 
se séparèrent encore. A la dernière rencontre, le 8 mars 1808, à 
six heures du soir, la Piémontaise succomba. Le commandant de 
la frégate anglaise, le capitaine Hardinge, avait été tué dans l'ac- 
tion; la marine française faisait une bien plus grande perte encore : 
le premier lieutenant Moreau, blessé le troisième jour, désespérant, 
dès la seconde reprise, de l'issue d'un combat qu'il jugeait mal 
conduit, ne trouvant personne qui voulût lui rendre le service de 
le jeter à la mer, s'était roulé sur le gaillard d'avant et avait cher- 
ché dans les flots un asile contre l'exécution de l'arrêt qui le 
menaçait d'une mort ignominieuse. (Voyez, dans la Marine des 
anciens, t. Il, p. 146, 147, 148, 149, 150, le récit de ce lugubre 
épisode et la trace laissée dans les Archives de la marine par le 
lieutenant Moreau.) 



CHAPITRE VIL 



LA GUERRE DE COURSE. 



Le Warren Hastings, démâté, fut conduit, à la 
remorque de la frégate qui l'avait capturé, en rade 
du Grand-Port, ce mouillage de l'île de France que 
devaient bientôt illustrer les combats des Duperré, 
des Bouvet et des Hamelin. Du Grand-Port, la Pié- 
montaise se rendit directement sur la côte de Mala- 
bar l . La France était alors en guerre avec l'iman de 
Mascate. Avec qui n'avait-elle quelque compte à 
régler? Les navires arabes tombèrent en foule dans 
les filets de la frégate française. On se contentait 
d'en extraire les objets d'une certaine valeur, puis 
on les relâchait avec leurs équipages. Dans les pre- 
miers jours de septembre, une corvette de la Com- 
pagnie, le Grappler, capitaine Ramsay, fut enlevée 
par la Piémontaise en quelques minutes de combat. 

1 Voyez, à la fia du volume, la carte de la mer des Indes, du 
cap de Bonne -Espérance au cap Comorin. 



LA GUERRE DE COURSE. .t.i 

Au Grappler succéda le vaisseau de la marine in- 
dienne le Famé, capitaine Jameson, qui se rendait 
de Bombay en Chine. Le Famé était percé pour 
recevoir quarante canons : il n'en portait en réalité 
que vingt-quatre. Néanmoins, grâce à ses caronades 
à bragues fixes, système tout nouveau, le Famé 
opposa une assez vigoureuse résistance. L'enseigne 
de vaisseau Baudin en eut le commandement. On 
fit évacuer sur la frégate l'équipage anglais, à 
l'exception du chirurgien-major et du maître de 
manœuvre, puis on remplaça les matelots débar- 
qués par dix prisonniers arabes et dix marins fran- 
çais. Conduire dans ces conditions un vaisseau à 
demi désemparé à l'île de France, éloignée de mille 
deux cents lieues, le conduire à rencontre des cou- 
rants et de la mousson, n'était pas une mission d'un 
, accomplissement facile. En temps de guerre, les 
difficultés, par la nécessité de n'en pas tenir compte, 
s'aplanissent. 

« J'avais vingt-deux ans, nous dit le jeune capi- 
taine de prise : pour la première fois j'allais avoir 
à diriger un grand navire à travers l'Océan, sans 
pouvoir prendre conseil que de moi-même. Le 
plaisir d'exercer un commandement me faisait tout 
voir en beau. Le voyage dura trente jours. Nous 



40 L'AMIRAL BAUDIN. 

eûmes des temps horribles en passant entre les Mal- 
dives et les Laquedives. La fatigue, l'insomnie 
me firent enfler l'œil droit, au point que je craignis, 
pendant plusieurs jours, de le perdre. Heureuse- 
ment le chirurgien anglais que j'avais conservé à 
bord était un jeune homme plein d'instruction et 
de cœur. Ecossais de naissance, il se nommait 
Henry Marshall. D'un caractère doux et bienveil- 
lant, il ne tarda pas à s'attacher à moi. «Te savais 
alors à peine quelques mots d'anglais : nous faisions 
la conversation en latin. Celte réminiscence de nos 
études classiques plaisait fort à l'excellent docteur : 
instruit et habile, il parvint à me sauver l'œil, et 
guérit également d'un énorme abcès à la joue mon 
petit mousse Caussade, qui faisait sa seconde cam- 
pagne avec moi; il eut, en un mot, grand soin de 
tout le monde, pendant la traversée, sans distinc- 
tion d'Arabes ou de Français. Le maître d'équipage 
anglais, appelé George Pendrey, était, comme le 
docteur Marshall, un fort brave homme, honnête 
et intelligent, connaissant bien son métier. Il avait 
été deux fois prisonnier en France et parlait avec 
reconnaissance des bons traitements dont il fut 
l'objet pendant sa captivité à Valenciennes. 

« Enfin, après un mois de traversée, nous atlei- 



LA GUERRE DE COURSE. 41 

gnîmes les parages de File de France. Je devais 
m'attendre à y trouver une croisière ennemie : aussi 
pris-je mes mesures pour n'atterrir que de nuit. 
Mes instructions me prescrivaient de me rendre à 
la Rivière-Noire ! , qui est sous le vent de l'île. J'y 
allais à contre-cœur et par pure obéissance, car 
c'est un point d'atterrage fort dangereux lorsqu'une 
force ennemie tient la mer. Après avoir reconnu 
les terres des environs du Grand-Port, je filai, bien 
à regret, le long de la côte, pour me rendre à la 
destination qui m'était assignée. Il était une heure 
du matin : je me promenais sur le gaillard, ma 
longue-vue de nuit à la main, causant en latin avec 
Marshall, lorsque le docteur me fit remarquer un 
point noir qui grossissait à vue d'œil. Je donnai 
un coup de longue-vue et je reconnus une frégate 
anglaise qui venait à contre-bord, tous les ris pris. 
Je n'eus que le temps de manœuvrer à la hâte et de 
changer de route dans le plus grand silence. La 
frégate passa derrière nous sans nous voir. Tout le 
monde apparemment dormait à bord. Je gagnai au 
plus vite la côte, et me considérant comme dis- 
pensé, par le danger que je venais de courir, de 

1 Voyez, à la un du volume, la carte de Xîle de France. 



42 L AMIRAL BALDIN. 

suivre mes instructions à la lettre, je louvoyai pour 
gagner le Grand-Port, où j'entrai le lendemain avant 
midi. 

« Quelques semaines plus tard, arriva la Sémil- 
lante, revenant de croisière. Elle avait trouvé le 
Port-Louis bloqué et s'était vue forcée de se réfugier, 
comme nous, au Grand-Port. Le capitaine Motard 
m'accueillit avec une extrême bienveillance. Je me 
liai avec la plupart des officiers de son état-major, 
particulièrement avec Roussin. Nous restâmes deux 
mois au Grand-Port, retenus tantôt par la présence 
de forces ennemies supérieures, tantôt parles vents 
contraires qui rendent la sortie très-difficile et très- 
dangereuse. A la Gn de novembre, nous réussîmes 
à gagner le Port-Louis. J'y désarmai le Famé, qui 
fut mis en vente et trouva promptement des acqué- 
reurs, car c'était un des plus beaux navires qu'on 
pût voir. Mon brave Pendrey fut envoyé au dépôt 
des prisonniers anglais, à la Grande-Rivière. J'eus 
soin qu'il n'y manquât de rien jusqu'au moment 
où il fut échangé. Quant au docteur Marshall, j'ob- 
tins qu'il fût renvoyé, à bord d'un navire neutre, 
sur parole. » 



CHAPITRE VIII. 

LA FRÉGATE « LA SÉMILLANTE ». BLESSURE 

ET AMPUTATION. 



« Au mois de janvier 1807, je pus me rendre au 
désir que m'avaient exprimé le capitaine Motard et 
son état-major. Je passai sur la Sémillante^ laissant 
mon bon ami Moreau sur la Piémontaise. Au mois 
de février, la Sémillante, réparée et ravitaillée, était 
de nouveau prête à prendre la mer. Nous entrions 
dans la saison de l'hivernage , les indices précur- 
seurs d'un ouragan nous conseillaient de rester au 
port. Tout à coup, à minuit, nous arrive Tordre de 
mettre sous voiles dès le point du jour. Nous obéis- 
sons : à onze heures du soir, nous avions perdu 
tous nos mâts, non sans avoir couru le risque de 
sombrer par la violence du vent et de la mer. Une 
croisière ennemie était alors au vent de Pile : elle 
se composait du vaisseau de quatre-vingts canons 
le Blenheim, ancien vaisseau à trois ponts, auquel 



44 L'AMIRAL BAUDIX. 

on avait rasé la batterie des gaillards, de la frégate 
neuve la Java, du brick le Harrier. Le vaisseau et 
la frégate coulèrent à fond avec l'amiral Trou- 
bridge , un ancien compagnon de Nelson : onze cents 
hommes d'équipage périrent. Le brick seul échappa. 
Il en fut quitte pour la perte de sa mâture et de sa 
batterie jetée à la mer. Le 13 février, nous ren- 
trâmes au Port-Louis avec des mâts de fortune : deux 
mois plus tard, nous repartions pour une nouvelle 
croisière. Notre mâture, notre gréement, notre voi- 
lure étaient entièrement neufs. » 

Le Port-Louis, on le voit, était un port de res- 
sources. Telle fut, au quinzième siècle, Alger la 
Moresque, avec ses corsaires, ses captifs et l'opu- 
lence qu'elle devait aux prises faites par ses marins. 
L'abattement qui, dans les mers d'Europe, s'em- 
parait peu à peu de la marine française, était in- 
connu dans les mers de l'Inde : on n'y comptait, en 
effet, que des triomphes. Quelle confiance! Quelle 
ardeur! Et combien il est doux de retrouver dans 
ces récits intimes le feu sacré qui animait jadis les 
marins de Saint-Malo et de Dunkerque! Le gou- 
vernement du général Decaen a fait, pendant quel- 
ques années, revivre à l'île de France les temps où 
la fortune ne savait pas encore à qui, des Anglais 



LA FRÉGATE * LA SÉMILLANTE ». 4b 

ou de nous, elle adjugerait l'empire de la mer. 
Les nouveaux mâts de la Sémillante se trouvèrent, 
par malheur, de mauvaise qualité. Le capitaine 
Motard en alla chercher de meilleurs aux îles Nico- 
bar, dans l'excellent port de Nausoury '. La forêt 
descendait jusqu'à la plage; il fut facile d'y couper 
des mâts et des vergues. La frégate pouvait désor- 
mais affronter les tempêtes. Elle se porta, sans per- 
dre un instant, à la hauteur de la pointe d'Achem, 
une des extrémités de la grande île de Sumatra, 
et s'établit en croisière à l'entrée du détroit de 
Malacca. La Sémillante se postait ainsi sur le pas- 
sage de tout le commerce de l'Inde et de l'Europe 
avec la Chine. 

« Il y avait déjà trois semaines, écrit l'amiral 
Baudin, que nous tenions cette croisière, malgré le 
vent toujours grand frais, des pluies torrentielles et 
une très-grosse mer, lorsque, le 20 juillet au matin, 
nous découvrîmes onze voiles que nous reconnûmes 
bientôt pour le convoi de Chine, convoi composé de 
dix vaisseaux de la Compagnie des Indes, navi- 
guant sous l'escorte d'un vaisseau de ligne de 
soixante-quatre canons, — le Lion, comme nous 

i Voyez, à la fia du volume, la carte générale de la mer des 
Indes, du cap Comorin A V océan Pacifique. 

3. 



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46 L'AMIRAL BAUD1N. 

l'apprîmes plus tard. — La disproportion des 
forces était grande : le capitaine Motard n'hésita 
pas cependant à s'approcher du convoi anglais et à 
essayer de l'entamer. Pendant deux jours et une 
nuit, nous rôdâmes autour de la proie que le ciel 
nous envoyait. Mais le Lion faisait bonne garde, et 
d'ailleurs il n'y avait pas un seul de ces vaisseaux 
de la Compagnie qui ne fut en réalité plus fort que 
nous. Insister davantage eût été perdre son temps. 
Nous laissâmes arriver, et nous allâmes mouiller 
sous l'îlot Cornicobar, où, pendant vingt-quatre 
heures, nous nous approvisionnâmes d'eau et de 
noix de coco; puis nous retournâmes croiser au 
sud de l'île Preparis. Là, nous prîmes d'abord 
VAlthea, beau navire anglais venant du Bengale et 
allant en Chine. Quelques jours plus tard, nous 
capturâmes encore deux autres navires, V Elisabeth 
et le Gilwell, qui venaient également de Calcutta et 
allaient à Canton. Mon ami Roussin fut chargé 
d'amariner le Gilwell; je fus envoyé sur V Elisabeth. 
Tous deux, nous passâmes la nuit à bord de nos 
prises. Le lendemain matin, lorsque nous ralliâmes 
la Sémillante, le capitaine Motard me désigna pour 
commander le Gilwell, et donna V Elisabeth à un 
de mes camarades, l'enseigne de vaisseau Fournier. 



mnmmm^mi*mmB*r ■ H\m mr~mmmtm+mt+mm**m*^*** 



LA FREGATE « LA SEMILLANTE ». 47 

La résolution du capitaine Motard était prise : il 
allait faire route pour l'île de France et y amener 
ses deux riches captures sous l'escorte de la Sémil- 
lante. En conséquence , il relira simplement de 
V Elisabeth et du Gilwellles capitaines et les officiers 
anglais, laissant à ces deux navires tout leur équi- 
page, composé de Portugais et d'Indiens. Il resta 
sur le Gilwell quatre-vingt-trois hommes. Je n'a- 
vais, pour les contenir et les contraindre au tra- 
vail, qu'un aspirant, nommé Capdeville, un quartier- 
maître, cinq soldats volontaires de Bourbon et mon 
fidèle mousse Caussade. Retenus, tantôt par les 
calmes , tantôt par les gros temps, nous éprou- 
vâmes beaucoup de contrariétés pour sortir du golfe 
du Bengale. Les provisions manquèrent : Roussin, 
pendant la nuit où la direction du Gilwell lui fut 
confiée, s'était bien gardé d'oublier ses camarades 
faméliques de la Sémillante. Il avait bravement 
fait passer sur la frégate tout ce qui était bon à 
boire ou à manger. Quand je vins prendre à mon 
tour le commandement de cette prise, je n'y 
trouvai plus que du riz en assez grande quantité et 
un peu d'eau que nous fîmes durer une quinzaine 
de jours. Heureusement, au moment où notre pro- 
vision était sur le point d'être complètement épui- 



48 L'AMIRAL BAUDIN. 

sée, la pluie se mit à tomber par torrents : nous 
pûmes remplir nos futailles vides. 

u Après bien des retards, nous gagnâmes enfin 
la zone des vents alizés et nous commençâmes à 
faire bonne route. A environ deux cent cinquante 
lieues de l'île de France, la rencontre de la frégate 
anglaise le Pitt me contraignit à me séparer de 
mes deux conserves. Le Pitt était une grande fré- 
gate de cinquante-quatre bouches à feu, dont plus 
de la moitié appartenait au calibre de 24 : elle eût 
été de force à combattre deux frégates comme la 
nôtre, car la petite Sémillante ne portait que du 12 
et n'avait que trente-deux pièces. Le Pitt possédait 
de plus l'avantage d'être un navire construit en 
bois de teck, ce qui lui donnait des flancs impéné- 
trables à des boulets de petit calibre. Nous con- 
naissions bien cette frégate, qui avait souvent croisé 
devant l'île de France. Néanmoins, le capitaine Mo- 
tard ne se laissa pas intimider par la supériorité 
de l'ennemi. 11 montra tant d'audace et de carac- 
tère qu'il parvint à sauver ses deux prises. Pen- 
dant quatre jours, le Pitt ne cessa de lui appuyer la 
chasse; il ne s'en émut pas et prit Y Elisabeth à la 
remorque presque sous le canon de l'ennemi. Pour 
moi, dès les premiers jours, j'avais mis le Gilwell 



LA FREGATE « LA SEMILLANTE ». 49 

à l'abri en tenant une route qui m'éloignait de Y Eli- 
sabeth et de la Sémillante. Bien m'en prit, car si 
j'eusse continué à naviguer de compagnie avec ces 
deux bâtiments, j'aurais été infailliblement sacrifié. 
La marche du Gilwell était inférieure à celle de 
Y Elisabeth, et V Elisabeth ne fut sauvée que par la 
résolution énergique du capitaine Motard. 

« Ce fut deux mois seulement après notre arrivée 
à Tile de France que le Gilwell put être déchargé 
et remis en douane. L'opération ne me parut pas 
conduite avec toute la loyauté désirable : elle me 
valut une querelle et une demande de réparation 
par les armes. Je tairai naturellement le nom de 
mon adversaire. Nous nous battîmes au pistolet 
dans un lieu appelé le Champ de l'or : mes témoins 
étaient Roussin et le capitaine d'artillerie Mourgues. 
Je fus blessé à la tête. Merle, un de mes amis, qui 
s'était tenu à quelque distance du théâtre du combat, 
me fit rapporter en ville dans un palanquin et m'in- 
stalla chez lui, dans sa propre chambre. Le 15 fé- 
vrier 1808, la Sémillante partit pour une nouvelle 
croisière : je m'embarquai, très-souffrant encore. 

« Le 15 mars, un peu avant le jour, nous trou- 
vant dans le voisinage de Ceylan, nous prîmes le 
navire anglais la Cecilia, capitaine Skeene. Ce 



50 l'amiral baudin^ 

navire venait du golfe Persique : il fut expédié 
aussitôt pour l'île de France sous le commande- 
ment de Rabaudy, qui était alors un très-médiocre 
aspirant et n'annonçait pas devoir être ce qu'il est 
devenu depuis, un de nos meilleurs capitaines de 
vaisseau. Dans la soirée du même jour, nous enga- 
geâmes un combat avec la Terpsichore, commandée 
par le capitaine Montague. Après une heure de com- 
bat vergue à vergue, le feu de l'ennemi était pres- 
que éteint : il ne tirait plus que quelques coups de 
canon d'intervalle en intervalle et ne pouvait évi- 
demment tenir longtemps, lorsque le capitaine 
Motard fut blessé à la tête et à l'épaule. Le second 
de la frégate prit le commandement. J'étais occupé 
à faire pointer une de nos deux pièces du gaillard 
d'avant : la frégate anglaise, qui, en ce moment, 
manœuvrait pour s'éloigner, nous envoya au hasard 
trois coups de canon; le dernier de ces trois 
coups, tirés à boulet perdu, m'emporta le bras 
droit et me laboura le ventre. Je tombai, à genoux 
d'abord, puis la tête en avant, sur le pont. Pendant 
quelques secondes, je perdis connaissance. On 
me porta au poste des blessés : je tenais de ma 
main gauche mon bras droit, qui pendait encore à 
quelques lambeaux de chair. Mon ventre était brûlé 



LA FRÉGATE « LA SÉMILLANTE ». 51 

et entièrement noir, comme si l'on y eût appliqué 
un fer chaud. Je souffrais des douleurs atroces. Le 
chirurgien-major, — il se nommait Marquet, — 
ne jugea pas à propos de m'amputer pendant la 
nuit. Il avait, d'ailleurs, assez d'occupation avec 
une trentaine d'autres blessés. Vers dix heures du 
matin, on m'enleva de dessus mon matelas et on 
m'assit sur une chaise, au-dessous de la grande 
écoutille. Avant de commencer l'opération, le doc- 
teur Marquet me dit : « Baudin, je crois devoir 
vous laisser le moignon le plus long possible : vous 
soutiendrez ainsi plus commodément votre manche 
d'habit. — Docteur, lui répondis-je, prenez garde! 
je crains que l'os ne soit éclaté très-haut : si vous 
coupiez au-dessous de la fissure, il faudrait recom- 
mencer l'opération. Tâchons, je vous prie, de ne 
pas nous y prendre à deux fois. — Soyez tran- 
quille! » répliqua Marquet. Et, sur-le-champ, il 
mit en action ses bistouris, ayant soin de couper la 
peau plus longue que les muscles, les muscles plus 
longs que l'os. A peine eut-il attaqué l'os qu'il le 
trouva éclaté : la scie s'arrêta. Le pauvre docteur 
pâlit. Néanmoins, il continua l'opération, n'osant 
pas la recommencer à cause de la plaie du côté, 
qu'il considérait comme mortelle. 



52 L'AMIRAL BAUDIN. 

« Quand tout fut terminé, on me plaça sur un 
cadre de malade dans. le faux pont. L'air y était 
affreusement chaud et fétide. La femme du capi- 
taine Skeene, notre prisonnier de la veille, vint 
s'asseoir à mon chevet et se mit à m' éventer, à 
m' asperger le visage avec du vinaigre pour m'em- 
pêcher de tomber en défaillance. Elle reconnaissait 
ainsi quelques bons procédés que j'avais eus pour 
elle et pour son mari, quand je les vis arriver, 
fort effrayés, à bord de la frégate. Cette digne 
femme passa trois jours et trois nuits près de moi, 
sans prendre un instant de repos. C'est bien cer- 
tainement à ses soins que je dois la conservation 
de mon existence. J'éprouvais un accablement 
extrême : mes intestins commençaient à s'enflam- 

a 

mer; de temps en temps, j'étais en proie à des 
nausées presque insurmontables. Or, je savais que, 
dans les grandes blessures du tronc, le vomissement 
est mortel : que de fois j'ai rassemblé mes forces et 
ravalé en quelque sorte mon âme près de m'échap- 
per! La perte de mon bras fut, en cette circon- 
stance, un bonheur. Si je n'avais eu que la plaie du 
ventre, jetais un homme mort : l'hémorragie consi- 
dérable, qui eut lieu entre le moment où je perdis 
mon bras et celui de l'amputation, empêcha l'in- 



LA FREGATE « LA SEMILLANTE ». 53 

flammation des intestins et me sauva certainement 
la vie. 

« Après un mois de mer, nous arrivâmes à l'île 
de France. Je fus transporté avec les autres blessés 
à l'hôpital. Le capitaine général Decaen m'avait 
déjà recommandé aux soins du docteur Chapotin, 
chirurgien en chef de la marine. Nous avions été 
huit amputés à bord de la Sémillante, quatre du 
bras droit, quatre du bras gauche : j'étais le seul 
qui eût survécu; les sept autres succombèrent 
pendant la traversée. La plaie que je portais au côté 
était énorme; elle s'étendait de l'extrémité de l'os 
iliaque au voisinage de la première fausse côte; 
pour la panser, on n'employait pas moins d'une 
livre de charpie. La suppuration très-abondante, 
les sueurs excessives, la fièvre continuelle, la priva- 
tion de nourriture, les douleurs et l'insomnie me 
réduisirent à un degré d'affaiblissement tel que je 
n'étais réellement plus qu'un squelette : le docteur 
Chapotin commençait à désespérer de moi. Un 
médecin allemand, de passage à l'île de France, le 
docteur Curtius, obtint qu'on modifiât le traitement 
débilitant auquel on m'avait jusque-là soumis : vers 
le milieu d'octobre, c'est-à-dire sept mois après 
le jour où je tombai blessé sur le pont de faSémil- 



54 L'AMIRAL BAUD1N. 

lante y la plaie était entièrement cicatrisée. Je me 
levai et je pus essayer de faire quelques pas. J'étais 
tellement raccourci du côté droit que je marchais 
tout courbé vers la droite et pour ainsi dire à trois 
pattes. Il fallut plusieurs mois encore pour que, 
grâce à ma jeunesse et à ma saine constitution, je 
parvinsse à me redresser » 



CHAPITRE IX. 

LE RETOUR EN FRANCE. LE CAPITAINE SURCOUF. 

LA PREMIÈRE DÉCORATION. 



Le capitaine Motard se disposait à rentrer en 
France. Sa santé était très-affaiblie par six années 
de fatigues constantes, et la Sémillante, qui tenait 
la mer depuis Tannée 1803, à bout de forces 
comme son capitaine, venait d'être condamnée : on 
commençait à la démolir, quand des acquéreurs se 
présentèrent. La longue durée du blocus hermé- 
tique qui nous était infligé avait porté à un taux 
fabuleux le prix des denrées coloniales importées en 
France : une douzaine de navires bons marcheurs 
s'apprêtaient à partir du Port-Louis avec des char- 
gements de sucre et de café. Ces navires, bien que 
leur cale fût remplie de marchandises, n'en étaient 
pas moins armés en guerre. C'était ce qu'on ap- 
pelait alors des aventuriers. La vieille Sémillante, 
grâce à sa marche supérieure, devait constituer un 



56 LAMIRAL BAUDIN. 

aventurier sans pareil. On lui confia une cargaison 
évaluée à cinq ou six millions de francs, on lui donna 
pour capitaine le fameux Surcouf, et les passagers 
sollicitèrent en foule la faveur d'embarquer sur un 
navire que la fortune avait toujours favorisé. Au 
nombre des passagers qu'emporta, le 20 novembre 
1808, la frégate la Sémillante, transformée en vais- 
seau de commerce, se trouvaient son ancien com- 
mandant, le capitaine Motard, et l'enseigne de 
vaisseau Charles Baudin. La Sémillante devait se 
rendre à Bordeaux : la rencontre de plusieurs croi- 
seurs ennemis, à l'approche des côtes de France, la 
contraignit de se rejeter vers le nord. Il fut aussi 
impossible de gagner Lorient que la Gironde. Aux 
abords de Brest, il fallut encore prendre chasse. Le 
vent soufflait de l'ouest grand frais; plusieurs des 
voiles de la frégate furent emportées. Il était fort à 
craindre que, pendant la nuit, le vent et la mer ne 
jetassent la Sémillante sur les rochers de l'île 
d'Ouessant. Surcouf alla se coucher : « Comment 
donc! se coucher? » Surcouf abandonnait-il la 
partie? Livrait-il son équipage aux hasards de la 
mer? Surcouf faisait, en cette occasion, ce qu'eût 
fait le capitaine Bouvet : il reprenait des forces, 
n'ayant, pour le moment, aucune manœuvre à 



LE RETOUR EN FRANCE. 57 

tenter. Savoir dormir à propos est le propre des 
grandes âmes et des bons capitaines. 

Surcouf, nous apprend l'amiral Baudin, avoua le 
lendemain que, réveillé en sursaut par les coups 
de mer qui embarquaient à bord, il avait cru plus 
d'une fois que c'en était fini de la frégate. Le jusant 
joua en cette occasion le rôle du bon génie : il sou- 
tint la frégate contre la force du vent qui la portait 
à terre. Au point du jour, la Sémillante doublait 
l'île d'Ouessant : seulement le flot était survenu, et 
le flot entraînait la frégate sauvée dans la Manche. 
Le port le plus voisin était Morlaix : la Sémillante 
se présente à l'entrée de la rade avant la nuit. Elle 
est assaillie par les coups de canon du château bâli 
sur l'îlot du Taureau. Le temps ne permettait pas 
d'envoyer à terre une embarcation. La frégate, avec 
son équipage sur les dents, ses voiles en lambeaux, 
se décide à faire route pour Saint-Malo. Le 3 février 
1809, elle mouille dans la baie de la Fresnaye. Au 
point du jour, on se dispose à lever l'ancre. Les 
passagers, réveillés de bonne heure par le désir de 
saluer la côte de France, sont tous accourus sur le 
pont : les batteries de la baie, aussi perspicaces 
que celles du château de Morlaix, choisissent ce 
moment pour ouvrir leur feu. Le premier boulet 



58 LAMIRAL BAUD1N 

écorche le grand mât, couvre d'éclats le capitaine 
Motard et lui enlève son chapeau. Les passagers 
s'empressent de rentrer dans le faux-pont. La ca- 
nonnade cependant continue : la brise heureuse- 
ment était fraîche, la frégate fut bientôt hors de 
portée. Le port de Solidor ne tarda pas à la rece- 
voir. 

Quelle existence de perpétuelles alarmes et com- 
bien les chétifs avaient alors de chances pour rester 
en route! On ne connaissait pas de vieux dans ce 
ternps-là : on ne rencontrait que des vieillards, et 
de beaux vieillards, je puis le garantir. Le 13 fé- 
vrier. Charles Baudin arrivait à Paris avec le com- 
mandant Motard : il était toujours enseigne de 
vaisseau. A peine descendait-il de voiture que le 
capitaine de vaisseau Morel-Beaulieu, aide de camp 
du ministre de la marine, venait lui annoncer que 
l'Empereur le nommait chevalier de la Légion 
d'honneur. Nous ne savons plus ce que vaut la pre- 
mière décoration; La croix d'honneur était, en 1809, 
une distinction plus flatteuse que tous les grades 
du monde : elle vous introduisait dans la légion des 
braves, et à.quelle époque! à une époque où être 
héroïque s'appelait simplement ce faire son de- 
voir » . 



CHAPITRE X. 

LE PREMIER COMMANDEMENT. 

Passons rapidement sur ce nouveau séjour à 
Paris : l'ardeur guerrière de Charles Baudin l'abré- 
gera d'ailleurs autant que possible. Le 7 août 1809 
s'ouvre pour notre héros une période nouvelle, une 
période qui va l'initier a d'autres devoirs que ceux 
d'officier de quart et de capitaine de prise. Le brick 
le Renard est en construction à Gênes : Baudin 
reçoit l'ordre d'aller en hâter et en surveiller Par- 
mement. Les enseignes de vaisseau sous le premier 
Empire commandaient donc quelquefois des bricks? 
Le beau temps! direz-vous : ne nous plaignons pas 
trop; ce beau temps ne saurait tarder à revenir. 
Nos enseignes de vaisseau vont commander bientôt 
des canonnières et des torpilleurs; la flottille sera 
si nombreuse, qu'il y aura des commandements pour 
tous, même pour les quartiers-maîtres 1 . Le jeune 

1 Au temps où nous vivons, il faut toujours se méfier des vieux 
errements, Les choses se transforment si vite qu'il est indispen- 



60 L'AMIRAL baudik. 

Baudin, nommé au commandement du Renard, 
n'attendit, du reste, que quelques jours à peine son 

sable d'en suivre la marche d'un œil attentif et de pourvoir rapi- 
dement aux nécessités du jour. Il n'y a pas vingt ans, une adminis- 
tration soigneuse et paternelle se croyait avec raison tenue d'assurer 
aux jeunes gens qu'elle admettait dans les rangs de la marine de 
l'Etat, un avancement légitime et régulier. Elle proportionnait les 
appels, Lien moins aux besoins de son service qu'aux vacances 
prévues dans les cadres. Aujourd'hui, cette sollicitude n'a plus sa 
raison d'être. Au lieu de passer par la caserne et de porter le sac, 
quel jeune homme doué de quelque instruction ne préférerait payer 
sa dette à la patrie dans les modestes fonctions d'aspirant de marine 
ou d'enseigne de vaisseau? A vingt-quatre ou à vingt-cinq ans, il 
ne sera pas trop tard pour chercher une autre carrière, soit dans 
l'industrie, soit dans l'agriculture, soit même dans les chances d'une 
vie aventureuse. Je serais donc d'avis de limiter moins rigoureu- 
sement le nombre des élèves de l'Ecole navale. Vous imprégnerez 
ainsi une géuéreuse élite destinée à se répandre plus tard sur la 
surface du pays, d'un rare et précieux esprit de discipline. Ceux 
dont la vocation persistera vous fourniront, par voie de sélection, 
des lieutenants de vaisseau et des ofOciers supérieurs; les autres 
vous auront donné leur jeunesse. Vous leur aurez dû : pour vos 
cuirassés, des surveillants que ne remplaceront jamais les seconds 
maîtres et les quartiers-maîtres; pour les nombreux éléments de 
votre flottille, des capitaines imbus de ces traditions de devoir et 
d'honneur qui sont encore le meilleur enseignement puisé dans 
vos écoles. 

A-t-on songé a l'armement de ces canonnières, de ces torpil- 
leurs, qui se compteront bientôt par centaines, je serais tenté de 
dire par milliers? On s'en repose sans doute, pour les mettre en 
campagne, sur les ofûciers de réserve, sur les capitaines au long 
cours. Je crains que celte ressource ne soit insuffisante ou, pour 
ne rien dissimuler de ma pensée, j'appréhende qu'un semblable 
apport ne soit plus assez jeune. 

Le service de l'Etat est devenu aujourd'hui un impôt auquel nul 
ne saurait se soustraire : dans la marine, on pourra l'acquitter 
plus gaiement et plus utilement que partout ailleurs. Il importe de 



LE PREMIER COMMANDEMENT. 61 

brevet de lieutenant de vaisseau : ce grade lui fut 
conféré le 29 août 1809, à l'âge de vingt-cinq ans. 
Accompagnons-le maintenant à la mer, et voyons 
quel parti il saura tirer de son brick ligurien et de 
son équipage en majeure partie génois. 

& Le 22 août 1810, dit-il, j'étais en croisière sur 
la côte de Toscane 1 avec le Renard et la Ligurie, 
petit brick de dix commandé par le lieutenant Serra, 

faire renaître chez nous cet esprit d'entreprise qui nous distingua 
jadis et qui fut si longtemps le seul lot réservé aux cadets de famille. 
Oa parle sans cesse de colonisation. Qui colonisera mieux que de 
jeunes officiers démissionnaires? L'Ecole navale devrait être, à mon 
sens, une pépinière d'aventuriers sans rivaux, a l'Ecole des hautes 
études * pour tous les cœurs vaillants que l'inconnu attire. En un 
mot, j'inviterais l'administration a se préoccuper sans aucun scru- 
pule des besoins de la flotte : l'initiative privée saurait bien dégager, 
au moment voulu, des cadres trop encombrés. Le mariage, à lui 
seul, y suffirait. 

J'émets là, — je ne me le dissimule point, — un vœu inattendu. 
Qu'on en sonde cependant les conséquences! On découvrira sans 
peine tout ce que la marine et la société pourraient gagner à le 
voir accompli. Pour doubler sans frais le nombre des aspirants, 
la recette est facile : ne gardez vos élèves sur le vaisseau -école 
qu'une année au lieu de deux. Vous craignez peut-être qu'ils ne 
sortent pas de cette école flottante assez instruits. Permettez-moi 
de ne pas partager votre inquiétude. Ce sont des officiers de mer, 
ce ne sont pas des ingénieurs ou des professeurs que vous voulez 
former. Le régime du cloître est bien dur pour des novices de dix- 
huit et vingt ans : abrégez autant que possible ce temps d'épreuve. 

Si jamais la question venait à l'étude, il serait bon, je crois, de 
s'enquérir de la façon dont les choses se passent dans les marines 
étrangères. 

1 Voyez dans l'ouvrage intitulé : La bataille de Lépante, t. I, 
le croquis des côtes de l'Italie. 



62 L'AMIRAL BAUD1N. 

qui est devenu contre-amiral dans la marine sarde. 
J'aperçus une frégate anglaise sous le vent à nous, 
et j'allai la reconnaître. Cette frégate était le Sea 
Horse, — le cheval marin, — de quarante-quatre 
canons, capitaine Stuart. Par prudence, je laissai 
le long de la côte la Ligurie, dont la marche était 
assez inférieure : j'avais, au contraire, confiance 
dans la marche du Renard. Je n'hésitai pas à nar- 
guer de très-près la frégate anglaise. Le vent, par 
malheur, tomba tout à coup, puis, après un cer- 
tain intervalle de calme, s'éleva une légère brise, 
que reçut avant moi le Sea Horse. Pendant que 
j'étais encore condamné à une immobilité com- 
plète, le Sea Horse arriva sur le Renard, toutes 
voiles dehors. » 

Le vent finit toujours par venir à qui sait l'attendre. 
Le Sea Horse approchait rapidement, mais les pre- 
miers souffles de la brise commençaient à enfler les 
voiles du Renard. Le brick prit chasse vers le golfe 
de laSpezzia. Orage affreux, échouage sur les bancs 
de la Magra : la frégate, aussitôt que l'orage s'est 
dissipé, reparaît. Le temps était magnifique, la mer 
unie comme un lac, la brise légère. Le Sea Horse 
se met à croiser devant le brick échoué, et, jusqu'à 
sept heures du soir, le canonne comme une cible. 



LE PREMIER COMMANDEMENT. 63 

Le tir n'est guère exact sous voiles, car on apprécie 
généralement assez mal une distance qui varie sans 
cesse : le Renard eût dû être pulvérisé ; il sortit de 
cette aventure sans avaries graves. La nuit venue, 
la (régate s'éloigne, le brick se remet péniblement 
à flot. Le port de la Spezzîa ne lui fournirait aucune 
ressource, il lui faut gagner Gênes. A mi-route, 
entre la Spezzia et Rapallo, ce port génois où 
Louis XII, alors duc d'Orléans, battit en 1494 les 
Napolitains de Frédéric d'Aragon, se rencontre une 
petite ville appelée Levanto. L'inspecteur général 
des côtes de Ligurie y avait constaté récemment la 
présence d'une batterie de cinq canons. L'inspec- 
tion ne fut pas poussée plus loin. Le brick le Renard 
rasait la terre : une voile venait de se montrer au 
large; bientôt cette voile grandit, elle arrive pous- 
sée par une grande brise. C'est encore le Sea Horse. 
le capitaine Baudin n'hésite pas : il va jeter l'ancre 
sous la protection des batteries de Levanto. « Ser- 
gent de garde, où est voire capitaine? — Je n'en ai 
pas; c'est moi qui commande. — Disposez vos 
canons. — Mes canons sont encloués. » Le capi- 
taine Baudin envoie chercher un vilebrequin. Les 
lumières des canons sont, en effet, bouchées; on 
n'y a cependant enfoncé aucun clou : la rouille 



64 L'AMIRAL BAUDIM. 

seule a fini par acquérir la dureté du métal. Au 
bout de quelques minutes, le vilebrequin a fait son 
office. 

Pendant ce temps , la frégate anglaise s'est 
approchée à portée de canon : elle met en panne 
et envoie sa volée. Le brick et la batterie ripostent. 
Les Anglais avaient, sous l'Empire, un respect inouï 
des batteries de côte. Ils les enlevaient quelquefois 
par un débarquement; ils ne les affrontaient jamais 
de face. Dès que le Sea Horse s'aperçoit que la 
terre s'en mêle, il vire de bord et s'éloigne. Des 
cinq pièces qui composaient la batterie, trois avaient 
déjà brisé leurs affûts; les deux autres affûts mena- 
çaient ruine. Je m'explique maintenant que l'ami- 
ral Baudin, préfet maritime à Toulon en 1842, 
m'ait envoyé, avec le capitaine du génie Rivière, 
inspecter les défenses côtières du 5 e arrondisse- 
ment : il se rappelait l'épisode de 1810 et l'état 
des batteries de Levanto. Je ne crois pas me trom- 
per en affirmant que c'est aux instances réitérées 
de l'amiral que nous devons les résolutions qui 
furent prises, vers la fin du règne du roi Louis- 
Philippe, au sujet de ces ouvrages, désarmés en 
1816 et laissés depuis lors dans le plus complet 
abandon. 



LE PREMIER COMMANDEMENT. 65 

Pendant tout le reste de l'année 18] et le courant 
de Tannée 1811, le Renard fut activement employé 
sur les côtes de Toscane et de Ligurie. Son service 
s'étendait jusqu'aux îles d'Elbe et de Corse; il 
consistait principalement dans la protection des 
convois. Au mois de juillet 1811, le Renard se 
balançait tranquille sur ses ancres dans le port de 
Gênes. Le vent soufflait avec violence du sud-ouest. 
Que signale donc le sémaphore du cap Noli? Le 
sémaphore signale un corsaire anglais à cinq ou six 
lieues de terre. Le capitaine Baudin prend à l'in- 
stant ses dispositions pour l'appareillage, a Allez- 
vous sortir par un temps pareil? lui crie le com- 
mandant de \& Pénélope, frégate mouillée à côté du 
Renard. — Soyez tranquille, répond Baudin, je 
connais mon brick. » Parle travers du cap Noli, le 
vent passe au nord-est et la mer tombe subitement. 
A quatre heures du matin, le Renard était devant 
la baie de Finale. Le corsaire s'y trouvait aussi : 
il avait mis ses embarcations à la mer, et déjà deux 
des navires mouillés dans la baie étaient amarinés. 
Le Renard approchait comme un fin matois, déguisé 
de son mieux sous pavillon anglais. — N'oubliez 
pas que la ruse est permise : si jamais elle cessait 
de l'être, — la conscience publique est devenue si 

4. 



66 L'AMIRAL BAUDIN. 

méticuleuse, — il ne faudrait pas négliger de le 
dire. Il était tellement rare, à cette époque, de ren- 
contrer un navire de guerre français à la mer, que 
l'apparition du Renard, masqué sous ses fausses 
couleurs, n'interrompit en aucune façon les opéra- 
tions du corsaire. Cependant, quand le Renard fut 
à portée de canon, la méprise pour un œil exercé 
cessa d'être possible. Changement complet de ta- 
bleau : le corsaire abandonne ses embarcations, 
ses prises, déploie toutes ses voiles et prend chasse 
vers Toulon, espérant attirer l'ennemi du côté où 
veille d'habitude la croisière anglaise. La brise était 
fraîche du nord-est : les deux navires, courant vent 
arrière, filaient de dix à onze nœuds. A midi, après 
huit heures de chasse, la distance qui les séparait 
n'avait pas varié d'une encablure. Le capitaine 
Baudin se souvint que le Renard marchait généra- 
lement mieux la nuit que le jour. D'où pouvait 
provenir cette différence? D'une répartition plus 
favorable des poids? Rien ne coûtait d'essayer. 
L'équipage reçut l'ordre de prendre les hamacs aux 
bastingages, de les pendre dans le faux-pont et de 
se coucher. Soudain, le brick s'élança en avant : à 
trois heures de l'après-midi, il joignait le corsaire 
à portée de pistolet. Au premier coup de semonce, 



LE PREMIER COMMANDEMENT 67 

l'Anglais amena son pavillon. Le Renard venait de 
s'emparer du fléau de la côte, du Three Brothers, 
corsaire de dix canons et de cent hommes d'équi- 
page, armé à Malte. 



•>. 



CHAPITRE XI. 



COMBAT DU BRICK ce l' ABEILLE » , COMMANDÉ PAR l' EN- 
SEIGNE DE VAISSEAU DE MACKAU, ET DU BRICK ANGLAIS 

l' « ALACRITY » . COMBAT DU BRICK « LE RENARD » , 

COMMANDÉ PAR LE LIEUTENANT DE VAISSEAU BAUDIN, 
ET DU BRICK ANGLAIS LE ce SWALLOW » . 



La nouvelle génération commençait à faire parler 
d'elle. Le 26 mai 1811, un brick anglais, VAlacrily, 
paradait devant Bastia; le brick français l'Abeille 
sort du port et enlève ce navire ennemi en moins 
de trois quarts d'heure. Qui commandait V Abeille? 
Un adolescent, presque un enfant, laissé par son 
capitaine, que le télégraphe venait d'appeler brus- 
quement à Paris, en possession d'un commande- 
ment qui semblait aussi bien au-dessus de son âge 
qu'au-dessus de son grade ' . Charles Baudin n'était 

1 Rapport du combat du brick de Sa Majesté t Abeille avec le 
brick anglais YAlacrity. 

A S. Exe. le Ministre de la marine et des colonies. 
c J'ai l'honneur de rendre compte à Votre Excellence de l'en- 



^J 



COMBAT DU BRICK * L'ABEILLE ». 69 

pas d'humeur à rester en arrière d'Armand de Mac- 
kau. Le combat du Renard contre le Swalloiv fut 
la réplique à la prise de VAlacrity. 

gagement qui a eu lieu le 26 mai 1811 dans le canal de la Corse 
entre le brick de Sa Majesté l'Abeille, que je commande provisoire- 
ment, et celui de Sa Majesté Britannique VAlacrity, capitaine Palmer. 

i Le 26, au soleil levé, j'aperçus un brick sous le cap Saint-André : 
je le présumai être un de ceux de Gênes. Je lui fis des signaux de 
reconnaissance à six milles de distance, il n'y répondit pas. Je hissai 
alors mon pavillon en l'assurant d'un coup de canon aux cris des 
braves de l'Abeille. J'ordonnai le bran le -lias de combat. Les vents 
étaient à l'est, l'ennemi venait sur moi vent arrière, étant exacte- 
ment est et ouest l'un de l'autre. Je faisais ralinguer mes voiles 
afin de ne pas faire de chemin et d'être toujours en position de l'enfiler 
de l'avant à l'arrière s'il continuait sa route. Ce que j'avais prévu 
arriva. Il vint, et courant en dépendant, il vint prendre nos eaux. 
Aussitôt qu'il y fut, je gouvernai près et plein, et ayant gagné le 
vent à l'ennemi, je le prolongeai à contre-bord au vent; je ralinguai 
derrière, et lui passant à poupe, je lui envoyai une volée à bout tou- 
chant. Je pris ensuite les mêmes amures que lui et continuai à le 
combattre par sa hanche de dessous le vent, à quart de portée de 
pistolet. Au boutde vingt minutes, V Abeille avait couru de l'avant et 
lecanonnait par son bossoir de tribord; il ralinguapour me passer 
àpoope, je m'en aperçus, et arrivant en même temps que lui, je con- 
tinuai à le canonner par tribord avec le feu le mieux nourri. Ne 
pouvant plus tenir le travers, il arriva; je ralinguai partout, lui 
envoyant deux volées en poupe, et il amena son pavillon. 

> Il faudrait, pour citer à Votre Excellence les braves de Y Abeille, 
tous nommer tout l'équipage. 

« C'est aux soins constants de l'enseigne de vaisseau Fortou que 
nous avons dû notre grande activité d'artillerie. 

i C'est à l'attention continue de l'enseigne Montaulieu que je dois 
la primauté de mes manœuvres. 

■ L'aspirant de l Ie classe Pujol a rivalisé avec eux d'audace et 
de bravoure, 

i Les maîtres m'ont été d'un grand secours. 



10 L'AMIRAL CAiriN. 

« Dans les premiers jours de juin 1812, nous 
raconte l'auteur des précieux souvenirs où revit 
toute une marine depuis près d'un demi-siècle dis- 

« L'Alacrity est armé de vingt caronades de 32, et Y Abeille de 
vingt caronades de 24. L'équipage de YAlacrity était aussi nom- 
breux que celui de Y Abeille. 

c LAlacrily a eu 15 hommes tués et 20 blessés. 

t L' Abeille 7 tués et 12 blessés, mais cette dernière a toujours 
combattu dans les positions les plus Favorables. 

« Le commandant de Y Abeille. Signé : De Mackau. 
« Devant Bastia, 26 mai 1811, jour du combat. » 

Il ne sera pas inutile, je pense, de compléter ce rapport, si 
modeste dans sa brièveté, par la relation de l'historien anglais Wil- 
liam James. 

« Le 26 mai, au point du jour, écrit James, le brick anglais de 
dix-huit canons YAlacrity, — seize caronades de 32 et deux connus 
de 6, — capitaine Nesbit Palmer, se trouvait en croisière devant 
le cap Saint-André, — île de Corse. — Il soufflait alors une jolie 
brise d'est. VAlacrity aperçut à six milles sous le vent un grand 
brick de guerre et lui donna sur-le-champ 1 1 chasse. Ce brick était 
Y Abeille, armé de caronades de 24 et commandé par le lieutenant 
de vaisseau provisoire Ange-René- Armand de Mackau. Dès qu'il 
eut reconnu dans le navire qui le chassait un navire de sa force, le 
lieutenant de Mackau hissa ses couleurs en les assurant par un coup 
de canon, h' Abeille manœuvra habilement. VAlacrity eut à essuyer 
une ou deux volées d'enfilade. Le brick français s'occupa ensuite 
de gagner l'avantage du vent. Il y réussit et prolongea son adver- 
saire à contre-bord; puis il laissa porter, et, rangeant de près la 
poupe de YAlacrity, l'enfila encore une fois. V Abeille prit alors, 
en serrant le vent, les mêmes amures que YAlacrity, l'engagea sous 
le vent et se maintint dans sa hanche. Son feu balayait ainsi le pont 
du brick anglais, qui pouvait à peine disposer d'une pièce pour y 
répondre. Le gréement de YAlacrity fut bientôt haché et le brick 
tomba peu à peu par le travers de Y Abeille. Il put alors riposter 
par quelques coups aux volées qu'il n'avait cessé jusque-là de rece- 
voir; mais Y Abeille sut se soustraire rapidement à cette position 



/ .. 



COMBAT DU BRICK * LE RENARD i. 71 

parue, j'escortais un convoi de trente-trois voiles 
destiné pour Marseille. J'étais parvenu à la hauteur 
des îles de Lérins, aymt été sans cesse harcelé, de- 
puis ma sortie de Gênes, par une division composée 
du vaisseau Y America de soixante-quatorze, de la 
(régale le Curaçao de quarante-quatre et du brick 
de vingt le Swallow. J'avais pour me seconder la 
goélette le Goéland, de six bouches à feu, com- 
mandée par un lieutenant de vaisseau, M. de Saint- 
Belin, émigré rentré en France depuis quelques 
années. Nous avions appareillé des îles de Lérins 
au commencement de la nuit avec notre convoi : la 
division anglaise, dont le Swallow formait l'avant- 
désavantageuse : il fila de Pavant et alla se placer par le bossoir de 
tribord de YAlacrity. Le brick anglais, se voyant pris d'écharpe, 
mit toutes ses voiles sur le mât dans l'intention de passer à poupe 
de Y Abeille. Le capitaine de Mackau déjoua cette manœuvre, en 
laissant arriver à son tour. Les deux bricks continuèrent de se canonner 
bord à bord pendant quelques minutes. Le fâcheux état dans lequel 
se trouvaient les voiles et le gréement de YAlacrity fit abattre ce 
bâtiment en travers. L' Alacrity restait, de celte façon, l'arrière 
complètement exposé à la bordée de Y Abeille. Dans cette situation, 
le brick anglais, ayant eu tous ses officiers tués ou obligés de quitter 
le pont, amena ses couleurs, trois quarts d'heure environ après le 
commencement de l'action. 

t Nous devons rendre justice, ajoute en terminant l'historien 
tDglais, aux officiers et à l'équipage de Y Abeille. Ils firent leur 
devoir comme de braves gens et comme de bons marins. La preuve 
qu'ils étaient braves, c'est qu'ils traitèrent leurs prisonniers avec 
égards et humanité. » 



V 



72 L'AMIRAL fiAUDIN. 

garde, nous poursuivait. Je conçus le projet de 
couper ce brick du reste de sa division et de l'en- 
lever dans l'obscurité. J'envoyai chercher Saint- 
Belin et je lui donnai mes instructions. Le calme 
qui survint empêcha l'exécution de mon projet. 
Quand le jour se fit, la division ennemie était bien 
ralliée. Je ne m'occupai plus que de faire filer mon 
convoi vers Saint-Tropez : à midi, je l'avais mis en 
sûreté. En ce moment, la brise fraîchit du large. Le 
brick ennemi s'était avancé à une certaine distance 
de ses deux conserves; je voulus encore une fois 
tenter de l'enlever avant qu'il pût être secouru, et je 
me portai à sa rencontre. Virant de bord vent de- 
vant, je lui passai à poupe, à portée de pistolet : 
je me trouvai ainsi au vent à lui sur l'autre bord* 
Si j'avais été seul, je n'aurais pas hésité à l'aborder, 
mais je ne voulais pas, mon devoir étant d'assurer 
avant tout le succès, négliger l'assistance du Goé- 
land , qui faisait force de voiles pour venir à mon 
aide. Par malheur, la barre de gouvernail du Goé- 
land venait d'être coupée par un boulet. Pendant 
qu'on mettait en place la barre de rechange, 
j'échangeais avec le Swallow un feu très-vif. Je 
n'avais que deux officiers : l'un d'eux, l'enseigne de 
vaisseau Char ton, fut blessé à mort; moi-même, 



COMBAT DU BRICK « LE RENARD •. 73 

je reçus à l'épaule droite un biscaïen qui m'y fit une 
blessure très-douloureuse. La commotion fut telle 
dans toute la poitrine, que le sang me vint à flots 
à la bouche. Je continuai cependant de comman- 
der la manœuvre. J'allais donner l'abordage, sans 
attendre le Goéland, lorsque le Swalhw, qui était 
sons le vent à moi, laissa arriver tout plat vent 
arrière, en me présentant la poupe. Avant que je 
pusse le suivre, il eut le temps de virer de bord 
lof pour lof, et de mettre le cap sur sa frégate. Ma 
mâture et mon gréement étaient hachés : j'avais 
quarante-deux hommes sur cent huit hors de com- 
bat; il ne me restait d'autre parti à prendre que 
d'entrer à Saint-Tropez pour y rallier mon convoi et 
pour réparer mes avaries. Le Swallow, de son côté, 
fut rejoint par Y America et par le Curaçao. Il fit 
ensuite route pour Malte. 

« Il était à peu près trois heures de l'après-midi 
lorsque j'entrai à Saint-Tropez. Nos blessés furent 
transportés sur-le-champ à terre j je restai à bord, 
quoique souffrant cruellement de ma blessure. Vers 
le soir, la crise nerveuse devint extrêmement intense ; 
mes muscles se contractaient, mes dents se ser- 
raient, un engourdissement général gagnait tous 
mes membres. A ces symptômes, je reconnus l'ap- 

5 



74 L'AMIRAL BAUDIN. 

proche du tétanos, dont j'avais été déjà menacé lors- 
que je perdis le bras sur la Sémillante. Je me fis 
préparer un bain de lessive ; cette décoction alcaline 
eut pour effet de calmer aussitôt l'agitation ner- 
veuse. Trois jours après j'étais debout. » 

L'historien de la marine anglaise, William James, 
n'a pas passé cette affaire sous silence. Sa version 
diffère peu du récit de l'amiral Baudin ; la préten- 
due intervention du Goéland y joue seulement un 
rôle destiné à justifier la retraite du capitaine Sibly, 
qui paraît, du reste, avoir été un officier de cœur 
et de mérite. L'engagement à portée de pistolet 
dura, suivant James, quarante minutes, « Le Swal- 
low, dit l'historien anglais, avait beaucoup souffert 
dans ses voiles, son gréement, sa mâture et sa 
coque. Sur un équipage de 109 hommes présents à 
bord, il eut 6 hommes tués et 17 blessés. La perte 
du Renard fut de 14 hommes tués et de 28 blessés, 
y compris son brave commandant, atteint au moi- 
gnon du bras que, quelques années auparavant, il 
avait honorablement perdu. L'armement du Renard 
consistait en 14 caronades de 24 et deux canons 
longs de 6. Le Swalfow, commandé par le capi- 
taine Reynolds Sibly, portait 16 caronades de 32 et 
deux canons longs de 6. » 



CHAPITRE XII. 



LA FRÉGATE « LA DRYADE » ET LE VAISSEAU ce LE R0« 
MULUS » . CHUTE DE L'EMPIRE. 



Le Renard n'était plus un commandement qui 
convint au jeune officier que l'Empereur, à la nou- 
velle de ce beau combat, s'était, par un décret daté 
de Smolensk, hâté de nommer, le 22 août 1812, 
capitaine de frégate. On eût pu se borner à donner 
au nouveau promu une corvette : on fit grande- 
ment les choses; on lui donna une frégate, la 
Dryade. Cette frégate de quarante-quatre canons, 
construite sur les plans de M. Sané, par un ingé- 
nieur de haut mérite, M. Boucher, venait d'être 
lancée à Gênes" Les améliorations de détail dont on 
l'avait dotée, à la demande et d'après les observa- 
tions du capitaine Baudin, la rendaient fort supé- 
rieure à tous les navires du même rang que possé- 
dait alors la France. Ainsi, la muraille du gaillard 
d'avant fut entièrement fermée, ce qui n'avait encore 



76 L'AMIRAL BAUDIN. 

eu lieu pour aucune de nos frégates. La chaloupe 
descendait par un long panneau dans la batterie; 
on supprima le panneau et l'on fit reposer la cha- 
loupe sur le pont. La batterie resta de cette façon 
complètement dégagée. L'arrière fut disposé de 
manière à laisser un jeu facile aux pièces de re- 
traite; les sabords de chasse furent percés paral- 
lèlement à la quille. Tout fut sacrifié, en un mot, 
au bon service de l'artillerie. Commencé dans les 
premiers jours de novembre 1812, l'armement ne 
fut terminé qu'au mois de mai 1813. L'état-major se 
composait (les lieutenants Gicquel-Destouches et 
Belle t, des enseignes Vieillard et Parseval-Des- 
chènes, de dix aspirants dont un seul était Français, 
— les neuf autres avaient vu le jour à Gênes» 
L'équipage comprenait trois cent vingt-trois hom- 
mes : vingt-cinq seulement appartenaient aux dé- 
partements de l'ancienne France, le reste venait du 
Piémont, de la Ligurie ou de la Toscane. 

Il y a dans la vie d'un navire deux moments 
solennels : le jour où il descend des chantiers et le 
jour où il sort pour la première fois du port. Il 
ventait grand frais, le port était encombré : le com- 
mandant de la Dryade fit virer à pic, établir les 
huniers. L'appareillage semblait scabreux. Com- 



LA FREGATE « LA DRYADE -. 77 

ment allaient s'en tirer ces jeunes marins génois 
dont la plupart n'avaient jamfais navigué que sur 
un bateau de pêche? Vingt-cinq marins du Renard, 
restés attachés à la fortune de leur capitaine, étaient, 
par bonheur, venus apporter à bord de la Dryade 
les habitudes d'ordre et de silence du vaillant équi- 
page dont la baie de Saint-Tropez garde encore le 
souvenir. Tout se passa bien. La Dryade pivota 
sur elle-même , circula sans encombre au milieu 
des navires et des bateaux semés sur sa route, puis 
alla compléter l'instruction de ses marins novices a 
la mer. 

En temps de guerre, les équipages se forment 
avec une rapidité surprenante : les exercices se 
prennent au sérieux et le zèle est d'autant plus 
grand qu'il a sa raison d'être. Un excellent esprit se 
développa immédiatement parmi ces Français de 
date si récente : ils se sentaient fiers de servir sous 
un capitaine que les autres navires leur enviaient. 
L'habitude qu'ont eue si longtemps les marins 
de Gênes de ramer dans des embarcations, quel- 
quefois pendant des journées entières, pour se 
soustraire à la poursuite des pirates barbaresques, 
les a rendus les premiers canotiers du monde. 
L'amiral Baudin cite une traversée de vingt lieues 



78 L'AMIRAL BAUD1N. 

marines accomplie à l'aviron entre la Spezzia et 
Gênes, par un des canots de sa frégate, dans l'espace 
d'an jour et d'une nuit. 

Au mois de juin 1813, le commandant de la 
Dryade reçut l'ordre de rallier à Toulon l'escadre 
du vice-amiral Émériau. 11 partit de Gênes accom- 
pagné du Renard. Un vaisseau ennemi essaya de lui 
barrer la route et le contraignit à chercher un re- 
fuge dans le port de Villefranche. Le 16 juin, jour 
anniversaire du combat du Renard et du Swallow, 
l'équipage du brick offrit un repas aux camarades 
qui avaient suivi le capitaine Baudin à bord de la 
Dryade. Le pavillon que portait le Renard le jour 
du combat fut arboré dans la salle du festin, tout 
criblé de trous de boulets et de trous de mitraille. 
La fête fut très-gaie : sur le soir seulement, lorsque 
vint l'heure de se séparer, les marins de la Dryade 
voulurent emporter le pavillon. Les marins du 
Renard prétendirent le garder. Une lutte s'ensuivit, 
et le pauvre pavillon fut mis en lambeaux : chacun 
en emporta un morceau dans sa poche. Glorieuse 
relique bien faite pour servir de talisman à des 
braves. 

Le 18 juin, la Dryade jetait l'ancre en rade de 
Toulon : vingt vaisseaux de ligne et neuf frégates 



LA FREGATE « LA DRYADE ». 19 

s'y trouvaient rassemblés. L'escadre était mouillée 
sur trois lignes. Quatre frégates avaient leur poste 
à l'avant-garde, sur la rade des Vignettes; les cinq 
autres occupaient le mouillage compris entre la 
grosse Tour et l'Eguillette. Chaque vaisseau ou fré- 
gate possédait son corps mort muni de deux embos- 
sures. Quelle que fût la direction du vent, l'ap- 
pareillage était, grâce à ces précautions, assuré. 
L'escadre exécutait souvent ce mouvement toute à 
la fois : elle revenait de même au mouillage, trente 
navires se croisant, se mêlant, se pressant dans un 
étroit espace et venant reprendre leurs corps morts 
avec une précision vraiment remarquable. C'était 
la manœuvre de chaque jour : par conséquent, elle 
se faisait bien. Le dimanche, on restait générale- 
ment au mouillage; l'amiral, à midi, réunissait les 
capitaines en conférence à bord de son vaisseau. 
La conférence terminée, on avait congé jusqu'au 
soir : les exercices et les appareillages recommen- 
çaient dès le lendemain. 

Ainsi se passa la dernière moitié de l'année 1813. 
L'ennemi se montrait rarement en force sur la 
côte. Cependant, l'ordre d'éviter un engagement 
était tellement précis, que jamais l'escadre ni aucune 
de ses divisions ne passait une nuit à la mer. L'Em- 



80 . l'amiral baudin. 

pereur ne voulait plus de ces catastrophes qui, au 
sein des prospérités d'un règne encore sans nuages, 
avaient assombri sa fortune; les épreuves de la 
guerre étaient réservées aux frégates qu'on se dis- 
posait à lancer dans toutes les mers du globe. Là 
se formeraient, par une vie d'aventures, de jeunes 
capitaines auxquels on confierait, le jour de rentrer 
en lice venu, la défense du pavillon. Cette politique 
était sage et digne du grand homme qu'un fond de 
bon sens finissait toujours par ramener, après de 
dangereux écarts,, dans le chemin de la vérité. 

Malheureusement, pendant que nos escadres se 
reformaient à Toulon et à Brest, nos bataillons 
perdaient chaque jour du terrain en Allemagne. 
« Bientôt, écrit le brave amiral Baudin avec une 
émotion que trente-trois années de paix n'ont pas 
affaiblie, nous apprîmes que nos armées avaient 
repassé le Rhin. Le territoire de la France, que 
nous étions habitués à considérer comme inviolable, 
était envahi! » Nous l'avons revue, l'heure sinistre. 
Je ne crois pas qu'elle ait, à l'époque de nos der- 
niers revers, causé la stupeur qui frappa, il y a 
soixante-quatorze ans, ces vétérans accoutumés de 
si longue date à la victoire. Dans nos récentes 
épreuves, nous sentions une Europe bienveillante 



LE VAISSEAU * LE R0MULUS ». 81 

derrière nous; la France pouvait se dire qu'un in- 
stinct général de conservation prendrait tôt ou tard 
sa cause en main : en 1814, c'était le monde entier 
qui s'avançait en armes pour nous dépecer, pour 
nous ravir même les nouvelles conditions d'exis- 
tence que nous avions achetées au prix de flots de 
sang. La lutte devait prendre tous les caractères du 
désespoir. Ce désespoir n'eut pourtant sa pleine 
énergie que sous le drapeau : les populations 
étaient harassées, et la marée ennemie monta comme 
sur une plage. Le maréchal Masséna commandait 
dans le Midi en qualité de lieutenant de l'Empereur. 
Il avait son quartier général à Toulon. Sur-le- 
champ, il donna des ordres pour qu'on mît en état 
de défense les abords de la place. Quelle occupation 
pour le vainqueur de Zurich et quel amer emploi 
réservé par le sort à ses vieux jours ! Toutes les 
nations ont connu de ces retours de fortune : au- 
cune n'a éprouvé le double deuil de voir s'écrouler 
à la fois la puissance nationale et l'idole radieuse 
qui la symbolisait. Il a fallu au peuple français une 
vitalité singulière pour qu'il ait résisté à une pa- 
reille secousse. Néanmoins, — je l'ai vu dans mon 
enfance et j'en ai gardé un profond souvenir, — il 
devait se passer bien des années avant qu'un franc 

5. 



-^ J3 



82 l'amiral baudin. 

sourire éclairât tous ces vieux visages noircis par la 
fumée de la poudre : le trait de l'invasion avait 
atteint la France militaire en plein cœur. 

Une partie des marins de l'escadre, détachée à 
terre par l'amiral Émériau, travaillait aux fortifica- 
tions; d'autres étaient employés à établir des camps 
retranchés, dans le voisinage des Sablettes et de la 
rade du Brusc, au fond de la baie de Saint-Nazaire. 
Toulon craignait un débarquement! Toulon, cepen- 
dant, demeurait encore pour nos forces navales un 
asile plus sûr que Gênes. Il était bien évident que 
l'Italie nous échappait. Par un dernier effort, Gênes 
avait armé le vaisseau le Scipion; il fut décidé 
qu'on essayerait d'amener sous escorte ce vaisseau 
à Toulon : laissé à Gênes, il serait infailliblement 
tombé entre les mains de l'ennemi. Trois vaisseaux 
et trois frégates, demandés à l'escadre, furent dési- 
gnés pour cette dangereuse mission. Les vaisseaux 
étaient : le Sceptre, de quatre-vingts, portant le 
pavillon du contre-amiral Cosmao; le Trident et le 
RomuluSj de soixante-quatorze, commandés par les 
capitaines Bonamy et Rolland. Les frégates de qua- 
rante-quatre la Médée, la Dryade et VAdrienne 
complétaient la division; elles avaient été choisies 
parmi les meilleures marcheuses 



LE VAISSEAU • LE ROMULUS ». 83 

Le contre-amiral Cosmao, ce survivant de Tra- 
falgar, que nos matelots appelaient Va de bon cceur, 
partit de Toulon le 12 février 1814. Le 13, au 
point du jour, la division se trouvait à sept ou huit 
lieues au sud de Panse d'Agay. Deux frégates en- 
nemies seulement étaient en vue : la Médée et la 
Dryade leur donnèrent la chasse. Une heure après, 
apparaissaient tout à coup seize autres voiles. L'es- 
cadre du vice-amiral sir Edward Pellew, qui n'avait 
pas encore gagné devant Alger son titre de lord 
Exmouth, venait du sud-ouest, les voiles gonflées, 
s'interposer entre la division française et Toulon. 
Continuerait-on la route sur Gênes? Tout dépen- 
drait du vent II faisait calme plat. Vouloir gagner 
Gènes avec des vents contraires serait s'exposer à 
une chasse prolongée dans laquelle les mauvais 
marcheurs tomberaient très-certainement au pou- 
voir de l'armée anglaise. Rétrograder vers Toulon 
amènerait presque aussi sûrement une rencontre : 
on aurait du moins l'avantage de ne pas s'être dis- 
persé et d'obliger l'ennemi à s'avancer en force. 
Quant à chercher refuge sous les batteries du golfe 
Jouan, ou sous les batteries des îles d'Hyères, per- 
sonne n'y songeait. Pareilles batteries, mal servies, 
incomplètes, ne pouvaient avoir la prétention d'in- 



84 L'AMIRAL BACDIN. 

timider une flotte de quinze vaisseaux, dont neuf 
étaient des vaisseaux à trois ponts. 
: Vers neuf heures du matin, la brise s'éleva de 
P est-sud -es t. L'amiral Gosmao prit à l'instant son 
parti. Il fit le signal de se former en ordre de 
marche sur deux colonnes : les vaisseaux au large, 
les frégates à terre, puis il mit le cap sur Toulon. 
Les vaisseaux ennemis, de leur côté, s'étaient rangés 
en ligne, le plus promptement possible, par ordre 
de vitesse. Us couraient sur la côte, avec l'intention 
évidente de couper la route à la tête de notre divi- 
sion. 

Un peu avant midi, Anglais et Français se trou- 
vèrent à portée de canon. L'amiral Cosmao, sur le 
Sceptre, conduisait son escadre : il passa le pre- 
mier, sans être inquiété. Le second vaisseau de la 
colonne de gauche, le Trident, reçut à bonne dis- 
tance, mais sans grand dommage, le feu du Boy ne, 
vaisseau à trois ponts de quatre-vingt-dix-huit 
canons, commandé par le capitaine George Burlton. 
Le Boyne élait le chef de file de la colonne an- 
glaise : il coupa notre ligne à l'arrière du Trident, 
et se dirigea tout droit sûr la Dryade. « Je m'at- 
tendais à recevoir la volée du Boyne, écrit l'amiral 
Baudin, je fis mettre mon équipage à plat-pont. 



i 



LE VAISSEAU • LE ROUULUS ». 85 , 

Seuls, les chefs de pièce restèrent debout, avec î 

ordre de se coucher aussi dès qu'ils auraient tiré. 
Au moment oii le Boy ne ouvrit son feu sur nous, je i 

m'avançai au pied du grand mât et je dis à l'équi- ; 

page, au milieu d'un profond silence : « Mes amis, I 

je vous fais mettre à plat-pont pour un vaisseau de 
cent canons. Vous ne vous y mettriez pas pour une *> 

frégate, n'est-ce pas ? — Non ! non t commandant » , 
s'écria- 1 -on de toutes parts. Beaucoup voulaient 
se relever : les officiers eurent quelque peine à les 
contenir. Le Boyne approchait rapidement : il fit 
une embardée et nous envoya sa volée tout entière, 
à portée de fusil. La volée passa, en sifflant, dans 
le gréement : pas un homme ne fut tué ou blessé. 
M Aérienne ne s'en tira pas si heureusement ; le 
Boyne, en se repliant, la salua d'une décharge en- 
tière : huit hommes restèrent sur le carreau. » 

La division française serrait de si près la terre 
que les Anglais ne l'attaquaient pas avec la vigueur 
qu'ils auraient montrée sans doute s'ils n'eussent 
été retenus par la crainte de s'échouer. Le Romu- 
lus, cependant, assez mauvais marcheur, demeu- 
rait peu à peu en arrière. Il existait déjà un grand 
intervalle entre ce vaisseau et le Trident. Le Boyne 
ne pouvait plus rien contre le Trident, rien contre 



j 



w^^w 



86 L'AMIRAL BAUDIN. 

les frégates; il entreprit d'arrêter le Romulus. 
Trois ou quatre autres vaisseaux anglais joignirent 
leur feu à celui du Boyne. Le capitaine Rolland fut 
blessé d'une mitraille à la tête : on l'emporta sans 
connaissance dans le faux-pont. Les officiers, par 
bonheur, tinrent ferme : l'un d'eux, le lieutenant 
de vaisseau Genebrias, prit le gouvernail. On don- 
nait, en ce moment, dans la rade; le Romulus rasa 
le cap Brun de si près que son bout-dehors de 
bonnette faillit, assure-t-on, s'y accrocher. C'est 
du moins la tradition que se sont transmise de 
bouche en bouche les vieux marins dont le doux 
soleil de Provence réchauffe, sur le chemin de 
ronde du fort Lamalgue, les membres aujourd'hui 
engourdis. 

Si brave et si entreprenant que fût un capitaine 
anglais, — je le répète pour la centième fois, — il 
ne se souciait jamais d'affronter le feu des batteries 
de côte. Le commandant du Boyne tint le vent, dès 
qu'il s'aperçut qu'avec la brise régnante il double- 
rait tout juste le cap Sepet. Le fort du cap Brun et 
le fort de Sainte-Marguerite auraient dû cependant 
lui apprendre, par leur majestueux silence, que 
les batteries françaises, loin de mordre, n'aboyaient 
même pas. Le combat avait lieu un dimanche : les 



LE VAISSEAU « LE ROMULUS ». 81 

canonniers étaient allés se promener. L'amiral 
Émériau expédia, pour servir les pièces délaissées, 
des officiers, des matelots, des gargousses. Le 
secours arriva trop tard. « Lord Exmouth, — je 
transcris ici l'appréciation de l'amiral Baudin, sans 
dissimuler que je la trouve peut-être un peu sévère, 
— n'a pas, dans cette circonstance, fait preuve 
d'une grande résolution. Il connaissait la situation 
de notre escadre et l'état de faiblesse de ses équi- 
pages : il pouvait entrer dans la rade et s'en rendre 
maître en y écrasant nos vaisseaux. Un coup d'une 
telle audace n'allait pas à son caractère, plus actif 
et plus ferme qu'entreprenant. Quand il vit que le 
Boy ne, serrant de très-près le Romains, pouvait, 
par suite de ses avaries, être obligé d'entrer, avec 
son adversaire, jusque dans la rade de Toulon, il 
passa sur le gaillard d'avant de son vaisseau, le 
Caledonia, et fit, avec son chapeau, signal au capi- 
taine du Boyne de serrer le vent et de s'éloigner. 
Ce fut ce qui mit fin au combat. » 

En pareille circonstance, demanderai-je à mon 
tour, qu'aurait fait Nelson? Le souvenir de Copen- 
hague l'eût-il encouragé ou y eût-il puisé cette cir- 
conspection qui vient avec l'âge? Sir Samuel Hood 
était maître de la rade de Toulon, quand il l'évacua 



88 L'AMIRAL BAUD1N. 

sous la menace des boulets rouges, laissant les mal- 
heureux habitants qu'il avait compromis livrés à 
toutes les vengeances de la Convention. L'honneur 
anglais coulait là, comme à Quiberon, par tous les 
pores, et pourtant Samuel Hood était, plus encore 
que Rodney, le vainqueur du grand combat de la 
Dominique. Nelson le tenait pour le premier officier 
de la marine anglaise; il ne prononce jamais son 
nom qu'avec l'admiration la plus profonde. La 
vérité, je crois, la voici : en 1814, on pouvait, sans 
une témérité excessive, entrer dans la rade de Tou- 
lon; il n'eût pas fallu s'y aventurer en 1812 et en 
1813. 

Il est des heures où les nations ne se défen- 
dent plus : les vaincus d'Iéna nous ont étonnés par 
leurs défaillances. Ce qu'il y a de plus triste pour 
un marin, c'est la pensée des réparations que, sans 
la chute de l'empire, nous réservait très-probable- 
ment la fortune. L'exemple des Américains nous 
indiquait clairement la voie à suivre; l'ascendant 
maritime insensiblement se déplaçait. Nous repre- 
nions courage; l'ennemi, au contraire, perdait peu 
à peu la foi qu'il avait eue jusqu'alors dans la puis- 
sance irrésistible de ses armes. Quelques années 
encore, et il lui aurait fallu compter avec nous : les 



LE VAISSEAU • LE ROMULUS '. 89 

Anglais, par malheur, ne cessèrent d'être invin- 
cibles sur mer que lorsque nos soldats cessaient, 
de leur côté, de former sur terre des bataillons invin- 
cibles. 



CHAPITRE XIIL 



LES CENT-JOURS. 



<i Entre les faisceaux d'armes tu te traînas, en- 
fant, sur les genoux; pour jouets, on te donnait les 
dépouilles des rois rapportées de la guerre... » 

Reptasti per scuta puer, regumque récentes 
Exuviœ tibi ludus erant... 

Ainsi chantait Claudien; ainsi nous entendrons 
chanter Victor Hugo. En 1814, ce ne sont plus les 
dépouilles des rois, ce sont les nôtres qui servent 
de hochets : l'empereur des Français, roi d'Italie, 
protecteur de la confédération du Rhin, est devenu 
le souverain de l'île d'Elbe; le roi de Rome est à 
Vienne. Le 1 er mars 1815, Napoléon, soudain, à 
l'effroi de l'Europe, par un de ces coups inattendus 
qui lui sont familiers, débarque au golfe Jouan. 
Que va faire la France? La réponse de la France 
pourrait être douteuse; celle de l'armée ne le sera 



LES CENT-JOURS. 91 

pas : l'armée acclame le capitaine qui lui rapporte 
l'espoir de la victoire ' . 

1 « Ne parle donc pas de ces temps-la, me criait, indigné, mon 
père, quand il y a quarante -cinq ou cinquante ans, mon dogma- 
tisme raisonneur de jeune parlementaire se permettait, au sujet de 
l'épopée impériale, quelques-unes de ces observations critiques qui 
lui paraissaient aisément tourner au sacrilège. Est-ce que tu peui 
savoir ce qu'était pour nous l'Empereur? t Ce qu'il était! H faut le 
demander aux souvenirs dont j'exprime ici la substance : il était 
l'âme de la patrie, pour le Gis du conventionel Baudin ; il le fut 
également pour ce ûls d'émigré que l'amiral Baudin a su me faire 
aimer comme il l'aima lui-même, dont je n'oserais cependant in- 
scrire ici le nom sans avoir obtenu la complète certitude de me 
trouver d'accord avec des sentiments de famille que j'entends avant 
tout respecter. 

Camille, — je puis au moins le désigner par son prénom, — a 
été, après le lieutenant Moreau, l'ami le plus cher et le plus intime 
de l'enseigne de vaisseau de la Sémillante, du futur capitaine de 
la Dryade et de la Bayadère. Il appartenait u une famille qui a 
donné à la marine de l'ancienne monarchie plusieurs officiers dis- 
tingués : l'un d'eux ûgurait aux côtés de Duguay-Trouin lorsque 
cet amiral força, en 1711, la passe de Rio- Janeiro. Emmené fort 
jeune en Angleterre, dès les premiers jours de l'émigration, le des- 
cendant de cette noble race fut placé par le marquis, son père, 
dans une école fondée à Glapham, près de Londres, pour l'éducation 
des fils d'émigrés. L'école de Glapham comptait parmi ses patrons 
Edmond Burke, l'ardent antagoniste de la Révolution. Il n'était 
guère à craindre que le venin moderne pénétrât dans une maison 
d'éducation aussi bien gardée. Le protégé d'Edmond Burkc n'y 
devint pas un révolutionnaire, un partisan des dangereuses nou- 
veautés du jour : il sut toutefois se maintenir au-dessus des pré- 
jugés et des haines que les ennemis de sa patrie s'efforçaient de 
lui inspirer. 

À la grande stupéfaction de ses maîtres, on l'entendit déclarer 
un beau jour que, quels que pussent être les griefs de sa famille 
contre la Révolution, il se sentait profondément attaché à la France 
et qu'il voulait y retourner. Les lois contre les émigrés étaient 



92 L'AMIRAL BAUDIN. 

Le 7 mai 1815, le capitaine Baudin commandait 
en rade de l'île d'Aix la corvette de trente- deux 

encore appliquées avec une extrême rigueur. L'écolier de Clapham 
dut prendre une voie détournée pour atteindre son but Un de ses 
oncles habitait l'île de France : il partit d'Angleterre pour l'aller 
rejoindre. Un navire danois le conduisit au Gap de Bonne -Espérance. 
Du Cap, un autre navire l'emmène aux îles Seychelles. La petite 
frégate française la Chiffonne réparait là ses avaries. Le proscrit 
trouve place à bord. On allait partir : la Chiffonne est attaquée et 
prise par la frégate anglaise la Sybil, pendant qu'elle s'attardait à 
l'ancre dans le port sans défense de Mahé. Camille se jette à la 
mer et gagne l'île à la nage. Quelques semaines plus tard, le brick 
de guerre français la Flèche arrive, à son tour, sur cette rade que 
les Anglais négligeaient d'occuper, trouvant probablement plus avan- 
tageux de la surveiller de près. Le naufragé de la Chiffonne fait de 
nouveau accepter ses services : huit jours ne se sont pas écoulés 
que la Flèche est envoyée au fond de l'eau par une bordée de la 
frégate anglaise le Victor. Le rivage offre encore une fois un refuge 
à l'intrépide adolescent, qu'aucun incident ne déconcerte, qu'aucune 
épreuve n'a le don de rebuter. 

Les aventures se succèdent : l'île de France par bonheur est au 
bout. Mais la paix d'Amiens vient d'être conclue : il n'y a plus de 
navires de guerre français dans les mers de l'Inde. Le jeune marin 
de la Chiffonne et de la Flèche s'embarque sur un navire de com- 
merce. Il y apprend rapidement son métier : la rupture de la paix 
le trouve premier lieutenant à bord du corsaire de trente-deux 
canons la Bellone, corsaire commandé par le capitaine Péroud. La 
marine de l'Etat, à court d'officiers, se décide enfin à ouvrir ses 
rangs à un homme qui a bien conquis, ne fût-ce que par son obsti- 
nation, le droit de s'y introduire. Camille est admis à bord de la 
frégate la Sémillante en qualité d'aspirant provisoire. Sur ce bâti- 
ment, la fortune capricieuse rassemble ainsi deux serviteurs de la 
France partis des pôles les plus opposés : une amitié, demeurée 
inaltérable à travers toutes les vicissitudes de la politique, s'établit 
entre le fils du conventionnel et l'enfant grandi dans l'émigration. 

c Dès que je connus Camille, écrit l'amiral Baudin, je m'attachai 
à lui. Ce qui faisait le fond de son caractère, c'était un ardent amour 



t 



LES CENT-JOURS. 93 

canons la Bayadère. L'acte additionnel aux con- 
stitutions de l'Empire est soumis à la ratification du 

du bien public, uni à une simplicité, à une modestie, à un désin- 
téressement vraiment antiques, t Ajoutons qu'à une grande bravoure 
s'alliaient aussi chez Je jeune héros un sang -froid extrême et une 
présence d'esprit qui ne l'abandonnait dans aucune occasion péril- 
leuse. Un jour, le capitaine Hamelin, — Camille était passé de la 
Sémillante sur la Vénus, — attaque dans l'île de Madagascar le fort 
de Tamatave. Il fallait franchir un retranchement garni de palis- 
sades : devançant tous ses compagnons, l'ami de Charles Baudin 
se fraye un passage à travers les bambous. Il va prendre pied sur 
le parapet; un Malgache, d'un coup de sagaie, lui cloue sur la 
traverse la main gauche, un autre noir l'ajuste de son tromblon. 
D'an mouvement aussi prompt que l'éclair, Camille coupe avec son 
sabre les deux doigts engagés, baisse la tête : la charge du trom- 
blon va tuer deux marins derrière lui. Distingué par les divers com- 
mandants sous lesquels il croisait sans relâche dans les mers de 
l'Inde, un prompt avancement récompensa ses services : ce fut 
comme lieutenant de vaisseau, comme chevalier de la Légion d'hon- 
neur, qu'il rentra, en 1811, dans cette France d'où sa famille 1 avait 
emmené vingt ans auparavant comme émigré. 

Cette France! fut-elle jamais aimée d'un patriotisme plus ardent 
et plus pur! En 1814, elle rendait à la famille proscrite un titre, 
nne influence, des biens qui semblaient perdus sans retour. Camille 
ne trouva pas dans son cœur le courage de se réjouir d'un événe- 
ment qui était la conséquence d'un grand désastre national. Il resta 
toujours aussi simple, toujours aussi bon camarade. On lui offrait 
le grade de capitaine de frégate, la croix de Saint-Louis, un comman- 
dement. 11 répondit : « Je me trouve suffisamment récompensé de 
ce que j'ai pu faire par le précède ut gouvernement. Si j'ai le bonheur 
de rendre encore quelques services à la France, le nouveau gou- 
vernement saura sans doute aussi m'en tenir compte, t Camille est 
mort en 1829, lieutenant de vaisseau. 

Qui prétendait donc que nous étions inférieurs aux Grecs et aux 
Romains? La France f st le pays des surprises : elle sommeille quel- 
quefois, comme le bon Homère ; puis tout à coup elle s'éveille et 
étonne le monde. Si son sol fécond n'avait jamais connu de révolu- 



-^ — ■■ »y» 



94 L'AMIRAL BALDIN. 

peuple français : l'état-major et l'équipage de la 
Bayadère sont invités, avec tout le corps de la 
marine, à consigner leurs votes sur un registre. 
Voici la déclaration que le commandant Baudin 
dicte à ses officiers : 

« Si la France, paisible et heureuse, pouvait sans 
craindre ni dissensions intérieures, ni invasion de 
l'étranger, discuter à loisir les institutions qui lui 
conviennent, aucune puissance au monde ne nous 
contraindrait à voter en faveur de l'acte qu'on nous 
propose aujourd'hui. Mais la patrie est en danger, 
l'Europe nous menace de toutes parts et le devoir 
de tous les vrais Français est de se rallier autour 
du chef du gouvernement, de faire cause commune 
avec lui contre l'ennemi commun. Nous donnons 
donc notre consentement à l'acte additionnel et 
nous faisons signer avec nous tous nos subalternes. 
Cependant, nous devons à notre honneur, nous 
devons à notre conscience de déclarer que nous 
sacrifions aujourd'hui notre opinion personnelle au 
salut de la France. Lorsque l'ennemi extérieur aura 
été repoussé, lorque tous les dangers qui menacent 

tions, quelles destinées auraient été les siennes! Ce sont les révo- 
lutions qui la perdent. La meilleure des révolutions est toujours ce 
que je me permettrai d'appeler une grosse avarie dans le gouver- 
nail. ' 



LES CENT-JOURS. 9& 

noire existence politique seront écartés, nous nous 
réservons de réclamer des institutions plus com- 
plètement libérales. » 

Enthousiasme des anciens jours, où t'étais-tu 
donc réfugié? Si tous les marins partageaient, à 
cette époque, l'opinion des officiers de IsiBayadère, 
si la flotte, gagnée par la contagion générale, se 
montrait à ce point raisonneuse, c'en était fait de 
la marine de 1812. Napoléon revenu de l'île d'Elbe, 
accueilli dans Paris, né devions-nous pas l'accepter 
tout entier, l'accepter avec ses ailes et avec ses 
serres? Lui rendre l'épée, le sceptre, et vouloir le 
charger d'entraves, était assurément la pire com- 
binaison que pût nous suggérer notre humeur 
inquiète. Admirez cependant les contradictions 
humaines : le malheur va soudain rendre au vain- 
queur d'Austerlitz son auréole. Il est des cœurs 
qui ne résistent pas à la séduction de l'infortune ; 
le cœur du capitaine Baudin était de ceux-là. Après 
le coup de foudre de Waterloo et l'abdication de 
l'Empereur, le gouvernement provisoire s'était 
engagé à mettre à la disposition du souverain déchu 
deux frégates, la Saale et la Méduse. Ces frégates, 
mouillées en rade de l'île d'Aix, devaient transpor- 
ter l'Empereur en Angleterre. Napoléon arrive à 



96 L'AMIRAL BAUDIN. 

Rochefort le 3 juillet. Il y trouve bien les frégates 
promises, mais non pas les sauf-conduits des gou- 
vernements étrangers, garantie sans laquelle les 
frégates ne sauraient sortir du port : les passes de 
la Charente sont soigneusement gardées par les 
croiseurs anglais. 

En ce moment, la Bayadère, détachée à l'em- 
bouchure de la Gironde, restait mouillée sur la rade 
du Verdon. L'Empereur, déjà inquiet des disposi- 
tions du gouvernement provisoire, charge le préfet 
maritime de Rochefort, M. le baron de Bonnefoux, 
de demander au capitaine Baudin s'il voudrait en- 
treprendre de le conduire aux Etats-Unis. La réponse 
du commandant de la Bayadère mérite d'être tex- 
tuellement reproduite. 

« Monsieur le baron, écrit le capitaine Baudin, 
s'il ne s'agissait que de moi, de mon existence, de 
mon honneur même, je n'aurais pas eu besoin d'un 
seul instant de réflexion pour répondre affirmative- 
ment à la question contenue dans votre lettre d'hier 
soir. Mais il s'agit de sauver à un grand homme, 
à la France entière, l'humiliation qui serait le ré- 
sultat d'un insuccès. J'ai donc dû peser mûre- 
ment toutes les chances de l'entreprise que vous 
me proposez, et je n'hésite pas à dire que je la 



LES CENT-JOURS. 97 

crois possible et facile, que je suis prêt à m'en 
charger. 

« Ni la Bayadère ni V Infatigable, qui sont ici sous 
mes ordres, n'ont une marche supérieure; le hasard 
met par bonheur en ce moment à ma disposition 
deux magnifiques navires américains, — le Pike et 
le Ludlow, — qui, par suite de la paix récemment 
conclue, se trouvent à mes côtés, au bas de la 
Gironde, tout prêts à faire voile pour les Etats-Unis. 
Tous deux ont, par leur rapidité extraordinaire, 
échappé, comme corsaires, à toutes les croisières 
anglaises, pendant la dernière guerre. Je les em- 
mènerai avec moi et, s'il le faut, je mettrai l'Em- 
pereur à bord de l'un des deux. En cas de rencontre, 
je me dévouerai avec la Bayadère et V Infatigable 
pour barrer passage à l'ennemi : je suis bien sûr de 
l'arrêter, quelque supérieur qu'il puisse être. 

ce J'ai d'ailleurs un moyen à peu près infaillible 
de détourner l'attention de la croisière ennemie et 
de dégager l'embouchure de la rivière : il n'existe 
qu'un seul cordon de croiseurs; ce cordon une fois 
franchi, nous aurons la mer libre. Que l'Empereur 
se hâte donc de venir, dans le plus grand secret, 
avec le moins de suite et le moins de bagages pos- 
sible : je l'emmènerai aux États-Unis. II peut se 

s 



^^"^_- mi il WWi^P«^W«l^«7HmHBBr^*<VIB!||| 



98 L'AMIRAL BAUDIN. 

fier à moi. J'ai été opposé de principes et d'action 
à sa tentative de remonter sur le trône, parce que 
je la considérais comme devant être funeste à la 
France, et certes les événements n'ont que trop 
justifié mes prévisions : aujourd'hui il n'est rien 
que je ne sois disposé à entreprendre pour épargner 
à notre patrie l'humiliation de voir son ancien sou- 
verain tomber entre les mains de notre plus impla- 
cable ennemi. Il y a seize ans, mon père est mort 
de joie en apprenant le retour d'Egypte du général 
Bonaparte : je mourrais moi-même aujourd'hui de 
douleur de voir l'Empereur quitter la France, si 
je pensais qu'en y restant il pût encore quelque 
chose pour elle. Mais il faut qu'il ne la quitte que 
pour aller vivre honoré dans un pays libre, non pour 
mourir prisonnier de nos rivaux. Comptez donc 
sur moi, monsieur le baron, et agréez l'assurance 
de tout mon respect. — Bayadère, rade du Verdon, 
4 juillet 1815, quatre heures du matin. » 

Cette lettre expédiée, le capitaine Baudin prit 
sur-le-champ les mesures nécessaires pour assurer 
l'exécution de son projet L'embargo fut mis sur 
tous les navires qui descendaient la rivière. Le jour 
où la Bayadère appareillerait avec l'Empereur à 
son bord, liberté leur serait rendue : ils sortiraient 



LES CENT-JOURS. 99 

probablement tous à la fois et partageraient ainsi 
l'attention de la croisière anglaise. 

La rade du Verdon n'est pas à plus de quinze 
lieues de Rochefort. Dans la journée même arriva 
la réponse du baron de Bonnefoux : l'Empereur 
approuvait les propositions du capitaine fiaudin et 
lui faisait savoir « qu'il n'avait qu'à l'attendre » . 
Le capitaine Baudin attendit. Un jour, deux jours, 
trois jours , huit jours se passèrent dans cette 
anxieuse attente ; quarante navires étaient retenus 
par l'embargo, la croisière anglaise grossissait tous 
les jours : le commandant de la Bayadère crut de- 
voir expédier à Rochefort un courrier. En réponse, 
il reçut l'invitation de lever l'embargo. Le 11 juillet, 
au coucher du soleil, le vent étant favorable pour 
sortir par les trois passes du sud, de l'ouest et du 
nord, le signal qui affranchissait la flotte marchande 
de toute contrainte fut hissé. Les quarante navires 
mirent à la voile : chacun faisant route pour sa 
destination, ils se trouvèrent bientôt dispersés en 
éventail. Le Bayadère appareilla la dernière. Nul 
obstacle à l'horizon ; aussi loin que la vue pût s'é- 
tendre, la mer était libre : la croisière anglaise se 
montrait éparpillée, courant, pour les visiter, d'un 
navire à l'autre. La Bayadère aurait réussi à passer 1 



B^V^cn>«OTS«pami 



100 l'amiral baudin. 

« Je revins à mon poste dans la nuit, poursuit le 
capitaine Baudin, et le lendemain matin, comme 
je descendais à terre, au Ver don, je rencontrai, 
se dirigeant vers la Bayadère y un bateau pécheur 
qui portait un officier de marine. » Cet officier 
n'était autre que le général Lallemand déguisé. 
Le capitaine Baudin apprit par lui ce qui s'était 
opposé à l'adoption de son plan. Plusieurs des 
personnes qui entouraient l'Empereur mettaient 
tous leurs soins à le détourner d'aller aux États- 
Unis : elles jugeaient mal l'Angleterre et croyaient 
pouvoir garantir au nouveau Thémistocle un accueil 
honorable au foyer britannique. Le foyer britannique, 
ce n'était, — l'histoire ne l'oubliera pas, — qu'une 
étape sur la route de Sainte-Hélène. Le côté épique 
de cette détermination avait, il est vrai, quelque 
chose de séduisant pour l'imagination d'un homme 
qui, de Brienne à Waterloo, ne cessa jamais d'être 
poëte et de se rappeler ses classiques. Et puis, faut- 
il le dire? — le commandant Baudin, tout en se dé- 
vouant de la façon la plus absolue, ne se défendait 
peut-être pas assez de mêler à ses assurances de 
dévouement quelques paroles de blâme. On est im- 
périeux aux Tuileries ; on devient facilement ombra- 
geux à Rochefort. Mille doutes cruels assiégeaient 



LES CENT-JOURS. 101 

l'esprit du malheureux souverain, qui se sentait 
d'avance livré par une fatalité implacable aux ter- 
reurs vindicatives de l'Europe : au dernier moment, 
un secret instinct le faisait reculer devant l'antre 
auquel ses plus fidèles amis le pressaient impru- 
demment de se conBer. 

Le général Lallemand avait mission d'étudier de 
nouveau les chances d'une évasion par la Gironde, 
car c'était bien, hélas! d'une évasion qu'il s'agissait 
alors pour ce victorieux qui tint pendant dix ans le 
monde sou$ ses pieds. « Pouvez-vous, voulez-vous 
toujours entreprendre ce que vous avez proposé il 
y a huit jours? » demande le général au capitaine 
Baudin. « Je le veux encore, répondit le comman- 
dant de la Bayadère, seulement, je le puis moins 
facilement qu'hier. C'est sur l'invitation de l'Em- 
pereur que je me suis démuni des moyens sur les- 
quels je comptais pour favoriser sa sortie ; je vais 
aller à Bordeaux m'en créer d'autres. Que l'Empe- 
reur vienne donc ! Mais qu'il vienne sans cet entou- 
rage de quarante personnes qu'il traîne après lui. 
Qu'il vienne avec une malle, un valet de chambre, 
un ou deux amis, gens de tête et de cœur. Qu'il 
arrive en petite chaise de poste, demain matin, sans 
bruit. » 

6. 



^mmmammmmmmmmmmwm 



102 l'amiral baudin. 

Le général Lallemand repartit sur-le-champ 
pour Rochefort; le capitaine Baudin courut à Bor- 
deaux chez le général Clauzel, qui commandait les 
débris de l'armée française sur les bords de la 
Gironde. A deux heures du matin, le capitaine et 
le général se transportaient chez le consul améri- 
cain, M. Lee. En quelques mots, Baudin expose le 
motif de sa visite: il vient demander au consul de 
l'assister dans son entreprise. Pour toute réponse 
M. Lee lui saute au cou. Un navire américain 
se trouvait dans le port; on fait venir immédiate- 
ment le capitaine : qu'il appareille sans perdre 
un instant et aille, sur la rade du Verdon, se 
mettre à la disposition du commandant de la Baya- 
dère. 

Tout était réparé : non! tout était perdu! En 
rentrant à son bord, le capitaine Baudin apprend 
que, la veille au soir, le commandant de la croi- 
sière anglaise, le commodore Aylmer, a passé sous 
les forts de la côte de Saintonge sans recevoir un 
seul coup de canon. Quatre frégates ennemies sont 
mouillées à celte heure sur la rade de Royan : la 
dernière chance de succès vient de s'évanouir! le 
14 juillet, au matin, le comte de Las Cases et le 
général Lallemand se rendent, par ordre de l'Em- 



LES CENT-JOLRS. 103 

pereur, à bord du Bellerophon, pour y trailer avec 
le capitaine Mai tl and d'un embarquement qui devait 
être le salut et qui fut le prélude de la captivité la 
plus dure. 



\ 



CHAPITRE XIV. 



LE « RENTRANT » DE 1830. 



La France appartenait encore une fois aux Bour- 
bons. Si les gouvernements comprenaient tout le 
prix de la fidélité, ils honoreraient et récompen- 
seraient les fidèles, ne fût-ce que pour l'exemple : 
le capitaine Baudin fut placé en non-activité. Il 
avait déclaré que, fort de sa conscience, il ne pour- 
rait accepter aucune marque de mécontentement. 
On le blâmait : il demanda sa mise à la retraite. A 
différentes reprises, le gouvernement de la Res- 
tauration fit engager l'ancien commandant de la 
Bayadère à reprendre du service; Baudin persista 
dans son refus. En 1830, croyant ramener le roi 
de Rome aux Tuileries, le peuple de Paris prend 
les armes; trois jours lui suffisent pour renverser 
du trône la plus vieille dynastie de l'Europe, — 
et ajoutons-le, car ce n'est que justice, — la plus 
libérale. Des complications extérieures semblaient 



LE « RENTRANT » DE 1830. 105 

imminentes : le capitaine de frégate retraité rentra 
dans la marine avec son ancien grade. Appelé pres- 
que aussitôt à prendre le commandement de la 
corvette de trente-deux canons V Héroïne, Baudin 
ne tarda pas à montrer que quinze années de re- 
lâche ne lui avaient pas fait oublier son métier. Il 
est vrai que, de ces quinze années, quatre s'étaient 
passées entre le golfe du Bengale et le Havre, à com- 
mander deux navires de commerce, le trois-mâts 
la Félicie et le brick le Télégraphe. Le 6 janvier 
1834, le commandant de YHéroïne était nommé 
capitaine de vaisseau. Je me trouvais alors dans le 
Levant, embarqué avec le capitaine Lalande sur le 
vaisseau la Ville-de-Marseille : on y parlait beau- 
coup de l'escadre d'évolutions rassemblée aux îles 
d'Hyères sous les ordres du contre-amiral Massieu 
de Clerval. Dans cette escadre, un vaisseau se faisait 
remarquer par son excellente tenue, parle soin que 
ses officiers mettaient à le maintenir, dans toutes les 
évolutions, à son poste. Ce vaisseau était ie Triton^ 
commandé par le capitaine Baudin. Quand on ma* 
nœuvre sous les yeux d'une centaine d'officiers et 
d'aspirants, sans compter les yeux des envieux, on 
gagne pour ainsi dire en champ clos sa réputation. 
Du 7 avril 1834 au 11 mars 1836, le rentrant 



J06 l'amiral baudin. 

subit à sa gloire la délicate épreuve; la marine du 
gouvernement de juillet n'hésita plus à mettre ses 
plus chères espérances dans cette épave de la ma- 
rine de 1812. 

Après le commandement du Triton, vint le com- 
mandement du Suffreriy un énorme vaisseau de 
quatre-vingt-dix canons, type nouveau destiné à 
remplacer les constructions de M. Sané. On prétend 
qu'Épam inondas, chargé de faire balayer les rues 
de Thèbes, ne trouva pas l'office au-dessous de sa 
dignité : le capitaine Baudin, sur le Suffren, fut, 
pendant plus d'un an, occupé à transporter des 
troupes de Toulon en Algérie. L'hiver fut rude, les 
luttes, pour un si gros vaisseau, quelquefois péril- 
leuses, la mission sans charme; le commandant du 
Suffren fit bravement son devoir, sans faste aussi 
bien que sans murmure. Le 28 avril 1838, il était 
nommé contre-amiral : l'expédition du Mexique 
l'attendait. Le 13 août, il en prit le commande- 
ment. 



CHAPITRE XV. 

LE MEXIQUE EN 1838. LE BLOCUS DE VERA-CRUZ ET 

LES PROJETS D^TTAQUE DU COMMANDANT BAZOCHE. 

La génération actuelle n'a probablement gardé 
aucun souvenir de la succession de révoltes qui 
aboutit, après des luttes opiniâtres et sanglantes, à 
l'affranchissement des colonies espagnoles. La 
perte du Mexique fut surtout sensible à l'Espagne : 
à diverses reprises, des efforts furent tentés pour 
recouvrer une possession qui donnait à la métro- 
pole accès sur deux mers et lui assurait annuelle- 
ment un revenu de 20 millions de piastres. Une 
partie des armées qui avaient fait, non sans gloire, 
la guerre de la Péninsule, s'usa dans ce long con- 
flit ouvert en 1810 par l'insurrection du curé 
Hidalgo et terminé, le 11 septembre 1820, par la 
capitulation du général espagnol Baradas, à l'em- 
bouchure de la rivière de Tampico. Le général 
ipexicain Santa-Anna, gouverneur de Vera-Cruz, 



108 L'AMIRAL BAUDIN. 

avait été le premier à prendre les armes contre cette 
suprême tentative d'invasion : les sympathies de 
l'armée et du clergé l'investirent de la dictature. 
En dépit de quelques convulsions passagères, on 
peut dire que Santa-Anna, tantôt sous son propre 
nom, tantôt sous le nom de ses créatures, exerça 
pendant près de vingt ans un pouvoir absolu sur 
ce vaste territoire de deux millions trois cent qua- 
rante-six mille six cent vingt et un kilomètres carrés, 
le cinquième de l'Europe, et quatre fois au moins 
la superficie de la France, territoire où vivait dis- 
persée, avec de longs intervalles de déserts, une 
population de neuf millions environ d'habitants. 

Sans avoir plus qu'une autre le goût de l'anar- 
chie, cette population en avait pris peu à peu l'ha- 
bitude. Elle vivait tiraillée entre le centralisme et 
le fédéralisme. Les étrangers établis au Mexique 
auraient désiré un régime moins irrégulier : ils se 
plaignaient, avec vivacité, des exactions que les 
partis en lutte leur faisaient subir, et plus d'une 
fois des demandes d'indemnités furent présentées 
au parti qui détenait momentanément le pouvoir. 
Les Mexicains répondaient invariablement : « Nous 
sommes une nation en révolution ; nous subissons 
toutes les conséquences de l'état révolutionnaire : 



LE MEXIQUE EN 1838. 109 

les émeutes, les exactions, les jugements iniques, 
les pillages, les assassinats. Les étrangers qui sont 
venus s'établir sur notre sol se sont volontairement, 
de leur plein gré, exposés à toutes les conséquences 
d'un tel état de choses; ils n'ont point le droit de 
se plaindre de les avoir subies. S'il fallait les indem- 
niser, le trésor mexicain n'y suffirait pas. » 

Ne pouvant réussir à faire écouter ses réclama- 
tions, le gouvernement français prit le parti de 
rompre : le blocus des côtes du Mexique fut dé- 
claré en 1837. En deux mois, le trésor mexicain se 
vit privé de 10 millions de francs que lui auraient 
payés, sous forme de droits de douane, les navires 
arrêtés par la croisière française. La république 
perdait ainsi sa principale source de revenus : le 
pays ne s'en montra pas ému outre mesure. Deux 
frégates et deux bricks se trouvaient alors réunis 
dans les eaux de Vera-Cruz, sous les ordres du 
capitaine de vaisseau Bazoche, montant la frégate 
de soixante canons VHerminie. Le ministre de 
France, le baron Deffaudis, crut devoir, le 23 mai 
1838, exposer au commandant Bazoche la situation 
telle qu'il l'envisageait après un essai de blocus 
suffisamment prolongé pour qu'on pût en mesurer 
les effets. « La question politique, lui écrivait-il, 



110 l'amiral baudin. 

de savoir si une attaqne victorieuse de votre divi- 
sion, sur la forteresse d'Ulloa, ne serait pas plus 
favorable qu'un simple blocus à la terminaison de 
nos différends avec le Mexique, aussi bien qu'à la 
sécurité de nos nationaux résidant encore dans ce 
pays, me semble devoir se résoudre définitivement 
par l'affirmative. Permettez-moi donc, Monsieur 
le commandant, de vous poser la nouvelle question 
toute militaire qui se présente ici à résoudre... 
L'attaque de Saint -Jean d'Ulloa devant avoir de 
très-grands avantages, si elle réussit promptement, 
mais pouvant avoir des inconvénients plus grands 
si le succès est trop retardé, et surtout si elle 
échoue, croyez-vous avoir des certitudes suffi- 
santes d'un prompt succès? Je dis des certitudes 
suffisantes et non des chances suffisantes. Si le 
prompt succès de l'attaque n'était pas aussi cer- 
tain que peut l'être une entreprise de ce genre, il 
vaudrait mieux nous abstenir. » 

Tout était prêt, le plan d'attaque dressé, « Maîtres 
d'Ulloa, assuraient les partisans d'une action immé- 
diate, nous dominerions tout le littoral à vingt 
lieues de profondeur; les habitants nous répon- 
draient, tête pour tête, de la vie et de la liberté de 
nos concitoyens. » Ce sont là de jeunes et pré- 



LE MEXIQUE EN 1838. 111 

somptueuses confiances : un chef digne de ce nom 
ne les accueille pas sans mûres réflexions, dût-on 
lai reprocher « de fondre tout à coup dans la main 
des hommes de cœur, à vues élevées, à résolutions 
fortes, à intelligence supérieure » , qui se sont 
donné la mission de l'inspirer. Le commandant 
Bazoche convoqua sur-le-champ, en conseil de 
guerre, le capitaine de Ylphigénie, M. Parseval- 
Deschênes, les capitaines du La Pérouse et de 
VAlcibiade, MM. Fournier et Laguerre. Ces noms 
n'étaient pas ceux des premiers venus. Quiconque 
a gardé la mémoire du brillant personnel dont se 
composa la marine du gouvernement de Juillet en 
citerait difficilement de plus universellement esti- 
més. Pour nous rendre compte des motifs qui 
dictèrent les résolutions de ces trois vaillants ca- 
pitaines, il est indispensable de faire une rapide 
inspection des lieux et d'examiner sommairement 
les conditions de l'entreprise à laquelle on les con- 
viait. 

La baie de Vera-Cruz est semée de bancs de 
coraux qui, à marée basse, se trouvent presque à 
fleur d'eau '. Quelques-uns de ces écueils ont été, 

i Voyez, à la fin du volume, la carte dressée pour servir à l'in- 
telligence de l'attaque de la forteresse de Saint-Jean d'Ulloa. 



- -■^iw^ 



112 L'AMIRAL BAUD1N. 

comme le haut-fond de Sacrificios , convertis par 
les apports des vents en îlots de sable. De Sacrifi- 
cios an fort d'Ulloa la distance est de trois milles ; 
elle est d'an mille à peine, mesurée entre l'îlot et 
la partie de littoral qui lui fait face. Vers le nord- 
est se prolongent, jusqu'à quatre milles au large, 
les récifs de Pajaros, de l'île Verte et de l'Anegada 
de adentro, laissant entre eux des passes plus ou 
moins larges. A la hauteur de Vera-Cruz, vous ren- 
contrez une seconde chaîne presque parallèle à la 
première : la Lavandera , la Gallega et la Galle- 
guilla. Le récif de la Gallega est le plus considérable ; 
il affecte une forme oblongue. Sa longueur, du sud 
au nord, peut être évaluée à deux mille six cents 
mètres ; sa largeur, de l'est à l'ouest, ne dépasse 
guère douze cents mètres. Le fort d'Ulloa occupe 
l'angle sud-ouest de ce plateau rocheux. Du fort à la 
ville, vous ne compterez pas plus de six encablures : 
le canon d'Ulloa tient donc Vera-Cruz à sa merci. 
Les bâtiments mouillent aussi près que possible de la 
forteresse : ce poste est celui qui leur offre le meil- 
leur abri; des bâtiments du tirant d'eau de VHermi- 
nie et de Ylphigénie peuvent y avoir accès. Le 
chenal est cependant étroit et assez difficile à suivre. 
Quant au fort, vous pouvez vous le représenter 



^ç 



LE MEXIQUE EN 1838. 113 

comme un parallélogramme flanqué de quatre bas- 
tions. Les deux grands côtés, dirigés à peu près de 
l'ouest-nord-ouest à l'est-sud-est, mesurent chacun 
deux cents mètres; les petits côtés en mesurent 
cent quarante. Le bastion de Test, sur la face qui 
regarde la haute mer, porte le nom de bastion de 
la Soledad; celui de l'ouest est le bastion de San- 
tiago. Sur la face qui regarde le sud et la ville, on 
trouve, à droite, en se tournant vers la terre, le bas- 
tion de San-Pedro ; à gauche, le bastion de Saint- 
Crispin. Presque à toucher le bastion de Saint- 
Crispin, s'élève un cavalier qui recouvre le grand 
magasin à poudre. 

En avant du front du large est jetée une demi- 
lune qui masque et protège la porte du fort. A droite 
et à gauche de la demi-lune s'étendent deux batte- 
ries rasantes : la batterie de San-Miguel et la batterie 
de Guadalupe. L'espace compris entre les extrémités 
de ces batteries basses est de trois cent cinquante 
mètres environ. Tout cet ensemble de fortifications 
est armé de 186 bouches à feu (103 pièces de bronze 
et 83 pièces de fer). L'aspect en est imposant et la 
réputation plus imposante encore : le fort de Saint- 
Jean d'Ulloa est généralement tenu pour inexpu- 
gnable. Cependant, un officier d'une rare valeur, 



^C5***mfsmmmm 



114 L'AMIRAL BAUDIN. 

qui, sous an déguisement audacieux, est parvenu à 
le visiter, qui en a étudié de près les défenses, qui 
en a compté homme par homme la garnison, s'é- 
tonne qu'on ose mettre en doute a que 1,500 ma- 
telots français, disposant de 200 canons, avec plus 
de munitions de guerre que n'en renferme peut-être 
toute la république du Mexique, soient en état 
d'emporter un fort occupé par 800 Mexicains, 
femmes et enfants, vieillards, galériens, dégue- 
nillés, mal armés, mourant de faim, dont 400 ou 
500 seulement peuvent combattre. » 

Le lundi 4 juin 1838, le conseil de guerre se 
rassemble : les débats n'amènent aucune décision. 
Le président, le commandant Bazoche, renvoie au 
lendemain la mise aux voix des projets présentés. 
Le 5 juin, il expose le plan qui lui paraît satisfaire 
le mieux aux exigences de la situation : ce plan 
consiste à pénétrer dans la rade de Vera-Cruz par la 
passe de l'Est. Les deux frégates seront embossées 
par le travers du bastion de Saint-Crispin, à portée 
de fusil de la muraille ; la fusillade et le tir des 
pierriers placés dans les hunes se joindront au feu 
des batteries pour expulser les défenseurs du bas- 
tion et du cavalier qui le domine ; on donnera en- 
suite l'escalade soit à l'aide d'un ponton, soit en 



LE MEXIQUE EN 1838. 115 

faisant accoster de petits navires disposés à cet 
effet. 

Le côté hasardeux d'un tel coup de vigueur ne 
pouvait échapper aux officiers expérimentés qui 
composaient le conseil de guerre. Le chenal, que 
les frégates devront suivre, nous l'avons déjà dit, 
est étroit et sinueux; en quelques endroits, il 
n'offre que vingt-quatre pieds de profondeur, et la 
levée constante qu'y produit la houle ne peut être 
évaluée à moins de deux pieds. Admettons qu'on 
le franchisse sans accident; lorsqu'on sera embossé 
sous les murs de la forteresse, on sera pris d'é- 
charpe par les feux croisés des fortins bâtis aux 
deux extrémités de la ville. Chacun de ces fortins 
pourra braquer sur les frégates trois canons de 24. 

Le commandant Bazoche propose de masquer ces 
ouvrages en leur opposant les batteries des deux 
bricks de vingt canons dont la station dispose. Un 
brick français de vingt canons, soutenu par le feu 
de deux frégates et embossé à la distance de trois 
cent cinquante toises d'un fortin mexicain, sans 
épaulements, sans parapets, de vingt pieds à peine 
de hauteur, armé de dix canons, ne pourra-t-il 
donc faire taire trois canons de 24, seules pièces 
que la direction du tir permettra aux ennemis 



w^m^&mmmmEmmmmm 



116 L'AMIRAL baudin. 

d'employer? On ne demande pas au brick de s'em- 
parer du fortin; il suffira qu'il lui impose silence 
pendant une heure et demie, temps jugé nécessaire 
pour l'escalade. 

Les commandants de YAlcibiade, du La Pérouse, 
de VIphtgénie, successivement consultés, déclarent 
que, dans leur opinion, on ne saurait compter sur 
l'action des bricks. Ce n'est pas le feu du fortin 
qu'il faut craindre pour ces bâtiments, c'est la diffi- 
culté de se rendre au mouillage indiqué et l'im- 
possibilité presque certaine de s'en tirer en cas 
d'insuccès, a Ne pourrait-on alors occuper préala- 
blement les fortins soit par escalade, soit par une 
attaque en règle tentée par une troupe de débar- 
quement? » Il serait malaisé de surprendre des 
ouvrages que l'on doit supposer soigneusement 
gardés : pat* vînt-on, d'ailleurs, à s'en rendre maître, 
comment s'y maintiendrait-on, dominé qu'on serait 
par les maisons voisines? Le conseil, k l'unanimité, 
repousse le projet soumis à son examen : mieux 
vaudrait, suivant lui, embosser les frégates et les 
bricks par le travers des deux bastions qui regardent 
le large et opérer ensuite un débarquement sur le 
récif de la Gallega, récif qu'on a tout lieu de sup- 
poser guéable. 



LE MEXIQUE EN 1838. 117 

Malheureusement, ce second projet, avant qu'il 
soit possible de passer à l'exécution , exige de 
longues études, des reconnaissances préalables : 
la fièvre jaune ne laissera pas le temps de les entre- 
prendre. Elle s'abat sur les deux frégates, et, en 
quelques jours, les convertit en hôpitaux flottants. 



7. 



^p^p^^^^"^"" ■ i i »-^^r-^w 



CHAPITRE XVI. 



LES DÉBUTS d'un PRINCE. 



Le gouvernement français, cependant, avait ré- 
solu d'en finir. Des forces considérables se rassem- 
blaient à Brest et à Toulon; frégates, bricks et 
bombardes s'armaient à la hâte. On se proposait 
d'y joindre deux navires à vapeur, les premiers 
navires français de ce genre qui aient, je crois; 
traversé l'Atlantique. Le contre-amiral Baudin pren- 
drait le commandement de cette division navale et 
arborerait son pavillon sur la frégate la Néréide. 
Le Roi, pour mieux marquer le dessein bien arrêté 
d'obtenir de justes réparations, confiait à l'amiral 
son propre fils, le prince de Join ville, investi du 
commandement de la corvette la Créole. L'expé- 
dition entrait dans une nouvelle phase. 

Allait-on donc faire revivre ce fameux plan de 
Bolivar qui dort dans les cartons du ministère des 
affaires étrangères? L'Amérique serait-elle divisée 



LES DEBUTS D'UN PRINCE. 119 

en petites monarchies, sous la garantie des flottes et 
des armées européennes? « Les têtes faibles, au 
Mexique, nous affirme un témoin de ces événements, 
n'en doutaient déjà plus. C'était le vœu secret de 
tout un parti, du parli le plus puissant à cette 
heure. Bourbon d'Espagne ou Bourbon de France, 
peu lui importait, pourvu qu'on lui rendît l'état 
monarchique. » Si pareil dessein a jamais été agité 
dans les conseils de la couronne, je dois déclarer 
que les papiers les plus secrets de l'amiral Baudin 
n'en ont gardé aucune trace. On ne voit qu'une chose 
dans ces documents, qui m'ont été communiqués 
sans réserve : l'ardeur d'un jeune prince impatient 
de se distinguer et plus heureux dans cette tenta- 
tive que l'héroïque enfant qui a donné son sang à 
l'Angleterre, ne pouvant pas le donner à la France. 
« Le jour où Votre Excellence m'a confié le 
commandement des forces navales dans le golfe du 
Mexique, écrivait au vice-amiral de Rosamel, alors 
ministre de la marine, le contre-amiral Baudin, je 
lui ai annoncé que mon départ de Brest aurait lieu 
le 1" septembre. En effet, aujourd'hui, 1 er sep- 
tembre 1838, nous sommes sous voiles et déjà hors 
du goulet à neuf heures du matin. » Cette ponc- 
tualité est d'heureux augure : elle montre à la fois 



ISO L'AMIRAL BAUDIN. 

l'activité du chef et la complaisance des éléments. 
Le 9 septembre, la Néréide, accompagnée de la 
Créole, mouillait sur la rade de Cadix. Deux autres 
frégates, la Gloire et la Médée, y attendaient l'ami- 
ral Baudin, prêtes à se ranger sous son pavillon. 
Le 11 septembre, toute la division faisait route. 
La glorieuse campagne où vont se fonder tant de 
jeunes renommées commence : « Soyez préparé à 
la guerre, écrit l'amiral au prince de Joinville, et 
préparez-y votre équipage. Que tous vos discours, 
toutes vos pensées aient le combat pour but; que 
chacun, à votre bord, se familiarise avec l'idée 
que de brillants succès doivent être le résultat de 
l'activité et de l'audace unies au boil ordre, qu'un 
coup de main hardi, mais sérieux et exécuté avec 
sang-froid, avec ténacité, peut terminer la querelle, 
au plus grand honneur de la France et aux applau- 
dissements des deux mondes. La circonstance est 
favorable au rétablissement de la discipline, dont 
les ressorts ont été détendus par les habitudes d'une 
longue paix. Occupez-vous immédiatement de les 
retremper, et, pour cela, commencez par tracer 
très-fortement la ligne de démarcation entre les 
divers grades. En service, il n'y a point d'égaux; il 
n'y a que des supérieurs et des inférieurs, des 



LES DÉBUTS D'UN PRIIVCE. 121 

hommes qui commandent et des hommes qui obéis- 
sent. Un équipage bien conduit doit manœuvrer, 
dans toutes les circonstances, comme s'il s'agissait 
du salut du navire; il doit faire tous ses exercices de 
guerre, comme s'il se trouvait sous le feu de l'en- 
nemi. Gardons-nous bien de croire que, dans les 
dangers de la navigation ou à l'instant du combat, 
la nécessité du moment suppléera au défaut d'habi- 
tude et créera tout à coup une impulsion extra- 
ordinaire : ce serait une erreur funeste. Attachez- 
vous, Monseigneur, à faire régner le silence à 
votre bord et à convaincre chacun de la nécessité 
de l'observer. Le silence est une condition d'ordre 
indispensable; il est l'âme de la bonne manœuvre. 
Plus il semble étranger aux habitudes de notre 
nation, plus vous devez apporter de force de carac- 
tère, de persévérance, de soins de tous les instants 
pour l'obtenir, sans toutefois employer directement 
des moyens qui diminueraient l'affection que votre 
équipage doit vous porter. L'autorité ne s'exerce 
que par les intermédiaires : les vôtres sont vos offi- 
ciers; c'est par eux que vous devez agir sur votre 
équipage. Le bien du service exige que vous soyez 
très-aimé et que les personnes qui exercent l'auto- 
rité sous vous soient un peu craintes. Un capitaine 



122 L'âMIRÀL HAUT 

ne peut apporter d'indulgence d; 
tant que ses officiers sont d< 
flexibles de la discipline établie 
la mollesse, il est obligé d'y r 
sévérité. Cependant, une grant 
du chef doit toujours tempérer 
discipline. Ce n'est qu'en nous < 
soins, même les plus minutieuï 
tribuer au bien-être et au boi 
placés sous nos ordres, que 
droit de ne jamais leur passer i 
Toutes ces recommandation 
Qu'aurait dit de mieux le duc d' 
de Totedo '? 



1 ■ Occupez -vous stius relâche et perse 
d'Albe & don Juan d'Autriche, du payeme 
voulues de la solde; occupez-vous aussi 
«ivres. Il importe que le soldat sache bie 
la sollicitude de Votre Eicellence, qu'il e 
être. Exigez que les soldats aïeul un trè 
officiers, mais ne permettez pas que les o 
aucune circonstance, sans motif. H faut 
venir se plaindre, si on lui (ait tort; il I 
convaincu que la moindre injustice dont o 
sévèrement punie. Maintenez en même 
discipline inflexible : pas de faute qui 
châtiment! On dira peut-être à Votre E 
rigueurs lui aliéneront le cœur du soldat 
rait bien plus sûrement d'être aimée. Vol 



LES DEBUTS D'UN PRINCE. 123 

L'histoire a besoin d'un certain lointain pour ne 
pas tourner à la satire ou au panégyrique ; en ce 
qui concerne l'amiral Baudin, elle nous rappelle- 
rait surtout quelle part les circonstances ont dans 
la gloire des hommes. Pour quelques-uns qui lais- 
sent échapper les occasions, combien pourraient 
à bon droit se plaindre que l'occasion leur ait 
manqué! L'amiral Baudin n'a pas rencontré les 
occasions qui convenaient à son envergure; toutes 
ses aptitudes le désignaient pour la grande guerre : 
un homme de celte valeur, succédant à La Touche- 
Tréville, nous eût épargné les douleurs de Trafal- 
gar. Je crois le voir encore dans sa verte vieillesse : 
nul ne rappela mieux l'époque où les médiocres 
mêmes étaient de haute taille; il en avait gardé un 
certain port de tête et je ne sais quelle sorte d'em- 
phase militaire qui ne messied pas aux héros. « Il 
y a plus d'une demeure dans la maison de mon 
père » , dit l'Écriture. J'ai connu bien des hommes 
de mer; j'en ai connu de tous les pays : Baudin et 
eux habitaient, à coup sûr, la même maison; ils 
ne logeaient pas au même étage. D'une stature 
élevée, respirant la force, impétueux et sanguin, 

très-circonspecte avant de donner des ordres; une fois Tordre 
donné, elle en exigera l'exécution à la lettre, » 



124 L'AMIRAL BAUDIX. 

impérieux avec bonhomie, ce soldai vigoureux vous 
faisait, au premier abord, l'illusion d'un Lobau, 
d'un Ney ou d'un Kléber j mais ni Lobau, niNey, 
ni Kléber n'auraient, je crois, écrit : « Malheur à 
quiconque voit dans la guerre autre chose qu'un 
moyen de conquérir la paix ! En allant au Mexique, 
je ne souhaite la guerre ni pour elle-même, ni 
pour les avantages qu'elle pourra m'apporter : que 
le ciel me préserve de pareils sentiments! Je les 
déclare odieux et méprisables. Ce que je souhaite, 
c'est que les réparations dues à nos compatriotes 
leur soient accordées. Il serait, je le sais, plus dra- 
matique de ravager les côtes, de profiter des dissen- 
sions entre les citoyens du Mexique pour les armer 
les uns contre les autres. Il en pourrait sans doute 
résulter un peu de gloire pour moi et mes compa- 
gnons d'armes; la France y gagnerait-elle autre 
chose que d'exciter dans ce pays des ressentiments 
plus profonds?» 

L'amiral Baudin, on le voit, n'était pas seule- 
ment un soldat. Deux hommes se retrouvaient et 
se conciliaient en lui : l'homme de l'Empire, au ton 
et au geste toujours dominateurs, — c'est celui-là 
qui, lorsque les Mexicains fusilleront son canot à 
bout portant, se dressera sur les bancs pour me- 



LES DÉBUTS D'UN PRINCE. 125 

nacer du doigt les pelotons ennemis comme une 
bande d'écoliers turbulents pris en faute; — 
l'homme de la Révolution, qui n'a pu, au milieu de 
toutes les splendeurs de l'héroïque épopée, oublier 
complètement l'esprit et le langage humanitaires 
de 89. Dans ce second homme, reconnaissez le fils 
de Baudin des Ardennes. Charles Baudin, capitaine 
de la Bayadère ou commandant en chef de l'expé- 
dition du Mexique, croirait manquer au sang dont 
il est sorti s'il ne cherchait, dans les régions les 
plus élevées de la philosophie chrétienne, le prin- 
cipe de ses discours et de sa conduite. Sa voix eût 
retenti avec autant d'éclat à la tribune que dans la 
mêlée; quelquefois même, — n'essayons pas de le 
dissimuler, — nous entendrons cette voix, faite 
pour les grands accents, s'enfler au delà de ce 
qu'exigeraient peut-être les circonstances. Nous la 
trouvons trop forte; n'est-ce point parce que tout 
s'est rapetissé autour de nous, les peuples et les 
événements? 



CHAPITRE XVII. 



ARRIVÉE DE LA DIVISION SUR LA RADE DE SAGRIFIGIOS. 
RECONNAISSANCE DU FORT DE SAINT-JEAN D'ULLOA, 



Il fallut près d'un mois à la division, partie de 
Cadix le 11 septembre 1838, pour atteindre la hau- 
teur de l'île Saint-Domingue. Déjà les épreuves 
commençaient : trois cents artilleurs de la marine et 
vingt-cinq soldats du génie avaient été embarqués à 
Brest sur la Néréide. A Cadix, on répartit ce con- 
tingent entre les trois frégates : il n'en resta pas 
moins, tant matelots que soldats, près de six cents 
hommes à bord du navire amiral, a L'augmentation 
de personnel résultant de la présence des troupes 
passagères, écrivait l'amiral le 13 octobre, nous 
met fort à court d'eau. Nous avons eu des chaleurs 
affreuses depuis que nous sommes dans la mer 
des Antilles; les équipages ont beaucoup souffert 
de la soif; toutes les précautions possibles n'ont pu 
empêcher les matelots et les soldats passagers de 



FORT DE SAINT-JEAN D'ULLOA. 121 

s'abreuver d'eau de mer, au grand détriment de 
leur santé. J'ai pris le parti d'écrire au consul 
général de la Havane d'affréter tous les quinze jours 
un navire de commerce pour porter à ma division 
devant Vera-Ouz un chargement d'eau et de vivres 
frais. Je sais que ces mesures causeront des dépenses 
que probablement Votre Excellence n'avait pas pré- 
vues; mais, en fait d'expéditions militaires, ce qui 
est économique, c'est ce qui assure le succès. Rien 
n'est plus dispendieux que ce qui ne réussit pas. » 

L'amiral Baudin, si discipliné qu'il se proposât 
d'être, Ta toujours pris de haut avec les ministres. 
Ce que je crois pouvoir garantir, — car je l'ai très- 
intimement connu et je demeure encore pénétré de 
ses bontés, — c'est qu'il ne s'en apercevait pas. Il 
faisait la leçon à des gens qui s'imaginaient n'avoir 
qu'à lui donner des ordres; il la faisait parfois 
d'une façon un peu sentencieuse, comme il convient 
à un homme qui s'inspire toujours des motifs les 
plus nobles et qui reste patriote dans un temps où 
le culte de la patrie est loin d'embraser au même 
degré toutes les âmes. 

Manquer d'eau en vue de la rivière, se voir con- 
traint d'envoyer remplir ses futailles à deux cent 
quatre-vingts lieues du mouillage qu'on occupe, telle 



128 L'AMIRAL BAUDIN. 



est la perspective qui s'ouvre devant la division na- 
vale du Mexique. Et cette eau, la plupart du temps, 
quand on l'aura fait venir à grands frais, on la recevra 
corrompue, « noire comme de l'encre» , fétide. Nos 
appareils distillatoires nous épargnent maintenant 
ces misères : seulement, qu'on n'oublie pas qu'ils 
n'ont fait que déplacer la question. Au lieu d'eau, 
c'est du charbon qu'il faut se procurer. Si, en 1859, 
je n'avais capturé sur ma route des navires autri- 
chiens chargés de trois mille tonneaux de houille, je 
n'aurais jamais réussi à maintenir pendant près de 
trois mois le blocus de Venise. La guerre de course, 
dont on parle tant aujourd'hui, pourrait bien, faute 
de dépôts de charbon, devenir impossible partout 
ailleurs que dans les mers d'Europe : elle était 
autrement facile au temps de la marine à voiles. 
Heureusement, il n'est pas nécessaire d'aller loin 
pour intercepter les richesses ennemies; nos colo- 
nies mêmes ne se défendront nulle part aussi effica- 
cement que dans la Manche ou dans la mer du Nord. 
Le 18 octobre au matin, sur la sonde du banc 
de Campêche, la Néréide rencontre les frégates 
VHerminie et Vlphigénie : ces frégates allaient 
renouveler leur eau à la Havane. Triste spectacle 
pour les bâtiments qui arrivent de France ! Voilà 



FORT DE SAINT-JEAN D'ULLOA. 129 

donc dans quel état on revient du Mexique! « La 
fièvre jaune et le scorbut, écrit l'amiral Baudin, ont 
chassé YHcrminie et Ylphigénie du golfe. Il est 
grand temps qu'elles atteignent un port de relâche. 
VHerminie ne saurait, vu la réduction de son per- 
sonnel, continuer la campagne : sur cinq cents 
hommes, elle compte trois cent quarante -trois 
malades. Ulphigénie seule pourra être remise en 
état de rallier mon pavillon. Elle a cependant 
enterré à Sacrificios quarante-cinq marins et cinq 
officiers. j> 

La fortune, on serait tenté de le croine, est 
lâche : quand elle a commencé à frapper, elle 
s'acharne à plaisir sur sa victime. La pauvre Her- 
minie, si éprouvée, ne devait pas revoir la France; 
en partant de la. Havane, elle alla donner sur les 
rochers des Bermudes et y termina sa carrière. 

On parlait beaucoup, à bord de la Néréide, des 
nortes, coups de vent soudains qui, partis de la 
pointe des Florides, ne s'éteignent que dans les 
vastes plaines du Yucatan. Le 23 octobre, on s'es- 
timait à sept lieues de la Vera-Cruz : une violente 
tempête tout à coup se déclare, et pendant deux 
jours les robustes côtes de la frégate amirale sont 
mises à l'épreuve. On sait désormais à quoi s'en 



130 l'amiral baudin,. 

tenir : la saison des épidémies fait place à la saison 
des tourmentes, lorsque les deux fléaux ne s'en- 
tendent pas pour vivre de compagnie. Enfin, le 
26 octobre, apparaît au loin la cime neigeuse du 
pic d'Orizaba. A trois heures de l'après-midi, la 
Néréide laisse tomber l'ancre sous l'îlot de S a cri fi- 
cios ! . L'escadre dispersée va se concentrer. La 
Gloire, la Créole, Ylphigénie, reviendront bientôt 
de la Havane, où l'amiral les a détachées; la 
Médée, le La Pérouse, YAlcibiade, le Cuirassier, 
le Voltigeur, le Du Petit-Thouars sont déjà sur 
rade. Le 7 novembre, arrivent, inestimable ren- 
fort, les deux navires à vapeur le Météore et le 
Phaéton; puis surviennent deux bombardes, le 
Cyclope et le Vulcain, accompagnées des bricks le 
Zèbre, la Fortune que l'on convertira en hôpital, 
la Naïade, la Caravane, VOreste et la Sarcelle. Les 
bricks l'Eclipsé et le Laurier croisaient entre 
Tampico et Tuxpan. Un ouragan les a désemparés. 
V Eclipse peut encore servir; quant au Laurier, ce 
n'est plus qu'une épave : son capitaine Ta laissé à 
la Havane et est passé avec tout son équipage sur 
Ylphigénie. « Honneur à YEclipse! Honneur au 

i 

1 Voyez ia carie, à la fin du volume. 



FORT DE SAINT-JEAN D'ULLOA. 131 

Laurier! écrira l'amiral Baudin. Je considère mes 
forces actuelles comme suffisantes pour un coup 
de main décisif. Notre plus grand obstacle est la 
saison : les vents souillent presque continuellement 
du nord, avec une violence qui rend toute opéra- 
tion impossible, mais il ne faut qu'une nuit de 
calme, sans lune, précédée et suivie d'un jour de 
beau temps. » 

Comment s'était établie cette confiance? Par des 
reconnaissances, bien imprudentes sans doute, qui 
n'en méritent que mieux d'être racontées. 

Le commandant Le Ray, de la Médée, partait 
pour Mexico le jour même de l'arrivée au mouillage, 
avec l'aide de camp de confiance de l'amiral, le 
lieutenant de vaisseau Page. Il allait sommer le gou- 
vernement mexicain de répondre enfin catégori- 
quement aux réclamations de la France. Un capi- 
taine d'infanterie mexicain, don Calisto Zaragoza, 
lui servait de guide et d'escorte. Si ce Zaragoza 
était le futur général que nos troupes rencontre- 
ront en 1862 dans la plaine de Puebla, la coïnci- 
dence est assez curieuse pour qu'on la signale. Le 
commandant Le Ray emportait l'ordre de ne pas 
attendre la réponse du congrès au delà de trois 
jours : si l'on voulait se trouver en mesure de mènera 



^WHilPHi 



132 L'AMIRAL BAUDIN. 

bonne fin les opérations avant l'hivernage, il n'y avait 
pas un instant à perdre. Dans la nuit du 3 au 4 no- 
vembre, l'amiral envoie reconnaître le plateau de la 
Gallega. Le plan d'attaque qui a obtenu l'adhésion 
du conseil de guerre convoqué par le comman- 
dant Bazoche est aussi celui vers lequel les préfé- 
rences de l'amiral inclinent, « Le but de la recon- 
naissance que vous allez faire ce soir, écrit-il au 
prince de Joinville, est seulement de chercher sur 
le récif une partie guéable par laquelle on puisse 
s'approcher de la forteresse. » Et c'est un prince, 
un fils de France, que l'amiral croit devoir charger 
de ce soin! N'y a-t-il pas lieu de s'en étonner? 
Quel otage on s'expose à mettre aux mains des Mexi- 
cains ! 

Les généraux ont plus de peine qu'on pense à 
résister à de juvéniles ardeurs : on en a eu la preuve 
au Zoulouland. La mission d'ailleurs fut remplie 
avec autant de zèle que d'intelligence. « Je suis 
parti du mouillage de Sacrificios, — ainsi s'exprime 
le rapport du prince, — à onze heures du soir. 
Deux embarcations armées accompagnaient le canot 
que je montais. Le temps était à souhait : la lune 
éclairait peu, l'atmosphère était calme et une faible 
houle faisait marquer les brisants. Les Mexicains 



FORT DE SAINT-JEAN D'ULLOA. 133 

avaient probablement vu de la côte le départ de nos 
embarcations, car une fusée partit d'un point situé 
presque en face de votre frégate. Un grand feu fut 
aussitôt allumé sur une des extrémités du fort; la 
cloche fut mise en branle ; les batteries s'éclairèrent 
avec promptitude. Nous étions découverts» Notre 
exploration n'en a pas moins continué, et nous 
avons enfin trouvé, à trois quarts de mille du fort, 
une petite crique où la mer est parfaitement tran- 
quille et où les plus grandes embarcations pour- 
ront entrer et mouiller. Voyant que le fond vers le 
sud était très-égal, mais trop élevé pour permettre 
aux canots d'approcher, je suis entré dans l'eau et 
me suis dirigé vers le fort. Partout nous avons 
trouvé le sol parfaitement égal et à environ un pied 
au-dessous de l'eau. Le sol, de sable, est recouvert 
d'une couche d'herbes marines très-courtes, qui 
ne gênent aucunement la marche. En nous avançant 
près du fort, nous avons de nouveau donné l'éveil 
à la garnison, qui, du reste, se garde très-bien. 
Elle a même fait sortir, par la porte de la place 
d'armes du chemin couvert, un détachement qui > 
en s'avancant sur l'îlot et en entrant ensuite dans 
l'eau pour nous éloigner, nous a donné la preuve 
que le récif était praticable d'un bout à l'autre. » 

8 



134 l'amiral baudin. 

On comprend que le prince ne se soit pas soucié 
d'insister sur le danger qu'il venait de courir. Un 
de ses compagnons, destiné à devenir un de nos 
plus brillants généraux, le commandant du génie 
Mengin, n'avait pas les mêmes raisons de se taire : 
«Nous étions sans armes, dit-il, à six cents ou sept 
cents mètres de nos embarcations, et la présence 
du capitaine Le Ray à Mexico nous faisait un devoir 
d'éviter toute espèce de collision. Nous prîmes le 
parti de hâter notre retraite le plus possible, ce 
qui dura cinq minutes environ. Au bout de ce 
temps, la poursuite ayant cessé, nous continuâmes 
avec moins de précipitation. Nous regagnâmes nos 
embarcations vingt-cinq minutes après avoir com- 
mencé notre retraite. Il était à peu près deux heures 
et demie. De notre reconnaissance, il résulte que 
le banc de la Gallega présente une surface toujours 
guéable, très-unie et très-commode pour la marche. 
Entre l'anse du débarquement et le fort, la distance 
est de mille à onze cents mètres, distance très- 
favorable en ce qu'elle est en dehors de la bonne 
portée du canon et tout à fait hors de vue la nuit. » 

Le 12 novembre, l'amiral voulut renouveler 
l'exploration de la Gallega : il la renouvela en per- 
sonne. Le prince de Joinville raccompagnait. Avec 



FORT DE SAINT-JEAN D'ULLOA. 135 

un peu d'audace, les Mexicains prenaient cette fois 
du même coup de filet le chef de l'expédition et le 
capitaine de la Créole. « J'étais, nous apprend 
l'amiral Baudin, avec le prince de Join ville, à la 
tête d'une petite colonne de trente hommes. Je fis 
faire halte à la colonne à moins de vingt toises de la 
batterie basse de San-Miguel 1 , lorsque, après avoir 
été hélé par les sentinelles mexicaines et avoir 
entendu le commandement de : Apprêtez armes ! 
j'eus reconnu, au bruit des fusils qu'on armait, que 
l'ennemi avait une force considérable sur pied dans 
la batterie. Le chef de bataillon Mengin, qui est 
un peu sourd, continua de s'avancer seul jusqu'au 
pied d'une rampe par laquelle l'ennemi pouvait 
facilement descendre vers lui et l'enlever. Nous 
étions dans l'eau jusqu'à la ceinture : il nous aurait 
été impossible de le secourir. D'ailleurs, une 
retraite immédiate était indispensable. Mon secré- 
taire, M. Moreau, se détacha par mon ordre et alla 
prévenir M. Mengin du danger qu'il courait, au 
risque d'être enlevé avec lui. » 

Quand on a vu devant Sébastopol l'obstination 
des officiers du génie envoyés en reconnaissance, 

1 Voyez, à la fin du volume, le plan du fort de Saint-Jean d'Ulloa. 



136 l/AMIRAL BAUDIN. 

le superbe dédain du colonel Frossard pour les 
précautions les plus légitimes, il est difficile de 
croire que la prétendue surdité du commandant 
Mengin n'ait pas été, en cette circonstance, un peu 
volontaire : Nelson, à Copenhague, rappelé par les 
signaux de l'amiral Parker, appuyait sa longue-vue 
sur son œil crevé. Le commandant Mengin tenait 
essentiellement à toucher pour ainsi dire du doigt 
les défenses ennemies, car il était spécialement 
chargé de dresser, après cette seconde exploration, 
le plan d'attaque, « II est important, disait le com- 
mandant, que la mer soit calme, plutôt basse que 
haute, la nuit aussi obscure que possible. L'expédi- 
tion partira donc du mouillage quatre heures avant 
le lever de la lune, comptant : une heure et demie 
pour le trajet de Sacrificios à l'anse du récif; une 
demi-heure pour le débarquement; trois quarts 
d'heure pour arriver jusqu'à la palissade du fort, 
avec une petite halte à moitié chemin; une demi- 
heure pour l'attaque du chemin couvert et pour la 
mise hors de service des batteries basses; une demi- 
heure pour la retraite jusqu'aux embarcations, si 
l'on doit se contenter de ce résultat incomplet. Mais 
il peut fort bien arriver que la poursuite des Mexi- 
cains, chassés des ouvrages avancés, conduise la 



FORT DE SAINT-JEAN D'ULLOA. 137 

tête d'une des colonnes jusque sous la voûte qui 
donne entrée au fort. Dans ce cas, sans essayer de 
pousser plus loin, les hommes feront ferme dans le 
passage, empêcheront ainsi de refermer la porte et 
appelleront au secours. Le commandant supérieur 
de l'attaque ordonnera aux clairons de sonner, et 
toutes les troupes se précipiteront dans le fort aux 
cris de : Vive le Roi! » 

Pour concevoir et pour mettre à l'étude de pareils 
projets, il fallait bien mépriser l'ennemi qu'on allait 
avoir à combattre ! Cette confiance est souvent un 
gage de victoire : quand elle conduit, comme à 
Guadalupe, à un échec, Dieu sait si on lui épargne 
le blâme et la raillerie. La campagne de 1805, en 
Autriche, a vu cependant, s'il en faut croire les 
Mémoires du général Lejeune, des places fortes 
ainsi emportées par un brusque assaut. Le plus sûr 
sera de ne pas s'y fier, surtout quand on attend des 
bombardes. Les feux courbes, peu usités encore, 
vont tout à l'heure montrer qu'on a plus facilement 
raison des forteresses avec des mortiers qu'avec 
des échelles. 



8 



CHAPITRE XVIII. 

I 

LES DISPOSITIONS DE COMBAT. 



Ce sera l'éternel honneur de l'amiral Baudin de 
n'avoir ouvert les hostilités qu'à la dernière extré- 
mité. Le commandant Le Ray rapportait de Mexico 
une réponse évasive : l'amiral consentit à se rendre 
à Jalapa pour s'y aboucher personnellement avec 
les plénipotentiaires mexicains. « La France, disait- 
il , est loin de nourrir aucune arrière-pensée qui 
soit contraire à l'indépendance et à l'intégrité ter- 
ritoriale du Mexique. En bloquant vos ports, elle a 
usé du moyen le plus doux qui fût en son pouvoir 
pour obtenir, après tant d'années et tant de dé- 
marches, le redressement des griefs de ses natio- 
naux. » Le ministre des affaires étrangères de la 
république mexicaine, M. Cuevas, n'essayait pas de 
pallier les torts de son gouvernement; il continuait 
seulement de se retrancher derrière l'irresponsa- 
bilité morale d'un pays bouleversé par ses agitations 



LES DISPOSITIONS DE COMBAT. 139 

intérieures. « Les désordres dont vous vous plai- 
gnez, répondait-il imperturbablement à Pamiral 
Baudin, sont la conséquence inévitable et fatale de 
l'enfance politique du Mexique'. » Arrivé à Jalapa le 
17 novembre, l'amiral en repartit le 21, laissant 
entre les mains de M. Cuevas un dernier et sérieux 
ultimatum. « Je lui ai déclaré, écrit-il au ministre 
de la marine, que j'allais attendre à mon bord 
jusqu'au 27 la décision finale du gouvernement 
mexicain. Si le 27, à midi, satisfaction complète 
n'est pas donnée à la France, je commencerai 
immédiatement les hostilités. » 

Différer — dilatar — est, dit-on, la maxime 
favorite de la diplomalie mexicaine. La ressource, 
cette fois, est usée : l'habileté du congrès va se 
heurter à une résolution inébranlable. La division 
navale que commande l'amiral Baudin s'est portée 
du mouillage de Sacrificios au mouillage de l'île 
Verte. Dès le 26 au soir, les premières dispositions 
de combat sont prises : les dromes ont été mises à 
terre, les bouts-dehors de bonnettes descendus 
sur le pont; les suspentes en chaîne, les fausses 
balancines, les bosses de galhaubans et d'itagues 
sont en place. Tout est prêt pour le lendemain ; voici 
les derniers ordres : les baromètres et les chrono- 



140 l'amiral baudin. 

mètres des frégates seront envoyés, avec ceux des 
bombardes, à bord des petits bricks qui ne sont pas 
destinés à prendre part à l'engagement; on mettra 
les chaloupes à la mer avant l'appareillage. Cha- 
cune de ces embarcations, armées par les équi- 
pages des bricks laissés au mouillage, devra être 
munie d'une ancre à jet et de deux aussières. Toutes 
iront se placer au nord des frégates, hors de la 
portée des canons du fort, mais en position de 
venir élonger des touées, s'il en était besoin. 

Au signal de l'amiral, les bombardes se porteront 
à la hauteur de la coupure du récif de la Gallega 
et s'y embosseronf. Les trois grandes frégates, — la 
Néréide, la Gloire, VIphigénie, — mouilleront au 
sud de cette même coupure, de manière à former 
une ligne serrée. Elles se trouveront ainsi à sept 
ou huit encablures du fort. La portée du canon de 
30 court, tiré avec un seul boulet rond et une charge 
égale au quart du poids du boulet, est de quinze 
cent cinquante mètres environ, sous un angle de 
projection de cinq degrés. C'est donc l'angle de tir 
qu'il conviendra d'adopter pour le combat. Les 
canons-obusiers de 30, chargés à obus et tirés avec 
deux kilogrammes de poudre, ont, à peu de chose 
près, la portée des canons. Quant aux caronades, 



LES DISPOSITIONS DE COMBAT. 141 

il semble inutile de les employer dans un engage- 
ment où la distance dépassera quatorze cents mètres. 
Si Ton tient cependant à tenter de s'en servir, il 
faudra les pointer sous l'angle de sept ou huit de- 
grés. 

L'intention de l'amiral est d'ailleurs de com- 
mencer par régler le tir de la division d'attaque à 
l'aide de quelques coups d'épreuve. La Naïade et la 
Sarcelle, placées dans la direction du nord-ouest, 
feront à cet effet les signaux nécessaires : le pavil- 
lon 1 , hissé au mât d'artimon, indiquera que le 
coup a porté en deçà du but; le pavillon 2, en tête 
du grand mât, qu'il a porté juste; le pavillon 3, 
arboré au mât de misaine, annoncera que le pro- 
jectile est tombé au delà du fort. 

Tout n'est-il pas prévu? L'ordre du jour est bref: 
je ne vois pourtant aucune disposition essentielle 
qui soit omise. L'amiral, lui, ne le trouve pas 
encore complet : « Si le feu de l'ennemi, dit-il en 
finissant, est vif et bien dirigé, on fera descendre 
dans le faux-pont les hommes de la manœuvre, pour 
les mettre à l'abri, ne gardant que les chefs et les 
servants des pièces. Les gabiers ne seront envoyés 
dans la mâture que s'il y avait des avaries de grée- 
ment urgentes à réparer. » N'est-ce pas ici le capi- 



U2 L'AMIRAL BALDIN. 

» 

taioe de la Dryade que nous entendons? Brave et 
excellent cœur qui voudrait, s'il était possible, gar- 
der tous les dangers pour lui ! 

Le 27 au matin, le temps était calme. Ordre est 
donné aux deux navires à vapeur le Météore et le 
Phaéton de prendre chacun une des deux bombardes 
à la remorque et de les conduire au poste d'embos- 
sage qui leur a été assigné. Le Phaéton et le Météore, 
bateaux à aubes de cent soixante chevaux, n'ont ni 
la puissance ni la sûreté d'allures de nos magni- 
âques pyroscaphes d'aujourd'hui ; plus d'une fois 
ils ont mis à l'épreuve la patience du chef de 
l'expédition. « J'ai une bien malheureuse veine, 
écrit l'amiral, en fait de navires à vapeur : le 
Phaéton n'a jamais pu marcher trois jours de 
suite; le Météore, autre patraque sans cesse dé- 
traquée, redoutant constamment l'ébranlement de 
son arbre de couche, a eu ses côtes rôties dans la 
traversée de France au Mexique. » Ingrate marine 
à voiles, c'est ainsi que tu parlais en 1838 de ces 
précieux auxiliaires, qui allaient bientôt te supplan- 
ter! Tout écloppés qu'ils fussent, le Météore et le 
Phaéton, dans la journée du 27 novembre, jouèrent 
un rôle important : sans eux, la hardiesse de s'ac- 
coster au récif eût pu, à bon droit, être taxée de 



LES DISPOSITIONS DE COMBAT. 143 

témérité; le succès même n'aurait, aux yeux des 
marins, absous qu'incomplètement l'amiral. Il n'est 
donc que juste d'attribuer à ces deux « patraques » 
une part considérable dans l'heureuse issue de la 
campagne. L'amiral Roussin aurait fort apprécié 
leurs services à l'embouchure du Tage. 

Suivons-les dans leurs pérégrinations essouf- 
flées; voyons-les se multiplier pour se rendre 
utiles : ils commencent par amener à l'est de la 
petite coupure qui sépare en deux le grand récif de 
la Gallega, le Cyclope et le Vulcain, lourdes hour- 
ques auxquelles soixante-quatorze jours de traversée 
n'ont pas délié les jambes; puis ils reviennent offrir 
leurs services aux frégates. Le Météore prend à la 
remorque la Néréide, le Phaéton se charge de la 
Gloire; VIphigénie ne veut avoir recours qu'à ses 
voiles. Quelques minutes avant midi, la Néréide 
laissait tomber l'ancre aussi près que possible de 
l'accore du récif j la Gloire et VIphigénie prenaient 
leur poste avec une remarquable précision, la pre- 
mière sur Pavant, la seconde sur l'arrière de la 
Néréide. La Naïade, la Sarcelle, le brick le Volti- 
geur, se sont échelonnés entre le plateau de la 
Gallega et l'île Verte : ils transmettront, s'il en est 
besoin, les signaux de l'amiral à la partie de la 



7 4 4 L'AMIRAL BAUDIN. 

division laissée eo réserve. La corvette la Créole a 
reçu l'ordre de se tenir sous voiles, en observation 
au nord-ouest de la forteresse. Quand on refuse à 
la frégate la Médée, dont les canons sont des pièces 
de 18, l'honneur de s'embosser à côté des frégates 
portant en batterie du calibre de 30, pourrait-on 
songer à mettre en ligne cette petite corvette, qui, 
à l'exception de deux obusiers, ne possède pour 
tout armement que des caronades? « Le prince, a 
écrit l'amiral le 15 octobre, manœuvre la Créole 
avec une promptitude et une précision qui feraient 
honneur à un capitaine consommé. » S'il sait ma- 
nœuvrer, le prince aura l'occasion de le faire voir : 
il ne lui est pas interdit de circuler entre les récifs. 



CHAPITRE XIX. 

BOMBARDEMENT ET PRISE DU FORT DE SAINT-JEAN d'uLLOA. 

L'ancre de la Néréide venait de toucher le fond; 
midi n'avait pas encore sonné.: un canot se détache 
de terre et amène le long du bord deux officiers. 
Ces officiers sont des parlementaires. Que le gou- 
vernement mexicain mette de côté ses atermoie- 
ments, qu'il accepte franchement et sans réserve 
les conditions de la France, le canon restera muet : 
convenons cependant que la réponse du congrès, 
cette réponse apportée avec tant d'ostentation à la 
dernière minute du délai fixé, aurait pu arriver un 
peu plus tôt. N'importe! l'essentiel est que la ré- 
ponse attendue soit claire et catégorique. L'amiral 
en étudie soigneusement les termes, cherche à 
l'interpréter dans le sens le plus favorable; à deux 
heures, son parti est pris : « J'ai perdu, écrit-il au 
général Rincon, commandant supérieur de la pro- 
vince et de la ville de Vera-Cruz, tout espoir d'ob- 

9 



146 L'AMIRAL BAUDIN. 

tenir par des voies pacifiques l'honorable accom- 
modement que j'avais été chargé de proposer au 
cabinet mexicain : je me trouve dans la nécessité 
de commencer les hostilités. » Un peu avant deux 
heures et demie, les parlementaires sont congédiés. 
A peine l'amiral les voit-il à bonne dislance, qu'il 
fait le signal d'ouvrir le feu. Laissons-lui mainte- 
nant la parole : personne ne saurait mieux raconter 
cette journée si glorieuse poyr les armes françaises. 
« Jamais feu, écrit-il au ministre, ne fut plus vif 
et mieux dirigé : je n'eus d'autre soin que d'en 
modérer l'ardeur. De temps à autre je faisais le 
signal de cesser le feu pour laisser dissiper le 
nuage d'épaisse fumée qui nous dérobait la vue de 
la forteresse : on rectifiait alors les pointages et le 
feu recommençait avec une vivacité nouvelle. Vers 
trois heures et demie, la corvette la Créole parut à 
la voile, contournant le récif de la Gallega, du côté 
du nord. Elle demandait par signal la permission 
de rallier les frégates d'attaque et de prendre part 
au combat. J'accordai cette permission. Le prince 
vint alors passer entre la frégate la Gloire et le 
récif de la Lavandera. Il se maintint dans cette posi- 
tion jusqu'au coucher du soleil, combinant habile- 
ment ses bordées de manière à canonner le bastion 



PRISE DU FORT DE SAINT-JEAN D'ULLOA. 147 

de Saint-Crispin et la batterie rasante de l'est. A 
quatre heures vingt minutes, la tour des signaux, 
élevée sur le cavalier du bastion de Saint-Crispin, 
sauta en l'air, couvrant de ses débris le cavalier et 
les ouvrages environnants. Déjà deux autres explo- 
sions de magasins à poudre avaient eu lieu, l'une 
dans le fossé de la demi-lune, l'autre dans la bat- 
terie rasante de l'est. Une quatrième explosion se 
produisit vers cinq heures, et dès lors le feu des 
Mexicains se ralentit considérablement. Au coucher 
du soleil, plusieurs de leurs batteries paraissaient 
abandonnées; la forteresse ne tirait plus que d'un 
petit nombre de ses pièces... A huit heures, je fis 
le signal de cesser le feu. Vers huit heures et demie, 
un canot se dirigea de la forteresse vers la Néréide. 
Toute la nuit on parlementa. A huit heures du 
matin, les officiers que j'avais envoyés à Vera-Cruz 
pour traiter avec le général Rincon n'étaient pas 
encore de refour. Je fis signifier au général que, si 
la capitulation n'était pas signée dans une demi- 
heure, j'ouvrirais mon feu sur la ville. Quelques 
instants après, M. Doret, mon chef d'état-major, 
m'apportait la capitulation signée. C'était à midi 
que la forteresse devait nous être remise; l'évacua- 
tion ne put être terminée qu'à deux heures après 



OP 



148 L'AMIRAL BAUDIN. 

midi. Je fis alors occuper la forteresse par les trois 
compagnies d'artillerie de la marine embarquées 
sur les frégates, et je me bâtai de tirer nos navires 
de la position dangereuse qu'ils occupaient. Il était 
temps : le vent fraîchissait, la mer devenait hou- 
leuse et les ancres se brisaient comme du verre sur 
le fond composé de roches aiguës. » 

Ces attaques de forteresse par des bâtiments au 
mouillage n'ont rien, on le voit, de bien drama- 
tique : on s'embosse et l'on tire. S'il fait calme, une 
épaisse fumée enveloppe bientôt le théâtre de l'ac- 
tion : navires et batteries de terre ne tirent plus 
qu'au jugé. De temps en temps il arrive à bord des 
vaisseaux quelques coups perdus. Les parapets 
ennemis présentent plus de surface : ils sont bou- 
leversés sans qu'il en résulte pour la forteresse 
attaquée un dommage bien sérieux. Tel fut le 
combat du 17 octobre 1854 devant Sébastopol; tel 
fut le combat du 17 octobre 1855 devant Kinbourn. 
Dans le premier de ces bombardements, le plus 
important de beaucoup, une grêle de projectiles 
vomie pendant six heures n'entama d'une façon 
décisive ni le fort Constantin ni le bastion de la 
Quarantaine. Le lendemain, la flotte eût pu recom- 
mencer; nos marins n'en auraient pas davantage 



PRISE DU FORT DE SAINT-JEAN D'ULLOA. 149 

pris pied dans l'ouvrage démoli. Tout autres sont 
les résultats quand les mortiers s'en mêlent : les 
mortiers allumèrent l'incendie dans Kinbourn, et 
l'incendie amena la capitulation. 

A l'attaque de Saint-Jean d'Ulloa, les trois fré- 
gates et la corvette la Créole avaient tiré 7,771 
boulets et 177 obus. Les quatre mortiers des deux 
bombardes ne tirèrent que 302 bombes : ces 
bombes écrasèrent les voûtes des magasins à pou- 
dre. Bien qu'on ait porté au compte des obusiers 
de la Créole une des explosions, il paraît douteux 
que ces obusiers eussent suffi pour produire les 
affreux dégâts dont le général Santa-Anna, introduit 
dans le fort, fut témoin. Tout le front de la forteresse 
qui fait face à la haute mer est bâti de madrépores : 
les boulets l'avaient en maint endroit fait voler en 
éclats. Le feu des batteries continuait toujours : les 
explosions seules portèrent le découragement au 
sein de la garnison. Le conseil de guerre, convo- 
qué sur l'invitation du général Santa-Anna, n'hé- 
sita point à déclarer à l'unanimité que la continua- 
tion de la défense était impossible. Ainsi que le 
constata le procès-verbal rédigé le 28 novembre à 
deux heures du matin, plusieurs pièces gisaient 
démontées et le fort ne possédait pas d'affûts de 



150 L'AMIRAL BAUDIN. 

rechange; les munitions, à peu près épuisées, n'au- 
raient permis de prolonger le feu que pendant une 
ou deux heures au plus; la majeure partie des artil- 
leurs était tuée ou blessée. L'explosion de deux des 
magasins à poudre, la destruction totale d'une 
batterie haute et de presque toute la ligne des dé- 
fenses extérieures, la mort du colonel du génie, la 
mise hors de combat de trois officiers supérieurs, 
de treize officiers subalternes et de deux cent sept 
soldats, avaient notablement abattu l'esprit des 
troupes mexicaines : pour tout renfort, le général 
Rincon pouvait envoyer de Vera-Cruz quatre-vingt- 
neuf artilleurs : c'était à peine l'armement de dix 
pièces. Dans ces circonstances, il ne restait d'autre 
parti à prendre que de capituler, en s'efforçant d'ob- 
tenir les conditions les plus honorables. 

La perte des Mexicains était en proportion du feu 
violent qu'ils eurent à soutenir; celle des assaillants 
fut si faible qu'elle a fait mettre en doute les dan- 
gers de l'entreprise. La conquête du Gibraltar des 
Indes fut obtenue au prix de quatre tués et de vingt- 
neuf blessés. Le combat du Renard, on doit s'en 
souvenir, coûta davantage. La Néréide comptait 
quinze hommes hors de combat, la Gloire cinq, 
Ylphigénie treize. Le Cyclope, le Vulcain, la Créole 



1 



PRISE DU FORT DE SAINT-JEAN D'ULLOA. 151 

n'eurent ni tués ni blessés. Est-ce donc sur de 
pareils calculs que vous prétendez juger les mérites 
d'une action de guerre? Le mérite consiste à tenter 
ce que les autres ont déclaré impossible. L'opinion 
générale, dans la division même du Mexique, était 
que le fort de Saint-Jean d'UUoa ne pouvait être 
emporté que par escalade et par surprise. L'ami- 
ral Baudin a prouvé le contraire, et il Ta prouvé en 
ne craignant pas de hasarder ses bâtiments à un 
mouillage où leur existence dépendait d'un souffle 
de brise, « La prise de la forteresse de Saint- Jean 
d'Ulloa par une division de frégates françaises est le 
seul exemple que je connaisse, dira le duc de Wel- 
lington à la Chambre des lords, d'une place régu- 
lièrement fortifiée qui ait été réduite par une force 
purement navale 1 . » 

1 M. le général Je division Mangin-Lecreulx, rassemblant les sou- 
venirs de sa longue carrière militaire, a raconté, dans des notes 
intimes, dont ses amis seuls ont eu la conBdence, cette brillante 
expédition du Mexique, où sa position de commandant du génie 
l'appelait à jouer un rôle si important. J'extrais du manuscrit, qu'il 
a bien voulu me communiquer, le passage suivant : 

i Nous avions lancé en quatre heures de temps 7,500 boulets 
de 33, 177 obus de 80 et 300 bombes. C'étaient les deux tiers des 

munitions apportées de France Dès que nous fûmes installés 

dans le fort, nous reconnûmes qu'il n'y avait point de brèche à ses 
escarpes, et même qu'aucune de ses nombreuses casemates n'avait 
été enfoncée. Le principal magasin à poudre était intact, et la gar- 
nison comprenait encore au moins sept cents hommes valides, 



^■^ 



152 L'AMIRAL BAUD1N. 

Au mois de septembre 1838, pendant que la Né- 
réide faisait route pour le golfe du Mexique, on dis- 
cutait en présence de l'amiral Lalande les chances 
d'une attaque sur le château de Saint-Jean d'Ulloa. 
Voici de quelle façon l'amiral mit un terme à la 
discussion : « Le fort d'Ulloa est imprenable, je 
l'accorde; c'est une raison de plus pour tenter de 
le prendre. Personne, après tant d'objections, 
n'aura le droit de s'étonner si l'on échoue; per- 
sonne, si l'on réussit, n'osera soutenir que la chose 
était facile. » Pour moi, ce que j'apprécie surtout, 
en cette circonstance, c'est la haute sagesse et l'ha- 
bileté de conduite dont l'amiral fit preuve : il ne 
découragea pas les partisans des surprises et des 
escalades, parut même s'associer à leurs desseins, 
mais n'en poussa pas moins sa pointe résolument 
dans la seule direction qui promettait d'aboutir à 

plus que suffisants pour la défense. Il n'y avait donc pas lieu de 
capituler. Au moment de la capitulation, nos frégates étaient sur 
le point de se retirer.... Les assiégés auraient dû voir que nous 
étions impuissants à faire brèche aux escarpes et à détruire leurs 
casemates, par conséquent, à prendre le fort par une simple canon- 
nade. Quant à l'attaque par le front de mer, attaque à laquelle 
nous avions supposé qu'il faudrait en venir, les Mexicains auraient 
eu des chances pour en retarder le succès, en assurant bien leurs 
communications, ainsi que le flanquement des fossés du corps de 
place. Je suis persuadé que cette attaque par mer aurait réussi, 
mais elle eût pu nous coûter des pertes sérieuses. > 



PRISE DU FORT DE SAINT-JEAN D'ULLOA. H3 

un résultat. L'amiral gagna ainsi du temps, et il en 
fallait aux bombardes pour arriver : le Cyclope et 
le Vulcain ne parurent devant Sacrificios que le 
25 novembre, deux jours avant Faction. 



o 



CHAPITRE XX. 



ATTAQUE ET DESARMEMENT DE LA VILLE DE VERA-CRUZ. 



La convention conclue avec le général Rincon 
limitait le chiffre de la garnison qui serait mainte- 
nue dans la ville; elle assurait, en même temps, 
paix et protection à nos nationaux : Vera-Cruz 
devenait en quelque sorte une ville neutre. Quels 
furent l'étonnement et l'indignation de l'amiral 
Baudin lorsque, le 4 décembre, il apprit par une 
lettre du comte de Gourdon, capitaine du brick le 
Cuirassier, laissé en observation au mouillage de 
Vera-Cruz, que de nouvelles troupes venaient d'en- 
trer dans la place ! Les résidents français effrayés 
se réfugiaient en foule dans la forteresse occupée 
par nos artilleurs. Une lettre du général Santa- 
Anna expliqua bientôt cette violation de l'engage- 
ment contracté le 28 novembre par le général 
Rincon : le gouvernement mexicain refusait son 
approbation à une convention conclue sans son 



ATTAQUE DE LA VILLE DE VERA-CRUZ. 155 

aveu; le président Busfamente déclarait la guerre 
à la France; San ta- Anna remplaçait dans Vera- 
Cruz le général Rincon destitué. L'amiral releva le 
gant avec un esprit de décision qui ne le montre 
certainement pas sous un jour nouveau , — car le 
propre de son caractère fut toujours d'être résolu, 
— mais qui laisse pressentir ce qu'il aurait pu 
faire si le sort l'eût jamais appelé à surmonter des 
difficultés plus dignes de son courage. En quelques 
minutes, il arrête son plan, se transporte le soir 
même à bord du Cuirassier, dicte ses ordres et 
fait savoir à ses capitaines qu'il s'agit d'opérer , 
avant que l'ennemi se soit mis sur ses gardes, un 
débarquement à Vera-Cruz a pour désarmer les 
forts et pour enlever le général Santa-Anna l » . On 
évitera ainsi la nécessité de bombarder la ville. 

Le 5 décembre, à six heures du matin, par une 
brume épaisse, les embarcations de l'escadre jettent 
sur la plage mille cinq cents hommes, qui se par- 
tagent en trois colonnes. Les deux colonnes des 
ailes, commandées par les capitaines de vaisseau 
Parseval et Laine, escaladent les remparts, ren- 
versent les canons, brisent les affûts et continuent 

1 Voyez, à la fin du volume, le plan de la ville de Vera-Cruz. 



156 L'AMIRAL BAUDIN. 

leur marche sur la muraille pour se rejoindre. La 
colonne du centre, conduite par un général de 
vingt ans, le prince de Joinville en personne, en- 
fonce la porte du môle, pénètre dans la ville et en- 
vahit la maison où elle espère surprendre Santa- 
Anna : elle n'y trouve que le général Arisla, le fait 
prisonnier et se replie vers ses embarcations, ainsi 
qu'elle en avait l'ordre 1 . Malheureusement, cette 

1 M. le général Mangin, dans le manuscrit dont j'ai déjà donné 
un extrait, a ainsi raconté cet épisode : « A cinq heures du 
matin, la presque totalité de nos embarcations était arrivée dans le 
port ; mais il nous manquait encore la chaloupe du vaisseau-amiral 
la Néréide, et c'était la plus importante, parce qu'elle devait nous 
apporter les pétards dont nous nous étions munis en France, pour 
enfoncer les portes et briser tous les obstacles. Nous attendions 
cette dernière cbaloupe avec impatience. La nuit s'écoulait et il 
fallait pourtant opérer. L'amiral nous demanda (à nous, officiers 
du génie), si nous ne pouvions pas nous passer de ces pétards pour 
enfoncer la porte du môle. Nous répondîmes par l'affirmative et, 
avec les ressources de la corvette la Créole, mouillée sous le fort 
Saint- Jean d'Ulloa, nous préparâmes à la hâte un sac de poudre qui 
fut porté par nos mineurs, avec une fusée à bombe, une lanterne 
sourde pour allumer la fusée, un petit banc pour eihausser la charge 
et un dessus de table pour la recouvrir, de manière à en augmenter 
l'effet. 

« Nous pûmes enfin partir. Il était plus de cinq heures et demie. 
Le prince de Joinville commandait l' avant-garde de cette petite 
flottille, dont il tenait la tête avec sa chaloupe. Il avait pris avec 
loi les trois officiers du génie et les quatre mineurs que j'avais jugés 
nécessaires pour porter le matériel de rupture. Nous n'étions plus 
qu'à quelques centaines de mètres du môle, lorsque, comme il 
arrive sous ces latitudes, le jour parut tout à coup. On eût dit qu'on 
venait de lever un rideau. Un contrebandier mexicain, Français 



ATTAQUE DE LA VILLE DE VERA-CRUZ. 157 

colonne en se retirant va donner sur une grande 
caserne où les soldats mexicains, chassés des mu- 

d'origine, que le prince avait prit avec lai pour nous servir de guide, 
s* écria aussitôt : « Monseigneur, l'expédition est manquée; nous 
sommes découverts. Voyez les canons qui vont tirer sur nous! t Le 
prince se tourna vers moi, me disant : c Commandant, qu'est-ce 
que vous en pensez? » Je répondis aussitôt, après avoir jeté un 
coup d'oeil sur la ville : « Monseigneur, je vois bien les canons, 
mais je ne vois personne à côté. » Sur quoi le prince, sans nulle 
hésitation, dit à ses rameurs qui s'étaient uu instant arrêtés : c En 
avant! et silence. » Il était évident que le prince ne m'avait con- 
sulté que pour faire acte de courtoisie, parce que j'étais plus ancien 
de grade et plus âgé que lui. 

c Nous arrivâmes sans accident j usqu'au môle. Le prince alors nous 
dit : « A vous, messieurs les mineurs! » Nous avions, comme je 
l'ai dit, quatre mineurs chargés de l'attirail nécessaire pour enfoncer 
la porte : je n'avais plus rien à leur dire sur ce qu'ils avaient à 
faire ; je pouvais donc les laisser opérer seuls, mais instinctivement 
et pour donner le bon exemple, je sautai le premier sur le môle. 
Mes deux officiers me suivirent, puis les mineurs. Le môle avait 
cent mètres de longueur. Il était défendu par une dizaine de cré- 
neaux pratiqués dans le corps de garde attenant à la porte. Si les 
Mexicains avaient été sur leurs gardes, s'ils avaient eu seulement 
un factionnaire pour les éveiller, pas un de nous, bien certainement, 
ne serait parvenu jusqu'à la porte. Heureusement, les Mexicains 
dormaient tous. Nous arrivâmes donc sans accident. Nos mineurs 
placèrent leur poudre, allumèrent la fusée à bombe : nous nous 
effaçâmes de notre mieux contre le mur. L'explosion eut lieu et les 
deux vantaux de la porte furent lancés en l'air. A l'instant, nos 
marins débarquaient en foule sur le môle et s'élançaient vers l'entrée. 
D'autres, de chaque côté, débarquaient, en se jetant à l'eau, sur la 
plage. Plusieurs franchirent le mur d'enceinte en s'aidant de petites 
échelles. Les Meiicaios du corps de garde avaient pris la fuite : 
nous étions maîtres de l'entrée de la ville. 

c Aussitôt après la rupture de la porte du môle, la colonne 

du centre, composée de deux compagnies d'artillerie de marine et 
des marins de la corvette la Créole, se porta au pas de course sous 



158 L'AMIRAL BAUDIN. 

railles, s'étaient réfugiés. Au Mexique, les casernes 
et les couvents sont des forteresses : la caserne qui 
arrêtait nos marins aurait pu soutenir un siège. Le 
prince, excité par la résistance qu'on lui oppose, 
voyant tomber à ses côtés plusieurs de ses compa- 
gnons, dressait déjà une barricade, parlait d'en- 
voyer chercher des caronades à bord de la Créole. 
L'amiral accourut. Son but était atteint; les rem- 
parts de Vera-Cruz n'avaient plus de canons : il 
prescrivit la retraite. Ce fut un des plus beaux 
moments de sa vie militaire ; grâce à son admirable 



les ordres du prince de Joinville vers la demeure du général Santa - 
Anna, guidée par le capitaine du génie Chauchard, cet officier ayant 
eu occasion d'en reconnaître remplacement pendant l'armistice qui 
avait suivi la prise du fort. La porte de la maison fut enfoncée à 
coup de hache par nos mineurs : le prince franchit le premier 
l'entrée, accompagné de quelques officiers et des marins de son 
équipage. II reçoit une décharge presque à bout portant dans la cage 
de l'escalier, puis une seconde au haut de cet escalier qui débou- 
chait sur un corridor intérieur. Nos soldats se précipitent sur les 
Mexicains qui formaient la garde du général et les poussent vive- 
ment de chambre en chambre; mais leur défense donne au général 
Santa-Anna le temps de s'échapper par les terrasses des maisons 
voisines. Ce n'est qu'après qu'il a pu se sauver que nos soldats 
pénètrent dans la chambre où il s'était réfugié. Les Mexicains qui 
avaient jusque-là échappé à nos coups, y sont pris ou tués; le 
général mexicain qui était avec Santa-Anna est fait prisonnier. 

c Le prince de Joinville n'avait cessé d'être à la tête des assaillants. 
Il courut, en ce moment, le plus grand danger. Un soldat mexicain 
allait le percer de son sabre, quand il l'abattit d'un coup de pis- 
tolet, f 



ATTAQUE DE LA VILLE DE VERA-CRUZ. 159 

sang-froid, la retraite et le rembarquement s'opé- 
rèrent avec le plus grand calme.* 

Les cinq chaloupes de la colonne du centre, cha- 
cune portant une caronade de 18 à l'avant, demeu- 
raient sur leurs grappins, la proue tournée vers la 
plage ; une pièce de 6 mexicaine, placée à l'extré- 
mité du môle, devait, en cas de retour offensif, 
vomir à bout portant sa mitraille sur les agres- 
seurs : il ne restait plus que quelques marins à 
terre. « J'étais sur le point de me rembarquer le 
dernier, écrit l'amiral, lorsqu'une colonne, con- 
duite par le général Santa-Anna, déboucha au pas 
de course sur le môle. Je commandai de mettre le 
feu à la pièce mexicaine et j'entrai dans mon canot 
La décharge porta le ravage dans la colonne enne- 
mie. Une partie des hommes qui la composaient se 
jeta sur la plage et borda le pied des remparts, 
dont toutes les meurtrières se garnirent à l'instant 
de tirailleurs. Les autres s'avancèrent avec audace 
sur le môle et ouvrirent un feu de mousqueterie 
très-vif, principalement dirigé sur mon canot. Mon 
patron Guegano tomba, frappé de six balles; l'élève 
de service, M. Halna du Fretay, en reçut deux; 
un autre élève, M. Ghaptal, jeune homme de grande 
espérance, fut tué. J'ordonnai alors aux cinq cha- 



V=e3HNHB 



160 l'amiral baudin. 

loupes de faire feu de leurs caronades. Les caro- 
nades balayèrent le môle, balayèrent la plage et 
firent un grand carnage des Mexicains. Une brume 
très-épaisse survint tout à coup et couvrit la retraite 
de l'ennemi. » 

Le brouillard ne fut pas non plus tout à fait inu- 
tile à la retraite du canot français. Chargée outre 
mesure, cette embarcation s'était échouée sur les 
enrochements du môle : ni gaffes ni avirons ne par- 
venaient à la remettre à flot ; les matelots se je- 
tèrent à l'eau pour l'alléger et se mirent à la 
pousser vigoureusement des épaules : elle glissa 
sur le fond et s'éloigna, perdue au milieu de la 
buée opaque. Le désarmement de Vera-Cruz, l'in- 
vasion de la maison où fut pris le général Arista, 
n'avaient coûté que quelques blessés; l'attaque de 
la caserne et les derniers moments de la retraite 
ajoutèrent considérablement à nos sacrifices. La 
perte totale dans cette journée fut de huit tués et de 
cinquante-huit blessés. Nous avions eu l'impre- 
nable forteresse à un prix bien moindre. Les Mexi- 
cains, il est vrai, mal revenus de leur chaude 
alarme, se hâtaient d'évacuer la ville; pouvaient-ils 
y rester sous le canon de Saint-Jean d'Ulloa? 

Le désarmement de Vera-Cruz a été incontesta- 



ATTAQUE DE LA VILLE DE VERA-CRUZ. 161 

blement un succès : il s'en fallut de peu qu'il ne 
tournât mal; le rembarquement de nos derniers 
pelotons fait involontairement songer à Nelson et à 
Ténériffe. Dans toute cette affaire, Santa-Anna paya 
bravement de sa personne : une des dernières 
volées tirées par nos chaloupes tua son cheval sous 
lui, l'atteignit en plein corps et lui infligea trois 
blessures graves. On dut l'amputer d'une cuisse; 
un moment même, on désespéra de sa vie. Le 
13 décembre, néanmoins, le blessé se trouva en 
mesure, grâce à une énergie peu commune, de 
donner lui-même de ses nouvelles au ministre de 
la guerre. « La Providence, lui écrivit-il, conserve 
encore mes jours. Le 6, j'ai subi l'amputation de 
la jambe gauche que la mitraille ennemie m'avait 
mise en pièces. Si j'en dois croire l'opinion des 
médecins, je suis aujourd'hui hors de danger. Ma 
main droite, atteinte également par la mitraille, est 
en bonne voie. L'ennemi s'est retiré au mouillage 
d'Anton-Lizardo, ne laissant devant Vera-Cruz que 
la Créole et les deux bombardes. La place de Vera- 
Cruz sera dans quelques jours complètement éva- 
cuée : mieux valait se résoudre à cet abandon que 
se résigner à l'ignominie de recevoir chaque jour 
la loi des usurpateurs du château d'UUoa. Nos 



162 L'AMIRAL BAUDIN. 

pertes se sont élevées le 5 décembre à trente et un 
morts et vingt-six blessés. Depuis la glorieuse 
journée du 5 , où il a éprouvé une si cruelle dé- 
ception, l'ennemi n'a pas renouvelé les hostilités. » 
Nulle race ne supporte mieux la défaite que la 
race espagnole et ne s'abat moins aisément sous un 
revers. L'amiral ne gagnait à ses deux beaux faits 
d'armes que la gloire de les avoir accomplis : retiré 
au mouillage d'Anton-Lizardo, mouillage beaucoup 
plus sûr, beaucoup mieux abrité que celui de Sa- 
crificios, il ne savait quel nouveau coup frapper 
pour venir à bout de cette résistance indomptable, 
a Les Mexicains, écrivait-il, sont comme les Ro- 
mains : ils vendront le champ sur lequel Annibal 
est campé. » 



CHAPITRE XXI. 



LE TRAITÉ DE PAIX. 



La garnison française préposée à la garde de la 
forteresse commençait à souffrir; quant à l'escadre, 
elle continuait à recevoir son eau et ses vivres frais 
de la Havane. On eût été charmé de trouver un 
biais pour renouer les négociations ; les Mexicains 
ne semblaient nullement disposés à seconder ce 
désir. Les Anglais, par bonheur, apportèrent la 
solution : ils ne tranchèrent pas, ils dénouèrent 
doucement le nœud gordien. Le gouvernement fran- 
çais avait repoussé fièrement leur médiation offi- 
cielle; ils parvinrent à faire accepter une média- 
tion officieuse. Par l'entremise de leur ministre à 
Mexico, M. Packenham, un traité de paix conclu à 
Vera-Cruz, le 9 mars 1839, fut ratifié le 20 par le 
congrès. La France obtenait, à peu de chose près, 
les conditions réclamées à Jalapa, et le Mexique 
recouvrait sa forteresse. 



164 l'amiral baudin. 

« Si les Mexicains, écrivait l'amiral le 8 avril 
1839, sont charmés de se retrouver en possession 
de leur citadelle, nous ne le sommes guère moins 
de ne plus avoir à l'occuper. Déjà vingt-quatre 
artilleurs , sur trois cent soixante , avaieot suc- 
combé à la fièvre jaune, depuis le mois de décem- 
bre. Le vomito est inhérent aux murailles d'Ulloa. » 

La France, en 1839, s'était prise d'une suscep- 
tibilité vraiment singulière à l'endroit de l'Angle- 
terre. C'était la seule puissance qui fût réellement 
sympathique à nos institutions : le gouvernement le 
comprenait, raison de plus pour que l'opinion pu- 
blique affectât de le méconnaître. L'opposition est 
inhérente à notre race comme le vomito aux mu- 
railles de Saint- Jean d'Ulloa. L'intervention de 
l'Angleterre au Mexique s'était bornée à quelques 
bons offices : je ne puis croire qu'elle ait porté 
un réel ombrage au patriotisme le plus jaloux. 
Seulement, tout prétexte était bon pour tenter de 
renverser le ministère : on se saisit de celui-là, 
n'en ayant pas d'autre sous la main. « Ne croyez 
point, écrivait avec un juste orgueil l'amiral Bau- 
din, ceux qui vous diront qu'il y a eu de l'influence 
anglaise dans la libéralité des conditions accordées 
au Mexique. Le rôle de M. Packenham a été des 



LE TRAITE DE PAIX. 165 

plus simples : M. Packenham s'est appliqué à cal- 
mer l'exaltation des Mexicains j jamais il ne s'est 
entremis pour obtenir de moi la moindre con- 
cession en leur faveur : je ne le lui aurais pas 
permis. » 

On peut croire ici l'amiral sur parole : Anglais, 
Américains, éprouvèrent à plus d'une reprise 
combien il était facile d'éveiller sa fierté chatouil- 
leuse. « Quand plus tard, a dit en excellent style 
le lieutenant de vaisseau Maissin, une de ces espé- 
rances du corps de la marine si tristement fauchées 
avant l'heure, quand plus tard on étudiera avec 
attention ce qui s'est passé, quand on réfléchira 
que l'amiral français n'avait à sa disposition que 
quinze ou vingt navires de guerre, la plupart au- 
dessous du rang de frégates, et trois compagnies 
d'artilleurs contre un pays dont la surface est qua- 
tre fois celle de la France, qui a 9 millions d'habi- 
tants et dont la capitale est à cent lieues de la mer, 
alors peut-être on conviendra que cette expédition 
a été conduite avec quelque habileté, pour le plus 
grand honneur et le plus grand avantage de la 
France. » L'appréciation du lieutenant de vais- 
seau Maissin sera le jugement de l'histoire, — 
si toutefois l'histoire se souvient dans cent ans 



166 L'AMIRAL BAUDIN. 

que la France a eu des démêlés avec le Mexique. 
Parti de Brest le 1" septembre 1838, l'amiral 
Baudin est de retour à Brest le 15 août 1839 : 
a Notre affaire, écrit de nouveau son aide de 
camp, c'est le Mexique; c'est l'expédition navale 
dont nous étions la tête. Qu'en a-ton dit et qu'en 
dit-on encore? Ce qu'on en dit aujourd'hui? Mais 
rien du tout! Le temps en est passé, et d'autres 
questions plus présentes ont englouti celle-là. 
L'Orient est en feu; l'empire ottoman se fend en 
deux : on n'a pas le temps de penser à la question 
mexicaine. » — « Ne vous fiez pas aux princes des 
hommes I » nous enseigne I'Ecclésiaste : fiez-vous 
donc à la justice et à la clairvoyance des foules 1 
Les foules, pour admirer, ont besoin que le pavil- 
lon ne flotte pas seulement sous les quais; elles 
exigent qu'il flotte bel et bien sur les murs de Lis- 
bonne. L'audace de l'entreprise les touche peu; ce 
qui les passionne, c'est le butcher's bill (la carte 
du boucher). Voilà pourquoi l'entrée de vive force 
d'une escadre à voiles dans le Tage, — le plus 
beau fait d'armes de la marine moderne, je n'hésite 
pas à le proclamer,» — n'a jamais été prisée en 
France à sa juste valeur. Je ne suis pas davantage 
certain que les mérites de la campagne de 1838 



LE TRAITE DE PAIX. 167 

au Mexique , gâtés aux yeux du vulgaire par un 
traité qualifié follement de traité hâtif, aient été, 
dans les annales du jour, placés au rang qui leur 
convient. 

Pour récompenser le vaillant amiral, le gouver- 
nement du roi n'avait pas heureusement attendu le 
retour de la Néréide en France. Le grade de vice- 
amiral, conféré le 25 janvier 1839 au commandant 
en chef de l'expédition du Mexique, répondit à la 
première nouvelle de la capitulation imposée, le 
27 novembre 1838, au château de Saint-Jean d'M- 
loa. Cinq ans et demi, merveilleusement bien em- 
ployés, il est vrai, ont suffi pour faire du capitaine 
de frégate de l'Empire le commandant probable de 
nos flottes en cas de guerre européenne. Bien que 
la santé ne donne pas toujours l'énergie et que j'aie 
rencontré dans des corps chétifs une volonté de 
fer, je me réjouirai cependant quand je verrai à la 
tête de nos armées des hommes en possession de 
toute leur vigueur physique : le vainqueur de Saint- 
Jean d'Ulloa n'aurait craint, en 1840, ni les fa- 
tigues, ni les veilles. Les circonstances manquèrent 
à sa fortune ; la paix, près de se rompre, se raffer- 
mit soudain devant la menace d'une coalition for- 
midable. Nous vîmes se dresser à la fois contre 



168 L'AMIRAL BAl'DIN. 

nous la Russie, l'Autriche, la Prusse, la Turquie, 
l'Angleterre. Il fallut bien s'incliner : la dictature 
morale n'appartenait plus, comme au temps du 
premier Empire, à la France. Le vice-amiral Bau- 
din, revenu du Mexique, alla dépenser son activité 
dans les obscurs soucis d'une préfecture mari- 
time. 

En 1848, le 25 février, après une révolution qui 
semblait faite contre l'Angleterre plus encore que 
contre la monarchie, ce vainqueur, reposé par dix 
ans de bureau, prenait le commandement des 
forces navales de la Méditerranée, l'exerçait digne- 
ment, utilement, sauvait par l'énergique fierté de 
son attitude la discipline gravement menacée, sans 
trouver cependant, du 25 février 1848 au 14 juillet 
1849, jour où son pavillon cessa de flotter à bord 
de V Océan, l'occasion de laisser une nouvelle page 
à l'histoire. La gloire, pour les hommes de guerre, 
s'acquiert en une heure ; des siècles de services n'y 
suffiraient pas* 

Le 27 mai 1854, l'empereur Napoléon III, juste 
appréciateur de cette vie toute d'honneur et de dé- 
vouement, faisait déposer sur le lit de douleur de 
l'héroïque officier le bâton d'amiral. Charles Bau- 
din est mort, le 7 juin 1854, investi de la dignité 



LE TRAITE DE PAIX. 169 

à laquelle les plus grandes renommées aspirent; il 
est resté pour moi le héros de Saint-Jean d'UUoa 
et surtout le capitaine du Renard : c'est à ce titre 
que je l'offre en modèle à nos jeunes officiers. 



10 



TABLE DES MATIERES 



Chap. Pages. 

I. — Les souvenirs inédits de l'amiral Charles Baudin. 1 

II. — L'institution de M. Savouré et les idées du géné- 

ral Bonaparte •. . 6 

III. — Le retour d'Egypte. — Mort du représentant 

Baudin des Ardennes 11 

IV. — Un aspirant de l'année 1800. — La première 

campagne 16 

V. — La frégate la Piémontaise. — Le cyclone. . . 24 
VI. — Prise du Warren Hastings. — Le lieutenant 

Moreau 30 

VII. — La guerre de course 38 

VIII. — La frégate la Sémillante. — Blessure et ampu- 
tation 43 

IX. — Le retour en France. — Le capitaine Surcouf. 

— La première décoration 55 

X. — Le premier commandement 59 

XI. — Combat du brick F Abeille, commandé par l'en- 
seigne de vaisseau de Mackau, et du brick 
anglais YAlacrity. — Combat du brick le 
Renard, commandé par le lieutenant de vais- 
seau Baudin, et du brick anglais le Swallow. 68 
XII. — La frégate la Dryade et le vaisseau le Romulus. 

— Chute de l'Empire 75 

XIII. — Les Cent-Jours 90 



H2 TABLE DES MATIÈRES. 

Cukt. Pftget. 

XlV. — Le Rentrant de 1830 104 

XV. — Le Mexique en 1838. — Le blocus de Vera-Cruz et 

les projets d'attaque du commandant Bazoche. 107 
XVI. — Les débuis d'un prince 118 

XVII. — Arrivée de la division sur la rade de Sacrificios. 

— Reconnaissance du fort de Saint -Jean 
d'Ulloa 126 

XVIII. — Les dispositions de combat 138 

XIX. — Bombardement et prise du fort de Saint- Jean 

dUlloa 1*5 

XX. — Attaque et désarmement de la ville de Vera- 

Cruz 154 

XXI. — Le traité de paix. ......' 163 



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