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Full text of "Les peintres célèbres de l'ancien pays de Liége"

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LES    PEINTRES    CÉLÈBRES 

DE 

L'AiNGIEN    PAYS    DE    LIÈGE 


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1911 


NOV  2  7  1974 


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CHAPITRE    I. 


Hubert  &  Jean  VAN  EYCK 


"Dassenge  aîné  (i)  écrivait  dans  la  Gazette  de  Liège,  du  10 
ventôse  an  13  (l"  mars  1805),  au  lendemain  de  la  mort  du 
peintre  Léonard  Defrance  : 

(1  N'oublions  jamais  que  notre  patrie  est  celle  de  Lombard, 
Douffet,  Bertholet,  Carlier,  Lairesse.  dont  les  immortels  travaux 
sont  placés  dans  le  premier  des  musées  du  monde,  à  côté  de  ceux 
des  Rubens.  des  Raphaël,  des  Michel-Ange  :  que  ce  van  Eick, 
dont  le  génie  opéra  une  révolution  si  marquante  dans  la  peinture, 
puisque  c'est  à  lui  qu'est  dû  l'art  de  peindre  à  l'huile,  que  ce  van 
Eick,  connu  sous  le  nom  de  Jean  de  Bruges,  parce  qu'il  résida 
dans  cette  ville,  est  né  parmi  nous,  était  Liégeois.  » 

Liégeois,  en  effet,  sont  les  deux  artistes  de  génie  que  furent 

Hubert  et  Jean  van  Eyck,  et  non  seulement  ils  découvrirent  le 

procédé  de  la  peinture  à  l'huile,  mais  ils  fondirent  cette  splendide 

école  du  XV  siècle,  dont  Bruges  devint  le  centre  et  qui  devait 

porter  si  haut  la  gloire  de  la  peinture  flamande. 


(!)  Jean-Nicolas  Bassenge  aîné,  né  à  Liège,  le  24  novembre  1758, 
honore  à  la  fois  le  pays  comme  littérateur  et  comme  citoyen.  Ce  fut,  en 
partie,  aux  écrits  de  cet  homme  remarquable  que  Liège  dut.  en  1789,  son 
émancipation  politique.  Afin  de  reconnaître  les  services  qu'il  avait  rendus,  le 
gouvernement  français  le  notTîma  commissaire  de  la  République  près  l'admi- 
nistration centrale  du  département  de  l'Ourthe,  et  ses  concitoyens  l'élurent, 
en  1798,  membre  du  Conseil  des  Cinq-Cents.  Il  mourut  le  16  juillet  1811. 
bibliothécaire  de  la  ville  de  Liège.  —  Ulysse  Capitaine.  Recherches  histo- 
riques et  bibliographiques  sur  les  journaux  et  les  écrits  périod'ques 
liégeois,  p.   118. 


—  6  - 

Mi-eseyck.  ou  Eyck-sur-Meuse,  est  le  berceau  de  leur 
famille. 

Cette  petite  ville,  située  sur  la  rive  gauche  de  la  Meuse, 
entre  Maastricht  et  Ruremonde,  connue  anciennement,  désignée 
encore  en  maintes  chartes  du  moyen  âge,  sous  la  simple  déno- 
mination de  Eyck,  faisait,  en  effet,  partie  de  la  principauté  de 
Liège. 

Selon  l'usage  de  l'époque,  la  famille  des  deux  artistes  prit 
le  nom  de  son  lieu  d'origine. 

Quelques  auiteurs  ont  essayé  de  placer  le  beroeau  des 
van  Eyck  ailleurs  qu'à  Maeseyck;  les  uns,  à  Gand,  où  ils  ont 
exécuté  leur  œuvre  capitale:  le  polyptique  de  V Agneau  mystique-, 
les  autres,  à  Bruges,  arguant  de  ce  que  les  noms  de  van 
den  Eyck,  van  der  Eck,  etc.,  étaient  fréquents,  en  cette  ville, 
au  XV'  siècle. 

Dans  la  chronique  mensueMe  de  la  Société  d'art  et  d'histoire 
du  diocèse  de  Liège:  Leodium  1906,  pp.  152-159,  M.  l'abbé 
Coenen,  groupant  les  différentes  preuves  qui  peuvent  ê-tre  invo- 
quées en  faveur  de  Maeseyck,  comme  lieu  d'origine  de  la  famille 
van  Eyck,  a  démontré  péremptoirement  que  les  préitentions  des 
deux  villes  des  Flandres  ne  sont  nullement  fondées. 

On  ne  connaît  pas,  au  juste,  la  date  de  naissance  des  deux 
frères  van  Eyck. 

Hubert,  de  beaucoup  plus  âgé  que  son  frère  Jean,  serait  né 
vers  1366,  d'après  Karl  van  Mander,  peintre  et  critique  d'art 
flamand,  qui  écrivait  à  la  fin  du  XVI'  siècle  (i)- 


(1)  Karl  van  Mander,  né  à  Meulebeke,  près  de  Courtrai.  en  1548, 
mort  à  Amsterdam,  en  1606.  Vies  des  plus  célèbres  peintres  modernes 
italiens,  flamands  et  allemands,  depuis  7366'  jusqu'en  1604,  ouvrage 
traduit  en  français  par  Henri  Hymans,  sous  le  titre  de  Livre  des  peintres. 
1884. 


Jean,  ainsi  que  nous  le  verrons,  était  franc-maître  et  avait 
deux  apprentis,  en  1422;  or,  pour  être  reçu  franc-maître,  dans 
les  anciennes  coiporalions  de  métiers  de  la  région,  il  était  requis 
d'avoir  trente  ans  au  moins;  donc  le  plus  jeune  des  frères  van 
Eyck  doit  être  né,  au  plus  tard,  en  1392  et,  selon  toutes  proba- 
bilités, ce  fut  quelques  années  après  cette  date  qu'il  vit  le  jour. 

Toutes  les  recherches  n'ont  pas  davantage  fait  découvrir 
sous  quels  maîtres  se  formèrent  les  deux  grands  artistes.  Du 
reste,  les  peintures  liégeoises  de  la  période  qui  précéda  immé- 
diatement les  van  Eyck  ne  sont  guère  parvenues  jusqu'à  nous 
et  les  écrits  de  ces  temps  reculés  mentionnent,  à  peine,  quelques 
noms  d'artistes  contemporains. 

On  a  bien  dit  et  répété  que  leur  père  était  lui-même  peintre, 
mais  cette  assertion  ne  repose  absolument  sur  aucun  document 
précis;  tandis  qu'il  paraît  tout  naturel  que  Jean,  ainsi  qu'on 
l'admet  généralement,  ait  appris  les  principes  de  son  art  sous 
la  direction  et  l'influence  de  son  frère  aîné  Hubert. 

C'est,  vraisemblablement,  à  Liège,  en  cette  ville  épiscopale 
alors  dans  toute  sa  splendeur,  que  se  développèrent  les  frères 
van  Eyck,  au  milieu  du  monde  de  scribes,  d'enlumineurs,  de 
miniaturis-tes  et  d'orfèvres  qui  entouraient  le  puissant  et  riche 
chapitre  de  Saint-Lambert. 

K  On  ne  peut  admettre,  fait  justement  observer  M.  Alfred 
Michiels,  que  Hubert  ait  achevé  son  noviciat,  ait  débuté  comme 
artiste  au  milieu  d'une  population  aussi  restreinte  et  ofîrant  aussi 
peu  de  ressources  que  celle  de  Maeseyck. 

D'après  l'usage  universel  de  l'époque,  tout  homme  qui 
e.xerçaif  un  métier,  se  faisait  recevoir  dans  une  corporation 
industrielle  ;  non  seulement  les  jurandes  et  maîtrises  protégeaient 
leurs  associés,  mais  elles  ne  permettaient  point  qu'on  leur  fît 
concurrence,  et  interdisaient  tout  travail  libre.  Si  quelque  ouvrier, 
si  quelque  artiste  voulait  se  passer  de  leur  tutelle,  produire  à 
l'écart,  elles  le  poursuivaient,  faisaient  saisir  d'autorité  ses 
ouvrages,  et  les  vendaient  publiquement  à  leur  profit. 


—  8  — 

Hubert  van  Eyck,  ne  fût-ce  que  pour  gagner  sa  vie,  dut  se 
conformer  aux  habitudes  de  l'époque.  Mais,  selon  toute  vraisem- 
blance, Maeseyck  ne  renfermait  point  de  ghilde,  où  les  peintres 
auraient  pu  être  reçus.  Il  ne  pouvait  trouver  une  compagnie  dî 
ce  genre  qu'à  Maestricht  ou  à  Liège,  et  la  métropole  ecclésias- 
tique, formant  alors  une  ville  considérable,  pleine  de  commerce, 
d'industrie,  de  luxe  et  d'activité,  la  logique  porte  à  croire  que 
le  jeune  Hubert  van  Eyck  entra  dans  une  corporation  lié- 
geoise {!)•  " 

11  paraît  avéré,  au  surplus,  que  les  deux  artistes  ont  cultivé, 
avec  la  même  supériorité  que  la  peinture  à  l'huile,  la  miniature 
et  les  vignettes  pour  livres  à  "  ymaiges  peintes  ou  historiées  »  qui 
constituaient,  avant  l'invention  de  l'imprimerie,  une  des  res- 
sources les  plus  importantes,  sinon  la  plus  importante  de  leur 
profession. 

M.  Heris.  qui  a  minutieusement  étudié  la  participation  des 
deux  van  Eyck  à  l'illustration  des  manuscrits  de  leur  époque, 
retrouve,  tout  d'abord,  leur  intervention  dans  la  coniection  du 
célèbre  bréviaire  du  duc  de  Belford,  conservé  à  la  Bibliothèque 
de  Paris. 

La  plupart  des  vignettes  de  ce  précieux  volume,  exécuté  en 
Belgique,  et  dont  l'achèvement  remonte  à  l'an  1424,  portent 
tellement  le  cachet  particulier  des  frères  van  Eyck,  dit  cet  auteur, 
elles  ont  une  si  frappante  affinité  avec  le  grand  rétable  de  Gand, 
qu'il  est  impossible  de  ne  pas  y  reconnaître  ces  pinceaux 
illustres  (2). 


(1)  Alfred  Michiels.  Histoire  de  la  peinture  flamande.  Seconde  édition. 
Paris  1866.  Lacroix,  Verboeckhoven  et  C',  éditeurs,  t.  II,  p.  95. 

(2)  M.  Heris.  Mémoire  en  réponse  à  la  question  suivante  :  Quel  est 
le  point  de  départ  et  quel  a  été  le  caractère  de  l'Ecole  flamande  de  peinture 
sous  le  règne  des  ducs  de  Bourgogne?  Quelles  sont  les  causes  de  sa  splen- 
deur et  de  sa  décadence?  Alémoire  couronné  par  l'Académie  royale  de 
Belgique,  le  22  septembre  1855.  Mémoires  des  prix  de  l'Académie,  tome 
XXVn,   p.    187. 


—  9  — 

La  même  bibliothèque  possède  une  transcription  manuscrite 
du  roman  de  la  Table  ronde  et,  en  tête  de  chacun  des  deux 
volumes,  in-folio  qu'elle  comprend,  on  remarque  une  grand; 
vignette  qui,  par  la  composition  et  par  le  costume  des  person- 
nages, a  une  si  frappante  analogie  avec  les  volets  des  juges 
équitables  et  des  milices  du  Christ  du  rétable  de  Gand,  qu'il  est 
presque  impossible,  dit  encore  cet  auteur,  d'y  méconnaître  le 
pinceau  de  Jean  van  Eyck. 

Enfin.  M.  Héris  attribue  à  Jean  van  Eyck  plusieurs  des 
miniatures  qui,  au  nombre  de  dix-sept,  ornent  le  célèbre  manus- 
crit in-folio  de  la  bibliothèque  impériale  de  Vienne  contenant 
l'histoire  des  rois  de  Jérusalem,  depuis  Godefroid  de  Bouillon 
jusqu'à  Jean  de  Brienne,  et  dont  l'exécution  doit  être  reportée 
entre  les  années  1430  et  1450. 

Peut-on  supposer  que  les  frères  van  Eyck  auraient  exercé 
leur  profession  d'enlumineur  dans  un  aussi  petit  centre  que 
Maeseyck  ? 

M.  Héris  ne  le  croit  pas  et  il  déclare  que  k  la  conjecture  la 
plus  plausible  à  laquelle  on  puisse  recourir  est  que  ce  serait  à 
I4ége,  capitale  de  l'évêché  le  plus  splendide  et  le  plus  opulent 
peut-être  qu'il  y  eut  en  occident,  que  les  frères  van  Eyck  se 
signalèrent  avant  de  figurer  à  la  cour  de  Philippe  le  Bon.  » 

Le  plus  ancien  document  que  nous  possédons,  concernant 
les  van  Eyck,  a  été  publié  par  le  comte  de  Laborde  et  il  vient 
renforcer  la  croyance  que  c'est  bien  à  Liège  que  les  deux  frères 
se  formèrent  tout  d'abord.  11  résulte,  en  effet,  de  cette  pièce,  que 
Jean  van  Eyck  fut  attaché  comme  peintre  et  «  valet  de  chambre  » 
à  la  cour  du  prince-évêque  Jean  de  Bavière,  à  qui  la  cruauté 


—    lO   — 

avec  laquelle  il  réprima,  en  1408.  à  la  bataille  d'Othée,  le  soulè- 
vement du  peuple  liégeois  contre  ses  actes  arbitraires,  fit  donner 
le  surnom  de  Sans  Pitié  (i). 

A  la  mort  de  ce  prince,  batailleur  jusqu'à  la  fin  de  sa  vis, 
Jean  van  Eyck,  par  lettres  patentes,  en  due  forme,  du  chef 
de  la  maison  de  Bourgogne  :  Philippe  le  Bon,  «  scellées  et 
ordonnées  en  sa  ville  de  Bruges  le  XIX'  jour  de  may,  l'an  mil 
CCCCXXV  »,  fut  attaché,  en  la  même  qualité  de  peintre  et  de 
valet  de  chambre,  à  la  cour  de  ce  prince  qui,  jusqu'à  la  mort  de 
l'artiste,  survenue  le  9  juillet  1441,  le  tint  en  très  haute  estime, 
le  chargeant  même,  en  diverses  circonstances,  de  missions  de 
confiance  à  l'étranger. 

Peintre  et  valet  de  chambre  du  duc,  Jean  van  Eyck  recevait 
une  pension  annuelle  de  cent  livres  parisis  (monnaie  des 
Flandres),  pension  qui  équivaudrait  à  environ  mille  francs  de 
notre  monnaie  actuelle  et  pouvait  être  estimée  très  forte  pour 
l'époque.  En  plus  de  ce  traitement,  le  peintre  obtenait  encore 
une  rémunération  spéciale  pour  les  travaux  qu'il  exécutait  à  la 
demande  du  prince,  ainsi  que  l'attestent  différents  comptes  de  sa 
maison,  publiés  dans  l'ouvrage  de  M.  de  Laborde. 

La  position  de  vakt  de  chambre,  comme  l'a  établi  cet 
auteur,  n'avait,  du  reste,  nul  rapport  avec  l'office  que  cette  quali- 
fication semblerait  devoir  indiquer;  c'était  une  sorte  de  surin- 
tendance des  ouvrages  d'art  exécutés  soit  pour  la  décoration  du 
palais,  soit  pour  la  célébration  des  fêtes  chevaleresques  et  autres 
dont  la  maison  de  Bourgogne  aimait  tant  à  prodiguer  le  spectacle. 


(1)  Le  comte  de  Laborde  :  Les  ducs  de  Bourgogne,  Etude  sur  les  lettres, 
les  arts  et  l'industrie  pendant  le  XV'  siècle.  Seconde  partie  t.  I  Preuves 
n°  699,  pp.  206  et  499.  —  Polain  :  Esquisses  ou  récits  historiques  sur 
l'ancien  pays  de  Liège.  3»  édition,  pp.   129  et  suivantes. 


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STATUES  DE  HUBERT  ET  JEAN  VAN  EYC'K 
groupe  exécuté  par  L.  Wienkr  et  érigé  ii  Maeseyck  en  septembre  1864 


Il  se  comprend  plus  aisément,  dès  lors,  que  Philippe  le  Bon 
ait  eu  son  peintre  en  si  haute  estime  qu'il  accepta,  en  1434, 
d'être  le  parrain  d'un  de  ses  enfants,  le  faisant  tenir  sur  les 
fonts  de  baptême,  par  le  seigneur  de  Charny. 

Un  autre  document,  mis  au  jour  par  le  même  auteur,  cons- 
titue aussi  la  preuve  que  Philippe  le  Bon  voulut  reporter  sur  la 
fille  du  peintre,  après  la  mort  de  celui-ci,  la  faveur  insigne  dont 
il  l'avait  honoré  de  son  vivant,  fin  1448.  en  effet,  il  dota  Hèlenie 
van  Eyck,  lorsqu'elle  prit  le  voile,  dans  le  monastère  de 
Maeseyck,  c'est-à-dire  dans  la  ville  même  qui  était  le  berceau 
de  sa  famille. 

Ce  document  est  conçu  en  ces  termes  : 

((  A  Lyennie  (Hennie)  van  der  Eecke,  fille  de  Jehan  van  der 
Eecke,  jadis  poinctre,  varlet  de  chambre  de  mondit  seigneur, 
pour  don  que  mondit  seigneur  lui  a  fait  pour  une  foi",  pour  Dieu 
et  aulmosne.  pour  soy  aider  a  mettre  religieuse  en  l'église  et 
monastère  de  Mazek  au  pays  de  Liège:  XXIIII  francs.  » 

Sans  nous  arrêter,  après  beaucoup  d'autres,  à  l'attribution 
minutieuse  des  travaux  des  deux  frères  van  Eyck,  pour  essayer 
d'en  faire,  entre  eux,  une  judicieuse  répartition,  nous  dirons 
que  trois  faits  importants  sont  à  considérer  dans  leur  oeuvre 
commune: 

L'invention  de  la  peinture  à  l'huile. 

L'exécution  du  célèbre  rétable  de  l'Agneau  mystique. 

La  fondation  de  la  première  Ecole  flamande. 

Les  anciens  peintres  connaissaient  déjà  les  propriétés  sicca- 
tives de  certaines  huiles  qu'ils  mélangeaient  avec  de  la  résine 
pour  couvrir,  en  guise  de  vernis,  et  protéger  leurs  peintures  en 
détrempe,  donner  aux  couleurs  de  celles-ci  du  corps  et  de  l'éclat. 

Très  longtemps,  ils  délayèrent  les  couleurs  avec  de  l'eau, 
où  l'on  avait  fait  dissoudre  de  la  colle,  de  la  gomme  de  cerisier 
ou  de  prunier,  du  blanc  d'œuf,  et  si,  dans  les  peintures  italiennes, 


—  14  — 

très  solides,  des  XIII*  et  XIV  siècles,  l'analyse  chimique  a 
trouvé  de  la  cire  et  de  l'huile,  cette  dernière  matière  ne  s'y 
rencontre  encore  qu'en  très  faible  quantité. 

L'emploi  de  l'huile  pour  mélanger  les  couleurs  devait  cepen- 
dant finir  par  l'emporter,  sur  la  gomme  et  le  blanc  d'œuf,  parce 
que  l'huile  s'incorpore  mieux  aux  couleurs  et  d'une  manière 
plus  égale. 

Mais  l'application  du  procédé  ne  se  prêtait  guère  à  la  fonte 
et  à  la  dégradation  des  tons;  son  usage,  dans  les  carnations, 
était,  'pour  ainsi  dire,  impossible  ;  au  surplus,  il  ne  donnait  aux 
couleurs,  ni  une  vigueur  ni  un  éclat  suffisant;  aussi,  la  peinture  à 
l'huile  n'était  guère  employée  que  pour  la  décoration  des  ban- 
nières, des  murailles,  des  statues  exposées  en  plein  air  et  aux 
intempéries  des  saisons. 

La  plupart  des  historiens  d'art  font  remonter  aux  environs 
de  l'an  1410,  si  pas  l'invention  de  la  peinture  à  l'huile,  par 
Hubert  van  Eyck,  du  moins  les  premiers  perfectionnements 
que  cet  artiste  apporta  à  un  procédé,  connu  en  partie, 
mais  dont  les  difficultés  d'utilisation  n'avaient  guère,  jusque-là, 
permis  l'emploi  pour  les  ouvrages  exigeant  un  certain  fini. 

L'honneur  de  cette  importante  découverte  pour  l'art, 
reviendrait  donc  d'abord  à  l'aîné  des  frères  van  Eyck;  il  est 
présumable,  que  Jean  van  Eyck  contribua  aussi  à  rendre, 
par  Ja  suite,  plus  parfaite  encore,  la  méthode  nouvelle. 

M.  Van  Kirckoff,  dans  sa  Notice  sur  l'Académie  d'Anvers. 
produit  un  texte  d'où  il  résulte,  en  effet,  que  Jean  van  Eyck 
montra,  en  1420,  à  la  confrérie  de  Saint-Luc,  établie  en  cette 
ville,  une  tète  peinte  à  l'huile  qui  fut  fort  admirée  par  la 
corporation  des  peintres  anversois. 

Dehaisnes  déclare  qu'après  avoir  étudié  les  documents, 
les  récits  des  historiens  et  les  tableaux   qui   nous  restent  du 


—  15  — 

quatorzième  et  du  quinzième  siècle,  il  a  acquis  la  conviction  que 
Vasari  s'est  trompé,  en  attribuant  à  Hubert  van  Eyck  l'inven- 
tion de  la  peinture  à  l'huile,  mais  qu'on  ne  peut  refuser  aux 
van  Eyck  la  gloire  d'avoir  rendu  un  grand  service  au  sujet 
du  mélange  des  couleurs. 

Il  formule  ainsi  son  opinion  : 

<(  Durant  plus  d'un  siècle  avant  les  van  Eyck,  la  peinture 
à  riiuile  a  été  en  usage,  non  seulement  pour  des  travaux 
décoratifs  et  exposés  aux  irj.tempéries  de  l'air,  mais  pour  de 
véritables  œuvres  d'art,  même  pour  des  tableaux;  c'est  surtout 
dans  les  Pays-Bas,  qu'on  se  servait  de  ce  procédé.  Toutefois, 
il  était  encore  bien  imparfait,  puisque  Melchior  Broederlam,  à 
la  fin  du  quatorzième  siècle,  ne  l'a  employé,  dans  ses  volets 
du  rétable  de  Dijon,  que  pour  les  draperies  et  certains  acces- 
soires et  jamais  pour  les  carnations. 

Les  van  Eyck  parvinrent  à  perfectionner  ce  mode  de  peindre, 
de  manière  à  pouvoir  s'en  servir  pour  toutes  les  parties  de  leurs 
tableaux,  même  pour  les  têtes  :  et  cette  dernière  circonstance 
explique  les  éloges  que  Jean  van  Eyck  reçut,  en  1420,  de  la 
confrérie  de  Saint-Luc  d'Anvers.  Et  non  seulement  les  van  Eyck 
se  servirent  de  la  peinture  à  l'huile  même  pour  les  carnations, 
mais  leurs  tons  et  leurs  coloris  sont  d'une  solidité,  d'une  puis- 
sance et  d'un  éclat  qui  n'ont  guère  été  dépassés  par  les  plus 
grands  artistes  des  siècles  suivants.  Pour  arriver  à  ces  résultats, 
ih  avaient  dîi  apporter  de  sérieuses  améliorations  au  procédé 
déjà  en  usage:  et  comme  le  dit  très  bien  M.  de  Laborde,  «  l'im- 
portance des  perfectionnements  apportés  par  les  van  Dyck  à 
cette  manière  de  peindre  fut  confondue  avec  le  retentissement 
produit  par  leurs  chefs-d'œuvre  ».  Ces  artistes  sont  donc  les 
inventeurs,  non  pas  de  la  peinture  à  l'huile,  mais  de  la  peinture 
à  l'huile  perfectionnée,  ce  que  M.  de  Laborde  a  appelé  la 
véritable  peinture  à  l'huile  (i)-  » 


(1)  Histoire  de  l'Art  dans  la  Flandre.  l'Artois  et  le  Hainaut,  avant  le 
XV*  siècle,  par  M.  le  chanoine  Dehaisnes,  secrétaire-général  des  facultés 
catholiques  de  Lille,  archiviste  honoraire  du  département  du  Nord,  prési- 
dent de  la  commission  historique  du  même  département.  —  Lille,  libr. 
Quarré.   1886,  p.  570. 


—  i6  — 

L'œuvre  immortelle  par  laquelle  fut  inaugurée  la  peinture 
à  rtiuile,  le  chef-d'œuvre  de  l'Ecole  flamande  primitive,  est 
certainement  le  célèbre  rétable  de  V Agneau  mystique. 

Le  biographe  van  Mander  rapporte  que  les  frères  van  Eyck, 
avant  de  s'adonner  à  la  peinture  à  l'huile,  produisirent  un  grand 
nombre  d'ouvrages  exécutés  à  la  colle  et  au  blanc  d'œuf. 

Aucun  de  leurs  panneaux  en  ce  genre  n'est  cependant 
parvenu  jusqu'à  nous.  Il  est  vrai  qu'ils  ont  pu,  en  majeure  partie, 
disparaître  dans  l'incendie  général  dont  la  cité  liégeoise  fut  la 
proie  en  1468? 

Au-dessous  du  tableau  principal  du  rétable  de  Gand,  celui 
de  V Agneau,  se  trouvait  encore,  autrefois,  un  panneau  exécuté  à 
la  colle  et  au  blanc  d'œuf,  mais,  avec  le  temps,  la  peinture  s'est 
efïacée  entièrement,  tant  elle  était  altérable. 

Dans  ces  derniers  temps,  M.  Maeterlinck,  conservateur  du 
musée  de  Gand,  a  émis  l'idée  que  le  rétable  pourrait  bien  avoir 
été  peint,  en  entier,  à  la  détrempe,  et  que  s'il  a  l'apparence  et 
la  durée  d'une  peinture  à  l'huile,  c'est  parce  qu'il  aurait  été 
recouvert  d'un  enduit  où  entrait  une  huile  particulière  et  qui 
donnait  de  l'éclat  à  la  peinture?  (Voir  l'Art  Moderne,  n°'  des 
13  août  et  3  septembre  1911). 

Cette  supposiëon,  toutefois,  ne  paraît  guère  admissible. 

Le  polyptique  du  rétable  de  Gand,  qui  devait  à  jamais 
illustrer  le  nom  des  van  Eyck,  a  été  commandé  à  l'aîné  des  deux 
frères,  vers  1422,  par  Josse  Vydt,  seigneur  de  Pamèle,  patri- 
cien ide  Gand,  et  sa  femme  Isabelle  Borlunt,  fille  de  Jérôme, 
premier  échevin,  pour  l'autel  de  leur  chapelle  de  l'église  Saint- 
Jean,  aujourd'hui  Saint-Bavon. 

Cette  même  année,  nous  trouvons  Hubert  et  Jean  van  Eyck 
établis  à  Gand,  où  la  gilde  des  peintres  de  cette  ville  les  inscrivit 
sur  les  registres  des  maîtres  dont  elle  se  composait. 


—  ï?  — 

La  corporation  des  peintres  gantois  leur  accorda  la  fran- 
chise de  maîtrise,  non  à  cause  des  preuves  qu'ils  avaient  données 
de  leur  talent,  mais  en  raison  de  l'afîection  que  la  cité  avait 
portée  à  Michelle,  duchesse  de  Bourgogne,  morte  à  Gand,  le 
8  juillet  1422,  et  qui  avait  professé  une  grande  estime  pour  les 
deux  artistes  (i). 

Le  motif  singulier,  invoqué  en  cette  circonstance  pour 
justifier  l'octroi  de  franchise  aux  frères  van  Eyck  est  de  nature 
à  faire  croire  que  ceux-ci  n'étaient  guère  connus  encore  par 
leurs  travaux,  tout  au  moins  dans  la  ville  où  ils  venaient  de 
s'établir  en  vue  de  réaliser  île  chef-d'œuvre  auquel,  tous  deux, 
sont  redevables  de  la  majeure  partie  de  leur  gloire. 

Hubert  van  Eyck  consacra  le  reste  de  son  existence  à  l'exé- 
cution du  rétable  de  Gand  et  il  mourut  sans  avoir  pu  l'achever. 
Son  frère  Jean  fut  chargé  de  continuer  l'œuvre  commencée,  qui 
reçut  le  dernier  coup  de  pinceau  au  printemps  de  l'année  1433. 

Hubert  van  Eyck  aura,  vraisemblablement,  laissé,  sinon  des 
cartons,  au  moins  des  dessins  très  poussés  de  cette  grandiose 
composition  et  qui  auront  servi  de  guide  à  son  frère  Jean  pour 
la  terminer. 

Exposée  aux  yeux  du  public,  le  6  mai  de  la  même  année, 
cette  vaste  peinture  excita  l'admiration  générale,  une  admiration 
qui  devait  se  continuer  à  travers  les  siècles. 

Comme  les  volets  ne  s'ouvraient  qu'à  certains  jours  solen- 
nels, alors,  selon  les  expressions  de  van  Mander,  «  Maîtres  et 
disciples  se  pressaient  autour  du  chef-d'œuvre,  comme  l'été,  les 
mouches  et  les  abeilles  autour  des  corbeilles  remplies  de  figues 
et  de  raisins  ». 


(I)  Edmond  de  Buscher  :  Notice  sur  l'ancienne  corporation  des  peintres 
et  des  sculpteurs  à  Gand,  p.  34. 


—   i8  — 

Au  milieu  du  XVI'  siède,  cent  ans  après  la  mort  de  Jean 
van  Eyck,  la  réputation  de  cette  peinture  était  si  grande  encore, 
dans  l'Europe  entière,  que  le  roi  d'Espagne,  Philippe  II,  en  fit 
faire  une  copie  par  Michel  Coxie,  le  peintre  malinois,  élève  de 
Raphaël,  surnommé  lui-même  le  Raphaël  flamand. 

Cette  copie,  payée  plus  de  deux  milJe  ducats,  fut  transportée 
en  Espagne  et  mutilée  durant  les  guerres  de  Napoléon.  Les 
musées  de  Berlin  et  de  Munich  en  possèdent,  aujourd'hui,  plu- 
sieurs volets. 

Quant  à  l'œuvre  originale,  après  avoir  échappé  aux  icono- 
clastes de  la  seconde  moitié  du  XVI"  siècle,  elle  devait  aussi  être 
démembrée. 

Ayant  été  expédié  à  Paris,  en  1794,  le  célèbre  rétable  rentra 
à  Gand,  lorsque  eut  lieu  la  restitution  partielle  de  nos  œuvres 
d'art  par  la  France,  en  1815;  mais  les  panneaux  du  centre  furent 
seuls  réintégrés  à  leur  ancienne  place,  dans  la  chapelle  Vydt. 

L'année  suivante,  six  des  huit  volets  étaient  vendus  par  la 
fabrique  de  l'église  Saint-Bavon,  sans  autorisation,  subreptice- 
ment, peut-on  dire,  pour  six  mille  francs,  à  un  marchand  de 
tableaux  de  Bruxelles,  M.  Van  Nieuwenhuyse.  qui  les  revendit, 
en  1818,  avec  quelques  autres  tableaux,  pour  cent  mille  francs, 
à  un  amateur  anglais:  M.  Solly. 

Ces  volets  sont,  actuellement,  au  Musée  de  Berlin,  qui  les 
acheta,  par  la  suite,  toujours  avec  quelques  autres  tableaux 
d'importance  secondaire,  pour  cent  milJe  thalers  (410,900  fr.). 

L'inscription  latine  que  Jean  van  Eyck  a  mise,  sur  l'un 
de  ces  volets,  en  terminant  le  tableau,  apparaît  assez  distincte- 
ment encore  : 

L'existence  de  cette  inscription  était  complètement  ignorée 
avant  1823,  dit  M.  Coenen.  Ce  fut  alors  que  le  chanoine  de 
Bast  en  trouva  la  copie  dans  un  manuscrit  du  juriconsulte 
gantois:  Christophe  de  Heurne. 


—    IÇ)   — 

Le  hasard  voulut  que  Ton  découvrit  en  même  temps  le  texte 
onginal  sur  les  volets  de  Berlin.  Des  traces  de  caractères  ayqnt 
été  constatées  sous  la  couche  verte  qui  couvrait  les  cadres,  on 
se  mit  à  enlever  cette  couleur  et  le  texte  fut  ainsi  révélé. 

Cet  auteur,  qui  s'est  livré  à  une  savante  dissertation  sur  la 
reconstitution  de  l'inscription  du  rétable  de  l'Agneau  mystique, 
la  traduit  comme  suit  : 

Le  peintre  Hubert  van  Eyck,  auquel 
personne  n'a  encore  été  trouvé  supé- 
rieur, commença  ce  travail.  Jean,  son 
frère  et  son  émule  dans  l'art,  l'acheva 
à  la  prière  de  Judocus  Vyd.  Le  6  mai 
(de  cette  année  1433)  vous  met  en  face 
de  l'œuvre  peinte  au  verso. 

Ce  chronogramme  indique  la  date  du  placement  du  rétable 
dans  la  chapelle  Vydt  (6  mai  1433)  : 

VersU  seXta  Mail  Vos  CoLLoCat  aCta  tUerl  (i). 

Les  deux  volets,  sur  lesquels  sont  représentés  Adam  et  Eve, 

avaient  tout  particulièrement  provoqué  l'admiration  du  cardinal 

Luigi  d'Arragona  et  de  son  secrétaire  le  chanoine  italien  Antonio 

de  Béatis.  lorsqu'ils  visitèrent,  en  août  1517.  l'église  Saint-Jean. 

La  relation  de  leur  voyage,  rédigée  en  1521,  par  de  Béatis 
—  le  manuscrit  original  de  ce  journal  de  voyage  est  perdu,  mais 
la  Bibliothèque  de  Naples  en  conserve  une  copie  ancienne  — 
témoigne  de  cette  admiration,  dans  ce  passage  relatif  à  leur 
visite  à  "  San  Johanne  »  : 

«  Dans  l'église  majeure  paroissiale  qui  est  dite  de  Saint-Jean, 
très  belle,  et  qui  a  un  chœur  surélevé  et  très  grand.  Et  plus  bas 
que  le  chœur,  il  y  a  un  pourtour  spacieux  et  beaucoup  de 
chapelles  à  l'entour. 


(1)  Leodium  1907,  pp.  54-59. 


—   20   — 

A  la  main  droite,  il  y  a  une  chapelle  où  se  trouve  un  tableau 
dont  les  extrémités  sont  occupées  par  deux  figures,  à  droite, 
Adam  et,  à  gauche,  Eve,  de  grandeur  quasi  naturelle  et  toute 
nue;  elles  sont  peintes  à  l'huile,  avec  une  telle  perfection  et  un 
tel  naturel,  autant  en  ce  qui  concerne  la  proportion  des  membres 
que  pour  la  carnation  et  le  modelé,  que,  sans  hésitation,  on  peut 
dire  que  cette  peinture  est  le  plus  beau  tableau  de  la 
chrétienté  (i).  » 

«  Les  deux  panneaux  d'Adam  et  d'Eve,  rapporte  M.  l'abbé 
Coenen,  furent  enlevés,  en  1785,  à  la  suite,  dit-on,  d'une 
remarque  saugrenue  de  Joseph  II  sur  la  nudité  de  ces  deux 
portraits.  Ils  restèrent  au  grenier  de  l'église  jusqu'en  1861, 
quand  le  Gouvernement  belge  tn  fit  l'acquisition  et  les  plaça  au 
Musée  de  Bruxelles  (2) .  » 

Ils  ont  été  cédés,  par  la  fabrique,  au  Gouvernement,  pour 
la  somme  de  80,000  francs. 

On  ne  voit  plus,  actuellement,  à  l'église  même,  que  quatre 
des  panneaux  primitifs  :  trois  supérieurs  :  Dieu  le  père,  la  Vierge, 
saint  Jean-Baptiste  et,  en  dessous,  le  grand  tableau  du  centre 
du  rétable:  l'Adoration  de  l'agneau,  qui  a  donné  le  nom  à  la 
composition  entière. 

Des  copies,  les  unes  du  XVI',  les  autres  du  XIX°  siècle,  en 
partie  avec  des  variantes,  ont  remplacé  les  volets  détachés  de 
l'œuvre  originale. 

C'est  ainsi  que  les  deux  Saint-Jean,  anciens  patrons  de 
l'église,  les  portraits  du  donateur  et  de  la  donatrice,  sont  rem- 
placés par  les  quatre  évangélistes. 

Les  figures  d'Adam  et  d'Eve,  aux  angles  supérieurs,  sont 
aussi  vêtues  dans  les  copies  modernes! 


(1)  A.-J.  Wauters.  Hubert  van  Eyck.  Revue  de  Belgique.  Année  1909, 
p.    328. 

(2)  Leodium   1907,  p.  54. 


—   21    — 

Le  tableau  de  l'Adoration  de  l'agneau  immaculé,  l'œuvre 
certainement  la  plus  importante  de  la  première  école  flamande, 
contient  plus  de  trois  cents  figures  et,  comme  fond,  des  paysages 
variés. 

L'arrangement  traditionnel  et  symétrique,  jusqu'alors  usité 
en  peinture,  y  est  encore  observé,  sans  doute,  mais  le  réalisme 
y  fait  aussi  sa  première  et  sensationnelle  apparition. 

Dans  les  têtes,  on  constate  une  diversité  très  grande  et  une 
individualité  qui  tient  du  portrait.  C'est  ce  qui  a  fait  dire  à  Van 
Mander  que  van  Eyck  donne,  par  le  fait,  tort  à  l'opinion  de  Pline, 
selon  laquelle  un  artiste,  lorsqu'il  crée  cent  ou  même  un  moindre 
nombre  de  figures,  doit  toujours,  ou  le  plus  souvent,  en  repro- 
duire quelques-unes  qui  sont  exactement  semblables,  sans  pou- 
voir en  cela  rivaliser  avec  la  nature,  où  l'on  ne  trouve  pas  deux 
visages  entre  mille  se  ressemblant  complètement;  car  les  trois 
cent  trente  têtes  environ  que  l'on  compte  dans  le  tableau  de 
l'Agneau  diffèrent  toutes  les  unes  des  autres. 

Et  les  fonds  d'or  ont  disparu,  pour  faire  place  au  paysage. 

Suivant  les  expressions  d'André  Van  Hasselt,  la  forme 
humaine  s'est  assouplie,  elle  est  devenue  plus  vivante,  plus  vraie. 
Ce  n'est  plus  au  milieu  de  ce  ciel  factice,  l'or,  qu'elle  se  tient 
immobile  et  qu'elle  rayonne.  Elle  se  meut  et  respire  au  milieu 
de  la  création  elle-même,  au  milieu  du  monde. 

Si  Hubert  van  Eyck  doit  être  considéré  comme  le  fondateur 
de  la  belle  école  flamande  du  XV"  siècle,  Jean  prit  une  part 
prépondérante  au  développement  de  celle-ci.  Abandonnant  com- 
plètement les  traditions  anciennes  pour  suivre  la  tendance  réalists 
qu'il  fortifia  d'une  manière  éclatante,  il  acheva,  peut-on  dire, 
la  création  de  son  frère,  inaugura  entièrement  un  style  nouve  u 
en  peinture. 

Ainsi  que  le  constate  M.  Héris,  »  Jean  van  Eyck  rompit 
avec  la  symétrie,  qui  avait  été  la  règle  suprême  des  artistes 


—    22   — 

antérieurs  et  que  Hubert  avait  encore  observée  avec  tant  de 
rigidité;  il  tendit  plus  que  jamais  à  l'individualisation  des  physio- 
nomies, et  par  là,  il  créa,  en  quelque  sorte,  le  portrait;  enfin, 
profitant  des  ressources  nouvelles  que  la  peinture  à  l'huile  avait 
acquises,  il  renonça  pour  toujours  aux  fonds  d'or,  développa 
ses  scènes  dans  le  grand  cadre  de  la  nature,  embellie  de  toutes 
les  splendeurs  de  la  lumière,  de  toute  la  magie  du  clair-obscur 
et  de  la  perspective  aérienne,  et  par  là,  il  créa,  en  quelque 
manière,  le  paysage  qui,  on  peut  le  dire,  n'avait  pas  existé  avant 
lui,  d?ns  sa  réalité  vivante,  (i)  » 

Dans  ses  tableaux  historiques,  Jean  van  Eyck  s'étudie  parti- 
culièrement à  animer  le  visage  humain  et  à  diversifier  l'expression 
de  ses  personnages,  selon  le  rôle  qu'ils  sont  appelés  à  jouer 
dans  la  scène  représentée.  Il  abandonne,  pour  la  disposition  des 
draperies,  Je  style  grave  et  sévère  qui  avait  prévalu  dans  l'^rt 
chrétien  primitif  et  que  l'on  retrouve  quelque  peu  encore  chez 
son  frère  Hubert;  il  traite  les  étoffes  et  en  dispose  les  plis  d'après 
une  étude  exacte  de  la  réalité,  laissant,  dans  leur  jeu  et  leur 
mouvement,  presque  deviner  les  formes  du  corps. 

Les  moindres  détails,  jusqu'aux  moindres  accessoires,  très 
multipliés  cependant  dans  ses  tableaux,  il  les  précise  conscien- 
cieusement, parce  qu'il  considère  que  rien  ne  doit  être  négligé, 
ni  trop  sommairement  rendu  dans  la  représentation  des  objets 
de  la  nature. 

Enfin,  s'il  affectionne  généralement  les  grandes  masses  de 
lumière  et  d'ombre  pour  ses  tableaux  religieux;  il  sait  aussi, 
surtout  dans  ses  dernières  productions,  faire  une  application, 
sobre  mais  avec  une  entente  parfaite,  de  la  science  du  clair- 
obscur,  particulièrement  lorsqu'il  peint  des  tableaux  de  genre. 


(1)   Héris,  p.   140. 


—  23  — 

Il  n'est  jusqu'au  moyen  de  placer  le  principal  personnage 
devant  un  miroir,  de  manière  à  ce  qu'on  le  distingue  parfaitement 
de  face  et  de  dos,  qui  n'ait  été  employé  par  cet  artiste  novateur, 
dans  une  de  ses  œuvres  dont  Facius,  Vasari  et  d'autres  écrivains 
des  XV'  et  XVP  siècles,  parlent  avec  une  sorte  d'enthousiasme. 

En  quelques  années,  que  de  chemin  parcouru,  combien  de 
progrès  réalisés,  quelle  évolution  accomplie  dans  l'art  pictural! 

Et  que  nous  voilà  loin  du  temps  où  les  peintres,  sentant 
leur  impuissance  à  exprimer  clairement  l'idée  ou  le  sentiment 
que  leurs  tableaux  devaient  provoquer  dans  l'esprit  du  specta- 
teur, recouraient  à  l'intermédiaire  factice  des  inscriptions  tracées 
sur  les  phylactères  qu'ils  plaçaient  entre  les  mains  des  person- 
nages, lorsqu'ils  ne  les  faisaient  point  sortir  de  leur  bouche. 

Aussi,  le  nom  des  van  Eyck  retentit  bientôt  dans  l'Europe 
entière,  tandis  que  le  procédé  et  le  style  nouveau  qu'ils  avaient 
introduits  dans  l'art  de  peindre,  excitaient  partout  l'admiration. 

L'éclosion  de  l'école  des  van  Eyck  fut  donc  prompte  et 
spontanée. 

On  la  désigna  également  sous  le  nom  d'Ecole  flamande  ou 
d'Ecole  de  Bruges,  parce  que  Jean,  en  l'an  1430,  avait  été 
s'établir  dans  cette  ville  qui,  alors,  une  des  plus  importantes 
cités  commerciales  du  monde,  était  devenue  la  résidence  des 
ducs  de  Bourgogne. 

Il  est  même  constaté  que  Jean  van  Eyck,  pour  pouvoir 
prendre  résidence  à  Bruges,  dut  payer  la  somme  forte  de  douze 
livres,  perçue  de  ceux  qui  étaient  nés  hors  de  la  Flandre.  Les 
autres  ne  payaient  que  trois  livres. 

De  partout,  on  venait  apprendre,  à  cette  école,  la  technique 
de  la  peinture  à  l'huile;   le  peintre  messinois,    Antonello,   se 


—   24  — 

rendit  un  des  premiers  à  Bruges,  pour  s'initier  à  la  méthode 
des  van  Eyck,  méthode  qu'il  transporta  en  Italie  (i)- 

Nombreux,  du  reste,  sont  les  maîtres  qui  se  formèrent  sous 
la  direction  immédiate  de  Jean  van  Eyck  ou  sous  l'influence  des 
traditions  laissées  par  les  deux  frères. 

Nous  mentionnerons  sjîécialement,  parmi  les  premiers, 
Rogier  Van  der  Weyden,  que  Facius  appelle:  insignis  pictor, 
peintre  éminent,  et  Cyriaque  d'Ancône:  pictorum  decus,  gloire 
des  peintres.  II  est  l'auteur  de  la  Cène  conservée  en  l'église  Saint- 
Pierre,  à  Louvain;  mais  des  quatre  volets  qui  se  rattachaient 
autrefois  à  ce  tableau,  deux  ornent,  aujourd'hui,  la  Pinacothèque 
de  Munich  et  les  deux  autres  décorent  le  Musée  de  Berlin  qui 
(Xjssède  aussi  de  ce  maître  un  tryptique  provenant  du  village  de 
Middelbourg,  en  Flandre  (2). 

Parmi  les  maîtres  qui,  sans  avoir  été  élèves  de  Jean  van 
Eyck,  en  subirent  l'influence,  Hans  Memling  brille  en  premier 
rang. 

Van  der  Weyden  lui  enseigna  les  éléments  de  l'art  pictural, 
en  même  temps  qu'il  lui  inculquait  les  principes  de  l'Ecole  de 
Bruges,  dont  il  était  devenu  le  chef,  et  à  laquelle  se  rattache 
Memling  par  son  sentiment  profond  de  la  nature,  quoique 
empreint  de  ce  mysticisme  qui  fut  la  caractéristique  de  son 
talent. 


(1)  D'Antonello,  le  Musée  d'Anvers  possède  :  Une  colline  du  Calvaire 
et  un  portrait  d'homme  ;  le  Louvre,  un  autre  portrait  d'homme  ;  le  Musée 
de  Berlin  :  un  portrait  de  jeune  homme,  et  la  National  Galery  de  Londres  : 
un  Christ  que  l'on  croit  être  une  des  premières  œuvres  de  cet  artiste, 
né  à  Messine,  en   1444,  mort  en   1493,  à  Venise. 

(2)  Le  Musée  d'Anvers  possède,  de  Rogier  Van  der  Weyden,  le 
portrait  de  Philippe  le  Bon  et  un  tryptique  représentant  les  sept  sacrements. 
Cet  artiste  peignit  aussi  cinq  descentes  de  croix,  actuellement  aux  Musées 
de  Madrid,  de  Naples,  de  Liverpool,  de  La  Haye  et  de  Berlin. 


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—   27   — 

De  tels  artistes  contribuèrent  évidemment  à  augmenter  la 
gloire  des  van  Eyck  et  surtout  à  la  continuer  et  à  la  répandre. 

Hubert  van  Eyck  mourut,  à  Gand,  le  18  septembre  1426  et 
le  corps  de  l'initiateur  de  la  première  école  flamande,  fut  déposé 
dans  le  tombeau  que  la  famille  Vydt-Borlunt  avait  fait  cons- 
truire à  Saint-Bavon. 

Marc  Van  Vaenewyck,  né  en  1518,  à  Gand,  où  il  mourut 
en  1569,  rapporte,  dans  son  Historiœ  van  Belgis,  p.  119,  avoir 
encore  vu,  de  ses  propres  yeux,  l'os  du  bras  droit  de  Hubert 
van  Eyck,  que  ses  admirateurs  auraient  détacfié  de  sa  dépouille 
pour  l'enfermer  dans  une  armoire  en  fer  et  l'exposer,  comme 
un  objet  de  vénération  publique,  à  la  porte  de  la  chapelle  Vydt, 
dans  l'église  Saint-Jean,  actuellement  Saint-Bavon. 

Jean  van  Eyck,  décédé  à  Bruges,  en  1441,  le  9  juillet,  fut 
infiumé  dans  l'église  Saint-Donat,  mais  ses  cendres  ont  été 
dispersées  lors  du  déblaiement  des  ruines  de  cet  édifice  que 
l'incendie  détruisit  pendant  la  période  révolutionnaire  de  la  fin 
du  XVIII'  siècle. 

Le  nombre  des  tableaux  de  Hubert  van  Eyck  parvenus 
jusqu'à  nous  est  des  plus  restreint;  son  œuvre  peinte  se  résume, 
pourrait-on  dire,  dans  l'exécution  des  parties  les  plus  importantes 
du  rétable  de  V Agneau  mystique  qui  lui  appartiennent  incontes- 
tablement. 

Nous  avons  vu  que,  de  l'original  de  cette  grandiose  compo- 
sition, le  panneau  centrai  est  resté  à  Gand.  Ce  panneau  étant  le 
plus  important  du  tableau  et  presque  la  seule  peinture  attribuée 
unanimement  à  l'aîné  des  van  Eyck,  il  importe  que  nous  le 
fassions  connaître  d'après  la  description  qu'en  a  donnée  M.  Héris: 

Il  Le  panneau  central  représente  l'agneau  mystique  debout 
sur  un  autel  que  recouvre  une  nappe  blanche  et  au  pied  duquel 
est  placé  un  calice  destiné  à  recevoir  le  sang  qui  s'échappera  de 
la  poitrine  de  la  victime  rédemptrice.  Sur  un  plan  plus  rapproché. 


—    28   — 

on  voit  la  fontaine  d'eaux  vives  de  l'Apocalypse,  gracieux  bassin, 
au  milieu  duquel  s'élève  une  colonne  surmontée  d'une  statuette 
de  Saint-Michel  en  bronze,  et  qui  verse,  par  sept  têtes  de  dragons, 
autant  de  filets  d'eau.  Immédiatement  auprès  de  l'autel,  sont 
disposés  des  anges  dont  le  front  porte  le  signe  de  la  croix  et  qui 
sont  tous  d'une  grande  beauté.  Deux  d'entre  eux  balancent  des 
encensoirs  dont  ils  font  monter  les  parfums  vers  l'Agneau  sans 
tache;  d'autres  portent  les  instruments  de  la  passion,  la  croix  et 
la  colonne  de  la  flagellation;  d'autres  sont  prosternés  et  adorent 
l'emblème  mystique  du  rédempteur.  Du  fond  du  passage,  où 
rayonne  une  ville,  qui  est  la  Jérus  lem  céleste,  convergent  vers 
l'autel  une  multitude  de  martyrs;  à  gauche,  les  femmes  conduites 
par  sainte  Barbe,  sainte  Agnès  et  sainte  Dorothée,  à  droite  les 
hommes,  parmi  lesquels  on  remarque  plusieurs  papes  et  parti- 
culièrement saint  Liévin,  l'un  des  premiers  apôtres  de  la  Flandre; 
tous  portent  des  branches  de  palmier,  symbole  de  leur  triomphe. 
Rien  de  plus  gracieux,  malgré  l'exiguité  des  proportions,  que 
ces  figures  féminines,  dont  les  cheveux  blonds  flottent  sur  leurs 
épaules  et  qui  se  présentent  dans  des  attitudes  si  variées  et  si 
nobles  en  même  temps.  Rien  de  plus  austère  que  ces  martyrs 
si  divers  de  caractère  et  d'expression.  Parmi  les  personnages  les 
plus  rapprochés,  les  uns  sont  agenouillés,  d'autres  tiennent  des 
missels  et  prient.  Au  nombre  de  ceux  qui  sont  le  plus  près  de 
l'autel,  il  en  est  qui  offrent  leurs  couronnes  à  l'Agneau  divin, 
ou  qui  lui  présentent  leurs  membres  que  les  tourments  ont  brisés. 
Enfin,  dans  l'air,  au-dessus  de  l'autel,  plane  le  Saint-Esprit  sous 
la  forme  d'une  colombe,  qui  répand  comme  un  jet  de  rayons  sur 
tous  les  fidèles.  11  serait  difficile  de  donner  une  idée  de  la 
richesse  et  de  la  splendeur  du  paysage  où  cette  vaste  composition 
se  développe.  Il  est  inondé  de  lumière,  et  se  termine  à  l'horizon 
par  une  ligne  de  montagnes  bleuâtres.  La  terre  est  une  magni- 
fique nappe  de  verdure,  toute  diaprée  de  fleurs,  marguerites, 
violettes,  lis,  roses,  campanules  et  pensées.  Çà  et  là,  se  présentent 
aussi  quelques  groupes  d'arbres,  parmi  lesquels  s'épanouit,  par 
endroits,  l'étoile  d'un  palmier.  Tout  est  clair  de  ton,  chaud  de 
couleur,  palpitant  de  vie.  Ce  qui  frappe  particulièrement  le  spec- 
tateur, c'est  le  prodigieux  fini  de  cette  œuvre,  c'est  l'étonnante 
délicatesse  avec  laquelle  elle  est  exécutée  et  qui  cependant  ne  nuit 
aucunement  à  l'harmonie  de  l'ensemble.  La  fontaine  qui  jaillit 
sur  l'avant-plan  est  surtout  une  merveille  d'art.  Les  filets  d'eau 


—   29  — 

qui  s'en  échappent  semblent  faits  de  diamant  fondu,  et  le  mouve- 
ment ondoyant  qu'ils  impriment  à  la  surface  du  liquide  qui 
remplit  le  bassin  où  ils  tombent,  est  rendu  de  manière  à  produire 
l'illusion  la  plus  complète.  Le  trop  plein  du  réservoir  se  dégorge 
et  forme  un  ruisseau  qui  va  serpentant  dans  un  lit  bordé  de  ces 
fleurettes  charmantes  que  le  printemps  sème  au  bord  des  sources, 
et  jonché  de  pierres  précieuses  qu'on  voit  étinceler  à  travers  l'eau 
plus  transparente  que  le  cristal  le  plus  pur  (i).  » 

Nous  avons  relu  cette  description  devant  l'œuvre  admirable 
qu'elle  analyse  et  dépeint  avec  le  sentiment  qu'éprouve  l'âme 
quand  elle  est  frappée  par  les  caractères  du  beau.  Nous  nous 
plaisons  à  reconnaître  qu'elle  nous  a  paru,  en  tous  points, 
sincère  et  vraie. 

N'est-ce  pas,  au  reste,  de  ce  tableau  que  le  peintre-écrivain 
Eugène  Fromentin  a  dit  :  «  En  vérité,  quand  on  s'y  concentre, 
c'est  une  peinture  qui  fait  oublier  tout  ce  qui  n'est  pas  elle  et 
donnerait  à  penser  que  l'art  de  peindre  a  dit  son  dernier  mot,  et 
cela  dès  sa  première  heure  (2) .  » 

Dans  son  ouvrage  Les  Primitifs  flamands  (fascicule  I,  pp.  18 
à  24),  M.  Fierens-Gevaert  fait  un  exposé  historique  et  chrono- 
logique, de  1420  à  1861,  du  poJyptique  de  l'Agneau  mystique. 

Il  serait,  peut-être,  téméraire  d'attribuer,  sans  réserves, 
d'autres  œuvres  à  Hubert  van  Eyck  en  dehors  du  rétable  gantois. 

M.  Héris  dit  que  de  toutes  les  peintures  de  l'école  de  van 
Eyck  qui  nous  sont  connues,  il  n'en  est  qu'une  seule  que  nous 
puissions  rapporter,  avec  une  certitude  presque  complète,  à 
Hubert,  c'est  le  tableau  du  Musée  de  Naples  représentant  Saint- 
Jérôme.  Cette  attribution  est  fondée  sur  l'extrême  analogie  de 
l'œuvre  avec  le  rétable  de  Gand. 


(1)  Heris.  p.   120. 

(2)  Eugène  Fromentin.  Les  Maîtres  d'autrefois.  Paris  1877,  p.  430. 


—  30  — 

11  y  a  bien  aussi,  au  Musée  de  Madrid,  une  autre  produc- 
tion que  l'on  présume  être  due  au  pinceau  de  Hubert  van  Eyck  : 
Le  triomphe  de  l'église  chrétienne  sur  la  synagogue,  tableau  où 
le  style  et  la  pensée  de  l'aîné  des  deux  frères  sont  admirablement 
reflétés,  mais  on  n'est  pas  sûr  que  ce  ne  soit  une  copie  ancienne 
au  lieu  d'un  original. 

On  connaît,  par  contre,  un  assez  grand  nombre  d 'œuvres 
de  Jean  van  Eyck  ;  une  soixantaine,  dit-on.  Il  en  est  même 
plusieurs  qui  portent  la  signature  du  maître  Johanes  van  Eyck, 
avec  sa  devise:  Als  ik  kan  (comme  je  peux).  Elles  sont  datées 
entre  1432  et  1440. 

Nous  citerons,  notamment  : 

La  vierge  glorieuse,  décorant,  autrefois,  le  maître-autel  de 
l'église  Saint-Donat,  à  Bruges,  aujourd'hui  au  Musée  de  l'Aca- 
dé-mie  de  cette  ville.  Une  inscription  latine  narre  l'histoire  de 
cette  peinture  :  k  Ce  tableau  fut  demandé  par  Georges  de  Pola, 
chanoine  de  cette  église  (Saint-Donat),  au  peintre  Jean  van 
Eyck  et  l'oeuvre  commandée  en  l'an  1434  a  été  achevée  en  l'an 
1436  ... 

La  vierge  glorieuse  adorée  par  le  chancelier  Rollin.  Musée 
du  Louvre. 

La  vierge  au  donateur:  Musée  de  Dresde. 

Mais  il  en  est,  probablement,  de  cet  artiste,  comme  de  tous 
ceux  qui  ont  formé  école  et  auxquels  on  est  porté  à  attribuer 
toutes  les  productions  de  l'époque  portant,  plus  ou  moins,  l'em- 
preinte de  leur  style  et  de  leur  manière? 

Jean  van  Eyck  fut  aussi  un  admirable  peintre  de  portraits, 
si  l'on  en  juge  par  ceux  d'Arnoulfîni  et  de  sa  femme,  à  la  Natio- 
nal Gallery,  de  Londres,  et  de  V Homme  à  l'œillet,  du  Musée  de 
Berlin. 


—  3'  — 

L'Ecole  de  Bruges,  ouverte  glorieusement  par  les  van  Eyck 
et  qui,  durant  tout  le  XV  siècle,  jeta  un  si  vif  éclat  sur  le  nom 
flamand,  s'affaiblit  dès  que  se  réveilla  le  sentiment  de  la  forme 
Classique  par  suite  d'un  retour  à  l'étude  et  à  l'imitation  de  la 
civilisation  antique.  Un  esprit  nouveau  était  né,  avec  la  réforme 
au  début  du  XVI'  siècle,  et  cet  esprit  étant  contraire  au  sentiment 
naïf  et  de  douce  sérénité  qui  animait  la  première  école  flamande, 
celle-ci  devait,  naturellement,  sous  son  influence,  déchoir  et 
s'éteindre. 

Mais,  bien  que  complètement  disparue,  vers  le  milieu  du 
XVI'  siècle,  l'Ecole  des  van  Eyck,  aujourd'hui  encore,  a  sa  place 
marquée  dans  tous  les  grands  musées  et  il  n'est  point  d'histoire 
de  la  peinture  qui  ne  rappelle  son  illustre  souvenir. 


CHAPITRE    II. 


LAMBERT    LOMBARD 


TDouR  comparer,  à  l'aube  du  XVI°  siècle,  les  peintres  de  la 
Wallonie  aux  peintres  des  Flandres,  Marcellin  La  Garde 
s'exprime  en  ces  termes  : 

«  Tandis  que  dans  toute  la  partie  flamande  de  la  Belgique, 
le  goût  des  arts  dominait,  tandis  que  la  Flandre  possédait  une 
école  dont  la  réputation  s'étendait  dans  toute  l'Europe,  et  qu'une 
brillante  pléiade  d'artistes  s'y  élevait  par  l'émulation,  les  pro- 
vinces wallonnes  restaient  complètement  étrangères  à  ce  mouve- 
ment. Au  pays  de  Liège,  la  peinture  ne  s'était  nullement  ressentie 
des  progrès  que  lui  avaient  imprimés  les  travaux  des  frères 
van  Eyck:  d'informes  figures  de  saints,  ornées  de  rayons  et  de 
filets  dorés,  tels  étaient  les  sujets  que  traitaient  habituellement 
les  hommes  qui,  dans  la  cité  éburonne,  cultivaient  l'art  vers 
lequel  Lombard  se  sentit  entraîné,  et  dont  il  devait  être  le 
réformateur  dans  sa  patrie  (i).  » 

Par  ses  voyages  en  Allemagne,  en  Hollande  et  en  Italie, 
Lambert  Lombard  s'était  initié  à  l'intelligence  des  chefs-d'œuvre 
antiques  et  à  l'esprit  des  productions  classiques. 

Lorsqu'il  rentra  dans  sa  ville  natale,  pour  s'y  fixer  définiti- 
vement, en  1539,  non  seulement  il  fut  des  premiers,  chez  nous, 


(1)   Biographie  nationale.  Deuxième  partie,  p.  278. 


—  34  — 

à  s'affranchir  des  traditions  monastiques,  mais  il  contribua  encore, 
puissamment,  à  l'abandon  du  caractère  de  raideur  et  de  naïveté 
propre  à  l'art  gothique  dont  la  plupart  de  nos  peintres  s'étaient 
inspirés  jusqu'alors. 

L'influence  qu'il  exerça,  sous  ce  rapport,  fut  même  décisive; 
aussi  le  considère-t-on  comme  le  fondateur  de  l'Ecole  wallonne 
de  peinture. 

Nous  pourrions  être  renseignés,  plus  et  mieux  que  nous  ne 
le  sommes,  sur  les  détails  de  la  vie  de  cet  illustre  concitoyen  ; 
nous  savons  cependant  que  Lambert  Lombard  naquit  à  Liège, 
au  quartier  d'Avroy  qui  se  trouvait,  alors,  en  dehors  de  l'enceinte 
fortifiée  de  la  ville. 

La  date  exacte  de  sa  naissance  n'est  point  établie,  mais  tout 
porte  à  croire  qu'elle  peut  être  fixée  à  l'année  1505. 

Son  père  appartenait  au  métier  des  mangons,  autrement  dit 
des  bouchers. 

La  famille  étant  nombreuse,  l'aisance  n'y  régnait  pas 
toujours. 

Il  est  aussi  à  notre  connaissance  que  Lambert  Lombard,  à 
l'âge  de  vingt-deux  ans,  contracta  mariage  avec  une  jeune  fille 
qui  n'était  pas  plus  que  lui  fortunée;  qu'il  eut  successivement  trois 
épouses,  dont  la  deuxième  était  la  sœur  du  peintre-graveur 
Lambert  Suavius  avec  lequel  on  le  confondit  même  très  long- 
temps. 

Le  chanoine  de  la  collégiale  Saint-Denis:  Dominique 
Lampson  ou  Lampsonius,  qui  fut  secrétaire  des  princes- 
évêques  Robert  de  Berghes,  Gérard  de  Groesbeeck  et  Ernest 
de  Bavière,  s'était  lié  d'amitié  avec  Lombard.  Il  devint  son 
élève  et,  plus  tard,  se  fit  son  biographe.  Or,  lui-même  ne  donne 
guère  de  renseignements  sur  la  jeunesse  du  maître,  ses  initia- 
teurs à  la  peinture,  ses  débuts  dans  la  carrière  artistique. 


-  35  - 

Le  premier  ouvrage  qu'on  a  cru  pouvoir  lui  attribuer  et  qui 
ne  constitue  guère  un  réel  travail  d'art,  est  mentionné  dans  un 
manuscrit  déposé  aux  archives  de  l'Etat,  à  Liège:  le  livre  de 
dépenses  du  prieuré  de  Saint-Séverin,  en  Condroz.  Ce  registre 
nous  apprend  qu'en  1532.  un  maître  Lambert,  qualifié  peintre 
du  palais  du  cardinal  de  La  Marck,  polychroma  «  un  crucifix 
avec  les  images  de  Notre-Dame  et  de  Saint-Jean  »  qu'avait 
sculpté  l 'entre-tailleur  Balthasar.  Ce  Lambert  reçut  20  florins 
de  Liège  pour  sa  peinture,  ^lors  que  maitre  Balthasar  était  payé 
à  raison  de  12  florins,  seulement,  pour  la  sculpture. 

L'année  suivante,  Lombard  entreprit  un  voyage  en  Alle- 
magne, dans  le  but  de  se  perfectionner  en  son  art,  attiré,  sans 
doute,  dans  ce  pays,  par  la  réputation  déjà  grande  d'Albert 
Durer,  dont  les  gravures  étaient  très  répandues  aux  Pays-Bas. 

A  ce  voyage  se  rattache  la  plus  ancienne  œuvre  de  Lombard, 
ayant  une  réelle  valeur  artistique:  le  croquis  à  la  plume,  d'après 
l'un  des  bas-reliefs  qui  décorent  le  célèbre  monument  romain 
d'Igel,  près  de  Trêves. 

Il  est  aussi  avéré  que  Lombard  séjourna  ensuite,  à  plusieurs 
reprises,  en  Zélande,  à  Middelbourg,  où  il  fit  la  connaissance 
du  penseur  délicat  Jean  Gossaert  (Jean  de  Maubeuge  ou  Jean 
Mabuse),  dont  il  devint  l'élève  et  même  le  collaborateur  pour 
les  importants  travaux  de  décoration  que  ce  maître  exécutait  à 
l'abbaye  des  Prémontrés  de  Middelbourg  (i). 

En  1537,  Lambert  Lombard  partit  pour  l'Italie,  et  si  nous 
ne  possédons  des  renseignements  bien  précis  sur  son  séjour  en 
ce  pays  —  Lampsonius  lui-même  n'y  consacre  que  quelques 
lignes  —  au  moins  plusieurs  dessins,  datés  de  Rome  et  signés 
Lombard,  nous  sont  heureusement  conservés. 


(1)  Bulletin  des  Commissions  d'Art  et  d'Archéologie.  Année  1892, 
p.  363.  —  Helbig  :  La  Peinture  au  Pays  de  Liège  et  sur  les  bords  de  la 
Meuse.  2°  édition,  pp.  147  et  149. 


-36- 

Il  avait  été  envoyé  à  Rome  par  le  prince  Erard  de  la  Marck 
qui,  venant  de  faire  réédifier,  dans  de  vastes  proportions,  le 
palais  épiscopal  de  Liège,  incendié  en  1505,  voulait  l'orner  de 
pedntures  et  de  sculptures. 

Mais  Erard  de  la  Marck  mourut  le  16  février  1538  et  les 
beaux  projets  qu'il  avait  conçus,  pour  la  décoration  de  son 
palais,  s'évanouirent  en  même  temps  que  fut  retirée  la  pension 
qu'il  servait  à  Lombard. 

Le  goût  des  arts,  un  instant  éveillé  à  Liège,  s'était  assoupi 
de  nouveau  et  semblait  enseveli  dans  la  tombe  du  prince  Erard, 
ainsi  que  le  dit  M.  Ulysse  Capitaine:  Corneille  dt  Berghes, 
Georges  d'Autriche  et  Robert  de  Berghes  qui.  de  1538  à  1564, 
occupèrent  successivement  le  siège  de  Liège,  rivalisèrent,  l'un 
comme  l'autre,  de  dédaigneuse  indifférence  avec  les  riches  bour- 
geois de  leur  capitale  (i)- 

Néanmoins,  Lambert  Lombard  fonda,  à  Liège,  dans  des 
circonstances  aussi  peu  favorables,  un  atelier  ouvert  à  tous  les 
arts:  dessin,  peinture,  sculpture,  architecture  et  gravure,  d'où 
sortira  l'école  à  laquelle  son  nom  est  resté  attaché. 

La  K  Grande  Académie  de  Lombard  »,  ainsi  que  l'on 
dénommait  cet  atelier,  fut  même  la  première  école  de  gravure 
créée  en  notre  pays. 

Les  anciens  historiens  d'art,  notamment  Luc  de  Heere  et 
Vasari,  s'accordent,  en  effet,  à  reconnaître  qu'il  pouvait  y  avoir 
ailleurs,  à  cette  époque,  des  presses  pour  imprimer  les  bois, 
mais  qu'il  n'y  avait  qu'une  seule  chalcographie  où  l'on  imprimait 
les  planches  de  cuivre  et  qu'elle  était  établie  à  Liège. 

Et  au  dire  du  Brugeois  Lampson  «  les  Flamands  et  les 
Anversois  »  y  venaient  étudier. 


(1)   Ulysse  Capitaine.    Etude  sur  Lambert  Lombard,   p.    11. 


LAMBERT    LOMBARD 

Peint  par  i,i'i-m£mk 

Coll.    du    château   de    Kinkempois. 


—  39  — 

Lombard  s'adonna  aussi  à  l'architecture  et  fut  le  premier 
encore  à  introduire,  chez  nous,  le  style  et  les  principes  de  la 
renaissance  italienne  dans  l'art  de  construire. 

S'étant  mis  à  collectionner  les  antiquités,  principalement  les 
pierres  gravées  et  les  médailles,  il  devint  enfin  un  numismate 
très  réputé  et  forma  des  élèves,  tel  que  Hubert  Goltzius 
qui,  par  ses  publications  sur  les  médailles  grecques  et  romaines, 
s'acquit  une  grande  renommée  et  fut  anobli  par  le  Sénat  romain, 
pour  son  ouvrage  intitulé  :  Vie  des  Empereurs  depuis  César 
jusqu'à  Charles  V. 

Mais  Lombard,  qui  jamais  ne  vécut  dans  l'opulence,  sacrifia, 
peut-être,  outre  mesure  à  ses  goûts  de  collectionneur.  C'est,  du 
moins,  ce  que  nous  fait  supposer  Lampson,  disant  :  k  La  mali- 
gnité de  la  fortune  ne  l'empêcha  pas  de  rechercher  avidement 
et  d'acheter  avec  une  libéralité  dépassant  même  ses  ressources, 
d'anciennes  empreintes,  des  pierres  précieuses,  remarquables 
par  leur  ciselure  et  hiéroglyphes,  ainsi  que  des  œuvres  modernes 
se  rapprochant  du  mérite  des  antiques,  mais  surtout  d'anciennes 
médailles  dans  la  connaissance  desquelles  il  ne  le  cédait  aux 
plus  savants  (i).  » 

Lambert  Lombard  mourut  au  mois  d'août  1566  (2). 

Rapprochons  cette  date  de  celle  généralement  attribuée  à  sa 
naissance  :  il  était  donc  âgé  de  61  ans. 

Un  manuscrit  resté  inédit  assure  que  Lombard  a  été  inhumé 
en  l'église  Sainte- Véronique  (3). 

La  légende,  qui  a  dénaturé  l'histoire  de  beaucoup  d'artistes, 
dit  M.  Helbig,  a  cherché  à  répandre  une  mélancolique  poésie  sur 


(1)  LamberH  Lombarii  apud  Eburone  picioris  celeberrimi  vito.  Bruges, 
1565,  p.  30. 

(2)  Chapeauville,  t.   III,   p.  424. 

(3)  Manuscrit  Hoyoux.  Bibliothèque  de  l'Université  de  Liège. 


-  40  — 

la  fin  de  Lombard,  en  le  faisant  mourir  pauvre  à  l'hospice  du 
Mont  Cornillon,  et  il  ajoute:  «  S'il  est  difficile  de  dire  où  cette 
fiction  a  pris  naissance,  rien  ne  sera  plus  aisé  que  d'en  prouver 
l'inanité  »,  et  l'auteur  démontre,  en  effet,  que  cette  légende  n'est 
pas  plus  fondée  que  celle  de  la  retraite  de  Memling  à  l'hôpital  de 
Saint-Jean  et  quelques  autres  récits  de  ce  genre  (')• 

Il  invoque  la  biographie  de  Lampson,  publiée  un  an  avant 
la  mort  du  peintre,  et  qui  représente  celui-ci  comme  un  homme 
se  livrant  à  certaines  dépenses  pour  ses  collections  d'antiquités 
et  aidant,  de  sa  bourse,  ses  élèves  pour  se  rendre  à  Rome. 

Il  note  ensuite  que  de  Villenfagne,  le  premier  qui  ait  fait 
mention  de  la  légende  dans  ses  ouvrages,  la  révoque  déjà  en 
doute. 

Des  documents  retrouvés  aux  archives  de  l'Etat  à  Liège 
sont,  enfin,  venus  établir  que  Lambert  Lombard  était  greffier 
de  la  Cour  d'Avroy,  charge  rémunérée  qu'il  conserva  jusqu'au 
commencement  de  l'année  de  son  décès  et  dans  laquelle  il  fut 
remplacé  par  son  gendre,  le  sculpteur  Follet,  qui  avait  épousé, 
depuis  un  an,  Philippette.  probablement  la  plus  jeune  des  filles 
de  Lombard,  et  que  celui-ci  dota. 

A  considérer  encore  que,  depuis  1561,  Lambert  Lombard 
était  «  concierge  de  la  maison,  porpris  et  vignobles  del  chieffz 
d'or  »  à  Sclessin-Ougrée,  près  de  Liège,  appartenant  au  prince- 
évêque,  fonctions  qui  conféraient  au  titulaire  une  sorte  d'inten- 
dance à  laquelle  des  émoluments  étaient  aussi  attachés. 

Laissons  donc  la  prétendue  histoire  de  ce  grand  artiste 
venant  échouer,  pauvre  et  misérable,  à  l'hospice  de  Cornillon, 
car  il  semble  bien  démontré,  aujourd'hui,  que  ce  n'est  qu'une 
légende  créée  de  toutes  pièces,  ne  reposant  sur  aucun  fond  de 
vérité,  et  en  complète  contradiction  avec  la  réalité  des  faits. 


(1)  Helbig,  La  peinture  au  Pays  de  Liège,  2*  édition,  p.  156. 


-  41  - 

Lambert  Lombard  fut  certainement  un  peintre  fécond  et 
son  œuvre  dut  être  considérable;  il  n'en  est  presque  rien  resté, 
malheureusement. 

La  disparition  des  nombreux  et  importants  travaux  de  déco- 
ration qu'il  exécuta  pour  des  églises  s'explique  par  la  défectuo- 
sité des  procédés  techniques  en  usage  alors  pour  les  peintures 
murales.  Abry,  qui  écrivait  un  siècle  à  peine  après  la  mort  de 
Lombard  et  était  peintre  lui-même,  constate  déjà  que  nombre  de 
triptyques  du  maître  sont  fort  détériorés  parce  que  les  fonds, 
blanchis  à  la  colle,  se  sont  écaillés  (i)- 

D'autre  part,  un  assez  grand  nombre  de  tableaux  de 
Lombard,  réputés  parmi  ses  meilleurs,  avaient  été  enlevés  des 
églises  et  du  palais  de  Liège,  par  le  prince-évêque  Henri-Maxi- 
milien  de  Bavière,  archevêque  de  Cologne,  et  étaient  allés  orner 
son  palais  de  Bonn,  sur  le  Rhin,  sous  prétexte  qu'il  faisait  grand 
cas  des  ouvrages  du  maître  ! 

Or,  ils  furent  tous  détruits  par  le  bombardement  que  cette 
ville  eut  à  subir  en  1702. 

Parmi  les  œuvres  perdues,  en  cet  incendie,  on  cite  une 
Allégorie  de  la  charité  et  un  Jugement  dernier  qui  témoignaient 
particulièrement  du  remarquable  talent  d'imagination  et  de  com- 
position de  leur  auteur. 

Des  tableaux  de  Lombard  restés  dans  les  différentes  églises 
de  Liège,  et  que  celles-ci  possédaient  encore  en  1790,  la  plupart, 
enfin,  disparurent  pendant  la  tourmente  révolutionnaire  de  cette 
époque;  entre  autres:  le  Martyr  de  Sainte-Barbe  qui  décorait 


(1)  Abry.  Les  hommes  illustres  de  la  nation  liégeoise,  p.  153.  —  Bulle- 
tin de  l'Institut  archéologique  liégeois,  t.  VIII,  p.  285. 


—  42  - 

l'église  Saint-Barthélémy;  la  Cène  et  un  Christ  à  volets  de  la 
cathédrale  Saint-Lambert. 

De  Becdelièvre  rapporte  qu'au  XVII'  siècle,  il  existait,  à 
Liège,  une  douzaine  de  portraits  de  Lombard,  tracés  sur  des 
morceaux  de  planche,  et  que  l'on  regardait  comme  des  origi- 
naux. 

Pour  expliquer  cette  abondance  de  portraits  du  maître, 
l'auteur  ajoute  que  Lombard  avait  une  espèce  de  manie;  c'était 
de  placer  les  traits  de  son  visage  dans  presque  tous  ses  tableaux, 
comme  s'il  avait  voulu  que  son  portrait  tint  lieu  de  sa  signa- 
ture (1). 

Si  Lombard  avait  l'habitude  de  donner  ses  traits,  tantôt  à 
l'un,  tantôt  à  l'autre  de  ses  personnages,  il  ne  faut  pas  trop  s'en 
étonner;  plus  d'un  peintre  de  l'époque  avait,  en  quelque  sorte, 
son  sceau  à  lui  qui  le  dispensait  de  signer  ses  tableaux.  Henri 
Met  de  Blés,  contemporain  de  Lombard,  n'avait  d'autre  signa- 
ture, pour  ses  œuvres,  qu'une  chouette  qu'il  délinéait  d'ordi- 
naire à  l'endroit  le  moins  apparent  de  son  tableau,  la  cachant, 
parfois,  avec  tant  de  soin,  qu'il  faut  chercher  longtemps  avant 
de  la  découvrir. 

Lombard  n'apposant  aucune  marque  ou  signature  sur  ses 
peintures,  vivant  à  une  époque  d'évolution  dans  les  arts,  esprit 
chercheur  lui-même,  ayant,  par  conséquent,  dû  modifier  plu- 
sieurs fois  sa  manière  de  peindre,  il  n'était  pas  aisé  de  reconsti- 
tuer son  œuvre,  bien  qu'exécuté  presque  entièrement  chez  nous. 

M.  Jules  Helbig,  qui  était  un  patient  érudit.  s'est  attaché  à 
inventorier  les  plus  importants  travaux  du  maître  et  il  a  consigné, 
dans  le  Bulletin  des  Commissions  royales  d'art  et  d'archéologie, 


(1)  De  Becdelièvre.  Biographie  Liégeoise,  t.  I,  p.  226. 


—  43    - 

les  résultats  de  ses  consciencieuses  recherches,  les  complétant 
encore  dans  la  seconde  édition  de  son  livre  sur  la  Peinture  au 
Pays  de  Liège  (i). 

Après  avoir  constaté  que  bien  peu  de  tableaux  peuvent  être 
attribués,  avec  certitude,  à  Lambert  Lombard.  »  On  ne  saurait 
cependant  lui  contester,  ajoute  cet  auteur,  l'admirable  portrait  où 
il  a  retracé  ses  propres  traits,  conservé  au  château  de  Kinkempois, 
et  la  réplique  qui  se  trouve  au  Musée  de  Cassel  )>. 

M.  Alfred  Michiels  fait  de  ce  portrait  la  description  que 
voici  : 

M 'étant  rendu  au  château  de  Quincempois,  près  de  Liège, 
où  se  trouve  un  portrait  de  Lambert  Lombard,  peint  par  lui- 
même,  comme  le  tableau  occupait  une  place  très  élevée,  M. 
Desoer  appela  ses  domestiques,  et  non  seulement  le  panneau  fut 
descendu,  mais  transporté  dans  le  jardin,  en  pleine  lumière. 

C'est  une  œuvre  extrêmement  remarquable,  une  effigie  de 
grandeur  naturelle;  sur  un  fond  jaune,  par  lequel  on  semble 
avoir  voulu  imiter  l'or  des  anciennes  peintures,  se  dessine  la 
tête  forte  et  accentuée  du  grave  coloriste.  Les  premières  givres 
de  l'hiver  blanchissent,  çà  et  là,  sa  barbe  et  ses  cheveux,  qui 
sont  très  hardiment  exécutés.  Le  pince-nez,  qu'il  tient  à  la  main, 
dénote  aussi  l'approche  de  la  froide  saison. 

Le  regard  énergique,  tourné  un  peu  vers  la  gauche,  a  beau- 
coup d'expression;  mais  dans  toute  la  figure  se  trahit  un  mélange 
singulier  :  elle  annonce  un  esprit  sévère  et  une  nature  commune, 
de  la  fermeté  sans  élévation. 

Sous  la  vigueur  et  la  dignité  rampe  quelque  chose  de  bour- 
geois. La  peinture  est  grasse,  chaude,  moelleuse,  touchée  d'une 
main  résolue  :  il  y  a,  sur  le  col  de  la  chemise,  des  empâtements 
de  couleur  aussi  forts  que  ceux  de  Rembrandt. 

Ce  morceau  exécuté  vers  1556  étonne  par  l'aspect  moderne 
de  la  facture.  On  y  admire  une  liberté  de  pinceau  que  nul  artiste 
flamand  n'avait  encore  obtenue  au  même  degré. 


(1)  Bulletin  des  Commissions  royales  d'Art  et  d'Archéologie,  31'  année, 
1892,  pp.  351  à  454.  —  Histoire  de  la  Peinture  au  Pays  de  Liège,  2*  édition, 
p.    168. 


—  44  — 

Rien  qu'à  examiner  le  portrait  de  Lambert  Lombard, 
observe  encore  le  critique  d'art  français,  on  sent  qu'il  n'est  point 
de  race  flamande.  On  y  observe  quelque  chose  de  plus  mâle,  de 
plus  austère,  de  plus  triste  et  de  plus  réfléchi.  C'est  le  visage 
d'un  penseur  et  d'un  stoïcien  (i). 

(c  II  semble  difficile  aussi  de  contester,  dit  M.  Helbig,  l'au- 
thenticité de  la  tête  grotesque  d'un  joueur  de  flûte  du  Musée  de 
Liège  et  du  panneau  représentant  la  Sainte  Cène  de  la  même 
collection,  ainsi  que  sa  réplique  de  date  postérieure  au  Musée  de 
Bruxelles.  » 

Parmi  les  œuvres  conservées,  il  mentionne  encore  et  décrit  : 
Les  Israélites  s'apprêtant  à  sacrifier  l'agneau  pascal,  du  Musée 
de  Liège;  Saint  Denis  l'aréopagite,  à  l'église  Saint-Denis,  à 
Liège  (2)  ;  un  panneau  des  volets  qui  se  trouvaient  placés,  autre- 
fois, au  célèbre  rétable  sculpté  de  cette  église;  deux  panneaux 
réunis  en  diptyque,  au  Musée  de  Bruxelles,  ayant  appartenu 
à  la  galerie  du  roi  de  Hollande;  une  Sainte  Cène,  retouchée  à 
diverses  reprises,  et  une  Nativité,  esquisse  assez  médiocre,  aux 
Hospices  civils  de  Liège  ;  une  Adoratian  des  bergers,  à  la  galerie 
du  Belvédère,  à  Vienne,  et  une  Sainte  famille,  à  la  Galerie 
impériale  de  la  même  ville  ;  une  Déposition  de  la  Croix,  à  la 
Galerie  nationale  de  Londres.  Il  croit,  enfin,  pouvoir  lui  attribuer 
un  assez  grand  panneau,  d'une  riche  composition,  animée  par 
une  multitude  de  figures,  représentant  Jacob  abandonnant  la 
terre  de  Mésopotamie  avec  ses  femmes,  ses  serviteurs,  ses  trou- 
peaux, ayant  appartenu  à  M.  Helbig,  puis  à  M.  l'abbé  Jos. 
Scheen,  curé  à  Wonck,  qui  l'a  légué,  avec  ses  collections,  au 
Musée  diocésain  de  Liège. 


(1)  Alfred  Michiels  :  Histoire  de  la  peinture  flamande,  t.  V,  p.  252  et 
p.  278. 

(2)  Ce  tableau,  peint  sur  bois,  a  été  vendu,  en  1864,  par  la  fabrique 
de  l'église  Ste-Véronique,  à  la  fabrique  de  l'église  St-Denis,  au  prix  de 
deux  cent  cinquante  francs.  Gobert  :  Les  Rues  de  Liège,  t.  IV,  p.  70. 


—  45  — 

A  noter  encore  qu'une  large  part  des  peintures  décoratives 
de  la  voûte  de  l'église  St-Jacques,  à  Liège,  est  attribuée  à  Lom- 
bard. Ces  peintures  sont  datées  de  l'année  1536,  dans  un  cartel 
suspendu  dans  la  voûte  au-dessus  du  buffet  d'orgues. 

Passant  des  travaux  conservés  aux  œuvres  détruites  :  pein- 
tures murales  à  la  manière  de  fresques,  triptyques  ou  tableaux, 
M.  Helbig  rappelle  que  Lombard  décora  le  chœur  et  les  tran- 
septs de  l'église  collégiale  St-Paul,  à  Liège,  d'une  série  impor- 
tante de  scènes  tirées  de  la  vie  du  Christ.  Les  dernières  traces 
de  ces  peintures  murales  disparurent  seulement  en  1875.  11 
existe  d'ailleurs  encore,  dit-il,  dans  la  même  église,  au  fond  de 
la  basse  nef  méridionale,  vers  le  chœur,  au-dessus  d'un  autel, 
une  autre  peinture  murale  représentant  le  Crucifiement  avec  la 
sainte  Vierge  et  saint  Jean,  que  l'on  croit  pouvoir  aussi  attribuer 
à  Lombard. 

S'appuyant  sur  les  renseignements  fournis  par  Abry,  Sau-' 
mery  et  le  chanoine  Hamal,  M.  Helbig  passe  ensuite  successive- 
ment en  revue  les  tableaux  et  rétables  dont  parlent  ces  autîurs 
dans  leurs  écrits:  un  triptyque  qui  était  placé  à  l'entrée  du  chœur 
de  l'église  St-Barthélemy  ;  le  Crucifiement  de  la  cathédrale  de 
St-Lambert,  sur  l'un  des  volets  duquel  était  représenté  David 
tuant  Goliath,  scène  dont  le  croquis  est  conservé  dans  les  collec- 
tions du  duc  d'Arenbcrg,  tandis  que  sur  l'autre  volet  était  peint 
le  Sacrifice  d'Abraham.  Dans  cette  même  cathédrale  se  trouvaient 
encore  une  Cène  et  une  peinture  représentant  le  Christ  descendu 
de  la  croix  avec,  dans  le  fond,  une  vue  de  la  ville  de  Liège. 

L'église  St-Jean  l'évangéliste  de  Liège,  possédait  un  tableau 
à  volets  de  Lombard,  dont  un  dessin,  signé  et  daté  de  l'an  1553, 
a  conservé  la  composition  du  panneau  central  de  ce  triptyque. 
Enfin,  dans  l'église  de  Notre-Dame  aux  Fonts,  il  y  avait  aussi, 
autrefois,  plusieurs  tableaux  à  volets  de  Lambert  Lombard. 


-46- 

De  belles  gravures  de  Lambert  Suavius,  beau-frère  de  Lom- 
bard, exécutées  sous  la  direction  du  peintre,  nous  ont  conservé 
copie  des  tableaux  disparus:  La  fuite  du  Sauveur  et  de  ses 
apôtres;  La  Résurrection  de  Lazare;  Le  Christ  au  tombeau; 
Saint  Paul  écrivant  et  la  Cène  qui  était  à  la  cathédrale  Saint- 
Lambert. 

Nombreux  sont  les  dessins  du  maître  :  lavis  au  bistre,  cro- 
quis à  la  sanguine,  à  l'encre  de  Chine  et  à  la  plume,  qui  ont  été 
conservés.  Le  duc  d'Arenberg  en  possède  plus  de  cmq  cents, 
dont  beaucoup  datés  d'Italie  (i)- 

Les  collections  de  notre  Académie  des  Beaux-Arts,  du  Musée 
d'Ansembourg  et  du  cabinet  des  estampes  de  l'Université;  de 
l'Académie  de  Dusseldorf,  du  château  de  Kinkempois,  en  ren- 
ferment également  une  plus  ou  moins  grande  quantité. 

Le  plus  remarquable  de  ces  dessins  est  la  Déposition  de  la 
croix,  dont  M.  Henri  Duval  a  fait  don  à  la  Vilb  de  Liège  et  qui 
est  exposé  au  Musée  d'Ansembourg. 

Lambert  Lombard,  semble-t-il,  attachait  une  importance 
toute  particulière  à  ses  esquisses  et  dessins,  puisque  le  plus 
souvent,  il  les  datait  et  les  signait  de  ses  initiales  L.  L.,  de  son 
nom  en  abrégé  ou  en  toutes  lettres.  C'est  bien,  du  reste,  dans 
les  dessins,  comme  le  dit  Helbig,  que  se  révèle  le  caractère  parti- 
culier de  l'artiste,  la  note  dominante  de  son  talent;  ils  donnent 
la  mesure  de  son  génie  inventif  et  nous  initient  aux  recherches 
de  son  esprit  studieux. 

Imbu  d'un  art  renouvelé  des  Grecs  et  des  Romains,  gagné 
des  premiers  au  style  de  la  Renaissance  italienne,  c'est  en  archi- 
tecture que  Lombard  s'est  surtout  montré  novateur,  sans  cepen- 
dant faire  preuve  d'une  grande  fécondité  et  sans  former  école 
comme  en  peinture. 


(1)  Helbig:  Lambert  Lombard,  peintre  et  architecte.  Extrait  du  Bulle- 
tin des  Commissions  royales  d'Art  et  d'Archéologie.  Bruxelles  1893,  p.  71. 


—  47  — 

Plusieurs  constructions  importantes  furent,  néanmoins, 
érigées,  à  Liège,  sur  ses  plans,  entre  autres,  une  demeure  somp- 
tueuse, d'ordre  corinthien  composite,  ornée  de  sculptures  et 
d'armoiries,  qui  était  située  vis-à-vis  du  portail  de  la  cathédrale 
St-Lambert. 

On  en  a  conservé  quelques  dessins,  pris  au  moment  de  sa 
démolition,  en  1829. 

«  Sur  le  versant  de  la  colline  que  domine  l'église  Ste-Croix  », 
il  fit  aussi  édifier,  vers  1556,  une  habitation  pour  le  chanoine 
de  St-Lambert,  Liévin  Torrentius. 

Le  géographe  anversois,  Abraham  Ortelius,  décrivait,  en 
1584,  cette  résidence  de  <i  Messire  Liévin  Torrentius  d  qu'il 
qualifie  de  «  prince  des  poètes  lyriques  »  de  son  temps,  en  ces 
termes  élogieux: 

«  Dominant  la  cité  de  toutes  parts,  elle  possède  les  meilleures 
conditions  de  salubrité.  Tout  est  si  parfaitement  distribué  et 
aménagé  que  vous  y  reconnaîtrez  l'heureuse  main  en  architec- 
ture de  feu  Lambert  Lombard,  autrefois  peintre  et  philosophe 
très  célèbre  de  Liège.  Il  en  a  adapté  l'ornementation  à  chacune 
de  ses  parties.  Il  y  est  parvenu  de  telle  façon  que  vous  ne  trou- 
verez rien  de  plus  agréable  et  que  vous  n'aurez  point  à  constater 
le  défaut  d'étendue,  malgré  l'espace  restreint  dont  l'architecte 
disposait  (!)•  " 

M.  Théodore  Gobert  a  retrouvé  l'emplacement  exacte  de 
cette  maison,  disparue  depuis  longtemps.  Elle  était  érigée  au- 
dessus  des  Degrés  de  St-Pierre,  sur  le  territoire  claustral  de  la 
collégiale  de  ce  nom,  tout  à  proximité  de  l'ancien  hôtel  de 
Favereau  de  Jenneret,  aujourd'hui  le  couvent  des  Lazaristes. 


(1)  Abraham!    Ortelii    et   Johannes   Vlviani  :   Itinerarium   per   nonuUus 
GaUiae  Belgicae  partes,  1584,  p.  20. 

(2)  Th.  Gobert  :  Les  Rues  de  Liège,  t.  II,  p.  466  et  t.  111,  p.   I«7. 


-48- 

L'importante  construction  qui  fornue  l'angle  supérieur  de  la 
place  St-Michel  et  de  la  rue  Haute-Sauvenière  a  aussi  été  attribuée 
à  Lambert  Lombard,  mais  sans  aucune  preuve,  par  la  simple 
tradition. 

Cette  habitation,  dans  le  goût  de  la  Renaissance  italienne, 
a  subi  de  notables  et  malheureuses  transformations,  ainsi  qu'on 
peut  le  constater  par  l'ancien  encadrement  de  la  porte  principale 
resté  encastré  dans  la  façade  vers  l'actuelle  place  St-Michel. 

Les  fenêtres  du  rez-de-chaussée  de  la  façade  longeant  la  rue 
Haute-Sauvenière  ont  été  considérablement  agrandies  et  ne  sont 
plus  en  concordance  avec  les  fenêtres  de  l'étage,  restées  dans 
leur  état  primitif,  avec  leurs  deux  colonnettes  engagées  et  leurs 
fortes  moulures. 

Pour  regarder  Lombard  comme  l'auteur  des  plans  de  cette 
originale  construction,  les  uns  ont  confondu  la  demeure  de  h 
place  St-Michel  avec  celle  du  chanoine  Liévin  Torrentius. 

Les  autres  ont  prétendu  que  le  grand  artiste  liégeois  du 
XVI'  siècle  avait  fait  ériger  cette  habitation  pour  son  usage 
personnel,  alors  qu'il  est  certain,  peut-on  dire,  qu'il  résida 
toujours  au  quartier  d'Avroy,  où  il  était  né. 

En  vérité,  on  ne  connaît  pas  le  nom  de  l'architecte  auteur 
des  plans  de  cette  maison,  mais  il  n'est  point  douteux  que  cette 
construction  est  de  beaucoup  postérieure  à  Lambert  Lombard. 

De  toutes  les  constructions  que  l'on  peut  attribuer  à  Lom- 
bard, la  façade  du  portail  de  l'église  St-Jacques  est  certainement 
l'œuvre  qui  fait  le  plus  honneur  à  son  talent  d'architecte. 

Sans  doute,  il  peut  paraître  étrange  de  voir  cette  devanture, 
du  style  de  la  plus  élégante  Renaissance  italienne,  accolée  à  un 
monument  gothique,  mais,  abstraction  faite  de  cette  considération, 
qui  ne  peut  rien  enlever  à  la  valeur  même  de  sa  belle  conception 


—  49  — 

architeclonique,  le  portail  de  St-Jacques,  dans  l'état  de  délabre- 
ment où  il  se  trouve,  privé  de  ses  statues  et  de  ses  bas-reliefs 
ainsi  que  des  dorures  de  son  décor  plastique,  nous  apparaît 
cependant  encore  comme  une  œuvre  en  tous  points  digne  d'ex- 
citer notre  admiration. 

Laissera-t-on  s'efïriter  jusqu'à  la  dernière,  et  au  point  de  ne 
plus  en  reconnaître  la  forme,  les  pierres  de  ce  beau  portail,  le 
plus  ancien  spécimen  de  la  Renaissance  italienne  en  Belgique? 

En  1901,  le  Comité  central  de  la  Commission  royale  des 
monuments  posait  la  même  question  à  son  Comité  provincial  de 
Liège,  et  celui-ci  de  répondre  dans  une  lettre  qui  a  été  rendue 
publique  : 

«  L'attention  du  Comité  provincial  a  été  sollicitée  par  le 
Comité  central  au  sujet  de  l'état  de  délabrement  du  porche 
Renaissance  de  l'église  St-Jacques,  à  Liège. 

)i  Aucun  membre  n'ignore  l'état  d'abandon  et  de  dégrada- 
tion, chaque  jour  croissant,  dans  lequel  disparaîtra  insensible- 
ment ce  petit  chef-d'œuvre  de  l'art  de  la  Renaissance,  importa- 
tion de  l'art  italien  en  notre  cité  à  une  époque  où  les  traditions 
de  l'art  national  étaient  encore  vivantes  et  fécondes  sur  les  bords 
de  la  Meuse.  Les  anciens  se  souviennent  d'y  avoir  vu  des  vestiges 
de  polychromie  et  de  dorures,  amoindries  aujourd'hui,  mais  non 
disparues  pour  un  œil  attentif. 

»  Ce  monument,  par  son  style  et  son  époque,  la  contra- 
diction originale  qui  en  résulte,  a  des  titres  particuliers  à  l'inté- 
rêt des  autorités  compétentes,  qui  ont  le  pouvoir  d'en  assurer  la 
conservation  et  la  restauration. 

»  Le  Comité  liégeois  fait  des  vœux  pour  que  le  Conseil 
de  fabrique  de  St-Jacques  rende  à  notre  cité,  dans  son  éclat 
primitif,  un  précieux  souvenir  du  XVI"  siècle  et  de  Lambert 
Lombard,  son  auteur.  » 


—  50  — 

C'était  bien  dit;  aussi,  la  restauration  du  portail  fut-elle 
décidée. 

Le  coût  de  la  dépense,  en  y  comprenant  l'exhaussement  de 
la  chapelle  latérale  nord  de  l'église,  était  estimé.à. 40,000  francs. 

Le  Conseil  communal,  dans  sa  séance  du  5  mai  1902,  a 
voté,  en  faveur  de  l'exécution  de  ce  projet,  un  subside  de 
10,000  francs. 

Le  Conseil  provincial,  dans  sa  réunion  du  25  juillet  suivant, 
a,  de  même,  fixé  son  intervention  à  5,000  francs,  et  nous  n'avons 
jamais  entendu  dire  que  le  Conseil  de  fabrique  de  l'église  Saint- 
Jacques,  non  plus  que  l'Etat,  se  refusaient  à  supporter  leur  part 
contributive  à  cette  dépense. 

Nous  nous  demandons,  dès  lors,  comment  il  se  fait  que, 
pour  l'exécution  de  ce  travail  si  utile  et  qui  s'impose,  on  ne  se 
soit  pas  encore  mis  à  l'œuvre? 

Il  y  a  doctrine  admise,  incontestée,  que  Lambert  Lombard 
était  un  homme  érudit,  un  esprit  cultivé,  dont  les  connaissances 
étaient  variées  et  profondes  en  art,  en  archéologie,  en  histoire 
et  en  philosophie  de  l'art. 

Lampsonius  rapporte  qu'il  s'est  longtemps  occupé  d'une 
sorte  de  traité  de  grammaire  des  arts,  c'est-à-dire  d'un  recueil 
de  maximes,  de  règles,  de  préceptes,  relatifs  aux  proportions,  à 
la  perspective  et  à  d'autres  connaissances  nécessaires  à  l'artiste 
qui  ne  veut  pas  s'en  tenir  seulement  à  la  pratique,  au  métier  de 
son  art  (i). 

Et  Vasari,  dans  ses  Vies  des  plus  excellents  peintres,  sculp- 
teurs et  architectes,  parlant  de  Lombard,  son  contemporain,  dit 
même  qu'il  est:  gran  liiteraio  (2). 


(1)  Lampsonius:   Lamberti  Lombardi  picoris   vite,   p.    14.   —   Helbig  : 
Lambert  Lombard,  p.  36. 

(2)  Georgio    Vasari.    peintre,    architecte    et    biograplie    italien,    né    à 
Arezzo,  en   1512,  mort  à  Florence,   en   1574. 


—  5'  — 

Mais  rien  qu'une  lettre,  de  tout  ce  que  Lombard  a  pu  écrire, 
est  parvenue  jusqu'à  nous.  Il  est  vrai  qu'on  ne  possède  pas  une 
seule  lettre  de  Molière,  pas  le  plus  court  billet  de  sa  main  et 
cependant  il  vécut  un  siècle  plus  tard  que  notre  illustre  conci- 
toyen, et  il  dut  énormément  écrire. 

Cette  épitre  de  Lombard  est  en  langue  italienne,  adressée 
à  Vasari  et  porte  la  date  du  27  avril  1565.  L'autographe  en  est 
conservée  au  dépôt  des  manuscrits  de  la  galerie  des  Uffizzi,  à 
Florence. 

M.  Helbig  en  a  donné  une  traduction  complète,  dans  son 
étude  sur  Lambert  Lombard  (i). 

Dans  cette  lettre,  Lombard  avoue  à  Vasari  que  s'il  ne  lui 
écrit  souvent,  c'est  parce  qu'il  n'a  plus  l'habitude  de  l'ita- 
lien, ayant  quitté  l'Italie  il  y  a  vingt-cinq  ans  et,  depuis  lors, 
ayant  eu  peu  l'occasion  de  se  servir  de  cette  langue.  Il  ajoute 
même,  pour  s'excuser  de  sa  «  grossière  missive  »  :  «  Je  suis 
peintre  et  non  un  écrivain  de  Liège  ». 

Parlant  de  Jean  de  Bruges  (Jean  van  Eyck)  et  des  peintres 
qui  vinrent  après  lui,  marchant,  mais  de  loin,  sur  ses  traces, 
il  s'exprime  en  ces  termes:  «  Jean  de  Bruges  ouvrit  les  yeux 
aux  coloristes,  mais  ceux-ci,  imitant  sa  manière  sans  trop  se 
préoccuper  de  progresser,  ont  rempli  nos  églises  d 'œuvres  qui 
ne  sont  pas  inspirées  de  la  nature,  mais  seulement  revêtues  de 
belles  couleurs  ». 

Il  témoigne,  au  contraire,  de  son  admiration  pour  le  génie 
d'Albert  Diirer  «  qui  nous  a  montré,  dit-il,  la  véritable  voie  de 
la  perfection  dans  l'art  ». 

Les  appréciations  de  Lombard,  ainsi  que  le  constate  M. 
Helbig,  ne  donnent  pas  seulement  la  mesure  de  ses  préférences. 


(1)    Helbig:   Lambert  Lombard,   p.   36. 


—  52  — 

elles  jettent  une  certaine  lumière  sur  les  mérites  que  le  peintre 
cherchait  à  assurer  à  ses  propres  œuvres,  ainsi  que  sur  le  style 
particulier  dont  il  eût  voulu  leur  donner  l'empreinte. 

Le  plus  souvent,  d'autres  peintres  se  forment  sous  la 
direction  et  dans  l'atelier  des  maîtres  qui  font  école. 

Il  en  fut  surtout  de  la  sorte  pour  Lambert  Lombard,  car  il  i 
laissé  des  élèves  qui  ont  pris  rang  dans  l'histoire  de  l'art. 

Parmi  ses  disciples,  en  plus  de  Lampson  et  Goltzius,  dont 
nous  avons  déjà  parlé,  on  distingue  deux  élèves  que  le  maître, 
à  ses  frais,  envoya  à  Rome  pour  y  compléter  leurs  études: 
Pierre  Dufour  et  Jean  Ramaye. 

Le  premier,  surnommé  de  Jalhea  ou  de  Jalhay,  imita  le 
mieux  la  manière  de  peindre  de  Lombard. 

S'il  est  presque  oublié,  aujourd'hui,  c'est  parce  que  le 
colori  de  ses  tableaux  ne  s'est  pas  maintenu,  ainsi  qu'on  peut 
le  voir  par  les  œuvres  de  cet  artiste  que  possèdent  encore  les 
églises  de  Liège  :  St-Jacques  et  St-Barthélemy. 

Jean  délie  Rameye  ou  Ramaye,  dont  les  tableaux  figurent, 
en  bonne  place,  dans  diverses  galeries  étrangères,  devint  gouver- 
neur, en  1585,  du  métier  des  orfèvres  de  Liège  auxquels,  suivant 
l'usage,  les  peintres  étaient  associés,  et  il  fut  appelé,  par  Marie 
de  Médicis,  pour  travailler  à  la  décoration  du  palais  du  Luxem- 
bourg, décoration  que  compléta,  par  la  suite,  Pierre-Paul 
Rubens. 

Frans  Floris,  ou  Franc  Flore,  d'Anvers,  est  un  disciple  de 
Lombard  qui  vit,  souvent,  ses  tableaux  attribués  à  son  maître. 
Il  est  l'auteur  de  la  Chute  des  Anges  rebelles  et  du  Jugement  de 
Salomon.  deux  tableaux  du  Musée  d'Anvers. 

Une  anecdote  prouve,  d'ailleurs,  que  Lombard  lui-même 
reconnaissait  que  son  élève  s'était  absolument  approprié  sa 
manière  de  peindre. 


—  5?  — 

Floris  avait  été  reçu  franc-maître  à  Anvers,  en  1540. 

Assez  longtemps  après,  Lambert  Lombard  lui  ayant  rendu 
visite  dans  la  métropole  commerciale  des  Pays-Bas,  son  ancien 
disciple  ne  voulut  point  le  laisser  partir  sans  qu'il  eût  dîné  avec 
lui.  Comme  le  repas  se  prolongeait  un  peu  trop,  suivant  l'habitude 
de  la  maison,  il  abandonna  la  table  et  se  glissa  dans  l'atelier: 
il  y  trouva  les  élèves  de  Floris,  bons  compagnons,  joyeux 
buveurs,  dont  la  langue  était  aussi  prompte  que  le  pinceau. 

La  conversation  tomba  naturellement  sur  leur  maître,  et  ils 
firent  son  éloge. 

<i  C'est  très  bien  à  vous  de  le  louer,  dit  Lombard,  seulement 
Floris  n'a  jamais  été  qu'un  voleur.  » 

Des  murmures  de  désapprobation  accueillirent  ces  paroles, 
et.  comme  le  Liégeois  les  répétait,  mes  gaillards  songeaient  à  lui 
faire  un  mauvais  parti,  quand  il  leur  en  expliqua  le  sens  : 

«  Oui,  un  voleur,  et  il  ne  faut  point  que  cela  vous  fâche. 
Il  a  été  mon  élève,  n'est-il  pas  vrai?  Eh  bien,  il  m'a  dérobé  tous 
les  secrets  de  mon  art.  » 

Les  rapins  crièrent  bravo,  et  Lambert  alla  rejoindre  les 
convives. 

<<  Tu  as  dans  ton  atelier  de  fameux  lurons,  dit-il  au  maître 
du  lieu;  j'ai  vu  le  moment  où  ils  allaient  m'étriller,  parce  que 
je  plaisantais  sur  ton  compte.  »  Et  il  leur  apprit  ce  qui  s'était 
passé.  L'aventure  les  égaya  tous,  et  Floris  donna  des  éloges  à 
ses  disciples,  qui  avaient  montré  tant  d'afïection  pour  lui  (>). 

Et  cet  autre  élève  de  Lombard:  Guillaume  Key  ou  Cayo 
de  Bréda,  dont  l'œuvre  totale  a  disparu,  mais  qui, en  son  temps, 
était  à  ce  point  réputé  que  le  duc  d'Albe  l'invita  à  reproduire  ses 
traits,  bien  qu'il  eiit  pour  peintre  attitré  Antonio  Moro. 


(1)  Michiels  :  loc.  cit.  t.  V,  p.  298. 


-  54  — 

L'exécution  de  cette  commande  aurait  même  été  la  cause 
occasionnelle  de  la  mort  de  l'artiste,  dans  des  circonstances  qui 
sont  ainsi  rapportées: 

Le  sanguinaire  représentant  de  Philippe  II  posait,  pour  son 
portrait,  lorsque  des  membres  du  tribunal  de  sang  vinrent  l'entre- 
tenir, en  espagnol,  s'imaginant  que  Key  ne  comprenait  pas  cette 
langue,  en  quoi  ils  se  trompaient.  Or,  ils  annoncèrent  au  duc 
d'Albe  la  sentence  inique  qui  allait  être  prononcée  contre  les 
comtes  d'Egmont  et  de  Homes,  les  condamnant  à  mort. 

Cette  nouvelle  épouvanta  le  peintre,  à  ce  point,  qu'à  peine 
rentré  chez  lui,  une  fièvre  violente  l'alita. 

Quelques  jours  après,  le  5  juin  1568,  il  expirait,  à  la  date 
môme  où  les  deux  martyrs  de  la  liberté  de  conscience  étaient 
décapités  sur  la  Grand'Place  de  Bruxelles. 

L'influence  qu'exerça  chez  nous,  Lambert  Lombard,  fut 
considérable,  sous  divers  rapports.  Nous  avons  vu  dans  quel 
état  d'infériorité,  au  point  de  vue  des  arts,  il  avait  trouvé  la 
Wallonie,  comparativement  à  la  partie  flamande  du  pays;  or, 
M.  Du  Jardin  a  pu  dire  que  Liège,  sous  l'impulsion  donnée  par 
Lombard,  était  devenue,  à  l'époque  de  sa  mort,  un  centre 
d'activité  intellectuelle  et  scientifique  dont  la  Belgique  peut  être 
fière  (I). 

Dans  des  circonstances  aussi  peu  favorables,  sur  un  terrain 
aussi  mal  préparé,  il  avait  fondé  l'école  wallonne  de  peinture. 

Et  le  peintre-biographe  Vasari  déclarait  que  «  ses  principes 
étaient  ceux  du  vrai  beau  et  que  ses  œuvres  étaient  admirables  ». 

Quant  au  peintre-écrivain  allemand.  Joachim  Sandrart  (2), 
dont  les  écrits  sur  l'art  sont  considérés  comme   des  sources 


(1)  Du  Jardin  :  L'Art  flamand,  t.  I,  p.  117. 

(2)  Joachim   Sandrart.    né   à   Francfort-sur-le-Mein,    en    1606.    mort   à 
Nuremberg,    en    1688. 


—  55  — 

précieuses  pour  son  temps,  il  s'exprime  en  ces  termes:  <i  Lambert 
Lombard  était  habile  artiste,  et  il  a  immortalisé  son  nom  par  les 
progrès  surprenants  qu'il  a  faits  dans  la  peinture,  la  sculpture 
et  l'architecture,  mais  plus  encore  dans  la  perspective  ». 

Nul  ne  conteste,  d'autre  part,  que  Lombard  est  au  premier 
rang  parmi  les  artistes  les  plus  intellectuels  du  XVI°  siècle. 

«  Il  ne  concevait  pas  qu'on  pût  arriver  à  la  perfection  dans  les 
arts,  sans  études  littéraires  et  philosophiques  préalables  »,  aussi 
(I  ses  connaissances  profondes  dans  les  lettres  et  les  sciences  le 
firent  ranger  parmi  les  savants  de  son  époque  ».  Ainsi  s'exprime 
encore  M.  Du  Jardin,  et  il  ajoute  :  <i  Son  idéal  était  le  travail  inces- 
sant, non  pas  seulement  borné  à  la  peinture,  -  loin  de  là!  il 
refusa  des  commandes  nombreuses  ;  —  mais,  étendu  à  toutes  les 
branches  de  l'activité  inteUectuelle.  Et  il  abandonnait  ses  pin- 
ceaux pour  passer  des  journées  et  des  nuits  entières  avec  ses 
auteurs  préférés.  Tout  le  sollicitait  à  fortifier  sa  science.  Rien 
d'aride  ne  le  rebutait  (i)-  " 

L'on  comprend,  dès  lors  que,  plein  d'enthousiasme  et 
d'admiration  pour  son  maître,  Hubert  Goltzius,  le  jeune,  ait  pu 
s'écrier  que  personne  ne  surpassait  Lombard  en  érudition. 

Tel  nous  apparaît,  dans  le  lointain  des  âges,  Lambert 
Lombard  :  artiste  d'un  mérite  vrai,  versé  dans  toutes  les  connais- 
sances, maître  glorieux  ayant  formé  des  élèves  qui  ont  rendu 
hommage  à  sa  mémoire,  le  précurseur,  enfin,  de  la  Renaissance 
flamande  que  devait,  un  siècle  plus  tard,  illustrer  Pierre-Paul 
Rubens. 


(I)   Du  Jardin  :   toc.   cit.,   p.   84. 


CHAPITRE    III. 


GÉRARD    DOUFFET 

"Darmi  les  artistes  qui  composaient,  au  XVII'  siècle,  l'Ecole 
Liégeoise,  dont  on  n'a  pas  suffisamment  apprécié  le 
mérite  et  l'importance,  ainsi  que  l'ont  reconnu  maints  auteurs, 
Gérard  Doufïet  a  particulièrement  marqué  parce  qu'il  a  repré- 
senté, dans  toute  son  intégrité,  le  principe  coloriste  de  Rubens 
dont  il  fut,  du  reste,  l'élève. 

Son  œuvre,  malheureusement,  ne  nous  est  qu'imparfaite- 
ment connue. 

Gérard  Douffet  n'est  pas.  dans  le  groupe  des  peintres 
mosans  du  XVII'  siècle,  dit  M.  Helbig,  celui  dont  le  nom  a  eu 
le  plus  de  retentissement,  mais  il  est  l'artiste  qui  a  le  plus  formé 
école  et  dont  les  élèves  ont  le  plus  marqué  dans  l'histoire  de 
l'art  (1). 

Si  le  maître  n'occupe  pas,  dans  l'Ecole  belge,  le  rang  auquel 
ses  aptitudes  l'ont  fait  atteindre,  il  convient  d'attribuer  cette  ano- 
malie, estime  d'autre  part,  M.  Jules  Du  Jardin,  à  une  cause 
regrettable:  l'extrême  rareté  de  ses  ouvrages  (2). 

Et  M.  A.-J.  Wauters  de  se  demander  si  des  portraits  de 
Douffet  ne  sont  pas  cachés  dans  maintes  galeries  ou  musées 
sous  les  noms  de  Rubens  ou  de  van  Dyck  (3)  ? 


(1)  Jules  Helbig  :  La  Peinture  au  Pays  de  Liège.  2*  édition,  p.  219. 

(2)  Jules  Du  Jardin  :  L'Art  flamand,  t.   II,   p.    163. 

(3)  A.-J.   Wauters:  Le  siècle  de  Rubens  et  l'Exposition  d'Art  ancien. 
Revue  de  Belgique  1910,  p.  313. 


-58- 

Gérard  Douffet,  dont  le  nom  est  parfois  écrit  Douffeit  ou 
d'Ouffet,  naquit  à  Liège,  le  6  août  1594,  dans  une  habitation 
appartenant  à  ses  parents  et  faisant  face  à  l'église  des  Domini- 
cains, dans  le  quartier  de  l'Ile. 

A  l'école,  il  ne  se  distingua  guère  que  par  les  figurines  qu'il 
se  plaisait  à  dessiner  sur  les  marges  des  pages  de  ses  cahiers, 
annonçant  ainsi  de  très  précoces  dispositions  pour  la  peinture. 
Aussi  fut-il  placé,  très  jeune,  en  apprentissage  chez  le  peintre 
Jean  Taulier  qui,  d'opinion  luthérienne,  avait  dû  quitter  Bru- 
xelles, son  lieu  de  naissance,  pour  venir  s'installer  à  Liège  et  y 
cacher  ses  convictions  philosophiques. 

Bien  que  peu  connu,  comme  peintre,  Jean  Taulier  n'exerça 
pas  moins  une  grande  influence  sur  le  développement  de  la 
peinture  au  pays  de  Liège,  ayant  conservé  intacts  les  préceptes 
artistiques  des  anciens  romanistes  qu'il  avait  puisés  dans  ses  pre- 
mières études,  en  Brabant  et  en  Flandre. 

((  11  n'enseignait  point  l'imitation  de  l'Ecole  française  du 
XVir  siècle,  qui  débutait  alors,  dit  M.  Alfred  Michiels,  mais  il 
communiquait  aux  jeunes  gens  mis  sous  sa  tutelle  son  enthou- 
siasme pour  l'Ecole  italienne.  La  direction  qu'ils  prirent  en 
sortant  de  chez  lui  le  démontre  suffisamment.  C'était,  d'ailleurs, 
un  homme  de  grandes  ressources,  qui  avait  beaucoup  étudié,  qui 
gravait  sur  bois  et  sur  cuivre.  Le  tableau  du  maître-autel,  dans 
la  collégiale  de  St-Martin.  était  regardé  comme  son  meilleur 
travail.  » 

Gérard  Douffet  ayant  quitté  son  premier  maître  pour  se 
rendre  à  Dînant,  chez  un  peintre  nommé  Perpète,  celui-ci, 
rapporte  de  Becdelièvre,  jugea  qu'il  n'avait  rien  à  lui  apprendre; 
il  écrivit  à  ses  parents  pour  les  informer  des  heureuses  disposi- 
tions de  leur  fils,  et  pour  les  engager  à  lui  donner  un  maître 


GÉRARD  DOUFFET 
et 

SA.   FAMILLE 

d'après  le  dessin  conservé  au  Musée  d'Ansembourg  et  attribué  au  peintre 


—  Gi  — 

qui,  par  son  habileté,  fut  en  état  de  le  perfectionner  dans  un 
art  pour  lequel  il  paraissait  avoir  un  génie  particulier  (i). 

L'avis  de  cet  honnête  et  consciencieux  patron  fut  suivi  : 
Douffet  est  reçu  au  nombre  des  élèves  de  Pierre-Paul  Rubens 
qui,  à  son  retour  d'Italie,  à  la  fin  de  l'année  1608,  avait  ouvert 
un  atelier  à  Anvers. 

A  une  telle  école,  heureusement  doué,  enthousiaste  de  son 
art,  Gérard  Doufîet  fit  des  progrès  aussi  rapides  que  brillants. 
Le  génie  du  grand  maître  était,  du  reste,  à  son  apogée  et  Doufîet 
en  subit  toute  l'influence,  malgré  ses  tendances  plutôt  romanistes. 

Cette  influence  se  manifeste  particulièrement  dans  une 
Déposition  de  Croix  qu'il  dut  peindre  à  cette  époque,  si  pas 
dans  l'atelier  même  de  Rubens. 

Entendez  l'auteur  du  beau  livre  van  Dyck  et  ses  élèves 
porter  jugement  sur  cette  toile  de  Gérard  Douffet.  Après  avoir 
analysé  le  Sauveur  descendu  de  croix  de  van  Dyck  et  manifesté 
toute  son  admiration  pour  l'énergique  impression  qui  s'en  dégage, 
M.  Alfred  Michiels  poursuit  en  ces  termes: 

i<  Eh  bien,  cette  œuvre  terrible  a  été  dépassée:  l'exposdtion 
rétrospective  du  troisième  centenaire  de  Rubens,  à  Anvers,  con- 
tenait un  morceau  plus  dramatique.  L'auteur,  Gérard  Doufîet, 
n'a  pas  une  grande  renommée:  c'est  un  auteur  wallon  qui 
travailla  pendant  deux  ans  dans  l'atelier  de  Pierre-Paul,  quitta 
ensuite  le  maître  immortel,  s'éprit  de  la  manière  française 
contemporaine  et  fonda  l'Ecole  de  Liège. 

La  toile  représente  aussi  le  Galiléen  descendu  de  croix; 
par  son  violent  caractère,  par  l'énergie  et  le  mérite  de  l'exécution, 
elle  agrandit,  élève  beaucoup  l'idée  qu'on  avait  pu  se  faire 
jusqu'ici  de  l'auteur. 

Le  Nazaréen,  descendu  de  l'instrument  funèbre,  est  assis 
sur  un  bloc  de  pierre,  comme  une  personne  vivante  ;  Joseph 
d'Arimathie,  la  main  enveloppée  d'un  linge  volumineux,  le  sou- 
tient par  l'aisselle  droite,  tandis  que  la  Vierge  le  soutient  par 


(1)   de   Becdelièvre  :   Biographie  liégeoise,   t.    II.   p.    149. 


—  Ga- 
le bras  gauche;  la  main  dont  elle  touche  le  cadavre  est  aussi 
enveloppée  d'une  étoffe  blanche,  comme  si  le  contact  des  chairs 
mortes  répugnait  aux  deux  personnages. 

Le  corps  du  martyr,  en  pleine  décomposition,  justifie  cette 
horreur:  livide,  jaunâtre,  semé  de  teintes  bleues,  il  est  sinistre 
à  voir.  La  mort,  pour  le  colorer,  semble  avoir  épuisé  sa  sinistre 
palette.  Coagulés  par  le  sang,  les  cheveux  se  plaquent  sur  la 
figure  verdâtre.  Marie  de  Bethléem,  néanmoins,  tenant  par  l'occi- 
put cette  tête  effroyable,  baise  les  lèvres  noircies  avec  un  dernier 
sentiment  de  tendresse  et  un  courage  surhumain  qui  fait 
frissonner. 

A  sa  gauche,  le  disciple  chéri,  personnage  au  type  élégant 
et  sentimental,  d'une  rare  distinction,  porte  dans  ses  mains  un 
vase  de  cuivre  où  se  tuméfie  une  éponge  ensanglantée  :  on  vient 
de  laver  les  plaies  du  Christ,  d'achever  sa  funèbre  toilette. 

Joseph  d'Arimathie,  dont  les  traits  ont  aussi  une  rare 
élégance,  fait  face  à  l'apôtre  bien-aimé. 

Au  second  plan,  l'espace  demeuré  libre  entre  Saint  Jean  et 
Marie  est  occupé  par  la  tête  paisible  et  curieuse  d'un  vieillard 
rubicond,  dans  le  goût  de  Rubens,  et  par  la  tête  assombrie  de 
Madeleine  éplorée. 

Les  ombres  fortes  du  divin  cadavre  et  des  linges  prodigués 
sous  lui,  autour  de  lui,  donnent  au  travail  un  relief  et  une 
vigueur  extraordinaires.  La  couleur  est  d'une  intensité,  d'une 
science  prodigieuses:  dans  cette  lugubre  symphonie,  le  manteau 
pourpre  de  Saint-Jean  introduit,  seul,  une  note  qui  rappelle  le 
monde  des  vivants. 

Jamais  scène  de  la  Passion  n'a  été  exprimée  d'une  manière 
plus  tragique.  Ribera  aurait  pu  signer  cette  toile,  qui  soutiendrait 
sans  désavantage  la  proximité  des  siennes.  Les  formes,  les  lignes, 
les  contours  et  le  travail  du  pinceau  méritent  les  mêmes  éloges. 
Elles  doivent  avoir  été  peintes  par  Douffet  sous  les  yeux  de 
Rubens,  ou  peu  de  temps  après  qu'il  eut  quitté  le  maître  puissant, 
dont  l'influence  se  révèle  partout  dans  son  œuvre,  dans  la 
donnée  aussi  bien  que  dans  l'exécution  (i).  » 


(1)   Alfred  Michiels  :  van  Dyck  et  ses  élèves.  Seconde  édition.   Paris, 
Renouard,    1882,   p.   290. 


-  <'>3  - 

Et  le  critique  littérateur  français  de  glisser  cette  note,  au 
bas  de  la  page  que  nous  venons  de  transcrire  : 

«  Un  musée  belge  devrait  faire  tout  au  monde  pour  acquérir 
cette  œuvre  unique  dans  son  genre  et  qui  a  la  valeur  d'un 
document  fiistorique.  Elle  appartient  à  M.  Félix  Bamberg,  consul 
général  d'Allemagne,  à  Messine,  qui  l'a  envoyée,  je  ne  sais 
comment,  aux  organisateurs  des  fêtes  du  Centenaire. 

Plus  tard,  le  peintre  liégeois  fut  emporté  à  la  dérive  par 
l'imitation  de  l'Ecole  française.  A-t-il  manifesté  ailleurs  le  rare 
talent  qui  dramatise  ce  morceau?  On  ne  peut  le  savoir,  pour  le 
moment.  Un  heureux  hasard  m'a  seul  fait  connaître  ce  chef- 
d'œuvre  que  personne  n'avait  apprécié,  qui  ne  se  trouve  indiqué 
nulle  part.  » 

Il  n'est  pas  à  notre  connaissance  que  des  négociations  aient 
été  entamées,  à  cette  époque,  pour  conserver  au  pays  cette  toile 
de  Doufîet.  Nous  avons  cherché,  en  ces  derniers  temps,  à  savoir 
ce  qu'elle  était  devenue  et  nous  sommes  seulement  parvenus  à 
apprendre  de  M.  Ed.  Jacob,  consul  actuel  d'Allemagne,  à 
Messine,  que  M.  Bamberg  père  est  décédé,  il  y  a  une  vingtaine 
d'années,  que  Madame  Bamberg  n'existe  non  plus;  enfîn,  que 
le  sort  de  leur  fils  unique,  M.  Maurice  Bamberg,  est  actuellement 
inconnu. 

<(  Il  est  à  croire,  nous  écrit  l'honorable  M.  Jacob,  que  cette 
belle  toile,  que  je  me  rappelle  parfaitement,  a  changé,  dès  lors, 
déjà  plusieurs  fois  de  possesseur.  » 

Espérons  que  nous  la  retrouverons  quelque  jour  et  qu'il  sera 
possible,  alors,  d'en  assurer  la  conservation  au  pays. 

Ayant  conçu  le  projet,  afin  de  compléter  son  éducation  artis- 
tique, d'entreprendre  le  pèlerinage  traditionnel  de  l'Italie,  Gérard 
Douffet,  en  quittant  l'atelier  d'Anvers,  rentra  d'abord  dans  sa 
ville  natale  et  y  peignit  une  Judith  coupant  la  tête  d'Holopheme, 


-  64  - 

d'après  la  gravure  d'un  tableau  de  Rubens  et,  vraisemblable- 
ment, les  souvenirs  qu'il  avait  conservés  de  l'œuvre  originale; 
un  Prométhée  dévoré  par  un  vautour  et  divers  portraits. 

En  1614,  alors  qu'il  n'était  encore  âgé  que  de  vingt  ans,  il 
partit  pour  l'Italie  et  se  rendit  à  Rome,  où  il  séjourna  sept  ans, 
dessinant  les  statues  antiques,  s'adonnant  à  l'étude  des  œuvres 
des  plus  grands  peintres  italiens,  s'efforçant  aussi,  courageuse- 
ment, de  réparer  les  lacunes  de  sa  première  éducation  en  abor- 
dant l'histoire,  la  philosophie,  le  latin  et  même  la  poésie. 

L'Ecole  de  Bologne  y  était  en  grand  honneur.  Douffet 
s'appropria  le  genre  et  les  procédés  de  Guldo  Reni  dit  le  Guide, 
c'est-à-'dire  un  coloris  doux  et  éclatant  à  la  fois,  la  richesse  et 
l'harmonie  dans  la  distribution  de  la  lumière,  ce  qui,  mieux  que 
le  réalisme  flamand,  répondait,  semble-t-il,  à  ses  aspirations  et 
fit  sa  fortune  dans  le  genre  portrait,  auquel  il  s'adonna,  dès 
lors,  de  préférence,  et  avec  le  plus  de  succès. 

Avant  de  quitter  l'Italie,  pour  rentrer  en  son  pays,  il  aurait 
voulu  visiter  Naples,  mais  le  bateau  sur  lequel  il  s'était  embarqué, 
fut  assailli  par  une  tempête  et  obligé  de  relâcher  à  Malte,  d'où  il 
revint  à  Rome,  y  terminer  quelques  travaux.  Ayant  réuni  les 
ressources  nécessaires  pour  entreprendre  son  voyage  de  retour, 
il  s'achemina  vers  le  pays  natal  avec  deux  amis,  peintres  comme 
lui:  Tilmant-Woot  de  Trixhe  et  Michel  Houbart,  ses  compa- 
triotes. 

<(  Chemin  faisant,  rapporte  de  Becdelièvre,  le  hasard  les  con- 
duisit à  un  magnifique  château  dont  le  concierge  leur  montra 
toutes  les  curiosités,  entre  autres,  un  portrait  en  petit  qu'il  leur 
vanta  comme  un  chef-d'œuvre.  Douffet  se  content  nt  d'abord 
de  le  regarder  sans  le  louer,  le  concierge  lui  fit  sentir  son  igno- 
rance; mais  sa  surprise  fut  extrême,  lorsque  notre  peintre  s'en 
avoua  l'auteur.  Malgré  les  plus  vives  instances  du  concierge  tout 
émerveillé,  Douffet  et  ses  deux  compagnons  continuèrent  leur 


-65- 

route,  et  arrivèrent  à  Pesaro,  où  Houbart  tomba  malade  :  à  peine 
eut-il  repris  des  forces  qu'il  se  remit  en  marche;  quelques  jours 
après,  il  retomba  de  nouveau;  ne  pouvant  plus  suivre  ses  amis, 
ceux-ci  le  quittèrent  après  avoir  partagé  avec  lui  leur  petit  trésor 
et  lui  promirent  de  l'attendre  à  Venise  (i).  » 

Ayant  abandonné,  à  leur  compagnon,  la  moitié  de  la  bourse 
commune  qui,  au  surplus,  n'était  pas  considérable,  c'est  dans  le 
plus  complet  dénuement  que  Douffet  et  de  Trixhe  entrèrent  à 
Venise. 

Ils  rencontrèrent,  heureusement,  dès  leur  arrivée  en  cette 
ville,  un  Liégeois  du  nom  de  Pierre  des  Ursins,  dont  ils  avaient 
fait  la  connaissance  à  Rome.  Celui-ci  les  introduisit  dans  une 
hôtellerie  en  répondant  de  leur  dépense  et  procura,  de  suite,  la 
commande  de  quelques  portraits  à  Douffet  qui  peignit  aussi  un 
tableau  pour  un  noble  Vénitien. 

Les  deux  artistes  continuèrent  ainsi  à  travailler  à  Venise, 
pendant  tout  l'hiver  de  1622  à  1623. 

Ayant,  enfin,  réuni  quelque  argent  pour  continuer  leur 
voyage,  ils  rentrèrent  à  Liège,  au  printemps  suivant. 

Dès  son  retour,  Gérard  Douffet  vit  le  prince-évêque  de 
Liège,  archevêque  de  Cologne,  Ferdinand  de  Bavière,  s'inté- 
resser à  lui  et  l'honorer  de  commandes. 

Il  fit  son  portrait  et,  ainsi  qu'il  arrive  presque  toujours,  en 
semblables  circonstances,  bientôt  la  plupart  des  notabilités  du 
pays  de  Liège  voulurent  avoir  leurs  traits  reproduits  par  le 
peintre  du  prince. 

Pour  l'église  de  l'abbaye  de  Saint-Laurent,  il  exécuta  une 
importante  composition,  aux  figures  de  grandeur  naturelle; 
V Invention  de  la  Sainte  Croix;  et  pour  l'église  des  Frères 
Mineurs    (Eglise   Saint-Antoine),    une   autre   importante   toile: 


(1)   Biographie  liégeoise,  t.   II,  p.    151. 


-  66  — 

La  glorification  de  Saint-François  d'Assise,  dont  les  figures,  très 
nombreuses,  sont,  à  peu  près,  de  grandeur  naturelle. 

Ces  deux  œuvres  capitales  du  peintre  Doufîet  sont  actuelle- 
ment à  la  Pinacothèque  de  Munich  qui  possède  aussi  de  lui  : 
quatre  très  beaux  portraits,  trois  d'hommes  et  un  de  femme.  Celui 
catalogué  sous  le  n"  876  porte  la  date  de  1624;  il  aurait  donc  été 
peint,  à  Liège,  un  an  après  que  Gérard  Doufîet  y  fut  rentré, 
retour  d'Italie. 

Avant  de  passer  à  la  Pinacothèque  de  Munich,  ce  portrait 
appartenait  à  la  galerie  de  l'Electeur  palatin,  Jean-Guillaume,  à 
Dusseldorf  et  le  catalogue  le  renseignait  comme  devant  repré- 
senter un  ancien  magistrat  liégeois. 

Suivant  Louis  Abry,  la  Glorification  de  Saint-François 
d'Assise  passait,  à  Liège,  pour  le  chef-d'œuvre  de  Gérard 
Doufîet  :  «  Je  l'ai  ouï  estimer  la  plus  signalée  de  ses  peintures, 
écrit  ce  biographe,  son  contemporain,  par  les  premiers  connais- 
seurs de  Liège,  tant  pour  la  grandeur  de  sa  disposition  que  pour 
le  nombre  des  figures,  la  situation,  l'élévation  et  la  descente  des 
terrains,  que  l'on  ne  voit  guère  ailleurs;  enfin  ce  serait  aller 
trop  loin  que  de  vouloir  découvrir  la  beauté  de  l'art  qui  s'y  trouve 
enfermée  (').  » 

Pour  ce  qui  est  de  V Invention  de  la  Sainte  Croix,  cette  toile 
figure,  à  Munich,  parmi  les  raretés  de  la  Pinacothèque.  Une 
inscription,  placée  au  bas  de  l'ancien  cadre,  mentionnait  que  le 
tableau  avait  été  mis  en  place,  au  monastère  de  Saint-Laurent,  à 
Liège,  en  1624.  Le  catalogue  de  Munich  nous  apprend,  d'autre 
part,  que  l'électeur  palatin  Jean  Guillaume,  ayant  proposé 
d'acheter  cette  toile  importante  (2  m  75  de  haut  sur  3  m  30  de 
large)  signée  de  Douffet,  et  son  ofïre  ayant  été  acceptée,  il  en 


(1)  Louis  Abry:  Les  Hommes  illustres  de  la  nation  liégeoise,  p.   196. 


-67  - 

donna  le  double  de  la  somme  demandée  par  les  moines  de  la 
puissante  abbaye,  soit  2,000  florins. 

Avant  de  partir  pour  Rome,  Gérard  Doufïet  avait  aimé  la 
fille  d'un  voisin  de  la  maison  paternelle:  Catherine  Dardespine; 
il  en  avait  fait  le  portrait  qu'il  emporta  en  Italie,  lui  laissant  le 
sien  en  retour. 

Revenu  à  Liège,  il  la  courtisa,  sans  trop  d'impatience, 
pendant  cinq  années  et  l'épousa  en  1628.  L'année  suivante, 
naissait  de  cette  union,  un  fils  qui  s'adonna  à  l'arcfiitecture  sans 
particulièrement  se  distinguer  en  cet  art.  Doufïet  ne  semble  point 
avoir  eu  d'autre  descendance  qui  lui  ait  survécu. 

A  cette  époque,  deux  partis,  également  puissants  et  soutenus 
l'un  et  l'autre,  se  disputaient  la  prépondérance  dans  la  ville  de 
Liège:  les  Chiroux.  partisans  de  l'évêque  Ferdinand  de  Bavière 
et  de  l'esprit  germanique  et  les  Grignoux,  qui  tenaient  pour  la 
France  et  la  civilisation  française.  La  lutte  entre  eux,  on  le  sait, 
ne  dura  pas  moins  de  vingt-trois  ans,  avec  des  fortunes  diverses, 
et  devint  parfois  sanglante. 

Gérard  Douffet  s'était  montré  champion  ardent  des 
Chiroux;  aussi,  ceux-ci,  ayant  eu  le  dessous,  en  1646,  notre 
peintre  fut  obligé  de  quitter  la  ville  et  ce  ne  fut  qu'au  bout  de 
deux  années  qu'il  put  y  rentrer  et  continuer  ses  travaux. 

Une  oeuvre  importante  de  Doufïet,  dont  la  composition 
accuse  des  réminiscences  du  célèbre  tableau  de  Rubens,  à  la 
cathédrale  d'Anvers,  est  la  Descente  de  Croix  qu'il  a  exécutée 
pour  le  maître-autel  de  l'église  de  Cornelis  Munster,  près  d'Aix- 
la-Chapelle,  et  que  l'on  trouve,  aujourd'hui  encore,  à  la  place 
pour  laquelle  elle  a  été  peinte. 

Elle  avait  été  commandée  par  un  seigneur  d'Eynatten,  abbé 
du  monastère  de  cette  ville,  mort  en  1645,  et  dont  les  armes 
figurent  dans  un  fragment  d'architecture  du  tableau. 


—  68  — 

Enlevée  par  les  armées  françaises,  en  1802,  cette  peinture 
a  été  restituée  après  la  prise  de  Paris  par  les  Alliés.  Elle  a  été 
nettoyée  et  rentoilée  en  1841  et  son  état  de  conservation  laisse  à 
désirer. 

Plus  terne,  plus  froide  que  dans  les  grandes  pages  de 
Munich,  la  couleur  des  reliefs  aboutit,  dit  M.  Michiels,  à  de 
mornes  demi-teintes,  qui  se  noient  en  des  ombres  terreuses  et, 
malgré  le  souvenir  du  maître  émouvant,  l'ordonnance  est  faible, 
et  une  pesanteur  léthargique  endort  toutes  les  lignes  (i). 

En  1640,  Douffet  avait  peint  un  triptyque  dont  le  panneau 
central  représentait  le  Martyre  de  Sainte-Catherine  et  qui  passait 
pour  un  de  ses  meilleurs  travaux  historiques. 

Les  volets  fermés,  laissaient  apparaître  les  portraits  des 
donateurs  :  Walthère  de  Liverloo,  riche  négociant  liégeois,  et  son 
épouse  Jeanne  de  Fossé.  Ils  étaient,  dit-on,  très  remarquables 
comme  exécution  et  saisissants  de  ressemblance. 

Ce  triptyque,  placé  dans  l'église  Sainte-Catherine,  à  Liège, 
devint  la  proie  des  flammes,  lors  du  bombardement  de  la  ville, 
par  le  marquis  de  Boufflers,  en  1691. 

Pour  la  cathédrale  Saint-Lambert,  Doufîet  avait  produit 
plusieurs  tableaux  qui  ont  disparu  lors  de  la  démolition  de  cette 
église  :  Une  Elévation  en  croix,  un  Crucifiement,  une  Résurrec- 
tion de  Lazare. 

On  ne  sait  non  plus  ce  qu'est  devenu  un  tableau  commandé 
au  peintre  par  les  administrateurs  de  l'hospice  du  Petit-Saint- 
Jacques,  au  pont  d'Avroy,  pour  la  chapelle  de  leur  hôpital: 
La  Vocatian  de  l'apôtre  Saint-Jacques. 

Fisen  en  a  fait  trois  copies:  une,  dans  les  mêmes  propor- 
tions que  l'original,  les  deux  autres,  de  dimensions  réduites,  et 
Natalis  en  a  publié  la  gravure,  en  1648. 


(1)  Alfred  Michiels  :  Histoire  de  la  peinture  flamande,  t.  X,  p.  131. 


Ce  tableau  a  été  vendu  par  les  administrateurs  de  l'hospice 
à  l'électeur  palatin  Jean  Guillaume,  le  4  mai  1700,  pour  le  prix 
de  dix  mille  florins  brabant.  Une  copie,  exécutée  à  ses  frais, 
devait,  en  plus,  être  remise  aux  vendeurs. 

L'œuvre  de  Douffet  figurait  encore  au  catalogue  de  la  galerie 
de  Dusseldorf.  imprimé  en  1751,  tandis  qu'il  n'en  n'est  plus  fait 
mention  au  catalogue  de  1781.  Il  est  à  supposer,  dit  M.  Helbig, 
qu'elle  se  trouve  dans  l'un  ou  l'autre  château  de  la  maison  de 
Bavière. 

Le  décès  de  l'électeur  Charles-Théodore,  qui  avait  succédé 
à  Jean-Guillaume,  fit,  en  effet,  échoir,  en  1799,  le  Palatinat  à  la 
maison  de  Bavière,  dont  Maximilien-Joseph  transporta,  dans  sa 
capitale,  les  tableaux  de  la  célèbre  galerie. 

La  ville  de  Liège  aurait,  à  un  moment  donné,  renfermé  dans 
les  églises,  aussi  bien  que  dans  les  couvents  et  chez  quelques 
amateurs,  dix-sept  tableaux  de  Gérard  Douffet,  que  les  révolu- 
tions, les  ventes  à  l'étranger,  la  mort  des  propriétaires  ont 
dispersés  ou  anéantis  pour  la  plupart. 

Le  Musée  des  Beaux-Arts,  de  Liège,  ne  possède  qu'un 
panneau  décoratif  de  Douffet  :  La  Forge  de  Vulcain,  ce  qui  n'est 
guère  pour  la  galerie  de  la  ville  natale  du  maître! 

Peint  d'une  touche  large  et  grasse,  d'une  couleur  vive  et 
forte,  ce  tableau  remet  en  mémoire,  dit  M.  Michiels,  par  ses 
ombres  diaphanes,  par  les  tons  fins  de  ses  lumières,  que  l'auteur 
avait  reçu  des  leçons  de  Pierre-Paul  Rubens. 

Le  même  auteur  croit  pouvoir  attribuer  à  Gérard  Douffet 
le  tableau  qui  orne  un  des  petits  autels  de  l'église  Sainte-Véro- 
nique :  St-Roch  intercédant  auprès  de  la  Vierge  pour  les  pestiférés. 
D'autres,  le  croyent  de  Bertholet  Flémalle,  son  élève. 

Les  couleurs  de  cette  toile  avaient  fortement  poussé  au  noir, 
les  chairs  même  étaient  devenues  sombres,  à  ce  que  l'on  rapporte; 


—  70  — 

toujours  est-il  que  le  tableau  a  beaucoup  souffert  des  retouches 
nombreuses  et  importantes  qu'il  a  subies. 

M.  Helbig  estime,  d'autre  part,  qu'une  Sainte  famille,  ayant 
fait  successivement  partie  des  collections  du  chanoine  Hamal  et 
du  curé  Scheen,  à  Wonck,  appartenant  aujourd'hui  au  Musée 
diocésain,  pourrait  bien  être  de  Gérard  Douffet. 

Si  l'on  discute  le  mérite  et  la  valeur  de  certains  tableaux 
d'histoire  de  Doufïet,  on  s'accorde,  au  contraire,  à  reconnaître 
qu'il  excellait  dans  le  portrait,  s'y  montrant  même,  souvent, 
d'une  supériorité  incontestée. 

«  Il  a  laissé,  dit  M.  Du  Jardin,  de  forts  beaux  portraits, 
simples,  pleins  de  caractère  dans  la  pose  et  le  costume,  d'une 
exécution  large  et  souple,  sobres  de  tons,  très  expressifs  et  très 
vivants  (i).  »  On  n'a  pas  retrouvé  beaucoup  de  portraits  peinto 
par  Gérard  Douffet. 

Nous  citerons,  cependant,  indépendamment  de  ceux  de  la 
Pinacothèque  de  Munich,  celui  du  bourgmestre  de  Liège, 
Sébastien  La  Ruelle,  signé  et  daté  de  1630,  actuellement  dans  la 
salle  du  Collège,  à  l'Hôtel  de  Ville;  les  portraits  du  comte 
J.-B.  d'Oultremont,  du  comte  Charles  de  Hanxeller  et  de  sa 
femme,  née  d'Oultremont,  au  château  de  Warfusée. 

Où  sont  les  autres?  «  Cachés,  bien  sûr,  sous  les  noms  de 
Rubens  ou  de  van  Dyck  )>,  répond  M.  Wauters,  ce  qui  est  le 
plus  bel  éloge  que  l'on  pourrait  faire  du  peintre  liégeois  (2). 


(1)  Du  Jardin:  L'Art  flamand,  t.   II,  p.   163. 

(2)  Voir  sur  la  reconstitution  du  catalogue  de  l'œuvre  de  Douffet  ; 
J.  Helbig  :  La  peinture  au  Pays  de  Liège.  2'  édition,  p.  237  à  241.  — 
G.  Jorissen  :  Les  œuvres  de  Douffet.  dans  Chronique  archéologique  du  Pays 
de  Liège,  1910,  p.  96.  —  J.  Moret  :  Notes  d'Archives  concernant  la  vente  de 
trois  tableaux  de  Gérard  Douffet,  même  Chronique  1911,  p.  17. 


—  yr  — 

Malgré  ses  nombreux  travaux,  les  protections  qui  ne  lui 
firent  point  défaut  et  la  réputation  dont  il  jouissait,  surtout  comme 
peintre  de -portraits,  ce  qu'il  faut  aussi  considérer,  Gérard  Douffet 
ne  semble  avoir  jamais  réalisé  des  économies. 

«  Il  parvint  à  la  fin  de  ses  jours  sans  avoir  fait  d'épargnes, 
dit  de  Becdelièvre.  La  gloire  et  non  l'argent  le  guidait  dans  ses 
travaux.  Il  méditait  longtemps  les  sujets  qu'il  voulait  traiter  et 
composait  lentement.  Le  maniement  trop  assidu  du  pinceau  le 
mettait  dans  un  état  d'épuisement  et  d'affaissement  qui  faisait 
craindre  pour  sa  vie;  aussi  la  faiblesse  de  sa  santé  le  forçait-elle 
souvent  d'avoir  recours  au  repos.  Les  violentes  douleurs  de 
goutte,  dont  il  fut  tourmenté  les  dernières  années  de  sa  vie,  ne 
lui  firent  rien  perdre  de  sa  tranquillité  d'esprit.  Doufîet  aimait  le 
séjour  de  la  ville  de  Liège;  il  avait  sa  demeure  dans  la  rue 
d'Amay.  où  il  était  logé  commodément.  Cet  habile  artiste  mourut 
l'an  1660,  à  l'âge  de  soixante-six  ans;  il  a  été  enterré  dans 
l'église  des  PP.  Dominicains  de  Liège  (i)-  >' 

Les  principaux  élèves  de  Douffet  ont  été  : 

Gérard  Goswin,  peintre  de  fleurs  des  plus  distingués,  très 
instruit,  qui  se  fit  connaître  avantageusement,  d'abord  à  Rome, 
ensuite  et  surtout  à  Paris,  où  Louis  XIII  l'appela  à  sa  cour  pour' 
le  charger  de  donner  des  leçons  de  dessin  au  dauphin  qui,  plus 
tard,  devait  devenir  Louis  XIV. 

Goswin  a  été  reçu  membre  de  l'Académie  des  Beaux-Arts  de 
Paris,  lors  de  la  fondation  de  cette  institution  en  1648. 

Né  à  Liège  le  20  juin  1616,  il  y  est  décédé  le  12  janvier  1691. 

Jean-Gilles  Delcour.  frère  du  sculpteur  Jean  Delcour  dont  il 
a  fait  le  portrait  qui  est  au  Musée  des  Beaux-  Arts  de  la  ville  de 
Liège. 


(1)  de  Becdelièvre.  t.  II,  p.  153. 


—  72  — 

Né  à  Hamoir,  en  1632,  mort  à  Liège  le  19  août  1695.  Gilles 
Delcour  s'attacha,  principalement,  pendant  son  séjour  de  sept 
années  à  Rome,  à  exécuter  des  copies  des  tableaux  des  grands 
peintres  italiens,  avec  lesquels,  dans  son  travail  de  copiste,  il 
cherchait  et  réussissait,  jusqu'à  un  certain  point,  à  s'identifier. 

Les  tableaux  qu'il  peignit  pour  différentes  églises  de  Liège, 
après  son  retour  en  cette  ville,  en  1664,  ont  disparu  sans  laisser 
de  traces. 

Enfin,  Bertholet  Flémalle,  dont  nous  allons  nous  occuper 
spécialement,  a  été  de  tous  les  élèves  de  DouHet,  celui  qui  a  le 
plus  marqué,  en  notre  pays,  dans  l'histoire  de  l'Art. 


CHAPITRE    IV. 


BERTHOLET    FLEMALLE 


"C'lémalle  Barthélémy,  connu  sous  le  nom  de  Bertholet  Flé- 
malle,   Bertholet  n'étant  qu'une  abréviation  familière  du 
prénom  Barthélémy,  est  né  à  Liège,  le  23  mai  1614. 

Son  père  était  peintre  verrier,  et  jouissait  d'une  certaine 
aisance,  bien  qu'à  la  tête  d'une  famille  assez  nombreuse.  Soiron 
est  le  nom  de  famille  de  si  mère. 

Enfant,  Bertholet,  heureusement  doué,  montra  des  disposi- 
tions égales,  peut-on  dire,  pour  la  musique  que,  du  reste,  il 
cultiva  toute  sa  vie,  et  pour  les  arts  du  dessin  auxquels  il  ne  tarda 
guère  à  s'adonner  de  préférence. 

Entré  à  l'école  des  enfants  de  chœur  de  la  maîtrise  de  la 
cathédrale  Saint-Lambert,  il  s'y  était  rapidement  distingué, 
mais  sa  vocation,  faut-il  croire,  l'entraînait  plutôt  vers  la 
peinture.  Toujours  est-il  que,  très  jeune,  il  fut  placé  en  apprentis- 
sage chez  un  peintre  du  nom  de  Henri  Trippet  ou  Trippez,  dont 
les  contemporains  faisaient  quelque  cas,  mais  dont  le  nom  n'a  été 
sauvé  de  l'oubli,  comme  le  dit  un  biographe,  qu'à  l'ombre  de 
celui  de  son  élève. 


—  74  — 

Aussi,  lorsque  Douffet,  revenu  d'Italie,  ouvrit,  à  Liège,  un 
atelier  qui  eut  promptement  grande  réputation,  Bertholet  s'em- 
pressa de  s'y  rendre  et  ce  fut,  en  réalité,  ce  maître  qui  lui  donna 
la  direction  devant  influencer  le  développement  de  son  talent 
naissant. 

Deux  ans  après,  sur  les  conseils  de  Douiïet,  et  selon  l'usage, 
en  ce  temps-là  surtout,  il  alla  demander  le  complément  de  son 
éducation  artistique  à  la  classique  Italie. 

C'est  en  1638  —  il  avait  alors  24  ans  —  qu'il  partit  pour 
Rome,  où  il  séjourna  quelques  années.  On  n'est  point  renseigné 
sur  les  travaux  qu'il  a  pu  y  exécuter,  concurremment  avec  ses 
études. 

Mais,  tandis  qu'il  se  disposait  à  rentrer  dans  sa  patrie,  nous 
le  trouvons  à  Florence,  occupé  à  peindre  des  tableaux  qui  lui 
sont  commandés  par  le  grand  duc  de  Toscane  Ferdinand  H, 
pour  la  galerie  de  son  palais.  Qui  nous  apprendra  ce  que  ces 
peintures  sont  devenues? 

En  quittant  l'Italie,  Bertholet  Flémalle  se  rendit  à  Paris,  où, 
on  ignore  dans  quelles  circonstances,  il  trouva  un  puissant  pro- 
tecteur en  la  personne  du  célèbre  chancelier  de  France,  Pierre 
Séguier,  qui  lui  fit  donner  une  commande  pour  l'une  des  galeries 
du  palais  de  Versailles. 

Il  peignit  aussi,  à  cette  époque,  pour  l'église  des  Grands 
Augustins  à  Paris,  une  Adoration  des  mages.  La  trace  de  ce 
tableau  est  aujourd'hui  perdue. 

Suivant  Dezallier  d'Argenville.  le  chancelier  Seguier  ■<  pro- 
tecteur des  gens  de  lettres  et  des  grands  artistes  »,  ayant  vu 
quelques  esquisses  que  Flémalle  avait  faites  pour  orner  les  appar- 
tements de  Versailles,  voulut,  dès  lors,  le  retenir  au  service  du 
Roi. 


Peuitri-    tjieqri.ni      rr.i'    Prif/rfli-ur  ifr 


PORTRAIT  DK  BKRTHOLET  FLÉMALLK 

Peint  par  lui-même.  Musée  des  Beaux-Arts  de  Liège. 

Gravé  par  Jkak  Duvivue.  Musée  d'Ansembourg. 


—  77  — 

Protégé  comme  il  l'était,  notre  jeune  peintre,  s'il  avait  voulu 
se  fixer  à  Paris,  n'eut  point  certes  manqué  de  besogne,  mais  il 
préféra  revenir  à  Liège,  ce  qu'il  fit,  vers  la  fin  de  1647,  aprè,» 
neuf  années  d'absence. 

De  retour  dans  sa  ville  natale,  il  peignit,  pour  la  collégiale  St- 
Jean,  un  Crucifiement,  que  l'on  regarde  comme  une  de  ses  meil- 
leures compositions  et  qui  est  conservée,  aujourd'hui  encore, 
dans  la  sacristie  de  cette  église. 

Une  réplique  de  ce  tableau,  de  dimensions  plus  grandes  que 
l'original  et  avec  quelques  variantes,  se  trouve  à  la  cathédrale 
Saint-Paul. 

La  peinture,  murale  vraisemblablement,  d'aspect  si  monu- 
mental, dont  le  burin  de  Natalis  nous  a  conservé  le  souvenir  : 
VAssemblée  des  généraux  de  l'ordre  des  Chartreux,  a  dû  être 
exécutée  aussi  à  cette  époque  par  Bertholet  Flémalle. 

L'admirable  planche  du  graveur  porte,  en  efïet,  la  date  de 
1649  (1). 

Durant  les  troubles  politiques  qui  agitèrent  la  ville  de  Liège, 
par  suite  de  la  lutte  entre  les  Chiroux  et  les  Grignoux,  Flémalle, 
tout  comme  Doufîet,  fuya  les  excès  de  la  guerre  civile  et  se 
retira  à  Bruxelles,  où  il  ne  peignit  guère  qu'un  tableau:  la 
Pénitence  du  roi  Ezéchias. 

Cette  toile  lui  aurait  été  commandée,  dit-on  et  peut-on  croire, 
pour  être  offerte,  en  cadeau,  à  la  reine  de  Suède  Christine.  Elle 
n'est  cependant  pas  au  Musée  national  de  Suède,  lequel  ne 
possède  de  cet  artiste  qu'une  peinture  qui  représente  Paris 
blessant  Achille  au  talon,  pendant  que  le  fils  de  Thélis  adore  la 
statue  d'Apollon.  On  ignore  si  elle  existe  encore  (2). 


(1)  Voir  cette  belle  gravure  au  Musée  d'Ansembourg. 

(2)  L.  Alvin  :  Biographie  nationale,  t.  VII,  p.  99. 


-  78- 

Dès  que  la  tranquillité  fut  rétablie  à  Liège.  Bertholet  Fié- 
malle  s'empressa  de  rentrer  dans  sa  ville  natale  pour  y  reprendre 
ses  grands  travaux  interrompus. 

C'est  alors  qu'il  fit  VAdoraUon  des  Mages  qui,  après  avoir 
figuré  comme  tableau  d'autel  dans  l'une  des  chapelles  de  la 
collégiale  Saint-Denis,  est  conservée,  aujourd'hui,  à  la  cathédrale. 
Cette  toile  présenterait  cette  particularité  que  le  peintre  y  aurait 
mis  son  portrait. 

A  citer  encore,  parmi  les  œuvres  importantes  de  cette 
époque:  une  Invention  de  la  Sainte-Croix,  qui  est  à  l'église 
Ste-Croix  ;  le  Christ  entre  les  deux  larrons,  une  Circoncision  et 
une  série  de  paysages  avec  des  figures  bibliques,  pour  l'abbaye 
du  Val-Benoît  ;  un  Christ  mourant  sur  la  croix  et  un  Christ  avec 
la  Sainte-Vierge  et  Saint-Jean,  pour  le  couvent  Ste- Agathe;  la 
Conversion  de  Saint-Paul,  pour  le  maître-autel  de  la  collégiale 
de  ce  nom  ;  un  Christ  en  croix  avec  la  Vierge  et  un  Purgatoire, 
pour  l'église  St-André,  toutes  œuvres  détruites  ou  disparues. 

En  1663,  il  peignit  une  Assomption  de  la  Sainte-Vierge,  qui, 
placée  à  l'église  des  Dominicains,  était  considérée  comme  une 
des  meilleures  œuvres  du  maître. 

K  L'artiste,  dit  Helbig,  avait  peint  cette  toile,  en  quelque  façon, 
en  collaboration  avec  son  élève  Guillaume  Carlier,  auquel  il  avait 
abandonné  le  soin  de  peindre  les  draperies  et  probablement  aussi 
plusieurs  têtes.  La  plupart  des  apôtres  étaient  représentés  sous 
les  traits  des  amis  du  peintre.  Ainsi  on  y  trouvait  les  portraits  de 
Louis  de  Louvrex,  de  Carlier,  du  chanoine  Carmanne,  de  Jean 
Detrixhe,  et  enfin,  celui  de  Bertholet  lui-même. 

Jusqu'à  la  Révolution,  cette  peinture  passait  pour  une  des 
toiles  les  plus  distinguées  et  les  plus  caractéristiques  dans  l'œuvre 
de  Flémalle. 

Sa  destinée,  ou  plutôt  sa  destruction  nous  est  révélée  par 
un  journal  liégeois,  en  ces  termes: 


—  79  — 

Il  Beaux-arts.  A  Liège,  le  chef-d'œuvre  de  notre  célèbre 
compatriote  Bertholet,  le  tableau  du  maître-autel  des  Domini- 
cains, de  24  à  25  pieds  de  hauteur,  a  été  découpé  par  les  con- 
ducteurs des  charrois,  pour  raccommoder  les  couvertures  d'un 
fourgon. 

»  Ce  chef-d'œuvre  de  composition  et  de  coloris,  V Assomp- 
tion de  la  Sainte-Vierge,  avait  été  mis  de  côté,  d'après  les 
principes  révolutio-vandalistes,  dans  une  écurie  du  palais  épisco- 
pal:  —  par  qui?  je  l'ignore!  par  un  honnête  citoyen  bienveil- 
lant? sans  doute!  (i).  » 

Une  composition  dans  laquelle  se  manifeste  particulière- 
ment la  science  de  Bertholet  comme  dessinateur  et  le  sentiment 
élevé  qu'il  avait  de  la  forme,  est  celle  qu'il  exécuta,  et  que  Michel 
Natalis  a  gravée,  pour  consacrer  le  souvenir  d'une  thèse  soutenue 
à  l'Université  de  Louvain,  en  1663,  par  le  comte  de  Hatzfeld. 

Nous  mentionnerons  encore,  parmi  les  travaux  multiples  de 
Bertholet  Flémalle  :  une  Nativité,  peinte  pour  l'église  des  capu- 
cins du  faubourg  Ste-Marguerite,  et  qui  est,  actuellement,  au 
Musée  de  Caen,  où  elle  fut  envoyée,  en  1804;  une  Résurrection 
de  Lazare,  une  Déposition  de  croix  et  un  Saint-Lambert  au 
monastère  de  Stavelot. 

Ces  trois  tableaux  appartenaient  à  la  cathédrale  Saint- 
Lambert  ;  les  deux  premiers  ont  disparu  et  le  dernier  se  trouve 
aujourd'hui  au  Musée  de  Lille.  Enfin,  une  Conception  de  la 
Sainte-Vierge  et  un  Saint-Charles  Borromée,  étaient  à  l'église 
Notre-Dame  aux  Fonts.  On  les  retrouve  de  nos  jours  à  la  cathé- 
drale St-Paul. 

Bertholet  Flémalle  qui,  sans  doute,  avait  conservé  de  puis- 
santes relations  en  France  obtint,  du  ministre  Colbert,  la  com- 
mande d'une  peinture  pour  le  plafond  de  la  salle  du  Trône,  dans 
le  palais  des  Tuileries. 


(1)    Troubadour   liégeois,    du   5    primaire,    an    V    (25   nov.    1796).    — 
Helbig  :  La  Peinture  au  Pays  de  Liège,  p.  257. 


—  8o  — 

Ce  fut  à  Liège  qu'il  exécuta  cet  important  travail  :  une  vaste 
composition  allégorique,  sur  toile  et  à  l'huile,  représentant  la 
Religion  protégeant  la  France. 

La  figure  de  la  religion,  tenant  en  main  un  médaillon  à 
l'effigie  de  Louis  XIV,  apparaissait  au  centre,  entourée  d'autres 
figures  portant  des  symboles:  l'oriflamme,  l'écusson  fleurdelisé, 
la  sainte  ampoule,  un  casque,  une  épée,  etc. 

Ce  plafond  a  été  complètement  détruit  dans  l'incendie  de 
la  Commune,  en  1871. 

Lorsqu'il  eut  terminé  cette  grande  toile,  Bertholet  Flémalle 
s'était  de  nouveau  rendu  à  Paris,  pour  la  mettre  en  place;  son 
œuvre  ayant  obtenu  un  succès  énorme,  il  fut  reçu  membre  de 
l'Académie  royale  de  peinture  et  sculpture,  le  14  octobre  1670. 
Deux  jours  après,  il  était  nommé  professeur  à  la  même  institution. 

Les  efforts  qui  furent  tentés,  alors  encore,  pour  le  retenir 
à  Paris  et  le  décider  à  s'y  fixer  définitivement,  restèrent  vains 
comme  la  première  fois,  et  il  rentra  à  Liège,  dès  le  12  décembre 
de  la  même  année. 

A  son  retour,  le  prince-évêque  Maximilien-Henri  de  Bavière 
lui  conféra  une  prébende  de  la  collégiale  de  St-Paul,  mais,  à  sa 
demande,  le  nouveau  chanoine  ne  fut  pas  astreint  à  la  tonsure 
et  le  prélat  obtint  même,  pour  lui,  du  Pape,  une  dispense  de 
lire  ses  heures. 

En  devenant  chanoine,  Bertholet  Flémalle  était  resté  artiste  : 
aussi,  après  son  retour  définitif  au  pays  natal,  peignit-il  encore 
différents  tableaux  historiques  ou  religieux,  ainsi  que  des  por- 
traits, notamment  une  composition  allégorique  dans  laquelle  son 
protecteur,  le  prince-évêque,  est  représenté  dans  un  médaillon 
au-dessus  duquel  plane  une  renommée.  Au  bas,  sont  les  figures 
de  la  religion,  de  la  sagesse  et  de  la  justice  célébrant  les  vertus 
du  prince.  Ces  portraits  historiés,  formant  des  adulations  allégo- 
riques, étaient  dans  le  goût  du  temps  (i). 


(1)   Ed.  Fétis:  Les  Artistes  Belges  à  l'étranger,  t.  II,  p.  388. 


—  8i  — 

Natalis  a  aussi  reproduit,  en  gravure,  ce  tableau  de 
Flémalle. 

Mentionnons  parmi  les  œuvres  du  maître  existant  encore  : 
Les  Adieux  de  Saint-Pierre  et  de  Saint-Paul,  à  la  cathédrale  Saint- 
Paul  ;  l'Exaltation  de  la  Sainte-Croix,  à  l'église  Saint-Barthélémy  ; 
Héliodore  chassé  du  temple,  au  Musée  de  Bruxelles;  les  Adieux 
d'Alexandre-le-Grand  en  partant  pour  l'Asie,  au  Musée  de 
Cassel;  Pélopidas  s'armani  pour  chasser  les  Lacédoniens  de  la 
forteresse  de  Cadmée,  au  Musée  de  Dresde  et  les  Mystères  de 
l'ancien  et  du  nouveau  testament,  au  Musée  du  Louvre. 

Le  Staedelsches  Kunstinstitut  de  Francfort  possède,  à  son 
tour,  quatre  tableaux  du  maître  de  Flémalle  :  une  Sainte-Trinité, 
peinte  en  grisaille  sur  fond  de  bois;  une  Sainte-Véronique  tenant 
dans  ses  mains  le  voile  sur  lequel  s'est  dessinée  la  face  du  Christ; 
une  Vierge  debout  allaitant  un  enfant;  enfîn,  le  Mauvais  larron 
sur  la  croix,  avec  deux  personnages,  au  pied  de  la  croix,  regar- 
dant, troublés  et  émus,  le  faciès  du  mort. 

Le  catalogue  de  ce  musée  renseigne  que  ce  dernier  tableau, 
un  fragment,  sans  doute,  d'une  vaste  composition,  a  été  acquis 
à  Mannheim,  et  que  les  trois  autres  œuvres  ont  été  achetées  à 
Aix-la-Chapelle,  en  1849. 

Bertholet  Flémalle  qui,  souvent,  se  plaisait  à  introduire, 
dans  ses  tableaux,  des  ordonnances  architecturales,  parfois  même 
assez  compliquées,  se  serait  aussi,  à  ce  que  l'on  rapporte,  essayé 
dans  la  pratique  de  l'art  de  l'architecture. 

Certains  biographes  lui  attribuent  les  plans  de  l'église  des 
Chartreux  qui,  autrefois,  dominait  le  mont  Cornillon,  près  de 
Liège.  Il  aurait,  de  même,  imaginé  une  reconstruction  si  somp- 
tueuse de  l'église  des  Dominicains,  que,  seul,  le  chœur  fut  édifié, 
tant  eût  été  considérable  la  dépense  à  résulter  de  la  réalisation 
complète  de  ses  projets. 


—   82    — 

En  1663,  se  trouvant  dans  l'aisance,  il  put  se  faire  construire, 
au  bord  de  la  Meuse,  rue  Saint-Remy,  pour  son  usage 
personnel,  une  élégante  demeure,  à  l'instar  des  villas  italiennes, 
ornée  par-devant  d'une  colonnade  et  même  de  peintures  murales 
extérieures,  mais  cette  habitation,  peu  en  rapport  avec  notre 
climat,  se  détériora  rapidement  et  dut  être  démolie  dès  l'année 
1692. 

Aucune  des  conceptions  en  architecture  de  Flémalle  n'est, 
dans  tous  les  cas,  parvenue  jusqu'à  nous. 

La  mort  de  ce  grand  peintre  est  restée,  en  quelque  sorte, 
mystérieuse. 

Au  dire  de  la  plupart  des  chroniqueurs,  ce  chanoine  aurait 
fini  ses  jours  d'une  façon  romanesque,  dans  une  aventure  amou- 
reuse qui  est  ainsi  rapportée  par  M.  Alvin,  dans  la  Biographie 
nationale  : 

«  Flémalle  s'était  toujours  fait  remarquer  par  un  caractère  gai 
et  enjoué;  il  se  plaisait  aux  relations  du  monde,  il  s'y  faisait 
remarquer  par  la  vivacité  de  son  esprit. 

Vers  la  fin  de  sa  vie,  il  devint  tout  à  coup  taciturne,  rompit 
avec  ses  amis  et  se  renferma  dans  la  solitude,  se  rendant  ina- 
bordable. 

11  fallait  une  explication  de  cette  métamorphose.  On  en 
trouva  deux. 

Les  uns  attribuent  sa  mélancolie  à  la  jalousie  qu'il  éprouvai 
des  succès  d'un  de  ses  élèves:  Carlier.  Rien  ne  justifie  cette 
supposition;  au  contraire,  les  faits  qu'on  invoque  pour  l'appuyé-- 
la  rendent  invraisemblable. 

Il  n'en  est  pas  de  même  de  l'autre  interprétation. 

On  sait  que  la  célèbre  empoisonneuse,  la  marquise  de 
Brinvilliers,  s'était  réfugiée  à  Liège  et  que  c'est  dans  les  environs 
de  cette  ville  qu'elle  fut  arrêtée,  après  un  séjour  de  deux  années, 
pour  aller  expier  ses  forfaits  en  place  de  Grève.  Il  est  parfaite- 
ment établi  que  Flémalle,  qui  peut-être  avait  déjà  connu  la 
marquise  à  Paris,  fut  du  nombre  des  Liégeois  qui  fréquentaient 
la  maison  de  la  réfugiée.  Ce  n'est  point  faire  tort  à  la  renommée 
de  celle-ci  que  de  lui  attribuer  un  empoisonnement  de  plus. 


-83  - 

Quelque  drogue,  administrée  par  la  moderne  Locuste,  a  pu 
produire  l'humeur  noire  qui  a  marqué  les  dernières  années  du 
peintre.  On  objecte  que  ce  chef  d'accusation  ne  fut  pas  énoncé 
lors  du  procès  qui  se  fît  à  Paris;  mais  il  y  en  avait  un  nombre 
suffisant,  se  rapportant  à  des  crimes  commis  en  France,  pour 
que  la  justice  s'en  contentât  et  s'épargnât  la  peine  d'en  rechercher 
de  nouveaux  à  l'étranger.  Quoi  qu'il  en  soit,  la  mort  de  Flémalle. 
qui  eut  lieu  le  10  juillet  1675  —  un  an  avant  l'exécution  de  la 
grande  empoisonneuse  —  a  été  attribuée  par  ses  contemporains 
à  cette  indigne  créature  (i)-  » 

C'est  d'Argenville,  si  prodigue  en  anecdotes  ne  reposant 
souvent  sur  rien,  qui,  le  premier,  pensons-nous,  dans  son 
Abrégé  des  vies  des  peintres,  a  attribué  la  maladie  et  la  mort  de 
Bertholet  Flémalle  au  puéril  dépit  que  lui  aurait  suscité  les 
succès  de  son  élève  Carlier. 

Cette  ridicule  conjecture  est  déjà  démentie  par  le  caractère, 
la  nature  propre  de  ce  maître  qui  associait  volontiers  ses  élèves 
à  ses  travaux  de  grande  importance,  se  plaisait  particulièrement 
à  prendre,  comme  collaborateur,  pour  l'exécution  de  ses  plus 
vastes  compositions,    son   disciple   préféré  :    Carlier. 

Mais  un  tableau  nous  serait  resté  :  témoignage  vivant  de  la 
simplicité  et  de  la  modestie  de  cet  artiste. 

D'après  une  tradition  ancienne,  rapportée  par  de  Villen- 
fagne  (2)  :  Douffet,  Bertholet,  et  Goswin,  élève  de  ce  dernier, 
auraient  concouru  à  h  confection  de  cette  toile,  dans  une  joiîts 
toute  amicale  entre  les  trois  peintres.  Douffet  et  sa  femme  y 
seraient  représentés  par  le  pinceau  de  Bertholet;  Douffet  aurait 
peint  le  portrait  de  Bertholet  et  les  fleurs  d'une  large  guirlande 
qui  se  détache  d'un  vase  seraient  de  Goswin. 

La  composition  de  cette  toile  est  d'un  genre  gracieux  ;  Douffet 
offre  le  prix  de  ce  concours  à  son  ancien  disciple  Bertholet  qui. 


(1)  L.   Alvin  :  Biographie  nationale,   t.   VII,   p.    101. 

(2)  de  Villenfagne  :  Mélanges  de  littérature  et  d'histoire,  1788,  p.    128. 


-  84- 

modestement  le  refuse  et,  montrant  la  guirlande  de  fleurs,  semble 
dire  qu'il  revient  à  l'auteur  de  ces  fleurs,  Goswin...  son  élève! 

L'examen  du  tableau,  fait  observer  Helbig,  ne  dément  pas 
la  tradition,  quant  à  la  part  qu'il  convient  de  faire  à  chaque 
peintre  et  la  collaboration  de  Bertholet  y  est  incontestablement 
la  plus  importante  (i). 

M.  Alfred  Michiels,  au  contraire,  tient  pour  suspecte  la  tradi- 
tion qui  fait  coopérer  Flémalk,  avec  ses  deux  compatriotes,  à 
l'exécution  de  cette  peinture. 

Le  tableau  faisait  partie  de  la  collection  de  M.  C.  Desoer; 
son  petit-fils,  M.  Oscar  Desoer  de  Solière,  l'a  légué  à  la  Ville 
de  Liège,  pour  son  Musée  des  Beaux-arts,  mais  la  famille  Desoer 
de  Solière  s'est  opposée  à  la  délivrance  du  legs,  en  alléguant  que 
le  testateur  n'était  pas  en  droit  de  disposer  de  cette  toile  et 
l'Administration  communale  n'a  pas  cru  devoir  insister. 

Goswin,  après  avoir  été  un  des  plus  distingués  élèves  de 
Bertholet  Flémalle,  s'était  lié  d'une  étroite  amitié  avec  son  ancien 
maître  et  aussi  avec  Doufïet.  Il  paraîtrait  même  que  ce  ne  serait 
pas  seulement  en  la  circonstance  que  nous  venons  de  rappeler 
que  les  trois  artistes  auraient  employé  leurs  pinceaux  dans  le 
même  tableau.  Goswin,  dans  tous  les  cas,  était  digne  de  cette 
amitié. 

«  Peu  de  peintres,  dit  de  Becdelièvre,  ont  été  plus  instruits 
que  Gérard  Goswin;  les  qualités  du  cœur  ne  le  rendaient  pas 
moins  estimable  que  celles  de  son  esprit.  Naturellement  généreux 
et  bienfaisant,  il  ne  paraissait  sensible  qu'à  un  seul  plaisir,  celui 
d'en  faire  aux  autres:  sa  douceur,  sa  probité,  sa  candeur  lui 
conciliaient  l'amitié  et  l'estime  de  tous  ceux  qui  le  connaissaient. 

Plus  avide  de  gloire  que  d'argent,  il  ne  laissait  pas  sortir 
d'ouvrages  de  ses  mains,  qu'il  ne  leur  eût  donné  le  dernier  trait 
de  perfection. 


(1)   Helbig:  La  peinture  au  pays  de  Liège,  p.  271. 


-  85- 

Il  dissertait  agréablement  sur  tout  ce  qui  a  rapport  à  son 
art,  comme  l'histoire,  la  fable,  les  costumes  des  différents  peuples, 
l'architecture,  etc. 

Son  inclination  le  portait  à  peindre  des  fleurs  et  des  fruits; 
il  y  réussit  singulièrement,  non  par  un  travail  léché  et  pénible, 
mais  par  une  touche  hardie,  des  couleurs  vraies  et  bien  empâtées  : 
ses  tableaux,  vus  à  une  distance  convenable,  font  un  très  grand 
effet.  C'est  dans  ce  genre  qu'il  a  égalé  les  plus  grands  maîtres 
qui  ont  parcouru  la  même  carrière  (i).  » 

Il  fut  nommé  membre  de  l'Académie  de  peinture  et  de 
sculpture  de  France,  lors  de  sa  fondation,  en  1648. 

Né  à  Liège,  le  20  juin  1616,  Gérard  Goswin  y  est  mort 
le  12  janvier  1691. 

Le  peintre  Englehert  Fisen,  né  à  Liège,  en  1655,  décédé 
dans  la  même  ville,  en  1733,  fut  aussi  un  élève  très  distingué  de 
Bertholet  Flémalle. 

Il  provient  d'une  famille  de  bien  modeste  condition:  son 
père  était  barbier. 

Le  portrait  de  Fisen  et  des  membres  de  sa  famille,  peint 
par  lui-même,  est  conservé  au  Musée  des  Beaux-arts,  de  Liège. 

Laborieux  autant  qu'homme  d'ordre,  il  nota,  année  par 
année,  toute  sa  production  en  tableaux,  portraits,  tapisseries,  et 
elle  est  considérable. 

M.  Helbig,  à  qui  il  a  été  donné  de  pouvoir  consulter  ce 
répertoire  de  l'artiste,  a  relevé  que  le  catalogue  de  ses  peintures 
comptait  652  numéros,  parmi  lesquels  figurent  146  portraits. 

Quoique  les  travaux  de  Fisen  aient  subi  le  sort  de  ceux 
de  ses  confrères,  constate  cet  auteur,  c'est-à-dire  que  beaucoup 


(1)  de  Becdelièvre  :  Biographie  liégeoise,  t.   11,  p.  71. 


—  86  — 

d'entre  eux  aient  été  détruits  ou  dispersés  au  loin,  il  existe  encore 
un  assez  grand  nombre  de  ses  toiles  pour  que,  même  dans  son 
pays,  on  puisse  se  rendre  compte  de  la  nature  de  son  talent  et 
de  la  fécondité  de  son  pinceau.  Il  était  dessinateur  habile;  il 
peignait  largement,  mais,  malheureusement,  était  pénétré  du 
style  des  maîtres  italiens  de  la  décadence,  au  milieu  desquels 
il  avait  passé  sa  jeunesse  (i)- 

M.  Ad.  Siret,  dans  la  Biographie  nationale,  s'exprime,  à 
peu  près,  dans  les  mêmes  termes  sur  le  talent  de  cet  artiste: 
((  Bon  dessinateur,  coloriste  au  pinceau  facile  et  large,  Pisen 
aurait  pu  occuper  dans  l'Ecole  flamande  (?),  une  place  brillante; 
mais  ayant  passé  ses  premières  années  au  milieu  des  maîtres  de 
la  décadence  italienne,  il  en  ressentit  toute  sa  vie  l'influence 
fâcheuse  (2).  » 

Le  tableau  du  maître-autel  de  l'église  Saint-Barthélémy, 
représentant  le  Martyre  de  l'apôtre  auquel  l'église  est  dédiée,  est 
de  Fisen  et  donne  une  haute  idée  de  son  talent,  de  même  qu'un 
Christ  en  Croix,  placé  au  fond  d'une  des  basses  nefs  de  ce 
temple,  page  pleine  d'émotion,  où  respire  un  sentiment  tragique. 

Une  des  chapelles  de  la  basilique  Saint-Martin  est  aussi 
garnie  d'une  série  de  peintures  de  Fisen. 

Si  l'on  imprimait  le  journal  manuscrit  dans  lequel  cet  artiste, 
depuis  l'année  1679  jusqu'à  l'année  1729,  pendant  un  demi-siècle, 
par  conséquent,  a  tenu  note  de  ses  iravaux,  des  personnes  qui 
les  lui  ont  achetés  et  des  prix  qui  lui  furent  payés,  non  seule- 
ment cette  publication  serait  intéressante  à  consulter,  mais  elle 
aiderait  surtout  à  retrouver  quelques-unes  de  ses  œuvres. 


(1)  Helbig:  La  peinture  au  Pays  de  Liège,  pp.  285  et  189. 

(2)  Ad.  Siret  :  Biographie  nationale,  t.  Vil,  p.  78. 


CHAPITRE  V. 


Jean-Guillaume  CARLIER 


T  E  8  juin  1638  est  la  date  de  naissance,  à  Liège,  de  Jean- 
Guillaume  Carlier.  Elle  résulte  d'un  extrait  authentique  des 
registres  paroissiaux  délivré,  en  1715,  à  la  famille  du  peintre, 
par  le  vicaire  de  Notre-Dame  aux  Fonts. 

S'il  faut  en  croire  ce  que  rapporte  l'auteur  des  Délices  du 
Pays  de  Liège,  le  jeune  Carlier  avait  déjà  reçu  des  leçons  de 
plusieurs  artistes,  dont  le  nom  n'a  pas  été  conservé,  lorsqu'il 
fut  admis  dans  l'atelier  de  Bertholet  Flémalle.  Celui-ci,  cepen- 
dant, fut  son  véritable  initiateur  en  l'art  de  peindre;  on  se  plait 
à  le  reconnaître. 

Carlier  ne  fît  ni  séjour,  ni  voyage  en  Italie;  aussi,  observe 
M.  Alfred  Michiels,  remarque-t-on,  dans  ses  tableaux,  plus  d'ori- 
ginalité que  dans  les  œuvres  de  ses  compatriotes,  un  accent  de 
terroir,  pour  ainsi  dire,  où  se  manifestent  l'esprit  wallon  et  le 
sentiment  local  (i). 

Mais  Carlier  devint  le  collaborateur  de  Bertholet,  pour  les 
grands  travaux  de  celui-ci,  le  maître  laissant  souvent  à  son  élève 
le  soin  de  peindre  les  draperies,  les  fonds  et  autres  accessoires 
de  ses  tableaux. 


(1)  Alfred  Michiels:  Histoire  de  la  peinture  flamande,  t.  X,  p.  162. 


—  88  — 

Lorsque  Bertholet  retourna  à  Paris,  en  1670,  il  se  fit  accom- 
pagner de  Carlier  et,  là  encore,  l'élève  collabora  aux  travaux  qu2 
le  maître  exécutait  pour  Louis  XIV. 

Des  quatre  tableaux  destinés  au  cabinet  du  roi,  un  aurait 
même  été  peint,  tout  entier,  de  la  main  de  Carlier  et  cette  toile, 
qui  ne  perdait  rien  à  la  comparaison  avec  les  autres,  fut  con- 
servée dans  le  cabinet  du  monarque  jusqu'à  la  révolution  de  1789. 

On  connaît  peu  de  chose  de  la  vie  de  cet  artiste.  Il  épousa, 
l€  23  octobre  1669,  Marie-Agnès  Tignée.  Suivant  ce  qui  est  conté 
par  M.  Félix  van  Hulst,  en  1841,  d'après  une  tradition  orale 
qu'il  a  recueillie,  au  sein  même  de  la  famille  du  peintre,  la  mère 
de  la  jeune  fille  se  serait  opposée,  assez  longtemps,  à  ce  mariage. 

«  Chaque  jour,  en  se  rendant  à  l'atelier  de  son  maître,  le 
jeune  Carlier  passait  devant  la  maison  de  la  veuve  Tignée,  au 
coin  de  la  rue  des  Carmes-en-Ile.  Cette  veuve  Tignée  avait  un 
fils  capucin  et  deux  filles  dont  l'aînée  plut  à  Carlier;  et  malgré 
sa  timide  modestie,  l'artiste  parvint  à  s'en  faire  aimer.  Il 
demanda  la  main  d'Agnès  Tignée  et  n'éprouva  d'abord  qu'un 
cruel  refus  de  la  part  de  la  mère,  qui,  se  fondant  sur  la  sagesse 
d'un  vieux  proverbe  liégeois,  peu  favorable  aux  peintres,  ne 
voulait  pas  confier  l'avenir  de  sa  fille  à  l'imprévoyance  d'un 
artiste. 

Nos  bons  aïeux,  comme  on  le  sait,  aimaient  singulièrement 
les  proverbes  rimes  et  les  citaient  avec  confiance  à  tout  propos. 
Voici  celui  dont  nous  parlons:  ]hône  pondeu,  vi  bribeu.  Le  sens 
en  est  :  Jeimie  peintre,  vieux  mendiant. 

Cependant,  la  réputation  du  jeune  peintre  croissant  et  la 
régularité  de  ses  mœurs  parlant  en  sa  faveur  auprès  de  la  sévère 
veuve,  celle-ci,  à  demi-vaincue  par  les  bons  renseignements 
qu'elle  recevait  de  toutes  parts  sur  la  conduite  et  le  caractère  de 
Carlier  et  par  les  sollicitations,  chaque  jour  plus  vives  du  jeune 
homme,  finit  par  dire  à  un  tiers  qui  intercédait  pour  lui  :  <i  Si 
Carlier  est  aussi  bon  peintre  que  vous  le  dites,  qu'il  fasse  le 
portrait  de  mon  fils,  le  capucin,  et,  s'il  est  ressemblant...  nous 
verrons  ». 


POKTRAI'I-    DE    JEAN-GUll.l.AUiMK    CAKLIKK 
(Iravé  par  E.  Heusch. 


—  qi   — 

L'amour,  alors,  heureusement,  remporta...  le  portrait  était 
d'une  telle  ressemblance,  dit-on,  que  la  mère,  transportée  de  joie 
à  la  vue  de  l'image  de  son  fils,  embrassa  le  peintre  et  lui  donna 
la  main  de  sa  fllle  (i)-  » 

Le  conteur  de  l'anecdote  a  vu  encore  ce  portrait  dans  le 
cabinet  de  l'arrière  petit-fils  de  notre  artiste  :  M.  Carlier,  ancien 
vice-président  du  tribunal  civil  de  Liège. 

"  Il  y  a  tant  de  vérité,  tant  de  vie  dans  les  chairs  de  cette 
figure,  que  vous  vous  attendriez,  dit-il,  à  la  voir  sortir  de  la 
toile  et  s'avancer  vers  vous,  si  elle  n'était  profondément  absorbée 
dans  ses  méditations.  » 

Les  deux  premiers  tableaux  importants,  demandés  à 
Carlier,  sont  le  Baptême  de  Jésus  et  J.-C.  guérissant  un  possédé, 
qui  étaient  au  couvent  des  Carmes  déchaussés,  rue  Hors-Châ- 
teau, à  Liège. 

Tous  deux  ont  été  enlevés,  à  l'époque  de  l'occupation  fran- 
çaise, et  l'un  seulement  nous  a  été  rendu,  en  1815.  Il  orne  main- 
tenant le  fond  d'une  des  chapelles  latérales  de  la  cathédrale 
Saint-Paul  :  c'est  le  Baptême  de  Jésus.  On  ignore  ce  qu'est  deve- 
nue la  Guérison  d'un  possédé. 

Carlier  fit  ensuite,  pour  l'église  des  Conceptionnistes,  au 
pont  d'Amercœur,  un  Saint-Joseph  adorant  l'enfant  Jésus.  Cette 
toile,  aussi  envoyée  à  Paris,  lors  de  l'invasion  française,  a  été 
donnée  ensuite  au  Musée  de  Mayence.  où  elle  est  gardée 
aujourd'hui.  (N°  44  du  catalogue.  H.  1.98,  L.  1.35.) 

Ce  tableau  est  d'une  couleur  vraie  et  lumineuse,  dit 
M.  Helbig.  Remarquable  par  son  harmonie  simple,  soutenue  et 


(I)   Félix  van   Huist  :   Vies  de  quelques  Belges.   Liège.   Oudart.    1841, 
pp.  6  et  7. 


-  92  — 

le  modelé  correct  des  chairs,  il  l'est  encore  par  le  soin  conscien- 
cieux de  l'exécution,  étudiée  jusque  dans  ses  moindres  détails. 
La  tête  de  Saint-Joseph  est  belle  et  assez  noble  d'expression.  Les 
pieds,  les  mains,  les  genoux,  que  l'on  voit  à  découvert,  sont  bien 
dessinés  et  peints  d'une  manière  savante.  En  somme,  cette  toile 
offre  un  ensemble  de  qualités  qui  font  le  plus  grand  honneur  à 
Carlier  et  lui  assurent  un  rang  distingué  parmi  les  peintres  du 
XVI P  siècle  (i)  : 

Mais  le  véritable  chef-d'œuvre  de  Carlier,  d'après  l'opinion 
générale,  était  le  Martyre  de  Saint-Denis  qu'il  avait  peint,  sur 
panneaux  de  bois,  pour  le  plafond  de  la  collégiale  de  ce  nom, 
à  Liège. 

La  tradition,  sur  les  circonstances  qui  ont  accompagné  l'exé- 
cution de  cette  œuvre  capitale,  est  rapportée,  en  ces  termes,  par 
M.  Van  Hulst: 

«  Le  Chapitre  de  Saint-Denis  s'ét  it  d'abord  adressé  à 
Bertholet  pour  le  prier  de  faire  ce  tableau.  Ce  dernier  trouva 
l'ouvrage  trop  long,  et  surtout  d'un  travail  trop  pénible  pour  son 
âge,  parce  qu'il  ne  pensait  pas  pouvoir  achever,  autrement  qu'en 
place,  un  vaste  tableau  de  plafond,  et  ce  motif  le  porta  lui-même 
à  désigner  au  Chapitre  son  élève  Carlier  pour  mettre  à  fin  cette 
entreprise  capitale. 

Carlier,  fier  d'avoir  été  agréé,  n'avait  mis  à  son  travail 
qu'un  prix  très  médiocre  et  qui  ne  lui  permettait  pas  de  multi- 
plier les  dépenses  pour  l'achever.  Une  étude  assidue  et  profonde 
de  la  nature  l'avait  déjà  mis  depuis  longtemps  à  même  de  pouvoir 
dessiner  ses  figures,  sans  avoir  besoin  d'être  constamment  aidé 
de  modèles  vivants:  cependant,  il  lui  en  fallait  un,  et  ce  devait 
être  un  modèle  de  choix  pour  rendre  avec  vérité  les  reins  et  les 
bras  nus  et  musculeux  du  bourreau  qui  s'apprête  à  trancher  la 
tête  de  Saint-Denis. 


(1)  Helbig  :  Lm  peinture  au  Pays  de  Liège,  p.  276. 


-  93  — 

Un  beau  frère  Carme,  aux  formes  athlétiques,  grand  ama- 
teur de  peinture,  fréquentait  l'atelier  de  Carlier:  le  prier  de 
vouloir  bien  poser  en  exécuteur  des  hautes  œuvres  était  impos- 
sible :  Carlier  usa  de  ruse,  feignit  de  vouloir  représenter  un 
gladiateur  authentique  et  parvint  à  vaincre  les  scrupules  du 
Carme  qui  finit  par  prêter,  à  son  insu,  son  dos  et  ses  larges 
épaules  pour  servir  de  modèle  au  bourreau  de  Saint-Denis  (i)- 

Quand  le  tableau  fut  achevé,  sa  couleur  beaucoup  plus  vive 
que  celle  des  autres  ouvrages  du  même  peintre  et  calculée  pour 
des  effets  de  perspective  que  les  savants  en  peinture  pouvaient 
seuls  apprécier  avant  qu'il  fut  en  place;  les  figures  qui,  vues 
droites  et  de  face,  paraissaient  toutes  disproportioméœ  et  mal 
disposées,  et  une  multitude  de  traits  qui  ne  semblaient  que 
grossièrement  ébauchés,  firent  juger  aux  chanoines  chargés  de 
l'examen  que  l'ouvrage  était  tout  à  fait  manqué. 

«  Je  vois  bien  que  le  tableau  vous  déplait,  dit  Carlier  sans 
s'émouvoir  :  que  cela  ne  vous  inquiète  pas,  je  le  garde  pour  moi  : 
seulement,  et  vous  ne  me  refuserez  pas  cette  satisfaction  ;  en 
indemnité  des  avances  que  j'ai  perdues,  je  vous  prie  de  le  faire 
hisser  un  moment  au  plafond,  pour  que  je  puisse  mieux  apprécier 
toutes  les  fautes  que  vous  y  avez  découvertes  et  étudier  les 
moyens  de  les  éviter,  à  l'avenir.  » 

Les  chanoines,  enchantés  d'en  être  quitte  à  ce  prix,  firent 
monter  le  tableau  au  lieu  de  sa  destination  et  furent  bien  surpris, 
alors,  de  voir  tout  à  coup  les  figures  se  redresser,  les  teintes  trop 
vives  s'adoucir  et  se  fondre  au  juste  degré  qui  produit  l'harmonie, 
sans  cesser  d'être  naturelles  et  vraies,  et  les  traits  grossiers 
disparaître  entièrement  pour  ne  plus  laisser  voir  que  la  hardiesse 
du  dessin  et  le  grandiose  de  la  composition. 


(1)  M.  Hetbig  dit,  de  son  côté,  que,  pour  la  tête  de  Saint-Denis. 
Carlier  voulut  faire  le  portrait  du  doyen  Campo  (Deschamps),  chanoine 
de  la  collégiale  et  président  du  séminaire  de  Liège,  qui  se  prêta  volontiers 
au  désir  de  l'artiste,  mais  que  la  résistance  du  frère  Carme  de  poser  cour 
le  bourreau  ne  fut  vaincue  que  par  l'autorité  du  prieur  du  couvent  qui 
obligea  le  religieux,  sous  peine  de  désobéissance,  à  servir  de  modèle. 


—  94  - 

On  ne  parla  plus,  alors,  de  le  redescendre  ;  mais  Carlier,  à 
qui  la  modicité  du  prix  convenu  permettait  bien  cette  petite 
vengeance,  rappela  que  tout  avait  été  rompu,  que  le  tableau  lui 
appartenait,  et  ne  consentit  à  le  laisser  au  Chapitre,  que  pour 
un  prix  plus  élevé  qu'on  s'empressa  de  lui  compter  avec 
reconnaissance  (')•  " 

On  aurait  pu  espérer  que  cette  magistrale  peinture  de 
Carlier,  attachée,  comme  elle  l'était,  à  la  voûte  d'un  temple, 
n'aurait  point  retenu  l'attention  des  agents  du  gouvernement 
français  en  tournée  d'enlèvement  de  nos  plus  remarquables 
œuvres  d'art.  Il  n'en  fut  rien,  cependant,  et  de  Villenfagne 
écrivait,  en  1809:  <(  Le  chef-d'œuvre  de  Carlier  était  le  martyr 
de  St-Denis;  ce  beau  monument  est  perdu  pour  les  Arts;  il  ornait 
la  voûte  de  l'église  de  ce  nom,  dans  la  ville  de  Liège;  on  a 
voulu,  dans  ces  derniers  temps,  le  détacher  de  cette  voûte,  sans 
faire  attention  à  la  difficulté  de  cette  opération.  Ce  tableau,  aussi 
remarquable  par  sa  grandeur  que  par  sa  belle  exécution,  peint 
sur  bois,  était  enchâssé  dans  un  cadre,  ou  plutôt  incrusté  dans 
une  charpente  d'un  poids  énorme;  il  tomba  avec  fracas  au  milieu 
de  l'église  et  fût  endommagé  dans  toutes  ses  parties  (2)  ». 

La  composition  qui  remplace  aujourd'hui,  à  l'église  Saint- 
Denis,  l'œuvre,  si  malheureusement  détruite,  de  Carlier,  n'est 
qu'une  copie  à  la  détrempe,  plus  ou  moins  fidèle,  plus  ou  moins 
réussie,  du  tableau  du  maître.  Elle  est  du  peintre  liégeois  Lovin- 
fosse,  faite  alors  qu'il  était  déjà  très  âgé  et  plus  de  mémoire, 
dit-on,  qu'à  l'aide  des  débris  du  tableau  original. 

Mais  le  Musée  de  Bruxelles  possède  l'esquisse,  très  poussée 
et  très  belle,  d'après  laquelle  a  été  exécutée  la  grande  peinture 
de  la  voûte  de  l'église  Saint-Denis. 


(1)  Van  Hulst  :   Vies  de  quelques  Belges,  pp.   16  à   18. 

(2)  de  Villenfagne  :  Mélanges  historiques  et  littéraires,  Liège,  Duvivier, 
1810.  p.  74. 


—  95  — 

On  conserve  aussi,  au  Musée  d'Ansembourg,  un  dessin  de 
Carlier,  fait  au  bistre,  rehaussé  de  blanc,  avant-projet  d'un 
Martyre  de  Saint-Denis,  mais  tout  différent  de  la  peinture  exécu- 
tée, quant  à  la  composition  du  sujet  et  à  la  disposition  des 
personnages. 

C'est  en  1666  que  Carlier  avait  peint  le  Martyre  de  Saint- 
Denis  et  de  ses  compagnons. 

Il  exécuta  encore  d'autres  travaux  importants,  aussi  bien 
pour  les  églises  et  couvents  que  pour  des  particuliers  amateurs 
d'art;  pour  ces  derniers,  notamment  un  certain  nombre  de 
portraits  qui,  parfois,  sont  de  véritables  tableaux. 

C'est  ainsi  qu'à  la  demande  du  bourgmestre  de  Liège, 
Guillaume  de  Stembier,  il  peignit  une  grande  toile  qui  est  un 
tableau  d'histoire  religieuse  en  même  temps  qu'un  portrait  de 
famille.  Elle  représente  le  Christ  apprenant  aux  Pharisiens  que 
la  simplicité  des  enfants  est  plus  agréable  à  son  père  que  les 
subtilités  d'une  science  orgueilleuse.  La  figure  du  Christ  occupe 
le  centre  du  tableau,  ayant  à  sa  droite  tous  les  docteurs  et,  à  sa 
gauche,  les  membres  de  la  famille  de  Stembier. 

La  singularité  que  présente  semblable  composition  et  qui 
peut  nous  étonner  aujourd'hui,  se  rencontre  assez  fréquemment 
dans  les  anciens  tableaux. 

Citée  souvent  parmi  les  meilleurs  travaux  de  Carlier,  cette 
toile  assez  vaste  (1  m  27  de  haut  sur  1  m  95  de  large)  est 
conservée,  actuellement,  dans  la  famille  de  Theux  de  Montjardin. 

Carlier  était  encore  occupé  à  peindre  un  portrait  de  famille, 
lorsque  sa  carrière,  si  brillamment  commencée,  fut,  tout  à  coup, 
interrompue,  juste  au  moment  où  l'artiste,  heureusement 
organisé  cependant,  était  parvenu  à  son  plus  haut  degré  de 
puissance. 


-96- 

Liège,  en  1675,  sous  l'influence  d'une  imminente  occupa- 
tion, aussi  bien  des  Allemands  que  des  Français,  était  de  nouveau 
en  proie  aux  dissensions  intérieures.  Ferdinand  de  Billehé, 
baron  de  Vierset,  qui  venait  d'être  nommé  gouverneur  de  la 
citadelle,  avait  chargé  Carlier  de  le  peindre  avec  toute  sa  famille 
et  notre  artiste  se  rendait,  à  cet  effet,  à  la  forteresse,  lorsqu'un 
jour,  il  fut  frappé  de  stupeur  en  voyant  celle-ci  envahie  par  une 
garnison  française.  C'était  le  nouveau  gouverneur  qui,  secrète- 
ment vendu  à  la  France,  avait  introduit  dans  la  place  quinze 
cents  soldats  venus  de  la  garnison  française  de  Maestricht,  dans 
la  nuit  du  27  au  28  mars. 

Les  bourgeois  de  Liège,  dès  qu'ils  apprirent  cette  trahison, 
s'armèrent  aussitôt  et,  tandis  qu'ils  se  portaient  tumultueuse- 
ment vers  la  citadelle,  ils  rencontrèrent  Carlier  qui  en  revenait, 
en  compagnie  d'un  commandant  nommé  Beckers,  resté  étranger 
à  la  perfidie  du  gouverneur.  Les  prenant  l'un  et  l'autre  pour 
des  Français,  ces  bourgeois  exaltés  tirèrent  sur  eux  plusieurs 
coups  de  mousquet  sans  les  atteindre. 

Les  versions,  même  celles  des  chroniques  de  l'époque, 
varient,  quant  à  la  suite  des  événements  auxquels  fût  mêlé 
Carlier.  Selon  les  uns,  il  put  s'enfuir  promptement  et  n'aurait 
pas  été  autrement  inquiété;  d'après  les  autres,  il  fut  amené, 
prisonnier,  à  l'Hôtel  de  Ville,  mais  remis  bientôt  en  liberté. 

Quoi  qu'il  en  soit,  le  saisissement,  i'efîroi  ressentis  par 
l'artiste,  au  reste  très  impressionnable,  avait  complètement  bou- 
leversé ses  facultés  et,  après  deux  jours  de  délire,  il  fut  emporté 
dans  un  épouvantable  accès  de  fièvre,  le  premier  avril  1675,  à 
l'âge  de  37  ans! 

Les  productions  de  Carlier,  comme  le  dit  de  Becdelièvrs, 
montrent  qu'il  aurait  été  un  des  premiers  peintres  de  l'Europe, 
si  la  mort  ne  l'avait  moissonné  dans  un  âge  peu  avancé  et  d'une 
manière  malheureuse. 


—  97  — 

Son  coloris  était  remarquablement  vigoureux  et  il  avait  une 
bonne  entente  du  clair-obscur.  Sans  nul  doute,  si  une  mort 
prématurée  n'était  venue  le  surprendre,  Jean-Guillaume  Carlier, 
estime  de  même  Adolphe  Siret,  fut  devenu  un  des  meilleurs 
artistes  de  son  époque. 

Il  ne  serait  guère  possible  de  faire  l'inventaire  de  tout 
l'œuvre  de  Carlier,  une  partie  de  ses  tableaux  étant  dispersée  au 
loin  ou  disparue;  mais  nous  dirons  que  les  Délices  du  Pays  de 
Liège  renseignent  encore,  parmi  ses  peintures,  un  Loih  et  ses 
fUles  et  un  Alexandre  le  Grand  au  lit  de  mort. 

Le  portrait  gravé  de  Bertholet  Flémalle,  inséré  dans  cet 
ouvrage,  est  la  copie  d'un  portrait  à  l'huile  que  Carlier  fit  de 
son  maître.  c<  C'est  un  magnifique  portrait,  sous  tous  les 
rapports,  que  le  portrait  de  Bertholet  par  Carlier,  dit  M.  Van 
Hulst  :  Figure  noble  et  régulière,  l'œil  vif  exprimant  à  la  fois 
la  gaieté  et  la  bienveillance,  la  bouche  extrêmement  gracieuse, 
une  pose  on  ne  peut  plus  naturelle,  et  les  chairs  d'un  coloris 
vrai  et  plus  chaud  peut-être  que  dans  aucun  autre  ouvrage  de 
Carlier  (i).  » 

Pour  l'église  des  Carmes  de  Liège,  Carlier  a  peint  une 
Sainte-Madeleine  del  Pazzi.  et,  pour  l'église  des  Carmes  de 
Jemeppe  sur  Meuse,  Les  quatre  docteurs  de  l'Eglise. 

Elle  au  désert  serait  le  sujet  d'un  tableau  qu'il  fit  aussi  pour 
les  Carmes  et  qui  a  été  enlevé,  après  l'entrée  des  Français  en 
Belgique,  en  1794. 

L'église  de  Notre-Dame  aux  Fonts  possédait  encore  une 
Sainte  Famille,  de  Carlier. 


(1)   Van  Hulst:   Vies  de  quelques  Belges,  p.   M. 


-9«- 

Les  Hospices  civils  de  Verviers  conservent  une  toile 
d'amples  dimensions  de  Carlier:  un  Crucifiement,  et  M.  Brahy- 
Prost,  de  Liège,  une  Flagellation. 

Le  Musée  des  Beaux-arts  de  Liège  a  retenu,  de  son  côté, 
un  Saint-Jean-Baptiste  et  le  portrait  de  Carlier  peint  par  lui- 
même. 


CHAPITRE   VI. 


GÉRARD  DE   LAIRESSE 


/^ÉRARD  de  Lairesse,  né  en  1641,  mort  en  1711,  est  certaine- 
ment le  plus  célèbre,  non  seulement  des  élèves  de  Bertholet 
Flémalle,   mais  de  tous  les  peintres  liégeois  du  XVI P  siècle. 
Il  est  vrai  qu'il  fut,  à  la  fois,  peintre,  graveur  et  historien  d'art. 

Il  avait,  au  reste,  de  qui  tenir  :  son  père,  Renier  de  Lairesse, 
était  peintre  lui-même  ;  sa  mère,  Catherine  Taulier,  était  fîlle  de 
Jean  Taulier,  le  maître  de  Gérard  Douffet  et  ce  dernier,  qui  fut 
son  parrain,  lui  donna  son  nom. 

Louis  Abry,  lui  aussi,  peintre,  graveur  et  écrivain,  au 
surplus  élève  de  Renier  de  Lairesse,  dit  dans  son  livre  :  Les 
Hommes  illustres  de  la  nation  liégeoise,  que  «  les  tableaux  de 
Renier  de  Lairesse  égalaient  ceux  de  Gérard  Douffet  et  de 
Bertholet  Flémalle  ». 

Mais  s'il  est  à  notre  connaissance  que  ce  vieux  maître  peignît 
différents  tableaux,  entre  autres,  le  Martyre  des  onze  mille 
Vierges,  une  Résurrection  des  morts,  le  Martyre  de  Saint-Lau- 
rent. V Enlèvement  d'Hélène,  la  Mort  de  Senèque,  nulle  de  ses 
peintures  n'est  parvenue  jusqu'à  nous. 


—    lOO   — 

Ce  qui  nous  porterait  à  croire  qu'il  peut  s'être  glissé  quelque 
exagération  dans  la  comparaison  d'Abry,  c'est  que  Renier  de 
Lairesse  abandonna  la  peinture  religieuse  et  historique  pour 
s'occuper  exclusivement  de  décoration. 

Houbraken  dit  cependant  qu'il  a  vu  de  ses  tableaux  qu'on 
aurait  certainement  attribués  à  Bertholet.  Seulement,  ajoute-t-il, 
sa  manière  était  un  peu  plus  rude  et  sa  couleur  moins  fondue. 

Quoi  qu'il  en  soit,  il  avait,  à  ce  qu'il  paraît,  atteint  la  perfec- 
tion dans  l'imitation  des  marbres.  «  Il  s'appliqua,  avec  un  succès 
étonnant,  rapporte  de  Villenfagne,  à  rendre  sur  le  bois  le  jaspe 
rouge,  le  marbre  blanc  et  ceux  des  carrières  du  pays;  il  les 
imitait  avec  tant  de  naturel  que  tout  le  monde  y  était  trompé  :  il 
fallait  enfin  y  porter  la  main  pour  être  persuadé  que  ce  n'était 
pas  du  marbre  (i)  ». 

C'était  pour  entretenir  une  famille  nombreuse,  ajoute  cet 
auteur,  que  Renier  de  Lairesse  fut  obligé  de  recourir  à  ce 
nouveau  genre;  il  s'en  trouva  bien  et  il  fut  à  même  de  donner 
une  éducation  soignée  à  ses  enfants. 

Il  avait  quatre  fils  qui  semblaient  montrer  des  dispositions 
pour  l'art,  les  deux  aînés  surtout;  convaincu  lui-même  de  ce  que 
l'artiste  qui  aspire  à  s'élever,  doit  connaître  autre  chose  que  le 
maniement  du  crayon  et  des  pinceaux,  il  leur  fit  étudier  les 
lettres,  la  musique  et  même  apprendre  le  latin. 

Tous  les  quatre  devinrent  peintres:  Ernest,  l'aîné,  s'adonna, 
non  sans  succès,  à  la  miniature  et  à  la  peinture  des  fleurs,  des 
fruits  et  des  oiseaux  ;  les  travaux,  dans  le  même  genre,  des  deux 
plus  jeunes  :  Jacques  et  Jean,  eurent  sans  doute  moins  de  noto- 
riété ;  mais,  par  contre,  Gérard,  qui  était  le  deuxième,  dont  les 
heureuses  dispositions  s'étaient  révélées  dès  l'âge  le  plus  tendre, 
devait  atteindre  aux  plus  brillantes  destinées. 


(1)  Recherches  sur  l'histoire  de  la  ci-devant  principauté  de  Liège,  t.  II. 
p.  317. 


GÉRARD    DE    LAIRESSE 
d'après  le  portrait  gravé  par  Jean  Varin. 


—   ro3  — 

Après  avoir  été  initié  par  son  père  à  la  connaissance  des 
procédés  techniques  de  son  art,  Gérard  de  Lairesse  fut  placé 
sous  la  discipline  de  Bertholet  Flémalle  qui  le  prit  en  affection, 
le  guida  de  ses  conseils  et  lui  fît  partager  son  enthousiasme  pour 
les  monuments  antiques  et  les  chefs-d'œuvre  modernes  de  Rome. 

On  dit  qu'à  l'âge  de  douze  ou  quinze  ans,  il  peignait  des 
sujets  de  sa  composition,  s'essayait  dans  la  musique,  jouant  de 
plusieurs  instruments,  et  tournant  assez  agréablement  le  vers. 

Bientôt  après,  il  se  fait  connaître  par  d'assez  bons  portraits; 
puis,  son  père  ayant  obtenu,  pour  lui,  une  commande  de  tableaux 
d'histoire,  il  réussit  aussi  dans  la  grande  peinture  et,  par  ce  fait, 
se  concilia  la  bienveillance  de  l'électeur  de  Cologne,  Maximilien- 
Henri  de  Bavière,  évêque  de  Liège. 

En  1660,  voulant  aller  se  présenter  à  la  cour  de  ce  prince, 
il  partit  pour  Cologne,  mais  s'arrêta  à  Aix-la-Chapelle  afin  d'y 
peindre  le  Martyre  de  Sainte-Ursule,  tableau  destiné  à  l'église 
de  ce  nom. 

Cette  toile,  que  le  temps  a  respectée,  déjà  traitée  avec  une 
grande  habileté  pratique  et  la  remarquable  facilité  qui  devait 
rester  avec  l'imagination,  le  côté  brillant  du  talent  de  Lairesse, 
commença  sa  réputation;  mais  elle  lui  suscita,  dit-on,  parmi  les 
artistes  de  la  ville,  des  jalousies  et  des  inimitiés  nombreuses  ;  tou- 
jours est-il  que  notre  peintre  renonça  au  voyage  de  Cologne, 
rebroussa  chemin  et  revint  à  Liège. 

Rentré  dans  sa  ville  natale,  il  reprend  ses  travaux  avec  une 
grande  activité  ;  sur  commande,  il  exécute  un  Martyre  de  Saint- 
Lambert,  le  Baptême  et  la  Conversion  de  Saint-Augustin,  peut- 
être  encore  d'autres  tableaux  religieux,  mais  il  donne  aussi  cours 
à  sa  fantaisie  et  se  livre  à  si  féconde  imagination,  en  peignant 
différentes  toiles  dont  les  sujets  sont  empruntés  à  la  Fable. 


—  104  — 

La  Descente  d'Orphée  aux  enfers,  Venus  et  Adonis,  Narcisse 
se  mirant  dans  l'eau.  Venus  au  clair  de  lune  sont  de  cette  époque. 

L'important  tableau  (H.  L82,  L.  2.16)  très  intéressant  à 
étudier,  la  Descente  d'Orphée  aux  enfers  qui  orna  le  vaste  man- 
teau de  cheminée  de  l'une  des  salles  de  l'habitation  de  Godefroid 
de  Sélys,  ancien  bourgmestre  de  Liège,  est  actuellement  à  notre 
Musée  d'Ansembourg.  I!  a  été  exécuté  en  1662,  alors  que 
l'artiste  n'avait  que  21  ans. 

Une  autre  toile  de  Lairesse,  de  beaucoup  postérieure  en 
date,  plus  petite  de  dimensions  (H.  0.90,  L.  1.14),  mais  extrê- 
mement intéressante,  que  possède  le  Musée  des  Beaux-arts  de 
Liège,  est  le  Tribunal  de  la  sottise  ou  la  calomnie  d'Apelles. 

Le  rhéteur-philosophe  grec,  Lucien,  a  décrit  un  tableau  que 
fit  Apelles,  citoyen  d'Ephèse,  pour  se  venger  d'une  calomnie 
dont  il  faillit  être  la  victime.  Cette  donnée  de  Lucien  avait  déjà 
inspiré  Albert  Durer,  pour  sa  fresque  de  l'Hôtel  de  Ville  de 
Nuremberg;  Raphaël  dans  son  important  dessin  conservé  au 
Musée  du  Louvre;  Boticelli  et  autres  grands  maîtres. 

De  Lairesse,  qui  avait  toutes  les  audaces,  ne  redouta  point 
d'aborder  le  même  sujet  après  de  tels  génies. 

Quoi  qu'il  en  soit,  sa  composition  est  très  détaillée  et  aussi 
claire  que  l'a  pu  être  l'allégorie  de  ses  devanciers,  dit  M.  Helbig. 
qui  en  donne  cette  description  : 

((  Au  milieu  du  tableau,  on  voit  le  juge  à  l'air  important  et 
stupide,  avec  les  oreilles  de  Midas.  Appuyée  sur  son  trône  : 
l'Ignorance,  les  yeux  couverts  d'un  bandeau  épais,  le  sein  nu, 
tenant  en  main  le  hochet  de  la  folie,  semble  inspirer  la  sentence. 
A  ses  pieds  est  le  hibou,  l'oiseau  des  ténèbres.  De  l'autre  côté, 
le  Soupçon,  au  teint  livide,  aux  pieds  crochus,  est  assis  sur  les 
marches  du  tribunal.  Dans  les  mains,  il  tient  un  miroir  à  verre 
convexe,  parce  qu'il  dénature  tout  ce  qui  se  reflète  dans  son 
impur  objectif. 


—  I05  — 

Au  premier  plan,  des  serpents  enlacés  se  tordent  à  terre, 
tandis  qu'une  colombe  se  débat  sous  la  serre  d'un  vautour. 

Le  juge  avance  la  main  vers  la  Délation.  Celle-ci,  jeune 
femme  presque  nue,  furieuse,  traîne  par  les  cheveux  un  jeune 
homme  qui,  d'une  main,  semble  s'accrocher  à  une  colonne  brisée, 
tandis  qu'il  lève  la  gauche  vers  le  ciel  ;  à  ses  pieds  est  une  torche 
que  la  Délation  a  laissé  échapper.  Celle-ci  est  conduite  par  une 
figure  jaune  et  blême,  hideuse  à  voir:  c'est  l'Envie  personnifiée. 

Une  charmante  blonde,  aux  yeux  bruns,  tenant  un  bouquet 
de  fleurs  qu'elle  tend  au  juge,  et  dont  le  corps  est  terminé  par 
une  queue  de  poisson,  à  la  façon  des  syrènes,  précède  ce  groupe. 
C'est  la  Perfidie. 

Derrière  l'innocent  sacrifié,  une  horrible  Euménide  le  flagelle 
avec  des  serpents. 

Au  loin,  on  voit  le  Repentir  s'enfuir  boiteux,  couvert  d'un 
vêtement  de  deuil.  Enfin,  dans  la  région  supérieure  de  la  compo- 
sition, apparaît  rayonnante,  une  palme  à  la  main  :  la  Vérité.  Elle 
est  précédée  du  Temps,  qui  frappe  déjà  de  sa  faulx  l'édifice  qui 
sert  de  temple  au  tribunal  de  la  Sottise.  » 

Gérard  de  Lairesse,  souvent  aussi,  empruntait  ses  sujets  aux 
Métamorphoses  d'Ovide. 

N'a-t-il  pas  écrit:  «  Dans  ma  jeunesse,  je  possédais  parfaite- 
ment toutes  les  fables  d'Ovide,  de  sorte  qu'il  suffisait  que  j'en- 
tendisse en  nommer  quelqu'une  pour  m'en  rappeler  jusqu'à  la 
moindre  circonstance  ». 

C'est  ainsi  que  l'histoire  des  tragiques  amours  du  jeune 
Babylonien  Pyrame  avec  Thisbé,  racontée  par  Ovide,  l'inspira, 
tout  comme  elle  avait  inspiré  le  Tintoret,  Le  Guide  et  Nicolas 
Poussin. 

Ses  prédilections  mythiques  l'incitèrent  même  à  transporter, 
jusque  dans  le  portrait,  des  scènes  mythologiques  représentant, 
par  exemple,  une  nièce  du  comte  de  Glimes  devenue  plus  tard 
princesse  de  Salm,  sous  la  figure  d'une  divinité  païenne  :  l'agreste 
Paies,  à  laquelle  toute  une  troupe  de  bergers  viennent  offrir  des 
fruits  avec  leurs  hommages. 


—   io6  — 

La  galerie,  à  Vienne,  du  prince  de  Lichtenstein  possède  une 
réduction  de  cette  toile,  achetée  à  Lairesse. 

La  nature  avait  traité  peu  favorablement  Gérard  de  Lairesse, 
quant  aux  avantages  extérieurs.  M.  Alfred  Michiels  le  dépeint 
en  ces  termes  :  «  Un  front  saillant,  des  orbitres  pleines  de  chair 
et  des  sourcils  mal  dessinés,  des  pommettes  s'égarant  vers  les 
oreilles  et  des  lèvres  épaisses,  mais  surtout  un  nez  microsco- 
pique, oij  l'os  manquait  et  dont  l'extrémité  semblait  une  petite 
masse  informe  ajoutée  après  coup,  étonnait  les  spectateurs,  pro- 
voquaient même  leur  gaieté.  Il  avait,  toutefois,  des  yeux  étince- 
lants  et  une  belle  chevelure.  Lairesse,  cependant,  aimait  les 
femmes,  recherchait  leur  entretien  et  leurs  bonnes  grâces:  il 
tâchait  de  compenser  par  ses  discours  et  ses  prévenances  le 
malheureux  effet  produit  par  sa  figure.  » 

On  raconte  qu'une  grande  dame  polonaise  étant  arrivée  à 
Liège,  accompagnée  d'une  jeune  personne  extrêmement  belle, 
l'artiste  s'enflamma,  pour  celle-ci,  d'un  subit  amour  dont  la  décla- 
ration ne  fut  accueillie  par  l'enchanteresse  que  par  un  sourire 
moqueur. 

Mais  doué  d'une  rare  facilité  de  conception  aussi  bien  que 
d'exécution,  et  les  commandes  se  succédant  à  souhait,  Gérard 
de  Lairesse,  très  jeune  encore,  voyait  au  moins  la  fortune  lui 
sourire  agréablement,  dans  sa  ville  natale,  lorsqu'une  malheu- 
reuse affaire,  aventure  d'un  autre  genre,  l'éloigna  pour  toujours 
de  sa  patrie. 

Il  fit  la  connaissance  de  deux  sœurs,  jeunes  et  jolies  filles, 
originaires  de  Maestricht,  qui  lui  servirent  de  modèles.  Légère- 
ment, il  s'engagea,  vis-à-vis  de  l'une  d'elles,  par  une  promesse 
de  mariage  qui  contraria  vivement  sa  famille.  Sur  les  instances 
de  celle-ci,  il  se  décida  à  ne  point  tenir  son  imprudent  engage- 
ment, mais  la  jeune  personne  n'était  point  d'humeur  à  se  laisser 
éconduire  de  la  sorte. 


—   loy  — 

Informée  des  nouvelles  dispositions  de  son  infidèle  amant, 
assistée  de  sa  sœur,  et  armées  toutes  deux,  elles  attendent  le 
peintre  au  sortir  de  son  atelier,  le  somment  de  remplir  sa  pro- 
messe, et,  sur  sa  réponse  qu'il  n'en  fera  rien,  il  reçoit,  à  la 
gorge,  un  coup  de  poignard. 

Suivant  l'usage  de  l'époque,  Lairesse  portait,  au  côté,  une 
petite  épée  de  salon.  L'ayant  tirée,  pour  se  défendre  contre  les 
violentes  attaques  de  ces  deux  femmes  armées,  le  hasard  voulut 
qu'il  blessa  grièvement  une  des  assaillantes:  la  sœur  ds  la 
délaissée  ! 

L'affaire  était  grave,  la  scène  s'était  passée  en  plein  jour, 
elle  fît  scandale  et  l'arrestation  de  Lairesse  fut  ordonnée.  Celui- 
ci,  pour  jouir  du  droit  d'asile,  se  réfugia  chez  les  Dominicains 
qui  pansèrent  l'entaille  qu'il  avait  reçue  et  l'abritèrent  dans  leur 
maison  jusqu'au  moment  où  il  put  trouver  l'occasion  de  passer 
à  l'étranger... 

La  Hollande,  qu'il  ne  quitta  plus,  fut  son  pays  d'adoption 
et  il  exerça,  sur  la  peinture  de  ce  pays,  par  sies  travaux  et  ses 
livres,  une  influence  décisive. 

Nous  retrouvons,  à  quelque  temps  de  là,  de  Lairesse 
installé  très  modestement  à  Bois-le-Duc.  Il  vient  d'épouser  une 
jeune  fille  qui  lui  était  alliée:  Marie  Salm.  Elle  avait  témoigné 
beaucoup  d'intérêt,  donné  même  quelques  soins  à  l'artiste,  lors 
de  sa  mésaventure,  et,  finalement,  l'avait  accompagné  dans  son 
exil. 

Gérard  de  Lairesse  s'est  remis  courageusement  au  travail  ; 
déjà  sont  achevées  quelques  petites  toiles  qu'il  s'est  efforcé  de 
peindre  avec  un  soin  tout  particulier  pour  leur  donner  la  finesse 
qui  plait  aux  Hollandais,  mais  les  acheteurs  ne  se  présentent  pas. 
Il  est  réduit  à  fabriquer  des  enseignes,  des  paravents,  tout  ce 
qu'on  lui  demande. 


—  io8  — 

La  détresse,  néanmoins,  commençait  à  se  faire  sentir  dans 
le  jeune  ménage,  lorsque  notre  peintre  entra  en  relations  vec  un 
marchand  d'objets  d'art  d'Amsterdam,  du  nom  de  Georges 
Uylenburg,  qui  lui  acheta  quelques  tableaux,  à  des  prix  très 
modiques,  et  l'engagea  à  venir  s'établir  à  Amsterdam,  promettant 
de  ne  point  lui  laisser  manquer  d'occupations,  conseil  qui  fut 
bientôt  suivi  par  le  peintre  et  promesse  qui  fut  tenue  par  le 
mécène,  du  reste,  intéressé. 

Les  biographies  de  Lairesse  abondent  en  anecdotes;  en 
voici  une  qui,  si  elle  n'est  point  apocryphe,  et  elle  pourrait  ne 
pas  l'être,  étant  donné  la  nature  et  l'esprit  de  l'artiste,  montrerait 
que  la  jovialité,  l'originalité,  qui  étaient  au  fond  de  son  caractère, 
avaient  tôt  repris  le  dessus  après  le  changement  relativement 
heureux,  survenu  dans  sa  situation.  Elle  a  trait  aux  premiers 
rapports  qui  s'établirent,  à  Amsterdam,  entre  le  marchand  et  sa 
nouvelle  recrue. 

Uylenburg  voulut  voir  travailler  l'artiste. 

Ayant  fait  préparer,  chez  lui,  tout  ce  qu'il  fallait  pour 
peindre,  il  l'attendit  à  un  jour  convenu.  Gérard  fut  ponctuel, 
se  tint  quelque  temps  en  face  de  la  toile  dans  l'attitude  d'un 
homme  qui  médite,  puis,  à  la  grande  stupéfaction  du  marchand, 
au  lieu  de  prendre  la  palette  et  les  pinceaux,  tira,  de  dessous  son 
manteau,  un  violon  dont  il  se  mit  à  jouer,  disant  à  son  hôte  ébahi 
que  les  idées  ne  lui  venaient  pas  autrement  ! 

Après  avoir  laissé  l'archet  glisser  et  bondir  quelques  instants 
sur  les  cordes  au  gré  de  sa  capricieuse  fantaisie,  il  commença 
son  tableau,  revint  encore  à  l'instrument  inspirateur,  puis,  après 
plusieurs  alternatives  de  musique  et  de  peinture,  il  livra  au 
marchand  la  charmante  esquisse  d'une  Nativité. 

Voici  l'anecdote  contée  par  Houbraken  (t.  111,  p.  109)  ; 
elle  a  un  caractère  si  original  qu'elle  doit  être  vraie,  dit  M.  Alfred 


—  log  — 

Michiels;  et  M.  Fétis  ajoute  :  qu'on  l'accepte  ou  qu'on  la 
repousse,  la  renommée  de  Gérard  de  Lairesse  n'a  pas  plus  à  y 
gagner  qu'à  y  perdre. 

Lairesse  ne  resta  pas  longtemps  sous  la  dépendance  de 
Uylenburg.  Ses  premières  toiles,  que  le  marchand  avait  bien 
placées,  chez  des  amateurs  connus  et  réputés,  accueillies,  au 
reste,  avec  une  faveur  marquée,  le  firent  bientôt  avantageuse- 
ment connaître  et  les  commandes  lui  arrivèrent,  directement, 
chaque  jour  plus  nombreuses. 

Avec  la  réputation  s'amenèrent  aussi  l'aisance  et  même  la 
fortune. 

Notre  peintre  s'installe  assez  somptueusement,  mais  avec  un 
luxe  de  bon  goût. 

La  politesse  de  ses  manières,  dit  de  Becdelièvre,  l'enjoue- 
ment de  son  humeur,  la  vivacité  de  son  imagination,  la  délicatesse 
de  son  esprit,  rendaient  sa  société  la  plus  aimable  du  monde  :  la 
joie  et  les  plaisirs  paraissaient  le  suivre  partout  où  il  se  montrait. 

N'oublions,  non  plus,  qu'il  était  aussi  musicien  et  poète. 

Sa  maison  du  marché  Saint-Antoine  devint,  dès  lors,  le 
rendez-vous  de  tout  ce  qu'il  y  avait  de  plus  réel,  à  Amsterdam, 
en  fait  d'amis  des  arts  et  des  lettres. 

Et  l'artiste  continue  à  se  livrer  vaillamment  à  son  art;  c'est 
même  à  ce  moment  qu'il  produit  ses  plus  belles  peintures  de 
chevalet,  ses  plus  admirables  décorations. 

La  nécessité,  suivant  les  expressions  de  M.  Fétis,  ne  le 
pousse  plus  à  faire  de  la  célérité  la  première  condition  de  son 
travail.  Il  médite  les  sujets  qu'il  traite  et  termine  ses  tableaux 
avec  tout  le  soin  nécessaire.  Si  ses  œuvres  se  multiplient,  c'est 
qu'il  est  doué  d'une  rare  facilité  d'exécution. 

Comme  preuve  de  cette  facilité  réellement  extraordinaire, 
l'auteur  de  la  Vie  des  peintres  hollandais,  le  peintre-littérateur. 


—    I  lO    — 

Arnold  Houbraken,  un  contemporain  de  notre  artiste,  cite  le  fait 
suivant  : 

Lairesse  fit,  un  jour,  la  gageure,  avec  un  familier  de  son 
atelier,  Barthélémy  Abba,  de  peindre,  dans  un  seul  jour,  une 
composition  mythologique  représentant  Apollon  et  les  neuf  Muses, 
grandeur  naturelle  d'exécution,  avec  leurs  attributs  spéciaux. 

Dès  le  lendemain,  de  bonne  heure,  l'artiste  se  met  au  travail 
et  le  soleil  n'était  pas  encore  sur  son  déclin,  lorsque  Abba,  venu 
pour  s'assurer  des  chances  qu'il  avait  de  gagner  son  pari, 
constata  que  le  tableau  était  très  avancé:  il  ne  restait  plus  qu'à 
peindre  la  tête  d'Apollon.  Lairesse  pria  son  adversaire  de  poser 
pour  le  visage  du  Musagète.  Abba  ne  put  décliner  une  demande 
aussi  flatteuse  pour  sa  physionomie  :  Gérard  fît  donc  son  portrait, 
séance  tenante  et  gagna  la  gageure  (i)- 

L'histoire  racontée  par  Houbraken  paraît  encore  trop  dans  la 
nature  de  l'artiste,  dit  M.  Helbig,  pour  ne  pas  être  acceptée; 
et  si  c'est  une  fable,  ajoute  M.  Fétis,  elle  montre  du  moins  la 
haute  idée  qu'on  avait  de  la  facilité  du  peintre  liégeois. 

Gérard  de  Lairesse  entendait  admirablement  la  peinture 
décorative  et  l'ornementation,  surtout  dans  le  goût  de  son  époque; 
aussi,  les  travaux,  en  ce  genre,  qu'il  exécuta,  tant  dans  les  édi- 
fices publics  que  dans  des  habitations  privées,  sont  très  nom- 
breux. 

Avec  un  art  tout  particulier,  il  savait  mêler  les  grisailles  aux 
peintures  polychromes  et  ses  imitations  de  bas-reliefs  sont  des 
plus  remarquables. 

Dans  la  Maison  des  lépreux,  à  Amsterdam,  il  peignit  un  de 
ses  plus  beaux  plafonds. 


(t)   Houbraken.  t.    III,   p.    109  et  suivantes. 


^Jafiientui  L/niaena  iJJtu-.Aioi 


0U4TU.. 


TABLEAU 
l'eint  et  gravé  par  Gérard  de  Laikessk. 


—  '13  — 

En  collaboration  avec  le  paysagiste  hollandais  Jean  Glauber, 
il  orna  de  peintures  la  salle  à  manger  de  la  reine  Marie  d'Angle- 
terre et  les  appartements  du  roi  Guillaume  IH. 

Déjà,  en  1665,  Guillaume  prince  d'Orange,  stadhouder  de 
la  Hollande,  depuis  roi  d'Angleterre,  l'avait  appelé  à  La  Haye, 
lieu  de  sa  résidence,  pour  le  charger  de  travaux  importants.  Plus 
tard,  lorsqu'il  fit  construire  son  château  de  Soestdyck,  dans  la 
Gueldre,  ce  fut  encore  au  même  artiste  qu'il  eut  recours  pour  la 
décoration  de  cette  grande  et  belle  maison  de  plaisance. 

Il  existe  toujours,  à  La  Haye,  dans  le  Binnenhof,  en  la 
Chambre  civil*  du  tribunal  (Gerechtshof)  sept  peintures  décora- 
tives qui  sont  restées  à  la  place  pour  laquelle  l'artiste  les  a 
exécutées. 

C'est  à  cette  époque,  enfin,  qu'il  se  mit  à  graver  à  l'eau- 
forte. 

Si  Gérard  de  Lairesse  n'avait  été  un  grand  peintre,  dit 
M.  Fétis.  il  se  serait  fait,  par  son  seul  talent  de  graveur,  une 
belle  renommée. 

Ses  estampes,  assez  nombreuses,  pour  former  l'œuvre  consi- 
dérable d'un  artiste  qui  n'aurait  manié  que  la  pointe  et  le  burin 
(environ  250  pièces),  ont,  comme  ses  tableaux,  pour  caractère 
distinctif  la  facilité  de  l'exécution. 

Il  entendait  à  merveille  le  travail  de  l'eau-forte;  sa  pointe 
avait  toute  la  franchise,  toute  la  liberté  du  crayon.  Il  traçait  de 
verve  ses  compositions  sur  le  cuivre,  comme  sur  la  toile  et  sur 
le  papier.  Sa  main  obéissait  évidemment  au  premier  jet  de  la 
pensée. 

Il  est  inutile  de  dire,  ajoute  le  même  auteur,  que  Gérard  de 
Lairesse  est  l'inventeur  de  toutes  les  compositions  qu'il  a  repro- 
duites par  la  pointe  et  par  le  burin.  Une  seule  planche  de  son 


-   114  — 

œuvre  rend  la  pensée  d'un  autre  maître;  c'est  une  sainte  Famille 
d'après    Bertholet    Flémalle,    dont    les   conseils  eurent   tant 
d'influence  sur  la  direction  prise  par  son  talent. 

Pour  l'ouvrage,  dont  le  succès  fut  considérable  en  son 
temps:  VAnatomie  du  corps  humain,  publié,  à  Amsterdam,  en 
1685,  par  le  savant  médecin  hollandais  Godefroid  Bidloo,  qui 
était  des  amis  de  Lairesse,  celui-ci  dessina  aussi,  d'après  nature, 
cent  et  cinq  planches  anatomiques  qui  furent  ensuite  gravées  avec 
beaucoup  d'exactitude  et  de  netteté. 

On  reconnaît  même,  généralement,  que  la  vogue  de  l'ou- 
vrage fut  due,  surtout,  à  la  beauté  des  planches  qui  l'accom- 
pagnent. 

Les  dessins  originaux  de  ces  planches  anatomiques  sont  con- 
servés à  la  bibliothèque  de  l'école  de  médecine  de  Paris. 

En  1690,  alors  que  Gérard  de  Lairesse  atteignait  à  peine  la 
cinquantième  année  de  son  âge,  et  tandis  qu'il  était  dans  toute 
la  vigueur  de  son  talent,  un  malheur  affreux,  le  plus  grand  qui 
pouvait  l'atteindre,  vint  le  frapper:  Il  perdit  complètement  la  vue 
et,  cependant,  supporta  courageusement  ce  terrible  coup  du  sort. 

La  musique,  qu'il  n'avait  pas  cessé  de  cultiver,  lui  devint, 
sans  doute,  d'un  précieux  secours  pour  dissiper  les  sombres 
préoccupations  qui  assiégeaient  son  esprit.  Mais,  comme  l'écrit 
M.  Fétis,  qui  ne  croirait,  qu'à  dater  de  ce  moment,  il  ne  dut 
se  considérer  comme  perdu  pour  son  art?  Cela  ne  fut  pas  cepen- 
dant : 

<i  Les  artistes  d'Amsterdam,  peintres,  sculpteurs,  architectes, 
rendant  hommage  à  son  génie,  ainsi  qu'à  son  profond  savoir, 
l'avaient,  depuis  longtemps,  pris  pour  guide,  et  venaient  le  con- 
sulter toutes  les  fois  qu'ils  rencontraient  dans  leurs  travaux  un 
problème  dont  la  solution  les  embarrassait.  Ils  se  groupèrent,  dès 
lors,  plus  intimement  autour  de  lui.  Gérard  avait  déposé  ses  pin- 
ceaux, ses  crayons,  mais  il  lui  restait  la  haute  faculté  de  théorie 


__  1,5  — 

et  d'analyse  qui  formaient  la  base  de  son  talent.  Il  tint  pour  ses 
confrères,  devenus  ses  disciples,  des  conférences  dans  lesquelles 
il  traita  successivement  de  toutes  les  parties  de  l'art,  depuis  ses 
éléments  jusqu'à  ses  applications  les  plus  étendues.  La  route  qu'il 
ne  lui  était  plus  donné  de  parcourir,  il  la  montrait  à  ceux  qui 
pouvaient,  grâce  à  ses  conseils,  y  marcher  d'un  pas  ferme  et  sûr. 
Chose  nouvelle,  c'était  l'aveugle  qui  conduisait  vers  le  but  ceux 
dont  les  facultés  étaient  pleines  et  entières!  Ses  leçons  furent 
recueillies  par  ses  fils,  mises  en  ordre  et  publiées  par  la  Société 
des  peintres  d'Amsterdam  (').  » 

Grand  livre  des  Peintres  où  l'art  de  la  peinture  est  enseigné 
dans  toutes  ses  parties  et  expliqué  au  moyen  d'exemples  et  de 
gravures,  par  de  Lairesse.  peintre,  tel  est  le  titre  donné  à  ce 
recueil  des  conférences  du  maître. 

La  première  édition  de  l'ouvrage  parut  en  hollandais,  à 
Amsterdam,  en  1712:  2  vol.  in-4,  et  fut  suivie  de  trois  autres 
éditions,  dans  la  même  langue:  Amsterdam  1720,  2  vol.  in-folio; 
Harlem,  1740.  2  vol.  in-4  et  Amsterdam  1745,  2  vol.  in-folio. 
Deux  éditions,  en  langue  allemande,  parurent,  à  Nuremberg,  en 
1724  et  1730,  2  vol.  in-4.  Enfin,  deux  éditions,  en  langue  fran- 
çaise, ont  été  publiées,  l'une  à  Amsterdam,  en  1725;  l'autre,  à 
Paris,  en  1787,  2  vol.  in-4. 

On  peut  juger,  par  là,  du  crédit  universel,  peut-on  dire, 
dont  jouissait,  au  XVIII"  siècle,  le  Grand  livre  des  Peintres,  de 
Gérard  de  Lairesse.  Il  est,  aujourd'hui,  tombé  dans  l'oubli,  sans 
que  l'on  puisse  assigner  un  motif  plausible,  ainsi  que  le  fait 
observer  M.  Fétis,  à  l'abandon  qui  est  devenu  le  partage  du 
traité  de  Gérard  de  Lairesse. 

i<  Pas  un  peintre,  peut-être,  le  lit,  et  tous  y  trouveraient  de 
précieux  avis.  Aucune  des  parties  essentielles  ou  accessoires  de 
l'art  n'a  été  négligée  par  Lairesse.  Il  montre,  à  chaque  page  de 
son  livre,  autant  de  goût  que  d'instruction  et  de  science  pratique. 

(1)   Fétis:  /.fs  Artistes  belges  à  l'étranger. 


—  ii6  — 

Les  principes  qu'il  expose  et  qu'il  développe  ne  sont  pas  seule- 
ment le  résultat  d'une  expérience  acquise  par  de  longues  années 
d'exercice;  ils  sont  aussi  le  produit  de  la  méditation  et  présentent 
un  enchaînement  rationnel. 

Dans  les  chapitres  sur  le  dessin,  l'emploi  des  couleurs  et 
le  maniement  du  pinceau,  l'auteur  part  nécessairement  de  données 
élémentaires  familières  à  tous  les  peintres,  mais  il  arrive  ensuite 
à  des  considérations  d'un  ordre  élevé  dont  plus  d'un  artiste  qui 
croit  n'avoir  plus  rien  à  apprendre  de  ce  côté,  pourrait  tirer 
profit.  » 

M.  Charles  Blanc,  dans  son  Histoire  des  Peintres,  apprécie 
non  moins  honorablement,  le  traité  de  Lairesse  :  «  Cet  ouvrage 
est  des  meilleurs,  il  contient  d'excellentes  vues  et  convient  encore 
plus  aux  maîtres  qu'aux  élèves.  Les  idées  en  sont  grandes,  belles, 
souvent  poétiques  (i)  ». 

En  appendice  au  Grand  livre  des  Peintres,  sont  publiés 
quelques  chapitres  sur  l'art  de  la  gravure  à  l'eau-forte  qui  cons- 
tituent, sur  cette  matière,  un  traité  des  plus  substantiels.  Lairesse 
s'étant  montré  aussi  habile  graveur  que  grand  peintre. 

Gérard  de  Lairesse  est  mort  pauvre,  peut-être  même  dans 
le  dénûment,  à  Amsterdam,  le  28  juillet  1711,  à  l'âge  de  71  ans. 
et  s'il  eut  de  belles  funérailles  où  tout  ce  que  la  cité  hollandaise 
avait  d'hommes  distingués  vint  lui  rendre  un  dernier  hommage, 
ainsi  qu'on  l'a  rapporté  alors,  ce  fut  la  Société  des  peintres 
d'Amsterdam  qui  en  supporta  les  frais,  la  même  société  qui,  un 
an  plus  tard,  devait  publier  la  première  édition  du  Grand  livre 
des  Peintres. 

Un  peintre-écrivain  français,  plus  friand  de  détails  que  sou- 
cieux de  vérité,  Jean-Baptiste  Descamps,  dans  un  ouvrage  qu'il 


(1)   Histoire  des  Peintres  de  toutes  les  écoles,  depuis   la  Renaissance 
jusqu'à  nos  jours,  par  Charles  Blanc.  G.  de  Lairesse,  p.  6. 


—  117  — 

publia,  en  1753.  Vie  des  Peintres  flamands,  allemands  et  hollan- 
dais, affirme  que  si  Lairesse  est  mort  pauvre,  c'est  qu'il  était 
resté,  jusque  dans  sa  vieillesse,  incorrigible  dans  ses  habitudes 
de  débauche. 

Avec  M.  Fétis,  nous  ne  saurions  admettre  comme  fondées 
tes  accusations  lancées  contre  Gérard  de  Lairesse.  par  le  bio- 
graphe français,  et  répétées,  trop  légèrement,  après  lui,  par  une 
foule  d'écrivains. 

La  nature  de  son  talent  et  l'importance  de  ses  travaux 
démontrent  la  fausseté  de  ces  allégations. 

On  a  voulu  faire  payer  trop  cher  au  peintre  liégeois  les 
erreurs  de  sa  jeunesse. 

Ce  n'est  pas  au  cabaret  que  Lairesse  a  pu  acquérir  la 
profonde  connaissance  des  mœurs  de  l'antiquité  qu'on  remarque 
dans  ses  peintures,  dans  ses  gravures,  dans  ses  écrits;  qu'il  a 
formé  son  goût  si  délicat:  qu'il  a  pris  cette  grande  manière  de 
concevoir  et  d'exprimer. 

Où  aurait-il  trouvé  le  temps  d'exécuter  tant  de  peintures 
décoratives,  tant  de  tableaux,  tant  de  dessins  et  d'estampes,  lui 
dont  la  carrière  fut  fermée  à  l'âge  de  cinquante  ans  par  une 
cruelle  infirmité,  s'il  avait  été  l'hôte  assidu  des  estaminets?  Et 
puis,  ne  sait-on  pas  qu'il  cherchait  dans  la  musique  et  dans  la 
poésie  une  distraction  aux  sérieuses  études  de  son  art?  De 
pareils  instincts  sont  incompatibles  avec  le  penchant  qu'on  lui 
prête  pour  les  orgies. 

Une  chose  dont  on  est  frappé  encore,  en  lisant  l'ouvrage  de 
Gérard  de  Lairesse,  c'est  de  voir  que  l'homme  auquel  certains 
biographes  prêtent  les  sentiments  les  plus  bas,  exprime,  à  chaque 
page  de  son  livre,  des  pensées  d'une  remarquable  élévation, 
et  n'envisage  jamais  les  choses  que  par  leur  côté  le  plus  noble 
et  le  plus  poétique. 


—  ii8  - 

Enfin,  n'a-t-il  pas  mis  au  bas  d'un  grand  nombre  de  ses 
allégories  des  maximes  morales  relatives  au  danger  des  passions, 
aux  suites  funestes  des  entraînements  de  l'amour  et  de  l'intem- 
pérance. Et  c'est  là  l'homme  que  trop  de  biographes,  même 
de  son  pays,  prétendent  avoir  été  un  débauché,  un  ivrogne  ! 

Oh!  nous  savons  que  l'on  a  raconté  une  aventure  assez 
fâcheuse  qui  lui  serait  arrivée,  alors  qu'il  était  dans  une 
situation  brillante,  mais  elle  serait  vraie,  cette  aventure,  qu'elle 
ne  prouverait  rien  encore.  Que  le  lecteur  en  juge. 

Il  paraîtrait,  qu'en  1672,  pendant  l'invasion  de  la  Hollande 
par  les  troupes  françaises,  lorsque  celles-ci  s'étaient  avancées 
jusque  près  d'Amsterdam,  et  tandis  que  les  paysans  des  environs 
s'enfuyaient  vers  la  ville,  Lairesse,  qui  avait  été  passer  la  soirée 
chez  des  amis,  à  la  campagne,  s'en  retournait  chez  lui,  en 
chantant  quelque  refrain  dont  les  paroles  étaient  en  français. 
On  l'aurait  pris  pour  un  espion,  arrêté  et  enfermé,  provisoire- 
ment, dans  un  souterrain  ;  par  le  soupirail,  il  aurait  hêlé  un 
passant  qui,  mis  au  courant  de  la  situation  dans  laquelle  se 
trouvait  le  peintre  et  le  malentendu  dont  il  était  victime,  serait 
allé  prévenir  sa  femme,  laquelle  accourue,  aurait,  sans  peine, 
obtenu  sa  délivrance. 

Sans  doute,  Gérard  de  Lairesse  a  joui  assez  longtemps  d'une 
grande  prospérité,  mais,  pour  expliquer  la  gêne  en  laquelle 
ce  grand  artiste  s'est  trouvé  dans  sa  vieillesse,  écartant  jusqu'au 
soupçon  d'inconduite  d'où  l'on  voudrait  faire  dépendre  son  dénû- 
ment  et  que  l'on  fait  planer  sur  toute  sa  vie,  ne  suffit-il  donc  pas 
de  se  souvenir  qu'il  n'était  nullement  préparé  à  une  incapacité 
de  travail  aussi  prématurée  que  celle  dont  il  fut  frappé  à  l'âge 
de  cinquante  ans,  et  qu'il  était  aveugle  depuis  vingt  ans,  lorsqu'il 
rendit  le  dernier  soupir? 


—  119  - 

Des  tableaux  de  Gérard  de  Lairesse  figurent  dans  presque 
tous  les  grands  musées  d'Europe,  ainsi  que  dans  nombre  d'im- 
portantes collections  particulières. 

Le  Musée  des  Beaux-arts  de  la  ville  de  Liège  possède  du 
maître,  indépendamment  de  la  Descente  d'Orphée  aux  enfers 
et  du  Tribunal  de  la  Sottise  ou  la  Calomnie  d'Apelles,  une 
Judith  et  l'esquisse  très  poussée,  en  huit  panneaux,  du  Triomphe 
de  Paul  Emile,  une  des  œuvres  les  plus  marquantes  de  Lairesse, 
exécutée  pour  le  bourgmestre  d'Amsterdam,  Pancratius. 

Nous  venons  de  rappeler  les  noms  des  artistes  qui.  au 
XVII"  siècle,  ont  marqué  avec  le  plus  d'éclat  dans  l'histoire  de  la 
peinture  au  Pays  de  Liège.  Nous  avons  aussi,  incidemment,  en 
parlant  de  leurs  élèves,  montré  qu'autour  de  ces  maîtres  se 
groupent  beaucoup  de  peintres,  d'un  mérite  secondaire,  sans 
doute,  mais  qui  ont,  néanmoins,  joui,  en  leur  temps,  à  juste  titre, 
d'une  assez  grande  réputation. 

Il  en  est  un  encore  qui  appartenait  à  cette  même  Ecole 
liégeoise  du  XVI T  siècle,  et  dont  l'occasion  ne  s'est  présentée 
d'en  faire  ici  mention,  parce  qu'il  ne  se  plaça  sous  la  discipline 
d'aucun  maître,  préférant  ne  s'inspirer  que  de  la  nature  et 
voyager  {x»ur  s'instruire. 

Nous  voulons  parler  de  Walthère  Damery. 

Né  à  Liège,  en  1610.  y  décédé  en  1672.  Walthère  Damery 
appartenait  à  une  famille  de  peintres,  mais  ce  ne  fut  qu'après 
avoir  terminé  ses  humanités  qu'il  prit  les  pinceaux  et  la  palette, 
à  son  tour,  sans  passer  par  aucun  atelier. 

C'est,  tout  d'abord,  en  Angleterre  qu'il  se  rend,  attiré  en 
ce  pays  on  ne  sait  par  quelles  circonstances.  Après  y  être  resté 
plusieurs  années,  pendant  lesquelles  il  s'adonna  à  la  peinture  de 
portraits,  il  visita  la  France,  puis  se  dirigea  vers  Rome.  Il  y  fit 
un  assez  long  séjour,  s'attachant  particulièrement  à  l'étude  des 


—    I20    — 

œuvres  de  Cortone  qui,  avec  le  chevalier  Bernin,  y  florissait 
alors,  et  dont  il  subit  l'influence  du  maniérisme  académique. 

Revenant  d'Italie,  Damery  s'arrêta  à  Paris  pour  y  peindre, 
dans  la  coupole  de  l'église  des  Carmes  de  la  rue  Vaugirard,  la 
vaste  composition  qui  s'y  trouve  actuellement  encore.  Elle  repré- 
sente le  prophète  Elie  enlevé  au  ciel,  sur  un  char  de  feu,  pendant 
qu'Elisée,  son  disciple,  resté  sur  la  terre,  étend  les  bras  pour 
recevoir  le  manteau  qu'il  laisse  tomber. 

M.  Henri  Delaborde  a  analysé  et  apprécié  cette  œuvre 
importante,  dans  un  article  intitulé:  La  peinture  des  coupoles, 
publié  dans  la  Revue  des  deux  Mondes,  n°  du  15  décembre  1863, 
et  bien  que  le  critique  français,  dont  la  compétence  est  bien 
connue,  attribue,  par  erreur,  ce  grand  travail  à  Bertholet  Flé- 
malle,  son  appréciation  flatteuse  n'en  subsiste  pas  moins  à 
l'adresse  de  Damery:  k  Tout  enfin,  dans  ces  peintures  sagement 
composées,  sagement  faites,  révèle  un  esprit  et  une  main  bien 
informés:  tout  émane  d'une  science  sans  arrogance,  mais  non 
pas  sans  certitude,  et  qui,  sous  les  dehors  de  la  simplicité,  de  la 
bonhomie  même,  si  l'on  veut,  a  un  fond  de  valeur  propre,  et  son 
genre  d'autorité  ». 

Parmi  les  autres  œuvres  conservées  de  Walthère  Damery, 
nous  mentionnerons  spécialement: 

A  la  Pinacothèque  de  Munich  :  Saint-Norbert,  fondateur  des 
Prémontrés,  recevant,  des  mains  de  la  Sainte-Vierge,  l'habit 
blanc  de  son  ordre. 

Au  Musée  de  Mayence  :  La  Sainte-Vierge  donnant  le  scapu- 
laire  brun  de  l'ordre  de  Carmes  à  Saint-Simon  Stock. 

Au  Musée  des  Beaux-arts  de  Liège  :  Vision  de  Saint-Dom.i- 
nique. 

A  l'église  Ste-Foy,  à  Liège:  La  Sainte-Vierge  entourée  des 
figures  symboliques  de  ses  propres  vertus. 


—    ]2\    — 

A  l'église  du  Séminaire,  à  Liège:  La  Sainte- Vierge  remettant 
le  scapulaire  blanc  à  Saint-Norbert. 

Cette  dernière  peinture  a  beaucoup  souffert;  on  y  constate 
des  retouches  malheureuses. 

A  l'église  Sainte-Marie-des-Lumières,  en  Glain,  près  de 
Liège  :  La  présentation  de  Jésus  par  la  Sainte-Vierge  au  temple 
est  encore  un  tableau  attribué  à  Damery. 

Walthère  Damery  eut  pour  élève  son  neveu,  Gilles  Hallet. 
qui,  né  à  Liège,  en  1620,  partit,  très  jeune,  pour  l'Italie  et  se  fixa 
à  Rome,  où  il  termina  ses  jours,  en  1694. 

L'œuvre  de  ce  peintre  nous  est  peu  connue;  il  était 
réputé  avoir  de  l'imagination  et  posséder  à  fond  les  principes  de 
son  art. 

Il  travailla  beaucoup  pour  les  églises  de  la  ville  éternelle. 
Quatre  toile  dues  à  son  pinceau  et  représentant  la  Nativité  de  la 
Sainte-Vierge,  son  Mariage,  l'Annonciation  et  la  Visitation  ornent 
encore,  aujourd'hui,  la  sacristie  de  l'église  Dell'  anima,  à  Rome. 

Une  gravure  de  Benoît  Fariat  nous  a  conservé  la  compo- 
sition d'un  auire  tableau  de  Hallet:  la  Translation  par  les  anges 
de  la  maison  de  la  Sainte-Vierge  à  Lorette. 

On  lit,  au  bas  de  cette  belle  estampe:  »  ^Cgidius  Hallet 
invenit  et  delineavit;  Bened.  Fariat  sculpsit  Romœ  ». 

On  voyait,  à  Liège,  autrefois,  plusieurs  beaux  dessins  de  sa 
façon,  dit  de  Becdelièvre,  mais  la  plupart  ont  malheureusement 
péri,  lors  du  bombardement  de  cette  ville  par  les  Français,  en 
1691  (I). 

Gilles  Hallet  avait  acquis  une  assez  belle  fortune  dont  il 
légua,  par  testament,  l'usufruit  à  sa  sœur  Catherine  Hallet  et  le 
capital  K  pour  la  subsistance  et  l'entretenance  des  orphelins 
abandonnez  de  la  paroisse  de  Sainte  Foy  de  Liège,  son  pays  ». 


(1)  de  Becdelièvre:  Biographie  liégeoise,  t.   II,  p.  354. 


CHAPITRE   VII. 


LE   XVIir    SIÈCLE 


Plumier  -  coclers  -  fassin  -  defrance 


Dès  l'aube  du  XVIII'  siècle,  l'art  perd  en  élévation  ;  il  porte, 
en  tous  pays,  les  marques  d'une  réelle  décadence.  Les  continua- 
teurs affaiblis  des  peintres  du  XVII'  siècle  ne  sont  dominés  par 
aucun  grand  artiste  :  nous  assistons  à  une  éclipse  totale  et  générale 
du  génie  artistique. 

Le  critique  d'art  français,  directeur  au  ministère  des  Beaux- 
arts,  M.  Paul  Mantz,  a  emprunté  au  théâtre  une  comparaison 
heureuse  pour  définir  cette  époque:  le  XVIII'  siècle,  dit-il,  est 
comme  un  long  entr'acte  où  la  scène,  jadis,  si  noblement  occupée, 
demeure  triste  et  déserte. 

Le  pays  de  Liège  compte  encore  de  nombreux  artistes,  mais 
ils  sont  tous  d'ordre  secondaire. 

Le  mérite  de  la  plupart  de  nos  peintres  se  tient  entre  les  limites 
d'une  honnête  médiocrité,  dépassées  par  quelques-uns  seulement. 

Il  en  est  cependant  qui  acquièrent  une  assez  grande  notoriété  ; 
tels,  tout  d'abord  Edmond  Plumier  et  Jean-Baptiste  Coclers,  l'un 
et  l'autre  nés  sur  le  seuil  du  XVIII'  siècle:  Plumier  en  1694; 


—    124   — 

Coclers  en  1696,  mais  tandis  que  le  premier  voyait  sa  carrière  se 
fermer  à  l'âge  de  39  ans,  en  1733;  Coclers,  plus  favorisé,  peignit, 
peut-on  dire,  jusqu'au  jour  même  de  sa  mort  survenue  le  23  mai 
1772,  à  l'âge  de  76  ans. 

Edmond  Plumier  (1694-1733),  élève  à  Liège,  d'Englebert 
Fisen,  à  Paris,  de  Nicolas  Larguillère  dont  il  prit  la  manière, 
aurait  marqué  davantage  parmi  nos  meilleurs  peintres  du 
siècle,  s'il  n'était,  comme  Carlier,  mort  en  pleine  maturité 
de  talent. 

Lorsqu'après  un  assez  court  séjour  en  Italie,  Plumier  revint  à 
Liège,  le  prince-évêque  régnant  alors,  Georges  Louis  de  Berghes, 
lui  demanda  de  peindre  son  portrait.  On  ignore  ce  que  cette  toile 
est  devenue,  mais  il  faut  croire  qu'elle  était  en  tous  points  réussie, 
car  on  vit  la  plupart  des  familles  patriciennes  du  pays  de  Liège 
lui  commander  aussi  des  portraits. 

Les  comtes  d'Oultremont  témoignèrent  spécialement  à  l'ar- 
tiste une  grande  faveur,  et  aujourd'hui  encore,  il  existe,  au  château 
de  Warfusée,  sept  portraits  de  membres  de  cette  ancienne  famille, 
cinq  de  femmes  et  deux  d'hommes,  tous  dus  au  pinceau  de 
Plumier. 

Une  de  ses  bonnes  toiles:  l'Enlèvement  de  Proserpine  est 
conservée  au  même  château. 

Pour  les  églises  de  Liège,  il  exécuta  plusieurs  grands  tableaux 
d'autel. 

Un  Saint-Benoît  enlevé  au  ciel,  peint  pour  l'église  Saint- 
Jacques,  et  qui  passait  pour  son  chef-d'œuvre  en  ce  genre,  a  été 
dirigé  sur  Paris,  en  1794.  Il  est  aujourd'hui  perdu. 

Le  Martyre  de  Sainte-Catherine,  qu'il  fit  pour  le  maître-autel 
de  l'église  du  même  nom,  occupe  encore  la  place  pour  laquelle 
cette  grande  page  décorative,  ceintrée  par  le  haut,  a  été  conçue  et 
peinte. 


—  '^5  - 

Il  en  est  de  même  d'une  Descente  de  croix  exécutée  pour 
l'église  Saint-Remacle  au  pont,  et  qui,  enlevée  par  les  armées 
françaises,  a  été  restituée  en  1815  ;  mais  cette  dernière  toile  a  subi 
des  retouches  aussi  nombreuses  que  maladroitement  faites,  et  l'état 
dans  lequel  elle  se  trouve  ne  permet  guère  d'en  apprécier  la  valeur. 
Elle  est  signée  et  datée  de  1718. 

Au  nouvel  Hôtel-de-Ville,  reconstruit  en  1714,  Plumier 
peignit  le  tableau  posé  sur  la  cheminée  de  la  salle  du  Collège, 
autrement  dit,  l'antichambre  de  la  salle  du  Conseil,  où  on  peut 
le  voir  encore,  actuellement,  et  qui  lui  fut  payé  750  florins.  C'est 
une  allégorie  relative  à  la  principauté  de  Liège.  Le  perron 
apparaît  dans  le  fond  de  la  composition. 

La  figure  de  femme,  très  peu  vêtue,  qui  se  trouve  au  premier 
plan,  a  dû  scandaliser  nos  magistrats  communaux  de  1750,  ar 
un  Recès  du  Conseil,  du  20  mars  de  cette  année,  porte  que 
Coclers  k  peintre  commissionné  de  la  cité  »  est  chargé  «  de  faire 
des  draperies  convenables  et  suivant  l'art,  pour  cacher  les  nudités 
des  figures  qui  sont  à  l'antichambre  du  Conseil!  (i)  » 

11  ne  paraît  aucunement,  à  l'examen  de  la  toile,  que  cette 
bizarre  résolution  ait  jamais  été  mise  à  exécution  ! 

Les  trois  médaillons  servant  de  dessus  de  porte  de  la  même 
salle,  figures  allégoriques,  sont  également  du  pinceau  de  Plumier. 

Les  comptes  communaux  renseignent  encore  que,  dans  les 
années  1719-1720,  il  a  été  payé  •<  au  sieur  Plumier,  peintre,  pour 
une  peinture  du  plafond  de  la  chambre  du  Conseil,  500  florins; 
1724-1725,  pour  le  portrait  de  S.  A.,  320  florins;  1725-1726.  pour 
les  figures  qu'il  ajoute  aux  paysages  de  Jupin,  800  florins  (2).  » 


(1)  Archives  de  l'Etat,  dépôt  de  Liège. 

(2)  S.  Bonnans  :  Extraits  des  comptes  cotnmunaux  de  la  Ville  de  Liège. 


—    120   — 

Les  œuvres  de  cet  artiste  se  distinguent,  généralement,  par 
le  coloris  et  l'élégance  du  dessin.  Il  peignait  avec  ampleur  et  assu- 
rance, ne  manquait,  certes,  pas  d'habileté,  et  ses  compositions 
sont  pleines  de  verve,  de  mouvement. 

]ean-Baptiste  Coders  (1696-1772)  a  joui,  durant  sa  longue 
carrière,  d'une  grande  notoriété;  aussi  son  atelier  fut-il  très  suivi. 

Dans  sa  famille,  originaire  de  la  ville  de  Maestricht,  mais 
établie  à  Liège,  l'art  de  peindre  semble  se  transmettre,  en  quelque 
sorte,  comme  un  héritage. 

Très  nombreux,  en  effet,  sont  les  artistes  de  ce  nom  ;  il  est 
aisé  de  comprendre,  dès  lors,  que  les  informations  les  concernant, 
données  par  les  biographes,  manquent  parfois  de  précision, 
lorsqu'elles  ne  sont  pas  contradictoires. 

Il  est  difficile  aussi  de  restituer,  dans  les  travaux  qu'ils  ont 
laissés,  la  part  qui  revient  à  chacun  d'eux.  Jean-Baptiste  paraît 
cependant  être  celui  qui  a  le  plus  marqué  et  comme  production 
et  comme  renommée. 

Dès  l'âge  de  dix-sept  ans,  il  partit  pour  Rome  et,  durant  le 
long  séjour  qu'il  fit  en  cette  ville,  seize  années,  dit-on,  il  épousa 
une  Romaine  qui  lui  donna  plusieurs  enfants.  Se  disposant, 
néanmoins,  à  rentrer  dans  son  pays,  il  s'embarqua  ;  mais  s'étant 
arrêté,  à  Marseille,  pour  y  peindre  à  fresque  une  spacieuse 
muraille  de  la  Bourse,  œuvre  que  le  temps  a  détruite,  il  eut  le 
malheur  de  perdre  femme  et  enfants,  dans  une  épidémie,  pendant 
l'exécution  de  ce  travail. 

Remis  en  route,  vers  la  terre  natale,  il  dut,  de  nouveau, 
s'arrêter  à  Beaune,  se  trouvant  sans  ressources,  pour  continuer 
le  voyage.  Là,  il  épousa,  en  secondes  noces,  la  fille  d'un  brave 
aubergiste,  du  nom  de  Bertrand,  lequel  avait  consenti  à  l'héberger, 
malgré  la  pénible  situation  financière  de  Coclers. 


—    127   — 

Rentré,  enfin,  à  Liège,  il  y  obtint  immédiatement  de  l'occu- 
pation: le  portrait  qu'il  fit  aussi  du  prince-évêque  Georges- 
Louis  de  Berghes,  aurait  de  même  été  le  point  de  départ  de  sa 
réputation.  Ce  qui  est  certain,  c'est  que,  travaillant  avec  une 
grande  facilité,  il  a  beaucoup  produit,  peignant  de  nombreux 
portraits,  exécutant  des  tableaux  d'églises,  des  décorations  d'ap- 
partements, dites  tapisseries,  des  plafonds,  réussissant  enfin, 
dans  ces  différents  genres. 

Le  plafond  de  la  grande  salle,  à  l'étage  de  l'hôtel  d'Ansem- 
bourg  (Musée  des  Arts  décoratifs)  est  signé  J.-B  Coclers,  1741; 
au  centre  :  un  sujet  allégorique  ;  dans  un  coin  :  des  démons  préci- 
pités; au-dessus  de  la  cheminée  :  un  guerrier  sur  le  bouclier  duquel 
se  lit  cette  devise  :  «i  Nec  sorte,  nec  fato  ». 

Ce  plafond  a  très  bien  conservé  le  vif  des  couleurs  avec 
lesquelles  l'artiste  a  peint  les  différents  personnages. 

J.-B.  Coclers  eut  pour  élèves  la  plupart  des  peintres  du  pays 
de  Liège  qui  «e  distinguèrent,  dans  la  seconde  moitié  du  XVIII' 
siècle.  Martin  Aubée,  Jean  Latour,  et  surtout  Nicolas  Fassin  et 
Léonard  Defrance  sont  de  ce  nombre. 

Nicolas  Fassin  (1728-1811)  dont  le  père,  le  chevalier  de 
Fassin,  a  été  successivement  échevin,  bourgmestre  de  Liège  et 
ministre  du  prince  Georges-Louis  de  Berghes,  reçut  très  jeune, 
alors  qu'il  faisait  ses  humanités,  des  leçons  de  J.-B.  Coclers,  mais 
ce  ne  fut  que  beaucoup  plus  tard  qu'il  s'adonna  complètement  à 
la  peinture. 

A  l'âge  de  vingt  ans,  il  s'était  rendu  à  Paris,  peut-être  avec 
l'intention  d'a'Ier  s'y  perfectionner  dans  l'art  vers  lequel  il  sem- 
blait porté  par  vocation.  Toujours  est-il  que  la  guerre,  dite  de  sept 
ans,  venant  à  éclater  entre  la  France  et  la  Prusse,  il  prit  du 
service  dans  les  mousquetaires  gris  du  roi  de  France  et  fut,  de 
suite,  nommé  officier,  vraisemblablement,  à  cause  du  nom  qu'il 
portait. 


—    128   — 

En  1754,  à  la  suite  de  difficultés  avec  des  officiers  qui  l'accu- 
sèrent faussement,  ainsi  qu'il  a  été  établi,  d'avoir  voulu  passer 
à  l'ennemi,  il  quitta  le  corps  des  mousquetaires  mais  ce  fut  pour 
organiser  une  compagnie,  dans  le  régiment  de  cavalerie,  que  le 
maréchal  de  Belle-Isle  avait  créé  en  prenant  possession  du  minis- 
tère de  la  guerre. 

La  paix  conclue,  Fassin  donna  sa  démission  d'officier  et  se 
rendit  à  Anvers  pour  y  reprendre  ses  études  académiques.  Agé 
de  40  ans,  il  gagna  ensuite  l'Italie,  séjourna  à  Rome  et  à 
Naples,  voyagea  en  Savoie  et  en  Suisse,  se  fixa,  pendant 
quelque  temps,  à  Genève  où  il  fut  admis  à  faire  le  portrait  de 
Voltaire  qui  résidait  alors  dans  le  voisinage,  au  château  de  Ferney  ; 
enfin,  après  être  retourné  en  Italie,  avoir  passé  quelques  semaines 
à  Marseille  et  fait  encore  un  séjour  en  Savoie  et  à  Genève,  notre 
gentilhomme-peintre  rentra  à  Liège,  en  1770. 

S'étant  lié  d'amitié  avec  le  peintre  Léonard  Defrance,  ils 
conçurent  ensemble  le  projet  de  doter  leur  ville  natale  d'une 
académie.  Ils  en  soumirent  les  plans  d'organisation  au  prince- 
régnant,  Velbruck,  amateur  et  protecteur  des  arts.  Ce  prélat 
seconda  leurs  vues,  en  dotant  l'école  nouvelle  d'une  pirtie  des 
biens  des  jésuites,  dont  l'Ordre  venait  d'être  supprimé  par  le  pape 
Clément  XIV. 

Léonard  Defrance  fut  nommé,  à  la  suite  d'un  concours, 
premier  professeur  de  cette  académie  et,  peu  de  temps  après 
l'inauguration  de  celle-ci,  Nicolas  Fassin  alla  s'établir  à  Spa,  attiré 
en  cette  charmante  localité,  tant  par  ses  beautés  naturelles  que  par 
les  occasions  qu'il  y  trouvait  de  vendre  aux  étrangers  ses  travaux 
rappelant  ceux  des  paysagistes  hollandais.  Both  et  Berghem.  en 
grande  faveur. 

Fassin  résida  à  Spa  jusqu'à  la  réunion  du  pays  de  Liège  à  la 
France,  époque  à  laquelle  il  revint  définitivement  dans  sa  ville 


—  129  — 

natale.  Il  y  mourut,  le  21  janvier  1811,  après  s'être  montré  très 
laborieux  jusque  dans  les  derniers  jours  de  sa  verte  vieillesse.  Ses 
meilleures  productions  datent  même  de  cette  période  de  sa  vie. 

M.  HeJbig  a  apprécié  justement  le  mérite  de  cet  artiste  : 
K  Fassin,  dit-il,  avait  un  talent  aujourd'hui  démodé,  mais  pourtant 
ferme,  souple,  aimable;  son  pinceau  laisse  rarement  apercevoir 
les  traces  de  fatigue,  même  dans  ses  toiles  les  plus  achevées.  Il 
était  né  peintre,  et,  pour  se  rendre  aussi  complètement  maître  des 
ressources  de  la  palette,  en  commençant  les  études  à  un  âge  où  la 
plupart  des  artistes  sont  déjà  parvenus  à  toute  la  maturité  de  leur 
talent,  il  fallait  une  organisation  d'élite.  Il  ne  lui  manquait,  pour 
prendre  la  place  d'un  maître  dans  l'histoire  de  l'art,  qu'un  senti- 
ment plus  profond  de  la  nature,  ou,  si  l'on  aime  mieux,  une 
originalité  plus  marquée.  Sa  couleur  est  harmonieuse,  son  dessin 
est  suffisamment  correct;  plus  d'une  de  ses  compositions  offre 
un  caractère  de  poésie  et  d'ampleur  que  l'on  ne  saurait  mécon- 
naître (1).  'I 

Le  Musée  des  Beaux-arts  de  Liège  possède  un  tableau  de 
Nicolas  Fassin  :  un  paysage,  avec  figures  et  animaux,  emprunté 
aux  côtes  de  l'Italie. 

Léonard  Defrance  (1735-1805)  a  été,  en  même  temps,  le 
dernier  et  le  plus  réputé  des  peintres  du  pays  de  Liège,  au 
XVIII'  siècle. 

L'état  civil  du  8  ventôse  an  13  (27  février  1805)  fait  ainsi 
mention  de  son  décès: 

K  Léonard  Defrance,  âgé  de  69  ans,  peintre,  demeurant  rue 
Pierreuse,  n°  296,  époux  de  Marie-Jeanne  Joassin.  » 


(1)  Helbig  :  La  Peinture  au  Pays  de  Liège,  2»  édition,  p.  445. 


—  I30  — 

L'article  nécrologique  que  lui  consacra  la  Gazette  de  Liège, 
dans  son  numéro  du  7  ventôse,  est  signé  P.-J.  Henkart  (!)• 

((  La  ville  de  Liège  vient  de  perdre  un  artiste  célèbre. 

»  Léonard  Defrance,  né  dans  ses  murs,  le  5  novembre  1735, 
a  cessé  de  vivre,  le  5  ventôse  an  13,  des  suites  d'un  asthme,  dont 
il  était  tourmenté  depuis  plusieurs  années. 

»  L'un  de  ceux  qu'il  nommait  les  amis  de  son  cœur  acquitte 
un  faible  tribut,  en  jetant  quelques  fleurs  sur  sa  tombe  ! 

»  Defrance  honora  sa  patrie  comme  citoyen. 

»  Zélateur  ardent  de  la  liberté  de  son  pays,  persécuté, 
proscrit  pour  avoir  embrassé  sa  cause,  il  lui  est  resté  fidèle  et  a 
mérité  ainsi  l'honneur  de  la  servir. 

»  Le  talent  de  son  pinceau,  les  efforts  de  sa  plume  furent 
constamment  employés  contre  les  excès  de  l'intolérantisme  et  les 
prétentions  despotiques  de  l'ancien  régime:  magistrat  populaire 
à  la  révolution  de  Liège,  et  après  la  réunion  de  ce  pays  à  la  France, 
nommé  administrateur  du  département,  le  zèle  du  fonctionnaire 
fut  toujours  égal  à  son  intégrité. 

»  Il  honora  sa  Patrie,  comme  artiste. 

»  Un  Prince,  ami  de  son  peuple,  ami  des  arts;  un  Prince 
qui  connut,  protégea  le  goût  naturel  des  Liégeois  pour  la  peinture, 
Velbruck  créa,  dans  la  ville  de  Liège,  une  académie  de  dessin  ; 
Defrance  en  fût  nommé  premier  professeur  par  la  voie  du  con- 
cours, la  seule  qui  écarte  les  préférences  d'une  protection  aveugle 
et  met  le  talent  à  sa  véritable  place  :  celui  de  Defrance  forma 
bientôt  des  élèves  qui  se  sont  distingués  dans  la  carrière  :  des 
succès  non  moins  heureux  lui  ont  souri. 


(I)  Henkart  Pierre-Joseph,  né  à  Liège,  le  13  février  1761,  nommé,  avec 
dispense  d'âge,  par  le  prince  Velbruck,  chanoine  de  l'église  collégiale  de 
St-Martin  (distinction  purement  lucrative  et  qui  n'imposait  point  l'obligation 
de  se  vouer  au  célibat)  ;  membre  du  Conseil  de  régence  (8  mai  1790),  chargé 
de  missions  à  Paris  et  à  Francfort. 

Sa  probité,  son  noble  dévouement  à  la  chose  publique,  le  zèle  et  la 
capacité  qu'il  avait  montrés  dans  toutes  les  missions  dont  il  avait  été  chargé 
lui  avaient  acquis  la  confiance  de  ses  concitoyens.  Successivement  juge  et 
procureur  du  roi,  à  Liège,  il  remplissait  encore  cette  charge,  lorsqu'il  mourut, 
le  9  septembre  1815.  (de  Becdelièvre  :  Biographie  liégeoise,  t.  II,  p.  658). 


PORTRAIT  VE  LÉONARD  DEFRANCE 

Pbint  par  lui-mêmk 

Musée  des  Beaux  Arts  de  Liège. 


—  '33  — 

11  En  1789,  Guttenberg  avait  gravé  un  de  ses  tableaux,  fruit 
d'une  imagination  à  la  fois  piquante  et  philosophique,  et  l'aca- 
démie des  sciences  de  Paris  couronnait  un  mémoire,  résultat  de 
ses  profondes  connaissances  de  la  nature  et  de  l'emploi  des 
couleurs. 

»  A  cette  époque,  il  abandonna  la  peinture,  qu'il  aurait  dû 
cultiver  toujours  pour  son  repos  et  pour  sa  gloire,  et  il  se  livra 
aux  affaires  publiques  qui  ne  lui  ont  attiré  que  des  haines  et 
des  calomnies,  mais  aux  yeux  des  patriotes,  dont  la  devise  était  : 
Justice  et  humanité,  ses  preuves  de  citoyen  étaient  faites,  comme 
ses  titres  de  peintre  étaient  établis  aux  yeux  des  vrais  connaisseurs  : 
ils  savent  à  quel  degré  Defrance  possédait  ces  deux  parties 
importantes  de  son  art,  la  perspective  et  le  clair-obscur;  ils  savent 
qu'il  a  embelli,  augmenté  le  domaine  de  la  bamhochade,  soit 
qu'imitateur  heureux  de  Tenniers,  il  retrace  nos  joyeux  cabarets 
de  village,  les  scènes  familières,  les  plaisirs,  les  malices  de  nos 
bons  paysans,  avec  une  touche  spirituelle,  une  vérité  qui  séduisent  ; 
soit  qu'ennoblissant  le  sujet,  il  représente  nos  manufactures 
nombreuses,  nos  forges,  nos  usines,  avec  ces  efïets  piquants  de 
lumière  qu'il  sait  si  bien  rendre,  avec  ces  accessoires  ingénieux 
qui  enrichissent  ses  compositions:  c'est  ainsi  qu'il  s'est  placé  au 
rang  des  peintres  que  Liège  nomme  avec  orgueil.  » 

D'aucuns  ont  essayé,  même  avec  âpreté,  dans  ces  derniers 
temps  surtout,  de  ternir  la  mémoire  de  Defrance  ;  ainsi,  du  reste, 
que  la  mémoire  de  Bassenge.  de  Henkart  et  de  Reynier,  qui. 
comme  lui,  ont  été  des  artisans  de  la  Révolution  liégeoise  de  la 
fin  du  XVIFI'  siècle,  laquelle  a  provoqué  la  chute  de  l'ancien 
régime.  Mais  nu!  n'a  dénié  à  Defrance  son  talent  de  peintre,  et 
nous  n'avons,  ici  du  moins,  à  considérer  que  l'artiste. 

M.  Théodore  Gobert.  le  plus  ardent,  peut-être,  parmi  les 
détracteurs  de  Defrance,  déclare  lui-même  ne  point  contester 
qu'il  se  soit  signalé  avantageusement  dans  l'art  pictural.  «  Nombre 
de  ses  œuvres,  dit-il,  —  l'Exposition  de  l'Art  ancien  de  1905.  à 
Liège,  a  permis  de  l'attester  —  nombre  de  ses  œuvres  sont 


—  '34  — 

marquées  au  coin  d'un  réel  cachet  artistique.  On  doit  admirer 
souvent  la  coloration  vive,  l'aisance,  la  justesse,  le  naturel,  dans 
la  plupart  de  ses  scènes  de  genre  et  de  ses  portraits  (i).  » 

Et  M.  Joseph  Demarteau,  dans  la  préface  du  catalogue  de 
l'Art  ancien  au  Pays  de  Liège,  à  cette  même  exposition  de  1905, 
sans  être  plus  que  M.  Gobert,  bien  disposé  en  faveur  de  l'homme 
politique  Defrance,  reconnaît  que  celui-ci  «  a  peint  avec  esprit 
et  finesse,  avec  un  talent  qui  fait  i>enser  à  Meissonier  et  aux 
Madou,  de  menues  scènes  de  genre,  d'un  genre  parfois 
risqué  (2)  )>. 

Léonard  Defrance  a  écrit  lui-même  sa  biographie.  Comme  il 
le 'déclare:  <c  Sans  m'assujettir  à  aucun  plan,  à  aucun  ordre,  je 
dirai  ce  qui  m'est  arrivé,  ce  que  j'ai  cru  voir  et  observer  en  autrui 
comme  en  moi-même,  au  fur  et  à  mesure  que  ma  mémoire  me  le 
fournira  ». 

Et  il  ajoute:  «i  S'ennuiera  qui  voudra,  si  jamais  ceci  voit 
le  jour?  » 

Le  manuscrit  de  Defrance,  quoique  inédit  alors,  a  été  suivi 
dans  ses  grandes  lignes  par  l'auteur  de  l'article  consacré  à  ce 
personnage  dans  la  Biographie  liégeoise  de  Becdelièvre,  publiée 
en  1836. 

M.  Louis  Van  Scherpenzeel  Thim,  consul  de  Belgique  à 
Tunis,  possède  aujourd'hui  l'original  de  cette  autobiographie. 

Une  copie,  écrite  en  entier  de  la  main  de  M.  le  D'  Alexandre, 
de  son  vivant  archiviste  provincial,  est  déposée  à  la  Bibliothèque 
de  l'Université  de  Liège  et  elle  porte  cette  mention,  toujours  de 
la  même  écriture:  "  Copié  d'après  l'original  communiqué  par 
M.  Van  Scherpenzeel  Thim,  directeur  général  des  mines  »,  le 
père  du  détenteur  actuel  du  manuscrit  de  Defrance. 


(1)  Th.     Gobert:  Autobiographie     d'un     peintre     liégeois     (Léonard 
Defrance).  Liège,  1906.  p.  5.  —  Les  Rues  de  Liège,  t.  l.  p.  379. 

(2)  Jos.  Demarteau  :  L'Art  ancien  au  Pays  de  Liège,  préface,  p.  XXXVL 


-  135  — 

C'est  cette  copie  que  M.  Théodore  Gobert,  l'actuel  archi- 
viste provincial,  a  publiée  dans  son  travail  sur  Léonard  Defrance. 

Nous  allons  en  donner  quelques  extraits  relatifs  à  la  vie  de 
l'artiste: 

"  Jean-Charles  Defranoe  et  Marie-Agnès  Clermont  sont  mes 
père  et  mère.  Ils  ont  eu  onze  enfants;  il  y  en  avait  dix  vivans 
quand  ma  mère  est  morte.  Je  suis  le  second  de  tous,  né  le  5 
novembre  1735.  Je  me  nomme  Léonard. 

A  dix  ans,  l'on  me  mit  chez  un  peintre  nommé  J.-B.  Coclers, 
pour  apprendre  un  peu  de  dessin,  pour  passer  après  chez  un 
orfèvre  ou  argentier. 

C'était  là  l'état  que  l'on  me  destinait,  mais  mon  maître,  qui 
ne  manquait  pas  de  talent,  crut  trouver  en  moi  quelque  disposition 
pour  la  peinture,  ou,  soit  qu'il  eut  besoin  d'élève,  proposa  à 
mon  père  de  me  laisser  chez  lui.  Je  fus.  après  neuf  mois  d'épreuve, 
engagé  pour  sept  ans.  Ils  s'écoulèrent  à  jouer,  à  dessiner,  à 
peindre,  à  broyer  ses  couleurs,  à  imprimer  ses  toiles;  je  fis 
enfin  foutes  sortes  d'ouvrages  nécessaires  aux  peintres  de  pro- 
vince, où  l'on  ne  trouve  pas  les  couleurs  apprêtées  à  pouvoir 
peindre  en  sortant  de  chez  le  marchand,  comme  à  Paris,  à 
Rome,  etc. 

A  treize  ans,  je  peignis.  Mon  amour  pour  le  jeu,  mes 
espiègleries  et  tous  les  amusements  de  l'adolescence,  ma  paresse 
même  ne  m'empêchèrent  pas  de  faire  quelque  progrès  dans  cette 
partie  de  l'art.  Je  copiais  passablement  un  tableau,  sur  la  fin  de 
mon  terme,  quand  le  tout  était  à  peu  près  dessiné,  soif  par  le 
moyen  des  carreaux,  quand  il  s'agissait  de  copier  de  petit  en 
grand,  ou  de  grand  en  petit,  soit  par  le  moyen  d'un  voile;  je  ne 
savais  nullement  dessiner. 

Peu  de  mois  après  que  le  temps  de  mon  engagement  fut 
expiré,  il  fallut  songer  à  partir  pour  Rome.  Ce  voyage  était 
annoncé,  dès  mon  engagement;  de  temps  à  autre,  on  s'en  entre- 
tenait, ainsi  que  de  ceux  que  d'autres  artistes  entreprenaient.  Je 
me  procurais  une  grammaire  de  Venenoni  que  je  feuilletais 
presque  tous  les  jours,  pendant  plus  de  deux  ans. 


—  136  — 

Je  partis  pour  Rome,  le  3  de  septembre  1753,  par  les 
Ardennes  sur  Longwy,  la  Loraine,  l'Alsace,  la  Suisse,  par  Bâle, 
Lucerne,  le  Mont  Godtard,  'e  Milanois,  les  duchés  de  Parme  et 
de  Modène,  les  Etats  du  Pape,  par  Bologne  et  Lorette  ;  enfin, 
j'arrivai  à  Rome,  le  13  octobre,  après  40  jours  de  marche. 

Je  fus  reçu  à  l'Hospice  des  Liégeois  (Fondation  Darchis) 
pour  y  rester  pendant  cinq  ans.  » 

Defrance  narre  ensuite  combien,  dans  les  premiers  temps 
de  son  séjour  à  Rome,  alors  que,  dans  le  but  de  gagner  un  peu 
d'argent,  il  voulut  travailler  pour  un  marchand  de  copies  de 
tableaux,  combien  il  eut  à  regretter,  à  quel  point  il  fut  humilié 
de  ne  pas  avoir  suffisamment  appris  le  dessin. 

Instruit  par  l'expérience,  s'étant  rendu  compte  que  sans 
posséder  la  science  du  dessin,  un  peintre  ne  peut  arriver  à  quoi 
que  ce  soit: 

«  Je  pris,  dit-il,  la  ferme  résolution  de  ne  rien  faire  doréna- 
vant, quelque  fut  mon  état  de  détresse,  qui  ne  contribua  à  mon 
avancement  dans  le  dessin.  Effectivement,  depuis,  j'assure  de 
n'avoir  pas  laissé  passer  un  seul  jour,  dans  le  cours  de  trois 
années,  sans  l'avoir  sacrifié  à  dessiner. 

Je  ne  me  bornais  pas,  cependant,  à  dessiner  ;  la  conversation 
de  mes  camarades  m'avait  fait  sentir  que  l'anatomie,  l'ostéologie 
étaient  indispensables;  je  m'y  appliquais.  J 'étudias  les  formes  des 
différentes  parties  du  corps  humain,  celles  des  muscles,  leurs 
fonctions  dans  la  nature;  je  comparais  les  plus  belles  statues 
entre  elles,  je  cherchais  les  sujets  de  leurs  différences. 

Combien  de  fois  n'ai-je  pas  mis  les  statues  de  Germanicus, 
du  gladiateur  combattant,  en  parallèle  avec  l'Apollon  du  Belvédère 
et  l'Hercule  de  Farnèse! 

Je  ne  savais  accorder  des  perfections,  des  beautés  si  diffé- 
rentes. Ce  n'est  qu'à  la  longue  et  à  la  faveur  de  la  lecture  de 
l'histoire,  de  la  mythologie,  des  poètes,  que  j'ai  vu  que  ces 
ouvrages  immortels  étaient  le  fruit  du  génie.  » 


—  137  — 

Ce  qui  restait  à  courir  des  cinq  années  pendant  lesquelles 
les  pensionnaires  de  la  Fondation  Darchis  sont  reçus  à  l'Hospice 
liégeois  de  Rome,  secoula  ainsi:  »  J'étais  content  de  mon  sort, 
dit  Defrance,  j'étudiais  en  gagnant  de  l'argent  ». 

Le  terme  fatal  arrivé,  Léonard  Defrance  quitta  cette 
demeure  fiospitalière  et,  quoique  abandonné  à  ses  seules  forces, 
il  prolongea  d'un  an  son  séjour  en  Italie,  visita  NapJes  et,  en 
mars  1759,  il  entreprit  le  voyage  de  retour  vers  la  patrie. 

Etant  passé  par  Florence,  Bologne,  Venise,  Padoue.  Milan, 
il  traversa,  de  nouveau,  les  Alpes  et  arriva  à  Montpellier.  Ses 
finances  ne  lui  permettant  pas  de  continuer  sa  route,  il  s'arrêta 
en  cette  ville  et  y  fit  quelques  portraits,  en  vue  de  se  procurer 
des  ressources  nouvelles. 

C'est  ensuite  à  Castres  qu'il  séjourna,  huit  mois  durant,  pour 
exécuter  des  portraits  qui  lui  étaient  demandés,  notamment  celui 
de  l'évêque  de  cette  ville. 

A  Toulouse,  où  il  se  rendit  après  Castres,  il  peignit  un 
portrait-tableau  qui,  exposé  à  l'Hôtel-de-Ville,  en  1763,  fut 
beaucoup  admiré  ;  aussi,  les  commandes  lui  parvinrent  nom- 
breuses et  Defrance  aurait  pu  se  créer  là  une  situation  enviable, 
mais  la  persepective  d'un  bel  avenir  ne  l'y  retint  pas. 

«  Je  partis  en  bateau,  sur  la  Garonne,  pour  Bordeaux,  et  de 
là,  à  cheval,  sur  Paris.  Je  restai  peu  dans  cette  grande  ville,  me 
proposant  d'y  revenir  pour  m'y  fixer,  quand  j'aurais  revu  mon 
père  et  ma  famille.  Ce  projet  est  resté  sans  exécution  parce  que, 
rentré  à  Liège,  j'y  courtisai  une  cousine  que  j'épousai.  » 

Etabli  définitivement  dans  sa  ville  natale,  en  1765.  Defrance 
fut,  de  suite,  chargé  de  faire  le  portrait  du  prince-évêque,  Charles 
d'Oultremont,  mais  ce  portrait,  quoique  très  ressemblant,  dit-on, 
trop  peut-être  et  pas  assez  flatté,  ne  satisfit  point  le  prélat,  ni, 
naturellement,  sa  cour. 


-  138  - 

Tombé  en  disgrâce,  Defrance  se  trouva  bientôt  réduit  à 
peindre  indifféremment  tout  ce  qui  se  présentait  :  devants  de 
cheminée,  dessus  de  porte,  paysages,  natures  mortes,  jusqu'à  des 
décorations  de  théâtre. 

Il  en  était  encore  à  travailler  de  la  sorte,  et  à  tous  prix,  lorsque 
Fassin,  en  1772  ou  1773,  l'emmena  avec  lui,  dans  un  voyage  en 
Hollande,  pour  y  étudier  les  écoles  flamandes  et  hollandaises. 

C'est  ainsi  que  les  deux  artistes  assistèrent,  à  Amsterdam, 
à  la  vente  de  la  collection  de  tableaux  du  bourgmestre  Van  der 
Marck. 

<(  Après  avoir  observé,  pendant'  plusieurs  jours,  tous  ces 
tableaux,  et  fait  attention  aux  prix  auxque's  ils  étaient  adjugés, 
j'eus  la  vanité,  écrit  Defrance,  de  croire  que  de  plusieurs  qui  s'y 
vendirent  assez  bien,  je  pourrais  en  faire  de  pareils. 

Aussitôt  que  je  fus  de  retour  à  Liège,  je  peignis,  en  petit, 
trois  ou  quatre  tableaux,  d'après  des  copies  que  Fassin  avait  faites; 
et  cela,  pour  assujettir  ma  main  vagabonde  qui,  depuis  sept  à 
huit  ans,  ne  faisait  que  placarder  de  la  couleur  sur  des  toiles. 
Je  fus  satisfait  de  moi-même,  de  mes  essais  en  petit.  Je  me  mis  à 
composer  des  tableaux.  J'envoyai  les  premiers  en  Hollande,  à 
des  marchands;  ils  furent  acceptés  et  payés.  J'essayai  d'en 
emporter  quelques-uns  à  Paris. 

Avant  de  les  présenter  à  personne,  je  les  montrai  au  citoyen 
Fragonard,  que  j'avais  connu  à  Rome.  Cet  aimable  artiste  en 
parut  content.  Je  lui  confiai  que  je  venais  tenter  fortune.  Il  me 
demanda  les  prix  de  ceux  que  je  lui  montrais  et,  le  lendemain,  ils 
étaient  vendus.  J'eus  lieu  d'être  satisfait  de  mon  entreprise,  mais 
ce  qui  m'a  le  plus  flatté,  c'est  qu'il  m'en  a  demandé  pour  lui- 
même. 

Je  profitai  de  ce  débouché  que  je  trouvais  à  Paris  et  j'allais 
presque  tous  les  ans  dans  cette  grande  ville.  Je  fis  des  tableaux 
que  je  vendais  aux  marchands.  Fragonard  me  donna  pour  conseil 
de  ne  pas  en  augmenter  trop  tôt  le  prix.  Il  faut,  me  dit-il,  que  les 
marchands  gagnent  et  attendre  qu'ils  aient  établi  eux-mêmes  des 
prix  plus  forts,  parce  qu'alors  ils  sont  obligés  de  les  soutenir  pour 
ne  pas  passer  pour  avoir  vendu  au  delà  de  la  valeur  réelle  des 
tableaux.  » 


-  '39  — 

La  composition  de  Defrancc,  gravée,  en  1782,  par  Gutfen- 
berg,  avait  particulièrement  assuré  grande  notoriété  au  peintre 
liégeois.  Ce  tableau  représente  la  Suppression  des  couvents  par 
iempeneur  Joseph  II. 

D'autre  part,  Defrance  s'était  imposé  à  ses  concitoyens  qui, 
volontiers,  achetaient  ses  tableautins. 

Les  expositions  d'art  de  la  Société  d'Emulation  de  Liège 
avaient,  surtout,  contribué  à  faire  connaître  et  apprécier,  chez 
nous,  les  œuvres  du  maître. 

On  sait  que  cette  société,  dès  sa  fondation  par  Velbruck,  en 
1779,  organisa,  chaque  année,  tout  au  moins  jusqu'en  1787,  une 
exposition  publique  «  d'objets  d'art  et  de  produits  industriels  ». 

Liège  peut  même  revendiquer,  non  sans  quelque  orgueil, 
comme  le  dit  M.  Ulysse  Capitaine,  l'honneur  d'avoir  été  la 
première  ville  de  Belgique  qui  ait  organisé  une  exposition  publique 
d'objets  d'art.  L'initiative  prise  par  la  Société  d'Emulation  fut 
suivie  par  Anvers,  seulement,  dix  ans  plus  tard,  en  1789;  par 
Ganden  1792;  par  Bruxelles  en  1811  et  par  Malines  en  1812  (1). 

Or,  Defrance  contribua,  par  de  nombreux  envois,  au  succès 
de  ces  expositions  liégeoises.  A  la  première,  celle  de  1779,  il 
était  représenté  par  un  Cabaret,  une  Retraite  de  voleurs,  une 
Vente  de  poissons,  V apprêt  du  goûter,  le  Liseur  de  Gazette  et  un 
Militaire  racontant  en  famille  ses  exploits. 

II  exposa,  ensuite,  un  Charlatan,  un  Marchand  de  chansons, 
des  Voleurs  avec  des  femmes  dans  une  caverne  surpris  par  la 
maréchaussée,  un  Savetier  qui  bat  sa  femme,  une  Boutique  de 
cordonnier,  une  boutique  de  barbier,  etc. 


M)  Ulysse  Capitaine  :  Notice  historique  sur  la  Sociité  libre  d'Emulation 
de  Liège,  p.    18. 


—  140  — 

La  Société  d'Emulation,  lorsqu'elle  inaugura,  le  2  juin  1779, 
sa  grande  salle  des  fêtes,  avait  inscrit,  en  lettres  d'or,  dans  des 
cartouches  appropriés  à  cet  usage,  comme  il  en  existe  encore 
aujourd'hui  dans  cette  salle,  les  noms  des  grands  hommes  qui  ont 
honoré  la  patrie  liégeoise.  Parmi  les  peintres,  y  figuraient,  natu- 
rellement, tout  d'abord,  les  noms  de  Van  Eyck,  Lombard,  Douffet, 
Bertholet  Flémalle,  Carlier  et  Lairesse. 

Postérieurement,  on  y  ajouta  ceux  de  Fassin  et  de  Defrance. 

Nous  avons  vu  que,  lors  de  la  fondation,  par  Velbruck,  de 
l'Académie  des  Beaux-Arts  de  Liège,  Léonard  Defrance  en  avait 
été  nommé  premier  professeur  à  la  suite  d'un  concours.  Le 
même  Prince-évêque,  quelques  années  plus  tard,  en  1778,  le 
16  octobre,  4iii  conféra  le  titre  de  directeur,  en  ces  termes 
honorables  : 

«  Le  désir  que  Nous  avons  de  contribuer  par  tout  ce  qui  est 
en  Notre  pouvoir  à  inspirer  l'émulation  aux  artistes  et  de  protéger 
les  arts,  dont  la  perfection  est  d'une  utilité  si  intéressante  pour 
tout  ce  qui  y  a  rapport,  et  voulant  reconnaître  et  récompenser  le 
mérite  et  le  talent  de  Léonard  Defrance,  que  nous  avons  cy  devant 
nommé  profeseur  de  notre  Académie  de  peinture,  lors  de  son 
institution  ;  à  la  direction  de  laquelle  il  a  toujours  donné  tous  les 
soins  que  Nous  devions  attendre  de  son  intelligence  et  de  son 
exactitude.  Nous  l'avons  nommé,  comme  nous  le  nommons  par 
ces  présentes,  notre  premier  peintre  et  directeur  de  notre  Acadé- 
mie, avec  tous  les  droits  et  toutes  les  pérogatives  qui  y  sont  atta- 
chés. En  foi  de  quoi,  etc.  » 

Rappelons  enfin,  qu'un  mémoire  de  Defrance  a  été  couronné 
par  l'Académie  royale  des  sciences  de  France.  Il  répondait  à 
cette  <juestion  mise  au  concours  :  u  Recherches  des  moyens  par 
lesquels  on  pourrait  garantir  les  broyeurs  de  couleurs  des  mala- 
dies qui  les  attaquent  fréquemment  et  qui  sont  la  suite  de  leur 
travail  ». 


-  r4i  — 

Le  prix  lui  a  été  décerné  en  partage  avec  N.  Pasquier  de 
l'Académie  royale  de  Paris. 

Defrance,  tout  comme  ses  amis  Bassenge.  Henkart  et 
Reynier,  s'était  montré  chaud  artisan  des  événements  précurseurs 
de  la  Révolution  liégeoise  qui  devait  amener  la  chute  du  pouvoir 
épiscopal,  exercé  alors  par  Hoensbroek,  successeur,  depuis  1784, 
de  Velbruck. 

Lorsque  la  Révolution  liégeoise  fut  triomphante,  le  18  août 
1789,  à  l'ancien  ordre  des  choses  se  substitua  une  municipalité 
populaire,  présidée  par  MM.  de  Chestret  et  Fabry  que  le  parti 
révolutionnaire  venait  d'élire  Bourgmestres. 

Defrance  abandonna,  alors,  sa  palette  et  ses  pinceaux  pour 
s'adonner  entièrement  aux  intérêts  du  nouveau  régime. 

Il  remplit  différentes  fonctions  et  emplois  publics  durant 
cette  période  révolutionnaire;  puis,  lorsque  les  troubles  furent 
apaisés,  alors  que,  par  suite  du  décret  du  9  vendémiaire  an  IV 
(1"  octobre  1795)  le  pays  de  Liège  était  réuni  à  la  France,  il  fut, 
à  la  création  des  Ecoles  centrales,  nommé  professeur  de  dessin  à 
ces  établissements,  le  19  fructidor  an  IV  (5  septembre  1797). 

Defrance  compta  même  parmi  ses  élèves  Ruxthiel  qui  devait, 
plus  tard,  se  faire  un  nom  dans  l'art  du  statuaire,  mais  il  ne  pro- 
duisit plus  guère,  comme  peintre,  jusqu'à  sa  mort  survenue  le 
24  février  1805. 

Le  corps  de  Léonard  Defrance,  sur  la  demande  de  sa  famille, 
fut  inhumé  dans  le  jardin  de  «  l'asyle  champêtre  »  de  son  ami 
Henkart,  à  Statte,  faubourg  de  Huy. 

Cette  habitation  d'été  de  Henkart  était  située  au-dessus  du 
tunnel  de  Statte  que  traverse  le  chemin  de  fer  du  Nord,  au  sortir 
de  la  station  de  Huy  vers  Namur. 


—  142  — 

Un  saule  pleureur  avait  été  placé  sur  la  tombe  du  peintre 
liégeois,  mais,  il  y  a  une  soixantaine  d'années,  les  restes  de 
Defrance  furent  transportés  au  cimetière  de  Huy.  sans  qu'il  soit, 
aux  archives  de  la  ville,  resté  trace  de  ce  transfert. 

Le  saule  pleureur  même  a  disparu  ! 

Le  Musée  des  Beaux-arts  de  Liège  possède  les  tableaux 
suivants  de  Defrance: 

La  partie  de  cartes.  Bois.  (H.  0.52,  L.  0.36). 

Intérieur  d'une  fonderie.  Bois.  (H.  0.34,  L.  0.55). 

Portrait  du  peintre. 

Intérieur  d'une  usine.  Bois.  (H.  0.34,  L.  0.55). 

Le  militaire  en  permission.  Bois.  (H.  0.43,  L.  0.59). 

Le  Christ  à  la  colonne.  Bois.  (H,  0.56,  L.  0.25). 

Visite  à  la  Manufacture  de  tabac.  Bois.  (H.  0.47,  L.  0.64). 

Visite  au  tonnelier.  Bois.  (H.  0.47,  L.  0.64). 

Deux  toiles  de  Léonard  Defrance,  anciens  dessus  de  porte, 
décorent  aussi  la  grande  salle  de  l'étage  du  Musée  d'Ansembourg: 
Femmes  buvant  le  café  et  Hommes  jouant  aux  caries. 


CONCLUSIONS 


Le  Pays  de  Liège,  Etat  ecclésiastique  vassal  de  l'empire 
germanique,  Principauté  avec  Liège  pour  capitale,  prit  naissance 
au  X"  siècle  et  sombra  comme  tel  dans  les  événements  politiques 
qui  marquèrent  la  fin  du  XVIII'  siècle. 

La  puissance  temporelle  des  évêques  de  Liège  remonte 
cependant,  en  fait,  au  VIII"  siècle,  à  l'époque  où  Charles  Martel 
délégua  la  juridiction  féodale  sur  Tongres  et  Liège  à  Hubert  qui 
avait  succédé  à  Lambert,  le  fondateur  de  la  cité  liégeoise.  Les 
évêques,  dès  lors,  avaient,  sur  le  patrimoine  opulent  qui  leur 
avait  été  constitué  par  faveurs  et  libéralités,  le  droit  de  rendre  la 
justice,  de  prélever  des  impôts,  de  réunir  les  milices.  La  garde 
des  frontières  leur  était  confiée. 

Dès  lors  aussi,  "  leur  autorité  territoriale  ne  cessa  de 
s'acfieminer,  par  des  étapes  dont  la  trace  est  perdue,  vers  une 
véritable  souveraineté,  écrit  M.  Kurth.  C'est  sous  Notger,  ajoute 
cet  auteur,  que  l'élaboration  de  cette  souveraineté  arriva  à  son 
terme.  Le  premier,  il  reçut  des  rois  d'Allemagne  l'autorité  poli- 
tique sur  des  comtés  entiers  et  se  trouva  de  la  sorte  à  la  tête  d'un 
vaste  domaine  d'un  seul  tenant,  sur  lequel  il  exerçait  toutes  les 
attributions  de  la  souveraineté  temporelle.  La  principauté  était 
née,  enfin,  et  Notger  fut  le  premier  prince  évêque  (i).  » 

Admis  comme  conseiller  à  la  cour  impériale,  régent  de 
l'empire  lors  des  voyages  du  suzerain,  tuteur  du  prince  hérédi- 
taire, Notger  —  971-1008  —  usa  de  son  influence  pour  agrandir 


(1)    G.    Kurth.    Introduction   historique.    Catalogue   de   l'Exposition    de 
l'Art  ancien  au  Pays  de  Liège,  p.  IV  et  V. 


-   '44  — 

les  possessions  de  l'Eglise  de  Liège.  Tous  les  évêques  du 
XI*  siècle  continuèrent  à  augmenter  son  territoire,  et,  d'adjonc- 
tions en  adjonctions,  l'Etat  liégeois  s'étendit  en  des  directions 
très  opposées. 

L'église  chapitrale  parvint  ainsi  à  posséder  Waremme  et  le 
comté  de  Hesbaye,  les  abbayes  de  Fosses,  de  Florenne  et  de 
Lobbes  près  de  Thuin,  le  fief  d'Argenteau,  le  comté  de  Looz,  le 
monastère  d'Eyck  dans  le  Limbourg,  le  duché  de  Bouillon,  les 
villes  de  Huy,  Dinant,  Couvin,  Maestricht  et  Malines,  Chiny, 
Hastières,  Bouvine,  Malone,  etc.  jusqu'au  château  de  Mirwart 
situé  à  l'une  des  extrémités  de  la  Belgique. 

D'autre  part,  Charlemagne  et  ses  descendants  avaient  accordé 
aux  évêques  des  pouvoirs  politiques  de  plus  en  plus  étendus.  Ainsi 
Liège  se  transforma  en  principauté  autonome,  presqu'indépen- 
dante  de  toute  domination  extérieure. 

Les  bourgeois  avaient  aussi  acquis  des  franchises  et  des 
libertés,  bien  rares  à  cette  époque,  dont  ils  se  montrèrent  toujours 
fiers,  pour  le  maintien  et  le  développement  desquelles  ils  ne 
cessèrent  de  lutter  dans  les  siècles  suivants. 

Malheureusement,  le  pays  fut  troublé,  d'une  façon  presque 
continue,  par  des  luttes  perpétuelles,  souvent  suivies  de  pillages 
et  de  dévastations. 

Des  princes-évêques  offusqués  par  les  privilèges  conquis  par 
le  peuple,  prétendirent  les  'restreindre,  certains  même  les  suppri- 
mèrent complètement.    , 

Les  Liégeois,  soucieux  et  vigilants  gardiens  de  leurs  droits, 
entraient  alors  en  révolte  ouverte  contre  le  prince. 

Des  guerres  privées,  comme  il  s'en  déclarait  fréquemment 
au  imoyeai  âge,  désolèrent  le  pays;  tel  le  déplorable  conflit  qui 
se  produisit  entre  les  Awans  et  les  Waroux,  au  XIII*  siècle,  et 
dont  la  durée  fut  de  38  ans. 


-   '45  — 

D€s  guerres  civiles  éclatèrent  aussi  à  l'occasion  de  la  nomi- 
nation au  siège  épiscopal. 

Faisant  preuve  d'une  fanatique  intolérance,  des  évoques, 
ou  leurs  agents,  pour  combattre  les  doctrines  de  Luther  et 
enrayer  les  progrès  du  protestantisme  dans  nos  régions,  se 
livrèrent  à  d'horribles  persécutions. 

Dans  les  conflits,  entre  monarques  voisins,  nos  milices 
furent  entraînées  à  prendre  part  active  et  combien  meurtrière. 

La  neutralité  du  Pays  de  Liège,  solennellement  proclamée 
et  notifiée  aux  divers  souverains,  fut,  maintes  fois,  violée  p^r 
des  princes  qui  conspiraient  avec  l'étranger. 

Le  territoire,  enfîn,  envahi  par  des  armées  étrangères,  a  été 
ravagé  à  différentes  reprises. 

Cette  succession,  presque  ininterrompue,  d'événements  cala- 
miteux  fut  cause,  en  igrande  partie,  que  les  Liégeois  en  vinrent 
à  concevoir  de  l'aversion  pour  leur  gouvernement  ecclésiastique. 

Sous  l'influence  des  résolutions  de  l'assemblée  nationale 
française  qui  avait  décrété,  dans  sa  séance  du  4  août  1789, 
l'abolition  des  droits  féodaux,  des  mainmortes,  de  Ja  dîme, 
l'égalité  devant  l'impôt  et  la  suppression  des  immunités  affran- 
chissant le  clergé  de  contribuer  aux  charges  publiques,  ils  se 
soulevèrent,  là  leur  tour,  et  firent  la  révolution  pacifique  du 
18. août  1789  qui  devait  entraîner  la  chute  définitive  du  pouvoir 
temporel  des  évêques  de  Liège. 

En  1792,  le  pays  songea  à  créer  une  Convention  nationale 
liégeoise.  Pour  la  composer,  le  territoire  avait  été  divisé  en 
treize  districts  électoraux  choisissant  chacun  un  nombre  de 
députés  proportionné  à  sa  population;  or,  tandis  que  Liège 
nommait  20  représentants,  Verviers  était  appelé  à  en  élire  11, 
Visé  7,  Tongres  8,  Stockhem  7,  Maeseyck  7,  Looz  et  Hasselt  9, 
Saint-Trond  7,  Waremme  7,  Huy  9,  Ciney  8,  Dinant  9  et 
Florenne  11.  En  tout  120, 


—   14^  — 

Cette  répartition  de  ses  représentants  montre  toute  l'impor- 
tance que  le  Pays  de  Liège  avait  conservée  jusqu'à  la  fin  de  son 
existence  qui  avait  duré  ,près  de  huit  siècles. 

((  Chacun  de  nous,  écrivait  dernièrement,  M.  Edmond 
Picard,  à  moins  d'être  un  mutilé,  possède  au  fond  de  soi-même 
un  trésor  de  tendresse  instinctive  pour  la  race  dont  il  est  sorti, 
la  terre  où  cette  race  a  vécu  et  déroulé  sa  naturelle  essence  et  a 
subi,  au  cours  des  siècles,  les  modifications  heureuses  ou 
fâcheuses  imposées  par  les  événements  (').  » 

La  crainte  de  paraître  nous  laisser  influencer  par  un  zèle, 
une  ardeur  patriotique,  nous  a  engagé  souvent,  en  ces  pages,  de 
citer  des  passages  d'auteurs  étrangers  parce  que  leur  témoignage, 
sous  ce  rapport,  ne  peut  être  suspecté. 

Lorsque  ces  critiques  et  historiens  d'art  apprécient  le  talent 
ou  les  œuvres  de  nos  artistes,  l'on  doit  croire,  en  effet,  qu'ils  le 
font  avec  une  entière  indépendance,  qu'ils  jugent  par  raison  et 
non  par  sentiment. 

C'est  pourquoi  nous  demanderons  à  M.  Alfred  Michiels  de 
formuler,  avec  nous,  les  conclusions  de  cet  ouvrage  (2). 


(1)  Journal  La  Chronique  eu   17  septembre   1911. 

(2)  Michiels  Alfred-Joseph-Xavier,  littérateur  français,  né  à  Rome  en 
1813,  mort  à  Paris  en  1892.  Il  passa  son  enfance  en  Italie,  puis  se  rendit 
à  Paris,  voyagea  en  Allemagne,  en  Angleterre,  collabora  à  divers  journaux 
et  revues,  et  .devint  bibliothécaire  à  l'Ecole  des  Beaux-Arts. 

Grand  travailleur,  très  instruit,  écrivain  précis,  historien  exact,  critique 
d'art  estimé,  il  a  publié  entre  autres  ouvrages:  Etudes  sur  iAllemagne 
(1839);  Souvenirs  d'Angleterre  (1844);  Histoire  de  la  peinture  flamande 
(1847)  ;  L'Architecture  et  la  Peinture  en  Europe  du  V  au  XVI*  siècle  (1853); 
Rubens  et  l'Ecole  d'Anvers  (1854)  ;  van  Dyck  et  ses  élèves  (1880)  ;  Mem/i'ng 
et  ses  ouvrages  (1883),  etc.  (Dictionnaire  Larousse). 


—  '47  — 

«  Ce  n'est  point  le  hasard,  dit-il,  qui  a  fait  naître  dans  tes 
Pays-Bas  les  fondateurs  de  fa  peinture  moderne,  les  inventeurs 
de  ses  procédés,  de  sa  méthode. 

((  La  nature,  comme  la  position  du  territoire,  le  voisinage  des 
provinces  rhénanes,  où  on  la  cultivait  aussi,  tout  doit  faire 
supposer  que  la  peinture  se  développa  d'abord  dans  le  pays  de 
Liège,  avant  de  transporter  son  chevalet  dans  la  Flandre.  La 
civilisation  put  germer  sur  ces  hautes  terres,  pendant  que  les 
tribus  flamandes  et  bataves  disputaient  encore  à  l'Atlantique  le 
sol  même  où  eJles  étaient  campées. 

»  Les  récits  des  chroniqueurs  prouvent,  du  reste,  que  le  pays 
wallon  fût  le  berceau  de  l'art  néerlandais,  comme  l'histoire  ft 
la  géographie  donnent  lieu  de  le  présumer  (i).  » 

Nous  avons  vu  que  c'est  du  Pays  de  Liège  que  sont  partis, 
au  XV  siècle,  les  fondateurs  de  la  première  école  flamande  qui, 
pleine  d'onction  et  de  grâce,  fait  descendre  l'art  de  peindre  des 
sphères  éthérees  vers  la  terre,  tout  en  lui  igardant,  comme  dans 
le  tableau  de  l'Agneau  mystique,  le  grand  chef-d'œuvre  de  la 
peinture  religieuse  médiévale  et  peut-être  de  la  peinture  reli- 
gieuse, ses  pieux  et  suaves  caractères. 

Et  il  importe  peu  que  les  Van  Eyck,  qui  ont  réalisé  cet 
immense  progrès  de  placer  franchement  leurs  personnages  dans 
la  nature,  au  Jieu  de  les  écraser  sur  un  fond  d'or,  contre  la 
paroi  d'un  mur  ou  une  tenture  ramagée,  se  soient  illustrés  dans 
quelqu'autre  province:  ils  sont  nés  au  Pays  de  Liège,  où  très 
vraisemblablement  ils  ont  fait  leur  éducation  artistique  et  il  est 
de  notre  droit,  disons  même  de  notre  devoir,  de  les  réclamer 
comme  nôtres. 


(1)  Histoire  de  la  peinture  fiamande.  t.  H,  p.  85  et  95. 


-    148  — 

Un  siècle  plus  tard,  un  liégeois,  Lambert  /Lombard,  eut 
l'honneur  d'être  le  premier  peintre  belge  qui,  élargissant  le 
cercle  des  inspirations  de  l'artiste,  s'affranchit  complètement 
des  traditions  monastiques  du  moyen  âge.  Il  abandonna  le  carac- 
tère de  raideur  et  de  naïveté  de  l'art  gothique  pour  mieux  obser- 
ver la  nature  et  en  représenter  fidèlement  les  images,  se  révélant 
le  précurseur  de  la  Renaissance  flamande,  qu'un  siècle  plus  tard 
encore,  devait  illustrer  Pierre-Paul-Rubens. 

Aussi,  Lombard  et  les  Van  Eyck  sont-ils  restés  plus  que 
des  gloires  locales. 

L'école  liégeoise,  fondée  par  Lombard,  est  dignement  repré- 
sentée au  XVII°  siècle  par  Gérard  Douffet  qui,  élève  de  Rubens. 
s'approprie  te  principe  coloriste  du  ^rand  maître,  au  point, 
honneur  insigne,  que  l'on  se  demande,  aujourd'hui,  si  maints  de 
ses  portraits  ne  sont  pas  cachés,  dans  diverses  galeries  publiques 
ou  privées,  sous  les  noms  de  Rubens  ou  de  van  Dyck  ;  autrement 
dit,  si,  en  rectifiant  de  fausses  attributions,  on  n'arriverait  pas  à 
grossir  son  œuvre  de  productions  des  plus  remarquables  qui  en 
ont  été  distraites  par  erreur? 

Bertholet  Flémalle  et  Carlier,  ses  élèves,  dont  les  toiles  les 
plus  importantes  et  les  plus  réputées,  ne  sont  point  parvenues 
jusqu'à  nous,  continuent,  néanmoins,  à  faire  honneur  au  Pays 
■de  Liège,  tant  leur  réputation  fut  considérable. 

On  s'accorde  même  là  proclamer  que  Carlier,  si  la  mort  ne 
l'avait  prématurément  moissonné,  en  pleine  maturité  de  talent, 
serait  devenu  un  des  plus  grands  artistes  de  son  époque. 

Gérard  de  Lairesse.  dont  la  carrière  s'est  accomplie  à 
l'étranger,  oi'a  cependant,  non  plus,  perdu  sa  qualité  de  liégeois 
parce  qu'il  est  allé  s'établir  chez  une  nation  voisine  où  i!  a  vécu 
illustre  et  considéré  au  point  que  les  princes  et  les  rois  des 
Pays-Bas  s'adressèrent  à  lui.  de  préférence  à  tous  autres,  pour 
orner  et  décorer  leurs  palais  et  édifices  publics. 


—   '49  — 

Il  n'est,  icnfin,  jusqu'au  XVI II'  siècle,  qui,  malgré  son  indi- 
gence artistique  en  tous  pays,  ne  trouve  encore  des  liégeois 
prenant  places  distinguées  parmi  les  peintres  de  leur  temps. 

Nous  avons  limité  notre  étude  et  nos  recherches  aux  seuls 
grands  peintres  qui,  non  seulement  appartiennent  au  Pays  de 
Liège  par  la  naissance,  mais  se  rattachent  encore,  par  d'intimes 
liens,  à  la  Cité  liégeoise  elle-même;  sans  quoi,  nous  n'eussions 
point  omis  de  rappeler  les  titres  de  gloire  de  bien  d'autres 
maîtres,  tels  Joachim  Patenier  et  Henri  Blés,  qui,  respective- 
ment nés  à  Dinant  et  à  Bouvignes,  sont  de  même  originaires  du 
Pays  liégeois  et  lui  font  le  plus  grand  honneur. 

S'avançant  (résolument,  l'un  et  l'autre,  dans  la  voie  nou- 
velle inaugurée  par  les  Van  Eyck,  accentuant  et  multipliant  les 
plans  de  leurs  tableaux,  y  étendant  les  horizons  pour  réserver  de 
plus  grands  espaces  au  jeu  des  lumières  et  des  ombres,  Patenier 
et  Blés  se  montrèreriit,  en  effet,  aussi  novateurs  en  accordant 
aux  paysages,  au  milieu  desquels  ils  plaçaient  leurs  figures,  une 
importance  au  moins  égale  'à  celle  des  personnages.  C'est  ainsi 
que  l'on  a  pu  dire,  qu'avec  ces  deux  peintres,  le  paysage,  tel 
que  le  comprendra  l'art  moderne,  apparaît  pour  la  première  fois 
dans  l'histoire  de  l'art. 

Tout  en  nous  bornant  de  la  sorte,  nous  croyons,  néanmoins, 
avoir  montré  que,  dans  le  passé,  le  pays  liégeois  a  compté  des 
peintres,  aussi  bien  que  des  sculpteurs  et  des  graveurs,  dont  nous 
pouvons  légitimement  nous  enorgueillir,  et  que  l'art  liégeois  est 
plus  riche  qu'on  ne  le  pense,  généralement,  faute  de  connaître 
assez  son  histoire. 

Et  si  nous  ne  sommes  à  même,  aujourd'hui,  de  montrer 
que  relativement  peu  d'oeuvres  de  nos  anciens  maîtres,  c'est 
que,  comme  l'écrit  encore  M.  Michiels:  «■  Liège  a  été  malheu- 
reuse dans  ses  collections  d'art,  comme  dans  toute  sa  destinée. 


—  150  — 

La  destruction  de  la  ville  par  Charles  le  Téméraire,  en  1468, 
anéantit  ses  anciens  trésors,  'provenant  du  moyen  âge  ;  le  bom- 
bardement du  maréchal  de  Boufflers,  en  1691.  qui  dévora  le 
quartier  d'Outre-Meuse  et  ravagea  la  cité  même,  livra  aux 
flammes  beaucoup  d'œuvres  datant  d'une  époque  plus  récente. 
L'Hôtel  de  Ville  fut  réduit  en  cendres;  l'église  Sainte-Cathe- 
rine périt  avec  le  chef-d'œuvre  de  Douffet,  abrité  sous  ses 
voûtes;  les  peintures,  que  Hallet  avait  envoyées  de  Rome, 
eurent  le  même  sort  dans  ice  oruel  désastre.  L'incendie  du 
palais  des  Etats,  en  1734,  appauvrit  encore  la  cité  indigente. 
La  Révolution  irançaise.  utile,  indispensable  aux  Liégeois  sous 
tant  de  rapports,  anéantit  ou  dispersa  d'autres  précieux 
ouvrages  (i).  » 

Eprouvés  comme  nous  l'avons  été,  c'est  tout  au  plus  si  on  n'a 
pas  voulu,  en  art,  contester,  à  la  Wallonie  entière,  jusqu'à  un 
caractère  propre,  une  existence  distincte,  et  confondre,  avec  les 
représentants  nombreux  et  illustres  de  l'Art  flamand,  les  quelques 
gloires  qu'elle  revendique,  à  juste  titre,  en  faveur  de  son  patri- 
moine artistique. 

C'est  en  peinture,  surtout,  que  la  valeur  esthétique  de  la  race 
wallonne  a  été  méconnue  et  contestée. 

A-t-on  assez  répété  que  la  Wallonie  n'avait  pas  de  peintres, 
ne  faisait  point  de  peintres?  Dernièrement  encore,  M.  Du  Jardin 
n'a-t-il  pas  écrit:  «  Les  Wallons  ne  sont  guère  pyeintres;  car  s'ils 
brillent  en  tant  que  sculpteurs,  graveurs  ou  dessinateurs,  le  sens 
de  la  couleur  n'est  pas  très  développé  chez  eux.  La  raison  de 


(1)   Histoire  de  la  peinture  flamande,  t.  X,   p.  268. 


-   '51  — 

cette  éventualité  se  trouve  par  ailleurs  dans  les  lois  de  l'ata- 
visme (1)  ». 

L'accaparement  de  nos  maîtres  authentiques,  auquel  se  livrè- 
rent d'autres  races,  aidant,  nos  artistes  eux-mêmes  en  étaient 
venus  à  douter  qu'ils  fussent  aptes  aux  créations  de  la  couleur. 

Cela  tient  aussi  à  ce  que  d'aucuns  parmi  nos  maîtres  anciens 
ont  été.  trop  longtemps,  ignorés  ou  point  appréciés  à  leur  juste 
valeur. 

Heureusement,  on  commence,  aujourd'hui,  à  revenir  de 
vieux  préjugés,  et  à  reconnaître  qu'il  existe  réellement  un  art  qui 
est  propre  à  la  race  wallonne,  même  en  peinture. 

Puissions-nous,  en  évoquant  le  passé  si  honorable  de  nos  arts 
régionaux,  avoir  contribué  à  stimuler  la  confiance  que  nos  artistes 
se  doivent  de  conserver  en  leur  puissance  esthétique. 


(1)  Jules  Du  Jardin.  L'Art  Flamand,  t.  VI.  p.   18t. 


TABLE    DES    GRAVURES 

PAGES 

I  Statues  de  Hubert  et  Jean  van  Eyck Il 

II  Panneau  central  du  rétable  de  VAgneau  mystique 25 

III  Lambert  Lombard  peint  par  lui-même 37 

IV  Gérard   Douffet  et   sa   famille 56 

V  Portrait  de  Bertholet  Flémalle 75 

VI  Portrait   de  Jean-Guillaume  Carlier 88 

VII  Portrait   de   Gérard   de    Lairesse lOI 

VIII  Tableau  de  Gérard  de  Lairesse 113 

IX  Portrait  de  Léonard  De/rance  peint  par  lui-même 131 


DU    /AÊ/AE    AUTEUR 


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de  300  pages,  avec  24  reproductions,  hors-texte,  tirées  sur  papier  spécial. 
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et  Remont.  4°"'  édition.  Revue  augmentée  et  mise  au  courant  de  la  législa- 
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^fi         1975 


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J       


ND     Klcha,  Alfred 

671       Les  peintres  célèbres  de 

L5M5    l'ancien  pays  de  Ldége 


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