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NOUVEAU DICTIONNAIRE
DE MÉDECINE ET DE CHIRURGIE
PRATIQUES
r^pis.
SIMON r.AÇO.N ET COMP., HUE D'id -FL (' TU , 1 ,
NOUVEAU DICTIONNAIRE
DE MÉDECINE ET DE CHIRURGIE
PRATIQUES
ILLUSTRÉ DE FIGURES INTERCALÉES DANS LE TEXTE
T. É D I G É l'A R
E. BAILLY, A. M. BARRALLIER, BERNUTZ, P. BERT, BŒCKEL, BUIGNET, CUSCO, DEMARQUAY,
DENUCÉ, DESNOS, DESORMEAUX, DEVILLIERS, Alf. FOURNIE!'., T. GALLARD, II. G1NTRAC, GOSSELIN,
Alpii.GUÉRIN, A. HARDY, HÉRARD, HIRTZ, JACCOUD, JACQUEMET,
KŒBERLÉ, S. LAUGIER, LIEBREICH, P. LORAIN, LUNIER, MARCÉ, A. NÉLATON,
ORÉ, PANAS, PÉAN, V. A. RACLE, M. RAYNAUD, RICHET, Pu. RICORD, Jules ROCHARD (deLorient),
Z. ROUSSIN, SAINT -GERMAIN, Cil. SARAZIN, Germain SÉE, Jules SIMON',
SIREDEY, STOLTZ, A. TARD1EU, S. TARN1ER, TROUSSEAU, VALETTE, Arc. VOISIN.
Directeur de la rédaction : le docteur JACCOUD
TOME GINQUIÈM E
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AVEC CU FKIU It i: S ! \ T V. R C A L V. V. S l> A N S t. K I I \ M
BIBLIOTHECA
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PARIS
J. H. BAILLIÈRE et FILS
1. 1 R K A I R E S I) E L ' A G A D É M I E I M P É R I A L E DE M É D K C I N E
Rue Ilautcfcuille, 19
ï.ondres
Madrid
New York
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C. DAILLY-IIAILLIÈRF.
BAILLIÈRE RROTIIKRS
l. El P2IG,
F.
JUNG-TREUTTEL, 10,
186 6
QU ERSTR ASSE
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NOUVEAU DICTIONNAIRE
DE
MEDECINE ET DE CHIRURGIE
PRATIQUES
IIII.i: — Produit de la sécrétion du foie, la bile (xoXfy &i/îs), n'est
pas connue à l'état de pureté parfaile ; c'est toujours le liquide renfermé
dans la vésicule ou provenant des canaux hépatiques, qui sert à l'analyse,
et ce liquide est un mélange, qui contient à la fois le produit des cellules
hépatiques (la bile proprement dite), et celui des glandes en grappe an-
nexées aux voies biliaires. Comme ces glandes se montrent déjà dans les
caualicules qui n'ont que 0"1,n,7 de diamètre, on conçoit qu'il n'est pas
possible d'éviter le mélange; au surplus, cette inexactitude est sans im-
portance: c'est coproduit mixte qui est versé dans l'intestin, c'est lui
qui sert à l'accomplissement du rôle physiologique, c'est lui qui est ré-
sorbé à l'état de santé et à l'état de maladie. Il suffit donc d'être pré-
venu du fait, et d'être lixé sur la double provenance du liquide désigné
sous le nom de bile. Cela dit, voyons les caractères physiques et les ca-
ractères chimiques de cette humeur.
Caractères piaysiciucs. — La bile fraîche est un liquide filant, légè-
rement visqueux, jaune-brunàtre chez les herbivores, d'un vert plus ou
moins foncé chez les carnivores; il a une saveur douce-amère, qui laisse
un arrière-goût d'une amertume très-prononcée; l'odeur, nauséabonde,
sui (jeneris, se rapproche de celle du musc sous l'influence de la chaleur.
La réaction est neutre; la densité spécifique, chez l'homme, varie entre
1020 et 1052. Versée dans l'eau, la bile gagne d'abord le fond du vase ;
si on l'agite, elle se dissout presque totalement en formant une liqueur
mousseuse.
D'après Pflùger, les dissolutions de la bile dans l'acide sulfurique con-
centré présentent à un haut degré le phénomène de la fluorescence ; elles
sont d'un rouge foncé par transparence, et du plus beau vert par ré-
flexion.
Platner, le premier, puis d'autres expérimentateurs, entre autres Dalton
NOUV. DICT. WÉD. ET CHIR. V. 1
2 BILE. CARACTÈRES CHIMIQUES.
et Lionel Bealc, ont montré que la bile est susceptible de cristallisation :
voici le procédé auquel ce dernier savant donne la préférence. De la bile
de bœuf, parfaitement fraîche, est évaporée rapidement au bain-marie
jusqu'à siccité; le résidu sec, pulvérisé, est repris avec de l'alcool absolu.
Cette solution alcoolique, d'un vert foncé, est iillrée dans un petit flacon,
et l'on ajoute alors de Téther jusqu'à ce que le précipité blanc, formé
d'abord, ne se dissolve plus par l'agitation. L'addition de l'éther doit être
lente et graduelle, sinon un précipité en masse se forme quine peut plus se
cristalliser. Le flacon est légèrement bouché et laissé en repos. Au bout de
quelques jours apparaissent des groupes étoiles de beaux cristaux presque
incolores, qui s'accroissent jusqu'à former des houppes considérables. Pour
l'examen microscopique, on plonge ces cristaux dans une goutte de la solu-
tion mère ; si on veut les conserver, il faut les laver soigneusement avec
de l'alcool, additionné d'un dixième de son volume d'éther, puis les des-
sécher rapidement dans le vide. Cela fait, il faut les enfermer dans une
enveloppe de verre privée d'air; au contact de ce fluide, ils tombent en
déliquescence. Avec ces précautions, Beale a pu conserver ces cristaux
pendant plusieurs mois ; ils sont formés de glycocholate de potasse et de
glycocholate de soude.
La cristallisation réussit également bien avec la bile de bœuf et celle
de cochon ; toutes les tentatives faites jusqu'ici pour obtenir des cristaux
avec la bile de l'homme sont restées infructueuses.
La bile normale et fraîche est tout à l'ait limpide, et l'examen micro-
scopique n'y fait découvrir d'ordinaire aucun élément morphologique ;
quelquefois, cependant, on y trouve des cellules d'épithélium provenant
de la vésicule ou des grands canaux biliaires. Il est d'autres éléments qui
apparaissent beaucoup plus fréquemment dans la bile, mais leur présence
n'appartient déjà plus à l'état complètement normal; ce sont des gout-
telettes de graisse, des granulations plus ou moins volumineuses for-
mées par la matière colorante, plus rarement des cristaux de cholestérine,
et des cristaux rouges aciculés de bilifulvine signalés par Virchow. Les
granulations solides et les masses d'épithélium peuvent devenir le noyau
et le point de départ de calculs biliaires.
Les propriétés physiques que je viens de passer en revue appartiennent
à la bile fraîche ; pour peu qu'elle ait séjourné dans la vésicule, elle de-
vient plus épaisse, de couleur plus foncée, se concentre de plus en plus
par la perte d'une certaine quantité d'eau, et prend une réaction franche-
ment alcaline. La proportion de mucus y est en outre notablement aug-
mentée. Le liquide biliaire s'altère promptement à l'air, et en se putré-
fiant dégage une odeur repoussante.
Caractères cfiBïMaiqBacs — L'étude de la composition chimique delà
bile a donné lieu à une quantité considérable de travaux ; leur nombre n'est
égalé (pie par la diversité des conclusions. Si je devais les reproduire ici,
ou seulement les principaux d'entre eux, je pourrais réunir en colonnes
serrées les chiffres les plus disparates et me perdre avec le lecteur dans
la confusion d'une terminologie inextricable. Mais à quoi bon se con-
BILE. CARACTÈRES CïJIMIQUFi. 5
damner à un travail rétrospectif dont l'inutilité est surabondamment dé-
montrée? Ce n'est pas, que je sache, un e obligation absolue que de re-
prendre toute question ab ovo; cette méthode n'est opportune que là où
l'étude des errements passés emporte avec elle un enseignement positif;
autrement la méthode devient un abus, pour ne pas dire un artifice, des-
tiné à voiler sous la richesse apparente des documents entassés l'igno-
rance trop réelle du sujet en litige. Sachons donc bénéficier des progrès
accomplis, et puisque les analyses sans cesse citées dcBerzelius, Thenard,
Tiedemann et Gmelin sont toutes erronées à divers points de vue, puis-
que les raisons mômes de ces erreurs sont dégagées, de telle sorte que le
retour en est impossible, laissons enfin dans l'ombre ces travaux frappés
de stérilité, et commençons l'histoire chimique de la bile où elle prend
vraiment naissance, c'est-à-dire au travail de Demarçay et aux recherches
célèbres entreprises par Strecker, en 1847, dans le laboratoire de Liebig.
Ces derniers travaux, dont les conclusions ont été universellement accep-
tées, et qui ont été poursuivis par l'auteur jusqu'en ces derniers temps,
ont assigné à l'humeur biliaire la composition suivante.
La bile est composée d'éléments organiques et d'éléments minéraux.
Les prerniers sont de trois ordres, savoir : deux acides copules unis à
un alcali, — une matière colorante spéciale, — une substance lipoïde,
la cholestérine.
Les deux acides copules, désignés d'abord par Strecker, sous les
noms d'acide cholique et à'acide choléique, sont plus connus depuis les
travaux de Lehmann sous les désignations à! acide glycocholique et d' acide
taurocholique. L'acide glycocholique (cholique de Strecker) a pour for-
mule C52H42AzOu, 110, le taurocholique (choléique de Strecker) est représenté
par C68H45Az014S2. Ces deux corps son! loi niés par un même acide orga-
nique non azoté, l'acide cholique C48Hs909,H0, combiné avec deux: sub-
stances azotées différentes jouant le rôle d'alcaloïdes; dans l'acide gly-
cocholique, l'acide cholique est uni à la glycine (glycocolle ClH5AzO*),
dans le taurocholique, l'acide cholique est composé avec la taurine
C*H706S2Az, qui diffère de la glycine, surtout par le soufre qu'elle con-
tient ; en outre, la glycine a des propriétés basiques et forme avec les
acides des sels cristallisables, tandis que la taurine ne peut contracter de
combinaison ni avec les acides ni avec un autre corps. La taurine peut
être préparée artificiellement; l'isathionate d'ammoniaque chauffé à 200°,
perd deux équivalents d'eau et se transforme en taurine; aussi, selon la
remarque de Funke, ce corps peut être considéré comme l'amide de l'acide
isath ionique.
On a longuement discuté, sans la résoudre encore d'une manière défi-
nitive, la question de la préexistence de la taurine et de la glycine dans les
acides copules tauro et glycocholique. Si l'on ne consulte que l'analogie,
on sera porté à admettre que ces substances, unies à l'acide cholique,
sont simplement des agrégats atomiques qui ne se transforment en tau-
rine ou en glycine que par élimination de l'acide copule; cette sépara-
tion, en effet, s'opère par absorption d'un certain nombre d'équivalents
4 BILE. CARACTÈRES CHIMIQUES.
d'eau, exactement comme pour la séparation- de l'acide hippurique en
acide benzoïque et en glycine.
D'après Gorup von Besanez, la bile de l'homme ne contiendrait pas
d'acide glycocholique, et il fonde son opinion sur l'absence de glycine
dans les produits de décomposition de cette humeur. Mais cette hypo-
thèse est renversée par la présence de l'acide hippurique dans l'urine,
puisque Kùhne et Halhvachs ont montré que cet acide se forme dans le
sang au moyen de la glycine de l'acide glycocholique.
Les acides copules sont unis, pour la plus grande partie, à de la soude,
de sorte qu'en résumé le glycocholate et le taurocholatc de soude sont les
éléments essentiellement caractéristiques du fluide biliaire.
C'est à eux qu'il doit ses propriétés de cristallisation, c'est d'eux aussi,
comme nous le verrons, qu'il tire son action pathogénique. C'est de ces
sels qu'il sera toujours question dans la suite de cet article, lorsque
j'emploierai, pour la rapidité du langage, l'expression de sels biliaires.
L'acide cholique, les acides copules, les sels qu'ils forment et leurs pro-
duits métamorphiques les plus immédiats présentent une réaction carac-
téristique ; ils communiquent une coloration d'un rouge violet éclatant à
un mélange formé d'acide sulfurique et d'une solution de sucre de canne.
C'est sur ce fait qu'est basée la méthode diagnostique de Pettcnkofer
que nous étudierons bientôt dans tous ses détails.
Ces mêmes substances dévient à droite la lumière polarisée ; la connais-
sance de ce fait est due à Hoppe-Seyler, qui a créé une méthode d'ana-
lyse des sels biliaires fondée précisément sur l'action qu'ils exercent sur
la lumière polarisée. Je ne puis l'exposer dans tous ses détails, je dirai
seulement que d'après les recherches du professeur de Tùbingen, la ro-
tation spécifique du taurocholate de soude en dissolution alcoolique est
de 25,5° pour la lumière jaune, tandis que dans les mêmes conditions la
rotation du glycocholate est de 27,6°. En appliquant cette méthode déli-
cate à l'analyse de la bile du chien, Hoppe a constaté comme Strecker
qu'elle ne renferme que de l'acide taurocholique.
Bouillis avec des alcalis caustiques, les sels biliaires se séparent en
acide cholique et en glycine ou taurine ; mais si on les fait bouillir avec
des acides minéraux,, le chlorhydrique par exemple, ils donnent d'une
part de la glycine ou de la taurine, et d'autre part un acide isomère avec
l'acide cholique, savoir l'acide choloïdique. Si l'on pousse l'ébullition plus
loin, ou si l'on chauffe seulement ce produit jusqu'à 295°, il se transforme
par absorption de trois équivalents d'eau en un corps qui n'est plus acide
et qui est insoluble dans l'eau, l'alcool, les acides et les alcalis ; ce corps
c'est la dyslysine, dernier terme du métamorphisme des sels biliaires sous
l'influence combinée de la chaleur et des acides puissants.
Passons maintenant au second ordre des composés organiques de la
bile, les matières colorantes.
Ces matières, que je désignerai dans leur ensemble sous le nom de
pigments biliaires, sont au nombre de deux: la cholépyrrhine ou bili-
phéine, et la biliverdine, que Berzclius regardait comme identique à la
BILE. CARACTÈRES CHIMIQUES. 5
chlorophylle des végétaux. La biliphéine est une matière colorante d'un
jaune brunâtre, unie à de la soude et à de la chaux ; elle se trouve dans
la bile hépatique fraîche chez l'homme et chez la plupart des mammi-
fères; mais déjà par son séjour dans la vésicule et plus encore au con-
tact de l'air, elle subit une modification et se transforme, au moins en
partie, en une matière d'un vert plus ou moins foncé, la biliverdine.
Le savant physiologiste de Vienne, Brùcke, a montré que l'on peut sé-
parer les deux substances au moyen du chloroforme; cet agent ne dissout
que la cholépyrrhine ou biliphéine, et la bile qui reste après l'élimination
de cette dissolution chlorol'ormique présente encore, avec l'acide nitrique,
la réaction caractéristique de la biliverdine ; ce fait, contesté par Valen-
tiner, a été mis hors de doute par les observations de Brùcke et de Funke.
Tout récemment Maly (de Gratz) , reprenant cette étude, a obtenu des
résultats intéressants qui méritent d'être exposés dans leurs principaux
détails.
Extraite de la bile par le chloroforme, selon la méthode de Brùcke et
de Valentiner, et cristallisée deux fois, la cholépyrrhine a présenté les ca-
ractères suivants. Déjà, à la température ordinaire, les alcalis cau>tiques
en dégagent de l'ammoniaque et la solution d'abord rouge devient d'un
vert jaunâtre. A froid, l'eau de chaux et l'eau de baryte sont sans action,
mais par l'ébullition, elles donnent lieu à une production d'ammoniaque
et il se dépose des flocons verts d'une combinaison de baryte ou de chaux.
Lorsqu'on fait bouillir avec un excès d'acide acétique la cholépyrrhine
dissoute dans le chloroforme, aucune réaction n'a lieu; mais si l'on chauffe
le mélange pendant huit à douze heures dans des tubes de verre fermés,
alors la solution orangée passe au vert foncé, la cholépyrrhine est trans-
formée en biliverdine. Versc-t-on dans Peau le contenu d'un de ces tubes
la couche chloroformique d'un vert foncé se dépose au fond, et l'eau dis-
sout l'acide acétique. Cette dernière dissolution laisse par évaporation di
l'acétate d'ammoniaque, tandis que le chloroforme, lavé avec de l'eau eV
évaporé, donne un résidu de biliverdine d'un vert presque noir. Les réac-
tions sont semblables avec l'acide chlorhydriquc et l'acide tartrique ;
elles sont seulement moins nettes et moins complètes.
De cette première série de recherches, Maly conclut que la cholépyr-
rhine est une amide qui se dédouble en ammoniaque et en biliverdine.
Quant à la biliverdine qui reste après l'élimination du chloroforme,
elle se dissout dans l'alcool avec une belle couleur verte; cette solution
alcoolique est précipitée par l'eau avec séparation de la biliverdine ; avec
l'acide nitrique, elle donne les réactions caractéristiques; la solution
aqueuse de potasse ne les trouble pas, elle lui donne une couleur d'un
vert herbacé, et plus tard jaune; l'ammoniaque liquide ne la trouble
pas non plus, ce qui montre qu'il s'est formé un composé soluble dans
l'eau; la combinaison avec la soude est également soluble dans l'eau,
mais les composés obtenus avec le baryte, la chaux et le plomb sont inso-
lubles; le nitrate d'argent produit une coloration d'un brun foncé.
Tar une série d'opérations inverses, Maly a montré que l'on peut repro-
6 I31LE. CARACTÈRES CHIMIQUES.
duirc avec de la biliverdine les cristaux primitifs de cholépyrrhine. Ces
recherches remarquables qui fixent les caractères propres de cette der-
nière substance, nous apprennent en outre qu'elle présente une étroite
affinité avec la biliverdine, et que la transformation réciproque de ces
matières en est un des traits distinctifs.
Ainsi est jugée la question souvent débattue de la dualité des pigments
biliaires; un seul est préformé dans la bile, c'est la cholépyrrhine; la bi-
liverdine n'est que le produit de la transformation de cette dernière. Se-
lon Heintz, cette transformation est simplement le résultat d'une oxyda-
tion ; un équivalent de cholépyrrhine (C32H18Az209) absorbe un équivalent
d'oxygène et donne deux équivalents de biliverdine (C1GII9Az05).
D'après les recherches récentes de Stadeler, les pigments biliaires se-
raient bien plus nombreux qu'on ne l'avait cru jusqu'ici. En soumettant à
une analyse complète des calculs biliaires, ce chimiste a pu isoler cinq
matières colorantes distinctes dont il a pratiqué l'analyse élémentaire ; il
les a ainsi désignées: bilirubine C52Hl8Az2Q6 ; — biliverdine (?2IP°AzH)10;
— bilifuscine C52H20Az208; — biliprasine Crj2Il22Az2012 ; — bilihumine.
Cette dernière substance est le produit final de la décomposition de
toutes les autres matières colorantes de la bile, lorsque celles-ci sont
abandonnées au contact de l'air dans une solution sodique. Le schéma
ci- dessous indique les relations très-simples qui unissent ces divers corps
les uns aux autres:
+ 2110= c52H20Az208
Bilifuscine
(+2HO + 20=) (+2H0+.20=)
C32H2°Az2010 -4- 2110 C52H22Az2012
Biliverdine Biliprasine
Bilihumine
La formule de cette dernière substance n'a pas été déterminée, mais
Stadeler ne doute pas qu'elle ne soit, avec la biliprasine, dans les mêmes
rapports réciproques que les autres matières colorantes entre elles. Si l'on,
compare la formule assignée à la biliverdine dans le tableau précédent
avec celle qui a été donnée par Heintz, on constate une différence qui
provient, d'après Stadeler, de ce que la biliverdine analysée par Heintz
n'était pas parfaitement pure. Comme je Lai dit, c'est dans des calculs bi-
liaires que Stadeler a trouvé ces diverses matières colorantes ; il infère
naturellement de là qu'elles existent aussi dans la bile, et cette conclu-
sion, logiquement déduite, est acceptable ; mais ces cinq matières sont-
elles préformées dans la bile, y existent-elles toutes ensemble comme pig-
ments distincts? c'est là une autre question dont la solution doit encore
être réservée, jusqu'au moment où, appliquant à la bile fraîche le procédé
analytique de Stadeler, on aura retrouvé dans ce liquide les mêmes ma-
tières colorantes. Celte réserve est d'autant plus légitime que l'étude des
BILE. — CARACTÈRES CHIMIQUES. 7
formules précédentes révèle d'étroites affinités entre tous ces pigments,
de sorte que les quatre derniers pourraient bien n'être que les produits
de la transformation successive du premier.
Dans ses recherches dialytiques sur la diffusion des éléments de la
bile, Antisell a constaté que la matière colorante possède le coefficient
de diffusibilité le plus élevé, elle passe avec une grande facilité dans
P esprit-de-vin, Péther, le chloroforme; elle entraîne toujours une cer-
taine quantité de graisse, et se présente sous la forme de granules en-
tourés d'une enveloppe albumineuse.
La cholépyrrhine est susceptible de cristallisation, propriété qui a été
découverte par Valentincr. D'après lui, ces cristaux seraient différents de
la matière colorante génératrice et identiques à l'hématoïdine ; mais
Brùcke, tout en constatant P affinité intime qui les rapproche de cette der-
nière substance, a reconnu qu'ils présentent toutes les propriétés fonda-
mentales et essentielles de la biliphéine. J'ai dit que cette matière forme
avec la chaux des composés insolubles, c'est là ce qui explique la fré-
quence des concrétions de cholépyrrhine dans la vésicule biliaire.
La cholestérine (C2jII220) existe en très-petite quantité dans la bile
normale; mais, dans certaines conditions pathologiques, elle augmente
notablement de proportion, se précipite et fui nie des concrétions solides;
souvent aussi elle se précipite après la mort par suite de la décomposi-
tion de l'acide taurocholique qui la tient en dissolution. Cette substance
qui présente quelques-unes des propriétés des corps gras, mais qui en
diffère essentiellement parce qu'elle n'est pas saponifiée par les alcalis,
cristallise en écailles blanches," brillantes, inodores, insipides, rhomboïda-
les, fusibles à 137°, insolubles dans l'eau, solubles dans Féther et l'alcool;
par l'action de l'acide azotique, clic se convertit en acide cholestérique.
Elle se distingue en outre par la série de colorations remarquables qu'elle
présente lorsqu'on la traite par l'acide sulfurique ou bien par l'acide sul-
furique et l'iode; enfin lloppe a trouvé qu'elle dévie à gauche la lumière
polarisée.
Indépendamment de ces trois ordres de matières organiques, la bile
contient en proportions variables de la graisse, des graisses saponifiées,
et une certaine quantité de mucus. Enfin Stokvis et Frcrichs ont trouvé
du sucre dans la bile humaine parfaitement fraîche, mais Cl. Bernard
attribue le fait à une diffusion post mort cm.
Les éléments minéraux de la bile sont le chlorure de sodium , le
carbonate de soude, des phosphates de soude, de chaux et de magnésie,
des traces de fer, de manganèse et parfois du cuivre. Yoici trois analyses
quantitatives dues l'une à Frerichs et les deux autres à Gorup Bcsanez :
FREIUCIIS. GORUP.
Eau 85,92 89,81 — 82,27
Glycocholatc cl laurocholatc de soude. . 9,14 5,05 — 10,79
Cholestérine 0,20 ) „ ari , n-
„ . , ,,, A'no ) 5,09 — 4,7o
Margarine et oléine 0,92 )
BILE. ORIGINE ET MODE DE PRODUCTION.
FRERICHS. GORUF.
Mucus et matière colorante 2,98 1,45 —
Chlorure de sodium 0,20
Phosphate de soude tribasique 0,25
- de magnésie tribasique. . . ) Q 2g
— de chaux tribasique. . . . )
Sulfate de chaux 0,04
Oxyde de fer Traces
Au surplus, ces proportions présentent des oscillations souvent consi-
dérables ; tandis que la proportion d'eau varie déjà entre 82 et 90
pour 100, celle des matériaux solides est bien plus mobile encore. En
réunissant les résultats obtenus par divers expérimentateurs, on voit que
cette quantité est contenue chez l'homme entre 9 et 17 pour 100. Bidder
et Schmidt qui, chez des mammifères, ont examiné à part la bile obtenue
par le canal hépatique et celle de la vésicule biliaire, ont trouvé pour la
première 5 pour 100 chez des chats, des chiens et des moutons, tandis
que dans la vésicule la proportion montait à 10 et 20 pour 100 pour les
chats et les chiens, à 8 pour 100 seulement pour les moutons. — D'après
Nasse ces oscillations dépendent surtout de la mobilité des composants
organiques delà bile, et la proportion centésimale des sels minéraux est
à peu près constante; enfin Ludwig a fait remarquer que la richesse de
la bile en matériaux solides n'offre aucun rapport nécessaire avec la rapi-
dité de la sécrétion.
Origine et motle tîe production. — Plusieurs questions sont ici
soulevées qui offrent un grand intérêt. Le foie reçoit deux ordres de vais-
seaux afférents, la veine porte et l'artère hépatique : quel est de ces deux
vaisseaux celui qui préside à la sécrétion de la bile? C'est là le premier
point à examiner.
La bile est-elle apportée toute faite à la glande, et l'action du foie con-
siste-t-elle en une simple séparation ; ou, au contraire, l'organe ne reçoit-il
du sang que les matériaux générateurs, et son action est-elle une fabri-
cation véritable? Telle est la seconde question.
Enfin si la seconde alternative est la vraie, quels sont les élémenls du
sang qui jouent le rôle de matériaux générateurs et qui sont transformés en
bile par les cellules hépatiques? Voilà un troisième problème à résoudre.
La question du rôle respectif de l'artère hépatique et de la veine porte
dans la production de la bile a été grandement controversée, et l'expéri-
mentation directe a donné, entre les mains des divers observateurs, des
résultats contradictoires.
Laissant de côté les expériences incomplètes de Malpighi et l'assertion
surprenante de Bichat qui donne l'artère hépatique comme la source de
la bile, quoiqu'il n'ait jamais pu réussir, de son propre aveu, à lier con-
venablement ce vaisseau, je rappellerai que la question n'a été soumise à
une expérimentation régulière qu'en 1828 par Simon (de Metz) ; il opéra
sur des lapins et sur des pigeons ; sur les premiers, les recherches ne
donnèrent aucun résultat positif; sur les seconds, la ligature de l'artère
BILE. ORIGLNE ET MODE DE PRODUCTION. 9
hépatique n'empêcha pas la bile de couler dans le duodénum comme à
l'état normal. Ce résultat si concluant en apparence est pourtant non
avenu, ou du moins n'est pas applicable aux mammifères ; chez les oi-
seaux, il y a toujours un grand nombre d'artères hépatiques, et Simon ne
parle jamais que de l'artère hépatique; il est donc fort douteux qu'il
ait réellement et totalement supprimé l'abord du sang artériel dans la
glande.
Un peu plus tard, en 1853, B. Philip agissant sur des chiens vit la sé-
crétion biliaire continuer également, après la ligature de l'artère hépati-
que, et après celle de la veine porte; toutefois, dans ce dernier cas, la
quantité produite était moins considérable. Malheureusement, dans deux
autres cas où il lia à la fois la veine porte et l'artère hépatique, la sécré-
tion continua encore? Ce fait inacceptable jette du doute sur l'ensemble
des recherches et autorise à admettre que l'expérimentateur n'avait lié
qu'une portion de la veine porte. Du reste la question n'allait pas se sim-
plifiant, car Valentin faisait remarquer avec raison que toutes ces liga-
tures de la veine porte ne pouvaient avoir aucune signification, parce que
les veines de la vésicule et des canaux biliaires s'abouchent dans les ra-
meaux supérieurs delà veine porte, et que le réseau vasculaire sécréteur
n'est formé que dans l'intérieur du foie.
Tel était l'état des choses, on voit qu'il n'était rien moins que satisfaisant,
lorsque Gintrac et Oré tentèrent d'éclaircir enlin ce sujet. Gintrac réunit
une série d'observations, montrant que des malades avaient présenté, pen-
dant un temps plus ou moins long, une oblitération de la veine porte
sans modification appréciable de la sécrétion biliaire, et il attribua avec
toute raison les résultats différents que présente l'expérimentation chez les
animaux, à la soudaineté de l'oblitération dans ce dernier cas; chez l'homme,
elle se fait plus lentement, une circulation collatérale peut s'établir; chez
l'animal, la suppression subite et totale de ce vaisseau amène la mort pres-
que immédiate. Oré prit soin de se mettre à l'abri de cette cause d'erreur,
et pour cela, il produisit l'obstruction de la veine au moyen d'une inflam-
mation lente. Chez des chiens, il entoura la veine porte d'un lil sans
étreindre le vaisseau ; au bout de cinq ou six jours, le contact du lil ayant
dû déterminer, suivant lui, l'inflammation des parois vasculaircs et l'ob-
struction de la cavité, il enlève le lien et abandonne les animaux à eux-
mêmes ; plusieurs succombèrent rapidement à une péritonite, d'autres
survécurent; la veine porte fut trouvée réellement oblitérée, et la sécré-
tion de la bile avait continué à se faire ; le foie contenait encore du
sucre, il était un peu atrophié et plus paie qu'à l'état normal. De ces re-
cherches remarquables, Oré conclut que la production de la bile est indé-
pendante de la veine porte; il aurait dû dire peut être indépendante de la
veine porte, car, dans sa forme absolue, la conclusion n'est légitime
qu'après une contre-épreuve sur l'artère hépatique.
L'année suivante, en 1&57, Kottmeier observait l'arrêt de la sécrétion
après la ligature de l'artère, et ne pouvait obtenir de résultats précis en
agissant sur la veine; or, comme le l'ait remarquer Funke, l'arrêt dans la
10 BILE.
origim; et mode de production.
production de la bile, après la ligature d'un des vaisseaux, est beaucoup
moins probant que la persistance de la sécrétion après la ligature de l'autre
vaisseau, parce que l'opération est par elle-même assez grave pour arrêter
court toute sécrétion. Enfin, tandis que Chassagne soutenait l'opinion
d'Oré, Kùthe concluait de ses recherches que la veine porte est la source
exclusive de la bile. Les expériences de Moos sur les lapins ont aussi la
même signification, mais comme l'auteur leur en a assigné une précisé-
ment opposée, j'ai dû laisser ces faits de côté.
Toutes ces incertitudes tenaient-elles à la question elle-même, ou bien
étaient-elles imputables au mode expérimental? c'est ce qu'il est bon
d'examiner; en cela est l'utilité de cette revue rétrospective. Or bon
nombre de ces expériences, nous l'avons vu, sont incomplètes ou mal
instituées, et il n'y pas à chercher ailleurs la raison des contradictions et
de l'obscurité qu'elles présentent. Mais ce reproche ne peut atteindre les
recherches d'un physiologiste habile tel qu'Oré, et pourtant la conclusion
qu'il a formulée n'est pas absolument acceptable; où donc est ici l'erreur?
Kùthe l'a révélée, et c'est peut-être le fruit le plus précieux de son travail ;
les veines biliaires de Yalentin sont restées perméables.
Fort heureusement en 1862, Moritz Schiff a repris ces éludes, et avec
cette sagacité et cette habileté expérimentales dont il a donné tant de
preuves, il est parvenu enfin à terminer le débat. Comme on ne peut lier
l'artère hépatique sans étreindre en même temps quelques-uns des nerfs
qui l'accompagnent, Schiff s'est occupé avant tout de constater les effets
de cette lésion des nerfs sur la sécrétion de la bile ; des épreuves répétées
ont montré que la paralysie des nerfs hépatiques est sans influence appré-
ciable, au moins pendant tout le temps nécessaire a l'étude des expériences
sur les vaisseaux.
Ce premier point établi, l'auteur a cherché comment l'on doit pro-
céder à la ligature de l'artère hépatique, pour être certain d'interrompre
complètement l'abord du sang artériel; la simple ligature derrière l'esto-
mac n'est point suffisante, il faut lier les trois branches du plexus cœ-
liaque, et de plus l'artère diaphragmatique inférieure. Il faut ensuite éta-
blir une fistule biliaire et ne tenir compte que de la bile jaune ; celle-là
seule est le produit d'une sécrétion actuelle, la bile verte est celle qui
était contenue dans la vésicule ou dans les canaux au moment de l'expé-
rience; c'est donc un reliquat de l'état normal, il doit être négligé. Sur
trois chats ainsi opérés, la sécrétion de la bile a continué, et comme
Schiff s'est assuré à l'autopsie que toutes les ligatures avaient bien tenu,
il a pu conclure sans réserve aucune, cette fois, qu'après la cessation com-
plète du courant artériel, la production de la bile persiste, et en compa-
rant les quantités obtenues avec les chiffres qui expriment la proportion
normale (voyez plus bas), il a pu s'assurer en outre que la sécrétion n'est
pas diminuée.
L'épreuve sur la veine porte n'est pas moins délicate, elle n'exige pas
moins de précautions. Ce qu'il faut obtenir, c'est que toutes les petites
branches qui se rendent au foie, soient oblitérées comme le tronc même de
BILE. ORIGINE ET MODE DE PRODUCTION. il
la veine. Dans ce but, Schiff a ou recours alternativement à l'un des deux
procédés suivants : il comprime le tronc de la veine, les branches deve-
nant turgides sont plus visibles, et il les lie avant de lier le tronc; ou
bien il isole dans le ligament bépato-duodénal l'artère hépatique, et lie
tout le reste en bloc, le canal cholédoque compris ; puis il établit une
listule biliaire. Cinq expériences ont été faites ; la survie n'a pas dépassé
une heure et demie, pas une goutte de bile n'a été produite; les chats
sont morts dans le coma , deux ont eu de légères convulsions. Ainsi donc
la ligature soudaine et totale du système porte supprime instantané-
ment la sécrétion biliaire, et les animaux meurent empoisonnés par les
matériaux générateurs de la bile.
Cependant les faits pathologiques et les recherches d'Oré nécessitaient
une autre série d'expériences, afin d'élucider les effets d'une oblitération
graduelle de la veine porte ; il fallait déterminer si une obstruction de ce
genre entrave la circulation dans les branches hépatiques du système
veineux afférent, au point (pie le foie ne reçoive plus du tout de sang
porte. Schiff a fait l'expérience sur des chats et des chiens ; les expé-
riences n'ont pu être prolongées au delà de six jours et demi, mais elles
ont montré que l'oblitération lente du tronc porte produit une augmen-
tation graduelle de pression dans le système de la veine cave, d'où ré-
sulte dans les parties supérieures de la veine porte un nouvel afflux de
sang; ce liquide, joint au sang encore présent dans les branches intra-
hépatiques de la veine porte, y entretient la circulation et la sécrétion de la
bile. Ces faits expliquent à merveille la persistance de la sécrétion biliaire
dans certains cas pathologiques, notamment dans cette oblitération lente
et partielle de la veine porte, que produit la cirrhose du foie. Ces recher-
ches de Schiff ont eu encore pour résultat de confirmer l'existence de
ces veines biliaires (désignées par Sappey sous le nom de veines portes ac-
cessoires), et surtout de la principale d'entre elles, la veine parombilicale,
déjà signalée par Bertrandi en 1718, et décrite plus complètement chez le
fœtus par Burow, en 1838 (Schiff). Ce sont ces canaux qui se dilatent
dans le cas d'oblitération graduelle du tronc porte, et appellent aux
vaisseaux intra-liépatiqucs les éléments nécessaires à la fabrication de la
bile. Quant aux dispositions anatomiques de ces veines accessoires, elles
sont étrangères à mon sujet et trouveront leur place ailleurs (voy. Veine
porte).
On remarquera que, dans ces dernières expériences, le sang qui four-
nissait à la sécrétion biliaire venait eu grande partie de la circulation
veineuse générale. L'opinion dos anciens, qui attribuaient la production
de la bile aux qualités particulières du sang porte, est donc complètement
erronée. Dans d'autres expériences, le tronc porte étant oblitéré, Schiff
a vu la sécrétion de la bile se faire aux dépens du sang fourni par l'artère
hépatique aux ramuscules intra-hépatiques de la veine porte (anastomoses
de Glisson, Locquct et Wallcr); enfin, après quelques essais très-difliciles
de transfusion du sang de l'artère rénale dans la veine porte, le célèbre
physiologiste est porté à croire que le sang artériel proprement dit peut
12 BILE. — ORIGINE ET MODE DE PRODUCTION.
aussi fournir à la sécrétion biliaire, mais ce n'est là, en tout cas, qu'un
fait complètement exceptionnel, qui n'a plus rien de commun avec la
source physiologique de la bile. L'oblitération soudaine ou lente du
système porte n'a jamais produit la dilatation de Tarière hépatique.
Tel est dans ses éléments principaux le travail de Schiff ; il me paraît
clore la discussion et autoriser les conclusions suivantes, qui sont la ré-
ponse à notre première question.
La sécrétion de la bile, à l'état normal, est sous la dépendance exclusive
du système porte.
L'oblitération totale et soudaine de ce système supprime instantanément
la production de la bile, et les animaux (mammifères) meurent empoi-
sonnés par les matériaux générateurs de ce liquide; tout comme après
l'extirpation des reins, ils meurent empoisonnés par les matériaux de
l'urine.
L'oblitération lente du tronc de la veine porte n'interrompt pas néces-
sairement la sécrétion biliaire; lorsque celle-ci persiste, elle est entre-
tenue par les veines portes accessoires.
Dans certaines conditions, que réalise l'expérimentation, le sang arté-
riel peut fournir à la production de la bile; mais ces conditions purement
artificielles, ne sont observées ni à l'état sain, ni à l'état morbide ; ce
fait est donc sans intérêt pratique.
La bile préformée dans le sang, est-elle simplement séparée par le
foie, ou bien est-elle fabriquée par l'organe au moyen d'éléments généra-
teurs contenus dans le sang porte? C'est la seconde question que nous
devons examiner; elle nous retiendra moins longtemps que la précé-
dente.
Bien que Monro, Eller, Reil, Saunders, eussent combattu depuis long-
temps déjà l'idée de ia préformation de la bile dans le sang (théorie an-
cienne de Glisson, V. Swieten, Boerhaave, Darwin, etc.), cependant la
discussion resta ouverte aussi longtemps qu'on ne put invoquer à l'appui
des idées nouvelles que des preuves indirectes, telles que le défaut d'ictère
dans certaines maladies chroniques du foie, ou dans le cas d'oblitération
de la veine porte. Aujourd'hui les démonstrations directes ont été données,
et il n'est pas en physiologie de proposition plus certaine que celle-ci : la
bile n'est pas préformée dans le sang, elle n'est pas séparée par le foie,
elle est fabriquée par lui au moyen des matériaux qui lui arrivent par le
sang porte. Les preuves sont de deux ordres ; elles sont également pé-
remptoires. Les analyses de Lehmann, répétées par Scherer, Frerichs,
Gorup vonBesanez, et d'autres physiologistes, ont établi que les éléments
de la bile font totalement défaut dans le sang de la veine porte. D'un
autre côté, chez les animaux (grenouilles) qui survivent un certain
temps à l'ablation du foie, il n'est pas possible, au bout de plusieurs
jours, de trouver dans le sang, ni les sels, ni la matière colorante de la
bile, même en réunissant en une seule masse le sang de plusieurs gre-
nouilles ainsi opérées (Kunde, Moleschott).
Puisque les éléments caractéristiques de la bile ne sont pas préformés
BILE. ORIGINE ET MODE DE PliODUCTIOX. 13
dans le sang, puisque celui-ci n'apporte au foie que les matériaux néces-
saires à cette fabrication, il importe de déterminer, ou tout au inoins de
rechercher quels sont les éléments du sang qui jouent le rôle de matériaux
générateurs de la bile. Question hérissée de difficultés, obscure encore
sur bien des points, mais sur laquelle cependant nous savons déjà quelque
chose.
C'est Lehmann qui a ouvert la voie, c'est à lui qu'est due la seule
méthode qui peut conduire à la vérité. Cette méthode consiste dans
l'analyse comparative du sang de la veine porte et du sang des veines
sus-hépatiques. Le principe est aussi simple que l'application est difficile;
si certains matériaux contenus dans la veine porte ne se retrouvent plus en
proportion égale dans le sang des veines elférentes, c'est-à-dire dans le
sang qui a traversé le foie, il est clair que ces matériaux ont été employés à
la fabrication de la bile et de la matière glycogène. Or, voici les résultats
fournis par cette méthode (je laisse de côté la matière glycogène, dont je
n'ai pas à m'occuper ici).
Le sang des veines sus-hépatiques diffère du sang de la veine porte par
l'absence de fibrine coagulable, par la diminution de la graisse et de l'al-
bumine, par l'abaissement considérable de la proportion d'eau et des sels
du sérum (chez le cheval la perte des sels va jusqu'à 31,2 pour 100). En
revanche la quantité des matières dites extractives est notablement
accrue; elle va au double et même au triple de la proportion contenue
dans la veine porte. Le chiffre des globules présente aussi une élévation
considérable, mais cette modification si intéressante au point de vue de
l'hématopoïèse est sans rapport direct avec la sécrétion biliaire. En
résumé le sang de la veine porte en traversant le foie perd de l'eau, des
sels minéraux, de la graisse, de l'albumine et de la fibrine; il est clair
que c'est aux dépens de ces substances perdues qu'a lieu la formation de
la bile, et les matières extractives en excès sont le reliquat, le résidu de
cette opération organique.
Tels sont les faits fondamentaux; creusons la question plus profondé-
ment, nous pourrons peut-être préciser mieux encore les rapports des
générateurs au produit. L'eau et les sels minéraux de la bile sont des
éléments non modifiés du sang; il en est de mémo de la eholestérine,
ceci ne présente aucune difficulté; occupons-nous des éléments vraiment
caractéristiques de la bile, les acides copules et la matière colorante.
Les acides copules se composent, ainsi que nous l'avons vu, d'un acide
simple, l'acide eholique et d'un élément eopulatcur, la glycine ou la
taurine. La provenance de ces divers composants n'est point la même.
En ce qui touche l'acide eholique, il est extrêmement vraisemblable qu'il
résulte de la transformation de la graisse contenue dans les cellules
hépatiques. En effet celte proportion de graisse est en rapport direct avec
la quantité de cette substance puisée dans le canal intestinal ; Funke,
chez des individus qui s'étaient suicidés en état de santé, a trouvé plu-
sieurs fois, avec les chylifères turgides, les cellules hépatiques remplies
d'une grande quantité de fines gouttelettes de graisse, et Laue, sur des
14 BILE. OP.IGLNE ET MODE DE PRODUCTION.
lapins, a constaté que la réplétion graisseuse des cellules du foie présente
son maximum quelques heures après l'ingestion de substances grasses.
D'un autre côté on ne retrouve dans la bile qu'une très-petite quantité
de graisse, soit en nature, soit saponifiée; le reste a disparu, c'est cette
portion-là, qui, élaborée dans les cellules, devient libre et passe dans les
canaliculcs excréteurs sous forme d'acide cliolique. Les produits d'oxyda-
tion de cet acide témoignent en faveur de cette origine, et Lehmann croit
môme qu'on peut rapporter l'acide cliolique exclusivement à l'acide
oléique, combiné avec le complexus atomique C12II60s. Si l'on ajoute cette
formule à celle de l'acide oléique on obtient en effet la formule de l'acide
eholique (C56H5505-j-II0) -f-(C12IP06)= (C48H5909 -+- HO) acide cliolique.
Lehmann s'appuie en outre sur les recherches de Redtenbaclier qui a
montré qu'en agissant au moyen de l'acide azotique sur l'acide eholique
on obtient tous les membres de la série (C2H2) AzO4, aussi bien que lors-
qu'on agit sur l'acide oléique.
Que cette provenance soit exclusive ou non, on peut admettre aujour-
d'hui que l'acide eholique de la bile a pour origine les matières grasses
contenues dans les cellules du foie ; et cette conclusion basée sur l'obser-
vation et l'analyse ne me semble pas permettre d'accepter la théorie de
notre célèbre micrographe, le professeur Robin, qui attribue la sécrétion
biliaire aux glandes en grappe, contenues dans les canaux excréteurs.
Acceptée par Morel, cette théorie, il est vrai, a conquis tout récemment
l'appui de Ilcnlc, mais elle me paraît difficilement conciliable avec les
faits (pli viennent d'être exposés. Tout au moins n'est-on pas encore auto-
risé à diviser le foie en deux appareils anatomiquement distincts, l'un
destiné à la sécrétion de la bile (foie cholégénique), l'autre à la produc-
tion du sucre (foie glycogénique).
Quant aux éléments copulateurs, la glycine et la taurine, ils ont pour
matériaux générateurs les substances albuminoïdes laissées dans le foie
par le sang de la veine porte. Une plus grande précision ne paraît pas
possible pour le moment. Lehmann a regardé comme substance généra-
trice la fibrine, en se fondant sur son absence dans les veines efférentes ;
mais on ne sait pas encore aujourd'hui si cette substance manque réelle-
ment dans les veines sus-hépatiques, ou si elle a seulement perdu la
propriété qui la fait reconnaître entre toutes, la coagulabilité. Frerichs
et Stàdeler pensent que la glycine provient de la tyrosine, un des pro-
duits de décomposition des matières albuminoïdes; l'équation suivante
exprime cette dérivation. Tyrosine (C18HllAz06) = (C4Il5Az04-}-2HO
H-C14ir04). On sait qu'on trouve de la tyrosine dans le foie lorsque la
sécrétion biliaire est suspendue, fait qui vient à l'appui de l'opinion pré-
cédente. Si ces questions de détail ne sont pas encore suffisamment éluci-
dées; il n'en est pas de même du tait fondamental : la formation de la
glycine et de la taurine aux dépens des matières albuminoïdes apportées
au foie. Déjà l'on a pu obtenir directement la glycine en traitant par les
alcalis les matières protéiques azotées, et il est bien certain a priori qu'on
pourrait obtenir de môme la taurine, en agissant sur les matières
BILE. ORIGINE ET MODE D" PRODUCTION. 15
protéiqûes sulfurées. Je rappellerai avant de quitter ce sujet un fait qui
démontre positivement que la glycine se forme dans le foie et non pas
ailleurs. L'acide hippurique peut être considéré comme de l'acide benzoï-
que combiné avec la glycine ; or lorsqu'on introduit de l'acide benzoïque
dans l'organisme, il ne se change en acide hippurique qu'à la condition
de traverser avec le sang la glande hépatique (Kùhne, ÏTalhvachs); c'est
donc là seulement qu'il trouve la glycine nécessaire à sa transformation ;
nouveau fait difficile à concilier avec la théorie du professeur Robin.
Gomme tous les pigments, tant normaux que pathologiques, la ma-
tière colorante de la bile provient du contenu des cellules colorées du
sang. Ce fait est hors de doute. Déjà nous avons vu plus haut que la bili-
phéine cristallisée de Valentiner et de Brûcke, est très-voisine de l'héma-
toïdine, le produit cristallisé du pigment sanguin ; une observation faite
en commun par Funke et Zcnker, démontre encore cette identité, j'en
emprunte la relation au professeur Funke. Dans certaines conditions
pathologiques, Virchow avait trouvé dans la bile en stagnation, une
matière colorante d'un rouge jaunâtre, cristallisée en aiguilles brisées
ou groupées, et la tenant pour différente de la biliphéine et de la bi-
liverdine, il l'avait nommée bilifulvine, mais il appelait lui-même l'at-
tention sur la ressemblance de celte bilifulvine avec l'hématoïdine sous
l'action des réactifs. Or Funke et Zenker ont montré que celte bilifulvine
se transforme spontanément ou par Faction de l'éther en gros cristaux,
qui ont toutes les propriétés de l'hématoïdine; ces observations unies à
celles de Brùcke, prouvent que la bilifulvine de Virchow, n'est autre chose
que de la biliphéine cristallisée. En somme, la matière colorante jaune
de la bile (cholépyrrhinc ou biliphéine) qui passe par F oxydation à la
modification verte, est identique avec le produit que donne le contenu dc>
cellules sanguines colorées dans le sang en stagnation, et le pigment bi-
liaire provient du pigment sanguin, d'où cette conséquence intéres-
sante, qu'une certaine quantité de globules rouges sont détruits dans
le foie.
Jusqu'ici tout est net et précis ; mais les remarquables expériences
de mon savant ami, le professeur Frerichs, ne permettent plus de s'en
tenir à cette conclusion absolue; en fait, le pigment sanguin est bien
certainement la source principale du pigment biliaire, mais il n'est pas
prouvé qu'il en soit la source unique. Après avoir injecté dans le sang de
plusieurs chiens, de la bile parfaitement décolorée, ou bien les sels bi-
liaires purs, Frerichs a vu l'urine de ces animaux se charger de pigment
biliaire. Le fait, en lui-même, est positif, l'expérience a été répétée avec
le même résultat (Neukomm-Kùhne) ; l'interprétation varie, elle n'est pas
sans difficultés. Frerichs a conclu de ses observations que les arides de la
bile se métamorphosent directement dans le sang en pigment biliaire, il y
aurait donc là pour cette matière colorante une source nouvelle, indépen-
dante du pigment sanguin. Le professeur de berlin invoque, à l'appui de
sa manière de voir trois ordres de faits, qui n'ont pas tous subsisté. En
faisant digérer des sels biliaires dans de l'acide sulfurique, la transfor-
16 BILE. ORIGINE ET MODE DE PRODUCTION.
mation de ces sels en pigment biliaire est produite. — 2° En traitant l'a-
cide glycocholique par l'acide sulfurique, on obtient un corps (substance
chromogène) qui présente à l'air le même jeu de couleurs que le pigment
biliaire avec l'acide azotique. Depuis que Stàdeler a montré que l'acide
chohque, non azoté, traité de la même manière, fournit des résultats
identiques, cet argument n'en est plus un. — 3° Chez les chiens en
expérience , l'urine qui renfermait la matière colorante de la bile ne
contenait point d'acide biliaire. Ce dernier argument doit être modifié;
l'absence des acides biliaires n'était qu'apparente, elle tenait à l'insuffi-
sance du procédé réactif, ainsi que l'ont montré les recherches subsé-
quentes de Hoppc et de Kùhne. Il faut noter cependant que la quantité
d'acides biliaires retrouvée dans l'urine est toujours hors de toute
proportion avec la quantité injectée dans le sang. On voit donc qu'au
point de vue de la question en litige, le lait conserve une grande valeur,
et s'il n'y avait pas d'autre élément à faire intervenir dans le débat, l'in-
terprétation de Frerichs ne serait pas douteuse ; il serait positivement dé-
montré que le pigment biliaire peut provenir de deux sources distinctes :
du pigment du sang, ce qui est le fait ordinaire, et de la transformation
des acides biliaires lorsque, pour une raison quelconque, ces acides exis-
tent dans le sang.
Malheureusement, les expériences de Frerichs, il nous l'apprend lui-
même, n'ont pas toujours donné les mêmes résultats, et, dans un certain
nombre de cas, l'injection des sels choliques n'a pas été suivie de l'ap-
parition du pigment biliaire dans l'urine. L'auteur n'a pas manqué de te-
nir compte de ces faits négatifs, et tout en admettant en principe, ainsi
que je l'ai dit, la transformation des sels en pigment, il a eu soin d'ajou-
ter que cette métamorphose exige le concours de certaines conditions qui,
inconnues encore, ne se trouvent pas toujours réalisées. Sur ces entre-
faites, Kùhne a répété ces expériences ; il a obtenu les mêmes résultats,
mais il a proposé une explication toute différente; simple et précise en ap-
parence, cette explication a été accueillie avec empressement, il me sera fa-
cile cependant, de montrer, en m'appuyant sur les recherches mêmes de
Kùhne, qu'elle soulève des objections plus graves encore que la théorie
de Frerichs.
D'après Kùhne, le pigment biliaire proviendrait encore ici de la matière
colorante du sang ; la bile ou les sels biliaires injectés ont pour effet
de dissoudre une certaine quantité de globules rouges, ou d'en mettre
le pigment en liberté, et c'est ce pigment qui apparaît dans l'urine sous
forme de chlolépyrrhine. Cette explication me paraît ruinée d'avance,
qu'on en juge : Kùhne a injecté plusieurs fois dans les veines une dissolu-
tion d'hématoglobuline, et il n'a jamais vu alors le pigment de la bile
apparaître dans l'urine ; l'effet n'était produit que lorsqu'il ajoutait à la
solution d'hématine une certaine quantité d'acides biliaires. S'inclinant
devant les faits, l'auteur convient lui-même qu'une fois l'hématine dis-
soute dans le sang, les acides de la bile ont une influence nécessaire sur
sa métamorphose ultérieure en biliphéinc; par quoi il se rapproche déjà
BILE. ÉVALUATION QUANTITATIVE DE LA SÉCRÉTION BILIAIRE. 17
notablement de l'opinion de Frerichs. Au surplus, ilya d'autres difficul-
tés encore ; avec la théorie de Kûhne, il est impossible de comprendre que
l'urine contienne si souvent de l'hématine sans être chargée en même
temps de pigment biliaire ; cette objection est d'autant plus grave qu'on
peut faire apparaître dans l'urine la matière colorante du sang, précisé-
ment en injectant dans ce liquide les acides de la bile (Dusch, Frerichs,
Hùnet'eld). Enfin, il ne faut pas oublier que le pouvoir dissolvant des sels
choliques sur les globules sanguins a été fort exagéré; c'est un point sur
lequel je reviendrai en étudiant l'action toxique de la bile. Pour toutes ces
raisons, la théorie de Frerichs, malgré les lacunes que le savant professeur
y a lui-même signalées, me paraît plus satisfaisante et mieux établie, et je
n'hésite pas à conclure par la proposition suivante : Le pigment biliaire
provient ordinairement de la matière colorante du sang, mais lorsque le sang
contient une certaine proportion de sels choliques, la cholépyrrhine peut
provenir aussi de ces sels. Quel est le mode de cette provenance toujours
exceptionnelle, nous le saurons peut-être quelque jour, mais aujourd'hui
il est sage de ne pas se prononcer; il est peu probable en tout cas qu'il y
ait une transformation directe; les troubles de circulation déterminés par
la présence des sels choliques dans le sang sont assez considérables pour
altérer les métamorphoses organiques, c'est là le seul fait certain.
Évaluai ion quantitative cïe la sécrétion niliaêre. — Il en
est des expériences anciennes sur ce sujet comme des premières analyses
chimiques de la bile ; elles sont entachées d'erreurs, qui tiennent pour la
plupart au procédé expérimental, nous ne devons plus y voir que des
•souvenirs historiques. Cette remarque n'atteint pas seulement les évalua-
tions de llaller et deMagendie ; elle frappe également les recherches plus
récentes de Schultz et de Blondlot.
Les résultats obtenus par Nasse et Arnold au moyen de la méthode
des fistules biliaires permanentes, indiquées par Schwann, sont déjà beau-
coup plus exacts, mais c'est principalement aux expériences répétées de
Bidder et Schmidt, de Stackmann, et aux recherches plus récentes encore
de Kôlliker et de Millier que nous devons les notions précises que nous
possédons aujourd'hui sur ce sujet intéressant. Je ne puis exposer ici les
détails et les précautions innombrables du mode expérimental, et je me
borne à faire connaître les résultats obtenus. Afin que les chiffres soient
exactement comparables, ils ont toujours été rapportés à un kilogramme
de l'animal en expérience ; la durée de l'observation a varié de vingt-
quatre heures à huit semaines (un chien, de Bidder et Schmidt); l'expé-
rimentation a été pratiquée au moyen de la méthode des fistules bi-
liaires, soit temporaires, soit permanentes.
D'après Arnold, un kilogramme de chien produit en vingt-quatre
heures une quantité de bile qui varie de 8gr,lf2, à llgr,642; chez des
chiens alimentés exclusivement avec de la viande, Nasse avait trouvé des
chiffres plus élevés compris entre 12gr,2 et 28gr,4. Bien que supérieure aux
résultats annoncés par les anciens observateurs, cette évaluation est en-
core au-dessous de la vérité. Bidder et Schmidt, opérant sur des chiens,
NOUV. DICT. MLD. ET CUIR. Y. — '2
18 BILE. ÉVALUATION QUANTITATIVE DE LA SÉCRÉTION BILIAIRE.
ont obtenu des chiffres qui se rapprochent sensiblement de ceux de Nasse,
15 à 28 gr. en vingt-quatre heures, par kilogramme de l'animal; mais-
Kôllikcr et Mùller, en perfectionnant, non le procédé expérimental, mais
la méthode de calcul par laquelle on déduit des observations isolées le
total de la sécrétion pour vingt-quatre heures, sont arrivés au chiffre de
52gr,7 et 32gr,19. Tenons-nous à oO grammes et nous verrons, en appli-
quant à l'homme les résultats fournis par le chien , qu'un homme du
poids de soixante kilogrammes sécrète en vingt-quatre heures 1800 gr.
de bile; le même calcul pratiqué avec la moyenne de Bidder et Schmidt,
qui est de 20 grammes, donne 1200 grammes. A supposer même qu'on
s'arrête à ce dernier total qui est certainement trop faible, on voit com-
bien étaient inexactes les conclusions de Blondlot, qui évaluait à 200 gr.
la quantité quotidienne de la sécrétion biliaire chez l'homme.
La production de la bile n'est pas également abondante à tous les mo-
ments de la journée; elle présente son maximum quelque heures après le
repas; immédiatement après l'ingestion des aliments, la sécrétion est
très-réduite; à partir de la troisième heure elle commence à s'accroître,
et atteint son maximum entre la troisième et la cinquième heure, dans
d'autres cas, entre la sixième et la huitième; puis elle s'abaisse lente-
ment, et s'il n'y a pas de nouvelle alimentation, elle présente, vers la
dix-huitième ou la vingtième heure, le minimum constaté après le repas.
Ces chiffres sont ceux de Kolliker et de Mùller, mais d'après les recherches
d'Arnold et de Voit, le maximum de la sécrétion pourrait déjà se mon-
trer de une à quatre heures après le repas ; ces variétés dépendent sans
doute en grande partie de la nature des aliments ingérés, et de l'énergie
des fonctions digestives. Comme moyenne générale, les chiffres de Kolli-
ker sont seuls acceptables; Bidder et Schmidt ont même trouvé que le
maximum pouvait être encore plus tardif.
Entre toutes les conditions qui modifient la quantité de la sécrétion
biliaire, l'alimentation est de beaucoup la plus influente. La suppression
complète des aliments a pour résultat une diminution de plus en plus
marquée, et dans la proportion totale de la bile et dans la proportion re-
lative des matériaux solides; toutefois les animaux (chats) peuvent suc-
comber à l'inanition avant que la production de la bile soit entièrement
suspendue. Chez des chiens privés d'aliments depuis dix-huit heures et
observés heure par heure jusqu'à la quarante-deuxième heure, Arnold a
constaté que la quantité du résidu solide présentait de nombreuses oscil-
lations, de telle sorte qu'il y avait un maximum le matin et le soir, un
minimum à midi et à minuit. L'ingestion d'une grande quantité d'eau
augmente la sécrétion biliaire ; cet accroissement dure une heure environ
après la dernière ingestion du liquide, puis la sécrétion retombe à son
chiffre normal ; il est remarquable que cette expérience n'ait pas d'effet
constant sur la proportion des matériaux solides ; tantôt ils présentent
une diminution absolue et relative, tantôt, au contraire, ils augmentent
comme la sécrétion elle-même.
La nature des aliments doit surtout être prise en considération en
BILE. ÉVOLUTION ET RÉSORPTION PHYSIOLOGIQUES. 19
raison des conséquences pratiques qui découlent de ces notions expéri-
mentales.
Le régime animal pur produit une augmentation considérable de la
sécrétion biliaire; l'effet reste à peu près le même lorsqu'on joint à la
viande une petite quantité de pain, mais l'augmentation cesse de se pro-
duire avec un régime végétal, composé uniquement de pain et de pommes
de terre ; Bidder et Schmidt ont montré que l'usage exclusif des matières
grasses n'a aucune influence sur la sécrétion de la bile, qui présente
alors les mêmes caractères que dans l'inanition complète. Enfin les re-
cherebcs nouvelles de Ritter et de Nasse nous ont appris que l'addi-
tion d'une petite quantité de graisse au régime animal augmente encore
la proportion de la bile, et qu'un mélange de graisse et de matières amy-
lacées paraît avoir un résultat analogue. — Lorsqu'on substitue un ré-
gime à un autre, l'influence du dernier sur la bile ne se montre pas
aussitôt, elle n'apparaît d'ordinaire qu'un jour après la substitution.
Indépendamment de l'alimentation, il est quelques autres circonstances
qui modifient la production quotidienne de la bile, et dont les effets mé-
ritent d'être signalés. L'usage du bicarbonate de soude diminue la quan-
tité totale de la bile et la proportion des matériaux solides qui y sont
contenus; ce fait intéressant a été établi par Nasse, il nous rend compte
des bons effets de la médication alcaline contre la polyeliolie ; cette in-
fluence du bicarbonate de soude est assez puissante pour atténuer l'ac-
tion opposée d'un régime cbolagogue, et pour ralentir l'excrétion, par la
bile, de l'eau ingérée. D'après Kôlliker et Mùller, le biclilorurede mercure
produit des effets analogues.
Quant à l'influence des nerfs sur la production de la bile, elle est peu
connue encore; à la suite de nombreuses expériences, Goldschmidt,
Haussmanu et Lissa ont reconnu que les nerfs pneumogastriques n'ont
aucune action immédiate sur la sécrétion biliaire ; d'un autre côté,Freund
et Graupe, sous la direction de Heidenhain, ont constaté que cette sécré-
tion n'est pas modifiée par la piqûre diabétique du quatrième ventricule
cbez les cochons de mer, et Davidson est arrivé à une conclusion iden-
tique. En dehors de ces faits, dont l'acquisition est toute récente, nous
ne savons rien de positif sur cette question.
Évolution et ré&orpaïoiî nfiyaloflogMiiscN. — Avant étudié dans
tous leurs détails les caractères physiques et chimiques de la bile, la source
et le mécanisme de la sécrétion, enfin les oscillations quantitatives de ce
travail physiologique, je devrais, pour me conformer à Tordre logique,
suivre maintenant la bile dans le trajet qu'elle parcourt du foie à la cavité
duodénale, après quoi je devrais aborder l'étude des usages de ce liquide
dans l'organisme ; mais le premier chef comprend tout simplement l'his-
toire de l'excrétion biliaire, et cette portion est complètement traitée dans
le remarquable article que mon savant collaborateur Luton a consacré
aux voies biliaires (voy. l'art, suivant); je n'ai pas à m'y arrêter. Quant
au second cbef, il comprend deux questions distinctes ; d'une part, le
rôle de la bile dans l'accomplissement des phénomènes de la digestion, et
20 BILE. — ÉVOLUTION LT RÉSORPTION PHYSIOLOGIQUES.
de l'absorption intestinale ; d'autre pari, le rôle de ce liquide dans l'éli-
mination des médicaments et des poisons. La première de ces questions,
inséparable de l'histoire de la digestion (voy. ce mot), ne saurait être
traitée ici : toutefois, afin de ne pas laisser sans réponse un problème
qui a donné lieu à tant de controverses, je rappellerai que les travaux de
Vurtinghauscn, Bidder et Scbmidt, ont définitivement établi et précisé le
rôle delà bile, dans la digestion et l'absorption alimentaire; étranger aux
transformations chimiques qui constituent la digestion proprement dite,
ce liquide est l'agent principal de l'absorption des graisses à la surface de
l'intestin grêle. On sait aussi que cette action de la bile n'est point indis-
pensable «à l'accomplissement régulier du processus nutritif, puisque des
chiens, porteurs de fistules biliaires permanentes, peuvent vivre pendant
des années. Cette même circonstance prouve en outre que l'on avait fort
exagéré à un autre point de vue l'importance de la bile, en la regardant
comme un agent antiseptique, dont la présence serait nécessaire pour pré-
venir la putridité du contenu de l'intestin. Tels sont les faits fondamen-
taux. On trouvera aux articles Absorption et Digestion, les nombreux dé-
tails qui se rattachent à ce sujet. Un mot maintenant du rôle de la bile
dans l'élimination des substances médicamenteuses et toxiques.
C'est aux recherches de Mosler que nous devons les quelques notions
précises que nous possédons sur ce sujet ; elles peuvent être ainsi résu-
mées : après l'injection dans le sang d'une quantité notable d'eau, la bile
se charge d'une certaine proportion d'albumine. L'abaissement de la den-
sité du sang, et, par suite, les modifications dans la diffusibilité de l'albu-
mine , rendent compte de ce phénomène intéressant. Lorsque le sang
renferme une proportion considérable de sucre de raisin, cette substance
apparaît dans la bile, mais elle se montre toujours beaucenp plus tôt dans
l'urine ; le sucre de canne passe plus facilement que le sucre de raisin
dans le produit delà sécrétion hépatique. L'iodure de potassium, les sels
de cuivre, absorbés même en petite quantité, sont retrouvés dans la bile ;
en revanche, le nitrate de potasse, la quinine, le calomel n'y apparaissent
jamais. En ce qui concerne le calomel, ces résultats négatifs sont d'autant
plus remarquables qu'en thérapeutique le calomel est regardé comme un
puissant excitant de la sécrétion biliaire. On peut rapprocher de ce fait
l'observation de Scott qui, chez des chiens porteurs de fistules biliaires, a
vu la sécrétion de la bile diminuer après l'ingestion du calomel. L'acide
benzoïque ne passe pas non plus dans la bile, et Mosler s'est assuré qu'il
ne s'y montre pas sous forme d'acide hippurique.
11 résulte enfin des expériences de Chrzonszczewsky, que les diverses
matières colorantes ne sont pas toutes également éliminées par la bile.
Une solution de carminate d'ammoniaque étant injectée dans la veine ju-
gulaire, on ne retrouve pas de matière colorante dans la bile, même
après la ligature des deux artères rénales ; le bleu de Berlin, le bleu d'a-
niline ne passent pas davantage. La fuchsine, l'indigo sulfate de soude, et
l'indigo carmin du commerce sont éliminés à la fois par le foie et par les
reins. Lorsqu'on injecte dans les veines une solution aqueuse de rouge
B1LM — ÉVOLUTION LT RKS0RPTI03 PHYSIOLOGIQUES. 21
d'aniline, additionnée d'une petite quantité d'alcool, les animaux meurent
très-rapidement; mais si la solution est ingérée dans l'estomac, ils survi-
vent deux ou trois heures, et une demi-heure après l'ingestion, la matière
colorante apparaît dans la hile et dans l'urine.
Suivant la bile dans son évolution physiologique, je dois examiner la
destination ultérieure de ce liquide qui est versé en si grande abondance
dans l'intestin. Passe-t-il dans les matières fécales? Est-il résorbé totale-
ment ou en partie? S'il est résorbé, sous quelle forme l'est-il? Quelle est
la portée de cette résorption dans le processus nutritif normal? Telles
sont les diverses questions afférentes à ce sujet.
Mulder avait avancé que la totalité de la bile versée dans l'intestin,
passe dans les matières fécales; Frerichs, que ses recherches ont conduit
plus près de la vérité, admet, dans son remarquable travail sur la diges-
tion, que la plus grande partie de ce liquide est excrétée avec les fèces, après
avoir subi diverses modifications dans son trajet intra-intestinal. Même
sous cette lorme atténuée, cette proposition n'est plus acceptable aujour-
d'hui ; ce n'est qu'une très-petite portion de la bile qui est évacuée avec
les matières intestinales. Quelques chiffres empruntés à Bidder et Schmidt
donneront une juste idée de cette proportion : un chien fut nourri pen-
dant cinq jours avec de la viande; les matières fécales excrétées durant
cette période furent réunies et analysées; on y trouva 4 grammes d'élé-
ments biliaires;or, d'après le chiffre de la sécrétion normale chez le chien,
il avait dû en arriver dans l'intestin 59gr,52 ; d'un autre coté, les fèces,
quoique mêlées à l'urine, ne contenaient que 0gr,384 de soufre, tandis que
ces 39gr,52 d'éléments biliaires solides représentent 2, .17 de cette der-
nière substance. Les expériences plus récentes du professeur lloppe-Seyler
(de Tubinguc) ont donné des résultats analogues. 11 ne reste donc pas de
doute sur cette première proposition : une certaine quantité de bile est
excrétée avec les matières fécales, mais celte partie ne représente qu'une
très-faible proportion (1/5-1/9) de la quantité totale qui est versée à la sur-
face de l'intestin. De là cette autre proposition, corollaire légitime de la
précédente : la plus grande partie de la bile produite disparaît dans l'in-
testin, elle repasse dans le sang.
Une objection doit ici être prévenue : on pourrait dire que la dispari-
tion de la bile dans l'intestin n'implique point nécessairement sa résorp-
tion dans le sang, et que si l'on ne retrouve pas dans les matières fécales
une proportion suffisante d'éléments biliaires, c'est que ceux-ci ont été
tellement transformés dans leur migration intestinale qu'ils ne sont plus
reconnaissables à l'analyse. Cette objection, qui repose d'ailleurs sur une
pure hypothèse, trouve sa réfutation dans les expériences de lloppe-
Seyler. Ce savant a constaté que les excréments de la vache contiennent
de l'acide glycocholiquc non altéré ; il devient donc très-difficile d'ad-
mettre qu'une partie de cet acide arrive intacte dans les matières fé-
cales, tandis que le reste est tellement transformé que les produits de
métamorphose ne sont plus reconnaissables. Je le répète, la résorption
physiologique de la bile dans l'intestin est un fait contre lequel ne s'élève
22 BILE. ÉVOLUTION ET résorption, physiologiques.
aucune objection sérieuse; en nous occupant dans un instant de l'in-
fluence de cette résorption sur le processus nutritif normal, nous en
trouverons une démonstration indirecte mais positive. Quant à la pro-
portion de bile, qui repasse ainsi dans le sang, elle peut être évaluée au
bas mot aux quatre cinquièmes de la production totale.
Avant d'examiner sous quelle forme la bile est résorbée, indiquons ra-
pidement, pour n'avoir pas à y revenir, quels sont les éléments biliaires
qu'on retrouve dans les matières fécales : ce sont principalement l'acide
glycocholique et l'acide cholalique, lesquels résultent évidemment de la
dissociation des sels copules biliaires. Hoppe-Seyler a parfaitement établi
que la décomposition porte surtout sur l'acide taurocholique, tandis que
l'acide glycocholique, beaucoup plus tenace, passe souvent intact dans
les selles. Celles-ci contiennent en outre (chez le chien) des pigments bi-
liaires et de la cholestérine. Frerichs avait signalé également la présence
de l'acide choloïdique et de la dyslysine; ces substances n'ont pas été
retrouvées par Hoppe-Seyler.
D'après Flint, ce n'est pas à l'état de cholestérine que cette substance
arriverait dans les matières fécales; elle serait transformée en un corps
qui présente tous les caractères de la séroline, et auquel le physiologiste
américain a donné le nom de stercorine. Lorsque le processus digestif n'a
pas lieu, alors c'est de la cholestérine qui apparaît dans les fèces, et non
plus de la stercorine. Aussi trouve-t-on toujours de la cholestérine dans
le méconium et dans les excréments des animaux hibernants. Selon le
même observateur, les fèces décolorées des malades atteints d'ictère simple
ne renferment pas non plus de stercorine.
Le mode de la résorption physiologique de la bile présente encore bien
des obscurités; il est un point toutefois qui est parfaitement élucidé, et
c'est, à vrai dire, le point fondamental, celui qui présente le plus d'impor-
tance pour l'étude pathologique de l'ictère. Les acides biliaires caracté-
ristiques ne passent pas en nature dans le sang; ils sont décomposés
complètement, et cette décomposition a déjà lieu vraisemblablement dès
le début de l'absorption, car on ne retrouve aucune trace de ces acides ni
dans les veines intestinales, ni dans la veine porte, ni dans les vaisseaux
chylifères. On n'en constate pas davantage la présence dans le sang de la
circulation générale ; en revanche, on rencontre dans certains tissus
des éléments qui peuvent être considérés comme les résidus de cette dé-
composition : la taurine, par exemple, dans les poumons et dans les
reins (Clôtta). L'apparition de l'acide hippurique dans l'urine, après
absorption de l'acide benzoïque, révèle encore ce travail de décomposi-
tion; car c'est en ce combinant avec la glycine résultant de la dissocia-
tion de l'acide glycocholique que l'acide benzoïque se transforme en acide
hippurique (Wôliler, Frerichs, Kùhne, Hallwachs). Quant cà l'acide cho-
iique provenant de la dissociation des acides copules glyco et taurocho-
liques, il est probable qu'il reste uni à la soude et se transforme ulté-
rieurement en carbonate de cette base (Kùhne). Au résumé, les sels
caractéristiques de la bile au moment de leur arrivée dans le sang sont
BILE. — de l'action tathogénique dp; la bile. 23
immédiatement décomposés; on n'en retrouve aucune trace dans le li-
quide en circulation. Cette décomposition rapide, qui fait disparaître les
acides biliaires à mesure qu'ils arrivent dans le sang, est d'ailleurs un
lait constant. Dans l'ictère par oblitération des voies cbolédoques, la ré-
sorption des éléments de la bile est bien autrement active qu'à l'état nor-
mal, et cependant la quantité d'acides biliaires, déceléc par l'analyse du
sang, est si peu considérable relativement à l'absorption totale, qu'il faut
admettre encore ici la décomposition presque immédiate de ces acides
soit dans le sang, soit dans l'intimité des tissus. Ce fait si intéressant pour
l'histoire de l'ictère a été vu par plusieurs expérimentateurs, et il a été
positivement établi parles recherches nouvelles de Huppeit (1864) sur ce
point spécial.
Dans la résorption physiologique de la bile, une certaine quantité de
matière colorante repasse dans le sang, mais il est évident qu'elle est aussi
immédiatement transformée, car s'il en était autrement, nous serions tous
ictériques. Enfin les éléments minéraux, principalement l'eau, le chlo-
rure de sodium, le phosphate de chaux, le fer, le soufre, la soude, le
phosphate et le lactate de soude, sont résorbés en nature (Bidder et
Schmidl); il en est de même du mucus redissous dans l'intestin, et des
graisses biliaires (Ludwig).
Les matériaux de la bile résorbés dans l'intestin, constituent pour l'or-
ganisme un appoint nécessaire à l'intégrité du processus nutritif. Lors-
qu'au moyen d'une fistule biliaire on supprime cet apport, l'entretien de
l'animal (chien, lapin) ne reste en équilibre que si Ton a soin de com-
penser par un excès d'aliments la spoliation qu'on lui fait subir ; dans ce
cas, la survie peut durer des mois et des années sans perte notable de
poids. Si, au contraire, l'alimentation est la même avant et après l'opé-
ration, l'animal ne tarde pas à présenter peu à peu tous les signes d'une
réparation insuffisante, et cette inanition relative est la cause de la mort.
Ces expériences si ingénieuses ont été faites d'abord par Bidder, Schmidt
et Schellbach, et répétées avec des résultats identiques par Arnold, Kol-
liker et II. Mùller.
Me l'action putliogëiiiqtse «le la bile. — Durant des siècles,
cette question fut tenue pour l'une des plus importantes et des plus consi-
dérables qu'on puisse se proposer; c'était alors les beaux jours de l'hu-
morisme; la bile et l'atrabilc régnaient en physiologie, et les altérations
de ces humeurs étaient la cause directe, antécédente, selon le langage de
Galicn, d'une foule de maladies; à la putridité de la bile était due îa
fièvre tierce, la putrescence de l'atrabile engendrait la fièvre quarte, c'est
encore la bile qui était coupable de l'érysipèle, sans parler île la caco-
chymie mélancolique qui venait heureusement brocher sur le tout. Sin-
gulières assertions! L'hypothèse en était la base, une adroite pétition
de principe servait de démonstration; voici l'artifice : théoriquement
et a priori, on attribue certains effets à la bile ou à l'atrabilc, puis,
lorsqu'on observe ces effets chez un malade, on en conclut l'influence de
1 humeur mélancolique, de sorte que l'humeur sert de preuve aux condi-
24 BILE. — de l'action pathogénique de la eïle.
lions mélancoliques du corps, et que ces conditions servent de preuve à
l'existence de l'humeur. Laissons de côté ces rêveries d'un autre âge. Qui
croirait, à en ouïr le récit, qu'elles ont pu trouver un instant de crédit?
Et cependant elles ont pesé sur la médecine du poids écrasant d'une do-
mination vingt fois séculaire. Etrange égarement de l'esprit de système^
tristes résultats d'une aveugle crédulité!
En fait, cette question de l'influence patliogénique de la bile est des
plus simples à résoudre, et pour quiconque sait rapporter les phénomènes
à leur véritable cause, elle a perdu toute son importance. Rien de plus
facile à établir. Les modifications quantitatives et les altérations qualita-
tives de la bile, ont été tour à tour invoquées comme les causes efficaces
de désordres plus ou moins graves. Mais, à regarder la chose de près,
cela n'est pas admissible; il en est de ces altérations de la bile comme
des altérations humorales en général, elles ne sont jamais spontanées.
Elles sont le résultat d'une perturbation antérieure dans les organes de la
sécrétion, parmi lesquels il faut compter non-seulement le foie, mais
aussi le sang qui apporte à la glande les matériaux à élaborer. Lors donc
que ces altérations de la bile sont accompagnées de phénomènes mor-
bides, il ne peut y avoir là qu'une coïncidence, et non point une relation
de causalité ; l'altération de la bile et les phénomènes morbides sont tous
deux les effets contemporains d'une cause, qui, directement ou indirec-
tement, a troublé le processus cholépoïétique. Ainsi, dans la polychoiie,
ce qui constitue l'état morbide, ce qui est important à considérer, ce
n'est point l'augmentation de la quantité de bile produite, c'est l'état du
foie (irritation sécrétoire, hypercrinie) ou l'état des fonctions digestives,
d'où résulte cette augmentation de sécrétion. Celle-ci, au contraire,
tombe-t-elle au-dessous du niveau normal, sans cependant cesser com-
plètement, cette condition n'est rien par elle-même, elle n'a d'importance
que comme signe de désordres plus ou moins profonds dans l'organe
sécréteur. Même remarque pour l'acholie complète ; que se passe-t-il
alors? Pour une raison quelconque le foie ne fabrique plus de bile; ce
n'est donc pas la bile qui est la cause des phénomènes si graves observés
alors, et comment en serait-elle la cause, puisqu'elle n'existe pas; ces
phénomènes résultent de la rétention et de raccumulation dans le sang
des matériaux qui auraient dû servir à la sécrétion biliaire ; l'arrêt de la
fonction du foie et l'altération du sang peuvent être ici légitimement mis
en cause, mais quant à une influence patliogénique de la bile, il n'en
saurait être question. Le même raisonnement est applicable, avec la
même justesse, à l'interprétation des altérations qualitatives, peu con-
nues, d'ailleurs, que la bile présente dans un certain nombre de mala-
dies graves, telles que le typhus, la fièvre jaune, le choléra, etc. Au ré-
sumé, la bile n'a d'influence pathologique réelle que dans les circonstances
suivantes : lorsqu'au lieu d'être résorbée dans ses éléments dissociés à la
surface de l'intestin, comme à l'état normal, elle est résorbée en nature
dans le foie ou dans l'appareil excréteur, elle produit directement une
coloration spéciale des téguments (ictère) et un ralentissement plus ou
BILE. DE L'ACTION PATHOGÉiNIQUE DE LA BILE. 25
moins marqué du pouls, lequel est dû à l'action exercée sur le cœur par-
les sels biliaires, qui arrivent dans le sang en trop grande quantité à la
l'ois pour pouvoir être immédiatement et totalement décomposés.
Lorsque la bile produite par le foie ne peut plus arriver dans l'intestin,
et que cette condition persiste pendant un certain temps, il en résulte,
comme nous l'avons vu, un déficit notable dans l'apport nutritif; si cette
perte n'est pas compensée, l'amaigrissement, et tous les signes d'une ina-
nition relative, peuvent apparaître. Mais nous avons vu aussi qu'il suffit
d'élever l'alimentation dans une proportion convenable pour éviter ces
conséquences fâcheuses, la digestion étant supposée normale. Enfin,
lorsque pour une raison quelconque, la proportion d'eau diminue dans la
bile, ou, d'une manière plus générale, lorsque la bile est épaisse et vis-
queuse, la formation des calculs biliaires est certainement favorisée;
mais cette circonstance ne suffit point à elle seule pour en déterminer la
production (voy. dans l'article suivant le chapitre consacré aux calculs
biliaires).
En dehors de ces diverses catégories de faits, il n'y a rien de positif,
rien de démontré quant à l'action pathogénique de la bile. Nous voilà
bien loin de l'omnipotence (pie les anciens se plaisaient à assigner à cette
humeur.
La rénovation n'est pas moins complète en ce qui touche l'action toxique
■ de ce liquide. Les principes colorants de la bile peuvent être d'emblée
éliminés; leur innocuité complète, journellement démontrée par l'ictère
simple, l'a été dès longtemps par l'expérimentation ; il nie suffira de rap-
peler à ce sujet les remarquables expériences de notre savant professeur
Monneret. Restent les sels caractéristiques, giycocholate et taurocholate
de soude. Deux ordres de phénomènes suivent l'injection artificielle de
ces sels, unis ou isolés, dans le sang. Le plus constant, c'est le ralentisse-
ment des battements du cœur (chez le lapin, une injection suffisamment
concentrée peut amener la mort par arrêt complet et définitif de l'organe).
Les expériences de Landois sur les grenouilles, les recherches plus com-
plètes de Rôhrig, sur des lapins et des chiens, ont parfaitement établi ce
fait. Ce dernier observateur essayant successivement la glycine, la taurine
et l'acide cholique, a constaté que cette dernière substance est seule effi-
cace sous ce rapport, et que l'influence moins marquée du glyco et du
taurocholate de soude est entièrement due à l'acide cholique qu'ils
contiennent. Rôhrig a démontré, en outre, que cette action des sels bi-
liaires sur le cœur persiste après la section des nerfs pneumogastriques,
fait intéressant qui ne permet pas de rapprocher l'action de ces sels de
celle de la digitale, car cette dernière n'agit plus sur le cœur après la
section des nerfs vagues.
L'autre effet des sels biliaires porte sur les éléments du sang ; nous en
devons la connaissance aux expériences de von Dusch, lesquelles ont
démontré l'influence dissolvante du giycocholate, du taurocholate de soude
et de l'acide cholique seul sur les globules rouges. Après l'injection
de ces substances dans le sang, on voit survenir des urines sanguino-
26 BILE. DIAGNOSTIC DE LA MATIÈRE COLORANTE.
lentes, parfois des infiltrations hémorrhagiques, phénomènes dus à la
dissolution de i'hératine. Les recherches ultérieures de Frerichs, Kùhne
Neukomm, tout en confirmant ces résultats, ont montré en outre qu'ils
peuvent manquer, de sorte que, selon la juste remarque de Huppert,
l'hématurie, comme l'apparition du pigment biliaire dans l'urine, après
l'injection artificielle des sels de la bile, pourrait bien tenir à des circon-
stances accessoires plutôt qu'à cette injection même; ainsi la concen-
tration du liquide injecté a une importance capitale qui prime même celle
de la dose. Huppert injecte chez des lapins quelques centimètres cubes de
glycérine de consistance sirupeuse; la dissolution des globules rouges a
lieu, l'urine devient sanglante; il injecte la même quantité de glycérine
diluée avec de l'eau, l'hématurie n'a plus lieu.
A cela se borne l'action toxique des sels biliaires ; de ces deux ordres
d'effets, le premier est seul constant, c'est le ralentissement parétique du
cœur; l'influence dissolvante de ces substances sur les globules rouges est
réelle, mais elle a été certainement exagérée. Enfin ces sels ne produisent
ni accidents cérébraux ou nerveux, ni phénomènes adynamiques. Ainsi est
jugée par l'expérimentation la théorie qui attribue les accidents formida-
bles de l'ictère hémorrhagique et de l'atrophie aiguë du foie à la présence
dans le sang d'une quantité anormale de sels biliaires; sans compter
que l'existence de ces sels dans le sang, en pareille circonstance, n'est
rien moins que constante.
RÉACTIFS DE LA BILE.
Diagnostic de la matière colorante. — Le diagnostic de l'exis-
tence de la bile dans les liquides de l'organisme (urine, sérum du
sang, etc.) présente deux parties bien distinctes; selon qu'il s'agit sim-
plement de la matière colorante ou bien au contraire des sels biliaires.
Autant la première constatation est facile et rapide, autant la seconde
est compliquée et délicate ; il importe cependant que le clinicien soit fa-
miliarisé avec cette opération, je l'exposerai donc avec assez de détails
pour que la pratique n'offre aucune difficulté.
Deux mots d'abord de la matière colorante (cholépyrrhine, biliphéine).
L'acide nitrique contenant une petite proportion d'acide nitreux(par suite
de l'action de la lumière) en est le réactif le plus ordinaire. On verse le
liquide à essayer, l'urine par exemple, dans un verre à pied, puis quand
le repos est complet, on ajoute goutte par goutte un peu d'acide ; il faut
faire en sorte que les gouttes coulent le long de la paroi du verre, il faut
en outre éviter toute secousse, toute agitation. Si le liquide examiné
contient de la cholépyrrhine, il se forme dans le fond du verre et prin-
cipalement au niveau du contact des deux liqueurs une zone verte, qui
passe successivement par le bleu, le violet et le rouge, pour aboutir au
jaune. Malgré sa sensibilité, cette réaction peut cependant induire en
erreur; si la quantité de cholépyrrhine, contenue dans le liquide suspect,
est extrêmement faible, elle peut n'être pas décelée par le procédé précé-
BILE. DIAGNOSTIC DE LA MATIÈRE COLORANTE. 27
dent; tant qu'on n'a employé que celui-là, on n'est donc pas en droit
d'affirmer l'absence du pigment biliaire, il faut recourir alors à l'un des
procédés suivants :
Procédé de Neubaaer. — Au lieu d'acide nitrique, on emploie un mé-
lange à parties égales d'acide nitrique et d'acide sulfurique.
Procédé de Bruche. — On n'ajoute au liquide que quelques gouttes
d'acide azotique, de manière à lui donner une coloration verte ; puis on
fait tomber le long de la paroi du vase vingt à trente gouttes d'acide
sulfurique concentré ; celui-ci tombe tout à fait au fond, sans se mêler
au liquide, et la réaction se produit.
Procédé de Kiïline. — On verse dans un verre à expérience de l'acide
nitrique contenant de l'acide nitreux, de manière que cet acide forme
au fond du verre une couche haute de quelques centimètres ; puis
avec une pipette on fait arriver à la surface de l'acide une certaine quan-
tité du liquide à examiner ; s'il contient de la cholépyrrhine le jeu des
couleurs se manifeste d'abord, au contact des deux liqueurs, par un
anneau d'un beau vert ; cette coloration gagne peu à peu de bas en haut,
en même temps la zone inférieure de l'anneau tourne au bleu, au violet
et enfin au jaune.
Procédé de Relier. — Ce procédé, qui m'a été montré à Tienne par le
savant professeur Heller, donne des résultats très-nets. On ajoute au
liquide une petite quantité d'albumine liquide, et l'on agite avec soin
pour obtenir un mélange intime; cela fait, on verse une petite quantité
de cette liqueur, rendue albumineuse, sur une assiette de porcelaine, et l'on
ajoute quelques gouttes d'acide nitrique ; l'albumine se coagule en
entraînant une partie de la cholépyrrhine et les flocons solidifiés tran-
chent nettement par leur coloration verte sur le fond blanc de l'assiette.
Il va sans dire que si le liquide est par lui-même albuniincux (urine
pathologique, sérum du sang), la première partie de l'opération devient
inutile.
Procédé par le chloroforme. — Le chloroforme dissout la cholépyrrhine
en prenant une coloration d'un beau jaune; ce fait bien connu depuis les
travaux de Ihùckc, Valcntiner et Funke sur le pigment biliaire, a servi
de point de départ au procédé suivant, qui est le plus sensible de tous.
On épuise le liquide à examiner avec du chloroforme en quantité suffi-
sante, pour que la dernière portion ajoutée reste incolore ; c'est l'indice que
toute la cholépyrrbine contenue dans le liquide a passé dans le chloro-
forme ; alors la liqueur présente deux zones ; l'inférieure est formée par
le chloroforme, coloré en jaune par le pigment biliaire ; la supérieure
c'est le liquide primitif privé de cholépyrrhine; on décante cette partie
supérieure de manière à ne conserver que le chloroforme, et on le
recouvre d'une légère couche d'acide nitrique, contenant un peu d'acide
nitreux; le jeu des couleurs se produit alors de haut en bas, de la
manière la plus brillante, même avec de très-petites quantités de
cholépyrrhine. Avant d'ajouter l'acide on peut mettre de côté une partie
de la solution chloroformique, la laisser évaporer à l'air, et examiner le
28 BILE. DIAGNOSTIC DES SELS BILIAIRES. ANALYSE QUALITATIVE.
résidu au microscope ; on y trouvera quelques cristaux d'un rouge jaunâtre;
c'est la cholépyrrhine (Valentiner) .
Je rappelle, à ce propos, que le chloroforme ne dissout que la cholépyr-
rhine; si le liquide contient aussi de la biliverdine, ce qui est l'ordinaire,
elle reste dans la liqueur; c'est pour cela que l'urine ictérique convena-
blement privée de cholépyrrhine par le chloroforme, donne encore, avec
l'acide nitrique, la coloration verte caractéristique : je ne sais si ce fait a
déjà été signalé, mais je l'ai constaté plusieurs fois.
Lorsqu'on veut appliquer à l'urine ictérique le procédé par le chloro-
forme, il importe de faire couler lentement le chloroforme le long de la
paroi du verre qui contient l'urine; on voit alors le chloroforme traverser
de haut en bas l'épaisseur de l'urine, et lorsqu'il arrive au fond du vase,
il est coloré en jaune; la cholépyrrhine est totalement épuisée lorsque la
dernière portion versée reste incolore. Il faut avoir soin également de ne
pas agiter le mélange d'urine et de chloroforme, sinon il se produit une
sorte d'émulsion jaunâtre due à la précipitation des matières albumi-
noides ; la séparation des deux liquides est alors beaucoup plus lente, et
les résultats offrent beaucoup moins de netteté. De là le conseil pratique
précédent; il résulte d'observations que j'ai maintes fois répétées.
Toutes les fois que l'on procède à la recherche du pigment biliaire au
moyen de l'acide nitrique, il faut se mettre en garde contre une cause
d'erreur qui a été récemment signalée par Huppert. Lorsqu'on verse de
l'aîcool pur avec précaution sur de l'acide nitrique, il se produit un jeu
de couleurs analogue à celui qui résulte de la présence des matières colo-
rantes de la bile. Il faut donc, sous peine d'erreur, que le liquide examiné
ne contienne pas d'alcool, et conséquemment, toutes les expériences faites
avec les extraits alcooliques des substances sont sans valeur aucune.
Dans l'exposé précédent j'ai indiqué la transformation successive des
couleurs comme la réaction ordinaire de la cholépyrrhine; il importe
d'ajouter que l'on n'obtient pas toujours la série complète ; une ou plu-
sieurs de ces colorations peuvent manquer sans que les conclusions de
l'expérience soient par là modifiées ; le violet et le vert sont les couleurs
qui persistent le plus longtemps, et cette coloration verte qui apparaît
la première est, à vrai dire, la seule qui caractérise exclusivement la
cholépyrrhine, car, selon la remarque de Neubauer, les teintes rouges
et violettes peuvent être aussi produites par l'uroxanthine (indican), et
les produits de sa métamorphose. Notons enfin que si l'acide nitrique
contient trop d'acide nitreux, la réaction est tumultueuse et les couleurs
sont rapidement détruites.
Voyons maintenant comment l'on décèle la présence des sels bi-
liaires.
Diagsiosfic dew sels ijIUatres». — Analyse <inaïâiati%re. —
L'opération diffère selon qu'il s'agit de constater simplement la présence
des sels biliaires dans un liquide, ou de les isoler, pour en apprécier la
quantité. La première est celle qui offre le plus d'intérêt au point de vue
clinique, c'est celle-là que j'exposerai d'abord; cette analyse, purement
CILE. ANALYSE QUANTITATIVE. 29
qualitative, se fait par la méthode de Pettenkofer, à laquelle se rattachent
plusieurs procédés ; celui de Neukomm est le plus usité.
Méthode de Pettenkofer. — Procédé de Neukomm. — On évapore au bain-
marie une certaine quantité du liquide à examiner, soit de 1 urine; cette
évaporation est prolongée presque jusqu'à siccité, le résidu est repris par
de l'alcool ordinaire ; cette première dissolution alcoolique est de nouveau
évaporée, et le résidu extrait par l'alcool absolu. Nouvelle évaporation
pour chasser l'alcool : le résidu est repris par de l'eau en petite quantité,
et la solution traitée par l'acétate de plomb, qui détermine un précipité
plus ou moins abondant; après douze heures, ce précipité est réuni, lavé
et séché dans du papier à filtre. C'est ce précipité plombique qui contient
les sels biliaires. On le dissout dans l'alcool bouillant, on ajoute à la solu-
tion du carbonate de soude, et l'on évapore à siccité; le résidu qui ren-
ferme les sels biliaires unis à la soude est repris par l'alcool absolu; après
l'évaporation de celui-ci, on fait une solution aqueuse du résidu. Cette
solution doit être aussi concentrée que possible. Cela fait, on évapore la
liqueur dans une capsule de porcelaine, jusqu'à ce qu'il n'en reste plus
que quelques gouttes ; on ajoute à ce reste quelques gouttes d'acide sul-
furique bien pur, mais dilué (quatre parties d'eau pour une partie d'acide
sulfurique monohydraté), et une trace d'une solution sucrée, faite avec
une partie de sucre de canne, pour quatre parties d'eau. On porte le mé-
lange au-dessus d'une petite lampe, et l'on évapore à une douce chaleur.
La réaction apparaît nettement, alors même que le mélange ne contient
que six centièmes de milligramme d'acide cholique. Voici en quoi con-
siste cette réaction : s'il y a des sels biliaires ou de l'acide cholique, ou
l'un de ses premiers produits métamorphiques, la liqueur se trouble
d'abord, puis elle s'éclaircit et devient jaune, et passant successivement
par le rouge cerise et le rouge carmin, se fixe à une belle teinte de pourpre
violet; c'est cette dernière teinte qui seule est caractéristique; on ne peut
pas conclure si la liqueur reste au rouge.
Comme on le voit, l'opération, bien que délicate, ne présente aucune
difficulté réelle.
Analyse quantitative. — Les méthodes d'analyse quantitative sont
au nombre de trois principales : la première n'est autre que la méthode
de Neukomm, exposée ci-dessus; une fois obtenue la solution de cholate
de soude, on en évalue le poids, et l'on déduit la quantité d'acide cholique
contenue dans la liqueur. Cette méthode est assez exacte, si l'on a soin,
selon le conseil de Huppert, de n'ajouter que la quantité d'acétate de
plomb strictement nécessaire pour la précipitation des sels biliaires; avec
cette précaution (inutile pour l'analyse qualitative), la perte totale ne
dépasse guère cinq pour 100; elle augmente comme l'excès d'acétate
plombique. Les deux autres méthodes sont ducs à Hoppe et à Huppert.
Méthode de Hoppe. — Il faut avoir à sa disposition une grande quan-
tité de liquide; l'auteur agissait sur trente litres d'urine ictérique. L'urine
est précipitée avec du lait de chaux, puis filtrée; le liquide filtré est éva-
poré, et le résidu repris par l'acide chlorhydriquc; on porte à l'ébullition,
50 BILE. ANALYSE QUANTITATIVE.
on laisse digérer au bain -marie en ajoutant de l'eau, puis on laisse re-
froidir, on filtre et on lave le résidu aussi longtemps que le liquide filtré
reste coloré. On fait bouillir avec de l'alcool, on filtre et l'on décolore
par le charbon animal; cet extrait alcoolique ainsi décoloré, donne par
évaporation un dépôt résineux de couleur jaunâtre. Celui-ci est repris par
une très-petite quantité d'alcool absolu, et précipité par l'éther; celui-ci
étant décanté, on dissout le précipité dans une solution de carbonate de
soude, et l'on évapore a siccité ; le résidu est extrait par l'alcool absolu,
et l'on filtre. Traitée par l'acétate de baryte, la liqueur filtrée donne un
précipité floconneux abondant, qui lavé avec l'alcool, puis avec l'eau, est
décomposé enfin par l'acide chlorhydrique et l'alcool. Après évaporation
et extraction par l'eau bouillante, on obtient une substance que Hoppe
crut être d'abord de l'acide choloïdinique, et qu'il rapporte aujourd'hui à
lacide cholonique. Ce produit donne la réaction de Pettenkofer, mais elle
n'est ni aussi rapide, ni aussi nette qu'avec les sels copules contenus dans
la bile. Du reste, l'auteur recommande expressément de ne pas s'en rap-
porter à cette seule réaction, pour juger de la nature de ce produit; il
faut prendre en considération son action sur la lumière polarisée et l'en-
semble de ses propriétés. C'est en opérant de la sorte que Hoppe a pu
déceler la véritable origine de cette substance, et formuler la conclusion
suivante : « En traitant l'urine ictérique selon la méthode que je viens de
décrire, dit-il, on obtient en petite quantité une substance qui provient,
sans aucun doute, des acides biliaires, et dont la composition chimique
montre que dans l'ictère l'urine contient encore des acides biliaires
azotés. »
Quant à l'action de cette substance sur la lumière polarisée, elle a été
ainsi déterminée par Hoppe : une solution contenant dans 20cc. gr.
0,2297 d'acide, a donné dans un tube long de 200""n, pour la lumière
rouge une déviation du plan de polarisation égale à H- 1, 5 de l'échelle
du saccharimètre de Ventzke. La rotation spécifique de ce corps est donc
(a) r = -+- 50°.
Les recherches comparatives dcHuppcrt ont montré que cette méthode
si compliquée n'est cependant pas favorable à une évaluation quantitative
exacte; elle expose à des pertes considérables, et l'ébullition avec l'acide
chlorhydrique produit un mélange de composés qui obscurcissent les ré-
sultats.
Méthode de Huppert. — Huppert traite Purine à la manière de Neu-
komm, et de plus, il la dépouille des matières grasses et la précipite par
le nitrate de baryte. Le liquide filtré et l'eau de lavage du précipité bary-
tique sont précipités par l'acétate de plomb; le précipité plombique bien
lavé est ensuite traité comme dans la méthode de Neukomm. Les autres
différences portent sur les derniers temps de l'opération. La dernière so-
lution alcoolique (celle qui contient le cholate de soude) est évaporée, le
résidu dissous dans l'eau ; cette solution est filtrée dans une capsule d'un
poids connu, puis évaporée ; le résidu est desséché longuement au bain-
marie, ou dans le vide sur du sable chaud.
BILE. BIBLIOGRAPHIE. 51
Pour le sang, il laut d'abord coaguler par l'alcool les matières alhumi-
noïdes; le coagulum doit être soigneusement épuisé par de nouvelles
portions d'alcool; la liqueur est évaporée, le résidu est dissout dans
l'eau; on agite avec de l'éther pour éliminer les matières grasses; le
liquide est évaporé à siccité, le résidu redissout dans l'eau; cette solu-
tion aqueuse est neutralisée si besoin est, et on la précipite par le nitrate
de baryte, afin d'éliminer les acides gras, et les albuminoïdes qui
auraient pu rester. Aussi n'obtient-on pas toujours de précipité. Cela
fait, la liqueur est traitée comme l'urine.
Cette méthode, perfectionnement de celle de Neukomm, paraît être la
plus exacte. C'est celle qu'a employée Huppert dans ses intéressantes
recherches sur iesort des acides biliaires dans l'ictère.
Les dernières méthodes que je viens de passer en revue sont diffici-
lement conciliables avec les exigences de la clinique médicale ; mais
l'analyse qualitative plus simple, mérite d'être vulgarisée; caries lon-
gueurs de l'expérience sont largement compensées par l'intérêt qui se
rattache, dans certains cas, à la notion de la présence des sels biliaires
dans l'urine, et partant dans le sang. Si l'étude précédente avait pour
résultat de généraliser parmi nous ce genre de recherches, je croirais
avoir rendu par là un véritable service.
L'index suivant ne comprend pis toute la bibliographie de la bile, il renferme seulement l'in-
dication des travaux cités dans cet article; conséquemment les indications sont données dans
l'ordre même des citations.
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Consultez en outre les Traités de physiologie de Longet et de Beclard, et le grand travail de
Bouisson, De la Bile. Montpellier, 1843.
Jaccold.
BIJLïAIItES (voles). — Le foie, en sa qualité de glande parfaite,
est pourvu d'un appareil d'excrétion des plus complets. Cet appareil, dé-
signé habituellement sous le nom collectif de voies biliaires, est distinct
de la glande elle-même ; et, comme les voies urinaires auxquelles les
hommes les plus célèbres, J. L. Petit, Morgagni et Bordeu, entre autres,
se sont complus à les comparer, elles peuvent, sous le triple rapport ana-
tomique, physiologique et pathologique, donner lieu à une histoire tout à
fait séparée.
I. ANATOMIE ET PHYSIOLOGIE.
AimtoniSc. — Les voies biliaires, chez l'homme, se composent d'un
système de canaux qui, nés par des racines innombrables dans l'épaisseur
du parenchyme hépatique, vont, d'autre part, par convergence succes-
sive, aboutir à un canal unique et déboucher, par son intermédiaire, dans
le premier segment de l'intestin grêle. Sur la partie latérale droite de ce
conduit, on observe une sorte de diverticulum, d'abord canaliculé, puis
renflé en ampoule pyriforme, dans lequel la bile s'accumule et séjourne
pendant l'intervalle des digestions. La portion des voies biliaires encore
contenue dans le foie constitue les conduits biliaires; le canal unique
auquel ceux-ci donnent naissance s'appelle canal hépatique jusqu'au ni-
veau de l'insertion du diverticulum latéral, et canal cholédoque dans le
reste de son étendue. Quant au diverticulum lui-même, il se compose du
canal cystique et de la vésicule du fiel. Chacune de ces sections demande
quelques détails anatomiques.
1° Conduits biliaires. — La connaissance des rapports exacts qu'offrent
les radicules biliaires avec l'élément sécréteur du foie importe plus à la
structure du lobule hépatique lui-même qu'à notre sujet (voy. Foie),
Il nous suffit de savoir que de chaque lobule émergent environ dix
ou douze canalicules qui se réunissent bientôt avec ceux qui sont à
leur proximité et avec ceux des lobules voisins. En plongeant dans les
espaces interlobulaires, ils se grossissent peu à peu des conduits qu'ils
recueillent sur leur passage; et, lorsqu'ils ont fini par constituer des ca-
naux d'un calibre assez notable, on les voit cheminer dans l'épaisseur de
la capsule de Glisson, accolés aux ramifications correspondantes de l'ar-
tère hépatique et s'appuyant avec celles-ci sur les divisions de la veine
porte qui s'en distinguent par leur volume beaucoup plus considérable.
Tous ces conduits aboutissent, en définitive, à deux troncs principaux qui
se réunissent ensuite à un angle aigu et forment le canal hépatique par leur
jonction. Ces deux troncs apparaissent dans le fond du sillon transverse
du foie, où ils sont recouverts par le sinus de la veine porte et par 1
branches provenant de la bifurcation de l'artère hépatique. La racine
NOUV. D1CT. MÉD. ET CUIR. V. — O
es
54 BILIAIRES (voies). — anatomie.
gauche du canal hépatique est ordinairement un peu plus longue que la
racine droite; elle reçoit plus particulièrement les radicules biliaires du
lobe gauche, du lobe carré, du lobe de Spigel et même du bile du l'oie.
La plupart des anatoinistes signalent des anastomoses nombreuses entre
les conduits biliaires ; mais tandis que le plus grand nombre, et Kôlliker
notamment, n'admettent guère ces anastomoses que vers l'origine des
conduits et dans les espaces interlobulaires où ils forment des réseaux
très-serrés, Sappey les décrit et les représente comme existant dans toute
l'étendue du foie; il reconnaît, cependant, qu'elles sont plus rares chez
l'homme (pic chez le chien, le chat, le cheval, le bœuf et surtout le cochon.
E. II. AVcber avait déjà indiqué les anastomoses qui existent entre les
deux racines du canal hépatique dans la scissure transverse du foie.
Indépendamment des conduits biliaires proprement dits, on trouve dans
certaines régions du foie un système de canaux qui n'offrent point à leur
origine de connexions avec les lobules hépatiques et qui pourtant viennent
se jeter dans les conduits biliaires véritables : ils ont été désignés, par
E. II. Weber, sous le nom àevasaaberrantia. On les rencontre particuliè-
rement dans le ligament triangulaire gauche, dans le mésentère qui réunit
le lobe Spigel au lobe droit, dans le sillon transverse et dans d'autres
parties du foie où les lobules ont été atrophiés par une circonstance
accidentelle (Sappey). Les vasa aberrantia sont évidemment de môme na-
ture que les conduits biliaires eux-mêmes : ils communiquent avec ceux-ci,
et les injections poussées dans les voies biliaires les pénètrent en même
temps; comme les conduits de la bile, ils s'anastomosent fréquemment
entre eux; enfin, ils n'ont point une structure différente.
2° Canal hépatique. — Le canal hépatique est formé par la réunion des
deux racines dans lesquelles se résument, en définitive, tous les conduits
biliaires. Prenant son origine vers l'extrémité droite du sillon transverse,
il se dirige en bas et à droite jusqu'au niveau de l'insertion du canal cys-
tique qui marque sa limite inférieure. Il offre une longueur d'environ 2 à o
centimètres; mais lorsque la réunion de ses deux racines est plus tardive,
comme cela a été vu, il est beaucoup plus court et paraît même ne pas
exister : il semble alors que le canal cholédoque ait une triple origine.
Le diamètre du canal hépatique est de quatre millimètres ; suivant
Glisson, il est de la grosseur d'une petite plume d'oie. Contenu dans
l'épaisseur de l'épiploon gastro-hépatique, il est situé en avant de la veine
porte et est côtoyé à gauche par le tronc de l'artère hépatique; il est en-
touré de nombreux ganglions lymphatiques et d'un tissu cellulaire séreux
abondant.
5° Canal cholédoque. — Le canal cholédoque est la continuation du canal
hépatique, sous le double rapport de la direction et du calibre. Nous avons
vu en effet que la ligne de démarcation entre ces deux conduits était tout
arbitraire et n'était indiquée que par l'origine du diverticulum latéral des
voies biliaires. Le canal cholédoque se dirige un peu obliquement en bas
et à droite, et d'avant en arrière, et vient aboutir d'autre part à la paroi
interne de la deuxième portion du duodénum où il s'ouvre par un orilice
BILIAIRES (voies). — anatomie. 35
qui lui est commun avec le canal pancréatique. Sa longueur est de six à
huit centimètres; son diamètre est seulement un peu supérieur à celui du
'canal hépatique et atteint quelquefois les proportions d'une grosse plume
d'oie. Le canal cholédoque offre des rapports qui varient suivant les diffé-
rents points de son trajet. Contenu d'abord dans l'épiploon gastro-hépa-
tique, il est situé en avant de la veine porte et répond au bord droit de
cette veine; l'artère hépatique, dont les rapports avec lui sont plus va-
riables, est ordinairement placée à sa gauche; dans la même direction, il
est côtoyé par l'artère gastro-épiploïque droite ; il est entouré par des
ganglions lymphatiques et par un tissu cellulaire abondant. Puis le canal
cholédoque atteint le bord supérieur de la tète du pancréas, pénètre dans
une gouttière, et quelquefois dans un canal complet, que cette glande lui
ménage, rencontre le conduit pancréatique qui répond à son côté gauche,
atteint ensuite la paroi intestinale, la traverse suivant un trajet oblique
de 15 à 16 millimètres de longueur, et vient enfin déboucher dans l'am-
poule de Vater. Cette ampoule est située sur la paroi interne de la deuxième
portion, ou portion verticale, du duodénum, au niveau de sa partie
moyenne et sur un point plus rapproché de la paroi postérieure que de
l'antérieure ; elle est distante de 14 à 15 eenliniètrcs du pylore, elle se
traduit du côté de la membrane muqueuse par un mamelon ou tubercule,
un peu incliné en bas. Souvent caché par une valvule conni vente, ce
mamelon est quelquefois difficile à découvrir et on ne peut alors le re-
connaître qu'en examinant les parties sous l'eau. 11 présente à son sommet
une fente verticale par laquelle on pénètre dans une petite cavité, déforme
ovoïde, qui reçoit les embouchures isolées du canal cholédoque et du
conduit pancréatique ; la première, située au-dessus, est la plus grande
et est séparée de la seconde par un éperon. Telle est la disposition la plus
commune; mais, dans quelques cas, on a vu le canal cholédoque s'ouvrir
directement dans l'intestin par un orifice circulaire, tandis que l'ampoule
de Vater ne recevait que l'insertion du conduit pancréatique.
4° Canal cystique. — Le canal cystique naît au niveau du point où
«'établi la continuité entre le canal hépatique et le canal cholédoque ;
il se porte de là en haut et à doite jusqu'à la vésicule du fiel qui semble
produite par son rendement ; d'abord rectiligne, il devient un peu llexucux
vers sa terminaison, et ses flexuosités semblent continuer celles du col
de la vésicule. Il offre une longueur de 2 à 5 centimètres; son calibre
est inférieur à celui du canal hépatique; Glisson le compare, pour la gros-
seur, à une plume de coq. Le conduit cystique est contenu dans Tépiploon
gastro-hépatique ; il répond à la veine porlc qui est en arrière et à l'artère
cystique qui est à sa gauche.
L'ensemble des trois conduits, cholédoque, cystique et hépatique, re-
présente assez bien, suivant la remarque de Glisson, la lettre Y.
5° Vésicule du fiel. — Le canal cystique par son extrémité supérieure
aboutit à un petit réservoir membraneux qui est la vésicule du fiel. Cet
organe est situé à la face inférieure du foie dans une fossette qui lui es*,
destinée et qui reçoit pour cette raison le nom de fossette cystique. C'est
3G BILIAIRES (voies). — akatomie.
à droite du sillon antéro-postérieur, donl elle est séparée par l'éminence
porte antérieure, et en avant du sillon transverse, qu'est placée cette fos-
sette. La vésicule y est lixée par le péritoine qui passe au-dessous d'elle ;
d'autres fois la séreuse forme à la vésicule une sorte de petit mésentère ;
celle-ci devient alors plus mobile et le canal cystique s'allonge en propor-
tion pour se prêter aux déplacements possibles du réservoir biliaire.
La vésicule du fiel représente assez bien la forme d'une poire; sa
grosse extrémité est dirigée en bas, en avant et à droite, et sa partie ré-
trécie en arrière, en haut et à gauche ; son axe par conséquent se porto
d'avant en arrière, de droite à gauche et de bas en haut. Elle a environ
8 à 10 centimètres de longueur, sur 25 à 50 millimètres dans son plus
grand diamètre. Sa capacité moyenne lui permet de contenir 50 à 40
grammes de bile.
La forme de la vésicule montre, comme régions distinctes, un corpsy
un fond et un col.
Le corps de la vésicule est en rapport, par sa face supérieure et anté-
rieure, avec la fossette cystique à laquelle elle est unie par du tissu cellu-
laire et par quelques veinules qui pénètrent dans l'épaisseur du foie; par
sa face inférieure et postérieure, avec la première portion du duodénum et
avec l'extrémité droite du côlon transverse. Ces derniers rapports peu-
vent varier, et on voit souvent la vésicule entrer en contact, soit avec la
région pylorique de l'estomac, soit avec le côlon ascendant, soit enfin
avec le rein droit. La vésicule est quelquefois fixée dans ces rapports par
des adhérences; dans les autopsies, ils sont indiqués par une teinte
verdâtre des parties qui est due à la transsudation de la bile.
Le fond de la vésicule déborde ordinairement le bord tranchant du
foie; il est recouvert entièrement par le péritoine ; il répond à la paroi
abdominale antérieure, vers le bord externe du muscle droit et à peu
près au niveau de l'extrémité antérieure de la dixième côte droite. Mais
ces rapports sont sujets à varier beaucoup, et le fond de la vésicule s'a-
baisse plus ou moins, suivant le degré de distension de ce réservoir.
Le col de la vésicule marque assez nettement la séparation entre cet
organe et le canal cystique. Il est remarquable par sa direction sinueuse
et par la disposition spiroïde des deux courbures de l'S, l'une par rapport
à l'autre; ces sinuosités sont maintenues par des replis du péritoine. La
longueur totale du col est de 15 à 18 millimètres et son diamètre le plus
étendu de 8 millimètres environ. Il répond, en avant, à l'extrémité droite
du sillon transverse, et, en arrière, soit à la première portion du duodé-
num, soit au pylore.
La structure des voies biliaires rappelle celle de tous les canaux mem-
braneux: c'est-à-dire qu'on peut y distinguer trois tuniques principales :
une tunique interne de la nature des membranes muqueuses, une tuni-
que moyenne, ou tunique propre, qui est cellulo-musculaire, et une tu-
nique externe formée par du tissu conjonctif pur. Ces divers éléments se
modifient un peu suivant les diverses sections des voies biliaires où on les
examine.
BILIAIRES (voies). — anatomie. 57
La membrane interne, ou muqueuse, offre à peu près les mêmes carac-
tères dans les différents conduits. Elle est ordinairement colorée en jaune
parla bile; sa surface interne paraît comme criblée par une multitude
de petites dépressions- qui correspondent à l'ouverture des glandes mu-
cipares. Dans le canal cystique et seulement vers sa partie supérieure,
la surface muqueuse présente de petits replis valvulaires, au nombre
de trois ou quatre principaux, qui continuent le repli spiral du col de
la vésicule. Dans la vésicule, la muqueuse a une disposition toute par-
ticulière ; elle est hérissée de petits plis entre-croisés dans tous les sens et
lui donnant un aspect réticulé qui ressemble à celui du bonnet chez les
ruminants. Ces plis ont un aspect villeux qui permet de les rapprocher des
villosités lamelliformes de l'intestin grêle; ils sont très-vasculaires. Sui-
vant Huschke, les espaces limités par les plis réticulés reproduiraient la
disposition des glandes muqueuses agrégées comme les amygdales, par
exemple ; tandis que Sappey leur donne pour fonction d'exercer une ab-
sorption énergique sur la bile contenue dans la vésicule.
La muqueuse des voies biliaires est abondamment pourvue de petites
glandes en grappes. On peut en juger par les figures remarquables que
Sappey en a données. Ricss, qui les a étudiées tout récemment, les a trou-
vées plus nombreuses dans les canaux hépatiques du sillon transverse ;
elles diminuent à mesure qu'on approche du parenchyme du foie; elles
. sont plus rares et moins développées dans la vésicule du liel et dans les
conduits excréteurs définitifs. L'épithélium de cette muquese est cylin-
drique, comme dans l'intestin ; il devient pavimenteux dans les canaux
qui ont moins de 0n,m,09 à 0,U'",11 (Kolliker).
La tunique moyenne des voies biliaires est constituée par du tissu fibro-
conjonctif, dans lequel existent des libres-cellules musculaires. En géné-
ral, ces libres musculaires sont peu abondantes, surtout dans le canal hépa-
tique, dans le canal cystique et dans le canal cholédoque. Dans la vésicule,
il y a une mince couche musculeuse dont les fibres offrent une double di-
rection, en long et en travers. L'état pathologique peut singulièrement
développer cette structure musculaire, qui est quelquefois très-incertaine
chez l'homme à l'état normal.
Enfin la tunique externe est de nature purement celluleusc et renferme
de nombreuses fibres élastiques fines. C'est à cette tunique que se rédui-
sent les conduits biliaires qui n'ont pas au moins 0"'m,22 de diamètre. Sur
la vésicule du fiel, elle est en grande partie doublée par une enveloppe
péritonéale.
Les artères des voies biliaires sont fournies, soit par l'artère hépatique
elle-même, soit par l'artère cystique qui se rend particulièrement à la vé-
sicule. Les veines se jettent, pour la plupart, dans la branche droite de
la veine porte; mais quelques-unes vont directement sur les lobules
hépatiques où elles se distribuent à la façon des ramuscules de la veine
porte, avant d'atteindre la veine intra-lobulairc ou sus-hépatique. Les
vaisseaux lymphatiques, qui sont quelquefois très-évidents sur la surface
de la vésicule dans les cas de rétention de la bile, se rendent aux ganglions
58 BILIAIRES (voies). — physiologie.
qui existent en abondance vers le hilc du foie. Les nerfs proviennent
du plexus solaire et suivent dans leur distribution les artères destinées
aux mêmes parties.
Les voies biliaires semblent, dans leur développement, procéder de
l'intestin par bourgeonnement et par ramifications successives; tandis que
les lobules du foie se forment isolément dans le feuillet vasculaire du
blastoderme : les connexions entre ces deux éléments ne s'établiraient
que plus tard. L'existence des vasa aberrantia donne raison à cette ma-
nière de voir, en nous montrant des canaux biliaires qui ne sont pas en-
trés en contact avec l'élément sécréteur du foie. Le diverticulum latéral
du conduit excréteur de la bile, c'est-à-dire le canal cystique et la vésicule
du fiel, doit être considéré comme un vas aberrans considérablement
développé. Cbez l'homme, où les conduits hépato-cystiques, c'est-à-dire
des conduits qui se portent directement du foie à la vésicule, n'existent
pas, l'interprétation précédente est très-légitime. Pour les animaux qui en
sont pourvus, la vésicule n'est autre chose qu'un renflement situé sur le
trajet de l'un des conduits biliaires qui contribuent à former le canal
cholédoque : ce qui reproduit en partie la disposition de la vessie urinaire.
La manière d'envisager le développement des voies biliaires, telle que nous
venons de l'exposer, nous rendra un compte facile des anomalies que
nous aurons à signaler.
Physiologie. — L'appareil excréteur de la bile, bien que ne jouant
qu'un rôle secondaire dans les fonctions du foie, a néanmoins lixé d'une
façon particulière l'attention des physiologistes. On doit le considérer
sous un double aspect, comme cavité de réception pour la bile et comme
voie de transport de cette humeur jusqu'à l'intestin.
L'écoulement de la bile dans le tube digestif n'est pas continu. Dans
l'intervalle des digestions, la sécrétion biliaire se ralentit très-probable-
ment, et ce qui s'en forme s'accumule dans le système de canaux que
nous connaissons, et particulièrement dans la vésicule qui semble avoir
précisément pour fonctions de servir de réservoir à l'humeur sécrétée.
C'est la réplétion de cette cavité quia semblé le plus difficile à expliquer,
en l'absence des conduits hépato-cystiques, et à cause de sa situation en
dehors du courant direct suivi par la bile. Il est probable, il est certain
même, que la continuité de la sécrétion, avec l'occlusion momentané de
l'orifice duodénal du canal cholédoque et la distension progressive des con-
duits biliaires, est la vraie cause de la réplétion delà vésicule; la bile y pé-
nètre par la force a lergo, et sans qu'on soit obligé de faire intervenir, avec
Amussat, l'action d'une valvule spiroïde existant dans le canal cystique et
le transformant en une sorte de vis d'Archimède. L'existence de cette
valvule est au moins douteuse, et la disposition qu'affectent les replis qui
ont donné lieu à l'hypothèse que nous examinons empêche autant qu'elle
facilite la progression de la bile. La théorie d'Amussat n'a été reproduite
par tous les auteurs que pour se donner le facile plaisir de la réfuter, en
faisant observer qu'une vis d'Archimède n'élève les liquides qu'autant
qu'elle est animée d'un mouvement giratoire. Il reste pourtant acquis,.
BILIAIRES (voies). — physiologie. 59
grâce aux expériences d'Amussat, qu'un liquide poussé par le canal hé-
patique et dans la direction de l'intestin a plus de tendance à passer
d'abord dans le canal cystique, et de là dans la vésicule, qu'à s'écouler
par le canal cholédoque : ce qui paraît tenir à l'étroitesse relative de
l'embouchure de ce canal dans le duodénum.
Quant à la nature des modifications qu'éprouve la bile à la suite de
son séjour dans la vésicule, celles-ci ne sont point telles qu'on puisse en
conclure à l'existence indispensable de ce réservoir. Il fait défaut cbez
bon nombre d'espèces animales; nous verrons qu'il manque quelquefois
chez riiomme ; et cela sans que les fonctions du foie soient radicalement
différentes dans les deux cas. On a pensé que la présence de la vési-
cule impliquait une intermittence normale dans l'acte digestif, comme
cela a lieu chez les animaux dont les repas sont éventuels, et que son
absence, au contraire, témoignait de la continuité de la digestion, comme
chez la plupart des herbivores ; de telle sorte que l'anomalie, qui consiste
dans le manque de la vésicule chez l'homme, semblerait devoir entraîner
comme conséquence une grande voracité de la part de l'individu qui la
porte. Mais ni la présence ni l'absence de la vésicule du fiel, dans les diverses
espèces animales, ne se prêtent rigoureusement à aucune des lois qu'on a
mises en avant. En somme, la bile, par son séjour dans la vésicule et
dans les canaux hépatiques, subit un certain degré de concentration par
résorption de sa partie la plus aqueuse, et se charge d'une grande quan-
tité de mucus qui la rend plus filante que la bile qui s'écoule directement
et activement dans l'intestin. Aussi il est d'observation que la stagna-
tion du fluide biliaire dans ses cavités naturelles est une prédisposition
très-réelle aux calculs.
L'écoulement delà bile, au moment où commence la digestion intesti-
nale, s'opère par un mécanisme des plus simples. La cause la plus évi-
dente de cet écoulement réside dans la présence des fibres musculaires
que nous avons signalées à propos de la structure des voies biliaires. L'ir-
ritabilité de la vésicule et des conduits de la bile, admise par Glisson, a
été, du reste, mise hors de doute parles expériences directes de Haller; et
J. L. Petit, dans une opération qu'il entreprenait sur la région de la vési-
cule du fiel, a vu celle-ci se contracter et se vider sous ses yeux. Comme
moyens accessoires de cette action, il faut signaler la continuité de la
sécrétion qui, de proche en proche, fait cheminer la bile, les mouve-
ments respiratoires du diaphragme qui compriment le foie contre la paroi
abdominale et contre la masse des intestins, puis enfin, dans l'état patho-
logique, les secousses du vomissement qui finissent souvent par faire
apparaître la bile au milieu des matières vomies.
On notera que la disposition de l'orifice du canal cholédoque ne
permet guère le reflux des matières intestinales dans les voies bi-
liaires ; il se passe ici quelque chose d'analogue à ce qui a lieu à l'em-
bouchure des uretères dans la vessie. Pour le même motif, le liquide
pancréatique et la bile ne sauraient se mélanger dans leurs conduits
respectifs. Nous verrons cependant que certains corps étrangers, comme
•4 0 BILIAIRES (voies). — anomalies et vices de conformation.
les entozoaires, peuvent franchir cet obstacle et envahir les conduits bi-
liaires.
Glisson F.':. Analomia hepatis, etc. Londini, 1G54, in-8. Amstelodami, 1659, in-12. Hagaeco-
mitis. 1661, in-12.
H allé n, Dissertation sur les parties irritables et sensibles des animaux. Trad. de Tissot. Lausanne,
1755.
Bordeu (Th.). Œuvres complètes. Èdit. de Richerand. Paris, 1818, p. 179 et 98i<.
Amussat, Bull, de l'Acad. de méd. 182 ï et 1827.
Hischke (E.), Traité de splanelmologie et des organes des sens [Encijcl. analom , t. V., Paris,
1845).
Vickam, Vésicule pourvue d'un mésentère [Bull, delà Soc analom. 18iG).
Weber (ë. H.) et Keclam, Sur les vasa aberrantia hepatis [Bull, de la Soc. phîlorriatique, 1847,
p. 21),
Bérard (Ph.), Cours de physiologie. Paris, 1849, t. II, p. 542.
Pcech (A.)', Note sur les canaux biliaires [Comptes rendus des séances de l'Ac. des se, 1854).
Kôlliker (A ), Éléments d'histologie humaine. Trad. de J. Béclard et M. Sée. Paris, 1856,
p. 478.
Sappey(P1i. C), Traité d'anatomie descriptive. Paris, 1859, t. III, p. 273 et 301.
Riess (L.), De la structure des conduits hépatiques dans le foie de l'homme. Archiv fur Anato-
mic, Physiologie und Wissenschaftliche Medicin. 1803.
IL ANOMALIES ET VICES DE CONFORMATION.
Aaiomsïlifi1» et îic^s de conformation «le la vésicule. —
1° Absence congénitale de la vésicule. — Les faits d'absence congénitale
de la vésicule ont été bien réellement observés chez l'homme; il n'y a pas
lieu de les mettre sur le compte de l'atrophie pathologique de cet organe,
ainsi qu'on l'a tenté. Ollivier (d'Angers) mentionne les principaux faits
connus de cette anomalie, ce qui ne l'empêche pas de partager les doutes
de Hallersurle sens véritable qu'elle doit recevoir et de croire qu'il s'agit
plus souvent d'une atrophie morbide que d'une agénésie proprement dite.
Depuis lors d'assez nombreux exemples en ont été rapportés par divers
auteurs. Nous signalerons celui de Follet (de Bourbon) et ceux qu'à son
occasion Ghomel, Honoré et Nacquart ont mentionnés, puis les faits de
Montaut, d'Amussat, de Ph. Bérard, etc. Meckel admet également la réa-
lité de cette anomalie. Le plus ordinairement, la disposition générale des
voies biliaires n'en est pas altérée : le diverticulum latéral seul est sup-
primé ; on voit alors un conduit unique, représentant le canal cholédoque
et formé par la réunion des deux racines du canal hépatique normal.
Quelquefois il existe sur le trajet de l'un des conduits biliaires une dila-
tation partielle qui représente la vésicule absente. On a même cru, lorsque
cette dilatation occupe l'épaisseur du foie et siège sous la capsule de
Glisson, que la vésicule n'était que déplacée (J. Frank); elle est réduite
alors à l'état rudimentaire. L'anomalie qui nous occupe ne se traduit du-
rant la vie par aucun signe appréciable; elle est compatible avec une santé
parfaite et elle réduit à néant les suppositions que l'on a faites sur une
élaboration nécessaire que subirait la bile dans la vésicule. Du reste ce
cas de tératologie ne fait que reproduire l'état normal chez certains ani-
maux, et particulièrement chez le cheval.
2° Duplicité de la vésicule. — Cette duplicité s'établit ordinaire-
ment par un cloisonnement dans le sens longitudinal d'une vésicule qui
BILIAIRES (voies). — anomalies et vices de conformation. 41
parait unique extérieurement; d'autres fois il y a deux vésicules tout
à l'ait séparées. J. Frank, Huschke et Meckel citent des exemples de ces
différents cas. L'un des faits les plus remarquables de duplicité de la vési-
cule a été observé par Ed. Cruveilhier et rapporté par lui dans les bulle-
tins de la Société anatomique : il y avait deux vésicules séparées dans la
plus grande partie de leur étendue et aboutissant à un col unique; de ce
col naissaient deux conduits cystiques qui allaient se jeter isolément dans
le canal cholédoque. On conçoit facilement cette anomalie en considérant
la vésicule du fiel et le canal cystique comme un conduit biliaire ou un
vas aberrans offrant une tendance à se ramifier.
Il ne serait plus aussi légitime de regarder comme une anomalie con-
génitale les faits dans lesquels la vésicule paraît double par suite d'un
resserrement portant sur sa partie moyenne. Ici il s'agit, ou bien d'un
diverticulum de la vésicule et d'une sorte de soufflure, produits par un
amincissement de ses parois dans une circonstance pathologique, ou bien
d'un resserrement amené par quelque moyen mécanique. Bartb rapporte
le cas d'une vésicule ainsi étranglée à sa partie moyenne, et qui, ayant
été recueillie chez une femme, a pu être rapporté à l'usage du corset.
5° Déplacements congénitaux de la vésicule. — Lorsque la vésicule
est très-intimement unie au foie, elle ne peut guère se déplacer qu'avec
cet organe lui-même : c'est ainsi qu'on l'a vue faire partie des hernies
ombilicales congénitales. Cependant on cite des faits où la vésicule n'oc-
cupait plus la fossette cystique, et dans lesquels elle était, ou bien dirigée
en travers, ou bien placée dans le sillon de la veine ombilicale, etc.
Lorsque la vésicule est pourvue d'un mésentère, ainsi que nous l'avons
indiqué à propos de l'anatomie normale, ses déplacements sont rendus
beaucoup plus faciles et elle peut alors entrer en contact avec la plupart
des viscères de l'abdomen.
AnoiMuluNS et vice* de cobb formation dea coosduifs l>i-
liafres. — Ces altérations du type normal portent le plus souvent sur
la répartition des conduits biliaires dans le sillon transverse du foie, et
consistent, tantôt dans l'existence de trois racines pour le canal hépa-
tique, tantôt dans le fait d'un conduit biliaire qui se rend directement,
soit dans le canal cystique, soit dans la vésicule elle-même, et figure ainsi
une sorte de conduit hépato-cystique, tantôt enfin dans la pluralité du
canal cholédoque. Les deux cas suivants méritent une mention à part.
1° Variétés d'insertion du canal cholédoque. — Nous avons vu que le
canal cholédoque s'ouvrait dans le duodénum à une distance de 14 à
15 centimètres du pylore. Cette insertion ne varie, à l'état normal, que
dans des limites assez restreintes. Mais, dans quelques circonstances, on a
vu l'embouchure de ce conduit se rapprocher davantage de l'estomac,
s'ouvrir dans cette cavité (observé par A. Yésale) et être reportée même
jusque dans l'œsophage (cas cité par Huschke). Le plus ordinairement il
s'agit de faits de pluralité du canal cholédoque : l'une des embouchures
reste à l'endroit ordinaire, et l'autre est située plus haut dans le voisinage
du pylore. Morgagni mentionne les exemples qui ont été observés par
42 BILIAIRES (voies). — lésions traumatjques.
Fallope, par Abrah. Vater,par Vesling, par Bezoldus et par Diemerbrœck.
D'après J. Frank, Paw aurait vu le canal cholédoque se terminer par deux
branches, dont une s'ouvrait dans le jéjunum et l'autre dans le côlon.
Il arrive quelquefois que ces conduits supplémentaires proviennent direc-
tement de la vésicule biliaire, comme il en existe un exemple dans les
collections de l'université de Naples (lluschke).
2° Oblitération congénitale des conduits biliaires. — Les exemples de
cette anomalie sont rares. Nous citerons particulièrement les faits de
Blasius et de Lhommeau. Le cas de Blasius, tel que le rapporte J. Frank,
manque des détails les plus essentiels : l'enfant avait vécu huit mois ; il y
avait une énorme distension de la vésicule et une suffusion de bile dans
l'abdomen. L'observation de Lhommeau est plus circonstanciée : l'enfant
avait vécu trois mois ; il était ictérique ; il n'avait pas rendu de méco-
nium; le canal cholédoque était imperforé, et il existait un engorgement
biliaire de tout le foie et une dilatation générale des conduits hépatiques.
Il est probable que quelques cas d'ictère chez les nouveau-nés doivent
reconnaître pour cause une oblitération de la nature de celle que nous
indiquons ici.
Morgagni, De sedibus et causis morborum, etc. Lettres XXXVII, n° 54, et XLVIII, n* 55. Ve-
ndus, 17G0).
Ollivier (d'Angers), Note sur l'atrophie de la vésicule biliaire [Archives gén. de méd. Juin,
1824).
Frank (J.), Traité de pathologie interne. Trad. de Bayle. Paris, 1857, t. VI, p. 258.
Follet (de Bourbon), Absence de la vésicule biliaire (Séances de l'Ac. roy. des sc.} 25 mars
1828).
Montault, Cas d'absence de la vésicule du fiel (Bull, de la Soc. anatom., 1829).
Amussat, Foie sans vésicule [Séances deïAcad. roy. de méd., 22 mars 1851).
Lhommeau, Imperforation du canal cholédoque [Bull, de la Soc. anatom., 1842).
Barth, Vésicule étranglée par le corset [Bull, de la Soc. anatom., 1849).
Cruveilhier (Ed.), Duplicité de la vésicule biliaire (Bull, delà Soc. anatom., 18G0).
III. PATHOLOGIE MÉDICO-CHIRURGICALE.
Lésions traainiatiqQies. — 1° Plaies. — On trouve dans la
science quelques exemples de plaies des voies biliaires, et notamment
de la vésicule. L'un des premiers faits qui aient été bien observés a
été recueilli par Stewart et est rapporté par Van Swieten dans ses com-
mentaires sur les apborismes de Boerhaave. Il s'agit d'un militaire qui,
dans une plaie pénétrante de l'abdomen, eut le fond de la vésicule per-
foré par l'instrument vulnérant. L'épancbement de bile dans la cavité
du péritoine fut indiqué par le ballonnement du ventre, par une consti-
pation opiniâtre, par des nausées, par le hoquet; le pouls resta d'abord
fort, régulier et lent; il devint intermittent peu de temps avant la
mort; il y eut de l'insomnie, mais point de délire; la plaie extérieure
ne traduisit en rien la nature de la lésion interne. Le malade mourut le
septième jour après l'accident. Sabatier observa avec Morand un cas du
même genre : chez un invalide, la vésicule avait été percée d'un coup
d'épée; il y eut des douleurs vives, de la lièvre, de la constipation, une
soif inextinguible; le ventre se ballonna. Le troisième jour, il se mani-
BILIAIRES (voies). — lésions trabmatiques. 45
['esta a l'aine une tumeur qu'on ouvrit à l'aide d'un trocart; il en sortit
90 grammes de bile pure. Le malade mourut bientôt après. Comme
exemple de plaie de la vésieulc par arme à feu, nous mentionnerons le
fait, observé par Paroisse, d'un militaire qui avait reçu un coup de feu
dans la région bypocbondriaque droite, et qui en guérit; étant mort deux
ans plus tard d'une pneumonie, on trouva, à l'autopsie, une balle ren-
fermée dans la vésicule du fiel : il n'y avait pas sur celle-ci de cicatrice
apparente (cité par Follin). Il résulte de ce fait et de ceux qui précèdent,
que si une plaie des voies biliaires n'est pas nécessairement mortelle, elle
offre néanmoins un très-grand danger. L'épanchement de bile dans la
cavité du péritoine en constitue toute la gravité, non-seulement en raison
de la quantité qui s'en épancbe immédiatement, mais aussi par suite de
la continuité incessante de l'écoulement qui se fait à l'intérieur. Des chi-
rurgiens ont cependant entrepris de traiter des accidents de cette sorte,
en ayant surtout pour but de prévenir l'effusion ultérieure de la bile dans
l'abdomen, llerlin a proposé de porter une ligature sur le col même de
la vésicule et de réséquer cet organe. Campaignac se contente de poser
la ligature entre la plaie faite à la vésicule et le canal cystique, de ma-
nière à conserver le réservoir de la bile. Enfin Amussat et Yilardebo ont
montré, par quelques expériences faites sur les animaux, qu'il suffirait.
lorsque la plaie n'est pas trop étendue, d'appliquer le cautère actuel sur
l'orifice même produit par l'instrument vulnérant. Mais aucun de ces
procédés, qui ont réussi sur des animaux mis en expérience, n'a encore
été employé chez l'homme, où l'on a rarement l'occasion de constater la
lésion que nous étudions. De toute façon, la certitude d'une plaie des
voies biliaires n'existerait que si la bile venait à s'écouler au dehors;
or il arrive que l'épanchoincnt se fait presque toujours à l'intérieur; et il
en doit être ainsi, à moins de supposer une large plaie des téguments.
Dans un fait rapporté par Civialc, on voit un officier qui reçut, en 1812,
un coup de lance dans le côté droit de l'abdomen, à deux pouces de l'om-
bilic. Il en guérit d'abord; mais, en 1851, un abcès, suivi de fistule
biliaire, se montra dans cette région : il s'écoulait environ un verre de
bile dans les vingt-quatre heures ; les matières fécales étaient blanches ;
l'appétit était perdu.
c2 Rupture. — Cet accident s'observe plus fréquemment que le pré-
cédent. Il est babituellement produit par un coup porté dans la région
du foie, ou par le passage d'une roue de voiture sur l'abdomen. Nous
mettons à part les ruptures spontanées qui supposent une lésion préalable
des voies biliaires, et dont il sera question plus tard. Pâtissier, dans le
Dictionnaire des sciences médicales, et Velpeau, dans son Anatomie chi-
rurgicale, mentionnent les faits connus de rupture des conduits de la
bile. Le cas le plus remarquable est celui de Campaignac, dans lequel il y
eut une rupture de la branche gauche du canal hépatique par la pression
d'une roue de voiture sur l'abdomen : le malade mourut au bout de dix-
huit jours d'une péritonite généralisée. Il semble que, dans un fait observé
par Fryer et rapporté par Littré, la guérison ait eu lieu à la suite d'un
44 BILIAIRES (voies). — inflammation.
accident de cette nature; il est certain qu'après plusieurs pondions de
l'abdomen, dans lesquelles on évacua de la bile presque pure, le malade
se rétablit. Enfin Littré note encore une observation de J. P. Frank, qui
vit la vésicule distendue et adbérente à l'utérus, chez une femme grosse,
se rompre pendant les efforts de l'accouchement.
Les conséquences de la lésion qui nous occupe sont peut-être encore
plus graves que lorsqu'il s'agit d'une plaie proprement dite des voies
biliaires ; car ici il n'y a plus de chance possible d'une fistule biliaire
extérieure et l'épanchement se fait forcément dans la cavité du péritoine,
à moins que des adhérences rapides ne préviennent la diffusion de la
bile. Nous ne voyons qu'un précepte commun à appliquer dans ces cir-
constances, c'est que, le diagnostic fût- il assuré, il n'y a lieu de se com-
porter que comme lorsqu'on est en présence de toute péritonite par per-
foration.
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Herlin, Expériences sur l'ouverture de la vésicule du bel (Journ. de m éd., 1776, t. XXVII).
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Campaigxac, Des plaies des voies biliaires, etc. (Journ. hebdomadaire, 1829, t. II, p. 204;.
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liaire. Thèse de Paris, 183).
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Littré (E.) (Dict. de méd., 2e éd., t. V, Paris, 1855).
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Follin (E.), Plaies des voies biliaires (Dict. encyclop. des se. médicales. Paris, 1864, t. I,
p. 161).
inflammation. — L'inflammation des voies biliaires n'a reçu de
dénomination particulière que lorsqu'elle occupe exclusivement la vési-
cule du fiel : elle prend alors le nom de cholécystite. On pourrait de
même, dans le cas où la maladie est étendue à tous les conduits de la
bile, se servir, pour la désigner, du mot angéiocholéite.
Cette affection se présente rarement à l'état de simplicité; presque
toujours elle vient compliquer d'autres maladies, soit du foie, et par-
ticulièrement les calculs biliaires, soit même de parties qui sont en
relation directe ou sympathique avec cet organe. De sorte que les lé-
sions anatomiques et les symptômes qui sont propres à Ya/igéiocho-
léite viennent le plus souvent se perdre et se confondre au milieu des
désordres plus accusés qui existent concurremment. Il suffit, pour s'en
convaincre, de consulter les auteurs qui ont écrit sur ce sujet, depuis
Littré qui a, le premier, essayé de donner une description métho-
dique de l'inflammation des voies biliaires, jusqu'à Monneret, à qui l'on
doit le travail le plus récent sur cette question. Aucun d'eux n'est par-
venu ta la dégager entièrement des éléments étrangers qui la rendent si
complexe. Frerichs est celui qui a le plus contribué à élucider le sujet,
grâce à sa division de la maladie en deux formes : la catarrhale et Yex-
sudative. Cette division n'est avantageuse que parce qu'elle correspond
assez exactement aux deux groupes que constitue l'affection considérée
au point de vue étiologique, et qui comprennent l'inflammation idiopa-
BILIAIRES (voies). — inflammation. 45
thique et l'inflammation symptomatique des voies biliaires. Nous revien-
drons souvent sur cette distinction; mais les limites entre les deux for-
mes n'étant point assez tranchées, il ne nous parait pas possible d'en
{'aire des descriptions séparées. Il n'est pas à dire qu'une phlegmasie ca-
tarrhale ne puisse être exsudative et même ulcéreuse, ni réciproquement
qu'une phlegmasie symptomatique ne puisse se borner h la simple rou-
geur de la membrane muqueuse, avec hypersécrétion de mucus.
Anatomie pathologique. — Toutes les formes de l'inflammation ont été
observées dans les conduits biliaires. Au degré le plus simple on trouve
une rougeur érythémateuse de la membrane qui tapisse l'intérieur des
conduits ; souvent cette rougeur a disparu au moment de l'autopsie; mais
la muqueuse reste pâle ou livide, mollasse et boursouflée. Un mucus assez
abondant, transparent ou puriforme, quelquefois très-concret, tapisse
les conduits. On a rarement occasion de constater ces altérations; mais
il faut en tenir compte, car la présence de ce bouchon de mucus a servi
à expliquer, soit la production de l'ictère simple, en oblitérant le canal
cholédoque, soit la formation des calculs, en facilitant la stagnation de la
bile ou en servant lui-même de noyau à la concrétion. Cette phlegmasie
superficielle est ordinairement étendue à la presque totalité des voies
biliaires; elle peut être limitée à la vésicule; plus rarement elle occupe
des ramiheations isolées des conduits de la bile : dans ce cas on trouve
dans le foie des îlots colorés par la bile et les canaux correspondants
dilatés (Frerichs).
Dans des formes plus avancées et plus graves de la maladie, les produits
inflammatoires peuvent devenir purulents et même diphthéritiques.
La présence du pus dans les voies biliaires est signalée par un très-
grand nombre d'observateurs, et notamment lorsqu'il s'agit d'une angéio-
choléite calculeuse ayant déjà une certaine durée et à tendance ulcéreuse.
Louis a noté la suppuration des voies biliaires dans certains cas de lièvre
typhoïde, et Frerichs l'a observée trois fois dans cette même circonstance.
Ordinairement le pus est versé dans l'intérieur des conduits biliaires, ou
delà vésicule, et se mélange avec la bile dont il modifie l'apparence; quel-
quefois il forme des collections sur certains points et constitue des espèces
d'abcès qui ont été considérés comme des abcès du foie (Cruveilhier, 01-
liifc). Ce qu'on a appelé l'abcès de la vésicule n'est souvent qu'une collec-
tion de cette nature (Boudet). D'autres fois, ainsi que Gubler l'a observé
dans la vésicule, le pus forme de petits abcès sous-muqueux et comme
des pustules ; lorsque ces abcès se rompent, ils deviennent le point de
départ d'ulcérations en tout comparables à certaines altérations du
même genre qui existent dans l'estomac. Enfin l'abcès peut occuper les
parois de la vésicule et être même tout à fait extérieur à cette cavité
(Barth, Leudet); c'est ainsi que s'établissent, par cette inflammation
phlegmoneusc, des communications entre la vésicule et différentes par-
ties, telles que la peau, l'estomac, le duodénum ou le côlon.
L'existence de l'inflammation diphthéritique des voies biliaires ne se
trouve établie que parles faits que Frerichs en a rapportés. Il les emprunte
46 BILIAIRES (voies). — inflammation.
pour la plupart à Rokitansky qui, à la suite du typhus, du choléra, de la
pyémie, aurait vu des exsudats fibrineux sur les parois de la vésicule; dans
les conduits biliaires, ces exsudats forment des tuhes complets. Cette altéra-
tion, qui ne se manifeste que dans le cours de maladies déjà graves par elles-
mêmes, ne se révèlent, durant la vie, par aucun symptôme appréciable.
L'existence d'ulcères dans les voies biliaires, et surtout dans la vésicule,
n'est pas rare. Le plus souvent ces ulcères se rencontrent dans l'angéio-
choléitc symptomatique; ils sont produits et entretenus par la présence
de calculs; ils donnent lieu à une suppuration franche ou ichoreuse
qui se mélange à la bile. D'autres fois, ils sont le résultat de l'ouverture
d'abcès sous-muqueux, provenant de l'inflammation phlegmoneuse des
parois de la vésicule; enfin ils peuvent encore succéder à une sorte
d'éruption furonculeuse, ou à des petites folliculites, ayant leur siège dans
les glandes mucipares des voies biliaires. De toute façon, ces ulcères ont
pour inconvénient de présenter une tendance a l'accroissement, surtout
en profondeur. De là résultent des perforations de la vésicule, des abcès
péricystiques, des épanchements de bile dans le péritoine et des commu-
nications listuleuses des voies biliaires avec la peau, ou avec les canaux
muqueux qui les avoisinent. Il y a un fait remarquable à signaler ici,
c'est lorsque, en vertu de cette tendance ulcéreuse, la destruction, après
avoir dépassé les parois des conduits delà bile, atteint la parenchyme du
foie et y creuse des excavations aux dépens de la substance glandulaire
elle-même. Rayer a rapporté une observation relative à ce cas et dans
laquelle on a noté une hémorrhagie mortelle produite par l'érosion d'une
branche de la veine porte. On voit combien il y a d'analogie entre ce qui
se passe ici et ce qui a lieu dans l'ulcère perforant de l'estomac.
Enfin, l'altération des voies biliaires peut aller jusqu'à la gangrène.
Sestier a publié un fait de cette nature recueillie chez un individu qui
présentait un anévrysme de la branche droite de l'artère hépatique; il y
avait en même temps une gastrite chronique.
Pour compléter ce que nous avons à dire des lésions propres à l'in-
flammation de l'appareil excréteur de la bile, il nous suffira d'énumé-
rer : Vépaississement par infiltration plastique des parois de la vésicule
et des conduits biliaires ou leur ramollissement, le développement exa-
géré, dans certains cas, de la tunique musculaire de ces organes, leur
dilatation générale ou partielle, leur rétrécissement et leur oblitération,
leur atrophie, leur ossification, leur dégénérescence graisseuse, leurs adhé-
rences aux parties voisines, etc. Il est facile de voir que parmi ces lésions
le plus grand nombre sont des conséquences plus ou moins éloignées de
l'inflammation qui a atteint ces parties, mais le caractère inflammatoire
de quelques-unes d'entre elles n'est pas toujours très-évident.
Du coté du parenchyme hépatique, on note souvent de l'hypérémie,
des inflammations partielles, quelquefois la cirrhose et le cancer. On si-
gnale aussi, dans les cas où la phlegmasie des voies biliaires amène une
rétention trop prolongée ou trop complète de la bile, l'atrophie des cel-
lules hépatiques. Des altérations coexistantes sont parfois observées du
BILIAIRES (voies). — inflammation. 47
côté du pancréas, de l'estomac, du duodénum, et même dans toute l'éten-
due du tube digestif, et viennent ainsi témoigner que les lésions des voies
biliaires ne sont souvent que le produit de l'extension d'une phlegmasie des
parties énumérées plus haut qui, par continuité de tissu, s'est portée jus-
qu'à la vésicule et jusqu'aux plus fines ramifications des conduits de la bile.
Causes. — Il semble, au premier abord, que les causes extérieures ne
puissent jamais produire directement l'inflammation des voies biliaires
et que celle-ci ne soit toujours que le résultat secondaire d'influences
placées dans leur voisinage ou dans leur intérieur même. Cependant lorsque
l'angéiocholéite n'est produite, ni par un calcul qui irrite les conduits bi-
liaires, ni par un entozoaire qui s'est introduit dans leur cavité, ni par
aucune cause très-appréciable, et qu'elle coïncide d'autre part avec des
pblegmasies du tube digestif ou avec quelque maladie générale, il est
tout aussi naturel de la considérer comme primitive que l'affection qu'elle
paraît compliquer et dont elle n'est plus alors qu'une nouvelle localisa-
tion. Nous nous retrouvons donc en présence de la division que nous
avons admise de l'angéiocholéite en idiopathique et en symptomatique :
ce qui implique pour ces deux formes une étiologie toute différente.
1° Anyéiocholéite idiopathique. — En première ligne, nous devons
mentionner les relations qui existent entre l'ictère dit simple ou essentiel
et la phlegmasie des voies biliaires. Il arrive en effet que le plus souvent
l'ictère n'est que le résultat d'une inflammation très-supcrlicielle de la
muqueuse des conduits de la bile et d'une occlusion momentanée de ces
conduits par un bouchon de mucus : c'est dans ce cas qu'il mérite surtout
le nom d'ictère catarrhal qu'on lui applique souvent. Cet état catarrhal
des voies biliaires coïncide presque toujours avec une affection correspon-
dante de l'estomac et du duodénum, troussais, Gendrin, Bouillaud ont
insisté sur les rapports qui unissent la gastro-duodénile à l'ictère. Sur
41 cas de la maladie qui nous occupe, Frerichs a constaté 34 fois les sym-
ptômes du catarrhe gastro-intestinal comme précurseur de l'ictère. Il ré-
sulte de cela que les causes attribuées à l'ictère simple sont applicables à
rime des formes de l'angéiocholéite idiopathique (voy. Ictère). Mention-
nons rapidement: le refroidissement, V indigestion, Y abus des alcooliques,
l'usage immodéré des purgatifs, l'influence des saisons et des climats qui
prédisposent à l'embarras gastrique, une disposition épidémique, etc.
Plusieurs observateurs ont signalé la cholécystite dans le cours de la
fièvre typhoïde et des divers autres typhus. Louis, Amiral, Rokitansky,
Blane (cité par Frerichs), Budd, Leudet en rapportent des exemples. On
en trouve quelques-uns dans les Bulletins de la Société anatomique. Ici la
phlegmasie est ordinairement exsudative et même ulcéreuse. On sait jus-
qu'à quel point les inflammations des membranes muqueuses en général
sont étendues dans le cours de la fièvre typhoïde; l'angéiocholéite peut
donc exister ici au même titre que la gastro-entérite, que la bronchite, etc.
Budd attribue l'inflammation des voies biliaires à une action irritante oc-
casionnée par la bile altérée : cela rappelle l'opinion de Beau sur la cause
immédiate des ulcérations intestinales dans la fièvre typhoïde.
48 BILIAIRES (voies). — inflammation.
Les causes que nous avons indiquées jusqu'ici ne suffisent pas encore
pour expliquer tous les cas d'angéiocholéite idiopathique. On trouve dans
la science quelques faits d'inflammation spontanée de la vésicule du fiel,
avec perforation de cette cavité, et sans aucune autre lésion concomittante.
Curry (cité par Littré), Andral, Cruveilhier et Durand-Fardel ont publié
des observations de ces cas si graves qui semblent prouver l'existence
d'une véritable cholécystite essentielle. La cause en est tout à fait inconnue
et elle se développe souvent au milieu de la santé la plus parfaite. Nous
voyons un fait, cité par Labbé, de perforation gangreneuse de la vésicule
produite sous l'influence de Y inanition.
2° Angéiocholéite symptomatique. — L'étiologie de cette forme est éta-
blie sur des bases plus certaines que celle de la précédente. Nous indi-
querons en premier lieu la plupart des maladies du parenchyme du foiey
inflammatoires ou cancéreuses, qui déterminent souvent une phlegmasie
des voies biliaires par influence très-directe. Il nous suffit ensuite de
mentionner la présence des calculs et des entozoaires dans les voies bi-
liaires : nous aurons, en effet, à revenir sur ce sujet. Certaines altéra-
tions de la bile, qui sont de nature à lui communiquer des qualités ir-
ritantes, pourraient, à plus juste titre, figurer ici que parmi les causes de
l'angéiocholéite idiopathique. Enfin la présence du sang dans les con-
duits de la bile (cas rapporté par Fauvel) semble quelquefois produire
leur inflammation.
Symptômes. — La symptomatologiedc l'inflammation des voies biliaires
doit nécessairement se ressentir de la difficulté que l'on a à isoler cette
affection sous le double rapport anatomo-pathologique et étiologique.
Dans un travail déjà ancien sur les maladies de l'appareil excréteur de la
bile, Bouillaud avait déclaré que celles-ci ne sont pas en général suscep-
tibles d'être spécifiées durant la vie. Monneret, au contraire, a affirmé,
dans ces derniers temps, que ces affections offrent une clarté qui ne le
cède en rien à la description des autres maladies. Il ne nous semble pas
que cet auteur ait justifié son assertion ; son exposition ne comprend que
très-peu de signes qui soient propres à la maladie qui nous occupe, et
elle en renferme beaucoup d'autres qui lui sont étrangers et qui prouvent
d'une façon péremptoirc la grande complexité du sujet. D'ailleurs nous
ne pensons pas qu'on puisse tenter une description commune à tous les
cas qui se présentent, et il faut de toute nécessité établir des catégories
de faits en rapport avec les notions anatomiques et étiologiques que nous
possédons déjà sur la matière.
La première forme qui s'offre à nous est celle qui correspond au groupe
symptomatique de l'ictère simple et qui constitue, par excellence, l'an-
géiocholéite catarrhale. Indépendamment des manifestalions si caracté-
ristiques de Y ictère, il faut noter les signes évidents de l'embarras gastro-
instestinal : Yélat saburral de la langue} la sensibilité à Pépigastre, la
perte de l'appétit, la constipation ; puis du côté du foie, une sensibilité
marquée à la pression vers le rebord des côtes, quelquefois même une
douleur spontanée très-vive en cette région, une rénitence duc à la con-
BILIAIRES (voies). — inflammation. 49
traction du ventre supérieur du muscle droit et pouvant faire croire à
une tuméfaction du foie ou à une dilatation de la vésicule du fiel ; mais,
en général, la percussion témoigne qu'il n'en est rien. Dans certains cas
plus intenses, il y a réellement congestion du foie qui alors déborde les
fausses côtes, et même réplétion exagérée de la vésicule qui forme une
tumeur appréciable par le palper et par la percussion. La marche de cette
maladie est en général assez rapide; et, après une durée de quinze jours
à trois semaines, on voit les principaux symptômes se calmer; la sensi-
bilité de l'hypocliondre et la contraction tonique du muscle droit cessent,
et l'ictère lui-môme finit par disparaître. Le pronostic d'une semblable af-
fection est presque toujours très-bénin, et il n'est pas prouvé que l'ictère
grave offre des relations avec elle.
Les signes de Y angéiocholéite typhoïde sont constamment masqués par
l'importance des désordres qui sont propres à la maladie générale. Une
perforation de la vésicule elle-même ne serait pas remarquée ; en voyant
se développer une péritonite suraiguë, on songerait plutôt à une perfora-
tion intestinale.
Quant à ces cas de eholécystite essentielle dont nous avons parlé et qui
sont si graves, il faut convenir qu'il se produisent habituellement d'une
façon latente et que la perforation subite de la vésicule vient seule en
révéler l'existence. Aux faits rapportés par Littré, nous devons joindre
celui que J. Cruveilhier a observé sur la nourrice de ses enfants ; la malade
succomba à une péritonite suraiguë ; la vésicule était enflammée, perforée
et présentait même sur ses parois des plaques gangreneuses. Des obser-
vations de ce genre infirment un peu la valeur de toute symptomatologie
méthodique de l'inflammation des voies biliaires ; ils ont inspiré à Contour
des réflexions très -justes dans un rapport qu'il fit à la Société anatomique
sur un fait de cette nature. Certains exemples d'ulcère simple de l'esto-
mac offrent beaucoup d'analogie avec cette forme de eholécystite; notre
travail sur l'ulcère stomacal permet de s'édifier à cet égard.
Il est bien évident que, lorsqu'au lieu de la rupture dans le péritoine,
il s'établit des communications, à l'aide d'un ulcère, entre la vésicule et
le tube digestif, le diagnostic devient encore plus obscur. Dans le cas où
Youverture se fait du côté de la peau, par l'intermédiaire d'un abcès ex-
térieur à la vésicule, la nature de la maladie est établie par l'écoulement
de la bile au dehors; mais alors il s'agit presque toujours d'une eholé-
cystite calculeuse.
Des hématémèses peuvent être observées dans le cours de l'angéiocho-
léite ulcéreuse. Budd rapporte une observation relative à ce cas ; il s'agit
d'un jeune homme de dix-huit ans, qui fut pris, sans malaise précurseur,
d'un vomissement de sang et de douleurs à l'épigastre ; le malade ayant
succombé, non pas à ces accidents, mais au choléra, on trouva la mu-
queuse de la vésicule détruite par une large ulcération ; il n'y avait pas
de calculs biliaires. Il est évident que, dans le cas d'érosion des vais-
seaux intra-hépatiques par des ulcères profonds des canaux biliaires, le
même symptôme pourrait se produire et surtout le mehvna.
NOIIV. DICT. MÉD. ET CHIP.. V. — 't
50 BILIAIRES (voies). — inflammation.
L'angéiocholéite symptomatique se distingue des formes que nous avons
étudiées jusqu'ici par des caractères assez tranchés. Les calculs biliaires,
par lesquels elle est le plus souvent produite, ont quelquefois révélé déjà
leur existence par des accès subits de colique hépatique ; et il est difficile
d'admettre qu'à la suite de ces attaques si violentes, il ne reste pas un cer-
tain degré d'irritation des voies biliaires. L'ictère qui se manifeste alors est
aussi bien le signe de cette irritation que de l'obstruction du canal cholé-
doque par le calcul. Le même symptôme conserve la même signification
dans les maladies du parenchyme hépatique et dans les différents cas où
le liquide qui parcourt les voies biliaires a acquis des qualités irritantes.
Les autres caractères propres au cas actuel sont : Sa durée de la mala-
die, se révélant, soit par l'ictère, soit par la sensibilité à la pression de
la région de la vésicule du fiel, soit par la tumeur biliaire ; puis la dispo-
sition à la récidive de ces symptômes lorsqu'ils ont disparu une première
fois. L'exploration du ])Oids a paru fournir à Monneret des indices précieux
dans le diagnostic de l'inflammation des voies biliaires et l'existence d'une
fièvre rémittente particulière est, suivant lui, aussi constante ici que dans
les phlegmasies du foie lui-même. Le sens de cette fièvre mérite d'être ana-
lysé. Elle n'existe pas habituellement dans l'angéiocholéite catarrhale
qui est presque toujours apyrétiqueet dans laquelle on observe même le
ralentissement du pouls propre à l'ictère simple» Elle serait donc d'un
secours utile pour distinguer cette dernière forme de l'angéiocholéite
symptomatique. En dehors des cas où il ne s'agit pas d'une véritable fiè-
vre paludéenne qui s'accompagne souvent, on le sait, de complications
du côté du foie, la fièvre rémittente hépatique correspond assez bien à
la fièvre urineuse : celle-ci indique ordinairement une cystite entretenue
par la présence d'un calcul, ou bien elle est la conséquence du cathété-
risme de l'urèthre. De même, l'existence de tout corps étranger dans les
voies biliaires, et y déterminant une irritation habituelle, peut très-bien
occasionner une fièvre pseudo-intermittente ; mais, en l'absence de l'ictère
et d'une douleur localisée vers le rebord des fausses côtes droites, nous
ne pensons pas qu'on soit en droit de mettre cette fièvre sur le compte de
la phlegmasic des canaux de la bile. C'est donc un caractère inférieur
aux deux autres et qui ne fait que compléter leur signification. Nous
noierons en terminant que l'inflammation bornée à la vésicule, ne Rac-
compagnant pas forcément d'ictère, est d'un diagnostic encore plus in-
certain peut-être que celle qui s'étend à la généralité des conduits biliaires;
il ne resle plus pour elle, comme signes probables, que la douleur et la
tuméfaction correspondant au siège anatomique de l'organe.
Telle est la mesure dans laquelle doivent se tenir la symptomatologie et
le diagnostic de l'angéiocholéite avec ses formes diverses. Au delà de ces
limites, l'incertitude commence; et bien souvent encore, malgré la préci-
sion que nous avons cherché à apporter ici, on confondra cette phlegina-
sie avec une affection de l'estomac ou du duodénum, ou avec une
péritonite localisée, ou avec une douleur intercostale, ou enfin avec une
maladie du foie lui-même.
BILIAIRES (voies). — inflammation. 51
Traitement. — Le traitement de l'angéiocholôite sera subordonné à la
forme qu'affecte la maladie et à la prédominance de tel ou tel symptôme.
L'angéiocboléite idiopatliique , à forme catarrhale simple, n'a pas
d'autre traitement que l'ictère dit essentiel; et, à vrai dire, celte ma-
ladie si bénigne ne comporte pas de médication bien active. On doit se
borner à combattre l'embarras gastro-intestinal, soit par un éméto-ca-
thartique, soit par un purgatif salin ; le calomel obtient souvent la pré-
férence en raison des vertus cholagogucs qu'on lui attribue. Lorsque la
douleur sous-hépatique est trop marquée, on fait une application locale
de sangsues, ou d'un vésicatoire volant. Puis si la maladie persiste au delà
d'un certain temps, comme dix à quinze jours, on commence l'emploi
des boissons alcalines et des bains additionnés de carbonate de soude.
William Wallace a préconisé l'usage du chlore en fumigations générales
dans la plupart des maladies du foie accompagnées d'ictère et par consé-
quent dans l'inflammation des voies biliaires. Les observations qu'il rap-
porte n'ont rien de concluant, et il ne semble pas que, dans le choix du
médicament en question, on ait eu égard à autre ebose qu'à un rappro-
chement de couleurs. Gcrhardt a indiqué un traitement direct de l'ictère
catarrbal, (fui consiste dans la malaxation de la vésicule pour ebasser le
bouebon de mucus qui obstrue le canal cholédoque. Sans ions porter ga-
rant de cette médication toute mécanique, nous ferons remarquer que
les efforts du vomissement remplissent à peu près le même but. On de-
vra d'ailleurs se reporter au traitement de l'ictère pour compléter ce sujet
que nous n'avons fait qu'effleurer.
Quant au traitement de Pangéiocholéite symptomatique, il doit parti-
ticiper à la fois de la nature de la cause et de l'effet produit.
Cette cause étant le plus souvent des calculs qui irritent les voies
biliaires, c'est au traitement de l'affection calculeuse du foie qu'il
faudra toujours revenir (voy. p. 80). Mais au moment des exacer-
bations inflammatoires, on appliquera un traitement antiphlogistique
local ; ou ne craindra pas non plus d'avoir recours aux calmants em-
ployés à assez haute dose, lorsque la douleur hépatique sera trop ac-
cusée; la morphine, introduite par les méthodes endermique ou hypo-
dermique, rendra de véritables services. Bien entendu il ne s'agit pas ici
du traitement de la colique hépatique : cette complication n'est pas de
nature inflammatoire et comporte une médication à part sur laquelle
nous aurons à insiterplus loin.
Pour certaines formes particulières d'angéiocholéile, le traitement est
moins indiqué par l'affection des voies biliaires elles-mêmes que par la na-
ture des accidents qui surgissent ; nous voulons parler des perforations,
des péritonites suraigues, des communications listuleuses, des bémor-
rbagics, complications pour lesquelles il n'y a pas de médication qui ait
le moindre rapport avec la cause productrice.
Stoll (Max), Médecine pratique. Trad. de Mahon. Paris, 1809.
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DôgênôB-csccBtceii diverses, — 1° Atrophie de la vésicule. — Il
importe de ne pas confondre l'atrophie de la vésicule biliaire avec son
absence congénitale. Nous avons vu, à propos de cette dernière anomalie,
que sa réalité n'était pas contestable ; les laits d'atropbic proprement dite
ne sont pas moins certains. Ils se groupent naturellement en trois caté-
gories, suivant que l'atrophie existe en dehors de toute complication de cal-
culs biliaires ou d'occlusion du canal cystique, suivant qu'elle accompagne
la présence des calculs dans la cavité même de la vésicule, suivant enfin
qu'elle est consécutive à une obstruction du canal hépatique et surtout du
canal cystique. Dans le premier cas, l'atrophie de Torgane peut aller jusqu'à
sa disparition complète. Ollivier (d'Angers) rapporte une observation dans
laquelle la vésicule était réduite au volume d'une noisette, et une autre
où clic ne dépassait pas la grosseur d'un pois ordinaire. Le plus souvent
une dissection attentive fait reconnaître ses traces vers son siège habi-
JilLlAlilES (VOIES). DÉGÉKKIIESCEXCES DIVERSES. 55
tucl , sous (orme d'un petit amas do tissu cicatriciel ; il semble que
L'atrophie soit ici la conséquence ultime d'une inflammation qui aurait au-
trefois frappé la vésicule en passant par les intermédiaires de L'infiltration
plastique et de la dégénérescence graisseuse ou lardacée : ces états ana-
tomiques ont en réalité été observés (voy. Frerichs). Lorsque la vésicule
contient des calculs, son atrophie ne peut plus être aussi complète. On
voit alors les parois de l'organe revenues sur elles-mêmes et appliquées
exactement sur les concrétions ; elles sont ordinairement épaissies et pré-
sentent quelquefois très-nettement une apparence musculaire (obs. de
Jacquemet). Il faut, dans la circonstance actuelle, admettre la double in-
fluence de l'inflammation atrophique et de l'empêchement à l'arrivée de
la bile dans son réservoir. Eniin , dans le troisième et dernier cas,
l'atrophie succède à l'obstruction , par des calculs , du canal cystique et
Quelquefois aussi du canal hépatique; elle peut aller jusqu'à la disparition
complète de la vésicule, comme dans un fait rapporté par Richard. Le cas
actuel paraît, au premier abord, donner raison à Ollivier (d'Angers), qui
attribue l'atrophie du réservoir de la bile à une diminution delà sécrétion
hépatique, tenant à un état morbide du foie ou à toute autre circonstance,
et le rendant ainsi inutile. Mais les mêmes lésions pourraient tout aussi
bien donner naissance à l'hydropisie de la vésicule, car la sécrétion mu-
queuse continue; et Durand-Fardel a eu raison de combattre l'explication
d'Ollivier et de rendre à l'inflammation le rôle qui lui est du.
L'atrophie de la vésicule ne parait pas en général avoir d'inconvénients
pour la santé. Les faits d'absence congénitale de cet organe prouvent que
son utilité n'est que secondaire. Nous n'admettrons donc pas que la pré-
sente altération produise un développement excessif de L'appétit, par suite
de l'écoulement continuel de la bile dans l'intestin ; car rien ne prouve
que celle continuité soit la conséquence du manque de réservoir, et que
les canaux hépatiques dilatés en ampoule ne puissent lui suppléer. Nous
croirons encore moins avec Graz , et avec Littré qui semble accorder
quelque valeur aux faits rapportés par le premier, que l'atrophie de la
vésicule ait pu avoir le moindre rapport avec certains désordres cérébraux
qui Font quelquefois accompagnée, mais à titre de pure coïncidence.
2° Ossification. — La dégénérescence osseuse ou calcaire de l'appareil
excréteur de la bile reconnaît presque toujours une origine pathologique.
On sait qu'en général les conduits pourvus d'une membrane muqueuse
subissent moins facilement que les vaisseaux la transformation calcaire,
dite sénile ou physiologique. La plupart des observations d'ossification des
voies biliaires mentionnent, en effet, dans ces organes, des traces d'an-
ciennes phlegmasies, entretenues habituellement par des calculs. La cin-
quante-deuxième observation d'Amiral signale à la fois l'inflammation de
la vésicule, des concrétions osseuses dans ses parois et un développement
inusité des fibres musculaires. Dans un cas où il y avait des lésions très-
complexes de l'appareil biliaire, Fabre dit que la vésicule du fiel ne cédait
que très-difficilement à une pression très-forte; sa surface interne, très-
inégale, ressemblait exactement à celle des artères ossiliées des vieillards;
54 BILIAIRES (voies). — dégénérescences diverses.
ses parois avaient plus d'une ligue d'épaisseur; elles présentaient des
plaques osseuses et cartilagineuses. Topinard a montré à la Société anato-
mique une vésicule biliaire ossifiée, dont les parois offraient 5 millimètres
d'épaisseur, et qui fut trouvée chez une femme morte de gangrène sentie^
c'est-à-dire dont les artères présentaient une altération de même nature.
Frerichs a vu deux fois la transformation calcaire de la vésicule si com-
plète, que la vésicule vide conservait sa forme, grâce à des plaques osseuses
irrégulières de la grandeur d'un thaler, qui s'étaient développées dans
ses parois. A ces faits, il faut joindre ceux que Littré a réunis et qui sont
dus pour la plupart à des auteurs plus anciens. La nature de cette ossi-
lication n'a élé bien précisée par aucun des observateurs qui l'ont constatée;
les mots ossification et concrétion calcaire sont employés indifféremment
par eux. Il est probable que les deux formes existent ici comme dans les
vaisseaux. Pour compléter l'analogie, il suffit de rappeler que les dégéné-
rescences graisseuse et athéromateuse ont également été observées dans
les parois des conduits biliaires et de la vésicule (Virchow et Boettclier,
cités par Frerichs) . Quant à l'altération tuberculeuse proprement dite, elle
n'a pas été signalée dans les voies biliaires elles-mêmes; mais il n'est pas
rare d'observer des lésions de ces organes chez des tuberculeux. On les a
particulièrement vus détruits en partie par des tumeurs tuberculeuses
provenant de la dégénérescence des ganglions qui occupent le hile du foie
(Bouillaud, Brière de Boismont).
5° Cancer. — ïl n'est pas rare de voir des cancers du foie, de l'estomac
ou du petit épiploon s'étendre jusqu'aux voies biliaires, les comprimer et
se les assimiler; on voit quelquefois aussi le cancer de la tête du pancréas
s'étendre jusqu'à l'embouchure du canal chlolédoque et l'oblitérer. Mais
nous voulons ici parler exclusivement du cancer primitif de l'appareil
excréteur de la bile; il a été observé avec ses différentes formes. Durand-
Fardel en a fait l'objet d'une étude spéciale et en rapporte six cas bien dé-
taillés : l'encéphaloïde, le squirrhe et le cancer colloïde y sont représentés;
presque toujours le cancer occupe la vésicule du liel ; une seule fois, il
siégeait dans le canal cholédoque. Les Bulletins de la Société anatomïque
renferment sept observations de cancer primitif des voies biliaires; cinq
fois celui-ci avait atteint la vésicule et deux fois le canal cystique. En
général, l'espèce de cancer n'y est pas indiquée ; les deux seules formes
dont il est question sont l'encéphaloïde et le squirrhe. On doit à Stokes une
observation de tumeur fongueuse du canal cholédoque avec dilatation des
canaux biliaires et ictères. Aux formes de cancer signalées plus haut, il
faut joindre les végétations en chou-fleur, ou cancer villeux de Ilokitansky.
Sauf un seul cas, où le cancer de la vésicule fut rencontré chez une femme
de vingt-huit ans (Markham), cette affection se rencontre surtout chez
les vieillards de soixante-dix à quatre-vingts ans (Durand-Fardel). Un fait
remarquable qui est signalé par beaucoup d'observateurs, c'est la fré-
quente coïncidence du cancer des voies biliaires et des calculs. Frerichs a vu
ce cas se présenter neuf fois dans onze observations. Dans les sept faits que
nous avons empruntés aux Bulletins de la Société anatomique, il y en a
BILIAIRES (voies). — dégénérescences diverses, 05
cinq où des calculs biliaires existaient en même temps. Il est probable que
le cancer agit surtout comme obstacle au cours de la bile et favorise la
production des calculs en opérant le stagnation de ce liquide.
Le cancer ne s'accuse ordinairement que par les ciTeis mécaniques
qu'il détermine sur ces parties et particulièrement par fY ictère. Lorsqu'il
occupe la vésicule et qu'il prend un grand développement, il forme, dans
la région occupée par cet organe, une tumeur appréciable au toucher.
Mais on comprend que ces signes sont plutôt de nature à fournir un dia-
gnostic erroné. Dans la marche naturelle de l'affection cancéreuse , on
voit quelquefois la dégénérescence atteindre les parties voisines, souder
la vésicule au côlon, par exemple, et établir en définitive une communi-
cation entre les deux cavités. Chez l'un des malades de Durand-Fardel,
cette complication eut pour effet de produire des vomissements opiniâtres
et de la diarrhée qui hâtèrent sa fin. Quant aux manifestations de la
cachexie cancéreuse, elles apparaîtront ici comme dans les autres locali-
sations de la même maladie. En somme, le diagnostic n'aura jamais, dans
le cas actuel, une grande précision. Cela ne sera regrettable que lorsque
l'erreur aura pour résultat de faire négliger une maladie curable, et no-
tamment l'affection calculcuse; car, pour le cancer lui-même, il est au-
dessus de toute ressource.
4° Hydatides. — Les faits d'hydatides développées primitivement dans les
parois des conduits biliaires sont très-rares. Nous ne connaissons, comme
authentique que l'observation de Gadet de Gassicourt. Il s'agissait d'un
jeune garçon de dix-sept, ans qui était affecté d'ictère, cl qui succomba
à des hémorrhagies répétées par le nez, par les selles et par les vomisse-
ments. Entre autres lésions à l'autopsie, on trouva sur le trajet du canal
•cholédoque une poche de la grosseur d'un œuf de poule à peu près. Cette
poche s'était en partie vidée par une double ouverture1 dans la cavité même
du conduit; elle contenait un peu de bile et une autre poche plus petite
affaissée sur elle-même, qui fut aussitôt reconnue pour une hydatide. Le
canal cholédoque avait été comprimé et assez altéré pour qu'on ne pût pas
reconnaître sa communication avec le duodénum.
Les exemples de kystes hydatiques du foie rompus dans les canaux bi-
liaires sont plus fréquents. Nous aurons à revenir sur cette question, soit
à l'occasion des enlozoaires trouvés dans les voies biliaires, soit à propos
de l'occlusion des conduits de la bile.
Olli'vier (d'Angers), Note sur l'atrophie de la vésicule biliaire [Àrch. gén. de m d. Juin 1824 .
Fabre (J. A.), Ossification de la vésicule biliaire [Bull, delà Soc. anat. 1831V
Littré (E.), Ossification de la vésicule biliaire [Dict. de m il . en 50 vol. 2eédil., t. V. Paris,
1835, p. 230).
Andral (G.), Clinique médicale de la Chant.', i" édit., t. 11. Taris. 1839. 52° observatii n.
Bouillaud (J.), Recherches cliniques sur les maladies de l'appareil excréteur de la bile. LTaobs.
[Jonrn. complémentaire du Dict. des se. med ., t. XXIX, 1827).
Biuère de Boismont (A.), Observations sur quelques maladies du l'oie. 8e ohscrv. Arch. gén. de
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Durand-Fardel (Marc), Recherches analoma-palhologïques sur la vésicule et les canaux bilhires
[Arch. gén. de med. 1840).
56 ■ BILIAIRES (voies). — affection calculeuse.
RiciiAitD (X.), Oblitération et disparition complète de la vésicule biliaire (Bull, de la Soc. anat.
1846 .
Stokes (AV.), Observation d'ictère produit par une tumeur fongueuse du canal cholédoque [Dublin
Quartcr!!/ Journal ofmedicine. Novembre, 1846).
Jacquemet, Observation de vésicule biliaire atrophiée [Bull, de la Soc. anat. 1850).
Capet Gassicourt, Observation de kyste hydatique développé sur le trajet du canal cholédoque
llull.de la Soc. anat. 1855).
Topinard (P.), Observation de vésicule biliaire ossifiée [Bull, de la Soc. anat. 1850).
Freiuciis, Traité pratique des maladies du foie. Trad. de Duméml et Pellagot. 2e édit. Paris,
1866.
Affection calcesieuse. — Historique. — Les calculs biliaires et les
accidents qu'ils déterminent n'ont commencé à être de notion courante
que vers le milieu du seizième siècle. Avant cette époque, on ne possé-
dait aucune donnée certaine, ni sur la nature, ni même sur l'existence de
ces productions. Malgré l'affirmation de Portai, Hippocrate ni Galien n'en
ont fait mention dans leurs ouvrages. Il est probable cependant que les
pierres de la bile étaient souvent trouvées sur les animaux et particulière-
ment cliez les bœufs, où elles sont assez communes. Rhazès, qui les avait
observées dans ce dernier cas, ne dit pas qu'elles existent cbez l'homme.
Vers la fin du quinzième siècle et dans la première moitié du seizième,
Gentilis de Foligno, André Vésale, et surtout Fernel, pour ne rappeler
que les noms les plus connus, rapportent non-seulement des faits de
calculs biliaires constatés chez l'homme, mais aussi s'inquiètent de leurs
causes et de leurs symptômes. En 1565, Kentmann, dans un travail que
le célèbre Conrad Gesner inséra dans son ouvrage sur les fossiles, range
les calculs biliaires parmi les douze espèces de concrétions qui peuvent
se développer dans le corps de l'homme. Une fois le fait démontré, la
plupart des médecins qui écrivirent sur les maladies du foie, sur l'ictère
et sur les douleurs hépatiques, firent implicitement l'histoire des calculs
biliaires. Des hommes illustres ont consacré des études spéciales à cette
question. A leur tête, il faut placer Fr. Hoffmann, Morgagni et Haller
lui-même qui reproduit toutes les observations relatives à cette maladie
et publiées jusqu'en 1764. Mais ce n'est qu'à partir du moment où l'on
fut définitivement fixé sur la véritable nature des concrétions biliaires,
que l'on conçut la prétention de les dissoudre sur le vivant et que Ion
commença à les traiter efficacement. En 1782, Poulletier de la Salle,
agissant d'après le conseil de Sénac, constata que des calculs biliaires se
dissolvaient à chaud dans l'alcool et que la solution laissait précipiter en
se refroidissant des lamelles micacées qu'il compara à l'acide borique.
Fourcroy, s'emparant de ce fait, rapprocha la matière des calculs bi-
liaires du blanc de baleine et du gras de cadavre, et considéra toutes ces
substances comme un seul et même corps qu'il désigna sous le nom à'adi-
pocire (1791). Mais, en 1814, Chevreul sépara la première substance des
deux autres et lui donna le nom de cholestérine qu'elle a gardé jusqu'
nos jours. La cholestérine ne constitue pas exclusivement tous les calculs
biliaires et nous verrons plus loin ce qu'il en est à cet égard ; mais on ne
peut méconnaître que la notion de son existence n'ait eu la plus grande
BILIAIRES (VOIES). AFFECTION CALCULEUSE. 57
influence sur la thérapeutique de l'affection calculeuse du foie, qui jus-
qu'alors n'avait guère été qu'empirique. Cependant, il ne faut pas oublier
que les essais deEtmùller, deVallisnieri et surtout ceux deDurande(177ô)
ont précédé les recherches plus rigoureuses de la chimie moderne.
Nous terminerons cet aperçu historique, en mentionnant l'un des ou-
vrages les plus récents sur les calculs biliaires, celui de Franconneau-
Dufresne (1851) qui, sans ajouter aucune donnée nouvelle au sujet, a
cependant le mérite de l'envisager sous tous ses aspects et de la façon la
plus complète. Enfin dans le traité des maladies du foie de Frerichs (1862),
on trouve des détails très-savants sur la constitution des calculs biliaires
et 1 on voit comment ceux-ci offrent des rapports de composition assez
constants avec les éléments de la bile à l'état normal.
Relativement, à la synonymie de l'affection qui va nous occuper, nous
ferons remarquer que les calculs biliaires sont souvent désignés sous le
nom de cholélithes ; et que l'ensemble des conditions qui leur donnent
naissance, de leurs caractères propres et des effets qu'ils produisent dans
l'économie est quelquefois compris sous le titre collectif de lithiase bi-
liaire.
Anatomie et chimie pathologiques. — A. Calculs biliaires considérés
en eux-mêmes. — Ces concrétions sont si fréquentes qu'il en existe un
très-grand nombre de collections publiques et particulières et qu'on a
tout le loisir de les étudier dans leurs caractères extérieurs et sous le rap-
port de leur structure et de leur composition chimique.
Caractères extérieurs. — 11 est plus rare de rencontrer un calcul unique
que d'observer un assez grand nombre de ces productions. Elles peuvent
quelquefois arriver à un chiffre prodigieux : Morgagni cite le fait d'un
individu dont la vésicule agrandie contenait 3646 petits calculs ; Frerichs
rapporte (pie la collection d'Otto possède une vésicule renfermant 7802
calculs. Le plus ordinairement leur nombre est de 2 à 10. En général,
plus ils sont multipliés, moins leur volume est considérable; celui-ci
varie depuis la grosseur d'un œuf de poule, et plus, jusqu'au degré du
sable le plus fin. L'un des plus gros connus a été décrit par J. F. Meckel;
il mesure cinq pouces de longueur et quatre pouces de circonférence.
Nous avons sous les yeux un très-beau calcul ayant 3 centimètres et
demi de diamètre et pesant 14 grammes; nous possédons d'autre part
une collection entière de ces concrétions trouvées dans une seule vésicule
et dont beaucoup ont le volume d'un gros pois, mais dont le plus grand
nombre sont si petits que nous avons renoncé à les compter. On a, d'après
cela, distingué pour les voies biliaires comme pour les voies urinaires
les calculs proprement dits, les graviers et le sable; on a même parlé
d'une boue biliaire. Souvent ces productions ne sont que des débris de cal-
culs dissociés spontanément ou par suite des frottements qu'ils exercent
les uns contre les autres.
Lorsqu'un calcul biliaire est unique, il affecte habituellement la forme
olivaire, c'est-à-dire avec une dimension qui l'emporte sur les deux
autres et avec une surface régulièrement arrondie ou légèrement mûri-
58 BILIAIRES (voies). — affection galculècse.
forme; cependant le calcul, dont nous avons déjà parlé, est polyédrique
et à cinq angles. Quelquefois la concrétion semble s'être moulée sur les
cavités qui l'ont contenue : un calcul du réservoir de la bile, qui empiète
sur le canal cystique, présente ordinairement un étranglement correspon-
dant au rétrécissement formé par le col de la vésicule. On voit parfois
dans les conduits biliaires, et Glisson a signalé ce cas chez le bœuf où il
n'est pas rare, des concrétions ramifiées comme les branches du corail et
même tubulées à l'intérieur. Il y a encore bien d'autres dispositions rela-
lives à la forme des calculs biliaires. Lorsque ceux-ci sont multiples, ils
offrent des facettes qui sont déterminées par le frottement qu'ils ont
exercé l'un contre l'autre et dont le nombre est en rapport avec celui des
corps de même nature avec lesquels ils ont pu entrer en contact. Dans
certains cas, un calcul se creuse à ce frottement et finit par recevoir celui
qui le touche comme un condyle dans une cavité glénoïdc.
La couleur des calculs biliaires n'est pas moins variable que leur
forme. Il faut lire dans Morgagni l'extrême diversité qu'ils peuvent pré-
senter à cet égard. On comprend, d'ailleurs, l'importance qu'on accordait
alors aux apparences tout extérieures de productions dont on ignorait la
composition chimique. Qu'il nous suffise de dire qu'on a vu des calculs
biliaires tout à fait noirs et d'autres tout a fait blancs; qu'on en voit qui
sont brillants et nacrés comme des perles, ou demi-transparents comme
de la gomme arabique. Entre ces extrêmes, on a signalé toutes les nuances
intermédiaires, même la nuance bleue. Le beau calcul, que nous avons ob-
servé et auquel nous avons déjà fait allusion deux fois, offre sur certains
points une couleur rouge-grenat très-accusée. Mais, en général, les con-
crétions biliaires, malgré des lavages répétés, restent teintées par la bile :
c'est-à-dire qu'elles sont d'un jaune verddtre plus ou moins foncé, ou d'un
brun sale.
Leur densité est ordinairement assez faible et on est surpris de leur
légèreté lorsqu'on les soupèse dans la main; cependant elles ne surnagent
jamais lorsqu'on les jette dans l'eau, même lorsqu'elles sont exclusive-
ment composées de cholestérine, à moins qu'elfes n'aient été conservées
depuis longtemps et qu'elles ne soient complètement desséchées. On a vu
des calculs biliaires perdre en quelques années près de la moitié de leur
poids sans changer de volume; c'est l'eau de combinaison qui s'évapore et
qui laisse des interstices remplis d'air, en rendant le calcul poreux et
friable.
Les calculs biliaires sont ordinairement d'un contact doux et comme
savonneux ; il se rayent facilement avec l'ongle et se dissocient parfois en
fragments nombreux lorsqu'on cherche à les écraser. Parmi ces produc-
tions, il en est un grand nombre qui sont inflammables et qui brûlent
comme de la graisse (Cortesi cité par Morgagni) : c'est déjà un premier
caractère chimique des calculs biliaires et qui existe en dehors de
outc condition de forme et de couleur. Mais tous les calculs biliaires ne
sont pas inflammables : nous verrons bientôt à quoi cette différence cor-
respond.
BILIAIRES (voies). — affection calclleuse. 59
Structure. — La structure delà plupart des calculs biliaires est celle
d'un agrégat cristallin; ils sont constitués ^r^s^^^rw
en général par une partie («entralc qu'on /$L
appelle le noyau, par une couche moyenne
et par une enveloppe ou écorce (flg. 1).
Le noyau est presque toujours d'une
nature très -différente des deux autres
couches. Le plus souvent, c'est un peu
de bile concrétée qui le forme; plus rare- Fig. 1. - Coupe d'un calcul biliaire
ment il est représenté par un corps tout ^MF™^ *" " """
à fait étranger aux voies biliaires : par
un petit caillot sanguin (Bouisson) ; par un lombric mort et desséché
(Lobstein), ou par un distome (Bouisson, chez le bœuf); par une ai-
guille qui avait traversé la paroi de la vésicule (Nauche); par des <jlo-
bules (le mercure, comme cela a été observé chez des individus qui
avaient suivi un traitement antisyphilitique ( Lacarterie, Beigel). Entin
dans le cas le plus extraordinaire, Frerichs et Fuchs ont vu un calcul
biliaire, pesant quatre onces, qui s'était développé dans un abcès du
foie, occasionné par un ulcère perforant de l'estomac et dont le centre
était formé par un noyau de prune. La couche moyenne et Vécorce, or-
dinairement de même composition, malgré quelque différence de colo-
ration, présentent des stratifications concentriques et des stries radiées
qui se portent du centre à la périphérie. Dans certains calculs, la simple
fragmentation démontre une disposition cristalline évidente cl leur donne
l'aspect d'une géode remplie de feuillets micacés. L'apparence stratifiée
de la couche moyenne témoigne d'un accroissement intermittent de la
part du calcul ; et lorsque celui-ci est très- volumineux, l'accroissement
s'étant fait d'une manière inégale, le noyau au lieu d'être central est
plus ou moins rapproché de la surface. Quelques calculs possèdent plu-
sieurs noyaux : Fauconneau-Dufresne en a constaté quatre sur un calcul
de forme pyramidale, et Guilbcrt jusqu'à cinq. Il s'agit évidemment de
plusieurs calculs qui, après s'être développés isolément, ont fini par se
souder entre eux et par être englobés sous une enveloppe commune : Mor-
gagni parle d'un calcul creux en dedans et en renfermant plusieurs autres
de couleur noire. Les différentes parties d'un calcul ont parfois un aspect
hétérogène : une extrémité sera par exemple demi-transparente et cristal-
line, et l'autre sera opaque et évidemment calcaire.
C'est d'après l'ensemble de ces caractères extérieurs qu'on a tenté de
soumettre les calculs biliaires à une classification aussi rigoureuse que les
corps qui appartiennent à l'histoire naturelle. Celle qui est restée la plus
célèbre sous ce rapport est due à A. Walter, qui l'imagina pour la col-
lection du musée de Berlin. Mais, en dehors de la constitution chimique
prise pour hase, toute classification des corps de cette sorte est et doit
demeurer stérile.
Composition chimique. — Les calculs biliaires sont presque toujours
formés par un ou plusieurs des éléments qui entrent dans la constitution
60 BILIAIRES (voies). — affection càlculeuse.
de la bile à l'état normal ; il faut donc avoir bien présente à l'esprit la
composition de cette humeur pour analyser avec méthode les concrétions
qn'elle laisse déposer (voy. Bile). Après avoir constaté leurs caractères
extérieurs, on en soumet une petite portion à l'action des dissolvants, et
particulièrement de l'alcool employé à chaud; après le refroidissement de
la solution on obtient ordinairement une cristallisation dont on déter-
mine les caractères à l'aide du microscope. Cette méthode d'analyse si
simple, à laquelle on peut ajouter l'emploi de quelques réactifs sur la
lamelle même que l'on examine avec l'instrument grossissant, fournit des
résultats très-satisfaisants. Voyons maintenant quelle part prennent à la
formation des calculs les principaux éléments de la bile.
1° Cholestérine. — La cholestérine forme h elle seule un grand nombre
de calculs biliaires et elle entre dans la composition de presque tous ceux
qui sont complexes. C'est elle qui se rencontre à l'état de pureté presque
parfaite dans ces concrétions qui ressemblent à des perles pour l'éclat et
l'aspect nacré, ou dans celles qui offrent la demi-transparence de la gomme
ou du sucre d'orge. Les calculs biliaires lui doivent leur faible pesanteur
spécifique, leur contact onctueux, leur combustibilité et leur aspect cris-
tallin à l'intérieur. Elle se dissout très-bien dans l'alcool chaud et fournit
par le refroidissement des cristaux en forme de tablettes rhomboïdales.
L'acide sulfurique la colore en rouge orangé, même à la température
ordinaire.
2° Matières colorantes. — Les matières colorantes de la bile paraî-
traient très-multipliées si on ne les considérait pas comme des dérivées
d'une seule et même substance assez bien définie qui est la cholépyrrhine
de Berzelius. La cholépyrrhine se rencontre surtout dans le noyau et
dans l'écorce des calculs qui lui doivent leur coloration plus foncée que
celle de la couche intermédiaire. Elle y est rarement à l'état de pureté,
presque toujours elle est combinée avec des sels calcaires qui dénaturent
un peu sa véritable nuance. Par elle-même elle est soluble clans le chlo-
roforme, qui par l'évaporation la laisse cristalliser en aiguilles, en
prismes et en lamelles; elle est d'une couleur brun-rouge intense ou
grenat; c'est elle qui, sous l'influence de l'acide azotique, passe successi-
vement au vert, au bleu, au violet, au rouge, au jaune, puis enfin se dé-
colore. Cette réaction, souvent appliquée aux urines ictériques, est bien
connue.
La matière colorante verte proprement dite, ou choléchlorine, n'entre
que rarement dans la composition des calculs biliaires ; elle n'est d'ail-
leurs qu'un dérivé de la cholépyrrhine. Comme dérivés encore plus éloi-
gnés de ces substances, nous rappellerons la matière pigmentaire brune
et presque noire qui colore si fortement certains calculs; quelques con-
crétions semblent même formées exclusivement par l'agrégation d'une
poussière charbonneuse sur laquelle les réactifs n'ont, pour ainsi dire, au-
cune action : ce sont les calculs mélaniques de Fauconneau-Dufresnc. Ils
ne sont, du reste, jamais composés de carbone tout à fait pur, et la potasse
leur enlève, comme à l'humus, une certaine proportion de matière soluble.
BILIAIRES (voies). — affection calculeuse. 61
5° Acides spéciaux de la bile libres ou combinés à la chaux. — Le cholate
de chaux existe surtout dans les calculs des ruminants ; il est soluble dans
l'alcool et cristallise en aiguilles allongées, effilées à leurs deux extré-
mités. Le glycocholate de la même base, obtenu par Frerichs à l'aide
de la solution alcoolique d'un calcul de l'homme, se montra sous forme
de petites conglomérations brillantes et semblables à la leucine. Les deux
acides de ces sels et l'acide taurocholique existent quelquefois à l'état
libre dans les calculs biliaires du bœuf. Dans une analyse que nous avons
faite d'un calcul de l'homme, au moyen de la simple dissolution alcoo-
lique, nous avons trouvé deux ordres de cristaux très-distincts (fig. 2),
Fie. 2. — Analyse microscopique tFun calcul biliaire. — 1. Tablettes rhomboïdales de choles-
térine. — '2. Cristaux aiguillés de cholate de chaux. — .">. Cristaux bacillaires de même sub-
stance. — \. Matière grasse cristallisée; margarine? — à. Substance amorphe colorée eu vert.
(Obtenu avec la solution alcoolique).
les uns sont évidemment des tablettes rhomboïdales de eholestérin<\ les
autres ayant la forme d'aiguilles à deux pointes et légèrement arquées
correspondent assez bien aux représentations que l'on donne du cholate
de chaux. On remarquera (pie c'est la chaux qui ligure surtout comme
base dans les calculs, tandis que dans la bile normale les mômes acides
sont combinés à la soude.
4° Sels calcaires. — On a décrit des calculs exclusivement composés
de carbonate de chaux et d'autres où cette substance existait en grande
proportion. Le phosphate de chaux ligure aussi dans la constitution de la
plupart de ces calculs. Amiral cite un fait dans lequel il a constaté plu-
sieurs calculs phosphatiques.
5° Substances diverses. — On a trouvé dans certains calculs de la
margarine et du margarate de chaux. Frerichs rapporte l'analyse d'un
calcul biliaire de l'homme, dans lequel il trouva 68 pour 100 de marga-
rate de chaux. On reconnaît les caractères de cette substance en isolant
62 BILIAIRES (voies). — affection calculeuse.
l'acide gras qui cristallise dans l'alcool sous forme de lamelles elliptiques.
Des mucus et des lamelles à'épithélium se rencontrent souvent dans le
noyau des calculs biliaires.
On a encore constaté dans ces concrétions la présence du fer, du mari*
gmèse, du cuivre et des sels de magnésie.
Entin on y aurait, dans quelques cas exceptionnels, reconnu l'existence
de V acide urique. Ce fait a-t-il été bien vérifié, ou bien faut-il, avec Fre-
richs, le mettre sur le compte d'une confusion opérée dans une collec-
tion avec des calculs urinaires?
Quelques-uns des éléments que nous venons d'énumérer hgurent par-
fois d'une façon dominante dans certains calculs biliaires ; mais la plu-
part, à l'exception de la cholestérinc, ne s'y trouvent que dans une pro-
portion très-secondaire et surtout éminemment variable. Il en résulte
qu'il est impossible d'exprimer dans un tableau synoptique la composition
de ces concrétions.
B. Action des calculs biliaires sur les parties qui les contiennent. — Des
calculs ont été rencontrés dans les différents points des voies biliaires. Ils
se développent primitivement, soit dans les radicules des conduits hépa-
tiques, soit surtout dans la vésicule. Ils grossissent sur place, ou bien de
là ils cheminent vers les autres sections de l'appareil excréteur de la bile,
vers le canal hépatique, ou vers le canal cystique, et en définitive vers le
canal cholédoque. Ils s'arrêtent souvent en route et vont sans cesse en
s'accroissant par l'addition de nouvelles couches.
La présence des calculs biliaires dans l'intérieur du foie est assez excep-
tionnelle pour que Morgagni ait pris soin de rappeler tous les auteurs
qui l'avaient constatée. Il pense que ces concrétions occupent toujours les
branches même du conduit hépatique et n'accorde qu'avec peine à Riedlin
qu'elles puissent se développer dans les grains glanduleux du foie. Quoi
qu'il en soit, les calculs peuvent acquérir même dans ces parties un vo-
lume considérable en dilatant sous forme de kyste le canalicule qui les
renferme. Dans certains cas, ils sont si nombreux qu'il semble que tout
le foie ait été injecté par ces concrétions et qu'il soit impossible de le
couper avec le scalpel (Chopart cité par Fauconneau-Dufresne). Parmi les
observateurs plus récents, P. Bérard, Aubry, Barth et Duménil ont rap-
porté des faits de cette nature. Quelquefois, mais surtout cbez les ani-
maux, on trouve dans les canaux biliaires de véritables incrustations co-
ralloïdes, creusées d'un conduit central. Plater et Glisson ont signalé cette
disposition chez le bœuf, Reverhorst l'a également trouvée sur le cadavre
d'un homme. Morgagni la compare ingénieusement aux dépôts calcaires
qui iinissent par obstruer les conduites d'eau.
Pour les autres dépendances des voies biliaires, il nous suffira de dire
qu'autant les calculs intra-hépatiques sont rares, autant ceux de la vési-
cule sont fréquents. C'est là qu'ils se produisent de préférence; ils s'y
multiplient quelquefois en nombre considérable en développant les dimen-
sions de l'organe d'une faeon excessive. On voit souvent un calcul à
moitié engagé dans le col de la vésicule, ou dans l'origine du canal cys-
BILIAIRES (voies). — affection calculeuse. 03
tique ; il peut en être de môme à l'embouchure du eaual cholédoque dans
le duodénum : ce qui démontre très-clairement la tendance de la part des
calculs au cheminement dont nous parlions plus haut, et ce qui peut les
conduire à être rcjctés par les vomissements ou par les garde-robes.
Souvent un calcul se lixe sur un point de la muqueuse des voies biliai-
res, y prend droit de domicile et finit par s'y enchatonner. Les Bulletins
de la Société anatomique renferment plusieurs exemples de cette disposi-
tion ; Barth en rapporte quatre cas pour sa part. Ce n'est pas seulement
dans la vésicule elle-même qu'a lieu cet enchatonnement, mais aussi
dans son col et dans le canal cystique. 11 arrive parfois que le calcul sem-
ble être placé tout à fait en dehors de la vésicule ; il est enveloppé de
toutes parts, ne communique en aucune façon avec la cavité du réservoir,
et cela sans qu'on trouve de trace d'ulcération ni de cicatrice. 11 faut ad-
mettre alors que les calculs ont pris naissance dans les glandules de la
muqueuse et que L'orifice de celles-ci passe inaperçu ou s'est oblitéré.
Dans ces conditions, la vésicule semble présenter des diverticulcums ou
bien être cloisonnée par des replis valvulaires de la membrane muqueuse:
ce qui rappelle la disposition des vessies dites à cellules et à colonnes.
Après la circonstance de l'enchatonnemeint des calculs, nous devrions
mentionner les phénomènes d'occlusion qu'ils déterminent lorsqu'ils
viennent à obstruer complètement le conduit où ils ont pénétré. Mais les
calculs ne sont pas la seule cause qui amène l'occlusion des voies biliaires;
cet accident présente du reste une physionomie assez accusée pour que
nous en fassions l'objet d'une étude spéciale (voy. p. 96).
A coté de la dilatation des voies biliaires que produit parfois l'obstruc-
tion d'un point de leur parcours, il faut placer, en opposition, les faits
de retrait et d'atrophie de lavésicule, qui se montrent lorsque celle-ci est
entièrement remplie par un ou plusieurs calculs et (pie la bile n'y a plus
accès. Nous avons étudié ce cas en un autre endroit à propos de l'atrophie
de la vésicule en général (voy. p. 52).
L'action des calculs sur les voies biliaires détermine souvent leur in-
flammation : celle-ci s'y manifeste à tous les degrés, depuis la simple rou-
geur des phlegmasies catarrhales, jusqu'à la suppuration, l'ulcération et la
gangrène. En faisant l'histoire anatomique de l'angéiocholéite nous, avons,
à vrai dire, eu égard surtout à celle qui est occasionnée par la présence
des calculs. On devra donc se reporter à l'endroit où nous avons décrit
les lésions propres à L'inflammation des voies biliaires, soit existant ac-
tuellement, soit étudiée dans ses conséquences (voy. p. 45). Nous rap-
pellerons seulement que l'inflammation peut dépasser les limites de la
membrane muqueuse, devenir phlegmoncuse et se développer même
d'une façon indépendante dans le tissu cellulaire extra-vrésiculaire où elle
forme des abcès de voisinage. D'autres fois, et nous n'avons pas cité ce
cas, l'inflammation s'étend aux branches et aux rameaux de la veine
porte et l'on voit se produire une phlébite suppurative avec infection
purulente. (Obs. de Contesse.)
L'inflammation dans sa force ulcéreuse a souvent pour effet d'ouvrir
64 BILIAIRES (voies). — affectio.n calculeuse.
une voie nouvelle aux calculs, et de permettre l'épanchement de la bile
dans le péritoine. L'évacuation des calculs dans ce cas se fait d'une manière
très-variable. On les voit tantôt passer dans le tissu cellulaire qui unit la
vésicule au foie (Barth); tantôt dans une excavation ulcéreuse du foie
lui-même ; tantôt, à la suite d'adhérences établies entre les voies biliaires
et les cavités qui les avoisinent, ils se dirigent vers le côlon transverse,
vers l'estomac, vers le duodénum ou vers le tégument externe. Une com-
munication pourrait même s'établir avec les voies urinaires, si on admet
comme démontrés deux faits que mentionne Fauconneau-Dufresne. Enfin
on a encore signalé le passage des calculs biliaires dans la veine porte.
Realdus Columbus nous a conservé l'histoire d'Ignace de Loyola, chez
lequel trois calculs s'étaient frayé un chemin de la vésicule jusqu'au con-
fluent de ce vaisseau. Camicenus a rapporté un fait de même genre et
Fr. Deway l'a également observé de nos jours. Ce qui prouve que les
concrétions trouvées dans la veine porte ou dans ses branches, sont bien
d'origine biliaire et ne sont point des phlébolithes, c'est leur composition
dans laquelle figure la cholestérine, et c'est aussi, comme dans les cas de
Camicenus et de Deway, la coexistence de semblables productions dans
les conduits habituels de la bile, avec des lésions intermédiaires qui té-
moignent d'un cheminement opéré à l'aide de l'inflammation et de l'ul-
cération.
Quelquefois on trouve dans le tube digestif des calculs volumineux qui
ont la même composition que les calculs biliaires, sauf peut-être dans
leurs couches extérieures qui ont pu être ajoutées après leur chute pré-
sumée dans l'intestin. Comme ces concrétions n'ont pu, en raison de leur
volume, être évacuées par les voies ordinaires, il faut admettre qu'elles
n'ont pénétré dans le canal intestinal que par une communication listu-
leusc établie entre celui-ci et la vésicule. Nous verrons que ces calculs
ont parfois déterminé des accidents d'iléus.
Pour compléter le tableau des lésions variées auxquelles les calculs bi-
liaires peuvent donner lieu, nous nous contenterons d'énumérer : l'épaissis-
sement des parois de la vésicule et le développement de ses fibres mus-
culaires, la coïncidence fréquente du cancer du foie ou de l'estomac, et
enfin, dans certains cas plus rares, les altérations propres à l'atrophie
jaune du foie et la cirrhose.
Etiologie. — Les causes qui président à la formation des calculs bi-
liaires sont assez multipliées en apparence, mais en somme elles se rap-
portent toujours aux conditions qui favorisent la précipitation des maté-
riaux de la bile, soit à leur état naturel, soit ayant subi des altérations
secondaires. Nous apprécierons donc d'abord les circonstances de cette
précipitation, c'est-à-dire les phénomènes immédiats de la formation des
calculs, puis ensuite les conditions générales et particulières qui la prépa-
rent de longue main.
A. Phéno7nènes immédiats de la formation des calculs biliaires. — Il
faut laisser de côté la théorie du tartre de Paracelse et d'autres explica-
tions bizarres qui avaient cours autrefois sur la production des calcu's bi-
BILIAIRES (voies). — affection calculeuse. G5
liaires et en arriver tout de suite aux analyses délicates de la chimie
moderne. Chacun des principes élémentaires des concrétions hépatiques
dérivant de l'une des substances constituantes de la bile, voyons comment
il se fait que celles-ci, plus ou moins modifiées, se solidifient et se grou-
pent sous lorme de calculs.
La cholestérine existe constamment dans la bile comme élément nor-
mal : Chevreul l'a démontré pour la première fois en 1825 chez un
homme qui venait de se tuer par accident. Sa proportion paraît y être
très-variable et elle n'a point encore été fixée par des chiffres. Elle y est à
l'état de dissolution, bien que Bouisson ait soutenu l'opinion contraire.
Ce sont les savons biliaires et surtout la cholate de soude qui aident à la
dissoudre ; en effet Berzelius a reconnu qu'elle se précipite lorsqu'après
avoir séparé le mucus par l'alcool on fait agir l'acide sulfurique. On la
voit également cristalliser en plus grande abondance dans la bile verte,
c'est-à-dire acide, que dans la bile jaune ou alcaline. Quant à l'origine de
la cholestérine, il ne paraît pas que cette substance soit formée de toutes
pièces dans le foie; elle est* un produit de la dénutrition de certains
tissus et le foie ne serait qu'un organe d'élimination pour ce principe,
comme le rein pour l'urée. Cette opinion, soutenue en dernier lieu par
Austin Flint, est très-plausible si l'on songe dans combien de tissus,
d'humeurs et de productions pathologiques, on voit ligurer le corps en
question. 11 suffit pour s'en convaincre de consulter le tableau qu'en ont
dressé Robin et Verdeil dans leur Traité de chimie anatomique. La cho-
lestérine circule même normalement avec le sang. On conçoit d'après cela
que l'élimination de ce produit peut varier beaucoup dans son activité ;
et, comme c'est un corps insoluble dans l'eau, la moindre circonstance
peut en opérer la précipitation, tandis que l'urée s'évacue en quantité in-
déterminée et sans jamais former de concrétions.
Les mêmes conditions de solubilité et de précipitation se rencontrent
pour la cholépyrrhinc. Cette substance ne se dissout qu'à l'aide du cho-
late de soude, ou de toute autre liqueur alcaline, et elle critallise dès que
la bile devient acide. Seulement, comme c'est \m composé moins stable
(pie la cholestérine, elle donne rapidement des dérivés de toute nuance,
surtout en se combinant à la chaux dont nous indiquerons tout à l'heure
l'origine.
Le cholate de soude subit des altérations correspondantes dans un milieu
acide; l'acide cholique,ou résine biliaire, devenu libre, reste rarement à
l'état de pureté; il donne rapidement naissance à des dérivés nombreux,
soit en séjournant au milieu delà bile en stagnation, soit dans les opéra-
tions de l'analyse chimique. L'acide margarique offre beaucoup plus de
stabilité et se présente toujours avec les mêmes caractères.
Mais ce qu'il y a de plus remarquable dans ces cas, c'est "l'apparition de
la chaux qui tixe la plupart de ces produits et qui entre pour une si large
part dans la constitution des calculs. D'après Frcriehs, elle ne provien-
drait pas du foie, mais de la muqueuse de la vésicule. Cet observateur
aurait vu sur la face interne de cette cavité d'innombrables cristaux de
NOl'V. PICT. MÉD. ET C.1III1. V. — J
GG BILIAIRES (voies). — affection calcijleuse.
carbonate de chaux; et dans un cas où un calcul adhérait aux parois de la
cholécyste, il aurait constaté que le côté adhérent était composé de carbo-
nate de chaux et le côté libre de cholestérine pure.
Toutes ces conditions réunies ne suffiraient pas encore, suivant Fre-
richs, pour expliquer la formation des calculs biliaires, car les précipités
pourraient être entraînés avec la bile sans cesse aftluente. Il reconnaît, avec
Hein et avec Meckel, que le catarrhe de la vésicule joue ici un rôle essen-
tiel, en retenant longtemps les dépôts dans ce réservoir, où ils éprouvent
des altérations secondaires et où le mucus les réunit et les cimente.
B. Conditions générales et particulières qui favorisent la production des
calculs biliaires. — Un grand nombre de causes accessoires préparent et
déterminent la précipitation des éléments de la bile et leurs métamor-
phoses successives.
En premier lieu, nous appellerons l'attention sur les conditions anato-
miques des voies biliaires. Il est clair que la situation de la vésicule qui est
placée en dehors du courant direct de la bile et de telle sorte que celle-ci
n'y arrive que par une sorte de mouvement rétrograde, que la disposition
de son fond qui est déclive par rapport à son col, que les alvéoles de la
muqueuse qui sont des moules toujours prêts pour les calculs, que les
sinuosités de son col qui retardent aussi bien la sortie de la bile qu'elles
en gênent l'entrée, que le renouvellement lent et incomplet de cette
humeur dans son réservoir où elle séjourne toujours un certain temps,
que sa viscosité même, forment un contraste frappant avec ce qui se passe
pour les voies urinaires. Aussi faut-il reconnaître la fréquence plus grande
des calculs biliaires que des calculs de la vessie. Fabricius, Haller et Mor-
gagni avaient déjà été frappés de ce fait ; et, sans qu'on puisse le préciser
par des chiffres comparatifs , il reste encore acquis aujourd'hui comme
impression générale. On retrouve une fois de plus la part que prend la
vésicule à la formation des concrétions biliaires, en rapprochant la fré-
quence de celles-ci dans sa cavité de leur rareté dans le canal hépatique
et dans ses branches.
Tout état pathologique qui viendra exagérer les conditions que nous
venons d'indiquer sera une cause active de calculs biliaires. Les différents
obstacles qui déterminent mécaniquement l'occlusion des conduits de la
bile et que nous examinerons plus tard en détail rentrent dans cette
catégorie d'influences. Nous avons déjà signalé la coïncidence fréquente
du cancer du foie ou de son appareil excréteur et des concrétions biliaires;
nous connaissons également le rôle du catarrhe de la vésicule dans leur
formation.
De même, une vie sédentaire, un séjour prolongé dans les prisons
(Haller, Sommering, Bouisson), la profession d'homme de lettres (Tissot),
une longue maladie qui condamne à un repos forcé (S. Gooper), un inter-
valle trop grand entre les repas ont pour effet d'amener une stagnation
habituelle de la bile dans son réservoir et d'agir dans le même sens que
les obstacles mécaniques à son évacuation en provoquant une affection
lithiasique.
BILIAIRES (voies). — affection calculeuse. 07
L'introduction accidentelle d'un corps étranger dans les voies biliaires
détermine ordinairement la formation de calculs, soit en gênant le cours
de la bile, soit en servant de noyau à la concrétion qui se produit. Nous
connaissons les faits qui se rattachent à cette circonstance. Ou a encore
invoqué le passage d'un acide qui, de l'estomac, pénétrerait jusque dans la
vésicule. Il est certain que cette cause serait de nature à provoquer la
formation des calculs, si l'on se rapporte à ce que nous savons au sujet de
la pathogénie de cette affection; mais il est au moins douteux que cette
pénétration ait jamais lieu.
Quant à Vâge des individus, il est difficile de dire si la part qu'il prend
à la production des calculs biliaires tient à quelque influence d'ordre mé-
canique ou à une certaine disposition physiologique. Morgagni met en
regard soixante et un vieux sujets et huit jeunes; parmi ceux-ci, le plus
âgé avait vingt-neuf ans et le plus jeune douze ans. Mais on a rencontré
des calculs sur des enfants d'un âge encore moins avancé; Frerichs, sur
une jeune lille de sept ans; Portai, Cruveilhier et Bouisson, sur des nou-
veau-nés. Dans le fait de Bouisson, il y avait un rétrécissement du canal
cholédoque et trois calculs dans la vésicule. Ces exemples n'étonneront
pas si Ton songe qu'à cet âge la production de la cholestérine se fait déjà
très-activement, que le méconium en renferme de notables proportions,
et que l'écoulement de la bile est en partie empêché par son défaut d'em-
ploi. Pour les autres époques de la vie, on voit intervenir une foule d'in-
fluences accessoires, de sexe, de profession, d'habitudes, de régime, de
maladies accidentelles, qui ne permettent pas d'apprécier rigoureuscmenl
la part qui peut être attribuée à l'âge seul. Gomme d'un autre côté les
calculs biliaires sont souvent compatibles avec une santé parfaite, on ne
saurait dire au juste à quel moment ils ont débuté lorsqu'on les ren-
contre chez un individu qui a succombé dans un âge avancé. Suivant la
statistique de Walter, la plus grande fréquence des calculs biliaires serait
-de trenle à quarante ans; tandis que, d'après Fauconneau-Dufresne, elle
serait reportée de cinquante à soixante ans et de soixante-dix à quatre-
vingts ans. Une pareille variation prouve que l'influence de l'âge, dans le
cas actuel, n'a peut-être pas la valeur qu'on lui a accordée. Ce qui paraît
seulement démontré, c'est l'augmentation de la cholestérine dans le sang
des vieillards.
Le sexe a aussi sa part dans l'étiologic des calculs biliaires. Taudis que
Morgagni avait admis une proportion parfaitement égale pour les deux
sexes, puisqu'il avait trouvé soixante et un hommes et soixante et une
femmes atteints de celle affection, F. Hoffmann, Ilaller, Sômmering,
Pinel et Walter ont constaté une différence marquée dans les deux cir-
constances. Sur un relevé de six cent vingt cas, Hein (cité par Frerichs)
a trouvé trois cent soixante-dix-sept femmes et deux cent quarante-trois
hommes : ce qui donne le rapport de trois à deux environ. Ici inter-
viennent encore les conditions peut-être dominantes de la vie sédentaire,
des habitudes et du régime. Le rôle des fonctions sexuelles reste encore
incertain.
68 BILIAIRES (voies). — affection calculeuse.
On a beaucoup invoque la part du régime dans l'affection calculeuse du
foie. Depuis longtemps déjà, Glisson avait remarqué que, chez les vaches,
les calculs biliaires étaient plus fréquents pendant l'hiver que l'été : ce qu'il
attribue à ce que, durant la première de ces deux saisons, elles sont sou-
mises à une alimentation sèche, tandis que pendant l'été elles retournent
aux pâturages. Il est évident qu'ici il faut tenir compte de l'influence de
la stabulation, c'est-à-dire d'un repos de plusieurs mois. Quoi qu'il en
soit, on a pensé que, chez l'homme, une nourriture trop animalisée et
dans laquelle figure une trop grande proportion de matières grasses pou-
vait expliquer l'apparition des calculs biliaires. On a attribué le même
rôle à l'abus des boissons alcooliques. Il y a, au milieu de toutes ces
données ince taines, un lait qui paraît admis et dont Durande avait con-
naissance, c'est la coïncidence qui existe entre l'obésité et la fréquence des
calculs biliaires : ce qui veut dire que cette affection est particulière aux
individus chez qui le travail assimilateur est très-énergique et celui de
dénutrition imparfait. L'Héritier et Fauconneau-Dufrcsne ont confirmé
cette observation.
On a cru à l'existence d'une diathèse spéciale présidant au dévelop-
pement des calculs biliaires ; on a également voulu rattacher ces produc-
tions à la diathèse goutteuse (Bianchi, Vicq-d'Azyr). Pour cela, on s'est
fondé sur la coïncidence fréquente des concrétions biliaires et des cal-
culs de la vessie ou de la gravelle urique. Mais il n'y a ici que le seul
fait de la coïncidence qu'on puisse invoquer. Faucon neau-Dufresne fait
remarquer que les femmes qui sont si sujettes aux calculs biliaires
échappent le plus souvent aux manifestations de la. goutte. Pour ad-
mettre un rapport quelconque entre l'affection calculeuse du foie et la
diathèse urique, c'est-à-dire la goutte, il faudrait que les concrétions bi-
liaires fussent formées d'acide urique ou d'urates, comme les tophus des
articulations; or nous avons vu que ces éléments n'ont peut-être jamais
ligure dans la composition d'un calcul hépatique que par suite d'une con-
fusion faite avec un calcul des voies urinaires.
Enfin, Petit (de Vichy), a pensé que Y hérédité pouvait jouer un certain
rôle dans l'affection, calculeuse du foie. Il a vu, dans un cas, tous les
enfants d'une même famille en être successivement atteints, et pour la
plupart dans un âge peu avancé.
Mais, en résumé, les influences générales ne s'exercent que d'une façon
très-accessoire dans l'apparition des calculs biliaires, et, avec Frcrichs,
nous reconnaissons que ces productions dépendent plutôt .de troubles
locaux et d'ordre purement mécanique.
SvMrTÔMEs. — Il faut convenir que la plupart du temps les calculs bi-
liaires ne se révèlent par aucun symptôme et que le plus grand nombre
sont trouvés dans les autopsies d'individus morts d'autres maladies. Ils
ont pu parfois déterminer de vagues douleurs dans la région hépatique,
amener quelques troubles digestifs, provoquer de légers accès de fièvre
périodique et enfin s'annoncer par un ictère fugace; mais le diagnostic,
dans ces cas si mal accusés, demeure toujours incertain et l'affection
BILIAIRES (voies). — affection calculeuse. 69
calculeuse est le plus souvent méconnue. D'ailleurs le siège occupé par
le calcul n'est pas toujours le même; et, suivant qu'il se trouve dans les
conduits biliaires, dans la vésicule, dans le canal cystique ou danslecanal
cholédoque, la symptomatologie varie sensiblement. On voit encore inter-
venir le volume du calcul, sa forme plus ou moins hérissée d'aspérités, sa
tendance à l'évacuation ou sa fixité. Aussi Morgagni a-t-il pu dire qu'aucun
signe de ces calculs n'est constant, qu'aucun ne leur est propre. Néan-
moins il peut, dans la marche de cette affection, surgir des accidents
assez significatifs pour autoriser un diagnostic précis, et de telle nature,
au point de vue de la gravité, qu'il importe de les apprécier rigoureu-
sement pour les traiter avec efficacité. Tous ces accidents paraissent se
rattacher à une seule cause, la tendance au cheminement de la part du
calcul. Sous cette influence, il se produit des manifestations symptoma-
tiques qui sont séparées en groupes assez bien définis pour mériter une
description particulière , comme autant de maladies distinctes. Nous
aurons ainsi à étudier : 1° la colique hépatique, comprenant tous les
phénomènes de douleur liés à la présence de calculs dans les conduits de
la bile ; T V ictère calculeux ; 5° Vangéiocholéite et la cholécystite calcu-
leuses; 4° la tumeur biliaire; 5° Y évacuation des calculs par les voies
digestipes; 6° les fistules bilaires cutanées.
1° De la colique hépatique. — On désigne sous ce nom des douleurs
quelquefois peu intenses, souvent atroces, qui occupent la région du foie,
qui reviennent par accès, qui sont suivies ou non d'ictère et qui parais-
sent dues à la présence de calculs dans les voies biliaires.
C'est lorsque les calculs deviennent mobiles, se déplacent et tendent à
s'engager dans une partie relativement plus étroite de l'appareil excréteur
de la bile, que l'on voit éclater l'accès de colique hépatique ; et particu-
lièrement lorsque le calcul passe de la vésicule du fiel dans le canal cys-
tique, ou bien lorsqu'il va franchir l'orifice duodénal du canal cholé-
doque. Les mêmes conditions se reproduisent lorsqu'un calcul des conduits
biliaires abandonne la partie qu'il avait élargie par sa présence pour des-
cendre vers le conduit excréteur définitif; et enfin lorsqu'un calcul ovoïde,
anguleux ou polyédrique s'offre à la lumière du canal qui le contient sui-
vant son plus grand diamètre. On conçoit ce qui se passe dans ces diffé-
rents cas : il y a disproportion enlre le contenant et le contenu ; les parois
du conduit biliaire sont violemment distendues, quelquefois déchirées;
il se produit en un mot de véritables phénomènes d'occlusion et même
d'étranglement.
Ces diverses circonstances sont amenées, soit par de violents efforts ou
par les secousses d'une voiture mal suspendue, soit à la suite d'une émo-
tion vive, soit après une purgation intempestive et surtout après un excès
de table. Cette dernière influence est la mieux démontrée. C'est quelques
heures après le repas qu'arrive l'accès de douleur et au moment où la
bile afflue dans l'intestin pour la seconde période de la digestion, alors
que la vésicule se contracte pour l'expulser et en même temps les calculs
qu'elle peut contenir. Il semble enfin que, dans quelques cas, l'évacua-
70 BILIAIRES (voies). — affection calculeuse.
tion des calculs biliaires se lasse périodiquement, tantôt tous les ans,
tantôt tous les mois. Cliomel et Fauconneau-Dufresne ont rapporté chacun
une observation d'accès de coliques hépatiques chez des femmes et
revenant aux époques menstruelles.
La colique hépatique débute presque toujours subitement; rarement
elle est précédée et annoncée par quelques malaises, par un sentiment
de tension et de pesanteur dans l'hypochondre droit, par de la consti-
pation, par un goût d'amertume dans la bouche, par des urines ictériques
et par un commencement d'ictère général.
La douleur, élément essentiel de la colique hépatique, occupe la moitié
droite de l'épigastre et siège vers le rebord des fausses côtes, derrière le
ventre supérieur du muscle droit. Wepfer la plaçait au niveau de l'appen-
dice xyphoïde, dans une étendue que le pouce couvrirait; mais elle
s'étend souvent bien au delà de son foyer primitif, vers l'abdomen, vers
les hypochondres, dans le dos, au sein, à l'épaule droite, au bras et au
cou. Elle consiste quelquefois en une sensation de resserrement doulou-
reux ; mais le plus ordinairement elle est tellement violente qu'elle ar-
rache des plaintes continuelles au patient et qu'elle peut aller jusqu'à
provoquer le syncope et môme la mort subite (cas cités par Portai). Pour
l'intensité d'une pareille douleur , il n'y a de terme de comparaison que
dans la colique néphrétique qui est produite par des causes analogues et
que dans la colique de plomb. Les malades la comparent à un pincement,
à un déchirement, à l'action d'un corps térébrant, à une brûlure, etc.
Sous l'influence d'une sensation aussi cruelle, ceux-ci sont en proie à
l'anxiété, à l'agitation, prennent les attitudes les plus variées, sont le plus
souvent courbés en deux et peuvent même être atteints de mouvements
eonvulsifs. Ce dernier symptôme prend parfois une forme remarquable
sur laquelle Duparcque a le premier appelé l'attention, et qui serait re-
présentée par une sorte àliémi-épilepsie du côté droit; à la convulsion
on voit même succéder une période de sterteur et de coma. On a encore
:ndiqué, comme possibles, le délire et les hallucinations.
Du côté du tube digestif, on note du hoquet et des vomissements, soit
d'aliments à demi digérés, soit de mucosités dans lesquelles la présence
de la bile est quelquefois observée. Il y a le plus souvent de la constipation ;
mais on a vu aussi se produire quelquefois des selles bilieuses assez abon-
dantes. On constate un méléorisme borné, en général, à l'estomac et
assez marqué pour que Strack (cité par J. Frank) en ait fait un caractère
essentiel de la colique hépatique.
La palpation de la région épigastrique est habituellement intolérable,
bien qu'on ait prétendu, comme pour la colique de plomb, qu'elle sou-
lageait parfois le malade. En employant ce mode d'exploration avec
ménagement, on sent une rénitenec correspondant au siège de la dou-
leur et même se prolongeant dans une étendue plus considérable ; cette
rénitence qui peut faire croire, soit à une tuméfaction du foie, soit à un
développement exagéré de la vésicule, est due à la contraction spasmo-
dique des muscles qui prennent leurs attaches aux fausses côtes droites ;
BILIAIRES (voies). — affection calculeise. 71
elle cesse avec la douleur, et c'est alors seulement qu'on peut se rendre
compte de l'état physique de^ organes sous-jacents.
Les caractères du pouls ne sont pas toujours en rapport avec l'intensité
des symptômes que nous venons de décrire. Celui-ci reste souvent calme,
régulier et peu fréquent. Quelques observateurs ont même attaché une
certaine importance à ce ralentissement du pouls dans la colique hépatique.
Mais le plus ordinairement le pouls est petit, concentré, assez rapide,
comme toutes les fois que se manifestent des accidents abdominaux graves.
Frerichs a remarqué, dans certains cas, que la colique hépatique débutait
par un accès de frisson intense, pouvant se reproduire à chaque recrudes-
cence de la douleur; à ce frisson succédait de la chaleur et de la sueur;
la température s'élevait de 57°, 5 à 40°, 5, et le pouls de 92 à 120.
Victère est loin d'être une conséquence forcée de l'accès de colique
hépatique. Il se produit fréquemment ; mais il fait aussi défaut quelque-
fois. Nous aurons bientôt l'occasion d'apprécier ce symptôme en lui-même
et comme résultat de l'obstruction des voies biliaires.
La douleur ne persiste pas longtemps avec la même intensité ; elle pré-
sente des exacerbations à certains moments ; puis se calme pour revenir
ensuite. Un accès tout entier se compose de ces reprises successives et a
une durée variable de vingt-quatre ou quarante-huit heures. Quelques
malades sont assez heureux pour voir leur accès se terminer à la suite
d'une seule reprise, c'est-à-dire en quelques heures; d'autres voient leurs
souffrances se prolonger pendant plusieurs jours, en offrant une sorte
d'accès quotidien assez régulier. La lin de l'accès coïncide toujours avec
le déplacement du calcul qui est définitivement tombé dans l'intestin,
ou qui est remonté dans la vésicule ; chaque pas qu'a fait celui-ci a été,
pour ainsi dire, marqué par une exacerbation douloureuse, et de cette
façon on a pu suivre, par la pensée, le cheminement du corps étranger.
Lorsque tout est terminé, le malade reste accablé et tombe dans un
assoupissement profond; les divers symptômes accessoires se dissipent
lentement; l'ictère et les troubles digestifs sont ceux qui persistent le plus
longtemps.
La colique hépatique pourrait donner lieu à un diagnostic différentiel ;
mais, outre que ses caractères sont en général assez tranchés pour ne pas
laisser de doute dans l'esprit, on trouvera les éléments de ce diagnostic
à propos de la colique néphrétique, de la colique de plomb, de l'empoi-
sonnement, de l'iléus, des perforations intestinales, etc. Le diagnostic
absolu de l'accident qui nous occupe sera fondé sur l'intensité même de
la douleur, sur son siège, sur ses irradiations qui se portent de préférence
vers le côté droit et vers les parties supérieures du tronc, et surtout sur
l'apparition de l'ictère lorsque celui-ci sera dans le cas de se manifes-
ter. Mais ce qu'il nous importe de décider ici, c'est à savoir si la co-
lique hépatique est un signe certain de calcul biliaire ou bien si elle
n'est qu'une hépatalgie pouvant être produite par toute autre cause. Nous
ne voulons pas faire allusion ici à cette hépatalgie, ou affection nerveuse
du foie, dont la cause est indéterminée et qui a des caractères si peu
72 BILIAIRES (voies). — affection c.uculeuse.
définis; mais à cette affection, en tout calquée sur la colique hépatique
càlculeuse et dont la cause serait due au transport de matières irritantes
de l'intestin jusqu'au foie par l'intermédiaire de la veine porte. Déjà
JBouillaud, en 1827, avait signalé ce l'ait et exprimé des doutes sur la
signification clinique trop absolue qu'on accordait à la colique hépa-
tique. Mais c'est Beau, surtout, qui dans une analyse approfondie des
fonctions de l'appareil spléno-hépatiquc, a élevé les doutes les plus
graves sur la valeur de ce symptôme. Beau fait remarquer que rarement
on voit, à la suite d'un accès dit de colique hépatique, des calculs rejetés
au dehors; puis il montre comment beaucoup à'ingesta, aliments, bois-
sons alcooliques, médicaments et principes morbides puisés dans l'in-
testin, vont avec le sang de la veine porte irriter la substance même du
foie. 11 se base même sur le fait que nous connaissons, que c'est deux ou
trois heures après le repas que débute l'accès douloureux, pour montrer
que c'est justement à l'instant où se fait l'absorption dans l'intestin. Cette
idée si séduisante, et développée avec ce talent toujours remarquable que
l'auteur dont nous parlons a mis en usage pour défendre ses opinions,
tombe devant l'observation des faits. Tout s'explique : les calculs sont
plus souvent rejetés au dehors que Beau ne l'a cru; d'autres fois ils
peuvent être retenus dans l'intestin, s'y dissocier, ou enfin n'avoir pas
franchi l'embouchure du canal cholédoque dans le duodénum. Ajoutons
à cela que souvent on néglige de les chercher dans les selles, ou qu'on
ne fait pas cette recherche avec les précautions convenables. Nous savons
que l'époque où débute l'accès douloureux par rapport aux repas tient
surtout à ce que c'est alors que la vésicule se contracte pour chasser la
bile dans l'intestin. Si donc on ne peut nier absolument l'influence des
ingesta, on doit reconnaître qu'elle ne s'exerce que très-rarement en
comparaison de l'action des calculs ; aussi Trousseau a-t-il pu dire que
99 ibis sur 100 on pourra diagnostiquer une colique hépatique propre-
ment dite plutôt qu'une hépatalgie produite par des matières irritantes
puisées dans l'intestin. Il importe peu, du reste, que le diagnostic soit
nettement posé au moment où éclate l'accès douloureux, car il s'agit
moins alors de combattre l'affection càlculeuse elle-même que de calmer
la violence de la douleur.
2° De l'ictère calculeux. — Il ne saurait être question, en ce moment,
d'autre chose que de montrer les rapports qui existent entre l'ictère et
les calculs biliaires, et que de rechercher si l'ictère, dit calculeux, a des
caractères qui lui sont propres.
Nous avons vu que l'ictère n'était pas constant à la suite de la colique
hépatique. Lorsqu'il vient à manquer, il faut supposer, ou que le calcul
est dans le canal cystique, ou bien qu'il a été promptement évacué dans
l'intestin avant que les phénomènes d'occlusion aient eu le temps de se
produire. Si, au contraire le même symptôme est très-accusé et se ma-
nifeste très-rapidement, on est en droit d'admettre que le calcul est en-
gagé, soit dans le canal hépatique, soit surtout dans le canal cholédoque.
Du temps de Morgagni cette donnée si simple n'était pas hors de doute,
BILIAIRES (voies). — affection calcuî-euse. 73
et cet auteur s'est cru obligé de dire : « Pour que j'avoue que l'ictère est
produit par un vice des grandes voies de la bile, j'exige une obstruction
non pas du conduit cystique, mais du conduit commun (hépatique et cho-
lédoque). Il existe cependant des faits qui ne permettent pas d'accepter
rigoureusement la réciproque de cette proposition. Nous voyons, dans
les Bulletins de la Société anatomique, une observation où il est dit qu'un
calcul biliaire volumineux obstruait le canal cholédoque à son embou-
chure et qu'il n'y avait pas eu d'ictère pendant la vie (Dariste). Faut-il
admettre ici que la lumière du conduit n'était pas complètement bou-
chée? ou bien que le canal cholédoque avait une double insertion, comme
nous en avons rapporté des exemples, à l'occasion des anomalies des
voies biliaires (p. 41). On comprend, enfin, qu'une phlegmasie de la
vésicule produite par la présence des calculs et propagée aux conduits bi-
liaires peut amener un ictère, sans qu'il y ait obstruction du canal
cholédoque par un calcul.
L'ictère peut être dit calculeux sans qu'il succède forcément à une atta-
que de colique hépatique ; il se présente alors, soit sous la forme chro-
nique, soit avec une tendance à la périodicité. C'est surtout dans ce der-
nier cas que le diagnostic prend une certaine précision et qu'on peut
supposer qu'un calcul, formant soupape, ou que plusieurs calculs évacués
à des intervalles plus ou moins rapprochés, viennent d'une façon inter-
mittente faire arrêt au cours de la bile; car, pour l'ictère chronique, ii
est aussi bien produit par toute cause d'obstruction permanente du canal
cholédoque que par un calcul qui aurait pris droit de domicile dans ce
conduit et qui aurait cessé d'en irriter les parois.
5° Derangéiucholéite et de la cholécystite calculeuses. — On se reportera
à l'histoire que nous avons donnée de l'inflammation des voies biliaires
considérée dans sa forme symptomatique et comme résultant surtout de
la présence des calculs à l'intérieur de ces organes (p. 50). A moins
qu'elle ne succède à une attaque de colique hépatique, le caractère calcu-
leux de l'affection reste toujours un peuineertain. En dehors de cri indice,
nous n'avons guère, pour nous éclairer, que la forme rémittente de la
lièvre, la douleur sous-hépatique, l'apparition de la tumeur biliaire et
surtout l'ictère; et encore ce dernier signe l'ait-il défaut lorsque la vési-
cule seule est enflammée. Quelquefois il n'y a que des signes négatifs :
Bouillaud rapporte l'histoire d'une femme de soixante-huit ans chez la-
quelle on trouva la vésicule enflammée, épaissie et contenant 90 calculs;
il n'y avait eu pendant la vie aucun symptôme en rapport avec ces lésions.
Souvent aussi la phlegmasie ne se révèle que par des accidents rapidement
mortels, sans même qu'il y ait perforation des voies biliaires. Boudet a
donné l'observation d'un homme de soixante-quinze ans qui lit une chute;
il se déclara une douleur dans l'hypochondrc droit, de la lièvre, des
vomissements, de l'ictère, et le malade mourut en trente-six heures. Il y
avait des calculs biliaires, et un entre autres à l'orifice duodénal du canal
cholédoque, et une inflammation aiguë des canaux biliaires. On connaît
plusieurs autres observations du même genre. Nous avons parlé d'une
BILIAIRES (voies). — affec
CTION CALCULE USE,
phlegmasie propagée jusqu'aux ramifications de la veine porte et qui
avait marché avec toutes les apparences de l'ictère grave (obs. de Coutesse) .
Mais les faits de rupture et de perforation de la vésicule ou des conduits
de la bile sont de tous les plus fréquents. Amussat parle de calculs bi-
liaires qui obstruaient le canal cholédoque et le canal hépatique; ce der-
nier s'ulcéra; il y eut un épanchement de bile dans l'abdomen et une
péritonite mortelle. Wolf (de Bonn), observa un fait analogue chez une
femme de soixante ans ; la mort survint en vingt-quatre heures ; il y avait
une déchirure du canal hépatique en travers et huit calculs dans la vési-
cule. C'est cependant le réservoir de la bile qui s'ulcère et se perfore le
plus souvent dans ces circonstances. Duplay, Durand-Fardel, Bercioux et
Potain, ont rapporté plusieurs exemples de cette complication. Un pareil
accident est toujours imprévu ; il s'annonce avec tout le cortège de sym-
ptômes propres à la péritonite par perforation et il est constamment
mortel.
4" De la tumeur biliaire. — Ce symptôme se rapporte au développe-
ment exagéré de la vésicule et peut recevoir une double signification.
Tantôt, en effet, il est produit par une accumulation de calculs dans le
réservoir de la bile et tantôt il dépend d'une obstruction du canal cystique
par une concrétion ou par toute autre cause. La première forme nous
occupera seule, car il sera question de la seconde à propos de l'occlusion
des voies biliaires en général. L'ampliation de la vésicule par des calculs
n'atteint pas ordinairement des proportions considérables ; nous avons vu
qu'en effet il se produit plutôt alors une sorte de retrait des parois de
l'organe par suite de l'empêchement à l'arrivée de la bile dans sa cavité.
Lorsque la tumeur est accessible au palper, elle n'est point fluctuante;
elle est d'une dureté pierreuse; en même temps on perçoit en la malaxant
une sensation que J. L. Petit comparait à celle qu'on éprouve en remuant
un sac de noisettes. Cette sensation est produite par la collision des calculs
entre eux; l'auscultation la rend encore plus nette et plus complète (Mar-
tin-Solon); si elle faisait défaut, les autres caractères de la tumeur étant
bien tranchés pour le cas actuel, on admettrait que le calcul est unique.
Dans les mêmes circonstances, la tumeur ne subit pas les variations de
volume comme lorsqu'il s'agit d'une obstruction momentanée du canal
cystique et telle qu'elle, se produit dans une attaque de colique hépatique.
Il faut savoir encore que les calculs volumineux de la vésicule ont moins
de part à la production de cet accident que des calculs moindres qui
peuvent s'engager quelque peu dans le canal cystique. Enfin la tumeur
biliaire calculeuse est parfois le siège d'une perforation spontanée qui est
suivie d'une péritonite suraiguë; elle précède presque toujours la forma-
tion des fistules biliaires internes et externes; mais alors des adhérences
salutaires ont prévenu toute chance d'effusion dans le péritoine. Dans ce
dernier cas, la tumeur al'fecte souvent la marche d'un abcès phlegmoneux
qui finit par s'ouvrir au dehors en rejetant à la fois du pus, de la bile al-
térée et des calculs.
5° De l'évacuation des calculs biliaires par les voies digestives. —
BILIAIRES (voies). — affection calculeuse. 75
Lorsque des calculs biliaires sont rendus, soit par les vomissements, soil
par les garde-robes, le diagnostic prend une précision très-grande; mais
encore faut-il que ces calculs aient un rapport de composition avec ceux
qu'on trouve habituellement dans les voies de la bile. Ils sont rejetés ainsi
le plus souvent à la suite d'une attaque de colique hépatique et leur ap-
parition coïncide avec une cessation brusque des douleurs; quelquefois,
mais exceptionnellement, ils sont rendus sans efforts marqués.
Le rejet des calculs biliaires par le vomissement est assez rare. Faucon-
neau-Dufresne n'a pu en réunir que huit cas empruntés à divers auteurs.
Nous avons vu dans le musée de l'École de Reims un calcul qui est indi-
qué comme ayant été rendu par la bouche ; il est de forme pyramidale,
de couleur vert foncé et du volume d'une assez grosse noisette. Ce n'est,
en général, qu'après de violentes coliques hépatiques et dans les efforts
de vomissement que celles-ci déterminent que des concrétions biliaires
sont ainsi expulsées. Le calcul rendu est ordinairement unique; dans le
l'ait de Petit (de Vichy) on en a compté six. L'observation de Uouisson
mentionne le rejet d'une matière noire charbonneuse analogue à celle
qui constitue la gravelle mélanique des voies biliaires.
Il est plus commun de voir les calculs biliaires rendus avec les gatde-
robes. Ceux-ci se représentent ici avec tous les caractères extérieurs et
avec la composition intime que nous leur connaissons. Ils peuvent être
expulsés en très-grand nombre à la fois, comme dans le fait observé par
Bermond où la malade rendit par les selles une masse de calculs du vo-
lume des deux poings. Lorsque les dimensions de ces productions sont
par trop considérables et qu'elles égalent, par exemple, la grosseur d'une
noix ou d'un œuf de poule, il est difficile d'admettre qu'elles ont pu tra-
verser le canal cholédoque. 11 est plus probable, ainsi qu'on Ta constaté
plusieurs fois directement, que c'est à la suite d'une communication fis-
tulcuse établie entre la vésicule et le duodénum ou le colon transverse
que l'expulsion est devenue possible. C'est ce qui a eu lieu sans doute dans
le cas de Fricdler où le malade rendit par l'anus deux calculs de cholesté-
rine du poids total de 445 grains. Pour un calcul de 2 centimètres de
long sur 1 centimètre et demi de diamètre, observé par llérard et rejeté
par l'anus, Cruveilhicr admit la perforation de la vésicule.
La présence d'une facette sur un calcul expulsé de cette façon permet
de conjecturer qu'il en existe d'autres provenant de la même origine :
Van Svvieten rapporte (pie sa belle-mère était sujette à un ictère pério-
dique et qu'après un accès de colique hépatique elle rendit parles selles
un calcul du volume de la première phalange du pouce. Sur ce calcul
étaient taillées deux facettes correspondant à deux autres calculs qui
furent en elfet rejetés ensuite par la même voie; ils avaient à peu près le
volume du premier. Le fait de Friedler présente quelque chose d'ana-
logue.
On a dû prendre quelquefois pour des calculs biliaires des masses
graisseuses parfaitement arrondies, demi-molles, et qui sont rendues par
les garde-robes. Fauconncau-Dufresnc signale deux cas de cette nature
76 BILIAIRES (voies). — affection calcoleuse>.
empruntés à Fujol et à Bourdois. Foucart a étudié avec soin ces produc-
tions et a reconnu qu'elles étaient le résultat d'une sorte de saponifi-
cation opérée par la bile des matières grasses ingérées. Il suffit de signaler
cette cause d'erreur pour l'éviter.
iNous avons supposé jusqu'ici que l'expulsion du calcul suivait d'assez
près l'accès de colique hépatique; mais il arrive quelquefois que celui-ci
après être tombé dans l'intestin y séjourne, s'y développe par l'addition
de couches nouvelles et finit par provoquer des accidents graves d'obstruc-
tion et d'iléus. L'arrêt peut avoir lieu dans les différentes sections du
tube intestinal ; il est opéré par l'enclavement du calcul dans un repli de
la membrane muqueuse ; on a vu souvent ces productions figurer parmi
les corps étrangers qui déterminent la gangrène et l'ulcération du cœcum
et de son appendice. Elles sont quelquefois fixées dans des parties aussi
élargies que l'S iliaque. Lorsque les calculs biliaires ont ainsi séjourné
quelque temps au milieu des matières qui traversent sans cesse l'intestin,
ils s'accroissent ordinairement par l'addition de nouvelles couches, soit
de sels calcaires, soit de matières fécales desséchées, et finissent par for-
mer le noyau d'un calcul beaucoup plus volumineux.
La présence, dans les intestins, de calculs biliaires ainsi grossis, et
même parfois tels qu'ils ont dû y pénétrer par une perforation de la vési-
cule, n'est pas toujours inoffensive. Bs déterminent une constipation opi-
niâtre et même des accidents mortels d'étranglement. Nous ajouterons
quelques faits à ceux que Fauconneau-Dufresne a rapportés. Howship parle
d'une lemme de cinquante-deux ans qui était sujette à une constipation
habituelle; elle Unit par mourir en présentant des vomissements sterco-
raux; la vésicule et le duodénum avaient été perforés par un calcul biliaire
de deux pouces de long sur un pouce et quart de large et du poids de
440 grains; il y avait occlusion complète de l'intestin par le calcul. Neil
mentionne un cas de colique hépatique suivie d'occlusion intestinale ; on
trouva le calcul arrêté à la valvule iléo-cœcale. On doit encore une obser-
vation à Peeble et une autre à H. Bourdon. Dans cette dernière, le calcul,
du volume d'un œuf de poule et du poids de 62 grammes, occupait l'S
iliaque. On conçoit tout de suite à quel genre de confusion pourrait don-
ner lieu une pareille complication; mais il convient de ne discuter le
diagnostic qu'à propos de toutes les causes qui provoquent l'iléus (voij.
Intestinales (occlusions). Le seul indice qui mérite d'être mentionné ici,
c'est lorsque le calcul étant arrêté au-dessus du sphincter de l'anus le
doigt peut le sentir à l'aide du toucher rectal.
ë° Des fistules biliaires cutanées. — Il n'est pas rare de voir l'évacua-
tion spontanée de calculs biliaires se faire au travers de la paroi abdomi-
nale. Ces calculs proviennent particulièrement de la vésicule du tiel qui
formant tumeur vient adhérer au feuillet pariétal du péritoine et se comporte
comme un véritable abcès qui finit par s'ouvrir à la surface des téguments.
Il arrive qu'en présence de cette marche on croit à un abcès du foie, ou
même à un abcès superficiel, et qu'on ouvre la vésicule du fiel. Dans un
cas de cette nature dont J. L. Petit fut témoin, le liquide qui s'écoula fut
BILIAIRES (voies). — affection calculeuse. 77
reconnu pour être de la bile pure; et plus tard, la fistule ayant été dilatée,
il en sortit une pierre biliaire. C'est ordinairement dans Vhypochondre
droit et au niveau de la région occupée par la vésicule que s'ouvre ainsi
la tumeur biliaire. Les exemples de ce cas sont si nombreux que nous
ne pouvons en mentionner que quelques-unes. Parmi les deux observa-
tions de fistule biliaire que Morand a rapportées et qui semblent avoir
été laissées dans l'oubli, il en est une qui est relative à la présente cir-
constance. Une femme portait une tumeur dans la région hépatique; la
peau rougit à son niveau et elle s'ouvrit comme un abcès; il sortit d'abord
du pus sans mélange de bile ; l'ouverture ayant été dilatée, il y eut issue
d'une pierre biliaire grosse comme un gland de chêne. A la suite de
cela il resta une fistule, mais la santé se rétablit complètement. Faucon-
neau-Dufresne a reproduit les plus célèbres faits de cette nature. L'un
des plus remarquables est bien certainement celui de Grand-Claude.
Chez une femme de 81 ans, il se fit, en 1816, une ouverture spon-
tanée de l'hypochondre droit, et il en sortit un calcul du volume d'un
petit œuf de poule; il en résulta une fistule permanente qui, en 1821,
laissa échapper un autre calcul gros comme une aveline; en 1827, issue
d'un nouveau calcul du poids de 34 grammes ; la fistule persista et la
malade mourut en 1829 d'une pleuro-pneumonie : la vésicule contenait
encore un calcul de même aspect que le dernier rendu. On a vu ainsi
un très-grand nombre de concrétions expulsées pendant la vie chez un
même individu. Le vacher a compté seize calculs éliminés de cette façon
et Hoffmann quatre-vingts.
Les fistules biliaires, de nature calculeuse, se montrent ensuite le plus
souvent à Yombilie. Dans le second fait de Morand, il s'agit d'un officier
du régiment du roi, chez lequel se manifesta au-dessus de l'ombilic une
tumeur fluctuante : cette tumeur s'ouvrit, il en sortit d'abord du pus fé-
lide, puis un calcul gros comme le pouce, et deux autres plus petits. 11
resta un écoulement permanent de matières bilieuses. Buettner vit ainsi
sortir 58 calculs par la région ombilicale. Drouineau parle d'une femme
de soixante-cinq ans qui rendit, pendant six mois, des calculs par la
même voie ; elle mourut à la fin avec les symptômes de l'ictère grave.
Une femme de soixante-sept ans, observée par Leclerc, de Caen, rendit
par la région ombilicale, un calcul de cholestérine du poids de 18 grammes
et guérit sans fistule consécutive. Dans un cas mentionné par Cruveilhier,
il s'établit une fistule biliaire sous-ombilicale; et, malgré l'existence de
celle-ci, le calcul fut rendu par les selles.
Enfin, Mackinder a vu un calcul biliaire s'échapper parla région iliaque
droite; Siry, au niveau du pli de Faine; et lluguier, près du pubis.
Ces divers modes de terminaison peuvent, en général, être considérés
comme favorables. Souvent la fistule s'oblitère après l'élimination du
calcul, et la guérison devient définitive. La persistance de la fistule elle-
même n'offre pas beaucoup d'inconvénients pour la santé. Il résulterait
des observations de Dassit (pie, par suite de l'écoulement incessant de
bile au dehors, l'appétit dv^ malades s'exagère, comme chez les animaux
78 BILIAIRES (voies). — affection calculeuse.
auxquels on a pratiqué des fistules biliaires artificielles. L'oblitération de
la fistule offre même, dans certains cas, plus de danger que d'avantages ;
c'est lorsqu'il s'agit d'une obstruction permanente du canal cbolédoque
par un calcul, car la bile n'ayant plus aucun écoulement, il s'ensuit un
engorgement rapide des voies biliaires et des accidents fàcbeux dus à leur
réplétion excessive.
Notons, en terminant, que la nature de ces fistules est nettement indi-
quée par la bile qui s'écoule au dehors et qu'elles devront être explorées
à l'aide du stylet, alin de savoir s'il n'y a pas quelque calcul engagé dans
leur trajet et prêt à sortir.
Diagnostic. — Le diagnostic des calculs biliaires est une question extrê-
mement complexe. Reconnaître l'existence de ces concrétions, en debors
des complications auxquelles elles donnent lieu, est souvent impossible.
Nous savons que bon nombre de cas passent inaperçus durant toute la vie
des individus et qu'on ne trouve les calculs chez eux qu'au moment de
l'autopsie. Les véritables symptômes de l'affection calculeuse sont donc
ceux des désordres que produisent les calculs. Le groupe symptomatique
qui se manifeste le plus souvent se compose de la colique hépatique, de
l'ictère et de l'apparition de la tumeur biliaire; celui-là laisse, en général,
peu de doutes dans l'esprit.
Lorsque la tuméfaction de la vésicule est très-évidente et qu'au lieu
d'une simple fluctuation on perçoit la sensation tactile et le bruit de col-
lision, il en résulte une certitude plus grande encore, bien qu'un kyste
hydatique puisse quelquefois produire un phénomène analogue. Le rejet
d'un calcul par le vomissement ou par les garde-robes est un signe patho-
gnomonique ; mais le fait est exceptionnel, et encore faudra-t-il bien s'as-
surer qu'il s'agit d'un calcul biliaire et non d'une autre espèce de con-
crétion ; la présence de la cholestérine en grandes proportions et de la
matière colorante verte sont des caractères propres aux concrétions hépa-
tiques. La recherche d'un calcul au milieu des selles n'est pas une chose
indifférente; on ne devra pas se contenter d'examiner les matières qui
surnagent, comme on le faisait autrefois, mais aussi celles qui se sont dé-
posées; quelquefois même on sera obligé de les tamiser. On reconnaîtra
ainsi, non-seulement des calculs entiers, mais aussi des fragments de
calculs, des parcelles brillantes de cholestérine, les graviers biliaires et
la poussière charbonneuse de la gravelle mélanique.
L'établissement d'une fistule cutanée et l'évacuation au dehors par cette
fistule de calculs ayant la composition indiquée plus haut, sont des signes
tout aussi absolus. Mais l'apparition de symptômes inflammatoires du côté
de l'appareil excréteur de la bile, ou la manifestation pure et simple d'un
ictère persistant, et encore moins les accidents propres à l'iléus ou à la
péritonite par perforation, ne seront guère de nature à éclairer le dia-
gnostic et devront tout au plus faire mettre en question l'existence des
calculs biliaires comme cause possible de ces complications.
Pronostic — Le pronostic de la lithiase biliaire est très-bénin ou très-
grave, suivant que la maladie reste latente ou qu'elle provoque l'un des
BILIAIRES (voies). — affection calculeuse. 79
accidents que nous connaissons. Depuis l'apparition fugace d'un ictère qui
s'accompagne à peine de quelques douleurs sourdes dans la région hépa-
tique jusqu'à la rupture de la vésicule dans le péritoine, il y a tous les
degrés intermédiaires de danger. Une attaque de colique hépatique n'est
pas forcément très-inquiétante; cependant nous avons vu que l'intensité
de la douleur pouvait déterminer la mort à elle seule. L'existence d'une
iistule biliaire cutanée est parfaitement compatible avec la vie et doit
dans certains cas, être considérée comme un mode de guérison spon-
tanée; la fistule elle-même finit quelquefois par s'oblitérer, sans qu'il en
résulte aucun autre inconvénient. L'occlusion intestinale par un calcul
est un cas grave, mais elle n'est presque jamais diagnostiquée. L'inflam-
mation des voies biliaires, occasionnée par la présence des calculs, com-
porte toutes les conséquences fâcheuses que nous connaissons ; et, parmi
celles-ci, le fait de la perforation des canaux de la bile, avec effusion de
ce liquide dans le péritoine, est le plus redoutable.
L'affecLon calculeuse du foie, considérée en dehors de toutes ses com-
plications, peut guérir radicalement, sous l'influence d'un traitement long-
temps continué et d'un régime approprié ; mais on devra toujours crain-
dre les récidives.
Tuaitement. — Celte question importante comprend deux choses bien
distinctes, le traitement des calculs considérés en eux-mêmes et le trai-
tement des accidents qu'entraîne leur présence.
A. Traitement des calculs biliaires. — De l'aveu de tous les praticiens,
on ne doit entreprendre le traitement radical de l'affection calculeuse du
foie que dans les intervalles que laissent entre elles les attaques de colique
hépatique, que lorsque les phénomènes d'irritation ont été calmés et
qu'en un mot la maladie est devenue pour ainsi dire silencieuse; autre-
ment on ne ferait qu'exaspérer des accidents qui réclament chacun un
traitement particulier. Les divers moyens qui sont conseillés contre les
calculs eux-mêmes forment trois groupes séparés : les uns ont la préten-
tion d'aller dissoudre directement le calcul, comme s'il était dans levais-
seau du chimiste; avec l'emploi des autres, on cherche à l'aire évacuer le
calcul par les voies naturelles; et enfin, à l'aide de certaines méthodes, et
particulièrement du régime, on essaye de combattre la disposition à pro-
duire des calculs et de prévenir les récidives. Étudions donc successi-
vement l'action des dissolvants, celle des évacuants, et enfin celle du
régime.
1° Dissolvants on lithontriptiques . — L'idée d'attaquer les calculs
biliaires au moyen des dissolvants portés plus ou moins directement jus-
qu'à leur contact, est antérieure à la connaissance de leur véritable
composition ; elle est, par conséquent, d'origine tout empirique. Après
avoir observé les effels de certains réactifs sur des calculs mis directe-
ment eu expérience, on administra à l'intérieur ces substances convena-
blement préparées : c'est ainsi que prirent naissance la médication alca-
line, et l'usage des liquides éthérés ou des huiles essentielles dans le
traitement des concrétions biliaires. On peut dire que la même méthode
80 BILIAIRES (voies). — affection calculeuse.
fait encore, de nos jours, le fond de la thérapeutique de cette affection.
Pour expliquer le mode d'action de ces moyens, les uns, et Durande est
de ce nombre, pensent que le dissolvant est porté en nature par l'intestin
et le canal cholédoque jusqu'au contact de la concrétion ; les autres, res-
suscitant avec Magendie la doctrine galénique des fonctions de la veine
porte, admettent que la substance lithontriptique, absorbée par les ra-
dicules de cette veine, est immédiatement éliminée par la sécrétion
hépatique et vient encore, par conséquent, attaquer directement le
calcul.
Enfin, on peut supposer que l'emploi de certains moyens imprime à la
masse totale des humeurs et aux produits de sécrétion une réaction très-
favorable à la destruction des calculs qui obstruent les conduits des
glandes : cette circonstance rentre en partie dans la précédente. Il est
presque inutile de dire que la première explication est antiphysiologique
et que le reflux des matières intestinales dans les voies biliaires est im-
possible; quant aux deux autres, elles peuvent tour à tour être invoquées
suivant la nature du remède employé. Sur ces données, entrons dans le
détail des médications particulières.
Médication alcaline. — Cette médication parait avoir été inaugurée par
Fr. Hoffmann. Elle semblera très-rationnelle, dès le premier abord, si
l'on se reporte à ce que nous avons dit de la formation des calculs bi-
liaires. Les alcalins empêchent non-seulement la précipitation de la cho-
lestérine et des matières colorantes de la bile, et, par suite, peuvent
arrêter le développement ultérieur des calculs; mais ils exercent encore
une action dissolvante sur certains éléments des calculs définitivement
formés. On a dit que les alcalins, en complétant la combustion respira-
toire, s'opposaient à la production de la cholestérine, comme à celle de
l'acide urique ; ce qui est conforme à la signification de la première
de ces substances qui semble être le ternie extrême des métamor-
phoses que les corps gras peuvent éprouver dans 1* économie à l'abri du
contact de l'air. En réalité la médication alcaline est celle dont l'effica-
cité contre les calculs biliaires est le mieux démontrée, et elle a toujours
été plus ou moins en honneur.
On l'a employée sous les formes les plus variées : alcalis fixes, lessive des
savonniers, carbonate de potasse, sel de soude, carbonate d'ammoniaque,
savon médicinal, etc. On a aussi recommandé (Durande, Sômmering, Bou-
chardat) les sels alcalins à acides végétaux, citrates, tartrates, acétates,
malates, etc. , qui , comme on le sait , se transforment rapidement par
l'acte respiratoire en carbonates de la même base et qui sont très-bien
supportés. Mais le moyen le plus usité consiste dans l'administration du
bicarbonate de soude donné pur, en solution, ou tel que nous le pré-
sentent certaines eaux minérales naturelles, comme celles de Vichy, de
Vais, de Carlsbad, d'Ems, etc. Ces eaux seront prises en boisson et en bain ;
elles devront être employées avec une certaine persévérance et à diffé-
rentes reprises pendant plusieurs années de suite ; les doses en seront
réglées suivant la susceptibilité des organes digestifs et suivant d'autres
BILIAIRES (voies). — affection calculeuse. ôJ
,ii constances particulières. Il faut cependant savoir qu'ici c'est la sub-
stance alcaline elle-même qui est le véritable agent thérapeutique, et que
l'abondance du véhicule aqueux est loin de jouer le même rôle que dans
l'affection calculeuse des voies urinaires, car le foie n'est pas comme le
rein un organe d'élimination pour l'eau.
Sous l'influence du traitement alcalin, des guérisons certaines et du-
rables des concrétions biliaires ont été obtenues. Tantôt les calculs sont dis-
sociés, ou dissous réellement, et disparaissent sans qu'on en retrouve les
traces; mais, le plus souvent, ils sont rendus intacts au milieu d'éva-
cuations bilieuses abondantes. Cette crise est souvent précédée par une
attaque de colique hépatique que provoquent les eaux alcalines elles-
mêmes. A ce titre, il faut savoir que la présente médication n'est pas
toujours inoffensive, et qu'elle met parfois en mouvement, d'une façon
fâcheuse, des calculs qui n'exerçaient auparavant aucune influence mau-
vaise sur les voies biliaires. Cette réserve faite, nous nous rattachons en-
tièrement à l'idée de la prééminence du traitement par les alcalins dans
l'affection calculeuse du foie.
Remède de Durande. — Ce remède se compose de trois parties d'éthei
sulfurique et de deux parties d'essence de térébenthine : ce qui peut donner
lieu à la formule suivante :
Éther sulfurique 15 grammes
Huile essentielle de térébenthine 10 —
Mêlez. De 2 à 4 grammes par jour dans du bouillon.
Durande, qui était un praticien habile, donne pour le bon emploi de
son remède des préceptes qui nous paraissent supérieurs à ce remède
lui-même. 11 commence par proscrire l'usage préalable des purgatifs,
comme pouvant provoquer rengagement prématuré des calculs dans les
conduits biliaires encore irrités. Après un long usage d'humectants, de
délayants, d'apéritifs doux, il prescrit sa mixture à la dose d'un gros,
tous les matins, en faisant prendre par-dessus du petit lait, du bouillon
de veau ou de l'eau pure édulcorée avec du sirop de violettes. En général,
les malades doivent prendre une livre du remède pour que le traitement
puisse être considéré comme complet. Pendant toute la durée de la mé-
dication, on surveille avec soin ce qui se passe, et on combat toute ten-
dance à l'irritation par la saignée, le lait d'ànesse, le petit-lait, la limo-
nade et un régime doux. Ce n'est que lorsque le cours de la bile est libre
et que Phypochondre cesse d'être douloureux qu'il est temps d'empli <
un purgatif léger.
Cette médication a été jugée d'une façon très-contradictoire. Des faits,
qui lui sont favorables , ont été rapportés en assez grand nombre, soit
par Durande lui-même, soit par d'autres observateurs. Guy ton de Mor-
veau, Fourcroy, Ilallcr, Sommering, etc., lui ont donné l'appui de leur
haute approbation. La plupart des praticiens la mettent encore en usage
de nos jours; nous avons vu Briquet l'employer avec confiance et attribuer
NOUV. Dir.T. !HÉ
82 BILIAIRES (voies). — affection calculeuse.
à l'action dissolvante directe du remède un certain degré de corrosion
qu'un calcul biliaire présentait du côté par lequel il regardait l'intestin.
Mais il faut reconnaître que la mixture de Dnrandc est difficilement
supportée par le plus grand nombre des malades, et qu'elle provoque
parfois des vomissements, de la diarrhée et une excitation que l'inven-
teur cherchait par-dessus tout à éviter. Aussi a-t-on tenté de modifier
de plusieurs manières la formule primitive de Durande. Haller l'associait
à l'opium; Sômmering supprimait souvent l'essence de térébenthine et
la remplaçait par le jaune d'œuf ; Durande lui-même, d'après le conseil
deGuyton de Morveau, avait quelquefois employé ce mélange. Duparcque^
dans ces derniers temps, a substitué l'huile de ricin à l'essence de téré-
benthine, et a donné la formule suivante :
Huile de ricin 00 grammes.
Éther 4 —
Mêlez. A prendre en 24 heures, par cuillerée à bouche.
En sens inverse, nous voyons Martin-Solon augmenter la proportion d'es-
sence de térébenthine par rapport à l'éther. Comme dérivés de la même
médication, nous citerons encore l'emploi du savon de Starkey et d'une
autre formule de savon térébenthine que donne J. Frank, et qu'il regarde
comme un remède précieux : c'est donc ici une association des alcalins et
des huiles essentielles. On pourrait, sans porter une pareille atteinte à l'idée
de Durande et pour dissimuler aux malades la saveur désagréable du re-
mède, prescrire à la fois un certain nombre de capsules d'essence de
térébenthine et de perles d'éther; mais c'est moins la saveur première
de ces substances que les renvois consécutifs auxquels elles donnent lieu
qui déplaisent par-dessus tout.
En résumé, le remède de Durande a donné des succès; mais loin que
ces succès soient dus à son action dissolvante, il se trouve que, dans les
cas où il a réussi, les pierres ont été plutôt rejetées par les selles qu'elles
n'ont été réellement dissoutes. Dételle sorte que Je médicament ne semble
agir qu'en provoquant des évacuations, et qu'à ce titre il se rattache de
préférence au groupe de moyens expulsifs. Quant aux modifications
qu'on a apportées à cette mixture et qui la dénaturent plus ou moins,
elles ne paraissent avoir aucune utilité directe ; la formule préconisée
par Duparcque n'a même aucun avantage sur l'huile de ricin employée
pure, c'est-à-dire sur les purgatifs doux en général.
Chloroforme. — Parmi les éthers, il en est un qu'on a songé récem-
ment à appliquer au traitement des calculs biliaires, c'est le chloro-
forme. Il résulte des expériences directes d'A. Corlieu, de Bouchut et
de Gobley, que le chloroforme est le meilleur dissolvant de la eholcs-
térine; il se place, sous ce rapport, avant l'éther et bien au-dessus de
l'essence de térébenthine et surtout des solutions alcalines qui ne pa-
raissent avoir aucun effet sur les calculs biliaires que l'on soumet à leur
action immédiate. Nous savons d'autre part que le chloroforme est le dis-
BILIAIRES (voies). — aitection calculeuse:. 83
solvant naturel de la choJépyrrhine. Cependant cette puissance dissol-
vante ne parait pas mieux s'exercer dans l'économie que celle du remède
de Durande. D'après les faits observés par Corlieu et par Bouchut, et qui
sont en très-petit nombre, le chloroforme, employé à l'intérieur sous
forme de sirop ou à la dose de quelques gouttes dans de l'eau sucrée, n'a
guère modifié que l'élément douleur. Nous retrouverons ce moyen à l'oc-
casion du traitement de la colique hépatique.
2° Moyens destinés à favoriser V évacuation des calculs. — Nous venons
de voir qu'en somme les prétendus dissolvants des calculs biliaires agis-
saient plutôt à titre d'évacuants, soit en exagérant la sécrétion biliaire,
ce qui détache et entraîne les concrétions, soit en sollicitant les contrac-
tions péristaltiques de la vésicule du fiel ; et que les agents les plus effi-
caces dans l'affection calculeuse du foie, les alcalins, étaient justement
sans effet chimique sur la cholestérine, surtout dans l'état de dilution où
il faut les administrer.
Dans le même ordre d'idées, on emploie des moyens dont l'action est
moins dissimulée et qui ont pour but d'expulser les calculs par les voies na-
turelles et d'une façon toute mécanique. En tète de cette catégorie d'agents
nous devons placer les purgatifs. Durande et la plupart des praticiens de
son temps en excluaient l'emploi au début du traitement et tant que (oui
n'avait pas été bien préparé pour l'expulsion du calcul. Bricheteau a plus
récemment rejeté l'usage des purgatifs tant que les calculs sont dans la vé-
sicule, c'est-à-dire tant qu'ils sont à peu près sans inconvénients. Les effets
fâcheux de la médication évacuante se révèlent par l'explosion de la colique
hépatique lorsqu'on les administre d'une manière intempestive. Après
tout, cet accident n'est pas seulement sous la dépendance de la médica-
tion purgative et nous avons vu que l'administration des alcalins pouvait
aussi le provoquer. Il est assez difficile de concevoir l'élimination de
certains calculs volumineux sans qu'il eu soit ainsi; la colique hépatique
est une nécessité, dans certains cas, comme les douleurs dues à la con-
traction utérine pour l'accouchement. On peut juger tout à la fois de
l'utilité et de l'insuffisance des purgatifs contre l'affection calculeuse de
la vésicule, en consultant une observation rapportée par Bonnet et dans
laquelle on voit un homme de soixante ans qui faisait abus de l'élixir anti-
glaireux et chez lequel on trouva, à l'autopsie, deux ou trois calculs
biliaires dans le jéjunum et la vésicule toute remplie des mêmes concré-
tions. Ainsi donc, si on n'exclut pas entièrement les purgatifs du traite-
ment des calculs biliaires, il faudra faire la part nécessaire de leur mode
d'action. On aura surtout recours aux purgatifs doux et particulièrement
à l'huile de ricin dont les observations de Duparcque ont démontré les
bons effets, ou au sulfate de soude. Le calomel, non plus que la plupart
des cholagogues, n'a aucune supériorité marquée.
Les vomitifs agissent dans le même sens, mais avec plus de violence
encore, et offrent, par conséquent, plus de dangers ; on ne les prescrit
guère que lorsque l'accès de colique hépatique est déjà déclaré et qu'on
veut hâter sa terminaison, c'est-à-dire l'expulsion du calcul.
BILIAIRES i voies). — affection calcule use.
C'est encore par le même ordre (l'action qu'on a vu des secousses im-
primées an corps, les cahots d'une voiture mal suspendue dans un che-
min raboteux, une longue course à cheval (Musgrave), un voyage sur
mer par les nausées et les vomissements qu'il peut produire, amener
l'évacuation d'un calcul biliaire, après avoir quelquefois, ainsi que nous
l'avons vu, provoqué d'abord une colique hépatique.
Pour obéir aux mêmes indications, Pujol recommandait des frictions
aromatiques et des mouvements de percussion sur l'hypochondre droit,
Barth a employé des douches sur la même région et le message,
Hall et Abeille ont appliqué Y électricité. Abeille a même publié une
observation de calcul biliaire extrêmement volumineux qui aurait été
expulsé après quatre mois d'accidents et à la suite de deux électrisa-
tions.
3° Réfjime. — L'emploi d'un régime approprié a autant pour but de préve-
nir la formation de nouveaux calculs que d'éliminer ceux qui existent déjà.
Les notions acquises sur la nature des moyens de cet ordre qu'il convient
de mettre en usage sont toutes fondées sur l'ancienne remarque de
Glisson au sujet des effets de la stabulation sur les bœufs et de ce qui se
passe dès qu'on remet ceux-ci aux pâturages. Aussi Glisson lui-même, puis
après lui Sylvius, Boerhaavc et Van Swieten, ont-ils prescrit contre les
calculs biliaires des décoctions de gazon frais, de chiendent, de pissenlit,
et ont-ils cru voir dans les matières rendues des calculs ou des fragments
de calculs. C'est d'après cela qu'on recommande encore des boissons
composées surtout avec des végétaux frais tirés de la famille des chico-
racées, des borraginées, des hépatiques , etc. Il faut savoir que ces herbes
renferment toujours une certaine proportion de sels alcalins à acides or-
ganiques qui se comportent dans l'économie à la façon des carbonates de
la même base; les cures de raisin, de fruits acides et de petit-lait sont
également fort utiles. Dans l'emploi de ces différents remèdes, il faut
tenir compte des effets laxatifs et des selles bilieuses abondantes qu'ils
provoquent.
On excluera, en général, du régime des calculeux les corps gras qui à
tort ou à raison passent pour servir d'origine à la cholcstérine. Le lait,
malgré le beurre qu'il contient, est cependant un aliment très-convenable
dans l'affection calculeuse du foie. Le régime, de toute façon, sera doux
et modéré, dit Durande ; il sera composé de viande de volaille, bouillie
ou rôtie, d'herbages, de farineux, de fruits bien mûrs, de boissons dé-
layantes, de limonades au citron, à l'orange, à la crème de tartre, de lait
d'ànesse, etc. L'exercice, si salutaire dans tous"les cas, aura moins pour
but de compléter, comme on l'a dit, la combustion de la graisse, que de
favoriser l'écoulement de la bile dans l'intestin et d'empêcher sa stagna-
non dans la vésicule. De même on prescrira de temps à autre quelque
purgatif doux5, tel que la rhubarbe ou l'huile de ricin.
B. Traitement, des accidents causés par les calculs biliaires. — Parmi
ces accidents, il n'en est que deux, la colique hépatique et la tumeur
biliaire, qui Fixeront notre attention; car, v<:"T les autres, le traitement
BiiJ AIRES (voies). — afiecîio* calcilelse. 85
nous est déjà connu, ou no se déduit en aucune façon de la connaissance
de la cause.
1° Traitement de la colique hépatique. — La nature de cette compli-
cation et l'intensité des douleurs qui la caractérisent exigent un traite-
ment prompt et actif. On emploie souvent les émissions sanguines, soit
sous l'orme de saignée générale, soit surtout en applications locales à
l'aide des sangsues ou des ventouses scarifiées. On a principalement égard
ici à l'irritation inflammatoire causée par l'engagement du calcul et à la
contraction tonique qui en est le résultat. Durande rappelle qu'Hippo-
cratc et Galien avaient observé que l'hémorrhagie de la narine droite
jugeait avantageusement l'ictère avec inflammation du foie, et que Heberden
a vu un ictère de sept semaines guéri par une hémorrhagie qui fut portée
à un tel degré qu'on craignit pour la vie du malade. Il est possible après
tout que l'état syncopal qui suit toute hémorrhagie abondante favorise
le dégagement du calcul, comme dans le cas de la hernie étranjrlée. Ce
même elfet était recherché par Saunders qui prescrivait les émétiques à
dose nauséeuse.
Nous avons déjà apprécié le mode d'action des purgatifs et des vomi-
tifs dans le traitement des calculs biliaires, nous n'y reviendrons pas ici.
Seulement nous rappellerons que l'emploi de ces moyens, au moment de
l'accès de colique hépatique, peut être aussi dangereux que leur utilité
est contestable.
Par-dessus tout c'est aux calmants de la sensibilité qu'on devra avoir
recours. V opium et ses diverses préparations seront ordonnés avec avan-
tage; on ne craindra pas de les employer à hautes doses, comme 10, 15
ou 20 centigrammes d'extrait gommeux, ou 5 à 10 centigrammes de
chlorhydrate de morphine. Mais les narcotiques pris à l'intérieur sont
souvent rejetés en raison des vomissements qui existent déjà; alors il sera
préférable de pratiquer des injections sous-cutanées de morphine, ou de
l'aire absorber cette substance par la méthode enderrnique.
La belladone a clé surtout vantée par Bretonneau et par Lolalie. On
la prescrit à la fois à l'intérieur et à l'extérieur, en potion et sous forme
de pommade. On a de même pratiqué des injections hypodermiques avec
la solution de sulfate d'atropine. Les lavements de tabac, conseillés par
Craigie, appartiennent à la même catégorie de moyens, llufeland préférait
l'eau de laurier-cerise et Brichcteau la teinture de castor eum.
Le chloroforme, employé en inhalations jusqu'à l'anesthésie, est un.
moyen précieux au moment des paroxysmes les plus violents. Son action
poussée assez loin ne se contente pas de calmer la douleur, elle peut en-
core faire cesser la contraction spasmodique des voies biliaires et facili-
ter l'expulsion du calcul.
On fait en même temps des applications émoUientes, comme des cata-
plasmes chauds, sur l'hypochondre droit. Il est encore plus utile d'em-
ployer des vessies remplies de glace, ainsi que Ihicheteau l'a recommandé.
Portai prescrivait des bains prolongés dont on entretenait la tempéra-
ture à un degré convenable et en laissant les malades s'y endormir. Ce
86 BILIAIRES (voies). — affection calculeuse.
moyen, à la suite d'une application locale de sangsues, pourrait être fort
utile, surtout en provoquant la syncope.
Pour combattre les vomissements excessifs qui tourmentent les malades
et qui ne sont pas sans danger, on prescrit des boissons gazeuses froides,
l'eau de seltz, la limonade et par-dessus tout la glace prise à l'intérieur.
(Bricheteau.)
À la suite de l'accès, les malades restent épuisés et anéantis. Il ne faut
pas se hâter d'employer les stimulants; le repos et un long sommeil, que
la cessation de la douleur favorise, sont les remèdes les plus efficaces.
Le régime sera celui que nous avons indiqué à l'occasion de l'emploi du
remède de Durande.
2° Traitement de la tumeur et de la fistule biliaires. — La connaissance
de ce qui se passe lorsque les calculs biliaires sont éliminés au travers de
la paroi abdominale, a inspiré à J. L. Petit l'idée d'une opération ana-
logue à celle de la taille pour les calculs de la vessie. Mais ici les condi-
tions anatomiques toutes différentes qui existent, et la nécessité qu'il y a
de traverser la cavité du péritoine pour arriver à la vésicule, réduisent Im-
plication de cette espèce de lithotomie aux cas où les adhérences entre les
deux feuillets du péritoine sont bien évidentes, et surtout, comme le veut
Boyer, lorsque la tumeur prend les apparences d'un abcès et qu'elle me-
nace de se rompre à l'extérieur. Dans ces conditions l'opération est de la
dernière simplicité. Mais on a aussi tenté de provoquer ces adhérences
quand elles n'existaient pas et alors on se comporte comme lorsqu'il s'agit
d'ouvrir un abcès ou un kyste hydatique du foie. Leclerc (de Senlis) rap-
porte l'observation d'une femme de 72 ans qui avait une tumeur fluc-
tuante dans rhypochondre droit; cette tumeur, ouverte à l'aide de la potasse
caustique, laissa écouler d'abord de la sérosité, puis des calculs biliaires
entassez grand nombre. Il resta une fistule qui même tendait à la cicatri-
sation ; la malade reprit de l'embonpoint et sa santé. Toutefois, mal-
gré quelques succès et malgré l'autorité de Chelius, on ne saurait
recommander l'ouverture de la vésicule que lorsque l'indication d'agir
est très-formelle et qu'il y a déjà tendance à l'élimination spontanée des
calculs.
Lorsqu'une fistule biliaire s'établit d'elle-même, il y a souvent lieu
d'élargir son orifice et son trajet, afin de faciliter la sortie des calculs dont
on aura reconnu l'existence à l'aide du stylet. On fait habituellement usage,
pour ce cas, de l'éponge préparée.
Il y a deux ans, Demarquay a communiqué à la Société de chirurgie
le fait d'un homme de trente-cinq ans qui portait à la partie inférieure
de l'hypochondre droit une plaie fistuleuse ayant succédé à l'ouverture
d'un abcès delà vésicule du fiel. Cette plaie, qui datait de plusieurs mois,
donnait issue de temps en temps à des calculs biliaires. Un examen attentif
fit découvrir que le trajet fistuleux et la vésicule étaient remplis par des
concrétions de même nature. Il fut facile, à l'aide d'une longue pince,
d'enlever toutes celles qui occupaient le voisinage de l'orifice fistuleux et
qui offraient un petit volume; mais il y en avait d'autres plus grosses qui
BILIAIRES (voies). — bibliographie. 87
ne purent être amenées au dehors qu'après avoir été fragmentées avec
un petit brise-pierre. Le malade a parfaitement guéri. Ainsi il résulte de
ce fait que la lithotritie a été et peut être appliquée, comme la lithotomie,
au traitement des calculs biliaires.
La fistule persistant, il ne faut pas toujours chercher à l'oblitérer, car
on doit supposer que de nouveaux calculs pourront se présenter à l'orifice
et que les voies biliaires ne sont pas libres. Dans le cas où un calcul obs-
truerait le canal cholédoque et où la bile ne s'écoulerait pas dans l'intestin,
l'occlusion de la fistule offrirait des dangers, tandis que par elle-même
elle n'a que très-peu d'inconvénients. 11 est d'observation que ces sortes
de fistules tendent à se fermer définitivement lorsque tous les calculs ont
été évacués.
Gentius (de Foligno), Consilia peregregia ad quœvis morborum totius corporis gênera. Potaviis,
1492 (d'après J. Frank). — Apud Marcel Donali, de liistoria mediea mirabiîi opus, etc. Mail-
toue, 1580.
Vésalê (André), De radiée Chinae èpistola. Venetiis, 1542.
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ftntozoalres. — Plusieurs espèces d'entozoaires ont été trouvées dans
les voies biliaires de l'homme. De ce nombre sont les ascarides lombri-
coules, les distomes et les vésicules à échinocoques ; relativement au
taenia, il n'y en a pas d'exemple bien authentique. Examinons chacun
de ces cas en particulier, et accessoirement la question des corps ovi-
formes.
1° Ascarides lombricoïdes. — L'histoire de la science renferme des faits
nombreux et bien observés d'ascarides lombricoïdes rencontrés dans les
diverses dépendances des voies biliaires. Laennec, Cruveilhier, Guersant,
Tonnelé, Bonlils et Davaine, ont successivement rapporté les principales
observations qui en ont été publiées. Ces vers proviennent évidemment
de l'intestin où ils ont leur siège habituel ; c'est par une sorte de migra-
tion ultérieure qu'ils pénètrent dans l'appareil excréteur de la bile,
comme ils le font pour plusieurs autres organes. Ordinairement il y en
a en même temps dans lciube digestif et dans les conduits de la bile ; on
les a vus à demi-engagés dans le canal cholédoque, avec une extrémité
encore libre du coté du duodénum. Cette pénétration se fait durant la
vie. Cruveilhier a pourtant mis en doute sa possibilité, et a cru qu'elle
n'avait lieu qu'après la mort ou pendant l'agonie, en se fondant sur ce
que les orifices muqueux sont doués d'une sensibilité qui ne permet pas
aux corps étrangers de les franchir dans une certaine direction. Mais
l'hypothèse de Cruveilhier tombe devant l'observation des faits : toute une
symptomatologie est, ainsi que nous le verrons, fondée sur la présence de
ces vers dans les voies de la bile durant la vie ; et beaucoup d'autres circon-
stances, que nous aurons l'occasion de mentionner, le prouvent également,
ïl faut supposer que les vers, qui sont des corps animés, rencontrent
dans leurs mouvements de progression, et par hasard, l'orifice du canal
cholédoque et s'y engagent. Davaine a pensé qu'une dilatation préalable
de ce conduit, par un calcul ou par des hydatides évacués récemment,
devait favoriser cette pénétration. Il est vrai que dans certaines obser-
vations on a signalé la coïncidence des calculs biliaires ou des hydatides
90 BILIAIRES (voies). — entozoaires.
avec la présence d'ascarides dans les conduits hépatiques; mais si l'on
considère, d'après Davaine lui-même, que cette coexistence n'a été men-
tionnée que deux fois pour le premier cas et qu'une fois pour le second ;
et que, d'une autre part, le même auteur n'a pas rapporté moins de
trente-sept observations relatives à l'affection verinineuse des voies biliai-
res, on ne sera disposé à tenir qu'un faible compte de la précédente ex-
plication. Il reste cependant démontré, par le même relevé, que, sous le
rapport de l'âge, les faits de pénétration d'ascarides dans le canal cholé-
doque sont trois fois plus fréquents après quinze ans qu'au-dessous de
cette époque de la vie ; ce qui tient sans doute à ce que les dimensions des
conduits de la bile, et surtout de leur embouchure dans le duodénum,
deviennent de plus en plus favorables à l'accident que nous signalons.
Les ascarides lombricoïdes se rencontrent quelquefois isolément dans
les voies biliaires; mais, dans certains cas, ils y existent en très-grand
nombre; ils se portent dans toutes les directions, soit vers la vésicule du
fiel, soit jusque dans les plus fines ramifications des conduits biliaires
qu'ils ont dilatés. Ces vers s'y montrent avec des proportions aussi varia-
bles que ceux qui occupent l'intestin; et tout porte à croire que leur dé-
veloppement n'a point été consécutif à leur pénétration. On les a tantôt
trouvés vivants, et d'autres fois morts et plus ou moins altérés : on com-
prend que, dans ce dernier cas, ils ont dû envahir les voies biliaires
durant la vie du malade, et y séjourner au moins quelque temps. Dans
l'une des observations de Mattel, des œufs d'ascarides ont été constatés
en même temps que deux de ces vers dans l'épaisseur du foie.
La présence des ascarides dans l'appareil excréteur de la bile s'accom-
pagne souvent d'altérations des conduits qui le constituent. Ils offrent
non-seulement des dilatations en rapport avec les dimensions du ver, mais
aussi des indices d'irritation, des ulcères, des perforations. On a vu des
ascarides occuper des foyers purulents creusés aux dépens du parenchyme
du foie et en communication avec un conduit biliaire plus ou moins
élargi. Rœderer et Wagler en ont rencontré dans un kyste hydatique
rompu dans les voies de la bile. Par suite d'une migration encore plus
avancée, des ascarides ont perforé le canal cholédoque et ont pénétré
dans la cavité du péritoine ; ils peuvent même finir par se montrer au
dehors, au moyen d'un abcès du foie qui se rompt à l'extérieur (fait de
Kirkland) ; ici l'écoulement simultané du pus et de la bile et l'apparition
de l'ascaride ne laissent aucun doute sur la voie qu'il a suivie. Enfin,
rappelons le cas où un ascaride mort devient le noyau d'un calcul biliaire
(fait de Lobstein).
Il est rare que la présence de ces entozoaires dans les voies biliaires
ne s'accompagne pas d'accidents plus ou moins inarqués. Lorsqu'il en est
autrement, il faut nécessairement admettre que c'est pendant les derniers
temps de la vie, ou après la mort, que le fait de la pénétration a eu lieu .
Les symptômes par lesquels cette circonstance se manifeste habituelle-
ment sont de différents ordres. Les uns se rapportent cà l'occlusion des
voies biliaires, comme l'ictère, l'augmentation du volume du foie et le
BILIAlPiKS (voies). — entozoaires. 91
développement de la vésicule. D'autres témoignent d'une irritation plus
ou moins violente des parties envahies et acquièrent une intensité qui
rappelle les accidents de la colique hépatique. Enfin, la perforation du
conduit cholédoque ou de la vésicule, la formation d'un abcès dans le
parenchyme hépatique, ou le cheminement de cet abcès vers l'extérieur,
s'accusent par leurs caractères propres. On voit combien cette sympto-
matologie est peu significative ; elle reproduit en grande partie celle des
calculs biliaires et le diagnostic entre les deux affections est souvent dif-
ficile à établir.
Insistant particulièrement sur les indices qui peuvent conduire à une
distinction entre elles, nous ferons remarquer qu'on a assez fréquemment
signalé des convulsions générales dans le cas d'affection vermineuse des
voies biliaires; les faits de Lorry, de Cruveilhier, de Guersant et de
Broussais, donnent une certaine valeur à cette remarque. Puis l'âge du
sujet étant donné, on soupçonnera plutôt des vers chez un individu jeune
encore, et plutôt des calculs chez un malade qui aurait atteint l'âge moyen
de la vie. L'expulsion d'un vers par le vomissement ou par les selles après
des attaques réitérées d'ictère et la cessation de l'ictère à la suite de
cette évacuation, auraient pour le diagnostic une grande importance;
c'est précisément ce qui a eu lieu dans un fait rapporté par Schloss : un
ictère s'accompagnant d'accidents graves, chez une femme de trente-six
ans, disparut après qu'un ascaride lombricoïde eut été rejeté par le vo-
missement. Le cas de Kirkland est encore plus significatif, puisqu'il y
eut issue, par un abcès ouvert dans l'hypochondre droit, d'un ascaride,
et consécutivement une véritable fistule biliaire.
11 est impossible de formuler un traitement fondé sur la connaissance
d'une cause qui échappe presque toujours à l'observateur. On devra se
borner, par conséquent, à obéir aux indications qui se présenteront.
L'apparition brusque d'un ictère chez un jeune sujet, avec des phéno-
mènes convulsifs se produisant en même temps, devrait engager à em-
ployer les anthelminthiqucs, parmi lesquels le calomel occuperait le pre-
mier rang.
2° Distomes. — Tandis que les ascarides ne se rencontrent qu'acciden-
tellement dans les voies biliaires, les distomes ou douves y ont leur siège
habituel. Ils sont très-fréquents chez les ruminants et surtout chez le
bœuf et le mouton où ils produisent une maladie grave et épidémique
connue sous le nom de Cachexie aqueuse. Ils existent aussi chez le che-
val, le lièvre, le lapin, les oiseaux de basse-cour, etc. Les faits de dis-
tomes dans l'espèce humaine sont si rares que Bremser cite à peine
sept observateurs qui en ont rencontré dans un nombre de cas très-
restreints et que pour sa part il n'en a jamais vu que chez les animaux.
Davaine n'en rapporte que neuf observations positives ; aucune ne lui est
personnelle.
Les deux principales espèces de distome, le distoma hepaticum et le
distoma lanceolatùm, se trouvent habituellement réunies en même temps
dans les conduits biliaires. Pour connaître leurs caractères zoologiques,
\% B1LIA1KKS (voi-es). — entozoaihès.
on devra consulter l'article Ektozoaires, groupe des Trématodes. fi nous
suffira de savoir que ces parasites ont toujours été vus chez les animaux
à l'état parfait. Ils pénètrent sans doute avec les aliments dans le tube
digestif, sous la forme qui leur est propre, ou sous celli', de larve
ou de cercaire, et éprouvent rapidement leur dernière transformation
lorsque celle-ci ne s'est pas déjà accomplie au dehors. Quant à la
voie qu'ils suivent pour arriver jusque dans les conduits biliaires, elle est
encore incertaine. Il est probable cependant que c'est par l'intermédiaire
de la veine porte, car on en a trouvé dans cette veine à l'état de complet,
développement, bien distincts du distoma hxmatobium, et sans que les
parois du vaisseau aient offert la moindre trace d'ulcération ni de commu-
nication avec les canaux de la bile. (Observation de Duval.) Le torrent de
la circulation peut même les porter ailleurs que dans le foie, puisque
Giesker et Frey en ont observé dans une tumeur de la plante du pied;
Jean Harris, dans un abcès situé à l'occiput chez un enfant; Fox, dans
une tumeur située derrière l'oreille; Dionis des Carrières, dans une tu-
meur de la région hypochondriaque droite; et enfin, Treutler, dans la
veine tibiale antérieure. Ces faits, rapportés tout au long par Davaine,
prouvent non-seulement le mode de translation de ces parasites, mais
démontrent aussi que le foie n'est pas leur lieu exclusif d'habitation et où
ils peuvent seulement acquérir leur développement parfait.
Les altérations anatomiques produites par les distomes dans les voies
biliaires ont été surtout constatées chez le mouton. Elles consistent dans
la dilatation des conduits qui renferment les parasites et avec eux une
matière visqueuse et plus ou moins concrète ; ces dilatations sont quel-
quefois partielles et se présentent sous l'apparence de kystes. Les parois
épaissies des conduits biliaires finissent par s'incruster de phosphate de
chaux et par se transformer en tubes rigides. La vésicule ne participe
guère à ces altérations. Chez l'homme, du reste, elles sont toujours moins
prononcées et se bornent à la simple dilatation du canal envahi ; d'ailleurs
les distomes s'y trouvent ordinairement en très-petit nombre ; ils se pré-
sentent, comme chez les animaux, sous forme d'une petite feuille lancéo-
lée, et roulés sur eux-mêmes. Quelquefois, par suite d'une migration con-
sécutive, les distomes se rencontrent dans le duodénum et dans le reste
des intestins, de telle sorte qu'ils ont pu être rendus, pendant la vie, par
les vomissements ou par les garde-robes.
Les symptômes, causés par les distomes, sont bien connus chez les
moutons qu'ils font périr en grand nombre durant certaines années. Les
observations de cette aflection vermineuse chez l'homme ne font mention
que de signes fort incertains, parmi lesquels nous signalerons Victère^
les convulsions et Y anémie. Le rejet du parasite, parles évacuations alvi-
nes ou parles efforts du vomissement, donnerait au diagnostic une valeur
absolue, P. Franck a rapporté l'histoire d'une jeune fille de huit ans
qui était réduite au dernier degré de marasme, qui avait le ventre météo-
risé et de la diarrhée depuis six mois ; la région hépatique était doulou-
reuse au point de déterminer de l'agitation et une anxiété violente ; h
BILIAIRES (voies). — estozoaiiies. 93
malade, qui n'avait jamais été ictériquc, mourut au milieu des convul-
sions. Le conduit hépatique renfermait, dans une dilatation qu'il présen-
tait, cinq vers roulés en peloton, vivants et de la longueur d'un ver à
soie. Cette description, de l'aveu de tous les auteurs, ne peut se rappor-
ter qu'à la douve du foie. Dans le fait de Mehlis, on voit une femme de
trente et un ans, qui paraissait atteinte de maladie du foie depuis quel-
que temps, qui rejeta dans une première circonstance, par le vomissement
etau milieu de sang coagulé, des distomes encore vivants, et qui en ren-
dit ensuite par les garde-robes. L'année suivante cette même femme, à la
suite d'oppressions de poitrine, d'une toux brève et sèche, de lassitude
dans tous les membres, de convulsions réitérées et violentes, d'aphonie,
de tension de l'abdomen et d'ictère, rendit encore au milieu de sang
vomi plusieurs distomes hépatiques et cinquante distomes lancéolés. La
santé de la malade fut ensuite entièrement rétablie. Mehlis, qui ne con-
stata jamais ces vomissements par lui-même, a soin de faire observer que
la femme en question était honnête et simple ; d'ailleurs son visage pre-
nait souvent une teinte ictérique.
D'après des données aussi incertaines et avec un diagnostic toujours
douteux, hormis le cas où les distomes sont rejetés au dehors, ii est im-
possible de formuler un traitement régulier. Cependant Chabert, au dire
de Rudolphi, aurait fait rendre à une jeune fille de petites distomes hé-
patiques, à l'aide de son huile empyreumatique.
5° Hydatides. — Nous connaissons le cas des hydatides développées
primitivement dans les parois des conduits biliaires. Il s'agit ici des hy-
datides qui se rencontrent accidentellement à l'état de liberté dans la
cavité même de ces conduits et qui proviennent de kystes hydatiques du
foie qui s'y sont rompus. Laenneca rapporté le fait d hydatides trouvées
dans la vésicule du fiel et provenant vraisemblablement d'un kyste à
acéphalocvstes qui communiquait avec l'un des conduits de la bile. Le-
roux mentionne un cas semblable. Charcclay et Charcot ont vu les hyda-
tides dans les conduits eux-mêmes. Enfin dans une remarquable observa-
tion de Perrin, il est dit qu'un malade qui portait une tumeur dans la
région du foie finit par rendre des hydatides et des calculs biliaires avec les
selles et par guérir entièrement. Tout porte à croire qu'ici les hydatides
avaient traversé les voies biliaires en entraînant avec elles les calculs qui
s'y étaient iormés. La présence de ces corps dans les différentes parties
de l'appareil excréteur de la bile a pour effet de le dilater et de provoquer
momentanément des phénomènes d'occlusion, des douleurs de la nature
de la colique hépatique et l'ictère. Chez le malade de Charcclay, on
crut d'abord à une colique de plomb et on le soumit au traitement de la
Charité; il mourut le cinquième jour en présentant un ictère assez in-
tense et avec la face grippée. Il y avait un kyste hydatique du lobe droit
du foie et des vésicules libres dans la racine gauche du conduit bépa-
tique et dans le canal cholédoque. Le malade de Charcot eut de l'ictère
et des douleurs de colique hépatique; on découvrit une tumeur dans
l'hypochondre droit, et la mort survint au milieu de phénomènes res?
94 BILIAIRES (voies). — entozoaikes.
semblant à ceux de la période algide du choléra. Outre les altérations
propres aune péritonite généralisée, on trouva un kyste hydatique du
foie ouvert dans l'arrière-cavité des épiploons et dans la branche droite
du canal hépatique ; le canal cholédoque était rempli par un grand nom-
bre de débris d'hydatides baignés dans la bile. Ces détails suffisent pour
faire apprécier la nature de l'accident dont nous parlons, ses symptômes
et sa gravité.
4° Taenia. — Il n'y a pas d'exemple positif qui prouve que le tamia
puisse s'engager dans les voies biliaires de l'homme. Nous ne connais-
sons qu'un fait observé par Morcau, de Vitry-le -François, et mentionné
par Fauconneau-Dufresne, et où il est dit qu'une dame de 56 ans, qui
rendait des fragments de tamia, éprouvait, tous les quinze jours environ,
un ictère accompagné de douleur et de gonflement du foie, et n'en fut
débarrassé qu'après qu'un traitement par le calomel lui eut fait rejeter
le parasite. Pour ce qui est des animaux, nous voyons que Jones, de Lon-
dres, a présenté à la Société anatomique un taenia de 12 à 15 centi-
mètres de long, trouvé dans le foie d'un rat pris à Montfaucon. Ce Uenia
était enkysté, et rien ne prouve qu'il provenait de l'intestin.
5° Corps oviformes. — Ces corps, dont la nature est encore un pro-
blème aujourd'hui, s'observent très-fréquemment dans le foie du lapin,
où ils forment des traînées ou des amas blanchâtres visibles à la surface
de la glande ; ils offrent la plus grande analogie avec les ovules de cer-
tains vers intestinaux, mais sans qu'on ait jamais constaté la présence
de l'entozoaire qui les aurait déposés. Ces corps oviformes n'ont été ob-
servés qu'une seule fois chez l'homme, et par Gubler qui en a donné une
description détaillée. On crut pendant la vie à un kyste hydatique ; à
l'autopsie, on trouva, entre autres altérations, de nombreuses tumeurs
disséminées dans la substance du foie et de la forme et du volume de mar-
rons, avec l'aspect du cancer encéphaloïde. Le contenu de ces tumeurs
était formé par des cellules quatre fois plus grosses que la cellule hépa-
tique, de forme ovoïde, à double contour et à contenu granuleux. Pour
Gubler, ces corps doivent être considérés comme des œufs d'animaux in-
férieurs, avec une coque à double contour et un vitellus granuleux, et
ressemblant particulièrement à des œufs de distome. Nous mentionnons
ce fait dans l'espoir que de nouvelles observations nous éclaireront sur sa
véritable signification.
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Occlusion. — Nous avons vu, dans tout ce qui précède, une mulli-
tude de circonstances qui sont de nature à provoquer l'occlusion des
voies biliaires. Or, il arrive que, quelle que soit la forme de l'obstacle au
cours de la bile, les lésions anatomiques et le groupe symptoinatique qui
en dérivent, prennent une apparence assez uniforme; de telle sorte que,
si Ton ne parvient pas toujours à diagnostiquer la cause de l'obstr.uction,
on peut au moins affirmer que celle-ci existe et en déduire quelques in-
dications utiles pour la pratique.
Parmi les conditions mécaniques qui amènent l'occlusion des conduits
biliaires, nous devons citer en première ligue les calculs dont nous con-
naissons les effets sur l'appareil excréteur de la bile, et particulièrement
la tendance au cheminement et à l'évacuation ; puis les entozoaires, et
notamment les ascarides lombricoïdes qui remontent de l'intestin dans
les voies biliaires. Notons encore les produits inflammatoires de l'an-
géiocholéite catarrbalc ou exsudative : le bouchon de mucus, les fausses
membranes, le pus, la bile concrétée, le sang lui-même. Gomme consé-
quences plus éloignées de l'inflammation, il faut mentionner les rétré-
cissements cicatriciels des conduits de la bile, les brides cellulo-fibreuses
qui étranglent le canal cholédoque, ou le conduit cystique, dans l'épi-
ploon gastro-hépatique, ou quelques-unes des ramifications des canaux
biliaires dans l'épaisseur du foie : ce qui explique comment l'ictère est
un des signes possibles de la cirrhose. Meekeren a signalé V invagina-
tion du canal cholédoque sur lui-même. D'autres fois, ce sont des tu-
meurs qui se développent à Vintérieur des voies biliaires, telles que
des tumeurs fongueuses (W. Stokcs), ou même une hydatide (Cadet Gas-
sicourt). H y a aussi des obstructions causées par une compression exté-
rieure de l'appareil excréteur de la bile : les diverses tumeurs qui
émanent du foie lui-même, le cancer, les masses tuberculeuses, les dé-
générescences graisseuse ou lardacée, les kystes hydatiques, les abcès,
96 BILIAIRES (voies). — occlusion.
produisent souvent ce résultat. Il en est de même pour les altérations de
même ordre ayant leur point de départ dans le petit épiploon, dans les
ganglions du hile du foie, ou dans le duodénum; comme cas très-spécial,
citons Fanévrysme de l'artère hépatique (W. Stokes). Nous devons aussi
une mention toute particulière aux maladies de la tête du pancréas, en
raison des rapports que le canal cholédoque offre avec cet organe et de la
fréquence relative du cancer dans cette région; pour notre part, nous avons
observé trois fois l'ictère chronique lié au cancer de la tête du pancréas.
Enfin, il n'est pas jusqu'au spasme des conduits biliaires qui n'ait été in-
voqué pour expliquer ces cas d'ictère essentiel, survenant brusquement
sous l'influence d'une émotion vive et sans qu'on puisse les rapporter à
l'inflammation catarrhale. On aura, de cette façon, un tableau assez
complet de toutes les causes qui déterminent un seul et môme effet, un
arrêt au cours de la bile par ses voies naturelles.
Les conséquences anatomiques d'un pareil fait se devinent aisément.
Lorsque l'obstruction porte sur le canal cholédoque, ou tout au moins
sur le canal hépatique ou sur les conduits biliaires de second ordre, c'est
la bile elle-même qui engorge la totalité ou une portion de l'appareil
excréteur du foie. On a vu, dans ces cas, le canal cholédoque prendre des
proportions égales à celles de l'intestin, et même de l'estomac (Traffel-
mann, cité par Morgagni) . Les conduits biliaires affectent un développement
correspondant, tantôt en se dilatant d'une façon uniforme, et tantôt en
présentant des dilatations partielles ou ampullaires (fig. 3). Quant à la vé-
Fjo. 5 — Cancer de l'orifice duo dénal du canal cholédoque. Dilatation des voies
biliaires et du canal de Wirsung. (Fremchs.)
siculc du ficK elle peut aller jusqu'à acquérir les dimensions d'une tête
d'enfant et même plus, car'Vâtn Swretèn y a trouvé, dans un cas, huit livres
BILIAIRES (voies). — occlusion. 97
de bile épaissie. Il arrive alors que la vésicule envahit peu à peu l'abdo-
men et finit par s'abaisser jusqu'au niveau du bassin. En faisant une opé-
ration césarienne sur une femme arrivée au neuvième mois de la grosse>se,
Th. Bonet vit la vésicule du fiel si dilatée que les assistants crurent que
c'était un second enfant. La bile ainsi retenue dans ses canaux se con-
centre et laisse déposer des cristaux abondants de cholestérine et même
de véritables calculs. Plus tard la bile est remplacée par une sécrétion
simplement muqueuse. Mais les altérations peuvent aller plus loin encore.
La rétention de la bile provoque aussi l'inflammation ou l'ulcération des
conduits qui la renferment et en amène la rupture (Cruveilhier, Àn-
dral, Marjolin). Les lésions s'étendent parfois jusqu'au parenchyme de la
glande elle-même. J. Cruveilhier et Notta ont rapporté des fails d'abcès
multiples du foie qui n'avaient pas d'autre origine que l'inflammation
des radicules biliaires distendues par la bile. Budd mentionne même,
dans ces cas, une altération des cellules hépatiques de la nature de celle
qui appartient à l'atrophie du foie et à l'ictère grave. La rétention de la
bile finit par amener la suppression de la fonction hépatique, comme
l'occlusion des points lacrymaux fait cesser celle de la glande lacrymale.
Lorsque l'occlusion porte sur le canal cystique, les phénomènes pren-
nent un aspect tout différent. La vésicule du fiel se trouve ainsi isolée du
reste des voies biliaires, la bile n'y a plus accès, et alors, loin de s'oblitérer,
on la voit, le plus souvent, se développer peu à peu sous forme de kyste et
prendre des dimensions considérables : c'est ce qui constitue Vhydropisie
de la ve'sicule. Dans ces conditions la vésicule se remplit du produit de sa
propre sécrétion, c'est-à-dire par un liquide plus ou moins transparent
et visqueux, ou même quelquefois tout à fait séreux. Ce liquide a été ana-
lysé par divers observateurs, et notamment par Frerichs. Il contenait, dans
un cas, de nombreux corpuscules de mucus qui lui donnaient un aspect pu-
rulent, et se troublait légèrement par l'acide nitrique; il était composé de
98,27 d'eau et de 1,73 de parties solides; celles-ci étaient formées de
1,60 de matières organiques, de 0,06 de bases alcalines et de 0,07
de bases terreuses. Une autre fois Frerichs y trouva une grande quantité
d'albumine. L'hydropisie de la vésicule forme donc une troisième variété
de tumeur biliaire, la première étant de nature calculeuse et la seconde
produite par la rétention de la bile à la suite d'un obstacle siégeant sur
le canal cholédoque.
Les symptômes de l'obstruction des voies biliaires sont en rapport avec
la section de l'appareil excréteur de la bile sur laquelle porte l'obstacle.
Mais, en somme, il n'y a guère à distinguer que deux cas, suivant qu'il y
a rétention de bile proprement dite ou bien simple hydropisie de la vési-
cule.
a. La rétention biliaire est indiquée surtout par un signe capital, ['ic-
tère. La valeur de ce phénomène est telle que son apparition implique
presque forcément et par réciprocité l'idée d'une obstruction générale ou
partielle des conduits de la bile. Il n'en est point ici comme pour la sécré-
tion urinaire; la bile est formée de toutes pièces par le foie, et la cholémie
NOUV. MOT. JIIÎD. KT CUIR. V. — 7
os BILIAIRES (voies). — occlusion.
témoigne que l'écoulement du produit sécrété n'est plus en rapport avec
l'abondance de sa production, c'est-à-dire qu'il est retenu dans ses voies
naturelles : c'est là une loi qui nous semble applicable à tous les cas
d'ictère, et sans laquelle il est difficile de comprendre l'existence de ce
symptôme. L'intensité de l'ictère donne la mesure de l'obstacle qui s'op-
pose à l'évacuation de la bile, et montre s'il est absolu ou incomplet. Sa
marche éclaire quelque peu sur la nature de cet obstacle : un ictère
périodique et apparaissant assez brusquement indique habituellement
l'existence de calculs biliaires qui, de temps à autre, viennent obstruer
le canal cholédoque; il en serait de même pour les entozoaires qui s'en-
gagent parfois dans ce conduit; un ictère venu progressivement et très-
persistant doit faire penser à un obstacle de nature organique et déiinitif.
D'autres considérations accessoires doivent être invoquées : l'ictère cal-
culeux succède presque toujours à un accès de colique hépatique, l'ictère
organique se manifeste lentement et sans grands désordres apparents ;
lorsque les matières fécales sont entièrement décolorées, on doit admettre
que l'obstruction porte sur le canal cholédoque ou sur le canal hépatique;
si la bile coule en partie dans l'intestin, c'est que l'obstacle n'existe que
sur l'un des conduits hépatiques renfermés dans l'intérieur du foie, en
supposant que les anastomoses ne puissent y suppléer; ou bien surtout
c'est que la rétention biliaire n'est qu'imparfaite, et que, ainsi que le dit
J. L. Petit, la bile peut encore s'écouler par regorgement.
Les autres signes qui sont en rapport avec celui que nous venons
d'examiner, sont la tuméfaction générale ou partielle du foie et la dila-
tation de la vésicule. La tuméfaction du foie, produite par engorgement
biliaire, s'apprécie par le fait que l'organe déborde plus ou moins les
fausses côtes : l'intensité de l'ictère ne permettant pas de mettre cette
augmentation de volume sur le compte d'une simple congestion hépa-
tique. Quant au développement exagéré de la vésicule, qui constitue la
tumeur biliaire proprement dite, il est facile à reconnaître : le siège de
la tumeur qui correspond à celui occupé par l'organe en question, ou
qui paraît s'y rattacher; son augmentation progressive venue sans îouleur
excessive; sa fluctuation franche et aussi nettement accusée à la péri-
phérie qu'au centre; la sensation de collision absente; et surtout la
coexistence de l'ictère, ne permettront de la confondre ni avec la tumeur
biliaire calculeuse, ni avec un abcès, ni avec un kyste hydatique du
foie. Boernaave, Van Swieten, I. L. Petit et Boyer, frappés de l'impor-
tance du diagnostic dans le cas actuel, ont insisté longuement sur les
caractères qui permettent de l'établir. En dernier lieu, et pour écarter
tous les doutes, on pourra pratiquer la ponction de la tumeur à l'aide
d'un fin trocart explorateur; cette petite opération, même dans le cas
où il n'y aurait pas d'adhérences entre les deux feuillets du péritoine,
est sans danger, et nous l'avons pratiquée une fois sans qu'il en ré-
sultât d'accidents. L'écoulement de la bile par la canule du trocart prou-
vera que c'est ce liquide qui prend part à la dilatation de son réservoir.
Nous avons vu, à la clinique de l'Hôtel Dieu de Reims, A. Thomas recon-
BILIAIRES (toies). — occlusio.n. 99
naître, par ce moyen, tout à la fois qu'une tumeur de l'hypochondre
droit était formée par la vésicule du fiel, et que, non-seulement il y avait
rétention de la bile, mais aussi que cette rétention tenait à des calculs,
car le trocart détermina un choc significatif sur l'une de ces productions.
b. Dans l'hydropisie de la vésicule, il n'y a point nécessairement d'ic-
tère. Sauf cette circonstance, les autres caractères de la tumeur sont ceux
que nous avons indiqués pour le cas précédent. De l'aveu de la plupart
des observateurs, le diagnostic de l'hydropisie de la vésicule est l'un des
plus difficiles à établir, et lorsqu'on a bien déterminé qu'une tumeur de
l'hypochondre droit appartient à la vésicule augmentée de volume, il est
presque impossible de dire quelle est la nature de son contenu, à moins
de pratiquer une ponction exploratrice. Il faut savoir, du reste, que des
calculs biliaires peuvent exister dans la vésicule transformée en kyste.
En dehors des indications fournies par la connaissance de la cause qui
a amené l'obstruction des voies biliaires, il y a lieu quelquefois d'appli-
quer un traitement direct à cette affection. La médication à employer
sera toute mécanique. Lorsque l'occlusion n'est pas absolue ou que l'ob-
stacle est de nature à pouvoir être franchi, on doit tenter le massage et la
malaxation des parties distendues par la bile, comme nous l'avons recom-
mandé pour le cas de l'ictère catarrhal simple. J. L. Petit rapporte le l'ait
d'un malade qui, par ce moyen, faisait cesser de lui-même la tension de
sa vésicule ; une autre fois, il vit la vésicule, qu'on prenait pour un
abcès du foie et qu'on allait ponctionner après l'incision de la paroi ab-
dominale, s'affaisser au même instant, et bientôt après le malade eut par
le bas une abondante évacuation de bile. Andral mentionne, dans sa
quarante-septième observation, le cas d'une tumeur biliaire, avec dou-
leur et ictère, qui disparut en une journée ; le malade guérit. Piorry
recommande les frictions et la compression exercées au niveau de la vési-
cule du fiel dans les différentes circonstances où il y a engorgement
biliaire de cet organe.
Lorsque l'obstruction est absolue et que la distension des conduits de
la bile et de la vésicule est arrivée au point qu'on peut craindre la rup-
ture de ces canaux, il faut avoir recours à d'autres moyens. C'est ici que
J. L. Petit, établissant le parallèle entre la rétention de la bile avec la ré-
tention d'urine, conseille l'opération que Méry avait imaginée pour la ré-
tention d'urine, c'est-à-dire la ponction de la tumeur qui fait saillie au-
dessous des fausses côtes. Seulement cette ponction devient fort périlleuse
lorsque des adhérences préalables n'existent pas entre la vésicule et la
paroi abdominale. Dans les trois premières observations que J. L. Petit
recueillit sur ce sujet et dans lesquelles la tumeur biliaire, prise pour un
abcès, fut ponctionnée ou incisée, il y eut deux cas de mort par épanche-
ment de bile dans l'abdomen. D'autre part, il est fort difficile de déter-
miner si les adhérences existent ou non. Il vaut donc mieux, dans tous les
cas, renoncer à la ponction faite à l'aide du bistouri et se contenter d'un
très-lin trocart, c'est-à-dire ne dépassant pas 1 millimètre de diamètre, tel
que le trocart explorateur des trousses. Il s'agit moins, en effet, de vider
iOO BILIAIRES (voies). — bibliographie.
complètement la tumeur que Je se prémunir contre sa rupture et de re-
connaître la nature de son contenu. Frerichs rapporte une observation de
tumeur biliaire dans laquelle la vésicule était si distendue qu'elle mena-
çait de se rompre; une ponction capillaire, qui fut suivie d'un écoulement
de bile pendant trois semaines, amena une guérison complète. Ici les
adhérences avaient été reconnues à ce que la paroi abdominale ne pou-
vait pas glisser sur la tumeur. Pour le cas où ces adhérences n'existe-
raient pas, on recommande de laisser la canule en place jusqu'à ce que
les adhérences soient établies et de ne faire écouler que très-peu de li-
quide, de peur que les rapports de la vésicule avec la paroi de l'abdomen
ne soient trop brusquement détruits. Comme dernière ressource et imi-
tant en cela ce qui se produit parfois d'une façon spontanée (voy. Calculs
biliaires, p. 57), on pourrait provoquer la formation d'une fistule biliaire
à l'aide du procédé de Récamier pour les abcès et les kystes hydatiques
du foie, et ouvrir largement la vésicule au moyen du caustique. Cette mé-
thode peut conduire à une guérison définitive lorsque l'occlusion des
voies biliaires est duc à des calculs, et elle n'est, après tout, qu'une forme
de l'opération imaginée par J. L. Petit.
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A Luton.
BILIEUSE (fièvre). Voy. Fièvres.
BILIEUX (élai)- Voy. Fièvres.
BISCUIT. — Le biscuit (bis coctus), ainsi nommé parce que ancien-
nement on le soumettait deux fois à l'action du feu, est un pain prépare
de manière à se conserver longtemps, et destiné a la nourriture des ar-
mées et des équipages.
Divers auteurs l'ont remonter son emploi à des époques très-reculées;
on a dit que les Romains s'en servaient dans leurs expéditions lointaines,
et que les Grecs en approvisionnaient leurs vaisseaux; on a avancé que
Pline l'Ancien avait fait mention d'un partis nauticus; j'ai lu avec le plus
grand soin le chapitre u du livre XVIII de l'Histoire naturelle de cet écri-
vain, qui traite du pain, de sa préparation et de ses diverses espèces, et
il n'est nullement question d'un pain destiné spécialement aux naviga-
teurs.
Le sire de Joinville, dans ses Mémoires sur le règne de Saint-Louis,
parle d'un pain qu'il nomme bâjuiz, parce qu'il était cuit deux fois; il
était employé par les soldats que le Soudan d'Egypte envoyait pour ex-
plorer l'origine du Nil. Les renseignements que ce naïf historien nous
donne sur ce pain prouvent suffisamment qu'il lui était inconnu, et que,
par conséquent, rien de semblable n'entrait dans l'approvisionnement des
navires qui transportèrent les croisés dans les pays du Levant.
D'après des documents dignes de foi, il paraît que le biscuit était em-
ployé en France par les armées en campagne et par les bâtiments, dès les
premières années du seizième siècle, sous le règne de Louis XII ; en 1545,
François Ier prescrivit de fabriquer une grande quantité de biscuyts pour
sa flotte de Provence. Depuis cette époque ce pain a toujours fait partie
de la ration des marins.
Le biscuit est composé de farine de froment dont on a ôté le son et tout
102 BISCUIT.
le gruau; ce dernier provient, comme on le sait, de la partie la plus
dure et la plus sèche du blé ; il absorbe une grande quantité d'eau, sa
présence dans la farine nuirait, par ce motif, à la conservation du biscuit.
Les auteurs du siècle dernier qui ont écrit sur l'art de la boulangerie,
Malouin, Parmentier, entre autres, recommandaient l'usage des levains
dans la fabrication du biscuit; ils croyaient que sans levain le biscuit
n'aurait pas eu un goût agréable, et qu'il eût trempé difficilement : l'ex-
périence a prouvé que leur opinion était mal fondée, et que l'emploi
des levains n'était qu'une complication inutile.
D'après le docteur Gonzalez, on fabrique en Espagne le biscuit avec du
levain en petite quantité ; on a soin de laisser dans la farine une certaine
partie de son. Au dire de cet auteur, le biscuit espagnol est beaucoup
plus savoureux, plus facile à digérer, et d'une plus longue conservation
que celui des Anglais et des Français.
En France, en Angleterre et en Espagne on se sert exclusivement, pour
la fabrication du biscuit, de la farine de froment. En Russie on emploie
de la farine de seigle seule ou mélangée à d'autres farines ; d'après
Forster le biscuit russe est moins exposé à la moisissure ; sa saveur
acide et sa dureté le préservent pendant longtemps des insectes.
Le biscuit est actuellement fabriqué en France et en Angleterre par
des agents mécaniques ; dans nos ports de guerre, on a généralement
adopté l'appareil construit par Aubouin, modifié sur les indications de
Rollet, directeur des subsistances de la marine.
Cet appareil qui pétrit la farine, lamine la pâte, la divise en parties
d'égales dimensions nommées galettes, et les perce de trous qui laissent
passer une partie des gaz, est mû par une machine de la force de trois
chevaux, et confectionne en une heure 255 kilogrammes de biscuit. Les
galettes sont ensuite introduites dans un four où elles doivent séjourner
de 25 à 50 minutes, temps nécessaire pour leur cuisson complète.
Les galettes affectent diverses formes chez les peuples maritimes. Elles
sont rondes et d'un diamètre de 5 à 6 centimètres chez les Espagnols ;
leur diamètre est plus grand en Angleterre. En France elles sont rectan-
gulaires, et, par suite, s'arriment plus facilement : une galette doit peser
185,55 grammes, chiffre représentatif de la ration, mais ce poids n'est
pas toujours le môme, il varie entre 150 et 180 grammes.
La conservation du biscuit exige des précautions nombreuses et minu-
tieuses qui varient suivant les marines. En Angleterre, les galettes, au
sortir du four, sont placées dans de vastes chambres carrelées en briques,
convenablement aérées et dont la température est de 55 à 10 degrés
centigrade; le biscuit y séjourne pendant 72 heures environ, et quand
il est reconnu sec il est mis dans des sacs du poids d'un quintal anglais
(50 kilog. 780 grammes). Cette manière de renfermer le biscuit facilite
son embarquement, mais le soumet à toutes les influences des variations
atmosphériques et à l'action des insectes.
En France, le biscuit, dès qu'il est cuit, est porté dans des chambres
ou soutes à parois lambrissées et brayées, placées au-dessus des fours ;
BISCUIT. . 105
les galettes y sont arrimées de champ ; quand une soute est pleine, on
ferme la porte, on la calfate et on braye tous les joints, de manière à
rendre son intérieur inaccessible à l'humidité et aux insectes.
Quand un bâtiment a besoin de biscuit, on retire les galettes une à une,
on les arrime avec soin dans des caisses ou dans des boucauts; arrivé à
bord, le biscuit est retiré à la main des boucauts et posé de champ dans
des soutes disposées comme celles des magasins.
Ces moyens de conservation sont imparfaits, et il serait à désirer que
le biscuit, après cuisson, fût desséché dans une étuve convenablement
aérée, et arrimé ensuite dans des caisses en tôle qui seraient tarées, ainsi
que le propose Rollet.
Le biscuit, convenablement préparé, présente les caractères suivants :
sa surface extérieure est d'une couleur brune claire ; il faut qu'il soit
compact, sec, sonore quand on le percute; quand on le brise, il ne doit
pas se réduire en poussière, mais se diviser en morceaux plus ou moins
grands, dont les bords ont un aspect blanc vitreux, sans taches et sans
creux; son odeur est celle du pain rassis, sa saveur est agréable, la salive
le pénètre facilement et il surnage dans l'eau.
Le biscuit est sujet à diverses altérations qui reconnaissent pour causes
principales l'humidité et la chaleur. Leur action nuisible engendre la
moisissure et divers insectes qui pénètrent dans l'intérieur de la galetle
et y creusent de nombreuses galeries; ces parasites sont, d'après Bosc,
de l'Institut, qui avait été consulté par Keraudren, Yauobium pamceiun,
leptinus fur, Yanthrenus musxorum, le trogostita caraboïdes, leplialœna
farinuUs, le blatta orlentalls. On a proposé, pour corriger l' humidité des
galettes et faire disparaître les moisissures, de les soumettre de nouveau
à la chaleur du four. Pour détruire les insectes le dernier moyen peut
être aussi conseillé. Lind propose de les asperger avec du vinaigre; enfin
il est recommandé de faire brûler des mèches soufrées dans les soutes à
biscuit.
Les moyens de conservation les plus efficaces pour cette denrée pré-
cieuse consistent dans l'emploi généralisé de caisses en tôles, et dans
l'application du vide proposé par mon collègue le professeur Fonssagrives.
Le biscuit altéré par les insectes n'est pas nuisible, mais la quantité de
matière nutritive a diminué, puisque les insectes en ont absorbé une
partie. La moisissure est plus fâcheuse, elle peut être une cause active
de dysenterie, comme cela a eu lieu à bord de la frégate YAréthuse, en
station aux Antilles eu 1819-1820.
Le biscuit, considéré au point de vue de son emploi dans les voyages
maritimes et dans les expéditions de terre, n'est qu'un aliment de néces-
sité; d'une saveur fade, compact, plus lourd que le pain, il exige des
efforts de mastication que ne peuvent pas toujours parfaitement accom-
plir la plupart des matelots dont la denture est souvent en mauvais état;
en résumé, on peut dire que le biscuit constitue un aliment que Ton
subit, mais auquel on ne s'habitue pas.
Divers essais ont été tentés pour donner sous la forme du biscuit de
10-i BISCUIT.
mer un aliment plus nutritif et suffisant pour constituer à lui seul les
éléments d'un repas complet ; les essais qui ont eu lieu dans les États-
Unis de l'Amérique du Nord ont porté sur deux produits analogues :
1° le meat-biscuit (biscuit-viande) de Gaïl-Bordeu; 2° le flesh-biscuiî
(biscuit-chair).
1° Le meat-biscuit se préparc en mélangeant à la farine de froment du
jus de viande concentré, obtenu par ébullition et évaporation, en pro-
portions convenables pour obtenir une pâte ferme, à laquelle on donne la
forme et l'apprêt du biscuit ordinaire.
Le meat-biscuit, employé dans la marine américaine et dans les voyages
des émigrants, est facile à transporter et se conserve pendant assez long-
temps; on le mange soit à l'état sec, soit après l'avoir concassé et addi-
tionné de 20 ou 50 fois son poids d'eau, de sel et de divers condiments,
et l'avoir fait bouillir pendant environ une demi-heure.
On a exagéré le pouvoir nutritif de ce biscuit quand on a avancé que
150 grammes suffisaient à nourrir un homme pendant un jour; d'après
Payen, cette quantité équivaudrait seulement à un quart de la ration en
pain et en viande nécessaire à une homme supportant les fatigues du tra-
vail et des voyages.
2° Le flesh-biscuit, plus nourrissant que le précédent, se prépare en
incorporant de la viande de bœuf bien cuite et hachée à la farine de fro-
ment réduite en pâte à l'aide du liquide qui a servi à la cuisson de la
viande. Ce biscuit, qui est moins usité que le précédent, se conserve dif-
ficilement.
On connaît encore sous le nom de biscuit, des produits de l'art du pâtis-
sier sous forme de galettes minces, rondes ou rectangulaires, d'un dia-
mètre de 5 à 4 centimètres. Ces galettes sont très-employées en Angle-
terre, soit pour les voyages sur terre, soit pour les excursions journalières;
on les trempe ordinairement avec le thé. En France on emploie des
galettes à peu près semblables sous le nom de biscuit au sel.
BiscaiMs nrêtii cl sa 4a u x. — Pour rendre plus facile l'administration
de certains remèdes, on a confectionné des biscuits composés d'eeufs, de
sucre et de farine dans lesquels on a incorporé divers médicaments.
Cette forme pharmaceutique a pour avantage de masquer la saveur et
l'odeur désagréables de certaines substances; elle est utile dans la méde-
cine des enfants.
Les médicaments que l'on ajoute aux biscuits doivent être convenable-
ment dosés. On les choisit ordinairement parmi les substances purgatives
ou vermifuges. Les biscuits du docteur Ollivier contiennent du bi-chlorure
de mercure.
Malouik, Ait du Boulanger. 1767.
Pabmentiek, Mémoire sur les avantages que le royaume peut retirer de ses grains. 1789.
Kollet, Mémoire sur la meunerie, la boulangerie et la conservation des grains et des farines. 1847.
Payen, Des substances alimentaires. 1856.
Gonzalez (Pedro), Tratado de las enfermedades de la génie de mar. parte tereera, cap. x. De la
Galleta o bizeoebo de mar. 1805.
A. Baruallier (de Toulon).
BISMUTH. CHIMIE ET PHARMACOLOGIE. 105
BISMUTH. — chimie et pharmacologie. — Le bismuth est un métal
anciennement connu, et longtemps désigné sous le nom à'étain de
glace.
Il ne se rencontre que dans un petit nombre d'espèces minérales, dont
la seule exploitée à cause de son abondance et de sa richesse est le bis-
muth natif qui se trouve surtout en Saxe, et qui forme des filets métalli-
ques engagés dans une roche quartzcuse. On l'extrait par un procédé
très-simple, puisqu'il suffit de le séparer de sa gangue. On place des
tuyaux de tôle ou de fonte dans un four suivant une direction légère-
ment inclinée. Ces tuyaux présentent à la partie supérieure une ouverture
par laquelle on introduit le minerai, et la partie inférieure est percée
d'un trou par lequel s'écoule le métal à mesure qu'il fond par l'action de
la chaleur.
Le bismuth obtenu par ce procédé simple peut retenir quelques mé-
taux étrangers; mais il renferme surtout du soufre et de l'arsenic dont
il importe de le débarrasser. Pour cela, on le môle, après l'avoir réduit
en poudre, avec \ /10e de son poids de nitrate de potasse également pulvé-
risé ; on introduit le mélange dans un creuset, et on élève lentement la
température jusqu'au rouge, c'est-à-dire jusqu'à la décomposition du
nitrate. Après refroidissement, on trouve au fond du creuset un culot
de bismuth purifié, et à la partie supérieure une scorie qui renferme à
l'état de sulfate et d'arséniate de potasse tout le soufre et l'arsenic que
le métal contenait avant l'opération.
Le bismuth pur est un métal fragile, à structure lamclleuse, d'un blanc
gris un peu rougeàtre. Sa densité est de 9,9. 11 fond à 20 i°, et donne
lieu, par refroidissement, à quelques phénomènes dignes d'intérêt. On
observe d'abord qu'il se dilate au moment où il se solidifie, en sorte
qu'il est moins dense à l'état solide qu'à l'état liquide, et qu'un morceau
de bismuth surnage, quand on le projette dans un bain du môme métal
en fusion. On remarque ensuite qu'il prend, en se solidifiant, une forme
particulière et caractéristique. Le bismuth est, en effet, un des métaux
qui cristallisent le plus facilement par voie de fusion. On obtient de très-
belles géodes en laissant refroidir très-lentement une certaine quantité
de métal purifié et fondu. Dès qu'il s'est formé à la surface une légère
croûte solide, on la perce à l'aide d'un charbon rouge; on fait écouler
la portion du métal qui est encore liquide, puis on enlève la croûte avec
précaution. On obtient alors une magnifique cristallisation présentant des
cubes de très-grande dimension, accolés les uns près des autres, de ma-
nière à former des trémies pyramidales semblables à celles du chlorure
de sodium. Les cristaux présentent, en outre, des couleurs irisées, très-
belles, produites par une très-légère oxydation qui a lieu à la surface du
métal au moment où il arrive encore chaud au contact de l'air.
Le bismuth est volatil, mais à une très-haute température seulement,
et il ne peut être distillé qu'avec une difficulté extrême. Chauffé au con-
tact de l'air, il s'oxyde ; et, si la chaleur est assez élevée, il brûle avec une
flamme bleuâtre accompagnée de fumées jaunes. Conservé dans un air
106 BISMUTH. — chimie et pharmacologie.
sec, il n'éprouve aucime altération sensible; mais, si l'air est humide, il
se recouvre à la longue, d'une pellicule mince d'oxyde.
L'acide nitrique attaque vivement le bismuth; il l'oxyde et le dissout
en dégageant des vapeurs rutilantes. Les acides chlorhydrique et sulfu-
rique ne l'attaquent, au contraire, que très-difficilement. En présence de
ces acides étendus, le bismuth ne décompose pas l'eau à froid, comme le
font le fer et le zinc.
Oxydes de bismuth. — Le bismuth, en se combinant à l'oxygène, donne
naissance à deux oxydes distincts, le protoxyde de bismuth, BiO5, et le
deutoxyde ou acide bismuthique, BiO5. Ce dernier n'a aucune importance
au point de vue médical. C'est un composé qu'on obient en faisant arri-
ver un courant de chlore dans une dissolution concentrée de potasse
tenant en suspension du protoxyde de bismuth. Il a l'aspect d'une poudre
rouge clair. Son principal caractère est d'être inattaquable par l'acide
nitrique.
Protoxyde de bismuth, BiO5. — Le protoxyde de bismuth s'obtient en
décomposant par la chaleur le sous-nitrate de bismuth dont il sera ques-
tion ci-après. Il se présente sous la forme d'une poudre jaune clair. Il
fond à la chaleur rouge, et attaque les creusets plus facilement encore
que ne le fait la litharge ; par refroidissement, il prend l'apparence
d'un verre jaune foncé. 11 est entièrement fixe. Sa densité est de 8,45.
On peut obtenir cet oxyde à l'état d'hydrate, sous forme d'une poudre
blanche, en décomposant le sous-nitrate par un alcali fixe ou par l'am-
moniaque. Le protoxyde de bismuth est une base faible qui forme avec
plusieurs acides des sels susceptibles de cristalliser. Ces composés salins
sont précisément ceux que la médecine emploie. Voici les caractères gé-
néraux qui leur appartiennent :
Sels de bismuth. — Les sels de bismuth, même alors qu'ils sont chi-
miquement neutres, sont tous acides aux réactifs colorés.
1° Leur principal caractère est d'être décomposés par l'eau, en sous-
sels qui se précipitent, et en sels acides qui restent en dissolution. Les
solutions d'antimoine sont les seules qui partagent ce caractère ; mais l'a-
cide nitrique et l'hydrogène sulfuré établissent entre les deux métaux des
différences assez nettes pour que la confusion ne puisse avoir lieu.
2° Les alcalis caustiques ou carbonates donnent des précipités blancs,
insolubles dans un excès de réactif alcalin.
5° L'hydrogène sulfuré et les hydrosulfates précipitent les dissolutions
de bismuth en noir ; le précipité ne se redissout pas dans un excès d'hy-
drosulfate.
4° Le fer, le zinc, le cuivre précipitent le bismuth sous forme d'une
poudre noire. Cette poudre, placée sur un charbon, et placée dans la
flamme réductrice du chalumeau, se fond très-facilement en un globule
métallique qui devient cassant après refroidissement.
Sous-nitrate de bismuth, blanc de fard, magistère de bismuth. — De
tous les composés de bismuth, le nitrate est le seul qui présente de 1 in-
térêt au point de vue médical ; et encore n'est-ce pas le nitrate neutre,
BISMUTH. CHIMIE ET HIAr.MÀCOLOGIE. i 07
mais le sous-nitrate obtenu par la décomposition de ce sel au moyen de
l'eau, que la médecine utilise chaque jour dans un grand nombre d'affec-
tions gastriques et intestinales. Voici le détail de la préparation de ce sel :
Après avoir introduit dans un matras six parties d'acide nitrique mar-
quant 1,52 au densimètre, on y projette, par petites portions à la fois,
deux parties de bismuth purifié réduit en poudre grossière. Il se produit
une vive effervescence, et il se dégage des vapeurs de bioxyde d'azote qui
deviennent rutilantes au contact de l'air. On porte la liqueur à l'ébulli-
tion pour que la dissolution soit complète, et on la laisse déposer. On
décante, on évapore aux deux tiers dans une capsule de porcelaine, et on
verse le liquide dans 40 ou 50 fois son poids d'eau, en agitant continuel-
lement le mélange. Il se forme un précipité blanc très-abondant qui n'est
autre chose que le sous-nitrate de bismuth. On lave ce précipité, on le
recueille et on le sèche, en évitant, pendant qu'il est humide, le contact
des matières organiques qui, sous l'influence de la lumière, exercent une
action réductrice très-marquée.
Le sous-nitrate de bismuth est d'un blanc pur, très-dense, insoluble
dans l'eau. Il se dissout sans effervescence dans l'acide nitrique, et donne
une liqueur limpide que l'acide sulfuriquc ne trouble pas, mais que l'eau
décompose en régénérant du sous-nitrate insoluble. L'hydrogène sulfuré
le colore immédiatement en noir. L'acide sulfurique étendu de son volume
d'eau le dissout, et forme un liquide incolore qui devient noir au contact
du protosulfate de fer.
Le sous-nitrate de bismuth est journellement employé contre les né-
vroses de l'estomac. La dose par jour est de 1 à 4 grammes pour les adul-
tes, et de 1 à 5 décigrammes pour les enfants. Toutefois, Monneret a éta-
bli par de nombreuses observations que, dans les cas de diarrhée, on
pouvait élever hardiment la dose jusqu'à 8 et 10 grammes, et que le sous-
nitrate de bismuth constituait alors un agent précieux et d'une merveil-
leuse efficacité. Il importe, en pareil cas, que le sous-nitrate de bismuth
employé soit pur et parfaitement exempt d'arsenic; car E. Ritter (de
Strasbourg) a montré, dans un mémoire récent, que, s'il faut admettre
l'innocuité du sous-nitrate de bismuth pur, il faut reconnaître aussi qu'un
sous-nitrate arsenifère peut produire des accidents graves lorsqu'il se
trouve en présence de liquides ou de sécrétions acides.
E. Ritter (de Strasbourg) a également reconnu, à la suite de faits nom-
breux relatifs à l'histoire du sous-nitrate de bismuth qu'en suivant très-
exactement le procédé de préparation que nous avons indiqué plus haut
et qui est celui du Codex légèrement modifié, on obtient un sel de com-
position constante, ayant la formule Ri05AzOs4-Aq.
Le bismuth est encore la base de plusieurs autres composés salins
usités en médecine.
Hydrate d'oxyde de bismuth, Ri03I10. — On l'obtient en précipitant
un sel de bismuth par la potasse ou l'ammoniaque en léger excès, et la-
vant avec soin le précipité formé. Il est blanc, insoluble dans l'eau; il se
déshydrate par l'ébullition, surtout en présence d'un liquide alcalin, et
408 BISMUTH. — chimie et pharmacologie:
prend alors une couleur jaune due à la formation d'oxyde de bismuth
anhydre. Il se dissout sans effervescence dans les acides chlorhydrique
et nitrique.
Sous-carbonate de bismuth. — Lorsqu'on verse du carbonate de soude
dans une dissolution acide de nitrate de bismuth, on obtient un préci-
pité blanc qui est un carbonate tribasique Bi05,C02. Ce sel ne change
pas de couleur par l'ébullition, et ne peut être confondu, par consé-
quent, avec l'oxyde hydraté. Il se dissout avec effervescence dans les
acides chlorhydrique et nitrique. Une température peu élevée le décom-
pose en acide carbonique et en oxyde jaune de bismuth.
Tannate de bismuth, Bi03CI8Il509. — On l'obtient en traitant par le
tannin l'hydrate d'oxyde de bismuth récemment précipité. C'est un sel
insoluble, peu sapide, jaunâtre. Il renferme 55 pour 100 d'oxyde de bis-
muth et 57 pour 100 de tannin.
Valérianate de bismuth, Bi05C10IP05. — Ce sel qui est basique, comme
tous les sels de bismuth employés en médecine, est obtenu par la réac-
tion du valérianate de soude sur le nitrate acide de bismuth. C'est un
sel blanc, insoluble dans l'eau, décomposable par l'hydrogène sulfuré en
acide valérianique et en sulfure noir de bismuth.
Lactate de bismuth, Bi03C6ll505. — On l'obtient par double décom-
position du nitrate de bismuth et du lactate de soude. C'est un sel avec-
excès de base, qui est très-peu soluble dans l'eau froide. Par un cou-
rant d'hydrogène sulfuré, il donne une solution d'acide lactique et un
précipité noir de sulfure de bismuth.
H. BuiGNLT.
Thérapeutique. — Le sous-nitrate de Bismuth est à peine mentionné
dans les anciens traités de thérapeutique et de matière médicale. —
Il fut d'abord considéré comme un cosmétique et utilisé par la coquet-
terie des femmes, pour donner de la blancheur à leur peau et masquer
une éruption cutanée. Pott, en 1759, parle bien du sous-nitrate de bis-
muth comme remède interne ; mais ce fut Odier (de Genève) qui, le pre-
mier, en 1786 l'employa contre un certain nombre d'affections, entre
autres la gastralgie, la gastrite, la diarrhée et des troubles de la men-
struation. Odier eut de nombreux imitateurs. Bassiani Carminati,
Schôffer en Allemagne ; Clarke en Angleterre ; plus tard Kersig, Ricliter
Reil, le firent connaître dans leurs ouvrages.
En France le bismuth a été longtemps délaissé. Alibert ne le signale
même pas. Ce sont Trousseau et Pidoux qui ont contribué a sa réhabilita-
tion. Mais si le bismuth a pris aujourd'hui une place importante et définitive
parmi les agents de la thérapeutique les plus efficaces, il doit sans nul
doute à Monneret cette faveur, que je puis avec raison dire populaire.
C'est en effet le profeseur de pathologie interne de la faculté de médecine
de Paris, qui par ses études cliniques poursuivies avec grand soin pen-
dant plusieurs années, a appelé l'attention sérieuse des médecins sur ce
BISMUTH. EFFETS PHYSIOLOGIQUES. 109
médicament. — Il cri a déterminé les indications spéciales, fixé les doses,
établi le degré d'influence et le mode d'action.
Effets physiologique». — Le sous-nitratre de bismuth, bien que
porté à des doses élevées, ne détermine dans l'organisme aucun phé-
nomène appréciable. Depuis le moment de son ingestion dans l'estomac,
jusqu'à celui de la manifestation de ses effets thérapeutiques, on ne
saisit aucun symptôme intermédiaire. La muqueuse gastrique ne parait
subir aucune impression particulière; les fonctions nerveuses, la tempé-
rature de la peau, les mouvements du cœur, les sécrétions urinaire et
cutanée ne sont nullement modifiées. Des selles noirâtres, une consti-
pation plus ou moins grande, tels sont les résultats de la médication
bismuthique.
L'expérimentation nous apprend l'innocuité absolue du sous-nitrate
de bismuth. Monneret qui l'a conseillé à la dose de 40, 50 et même
60 grammes par jour, dans les conditions les plus différentes d'âge, de
tempérament, de maladies affirme qu'il n'a jamais produit d'accident,
pas même d'incommodité. Telle est aussi l'opinion de Trousseau. S'il
fallait en croire Lussana, ses effets seraient colliquatifs. La lace, dit-il,
prend un aspect plombé, les yeux perdent leur éclat, s'entourent d'un
cercle livide, la respiration est fétide, les gencives se gonflent, devien-
nent fongueuses et fournissent une sanie sanguinolente ; de temps en
temps il peut y avoir des hémorrhagies abondantes par les fosses nasales
ou la muqueuse bronchique. Ce sel posséderait donc une action dissol-
vante de l'élément globulaire du sang, analogue à celle dont jouissent les
carbonates alcalins, et il devrait être rangé dans la classe de ces agents
thérapeutiques, que Mialhe appelle fluidifiants. — L'influence du bismuth
me paraît avoir été considérablement exagérée et môme entièrement
dénaturée ; la description des symptômes que trace Lussana me fait
supposer qu'il y a eu quelque erreur ou quelque substitution. J'ai très-
souvent prescrit le bismuth à des doses assez élevées, pendant une longue
période de jours, chez des individus de tout âge, dans des affections
très-diverses ; jamais je ne l'ai vu déterminer un seul des accidents énoncés
par le médecin italien ; j'ai toujours constaté son innocuité absolue.
Chez deux malades qui ont succombé après un emploi prolongé du
bismuth, j'ai recherché ses effets sur la muqueuse gastro-intestinale, et
mes observations sont parfaitement conformes à celles de Monneret.
Le bismuth était appliqué sur la muqueuse gastrique, il y avait conservé
comme dans le jéjunum et l'iléon sa couleur blanchâtre ; dans le gros
intestin il avait subi une action chimique, il avait pris une teinte noi-
râtre et s'était transformé en sulfure de bismuth. Ce sulfure avait coloré
en noir et désinfecté les matières stcrcorales, il avait encore communiqué
à la membrane muqueuse cette même coloration noire que le lavage et le
grattage ne détruisaient qu'avec peine, c'était comme une combinaison
du sulfure de bismuth avec l'épithélium. Quant aux ulcérations dont la
muqueuse était parsemée, le bismuth loin de les irriter semblait en
favoriser la cicatrisation.
HO BISMUTH. EFFETS PHYSIOLOGIQUES.
Le bismuth est-il absorbé? Bien des auteurs ne l'admettent pas ; il est
en effet peu soluble dans le sue gastrique, et cette insolubilité peut
expliquer l'absence des phénomèmes physiologiques et la coloration noire
que prennent les matières alvines.
Orfila conclut des expériences auxquelles il s'est livré, que l'azotate et
et le sous-azotate de bismuth sont absorbés et portent particulièrement
leur action sur le système nerveux ; qu'injectés dans les veines, ils agis-
sent avec plus d'énergie.
Lussana pense que le bismuth est assimilable, qu'une partie de la
quantité qui est administrée se dissout, et qu'elle est absorbée comme
cela a lieu pour le calomel, le fer, le kermès, etc; que l'assimilation de
ce médicament est due à l'acidité des liquides de l'estomac, mais une
fois passé dans l'intestin, l'absorption cesse parce que les chlorures
alcalins de l'intestin n'ont aucun effet dissolvant sur lui et le précipitent
s'il a été dissous : de plus, il ajoute qu'on ne saurait conclure de la non-
apparition de ce sel dans les urines à sa non-absorption; une fois introduit
dans le torrent circulatoire, le bismuth est ramené à l'état insoluble par
les chlorures alcalins du sérum et ne peut franchir les émonctoires.
Girbal et Lazowski ont donné à des chiens pendant plusieurs jours du
sous-nitrate de bismuth à haute dose, afin de savoir s'il est absorbé et
retrouvé plus tard dans quelque organe. Voici leur manière de procéder :
Ils ont analysé séparément le foie, les poumons, le cœur, les reins, etc.
Chacun de ces viscères est divisé en fragments, traité par l'acide nitrique,
puis laissé pendant une quinzaine de jours à la réaction de cet acide.
La substance organique est détruite par la chaleur; le liquide restant
est soumis à un courant de chlore en excès, puis livré à lui-même pen-
dant vingt-quatre heures. On obtient ainsi un liquide presque clair, qui
est évaporé à siccité avec addition d'une petite quantité d'acide sulfu-
rique et carbonisé suffisamment. Cette masse charbonneuse est pulvé-
risée, reprise par l'acide nitrique dilué, soumise à l'ébullition, jetée sur
un filtre et lavée, toutes les eaux de lavage sont réduites par évaporation,
le résidu est traité par un peu d'acide nitrique étendu, légèrement chauffé,
filtré et soumis à un courant d'hydrogène sulfuré, afin d'obtenir un
sulfure de bismuth. Or, après cette série d'opérations, dont j'ai cru né-
cessaire de rapporter les détails, Girbal et Lazowski ont trouvé du bis-
musth en quantité notable dans les poumons et les reins, en quantité
moindre dans le foie, la bile et le cœur.
Bricka rapporte un certain nombre d'expériences faites dans un but
analogue. Il commence par mettre du sous-nitrate de bismuth en contact
avec les sucs gastrique et intestinaux, et il s'assure qu'une faible quan-
tité de ce sel se dissout dans ces liquides. En outre il donne pendant
plusieurs jours du bismuth d'abord à des animaux, puis à des malades
qui n'avaient aucune lésion des organes digestifs, il voit le bismuth ap-
paraître bientôt dans les urines, mais la quantité éliminée par les urines
est faible, l'hydrogène sulfuré ne produit qu'une légère coloration bleue.
Voulant savoir dans quels organes se dépose le bismuth, Bricka fait de
BISMUTH. EFFETS THÉRAPEUTIQUES. 111
nouvelles recherches. Chez des individus qui avaient pris ce médicament
durant un assez long espace de temps, il dirige les investigations d'une
manière spéciale vers le foie. Cet organe est détruit par l'eau régale et
l'excès d'acide chassé par l'évaporation. Un courant d'hydrogène sulfuré
donne lieu à un précipité de soufre et de sulfure de bismuth; ce pré-
cipité oxydé par l'acide azotique et chauffé pour détruire quelques traces
de matières organiques est redissout dans de l'eau aiguisée d'acide azo-
tique et précipité de nouveau par l'hydrogène sulfuré. La présence du
bismuth était donc incontestable.
Les expériences que je viens de relater, établissent d'une manière po-
sitive que le bismuth est absorbé, qu'il est éliminé en faible quantité
paries urines, qu'il se retrouve dans plusieurs organes spécialement dans
les poumons et le foie.
Effets (i&érape&Uiqiies. — C'est surtout contre les maladies de
l'estomac et des intestins que le bismuth est mis en usage.
Affections gastriques. — En tête des névroses se placent la gastralgie
et la dyspepsie. Qu'elles soient idiopathiques ou qu'elles se rattachent à
un état général (chlorose, anémie, etc.) le bismuth calme l'irritabilité exa-
i><!
rée de l'estomac, il rend les digestions faciles, ce qui permet d'employer
ultérieurement, s'il y a lieu, des remèdes spéciaux pour combattre la
maladie première, cause de la gastralgie et de la dyspepsie. On ne saurait
contester l'heureuse influence du bismuth, cependant peut-être a-t-clle été
exagérée, j'ai vu souvent ces états névralgiques lui résister et céder plus
rapidement à la double intervention du régime et de l'hydrothérapie.
Le vomissement constitue quelquefois le principal symptôme de la ma-
ladie comme dans l'hystérie, ï'hypochondrie ; or, contre cette névrose, le
bismuth est souvent impuissant; il l'est encore dans les vomissements de
la grossesse, dans ceux qui précédent ou accompagnent une menstruation
douloureuse et difficile. Son influence m'a paru plus marquée, mais, il est
vrai, de courte durée, dans les vomissements qui résultent d'une lésion
organique de l'estomac. Elle serait encore favorable, d'après Monneret,
pour combattre chez les nouveau-nés les vomissements qui dépendent
d'un ramollisement de la muqueuse gastrique; lorsque le ramollissement
est réel, cette influence favorable me semble très-douteuse.
J'ai surtout employé avec avantage -le bismuth chez les personnes dont
les digestions sont laborieuses et s'accompagnent de tendance à la diarrhée,
en outre dans la gastrite chronique et dans ses formes diverses, le pyro-
sis, le pica, la boulimie, etc.
Affections de l'intestin, — Le bismuth est principalement appelé à
rendre des services dans les maladies de l'intestin. On lui reconnaît alors
une action spéciale. Monneret l'appelle colique en se servant d'une expres-
sion usitée dans le langage des médecins italiens.
La diarrhée n'est le plus souvent qu'un symptôme , elle se pro-
duit sous des influences multiples, elle se lie à des lésions de nature
différente.
La diarrhée qui a pour cause une phlegmasie simple de l'intestin cèd
112 BISMUTH. EFFETS TIIÉCAI'EUTIQUES.
en général assez facilement an bismuth et à un régime approprié, ii en
est de même de celle dite catarrhale due le plus ordinairement à un écart
de régime, à un refroidissement ou encore à une constitution médicale
particulière. Si la diarrhée devient chronique se traduisant par des dou-
leurs sourdes, un sentiment de plénitude dans tout le ventre, une disten-
sion de l'estomac, des selles liquides et fétides, de l'amaigrissement, une
faiblesse générale, elle est encore traitée avec succès par le sous-nitrate
de bismuth.
Il est des diarrhées colliquatives qui s'observent chez les malades at-
teints de phthisie pulmonaire ou de toute affection chronique; dans cette
forme le bismuth a pu être avantageux. Chez les phthisiques, le dévoie-
ment devient un accident grave, il enlève les forces et s'oppose à l'assimi-
lation. « Si l'on peut à l'aide d'un médicament faire cesser une telle si-
tuation, soutenir par une nourriture convenable la lutte engagée avec la plus
cruelle lésion qui désorganise les viscères, on aurait, dit Monneret, rendu
un service signalé «à la thérapeutique. » Et plus loin il ajoute : « Je n'hé-
site pas à déclarer que le sous-nitrate de bismuth est précisément un médi-
cament de ce genre. Depuis sept ans que je le donne à tous les phthisiques
atteints de diarrhée consomptive, j'en ai vu un très-grand nombre qui
étaient dans un état tel qu'ils n'avaient que peu de jours à vivre. Je parve-
nais à maîtriser la diarrhée, je commençais immédiatement à les nourrir et
ces malheureux sortaient de l'hôpital se croyant guéris et ayant retrouvé
quelque force et un peu d'embonpoint. Inutile de dire que la lésion pulmo-
naire restait au même point.» J'ai conseillé fréquemment le bismuth dans
les diverses périodes de la phthisie pulmonaire ; s'il a pu arrêter le de-
voiement qui complique quelquefois cette affection à son début, j'ai l'ai
trouvé en général insuffisant à une époque plus avancée de la maladie.
La diarrhée est un phénomène à peu près constant de la fièvre typhoïde.
Liée à la lésion des plaques de Peyer et à une irritation de la muqueuse
intestinale, il est difficile de l'enrayer, du moins dans les premiers jours ;
peut-être même que sa suspension complète serait alors sans grand
profit. Mais si la diarrhée maintenue dans certaines limites ne réclame
aucune intervention active dans les premiers septénaires de la fièvre ty-
phoïde, il ne s'en suit pas qu'elle doive être toujours respectée ; plus tard
elle rend la convalescence longue et difficile. Le sous-nitrate de bismuth
administré à cette période m'a souvent paru d'une utilité réelle.
De toutes les maladies de l'enfance, l'une des plus communes et des plus
meurtrières est la diarrhée. Qu'elle soit le résultat d'un lait insuffisant,
qu'elle soit produite par une dentition difficile, un sevrage précoce, un ra-
mollissement de la muqueuse intestinale, qu'elle soit de nature phleg-
matique ou atonique, le bismuth est employé avec avantage. « Pendant
les quatre années, dit Monneret, que j'ai dirigé le service des nouveau-nés
à Bon-Secours, je n'ai pas fait usage d'autre médicament, il ne m'a pas
fait défaut; telle est son innocuité que la sœur et non le pharmacien était
seule chargée de l'administrer sans dosage par demi-cuillerée à café, et
non-seulement il n'a jamais produit d'effets fâcheux, mais il arrêtait si
BISMUTH. EFFETS THÉRAPEUTIQUES. 113
bien les diarrhées que l'on était parvenu à faire cesser entièrement la mal-
propreté qui existe toujours clans les salles d'enfants. » C'est certaine-
ment un très-beau résultat, mais les conditions meilleures dans lesquelles
se trouvaient ces malheureux enfants n'y avaient-elles pas aussi puissam-
ment contribué?
Il est aujourd'hui démontré par l'expérience, que chaque épidémie de
choléra s'annonce par une constitution médicale particulière; elle trahit
son influence par des troubles des fonctions digestives (embarras gastri-
ques, flux de matières bilieuses, cholérine, etc.). Si le bismuth, malgré les.
assertions de Léo (de Varsovie) échoue dans le choléra confirmé, il est utile
pour réprimer ces flux intestinaux qu'à juste titre on appelle prémoni-
toires. Les expériences faites en 1849 et surtout en 1854 et 1865 sont
très-concluantes. Monnerct est encore ici très-explicite. Il ne m'est jamais
arrivé, dit-il, de voir une diarrhée ou une cholérine se transformer en
choléra, parce que j'ai toujours eu soin de les arrêter avec de fortes doses
de bismuth. La convalescence du choléra peut être enrayée par une diarrhée
souvent incoercible, la réaction ne se fait qu'avec peine, le bismuth de-
vient alors un antidiarrhéique très-puissant.
Monneret a conseillé le bismuth dans la dysenterie, et il affirme que la
guérison opérée en cinq ou six jours ne s'est jamais démentie. Je l'ai ad-
ministré assez souvent dans cette maladie, et j'avoue que les succès sont
loin d'avoir été aussi constants.
Le bismuth est souvent employé à l'extérieur comme topique.
On l'a conseillé, et je m'en suis servi avec avantage, contre l'érythème,
l'érysipèle, l'herpès, l'eczéma, contre les érosions superficielles de la
peau que l'on observe chez les individus atteints de fièvre typhoïde ou de
maladie chronique.
Longtemps le Uniment oléo-calcaire a été considéré comme un des re-
mèdes les plus efficaces contre les brûlures. Dans ces dernières an-
nées Velpeau ayant été amené à expérimenter l'action thérapeutique
de plusieurs substances désinfectantes, constata que le sous-nitrate de
bismuth constituait un des topiques les plus favorables à la cicatrisation
des brûlures. On enlève l'épidémie, on saupoudre le derme dénudé avec
le sel de bismuth ; en général l'inflammation diminue et la plaie marche
rapidement vers la guérison. Ce pansement est d'autant plus simple que
les parties sont laissées libres et qu'on renouvelle facilement la poudre à
mesure qu'elle s'humecte et forme des grumeaux.
Gilette, médecin de l'hôpital des enfants, qui a souvent administré le
sous-nitrate de bismuth énonce en ces termes les résultats de son ex-
périence.
1° Le sous-nitrate de bismuth est préférable aux poudres végétales
(amidon, lycopode, etc.) qui ont l'inconvénient de se pelotonner quand
il y a beaucoup d'humidité et qui ne peuvent exercer aucune action chi-
mique sur les produits de la suppuration.
2° Il ne doit pas être employé sur une ulcération qui repasse à l'état
NOUV. DICT. MÉD. ET CHIB. V. — P
114 BISMUTH. EFFETS THÉRAPEUTIQUES.
aigu et où une suppuration abondante est indispensable pour amener la
guérison.
5° Il est nuisible dans les plaies fîstuleuses, parce qu'il dessèche trop
vite les parties, et la cicatrisation se fait plus rapidement que si on la con-
fiait à la nature.
4° Lorsque l'ulcération est plate, mais que la sérosité purulente qui s'en
écoule n'a point de consistance, et que par conséquent il ne peut se former
à la surface une croûte protectrice par laquelle s'établisse la cicatrisation,
ou lorsque le frottement des parties malades détruit à chaque instant le
travail réparateur, alors le sous-nitrate de bismuth en poudre fine est de
la plus grande utilité. Il dessèche la sérosité promptement et amène la
guérison ou il détermine, en donnant de la consistance à la suppuration,
une croûte sous laquelle on trouve une cicatrice.
Gilette dit encore avoir guéri à l'aide du bismuth un pemphigus chro-
nique. Depuis quelques années j'ai traité, dans mon service à l'hôpital
Saint-André, un certain nombre d'individus atteints de ce genre d'affec-
tion, ce médicament est resté complètement inefficace.
Bretonneau employait avec avantage le bismuth dans les ophthalmies
catarrhales à l'état subaigu et chronique, il insufflait dans l'œil 1 à 2 déci-
grammes de ce sel une ou deux fois par jour, ou bien après avoir
entr'ouvert l'œil il y répandait une pincée de bismuth. Follin à la Sal-
pètrière se sert d'un glycérole au sous-nitrate de bismuth dans certaines
maladies des yeux, les blépharites ciliaires et glanduleuses, les conjoncti-
vites granuleuses à marche chronique.
J'ai obtenu de bons effets de l'emploi du bismuth dans le coryza chro-
nique. Le bismuth seul ou mêlé à une poudre inerte (riz, amidon) est prisé
comme du tabac. Cette application fait cesser les éternuments et l'écoule-
ment muco-purulent qui sont la conséquence de la phlegmasie de la mu-
queuse pituitaire.
Monneret rapporte deux exemples d'ozène chronique qui avaient résisté
à un traitement complexe, et cédèrent à l'usage du bismuth. Les malades-
prisent cette poudre aromatisée avec la fleur de mélilot. Il faut avoir soin
quand on emploie ce traitement de faire nettoyer tous les jours les fosses
nasales avec de l'eau tiède, afin que la poudre puisse pénétrer et se loger
dans les sinus du nez. Un des avantages de cette poudre est encore de
pouvoir atteindre les parties qui restent inaccessibles aux différents
caustiques que l'on a préconisés.
Caby, ancien interne de la maison Saint-Lazare, a expérimenté k
sous-nitrate de bismuth contre les écoulements des parties génitales chez
l'homme et chez la femme, mais la condition indispensable pour le succèsr
c'est que ces écoulements aient perdu leur caractère inflammatoire.
Sous le nom de blennorhée, blennorhagie chronique, suintement ha-
bituel, on désigne une même maladie, l'écoulement du canal de l'urè-
thre, soit qu'il succède à une blennorhagie aiguë, soit qu'il débute
d'emblée sous la forme chronique. Contre ces écoulements en apparence
bénins, ces suintements habituels qui résistent aux balsamiques les plus
BISMUTH. EFFETS THÉRAPEUTIQUES. 115
puissants et aux injections les plus variées, le sous-nitrate de bismuth de-
vient presque un spécifique. La dose du médicament est de 50 grammes
pour 200 grammes d'eau de roses ; au début trois injections par jour sont
nécessaires, plus tard deux suffisent ; alors même que l'écoulement est
tari, elle doivent être continuées un certain temps pour empêcher la réci-
dive. L'injection est conservée deux ou trois minutes, afin qu'il se dé-
pose une certaine quantité de nitrate sur les parois uréthrales, cette
couche épaisse de bismuth ne détermine aucune sensation douloureuse et
ne met aucun obstacle à l'émission des urines.
Caby a employé avec le même succès le bismuth contre les écoulements
des organes génitaux de la femme. De ces écoulements, les uns sont limi-
tés à la muqueuse des parties génitales externes (leucorrhée vulvaire) ; les
autres affectent la muqueuse vaginale (leucorrhée vaginale) ; quelques-uns
ont tout à la fois pour siège, le vagin, la vulve et l'urèthre (leucorrhée vulvo-
vaginale, vulvo-uréthrale) ; enfin il en est qui sont liés à des ulcérations
ou à des phlegmasies du col utérin. Dans ces divers cas, le traitement
consiste à appliquer sur les parties malades à l'aide du spéculum et d'un
pinceau de charpie du sous-nitrate de bismuth en poudre ; il faut pro-
jeter la poudre en grande quantité sur le col et sur toute l'étendue des
parois vaginales à mesure que l'on retire le spéculum. Cette application
qui ne cause aucune sensation pénible est faite au moins une fois par
jour, elle est précédée d'une injection qui débarrasse le vagin de la poudre
plus ou moins humide qui le remplit. Ce traitement fort simple agit avec
une grande promptitude , des écoulements abondants sont taris dans
l'espace de cinq à douze jours.
Séduit par la simplicité de cette méthode et la rapidité de ses résultats.
Mourlon, médecin militaire, essaya le traitement de Caby, il s'aperçut
bientôt que ces injections irritaient quelquefois la muqueuse uréthrale.
La solution rougissait alors le papier de tournesol. Afin de prévenir cette
acidité, Mourlon fit laver le sel jusqu'à ce qu'il ne présentât plus aucune
réaction acide, dès ce moment un succès constant vint couronner ses
tentatives. Le travail de Mourlon a pour base 57 observations d'uréthrite
dont 52 sont des exemples de guérison. La durée moyenne du traitement
est de 21 jours.
Dauvé, médecin aide-major, qui a expérimenté le sous-nitrate de bis-
muth dans la blennorrhagie, affirme également que, pour ne causer aucune
douleur, l'injection doit être récemment préparée et lavée, soit avec de
l'eau étendue d'azotate d'ammoniaque (Lœwe), soit avec l'eau bouillante
(Orfila). Ces moyens empêchent la décomposition du sel de bismuth dans
l'eau de la mixture et s'opposent à ce que celle-ci devienne acide.
Mode (faction. — Comment dans la gastralgie, le bismuth a-t-il la
propriété de calmer la douleur? Plusieurs médecins ayant traité avec
succès des gastralgies à l'aide de l'acide arsénieux, n'hésitent pas a dé-
clarer que c'est l'arsenic qui, contenu dans le bismuth à l'état d'arséniate,
est l'agent médicamenteux contre les névroses de l'estomac. Ce sel, étant
insoluble, peut traverser le tube digestif sans produire d'effet sensible;
iîO BISMUTH. EFFETS THÉRAPEUTIQUES.
cependant, s'il rencontre un liquide assez abondant et fortement acide, il
s'en dissoudra une certaine quantité. Or il est à remarquer que, dans la
gastralgie, il y a presque toujours exagération d'une sécrétion acide.
Il est une objection qui se présente naturellement à l'esprit : à savoir
comment de hautes doses de sous-nitrate de bismuth n'ont pas plus sou-
vent causé d'accidents. Bricka répond qu'un sous-nitralc arsenifère peut
être toxique à faible dose, mais qu'il ne l'est jamais à dose élevée. En
voici la raison : le sous-nitrate de bismuth des pharmacies est souvent un
mélange de trois équivalents de sous-nitrate tribasique et d'un équivalent
d'hydrate bismuthique; donc plus on administrera de sous-nitrate, et
par conséquent d'arséniate, plus on donnera d'oxyde, oxyde qui se com-
binant aux acides de l'estomac, empêchera l'action ultérieure de l'arsé-
niate.
Cette manière de voir, ajoute Bricka, est confirmée par les faits sui-
vants : si, d'une part, on met dans une certaine quantité de liquide acide
4 grammes de sous-nitrate de bismuth très-arsenifère, d'un autre côté,
dans la même quantité d'un liquide identique, 20 grammes de ce sel ; le
liquide, mis en digestion avec les 4 grammes de sous-nitrate, renfermera
une quantité notable d'arséniate, tandis que le second n'en contiendra
point. Donc la quantité d'eau acidulée étant la même, les chances d'ab-
sorption de l'arséniate seront en sens inverse de la quantité du sous-
nitrate ingéré.
On a dit encore : l'action du sous-nitrate de bismuth peut être expli-
quée de la manière suivante : le sous-nitrate est décomposé par l'eau, et
une certaine quantité d'acide est mise en liberté. Cet acide azotique agit
sur la muqueuse, avec laquelle il se trouve en contact, comme le ferait
tout composé légèrement caustique. Toutefois, pour que l'acide nitrique
contenu dans le bismuth produise un effet énergique, il faut que le bis-
muth se donne à doses assez élevées, et se trouve en présence d'une cer-
taine quantité d'eau. La présence de l'eau est essentielle pour faire jouer
au sous -nitrate de bismuth le rôle de médicament irritant. Le sous-nitrate
agirait donc par son acide, en produisant une inflammation substitutive.
Cette opinion est confirmée par la pratique de Graves (de Dublin), qui
traite habituellement les diarrhées chroniques par le pernitrate de fer, et
il attribue la vertu curative de ce sel à l'acide nitrique, qui exerce une
influence très-sensible sur un grand nombre de sécrétions. Ainsi ce serait
à l'action de l'acide nitrique que le sous-nitrate de bismuth devrait ses
propriétés anti-diarrhéiques.
Telle est encore l'opinion de Béchamp (de Montpellier), qui admet bien
que le bismuth agit en tapissant et protégeant l'organe affecté, mais qui
ne peut s'empêcher de rapporter l'effet astringent de ce sel et la diminu-
tion des sécrétions normales ou pathologiques des muqueuses à la mise en
liberté de petites quantités d'acide, sous l'influence de l'humidité des
membranes. L'acide nitrique du bismuth, devenant libre par son contact
avec l'eau, cautérise en quelque sorte la membrane muqueuse. Aussi
Béchamp fait-il remarquer que le sous-nitrate trop basique reste souvent
BISMUTH. EFFETS THÉRAPEUTIQUES. 117
inefficace, alors que le sous-nitrate bibasique qui contient 17 pour 100
d'acide nitrique, réussit beaucoup mieux.
Considérant les effets thérapeutiques du bismuth dans les maladies
externes, et ceux qu'il produit dans les affections internes, Trousseau et
Pidoux ont d'abord considéré ce médicament comme doué de propriétés à
la fois astringentes et sédatives, ils le rangeaient dans la classe des sédatifs
oucontro-stimulants. Plus tard, tenant compte de sa propriété dominante,
et la plus évidemment caractéristique, ils ont pensé que sa place véritable
se trouve parmi les astringents minéraux.
Je me rattache bien plus volontiers à l'opinion émise par Monneret.
Le sous-nitrate de bismuth n'est, le plus souvent, qu'un corps inerte; il
se dépose sur les parties malades et les protège mécaniquement contre
les irritants de toute espèce, comme le font les corps gras, le collodion
ou les enduits imperméables. Quelquefois il devient un agent chimique,
il se combine avec les gaz, les matières aqueuses, muqueuses, acides, et
il désinfecte. Cette action chimique est attestée par la production dans
l'intestin du sulfure de bismuth, et par cette autre circonstance que le
bismuth agit d'autant plus utilement qu'il est rendu noir et sulfuré dans
les selles. L'action mécanique et chimique résume donc l'ensemble des
propriétés thérapeutiques du bismuth.
Doses et mode d'emploi. — Comme le sous-nitrate de bismuth n'a ni
odeur, ni saveur, on n'a pas besoin de le déguiser sous une forme par-
ticulière, et son administration devient très-facile. On le donne en
poudre, soit enveloppé dans du pain à chanter, soit délayé dans une cuil-
lerée d'eau sucrée ou de potage, au commencement du repas , il peut être
mêlé aux boissons médicamenteuses. Pour les enfants, on le mêle à du
sirop de gomme ou à de la confiture. Suspendu dans une potion, il a l'in-
convénient, à cause de son insolubilité, de retomber vers le fond de la
fiole; il forme alors une bouillie difficile à avaler, et il est impossible de
préciser la quantité que l'on prend chaque fois. Quant aux doses, Mon-
neret conseille de commencer par 8 et 10 grammes, que l'on répète deux,
trois, quatre et cinq fois par jour, de telle sorte que la quantité est rapi-
dement élevée à 20, 50, 40 et 50 grammes par jour. Trousseau recom-
mande pour les adultes, de 1 à i< grammes dans les vingt- quatre heures,
pour les enfants de 1 à 5 décigrainmes. Jamais je n'ai eu besoin d'at-
teindre le chiffre conseillé par Monneret. En général je n'ai point dépassé
5 grammes par jour pour les maladies de l'estomac, et 10 grammes pour
les affections intestinales. Ces doses ont toujours été suffisantes.
Le sous-nitrate de bismuth est la base de tablettes qui sont aujourd'hui
très-usitées, surtout chez les enfants, et dont voici la composition : sous-
nilratc de bismuth, 1 gramme; sucre, 10 grammes; mucilage de gomme
adragante, Q. S. Chaque tablette de 50 centigrammes renferme 5 centi-
grammes de bismuth.
Le sous-nitrate de bismuth est souvent associé à d'autres médicaments
pour remplir des indications spéciales, tels que l'opium, le fer, le carbo-
nate de chaux, la valériane, etc. Il est une préparation qui jouit d'une
118 BISMUTH. EFFETS THÉRAPEUTIQUES.
certaine vogue : elle consiste dans un mélange de bismuth et de magnésie
(Pastilles de Paterson. — Poudre américaine). Elle a l'inconvénient de
présenter les éléments composants dans des proportions fixes, tandis que
les besoins de la pratique doivent exiger que chacun de ces éléments soit
donné en des proportions diverses et selon la mesure nécessaire pour
produire le résultat particulier qu'on désire obtenir (Trousseau). Autant
que possible, il convient de donner les médicaments dans leur plus grande
simplicité; leur réunion produit souvent une atténuation dans leurs ré-
sultats définitifs. Un des bienfaits de la thérapeutique moderne est de
nous avoir délivrés de ces formules complexes par lesquelles on préten-
dait envoyer chaque drogue à l'adresse des éléments morbides que l'on
se proposait d'attaquer.
Le sous-nitrate de bismuth a été quelquefois donné en lavement ou plutôt
en injections. Lasègue, dans le traitement de la colite, fait faire une
mixture avec quelques œufs crus, ou bien avec un mucilage de gomme
adragante ou de pépins de coings et du sous-nitrate de bismuth, à la dose
de c2, 4 et jusqu'à 10 grammes, et il injecte cette mixture dans le
rectum. J'ai plusieurs fois essayé cette méthode, elle n'a point réussi.
Monneret ne lui a vu exercer qu'une action fort incertaine.
Comme topique, le bismuth sera préférablement employé sous forme
de poudre, chaque fois du moins que les parties le permettront. L'asso-
ciation du bismuth à un corps gras doit être surtout évitée, lorsqu'on
veut combattre un écoulement des muqueuses, qui sont soumises au
contact de l'air et à l'influence des agents extérieurs. Les corps gras
deviennent alors nuisibles; mêlés avec les liquides sécrétés par des mu-
queuses malades, ils subissent une véritable combinaison, qui suffit pour
produire ou entretenir la maladie contre laquelle on les dirige.
Réactif. — Le bismuth a été signalé comme réactif pour reconnaître
la présence du sucre dans les urines. Ce procédé d'analyse qualitative du
sucre diabétique, dû à Bôttger, repose sur ce fait, que le sous-nitrate de
bismuth se réduit sous l'influence des liqueurs alcalines contenant du
sucre de l'espèce glucose, tandis qu'il n'éprouve aucune action dans les
mêmes circonstances, en présence du sucre de canne. Pour faire un
essai, on ajoute à l'urine suspecte son volume d'une dissolution de car-
bonate de soude au quart et environ 1 ou 2 grammes de sous-nitrate de
bismuth. En faisant bouillir ce mélange, on verra presque aussitôt noircir
le sous-nitrate de bismuth s'il y a du sucre diabétique, tandis qu'il con-
servera sa blancheur s'il n'y en a pas de traces. L'acide urique et les autres
sels contenus dans l'urine normale ne noircissent pas non plus le sous-
nitrate de bismuth.
Toxicologie. — Il n'est plus nécessaire aujourd'hui, dit Monneret, de par-
ler de l'innocuité du sous-nitrate de bismuth. Dans toute la matière médi-
cale il n'est pas une drogue qui soit plus facile à préparer, et qu'on trouve
plus aisément partout avec les qualités requises... Je ne connais pas un
seul médicament interne, depuis la vulgaire pilule de cynoglosse, la
thériaque et le diascordium, jusqu'aux préparations plus dangereuses
BISMUTH. EFFETS THÉRAPEUTIQUES. 1 | 0
d'opium el de ratanhia , qui puisse être délivré d'une manière aussi
expéditive et aussi sûre. Il faut bien que le sel de bismuth n'expose
pas à la plus légère incommodité, pour que je me sois décidé à le consi-
dérer comme une substance aussi facile à administrer que la poudre
d'amidon ou que le cataplasme de farine de graine de lin.
En 1741, Geoffroy rejette le bismuth à cause des dangers qui résultent
de son emploi.
En 1793, Pott cite l'histoire d'un homme qui aurait éprouvé des acci-
dents gastriques graves après l'ingestion d'une petite quantité de cette
substance.
Odier, Traill et Wernuk constatent à la suite de l'usage de ce médica-
ment des symptômes analogues à ceux de l'empoisonnement, par l'ar-
senic.
Un homme sujet à des aigreurs d'estomac, les combattait habituel-
lement avec la crème de tartre et la magnésie. Un jour, et par suite d'une
méprise, il prend 8 grammes de magistère de bismuth, mêlé à la même
quantité de bitartrate de potasse; aussitôt il éprouve un sentiment de
brûlure à la gorge, il a de la salivation, un gonflement considérable de la
langue, des vomissements noirs, des évacuations alvines liquides, un refroi-
dissement général, du hoquet, du délire; il meurt. À l'autopsie on trouve
une gangrène de la membrane interne qui tapisse les amygdales, la luette,
l'épiglotte, des pustules d'un rouge .foncé à la surface de l'estomac, une
coloration pourpre et des points de gangrène le long du canal intestinal et
spécialement vers le rectum (Kôrner).
Cette observation, qui, du reste manque de détails importants, a sou-
levé de nombreux doutes. Dierbach pense que le compose ingéré était de
l'acide arsénieux. Frank admet un empoisonnement par le sublimé corrosif.
En 18T>1, Mayer (de Bonn) expérimente le sous-nitrate de bismuth.
Pris à haute dose par des animaux, il provoque des vomissements, de la
diarrhée, de l'irrégularité des battements du cœur, quelquefois de la
paralysie, des convulsions et môme la mort. A l'autopsie, l'estomac et les
intestins présentent un ramollissement gélatiniforme, et môme de vérita-
bles points hémorrhagiques.
Orlila attribue aux préparations bismuthiqu.es la propriété d'irriter et
d'enflammer les tissus avec lesquels elles sont en contact.
Serre (de Dax) a publié quatre observations dans lesquelles le bismuth,
porté à la dose de 2 et o grammes, détermine des accidents sérieux.
Comment concilier ces deux opinions? Pour les uns, le bismuth est
dangereux, il peut même devenir un poison; pour d'autres, il est inerte,
ou du moins entièrement inoffensif. Nier les faits et les expériences se-
rait trop facile, il est préférable de chercher à les expliquer.
Béchamp et Saint-Pierre (de Montpellier) ont démontré que le sous-
nitrate du commerce et des pharmacies est loin de correspondre au
composé chimique véritable ; qu'il est variable dans ses éléments consti-
tutifs, et qu'il est souvent mêlé à des substances étrangères, telles que
l'arsenic, le cuivre, l'argent, etc.
\L20 BISMUTH. — EFFETS THÉRAPEUTIQUES.
Dans le but d'éclairer cette question, Bricka a institué un certain
nombre d'expériences. Il administre à des lapins et à des chiens un mé-
lange de 8 grammes de sous-nitrate de bismuth pur et 8 grammes de
crème de tartre, ils n'en éprouvent aucun inconvénient. Mais l'emploi
prolongé du bismuth peut-il devenir nuisible ? Bricka donne a des ani-
maux, pendant vingt-cinq jours consécutivement, du bismuth pur à haute
dose; ils n'en sont nullement incommodés. Désireux de connaître l'action
de l'arséniate de bismuth, il en fait prendre une certaine dose, même
innocuité. Cependant, ce sel étant un peu soluble dans le suc gastrique,
il peut se faire, si la sécrétion de ce suc est exagérée, qu'on observera
des accidents dus à la solubilité de l'arséniate dans ce liquide, et il ne faut
pas oublier que les acides libres contenus dans les aliments sont suscepti-
bles d'exercer la même action dissolvante.
Girbal et Lazowski administrent, pendant huit jours, à des chiens du
sous-nitrate de bismuth \mr\ 545 grammes sont pris, ce qui donne une
moyenne de 68 grammes par jour ; ils ne paraissent en ressentir aucun
effet fâcheux; l'un d'eux est tué par l'instillation de quelques gouttes
d'acide cyanhydrique sur la conjonctive ; à la nécropsie on ne constate
aucune altération de la muqueuse gastro-intestinale. Dans une deuxième
série d'expériences, Girbal et Lazowski font prendre à des chiens, pendant
quatre jours, de 50 à 60 grammes de sous-nitrate de bismuth impur, la
mort a lieu, et à la nécropsie on trouve la muqueuse gastro-intestinale
parsemée de taches rouges et ramollie en certains points.
Donc le sous-nitrate de bismuth, s'il est pur, est entièrement inoffen-
sif; il peut provoquer des accidents graves, un véritablement empoison-
nement, lorsqu'il est combiné avec des substances étrangères, et de ces
substances étrangères, la plus commune est l'arsenic.
Hydrate d'oxyde. — Il a été proposé par Van den Corput, et jouirait
d opropriétés neutralisantes et absorbantes, supérieures à celles du sous-
iutrate. Il a été employé à l'intérieur contre les gastralgies, et à l'exté-
rieur comme topique dans le coryza.
Sous-carbonate, — Hannon (de Bruxelles) a préconisé récemment
l'emploi de ce sel, qu'il a trouvé préférable au sous-nitrate de bismuth,
particulièrement en raison de sa prompte solubilité dans le suc gastrique;
il ne produit aucun sentiment de pesanteur à l'estomac, constipe rare-
ment, colore moins les selles que le sous-nitrate, et peut être employé
longtemps sans fatiguer les organes digestifs.
Administré un certain temps, il semble sédatif pendant les premiers
jours de son emploi et finit par provoquer tous les phénomènes qui ré-
sultent de l'usage des toniques.
Le sous-carbonate, dit Trousseau, sera préféré dans les gastralgies
compliquées d'une certaine nuance d'irritation et dans les digestions
laborieuses compliquées d'éructations nidoreuses et acides, il neutralise
avantageusement les acides en excès, ce que ne fait pas le sous-nitrate;
il calme assez promptement les douleurs gastriques, les vomissements et
la diarrhée, rétablit l'appétit; en un mot, il ramène peu à peu les fonc-
BISMUTH. EFFETS THÉRAPEUTIQUES. 121
lions digcstivcs à l'état normal. Le sous-carbonate remplacerait avec avan-
tage le mélange souvent nécessaire du sous-nitrate avec la craie ou la
poudre d'yeux d'écrevisses. Il se prescrit en poudre dans un peu d'eau,
ou de confiture. La dose est de 1 à 5 grammes pour les adultes, et de
I à 5 décigrammes pour les enfants.
Tannât e. — L'idée du tannate de bismuth, dit Cap, m'a été suggérée
par l'analogie des propriétés des deux substances, dont l'une, le tannin,
d'origine végétale, est un acide, et dont l'autre, le bismuth, de nature
métallique, peut remplir le rôle de base : tous deux agissent, on le sait,
sur les tissus vivants comme astringents, stypticjues, et bien que le pro-
duit qui en résulte soit insoluble dans les véhicules, nul doute que, sous
l'influence des forces physiologiques, il ne se décompose et ne reproduise
les éléments d'une même nature. Mais un sel ne tient pas nécessairement
des propriétés de ses deux facteurs, et son action thérapeutique n'est
nullement le résultat de la décomposition du sel en ses éléments. Exem-
ple : le sulfate de soude, sel inoffensif, qui résulte de la combinaison de
deux agents caustiques, l'acide sulfurique et la soude.
Quoi qu'il en soit, Aran, Bouchut et Demarquay, ont expérimenté ce
médicament et lui ont reconnu des propriétés astringentes bien caracté-
risées.
Trinitrate. — Théophile Thompson, médecin à l'hôpital des phthi-
siques de Londres, l'a préconisé contre la diarrhée des phthisiques.
II l'a employé dans 21 cas (18 phthisies, 5 bronchites); chez quinze de
ces malades, la diarrhée a été entièrement dissipée; chez quatre autres,
il y a eu un bénéfice temporaire, le remède n'a été inefficace que dans deux
cas. Les bons résultats obtenus dans cette affection par Thompson ont été
confirmés par Lombard, de Genève. — On administre ce sel à la dose de
25 centigrammes à prendre en trois ou quatre fois par jour, mélangé avec
un peu de magnésie ou de gomme arabique.
Valérianate. — Il a été préconisé récemment par Giovanni Righini, qui
en a obtenu de bons effets dans les névralgies. Le même médecin le
recommande contre les gastrodynies, les gastralgies chroniques, et dans
ies palpitations de cœur anciennes. Il le prescrit sous forme de pilules à la
dose de 2 à 10 centigrammes, répétée plusieurs fois par jour.
Lactate. — Il est très-employé en Allemagne contre la diarrhée, il
a été encore préconisé comme altérant et comme antispasmodique. On
l'administre comme les autres sels de bismuth à la dose de 5 à 10 centi-
grammes en poudre ou en pilules, répétée plusieurs fois par jour.
Orfila, Traité do toxicologie. Dos préparations de bismuth, t. II, p. 10.
Rigiiim, Valérianate de bismuth {Bulletin de Thérapeutique, 1840, et Journal de Chimie mé-
dicale, 1846).
Monneret, De l'einploi du sous-nitrate de bismuth à haute dose dans le traitement des affec-
tions gastro-intestinales de la cholérine [Gazette méd , 1849, p. 299). — Du sous-nitrate dj
bismuth àhaute dose dans différentes maladies (Bull.gén. de thérapeutique, 1850, t. XXXVIII,
p. 433 et mêmejourn., 1854, t. XLYII, p. 113,209, 205, 417).
Lussana, Gazeta medica toscana, 1853.
Schina, Du sous-nitrate de bismuth dans la diarrhée (Gaz. dell' Associaz. med. Sarda. 1855).
122 B1ST0RTE.
Caby, Traitement des écoulements chez l'homme et chez la femme par l'emploi du sous-nitrate de
bismuth [Presse méct., Journal de méd. de Bruxelles et Bull, gên de thérap., 1854,
t. XLVII, p. 200). — Formule pour l'association du sous-nitrate de bismuth au copahu et au
cubèbe (Bull. g. de thér., 1858, t. LV, p. 212). — De l'emploi du sous-nitrale de bismuth dans
le traitement de la blennorrhée et de la leucorrhée chronique [Bull. gén. de thér., 1858,
t. LV, p. 195 et 259). — Nouveau mode de traitement des affections des organes génit. chez
l'homme et chez la femme par l'emploi du nitrate de bismuth [Thèse de Paris, 1858,
n»221).
Genp-rix, Du sous-nitrate de bismuth dans le traitement de la dyspepsie [Bull. gén. de thérap.
1854, t. XLVII, p. 102).
Serre (de Dax), Exemple de la mauvaise préparation du sous-nitrate de bismuth livré aux pra-
ticiens de province (Bull. gén. de thérap., 1855, t. XLVIII, p. 172).
Girbal et Lazowski, Du sous-nitrate de bismuth considéré au point de vue médical et toxicolo-
gique (Annales cliniques de Montpellier, 1856).
Hannon (de Bruxelles), De l'emploi du sous-carbonate de bismuth (Annuaire de thérap., 1857,
p. 214).
Cap, Note sur le tannate de bismuth {Bulletin de. V Académie de médecine. Paris, 1859,
t. XXIX, p. 125).
Velpeau, Bons effets topiques du sous-nitrate de bismuth comme traitement des plaies pro-
fondes par les brûlures [Bull. gén. de thérap., 1860, t. LVIII, p. 250).
Mourlon, Nouveaux faits à l'appui du traitement de la blennorhagie par le sous-nitrate de bis-
muth (Bull. gén. de thérap., 1860, t. LIX, p. 280).
Dauvé, Note sur le traitement de la blennorhagie par les balsamiques à faible dose et les in-
jections de sous-nitrate de bismuth (Bull. gén. de thérap., 1860, t. LIX, p. 299).
Béchamp et Saintpierre, Sur la préparation et les caractères du sous-nitrate de bismuth (Mont-
pellier médical, t. IV, 1860, p. 555).
Ferrand (de Lyon), Bemarque sur le sous-nitrate de bismuth (Bull. gén. de thérap., 1862,
t.LXII, p. 360).
Bricka, Du sous-nitrale de bismuth et de ses applications (Thèse inaugarale de Strasbourg,
50 avril 1864, n° 747).
Ritter, De quelques faits relatifs à l'histoire du sous-nitrate de bismuth. Strasbourg, 1864; in-8,
28 pages.
Henri Gintrac
BISTORTË. — Description. — Dans les pharmacies et les herbo-
risteries, on vend, sous le nom de Bistorte, ou de Racine de Bistorte, la
tige rampante et souterraine (Rhizome) du Polygonnm Bistorta, Linn. de
la famille des Polygonées. Elle croît en France dans les endroits bas et
marécageux.
La Bistorte (bis torta, deux fois tordue) se présente sous la forme d'un
corps arrondi, articulé, contourné en s, comprimé, rugueux, de la gros-
seur du doigt ou du pouce tout au plus ; marqué à la partie supérieure
d'anneaux et de lignes demi-circulaires qui sont les cicatrices des feuilles
anciennes, hérissé à la partie inférieure de faisceaux de racines fines et
ramifiées (fig. 4). La Bistorte est d'un brun noirâtre à l'extérieur; sa
cassure est rose ou même rougeàtre; elle n'a pas d'odeur, mais sa sa-
veur est acre, astringente, styptique, surtout quand on goûte la plante
fraîche. L'analyse y a démontré du tannin, de l'acide gallique, de l'ami-
don et de l'acide oxalique. Sa décoction est rouge et précipite par les sels
de fer.
Propriétés et usages* — La Bistorte est un tonique et un astringent
puissants, dont l'usage, dit Soubeiran, a été mal à propos abandonné de
nos jours.
On l'employait dans tous les cas qui réclament l'une des médications
que nous venons de mentionner. Ainsi l'on s'était bien trouvé de son
BISTOURI.
12s
usage à l'intérieur dans les diarrhées, la dysenterie, les hémorrhagies.
A l'extérieur, on la prescrivait
dans les écoulements de l'urèthre
et du vagin, dans les fissures à
l'anus ; enfin on la préconisait
comme vulnéraire. Cazin ajoute
qu'il l'a toujours employée avec
autant d'avantage que la ratanhia.
A faible dose, la Bistorte est sim-
plement tonique. Nous devons
ajouter que Cullen la regardait
comme fébrifuge.
Dans certains pays, on a utilisé
l'amidon qu'elle contient en abon-
dance, et, après l'avoir débar-
rassée, par la décoction, des prin-
cipes astringents qu'elle renferme,
on l'a employée dans l'alimenta-
tion.
Doses et mode d'administration.
— On l'administre :
1° En tisane, en injection; en
macération, à la dose de 15 à
60 grammes, par litre d'eau. On
ne devra point la traiter par l'eau
bouillante pour ne pas dissoudre l'amidon qui précipiterait le tannin.
2° En extrait, à la dose de 1 à 4 grammes : c'est la meilleure prépara-
tion interne.
3° En sac, à la dose de 20 à 50 grammes, pur ou mêlé avec du vin
blanc.
La Bistorte entre dans la préparation du diascordium.
Incompatibilités. — Rappelons qu'on ne doit pas la formuler avec les
sels de fer, l'émétique, les solutions de gélatine et d'amidon.
Léon Marchand.
Fig. 4. — Bistorte [Polygonumbistortà
BISTOURI. — Couteau de chirurgie de petite dimension (scalpel-
lus, op,{Xv], [/.a/aiptcv ; ail., bistouri; angl., bistaury ; ital., bistori; espag.,
bisturi), mot dérivé, selon Huet, du nom de Pistori, ville dans laquelle
existait une fabrique très-renommée d'instruments de ce genre. Le bistouri
a subi des moditications nombreuses quant à sa forme et quant à ses di-
mensions suivant les usages variés auxquels il doit servir.
Nous ne décrirons pas séparément toutes ses variétés, mais nous indi-
querons les modifications les plus importantes qu'ont subies chacune des
parties qui forment ceux de ces instruments dont l'usage est journalier
et dont la connaissance est indispensable au chirurgien.
Le bistouri se compose d'une lame et d'un manche réunis par une ar-
124 BISTOURI. — lame.
ticulation et solidement fixés l'un et l'autre dans une position invariable.
Lame. — La lame est d'acier ; une trempe trop dure la rend cassante,
une trempe trop molle lui permet de s'émousser rapidement. Elle est
d'une longueur variable suivant la profondeur à laquelle elle doit agir ;
son épaisseur est en rapport avec la résistance des tissus que l'instru-
ment doit diviser. Elle s'effile insensiblement du talon vers la pointe dans
les bistouris droits qui doivent pénétrer facilement par ponction dans les
parties molles. Les bistouris convexes ne diminuent d'épaisseur que vers
leurs tiers antérieur; l'amincissement est presque nul du talon vers la
pointe, dans ceux qui sont boutonnées. La largeur des lames varie comme
leur épaisseur.
Les faces de la lame, légèrement évidées, s'inclinent vers le tranchant
qu'elles forment en se rencontrant. Le dos est arrondi ou formé par deux
plans qui se coupent pour donner naissance à une arête mousse. Cette dis-
position transforme la pointe en une pyramide à quatre pans présentant
au plus haut degré les conditions de pénétration et de solidité. Cette
pointe doit correspondre exactement à l'axe de l'instrument.
Le tranchant du bistouri est droit, convexe ou concave. Dans l'ancien
bistouri droit il était recliligne, le dos Tétait aussi, la lame avait la forme
d'un triangle dont la base correspondait au talon de l'instrument; le
sommet du triangle qui formait la pointe ne présentait pas une solidité
suffisante. De nos jours on a substitué aux lignes droites des lignes à cour-
bure légère ; la largeur, et la force de la lame sont ainsi augmentées, sans
que la facilité de la pénétration y ait en rien perdu. Le tranchant au lieu
de descendre jusqu'au manche, ce qui est tout au moins inutile, s'arrête
à deux centimètres plus liant et fait place au talon, partie mousse et ar-
rondie dont les bords se continuent par une courbure imperceptible avec
le tranchant et le dos de la lame. Grâce à un épaulement peu prononcé,
c'esX la partie la plus étroite et en même temps la plus épaisse et la plus
solide de la lame et alors même qu'elle serait plongée jusqu'au manche
dans les parties molles, aucun relief du talon ne pourrait accrocher et
déchirer les tissus ou arrêter l'instrument. On reprochait avec raison au
tranchant rectiligne de n'agir que par la pointe et de nécessiter dans
la dissection une inclinaison excessive du manche vers les surfaces à
diviser : grâce à la convexité légère de son tranchant, le bistouri droit
actuel que nous venons de décrire n'est pas passible des mêmes reproches
et il peut être substitué au bistouri convexe dans presque toutes les dis-
sections. Il présente même sur ce dernier l'avantage d'être vers sa
pointe plus mince et plus délié, aussi lui est-il assez généralement pré-
féré, même dans l'ablation des tumeurs.
Le bistouri convexe diffère du précédent par la courbure plus prononcée
du tranebant et du dos de la lame qui vont en s'écartant du talon vers le
tiers antérieur où la lame atteint sa plus grande largeur. Le tranchant se
rapproche du dos en décrivant presque un quart de cercle et forme une
pointe peu effilée, mal disposée pour pénétrer par ponction et dont l'inu-
tilité presque absolue semble évidente au premier abord. Aussi fut-elle sou-
BISTOURI. — manche. 125
vent supprimée. L'instrument fut alors coupé carrément ou arrondi à son
extrémité comme le rasoir ordinaire. À. Dubois et Delpech préféraient
cette disposition pour la dissection des tumeurs.
Le tranchant est rectiligne dans la plupart des bistouris boutonnés,
la lame est étroite et aussi mince que le permet la résistance que l'instru-
ment est appelé à vaincre. Elle se termine par un petit renflement arrondi
nommé bouton ou par une lentille aplatie peu en usage de nos jours.
Le rôle de ces couteaux à débridement explique et nécessite cette disposi-
tion de leur extrémité. La voie qu'ils doivent parcourir est ouverte; ils ne
servent qu'à l'élargir. On les conduit sur une sonde cannelée ou sur la
pulpe du doigt dans des trajets fistuleux ou à travers des orifices étroits,
au milieu d'organes qu'il est important de ménager. Tantôt la largeur est
la même dans toute l'étendue de la lame, tantôt elle diminue insensible-
ment du talon vers l'extrémité boutonnée.
Les bistouris concaves, dont le tranchant est situé du côté de la concavité
delà lame, sont destinés à des opérations spéciales telles que la kélatomie,
l'incision des fistules anales, l'ablation des amygdales. La lame est mince,
étroite et boutonnée, tranchante sur une longueur souvent très-restreinte
lorsque l'instrument est destiné à opérer des débridements ; ou elle affecte
la forme d'un croissant et se termine par une pointe aiguë et fragile d'une
utilité fort contestable, à laquelle est substitué un stylet conducteur dans
le bistouri dit royal et dans le syringotome (voy. Fistules a l'anus).
Manche. — Le manche est plein dans les bistouris à lame fixe ou dor-
mante ; dans ceux où la lame est flottante et articulée, il est formé de
deux valves dites jumelles ou chasses faites de corne, d'ivoire ou d'écaillé.
Pour augmenter leur solidité, on les a souvent revêtues à l'intérieur d'une
feuille de métal. Elles sont réunies et maintenues dans un écartement
constant en rapport avec l'épaisseur de la lame qu'elles doivent recouvrir
lorsque l'instrument est fermé, au moyen de deux clous rivés à tête ou à
rosette, fixées aux deux extrémités du manche. L'un de ces clous sert de
pivot à la lame. Dans les bistouris fabriqués nouvellement par Charrière,
les chasses sont mobiles comme celles des lancettes et se fixent au moyen
d'un tenon disposé au talon du manche ; où elles sont rivées Tune à l'autre,
longues et flexibles, et il est facile de les écarter vers leur partie moyenne
lorsque l'on veut y fixer les lames. Nous reviendrons plus loin sur cette
disposition (fig. 5).
Dans le bistouri à ressort, une lame d'acier longe le bord postérieur
des jumelles et augmente leur rigidité. Cette disposition qui est celle des
couteaux de poche et des canifs est très-usitée en Angleterre; mais le
manche est ainsi transformé en une gouttière creuse qu'il est difficile
de maintenir propre. C'est un inconvénient que ne présentent ni les
manches pleins ni ceux que nous venons de signaler, dans lesquels ces
jumelles sont mobiles ou réunies seulement à leurs extrémités. On peut
faire à ces dernières le grave reproche de manquer de solidité et de pré-
senter une flexibilité qui nuit à la sûreté de la main lorsque les parties à
diviser présentent une certaine résistance au tranchant.
126 BISTOURI. — ARTICULATION.
Articulation. — Le mode d'union du manche avec la lame a varié à
l'infini. En énumérant rapidement quelques-uns des nombreux systèmes
imaginés par les chirurgiens et par les couteliers, nous donnerons une
dée assez exacte des difficultés nombreuses et presque insurmontables
que présentent cette partie de la fabrication de l'instrument. Les condi-
tions du problème à résoudre sont les suivantes : il faut que la lame ou-
verte ou fermée soit maintenue solidement immobile; qu'elle soit facile à
ouvrir et à fixer sans que le chirurgien courre le risque en y procédant
de se couper les doigts; que le mécanisme ne soit pas susceptible de se
relâcher et de se détériorer rapidement; qu'il ne nuise pas à la solidité
du manche; qu'il n'empêche pas de nettoyer facilement les valves.
Dans le bistouri à lame fixe les deux parties sont réunies par une
soie ou longue tige métallique qui fait suite au talon et pénètre dans l'axe
du manche.
Dans un premier système à lame flottante, le talon se prolonge du côté
du dos de la lame par une queue postérieure et parallèle aux jumelles.
Le clou supérieur qui réunit ces dernières sert de pivot à la lame. Lorsque
le bistouri est ouvert, la queue s'appuie sur les chasses par un bouton
lenticulaire aplati qui la termine. La lame ne peut se renverser en ar-
rière, mais pour peu qu'elle joue facilement sur son pivot, l'instrument a
de la tendance à se fermer. On peut le fixer en roulant autour du talon
de la queue et de la partie correspondante des jumelles un ruban ou
une bandelette de linge.
Larrey arrêtait la lame au moyen d'un coulant qui glissait le long
des jumelles. Ce large anneau métallique maintenait la lame ouverte ou
fermée.
On l'a remplacé par un tenon fixé au manche, sous le pivot de la lame
mobile, dans deux mortaises allongées pratiquées dans les jumelles. Si on
fait avancer le tenon vers le pivot, il s'engage dans une encoche pratiquée
au talon de la lame et la fixe; si on l'en éloigne, il abandonne l'encoche
et permet d'ouvrir et de fermer l'instrument.
On s'est servi aussi pour fixer la lame sur le manche du ressort des
couteaux de poche et même des couteaux dits poignards. Nous avons déjà
signalé les inconvénients inhérents à ce système.
Dans le bistouri de Percy le clou est aplati, la mortaise du talon de la
lame est circulaire et d'un diamètre égal à la largeur du pivot ; à cette
mortaise fait suite une fenêtre; elle a exactement les dimensions du clou
aplati qui vient s'y engager et maintient l'instrument ouvert lorqu'on
pousse l'un vers l'autre la lame et le manche.
Le bistouri de Récamier était muni de chasses mobiles comme celles
d'une lancette, mais elles arc-boutaient lorsque l'instrument était ouvert
contre des lentilles placées alternes sur les deux faces du talon. Pour
ouvrir l'instrument on faisait décrire à chacune des chasses une demi-
circonférence dans le sens où le permettait la saillie de la lentille, puis
on les fixait l'une à l'autre au moyen d'un tenon adapté à l'une d'elles.
Dans un des nouveaux bistouris proposés par Charrière, on peut chan-
BISTOURI.
ARTICULATION.
1<27
ger les lames grâce à la
disposition suivante :
Le talon de la lame
(fig. 5) est pourvu d'une
encoche oblique, et, à
deux centimètres au-des-
sous d'un trou circulaire.
Les chasses sont mobiles
comme celles des lan-
cettes ; l'une d'elles porte
à deux centimètres du
pivot un clou dont le re-
lief égale leur écarte-
ment, et à l'autre extré-
mité un tenon. Pour fixer
une des lames sur le
manche , on met les
chasses à angle droit ; on
glisse la lame entre elles
de façon à ce que le pivot
pénètre dans l'encoche
oblique et le clou dans le
trou circulaire du talon de
la lame, puis on rappro-
che les chasses et on les
fixe au moyen du tenon.
Dans une autre variété
de ce système où les
mêmes moyens disposés
différemment arrivent au
même résultat, le pivot
prend la place du tenon
et réciproquement ; les
jumelles s'écartent par
leur extrémité antérieure,
c'est-à-dire à l'inverse
des lancettes, et le talon
de la lame est muni de
deux trous qui reçoivent
l'un le tenon et l'autre
le clou fixateur. Le grand
avantage de ces bistouris
à lame indépendante est
de ne nécessiter qu'un
seul manche pour un
nombre illimité de lames.
Fig. 5. — A. Main gauche dont le pouce écarte l'une de l'autre
les jumelles. — B, Main droite qui fixe la lame. — .C, Clou
rivé. — D, Clou qui lixe la lame en pénétrant dans le trou
pratiqué au talon de la lame : c'est le clou fixateur, il faii
saillie entre les jumelles. — E, Lame du bisiouri droit (sys-
tème Charrière).
Fig. G. — Instruments divers qui peuvent se monter sur le même
manche. — ab, Aiguilles et lame convexe. — ce. Lame droite,
curette, ténaculum. — d, Lame concave (système Charrière)
28
BISTOURI. — ARTICULATION.
Un système voisin du précédent est celui où les chasses sont fixes,
mais longues et flexibles. On les écarte l'une de l'autre grâce à leur élas-
ticité, et on introduit entre elles la lame fixée par le procédé précédem-
ment décrit (lîg. 5).
Nous donnons encore le dessin (fig. 7 et 8) des articulations dues à
Lùer et à Mathieu. Il est facile de com-
prendre en jetant les yeux sur ces figures
par quels moyens est obtenue l'immobi-
lisation de la lame.
Si nous comparons entre eux les dif-
férents genres de bistouris que nous
venons d'analyser, nous trouvons pour
chacun d'eux des avantages et des incon-
vénients. Le bistouri à lame fixe tient
plus de place que les autres et nécessite
Fig. 7. — Bistouri droit, système Lûer.
— A, Lame. — B, Encoche dans la-
quelle s'engage le tenon lorsque la
lame est ouverte. — C, Tenon mobile
en forme de marteau. — D, Encoche
dans laquelle le tenon s'engage lors-
que la lame est fermée.
Pic. 8.
Bistouri à lame mobile de Mathieu.
pour son transport une boîte ou un fourreau; mais le manche est solide
et d'une légèreté suffisante, la lame parfaitement immobile et ouverte
d'avance, enfin la forme de l'instrument est compatible avec la plus
stricte propreté. Nous lui donnons la préférence dans presque tous les
cas. On peut, en effet, reprocher à tous les autres de manquer de fixité et
de solidité; au bout de peu de temps, tous les systèmes d'articulations que
nous avons passés en revue se relâchent et maintiennent mal la lame ;
les jumelles flexibles nuisent à la sûreté de l'incision, lorsque les tissus
à diviser présentent une certaine résistance, comme dans les résections
et les désarticulations ; enfin, le chirurgien ou ses aides oublient souvent
BLKNNOKRHAGlIi]. — synonymie, aperçu historique. l^D
de {ixer la lame et faute d'attention on risque de se couper en ouvrant et
en fermant l'instrument ou en changeant les lames. Pendant les dernières
années plus de 500 élèves ont employé à l'amphithéâtre anatomique de
Strasbourg des bistouris et des scalpels dont la lame est fixée au manche
par les procédés de Charrière ; l'expérience faite sur une aussi vaste échelle
est défavorable à cette invention plus ingénieuse qu'utile.
Il nous resterait, pour être complet, à passer en revue un certain nom-
bre de bistouris ayant une forme et un usage spéciaux et aussi d'assez
nombreux instruments n'ayant de commun avec celui que nous venons
de décrire que le nom et le tranchant. Contentons-nous de les nommer
et renvoyons pour leur description aux différents articles qui traitent des
opérations auxquelles ils sont destinés.
Bistouri caché de Bienaise, bistouri de Percival Pott, bistouri d'A.
Coopcr, bistouri à la lime de J. L. Petit, bistouri gastrique de Morand,
bistouris convexes de Scarpa, de Dupuytren, bistouri caché de Sédillot
(voy. Débridement de la hernie étranglée)-, bistouri aiguillé (voy. Ponctions
exploratrices), bistouris de doigt de Rœderer, anneau-scalpel de Simpson
(voy. Perforation du crâne dans les cas de dystocte), bistouri cannnelé de
J. L. Petit (voy. Ponction du sac lacrymal).
Ch. Sarazln.
BliElVNOIlRHACiME. — La blennorrhagie (de (ÎXévva, mucus,
et pYjYvu^t, je romps, je chasse dehors) est une inflammation spéciale de
la muqueuse de l'urèthre.
Elle est très-différente de Ynréthrite, laquelle est une inflammation
simple de l'urèthre, ou bien un état morbide symptomatique d'affections
diverses (goutte, herpès, etc.).
La dénomination de blennorrhagie est encore appliquée à des inflam-
mations réputées de même nature, mais de siège différent (blennorrha-
gie du gland, du prépuce, du vagin, de l'anus, etc.). Nous n'aurons en
vue ici que la blennorrhagie de l'urèthre, et nous la considérerons spé-
cialement chez l'homme, nous réservant de l'étudier chez la femme dans
une série d'autres articles de cet ouvrage.
Synonymie. — Fluxus, profluvium seminis ; gonorrhœa (de yôvoq,
semence, et peîv, couler); passio, calcfactio, incendium virgae; hamior-
rhosaida; gomorre; stranguria, dysuria venerea-, ulcus ad canales virgae,
iilcus interioris virgae, etc.; arsure, ardeur, incendie, échauffaisons ;
muci-lluxus activus inllammatorius; gonorrhée, gonorrhée virulente, ma-
ligne, vénérienne, vraie, syphilitique ; chaude-pisse; écoulement, échauf-
fement, coulante; blennorrhagie (mot créé par Swediaur), blennorrhagie
uréthrale, virulente, vraie, etc., etc.
Aperçu historique. — On s'aceorde généralement à considérer la
blennorrhagie comme une affection très-anciennement connue, presque
aussi ancienne que le monde. On croit la trouver indiquée dans les cé-
lèbres leçons de prophylaxie que Moïse traçait à son peuple : « L'homme
affecté d'un écoulement de semence sera déclaré impur; on reconnaîtra
nouv. mer. méd. kt ciiiu. V. — U
150 BLENNORRHAG1E. — fréquence.
qu'il est affecté de ce mal à ce qu'une humeur impure s'attachera à sa
personne... Tous les lits où il dormira, tous les endroits où il se sera re-
posé, seront impurs... Vous apprendrez aux enfants d'Israël à se garder
de l'impureté, afin qu'ils ne meurent pas dans leurs souillures. » (Lévi-
tique.) — On croit aussi reconnaître cette affection dans quelques pas-
sages, d'ailleurs très-peu explicites, d'Hérodote, d'Hippocrate, de Celse,
d'Arétée, de Galien, d'Aétius, etc. — Toutefois il faut arriver aux Arabes
et aux arabistes pour trouver des indications plus certaines et des des-
criptions ébauchées de la maladie.
Il serait en effet difficile de comprendre comment une maladie qui re-
connaît pour cause habituelle l'excès vénérien n'aurait pas existé de tout
temps. Il est donc probable, rationnellement, qu'elle remonte à la plus
haute antiquité. On se demande toutefois, dans cette hypothèse, com-
ment une affection de ce caractère, à symptômes aussi manifestes, aussi
facilement constatables, a pu échapper soit aux traits malicieux des sati-
riques, soit aux descriptions des médecins grecs ou romains. C'est là une
objection dont on ne saurait tenir assez compte.
Il n'est donc pas étonnant qu'il ait surgi dans la science une opinion
contradictoire de la précédente. D'après quelques auteurs, ce qu'auraient
connu et succinctement indiqué les anciens, ce serait « la gonorrhée
simple, maladie aussi ancienne que le genre humain. Quant à la gonor-
rhée vénérienne (c'est-à-dire à ce que nous appelons aujourd'hui blennor-
rhagie), elle fut inconnue des siècles anciens; il est constant, par le si-
lence de tous les auteurs qui ont écrit sur la vérole avant 1545 et par
le témoignage précis de Fallope, qu'elle commença seulement à paraître
vers l'année 1545 ou 1546. » (Astruc.)
Nous ne faisons que signaler ici ces deux doctrines, dont la discussion
exigerait de nombreuses citations de textes et des développements éten-
dus que ne comporte pas le caractère de cet ouvrage.
Fréquence, — La blennorrhagie est peut-être la plus commune de
toutes les maladies. Dans les grands centres de population, dans les villes
de mœurs faciles et de plaisirs, il est peu d'hommes qui y échappent, et
il en est beaucoup qui la subissent à plusieurs reprises.
C'est aussi de toutes les maladies vénériennes la plus fréquemment ob-
servée. Elle est notamment bien plus commune que la syphilis. — La
statistique suivante, relevée aux consultations de l'hôpital du Midi pendant
un trimestre, pourra donner une idée de cette fréquence relative :
Blennoithagies uréthrales 685 | Chancres indurés 126
Balanites, balano-posthites 95 Ulcérations de nature douteuse 47
Chancres simples 199 I Végétations 44
Ces chiffres sont loin d'exprimer la fréquence véritable de la blennor-
rhagie relativement aux autres affections vénériennes ; car bon nombre
de malades négligent de venir à l'hôpital pour un simple écoulement,
dont ils cherchent à se débarrasser sans supporter les ennuis d'un dé-
placement et d'une consultation publique; la plupart, au contraire, y
BLENNORRHAGIE. — causes. 15!
accourent dès qu'ils se croient menacés d'une autre affection. — La clientèle
de villepeut offrir des résultats moins entachés d'erreur. Or, d'après mes
relevés, le nombre des blennorrliagies serait à celui des chancres syphili-
tiques comme 14 est à 1 .
Causes. — Elles seraient excessivement nombreuses et aussi nom
breuses que diverses, s'il fallait accepter comme démontrée l'action dr
toutes celles auxquelles on a attribué le développement de la maladie. Si
l'on ouvre en effet la plupart des livres classiques, on ne trouve pas sans
surprise accumulées pêle-mêle dans, une étiologie aussi banale que com-
plaisante les causes les plus disparates et les plus étranges : contagion
tout d'abord ; excès vénériens, onanisme, érections prolongées, même sans
coït; irritations trauniatiques ; injections irritantes; contact de tous les
llux pathologiques de la femme (leucorrhée, catarrhe utérin ou vaginal,
lochies, ichor du cancer, écoulements symptomatiques d'affections di-
verses ; sang des règles, etc.); influence d'aliments divers (asperges, sa-
laisons); excès alcooliques; abus de certaines boissons (bière, vins mous-
seux, vin nouveau, thé, etc.); médicaments (cantharides, soit données à
l'intérieur, soit en applications externes; drastiques, diurétiques trop
excitants); influences morbides (diathèse dartreuse, rhumatismale, gout-
teuse, herpétique, furonculeuse, scrofuleuse; calculs, gravelle, hémor-
rhoïdes); influences des saisons; évolution dentaire; présence d'oxyures
dar ; le rectum; ingestion de pus blennorrhagique par l'estomac ; idio-
syncrasies ; voire même enfin constitution épidémique ! — Autant vau-
drait presque dire que toutes les causes possibles et imaginables sont ca-
pables de produire la blennorrhagie, et l'on serait tenté de s'étonner qu'il
restât sur la terre un seul homme qui n'en lut pas affecté.
Cette étiologie surannée, trop fidèlement reproduite d'âge en Age, ne
résiste pas à un examen sérieux.
Les causes véritablement efficientes de la blennorrhagie sont beaucoup
moins nombreuses. A mon sens, elles se réduisent aux deux suivantes :
1° La contagion;
T ^irritation excessive de l'urèthre, résultant de diverses influences,
au premier rang desquelles il faut placer Y excès vénérien.
1° Contagion. — Elle n'est douteuse pour personne. Très-certainement,
il est des blennorrliagies qui se prennent au contact de blennorrliagies.
L'expérience clinique, les inoculations, le démontrent surabondamment.
N'insistons donc pas sur un fait qui n'est pas contesté.
Mais ici commencent les dissidences. Pour beaucoup d'auteurs, la
blennorrhagie reconnaît nécessairement pour origine une blennorrhagie,
Pas de fruit sans graine. « Soyez sûr, me disait récemment un des pro-
fesseurs les plus distingués de notre école, que l'on ne gagne jamais la
chaude-pisse, quoi qu'on fasse, avec une femme qui n'a pas la chaudepisse.
Les faits contradictoires sont des faits mal observés, où l'uréthrite àv la
femme a été méconnue. C'est qu'en effet cette uréthrite est parfois très-
difficile à constater. On l'observe un jour, puis il peut se passer plusieurs
jours avant qu'on ne la retrouve. Elle ne fournit qu'un suintement peu
1,VJ BLKNNOIUUIAGIL. — causes.
notable qui se dérobe facilement ; pour la surprendre, il faut la cbercber
lorsque la femme n'a pas uriné depuis six ou huit heures, le matin par
exemple, au réveil. En procédant de la sorte, toujours vous trouverez une
blennorrhagie chez une femme près de laquelle un homme aura pris une
blennorrhagie. » (Gosselin, communie, orale.) — D'autres, sans être
aussi absolus, considèrent cependant la contagion comme la cause prin-
cipale et la plus fréquente de la maladie. « Quand un homme, dit Cullc-
rier, vient vous consulter avec une chaude-pisse franche, il y a cent à pa-
rier contre un qu'elle résulte d'un coït impur. » — Pour d'autres, inver-
sement, la contagion ne joue pas un rôle nécessaire dans la production
de la blennorrhagie, laquelle peut naître sous l'influence de causes non
spécifiques. Ricord surtout s'est fait le représentant de cette opinion qu'il
a énergiquement soutenue dans son enseignement et dans ses livres.
« Lorsqu'on remonte, dit-il, de la manière la plus rigoureuse et par l'ob-
servation la plus sévère aux causes déterminantes des blennorrhagies les
mieux caractérisées, on est forcé de voir et de convenir que le virus blen-
norrhagique fait le plus ordinairement défaut. Rien de plus commun que
de trouver des femmes qui ont communiqué des blennorrhagies des plus
intenses, des plus persistantes, aux conséquences blennorrhagiques les
plus variées et les plus graves, et qui n'étaient affectées que de catarrhes
utérins, quelquefois à peine purulents. Assez souvent, le flux menstruel
paraît avoir été la seule cause de la maladie communiquée. Dans un grand
nombre de cas, enfin, on ne trouve rien, ou seulement des écarts de ré-
gime, des excès dans les rapports sexuels, l'usage de certaines boissons,
de certains aliments. De là cette fréquence dans la croyance des mala-
des, croyance très-souvent légitime, qu'ils tiennent leur chaude-pisse d'une
femme parfaitement saine. Sur ce point, je connais assurément toutes
les causes d'erreur, et j'ai la prétention de dire que personne plus que
moi ne se tient en garde contre les fraudes de tout genre semées sur les
pas de l'observateur ; mais c'est avec connaissance de cause que je sou-
tiens cette proposition : fréquemment les femmes donnent la blennorrhagie
sans ravoir... Quand on étudie la blennorrhagie sans prévention, sans
idée préconçue, on est forcé de reconnaître qu'elle se produit souvent
sous l'influence de la plupart des causes qui peuvent déterminer l'inflam-
mation des autres muqueuses. »
Dans le but d'élucider cette difficile question de l'origine de la blen-
norrhagie, j'ai fait depuis plusieurs années un grand nombre de confron-
tations de malades, auxquelles je crois avoir apporté l'attention la plus
minutieuse. Plus de soixante fois, j'ai pu examiner des femmes avec les-
quelles des blennorrhagies vraies avaient été contractées, et cela dans des
conditions qui ne pouvaient guère laisser de doute sur l'origine de la ma-
ladie. Or, de cette étude il est résulté pour moi la conviction que l'opi-
nion de mon maître est la seule vraie, la seule acceptable, la seule con-
forme aux faits d'observation journalière. Il me semble même qu'elle
reste au-dessous de la vérité. Ricord dit : fréquemment les femmes don-
nent la blennorrhagie .sans l'avoir ; c'est, ;i mon sens, le plus fréquemment
BLENNORRHAGIK. — causes. 155
qu'il aurait fallu dire. Pour une blennorrliagïe qui résulte de la conta-
gion, il en est trois au moins où la contagion (dans le sens précis de ce
mot) ne joue aucun rôle. De ce que j'ai vu et observé jusqu'à ce jour, il
résulte pour moi que l'homme est plus souvent coupable de sa blennor-
rhagie que la femme dont il semble la tenir; il se donne plus souvent la
chaude-pisse qu'il ne la reçoit. C'est du reste ce que j'essayerai d'établir
dans ce qui va suivre.
2° Irritation excessive de l'urèthre. — C'est là, je crois, la cause la
plus commune de la blennorrliagïe.
Elle résulte le plus souvent de l'excès vénérien, souvent aussi de diver-
ses influences irritantes pour l'urèthre (excès alcooliques, contact des flux
pathologiques de la femme, etc.) , très-communément enfin de ces diverses
causes associées.
V excès vénérien est l'origine la plus fréquente de la blennorrliagïe. 1!
consiste en des rapports immodérés, répétés ou prolongés outre mesure.
Nombre de sujets ne doivent leur maladie qu'à cette cause.
L'excès alcoolique, l'abus de certaines boissons (vins blancs, Champa-
gne, bière), sont des causes évidentes d'irritation pour l'urèthre. Seules,
elles ne suffisent pas à déterminer la blennorrliagïe; mais ce sont des ad-
juvants qui y concourent d'une façon active. Associées à l'excès vénérien,
elles constituent une des origines les plus communes de la maladie. Il
est une foule de sujets qui prennent la chaude-pisse « en s'échauffant »
comme ils le disent, avec une femme après une orgie, après de trop
copieuses libations, après une ingestion immodérée de Champagne ou
de bière. Il en est môme qui la contractent dans un rapport incomplet où
féjaculation s'est fait longtemps et vainement désirer.
Les flux pathologiques de la femme, auxquels il faut ajouter l'écoule-
ment menstruel, constituent pour l'urèthre des irritants qui peuvent con-
courir au développement de la blennorrliagïe. Il est très-fréquent eneffel
d'en constater l'existence dans les confrontations. Quelle influence onl-
ils sur la production de la maladie, c'est là ce qu'il importe d'étudier.
Lorsqu'on examine des femmes au contact desquelles des blennorrhagïes
ont été contractées, on constate sur elles des affections diverses : des
blennorrhagïes (mettons de côté ces cas qui rentrent dans la contagion pré-
cédemment étudiée); très-souvent la "leucorrhée ou le catarrhe utérin, la
vaginorrhée catarrhale; des écoulements muqueux ou muco-purulents de
diverse nature ; des exulcérations et des granulations du col ; des engor-
gements ou des lésions variées de l'utérus. Parfois aussi on ne constate
rien, absolument rien autre que l'état le plus sain des parties sexuelles.
— Voilà le résultat brut de l'observation, essayons de l'interpréter.
Tout d'abord, cette variété dans les affections constatées sur la femme
n'est pas sans signification. Elle témoigne au moins de ceci, que la blen-
norrliagïe ne résulte pas d'une cause unique, qu'elle peut se développer
au contact de divers états morbides.
Quelle est en second lieu la nature des accidents que révèlent les con-
frontations? Aucun d'eux, à part la blennorrhagie dont il n'est pas ici
134 BLENNORKHAGIK. — causes.
question, ne eomporte un caractère contagieux, dans le sens précis de
ce mot; aucun n'est assimilable aux affections véritablement contagieuses
(chancre, morve, variole, etc.), dont la spécificité virulente fait le prin-
cipal caractère. Bien plus, ce sont des accidents très-souvent, le plus
souvent même inoffensifs. Le muco-pus du catarrhe, le flux menstruel,
ne développent pas des blennorrhagies, tant s'en faut, chez tous ceux qui
s'exposent à leur contact. De même pour la leucorrhée. « C'est par mil-
liers que l'on compte les jeunes filles qui ont de la leucorrhée au moment
où elles se marient. Combien y en a-t-il qui donnent la chaude-pisse à leur
mari? Si les llueurs blanches étaient contagieuses, les hommes seraient
forcés de renoncer à se marier dans les grandes villes où les conditions
hygiéniques développent de la leucorrhée chez la plupart des jeunes
filles. » (A. Guérin.) Il est même des écoulements purulents du vagin et
de l'utérus qui n'ont pas d'action nuisible sur l'urèthre, comme le démon-
tre l'observation de chaque jour. Enfin, il paraît encore que le commerce ha-
bituel d'une femme peut émousser complètement l'action irritante de ces flux
pathologiques, pour lesquels il s'établit alors une sorte de tolérance, dé-
signée par Ricord sous le nom très-expressif d'accUmatemeiit.
Mais, pour ne pas porter en elles un contagium spécial, ces affections
ne jouent pas moins un certain rôle dans l'étiologie de la chaude-pisse.
Les confrontations le démontrent, et personne d'ailleurs ne se prêterait à
soutenir que le commerce d'une femme affectée de catarrhe ou de flueurs
blanches offrît la même sécurité que celui d'une femme saine. Or, si ces
affections sont dangereuses, comment le sont-elles? Elles le sont par les
flux qu'elles sécrètent, lesquels vraisemblablement agissent comme irritants
sur l'urèthre, au même titre que les alcooliques, la bière, les excitants
non spécifiques, mais avec un degré d'énergie bien supérieur. — li est certain
encore que ces divers flux ne sont pas tous également actifs pour dévelop-
per la maladie; ils paraissent l'être d'autant plus qu'ils se rapprochent
davantage de l'état purulent; ainsi, comme le dit Ricord, « le muco-pus
catarrhal semble être l'irritant le plus efficace pour déterminer l'inflam-
mation de la muqueuse. » Signalons aussi comme particulièrement nui-
sible le flux menstruel de certaines femmes, parfois assez acre, assez cor-
rosif, pour développer de véritables érythèmes de la vulve et de la partie
supérieure des cuisses.
Cette action irritante, notons-le bien, est très-différente d'une contagion
véritable. « Le produit d'une sécrétion quelconque, surtout lorsqu'elle est
morbide, peut irriter, enflammer tout organe sain mis en contact avec
lui. Est-ce là de la contagion? évidemment non. Il n'y a dans ce fait
qu'une propagation par voie dHrritation... Entre une cause contagieuse
et une cause simplement irritante, il y a une distance infranchissable. »
(Thiry.)
Que penser enfin des cas où la femme est trouvée saine, absolument
saine? Ces cas ne sauraient, je pense, être désavoués. Ricord et tant d'au-
tres en ont cité des exemples aussi bien observés que possible; j'en ai vu
pour ma part quelques-uns aussi nets et aussi authentiques qu'on puisse
BLENNORRHAGIE. — causes. 135
les désirer. Bien plus, il est peu de médecins auxquels je n'en ai entendu
citer de semblables. Les faits de cette nature semblent fort embarrassants
à quelques pathologïstes; on a même dit qu'ils étaient « assez exorbitants
pour n'y pas croire. » A mon sens, ils ont une signification toute natu-
relle; ils témoignent simplement de ceci, c'est que la femme n'est pas
toujours coupable de la blennorrhagie de l'homme ; c'est que la blennor-
rhagie n'a pas toujours besoin pour se développer de l'irritation inflamma-
toire des flux utérins, vulvaires ou vaginaux; c'est qu'elle peut se
produire, indépendamment de cette cause spéciale, sous d'autres in-
fluences d'irritation, personnelles à l'homme, et auxquelles la femme reste
plus ou moins étrangère.
Ces faits contiennent encore un autre enseignement; c'est qu'il ne faut
pas toujours rapporter l'origine d'une blennorrhagie à tel ou tel état pa-
thologique que l'on découvre chez la femme. On se satisfait en général
trop facilement de la moindre lésion constatée sur l'utérus ou dans le
vagin, pour expliquer la production d'une chaude-pisse. Si l'on descendail
plus avant dans l'étiologie, on rencontrerait souvent d'autres causes qu'il
serait bien plus rationnel d'incriminer, ou auxquelles du moins il faudrait
faire une bien plus large part dans la pathogénie (excès vénériens de
toute sorte, excitations uréthrales diverses, alcoolisme, etc.). Puisque la
maladie peut se développer au contact d'une femme saine, elle le peul
aussi bien en présence d'une lésion quelconque de l'utérus ou du vagin,
sans que cette lésion joue le moindre rôle dans sa production, ("est là ce
qu'on oublie trop, transformant ainsi une simple coïncidence en un
rapport de causalité.
II. Nous n'avons cité jusqu'ici que les causes d'irritation les plus habi-
tuelles. Il en est d'autres, inoins fréquentes, qui peuvent prendre une
certaine part à la production de la maladie : excitations génitales de toute
sorte (masturbation, érection prolongée, succio virgaô); — injections
dites de précaution à la suite d'un rapprochement suspect; — bains
chauds et prolongés pris après le coït; — cathétérisme, etc. Aucune de
ces causes ne serait capable par elle-même de produire une blennorrha-
gie; mais s'ajoutant à d'autres, chacune d'elles peut avoir sa part d'ac-
tion ; c'est en quelque sorte la goutte d'eau qui fait déborder le vase.
Signalons encore certaines conditions individuelles qui facilitent le dé-
veloppement de la maladie, en constituant de véritables causes prédispo-
santes : 1" Conditions local es de conformation : avant tout, hypospadias;
large ouverture du méat uréthral ; phimosis, état couvert du gland, etc.;
— 2° Conditions générales, se rattachant au tempérament, à la con-
stitution, au genre de vie, au régime, aux habitudes, aux idiosyncra-
sies,ctc. Il est certain que la blennorrhagie se produit avec une fréquence
significative chez les sujets blonds, lymphatiques, scrofuleux ou dartreux,
chez ceux qui abusent des plaisirs, qui s'épuisent dans les veilles, les
orgies, les fatigues de la débauche, et qui, comme conséquence, pré-
sentent une excitation habituelle de Turèthre, etc. Enfin, il est des in-
dividus mal doués chez lesquels la maladie se développe avec une facilité
156 BLENN0RHHAG1E. — causes.
toute particulière, à propos du moindre excès, du moindre écart, et au
contact de femmes qui ne communiquent rien à d'autres. Il en est inver-
sement, qui abusant de tout, s'exposant à tout, méritant cent fois la
chaude-pisse, lui échappent toujours. Ce sont là des idiosyncrasies inex-
plicables. — 5° La prédisposition par excellence à la blennorrhagie, c'est
la blennorrhagie elle-même. Les individus qui ont été plusieurs fois at-
teints par la maladie sont bien plus aptes que d'autres à la contracter
de nouveau. Il en est même chez lesquels cette aptitude se continue pen-
dant de longues années, au point qu'ils ne peuvent commettre le plus
léger excès ou même s'approcher d'une femme, sans voir aussitôt repa-
raître un écoulement.
III. Lorsqu'elle ne reconnaît pas la contagion pour origine, la blennor-
rhagie procède habituellement de plusieurs* des causes précédentes
réunies et associées; c'est en quelque sorte la résultante de facteurs mul-
tiples : excès vénérien, excitation alcoolique de l'urèthre, irritation pro-
duite par les flux pathologiques de la femme, etc, etc. Que ces divers
facteurs soient combinés, la maladie se développe; qu'ils agissent isolé-
ment, ils peuvent ne plus suffire à la déterminer.
Ainsi s'expliquent mille bizarreries apparentes. Tel individu qui a
vécu impunément plusieurs mois, plusieurs années, avec une femme
leucorrhéique ou affectée de catarrhe, prend avec elle une blennorrhagie
à un moment donné; et pourquoi? C'est qu'à l'irritation habituelle des
iïueurs blanches ou du catarrhe s'est jointe à ce moment une autre exci-
tation du canal, sous l'influence d'un excès de rapport, d'un écart de
régime, etc. — Telle femme inoffensive pour l'un donne ou mieux semble
donner une chaude-pisse à tel autre, qui s'est « échauffé » davantage avec
elle, qui s'est livré au coït après des libations immodérées, qui d'ailleurs
présente une prédisposition évidente à la maladie soit en raison de son
tempérament, soit par suite d'une conformation spéciale de la verge, soit
enfin comme conséquence de blennorrhagies antérieures, etc. C'est là
l'éternelle histoire de la femme mariée qui ne donne rien à son mari, et
de laquelle reçoit la chaude-pisse un amant plus passionné. — Cela ex-
plique encore pourquoi la blennorrhagie se prend bien plus souvent
avec une maîtresse, près de laquelle on s'excite, que dans le rapport avec
une fille publique, rapport habituellement unique, froid et rapide.
IV. À ce dernier propos, il est un contraste curieux à établir entre la
blennorrhagie et le chancre, au point de vue des sources d'où dérivent
l'une et l'autre de ces maladies. J'ai montré ailleurs que :
1° Sur 875 cas de syphilis observés soit en ville, soit surtout à l'hô-
pital, 625 avaient été transmis par des filles publiques, c'est-à-dire plus
des deux tiers et près des trois quarts.
2° Sur 117 cas de chancres simples, 88 avaient été transmis par des
filles publiques, c'est-à-dire près des quatre cinquièmes.
Or, si nous recherchons d'une façon comparative les sources de la
blennorrhagie, nous arrivons à des résultats tout à fait opposés, comme
le montrent les chiffres suivants :
BLENNORRHAGIE. — symptômes. 137
Blennorrfiagies contractées avec filles publiques 12
— — prostituées clandestines 44
— — filles entretenues, filles de théâtre.. . 138
— — ouvrières 120
— — domestiques 41
— — tommes mariées 26
~587
Ainsi, tandis que la proportion des chancres transmis par les filles
publiques est considérable, celle des blennorrhagies provenant de la même
origine est au contraire excessivement minime (12 sur 587). — Ce ré-
sultat s'explique facilement; il aurait pu même être annoncé a priori.
La blennorrhagie, en effet, comme je l'ai dit, se gagne bien moins sou-
vent par contagion que par excès de coït, par suite d'approches répétées
ou exagérées, ou dans des conditions d'excitation spéciales qui font le plus
souvent défaut dans le commerce des filles. Pour le chancre, au contraire,
un contact suffit, quelque rapide qu'il soit; pas n'est besoin, pour que le
virus se communique, d'excitation, d'org:isme, d'excès; le tout est que
le pus virulent soit déposé sur la verge, et la contagion est produite. Aussi
les filles publiques sont-elles bien plus aptes à transmettre le chancre qu'à
développer la blennorrhagie.
V. La multiplicité habituelle des causes qui président à l'éclosion de la
blennorrhagie, Ricord l'a traduite gaiement dans sa célèbre recette pour
attraper la chaud e-pisse, plaisanterie qu'on m'excusera peut-être de re-
produire ici en faveur des enseignements sérieux qu'elle contient. « Vou-
Içz-vous, disait-il, attraper la chaude-pisse? en voici les moyens: prenez
une femme lymphatique, pâle, blonde plutôt que brune, aussi fortement
leucorrhéique que vous pourrez la rencontrer; dînez de compagnie; dé-
butez par des huîtres et continuez par des asperges ; buvez sec et beaucoup ;
vins blancs, Champagne, café, liqueurs, tout cela est bon ; dansez à la suite
de votre repas et faites danser votre compagne ; échauffez-vous bien, et,
ingérez force bière dans la soirée ; la nuit venue, conduisez-vous vaillam-
ment; deux ou trois rapports ne sont pas de trop, et mieux vaut davan-
tage; au réveil, n'oubliez pas de prendre un bain chaud et prolongé; ne
négligez pas non plus de laire une injection ; ce programme rempli con-
sciencieusement, si vous n'avez pas la chaude-pisse, c'est qu'un Dieu vous
protège. »
Symptômes. — Incubation. — La blennorrhagie ne succède pas im-
médiatement au coït. Entre le moment où l'on s'expose et celui où la
maladie se révèle par ses premiers symptômes apparents, il s'écoule tou-
jours un certain intervalle. Ce fait est incontestable, mais il a été très-
diversement interprété.
Le délai qui sépare le moment où la cause agit de l'apparition des pre-
miers phénomènes est considéré par quelques auteurs comme constituant
une véritable incubation, complètement analogue à l'incubation caractéris-
tique de certaines maladies, telles que la variole, la scarlatine, la rage, etc.
Pour d'autres, ce n'est pas là une incubation, dans le sens précis de ce
158 BLENN0RKHÀG1E. — symptômes.
mot; ce n'est qu'une période à' action latente, où les phénomènes mor-
bides se préparent et s'élaborent sans être encore assez intenses pour
devenir manifestes. Ricord a surtout vivement défendu cette dernière opi-
nion qui compte aujourd'hui un grand nombre de partisans. Pour lui,
l'action exercée par la matière morbide sur l'organe qu'elle a touché
commence dès le moment du contact ; seulement cette action est si faible
qu'on en méconnaît l'existence. « Je ne nie pas l'évidence, dit-il, et,
par conséquent, je ne nie pas qu'entre l'action de la cause et l'appa-
rition des premiers phénomènes de la blennorrhagie il ne s'écoule un
temps plus ou moins long; mais est-ce là une incubation proprement
dite, une incubation pareille à celle du virus variolique ou vaccinal? Je
le conteste... Il n'y a pas là plus d'incubation qu'il n'y en a entre l'action
d'un refroidissement des pieds et l'apparition d'un coryza. On ne mouche
pas immédiatement du muco-pus après un refroidissement des pieds ; il
s'écoule un certain temps entre ces deux actes. Appelez-vous ce temps
l'incubation du coryza? Pourquoi donc se servir d'une expression pareille
pour la blennorrhagie?... Il n'y a pas de bronchite, de pneumonie, de
phlegmon, etc., qui arrive au terme de la suppuration tout de suite après
l'action des causes qui ont présidé au développement de ces maladies...
Concluons donc, sur ce point, que les eflets de la blennorrhagie peuvent
être éloignés de la cause qui les produit, mais que rien ne prouve que le
temps qui s'écoule entre l'action de la cause et l'apparition des phéno-
mènes morbides soit le résultat d'une véritable incubation virulente. »
Quelle que soit l'interprétation doctrinale qu'on lui donne, le fait existe,
et il est intéressant à constater. Toujours donc la blennorrhagie est pré-
cédée d'une certaine période caractérisée par l'absence de tout phéno-
mène appréciable.
La durée de cette période, d'après certains auteurs, serait susceptible
d'étranges variétés. Elle serait très-courte ici, là moyenne, plus longue
ailleurs, énorme en quelques cas. Elle pourrait ainsi osciller entre les
limites extrêmes de « quelques heures » et de plusieurs semaines, voire
même de deux mois et au delà !
Je ne saurais accéder à cette manière de voir. Pour ma part, sur un
grand nombre de cas soigneusement étudiés à ce sujet, je suis arrivé aux
résultats suivants :
Dans l'énorme majorité des cas, la blennorrhagie vraie manifeste ses
premiers symptômes à la fin du quatrième ou au commencement du cin-
quième pur après le coït; moins souvent elle apparaît le troisième ou le
sixième jour ; bien plus rarement le second ou le septième, le huitième
jour. Ces résultats sont du reste d'accord avec ceux de la plupart des au-
teurs contemporains.
De même, dans le cas où le pus blennorrhagique a été inoculé à l'urèthre
(Bell, Baumes, Rodet), les premiers symptômes de la maladie se sont
manifestés du second au cinquième jour, au plus tard avant le huitième.
Les incubations ou plus courtes ou plus longues m'ont toujours paru
suspectes, du moins d'après les faits que j'ai observés jusqu'à présent.
BLENNORRHAGIE. — début. 159
Celles qui ont été citées par divers médecins sont loin d'être entourées
de toutes les preuves qui imposent la conviction. Est-il besoin de rappeler
d'ailleurs combien la recherche de l'incubation présente de difficultés,
d'incertitudes et de sources d'erreurs ?
Les incubations courtes appartiennent bien plutôt àl'uréthrite qu'à la
blennorrhagie vraie. On les observe encore assez souvent chez les sujets
à urèthre facilement excitable ou excité d'une façon chronique. Il est cer-
tains individus qui sont toujours, pour ainsi dire, à la veille d'une blen-
norrhagie; leur canal, pour des causes diverses, est rouge, injecté, et
présente une hypersécrétion habituelle ; que ces individus fassent un excès
ou rencontrent une femme malsaine, ils gagnent une chaude-pisse qui se
manifeste habituellement en moins de 48 heures.
On observe encore très-souvent en pratique des malades qui, à la suite
d'une blennorrhagie aiguë, conservent un suintement léger de l'urèthre. Or
ce suintement, le plus habituellement négligé, oublié ou même ignoré,
n'est que trop sujet à des recrudescences soit provoquées par des excès de
divers genre, soit même spontanées ou, pour mieux dire, indéterminées
quant à leur cause. Ces recrudescences ne manquent guère d'être prises
pour une maladie nouvelle, tant par le malade inattentif que par le médecin
mal informé. De là, au point de vue qui nous occupe, la possibilité d'er-
reurs en divers sens sur l'incubation qui, suivant le hasard des circon-
stances, peut sembler ou très-longue ou très-courte. Un fait de ce genre
s'est présenté à moi ces derniers jours : un jeune homme qui n'avait pas
vu de femmes depuis six à sept semaines fut pris, à son grand étonne-
mcnt, d'un écoulement uréthral. Très-sùr de sa sincérité, je l'interrogeai
avec soin ; informations prises, ce malade conservait depuis plus d'une
année, comme suite d'une blennorrhagie aiguë, un suintement léger, sujet
de temps à autre à recrudescence; cette fois, l'écoulement avait repris à
la suite de fatigues et de veilles; il était abondant, phlegmoneux; il avait
tous les caractères d'une affection récente ; chez un sujet moins obser-
vateur de sa personne ou moins franc, il eût pu donner le change pour un
exemple de blennorrhagie précédée d'une incubation démesurément
longue. Et ainsi d'autres causes d'erreur qu'il serait superflu d'énumé-
rer ici.
Début. — L'invasion de la maladie est le plus souvent annoncée
par une sensation particulière éprouvée dans le canal, par un prurit, un
chatouillement vers le bout de la verge, ou une ardeur insolite dans la
miction. Pour bon nombre de sujets toutefois, l'écoulement est le pre-
mier symptôme.
Puis, une humeur opaline se présente au méat urinaire, et en agglutine
les lèvres légèrement rouges et tuméfiées. Dès ce moment, on peut, par la
pression, faire sourdre de l'urèthre une petite gouttelette d'un liquide
blanchâtre ou gris, filant et visqueux.
Ce sont là les premiers phénomènes de la maladie. On dit avoir observé
en certains cas, comme symptômes initiaux, du malaise général, des
frissons, des douleurs uréthrales assez vives, des tiraillements inguinaux,
140 BLEiN'NORRHAGlE. — maladie confirmée.
de la fluxion des ganglions de l'aine, etc... Tout cela n'est que très-
exceptionnel.
Maladie confirmée. — Les phénomènes précédents ne tardent pas
à s'accentuer davantage. Le méat rougit; l'émission de l'urine détermine
une cuisson plus notable, qui cependant n'est pas encore une douleur
vraie; l'écoulement augmente en même temps qu'il change de couleur;
il devient jaunâtre, puis jaune et franchement purulent; il se répand au
dehors et souille le linge; le gland est un peu turgescent, injecté; les
veines de la verge, légèrement gonflées, témoignent d'un certain degré
d'éréthisme et de congestion locale.
Jusqu'au cinquième jour environ, les choses restent en cet état; mais,
à dater de ce moment, les phénomènes prennent un plus haut degré
d'intensité. L'écoulement devient verdâtre, phlegmoneux, parfois strié de
sang; des douleurs, de plus en plus vives, accompagnent la miction; des
érections répétées et très-pénibles troublent le sommeil, surtout dans la
seconde moitié de la nuit; le pénis, puis la région du bulbe, puis le
périnée sont sensibles et endoloris; le gland est rouge, turgescent; la
verge est tuméfiée, etc. ; tout, en un mot, témoigne d'une violente irri-
tation des parties, sans parler des complications diverses qui peuvent se
manifester à cette période.
C'est là ce qu'on appelle l'état aigu, la période de progrès ou d'augment
de la maladie.
Puis, après un temps variable, l'inflammation ayant atteint son apogée
reste quelques jours stationnaire (période d'état). Elle s'apaise ensuite,
et ses différents phénomènes s'atténuent progressivement. La douleur est
la première à décroître ; les érections deviennent moins pénibles et moins
fréquentes; l'éréthisme local se calme et disparaît ; l'écoulement diminue,
change de couleur; il persiste encore, comme seul phénomène de la ma-
ladie, pendant un temps assez long; finalement, il se change en un
simple suintement catarrhal, et se tarit complètement. — Ce sont là les
périodes de déclin et de terminaison.
Tel est l'ensemble abrégé de la maladie. — Revenons maintenant en
détail sur les différents phénomènes qui la caractérisent.
a. État des parties. — Pendant la période inflammatoire, l'inspection
de la région génitale montre : le méat rouge, incessamment souillé de
pus; ses lèvres sont boursouflées, un peu déjetées en dehors, quelquefois
dures et rénitentes, quelquefois aussi excoriées légèrement et saignantes,
ce qui résulte soit du haut degré d'inflammation des parties, soit surtout
du frottement de la verge contre le linge; — le gland hyperémié, tendu,
luisant, et même un peu turgide, pour peu que la phlegmasie soit intense;
— le prépuce souvent œdémateux, avec ou sans coloration rosée ; — le
fourreau sillonné de veines et de veinules distendues , parfois aussi par-
couru par une ou plusieurs traînées rougeâtres (lymphangite) ; — l'urèthre
se dessinant sous la verge par un léger relief; douloureux à la pression,
surtout au niveau de la fosse naviculaire; présentant souvent une ou plu-
sieurs petites tumeurs granuleuses très-facilement perceptibles sous le
BLKNNORlilIAGlË. — .maladie confirmée. 141
doigt (folliculitc); constituant même parfois une corde rénitente et volu-
mineuse, enclavée comme une baguette de fusil entre les deux corps ca-
verneux. *
/;. Écoulement. — C'est là le phénomène essentiel de la blennorrhagie.
Il est constant. La prétendue blennorrhagie sèche en effet (dysurie véné-
rienne sèche des anciens auteurs) n'existe pas en tant que maladie ; ce
n'est qu'un symptôme d'affections diverses, que l'on observe parfois d'une
façon transitoire au début des écoulements uréthraux de toute nature.
Cet écoulement varie d'abondance et de nature aux divers âges de la
maladie. 1° Son abondance est généralement en relation avec l'intensité
et l'étendue de l'inflammation. C'est dire qu'elle augmente de jour en
jour dans la période de progrès, et qu'elle diminue dans la période de dé-
clin. Elle est telle parfois à l'apogée de la maladie que le pus s'écoule, pour
ainsi dire, goutte à goutte de l'urèthre, et forme sur le linge d'énormes
taches verdâtres. Souvent encore, elle reste considérable, alors même
que les symptômes de réaction locale se sont amendés. — 2° Comme na-
ture, l'écoulement ne consiste au début qu'en un suintement opalin d'une
humeur (ilante et visqueuse; — quelques heures plus tard, il a déjà pris
une teinte opaque et laiteuse, à laquelle s'ajoute bientôt un léger reflet
jaunâtre; — le lendemain, il devient jaunâtre, puis jaune, et laisse alors
surle linge des taches de nuance soufrée ; — plus tard, il prend une colo-
ration verdàtre ; au summum de l'inflammation, il est absolument vert;
souvent encore, à cette époque, il est strié de sang et rouillé. — Puis, à
mesure que les symptômes aigus s'apaisent, l'écoulement parcourt en
sens inverse la gamme des tons qui précèdent; du vert, il passe au ver-
dàtre, puis au jaune foncé, puis au jaune clair ; plus tard, il n'est plus
que laiteux, opalin ; finalement ce n'est qu'une simple humidité grisâtre
ou incolore qui s'épuise et disparait.
Cet écoulement est constitué par du muco-pus, analogue à celui que
sécrètent les muqueuses enflammées. Plus la phlegmasie est vive, plus les
globules de pus sont abondants par rapport à la proportion du mucus, et
inversement. — Jusqu'à ce jour, l'analyse chimique et le microscope n'ont
découvert dans ce liquide aucun élément spécifique. Les productions para-
sitaires qu'on y a signalées ne paraissent être qu'accidentelles et sans
relation avec la nature de la maladie.
c. Phénomènes douloureux. — Ils sont multiples et différents :
1° Le plus fréquent et le plus caractéristique, c'est la douleur de miction.
Celle-ci, comme intensité et comme siège, suit en général une marche
parallèle au développement des phénomènes inflammatoires.
Comme intensité : au début, ce n'est qu'un simple prurit, qu'une ardeur
qu'un « échauffement en urinant, » comme le disent les malades; phi>
tard, c'est une douleur véritable, que les patients comparent à une brû-
lure, au passage d'un corps chaud dans le canal (chande-pisse), plus rare-
ment à une eonstrictiou, à un déchirement, etc. Au summum de l'inflam-
mation, c'est une souffrance aiguë, parfois même atroce; certains malades
la redoutent à ee point qu'ils diffèrent le plus longtemps possible le mo-
142 BLENNORflHÀGtË. — maladie confirmée.
ment de la miction, ou qu'ils se privent même de boire, pour avoir à uri-
ner moins souvent. — Puis, comme nous l'avons dit, cette douleur di-
minue dès que les symptômes d'acuité commencent à se modérer; elle
devient supportable, légère; ce n'est plus bientôt qu'une sensation de
chaleur, de chatouillement; enfin, elle disparaît alors même que l'écoule-
ment persiste encore avec assez d'intensité. — Il n'est pas rare d'observer
quelques exceptions à cette marche habituelle des phénomènes. Ainsi,
parfois la douleur est très-vive avec une inflammation relativement modé-
rée; ou bien, inversement, elle est légère, minime, ou même nulle dans
des cas où l'on s'attendrait à la trouver très-intense, eu égard au déve-
loppement des phénomènes inflammatoires. J'ai vu de la sorte certains
sujets présenter le singulier privilège d'une immunité presque absolue de
douleur dans le cours de blennorrhagies assez aiguës. Plus souvent, la
miction reste notablement douloureuse alors que les symptômes de réac-
tion locale ont complètement disparu.
Comme siège, la douleur de miction offre ce caractère curieux de suivre
dans l'urèthre un trajet ascendant du méat vers la vessie. Ainsi, dans les
premiers jours, elle reste limitée exclusivement à la fosse naviculaire;
plus tard, elle se fait sentir dans toute l'étendue de la verge, pour se
localiser plus spécialement à la racine de l'organe ; plus tard encore,
elle se fixe à la région périnéale. On a même prétendu, ce qui me semble
exagéré, que la maladie suivait parfois, dans son extension, « la marche
ambulante de certains érysipèles et qu'elle abandonnait les points primi-
tivement affectés à mesure qu'elle gagnait les parties voisines. » — A
la période de déclin, il est fréquent de voir la douleur se localiser au
niveau de la fosse naviculaire, ou bien, mais plus rarement, à la racine
de la verge. — Ajoutons encore que chez bon nombre de malades, surtout
lorsqu'un traitement méthodique a été institué dès le début, les douleurs
antérieures sont les seules qui se manifestent ; les postérieures font alors
défaut.
D'autres phénomènes douloureux s'observent encore dans le cours de
la blennorrhagie. Ce sont :
1° Des douleurs spontanées , à savoir : sentiment de tension et de pe-
santeur dans la verge ; élancements dans le canal ; irradiations douloureuses
dans les testicules, les cordons, les régions inguinales, les lombes, etc.; et
surtout douleurs périnéales, gravatives, parfois très-pénibles, augmentant
notablement par la position assise, par la pression et par la marche
qu'elles rendent difficile et gênée.
2° Des douleurs provoquées. Ce sont les douleurs produites par Y érec-
tion et par Véjaculdtion* — L'éréthisme local détermine, pendant la pé-
riode inflammatoire, des érections fréquentes, lesquelles ne se produisent
qu'avec des douleurs plus ou moins vives. Ces érections se manifestent
surtout la nuit, quelquefois même pendant le jour, spécialement chez
les sujets qui font de longues courses en voiture. Lorsque la phlegmasie
du canal est très-vive, elles deviennent presque incessantes pendant le
sommeil ; elles réveillent les malades dix et vingt fois par nuit. De là des
BLENPnOKRHAGŒ. — marche, durée, iio
insomnies tatigantes , intolérables , laissant à leur suite un certain état
de malaise, d'agacement nerveux, et même parfois de réaction fébrile.
De plus, les conditions d'extensibilité de l'urèthre se trouvant modifiées
par le fait de l'inflammation, il arrive que le canal ne peut suivre dans
l'érection le développement des corps caverneux. De là des tiraillements
douloureux toujours très-pénibles, parfois même atroces. De là aussi ce
singulier état de la verge qui, recourbée inférieurement, figure un arc
dont l'urèthre forme la corde (chaude -pisse cordée). — Cette courbure se
produit parfois en sens inverse ou latéralement, mais cela est très-rare.
— D'autres fois, et plus souvent, elle ne se produit qu'à l'extrémité de la
verge; le gland seul est arqué (Ricord), et c'est au niveau de la fosse navi-
culaire que la douleur est spécialement rapportée par les malades.
L'éjacylation se produit parfois à la suite de ces érections. Au moment
de la période aiguë, elle est excessivement douloureuse; elle détermine
une sensation atroce de déchirement intérieur; elle est suivie parfois d'une
hémorrhagie du canal, généralement assez légère.
d. Troubles dans l'émission de l'urine. — La miction est moins libre
qu'à l'état normal, surtout si les phénomènes inflammatoires sont un peu
intenses. Le jet de l'urine est changé; il est plus mince, moins régulier;
parfois même il ne sort plus droit, il se brise, il s'éparpille ; ce qui tient
à la fois au boursouflement de la muqueuse qui rétrécit le calibre de
l'urèthre, et à un état spasmodique du canal déterminé par la douleur. Ces
phénomènes, du reste, s'atténuent et disparaissent dès que l'éréthisme
local commence à se calmer. — Ce n'est que dans des cas assez rares
qu'on observe soit l'incontinence, soit la rétention de l'urine. Nous revien-
drons plus loin sur ces complications.
De même, et pour des raisons analogues, l'émission du sperme au
moment de la période inflammatoire, ne se fait plus par jet, mais en
bavant, ce qui tient probablement à une diminution de la contractilité de
l'urèthre.
e. Etat général. — Le plus habituellement, alors même que les sym-
ptômes atteignent un haut degré d'intensité, la blennorrhagie reste une
affection toute locale. On n'observe guère de troubles généraux que dans
les cas rares où la maladie revêt une acuité insolite, ou bien chez les sujets
nerveux, facilement excitables. Il se produit alors un léger état de ma-
laise : fièvre modérée^ inappétence, céphalalgie, etc. Cet état se dissipe
en quelques jours au plus, bien que les phénomènes locaux ne subis-
sent pas d'amendement parallèle.
Marche, durée. — I. La blennorrhagie débute par la région balaniquc
de l'urèthre et se propage d'avant en arrière, envahissant ainsi successive-
ment les régions spongieuse, membraneuse et prostatique. Cette marche
est démontrée par l'analyse minutieuse des faits cliniques. C'est ainsi
que dans la symptomatologie qui précède nous avons vu les phénomènes
inflammatoires, la douleur en particulier, remonter le canal, pour ainsi
dire, du méat vers la vessie. Nous suivons de même cette progression
dans la très-intéressante et très-célèbre expérience de Swediaur. On sait
\U BLENNORRHAGIE. — marche, durée.
que ce courageux observateur, pour démontrer « que certaines espèces
d'écoulements doivent leur origine à une cause différente du virus syphi-
litique, » se lit dans l'urèthre une injection d'ammoniaque étendue d'eau.
Il se produisit aussitôt une inflammation des plus violentes, laquelle, au
point de vue qui nous occupe, présenta les particularités suivantes : tout
d'abord, les cinq premiers jours, écoulement abondant, douleurs très-vives
dans la miction, érections nocturnes, etc.; puis alors, ajoute l'auteur, « ce
qui me donna beaucoup d'inquiétude, c'est que j'éprouvai les effets d'une
autre inflammation qui s'établissait plus avant dans le canal de l'urèthre,
à un endroit où je n'avais rien senti auparavant, et jusqu'où aucune
goutte de l'injection ne pouvait avoir pénétré. Cette nouvelle inflamma-
tion s'étendait, à ce qu'il me parut, depuis la place où la première s'était
bornée jusqu'à une certaine distance plus avant dans le canal. Elle fut
suivie d'un écoulement abondant, accompagné des mêmes symptômes
qu'auparavant, et dura six jours, après lesquels les symptômes furent
extrêmement adoucis. Mais quel fut mon étonne ment, lorsqu'après ce temps
je sentis très-distinctement les symptômes d'une nouvelle inflammation,
qui paraissait s'étendre depuis les limites de la précédente vers le
verumontanum jusqu'au col de la vessie, et qui fut accompagnée d'une
ardeur d'urine, et d'un écoulement aussi abondant que le précédent !
Pour le coup, je fus sérieusement alarmé...; je voyais que l'inflamma-
tion qu'avait d'abord excitée l'ammoniaque se communiquait très-évi-
demment d'une partie de l'urèthre à l'autre, ce qui me faisait craindre
qu'il ne s'ensuivît enfin une inflammation de toute la surface interne
de la vessie... Je demeurai dans cet état, entre l'espérance et la crainte,
pendant sept à huit jours; mais j'éprouvai enfin, à ma grande satisfac-
tion, que cette inflammation s'apaisait par degrés, de même que l'éva-
cuation, sans s'étendre au delà de l'urèthre; et je fus entièrement délivré
de tous les symptômes de ces trois chaiide-pisses, comme je puis les
appeler avec raison, à la fin de la sixième semaine. »
L'examen endoscopique du canal permet de suivre pas à pas la pro-
gression ascendante des phénomènes dans l'urèthre. Au huitième jour,
d'après Desormeaux, l'inflammation est étendue à la moitié antérieure
du canal , où l'on trouve la muqueuse rouge, dépolie , et présentant
l'aspect des ulcérations superficielles qui se forment sur le gland dans
la balanite. Dans les blennorrhagies plus anciennes, la lésion ne change pas
de caractère, mais elle remonte vers la partie postérieure du canal. Elle
finit ainsi par atteindre successivement le bulbe, la portion membraneuse
et la portion prostatique. (Desormeaux.)
On a même dit que l'envahissement successif de chacune des sections
du canal « est marqué par une recrudescence de la maladie, durant six
à sept jours, et suivie d'un peu de rémission. » (Cullerier.) Si cette parti-
cularité s'observe en certains cas, je ne crois pas qu'elle soit habituelle.
11. Lorsque la blennorrhagie a duré un certain temps et parcouru la
presque totalité du canal, elle tend à se limiter; elle se localise sur une por-
tion, sur un point de l'urèthre. L'examen endoscopique a parfaitement mis
BLENNORRHAGIE. — marche, durée. 145
en lumière ce fait intéressant. Ainsi, à une époque un peu avancée de la
maladie, les lésions inflammatoires disparaissent souvent sur les parties
soit antérieures, soit postérieures du canal, pour se localiser aux régions
intermédiaires. « A cette période, dit Desormeaux, la partie antérieure de
Furèthre reprend les caractères de l'état sain. Sur quelques malades, en
effet, tandis que l'inflammation avait tous ses caractères dans le bulbe et
la région membraneuse, la partie antérieure du canal présentait sa surface
lisse et sa couleur habituelle. La portion prostatique dans laquelle l'affec-
tion peut aussi se tixer guérit cependant sur beaucoup de malades, car il
m'est arrivé fréquemment de trouver la lésion caractéristique confinée
dans les environs du bulbe, tandis que les parties antérieure et postérieure
étaient saines chez des malades qui avaient présenté tous les signes de
l'extension du mal à la prostate et au col de la vessie. » — L'inflammation
peut encore se limiter à la fosse naviculaire, mais cela est bien plus rare.
— Fort souvent enfin, dans la blennorrhée , la lésion n'occupe qu'une
étendue très-restreinte, qu'un point, pour ainsi dire, du canal de Furèthre
revenu à l'état sain dans tout le reste de son étendue.
Mais, en même temps qu'elle se limite en vieillissant, l'inflammation
tend à devenir plus profonde. Au lieu d'affecter simplement la couche
superficielle de la muqueuse, elle gagne toute l'épaisseur de cette mem-
brane; elle s'insinue dans les follicules; elle s'étend même parfois aux
tissus sous-jacents. Elle détermine ainsi l'épaississement, l'induration,
l'excoriation de la muqueuse, et d'autres lésions encore dont l'étude nous
occupera bientôt.
III. Examinée dans son ensemble, la blennorrhagie présente, pour son
évolution complète, quatre périodes que nous avons caractérisées précé-
demment : période de début, où les symptômes sont peu intenses et an-
noncent « plutôt un travail de congestion qu'une inflammation véritable »
(M. Robert); elle dure environ quatre jours; — période d'augment ou
d'acuité, se prolongeant en général jusqu'au milieu ou à la fin du second
septénaire, parfois même du troisième; — période d'état, assez inégale
comme durée ; — et enfin période de déclin, bien plus variable encore
que la précédente, souvent courte grâce au traitement, souvent aussi
longue et très-longue, en raison des conditions multiples qui peuvent
entraver la guérison.
De là, comme conséquence, des variétés infinies dans la durée totale de
la maladie. Ici, les symptômes s'amendent et s'effacent en quelques
semaines; là, l'écoulement persiste pendant des mois, pendant des
années entières ; ailleurs encore, c'est une blennorrhée qui peut se
prolonger indéfiniment. Il n'est rien de fixe, rien de certain à cet égard.
Il n'y a pas, au début d'une blennorrhagie, de prévision à émettre sur
sa durée possible, et, comme le disent les malades, si l'on sait quand elle
commence, on ne sait guère quand elle finira.
Dans les cas les plus heureux, la blennorrhagie, convenablement traitée,
peut guérir en trois, quatre, six septénaires. Dans les cas un peu plus
rebelles, la guérison s'obtient en deux ou trois mois. Mais dès que la
NOUV D1CT. MÉD. HT CM il. V. — iO
146 BLENNORRHAGlti. — marche, durée.
tendance à la forme chronique ou aux recrudescences spontanées se ma-
nifeste, il n'est plus de durée moyenne à établir. Le mal peut s'éteindre
en quelques mois, comme il peut se prolonger et résister presque indéfi-
niment à toutes les médications les plus rationnelles. On rencontre ainsi
parfois de vieilles blennorrhagies remontant à cinq, dix, quinze, vingt
ans de date, et même davantage.
Ce qui fait la longue durée de la blennorrhagie en général, ce n'est pas
la période aiguë, c'est-à-dire le stade des phénomènes inflammatoires ;
ce sont les périodes d'état, et surtout de déclin. Règle presque absolue,
les symptômes d'acuïté ne sont guère à craindre; on en a facilement
raison, et en peu de temps ; mais il n'en est pas de même de l'écoulement
qui leur survit. On réussit bien à modérer cet écoulement à l'aide d'une
médication appropriée; on peut même le réduire à l'état d'un simple
suintement. Puis, à un moment donné, l'amélioration progressive ne se
soutient plus , ne se continue pas ; vainement l'on insiste alors sur le
traitement , en modiliant les remèdes , en doublant les doses , en re-
doublant d'attention et de soins; rien n'agit plus, le suintement persiste,
et la maladie paraît se soustraire complètement à l'influence de la médi-
cation. Cet état se prolonge parfois d'une façon désespérante, et c'est lui
qui constitue l'énorme durée de certaines blennorrhagies.
11 est d'ailleurs des conditions aussi variées que possible qui influent
sur la durée du mal : conditions relatives au mode de traitement , ta
l'observance de l'hygiène, au genre de vie, aux professions, aux habi-
tudes, etc., etc.; — conditions individuelles, dépendant du tempérament,
de la constitution, des idiosyncrasies, etc. Ainsi il est certains sujets
blonds, lymphatiques, à constitution pour ainsi dire catarrhale ou « pyo-
génique, » qui prennent un écoulement au moindre excès, et qui le con-
servent des mois entiers en dépit de toute médication; — conditions rela-
tives à la maladie même, qui présente tel ou tel degré d'intensité, qui
revêt d'emblée telle ou telle forme, etc. Disons à ce propos que les blen-
norrhagies les plus aiguës sont loin d'être toujours les plus mauvaises,
ni surtout les plus longues. Tout au contraire, lorsqu'elles sont franche-
ment inflammatoires, il est habituel qu'elles parcourent assez rapidement
leurs diverses périodes, pour s'éteindre avec une vitesse en quelque sorte
proportionnelle à leur acuité première. C'est là le fait en général d'une
première chaude-pisse; elle est aiguë, douloureuse, pénible, mais elle
s'éteint assez facilement. Telles ne sont pas les suivantes : moins inflam-
matoires, moins vives, elles sont en revanche plus opiniâtres et plus
longues; elles se rapprochent, en un mot, de la forme sub-aiguë de
certaines blennorrhagies, forme bénigne quant aux symptômes, mais dé-
solante par son uniformité, sa lenteur, et la résistance qu'elle oppose
trop souvent aux médications de tout genre.
IV. L'évolution de la maladie est loin de présenter, dans tous les cas,
une progression régulièrement décroissante. Elle est fréquemment sou-
mise, au contraire, à des oscillations en divers sens ; elle est souvent
heurtée, incidentée par des recrudescences plus ou moins vives, des re-
BU NNORRflAGIE. — marche, durée. 147
tours plus ou moins complets aux périodes déjà parcourues, des compli-
cations aussi nombreuses que variées.
L'excessive fréquence des rechutes, des recrudescences, constitue un
des traits les plus spéciaux de la maladie. Dans aucune autre affection du
cadre nosologique, on n'observe une égale aptitude des phénomènes
inflammatoires à se reproduire , à se reconstituer sous leur forme
première.
Ces recrudescences sont donc presque caractéristiques. Elles se mani-
festent à tous les âges de la maladie ; mais elles sont surtout communes
et remarquables à la période de déclin. Tel sujet vient de subir les phases
aiguës d'une blennorrhagie; l'inflammation s'est calmée, l'écoulement
se modère ou tend même à se supprimer; survient à ce moment une
excitation quelconque de l'urèthre (coït , pollution, excès de boisson,
é fatigue, etc.), tout aussitôt la phlegmasie se rallume; l'écoulement re-
parait avec intensité, verdàtre, phlegmoneux, abondant, comme dans les
plus mauvais jours; les douleurs, les érections se reproduisent, etc. ; en
un mot, l'état aigu est reconstitué. — Disons, toutefois, que les recru-
descences égalent rarement, comme intensité, la période inflammatoire
du début ; elles rappellent, il est vrai, l'écoulement avec plus ou moins
de violence, mais elles ne reproduisent pas en général les autres phéno-
mènes avec une acuité proportionnelle.
Il y a plus, c'est que parfois la maladie peut se renouveler, alors
qu'elle paraît absolument éteinte. Tout vestige d'écoulement, tout signe
d'inflammation a disparu; la guérison semble acquise; puis voici que,
tout à coup, la hlennorrhagie se reproduit ! On voit ainsi des malades
être repris d'écoulement après cinq, huit, dix jours de guérison appa-
rente.
Ou a même prétendu, mais ce fait mérite continuation, que de sembla-
bles rechutes peuvent se manifester plus tard encore. « J'ai vu, dit Hun-
ter, les symptômes de la gonorrhée se reproduire un mois après que toute
trace de la maladie avait disparu. » — Ce qui n'est pas moins surprenant,
c'est que ces rechutes, qu'on serait tenté d'appeler des récidives, ne sont
souvent provoquées par aucune cause. Elles s'observent sur les malades
les plus attentifs et les plus désireux de guérir; elles s'observent en dehors
de toute excitation vénérienne, à la suite des traitements les plus métho-
diques et les mieux suivis ; elles ne sont expliquées par rien ; elles se pro-
duisent, je le répète, sans cause, tout au moins sans cause connue, ap-
préciable. — Ajoutons que ces recrudescences singulières peuvent se
répéter et se répètent même souvent à plusieurs reprises. Ainsi l'on a vu,
et j'ai vu mainles fois, pour ma part, une série de rechutes se dérouler
de la façon suivante : Blennorrhagie ; période aiguë faisant son évolution
régulière; période de déclin bien caractérisée; diminution et disparition
de l'écoulement sous l'influence d'un traitement méthodique; suppression
du traitement; guérison apparente pendant quatre, six, huit jours ; puis
rechute; nouveau traitement; nouvelle guérison, durant un ou deux
septénaires ; puis seconde réduite ; nouveau traitement, supprimant de
148 BLENNORRHÀGIE. — terminaisons.
même tous les phénomènes de la maladie ; guérison durant encore un
certain temps; puis troisième rechute; et ainsi de suite jusqu'à quatre,
cinq, voire même six reprises! — C'est à cette forme « réellement incom-
préhensible » de la maladie qu'on a donné le nom bien mérité de chaude-
pisse à répétition.
V. Enfin la marche de la maladie est très-souvent modifiée par le
traitement de la façon suivante. Lorsqu'à une époque plus ou moins
rapprochée du début, la médication suppressive (balsamiques, injections)
est mise en œuvre, l'écoulement diminue sans disparaître complètement,
la miction ne devient pas douloureuse, les phénomènes aigus de la pé-
riode initiale ne se développent pas ; la maladie semble, sinon guérie, du
moins comprimée et disposée à s'éteindre. Une blennorrhagie récente
paraît de la sorte amenée dans l'espace de quelques jours à la période de dé-
clin. Mais bientôt les choses changent de face : le malade cesse-t-il le trai-
tement, tout aussitôt l'écoulement augmente, redevient intense et puru-
lent. A ce moment, si la médication est reprise, les mêmes phénomènes se
répètent ; de nouveau la sécrétion uréthrale se supprime, pour reparaître
dès que la médication sera suspendue, et ainsi de suite. La même scène
peut se renouveler trois, quatre, cinq fois et même bien davantage. C'est
déjà là un fait curieux. De plus, ce qui n'est pas moins intéressant dans
cette évolution artificielle de la maladie, c'est qu'aucune de ces recrudes-
cences successives ne reproduit — du moins habituellement — l'ensemble
complet de la période aiguë, tel qu'on l'observe dans les cas où l'affection
suit sa marche naturelle. La rechute ne se traduit guère que par un seul
phénomène, la reprise de l'écoulement ; mais l'on n'observe avec elle ni
ces douleurs cuisantes de la miction, ni ces érections si pénibles, ni cet
éréthisme local, ni ces divers symptômes qui caractérisent normalement
la période d'acuïté. Cette période fait défaut ; elle est en quelque sorte
supprimée par la médication; la maladie est réduite à une sorte d'état
sub-aigu, qui, sous des apparences de bénignité relative, constitue en
léalité une des formes les plus lentes à se résoudre, les plus difficiles à
guérir.
D'autres fois, l'emploi prématuré de la médication suppressive réagit
différemment sur les symptômes. Il les exaspère au lieu de les calmer.
Les injections notamment sont parfois mal tolérées; elles irritent vivement
l'urèthre qui s'enflamme et prend une teinte purpurine; l'écoulement
change alors de caractère ; il devient remarquablement séreux, ou bien il
se mélange de sang et dépose sur le linge de larges taches rosées ou rou-
geàtres (blennorrhagie rouge); en même temps, il se produit des douleurs
très-vives dans la miction, de la dysurie, quelquefois même de la réten-
tion d'urine, tous phénomènes qui témoignent dune violente irritation des
parties. Cet état sur-aigu persiste généralement plusieurs jours ; il est la
conséquence évidente d'une médication intempestive.
Terminaisons. — I. La blennorrhagie aiguë aboutit soit à la guéri-
son, ce qui est le cas le plus habituel, soit à la blennorrhagie chronique,
soit enfin à la blennorrhée. — La blennorrhagie chronique n'est elle-même,
BLENNORRHAGIE. - terminaisons. 449
le plus souvent, qu'une étape intermédiaire entre l'état aigu et la blen-
norrhée.
La blennorrhée est vulgairement connue sous les noms de goutte mi-
litaire, de goutte matinale, de suintement habituel ou chronique. Elle est
d'une excessive fréquence, et cela à tous les âges, dans toutes les classes
de la société. On ne saurait même croire combien il est commun de la
rencontrer chez des sujets qui n'en soupçonnent pas l'existence.
On la confond souvent, mais à tort, avec la blennorrbagie chronique.
A mon sens, ces deux états sont très-distincts ; chacun d'eux se caracté-
rise comme il suit :
1° Sous l'influence de causes variées, une blennorrhagie peut se pro-
longer plusieurs mois, plusieurs années même. Les phénomènes aigus sont
alors éteints complètement; la miction n'est plus pénible; les érections
ne sont plus douloureuses; tout au plus le malade conserve-t-il quelque
sensibilité localisée dans un point du canal ou quelques titillations pas-
sagères. Cependant l'écoulement persiste; il est encore purulent, jaune et
assez abondant. Il tache le linge à la façon d'une chaude-pisse qui com-
mence à entrer dans sa période de déclin. De plus, l'urèthre offre habi-
tuellement une couleur d'un rouge sombre ou d'un pourpre fort ce,
qui témoigne d'un état d'inflammation déjà ancien de la muqueuse. —
La maladie, à cette époque, est parfois stationnaire et uniforme ; par-
fois aussi elle subit des recrudescences temporaires sous l'influence
d'excitations diverses. — C'est à cette forme de l'affection qu'il con-
vient, je crois, de donner le nom de blennorrhagie chronique.
2° Tout autre est la blennorrhée. Elle se distingue de la forme précé-
dente par Y abondance bien moindre et par le caractère moins purulent de
la sécrétion morbide. À vrai dire, il y a plutôt suintement qu'écoulement
véritable dans la blennorrhée. Pendant le jour, le linge du malade n'est
pas taché, ou ne l'est que par d'imperceptibles gouttelettes grisâtres, au
centre desquelles on distingue parfois un léger reflet jaune; le canal est
simplement humide, mouillé dune liqueur incolore et filante, qui
agglutine incomplètement les lèvres du méat. Le matin seulement, au
lever, c'est-à-dire après plusieurs heures passées sans miction, il se pré-
sente à l'orifice uréthral une goutte laiteuse ou jaunâtre, constituée par
un muco-pus visqueux et épais; c'est même moins une goutte liquide en
certains cas qu'un grumeau consistant. Déposée sur le linge, cette sécré-
tion matinale fait une tache à centre jaune et à large aréole grise. C'est
elle encore qui, balayée par la miction , produit ces longs filaments
blanchâtres qui nagent dans l'urine et que les malades comparent à de
petits serpents, à de petites anguilles. — L'indolence est le plus souvent
absolue ; elle est toujours plus complète en tout cas que dans la blennor-
rhagie chronique ; aussi la goutte militaire passe-t-elle fréquemment
inaperçue. — Enfin, si des recrudescences peuvent encore se produire
dans cet état si atténué de la maladie, elles ne succèdent guère qu'à de
très-vives excitations du canal; elles sont exceptionnelles relativement à
la fréquence de celles qu'on observe dans la blennorrhagie chronique.
150 BLENNORRHAGIE. — terminaisons.
Donc, cliniquement, des différences très-accusées séparent la blennor-
rhagie chronique de la blennorrhée, et je crois qu'il y a un véritable
intérêt nosologique à distinguer ces deux états trop habituellement con-
fondus.
II. Si la blennorrhagie chronique n'est pas traitée, elle peut rester
très-longtemps stationnaire; puis elle finit par se tarir, et passe finale-
ment à l'état de blennorrhée. — Sous l'influence d'un traitement métho-
dique, elle peut guérir ; mais la guérison est toujours lente et difficile ;
elle ne se maintient de plus qu'au prix d'une longue continence. Si les
malades reprennent trop tôt les rapports ou se laissent aller à quelques
excès de table, il n'est pas rare que l'écoulement reparaisse, et cela du
jour au lendemain. C'est sur de tels sujets à urèthre chroniquement en-
flammé et facilement irritable qu'on voit des blennorrhagies se déclarer
sans incubation, quelques heures après le coït. Ces blennorrhagies de
retour ont en général peu d'acuité ; mais elles traînent en longueur,
prennent une forme indolente et stationnaire, résistent aux médications
les plus rationnelles, et guérissent assez rarement d'une façon complète.
La blennorrhée a, comme nous l'avons dit précédemment, une durée
beaucoup plus longue. Parfois elle s'épuise, usée par le temps, pour ainsi
dire. Souvent aussi elle s'éternise et dure ce que dure la vie des malades.
III. Sous ces formes chroniques, la blennorrhagie peut avoir des con-
séquences très-sérieuses. Elle détermine souvent des lésions profondes de
l'urèthre que nous étudierons bientôt (épaississements, ulcérations de la
muqueuse, rétrécissements, etc.); parfois aussi elle est l'origine évidente
de complications d'ordre divers, portant sur le col vésical, l'épididyme,
la prostate, les vésicules séminales, etc. Inversement elle reste souvent
inoffensive. De là un pronostic très-inégal suivant les cas, grave ici et là
très-bénin.
La blennorrhée est une affection toute locale qui par elle-même ne sau-
rait altérer la santé. Toutefois il n'est pas rare de la voir réagir sur l'en-
semble des fonctions par l'influence désastreuse qu'elle exerce parfois sur
le moral. Certains malades font de cette goutte uréthrale l'objet de leurs
préoccupations constantes; il» l'épient, ils la cherchent à chaque instant
clu jour; ils se découragent, essayent de cent remèdes, et finalement
tombent dans un véritable état de désespoir. Des troubles psychiques
(hypochondrie, mélancolie) peuvent alors se manifester et aboutir même
au suicide.
Hâtons-nous d'ajouter que les conséquences graves de la blennorrhée
sont en somme assez rares, que ces dernières en particulier sont tout à
fait exceptionnelles. Aussi la maladie ne comporte-t-elle pas le pronostic
effroyable que lui ont assigné certains auteurs. « Un simple suintement
uréthral, dit Desruelles, peut produire des résultats terribles. C'est une
affection grave, profonde, qui s'enracine de plus en plus avec les années,
qui désorganise le canal, qui répand son influence sur Vorganisme en-
tier, marche environnée d'accidents les plus inattendus, de lésions les plus
bizarres, d'infirmités les plus dégoûtantes..., qui peut empoisonner les
BLENNORRHAGIE. — terminaisons. 151
premiers embrassements d'une épouse et maculer les fruits d'une union
légitime, » etc. Exagérations évidentes dont l'observation clinique fait fa-
cilement justice.
IV. Il est d'un haut intérêt, au point de vue pratique, de rechercher
les causes qui peuvent entraver la guérison de la blennorrhagie et favo-
riser le passage à l'état chronique.
Ces causes sont multiples et variées. Malgré leur diversité, elles peu-
vent se ranger sous les quatre chefs suivants :
1° Défaut d'hygiène. — Il est une hygiène spéciale de la blennorrhagie,
plus indispensable même que les remèdes à la guérison. Toutes les causes
qui transgressent cette hygiène exaspèrent et entretiennent la maladie.
Signalons comme les plus fréquentes :
a. Les excitations sexuelles de tout genre : coït, onanisme, érections
suivies ou non de pollutions, etc. Il est très-habituel de voir un simple
rapport dans le cours de la maladie devenir l'origine d'une recrudescence
plus ou moins vive ou de diverses complications que nous étudierons
bientôt. De même la reprise prématurée des relations sexuelles rappelle
souvent un écoulement tari depuis plusieurs jours. — De même encore,
chez certains sujets, des pollutions fréquentes entretiennent l'excitation
du canal et favorisent la tendance à la chronicité.
b. Les écarts de régime (excès alcooliques); l'usage de certains aliments
(asperges, huîtres, fruits acides?) et surtout de certaines boissons (bière,
cidre, vins blancs, Champagne, eau-de-vie, café, etc.). La bière surtout est
particulièrement nuisible. Je l'ai vue d'une façon très-certaine déterminer
des rechutes, et je m'étonne que sa mauvaise influence soit contestée par
quelques médecins.
c. Fatigues; veilles; excès de marche; danse, bals; équitation. Chez
bon nombre de malades, l'écoulement est évidemment entretenu par ces
diverses causes.
2° Mauvaise direction du traitement. — C'est là une des causes les plus
habituelles du passage de la blennorrhagie à l'état chronique.
Une thérapeutique mal conçue, l'emploi de moyens inefficaces ou nui-
sibles, l'usage intempestif ou l'abus des meilleurs remèdes, occupent une
large place dans l'étiologie de la blennorrhée.
En premier lieu, l'administration trop prolongée des a ntiph logistiques.
des émollients, des boissons délayantes, amène parfois certains écoulé
ments uréthraux à l'état de suintements atoniques singulièrement rebelles
et persistants.
Bien plus souvent, l'usage intempestif de la médication dite suppres-
sive (balsamiques, injections) contribue à entretenir et à prolonger l'é-
coulement. L'histoire d'un grand nombre de malades peut se résumer de
la sorte. Empressés d'en finir au plus vite avec un mal qui les importune,
ils se hâtent d'absorber, au plus fort de l'inflammation, de fortes doses
de cubèbe et de copahu, ou bien ils s'administrent force injections. Qu'ar-
rive-t-il alors? L'écoulement diminue; cela donne bon espoir. Puis, à un
moment donné, on cesse la médication; alors l'écoulement reparaît. Nou-
452 BLENNORRHAGIE. — variétés.
veau traitement, analogue au premier ; même diminution apparente des
phénomènes, puis rechute, et ainsi de suite pendant des semaines entiè-
res, souvent même, le croirait-on? pendant deux, trois et six mois de
suite. De là, comme conséquences, excitation prolongée du canal, entretien
de la maladie, tendance à la chronicité, et tout cela se produisant, no-
tons-le bien, sous l'influence des mêmes remèdes qui, administrés d'une
façon opportune, auraient facilement assuré la guérison en quelques
jours.
Il en est de même de l'association de traitements opposés, dont les
effets se neutralisent réciproquement (balsamiques et tisanes, bains et
injections, etc.). — Fort souvent un bain pris intempestivement, pendant
le cours ou à la suite de la médication suppressive, suffit pour rappeler
un écoulement tari ou près de se tarir.
Une autre cause moins fréquente, mais non moins réelle, qui prolonge
la maladie, c'est l'excès, l'abus de traitement. Certains sujets ne croient
jamais faire assez pour se débarrasser complètement; ils se prodiguent
toute espèce de drogues; ils s'administrent injections sur injections, et
se fatiguent le canal à force de remèdes. J'ai vu de la sorte plusieurs ma-
lades qui, guéris de leur blennorrhagie, s'étaient donné de véritables
uréthrites d'injections.
3° Prédispositions individuelles . — Tempérament lymphatique ou scro-
fuleux; — faiblesse de constitution; — diathèses diverses (rhumatisme,
herpétisme, etc.); — idiosyncrasies. Il est certains sujets mal doués chez
lesquels toute blennorrhagie revêt d'emblée les allures de la forme chro-
nique.
4° Causes locales. — Excitation habituelle de l'urèthre par excès vé-
nériens ou alcooliques; — antécédents de blennorrhagies multiples (Ri-
cord a dit avec raison : « Plus on a eu de blennorrhagies, plus facilement
on en contracte de nouvelles, qui sont de moins en moins douloureuses et
de plus en plus difficiles à guérir))); — atrésie congéniale du méat uri-
naire; — maladies diverses des organes voisins entretenant vers l'urèthre
un état de congestion habituelle (hémorrhoïdes, rectite, prostatite, cystite
chronique; constipation, etc.)
Variétés. — La maladie comporte un nombre infini de variétés dont
l'étude détaillée ne saurait trouver place dans un ouvrage de cette
nature.
Il est d'abord des variétés multiples dans l'intensité des phénomènes.
Entre les cas légers et les cas graves, tous les degrés intermédiaires sont
possibles et se rencontrent fréquemment.
Il y a, de plus, de nombreuses variétés au point de vue des symptômes,
des formes, des complications, de la durée. Nous eu avons déjà signalé
plusieurs incidemment. Ajoutons quelques mots sur certaines particula-
rités intéressantes.
L'écoulement n'est pas toujours, comme nous l'avons décrit, purulent
et phlegmoneux. Parfois il se rapproche des sécrétions catarrhales; il est
visqueux, filant, plutôt pvo-muqueux que purulent. — D'autres fois il est
BLENNORRHAGIE. — variétés. 153
remarquablement séreux; il offre alors une liquidité singulière; les taches
qu'il laisse sur le linge sont très-étendues, jaunâtres plutôt que jaunes,
avec une aréole simplement grise. — En quelques cas plus rares, il
affecte une teinte rosée ou rougeàtre qui persiste plusieurs jours. Cet
écoulement menstruiforme, dit Ricord, s'observe parfois dans les blennor-
rhagies contractées au contact des règles.
La maladie ne présente pas toujours l'évolution classique que nous
avons décrite, c'est-à-dire une succession de périodes à caractères oppo-
sés (augment, état, déclin). 11 est des blennorrhagies plus uniformes où
ces divers stades sont à peine distincts. Les symptômes y sont à
peu près stationnaires du début à la terminaison ; les phénomènes
inflammatoires y font presque défaut; on n'y distingue ni phase ascen-
dante ni phase descendante bien marquée. C'est là ce qu'on appelle
la blennorrhagie sub-aiguë.
Il est des blennorrhagies partielles, c'est-à-dire qui n'envahissent pas
toute l'étendue du canal. — Il en est d'autres qui ne débutent pas par la
région balanique pour remonter ensuite l'urèthre, comme c'est la règle ;
d'emblée elles s'établissent sur une portion reculée du canal, par exemple
sur les régions membraneuse ou prostatique. Celles-ci ne sont primitives
que d'apparence ; en réalité, ce sont des recrudescences de blennorrhagies
anciennes, au niveau de lésions persistantes de l'arrière-canal.
Certaines blennorrhagies ont une forme toute spéciale de début. Elles
s'annoncent par un suintement aqueux, limpide, transparent, lequel, au
lieu de prendre rapidement les caractères de la purulence, conserve le
même aspect pendant plusieurs jours, 8, 10, 15 jours, parfois même au
delà. Puis, tout à coup, soit à l'occasion d'un rapport, soit même sans
provocation, ce suintement dégénère, devient jaune, purulent, blennor-
rhagique en un mot. Alors aussi se manifestent les symptômes habituels de
la maladie, douleurs, érections, etc. — Il semble, dans les cas de cet
ordre, que la blennorrhagie vraie soit précédée dune période d'excitation
simple du canal, analogue à celle qui constitue l'uréthritc.
Signalons enfin des différences singulières dans l'évolution et les ten-
dances spontanées de la maladie. Le cas le plus habituel, c'est que les
symptômes, après un temps donné, s'atténuent d'eux-mêmes, en dehors de
l'influence médicatrice. On observe aussi parfois, bien que cela soit assez
rare, des écoulements qui se suppriment complètement, sans traitement
spécial, par le seul fait d'une hygiène bien observée. — Inversement, il
est des cas où, en dépit des soins les plus intelligents et les plus attentifs,
les phénomènes morbides persistent un temps fort long, sans la moindre
tendance à décroître. Ou bien encore les symptômes aigus s'apaisent,
mais l'amélioration ne se continue pas au delà; l'écoulement subsiste,
indolent, passif, stationnaire. L'évolution semble enrayée, et des mois
entiers s'écoulent sans modification. — Puis, à côté de ces faits, il en est
d'autres où la guérison s'opère malgré tout, dans les conditions les plus
aptes à exaspérer la maladie. C'est une croyance très-répandue qu'un fort
excès, qu'une orgie, qu'une « bonne noce, » pour parler le langage de
154 BLENNORRHAGIE. — lésions.
certains malades, peut guérir un écoulement. Beaucoup de gens essayent de
ce remède et n'ont guère à s'en louer ; mais certains privilégiés s'en trou-
vent fort bien, cela n'est pas contestable. Pour ma part j'ai vu deux fois,
mais deux fois seulement, des blennorrhagies être guéries de la sorte. Dans
un cas, l'écoulement cessa le lendemain d'un excès vénérien (quatre rapports
dans une nuit), arrosé de copieuses libations de vin blanc.1 Dans l'autre,
une blennorrhagie, qui pendant plusieurs mois avait résisté à toutes les
médications, fut supprimée par la reprise des rapports et l'usage immo-
déré de la bière.
Lésions. — I. On considérait autrefois l'écoulement blennorrhagique
soit comme un simple flux de semence corrompue, soit comme le résultat
de l'inflammation des prostates, des vésicules séminales, des glandes de
Cowper, soit surtout comme le produit d'ulcérations développées aux
dépens de la muqueuse uréthrale. Astruc, par exemple, pour ne citer
qu'un seul nom, admettait encore, au siècle dernier, que la gonorrbée
virulente « a son siège dans les réservoirs des humeurs séminales, c'est-
à-dire dans les vésicules, les glandes de Cowper, les cellules uréthrales
(surtout au niveau de la fosse naviculaire où l'on sait par expérience
qu'il se rencontre le plus souvent des ulcérations considérables), et plus
spécialement dans les deux prostates, qui, comme l'ont démontré un
grand nombre de médecins (Rondelet, Forestus, Bartholin, etc.), sont la
principale origine de l'écoulement. » L'observation a fait justice de ces
vieilles erreurs. Il résulte aujourd'hui d'un grand nombre de faits et de
nécropsies : 1° que le siège de la blennorrhagie, dégagée de ses compli-
cations, est la muqueuse uréthrale ; 2" que les lésions constatées à l'état
aigu consistent simplement en ceci : rougeur et injection de la muqueuse,
laquelle se présente parfois comme dépolie en certains points , mais
conserve habituellement sa consistance et son épaisseur normale. Sou-
vent l'injection est limitée à une portion du canal, comme la fosse navi-
culaire, la région membraneuse ou la région prostatique, ce qui vraisem-
blablement n'est pas sans rapport avec l'âge de la maladie. L'examen
endoscopique démontre en effet, comme nous l'avons vu précédemment,
que toute l'étendue du canal n'est pas affectée simultanément au même
degré. Certaines parties sont même revenues à l'état sain , alors que
d'autres présentent les caractères de l'inflammation. (Voy. Marche,
page 145.)
Le plus habituellement, tout se borne à ces phénomènes d'hyperémie,
assez légers en somme. 11 est même à remarquer qu'en certains cas les
lésions sont très-faiblement accusées ; la muqueuse peut ne présenter que
des modifications presque insignifiantes de teinte et de vascularisation.
Citons comme exemple une autopsie de Ph. Boyer, dans laquelle on ne
constata que de la rougeur sur la partie antérieure du canal, rougeur si
peu caractérisée qu'on fut porté à la considérer comme un phénomène
cadavérique, un effet de la position déclive du gland. Je pourrais citer,
pour ma part, deux faits semblables, dans lesquels l'urèthre paraissait
presque absolument sain.
BLENNORRHÂGIE. — lésions. 155
On trouve encore signalées, dans quelques nécropsies, les lésions suivan-
tes : tuméfaction de la muqueuse ; — arborisation linéaire, injection ponc-
tuée du canal; — rougeur des sinus uréthraux, quelquefois gorgés d'une
matière puriforme qui en sort par pression (Morgagni) ; — granulations
développées sur certains points limités du canal et le plus souvent réunies
en groupe. Sur un sujet mort au trente-troisième jour d'une blennorrhagie,
Cullerier a observé « outre la rougeur et le gonflement de la muqueuse,
une vingtaine de petites granulations réunies en groupe et placées à la
paroi inférieure dans la région prostatique ; elles étaient toutes sembla-
bles aux granulations delà conjonctive; autour d'elles on voyait se rami-
fier des capillaires injectés. »
On ne rencontre pas d'ulcérations à proprement parler, c'est-à-dire de
pertes de substance de la muqueuse. C'est là un fait que Morgagni, Sharp
et W. limiter ont démontré presque simultanément, et que des observa-
tions ultérieures (J. Iïunter, Stoll, Swediaur, Cullerier neveu, Ri-
cord, etc.) ont pleinement confirmé. Mais ce que Ton observe, surtout
dans les cas où l'inflammation est un peu vive, c'est une exfoliat'wn
remarquable de l'épithélium, souvent très-accusée, et pouvant aller,
dit-on, jusqu'à dénuder la muqueuse. Pour quelques médecins, cet état
serait de l'ulcération. « Nous pouvons conclure de nos observations,
dit l'habile inventeur de l'endoscope, que les auteurs qui admettaient,
comme J. Cruvcilhier, que l'écoulement uréthral provenait tf ulcérations,
étaient*complétement dans le vrai, puisque la muqueuse présente tous les
caractères d'une ulcération superficielle. » A. mon sens, cette lésion n'est
pas, à vrai dire, de l'ulcération; c'est le début, la première phase d'un
travail d'exulcération, et rien de plus. Notons d'ailleurs que ce travail mor-
bide s'arrête toujours à cette première étape sans aller au delà, qu'il
n'entame jamais la muqueuse, du moins à l'état aigu, qu'il se limite aux
éléments les plus superiiciels des tissus, c'est-à-dire à leur revêtement
épithélial.
IL Lorsque l'inflammation devient plus ancienne, elle gagne en profon-
deur, elle s'étend à l'épaisseur de la muqueuse et même parfois aux tissus
sous-jacents, notamment au tissu spongieux dont les aréoles s'infiltrent
et s'effacent; elle s'insinue encore dans les follicules annexés au canal qu'on
trouve parfois remplis de pus, dans les conduits glandulaires, dans les
glandes, etc. La muqueuse présente à cette époque une teinte plus som-
bre, d'un rouge plus foncé ; souvent elle est épaissie notablement et sa
consistance est augmentée.
De plus, à mesure qu'elle avance en âge, l'inflammation se concentre
sur certains points de l'urèthre, tandis que les autres parties reviennent à
l'état sain. C'est presque toujours dans Y arrière-canal que se confinent
les lésions de la blennorrhée, c'est-à-dire au niveau delà région bulboso-
prostatique; bien plus rarement on les rencontre dans la portion pénienne
ou seulement dans la région balanique. Parfois encore ces lésions sont
multiples et occupent des points plus ou moins distants dans le canal,
sous forme de foyers circonscrits de phlegmasie chronique, entre lesquels
150 BLENNORRHAGIE. — lésions.
les parties intermédiaires offrent à l'endoscope les apparences de l'état
physiologique.
Lorsque la chronicité est établie depuis longtemps, des désordres très-
divers peuvent s'observer dans l'urèthre et les parties voisines. Ce sont,
pour ne parler que des plus fréquents : des excoriations, voire même des
ulcérations de la muqueuse, présentant l'aspect de petites plaies rougeâ-
tres, saignantes, souvent inégales et granuleuses, parfois aussi sembla-
bles à des bourgeons charnus et constituant des saillies fongueuses que
l'on retrouve décrites dans les anciens auteurs sous les noms de caron-
cules, de carnosités, de chairs exubérantes, etc.; — des désorganisations
variées de la muqueuse, laquelle est en général épaissie, moins élastique,
ferme, et parfois même indurée. Ces épaississements sont habituellement
limités à une faible étendue du canal; il en est toutefois de considéra-
bles; ainsi, on en a cité qui avaient envahi toute la longueur de la ré-
gion spongieuse. Le plus souvent, ils n'occupent qu'un segment du cy-
lindre uréthral; d'autres fois ils sont annelés, c'est-à-dire qu'ils con-
stituent une virole plus ou moins complète autour du canal. Ils sont
constitués par des tissus d'organisation nouvelle, ou plutôt par les tissus
normaux infiltrés de productions pathologiques analogues à celles que
l'on rencontre dans les exsudats organisés ou en voie d'organisation.
« On dirait qu'une substance albumineuse s'est déposée dans les mailles
de la membrane muqueuse et du tissu cellulaire sous-jacent, comme dans
une éponge. » (Lallemand). Aussi l'épaisseur de la muqueuse est-elle sou-
vent doublée, parfois même triplée ou quadruplée. Cette membrane offre
en même temps une résistance, une dureté plus ou moins considéra-
ble. Desruelles dit avoir observé dans un cas toute la muqueuse racornie
et semblable « à du parchemin desséché.)) — Des engorgements de même
nature se rencontrent aussi dans les tissus sous-muqueux, dans le tissu
cellulaire, dans la trame spongieuse de l'urèthre dont les aréoles sont ef-
facées par des dépôts plastiques et converties en une substance blanchâ-
tre, fibroïde, dure et inextensible ; enfin on en observe jusque dans les
corps caverneux, où des épanchements inflammatoires constituent des no-
dosités plus ou moins volumineuses.
Parfois encore on observe : des brides uréthrales développées à la sur-
face de la muqueuse, brides dont le mode de formation a été diversement
expliqué. (Voyez Urèthre, rétrécissements); — des phlegmasies suppura-
tives des glandes de Littre ou des lacunes de Morgagni. Certaines bien-
norrhées ne sont dues qu'à la suppuration de ces follicules glandulaires.
La phlegmasie chronique de ces glandes détermine à la longue soit
leur atrophie et leur oblitération, soit la dilatation de leurs orifices.
Ainsi Morgagni cite plusieurs cas où il ne restait qu'an seul de tous les
sinus uréthraux; il n'en subsistait pas même un dans un autre cas du
même auteur. «Rien n'est plus vraisemblable, ajoute-t-il, qu'une inflam-
mation et une ulcération étant survenues dans les sinus, leurs parois tines
et membraneuses se réunirent entre elles, et que la cavité fut interceptée
et détruite de cette manière... » Inversement, il est d'autres cas où les
BLENiNOIUUlAGIE. — lésions. 157
orifices glandulaires sont tellement dilatés que la muqueuse prend un
aspect aréolaire (Hunier).
Bien plus rarement on a signalé : des végétations sessiles ou pédicu-
lées, développées vraisemblablement sur la surface d'anciennes exulcé-
rations urétbrales ; — des lésions diverses du verumontanum (gonflement,
callosités, ulcérations, cicatrices, etc.); — des altérations des canaux éja-
culateurs, dilatés, oblitérés à leur orifice, parfois même déviés, « de fa-
çon que leurs ouvertures, au lieu d'être dirigées, comme elles le sont na-
turellement, vers le bout de la verge, l'étaient dans le sens contraire,
c'est-à-dire vers le col de la vessie, » etc., etc..
Enfin et surtout, ce qu'on observe le plus communément, ce sont des
coarctations, des rétrécissements de l'urèthre, avec les lésions multiples
et variées qui en sont la conséquence. Cet ordre d'altérations devant être
étudié ailleurs, nous ne faisons que le signaler ici (voyez Rétrécissements,
article Urèthke). — D'après Ricord, le canal peut même « être diminué
de longueur par le fait de l'inflammation chronique; de là des troubles
persistants dans l'érection qui se fait en arc, qui est semi-cordée » (Comm.
orale).
La pblegmasie chronique de l'urèthre retentit souvent sur les organes
voisins, sur les glandes de Cowper, sur la prostate, sur les vésicules sé-
minales, sur les testicules, etc. Nous aurons bientôt à parler de ces di-
verses complications.
III. Disons en terminant que pour Desormeaux il existerait une lésion
propre et caractéristique de la blennorrhée. Cette lésion serait la granula-
tion uréthrale, dont l'endoscope permet de suivre le développement et l'é-
volution ultérieure. Bien que nous soyons loin d'accepter cette doctrine,
nous nous faisons un devoir de la reproduire ici succinctement. « Lorsque,
dit cet auteur, la blennorrhagie passe à l'état chronique, la muqueuse de
la partie malade, d'abord simplement dépolie, devient bientôt inégale.
Ces inégalités augmentent, se multiplient et finissent par former dos sail-
lies arrondies, hémisphériques; les granulations sont formées. Alors le
point malade oftrc une surface d'un rouge foncé, inégale, parsemée de
granulations rondes, quelquefois un peu éloignées les unes des autres,
d'autres fois juxtaposées de façon qu'elles couvrent toute la surface ma-
lade. La muqueuse, dans ce point, ressemble à une mûre, aussi bien pour
la couleur que pour l'aspect granuleux... Les granulations varient de vo-
lume depuis un grain de moutarde jusqu'à la grosseur d'un grain de
miilet ou un peu plus, rarement d'un petit grain de chènevis; les plus
petites paraissent de formation plus récente... Elles sont presque tou-
jours d'un rouge plus ou moins foncé, souvent lie de vin ; mais dans
quelques cas j'ai trouvé au milieu d'elles d'autres granulations moins
nombreuses, petites, et qui paraissaient d'une couleur grisâtre. .. Elles peu-
vent occuper une longueur plus ou moins grande du canal, le plus sou-
vent 2 à 4 centimètres, quelquefois toute la partie postérieure depuis la
fin de la région spongieuse jusqu'à l'orifice de la vessie; mais un carac-
tère presque constant, c'est que la lésion est unique; qu'elle s'étende
158 BLENNORRHAGIE. — diagnostic.
peu ou beaucoup, il n'y a pas d'interruption entre ses deux extrémités;
on ne la voit pas par plaques isolées, séparées par des portions de mu-
queuse saine. L'ulcération granuleuse ne se trouve que dans un seul point,
plus ou moins étendu; en avant et en arrière de la partie malade, il y a
une rougeur inflammatoire qui diminue à mesure qu'on s'éloigne du siège
des granulations... Ces granulations se gonflent parfois, perdent leur
l'orme hémisphérique , deviennent plus molles et prennent l'aspect de
bourgeons charnus ; alors, dans le champ de l'endoscope, on trouve une
surface tout à fait semblable à celle d'une plaie suppurante... L'altéra-
tion peut se compliquer encore davantage; les saillies deviennent plus
grosses, plus molles, plus inégales; elles sont pressées les unes sur les
autres; leur couleur devient d'un rouge foncé, lie de vin; l'ulcération est
devenue fongueuse... Ces lésions suivent une marche essentiellement chro-
nique et conduisent fatalement au rétrécissement. Elles ne peuvent pas
exister, en effet, sans entretenir une inflammation sourde dans la mu-
queuse et les tissus sous-jacents; de là le gonflement de ces parties; de Là
les rétrécissements consécutifs, etc. »
Pour Desormeaux, « blennorrhée et uréthrite granuleuse ne sont qu'une
maladie. » La granulation est la lésion caractéristique de l'affection. Bien
plus, c'est un critérium de l'origine blennorrhagique pour tous les états
morbides où elle se rencontre. La métrite granuleuse, par exemple,
a forcément une origine blennorrhagique. «Si une femme, dit cet auteur,
a réellement des granulations, je reste convaincu qu'elles les a contrac-
tées par contagion. » Doctrine inadmissible, sur laquelle nous revien-
drons en détail.
Diagnostic. — Très-simple dans la plupart des cas, le diagnostic
offre parfois des difficultés réelles.
Deux erreurs sont possibles : méconnaître la blennorrhagie ; croire à une
blennorrhagie qui n'existe pas. La première est rare. Ce n'est guère que
dans les cas de phimosis d'une excessive étroitesse ou bien de balanite
avec phimosis inflammatoire que l'écoulement uréthral risque dépasser
inaperçu. Nous avons exposé ailleurs {voy. Balanite t. IV) les éléments
de ce diagnostic différentiel. — Bien plus fréquents sont les cas où l'on
attribue à la blennorrhagie ce qui est le fait d'autres affections très-variées
comme nature. Cette erreur se commet presque journellement. Il est donc
important de la signaler.
On est trop facilement enclin à considérer comme blennorrhagiques
toutes les suppurations uréthrales. Un individu s'est exposé à un contact
suspect et a pris un écoulement, cela suffit pour que le diagnostic blennor-
rhagie soit aussitôt prononcé, tant il semble qu'aucune autre affection ne
puisse être mise en cause. Cette légèreté d'examen conduit parfois à de
regrettables méprises. Rappelons donc, comme éléments essentiels d'un
diagnostic raisonné, les deux conditions suivantes qui ne doivent jamais
être négligées dans l'examen du malade :
1° Toutes les suppurations qui s évacuent par Vurèthre n'ont pas né-
cessairement leur origine dans l'nrèthre. — Elles peuvent en effet être
BLKNN0KRI1AG1E. — pronostic. 1o9
simplement versées dans le canal et provenir d'organes voisins (prostate,
vésicules séminales, glandes de l'urèthre, col vésical, abcès péri-uré-
thraux, etc.). Ce fait si simple est souvent oublié en pratique, et l'expé-
rience apprend que bon nombre de ces écoulements d'origine extra-uré-
thrale sont rapportés à des états pathologiques de l'urèthre, à la blennor-
rhagie en particulier, et traités en conséquence. L'erreur du reste en
certains cas est facile à commettre, car d'une part les antécédents ne
sont pas toujours exactement connus, et d'autre part il est des écoule-
ments qui par l'ensemble de leurs symptômes simulent à s'y méprendre
une véritable blennorrhagie. J'ai observé à l'hôpital Lariboisière un fait
de ce genre. Un jeune homme était affecté depuis plusieurs mois d'un
écoulement uréthral, que plusieurs médecins avaient considéré comme
blennorrhagique et vainement combattu à l'aide de cubèbe, de copahu et
d'injections diverses. Il présentait en effet une sécrétion purulente d'un
jaune verdàtre, assez abondante et tout à fait semblable au pus de la
chaude-pisse; de plus il accusait une douleur légère dans la miction
et quelques difficultés pour uriner, etc. Admis à l'hôpital pour une
maladie tout à fait étrangère, il succomba. Or, à l'autopsie, nous trou-
vâmes le canal absolument sain; l'origine de l'écoulement était une vaste
caverne tuberculeuse creusée dans la prostate.
2° Tous les écoulements d'origine uréthrale ne sont pas nécessairement
des blennorrhayies. — Ils peuvent provenir en effet de lésions variées du
canal, érosions de diverse nature, exulcérations herpétiques, ulcérations
chancreuses, tuberculeuses (Ricord), etc. Ils peuvent être fournis par de
simples uréthrites, très-distinctes de la blennorrhagie vraie. Nous aborde-
rons ailleurs le diagnostic différentiel de ces diverses lésions (voy. Chaincri;,
Uréthrite).
Pronostic. — I. Simple et dégagé de toute complication, la blen-
norrhagie est une maladie sans gravité. Bien traitée, elle guérit complè-
tement en quelques semaines.
Mais, fort souvent, elle se complique d'accidents très-variés que nous
étudierons plus loin et qui peuvent singulièrement aggraver le pronostic.
La gravité de chacune de ces complications sera spécifiée en détail
dans l'exposé qui va suivre. Pour l'instant, bornons-nous à signaler
comme les plus sérieuses : Fophlhalmie de contagion, le rhumatisme dans
quelques-unes de ses formes, les suppurations prostatiques, les phlegmons
péri-uréthraux, l'orchite vraie, etc.
A les considérer au point de vue de leur pathogénie, les complications
multiples dont la blennorrhagie peut devenir l'origine sont de deux or-
dres : les unes relèvent du fait môme de la maladie, les autres ne sont
imputables qu'aux malades. Les premières sont le résultat direct de la
blennorrhagie; elles se produisent malgré l'hygiène et le traitement le
mieux observés; elles sont en quelque sorte spontanées. Les secondes se
développent à l'occasion d'imprudences, de négligences, d'excès, de mé-
dications intempestives, etc.; elles sont provoquées; elles relèvent du
malade plus que de la maladie. Or, ce ne sont là, comme nous allons le
160 BLENNORRHAGIE. — traitement.
voir, ni les moins nombreuses ni les moins graves. Elles chargent singu-
lièrement le pronostic qui rationnellement doit en être dégagé.
Au total, la blennorrhagie aiguë est une affection le plus souvent légère
et sans conséquence ; — parfois sérieuse, et cela soit de son propre fait,
soit surtout du fait des malades qui en multiplient et en exagèrent les
dangers; — rarement grave, c'est-à-dire susceptible d'aboutir à des trou-
bles fonctionnels persistants ou à des lésions irrémédiables.
II. L'état chronique est souvent inoffensif; mais c'est toujours une
menace pour l'avenir; c'est le germe latent de complications ultérieures,
qui peuvent bien ne se manifester jamais, mais qu'il n'est pas étonnant
de voir surgir à un moment donné. Les accidents qu'il détermine parfois
comportent presque tous une certaine gravité; quelques-uns même sont
des plus sérieux. Le plus habituel est le rétrécissement uréthral, lequel,
comme on le sait, peut devenir à son tour l'origine des complications les
plus graves vers les organes génito-urinaires.
Traitement. — I. Traitement abortif. On a tenté par divers moyens
d'enrayer le développement de la maladie dès son début, de la faire avorter,
de l'étouffer en quelque sorte ab ovo.
Théoriquement les avantages d'une semblable méthode ne sont pas
discutables. Supprimer d'emblée et en quelques jours une affection sus-
ceptible d'une longue durée et d'accidents plus ou moins graves, n'est-ce
pas là un résultat brillant et considérable? « Les accidents, dit Ricord,
qui peuvent suivre la blennorrhagie sont en raison directe de sa durée et
du développement qu'on lui laisse acquérir... Le début du mal est
connu; sa On et ses conséquences sont toujours incertaines. Il y a donc
un immense intérêt pour le malade à se débarrasser le plus vite possible
de son écoulement. »
Reste à savoir si la pratique répond aux données séduisantes de la
théorie. C'est là ce que nous allons examiner.
Divers moyens ont été proposés pour faire avorter la blennorrhagie dès
son début. Trois seulement méritent d'être cités :
1° Injections dites abortives. — Cette méthode, dont l'idée première
paraît remonter à Simmons (1780), a été surtout préconisée par Ratier,
Carmichaël, Ricord, Debeney, Diday, etc.
En principe, elle repose sur une action substitutive. Elle se propose de
substituer à l'inflammation spécifique de la blennorrhagie une inflammation
simple, éphémère, et relativement inoffensive.
Pratiquement, elle consiste dans l'emploi d'injections irritantes portées
dans le canal au début de la maladie. C'est le nitrate cV argent qui fait
en général la base de ces injections, à doses variables suivant les auteurs
qui ont préconisé cette méthode : 10 grains pour 50 grammes d'eau
distillée (Carmichaël) ; 50 centigrammes à 1 gramme pour la même quan-
tité d'eau (Ricord); 60 centigrammes à 1 gramme et demi pour 50 grammes
d'eau (Debeney), etc. — Carmichaël faisait trois de ces injections à dix
heures d'intervalle l'une de l'autre. Ricord en pratique une, deux ou trois
du premier au troisième jour, suivant les cas et suivant l'effet produit.
BLENNORRHAGIE. — traitement. 161
« Pour moi, dit Debeney, comme très-souvent une seule injection suffit,
je n'en fais qu'une, et j'attends vingt-quatre heures ; si, à l'expiration de
ce terme, l'écoulement n'est pas terminé, je recommence. » — La direction
du traitement doit d'ailleurs nécessairement varier d'après les résultats
obtenus.
Les effets immédiats de ces injections sont les suivants : Tout d'abord,
douleur très-vive, occupant la verge et le périnée, s'irradiant vers le$
cordons, les aines, et jusque dans les lombes; peu de temps après,
gonflement du méat, turgescence de la verge; suintement séreux ou
séro-sanguinolent; première miction horriblement douloureuse; puis
écoulement séro-purulent, jaunâtre, semé de pellicules blanches, abon-
dant. Cet écoulement dure vingt-quatre à trente-six heures, puis dimi-
nue et se supprime en laissant à sa suite une légère sécrétion d'un mucus
filant, laquelle disparaît en quelques jours soit spontanément, soit sous
l'influence des balsamiques ou de quelques injections légèrement astrin-
gentes. La giïérison est alors accomplie.
Ce sont là les cas heureux. Mais les choses ne marchent pas toujours
ainsi, tant s'en faut. Souvent il arrive que l'inflammation provoquée
par l'injection s'apaise, mais l'écoulement persiste et la blennorrhagie
reprend son évolution normale, comme si rien n'avait été fait pour la
suspendre. La substitution thérapeutique ne s'est pas effectuée. Ce n'est
là qu'un insuccès, et, à tout prendre, si le traitement n'a pas réussi, du
moins il n'a pas aggravé la situation. D'autres fois, une violente inflam-
mation se déclare; une réaction locale des plus intenses se produit :
turgescence violacée du gland ; injection purpurine du méat avec érosion
superficielle; gonflement de la verge; horribles douleurs dans la mic-
tion; érections nocturnes incessantes, presque continues, excessivement
pénibles; écoulement séro-sanguinolent, rosé, très-abondant; œdème du
prépuce, lymphangite, pénitis, etc.; en un mot, phénomènes de suracuïté.
Cet état dure plusieurs jours, un septénaire environ. Puis, sous l'in-
fluence d'un traitement approprié, les symptômes aigus s'apaisent; la
miction seule reste assez longtemps douloureuse, et la blennorrhagie re-
prend son cours habituel. Ici, ce n'est plus seulement un insuccès; la
médication n'a pas été qu'impuissante, elle est devenue nuisible en ajou-
tant aux phénomènes de la maladie "des complications étrangères. Cet
pendant, il ne faut pas exagérer, comme on le fait trop souvent, les
conséquences d'une tentative infructueuse du traitement abortif. Si les
symptômes initiaux subissent une aggravation réelle par le fait de la
médication, tout se borne là, du moins en général; la marche ultérieure
de l'affection n'est pas sensiblement modifiée ; la blennorrhagie redevient
ce qu'elle eût été, et ne présente pas en somme d'aggravation véritable.
Le malade n'a donc pas, à vrai dire, joué quitte ou double, comme on le
répète communément; il n'a fait que risquer, avec l'enjeu de quelques
souffrances de plus, une partie qu'il avait la chance de gagner.
Quelques accidents peuvent suivre la pratique des injections abortives.
Ils sont en général sans gravité réelle : douleurs vives, allant parfois
NOUV. DICT. MÉD. ET CUIR. V. tl
162 BLENNORRIIAGIE. — traitement.
jusqu'à la défaillance; uréthrorrhagies, soit immédiates, soit consécu-
tives, toujours peu abondantes et faciles à combattre, parfois môme
avantageuses par la déplétion locale qui en est le résultat; dysurie passa-
gère; cystite du col; lymphangite, etc. — D'autres sont un peu plus
sérieux : orchite, pénitis, rétention d'urine. — Exceptionnellement, on
a vu se produire des phénomènes graves : abcès péri-uréthraux, prosta-
tites. Dans un cas dont je dois la communication à M. Cullericr, un
abcès périnéal, développé à la suite d'une injection abortive, devint l'ori-
gine d'une infiltration urineuse qui se termina par la mort. — Ces injec-
tions ne sont donc pas sans dangers, comme on l'a dit, et sans dangers
sérieux. Mais ce qu'il n'importe pas moins d'établir, c'est qu'elles sont
fort innocentes des désastres et des méfaits de tout genre qu'on leur a
trop complaisamment attribués : répercussions morbides, métastases sur
divers organes (arthrite, ophthalmie, etc.), désorganisations du canal,
rétrécissements, etc. Tout cela n'est que théorique et ne repose sur au-
cune observation sérieuse. Pour ne parler que des rétrécissements, il
n'est guère admissible qu'ils puissent résulter de l'action éphémère et
superficielle des injections abortives. Leur cause bien plus réelle et bien
plus commune, c'est, de l'aveu général aujourd'hui, l'inflammation
chronique de l'urèthre.
Ces accidents du reste, ou du moins les plus graves de ces accidents,
peuvent être évités, si l'on subordonne l'emploi de cette méthode à cer-
taines indications, à certaines règles, qu'il nous reste à déterminer.
1° Tout d'abord, il est pour ce traitement une période d'opportunité
passé laquelle il n'a plus raison d'être et n'agit que d'une façon défavora-
ble. Ce n'est qu cm début même de la maladie que les injections peuvent
être réellement abortives. Au delà de ce terme, lorsque la maladie est
établie, confirmée, elles ne sont plus que nuisibles, et c'est alors qu'on les
voit développer ces phénomènes suraigus que nous avons décrits précé-
demment. La raison et l'expérience sont ici d'accord. Comme l'a très-bien
dit Iïicguet dans un intéressant mémoire, « quand une affection est par-
faitement établie, il n'est plus question d'en arrêter l'invasion, de la
faire avorter ; l'essayer serait un non-sens, il s'agit de la guérir. »
Lors donc que l'écoulement est encore tout récent, lorsqu'il s'est dé-
claré seulement depuis 12, 16, 24 heures, lorsqu'il est encore catarrhal,
blanchâtre ou blanc jaunâtre, il y a lieu de tenter la médication abortive, qui
peut réussir et qui réussit souvent dans ces conditions. Au delà de vingt-
quatre heures, les chances de succès diminuent ; au delà du second jour,
elles sont presque nulles ; s'abstenir est le parti Je plus sage. Toutefois, il
ne faut pas se décider seulement d'après le laps de temps écoulé; il faut
consulter surtout « les signes apparents qui mesurent l'acuité plus ou
moins grande de l'inflammation locale » (Diday), c'est-à-dire l'état des
parties, les douleurs, la nature du suintement, etc. Si, au deuxième et
même au troisième jour, les symptômes sont encore faiblement accusés,
s'il n'y a pas de douleurs, si l'écoulement est léger, muco-purulent plutôt
que purulent, jaunâtre plutôt que jaune, on peut encore agir. Dans des
BLENN0RI1HAGIE. — traitement. Uïï
conditions opposées, serait-on même au premier jour, l'emploi de la mé-
thode abortive est nettement contre-indiqué.
2° En second lieu, il est inutile de lancer à toute volée l'injection dans
le canal, comme on ne Ta tait que trop souvent. La blennorrhagie qui
débute n'atteint pas d'emblée les parties profondes de l'urèthre; elle se
limite dans les premiers temps à Lavant-canal. Or il serait sans profit de
porter le remède au delà du siège du mal. Les injections n'ont pas
besoin d'aller plus loin que n'est encore parvenue l'inflammation.
Donc, il faut en limiter ractio?i à l'avant-canal, c'est-à-dire aux 5, 6,
7 centimètres antérieurs de l'urèthre. 11 suffit très-simplement, pour
cela, de comprimer l'urèthre avec le doigt au delà du point que le liquide
ne doit pas franchir. — Delà sorte, les parties postérieures, c'est-à-dire les
plus irritables, seront respectées; l'orchite, la cystite du col, le phlegmon
périnéal, ne seront plus à craindre. De plus, une faible étendue de l'u-
rèthre étant seulement touchée par le liquide, l'inflammation sera modé-
rée, les douleurs seront légères; toute chance, en un mol,, de complication
sérieuse sera écartée. Ainsi limitée dans son action, l'injection deviendra
presque inoffensive.
5° Enfin, il est au moins probable que toutes les blennorrhagies ne sont
pas également aptes à subir l'influence du traitement abortif. Elles sont
loin, en effet, de se ressembler toutes, même à leur période de début. Cer-
taines, par exemple, se développent à froid, pour ainsi dire; l'écoulement
est le seul phénomène qui les caractérise pendant les premiers jours;
il ne se fait pas de réaction locale ; l'urèthre est à peine injecté, reste in-
dolent, etc. Ici, il y a toute chance, rationnellement, pour qu'une violente
irritation substitutive puisse prendre la place de la maladie; c'est en
effet ce que confirme l'expérience. D'autres, au contraire, sont vivement
inflammatoires dès le début ; ce sont notamment celles qui succèdent à de
grands excès vénériens et qui se développent presque sans incubai ion;
dès le premier jour, elles fournissent une sécrétion séreuse assez abon-
dante; le méat devient rouge, injecté; l'inflammation se propage à l'urè-
thre avec une rapidité surprenante; tous les symptômes témoignent d'em-
blée d'un haut degré d'irritation. Sous celte forme, la maladie se trou-
verait sans doute fort mal de l'emploi des injections abortives.
2° Balsamiques. — Un autre mode de traitement abortif consiste dans
l'emploi des balsamiques administres dès le début de la maladie — An-
siaux signala l'un des premiers les avantages de cette méthode au com-
mencement de notre siècle. Depuis ce temps, une foule d'auteurs ont
publié des observations de blennorrhagies jugulées à leur début .par l'usage
du copahu ou du cubèbe.
Cette méthode est très-diversement jugée. « Le traitement abortif in-
terne, dit Cullerier, est un bon moyen; mais il faut savoir l'appliquer.
Toutes les fois que la chaude-pisse datera de moins de huit jours, s'il y a peu
de douleur et peu d'écoulement, administrez immédiatement le cubèbe
ou le copahu à très-hautes doses, 20 à 50 grammes de cubèbe, par
exemple, et 15 à 20 grammes de copahu par jour; vous réussirez sou-
164 BLENNORRHAGIE. — traitement.
vent... Dans ces conditions, au bout de quatre à cinq jours, l'écoulement
s'amende, puis cesse. Gardez-vous, néanmoins, d'interrompre le traite-
ment, le mal reprendrait tout de suite le dessus ; seulement, diminuez
peu à peu les doses. De cette manière vous arriverez à une bonne guéri-
son... Quand au bout de six à huit jours ce traitement n'a pas réussi,
n'insistez pas. »
J'ai souvent expérimenté cette méthode à une époque aussi rapprochée
que possible du début de l'écoulement (deuxième jour, premier jour,
15 heures, 12 heures après la première apparition du mal); plus souvent
encore j'ai eu l'occasion d'en observer les effets sur des malades qui s'é-
taient administré d'eux-mêmes de fortes doses de copahu ou de cubèbe
dans les mêmes conditions. Or, ce traitement, je ne crains pas de le dire,
ne réussit que très-rarement, peut-être pas une fois sur vingt. C'est, à mon
sens, un mauvais traitement.
3° Balsamiques associés aux injections astringentes. — L'association
des balsamiques et des injections astringentes constitue une troisième
variété de traitement abortif. Cette méthode est d'un emploi vulgaire.
Elle a été vivement patronnée par Ricord. « Les accidents, dit notre maître,
qui peuvent suivre la blennorrhagie sont en raison directe de sa durée et
du développement qu'on lui laisse acquérir ou auquel on pousse, par des
idées fausses sur sa nature et par une mauvaise médication. C'est donc
un précepte rigoureux d'arrêter la maladie le plus tôt possible et dès son
origine, sans qu'aucun préjugé, aucune fausse doctrine ne vienne empêcher
le bénéfice du traitement abortif. » D'après cela, tant qu'il n'y a pas de
signes de vive inflammation, au premier, au second, au troisième, au
quatrième jour, ou même plus tard, Ricord croit qu'il y a intérêt à pres-
crire la médication abortive; et lorsque l'état du canal ne lui permet plus
de songer à l'emploi de l'injection caustique, il conseille l'usage simultané
des balsamiques et des injections astringentes. — « II est bon,ajoute-t-il
d'observer ici que les doses de ces médicaments (cubèbe, copahu) devront
être plus fortes que lorsqu'il s'agit de supprimer un écoulement d'une
manière graduelle, attendu que c'est par un effet perturbatif, par une
révulsion brusque, qu'on doit arriver au résultat qu'on cherche. » —
Quant à la composition des injections, Ricord a coutume de prescrire
soit le nitrate d'argent, à la dose de dix centigrammes pour 200 grammes
d'eau distillée, soit le sulfate de zinc et l'acétate de plomb dans les pro-
portions suivantes :
Eau distillée 200 grammes.
Sulfate de zinc ) „ _
Acétate de plomb j :,;l 2 Srî,mmes-
Mêlez.
Soit encore l'injection suivante, connue vulgairement sous le nom
d'injection du Midi ou injection Ricord :
Eau distillée 200 grammes.
Sulfate de zinc 1 gramme.
BLENXORIiïlAGiL. — traitement. 165
Acétate de plomb 2 grammes.
Laudanum de Sydenham ) ~ /
rr • . j i ? aa ■* grammes.
ieuiture de cachou. \
Mêlez.
Ces injections doivent être répétées trois fois par jour, et maintenues
environ trois minutes chacune dans le canal. — L'ensemble du traitement
est continué de dix à quinze jours et quelquefois trois semaines, si l'écou-
lement tarde à se résoudre. On a soin de diminuer progressivement les
doses quotidiennes des balsamiques et le nombre des injections, car c'est
un fait d'expérience que l'interruption brusque du traitement est une
occasion fréquente de récidive.
Cette méthode a fourni de nombreux succès. Il est certain qu'assez
souvent elle tarit en quelques jours des écoulements qui, soumis à la mé-
dication ordinaire, auraient duré pour le moins plusieurs semaines. Il est
possible aussi, comme le prétend Piieord, que dans les cas même où elle
ne guérit pas, elle impose pour ainsi dire un frein à la maladie, qu'elle
la comprime, qu'elle la contienne dans ses formes bénignes, tout au moins
qu'elle l'empêche de s'élever au taux d'une excessive acuité. — Mais ce
qui n'est pas moins vrai, c'est qu'elle échoue souvent, plus souvent même,
d'après moi, qu'elle ne réussit. — Dirigé et surveillé par un médecin
prudent qui le prescrit à temps ou le suspend à propos, ce traitement ne
saurait avoir, même dans ses insuccès, de conséquences fâcheuses. Mais
livré le plus souvent à un aveugle empirisme, institué sans discernement,
poursuivi sans mesure, il devient nuisible et gravement nuisible; il en-
tretient, il perpétue la maladie; il est l'origine fréquente de ces écoule-
ments rebelles à forme indolente et chronique, de ces blennorrhées
intarissables qu'il est si commun de rencontrer chez les sujets qui ont
fait un abus intempestif de la médication abortive.
Aussi, lorsqu'on essaye de bénéficier des avantages de cette méthode,
faut-il s'imposer d'avance l'obligation d'y renoncer immédiatement si les
résultats obtenus dès les premiers temps ne sont pas complets et de na-
ture à présager une suppression définitive de l'écoulement. La sécrétion
s'est-clle tarie vers le troisième, le quatrième, le cinquième jour, le canal
est-il sec ou n'est-il plus humecté que par une sérosité limpide, la médi-
cation a réussi; il y a lieu d'insister "sur le traitement pour confirmer la
guérison. Au contraire, l'écoulement pcrsiste-t-il, même léger, mais avec
un caractère purulent non douteux, à plus forte raison tcnd-il à s'accroître
aussitôt que pour tel ou tel motif le traitement est ralenti, persister est
une faute. Redoubler les doses, multiplier les injections, comme on ne le
fait que trop souvent, est une faute plus grave encore. Si l'on n'a pas
réussi du premier coup, on ne réussira pas davantage en continuant les
mêmes moyens. Poursuivre quand même l'emploi des agents abortifs, ce
n'est plus que fatiguer en pure perte l'estomac et l'urèthre, prolonger la
maladie et la rendre moins facilement accessible pour l'avenir à l'action
des remèdes dont dépend la guérison.
II. Traitement méthodique. — Ainsi dénommée par opposition, cette
ICC BLENNORRHAGIE. — traitement.
méthode est celle qui applique à chacune des périodes de la blennor-
rhagie une thérapeutique appropriée au caractère des phénomènes mor-
bides.
C'est de beaucoup la méthode de traitement la plus sûre. Plus longue
en apparence, elle est souvent la plus courte en réalité.
La blennorrhagie ne guérit pas, comme le croient les gens du monde,
par le fait de tel ou tel remède, de telle ou telle panacée infaillible. Elle
n'a pas de spécifique. Elle guérit sous l'influence d'une médication aidée
d'une hygiène spéciale.
La médication satisfait aux indications variées et même contiadictoires
des diverses périodes. — L'hygiène reste à peu près la même pour toute
l'évolution de la maladie. Etudions-la donc tout d'abord.
I. Hygiène, — Je ne crains pas de dire que l'hygiène a une importance
énorme dans le traitement de la blennorrhagie. Nombre d'écoulements ne
se prolongent, ne se perpétuent, en dépit des médications les plus ration-
nelles et les plus actives, que par l'inobservance des soins d'hygiène.
Il est aussi certaines précautions à indiquer aux malades comme pro-
phylactiques de complications particulières.
Aussi simples qu'importants, ces quelques soins se résument à ceci :
Continence absolue pendant toute la durée de la maladie et même pen-
dant une quinzaine de jours au delà de la suppression définitive de l'écou-
lement. — Eviter toute cause d'excitation vénérienne (fréquentation des
femmes, vie en commun avec une maîtresse, lectures ou spectacles
lascifs, etc.).
Éviter dans le régime les excitants de tout genre, les mets de haut goût,
les huîtres, les asperges qui ont une influence certainement fâcheuse surl'u-
rèthre malade, les fraises (?),les fruits acides (?); — s'abstenir absolument
de bière (la plus nuisible de toutes les boissons), de vins blancs, de Cham-
pagne, d'eau-de-vie, de liqueurs, de cidre, de café, de thé, etc. — Pour
boisson, eau rougie aux repas. Une faible proportion de vin pur n'est pas
nuisible ; elle est même utile chez les sujets faibles, délicats ou dyspepti-
ques.— Surtout, ne pas exagérer ce régime, à l'exemple de certains sujets
qui, se privant absolument de vin, s'imposant une diète rigoureuse, arri-
vent à se débiliter et à s'anémier, sans profit pour leur maladie qui n'en
devient au contraire que plus persistante et plus difficile à guérir.
Eviter toute fatigue (marches forcées, course, parties de chasse, voyages,
danse, équitation, escrime, exercices violents, veilles, etc.)
Usage du suspensoir, pour soutenir et préserver les bourses.
Ne pas coucher sur un lit trop moelleux, qui favorise les érections et
les pollutions nocturnes.
Lotions fréquentes, pour déterger le pus qui souille le gland et le pré-
puce. — Soins de propreté minutieuse.
Et surtout, avertir les malades des conséquences terribles de la conta-
gion transmise aux yeux. Leur recommander de la façon la plus expresse
de se laver les mains chaque fois qu'ils auront touché soit leur verge,
soit leur linge souillé de pus. — Des nombreux malades que j'ai vus
BLENNORRIIAGIE. — traitement. 167
arriver à l'hôpital avec des ophthalmies purulentes hlennorrhagiques, au-
cun n'avait été prévenu de la possibilité d'une telle contagion. Et inverse-
ment, de tous les malades que j'ai traités et avertis de ce danger, un seul
a été victime par le fait d'une imprudence de ce redoutable accident.
II. Médication. — Elle est, avons-nous dit, essentiellement variable sui-
vant les périodes de la maladie. Nous allons l'étudier successivement dans
chacune d'elles.
A. Début. — Pendant les premiers jours ou même au delà, si les sym-
ptômes inflammatoires ne sont que légers, la médication est des plus sim-
ples. Il suffit d'associer aux soins hygiéniques sus-énoncés l'usage de quel-
ques boissons délayantes.
Le choix de ces tisanes n'a qu'une importance secondaire. Donner au
malade une boisson de son goût, et autant que possible de préparation
commode : tisanes d'orge, de chiendent, de graine de lin, eau sucrée,
orgeat, eau édulcorée avec sirop de gomme, de cerises, etc..
J'ai l'habitude de prescrire la préparation suivante, dont je dois la
formule à M. le docteur Puche; elle est d'un emploi facile et agréable :
Bi-carbonate de soude 5 à 5 grammes.
Sucre en poudre 40 grammes.
Essence de citron 1 à 2 gouttes.
Mêlez. — Pour un paquel, que l'on fait dissoudre à froid dans un litre
d'eau, à boire par verres entre les repas.
La dose quotidienne de ces boissons sera d'un litre ou d'un litre et
demi au plus. Dépasser cette quantité, comme le font certains malades
qui s'abreuveni de tisanes, est fatiguer l'estomac sans profit pour l'urèthre.
On a reproché aux tisanes d'augmenter les douleurs, d'irriter l'urèthre
et le col vésical par les fréquentes émissions d'urine qu'elles déterminent
nécessairement. L'expérience journalière répond à ces accusations que les
boissons tempérantes données cà doses modérées sont toujours favorables
dans les premiers jours de la blennorrhagie, qu'elles préviennent ou sou.
lagentles douleurs de la miction aussi bien que le ténesme vésical. « On a
dit que, les malades souffrant en urinant, c'était multiplier leurs douleurs
que de les faire pisser souvent. C'est une erreur, car en leur faisant ab-
sorber de l'eau dans de grandes proportions, on rend l'urine moins acre
et son passage à travers l'urèthre moins douloureux. Si vous en voulez la
preuve, comparez la miction pendant la journée à celle du matin; vous
verrez que cette dernière est très-pénible, ce qui tient à ce que l'urine est
plus chargée de sels par suite de son séjour plus prolongé dans la vessie,
séjour pendant lequel la partie liquide est absorbée; et c'est justement à
cet inconvénient que remédient les boissons abondantes » (Cullcrier).
B. Période aiguë. — Lorsque les symptômes inflammatoires se déclarent,
insister sur la médication précédente; diminuer légèrement le régime,
proportionnellement à l'intensité de la réaction; prescrire, non pas un
repos absolu, mais un repos relatif; administrer des bains ou recourir à
des émissions sanguines.
168 BLENiXORRIlAGlE. — traitement.
Si l'inflammation n'est pas très-intense, les bains de corps peuvent
suffire à la calmer. Ces bains seront pris tièdes ; leur durée sera d'une
heure environ. Pour en obtenir le meilleur effet possible, il faut, je crois,
les prescrire coup sur coup. Une série de bains, pris quotidiennement
tout d'abord trois ou quatre jours de suite, puis de deux en deux jours,
réussit le plus souvent à modérer les phénomènes de l'état aigu. Toutefois,,
comme l'a fort bien signalé Ricord, il est certains malades auxquels la
balnéation paraît nuire. — Les bains entiers sont de beaucoup préférables
soit aux bains de siège, soit aux bains locaux, qui ont l'inconvénient très-
réel de congestionner les parties.
Si peu que l'inflammation résiste à ces moyens, ou môme si d'emblée
elle s'annonce sous une forme un peu vive, il ne faut pas hésiter à prati-
quer une émission sanguine locale (quinze à vingt-cinq sangsues au pé-
rinée.) C'est là le meilleur sédatif, le moyen par excellence pour provoquer
une détente etsoulager les malades. — Aubesoin même, répéter cette émis-
sion sanguine. — Le lieu d'élection pour l'application des sangsues, c'est
le périnée. Il est inutile et dangereux de les placer sur la verge, où elles
peuvent déterminer, comme on le sait, soit des infiltrations étendues, soit
de l'œdème, de l'érysipèle, soit même, a-t-on dit, des gangrènes du four-
reau. — La saignée générale n'est que très-exceptionnellement indiquée;
elle soulage beaucoup moins du reste que l'émission sanguine locale.
Sous l'influence de ces divers moyens combinés, les phénomènes aigus
s'apaisent presque invariablement en quelques jours. L'écoulement seul
persiste, avec plus ou moins d'intensité. 11 n'est pas absolument rare
toutefois que cette médication prolongée un certain temps le diminue
d'une façon très-notable, et même en certains cas le supprime complète-
ment. J'ai dans mes notes l'histoire de plusieurs malades qui guérirent par
le seul fait du traitement antiphlogistique.
A cette période de la maladie, il est certains moyens dont il faut s'abs-
tenir sous peine d'aggraver les symptômes, et dont l'usage n'est maliieu-
reusement que trop habituel. Citons comme tels : les antiblennorrhagiques
(cubèbe, copahu, opiat, etc.) « On a pu réussir quelquefois par l'emploi
des antiblennorrhagiques administrés dans la période aiguë. Mais tous
ceux qui ont bien observé et qui ont été à même de voir un grand nombre
de malades conviendront que le plus ordinairement cette médication reste
sans effet et ne sert qu'à fatiguer les voies digestives, à les révolter, si je
puis m'exprimer ainsi, contre des médicaments qui seraient plus tard
nécessaires et qu'on ne pourra plus employer... Dans quelques cas même,
l'inflammation semble s'accroître sous l'influence de l'administration in-
tempestive des antiblennorrhagiques.» (Ricord); — les injections astrin-
gentes, qui données à ce moment, irritent toujours le canal et déterminent
parfois un état suraigu que nous avonsdécrit précédemment ; — de même les
injections dites calmantes (guimauve, pavot, laudanum, huile d'amandes
douces, etc.); « elles produisent, dit Ricord, plus d'inconvénients par
leur action mécanique dans le canal qu'elles n'amènent de soulagement
par leurs propriétés calmantes. 11 n'y a que peu d'exceptions à la règle que
BLENNORRHAGIE. — traitement. 109
nous posons ici. « Donc, d'une façon générale, les injections de toute sorte
sont nuisibles pendant la période aiguë de la maladie; — les cataplasmes
sur la verge; — les fomentations chaudes et prolongées; — les bains de
siège froids, les lavements froids, qui calment au moment même, mais
déterminent une réaction consécutive, etc.
Parfois, l'acuité excessive des douleurs provoquées par la miction ou
par les érections nocturnes donne lieu à des indications particulières.
Il est des blennorrhagies où l'émission des urines provoque des douleurs
véritablement atroces. Les boissons émollientes, les bains prolongés, les
émissions sanguines, bien que fort utiles habituellement, ne soulagent pas
dans tous les cas. Je me suis bien trouvé dans ces conditions de l'emploi
des balsamiques administrés à petites doses pendant deux ou trois jours.
Sous leur influence il est assez habituel que les grandes douleurs soient
apaisées; dès que ce résultat est obtenu, on suspend aussitôt cette médica-
tion pour revenir à l'usage des boissons délayantes. — Parfois encore, un
moyen bien simple réussit merveilleusement à calmer les douleurs de la
miction, c'est d'uriner la verge plongée dans un verre d'eau très-froide.
Des érections nocturnes douloureuses, répétées, presque incessantes,
tourmentent souvent les malades et deviennent un véritable supplice.
Elles sont la conséquence de l'éréthisme local. C'est donc à l'état inflam-
matoire qu'il faut s'adresser pour les combattre. Les antiphlogistiques
sont ici les véritables anaphrodisiaques. — On a préconisé nombre d'agents
pharmaceutiques ou autres contre ce symptôme pénible : camphre, bella-
done, jusquiame, digitale, nénuphar, lupulin, seigle ergoté, bromure de
potassium, etc., etc. Ces divers remèdes n'ont qu'une efficacité très-
incertaine. Ce qui réussit beaucoup mieux et d'une façon bien plus
sûre, c'est l'opium, administré soit par la bouche (pilules d'extrait
thébaïque), soit surtout par le rectum. Les lavements laudanisés oui
ici une action sédative incontestable. — Recommander aux malades
d'éviter toute excitation sexuelle, de coucher sur un lit dur, de ne pas
trop se couvrir la nuit, de dormir, autant que possible, sur le côté et non
sur le dos, de profiter des moments de réveil pour uriner, etc.. —
Signalons enfin, pour la condamner, la pratique qui consiste à lier la
verge à la cuisse ou aux bourses, dans le but de prévenir les érections;
de même encore la coutume absurde, très-répandue, paraît-il, chez les
militaires, de rompre la corde, en frappant d'un vigoureux coup de poing
la verge appliquée sur un plan résistant. Cette manœuvre brutale pro-
cure, il est vrai, un soulagement immédiat, en raison de ï'hémôrrhagie
qui dégorge momentanément les parties; mais, déterminant une rupture
de l'urèthre, elle expose à des épanchements sanguins, à des infiltrations
mineuses, et plus tard à des rétrécissements cicatriciels.
C. Période d'état. — Lorsque les symptômes inflammatoires sont cal-
més, il y a lieu de ne pas insister sur le traitement antiphlogistique dont
la continuation ne serait pas sans inconvénients. Donc, cesser l'emploi
des bains; diminuer la dose des tisanes ou mieux encore en modifier la
composition. Prescrire, par exemple, l'eau de goudron, édulcorée avec
170 BLENNORRHAGIE. — traitement.
le sirop de Tolu, la tisane de bourgeons de sapin, celle tfuva ursi, ou
telle autre moins émolliente, moins délayante que celles dont l'usage
est recommande dans la période aiguë.
Ce traitement, du reste, sera presque toujours de courte durée. Peu de
jours s'écouleront avant que la maladie ne manifeste une tendance évi-
dente à décroître. Il se présente alors de nouvelles indications auxquelles
il faut se bâter de satisfaire*
D. Période de déclin. — Les symptômes inflammatoires se sont dissipés
entièrement; la maladie est entrée franchement dans une phase décrois-
sante. Le moment est venu de modifier le traitement suivi jusqu'alors, et
de mettre en œuvre l'ensemble des moyens qui constituent la médication
dite suppressive. C'est là ce que les malades appellent couper l'écoulement.
La médication suppressive comprend deux ordres d'agents : les balsa-
miques et les injections.
1° Balsamiques. — Cette dénomination assez impropre, mais con-
sacrée par l'usage, s'applique à une série de médicaments qui possèdent
la propriété singulière d'agir sur l'urèthre et d'en tarir les flux patho-
logiques.
Ces médicaments sont nombreux : copahu , cubèbe, térébenthines
diverses, baume du Canada, baumes du Pérou et de Tolu, goudron, raa-
tico, bourgeons de sapin, etc.
Les deux premiers sont de beaucoup les plus actifs. Ce sont les anti-
blcnnorrhagiques par excellence. Les autres n'ont qu'une action bien
moins puissante, très-faible même pour quelques-uns, et le plus souvent
infidèle.
C'est donc soit au copahu, soit au cubèbe, qu'il faut s'adresser pour
obtenir des résultats complets de la médication suppressive. Nous étu-
dierons ailleurs en détail (voyez articles Copahu et Cubèbe) ces deux mé-
dicaments, au point de vue de leur histoire pharmaceutique et de leur
action si curieuse sur l'organisme. Nous n'avons donc ici qu'à déterminer
les conditions de leur emploi.
Or ces conditions sont des plus importantes à spécifier. Elles tiennent
sous leur dépendance le succès ou l'insuccès de la médication. — Elles
peuvent se résumer ainsi, dans ce qu'elles ont de plus essentiel :
1° Administrer à propos les balsamiques, c'est-à-dire ni trop tôt, ni
trop tard ;
T Les donner à juste dose, c'est-à-dire n'en donner ni trop, ni trop peu;
5° En prolonger suffisamment l'usage.
Reprenons en détail chacune de ces propositions.
1° L'opportunité d'intervention des balsamiques est le grand secret de
la guérison. Tout est là. Commencer trop tôt l'emploi des médicaments
suppressifs, c'est, comme je l'ai dit souvent dans le cours de cet article,
s'exposer à un échec presque fatal. Il faut donc, et cela ne s'apprend
guère que par expérience, savoir résister soit aux sollicitations des ma-
lades, soit à sa propre impatience. Commencer trop tard a moins d'in-
convénients, et d'ailleurs ce n'est guère de ce côté que l'on pèche en
BLENNORRHAGIE. — traitement. 171
général; néanmoins, différer trop longtemps est une faute dont j'ai pré-
cédemment indiqué les conséquences.
Or, sur quels signes convient-il de se baser pour instituer la médication
suppressive?
Ce qui peut servir de guide, c'est beaucoup plutôt l'ensemble de la ma-
ladie que tel ou tel symptôme consulté isolément. Si la réaction inflam-
matoire s'est manifestement apaisée, si la miction et les érections ne sont
plus douloureuses, si l'écoulement a diminué, s'il est devenu jaunâtre,
catarrho-purulent, il n'est pas de doute à conserver : le moment d'agir
est venu, l'occasion est propice pour administrer les balsamiques, et le
succès est presque assuré.
Mais les eboses ne sont pas toujours aussi simples, tant s'en faut. Il
arrive souvent que tous les symptômes de la maladie ne se modifient pas
d'un pas égal, ne subissent pas une atténuation parallèle et simultanée.
C'est, par exemple, la douleur de miction qui persiste après la chute des
phénomènes inflammatoires ; ce sont les érections qui continuent à être
douloureuses.; c'est l'écoulement qui, même après plusieurs semaines,
conserve les caractères d'acuïté et de purulence; c'est le canal qui,
malgré la sédation des symptômes aigus, reste rouge, livide et vivement
injecté, etc. ; et ainsi d'autres variétés nombreuses que révèle l'expérience
de chaque jour. Dans ces divers cas , le médecin éprouve souvent un
embarras réel à décider s'il y a lieu ou non d'instituer le traitement sup-
pressif qui, nettement indiqué par tel signe, semble contre-indiqué par tel
autre.
Ces difficultés pratiques, loin d'être résolues, sont à peine indiquées
dans la plupart des monographies ou des livres classiques. Commençons
à combler cette lacune en indiquant quelques résultats de notre obser-
vation personnelle.
S'il est évident, par l'ensemble des symptômes, que la maladie soit
entrée dans sa période de décroissance, il y a lieu d'espérer un résultat
favorable des balsamiques, alors môme que tel ou tel phénomène de Tétat
aigu persisterait encore isolément.
Du reste, tous les phénomènes morbides n'ont pas la même valeur
comme indications thérapeutiques. Ainsi, il est peu de compte à tenir de
la persistance des douleurs dans l'érection. C'est là un symptôme qui peut
durer fort longtemps après la chute de l'inflammation, et si l'on attendait
sa disparition complète pour prescrire les balsamiques, on courrait risque
de différer presque indéfiniment. L'expérience apprend d'ailleurs que ce
n'est pas là une contre-indication réelle à l'intervention du traitement
suppressif.
La douleur dans l'émission de l'urine est un signe plus important à con-
sulter. Est-elle encore vive, elle témoigne d'un reste d'acuïté; l'administra-
tion des balsamiques serait prématurée ; mieux vaut attendre. N'est-elle que
légère, on peut passer outre, car c'est un fait d'observation qu'elle survit
parfois à la sédation complète des phénomènes aigus, voire même à la
172 BLENNORRHAGffi.
THAITENEST.
L'état du canal et la nature de l'écoulement sont des signes d'une plus
haute valeur. Si le sommet du gland est encore rouge et induré, si l'urèthre
est le siège d'une injection plus ou moins vive, s'il présente une coloration
livide et violacée, comme dans certains écoulements de forme chronique,
il faut s'abstenir; le traitement suppressif n'aurait pas d'action durable.
— De même pour l'écoulement : s'il est encore abondant, phlegmoneux,
purulent, si surtout il est diffluent et séreux, s'il laisse sur le linge de lar-
ges taches à centre jaune et à contour gris, analogues à celles que produit
la sérosité d'un vésicatoire, l'administration des balsamiques serait aussi
inopportune que possible ; l'indication d'attendre est formelle.
La durée de la maladie n'est pas une raison pour ou contre la médication
suppressive. Tel écoulement peut et doit être coupé au quinzième, dou-
zième, huitième jour; pour tel autre, l'emploi du cubèbe et du copahu
sera prématuré, même après quatre, cinq, six septénaires.
2° En second lieu, il faut, ai-jc dit, donner les balsamiques ajuste dose,
c'est-à-dire il faut n'en donner ni trop, ni trop peu. Si l'on reste au-
dessous de la dose curative, on n'obtient pas d'effet suffisant; si l'on dé-
passe cette dose, on exagère les effets physiologiques du remède sans
profit pour ses effets thérapeutiques ; on détermine du dégoût, des troubles
gastriques, de la diarrhée, etc.; finalement, on aboutit à l'intolérance,
et force est de renoncer à la médication, au grand détriment du malade.
Ce qu'on peut appeler la dose moyenne, habituellement curative, est de :
16 à 50 grammes pour le cubèbe ; 6 à 10 ou 12 grammes pour le copahu.
Ces deux remèdes s'administrent de la façon suivante :
Le cubèbe peut se prendre en poudre, délayé dans un peu d'eau; mais
cet affreux breuvage détermine souvent un dégoût tel que le malade ne
peut approcher le verre de ses lèvres sans être pris de nausées. Mieux vaut
l'administrer dans du pain azyme légèrement humecté, ou préférablement
encore sous forme d'électuaire, comme il suit :
Cubèbe en poudre 10 à 50 grammes.
Sirop de goudron Q. S.
F. S. A. et divisez en une série de bols, a prendre dans les 24 heures.
Le copahu ne peut guère être pris en potion, en raison de son hor-
rible saveur. La trop célèbre potion de Chopart a certes guéri moins de
chaudes- pisses qu'elle n'a déterminé de gastralgies. On ne peut guère pres-
crire ce remède que sous forme d'électuaire ou de bols (bols de copahu
solidifié par la magnésie, etc.).
Pour l'un et l'autre de ces médicaments à saveur repoussante, la forme
capsulaire (capsules de gélatine, de gluten, etc.) a constitué un véritable
progrès en pharmacie. Malheureusement ces capsules, exploitées en grand
par le commerce, préparées longtemps à l'avance et trop souvent avec
des produits d'ordre inférieur, n'offrent en général que peu de garanties.
On a essayé de faire absorber le copahu et le cubèbe par le rectum
(lavements, suppositoires, capsules introduites par l'anus). Cette pratique
ne fournit aucun résultat sérieux (Ricord).
BLENNOKIUIAGIE. — traitement. {7
Fort souvent, on associe ces deux remèdes dans une même préparation.
Ce mélange est connu vulgairement sous le nom cVopiat. Sa formule la
plus simple est la suivante :
Cabèbe en poudre 10 grammes.
Copahu 7) —
Sirop de goudron Q. S.
F. S. A. — A prendre dans la journée, sous forme de bols enveloppés
dans du pain azyme ou roulés dans de la poudre de réglisse.
Cet opiat donne d'excellents résultats. Administré à la dose quotidienne
qui vient d'être indiquée, il est en général très-facilement toléré par l'es-
tomac. — Toutefois, comme Ricord l'a signalé, il est souvent préférable
de faire prendre séparément le copahu et le cubèbe , afin d'avoir la
ressource d'une substitution, dans le cas où les malades se fatigueraient
de l'un ou de l'autre.
11 importe de fractionner les doses, et cela à double titre, pour ne pas
fatiguer l'estomac et pour entretenir l'action du remède sur les urines.
Dans ce but, la dose quotidienne sera administrée en trois prises, une
heure avant ou trois heures après les repas.
Il est essentiel encore que, pendant la durée de ce traitement, les ma-
lades boivent peu. Ils pourront à table satisfaire leur soif; mais ils ne
devront prendre ni tisane, ni boisson d'aucune sorte, en dehors des repas.
L'urine, en eifet, agit d'autant mieux sur l'urèthre qu'elle est plus con-
centrée et plus chargée des principes médicamenteux.
Donnés à doses modérées et fractionnées, le cubèbe et le copahu lui-
même ne déterminent en général que de très-légers troubles de l'estomac
et de l'intestin (renvois, malaise gastrique, diarrhée, etc.). Ces sym-
ptômes pourront d'ailleurs être prévenus ou modérés par l'association
de quelques remèdes appropriés (opium, bismuth, diascordium, 1er,
astringents divers, etc.). A ce point de vue, du reste, il faut étudier la
susceptibilité des malades et proportionner les doses à la tolérance indi-
viduelle. — Le cubèbe étant en général plus facilement accepté que le
copahu par l'estomac et l'intestin, c'est à lui qu'il convient de donner la
préférence chez les sujets dyspeptiques, comme chez ceux qui prennent
facilement la diarrhée ou qui souffrent d'affections abdominales.
Une condition presque essentielle de succès, c'est d'administrer d'emblée
les balsamiques à forte dose, il faut, en quelque sorte, comme j'ai souvent
entendu Ricord nous le répéter à sa clinique, surprendre le canal et tarir
l'écoulement d'un seul coup. Débuter par de faibles doses que l'on aug-
mente ensuite est une mauvaise pratique ; l'urèthre semble s'babituer au
médicament et n'en éprouve plus d'effet curatif.
Enfin, il est quelquefois avantageux, comme l'a signalé Cullerier, d'al-
terner les doses de cubèbe et de copahu. « Donnez, par exemple, 6 cap-
sules de copahu le matin, 0 de cubèbe dans la journée, et 6 de copahu le
soir; le lendemain, commencez par le cubèbe, et ainsi de suite. Cette
manière d'administrer les balsamiques, quelque simple qu'elle paraisse,
J74 BLENNORRIIAGIE. — traitement.
rend tous les jours de grands services, et je vous la recommande toutes
les fois qu'une ehaude-pisse sera rebelle au copahu ou au cubèbe donnés
séparément. »
5° En troisième lieu, il faut prolonger suffisamment V usage de la mé-
dication .
L'action des balsamiques est en général rapide, quelquefois même si
rapide qu'on pourrait la dire immédiate. Ainsi il n'est pas rare de voir
sous leur influence des écoulements se tarir presque complètement en
quelques heures. Or, l'expérience apprend ceci : si la médication est sus-
pendue au moment où l'écoulement se supprime, où la guérison paraît
accomplie, tout aussitôt la sécrétion pathologique se reproduit. Tout est
perdu, tout est à refaire. La suppression définitive ne s'obtient qu'en
prolongeant un certain temps l'action du remède. Il faut donc continuer
l'administration des balsamiques au delà de la disparition de l'écoule-
ment ; huit à dix jours du même traitement sont encore nécessaires. De
plus, c'est encore un fait d'expérience qu'il n'est pas sans avantage à
cette période de diminuer insensiblement les doses quotidiennes des re-
mèdes. Il semblerait que, pour éviter une sorte de réaction de la maladie,
le canal dût, pour ainsi dire, être déshabitué par degré de la médication.
En terminant ce qui a trait aux balsamiques, signalons deux substan-
ces récemment préconisées comme spécifiques de la blennorrhagie, par
le Dr Th. B. Henderson. L'une est Y essence de santal jaune, obtenue par
distillation du Sirium myrtifolium; l'autre est Y huile de bois (wood oil)
que Ton retire d'un arbre immense de l'Inde, le Dipterocarpus tur-
binatus). La première de ces substances, récemment expérimentée en
France par le Dr Panas, paraît jouir de propriétés antiblennorrhagiques
très- remarquables. « Elle est, dit ce chirurgien, parfaitement tolérée par
l'estomac; elle communique aux urines une odeur sui generis de santal...
Administrée à la dose de dix capsules par jour, contenant chacune
40 centigrammes, elle exerce une action très-marquée sur l'écoulement
blennorrhagique, lequel dans l'espace de vingt-quatre à quarante-huit
heures au plus se trouve réduit à une espèce de suintement séreux trans-
parent ou à quelques gouttes de muco-pus blanchâtre, quelles que soient
d'ailleurs la couleur et l'abondance primitive de la sécrétion morbide...
Douée d'une action au moins égale à celle du copahu, elle offre des avan-
tages incontestables pour les cas malheureusement assez communs où les
autres balsamiques ont échoué ou n'ont pu être tolérés par l'estomac. »
Ces deux substances n'ont pas encore été suffisamment étudiées pour
qu'il nous soit permis de porter un jugement sur elles. Notons seulement
à ce propos que d'autres essences présentent des propriétés analogues.
Ainsi, j'ai vu l'essence de romarin couper un écoulement blennorrhagi-
que tout comme aurait pu le faire le copahu. J'ai entrepris sur ce sujet
une série d'expériences dont il serait encore prématuré d'annoncer les
résultats.
2° Infections. — Le traitement par les injections constitue ce qu'on a
appelé la médication locale ou directe. Je n'oserais dire, comme certains
BLENNORRHAGIE. — traitement. 175
auteurs, que c'est là le traitement par excellence de la blennorrhagie; mais,
à coup sûr, c'est une méthode active, à laquelle sont dues de nombreuses
guérisons.
Très-vantées par les uns, très-dépréciées par les autres, les injections
font bien ou mal, suivant les circonstances dans lesquelles on y a re-
cours. Il est pour elles, comme pour les balsamiques, certaines conditions
de succès qu'il importe d'étudier avec méthode et de déterminer le mieux
possible.
Tout d'abord, à quelle période de la maladie sont-elles applicables?
D'après quelques auteurs, en petit nombre il est vrai, elles seraient éga-
lement utiles à toutes les périodes. Pour d'autres, il y aurait surtout
avantage à les prescrire au début. « S'il est une période, dit Thiry, où
les injections doivent être administrées, c'est «à la période aiguë; car les
injections, mieux que tous les autres agents, sont capables d'arrêter le
mal à son origine. » D'autres, au contraire, avec beaucoup plus de raison
à mon sens, ne les prescrivent, comme les balsamiques, qu'après la chute
complète des phénomènes inflammatoires. Je crois pour ma part qu'elles
ne sont avantageuses qu'à cette période. Cullcrier môme recommande de
n'y avoir recours qu'après l'emploi des balsamiques. «Attendez toujours,
dit-il, pour les prescrire, que l'action du cubèbe ou du copahu soit épui-
sée. C'est alors seulement qu'elles sont véritablement à leur place. »
Pour être complet, l'effet des injections a besoin d'être soutenu et con-
tinué un certain temps. Trois injections par jour sont nécessaires, et
chacune doit être conservée deux ou trois minutes dans le canal. De plus,
il faut en prolonger l'usage bien au delà de la suppression de l'écoule-
ment, pendant huit, dix, douze et quinze jours même, suivant les cas.
Si peu que les injections paraissent irriter le canal, il faut se liàter de
les suspendre. Cela est surtout indiqué dans les cas où l'on voit l'écoule-
ment devenir rose, se teinter de sang, ou bien prendre cet aspect séreux
signalé précédemment, qui témoigne toujours d'une surexcitation plus ou
moins vive de l'urèthre.
Le choix du liquide à injecter doit être fait avec discernement, car il
est certain que tous les astringents n'exercent pas sur l'urèthre une ac-
tion égale et de même nature. Malheureusement la science est loin d'être
fixée sur ce point. Les remèdes prétendus spécifiques, les recettes infail-
libles, abondent dans les formulaires; mais ce qui fait défaut, ce sont
les observations sérieuses, ce sont les études comparatives sur les effets
des divers agents que nous voyons journellement préconisés. A quelle pé-
riode, à quelle forme de la maladie convient telle ou telle préparation;
dans quelles circonstances tel remède peut-il être utile ou nuisible? C'est
là ce qu'il faudrait savoir et ce que nous ne savons encore que très-impar-
faitement. La théorie cependant et la routine ne sauraient sur ce point
suppléer à la clinique. « Tous les astringents ont été essayés et prônés
dans le traitement externe des blcnnorrhagies, mais tous, ou du moins à
peu près, n'ont pas tardé à tomber dans l'oubli. D'où vient cela? De ce
que le plus souvent on s'est servi de ces médicaments sans se rendre
170 BLENNOPiRHAGIE. — traitement.
compte de l'opportunité de leur emploi ; on les a prescrits non parce que
tel état de l'urèthre indiquait leur emploi, mais parce qu'on les avait vus
vantés dans un journal; c'est à peine si l'on connaissait leur mode d'ac-
tion sur les tissus, soit à l'état physiologique, soit à l'état pathologique.
En suivant ce procédé fort simple, on pouvait user contre les blennorrha-
gies d'une foule de moyens sans en obtenir le moindre résultat; mais, comme
avec le temps tout finit par disparaître, même les uréthrites, il s'ensui-
vait que c'était souvent au dernier remède employé qu'on attribuait la
guérison, bien qu'à vrai dire il eût été tout aussi inefficace que les pré-
cédents » (Thiry).
Signalons cette lacune de la science, non sans rendre justice toutefois
aux travaux de quelques observateurs, de Thiry en particulier, qui s'est
efforcé de déterminer par des expériences et des études cliniques l'action
des divers astringents sur l'urèthre enflammé.
Deux substances sont surtout en faveur pour la composition des injec-
tions : 1° le nitrate d'argent, à la dose de 10 centigrammes environ
pour 200 grammes d'eau distillée. Ce sel est parfois irritant et mal toléré
par quelques malades. — 2° le sulfate de zinc, astringent très-efficace et
très-usité, considéré même par quelques auteurs comme le véritable spé-
cifique de la blennorrhagie. Il est mieux supporté en général que le ni-
trate d'argent. — Sa dose active est de 1 gramme pour 200 grammes d'eau.
— Souvent on l'associe avec succès soit à l'acétate de plomb (voy. p. 164),
soit au laudanum, au cachou, au tannin, etc. L'injection composée dite de
Ricord (page 104) est l'une des mieux tolérées, des moins douloureuses,
et des plus actives. Le dépôt qu'elle contient et qui est du à la précipi-
tation de l'acétate de plomb par le sulfate de zinc, n'est peut-être pas
étranger à ses heureux effets. Il ne faut donc pas que cette injection soit
filtrée, comme on le pratique dans quelques officines.
Il est une foule d'autres substances qui sont journellement prescrites en
injections : le tannin, que je n'ai jamais vu pour ma part justifier la
réputation dont il jouit; — l'alun; — le chlorure de zinc; — le perchlo-
rure de fer; — le sulfate de fer; — l'iodure de fer; — le vin, qui paraît
surtout convenir aux écoulements atoniques et indolents; — les astrin-
gents végétaux, lesquels « s'adressent principalement aux uréthrites
chroniques entretenues par une hypersécrétion des follicules uréthraux
(Thiry); » le sublimé, l'aloës, etc.; — Il serait impossible dans l'état
actuel de la science de préciser le degré d'action de tous ces remèdes et
d'autres encore que je pourrais citer par centaines, non plus que les
indications auxquelles ils sont aptes à répondre.
Mentionnons encore les injections dites isolantes, composées avec la
craie, le sous-nitrate de bismuth, l'oxyde de zinc, ou toute autre poudre
insoluble, en suspension dans l'eau ou dans un véhicule un peu épais. Elles
paraissent agir en tapissant le canal d'un dépôt inerte qui en tient les parois
isolées. Les injections de bismuth sont surtout en faveur. D'après le doc-
teur Caby, qui en a fort bien étudié l'action, elles seraient surtout avan-
tageuses contre les écoulements de forme chronique, et spécialement contre
BLENNORRHÀGIE. — traitement. 177
la blennorrhée. — Bien que composées de substances inertes, ces injec-
tions ne sont pas toujours inoffensives. J'ai constaté plusieurs fois qu'elles
déterminaient dans le canal une sensation douloureuse de plénitude ou
d'engorgement. Rollet dit même avoir vu « des malades être pris tout
à coup de difficultés d'uriner et rendre avec efforts des concrétions de
bismuth, sortes de bezoards formés par le résidu des injections avec les
mucosités du canal. »
Administrées a propos et avec prudence, les injections, si elles ne sont
pas toujours utiles, sont du moins toujours inoffensives. Ai-je besoin de
dire qu'elles sont fort innocentes des répercussions chimériques (arthrite,
ophthalmie, orchite, etc.) et de tous les méfaits dont on les croyait cou-
pables autrefois? Un préjugé populaire les rend encore aujourd'hui res-
ponsables de tous les rétrécissements du canal. Or des milliers d'obser-
vations ont péremptoirement établi que, loin de produire les coarctations
uréthrales, les injections les préviennent en guérissant leur cause la plus
habituelle, c'est-à-dire l'inflammation prolongée de la muqueuse et son
extension aux tissus sous-jacents.
L'abus, l'usage intempestif des injections, peut devenir et devient trop
souvent, comme nous l'avons vu, l'occasion d'accidents divers (cystite du
col, prostatite, épididymite, abcès péri-uréthraux,etc); mais il ne faut pas
attribuer à la méthode ce qui est le résultat de son application faite sans
discernement et sans mesure.
Forme chronique. — La forme chronique, telle que nous l'avons com-
prise et définie précédemment, est minutieuse et difficile à traiter. C'est
ici surtout que les indications thérapeutiques doivent être étudiées avec
soin et satisfaites à propos. Les formules empiriques, les médications
d'aventure sont plus nuisibles dans cette forme de la maladie que dans
toute autre. La guérison ne peut être obtenue que par une intervention de
l'art patiente, raisonnée, méthodique.
11 importe avant tout de rechercher les causes qui ont pu déterminer
le passage à l'état chronique et d'y soustraire le malade, si l'on est assez
heureux pour les saisir. Ces causes sont nombreuses et variées. Nous les-
avons étudiées en détail; rappelons simplement ceci, que neuf fois sur
dix pour le moins l'affection est entretenue soit par un défaut d'hygiène,
soit par l'abus ou l'usage intempestif de la médication suppressive. C'est
donc sur ces deux points que l'attention du médecin doit se porter prin-
cipalement.
Il est assez facile en général de surprendre la cause originelle de la chro-
nicité, et partant d'y remédier. Mais il est des cas, et ce ne sont pas les
moins embarrassants, où cette cause échappe à l'examen le plus minu-
tieux, où rien n'explique la persistance de la maladie.
Instituer un traitement dans ces conditions est chose assez délicate»
d'autant que l'on chercherait vainement dans les auteurs des indications
nettes et précises pour se diriger au milieu de ces difficultés pratiques.
Que faire donc en pareil cas? Voici, pour ma part, ce à quoi m'a conduit
mon observation personnelle :
NODV. MCT, MÉD. ET Cllin. V. — 12
178 BLENNORPJIAGIE. — traitement.
Tout d'abord, siispendre toute médication; abandonner la maladie à
elle-même pour un certain temps (8, 10, 12 jours environ), afin d'en obser-
ver les allures et les tendances spontanées. Intervenir alors de la façon
suivante : tons les signes d'inflammation même subaiguë sont-ils absolu-
ment éteints, se borner h l'administration de tisanes délayantes, notam-
ment de la tisane au bi-carbonatc de soude dont j'ai donné précédemment
la formule; subsiste- t-il quelque phénomène d'acuité, prescrire concurrem-
ment l'usage de bains répétés (un bain de trois quarts d'heure tous les
deux jours). — Insister sur cette médication jusqiià V époque où la nature
de Vécoulement se modifie. Deux, trois, cinq, six septénaires sont quel-
quefois nécessaires pour obtenir ce résultat, qu'il importe d'attendre avec
patience, en résistant aux sollicitations des malades toujours avides d'en
finir au plus vite avec l'écoulement. — A ce moment, agir énergiquement
sur la maladie, en mettant en œuvre toutes les ressources de la médication
suppressive (balsamiques, injections). — Si cette médication ne tarit pas
le suintement en 6 ou 8 jours au plus d'une façon complète, la suspendre
aussitôt, car en prolonger l'emploi serait une faute ; si elle n'a pas réussi,
c'est qu'elle était encore prématurée; se résigner donc à attendre ; revenir
pour un certain temps à l'usage des boissons délayantes ; puis tenter de
nouveau le traitement suppressif, dès que l'indication paraîtra s'en pré-
senter avec plus d'opportunité.
Cette méthode est lente, mais elle est sûre. Je lui dois de nombreux
succès sur des malades dont l'écoulement résistait depuis longtemps aux
médications les plus variées.
Il est des cas toutefois où, malgré l'hygiène la plus attentive, malgré
l'emploi des moyens les plus rationnels, l'écoulement se prolonge et se
prolongerait, pour ainsi dire, indéfiniment sans la moindre modification.
Reste alors la ressource d'une méthode souvent très-efficace, c'est l'em-
ploi des bougies. On prescrit au malade l'introduction quotidienne d'une
bougie de moyen calibre (n° 16, par exemple, de la filière au tiers de
millimètre); cette bougie est laissée dans le canal de 5 à 10, 15 minutes
progressivement ; on répète cette introduction chaque jour pendant une
quinzaine, trois semaines au plus ; simultanément, on administre une tisane
(délayante, eau de goudron, etc.), et l'on recommande au besoin quelques
bains pour atténuer l'irritation produite par le cathétérisme. Or, sous
l'influence de ce traitement, il se produit de deux choses l'une : ou bien l'é-
coulement augmente d'une façon considérable et revient môme à l'état
aigu; ou bien, ce qui est plus rare et plus surprenant, il diminue d'une
façon très-notable. Dans le premier cas, on cesse l'emploi des bougies, et
l'on reprend, le plus souvent avec succès, le traitement habituel de la
blennorrhagie aiguë. Dans le second, on continue plus longtemps le pas-
sage des bougies, puis on laisse le canal au repos pendant quelques jours ;
des injections légèrement astringentes achèvent en général la guérison.
Ce mode de traitement agit-il, comme on le dit, en modifiant la mu-
queuse, en changeant la forme de l'inflammation? Cela est probable.
Toujours est-il qu'il fournit des succès parfois surprenants. Je lui ai dû
BLENNORRHAGIE. — traitement. 179
la guérison d'un malade qui était affecté, depuis neuf années, d'un écou-
lement assez abondant, entretenu par le défaut d'hygiène et l'usage presque
continu d'injections astringentes.
Quelques médecins ont encore conseillé, contre cette forme chronique
de la blennorrhagie, l'emploi d'injections de nitrate d'argent à haute
dose (50 à 00 centigrammes et au delà pour 50 grammes d'eau distillée).
J'ai rarement eu recours à ce mode de traitement, et cela avec des ré-
sultats très-opposés ; je n'ai donc pas d'expérience suffisante pour le
juger.
Blennorrhée. — Affection essentiellement chronique et rebelle. Consi-
dérée par les uns comme une simple inflammation, parles autres comme
l'expression d'un état général ou même d'un vice constitutionnel, par
d'autres encore comme le symptôme d'une lésion spéciale de la muqueuse,
la blennorrhée a dû nécessairement être soumise aux traitements les plus
variés. Il est peu de maladies, en effet, auxquelles on ait aussi largement
prodigué toutes les ressources de la thérapeutique.
Sans nous arrêter à la stérile ériumération des innombrables remèdes
qui ont été préconisés contre cette maladie, essayons de déterminer les
bases d'un traitement méthodique et rationnel.
1° Rechercher tout d'abord l'origine de l'écoulement. — La blennorrhée
n'est souvent que le symptôme d'affections extra-uréthrales.Elle peut avoir
son origine dans les glandes de Cowper, dans la prostate, dans les vésicules
séminales, dans une lésion du col de la vessie, dans un clapier péri-
uréthral, dans une fistule aboutissant à l'urèthre, etc.. Très-fréquemment
aussi elle dépend d'un rétrécissement, lequel peut être assez atténué dans
ses manifestations pour être en quelque sorte larvé, etc. — Dans toutes
ces variétés de blennorrhée syniptomatique, le traitement doit, de toute
évidence, s'adresser non au suintement, mais à la lésion qui le tient sous
sa dépendance.
2° Lorsqu'un examen aussi minutieux que possible donne lieu de sup-
poser qu'il s'agit d'une blennorrhée simple, la conduite à tenir me semble
devoir être réglée de la sorte :
Il n'est pas urgent, du premier jour où l'on est consulté par le malade,
de prescrire d'emblée une médication, laquelle peut être inutile ou court
risque de tomber à faux. Mieux vaut, ici comme dans la forme précédente,
savoir attendre, et cela pour deux raisons : 1° pour étudier à fond le ma-
lade et la maladie; 2° pour demander à l'hygiène et au temps tout ce que
ces deux grands modificateurs peuvent produire.
11 est, en effet, des blenhorrhées que j'appellerais volontiers constitu-
tionnelles, en ce sens qu'elles sont entretenues par un état général de
l'organisme, «état analogue à celui qui engendre les Queurs blanches chez
les femmes anémiques » (Cullerier). Elles se rattachent à la débilité, au
lymphatisme, à la faiblesse de tempérament, à la scrofule, à l'herpé-
tisme, etc. Dans les cas de cet ordre, c'est le malade qu'il faut traiter et
non la maladie. Les véritables antiblennorrhéiques seront ici : les recon-
stituants, les toniques, le fer, le quinquina, l'huile de foie de morue, les
480 BLENNORRIIAG1E. — traitement.
amers, les iodiques, les bains sulfureux, les bains de rivière, et surtout
les bains de mer, l'hydrothérapie, etc. — Il importe donc essentiellement
d'étudier les indications diverses qui ressortent de l'état général, afin d'y
satisfaire par une médication appropriée, laquelle pourra rendre inutile
l'intervention du traitement local.
De plus, il y a souvent profit à attendre, en soumettant le malade à de
simples soins d'hygiène. J'ai vu nombre de fois et tout le monde a vu des
blennorrhées se tarir par le seul fait de la suppression des causes qui les
perpétuaient (excitations vénériennes, excès alcooliques, usage de la bière,
régime débilitant, privation de vin, etc.). — De même il est des suinte-
ments qui sont très-positivement entretenus par la médication, quelle
qu'elle soit, et qui guérissent dès qu'on n'y fait plus rien. Ricord nous
répétait souvent avec un grand sens pratique : « Lorsqu'on a tout essayé
sans succès, il faut essayer de ne plus rien faire. » Très-sage conseil,
dont j'ai plus d'une fois déjà rencontré l'utile application. — Enfin, il
est des cas où, comme Ricord l'a très-bien indiqué, la reprise des rap-
ports sexuels est la condition définitive de la guérison.
5° Lorsque la maladie résiste, il est divers traitements à lui opposer.
La médication que nous avons conseillée contre la blcnnorrhagie chro-
nique est assez souvent d'un utile emploi dans la blennorrhée. C'est la
plus simple, la plus inoffensive; c'est par elle qu'il convient, je pense,
de débuter. Donc : tenir les malades pour un certain temps à l'usage
des tisanes; puis prescrire ensuite les balsamiques et les injections, comme
nous l'avons exposé précédemment.
On a dit à tort que les balsamiques deviennent absolument inertes à
cette période ultime de la maladie. Ce n'est là que l'exagération d'un fait
vrai. Il est incontestable que le cubèbe et le copahu ne possèdent plus con-
tre la blennorrhée l'aclion puissante qu'ils exercent sur la blennorrhagie;
mais cette action, ils ne l'ont pas cependant perdue tout entière; ils peu-
vent encore rendre des services, surtout lorsqu'on les administre à pro-
pos et d'une certaine manière.
Ricord a fait cette remarque que l'on pouvait obtenir de ces remèdes
des effets avantageux dans le traitement de la blennorrhée, en les pres-
crivant à petites doses et d'une façon soutenue. On fait prendre, par exem-
ple, 6 à 10 grammes de cubèbe chaque jour, en deux ou trois doses. Ce
mode d'administration présente un double avantage : il permet de con-
tinuer longtemps l'usage du médicament sans fatigue pour l'estomac et
sans répugnance ; de plus il entretient d'une façon continue la modifica-
tion des urines. Souvent il détermine des effets qu'on ne produirait pas
à doses massives.
Dans le même but, on peut avoir recours aux succédanés du cubèbe et
du copahu : térébenthines, baume du Canada, goudron, etc., substances
peu actives sans doute, mais devenant utiles par une administration long-
temps continuée.
Toutefois, à cette période avancée de la maladie, il y a plus de résul-
tats à attendre de la médication directe, c'est-à-dire de l'emploi des in-
BLENNORRHAfxIE. — teawemejst. 181
jections. — De toutes les substances qui ont été préconisées conlre les
suintements chroniques de l'urèthre, celles qui paraissent mériter le plus
de confiance sont encore comme dans la blennorrhagie : le sulfate de zinc,
l'acétate de plomb, les injections composées où entrent ces deux sels, le
nitrate d'argent, le vin, etc. — Ricord a coutume de prescrire contre les
blennorrhées atoniques l'une ou l'autre des injections suivantes :
1° Eau distillée île roses 100 grammes.
Yiti rouge du Midi 50 —
Mêlez. — On augmente la quantité de vin progressivement, jusqu'à
l'employer seul s'il n'irrite pas.
2° Eau distillée de roses ) ~ ,AA
,7. ... .„ } aa 100 grammes.
Vin »lc Roussillon )
Tannin j ~, ,
., aa 1 —
Alun )
Mêlez.
Les injections isolantes, au dire de quelques auteurs, jouissent ici d'une
efficacité toute spéciale. Le docteur Caby relate dans son estimable tra-
vail 47 cas de guérison dus à l'emploi des injections au bismuth.
4° Si le traitement qui précède a échoué, il convient de passer k l'em-
ploi des bougies.
« Les bougies, dit Ricord, triomphent souvent de quelques écoulements
réfractaires à tout autre moyen. Ces instruments, simples ou médicamen-
teux, peuvent être employés d'une manière temporaire ou à demeure. —
Dans quelques circonstances, il suffit d'introduire une bougie une ou deux
fois par jour, et de la laisser séjourner dix minutes, un quart d'heure au
plus, dans l'urèthre, pour obtenir le résultat voulu. Toutefois, la guérison
ne s'effectue pas toujours de la même manière. Le plus souvent la sécré-
tion morbide est d'abord augmentée, l'instrument agissant, comme l'a
fait observer limiter, à la manière des irritants ; tandis que dans d'autres
circonstances, peut-être plus rares, elle se tarit insensiblement sans avoir
été préalablement avivée. » Dès que la sécrétion morbide a été fortement
accrue, il faut suspendre l'introduction des bougies, administrer quel-
ques tisanes et tenter la médication suppressive. De même si le suinte-
ment s'est tari, il faut abandonner l'emploi de l'instrument qui pourrait
irriter l'urèthre et reproduire l'écoulement. — « Lorsque, par l'emploi tem-
poraire des bougies, on reste dans le statu quo, ou (pie de leur introduc-
tion répétée il résulte trop d'irritation, il faut donner la préférence aux
sondes à demeure. Avec ces instruments encore, on obtient ou la cessa-
tion graduelle de l'écoulement, ce qui est plus rare, ou bien on arrive à
une véritable et forte suppuration qui force à y renoncer, et à la suite
de laquelle on obtient ordinairement la guérison définitive. » (Ricord.) —
« On peut, du reste, augmenter l'effet purement mécanique des bougies
en les enduisant de diverses pommades résolutives (onguent mercuriel,
iodure de potassium, pommade à la belladone ou au nitrate d'argent). De
cette façon, on agit directement sur les follicules que l'on soumet ainsi à
182 BLENNORRHAGIE. — traitement.
un véritable pansement interne, et sur lesquels on peut encore agir plus
directement, c'est-à-dire par compression, en employant de fortes bou-
gies; mais ce catliétérisme n'est pas toujours inoffensif, il agace, énerve
quelquefois le patient, amène des cystites et des orchites ; il est donc bon
de prévenir le malade de la possibilité de cet accident. » (Cullerier.)
5° Si la maladie a résisté à ces divers moyens, il reste encore une
ressource à laquelle, selon moi, il faut ne recourir- qu'en dernier lieu;
c'est la cautérisation de Vurèthre.
Cette cautérisation peut s'effectuer de plusieurs façons, soit par les
injections, soit à l'aide d'instruments porte-caustiques, soit enfin par la
méthode de Desormeaux.
Les injections constituent le procédé le plus simple. Pour en tirer le
meilleur parti possible, il faut qu'elles soient assez actives pour modifier
énergiquement la muqueuse uréthrale (50 à 60 centigrammes et plus de
nitrate d'argent pour 50 grammes d'eau distillée). De plus, il est préférable
de les porter dans le canal à l'aide d'une sonde de moyen calibre, au pa-
villon de laquelle s'adapte une petite seringue. En procédant de la sorte,
on est sûr d'atteindre toutes les parties que l'on veut toucher, comme de
rester en deçà des points que l'on veut respecter. — Une seule de ces
injections est souvent suffisante; parfois, on est forcé d'en faire plusieurs,
à quelques jours d'intervalle. — Simultanément, on prescrit, pendant
une semaine, l'emploi des balsamiques à forte dose, pour compléter l'ac-
tion curative.
La cautérisation peut encore être faite à l'aide du porte-caustique de
Lallemand ou d'instruments du même genre (instruments de Bron, de
Chassaignac, de Clerc, de V. de Méric, de Wilmart, etc.). Cette méthode
a l'avantage de limiter l'action du caustique; mais elle a l'inconvénient
d'agir en aveugle; si elle peut tomber juste, elle peut toucher à faux,
comme n'atteindre qu'une portion de la muqueuse malade. De plus, elle
est loin d'être inoffensive. Elle cautérise trop vivement et peut déterminer
de véritables eschares. Elle provoque souvent de très-vives douleurs, des
accidents sérieux de dysurie ou de rétention d'urine, des cystites du col,
des épididymites, et même des prostatites ou des phlegmons péri-uré-
thraux.
Théoriquement, le procédé de Desormeaux répond aux inconvénients
de la méthode précédente. Il permet de voir la lésion et de la toucher iso-
lément. « Ce qu'on ne peut faire par les moyens ordinaires, dit cet au-
teur, Y endoscope nous donne le moyen de le faire aisément et avec sûreté.
L'instrument, porté sur la partie malade, permet de juger les points à
attaquer et d'y appliquer le caustique ; il suffit pour cela , lorsqu'on
trouve un point malade au fond de la sonde, de l'arrêter et d'introduire
par sa fente l'instrument chargé de caustique; on est sûr d'atteindre ainsi
la partie malade, et de ménager les parties saines... Le caustique que je
préfère est la solution de nitrate d'argent (5 à 15 grammes de nitrate
d'argent cristallisé pour 15 grammes d'eau), laquelle a l'avantage de ne
pas produire d'eschares, d'être cathérétique plutôt que caustique, d'agir
BLENN0RMIAG1E. — traitement. 183
dans toutes les anfractuosités de l'ulcération, de la modifier dans toutes
ses parties, sans agir trop fort sur aucune... L'opération est très-simple :
lorsqu'on reconnaît, au bout de la sonde, la lésion qu'on veut attaquer,
on l'absterge bien avec du coton sec, puis on y applique un autre tampon
trempé dans la solution de nitrate. Il faut toucher ainsi tous les points où
l'on trouve des granulations... Au commencement du traitement, les
cautérisations doivent être répétées tous les trois ou quatre jours ; plus
tard, lorsque les granulations ont disparu et qu'il n'y a plus qu'une érosion
à surface inégale, il suffit d'y revenir une fois par semaine... La cure, du
reste, est longue; il ne faut pas s'attendre à obtenir la guérison en moins
de deux à trois mois... Avec ce traitement bien employé, ajoute Desor-
meaux, je n'hésite pas à dire que vous guérirez tous vos malades. Jus-
qu'ici je n'en ai pas vu un seul dont la maladie ait résisté, lorsqu'il a été
suffisamment continué. » Reste à savoir si l'introduction répétée d'un in-
strument volumineux comme l'endoscope n'est pas de nature à irriter
l'urèthre et à entretenir le suintement plutôt qu'à le tarir. Cette méthode,
du reste, n'a pas encore été suffisamment expérimentée pour qu'il soit
permis de l'apprécier justement.
G0 Enfin, mentionnons, à titre de mémoire seulement, quelques-uns
des nombreux moyens auxquels certains cas de guérison ont paru pouvoir
être rapportés : injections très-diverses (tannin, teinture d'iode, sublimé,
iodure de fer, pierre divine, nitrate acide de mercure, chlorure de zinc,
perchloruredefer,matico, etc., etc,); — drastiques (coloquinte, aloès); —
eaux minérales; — révulsifs (vésicatoires au périnée, emplâtre stibié sur
les lombes, etc.); — électricité (limiter); — mèches isolantes (Ricord),
etc., etc... — Est-il besoin de dire que l'efficacité de ces divers moyens
est bien loin d'être démontrée par l'expérience ?
7° Il est des cas rebelles à tout. Faut-il, dans ces conditions, lutter
quand même, s'obstiner, accumuler, comme le font certains malades,
remèdes sur remèdes, injections sur injections? Je crois celte pratique
plutôt propre à exaspérer le mal qu'à le guérir. Il est préférable, à mon
sens, de ne pas insister, de suspendre toute médication, de rassurer le
malade et de confier au temps ce que l'art n'a pu faire. Je ne crains pas
de le répéter, il est bon nombre de sujets qui, après avoir épuisé sans
succès toutes les ressources de la thérapeutique, guérissent par le seul
fait du temps. Le plus souvent d'ailleurs, comme nous l'avons établi pré-
cédemment, la maladie se réduit à un simple suintement inoffensif. Mieux
vaut, à tout prendre, conserver un petit mal que de s'exposer à un pire,
en poursuivant une guérison toujours incertaine. Or il n'est pas douteux
qu'une médication longtemps prolongée, que des excitations incessamment
portées sur l'urèthre, ne puissent devenir l'origine d'accidents sérieux, de
complications graves. Devant ce danger, qui naît du traitement, il faut
que le médecin s'arrête et s'abstienne à temps ; ne pouvant guérir dans
tous les cas, il faut que toujours, du moins, il sache ne pas nuire.
184 BLENNORRHAGIE. — adénite.
COMPLICATIONS.
Les accidenls qui peuvent compliquer la blennorrhagie sont nombreux
et divers. Ils se divisent très-naturellement en deux groupes au point de
vue pathogénique.
1° Les uns, de beaucoup les plus fréquents, sont de simples irradia-
tions de la phlegmasie uréthrale sur les organes voisins; ce sont des acci-
dents purement locaux. — Dans ce premier groupe se rangent l'adénite
inguinale, la lymphangite de la verge, l'inflammation du prépuce, les ab-
cès péri-uréthraux, la cowpérite, la prostatite, l'uréthrorrhagie, la réten-
tion d'urine, etc. Peut-être aussi faut-il y placer l'épididymite.
2° Les autres, d'un caractère tout différent, se produisent à distance
de l'urèthre et ne peuvent plus être considérés comme de simples phéno-
mènes d'irradiation inflammatoire. Ils se développent, chose singulière,
sur des organes qu'aucune relation anatomique, qu'aucune dépendance
fonctionnelle, ne relie à l'urèthre. On les prendrait volontiers pour les ma-
nifestations d'un état général, d'une infection constitutionnelle, d'une
diathèse. Ce sont : 1° le rhumatisme blennorrhagique, dans ses formes
variées (fluxions articulaires, inflammation des gaines des tendons, des
bourses muqueuses, sciatique, etc.); 2° l'ophthalmie dite métastatique
ou rhumatismale.
Enfin, il est un accident plus grave à lui seul que tous les précédents
réunis, c'est Tophtlialmie de contagion, l'ophthalmie purulente blennor-
rhagique. Celle-ci ne rentre ni dans l'un ni dans l'autre des groupes pré-
cédents ; c'est une complication d'un ordre tout spécial, dont nous es-
sayerons de montrer le véritable caractère.
Premier groupe. — I. Atténue. — Très-souvent, au début ou à la pé-
riode d'acuité delà blennorrhagie, il se fait un retentissement inflamma-
toire vers les glandes inguinales. Cette adénite n'est guère remarquable
que par son habituelle bénignité. Rèçlc presque générale, elle se borne à
une tuméfaction légèrement douloureuse d'un ou de plusieurs ganglions,
laquelle se dissipe en quelques jours. Il suffit pour la modérer d'un peu
de repos, aidé ou non de l'emploi de bains et de cataplasmes émollients.
Sur quelques sujets l'inflammation revêt parfois un plus haut degré
d'intensité, en présentant les caractères d'une adénite aiguë, dont les
symptômes seraient inutiles à reproduire ici (voy. Adénite, Bubon). Le
plus souvent néanmoins elle se termine par résolution sous l'influence de
la médication antiphlogistique (sangsues, bains, cataplasmes, etc).
Il est très-rare que le bubon blennorrhagique aboutisse à suppuration.
Lorsque cette terminaison se produit, il se développe un abcès phleg-
moneux, lequel n'olfre aucun caractère de spécificité virulente. Le pus
qui s'en écoule n'est jamais inoculable (Ricord) ; jamais le foyer purulent
ne se convertit en ulcère, en clapier chancreux. — Il peut bien se faire
que ce bubon abeédé se complique ultérieurement d'accidents divers, de
décollements de la peau, de fistules persistantes, ou même d'érysipèle;
ainsi le docteur Ch. Hardy a relaté l'histoire d'un malade chez lequel un
BLENNORRHAGIE. — lymphangite. 185
double bubon blennorrhagique abcédé devint l'origine d'un érysipèle
phlegmoneux, lequel après avoir envahi une partie du tronc et des mem-
bres abdominaux, détermina une gangrène du prépuce et du scrotum.
Mais ce ne sont là que des accidents communs à toute espèce d'abcès,
n'offrant rien de spécial et n'impliquant aucun caractère de virulence.
Chez les sujets lymphatiques ou scrofuleux, les inflammations uréthrales,
surtout lorsqu'elles se prolongent, deviennent assez souvent l'occasion
d'engorgements strumeux des ganglions inguinaux. C'est même là, comme
je le montrerai ailleurs, une des origines fréquentes au bubon strumeux
de l'aine. Je conserverai volontiers à cette variété d'adénite la dénomi-
nation de blenno-st rameuse, proposée par le regrettable Melch. Robert.
II. L.yftMi>iiang£fl<». — I. L'inflammation des troncs lymphatiques est
une complication fréquente. Elle se présente sous deux formes qui ne me
semblent pas avoir encore été suffisamment distinguées.
Tantôt cette lymphangite est franchement inflammatoire. Elle se tra-
duit alors par les phénomènes suivants : traînées roses ou rougeàtres sil-
lonnant les téguments de la verge, parallèlement au trajet des troncs
lymphatiques ; sensation sous la peau de cordons durs et douloureux au
toucher, souvent noueux et moniliformes, que l'on peut soulever avec le
doigt et isoler des parties sous-jacentes (Ricord) ; infiltration séreuse du
prépuce et parfois même d'une portion du fourreau ; le plus souvent,
tension douloureuse des ganglions inguinaux.
Tantôt au contraire, cette lymphangite semble, pour ainsi dire, se
produire à froid. Aucun signe extérieur ne la révèle, et le malade n'ac-
cuse nul phénomène douloureux. C'est par le palper seulement qu'on
constate l'engorgement des troncs lymphatiques, sous forme de cordons
indurés et indolents. Les plus volumineux de ces cordons se rencontrent
sur le dos de la verge {lymphangite dorsale) ; d'autres plus petits sur les
parties latérales du fourreau ou sur le prépuce. — Cette, variété peu
connue offre ceci d'intéressant qu'elle simule à s'y méprendre la lym-
phangite symptomatique du chancre infectant. L'analogie est frappante et
je m'étonne qu'elle n'ait pas été plus remarquée.
Sous l'une ou l'autre de ces formes, la lymphangite blennorrhagique
n'offre aucune gravité. Elle se termine presque invariablement par réso-
lution, en laissant à sa suite un certain degré d'engorgement des cordons
lymphatiques, lequel persiste parfois assez longtemps et entretient une
infiltration indolente du prépuce.
11 est tout à lait exceptionnel que la lymphangite, limitée aux gros
vaisseaux du dos delà verge, soit suivie de suppuration. Cependant cette
terminaison a été signalée par quelques auteurs, qui ont vu des noyaux
d'engorgement se former sur le trajet des lymphatiques, prendre l'aspect
phlegmoneux et devenir l'origine de petits abcès circonscrits. « Ces pe-
tits foyers purulents, ajoute Ch. Hardy, sont ordinairement multiples, peu
douloureux par eux-mêmes ; mais ils peuvent décoller la peau de la verge
dans une certaine étendue et méritent d'attirer l'attention du prati-
cien. »
1#6 RLENNORRHAGIE. — lymphangite.
Ajoutons que la lymphangite est souvent l'origine d'autres accidents
dont nous parlerons bientôt, le phimosis et le paraphimosis.
Le traitement de cette complication est des plus simples : repos, grands
bains, bains locaux; tenir constamment la verge entourée de compresses
imbibées d'un liquide émollientou résolutif; dans le cas d'inflammation
très-vive, sangsues dans les aines. — Si des foyers purulents se forment
sur le trajet des lymphatiques, les ouvrir de bonne heure pour éviter les
décollements et les infiltrations.
La lymphangite que nous venons d'étudier a été longtemps décrite sous
le nom d'inflammation du ligament membraneux de la verge (Astruc), ou
plus récemment sous celui de phlébite dorsale, jusqu'au jour où le siège de
la maladie a été mieux précisé. — La phlébite vraie est un accident ex-
cessivement rare. D'après Ricord, qui en a observé quelques cas, elle se
traduirait par des symptômes à peu près analogues à ceux de la lymphan-
gite ; elle s'en distinguerait toutefois par ce fait qu'elle s'accompagne
d'un empâtement plus accusé des tissus périphériques, en sorte qu'il n'est
pas possible de saisir et de soulever la veine avec les doigts, comme on
le fait pour les lymphatiques. De plus, elle ne détermine pas, comme la
lymphangite, le développement des ganglions inguinaux.
II. D'autres fois, l'inflammation se porte sur le réseau lymphatique^ de
façon à constituer ce qu'on a appelé la lymphangite ou Yangéioleucite
réticulaire, diffuse, érysipélateuse.
Cette forme simule i'érysipèle. Elle se traduit surtout par une coloration
de la peau rosée, rougeâtre ou même rouge, régulièrement étendue en
nappe ; par une sensibilité très-vive des téguments au moindre contact ;
par une tuméfaction inflammatoire plus ou mdins considérable. — Elle
coïncide presque toujours avec la lymphangite des gros troncs et avec une
tension douloureuse des ganglions de l'aine.
Le plus habituellement, elle se limite au prépuce qui devient rouge et
douloureux, en même temps qu'il s'œdématie de façon à donner à la
verge la lorme d'une massue ou d'un battant de cloche. Parfois cepen-
dant elle s'étend à tout le pénis. Cet organe prend alors des proportions
énormes, se développe en constituant des bourrelets et des bosselures
que séparent des sillons profonds, se contourne, se tord en vrille à son
extrémité, etc. En certains cas même, la tuméfaction et l'œdème attei-
gnent un degré tel que la miction ne s'exécute plus qu'à grand'peine par
l'orifice préputial considérablement rétréci. La verge devient le siège de
très-vives douleurs; les ganglions inguinaux s'enflamment; des érections
répétées et excessivement pénibles tourmentent les malades ; ce qui, joint
aux autres symptômes de la blennorrhagie, détermine le plus habituelle-
ment des troubles généraux plus ou moins intenses (lièvre, malaise, inap-
pétence, et même délire léger en quelques cas exceptionnels).
Tout cela est en général plus effrayant que grave. Sous l'influence
d'une médication rationnelle, ces symptômes ne tardent guère à se cal-
mer. Le plus souvent même la résolution se fait avec une rapidité
surprenante. En quelques jours, les douleurs s'apaisent, la rougeur dis-
BLENNORRHAGIE. — phimosis, paraphimosis. 1 87
paraît, le gonflement diminue, et tout rentre dans l'ordre. Mais, d'autres
fois, cette inflammation si violente ne se termine qu'au prix de suppura-
tions plus ou moins étendues. Il se produit un ou plusieurs foyers qui,
ouverts ta temps, se limitent, s'évacuent et se cicatrisent sans accidents.
Il est bien plus rare, il est même exceptionnel que l'angéioleucite déter-
mine la formation d'un phlegmon diffus. « Dans ce cas, c'est presque
toujours le prépuce qui en est le siège; quelquefois aussi, mais très-rare-
ment, l'inflammation se propage au tissu cellulaire qui double le fourreau
de la verge. Ces phlegmons ont une grande tendance à détruire la mu-
queuse du prépuce et à se vider du côté du gland... Lorsque l'abcès est
vidé, le prépuce revient sur lui-même, la tension disparaît, les douleurs
cessent, et l'on constate que la peau est très-amincie au niveau du foyer;
dans certains cas même cet amincissement est tel que cette membrane a
perdu sa vitalité et tombe en gangrène. Il en résulte une perforation au
fond de laquelle on aperçoit le gland... Cet accident n'est pas le seul au-
quel exposent les abcès érysipélateux du prépuce; un autre très-commun,
c'est un œdème dur, limité à la partie du prépuce qui correspond au frein,
et persistant très-longtemps après la guérison de l'abcès. Chez d'autres ma-
lades, le pourtour de l'ouverture de l'abcès s'indure, et il devient difficile
de découvrir le gland. Enfin, chez les sujets déjà prédisposés au phimosis,
il reste une étroitesse plus grande du limbe du prépuce ou une indura-
tion de tout ce repli. » (Ch. Hardy.)
Les indications thérapeutiques sont les mêmes que dans la forme pré-
cédente. Seulement, le traitement sera plus actif et proportionné à i in-
tensité des phénomènes inflammatoires (larges émissions sanguines dans
les aines, bains coup sur coup, fomentations émollientes ou narcotiques,
injections de nitrate d'argent entre le gland et le prépuce quand il y a
complication de balano-posthite, etc.) De plus, il importe, dans les cas de
suppurations diffuses, de prévenir les infiltrations et les décollements par
des incisions hâtives, sans attendre que la fluctuation devienne manifeste.
Comme accidents consécutifs à la lymphangite, nous devons signaler :
1° Y état variqueux des troncs lymphatiques, observé plusieurs fois par
Ricord (commun, orale); — c2° les fistules lymphatiques du prépuce et du
fourreau, toujours très-rebelles et ne cédant en général qu'à l'excision.
III. îsuianiic, poMlftite, i>alano-i»osi laite. — Complications bien
moins communes que les précédentes. Elles sont soit contemporaines de
l'origine de la blennorrhagie, c'est-à-dire simultanées, soit consécutives.
Dans ce dernier cas, elles résultent de l'irritation produite sur la mu-
queuse balano-préputiale par le pus de l'urèthrequi remonte et stagne sous
le prépuce. On s'attendrait à ee que celle variété de balanite secondaire fut
très-fréquente; or nous avons vu (tome IV, p. 528) qu'elle est au contraire
relativement rare. — Les indications auxquelles elle donne lieu ont été
étudiées à l'article Balanite; nous ne faisons qu'y renvoyer le lecteur.
IV. IMiimoftis, paarapliïmosis. — Ce sont là de simples consé-
quences des accidents qui précèdent (lymphangite, balano-posthite, etc.)
Le phimosis résulte soit d'une infiltration séreuse du prépuce, soit
188 BLENNORRHAGIE. — hémorrhagie de l'urèthre.
d'une inflammation de cet organe. Il se produit surtout chez les sujets à
prépuce long et étroit, chez ceux qui négligent les soins de propreté ou
d'hygiène dans le cours d'une hlennorrhagie un peu aiguë.
Lorsqu'au contraire le prépuce est assez court, il arrive parfois que, tu-
méfié et distendu par une infiltration excessive, il se renverse sur lui-
même en deçà du gland et constitue ainsi une variété de paraphimosis.
— D'autres fois cet accident résulte d'une rétraction forcée ou intempes-
tive exercée sur le prépuce œdémateux.
Ce paraphimosis est très-habituellement réductible (voy. tome IV,
page 519), soit immédiatement, soit après quelques jours d'une médi-
cation appropriée.
V. Hénsorrliagic tle l'urèOare. — Il est très-fréquent que dans
l'état suraigu de la hlennorrhagie et dans la cystite du col que nous étu-
dierons plus loin, une certaine quantité de sang transsude delà muqueuse
et se mêle à l'écoulement qui prend alors une teinte roussâtre, rosée ou
même rouge. Ce n'est pas là un accident. Mais d'autres fois et bien plus
rarement, du sang pur s'écoule de l'urèthre en assez grande abondance
pour constituer une véritable complication.
Cette uréthrorrhagie reconnaît pour origine une déchirure du canal, pro-
duite soit par l'érection, soit par le coït, soit par la brutale pratique qui
consiste à rompre la corde.
Il est à noter que le sang qui s'écoule est en général d'un rouge ruti-
lant; on dirait du sang artériel. C'est là une particularité curieuse qu'ont
signalée quelques observateurs et qui m'a frappé moi-même plusieurs
fois.
L'hémorrhagie est le plus souvent légère ou moyenne. Parfois cepen-
dant elle est très-abondante; enfin elle peut être excessive et dépasser
tout ce qu'on pourrait croire. Je ne serai certes pas coupable d'exagéra-
tion en évaluant à près d'un litre et demi la quantité de sang perdue par
un malade près duquel j'ai eu récemment l'occasion d'être appelé. Ce
jeune homme, dans le cours d'une hlennorrhagie d'intensité moyenne,
s'était vivement excité près d'une femme, sans pratiquer toutefois le coït;
il fut pris tout à coup et sans en être averti par aucune sensation dou-
loureuse, d'une hémorrhagie uréthrale assez abondante, laquelle ne dura
pas moins d'une heure. Quatre jours après, une nouvelle hémorrhagie
fut déterminée par une érection nocturne; elle fut excessive, s'arrêta et
reprit plusieurs fois. Je trouvai le malade littéralement baigné dans une
mare de sang, du bassin jusqu'aux genoux; le siège était entouré d'un
énorme caillot de trois à quatre centimètres d'épaisseur; le pouls se
sentait à peine; le visage était aussi pâle que l'est celui d'une femme à la
suite d'une violente hémorrhagie puerpérale. C'est là du reste le cas le
plus grave que j'aie jamais observé.
Quels soins réclame cet accident? Si la perte de sang est légère ou
moyenne, le meilleur parti à prendre (que je m'étonne de ne pas trouver
conseillé par les auteurs), c'est de laisser faire, c'est-à-dire de laisser
l'hémorrhagie s'accomplir et s'arrêter d'elle-même, en la surveillant. Elle
BLENNOHRIIAGiE. — rétention d'urine. 189
n'est pas en effet sans utilité; elle fait l'office d'une application de sang-
sues, dégorge le canal et détermine généralement une détente notable
des phénomènes inflammatoires. N'était la lésion qui l'a produite, ce
serait un accident heureux pour la résolution de la maladie.
Il devient au contraire indiqué d'agir énergiquement par les moyens
hémostatiques dès que l'hémorrhagie se prolonge, surtout dans les cas où
le malade est préalablement faible et anémique. Or, ce n'est pas tou-
jours chose facile que d'arrêter une uréthrorrhagie ; il est des cas où,
quoi qu'on fasse, l'effusion du sang se continue ou récidive avec une
désespérante opiniâtreté.
Voici, je crois, la meilleure conduite à tenir en pareil cas : mettre le
malade au lit, le siège élevé; appliquer sur le bas-ventre, la verge et le
périnée, des serviettes imbibées d'eau très-froide ; pratiquer coup sur
coup des injections d'eau froide, en ayant soin de les maintenir le plus
longtemps possible dans le canal. Si l'hémorrhagie continue, faire alors
des injections d'eau additionnée de perchlorure de fer. Dans le cas si grave
que je viens de relater, ce furent des injections de perchlorure de fer
(au cinquième environ) qui parvinrent seules à arrêter le sang. — En
même temps, prescrire les hémostatiques internes.
On a conseillé bien d'autres moyens : application de glace sur le péri-
née, sur les bourses et autour de la verge ; — compression de la verge ;
— compression du périnée à l'aide de pelotes, de tampons soutenus par
une béquille ou un bâton appliqué'sur le pied du lit; — introduction de
sondes volumineuses dans l'urèthre, avec ou sans compression extérieure
de la verge, etc. « Quel que soit, dit Ricord, l'inconvénient qu'il y ait à
placer un corps étranger dans l'urèthre enflammé, force est parfois d'avoir
recours à l'introduction d'une sonde qui, par la compression qu'elle
exerce de dedans en dehors, met un terme à l'effusion du sang; en quel-
ques cas même il faut, comme complément, exercer sur la verge une
compression extérieure circulaire, qu'on doit toujours faire avec beaucoup
de modération. Le plus ordinairement on peut ôter cette sonde au bout de
vingt-quatre heures; mais lorsque l'hémorrhagie a été grave, et que du
reste l'instrument n'excite pas trop de douleur, il est plus sage de le laisser
séjourner un jour ou deux de plus. Dans tous les cas, si l'on avait enlevé
la sonde trop tôt et que l'hémorrhagie reparût, il faudrait la réappliquer,
a moins qu'il ne s'agît que d'un faible écoulement sanguinolent. »
Non-seulement la sonde n'est pas toujours inoffensive, mais parfois elle
produit un résultat contraire à celui qu'on attend d'elle en distendant la
déchirure qui fournit le sang. L'injection au perchlorure de fer me paraît
devoir lui être préférée; tout au moins c'est par elle qu'il convient de dé-
buter, quitte à recourir, en cas d'insuccès, aux autres moyens hémosta-
tiques sus-énoncés.
VI. i:t»teBatâoia d'urine. — Autant la dysurie, à ses divers degrés,
est un accident commun de la blennorrhagie, autant est rare la rétention
d'urine complète, absolue.
Les causes qui peuvent déterminer cette rétention sont assez variées.
■190 BLENNORRHAGIE. — rétention d'urine.
Les plus fréquentes sont les congestions ou les inflammations de la pro-
state, les phlegmasies péri-uréthrales, les abcès de divers siège, qui, fai-
sant saillie dans le canal, opposent un obstacle mécanique à l'issue des
urines. Plus rarement cet accident est dû à une tuméfaction excessive de
la muqueuse, produisant une sorte de rétrécissement inflammatoire et
effaçant le calibre de l'urèthre. Parfois encore il paraît ne dépendre
que d'une contraction spasmodique des parois du canal, contraction
assez commune lorsque l'uréthrite siège sur les portions musculo-
membraneuse et prostatique. Cette dernière cause ne doit être admise
que dans les cas où un examen minutieux démontre l'absence de toute
lésion.
Toutes choses égales d'ailleurs, la rétention d'urine se produit de pré-
férence chez les sujets antérieurement affectés de blennorrhagies mul-
tiples ou de rétrécissement.
Dès qu'il y a difficulté dans l'émission de l'urine, il faut insister énergï-
quement sur la médication antiphlogistique : émissions sanguines locales,
abondantes et répétées ; bains coup sur coup ; frictions belladonées sur la
région périnéale ; lavements laudanisés, etc.. — De plus, tant que le
malade urine, il y a avantage à retarder l'emploi du cathétérisme, car
« l'introduction d'un corps étranger, fut-elle exécutée avec toute l'habileté
possible, ne peut manquer dans les conditions où se trouvent les parties
malades d'amener une recrudescence inflammatoire. Mais si la rétention est
complète, le cathétérisme est de rigueur. Or, on n'oubliera pas, en le
pratiquant, que les tissus à traverser sont enflammés, faciles à déchirer, et
qu'une fausse route pourrait être la conséquence d'une direction vicieuse
de la sonde. . . On se servira de préférence d'une sonde de gomme élastique
et de calibre moyen, car on a remarqué qu'un instrument moyen pénètre
mieux qu'un plus petit. La sonde introduite dans le canal doit être con-
duite le plus lentement possible. S'il se présente un obstacle à sa pro-
gression, loin de chercher à le vaincre par un effort brusque, il faut lui
opposer une pression lente et douce qui, dégorgeant les tissus sans dou-
leur, ouvre peu à peu un passage suffisant pour la progression de l'instru-
ment ; on arrive ainsi avec du temps et de la patience dans la vessie, sans
déterminer de trop grandes douleurs et en ménageant l'intégrité des pa-
rois uréthrales. » (Ricord, M. Robert.)
L'urine évacuée, reste à décider une grave question. Faut-il retirer la
sonde? Faut-il la laisser à demeure? « La crainte d'exaspérer l'inflam-
mation par la présence d'un corps étranger a fait donner le conseil d'en-
lever la sonde après avoir vidé la vessie, sauf à revenir au cathétérisme
tant qu'il serait nécessaire. Mais cette pratique, qui peut réussir, n'est
pas sans inconvénients. Souvent après avoir traversé l'urèthre une première
fois avec assez de facilité, le rétrécissement inflammatoire, qui avait né-
cessité ce premier cathétérisme, persistant ou venant même à s'accroître,
et cela par le fait même du passage delà sonde, l'introduction de celle-ci,
une seconde et une troisième fois, devient beaucoup plus difficile ou
même impossible; de telle façon que, pour moi, je préfère, toutes les fois
BLENNORRHAGIE. — follicuute urétïirale. 191
qu'un premier cathétérisme a présenté un peu de difficulté , laisser la
sonde en place, sauf à recourir alors, avec plus d'énergie, aux movens
propres à combattre l'inflammation , et ne l'enlever que lorsqu'elle n'est
plus serrée ou retenue dans le point rétréci. » (Ricord.)
De deux choses Tune : ou bien le cathétérisme a été facile , et rien
n'indique qu'il doive présenter plus de difficultés une seconde fois; dans
ce cas il faut retirer la sonde ; ou bien il a été difficile, pénible, labo-
rieux ; il est évident que lecanal est rétréci, obstrué ; il n'est pas sûr qu'on
puisse pénétrer de nouveau; dans ce cas, sans hésitation, il faut laisser
la sonde à demeure.
Enfin, si, par aucun des moyens précédents, on ne parvenait à évacuer
l'urine, il ne resterait plus que deux ressources, le cathétérisme forcé ou
la ponction de la vessie. Ce cas du reste ne se présente jamais que sur les
sujets préalablement affectés de rétrécissements ou de lésions du canal.
Il est infiniment rare.
VII. Inflammation, apoplexie des corps caverneux. — Acci-
dents tout à fait exceptionnels, à ce point qu'ils sont à peine mentionnés
par quelques auteurs.
Lorsque l'inflammation se propage à l'un des corps caverneux, la por-
tion correspondante de la verge se tuméfie plus ou moins, et devient le
siège d'un gonflement fusiforme avec une douleur profonde à la pression.
Il se fait dans les aréoles du tissu caverneux un épanchement plastiqué,
qui se révèle sous forme d'un noyau dur, douloureux d'abord, et plus tard
indolent. « Les parties qui ont subi cette transformation ne reçoivent
plus la quantité de sang indispensable au phénomène de l'érection ; elles
conservent leur volume pendant que les autres se développent ; il résulte
de là que le pénis prend différentes courbures (concavité supérieure, in-
férieure, ou latérale) qui peuvent gêner l'acte de la copulation. — Le
même phénomène peut résulter de petits foyers apoplectiques siégeant
dans l'épaisseur des corps caverneux... — Après l'état aigu, cette affection
n'est plus douloureuse, mais les inconvénients qu'elle présente sont pour
les malades un sujet de tristesse qui peut aboutir à riiypochondrie...
Cette bizarre affection est le plus souvent inguérissable; heureux encore
sont les malades qui n'en sont quittes que pour une légère déformation. »
(M.Robert.)
VIII. Folliculitc urêtlirale; kyste suppuré «le llorgagni. —
Il est fréquent, dans l'état aigu de la blennorrhagie, de sentir sous l'urè-
thre, notamment au niveau de la fosse naviculaire, de petites tumeurs
granuleuses, du volume d'une grosse tête d'épingle ou d'un petit pois,
légèrement sensibles à la pression. Ces tumeurs sont très-vraisemblable-
ment produites par l'inflammation des follicules uréthraux.
A l'état chronique, la blennorrhagie détermine des lésions diverses des
follicules de l'urèthre, que nous avons déjà mentionnées. Elle les dilate, les
hypertrophie, les oblitère. — Or, tout follicule dont le conduit excréteur
est oblitéré ainsi par l'inflammation se trouve transformé en un véritable
Kyste purulent. Il en résulte une lésion curieuse qui, très-peu connue jusqu'à
102 BLENNORRIIAGIE. — phlegmons péri-uréthraux.
ces derniers temps, vient d'être très-bien étudiée par Ch. Hardy sous le
nom à' abcès folliculaire ou de kyste suppuré de Morgagni. « Lorsque , dit
cet auteur, l'inflammation a hypertrophié la muqueuse du follicule et obli-
téré son conduit excréteur, elle se trouve, pour ainsi dire, enfermée dans
l'enveloppe de la glande ; le pus et le produit de la sécrétion normale,
ne pouvant plus s'écouler au dehors, s'accumulent dans l'intérieur de la
membrane fibreuse, la distendent et finissent par donner lieu à une petite
tumeur qui n'est autre chose que l'abcès que nous décrivons. Dans les pre-
miers jours de sa formation, cet abcès ou plutôt ce kyste est souvent mé-
connu. Ce n'est que lorsqu'il a déjà le volume d'un pois que le malade
s'en aperçoit par hasard. Il se présente alors sous la forme d'une petite
tumeur arrondie ou ovoïde, quelquefois bilobée, qui, occupe la face infé-
rieure de l'urèthre, auquel elle est attachée par un petit pédicule qui n'est
autre chose que le conduit excréteur oblitéré et allongé. Cette tumeur est
sous-cutanée, dure, mobile sous la peau qui a conservé sa coloration
normale ; elle est peu ou pas sensible au toucher. Lorsqu'elle est ancienne
et qu'elle a atteint le volume d'une noisette, elle se ramollit, et on peut
quelquefois, par la palpation, reconnaître qu'elle est remplie par un
liquide. Rarement la fluctuation y est bien manifeste. Ces abcès sont sou-
vent multiples. Nous en avons observé jusqu'à trois chez un malade qui
les portait depuis plus de quatre mois. — Les abcès folliculaires ont une
marche essentiellement chronique et se rapprochent beaucoup, par
leurs symptômes et leur mode de terminaison, des loupes du cuir chevelu.
Après être restés longtemps stationnaires, ils deviennent tout à coup dou-
loureux au toucher, augmentent rapidement de volume, contractent des
adhérences avec la peau qui les recouvre; si on ne les ouvre pas, ils la per-
forent et se vident par un orifice très- étroit qui reste fîstuleux. Ils
n'offrent pas les mêmes dangers que les abcès du tissu cellulaire péri-
uréthral; ils n'ont aucune tendance à se faire jour dans le canal. — Il
suffit, pour obtenir la guérison de ces abcès, d'inciser la peau jusqu'au
kyste et de l'énucléer tout entier, comme on le fait pour les stéatomes du
cuir chevelu, ou d'exciser simplement une portion de l'enveloppe fibreuse,
en ayant soin de ne pas réunir la plaie. »
IX. Pblcgmons péri-urétliraux. — Ces phlegmons ont pour siège
le tissu cellulaire péri-uréthral. Ils peuvent se produire dans tout l'espace
compris entre le gland et la portion membraneuse ; mais, de l'aveu gé-
néral, ils sont beaucoup plus fréquents sur deux points : 1° au niveau de
la fosse naviculaire, sur les deux fossettes latérales du frein ; 2° au niveau
du bulbe. Cette prédilection de siège peut s'expliquer soit par l'abon-
dance et la laxité du tissu cellulaire qui double ces parties, soit par une
plus grande richesse de la muqueuse en follicules glandulaires d'où part
souvent l'inflammation, soit enfin par ce fait d'observation, que la blen-
norrhagie se cantonne, pour ainsi dire, de préférence sur ces deux
points. (Ricord.)
On les observe, le plus habituellement, dans le cours de blennorrha-
gies aiguës ou récentes. M. Robert a émis toutefois une opinion opposée ;
BLENNOfiRHAGIE. — phlegmons péri-bréthraux. J 95
il les croit plus communs pendant la période chronique de l'inflammation
urétrale. C'est là, je pense, une erreur.
Leur début est en général assez insidieux. Leurs premiers symptômes
passent le plus souvent inaperçus ou sont pris pour de simples phéno-
mènes de phlegmasic uréthrale. Aussi est-il fréquent de trouver ces
phlegmons déjà tout formés et môme fluctuants dès le premier moment
où les malades en accusent l'existence. Toutefois, en remontant avec soin
dans les antécédents, on apprend que l'abcès a été précédé par une dou-
leur fixe en un point circonscrit de la verge, puisque cette douleur s'est
augmentée en même temps qu'un durillon se développait au môme
niveau.
L'examen des parties fait constater les phénomènes habituels de tout
phlegmon : sensibilité très-vive à la pression au niveau du point malade;
empâtement des tissus dans une certaine étendue ; puis tuméfaction se
localisant et faisant une saillie circonscrite ; un peu plus tard, fluctuation,
indiquant la formation d'un foyer. — Comme troubles fonctionnels :
douleurs occupant un point fixe dans l'urèthre, et augmentant souvent
dans la miction; parfois, jet d'urine diminué de calibre, plus fin, plus
faible, ou bien irrégulier, se brisant, s'éparpillant ; parfois aussi dysurie
plus ou moins pénible, et même, en certains cas, rétention d'urine ab-
solue, facilement explicable par la saillit; de la tumeur qui soulève la mu-
queuse uréthrale et oppose un obstacle mécanique à la miction. — Chez
quelques malades, troubles généraux : fièvre, frissons, inappétence, etc.
Ajoutons aussitôt qu'il existe de grandes différences, au point de vue
des symptômes et du pronostic qu'ils comportent, entre les diverses
phlegmasics péri-uréthraics. Celles qui sont limitées, qui se produisent
par exemple au niveau des fossettes latérales du frein, ne donnent lieu
qu'à quelques douleurs locales et à des phénomènes sans importance.
Celles, au contraire, qui se développent sur une grande étendue, qui oc-
cupent une portion ou la totalité de la région périnéale, prennent souvent
une haute gravité, en raison des troubles fonctionnels et généraux qu'elles
déterminent.
Un fait remarquable est que ces phlegmons se résolvent très-rarement.
La suppuration est leur terminaison habituelle; elle serait môme con-
stante et inévitable, au dire de quelques auteurs.
Les abcès de la fosse naviculaire offrent un aspect particulier. Situés
sur l'un ou sur les deux côtés du frein, ils forment une saillie sphéroïdale,
du volume d'un pois, d'une aveline ou même d'une cerise. Quelquefois
ils sont bilobés, c'est-à-dire (pie, développés sur la ligne médiane dans
le tissu cellulaire qui double le frein, ils forment un relief de chaque côté
de cette bride (Ricord, Hardy), Ils se constituent rapidement et sont re-
marquables par leur fluctuation très-évidente.
A la région bulbaire, ces abcès sont plus aplatis, et surtout beaucoup
plus volumineux. Ils forment sous l'urèthre une tumeur arrondie qui
peut atteindre le volume d'une moitié d'eeuf. Généralement, ils occu-
pent la partie médiane ; toutefois, ils peuvent être exclusivement laté-
NODV. DICT. >!KD. ET CIIIIÏ. V. 13
194 BLENNORRHAGIE'. — phlegmons péri-uréthiuux,
raux, ainsi que je viens d'en observer coup sur coup plusieurs exem-
ples. Ils se prolongent parfois en arrière, du côté de l'anus, ou plus
rarement vers la verge; dans ce dernier cas, la tumeur périnéale,
s'effilant en pointe du côlé du pénis, affecte, comme on l'a dit assez heu-
reusement, la forme d'une raquette. — La peau qui les recouvre a
rarement une coloration rouge ou violacée, comme dans les abcès phleg-
moneux des autres régions.
Une fois formés, que deviennent ces abcès? Trois terminaisons sont
possibles : — 1° Ou bien ils s'ouvrent au dehors et au dehors seulement;
c'est le cas le plus favorable ; la cicatrisation s'accomplit en quelques
jours, sans accidents, parfois môme d'une façon singulièrement rapide.
— 2U Ou bien ils s'ouvrent dans l'urèthre ; et alors un double danger se
présente, danger de pénétration de l'urine dans le foyer, et danger bien
plus sérieux d'infiltration mineuse consécutive. C'est alors, en effet, qu'on
peut observer ces désastreuses infiltrations qui, fusant dans le tissu cellu-
laire de la verge et des bourses, déterminent des gangrènes effroyables et
mettent parfois en danger la vie du malade. — 5° Enfin, l'abcès peut
s'ouvrir à la fois au dehors et dans l'urèthre. Cette terminaison est la
plus rare.
On s'accorde généralement à dire que les phlegmons péri-uréthraux ont
une grande tendance à s'ouvrir dans L'urèthre; cela est vrai. Mais on ajoute
qu'une fois ouverts dans le canal, ils entraînent presque fatalement, comme
conséquence, la pénétration de l'urine dans le foyer. Or, à mon sens,
cette dernière crainte est singulièrement exagérée. J'ai vu bon nombre
d'abcès s'ouvrir ainsi dans le canal ; j'en surveillais les suites avec inquié-
tude, prêt à agir au moindre danger, et dans l'énorme majorité des cas
les eboses se passaient de la façon la plus simple ; l'urine était évacuée
sans pénétrer dans le foyer, et les malades guérissaient sans accidents. —
Il est donc probable que l'ouverture se fait par un pertuis assez fin, et
que ce pertuis revient encore sur lui-même à mesure que l'abcès se dé-
gorge, de façon à empêcher l'introduction de l'urine dans le foyer.
Quoi qu'il en soit, le véritable danger de ces abcès, c'est la perforation
de Purèthre, pouvant donner lieu à des infiltrations toujours graves et à
des fistules urinaires. Ce danger est surtout à craindre pour les phlegmons
de la région bulbaire. Les abcès du gland ont moins de tendance à s'ouvrir
dans l'urèthre ; toutefois, il faut les surveiller avec attention, car, lorsqu'ils
se terminent ainsi, « la perforation du canal a souvent pour conséquence
la formation d'un hypospadias accidentel très-difficile à guérir » (Hardy).
Au début, il y a lieu d'agir par les antiphlogisliques (sangsues, bains,
cataplasmes, etc.), moins encore dans l'espoir de prévenir une suppura-
tion presque fatale que dans le but de modérer et de limiter l'inflamma-
tion. — Plus tard, une indication bien plus essentielle se présente, c'est
d'ouvrir la voie au pus le plus tôt possible. Les incisions prématurées peu-
vent seules prévenir la perforation de l'urèthre et les complications diverses
qui en sont la conséquence. (Ricord.)
Que faire si le pus s'est frayé un passage dans le canal? Faut- il, comme
BLENNOIiIUIAGiK. ■ — ■ cowpérite, pÉni-cowpÉRiTE. 195
on le conseille généralement, « se hâter de pratiquer une contre-ouverture,
afin d'éviter les infiltrations d'urine? » Je ne le crois pas. D'après moi,
voici la conduite à tenir : attendre d'abord, mais attendre en surveillant.
S'il n'y a pas lieu de supposer que l'urine pénètre dans le foyer, toute inter-
vention chirurgicale est hors de propos. Au moindre signe donnant la
présomption de ce danger, évacuer l'urine par la sonde. Si l'accès de
l'urine dans le foyer devient évident, pratiquer aussitôt une contre-ouver-
ture à la peau pour éviter les chances d'infiltration, et instituer ensuite
le traitement de la fistule.
X. cowpérite, péri-cowpérile. — Complication rare de la blennor-
rhagie. Littre ne trouva les glandes de Cowper malades que sur un seul des
quarante sujets affectés de gonorrhée dont il fit l'autopsie. « Ricord, dans
son immense pratique, n'en rencontre guère, chaque année, qu'une demi-
douzaine de cas terminés par suppuration ; mais il est porté à croire que
l'inflammation bornée à ses premières périodes est plus fréquente qu'on
ne pourrait le supposer, et que les tensions douloureuses qui se mani-
festent au voisinage du bulbe, dans le cours d'une blennorrhagie intense,
sont dues à l'engorgement inflammatoire de ces glandes. » (Gubler).
Connue et décrite depuis longtemps (J. L. Petit, Littre, Morgagni, etc.),
l'inflammation des glandes de Cowper était considérée autrefois comme
une des origines de l'écoulement blennorrhagique. Àstruc, par exemple,
admettait une espèce à part de gonorrhée produite par la phlegmasie de
ces glandes. Plus tard seulement, on reconnut dans la cowpérite une
complication et non une forme de la blennorrhagie.
C'est ta Ricord que revient le mérite d'avoir rappelé l'attention sur cette
maladie quelque temps oubliée ou méconnue. Un de ses élèves, Gubler,
recueillit les enseignements du maître, et traça dans un excellent travail
la pathologie des glandes bulbo-uréthrales. Nous emprunterons à cette
monographie, devenue classique, une partie de ce qui va suivre.
Symptômes. — La cowpérite est l'inflammation des glandes de Cowper
ou de Méry, situées, comme on le sait, immédiatement en arrière du
bulbe de l'urèthre, au-dessous de la portion membraneuse de ce canal, de
chaque côté de la ligne médiane du périnée. — Ces glandes ont un si petit
volume que leur inflammation n'aurait pas grande importance si elle
n'affectait une tendance singulière à se propager au tissu cellulaire am-
biant, de façon à devenir l'origine de véritables phlegmons périnéaux.
En réalité donc, la complication que nous éludions actuellement porte
moins sur la phlegmasie glandulaire que sur les accidents de voisinage
qui en sont la conséquence habituelle. A ce titre, la dénomination de
péri-cowpérite lui serait peut-être plus justement applicable.
Comme la prostatite, comme la cystite, l'inflammation des glandes de
Cowper ne se manifeste guère qu'à une époque déjà éloignée du début de
la blennorrhagie (troisième, quatrième septénaire). — Des excitations di-
verses du canal (coït, fatigues, cathétérisme, etc.) peuvent en provoquer
la production ; mais, le plus souvent, elle se développe sans cause occa-
sionnelle au moins appréciable.
196 BLENNORRIIAGlE. — cowpérite, pkri-cowpéuite.
Elle occupe soit une seule des deux glandes (et dans ce cas, c'est la
gauche qui paraît le plus sujette à se prendre), soit les deux à la fois, ce
qui est plus rare.
Les symptômes sont fort simples : au début, tension douloureuse du
périnée, au niveau de la région bulbaire; douleur fixe en un point limité
qui correspond au siège précis de la glande, s'exaspérant par la pression,
la position assise, le frottement du pantalon; tuméfaction légère sans
changement de couleur à la peau, laquelle est parfaitement libre et
mobile; au palper, sensation dans la profondeur de la région d'une
petite tumeur nettement limitée, allongée, ovoïde ou plutôt piriforme,
dont la grosse extrémité regarde l'anus et dont la pointe répond au bulbe
avec lequel elle se confond. Cette tumeur, grosse comme un haricot ou
comme une moitié de très-petite noix, est latérale par rapport au raphé
médian, et a son siège exact entre le muscle transverse et la protubé-
rance bulbaire. (Gubler.)
Puis, si peu que l'inflammation se continue, l'atmosphère celluleuse
ambiante est envahie. Cette phlegmasie péri-glandulaire (péri-cowpérite)
englobe bientôt et masque complètement la tumeur primitive. Ce que
l'on constate alors, c'est un véritable phlegmon périnéal, avec un cortège
de symptômes qu'il serait inutile de décrire ici.
Ce phlegmon peut rester concentré dans un point restreint autour de
l'organe où il a pris naissance ; c'est là l'exception. « La règle, c'est que,
dans sa marche croissante, il se propage par les couches sous-cutanées
jusqu'à l'origine des bourses. Alors survient un gonflement brusque de
la région, en rapport avec la laxité des tissus. Ce gonflement phlegmo-
neux ne dépasse pas en arrière le muscle transverse, et commence en cet
endroit par un relief considérable ; il s'étend à la moitié droite ou gauche
de la région périnéale proprement dite, ainsi qu'à la partie inférieure de
la bourse correspondante, où il est toujours plus manifeste que partout
ailleurs, et tel quelquefois qu'il semble exister là une tumeur surajoutée
appartenant au testicule ou à ses annexes. En dehors, la tuméfaction
inflammatoire n'empiète pas sur la racine du membre abdominal ; en
dedans, elle peut aussi ne pas franchir la ligne médiane, mais il est plus
fréquent de la voir déborder de l'autre côté du raphé; rarement elle en-
vahit toute la largeur du périnée, ou, si cela a lieu, une saillie plus pro-
noncée indiquera presque toujours le côté qui répond à la glande affectée.»
(Gubler.) Nulle au début, la réaction devient plus tard proportionnelle à
l'intensité des phénomènes inflammatoires.
A ce degré, la résolution n'est plus à espérer. La suppuration se fait,
un abcès se forme. — Cet abcès peut se frayer plusieurs voies, si l'art
n'intervient pas à temps. Généralement il s'ouvre au périnée et donne
issue à une quantité plus ou moins grande de pus phlegmoneux. A ce
moment, si l'on introduit un stylet dans la plaie, on peut constater,
paraît-il, une particularité assez curieuse : en faisant manœuvrer l'instru-
ment, on sent que son extrémité procède par soubresauts; parfois même
on est obligé de le retirer à soi pour l'engager dans une direction non-
BLENNOPiRHÀGIE. — cowi>érite, pkri-cowpérite. 197
velle. Cela prouve que la cavité de l'abcès n'est pas unique, ou du moins
qu'elle est cloisonnée, ce qui s'accorde parfaitement avec son siège pré-
sumé dans une glande à locules multiples. (Ricord.) Dans les jours qui
suivent, du pus est encore évacué ; les tissus se dégorgent, le gonflement
s'affaisse, et la cicatrisation s'opère en laissant pour un temps assez long
un noyau d'induration au niveau de la glande bulbo-uréthrale. — Rien
plus rarement, l'abcès s'ouvre dans l'urètbre, d'où la possibilité d'une
infiltration urineusc avec les accidents divers qu'elle peut entraîner. —
Exceptionnellement enfin, on a vu l'ouverture se faire à la fois au périnée
et dans l'urètbre.
Signalons encore, pour compléter ce tableau, quelques phénomènes
(jui se présentent parfois comme symptômes ou comme conséquences de
la cowpérite : douleurs urétbrales, cuissons, brûlure dans la miction, au
niveau de la région bulbaire; — dysurie, et même rétention d'urine, ac-
cident très-rare et dû le plus souvent à la coïncidence d'une prostatite;
— perforation de l'urèthre se produisant consécutivement à l'ouverture
de l'abcès au dehors; — fusées purulentes plus ou moins étendues dans
les espaces celluleux de la loge inférieure du périnée ou dans les lames
cellulo-adipeuses sous-cutanées.
Marche, terminaisons, pronostic. — La marche de cette complication
est aiguë et rapide. L'abcès est généralement formé dans l'espace d'un
septénaire.
La suppuration est de beaucoup la terminaison la plus fréquente. Ce-
pendant, « s'il est vrai, ainsi que nous sommes porté à le croire, que les
blennorrhagies accompagnées de tension douloureuse à la région bul-
baire soient des uréthrites compliquées d'inflammation des glandes de
Méry, il faut bien admettre que cette dernière se termine souvent par ré-
solution... — Malgré cette tendance à la suppuration, la maladie constitue
le plus souvent une affection assez simple. Elle ne devient grave que par
ses complications, dont il faut accuser surtout la négligence des malades
et parfois aussi celle du médecin. Les accidents à redouter sont la per-
foration de l'urèthre et les fusées purulentes, d'où résultent des suppura-
tions multiples, capables d'épuiser à la longue des organisations déjà
détériorées, ou qui, sans amener une terminaison fatale, peuvent entraîner
du moins des inconvénients graves et des lésions difficiles à guérir. »
(Gubler.)
Lésions. — Les lésions de la cowpérite ont pu être étudiées sur des
sujets morts d'affections étrangères. Ainsi Littrc a trouvé « le corps de la
glande extraordinairement dur, rouge et tuméfié; on en exprimait une
liqueur jaune tirant un peu sur le vert... Le conduit de la glande gauche
était distendu par un liquide semblable, et ses tuniques étaient de couleur
rougeâtre, plus dures et plus épaisses que dans l'état naturel... Au-devant
de l'embouchure des conduits glandulaires existait dans l'urètbre une rou-
geur large d'environ quatre lignes, et qui s'étendait plus du côté gauche
que du côté droit. Presque au milieu de cette rougeur existait un ulcère
arrondi, d'une demi-ligne de diamètre, qui avait rongé une grande partie
98 BLEXNCmilIIAGlE. — cow
PERITE, PERI-COWI'EMTE.
des bords de l'embouchure du conduit gauche, et une petite portion de
l'urètlire aux environs. » D'autres auteurs ont rencontré les glandes de
Gowper soit « converties en un tissu dur et ferme semblable à celui du
ligament » (Cowper), soit remplies d'un pus concret et verdàtrc, soit enfin
détruites en grande partie par la suppuration, n'existant plus qu'à l'état
de vestiges au fond de clapiers purulents.
Diagnostic. — Très-simple au début, parfois assez embarrassant à une
période avancée. — 1° Au début, il serait difficile de méconnaître la cow-
périte, alors que l'on constate « une tumeur phlegmoneuse circonscrite,
profonde, unilatérale, adbérant au bulbe, occupant le siège précis de la
glande, et n'ayant été ni précédée ni accompagnée des symptômes d'un
rétrécissement uréthral. La coexistence d'une uréthrite phlegmoneuse ajou-
tera encore à la certitude du diagnostic. — 2° Plus tard, la diffusion de
l'inflammation, en amenant un gonflement uniforme de la région, altère
la physionomie propre de la maladie première et efface ses traits carac-
téristiques. On y suppléera en partie par les renseignements demandés
au malade. Ainsi l'on apprendra que la douleur s'est montrée au voisi-
nage du bulbe, que la tumeur occupait d'abord le même lieu et n'était
pas absolument médiane, et qu'enfin le périnée et les bourses ont été
envahies plus tardivement. 11 s'y joindra aussi l'absence des signes d'un
rétrécissement antérieur ou actuel. De plus, à moins de désordres fort
étendus, ce sera encore au niveau de la glande que la fluctuation se trou-
vera concentrée; c'est dans ce point seulement que le toucher révélera
une tumeur profonde. La voie suivant laquelle l'inflammation s'est pro-
pagée est elle-même caractéristique... En définitive, les trois caractères
vraiment pathognomoniques sont ceux-ci : tumeur phlegmoneuse adhérant
au bulbe, limitée d'abord au point occupé par les glandes de Méry, et
n'ayant originairement aucune communication appréciable avec l'urè-
tlire. » (Gublcr.)
Il est un certain nombre d'affections qui se rapprochent de la cowpérite
par quelques analogies de symptômes et courent risque d'être confondues
avec elle. Citons surtout les suivantes, sans entrer dans les détails d'un
diagnostic différentiel qui ne rentre pas dans notre cadre et qui trouvera
sa place ailleurs : les phlegmons simples, les abcès péri-uréthraux, les
abcès urineux, les poches urinaires, l'inflammation du bulbe, les tumeurs
gommeuses du périnée (Gubler en cite un exemple dans lequel la tumeur
occupait exactement le siège de la glande bulbo-uréthrale), l'orchite péri-
néale, etc.
Traitement. — La tendance de la maladie à se propager aux tissus
ambiants, et la gravité des désordres qui peuvent résulter de cette exten-
sion, indiquent la nécessité d'une intervention hâtive et énergique.
Le traitement sera antiphlogistique par excellence : application de
quinze à vingt sangsues sur le siège de la douleur ; bains tièdes, prolongés
et répétés; cataplasmes émollients; onctions avec pommade mercurielle
belladonée ; boissons délayantes ; repos, diète, etc.
Si ces moyens, sur lesquels il convient d'insister avec persévérance,
BLENK0RRUÀG1E. — prostatiti:. 199
ne réussissent que très-rarement à prévenir la suppuration, du moins ils
limitent, ils concentrent l'inflammation autour de son foyer primitif.
Dès que la formation du pus est* manifeste ou même probable, il y a
indication urgente à ouvrir la tumeur sans retard. Une incision prématurée
est sans inconvénient; elle peut même être favorable comme moyen de
dégorgement et de résolution. Différer au contraire est une imprudence
grave ; c'est exposer le malade aux dangers des fusées purulentes et à la
perforation de l'urèthrc.
L'abcès étant évacué de bonne beure, la cicatrisation s'opère en général
très-facilement. — On a conseillé nombre de médications (douches, ap-
plications froides, pommades, vésicatoires, etc.) contre l'engorgement
consécutif des tissus. Le temps, l'hygiène, les bains répétés, suflisent le
plus souvent à compléter la guérison.
Variété : Coivpérite folliculeuse. — En certains cas assez rares , T in-
flammation se limite aux vésicules glandulaires et aux canaux excréteurs
sans envahir le tissu cellulaire. C'est là ce qu'on peut appeler la cowpé-
rite muqueuse ou folliculeuse. (Gublcr.)
Cette variété s'observe parfois sous la forme chronique et entretient
un suintement muqueux qui constitue une véritable blennorrhée glan-
dulaire.
XI. Inflammation des vésicules séminales. — Accident très-
rare et peu connu, paraissant se caractériser par les symptômes suivants:
douleur profonde et obscure vers la région périnéale, s'exaspérant dans les
efforts de défécation, retentissant vers les testicules qui, dit-on, sont sen-
sibles, endoloris et comme turgescents ; érections fréquentes, pollutions
nocturnes, évacuant parfois, comme dans un cas que j'ai eu l'occasion
d'observer, un sperme rouillé ou strié de sang; au toucher rectal, sensation
d'une ou de deux tumeurs oblongues, résistantes et douloureuses à la
pression. — Ces symptômes persistent plusieurs jours. — La résolution
s'est toujours faite dans les quelques cas qu'il m'a été donné de ren-
contrer; mais il paraît démontré que la maladie peut aboutir parfois à
suppuration.
XII. Prostatîtfe. — Fréquence. — Les complications prostatiques
de la blennorrhagic aiguë se présentent sous deux formes : Tune, simple
congestion de l'organe, souvent éphémère ; l'autre, phlegmasie véritable,
pouvant aboutir à suppuration et entraîner des conséquences désastreuses.
La première est fréquente; mais, en raison de sa faible intensité, elle
passe souvent inaperçue ; la seconde, au contraire, est heureusement
assez rare.
Causes. — Si les accidents prostatiques se développent parfois sans
provocation aucune et par le seul fait de l'existence d'une blennorrha-
gie, il est plus habituel qu'ils se manifestent à l'occasion à' excitations
accidentelles de l'urèthre. Or, ces excitations peuvent reconnaître des
causes diverses, parmi lesquelles on peut citer par ordre de fréquence :
1° En première ligne, les excitations sexuelles (coït, onanisme, pollu-
tions accidentelles) et les excès alcooliques. Ces deux ordres de causes, en
200 BLEMORRHÀGIE. — prostatite.
réveillant l'inflammation uréthrale, facilitent au plus haut point la pro-
duction des phlegmasies prostatiques.
2° En second lieu, V usage prématuré de la médication dite suppressive.
Sur bon nombre de sujets, j'ai vu des prostatites être manifestement provo-
quées par l'usage ou l'abus d'injections pratiquées à une époque où l'irri-
tation du canal ne pouvait qu'être accrue par l'emploi d'un semblable trai-
tement. Pendant la période d'acuité, ces injections m'ont paru beaucoup
plus dangereuses que les balsamiques, dont l'usage intempestif est cepen-
dant considéré par plusieurs auteurs comme une cause très-active de
prostatite. (Velpeau.)
C'est de même en augmentant l'irritation uréthrale qu'agissent les
injections caustiques et le cathétérisme.
o° Enfin, les fatigues de toute sorte (marches excessives, danse, équita-
tion); les efforts de défécation résultant d'une constipation prolongée, etc.
L'acuité de la blennorrhagie ne paraît pas jouer le rôle de cause prédis-
posante. Très-souvent la prostatite éclate dans le cours d'une chaude-
pisse d'intensité moyenne ou môme assez légère, et cela, soit sans pro-
vocation aucune, soit à l'occasion d'un excès. De plus, ce n'est pas à la
période d'augment, au début même de l'inflammation uréthrale, que les
complications prostatiques se développent. Si, parfois, on a pu les obser-
ver au sixième ou même au cinquième jour (Fabre) de l'écoulement uré-
thral, il est de règle qu'elles se manifestent au delà de la première quin-
zaine, au plus tôt, et souvent beaucoup plus tard.
I. Congestion prostatique. — La congestion simple de la prostate se
caractérise par les symptômes suivants :
Endolorissement et pesanteur de la région périnéale ; envies fréquentes
d'uriner ; miction notablement gênée ; défécation un peu douloureuse,
accompagnée et même suivie d'épreintes. Bientôt ces symptômes devien-
nent plus intenses, et le tableau de la maladie se constitue comme il suit :
ténesme rectal insupportable, sensation d'un corps étranger dans le rec-
tum ; miction de plus en plus pénible , quelquefois même rétention
passagère de l'urine, d'où anxiété et angoisses plus ou moins marquées.
Le toucher rectal fait reconnaître une tuméfaction notable de la prostate,
avec sensibilité anomale à la pression.
Cet ensemble de symptômes se développe le plus souvent avec une
rapidité toute spéciale, et la marche de l'affection est essentiellement
aiguë. Ainsi, chez certains malades, les accidents se montrent dès le len-
demain d'un excès alcoolique ou vénérien. En revanche, sous l'influence
de quelques soins, ces phénomènes sont prompts à se calmer; en trois
ou quatre jours, le ténesme s'apaise, la dysurie disparaît, et la prostate
reprend son volume normal.
Cette forme purement congestive se termine toujours par résolution.
II. Prostatite vraie. — Symptômes. — La prostatite vraie ou paren-
chymatcuse a des symptômes beaucoup plus accusés, symptômes qui seront
décrits ailleurs (voyez Prostatite), et que nous n'avons en conséquence
qu'à rappeler sommairement ici.
BLENNORRHAGIE. — prostatite. 20-J
Au début, pesanteur, tension gravalive vers le périnée ou vers l'anus;
hesoins d'uriner fréquents et impérieux, avec sensation de brûlure pro-
fonde pendant la miction.
La maladie se confirmant, la douleur s'accroît et s'accompagne d'une
pesanteur singulière vers l'anus; le périnée devient sensible au toucher;
les mouvements, la marche, les efforts de défécation, le croisement des
jambes, et bientôt même la position assise, réveillent ou augmentent les
douleurs. — Dysurie très-pénible; l'urine n'est plus évacuée qu'avec
effort; elle sort en jet grêle, intermittent, ou même goutte à goutte, et
avec un sentiment d'ardeur ou de brûlure vers les profondeurs du canal;
plus tard enfin, la rétention d'urine peut devenir complète en déterminant
alors la série des symptômes qui lui sont propres : tension hypogastrique,
épreintes, anxiété très-vive, etc. — Défécation difficile, douloureuse;
selles d'abord rares, puis constipation complète; le plus souvent, ténesme
rectal plus ou moins violent ; garde-robes accompagnées et suivies d'une
douleur anale très-pénible; sensation permanente d'un corps étranger,
de matières fécales arrêtées au niveau de l'anus. (Boyer.) — Au toucher
rectal, on trouve la prostate extrêmement douloureuse; sa consistance est
dure, et son volume augmenté; la tuméfaction est souvent générale, ce
qui donne à l'organe une forme carrée (Vidal) ; d'autres fois le gonflement
est partiel ; de là des variétés de forme assez nombreuses suivant que
l'un ou l'autre lobe est tuméfié. — Le cathétérisme peut fournir aussi
quelques notions sur les changements survenus à la glande. Au niveau de
la région prostatique du canal, la sonde est brusquement arrêtée ou ma-
nifestement déviée en divers sens. — Le toucher combiné au cathétérisme
pourrait donner des renseignements plus précis sur le gonflement prosta-
tique (Velpeau), mais cette exploration est si douloureuse qu'il convient
de s'en abstenir. — Enfin, on observe presque toujours des symptômes
généraux plus ou moins accentués : fièvre, soif, inappétence, insomnie,
agitation, etc. — Quant à l'écoulement uréthral, il est le plus souvent di-
minué surtout au début de la complication.
Marche, terminaisons. — Les phénomènes morbides vont d'ordinaire
en croissant pendant les premiers jours de la maladie, et se prolongent
avec toute leur intensité jusque vers le sixième, le huitième ou le dixième
jour. A ce moment, si la résolution doit se faire, la fièvre tombe, les
douleurs s'apaisent, la miction devient plus facile, et le ténesme rectal dis-
paraît. Le toucher rectal permet alors de suivre le retour graduel de la
glande à ses dimensions normales. Le plus habituellement, la résolution
est complète dans l'espace de deux à trois septénaires. Quelquefois cepen-
dant l'organe conserve pendant longtemps un certain degré de tuméfaction
ou d'induration soit générale, soit partielle. Cette induration finit le plus
souvent par disparaître à la longue; mais en certains cas elle peut persis-
ter, et la blennorrhagic devient ainsi l'origine d'engorgements chroni-
ques de la glande (Velpeau).
D autres fois, la marche de la maladie prend une allure moins favora-
ble. Les douleurs s'accroissent, la rétention d'urine devient permanente;
202 -BLENNORUHAGIE. — mwjstatite.
la fièvre persiste. Puis, à un moment donné, des frissons se mani-
festent, et la scène alors se modifie: les troubles généraux s'apaisent;
les douleurs se calment, et perdent leur caractère de tension gravative
pour se convertir en élancements ou mieux en une sensation pulsatile
caractéristique, sensation qui dénote que la suppuration s'est établie.
Malgré cette détente subite, la dysuric persiste, parce (pie le pus, ren-
fermé dans une coque fibreuse et résistante, forme un foyer saillant qui
continue à comprimer la région prostatique de l'urètbre.
L'abcès, une fois formé, s'évacue après un temps variable, mais tou-
jours assez long, en raison de la résistance des parois fibreuses qui cir-
conscrivent le foyer. Dès que le pus s'est fait une voie au dehors, un sou-
lagement énorme se produit aussitôt ; les douleurs sont apaisées comme
par enchantement, la miction se rétablit, la défécation s'opère sans diffi-
culté.
Ici, comme dans les prostatites d'autre nature, l'abcès peut se frayer
des voies diverses, d'où la possibilité d'accidents variés, qu'il n'est pas de
notre sujet d'exposer en détail. (V. Prostate, Abcès.) Il s'évacue soit par
l'urèthre, ce qui est le cas le plus habituel, soit par la vessie, soit par le
rectum, soit même par le périnée. Il n'est pas très-rare encore d'observer
des ouvertures doubles, le foyer se vidant à la fois dans la vessie et le
rectum, ou clans le rectum et l'urèthre. Enfin, certains faits, heureuse-
ment exceptionnels, démontrent la possibilité d'infiltrations purulentes
dans les couches périnéales ; de là, des fusées qui s'étendent en divers
sens, et peuvent amener des décollements considérables.
L'évacuation du pus se continue pendant plusieurs jours; puis l'abcès
se termine de deux façons différentes : — 1° Le plus souvent le foyer
revient sur lui-même ; ses parois bourgeonnent, s'adossent, et la cica-
trisation est assurée ; c'est là surtout ce qu'on observe dans les foyers de
petit volume. — 2° D'autres fois, par suite de la suppuration totale du
parenchyme glandulaire et de la communication établie avec les organes
voisins, l'abcès se convertit en une véritable caverne prostatique où
pénètrent soit les matières fécales, soit l'urine. Cette caverne a d'autant
moins de tendance à s'oblitérer que ses parois sont en grande partie for-
mées par la capsule fibreuse, laquelle, adhérente de toutes parts aux
tissus voisins, n'est pas susceptible de se rétracter. Elle persiste donc
et se tapisse même à sa face interne d'une membrane muqueuse de
nouvelle formation, analogue à celle des trajets fistuleux. C'est la pré-
sence de cette membrane qui explique comment le contact des urines
et des matières fécales ne donne lieu que rarement à des phénomènes
inflammatoires.
Les symptômes varient un peu suivant que la caverne communique
avec la vessie ou avec l'urèthre. Dans le premier cas, l'urine séjourne en
permanence dans la caverne prostatique, qui constitue en quelque sorte
une vessie supplémentaire. Dans le second, « si la communication s'est
faite avec l'urèthre, l'urine ne pénètre dans la poche qu'au moment de la
miction, et la pression sur le périnée, après cet acte , provoque la sortie
BLENNORRHAGIE. — prostatitè. 203
par le méat d'une certaine quantité d'urine mêlée de sang et de gru-
meaux purulents. » (M. Robert.)
Cette terminaison, on le conçoit sans peine, peut prolonger la durée
de la maladie de plusieurs mois, de plusieurs années, et même créer
une intirmité définitive. Il n'est pas rare de voir ces cavernes prostatiques
s'accompagner de suppurations interminables qui épuisent lentement les
malades et les conduisent à la mort après une longue période de souf-
frances et de cachexie. Quelquefois aussi, elles déterminent des accidents
aigus, et en particulier des péritonites soit locales , soit même générali-
sées, dont la gravité peut être extrême.
Pronostic. — L'étude rapide que nous venons de faire démontre que la
prostatitè est un des accidents les plus sérieux de la blennorrbagie. Tou-
tefois, il n'en faut pas exagérer les dangers. D'une part, la résolution est
la terminaison la plus commune de la maladie (Cullerier); d'autre part,
la suppuration est ordinairement circonscrite, et le foyer se cicatrise sans
accidents. Il est même des cas où l'évacuation du pus se faisant d'une fa-
çon insensible, la nature réelle de la complication peut être méconnue.
Restent donc les faits où la suppuration a détruit tout le parenchyme
prostatique et amené la formation d'une caverne. Le pronostic est alors
des plus sérieux, non-seulement en raison de la marche chronique et de
la terminaison souvent fatale de la complication, mais encore par la gra-
vité réelle du traitement curatif.
En certains cas encore, heureusement exceptionnels, on a vu l'inflam-
mation de la prostate se propager à la séreuse abdominale, et déterminer
une péritonite d'abord pelvienne, puis généralisée. Ricord a observé deux
faits de ce genre, où la mort a été la conséquence d'une péritonite pu-
rulente.
Enfin, il ne faut pas oublier que la résolution elle-même ne met pas
toujours les malades à l'abri de tout danger. Outre la prédisposition qu'elle
peut créer à l'hypertrophie chronique chez le vieillard et à la dégénéres-
cence tuberculeuse chez les sujets lymphatiques, la prostatitè laisse parfois
h sa suite un certain gonflement de la glande. 11 en résulte alors un état
sub-inflaminaloire des parties profondes de l'urèthre, avec sensibilité ano-
male de la région et divers autres symptômes rappelant sous une forme
mitigée les phlcgmasies ch ioniques de cet organe.
Diagnostic. — La prostatitè blennorrhagique est en général assez facile
à reconnaître. Elle ne peut guère être confondue qu'avec la péri-cowpé-
rite (voy. page 195), ou avec la cystite du col de même origine. Nous
étudierons cette dernière complication dans le chapitre qui va suivre, et
nous montrerons les signes qui la distinguent de l'affection qui nous oc-
cupe en ce moment.
Au début, il est souvent difficile de décider si l'on a affaire à une con-
gestion simple ou à une inflammation véritable de la prostate. Ce diagnostic
ne peut être établi que par la marche des accidents. C'est seulement quand
la phlegmasie s'est nettement constituée qu'elle sera reconnue à la vio-
lence des douleurs périnéales, à l'intensité des troubles fonctionnels et
204 BLENNORRIIAG1E. — prostatite.
notamment du ténesme rectal, à la réaction fébrile, enfin à la tuméfaction
plus volumineuse et à la sensibilité plus vive de la glande.
La terminaison par abcès circonscrit, par fonte totale du parenchyme,
par caverne prostatique, sera facilement reconnue à l'aide des signes que
nous avons mentionnés précédemment. Rappelons simplement ici l'im-
portance du toucher rectal, mode d'exploration trop souvent négligé, et
qui cependant peut seul fournir des notions précises sur l'état de la
glande comme sur l'évolution de la maladie.
Traitement. — S'il s'agit d'une congestion simple, des soins d'hygiène
et quelques antiphlogistiques en feront facilement justice : repos, bains
de corps, onctions belladonées, cataplasmes, boissons délayantes, etc.
— Dans les cas un peu plus graves, appliquer 15 à 20 sangsues au ni-
veau de la région périnéale.
Lorsqu'au contraire on a reconnu une prostatite vraie, il faut interve-
nir énergiquementet le plus tôt possible, pour empêcher, si faire se peut,
la terminaison par abcès. Larges émissions sanguines locales (20 à 50
sangsues au périnée), répétées même deux ou trois fois, suivant les cas;
grands bains coup sur coup, prolongés d'une à deux heures; cata-
plasmes ; onctions belladonées ; lavements émollients pour évacuer le rec-
tum et faciliter l'expulsion des matières; quarts de lavements laudanisés
et camphrés, etc. — En cas de rétention d'urine, pratiquer le cathété-
risme deux ou trois fois par jour, ce qui est bien préférable à l'emploi
toujours irritant de la sonde à demeure.
Dès que la suppuration est manifeste, intervenir chirurgicalement,
pour éviter la fonte purulente de l'organe, les fusées et les infiltrations.
Ce traitement du reste, comme celui des cavernes prosta'iques, sera ex-
posé en détail dans un autre article de cet ouvrage. (Voy. Prostate,
abcès.)
III. Prostatite canaltculaire. — Synonymie : prostatite muqueuse,
prostatite catarrhale, foUiculeuse (Lallemand), prostatorrhée.
Cette forme de phlegmasie chronique est encore peu connue. Elle
diffère essentiellement de celle que nous venons de décrire, en ce qu'au
lieu d'affecter le parenchyme de l'organe elle se limite à la surface des
conduits de la glande, d'où la dénomination de canaliculaire que je serais
d'avis de lui conserver.
Anatomiqucment, il est certain que cette forme d'inflammation peut
se développer comme un accident de la blennorrhagie. Péter en a relaté
un bel exemple, recueilli chez un sujet mort dans le cours d'une
chaude-pissc. « En pressant sur la prostate, dit cet observateur, on faisait
sortir par chacun de ses orifices uréthraux une assez grande quantité de
liquide évidemment purulent; de la prostate incisée on faisait également
sourdre une série de gouttelettes de pus qui s'échappaient manifeste-
ment de chacun des follicules prostatiques et non du parenchyme de la
glande, qui n'était ni rouge ni tuméfié. C'était donc là une prostatite ca-
naliculaire ou muqueuse, et non point une prostatite parenchymateuse. »
Cliniquement, il faut reconnaître deux formes de la maladie. L'une
BLENNORRHAGIE. — cystite. 205
est aiguë, et se montre alors que la phlegmasie uréthrale a gagné les ré-
gions profondes du canal. Elle s'explique très-naturellement par la propa-
gation de l'irritation phlegmasique aux conduits glandulaires. — L'autre
forme est essentiellement chronique. Elle se caractérise simplement par
un suintement léger, jaunâtre ou jaune grisâtre, catarrhal, parfois même
blanc ou gris, spermatique d'aspect, mais moins visqueux et moins con-
sistant que le sperme. Cet écoulement, qui n'a d'autre importance que de
préoccuper singulièrement les malades, persiste souvent sans modification
pendant plusieurs mois et même plusieurs années. Nul doute qu'il ne
constitue une variété de ces blennorrhées rebelles à tous les modifi-
cateurs uréthraux.
IV. Abcès péri-prostatiques. — Demarquay a récemment appelé l'at-
tention sur certaines collections purulentes qui se développent parfois
dans le cours de la blennorrhagie aux environs de la prostate. Le tissu
cellulaire qui environne la glande serait alors le siège d'une phlegmasie
consécutive à celle du parenchyme, et la suppuration s'y développerait
par un mécanisme analogue à celui des abcès péri-mammaires.
Ces abcès sont encore peu connus. Nous ne faisons que les signaler
ici pour appeler sur eux l'attention des observateurs.
XIII. Cysaite. — Les complications vésicales de la blennorrhagie se
présentent sous deux formes : l'une fréquente, décrite sous le nom de
cystite du col, en raison de son siège anatomique ; l'autre excessivement
rare (si tant est même qu'elle existe) où riiiHammation s'étend à toute la
surface de la muqueuse; c'est la cijstite du corps.
I. Cystite du col. — Fréquence. — A des degrés divers d'intensité, la
cystite du col est un accident très-commun de la blennorrhagie aiguë.
Elle ne se manifeste jamais dans les premiers jours de l'écoulement.
C'est après deux ou trois semaines au plus tôt qu'elle se produit, souvent
aussi à une époque plus éloignée du début, et dans le cours même d'é-
coulements déjà chroniques.
Causes. — D'après le résultat de mon expérience personnelle, la cys-
tite du col se développe, dans la grande majorité des cas, sans provoca-
tion aucune. Elle se montre simplement comme un résultat de l'exten-
sion ascendante de la phlegmasie dans le canal. Aussi, la considérerai-je
volontiers, avec quelques auteurs, moins comme une complication que
comme une phase, une période de la blennorrhagie. L'observation cli-
nique démontre, en effet, que très-souvent des accidents de cystite écla-
tent chez des sujets placés dans les meilleures conditions hygiéniques,
suivant avec exactitude un traitement rationnel, ne faisant aucun excès,
s'astreignant même à un repos relatif, etc.
Ce n est pas à dire, cependant, que diverses circonstances écologiques
ne puissent provoquer le développement de la maladie. Ces causes occa-
sionnelles, dont on observe parfois l'influence incontestable, sont encore
ici, comme pour la prostatite, des excitations diverses de Vurèthre : rap-
ports sexuels, pollutions, excès alcooliques, traitement suppressif préma-
turé, injections irritantes ou caustiques, calhétérisme, fatigues, etc.
206 BLENNORRIIAGIE. — cystite.
Pour quelques auteurs, les diurétiques (le nitrc spécialement), ou les
balsamiques pris en excès, ne seraient pas sans quelque influence sur la
production de la maladie. Desruelles dit encore avoir souvent observé
cette affection « se propageant rapidement à un grand nombre de malades
lorsque la température venait à s'abaisser tout à coup. » J'avoue, pour
ma part, n'accorder qu'une bien médiocre créance à l'action de ces der-
nières causes.
Symptômes. — A son premier degré et sous sa forme la plus atténuée,
la maladie ne consiste qu'en un besoin d'uriner fréquent et impérieux,
uni à des douleurs périnéales légères qui se produisent spécialement au
début et à la fin de la miction.
Le plus souvent, les symptômes s'accentuent davantage, et donnent à
la maladie confirmée une physionomie tout à fait spéciale. Les phéno-
mènes morbides viennent, en effet, se grouper autour de deux ou trois
signes caractéristiques, qui sont les suivants :
1° Avant tout, ténesme vésical consistant en des envies d'uriner fré-
quentes et impérieuses, fréquentes jusqu'à se reproduire toutes les demi-
heures, tous les quarts d'heure, parfois même de minute en minute;
impérieuses, en ce sens qu'elles ne laissent aucun répit au malade ; il faut
qu'il urine sur-le-champ, au moment môme où l'envie s'est fait sentir, à
ce point que si peu qu'il diffère, il urine sous lui, dans son pantalon.
En certains cas même, il s'établit une véritable incontinence continue, y ai
vu des malades rendre involontairement et presque à chaque minute une
ou deux gouttes d'urine, qui provoquaient au moment de leur passage
dans le canal les plus vives angoisses.
2° La miction est douloureuse, et la sensation de douleur éclate à V in-
stant où les dernières gouttes sont évacuées. Il se produit alors une sorte
d'épreinte convulsive des plus pénibles, probablement due à la contrac-
tion spasmodique du col. C'est là le phénomène vraiment pathogno-
monique de la cystite limitée à cette partie de la vessie. — Puis, dès que
l'urine a été évacuée, un besoin nouveau s'annonce par une douleur, une
sensation bizarre de poids ou de pression au niveau du périnée. Cette
envie factice provoque à son tour des efforts d'expulsion involontaires ;
quelques gouttes d'une urine laiteuse ou sanguinolente sont alors rendues
et déterminent à leur passage un sentiment de brûlure intolérable. Ces
épreintes vésicales , ces sensations de douleur remontent vers l'anus,
lhypogastre et les aines ; parfois même elles s'irradient jusque dans les
membres inférieurs ou déterminent une sorte de frissonnement général.
5° Aux dernières gouttes d'urine se mêle le plus souvent une certaine
quantité de pus ou de sang. C'est encore là un phénomène caractéristique,
qui se produit de la façon suivante : lors de la miction, l'urine s'écoule
d'abord claire, puis elle se trouble, et les dernières gouttes sont constituées
par un liquide laiteux , blanc jaunâtre, souvent mêlé de sang, et assez
semblable aux déjections dysentériques; quelquefois aussi, du sang pur
est évacué vers la (in de la miction.
Si l'on recueille l'urine dans un verre à expériences, on voit s'y for-
BLEM0RRIIAG1E.
CYSTITE.
207
mer rapidement un dépôt considérable, où le microscope fait reconnaître
la présence du pus et du sang. — Dans les cas où le malade urine à vide,
le liquide rougeàtre ou laiteux qu'il évacue n'est constitué que par du
muco-pus, mêlé ou non à une certaine proportion de globules sanguins.
4° Il est remarquable que cette scène si douloureuse exerce peu de
réaction sur l'ensemble de l'économie. Presque toujours, le malade est
sans fièvre. Les seuls troubles généraux que l'on constate se bornent à
des phénomènes nerveux : malaise, anxiété, inquiétudes, et surtout in-
somnie résultant de la continuité des épreintes. — En général aussi, di-
minution plus ou moins marquée de l'appétit ; constipation habituelle.
Marche, terminaison , durée. — La maladie ne conserve guère ce
degré d'acuité au delà de quelques jours, surtout lorsqu'elle est con-
venablement traitée. Après un temps variable, il se produit un amende-
ment marqué dans l'intensité des symptômes : le ténesme s'apaise, les
épreintes deviennent moins fréquentes et moins douloureuses ; les urines
cessent d'abord d'être sanguinolentes, puis deviennent de moins en moins
chargées de pus; la miction se rétablit dans ses conditions normales, et
finalement tout rentre dans l'ordre. — Momentanément diminué pendant
la durée de la complication vésicale, l'écoulement uréthral reparaît avec
son abondance première dès que la cystite a disparu.
La durée de la maladie ne dépasse guère quatre ou cinq jours pour les
cas légers, dix ou quinze au plus pour les plus graves. — A titre d'ex-
ceptions, il faut citer certains faits où les symptômes ont persisté plusieurs
semaines, un mois (Melehior Robert), deux mois et demi (Vidal de Cassis)
et môme au delà.
Pronostic. — La cystite du col est sans gravité. La dysurie et les dou-
leurs peuvent bien, il est vrai, éveiller des réactions nerveuses et fatiguer
les malades. Mais il est rare que les accidents ne disparaissent pas au
bout de quelques jours sans laisser aucune trace de leur passage. —
Quant à la possibilité de voir succéder aux accidents aigus des affections
permanentes du col de la vessie, elle n'est en aucune façon démontrée.
Diagnostic. — La cystite du col a des symptômes tellement spéciaux,
tellement accentués, qu'il serait difficile de la méconnaître. — La pro-
statite seule s'en rapproche par quelques analogies, mais elle s'en distin-
gue facilement par une série de considérations (pie l'on trouvera réunies
dans le tableau suivant :
DANS LA CYSTITE DU COL l
I. Ténesme vésical caractéristique; envies
d'uriner fréquentes, impérieuses.
II. Miction spéeialement douloureuse au
moment où les dernières gouttes d'urine
sont évacuées; à ce moment, épreinte con-
vulsive caractéristique.
III. Dans les derniers temps de la miction,
excrétion d'un liquide dvsentérit'orme, mé-
lange de pus et de sang; souvent aussi ex-
crétion de san- pur.
DANS L\ PROSTATITE '.
1. Ténesme vésical bien moindre. — Té-
nesme rectal plus accusé,
il. Rien de semblable.
III. Rien de semblable. Urine normale
208
BLEXNOPiIUIACïE. — cystite.
DANS LA CYSTITE DU COL '.
IV. Simple sensibilité périnéale; douleurs
d'irradiation vers l'anus bien moins violen-
tes que dans la prostatite.
V. Prostate normale.
VI. Pas de rétention d'urine.
VII. l'eu ou pas de symptômes généraux.
DANS LA PROSTATITE :
IV. Douleurs périnéales profondes, très-
vives, accrues par les mouvements, par la
défécation, etc.
V. Au toucher rectal, tumeur prostatique,
très-douloureuse, dure, etc.
VI. Dysurie. Rétention d'urine.
VII. Symptômes généraux assez accen-
tués : fièvre, inappétence, etc.
Traitement. — Il est des plus simples : repos, régime léger, boissons
froides et peu abondantes ; onctions belladonées au niveau de la région
périnéale et de la partie supérieure des cuisses; cataplasmes sur l'hypo-
uastre ; bains tièdes prolongés (bien préférables aux bains de siège, dont
j'ai même constaté l'action nuisible en certains cas); et surtout quarts de
lavements froids additionnés de camphre et de laudanum de Sydenham
(16 à 20 gouttes). — Lorsque la maladie est plus intense, application de
16 à 20 sangsues au périnée. — Se garder surtout de l'introduction d'in-
struments dans le canal, d'injections, etc.
Il est une médication très-différente qui parfois réussit d'une façon
merveilleuse à calmer l'éréthisme du col vésical; c'est l'emploi des bal-
samiques, et spécialement du copahu. Il n'est pas rare que ce traite-
ment soulage les malades en quelques heures. Malheureusement, i! n'a
pas d'effet constant; je l'ai vu échouer plusieurs fois d'une façon complète.
Lorsque la maladie tend à passer à l'état sub-aigu et reste stationnaire,
on administre avec succès soit la térébenthine, soit le cubèbe ou le co-
pahu. Ces deux derniers remèdes doivent être donnés à petites doses frac-
tionnées, et l'usage doit en être prolongé pendant plusieurs semaines.
Ce n'est que dans les cas tout à fait, rebelles et chroniques qu'il y a
lieu de recourir soit aux révulsifs locaux (vésicatoires, emplâtre stibié,
cautère à la région périnéale), soit aux: eaux minérales (eaux alcalines,
sulfureuses ou autres, suivant les conditions qui paraissent entretenir la
maladie).
II. Cystite du coRrs. — Autant il est fréquent d'observer la propaga-
tion du travail phlcgmasique de l'urèthre jusqu'au col vésical, autant il est
rare de voir la muqueuse du corps de la vessie participer à l'inflamma-
tion blcnnorrbagique. Si je m'en rapportais seulement à mon expérience
personnelle, je serais même disposé à rejeter complètement cette pré-
tendue complication de la chaude-pisse. Il m'a été, en effet, impossible
d'en retrouver un seul exemple dans le dépouillement des nombreuses
observations que j'ai recueillies jusqu'à ce jour. De plus, les faits con-
tenus dans la science ne sont pas de nature à dissiper tous les doutes sur
la réalité de cet accident. Je me bornerai donc à le signaler sans y insister
davantage.
Bien plus problématique encore est l'existence de la néphrite blen-
norrhagique, dont je crois pouvoir dire qu'il n'existe pas d'exemple bien
avéré.
BLEINNORRIIAGIE. — jspididymite, orciiite blexkorrhagique. 209
XIV. Kpidldymlij?, orcliUe S>2cnBBorrliugiqu<e. — Synonymie :
Gonorrhée ou chaude-pisse tombée dans les bourses ; tumeur vénérienne
des bourses; testicule vénérien; hernie humorale; orchite; didymite,
vaginalite blennorrhagique ; épididymite (Ricord), etc.
Fréquence. — C'est, sans contredit, la complication la plus commune
de la blennorrhagie.
Il serait assez difficile de représenter par un chiffre précis la proportion
des blennorrhagies suivies d'orchite. Tous les malades, en effet, atteints
d'écoulement uréthral ne consultent pas le médecin, tandis que les com-
plications testiculaires nécessitent pour la plupart des soins spéciaux. Je
crois toutefois n'être pas éloigné de la vérité en disant que l'épididymite
se montre à peu près une fois sur huit ou neuf blennorrhagies.
Époque d'apparition. — L'époque où se manifestent les complications
testiculaires est intéressante à déterminer «à plusieurs titres, notamment
au point de vue de la pathogénie. Or les statistiques des divers auteurs
concordent pour démontrer que l'épididymite ne se produit pas égale-
ment à toutes les périodes de l'écoulement uréthral. A peine cite-t-on
quelques exemples où elle se soit développée dans le cours de la première
semaine; encore ces faits sont-ils sujets à caution, car, observés pour la
plupart dans les hôpitaux et sur des malades peu soucieux de leur per-
sonne, ils peuvent bien être relatifs à de vieux écoulements ravivés, c'est-à-
dire à ce que nous avons appelé des chaude-pisses de retour. Chez les ma-
lades de la ville, plus soigneux de leur santé et plus observateurs, on ne
rencontre presque jamais l'épididymite avant le dixième ou le douzième
jour de la maladie. Et à l'hôpital comme en ville, c'est d'ordinaire vers
la troisième, la quatrième ou la cinquième semaine qu'on la voit se mani-
fester de préférence. Il n'est pas rare qu'elle dépasse de beaucoup ce terme,
qu'elle se produise dans le cours d'écoulements anciens et même très-an-
ciens, voire même à propos de suintements presque insignifiants remon-
tant à plusieurs années de date. — Voici, à ce sujet, quelques résultats de
mon observation particulière :
ÉPIDIDYMITES DÉVELOPPÉES :
Dans le cours de la première semaine de la blennorrhagie. 0
Le 8e jour 2 cas (dont un douteux.)
Le 9* jour 2 —
Le 10e jour ~> —
Du 11e au 14° jour 15 —
Dans le cours de la troisième semaine 34 —
— quatrième semaine.. 30 —
— cinquième semaine 29 —
— sixième semaine 19 —
— septième semaine 9 —
— huitième semaine 21 —
— troisième mois 22 —
— quatrième mois G —
— cinquième mois 4 —
— sixième mois 3 —
— septième mois 3 —
— huitième mois 4 —
A reporter 200 cas.
NOUV, DICT. MÉD. ET CllïT.. V. — 14
210 BLENNORRHAGIE. — épididymite, orchite blennorrhagtque.
Report 20l> cas
Dans le cours du neuvième mois 1 —
— onzième mois 5 —
— seconde année f> —
— troisième année 3 —
— quatrième année.. . 2 —
— septième année 1 —
Total 222 cas.
Causes. — La blcrinorrhagie uréthrale est la cause essentielle de la
complication testicuîaire.
Parfois, elle suffit seule à la produire, en dehors de toute circonstance
adjuvante, sans le concours de la moindre provocation locale. Ainsi, il
n'est pas rare que la maladie se manifeste chez des sujets qui ont suivi
le régime le plus sévère, qui se sont astreints religieusement à la médi-
cation la plus méthodique, qui même ont été retenus au lit par quelque
complication étrangère. Je l'ai vue se développer sur un malade qui,
affecté d'une fièvre typhoïde des plus graves, n'avait pas mis le pied à
terre depuis six semaines. Dans les cas de cette nature, la complication
se développe évidemment par le fait seul de la blennorrhagie, sans l'inter-
vention d'aucune cause occasionnelle.
Ajoutons que, pour cet accident comme pour tant d'autres maladies,
il existe certaines prédispositions et aussi certaines immunités indivi-
duelles qui sont le fait d'idiosyncrasies inexplicables. — Tel sujet, par
exemple, ne peut contracter une blennorrhagie sans être affecté d'épididy-
mite, et cela en dépit des précautions les plus minutieuses. Tel autre in-
versement y échappe toujours, bien que ne tenant aucun compte des pres-
criptions médicales, transgressant tous les préceptes de l'hygiène et se
livrant à tous les excès.
Assez souvent, il est manifeste que l'orchite succède à certaines causes
occasionnelles. Or ces causes, bien que multiples et variées, peuvent être
ramenées à deux groupes. Ce sont :
1° Des excitations de Purèthre : rapports pendant le cours de la maladie,
masturbation, pollutions involontaires; excès alcooliques; cathétérisme ;
injections irritantes; usage intempestif de la médication suppressive, dé-
terminant souvent, comme nous l'avons vu, une violente irritation du
canal, etc..
2° Des fatigues corporelles : marche forcée, équitation, danse, exer-
cices violents, travaux musculaires demandant le déploiement dune force
considérable, efforts pour soulever des fardeaux, etc.
Il est bien d'autres circonstances étiologiques auxquelles on a voulu
rapporter le développement de la maladie : répercussion produite par les
balsamiques; influence du froid ; changements de température ; prédispo-
sitions dépendant du jeune âge, de la constitution lymphatique ou scro-
fuleuse, etc., etc. — L'action de ces diverses causes n'est rien moins
que démontrée.
Siège. — On considérait autrefois la maladie comme un résultat de
BLKNNOIinilÀGlK. — épimdymite, orchite blepworrhagique. 211
la distension des canaux séminifères par le sperme corrompu. De plus,
on la localisait dans le parenchyme testiculaire. Les progrès de la science
ont fait justice de ces vieux errements. Il est acquis aujourd'hui que la
tumeur vénérienne des bourses, pour parler le langage des anciens, est
une inflammation simple, où la rétention et la corruption du sperme ne
jouent aucun rôle, et à laquelle de plus le testicule reste presque tou-
jours étranger.
1° Tout d'abord, il résulte d'un nombre considérable d'observations
que la maladie a pour siège Yépididyme, sinon dans la totalité, du moins
dans l'énorme majorité des cas. Les autres parties qui entrent dans la
composition des bourses (vaginale, scrotum, éléments du cordon) ne sont
presque jamais affectées que d'une façon secondaire ou accessoire.
Il est tout à fait exceptionnel que l'inflammation porte sur la substance
même du testicule. L'orchite vraie, parenchymateuse, est excessivement
rare. Certes, on ne l'observe pas plus d'une fois contre deux cents cas où
l'on trouve l'épididyme affecté.
2° Le plus souvent, l'inflammation se limite à un seul épididyme. Il est
assez fréquent toutefois que l'un et l'autre se prennent, mais, règle géné-
rale, l'affection n'est jamais bi-latérale d'emblée. Je n'ai pas encore vu,
pour ma part, un seul cas jusqu'à ce jour où les dtnw épididymes aient
été affectés simultanément et de pair, de la même façon par exemple
qu'il est commun de constater l'invasion parallèle des deux poumons par
la pneumonie. Presque invariablement, les choses se passent de la façon
suivante : un côté se prend, puis, à quelques jours de distance et souvenl
beaucoup plus tard, l'autre est envahi à son tour. L'épididymite, en un
mot, ne devient jamais double que successivement.
5° On a longuement discuté sur la question de savoir quel est relui des
deux épididymes qui s'enflamme de préférence. Ce serait le gauche pour
les uns, ce serait le droit pour les autres, et cela pour des raisons théo-
riques inutiles à reproduire ici. La statistique démontre que ces deux or-
ganes sont affectés avec un degré de fréquence à peu près égal. D'une
part, en effet, sur G16 cas empruntés à divers auteurs, on trouve que
l'affection siégeait :
1° A gauche. 282 fois
2° A droite. " ;><>.""> —
5° Sur les doux côtés 51 — Tiollet),
Et d'autre part, j'arrive, dans mes relevés, aux chiffres suivants :
î° Epididymites gauches 126 cas.
2° Epididymites droites. 102 —
5° Epididymites doubles 55 —
Symptômes. — L'épididymite s'annonce le plus habituellement pat-
une douleur vague dans l'une des bourses (gène, poids, cndolorissemeut;,
souvent aussi par une sensation de tiraillement dans le cordon, dans
Faine et jusque dans la région lombaire correspondante, bien plus raie-
212 BLEN^ORRHAGIE. — épididymite, orghite blekkorrhagique.
ment par une pesanteur périnéale, des envies fréquentes d'uriner, de la
dysurie, exceptionnellement enfin par des troubles généraux (frisson,
fièvre, embarras gastrique).
11 est un symptôme qui prélude assez souvent à la maladie, symptôme
que Ton a rarement l'occasion d'observer à l'hôpital, mais sur lequel on
est fréquemment consulté par les malades de la ville. C'est une douleur sus-
inguinale siégeant un peu au-dessus du pli de l'aine, au niveau du trajet
inguinal, et s'irradiant parfois vers la fosse iliaque ou la région rénale
correspondante. Ce signe m'a fait souvent soupçonner le début d'une épi-
didymite, alors que l'examen attentif des bourses ne pouvait encore légi-
timer un tel diagnostic. Il est bon d'être prévenu que cette sensation, qui
dépasse rarement les caractères d'une tension pénible ou même d'un
simple tiraillement, peut acquérir parfois une intensité extrême, au point
de simuler une affection abdominale. J'ai dans mes notes la relation d'un
cas où cette douleur fut assez vive pour faire croire à l'invasion d'un
phlegmon iliaque.
Maladie confirmée. — Que l'épididymite ait été ou non précédée par
de tels phénomènes, les symptômes se localisent bientôt dans le scro-
tum et caractérisent rapidement la maladie. Des douleurs plus ou moins
vives se manifestent au niveau de lune des bourses, qui devient sensible
au plus léger contact; ces douleurs augmentent d'intensité par la marche,
par le moindre mouvement, et sont au contraire soulagées par le repos.
Bientôt survient une tuméfaction qui s'accroît progressivement et arrive
à doubler ou tripler même le volume de la bourse affectée ; le scrotum
s'injecte; le tissu cellulaire s'œdématie; quelques troubles généraux se
produisent ; la maladie est alors constituée.
Tel est le tableau sommaire de l'épididymite. Reprenons en détail ces
divers phénomènes.
Douleurs. — Elles varient de caractère et d'intensité. — Au début,
comme plus tard dans les cas légers, c'est une simple gêne, un sentiment
de lourdeur dans les bourses, avec tiraillements dans le cordon, reten-
tissant parfois jusqu'au niveau des lombes. — Le plus souvent, ces sym-
ptômes augmentent en même temps qu'ils se localisent plus spécialement
dans l'organe affecté ; ils prennent le caractère d'élancements pénibles,
de torsion, de pression, de constriction, et exigent impérieusement le
repos. — Ces douleurs spontanées sont très-vivement augmentées par la
pression la plus faible, par le plus léger attouchement, et c'est souvent
avec terreur que les malades voient la main du médecin s'approcher de
leurs bourses. — Enfin, dans quelques cas heureusement exceptionnels,
les douleurs prennent une intensité toute spéciale : non-seulement elles
occupent le scrotum, où elles sont atroces, mais elles s'irradient vers les
aines et la région lombaire; elles ne laissent pas de trêve aux patients,
qu'elles jettent dans un état d'excitation extrême. Celte forme, que Gos-
selin (Leçons orales) nomme névralgique, est fort rare dans l'épididymite;
elle caractérise presque exclusivement l'orchite parenchymateuse. La cause
en est peu connue, à l'exception de quelques faits où elle relève évidem-
BLENNORRHAGIE. — épjdidymite, orchite blenkorp.hacique. 215
ment d'une distension excessive de la vaginale par Pépanchement inflam-
matoire.
La marche des douleurs est subordonnée à celle du gonflement épidi-
dymaire. Le plus souvent, elles persistent ou augmentent jusque vers le
troisième, le quatrième ou le cinquième jour de la maladie; puis, la
période d'état s'établissant, elles s'apaisent avant même que la tuméfac-
tion ait commencé à décroître; à partir du douzième ou du quinzième
jour, elles ne sont plus guère réveillées que par la pression; finalement
elles disparaissent, bien que l'épididyme reste encore volumineux et en-
gorgé.
Gonflement des parties. — Phénomène constant, mais très-variable de
degré suivant l'intensité et surtout suivant les localisations de la maladie.
— L'ensemble des parties forme une tumeur plus ou moins considérable
qui atteint le double ou le triple du volume normal. Si, par le palper, on
essaye de distinguer les éléments constitutifs de cette tumeur, on constate
des variétés telles « qu'il est rare de rencontrer deux orchites se ressem-
blant exactement » (Cullericr). Tantôt, en effet, le gonflement est consi-
dérable par suite d'un épanchement abondant de liquide dans la vaginale;
la tumeur est alors ovoïde, tendue et fluctuante, parfois même assez ten-
due pour ne plus être fluctuante; il est impossible, dans ce cas, de dis-
tinguer le testicule de l'épididyme. — Tantôt, au contraire, lorsque la
vaginale n'est que peu ou pas distendue, les divers organes qui entrent
dans la composition dos bourses peuvent être explorés séparément, de
façon à reconnaître la part de chacun d'eux dans la tuméfaction générale.
La localisation morbide devenant alors apparente, il est facile de consta-
ter des variétés nombreuses. Ici, l'épididyme seul est affecté, et l'obser-
vateur apprécie aisément l'intégrité absolue du testicule, du cordon et
des tuniques externes; là, l'épididyme et le cordon, simultanément en-
flammés, forment une tumeur caractéristique; ailleurs, l'épididyme, le
cordon et la vaginale sont affectés à la fois; ailleurs encore, les tuniques
externes participent à la phlcgmasie sous-jacente; la peau c»t rouge, le
scrotum infiltré, œdémateux, etc. De là autant d'états pathologiques dis-
tincts anatomiquement, bien qu'identiques d'origine et de nature. Quel-
ques mots sur chacun d'eux.
1° Le type le plus constant, celui qui constitue le fond commun de la
maladie, c'est ïepidiihjmite. Dans cette forme, le gonflement commence
le plus souvent par la queue de l'épididyme, pour gagner de là le reste
de l'organe. On constate par le palper les détails suivants : en avant, le
testicule conservant son volume, sa souplesse, sa sensibilité spéciale ; en
arrière, l'épididyme tuméfié, formant une masse bosselée, dure, très-sen-
sible à la pression, coiffant le testicule et l'enclavant dans une sorte de
cupule à concavité antérieure.
Cette disposition est la plus habituelle. Signalons, à titre de variétés,
les inflammations partielles qui, chose curieuse, se limitent presque exclu-
sivement à la queue de l'épididyme , surtout dans le cas d'inflammation
légère. Ailleurs encore, la tète de l'organe participe à la tuméfaction de
21 \ BLENNOPiRIlAGIE. — épimdymite, orchite blennorrhagique.
la queue, tandis que le corps est soit indemne, soit tuméfié à un degré
moindre.
L'épididyme n'affecte pas toujours avec le testicule ses rapports nor-
maux. Il est susceptible d'anomalies de situation assez variées (inversions
antérieure, supérieure, latérale, etc.) qui, depuis longtemps signalées
par Ricord, ont été fort bien étudiées par Royet dans un intéressant tra-
vail. Lorsque la phlegrnasie occupe un épididyme qui présente une de ces
modifications anatomiques, la tumeur affecte nécessairement des modifi-
cations subordonnées à ces changements de rapports.
2° Très-fréquemment, le canal déférent prend part au travail inflam-
matoire [orchite déférentielle de quelques auteurs, ou mieux dé fer entité).
D'ordinaire, il se prend un peu avant l'épididyme, ou simultanément;
d'autres fois les symptômes morbides se propagent par une sorte de ré-
gression de l'épididyme au canal déférent. — Quelle que soit la marche
des phénomènes, on perçoit par le toucher une corde rigide, très-dure,
douloureuse, offrant le volume d'un tuyau de plume ou même du petil
doigt, se continuant en bas avec le testicule, se prolongeant en haut jusque
dans l'aine et pouvant parfois être suivie jusqu'à l'orifice profond du trajel
inguinal. Cette corde, ordinairement cylindrique et régulière, très-rare-
ment bosselée et moniliforme, est constituée par le canal déférent autour
duquel on retrouve les éléments du cordon libres de toute adhérence. —
Quelquefois cependant le tissu cellulaire et même les vaisseaux qui en-
trent dans la constitution du cordon spermatique subissent l'influence de
l'inflammation déférentielle (orchite funiculaire, ou mieux funicidite). On
observe alors : une tuméfaction considérable du cordon, avec rétraction
du testicule vers l'anneau inguinal ; des douleurs parfois très-vives, de
véritables « coliques funiculaires » ; quelquefois même, paraît-il, des vo-
missements, de l'anxiété, des troubles généraux; tous phénomènes qui,
rapportés par certains auteurs à un étranglement du cordon par les an-
neaux aponévrotiques, ont été comparés, non sans quelque exagération,
à ceux de l'étranglement herniaire.
Les inflammations blennorrhagiques du canal déférent et du cordon
coïncident toujours avec l'épididymite. On a cité toutefois quelques cas
exceptionnels dans lesquels la phlegrnasie aurait atteint ces parties isolé-
ment. Je n'en ai observé que deux exemples jusqu'à ce jour.
Signalons encore, comme conséquence possible de cette dernière loca-
lisation, Y inflammation du péritoine que limiter paraît avoir le premier
signalée, consécutivement à l'inflammation du canal déférent. Ricord dit
avoir observé plusieurs fois cette complication, qui peut même être assez
intense pour entraîner une terminaison fatale.
Enfin, en certains cas tout à fait exceptionnels, les vésicules séminales
peuvent s'enflammer. — Dans un fait de ce genre, cité par Yelpeau, la
phlegrnasie s'étendit des vésicules au péritoine et fut suivie de mort.
3° Dans l'énorme majorité des cas, sinon toujours, la tunique vaginale
participe à l'inflammation de l'épididyme. De là, une hydro-phlegmasie
plus ou moins accentuée. Rochoux avait singulièrement exagéré l'impor-
BLENNORRIIAGIE. — épidipymite, orciiite blennorrhagique. 215
tance de cet épiphénomène , qu'il prétendait constituer la maladie tout
entière (vaghialite). Les travaux dcRicord, deVelpeau et de tant d'autres,
ont réagi contre cette manière de voir. Il est bien acquis à la science
aujourd'hui que cette hydro-phlegmasie vaginale, loin de tenir la maladie
sous sa dépendance, n'en constitue qu'un phénomène secondaire et acces-
soire; qu'elle est consécutive h l'inflammation de l'épididyme, à la façon
de ces épanchements pleuraux qui accompagnent certaines pneumonies;
que, de plus, elle fait souvent défaut ; qu'enfin, elle est très-variable
d'intensité et de caractère. Ainsi, en certains cas, elle détermine un
épanchement assez considérable pour constituer les trois quarts environ
de la tumeur totale; ailleurs, au contraire, elle est moyenne, légère, ou
presque nulle. Elle n'est même pas toujours en rapport avec le degré de
fluxion de l'épididyme, bien que ce soit le cas habituel ; parfois des liydro-
cèles aiguës, très-volumineuses, coïncident avec une tuméfaction relati-
vement légère de ce dernier organe, et inversement.
C'est à l'épanchement vaginal qu'il faut attribuer les variétés nom-
breuses que l'on observe dans le volume et la consistance de la tumeur
scrotale. Pour ne parler que des cas extrêmes, tantôt on rencontre
d'énormes tumeurs, présentant une fluctuation assez franche, et compa-
rables, jusqu'à un certain point, à une simple hydrocèle. Il est alors
impossible de constater l'état des organes sous-jacents. Tantôt, au con-
traire, le volume des parties est bien moindre, et par le palper Av* bourses
les doigts arrivent soit immédiatement, soit après avoir déprimé une
couche légère de liquide, sur un plan résistant constitué par le testicule
sain et l'épididyme enflammé.
Lorsque la vaginale est distendue d'une façon à la fois rapide et exces-
sive, il n'est pas rare de voir éclater des douleurs aiguës, parfois très-
violentes , atroces, s' accompagnant alors d'un état d'angoisse des plus
pénibles, de vomissements, et moine de syncopes. Cet état grave en ap-
parence s'amende comme par enchantement sous l'influence d'une simple
ponction qui, donnant issue au liquide, atténue sur-le-champ les phéno-
mènes de compression.
4° Quelquefois, le testicule est légèrement augmenté de volume par le
fait d'une stase sanguine et d'un certain degré d'hyperémie. Cela est rare.
Le plus souvent, cette tuméfaction n'est qu'apparente et doit être rap-
portée soit à l'épanchement vaginal, soit à l'engorgement des tuniques
extérieures.
5° Enfin, les enveloppes scrotales peuvent aussi s'enflammer. Légère
en général, cette phlegmasie acquiert parfois un assez haut degré d'in-
tensité. Le scrotum est alors tendu, luisant, rosé ou même rouge, de teinte
erysipélateuse ; ses rides normales sont effacées ; de plus, il est épaissi,
œdémateux, empâté, douloureux au toucher, etc. Il devient difficile dans
ce cas, sinon impossible, de faire rouler la glande séminale dans la
bourse, parce que le tissu cellulaire infiltré a perdu sa laxité normale. —
Ces symptômes sont surtout prononcés en arrière, aux points correspon-
dant à l'épididyme.
1\ G BLENN0RR1IÀGIE. — émdidymite, orchite blennorrhagique.
Symptômes généraux. — Il est rare que l'épididymite ne détermine pas
quelques (roubles généraux, si ce n'est dans les cas les plus bénins. Le
plus habituellement, il se produit au début un certain degré de fièvre.
Cette fièvre persiste et s'accroît assez souvent jusqu'au troisième, qua-
trième ou cinquième jour, s'aceompagnant de malaise, d'agitation, d'in-
somnie et d'un léger embarras des premières voies. Ces phénomènes ne
persistent guère au delà de quelques jouis; ils s'apaisent et disparaissent
avant même que les symptômes locaux aient commencé à décroître.
Marche. — Elle est essentiellement aiguë. Dès le cinquième ou le
sixième jour, les symptômes ont acquis leur summum d'intensité. Ils
restent stationnaires un certain temps, puis commencent à décroître.
Les douleurs s'apaisent tout d'abord, puis la tuméfaction diminue; les
tuniques scrotales se dégorgent les premières; l'épancliemcnt de la vaginale
se résorbe, et la résolution s'achève ainsi progressivement dans une durée
moyenne de douze à seize ou vingt jours. Il devient possible alors d'ap-
précier exactement l'état de l'épididyme, que l'on trouve très-générale-
ment, à cette époque, encore volumineux et très-dur, formant une sorte
de tumeur en demi-lune qui enchâsse le testicule.
Ii n'est pas rare d'observer des rechutes soit spontanées, soit surtout
provoquées par l'imprudence des malades qui quittent le lit prématuré-
ment, qui marchent, se fatiguent, etc., et réveillent ainsi le travail
phlegmasique un moment assoupi.
Ou bien encore, c'est l'épididyme resté sain qui se prend à son tour.
Il arrive parfois, dans ce cas, que le premier affecté entre rapidement en
résolution, comme si la phlegmasie de son congénère lui servait de révul-
sion. — En quelques cas bien plus rares, on voit même le premier épi-
didyme s'enflammer de nouveau à la suite du second. C'est là ce que
Ricord appelle V épididymite à bascule.
Terminaisons. — La terminaison très-habituelle, presque constante de
l'épipidymite, c'est la résolution progressive et complète. Cette résolution
se fait d'abord dans le corps de l'épididyme, puis dans la tête, et en
dernier lieu dans la queue de l'organe. Elle est très-rapide dans les pre-
miers temps, c'est-à-dire qu'en une quinzaine de jours l'engorgement des
parties diminue d'un tiers ou de moitié; puis elle se ralentit et semble
rester stationnaire. Si parfois elle peut être complète dans l'espace de
quelques semaines, il faut en général un temps beaucoup plus long (4, 6,
8 mois, un an et au delà), pour que l'organe revienne à son état nor-
mal. Souvent même on voit persister pendant de longues années (5, 10,
20 ans), et probablement d'une façon indéfinie, des engorgements plus ou
moins volumineux, occupant habituellement la queue de l'épididyme, et
dont nous parlerons en détail au chapitre de l'anatomie pathologique.
Très-exceptionnelle est la terminaison par suppuration. L'abcès qui se
forme est en général circonscrit et se cicatrise facilement après l'évacua-
tion du pus, sans produire de désorganisations profondes. — Je ne doute
pas, pour ma part, que plusieurs des cas que l'on trouve relatés dans la
science comme exemples d'épididymites blennorrhagiques terminées par
BLENN0RR1IAGIE. — épididïmite, okchite blenkorrhagjqu^ 217
abcès et fistules consécutives, ne soient relatifs à des tuberculisations de
l'épididyme compliquées incidemment de phlegmasies aiguës de l'organe.
Bien plus exceptionnelle encore est Y atrophie consécutive des testicules,
dont on pourrait à peine citer quelques cas (limiter, Velpeau, Curling,
Cullerier), et qui, d'après Ricord, ne se produirait que dans les cas où
la substance même du testicule a été affectée par l'inflammation.
Signalons enfin, comme très-problématiques (pour ne rien dire de
plus) les prétendues terminaisons par gangrène, par dégénérescence tu-
berculeuse ou cancéreuse, etc..
Anatomie pathologique. — Ce n'est guère qu'aux travaux publiés dans
ces trente dernières années qu'on peut avoir recours pour trouver des no-
tions anatomo-patbologiques un peu précises sur la complication qui nous
occupe. Les lésions qu'elle détermine affectent des localisations variables
que nous allons étudier successivement.
1. Êpididyme. — C'est dans cette portion de la glande que les lésions
sont le mieux connues et le plus constantes. Elles consistent en ceci :
augmentation de volume de l'organe; rougeur, injection des capillaires;
dépôts plastiques soit dans la cavité des canalicules, soit dans le tissu cel-
lulaire qui les entoure; adhérences anomales des circonvolutions épididy-
maires. Ces lésions sont généralement plus marquées au niveau de la
queue de l'épididyme. Là, les produits plastiques sont très-adhérents aux
canalicules, et même, lorsque la maladie a duré un certain temps, ils ne
forment plus qu'une masse jaunâtre, homogène, dans laquelle il est im-
possible de disséquer et de séparer les circonvolutions de l'organe. (Marcé.)
Les lésions sont quelquefois limitées à la tunique ccllulo-fibreuse de
l'épididyme et au tissu cellulaire ambiant (Hardy); mais, le plus souvent,
on retrouve dans la cavité des canalicules des produits inflammatoires :
leucocytes, globules granuleux d'inflammation, granulations graisseuses,
et même globules de pus. (Marcé, Robin et Gosselin.)
Longtemps après la résolution des phénomènes inflammatoires et la
guérison apparente de la maladie, l'épididyme présente des indurations
persistantes, constituées par des dépôts plastiques non encore résorbés.
Ces indurations diminuent avec le temps et finissent par s'effacer ; c'est là
le fait le plus habituel; mais, en certains cas, elles peuvent durer plu-
sieurs années, deux, trois, cinq, dix, vingt années même, c'est-à-dire in-
définiment. Elles occupent spécialement la queue de l'épididyme, sous
forme d'une sorte de noyau ou de durillon. Elles ne sont nullement gê-
nantes, elles ne donnent lieu à aucune douleur, à aucun trouble fonc-
tionnel apparent. Elles seraient insignifiantes si elles ne pouvaient avoir
pour conséquence Y oblitération des voies spermatiques, oblitération tem-
poraire dans l'énorme majorité des cas, mais pouvant aussi devenir per-
sistante et définitive.
Lorsque les deux épididymes sont affectés, il en résulte une oblitération
absolue des voies spermatiques , et par suite Y infécondité. Le liquide
épanché ne contient plus de spermatozoïdes ; le malade est devenu stérile.
Cette oblitération a une durée variable. Gosselin a démontré qu'elle
218 BLENNORRHÀGïE. — ÉPIDIDYMITE, ORCHITE BLENNORRHAGIQUE.
peut disparaître au bout de trois, quatre, cinq, huit mois ; il suppose aussi,
sans avoir de faits démonstratifs, que la circulation du sperme peut se ré-
tablir après un temps plus long. Mais ce que les recherches du même
observateur n'ont pas moins bien déterminé, c'est qu'en certains cas, à la
suite de l'épididymitcbi-latérale, le sperme peut être privé d'animalcules
pendant plusieurs années, voire même probablement d'une façon indé-
finie. C'est là une conséquence des plus sérieuses, sur laquelle l'attention
doit être appelée.
II. Testicule. — Dans la forme la plus fréquente de la maladie, c'est-
à-dire dans l'épididymite, les lésions testiculaires sont excessivement
rares. On a quelquefois noté de la tuméfaction de la substance séminifère
et de la rougeur avec injection fine (R. Blache) ; mais il faut avouer que
ces altérations sont de peu d'importance, et donnent amplement raison
à ceux qui localisent la maladie dans l'épididyme.
III. Tunique vaginale. — Presque toujours on y observe des traces
d'un travail phlegmasique. L'inflammation est quelquefois bornée à de la
rougeur, avec injection fine du tissu sous-séreux; bien plus souvent elle
détermine un épanchement séro-albumineux de quantité variable, et des
dépôts fibrineux qui peuvent donner lieu à des adhérences entre les feuil-
lets adossés de la séreuse.
La résorption incomplète de l'épanchement vaginal pourrait, de l'avis
d'un grand nombre de chirurgiens, devenir l'origine d'hydrocèles con-
sécutives.
Enlin, très-exceptionnellement, la phlegmasie de la séreuse aboutit à
suppuration. (Ricord.)
IV. Scrotum. — Les diverses tuniques qui enveloppent le testicule
sont d'ordinaire le siège d'une hyperémie plus ou moins vive, à laquelle
succède une infiltration séreuse dans les mailles du tissu cellulaire. Très-
rarement la phlegmasie dépasse les limites de l'hyperémie sécrétoire,
pour déterminer la formation de petits foyers superficiels.
V. Canal déférent. — Ses lésions ne sont pas constantes. Toutefois
il n'est pas rare d'observer des signes manifestes de déférentite, spécia-
lement dans la portion du canal qui avoisine l'épididyme : muqueuse
rougeâtre, tuniques externes tuméfiées et infiltrées de liquide, exsudats
inflammatoires à l'intérieur du conduit.
Deville dit avoir observé une véritable suppuration du canal déférent.
Le même auteur a vu les veines du plexus spermatique devenues le siège
d'une phlébite purulente.
VI. Vésicules séminales. — Elles sont en général intactes. Dans
quelques autopsies seulement, on les a trouvées malades et présentant
les lésions suivantes : tuméfaction générale, avec dureté ; injection de la
surface muqueuse; altération du liquide séminal, lequel même parfois
était remplacé par du muco-pus jaunâtre, où le microscope faisait faci-
lement reconnaître des globules purulents.
Godard a observé deux fois une véritable atrophie de ces organes.
Souvent les vésicules sont saines, et néanmoins le liquide qu'elles con-
RLENNORRïIAGIE. — ÉPIDIDYMITE, ORCHITE BLENNORRHAGJQUE. 219
tiennent est privé de spermatozoïdes. Ce fait est la conséquence d'une ob-
struction spermatique, laquelle, comme nous l'avons vu précédemment,
a le plus habituellement son siège dans la queue de l'épididyme.
Pathogénie. — Comment l'inflammation blennorrhagique de l'urèthre se
communique-t-elle à l'épididyme ou au testicule? Quelle est la pathogénie
des complications que nous venons de décrire? Cette propagation morbide
résulte-t-elle d'une métastase, d'une sympathie, d'une extension de la
phlegmasie par continuité de tissus, ou de toute autre cause? Questions
longtemps agitées, longuement débattues dans tous les livres, et tout aussi
insolubles aujourd'hui qu'elles l'étaient autrefois.
Il serait sans profit de reproduire ici les interminables discussions aux-
quelles a donné lieu ce point de doctrine. Bornons-nous à dire :
1° Que la théorie de la métastase n'est plus soutenable aujourd'hui. Si
l'écoulement diminue assez souvent d'une façon notable ou môme se sup-
prime (ce qui est toutà fait exceptionnel) au débutde la complication testicu-
laire, il est tout aussi habituel qu'il ne se modifie pas d'une façon sensible.
Et d'ailleurs ne voit-on pas chaque jour des écoulements supprimés, soit
à propos, soit de la façon la plus intempestive, sans que par ce fait l'épi-
didyme ou le testicule s'enflamme? Il suffit souvent de l'introduction
d'une bougie dans un canal sain pour déterminer une épididymite ; quel
rôle la métastase pourrait-elle jouer dans ce cas, puisqu'il n'y a pas
d'écoulement?
2° La doctrine de la sympathie, de la synergie organique, bien que
traduisant peut-être un fait vrai, n'est qu'une hypothèse non susceptible
de démonstration.
, 3° La doctrine de la propagation par continuité de tissus a pour elle
deux arguments de haute valeur : 1° l'époque où les complications testi-
culaires se produisent de préférence, époque qui est précisément cello où
l'inflammation a atteint les parties profondes de l'urèthre et s'y cantonne
d'une façon chronique ; — 2° la considération de certains cas dans les-
quels on a positivement vu la maladie affecter tout d'abord le canal dé-
férent, puis descendre de proche en proche dans la bourse et envahir
finalement l'épididyme .
En revanche, une objection capitale peut et doit être opposée à cette
doctrine, c'est l'intégrité absolue du "canal déférent dans un très-grand
nombre de cas. Si ce canal est trouvé sain, c'est qu'évidemment il n'a pas
servi d'intermédiaire entre la phlegmasie de l'urèthre et celle de l'épi-
didyme. Répondre à celte objection que la muqueuse de ce conduit peut
bien s'être enflammée sans laisser de traces, que son inflammation peut
avoir été assez légère pour ne pas donner lieu à des signes manifestes,
c'est, à mon sens, invoquer un argument d'une valeur douteuse, c'est
tout au moins émettre une hypothèse que rien ne légitime.
Que l'épididyme puisse s'enflammer par le fait d'une propagation delà
phlegmasie de proche en proche (Épididymite de propagation ou de con-
tinuité), cela parait démontré. Mais que ce mode de pathogénie préside
dans tous les cas au développement de la maladie, c'est là ce qu'on est
220 BLENXOttHUAGIE. — épididymite, orciiite bleisnorrhagique.
en droit de contester, et ce qui reste au moins douteux dans l'étal actuel
de nos connaissances.
Je me suis souvent demandé si, dans les cas où l'épididymite ne sau-
rait être expliquée ni par une phlegmasie de continuité, ni par aucune
cause locale, elle ne pourrait être assimilée à certaines déterminations
blennorrhagiqucs que nous étudierons bientôt, et dont le propre est
d'affecter des organes qu'aucun rapport anatomique, qu'aucune dépen-
dance fonctionnelle ne relie à l'urèthre. Ne pourrait-elle être considérée
comme l'analogue de ces accidents qui se produisent à distance, sur des
points éloignés du canal, et qui de toute évidence ne reconnaissent pas
l'irradiation inflammatoire pour origine (arthropalhies, fluxions des gaines
tendineuses, des bourses muqueuses, etc.) ? Ce n'est là, sans doute, qu'une
vue toute théorique, qu'une hypothèse qui échappe à la démonstration,
mais qui du moins a pour elle le bénéfice de l'analogie.
Diagnostic. — Nous avons peu de chose à dire sur le diagnostic de
l'épididymite blennorrhagique. Les conditions dans lesquelles elle se
produit, les caractères du gonflement qui porte surtout sur l'épididyme,
l'induration caractéristique de la queue de l'organe, etc., la différencient
suffisamment soit des autres variétés d'orchite, soit de l'érysipèle ou du
phlegmon des bourses, soit des tumeurs variées dont le testicule peut être
le siège.
Une seule particularité intéressante mérite d'être signalée, comme
pouvant donner lieu à de singulières méprises : c'est le développement
de l'épididymite dans les cas d'ectopie du testicule, (épididymite inlra-
inguinale, intra-abdominale, périnéale, intra-crurale) . On conçoit que
dans ces conditions l'existence (rime tumeur inflammatoire siégeant à
l'aine, dans l'abdomen ou au périnée, peut en imposer au premier abord
pour une adénite, un phlegmon, un étranglement herniaire, une péri-
tonite locale, etc. Il suffit de connaître la possibilité de cette anomalie et
d'explorer le scrotum pour être mis sur la voie du diagnostic.
Il en est de même pour les inversions du testicule que nous avons
précédemment mentionnées et qui modifient la situation de la tumeur
inflammatoire.
Pronostic. — Le pronostic est sans aucune gravité dans l'énorme ma-
jorité des cas. La guérison, la guérison complète est la règle. La ter-
minaison par abcès et l'extension de la phlegmasie au péritoine sont des
faits aussi rares, aussi exceptionnels que possible.
La maladie n'est susceptible de conséquences sérieuses pour l'avenir
que dans le cas d'épididymite bilatérale, avec noyaux d'engorgement
chronique et obstruction des canalicules séminifères. Or, d'une part,
l'inflammation ne se porte le plus souvent que sur un seul épididyme ;
et d'autre part ces engorgements ne survivent guère que pour un certain
temps à l'état aigu; ils s'effacent à la longue presque constamment. La
stérilité n'est donc presque jamais que temporaire ; il est exceptionnel
qu'elle devienne définitive.
Traitement. — Au dire de certains médecins, du docteur Puche no-
BLENNORRÏIÀGIE. — épididymite, orchite blennorrhagique. 221
tammcnt, l'expectation aidée de quelques soins d'hygiène donnerait des
résultats tout aussi sûrs et tout aussi rapides que les médications diverses
dont on a surchargé le traitement de cette maladie.
Dans l'immense majorité des cas, il suffit d'opposer à la maladie la
très-simple médication suivante : repos au lit, avec la précaution de
maintenir les bourses immobilisées et relevées le plus haut possible sur
l'abdomen; application continue de cataplasmes émollients, arrosés au be-
soin de laudanum ; bains répétés ; tisanes délayantes ; lavements ou laxatifs
légers pour entretenir la liberté du ventre ; régime léger, surtout pendant
les premiers jours. — Plus tard, quand la résolution est acquise, com-
presses d'eau blanche sur les bourses. — Lorsque le malade commence à
se lever, recommander l'usage d'un suspensoir garni d'ouate. J\e per-
mettre la marche qu'à l'époque où la tumeur épididymaire est devenue
presque indolente à la pression.
Quelques symptômes toutefois, par leur exagération ou leur prédomi-
nance, donnent souvent lieu a des indications spéciales. Ainsi l'intensité
des phénomènes inflammatoires, notamment de la douleur, exige en
certains cas l'emploi d'une médication antiphlogistique plus active. On
a recours alors avec grand avantage au traitement suivant : émission
sanguine locale que l'on répète au besoin (15 à 20 sangsues sur le trajet
inguinal, au niveau du cordon); bains quotidiens, prolongés d'une à
deux heures, onctions bclladonées; quarts de lavements laudanisés, etc.
— Cette médication produit en général une sédation rapide, parfois
même immédiate.
D'autres fois, c'est la distension excessive de la tunique vaginale qui
développe des phénomènes douloureux d'une haute intensité. Une simple
ponction évacuatrice, pratiquée avec la lancette, suffit presque toujours
à produire une rémission instantanée des douleurs et une détente no-
table des symptômes inflammatoires. Quelques médecins conseillent
même cette petite opération dans les cas où l'épanchement n'est pas
excessif; d'après leur dire, l'évacuation de la vaginale s'accompagnerait
très-généralement d'une sédation marquée de la douleur, et abrégerait
la durée totale de la maladie.
Lorsque les phénomènes aigus sont dissipés et que l'engorgement
épididymaire persiste seul, on a coutume de prescrire, à titre de résolu-
tifs, soit des pommades dites fondantes (iodure de potassium, iodure de
plomb, onguent mercuriel), des emplâtres divers (emplâtres de Vigo,
de savon, de ciguë, etc), des badigeonnages à la teinture d'iode, etc.;
soit encore, à l'intérieur, l'iodure de potassium, l'extrait de ciguë, le ca-
lomel, etc. Je ne crois guère pour ma part à l'action de ces prétendus
résolutifs, dont je n'ai jamais constaté d'effets bien appréciables. Je leur
préfère de beaucoup l'emploi longtemps continué des bains, des cata-
plasmes appliqués pendant la nuit, et du suspensoir ouaté pendant le
jour. Le temps seul, aidé de l'hygiène, suffit à la résolution des noyaux
épididymaires.
Il est bien d'autres médications qui ont été préconisées contre l'épi-
222 BLENNORRHAGIE. — orchite.
didymite : les onctions mercurielles ; les badigeonnages au collodion; la
compression; les vésicatoires ; des topiques de toute sorte (alun, sulfate
de fer, chloroforme, etc.); les applications de glace au début, comme moyen
abortif; les mouchetures du scrotum; à l'intérieur, le calomcl, le tartre
stibié, etc., etc. Jugées aujourd'hui par l'expérience, ces diverses médi-
cations donnent des résultais bien moins satisfaisants que le très-simple
traitement dont l'exposé vient d'être fait; quelques-unes mêmes ne sont
pas sans inconvénients véritables.
OreisHe (orchite vraie, parenchymateuse , didymite, inflammation
du corps, de la substance du testicule). — Répétons encore que cette forme
d'inflammation est excessivement rare comme complication de la blen-
norrhagie.
Elle ne s'observe jamais qu'associée à l'épididymite. (Ricord.)
Ses symptômes, qui seront décrits ailleurs en détail (voy. Testicule,
Orchite), sont tout autres que ceux de l'épididymite. Ils en diffèrent sur-
tout par trois points principaux, que nous signalerons succinctement :
1° Intensité excessive des phénomènes douloureux. La douleur testicu-
laire, après avoir débuté en générai assez brusquement, ne tarde pas à
acquérir une violence extrême ; elle devient suraiguë, déchirante, atroce^
au point d'arracher des cris continus, de déterminer des syncopes et un
état d'angoisse qu'on ne retrouve guère que dans les crises les plus vio-
lentes des coliques hépatiques ou néphrétiques. Elle se continue souvent
plusieurs jours au même degré, puis décroît et devient plus tolérabie. Il
n'est pas rare de la voir cesser brusquement ; le malade se félicite alors
de cette sédation subite qu'il considère comme une délivrance; mais le
médecin instruit la déplore, parce qu'elle lui annonce la mortification de
l'organe enflammé.
2° Volume généralement moindre 'de la tumeur inflammatoire, ce qui
tient à cette double raison que, d'une part, l'enveloppe fibreuse et inex-
tensible de la glande forme barrière au développement phlegmasique,
et que, d'autre part, l'orchite vraie se complique bien plus rarement
que l'épididymite d'inflammation de la vaginale. — Ajoutons que cette
tumeur est également différente comme forme de celle que constitue
l'épididymite. Elle est régulièrement ovoïde comme le testicule, ou, pour
mieux dire, ce n'est que le testicule légèrement augmenté de volume,
sans déformation. — Cette tumeur est extraordinairement douloureuse
à la pression, au point que le contact des cataplasmes ou des draps
ne peut être supporté. — Si Ton essaye d'explorer les parties, ce qu'on
ne peut faire qu'avec les plus grands ménagements, on n'arrive que
très-difficilement en général à distinguer l'épididyme, soit parce que cet
organe est resté sain, soit parce qu'il est, pour ainsi dire, massé avec
le testicule et confondu dans une tumeur unique que recouvre un scro-
tum érysipélateux. Mais ce que l'on constate fort bien, c'est que le tes-
ticule est induré, qu'il a perdu sa consistance élastique sui generis; c'est
là, pour Ricord, le signe pathognomonique de l'orchite parenchymateuse.
5Ô Intensité bien plus considérable des phénomènes généraux. Au début,
BLENNORFiIIAGIE. — épididymite pseudo-tuberculeuse. !2!2d
frissons légers, puis fièvre assez vive; état gastrique, inappétence absolue;
nausées, hoquets, vomissements, constipation ; et surtout état nerveux
très-accusé, agitation excessive, insomnie, jactitation, anxiété; tous phé-
nomènes que l'on a comparés à ceux de l'étranglement en général, et qui
résultent en effet d'un véritable étranglement du testicule dans sa coque
libreuse inextensible.
Au point de vue des terminaisons, les différences ne sont pas moins
grandes. Presque constante pour l'épididymite, la résolution est ici beau-
coup plus rare. Souvent, le plus souvent même pour quelques auteurs,
l'orchite vraie aboutit soit à la suppuration, soit à la gangrène, soit en-
core, ce qui est moins fréquent, au fongus bénin, à l'induration chroni-
que, à l'atrophie. Ces lésions diverses de terminaison seront décrites en
détail dans un autre article de cet ouvrage. Mentionnons seulement ici
ce que l'une d'elles offre de particulier et de très-intéressant.
La gangrène qui succède à l'orchite ne présente pas les caractères ha-
bituels de la mortification des tissus. Lorsque le testicule privé de vie
vient se hernier à travers le scrotum, ce que l'on constate, ce n'est pas
un sphacèle brunâtre, putrilagïneux, fétide; c'est une sorte de bourgeon
jaunâtre, sec, mollasse sans être diflluent, et ne rappelant en rien l'as-
pect des eschares gangreneuses. Si Ton en saisit avec une pince une por-
tion superficielle, on peut en étirer de longs filaments, qui ne sont rien
autre que les tubes séminifères. C'est là une sorte de gangrène sèche, de
momification, ou, comme l'a dit llicord, de nécrose du testicule.
L'orchite vraie est donc une complication très-grave, qui compromet le
plus habituellement la glande séminifère. — C'est dire qu'elle nécessite
une intervention thérapeutique des plus actives. Dès le début, antiphlo-
gistiques énergiquement appliqués; émissions sanguines locales, abon-
dantes et répétées ; bains prolongés, coup sur coup-, onctions fortement
beliadonées ; glace sur le testicule (Curling); révulsifs intestinaux, etc.
Et surtout, dès qu'il y a soupçon d'étranglement, ne pas hésiter à prati-
quer le débridement de Palbuginée, seule ressource pour sauver l'organe
menacé de gangrène.
Variole : épi «fi cl y mal te p&CBBilo-tMbeircBileiist». — J'appelle ainsi,
dans le but d'attirer l'attention sur elle, une variété d'épididymite que
je ne trouve pas signalée dans les traités classiques, et qui cependant
s'est présentée plusieurs fois à mon observation.
Cette variété rare, dont il n'a guère été fait mention jusqu'à ce jour
que par Desormaux, présente ceci de particulier : — 1° qu'elle se produit
exclusivement, du moins d'après ce que j'ai observé jusqu'à ce jour, dans
le cours d'écoulements à forme chronique ou de blennorrhées anciennes ;
— 2° quelle simule à s'y méprendre la tuberculisation de lépididyme, à
ce point qu'elle est presque infailliblement confondue avec cette dernière
maladie.
Ses symptômes sont les suivants :
Au début môme, elle s'annonce parfois comme une épididymite sub-
aiguë et bénigne, qui, plus tard, parcourt lentement ses périodes et reste
224 BLENN0RRHAG1E. — rhumatisme.
indolente sans se résoudre ; d'autres fois et plus souvent peut-être, elle
se développe d'une façon insidieuse, presque sans phénomènes d'acuité;
l'épididyme se tuméfie sans douleur et ne présente qu'une légère sensi-
bilité à la pression.
Puis le gonflement s'accroît, devient môme souvent très-volumineux ,
en même temps que les phénomènes douloureux s'apaisent et s'effacent
complètement. Ce que l'on constate alors se résume à ceci : tuméfaction
indolente de l'épididyme, lequel forme une masse très-dure, lisse ou irré-
gulière, uniforme ou bosselée sur plusieurs points.
Simultanément, il peut se faire que la vaginale s'affecte et développe
une hydrocèle plus ou moins considérable. — Souvent aussi le canal dé-
férent se prend et forme une corde indurée, qui tantôt est régulièrement
cylindrique et lisse, qui tantôt est semée de nodosités et moniliforme.
Cet état des parties reste longtemps stationnaire, plusieurs mois pour
le moins. Puis il arrive de deux choses l'une. Ou bien, la tuméfaction di-
minue et se résout, mais avec une lenteur désespérante ; ou bien, un point
de la tumeur devient sensible et douloureux, proémine, contracte des
adhérences avec le scrotum, et constitue une saillie fluctuante, laquelle
s'ouvre et laisse écouler une certaine quantité de pus. Cette ouverture reste
longtemps fistuleuse, en fournissant une suppuration légère, et finit par
se fermer. Il persiste alors dans l'épididyme une nodosité dure, qui peut
bien à la longue diminuer de volume et de consistance, mais qui, suivant
toute probabilité, ne doit jamais s'effacer complètement.
Si la cause originelle de la complication persiste, il peut se faire,
comme je l'ai observé, que de nouvelles poussées se produisent. Ainsi,
j'ai vu l'affection récidiver deux, trois et quatre fois sur le même épidi-
dyme, ou bien envahir l'épididyme opposé, ou bien encore se propager
sur le canal déférent. Chaque rechute produit un engorgement nouveau
qui s'ajoute aux précédents, persiste un temps considérable, et souvent
aboutit à suppuration. De là des désorganisations, des destructions pro-
bables, ou pour le moins des oblitérations des canalicules séminifères,
avec leur conséquence naturelle d'infécondité temporaire ou définitive.
Il est facile de voir par ce qui précède que cette forme d'épididymite
chronique présente de nombreux points de contact et des analogies sin-
gulières avec le sarcocèle tuberculeux. Il n'est donc pas étonnant qu'elle
ait été confondue jusqu'à ce jour avec cette dernière affection.
Deuxième groupe. — I. Rbumatlsme hlea&norrliagÂciue. — I. Th.
Selle et Swediaur se partagent l'honneur d'avoir reconnu la liaison de cer-
taines arthropathiesaveela blennorrhagieuréthrale. Par une coïncidence
curieuse, ils signalèrent ce fait exactement à la même époque (1781). Leur
découverte ne tarda pas à être confirmée par J. limiter (1786) et par
un grand nombre d'observateurs.
L'intéressante question du rhumatisme blennorrhagitjue a donné lieu
dans notre siècle à une foule de publications parmi lesquelles il faut sur-
tout citer les travaux de Ricord, de Foucart, de Brandes (de Copenhague) , etc.
BLENN0RRÏIAG1E. — rhumatisme. 225
On consultera avec fruit sur ce sujet une bibliographie très-complète
publiée par Ch. Ravel en novembre et décembre 1857.
II. Une question préalable doit être agitée au début de cette étude :
Existe-t-il un rhumatisme blennorrhagique?
Tout d'abord, il est incontestable que la clinique nous offre souvent à
observer des affections articulaires développées dans le cours de blen-
norrhagies urétlirales. Or, quelle interprétation donnera cette association
de phénomènes? Ici les dissidences commencent. Pour les uns, il n'y
aurait là qu'une pure coïncidence, qu'une simple relation chronologique,
qu'une combinaison fortuite. Le rhumatisme se produirait dans le cours
d'une blennorrhagie tout comme pourrait se développer une pneumonie
ou une variole, sans qu'aucun rapport rattachât entre eux ces états
morbides accidentellement réunis. Thiry (de Bruxelles) s'est fait sur-
tout le représentant de cette opinion. Pour lui il n'est pas de rhuma-
tisme qu'on puisse légitimement appeler blennorrhagique. Il n'y a que
des arthrites coïncidant avec la blennorrhagie , la, coudoyant comme
pourrait le faire toute autre maladie intercurrente, ne dépendant pas
d'elle, réagissant à peine sur elle, et ne présentant ni dans leurs
symptômes, ni dans leur marche, ni dans le traitement qu'elles ré-
clament, rien qui puisse autoriser à en constituer une espèce patholo-
gique distincte.
D'autre part, l'énorme majorité des patliologist.es admet aujourd'hui
que les affections articulaires qui accompagnent souvent la blennorrhagie
lui sont reliées par une connexion intime, par une dépendance pathogé-
nique des plus évidentes. Dans cette manière de voir, les arthropathies
se développent sous l'influence directe de la blennorrhagie ; ce ne sont
pas de simples coïncidences, ce sont des manifestations solidaires de
l'écoulement uréthral ; ce sont, en un mot, de véritables arthropathies
blennorrhagiques.
Cette interprétation des faits repose sur des considérations très-rigou-
reuses et de la plus haute valeur. Ainsi :
4° Telle est la fréquence des affections articulaires coexistant avec
la blennorrhagie quelle ne peut s'expliquer par une simple coïncidence.
11 n'est pas de praticien qui n'ait observé cette association pathologique ;
il n'est pas de service d'hôpital où elle ne se présente plusieurs fois dans
le cours d'une année. La science abonde de faits de ce genre. Voit-on
de même coïncider avec la blennorrhagie telle autre alfection qu'il sera
loisible de choisir au hasard dans le cadre nosologique? Evidemment
non# — Lc seul fait de la coexistence fréquente du rhumatisme et de la
blennorrhagie est donc significatif et témoigne d'une relation palhogé-
nique probable entre ces deux états morbides.
2° La récidive du rhumatisme dans le cours de bleniiorrhagies succes-
sives établit entre ces deux affections un rapport évident, une connexité
réelle qui ne peut s'expliquer par une simple coïncidence. Cela est très-
démonstratif. Il est en effet nombre de sujets chez lesquels des fluxions
articulaires se produisent à propos de chaque blennorrhagie et seulement
NOUV. D1CT. MliD. ET CUIR. V. — 15
226 BLENNORHHAGIE. — rhumatisme.
à ce propos. Des faits de ce genre ont été signalés par un grand nombre
d'auteurs, limiter, A. Cooper, Jlicord, Brandes, Diday, etc. Ainsi, limiter
parle d'un malade qui était pris de douleurs rhumatismales toutes
les fois qu'il contractait une gonorrhée. Brandes relate dans son impor-
tant mémoire huit cas de récidive, dans l'un desquels un sujet fut af-
fecté six fois de rhumatisme dans le cours de six gonorrhées consécutives.
De même, je trouve dans mes notes huit cas où le rhumatisme se ré-
péta à propos de chaque blennorrhagie nouvelle, deux fois sur cinq ma-
lades, trois fois sur deux, et quatre fois sur le dernier. Or, de tels faits
peuvent-ils être attribués à de simples combinaisons accidentelles d'états
pathologiques? Ne démontrent-ils pas, au contraire, jusqu'à l'évidence
l'étroite connexion du rhumatisme avec la blennorrhagie?
3° Enfin, le rhumatisme qui accompagne la blennorrhagie n'est pas
identique au rhumatisme ordinaire, simple. Il en diffère à plusieurs
égards. S'il n'a pas de symptômes pathognomoniques qui l'en distinguent,
il a souvent une allure spéciale qui témoigne de son individualité. D'une
part, il manque de certains caractères propres au rhumatisme vulgaire;
et d'autre part il a, comme nous le verrons, quelques expressions svm-
ptomatologiques qui font défaut dans ce dernier.
Sinonymie: Arthrocèle, gonocèîe, tumeur bîennorrhagique du genou,
arthrite, arthropathie bîennorrhagique.
Causes. — I. La cause essentielle du rhumatisme bîennorrhagique, c'est
la blennorrhagie, qui est indispensable au développement de ces accidents
et qui suffit à elle seule à en déterminer l'explosion.
Chose remarquable, en effet, les causes habituelles du rhumatisme vul-
gaire nejouent ici presque aucun rôle. Le refroidissement, l'humidité, etc.,
sont absolument étrangers, au moins dans l'énorme majorité des cas, à la
production des accidents articulaires.
Il en est de même d'autres influences accidentelles, considérées hypo-
thétiquement par quelques auteurs comme propres à favoriser le déve-
loppement de cette complication : fatigues, efforts, bains administrés
dans le cours des écoulements, répercussion produite par l'usage des bal-
samiques (cubèbe, copahu), etc. Aucune de ces causes n'a d'action évi-
dente; et, règle presque absolue, le rhumatisme se manifeste sponte sua,
sans qu'aucune circonstance occasionnelle ne soit intervenue pour en
favoriser la production.
Qu'il y ait dans la constitution des malades un élément inconnu, qui
détermine l'apparition du rhumatisme, cela n'est pas douteux, puisque,
comme nous l'avons vu précédemment, il est certains sujets qui ne
peuvent contracter de blennorrhagie sans qu'aussitôt les articulations
ne se prennent. Mais quel est cet élément, nous l'ignorons absolument.
C'est en vain que plusieurs auteurs, et moi à leur suite, avons inven-
torié les observations contenues dans la science, pour découvrir le secret
de ces singulières prédispositions individuelles ; rien de satisfaisant
n'a été obtenu jusqu'à ce jour.
Il était naturel de penser que la diathèse rhumatismale, héréditaire
BLEMOïiP.IlAGlE. — rhumatisme. 227
ou acquise, dût constituer ici une prédisposition plus ou moins influente.
A priori, on pouvait être autorisé à admettre que les sujets rhumati-
sants devaient, plus que d'autres, être exposés au rhumatisme blennor-
rhagique, ou bien que les individus affectés d'arthropathies blennorrha-
giques devaient souffrir habituellement du rhumatisme. Or ni Tune ni
l'autre de ces inductions théoriques ne trouve sa confirmation au lit du
malade, ainsi que l'ont établi plusieurs observateurs. J'ai pu constater
notamment, pour ma part, que plusieurs de mes clients, chez lesquels
des arthropathies se reproduisaient presque fatalement avec chaque
blennorrhagie nouvelle, étaient indemnes de toute manifestation rhu-
matismale alors que leur urèthre était sain.
Autre particularité non moins curieuse : le rhumatisme blennorrha-
gique est infiniment plus rare chez la femme que chez l'homme, à en
juger du moins d'après les observations contenues dans la science. Plu-
sieurs auteurs (Foucart,Brandes, Christensen, Rollet, Potton, Bonnaric,
Diday, etc.), n'ont pas rencontré un seul exemple d'arthropathie blennor-
rhagique développée chez la femme. On a même considéré cette complica-
tion comme exclusivement propre à l'homme. Quelques faits, bien authen-
tiques, donnent un démenti formel à cette dernière opinion. Ainsi, Ricord
a observé plusieurs fois chez la femme des rhumatismes de nature évidem-
ment blennorrhagiquc. (Commun, orale.) Richet a eu l'occasion de traiter
à Lourcine une arthrite du genou qu'il n'hésita pas à rattacher à une
blennorrhagie pour laquelle la malade se trouvait dans les salles. Cullerier,
pendant son séjour dans le même hôpital, a observé trois cas d'artlirite
blennorrhagique: « dans le premier, dit-il, c'était le genou qui était pris;
dans le second, c'était le poignet ; dans le troisième, l'articulation sterno-
claviculaire. Les deux premières observations ne peuvent faire, pour moi,
l'objet d'un doute quant à la nature de l'arthrite. » J'ai dans mes notes
un l'ait du même genre. — Du reste, comme le dit très-judicieusement
Cullerier, cette rareté du rhumatisme blennorrhagique chez la femme
est peut-être plus apparente que réelle; « elle pourrait trouver son ex-
plication dans cette circonstance, que la femme dissimule très-souvent
ce qu'elle éprouve du côté des organes génitaux, » et dans cette autre
aussi que l'examen de ces organes est rarement proposé en pratique,
même à l'hôpital, à propos d'accidents articulaires. Pour Ricord, ce fait
s'expliquerait d'une façon différente : la rareté des affections articulaires
chez la femme ne serait que la conséquence, le corollaire en quelque
sorte, de la rareté de ïuréthrite.
IL La nature blennorrhaijique des écoulements auxquels s'associe le
rhumatisme est implicitement admise par tous les auteurs. Cela du moins
résulte du titre même de leurs observations et de la dénomination sous
laquelle on désigne communément la maladie.
De plus, remarque intéressante, c'est avec la blennorrhagie uréthrale
seule que l'on observe le rhumatisme (Ricord.) Jamais on ne le rencontre
comme complication ni avec la blennorrhagie balano-préputiale {voyez
Balanite, t. IV), ni avec la vaginite, les écoulements du col, non plus
228 BLENNORRHAGIE. — rhumatisme.
qu'avec la blennorrhagie oculaire (ophthalmie de contagion), nasale,
anale, etc. J'ajouterai même cette remarque que tous les écoulements uré-
thraux ne sont pas susceptibles de se compliquer cl accidents articulaires.
Ainsi, bien que mon attention fût éveillée sur ce point, je n'ai jamais
observé le rhumatisme ni avec l'uréthrite inflammatoire ou catarrhale, ni
avec l'uréthrite herpétique ou dartreuse que je décrirai dans un autre ar-
ticle de cet ouvrage, ni avec cette variété si commune d'écoulements gris
et aqueux auxquels Diday a donné le nom d'uréthrorrhées, etc.... Sur ce
point, quelques-unes de mes observations sont très-concluantes. Quatre
de mes malades, chez lesquels le rhumatisme se reproduisait comme
fatalement avec chaque blennorrhagie nouvelle, contractèrent des uré-
thrites plus ou moins intenses qui ne déterminèrent aucun accident vers
jointures.
III. L'abondance de V écoulement serait, d'après Rollet, « la condition la
plus générale dont dépend plus ou moins directement l'éclosion rhuma-
tismale. En interrogeant les malades, dit cet observateur, on apprend
toujours qu'avant le rhumatisme le canal était douloureux, la blennor-
rhagie aiguë, l'écoulement abondant. Ceux même chez qui la complica-
tion éclate sans qu'une nouvelle blennorrhagie ait été contractée, et qui
n'avaient auparavant qu'un suintement chronique, nous apprennent que
le suintement s'était accidentellement ravivé au point de devenir un
écoulement véritable. » Mes observations personnelles sont en désaccord
avec cette opinion de Rollet. Trente-neuf cas que j'analyse scrupuleuse-
ment à ce sujet me conduisent aux résultats suivants : — 1° Dans un
certain nombre de cas, il est vrai que le rhumatisme s'est produit à
la suite de blennorrhagies intenses, fournissant une abondante suppu-
ration, ou bien de blcnnorrhées que des causes diverses avaient acci-
dentellement ramenées à la période aiguë. — 2° Mais, dans un nombre
de cas bien supérieur, l'écoulement qui préludait au rhumatisme n'était
que moyen, ne présentait nullement cette acuité, cette abondance que
Rollet considère à tort comme « la condition la plus générale dont dé-
pend l'éclosion rhumatismale. » — 5° De plus, huit fois le suinte-
ment uréthral était très-faible, minime, insignifiant, à ce point que,
dans un cas, il était absolument ignoré du malade, et que ce fut moi
qui le découvris.
Epoque d'apparition. — Le rhumatisme blennorrhagique fait son inva-
sion à des périodes assez variables de l'écoulement. On l'a vu se dé-
velopper au cinquième, au huitième jour; mais, en général, il n'ap-
paraît guère qu'à une époque plus éloignée. Dans les faits que j'ai
observés, le plus souvent les accidents articulaires se sont produits du
sixième au quinzième jour ; plus rarement, ils se sont manifestés dans
le cours du deuxième et du troisième mois. Il n'est pas très-rare toute-
fois qu'ils se développent à une période beaucoup plus reculée, comme
dans le cas où de vieilles blennorrhées, ravivées ou non par quelque cause
accidentelle, viennent à se compliquer inopinément de phénomènes rhu-
matismaux.
BLENN0RRHAG1E. — rhumatisme. 229
On croyait autrefois que l'invasion du rhumatisme était nécessaire-
ment marquée par une diminution notable et même par une suppres-
sion complète de l'écoulement. De là cette déduction doctrinale que les
accidents articulaires étaient le résultat d'une métastase s'opérant de
l'urèthre sur les jointures. De là aussi, comme conséquence pratique,
l'indication de rappeler la fluxion vers l'urèthre pour délivrer les syno-
viales. Une observation plus attentive a fait justice de ces errements dont
l'origine remonte jusqu'à Swediaur. Il est acquis aujourd'hui à la science :
1° que, dans un grand nombre de cas, dans la moitié pour le moins et
peut-être les deux tiers, l'écoulement reste ce qu'il était; 2° que parfois il
subit une diminution notable, mais plusieurs jours seulement en général
après l'invasion des accidents, diminution qui s'explique rationnellement
sans invoquer la métastase, soit par le repos et les soins hygiéniques
auxquels s'astreint le malade, soit par le fait de l'influence révulsive que
toute affection intercurrente exerce habituellement sur la maladie
qu'elle complique ; 5° enfin, qu'à des degrés divers, il subsiste toujours,
ou presque toujours. Très-exceptionnels sont les cas où il se suspend
d'une façon complète. On dit en avoir observé quelques exemples; pour
ma part, je n'en ai pas encore rencontré.
Siège; localisations diverses du rhumatisme blennorrhagique. — Le
rhumatisme blennorrhagique a des localisations multiples. Il se porte de
préférence sur les synoviales articulaires. Mais ce qu'on oublie trop, ce
que les auteurs n'ont pas assez dit, c'est qu'il affecte, et cela très-fré-
quemment, comme nous le montrerons bientôt, différents autres systèmes,
à savoir : les séreuses des tendons, les bourses synoviales, les muscles, les
nerfs eux-mêmes, Y œil, et peut-être aussi (car cela n'est pas encore
suffisamment démontré), quelques-unes des grandes séreuses viscé-
rales.
Ces localisations diverses peuvent ou bien se montrer isolément, ou
bien s'associer et former des combinaisons variées. Il ne sera pas sans
intérêt de montrer par quelques chiffres leur degré de fréquence relative.
Or, il résulte du dépouillement de mes trente-neuf observations que les
manifestations rhumatismales se sont portées sur :
1° Les synoviales articulaires M fois;
2° Les synoviales des tendons 10 fois;
5° Les muscles 10 fois ;
4° Les bourses séreuses 0 fois;
5° Les nerfs (nerf scia tique) £> fois;
0° Neuf fois enfin il m'a été impossible de déterminer le siège
précis des symptômes accusés par les malades.
Nous allons étudier tour à tour ces localisations diverses du rhuma-
tisme blennorrhagique.
Rliumafismc articulaire. — Le rhumatisme blennorrhagique a
été observé sur la plupart des jointures, mais avec un inégal degré de
fréquence, comme le démontrent les quatre statistiques suivantes :
250 BLENNORRHAGIE. — rhumatisme.
SILGE DU RHUMATISME D'APRÈS : FOUCART, BRANDES, ROÏ.LET, A.FOURNIER, TOTAL
(18 tas.) (3i cas.) (28 cas.) (39 cas.)
Articulation du genou 14 28 22 19 85
— tibio-tarsienne 5 14 11 2 52
— des doigts et des orteils. ...» 8 7 8 25
— coxo-fémoralc » 10 5 1 16
— du poignet » 0 4 -4 14
— de L'épaule 1 0 5 2 12
— du coude 2 » 0 5 11
— lemporo-maxillain1 » 1 » 5 G
— médio-tarsienne et articulations
métatarsiennes » » 2 5 5
— sacro-iliaque » » 2 2 4
— sterno-clavieulnire » 2 1 » 5
— chondro-costale » » » 2 2
— péronéo-tibiale » » 1 » 1
De ces chiffres et d'autres faits encore que je ne puis citer ici , il
résulte :
1° Que l'articulation du genou est de beaucoup la plus fréquemment
atteinte ;
2° Que les grandes articulations sont plus souvent affectées que les
petites ;
5° Que ces dernières néanmoins, contrairement à ce qu'ont avancé
certains auteurs, sont assez souvent envahies par le rhumatisme blennor-
rhagique. « Seulement, il faut noter qu'elles sont prises presque toujours
consécutivement aux grandes, et non pas d'emblée. » (Cullerier.)
4° Que le rhumatisme blennorrhagique peut se limiter à une seule ar-
ticulation, mais que bien plus souvent il est poly articulaire (18 fois
contre 10, d'après Rollet; 27 fois contre 12, d'après ma statistique).
Ajoutons que, dans l'un et l'autre cas , il coïncide fréquemment avec
d'autres manifestations développées sur les séreuses des tendons, les
bourses synoviales, les muscles, l'œil, etc II est donc assez rare, en
somme, de le rencontrer exclusivement limité à une seule jointure. Je ne
l'ai observé sous celte forme que 4 fois sur 59 malades.
Formes. — Les manifestations articulaires n'affectent pas un type
unique. Loin de là, elles se présentent sous des aspects divers, sous des
formes très-différentes, qui ne me paraissent pas avoir été suffisamment
caractérisées jusqu'à ce jour.
Tantôt, en effet, elles consistent dans la production d'une simple hydar-
throse, avec l'ensemble symptomatologique propre à cette affection, c'est-
à-dire indolence, absence de réaction locale ou générale, abondance re-
marquable de l'épanchement articulaire, tendance à la chronicité, etc.
Tantôt, au contraire, elles se rapprochent de la fluxion rhumatismale
aiguë, voire même de l'arthrite.
Tantôt, enfin, elles ne consistent qu'en de simples douleurs articu-
laires, sans épanchement, sans lésions appréciables des jointures.
De là, trois formes, que je décrirai séparément.
Cette division ressort sans peine de l'observation des faits ; elle me
paraît donc réellement clinique cl digne à ce titre d'être introduite dans
l'histoire du rhumatisme blennorrhagique.
B.LENNORRHAGIE. — rhimatisme. -251
A. Première forme : hydarthrose. — Cette forme est fréquente, inoins
fréquente toutefois qu'on ne le dit généralement.
L'hydarthrose blennorrhagique présente une prédilection singulière et
presque caractéristique pour l'articulation fémoro-tibiale. C'est au genou
qu'on la rencontre le plus habituellement; c'est là, comme on le sait, que
Swediaur fit la découverte du rhumatisme blennorrhagique. (Gonocèle.) —
Plus rarement on l'observe sur l'articulation tibio-tarsienne ou sur celle
du coude.
Cette forme est souvent monoarticulaire ; souvent encore elle occupe
les deux genoux. Elle coexiste plus rarement que la suivante avec les autres
localisations du rhumatisme blennorrhagique, telles que l'ophtlialmie,
l'inflammation des gaines tendineuses, etc.
Les symptômes par lesquels elle se traduit sont à peu près ceux de l'hy-
darthrose vulgaire : début insidieux, et plutôt insidieux, je pense, que « sou-
dain », comme le dit Velpeau; — distension de l'article par une quantité assez
considérable, parfois même très-considérable de liquide; de là, comme con-
séquence, déformation de la jointure, tuméfaction, fluctuation, etc. Celte
abondance de l'épanchcment et sa formation rapide sont même données
comme caractéristiques par certains auteurs. — Indolence des parties, ou
du moins douleurs légères relativement à celles du rhumatisme ou de
l'arthrite, n'empêchant pas l'exercice des fonctions, s'exaspérant toutefois
par les mouvements et la marche. En quelques cas, cette indolence est
complète, à ce point que l'affection peut passer inaperçue. En deux occa-
sions, il m'est arrivé de découvrir des épanchements articulaires chez des
sujets qui n'en soupçonnaient pas l'existence. — Comme symptômes né-
gatifs, signalons entin l'absence de réaction locale, la conservation de
la teinte normale des téguments au niveau de l'article, l'apyrexie, le dé-
faut de troubles généraux ou sympathiques.
Autre caractère important. Cette hydarthrose, si rapide à se produire et
à prendre un haut degré de développement, présente souvent une lenteur
remarquable à se résoudre, parfois même une tendance désespérante à
la chronicité. 1! est assez habituel qu'elle persiste plusieurs semaines; il
n'est pas rare qu'elle demande 2 ou 3 mois pour disparaître complète-
ment; entin, on l'a vue et je l'ai vue -moi-même résister aux médications
les plus énergiques pendant 4, 5, 6, 8 mois, et même bien au delà.
B. Forme rhumatismale ou arthritique. — Celle-ci s'éloigne de la pré-
cédente par les symptômes d'une réaction locale qui la rapproche du
rhumatisme aigu, parfois même de l'arthrite. Ajoutez qu'elle a bien plus
souvent que la première des déterminations multiples, c'est-à-dire qu'elle
est polyarticulaire. De plus, elle coïncide plus fréquemment aussi avec
d'autres localisations du rhumatisme blennorrhagique. Parfois enlin elle
s'accompagne de phénomènes généraux qui font défaut dans l'hydar-
throse.
I. Les symptômes qui la caractérisent sont à peu près ceux du rhuma-
tisme vulgaire, aigu ou subaigu : tuméfaction d'une ou de plusieurs
jointures, modérée en général, souvent à peine apparente, et, dans tous les
252 BLENNOKRIIAGIE. — rhumatisme.
cas, très-inférieure en volume à celle de l'hydarthrose, ce qui témoigne
d'une moindre abondance de l'épanchemcnt articulaire; — douleurs assez
vives, spontanées, et surtout provoquées par les mouvements, la marche,
la pression. Plus ou moins intenses au début, ces douleurs se calment
toujours par le repos, et ne tardent guère à devenir modérées, bien plus
modérées notamment que celles du rhumatisme vulgaire. En certains cas
exceptionnels, on les a vues prendre un très-haut degré d'acuïté, devenir
« affreuses, atroces », comme dans l'arthrite. — Coloration des téguments
quelquefois normale, surtout si l'articulation est profonde, d'autres fois
rosée ou même légèrement rouge, rarement érysipélateuse. — Troubles
fonctionnels nécessairement variables suivant les usages de l'articulation,
dont les mouvements sont abolis. — Comme phénomènes généraux, par-
fois état fébrile, précédé de quelques frissons légers, avec malaise, cour-
bature, inappétence. Cette lièvre est toujours modérée (90 à 100 pul-
sations en moyenne) ; de plus elle s'apaise en général après quelques
jours, alors que les symptômes locaux persistent avec plus ou moins
d'intensité. Il est même remarquable de voir en certains cas un état
fébrile relativement léger coexister avec des fluxions articulaires mul-
tiples et violentes. Cette disproportion entre les symptômes locaux et
la réaction générale est un signe dont le diagnostic peut tirer parti et
qui différencie les arthropathies blennorrhagiques soit de l'arthrite inflam-
matoire, soit du rhumatisme vulgaire. — Parfois aussi, absence de tout
phénomène fébrile, surtout dans les cas où l'affection n'occupe qu'une
seule jointure et ne tend pas a multiplier ses localisations.
Sous cette forme, le rhumatisme peut se limiter à une seule articula-
tion ou bien en envahir plusieurs, et cela soit d'emblée, soit surtout suc-
cessivement. A ce dernier propos, quelques remarques importantes doi-
vent trouver place ici :
1° Le rhumatisme blennorrhagique ne se généralise pas au même degré
que le rhumatisme ordinaire. — Il peut bien se porter sur deux, trois,
quatre, six jointures même, mais jamais on ne le voit sévir sur l'en-
semble des articulations ; jamais on ne voit par son fait des malades
souffrant de la presque totalité de leurs jointures et immobilisés comme
des statues sur leur lit de douleur, ce qui ne s'observe que trop sou-
vent avec le rhumatisme vulgaire. Si je ne craignais d'abuser de la
statistique, il me serait facile de montrer par des chiffres que la moyenne
des articulations affectées pour un même nombre de malades est très-
inégale de part et d'autre, c'est-à-dire bien inférieure pour le rhumatisme
blennorrhagique.
2° Ce rhumatisme est moins mobile que le rhumatisme vulgaire. — Il
se déplace moins facilement; il est plus fixe; il tient plus en quelque
sorte aux articulations qu'il a frappées.
5S II n'offre pas non plus ces délitescences subites ou rapides, ni cette
espèce de transport intégral d'une jointure à une autre, qu'il est assez
fréquent d'observer dans le rhumatisme vulgaire. Alors même qu'il dissé-
mine ses localisations, il prend une articulation nouvelle sans quitter
BLEMORRHAGIE. — rhumatisme. 233
brusquement la première, où presque toujours il persiste un temps plus
ou moins long; en un mot, il se multiplie plutôt encore qu'il ne se trans-
porte. — Nous verrons toutefois que certains cas font exception à cette
évolution habituelle de la maladie.
Puis, autre différence qui se traduit à une époque plus avancée, le
rhumatisme blennorrhagique se résout plus difficilement que le rhumatisme
vulgaire. Les fluxions articulaires par lesquelles se traduit ce dernier s'é-
teignent en général sans subir les lenteurs d'une résolution progressive.
L'arlhropathie blennorrhagique présente au contraire assez habituelle-
ment une période plus ou moins longue de décroissance pendant laquelle
les phénomènes de réaction locale s'atténuent peu à peu. Souvent encore
aux symptômes aigus survit à cette époque un épanchement articulaire
qui tarde à se résoudre. Cette hydarthrose consécutive ne s'observe que
très rarement à la suite du rhumatisme simple ; elle est fréquente dans le
rhumatisme qui complique la blennorrhagic.
II. La maladie est susceptible de degrés divers. Parfois les symptômes
inflammatoires sont assez légers; plus souvent ils revêtent une intensité
qui les rapproche de la fluxion rhumatismale aiguë; en quelques cas enfin
ils sont assez violents pour simuler une véritable arthrite.
De plus, sous cette forme, les phénomènes articulaires sont souvent
associés à d'autres déterminations du rhumatisme blennorrhagique,
ophthalmie , inflammation des gaines tendineuses , douleurs muscu-
laires, etc.
III. Il n'est pas sans intérêt de rechercher si la maladie, sous une
forme ou sous une autre, présente quelques-uns des phénomènes que l'on
est habitué à rencontrer dans le rhumatisme simple. Or, ici, des diffé-
rences très-saillantes vont s'offrir à nous :
1° Les sueurs, si remarquables dans le rhumatisme aigu, dont elles
constituent un symptôme presque essentiel, font absolument défaut dans
le rhumatisme blennorrhagique même fébrile; du moins elles n'y appa-
raissent que d'une façon accidentelle et passagère.
2° Les urines sont modifiées d'une façon toute spéciale dans le rhuma-
tisme aigu (voyez ce mot); elles ne présentent rien de semblable dans le
rhumatisme blennorrhagique.
5° Le saïuj n'offre jamais dans cette dernière affection cet état couen-
neux du caillot que l'on a observé d'une façon si caractéristique dans le
rhumatisme aigu simple. Déjà signalé par Hunier, ce fait a été constaté
d'une façon très-précise par plusieurs auteurs contemporains.
4° Les grandes séreuses, souvent affectées par le rhumatisme simple,
ne sont que très-exceptionnellement atteintes par le rhumatisme blennor-
rhagique. Quelques auteurs ont avancé que cette dernière maladie pou-
vait se compliquer de péricardite ou d'endocardite (Ricord, Brandes,
Lehinann, llervieux), de pleurésie (Ricord, G. Sée), de paraplégie, et
même de phénomènes cérébraux (Ricord); mais ce ne sont là que des
accidents excessivement rares.
Terminaison ; durée, pronostic. — I. Pour l'une et l'autre des formes
254 BLENNORRIIAGIE, — rhumatisme.
que nous venons de décrire, la résolution est le mode de terminaison ha-
bituel. La maladie guérit alors sans laisser de traces.
Parfois cependant la terminaison est moins heureuse. Ainsi il n'est pas
rare de voir le rhumatisme blennorrhagique laisser à sa suite des dou-
leurs et des roideurs articulaires très-persistantes. J'observe actuellement
un jeune homme qui, bien que guéri depuis trois ans, éprouve encore au-
jourd'hui de véritables souffrances dans les jointures anciennement affec-
tées, et cela en dépit des médications les plus diverses et les plus éner-
giques; ses articulations sont, en apparence au moins, aussi saines que
possible; elles ont conservé la plénitude de leurs fonctions; la douleur
est le seul phénomène qui survive à la maladie.
En d'autres cas bien plus rares, l'affection aboutit soit à l'hydarlhrose
chronique, soit à l'ankylose, soit même à la tumeur blanche. — Vhydar-
throse chronique est fâcheuse en ce qu'elle gène les mouvements, et plus
encore en ce qu'elle compromet la sécurité de l'articulation pour l'ave-
nir. — Uanhjlose, d'après Brandes, s'observerait de préférence sur les
petites articulations. Ce n'est pas toutefois qu'elle ne puisse affecter les
moyennes et les grandes. Parfois même elle s'étend à plusieurs jointures;
ainsi j'ai vu dans le service de M. Ricord, en 1856, un malade dont les
deux articulations tibio-tarsiennes et la plupart de celles des deux pieds
avaient été ankylosées par un rhumatisme blennorrhagique. — La tumeur
blanche est très-rare. Elle ne s'observe guère que chez les sujets lympha-
tiques ou scrofuleux ; aussi « faut-il en rendre responsable plutôt la con-
stitution de l'individu que la maladie elle-même. » (Sordet.)
Il n'existe pas dans la science un seul fait bien authentique de rhuma-
tisme blennorrhagique terminé par suppuration aiguë. Si donc cette ter-
minaison est possible, comme le prétendent quelques auteurs, elle est
pour le moins exceptionnelle.
II. Il serait difficile, d'après ce qui précède, d'assigner une durée
moyenne à la maladie, qui tantôt s'épuise en deux ou trois septénaires,
qui souvent persiste quatre, six ou huit semaines, qui d'autres fois se
prolonge plusieurs mois, et qui peut enfin dégénérer en des affections de
nature éminemment chronique.
III. De là encore un pronostic très-variable suivant les cas, parfois
léger, parfois aussi très-grave, le plus souvent sérieux par la longue du-
rée que peut prendre l'affection et les conséquences funestes dont elle peut
être suivie.
Traitement. — 1° Contre la première forme (hydarthrose), il est une
médication le plus souvent héroïque, c'est le ve'sicatoire suivi de la com-
pression. Le malade sera mis au repos; la jointure affectée sera recouverte
d'un large vésicatoire que l'on fera sécher aussitôt, puis d'un second et
d'un troisième au besoin. Dès que l'état des parties le permettra, une
compression méthodique sera pratiquée sur l'articulation. Des badigeon-
nages quotidiens à la teinture d'iode pourront être utiles ta cette époque
pour activer la résolution. — Il est assez rare que l'hydarthrose résiste à
l'emploi de ces simples moyens.
BLENNORRHAGIE. — rhumatisme. 235
2° Le traitement de la seconde forme est plus difiicilc et plus com-
plexe. — Au début, sédatifs locaux (narcotiques, émollients, chloro-
forme, etc., suivant les cas). Si la douleur est vive, si l'inflammation est
intense, si surtout elle se présente avec les symptômes de l'arthrite plutôt
que du rhumatisme, émissions sanguines locales (15 à 20 sangsues sur
l'articulation), suivies d'applications continues de cataplasmes laudanisés;
répéter au besoin les émissions sanguines, et surtout assurer Y immobi-
lité absolue de la jointure en plaçant le membre malade dans une gout-
tière. — A une époque plus avancée, lorsque les symptômes inflamma-
toires ont disparu , vésicatoircs volants répétés ; badigeonnages à la
teinture d'iode; compression, si l'épanchement articulaire tarde à se ré-
soudre.
A l'intérieur, on administre généralement soit la teinture de colchique
(5 à 4 grammes par jour), soit l'iodure de potassium, plus spécialement
appliqué aux formes indolentes et chroniques de la maladie. L'action de
ces deux médicaments est très-contestée et très-contestable. Elle est pour
le moins infidèle, au dire de tous les médecins que j'ai interrogés à ce
sujet. Pour ma part, si j'ai eu à me louer de l'un ou de l'autre de ces
remèdes en quelques cas, j'ai dû constater bien plus souvent leur im-
puissance absolue.
Les saignées sont nuisibles ou indifférentes. — Le nitre, la digitale, la
poudre de Dower, les purgatifs, les mercuriaux, le sulfate de quinine, etc.,
ne sont d'aucun secours.
Les bains de vapeur sont d'un utile emploi contre les rhumatismes à
forme indolente ou contre ceux qui manifestent quelque tendance à l'état
chronique.
En somme, comme on le voit, il y a plus d'espoir à fonder, dans le trai-
tement du rhumatisme blennorrhagique, sur les moyens locaux que sur
la médication générale.
A une époque plus avancée, si la maladie prend l'allure de la chronicité,
il est une ressource d'une utilité incontestable: c'est Y immobilisation ab-
solue de la jointure, secondée ou non par l'emploi des vésicatoires, de la
compression et de la teinture d'iode. Cette immobilisation s'obtient soit
à l'aide de la gouttière , soit mieux encore par l'appareil dextriné ou
plâtré. Elle seule suffit souvent à fournir des succès inespérés. — Déplus,
ce qui importe surtout à celte période, c'est de surveiller l'état général du
malade, de fortifier et de modifier la constitution à l'aide d'une thérapeu-
tique appropriée (amers, toniques, ferrugineux, huile de foie de morue,
sulfureux, iodiques, etc.).
Enfin, dans les cas assez fréquents où le rhumatisme laisse à sa suite
des douleurs et des roideurs articulaires, on peut obtenir de bons effets
des douches sulfureuses, des bains de vapeur, des bains térébenthines,
des fumigations aromatiques, du massage, et surtout des eaux minérales,
parmi lesquelles les résultats de mon observation personnelle me per-
mettent de placer en première ligne celles d'Aix en Savoie.
Une dernière question se présente, question longtemps débattue et
236 BLEMORRHAGIE. — rhumatisme.
diversement jugée. Convient-il de rappeler, convient-il de tarir l'écou-
lement uréthral pendant l'évolution du rhumatisme blennorrhagique?
On s'efforçait autrefois de raviver, de rappeler l'écoulement, soit par
des injections irritantes, soit par l'introduction de bougies dans le canal,
soit même par l'inoculation de matière blennorrhagique récente. On
espérait ainsi révulser la maladie des articulations sur l'urèthre. Hypo-
thétique en principe, cette méthode a été condamnée par l'expérience; elle
est presque universellement abandonnée aujourd'hui.
Inversement, y a-t-il avantage à tarir l'écoulement pour amender les
symptômes du rhumatisme? Guérit-on le rhumatisme parce qu'on guérit
la blennorrhagie? La théorie répond affirmativement, et quelques faits
heureux, contenus dans la science, semblent lui donner raison. Toutefois
ce mode de traitement indirect est loin de fournir les résultats qu'on
serait en droit d'en espérer. Je l'ai vu essayer, je l'ai souvent essayé moi-
même, sans en obtenir de succès réels ni même d'effets appréciables. Il
m'a semblé que le rhumatisme une fois lancé, pour ainsi dire, une fois
en possession de l'organisme, n'est plus influencé par les modifications
que peut subir l'écoulement ; la cause alors ne domine plus l'effet, les
articulations ne sont plus solidaires de l'état de l'urèthre.
C. Troisième forme : douleurs. — Chez certains malades, le rhuma-
tisme blennorrhagique m'a paru se présenter sous forme de simples
douleurs articulaires. Les jointures affectées n'offraient rien que de nor-
mal à l'examen le plus minutieux; elles conservaient la plénitude de leurs
fonctions; elles n'étaient pas tuméfiées; elles se mouvaient en tous sens
et sans craquements, etc.; la douleur était le seul symptôme par lequel
se traduisait la maladie.
J'ai rencontré cette forme sur plusieurs articulations : genou, poignet,
épaule, métatarse, articulation temporo-maxillairc.
Ces douleurs sont souvent vagues, ambulantes. Elles présentent ceci
de remarquable qu'elles sont parfois très-persistantes et rebelles aux
médications les plus variées.
On les observe en deux circonstances différentes, soit à l'état aigu et
coïncidemment avec d'autres manifestations du rhumatisme, soit plus
souvent à l'état chronique, dans le cours de vieilles blennorrhées, et sans
autres manifestations rhumatismales. Parfois encore, dans ce dernier cas,
ces douleurs s'exaspèrent de temps à autre, ou reparaissent après s'être
apaisées, lorsqu'une excitation quelconque ravive le suintement uréthral.
Le rhumatisme blennorrhagique n'atiecte pas seulement les articula-
tions. Ainsi que nous l'avons vu, il se porte fréquemment sur d'autres
parties où il nous reste à l'étudier.
1° Syxovialks des tendons. — Signalée par Ricord, Brandes, Cul-
lerier, l'inflammation des synoviales tendineuses est une forme assez
commune du rhumatisme blennorrhagique. Je l'ai observée 10 fois sur
mes 59 malades.
On l'a vue siéger sur les gaines des péroniers latéraux, des tibiaux,
des muscles extenseurs des doigts et du pouce, des extenseurs des orteils,
BLEMORRIIAGIE. — rhumatisme. 257
des radiaux, des iléehisseurs des doigts, du muscle demi-tendineux, du
demi-membraneux, etc....
Les symptômes par lesquels elle se traduit sont les suivants : tuméfac-
tion étendue en longueur suivant le trajet du tendon al'fecté; coloration
légèrement rosée des téguments, si le tendon est superficiel; douleur très-
vive à la pression; troubles fonctionnels en relation avec les usages du
muscle : mouvements volonlaires abolis ou incomplets; mouvements im-
primés très-douloureux. — Puis, après un temps variable, résolution pro-
gressive.
J'ai vu trois fois la maladie prendre un aspect un peu différent. Il
s'était produit au niveau des gaines tendineuses (dos de la main, dos du
pied, face postéro-inférieure de l'avant-bras), une tuméfaction limitée
d'aspect véritablement phleginoneux, avec teinte érysipélateuse des tégu-
ments et douleur excessive à la pression. La tumeur ainsi développée
avait tout l'air d'un phlegmon circonscrit. La résolution ne s'en fit pas
moins d'une façon complète en peu de jours.
Le rhumatisme tendineux coïncide le plus souvent avec d'autres mani-
festations de même origine sur les jointures ou ailleurs, ce qui suffit à
éveiller l'attention et à déceler la nature de la maladie. Mais il faut
savoir qu'il peut exister seul, isolément, auquel cas il court risque d'être
méconnu.
2° Bourses séreuses. — Les bourses séreuses peuvent être affectées
par le rhumatisme blennorrhagique. Il se produit alors une variété dluj-
groma aigu ou subaigu, facilement reconnaissable tant par l'état inflam-
matoire des parties que par le siège précis qu'occupe la tumeur. Cet
hygroma présente souvent ceci de remarquable (pie, sans offrir les si-
gnes d'une inflammation violente, il détermine des douleurs très-vives;
même à l'état subaigu, il est spécialement douloureux, et reste long-
temps le siège d'une vive sensibilité à la pression.
Deux des bourses séreuses le plus souvent affectées sont : 1° celle qui est
placée en avant du tendon d'Achille, derrière le calcanéum (bourse rétro-
calcanéenne) ; 2° celle qui est située sous la tubérosité inférieure du
même os (bourse sous-calcanéenne). C'est l'inflammation de l'une ou de
l'autre de ces bourses qui explique cette singulière douleur de talon que
Swediaur avait déjà signalée, et dont se plaignent assez fréquemment les
sujets affectés de rhumatisme blennorrhagique.
On a signalé de même l' inflammation de la bourse prœ-rotulienne, de
l'acromiale (Cullerier), de la trochantérienne, de l'ischiatique , de la
tarso-métatarsienne, de celles qui sont situées au niveau des tètes du
premier et du cinquième métatarsien. J'ai observé, avec le docteur
Verneuil, un hygroma blennorrhagique de la bourse de l'ischion, qui
s'était développé avec des symptômes assez violents pour nous faire
croire à l'existence d'un phlegmon profond. Déjà nous nous préparions
à pratiquer une incision lorsqu'une douleur très-vive se manifesta dans
un genou. L'opération fut différée; quelques jours plus tard, la résolu-
tion de l'hygroma se produisait avec une rapidité surprenante, en même
238 BLENNORRIIAGIE. — rhumatisme.
temps que l'articulation fémoro-tibialc devenait le siège d'une arthrite
des plus intenses.
Ces diverses formes de rhumatisme blennorrhagique cèdent en général
assez facilement au traitement local que nous avons formulé contre les
localisations articulaires (sédatifs locaux ; émissions sanguines si l'in-
flammation est très-vive ; plus tard, vésicatoires, etc.).
o° Muscles. — « Les muscles, dit Rollet, ne sont que légèrement at-
teints par le rhumatisme blennorrhagique et dans un petit nombre de
cas. » Je ne puis pour ma part accepter cette opinion. Sur mes 59 ma-
lades, il en est 8 qui accusèrent des douleurs évidemment musculaires,
douleurs affectant les masses lombaires, les muscles de la nuque, ceux
du dos, ceux de l'avant-bras, le deltoïde, le grand pectoral, etc. Dans
un cas, un véritable torticolis, et, dans un autre, un violent lumbago
unilatéral coïncidaient avec des manifestations diverses de rhumatisme
blennorrhagique.
4° Nerfs. — Les nerfs même peuvent être affectés. J'ai eu l'occasion
d'observer cinq cas de sciatique développée dans le cours de blennor-
rhagies aiguës. Ne s'agissait-il là que de simples coïncidences? Rigoureu-
sement applicable à trois de ces faits, cette interprétation ne pouvait
être acceptée pour les deux autres, dans lesquels la sciatique s'était pro-
duite concurremment avec des manifestations diverses de rhumatisme
blennorrhagique et dans des conditions telles que sa relation pathogé-
nique avec l'affection uréthrale ne semblait pas douteuse.
5° Enfin, pour compléter le tableau de la maladie, je signalerai cer-
tains phénomènes tout à fait exceptionnels que j'ai eu l'occasion d'obser-
ver sur quelques malades. Ce sont : — l°une diplopie temporaire, coïnci-
dant pendant quelques jours avec des arthropathies multiples; —
2° une surdité incomplète, que j'ai vue deux fois se produire dans des
conditions analogues. Ce fait n'est peut-être pas sans analogie avec la
coph ose blennorrhagique dont parle Swediaur; — 5° sur un malade que
je traitai, avec mon vénéré maître le docteur Ricord, pour une violente
arthrite blennorrhagique du poignet, il se développa entre le pouce et
l'index, à la face dorsale du premier espace intermétacarpien, une collec-
tion fluctuante du volume d'une amande, légèrement douloureuse au tou-
cher. Ouverte par M. Ricord, la tumeur donna issue à de la sérosité trans-
parente, s'affaissa et guérit. Il nous fut impossible de préciser le siège
où cette collection s'était produite. — Un de mes collègues dans les hôpi-
taux, S. Féréol, a observé récemment dans son service un fait analogue
au précédent. Sur un malade affecté de rhumatisme blennorrhagique, il
vit se développer, au niveau de la région sous-maxillaire, une collec-
tion fluctuante du volume d'une petite noix. La tumeur, sorte de pa-
rotide sous-maxillaire, fut ouverte, laissa s'écouler une cuillerée d'un
liquide séreux et disparut sans qu'il eût été possible d'en déterminer le
siège.
Parallèle du rhumatisme simple et du rhumatisme blennorrhagique, —
Dans les pages qui précèdent, je me suis efforcé de montrer les différences
BLENNORRIIAGIE. — accidents oculaires.
-250
profondes qui séparent le rhumatisme blennorrhagique du rhumatisme
simple. Peut-être ne sera-t-il pas sans utilité, à la fin de cette étude, de
réunir les éléments épars de ce parallèle et de les grouper sous forme de
tableau.
RHUMATISME RI.ENISORRIIAGIQUE :
[. Cause essentielle : blennorrhagie uré-
thrale.
Pas d'influence du froid sur la production
du rhumatisme.
II. Très-rarement observé chez la fem-
me.
III. Affection apyrétique, ou fébrile à un
degré bien moindre que le rhumatisme
simple. Môme dans les cas les plus aigus,
la réaction n'atteint jamais l'intensité habi-
tuelle de la fièvre rhumatismale.
IV. Symptômes habituellement limités à
un petit nombre de jointures ; l'affection ne
se généralise jamais au même degré que le
rhumatisme simple.
V. Affection moins mobile que le rhuma-
tisme simple, ne se déplaçant ni aussi vite
ni aussi complètement. Pas de délitescen-
ces ; pas de migrations réelles d'une join-
ture à une autre.
VI. Douleurs de la fluxion articulaire
généralement modérées, moindres en tout
cas que dans le rhumatisme simple. — Dans
quelques cas, indolence remarquable.
Vil. Fréquemment, tendance à l'hydar-
throse, à la suite de la fluxion aiguë.
VIII. Pas de sueurs comme, dans l'attaque
de rhumatisme aigu.
IX. Urines non modifiées comme dans le
rhumatisme aigu.
X. Sang non couenneux.
XI. Pas de complications cardiaques, si
ce n'est d'une façon très-exceptionnelle.
XII. Coïncidence très-fréquente avec une
ophthalmic toute spéciale ; — avec des in-
flammations des gaines synoviales, des bour-
ses séreuses, etc. — Le rhumatisme peut
même affecter exclusivement ces dernières
localisations.
XIII. Récidives très-fréquentes dans le
cours de blennorrhaffies successives.
RHUMATISME SIMPLE :
I. Aucune relation étiologique avec l'é-
tat de l'urèthre.
Causes habituelles : influence du froid,
hérédité, diathèse rhumatismale, etc.
II. Commun chez la femme, bien que
moins fréquent que chez l'homme.
III. Phénomènes réactionnels du rhuma-
tisme aigu beaucoup plus intenses et plus
prolongés que ceux du rhumatisme blen-
norrhagique .
IV. Symptômes le plus souvent étendus à
un grand nombre de jointures, parfois
même occupant la presque totalité des arti-
culations.
V. Symptômes mobiles; fluxions ambu-
lantes; délitescences rapides; migrations
d'une articulation vers une autre.
VI Douleurs toujours assez vives, parfois
très-intenses, se calmant moins rapidement
que celles du rhumatisme blennorrbagique.
VII. Peu ou pas de tendance à l'hydar-
throse consécutive.
VIII. Dans le rhumatisme aigu, sueurs
abondantes, constituant un symptôme pres-
que essentiel de la maladie.
IX. Urines modifiées d'une façon spé-
ciale.
X. Sang remarquablement couenneux
dans l'attaque aiguë du rhumatisme.
XI. Fréquence des complications cardia-
.ques (endocardite, péricardile).
Xli. Le rhumatisme aigu ne s'étend guère
qu'aux synoviales des tendons. Il n'affecte ni
l'œil, ni les bourses séreuses, comme le
rhumatisme blennorrbagique.
XIII. Récidives très-fréquentes, mais tou-
jours indépendantes de l'état de l'urèthre.
Division,
ACCIDENTS OCULAIRES.
La dénomination commune tToplitlialmie blennorrhagique
240 BLENNORRHAGŒ. — opiithalmie de contagion.
rapproche deux maladies que distancent et séparent des différences radi-
cales.
Ces deux maladies ne sont ni des degrés, ni des formes d'un même
état morbide; ce sont deux affections à part, deux types pathologiques
distincts à tous égards, et n'ayant de commun que la dénomination gé-
nérique qui en entretient la confusion.
Dans un cas, c'est un malade qui, affecté ou non affecté de blennorrha-
gie, s'inocule accidentellement à l'œil la matière gonorrhéique. Survient
aussitôt une opiithalmie formidable, avec l'ensemble des symptômes pro-
pres aux ophthalmics purulentes les plus graves. En quelques jours l'œil
est menacé, souvent même perdu ; dans les cas les plus heureux, la
guérison est rarement complète. — D'ailleurs, aucun autre phénomène,
aucun accident ne s'ajoute aux symptômes oculaires; les articulations
notamment restent absolument étrangères à la maladie.
Dans l'autre cas, la scène est tout autre. C'est dans le cours d'une blen-
norrlingie et toujours coincidemment avec une blennorrhagie, laquelle
ici est constante et nécessaire, que tout à coup, sans cause occasion-
nelle, sans contact suspect, se développe une ophtbalmie d'allure toute
spéciale. Il se fait vers les yeux une fluxion inflammatoire plus ou moins
vive, mais toujours très-bénigne relativement à la forme précédente,
souvent mobile et se déplaçant d'un œil à l'autre, aboutissant presque
invariablement à une guérison complète. De plus, comme trait caracté-
ristique, cette opiithalmie coïncide le plus souvent avec des gonflements
articulaires ou avec quelques-unes des manifestations propres au rhu-
matisme blennorrhagique.
Quel contraste, quelles oppositions entre ces deux types morbides ! Com-
ment concevoir qu'ils aient pu si longtemps être confondus? Comment
admettre que certains auteurs s'obstinent encore à ne pas les distinguer?
L'étude comparée de ces deux affections va nous montrer les diffé-
rences profondes qui les séparent.
I. Opiigiialmle «le contagion. — C'est la plus anciennement con-
nue. C'est à elle que se rapportent la plupart des observations ou des
descriptions portant le titre d' ophthalmie vénérienne, à"* opiithalmie blen-
norrhagique, de blennorrhagie oculaire, de blennophthalmie, etc.
Au dire du savant Astruc, ce fut Charles de Saint-Yves, « chirurgien
oculiste fort expert, qui le premier la décrivit dans son Traité des ma-
ladies des rjeux, imprimé à Paris en 1702. » Depuis cette époque elle a été
l'objet d'une foule de travaux et de mémoires, pour l'indication desquels
nous renvoyons le lecteur à la Bibliographie de l'article Ophthalmie.
Cette affection n'est pas, à vrai dire, un accident de la blennorrhagie
puisqu'elle peut se produire, comme nous le verrons bientôt, en dehors
de la blennorrhagie, sur des sujets sains et indemnes de tout écoulement
uréthral. Nous ne la décrirons donc ici que succinctement, pour montrer
les différences qui la séparent de la véritable ophthalmie blennorrhagique..
celle dont nous tracerons l'histoire en second lieu.
Causes, pathogénie. — I. La pathogénie de cette affection a été très-
BLENNORRHAGIE* — ophthalmie de costacion. 241
diversement interprétée par les pathologistes qui en ont attribué le dévelop-
pement soit à une métastase se produisant de l'urèthre à l'œil, soit à une
sympathie reliant ces deux organes, soit à une sorte d'état constitutionnel
ou d'infection blennorrhagique, soit enfin à une simple cause accidentelle,
une inoculation, une contagion.
L'idée première fut que les accidents oculaires étaient produits par une
métastase de l'urèthre sur les yeux. Cette doctrine, qui lut longtemps en
faveur, n'a plus guère aujourd'hui qu'un intérêt historique. L'observation
en effet a démontré d'une façon péremptoire que, loin de disparaître de
l'urèthre au moment où l'œil se prend, l'écoulement y persiste en général
sans modification. Si, dans quelques cas, d'ailleurs assez rares, il subit
une diminution légère, ce fait ne peut être attribué qu'à cette sorte d'in-
tluence révulsive ou dérivative qu'exerce parfois une complication inter-
currente sur un état morbide préexistant. Il n'y a donc là rien qui puisse
être considéré comme une métastase. .
Avec moins déraison encore, certains auteurs ont fait de l'ophthalmie
le résultat d'un rapport sympathique entre l'œil et l'urèthre, rapport
qu'ils expliquaient par une certaine analogie de texture. Aussi hypothé-
tique que bizarre, cette doctrine n'a pas môme l'avantage de s'accommo-
der aux faits qu'elle prétend expliquer. A supposer en effet que cette
sympathie mystérieuse existât, l'ophthalmie devrait être fréquente, affec-
ter les deux yeux, se développer à propos des maladies si nombreuses et
si variées dont l'urèthre est le siège, etc. Or, bien inversement, elle est
fort rare, elle se limite à un œil, elle ne se produit ni à la suite des ré-
trécissements, ni à propos du cathétérisme, de l'uréthrotomie, des bles-
sures et des lésions du canal ; elle se développe même fréquemment chez
des sujets qui ne présentent ni blennorrhagie ni affection quelconque de
l'urèthre, etc.
Une autre doctrine considère l'ophthalmie comme le symptôme d'une
infection, d'un état général, d'une sorte de lues blennorrhagique, au
même titre par exemple que la plaque muqueuse est l'expression de la
diathèse syphilitique. Cette doctrine n'est pas plus soutcnable que les
deux précédentes. Comment accepter, en effet, comme manifestation d'un
état diathésique une affection dont le développement est tout à fait
exceptionnel, qui n'a rien de régulier dans son apparition , qui même
peut se produire sur des sujets indemnes de blennorrhagie, etc.?
Seule, la contagion peut expliquer et suffit à expliquer l'ophthalmie
blennorrhagique. 1° Tout d'abord, en effet, l'influence de cette cause est dé-
montrée par des faits aussi nombreux que précis. Des observations très-
explicites permettent de suivre la pathogénie des accidents et de surprendre
pour ainsi dire la contagion au passage. Ici, c'est un malade qui contracte
l'ophthalmie pour s'être touché l'œil avec ses doigts imprégnés de pus;
là, c'est un sujet indemne de blennorrhagie qui prend le mal pour s'être
lavé les yeux avec l'urine d'un camarade affecté de chaude-pisse ; ailleurs
encore c'est un médecin qui reçoit dans l'œil une goutte de pus uréthral,
et chez lequel éclate presque aussitôt une ophthalmie formidable, etc....
NOUV DICT. HÉD. ET Cllltt. V. 16
242 BLEXNORRHAGÏE. — ophthalmie de contagion.
Les faits de ce genre fourmillent dans les recueils d'oculistique ou dans
les traités spéciaux. Il serait donc inutile d'apporter ici de nouveaux té-
moignages «à l'appui de cette doctrine. — Relatons simplement, en raison
de sa singularité, l'observation suivante due à Cullerier. « Un malade
était entré dans mes salles pour une blennorrhagie. Il avait un œil d'é-
mail; un de ses yeux, en effet, avait été perdu dans son tout jeune âge,
je ne sais par suite de quelle affection; il ôtait cet œil artificiel chaque
soir et le mettait dans un verre d'eau qui lui servait à laver sa verge. Tout
à coup, il est pris d'une inflammation très-intense du moignon de son
œil et de toute la membrane qui tapissait l'orbite, avec écoulement jaune
verdàtre et douleurs affreuses. On en cherchait la cause, quand il nous
donna les renseignements précédents. Ce fait m'ayant frappé, j'en parlai
à M. Ricord qui me dit en avoir observé un semblable. »
Du reste, l'expérience directe a été faite. Le pus blennorrhagique a été
porté sur l'œil des centaines de fois dans le traitement du pannus {voij. ce
mot), et l'on sait que le résultat de cette inoculation est de développer
une phiegmasie purulente des plus intenses, tout à fait semblable ta l'oph-
thalmie spontanée que nous allons décrire.
2° La contagion est donc réelle, incontestable. Mais suflit-elle à expli-
quer la maladie dans tous les cas ? Je le crois, et voici sur quelles raisons
ma conviction se fonde.
D'une part, une investigation minutieuse permet le plus souvent (quel-
ques auteurs disent toujours) de retrouver comme origine des accidents
oculaires un contact suspect, une inoculation. Pour ne citer qu'une seule
statistique, sur 84 cas de conjonctivite purulente, Florent Cunier a pu
47 fois assigner comme cause à la maladie une contagion directe. Cette
proportion (plus d'une fois sur deux) est énorme ; elle me semble tout à
fait démonstrative, si surtout on réfléchit à ceci que le transport du pus
à l'œil se fait le plus habituellement par les doigts, et que l'inoculation
résulte ainsi d'un contact rapide, instantané, inconscient, dont il est sur-
prenant même que les malades gardent le souvenir.
D'autre part, si l'on analyse avec soin les observations données comme
exemples d' ophthalmie blennorrhagique développée en dehors de tout
contact suspect, on arrive facilement à reconnaître : 1° que dans la plu-
part de ces faits la contagion n'a en réalité joué aucun rôle, qu'elle est
restée complètement étrangère au développement des accidents ; 2° mais
que dans la grande majorité de ces cas, les malades, au lieu d'être affec-
tés, comme on le prétend, de véritables ophthalmies purulentes, étaient
atteints d'une maladie tout autre que nous décrirons bientôt sous le nom
d'ophthalmie métastatique ou rhumatismale.
Enfin, il est à remarquer que chez les sujets soigneux de leur personne
et observant une propreté minutieuse, l'ophthalmie est, non pas rare,
mais tout à fait exceptionnelle. Ainsi, je n'en ai observé qu'un seul cas
en plusieurs années sur les malades de ma clientèle soigneusement avertis
par moi des dangers de la contagion. La maladie diminuerait-elle ainsi
de fréquence sous l'influence de simples soins d'hygiène, si, au lieu d'être
BLENNORHIIAGIE. — ckphthalmie de contagion. 243
îe résultat d'une cause accidentelle, elle dépendait de quelque disposition
interne, d'une infection, d'une sympathie ou d'une métastase?
II. Cette redoutable complication de la blennorrhagie est heureuse-
ment fort rare. Sur les milliers de malades qui se pressent aux consul-
tations de l'hôpital du Midi, on nen observe guère plus de trois ou quatre
cas par année. (Ricord.)
Elle est beaucoup plus rare encore chez la femme que chez l'homme.
« A l'hôpital de Lourcine, où les vaginites blcnnorrhagiques sont com-
munes, on ne l'observe que très-exceptionnellement. Nous y avons du
moins passé l'un et l'autre plusieurs années sans en rencontrer un seul
exemple. Peut-être faut-il attribuer ce fait à ce que les femmes portent
moins souvent les mains sur les organes génitaux. » (Denonvilliers et
Gosselin.) — « Ce n'est qu'avec la blennorrhagie uréthrale, dit Ricord,
qu'il m'a été donné d'observer Toplithalmie blennorrhagique de conta-
gion, l'ophtiialimc rhumatismale et le rhumatisme blennorrhagique. Dans
une pratique de plus de trente années, soit à l'hôpital, soit en ville, je
n'ai jamais rencontré une seule exception à cette règle chez l'homme ou
chez la femme. Or, la blennorrhagie uréthrale étant relativement plus rare
chez les femmes que chez les hommes, on comprend que les accidents ou
les complications qui peuvent en dériver se présentent chez elles avec
une moindre fréquence. »
Enfin, d'après quelques observateurs, cette ophthalinie affecterait plus
souvent l'œil droit que le gauche (8 fois sur 10, Pénangucr), remarque
qui n'est pas sans quelque intérêt. « Instinctivement, c'c>( la main droite
qui se porte à l'œil droit, et la gauche à l'œil gauche; or la droite, en
raison de ses rapports plus fréquents avec les organes génitaux, a plus
d'occasions d'être souillée par le pus blennorrhagique ; c'est donc l'œil
droit qui doit être le plus ordinairement contagionné et qui l'est en
effet. » (Pénangucr.)
Sym))tômes. — Les symptômes sont ceux des ophthalmies purulentes
les plus graves. Comme ils doivent être décrits en détail dans un autre
article de cet ouvrage (voy. Ophthalmie), nous ne ferons que les résumer
ici succinctement :
Explosion brusque do symptômes d'une haute gravité; chaleur, cuisson
\ive au début; injection rapide et intense de la conjonctive oculo-palpé-
brale, laquelle prend une couleur d'un rouge cramoisi; larmoiement;
sécrétion très-abondante d'un liquide d'abord séro-purulent, puis puru-
lent, crémeux, vcrdàtre, tout à fait analogue au pus blennorrhagique
uréthral ; œdème et rougeur érysipélateuse des paupières qui se tumé-
fient extraordinairement et s'imbriquent, la supérieure chevauchant sur
l'inférieure; spasme de l'orbiculaire et rétention du pus sous les poches
palpébrales ; chémosis encadrant et étranglant la cornée; douleurs orbi-
taires etpéri-orbitaires, s'irradiant en divers sens, très-vives généralement
et atteignant parfois une violence excessive ; — consécutivement, cornée
devenant opaline par suffusion purulente interlamellaire, se ramollissant,
s'ulcérant; de là, perforation de cette membrane, évacuation de l'humeur
244
vitrée, hernie de l'iris, etc.; d'autres fois, la cornée se boursoufle en
forme de staphylome, ou bien se sphacèle en totalité et se détache de
l'œil à la façon d'un verre de montre ; le globe oculaire se vide alors en
totalité. — Comme phénomènes généraux : fièvre modérée, devenant in-
tense dans les cas de fonte purulente de l'œil ; et surtout, insomnie, agi-
tation, inquiétudes, état nerveux; parfois mémo, d'après quelques méde-
cins, hébétude et stupeur.
De plus, ce qui est très-remarquable dans cette maladie, c'est la rapi-
dité avec laquelle les phénomènes inflammatoires atteignent un haut
degré d'intensité. Souvent, c'est fait de l'œil en trois, quatre ou cinq
jours; on cite même des cas où il fut sérieusement compromis après huit
ou douze heures seulement.
Pronostic. — Aussi, le pronostic est-il des plus graves. Sans l'inter-
vention de l'art, l'œil est fatalement perdu; si peu même que cette in-
tervention soit tardive ou insuflisante, des lésions irrémédiables sont à
redouter. Lawrence a vu l'œil se vider neuf fois sur quatorze ; Swediaur
cite trois cas terminés tous trois par cécité, etc.. La guérison est ra-
rement complète ; même dans les cas heureux, la maladie laisse souvent
à sa suite des désordres plus ou moins nuisibles à l'exercice de la vision:
taches cornéales, hernies de l'iris, hypopyon, etc. — Fort heureusement,
comme nous l'avons dit, cette affection si redoutable n'affecte qu'un seul
cil dans la grande majorité des cas. De plus, simple résultat d'une con-
tagion tout accidentelle, elle n'offre nécessairement aucune tendance à la
récidive dans le cours des blennorrhagies que peut contracter le ma-
lade ultérieurement. A ce double point de vue, elle diffère donc essen-
tiellement de l'ophtlialmie dite rhumatismale que nous allons décrire
bientôt.
Quelques auteurs ont cru remarquer « que l'ophtlialmie est bien plus
grave et plus rapide dans les cas où elle tient à l'inoculation du pus d'une
blennorrhagie aiguë que dans ceux où elle reconnaît pour cause une go-
;orrbée parvenue à sa période de déclin.» Ce serait là un rapport curieux
entre les qualités et les effets du pus urétliral. Bornons-nous à signaler
ce fait, encore très-incertain, pour appeler sur lui l'attention des obser-
vateurs.
Traitement. — « Le premier principe à poser dans le traitement, c'est
la rapidité et Vénergie dans les moyens à employer. Ici le tâtonnement et
l'incertitude sont suivis le plus souvent de la perte des yeux. » (Ricord.)
La médication est celle des ophthalmics purulentes graves (voy. ce
mot) : cautérisations répétées de la conjonctive ocuio-palpébrale, avec le
crayon de nitrate d'argent; c'est là le remède par excellence, et il faut y
recourir « presque avec barbarie » pour sauver l'œil malade; — lavages
et injections, renouvelés aussi souvent que possible, et mieux encore
douches oculaires, d'après la méthode de Cbassaignac ; — fomentations
émollientes ; — onctions belladonées autour de l'orbite : — émission*
sanguines locales abondantes et répétées; — débridement ou excision du
chémosis; — révulsion intestinale par les purgatifs, etc.; — et surtout
BLENNORRHAGiE. — ophthalmie rhumatismale. 2i5
préserver l'œil sain des liquides qui s'écoulent en abondance de L'œil
malade.
Est-il besoin de signaler en terminant l'inefficacité de certaines médi-
cations empiriques ou théoriques qui n'ont eu que trop de faveur : anii-
blennorrhagiques (cubèbe, copahu, etc.); antisyphilitiques et spéciale-
ment mercuriaux, lesquels n'exercent absolument aucune action sur la
maladie ; révulsion uréthrale (bougies, inoculation), que l'on cherchait à
provoquer autrefois dans le but de détourner le mal des yeux en le rap-
pelant sur le canal, etc.? Toutes ces méthodes sont réprouvées par l'ex-
périence ; elles sont non-seulement inutiles, mais dangereuses, en ce
qu'elles font négliger ou différer l'emploi des seuls moyens véritablement
curatifs.
IL Oplitflialmie rhumatismale. — Observée depuis longtemps,
cette ophthalmie avait été confondue avec la précédente dont elle était con-
sidérée comme une forme atténuée ou bénigne. Abernethy paraît avoir
saisi le premier les différences qui la caractérisent. Mackensie la décrivit
séparément sous le nom d'ophthalmie par métastase et d'iritis gonor-
rhéique. Mais ce fut surtout l'enseignement de Ricord qui contribua à
préciser les caractères de la maladie et à la différencier de l'ophthalmie de
contagion. Les auteurs qui, plus récemment, ont écrit sur ce sujet, n'ont
guère fait que reproduire les idées de ce maître, en les confirmant sur la
plupart des points importants ; peut-être même certains d'entre eux out-
ils trop oublié la source où ils avaient puisé leurs inspirations et les él -
ments de leurs travaux ultérieurs.
Synonymie. — Cette maladie a reçu plusieurs dénominations : ophthal-
mie irritative, ophthalmie de métastase, de cause interne ; ophthalmie
sympathique, catarrho-rluunatismale, rhumatismale, etc. Cette dernière
désignation me paraît préférable à toute autre pour cette double raison que
les symptômes oculaires coïncident le plus habituellement avec des ma-
nifestations diverses du rhumatisme blennorrhagiquc et qu'ils rappellent
souvent par leurs caractères l'allure et la marche des phlegmasics rhuma-
tismales.
Fréquence. — Ce n'est pas une complication fréquente de la blennor-
rhagie. Ainsi je n'en ai constaté que dix cas pendant l'année 1856, dans
les salles du Midi.
Toujours est-il que cette forme d'ophthalmie est bien plus fréquente
que P ophthalmie de contagion, et cela dans un rapport de 14 à 1, d'a-
près mes statistiques.
Causes. — Les causes communes des ophthalmies inflammatoires ou
catarrhales (refroidissement, fatigues de la vue, etc.) ne jouent ici
presque aucun rôle. Presque toujours la maladie se produit sans le con-
cours d'aucune provocation accidentelle.
La contagion notamment, insistons sur ce point, est tout à fait étran-
gère au développement de l'affection. Dans aucun cas, il n'a été noté que
cette ophthalmie se fût produite à la suite d'un contact suspect, d'une
contamination de l'œil par le pus uréthral. Dans les expériences d'inocu-
246 BLENNORRHAGIE. — ©pmthalmie rhumatismale.
lation, ce n'est jamais cette forme de phlegmasie qui a été observée. Du
reste, comment concevoir que la maladie puisse reconnaître pour ori-
gine une cause toute locale, tout accidentelle, alors que nous la voyons
se porter d'un œil à l'autre pour revenir parfois sur le premier, alter-
ner avec des fluxions rhumatismales, se reproduire deux, trois et quatre
fois de suite, à propos de blennorrhagies successives, sur des sujets dû-
ment avertis par expérience des dangers de la contagion?
Deux conditions dominent ici l'étiologic :
1° L'existence d'une blennorrhagie uréthrale. Sans blennorrliagie, pas
cïophthalmie rhumatismale. Nous avons vu qu'inversement l'ophthalmie
de contagion peut se produire sur des sujets non affectés d'écoulement
uréthral. C'est donc là une différence radicale entre ces deux affections,
au point de vue de leur pathogénie et de leur nature.
2° Une prédisposition individuelle, inconnue dans sa nature, mais
très-réelle et très-appréciable dans ses effets. Cette prédisposition est
telle que l'ophtlialmie se produit presque fatalement chez certaines per-
sonnes à propos de chaque blennorrhagie nouvelle. Lorsque la maladie
s'est développée une première fois chez un sujet, on peut être facilement
prophète en annonçant qu'elle se reproduira avec un second, avec un
troisième écoulement. J'ai observé bien des faits de ce genre où mes
prévisions se sont presque toujours réalisées.
Comment expliquer cette prédisposition singulière? Existe-t-il des
conditions d'âge, de sexe, de tempérament, d'hérédité, qui puissent
nous en révéler le secret? Sur ces divers points rien de satisfaisant ne
peut encore être déduit des observations contenues dans la science. Le
peu que nous sachions se borne à ceci : la maladie est in Uniment plus
commune chez l'homme que chez la femme ; — elle atteint de préférence,
mais non exclusivement, les sujets lymphatiques, blonds et dartreux; —
parfois encore, d'après Ricord, elle a paru favorisée dans son développe-
ment par des antécédents rhumatismaux ou goutteux.
Symptômes. — La maladie affecte des formes assez variées qu'il me pa-
raît facile néanmoins de rattacher à trois types pathologiques. Tantôt ce
que l'on observe est un ensemble de symptômes que la plupart des pa-
thologistes ont rapportés à tort ou à raison à l'inflammation de la mem-
brane de Descemet ; tantôt l'on a affaire à une iritis véritable ; tantôt
enfin les phénomènes se limitent à la conjonctive oculo-palpébrale.
1° Inflammation de la membrane de Descemet (aquo-capsulite) . —
Cette forme, la plus commune, se caractérise ainsi : injection légère ou
moyenne de la conjonctive; cornée intacte, transparente, paraissant
comme un peu bombée en avant et plus brillante qu'à l'état normal;
aspect nnaffeux et comme enfumé de la chambre antérieure, signe le plus
frappant et le plus caractéristique, dû vraisemblablement à ce que l'hu-
meur aqueuse est troublée par des sécrétions morbides ; vue légèrement
confuse, les objets paraissant vagues et comme enveloppés d'un nuage ;
indolence absolue, ou parfois sensation de gêne, de plénitude dans l'œil;
photophobie rare, toujours légère. — En quelques cas, dépôts lloconneux
BLENNORRIIAGIE. — ophthalmie rhumatismale. 247
à la face postérieure de la cornée, etépanchement d'un peu de sang dans
la chambre antérieure. (Cullerier.) — Du reste, iris sain; pupille parfois
un peu étroite et paresseuse, mais non déformée.
Quelques auteurs, Rollet entre autres, ne voient dans cet ensemble de
symptômes qu'une iritis. C'est là une erreur ; car, ainsi que le fait remar-
quer judicieusement Cullerier, ce qui pourrait donner le change pour
une inflammation de l'iris, n'est qu'une lésion de voisinage. « La vraie
lésion siège dans la membrane de Descernet, c'est un aquo-capsulite...
Ce ne peut être une iritis simple et franche puisqu'il n'y a pas de défor-
mation dans la pupille, ni de changement de coloration de l'iris, ni d'é-
panchement plastique à sa surface, ni de cercle radié sclérotical. La seule
chose qui plaiderait un peu en faveur de l'iritis, c'est le petit dépôt flo-
conneux que j'ai signalé dans la chambre antérieure ; mais vous savez
qu'il n'existe qu'à la face interne de la cornée et que l'iris n'en présente
aucune trace. — Ce n'est pas non plus une kératite, car on n'observe
aucune ulcération; la photophobie, au lieu d'être très-forte, est à peine
marquée, et la cornée, vue de profil, est transparente dans toute son
épaisseur. » (Cullerier.)
2" Iritis. — Cette forme s'observe un peu moins fréquemment que la
précédente. Les symptômes qui la caractérisent ne diffèrent guère de ceux
de l'iritis simple. Ce sont : rougeur de la conjonctive, avec injection radiée
péri-cornéale ; cornée intacte ; ouverture pupillaire resserrée, irrégulière,
inégale, déformée en un mot ; mouvements de l'iris paresseux, incom-
plets ou abolis ; modifications dans la couleur de cette membrane ;
trouble plus ou moins marqué du champ pupillaire, qui semble obscurci
par un nuage et comme enfumé ; dépôts plastiques dans la chambre an-
térieure, plus abondants, d'après Mackensie, que dans toute autre iritis ;
de là obscurcissement très-notable de la vision ; photophobie ; larmoie-
ment ; douleurs oculaires et péri-orbitaires, etc.
5° Conjonctivite, — Cette forme n'a pas, que je sache, été décrite jus-
qu'à ce jour. Bien que plus rare que les précédentes, elle s'est présentée
plusieurs fois à mon observation.
C'est une conjonctivite simple, sans association d'iritis ou d'aquo-cap-
sulite. Ce que l'on constate se borne à ceci : injection de la conjonctive,
soit générale et uniforme, soit plus vive en certains points qui forment
comme des îlots de vascularisation ; sécrétion peu abondante d'un mucus
catarrhal, qui se dépose dans le grand angle de l'œil ou dans le cul-de-
sac de la paupière inférieure; peu ou pas de larmoiement; léger prurit
oculaire, et parfois même, dans les cas les plus simples, indolence abso-
lue; pas de photophobie ; aucune altération de la vision. — Comme phé-
nomènes négatifs, notons encore l'absence de cercle radié péri-cornéal,
l'intégrité de la cornée, de l'iris et de la chambre antérieure, la conser-
vation des mouvements de la pupille, etc.. Tous les symptômes en un
mot se limitent à la conjonctive.
J'ai même observé certains cas où l'injection, peu marquée sur la mu-
queuse oculaire, se concentrait sur la conjonctive palpébrale et la caron-
218 BLENNORRHAGiE. — ophthalmie rhumatismale.
cule, en prenant sur ces points un assez haut degré d'intensité. De là
résultait un aspect assez bizarre de l'œil dont l'ouverture semblait enca-
drée d'un liséré rouge ou purpurin, constitué par le rebord un peu sail-
lant de la conjonctive des paupières.
Cette troisième forme se distingue évidemment des deux précédentes
soit par les symptômes qui lui sont propres, soit par l'absence de ceux
qui caractérisent l'iritis et l'inflammation de la membrane de Descemet.
11 serait superflu d'insister sur un diagnostic différentiel dont les élé-
ments ressortent de la simple inspection des parties malades.
Dans les cas où il m'a été donné d'observer cette forme d'ophtbalmie,
il ne pouvait rester de doutes sur sa relation pathogénique avec l'écoule-
ment uréthral. D'une part, en effet, l'affection oculaire coïncidait avec
des artbropathies d'origine évidemment blennorrhagique ; d'autre part,
elle s'était produite sur des sujets qui, dans le cours de blennorrhagies
antérieures, avaient été affectés d'ophthalmies rhumatismales ou de rhu-
matismes ; elle affectait de plus l'allure et la marche des formes plus fré-
quentes de l'oplithalmie sympathique; dans un cas enfin, preuve plus
péremptoire encore, elle s'était développée sur l'œil d'un malade dont
l'autre œil était simultanément le siège d'une iritis de même nature.
A ce titre donc, la conjonctivite oculo-palpébrale me paraît consti-
tuer une troisième forme de l'oplithalmie rhumatismale blennorrha-
gique.
Marche, durée. — Nous avons vu que l'oplithalmie de contagion est,
en général, mono-oculaire ; inversement l'oplithalmie rhumatismale af-
fecte le plus souvent les deux yeux. Il est rare qu'elle se borne à un seul
(trois fois sur quatorze dans mes statistiques) ; dans ce cas, la forme que
l'on observe est presque toujours l'iritis.
Les deux yeux peuvent être pris d'emblée, simultanément. Il est plus
habituel qu'un seul soit affecté d'abord et que l'autre ne soit envahi que
quelques jours plus tard.
La marche est toujours assez aiguë. En quelques jours, l'inflammation
acquiert son maximum d'intensité et reste stationnaire un certain temps.
Alors, ou bien elle décroît insensiblement, à la façon d'une phlegmasie
simple ; ou bien elle se résout avec une rapidité singulière, rappelant
presque la délitescence de certaines phlegmasies rhumatismales.
Aussi la durée varie-t-elle dans des limites assez étendues. Dans les
cas les plus légers, la maladie cède en quelques jours. Le plus souvent
elle parcourt ses périodes dans l'espace d'un à deux ou trois septénaires.
L'iritis seule se prolonge plusieurs semaines avant d'entrer en résolution.
Signalons enfin la possibilité de récidives dans le cours d'une même
blennorrhagie. Sur l'un de mes malades, une ophthalmie double s'était
éteinte ; le mois suivant, elle reparut dans les deux yeux avec une inten-
sité pour le moins égale.
Terminaison, pronostic. — Les trois formes que j'ai décrites ne com-
portent pas le même pronostic. La conjonctivite est toujours innocente ;
l'inflammation de la membrane de Descemet n'a également que fort peu
BLENNORRHAGIE. — ©phthalmie rhumatismale. 249
de gravité ; seule, l'iritis offre un danger réel par les lésions qu'elle peut
laisser à sa suite (irrégularités de la pupille, adhérences, troubles
visuels).
Toutefois, tous les cas dont j'ai été témoin, môme les plus intenses,
se sont terminés très-heureusement. Le pronostic de l'oplithalmie rhu-
matismale blennorrhagique me semble donc favorable, au moins d'après
la grande majorité des faits contenus dans la science. L'iritis même, dé-
veloppée dans ces conditions spéciales, me paraît exempte des dangers
qu'elle comporte sous d'autres formes ; ainsi elle ne produit jamais ni
condylomes, ni abcès à la surface de l'iris; elle se complique moins sou-
vent de lésions consécutives.
Coïncidence de l'oplithalmie avec le rhumatisme. — Un fait des plus
curieux et qui contribue à donner à la maladie une physionomie toute
spéciale, c'est la coïncidence de manifestations rhumatismales avec
l'oplithalmie. Presque toujours, en effet, des manifestations diverses du
rhumatisme blennorrhagique accompagnent la phlegmasie oculaire. Cette
coïncidence est des plus caractéristiques et des plus intéressantes ; il im-
porte donc de l'étudier en détail.
Or, voici ce que m'a fourni à ce point de vue l'analyse d'un grand
nombre d'observations soit personnelles, soit empruntées à divers auteurs.
1° Dans la presque totalité des cas, des manifestations rhumatismales
articulaires ont coïncidé avec l'oplithalmie. Il ne faut pas croire toute-
fois, ainsi que Rollet l'a avancé à tort, que l'oplithalmie ne se rencontre
jamais seule. Elle peut se produire isolément. Ricord a observé plusieurs
faits de ce genre, et je pourrais citer pour ma part trois cas où les yeux
seuls ont été affectés sans coïncidence de déterminations articulaires.
2° Sur 59 cas de rhumatisme blennorrhagique, j'ai vu 15 fois l'oplithal-
mie s'associer aux manifestations articulaires.
5° L'invasion du rhumatisme et celle de l'oplithalmie se font presque
toujours d'une façon successive; très-rarement elles sont simultanées
(5 fois seulement sur 24). Tantôt rophthalmie ouvre la scène, tantôt au
contraire elle succède au rhumatisme, et cela dans une proportion pres-
que égale (10 fois contre 11, sur 21 cas).
4° J'ai recherché si l'oplithalmie se produisait plus habituellement avec
telle ou telle forme de rhumatisme. Or", sur ce point, les observations que
j'ai pu consulter m'ont conduit à un résultat curieux que voici : roph-
thalmie est rare avec le rhumatisme monoarticulaire; elle est au con-
traire très-fréquente avec le rhumatisme polyarticulaire ou à manifes-
tations multiples portant sur les jointures, les bourses séreuses, les muscles
et les nerfs. Dans 27 cas, en effet, je la rencontre signalée coïncidem-
ment avec :
Le rhumatisme monoartieulaire 3 fois.
Le rhumatisme polyarticulaire ou à manifestations multiples. . . 25
La sciatique 1
5° Au point de vue de l'évolution morbide, il est positif que dans un
certain nombre de cas (dans quatre de mes observations notamment), les
c250 BLENNORRHAGIE. — ophthalmie iu
lUMATISMAI.i;
manifestations oculaires et arthritiques semblent exercer les unes sur les
autres une influence révulsive ou dérivative. Ainsi Ton voit parfois, au
moment où l'ophthalmie se manifeste, les accidents articulaires diminuer
d'intensité ou même disparaître, et réciproquement les jointures se pren-
dre au moment où les yeux commencent à se délivrer. Il se produit là,
sinon une métastase, du moins une sorte d'alternance ou de balance-
ment. Cela toutefois est assez rare. Le plus souvent « l' ophthalmie n'en-
tretient avec le rhumatisme aucune autre relation que celle de sa coexis-
tence ; son intensité, sa marche, sa diminution ou son accroissement,
n'entraînent ni modification parallèle, ni changement en sens inverse
dans le degré ou le progrès de l'affection rhumatismale. » (Brandes.)
Enfin, et ceci n'est pas moins curieux, il est des cas où il se pro-
duit entre le rhumatisme et l'ophthalmie une autre espèce d'alternance,
une alternance à longue portée pour ainsi dire. Je m'explique. Tel indi-
vidu prend une première blennorrhagie ; survient un rhumatisme ; quel-
que temps plus tard, nouvelle blennorrhagie : ici, pas de rhumatisme,
mais fluxion oculaire; troisième écoulement : rhumatisme avec ou sans
ophthalmie, et ainsi de suile à propos de chaque écoulement consécutif.
Je pourrais citer plusieurs observations de ce genre. En voici seulement
un exemple, que j'extrais de mes notes : quatre blennorrhagies en cinq
ans; à la première, ophthalmie double, sans rhumatisme; à la deuxième,
ophthalmie et rhumatisme ; à la troisième, rhumatisme et ophthalmie ; à
la quatrième, rhumatisme seulement. — Plus simplement ne pourrait-on
pas dire : l'ophthalmie et le rhumatisme sont des localisations variées
d'un même état pathologique qui, relevant d'une même cause, peuvent
se produire soit isolément, soit simultanément, sans être reliées entre
elles par une dépendance réciproque? De même que dans le rhumatisme
articulaire aigu, telle jointure peut être tour à tour atteinte ou respectée
par une série d'attaques consécutives, de même dans le rhumatisme blen-
norrhagique l'œil peut soit rester indemne, soit être affecté seul ou coïn-
cidemment avec les jointures. Ce ne sont là que des combinaisons diffé-
rentes dans l'expression symptomatologiqne d'une maladie.
Traitement. — Nous n'avons que peu d'action sur cette variété d'oph-
thalmie, et, l'iritis exceptée, il ne m'est pas démontré que l'expectation,
aidée de soins hygiéniques, ne produise pas d'aussi bons résultats que les
moyens dont l'usage est généralement conseillé.
Dans les cas légers ou moyens, le traitement sera très-simple : repos de
la vue; lotions émollientes, collyres émollients; boissons délayantes ; ré-
gime doux; pédiluves irritants; révulsifs intestinaux, etc. Si la maladie se
prolonge, vésicatoires volants sur le front ou sur la tempe. — Il n'est même
pas utile de retenir les malades à la chambre ; l'expérience m'a appris
qu'on peut sans inconvénient leur permettre de sortir, les yeux protégés
par des conserves, et même de vaquer à leurs occupations, pour peu
qu'elles n'exigent pas de fatigue de la vue.
Si l'inflammation est plus vive, repos à la chambre ; émissions san-
guines locales ; onctions belladonées autour de l'orbite et collyre à
BLENNORRIIAGIE.
ACClDEiNTS CONSECUTIFS.
251
l'atropine, surtout dans le cas d'iritis; purgatifs répétés, ou même calo-
mel à doses fractionnées ; régime sévère.
Les collyres substitutifs ou astringents, dont on fait un trop facile usage,
m'ont toujours paru nuisibles. Les émollients leur sont de beaucoup pré-
férables.
Parallèle de l'ophtiialmie rhumatismale et de l'ohltiialmie de conta-
gion. — Comme on a pu le voir dans le cours de cet article, des diffé-
rences profondes, radicales, séparent l'ophtiialmie rhumatismale de
l'ophtiialmie de contagion. On les trouvera réunies et condensées dans le
tableau suivant :
OPIITHALMIE DE CONTAGION.
I. Cause essentielle : inoculation à l'œil
du pus blennorrhagique.
II. Maladie rare.
III. La maladie peut se développer sur des
sujets non affectés de blennorrhagie.
IV. Elle n'affecte qiian œil le plus sou-
vent.
V. Les symptômes sont ceux des oph-
thalmies. purulentes les plus graves. —
Ils affectent primitivement la conjonctive.
VI. Symptômes fixes, ne se portant pas
d'un œil à l'autre.
VII. Pas de tendance à la récidive dans
le cours de blennorrhagies successives.
VIII. Pas de coïncidence de manifestations
rhumatismales.
IX. Pronostic excessivement grave. Sou-
vent perte de l'œil.
X. L'œil n'est sauvé qu'au prix d'un trai-
tement des plus énergiques.
OPIITHALMIE RHUMATISMALE.
I. La contagion n'a aucune part à la pro-
duction de la maladie, qui se développe sous
l'influence d'une cause interne, de nature
inconnue.
II. Complication peu fréquente de la blen-
norrhagie, mais beaucoup plus commune
que l'ophtlialinie de contagion (:: 14: 1).
III. La maladie ne se produit que sur des
sujets affectés de blennorrhagie.
IV. Elle affecte presque toujours les
deux yeux.
V. Les symptômes sont ceux d'une in-
flammation de la membrane de Descemet,
d'une irilis ou d'une conjonctivite oculo-
palpébrale.
VI. Parfois, mobilité des phénomènes
inflammatoires qui se portent d'un œil à
l'autre.
VU. Récidives fréquentes dans te cours
de blennorrhagies successives.
VIII. Coïncidence très-habituelle, presque
constante, avec le rhumatisme blennor-
rhagique.
IX.
Pronostic sans gravité.
X. L'expectalion ou un traitement très-
simple sultit à la guérison.
L'ophtiialmie de contagion n'est, à vrai dire, qu'une maladie surajoutée
accidentellement à une autre maladie; l'ophtiialmie rhumatismale n'est
que le symptôme d'une maladie ; c'est une expression, une conséquence
de l'état blennorrhagique de l'urèthre. A ce titre, elle mériterait bien plu-
tôt que la précédente la dénomination à' ophthalmie blennorrhagique.
ACCIDEMS COINS ECl TIFS.
Le fait de beaucoup le plus habituel est que la blennorrhagie, une fois
guério, ne laisse aucune trace, aucun accident à sa suite. Parfois cepen-
dant il arrive qu'après la disparition complète de l'écoulement il subsiste
252 BLEMOHRHAGÏE. — accidents consécutifs.
ou même il se manifeste quelques troubles fonctionnels de diverse na-
ture, qu'il nous reste à faire connaître.
I. Ainsi, il n'est pas rare qu'après la guérison même bien confirmée les
malades conservent une sensibilité plus ou moins vive de l'urèthre pendant
l'émission des urines. La miction ne se fait qu'avec un sentiment de cha-
leur, de brûlure, de fourmillement, de prurit; parfois encore elle s'accom-
pagne dune cuisson presque aussi pénible que pendant la période aiguë
de la maladie. Ces douleurs disparaissent en général assez rapidement;
quelquefois cependant elles subsistent plusieurs mois, un an, deux ans
et même au delà (vingt ans , dans un cas cité par Belhomme et
Martin).
Ce phénomène n'offre aucune gravité et ne témoigne même pas d'une
lésion persistante dans le canal. C'est le plus souvent un simple trouble
nerveux. Il n'aurait donc pas grande importance s'il ne présentait l'incon-
vénient de préoccuper, d'alarmer les malades, et même d'inspirer à quel-
ques-uns des inquiétudes excessives qui dégénèrent parfois en une véri-
table hypochondrie.
Ces douleurs sont souvent rebelles à toutes les ressources de la thérapeu-
tique. Ce n'est pas qu'on n'ait dirigé contre elles les moyens les plus divers:
topiques calmants sur l'urèthre et le périnée (onctions opiacées, cam-
phrées, belladonécs, cataplasmes émollients, etc.); — injections calman-
tes, narcotiques (huile d'amandes douces, laudanum, atropine, etc.); —
injections irritantes (astringents, nitrate d'argent, sublimé); — balsami-
ques (cubèbe, copahu, térébenthine, goudron); — boissons délayantes ou
alcalines (bi-carbonate de soude, eaux de Vichy, de Vais, etc.); — lavements
froids, laudanisés et camphrés; — émissions sanguines locales ; — bains;
— vésicatoires au périnée et sur les lombes : — vésicatoires saupoudrés
d'un sel de morphine; — cathétérisme quotidien avec bougies simples
ou médicamenteuses, dans le but d'émonsser la sensibilité de l'urèthre ;
— cautérisation du canal avec l'instrument de Lallernand; — compression
de la verge (Vidal) ; — et à l'intérieur, sédatifs de tous genres (opium,
belladone, jusquiame, camphre, pilules de Méglin, etc.). — J'ai souvent
eu l'occasion, pour ma part, d'essayer sans succès ces divers traite-
ments ; il m'est arrivé même d'en épuiser la série complète sans arriver
au moindre résultat satisfaisant. La plupart sont impuissants, mais du
moins inoffensifs ; d'autres soulagent momentanément d'une façon très-
certaine (balsamiques, délayants), mais dès qu'on en cesse l'usage, les
douleurs reparaissent aussitôt; d'autres enfin, et cela n'est pas moins
utile à dire, sont évidemment nuisibles et ne font qu'exagérer la sensibi-
lité morbide du canal (cathétérisme, presque toujours; injections irri-
tantes, toujours; cautérisation, le plus souvent). Aussi, après de nom-
breux essais, suis-je arrivé à ne plus rien faire, j'entends à ne plus faire
rien qui risque d'irriter la muqueuse et d'accroître les phénomènes
morbides. Je prescris simplement, non sans avoir rassuré le malade,
l'abstinence des alcooliques, du café, de la bière, etc., et l'usage habituel
de, quelques boissons propres à diluer les urines (délayants, eau de gou-
BLENNORRHAGIE. — accidents consécutifs. 253
dron, eaux d'Evian, de Contrexeville, etc). Cette hygiène et le temps
suffisent presque toujours à soulager d'abord, puis à guérir. — J'ai même
cru remarquer en certains cas que, loin d'exaspérer les douleurs, la
reprise des rapports sexuels et du régime ordinaire contribuait à émousser
la sensibilité pathologique de l'urèthre.
II. Il est encore très-fréquent d'observer à la suite de la blennorrhagie
bien guérie des douleurs persistantes dans l'érection et l'éjaculation. Ces
phénomènes disparaissent en général après quelques semaines, deux ou
trois mois au plus, sans le moindre traitement.
III. Bien plus rarement on a l'occasion de rencontrer comme accidents
consécutifs à la guérison :
A. Des douleurs uréihrales se produisant en dehors de la miction et
de l'érection, et consistant en élancements, en fourmillements, en prurit,
en sensations pénibles de divers genre, qui peuvent retentir vers le
périnée, la vessie, les aines et jusqu'au niveau des lombes. Cet état dou-
loureux du canal, queRicord compare à une véritable névralgie (urélhral-
(jie), pourrait, dit-on, affecter en certains cas le type intermittent, et néces-
siter l'emploi du sulfate de quinine.
B. Des troubles divers de la miction : envies d'uriner plus fréquentes
et plus impérieuses que de coutume, tenant probablement à un reste
d'irritation du col vésical ; — émission de l'urine lente à se produire et
parfois interrompue brusquement avant que la vessie ait achevé de se
vider; — séjour dans l'urèthre, après la miction, de quelques gouttes
d'urine qui sont évacuées tardivement, ce qui paraît tenir à ce que le
canal n'a pas encore recouvré son élasticité normale.
C. Des sensations dites extraordinaires (Lagneau) dans l'urèthre,
les testicules, la vessie. « Quelques hommes, après avoir vu disparaître
tous les accidents d'une uréthrite, conservent pourtant encore, après gué-
rison, un certain degré d'irritation des voies génito-urinaires, qui con-
siste en une sensation continuelle de titillation, de fourmillement du
canal de l'urèthre, des vésicules séminales (?), du col et même du corps
de la vessie, ainsi que dans une sorte de roulement ondulatoire des tes-
ticules. » (Lagneau.) — Phénomènes excessivement rares, que je n'ai
point encore eu l'occasion d'observer..
D. L'abolition de la sensation voluptueuse causée par le passage du
sperme dans le canal au moment de l'éjaculation. Dans un cas remarqua-
ble cité par de Castelnau, cette anesthésie spéciale coïncidait avec la per-
sistance d'un engorgement inflammatoire qui occupait toute l'étendue de
l'urèthre. « Le passage du sperme était presque insensible; l'éjaculation
s'effectuait sans plaisir comme sans douleur; bientôt même il devint
impossible de juger le moment où elle cessait, etc. La sensation nor-
male ne se rétablit qu'après plusieurs mois. »
IV. Enfin, la blennorrhagie laisse souvent à sa suite, après guérison,
des troubles fonctionnels très-divers, résultant des lésions qu'elle a pu
produire et des complications dont elle a été l'origine. Les accidents de
cet ordre ont été mentionnés précédemment.
SSé BLENNORRHAGIE. — nature.
Nature. — Quelle idée se faire de la blennorrhagie? Est-ce une maladie
spéciale, ayant son individualité propre, ou bien n'est-ce qu'un sym-
ptôme, une expression, une forme d'une autre maladie plus générale;
est-ce une phlegmasie simple on une affection virulente ; est-ce un état
morbide exclusivement local ou susceptible de créer une diatbèse, une
disposition générale de l'économie, etc.? Questions difficiles et longtemps
débattues, qu'il nous serait impossible d'aborder ici avec les développe-
ments qu'elles comportent, mais sur lesquelles nous devons cependant
jeter un coup d'œil rapide en terminant cette étude.
I. La blennorrbagie est une affection vénérienne. Elle se contracte et se
propage par le commerce sexuel. A part les faits d'inoculation expérimen-
tale, à part aussi quelques cas très-exceptionnels de contagion médiate,
on peut dire qu'elle reconnaît toujours pour origine l'acte vénérien. Elle
diffère en cela du chancre simple et surtout de la syphilis, qu'il n'est pas
rare de voir résulter d'un contact quelconque, d'une contamination for-
tuite, étrangère au rapprochement sexuel. A ce point de vue donc, la
blennorrliagio est la plus vénérienne de tontes les affections vénériennes.
II. C'est une maladie spéciale, ayant son individualité propre, consti-
tuant une entité pathologique distincte.
Elle diffère, comme nous l'avons établi, de la balanite (voy. ce mot).
Elle diffère bien plus encore du chancre simple, avec lequel elle n'offre
véritablement aucun point de contact. Elle n'est pas moins distincte de
la syphilis avec laquelle on l'a si longtemps confondue.
A ce dernier point de vue, est-il besoin ici de rouvrir une discussion
épuisée, de démontrer à nouveau ce qui n'a plus besoin de preuves? On
sait que dans les siècles qui nous précédèrent, la blennorrhagie fut consi-
dérée comme une des expressions, comme une des formes de la syphilis.
Cette confusion, dont l'origine paraît remonter à Musa Brassavole (1550
environ), se perpétua dans la science jusqu'à une époque voisine de nous.
L'identité des deux maladies était acceptée comme une de ces vérités
incontestables, au-dessus de toute discussion. Ce n'est pas que de temps
à autre quelques esprits supérieurs n'aient saisi et signalé les différences
profondes qui séparent la blennorrhagie de la vérole. Astruc, par exem-
ple, écrivait en 1756 : « Jamais la gonorrhée ne cause la vérole, pourvu
que la semence ou la liqueur séminale infectée de virus s'écoule abon-
damment et librement, parce que de cette façon le virus est évacué, » etc.
De même Ilunter : « Je crois pouvoir avancer, d'après ma pratique et
mon expérience, que... pour un sujet qui contracte l'infection à la suite
de la gonorrhée, il en est cent qui la prennent à la suite du chancre. »
Toutefois la doctrine de l'identité ne trouvait pas d'opposition véritable.
Ce furent Balfour, Tode et Duncan qui commencèrent les premiers à réagir
contre elle. « Il est très-vraisemblable, disait Duncan, que la gonorrhée
et la syphilis dépendent chacune d'une infection particulière et spéciale. »
Cette idée nouvelle, ne tarda pas à trouver d'autres défenseurs dans Bell,
Trotter, Clossius, Theden, Callisen, AVichmann, etc. Ce fut surtout Her-
nandez qui, dans une monographie spéciale (1812), attaqua le plus
BLENNORRHAGIE. — nature. 255
vivement la doctrine de l'identité. Dans cet ouvrage, plus apprécié de
nos jours qu'il ne le fut au moment de son apparition, ce dernier au-
teur s'efforçait d'établir : « que l'infection par la gonorrhée a toujours
pour effet une gonorrhée et jamais un chancre; que la gonorrhée se
produit sans chancre ni ulcère syphilitique de l'urèthre, qu'elle ne dé-
termine jamais de chancre par inoculation, qu'elle n'entraîne pas la
syphilis à sa suite, qu'elle guérit par des moyens purement locaux, sans
avoir besoin du mercure, etc.. De là cette conséquence, que la gonor-
rhée et le chancre sont de nature différente et n'appartiennent pas à la
même maladie. » Tout cela était merveilleux de vérité; malheureusement
les expériences sur lesquelles lïernandez appuyait sa théorie étaient peu
faites pour porter la conviction dans l'esprit de ses contemporains. Dans
ses dix-sept inoculations de pus blennorrhagique pratiquées sur des sujets
sains, il était arrivé dix-sept fois, grâce sans doute à un procédé vicieux
d'expérimentation ou à toute autre cause, à développer ce qu'il appelle
lui-même « des ulcères. » Cinq fois seulement, ces ulcères s'étaient cica-
trisés « sans présenter aucune apparence vénérienne » ; mais dans tous
les autres cas, il s'était produit des « ulcères opiniâtres, dont quelques-uns
avaient toutes les apparences syphilitiques. » Or, on le conçoit sans peine,
de tels faits n'étaient guère de nature à démontrer que la blennorrhagie
n'est pas susceptible de reproduire le chancre et qu'elle est essentielle-
ment distincte de la syphilis; ils auraient pu même servir d'arguments
sérieux à la doctrine de l'identité. Aussi l'œuvre d'Hernandez laissait-elle
indécise la question qu'elle prétendait résoudre. Je n'oserais dire qu'elle
passa inaperçue; mais Ton ne voit guère qu'elle ait exercé une influence
notable sur les esprits et que les auteurs du temps aient tenu grand
compte de ce très -estimable travail.
Plus tard, Ricord reprit la question toujours pendante de la non-iden-
tité et lui donna, comme on le sait, sa solution véritable et définitive.
C'est à lui que revient en toute justice l'honneur d'avoir à jamais séparé
la blennorrhagie de la vérole. L'opposition violente qu'il rencontra sur
ce point de doctrine, les luttes animées qu'il eut à soutenir contre de
nombreux adversaires et notamment contre l'école de Saint-Louis, démon-
trent assez s'il n'avait à recueillir, comme on l'a dit, qu'un héritage tout
préparé, et si le problème pouvait être considéré comme résolu avant
ses mémorables travaux.
Sans doute Ricord débuta par une induction imprudente en voulant
établir de par les résultats de l'inoculation la non-identité de la syphilis
et de la blennorrhagie. Sans doute, et contrairement à ce qu'il annonça
tout d'abord, la blennorrhagie n'est pas distincte de la syphilis par ce fait
qu'elle répond négativement aux tentatives d'auto-inoculation (les seules
que mon maître se soit jamais permises). Il a été démontré, en effet,
dans ces derniers temps, que le pus du chancre infectant n'est pas plus
auto-inoculable que ne l'est le pus blennorrhagique. Si donc Ricord
n avait appelé à l'appui de sa doctrine que ce seul ordre de preuves, son
œuvre eut été stérile. Mais avec ce grand sens pratique qui est un des
256 BLENiNORKHAGIE. — nature.
cotés les plus saillants de son esprit, il interrogea ce qui ne pouvait le
tromper, la clinique. Jl avait observé des milliers de blennorrhagies qui
jamais n'avaient été suivies des symptômes propres à la syphilis; il avait
vu des milliers de syphilis débuter invariablement par le chancre; fort
de son expérience et la condensant en quelques lois pathologiques, il pro-
clama ces vérités que le temps n'a fait que confirmer depuis et qui n'ont
rien à craindre de l'avenir : « La blennorrhagie et la syphilis sont deux
affections essentiellement distinctes ; jamais la blennorrhagie ne déter-
mine à sa suite les accidents constitutionnels de la vérole; jamais la
vérole ne reconnaît pour origine une blennorrhagie simple. Si, dans
quelques cas exceptionnels, l'infection syphilitique paraît succéder à la
blennorrhagie, c'est qu'un chancre, à coup sûr, est resté méconnu; et
l'une des causes communes de ces exceptions apparentes, c'est le siège
du chancre à l'intérieur même de l'urèthre (chancre larvé). »
C'est à dater du jour où la question fut ainsi posée et étudiée dans son
côté véritablement clinique, que la non-identité de la blennorrhagie et de
la syphilis put être considérée comme démontrée. Bien que préparée par
les travaux antérieurs que nous avons mentionnés, cette démonstration
fut surtout l'œuvre de Ricord. Je ne crois pas être coupable d'une exagé-
ration dictée par un sentiment personnel en disant que ce fut là un ré-
sultat considérable dans la science, une des belles conquêtes de la patho-
logie dans notre siècle.
III. La blennorrhagie est-elle une inflammation simple, est-elle une
affection virulente?
Pour un grand nombre de médecins, la blennorrhagie serait une affec-
tion produite par un virus particulier, c'est-à-dire par un poison morbide
de nature spécifique ; à ce point de vue donc, elle serait l'analogue des
maladies incontestablement virulentes, telles que la syphilis, la rage, la
variole, la morve, etc. Cette opinion, assez généralement répandue, repose
sur des arguments qui ne sont pas sans quelque valeur apparente : la con-
tagiosité de la maladie, sa transmission dans l'espèce, les résultats que
donne l'inoculation du pus blennorrhagique soit sur l'urèthre, soit sur la
muqueuse oculaire, le caractère de certaines complications (rhumatisme,
ophthalmie rhumatismale) qui semblent relever d'une disposition gé-
nérale et virulente de l'organisme, etc. Toutefois, à les examiner de près,
ces diverses considérations ne sont nullement démonstratives. La conta-
giosité de la maladie, par exemple, n'implique pas l'existence d'un virus.
Il est possible que le pus blennorrhagique ne transmette pas, à vrai
dire, une contagion, qu'il n'agisse sur l'urèthre qu'au titre d'un irritant,
tout comme la sécrétion du catarrhe utérin, comme les flueurs blanches,
comme les flux non spécifiques de l'utérus ou du vagin. La transmission
de la maladie peut être l'effet d'une irritation simple, sans le concours
d'un contagium particulier. N'avons-nous pas établi d'ailleurs que la
blennorrhagie se produit le plus habituellement sous l'influence de
causes où la contagion ne joue aucun rôle? — De plus, la blennorrhagie
même la mieux caractérisée présente-t-elle quelques symptômes spéciaux
BLENNORRIIAGIK. — nature. 257
qui la différencient d'une inflammation simple el qui dénotent la pré-
sence d'un principe virulent? Evidemment non. — La blennorrhagie
qui résulte ou semble résulter de la contagion dilfère-t-elle par quelques
signes de celle que développe une irritation non spécifique? Non encore.
— Enfin, est-il besoin de faire intervenir un virus, un poison morbide,
pour expliquer certaines complications de la maladie? Pas davantage, car
ces complications, comme nous allons le dire bientôt, ne se présentent
pas avec les caractères de ces manifestations constitutionnelles, que l'on
observe dans les affections diathésiques on virulentes. — Rien donc en
somme ne légitime, à mon sens, l'hypothèse d'un virus blennorrhagique.
D'une part, ce virus n'est nullement démontré; d'autre part, il ne me
paraît pas nécessaire d'en invoquer l'existence pour expliquer les diffé-
rents phénomènes de la maladie.
Si la blennorrhagie est une inflammation simple, il ne suit pas de là
qu'elle soit identique avec l'affection que nous décrirons plus tard sous
le nom d'uréthrite. Cliniquement, elle doit en être distinguée. Réservons
du reste cette discussion pour l'article qui sera consacré à l'étude de
cette dernière maladie (voy. Uréthrite).
Quelques mots en terminant sur une autre hypothèse. Thiry (de Bru-
xelles) croit avoir déterminé la nature et la provenance du virus blen-
norrhagique. Pour lui, la blennorrhagie serait due à un virus tout
spécial, le virus granuleux, lequel serait à la fois le produit et la cause
d'une lésion sans analogue dans l'économie, la granulation. « Celte granu-
lation, dit-il, est la lésion caractéristique, spécifique, de la blennorrhagie;
sans elle, pas de blennorrhagie vraie, et réciproquement, sans blennor-
rhagie, pas de granulation. De plus, toute affection où se produit cette
lésion, quel qu'en soit d'ailleurs le siège (muqueuse oculaire, vagin,
museau de tanche, etc.), reconnaît nécessairement une origine blennor-
rhagique et recèle un principe contagieux, » etc. Ai-je besoin de dire que
cette doctrine ne résiste pas à un examen sérieux? Tout d'abord, qu'est ce
que cette granulation? Sous cette dénomination mal définie se trou-
vent comprises dans la science trois altérations très-différentes, l'hyper-
trophie papillairc, l'hypertrophie folliculaire et les néoplasmes. Auquel
de ces trois types se rapporte la granulation spécifique dont parle Thiry?
C'est ce que l'auteur néglige de nous apprendre. — De plus, quelle
qu'elle soit, cette granulation a-t-elle jamais été constatée à l'état aigu de
la maladie? Desormeaux, qui s'est rallié sur quelques points aux idées de
Thiry, ne paraît avoir observé l'état granuleux du canal qu'à une période
avancée de la maladie, puisqu'il le considère comme la lésion propre de
la blennorrhée. — D'autre part, la granulation fait défaut dans certaines
affections réputées blennorrhagiques, notamment dans la balanite, où
jamais, que je sache, elle n'a été signalée; et inversement, elle se
rencontre clans des maladies où la blennorrhagie ne joue évidemment
aucun rôle, comme dans les blépharites les plus simples. — Enfin, la
granulation n'est ni dans l'urèthre ni ailleurs une lésion spéciale, encore
moins spécifique; c'est simplement un état anatomique de l'inflammation
NOUV. DICT. Ml': II. et cnin. V. — 17
258 BLENNORRHAGIE. — nature.
des muqueuses, c'est, un « incident de surface », sans aucune valeur
pour préjuger la nature d'une maladie.
IV. La blennorrhagie, enfin, est une affection exclusivement locale.
Les complications auxquelles elle peut donner lieu s'expliquent très-
naturellement, pour la plupart, par une simple extension de la phlegmasie
uréthrale aux organes de voisinage; ce sont des phénomènes purement lo-
caux. Mais il en est d'autres d'une pathogénie plus obscure ; ce sont les acci-
dents dits rhumatismaux (arthropathies, ophthalmie rhumatismale, etc.).
Ceux-ci ne sauraient évidemment dépendre d'une simple irradiation in-
flammatoire. Or, comment en comprendre la production?
Une interprétation se présente naturellement à l'esprit, c'est que les
accidents de cet ordre relèvent d'une cause générale, d'une disposition
diathésique, d'un état blennorrhagique de l'économie; c'est que la blen-
norrhagie n'est pas seulement une affection locale, mais bien une maladie
susceptible de se généraliser et de développer des déterminations analo-
gues à celles des diathèses ou des états constitutionnels.
Séduisante de prime abord, cette hypothèse ne soutient pas l'analyse.
Il est impossible, en effet, de considérer le rhumatisme blennorrhagique
comme une manifestation constitutionnelle, et cela pour les raisons sui-
vantes.
Le rhumatisme est, en somme, un accident rare de la blennor-
rhagie. S'il dépendait d'un état général, d'une infection, il devrait se
manifester, sinon dans tous les cas, du moins d'une façon commune, ha-
bituelle; or, il n'a ni la fréquence, ni la régularité d'apparition des ma-
nifestations constitutionnelles, de celles, par exemple, que nous voyons
se développer dans la syphilis à la suite du chancre (roséole, plaques mu-
queuses, etc.). C'est, tout au contraire, un accident de hasard, irrégu-
lier, je puis dire exceptionnel eu égard au nombre immense des blen-
nerrhagies dont l'évolution se fait sans déterminations articulaires, et
j'ajouterai même subordonné à des prédispositions individuelles qui pa-
raissent jouer un rôle principal dans les conditions pathogéniques de son
développement. — De plus, cet accident, s'il était l'expression d'une infec-
tion blennorrhagique, devrait se produire avec toutes les formes, avec
toutes les localisations de la blennorrhagie. Or, d'après Ricord et beau-
coup d'autres auteurs, il ne s'observe qu'avec la blennorrhagie de l'urè-
tlire^ exclusivement.
D'autre part, la clinique nous présente parfois un phénomène singu-
lier qui doit être rapproché des accidents rhumatismaux de la blennor-
rhagie. C'est la production d'arthrites déterminées par le catkétérismey
fait inexplicable, extraordinaire, mais très-réel, très-positivement con-
staté. Or, ces arthrites, bien que différentes à certains égards du rhuma-
tisme blennorrhagique, n'ont pas moins une analogie significative avec
cette dernière affection. Elles témoignent tout au moins de ceci, c'est
qu'il n'est pas besoin d'une cause générale et virulente pour que certains
étals morbides de l'urèthre deviennent l'occasion de fluxions articulaires.
En certains cas aussi, nous voyons le cathétérisme déterminer des
BLENNORMIAGIE. — bibliographie. 959
frissons plus ou moins marqués, parfois très-intenses, et même de véri-
tables accès intermittents décrits sous le nom de lièvre uréthrale.
De là cette conclusion rationnelle que les irritations de l'urèthre sont
susceptibles d'éveiller des troubles généraux dans l'ensemble de l'orga-
nisme et de provoquer des déterminations morbides vers certains systè-
mes. Or, la blennorrbagie n'est-elle pas une irritation de l'urèthre, et de
plus une irritation spéciale? Ne peut-elle pas, à ce titre, développer des
accidents de même ordre; ne peut-elle pas encore en modifier l'expres-
sion suivant sa modalité propre? Dans cette manière de voir, le rhuma-
tisme qui accompagne la blemiorrhagic serait une simple variété de ces
phénomènes qui se produisent à la suite des excitations pathologiques de
l'urèthre ; ce serait moins un accident blennorrhagique qu'un accident
uréthral. — Cette dernière interprétation nous paraît bien plus légitime
que l'hypothèse d'un état général, d'une disposition constitutionnelle
blennorrhagique.
Une bibliographie complète de ta blennorrbagie formerait à elle seule un volume. Nous ne men-
tionnerons ici que les ouvrages les plus importants ou les monographies qui ont avancé sur quel-
que point la connaissance de cette maladie. Nous ne croyons pas utile non plus de faire remonter
cette bibliographie au delà du siècle dernier.
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de la Société de chirurgie, 1865).
Viennois (de Lyon), Ecoulements blennorrhagiques et écoulements blennorrhoïdes, in Valleix,
Guide du médecin praticien, 5e édition. Paris, 1800, t. V.
Boyer (L.), Leçons sur l'orchite en général, et spécialement sur les orchites catarrhales, rhu-
matismales et blennorrhagiques [Montpellier médical, 1866).
Ouvrages généraux sur les maladies vénériennes. — Voyez en outre la bibliographie des articles
Cubèbe. CorAiiu, Térébenthine, Balanite, Vaginite, Vulvite, Métrite, Uréthuite, Chancre, Bubon,
Syphilis; Epididyhite, Orciiite, Prostatite, Prostatoiuuiée, Spermatorrhée, Cystite, Opiithal-
mie, etc., etc.
Alfred Fournier.
BLEPHARITE. — Ce mot (de [SAéçapov, paupière) est employé
pour désigner l'inflammation des paupières.
Il a été créé et introduit dans la pratique, vers 1840, par le professeur
Velpeau. Avant lui l'inflammation des paupières n'était pas décrite à part.
Celle qui occupe plus spécialement la muqueuse palpébrale était confondue
dans la description de l'ophthalmie, et, plus tard, dans celle de la con-
jonctivite. Celle qui occupe le bord libre était présentée sous des noms
variés tirés de la prédominance de tel ou tel symptôme : ulcères des pau-
pières, psoropbtbalmie, gratellc, lippitudo, rogne, etc. Quant à celle
qui occupe la peau et le tissu cellulaire des paupières, elle était comprise
dans la description générale de l'érysipèle et dans celle des dartres.
Si la conjonctivite palpébrale n'existait jamais que concurremment
avec l'oculaire, si les lésions décrites sur le bord libre, et qu'on y
trouve quelquefois isolées et indépendantes de la conjonctivite, n'étaient
pas de nature inflammatoire, on aurait pu conserver l'ancienne manière
de faire. Mais, avec l'exactitude d'observation qu'on lui connaît, Velpeau
reconnut que l'inflammation se limitait assez souvent à la muqueuse
ou au bord libre des paupières, et réclamait des praticiens une attention
spéciale. Appliquant aux organes palpébraux les divisions anatomiques
BLÉPHARITE. — blépharite ciliaire. 265
importées dans l'oculistique par Demours, Weller et Béer, il donna de la
blépharite et de ses diverses formes une description qui ne tarda pas à
être adoptée par tout le monde, et qui a servi de modèle aux auteurs
venus plus tard. Nous l'utiliserons nous-mème largement, en en retran-
chant ce qui est devenu superflu, et en y ajoutant les détails que l'ana-
tomie pathologique et la clinique moderne ont permis de recueillir.
Si petites et si délicates qu'elles soient, les paupières n'en sont pas
moins composées de parties très-variées : en avant, une peau tort mince,
un tissu conjonctif lâche, lilamenteux et dépourvu de graisse; en arrière,
une muqueuse continue avec celle de l'œil, et en différant par l'abon-
dance des papilles ; sur le bord libre, le cartilage tarse avec les orifices
des glandes de Meibomius, les cils avec leurs bulbes et les petits follicules
sébacés qui en dépendent. L'inflammation peut occuper simultanément
toutes ces parties à la fois ou plusieurs d'entre elles; mais cela n'arrivant
guère que dans les cas de conjonctivite purulente spontanée ou trauma-
tique, il n'y aura pas lieu de nous en occuper ici.
Elle peut occuper isolément soit la peau, soit le tissu cellulaire sous-
cutané. Elle est alors érythémateuse, érysipélateuse, eczémateuse ou
phlegmoneuse, suivant que la maladie revêt l'une ou l'autre des formes
indiquées par ces dénominations ; mais comme il s'agit ici de maladies
générales qui seront décrites aux mots Érysipèle, Phlegmon, Eczéma, et
qu'au mot Paupières on indiquera ce que ces maladies offrent de particu-
lier, je n'ai pas à m'y arrêter davantage.
D'autres fois l'inflammation occupe exclusivement ou le bord libre ou
la membrane muqueuse des paupières. Dans l'un et l'autre cas elle donne
lieu à une affection toute spéciale dont on ne trouverait pas une idée suf-
fisante dans l'article général consacré à l'inflammation, et dont l'impor-
tance est telle qu'il est permis de ne pas la comprendre dans l'article qui
sera consacré aux paupières. Nous décrirons donc successivement :
1° La blépharite du bord libre ou blépharite ciliaire;
2° La blépharite muqueuse, que nous subdiviserons en blépharite mu-
queuse simple et blépharite granuleuse.
1. ltlopliarîte ciliaire. — C'est le nom donné par Yelpeau à la
phlegmasie qui occupe le bord libre ou ciliaire des paupières. Mais on
trouve sur ce bord, outre les cils avec le tégument dont ils dépendent, les
orifices des glandes de Meibomius ; or Yelpeau a donné une description
spéciale pour l'inflammation de la portion ciliaire, et une autre pour l'in-
flammation des orilices et des glandes dont il s'agit; mais il y a si sou-
vent coïncidence de ces deux formes que je préfère les comprendre dans
une même description. Le mot de blépharite glandulo-ciliaire, adopté
par Desmarres, exprime déjà bien la réunion des deux lésions ; je pré-
fère celui de blépharite ciliaire, parce qu'il est plus court et qu'il suffit,
du moment où l'on s'est expliqué sur sa signification. Quant à l'expression
d'ophthalmie tarsienne employée par Mackensie, je la laisse de côté comme
inutile, et comme pouvant même exprimer une idée fausse, celle d'une
lésion du cartilage tarse, lésion qui n'existe pas, au moins au début de
26i BLÉPHARITE. — blépharite ciltaire.
la maladie. Ici, du reste, comme pour toute l'ophthalmologie, les déno-
minations abondent et varient, avec les auteurs ; c'est probablement parce
que, de tout temps, on a voulu innover, et qu'il a toujours été plus facile
de faire des noms nouveaux que des choses nouvelles.
Etiologie. — La blépharite ciliaire se voit quelquefois chez les adultes,
mais elle est infiniment plus commune cbez les enfants de 1 à 15 ans;
c'est une maladie toute particulière à la seconde enfance, et si je ne crai-
gnais pas d'encourir le reproche que je signalais tout à l'heure, je l'ap-
pellerais la blépharite de la seconde enfance, par opposition à la blépha-
rite muqueuse, qui est celle de l'adolescence, et à la blépharite granuleuse,
qui est de tous les âges, et qui, plus rebelle dans l'âge mûr qu'à tout autre,
y est aussi plus souvent observée.
Les enfants délicats, blonds, à peau blanche et à chairs molles, y sont
les plus exposés, aussi bien ceux qui sont franchement scrofuleux que
ceux qui sont simplement lymphatiques. Comme pour toutes les affections
de ce genre, les enfants des pauvres en sont plus souvent atteints que
ceux des classes aisées.
Quelquefois la blépharite ciliaire arrive d'emblée et primitivement, sans
cause occasionnelle appréciable. D'autres fois elle se montre à la suite de
quelque maladie générale, comme la fièvre typhoïde, la scarlatine, la rou-
geole ou la variole, celles-ci ayant amené une faiblesse de la constitution
analogue à la faiblesse originelle qui caractérise le tempérament lympha-
tique. On la voit aussi consécutivement à d'autres lésions de l'œil et sur-
tout à la kératite chronique et récidivante, quoiqu'il soit beaucoup plus
commun, je le dirai plus loin, de voir la kératite survenir après la blé-
pharite.
Symptômes et marche. — Je les décrirai successivement pour l'enfant
et pour l'adulte.
A. Chez l'enfant, la blépharite ciliaire débute par une rougeur sur
le bord libre des paupières; il y a de plus des démangeaisons, et comme
le petit malade se gratte avec ses mains, ordinairement malpropres, le
mal se trouve entretenu et aggravé par cette double cause : attouche-
ments trop fréquents et malpropreté. Après une durée de quelques jours
ou de quelques semaines, pendant lesquels la rougeur et les démangeai-
sons présentent des alternatives d'augmentation et de diminution, la ma-
ladie peut s'arrêter là; plus souvent quelques pustules apparaissent à la
base et dans les intervalles des cils, et avec elles ou après elles de petites
croûtes qui tombent au bout de quelques jours et sont remplacées par
d'autres; ces croûtes passent quelquefois d'un cil à l'autre, et agglutinent
entre eux un certain nombre de ces poils sur lune des paupières seule-
ment ou sur les deux. Les croûtes, en se détachant, entraînent souvent
un ou plusieurs cils, et quand un certain nombre de ces derniers sont
réunis en bouquets ou faisceaux, il en tombe plusieurs en même temps.
Du reste les cils ainsi perdus sont susceptibles de repousser un certain
nombre de fois. Les croûtes sont dues au dessèchement du pus des pus-
tules et à celui du liquide anormalement sécrété soit par la peau malade,
BLEPHARITE. — blépharite ciliaire. 565
soit par les follicules sébacés qui entourent la racine des cils; on y trouve
avec le microscope un mélange de cellules épithéliales et de globules pu-
rulents. Les démangeaisons et les croûtes expliquent les dénominations
de gale des paupières et de gratelle que nous trouvons dans les ouvrages
de Saint-Yves et de Maître-Jan.
Souvent la maladie conserve pendant toute sa durée, qui est habituel-
lement longue, les caractères dont je viens de parler. Mais, dans bien des
cas, on voit après la chute des croûtes, dans les intervalles des cils, une
ou plusieurs petites érosions arrondies en forme de godets. Ces ulcéra-
tions se couvrent bientôt de nouvelles croûtes, puis sont remises à nu par
la chute de ces dernières. Se forment-elles exclusivement sur la peau du
bord palpébral, ou bien sur le contour d'un orifice ciliaire qu'elles éva-
sent, ou même sur le contour d'un des orifices agrandis de Mcibomius?
Tl m'est difficile de me prononcer sur ce point, n'ayant pas eu l'occasion
d'étudier par moi-même avec le s-caîpel ce point délicat d'anatomie patho-
logique. Là d'ailleurs n'est pas la chose importante. Il suffit, pour les
applications pratiques, de savoir que dans les cas où la blépharite ciliaire
a pris cette forme ulcéreuse ou exulcéreuse, elle est plus rebelle et ré-
clame certains soins particuliers. Du reste l'enfant est toujours tourmenté
par des démangeaisons qui l'obligent à porter souvent vers l'œil sa main
ou son mouchoir, et l'on voit entre les croûtes ou à leur place, lorsqu'elle
sont tombées récemment, un liquide mucoso-purulent jaunâtre qui s'étire
en filaments glutincux lorsqu'on cherche à l'enlever avec un linge, et
qui est toujours difficile à détacher.
Il n'est pas rare de trouver en même temps sur la face postérieure du
bord libre, ou, si on l'aime mieux, sur le commencement de la surface
muqueuse des paupières, des traînées verticales rougeàtres, et même un
peu de gonflement, qui sont dus à la propagation de l'inflammation dans
les tubes et glandules constituant les glandes de Mcibomius.
Dans tous les cas qui précèdent on ne voit pas un gonflement bien
notable. Dans d'autres, et surtout lorsque l'une des formes précédentes a
duré plusieurs mois, le bord palpébral est gonflé et induré, en même
temps qu'il s'y trouve encore des croules, des érosions et des ulcérations.
Decker décrit cette forme sous le nom de blépharite hypertrophique,
et suppose que le gonflement a pour siège principal les follicules pileux.
Quelquefois encore on voit sur le bord libre une croûte uniforme très-
adhérente, de couleur grisâtre, avec un léger reflet argentin laquelle se
détache lentement et d'une seule pièce pour mettre à découvert la surface
rougcàtre et excoriée du bord libre dans toute son étendue ; elle est rem-
placée bientôt par une croûte semblable, ou par des croûtes disséminées,
comme on les observe dans les formes ordinaires de la maladie. C'est à
cette variété de blépharite que Yelpeau a donné le nom de diphtéritique ;
mais ce mot a l'inconvénient d'indiquer une lésion analogue à la diphté-
rite, or la croûte uniforme dont il s'agit n'est pas due à une fausse mem-
brane, elle est constituée, comme dans les autres cas, par de l'épithélium,
du mucus et de l'humeur sébacée desséchée. L'aspect particulier qu'on
266 BLÉPHARITE. — blépharite ciliaire.
observe est dû seulement à un arrangement spécial et difficile à expli-
quer des molécules multiples dont l'agglomération et le dessèchement for-
ment la production accidentelle.
Parfois il reste longtemps, sans rougeur, sans croûte, sans ulcération
et sans pustule, des pellicules simplement épidermiques, minces et fines,
entre les poils et autour d'eux. L'aspect, en pareil cas, est analogue à
celui du pityriasis.
La marche de la blépharite ciliaire, chez l'enfant, est toujours lente.
Lorsqu'il ne survient aucune complication, et que des soins convenables
sont administrés, elle se termine habituellement par la guérison, soit au
bout de quelques semaines, soit au bout de quelques mois. Dans les cas
les plus heureux, il ne reste aucune trace de la maladie, les cils qui sont
tombés ont été remplacés par d'autres, les excoriations se sont cicatrisées,
la rougeur et le gonflement ont disparu, mais le petit malade reste exposé
au retour de la même affection sous l'influence des mêmes causes qui
l'avaient amenée une première fois, et surtout à la suite des dérangements
de sa santé par un rhume prolongé, une diarrhée, une nouvelle fièvre
éruptive ou toute autre maladie.
Lorsque la blépharite a duré plusieurs années, ou s'est reproduite un
certain nombre de fois avec opiniâtreté, les cils n'ont pas tous repoussé,
les paupières dégarnies ont perdu de leur beauté, et sont très-exposées à
de nouvelles récidives. Il est rare cependant, quelle qu'ait été la fréquence
de ces récidives, que les paupières restent avec une calvitie complète, et
présentent le boursouflement, avec rougeur du bord libre des paupières,
qui constitue l'œil d'anchois ou le tylosis. Nous verrons tout à l'heure que
cet état de choses se voit plus souvent chez l'adulte.
Rarement aussi la blépharite ciliaire laisse chez l'enfant un entropion
ou un trichiasis, résultats que nous observons encore de préférence à un
âge plus avancé.
Souvent la blépharite ciliaire se complique de kératite chronique,
parce que les mêmes causes générales occasionnent les deux maladies.
Il est alors très-ordinaire que la blépharite se prolonge avec des degrés
variables d'intensité tout le temps que dure la kératite, et comme cette
dernière est habituellement très-rebelle, c'est une raison pour que la
blépharite elle-même se prolonge plus longtemps.
B. Chezl adulte, la blépharite ciliaire se montre tantôt sur les paupières
encore garnies de cils, tantôt sur des paupières dégarnies et atteintes de
calvitie depuis un temps plus ou moins long.
l°Dans le premier cas on observe les mêmes formes et les mêmes phé-
nomènes que chez l'enfant, seulement la durée est ordinairement moins
longue et les récidives sont moins fréquentes. De plus, on voit quelque-
fois dans le cours, et même dès le début de la maladie, un ou plusieurs
cils se renverser vers l'œil et former un trichiasis. Ces cils sont entraînés
par de petites cicatrices consécutives aux ulcérations du bord libre, ou
par une contracture, plus prononcée en certains points qu'en d'autres,
du muscle orbiculaire. Formés à la place de ceux qui sont tombés un
BLÉPHARITE. — BLÉPHARITE CILIAIRE. 267
certain nombre de fois, et par des bulbes fatigués, les cils renversés n'ont
plus l'épaisseur et la rigidité naturelles, ce qui explique encore leur sé-
jour facile dans une situation anormale.
2° Dans le second cas, c'est-à-dire chez les sujets qui ont perdu, par
suite de blépharites répétées pendant et après l'enfance, la plus grande
partie de leurs cils, on voit fréquemment survenir un gonflement avec rou-
geur du bord libre, sorte d'érythème humide qui s'accompagne facilement
d'hypérémie de la conjonctive palpébrale, et quelquefois de conjonctivite
oculaire. Lorsque cette phlegmasie, dont on voit peu d'exemples chez les
enfants, s'est reproduite un certain nombre de fois, le bord libre des pau-
pières, celui de l'inférieure surtout, conserve indéfiniment de la rougeur,
de l'excoriation et du gonflement. Les follicules de Meibomius ont disparu,
le bord palpébral est arrondi, laisse à tout moment écouler les larmes sur
"a joue, ou reste couvert de mucus non desséché; tout cela constitue une
difformité qui a été décrite par les anciens auteurs sous le nom d'œil
d'anchois. Quelquefois la difformité se trouve augmentée par un renver-
sement en dehors ou ectropion partiel, par suite duquel la rougeur anor-
male et disgracieuse est formée, non-seulement par l'érythème humide
du bord libre, mais aussi par le boursouflement permanent de la con-
jonctive palpébrale. Cet état de choses est d'autant plus fâcheux qu'il est
irrémédiable, et que, faisant perdre à l'œil un de ses moyens de protec-
tion, il l'expose à toutes les causes de kératite et de conjonctivite répan-
dues dans l'atmosphère.
Pronostic. — Il résulte de tout ce qui précède que la blépharite ciliaire,
toujours fâcheuse par sa longue durée, est moins grave chez l'enfant que
chez l'adulte. La différence est due à ce que, chez le premier, la maladie
ne conduit pas aussi souvent que chez le second à des lésions et à des
difformités incurables.
Traitement. — Chez les enfants le traitement doit toujours être général
et local.
Le traitement général se compose des toniques médicamenteux et hygié-
niques, que nous conseillons, dans les limites permises par la position
sociale du malade, à tous les enfants délicats et lymphatiques, savoir :
l'huile de foie de morue, le sirop antiscorbutique, l'iode et l'iodure de
potassium ou de fer, l'alimentation fortifiante, l'air de la campagne, les
bains de mer.
Le traitement local consiste dans l'application de topiques variés sui-
vant l'intensité et la nature de la blépharite. Lorsque l'inflammation est
momentanément passée a l'état aigu, ou lorsque des croûtes sèches et
très-adhérentes jouent le rôle de corps étrangers irritants, des cataplasmes
de fécule modérément chauds doivent être conseillés. Si l'enfant se refuse
à les garder pendant le jour, il faut au moins en prescrire pour la nuit,
et se contenter pendant le jour de lotions et mieux de petits bains, dans
une œillère, avec de l'eau de sureau, de mélilot ou de guimauve. Ces
lotions ou bains doivent être répétés trois ou quatre fois par jour. Lors-
qu'à l'aide de ces soins continués plusieurs jours, les croûtes sont suf-
268 BLÉPHARITE. — blépharite ciliaire.
fisamment ramollies, on les enlève avec un linge fin, qu'on passe assez
doucement pour ne pas enlever les poils.
C'est surtout à ce moment où les croûtes sont tombées, qu'il est bon
d'essayer l'une des pommades dont on a conseillé, à toutes les époques,
d'enduire matin et soir avec un linge, et mieux avec un pinceau, le bord
des paupières. Le nombre de ces pommades est assez grand. Les plus usi-
tées sont les suivantes :
Axonge ou cold-cream. 15 grammes.
Précipité rouge 0,05
Axonge ou cold-cream 15 grammes.
Calomel préparé à la vapeur. 0,05
Axonge 4 grammes.
Azotale d'argent 0,03 à 0.05
Axonge récente 10 grammes.
iiioxyde de mercure (précipité rouge) 0,05
Oxyde blanc de zinc 0,50
Oxyde blanc de zinc. . 4 grammes.
Cérat sans eau 8
Axonge 4 grammes.
Alun ou borax 0,10
Les pommades dites de Janin, de Lyon, de la veuve Farnier, que débi-
tent encore aujourd'hui certains industriels, et auxquelles le public a re-
cours volontiers sans le conseil des médecins, renferment, dans des pro-
portions un peu variées, une ou plusieurs de ces substances, ou seulement
le précipité rouge (bioxyde de mercure).
Les praticiens sages doivent savoir que les pommades ont souvent de
mauvais résultats. Lorsqu'on les place sur le bord libre au lieu de les étendre
seulement sur la surface cutanée des paupières, une partie se met en con-
tact avec la conjonctive oculaire et peut l'enflammer. L'enfant a donc
pendant quelques jours une conjonctivite aiguë à la place de la blépharite
chronique dont il était atteint jusque-là. D'autres fois, sans irriter la con-
jonctive, les pommades excitent très-vivement les paupières elles-mêmes
et font passer momentanément la blépharite à l'état aigu, avec rougeur
de la peau, gonflement, sécrétion abondante des follicules de Meibomius ; ce
ne serait là qu'un léger inconvénient, si, après cette poussée aiguë, la maladie
marchait franchement, vers la guérison. Mais, le plus souvent, il n'en est
rien : la forme chronique reparaît et la blépharite continue d'exister avec
les alternatives dont j'ai parlé, jusqu'à ce que, par une sorte d'épuisement
spontané, ou après une amélioration notable de la santé générale, elle
disparaisse. J'ai vu si souvent les pommades produire des effets mauvais
ou nuls, que je me demande si elles sont réellement utiles, et comment
elles le sont. En répondant d'après mon observation personnelle, il est
incontestable qu'à côlé des enfants qui n'ont obtenu aucun effet avanta-
geux, j'en ai vu d'autres chez lesquels un peu d'amélioration se montrait
BLEPIIAPiITU. — BLÉPHARITE CILI.URE. 269
après l'application du topique. Mais j'en ai vu bien peu chez lesquels
eette amélioration se soutenait longtemps. En supposant les résultats
heureux, il est encore bien difficile de dire comment agit le topique, si
c'est en substituant, par l'excitation qu'il occasionne, une inflammation
un peu vive à l'inflammation trop lente qui existait, ou si c'est en
ramollissant les croûtes et facilitant leur clmte, ou bien si c'est tout
simplement en protégeant les surfaces malades et excoriées contre l'air
et les poussières. Il m'est impossible de me prononcer catégoriquement
sur ces points. Mais inclinant vers cette dernière opinion que le corps
gras est surtout un moyen protecteur, craignant les effets irritants des
corps qu'on lui associe, et doutant de leur efficacité, je conclus de la ma-
nière suivante : En présence de blépharites de longue durée, il est impos-
sible que le praticien ne cède pas au désir des parents, qui croient à
1'insuftisance du traitement, si l'on n'emploie pas des topiques. Le mieux
est donc de conseiller les pommades les moins irritantes, telles que
l'axonge ou le cold-crcam, et d'insister pour qu'on en enduise la surface
cutanée le long de la rangée ciliairc, et non pas le bord palpébral; si l'on
croit devoir incorporer à l'axonge le précipité rouge, n'en mettre qu'une
très-faible proportion, 2 à 5 centigrammes pour 4 grammes, au lieu de
5 que l'on indique dans la plupart des formulaires ou traités spéciaux ;
si enfin l'on ne réussit pas, essayer ensuite une pommade plus irritante,
faite soit avec une proportion plus forte de l'oxyde de mercure, soit avec
une des autres substances que j'ai indiquées.
Un autre moyen très-usité est l'attouchement, tous les quatre ou cinq
jours, du bord libre des paupières malades avec un pinceau trempé dans
une solution d'azotate d'argent à 0,50 cent, pour 50 grammes d'eau, ou
avec le crayon d'azotate d'argent pur, ou avec le crayon d'azotate d'argent
mitigé, tel que l'emploie Desmarres (un tiers d'azotate d'argent fondu
avec deux tiers de nitrate de potasse), ou enfin avec le crayon de sulfate
de cuivre. Pour faire cet attouchement, il convient d'attendre le moment
où les croûtes sont tombées ou au moins ramollies. Si la chute et le
ramollissement spontanés sont trop lents à se produire, on a soin de les
provoquer au moyen de cataplasmes de fécule, au moins pendant la nuit,
et on fait la petite opération le matin, au moment où le cataplasme est
enlevé. Il est incontestable que ces moyens réussissent plus habituellement
que les pommades, cependant ils ont toujours l'inconvénient de ne donner
souvent qu'une amélioration passagère, suivie, deux ou trois jours après
l'attouchement, d'un retour de la maladie à peu près au même état. Si
l'on rapproche trop les cautérisations, elles peuvent amener aussi, sans
aucun bénéfice, une inflammation aiguë qui se propage à la conjonctive
oculaire. Si on ne les répète que tous les six ou sept jours, elles donnent
très-difficilement la guérison. Celle-ci n'a lieu qu'après dix, douze ou
quinze cautérisations, et alors comment savoir si c'est à ces dernières
plutôt qu'aux autres moyens, et surtout au traitement général, au temps
écoulé même, que le résultat doit être attribué?
Il me serait d'ailleurs assez difiicile de dire par quel mécanisme ces
c270 BLÉPIIARITE. — blépharite ciliaire.
attouchements agissent : quelquefois ils produisent une eschare très-
superficielle, exclusivement épidermique, qui se détache en quelques
heures. D'autres fois, et le plus souvent, ils ne produisent pas d'eschnres
et donnent seulement une excitation momentanée pendant laquelle les
paupières sont plus rouges et les yeux plus larmoyants, après quoi un
peu de résolution se fait. Il semble donc que la théorie de la méthode dite
substitutive puisse être adoptée ici. Malheureusement la substitution est
trop souvent imparfaite, en ce sens que le mouvement de résolution com-
mencé ne se complète pas, et que le mal reprend bientôt en totalité ou en
partie l'aspect qu'il présentait avant l'opération. Malgré ces incertitudes, il
faut recourir à ce moyen, en s'en servant avec prudence, c'est-à-dire en
touchant légèrement, les premiers jours, et éloignant assez les opé-
rations pour ne pas faire naître une blépharo-conjonctivite aiguë trop
intense. Quant au choix du caustique, je donne la préférence au sulfate
de cuivre, parce qu'il est moins irritant; mais lorsqu'il est inefficace,
j'emploie le crayon mitigé et quelquefois le crayon d'azotate d'argent pur,
en prenant la précaution très-généralement usitée aujourd'hui, de neu-
traliser l'excès du sel et d'empêcher son action sur l'œil, au moyen d'une
solution de chlorure de sodium portée avec un pinceau sur le bord pal-
pébral. C'est une maladie, en un mot, difficile à traiter, et pour laquelle
il ne faut pas dissimuler que des tâtonnements sont nécessaires.
Il serait bon d'ajouter à l'emploi de ces moyens la protection des or-
ganes malades contre la lumière vive, les poussières et le contact des
doigts. En effet la lumière intense, comme celle du soleil, des grosses
lampes, du gaz, sans porter directement son action sur les organes pal-
pébraux, a pour effet incontestable de provoquer une certaine congestion
de l'œil, et par suite des paupières, lesquelles ont, avec l'œil, des relations
vasculaires et une solidarité physiologique et pathologique incontestables.
Cette congestion n'a aucun inconvénient pour l'œil lorsqu'il est sain;
mais elle peut entretenir et augmenter l'irritation des paupières, lors-
qu'elles sont malades. Les poussières et les molécules de tout genre ré-
pandues dans l'atmosphère sont nuisibles pour les sujets atteints de blé-
pharite, parce qu'elles sont retenues trop intimement par le mucus et le
pus, avec lequel elles se combinent. Enfin, nous avons dit que les mains des
enfants étaient souvent portées inconsidérément sur les paupières
avec les malpropretés dont elles sont chargées. Il y a donc là une indica-
tion réelle. Mais combien il est difficile de la remplir! Le meilleur moyen
de protection, assurément, serait l'emploi de lunettes à verres neutres
enfumés ou bleuâtres, avec grillages la'éraux, comme celles que nous
recommandons si souvent aux adultes : mais bien peu d'enfants ont assez
de raison pour conserver des lunettes. Ils les ôtent à la moindre gêne ou
négligent de les mettre, cassent les verres dans leurs jeux, et risquent
de se blesser. Si Ton a essayé, on est bientôt obligé de cesser. Un bandeau
flottant remplirait encore assez bien l'oflice. Mais comment astreindre
un enfant à tenir les deux yeux continuellement obstrués ? Pour un seul,
c'est déjà bien difficile; et d'ailleurs ne faut-il pas, pour la santé gêné-
BLïPHARITE. — bléphamte muqueuse. 271
raie, que les yeux ne soient pas privés du contact de la lumière? En réa-
lité, dans la pratique, nous ne pouvons satisfaire pleinement à l'indica-
tion. Nous sommes obligés de nous en tenir aux précautions suivantes :
garder l'enfant h la chambre pendant les heures de grand soleil, le faire
coucher de bonne heure plutôt que de le tenir exposé longtemps à la lu-
mière artificielle, avoir soin de lui faire laver souvent les mains, et d'em-
pêcher qu'il touche des objets malpropres, enfin remédier à l'insuffi-
sance de la protection par des lotions réitérées.
Chez l'adulte, lorsque la blépharite ciliaire ressemble à celle de l'enfant,
c'est-à-dire est caractérisée parla rougeur, les croûtes et les exulcérations
du bord libre, avec conservation de la plupart des cils, le traitement est
le même que celui dont je viens de parler. Les moyens généraux ne doi-
vent pas être négligés, si la constitution est faible ; quant aux moyens
locaux, on nrrive, par des tâtonnements, à trouver celui qui convient le
mieux, ou dune pommade légèrement irritante, ou de l'attouchement avec
le crayon de sulfate de cuivre ou d'azotate d'argent. Enfin la protection,
au moyen de lunettes à verres enfumés, est ordinairement facile à réaliser.
C'est pour cette dernière raison, et aussi sans doute parce que la maladie
est moins rebelle à cet âge, qu'on en triomphe habituellement plus vite
que chez les enfants.
Si les cils étaient restés, et que quelques-uns fussent renversés en arrière
(trichiasis), il conviendrait de les arracher aussi souvent qu'ils repous-
seraient.
Si enfin la blépharite ciliaire était aecompagnée de calvitie palpébrale et
présentait les formes que j'ai indiquées, il n'y aurait absolument à conseil-
ler que des palliatifs destinés à empêcher le passage de la maladie à l'état
aigu, et sa propagation vers l'œil: les lotions fréquentes, les lunettes à
verres enfumés, l'éloignement des milieux remplis de poussières irritantes
seraient les moyens les plus utiles pour diminuer les inconvénients de
la maladie qu'il faudrait considérer comme une infirmité.
II. Klépiiarite muqueuse. — J'appelle ainsi la variété de blépha-
rite dans laquelle l'inflammation occupe exclusivement, ou très-spéciale-
ment, le feuillet muqueux ou conjonctival des paupières.
Cette blépharite coïncide quelquefois avec la blépharite ciliaire. Elle
coïncide plus souvent avec la conjonctivite oculaire, et se trouve alors
être une dépendance de la conjonctivite générale (voij. ce mot). Mais sou-
vent aussi l'inflammation est limitée à la muqueuse palpébrale, et c'est
un point assez important dans la pratique pour que j'aie cru devoir donner
la description suivante, qui manque dans plusieurs de nos traités géné-
raux et spéciaux.
La blépharite muqueuse se présente sous trois formes principales :
simple, purulente, granuleuse. Je ne m'occuperai pas ici de la forme pu-
rulente, parce que rarement elle est isolée. Elle précède bien assez sou-
vent la conjonctivite purulente générale, et alors se montre isolée pen-
dant un ou deux jours, notamment chez les nouveau-nés. Mais il est assez
ordinaire que le mal se propage ensuite à la conjonctive tout entière;
272 BLÉPHARITE. — blépiiarite muqueuse simple.
c'est pourquoi la blépharite muqueuse purulente ne doit pas être séparée
de la conjonctivite de même nom (voy. Conjonctivite).
Je n'ai donc à décrire ici que la blépiiarite muqueuse simple et la gra-
nuleuse.
III. Blépiiarite ïssbi«i sa casse simple. — Cette maladie est peu con-
nue. Sichel l'a assez bien indiquée dans un mémoire, publié par \a Gazette
médicale, en 1847, sur quelques particularités de l'ophtalmie catarrhale
et sa liaison avec d'autres maladies de l'œil. Mais ce travail ne fait pas
assez ressortir la localisation de l'inflammation dans la conjonctive pal-
pébrale et sa fréquence pendant la jeunesse. C'est pour cette raison qu'il
n'avait pas frappé l'attention des observateurs, et était trop vite tombé
dans l'oubli. Wecker, dans l'article Hypérémie de la conjonctive de son
traité récent (1862), donne aussi quelques notions sur la blépiiarite mu-
queuse. xMais il a, comme Sichei, le tort de comprendre, dans une même
description, et sous le même titre, ce qui appartient à la muqueuse pal-
pébrale, et ce qui appartient à la muqueuse oculaire, et de ne pas pré-
venir le lecteur que sa description s'applique presque exclusivement à la
conjonctive palpébrale. Pour ma part, je n'aurais pas saisi, dans ces deux
auteurs, la blépiiarite muqueuse de l'adolescence, si, depuis bien des
années, je n'avais été frappé de sa fréquence sur de jeunes malades, et
si, d'après ma propre observation, je ne l'avais pas formulée dans mes
leçons dès 1857.
La blépiiarite muqueuse est rare chez les enfants et les^adultes. On
l'observe surtout chez les adolescents et les jeunes gens entre treize et
vingt- cinq ans, c'est pourquoi je l'appelle volontiers la blépiiarite des
adolescents. On la voit surtout dans les écoles, les pensions et les régi-
ments. Habituellement idiopathique et individuelle, elle se montre aussi
quelquefois sous forme épidémique, à la manière de la conjonctivite
catarrhale, dont elle n'est, à vrai dire, qu'une variété, et comme un pre-
mier degré.
Ses causes occasionnelles sont : la viciaiion de l'air par l'encombrement,
comme dans les classes, les salles d'étude, les dortoirs, les chambrées,
ou par la fumée de tabac, comme dans les corps de garde, le travail du
soir à la lumière artificielle, l'exposition au froid numide pendant la
nuit ou de grand matin, comme le soldat y est exposé par les factions et
l'exercice, peut-être, pour les cas d'épidémie, des émanations contagieuses
parties des yeux malades. Wecker fait intervenir l'application trop étroite
et le frottement trop intime des paupières contre le globe de l'œil par une
action exagérée du muscle orbiculaire. Je n'ai pu, jusqu'à présent, trouver,
par l'observation clinique, la démonstration de cette dernière étiologie.
Symptômes. — H y a, sous le rapport de la symptomatologie, une forme
commune et des formes exceptionnelles.
A. Dans la (orme commune, on remarque connue symptômes fonc-
tionnels quelques démangeaisons, un peu de larmoiement à l'air, surtout
lorsqu'il fait froid, une sensation de pesanteur des paupières, surtout le
soir, parfois un peu d'accolleineut des bords ciliaires le matin, en raison
BLÉPHARITE. — blépharite muqueuse simple. cJ75
d'un léger degré de blépharite ciliaire concomitante. Ces symptômes
sont, pour la plupart, à peine marqués, ou bien ils se prononcent davan-
tage à certains moments, et, le reste du temps, passent inaperçus. Lors-
que les sujets n'ont pas besoin d'appliquer habituellement leurs yeux à
des objets lins, et la plupart des soldats sont clans ce cas, ils conservent
longtemps ces petits accidents sans s'en occuper ni consulter, et ils n'en
parlent que si l'on est amené à leur adresser des questions sur ces divers
points. A l'époque où j'ai préparé pour l'Académie de médecine (en 1862),
un rapport sur l'héméralopie, j'eus l'occasion d'observer un bon nombre
de soldats, appartenant au 5e régiment de chasseurs à pied, qui étaient
atteints de cette blépharite, sans qu'ils en eussent été assez incommodés
pour consulter : ils ne demandaient à être dispensés du service que dans
les cas où la blépharite se compliquait d'héméralopie, ce qui est arrivé à
plusieurs d'entre eux.
Au contraire, les sujets, comme ceux des pensions, des collèges ou des
ateliers qui sont obligés d'appliquer leurs yeux pour des objets fins, tels
que la lecture, l'écriture, la couture, et de les appliquer à la lumière
artificielle, ces sujets, dis-je, éprouvent des symptômes fonctionnels qui
éveillent tout spécialement leur attention et leur inquiétude, ce sont un
picotement, un larmoiement, de la céphalalgie et un trouble de la vision,
lorsque les yeux se sont appliqués un certain temps. Ils sont obligés de
suspendre le travail pendant quelques moments, après quoi tous les phé-
nomènes ont disparu, pour revenir bientôt si le sujet se remet à l'étude. Le
matin, et pendant la première moitié de la journée, ce trouble de la vision
n'existe pas encore; il se montre dans l'après-midi et surtout le soir. J'ai
été consulté par plusieurs collégiens qui en étaient venus à ne plus pouvoir
faire les travaux du soir.
Aux symptômes que je viens d'indiquer, chacun reconnaîtra la maladie
qui a été décrite sous les noms de disposition à la fatigue des yeux ou de
copiopie, celle que les ophthalmologistes modernes nomment asthéno-
pie. Nul doute que le trouble de la vue désigne sous ces noms se
montre quelquefois sans maladie palpébrale, nul doute qu'on le voie en
particulier, chez les hypermétropes; mais on n'a pas assez dit, jusqu'à
présent, qu'il se montre fréquemment chez des sujets dont l'œil est par-
faitement conformé, et chez lesquels existe depuis un certain temps la lé-
sion de la conjonctive palpébrale dont je vais tout à l'heure indiquer les
symptômes anatomiques ou objectifs.
Il est assez difficile, je n'en disconviens pas, d'expliquer par une sim-
ple lésion des paupières le trouble de la vue dont il s'agit? Faut-il
admettre que, par suite de la blépharite muqueuse, les sujets ont facile-
ment une contraction trop énergique de l'orbiculaire, que cette contrac-
tion se propage sympathiquement à tous les muscles de l'orbite pendant
l'application des yeux et qu'il en résulte une pression exagérée et doulou-
reuse du globe oculaire? Ou bien est-ce qu'en vertu des liens mysté-
rieux mais incontestables qui existent entre les paupières et les mem-
branes internes du fond de l'œil, celles-ci se congestionnent aisément
NOUV. DICT. JIÉD. ET CUIR.
V. — 18
274 BLÉPHARITE. — blépharite muqueuse simple.
sous l'influence de l'exercice de la vision, lorsque les paupières sont préa-
lablement congestionnées ou enflammées? Je ne saurais émettre d'opinion
précise à cet égard, parce que les preuves me manquent. Je me contente
de signaler le l'ait clinique : quand les paupières ont leur muqueuse en-
flammée, la vision se trouble et s'altère pendant l'application des yeux
pour les objets fins, et redevient normale une fois que l'application cesse.
Ce symptôme ne provient certes pas directement de la lésion palpébrale,
mais il lui est consécutif et est occasionné par elle. Il est, d'ailleurs, pas-
sager, tandis que la blépharite est persistante.
Voyons maintenant les symptômes physiques ou objectifs. Quand on
examine les yeux sans renverser les paupières, on ne voit habituellement
rien, ni gonflement, ni rougeur, ni injection oculaire, ni écoulement de
larmes, ni dépôt muqueux abondant sur les cornées. Tout au plus,
trouve-t-on le matin, comme je l'ai dit, un léger accoilement des bords
ciliaires, et quelques concrétions mollasses. Après une lotion, ces phéno-
mènes disparaissent, et dans le reste de la journée, il n'y a plus rien
d'appréciable. La véritable lésion ne se voit bien que si Ton prend la peine
de renverser alternativement la paupière inférieure et la supérieure, et
elle est ordinairement plus prononcée sur la première que sur la seconde.
Celte lésion consiste en une rougeur très-prononcée qui commence au
niveau du bord libre et se prolonge jusqu'au cul-de-sac palpébral. Au
voisinage du bord libre la rougeur diffère peu de celle que l'on observe
chez beaucoup de personnes dont les paupières ne sont réellement pas
malades. Mais la continuation jusqu'au cul-de-sac doit être considérée
comme morbide, car à l'état sain la conjonctive va pâlissant de plus en
plus du bord libre vers ce cul-de-sac.
La rougeur est due à l'injection insolite et permanente des vaisseaux
de la conjonctive palpébrale. Elle est quelquefois portée assez loin pour
qu'il y ait en même temps un léger épaississement ; mais celui-ci ne s'ac-
compagne ordinairement pas de granulation.
La rougeur est considérée par Wecker comme une simple hypérémie.
Mais ici, comme sur bien d'autres points, il me paraît impossible d'éta-
blir une ligne de démarcation franche et naturelle entre l'hypérémie et
l'inflammation. Il me suffit que quelques symptômes fonctionnels (déman-
geaisons, picotements, etc.) coïncident avec la rougeur, et que quelque-
fois un léger gonflement s'y ajoute pour que je sois autorisé à considérer
la maladie comme une conjonctivite palpébrale plutôt que comme une
hypérémie. Je ne vois même aucun inconvénient à considérer cette con-
jonctivite comme catarrhale, ainsi que nous le faisons volontiers pour la
conjonctivite oculaire.
B. Dans les formes exceptionnelles, on trouve les mêmes signes phy-
siques, mais il y a de plus certains symptômes fonctionnels auxquels
assurément on ne devait pas s'attendre, ce sont le clignement, la névral-
gie et l'héméralopie. Siebel les a très-bien signalées dans son mémoire.
Le clignement ou nictitation, que je n'ai pas à décrire ici dans tous ses
détails, consiste en une contraction réitérée du muscle orbiculaire ame-
BLÉPHARITE. — blépharite muqueuse simple. 275
■liant plus souvent que dans l'état naturel l'occlusion de la fente palpé-
brale, et occasionnant une certaine gêne de la vision et un état plus
ou moins disgracieux, suivant que le phénomène est plus ou moins
prononcé. Chelius qui, dans son traité d'ophthalmologie, a signalé
aussi cette complication des légères affections catarrhales de l'œil, dit
qu'elle constitue le degré le moins élevé du spasme clonique des pau-
pières, et consiste quelquefois en un simple tremblotement léger qui se
montre particulièrement vers le soir ou lorsque les yeux ont été fatigués
par la lecture ou l'écriture; le clignement, en un mot, s'ajoute à la copio-
pie chez certains sujets, tandis qu'il manque chez la plupart des autres,
et tantôt il est passager comme la copiopie elle-même, tantôt, ce qui est
plus rare, il reste permanent.
Un autre symptôme fonctionnel possible est la névralgie soit oculaire
soit périorbitaire. Il consiste en une douleur vive qui survient comme la
copiopie, et comme fait quelquefois le clignement, à la suite de l'applica-
tion des yeux sur des objets fins, et qui prend la forme d'accès variant de
durée entre un quart d'heure et plusieurs heures. Quelquefois la douleur
occupe exclusivement l'œil; d'autres fois, et ce serait d'après Sichel le cas
le plus rare, elle s'irradie le long du front et de la tempe sur le trajet des
branches de la cinquième paire, comme cela a lieu si souvent dans le
cours de i'ophthalmie interne et notamment de celle qui vient compliquer
les suites de l'opération de la cataracte.
Cette névralgie a pour caractère d'être rebelle à tous les moyens qu'on
emploie, tant que persiste la conjonctivite palpébrale dont elle est la com-
plication. Sichel insiste sur ce point et en tire avec raison la conclusion
qu'il importe dans la pratique de se familiariser avec cette singulière re-
lation. Car, faute de la connaître et de savoir distinguer la blépharite,
point de départ de la névralgie, on laisse persister longtemps des acci-
dents douloureux qui, si une fois l'origine était reconnue et combattue,
disparaîtraient vite.
Le dernier symptôme fonctionnel qu'on rencontre exceptionnellement
dans la blépharite muqueuse est l'héméralopie, ou cessation de la faculté
de voir depuis le coucher du soleil jusqu'au lendemain matin. Sichel a
Tort bien signalé cette coïncidence de l'héméralopie avec la conjonctivite
catarrhale légère, celle que nous localisons et qu'il localise lui-même
dans les organes palpébraux. Mais il n'avait pas étayé cette opinion d'exem-
ples positifs. Ayant eu l'occasion en 1862 d'observer des héinéralopes
dans deux corps de la garnison de Paris, le 5e bataillon de chasseurs à
pied et le 75e régiment de ligne, j'ai remarqué que tous les sujets atteints
de cette singulière et peu grave affection, étaient atteints d'une blépha-
rite muqueuse légère à laquelle ils n'avaient pas fait attention parce qu'ils
n'en souffraient pas. Ils avaient eu, longtemps avant leur héméraîopie,
des cuissons, des démangeaisons, un accollemcnt des bords ciliâires le
matin, et nous offraient cette injection intense de la muqueuse palpébrale
que j'ai donnée comme le signe anatomique principal de la lésion.
J'ai signalé ce fait dans mon rapport à l'Académie de médecine, et j'ai
276 BLÉPHARITE. — blépharite muqueuse simple.
émis l'opinion que sans doute l'héméralopie était comme la copiopie, la
névralgie et le spasme, un trouble fonctionnel surajouté à la blépharite
par un mécanisme incompréhensible et en vertu des relations physiolo-
giques et anatomiques qui existent entre le fond de l'œil et les paupières.
J'ai laissé entrevoir l'espérance que peut-être on préserverait et on gué-
rirait de l'héméralopic si on traitait à temps cette blépharite qui la pré-
cède et l'occasionne, mais qui jusqu'à présent, a presque toujours été
méconnue.
Je n'ai pas eu, depuis cette époque, l'occasion d'observer à nouveau
Phéméralopie et de confirmer les vues exposées dans mon rapport.
Mais il est un point que personne aujourd'hui ne peut contester et que
d'ailleurs les descriptions des chirurgiens militaires, notamment celles
de Baizeau et Netter avaient déjà fait connaître, c'est que dans .un certain
nombre de cas, il y a coïncidence avec Phéméralopie d'une blépharite
muqueuse dite aussi conjonctivite catarrhale légère, à laquelle on n'a pas
jusqu'ici fait grande attention.
Un second point est de savoir si cette blépharite muqueuse précède
Phéméralopie, et la détermine en amenant peu à peu une irritation ou
une congestion de l'intérieur de l'œil, comparable à celle qui constitue
la copiopie, et en différant seulement par sa forme ou manière d'être.
A cet égard, mon opinion ne s'est pas modifiée depuis la publication de
mon rapport; considérant que j'ai observé l'héméralopic chez des sujets
qui, depuis longtemps, sans le savoir et sans qu'on les eût examinés pour
s'en assurer, avaient une blépharite conjonctivale, trouvant d'ailleurs
une certaine analogie entre cette héméralopie et la copiopie qui, chez
d'autres sujets, me paraît certainement dépendre de la blépharite, je
crois encore Phéméralopie consécutive à la maladie palpébrale et détermi-
née sympathiquement par elle, et ce qui m'enhardit dans cette croyance,
c'est l'espoir qu'un traitement convenable de la blépharite mettrait les
sujets à l'abri de l'héméralopie.
Je sais bien qu'on peut soutenir l'indépendance absolue des deux
affections, qu'on peut même admettre comme cause de la blépharite la
fatigue de l'appareil oculo-palpébral, lorsqu'à la lin de la journée les
sujets commencent à moins voir. Mais ceci serait tout au plus admissi-
ble pour les cas où la blépharite viendrait après Phéméralopie. Or, sur les
malades que j'ai observés, la blépharite avait précédé, et je ne sais pas si
les choses se passent jamais autrement.
Du reste je n'ai nullement la prétention de soutenir que l'héméralopie
épidémique soit toujours sous la dépendance de la blépharite, je crois
que, comme la copiopie, le spasme palpébral et la névralgie, elle peut
se développer sans la lésion préalable de la paupière. Je dis seulement
que cette corrélation m'a paru incontestable dans certains cas, et que j'ai
vu dans cette notion une application pratique importante, savoir la
prophylaxie de l'héméralopie épidémique dans les régiments et sur les
navires.
Diagnostic. — Il est facile de reconnaître la blépharite muqueuse
BLÉPIIAIUTE. BLEPHARITE MUQUEUSE SIMPLE. 277
lorsqu'on songe à examiner la face postérieure des paupières, après
les avoir renversées. On aperçoit alors une rougeur qui ne doit pas être
considérée comme naturelle, lorsqu'on la voit se prolonger jusqu'au
voisinage du cul-de-sac palpébral. Il est toujours indiqué de faire cet
examen lorsque le malade accuse de lui-même les démangeaisons, les pi-
cotements, l'agglutination des bords palpébraux au moment du réveil, ou
lorsqu'il se plaint d'une fatigue oculaire qui ne s'explique pas tout
d'abord par une inflammation soit de la conjonctive oculaire, soit de la
cornée et de l'iris.
La maladie a été souvent méconnue parce qu'on négligeait cet examen
de la face muqueuse des paupières, ou parce que, le .malade n'indiquant
pas lui-même les troubles fonctionnels souvent légers dont il était at-
teint, on ne prenait pas soin de l'interroger dans ce sens. Il suffirait de se
familiariser avec l'idée que cette affection est fréquente et que l'examen
des paupières renversées doit toujours être fait, lorsque le malade se plaint
des troubles fonctionnels indiqués, pour éviter les méprises que j'ai vu
souvent commettre.
Cette exploration n'est pas moins nécessaire dans les cas d'astbénopie
très -prononcée, de blépbarospasme, de névralgie périoculaire et d'hémé-
ralopie. Lorsque le malade accuse l'un ou l'autre de ces phénomènes
fonctionnels, sans parler d'autre chose, on se laisse facilement aller à
croire qu'ils sont idiopathiqucs. Aujourd'hui surtout que la coïncidence
de l'asthénopie avec l'hypermétropie est bien connue, on pencherait aisé-
ment vers l'opinion que le malade est hypermétrope lorsqu'il accuse la
fatigue consécutive à l'application des yeux pour les objets fins et rappro-
chés. Mais d'une part, dans l'asthénopie liypermétropique, il y a habi-
tuellement un petit volume de l'œil ou une faible saillie de la cornée qui
n'existe pas dans les cas d'astbénopie liés à la blépharite muqueuse.
D'autre part, l'insuffisance de réfraction est corrigée ou amoindrie dans
le premier cas par l'usage de verres convexes, ce qui n'a pas lieu dans le
second cas. Enfin la constatation d'une rougeur anormale sur la face
conjonctivale de la paupière achève de lever tous les doutes. Il est vrai que
l'hypermétrope peut à la rigueur avoir passagèrement une blépharite qui
alors induirait en erreur sur la cause du trouble visuel. Mais on serait mis
sur lajvoie par l'observation du malade après le traitement et la guéri-
son de cette blépharite. Si l'asthénopie persistait, il y aurait lieu de revenir
à l'opinion d'une hypermétropie qui aurait pu être masquée momentané-
ment par l'oplithalmie palpébrale.
Il en est de même pour les autres symptômes fonctionnels sur lesquels
je me suis expliqué. Toutes les fois qu'ils se rencontrent, le devoir du
praticien est de faire avec attention l'examen de la face conjonctivale des
paupières. Si l'on n'y trouve rien, l'on doit en conclure que ces sym-
ptômes n'ont aucun rapport avec la blépharite. Si l'on y trouve de la rou-
geur, le mieux est de croire d'abord que la blépharite est la source des
accidents indiqués et de traiter le malade en conséquence. Le clignement,
la névralgie, l'héméralopie disparaissent-ils avec la blépharite, c'est une
278 BLÉPHARITE. — blépharite muqueuse simple.]
preuve que le diagnostic était juste. Persistent-ils, au contraire, aprè\>
elle, c'est une raison pour penser qu'il y avait une simple coïncidence,
et le malade en tout cas n'aura rien perdu à la première opinion, qui,
tout en dirigeant les efforts de la thérapeutique vers la lésion palpébrale,
n'empêche pas d'employer concurremment les moyens réputés convena-
bles contre les symptômes fonctionnels eux-mêmes.
Pronostic. — La forme commune de la blépharite muqueuse n'a rien
de grave. Elle a seulement l'inconvénient de persister longtemps lors-
qu'on ne la traite pas, d'être quelquefois rebelle aux moyens de traitement
dirigés contre elle, et enfin de récidiver facilement, à moins que beau-
coup de précautions ne soient employées contre les influences hygiéniques
qui peuvent ramener la conjonctivite catarrhale. Quant aux troubles
exceptionnels de la vue dont elle s'accompagne quelquefois, ils sont
beaucoup moins fâcheux et moins persistants que quand ils se dévelop-
pent spontanément. Ils sont peu fâcheux surtout lorsque, la blépharite
ayant été reconnue, on la traite convenablement. Sa disparition entière
est habituellement suivie de celle de la copiopie, de la névralgie et de
l'héméralopie.
Traitement. — Il consiste d'abord dans l'emploi des astringents et
des cathérétiques. On conseillera de baigner les yeux matin et soir dans
une œillère contenant de l'eau de mélilot ou de l'infusion de thé, ou toute
autre infusion aromatique. On doit surtout porter tous les trois ou quatre
jours sur la surface muqueuse des paupières un crayon de sulfate de cui-
vre qu'on passe avec douceur. A défaut de sulfate de cuivre on prendrait
le crayon d'azotate d'argent, soit ordinaire, soit mitigé. Il est très-habi-
tuel de voir, après l'emploi de ces moyens et l'irritation passagère qu'ils
amènent, survenir une amélioration notable dans l'état des paupières.
Quelques pédiluves et purgations, l'usage de lunettes à verres bleus ou
à verres noirs pour protéger les organes malades contre la poussière et
la lumière complètent ce traitement.
Ajoutons-y cependant les soins hygiéniques. Je veux bien que dans
le cas où la blépharite est très-légère ceux-ci ne soient pas indispen-
sables, et que les moyens précédents suffisent. Mais lorsqu'elle est plus in-
tense et surtout lorsqu'elle a résisté au traitement précédent, on doit éloi-
gner, s'il est possible, le malade des conditions hygiéniques au milieu
desquelles l'affection s'est développée et s'entretient. J'ai plusieurs fois
engagé les parents à retirer pour quelques semaines le jeune malade de
la pension ou du collège on il avait contracté sa blépharite, et il n'en a
pas fallu davantage pour obtenir une prompte amélioration.
Lorsque la copiopie concomitante est très-développée, il faut de plus
supprimer le travail à la lumière artificielle et diminuer tous les exercices
qui nécessitent l'application des yeux. C'est encore une raison pour faire,
sortir l'enfant de la pension ou de l'atelier dans lequel le mal s'est déve-
loppé.
Lorsque le clignement, la névralgie ou l'héméralopie accompagnent la
blépharite, ce sont des motifs de plus pour employer avec persévérance
BLÉPHARITE. — blépharite muqueuse crakuleusf. 279
les moyens médicamenteux et hygiéniques qui conviennent à la blépha-
rite. Rien n'empêche d'employer concurremment ceux que l'on conseille
pour chacune de ces complications, et dont on trouvera l'indication aux
mots correspondants.
IV. Biépbarite xuiGqBBeuse granuleuse. — Cette maladie qu'on
trouve aussi décrite sous les noms de trachomes, de granulations pal-
pébrales, d' ophthalmie granuleuse, & ophthalmie granulaire, de conjonc-
tivite granuleuse est une inflammation de la muqueuse palpébralc ca-
ractérisée par le développement, à la surface de cette muqueuse, de petites
saillies ou aspérités dont l'aspect à la loupe, et quelquefois à l'œil nu,
rappelle celui des granulations qui se voient ta la surface des plaies.
Pendant de longues années, le mot d'ophthalmie granuleuse, et celui
de granulations n'ont pas été usités. Ce n'est pas que la lésion caractéris-
tique savoir les saillies anormales à la surface de la conjonctive palpébrale
aient été inconnues. On trouve au contraire dans les ouvrages de Galien,
d'Aétius et d'A. Paré sous le nom de trachomes, des lésions qui selon
toute probabilité n'étaient autres que les granulations palpébrales. Mais
soit que la description fort imparfaite de ces auteurs ait été mal com-
prise, soit que les praticiens aient négligé sur leurs malades l'examen de
la face postérieure des paupières, et, à cause de cela, aient cessé de con-
naître cette lésion, la plupart des auteurs du dix-septième et du dix-hui-
tième siècle n'ont plus reparlé des trachomes, et n'ont indiqué que
d'une façon très-vague, en les signalant à propos de la conjonctivite et
comme une de ses conséquences, l'épaississement et Pétat villeux de la
face postérieure des paupières.
Les choses sont restées en cet état jusqu'aux premières années de ce
siècle. Sans avoir pu trouver positivement l'auteur qui le premier s'est
servi du mot granulations, je sais cependant qu'à la suite des études fai-
tes sur l'ophthalmie d'Egypte, on: a commencé à remarquer la fréquence
des aspérités de la conjonctive palpébrale consécutivement à cette grave
maladie. Les ouvrages de Lawrence, Middlemore, Tyrrell et Mackensie en
Angleterre, ceux de Velpeau, Carron du Villars et Rognettaen France, les
mémoires de Fallot, Degouzée, de Condé et autres en Belgique ont défini-
tivement arrêté les esprits sur cette lésion.
Malheureusement la plupart de ces auteurs ont eu le tort de la signaler
comme appartenant à la conjonctive tout entière. Au lieu d'appeler la
maladie granulations delà conjonctive, conjonctivite granuleuse, ils
eussent mieux fait, parce qu'ils eussent été de suite mieux compris, de
décrire tout simplement, comme l'a fait Velpeau, la blépharite granu-
leuse. Sans doute ils savaient tous, et ils l'ont bien dit, que c'était le
plus souvent une lésion propre à la muqueuse palpébrale. Mais leur
description est toujours un peu en rapport avec la dénomination adoptée,
et laisse trop facilement croire qu'il s'agit d'une maladie de la conjonc-
tive tout entière, au lieu d'une maladie de la conjonctive palpébrale, qui
ne dépasse guère le cul-de-sac oculaire.
Quoi qu'il en soit, à partir des auteurs que j'ai nommés, les granula-
2S0 BLÉPHARITE. — blépharite muqueuse granuleuse.
tions ont été l'objet de nombreuses études ; leur anatomie pathologique,
leur étiologie et leur traitement sont devenus l'objet de communications
fréquentes dans les annales d'oculistique de 1859 à 1858.
Tour l'anatomie pathologique, après une période d'incertitude pendant
laquelle on plaçait les granulations dans les follicules avec Velpeau, ou
dans les papilles avec Mackensie, est venue la période plus précise de l'in-
vestigation microscopique pendant laquelle Van Rosbroeck, Arlt, Thiry,
lesquels, il est vrai, avaient été précédés par Lawrence, décrivirent à
côté de Thypertrophie folliculaire et glandulaire de la muqueuse palpé-
brale, des produits nouveaux comparables à ceux des granulations des
plaies. On a même fini par tomber dans l'exagération, en n'admettant
plus comme granulations que les produits de cette dernière sorte.
Pour l'étiologie, on a fait d'abord remarquer que les granulations
palpébrales étaient plus souvent consécutives à l'ophthalmie purulente
qu'à toute autre forme d'ophthalmie. Mais Thiry est tombé à son tour
dans l'exagération, en disant qu'il n'y avait de véritables granulations que
celles qui étaient consécutives à l'ophthalmie purulente contagieuse des
adultes, dite aussi ophthalmie militaire.
Pour le traitement enfin tous les bons praticiens ont cherché à arrêter
le mouvement thérapeutique qui semblait être la conséquence de tant de
travaux. Une importance si grande attachée à cette petite lésion anato-
mique semblait entraîner comme conséquence un traitement énergique,
la destruction de la lésion par l'instrument tranchant ou par les caustiques.
Heureusement les écarts auxquels ont donné lieu la pathologie et la patho-
génie des granulations palpébrales, n'ont pas eu trop d'influence sur la
pratique, et non pas empêché la plupart des écrivains de conseiller, à cet
égard, la réserve et la modération.
Aujourd'hui, tout en rendant à chacun la justice qui lui est due, il
nous sera permis de décrire cette maladie avec les enseignements fournis
par la clinique, et de la présenter tout simplement, comme une forme
particulière mais non spécifique de la blépharite muqueuse , forme
dont l'intérêt clinique se résume par cette notion : une longue durée et
une longue résistance du mal.
Etiologie. — Cette aïfection se montre à tous les âges, mais comme
elle est plus fréquente, et surtout plus rebelle chez les adultes, et qu'à
cause de cela elle réclame plus souvent l'intervention de l'art que chez les
enfants, comme d'ailleurs les adultes présentent rarement les deux lormes
précédemment décrites et offrent plus souvent celle dont il va être ques-
tion, il serait permis de dire que la blépharite granuleuse est la blépharite
spéciale de l'âge adulte, tout comme la blépharite ciliaire est celle de
l'enfance, et la blépharite muqueuse simple celle de la jeunesse.
Cette hlépharitc survient quelquefois d'emblée, c'est-à-dire sans avoir
été précédée de conjonctivite générale. D'autres fois et même plus sou-
vent elle est consécutive à une conjonctivite simplement catarrhale, et plus
souvent encore à la conjonctivite purulente. J'ai déjà dit que Thiry était
tombé dans l'exagération et dans l'erreur, en considérant les granulations
BLÉPIIAIUTE. BLÉPHARITE MUQUEUSE GRANULEUSE. 281
palpébrales comme produites exclusivement par l'ophthalmie purulente
des adultes. Si l'on admettait cette manière de voir, que ferait-on de ces
épaississemcnts avec aspérités de la conjonctivite palpébrale qui sont
consécutives aux ophthalmies catarrhales. 11 faut cependant bien les signa-
ler aussi à l'attention des praticiens. Thiry, et avec lui Artl etStelwagg ré-
pondent sans doute que dans ces derniers cas ce ne sont pas des granu-
lations vraies. Je m'expliquerai tout à l'heure plus longuement sur ce
point. Mais dès à présent je déclare qu'en se plaçant sur le terrain de la
clinique il n'y a pas de motifs sulfisants pour décrire séparément deux
sortes de granulations, celles qui viennent après les conjonctivites simples
et celles qui viennent après les conjonctivites purulentes.
La maladie est individuelle ou d'origine sporadique lorsqu'elle s'est
montrée seulement sur le sujet qu'on observe. Elle est d'origine épi-
démique, et même contagieuse, lorsqu'elle se développe sur un sujet
vivant au milieu d'autres qui sont eux-mêmes atteints ou de conjonctivite
purulente ou de blépharite granuleuse consécutive à cette dernière. C'est
ainsi que dans les régiments de l'armée belge ou de l'armée russe, sur
lesquels Caffe et Florio ont étudié l'ophthalmie des armées, on voyait
souvent de simples granulations palpébrales chez des soldats qui n'avaient
pas eu la conjonctivite purulente, mais qui vivaient au milieu de leurs
camarades atteints de cette affection. La blépharite granulueuse est donc
souvent de même nature que la conjonctivite purulente, tout comme la
blépharite muqueuse simple est souvent un premier et faible degré de
la conjonctivite catarrhale.
Caractères anatomiques. — Les premiers auteurs qui ont décrit les
granulations palpébrales, n'ont pas connu, et à cause de cela ont indiqué
d'une façon très-vague leurs caractères anatomiques. Cela tenait à ce
qu'ils se contentaient de l'examen à l'œil nu, et faisaient une apprécia-
tion en rapport avec les notions insuffisantes que l'on avait alors sur la
structure de la conjonctive. L'intervention du microscope après avoir fixé
nos connaissances sur les papilles et les follicules de l'état normal, a per-
mis de savoir, quoique l'on ne s'entende pas encore parfaitement, ce qu'é-
taient les saillies nommées granulations.
L'analyse anatomique permet d'indiquer aujourd'hui trois variétés bien
distinctes, que je désignerai sous les noms de granulations papillaires,
granulations vésiculeuses ou foUiculeuses, et granulations néoplasiï-
ques.
Les granulations papïUaïres sont celles que l'on trouve constituées par
le développement exagéré des papilles de la conjonctive palpébrale et de
leurs vaisseaux. L'anatomie normale reconnaît en effet aujourd'hui sur la
muqueuse des paupières de nombreuses papilles, et les investigations mi-
croscopiques faites par Mackensie, Thiry et Stellwagg ne laissent pas
de doutes sur la fréquence de l'hypertrophie papillaire, dans bien des cas
où le clinicien a reconnu la présence de ces petites saillies qu'il appelle
des granulations. Quand les papilles sont à peine développées, et ne font
qu'une saillie comparable à celle d'une très-petite tète d'épingle, on dit que
282 BLÉPI1ARIÏE. — blépharite muqueuse granuleuse.
les granulations sont miliaires; quand au contraire elles forment des sail-
lies plus appréciables, variant d'un demi à un millimètre, comparables à
des grains de millet, ce sont des granulations ordinaires. Cette forme
de granulations (papillaire) est incontestablement la plus fréquente, et
comme la maladie envahit presque toujours la totalité des papilles de la
conjonctive palpébrale, et que celles-ci sont très-nombreuses, il en résulte
que les granulations de cette espèce sont serrées les unes contre les autres,
et forment une couche non interrompue d'un côté à l'autre de la paupière.
Les aspérités ne se montrent cependant qu'à un ou deux millimètres du
bord libre, parce que sur le cartilage tarse, les papilles n'existent pas
encore ou sont à peine développées ; mais à partir du voisinage du bord
adhérent de ce cartilage jusqu'au cul-de-sac conjonctival, la couche granu-
leuse existe sans interruption comme dans le sens traversai.
La lésion occupe les deux paupières en même temps, mais elle est sou-
vent plus prononcée sur l'inférieure que sur la supérieure.
Les granulations véskuleuses ou foUiculeuses, indiquées vaguement
par Velpeau et plus nettement formulées par Foucher dans sa traduction
de Warthon Jones, sont beaucoup plus rares que les précédentes, et en
diffèrent : 1° en ce qu'elles sont moins nombreuses et forment sur la face
postérieure de la paupière deux, trois ou quatre saillies bien séparées
les unes des autres ; 2° en ce qu'elles sont peu vascularisées à leur surface,
et à cause de cela présentent une coloration grisâtre au lieu de la couleur
rouge que je signalais tout à l'heure ; 5° en ce qu'elles sont un peu plus
volumineuses ; 4° en ce qu'elles sont creuses et remplies d'un liquide vis-
queux. Ce liquide est du mucus accumulé dans la cavité d'un follicule
dont le goulot est oblitéré. Elles existent quelquefois seules; mais d'autres
fois elles coïncident avec les granulations papillaires, sur le fond rouge
desquelles elles se distinguent par leur couleur et leur saillie plus consi-
dérable.
Les granulations néoplastiques sont celles que nous supposons consti-
tuées par un produit de nouvelle formation, un exsudât organisé au-
dessous de l'épithélium conjonctival. Pour s'en faire une idée exacte, il
importe de les étudier : 1° à leur début; 2° lorsqu'elles sont anciennes.
4° A leur début, on peut les trouver au niveau du bord adhérent du carti-
lage tarse, ou bien dans le cul-de-sac conjonctival. 11 s'en développe aussi,
mais très-rarement, sur la conjonctive bulbaire et la cornée. Elles ont
pour caractères extérieurs une teinte grise analogue à celle des granula-
tions vésiculeuses, et que les modernes comparent à celle d'un grain de
tapioca cuit, une saillie et une dissémination qui les font encore ressem-
* bler à ces dernières. Si l'on a l'occasion de les examiner au microscope,
on les trouve non pas creuses, mais pleines. La substance qui les constitue
est formée d'une grande quantité de noyaux et d'une faible proportion
de substance intercellulaire dans laquelle on ne découvre que des libres
très-rares de tissu cellulaire. Autour de ces granulations, qui sont pla-
cées, comme je l'ai dit, entre l'épithélium et le derme de la conjonctive
palpébrale, on trouve le tissu conjonctival dans son état naturel, quel-
BLÉPf JARITE . — BLÉPHARITE MUQUEUSE GBANULEUSE. 285
quefois un peu vascularisé. Il n'est pas rare non plus de constater de bonne
heure un développement concomitant des papilles, d'où résulte un mélange
de granulations papillaires et néoplastiques, ce que Stellwagg et Wecker
nomment les granulations mixtes.
2° A une période plus avancée, et même déjà au bout d'un mois et six
semaines, les noyaux qui primitivement existaient en si grande abondance
ont notablement diminué, la substance intercellulaire est plus abondante
et est d'aspect gélatineux; ce qui y prédomine ce sont des fibres-cellules
et des fibres de tissu cellulaire, paraissant dues à l'organisation des élé-
ments précédents. En même temps le derme conjonctival participe à cette
transformation fibreuse, et présente dans une étendue plus ou moins grande
une consistance et un défaut de souplesse qu'il est loin d'offrir à l'état na-
turel. Quand cette modification s'est accomplie dune manière sensible, la
conjonctive des paupières est revenue sur elle-même et a entraîné en
arrière le bord libre , en produisant un entropion , le cul-de-sac a dimi-
nué de profondeur, et les paupières ne sont plus assez hautes pour se
mettre au contact, et abriter entièrement le globe oculaire. Il est à re-
marquer enfin que, pendant l'accomplissement de ce travail, les papilles
sont presque toujours hypertrophiées, si bien qu'à l'œil* nu on ne voit
plus les granulations néoplastiques transformées en substance fibreuse,
et on ne découvre que les granulations papillaires.
Il y a donc cette grande différence entre les granulations néoplastiques
et les deux autres variétés, qu'elles sont le prélude et l'indice d'une mo-
dification quasi cicatricielle de la conjonctive palpébrale. Je comprends
que les anatomo-pathoîogistes modernes aient, depuis Thiry, tant insisté
sur cette particularité. Mais je leur reproche d'avoir voulu établir que ces
granulations sont les seules qui méritent ce nom, et qu'elles constituent,
à proprement parler, les granulations vraies. Je me rangerais volontiers à
cette manière de voir, si ces granulations étaient fréquentes, et s'il était
habituellement facile de les distinguer sur le vivant; mais il n'en est rien.
D'abord elles sont plus rares que les saillies papillaires, et ensuite, si
l'observateur n'est pas consulté, et c'est ce qui arrive le plus souvent,
pendant les deux ou trois premières semaines de leur évolution, il ne
peut pas les voir. Elles sont perdues, au milieu des papilles qui se sont
développées concurremment : elles se sont amoindries en se transformant
en substance fibreuse, et elles ne sont plus assez saillantes pour constituer
des grains appréciables. Dans la pratique, si l'on voit des saillies palpé-
braies méritant le nom de granulations, ce sont bien plus souvent des
saillies papillaires que toute autre chose. Quel est, en définitive, pour le
pathologiste et le clinicien, le sens de ce mot granulation ? il signifie
saillie appréciable et lésion d'origine inflammatoire essentiellement chro-
nique et rebelle ; or les saillies papillaires et folliculeuses répondant tout
aussi bien à cette définition que les saillies néoplastiques, il n'y a aucune
raison pour les supprimer de la catégorie des granulations. En clinique
même il est indispensable de leur conserver ce nom, qui indique une
lésion difficile à guérir et nécessitant des soins particuliers. Pour bien
284 BLÉPHARITE. — blépharite muqueuse granuleuse.
s'entendre, le mieux est d'admettre les trois variétés et de chercher sur
le vivant à les distinguer les unes des autres. Je ne verrais aucun incon-
vénient à réserver, comme le font quelques auteurs allemands, le vieux
mot de trachome pour les granulations néoplastiques ; mais celui de gra-
nulation est aujourd'hui tellement passé dans le langage chirurgical,
qu'il est impossible de ne pas le conserver.
Symptômes. — La blépharite granuleuse est une maladie essentiellement
chronique. Quelques auteurs ont bien décrit des granulations aiguës, mais
celles-ci, rapidement développées au début d'une conjonctivite aiguë, le
plus souvent purulente, ne modifient pas assez la maladie pour mériter
une description à part. Il suffit de dire ici que la conjonctivite purulente
aiguë, quand elle est granuleuse, laisse à peu près inévitablement après
elle une blépharite chronique également granuleuse.
Les symptômes fonctionnels de la blépharite sont, avec un peu plus
d'intensité, les mêmes que ceux de la blépharite muqueuse simple :
lourdeur des paupières, chaleur et picotement, parfois larmoiement,
fatigue facile des yeux par le travail appliqué. Ces symptômes fonction-
nels prennent une plus grande intensité lorsque l'inflammation, en re-
passant à l'état aigu a envahi la conjonctive tout entière. On a alors mo-
mentanément tous les symptômes de la conjonctivite aiguë. Ces sortes
d'exaspération sont assez fréquentes.
On voit aussi très-souvent une kératite chronique coïncider avec la
blépharite granuleuse. On a même prétendu que la kératite devait, en
pareil cas, son origine au frottement, sur la cornée, des saillies plus ou
moins irrégulières que forment les granulations palpébrales. Outre que
cette explication ne conviendrait pas pour les cas assez fréquents dans
lesquels la blépharite et la kératite se sont développées simultanément,
comme cela est fréquent après l'ophthalmie purulente, il est difficile de
voir dans les saillies molles et souples des granulations, des corps assez
durs pour amener mécaniquement l'inflammation de la cornée. Dans la
pratique, au reste, le point important est la coïncidence des deux lésions,
et l'opportunité de leur traitement simultané.
Comme symptômes physiques, il n'y a rien d'appréciable du côté de
l'œil et de la cornée, à part les cas de poussée aiguë et ceux de kéra-
tite intense. Pour voir les caractères physiques de la blépharite granu-
leuse, il faut renverser successivement les deux paupières de chacun des
yeux. On découvre d'abord dans le cul-dc-sac, tantôt des larmes seule-
ment, tantôt des larmes mélangées de pus, indice que la purulence de la
conjonctive n'a pas tout à fait cessé; puis on remarque sur la face posté-
rieure de chacune des paupières, à l'œil nu et avec la loupe, des aspérités
qui ne se rencontrent pas à l'état normal.
Ces aspérités, dans les cas d'hypertrophie papillaire, se trouvent sur
une surface d'un rouge vif, qui commence à un ou deux millimètres du
bord libre, s'étend d'un angle cà l'autre et se prolonge jusqu'au cul-de-sac
conjonctival. Les saillies sont serrées les unes contre les autres et sépa-
rées par des sillons très-superficiels; quand elles n'ont que deux à trois
BLÉPIIAmTE. — blépharite muqueuse granuleuse. 285
dixièmes de millimètre, elles échappent à l'investigation faite avec l'œil
nu mais on les voit assez bien avec la loupe. Quand elles sont un peu
plus grosses, l'œil non armé les reconnaît et constate pour les unes la
forme pointue, pour les autres la forme arrondie, pour quelques autres,
une forme aplatie qui rappelle la variété fongueuse de quelques-unes des
papilles de la langue.
Lorsque les granulations sont vésiculeuses, elles se distinguent par leur
coloration grise, leur éloignement les unes des autres, et leur situation
plus près du cul-de-sac conjonctival que du cartilage tarse. Elles ne sont
difficiles à reconnaître que dans les cas où elles sont disséminées au
milieu des papilles hypertrophiées, parce qu'alors elles ne font plus une
saillie suflisamment appréciable, et que, l'attention étant détournée par
les granulations rouges, on ne s'occupe pas de chercher les autres.
Les granulations néoplastiques ou trachomes se reconnaissent, lors-
qu'elles sont récentes, à leur couleur grisâtre, qu'on a comparée à du ta-
pioca cuit ou à du frai de poisson. Si on les pique avec une aiguille, on
n'en fait sortir aucun liquide, comme cela aurait lieu si on piquait les
granulations précédentes. Elles échappent aussi à l'attention lorsqu'elles
coïncident, ce qui est très-ordinaire, avec les granulations papillaires. Mais
on peut être guidé, pour les apercevoir, par l'examen de la conjonctive
oculaire ou de la cornée. Si, par hasard, quelques granulations s'étaient
développées sur ces organes, ce serait une raison pour présumer que la
conjonctive palpébrale en offre aussi, et l'investigation faite avec plus de
soin, d'après cette pensée, permettrait de les reconnaître. Mais lorsque
les granulations néoplastiques ont eu une certaine durée, elles sont moins
saillantes, sont revêtues d'une couche vasculaire, et impossibles à distin-
guer des granulations papillaires. Leur présence ou leur passage n'est plus
indiqué que par les lésions ultérieures qui se produisent, savoir les brides
et les renversements. On peut encore appuyer leur diagnostic sur les com-
mémoratifs, lorsqu'on apprend que L'affection des paupières a été con-
sécutive à une conjonctivite purulente, et surtout à une conjonctivite
purulente épidémique et contagieuse. Il est assez ordinaire, en effet,
que les granulations soient des produits nouveaux dus à l'organisa-
tion d'un exsudât, à la suite de la destruction de l'épithélium, au
début ou dans le cours de la conjonctivite purulente. Cependant j'ai
fait pressentir plus haut qu'on était allé trop loin en ne voulant ad-
mettre des granulations que dans les cas de ce genre, et on irait trop
loin également si l'on admettait que toujours à la suite de lophthalmie
purulente les aspérités palpébrales sont néoplastiques. Non-seulement il
faut, comme je l'ai dit, ranger parmi les granulations les aspérités, qui,
au lieu d'être formées par un tissu nouveau, sont dues à l'hypertrophie
d'éléments normaux, mais il faut reconnaître aussi que, dans quelques
cas, la conjonctivite purulente laisse après elle des granulations papillaires,
et la conjonctivite catarrhale des granulations néoplastiques.
De tout ce qui précède, il résulte que le diagnostic des granulations
palpébrales est assez facile, à la condition d'y regarder de près, pour les
286 BLÉPHARITE. — blépharite muqueuse granuleuse.
granulations papillaires et vésiculeuses, tandis qu'il reste souvent diffi-
cile et n'est même possible qu'au début de la maladie pour la troisième
variété.
Le diagnostic se complète en examinant si les paupières présentent
quelque autre lésion, telle que le trichiasis et l'entropion, et si la cornée
est malade concurremment. Mais comme toutes ces lésions se constatent
plus facilement que les granulations elles-mêmes, parce que celles-ci
réclament le renversement préalable des paupières, il en résulte que la
blépharite a plus souvent qu'elles échappé à l'attention.
Marche et pronostic. — La blépharite granuleuse est toujours de longue
durée. Quand il s'agit des papilles hypertrophiées, il faut beaucoup de
temps pour que la vascularisation anormale de leur surface disparaisse,
et pour que les produits d'origine inflammatoire qui les tiennent turges-
centes, se résorbent. Quand ce sont des follicules, il faut encore beau-
coup de temps pour que le produit contenu dans la petite cavité soit
résorbé ou trouve une issue à l'extérieur. Quand ce sont des produits de
nouvelle formation, ils disparaissent quelquefois aussi par résorption;
mais, le plus souvent, ils se modifient à la longue, se transforment, comme
je l'ai dit, et laissent du côté des paupières des désordres irrémédiables.
Il est très-ordinaire que la cornée devienne malade, si elle ne l'avait
pas été primitivement. Sans qu'il soit possible de dire quelle influence
réciproque les deux lésions exercent l'une sur l'autre, cette coïncidence
entraîne toujours une durée beaucoup plus longue.
Les granulations palpébrales ne durent jamais moins de deux à trois
mois ; souvent elles se prolongent pendant six mois ou plusieurs années,
et cela surtout lorsque les sujets continuent à vivre dans les conditions
hygiéniques et atmosphériques sous l'influence desquelles la maladie a été
contractée.
Traitement. — Les moyens de traitement sont à peu près les mêmes
que ceux de la blépharite muqueuse. Il faut ici, plus que jamais, insister
sur les moyens hygiéniques, éloigner, si faire se peut, le malade de l'en-
droit où il a contracté son affection, surtout lorsque clans cet endroit se
trouvent encore des sujets atteints soit d'ophthalmie catarrhale, soit
d'ophthalmie purulente, soit simplement de granulations palpébrales. On
n'oubliera pas, en effet, que cette maladie est souvent d'origine conta-
gieuse, et que le meilleur moyen de diminuer les effets de la contagion
est de fuir le milieu où elle s'est produite. D'autre part, il convient de
prévenir les personnes qui sont en rapport avec le malade, que l'affection
peut se communiquer, qu'il faut, par conséquent, ne pas habiter la
même chambre, ne pas rester dans l'appartement toute la journée,
aérer le plus souvent possible, ne pas se servir des mêmes linges, du
même mouchoir, etc.
Il est indispensable, en outre, de remonter le moral et de prévenir le
patient que son affection doit être longue, et qu'il doit s'habituer à vivre
quelque temps sans se servir beaucoup de ses yeux.
L'application de la vue pour la lecture, l'écriture, et tous les objets
BLEPI1ARITE. — blépharite muqueuse granuleuse. c287
lins, doit être évitée. On conseillera au malade de s'en priver tout à fait,
ou du moins de n'en user qu'avec une grande modération, et toujours
en se servant soit des lunettes à verres foncés, soit de la visière bleue
ou verte.
Pour le traitement local, il faut recourir aux astringents, et je mets en
première ligne les attouchements avec un crayon bien taillé et bien lisse
de sulfate de cuivre.
Le but de ces attouchements n'est pas de cautériser, car c'est à peine
si la pierre donne une tache blanche indiquant une destruction d'épithé-
lium semblable à celle que produit l'azotate d'argent. Le sulfate de cuivre
amène-t-il une simple astriction favorable au dégorgement des parties
tuméfiées, occasionnc-t-il une inflammation nouvelle plus susceptible de
se terminer par résolution? Je répète que je ne saurais le dire. Mais il
me paraît démontré par l'observation clinique que ce topique est le meil-
leur dans la plupart des cas. Je ne prétends pas dire qu'il amène vite la
guérison, ni qu'il puisse dispenser de l'emploi des moyens hygiéniques,
mais il a sur la marche de la maladie une influence favorable qui ne
saurait être contestée.
Pour pratiquer cet attouchement, on renverse successivement le mieux
possible la paupière supérieure, puis l'inférieure, et on porte le crayon,
en le passant légèrement et un peu vite sur les surfaces ou sur les points
malades, suivant que les granulations sont agglomérées ou disséminées*
Le premier effet est de produire une excitation qui se traduit par de la
chaleur, de la photophobie, du larmoiement. On y remédie par des lotions
d'eau froide. Au bout de 50 à 40 minutes, ces phénomènes diminuent,
et dès le lendemain, sans qu'il ait été possible, même pendant les pre-
mières heures, de constater la chute d'une eschare, on trouve un peu de
diminution dans les saillies et la rougeur concomitante. Malheureuse-
ment cette amélioration ne se maintient pas. Il est ordinaire qu'après
deux ou trois jours écoulés les paupières aient repris à peu de chose près
leur état maladif. Il faut alors revenir à un nouvel attouchement. Ce
n'est qu'après six à douze applications qu'on voit une amélioration per-
sistante, et encore pas dans tous les cas. Lorsqu'il existe concurrem-
ment une kératite, lorsque pour une cause ou pour une autre, des
poussées aiguës ont lieu malgré le traitement, les granulations restent
réfractaires.
Quel intervalle de temps faut-il mettre entre les attouchements? en
général quatre ou cinq jours; mais il n'y pas de règle fixe à établir. Le
but de l'opération est de produire une excitation passagère. Mais si, en
vertu d'une idiosyncrasie impossible à connaître à l'avance, ce but était
,dépassé, et que l'inflammation devînt trop vive, il faudrait éloigner les
intervalles, n'y revenir, par exemple, qu'au bout de dix, douze ou quinze
jours. De même si l'excitation avait été trop légère, on pourrait recom-
mencer dès le troisième jour.
Pour les jours où l'attouchement n'a pas lieu, on doit conseiller l'instil-
lation deux fois par vingt-quatre heures d'un collyre contenant pour
•288 BLÉPHAR1TE. — bléphàrite muqueuse granuleuse.
50 grammes d'eau, Ogr,10 de sulfate de zinc, ou bien la même proportion
d'alun ou de borax.
Il en est du reste du collyre comme du crayon ; s'il occasionnait une
inflammation vive, se traduisant par une douleur de quatre ou cinq heures,
une rougeur de toute la conjonctive oculaire, une photophobie et un lar-
moiement abondant pendant le même temps, il ne faudrait pas insister.
On cesserait l'instillation pendant un jour, et l'on y reviendrait plus tard,
en diminuant de moitié la dose de la substance astringente. Si, au con-
traire, l'effet produit était à peine appréciable, on augmenterait un peu
la dose, on la porterait à 0gr,15 au lieu de 0gr,10 pour la même quan-
tité d'eau.
Ne pourrait-on pas aussi se servir du crayon d'azotate d'argent? Ici
établissons une distinction. S'il s'agit du crayon mitigé dont j'ai parlé
page 269, si surtout on a soin de laver avec de l'eau salée pour entraîner
l'excès du sel d'argent, je n'ai aucun inconvénient à signaler. L'efiet est
à peu près le même que celui du sulfate de cuivre, savoir : une excitation
passagère. Il y a même avantage à se servir alternativement de l'un et de
l'autre, pour voir si par hasard, et en vertu d'une variété individuelle,
l'un des deux ne paraîtrait pas plus efficace. S'il s'agit, au contraire, du
crayon d'azotate d'argent pur, je réponds qu'il faut ici une grande pru-
dence. L'excitation produite par cet agent dépasse souvent le but que l'on
veut obtenir : au lieu d'être passagère, elle est persistante ; elle ramène
avec la sécrétion purulente une turgescence qui ne disparaît pas ou dis-
paraît très-lentement. Je ne conseille d'y recourir que dans les cas où le
sulfate de cuivre ne produit qu'une irritation trop légère et à peu près
insignifiante, et dans ceux où, après avoir agi d'abord avec avantage, il
semble avoir épuisé son action en vertu d'une tolérance particulière qui
s'est établie sur les yeux malades. Dans ces cas encore faut-il passer très-
rapidement le crayon sur les surfaces malades, et neutraliser ensuite avec
l'eau additionnée de chlorure de sodium.
Si les moyens précédents étaient sans efficacité, on pourrait en es-
sayer d'autres, par exemple l'attouchement avec un pinceau trempé
dans une solution d'azotate d'argent à 0gr,50 pour 50 grammes d'eau dis-
tillée, ou dans une solution de tannin contenant 4 grammes de cette sub-
stance, pour 50 grammes d'eau. Hairion donne la préférence à un mu-
cilage composé de tannin 4 grammes, eau 20 grammes, et gomme
arabique 10 grammes. On notera qu'avec le tannin les attouchements
doivent être répétés une ou deux fois par jour. Les glycérolés, soit au sul-
fate de cuivre, dans la proportion de 0gr,10 pour 5 grammes, soit à l'ami-
don, soit au tannin, dans la proportion de 4 grammes pour 20 grammes
de glycérine, ont également été conseillés.
Faut-il mentionner encore l'attouchement avec un pinceau trempé
dans l'acétate neutre de plomb, dans la teinture d'iode, dans une
solution de sublimé (0gl,20 pour 4 grammes d'eau), une solution de
chlorure d'or (0gr,50 pour 4 grammes)? Ces moyens n'ont pas encore
une efficacité bien démontrée. Leur multiplicité prouve une fois de plus
BLÉPHARITE. BLÉPHAUITE MUQUEUSE GRANULEUSE. 289
la résistance de la maladie. On peut recourir à l'un d'eux lorsque tout le
reste a échoué.
On a longtemps conseillé pour cette blépharite, comme pour toutes les
inflammations chroniques de l'appareil oculaire, les exutoires : vésicatoires
volants du front, à la tempe ou derrière l'oreille, vésicatoires permanents,
sétons et moxas à la nuque. Ces moyens sont assez généralement rejetés
aujourd'hui. Mais c'est peut-être aller trop loin que de les bannir complè-
tement. Sans aucun doute c'est une mauvaise chose que d'entretenir
autour de l'œil une solution de continuité habituellement douloureuse, ou
qui peut empêcher le sommeil, ainsi que cela a lieu souvent à la suite des
exutoires permanents placés à la nuque; mais les exutoires passagers,
comme les petits vésicatoires volants et les mouches de Milan n'ont pas le
même inconvénient, et agissent peut-être comme révulsifs. Je veux bien
que la chose soit incertaine et difficile à démontrer par l'observation ;
mais, dans le doute, du moment où nous supprimons les dangers de
l'exutoire, pourquoi nous priver de ses avantages, si petits, si probléma-
tiques qu'ils soient? Pour moi, je n'hésite pas, dans les cas rebelles, à
placer tous les huit ou dix jours un vésicatoire large comme une pièce
d'un franc, au front, à la tempe ou derrière l'oreille; je n'enlève même
pas l'épiderme; je panse avec du cérat, et j'en place un nouveau trois ou
quatre jours après la dessiccation du précédent.
On a conseillé aussi à diverses époques la scarification et même l'exci-
sion des granulations palpébrales. Coursserant, qui, de nos jours, est
revenu à la scarification, en la faisant suivre d'une compression légère,
n'emploie cette méthode que pour ce qu'il appelle les granulations sans
hypertrophie du cartilage tarse, et ne l'applique pas à ce qu'il appelle la
conjonctivite granulaire avec tarsite. Cette distinction vient de ce qu'il
suppose, sans l'avoir, je pense, démontré par le scalpel, que les granu-
lations tantôt s'accompagnent et tantôt ne s'accompagnent pas de gonfle-
ment des cartilages palpébraux; comme, d'autre part, il attribue la tarsite
à l'ophthalmie d'Egypte , il me paraît, évident que cet auteur considère
comme inutile la scarification pour les cas de granulations néoplastiqucs
ou trachomes, et la fait, au contraire, pour ceux de granulations papil-
laires. Je ne verrais aucun inconvénient à l'imiter, si les granulations
papillaires avaient résisté pendant des années aux traitements déjà indi-
qués. Mais je crois que, dans la plupart des cas, ceux-ci finissent par
réussir, et, d'autre part, les succès après la scarification comme après
l'excision, ne sont pas assez nombreux, ni assez authentiques, pour que
je puisse conseiller d'y recourir d'emblée.
Y a-t-il un traitement spécial pour chacune des variétés de la blépharite
granuleuse? Je ne le pense pas. Pour les unes comme pour les autres, il
y a à remplir la même indication. Seulement, si l'on croyait avoir affaire
à des granulations folliculaires, on ferait bien de les piquer avec une
aiguille à coudre, et de les vider avant d'appliquer le crayon de sulfate
de cuivre. D'un autre côté, c'est surtout pour les granulations néoplastiques
qu'il importe de ne pas donner par le traitement un coup de fouet qui
NOUV. OICT. MÉD. ET Clllfc. V. 19
290 BLÉPHARITE. — bibliographie.
ramène la suppuration. Car, l'inflammation devenant suppurative, il y
aurait bien plus à craindre la transformation fibreuse et toutes ses con-
séquences. Dans ce cas plus que dans tous les autres, une inflammation
légère, susceptible de se terminer par résolution un peu plus prompte-
ment que celle qui existe déjà, et d'entraîner la résorption des produits
nouveaux, est celle que l'on doit ebereber à provoquer. Le crayon de
sulfate de cuivre, ou celui d'azotate d'argent mitigé, remplissent mieux,
cette indication que l'azotate d'argent pur. En somme, il n'y a pas de
différences à indiquer pour le traitement des diverses espèces de granu-
lations; mais il était nécessaire de prévenir les praticiens des dangers
spéciaux auxquels expose, dans la troisième variété, celle des granulations
néoplastiques, une cautérisation trop énergique.
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L. GOSSELIK.
BliÉPHAROPIiASTIE. Voy. Paupières.
BLÉPHAROPTOSG. — On donne le nom de blépharoptose et
aussi celui de ptosis à la chute de la paupière supérieure, c'est-à-dire
au vice de conformation qui est caractérisé par l'impossibilité de relever
assez cet organe pour que la cornée soit mise complètement à découvert.
On sait qu'à l'état normal, les paupières s'écartent et l'œil s'ouvre par
un double mécanisme, d'abord par le repos momentané de l'orbiculaire
palpébral, ensuite par la contraction du releveur. Une condition anato-
mique est en outre indispensable, c'est que le tissu conjonctif et la peau
aient leur laxité normale, et puissent se plisser en travers au moment où
l'écartement a lieu.
Étîologie. — Les causes qui amènent cette difformité sont assez
nombreuses, et chacune d'elles lui donne un caractère spécial, qui con-
stitue, à proprement parler, une variété delà maladie.
1° En première ligne, nous pouvons placer la perte de la laxité du
tissu conjonctif. Quand la sérosité infiltre ce tissu, comme dans le cas
d'oedème simple et dans ceux d'oedème inflammatoire, quand un ou plu-
sieurs kystes à parois rigides se sont développés dans la paupière supé-
rieure, cet organe est devenu incapable de se plisser, et conserve forcé-
ment la hauteur qui lui est assignée par l'état pathologique. Si la perte
de laxité et le gonflement qui la produit sont considérables, la paupière
ne peut pas se relever du tout, et l'œil reste tout à fait fermé, comme
dans l'érysipèle intense et l'œdème consécutif aux inflammations ame-
nées parles piqûres d'insectes. Si, au contraire, les lésions sont moindres,
la paupière se relève un peu, et l'œil peut être mis à découvert, la blé-
pharoptose est incomplète.
2° D'autres fois l'obstacle à l'écartement est apporté par une contrac-
tion prolongée ou contracture de l'orbiculaire. Le releveur ne peut agir
alors, parce que ses contractions ne sont efficaces que si l'orbiculaire est
relâché. C'est ainsi que s'explique l'étroitesse habituelle de la fente pal-
pébrale, ou, si l'on aime mieux, son ouverture imparfaite, dans le cours
et à la suite d'un grand nombre de maladies inflammatoires de la con-
jonctive et de la cornée, ces maladies augmentant par une action réflexer
la contraction habituelle ou tonicité de l'orbiculaire palpébral.
3° Lorsque, par suite d'une blessure ou d'une maladie longue des
paupières ou de la cornée, la fente palpébrale a diminué d'étendue, il y
a encore abaissement inévitable et permanent de la paupière supérieure,
abaissement incomplet, il est vrai, qui permet encore à l'œil d'être dé-
couvert assez pour que la vision s'exécute, mais ne lui permet pas de
s'ouvrir autant qu'à l'état normal et constitue dès lors une difformité.
Dans tous les cas que je viens d'énuinérer, la blépharoptose est consé-
292 BLÉPHAROPTOSE. — étiologie.
cutive à une autre maladie. Elle lui est subordonnée, disparaît ou per-
siste avec elle, et ne réclame pas d'autre traitement que cette maladie
elle-même ; c'est pourquoi je n'aurai pas à m'en occuper davantage.
4° D'autres fois la chute de la paupière supérieure a pour cause une
paralysie de la troisième paire. Le muscle releveur, en effet, se trouve
alors privé de sa contraction, en même temps que tous les autres muscles
animés par ce nerf; l'orbiculaire, qui reçoit du facial, continuant d'agir,
l'œil reste fermé au moins incomplètement. Mais comme il est impossible
de séparer la lésion du releveur de celle des autres muscles, il n'y a pas
lieu non plus de décrire ici cette variété de blépharoptose, et il vaut
mieux, à l'exemple de tous les auteurs, en renvoyer la description à celle
de la paralysie de la troisième paire. Voij. Oculo-Moteurs (Nerfs).
5° La principale variété de la blépharoptose est celle qui, s'expli-
quant par une insuffisance d'action du releveur seul, constitue un vice
de conformation spécial et distinct. C'est elle que l'on décrit à part dans
les auteurs, et c'est à elle seule aussi que vont s'appliquer les derniers
détails contenus dans cet article.
L'insuffisance d'action du releveur est due à l'une des trois causes que
voici :
Tantôt le muscle présente une faiblesse congéniale. Il a été arrêté dans
son développement ; il est resté grêle, et ne peut, quoique son innervation
soit peut-être normale, contre-balancer efficacement la tonicité de l'or-
biculaire.
Tantôt le releveur, quoique bien développé, est atteint d'une paralysie
congéniale, c'est-à-dire que le nerf qui doit l'animer a été arrêté lui-
même dans son développement, ou, par une cause qui nous échappe,
n'envoie pas en quantité suffisante l'influx nerveux nécessaire aux con-
tractions. Il est juste d'ajouter que ces lésions du rameau de la troisième
paire destiné au releveur n'ont pas été jusqu'à présent constatées sur le
cadavre, et que nous les admettons d'après la théorie plutôt que d'après
l'observation directe.
Dans les deux cas qui précèdent, la blépharoptose est congéniale. Dans
quelques autres, elle est due à une blessure accidentelle, soit du muscle
lui-même, soit du rameau nerveux qu'il reçoit. J'avais dernièrement dans
mon service, à l'hôpital de la Pitié, un homme qui, après avoir été blessé
à la paupière supérieure par une cheville de bois entrée par cette pau-
pière jusque dans l'orbite, avait une paralysie complète du releveur. Il
m'a été impossible de savoir si c'était la section du muscle ou celle de son
nerf, par le corps vulnérant qui avait amené l'obstacle à l'élévation de la
paupière. Après plusieurs semaines de traitement par l'électricité, nous
avons obtenu une amélioration assez grande pour que la pupille pût être
mise à découvert, et pour que la vision se rétablît. Mais faut-il en conclure
que c'était le muscle, plutôt que le nerf, qui avait été coupé et qui s'est en
partie cicatrisé. Je n'ai pu, en aucune façon, être renseigné sur ces points.
Ne peut-il pas survenir aussi, sans lésion traumatique et spontané-
ment, une paralysie isolée du muscle releveur? Assurément la chose est
BLÉPHAROPTOSE. — symptômes. 293
possible ; mais elle est rare ; je ne pourrais, pour ma part, en citer aucun
exemple, et je m'en tiens pour l'étiologie à cette formule générale que la
blépharoptose essentielle est plus souvent congéniale qu'accidentelle, et
que la lésion dont elle est le symptôme est plus ordinairement irrémé-
diable dans le premier cas que dans le second.
Symptômes. — La blépbaroptose est complète ou incomplète.
Lorsqu'elle est complète, la paupière supérieure tombe au-devant de
l'œil, la cornée n'est mise à découvert que partiellement et par le relâ-
chement de l'orbiculaire. La pupille ne peut recevoir les rayons lumineux
et la vision est impossible. C'est ainsi que se présente habituellement la
blépharoptose accidentelle et traumatique.
Lorsqu'elle est incomplète, l'élévateur conserve assez de force pour
amener la paupière au-dessus du niveau de la pupille. La vision est donc
possible. Tout l'inconvénient de la maladie est dans l'irrégularité du
visage, qui résulte d'un écartement inégal des deux fentes palpébrales.
C'est ainsi que se présente presque toujours la blépharoptose congéniale.
Traitement. — 1° La blépharoptose essentielle ne réclame aucun
traitement lorsqu'elle est tout à la fois incomplète et congéniale; car nous
n'avons pas la puissance de reconstituer un muscle ou un nerf originai-
rement mal formé.
2° Lorsqu'elle est complète et congéniale, on ne doit pas non plus
espérer la guérison. Assurément il n'y aurait aucun inconvénient à essayer
un traitement curatif par l'électricité et les stimulants cutanés. Mais l'échec
une fois constaté, il ne reste plus que la ressource d'un traitement pal-
liatif consistant dans l'emploi d'une petite pince faite sur le modèle des
serres-fines (fig. 9), entre les deux branches de laquelle
le malade interpose un pli vertical de la paupière supé-
rieure, assez large pour que les bords palpébraux restent
écartés. On donnerait au malade le conseil de ne pas tenir
trop longtemps cet instrument en place, afin de ne pas
laisser une eschare se produire. Cette ressource palliative
serait plus particulièrement applicable, si les deux côtés
étaient atteints en même temps de l'infirmité, ce qui est
très-rare, ou si l'autre œil avait été privé par une cause
quelconque de ses fonctions visuelles.
Je ne puis donner mon assentiment à deux opérations
qui ont été conseillées pour les cas de ce genre. La pre-
mière, qui est de date ancienne, consiste à enlever avec
le bistouri une portion un peu étendue de la paupière su- fig. 9.
périeure, en laissant le bord libre, et de réunir par des
points de suture les bords de la solution de continuité ainsi établie. Cette
opération n'est jamais passée dans la pratique pour lune des deux rai-
sons que voici : ou parce que l'on fait une trop petite perte de substance,
et alors la paupière continue à rester trop bas, ou l'on en fait une trop
étendue, et alors la paupière, devenue trop courte, ne protège plus suffi-
4294 BLÉPHAROSPASME. — blépharospasme tonique.
samment l'œil et le laisse exposé à toutes les causes d'ophthalmie.
La seconde opération dont de Grsefe a eu l'idée, et dont Wecker nous
a donné la description, consiste à faire une petite perte de substance à
l'orbiculaire, afin de l'affaiblir, et, en l'affaiblissant, de rendre son anta-
goniste suffisant. Pour faire cette perte de substance, on incise, à cinq
millimètres de son bord libre, le tégument de la paupière supérieure
dans toute sa longueur, on décolle et on écarte les bords de la plaie, de
manière à mettre à découvert le muscle orbiculaire, on saisit avec une
pince à crochet une largeur de huit à dix millimètres de ce muscle, et on
l'excise avec des ciseaux. Je doute que cette opération ait jamais donné
de bons résultats, car ce qui reste de l'orbiculaire suffit toujours pour
maintenir l'occlusion que ne peut faire cesser le releveur entièrement
paralysé.
5° Quant à la blépharoptose accidentelle, il est toujours indiqué de la
combattre par l'électrisation du muscle; on y procède de la manière
suivante : une aiguille à acupuncture est conduite à travers le milieu de
la paupière supérieure jusqu'au point où nos connaissances anatomiques
nous indiquent la présence du releveur, et cotte aiguille est mise en
communication avec un des conducteurs de la pile. L'autre conducteur,
pourvu d'une éponge mouillée, est placé sur la région temporale ou
derrière l'oreille. On fait passer le courant pendant cinq, dix ou quinze
minutes, suivant la manière dont il est supporté; on renouvelle la séance
tous les deux jours d'abord, puis tous les jours, et Ton s'arrête à la
trentième ou quarantième. Ce moyen est loin de réussir toujours. Dans
un cas où la blépharoptose était complète, il m'a permis d'obtenir une
amélioration telle que la cornée, jusque-là entièrement masquée, a pu se
découvrir assez pour permettre la vision. Il y a eu, en un mot, substitu-
tion d'une chute incomplète à la chute complète qui existait d'abord.
A défaut d'électricité, on pourrait essayer quelques frictions stimu-
lantes sur le front et la tempe, soit avec un Uniment ammoniacal, soit
avec une pommade contenant de la strychnine dans la proportion de
cinq centigrammes pour quatre grammes d'axonge. L. Gosselin.
BliÉPH AROSPASME. — On pourrait désigner sous le nom de
blépharospasme toute contraction anormale des muscles palpébraux. Mais
comme on n'a pas observé jusqu'à présent de ces contractions sur le re-
leveur de la paupière supérieure, la dénomination dont il s'agit s'ap-
plique exclusivement aux contractions exagérées de l'orbiculaire.
Ce muscle peut présenter les deux variétés de contractions insolites
que nous admettons pour les autres muscles de la vie de relation, savoir :
1° des contractions continues sans intervalles de relâchement ou avec
des intervalles rares et courts ; 2° des contractions passagères et suivies
de relâchement, mais brusques, vives et plus précipitées qu'à l'état nor-
mal. Dans le premier cas, pour me servir des expressions consacrées, le
spasme est tonique, dans le second il est clonique.
[. Biépbaroftpasme ionique. — Il est toujours symptomatique
BLÉPIIAROSPASME. — bléphabospa&me clomque. 295
et consécutif. C'est celui qu'on observe dans la plupart des cas où il y a
irritation vive de la conjontive, de la cornée et même des parties pro-
fondes de l'œil. C'est lui qui maintient l'occlusion de l'œil après l'in-
troduction des corps étrangers ou dans le cours des kératites ulcéreuses,
des iritis et des irido-choroïdites aiguës. Le spasme de l'orbiculaire pour-
rait, dans tous ces cas, être considéré comme le résultat d'une action ré-
flexe, la douleur des parties profondes (conjonctive, cornée, iris) réa-
gissant par l'intermédiaire de l'encéphale sur les filets du facial qui vont
à l'orbiculaire. Mais cette explication ne me suffirait pas. Que la con-
traction de l'orbiculaire soit ou non le résultat d'une action réflexe, il
convient d'ajouter que le spasme, dans toutes ces circonstances, est in-
stinctif et a pour but de soustraire l'œil malade à une nouvelle cause de
souffrance. Dans les cas de corps étrangers en effet, et dans plusieurs ma-
ladies de la surface oculaire, le frottement des paupières contre le globe de
l'œil est une cause de souffrance. Instinctivement le malade supprime
ce frottement en contractant d'une manière permanente son orbiculaire.
D'autres fois, comme dans les inflammations profondes, l'arrivée de la
lumière est une cause de douleur ; instinctivement le malade supprime
cette cause, en empêchant par le blépharospasme l'entrée de l'agent irri-
tant dans l'œil. On dit en pareil cas qu'il y a photophobie, et l'on verra,
à ce mot, qu'il est parfois difficile de décider si c'est la crainte de la lu-
mière ou la crainte des frottements qui amène l'occlusion involontaire
des yeux malades.
Certainement il est permis de croire que le point de départ du spasme
dans tous ces cas est une sensation douloureuse partie de la conjonctivite,
de l'iris ou de la rétine, laquelle sensation arrivée à l'encéphale se réflé-
chit vers l'orbiculaire. Mais cette première action une fois produite, et
le spasme se continuant, il y a autre chose qu'un effet réflexe. Cet effet,
nous ne pouvons le caractériser autrement que par le mot contraction
instinctive, ayant pour but de soustraire l'œil à la souffrance occasionnée,
soit par les frottements, soit par la lumière, soit par ces deux causes
à la fois.
Quoi qu'il en soit, je n'ai pas besoin de m'appesantir davantage sur
cette variété du spasme palpébral. Ses phénomènes et ses suites possi-
bles seront indiqués à l'occasion des maladies dont il est la conséquence,
et le symptôme. Je renvoie pour cela aux mots photophobie, ophthal-
iiiie, kératite, trichiasis, entropion.
Je ne puis cependant m'empècher de faire remarquer ici, que quand
le spasme a été très-intense et a duré longtemps, le muscle orbiculaire
est revenu sur lui-même, rétracté, et occasionne soit une étroitesse de la
fente palpébrale, soit le renversement en dedans d'une partie ou de la tota-
lité de la paupière.
II. Bicphsirospasnie clou ï que. — Le spasme caractérisé par une
contraction suivie de relâchement, mais contraction plus souvent répétée,
et plus forte qu'à l'état normal, du muscle orbiculaire, n'est point sympto-
matique d'une autre affection de l'appareil oculo-palpébral ; en pareil cas,
296 BLÉPIIAROSPASME. — bléphaïiospasmê clomqué.
il peut être considéré comme essentiel. C'est une névrose comparable
jusqu'à un certain point à la chorée. Je ne veux point parler des contrac-
tions palpébrales, qui accompagnent les convulsions de la face, connues
sous le nom de tic douloureux. Il n'est question ici que des contractions
limitées à l'orbiculaire, contractions qui le plus souvent sont indolentes.
Cette maladie se présente sous deux formes. Dans la première, les con-
tractions portent sur une partie limitée de l'orbiculaire, celle qui se trouve
au voisinage du bord adhérent. Elles ont lieu d'un seul côté à la fois, et plus
souvent à la paupière inférieure seule qu'aux deux paupières simultané-
ment. Elles n'ont point pour effet d'amener l'occlusion de l'œil, et elles
consistent seulement en soubresauts successifs que le malade ressent, et
dont les personnes étrangères ne s'aperçoivent que si elles sont placées
très-près de l'œil ou si elles y font attention.
Ce blépharospasme partiel est habituellement passager, dure quelques
minutes ou plusieurs heures, revient plusieurs jours de suite ou ne se
montre qu'à de longs intervalles. Il n'a aucune influence fâcheuse sur la
vision, n'est point le prodrome d'une affection cérébrale grave, et n'occa-
sionne même pas de difformité. Je n'aurais pas cru devoir m'en occuper
ici, si les praticiens n'étaient pas de temps à autre consultés par des
sujets qui s'inquiètent de ce spasme. On doit leur répondre que le mal
n'est pas dangereux, qu'on n'en connaît ni la cause, ni le traitement,
qu'il disparaît de lui-même, et que le meilleur moyen de ne pas l'entre-
tenir est d'y songer le moins possible.
La seconde forme est celle dans laquelle les contractions spasmodiques
intermittentes portent sur le muscle orbiculaire tout entier, et ont pour
résultat de fermer les yeux plus souvent et plus complètement qu'à l'or-
dinaire. C'est une exagération du clignement, on pourrait dire que c'est
un clignement spasmodique.
Les deux yeux en sont habituellement atteints à la fois.
A part quelques cas dans lesquels le clignement a coïncidé avec une
blépharite muqueuse, cette maladie n'a le plus souvent aucune relation
avec les affections oculaires et se développe primitivement. Elle est rare
et les femmes me paraissent y être plus exposées que les hommes. Je ne
l'ai pour ma part observée que deux fois et chaque fois sur une femme
entre 40 et 50 ans. Peut-être la constitution nerveuse et l'hystérie
contribuent-elles à son développement. Cependant je n'ai rien noté de
semblable sur les deux malades que j'ai rencontrées. Chez l'une et chez
l'autre il a été impossible d'assigner aucune cause au spasme dont elles
étaient atteintes.
Les symptômes n'ont pas besoin de description, ce sont ceux d'un
clignement forcé et continuellement répété. Les paupières se rapprochent
si souvent que la vision n'a pas le temps de s'accomplir et que le patient
est incapable de se livrer aux occupations qui, comme la lecture et l'écri-
ture, nécessitent une application soutenue et conséquemment une ouverture
suffisante des yeux. Ce mouvement continuel des paupières est disgracieux
et impressionne désagréablement les personnes qui en sont témoins. Il est
BLESSURES. — médecine légale. 297
fatigant, mais non douloureux pour celui qui en est atteint. Il constitue, si
l'on veut, une variété de tic qu'on pourrait appeler tic paîpébral indolent.
Le mouvement s'arrête pendant le sommeil comme celui du clignement
ordinaire. Mais il reprend au réveil et dure toute la journée, tantôt un
peu plus, tantôt un peu moins intense et rapide. On le voit parfois s'ar-
rêter quelques heures, ou même quelques jours, pour reprendre ensuite
avec ténacité.
Ce blépharospasme est très-rebelle et dure longtemps. Chez certaines
personnes, il ne cesse jamais. Chez d'autres, il s'affaiblit peu à peu et
finit par disparaître au bout de quelques années.
Je ne connais pas de traitement efficace. Les lotions avec l'eau de
tilleul et de camomille, les frictions avec les liniments opiacés et chloro-
formés, les narcotiques et la belladone à l'intérieur, tels sont les moyens
dont il est permis de faire usage. Il n'en est aucun dont la supériorité
soit démontrée. Le blépharospasme est une de ces maladies qu'on traite,
mais qu'on ne guérit pas, et pour lesquelles le temps est le plus efficace
des remèdes. L. Gosselin.
BLESSURES. — médecine légale. — Le terme générique de bles-
sures s'applique à toutes lésions produites par une violence extérieure,
quels qu'en soient le siège et la nature. Ces lésions reçoivent, dans le
langage de l'école, la désignation de traumatiques. L'étude générale des
blessures n'aurait, au point de vue de la chirurgie pratique, ni intérêt,
ni utilité; mais il n'en est pas de même en ce qui touche la médecine
légale.
Sous les dénominations de coups et blessures, violences et voies de
fait, de meurtre et d'assassinat, la loi pénale a compris toute une
série de faits extrêmement fréquents, qui constituent des délits ou des
crimes, à l'occasion desquels les constatations médicales sont chaque jour
réclamées par la justice. Nous n'avons pas, nous médecins, à nous préoc-
cuper du texte de la loi et à en commenter les dispositions. Cependant il
est indispensable de faire remarquer que la pénalité, en matière de bles-
sures, repose en partie sur les conséquences qu'elles peuvent avoir, sur
la durée de la maladie ou de l'incapacité de travail qu'elles entraînent
(art. 509, Code pénal), sur la gravité des mutilations ou des infirmités
qu'elles laissent à leur suite (art. 510), et même, dans le cas exceptionnel
prévu par l'article 516, sur la nature de l'organe lésé. Ce sont là, comme
il est facile de le voir, autant de circonstances qui appartiennent essen-
tiellement et exclusivement à l'expertise médico-légale ; et c'est en vue de
celte expertise, en nous efforçant d'en fixer les principes, et d'en faire
comprendre les conditions variées, que nous allons étudier les blessures.
Nous ne suivrons pas l'exemple des auteurs qui ont cru devoir pré-
senter une classification dogmatique des blessures. Loin de servir à en
rendre l'histoire plus claire et l'étude plus facile, ces tentatives ne sont
qu'une complication inutile. Si, en effet, on classe les blessures d'après
leur nature ou leur siège, on sacrifie la médecine légale au point de vue
298 BLESSURES. — médecine légale.
purement chirurgical; si on les divise en légères ou simples, graves ou
mortelles, on circonscrit la question médico-légale elle-même à un point
particulier de l'histoire des blessures, c'est-à-dire à leurs conséquences,
et l'on néglige tous les autres qui ont dans la pratique, ainsi que nous
le montrerons, une importance souvent très-supérieure.
Il nous paraît infiniment plus simple et plus sûr de prendre, pour base
de l'étude des coups et blessures, l'objet de la mission de l'expert, défini
par les termes mêmes dont se sert le magistrat qui fait appel à ses lu-
mières, en le chargeant : 1° de visiter le blessé et de reconnaître l'état où
il se trouve; 2° de constater la nature des blessures; 5° leurs causes;
4° les conséquences qu'elles pourront avoir ; ou, en cas de mort, de pro-
céder à l'examen du cadavre, déterminer les causes de la mort, et dire
si elle est la suite des blessures , et 5° d'établir les circonstances dans
lesquelles les coups ont été portés.
A chacun de ces divers objets se rapportent des questions médico-
légales nombreuses que nous passerons successivement en revue.
A. De LA MANIÈRE DE PROCÉDER AUX VISITES ET CONSTATATIONS EN MATIÈRE
de coups et blessures. — Il est. à peine nécessaire de tracer les règles à
suivre dans l'examen des blessés; celles-ci sont cependant, à certains
égards, distinctes des préceptes qu'enseigne l'art chirurgical. Elles sont
indiquées par les nécessités du problème particulier qu'il s'agit de ré-
soudre, c'est-à-dire par les considérations de siège, d'étendue, de forme,
de direction propres à éclairer l'expert sur la nature, la cause et les con-
séquences des blessures. Avant tout, il importe de prendre toutes les
précautions indispensables pour ne pas nuire à la personne blessée, et
de différer les constatations qui pourraient soit réveiller la douleur, soit
entraver le traitement commencé : il est bon, autant que cela est com-
patible avec les nécessités de l'expertise, de réclamer l'assistance du mé-
decin qui dirige ce traitement. La description de chaque blessure doit
être minutieusement exacte, et reproduire tous les traits qui peuvent la
rendre saisissable à ceux qui auront à prononcer sur le délit ou le crime
auquel elle est imputable. Dans tous les cas, les vêtements du blessé se-
ront examinés; et de cette exploration pourront jaillir des renseigne-
ments utiles, soit que l'on rapproche les solutions de continuité qu'ils
peuvent offrir des blessures reçues, soit que l'on y remarque des taches
d'une nature spéciale.
Enfin, lorsque les blessures ont été suivies de la mort, l'autopsie cada-
vérique devra être pratiquée. Elle seule permettra d'établir avec certitude
que la victime a bien réellement succombé aux coups qui lui ont été
portés, et non à une autre cause. Nous avons dit ailleurs (voy. Autopsie),
d'après quels principes elle devra être opérée.
B. De la nature des blessures. — Constater la nature des blessures
pour le médecin expert, c'est d'une part spécifier les lésions et de l'autre
distinguer celles qui sont le résultat d'une cause externe et violente, de
celles qui sont produites par une cause interne et spontanée; c'est enfin
établir, s'il s'agit d'un cadavre, que la lésion constatée, a été faite sur lin-
BLESSURES. — médecine légale. 299
dividu encore vivant, et n'est pas, au contraire, postérieure à la mort.
De là, trois questions que nous allons examiner rapidement.
1° Quelle est l'espèce de la blessure. — La détermination de
l'espèce delà blessure rentre, à vrai dire, complètement dans la diagnose
chirurgicale. La blessure ne peut être, en effet, qu'une contusion (ecchy-
moses, excoriation, bosse sanguine), une plaie, une fracture, ou une luxa-
tion. Il serait hors de propos de définir chacune d'elles et d'en retracer
les caractères; il y a là une simple application des connaissances géné-
rales.
%° Comment distinguer les lésions de cause externe des
lésions de cause interne. - — Nous n'entrerons pas dans de longs
détails sur cette question, nous nous contenterons de rappeler que les
fractures et les luxations qui sont le plus ordinairement produites par des
violences, peuvent aussi survenir spontanément, mais dans des condi-
tions toutes spéciales de diathèse ou de cachexie, ou avec des désordres
profonds et de longue durée.
En regard des plaies ou solutions de continuité des parties molles que
détermine un instrument vulnérant, il convient de placer les ulcéra-
tions ; et si la confusion paraît impossible quand il s'agit de lésions ré-
centes de l'une ou de l'autre espèce, il peut arriver qu'après un certain
temps et sous l'influence d'un état particulier de la constitution, les ca-
ractères des plaies s'effacent, et qu'il faille une certaine attention pour
ne pas se méprendre sur leur nature véritable.
Enfin, le signe essentiel de la contusion, l'ecchymose, se montre elle-
même dans diverses maladies de cause interne, le purpura, le scorbut,
l'hémophylie, l'érythème noueux, la fièvre synoque simple. Les ecchy-
moses dans ces différents cas, qu'elles soient de cause interne ou de cause
externe, ne sont pas distinctes par elles-mêmes, c'est-à-dire par l'extrava-
sation sanguine qui les constitue. Mais elles présentent des différences, en
général, faciles à saisir. Leur nombre est beaucoup plus considérable lors-
que les ecchymoses reconnaissent pour cause une affection spontanée.
Leur siège est variable; elles sont disséminées au hasard, sans relation
aveo une action locale, leur forme est plus régulière ; elles sont géné-
ralement arrondies, tantôt ponctuées dans le purpura, tantôt diffuses
dans le scorbut ou l'érythème noueux; la contusion, au contraire, déter-
mine des ecchymoses, le plus souvent irrégulières dans leur étendue et
dans leur forme, à moins qu'elles ne reproduisent celles de l'instrument
contondant, à l'aide duquel les coups ont été portés. Enfin, les condi-
tions de production de l'extravasation sanguine non traumatique sont
suffisamment connues, et nous n'avons pas à énumérer ici les signes
caractéristiques des maladies que nous venons de citer.
3° Comment distinguer les lésions faites pendant la vie
de celles qui sont postérieures à la mort? — Il est d'une
extrême importance, dans la pratique de la médecine légale, de savoir
distinguer les lésions faites sur le vivant de celles qui sont postérieures à
la mort. Les erreurs sur ce point sont nombreuses et fréquentes, et
500 BLESSURES. — médecine légale.
cependant un peu d'attention suffit pour les éviter. La question demande
d'ailleurs à être étudiée d'une manière particulière dans chaque espèce
de blessure. Il est bien entendu qu'il ne s'agit ici que des lésions externes,
de celles que l'on peut constater à l'extérieur du cadavre ; et que le même
problème se reproduira et devra être traité pour chaque genre de mort
violente, strangulation, pendaison, empoisonnement, etc.
Contusions. — Les contusions faites pendant la vie se distinguent de
celles qui ont suivi la mort, qu'elles s'accompagnent d'ecchymoses ou
d'excoriations. En effet, s'il est possible de déterminer sur un cadavre,
surtout si la vie n'est éteinte que depuis peu de temps, des extravasations
sanguines, ainsi que Christison et après lui Orfila l'ont démontré expé-
rimentalement, celles-ci n'ont rien de commun avec les ecchymoses que
forme un coup porté sur le vivant. D'un autre côté, des changements de
couleur des téguments, lividités, vergettures, sugillations se développent
sur le cadavre, avant même que la décomposition putride l'ait envahi;
mais ces taches affectent un siège particulier sur les parties postérieures
et déclives, à la partie interne des membres. Le sang que l'on trouve tou-
jours coagulé dans les tissus où il s'est épanché pendant la vie est fluide,
quand il se répand par imbibition dans les organes du cadavre. C'est là
un fait constant, et je ne peux m'expliquer l'erreur capitale de Casper,
qui en a contesté la réalité, et qui confondant tantôt la dessiccation du
sang avec la coagulation, tantôt la mort rapide avec la mort subite, a cru
pouvoir avancer que le sang extravasé pouvait se coaguler même après la
mort. Ajoutons que la coloration résultant de l'infiltration du sang persiste
quand celle-ci a eu lieu sur le vivant, tandis que, dans le cas contraire,
elle disparaît par la simple macération dans l'eau.
Quant à l'autre caractère de la contusion, l'excoriation, elle peut aussi
être produite après la mort par un choc, une traction, un froissement
violent, mais alors, au lieu d'une surface sanguinolente où le derme dé-
nudé se montre à vif et d'un rouge plus ou moins marqué, on ne trouve
qu'une partie décolorée, sèche, et comme parcheminée.
Plaies. — Les plaies peuvent être distinguées des déchirures ou solu-
tions de continuité faites après la mort, en ce que celles-ci sont pâles et
livides, et que leurs bords, incomplètement rétractés , ne sont pas infil-
trés de sang. Sur ce dernier point, le professeur G. Tourdes, examinant
le corps d'un homme qui avait été exécuté la veille, a noté au niveau de
la décollation une inégale rétraction des muscles et point d'ecchymose
intermusculaire. Le cœur était vide; quelques caillots rougeâtres et un
peu de sang spumeux était contenu dans les bronches. Mais cette excep-
tion n'est qu'apparente ; le supplicié ne peut être assimilé à un individu
blessé vivant. En effet, aucun acte vital ne suit la blessure, et de plus le
corps s'est presque complètement vidé de sang.
Les plaies faites pendant la vie ne sont pas moins différentes des
destructions partielles du tégument qui résultent de la putréfaction dans
l'eau, ni des morsures faites sur les cadavres par certains animaux, tels
que les rats, les chats ou les porcs.
BLESSURES. — médecine légale. 501
Fractures. — L'état des fragments osseux et des parties voisines dif-
fère notablement dans les fractures faites soit avant, soit après la mort.
Dans le premier cas, les extrémités des os brisés sont infiltrées de sang
dans une étendue variable, et les muscles qui les entourent sont également
le siège d'un épanchement sanguin. Les os des cadavres, au contraire,
restent pâles et décolorés dans les points où ils sont fracturés.
Des causes des blessures. — Au point de vue de la médecine légale,
rechercher la cause d'une blessure c'est déterminer les conditions maté-
rielles physiques dans lesquelles elle s'est produite, Parme ou l'instru-
ment à l'aide desquels elle a été faite, et résoudre les questions suivantes.
4° Quelles sont les causes physiques des blessures? —
Les causes physiques des blessures, peuvent être rapportées aux modes
suivants : la précipitation d'un lieu élevé ; l'écrasement ; les effets des
moteurs mécaniques et les accidents de chemins de fer.
Dans les chutes d'un lieu élevé, dans les écrasements par de lourdes
masses ou par des voitures, les désordres extérieurs contrastent, par leur
multiplicité et leur étendue, avec l'absence ordinaire de toute lésion et de
toute trace extérieure. Une roue peut passer sur la poitrine ou sur le
ventre sans que la peau en conserve la moindre empreinte. Mais des
lésions profondes attestent la violence de la cause vulnérante. Les muscles
sous-jacents peuvent être broyés et remplis de sang épanché. Les viscères
sont le siège de déchirures multiples. A la suite des chutes faites d'un
lieu élevé, le foie, les reins, la rate sont rompus d'une manière irré-
gulière et donnent lieu à des hémorrhagies considérables. Les poumons se
déchirent même dans des points où les côtes ne sont pas fracturées, et il en
résulte un emphysème, un épanchement de sang et d'air dans les plèvres
de la dyspnée, des hérnoptysies, parfois même des pneumonies trauma-
tiques. J'ai noté, chez des individus, morts par écrasement de la poi-
trine, des ecchymoses sous-pleurales analogues à celles que produit la
suffocation. Enfin on a vu, dans des cas semblables, des ruptures du cœur,
et principalement des oreillettes. Casper a rapporté l'exemple extraordi-
naire d'un homme lancé contre un arbre par un cheval emporté, et chez
lequel, sans aucune lésion extérieure, on trouva une fracture de la pre-
mière vertèbre dorsale, le péricarde détaché dans toute sa hauteur le
cœur séparé des vaisseaux et libre dans la cavité pectorale, l'ouverture
des gros vaisseaux béante; le poumon gauche et le foie profondément
déchirés, enlin un énorme épanchement de sang.
Les machines en mouvement, causes de tant de blessures accidentelles
dans les fabriques, produisent des lésions locales plus ou moins étendues
des arrachements, des mutilations parfois énormes.
Mais une place à part est due, dans cette étude des causes des bles-
sures, aux accidents de chemins de fer, dont le nombre croissant augmente
l'intérêt, et qui soulèvent des questions de responsabilité pour la solution
desquelles l'intervention du médecin expert est nécessairement réclamée.
A ces divers titres, ce sujet mérite de nous arrêter.
Les cas sont variables, tant au point de vue de la nature de l'accident
302 BLESSURES. — médecine légale.
que eu égard aux individus blessés. Tantôt il s'agit de blessures sans
caractères spéciaux, tels que celles qui peuvent atteindre, dans les
ateliers, les serruriers, les ferreurs de voitures, les ouvriers de tous
genres; tantôt il s'agit d'accidents isolés, qui frappent, en gare ou sur la
voie, les hommes d'équipes , les terrassiers , et qui consistent en écrase-
ments, coups de tampon, pression contre les quais, dans la manœuvre
des plaques tournantes et la formation des trains. On voit se produire
alors des contusions des reins, du ventre et de la poitrine ; des fractures
des côtes ou du bassin, et consécutivement des hernies, des éventrations,
des paralysies plus ou moins étendues. Sur les trains mêmes, les méca-
niciens, les chauffeurs, les employés des bureaux mobiles, les voyageurs
peuvent aussi être blessés isolément soit par une chute accidentelle, soit
par un choc qui détermine des fractures simples ou compliquées.
Mais les accidents généraux, tels que déraillements, rencontre de trains
en marche, qui ont pris parfois la proportion de catastrophes publiques,
leurs conséquences sont bien autrement graves. Chez les victimes de ces
désastres, il importe de distinguer les suites immédiates et les suites
éloignées de l'accident. Pour les premières , on constaste des contusions
plus ou moins profondes, des plaies multiples, des fractures comminu-
tives, des mutilations. Les blessures portent spécialement sur les mem-
bres inférieurs. Mais à ces lésions s'ajoutent fréquemment de la commo-
tion, de la fièvre et des troubles nerveux variés. Quant aux suites éloi-
gnées, elles sont spécialement caractérisées par la persistance prolongée
des désordres fonctionnels dont nous venons de parler. L'ébranlement
nerveux, des douleurs de tête, des vertiges, des étouffements, la perte de
la mémoire, la paralysie. Chez les femmes, il n'est pas rare que les acci-
dents de chemin de fer déterminent des fausses couches et des troubles
de la menstruation.
&° De quelle espèce est l'instrument vulnérant! — Des ca-
ractères spéciaux signalent les blessures faites par les divers armes et
instruments contondants, tranchants, piquants, agissant par arrachement,
armes à feu. Nous allons passer en revue ces différents caractères, en
faisant remarquer par avance qu'ils varient suivant l'époque à laquelle a
lieu l'examen de la blessure, et que ce qui va suivre s'applique princi-
palement aux blessures récentes.
Blessures par instruments contondants. — Les instruments contondants,
dont les effets s'offrent à l'observation du médecin légiste, sont d'une
infinie variété. En première ligne, il faut citer ceux que l'on a appelés
les armes naturelles, les mains, les poings, les pieds; puis les bâtons,
marteaux, merlins, les pierres, une masse quelconque. En raison de
cette diversité même, les signes des blessures laites par les instruments
contondants, varient dans les différents cas et sont difficiles à tracer
d'une manière générale. Cependant ces blessures, sont reconnaissables à
l'ecchymose, dont la forme particulière reproduit assez exactement celle
de l'instrument vulnérant; à la bosse sanguine, ou à Pépanchement san-
guin profond du sang, à l'excoriation et à la plaie contuse avec ou sans
BLESSURES. — médecine légale. 503
lambeaux dont nous n'avons pas à donner les caractères spéciaux ; enfin
aux lésions des parties osseuses, enfoncement ou fracture. Il est à remar-
quer, toutefois, que l'espèce de l'instrument contondant s'accuse dans ses
effets, et que le poids de la masse se mesure en quelque sorte par les
désordres produits.
Blessures par instruments tranchants. — Que l'instrument tranchant
soit un couteau, un rasoir, un sabre, un tranchet, qui n'agissent que par
le plein de leur lame, un poignard qui peut agir par la pointe, et une
hache, ou une pioche qui peuvent agir à la fois comme instrument con-
tondant et tranchant, les blessures de cette catégorie consistent en des
plaies dont la profondeur et l'étendue peuvent varier, mais dont les bords
sont nets, les angles plus ou moins aigus, se terminant parfois par un
prolongement de moins en moins profond. Les bords des plaies faites
par un instrument tranchant sont toujours plus ou moins écartés ; mais
il est utile de faire remarquer que cet écartement n'est pas en rapport avec
l'épaisseur de la lame. Il tient surtout à la tension des tissus divisés et à
la direction de leurs fibres, et il est d'autant plus considérable que la
solution de continuité est plus exactement perpendiculaire à cette direc-
tion. Les plaies faites avec des ciseaux ont ce caractère spécial d'être
doubles et formant un lambeau triangulaire dont le sommet est souvent
mousse. Enfin, les instruments tranchants peuvent opérer une section
complète, une mutilation des parties atteintes.
Blessures par instruments piquants. — Les instruments piquants ou
perforants, comme quelques auteurs les appellent, sont de nature très-
variée, depuis les armes usuelles, telles que l'épée, le fleuret; la baïon-
nette, jusqu'aux outils des diverses professions, le compas, le tire-point,
le poinçon, la lime, la fraise du serrurier.
Le caractère général des plaies faites par des instruments piquants,
c'est leur étroitesse ; leur forme est ordinairement semblable à celle de
l'instrument vulnérant. La plaie faite par une baïonnette ou un compas
est triangulaire ; celle que fait un fleuret est anguleuse et carrée. Mais,
dans certains cas et suivant la partie blessée, la forme de la plaie peut
différer de celle de l'instrument, un poinçon rond peut faire une plaie
elliptique. Souvent un même instrument peut être à la fois piquant et
tranchant, comme un couteau ou un poignard, et la blessure présente alors
des particularités qu'il est bon de connaître. Si la lame est introduite par
la pointe, les angles de la plaie varieront suivant que l'instrument offrira
un tranchant simple ou double. Au dos de la lame correspondra un angle
tronqué, au tranchant un angle très-aigu.
Blessures par arrachement. — Il importe déranger à part les blessures
par arrachement que l'on a souvent l'occasion de rencontrer dans la pra-
tique de la médecine légale, les blessures faites par les dents, par les
ongles, par des coups de crocs ou de crochets, par des engrenages méca-
niques, etc. L'action de ces divers instruments donne lieu à des pertes
de substance plus ou moins profondes, à des plaies à lambeaux plus ou
moins étendus, à des ablations d'où résultent des surfaces inégales, des
504 BLESSURES. — médecine légale.
rétractions et des saillies des tissus lacérés. Les dents et les ongles lais-
sent des marques dont la forme est caractéristique et connue de tous. Il
n'y a d'ailleurs pas d'hémorrhagie et souvent une infiltration sanguine à
peine marquée.
Blessures par armes à feu. — Les blessures par armes à l'eu forment
une catégorie très-particulière et très-importante parmi les faits que le
médecin légiste est appelé à étudier, et soulève des questions de plusieurs
ordres. L'arme ici se décompose, en effet, et comprend d'une part l'in-
strument de projection, fusil, carabine, pistolet, et d'une autre part le
projectile, balle, chevrotine, plomb.
Les effets des projectiles lancés par les armes à feu ne sont pas exclu-
sivement du domaine du médecin, et souvent dans les affaires crimi-
nelles où il s'agit de blessures de cette nature, des expertises complexes
deviennent nécessaires et exigent l'intervention d'hommes spéciaux, offi-
ciers d'artillerie, armuriers, chimistes. Ce n'est pas sur la partie de l'ex-
pertise qui leur appartient que nous devons insister; nous nous conten-
terons d'exposer les caractères généraux des blessures par armes à feu.
Ces caractères varient d'une manière considérable suivant la distance
à laquelle le coup est tiré et suivant la nature du projectile. Il est indis-
pensable d'entrer à ce double point de vue dans des détails précis.
L'arme à feu peut être déchargée à bout touchant, à petite distance, ou
à grande distance.
Le tir à bout touchant, suivant l'expression juste et bien trouvée de
M. H. Larrey, est très-rare dans le vrai sens du mot. Cependant les cas
où on l'observe intéressent la médecine légale, car ce sont très-ordinai-
rement des cas de suicide ; et ils offrent ceci de particulier que, si le
canon de l'arme est fortement appliqué, le projectile peut ne pas péné-
trer, la balle tomber par terre et la partie blessée ne recevoir qu'une
simple contusion.
Lorsque le coup de feu est tiré à une petite distance, il produit, outre
la blessure, deux effets qui s'ajoutent aux caractères de celle-ci. D'une
part, en raison de la combustion incomplète de la poudre, des grains
non brûlés sont projetés et s'incrustent dans la peau en la noircissant;
de l'autre, la chaleur qui se dégage se fait sentir d'autant plus fortement
que la distance est moindre et peut aller jusqu'à brûler les cheveux, les
sourcils, les téguments, les vêtements eux-mêmes. Cette conflagration
des parties atteintes par un coup de feu a été l'objet d observations et
d'expériences qui ont pour le médecin légiste un intérêt considérable.
Dans certains faits de suicide rapportés par Brierre de Boismont, on
voit un coup de pistolet tiré dans la bouche enflammer la portion des
vêtements qui touchent le col, et brûler cette région, la poitrine et le
menton; le feu a pu même gagner les vêtements et de là s'étendre aux
meubles de l'appartement. M. Laforèt de Lavit a communiqué à l' Académie
impériale de médecine, à la lin de l'année 1859, trois faits de même na-
ture. Dans l'un, il s'agissait d'un suicide : un coup de fusil tiré dans le
coté gauche de la poitrine avait brûlé le cadavre, les habits et une haie
BLESSURES. MÉDECINE LÉGALE. 505
de genêt épineux contre laquelle le corps était tombé. Celui-ci était rôti
et comme raccourci, les vêtements réduits en cendre et la haie consu-
mée dans une étendue de quatre mètres. Le feu mis par la bourre avait
été entretenu par de la paille répandue sur le sol. Dans le second, chez
une femme qui s'était tuée à l'aide d'un fusil de chasse, le tablier était
incendié par la déflagration de la poudre du bassinet. Enfin le troisième
est encore le suicide d'une femme : un coup de fusil tiré sous le menton
avait brûlé le fichu, la partie supérieure et les manches de la chemise, la
poitrine, le côté interne des bras, et le cou dans une grande étendue et à
une grande profondeur.
Le fait de la conflagration des parties atteintes par un coup de feu n'est
donc pas douteux ; mais la question la plus importante pour la méde-
cine légale est celle de la distance à laquelle cette conflagration peut
avoir lieu. Des expérimentations entreprises à l'occasion d'affaires judi-
ciaires, si elles ne l'ont pas résolue d'une manière absolue, sont cepen-
dant de nature à l'éclairer. Ainsi, dans l'affaire Peytel, les capitaines Cy-
vort et Guilland, en vue de déterminer la distance à laquelle avait pu être
tiré un coup qui avait brûlé les cils, les sourcils et la peau, se livrent à
des essais sur des feuilles de papier, sur des cheveux, et constatent qu'à la
distance de seize centimètres le papier prend feu souvent, les cheveux tou-
jours. Parmi les expériences du docteur Lachèse (d'Angers), qui a fait beau-
coup pour l'histoire médico-légale des blessures par armes à feu, on en
trouve une dans laquelle un coup de fusil tiré à trois centimètres de l'ab-
domen a mis le feu à une grosse toile en double qui le recouvrait. Enfin
Devergie, à l'occasion d'un fait dont l'appréciation avait été soumise à
l'Académie impériale de médecine, en 1859, par le procureur impérial
d'Auch, a entrepris une série d'expériences que nous avons consignées
dans le rapport dont nous avons eu l'honneur d'être chargé par la com-
mission académique. Il est résulté de ces expériences qu'à de petites dis-
tances, six centimètres environ, le coup de feu peut enflammer les vête-
ments qu'il touche au niveau du trou fait par les projectiles, et que la
combustion peut alors se propager dans une certaine étendue.
Dans les coups de feu tirés à petite distance, la nature du projectile
n'entraîne pas de notables différences. Ainsi l'effet est le même que le
projectile soit unique ou multiple. C'est le cas où les grains d'une charge
de plomb font balle. Une simple bourre, un corps mou, comme un mor-
ceau de liège, peuvent produire des blessures analogues à celles d'un pro-
jectile métallique. Lachèse a observé ce résultat avec une arme de fort
calibre, très-fortement chargée, tirée à moins de dix-huit centimètres.
J'ai vu moi-même en 1840 une femme à laquelle un coup de fusil chargé
avec un morceau de bouchon, et tiré à la distance de l,ni50, avait fait une
plaie, non pénétrante il est vrai, de la paroi abdominale, mais avec brû-
lure des bords de la plaie et commencement de péritonite.
La plaie par arme à feu déchargée à petite distance est tantôt simple,
tantôt double. Elle est plus ou moins régulièrement arrondie, ayant sou-
vent la forme du projectile. Les bords sont contus, ecchymoses, forte-
NOUV, DICT. MÉD. ET CHin. V. — 20
506 BLESSURES. — médecine légale.
ment meurtris, entourés d'une aréole noircie par la brûlure et par la
poudre incrustée. La plaie résulte d'une perte de substance et non d'une
simple solution de continuité. Le projectile, en pénétrant plus ou moins
profondément, détermine des désordres en général très-étendus des par-
ties molles et des os qu'il traverse ou au milieu desquels il séjourne après
les avoir broyés et brisés. Dans ces blessures qui ne sont ordinairement
accompagnées que d'une perte de sang peu abondante, on trouve le plus
souvent des corps étrangers, soit des débris de projectiles ou des frag-
ments de vêtements entraînés dans la plaie, soit des portions d'os frac-
turés.
Lorsque le coup de feu a été tiré à grande distance, les effets diffèrent
suivant que le projectile est unique ou multiple. Dans le premier cas, la
blessure est unique, composée d'une plaie simple ou double, suivant que
le projectile est entré seulement dans la partie blessée ou qu'il en est
sorti après l'avoir traversée. Elle offre les caractères généraux que nous
venons de décrire ; mais ses bords sont moins fortement contus, et jamais
ils ne sont ni brûlés ni entourés d'une aréole noire. Si le projectile est
multiple, s'il s'agit par exemple d'une cbarge de plomb après un court
trajet de trente-cinq centimètres environ, ebaque grain dispersé suit une
marebe isolée; et, suivant que la distance est plus ou moins éloignée, on
peut voir la surface atteinte déebirée irrégulièrement dans une certaine
étendue ou percée de petits trous réguliers, arrondis, répondant aux di-
mensions du plomb employé. Pour donner un exemple, nous dirons qu'à
quinze pas, une cbarge de plomb n° 8, qui contient en moyenne 505
grains de 2,nm,^0 de diamètre, tirée sur le dos, se dissémine sur toute
l'étendue de cette région.
Ou L'arme saisie a-t-ellc pao produire Ses blessures consta-
tées ? — Nous venons de passer en revue les diverses blessures et leurs
caractères spéciaux suivant la nature de l'instrument vulnérant. L'exper-
tise médico-légale exige quelque ebose de plus. Il ne suffit pas de remon-
ter des caractères de la blessure à la détermination abstraite de la nature
de l'instrument qui l'a faite; il faut encore, lorsque la justice a saisi une
arme dont elle suppose que le meurtrier ait pu se servir, que l'expert se
prononce sur la question de savoir si l'arme saisie a pu produire les
blessures constatées. Il s'appliquera, à cet effet, à recbereber les rapports
de forme et de dimensions qui peuvent exister entre l'instrument et la
blessure. Mais il aura à se mettre en garde contre les ebances d'erreur
qui résultent des caractères exceptionnels que peuvent revêtir dans quel-
ques cas les blessures faites par certaines armes.
C'est ainsi que la blessure par instrument piquant peut consister en
une plaie plus petite que l'instrument qui l'a faite; en une plaie allongée
quand l'instrument est rond, ce qui tient à la direction des fibres divi-
sées. Les plaies faites par un instrument contondant simulent quelque-
fois l'action d'un instrument tranchant, lorsque, par exemple, le coup a
été porté avec une grande force et à l'aide d'un instrument à surface
polie, comme un bâton, sur une région où les parties molles sont peu
BLESSURES. — médecine légale. 7)07
épaisses et soutenues par un plan résistant, comme le cuir chevelu. Dans
ce cas, la section peut être nette et régulière. Par contre, sur des parties
lâches et épaisses, un instrument tranchant, à lame mal affilée, comme
un vieux couteau, un sabre, des ciseaux, peut faire des plaies à bords
mâchés, contus et à angles mousses, analogues à celles que produit d'or-
dinaire un instrument contondant. Dans les blessures du même genre7
une masse ronde peut faire une plaie anguleuse ; j'ai vu une plaie à cinq
branches faite par un casse-tête, et une masse quadraugulaire, un mar-
teau notamment, faire une plaie contuse arrondie.
Les armes à feu elles-mêmes, malgré leurs caractères tranchés, pro-
duisent quelquefois des blessures dont l'apparence insolite est faite pour
tromper au premier abord. La plaie faite par un grain de plomb peut res-
sembler à une piqûre; dans d'autres cas, un projectile peut faire une
sorte d'incision linéaire. Ollivier (d'Angers) a vu une section nette de
l'aorte opérée par deux grains de plomb.
D'ailleurs plusieurs circonstances peuvent dénaturer les caractères des
blessures. En premier lieu, l'inflammation qui s'empare des tissus lésés-
et qui peut modifier l'aspect d'une plaie ou d'une contusion ; le travail
de cicatrisation qui ne permet pas d'en constater les caractères primi-
tifs, d'où découle ce précepte qu'il faut toujours tenir grand compte de
l'époque à laquelle a lieu l'examen d'une blessure ; enfin la mort qui fait
disparaître certains phénomènes de coloration, qui amène le relâchement
des parties et change ainsi les dimensions des plaies ou la situation des
organes blessés.
Il est aussi, et c'est par là que nous terminerons, des particularités
fort difficiles non-seulement à prévenir ou à indiquer d'une manière
théorique, mais encore à apprécier quand elles se produisent, qui sont
de nature à engendrer l'erreur. Nous voulons parler de blessures attribuées
à tort ta l'action d'une arme quelconque, et qui résulteraient simplement
d'un choc ou d'une chute accidentels. Ces cas se rencontrent assez fré-
quemment dans les rixes, par exemple, où des fractures peuvent être
imputées soit à des coups directement portés, soit à la chute qui peut
suivre une lutte corps à corps. Nous aurons à revenir sur ce point. Mais
d'autres faits moins communs peuvent causer à l'expert des embarras
réels. J'en ai rapporté un qui, par sa rareté, est certainement propre à
montrer ce qu'il peut y avoir d'imprévu et de particulièrement délicat
dans les questions qui peuvent être soumises au médecin expert. Il s'agis-
sail d'un spectateur de l'hippodrome de Paris, qui, au mois de sep-
tembre 1858, avait ressenti au coude gauche une douleur violente au
moment de l'explosion d'un canon que l'athlète Vigneron portait sur
son épaule, et qui attribuait la fracture de l'extrémité inférieure de l'hu-
mérus que l'on constatait chez lui à Faction de la bourre lancée par la
poudre dont le canon était chargé. Je n'ai cru pouvoir résoudre la question
qu'à l'aide d'expériences répétées dans des conditions identiques à celles
dans lesquelles se serait produit l'accident, et c'est ainsi que je suis arrivé
à cette conviction que la bourre même forcée ne conservait pas assez de
508 BLESSURES. — médecine légale.
force de projection pour atteindre la place occupée par le blesse et sur-
tout pour déterminer la fracture de l'os du bras; que celle-ci enfin était
le résultat non de l'action du projectile lancé par le canon, mais du choc
violent que s'était donné le spectateur en se rejetant, au moment de l'ex-
plosion, contre la balustrade de bois à laquelle il était adossé.
Des conséquences des blessures. — Les conséquences d'une blessure
en déterminent, ainsi que nous l'avons dit, le degré de criminalité;
elles seules aussi servent de base à la réparation soit pénale, soit civile,
qu'entraîne le fait de la blessure. A ces divers points de vue, les consta-
tations de l'expert doivent porter, d'une manière toute spéciale, sur les
faits qui lui permettront déjuger, aussi sûrement que possible, des suites
que pourront avoir les blessures, quelles que soient leur origine et leur
nature.
C'est à cette partie de l'histoire médico-légale des blessures que se rap-
porte la classification scholastique qui les divise en légères, graves ou
mortelles. Même circonscrite à ce point spécial, cette division est peu
utile; elle manque de netteté et de précision, et n'implique la solution
d'aucune des questions que, en ce qui touche les conséquences des bles-
sures, l'expert peut avoir à résoudre. Nous préférons distinguer les con-
séquences immédiates des conséquences secondaires et celles qui sont
directes de celles qui sont indirectes, en les étudiant, bien entendu, au
point de vue médico-légal et non chirurgical.
9° Quelles ont été ou quelles pourront «îHire a es suites «le
la blessure ? — Nous examinerons ici les suites soit immédiates, soit
secondaires des blessures.
L'appréciation des conséquences immédiates d'une blessure doit être
fondée sur la double considération de l'état local et de l'état général.
A chaque espèce de blessure, contusion, plaie, luxation et fracture, ré-
pondent des degrés de gravité relatifs suivant l'étendue, la profondeur et
la multiplicité des lésions. Les troubles généraux varient également, por-
tant sur le système nerveux, dans les contusions, perte de connaissance,
commotion cérébrale ; hémorrhagies plus ou moins considérables dans les
plaies; douleur, fièvre dans toute lésion traumatique. Enfin, comme
terme de la blessure qui intéresse les organes essentiels à la vie, il faut
prévoir la mort plus ou moins rapide, plus ou moins sûre.
Les blessures entraînent secondairement à leur suite une incapacité de
travail plus ou moins longue, une infirmité curable ou incurable, parfois
la mort tardive.
L'incapacité de travail consécutive aux blessures a été prévue par la loi.
Les modifications apportées en 1865 au Code pénal de notre pays n'ont
pas altéré ce principe. L'échelle des peines est graduée d'après le fait et
d'après la durée de l'incapacité de travail ; et la limite de vingt jours de
maladie reste fixée pour l'un des degrés de la pénalité. Mais ce qui im-
porte au médecin, c'est de savoir ce qu'il doit entendre par l'incapacité
de travail personnel dont parle la loi. Lorsque l'expert a à examiner un
individu qui exerce une profession, ou qui se livre à un travail bien défini,
BLESSURES. — médecine légale. 509
il n'est pas difficile de reconnaître si l'exercice en sera entravé par la bles-
sure. Soit que celle-ci porte un trouble sur la santé générale, soit qu'elle
atteigne seulement les instruments du travail particulier, manuel ou autre,
personnel au blessé. Mais si celui-ci n'a que des occupations sédentaires,
que ne semble pas entraver la blessure ; si même il est sans profession et
n'est astreint à aucun travail, s'en suit-il que l'incapacité ne doive pas
être admise? Ce serait, à notre avis, bien mal comprendre l'esprit et
même la lettre de la loi que de l'interpréter de cette façon étroite. L'expert
doit examiner le blessé au point de vue de l'intégrité de ses fonctions, de
la liberté de ses mouvements et du trouble apporté à son genre de vie
habituel quel qu'il soit. L'existence et la durée de ce trouble réalisent les
conditions de maladie et d'incapacité posées par la loi.
Les infirmités, suivant qu'elles sont plus ou moins graves, passagères
ou permanentes, servent également de base à la répression pénale des
coups et blessures volontaires ; ou à la réparation civile du dommage que
peut causer une blessure faite par imprudence ou par accident. La peine,
en matière de blessures, s'élève quand les violences ont été suivies de
mutilation, amputation ou privation de l'usage d'un membre, cécité,
perte d'un œil, ou autres infirmités permanentes. Mais ce mot d'infir-
mité a besoin d'être clairement défini; et dans les actions fréquentes aux-
quelles donnent lieu en justice les blessures par imprudence, l'expert
doit se diriger d'après des principes certains, s'il veut éviter les difficultés
de plus d'un genre qui se présentent en pareil cas. L'infirmité est consti-
tuée essentiellement par l'impossibilité de reprendre les travaux profes-
sionnels. C'est ici qu'il y a lieu de tenir compte de la nature de la pro-
fession et de l'aptitude que peut conserver le blessé à en exercer une
autre.
Il est un cas spécial où la nature de l'organe lésé constitue par elle-
même une aggravation que la loi a prévue, c'est celui que punit l'ar-
ticle 516 du Code pénal, le crime de castration. La seule chose qu'il soit
utile de faire remarquer a ce sujet, c'est que, au point de vue médico-
légal, la castration n'est pas seulement l'ablation des testicules, comme
l'enseigne la chirurgie, mais la mutilation quelconque des parties sexuelles
de l'homme. C'est la virilité que la loi a voulu protéger; et la section du
membre viril rentre manifestement dans les cas d'infirmité spéciale que
la loi a prévus.
Enfin, la mort peut survenir comme conséquence ultime des bles-
sures; mais la relation de cause à effet est ici plus difficile à établir
et ce dernier point suppose la solution de la question suivante.
8° lia maladie, l'infirmité ou la mort est-elle la consé-
quence directe ou indirecte de la blessure? — « Tout ce qui
« ne dépend pas proprement de la nature de la blessure ne saurait être
« imputé à son auteur, » a écrit Fodéré. Et ce précepte doit encore au-
jourd'hui servir de règle à l'expert dans l'appréciation qu'il lui appartient
de faire des conséquences des blessures. Il est donc du plus haut intérêt
de faire connaître les diverses particularités qui peuvent influer sur ces
310 BLESSURES. — médecine légale.
conséquences et leur imprimer un caractère de gravité que leur nature
primitive ne semblait pas faire prévoir. Celles-ci comprennent les compli-
cations, les conditions individuelles et les' conditions générales.
Complications qui peuvent influer sur les conséquences des blessures. —
Ce serait s'exposer à de graves erreurs que de ne pas tenir compte des
complications de diverse nature qui peuvent influer sur les conséquences
«les blessures. Elles sont tantôt relatives au siège anatomique de la bles-
sure, tantôt en rapport avec la nature spéciale de la blessure, ou entin
sous la dépendance générale de l'état traumatique.
a. Les complications relatives an siège anatomique des blessures doi-
went être étudiées successivement dans chaque région.
A la tète, les plaies du cuir chevelu, les contusions du crâne, même
sans fracture, peuvent être suivies de méningite et d'encéphalite. Mais il
est un genre de blessures qui, en apparence peu graves aux yeux de beau-
coup de personnes, n'exposent pas moins le blessé au développement des
inflammations si redoutables du cerveau et de ses membranes. La prati-
que de la médecine légale nous a appris à en considérer les conséquences
comme très-souvent funestes. Il s'agit des plaies avec lésion des os du
nez et particulièrement de celles qui ont été faites par des instruments pi-
quants. J'ai été appelé à faire les autopsies judiciaires d'une femme morte
de méningite purulente, huit ou neuf jours après avoir reçu un coup de
fourche qui avait traversé les narines et brisé les os propres du nez;
d'un homme mort après dix jours d'une méningo-encéphalite, suite
d'un coup de foret qui avait traversé les os du nez sans pénétrer dans
le cerveau ; d'un autre qui avait succombé après trois semaines d'une
encéphalite consécutive à une fracture des os du nez, causée par un
choc direct. Je me rappelle encore avoir visité à l'hôpital Beaujon, il y a
quelques années, un individu qui avait été frappé au nez avec un instru-
ment piquant de serrurier, connu sous le nom de fraise, et dont la plaie
pénétrante du nez avait été le point de départ d'accidents cérébraux in-
flammatoires formidables.
Les blessures de la poitrine exposent à des inflammations du poumon
ou des plèvres, à des épanchements de sang, d'air ou de sérosité, qui
'peuvent en entraver la guérison. M. G. Tourdes a appelé l'attention sur
la lésion possible de l'artère mammaire interne dans toute la blessure,
située le long du sternum, à un centimètre au moins de cet os, de la
•première à la septième côte, et suffisamment profonde. Il en résulte une
hémorrhagie interne qui a pu, dans certains cas, déterminer la mort
subite.
Nous ne nous étendrons pas sur les blessures des autres régions, le
cou, l'abdomen, dont les complications sont bien connues.
b. Les complications qui sont en rapport avec la nature de la blessure,
doivent être étudiées pour chaque catégorie de blessures.
Dans les contusions on doit craindre la commotion nerveuse, et les pa-
ralysies locales par lésion musculaire.
Les plaies par instruments piquants donnent lieu à des hémorrhagies
BLESSURES. — médecine légale. 511
consécutives, à des anévrysrncs faux consécutifs, que le médecin expert
doit prévoir et qui peuvent changer complètement les conséquences d'une
blessure au premier abord peu grave. J'ai vu une piqûre du pli du coude
faite par une canne à dard déterminer le dix-septième jour, alors que la
cicatrisation de la plaie extérieure était complète, un anévrysme faux,
consécutif.
Les blessures par armes à feu laissent après elles tantôt une commo-
tion, tantôt des déchirures profondes, tantôt des douleurs névralgiques
extrêmement tenaces, qui peuvent persister à l'état de complications ou
d'infirmités incurables.
Les fractures soulèvent très-souvent une question spéciale, très-impor-
tante au point de vue de la détermination de l'incapacité de travail. A
la considérer du point de vue purement chirurgical, il est constant que
toute fracture tiendra le blessé au repos et hors d'état de travailler pen-
dant plus de vingt jours. Mais ce serait mal interpréter l'esprit de la loi,
que de ne pas distinguer entre les fractures qui sont le résultat d'un coup
directement porté et celles qui résultent de la chute indirectement et
accidentellement produite. Dans le second cas, l'expert a le devoir de
faire remarquer que la fracture n'est qu'une conséquence indirecte de la
rixe ou de la lutte ; et la jurisprudence, à Paris du moins, a consacré cette
interprétation. Malheureusement, il n'est pas toujours facile de démon-
trer d'une manière positive que la fracture est ou n'est pas produite par
un coup directement porté. 11 est cependant à cet égard quelques don-
nées utiles à recueillir. C'est presque exclusivement pour les fractures
des membres inférieurs ou pour les fractures du crâne que la question
se pose. Il faut chercher la trace du coup qui se retrouvera en général,
sous la forme d'une contusion, ou d'une empreinte plus ou moins exacte
de l'instrument à l'aide duquel le coup aura été porté. Ce sera souvent
pour les fractures de jambe un coup de pied, un coup de bâton. De
plus, l'infiltration sanguine ou l'épanchement sont beaucoup plus con-
sidérables au niveau de la fracture, quand elle est produite par un
coup direct que quand elle résulte de la chute du corps. Enfin les os
sont brisés dans le point où le coup a été porté et non dans ce que l'on
a coutume de considérer comme le. lieu d'élection; et la solution de
continuité offre ordinairement moins d'obliquité. Quant aux fractures
du crâne, avec plaie de tête, le siège de celle-ci fournit un indice très-
précieux. Car la chute sur la tête ne peut s'opérer qu'en des points déter-
minés, tandis que les coups peuvent atteindre le crâne dans une partie
quelconque.
Les luxations sont des blessures dont la guérison est en général rapide.
Cependant elles déterminent parfois des complications consécutives sur
lesquelles il n'est pas sans intérêt d'insister. Les plus graves sont la pa-
ralysie et Patropilie des membres luxés, probablement par suite de tirail-
lement des nerfs. J'ai eu à visiter un homme de petite taille qui avait été
maltraité par un individu beaucoup plus robuste que lui, renversé et
relevé tour à tour par le bras jusqu'à dilacération et luxation de l'arlicu-
512 BLESSURES. — médecine légale.
lation. Au bout de deux mois je constatai une paralysie et une atrophie
progressive du bras.
c. Enfin, il est des complications générales qui appartiennent à toute
lésion traumatique : l'érysipèle, la lièvre purulente, la gangrène. Et cha-
cun sait que ces complications peuvent survenir même dans des cas de
blessures légères. Ce n'est pas ici le lieu d'entrer dans des développe-
ments qui sont surtout du domaine de la chirurgie pratique.
Conditions individuelles qui peuvent influer directement ou indirecte-
ment sur les conséquences des blessures. — L'âge, la constitution, l'état
de santé, les dispositions morales jouent un rôle considérable dans la
marche des blessures et exercent une influence marquée sur leurs termi-
naisons. Nous ne nous arrêterons que sur les points qui peuvent donner
lieu à quelques applications utiles pour la médecine légale.
L'état de santé antérieur ou actuel d'un individu blessé, soumis à l'exa-
men de l'expert doit être pris en très-sérieuse considération. Certaines
affections constitutionnelles, comme la scrofule et le rachitisme entra-
vent la guérison des blessures. La lésion ancienne de l'organe atteint par
l'instrument vulnérant, telle que la phthisie pulmonaire chez une per-
sonne atteinte d'une plaie de poitrine; une hernie chez un individu qui a
reçu un coup dans le ventre; une maladie intercurrente survenant chez
un blessé, toutes ces conditions diverses doivent appeler l'attention spé-
ciale du médecin légiste.
Je crois utile d'insister particulièrement sur un fait que j'ai déjà si-
gnalé et dont l'importance considérable n'avait pas été suffisamment
appréciée. Je veux parler de l'état d'ivresse de l'individu blessé qui crée
pour lui une condition toute spéciale, et modifie profondément les effets
des coups qu'il peut recevoir. L'ivresse par elle-même est une cause de
mort subite, et il est arrivé souvent qu'un homme ivre succombe à la
suite d une rixe, non par le fait direct de la blessure, mais par les lé-
sions que les excès alcooliques peuvent produire, c'est-à-dire une double
apoplexie méningée et pulmonaire.
J'en ai rassemblé ailleurs de nombreux exemples, parmi lesquels
je ne rappellerai que les deux suivants : Un jeune homme de 19 ans,
très-robuste, reçoit dans une rixe un coup de pelle en fer qui lui fait au
cou une plaie peu profonde. Il meurt presque instantanément, et à l'au-
topsie nous trouvons une hémorrhagie méningée et une congestion pul-
monaire. Un autre qui buvait depuis midi se prend de querelle dans la
soirée avec le marchand de vin qui, dans la lutte, lui porte plusieurs
coups de foret dans le dos. Le blessé rentre chez lui, se couche sans rien
dire, et après avoir ronflé toute la nuit, il expire le lendemain matin.
On ne doutait pas qu'il n'eût succombé à ses blessures; il n'en était rien;
aucune des plaies n'avait pénétré dans la poitrine; la mort était le résultat
d'une double apoplexie pulmonaire et méningée. C'est là en effet la lésion
sinon constante, du moins extrêmement fréquente et caractéristique de
la mort par ivresse. Il faut ajouter comme signes non moins utiles à re-
cueillir dans les autopsies des individus morts en état d'ivresse, l'odeur
BLESSURES. — médecine légale. 513
alcoolique qui s'exhale du cadavre et notamment du cerveau ; et la pré-
sence des matières alimentaires et du vin dans l'estomac. On voit bien
vite de quelle gravité peut être dans une affaire criminelle la constatation
des faits de cette nature dont la signification peut être résumée par la
proposition suivante : si l'ivresse est la cause déterminante des lésions
cérébrales et pulmonaires qui entraînent la mort, il faut, avec toute la
réserve que doit toujours observer l'expert, faire la part de la lutte vio-
lente, de la rixe, de l'émotion, de la colère et parfois de la température
froide non étrangères à la production de l'apoplexie chez les ivrognes que
l'on trouve blessés et morts sur la voie publique.
Conditions générales qui peuvent influer directement ou indirectement
sur les conséquences des blessures. — Fersonne n'ignore que certaines
conditions générales, telles que celles de climat, de saison, peuvent in-
fluer d'une manière plus ou moins directe sur les conséquences des bles-
sures. Mais elles seront bien rarement de nature à tenir place dans l'ap-
préciation médico-légale à laquelle donneront lieu les faits de coups et
blessures.
Il en est une, au contraire, qui doit d'autant plus fixer l'attention de
l'expert, qu'elle est plus délicate à prouver : c'est celle qui résulte du
traitement suivi ou du défaut de soins. 11 est incontestable et incontesté
que toute blessure peut avoir indépendamment de sa nature, des suites
très-différentes, suivant qu'elle aura été bien ou mal soignée ou abandon-
née à elle-même. Mais qui ne voit combien le rôle du médecin légiste
devient ici difficile. Il doit avant tout se tenir sévèrement dans les limi-
tes de sa mission; et en tenant compte des circonstances personnelles
dans lesquelles a pu se trouver le blessé, de la liberté d'action qui ap-
partient à l'homme de l'art aux soins duquel il est confié, il ne pourra
cependant se dispenser d'apprécier la mesure dans laquelle le défaut de
soins ou l'inobservation des règles, le plus généralement admises, ont
pu influer sur la marche, la terminaison et les conséquences d'une bles-
sure.
Des ciuconstances dans lesquelles les blessures ont été faites. —
Nous avons jusqu'ici étudié les blessures en elles-mêmes, et nous nous
sommes appliqué à en fixer les caractères et les causes, ainsi qu'à en ap-
précier les conséquences. Mais ce serait donner une idée bien incomplète
de la mission du médecin expert que de limiter à ces seules données l'his-
toire médico-légale des blessures. La science doit à la justice des rensei-
gnements qu'elle seule peut lui fournir sur les circonstances particulières
dans lesquelles ont été faites les blessures. Toutes les affaires criminelles
donnent lieu, en effet, à des questions de cette nature, très-nombreuses,
très-diverses, qui se rattachent aux particularités du fait lui-même, telle
que l'époque à laquelle la blessure a été faite, la position relative de celui
qui a reçu et de celui qui a porté les coups, le caractère de la lutte, la
distinction des blessures accidentelles et volontaires, du suicide et de
l'homicide. Ces questions ne peuvent être toutes prévues; nous allons
passer en revue les principales, celles qui, dans les cas de meurtre ou
514 BLESSUHES. — médecine légale.
d'assassinat, se posent forcément, et comme d'elles-mêmes, dans toute
expertise médico-légale.
9" A quelle époque remonte la blessure? — Il y a toujours
un grand intérêt à fixer la date d'une blessure et cà déterminer, autant que
cela est possible, l'époque précise à laquelle elle remonte. Gela importe
surtout pour les blessures récentes, et lorsqu'il s'agit d'établir l'identité
au point de vue de la participation au crime d'un individu inculpé de
meurtre, et qui a pu être blessé lui-même dans la lutte. Si la question
est presque insoluble pour les blessures anciennes qui ne peuvent être
rapportées à une date certaine, il n'en est pas de même heureusement
des blessures récentes.
Ainsi les contusions ne deviennent généralement apparentes qu'au bout
de deux, trois ou quatre jours, et tardent souvent d'autant plus qu'elles
sont plus profondes. Il est bon d'être averti de cette circonstance, afin
de ne pas juger seulement d'après l'examen extérieur d'un cadavre, des
coups qui peuvent avoir été portés dans les derniers moments de la vie.
Parfois, dès le premier jour, la peau contuse prend une teinte rouge,
bronzée, qui pourrait faire croire à une ecchymose plus avancée. La colo-
ration de moins en moins foncée de l'ecchymose, qui du noir passe au
bleu, au violet, au jaune, au vert; sa largeur croissante, qui suit en
quelque sorte la dégradation des teintes, permet en général de nommer
assez exactement les différentes phases et, par conséquent, la date d'une
contusion. Toute trace de celle-ci a ordinairement disparu du dixième au
vingtième ou vingt-cinquième jour, rarement davantage. Si la contusion
a donné lieu à une excoriation, c'est d'après la dessiccation de la surface
excoriée que l'on peut juger si elle est plus ou moins ancienne.
Ce n'est pas ici le lieu d'entrer dans les détails techniques propres à
faire connaître les phases successives de la cicatrisation des plaies ou de
la consolidation des fractures. Il nous suffira de rappeler que la durée de
la cicatrisation variera suivant la profondeur et l'étendue de la blessure,
suivant la violence de l 'inflammation et l'abondance de la suppuration ;
que la couleur de la cicatrice différera également suivant le temps écoulé
depuis qu'elle s'est formée, rouge ou violacée d'abord, puis pâlissant
jusqu'à ce qu'elle soit tout à fait blanche, en même temps qu'elle devient
de plus en plus résistante. C'est à ce dernier état de blancheur nacrée et
de dureté que la cicatrice persiste sous la forme indélébile qui caractérise
les blessures très-anciennes. L'expert tiendra compte de toutes ces cir-
constances.
De même, s'il s'agit d'une fracture, l'observation enseigne le temps
que met le cal à se former. Le gonflement, la gêne plus ou moins persis-
tante des mouvements aident aussi à apprécier l'époque à laquelle on peut
faire remonter une fracture ou une luxation.
■ O0 l>aus quelle position relative tlu blessé et de l'agres-
seur les coups ont-ils été portés! — Il est souvent d'une impor-
tance capitale de déterminer quelle était la position relative du blessé et
de celui qui est supposé avoir porté les coups. L'accusation peut trouver
BLESSURES. — MÉDECINE LÉGALE. 515
là un de ses éléments les plus graves, parfois même le seul bon. D'un
autre, l'individu qu'on accuse donne des explications qu'il est du devoir
de l'expert de contrôler. Mais c'est là une question qu'il ne serait guère
possible de résoudre par des principes généraux nécessairement vagues
et incomplets, et qui, dans chaque cas particulier, soulève des difficultés
spéciales. Pour chaque espèce de blessure, il y a à considérer le siège et la
direction de la blessure, l'état des vêtements et la position du cadavre si
le coup a été mortel.
a. La blessure peut avoir été faite par un coup porté directement soit
en avant, soit en arrière, par un individu placé dans la position corres-
pondante. Cependant, dans une lutte à bras le corps, une blessure peut
être faite dans le dos par une personne placée en avant. J'en ai vu plu-
sieurs exemples dont le plus saisissant est celui d'un père qui, après avoir
longtemps abusé de sa fille, décidé à la quitter, et l'embrassant dans une
dernière étreinte, lui plongea dans le dos un couteau qui ouvrit l'aorte
en dedans de l'omoplate gauche.
Les coups portés par la main droite de l'agresseur qui fait vis-à-vis à
sa victime atteignent celle-ci au côté gauche de la tête ou du corps. D'au-
tres fois, des blessures multiples existent sur un seul côté du corps ; c'est
ce que l'on voit chez les individus frappés durant le sommeil. Un char-
retier, gardien de nuit d'une usine, est frappé, dans son lit, de douze
coups de hache sur le côté gauche du crâne. Un autre est trouvé mort
dans sa voiture, sur la route du Bourget, la tète fracassée par des coups
exclusivement portés sur le côté gauche.
Dans quelques cas, la lésion d'une partie isolée, fortuitement accessible,
révèle en quelque sorte la position dans laquelle se trouvait l'individu au
moment où il a été blessé. Un marchand de vins avait été frappé d'un coup
de couteau à trois travers de doigts au-dessus de l'aine droite, pendant
qu'il était sur la pointe des pieds, les bras en l'air, occupé à allumer un
bec de gaz. Tous les viscères abdominaux, attirés en haut par l'élévation
du diaphragme et la tension du ventre, laissaient à découvert Tarière
iliaque externe, qui seule avait été atteinte, sans que les intestins eussent
été le moins du monde intéressés.
b. La direction, la forme et les caractères de la blessure sont des
sources d'indications très -précieuses, qui varient suivant la nature de
l'arme employée.
Elles n'ont pas une grande portée quand il s'agit d'un instrument con-
tondant, pour l'action duquel les conjectures ne peuvent s'établir que sur
l'obliquité de la plaie contuse, et sur la forme de l'empreinte laissée par
l'arme.
Dans les blessures par instruments tranchants, la valeur des signes
fournis par la direction et la forme de la plaie est un peu plus grande. Le
point d'origine est en général marqué par la protondeur plus considérable
de la plaie, qui se termine, au contraire, par une section moins pro-
fonde, et même par une sorte de prolongement linéaire. La blessure est
d'ailleurs soit transversale, soit verticale, soit oblique.
31G BLESSURES. — médecine légale.
Les plaies par instruments piquants sont, au point de vue qui nous oc-
cupe, celles où la position relative du blessé et de l'agresseur est le plus
sûrement indiquée et la plus facile à déterminer. En effet, le trajet de la
blessure à travers les organes suffit pour marquer la direction du coup;
et celle-ci est aisément rapportée à la position qu'occupait celui qui a
frappé. Il faut toutefois, sur ce point, tenir compte de la stature compa-
rative des deux adversaires. Un coup de couteau porté de baut en bas
dans la région cervicale divise la carotide interne ; mais le meurtrier est
très-petit et le blessé de très-haute taille; celui-ci se retirait et avait
déjà descendu deux marches de l'escalier quand il avait été poursuivi et
atteint.
Enfin, nous arrivons à ce qui touche les armes à feu, et nulle part le
problème n'est plus intéressant et plus délicat. Là, en effet, les caractères
et la direction de la blessure ont une importance capitale, et permettent
de fixer dans quelle position et à quelle distance le coup a été tiré.
On sait que la chirurgie apprend à distinguer, dans les blessures par
armes à feu, l'ouverture d'entrée et l'ouverture de sortie ; mais il s'en
faut que la doctrine soit nettement fixée sur ce point; ce qui tient à ce
que l'on n'a pas généralement déterminé, avec assez de précision, les
conditions qui font varier les rapports existants entre les ouvertures
d'entrée et celles de sortie. Elles peuvent différer entre elles et de di-
mensions et de formes. Mais le rapport dans lequel se produisent ces dif-
férences est lui-même variable. Ainsi tantôt l'ouverture d'entrée est plus
étroite que l'ouverture de sortie, tantôt les deux ouvertures sont égales,
tantôt l'ouverture d'entrée est la plus large. La distance et la nature des
parties traversées rendent un compte exact de ces variations. Quand le
coup a été tiré de très-près, jusqu'à trois mètres environ, l'ouverture
d'entrée est plus large que l'ouverture de sortie ; à moyenne distance, les
deux plaies sont de dimensions égales; le coup tiré de loin fait une plaie
d'entrée plus petite que l'ouverture de sortie. C'est ce dernier cas, le plus
fréquent dans les blessures de guerre , qui a prévalu comme doctrine
beaucoup trop absolue. De plus, si le projectile ayant perdu de sa force
rencontre des parties dures avant des parties molles, comme à la face, à
la poitrine, l'ouverture d'entrée pourra être plus large ; si, après avoir
traversé une couche épaise de parties molles, il broie un os et chasse
devant lui les débris osseux, comme dans les membres, l'ouverture de
sortie sera plus grande. Quant aux différences de forme, il faut insister
d'une manière générale sur le renversement des bords de la plaie en
dedans pour l'ouverture d'entrée, en dehors pour l'ouverture de sortie.
De plus, la première, dans un coup tiré à très-petite distance, présente
des bords déchirés et contus ; la seconde, c'est-à-dire l'ouverture de
sortie offre, dans un coup tiré à une grande distance, la déchirure
sans contusion des bords. Enfin, la carbonisation et la brûlure du pour-
tour de la plaie, qui ne se voient qu'à l'ouverture d'entrée, se montrent
constamment dans un tir à 16 centimètres, à peu près toujours de 16 à
32 centimètres. Au delà, et jusqu'à 1 mètre, il n'y a plus de brûlure,
BLESSURES. — médecike légale. 317
mais on peut trouver encore quelques grains noirs incrustés autour de la
plaie.
Le trajet du projectile ne fournit que des indications peu concluantes
pour la direction du coup et la position du tireur; car les projectiles
lancés par les armes à feu sont soumis à des déviations singulières et tout
à fait imprévues ; ils peuvent se diviser en plusieurs fragments; et enfin,
dans le cas de projectiles doubles ou multiples, leur écartement peut
donner lieu à des complications inattendues. L'analyse minutieuse de
chaque fait particulier et l'institution d'expériences dans lesquelles on
cherchera à reproduire les conditions où il s'est produit pourront seules
permettre à l'expert de résoudre les questions qui lui seront posées.
c. L'état des vêtements fournit parfois de très-bons signes pour établir
la position respective de la victime et de l'agresseur. Ainsi, pour terminer
ce qui est relatif aux coups de feu, il est bon de noter que l'ouverture
d'entrée ou de sortie est clairement indiquée sur un vêtement, par un
trou arrondi avec perte de substance du côté de l'entrée, par une simple
fente ou déchirure rectangulaire à la sortie. Pour les autres genres de
blessures, il importe de rapprocher des plaies les solutions de continuité
que peuvent offrir les vêtements, et de noter les différences de niveau ou
d'obliquité qu'elles présentent.
d. Lorsque les coups ont été mortels, et que l'expert a à constater un
meurtre ou un assassinat, la position du cadavre est un indice d'une
grande valeur. Généralement, on admet que la chute du corps a lieu en
avant ou en arrière, suivant que le coup a été porté par-devant ou par
derrière. Cependant il arrive souvent qu'une blessure au front, un coup
de feu notamment, amène la chute sur la face. J'ai déjà cité des exemples
qui montrent que la position dans laquelle l'individu a été frappé est
celle où on le retrouve après sa mort, soit qu'il fut endormi ou étourdi
du premier coup. Chez des pédérastes, chez des femmes tuées au moment
d'un rapprochement sexuel, il n'est pas rare que la situation du cadavre
révèle cette circonstance si grave.
Il est un dernier ordre de preuves que l'on pourrait très-utilement tirer
du siège, du nombre, de la forme et de la disposition des taches de sang
ou autres que l'on trouve soit sur le meurtrier, soit sur les objets qui en-
tourent la victime. Mais c'est là une étude spéciale qui sera plus con-
venablement placée ailleurs (voy. Taches).
11° Dams ciuel ordre les tolessurci* onft-elles été faites? —
L'ordre de succession dans lequel des blessures multiples ont été faites
n'est pas toujours indifférent. Il servirait, s'il était bien établi, à recons-
tituer la scène de violences, et aiderait à suivre le meurtrier à la trace des
coups qu'il aurait portés. Mais cet ordre, s'il n'est pas impossible, n'est
pas toujours facile à déterminer. Des considérations générales sont ici
peu applicables. Il faut faire appel, pour chaque cas particulier, à la
sagacité de l'expert.
Il pourra cependant se guider d'après certaines données : en premier
lieu, la gravité relative des blessures et la constatation de celle qui aura
318 BLESSURES. — médecine légale.
dû entraîner immédiatement la mort on seulement la chute du corps ; la
comparaison du siège des blessures avec la position occupée par le cadavre.
Un homme est tué d'un coup de bâton sur la tête, et présente, outre la
plaie de l'oreille et de la tempe, de petites contusions sur la face et le
nez. Celles-ci sont évidemment consécutives à la première blessure, et
résultent de la chute produite par la commotion cérébrale. Dans des
cas nombreux, on trouve aux mains des victimes des plaies qui annoncent
leur résistance et qui ont manifestement précédé les blessures plus graves
dont la mort a été la conséquence. Parfois, deux blessures sont très-rap-
prochées et toutes semblables; il y a lieu de penser qu'elles ont été faites
coup sur coup et au point de vue de l'ordre de succession, il y a à les
parer non entre elles, mais avec les autres.
Dans le cas de blessures multiples, on peut en rencontrer qui offrent
tous les caractères de blessures faites en pleine vie; d'autres, au con-
traire, qui n'ont atteint qu'une vie presque éteinte, ou même qui sont
postérieures à la mort, ce que permet de juger l'état du sang épanché ou
infiltré dans la plaie, coagulé ou non. Je me souviens, à l'appui de cette
considération, d'avoir fait l'autopsie d'une femme qui avait reçu plus de
vingt blessures, presque toutes à la nuque, par lesquelles avait eu lieu
une hémorrhagie énorme. Un dernier coup lui avait été porté en plein
cœur, et la plaie de cet organe n'avait donné qu'une très-petite quantité
de sang; il était cependant tout à fait vide. On ne pouvait douter que le
cœur n'eût été atteint qu'après les autres parties.
Enfin, nous appellerons l'attention de l'expert sur l'état de l'arme qui
a servi à faire les blessures, et que l'on trouve souvent tordue, épointée,
brisée. En rapprochant l'arme des blessures, on reconnaîtra qu'elle s'est
ainsi faussée, sur une surface osseuse, dans un coup postérieur à ceux qui
avaient été dirigés sur des parties moins résistantes. Un individu assassine
porte quatre blessures faites par un instrument piquant et tranchant :
trois dans la poitrine, où nous constatons notamment une perforation
très-nette du péricarde et du cœur; la quatrième, à la joue et au fond
de cette plaie, dans l'épaisseur de l'os malaire, est enfoncée la pointe
brisée de l'arme. Nous n'hésitons pas à regarder ce coup comme le dernier,
malgré la gravité mortelle de la plaie du cœur.
On le voit, les données à l'aide desquelles peut être résolue la question
de l'ordre de succession des blessures sont variables à l'infini, et ne
peuvent ressortir que des particularités du fait même qu'il s'agit de juger.
î*t° Certains actes ont-ils pu être accomplis par la vic-
time après les blessures reçues? — Dans les mille incidents
dont se compose un drame criminel, il en est qui, sans importance ap-
parente, peuvent acquérir, dans la procédure ou dans les débats judi-
ciaires, une gravité que le vulgaire ne saurait soupçonner, mais que la
pratique de la médecine légale apprend à prévoir. De ce nombre sont les
actes que peuvent permettre à un blessé les coups qu'il a reçus. A-t-il pu
crier, parler, marcher, courir, survivre pendant un temps plus ou moins
long? Le médecin seul, on le comprend, peut répondre à ces questions ;
BLESSURES. — médecine légale. 319
l'expérience lui Fournit des solutions qui déconcertent au premier abord
les principes scientifiques en apparence les mieux établis.
La nature de l'organe lésé est ici le point essentiel. Tantôt la blessure
de l'organe abolit complètement la fonction, telle est la section du
larynx qui détruit la faculté d'émettre des sons ; mais qui n'empêche pas
l'articulation des mots à voix basse et l'émission même de quelques sons,
lorsque les lèvres de la plaie sont rapprochées. Tantôt les organes inté-
ressés sont de ceux que l'on considère comme indispensables à la vie, le
cerveau, la moelle, le cœur, dont il semble que la lésion profonde ne
puisse se concilier avec la conservation même momentanée des fonctions.
Il faut bien savoir, au contraire, que des blessures, même étendues et
nécessairement mortelles de ces organes, sont compatibles avec l'accom-
plissement de certains actes. La commotion et la perte de connaissance
ne sont pas la conséquence nécessaire de toute plaie de tête, même avec
fracture du crâne. Madame Peytel, frappée à mort de deux coups de feu
à la tête, a pu courir et crier. Brierre de Boismont cite le cas d'un sui-
cidé qui, après s'être brisé la tempe d'un coup de pistolet, a pu ouvrir
une croisée, monter sur le bord et s'élancer dans l'espace. Des plaies du
cœur n'ont pas empêché les blessés de parcourir une certaine distance;
j'en ai vu un, avec Bayard, qui avait fait au moins cent pas. Une blessure
d'un gros tronc artériel, la carotide, permet ta un jeune homme de descen-
dre un étage et de faire quelques pas dans la rue.
Les mutilations énormes d'autres organes ne s'opposent pas non plus
d'une manière absolue à l'accomplissement de certains actes. Nous avons
rapporté des exemples d'arrachement de la presque totalité des intestins
et de la matrice, qui ont permis de parler et de vivre près d'une heure.
La rupture du diaphragme accompagnée de broiement de la rate, de dé-
chirure des intestins, suite d'écrasement par une voiture lourdement
chargée, a laissé à un pauvre charretier, dontDelmas (de Montpellier) rap-
porte l'observation, le pouvoir de faire deux lieues tantôt à pied, tantôt
sur sa voiture. Et ces exemples ne sont pas absolument rares dans les
annales de la science.
13° Exîsie-t-il fies traces de résistance on fie lutte? — Les
traces de résistance ou de lutte doivent être recherchées sur la victime et
sur l'accusé.
La victime qui résiste cherche à parer les coups avec les mains et les
bras. C'est là qu'il faut chercher des blessures nombreuses dont le siège
est souvent caractéristique. Sur le bord externe de l'avant-bras, dans les
plis de la paume des mains qui ont saisi la lame meurtrière, on trouve
des plaies profondes. Les doigts sont parfois presque entièrement coupés.
Dans bien des cas, le blessé tombe, se traîne à terre et se fait aux genoux,
aux jambes, des excoriations et des contusions.
Mais la victime tente quelquefois de se défendre à l'aide des armes na-
turelles dont l'empreinte peut se retrouver sur la personne de l'accusé.
L'expert, chargé de l'examiner, doit procéder à une visite complète. Il
constatera, le plus souvent, des coups d'ongles au visage et sur les mains ;
520 BLESSURES. — médecine légale.
des coups de pied dans le ventre, aux parties sexuelles ; des morsures aux
doigts et fréquemment des taches de sang.
Lorsqu'il y a eu lutte, l'accusé peut soutenir qu'il n'a porté le coup
qu'en se défendant, et que c'est le blessé qui s'est enferré lui-même. La
question est fréquente dans les duels , et le médecin légiste a à se de-
mander si la blessure, en raison de son siège et de sa direction, a été
faite dans la ligne de combat ou en dehors de cette ligne. Dans une affaire
de cette nature, d'une excessive gravité, Ollivier (d'Angers) avait conclu
à l'enferrement, parce qu'il existait sur le cartilage de la côte une dépres-
sion et une rainure produite par le choc du corps de la victime, venant
heurter de tout son poids contre le fer ; et parce que les muscles sous-
jacents avaient été lacérés par la vacillation du corps. Ce sont là des in-
dices bien subtils et sur lesquels il serait souvent hasardeux de fonder
une appréciation médico-légale. Dans quelques cas, la profondeur de la
blessure et le siège exceptionnel qu'elle occupe fournissent des preuves
plus sérieuses. C'est ainsi que j'ai vu s'accomplir accidentellement un par-
ricide dont j'ai pu démontrer le caractère involontaire. Une pauvre vieille
mère se jette, les bras étendus, entre ses deux fils qui se battaient à coups
de couteaux; et elle reçoit dans l'aisselle, et jusqu'au fond de la poitrine,
le coup que l'un destinait à l'autre.
14° L<es blessures doivent-elles être Imputées à plusieurs
individus ou à un seul? — On comprend de quelle importance il
peut être, au commencement d'une affaire criminelle, de reconnaître si
un meurtre a exigé le concours de plusieurs, ou s'il est l'œuvre d'un seul.
La direction des poursuites dépend du jugement porté par l'expert; et
jamais question plus délicate n'a exigé une plus grande réserve. Nous
ne pouvons qu'insister sur ce précepte général, sans l'appuyer sur des
règles applicables à tous les cas. Nous nous contenterons de poser quelques
principes propres à le guider.
Le nombre même considérable des blessures n'a aucune signification.
J'ai examiné le cadavre d'une femme qui portait près de cent blessures
faites avec des ciseaux. L'identité des lésions indiquait un seul meurtrier.
La diversité des blessures, supposant l'emploi de plusieurs armes diffé-
rentes, peut conduire à la pensée d'un crime commis par plus d'un assassin.
Mais l'erreur à cet égard est facile. Il faut prendre garde que des armes de
forme particulière peuvent laisser des traces irrégulières et assez difficiles
à saisir. L'exemple le plus frappant que j'en puisse citer est celui qu'a
fourni le meurtre de la duchesse de Praslin. Sur le cadavre, on constatait
trois espèces de blessure d'aspect distinct. Des contusions sur le front,
des plaies nombreuses faites avec un instrument tranchant, et enfin,
sur le sommet de la tète, d'autres plaies à lambeaux, en forme de V, qui
simulaient l'emploi de trois instruments vulnérants et, par suite, l'inter-
vention de deux personnes au moins. C'est à cette conclusion qu'inclinaient
les esprits à l'heure des premières constatations. Mais nous ne tardâmes <
pas à montrer que rien n'était moins prouvé ; et le fait vint confirmer
l'opinion des experts qui admettaient la possibilité du crime accompli par
BLESSURES. — médecine légale. 521
un seul. Deux armes seulement avaient été employées, le pommeau d'un
pistolet et un poignard corse dont on s'était servi tantôt par le tranchant,
tantôt par le talon mousse et recourbé de la lame.
Quelques données peuvent enfin être déduites du défaut de résistance
de la victime. Si sa force lui eût permis de lutter contre un seul agres-
seur, et que, dans tel ou tel genre de mort donnée, on ne trouve aucune
trace de lutte, il y a lieu de supposer que plusieurs agresseurs Font as-
saillie.
15' E*es coups ont-ils été portés par une personne très-
vigoureuse et par une niain exercée? — Les circonstances qui
peuvent aider la justice à reconnaître le meurtrier sont souvent, ainsi
que nous l'avons dit, du domaine du médecin expert. La question de
savoir si les coups ont été portés par une personne très-vigoureuse et par
une main exercée est de celles qui sont fréquemment posées à cette in-
tention. Elle peut être résolue par l'appréciation de l'étendue et de la pro-
fondeur de la lésion, comparées à la nature de l'arme employée; la lour-
deur de l'instrument contondant, opposée à ses effets plus ou moins vio-
lents; l'étendue et la profondeur des plaies indiquant la force avec laquelle
a été manié l'instrument piquant ou tranchant.
Quant à l'individualité du meurtrier, elle peut être décelée par la
spécialité de larme appartenant à telle ou telle profession ; le sabre ou la
baïonnette du soldat, l'outil de l'artisan, tranchet du cordonnier, compas
du charpentier, burin du ciseleur, lime ou fraise du serrurier ; l'espèce
de projectile lancé par une arme à feu, plomb de chasse du braconnier
ou du garde, bourre de nature particulière. Dans quelques cas, le siège
et la forme de la blessure indiquent véritablement une main exercée
Deux plaies régulières des carotides , faites avec une grande précisiou
chez une fille juive, ont permis de supposer qu'elle avait été tuée par un
garçon boucher accoutumé à saigner les animaux. Des enfants nouveau-
nés, coupés en morceaux comme un animal destiné à.une préparation cu-
linaire, mettent sur la trace d'une servante infanticide. Nous ne citons
que des exemples ; chaque cas particulier exige des recherches spéciales
et peut susciter de nouvelles suppositions.
16° ILa blessure est-elle accidentelle ou volontaire* ou
iloît-elle être attribuée à tics violences criminelles? — La
dernière question que nous avons à traiter est peut-être la plus grave et
est certainement la plus complexe de celles que nous venons de passer
en revue. Rechercher, en effet, si la blessure et, par suite, la mort, qui
peut en être la conséquence, est le fait d'un accident ou d'un crime, ou
même de la volonté du blessé, c'est remonter à la cause première; et
suivant que la science résout la question dans un sens ou dans l'autre,
le fait devient innocent ou criminel, tombe sous la loi pénale ou donne
ouverture à une réparation pécuniaire; et il est permis de dire que le mé-
decin expert tient dans sa main le sort d'une accusation. Considérées à
ce point de vue, les blessures doivent être divisées en blessures acciden-
telles ou par imprudence, auxquelles se rattache l' homicide involon-
NOUV. DICT. MIÎD. ET CHIIt. V. — 21
522 BLESSURES. — médecine légale.
taire; blessures volontaires, simulées ou artificiellement provoquées, dans
lesquelles rentre la mort volontaire, le suicide ; et enfin, les coups et bles-
sures dues à des violences criminelles, comprenant le meurtre et l'assas-
sinat. 11 convient de plus, dans la pratique, de les distinguer entre elles :
les blessures par imprudence, des coups et violences ; les blessures
simulées ou artificielles, des blessures et infirmités réelles ; le suicide, de
l'homicide.
a. Blessures accidentelles. — Lorsque les blessures sont le fait d'un
accident, deux conditions peuvent se présenter à l'expert. D'une part,
il peut avoir à fixer les bases de la réparation civile; de l'autre, il a à
écarter la supposition d'un crime.
Les blessures accidentelles qui peuvent être imputées à l'imprudence ou
à la négligence, l'homicide involontaire à plus forte raison, donnent droit
à la réparation prévue par la loi civile. Celle-ci se fonde sur l'appréciation
que fait le médecin expert du dommage causé par la blessure, maladie,
incapacité professionnelle, infirmités. Mais cette appréciation offre des
difficultés de plus d'un genre, et commande à l'expert une très-grande
sévérité, car trop souvent, des calculs intéressés, de véritables spécu-
lations se cachent sous les réclamations des blessés. Dans ces sortes d'af-
faires, l'expert, commis par un jugement du tribunal, est requis par le
ministère de l'avoué du demandeur, il doit convoquer les parties, les en-
tendre contradictoirement, prendre connaissance de leurs dires, ainsi que
<les renseignements recueillis dans les enquêtes et contre-enquêtes. Son
rapport, rédigé sur papier timbré, doit énoncer la manière dont il a pro-
cédé et les formalités que nous venons de rappeler, il doit être déposé au
greffe du tribunal. Quant au fait en lui-même, le médecin doit se préoc-
cuper d'en préciser les circonstances, en vue d'établir la part exacte de
responsabilité qui revient au défendeur.
Les cas sont d'ailleurs presque toujours les mêmes. Des accidents de
voiture, écrasement, chute, fractures; des accidents de chemins de fer et
leurs suites toujours si terribles et si longues; les éboulements et enfouis-
sements qui surviennent dans les travaux de terrassement de carrières
ou de mines ; les travaux de construction qui exposent aux chutes du
haut des échafaudages ; les accidents causés par les machines et les mo-
teurs mécaniques, arrachements, mutilations, infirmités toujours graves;
les chocs enfin produits par des projectiles lancés imprudemment sur la
voie publique, et qui peuvent blesser la tète ou entraîner la perte d'un
œil : telles sont en général les espèces à l'occasion desquelles naissent les
questions de dommages à fixer par l'expert, pour le cas de blessures ac-
cidentelles dues à la négligence ou à l'imprudence.
Nous devons mentionner, à côté de ces faits, ceux que, par une ana-
logie un peu forcée et par une interprétation de la loi qui peut paraître
plus rigoureuse qu'équitable, on en a rapprochés pour constituer ce que
l'on a appelé la responsabilité médicale. L'erreur, la faute grossière, l'im-
péritie dans le traitement d'une maladie ou dans la pratique d'une opé-
ration ont été assimilées à une blessure par imprudence et, en cas de
BLESSURES. — médecine légale. 525
mort, à l'homicide involontaire. Ce n'est pas ici le lieu d'aborder cette
question délicate qui devait être seulement rappelée à cette place.
Nous avons dit que les blessures accidentelles pouvaient être quel-
quefois imputées à un crime supposé, et que l'expert devait être en me-
sure de combattre cette erreur, dont les conséquences pourraient être si
funestes; de même que, dans quelques cas, il y avait lieu de ne pas con-
fondre les traces de coups volontaires avec celles des blessures acciden-
telles. Il est fort difficile de poser à cet égard des règles générales et fixes.
Le siège, la forme et le nombre des blessures fournissent cependant des
caractères distinctifs d'une grande valeur, dont l'expérience du médecin
saura tirer partie. Les chutes d'un lieu élevé, les écrasements sur la voie
publique, suivis de mort, simulent parfois un homicide. C'est dans ces cas
que la multiplicité et la profondeur des lésions ne permettraient pas de
se tromper.
Il est une nature de faits délictueux ou criminels, faits trop fréquents,
dans lesquels des mauvais traitements, des sévices exercées sur des en-
fants, sont attribués, par des parents cruels, à des chutes ou à des contu-
sions accidentelles. Ces cas, dont j'ai eu occasion de recueillir un grand
nombre d'exemples, et dont j'ai fait ailleurs une étude particulière, of-
frent des traits vraiment caractéristiques. Le plus souvent, il s'agit de
pauvres petits enfants n'ayant pas atteint leur dixième année , dont le
corps est couvert et comme marbré d'innombrables ecchymoses, d'em-
preintes de verges, de baguettes, de fouet; les oreilles sont arrachés, la
maigreur est extrême, parfois squelettique, la physionomie souffreteuse,
marquée d'une décrépitude précoce ; la constitution tout entière est
altérée, les extrémités gonflées, tous les tissus pâles et exsangues, l'intel-
ligence comme hébétée. Beaucoup de ces malheureux succombent soit à
une dernière violence, telle qu'une luxation des vertèbres cervicales, soit
à l'insuffisance de l'alimentation, et l'on trouve un rétrécissement gé-
néral du calibre de l'estomac et de l'intestin, et un amincissement de
leurs membranes, soit à une affection inflammatoire ou tuberculeuse des
poumons. Cet ensemble si frappant est bien suffisant pour différencier
les violences exercées sur les enfants, des chutes et contusions acci-
dentelles.
b. Blessures volontaires simulées ou provoquées. — La simulation
tient une grande place dans les faits qui sont du ressort de la médecine
légale, et mérite une étude à part. Il y a, en effet, une incontestable
utilité à rapprocher entre eux, et à considérer, dans leurs traits communs,
les cas très-divers où l'expert peut avoir à rechercher et à constater la
simulation. Nous ne nous occuperons ici que d'une façon sommaire de
ce qui touche aux blessures en particulier ; et nous indiquerons les signes
généraux auxquels on peut reconnaître qu'elles sont simulées ou artifi-
ciellement provoquées.
Tantôt un individu se prétend victime d'une agression et montre à
l'appui de sa déclaration mensongère des blessures consistant le plus
souvent en des plaies très-superficielles faites par un instrument tran-
524 BLESSURES. — médecine légale.
chant, dans un lieu accessible à la main du blessé. Parfois c'est un coup
de feu tiré dans les chairs d'un membre à l'aide d'une arme chargée à
poudre; ou mieux, comme je l'ai vu une fois, contenant un projectile de
petite dimension. Dans tous ces cas, il importe de rapprocher de la blessure
l'état des vêtements qui quelquefois par le défaut de concordance des
plaies et des solutions de continuité suffit à déceler la fraude.
D'autres fois en vue de faire croire à un dommage plus considérable et
de spéculer sur une blessure accidentelle ou sur les suites de coups reçus
réellement, la simulation consiste à exagérer ou à aggraver les consé-
quences d'une blessure, soit par la rupture de la cicatrice, ou par des
applications irritantes faites sur une plaie; soit par la simulation d'une
paralysie ou douleur consécutive à une luxation ou à une fracture.
c. Distinction du suicide, de l'homicide et de la mort par accident.
— Personne n'ignore que les divers genres de blessures figurent à un
rang élevé dans la statistique des différents modes de suicide. Il suffira
de rappeler dans l'ordre de leur plus grande fréquence les suicides par
coups de feu, par précipitation d'un lieu élevé, par instrument tranchant
ou aigu, par écrasement.
Les caractères de ces différentes espèces de suicide sont en eux-mêmes
assez tranchés pour fournir le plus souvent des signes distiuctifs suffi-
sants.
Dans les suicides par coups de feu, c'est dans la grande majorité des
cas la tète qui est frappée. L'arme est le plus souvent dirigée dans la
bouche et si l'explosion a eu lieu dans l'intérieur de cette cavité, on ob-
serve une déchirure des commissures et des fissures rayonnées en étoile
sur la voûte du palais. Après la face et le crâne, c'est sur la poitrine,
dans la région du cœur et beaucoup plus rarement au ventre que portent
les blessures suicides par armes à feu. Souvent le coup est tiré à bout por-
tant et l'explosion n'est pas bruyante. Des blessures peuvent être faites
aux mains du suicide par l'arme qui éclate. Et s'il est ordinaire de trouver
celle-ci près du cadavre, il n'est pas sans exemple qu'elle ait été proje-
tée même à une assez grande distance. Il importe de s'enquérir des
conditions matérielles et de la direction dans laquelle le coup est parti.
Ces particularités peuvent être décisives : elles l'ont été dans le cas d'un
individu trouvé mort dans une voiture où il était monté, au retour de
la chasse, avec son fusil chargé, et pour lequel il s'agissait de savoir s'il
y avait eu suicide ou explosion accidentelle de l'arme à feu.
Dans le cas de suicide par précipitation d'un lieu élevé l'expert peut
bien établir le fait de la précipitation par le nombre et le caractère des
lésions; mais il lui est impossible de déterminer si la chute a été volon-
taire ou non. L'existence de blessures ayant notoirement précédé la
chute serait à peine un indice de violence criminelle. Les mêmes consi-
dérations s'appliquent au suicide par écrasement, à l'homme qui se jette
ou que l'on jette sous les roues d'une voiture ou d'une locomotive.
Les suicides accomplis à l'aide d'instruments tranchants ou piquants,
montrent ordinairement des plaies au cou, au cœur, dans la région des
BLESSURES. — médecine légale. 325
grandes artères, au ventre. Les blessures sont placées dans un point que
le blessé peut atteindre, jamais en arrière par exemple ; elles sont pro-
fondes et dirigées de gauche à droite suivant l'action de la main du sui-
cide.
En résumant les signes généraux à l'aide desquels il est permis de dis-
tinguer le suicide de l'homicide, en dehors de chaque mode particulier,
nous ajouterons que la blessure mortelle chez le suicide est ordinairement
unique; mais que cependant on trouve parfois le cœur, les veines et les
artères ouverts ensemble, et que plusieurs plaies mortelles, sur un cadavre,
n'excluent pas toujours d'une manière absolue l'idée du suicide. L'un par
exemple se coupe le cou, se tire un coup de pistolet dans le ventre et se
précipite par la croisée. Un autre se porte quatre coups de poignard dont
deux percent le cœur et se jette à l'eau. Qu'on suppose le corps repêché
après un long temps, quelles ne seront pas les difficultés de l'expertise
médico-légale appelée à décider dans un cas pareil entre le suicide ou l'ho-
micide. Il n'est pas rare de rencontrer dans le cas de mort volontaire une
blessure avortée suivie d'une blessure mortelle, ou un mode plus sûr
employé après un moins certain. Le lieu d'élection des blessures suivant
chaque espèce et tel que nous l'avons précédemment indiquée, la posi-
tion du cadavre, l'absence de toute trace de lutte, l'examen comparatif
des armes et leur situation près du corps, toutes ces données fournissent
des signes d'une valeur réelle.
Enfin pour ne rien omettre dans cette difficile question qui domine
on peut le dire, toute l'histoire médico-légale des blessures, l'expert atta-
chera une sérieuse importance à la constatation de certaines lésions in-
ternes qu'il n'est pas rare de voir coïncider avec la tendance au suicide
d'une part, des lésions cérébrales auxquelles correspondent des troubles
des facultés mentales, de l'autre des affections organiques du foie ou
des autres viscères dont l'influence sur les dispositions morales ne sau-
rait être contestée.
i?° A l'étude des blessures se rattache étroitement, pour une partie
du moins, celles des tacites formées par diverses substances, par du sang
surtout, qui peuvent se trouver sur la victime, sur le meurtrier supposé,
sur des armes ou des objets saisis en sa possession, sur ses vêtements,
sur le lieu où le crime a été commis. L'expert est appelé à en déter-
miner la nature et ce qui n'est pas moins important à établir dans quelles
conditions elles ont été faites. Il reconnaîtra ainsi à l'aide des caractères
physiques, chimiques et microscopiques, les taches de sang, de matière
cérébrale, les débris de peau, de chair, de tissus quelconques, les taches
de terre, de boue, de poussière et de plâtre. D'un autre côté les conditions
dans lesquelles ces diverses taches auront été faites, fourniront un élément
important pour préciser les circonstances du crime et notamment la
position relative de la victime et de l'accusé, la lutte et la résistance,
l'identité de l'accusé, l'emploi de telle ou telle arme, et la simulation
de certaines blessures. Mais les taches au point de vue de la médecine
légale, demandent une étude spéciale à laquelle nous renvoyons en termi-
526 BLESSURES. — bibliographie.
nant (voij. les articles suivants : Brûlures, Contusions, Fractures, Luxationst
Mort, Plaies, Taches).
L'article qui précède a été conçu dans un esprit exclusivement pratique; et en nous attachant
à faire connaître l'objet de la mission du médecin expert dans les cas de coups et blessures,
et à bien poser les questions nombreuses et difficiles que ces faits soulèvent, nous nous sommes
abstenu à dessein d'une exposition historique et d'une reproduction des doctrines ou des obser-
vations des auteurs qui ont avant nous étudié à d'autres points de vue, ou enrichi de faits parti-
culiers l'histoire médico-légale des blessures. Nous leur devons du moins une mention que l'on
trouvera dans la liste que nous allons dresser des principaux travaux relatifs à l'important sujet
que nous venons de traiter.
Traités généraux de médecine légale de Buianr et Chaude, Devergie, Orfila, Fodéré et Casper.
Chaussier, Considérations médico-légales sur l'ecchymose, la sugillation, les contusions, les meur-
trissures, in [Recueil de mémoires, consultations et rapports sur divers sujets de médecine
légale. Paris, 18*24). — Blessure de nécessité mortelle [Bulletin médical de Bordeaux,
janvier 1855. Ann. d'hygiène, 1855, t. XIII, p. 251).
Marc, Rapport sur une blessure simulée [Ann. d'hygiène publique et de médecine légale, 1829,
1" série, t. I, p. 257).
Bresciiet, Questions relatives à la simulation des blessures [Annales d'hygiène, 1855, t'. IX-
p. 417).
Davat (Th.), Mémoire sur un cas de rupture du diaphragme, par suite de blessures graves, et sur
les questions médico-légales qu'elles soulevaient [Arch. gêner, de méd., 1854, t. VI, p. 52).
Boutigny (d'Evreux), Recherches propres à déterminer l'époque à laquelle une arme a été dé-
ebargée [Journ. de chimie médicale. Annales d'hygiène, 1854, t. XI, p. 458). — Sur ce pro-
blème, déterminer combien de temps s'est écoulé depuis qu'un fusil a été tiré [Ann-, 1859,
t. XXI, p. 197). — Nouvelles expériences sur les armes à feu [Annales d'hygiène, t. XXII.
p. 567, ibid., t. XXXIX, p. 582).
Lachèse fils (d'Angers), Observations et expériences sur les plaies produites par des coups de
fusil, chargés à poudre ou à plomb, et tirés à petite distance [Annales d'hygiène, 1856, t. XV,
p. 559).
Ollivier (d'Angers), Consultation médico-légale et observations sur quelques-uns des phéno-
mènes cadavériques qu'on peut confondre avec des lésions accidentelles antérieures à la mort
[Arch. génér. de méd., fév. 1859, et Ann. d'hygiène publique, t. XXII, p. 195). — Mémoire
et observations médico-légales sur les plaies par armes à feu [Ann. d'hygiène, t. XXII, p. 518) .
— Note sur un cas de plaie pénétrante de la poitrine, faite par un instrument piquant et non
tranchant [Annales d'hygiène, 1845, t. XXX, p. 1G9).
Boys de Loury, Affaire de l'assassinat de la dame Renaud [Annales d'hygiène, 1859, t. XXII.
p. 170.
Malle, Essai médico-légal sur les cicatrices [Annales d'hygiène, 1840, t. XXIII, p 409). — Lettre
sur les plaies d'armes à feu [Annales d'hygiène, 1840, t. XXIII, p. 45b).
Devergie (A.), Expertise médico-légale à l'occasion d'un assassinat précédé d'un duel [Annales
d'hygiène, 1842, t. XXYII, p. 508). — Suicide par un instrument tranchant simulant l'homicide
[Ann., t. IY, p. 414). — Recherches sur les plaies d'armes à feu [Bull, de V Acad.de méd.,
10 octobre 1848 ; Annales d'hygiène, 1849, t. XLI, p. 212).
Bayard (H.), Quelques considérations médico-légales sur le diagnostic dilférentiel des ecchymoses
[Annales d'hygiène, 1845, t. XXX, p. 588). — Coup de baïonnette. La blessure est-elle le ré-
sultat d'un coup volontairement porté? ou bien est-elle accidentelle [Revue médico-légale.
Annales d'hygiène, 1847, t. XXXVII, p. 458). — Coup de poignard. Largeur de la plaie
beaucoup plus considérable que celle de l'arme (ibid., p. 461). — Pistolet chargé à poudre,
tiré à bout portant, et deux coups de couteau (ibid., p. 461). — Examen médico-légal de
plusieurs cas de blessures [Ann. d'hygiène, 1848, t. XXXIX, p. 452).
Lemoine (Victor), Rapport médico-légal sur un cas de blessure par arrachement [Ann. d'hygiène,
1847, t XXXVII p. 158).
Tourdes , Des blessures de l'artère mammaire interne, sous le point de vue médico-légal [Ann.
d'hygiène, 1849, t. XLII, p. 165).
Biuerre de Boismoxt (A.), Observations médico-légales sur les diverses espèces de suicides [Ann,
d'hygiène, 1848, t. XL, p. 411).— Du suicide et de la folie suicide, 2e édition. Paris. 1865.
Toulmouche (A.), Des blessures mortelles du ventre, étudiées au point de vue médico-légal [Ann.
d'hygiène, 2e série, t. X, p. 125). — Des plaies pénétrantes de la poitrine, au point de vue
à la fois clinique et médico-légal [Ann. d'hygiène, 2e série, t. XI, p. 456,. — Des lésions du
crâne et de l'organe qu'il renferme, étudiées au point de vue médico-légal [Annales d'hygiène.
2e série, 1859, t. XII, p. 595; et 1860. t. XIII, p. 143 el 599). — Nouvelle étude médico-légale
BOISSONS. — boissons fermentées. 527
sur les difficultés d'appréciation de certaines blessures [Ann. d'hygiène, 2esérie, t. XXV, p. 119).
Tahuieu (Ambroise), Relation médico-légale de l'assassinat de madame la ducbcsse de Praslin et
du suicide de l'accusé [Annales d'hygiène, t. XXXVIII, p. 367). — Observations médico-légales
sur l'état d'ivresse, considéré comme complication des blessures et comme cause de mort prompte
ou subite (Ann., t. XL, p. 590). — Observations et expériences sur les effets d'un coup de canon
chargé à poudre, pour servir à l'histoire médico-légale des blessures par armes à feu [Annales
d'hygiène, 2e série, 1859, t. XI, p. 420). — Étude médico-légale sur les sévices et mauvais
traitements exercés sur des enfants [Annales d'hygiène, 2e série, 1800, t. XIII, p. 361). —
Observations et expériences nouvelles pour servir à l'histoire médico-légale de la combus-
tion du corps humain et des blessures par armes à feu [Annales d'hygiène, 2e série, 1860,
t. XIII, p. 124). — Question médico-légale sur un cas de mort violente par un coup de feu,
survenue soit par le fait d'un suicide, soit par accident [Annales d'hygiène, 2e série, 1860
t. XIII, p. 443).
Ambroise Tardieu.
BliEUE (Maladie). Voy. Argent et Cyanose.
BLEUES (Taches). Voy. Taches.
BOISSONS. — Nom sous lequel on désigne les liquides destinés àêltfè
introduits dans l'estomac, soit pourétancher la soif en réparant les peFte
aqueuses de l'organisme, soit pour favoriser les fonctions digestives en fan-
cilitant la dissolution et l'absorption des substances alimentaires^ soit
enfin comme aliments eux-mêmes ou comme agents thérapeutiques* 89b
Toutefois, ce n'est pas dans un cadre aussi large que sera développée
ici la question qui nous occupe. C'est ainsi que, pour les boissons médi-
camenteuses, nous renverrons le lecteur aux mots : Tisanes, Apozème^
Potions, Juleps, Loochs, etc., n'envisageant le sujet qu'au seul point de
l'hygiène, laissant même de côté, comme devant faire l'objet d'artidte»
spéciaux : les eaux qui sont, il est vrai, employées comme boissdnsy
mais qui servent en outre à d'autres nombreux usages, et aussi les Bouil-
lons, le Lait et le Chocolat qui, selon nous, doivent être considérés côfflame
de véritables aliments, et non comme des boissons proprement ditesuio)
Restreint aux limites que nous venons d'indiquer, cet article eom>4
prendra : 1° les boissons alcooliques; 2° les boissons acidulés; idhtai
boissons aromatiques. t'irp
BOISSONS ALCOOLIQUES. )llÔ
Les boissons alcooliques peuvent être divisées en boissons obtenues
par fermentation et boissons obtenues par fermentation et distillation.
Boissons fermeniéei. — Les boissons fermentées, dont on fait nu
si grand usage dans les différentes parties du globe, sont extrêmement
nombreuses ; quoi qu'il en soit, il ne sera question ici que des princi-
pales boissons consommées en Europe, c'est-à-dire du vin, du cioVe, du
poiré et de la bière. <g*n
A. Vin. — Le vin est une boisson qui résulte de la fermentation aïdoo*
lique du moût ou jus de raisin (Vitis vinifera, de la famille des Afitpé-
lidées).
Composition du (jrain. — Le grain de raisin tapissé d'une efflore^cence
blanchâtre qui le défend contre l'action directe de l'humidité, présente
une enveloppe de cellulose incrustée de matières grasses, cireuses, ttiitië^-
raies et azotées, et sous cette enveloppe une couche de tissu adhérent qui
528 BOISSONS. — boissons fermentées.
contient des matières colorantes qui font virer la couleur du vin du violet
au rouge orangé ou au jaune paille, des huiles essentielles, du tannin et
des matières azotées; enfin, la masse interne du fruit, sorte de pulpe con-
stituée par du tissu cellulaire, renferme de l'eau, du glycose, de l'acide
pectique, de l'albumine, du ferment, des pectates et pectinates de chaux,
de potasse et de soude, des tartrates et paratartrates de potasse, de chaux
et d'alumine, du sulfate de potasse, des chlorures de potassium et de
sodium, du phosphate de chaux, de l'oxyde de fer, de la silice, etc. Dans
cette pulpe, où se ramifient des vaisseaux très-fins, sont engagés deux à
quatre pépins constitués par une amande oléagineuse, recouverte d'un
épisperme ligneux chargé, comme la rafle et les enveloppes du fruit,
d'une assez forte quantité de tannin. Un chimiste italien, Fabroni, a con-
staté, en disséquant le grain du raisin, que le sucre et les matières azotées
que l'on appelle improprement ferment, s'y trouvaient contenus dans
des organes spéciaux. Raspail a confirmé cette observation en montrant
que le sucre existe dans les vaisseaux qui forment le réseau du fruit, tandis
qaie la pulpe elle-même n'en renferme aucune trace.
Vins rouges. — Le raisin préalablement égrappé est ensuite foulé dans
des cuves où la fermentation s'établit. Lorsque le liquide de la cuve ne bout
plus, iqu'il a pris une saveur forte et vineuse, qu'il s'est éclairci, on le
soluime-dans des tonneaux, et l'on passe, à plusieurs reprises, au pressoir,
lerωffCi^ui reste, afin d'en extraire le vin dit de presse.
La dusrée de la fermentation ou plutôt du séjour dans les cuves, de
sefHià^dikkjours, varie suivant les crus et aussi suivant le degré de raa-
lwiié<àek raisins.
-jiâ<rilsQiltiB*Jtle la cuve, le vin est distribué dans des tonneaux placés,
autant sqaàaè^èssible, dans une cave ni trop sèche ni trop humide, où il
continue denfennenter. A mesure que la fermentation s'affaiblit, le vo-
lume du liquifediminue ; on verse alors du vin dans les tonneaux, de
manière qwïïlsi soient toujours pleins, c'est ce qu'on appelle ouiller. Lors-
qu'il ne se produit plus de mouvement sensible, que la liqueur paraît
être en repos, ce vin, quoique encore trouble, peut être considéré comme
fait. Peu ,à<peu4^î^rJs de pulpe, le ferment coagulé, un peu de matières
coj(^'a.utes,\flu|4a^l^^}^^tfate acide de potasse), se précipitent et forment
au roiult(^s,|pr]ncaur\j:pi;ît|9pôt que Ton désigne sous le nom de lie. Pour
éviter <$^î£e%f#j %ej$| #le au vin par l'agitation ou par le change -
men^de^nip^mtu^e^jl^,^ fasse à tourner à l'aigre, on tire le vin à
cf^ir.ai^mq^n &\*rs@yfyft%e.&r£§s vins qui ne sont pas clairs après le souti-
rage, doivent être clarifiés au moyen du collage et soutirés de nouveau dès
g&femy$tefift^ bI ob sjiireài ;
è^méiWam*é& i\PW(m^ Perdent de leur àPreté Par sulte du
collage ; les bons vins en acquièrent plus de finesse.
Quand ks vins sont très-Çorift^t^rtout acerbes ou durs, en raison du
tannin cpi'i)s jeu ferment, «MvipfS. au'qucjt, tout en les clarifiant, au moyen
du sai^g ik bœui'ou de mouton : on;en.v,<?rse un demi-litre tout chauvi da#tfj
la^iè^0Q.n, agite vivement, et on laisse reposer. L'albumine du, sa^g.
BOISSONS. — boissons fermentées. 329
enlève une forte partie du tannin qui se précipite à l'état de tannate
d'albumine insoluble.
Vins blancs. — Les vins blancs sont obtenus avec des raisins blancs,
mais on les fabrique également avec des raisins noirs. Seulement, au lieu
de laisser fermenter le moût sur le marc, on procède au soutirage dès
que le grain est écrasé. Les matières colorantes étant contenues dans F épi-
carpe, c'est-à-dire dans la pellicule extérieure, et ces matières ne se dis-
solvant pas dans l'eau, mais dans l'alcool, on comprend aisément que le
vin obtenu ainsi soit sans couleur, puisque l'épicarpe est enlevé avant
toute fermentation.
Vins de liqueur. — Les vins de liqueur, ou vins sucrés, se préparent
en Italie, en Espagne et dans le midi de la France, avec les raisins très-
sucrés de ces contrées. C'est à la propriété que l'alcool possède d'arrêter
la fermentation alcoolique dans les liquides sucrés, lorsque ceux-ci arri-
vent à en contenir 15 à 20 pour 100, que les vins de liqueurs doivent
de conserver, pour la plupart, une notable proportion de sucre.
Vins mousseux. — Les vins mousseux les plus célèbres sont ceux de
Champagne (Aï, Epernay), d'Arbois en Franche-Comté, et de Saint-Peray
en Languedoc. Les vins mousseux de la Bourgogne, de la Touraine et des
bords du Rhin sont généralement moins estimés. C'est avec du raisin
noir que l'on prépare le vin de Champagne ; mais le pressurage s'exécute
avec la plus grande célérité, et l'on ne destine au vin mousseux blanc
que la mère-goutte. Au moment où l'on met en tonneaux, on ajoute or-
dinairement un litre d'eau-de-vie de Cognac pour 100 litres de moût.
C'est généralement en décembre, par un temps sec et froid, que l'on pro-
cède au premier soutirage et au collage. Celui-ci s'effectue au moyen
d'une solution de 16 gr. d'ichthyocolle pour 200 bouteilles. On soutire
une deuxième et une troisième fois. en janvier et en février. Ce troisième
soutirage est suivi d'un second collage. Enfin, en avril, on met le vin en
bouteilles. Le vin, ainsi embouteillé et parfaitement bouché, est aban-
donné à lui-même pendant huit à dix mois. La fermentation continuant,
il se forme, dans la partie inférieure de la bouteille, un dépôt que l'on
enlève avec précaution, en tenant la bouteille, le col en bas, et laissant
échapper le bouchon avec une petite quantité de vin que l'on remplace
par du vin clair. On bouche de nouveau, et le plus promptement pos-
sible, les bouteilles qui, convenablement ficelées, sont livrées ensuite à
la consommation au bout de cinq ou six moisu,
On prépare aussi, et en quantité qui chaque jour devient plus grande,
des vins mousseux artificiels, en chargeant d'acide carbonique des vins
blancs sucrés et légèrement alcoolisés; Lôrsquiei les produits employés
sont de bonne qualité,- on obtient ainsi des vins rnousseux excellents,
mais qui cependant se distinguent toujours des vrais vins de Champagne,
pa^fô'^éfiiAiijtî quMlshcmt),! uaenfois'Versésfjfide |>e«dr'e<|)pesque immédiate-
ment., ilour mousse. CeUiÇiffabrioaiion- des vins moussé uxi artificiels constitue
anjoiijçdîluùi ?une iric(u$i.fiio jqui a pris de; t^èst-grands 'développements.
ti&qWîlQhUion des. vins, — Un grand nombre/de circonstances fonlvarâêin
550
BOISSONS. — boissons fermeîstées.
la composition des vins : outre la nature du cépage, le procédé de cul-
ture, la latitude, l'exposition, la composition du terrain, et aussi, d'a-
près Bourchardat et de Vergnette-Lamothe, l'élévation au-dessus du ni-
veau de la mer, il faut tenir compte, après la fermentation du moût,
des modilications qui s'accomplissent, avec le temps, par la réaction, les
uns sur les autres, des nombreux principes contenus dans les différentes
sortes de vins.
Par la fermentation, le sucré dissous dans le moût se transforme en
alcool qui demeure dans le vin et en acide carbonique qui se dégage. II
se produit en outre de la glycérine et de l'acide succinique (Pasteur), de
l'acide acétique (Béchamp) et de l'acide œnanthique (Liebig et Pelouze),
lequel, en se transformant en éther œnanthique, donne, dit-on, aux vins
leur odeur vineuse. De plus, on a trouvé dans les derniers produits de la
rectification de l'alcool de vin plusieurs autres alcools congénères tels que
les alcools butyrique, amylique, caproïque, caprylique. Par l'action des
acides et des sels acides du vin sur ces divers alcools, il se produit avec
le temps différents composés éthérés qui interviennent dans la composi-
tion de ce produit complexe que l'on désigne sous le nom de bouquet des
vins. D'après de récentes recherches de Berthelot, le corps qui jouerait
le rôle le plus important dans la formation du bouquet des vins serait un
aldéhyde très-oxydable, comme tous les aldéhydes, se formant, comme
eux, par une première oxydation des alcools, et se détruisant par une oxy-
dation plus avancée.
Voici d'après Bouchardat la composition moyenne d'un vin rouge pour
1000 parties :
878
100
traces
Eau ,
Alcool vinique
— butyrique, amylique, etc
Aldéhydes divers '
Éthers acétique, caprique, caproïque, caprylique, ele
Huiles essentielles, parfums particuliers
Sucres, marmite, glycérine, mucilage, gommes
Matières colorantes
— grasses ■
— azotées .'
Acide tannique
— succinique
— carbonique
Tarlrate acide de potasse (deux à six parties) \
Tarlrates, racemates ]
Acétates, propionates, butyrates, lactates [la plupart
Citrates, malates > avec excès
Sulfates, azotates I d'acide
Phosphates siliceux ]
Chlorures, bromures, iodures, fluorures
Potasse, soude, chaux (traces), magnésie
Alumine, oxyde de fer, ammoniaque
Plusieurs des substances enumérées dans le tableau qui précède
n'entrent, il est vrai, dans les vins que pour quelques fractions de milli-
grammes; quelques-unes même peuvent manquer complètement dans cer-
tains d'entre eux, mais on y rencontre toujours et en proportions plus
BOISSONS. — boissons fermektées. 331
ou moins notables de l'alcool, du tannin* et du tartre. Ce sont ces trois
substances qui donnent aux différents vins les principales qualités parti-
culières à chacun d'eux.
D'une manière générale, on peut dire que les vins rouges diffèrent des
vins blancs par laplus forte proportion de tannin et de matières colorantes
qu'ils renferment, et que les vins de liqueurs se distinguent des précé-
dents en ce qu'ils contiennent du sucre pour la plupart et davantage d'al-
cool. Il est une distinction peut-être encore plus importante à faire entre
les crus des différents vignobles, par exemple entre ceux de la Côte-d'Or
et ceux de la Gironde; entre ces derniers et ceux des côtes du Rhône, etc.
En effet, bien que la quantité de tannin soit moindre dans les vins blancs,
on conçoit cependant qu'il puisse y avoir moins de différence entre tel
vin rouge et tel vin blanc d'un même terroir, entre le Chàteau-Laroze et
le Sauterne par exemple, qu'entre deux vins rouges ou deux vins blancs
appartenant à deux vignobles différents, qu'entre le vin d'Argenteuil et
le vin de Langlade, ou entre le vin de Pouilly et celui de Bergerac. Ce sont
ces considérations qui ont conduit Bouchardat à adopter la classification
suivante :
1. VINS DANS LESQUELS DOMINE UN DES PRINCIPES ESSENTIELS DU VIN.
!vins secs Madère, Marsala.
vins sucrés. . . . Malaga, Banyuls, Lunel.
vins «le paille. . . Arbois, Ermitage.
B. Astringents. ; j avec bouquet. . . Ermitage.
j sans bouquet. . . Cahors.
C a j . \ avec bouquet. . . "Vin du Rhin.
{ sans bouquet. . . Vins de (Jouais, d'Argenleuil
D. Mousseux Champagne, Saint-Peray.
II. VINS MIXTES OU COMPLETS.
| Bourgogne Clos-Vougeot, Mont-Rachet.
A. Avec bouquet. . I Médoc Chàteau-Laroze, Sauterne.
! Midi Langlade, Saint-Georges.
B. Sans bouquet Vins de Bourgogne et de Bordeaux ordinaires.
Le tableau suivant donne les proportions en volumes d'alcool pur con-
tenues dans 100 parties de vins de différents crus et de quelques autres
boissons:
Vin de Marsala 25,83
— de Porto '. 20,00
— de Madère du Cap 18,87
— de Lacryma-ehristi 18,12
— de Xérès 17,63
— rouge de Constance 17,47
— de Bagnols 17,00
— muscat du Cap 16,79
— de Roussillon 16,68
— de Collioure (Pyrénées-Orientales) 16,10
— de Johannisbcrg K> à 16,00
— de Grenache 16,00
— de Madère naturel 15,50
— blanc de l'Ermitage. ... lia 15,50
— de Banyuls (Pyrénées-Orientales) 15,16
— de Malvoisie de Madère 15,08
— de Malaga 15,00
— de Chvpre 15,00
552 BOISSONS. — boissons fermentées.
Vin blanc de Sauternc (Gironde) 15.00
— de Saint-Georges (Côle-d'Or) 15,00
— d'Alicante 13 à 15,00
— blanc de Barsac (Gironde) 14,75
— de Tavel (Haute-Garonne) 14,00
— blanc de Mont-Racbet (Côtc-d'Or) (1840) 14,00
— de Lunel (Hérault) 15,70
— blanc de Bergerac 13,65
— de Nuits (1846) 15;05
— de Narbonne (Pyrénées-Orientales).. 15,00
— de Chablis (1842) ' 12,54
— de Graves (Gironde) 12,50
— de Beaune (Côle-d'Or) ; 12,20
— de Frontignan (Hérault) 11,80
— de Sillery mousseux (Marne) 9 à 11,00
— de Cahors (Lot) (terre calcaire) 11,36
— de Côte-Rôtie (Lyonnais) 11,30
— de Volney (Côle-d'Or) 11,14
— blanc de Mâcon 11,11
— d'Orléans (Loiret) 10,66
— de Cahors (terrain argileux) 10,00
— de Mâcon 10,00
— de Saumur , . 9,90
— de Saint-Émilion (Gironde) (1842) 9,21
— de Léoville Gironde) 9,15
— de Tokay (Hongrie). 9,10
Cidre le plus spiritueux 9,10
— de Brannes-Mouton (Gironde) (1840) 9,00
— de Haut-Brion (Gironde) 9,00
Vins vendus en détail à Paris 8 à 9,00
— de Cbâtcau-Margaux (Gironde) (1840) 8,75
— de Cbàleau-Laflitte (Gironde) 8,70
— de Sancerre (Cher) 8,55
— de Saint-Julien (Gironde) (1838) 8,00
— blanc de Chablis 7,53
Hydromel 6.73
Poiré 6,70
Aie d'Edimbourg 5,70
Cidre le moins spiritueux 4,00
Porter de Londres. . . , 3,90 à 4,50
Bière de Strasbourg 5,50 à 4,50
— de Lille rouge et blanche 2,90 à 3,00
— de Paris (petite et double) 1,00 à 2,50
Petite bière de Londres 1,20
Maladies des vins. — Les vins sont sujets à des altérations spontanées
ou maladies dont les principales sont la graisse, la pousse, l'amer, l'aces-
cence, l'inertie, la fleur.
La graisse atteint particulièrement les vins blancs qui deviennent alors fi-
lants comme du blanc d'oeuf par suite du développement d'une matière or-
ganique, la glaïadine, que l'on peut précipiter en ajoutant au vin une dis-
solution de tannin ou des copeaux de chêne qui en contiennent.
La pousse est une seconde fermentation qui se développe tumultueuse-
ment dans les tonneaux et qui a pour effet de faire tourner le vin à
l'amer. On remédie à la pousse en soutirant le vin dans un tonneau
préalablement soufré ; l'acide sulfureux produit arrête la fermentation.
Les vins rouges en vieillissant tournent quelquefois à Y amer. Cette ma-
ladie, qui affecte communément les vins de Bourgogne, disparaît quel-
BOISSONS. — boissons fermektées. 535
quefois par l'addition d'un peu d'alcool, mais ou y remédie bien plus
sûrement en ajoutant dans le vin altéré du vin nouveau de même
qualité.
Lorsque les vins tournent à Vacescence, il est très-difficile de les gué-
rir; le mieux est de les livrer au vinaigrier. Il n'en est pas de même lors-
qu'ils sont naturellement acides, et qu'ils doivent cette acidité à un excès
d'acide tartrique : on peut alors faire passer celui-ci à l'état de tartrate
acide de potasse, très-peu soluble, par l'addition d'un peu de tartrate de
potasse neutre.
V inertie est l'arrêt de la fermentation du vin. On y remédie en élevant
la température du lieu où s'opère la fermentation.
Enfin on donne le nom de fleurs à ces végétations blanches et très-di-
visées [mycoderma vint) qui se montrent dans les tonneaux en vidange
ou dans les bouteilles mal bouchées et qui sont dues par conséquent à
l'action de l'air sur les vins. Pour se débarrasser des fleurs, il suffit de
remplir complètement le tonneau, les fleurs viennent à la surface et, au
moyen d'un coup de genou donné au fût, on les fait disparaître.
Dans ses recherches sur les maladies des vins, Pasteur avait constaté
que les vins ne deviennent malades qu'en raison de la présence, dans leur
sein, d'un des ferments mycodermiques dont il a donné la description ;
qu'ils restent tolérables lorsque la quantité de ferment n'est pas trop
grande; qu'ils s'altèrent, au contraire, profondément au point de ne
plus être buvables, quand les ferments s'y trouvent par trop abondants.
Ayant soumis les vins, pendant quelques heures, à l'action d'une chaleur
de 50 à GO degrés, moyen qui, du reste, a été employé également par
M. Vergnette de Lamotte, il remarqua qu'ils s'étaient améliorés et étaient
devenus beaucoup moins altérables. Le moyen est facile à appliquer,
même dans un espace assez étroit, à un nombre considérable de bou-
teilles. On a une petite étuve chauffée à 60 degrés; on y met les bouteilles
bien remplies et exactement bouchées et ficelées; au bout de quelques
heures, on détache les ficelles, on coupe les bouchons, on cachette, et
l'opération est terminée.
Essais des vins. — Il est peu de substances qui soient sujettes à autant
de fraudes que les vins. On déguise la verdeur des vins de mauvaise qua-
lité, on relève la saveur des vins plats, on ajoute de l'eau aux vins forts,
on aromatise les vins communs et on modifie leur couleur avec des sub-
stances tinctoriales ou des sucs végétaux ; quelquefois même, dans les
grandes villes, on fabrique des vins sans raisin, au moyen de mélanges
d'eau, de sucre, d'alcool, de vinaigre et de matières colorantes diverses.
Mais la pratique la plus commune consiste à mélanger plusieurs espèces
de vins dans le but d'obtenir des vins de cuvée destinés au détail. A Paris,
on coupe les gros vins d'Auvergne, de Brie, d'Orléans, etc., avec les vins
blancs légers de la basse Bourgogne, del'Anjou, etc. Les vins de Bordeaux
sont imités en mélangeant 2/3 ou 5/4 de vin blanc de l'île de Ré, de Graves
et autres et I/o ou 1/4 de gros vins rouges du Roussillon, du Languedoc
ou du Blésois, dite vins teinturiers; ce mélange est ensuite additionné
354 BOISSONS — boissons fermentées.
d'eau et rechauffé avec du trois-six. Les vins que l'on imite le plus facile-
ment sont les vins d'Alicante, de Malaga, de Grenache, de Madère et en
général tous les vins de liqueur. On y a si bien réussi qu'il est quelque-
fois impossible aux plus habiles connaisseurs de distingner ces vins arti-
ficiels des vins naturels. C'est à Montpellier, a Lunel, à Béziers et particu-
lièrement à Cette que cette fabrication a lieu. Cette dernière ville expédie
environ 80,000 pièces de ces vins factices par année. (Girardin.)
On ne peut songer à déterminer chimiquement la valeur commerciale
des vins. Pour la solution de cet important problème, un palais exercé
l'emporte sur tous les réactifs des chimistes: les dégustateurs reconnaissent,
en effet, assez facilement et le terrain qui a fourni les vins, et la plupart
des adultérations qu'on leur a fait subir. Il faut dire cependant qu'il est
certaines fraudes que le chimiste découvrira et déterminera même avec
plus de précision et de certitude que le plus habile des dégustateurs. Le
chimiste déterminera exactement la proportion d'alcool existant dans le
vin ; il y retrouvera les matières alcalines à l'aide desquelles on aurait
fait disparaître la saveur de vinaigre des vins altérés et tournés à l'aigre ;
il pourra également y accuser la présence des matières colorantes étran-
gères, enfin lui seul sera capable d'y déceler la présence des matières
toxiques qu'une main criminelle y aurait ajoutées.
Les fraudeurs se sont quelquefois servis de la litharge pour masquer la
saveur des vins aigris; celle-ci en saturant l'acide acétique donne, comme
on le sait, un acétate de saveur sucrée. Cette falsification des plus dange-
reuses, puisqu'elle introduit dans le vin une substance éminemment dé-
létère, est si facile k découvrir qu'elle ne se pratique plus guère mainte-
nant. Il suffirait, pour la reconnaître, d'évaporer le vin avec de l'azotate
de potasse, de reprendre le résidu par de l'acide azotique pour dissoudre
l'oxyde de plomb, et de traiter la liqueur par l'acide sulfhydrique qui la
précipiterait en noir, ou par l'iodure de potassium qui la précipiterait en
jaune. Mieux avisés aujourd'hui, les falsilicateurs, pour adoucir les vins
tournés à l'acide, substituent à la litharge le carbonate de chaux. Outre
que les vins ainsi frelatés précipitent abondamment par l'oxalate d'am-
moniaque, ils laissent, par l'évaporation et la calcination, un résidu
considérable de chaux, provenant de la décomposition par la chaleur de
l'acétate calcaire formé.
Les colorations artificielles peuvent être découvertes à l'aide de certains
réactifs : le sous-acétate de plomb précipite les vins naturels en gris ver-
dâtre, les vins colorés au bois de campêche en bleuâtre, et ceux colorés
avec le bois de Brésil en bleu indigo ; la potasse caustique fait passer au
vert bouteille la couleur rouge des vins naturels, au violet plus ou moins
foncé les vins colorés par les baies d'yèble, les mûres, les fruits du troène
et le bois d'Inde.
On reconnaît qu'un vin a été étendu d'eau par plusieurs moyens, d'a-
bord en pesant le résidu qu'il fournit à l'évaporation. Supposons, par
exemple, qu'il s'agisse d'un vin de Bourgogne qui donne 22 grammes de
matières fixes par litre, s'il n'en fournit que 12 grammes, on peut être à
BOISSONS. — boissons fermeistées. 335
peu près assuré qu'il a été étendu de son poids d'eau, car les eaux po-
tables au lieu de 22 grammes, ne contiennent que 2 grammes au plus de
matières fixes par litre. On peut encore découvrir l'eau ajoutée aux vins
en les décolorant par le chlore et les précipitant par l'oxalate d'ammo-
niaque : le précipité d'oxalate de chaux que l'on obtient avec ce réactif
est très-peu apparent dans le vin pur et très-appréciable, au contraire,
dans le vin étendu d'eau (Bouchardat). Une addition d'eau un peu appré-
ciable pourrait être également reconnue indirectement en déterminant la
proportion d'alcool existant dans le vin. Pour cette détermination, diffé-
rents appareils ont été imaginés, qui sont fondés sur la dilatabilité plus
ou moins grande du vin, selon sa richesse alcoolique [dilatomètre de Sil-
bermann), ou sur la température différente de son point débullition
(ébullioscopes Conaty, etc.),
ou sur le degré centésimal
du produit de sa distillation
(appareil Salleron). Ce der-
nier appareil (fig. 10), très-
commode et très-facile à
manier, se compose des ob-
jets suivants : ^^
1° Une lampe à l'alcool ;
2° un ballon en verre, ser-
vant de chaudière ; 5° un
petit serpentin, servant de Fig. 10. — Alambic pour essais des vins et des liquei
réfrigérant; 4° une éprou- alcooliques sucrées.
vette sur laquelle sont gra-
vées trois divisions : l'une sert à mesurer le vin soumis à la distillation;
les deux autres, marquées 1/2 et 1/5, ont pour but d'évaluer le liquide
recueilli sous le serpentin ; 5° un alcoomètre centésimètre ; 6° un petit
thermomètre; 7° enîin, un petit tube, servant de pipette.
B. Cidre et poiré. — Le cidre et le poiré proviennent de la fermenta-
tion des sucs de pommes ou de poires.
Après l'écrasement des pommes pour en extraire le suc, on procède
ensuite au pressurage, qui varie avec les localités. Le cidre de première
pression est appelé gros cidre, les pommes en fournissent environ la moitié
de leur poids. Le marc, broyé avec deux tiers de son poids d'eau, est sou-
mis une seconde fois à la presse, puis une troisième fois, après avoir reçu
son tiers d'eau. Le produit de ces deux dernières pressions n'est pas sus-
ceptible de se conserver, mais il est agréable au goût par l'acide carbo-
nique qu'il dégage peu de temps après sa préparation. Il est consommé
dans les fermes et dans les ménages sous le nom de petit cidre.
Abandonné à lui-même, k la température de 10 à 15 degrés, le cidre
ainsi obtenu entre en fermentation, et les matières sucrées qu'il contient
se transforment en alcool et en acide carbonique ; ici, comme dans toute
fermentation alcoolique, il se produit en même temps un peu de glycérine
et d'acide succinique (Pasteur), et aussi de l'acide acétique (Béchamp).
■ni-
336 BOISSONS. — boissons ferm entées.
On appelle cidre doux celui qui n'a pas fermenté; sa saveur est miel-
leuse et sucrée , mais il est laxatif. Généralement, le cidre fait pendant
l'été est buvable du quatrième au sixième mois. Celui fait en automne, du
sixième au dixième, et celui d'hiver, du dixième au vingtième. Le meil-
leur cidre ne se garde pas plus de trois à quatre ans. A mesure qu'il
vieillit, il devient légèrement amer, plus ou moins acide et piquant, et
laisse un arrière-goût variable suivant le terroir. A cet état, il constitue
ce qu'on appelle le cidre paré, que les habitants des pays à cidre préfè-
rent au cidre doux et sucré. En Normandie, on a l'habitude de soutirer
journellement à la pièce au fur et à mesure de la consommation, de sorte
que le cidre reste en vidange pendant fort longtemps et passe à l'aigre. Cette
acidité spontanée, due au développement des acides acétique et butyrique,
est quelquefois si grande que les cidres en deviennent insalubres et occa-
sionnent des coliques violentes qui simulent parfois des empoisonnements.
La céruse a été quelquefois employée pour raccommoder les cidres aigris
ou pour clarifier les cidres troubles. A la suite de plusieurs déclarations fai-
tes, vers la fin de 1851, par des personnes gravement indisposées pour avoir
bu du cidre, M. le préfet de police lit procéder chez tous les fabricants et
débitants de cidre de Paris, à des vérifications qui démontrèrent que, dans
une grande quantité de cette boisson livrée à la consommation, il existait
du plomb, provenant de la céruse qu'on avait employée dans le but
d'obtenir une clarification plus complète et plus prompte. Par suite de
cette enquête, cinq brasseurs furent condamnés à la prison, à l'amende
et à des dommages-intérêts. (Chevallier.)
Le poire, dont la composition et la préparation ne diffèrent guère de
celle du cidre, est plus capiteux, moins nutritif, et exerce, dit-on, une
action fâcheuse sur le système nerveux. Le poiré de première qualité res-
semble beaucoup aux petits vins blancs de l'Anjou et de la Sologne, aussi
le vend-on quelquefois comme vin blanc. Rien de plus facile que de re-
connaître cette substitution : il suffit d'évaporer le liquide en consistant
d'extrait; il se développe alors une odeur de poires cuites tout à fait ca-
ractéristique.
C. Bière. — La bière est une boisson fermentée que l'on fabrique ordi-
nairement avec Forge et le houblon; son usage remonte à l'antiquité;
elle était, au dire des historiens grecs et latins, la boisson ordinaire des
anciens Égyptiens. Les Espagnols, les Germains, les Gaulois connais-
saient, de temps immémorial, sa préparation. Suivant Pline, les Gaulois
l'appelaient cerevisia (vin deCérès), d'où le nom de cervoise encore en
usage au seizième siècle.
Toutes les substances amylacées peuvent servir à la fabrication de la
bière. Le froment n'en est exclu qu'en raison de son prix élevé; mélangé
par moitié avec l'orge, il donne une excellente bière, le faro. Le seigle
fournit une bière difficile à clarifier, prompte à s'acidifier, ayant l'odeur
et la saveur du pain de seigle. En Pologne et dans une partie de l'Angle-
terre, on se sert de l'avoine, qui donne une bière également trouble et
exposée à devenir acide. En Belgique, les bières blanches se font avec
BOISSONS. — doissoas feumeiNtées. 537
l'avoine, les bières de qualités inférieures avec le sarrasin, et aussi, dans
certaines localités, avec l'cpcautre (triticum spella). Le maïs et le riz don-
nent aussi des bières d'un goût agréable, mais moins riches en phos-
phates. S'il ne s'agit que de la boisson alcoolique, les mélasses, la pomme
de terre même peuvent servir à la faire, mais la véritable bière, la boisson
à la fois aromatique, nutritive, alcoolique, riche en phospliales, douce et
rafraîchissante, se prépare avec l'orge (hordeum vulgare, hexastïchon, etc.),
et le houblon (humulus lupidits, Urticées) (voy. ces mots). Les seules sub-
stances que l'on fait, en outre, intervenir dans sa fabrication sont l'eau,
la levure, la colle de poisson.
La fabrication de la bière se compose dé trois opérations principales :
germination des grains ou maltage, extraction des matières solubles,
fermentation des liqueurs.
La bière doit être collée comme le vin; on y ajoute une solution
d'icbthyoeolle et, quelques jours après, elle est claire et buvable. Mise en
bouteilles, (die mousse au bout de huit à dix jours.
La bière renferme beaucoup d'eau et de faibles quantités d'alcool, de
sucre, de dextrine, de matières azotées et de matières grasses à odeur de
malt, de matières extractives, amères, colorantes, des huiles essentielles,
de la glycérine, des acides succinique, acétique et carbonique, des sels
divers. Les qualités de la bière dépendent du degré de concentration du
moût qui donne à la fermentation des liquidés plus ou moins alcooliques,
du degré de torréfaction du malt, qui modifie la couleur et la saveur du
produit, de la qualité et de la proportion du houblon, des substances
étrangères amères ou aromatiques (buis, lichens, trèfle d'eau, gentiane,
absinthe, acide picrique, etc.), qu'on aurait substituées à ce dernier, enfin
des procédés des fabricants.
Boissoks économiques. — Dans les années où la production des bois-
sons naturelles est inférieure aux besoins de la consommation, les ou-
vriers, surtout ceux des villes, s'ingénient à fabriquer des boissons éco-
nomiques destinées à combler la lacune (pie cette pénurie fait naître.
Quelques industriels, dans ces temps de disetle, exploitent même cer-
taines formules, et livrent au public, soit des boissons toutes préparées,
soit des doses d'ingrédients pour les faire. Plusieurs de ces compositions,
plus ou moins agréables au goût, figuraient à l'exposition universelle
de 1855, sous les noms de Spruce fu\ de Berij op zoom, de Som-
brico, etc.
Yoici, parmi les nombreuses recettes publiées, celles que l'on suit le
plus généralement :
Bières de ménage.
Sucre 7500 grammes.
Coriandre 60 —
Houblon. 575 —
Ec. de Curaçao (10 —
Eau 100 litres.
On fait bouillir pendant une demi-heure le houblon et l'écorce d'oran-
KOUV. DICT. MÉD. ET CUIR. Y. ■ — '2*1
538 BOISSONS. — boissons ferm entées.
ges dans 50 litres d'eau; on ajoute la coriandre, on passe, on ajoute le
sucre au liquide et l'on introduit celui-ci encore chaud dans un baril de la
contenance de 100 litres, que l'on finit de remplir avec de l'eau ordi-
naire. On ajoute enfin 250 gram. de levure de bière délayée dans un peu
d'eau et l'on agite bien pour mélanger le tout. Au bout de quelques
heures, si la température est convenable, la fermentation commence, et
la mousse est rejetée par la bonde ; à mesure que cette écume se produit,
on entretient le baril tout à fait plein avec du décocté réservé à cet effet
ou par de l'eau ordinaire. Lorsque l'écume s'affaisse, la fermentation est
alors suffisamment prolongée. On colle la bière avec 4 gram. de colle de
poisson, ramollie d'abord dans du vinaigre, puis dissoute dans un peu
d'eau. Au bout de deux jours, on met en bouteilles.
On peut aussi, en opérant comme ci-dessus, employer les recettes sui-
vantes :
Houblon 250 grammes.
Mélasse 5000 —
Levure de bière 150 —
Eau 110 litres.
Ou bien :
Houblon 500 grammes
Gentiane 500 —
Levure de bière 500 —
Mélasse 15 kilog.
Eau 600 litres.
Vin de Lafayette.
Cassonade 750 grammes.
Violettes 4 —
Sureau 4 —
Coriandre. 4 —
Vinaigre 125 —
Eau.. 0000 —
Après trois ou quatre jours de contact, passez et mettez en bouteilles.
Le liquide moussera au bout de quelques jours.
Vin de Beauce.
Mûres des baies ou prunelles Où 8 kilog.
Tartre brut rouge 250 grammes.
Alcool, trois-six 5à6 litres.
Eau. 240 —
On fait dissoudre le tartre dans 2 litres d'eau bouillante, et on place
le soluté trouble dans un tonneau où l'on a mis les fruits ; on verse
par-dessus une trentaine de litres d'eau bouillante et l'on remue. On laisse
en repos cinq jours, alors on ajoute l'alcool, on remplit le tonneau d'eau,
on le bouche et on laisse éclaircir avant de faire usage de la boisson.
Vin de lie glisse.
Réglisse (racine) '. . 1250 grammes.
Crème de tartre 500 —
Aromate (Sureau, Mélilot, Coriandre, Curaçao; . . 50 —
Eau-de-vie à 10° 5 litres.
Eau 100 —
On fait une décoction de la réglisse dans 25 à 50 litres d'eau ; pendant
BOISSONS. — boissons distillées. 539
ce temps, on fait infuser l'aromate dans 4 ou 5 litres d'eau bouillante;
on dissout la crème de tartre dans une autre quantité de liquide, on passe
toutes les liqueurs à travers un linge ou un tamis de crin, on les intro-
duit dans un tonneau avec le restant de l'eau, on ajoute l'eau-de-vie, on
brasse fortement et on laisse reposer. La fermentation se manifeste plus
ou moins activement en raison de la température du lieu où le tonneau
est placé; la plus convenable est comprise entre 10° et 15° centigrades.
On peut d'ailleurs l'activer et la rendre plus régulière en jetant dans le
tonneau 50 à 60 grain, de levure de bière, délayée dans un peu d'eau.
Lorsque la fermentation est sur le point de s'apaiser, on bondonne
hermétiquement le tonneau et après trois ou quatre jours de repos, on
peut se servir de la boisson. Si on la met en bouteilles, on obtient, après
huit ou dix jours, un vin mousseux fort agréable.
Boissons distillées. — Le vin, le poiré, le cidre, la bière, les
marcs de raisin, les moûts d'orge et de pommes de terre, de cannes, les
mélasses fermentées, etc., etc., donnent à la distillation des produits d'une
richesse plus ou moins grande en alcool, d'une saveur plus ou moins
agréable, et qui, selon les liquides spiritueux d'où ils proviennent, por-
tent les noms d'eau-de-vie, de tafia, de rhum, etc., etc.
Les boissons alcooliques distillées dont on fait le plus grand usage sont
l'eau-de-vie, le rhum, le kirschenwasser, le gin et l'absinthe.
A. Eaux-de-vie. — Les eaux-de-vie de vin, particulièrement celles des
vins de France, sont les plus estimées. C'est un vin médiocre, produit
par un cépage particulier très -productif, la Folle blanche, qui donne à la
distillation les eaux-de-vie de Cognac si renommées; l'eau-de-vie de
Montpellier est retirée des vins communs du Languedoc et de la Provence
provenant des cépages Ter et, Bouvet et Aramon. Les cépages dits Pic-
pouiîles donnent les eaux-de-vie d'Armagnac. Mais ces excellentes eaux-
de-vie, d'un prix toujours assez élevé, ne sont pas celles dont on con-
somme le plus ; il se débite dans le commerce beaucoup plus de trois-six
coupé, et bien plus encore de ces caux-de-vie communes qui ne sont que
des alcools de betterave (suc et mélasse), de grains, de pommes de
terre, etc., coupés d'eau et colorés avec du caramel, du brou de noix, etc.
Les eaux-de-vie inférieures se reconnaissent à leur saveur et à leur odeur
spéciales, qui se développent surtout lorsqu'elles sont étendues de quatre
à cinq fois leur volume d'eau. Les eaux-de-vie sont quelquefois addition-
nées d'alun pour en rehausser la saveur, d'acide sulfurique pour leur
donner un bouquet analogue à celui des eaux-de-vie vieilles; d'acétate
d'ammoniaque, de savon blanc, de mucilage de gomme adragante pour
simuler cette onctuosité qui caractérise les bonnes eaux-de-vie et leur fait
faire la perle ou le chapelet.
B. Rhum et tafia. — Le moût de la canne à sucre distillé fournit un
liquide alcoolique nommé Tafia. Les moûts avariés et ceux qui, provenant
de cannes trop jeunes ou trop vieilles, fourniraient peu de sucre sont or-
dinairement employés à cet usage. Le Rhum ou Rum est préparé avec
les mélasses et les écumes que l'on fait fermenter après les avoir étendues
540 BOISSONS*. — boissons distillées.
de sept à huit fois leur poids d'eau. Le tafia et le rhum se ressemblent
beaucoup, mais ce dernier a quelque chose de moins acre et de plus dé-
licat, surtout lorsqu'il a été préparé avec soin et qu'il a vieilli.
G. Kirschenwasser. — C'est dans divers pays de la France, de la Suisse et
de l'Allemagne, et particulièrement dans la Foret-Noire, qu'on prépare cette
boisson alcoolique. Elle est extraite des cerises noires écrasées avec leurs
noyaux, puis soumises à la fermentation. Le produit distillé est incolore,
d'une odeur d'amandes amères, et renferme une très-faible quantité
d'acide cyanhydrique. Traitées de la même manière les cerises ma-
rasca donnent le marasquin, et les prunes, le qwetsclienwasser ou slé-
rowiska.
D. Gin ou genièvre. — Le gin, dont les Anglais font une consommation
si abusive, s'obtient en ajoutant des baies de genévrier dans des moûts
d'orge que l'on distille lorsque la fermentation est complètement termi-
née. On en fabrique aussi beaucoup en distillant, sur les baies de gené-
vrier, des eaux-de-vie très-inférieures de marc, de grains, etc. Le gin
renferme une petite proportion d'huile essentielle, dont la saveur rap-
pelle un peu celle de la térébenthine, aussi lorsque l'on déguste, pour la
première fois cette liqueur, la trouve-t-on désagréable, mais on s'y ha-
bitue peu à peu et l'on Huit même quelquefois par la trouver délicieuse,
comme cela arrive à nos voisins d'outre-Manche. Il en est de même de
l'eau-de-vie de gentiane que l'on fabrique dans les Vosges et en Franche-
Comté. On fait aussi dans ces localités une eau-de-vie de genièvre en
faisant simplement macérer les baies dans de l'eau-de-vie ordinaire.
E. Absinthe. — Plusieurs substances interviennent dans la fabrication
de la liqueur d'absinthe savoir : l'alcool, les sommités d'absinthe, l'anis, la
badiane, l'angélique, le calamus aromaticus. On la colore en vert le plus
souvent avec les feuilles ou le suc d'ache, les épinards, les orties, le génépi
des Alpes, toutes substances qui ne sont point nuisibles; mais on la colore
quelquefois avec du sulfate de cuivre (Derheims). Voir du reste à l'égard
des diverses liqueurs fortes, ce qui a été dit aux articles Alcool et Alcoo-
lisme .
Liqueurs. — Sous le nom générique de liqueurs, on comprend des
mélanges en proportions variables d'alcool, d'eau et de principes aroma-
tiques. L'expression de Ratafia sert à désigner les liqueurs obtenues par
simple macération et qui, outre l'arôme des piaules, contiennent également
leurs matières colorantes et extractives. Le mot Crème caractérise, au
contraire, les liqueurs obtenues par le mélange du sirop de sucre avec de
l'alcool distillé sur des substances aromatiques : Fanisette, par exemple,
est une crème, le cassis est un ratafia.
Les liqueurs dont on fait le plus fréquent usage sont : le cassis, le cu-
raçao, Yanisette, la chartreuse, Vélixirde Garus.
Pour obtenir le cassis, on fait macérer dans de l'alcool de moyenne
concentration des baies de cassis ou groseiller noir (Ribes nigrum); on
ajoute à cette liqueur une suffisante quantité de sucre et on filtre.
Sous le nom de curaçao, on livre souvent à la consommation une li-
BOISSONS. — boissons distillées, oil
(jucur fabriquée avec un mélange d'essences d'oranges, de cannelle, de
girofle, etc.; mais le vrai curaçao est préparé, en Hollande surtout, par
macération d'écorces d'oranges amères, de cannelle et de clous de girolle
dans de bonne eau-de-vie sucrée.
L'anisette est préparée en ajoutant une solution de sucre saturée et
filtrée à de l'alcool distillé sur diverses substances aromatiques, parmi
lesquelles dominent ï'anis vert et la badiane. C'est à ce dernier fruit que
l'anisette la plus renommée, celle de Bordeaux, doit sa saveur et son
parfum.
L'elixir de Garus se prépare avec l'alcoolat de Garus, le sirop de capil-
laire et l'eau de Heurs d'oranger. L'alcoolat de Garus est le produit de la
distillation de l'alcool sur diverses substances toniques et stimulantes :
cannelle, girofle, muscade, myrrhe, safran et aloès. C'est une liqueur
stomachique très-agréable, et si son usage n'est pas aussi répandu qu'il
devrait l'être, cela tient probablement à ce qu'il est préparé presque
exclusivement par les pharmaciens, et que le public tient toujours dans
une certaine défiance tout ce qui sort de leur officine.
La liqueur dite de la Grande-Chartreuse fabriquée au couvent de ce
nom, près de Grenoble, suivant une formule demeurée secrète, est verte,
jaune ou blanche : la plus forte, c'est-à-dire la plus alcoolique est la
verte, la blanche est la plus douce; la jaune, d'une force moyenne, est
celle dont on consomme le plus. Plusieurs médecins des hôpitaux dans
l'épidémie du choléra que nous venons de traverser l'ont substituée au
rhum dont on a du reste fort abusé.
Usages des boissons alcooliques. — Les boissons, de quelque nature
qu'elles soient, ont particulièrement pour effet d'étancher la soif. Cette
propriété qu'elles possèdent toutes, elles la doivent surtout à l'eau qu'elles
renferment, et l'on peut dire d'une manière générale, qu'elles sont d'au-
tant plus désaltérantes que la proportion d'eau qu'elles contiennent, est
plus considérable. Toutefois les boissons peuvent agir de diverses ma-
nières et produire des effets plus ou moins marqués. Elles agissent d'a-
bord localement, c'est-à-dire en humectant les muqueuses de la bouche,
du pharynx et de l'œsophage et en excitant une sécrétion salivaire et
muqueuse plus abondante : la soif, dans ce cas est étanchée, mais seulement
pour un moment; ce n'est que lorsqu'elles ont été ingérées en quantité
suffisante pour réparer les pertes liquides de tout l'organisme que la sen-
sation de la soif est apaisée alors complètement et aussi d'une manière
plus durable. Ajoutons qu'il arrive ordinairement pour l'ingestion des
liquides, ce qui arrive pour l'ingestion des aliments solides : le bien-être
général qui en résulte se fait ressentir dès qu'ils sont introduits dans
l'estomac et bien avant qu'ils aient eu le temps de se répandre dans le
torrent circulatoire.
Les boissons prises pendant les repas se mêlent aux aliments, les
délayent et les étendent de manière à leur l'aire présenter plus de surface
et moins de résistance à l'action du tube digestif; leur intervention
est plus ou moins nécessaire selon la nature des aliments, et le degré
342 BOISSONS». — boissons distillées.
d'activité des fonctions digestives des individus, selon les climats, les
saisons, etc.
Les boissons alcooliques sont plus nuisibles à la femme qu'à l'homme,
aux enfants qu'aux vieillards ; elles sont moins utiles en été qu'en hiver,
dans les climats chauds que dans les climats froids ou tempérés. Dans les
pays chauds elles ont, à petites doses, la propriété de diminuer la sueur;
dans les climats froids et humides, elles aident à résister à des influences
désavantageuses, et, pour quelques sujets dont les digestions ne se font
qu'avec peine, elles deviennent un stimulant utile de l'estomac. Toute-
fois ce n'est jamais dans l'état de vacuité de ce viscère qu'il convient d'en
user, mais toujours après le repas : à jeun, les liquides alcooliques ingé-
rées dans l'estomac ont pour effet d'émousser la sensibilité de la mu-
queuse et de produire à la longue des épaississements, des indurations
qui avec le concours d'une prédisposition spéciale et dans des circon-
stances particulières, peuvent se transformer en affections cancéreuses
(voy. Alcoolisme).
Tout ce qui a trait au passage des liquides aqueux ou alcooliques dans
les vaisseaux ayant été étudié d'une manière complète à l'article Absohp-
tion, nous n'avons pas a y revenir. Nous rappellerons cependant que,
portées dans la circulation générale, les boissons se mêlent au sang, dont
elles augmentent le volume et diminuent la consistance, qu'elles favori-
sent les sécrétions, notamment celles par lesquelles l'eau s'élimine de l'or-
ganisme : l'exhalation pulmonaire, la transpiration cutanée et la sécrétion
urinaire; effets qui varient d'ailleurs sous une multitude d'influences, tels
que la nature des liquides, leur température, celle de l'atmosphère, l'état
de repos ou d'activité du corps, etc.
Les boissons alcooliques exercent sur l'organisme une action commune
qui dépend de la plus ou moins forte proportion d'alcool qu'elles con-
tiennent, et une action spéciale, beaucoup moins prononcée, due aux
autres substances qui entrent dans leur composition.
Avant de parler des usages particuliers des diverses boissons alcooli-
ques, on peut se demander tout d'abord si l'utilité de ces boissons est
bien réelle et si les avantages que l'on retire de leur emploi peuvent com-
penser les si nombreux inconvénients qui résultent de l'abus qu'on en fait.
Telle n'est pas l'opinion de J. J Rousseau : « Comme la nature ne fournit
rien de fermenté, dit-il, il n'est pas à croire que l'usage des boissons arti-
ficielles importent à la vie de ses créatures. »
On pourrait dire à cela que les chemins de fers, les machines à vapeur,
les télégraphes et nombre d'autres inventions qui, très-évidemment, im-
portent beaucoup à l'humanité, sont peut-être moins encore fournis par
la nature que les boissons fermentées. L'argument ne serait donc pas
très-puissant. Néanmoins, nous sommes, quant au fond, de l'avis du
philosophe genevois : comme lui, et avec la presque universalité des hy-
giénistes, nous pensons que l'homme peut, sans grand dommage pour sa
santé, se passer complètement de boissons alcooliques. A cet égard, du
reste, on peut asseoir sa conviction , non pas seulement sur le raisonne-
BOISSONS. — boissons «distillées. 543
ment, mais bien, et mieux encore, sur l'observation directe des faits : des
millions d'hommes, et ce ne sont assurément pas les moins vigoureux,
les Arabes, les Turcs ne connaissent point les boissons fcrmentées; et
•dans notre pays môme, en France, un dixième à peine de la population
boit du vin, du cidre ou de la bière, le reste ne boit absolument que de
l'eau, ou à peu de chose près, et, à dire vrai, ne s'en trouve pas plus
mal.
Mais si les boissons alcooliques ne sont pas pour l'homme d'une néces-
sité absolue, il faut cependant reconnaître qu'elles répondent à un besoin
général ou plutôt à une habitude prise qu'il serait aujourd'hui bien dif-
ficile de déraciner. D'ailleurs les boissons fermentées naturelles : vins,
bières, etc., de bonne qualité, ingérées à doses convenables, ne présentent
en réalité aucune espèce d'inconvénients, et, de plus, peuvent rendre à
la thérapeutique d'importants et incontestables services. Ce n'est pas
l'usage, mais l'abus de ces boissons qu'il convient de proscrire. Ce qu'il
faut énergiquement blâmer, c'est surtout l'abus des liqueurs fortes,
aujourd'hui si excessif et qui tend toujours à s'accroître, particulièrement
dans les classes ouvrières; la calamité contre laquelle ne saurait trop
s'élever l'hygiéniste, que l'autorité doit poursuivre et s'efforcer de res-
treindre, si la supprimer complètement est impossible, c'est l'ivrognerie.
Penchant funeste! qui ravit à l'homme le plus beau de ses attributs, la
raison, et qui peut le conduire, soudainement ou par degrés, à la misère,
aux infirmités, à la folie, au suicide, à toutes les infortunes et à tous les
crimes ! Mais nous n'avons pas à retracer ici le hideux et navrant tableau
de cette plaie sociale. Un de nos collaborateurs a rempli cette tâche si
complètement et avec tant de talent, que nous ne saurions mieux
l'aire que de renvoyer le lecteur à son intéressant article (voy., t. I.
Alcoolisme) .
Les boissons alcooliques, dont nous avons précédemment étudié la
composition chimique et le mode de fabrication, sont les plus importantes
de toutes et celles dont on fait en Europe la plus grande consommation.
Mais nous ferons remarquer qu'il existe en outre un nombre considérable
d'espèces de boissons de ce genre dans les autres parties du monde, et
qu'il n'est, pour ainsi dire, pas de peuple qui n'ait un ou plusieurs
liquides fermentes dont il use et abuse. Nous citerons, par exemple, au
nombre des boissons fermentées se rapprochant plus ou moins du vin,
du cidre ou de la bière : le poulque, préparé au Mexique avec la sève des
tiges de l'agave americana, et qui fournit à la distillation une espèce
d'eau-de-vie, Vagua ardiente; le cachin, que l'on retire, à Cayenne, de
la racine de manioc, et qui jouit de propriétés diurétiques ; le yalatole et
le chicoha, que les Indiens composent avec l'épi du maïs ; le ouicou,
espèce de vin qui s'obtient en Amérique avec les patates, les bananes et
les cannes à sucre; les vins de divers palmiers que l'on prépare sous les
noms de totonadi, de tari, etc. , en Egypte, dans les Indes orientales, en
Polynésie, etc.; le sakki, sorte de bière que les Japonais font avec le
riz; etc., etc.
544 BOISSONS. — boissons distillées.
Parmi les liqueurs fortes : outre les eaux-de-vie de vins,
de pommes de terre, de betteraves, outre le kirschenwasser, le gin et le
rhum dont il a été parlé déjà, nous trouvons, en Ecosse et en Irlande, le
wiski, provenant des moûts d'orge ou de seigle ; dans l'Amérique du Sud,
le /y/c/.', tiré de la sève du cacaoyer; dans l'Afrique orientale, le maliuari,
extrait des bananes; au Japon et dans le royaume de Siam, le foieip, le
samshu, le lau ou eaux-de-vie de riz que l'on consomme aussi au Kam-
tschatka sous le nom de ivathi; en Chine, le kao-lyong ou eau-de-vie de
sorgho; en Tartarie, le koumiss, obtenu par la distillation du lait de
jument fermenté; dans les îles Orcades et Shetland, le blond, fait avec
le petit-lait, etc., etc.
Faut-il ajouter à ces différentes boissons alcooliques les liqueurs eni-
vrantes des Orientaux, à la tète desquelles on doit placer les solutions
à'opium, puis le chosaf, boisson que les Turcs préparent avec le miel, le
vinaigre de cidre et les raisins secs, et dont ils font un grand usage; le
cocouar, liqueur enivrante et échauffante fort estimée des Perses, qui,
selon le degré de force qu'on veut lui donner, s'obtient par la décoction
de feuilles ou de têtes de pavots. Viennent enfin les différentes prépara-
tions de haschisch : dawamesc, bhang, gunjah, chatsraky, etc.
De loutes les boissons alcooliques, la plus importante, la plus utile,
lorsqu'on en fait un usage modéré, comme aussi la moins nuisible, lors-
qu'on en fait abus, c'est le vin.
Le vin est, au repas, la boisson la plus ordinaire des classes aisées dans
la plupart des diverses parties de l'Europe.
L'Espagne, l'Italie, la Grèce, la Hongrie et l'Allemagne fournissent un
grand nombre de vins très-estimés ; mais, il faut le reconnaître, par la
richesse, la variété de ses crus et l'exquise délicatesse de certains d'entre
eux, la France tient, sans contredit, le premier rang. Et bien qu'une
énorme quantité de nos vins, les meilleurs assurément, passent à l'étran-
ger, de tous les pays du monde, c'est encore la France qui en consomme
le plus. Cela tient, en grande partie, à ce que beaucoup de nos vins, ceux
de la Bourgogne, par exemple, au nombre desquels se trouvent les plus
parfumés, ne développent tout leur bouquet et ne se conservent avec toutes
leurs qualités que sous le climat qui les a produits; quelques-uns, même
dans ces heureuses conditions, peuvent s'altérer profondément dans l'es-
pace de quelques années : force est donc de les consommer en France.
Ce n'est pas tout, depuis une trentaine d'années, on s'est mis à fumer les
vignes et à changer les anciens cépages pour en cultiver de nouveaux
beaucoup plus productifs : on a obtenu ainsi plus de produit, mais au
détriment de la qualité. Une même étendue de terrain fournit actuellement
plus de vin, mais ce vin, pour un même cru, a moins de finesse, moins
de parfum, moins de corps. Faut-il s'élever contre ce progrès de la civili-
sation, ou doit-on s'en féliciter? Un tel résultat n'est-il pas un mal pour
un bien? nous le pensons. Si les produits, quoique un peu moins exquis,
sont plus abondants, l'usage en devient nécessairement plus général.
Selon nous, il y a là non-seulement compensation mais avantage très-réel,
BOISSONS. BOISSONS DISTILLÉES. 545
car si l'on doit tenir à une boisson alcoolique saine et fortifiante, à toute
autre il faut préférer le vin.
Les médecins, dit Fonssagrives, à tort ou à raison, jouissent, en ma-
tière d'œnologie, d'une réputation d'épicurisme qu'ils doivent s'attacher
à justifier moins au profit de leur sensualité propre que dans l'intérêt de
la santé de leurs malades ; aussi la dégustation des vins destinés à ceux-ci
rentre-t-elle dans le cercle de leurs attributions professionnelles,
Cette dégustation exige, il est vrai, un palais habitué, une aptitude
spéciale que l'exercice développe sans doute, mais qu'il ne donne pas ;
toutefois, comme il importe ici plutôt d'apprécier les qualités générales
des vins que d'établir entre des crus rapprochés ces distinctions subtiles
dans lesquelles la gastronomie se complaît, tous les médecins peuvent, par
l'exercice, arriver à une éducation très-suffisante des papilles gustatives.
Pour bien juger d'un vin, pour en faire ce que l'on pourrait appeler
l'analyse organoleptique, il faut se lotionner préalablement la bouche
avec de l'eau froide. Le liquide à examiner doit être pris en petite quan-
tité, promené parla langue sur les divers points de la muqueuse buccale,
puis dégluti lentement pour apprécier son degré de spirituosité par la
sensation gutturale qu'il produit; enfin, l'impression exercée sur l'es-
tomac constitue le troisième temps de cette analyse. Si l'on est appelé,
non plus à juger la valeur d'un vin isolé, mais bien à choisir entre des
échantillons différents, il est important que les essais soient séparés les
uns des autres par des intervalles suffisants pour que les impressions pré-
cédentes soient éteintes quand l'organe du goût en perçoit de nouvelles,
et qu'après chacun d'eux, de l'eau, promenée avec force dans la bouche,
enlève jusqu'à la moindre parcelle du vin antérieurement dégusté. Il est
bien entendu que l'aspect du vin, sa limpidité, sa couleur, etc., sont des
éléments de jugement qui complètent, sans les remplacer, ceux fournis
par la dégustation.
Vina probantur odore, sapore, nitore, colore;
Si bona vina cupis, quinque bœc plaudentur in iJli^
Fortia, f'ormosa, fragrantia, frigida, prisca.
(Ecole de Sa le me.)
Le vin, dès qu'il est introduit -dans l'estomac, fait éprouver d'abord à
l'épigastre une agréable sensation de chaleur; il détermine ensuite une
stimulation générale qui est rendue manifeste par l'accélération du pouls
et l'accroissement momentané des forces du corps ; c'est surtout, pour l'ou-
vrier des villes, qui dépense tant de forces et qui se trouve soumis à tant
d'intluences déprimantes, que le vin pris en juste mesure devient un puissant
auxiliaire de l'alimentation. Non cependant qu'il faille considérer le vin
comme un aliment très-nutritif : un litre de vin renferme au plus 40 grammes
de carbone et à peine 0,15 centigrammes d'azote. S'il soutient, comme on
le dit communément et avec raison, c'est moins comme aliment qu'il agit
que comme stimulant des fonctions digestives. C'est dans ce sens surtout
que doit être compris l'aphorisme d'Uippocrate : Famem vint j)Otio solvit.
11 ne faudrait point alléguer en faveur des propriétés nutritives du vin
340 BOISSONS. — boissons distillées.
le peu d'appétence des buveurs pour les aliments solides : s'ils mangent
peu, dit Michel Lévy, c'est que leur estomac, par une aberration de
sensibilité, sollicite avant tout la stimulation spéciale des boissons al-
cooliques.
Pris pur, le vin n'apaise qu'incomplètement et très-momentanément
la sensation de la soif, et ne semble désaltérer qu'en raison de la propor-
tion d'eau qu'il renferme. Rostan affirme avoir entendu faire cet aveu
à des militaires qui, en Espagne, avaient éprouvé l'horrible tourment de
la soif, qu'ils auraient donné tous les vins du monde pour un seul verre
d'eau.
Outre les propriétés générales qui viennent d'être indiquées, et qui
appartiennent à toutes les boissons fermentées , les vins possèdent des
propriétés spéciales qu'il importe grandement à l'hygiéniste et surtout au
médecin de ne point ignorer.
De tous les éléments qui interviennent dans la composition des vins
rouges et blancs, il en est trois surtout : l'alcool, le tannin, les sels acides,
de la proportion relative desquels dépendent leurs propriétés particulières.
Lorsque l'un quelconque de ces éléments prédomine sur les deux autres,
il en résulte des vins alcooliques, astringents ou acides. Au contraire, les
vins dans lesquels ces trpis principes se rencontrent à la fois, sans prédo-
minance marquée de l'un d'entre eux, constituent ce que l'on peut ap-
peler, avec Bouchardat, des vins complets ou mixtes. C'est dans cette
dernière classe que se trouvent la plupart des crus de la Bourgogne, de
la Gironde et du Midi.
Quant à l'arôme ou bouquet des vins, il est plus ou moins développé et de
nature très-différente, suivant les plants et les terroirs qui les ont fournis.
Les vins de Bourgogne sont bien plus parfumés que les vins de Bordeaux :
le bouquet de ces derniers ne devient même très-manifeste qu'à une chaleur
d'au moins 20° centigrades ; aussi est-il de règle, avant d'user de ces vins
d'attendre que, par un séjour de quelques heures à cette température, ils
se soient attiédis convenablement.
Les vins fins de la Gironde, analysés par Fauré, de Bordeaux, et ceux
de la Côte-d'Or, par Delarue, ont présenté les diflérences suivantes :
Alcool
Tannin
Bitartrate de potasse.
Bitartrate de 1er. . .
Sels minéraux.. . .
Matières colorantes. .
Eau
GIRONDE.
COTE-D OR.
9,188
13,480
0,112
0,079
0,100
0,057
0,089
0,006
0,025
0,065
0,041
0,078
90, '285
86,255
100,000 100,000
Les vins de Bourgogne contiennent donc plus d'alcool, les vins de Bor-
deaux plus de tannin ; les premiers sont, par conséquent, plus excitants,
les seconds plus toniques.
Les grands crus de la Bourgogne, dont les principaux comprennent,
BOISSONS. — boissons distillées. 347
pour la côte de Nuits : ceux de Nuits, de Clos-Vougeot, de Chambertin
et de Romanée ; pour la côte de Beaune : ceux de Beaune, de Pomard et
de Volney, constituent des vins fins, corsés, parfumés, extrêmement
agréables, mais qui, pris en léger excès, peuvent facilement porter à la
tête et cbarger l'estomac. Ce sont de délicieux vins de table, fort estimés
des amateurs, mais qui conviennent peu aux tempéraments nerveux et
aux estomacs délicats.
Les principaux crus de la Gironde, classés d'après leur qualité, sont :
1° le Château-Laftîtte, le Gbàteau-Margaux, le Cbàteau-Latour, dans le
haut Médoc ; le Chàteau-Haut-Brion, dans la contrée dite des Graves, re-
nommée surtout pour ses vins blancs ; 2° le Branne-Mouton, Léoville,
Château-Larose, St-Ëmilion, Cos d'Estournelle ; 5° St-Julien, Chàteau-
Carnot, Cantenac; 4° St-Estèphe, Pauliac, Margaux, etc.
Les crus du haut Médoc sont parmi les bordeaux, les vins que les vrais
gourmets , les fins connaisseurs mettent en première ligne et qu'ils
placent même au-dessus des grands vins de la Bourgogne de qualité
correspondante.
Le bordeaux rouge vrai et de bonne qualité, nous paraît être le plus
utile des vins, celui qui peut les remplacer tous et que nul ne pourrait sup-
pléer. I! est, par excellence, le vin des individus qui ont besoin d'être
tonifiés; c'est le seul qu'on doive permettre aux malades.
Les vins acides, non ceux tournés à l'aigre, mais ceux dont l'acidité est
naturelle et due à du tartrate acide de potasse, tels que les vins de Gouais,
d'Argenteuil, de Suresnes, et en général tous les vins des environs de Paris,
sont, au repas, assez bien supportés par beaucoup de personnes qui, après
les avoir jugés détestables tout d'abord finissent par s'y habituer et par
les trouver même agréables. Mais, en général, les vins dont l'acidité est
très-marquée donnent des aigreurs, de la pyrosis, et sont très-mal sup-
portés, surtout par les femmes et les vieillards. Malgré cela, il y aurait
peut-être quelque avantage à essayer l'usage des vins un peu acides dans
quelques cas particuliers d'anorexie ou de dyspepsie dans lesquels toute
médication aurait échoué.
Les vins astringents, surtout lorsqu'ils sont nouveaux, sont quelquefois
tellement acerbes qu'ils ne deviennent potables qu'après que plusieurs col-
lages à la gélatine leur ont enlevé une forte partie du tannin qu'ils ren-
ferment et auquel ils doivent leur astringence. Ordinairement très-
corsés et très-colorés, ces vins donnent des mélanges quelquefois assez
agréables lorsqu'ils sont ajoutés en proportion convenable à d'autres
vins légers et peu foncés en couleur. Ce sont les vins astringents, comme
celui de Cahors, par exemple, que l'on doit préférer, lorsque l'on croit
utile d'employer le vin, soit comme cicatrisant dans les blennorrhées,
soit comme détersif et antiputride dans le pansement des plaies dont on
veut changer la nature, soit enfin comme résolutif dans les cas de con-
tusions, d'infiltrations celluleuses, etc., en un mot, dans la plupart des in-
dications chirurgicales.
Les vins alcooliques sont dits secs ou sucrés. Les vins alcooliques secs
548 BOISSONS. — boissons distillées.
renferment des quantités d'alcool qui varient entre 15 et 18 pour 100.
Quelques-uns même en contiennent jusqu'à 20 et 25 pour 100; mais
cette proportion n'est jamais naturelle, car la fermentation n'en peut dé-
velopper que de 15 à 18 au plus.
Les vins alcooliques secs les plus connus et les plus usités sont : \v
marsala, le madère sec, le porto, le ténériffe et le xérès.
Les vins alcooliques sucrés ou vins de liqueur sont quelquefois, comme
le lunel etlebanyuls, le collioure, etc., des produits directs de la fermen-
tation ; d'autres, comme le malaga, l'alicante, par exemple, proviennent de
sucs réduits à l'aide de la chaleur et souvent, en outre, alcoolisés. Il est
probable qu'en ajoutant du sucre au jus de nos grands cépages français :
les pineaux blancs, les sauvignons, les rieslings et les poulsarts, on ob-
tiendrait, dit Bouchardat, des vins de liqueur supérieurs à ceux que
nous fournit l'étranger. Les vins alcooliques sont, excitants en raison do
la proportion d'alcool qu'ils contiennent. Les vins de liqueur sont plus
agréables que les vins secs ; ils exercent sur l'estomac une action plus
douce.
Les vins blancs rentrent dans les différents groupes qui viennent d'être
énumérés. Ceux qui proviennent des raisins blancs et qui ont fermenté
sur le grain ont, moins la couleur, à peu près toutes les propriétés des
vins rouges, plusieurs d'entre eux constituent des vins complets très-
estimés ; ceux, au contraire, qui sont obtenus avec des raisins noirs
exprimés avant la fermentation, ne contiennent que peu ou point de tan-
nin : ils sont excitants ou diurétiques, mais nullement toniques.
Vins mousseux. — Les vins blancs qui renferment de l'acide car-
bonique, développé par la fermentation ou ajouté directement, et qu'on
appelle des vins mousseux, exercent sur l'économie une action qui par-
ticipe de celle des vins blancs ordinaires et du gaz acide carbonique
qui les sature : c'est-à-dire qu'ils sont à la fois stimulants, diurétiques et
digestifs. Leur action sur le cerveau est un peu différente de celle des
autres vins et constitue un de leurs attraits les plus puissants. Le vin
de Champagne, de bonne qualité, excite les fonctions cérébrales et pré-
dispose l'esprit aux pensées riantes, aux traits, aux saillies. Il n'est
aucune boisson dont on use avec plus de plaisir sans soif; aucune qui
excite mieux sans besoin d'excitation. Les vins mousseux produisent
plus rapidement l'ivresse que les autres vins ; mais cette ivresse est
éphémère et n'est pas, à beaucoup près, aussi pénible. Le vin de Cham-
pagne est ordinairement pris en petite quantité et au dessert, mais cer-
tains gourmets amateurs, à l'exemple des Anglais et des Russes, n'en
consomment pas d'autre pendant toute la durée du repas.
Les vins mousseux ne sont point en général des vins que l'on doit
prescrire aux malades ; néanmoins , ils peuvent être considérés comme
un des véhicules les plus agréables de l'acide carbonique et ils trouvent
leur utilité dans beaucoup de cas où celui-ci est indiqué. Pour les per-
sonnes qui peuvent se donner ce remède de luxe, le Champagne frappé
peut être employé très-efficacement contre le mal de mer.
BOISSONS. — boissons distillées. 349
On donne le nom de vin doux au jus du raisin qui n'a pas encore fer-
menté, et on appelle vin bourru celui qui n'a subi qu'une demi-fermen-
tation. Ces vins sont laxatifs et diurétiques.
Les médecins de l'antiquité, Asclépiade, Hippocrate, Galien, Avi-
eennc, etc., ont vanté, et souvent même à l'excès, l'emploi du vin
comme boisson et comme médicament. Sydenham, van Swieten, Huxbam,
Hufeland et à notre époque Dnpuytrcn, Cliomcl, Fonssagrives et beaucoup
d'autres se sont également attachés à montrer par les résultats de leur
pratique, les précieux avantages que l'on peut, en effet, retirer de l'emploi
du vin comme agent thérapeutique.
Selon Fonssagrives, l'état fébrile ne contre-indique pas d'une manière
absolue l'usage du vin; il est évident, dit-il, que lorsque la fièvre est
sympathique d'une inflammation viscérale aiguë, ce serait jeter fort im-
prudemment de l'huile sur le feu que d'introduire dans la circulation un
stimulant qui accroîtrait la chaleur organique et l'énergie des battements
du cœur ; mais encore faut-il (pie l'inflammation soit franche et la réac-
tion fébrile énergique pour que cette interdiction soit légitime. Il n'est
en effet nullement rare de voir des inflammations viscérales s'établir
chez des individus faibles, cachectiques, usés, et ne produire qu'une
réaction générale, incomplète ou languissante ; les indications, dans ce
cas, doivent se tirer plutôt de l'état général que de l'état local; et l'emploi
des toniques, notamment du yjn pour soutenir les forces, pour provoquer
même une sorte de fièvre artificielle, est le plus sûr moyen de prévenir
ces congestions mi-partie inflammatoire, mi-partie hvpostatique qui
laissent souvent dans les tissus les germes d'une irrémédiable altération
de structure. Il y a plus : il y a, comme l'a démontré Chôme! , des cas
de phlegmasies viscérales franches, de pneumonies, par exemple, sur-
venant chez des individus adonnés à l'ivrognerie qui réclament, pendant
leur période la plus aiguë, la continuation de l'usage des spiritueux, sous
peine de voir l'affection se compliquer d'accidents cérébraux graves, ou
d'une adynamie menaçante. On peut dire d'une manière générale, qu'à
part les circonstances dans lesquelles la réaction est vive, l'usage de l'eau
très-légèrement additionnée de vin ne trouve guère de contre-indications;
c'est une boisson franche, agréable, qui désaltère mieux que toute autre,
tempère la chaleur dont les fébrieitants sont tourmentés et excite utile-
ment la sécrétion urinaire. (Fonssagrives.)
Le vin vieux donné avec modération peut être prescrit très-utilement
dans la scrofule, le scorbut, les hémorrhagies avec hyposthénie, les in-
flammations avec adynamie, les leucorrhées chroniques, l'asthénie sénile,
les épuisements produits par des pertes séminales réitérées, des hémor-
rhagies excessives, ou par une abstinence prolongée, une alimentation
mauvaise et peu réparatrice, etc.
En chirurgie, le vin a été employé en lotions ou fomentations pour
aviver les plaies et en activer la cicatrisation, en injections dans i'bydro-
cèle, dans la blennorrhée, etc.
Par la macération dans îe vin, d'une ou plusieurs substances médica-
350 BOISSONS. — boissons distillées.
menteuses, on obtient des solutés officinaux qui portent le nom de vins
.médicinaux (voyez ce mot).
Cidre. — L'usage du cidre paraît être moins ancien que celui du vin,
et il est aussi moins répandu. La consommation de cette boisson et celle
des vins de fruits tendent beaucoup à s'accroître dans les villes, et presque
partout ce sont les brasseurs qui en font le commerce. En France, qua-
rante départements cultivent les pommes et les poires à cidre, et sa pro-
duction totale peut être évaluée à neuf millions d'hectolitres. Les cinq
départements de l'ancienne Normandie fournissent seuls près de la moitié
de cette quantité. Le poiré y est compris environ pour un cinquième.
Le cidre doux est très-agréable à boire; mais il est laxatif, donne des
coliques et produit souvent des dysenteries lorsqu'on en abuse. En
vieillissant, le cidre prend de la force, devient spiritueux et, pris en excès,
monte facilement à la tête en produisant une ivresse plus prompte, plus
pénible et plus durable que celle des vins. Lorsqu'il est fait, c'est-à-dire
lorsque la fermentation alcoolique est achevée, et elle peut durer plusieurs
mois, le cidre a perdu la saveur sucrée qui le faisait rechercher par cer-
taines personnes notamment par les femmes et les enfants ; mais il est alors
préféré par les vrais amateurs, et en effet, c'est dans cet état seulement
qu'il peut être hygiénique. Le cidre fait et tiré à la pièce, que l'on dési-
gne en Normandie sous le nom de cidre paré, c'est gâté plutôt qu'il fau-
drait dire, renferme toujours des mucédinées en suspension et une pro-
portion plus ou moins forte d'acide acétique; souvent même tout l'alcool
s'y trouve transformé en ce dernier produit. C'est sans doute à ces alté-
rations qu'il faut surtout attribuer les effets débilitants reprochés à cette
boisson, et aussi cette variété de dysenterie, appelée colique végétale,
que Ton voit régner parfois dans les pays à cidre.
L'acidification du cidre, comme celle des autres boissons fermentées,
ne pouvant avoir lieu qu'au contact de l'air, il suffirait, pour éviter cet
inconvénient, d'ajouter dans les tonneaux selon le conseil de J. Girardin,
une très-légère couche d'huile d'amandes ou bien encore de charger les
pièces en vidange d'acide carbonique, comme cela se pratique aujour-
d'hui pour la bière dans un grand nombre de brasseries.
Quant au poiré, le reproche qu'on lui fait d'agir sur les nerfs et de porter
à la tête parait dépendre en réalité de ce que sa force alcoolique est plus
grande que celle du cidre et surtout de ce que les consommateurs, qui ne
sont pas prémunis contre cette particularité de sa composition, en usent
trop largement.
Bière. — Après le vin, la bière est une des plus salubres et des plus
agréables boissons fermentées. C'est surtout en Allemagne, en Angleterre
et dans le nord de la France, en un mot dans les contrées qui ne produi-
sent pas de vin et qui récollent peu de fruits à cidre, que la bière con-
stitue la boisson principale et la plus ordinaire des repas. Les quantités
de bières qui se consomment dans la partie septentrionale de l'Europe
sont incalculables. On évalue à plus de vingt-cinq millions d'hectolitres
le débit annuel de l'Angleterre. Londres seule en consomme plus de quatre
BOISSONS. — boissons DISTILLÉES. 551
millions d'hectolitres. La consommation de Paris est environ huit fois
moindre. Cette consommation s'est cependant prodigieusement accrue
depuis une vingtaine d'années, ce qui, sans doute, tient à plusieurs cau-
ses savoir : à l'augmentation du prix des vins, à l'affluence des ouvriers
allemands, anglais et helges appelés à Paris par les grands travaux qui
s'y exécutent, surtout aussi à l'importation, devenue facile par les che-
mins de fer, des bières d'Allemagne et d'Angleterre; enfin, et à cause de
cette importation même, aux soins plus grands apportés par les brasseurs
dans la préparation des bières françaises.
La fabrication de la bière s'est, en effet, singulièrement perfectionnée
dans ces derniers temps. Une des améliorations les plus importantes qu'on
ait introduites dans cette industrie, est assurément la gazéification arti-
ficielle. L'idée de saturer la bière d'acide carbonique pour la rendre plus
agréable n'est pas précisément neuve ; il y a plus de trente ans qu'elle a
été mise en pratique par un brasseur de Caen. Cependant la grande
vogue qu'ont aujourd'hui les bières artificielles saturées, ne date guère
que de 1854, et si Ton en doit croire Hermann-Lachapelle et Glower elle
serait due à une circonstance assez curieuse.
« A cette époque un brasseur de Bourges, pour sauver ses brassins
troublés, mats et perdus, les satura d'acide carbonique, sur le conseil
d'un chimiste. Ce qui devait être pour lui une cause de ruine devient dès
lors la source de bénéfices considérables ; il n'eut qu'à donner pour passe-
port à la bière ainsi ranimée le nom un peu exotique de bock-bier et à
prendre brevet. Les cafés de premier ordre l'adoptèrent et les consom-
mateurs ne crurent pas trop payer, en doublant le prix ordinaire, les
qualités nouvelles que le bock-bier avait acquises d'une manière si facile,
mais qu'on avait grand soin de tenir secrète. »
Un litre de bonne bière de Strasbourg ne renferme pas moins de
40 grammes d'alcool et de 48 grammes de matière extractive, lesquelles
peuvent se décomposer ainsi : dextrine 35,70, glycose et glycérine 4,
matières protéiques 6, phosphates et sels divers, substance amère et
tannin 2,50.
La bière est donc stimulante par son alcool et tonique par la substance
amère et une petite quantité de tannin qu'elle contient; elle constitue en
outre, par ses matières extractives hydrocarbonées et azotées, une boisson
des plus nourrissantes. C'est à ces dernières matières et, d'après Dancel,
bien plus encore à la très-grande proportion d'eau qu'elle introduit dans
l'organisme qu'elle doit la propriété qu'elle possède très-réellement d'en-
graisser les personnes qui en usent continuellement; voire même de con-
duire à l'obésité, celles qui en font abus.
La bière a été dès l'antiquité employée dans le régime des malades.
Hippocrate y avait très-fréquemment recours, l'école de Salerne en faisait
grnnrl cas, comme le prouvent les vers suivants :
Grossos humores nutrit cerevisia, vires
Praestat, et augmentât carnem, generatque cruorem
Provocat urinam, ventrem quoque mollit et inflat.
"5"2 BOISSONS. — f,oissons spiritueuses.
Stoll, Boerhaave et surtout Sydeuham la prescrivaient clans un grand
nombre de maladie. Aujourd'hui, moins en laveur auprès des médecins,
elle tient une beaucoup moins grande place dans la diététique des mala-
des. Cependant on la prescrit quelquefois dans certaines gastralgies et
chez les individus dune grande susceptibilité nerveuse.
Enfin on emploie sous le nom de brutolès des bières médicamenteuses
préparées avec le quinquina, la gentiane, des espèces antiscorbutiques,
diurétiques, etc. Ces diverses préparations sont inusitées.
Boïssous »pi ri tueuse». — Composées surtout d'alcool et d'eau en
proportion qui oscillent entre 45 et 60 d'alcool pour 100, les liqueurs fortes
doivent à ce dernier liquide leurs propriétés générales et sont, par con-
séquent, d'autant plus actives, c'est-à-dire d'autant plus excitantes, qu'elles
en renferment davantage. Les boissons spiritueuses possèdent en outre
des propriétés spéciales qu'elles empruntent à des produits aromatiques
très-divers, formés, les uns pendant la fermentation des liquides d'où elles
proviennent, les autres par l'action du temps.
Les eaux-de-vie de vin, celles de France surtout, sont les plus estimées
des liqueurs fortes. Il n'est pas de liqueur alcoolique préférable aux vieil-
les eaux-de-vie de Cognac, à celle surtout de qualité supérieure désignée
dans le commerce sous le nom de fine Champagne.
L'eau-de-vie agit promptement et comme sympathiquement sur toute
l'économie qu'elle semble ranimer et rafraîchir tout à la fois. C'est donc
avec raison qu'on a substitué l'eau légèrement additionnée d'eau-de-vie à
l'eau vinaigrée que l'on donnait autrefois aux soldats pendant les cha-
leurs.
A fortes doses, l'eau-de-vie est un poison qui détermine la mort, même
plus rapidement que l'alcool concentré, ce dernier ne pouvant être ab-
sorbé qu'après avoir été dilué par une assez forte proportion de suc gas-
trique. (Cl. Bernard.)
L'excitation produite par les alcooliques sur le système vasculaire et
sur le cœur peut contribuer au développement de l'hypertrophie de cet
organe et à l'aggravation des lésions dont il peut être le siège. La fré-
quence des anévrysmes du cœur dans les hôpitaux militaires serait d'après
Michel Lévy, en grande partie due à cette cause.
Tout le inonde connaît cette hypertrophie des vaisseaux capillaires de
la face, notamment du nez, qui se manifestent chez les buveurs et qui va
souvent jusqu'à produire la couperose ou dartre des ivrognes.
Après un repas un peu copieux, très-peu de bonne eau-de-vie facilite
la digestion et ne peut pas nuire; mais il faut se délier du goût qui se
développe par l'usage, car l'usage conduit insensiblement et presque iné-
vitablement à l'abus (voy. Alcoolisme).
L'eau-de-vie est la boisson alcoolique favorite des ouvriers qui travail-
lent à l'eau, comme les blanchisseurs, les bateliers, les débardeurs, ou la
nuit comme les boulangers, les vidangeurs, etc. C'est surtout la boisson
des ivrognes, par la raison sans doute qu'il est plus facile et moins dis-
pendieux de s'enivrer avec Teau-de-vie qu'avec le vin.
BOISSONS. — boissoïns spiritueuses. 355
Le rhum de bonne q.ualité est une liqueur alcoolique très-estimée et qui
mérite de l'être. Beaucoup de personnes préfèrent même le parfum du
rhum à celui de la meilleure eau-de-vie ; affaire de goût et peut-être
aussi d'habitude. Pour notre part, s'il s'agit de produits supérieurs, rien
ne nous semble préférable à la bonne et vieille eau-de-vie de vin; s'il
s'agit de produits communs, presque toujours adultérés, falsification pour
falsification, nous aurions moins de répugnance pour les mélanges d'eau
et d'alcools inférieurs, colorés par du caramel que pour les macérations de
cuir tanné! Et, si les liqueurs fortes peuvent être de quelque utilité en thé-
rapeutique, notamment dans le traitement du choléra, comme il est encore
plus facile de se procurer de l'eau-de-vie naturelle que du rhum non fal-
sifié, et, d'un autre côté, comme ce dernier liquide ne nous semble jouir
en aucune façon de propriétés spéciales qui en justifient l'emploi, nous ne
comprenons guère l'engouement du public pour le rhum, et moins en-
core la faveur dont il jouit auprès des médecins en temps d'épidémie.
Le Klrschenwasser doit à l'essence d'amandes amères l'odeur et la saveur
qui le font rechercher; il renferme en outre de l'acide prussique, mais
en quantité tout à fait insignifiante; c'est donc à tort qu'on le considère
comme toxique. Nouvellement distillé, il présente un goût d'empyreume
qu'il perd en vieillissant. Le kirsch de bonne qualité et suffisamment
vieux est une liqueur très-agréable, mais dont le parfum ne se développe
complètement que lorsqu'on l'ajoute en petite proportion à de l'eau su-
crée. Le lait sucré et additionné d'un peu de kirsch constitue une sorte de
bavaroise vraiment délicieuse et dont on fait fréquemment usage dans les
pays qui avoisinent la Forêt-Noire.
LcGin, mélange d'alcool de grains et d'essence de genièvre, exerce sur
le cerveau une action stupéfiante extrêmement marquée et produit une
ivresse des plus profondes et des plus abrutissantes. C'est particulièrement
la liqueur alcoolique des ouvriers anglais.
De toutes les liqueurs fortes, la plus enivrante, la plus stupéfianle, la
plus pernicieuse et, malheureusement, celle pour laquelle on se passionne
le plus facilement et dont on est le plus porté à faire abus, c'est l'absinthe;
l'absinthe qui, outre les propriétés enivrantes qu'elle possède comme
boisson alcoolique, exerce, par les essences qu'elle tient en dissolution,
une action spéciale des .plus funestes, qui se porte particulièrement sur
la faculté la plus précieuse de l'intelligence, celle qui en est la mère, et
pour ainsi dire la mesure, la mémoire.
Les liqueurs alcooliques sucrées sont plus agréables à prendre que celles
qui ne le sont point; elles ont aussi une action plus douce et sont mieux
supportées par l'estomac. Il existe, sous les noms de crèmes, d'élixirs
et de ratafias, un nombre extrêmement considérable de ces liqueurs, qui
toutes sont plus ou moins cordiales et stomachiques. Mais les plus en
usage et aussi les plus recommandables sont : la liqueur de cassis, le
curaçao, l'anisette, l'élixir de Garus et la liqueur de la Grande-Char-
treuse.
NOUV. HICT. MÉD.- ET CHIR. V. — 23
354 BOISSONS,! — boissons acidulés gazeuses.
BOISSONS ACIDULES.
Les boissons acidulés gazeuses et non gazeuses feront l'objet de ce cha-
pitre.
Boissons acidulés gazeuses. — Quelle que soit leur composition
et leur origine, les boissons gazeuses doivent presque exclusivement les
propriétés qui les font rechercher à l'acide carbonique qui les sature.
Telles sont les eaux minérales naturelles de Seltz ou Selters (duché de
Nassau), de Schwalhem (liesse), de Saint-Galmier (Loire), de Condillac
(Drômc), de Ghàtcldon (Puy-de-Dôme), de Fougues (Nièvre), voy. ces
mots, etc., et aussi les limonades gazeuses et l'eau gazeuse simple impro-
prement dite eau de Seltz artificielle.
L'industrie des boissons gazeuses eut d'abord pour objet de préparer
des eaux minérales artificielles contenant tous les principes que l'analyse
avait fait découvrir dans les eaux naturelles. L'eau de Selters, la plus en
vogue de toutes les eaux minérales, fut la première que l'on chercha à imi-
ter en saturant d'acide carbonique, à l'aide de mélanges effervescents, ou
par l'introduction directe de ce gaz i Priestley), de l'eau tenant en disso-
lution les différents sels existant dans l'eau minérale naturelle. En 1767,1e
docteur Bevvley supprima les mélanges effervescents et satura l'eau direc-
tement par de l'acide carbonique provenant de la réaction de l'acide sulfu-
rique sur le sel de tartre (carbonate de potasse). Un an plus tard, Lanne et
Pricstley imitèrent les eaux de Seltz en saturant d'acide carbonique l'eau
ordinaire non additionnée de sels ; ils employaient à cet usage le gaz qui
se dégage pendant la fermentation de la bière. Priestley imagina ensuite
un appareil dans lequel l'acide carbonique était obtenu à l'aide de la craie
et de l'acide sulfuriquc, procédé très-économique que l'on suit encore
aujourd'hui. Comparé aux appareils si perfectionnés actuellement en usage,
l'appareil de Priestley, bien que très-ingénieux, paraîtrait évidemment fort
défectueux; cependant, malgré ces imperfections, cet appareil était, jus-
qu'à un certain point susceptible d'applications industrielles, et l'homme
de génie qui l'avait inventé semblait prévoir déjà l'avenir important des
boissons gazeuses et l'extension considérable que prendrait un jour leur
préparation : « Notre procédé, disait-il, peut servir pour donner de l'air
fixe (acide carbonique) au vin, à la bière et à presque toutes les autres
liqueurs. Lorsque la bière est éventée ou est devenue plate, on peut la
ranimer par ce moyen. » Fait digne de remarque, près d'un siècle devait
s'écouler avant qu'on songeât à mettre en pratique cette découverte du
savant Anglais, dans laquelle les brasseurs les plus habiles mettent au-
jourd'hui l'avenir de leur industrie.
Lavoisier ne dédaigna pas non plus de s'occuper de la préparation des
eaux gazeuses ; il construisit à la même époque un appareil qui compre-
nait entre autres perfectionnements l'adjonction d'une pompe foulante,
et avec lequel on pouvait faire dissoudre dans l'eau, non plus seulement
un volume égal de gaz, mais une proportion bien plus considérable.
Plusieurs modifications importantes furent ensuite apportées par divers
BOISSONS. — boissons acidulés' gazeuses. 555
chimistes (Bergmann, Macquer, de Chaulnes, etc.) aux appareils déjà
existants. Mais ce n'est que vers la fin du siècle dernier qu'un pharma-
cien d'origine française établi à Genève, Gosse, construisit et fit fonction-
ner industriellement un appareil qui réunissait tous les avantages de ceux
qui l'avait précédé, et qui permettait de livrer annuellement à la consom-
mation jusqu'à 40,000 bouteilles d'eau gazeuse. Cet appareil devenu
célèbre sous le nom d'appareil de Genève présentait, tout perfectionné
qu'il était, un défaut assez grave : lorsque la saturation était arrivée à un
degré convenable, il fallait soutirer toute l'eau gazeuse pour recommen-
cer une nouvelle opération. Ce temps d'arrêt forcé et nuisible dans la
marche de la fabrication avait fait donner à l'appareil de Gosse le nom
d'appareil à fabrication interrompue.
Un ingénieur anglais Bramah remédia à cet inconvénient en inventant
un appareil à fabrication continue qui se composait d'un producteur de
gaz, de tonneaux laveurs, d'un gazomètre, d'une pompe à la fois aspi-
rante et foulante, et d'un récipient saturateur dans lequel fonctionnait un
agitateur à palettes. Ce récipient avait de plus un niveau d'eau, une sou-
pape de sûreté et un manomètre. L'appareil de Bramah est le seul qui
puisse servir à une fabrication un peu étendue ; aussi est-ce surtout celui-
là que les constructeurs se sont appliqués à perfectionner; néanmoins, il
ne répond pas aussi facilement aux besoins d'une production restreinte
et ne présente d'avantages réels que pour la préparation de l'eau gazeuse
simple. Dès 1799, l'appareil de Genève fonctionnait dans l'établissement
de Tivoli. Ce n'est qu'en 1820 que l'appareil de Bramah fut employé pour
la première fois en France dans rétablissement du Gros-Caillou.
C'est en 1832, pendant l'épidémie de choléra, que la consommation
de l'eau de Scltz commença à prendre un développement un peu im-
portant. La production pour cette même année ne s'éleva pas à moins de
500,000 bouteilles; chaque bouteille valant 75 centimes. A ce prix, elle
n'était encore, il est vrai, qu'une boisson de luxe qui ne pouvait paraître
(pie sur la table du riche. Mais bientôt de nouveaux établissements
s'ouvrirent, la concurrence lit tomber le prix de la bouteille à 50 cen-
times puis à 25 centimes. En même temps, on imagina de débiter des
mélanges effervescents (acide tartricpie etbicarbonate de soude) dont chaque
dose pour une bouteille n'était vendue que 5 centimes (poudre de Fèvrc).
C'est à ce moment que les pharmaciens de Paris voulant faire con-
sidérer l'eau de Seltz comme un médicament, revendiquèrent le monopole
de sa préparation. Le tribunal de première instance de la Seine, par son
jugement du H juillet 1855, en déclarant les pharmaciens mal fondés en
leur demande fit assurément un acte de justice qui, sans léser d'une
manière bien sensible les intérêts de la pharmacie, permit à l'industrie
des boissons gazeuses de se développer librement, et d'arriver à cet état
de prospérité, dans lequel, au double point de vue de l'hygiène et de la
thérapeutique, il est si désirable qu'elle se maintienne.
Il serait évidemment superflu d'indiquer ici les différents appareils
qui depuis trente ans ont été imaginés par Vernaut et Barruel, Savaresse,
556 BOISSONS. — boissons acidulés gazf.uses.
Stevenaux, etc., et qui pour la plupart ue sont que des modifications
plus ou moins ingénieuses des appareils de Gosse ou de Bramah. Nous
nous contenterons donc de représenter ici et de décrire sommairement deux
des appareils les mieux organisés qui existent aujourd'hui pour la fabrica-
tion des diverses boissons gazeuses, l'appareil à compression mécanique
et à fabrication continue de llermann-Lachapelle et Glover, et l'appareil
à fabrication semi-continue de II. Ozouf et Cazaubon.
Les appareils de llermann-Lachapelle et Glover se compose de cinq
pièces principales : 1° un producteur d'acide carbonique A ; 2° un épura-
teur à trois compartiments B ; 5° un gazomètre à double suspension G
BOISSONS.
liOlSSONS ACIDULES GAZEUSES.
557
4° un saturateur sphérique desservi par une pompe D; 5° un tirage ta
bouteille E et à siphon F.
Le saturateur peut être à deux sphères et à deux corps de pompe,
suivant la destination et la puissance de l'appareil. Tous les appareils
d'Hermann-Lachapelle et Glover ne différant entre eux que par leurs pro-
portions, la description de l'un d'eux s'applique à tous les autres. Les
grands appareils à deux sphères et à deux corps de pompe peuvent pro-
duire jusqu'à dix mille siphons.
On peut à volonté tirer l'eau en bouteilles ou en siphons, mais ce dernier
tirage est de beaucoup préférable.
L'invention des siphons ou bou-
teilles siphoïdes, à petit ou à grand
levier ( fig. 42 et 15), surtout
avec les perfectionnements que
Cazaubon, successeur d'Ozouf, y
a apportés, fournit au consom-
mateur un moyen commode de
verser l'eau sans aucune perte
de gaz et de conserver les der-
Fig. 12. — Vase sipnc
à petit levier.
Fig. 13. — Gourde basse
à grand levier.
vases étant herméti-
&=*
nières portions aussi chargées
que les premières. De plus, la fermeture de ces
que, le fabricant n'a pas à redouter les
rebuts que le fuite de gaz à travers les
bouchons de liège rendaient si fré-
quents.
Les appareils semi-continus d'Ozouf
(fig. 14) se composent essentiellement
d'un producteur, d'un laveur, d'un vase
à acide et d'un saturateur. Ces divers
organes qui étaient placés primitive-
ment sur un socle en bois, sont au-
jourd'hui, dans les appareils perfec-
tionnés par Cazaubon, montés sur deux
bâtis en fonte destinés à rendre leur
maniement plus facile. Les appareils
sont élégants, d'une grande solidité,
tiennent peu de place (1 mètre carré),
peuvent suffire aux besoins d'une fa-
brication moyenne; une seule per-
sonne peut les faire fonctionner.
Il nous reste à dire un mot des
appareils portatifs dits appareils de
ménage. Les premiers appareils de ce
genre furent inventés par le docteur
Nooth et remonteraient, dit -on, à
l'année 1778. Sous les noms de gazogènes, seltzogènes, etc., un grand
Fig. 14. — Appareil Ozouf à fabrication semi-
conlinue. — A. Manomètre — B, Soupape
de sûreté. — C, Niveau d'eau. — D, Sphère
ou récipient saturateur. — E, Machine à
bouclier. — /", Cylindre producteur. —
G, Socle en bois supportant l'ensemble
de l'appareil. — i, Emplissage des bou-
teilles avec cuirasse. — K , Guide au
mouvement d'eniplissage. — L , Volant
pour mouvement de la pompe. — M, Pompe
et mouvements. — N, Engrenages. —
o, Tuyau de refoulement des liquides dans
la sphère.
358
BOISSONS.
BOISSONS ACIDULES GAZEUSES.
Fig. 15. — Gazogène Briet.
nombre de ces appareils portatifs ont été brevetés dans ces derniers temps.
Le plus ingénieux et le plus connu de tous est l'appareil Briet (fig. 15).
Il consiste en deux vases ovoïdes en cristal très-
résistant réunis ensemble par une armature en
étain et à vis. Le vase inférieur, producteur,
appelé boule, reçoit le mélange effervescent; il
est soudé sur un pied en porcelaine et son ar-
mature est munie d'un robinet par lequel s'é-
chappe l'eau gazeuse. Le vase supérieur, satu-
rateur, ou carafe, contient l'eau que l'on veut
saturer. Ces deux parties de l'appareil, le pro-
ducteur et le saturateur, sont entourés d'un
clissage en rotin, destiné à arrêter les frag-
ments de verre en cas d'explosion ; précaution
surabondante, du reste, puisque les vases sont
construits en verre suffisamment épais pour
résister à une pression plus que double de celle
qu'ils supportent avec la charge ordinaire.
Lorsque les substances gazogènes ont été in-
troduites dans le vase producteur, on fait, par
un léger effort, pénétrer dans le goulot de
celui-ci, un tube obturateur en étain dont la
disposition très-ingénieuse permet au gaz de
se rendre dans la carafe pour se dissoudre dans l'eau qu'elle ren-
ferme, sans qu'on ait à craindre le passage, du moins en quantité appré-
ciable, des matériaux salins contenus dans le vase producteur. A la partie
inférieure de ce tube obturateur se trouve adaptée une petite boîte cy-
lindrique se fermant à vis et percée de plusieurs trous. Un petit crible en
argent, qui donne issue au gaz, entoure le tube et forme la partie
supérieure du cylindre autour duquel est fixé une virole en caoutchouc
garnie d'étoupe, destinée à obtenir une fermeture plus parfaite. Ce
tube est la partie la plus importante et, pour ainsi dire, l'àme du ga-
zogène Briet. Tout étant disposé comme il vient d'être dit, on ren-
verse le producteur et on le visse sur la carafe préalablement remplie
d'eau filtrée. On retourne ensuite l'appareil; une petite quantité d'eau
tombe sur le mélange effervescent et la réaction commence. Il est es-
sentiel de laisser cette réaction continuer au moins pendant un quart
d'heure, afin de donner le temps au gaz de se produire et de se dis-
soudre.
Mondollot frères ont, dans ces derniers temps, perfectionné ces ap-
pareils: 1° en remplaçant, par un pas de vis et une rondelle en caoutchouc,
le collage en mastic à l'aide duquel étaient assujettis à leurs garnitures
en étain les vases producteurs et saturateurs ; 2° en substituant à l'emploi
de l'étain celui du verre et de la porcelaine dans la construction du tube
obturateur.
Les doses de substances effervescentes à employer, pour un litre d'eau,
BOISSONS. — boissons acidulés nok gazeuses. 559
dans un appareil seltzogène quelconque, doivent être de: bicarbonate
de soude, 18 grammes, acide tartrique granulé, 45 grammes.
Par économie, on a essayé de substituer à l'acide tartrique, l'acide
sulfurique. A cet effet, on se servait d'un petit appareil assez ingénieux,
le porte-acide Garnaud ; mais l'acide sulfurique étant d'une manipulation
dangereuse, cette innovation fut bientôt abandonnée. Aujourd'hui, dans
les hôpitaux de Paris, pour la charge des appareils Briet, les seuls en
usage dans ces établissements, on se sert de cartouches composées de
25 grammes de bicarbonate de soude et d'environ autant de bisulfate de
soude.
Ce dernier sel est renfermé dans une petite fiole bouchée, et recouverte
d'une capsule en papier, collée à sa paroi extérieure, et contenant le
bi-carbonate.
Le reproche que l'on peut adresser à tous les appareils seltzogènes dits1
de ménage est de produire des boissons gazeuses renfermant toujours
en dissolution une proportion plus ou moins notable de tartrate ou de
sulfate sodique, composés purgatifs dont l'usage continuel peut exercer
une action fâcheuse sur la muqueuse de l'appareil digestif. Produite
dans les appareils de grande fabrication, l'eau de Seltz en siphons, qui ne
présente jamais l'inconvénient qui vient d'être signalé, sera donc toujours
préférable; cependant, il est juste de le reconnaître, l'appareil Briet est
de tous les appareils de ménage celui qui présente cet inconvénient au
moindre degré, et même on peut dire que, lorsqu'il est en bon état, le
mélange des sels avec l'eau gazeuse, s'il existe, ne se fait réellement qu'en
proportions tout à fait inappréciables.
A côté de ce léger inconvénient, l'appareil Briet présente d'incontesta-
bles avantages : il est peu coûteux, élégant, commode, facile à entre-
tenir et à réparer; il permet de rendre gazeuse toute espèce de boissons :
vin, bière, cidre, limonades, etc., et, sous ce rapport, il rend chaque
jour de très-grands et très-réels services à l'économie domestique, à l'hy-
giène, à la thérapeutique.
B. Limonades gazeuses. — De toutes les boissons acidulés gazeuses, la
limonade gazeuse simple est la plus usitée et l'une des plus agréables.
Sa préparation est très-simple, elle consiste à introduire dans chaque
bouteille (d'une contenance de 675 grammes), 75 grammes de sirop de
limons, et de tirer l'eau gazeuse par-dessus, sous la pression d'environ
huit atmosphères. Avec l'appareil Briet, il suffit, pour l'obtenir, de rem-
placer l'eau ordinaire du saturateur par de l'eau contenant par litre en-
viron 100 grammes de sirop de limons, et de faire, du reste fonctionner
l'appareil comme pour la préparation de l'eau de Seltz. On obtiendra éga-
lement des limonades gazeuses fort agréables en substituant au sirop de
limons ceux d'oranges, de framboises, de fraises, de groseilles, etc. Enfin
on pourra, par les mêmes moyens, rendre gazeuses les limonades miné-
rales sulfurique, azotique, phosphorique, chlorhydrique, etc.
Boissons acidulés non gazeuses. — Les sucs des fruits acides, i
le vinaigre, les acides citrique tartrique, oxalique; les acides minéraux
oGO BOISSONS. — boissons acidulés non gazeuses.
ajoutés en proportions convenables à de l'eau sucrée, constituent des bois-
sons plus ou moins agréables que l'on nomme des limonades.
Les limonades végétales sont préparées avec des sucs de fruits acides ou
avec des acides végétaux. Les principales sont : les limonades au citron, à
l'orange, à la groseille, au vinaigre.
La limonade au citron ou limonade proprement dite, et la limonade à
l'orange ou orangeade s'obtiennent en exprimant simplement le suc du
citron ou de l'orange dans de l'eau suffisamment sucrée, ou en faisant
bouillir (limonades cuites) pendant quelques instants dans un litre d'eau,
un citron ou une orange parfaitement privés de leur écorce; passant
ensuite à travers un linge et ajoutant 60 grammes de sirop de sucre. Dans
les deux cas on aromatise les produits obtenus à l'aide d'un petit frag-
ment de sucre que Ton a préalablement frotté sur l'épicarpe du fruit
avant de le décortiquer.
On prépare encore la limonade au citron et l'orangeade avec les sirops
de limons et d'oranges ; mais, comme ces sirops s'obtiennent avec des
sucs fermentes et que, dans beaucoup d'officines, ils ne sont même,
le plus souvent que du sirop de sucre additionné d'acide citrique et de
teinture de zestes de citrons ou d'oranges, il est préférable, toutes les
fois qu'on peut se procurer des fruits bien conservés, de ne pas avoir
recours à ce moyen.
Dans les hôpitaux, la limonade que Ton donne aux malades, à moins
de prescription spéciale, est la limonade citrique, solution de 60 grammes
de sirop d'acide citrique dans un litre d'eau.
On appelle limonades sèches des poudres formées de sucre : 97 par-
ties; acide citrique, tartrique ou oxalique 5 parties, aromatisées avec suffi-
sante quantité d'essence de citron, d'orange, etc.
Sous le nom de soda-water, les Anglais préparent au mélange effer-
vescent de 5 parties d'acide citrique, 1 gramme de bicarbonate de soude
et 15 grammes de sucre, pour 500 grammes d'eau. En France la dénomi-
nation de soda s'applique à un mélange de sirop de groseilles et d'eau de
Seltz.
Voxycrat est un mélange d'eau et de vinaigre (environ 50 grammes par
litre) avec ou sans addition de sucre. Lorsqu'il doit êtreédulcoré, on peut
le préparer en ajoutant à un litre d'eau ordinaire, 60 à 80 grammes de
sirop de vinaigre framboise.
Les limonades minérales se préparent en additionnant d'acide sulfu-
rique, azotique, phosphorique ou chlorhydriquc, etc., de l'eau contenant
par litre 75 grammes de sirop de sucre. Au lieu d'indiquer en poids la
quantité d'acide qui doit entrer dans ces différentes boissons, mieux vaut,
pour éviter les erreurs dans les prescriptions, exprimer cette quantité,
variable du reste pour chaque acide, par les mots : ad gratam aciditatem.
Usage des boissons acidulés. — Envisagées au point de vue deJ'bygiène,
où nous devons surtout nous placer ici, comme aussi au point de vue de
la thérapeutique, les boissons acidulés présentent à étudier divers modes
d'action.
BOISSONS. BOISSONS ACIDULES 1SON GAZEUSES. 561
De quelque nature qu'elles soient, ces boissons ont toutes pour effet
immédiat de produire sur la muqueuse buccale une sensation agréable
de fraîcheur qui les rend particulièrement propres à étancher la soif; en
outre, elles ont pour effet consécutif, par la grande proportion d'eau
qu'elles renferment toutes, de pouvoir servir, presque à l'égal de l'eau
elle-même, à réparer les pertes aqueuses que fait sans cesse l'économie
par la transpiration cutanée, la sécrétion rénale et l'exhalation pulmo-
naire.
De plus, suivant qu'elles sont gazeuses ou non gazeuses, suivant quelles
doivent leur saveur aigrelette à un acide végétal ou à un acide minéral,
les boissons acidulés, outre ces effets généraux, produisent sur l'orga-
nisme desclfets spéciaux qui méritent particulièrement d'être signalés.
Ainsi l'eau de Seltz, les limonades gazeuses, toutes les boissons char-
gées d'acide carbonique, empruntent à cet acide des propriétés particu-
lières]; les limonades végétales n'agissent pas complètement de la même
manière que les limonades minérales; et les unes et les autres, les der-
nières surtout, présentent aussi entre elles, au point de vue thérapeutique,
d'assez sensibles différences (voy. Acides et Acidulés).
Veau gazeuse simple, que l'on désigne le plus souvent, quoique très-
improprement sous le nom d'eau de Seltz, a depuis longtemps remplacé,
à peu près complètement les eaux minérales de Seltz ou Selters naturelle
et artificielle. Il est à remarquer néanmoins qu'il se fait actuellement une
consommation assez notable d'eaux minérales naturelles fort analogues à
l'eau de Selters, par leur composition chimique, telles que les eaux de
Saint-Galmier, deCondillac, de Chàteldon, de Pougues, de Soultzmatt, de
Schwalhem et quelques autres, plus ou moins en vogue aujourd'hui comme
boissons de table.
Comme le gaz acide carbonique existe, dans les eaux naturelles, en
dissolution plus parfaite que dans les eaux artificielles, les premières,
une fois versées et exposées à l'air, conservent, il est vrai, plus facilement
que les dernières, le gaz qui les sature ; mais, d'un autre côté, comme
aucune eau minérale gazeuse naturelle ne renferme autant d'acide carbo-
nique qu'il est possible d'en introduire dans les eaux gazeuses artificielles,
comme aussi les eaux gazeuses naturelles renferment une quantité de
sels alcalins et terreux toujours plus considérable que celle contenue
dans les eaux potables qui, d'ordinaire, servent à la préparation de l'eau
de Seltz ou eau gazeuse simple, on comprend que, dans un grand nombre
de cas, la préférence soit accordée à celle-ci.
L'eau de Seltz, mêlée au vin et prise aux repas, constitue une boisson
des plus agréables et des plus salutaires. Elle flatte le palais, rafraîchit
sans irriter; elle est tonique, apéritive, diurétique; elle favorise les fonc-
tions de tout l'appareil digestif. L'introduction de l'eau gazeuse dans la
consommation publique est une des plus précieuses conquêtes de l'hygiène
moderne; c'est, pour la société, dit Herpin (de Metz), un véritable bien-
fait, une cause de bien-être. L'eau gazeuze est, pour le pauvre, une bois-
son qui l'aide à digérer une nourriture souvent grossière et peu appétis-
502 BOISSONS. — Boissoiss acidulés non gazeuses.
saute; qui le trompe agréablement, et sans inconvénient, sur la saveur
des vins de bas prix dont il s'abreuve, et qui, avantage non moins grand,
peut, en lui faisant contracter l'habitude d'étendre d'eau le vin qu'il prend
a ses repas, l'éloigner, jusqu'à un certain point, de l'abus qu'il serait
tenté de faire des boissons alcooliques.
Comme médicament, l'eau gazeuse est administrée avec succès, surtout
contre les vomissements nerveux et ceux qui dépendent d'une affection
organique et chronique de l'estomac.
L'eau de Seltz et toutes les eaux carbo-gazeuscs sont recommandées,
dit Herpin, de Metz, dans toutes les maladies des membranes muqueuses
caractérisées par une excitation ou une perturbation particulière accom-
pagnée d'une sécrétion morbide ; tels que :
1° Les maladies chroniques des muqueuses, tant avec un caractère de
faiblesse et d'atonie qu'avec une certaine excitation inflammatoire, dans
les vomissements habituels, dans les catarrhes chroniques du nez, de la
poitrine, de la vessie, des voies urinaires.
2° L'état muqueux du canal intestinal, les coliques, les engorgements
du foie, de la rate et des viscères parenchymateux.
o° Dans les maladies chroniques du système vasculaire, avec atonie ou
bien augmentation d'irritabilité, spécialement dans les hémorrhoïdes, la
dysménorrhée.
4° Dans les maladies nerveuses : état convulsif, crampes d'estomac,
vomissements, coliques, etc.
5° Au commencement des hydropisies, en excitant le système lympha-
tique et en activant la sécrétion des urines par leurs propriétés diuré-
tiques.
6° Dans le cas de pierre ou de gravelle, tant pour corriger la disposi-
tion à cette maladie que pour faciliter l'évacuation des concrétions et
diminuer la douleur occasionnée par leur présence.
On a préconisé aussi l'eau de Seltz et les eaux acidulés gazeuses dans
le scorbut (Barbier), dans les douleurs néphrétiques calculeuses (Orfila),
dans la tuberculisation récente (Hufeland), etc., etc.
Prise en excès par des sujets affaiblis ou d'une grande susceptibilité
nerveuse, l'eau de Seltz peut déterminer une surexcitation des voies di-
gestives, des vertiges et même l'ivresse (Cazenave); mais ces symptômes
qui ne se montrent, du reste, qu'exceptionnellement, ne peuvent, dans
aucun cas, être invoqués contre l'innocuité, aujourd'hui bien démontrée,
du gaz acide carbonique.
Les limonades minérales sulfurique, phosphorique, azotique, chlorhy-
drique, etc., outre les propriétés qu'elles partagent avec les limonades
végétales, d'éteindre la sensation de la soif et d'exciter les muqueuses di-
gestives, produisent sur l'organisme des effets secondaires très-distincts
que nous allons essayer d'analyser.
Les limonades minérales une fois ingérées, sont absorbées en partie
par l'estomac et en partie par le canal intestinal. La portion absorbée
par les veines de l'estomac passe dans le sang, s'y sature, et, diminuant
BOISSONS. — boissons acidulés non gazeuses. 563
l'alcalinité de ce liquide, tend à contracter les éléments albuminoïdes
qu'il renferme; de plus, la petite quantité de sel alcalin, sulfate, phos-
phate, azotate ou chlorure, formée dans cette circonstance, agit ultérieu-
rement comme diurétique. Quant à la portion qui pénètre dans l'intes-
tin, comme elle n'est absorbée qu'après avoir été saturée par les sucs de
ce canal, elle ne peut exercer sur le sang aucune action coagulante ; elle
est uniquement diurétique. Enfin, par la grande quantité d'eau dont elles
sont formées, les limonades minérales agissent, en outre, comme anti-
phlogistiques. De sorte que les boissons acidulées par les acides sulfuri-
que, phosphorique, azotique, chlorhydrique, etc., abstraction faite
de certaines propriétés particulières à chacune d'elles, peuvent être con-
sidérées, en définitive, comme exerçant sur l'organisme une action médi-
catrice à la fois tonique, tempérante et diurétique.
Les limonades végétales, jusqu'à leur entrée dans l'appareil circula-
toire, se comportent, à peu près, de la même manière que les limonades
minérales; mais, tandis que les acides sulfurique, phosphorique, azo-
tique, etc., dont ces dernières sont formées, n'éprouvent, dans le sang,
aucune décomposition ; les acides végétaux: citrique, tartrique, mali-
que, acétique, etc., qui existent dans les premières, sont, au contraire,
brûlés dans la combustion circulatoire et donnent pour produits ultimes
des carbonates alcalins. Or, ces derniers sels étant, comme on le sait,
des fluidifiants du sang, les limonades végétales , en fin de compte,
exercent sur l'organisme une action débilitante. Les considérations qui
précèdent justifient, du reste, la division établie par le professeur
Mitscherlich, lequel appelle tonico-tempérants, les acides minéraux, et
rafraîchissants, les acides végétaux.
Tliermalité des boissons. — Indépendamment des effets généraux ou
spéciaux, dus à la nature des éléments qui les constituent, les boissons,
quelle que soit leur composition, produisent, suivant qu'elles sont froi-
des, chaudes ou tièdes, des effets très-différents qui, en hygiène et en
thérapeuthique, peuvent présenter, selon les cas, des avantages ou des
inconvénients.
« Les boissons tièdes sont lourdes, indigestes, produisent l'anorexie
et sont des auxiliaires de l'action perturbatrice des émétiques.
« Les boissons chaudes exercent sur l'estomac une action excitatrice
très-puissante; leur influence ne se fait pas seulement sentir lorsque le
calorique est porté directement dans l'estomac, il est d'observation, chez
les dyspepsiques, que l'application d'un corps chaud : sachet, cata-
plasme, etc., sur le creux épigastrique, active, d'une manière non moins
douteuse, le travail de la digestion.
« Dans les dyspepsies atoniques, forme si fréquente des dérangements
fonctionnels de l'estomac, principalement chez les femmes qui présentent
quelques troubles du côté de l'utérus, il y a avantage à prescrire des bois-
sons chaudes; mais à une condition expresse, c'est qu'il n'existe ni vo-
missements, ni douleurs. La flatulence, compagne assidue de l'état
dyspepsique, n'est pas un phénomène qui contre-indique l'usage des bois
564 BOISSONS. — boissons acidulks .non gazeuses.
sons chaudes, car il s'agit bien moins de ne pas dilater par la chaleur les
gaz produits dans l'estomac que d'en tarir la source en combattant la
torpeur atonique des parois de cet organe. » (Fonssagrives.)
Toutes les fois, au contraire, qu'une affection de l'estomac se compli-
quera de douleurs et de vomissements, les boissons froides, qui exercent
sur les nerfs de cet organe une action anesthésique puissante et qui
diminuent les spasmes de sa tunique musculaire, devront être préférées.
Les boissons froides sont d'un grand secours dans les vomissements
opiniâtres, dans l^s diverses formes de la dyspepsie douloureuse, dans la
gastrorrhagic, le choléra, etc.
Mais à côté des précieux services qu'elles peuvent rendre à la théra-
peutique, les boissons froides peuvent présenter en hygiène de très-graves
inconvénients. Guérard , dans un remarquable mémoire sur les acci-
dents qui peuvent succéder à l'ingestion de ces boissons, a rapporté plu-
sieurs exemples de mort instantanée après l'ingestion d'une boisson
froide, le corps étant échauffé par une marche pénible ou un exercice
violent.
« Des affections spasmodiques et des phlegmasies peuvent se déclarer
sous les mêmes influences ; aux premières se rattachent certaines gastral-
gies ; aux secondes appartiennent la gastrite aiguë, la gastro-entérite, la
péritonite avec ou sans épanchement, la dysenterie, etc. Enfin, si l'on
s'en rapporte aux assertions des auteurs, presque toutes les maladies
aiguës ou chroniques de la poitrine pourraient résulter de l'usage impru-
dent des boissons froides. Van Swieten dit avoir vu plusieurs fois l'hé-
moptysie se déclarer aussitôt après l'ingestion d'une boisson froide, le
corps étant échauffé et en sueur. »
En résumé, continue Guérard, les accidents les plus variés et les plus
sérieux peuvent résulter de l'ingestion des boissons froides, quelle qu'en
soit la nature, lorsque le corps est échauffé, et particulièrement pendant
la saison chaude.
La gravité de ces accidents est liée aux quatre conditions suivantes:
« 1° Echautfement préalable du corps ; 2° vacuité actuelle de l'estomac;
5° grande quantité de boisson ingérée dans un temps donné; 4° bas^e
température de cette boisson.
« Ce n'est pas sans raison, dit Guérard, que nous plaçons en dernier lieu
la basse température de la boisson. Cette condition, tout influente qu'elle
est, n'est que secondaire, puisque nous avons vu que de l'eau, de la
bière, du vin à -f- 11° ou H-12u pouvaient produire la mort instantanée,
ce qui n'a jamais lieu avec les glaces, et ce qui paraîtrait devoir être plus
rare avec les boissons à zéro.
« La vacuité de l'estomac aide puissamment aux elfets fâcheux qui
viennent d'être signalés ; en effet, par cette circonstance, la boisson arrive
immédiatement au contact de la membrane muqueuse gastrique : lorsque,
au contraire, des aliments en plus ou moins grande proportion, occupent
la cavité du viscère, le liquide se mêle à la masse, s'y échauffe, et perd
ainsi ses propriétés nuisibles.
BOISSONS.
BOISSONS AROMATIQUES.
365
« On doit encore, dans l'appréciation des effets des boissons froides,
attribuer une grande part à la quantité de boisson ingérée dans un temps
déterminé, puisque de cette quantité dépend l'étendue de la surface
impressionnée simultanément, et, par conséquent, la gravité des accidents
produits; la lenteur avec laquelle les glaces arrivent dans l'estomac suffit
donc pour nous rendre raison de leur innocuité relative; et déplus, l'ex-
périence s'accorde avec la théorie pour établir qu'il est possible de pré-
venir les effets fâcheux d'un liquide froid, en ne l'avalant que par petites
portions et à des intervalles plus ou moins éloignés, suivant la tempé-
rature. »
BOISSONS AROMATIQUES.
Thé. — Plusieurs arbrisseaux de la Chine et du Japon fournissent cette
précieuse substance. Linné rapportait les diverses sortes de thé qui, de
son temps, existaient
dans le commerce, à deux
espèces distinctes qu'il
nommait tliea bohe.a et
thea viriciis. D'autres bo-
tanistes créèrent après
lui plusieurs espèces
nouvelles; mais il est
admis aujourd'hui que
toutes ces espèces, qui,
du reste, ne diffèrent
guère que par le nombre
de leurs pétales, ne sont
que des variétés d'une
seule et même espèce, le
thea sinensis, Simson,
de la famille des Terns-
trémiacées de De Can-
dolle, Aurantiacées à
fruit capsulaire de A. L.
de Jussicu.
Caractères spécifiques
àuthea sinensis (fig. 16) :
tige haute de deux à trois
mètres ; feuilles alternes,
ovales, oblongues, poin-
tues, finement dentées;
fleurs axillaires, pédonculées; calice à cinq divisions presque complète-
ment distinctes; corolle de six à neuf pétales; étamines nombreuses,
plurisériées; ovaire libre, triloculaire, à styles trilides; fruit capsulaire
à trois logos contenant ordinairement une seule semence ronde, plus ra-
rement deux.
sf. /t'/û>?y9^rty.Jr'
FiG. 15 — Thé.
5C6 BOISSONS. — boisas aromatiques
Le thé est cultivé sur les bords des champs ou en quinconces sur le
penchant des coteaux. La récolte a lieu plusieurs fois par an, et commence
vers le milieu d'avril. Les premières feuilles sont couvertes d'un duvet à
reflets blanchâtres; elles donnent le thé le plus lin et le plus parfumé. La
deuxième récolte est plus abondante et les feuilles plus grandes. Les troi-
sièmes et quatrièmes feuilles sont encore plus développées, mais leur
odeur est moins suave et leur saveur moins agréable.
Les feuilles récoltées sont entassées dans des paniers de bambou et de
jonc, et apportées aux ateliers de séchage établis sous des hangars. On
croyait anciennement qu'elles étaient d'abord plongées, pendant une
demi-minute, dans l'eau bouillante. Il paraît qu'il n'en est rien. On les
met dans de petites bassines de tôle encastrées au nombre de deux, trois,
quatre ou davantage, à la suite les unes des autres, sur un fourneau hori-
zontal. Des ouvriers les remuent sans cesse, soit à la main, soit avec un
petit balai en baguettes de bambou. Dans certains endroits, on jette les
feuilles sur de grandes plaques de fer ou de cuivre placées aussi sur un
fourneau. Au bout de cinq minutes, elles se crispent; on les enlève alors
pour les étendre sur une table à claire voie formée de tiges de bambou
ou sur de grandes nattes disposées sur des tables. D'autres ouvriers les
prennent, les pétrissent, les roulent avec la paume de la main; au bout
de quelques minutes, le volume des feuilles est réduit des deux tiers ou
des trois quarts. On leur fait subir une sorte de vannage, puis on les
étend à l'air. Dans certaines localités, on les refroidit à l'aide de grands
éventails. Cette opération du grillage est répétée deux ou trois fois; mais
on chauffe de moins en moins les bassines et les plaques, et l'on roule
les feuilles de plus en plus. Pour les thés les plus estimés, chaque feuille
doit être, dit-on, roulée séparément, tandis que pour les thés communs,
on en roule plusieurs à la fois.
Lorsque le thé est bien roulé et bien sec, on le crible ; puis on ren-
ferme dans des caisses ou dans des boîtes que l'on ferme exactement.
Le nombre des thés du commerce est considérable, et dans chaque va-
riété il y a souvent plusieurs nuances. Les qualités des diverses sortes
dépendent du pays, de l'exposition de l'arbrisseau, de sa culture, de
l'âge des feuilles, de la durée du grillage et de l'art avec lequel on les a
préparées.
On a divisé les thés en deux groupes : 1° les thés verts; 2° les thés
noirs.
Les premiers ont une couleur verte ou grisâtre, plus ou moins glauque;
leur infusion est blonde; ils ont une saveur aromatiqne un peu acre. Les
seconds ont une teinte plus ou moins brune; leur infusion est plus fon-
cée; ils sont moins aromatiques, mais plus doux. On obtient les thés
verts par une dessiccation rapide qui ne laisse que peu de prise aux alté-
rations spontanées et conserve aux feuilles, le plus possible, leur colora-
tion naturelle. On produit les thés noirs par une dessiccation lente qui
modifie leur couleur et affaiblit leurs propriétés.
Il existe en Chine des districts à thé vert et des districts à thé noir,
BOISSONS. — boissons aromatiques.. 367
distinctions fondées principalement sur les habitudes locales de la fabri-
cation.
Les principales sortes de thés verts sont :
1° Le thé hayswen, ou hiswin, ou hyson, en feuilles roulées longitudi-
nalement, d'une teinte vert sombre bleuâtre, d'une odeur agréable et
d'une saveur astringente. Par l'infusion les feuilles se développent, ac-
quièrent de trois à cinq centimètres de longueur, d'un centimètre et demi
à deux centimètres de largeur, et une teinte plus verte. C'est un des
meilleurs thés et un de ceux qu'on emploie le plus généralement en
France.
Le thé hyson jeune est produit par des feuilles encore peu développées.
Il est rare et d'un haut prix. En Chine, on l'offre en cadeau aux per-
sonnes éminentes de l'empire.
2° Le thé chulan, ou schulang, ou threhulan, qui ressemble entière-
ment, par ses caractères physiques et par les propriétés de son infusion,
au thé hayswen, mais dont l'odeur est beaucoup plus suave. Cette odeur
est celle de Volea frayrans, plante avec laquelle le thé chulan est, dit-on,
aromatisé.
D'autres sortes semblent également devoir leur odeur particulière à di-
verses substances aromatiques, telles une les fleurs de Camellia sesanqua,
de jasminwn sambac, etc.
5° Le thé perlé ou impérial, à feuilles roulées dans le sens de la lon-
gueur, puis repliées dans celui de la largeur, disposition qui lui donne
un aspect globuleux et le rend moins accessible à l'humidité. Il est d'un
vert argenté; son parfum est très-agréable.
4° Le thé pondre à canon, ou choo-cha, qui ne parait être que du thé
perlé, dont les feuilles, avant d'être roulées, ont été d'abord divisées en
plusieurs fragments. En petites boules très-serrées, lourdes, d'un vert
un peu noirâtre.
Les principaux thés noirs sont :
1° Le thé pekao ou pak-ho (duvet blanc), à feuilles très-jeunes, recou-
vertes de duvet blanchâtre; d'odeur forte et suave. C'est le plus lin et le
plus estimé des thés noirs.
2° Le thé congo ou koong-foo, à feuilles minces, courtes, d'un noir
grisâtre. Odeur et saveur très-agréables. Thé de famille des Russes.
5° Le thé soncliony ou bouy, à feuilles assez grandes, lâchement rou-
lées dans le sens de la longueur; brun noirâtre, odeur et saveur plus
faibles que celles des deux premières sortes.
Tous les thés lins, destinés à l'exportation, sont enfermés dans des
caisses vernissées, doublées de lames d'étain, de plomb, de feuilles sèches
ou de papier peint. Ces caisses sont, en outre, revêtues de nattes de bam-
bou très-serrées, ou recouvertes de peau. Ce dernier emballage ne se pra-
tique que pour les thés fins envoyés en Russie, et qu'on désigne sous le
nom de thé de la Caravane.
Le thé a été analysé par plusieurs chimistes , particulièrement par
Péligot. 11 renferme : 1° une huile essentielle à laquelle il doit son arôme,
068 BOISSONS. — boissons aromatiques.
et qui, isolée par la distillation du thé au contact de l'eau, exhale une
odeur forte et étourdissante ; 2° une suhstance alcaloïdique très-azotée,
cristallisable, la caféine, découverte d'abord par Runge, en 1820, dans le
café, et trouvée plus tard dans le thé par Oudry, et par Th. Martine, dans
le guarana (voy. ce mot) ; 3° une matière albuminoïde, signalée par Péli-
got, et <jui se trouve en abondance dans la feuille du thé après qu'on
en a extrait, au moyen de l'eau bouillante, tous les principes solubles :
cette matière, identique avec la caséine du lait, existe dans la proportion
de 28 pour 100 dans la feuille épuisée par l'eau bouillante. Le thé se
compose en outre de ligneux qui en forme environ la moitié, de gomme,
de tannin, d'albumine végétale et de sels divers.
D'après Mulder, 100 parties de thé contiennent :
Huile essentielle
Chlorophylle
Cire
Résine
Gomme
Tannin
Caféine
Matières exlractives
Matière colorante particulière..
Albumine (caséine de Péligot)
Fibres (cellulose)
Cendres
Les thés sont quelquefois l'objet de falsifications qui consistent princi-
palement dans des colorations artificielles avec le curcuma, le bleu de
Prusse, etc., ou dans des substitutions de feuilles étrangères au thé,
telles que celles de frêne, de saule, d'églantier, d'orme, etc. (Chevallier).
On emploie en infusion théiforme, dans les diverses parties du globe,
les feuilles ou les fleurs d'un grand nombre de végétaux. Dans l'A-
mérique septentrionale, on fait usage des feuilles de l'ilex vomitoria
ou thé des Apalaches; au Pérou, il se fait un commerce fort considé-
rable des feuilles de coca, erythroxulon coca, dont la saveur est faible-
ment aromatique et amère, et dont les propriétés excitantes sont telle-
ment prononcées, qu'en mâchant ces feuilles continuellement, comme
font beaucoup d'Indiens, elles finissent par produire une sorte d'eni-
vrement.
On appelle thé du Mexique, le chenopodium ambroisioïdes ; thé du
Canada, le gaultheria procumbens; thé des Kalmares, le glycirrhiza
aspera ; thé d' Europe, la véronique officinale, la mélisse et surtout la sauge,
plante qui, pendant quelque temps, fut envoyée en Asie, en échange du
thé fourni par l'arbrisseau de la Chine, mais qui n'eut pas, dans le Céleste
Empire, le succès que ce dernier obtint parmi nous.
Usages. — L'usage du thé, en Chine et dans plusieurs autres parties
de l'Asie, remonte à la plus haute antiquité. En Europe, il ne fut intro-
duit que vers le milieu du dix-septième siècle- Il se répandit peu à peu,
THE VERT.
THE NOIR
0.79
0,60
2/22
1,84
0/28
»
2 22
5,84
8,56
7,28
17,80
12,88
0,43
0,46
22,80
21,56
25,60
19,12
5,00
2,80
17,08
28,52
5,56
5,24
BOISSONS. — boissons aromatiques. 359
d'abord en Hollande, en Angleterre, dans les pays du Nord, et plus
lard en France et dans le reste de l'ancien continent.
La consommation de thé est immense ; elle importe à l'hygiène et à
la médecine, au commerce et à la civilisation. En 1679, l'Angleterre ne
recevait que 56 kilogrammes de thé de la compagnie hollandaise des
Indes. En 1855, l'importation de cette substance s'élevait à 10 millions de
kilogrammes. En 1858, elle a été de plus de 34 millions de kilogrammes.
Le thé fournit une boisson plus ou moins aromatique et plus ou moins
astringente, dont la couleur varie entre le jaune clair et le brun foncé,
selon que l'infusion a été faite avec du thé vert ou du thé noir, qu'elle a
été plus ou moins prolongée, et que la quantité de thé employée a été plus
ou moins forte. Concentrée et chaude, cette infusion est limpide, mais,
en se refroidissant, elle se trouble, et tient alors en suspension une poudre
grise très-divisée, qui n'est autre chose qu'une combinaison de tannin et
de théine (caféine), soluble dans l'eau chaude et insoluble dans l'eau froide.
On mélange souvent les thés verts avec les thés noirs, dans le but
d'éviter l'excitation trop grande produite par les premiers, et d'obtenir
un arôme mixte généralement plus agréable. On ajoute quelquefois à l'in-
fusion de thé, du lait ou une liqueur alcoolique, principalement du rhum
ou de l'eau-de-vie.
Le thé est une boisson dont l'habitude est trop universellement ré-
pandue pour qu'elle ne réponde pas à un besoin réel. Les Anglais, les
Hollandais, les Russes en font un usage continuel, et suppléent ainsi à la
lacune que l'absence du vin laisse dans leur alimentation. La stimulation
active que le thé imprime aux fonctions de l'estomac est d'ailleurs très-
propre à rendre les digestions plus parfaites et à exciter celle force de
calorification intérieure par laquelle l'organisme résiste à l'action des
climats froids. Les Anglais consomment le thé à leurs repas comme bois-
son ordinaire, et cet usage est si répandue chez eux que cette infusion
entre dans la ration réglementaire des hôpitaux.
L'usage habit.uol du thé, en introduisant dans l'organisme une assez
forte proportion d'eau, tend, par cela même, à diminuer la plasticité du
sang, et peut, jusqu'à un certain point, soustraire les personnes qui
usent largement des jouissances de la table aux atteintes de la gravelle,
de la goutte et des maladies inflammatoires.
Bien qu'on ait attribué au thé un grand nombre de propriétés mer-
veilleuses , il n'est guère employé chez nous en thérapeutique que pour
combattre les accidents de l'indigestion, et comme c'est surtout l'infu-
sion légère (4 grammes par litre) qui réussit le mieux, on serait tenté de
croire que le véhicule, l'eau sucrée chaude, agit, dans ce cas, plus encore
que le médicament lui-même.
Le thé léger est à peu près sans inconvénients ; mais il n'en est pas
de même lorsqu'il est très-fort, comme les Anglais ont l'habitude de
le préparer. Chez beaucoup de personnes, il agite alors les nerfs, accé-
lère très-manifestement la circulation, augmente la chaleur du corps,
cause de l'insomnie, des mouvements convulsifs des membres et même
NOUV. DICT. MÉD. ET CHIB. V. — 24
570
BOISSONS.
BOISSONS AROMATIQUES.
une sorte d'ivresse; c'est donc un excitant dont il ne faut pas mésuser.
On prétend qu'en Chine les grands buveurs de thé sont maigres, faibles,
ont le teint plombé, les dents noires, sont sujets au diabète, etc.
Café. — Le végétal qui fournit le café, le caféier, coffea Arabica
Linn., de la famille des Rubiacées est, dit-on, originaire de l'Abys-
sinie; il croît surtout dans la province de Kaffa, d'où lui vient son nom.
yf. sr/ûc.-r.r -."
Fig. 17. — Caféier [Coffea Arabica),
Ce n'est que aans le quinzième siècle que le caféier a été transporté de
l'Abyssinie dans l'Arabie heureuse ; mais si l'Arabie n'est point la première
patrie du caféier, elle est du moins sa patrie adoptive, son séjour de pré-
dilection : nulle part il ne prospère mieux et ne donne de meilleurs pro-
duits que dans le royaume d'Yemen, aux environs de Moka.
Ce sont les Hollandais qui, les premiers, importèrent le caféier en Europe.
En 1690, van Horn, président des Indes orientales, en acheta quelques
pieds à Moka, et les introduisit à Batavia où ils réussirent à merveille.
Vers 1710, il envoya à Amsterdam un jeune caféier qui fut cultivé dans
une serre du jaidin botanique. On parvint à le multiplier, et un consul
BOISSONS. BOISSONS AROMATIQUES. o7i
de France en adressa un pied à Louis XIV. Ce pied, placé au Jardin des
Plantes, y fructifia. Le gouvernement français entreprit alors d'accli-
mater le café dans nos possessions des Antilles. Vers 1720, Antoine de
Jussieu remit trois pieds de caféier au capitaine Déclieux, qui se chargea
de les transporter à la Martinique ; la traversée lut longue et difficile,
l'eau manqua : deux des caféiers moururent, et le troisième ne fut sauvé
que par le dévouement du capitaine qui partagea sa ration d'eau avec le
jeune arbrisseau, lequel put arriver sain et sauf à sa destination, et devint
la souche de toutes les plantations qui s'établirent dans les Antilles.
Le caféier ou cafier (fig. 17), est un arbuste toujours vert, à feuilles
opposées, à fleurs blanches odorantes, à fruits rouges bacciformes, oblongs,
gros comme une merise, formés d'une pulpe douceâtre peu épaisse entourant
deux loges accolées dont la substance a l'aspect du parchemin. Chaque
loge contient une semence convexe d'un côté, et de l'autre plane, avec un
sillon longitudinal. Ces semences ont la consistance de la corne et l'odeur
du foin ; leur couleur varie du blanc jaunâtre au jaune verdàtre.
Les diverses sortes commerciales de café paraissent provenir delà même
espèce botanique, le caffea Arabica. L. Les différences de propriétés tien-
nent à la diversité des plants, à l'action du sol, du climat, etc. Les dif-
férences de formes peuvent tenir à l'une de ces causes, mais il peut arri-
ver qu'une môme branche les porte toutes. (Léon Marchand.)
Les principales sortes de café sont :
1° Le café Moka, petit, jaunâtre et souvent presque rond. C'est le plus
estimé.
2° Le café Bourbon, plus gros et moins arrondi que celui de Moka; il
ne doit pas être confondu avec le café marron, lequel est produit par le
coffea Mauriliana espèce qui croît naturellement à Bourbon, et dont la
semence est amère et passe pour être un peu vomitive.
50 Le café Martinique, en grains volumineux, allongés, d'une couleur
verdàtre, recouverts d'une pellicule argentée qui s'en sépare par la tor-
réfaction.
4° Le café Haïti, en grains irréguliers, rarement pellicules, d'un vert
clair ou blanchâtre.
Le café est composé en centièmes de : cellulose 5 i ; substances grasses
10 à 12; glycose, dextrine, acide particulier 15,5; légumine, caféine
(glutine ?) 10; caféine libre 0,8; chloroginate (caféate Pfaff, cafetan-
nate, Rochleder) de potasse et de caféine 5 à 5 ; huile essentielle con-
crète insoluble 0,001 ; huile essentielle à odeur suave et essence aroma-
tique acre 0,002 ; sels divers 6,69. (Payen.)
L'arôme du café (caféone de Boutron et Fremy) ne se développe, commt
on le sait, que par la torréfaction; celle-ci, qui doit être légère, surtout
pour la sorte dite de Moka, s'effectue très-avantageusement dans un brû-
loir cylindrique en tôle, garni intérieurement d'un second cylindre en toile
métallique qui, ne s'appliquant pas exactement sur la paroi interne du
premier, permet à la chaleur d'agir d'une manière moins directe et plus
régulière sur toute la surface du grain. Torréfié de manière à présenter une
572 BOISSONS. — boissons aromatiques.
teinte rousse légère, le café augmente environ du tiers de son volume et
perd un peu moins du quart de son poids.
Sous l'influence d'une température portée brusquement à 250, et
de la vapeur d'eau qui se dégage pendant toute l'opération, le chlorogi-
nate double de caféine et de potasse se tuméfie, se colore, désagrège les
tissus cornés de l'albumen et laisse en liberté une partie de la caféine
qu'il tenait en combinaison ; la cellulose et ses congénères éprouvent une
légère décomposition et donnent des produits acides et colorés ; les huiles
grasses se répandent dans la masse du grain, devenue poreuse, entraî-
nant et retenant avec elles les essences légèrement modifiées. Si l'on
arrête alors la torréfaction, les grains auront acquis une couleur marron
peu intense ; ils seront devenus assez friables pour être facilement ré-
duits en poudre; ils n'auront guère perdu, en poids, plus de 18 pour
100. Si la torréfaction était poussée plus loin, jusqu'à la nuance brune
plus ou moins foncée, on verrait une partie des grains se recouvrir du
vernis violet irisé que produit l'acide chloroginique en se carbonisant,
une proportion notable d'hydrocarbure, provenant de la décomposition
des huiles grasses et des matières azotées, se serait substituée à la portion
d'essences aromatiques dégagées; enfin, pendant le refroidissement quel-
ques gouttelettes de ces essences et des produits empyreumatiques divers
se condenseraient à la surface des grains. (Payen.)
Si l'on traite, par des quantités d'eau fractionnées, du café diversement
torréfié, on trouve que les premières parties de liquide dépouillent mieux
le café qui est resté roux , moins celui qui est brun , moins encore
celui qui est devenu marron ; et, comme dans l'usage ordinaire, le marc
n'est jamais épuisé complètement, on voit que tous les avantages appar-
tiennent au café faiblement torréfié. On obtient d'excellent café en em-
ployant parties égales de café Moka et de café Bourbon. On les torréfie
séparément : le café Moka doit l'être assez pour prendre seulement une
couleur rousse ; on pousse un peu plus loin la torréfaction du café
Bourbon.
Pendant la torréfaction, on projette quelquefois sur les grains une
petite quantité de sucre ou de cassonade au moment où l'arôme com-
mence à se développer. C'est ainsi qu'est obtenu le café connu dans le
commerce sous le nom de café de Chartres.
L'un des principes immédiats du café est la caféine, substance alca-
loïdique que l'on rencontre aussi dans les thés de la Chine, le maté ou
thé du Paraguaij (ilex Paraguayensis) et dans le guarana, substance qui
paraît n'être qu'un mélange de semences de Paullinia sorbiUs, de cacao
et de fécule. La caféine est légèrement amère, peu soluble dans l'eau
froide, mais assez soluble dans l'eau bouillante ; sa composition élémen-
taire est représentée par la formule : C16H10Àz40\ C'est donc une des ma-
tières organiques les plus riches en azote.
Usages. — Ce sont les Orientaux qui ont introduit en Europe l'usage du
café. En 1517, le sultan Sélim l'apporta à Constantinople où il fut débité
par des établissements publics en 1555. En 1645, on vit s'établir des
BOISSONS. — boissons aromatiques.
Ùil>
cafés publics eu Italie, puis bientôt à Londres, 1652; à Marseille, 1671 ;
à Paris, 1672. Peu à peu l'usage du café se répandit dans les classes aris-
tocratiques, malgré son prix fort élevé (il valait jusqu'à 140 fr. la livre),
et malgré aussi l'opinion des médecins qui le croyaient nuisible à la santé
et le considéraient même comme un poison. « Poison lent, disait Vol-
taire, car voilà bientôt quatre-vingts ans que j'en bois, sans qu'il ait
produit d'effet. »
Aujourd'hui la consommation du café, en Europe, dépasse, dit-on,
300 millions de kilogrammes.
Le meilleur mode de préparation du café est la simple infusion ; la dé-
coction chasse l'arôme et développe le principe amer
(assamare) : après deux heures d'ébullition, l'infu-
sion de café ne présente plus sensiblement d'odeur
agréable; de plus, elle acquiert, dans cette circon-
stance, et même lorsqu'elle est simplement ré-
chauffée plusieurs fois, une saveur acide très-pro-
noncée.
Divers appareils ont été imaginés pour la prépa-
ration du café : les plus en usage aujourd'hui sont
le filtre ordinaire ou cafetière à la Dubelloy que tout
le monde connaît, et les cafetières construites par Pe-
nant, sur les données de Babinet. Les cafetières de Pe- fig 18. — Cafetière à
nant (fig. 18, 19) consistent essentiellement en deux
vases superposés ou placés l'un à côté de l'autre, avec
un tube de communication en verre ou métal, à l'une
des extrémités duquel est une petite boîte métallique
percée de trous, jouant le rôle de filtre. Dans l'un de
ces vases, on met le café pulvérisé, dans l'autre de
l'eau que l'on porte à l'ébullition à l'aide d'une
lampe à alcool ; la vapeur formée force l'eau bouil-
lante à passer dans le vase contenant le café ; dès
que ce résultat est obtenu, le vase placé sur la
lampe étant devenu plus léger, s'élève un peu, et
celle-ci, dont le couvercle est muni d'un ressort,
s'éteint d'elle-même. Ensuite, lorsque, par le refroi-
dissement, le vide se fait dans le vase qui, primi-
tivement, renfermait l'eau, l'infusion est appelée
dans celui-ci et passe très-rapidement à travers le
filtre. Les figures ci-contre représentent les deux
formes perfectionnées de ces appareils, dont l'usage
se répand chaque jour davantage.
L'infusion de café, bien préparée et convenablement sucrée, est une
boisson extrêmement agréable qui excite les fonctions digestives, accé-
lère la circulation, favorise les fonctions sécrétoires, surtout la transpira-
tion, et procure immédialement un sentiment général de bien-être.
De même que le thé, et mieux que lui peut-être , il peut produire pour
et à bascule. — A, Tube
de communication. — B.
Vase en porcelaine où
l'eau entre en ébullition.
— C, Vase en verre où se
Irouve le café pulvérisé.
— D, Pied support. — D.
Lampe à alcool. — E. Fil-
tre.
Fig. 19. —Cafetière droite
374 BOISSONS. — BOISSONS AROMATIQUES.
un temps l'effet de l'alimentation, il soutient, et, dans cerlaiues pro-
fessions, celle du mineur, par exemple, il joue, sous ce rapport, un rôle
important (de Gasparin).
Par la propriété qu'il a de combattre le sommeil et de rendre plus ac-
tives les facultés intellectuelles, le café est la liqueur favorite des per-
sonnes qui se livrent aux travaux de cabinet. Il ne fait pas éclore la
pensée dans la cervelle de l'idiot, dit Michel Lévy, mais il ranime les
facultés engourdies de l'homme sain, il épanouit l'imagination du poëte
et ravive la mémoire du professeur; il fait couler les idées de la plume
et les paroles des lèvres. Sous son influence, les esprits les plus lourds
acquièrent une certaine facilité pour les œuvres de l'intelligence.
Les effets du café sont, du reste, modifiés par la température du
liquide, par l'état de vacuité ou de plénitude de l'estomac, par l'âge, le
tempérament, l'habitude, par la nature du climat et des localités, etc.
Pris à la fin des repas, le café agit beaucoup moins qu'à jeun, ce qui
tient vraisemblablement à ce que son influence sur l'économie se trouve
alors diminuée de tout le secours qu'il fournit à la digestion. Aussi est-ce
surtout après les excès de table qu'il est le mieux supporté et que son
action devient très-utile pour activer la digestion et tempérer les effets de
l'ivresse, en dissipant les fumées du vin.
Le café au lait, ou plutôt le lait additionné de café, que l'on prend le
matin comme premier déjeuner, est un excellent aliment, dont l'usage est
extrêmement répandu et mérite de l'être, bien qu'on se soit imaginé,
dans ces derniers temps, de lui adresser le reproche absurde de n'être
pas susceptible de se digérer. Il se digère, au contraire, fort bien, et si son
usage habituel peut offrir des inconvénients, ce serait, dit-on, de faire
naître, chez certaines femmes, des écoulements leucorrhéiques, accu-
sation qui n'est peut-être pas parfaitement fondée.
Le café est moins nuisible aux hommes qu'aux femmes, aux vieillards
qu'aux enfants et aux jeunes gens. Il convient surtout aux tempéraments
lymphatiques, aux personnes lentes, grasses, aux esprits lourds, aux
estomacs paresseux ; au contraire, les personnes dont la sensibilité est
très-mobile et l'esprit irritable, les femmes vaporeuses , les individus à
tempérament bilieux, ceux qui sont enclins à l'hypochondrie, à la goutte,
aux hémorrhoïdes ; ceux qui sont atteints de gastralgie, de gastrite, ou
de quelque inflammation chronique sujette à recrudescence, doivent s'en
abstenir. A doses excessives , le café produit des effets analogues à
ceux du haschisch : état fébrile agréable, anxiété épigastrique, exaltation
des sens et des facultés intellectuelles, loquacité, motilité exagérée, trem-
blement des membres, spasme de la mâchoire inférieure, etc. A ces
divers symptômes, dont la durée et l'intensité varient selon les individus
et la quantité de café ingérée, succède un abattement général, une fatigue
extrême et bientôt un besoin de sommeil irrésistible. L'abus du café peut
faire naître, au bout de quelque temps, un état permanent d'exaltation
et d'irritabilité qui, avec l'intervention de causes occasionnelles, peut
amener l'explosion de diverses maladies et en aggraver la marche. Les
BOISSONS. BIBLIOGRAPHIE. 575
affections que l'abus du café produit inévitablement sont la gastralgie, la
dyspepsie, et, chez les sujets très-impressionnables, des troubles plus ou
moins graves de l'appareil d'innervation.
Comme agent thérapeutique, le café est employé avec succès pour
combattre les effets hypnotiques de l'opium. Martin Solon en a obtenu de
bons effets dans la forme adynamique de la fièvre typhoïde. Jules Guyot
a beaucoup vanté l'infusion de café non torréfié contre la coqueluche, et,
d'après le docteur Grindel, cette même infusion, employée contre les
fièvres intermittentes, aurait réussi dans les 7/8es des cas. Enfin, on a
attribué au café des propriétés diurétiques et partant anticalculeuses.
Nous avons indiqué ailleurs la propriété curieuse dont jouit le café
de masquer les saveurs désagréables de certaines substances telles que
le sulfate de magnésie , le sulfate de quinine , la strychnine , etc.
{Voy. Amers).
Succédanés du café. — Au commencement de ce siècle, lorsque la
guerre continentale privait l'Europe presque tout entière de communi-
cation avec les colonies, on essaya de substituer au café, dont le prix
s'était considérablement élevé, plusieurs substances indigènes. On torréfia
l'orge, le seigle, le maïs, les pépins de raisins, les glands de chêne, les
poischiches, les féverolles, les graines de glaïeul, iris pseudo-acorus, de
pistache de terre, avachis hypogea, de gratteron, galkim aparine, de
genêt, spartium scoparium, de petit houx, ruscus aculeatus, les racines
de betterave, de chicorée, etc., mais toutes ces substances torréfiées, pul-
vérisées et soumises à l'action de l'eau bouillante ne donnent, en réalité,
que des infusions plus ou moins colorées, légèrement amères, et dans
lesquelles le parfum exquis du café se trouve remplacé par un goût plus
ou moins détestable d'empyreume.
Guérard (Alph.), Mémoire sur les accidents qui peuvent succéder à l'ingestion des boissons froides
lorsque le corps est échauffé, lu à l'Académie royale de médecine [Annale* d'hygiène publique.
Paris, 1842. t. XXVII).
Pelîgot (E.;, Recherches sur la composition chimique du thé [Comptes rendus des séances de
V Académie des sciences, 184~>, t. XVII, p. 107).
Lévy (Michel), Traité d'hygiène publique et privée. Paris, 1845; 4e édition, 1862.
Payen (A.), Mémoire sur le café [Comptes rendus des séances de F Académie des sciences, 1846,
t. XXII, p. 724, t. XXIII. p. 8, 244). — Précis théorique et pratique des substances alimen-
taires et des moyens de' les améliorer, de les conserver et d'en reconnaître les altérations.
4e édit. Paris, 1805.
Gasparin (de), Sur le régime alimentaire des mineurs belges, et discussion académique sur le café
[Comptes rendus des séances de l'Académie des sciences, t. XXX, 1850).
Fonssagrives (J. B.), Traité d'hygiène navale. Paris, 1850. — Hygiène alimentaire des malades,
des convalescents et des valétudinaires, ou du régime envisagé comme moyen thérapeutique.
Paris, 1801.
Chevallier (A.), Dictionnaire des altérations et des falsifications des substances alimentaires mé-
dicamenteuses et commerciales. 5e édition. Paris, 1858.
PiOhart, Fabrication de la bière. 1858, 2 vol. in-8.
Girarmn (de Lille), Leçons de chimie élémentaire appliquée aux arts industriels. 4e édition.
Paris, 1800.
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par Aug. Delondrc. Paris, 1801, in-18.
Legrand, Sur l'eau de Scltz et. la fabrication des boissons gazeuses. Paris, 1861.
Bouchahdat, De l'usage et de l'abus des boissons fermentées et des liqueurs fortes. Annuaire de
thérapeutique, 1802, 22° année, et Conférences de l'association polytechnique. Paris, 1804.
576 BONBONS.
Herpix (de Metz;, De l'acide carbonique, de ses propriétés physiques, chimiques et physiologiques;
de ses applications thérapeutiques. Paris, 1864.
Marchand [L.)} Recherches organographiques et organogéniques sur le Caffea Arabica (L.). 1864.
avec planches.
Hermann Lachapelle et Glover, Des boissons gazeuses. Paris, 1865, avec figures.
Louis Hébert.
BOIi B'ABjflÉtflE. Voy. Alumine.
BOLS. — On désigne sous le nom de bols des médicaments destinés
à l'usage interne, qui ne diffèrent des pilules (voyez ce mot) que par leur
volume plus considérable et leur consistance un peu plus molle. Le poids
d'un bol n'est jamais moindre que 0,50 cent, et il ne dépasse guère le
poids d'un gramme et demi à deux grammes.
Louis Hébert.
BONBONS. — Les confiseurs, fabricants de sirops, de bonbons et
sucreries diverses ont depuis longtemps contracté l'babitude de colorer
leurs produits au moyen de substances empruntées les unes au règne mi-
néral, les autres au règne organique. Mais, comme il arrive souvent,
l'ignorance et la cupidité ne tardèrent pas à engendrer des abus : des
matières colorantes, douées de propriétés toxiques, remplacèrent peu à
peu les couleurs primitivement inoffensives et furent l'occasion de graves
accidents. Il devint urgent de réglementer l'emploi de ces substances.
Déjà, le 10 octobre 1742, une ordonnance fut rendue qui défendait aux
« confiseurs, aux pâtissiers-traiteurs, et même aux officiers de maison et
à tous autres, d'employer, pour la confection de bonbons et pâtisseries,
la gomme-gutte, les cendres bleues et toutes les préparations de cuivre,
îe bleu d'azur, les cendres ou ebaux de plomb, comme le minium, le
vermillon, le massicot, l'orpiment et toutes matières nuisibles à la santé;
le tout à peine de deux cents livres d'amende pour chaque contravention. »
Cette ordonnance tomba bientôt en désuétude. En 1850, à la suite
d'accidents graves signalés au préfet de police, ce magistrat remit en vi-
gueur l'ordonnance de 1742, modifiée suivant les propositions du conseil
de salubrité. Cette ordonnance, datée du 24 juillet 1850, et dont la ré-
volution de 1850 retarda l'exécution, fut de nouveau publiée le 10 dé-
cembre de la même année, puis successivement renouvelée et modifiée
par des ordonnances postérieures en date des \\ août 1832, 15 novem-
bre 1858 et 22 septembre 1841. Tous ces actes produisirent de bon^
résultats, mais il devint bientôt nécessaire de les publier de nouveau, de
les modifier conformément aux indications nouvelles de l'industrie et de
la science, et de les réunir enfin dans une dernière ordonnance plus com-
plète et plus explicite que les précédentes. Cette dernière fut rendue le
28 février 1853, et une instruction pratique, émanée du conseil d'hy-
giène et de salubrité du département de la Seine, fut annexée, comme un
complément nécessaire, à l'ordonnance précitée, dont les bons effets n'ont
pas cessé de se faire sentir dans le département de la Seine.
BONBONS. — couLiiUBS. 577
JXous résumerons dans ce court article les principales dispositions et
observations contenues dans ces deux travaux, et, sans entrer dans au-
cun détail de l'art du confiseur, nous bornerons nos développements au
côté vraiment pratique et médical de la question, et nous appellerons
l'attention sur quelques matières colorantes récemment découvertes dont
l'emploi est signalé comme dangereux.
Couleurs bleues. — L'indigo, le bleu de Prusse et l'outre-mer pur arti-
ficiel peuvent être employés sans aucun danger, et donnent toutes les
teintes composées dont le bleu est l'un des éléments.
Les matières colorantes bleues dont il est nécessaire de prohiber abso-
lument l'emploi sont spécialement les divers sels de cuivre solubles ou
insolubles, tels que les cendres bleues, les carbonates et acétates de cui-
vre, etc., et le bleu dit de cobalt, parce qu'il renferme fréquemment des
composés arsenicaux. On reconnaîtra aisément la présence d'un composé
cuivreux à la coloration bleue intense que prend l'ammoniaque liquide
mise en contact avec lui ; l'arsenic est facile à reconnaître soit à l'odeur
d'ail qu'il répand lorsqu'on le projette sur un charbon rouge, soit à l'ap-
pareil de Marsh.
Couleurs jaunes. — On obtient des jaunes d'excellente qualité pour les
usages de la confiserie avec le safran, la graine d'Avignon, la graine de
Perse, le quercitron, le curcuma, le fustet ou avec les laques de ces sub-
stances, pourvu que ces dernières soient à base d'alumine.
Les couleurs jaunes toxiques sont le massicot (oxyde de plomb), le
chromate de plomb et la gomme-gutte. Tous les composés plombiques
peuvent aisément se reconnaître à la coloration brune ou noire que leur
communique une solution d'acide sulfhydrique, ou, à son défaut, l'eau
de Baréges. La gomme-gulte se dissout imparfaitement dans l'eau et
donne une émulsion de couleur jaune; la partie insoluble rougit instan-
tanément par l'addition de l'ammoniaque.
Couleurs rouges. — Les couleurs rouges inoffensives sont la coche-
nille, le carmin, la laque carminée, la laque du bois du Brésil, l'or-
seille.
Le vermillon ou sulfure de mercure et le minium ou oxyde de plomb
intermédiaire ne peuvent, sans les plus grands dangers, entrer comme
matières colorantes dans la composition des bonbons. Ces deux sub-
stances, insolubles dans l'eau, sont d'une recherche facile : il suffit de
traiter les bonbons suspects par de l'eau tiède, de recueillir le dépôt inso-
luble et de le dissoudre, après un lavage suffisant, dans quelques gouttes
d'acide azotique pur et concentré, additionnées de quelques parcelles de
sucre. La solution acide est évaporée au bain-marie et redissoute dans
quelques centimètres cubes d'eau bouillante, filtrée, puis soumise à l'ac-
tion des réactifs suivants : 1° une solution d'iodure de potassium déter-
mine dans les sels de mercure au maximum la formation d'un précipité
rouge, soluble dans un excès de réactif; dans un sel de plomb, le même
réactif donne un abondant précipité jaune d'or; 2° une lame de cuivre
rouge précipite la solution mercurielle, et cette lame, frottée avec un pa-
578 BONBONS. — couleurs.
pier buvard, prend un éclat argentin; 5° une solution de sulfate de soude
précipite en blanc les sels de plomb.
Couleurs vertes. — Il importe surtout à l'hygiéniste et au médecin de
surveiller la composition des bonbons colorés en vert. La majeure partie
des accidents sont produits par des sucreries de cette couleur, dans les-
quelles on introduit des poudres vertes connues sous le nom de verts mé-
tis, verts de Schéele, verts de Schweinfurth . Or ces trois substances ne
sont, en résumé, que de l'arsénite de cuivre, poison des plus violents.
Dissous dans l'eau, les bonbons laisseront cette poudre inattaquée;
après quelques lavages, on desséchera ce résidu et on le partagera en
deux parties : la première sera projetée sur un charbon rouge et répan-
dra l'odeur d'ail, s'il existe de l'arsenic; la seconde se dissoudra dans
l'ammoniaque avec une coloration bleue intense, s'il existe du cuivre.
Les confiseurs préparent encore une couleur verte d'un usage dange-
reux par le mélange de la gomme-gutte et du bleu de Prusse. Les bon-
bons ainsi colorés, traités par l'alcool à 90°, donnent un liquide d'un jaune
d'or qui, versé dans l'eau, produit une émulsion de couleur jaune.
L'instruction du conseil d'hygiène et de salubrité a reconnu qu'on pro-
duit, par le mélange du bleu de Prusse et de la graine de Perse, une
couleur inoffensive qui ne le cède en rien, par le brillant, au vert de
Schweinfurth.
Couleurs blanches. — Sans parler des substances diverses de couleur
blanche, mais de nature ordinairement inoffensive, qui, comme le plâtre,
l'amidon, le sulfate de baryte, le carbonate de chaux, sont souvent mêlées
aux sucreries communes, les confiseurs ont quelquefois mêlé aux bonbons
du carbonate de plomb ordinaire (céruse, blanc de plomb, blanc d'argent).
L'addition de cette substance, bien que constatée a plusieurs reprises et
particulièrement en Angleterre, est, il faut le dire, assez rare aujour-
d'hui dans la pâte même du bonbon ; mais elle est assez fréquente dans
les papiers d'enveloppe, auxquels on parvient à donner de la sorte plus
de poids et plus de lustre. Ces papiers, quand on les brûle, donnent lieu
à la production de globules de plomb; de plus, un cercle jaune entoure
les parties du papier en combustion. Les bonbons et papiers plombifères
se colorent en noir par leur immersion dans l'eau de Baréges.
Indépendamment des couleurs précédentes, on peut, par des mélanges
convenables, obtenir toutes les teintes désirables. Le liquoriste lui-
même peut aisément composer des mélanges de matières colorantes so-
lubles, nécessaires à sa fabrication : le bois de Campêche, par exemple,
servira pour le curaçao de Hollande, le sulfindigotate de potasse pour
les liqueurs bleues, et pour l'absinthe un mélange de ce dernier sel et de
safran.
Il importe au plus haut degré de proscrire également des usages de la
confiserie ces couleurs nouvelles dérivées de l'aniline et que l'industrie
moderne prépare en si grande quantité pour les besoins de la teinture.
Ces matières colorantes, connues sous les noms de fuchsine, violet d'ani-
line, solfe'rino, magenta :, bleu d'aniline, azaléine, etc., sont pour la plu-
BONNES (eaux de). ' 379
part préparées avec des sels de mercure, du bichromate de potasse, et
surtout de l'acide arsenique ; elles sont toujours mal purifiées et pour-
raient occasionner de graves accidents.
Il faut également apporter beaucoup de soin dans le choix du papier
colorié qui sert à envelopper les bonbons. Aucun d'eux ne doit renfermer
d'oxyde de cuivre ou d'oxyde de plomb. Il convient également de reje-
ter l'emploi de feuilles de plomb ou de feuilles d'étain fortement alliées
de plomb. Certaines sucreries déliquescentes ou semi-liquides peuvent de
la^sorte dissoudre une petite quantité d'oxyde de plomb et provoquer la
formation de sels de plomb solubles.
Grâce aux sages mesures prises par l'administration du département
de la Seine, les accidents dus au coloriage des bonbons sont devenus as-
sez rares à Paris. Malheureusement les préfets des départements n'exer-
cent pas la même surveillance, et de nombreux accidents s'observent
encore en province. Déjà plusieurs départements sont entrés dans la voie
des réformes, et tout fait espérer que les prescriptions imposées aux con-
fiseurs de Paris seront bientôt appliquées à ceux de la province.
Rapport du conseil de salubrité sur le danger qui peut résulter de bonbons coloriés, et disposi-
tions pour faire disparaître ces bonbons du commerce [Annales d'hygiène publique, lre série,
1830, t. IV, p. 48).
Ordonnances de police concernant le pastillage, les sucreries, dragées, liqueurs coloriés [Annales
d'hygiène, 1831, t. V, p. 238,-1832, t. VII, p. 114, — 1837, t. XVII, p. 475,— 1843, t. XXIX,
p. 359).
Rapport fait au conseil central de salubrité par une commission composée de Vingtrinier,
Alexandre et Girardin, rapporteur sur la proposition de Chardin, relative à l'emploi des bon-
bons coloriés [Annales d'hygiène publique, 1835, t.X, p. 184).
Chevallier, Dictionnaire des altérations et falsifications des substances alimentaires, etc.,
4857, t. I, p. 154.
Rapport général sur les travaux du conseil d'hygiène publique et de salubrité du département
de la Seine, depuis 1849 jusqu'à 185S inclusivement, rédigé par Adolphe Trénuchet. Paris,
1861, pages 221 et suivantes.
Ambroise Tahdieu, Dictionnaire d'hygiène publique et de salubrité. Paris, 1862, 2e édition;
t. I, p. 254.
Z. Roussin.
BONNES (Baux do). — Le village de Bonnes (arrondissement d'O-
loron, département des Basses-Pyrénées) situé dans la vallée d'Ossau, à
40 kilomètres de Pau, à 747 mètres au-dessus du niveau de la mer, est
entouré à l'est et à l'ouest par de hautes montagnes (Lacoumc et Gourzy),
qui lui forment comme une ceinture et un véritable abri. Cette vallée
d'Ossau n'ayant pour seule ouverture que la route qui de Bonnes conduit
aux Eaux-chaudes et à Laruns, n'est point, comme en général celles des
Pyrénées, un corridor ouvert à tous les vents, elle est suffisamment pro-
tégée contre les agitations de l'air, aussi la température y est-elle douce et
d'une égalité presque constante.
C'est en 1556 que pour la première fois les chartes du pays parlent des
Eaux-Bonnes; mais au dix-huitième siècle commence véritablement l'ère
médicale de cette station, et ce sont les deux Bordeu qui la font connaître,
Antoine en la conseillant pour les maladies de poitrine, Théophile par ses
lettres à madame de Sorberio (1748). Je ne puis citer en ce moment les
580 BONNES (eaux de). — source vieille.
noms des médecins qui ont successivement appelé l'attention sur les Eaux-
Bonnes, j'aurai l'occasion de les signaler dans le cours de cet article;
qu'il me suffise de dire que ces sources sont visitées chaque année par
plus de 2,400 malades, que les lettres et les sciences, les arls et l'indus-
trie, le commerce et la politique, l'Église et la magistrature deviennent
les tributaires habituels des thermes bienfaisants de la vallée d'Ossau.
Les sources sulfureuses de Bonnes sont au nombre de quatre, savoir :
la source Vieille, la source d'En-bas, la source Froide ou de la Montagne,
la source d'Orteich.
Il existe en outre au pied de la butte du Trésor et à peu de distance
de la source Vieille, plusieurs griffons qu'on a captés et réunis pour les
utiliser.
L'établissement thermal situé au pied d'un mamelon calcaire d'où
vient sourdre la source des Eaux-Bonnes est d'une architecture à la fois
simple et élégante, construit en marbre du pays. Il renferme au centre la
buvette alimentée spécialement par la source Vieille, sur les côtés des
cabinets de bains et deux salles dont l'une est consacrée aux bains de
pieds, et l'autre réservée à la pulvérisation. Derrière l'établissement, à
peu de distance des griffons se trouve le cabinet de l'embouteillage. Un
filet d'eau emprunté à la source Vieille est affecté à cet usage spécial.
Considérant d'une part que dans l'acte de la pulvérisation l'eau de
Bonnes perd une grande quantité de calorique et une partie très-notable
de sulfure de sodium, et d'autre part ayant constaté à la suite d'études
cliniques et d'expérimentation multipliées que l'eau minérale pulvérisée
ne pénètre pas dans l' arrière-gorge, que le fait de l'immersion de la figure
dans une poussière d'eau refroidie alors que le corps est enveloppé d'une
vapeur d'eau à une température élevée, constitue une cause permanente
de rhumes, que le soulagement momentané éprouvé par certaines per-
sonnes atteintes d'asthmes ou de pharyngites granuleuses doit se rap-
porter à l'inspiration du gaz acide sulfhydrique qui se dégage dans la
salle par le fait même du brisement de l'eau minérale, de Pietra-Santa,
comme conclusion pratique de ses travaux et de ses recherches, de-
mandait, en 1861, dans un mémoire spécial sur les Eaux-Bonnes, la sup-
pression de la salle de pulvérisation et la création d'une salle d'inhalation.
Source Vieille. — L'eau de cette source est limpide, incolore, onc-
tueuse, douce au toucher; elle répand une odeur franche d'acide sulfhy-
drique, sa saveur est analogue à celle d'une dissolution faible de sulfure
de sodium. Sa température est de 52°, 75, elle présente à son griffon
toutes les apparences des eaux minérales gazeuses. Des divers points de sa
surface partent continuellement de petites bulles d'un gaz incolore ; ce
gaz éteint les corps en combustion, il ne diminue pas de volume lorsqu'on
l'agite avec une solution de potasse caustique, ni lorsqu'on le laisse long-
temps en contact avec du phosphore; il brunit légèrement le papier
d'acétate de plomb, il se comporte en un mot comme un mélange d'azote
et d'une trace d'acide sulfhydrique. (Filhol.) Cette eau contient en outre
des filaments veloutés blanchâtres qui se déposent au fond du verre sous
BONNES (eaux de). — source vieille.
381
la forme d'un duvet léger et floconneux, c'est la sulfuraire décrite par
Fontan, véritable conferve douée d'une organisation et d'une structure
spéciales, et qui ne doit pas être confondue avec la barégine.
Les Eaux-Bonnes ont été analysées par Bayen, Venel, Monnet, Pages,
Montaut, Poumier, plus récemment par Longchamp, 0. Henry, etc.
En 1841, lors d'un voyage que mon père et moi nous fîmes dans les
Pyrénées, nous voulûmes étudier la composition des eaux sulfureuses des
principales stations thermales. Dans ce but, nous mîmes en usage le pro-
cédé sulfbydrométrique que Dupasquier, de Lyon, venait de faire con-
naître. Ce procédé, aussi simple qu'ingénieux, aussi expédilif que facile
et sûr, fait reconnaître la dose exacte de l'acide sulfhydrique libre et
combiné d'une eau sulfureuse quelconque. L'iode, en effet, dès son con-
tact avec cet acide, le décompose, et si préalablement on a ajouté à Peau
qu'on désire analyser une solution d'amidon, celui-ci ne commence à se
colorer en bleu que lorsque le sulfure a été complètement saturé; dès
lors on juge avec la dernière rigueur de la quantité de sulfure existant
dans l'eau par celle de l'iode qui a servi à le détruire. — L'analyse de
l'eau de la source Vieille nous donna 0,0217 de sulfure de sodium par
litre. — Quant à la source Froide ou de la Montagne, la quantité de sul-
fure de sodium par litre était de 0,0192.
En 1861, Filhol a fait sur les sources des Eaux-Bonnes un travail spé-
cial qui est le plus complet de tous ceux publiés jusqu'à ce jour. Voici
les résultats obtenus par le savant chimiste de Toulouse.
Sulfure de sodium. . .
Sulfure de calcium. . .
Chlorure de sodium. . .
Chlorure de calcium.. .
Sulfate de soude. . . .
Sulfate de chaux. . . .
Sulfate de magnésie. .
Silicate de soude. . . .
Borate de soude. . . .
Ammoniaque
Iodurc de sodium. . . .
Phosphate de chaux. .
Phosphate de magnésie .
Fer
Matière organique. . .
Silice en excès
Fluorure de calcium . .
Totaux
SOURCE
SOURCE
SOURCE
SOURCE
VIEILLE.
d'en-bas.
DÉ LA MONTAGNE.
b'ORTEICH.
TEMPÉRÂT. 32° 75.
TEMPÉRÂT. 15" 30.
TEMPERAT. 52° 20
0,0214
0,0165
0,(H96
0.0215
traces
traces
traces
traces
0,2640
0,2900
0,2620
0,3080
traces
traces
traces
traces
0,0277
0,0221
0,0339
0,0214
0,1644
0,1727
0,1527
0,1757
traces
traces
traces
traces
traces
traces
traces
traces
traces
traces
traces
traces
0,0005
0,0005
0,0006
0,0005
traces
traces
traces
traces
traces
traces
traces
traces
traces
traces
traces
traces
traces
traces
traces
traces
0,0480
0,0440
0,0690
0,0550
0,0500
0,0500
0,0520
0.0500
traces
traces
traces
traces
0,0595
0,5808
0,6120
On voit que les quatre sources des Eaux-Bonnes présentent une grande
similitude de composition. Elles diffèrent des eaux sulfureuses de la
chaîne des Pyrénées par la petite proportion de sulfure de calcium qu'elles
contiennent.
582 BONNES (eaux de). — source vieille.
Filhol a pensé qu'il serait intéressant d'analyser comparativement l'eau
prise sur les lieux d'emploi. — Voici les résultats de ses expériences.
Eau de la source Vieille prise à la buvette. — Un litre d'eau pris à la
buvette absorbe 0g,,0700 d'iode, correspondant à 0gr,0214 de sulfure de
sodium ; sa richesse est donc sensiblement la même que celle de l'eau
prise à son griffon. Cette circonstance s'explique par la très-faible dis-
tance qui sépare la buvette du griffon; aussi les malades boivent-ils une
eau qui n'a pas subi d'altération pendant son trajet.
Eau prise au robinet de F embouteillage. — Un litre d'eau absorbe
0gr,0700 d'iode, correspondant à 0gr,0214 de sulfure de sodium. C'est
sensiblement la même richesse qu'au griffon. L'embouteillage s'effectue
avec un soin tout particulier. L'emploi d'une aiguille cannelée qu'on
met dans le goulot de la bouteille quand on la bouche, et qu'on en sort
après, permet d'exclure presqu'en entier l'air du goulot. Ces précautions,
on le comprend, sont indispensables, la moindre bulle d'air suffisant
pour modifier les combinaisons moléculaires, changer la nature de l'eau
sulfureuse et altérer son action thérapeutique. i
Revenu des Pyrénées, mon père voulut s'assurer si l'eau de Bonnes,
transportée à Bordeaux, était, quant à sa composition, analogue à celle
recueillie sur les lieux. Nous fîmes quelques essais sulfhydrométriques;
nous constatâmes, non-seulement une sulfuration différente de celle que
nous avions reconnue à Bonnes, mais encore nous dûmes noter une dif-
férence de sulfuration entre les eaux de plusieurs bouteilles prises dans
la même pharmacie.
Depuis quelques années, l'exportation des Eaux-Bonnes augmente dans
des proportions considérables. En 1855, le chiffre des bouteilles expé-
diées avait été de 120,000, en 1864, il s'est élevé à 500,500. Il serait
à désirer que l'eau de Bonnes ne fût exportée que dans des quarts de
bouteilles. Il est impossible de consommer en une seule fois la quantité
d'eau contenue dans une bouteille entière ou même dans une demi-bou-
teille ; celle-ci une fois ouverte, l'eau perd une grande partie de ses pro-
priétés et n'est plus apte à rendre les services qu'on peut en attendre.
Maintes fois nous revient à la pensée ce que Bordeu disait avec tant
d'esprit : Nos eaux, comme les habitants de nos montagnes, ne quittent
pas volontiers leur patrie.
Eau des bains. — L'eau dont on se sert pour les bains appartient aux
sources Nouvelle et Vieille, mais sa température n'étant pas assez élevée,
on est obligé de la faire chauffer; aussi subit-elle une certaine altéra-
tion qui sera d'autant plus grande qu'elle aura séjourné plus longtemps
dans le réservoir et que celui-ci contiendra une plus grande quantité
d'air.
En résumé, l'eau de Bonnes est faiblement alcaline, elle ne contient
pas une quantité appréciable d'hyposulfite ; dépourvue de carbonate et
de silicate de soude, elle est, au contraire, riche en chlorure de sodium et
en sels de chaux, circonstance qui permet d'établir un rapprochement
entre son assortissement minéral et celui des eaux sulfuré-calciques (En-
BONNES (eaux de). — action rinsioLOGiQUE. 585
ghien). Cet ensemble de caractères avait fait soupçonner à Filhol que
dans les eaux de Bonnes, le soufre existe au moins en partie à l'état de
sulfure de calcium; des essais nombreux lui ont démontré que la majeure
partie du sulfure contenu dans ces eaux est probablement du sulfure de
sodium. Mais il est infiniment probable que dans une eau où se trouvent
à la fois du sulfate de chaux et du sulfure de sodium, il se produit un peu
de sulfate de soude et du sulfure de calcium; aussi d'après Filhol, les
eaux de Bonnes renferment selon toute apparence un peu de sulfure de
calcium, ce qui les distingue des autres eaux thermales des Pyrénées.
Enfin elles offrent dans leur composition de l'iode, ce qui les a fait com-
parer par Chatin aux sources minérales des Alpes, et de l'ammoniaque
d'après les recherches de Bouis et Filhol.
Les Eaux-Bonnes sont administrées en boisson, en bains, en garga-
risme, en inhalation. La source Vieille est celle dont on fait à peu près
exclusivement usage à l'intérieur. En boisson ces eaux qui sont douées
d'une certaine activité se prescrivent à faible dose d'abord, une ou deux
cuillerées à soupe par exemple, on en augmente progressivement la quan-
tité, rarement on dépasse trois et au plus quatre verres par jour. On les
donne soit pures, soit mêlées avec du lait, une infusion béchique, du
sirop de gomme, de Tolu. Les bains ne peuvent être que rarement em-
ployés à cause de la faible quantité d'eau consacrée à cet usage et du pe-
tit nombre de baignoires. Cependant ils seraient un adjuvant fort utile,
ils concourent d'une manière très-favorable au rétablissement des fonc-
tions cutanées, qui jouent un si grand rôle dans l'équilibre organique.
Action physiologique. — Tous les médecins qui ont écrit sur les Eaux-
Bonnes s'accordent à les considérer comme hypersthénisanles.
D'après Andrieu, elles déterminent une sorte de fièvre artificielle, une
fluxion des muqueuses, une exagération des sécrétions pathologiques,
quel qu'en soit le siège, l'établissement ou le rétablissement des hémor-
rhagies naturelles, le réveil des fonctions de nutrition, l'augmentation de
l'activité normale du système nerveux. Elles provoquent souvent une
toux sèche, de la dyspnée, de l'expectoration, marquant ainsi leur action
élective sur les organes respiratoires.
Guéneau de Mussy a vu sous leur influence l'innervation devenir plus
puissante, l'assimilation et la nutrition plus actives, en un mot toutes
les fonctions s'exécuter avec plus d'énergie et plus d'harmonie.
De Pietra-Santa donne le résultat des effets qu'ont produits sur lui-
même les eaux de Bonnes ; il a ressenti, par suite de leur emploi, une
contraction douloureuse à la gorge et au larynx, une suractivité dans les
fonctions digestives, dans la circulation générale, dans les sécrétions;
en même temps les amygdales, la luette, le voile du palais offraient une
injection générale assez vive.
Cazenavc reconnaît aux Eaux-Bonnes une action excitante générale,
et une action élective sur les muqueuses bronchique et pharyngée; celle-
ci peut devenir le siège d'une angine spécifique qu'il appelle angine sul-
fureuse.
584 BONNES (eaux de). — action physiologique.
Devalz, dans son livre : De Faction des Eaux-Bonnes dans le traitement
des affections de la gorge et de la poitrine, établit comme conclusion au
chapitre relatif à l'action physiologique :
1° Que cette action physiologique est l'excitation générale et antago-
niste de tous les appareils de la vie organique, et partant une sorte de
dérivation qui empêche ou fait cesser la concentration du stimulus dans
un organe en particulier.
2° L'excitation de tous les appareils de la vie organique et l'élan vi-
goureux imprimé aux actes de sécrétion et d'absorption facilite les phé-
nomènes chimiques de la respiration et élève le degré de la chaleur ani-
male.
Pidoux a toujours considéré les Eaux-Bonnes comme stimulantes. —
Elles excitent les trois grands appareils de l'économie, l'appareil digestif,
l'appareil nerveux, l'appareil respiro-circulatoire, sans toutefois que la
limite de l'excitation physiologique soit dépassée.
On peut résumer ainsi les effets produits sur l'homme en santé par
les Eaux-Bonnes : les forces générales sont augmentées, les battements
du cœur sont accélérés, le pouls acquiert de la force et de la résis-
tance, les facultés digestives recouvrent une puissance qu'elles avaient
souvent perdue depuis longtemps, l'appétit est plus vif, la nutrition et
l'assimilation sont plus actives, toutes les fonctions s'exécutent avec plus
d'énergie et plus d'harmonie, il survient de la toux, l' arrière-gorge et le
larynx donnent simultanément des signes de souffrances, il se développe
de la chaleur, des picotements, une injection spéciale et caractéristique
sur les amygdales, la luette, le voile du palais, la paroi postérieure du
pharynx et jusque dans l'appareil vocal proprement dit : toutes les
sécrétions, celle du rein en particulier, sont accélérées; le système cutané
devient le siège d'un mouvement ftuxionnaire, d'éruptions de diverse
nature auxquelles on donne le nom de poussées. Cette action tonique
imprime à la circulation capillaire, ou pour mieux dire à la vitalité du
derme, une force toute nouvelle qui rend la peau moins impressionnable; et
comme conséquence de ce transport de l'énergie vitale du centre à la
circonférence, on voit des sécrétions pathologiques à la peau se créer, se
rétablir ou s'exagérer.
Les Eaux-Bonnes possèdent donc une action physiologique qui consiste
dans l'énergie plus grande imprimée à toutes les fonctions, leremontement
général suivant l'expression de Bordeu, et une action spéciale en quelque
sorte élective sur la muqueuse bronchique. Les recherches de C. Bernard
sur les voies d'élimination du soufre introduit dans l'économie expliquent
ce dernier mode d'action. Le savant physiologiste a démontré que par
quelque voie qu'on introduise le soufre dans l'économie, qu'il soit donné
sous forme soluble ou insoluble, il s'élimine en faible partie par la peau
et en presque totalité par la muqueuse pulmonaire sous forme de gaz
hydrogène sulfuré, de telle sorte que le poumon baigne, si on peut s'ex-
primer ainsi, dans une atmosphère sulfureuse, d'où il résulte que l'on
peut jusqu'à un certain point considérer les résultats curatifs comme
BONNES (eaux de). — actio.n physiologique. 585
découlant d'une médication topique. Demarquay essayant des injections
d'acide sulfhydrique dans le tissu cellulaire des lapins, a constaté que
ce gaz s'éliminant en grande partie par la muqueuse des bronches y
produit une inflammation très-nette et très-étendue, il explique encore
par cette action substitutive les bons effets des sulfureux dans les affec-
tions chroniques de la poitrine.
Mais il existe de la part des Eaux-Bonnes une action particulière qui a
été signalée par Pidoux. Cette influence se traduit, d'après le savant in-
specteur, par une susceptibilité catarrhale toute nouvelle, et celle-ci ne
doit nullement être attribuée à des circonstances météorologiques. L'in-
vasion de ces affections catarrhales qu'il appelle Eaux-Bonnaises est très-
franchement aiguë. Ce n'est point une exaspération de la phlegmasie
chronique des bronches, c'est une manifestation morbide moins person-
nelle. La dyspnée est congestive, les poumons sont fluxionnés. La cépha-
lalgie, l'injection vultueuse des traits, la toux rauque, le coryza, la chaleur
halitueuse, la fièvre de bon caractère, la courbature, l'accablement lé-
ger, etc., tout annonce que le malade est placé sous une influence pa-
thogénétique récente et superficielle. Cette grippe thermale parcourt
rapidement, franchement ses périodes, elle marche à côté de l'affection
chronique sans s'y ajouter, sans la précipiter; elle finit brusquement,
puis la tolérance devient plus grande pour le traitement hydro-minéral,
et la susceptibilité catarrhale chronique n'a pas de contre-maladie théra-
peutique plus sûre que cette susceptibilité catarrhale franche et passagère
qu'imprime à l'économie la médication sulfureuse thermale.
L'exagération des phénomènes produits par les Eaux-Bonnes doit-elle
être considérée comme une condition indispensable pour la guérison,
comme une crise que les malades doivent traverser et sans laquelle il n'y
a pas d'effet curatif?Cette proposition admissible dans quelques cas n'est
point absolue. On voit en effet des malades se rétablir sans phénomènes
réactionnels, sans aggravation des symptômes, et la cure n'en est ni
moins parfaite ni moins solide. La crise thermale ne me semble pas
indispensable, il n'est ni prudent ni nécessaire de violenter l'organisme
pour obtenir la guérison. Beaucoup de malades, dit Andrieu, soumis à
l'usage des eaux thermales guérissent sans éprouver d'autre effet appré-
ciable de l'action de celles-ci que l'amélioration graduelle de leur état et
la disparition plus on moins complète des accidents morbides auxquels
ils étaient en proie. Le médecin doit s'étudier autant que possible à ne
pas susciter des troubles trop considérables, et il aurait atteint le sum-
mum de la perfection s'il arrivait à guérir sans amener de perturba-
tion notable. Il est beaucoup de malades, dit Pidoux, qui n'éprou-
vent jamais cette reviviscence sensible des symptômes de la maladie
chronique des voies respiratoires par les Eaux-Bonnes, ni comme signe
de la saturation thermale, ni comme condition du succès de la médication ;
ces sujets s'en passent très-bien pour guérir; plus loin il ajoute : cette
médication a pu agir chez eux (les malades) par ses propriétés générales
et l'affection localisée a bénéficié de l'influence réparatrice exercée sur
NOUV. DICT. MÉD. ET CUIR. V. — 25
386 BONNES (eaux de). — action physiologique.
l'état constitutionnel. L'affection locale a été même directement modifiée
par l'influence intime de la médication sur les propriétés vitales latentes
de l'organe altéré, sans qu'aucune action centrale ou réfléchie ait pu aver-
tir le malade ou le médecin de cette modification.
Ce sont là de sages préceptes qui devraient toujours être présents à
l'esprit des médecins des eaux thermales et les diriger dans l'appréciation
d'une médication qui devient dangereuse dans les mains de ceux qui
demandent des succès éclatants aux hasards d'une médecine héroïque.
Pour si glorieuses que soient quelquefois les aventures, il est bon en
médecine de ne pas les courir, et pour ma part je corrigerai le vieil adage
latin et je dirai : prudentes fortuna juvat .
Effets thérapeutiques. — C'est contre les phlegmasies chroniques des
muqueuses pharyngée et laryngo-bronchique, contre les affections du
parenchyme pulmonaire que les eaux de Bonnes sont principalement
dirigées.
Angine. — Parmi les variétés de cette maladie, il en est une qui ré-
clame d'une manière plus spéciale l'usage des Eaux-Bonnes, c'est l'an-
gine granuleuse ou glanduleuse; signalée d'abord par Chomcl, Horace
Green, étudiée en 4857 par Noël Gueneau de Mussy, elle se caractérise
par les symptômes suivants : une altération de la voix continue ou inter-
mittente, un besoin fréquent de faire une expiration brusque et bruyante
pour débarrasser le larynx d'un obstacle qui s'oppose au libre exercice de
ses fonctions et enfin le développement morbide des glandulcs du pharynx,
du larynx et du voile du palais faisant saillie à la surface de la membrane
muqueuse, et formant des granulations de volume et de configuration
divers. D'après Chomel et Gueneau de Mussy, la diathèse herpétique doit
être considérée dans le plus grand nombre des cas, soit comme la cause
efiieiente de l'angine granuleuse, soit comme la condition spéciale qui
modifie l'inflammation une fois produite, lui donne sa physionomie
propre, en détermine la marche et les tendances. De là l'indication du
traitement sulfuro-thermal ; Gueneau de Mussy cite un certain nombre
de guérisons d'angine granuleuse obtenues par l'usage des Eaux-Bonnes.
Sous leur influence, il se produit une stimulation d'autant plus grande
qu'il existait des foyers d'irritation. Ainsi la muqueuse pharyngée devient
plus rouge, les granulations sont plus saillantes, la sécrétion muqueuse
est augmentée, les malades accusent des sensations incommodes de
chatouillement, de picotement, d'ardeur à la gorge qui retentissent quel-
quefois sur la trompe d'Eustache; cette excitation apaisée, l'amélioration
commence, la toux cesse ainsi que l'expectoration et le chatouillement à la
gorge, la voix devient plus claire, les granulations pharyngées diminuent
ou même disparaissent, la rougeur s'efface. Cette influence salutaire peut
être prompte, mais quelquefois plusieurs semaines et même plusieurs
mois s'écoulent avant qu'une heureuse modification dans les phénomènes
morbides révèle l'action curative du traitement thermal.
Phlegmasie chronique des muqueuses laryngée et bronchique. — Les
Eaux-Bonnes sont souvent efficaces dans la laryngite chronique siinj)le>
DONNES (eaux de). — effets thérapeutiques. 587
c'est-à-dire indépendante de la diathèse tuberculeuse. Elles interviennent
utilement dans la bronchite, lorsque celle-ci se trouve dans une période
décroissante ou qu'elle est devenue chronique, ou bien encore qu'elle
tend à récidiver. Elles réussissent d'autant mieux que la bronchite coïn-
cide avec certaines formes de tempérament, le lymphatique par exemple,
avec certaines diathèses, l'herpétique en particulier. Dans ces phlegmasies
chroniques, l'eau de Bonnes réveille un certain degré d'acuité, provoque
une excitation générale et locale ; après ces premiers effets se manifeste
une résolution de l'état maladif; d'autres fois l'eau sulfureuse guérit sans
cette stimulation, et les médecins hydrologues admettent une influence
particulière sur le catarrhe de la muqueuse respiratoire, analogue à tant
d'autres actions thérapeutiques spéciales qui ne s'expliquent point par
des effets physiologiques définissables. (Durand Fardel, Le Bret.)
L'eau de Bonnes est administrée avec quelque avantage dans V asthme
lorsque celui-ci est humide ou catarrhal, et surtout qu'il se trouve sous
la dépendance de la diathèse herpétique. Elle est, au contraire, nuisible
lorsqu'il est le résultat d'une lésion organique du cœur ou des gros vais-
seaux.
Dans les engorgements chroniques du tissu pulmonaire (induration,
infiltration, etc.), on voit sous l'influence de cette eau minérale les
parties du poumon malades et imperméables à l'air reprendre peu à peu
leur état normal.
Phthisie pulmonaire. — Les Eaux-Bonnes doivent-elles être conseillées
lorsque le parenchyme pulmonaire a subi l'altération tuberculeuse? C'est
un des problèmes les plus importants et les plus difficiles de la théra-
pie sulfureuse.
Les deux Bordeu qui les premiers ont employé les Eaux-Bonnes dans
les affections chroniques de la poitrine, les considéraient comme un doux
fondant et le meilleur béchique. Ils ont laissé un recueil d'observations
attestant que les eaux de cette station thermale peuvent amener la réso-
lution des engorgements tuberculeux des poumons, cicatriser les ulcères
de cet organe, ceux même qui résultent de la fonte des tubercules. A l'é-
poque où ils exprimaient cette opinion, le diagnostic était bien loin de
l'exactitude qu'il offre de nos jours ; les degrés et les périodes des mala-
dies étaient souvent difficiles à reconnaître; le diagnostic différentiel
surtout était presque impossible; cependant on ne peut s'empêcher
de reconnaître la gravité des affections traitées par Bordeu ; elles entraî-
naient une fièvre hectique, des sueurs nocturnes, une diarrhée colliqua-
tive, une expectoration purulente, un amaigrissement général, en un
mot un ensemble de symptômes qui rappellent la tuberculisation pul-
monaire à la dernière période.
Andrieu considère l'emploi des Eaux-Bonnes comme très-avantageux
dans la phthisie pulmonaire, surtout lorsqu'elle s'allie au tempérament
lymphatique.
Noël Gueneau de Mussy n'hésite pas à déclarer qu'au premier rang se
placent les eaux sulfureuses, en particulier celle de Bonnes .
588 BONNES (eaux de). — effets thérapeutiques.
René Brian affirme que des résultats favorables ont. été obtenus aux
Eaux-Bonnes chez des individus atteints de vraie et légitime phthisie tu-
berculeuse.
Lors de la discussion qui eut lieu en 1860 à la Société d'hydrologie sur
le traitement de la phthisie par les eaux minérales, Pidoux après avoir
exposé ses idées sur les conditions de curabilité de cette maladie,
admettait l'efficacité des Eaux-Bonnes. Toutefois, conséquent avec sa
doctrine, il affirmait que cette efficacité était d'autant plus grande
que la phthisie était pourvue d'éléments antagonistes (asthme, arthri-
tisme, etc.).
Mais si ces eaux thermales ont offert dans bien des circonstances une
véritable efficacité, elles n'ont pas toujours été exemptes d'inconvénients;
de là la nécessité de rechercher dans quelles formes et dans quelles pé-
riodes de la phthisie elles doivent être mises en usage.
Personne aujourd'hui ne songe à considérer cette maladie comme sim-
plement locale; elle est formée de trois éléments distincts : 1° une dia-
thèse, c'est-à-dire une disposition générale innée ou acquise qui pré-
cède toute localisation tuberculeuse; 2° un produit hétéromorphe, le
tubercule, résultat de cette diathèse; 5° un état inflammatoire, catar-
rhal ou autre qui a pour siège la muqueuse bronchique ou le paren-
chyme pulmonaire entourant le tubercule. Avant de rechercher contre
lequel de ces éléments doit être spécialement instituée la médication ther-
male, il me paraît nécessaire d'établir les formes diverses de la phthisie
et de spécifier quelles sont celles qui réclament ou repoussent le traite-
ment par les Eaux-Bonnes. L'observation clinique assigne trois formes à
la phthisie.
1° Phthisie aiguë. Elle s'observe chez les individus d'un tempéra-
ment sanguin, se caractérise anatomiquement par la dissémination de
granulations tuberculeuses dans les poumons, affecte dans son appa-
reil symptomatologique et dans sa durée les allures trompeuses d'une
maladie aiguë, revêtant les apparences d'une bronchite capillaire ou
d'une fièvre typhoïde; dans cette forme, les Eaux-Bonnes sont absolu-
ment contre-indiquées, elles fournissent un nouvel aliment à la phleg-
masie locale et à l'intensité de la fièvre.
2° Phthisie subaiguë. Elle s'accompagne d'une excitation des sys-
tèmes vasculaire et nerveux. Les Eaux-Bonnes peuvent être employées
chez les sujets à vitalité languissante, phlegmatiques suivant l'expression
allemande; mais il importe que l'irritation pulmonaire soit apaisée, que
les tubercules n'aient pas envahi une grande étendue du poumon, que la
marche de la maladie soit ralentie, que la toux soit peu fréquente, l'a-
maigrissement général peu prononcé et le mouvement fébrile diminué;
encore faut-il que les eaux soient données avec une grande prudence, que
le médecin ait l'œil constamment fixé sur l'irritation pulmonaire qui
sommeille, mais qui réveillée pourrait amener des accidents graves.
Elles sont au contraire nuisibles s'il y a de la fièvre, des symptômes de
congestion pulmonaire, de la tendance à l'hémoptysie, quelques com-
BONNES (eaux de). — effets thérapeutiques. f>89
plications du côlé du cœur ou des gros vaisseaux; alors elles augmentent
le mouvement fébrile et précipitent le terme fatal.
5° Phthisie chronique, indolente, torpide; elle se rencontre chez les
individus lymphatiques, 'à chairs molles, sans réaction vive. Les phé-
nomènes locaux et généraux sont peu accentués, souvent même la ma-
ladie est arrivée à un degré assez avancé sans qu'elle se soit manifestée
par des symptômes extérieurs bien évidents. Adminislrées avec discerne-
ment, les Eaux-Bonnes améliorent les fonctions de nutrition et d'assimi-
lation, fortifient la résistance physiologique de l'organisme, l'empêchent
de céder à l'entraînement tuberculeux et impriment une modification fa-
vorable à toute l'économie ainsi qu'aux organes qui sont plus spéciale-
ment atteints.
A quelle période de la phthisie les Eaux-Bonnes doivent-elles être con-
seillées?
Il est généralement admis que les Eaux-Bonnes réussissent d'autant
mieux qu'elles sont prises dès le début delà maladie. Toutefois, il est des
médecins qui affirment qu'à cette période initiale, elles sont toujours nui-
sibles, quelle que soit la constitution des sujets. S'ils sont sanguins, di-
sent-ils, l'eau sulfureuse leur donne ou de la fièvre ou des crachements de
sang: s'ils sont lymphatiques ou scrofuleux, les tubercules qui n'avaient
encore signalé leur présence par aucun accident particulier, reçoivent une
impulsion funeste et se développent avec une plus grande rapidité.
Quelques médecins entre autres de Puisaye, Pâtissier, Pidoux, etc.,
pensent que la médication thermale est mieux indiquée dans la période
de ramollissement ; elle serait plus appropriée non-seulement à l'étal
local, mais encore à l'état général. On peut espérer une guérison si la
matière tuberculeuse est éliminée ; l'anatomie pathologique nous ap-
prend en effet que les parois des cavités débarrassées de leurs produits
peuvent se rapprocher et se réunir au moyen d'un tissu cicatriciel. Les
tubercules crus que contiennent les engorgements glandulaires du cou ne
sont pas en général susceptibles de résolution, ils ne se dissipent que
lorsque l'inflammation du tissu cellulaire ambiant a amené le ramollisse-
ment de la matière tuberculeuse, son élimination, puis la cicatrisation de
l'abcès. Pourquoi en serait-il autrement à l'égard des tubercules des or-
ganes profonds?
Les eaux de Bonnes seraient-elles utiles à la troisième période de la
phthisie pulmonaire? Briau regarde la phthisie tuberculeuse comme
pouvant être guérie par ces eaux à toutes les périodes. Des exemples
de phthisie au troisième degré immobilisée par le traitement ther-
mal? disait Pidoux à la Société d'hydrologie (séance du 21 mars 1864);
mais j'en ferai défiler devant vous chaque année plusieurs cas!... Si
les excavations pulmonaires sont limitées, si le poumon dans le reste
de son étendue n'offre pas d'altération sérieuse, s'il existe des par-
ties saines ce que les anciens appelaient vita sana superstes in morbis;
si les phénomènes généraux sont peu marqués, on comprend que les
Eaux-Bonnes puissent être essayées avec une grande prudence; mais lors-
590 BONNES (eaux de). — effets thérapeutiques.
que tout l'organisme est entraîné par un courant irrésistible vers la
destruction, le doute n'est plus permis, elles sont inutiles. Pas plus que
les autres remèdes, elles ne font des miracles ni ne reconstruisent des
organes profondément altérés.
Chez les plitliisiques soumis à leur usage, on voit le plus souvent l'ex-
pectoration changer de nature, les crachats de verdâtres deviennent
jaunes, puis blanchâtres, en même temps ils sont plus rares, l'élément
catarrhal est donc sensiblement modilié par cette médication, et cette mo-
dification ne s'arrête pas à la membrane muqueuse, elle atteint souvent
le tissu parenchymateux; alors diminuent, disparaissent les altérations de
sonorité et les bruits morbides qui indiquaient l'état congestif du paren-
chyme pulmonaire. C'est qu'en effet l'eau de Bonnes n'exerce aucune ac-
tion thérapeutique directe sur le tubercule, elle est impuissante à arrêter
la cachexie tuberculeuse, elle a une influence réelle contre la bronchite,
compagne inévitable de la tuberculisation que Fonssagrives (de Montpel-
lier) a comparée avec raison à une bougie allumée qu'on promène au
milieu de sacs de poudre.
Il me paraît conforme aux règles d'une sage pratique de ne jamais
conseiller les Eaux-Bonnes pendant la progression active de la phthisie.
Comme toutes les affections de longue durée, elle ne marche pas d'une
manière uniforme, elle offre des périodes d'activité et des périodes de
repos; c'est à ce dernier moment, alors que les tubercules semblent
stationnaires, que doit intervenir le traitement thermal. Il est donc im-
possible de déterminer à l'avance une époque fixe pour l'emploi des
eaux sulfureuses; il faut en outre se laisser guider surtout par la forme
de la phthisie, l'état général du sujet, les conditions de santé, etc.; on
a dit avec raison qu'on est quelquefois moins malade avec une phthisie
au troisième degré qu'avec une phthisie qui n'a point dépassé ie pre-
mier. La gravité de cette maladie est en effet moins accusée par l'éten-
due des lésions qu'elle a produites que par ses allures stationnaires ou
désorganisatrices ; d'où la conséquence de ne pas toujours considérer
l'existence d'une caverne comme un motif d'exclusion des eaux. L'ap-
préciation de l'état général, du tempérament, des formes pathologiques,
doit primer le diagnostic local anatomique.
Un état fébrile continu, la tendance aux congestions, aux hémoptysies,
telles sont les circonstances principales qui doivent surtout contre-indi-
quer l'usage des Eaux-Bonnes.
Pidoux fait à l'égard du mouvement fébrile une distinction. Quand la
fièvre n'est pas hectique tuberculeuse, quand l'organisme est sous l'in-
fluence d'une autre disposition morbide générale, l'eau de Bonnes peut
être administrée. Ces malades dans la troisième période delà phthisie ar-
thritique se tiennent debout, dit-il, même avec de la fièvre, parce qu'elle
ne dépend pas du ramollissement et du tabès tuberculeux. Mais si le mou-
vement fébrile coïncide avec un amaigrissement général rapide et pro-
gressif, avec des sueurs abondantes, s'il est l'indice d'un état colliquatif,
l'eau sulfureuse ne fait que l'augmenter, elle est sérieusement nuisible.
BONNES (eaux de). — bibliographie. 591
Quant aux hémoptysics qu'on observe aux Eaux-Bonnes, il en est de
■deux sortes, dit Pidoux ; les unes se rattachent aux tubercules, leur
pronostic est nécessairement très-sérieux ; mais il en est d'autres que le
savant inspecteur appelle Eaux-Bonnaises, elles résultent de l'action
des eaux sulfureuses, elles n'ont point de gravité, s'apaisent par la sim-
ple suspension du traitement ; elles ne sont point réfractaires et réci-
divent peu. D'après N. Gueneau de Mussy, on aurait fait aux Eaux-Bonnes,
sous le rapport de ce dernier accident, des reproches exagérés, peut-être
même injustes. Elles ont bien pu quelquefois favoriser une congestion
hémorrhagique du poumon chez des individus prédisposés; mais don-
nées avec prudence, elles n'ont jamais déterminé un tel effet. Gueneau de
Mussy affirme même qu'il a pu les conseiller sans inconvénient à des
malades à peine guéris d'hémoptysie.
Quel est le mode d'action de l'eau de Bonnes? Faire d'une maladie
lente, chronique, sans solution critique, une maladie aiguë, déterminer
une action substitutive, telle est la théorie qu'a émise Bordeu, théorie
qui depuis a été acceptée par bien des médecins. C'est aussi l'opinion de
Pidoux, lorsqu'il dit : Dans bien des cas nous congestionnons pendant le
traitement, plus tard la nature reposée éprouve, sous l'influence des effets
secondaires delà médication, une réaction en sens inverse; la tuberculi-
sation s'immobilise, le malade acquiert une résistance inconnue de lui
jusqu'alors à toutes les causes qui irritaient ses poumons et y excitaient
des poussées tuberculeuses.
Voulant expliquer par quelle sorte de mécanisme agissent les eaux de
Bonnes, il ajoute : Elles amendent la phthisie, en excitant ou rappelant
des éléments antagonistes, l'asthme, l'arthritisme, des névralgies, la
gravelle, des douleurs hépatiques, des coliques biliaires, etc.; ainsi, en
faisant prédominer dans l'organisme des activités morbides qui forment
un antagonisme à la tuberculisation, en rappelant ou en maintenant une
maladie chronique initiale, les Eaux-Bonnes compriment et retardent
<une maladie chronique ultime.
J'accepte bien plus volontiers l'opinion de Gueneau de Mussy ; je dirai
avec lui que l'eau de Bonnes répond à deux indications : d'une part, elle
stimule l'activité des fonctions nutritives, elle relève les forces, augmente
la résistance de l'organisme, lui fournit, en quelque sorte, le moyen de
lutter avec moins de désavantage contre l'action des causes morbilîques,
et en réparant la faiblesse des malades, enlève à la diathèse un de ses
plus puissants auxiliaires. D'autre part, elle a une action incontestable
sur l'état catarrhal et sur la congestion pulmonaire qui accompagnent
presque toujours la phthisie. Or il ne faut pas oublier que si le catarrhe
bronchique, la congestion chronique du poumon ne font point le tuber-
cule, ils ne sont pas du moins étrangers à son développement, et devien-
nent comme un terrain préparé où il germe avec une facilité merveil-
leuse.
Pâtissier, Manuel des eaux minérales, 1857, p. 135. — Trailement de la phthisie par les eaux
minérales [Annales de la Soc. d'hydrologie, 18Ô7-185S, t. IV, p. 50).
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Henni Gintrac.
BORAX ou BORATE DE SOUDE. — Chimie et pharmacologie.
— Le borate de soude ou borax est un sel très-anciennement connu, qui
nous venait autrefois des Indes, de la Chine, de la Perse et du Pérou. Il
était importé en Europe sous le nom de borax brut ou de tinckal, et avait
l'apparence d'une masse grasse, de saveur douceâtre et un peu alcaline,
au milieu de laquelle se trouvaient des cristaux de volume variable,
figurés en prismes hexaèdres, terminés par des pyramides à trois faces.
On purifiait ce tinckal en le faisant cristalliser, après l'avoir débarrassé,
par un traitement a l'eau de chaux, de la matière grasse, souvent abon-
dante, qui l'accompagnait.
Aujourd'hui, la majeure partie du borax qui se consomme en France est
obtenue par l'union directe de la soude artificielle avec l'acide borique
qui nous vient de la Toscane. L'opération se fait dans une grande cuve en
bois, contenant une solution de cristaux de soude, dont on élève la tem-
pérature à l'aide d'un générateur de vapeur. On y projette l'acide borique
brut qui déplace l'acide carbonique et produit une vive effervescence.
La saturation étant achevée, et la liqueur marquant 1,17 au densimètre?
on arrête le courant de vapeur et on laisse reposer pendant douze heures.
On fait alors couler la liqueur dans des vases en bois doublés de plomb,
BOIîAX. — CHIMIE ET PHARMACOLOGIE. 595
où elle abandonne peu à peu des cristaux de borax que l'on fait égoutter
en les plaçant en masse sur un plan incliné. Le sel ainsi obtenu ne peut
pas être livré directement au commerce, ce qui tient moins à une pureté
insuffisante, qu'à ce que les cristaux ne présentent pas le degré de con-
sistance exigé par les consommateurs. Il suffit, pour le leur donner, de
les soumettre à un procédé de raffinage consistant surtout dans une cris-
tallisation très-lente.
Le borate de soude préparé comme il vient d'être dit, constitue le
borax ordinaire ou prismatique. Il cristallise, en effet, en prismes hexaè-
dres qui retiennent 47 pour 100 d'eau. Sa densité est 1,7; sa composition
est représenté par Na02BoO5+10IÏO.
On trouve dans le commerce une autre espèce de borax désignée
sous le nom de borax octaédrique, qui ne renferme à l'état cristal-
lisé que 51 pour 100 d'eau : sa densité est 1,8 et sa formule chimique
NaO2Bo03-f-5H0.
Cette différence de composition qui entraîne une différence correspon-
dante dans les propriétés physiques des deux sels, tient aux conditions
de température dans lesquelles leur cristallisation s'est effectuée; lorsque
la solution de borate de soude cristallise à une température inférieure à
56°, les cristaux qu'elle fournit sont du borax ordinaire à 10 équivalents
d'eau. Si, au contraire, la solution est assez concentrée et assez chaude,
pour abandonner son sel à une température supérieure à -h 56°, on ob-
tient du borax octaédrique à 5 équivalents d'eau.
De la différence d'hydratation des deux sels, résulte une distinction
importante dans la manière dont ils se comportent à l'air. Le borax octaé-
drique reste transparent dans l'air sec, et devient opaque dans l'air hu-
mide; le borax prismatique conserve au contraire sa transparence dans
l'air humide, et devient opaque dans l'air sec. C'est qu'en effet la première
variété, placée dans un air humide, absorbe de l'eau, s'hydrate et devient
prismatique; tandis que la seconde, placée dans l'air sec, perd une partie
de son eau, se déshydrate et devient octaédrique.
Le borax ordinaire se dissout dans deux parties d'eau bouillante, et
dans douze parties d'eau froide. Bien qu'il soit acide d'après sa consti-
tution chimique, puisqu'il admet deux équivalents d'acide borique pour
un seul équivalent de soude, il exerce sur les couleurs végétales une
action manifestement alcaline : sa solution verdit le sirop de violettes, et
ramène au bleu le tournesol rougi.
Il est insoluble dans l'alcool.
Soumis à l'action de la chaleur, il fond et se boursoufle en perdant
son eau de cristallisation. Si on le chauffe plus fortement, il éprouve la
fusion ignée, et forme un liquide visqueux qui prend l'apparence du
verre par refroidissement. Ce verre de borax se maintient transparent
à l'abri de l'air; mais il devient opaque au contact de l'humidité.
Le borax fondu a la propriété de dissoudre les oxydes métalliques et de
donner avec beaucoup d'entre eux des teintes caractéristiques. Ainsi, il
donne un verre violet avec le manganèse, bleu intense avec le cobalt,
594 BORAX. — caractère distinctif.
vert bouteille avec le fer, vert émeraude avec le chrome, et vert clair
avec le cuivre. Le borax est également précieux pour opérer la soudure des
métaux oxvdables : il forme une sorte de vernis autour de leur surface,
et offre alors le double avantage de les préserver du contact de l'air, et de
dissoudre les traces d'oxyde qui s'opposeraient à leur réunion.
Caractère distïnctif. — Le borate de soude, eu dissolution con-
centrée, est décomposé par les acides sulfurique ou chlorhydrique : il
se dépose des écailles cristallines d'un aspect brillant et nacré, qui ne
sont autre chose que de l'acide borique, reconnaissable à la propriété
qu'il communique à l'alcool de brûler avec une flamme verte.
Quoique le borax soit généralement pur dans le commerce, il importe
de pouvoir apprécier certaines fraudes qui ont été pratiquées à diverses
reprises, et qui consistent à mêler au borate prismatique ordinaire, soit
du sulfate de soude, soit de l'alun, soit du chlorure de sodium. Le mé-
lange du sulfate de soude se reconnaît à la propriété que possède la solu-
tion du sel de donner, avec le chlorure de barium, un précipité blanc
insoluble dans lacide nitrique. La présence de l'alun se trouve décelée
par le môme caractère auquel vient s'ajouter celui de donner avec l'am-
moniaque un précipité blanc gélatineux, insoluble dans un excès de
réactif. Quant au mélange avec le chlorure de sodium, il se reconnaît à
la saveur salée que possède le sel, et surtout à la propriété que présente
sa dissolution de fournir par le nitrate d'argent un précipité blanc, cail-
leboté, insoluble dans l'acide nitrique, soluble dans l'ammoniaque.
A ces caractères qui ne sauraient suffire à la constatation exacte de la
pureté du borax, il importe de pouvoir ajouter l'indication de la richesse
alcaline. C'est à quoi l'on parvient à l'aide d'un essai alcalimétrique très-
simple, fondé sur ce principe que l'acide borique, quelle que soit sa quantité,
ne produit sur la teinture bleue de tournesol que le rouge vineux, tandis
que la plus petite quantité d'acide sulfurique fait passer la teinture au
rouge pelure d'oignons. On fait dissoudre à chaud 15 grammes de borax
dans 50 centigrammes d'eau distillée; on colore la dissolution en bleu
clair par quelques gouttes de teinture de tournesol, et l'on y verse peu à
peu de l'acide sulfurique normal. (100gIS03HO par litre), jusqu'à ce que le
rouge vineux, qui se manifeste dès le début de l'opération, et qui se
maintient, tant qu'il reste du borate indécomposé, disparaisse tout à coup
pour faire place au rouge pelure d'oignons. Ce changement de teinte est
le signe de la décomposition complète du borate, et la richesse du sel
mis en expérience s'évalue d'après la quantité d'acide sulfurique dépensé :
1 gramme d'acide sulfurique mono-hydraté correspond à 5g89 de borax
prismatique, ou à 2897 de borax octaédrique.
Thérapeutique — Le borate de soude est depuis longtemps usité en
médecine. Son emploi le plus habituel est à l'extérieur comme succédané
du carbonate de soude qu'il remplace quelquefois avec avantage en raison
de son alcalinité moindre.
On l'a préconisé successivement contre diverses éruptions cutanées
chroniques, contre les taches de la peau, les taches hépatiques, les rou-
BORAX. — thérapeutique. 595
geurs du nez, les engelures, les dartres furfuracées. R. Vanoye l'a re-
commandé d'une manière toute spéciale dans les cas d'efflorescences du
visage. Il conseille d'employer le sel en lotions, d'après la formule sui-
vante :
Borax 2 grammes.
Eau de roses 15
Eau de fleurs d'oranger 15
On lave les taches plusieurs fois par jour avec ce liquide.
C'est surtout sous forme de collutoire que le borax a été employé pour
combattre les aphthes de la muqueuse buccale et le muguet. On le mêle
alors au miel ou à la glycérine par parties égales ou dans la proportion
d'un quart, d'un huitième ou d'un douzième. Dans ces derniers temps,
E. Bouchut a appelé l'attention des médecins sur les avantages que peut
offrir le borax employé en lavement pour combattre les ulcérations qui
se produisent au pourtour de l'anus dans les catarrhes intestinaux, chez
les enfants. La formule qu'il recommande consiste à faire dissoudre dans
150 grammes de décoction légère d'orge, une quantité de borate de soude
variant depuis 4 jusqu'à 6 et même 7 grammes.
Dans les cas de catarrhe laryngé, on a souvent employé le borax sous
forme de gargarisme avec l'infusion de ronces et le miel rosat (8 grammes
de borax pour 250 grammes d'infusion de ronces et 52 grammes de
miel rosat). Mais beaucoup de praticiens préfèrent aujourd'hui, surtout
pour les enfants, l'emploi d'un sirop borate ainsi composé :
Borax 15 grammes.
Sirop de sucre 500
On donne ce sirop par cuillerée à café, huit ou dix fois par jour, et on
a la précaution de le laisser séjourner quelques instants dans la bouche,
pour prolonger le contact du sel avec la muqueuse affectée.
Pitschaft de Bade a recommandé le borate de soude contre le prurit de
la vulve avec état congestif du système sexuel. Le remède consiste dans
une solution de 4 à 8 grammes de borax dissous dans un litre d'eau ; on
en fait des applications extérieures et des injections plusieurs fois par
jour, en affaiblissant le liquide, s'il produit une trop forte excitation.
A l'intérieur, le borate de soude a été employé comme fondant et em-
ménagogue. On lui attribue la propriété de faciliter l'accouchement comme
le fait le seigle ergoté. Spengler d'Ems, qui a comparé les deux médica-
ments à ce point de vue, a reconnu que le borax doit être préféré chez
les femmes à sensibilité vive, présentant des crampes, de fortes douleurs
utérines et des symptômes gastriques. Poitevin a fait voir combien était
puissante l'action hémostatique du borax dans les cas de métrorrhagie
qui se manifestent à la suite des couches. Il cite deux de ces cas, où l'écoule-
ment sanguin, après avoir résisté aux moyens ordinaires, seigle ergoté, ra-
tanhia, perchlorure de fer, tannin, eau acidulée, etc., a cédé à l'action d'une
simple solution de 15 grammes de borax dans 125 grammes d'eau dis-
596 BoRBORYGMES.
tillée. On avait donné à chacune des deux malades, une cuillerée de celle
solution toutes les dix minutes.
Enfin, on s'est servi du borax pour remplacer le bicarbonate de soude
dans le traitement de la gravelle. On a observé, en effet, que, comme ce der-
nier sel, il dissout l'acide urique qui forme la base ordinaire des calculs ;
mais comme son action, en pareil cas, est beaucoup moins énergique,
comme d'ailleurs, elle n'offre aucun avantage particulier, on donne gé-
néralement la préférence au bicarbonate de soude pour combattre ces
sortes d'affections.
Pitschaft, de Bade. De l'emploi du borate de soude dans le traitement du prurit de la vulve
[Bulletin de thérapeutique, 1844, t. XXVI, p. 75).
R. Vanoye, Bons effets des lotions avec le borax dans les efflorescences du visage [Annales de la
Société de Rouler s, septembre 1850 et Bulletin de thérapeuthique, 1850, t. XXXIX, p. 576).
Indications spéciales de l'emploi du seigle ergoté et du borate de soude dans les accouchements
(Bulletin de thérapeutique 1856, t. L. p. 425).
Poitevin-, Deux cas de métrorrhagie rapidement guéris par l'emploi du borate de soude à haute
dose (Bévue de thérapeutique médico-chirurgicale, octobre 1856 et Bulletin de thérapeu-
tique, 1856, t. L, p. 472).
Bouchut, Lavements au borax (Bulletin de thérapeutique, 1857 , t. LU, p. 210).
ûpengler (d'Ems), Indication de l'emploi du seigle ergoté et du borax dans les accouchements
Schmidt's Jahrbûcher et Bulletin de thérapeutique, 1858, t. LUI, p. 42).
Réveil, Formulaire des médicaments nouveaux; 2e édition. Paris, 1865.
II. BlIGXET.
BORBORYGMES. — (Borborygmus, 0op6opu-flioç, murmure, de
[3cpS:p6Ç(i), je fais du bruit.) Sous ce nom, on désigne un bruit sourd qui se
fait entendre dans l'abdomen par suite du déplacement des gaz contenus
dans le canal intestinal, au milieu des matières liquides. Vulgairement on
le nomme gargouillement. Mais nous verrons à l'article diagnostic qu'il ne
faut pas confondre ces deux phénomènes.
Dans l'intestin, depuis le pylore jusqu'à l'anus, on rencontre normale-
ment des gaz, ainsi que l'expérience de Magendie et de Gérardin l'a dé-
montré. Ces gaz dont le développement est lié aux phénomènes chimiques
de la digestion, sont constitués par de l'hydrogène carboné, de l'azote et
le gaz acide carbonique ; dans la dernière portion du gros intestin on
rencontre de l'hydrogène sulfuré. Ils ne produisent pas ordinairement des
bruits, ou du moins s'ils en produisent ceux-ci ne sont nullement perçus
par l'individu lui-même ou par des personnes étrangères. L'exagération
de ces bruits normaux de I intestin constitue le phénomène quenousétu-
dions ici. Sa production n'est pas ordinairement douloureuse ; elle con-
stitue seulement une gêne plus ou moins grande, un ennui pour l'individu
chez lequel ce bruit se produit. Dans certains cas, pourtant, les borbo-
rygmes s'accompagnent non de véritables douleurs, de véritables co-
liques mais bien d'un sentiment de formication produit par les con-
tractions de l'intestin malade. L'intensité du bruit est très-variable ;
généralement c'est un bruit sourd ; mais parfois il est assez éclatant
pour qu'il soit perçu à une assez grande distance. Sa durée, de même,
présente une grande variété : jamais continu, il se montre toujours à
BORBORYGMES. — sémiologie, diagnostic et pronostic. 597
des intervales plus ou moins éloignés. Il n'existe que pendant quelques
minutes, ou bien il dure de une à plusieurs heures. Généralement sa durée
est en rapport avec la cause qui le produit, c'est ainsi que commençant
avec la digestion intestinale, il ne finit qu'avec elle.
Sémiologie. — Les causes qui donnent lieu aux borborygmes sont
très-variées. On comprend eu effet, que le moindre trouble, que la plus
légère perturbation dans les actes physiologiques suffisent pour leur donner
naissance. Aussi ce phénomène se rencontre-t-il aussi bien dans l'état de
santé le plus florissant que dans l'état de maladie le plus grave. C'est ainsi
que les borborygmes sont très-communs chez les personnes en bonne
santé, dans ce cas, ils se produisent surtout à jeun. Chez la femme, ils
sont très-fréquents; une émotion subite, la joie ou la peur, une contrariété
quelconque leur donne naissance; aussi, vu leur fréquence, on a fait jouer
un très-grand rôle à la compression habituelle de l'abdomen par le corset.
Celui-ci agirait en gênant la circulation des fluides aériformes que les in-
testins contiennent normalement. On observe de même les borborygmeschez
les sujets qui par leur genre de vie, par leur existence sédentaire, comme
les hommes de lettres ou de bureau, restent constamment assis, le corps
penché en avant de telle sorte que l'abdomen se trouve comprimé. L'alimen-
tation joue un très-grand rôle dans la production de ce bruit anormal. Le
laitage, les fruits crus ou en trop grande abondance ; certains aliments : les
farineux, le;, crucifères, les huîtres, les moules le déterminent fréquemment.
La grossesse, l'accouchement y donnent souvent lieu. La constipation de
même. Cependant si ce phénomène est commun dans l'état de santé, il
n'en révèle pas moins aussi un état maladif. Presque toujours les borbo-
rygmes accompagnent les digestions pénibles et prolongées ; aussi les
rencontre-t-on chez les individus atteints soit d'une dyspepsie stomacale,
soit d'une dyspepsie intestinale, principalement dans cette variété de dys-
pepsie, désignée du nom de jlatulente. Les hystériques, les hypocondria-
ques, les maniaques, les lypémaniaques présentent ce phénomène à un
très-haut degré, et chez ces derniers, les borborygmes deviennent souvent
le point de départ d'hallucinations qui font croire aux malades qu'ils sont
atteints d'affections graves ou qu'ils ont dans l'abdomen des corps étran-
gers, des êtres vivants, des couleuvres, des serpents, des ennemis inté-
rieurs. Les borborygmes se montrent aussi dans les affections intestinales,
entérite, colite, lorsque ces inflammations sont accompagnées de diar-
rhée; c'est un phénomène ordinaire de la dysenterie. On les rencontre dans
ces flux intestinaux désignés sous le nom d' enter or r liée, et dans lesquels
on voit les selles diarrhéiques se succéder avec promptitude, et donner
lieu à l'expulsion d'une grande quantité de matières intestinales. (Mon-
neret.) De même ils succèdent souvent à l'administration des purgatifs.
Les borborygmes s'observent, enfin, dans les obstacles au cours des
matières fécales, dans les hernies étranglées, l'étrang'ement interne, dans
le cancer intestinal.
Diagnostic et pronostic, — Les borborygmes sont des phénomè-
nes trop communs, trop peu variés dans leurs caractères pour avoir une
598 BORBORYGMES. — bibliographie.
valeur diagnostique propre. Ils n'indiquent qu'une production trop abon-
dante de gaz et de liquides, et qu'une circulation difficile de ces matières
dans le tube digestif. Ils ne peuvent fournir aucuns renseignements sur
la nature de l'affection qui leur donne naissance. Toutefois nous ne devons
pas oublier qu'assez souvent ils précèdent la diarrhée, qu'ils annoncent
ordinairement des évacuations qui se préparent. C'est ainsi que dans
l'épidémie de cboléra de 1832, les malades, dit Blache, éprouvaient, au
moment de l'invasion, des borborygmes nombreux qui précédaient les
selles abondantes.
Les borborygmes ne doivent pas être confondus avec les autres bruits
qui se produisent dans l'intestin, et principalement avec le gargouille-
ment. Cette confusion a été faite par plusieurs auteurs, et pourtant ces
deux bruits diffèrent entre eux par leur intensité et par leur mécanisme.
Le gargouillement, il est vrai, a quelque analogie avec les borborygmes
quant à sa production, mais il en diffère ordinairement en ce qu'il est
plus humide, moins intense, plus circonscrit, et surtout en ce qu'il ne
se produit que par le taxis. En dehors de cette action mécanique on ne
l'entend pas. Les borborygmes, au contraire, se produisent librement,
spontanément.
Comme pronostic, les borborygmes n'offrent pas non plus une grande
valeur, Toutefois, d'après Landré-Beauvais, on doit regarder comme un
signe fâcheux dans les phlegmasies abdominales, la production de borbo-
rygmes répétés sans déjection d'aucun genre.
A propos du diagnostic, nous avons dit qu'ils pouvaient annoncer une
obstruction intestinale. De même ils sont l'indice que l'obstacle au
cours des matières est levé et sous ce rapport les borborygmes doivent être
envisagés comme un signe favorable.
Traitement, — En dehors de l'état de santé, les borborygmes n'étant
qu'un épiphénomène, il est inutile de dire que c'est contre la maladie à
laquelle ils appartiennent qu'il convient d'agir pour les faire cesser.
Quand ils se produisent à jeun, il suffit souvent d'un peu de liquide ou
d'un peu d'aliment solide pour les laire disparaître. S'ils produisaient enfin
une trop grande gène, il faudrait avoir recours à la poudre de charbon de
bois à la dose de 2 à 50 grammes dans du pain à chanter ou en
électuaire.
Baciielet, Recherches sur la dispepsie iléo-cœcale. Union médicale. 1864. 1er octobre et sui-
vants.
Blache, Dict. de mêd. en 30 vol. 2e édit. t. V, p. 489.
Bouchut, Pathologie générale et Séméiologie. 1857, p. 1007.
Chomel, Pathologie générale, 4e édit. p. 193.
Double, Séméiologie générale. 1817, t. III, p. 159.
Landré-Beauvais, Séméiotique. 1818, p. 1(30.
Monnebet et Fleury, Compendium de médecine, t. I, p. G25.
Piorry, Traité de diagnostic. 1840, t. II, p. 159.
Racle, Traité de diagnostic médical. 3e édit., p. 555.
L. Martine au.
BOTRIOCÉPHAIiE. Voy. Entozoaires.
BOUCHE. CONSIDÉRATIONS ANATOMIQUES. 599
liorC'HE. — La bouche est l'entrée, la première cavité des voies
digestives. Dans le langage ordinaire, le nom de bouche ne désigne que
l'orifice limité par les lèvres ; mais dans le langage anatomique et médi-
cal, on entend, par cette expression, la cavité buccale tout entière.
CONSIDÉRATIONS ANATO.MIQUES.
Située à la partie inférieure delà face, la bouche représente une cavité
assez étendue, limitée en haut par la voûte palatine et le voile du palais
qui la séparent des fosses nasales, en bas par la langue et une paroi mus-
culo-membraneuse qui forme le plancher de la bouche, sur les parties
latérales par les joues ; en avant par les lèvres, en arrière par l'isthme
du gosier. Elle offre deux ouvertures, l'une antérieure bornée par les
lèvres, l'autre postérieure qui la fait communiquer avec le pharynx et les
voies alimentaires.
Outre les parois que nous venons d'énumérer, la bouche est fermée en
avant et sur les côtés par un plan osseux situé en arrière des lèvres et
des joues, et constitué par les arcades alvéolaires et dentaires; ce plan
partage, si l'on veut, la cavité buccale en deux parties très-inégales,
l'une antérieure représentant une sorte de rigole qui a reçu le nom de
vestibule de la bouche; l'autre formant la cavité buccale proprement dite.
La forme de la bouche est celle d'une cavité ovalaire dont le grand axe
est antéro-postérieur.
Ses dimensions sont très-variables, suivant les positions diverses que
peut affecter la mâchoire inférieure. Dans l'état d'occlusion de la bou-
che, la cavité buccale n'existe pour ainsi dire pas, ou plutôt elle est
remplie en totalité par la langue; quand, au contraire, les mâchoires
sont écartées rime de l'autre, la cavité s'agrandit de plus en plus
par l'augmentation du diamètre vertical. Pendant ce mouvement, le
diamètre antéro-postérieur ne varie presque point, et le diamètre trans-
versal tend plutôt à diminuer par le rapprochement des joues. Bien que
les dimensions de la bouche varient beaucoup d'un individu à l'autre, on
peut cependant les établir d'une manière approximative; voici les me-
sures qui ont été indiquées par Sappey : le diamètre antéro-postérieur est,
en général, le plus' long; il atteint de 8 à 9 centimètres chez l'homme
adulte, tandis que le transversal arrive à peine à 8, et le vertical à 7 ou
7 1/2. L'étendue de ces diamètres varie d'ailleurs dans les différentes
races et chez les différents sujets, suivant que les mâchoires sont plus ou
moins saillantes, plus ou moins larges, suivant la forme de la voûte pa-
latine, etc. Chez les animaux, le diamètre antéro-postérieur prédomine
beaucoup sur les deux autres diamètres, ce qui paraît tenir à ce que,
pour eux, la bouche est un organe de préhension.
L'étude des parois qui limitent la cavité buccale ressortit à Panatomie
descriptive, et nous ne saurions entrer ici dans le détail des diverses par-
ties qui les constituent; nous nous contenterons de relever quelques-
unes des particularités qui peuvent intéresser plus spécialement le mé-
decin.
400 BOUCHE. — CONSIDÉRATIONS ANATOMIQDES.
Les lèvres sont deux replis musculo-membraneux qui forment la paroi
antérieure de la bouche et circonscrivent l'ouverture buccale. Elles sont
à peu près verticalement dirigées, au moins dans la race blanche, et re-
présentent la direction des arcades alvéolo-dentaires ; chez quelques in-
dividus, elles sont proéminentes en avant. Leur hauteur est égale à celle
de ces mêmes arcades ; cependant, chez l'enfant et le vieillard, elles sont
proportionnellement plus hautes à cause de l'absence des dents. Elles
ont une épaisseur très-variable, suivant les sujets; une lèvre supérieure
épaisse et proéminente indique souvent la disposition scrofuleuse.
La face cutanée des lèvres est séparée des parties avoisinantes par des
sillons qui portent les noms de sillon naso-labial pour la lèvre supérieure
et de sillon mento-labial pour l'inférieure. Le premier a une certaine im-
portance en sémiotique, parce qu'il devient très-prononcé dans les mala-
dies de l'abdomen, d'où le nom de sillon abdominal. La surface de la
peau située au-dessous de ce sillon mérite aussi toute l'attention du cli-
nicien; sa coloration, rosée dans l'état normal, devient terne et grisâtre
dans l'anémie, et elle reproduit les altérations de couleur de la muqueuse
buccale, dans l'ictère par exemple ; il semble que cette partie de la face
appartienne en réalité à la bouche et s'associe à quelques-uns des phéno-
mènes morbides qui se passent dans cette cavité.
La face postérieure ou muqueuse des lèvres est surmontée de petites
saillies dues à la présence de glandules sous-jacentes; il se forme quel-
quefois, par l'oblitération de l'orifice de ces glandules, de petits kystes
salivaires. Sur la ligne médiane, les lèvres sont réunies aux arcades
alvéolo-dentaires par un repli muqueux qui forme le frein des lèvres.
Le bord libre des lèvres est recouvert par la muqueuse, qui se con-
tinue en avant avec la peau ; ces deux membranes tégumentaires se
distinguent en ce qu'elles sont séparées par une ligne régulière et net-
tement accusée. Les maladies respectent en général cette séparation; ce-
pendant, il n'est pas rare de voir certaines éruptions, par exemple, se
développer dans le point de jonction des deux membranes, et offrir sen-
siblement les mêmes caractères sur la peau et sur la muqueuse, ce qui
indique que celles-ci ont à peu près la même texture. Le bord de chacune
des lèvres se réunit a ses extrémités avec la lèvre opposée en formant deux
commissures; ainsi se trouve constituée l'ouverture buccale. Cette ou-
verture représente, tantôt une fente transversale dans Tétat d'occlusion,
tantôt un orifice ovale ou circulaire, dont les mouvements des lèvres font
singulièrement varier et la forme et les dimensions. La dilatation et la
mobilité dont cet orifice est susceptible rendent facile l'examen de la
bouche et permettent d'en explorer complètement toutes les parties.
Entre la peau et la muqueuse qui recouvrent leurs deux faces, les lè-
vres sont surtout constituées par des muscles et des glandes. Un très-
grand nombre de muscles, partis des régions voisines, viennent s'insérer
sur les lèvres; c'est leur entre-croisement qui paraît former ce que quel-
ques auteurs ont décrit sous le nom d'orbiculaire des lèvres. Les glandes
sont sous-jacentes cà la muqueuse et forment comme une couronne à l'ori-
BOUCHE. CONSIDÉRATIONS ANATOM1QUES. 401
fice buccal. Une petite quantité de tissu cellulaire réunit entre eux ces
différents éléments.
Les joues forment les parois latérales de la bouche. Leurs limites, pu-
rement artificielles en dehors, où elles se continuent sans ligne de démar-
cation avec les parties voisines, sont marquées à la partie interne par la
réflexion de la muqueuse sur les arcades alvéolaires. En ce point, la mu-
queuse forme une rigole dans laquelle séjourneraient les débris alimen-
taires triturés par les dents, s'ils n'étaient constamment repoussés par
les mouvements des joues; quand ces mouvements sont devenus impos-
sibles dans l'hémiplégie faciale, il faut que les parcelles d'aliments qui
tombent entre les arcades et les joues soient ramenés dans la cavité buc-
cale par l'action des doigts.
La peau qui recouvre les joues est remarquable par sa finesse et sa
vascularité ; aussi, dans l'état de santé, elle présente en son milieu
une teinte rosée qui est surtout prononcée chez les enfants et chez les
femmes. Les émotions morales s'y peignent d'une façon saisissante par
la rougeur ou la pâleur subite de leur surface. Certaines maladies mo-
difient aussi puissamment la coloration des joues; ainsi les buveurs
et les individus atteints de certaines maladies du cœur ont souvent
sur les joues une teinte violacée formée par les capillaires injectés et
dilatés.
Au-dessous de la peau, les joues sont constituées par une couche cellulo-
adipeuse, une couche musculeuse, une couche aponévrotique, des vais-
seaux et des nerfs; enfin, elles sont tapissées en dedans par une membrane
muqueuse. Celle-ci serait doublée, d'après la plupart des anatomistes,
d'un certain nombre de glandules salivaires ; mais Sappey a nié leur
existence. On trouve en outre, dans l'épaisseur des joues, deux pe-
tites glandes en grappe, ou même un plus grand nombre (Sappey), dont
le conduit excréteur s'ouvre au niveau de la dernière dent molaire. Les
joues sont aussi traversées par le conduit excréteur de la glande parotide,
le canal de Slénon, qui s'ouvre sur la muqueuse au niveau de la deuxième
molaire.
La paroi supérieure de la bouche est formée par le palais, qui sépare
la cavité buccale de la cavité des fosses nasales. La voûte palatine est pro-
longée en arrière par le voile du palais, cloison membraneuse qui ferme
incomplètement la bouche en arrière et la sépare de l'arrière-cavité des
fosses nasales et du pharynx. Le palais représente une sorte de voûte et
est courbé à la fois dans le sens antéro-postérieur et dans le sens trans-
versal. Il est limité en avant et sur les côtés par les arcades alvéolaires,
en arrière par le voile du palais.
A la surface du palais, on remarque une saillie médiane antéro-posté-
rieure qui répond à l'union des deux os maxillaires. Cette saillie est très-
prononcée chez quelques individus, même en dehors de tout état mor-
bide; cependant, Chassaignac l'a considérée comme un symptôme de la
syphilis, et l'a désignée sous le nom d'exostose médio-palatine. De chaque
côté de cette saillie, la surface est rugueuse et présente une multitude de
noov. nier. Miîn. i:t ami. V. — 2G
A02 BOUCHE. CONSIDÉRATIOINS ANATOMIQUES.
petites crêtes transversales assez développées chez certains sujets. On y
trouve un grand nombre de papilles.
La charpente du palais est constituée par la portion horizontale des o^
maxillaires et des os palatins ; celle-ci est recouverte par un périoste tel-
lement adhérent à la muqueuse, qu'on a fait de ces deux membranes une
seule couche fibro-muqueuse. La muqueuse est doublée, principalement
sur les côtés de la voûte palatine, par une couche de glandules salivaircs.
Le rebord alvéolaire des mâchoires est recouvert aussi par une mem-
brane fibro-muqueuse ; mais celle-ci prend des caractères particuliers
près de l'insertion des dents, et prend le nom de gencives.
Nous n'avons pas à nous occuper ici de la paroi inférieure de la bouche,
parce que la langue qui la constitue sera étudiée dans un article spécial
(voy. Langue).
La cavité buccale, dont nous venons d'examiner rapidement les parois,
est tapissée, dans toute son étendue, par une membrane muqueuse, dont
il importe de connaître les principaux caractères. Partout continue à elle-
même, elle présente, dans chaque partie, des différences en rapport avec
les fonctions qui lui sont dévolues.
Nous avons déjà vu comment la muqueuse recouvrait toutes les parois
de la bouche, formant en certains points des rigoles et des freins ou filets
qui unissent les lèvres et la langue aux deux mâchoires. En avant, elle se-
continue avec la peau des lèvres; en arrière, avec la muqueuse pitui-
taire au niveau du bord postérieur du voile du palais ; avec celle du
pharynx, en passant sur les piliers de ce même voile; avec celle des voies
aériennes, derrière la base de la langue , et en passant sur l'épiglotte.
Elle se prolonge en outre, en se modifiant, dans les différents conduits
qui viennent s'ouvrir à la surface de la muqueuse buccale, dans les con-
duits des glandes salivaires. Cette continuité explique l'action topique
sur la muqueuse buccale des médicaments qui sont éliminés avec la salive,
et la propagation des inflammations de la bouche au tissu même des
glandes. — L'épaisseur de la muqueuse, très-variable dans les différents
points, est partout assez grande ; l'épithélium qui la revêt est très-abon-
dant, et se renouvelle avec une remarquable rapidité : ce phénomène
rend compte des enduits blanchâtres qui se forment dans la bouche des
individus soumis à une diète prolongée. — Sa consistance est très-con-
sidérable aussi, même dans les points où elle est le plus mince, comme
aux lèvres et aux joues. — Elle adhère très-intimement aux couches sous-
jacentes ; dans les points où elle répond par sa face profonde à des tissus
fibreux et osseux, elle se confond avec ces tissus et forme une membrane
fibro-muqueuse; elle revêt surtout ces caractères au niveau des gencives
et dans les prolongements qu'elle fournit aux alvéoles dentaires. — Sa
structure présente aussi quelques différences; offrant partout, comme
éléments fondamentaux, un chorion fibreux et un épithélium pavimen-
teux, elle est, dans certains points, riche en papilles, dans d'autres, abon-
damment pourvue de glandes qui forment même par places une couche
continue.
BOUCHE. CONSIDÉRATIONS ANATOMIQUES. 405
C'est à ces différences dans les caractères qu'offrent les diverses parties
de la muqueuse buccale, qu'on peut attribuer la limitation de quelques
maladies de la bouche; ne voit-on pas certaines inflammations, par
exemple, envahir soit les gencives, soit quelque autre partie de la muqueuse
à l'exclusion de toutes les autres, et n'est-il pas assez rare de voir les
maladies de la bouche s'étendre aux fosses nasales ou au pharynx, malgré
la continuité des tissus qui les composent?
Les éléments de nutrition, vaisseaux et nerfs, sont très-abondamment
répartis dans les parois de la bouche, ce qui rend compte du très-
grand développement de leur vitalité, et de la promptitude avec la-
quelle elles réparent les solutions de continuité dont elles peuvent être
le siège.
Les artères viennent de la carotide externe, soit directement, soit par
l'intermédiaire des principaux rameaux de ce tronc artériel; celles des
parties superficielles sont fournies surtout par l'artère faciale et aussi par
la temporale superficielle, celles des parties profondes émanent princi-
palement de la maxillaire interne.
Les veines sont très-nombreuses, et forment, en certains points, des
plexus très-riches ; elles se rendent dans la veine jugulaire ou dans ses-
affluents, surtout dans la veine faciale ou dans le plexus veineux de la
fosse zygomatique.
Les vaisseaux lymphatiques de la région buccale sont partout très-
déliés et très-fins , ils aboutissent aux ganglions qui entourent la mâ-
choire inférieure ; aussi l'engorgement de ces ganglions est-il un des
symptômes les plus ordinaires des maladies de la bouche, et sert-il sou-
vent à appeler l'attention sur quelque altération locale qui aurait pu
passer inaperçue.
Les nerfs sont de deux ordres, moteurs et sensitifs. Les nerfs moteurs
des lèvres et des joues sont des rameaux du facial ; aussi tous les muscles
qui donnent le mouvement à ces organes sont-ils paralysés dans l'hémi-
plégie faciale. Les muscles des mâchoires destinés à la mastication reçoi-
vent un nerf spécial : c'est le nerf masticateur, ou branche motrice du
nerf trijumeau. Les rameaux sensitifs émanent de la cinquième paire :
pour la voûte palatine, les filets nerveux ne viennent qu'indirectement de
cette source par l'intermédiaire du ganglion sphéno-palatin. La bouche
possède la sensibilité générale ; celle-ci y est même assez développée,
grâce aux mouvements de la langue, qui permettent un toucher très-
exact. Le sens du goût appartient particulièrement à la langue ; les au-
tres parties de la bouche en sont absolument dépourvues.
Quant aux glandes, nous avons déjà vu qu'un grand nombre de
glandules isolées étaient répandues dans les différents points des parois
de la bouche ; mais on doit considérer comme appartenant aussi à cet
organe la chaîne de glandes en grappe qui entourent la mâchoire infé-
rieure et déversent leur produit dans la cavité buccale. Les glandes pa-
rotides, sous-maxillaires et sublinguales sont réellement des annexes de
la bouche ; leur produit, uni à celui des glandes intra-pariétales, consti-
40 i DOUCHE. CONSIDÉRATIONS anatomiques.
tue la salive et sert à une des plus importantes fonctions de la bouche.
L'étude du développement de la bouche a acquis un véritable intérêt
pour le clinicien, depuis que les travaux modernes , et surtout ceux de
Coste, ont montré comment il était possible d'expliquer les difformités de
cet organe par un arrêt de développement et par la persistance de l'un
des états par lesquels la bouche passe durant la vie embryonnaire. Nous
ne reviendrons pourtant pas sur cette question, qui a reçu des dévelop-
pements suffisants dans une autre partie de cet ouvrage (voy. Bec-de-lièvre,
t. IV, p. 665 et suiv.) ; rappelons seulement, en quelques mots, les points
les plus essentiels : 1° La bouche se développe au dépens de trois bour-
geons pour sa moitié supérieure, de deux pour l'inférieure ; 2° Des trois
bourgeons supérieurs, l'un, médian, appartient surtout aux parties supé-
rieures de la face, et fournit seulement pour la bouche deux petits pro-
longements que Coste appelle bourgeons incisifs, et aux dépens desquels
se forme la partie moyenne de la lèvre supérieure et de l'arcade alvéolaire
correspondante; les deux autres, bourgeons maxillaires supérieurs,
forment tout le reste de la paroi supérieure de la bouche ; 3° Les deux
bourgeons inférieurs, bourgeons maxillaires inférieurs, constituent la
lèvre et la mâchoire inférieures et tout le plancher de la bouche ; 4° Les
bourgeons qui doivent former la bouche , apparaissant d'abord sur les
parties latérales de la face, marchent progressivement à la rencontre du
bourgeon correspondant vers la ligne médiane, et s'unissent entre eux par
la soudure des tissus qui les composent.
Les modifications que présente la bouche dans les différents âges, à
part l'accroissement graduel de sa cavité, se rapportent toutes à l'évolu-
tion des dents, et seront l'objet d'une étude spéciale (voy. Dents).
La bouche a des fondions variées et importantes que nous devons nous
contenter d'indiquer. Par les lèvres, elle sert à la préhension, surtout à
celle des liquides; cette fonction, très-développée chez les animaux
s'opère, principalement chez l'homme, par l'intermédiaire des mains. Ce
sont les lèvres aussi, aidées par l'action des autres parois mobiles de la
bouche, qui opèrent le phénomène de la succion ; aussi le développement
de la bouche est-il un des plus précoces et des plus rapides parmi tous
les organes de l'économie, parce que c'est elle qui doit servir aux premiers
besoins du nouveau-né. La cavité buccale est l'organe essentiel de la mas-
tication et de la trituration des aliments. C'est encore dans la bouche que
s'opère l'insalivation des aliments, et que ceux-ci, soumis à l'action du
liquide salivaire, commencent à subir quelques-unes des modifications
qui doivent les rendre aptes à la digestion. Elle concourt aussi à la dé-
glutition, par les muscles qui entrent dans la composition de ses parois.
A côté de ces fonctions principales, la bouche a encore un rôle accessoire
dans quelques fonctions dévolues surtout à d'autres organes : ainsi elle
sert à la respiration, et peut, pour le passage de l'air, suppléer les fosses
nasales qui en sont la voie naturelle; elle contribue à la phonation, et les
sons se modifient en traversant sa cavité; ses mouvements servent à la
production des voyelles et des consonnes, elle est l'organe du langage ar-
BOUCHE. — sémiotique. 405
ticulé. Enfin, elle est un lieu de passage pour les matières rejelées par
l'expectoration et le vomissement.
SEMIOTJQUE.
Les considérations anatomo-physiologiques que nous venons de pré-
senter, en montrant combien est complexe la structure de la bouche,
combien sont variées et importantes les fonctions qui lui sont dévo-
lues, permettent de prévoir le grand nombre de phénomènes morbi-
des qui peuvent se passer dans la cavité buccale ou dans ses parois, et
qui fournissent au clinicien de précieuses indications diagnostiques. La
bouche n'est pas seulement le siège d'un grand nombre de maladies dé-
veloppées primitivement dans les divers organes qui la constituent, elle
offre encore beaucoup d'altérations qui ne sont que la manifestation lo-
cale de troubles généraux. On comprend donc tout l'intérêt qui s'attache
à l'étude que nous avons à faire, et son importance clinique.
Chacun des organes et des tissus qui entrent dans la composition de
la bouche peut être une source de données sémiologiques. Nous pourrions
donc examiner successivement les signes fournis par les lèvres, les gen-
cives, les joues, etc. ; et encore ceux qui se rattachent à la lésion de cha-
cun des éléments qui constituent ces organes. Mais il nous semble pré-
férable d'étudier ces phénomènes simultanément dans les différentes
parties que nous venons d'indiquer; nous pourrons ainsi éviter de nom-
breuses répétitions, réunir les signes qui présentent entre eux de l'ana-
logie indépendamment de leur siège et ceux qui se montrent à la fois
dans plusieurs des organes buccaux. Au surplus, nous n'avons pas à étu-
dier ici les maladies et les phénomènes morbides qui appartiennent spé-
cialement à chacun de ces organes; nous devons seulement envisager les
signes qui appartiennent à l'ensemble de la bouche.
Les signes fournis par la bouche sont de deux ordres : 1° des signes
physiques, comprenant les vices de conformation, les altérations de cou-
leur, d'odeur, de consistance, les éruptions, les solutions de continuité
et les ulcérations, les dépôts, les tumeurs; 2° des signes fonctionnels,
auxquels se rattachent les altérations de la motilité et de la sensibilité,
les troubles dans les sécrétions, la nutrition générale et la température.
Examen €lc la bouclie. — Les dimensions de l'orifice buccal et la
dilatation dont il est susceptible permettent d'appliquer facilement à la
cavité de la bouche l'exploration directe. L'examen peut être pratiqué à
la lumière solaire ou à la lumière artificielle. Dans les deux cas, le ma-
lade est placé directement en face de la source de lumière ; pour exami-
ner les parties cachées dans les rigoles formées par les joues et les dents,
il suffit d'écarter les commissures des lèvres ou de les renverser avec les
doigts, ou mieux, de les éloigner avec le manche d'une cuiller. On peut
aussi employer, pour l'examen des parties cachées par les arcades den-
taires, un petit miroir porté à l'extrémité d'un manche et incliné sur ce
manche, comme est le miroir laryngoscopique. La recherche des troubles
406 BOUCHE. — signes physiques.
fonctionnels nécessite quelques moyens spéciaux dont il sera parlé dans
le cours de cet article.
Signes physiques. — Vices de conformation. — La forme de la
bouche est, ainsi que nous l'avons vu plus haut, assez variable, mais il
serait impossible de dire en quoi ces variations, lorsqu'elles restent dans
certaines limites, peuvent servir au diagnostic. Il n'en est plus de même
quand elles atteignent de plus grandes proportions ; elles constituent alors
de véritables infirmités, et sont, dans quelques cas, des éléments de ma-
ladie.
Ainsi, la bouche peut présenter, par l'effet d'un arrêt de développe-
ment, des solutions de continuité congénitales qui intéressent les lèvres
seules, ou en même temps la voûte palatine, le voile du palais, la mâ-
choire supérieure, etc. Ces difformités constituent le bec-de-lièvre simple
ou compliqué, dont il a été traité ailleurs [voy. t. IV).
Chez les scrofuleux, la bouche présente une configuration spéciale :
la lèvre supérieure est épaisse et gonflée, les mâchoires sont larges et
'fortement accusées. Ces caractères n'indiquent pas une prédisposition
à la scrofule, comme on le croit généralement, ils appartiennent à la
scrofule déjà confirmée. (Bazin.)
La conformation de la bouche, chez les idiots, est plus spéciale en-
core, et Bourneville a noté avec soin les altérations que présentent ses
différentes parties : les lèvres, et surtout l'inférieure, sont volumineuses ;
l'ouverture buccale est généralement grande et souvent béante, les joues
sont d'une pâleur jaunâtre ou rouge vif au centre, avec marbrures bleuâ-
tres et parfois taches brunes; les dents ont une coloration noire ou jau-
nâtre ; elles sont très-souvent mal plantées, cariées, le bord libre des in-
cisives est dentelé comme une scie, et l'évolution des dents est retardée
et irrégulière; la voûte palatine est plus étroite que dans l'état normal,
quelquefois creusée en forme de gouttière. A ces caractères physiques, il
faut joindre quelques troubles fonctionnels, tels que la bave qui s'écoule
fréquemment de la lèvre inférieure pendante, la perversion du goût, et
un vice dans l'articulation des mots.
On rencontre assez souvent un vice de conformation des dents, sur le-
quel Noël Guencau deMussy insiste depuis longtemps dans ses cliniques :
c'est une rainure transversale siégeant sur la face antérieure de la cou-
ronne dentaire, et coupant perpendiculairement les stries longitudinales
que cette face présente ; on la rencontre surtout sur les incisives, et aussi
sur les canines. Cette rainure est située à une distance variable du collet
de la dent, et sa largeur peut offrir aussi de grandes variétés ; souvent sa
surface est inégale, l'émail dentaire paraît y faire défaut presque complè-
tement, et l'ivoire lui-même est altéré dans sa couleur. Cette altération
est intéressante pour le clinicien, en ce qu'elle permet d'établir que le
sujet qui la présente a été atteint durant son enfance, à l'époque de la
deuxième dentition, d'une maladie assez sérieuse, le plus ordinairement
d'une fièvre typhoïde ou d'une lièvre éruptive. La distance plus ou moins
grande qui sépare la rainure transversale du bord libre de la dent indi-
BOUCHE. SIGNES PHYSIQUES. 407
que à peu près l'époque de cette maladie : si la rainure est très-voisine du
sommet de la couronne, c'est que la maladie a eu lieu au commencement
de la seconde dentition, vers l'âge de sept ou huit ans ; si, au contraire,
«lie est rapprochée de la racine, c'est que la maladie s'est développée vers
la fin de la poussée dentaire, de dix à douze ans. La largeur de la rainure
est plus ou moins considérable, suivant la durée de la maladie elle-même.
La raison physiologique de l'altération qui nous occupe est, on le con-
çoit, dans le trouble apporté à la nutrition au moment du développement
<les dents. Ce signe, qui permet d'établir, presque avec certitude, l'exis-
tence d'une maladie dans l'enfance, est analogue à celui que Beau a indi-
qué, et qui consiste dans un sillon transversal qu'on observe sur les ongles à
la suite des maladies qui troublent la nutrition; mais tandis que ce der-
nier est transitoire, celui qu'offrent les dents est permanent et indélébile.
Les différentes parties de la bouche peuvent aussi présenter des alté-
rations temporaires de forme et de volume qui se rattachent, soit à des
états morbides de ces parties elles-mêmes, soit à des maladies des or-
ganes voisins ou éloignés. Ainsi, le gonflement des lèvres et des joues
peut indiquer une inflammation simple ou spécifique de ces organes, elle
peut être liée à un érysipèle de la face, à une gangrène qui a débuté par
îa partie profonde des joues ; ou bien elle reconnaît pour cause une carie
dentaire, une stomatite, une ulcération de la bouche. La fluxion œdéma-
teuse limitée à la bouche est presque toujours le symptôme d'une maladie
des organes voisins ; quand elle est étendue en même temps au reste de
la face, elle peut reconnaître une cause éloignée, comme une maladie du
cœur, une maladie de Bright. Assez souvent, le gonflement douloureux
limité à une joue ou à un côté de la face, connu sous le nom de fluxion,
n'a pas d'autre cause que l'action d'un courant d'air, une névralgie ou
une carie des dents.
Nous ne ferons que signaler la déformation de la bouche et surtout la
déviation de ses commissures qui se rattachent à l'absence d'un certain
nombre de dents ; quelquefois, ce symptôme peut en imposer à première
vue et faire croire à une hémiplégie faciale.
Couleur. — La coloration de la bouche peut être modifiée dans sa to-
talité ou en partie, et les causes de ces modifications sont tantôt locales
et tantôt générales. Ainsi, la muqueuse est rouge dans la stomatite éry-
thémateuse; elle est rouge aussi dans les fièvres et dans les phlegmasies,
et cette coloration est un des signes de la stimulation circulatoire. La rou-
geur peut aussi être limitée à certains points, comme cela se voit dans le
purpura, où la bouche peut présenter un piqueté analogue à celui qu'on
rencontre sur la peau.
On peut observer, au contraire, une pâleur générale de la muqueuse,
que l'on apprécie surtout aux lèvres et aux gencives ; ce seul signe suflit
quelquefois pour faire penser à une grande hémorrhagie ; il peut aussi
reconnaître pour cause une anémie secondaire, liée à une maladie orga-
nique ou à une cachexie.
Les lèvres sont bleues dans la cyanose par persistance du trou de Botal,
408 BOUCHE. — sigjses physiques.
dans les différentes maladies du cœur, et aussi dans un certain nombre
de maladies des voies respiratoires, dans l'algidité des lièvres graves et
du choléra. Cette coloration, surtout marquée aux lèvres, indique un
trouble profond de l'hématose et une asphyxie plus ou moins avancée.
Enfin, la muqueuse buccale peut offrir une coloration jaune dans l'ic-
tère. C'est sur les muqueuses que la coloration ictérique apparaît d'a-
bord ; en même temps qu'on la rencontre sur la conjonctive, on peut
l'observer sur la muqueuse qui recouvre la voûte palatine, sur les côtés
du frein de la langue et du frein des lèvres.
D'autre part, la couleur des parties extérieures de la bouche, c'est-à-
dire de la peau qui recouvre les lèvres et les joues, peut aussi être al-
térée et fournir des indications pour le diagnostic. Une teinte grisâtre
ou blanc-jaunâtre de Ja lèvre supérieure, et surtout de sa partie sous-
nasale, est un signe presque caractéristique de l'anémie. Nous avons déjà
parlé de l'injection permanente des joues qu'on observe chez les indivi-
dus atteints de maladies du cœur et chez les alcooliques. On connaît aussi
la rougeur des pommettes, qui est un signe vulgaire des maladies de
poitrine, particulièrement de la phthisie pulmonaire et de la pneumonie;
si l'une des pommettes est plus rouge que l'autre, il y a présomption
que le poumon correspondant est principalement ou exclusivement affecté.
Odeur. — Dans toutes les maladies locales de la bouche, l'odeur est,
en général, assez forle et fétide, avec quelques caractères spéciaux,
suivant la maladie qui y donne lieu : ainsi, l'odeur est presque ca-
ractéristique dans la stomatite mercurielle, dans la gangrène de la
bouche, dans le scorbut, dans la carie dentaire, dans l'accumulation du
tartre autour du collet des dents, etc. Cependant, il faut prendre garde
d'attribuer à la bouche une odeur qui peut venir d'autres parties, et en
particulier des voies respiratoires : un examen un peu sérieux devra tou-
jours suffire pour éviter ces méprises. La bouche présente encore une fé-
tidité particulière dans l'embarras gastro-intestinal ; s'il y a en même
temps un enduit épais sur la langue et un gonflement général de la mu-
queuse sur laquelle les dents ont marqué leur empreinte, il n'en faut pas
davantage pour établir le diagnostic.
Consistance. — Les altérations de consistance de la muqueuse buccale
portent principalement sur certaines parties, sur les gencives, par
exemple.
Dans le ramollissement fongueux des gencives, la muqueuse se bour-
soufle d'abord au niveau de la sertissure des dents, elle prend une teinte
violacée; bientôt le gonflement s'étend aux parties voisines, la gencive se
décolle, elle saigne sous la moindre pression, se ramollit et devient le
siège d'érosions d'où s'écoule un liquide louche ou sanieux ; parfois même
des lambeaux de muqueuse se détachent, le bord alvéolaire de la mâ-
choire est dénudé et se nécrose, et les dents déchaussées ne tardent pas
à tomber. Les mêmes phénomènes peuvent encore se produire dans le
scorbut et la stomatite mercurielle; mais dans ces maladies, indépendam-
ment des autres signes qui leur sont propres, on ne voit pas les désor-
BOUCHE. SIGNES PHYSIQUES. 409
dres buccaux se limiter comme dans le cas précédent, et la maladie s'é-
tend à la totalité de la bouche ; le gonflement et le ramollissement des
gencives n'est donc plus alors qu'un des éléments de la maladie, au lieu
de la constituer tout entière.
Le ramollissement fongueux des gencives est fréquent aussi dans le
diabète. Marchai (de Calvi) le considère même comme un des accidents
les plus communs de cette affection ; aussi recommande-t-il, toutes les
fois qu'on rencontre cet état des gencives, de pratiquer l'examen des
urines.
Éruptions. — Les éruptions dont la bouche peut être le siège sont de
plusieurs sortes : les unes ne sont que l'extension au tégument interne
des actes morbides dont la peau est le principal théâtre, les autres ont
leur lieu d'élection dans la bouche, et elles y restent plus ou moins
confinées.
L'analogie de structure qui existe entre la muqueuse de la bouche et
la peau avec laquelle elle se continue, explique comment la plupart des
éruptions qui se développent à la face peuvent se prolonger dans la cavité
buccale en y conservant, disons-le de suite, la plupart, sinon tous leurs
caractères. « Les muqueuses extérieures, dit Bazin, peuvent être le siège
d'un grand nombre d'affections comprises dans les cadres de la patho-
logie cutanée ; on y retrouve l'herpès, l'eczéma, le pemphigus, le tubercule
du lupus et celui de la lèpre, le psoriasis, les plaques syphilitiques, les
taches pourprées, les productions de la diphthéric, les pustules de la
variole, les éruptions morbilleuses et scarlatineuses, etc., etc., et toutes
ces affections s'y présentent avec des traits assez nettement accusés pour
qu'il soit impossible de les méconnaître un seul instant. »
Nous ne pouvons évidemment insister ici sur les caractères de toutes
ces éruptions; disons pourtant quelques mots des plus importantes. Les
exanthèmes fébriles, l'érysipèle, la variole, la rougeole, la scarlatine, se
répètent, suivant l'expression de Noël Gucneau de Mussy, sur la muqueuse
buccale comme sur les autres muqueuses de la face.
Vérysipèle ne se localise guère dans la bouche, et quand il s'y déve-
loppe, il y reste rarement limité; le plus souvent il ne fait que traverser
cette cavité pour s'étendre du pharynx à la face ou inversement. Lors-
qu'il s'accompagne du développement de phlyetènes, celles-ci donnent
des croûtes blanches et molles qui ressemblent à de larges plaques
pseudo-membraneuses, et présentent aussi la plus grande analogie avec
celles qui succèdent aux brûlures au deuxième degré de la muqueuse
buccale.
J'ai eu occasion d'observer, à l'hôpital Necker dans le service de La-
sègue, deux malades qui étaient en même temps dans les salles, et dont
l'un présentait une brûlure au deuxième degré de la bouche, produite
par de l'acide sulfurique que cet individu avait avalé par mégarde ; l'autre
avait un érysipèle de la gorge, qui traversa la bouche en y produisant des
phlyetènes pour se répandre de là sur la face. Dans ces deux cas, les
signes objectifs présentés par la bouche étaient identiques : il y avait
410 BOUCHE. SIGNES PHYSIQUES.
une rougeur générale de la muqueuse avec gonflement, et de larges
plaques blanchâtres d'aspect pseudo-membraneux.
Les fièvres éruptives proprement dites ont aussi leurs manifestations
buccales qui sont un élément à peu près constant de la maladie. Quel-
ques auteurs ont assigné comme caractère commun à ces diverses érup-
tions, d'apparaître avant les éruptions cutanées. Ce caractère nous paraît
exact, mais nous croyons qu'on pourrait y joindre le suivant : l'évolution
des éléments éruptifs est plus rapide dans la bouche qu'à la peau, en
sorte que la lésion buccale a disparu bien avant la lésion cutanée; cela
ne tiendrait-il pas à ce que la vitalité des muqueuses est plus active que
celle de la peau?
L'éruption varioleuse de la bouche occupe principalement le voile du
palais et ses piliers, la face muqueuse des lèvres et des joues et la voûte
palatine ; elle peut aussi se montrer sur la langue, mais elle y est ordi-
nairement très-discrète. Elle commence par un pointillé rouge, papuleux,
sur lequel on ne tarde pas à voir apparaître de petites vésicules qui ne
deviennent pas à beaucoup près aussi grandes que celles de la peau. Bien
avant que les vésicules de la peau aient acquis leur développement, celles
de la bouche deviennent blanches et figurent de petits disques pseudo-
membraneux; vers le sixième ou septième jour de l'éruption, les plaques
se détachent, laissant de légères érosions du derme muqueux qui se guéris-
sent rapidement sans laisser de cicatrices. L'éruption buccale donne lieu à
une inflammation plus ou moins vive de la muqueuse; celle-ci est rouge,
gonflée, sensible, et présente, dans l'intervalle des vésicules et principa-
lement sur les gencives un petit exsudât blanchâtre et opalin. En même
temps, les fonctions de la bouche sont empêchées et douloureuses, et il
y a une salivation plus ou moins abondante.
Dans la rougeole, on observe aussi du côté de la bouche une éruption
qui est le plus souvent limitée au voile du palais ou dans son voisinage.
Le icste de ïa bouche est rouge, et souvent les gencives sont gonflées
et couvertes, au voisinage de leur sertisjsure, d'un exsudât opalin.
La scarlatine donne lieu à une éruption abondantedu côté du segment su-
périeur de l'appareil digestif; cette éruption est surtout marquée à la gorge,
mais nous n'avons pas à nous en occuper ici (voy. Angine scarlatineuse).
Dès le début de la maladie, la bouche, et surtout la langue, est le siège
d'une rougeur vive, parfois pointillée. Au bout de deux ou trois jours, la
desquamation de la muqueuse arrive, et, l'on voit alors la langue dépouil-
lée, luisante et d'un rouge vif. Cet état dure peu, et après six à dix jours,
la langue revient à son état naturel (Barthez et Rilliet).
Quant aux manifestations buccales des maladies qui ressortissent à la
pathologie cutanée, elles sont beaucoup plus rares.
L'herpès se développe rarement sur la muqueuse buccale elle-même,
mais très-souvent il apparaît sur les points où celle-ci confine à la peau :
ainsi f herpès labialis siège habituellement sur le bord libre des lèvres, et
ses vésicules se montrent aussi bien sur la partie muqueuse que sur la
partie cutanée de ce bord. Tel est le lieu d'élection de cette variété d'her-
BOUCHE. SIGNES PHYSIQUES. 411
pès : mais de môme qu'on le voit quelquefois s'éloigner de ce siège pour
occuper un point quelconque de la face, tel que le menton, le nez, une
joue ; de même aussi il peut pénétrer dans la cavité buccale et appa-
raître sur la langue, la face muqueuse des joues, la voûte palatine. Rayer
dit avoir observé plusieurs fois cet herpès buccal. Gubler en a aussi rap-
porté plusieurs exemples.
On reconnaîtra aisément l'herpès buccal aux caractères suivants : il
est constitué par un groupe de cinq ou six vésicules, reposant sur un
fond rouge; celles-ci se troublent et se déchirent rapidement; les petites
ulcérations qui en résultent se recouvrent alors d'un exsudât blanchâtre
(représentant la croûte qui se forme sur la peau) ; au bout de six à huit
jours, les croûtes sont tombées, et il ne reste rien de cette petite lésion.
Dans un grand nombre de cas, l'éruption herpétique du pharynx, qui
constitue une des variétés de l'angine couenneuse commune, se manifeste
simultanément sur d'autres parties de la cavité buccale, sur les côtés et
sur la pointe de la langue, sur la face interne des joues et des lèvres, et
sur la voûte palatine. (Trousseau.) Il y a dans ces coïncidences fréquentes,
de nombreux éléments pour le diagnostic de l'herpès de la bouche.
Que dirai-je maintenant des éruptions chroniques qui ont été citées
plus haut? L'eczéma, l'impétigo, le psoriasis, le lupus se montrent quel-
quefois dans la bouche; mais d'abord ces maladies ne sont le plus sou-
vent que l'extension, pour ainsi dire, à la muqueuse des éruptions qui
occupent le pourtour de la bouche, et en outre, leurs caractères objectifs
présentent tant d'analogie avec ceux des éruptions cutanées, que les
auteurs se sont dispensés de les reproduire à propos des éruptions des
muqueuses. Nous ne pouvons donc que renvoyer à l'étude de ces diverses
maladies (von. Eczéma, Lupus, Psoriasis, etc.).
II ne faut pourtant pas s'attendre à trouver tous les caractères des
éruptions cutanées bien tranchés dans les éruptions de la cavité buccale :
les maladies papuleuses, tuberculeuses, squameuses conservent à peu
près intégralement leurs caractères, mais il n'en est plus ainsi pour les
maladies vésiculeuses et pustuleuses ; celles-ci se transforment très-rapi-
dement en ulcérations recouvertes de concrétions pelliculaires dont l'as-
pect ne varie guère dans les différents cas. « Les éruptions caractérisées
à la manière de celles de la [peau, dit Gubler, cessent d'être observées
dans la profondeur des cavités muqueuses, mais il y a de cela une raison
anatomique fort simple : c'est que l'épithéliumy devient si caduc, si dé-
licat alors même qu'il serait persistant, qu'aucune des formes élémentai-
res de la classification de Willan ne saurait exister avec ses caractères
connus, si la présence de la couche épidermique est indispensable à sa
constitution. » Nous retrouverons plusieurs des éruptions dont il s'agit
dans le paragraphe consacré aux ulcérations.
Solutions de continmté et ulcérations. — Un grand nombre de ces lé-
sions peuvent avoir leur siège dans la cavité buccale, et leur diagnostic
ne laisse pas que de présenter souvent de grandes difficultés. Presque
toutes, en effet, se recouvrent au bout d'un certain temps d'un dépôt
412 BOUCHE. — signes physiques.
grisâtre qui résulte du mélange des produits exsudés par le derme mu-
queux avec la salive; outre que ce dépôt donne à toutes les ulcérations
un aspect à peu près uniforme, il couvre la surface des solutions de con-
tinuité et masque la plupart de leurs caractères. Aussi faut-il, lorsqu'on
veut se rendre un compte exact des différentes particularités que peuvent
présenter ces lésions, de les déterger avec soin à l'aide d'un pinceau ou
d'un linge fin. On ne saurait ensuite apporter trop d'attention dans
l'étude de leurs caractères physiques, de leur mode de développement, de
leur évolution, des conditions qui paraissent les avoir produites, etc. Ce
n'est souvent que dans la considération de tous ces éléments qu'on pourra
puiser le diagnostic.
Il y a d'abord dans la bouche un certain nombre de solutions de con-
tinuité qui reconnaissent une origine traumatique : il suffira, le plus
souvent d'être informé de la cause qui leur a donné naissance pour recon-
naître leur nature. Ainsi l'on observe quelquefois des brûlures au deuxième
degré, résultant du contact d'aliments ou de boissons trop chauds. Celles-ci
sont, à ce qu'il paraît, assez communes chez les enfants anglais, qui com-
mettent l'imprudence de prendre dans leur bouche le bec d'une théière
pleine de liquide brûlant.
L'irritation, causée par des chicots irréguliers et anguleux, est encore
une cause fréquente d'ulcérations qui siègent ordinairement, soit sur les
bords de la langue, soit à la face interne des joues. L'accumulation du
tartre autour de certaines dents est une cause analogue. La considération
du siège de la lésion, la présence de la cause permanente qu'on pourra
prendre, pour ainsi dire, sur le fait, ne permettront en général aucune
confusion. Il suffira d'ailleurs d'enlever la dent cariée ou mal placée pour
voir disparaître rapidement l'ulcération de la muqueuse.
Nous rapprocherons des solutions de continuité traumaliques les ulcé-
rations qu'on observe sur les côtés du frein de la langue chez les enfants
atteints de coqueluche. Ces ulcérations, sur lesquelles Charle a de nouveau
appelé l'attention dans ces derniers temps, résultent d'une action entiè-
rement mécanique, le frottement et l'usure de la langue sur les arcades
dentaires, lorsque cet organe est projeté avec force hors de la bouche pen-
dant les quintes convulsives de la coqueluche ; on voit, en effet, qu'elles
correspondent exactement à la saillie des dents médianes inférieures,
qu'elles manquent chez les enfants qui n'ont point encore de dents et
varient suivant la disposition de ces appendices. On ne les rencontre que
dans la période convulsive de la maladie, et leur développement est en
rapport avec le nombre et l'intensité des quintes. Les ulcérations de la
coqueluche existent dans la moitié des cas environ ; elles sont ovalaires,
situées transversalement sur les côtés du frein ou dans son voisinage;
leur longueur atteint d'ordinaire à peine quelques millimètres; leur sur-
face est peu déprimée, recouverte par une matière grisâtre, et les tissus
sous-jacents sont un peu indurés ; les bords sont irréguliers, comme évidés.
D'après Bouchut, Charle et quelques autres auteurs, la lésion débuterait
tantôt par une simple déchirure, tantôt par une granulation épithéliale,
BOUCHE. SIGNES physiques. 415
ou par une petite vésicule dont la rupture laisserait une ulcération su-
perficielle.
A côté des brûlures, on peut mentionner la lésion désignée sous le nom
de plaques des fumeurs; celles-ci résultent du contact fréquemment ré-
pété du tuyau d'une pipe trop courte ou de la fumée du tabac. Elles
siègent ordinairement a la commissure des lèvres, sur les bords ou à la
pointe de la langue. Consistant d'abord en un simple érythème, avec des-
quamation épithéliale, elles amènent plus tard l'induration du derme
muqueux et l'épaississement de l'épiderme qui devient parebeminé et se
fendille par places. Quand cet épiderme se détache par lambeaux, il
laisse au-dessous de lui une ulcération simple, à bords plus ou moins
irréguliers. Entretenue par la persistance de l'agent irritant, cette petite
lésion disparaît rapidement par la suppression de la cause et l'emploi de
quelques émollients.
L'usage des préparations antimoniales détermine des éruptions vési-
culeuses assez analogues aux aphthes, accompagnées de douleurs assez
vives. Les vésicules, en se rompant, laissent à nu le derme muqueux.
Cette lésion sera facilement distinguée de l'aphthe par les commémoratifs.
Dans tous les cas que nous venons de mentionner, la connaissance de
la cause suffit, quand on est prévenu , pour conduire au diagnostic. Il
n'en est plus ainsi des ulcérations spontanées dont il me reste à parler,
et dont la nature est souvent très-difficile à déterminer. Ces ulcérations
sont beaucoup plus fréquentes que les précédentes et de nature très-di-
verse ; ce sont, pour ne citer que les plus communes, les ulcérations
syphilitiques, scorbutiques, cancéreuses, tuberculeuses, etc. Rarement
primitives, elles succèdent le plus souvent à une autre lésion, papuleuse,
tuberculeuse, vésiculeuse, qui a été secondairement envahie par le travail
ulcératif. Cette circonstance est très-importante à noter, parce que, si
les lésions dont nous nous occupons se ressemblent beaucoup quand elles
sont arrivées à l'état d'ulcérations, elles peuvent présenter des différences
non moins grandes par leur point de départ, d'où de nombreuses et im-
portantes indications diagnostiques. Examinons rapidement quelques-unes
de ces altérations.
Les ulcérations syphilitiques sont, sans contredit, les plus communes
parmi toutes les ulcérations qui ont leur siège dans la cavité buccale.
Elles peuvent appartenir aux différentes périodes de la syphilis, et elles se
présentent, dans chacune d'elles, avec des caractères que les syphilio-
graphes se sont appliqués à bien déterminer.
Le chancre, accident initial de la syphilis, se montre quelquefois sur
les lèvres ou même dans les divers points de la bouche. On n'observe pas
à la bouche le chancre mou, non plus que sur les autres parties de la tète ;
ou du moins cela est si exceptionnel, que d'éminents praticiens ont pu
nier la possibilité du fait; mais, à défaut de preuves cliniques, l'expé-
rimentation a démontré que Ton pouvait faire développer le chancre mou
à la face et à la bouche en particulier. (Bassereau, Buzenet.) On peut
cependant établir en règle que le chancre des lèvres et de la bouche ap-
414 BOUCHE. SIGNES PHYSIQUES.
partient à la variété infectante, et doit être presque toujours suivi d'autres
manifestations syphilitiques.
Les caractères du chancre buccal ont été parfaitement exposés par Bu-
zenet. Il peut revêtir deux formes bien distinctes , soit celle dune pus-
tule semblable à la pustule d'ecthyma (forme ecthymateuse), soit celle
d'une ulcération arrondie (forme ulcéreuse) ; la dernière forme est la seule
qu'on rencontre sur la membrane muqueuse, parce que la pustule se
crève de bonne heure et fait place à un ulcère. Contrairement à ce qui a
lieu pour les autres régions, l'ulcération est toujours très-superficielle ;
les contours de la plaie, au lieu d'être nettement découpés et taillés à
pic sont affaissés et se continuent insensiblement avec les parties voisines;
le fond est lisse, rougeàtre, quelquefois violacé, et il n'est pas recouvert
par cette matière lardacée, pseudo-membraneuse dont on a fait le carac-
tère obligé de tout chancre. L'induration est tantôt hémisphérique et
tantôt parcheminée. Une particularité remarquable du chancre buccal,
c'est qu'il ne laisse après lui qu'une cicatrice à peine apparente, quel-
quefois même une simple macule qui s'efface complètement après un
certain temps. (Buzenet.) Souvent il se transforme sur place en plaque mu-
queuse. Inutile d'ajouter qu'il s'accompagne toujours de l'engorgement
des ganglions qui correspondent à la région affectée.
Les autres ulcérations syphilitiques de la bouche appartiennent aux
différentes périodes de l'affection. Les accidents précoces y sont parti-
culièrement communs. Telles sont les plaques muqueuses et les syphi-
lides secondaires.
Les plaques muqueuses se montrent surtout sur les lèvres, au niveau
des commissures ou à la face postérieure, sur les bords de la langue, et
au niveau de l'isthme du gosier. L'ulcération, dans les plaques mu-
queuses, est toujours précédée d'une papule grisâtre, à contours nets,
qui est la lésion élémentaire, primitive, tandis que l'ulcération n'est
qu'un accident.
Il y a aussi des sypliilides ulcéreuses qui apparaissent assez souvent
dans la cavité buccale. Ici le travail ulcératif est primitif et n'est pas pré-
cédé d'une autre lésion élémentaire. Cette variété occupe principalement
les lèvres, les joues et les piliers du voile du palais. Les ulcérations,
ordinairement multiples, sont assez profondes, intéressant une partie du
derme muqueux; elles sont anfractueuses, à bords irréguliers, et leur
fond est recouvert d'une matière sanieuse et grisâtre.
A une période plus avancée de la syphilis, la muqueuse buccale peut
encore être le siège d'ulcérations consécutives, soit à des tubercules sous-
muqueux, soit à des gommes ou à des lésions osseuses. Dans ce dernier
cas, la voûte palatine en est le lieu d'élection. D'autres fois, l'ulcération,
au lieu d'être symptomatique dune altération des os, en est, au contraire,
la cause. On voit donc que tantôt le travail morbide s'étend des parties
profondes aux parties superficielles ; tantôt, au contraire, il commence
par celles-ci, gagne en profondeur, et les os ne s'altèrent que quand ils
ont été dénudés par le travail ulcératif.
BOUCHE. — SIGNES PHYSIQUES. 415
Le diagnostic des lésions spécifiques dont nous venons de parler ne pré-
sente pas, d'ordinaire, de bien grandes difficultés; car, indépendamment
de leurs caractères objectifs, ces lésions se distinguent dans un grand
nombre de cas par l'existence simultanée ou antérieure d'autres manifes-
tations syphilitiques, telles que engorgements ganglionnaires, syphilides
cutanées, alopécie, etc. Le traitement sera d'ailleurs, dans les cas douteux,
un excellent critérium : on sait avec quelle surprenante rapidité on voit
disparaître, sous l'influence de la médication spécifique, les accidents en
apparence les plus graves, quand ils reconnaissent pour cause la sy-
philis.
Il faut savoir, en outre, que les ulcérations syphilitiques de la bouche
peuvent, quand elles n'ont pas envahi une trop grande étendue et pro-
duit des désordres considérables, guérir sans laisser aucune trace; ce
caractère permettra quelquefois d'établir un diagnostic rétrospectif.
La diathèse tuberculeuse peut, comme la diathèse syphilitique, donner
lieu à des ulcérations des muqueuses. Les ulcérât ions tuberculeuses de la
bouche, sur lesquelles Julliard a récemment appelé l'attention d'une ma-
nière spéciale, sont beaucoup moins communes, il est vrai, que celles du
larynx, de la trachée ou de l'intestin : cependant on les rencontre quel-
quefois, et si quelques auteurs seulement (Morgagni, Baumes, Frank,
Bayle, Dugès, Ricord) les ont signalées, c'est peut-être qu'on a méconnu
leur nature, et qu'on les a confondues avec les ulcérations ducs à la sy-
philis ou au cancer.
La phthisic buccale, suivant l'expression de Ricord, donne lieu à
des ulcérations dont voici les principaux caractères (Julliard) : elles peu-
vent se développer sur tous les points de la muqueuse buccale ; cepen-
dant elles affectent particulièrement la langue, la face interne des joues
et les gencives ; plus souvent encore, le pharynx et l'isthme du gosier. Leur
nombre est très-variable, d'ordinaire en raison inverse de leur étendue;
elles n'affectent pas de forme spéciale et sont souvent comme serpigineuses.
La surface des ulcérations est inégale et anfractucuse, couverte des dé-
bris de la muqueuse et d'une abondante couche de mucus et de salive;
elle est grisâtre, quelquefois parsemée de taches ecchymotiques. Les
bords sont souples et formés par la muqueuse saine, quand l'ulcération
est récente ; plus tard, ils deviennent pâles, durs et lardacés. L'étendue
et la profondeur sont très-variables, depuis 1 ou 2 millimètres de diamè-
tre jusqu'à plusieurs centimètres de surface; d'abord superficielles, les
ulcérations gagnent peu à peu en profondeur jusqu'à former de véritables
cavités. Elles donnent lieu ordinairement à un sentiment de gène, quel-
quefois même de douleur et de cuisson, et à une salivation abondante
qui nécessite de fréquents efforts d'expuition.
Quant à leur mode de formation, Julliard les a vues procéder d'une
petite pustule du volume d'une tète d'épingle, qui se transformait bientôt
en une ulcération; puis celle-ci s'étendait peu à peu, se confondait avec
d'autres lésions voisines, et ainsi se constituaient ces altérations, qui
peuvent acquérir un développement considérable.
416 BOUCHE. SIGNES PHYSIQUES.
Notons, en terminant cette étude clinique des ulcérations tuberculeuses
de la bouche, que dans tous les cas observés jusqu'ici, on a observé, con-
curremment avec les lésions buccales, des signes évidents de tuberculi-
sation dans d'autres organes, et en particulier des signes de tuberculisa-
tion pulmonaire. Presque toujours aussi les malades présentent des
phénomènes qui indiquent l'existence d'ulcérations dans les voies
aériennes et dans le tube digestif; il semble que, dans ces cas, la diathèse
tuberculeuse ait une tendance particulière à se traduire par un travail
ulcératif dans les différents appareils. (Julliard.)
Les ulcérations scorbutiques siègent sur les gencives principalement ;
leurs bords sont flasques et spongieux, la muqueuse qui les entoure est
boursouflée, ramollie, et elle saigne au moindre contact; la surface de
l'ulcère est fongueuse, d'un rouge violacé, recouverte de pus sanguino-
lent; l'haleine exhale une odeur extrêmement fétide. Indépendamment
de ces caractères, le diagnostic est éclairé par la coexistence des autres
symptômes du scorbut, hémorrhagies de la peau et des muqueuses,
œdème des membres inférieurs, pâleur des téguments.
Les ulcérations cancéreuses sont d'ordinaire assez faciles à reconnaître.
Elles sont précédées par une tumeur inégale, bosselée, occupant la pro-
fondeur des tissus, et débutant le plus souvent par la langue. L'ulcéra-
tion n'apparaît qu'au bout d'un temps assez long; sa surface est inégale,
anfractueuse, couverte de fongosités d'où s'écoule un liquide sanieux et
ichoreux d'une fétidité repoussante ; la tumeur est le siège de douleurs
lancinantes, et elle s'accompagne de tous les symptômes de la cachexie
cancéreuse.
Nous devons appeler plus particulièrement l'attention sur les ulcéra-
tions des tumeurs, qu'on désigne aujourd'hui sous le nom de cancroïdes,
tumeurs épithéliales, épithéliomes, etc. Ces cancroïdes sont très-communs
à la face, et la bouche constitue pour eux un véritable lieu d'élection;
c'est surtout sur le bord libre des lèvres, et en particulier à la lèvre infé-
rieure, qu'on les observe : sur 210 cas rassemblés par Heurtaux, la lé-
sion existe 75 fois aux lèvres et 21 fois aux joues. Les ulcérations n'ap-
paraissent qu'après un certain temps ; dès l'abord, la maladie est consti-
tuée par une petite tumeur que forment les papilles hypertrophiées et une
couche épidermique épaissie, fendillée, ou un tubercule exulcéré. Par
suite de frottements intempestifs ou même spontanément, la tumeur
s'excorie, et il se forme une ulcération, dont voici les caractères : elle est
irrégulièrement découpée sur ses bords, tantôt creuse, tantôt couverte de
bourgeons charnus; elle repose sur un fond induré, résistant; sa surface
est d'un gris brunâtre, elle laisse suinter un liquide citrin ou jaunâtre
qui se concrète sous forme de croules cireuses ; quand les parties sont
vasculaires, il y a souvent un suintement sanguin. La maladie, arrivée à la
période d'ulcération, suit d'ordinaire une marche progressive, et il est
rare qu'on la voie rétrograder ; elle envahit les parties voisines de la peau,
dont elle occupe souvent une grande surface, et en même temps elle
gagne en profondeur, en suivant surtout les interstices cellulcux ; les gan-
BOUCHE. SIGNES PHYSIQUES. 417
glions correspondants à la région malade sont engorgés. Toutes les parties
affectées sont le siège de douleurs lancinantes parfois très-vives.
Rappelons, pour mémoire, les ulcérations aphtheuses dont il a déjà
été question (voy. Aphthes) ; les ulcérations qui succèdent aux éruptions
herpétiques des lèvres ou de la bouche; celles qu'on observe dans la sto-
matite mercurielle, et qui sont accompagnées de rougeur et de gonfle-
ment de toute la muqueuse buccale, d'une fétidité particulière de l'ha-
leine, dune salivation abondante (voy. Stomatite), etc.; celles qui sont
secondaires aux éruptions scrofuleuses de la bouche, et dont nous avons
parlé dans le paragraphe consacré aux éruptions. Quant aux ulcérations
qui caractérisent en partie la stomatite ulcéro-membraneuse, nous les
étudierons à propos des fausses membranes, parce que celles-ci consti-
tuent dans la maladie un élément au moins aussi important que les ulcé-
rations, et que ces deux phénomènes ne sauraient être envisagés iso-
lément.
Ainsi qu'on vient de le voir, les ulcérations de la bouche sont nom-
breuses, variées, et un grand nombre de causes peuvent les produire. Si
quelques-unes d'entre elles présentent des caractères spéciaux qui per-
mettent de les reconnaître à coup sûr, la plupart ont des symptômes
communs qui en rendent le diagnostic difficile et douteux. Il ne faut donc
pas s'en tenir aux phénomènes objectifs, il faut y joindre la recherche
des causes, du développement de la lésion, des maladies concomitantes, de
l'influence du traitement, etc.; comme nous l'avons dit en commençant,
c'est sur ces éléments nombreux qu'on devra établir un diagnostic dont
dépendent les indications pronostiques et thérapeutiques.
Dépôts. — La surface de la muqueuse buccale peut être le siège d'un
grand nombre de dépôts de composition diverse : ce sont des pseudo-
membranes, des concrétions variées ; des parasites développés, soit sur
la muqueuse elle-même, soit secondairement dans les produits qui la
recouvrent.
Les pseudo-membranes, c'est-à-dire les productions morbides déposées
sur la muqueuse, et formées ou exsudées par la partie qu'elles revêtent,
présentent les plus grandes différences dans leur origine, et partant dans
leur signification pathologique. Mais pour les distinguer les unes des
autres, ce n'est pas trop d'avoir égard à tous leurs caractères ; car elles
se ressemblent par tant de côtés qu'un examen superficiel exposerait sou-
vent à les confondre.
Comme tous les produits d'exsudation formés à la surface des muqueu-
ses, les pseudo-membranes de la bouche sont blanches ou grisâtres, à
moins qu'elles ne soient le siège d'infiltrations ou d'épanchements san-
guins qui modifient leur coloration. Elles diffèrent surtout les unes des
autres par le siège, l'étendue, la configuration, la consistance, l'adhérence
aux tissus sous-jacents, l'état de la muqueuse qu'elles revêtent, l'évolu-
tion. Ce sont tous ces caratères qui serviront principalement à établir le
diagnostic de la maladie à laquelle elles appartiennent.
Les pseudo-membranes sont très-communes, avons nous dit, dans les
NOUV. CICT. MÉD. ET CUIR. Y. — 27
418 BOUCHE. — signes physiques.
maladies de la bouche ; nous les avons déjà rencontrées dans quelques-
uns des actes morbides que nous avons étudiés précédemment, ainsi dans
les ulcérations et dans les éruptions; elles caractérisent plusieurs des
maladies spécifiques de la muqueuse buccale; enfin on les rencontre dans-
la plupart des inflammations simples de la bouche, et même dans plu-
sieurs maladies fébriles. On voit donc que l'exsudation pelliculaire s'ob-
serve dans nombre de maladies qui ne sont pas, à vraiment parler,
pseudo-membraneuses, et qu'il est des cas où la production plastique peut
indiquer seulement une irritation locale de la membrane muqueuse :
« L'observation révèle, dit Gubler, dans les inflammations des membranes
muqueuses, une disposition à la forme exsudative beaucoup plus prononcée
que dans celle de la peau. » C'est précisément cette disposition qui fait
que les pseudo-membranes sont si communes dans les différents états
morbides de la bouche, et que la valeur de ce symptôme est très-variable
suivant les conditions dans lesquelles il se produit.
La pseudo-membrane est l'élément essentiel de la diphthérie buccale ;
elle se montre comme élément important dans la stomatite ulcéro-mcm-
braneuse, dans le muguet, dans l'herpès buccal, dans les stomatites
accompagnées d'ulcérations de la muqueuse (stomatite mercurielle, par
le tartre stihié, etc.), dans les ulcérations syphilitiques. Dans les fièvres
et les maladies fébriles, elle n'a que la valeur d'un simple épiphénomène.
Quelques mots seulement sur les caractères de ces différentes espèces.
Dans la diphthérie buccale, la maladie siège particulièrement à la face-
postérieure des lèvres, aux gencives et à la partie interne des joues. Sur
la muqueuse qui est d'abord rouge et gonflée, on voit apparaître ça et là
des plaques blanches, grisâtres, assez étendues, qui gagnent de proche en
proche, se confondent entre elles et finissent par occuper des surfaces très-
larges. A leur niveau, la muqueuse paraît érodée et même ulcérée ; mais ce
n'est là qu'une apparence; car si l'on détache la fausse membrane, on
voit qu'au-dessous d'elle la muqueuse ne présente aucune solution de
continuité. La plaque membraneuse semble en outre enchâssée dans le
derme muqueux, dont le gonflement forme comme un bourrelet autour
d'elle. La fausse membrane elle-même est grisâtre ou jaunâtre, très-adhé-
rente aux tissus sous-jacents; quelquefois elle est brune et mêmenoirâtrer
lorsque du sang s'est infiltré dans ses interstices. Quand on la détache,
elle se reproduit avec la plus grande facilité et très-promptement. En,
même temps l'haleine exhale une odeur fétide, quelquefois gangreneuse,
et les ganglions sous-maxillaires sont engorgés. Ces caractères ont fait
prendre pendant longtemps la diphthérie buccale pour une maladie gan-
greneuse, jusqu'à ce que les travaux de Bretonneau aient définitivement
renversé cette erreur et montré la véritable nature de la maladie.
Les pseudo-membranes dont nous venons de parler sont, dans l'im-
mense majorité des cas, la manifestation d'une maladie spécifique par
excellence, la diphthérie; cependant elles peuvent dépendre aussi d'une
autre cause; la syphilis peut les produire. Sous le nom de diphthérite
syphilitique secondaire, A. Martin a décrit une maladie qui se déve-
BOUCHE. SIGNES PHYSIQUES. 4J^
loppe quelquefois sur la muqueuse buccale, bien que les organes génitaux
externes soient son lieu d'élection. Sur la muqueuse des lèvres ou des
gencives, rouge sans gonflement notable, il se forme une plaque pseudo-
membraneuse d'un blanc mat, très-peu épaisse, assez adhérente, dépas-
sant à peine le niveau de la muqueuse, entourée d'une auréole rouge peu
étendue; l'examen histologique de la fausse membrane a montré qu'on
y trouvait tous les éléments constitutifs de la diphthérite ordinaire.
Martin a parfaitement établi que cette maladie était une manifestation
assez fréquente de la syphilis secondaire. Il ne sera pas ordinairement
difficile de la reconnaître et de la distinguer de la vraie diphthérie; à
ses caractères objectifs se joindront, pour faciliter le diagnostic, l'absence
de phénomènes généraux graves et la coïncidence d'autres accidents sy-
philitiques.
La stomatite iilcéro-membraneuse des enfants et des soldats (voyez ce
mot), est caractérisée par des ulcérations de forme et d'étendue variables,
recouvertes d'un produit pseudo-membraneux, et accompagnées toujours
d'une salivation abondante, d'une fétidité extrême de l'haleine et d'un
engorgement des ganglions sous-maxillaires. L'ulcération, qui est quel-
quefois précédée d'une vésico-pustule, est d'abord circonscrite, superfi-
cielle, recouverte d'une plaque membraneuse molle et jaunâtre; plus tard
elle s'étend et en même temps se creuse ; elle se recouvre alors d'une
bouillie grisâtre et comme plâtreuse, surtout au niveau des gencives et
autour du collet des dents (Bergeron); à la face interne des joues, on
trouve des plaques assez étendues, quelquefois infiltrées de sang. La ma-
ladie occupe particulièrement le vestibule de la bouche, et elle y reste le
plus souvent limitée : cependant, ainsi que l'a établi Bergeron, elle peut
envahir le reste de la cavité buccale et même la gorge. L'examen anato-
mique a montré que, dans la stomatite ulcéro-membraneuse, la plaque
jaune du début n'est pas un produit d'exsudation, mais une partie spha-
célée de la muqueuse buccale; qu'après la chute de cette partie, la
muqueuse ulcérée et mise à nu à une profondeur variable, se recouvre
d'une production plastique analogue à celle qu'on trouve dans les autres
ulcérations de, la bouche, et empruntant seulement à la région des ca-
ractères particuliers (Laboulbène).
Quant aux exsudais (V aspect pseudo-membraneux qui se développent
sur les parties ulcérées de la bouche, dans l'herpès buccal, les aphthesr
la stomatite mercurielle, stibiée, etc, ils présentent tous les mêmes carac-
tères : ce sont des plaques d'un blanc grisâtre, de forme variable, en-
châssées dans la muqueuse qui forme un petit bourrelet autour d'elles ;
leur consistance est assez ferme, et elles adhèrent intimement aux tissus
sous-jacents. Leur composition est identique dans tous les cas : on y
trouve des globules de pus et des globules pyoïdes, de la fibrine, mêlés à
des cellules d'épithélium et à du mucus; ce sont, par conséquent, des
produits d'inflammation et des produits cicatriciels mêlés aux éléments
normaux de la sécrétion buccale.
Dansun certain nombre de maladies aiguës fébriles, dans les fièvres et
A20 BOUCHE. — signes physiques.
particulièrement dans la fièvre typhoïde, on voit souvent apparaître sur
la muqueuse du rebord alvéolo-dentaire, surtout au niveau des incisives
inférieures, une sorte de pellicule mince, blanchâtre, qui a reçu le nom
de bandelette nacrée, et qui est formée par une simple desquamation
épithéliale. Ce symptôme n'a pas une bien grande valeur diagnostique,
parce qu'on le rencontre dans plusieurs maladies très-différentes les unes
des autres. On trouve aussi ce dépôt surabondant d'épithélium, mais
répandu sur toute la muqueuse de la bouche et même de la gorge, dans
la période ultime des maladies chroniques, de la phthisie par exemple,
dans les diarrhées rebelles et prolongées.
Outre les dépôts que nous venons de mentionner, et qui sont consti-
tués par des produits d'exsudation ou par les éléments qui recouvrent
normalement la membrane muqueuse, on peut en trouver d'autres qui
sont formés en totalité ou en partie par des végétaux parasites développés
dans la cavité buccale.
Entre tous, le parasite du muguet doit occuper le premier rang. Ainsi
que l'a démontré Robin, les petites plaques jaunâtres, d'aspect pseudo-
membraneux, qui constituent le muguet, sont formées en grande partie
par les spores et les filaments tubulcux d'un végétal, Y Oïdium albicans
(Ch. R.), mélangés à des cellules épithéliales. Nous n'avons pas à nous occu-
per ici du muguet qui sera étudié dans un article spécial (voyez Muguet);
mais nous devons observer qu'il ne constitue pas une maladie à part,
mais seulement un symptôme qui se produit dans des conditions variées.
Tantôt en effet, il indique une irritation toute locale de la bouche; la
muqueuse se dépouille et devient d'un rouge luisant, puis sécrète une
matière fibrineuse dans laquelle se développe le parasite végétal : c'est le
muguet des nouveau-nés. Tantôt il apparaît à la période ultime des
maladies chroniques, dans les états morbides qui ont porté une atteinte
profonde aux fonctions nutritives, à la suite des longues diarrhées : c'est
le muguet des adultes, qu'on peut observer aussi chez les enfants. Epi-
phénomène presque insignifiant dans le premier cas, le muguet prend,
dans les conditions que nous avons énumérées en dernier lieu, une va-
leur pronostique importante, et de la plus haute gravité, car il annonce
presque toujours une fin prochaine.
On a encore rencontré dans la bouche deux autres parasites végétaux ;
ce sont le mjptococcus cerevisix et le leptothrix buccalis. Ceux-ci ne
forment pas, comme le muguet, des dépôts visibles à l'œil nu ; on ne les
trouve qu'en examinant au microscope cer-
tains des produits formés dans la cavité
buccale.
Le mjptococcus cerevisix (fîg. 20) est
« composé de cellules rondes ou ovales,
Fie. 20. - Crypiococcus cerevisix. ayant 0mm,004 à 0m,n,007, et renfermant
quelquefois un ou deux corpuscules plus
petits. Ces cellules se multiplient par des bourgeons qui poussent sur un
ou plusieurs côtés de chaque cellule; ils atteignent bientôt le volume du
BOUCHE. — SIGNES PHYSIQUES. 4:M
corpuscule primitif. Ceux-ci donnent d'autres bourgeons, d'où résulte
bientôt un chapelet de cellules ordinairement un peu allongées, mais ne
formant jamais de tiges cylindriques; ces chapelets sont constitués de
trois à cinq cellules. » (Robin.) Ce végétal se développe dans diverses
circonstances, et on le rencontre plus souvent dans les autres parties du
canal alimentaire que dans la bouche; cependant Ilannover l'a signalé
dans l'enduit noirâtre de la bouche chez des individus atteints de fièvre
typhoïde, et Lebert l'a rencontré dans un enduit pultacé de la bouche,
chez une femme atteinte d'une altération chronique de l'utérus.
Le leptothrix buccalis (Ch. Robin) est formé de filaments ou bâtonnets
très-ténus, ordinairement droits et coudés brusquement (fig. 21), à
bords nets, extrémités non effilées, largeur
de 0mm,001 au plus dans toute leur longueur,
laquelle varie de 0mm,020 à 0mm,100 ou
même davantage. (Robin.) Ces filaments adhè-
rent par touffes aux cellules épithéliales et
aux détritus moléculaires. Le leptothrix se
développe à l'état normal sur la muqueuse
linguale et sur les dents pendant le sommeil.
On le trouve aussi dans le tartre dentaire, et
dans la matière pulpeuse qui s'accumule
dans l'intervalle des dents et résulte de la
décomposition de parcelles organiques. Le
végétal se l'orme surtout à la surface des ma- Fig. 21. — Leptothrix buccalis.
tières organiques altérées, et provenant soit
de substances alimentaires en voie de putréfaction, soit de détritus d'épi-
thélium ou de mucus desséché et altéié. Laboulbène a rencontré le lep-
tothrix dans la plupart des concrétions pseudo-membraneuses qui prennent
naissance sur la muqueuse buccale, dans le muguet, dans la stomatite
ulcéro-meinbraneuse, dans la couche concrète des plaques herpétiques
ulcérées, etc.
Rappelons encore, en terminant, que l'apparition de ces parasites dans la
bouche n'indique pas une maladie spéciale de cet organe; on les voit se for-
mer dans un grand nombre de circonstances où les liquides buccaux sont
altérés, surtout dans les cas où ces liquides ont pris une réaction acide ou
bien ont subi un commencement de décomposition putride. Ces condi-
tions se produisent dans des états normaux ou pathologiques trop nom-
breux et trop différents pour qu'on puisse attacher au développement des
parasites une grande valeur diagnostique.
Enfin la bouche peut présenter des dépôts de composition variée, for-
més de mucus, de salive, de sang, de muco-pus, lorsque ces liquides se
sont desséchés à l'air ; ils forment alors des concrétions plus ou moins
étendues, plus ou moins adhérentes, dont il importe de déterminer la na-
ture. Les dépôts formés par la salive et le mucus concrètes se rencontrent
principalement dans les fièvres et les phlegmasies intenses et accompa-
gnées d'un état fébrile très-développé : ils indiquent souvent un état ady-
422 BOUCHE. — signes physiques.
namique. Il faut prendre garde de rapporter à ce symptôme morbide la
sécheresse de la cavité buccale qui survient chez les individus qui respi-
rent la bouche ouverte. Lorsqu'il se mêle aux produits précédents du
sang provenant de petites gerçures de la muqueuse buccale, on a les fuli-
ginosités; celles-ci se déposent sur les lèvres, les dents, la langue et la
face interne des joues, elles y forment des enduits bruns ou noirs, vis-
queux, collants, qui embarrassent la bouche des malades et adhèrent assez
fortement à la muqueuse. Les fuliginosités sont un des symptômes im-
portants de l'état adynamique; on les observe particulièrement dans la
lièvre typhoïde, dans la pneumonie des vieillards, etc. On doit les regar-
der comme un signe dangereux et d'un pronostic grave, parce que l'état
de l'économie auquel elles se lient présente lui-même une grande gra-
vité.
Chez les ouvriers qui manient le plomb et sont exposés aux poussières
saturnines, les gencives présentent habituellement une coloration bleuâ-
tre ou noirâtre, surtout au voisinage de leur bord libre; quelquefois cette
coloration s'étend jusque sur la couronne des dents. Ce symptôme, qu'on
désigne sous le nom de liséré saturnin, est dû à un dépôt sur la muqueuse
des poussières saturnines, précipitées et rendues insolubles, à l'état de
sulfure de plomb, par l'hydrogène sulfuré qui se dégage dans la bouche.
Le liséré n'indique donc pas, comme on l'avait pensé, une intoxication
saturnine, il indique seulement que l'individu qui le porte a été en con-
tact avec des préparations de plomb. (Grisolle.) Cependant, comme on le
rencontre chez tous les individus qui présentent des accidents saturnins,
on doit rechercher son existence toutes les fois qu'on peut soupçonner
une affection saturnine, et souvent il contribue à éclairer le diagnostic
•d'une maladie dont la nature était demeurée douteuse.
Tumeurs, — Nous ne ferons que signaler ici l'existence de certaines tu-
meurs qui peuvent avoir leur siège dans les parois buccales. L'étude de
ces tumeurs n'appartient pas, à vraiment dire, à la sémiotique de la
bouche.
Onjpeut observer aux lèvres et aux joues des furoncles, des abcès; des
kystes qui siègent habituellement près de leur face muqueuse et sont con-
stitués par des follicules muqueux dont le goulot s'est oblitéré (les tumeurs
kystiques situées dans le plancher de la bouche, et connues sous le nom
de grenouillette, ne sont le plus souvent qu'une variété de kystes salivai-
res); des tumeurs cancéreuses; souvent des tumeurs érectiles occupant la
face cutanée ou la face muqueuse, dans quelques cas toute l'épaisseur des
lèvres et des joues, etc.
Il se forme quelquefois, dans l'épaisseur des gencives de petits phleg-
mons ou des abcès, presque toujours symptomatiques d'une carie den-
taire ou de l'introduction dans le tissu muqueux de quelque corps étran-
ger.
Enfin les gencives et la mâchoire peuvent présenter un certain nombre
de tumeurs formées, soit par des fongosités de la muqueuse, soit par une
hypertrophie de cette membrane, soit encore par des tissus cancéreux ou
BOUCHE. SIG.NES FONCTIONNELS. 425
fibro-plastiques, etc. Ces tumeurs, longtemps confondues sous le ternie
générique d'épidis, sont très-différentes les unes des autres ; les recher-
ches modernes ont beaucoup élucidé leur histoire, et l'expression sous
laquelle on les confondait tend elle-même à disparaître.
Signes fonctionnel». — Plusieurs des troubles fonctionnels que
peut présenter la bouche ne lui appartiennent pas en propre; ils font
partie d'un ensemble de phénomènes étendus en même temps à d'autres
parties, et il n'y aurait aucun avantage à les en séparer, leur valeur
comme signes étant étroitement liée à leur coïncidence avec ces phéno-
mènes. Il en est d'autres, au contraire, qui sont spéciaux à la bouche, et
peuvent fournir des signes diagnostiques et pronostiques d'une certaine
valeur. Nous ne ferons qu'indiquer les premiers, dont l'étude sera mieux
placée ailleurs; et nous nous réserverons d'insister sur les seconds qui
•ressortissent seuls à notre sujet.
Mouvements. — Les mouvements de la bouche fournissent à la sé-
miotique plusieurs caractères importants. Dans l'examen du faciès, qui
ipeut donner en clinique des signes d'une si grande valeur, le médecin
doit s'attacher d'une façon toute spéciale à l'examen de la bouche, parce
que celle-ci est une des parties qui concourent pour la plus grande part
aux modifications de la physionomie.
Des lèvres un peu saillantes en avant, demi-écartées et immobiles, don-
nent à la figure une expression de stupeur toute particulière : cet état
s'observe d'une manière permanente chez les idiots, et aussi chez les in-
dividus qui, pour une cause quelconque, ne peuvent respirer par le nez,
par exemple chez les enfants qui ont une hypertrophie ancienne des amyg-
dales et qui respirent habituellement la bouche ouverte; on le rencontre
«gaiement dans le cours de quelques maladies et il est un des signes qui
caractérisent l'état adynamique. Au contraire, des lèvres appliquées contre
les arcades alvéolaires, amincies et serrées, se voient souvent dans les
maladies accompagnées d'une excitation nerveuse considérable, dans la
méningite, l'ataxie des fièvres, etc. Quand les commissures labiales sont
•en même temps tirées en dehors, c'est le rire sardonique, ordinairement
lié aux mêmes maladies. Lorsque, avec de mauvais signes, la lèvre supé-
rieure est retirée, et que l'inférieure est pendante et tremblante, la mort
n'est pas loin. (Landré-Beauvais.)
Les mâchoires sont maintenues dans une immobilité permanente, et
habituellement fermées, lorsqu'il y a autour d'elles des tumeurs qui gê-
nent ou empêchent leurs mouvements; ainsi les tumeurs de la parotide,
des glandes ou des ganglions qui entourent le maxillaire inférieur. Dans
les inflammations violentes des amygdales et les gonflements phlegmo-
neux des tissus sous-maxillaires, les mouvements sont surtout empêchés
par la douleur qu'ils provoquent. Les luxations et les fractures de la mâ-
choire inférieure immobilisent pareillement la bouche, et celle-ci pré-
sente des délormations variables suivant la nature de la lésion.
La paralysie affecte rarement tous les muscles de la bouche; presque
toujours elle est limitée à un coté ou à certains groupes musculaires.
424 BOUCHE. — sigxes fonctionnels.
Celle qui affecte les muscles masticateurs est extrêmement rare : elle
indique une altération de la branche motrice de la cinquième paire.
Comme elle n'atteint que les muscles d'un côté, les mouvements du
maxillaire inférieur ne continuent pas moins à s'exécuter par la contrac-
tion des muscles du côté opposé ; mais le rapprochement de la mâchoire
du côté malade manque d'énergie, et la bouche est un peu déviée vers le
côté sain. Cette paralysie peut coïncider avec la perte de la sensibilité
dans le côté correspondant de la face, lorsque la lésion atteint le nerf
trijumeau tout entier.
Les muscles des lèvres et des joues sont paralysés de tout un côté dans
l'hémiplégie, que celle-ci soit étendue à la moitié du corps ou bornée à
la face. La bouche présente alors des signes très-importants : l'ouverture
des lèvres est déviée vers le côté sain ; la commissure labiale correspondante
aux muscles paralysés est abaissée et en môme temps rapprochée de la
ligne médiane, tandis que celle du côté opposé est relevée et tirée vers
l'oreille. Cette difformité, peu prononcée quand la figure est calme et im-
mobile, devient très-accusée dès que le malade parle ou qu'il rit; les
lèvres se soulèvent et s'écartent à chaque mouvement d'expiration, refou-
lées par l'air qui tend à passer par la bouche. La joue paralysée est aplatie,
elle paraît plus étendue que l'autre ; le sillon qui la sépare de la lèvre est
presque effacé. Si le malade veut souffler, la joue se gonfle et l'air s'é-
chappe avec bruit; c'est ce qu'on a appelé fumer la pipe. Enfin, la masti-
cation est gênée, parce que les aliments tombent incessamment dans le
vestibule de la bouche et ne peuvent être ramenés sous les arcades den-
taires ; la parole est embarrassée, et la prononciation de certaines con-
sonnes est très-imparfaite. Nous ne parlons pas de la difformité du visage,
qui dépend de la déviation des autres parties de la face aussi bien que de
celle de la bouche.
Dans une maladie singulière, que Duchenne (de Boulogne) a décrite le
premier comme espèce morbide distincte sous le nom de paralysie mus-
culaire progressive de la langue, du voile du palais et des lèvres, la mala-
die envahit successivement les muscles des organes que nous venons d'in-
diquer, en affaiblit graduellement la contractilité, sans toucher aucun des
muscles qui appartiennent aux régions voisines. On conçoit quels troubles
cette maladie apporte dans l'articulation des mots et la déglutition. Lors-
que la paralysie est arrivée à son entier développement, le sujet n'émet
plus que des sons inarticulés, et quand il veut avaler, les liquides et même
le bol alimentaire repassent par ses lèvres et par ses narines, et quelque-
fois s'engagent dans larynx (Duchenne) ; la salive s'écoule constamment
de la bouche. Dans tous les cas observés jusqu'ici, la marche de la mala-
die a toujours été progressive, et la terminaison par la mort est arrivée
après un temps variable de six mois à deux ou trois ans,
Les convulsions des muscles de la bouche sont très-communes. Elles
existent, et à un degré très-marqué, dans la plupart des maladies convul-
sives qui envahissent la totalité du corps. Ainsi, dans l'attaque d'épilepsie,
les lèvres sont d'abord violemment contractées, puis agitées de petits
BOUCHE. SIGNES FONCTIONNELS. 425
mouvements qui se succèdent avec rapidité; la contraction convulsive
étant toujours plus prononcée d'un côté que de l'autre, l'ouverture de la
bouche est entraînée à droite ou à gauche. Cette rétraction des lèvres,
qui donne à la physionomie une expression hideuse, a reçu le nom de
spasme cynique. Les mômes phénomènes s'observent dans l'éclampsie,
dans quelques attaques d'hystérie. Dans le tétanos, la convulsion est
souvent égale des deux côtés, les deux commissures labiales sont égale-
ment rétractées, ce qui produit le rire sardonique dont nous avons déjà
parlé.
La bouche participe aussi à l'agitation générale des muscles qui carac-
térise la chorée ; les lèvres exécutent des grimaces singulières, et les
mâchoires sont entraînées de côté et d'autre. En outre, les choréiques
font souvent entendre un bruit comparable à celui du baiser, produit par
un rapprochement brusque des lèvres suivi d'une aspiration rapide. L'ir-
régularité des mouvements delà bouche, dans la même maladie, entraîne
d'ordinaire des désordres très-accusés dans la prononciation et la mas-
tication.
Enfin, dans le tétanos et dans certaines maladies convulsives, les mâ-
choires sont serrées avec force l'une contre l'autre par la convulsion to-
nique des muscles destinés à les rapprocher, et l'on peut sentir à travers
les joues la dureté des masséters violemment contractés.
La mâchoire inférieure est quelquefois agitée de mouvements convul-
sifs, qui donnent lieu au mâchonnement ou grincement des dents. Le
mâchonnement s'observe chez quelques enfants, môme dans l'état de
santé, surtout pendant le sommeil; il peut dépendre d'une irritation de
la bouche produite par l'éruption ou la carie des dents, d'une névralgie
faciale, etc. Le grincement des dents, qui ne diffère du phénomène pré-
cédent que par sa plus grande intensité, se rencontre dans les mômes
circonstances, et en outre dans certaines maladies des centres nerveux,
telles que l'hydrocéphalie, les tumeurs du cerveau, dans les convulsions
générales, l'épilepsie, l'hystérie, dans l'aliénation mentale.
Les convulsions se bornent, dans quelques circonstances à certains mus-
cles ou à certains groupes musculaires; on désigne sous le nom générique
de tics ces contractions convulsives limitées. Les tics sont très-communs à
la face, et aux muscles de la bouche en particulier. Quelques personnes
en sont affectées, sans que cela soit chez elles un signe de maladie; on
les voit par intervalles, et surtout quand elles sont impressionnées par
une cause quelconque, exécuter de petits mouvements des lèvres ou des
commissures labiales, sortes de grimaces souvent très-bizarres. La névral-
gie faciale s'accompagne quelquefois de ces contractions involontaires, et
prend alors le nom de tic douloureux.
Enfin, on peut observer aussi la contracture partielle des muscles des
lèvres ou des joues ; cette contracture, quelquefois idiopathique, peut
être la suite de l'hémiplégie faciale rhumatismale, et elle arrive assez
souvent pendant ou après le traitement par la faradisation localisée. (Du-
chenne, de Boulogne.)
426 BOUCHE. — signes fonctionnels.
Enfin, les lèvres peuvent être agitées de petits mouvements rapides et
peu étendus, d'un tremblement qui indique la faiblesse et l'irrégularité
de la contraction musculaire ; ce tremblement s'accompagne d'embarras
de la parole et de difticulté de la prononciation. On l'observe dans l'état
adynamique ; mais il existe principalement dans la paralysie générale, où
l'on voit se produire, surtout quand le malade parle, un petit mouvement
saccadé vers le milieu du sillon qui sépare la lèvre de la joue et dans la
lèvre elle-même.
Sensibilité. — La plupart des maladies de la bouche amènent diffé-
rents troubles de la sensibilité ; celle-ci est très-exaltée dans les stomatites,
dans le muguet, ou lorsque la muqueuse est le siège d'aphthes ou d'ul-
cérations diverses; le malade éprouve alors des sensations de chaleur brû-
lante, de picotements très-pénibles. La sensibilité générale de la bouche
est altérée, tantôt diminuée, tantôt exagérée ou pervertie dans bon nom-
bre de maladies nerveuses, l'hystérie, l'hypochondrie. Enfin, les parois
de la bouche peuvent être le siège de névralgies qui ont leur siège dans
les branches buccales du nerf trijumeau.
Quant aux troubles, si remarquables et si intéressants pour le clinicien,
de la sensibilité gustative, ils ne doivent pas nous arrêter, parce qu'ils ont
pour siège la langue, organe exclusif du goût, et appartiennent à la sé-
miotique de cet organe (voy. Langue).
Sécrétions. — Nous avons vu que la cavité buccale était, dans l'état
normal, lubrifiée par un liquide, produit de sécrétion des glandules sous-
muqueuses et des glandes en grappe qui entourent la mâchoire infé-
rieure. Ce liquide concourt à l'accomplissement d'un très-grand nombre
d'actes, la mastication, la gustation, la digestion de certains aliments, la
déglutition; en outre, l'articulation des mots exige, pour être parfaite,
l'intégrité des sécrétions buccales. — On voit, par cette simple énumé-
ration, de quelle importance est, pour le médecin, tout ce qui se rapporte
aux sécrétions buccales, en raison des effets que leurs troubles peuvent
exercer sur les fonctions que nous avons indiquées. Malgré l'intérêt qu'il
y aurait à distinguer, avec les physiologistes, les différents éléments qui
constituent le liquide buccal, nous ne pouvons étudier ici que la salive
mixte, c'est-à-dire le produit qui résulte du mélange de la salive paroti-
dienne, sous-maxillaire et sublinguale avec le mucus et les débris d'épi-
thélium qui revêtent toujours la muqueuse.
La sécrétion salivaire est diminuée dans un assez grand nombre de
maladies : ainsi dans les fièvres, les inflammations, dans la diabète. Aussi
voit-on, dans ces cas, la bouche devenir d'abord pâteuse et collante, plus
tard, sèche et rugueuse; et les malades sont tourmentés par la soif.
L'augmentation de quantité de la salive s'observe aussi fréquemment,
et on donne le nom de ptyaUsme à l'écoulement du liquide par l'ouver-
ture buccale, qui en est souvent la conséquence.
Cette excrétion immodérée de la salive se rencontre quelquefois, en
dehors de tout état morbide; mais le plus souvent, alors, elle est pas-
sagère. La vue, le souvenir ou l'impression olfactive de certaines sub-
BOUCHE. SIGNES FONCTIONNELS. 427
«tances peut provoquer un afflux considérable de liquide dans la bouche;
l'usage du tabac à fumer produit un effet analogue. Dans les premiers
mois de la grossesse, les femmes sont quelquefois sujettes à une saliva-
tion abondante, qui ordinairement est plutôt une incommodité désa-
gréable qu'une maladie, et qui, dans la grande majorité des cas, cesse
d'elle-même après une courte durée. Enfin, certaines difformités de la
bouche, telles que le bec-de -lièvre inférieur, les cicatrices qui empêchent
la lèvre inférieure de se relever d'une manière suffisante, peuvent amener
un écoulement continuel de salive, qui est souvent une cause de fatigue
•et d'épuisement. Nous avons vu que la paralysie de la lèvre inférieure
produisait un eifet analogue.
Un grand nombre de maladies de la bouche s'accompagnent de sécré-
tion exagérée de la salive et de ptyalisme : les irritations et les inflam-
mations, simples ou spécifiques, de la muqueuse buccale donnent lieu à
un flux salivaire abondant; aucune ne le provoque à un plus haut degré
que la stomatite mercurielle, d'où le nom de salivation mercurielle qui
lui a été quelquefois donné. Les éruptions, les ulcérations de la bouche
amènent aussi le ptyalisme, en produisant soit une inflammation de la
muqueuse, soit une irritation douloureuse qui provoque une sécrétion
réflexe.
Souvent la salivation est l'effet sympathique d'une irritation qui a son
siège dans la bouche ou dans d'autres organes, et en particulier dans ceux
de l'abdomen : ainsi l'éruption des dents chez les enfants, la carie ou la
névralgie dentaires, produisent la sialorrhée. Les maladies de l'estomac
sont une cause fréquente de salivation sympathique, et l'acte du vomisse-
ment est habituellement précédé d'un afflux abondant de salive dans la
cavité buccale. Les maladies organiques de l'estomac ou des viscères ab-
dominaux, les vers intestinaux, et surtout le cancer du pancréas, produi-
sent le ptyalisme.
Enfin l'hypercrinie salivaire peut être idiopathique : ainsi, d'après
l'observation de Sydenham, elle est quelquefois une des manifestations de
l'hystérie. On peut aussi l'observer dans les fièvres : dans la variole, elle
est un des phénomènes caractéristiques de la variété confluente ; elle
apparaît dès le deuxième jour de l'éruption, et augmente graduellement,
de manière à constituer, au bout de quatre ou cinq jours, un véritable
«flux. Bien que cette salivation coïncide avec le développement de pustules
sur la muqueuse buccale, elle paraît, jusqu'à un certain point, indépen-
dante de l'irritation produite par cette éruption ; et, en effet, il est à
remarquer qu'elle n'a pas lieu dans la variole discrète, alors même que
de nombreuses pustules se sont développées dans la bouche (Trousseau);
elle cesse vers le onzième jour de la maladie, en même temps que décroit
le gonflement de la face.
Certains médicaments, connus sous le nom de sialaloguesy tels que
l'angélique, la pyrèthre, le tabac, provoquent la salivation en excitant la
muqueuse; il en est de même de quelques condiments; aussi leur abus
peut-il être une cause de stomatite. D'autres substances, prises à l'inté-
428 BOUCHE. — signes fonctionnels.
rieur, amènent la salivation, parce qu'elles sont éliminées par les glandes
salivaires, et produisent par leur passage à travers ces glandes une irri-
tation sécrétoire : le mercure, le chlorate de potasse, l'iodure de potas-
sium sont dans ce cas.
Quant aux altérations de la salive, elles ont été peu étudiées et ne four-
nissent à la sémiotique que des signes assez vagues. La consistance de
la salive est épaissie quand sa quantité diminue; une salive épaisse, vis-
queuse, mêlée à des débris épithéliaux abondants, constitue ces enduits,
connus sous le nom desaburres, qu'on trouve particulièrement dans l'em-
barras gastrique. L'odeur de la salive est très-altérée dans la plupart des
maladies de la bouche : elle est presque caractéristique dans la gangrène
de la bouche et dans la stomatite mercurielle.
Les altérations de la composition chimique de la salive sont à peine
connues. Chez l'homme sain, la salive est alcaline, et, d'après certains
auteurs, cette réaction deviendrait acide dans quelques maladies; ce serait
même cette altération qui favoriserait, comme nous l'avons vu, le déve-
loppement des parasites végétaux. Mais ce sujet réclame de nouvelles
recherches : tout ce qu'on a écrit, dit le professeur Monneret, sur l'aci-
dité de la salive dans les maladies fourmille d'erreurs, qu'il ne faut plus
répéter.
On ne sait rien sur les modifications que peut présenter la diastase sali-
vaire, soit dans sa quantité, soit dans sa composition.
Est-il besoin de dire que la salive est altérée par son mélange avec les
liquides épanchés à la surface de la muqueuse buccale, comme le sang et
le pus. Les inflammations se propagent souvent de la bouche dans les con-
duits salivaires, et quand la phlegmasie de ces conduits est suffisamment
intense, on peut voir sourdre de petites gouttelettes de pus à l'ouverture
du canal excréteur. C'est même là un des signes importants de la paro-
tidite, et qui permet de la distinguer de l'oreillon : si on comprime la
glande et son conduit, on voit apparaître à l'orifice du canal de Sténon,
sur la face interne de la joue, une goutte de liquide muco-purulent.
Nutrition. — Quelques maladies se traduisent du côté de la bouche
par des phénomènes qu'on ne peut rattacher qu'à un trouble des deux
grandes fonctions qui entretiennent la vie dans les tissus organisés, la
circulation et l'innervation, en un mot, qu'à un trouble nutritif.
Dans la névralgie trifaciale, limitée aux branches maxillaires ou étendue
à toutes les branches du nerf trijumeau, on voit, pendant les accès dou-
loureux, les joues rougir, la muqueuse buccale s'injecter; en même
temps, les sécrétions sont augmentées, et il se produit un flux de salive
provenant des glandes du côté malade. Quand la névralgie est ancienne,
l'excès de nutrition qui se montrait dans chaque accès, se manifeste par
une altération permanente, l'hypertrophie des parties affectées.
Un grand nombre de maladies apportent, au contraire, une atteinte
profonde à la nutrition de la bouche, et on voit alors celle-ci se sécher
par diminution des sécrétions, se dépouiller de son revêtement épithélial,
présenter çà et là des gerçures, des excoriations. Ces altérations survien-
BOUCHE. SIGNES FONCTIONNELS. 429
nent à la fin des maladies chroniques, dans les cachexies, dans la pel-
lagre, etc.
Enfin les phénomènes vitaux peuvent être complètement éteints dans
certaines parties de la bouche; c'est ce qui arrive dans la gangrène, qui
siège le plus habituellement sur les membranes tégumentaires de la bou-
che, mais peut envahir tous les tissus qui entrent dans la composition des
parois buccales.
Température. — La température de la cavité buccale représente à peu
près celle des parties profondes du corps : aussi a-t-on choisi quelquefois
cette cavité pour rechercher, avec le thermomètre, la température du
corps dans les maladies.
La température normale de la bouche est de 57°, 2. Elle s'élève dans les
maladies fébriles, ou même dans les cas de simple irritation locale de la
membrane muqueuse, et peut alors atteindre 59° ou 40°. Cette élévation
est sensible au doigt introduit dans la bouche.
Les maladies qui apportent un obstacle considérable aux fonctions d'hé-
matose, amènent, au contraire, un abaissement notable dans la tempéra-
ture de la bouche ; les maladies des poumons et du cœur sont dans ce cas.
Dans le choléra, le refroidissement de la langue est un des signes les
plus caractéristiques de la période algide confirmée.
Mastication, insalivation, déglutition. — Les aliments introduits
dans la bouche doivent y subir plusieurs modifications : ils doivent être
triturés, réduits en parcelles suffisamment ténues, puis réunis en un
bol alimentaire capable d'être saisi par les muscles et poussé dans le
pharynx ; durant ces opérations, les aliments sont imprégnés par la salive
qui possède plusieurs qualités propres i\ chacun des organes salivaires :
en effet, elle agit sur les aliments, d'une part, pour les rendre sapides,
d'autre part pour les agglutiner et en former une masse cohérente, enfin
pour transformer les matières amylacées en dextrine, puis en glycose et
les rendre ainsi absorbables. On voit donc que les actes qui se passent
dans la bouche, et qui sont tous indispensables à la digestion, exigent
l'intégrité de plusieurs appareils ; la mastication, la déglutition et l'insa-
livation sont des fonctions simultanées et connexes qui ne s'accomplissent
régulièrement et bien, que lorsque les organes chargés de les exécuter
sont indemnes de toute altération. Voyons quels troubles la maladie
apporte dans ces diverses fonctions.
La mastication est opérée parles dents, avec le concours des lèvres,
des joues, de la langue et des parties osseuses de la bouche. L'absence
ou la mauvaise implantation des dents, leur carie ; les vices de conforma-
tion des lèvres, la paralysie ou la contracture des organes musculeux de
la bouche; les perforations delà voûte palatine; toutes les maladies de
la muqueuse buccale sont autant de causes qui empêchent la mastication
par des moyens divers et faciles à saisir.
La succion, chez l'enfant, est rendue impossible par les vices de con-
formation de la bouche, par la brièveté du frein de la langue, par la sto-
matite liée ta la dentition.
450 BOUCHE. BIBLIOGRAPHIE.
Le passage des aliments de la bouche dans le pharynx est aussi em-
pêché par les difformités ou les altérations de la motilité qui siègent
dans les parois buccales. Nous avons déjà indiqué, dans l'étude des signes
physiques et fonctionnels de la bouche, quelles sont les altérations qui
gênent ou empêchent la mastication et la déglutition. On a réuni tous
les troubles de ces deux fonctions sous le nom de dysphagie buccale.
Quant à Yinsalivation, elle est surtout troublée par les maladies de
l'appareil salivaire, et par celles qui tarissent les sécrétions buccales et
que nous avons indiquées plus haut. Les troubles de la mastication reten-
tissent aussi sur la fonction qui nous occupe : on sait, en effet, que les
mouvements des mâchoires et la trituration des aliments sont les plus
puissants excitants de la sécrétion salivaire.
Articulation des mots. — La production du langage articulé a pour
instruments les organes buccaux ; aussi la nettetté de la parole est-elle
altérée toutes les fois qu'il y a soit un vice de conformation de la bouche,
soit une absence des dents et surtout des incisives, soit une paralysie des-
lèvres, un état de sécheresse de la muqueuse buccale, une tumeur des
parois buccales, etc. Enfin, le bégayement paraît être, dans la majorité
des cas, une maladie de certains muscles des parois buccales ( voyez
Bégayement).
L'étude qui précède des signes fournis par la bouche a pu montrer
combien étaient fréquents les troubles de cet appareil dans les maladies.
On peut dire que presque toutes les maladies, à l'exception des névroses,
s'accompagnent de quelques phénomènes morbides du côté de la cavité
buccale ; n'en peut-on pas conclure qu'une bouche saine, rosée, humide,
est un signe presque certain de santé?
Les maladies chirurgicales de la bouche trouveront leur place aux
mots Gencives, Lèvres, Mâchoires, Palais, Langue.
Les soins hygiéniques que réclame la bouche seront exposés au mot
Dents.
Nous ne pouvons indiquer in extenso la bibliographie de la sémiotique de la bouche, parce
qu'elle comprendrait un trop grand nombre d'ouvrages différents. Outre les traités de pathologie
générale, el surtout ceux de Landré-Beauvais, Chomel, Monneret, Behier et Hardy, le Compendium
de médecine de Monneret et Fleury, on pourra consulter les ouvrages suivants :
Cazenave, Dictionnaire en 30 vol., art. Bouche, 1835, t. V, p. 505 et suiv.
Gubler, Mémoire sur l'ictère qui accompagne quelquefois les éruptions syphilitiques précoces
(Gaz. med. et Mém. de la Soc. de Biologie, 1851). — Mémoire sur l'herpès guttural, etc.
(Union médicale, 1858).
Robin (Ch.), Hist. naturelle des végétaux parasites qui croissent sur l'homme et sur les animaux
vivants. Paris, 1853, p. 322, 345 et 488. — Dictionnaire de médecine, 12e édition, art. Muguet,
par Littré et Charles Robin. Paris, 1865.
Buzenet, Du chancre de la bouche, son diagnostic différentiel (Thèse inaug. Paris, 1858).
Bergeron, De la stomatite ulcéreuse des soldats et de son identité avec la stomatite des enfants
(Arch. gén. de médecine, octobre 1859).
Bartiiez et Rilliet, Traité clinique et pratique des maladies des enfants, 2" édit., 1861, t. III,
p. 153, 255, etc., etpassim.
Duchenne (de Boulogne), De l'électrisation localisée, 2e édition. Paris, 1861, p. 621 et suiv.,
672 et suiv.
Laboulbène, Recherches cliniques et anatomiques sur les affections pseudo-membraneuses. Paris,
1861.
BOUES MINÉRALES. 431
Bourneville, De la houche chez les idiots, in Journal de médecine mentale de Delasiauve, sep-
tembre 1865.
Marchal (de Calvi), Recherches sur les accidents diabétiques. Paris, 1804, p. 395 et suiv.
Beliiomme et Martin, Traité de pathologie syphilitique et vénérienne. Paris, 1864, p. 224 et 255.
Charle (Jules), Des ulcérations de la langue dans la coqueluche (Thèse inaug. de Paris, 1864).
Bazin, Leçons sur les affections génériques de la peau. 1865, t. II, p. 4 et suiv.
Trousseau, Clinique médicale de l'Hôtel-Dieu, 2e édit., 1865, art. Variole.
Julliard. Des ulcérations de la bouche et du pharynx dans la phthisie pulmonaire (Thèse inaug-
de Paris, 1865).
Charles Fernet.
BOUES UIIlVÉRAIiES. — On emploie le terme générique de
&OM£Spour désigner les dépôts que certaines eaux minérales abandonnent,
soit sur le sol à l'endroit où elles sortent des sources, soit dans les réser-
voirs où on les recueille. Ces dépôts sont employés dans certaines sta-
tions thermales, soit comme moyen principal, soit comme adjuvant de la
médication hydro-minérale.
En France, on a aussi appliqué, à tort (Durand-Fardel), cette dénomi-
nation aux matières organiques confervoïdes qui se développent dans les
bassins de réfrigération, et qu'on emploie quelquefois comme topiques.
Les auteurs du Dictionnaire général des eaux minérales proposent de
distinguer nettement, comme on le fait en Allemagne, ces deux sortes de
boues, et ils leur assignent des noms particuliers : les premières rece-
vraient le nom de limon minéral, les secondes celui de limon végétal.
Les boues minérales proprement dites, c'est-à-dire le limon minéral,
si l'on veut, sont peu employées en France ; nous ne citerons que les
principales, celles de Saint-Amand, de Dax, d'Uriage, deBourbonne, d'Aix
en Savoie, etc. Elles sont beaucoup plus usitées à l'étranger, et surtout
en Allemagne. Les plus renommées sont celles dcFranzensbad, de Tœplilz,
de Carlsbad, etc.
La composition des boues minérales est très-variable; on peut dire,
d'une manière générale, qu'elles sont constituées par de l'eau minérale
mêlée à de la terre, à des matières organiques végétales et animales ; on
y trouve encore, comme éléments principaux, des sels alcalins, terreux et
métalliques, et du fer.
Elles ne sont, employées, on le conçoit, que pour l'usage externe, en
bains généraux ou partiels. Au sortir de ces bains, les malades vont se
plonger, pour se laver, dans l'eau minérale limpide.
L'action thérapeutique des boues minérales ne paraît pas bien diffé-
rente de celle des eaux minérales elles-mêmes, et leur action est princi-
palement due aux principes minéralisateurs que celles-ci contiennent.
Cependant la pression plus considérable qu'elles exercent sur le corps,
les matières organiques qu'elles renferment, les phénomènes de fermen-
tation qui s'y passent, en font particulièrement une médication excitante
et résolutive.
Quant à la seconde espèce de boues, au limon végétal, on n'y peut voir
que de l'eau minérale, de composition variable, retenue par la matière
organique comme par une éponge; elles n'en diffèrent que par leur degré
de minéralisation, qui est toujours très-élevé, parce que Feau qu'elles
432 BOUGIES. — bougies flexibles.
contiennent s'évapore incessamment, et par la fermentation qui s'y pro-
duit. On les emploie surtout à Néris, à Dax et à Bagnères de Luchon.
Bien que considérées comme émollientes, ces boues ont en réalité une
action excitante (de Laurès et Becquerel).
Voir, comme complément de cet article, Eaux minérales, et aussi Dax,
Néris, Saint- Amand, Uriage, etc.
L . Desnos.
BOUOIE (candela ou candelula, virga cerea, cereus). — On appelle
Bougies des tiges minces et arrondies qui servent dans le traitement des
affections de l'urèthre.
L'usage de ces instruments, tels qu'on les emploie aujourd'hui, con-
stitue incontestablement une des plus grandes améliorations de la pra-
tique chirurgicale, à ce point que J. Hunter, qui avait vu s'accomplir ce
progrès, disait qu'en se rappelant la méthode de traitement de sa jeu-
nesse, il avait peine h se figurer qu'il traitât la même maladie qu'au-
trefois.
On ne sait pas exactement quel est l'inventeur des bougies, ni à quelle
époque elles ont été inventées ; on les attribue généralement, d'après
Âmatus Lusitanus, à Aldereto, de Salamanque ; ce qui en placerait l'in-
vention vers le milieu du seizième siècle.
Les bougies étaient primitivement destinées à porter des escharotiques
et des onguents auxquels leurs auteurs attribuaient l'efficacité du traite-
ment, et Sharp paraît être le premier qui ait montré que, malgré leur
diversité de composition, elles agissent toujours comme corps dilatants.
C'est ainsi qu'on les considère généralement aujourd'hui, et peut-être a-
t-on abandonné trop complètement la première donnée.
Après l'invention de la bougie de cire ou emplastique dont nous parle-
rons bientôt, le plus grand progrès dans cette partie de l'arsenal chirur-
gical est dû à l'invention des bougies élastiques, qui datent de la fin du
siècle dernier. Depuis ce temps, le désir du progrès et, il faut bien l'a-
vouer, l'industrialisme, ont tellement multiplié les formes et la compo-
sition des bougies que nous ne pourrions les exposer toutes. Je me con-
tenterai donc de parler de celles qui me paraissent avoir une utilité
réelle.
Les bougies d'après leurs propriétés et leurs usages peuvent être ran-
gées en quatre classes, les bougies flexibles, les bougies rigides, les
bougies dilatables, et les bougies médicamenteuses.
ROUGIES FLEXIRLES.
Dans cette classe de bougies on peut distinguer les bougies molles qui
prennent la forme du canal, et les bougies élastiques qui tendent toujours
à revenir à leur état primitif.
Les bougies molles, les premières qui aient été employées, après les
tiges métalliques, ont été faites d'abord au moyen d'une mèche de lin ou
de coton recouverte de cire, comme les bougies d'éclairage dont elles ont
BOUGIES. BOUGIES FLEXIBLES. 455
pris le nom. C'est ainsi qu'elles étaient composées du temps d'Aldereto et
d'Amatus Lusitanus.
Pour recevoir les substances médicamenteuses on creusait une cavité
dans la cire au point correspondant à la lésion supposée.
Dans ces bougies, la cire avait l'inconvénient d'être cassante lorsqu'elle
n'était pas échauffée, de sorte qu'au moment de l'introduction elle pou-
vait se fendre et quelquefois se détacher en fragments qui tombaient dans
la vessie ou restaient dans l'urèthre. Pour éviter cet accident, on les fait
au moyen de bandelettes de toile plus ou moins étroites qu'on roule en cy-
lindres amincis à l'une de leurs extrémités, après les avoir trempées dans
la cire fondue. Au lieu de cire, on emploie encore différents emplâtres,
et surtout le diachylon; la bougie prend alors le nom de bougie em-
plastique. On obtient, de la sorte, des instruments de consistances di-
verses, la cire blanche est la plus dure, celle qui résiste le mieux à la
chaleur, la cire jaune se ramollit plus facilement , le diachylon enfin
fournit les bougies les plus souples, celles qui se moulent le mieux sur
le canal.
Les bougies les plus employées aujourd'hui sont celles auxquelles on
donne le nom de bougies de gomme ou bougies élastiques. Leur invention
est due à un orfèvre du nom de Bernard, qui les présenta, en 1779, à l'A-
cadémie de chirurgie. Elles sont composées d'une trame en coton, natée
à la mécanique et enduite dune composition dont la partie la plus essen-
tielle est l'huile de lin, rendue siccative au moyen de la litharge, et à la-
quelle on ajoute diverses substances, parmi lesquelles le caoutchouc ou la
gutta-percha entrent pour une certaine proportion. Chaque fabricant
emploie une composition particulière dont il garde le secret, et dont la
qualité paraît, du reste, tenir beaucoup au soin qu'on apporte dans les
manipulations.
Le caoutchouc n'a pas assez de consistance pour qu'on puisse l'em-
ployer seul dans la confection des bougies. 11 y a quelques années, on se
servit de gutta-percha, mais on y renonça bientôt à cause de la fragilité
de cette substance surtout après quelque temps de fabrication.
Lorsque je voulus les essayer, la première se brisa pendant que je la
faisais glisser entre mes doigts et m'évita un accident qui est arrivé à
plusieurs de mes confrères.
La sève de balata n'a pas mieux réussi lorsqu'on l'a employée pure,
mais on l'a fait entrer dans une composition qui donne de très-bons in-
struments.
Les bougies élastiques sont celles dont on a le plus varié les formes.
Les principales sont les suivantes :
j«4>tigi<>« cyliiMfiriciiM's (fig. 22), en forme de cylindre terminé par
un bout arrondi. C'est la forme primitive. Elle est peu employée aujour-
d'hui parce qu'elle est médiocrement propre à franchir les obstacles ou
à dilater les rétrécissements. On en a fait de courbes (fig. 25) qu'on utilise
surtout à la fin des traitements par les caustiques, et qui sont, comme
les droites, rarement mises en usage.
NOUV. DICT. MÉD. ET CUIR. V. — '28
454
BOUGIES. BOUGIES FLEXIBLES.
Bougies coniques (fig. 24 et 25), en forme Je cylindre terminé par
nn cône allongé. Ces bougies sont, sans contredit, les plus utiles dans le
Fie. 22.
Fig. 22, Bougie cylindrique.
Fig. 25.
Fig. 24.
Fig. 25, Bougie cylindrique à courbure fixe. — Fig. 24, Bougie
conique. (Modèles Lasserre.)
traitement des rétrécissements, dans lesquels elles s'engagent et qu'elles
dilatent mieux qu'aucune autre. On en fait de toutes les grosseurs,
depuis les bougies filiformes, d'un tiers de millimètre et moins, jusqu'à
BOUGIES. BOUGIES FLEXIBLES,
435
neuf millimètres et plus. Ce sont ces bougies qu'il est surtout impor-
tant d'avoir de bonne qualité ; elles doivent être bien lisses, bien flexi-
Fig. 25. Fig. 26.
Vlg. 25, Bougie conique à courbure fixe. — Fig. W, Bougie olivaire. — Fig. 27, Bougie olivairc
à courbure fixe. (Modèles Lasserre.)
blés tout en [offrant une résistance suffisante pour ne pas plier au
moindre effort; l'enduit en doit être souple et ne pas s'écailler lorsqu'on
45G BOUGIES. — bougies flexibles.
leur fait subir des flexions brusques; leur pointe doit pouvoir être tortil-
lée dans tous les sens, sans se fendiller.
Bougies olivaires(fig. 20 et 27) . — Ce sont des bougies coniques, dont
la pointe est remplacée par un renflement en olive. Elles ont l'avantage de
ne pas s'engager aussi facilement que les précédentes dans les plis et les ori-
fices de la muqueuse uréthrale, et d'exposer beaucoup moins aux fausses
routes, aussi sont-elles préférables dans des mains peu exercées. C'est
surtout dans les engorgements et les tumeurs de la prostate qu'elles sont
avantageuses; dans certains cas de ce genre on les fait pénétrer aisément,
lorsqu'on ne peut en introduire aucune autre. Mais lorsqu'il s'agit de ré-
trécissements très-étroits, elles sont loin de rendre les mêmes services
que les bougies coniques.
Dans les rétrécissements sinueux ou multiples, dans ceux dont l'ori-
fice est difficile à trouver, on réussit souvent en tortillant la pointe d'une
bougie fine, en forme de tire-bouchon. Pour remplir cette indication, Las-
serre a imaginé de faire des bougies fines, dont la pointe est tortillée
dans la fabrication, de sorte qu'elle ne se redresse pas et conserve sa
forme. Elles peuvent rendre de grands services.
Bougies cylindriques et coniques à ventre (fig. 28 et 29). —
Elles sont destinées à agir sur le point malade sans distendre la portion
saine. Elles offrent, dans ce but, à quelque distance de leur extrémité,
un renflement de 6 ou 7 centimètres de longueur. Ces bougies, que Du-
camp employait après la cautérisation, sont peu usitées aujourd'hui, parce
que la partie antérieure du canal étant dilatée par le passage du renfle-
ment, il n'y a pas grand avantage aie laisser ensuite revenir sur lui-même.
Ducamp en employait en cire.
Bougies à boule (fig. 50 et 31). — Elles sont composées d'une tige
mince terminée par une boule et fournissent un moyen d'exploration pré-
cieux, pour reconnaître la position, la longueur et le nombre des rétré-
cissements. Dans les cas de rétrécissements commençants, elles permettent
de reconnaître des obstacles qui échapperaient à tous les autres moyens
d'investigation. Elles remplacent avec avantage les boules métalliques
portées sur des tiges inflexibles.
Bnugôes sï béquille (fig. 52). — Elles présentent la forme du ca-
théter d'Aug. Mercier, et offrent souvent de grandes facilités pour franchir
une prostate engorgée et déformée par le développement de son lobe
moyen.
Bougies à noeuds (fig. 55). — Elles présentent, à partir de leur
pointe, plusieurs boules de plus en plus grosses. Elles sont destinées à
opérer la dilatation graduée et immédiate des rétrécissements, mais elles
ne peuvent guère réussir que dans les cas faciles où on réussit avec tout,,
et elles ont l'inconvénient de ne pas soutenir la dilatation qu'elles ont
produite. On s'en sert encore pour faire des frictions intra-uréthrales
après les avoir enduites d'onguents médicamenteux, mais cet usage en-
core est d'une utilité douteuse.
BOUGIES.
BOUGIES FLEXIBLES.
437
Bougie» à empreintes ou liongles exploratrices «le Diicamp
(fig. 54). — Elles portent à leur extrémité une préparation analogue à la
'ig. 28. Fie. 29. Fig. 50.
FlG. 51,
II
Fig;. 28, Bougie cylindrique à ventre. — Fig. 29, Bougie conique à ventre. — Fig. 50, Bougie
à boule exploratrice. — Fig-. 51, Bougie à boule exploratrice et à courbure iixe. —
Fig. 52, — Bougie prostatique à béquille. (Modèles Lasserre.)
cire à modeler, qui est destinée à prendre l'empreinte de la face an-
térieure des rétrécissements, tandis que les divisions tracées sur leur tige
458
BOUGIES. BOUGIES DILATABLES.
en indiquent la profondeur. Tour empêcher la cire de [se détacher,
on a soin de la retenir au moyen de fils passés dans la bougie. On se sert
rarement de ces bougies dont les indica-
tions sont fort infidèles, comme je m'en
suis assuré en les expérimentant, soit sui-
des malades, soit sur des cadavres, sur
lequels j'avais produit un rétrécissement
artificiel au moyen d'un fil serré autour de
l'urèthre.
Pour les cas difficiles et dans lesquels il
faut une bougie très-fine et cependant résis-
tante, on peut employer avec avantage des
bougies élastiques qui ont pour mèche une
tige mince en baleine. Pour ces cas, les bou-
gies de baleine, qui offrent de la résistance
sous le plus petit volume et peuvent prendre
toutes les formes qu'on veut, donnent le
moyen de chercher l'orifice d'un rétrécisse-
ment qu'on ne peut trouver autrement.
Lorsqu'on emploie l'endoscope, elles ont
encore l'avantage d'être facilement dirigées
dans l'intérieur de la sonde sur l'orifice de
la coa relation. Ces bougies sont toujours
très-fines et terminées par un betit bouton,
comme les stylets de trousses.
Guillon fait des bougies de baleine d'un
calibre plus considérable, garnies de boules
de volume croissant et terminées par un
bouton supporté par un col aminci pour
servir de conducteur. Cet instrument dont
les boules existent sur un seul côté, sert
au même usage que les bougies à plusieurs
nœuds.
BOUGIES DILATABLES.
Dans le but d'obtenir une dilatation ra-
pide des rétrécissements, on a fabriqué des
bougies au moyen de substances qui se gon-
flent en absorbant les liquides. Les plus
anciennement employées et celles qui le sont
encore le plus, sont les bougies de corde à
boyaux. Elles sont, en général, faciles à
introduire, parce qu'elles offrent à un degré
convenable la flexibilité et lajùgidité, et, une fois introduites, elles se
gonflent en quelques heures et acquièrent un volume, au moins double
Fifi. 53. Fin. 54.
F ï jr . 53. — Bougie à nœuds pour
frictions. — Fig. 54, Bougie à
empreinte graduée. (Modèles Las-
serre.)
BOUGIES. BOUGIES MÉDICAMENTEUSES ET RÉGIDES. 439
de celui qu'elles avaient à l'état sec. En outre il est toujours facile de se
les procurer ou de les fabriquer soi-même. Charrière a fait, sur les
indications de Darcet, des bougies en ivoire privé de sa partie calcaire par
l'immersion dans l'acide chlorhydrique, mais ces bougies étaient trop
dures à l'état sec, et peut-être trop fragiles, du reste elles ne rendaient
pas de meilleurs services que celles de corde à boyaux et coûtaient
beaucoup plus cher. On trouve, depuis peu, dans le commerce, des
bougies fabriquées avec les stipes du laminaria dicjitata. Ces stipes sont
employés depuis longtemps, sur les bords de la mer, pour dilater les
fistules ; et l'on sait qu'il ont servi, sur la recommandation de Wilson,
chirurgien de Glasgow, pour dilater la blessure du général Garibaldi. On
en fait des bougies parfaitement lisses, mais un peu dures, de sorte qu'il
est bon, surtout pour les parties profondes de l'urèthre, de les ramollir
un peu dans l'eau tiède, sans leur donner le temps de se gonfler. Lors-
qu'elles sont soumises à l'humidité, leur volume devient environ cinq ou
six fois plus grand. Elles me paraissent devoir être conservées dans la
pratique avec les bougies de corde à boyaux.
On a reproché aux bougies dilatantes de se dilater au delà du rétrécis-
sement de façon à faire craindre qu'elles ne s'y trouvent pincées sans
pouvoir en sortir; cette crainte me paraît tout à fait imaginaire. J'ai
beaucoup employé les bougies de corde à boyau, surtout à l'époque où je
craignais, plus qu'aujourd'hui, de pratiquer l'uréthrotomie, et j'ai tou-
jours pu les retirer, leur effet étant produit, avec la plus grande facilité.
Dans les rétrécissements fibreux durs, elles fournissent un précieux moyen
de dilatation.
BOUGIES MÉDICAMENTEUSES.
L'idée d'employer des bougies qui puissent agir sur les affections de
l'urèthre comme médicaments topiques , après avoir dominé dans la
chirurgie, a souvent été reprise, ou, pour mieux dire, n'a jamais été
abandonnée. On a fait usage dans ce. but de différents emplâtres, mais
surtout de diachylon et de vigo, dont on se sert au lieu de cire pour
fabriquer les bougies. On a encore proposé, pour remplacer les injections,
des bougies dissolubles, préparées avec différents médicaments. C'estpriu-
cipalement en Allemagne que ces essais ont été faits, en particulier
par Hecker. En général, au lieu de ces bougies, on préfère les bougies or-
dinaires enduites des substances qu'on veut employer ; mais sauf quelques
pommades calmantes on n'en a pas tiré jusqu'ici grande utilité.
Je ne citerai que pour mémoire les bougies armées, qu'on préparait en
fixant dans la cire d'une bougie ordinaire un morceau de nitrate d'argent.
Les dangers qu'elles présentaient les a fait justement abandonner, sur-
tout depuis qu'on a inventé des porte-caustiques qui donnent beaucoup
plus de sécurité.
BOUGIES RIGIDES.
Bien longtemps avant d'employer les bougies flexibles, on se ser-
440 BOUGIES. — graduation.
vail de tiges métalliques généralement en plomb; ce sont ces instru-
ments perfectionnés qui ont pris le nom de bougies métalliques, elles ont
été surtout remises en usage par Mayor et par Beniqué, ce dernier qui
avait institué un procédé spécial pour la dilatation, en a beaucoup amé-
lioré l'usage, et a proposé une graduation qui ajoute à leur utilité. L'idée
de les graduer n'était, du reste, pas nouvelle, car un médecin dont le
nom ne s'est pas conservé, et qui, au dire d'Astruc, pratiquait à Nismes
de 1545 à 1580, se servait d'une série de douze bougies de plomb gra-
duées, fabriquées à la filière. Afin de les rendre moins lourdes, on a
abandonné le plomb pour l'étain.
Ces bougies n'étant pas flexibles, on leur donne une courbure qui s'ac-
^^^ commode à celle du canal, et on
19 Ç J g't 20 ç\ e% les fait généralement cylindriques.
^—s Cependant, il peut y avoir avantage,
au (~\ G /""*\ surtout pour les rétrécissements
V_y 21 M 7 très-durs, à les rendre légèrement
O coniques ; c'est ce que j'ai fait exé-
■r>:/; 22 f~*\ cuter en 1844, par Samson, fabri-
V_y J cant d'instruments, sur une série
16 C3 6* /^\ de bougies d'étain. Je les avais fait
25 ( ) £# amincir en forme de cône sur une
/i Q s V-y ' longueur de 0m,05 à 0m,04, de façon
Oque l'extrémité de chaque bougie
avait le calibre d'une bougie de
deux numéros au-dessous.
*3 O 4'/J *~ C~^ 8'/ ^es ljouoies d'étain glissent avec
J v_y 3 une très-grande facilité dans le
22 Q 6 canal à cause de la régularité et du
2g(^\ sfj P°'i de leur surface; elles entrent,
dt O 3^ V_y pour ainsi dire, par leur propre
„ poids lorsqu'elles sout bien ma-
^ / \ niées. Elles sont excellentes dans
27 [ \ 9
$ q 5 \ y les cas de rétrécissements peu pro-
noncés, ou pour terminer la cure,
8 O 2',r' ri v °jllon a commencée par Turéthro-
q Ç/-T V J ' /J tomie ou par le passage des bougies
élastiques.
fi O i jT~^\ Graduai ion des nongictu —
5 o a% ^ l J 9*J Dans les rétrécissements durs ou ir-
4. o jâ ritables, lorsqu'on ne peut aug-
'3 o -j jS~~^\ menter le volume des bougies que
j2 o * so f j if> par de faibles degrés, il est impor-
1 " # ^-^ tant de savoir la grosseur exacte de
Fig. 55. — Filière Charrièrc. ces instruments et de pouvoir les
ranger suivant leurs diamètres;
pour cela on se sert de filières analogues à celles qu'on emploie dans
BOUGIES. — BIBLIOGRAPHIE. 441
l'industrie pour mesurer les fils de fer. La graduation de ces filières varie
suivant leurs auteurs, mais il serait très-important qu'on pût s'entendre
pour n'en avoir qu'une, et la filière Charrière me paraît remplir toutes les
conditions désirables (fig. 55). Elle consiste dans une lame métallique
percée de trous dont le diamètre augmente par tiers de millimètre depuis
ilômm jusqu'à 10mm. Pour les bougies molles, une plus grande division est
inutile, leur calibre n'est pas assez régulier pour être apprécié à moins de
l/5mm; mais il n'en est pas de même pour les bougies d'étain, le métal
permet une graduation beaucoup plus délicate, et il est fort utile de pou-
voir en augmenter le volume par degrés insensibles. Pour ces dernières, la
meilleure graduation est celle de Beniqué, par l/6mni.
Les bougies, comme on a déjà pu le voir dans cet article, sont princi-
palement destinées à pratiquer la dilatation des rétrécissements, ou à
servir de moyen de diagnostic, on les emploie encore pour émousser la
sensibilité du canal et l'habituer au contact des corps étrangers avant les
opérations, c'est dans ce cas surtout que les bougies de cire conviennent
lorsque le canal est très-sensible, car elles se ramollissent bientôt à la
chaleur des parties, se moulent sur elles et cessent d'exercer aucun effort.
On trouve cependant des malades qui ne peuvent les endurer, il semble
que, chez eux, le contact de la cire agace la muqueuse, et il en résulte
une douleur croissante et bientôt intolérable, tandis que le contact du
métal ou de la bougie élastique est très-bien supporté par ces mêmes
sujets.
Les bougies élastiques fines sont souvent employées peur servir de con-
ducteurs soit à des sondes ou à des bougies plus grosses, soit à d'autres
instruments tels que les bougies en tirefond de Dieulafoy, les uréthro-
tomes de Sédillot, Maisonneuve, Charrière, etc.
Outre les maladies des voies urinaires, les bougies sont encore utiles
dans une foule de cas, pour dilater ou explorer le col utérin, ou d'autres
conduits naturels ou pathologiques.
Nous ne pouvons décrire ici la manière d'introduire les bougies, elle
trouvera naturellement sa place dans les articles relatifs au Cathétérisme,
aux Rétrécissements, etc.
Le professeur Dieulafoy (de Toulouse) et Guillon ont inventé, chacun
de son côté, une bougie en baleine en forme de vis conique ou de tire-
fond destinée à opérer la dilatation brusque des rétrécissements (voy.
Dilatation) .
Rivikrk (Lazare), Obs. xxxvn, in frequentiam et eurationern dil'ficilium mo-rborum cum curationibus
corumdem, à la suite des Observât, méd., 2e édit. Lugduni, 1659.
Daran (J.), Observations chirurgicales sur les maladies de l'urètbre. Paris, 1745; 56 édit., Avi-
gnon, 1768.
Sharp (Samuel), Critical Inquiry into Ibe présent State of Surgery. London, 1750, ch. x.
Andrk (N.), Dissertation sur les maladies de l'urèlbre qui ont besoin de bougies. Versailles et
Paris, 1751. — Manière de faire usage des bougies antivénériennes, médicamenteuses et chirur-
gicales, propres à guérir toutes les espèces de rétentions d'urine, maladies de l'urèthre et de la
vessie. Paris, 1758.
Hunter (.T.), Œuvres complètes, traduites par J. Richelot. Paris, 1845, t. II : Traité de la Sy-
philis, p. 3)2.
4-42 BOUILLONS. — bouillons alimentaires.
Hager (J. F. T.), Cereolorum hisloria et usus chirurg. Halae. 1795, in-8.
Desault, Journal de chirurgie, t. II, p. 575, et t. III, p. 123.
Meyer, De cereolis in curatione blennorrhagise non plane regiciendis.Erfordiaï. 1800, in-4.
Sjiyth, Brief Essay on llexible metallic Bougies. London, 1804.
Di'camp, Traité des rétentions d'urine causées par le rétrécissement de l'urèthre, et des moyens
à l'aide desquels on peut détruire complètement les obstructions de ce canal. 5e édit. Paris
1825.
Jacobi, De nonnullorum Cereolorum in curanda urelhrae strictura usitatissimorum origine et usu
dissertatio. Berolini, 1829.
Civiale, Traité pratique des maladies des organes génito-urinaires. lre édit., 1837; 5e édit., 1858.
Beniqué, Béflexions et observations sur le traitement des rétrécissements de l'urèthre. Paris
1844.
Leroy D'Etiolles, Avantages des bougies tortillées en spirale dans le traitement des rétrécissements
de l'urèthre. Paris, 1852.
Bougies-éponges destinées au traitement des rétrécissements [Bull, de thérapeutique, 1854,
t. XLVI, p. 514).
Costello (W. B.), Cuclopxdia ofpractical Surgery. London, 1861, vol. I, art. Bougie.
Antontn Desormeaux.
BOUILLONS. — On comprend sous le nom général de bouillons des
solutions aqueuses préparées avec la chair de divers animaux, et compo-
sées des matériaux solubles contenus dans la viande elle-même et aussi
de ceux qui peuvent prendre naissance sous l'influence de l'eau et de
la chaleur.
On distingue ordinairement deux sortes de bouillons : les bouillons dits
alimentaires et los bouillons dits médicinaux. Nous ne voyons pas d'in-
convénients à conserver cette distinction, bien qu'il devienne chaque
jour plus difficile d'en justifier la convenance et l'utilité réelle, les bouil-
lons alimentaires devenant médicinaux lorsque la thérapeutique en fait
usage, et les bouillons, proprement dits médicinaux, comme les bouillons
de tortue, de grenouilles, de veau, de poulet, etc., servant d'aliments
véritables dans diverses circonstances. La composition de ces deux espèces
de bouillons n'offre pas du reste de profondes différences et les principes
généraux qui précédent à leur confection sont à peu près les mêmes. Ces
principes, aujourd'hui fixés d'une manière certaine par le concours de
la théorie et d'une longue expérience, sont importants à connaître et
nous les résumerons en quelques lignes.
Bouillons alimentaires. — La chair des animaux et en particulier
la chair de bœuf, qui forme la base des bouillons ordinaires des ménages,
renferme des parties solubles dans l'eau et des matériaux naturellement
insolubles dans ce véhicule. Les substances solubles de la viande crue
sont fort nombreuses et la chimie en découvre chaque jour de nouvelles;
au point de vue restreint qui nous occupe, il suffira d'indiquer les sui-
vantes : albumine, hématosine (matière colorante du sang), créatine,
créatinine, inosite, acide inosique, sarkosine, sarkine, acide lactique,
sels divers (phosphates, sulfates et chlorures à base de potasse et de
soude) et divers principes volatils assez fugaces et encore mal déter-
minés. Les matériaux insolubles dans l'eau sont la fibrine des muscles
(musculine), les tendons, les os, la graisse et quelques phosphates à base
de chaux et de magnésie.
BOUILLONS. — rouillons alimentaires. 445
Toutes choses égales d'ailleurs, le meilleur procédé de préparation du
bouillon sera celui qui épuisera le plus sûrement la viande de ses parties
solubles dans l'eau. Or, à ce point de vue, il est évident qu'une division
préalable de la viande paraît indispensable pour faciliter l'accès de l'eau au
milieu des fibres musculaires serrées et compactes. Mais le hachage prélimi-
naire, excellent en théorie, et mis à profit dans quelques cas que nous indi-
querons plus tard, s'accorderait mal avec nos habitudes culinaires etl'éco-
comie des ménages. Le prix élevé que la viande atteint dans nos contrées
oblige, dans le plus grand nombre des cas, à consommer le bouillon pro-
duit et le résidu insoluble lui-même, qu'on est amené de la sorte à traiter
en morceaux assez volumineux. L'action de l'eau froide serait alors in-
suffisante pour pénétrer les tissus et extraire les principes solubles ;
pour ce motif et aussi dans le but de développer des principes sapides
ou odorants que la chaleur seule peut produire dans l'action de l'eau sur
la viande, on est naturellement conduit à employer l'eau portée à une
température voisine de son point d'ébullition. C'est dans cette dernière
condition, la seule normale et la seule pratique, qu'il convient d'étudier
l'action de l'eau sur la viande crue, au point de vue exclusif de la meil-
leure fabrication du bouillon.
Chevreul a, le premier, démontré par des expériences précises qu'il
n'est pas indifférent de mettre la viande dans l'eau froide et d'amener
lentement cette dernière à l'ébullition ou de la plonger dans l'eau lorsque
celle-ci est bouillante. Dans le premier cas, on obtient un bouillon aussi
sapide que possible, mais le résidu (le bouilli) est moins agréable à
manger; dans le second cas, le bouilli sera excellent, mais le bouillon
renfermera peu de matériaux solubles et paraîtra insipide. L'explication
de ces faits est facile à comprendre : la viande mise dans l'eau froide cède
peu à peu par dissolution superficielle d'abord, puis ensuite par endos-
mose lente, une partie des principes solubles qu'elle renferme. Les pro-
portions de ces substances augmentent dans la dissolution à mesure que
le séjour dans l'eau se prolonge et que la température s'élève très-lente-
ment jusqu'à l'ébullition. L'albumine, interposée entre les fibrilles mus-
culaires, ne commence à se coaguler que vers 60° et la majeure partie
pourra ainsi sortir des cellules et passer dans le liquide où elle se coagu-
lera plus tard sous forme d'écume, clarifiant ainsi spontanément le
bouillon. En plongeant au contraire brusquement la viande dans de l'eau
bouillante, l'albumine des premières couches musculaires se coagule et
forme une enveloppe qui empêche les matières solubles et odorantes de
s'échapper. Ces principes restent dans l'intérieur de la trame iibrineuse
dont ils augmentent la sapidité au détriment du bouillon.
On comprend alors pourquoi en Allemagne, dans les maisons bour-
geoises où l'on met la viande dans l'eau froide on mange rarement la
viande. Dans d'autres contrées, dans les Pays-Bas par exemple, la viande
bouillie sans la soupe est une nourriture très-ordinaire. Aussi les ména-
gères hollandaises mettent dans l'eau bouillante la viande qui ne doit
pas faire la soupe. (Moleschott.)
4i4 BOUILLONS. — bouillons alimentaires.
Il faut entretenir le liquide à une chaleur voisine de l'ébullition : c'est
la nécessité de cette chaleur modérée et soutenue qui donne tant d'a-
vantages aux marmites de terre, qui conduisent médiocrement la chaleur
et sont à l'abri des coups de feu. La confection d'un bon bouillon exige
en moyenne de cinq à sept heures.
Ch. Robin et Verdeil pensent que, par suite de l'ébullition, la muscu-
line n'est plus ce qu'elle est dans la chair crue ou rôtie : l'altération
qu'elle a subie la rapproche de la gélatine et diminue considérablement
sa valeur nutritive. A ces indications Malaguti ajoute : « Et qu'on ne
croie pas que ce que la viande perd on le retrouve dans le bouillon. On a
l'habitude de considérer le bouillon comme la quintessence de la viande ;
mais c'est une erreur. Le bouillon ne renferme que des principes qui,
sous l'influence d'une température élevée, ayant développé du parfum
et de la sapidité, stimulent les nerfs du goût, activent la sécrétion de la
salive et du suc gastrique, mais ne nourrissent pas. L'animal qui ne
vivrait pas, n'ayant pour seule nourriture que de la viande cuite, ne
vivrait pas davantage s'il n'avait pour se nourrir que du bouillon. »
Outre la viande on ajoute au bouillon du sel de cuisine, des légumes,
et souvent des os. Le sel de cuisine n'est employé que pour rehausser la
saveur ordinaire du liquide : il sert aussi à faciliter l'endosmose et la
sortie des parties solubles contenues dans la viande. Il doit en consé-
quence être ajouté dès le début. Les légumes varient suivant les goûts,
les contrées, la saison, etc. Les carottes, les navets, les panais, les choux,
les poireaux, l'ail, quelquefois les oignons brûlés, quelques clous de gi-
rofles, sont le plus généralement employés. On les ajoute lorsque l'écu-
mage est terminé.
Quant aux os qu'on introduit fréquemment avec la viande dans le pot-
av-feu, leur proportion ne doit pas dépasser 25 pour 100 du poids de la
viande. Sous l'influence de l'eau bouillante, la matière chondrineuse qui
les constitue se transforme partiellement en gélatine qui se dissout dans
le bouillon, et la cavité médullaire laisse échapper la majeure portion de
sa matière grasse qui fond et vient surnager le liquide. Les os n'ajoutent
par eux-mêmes que bien peu de matériaux alibiles au bouillon : c'est un
fait aujourd'hui incontestable. Les faits si intéressants renfermés dans le
rapport de la commission de l'Académie des sciences, dite Commission
de la gélatine, démontrent que si les os frais peuvent nourrir certains
animaux, la gélatine qui provient de leur ébullition dans l'eau ne pos-
sède plus cette propriété, attendu qu'elle constitue une substance toute
différente de la matière organique des os eux-mêmes. Lorsque les os sont
adhérents à la viande, il est préférable de les détacher et de les placer au
fond du vase : dans cette position, ils servent à soutenir la viande et à la
préserver pendant toute la durée de l'ébullition du contact direct des
parois inférieures les plus échauffées.
On a remarqué depuis longtemps, sans qu'on puisse en donner, à notre
avis, une explication tout à fait satisfaisante, que le bouillon préparé en
petit est toujours d'une saveur et d'une qualité supérieures à celui qui est
BOUILLONS. — bouillons alimentaires. 445
fabriqué dans de grandes marmites. Les hôpitaux civils de Paris ont,
depuis plusieurs années, remplacé avec grand avantage les immenses
marmites de cuivre par des marmites de fonte d'une contenance de cin-
quante litres.
Nous croyons utile de donner quelques formules adoptées pour la con-
fection du bouillon :
Bouillon des hôpitaux civils de Paris.
Eau 100 litres.
Viande et os. 41 kil. 660 gram.
Légumes 8 — 330 — > Pour 100 litres de bouillon.
Sel de cuisine 1 — 120 —
Oignons brûlés 0 300 —
La viande crue est désossée, et on la réunit à l'aide de gros fil en pa-
quets de trois kilogrammes environ ; les os sont concassés et placés au
fond des marmites, et la viande, liée en paquets, est posée sur une grille
ou faux fond troué, au-dessus des os.
Bouillon des hôpitaux militaires (Extrait d'une circulaire du 1er janvier J 866).
La viande de bœuf à mettre à la marmite doit être choisie parmi les
différentes parties du bœuf, de manière à répartir également dans les
pesées les morceaux charnus et gras et les portions «osseuses.
Il est alloué à chaque malade recevant du bouillon 180 grammes de
viande crue pour la préparation de ce dernier. La quantité d'eau ne doit
pas dépasser 2 litres 75 centilitres par kilogramme de viande.
Bouillons des hôpitaux de la marine.
Viande crue 1 kilog.
Eau 4 litres.
Légumes verts 400 grammes.
Sel 10 —
Après cinq heures de cuisson on obtient trois litres de bouillon. La
viande non désossée est introduite dans la marmite au moment de l'ébul-
lition; on ajoute peu après les légumes verts, et, en dernier lieu, le sel.
On opère de la sorte dans le but d'avoir un bouilli plus savoureux et
propre à l'alimentation des convalescents et des infirmiers de l'hôpital.
MM. Lefèvre, directeur du service de santé de la marine à Brest, et
Vincent, pharmacien en chef de la marine, ont recherché s'il ne serait
pas possible de transformer en bouillon le bouilli non consommé immé-
diatement. Ayant fait hacher 500 grammes de ce bouilli, et l'ayant sou-
mis à une coction de deux heures dans deux litres d'eau, avec addition
de 100 grammes de carottes et de 40 grammes d'oignons, ils ont obtenu
800 grammes d'excellent bouillon. C'est là un résultat économique
avantageux, et dans tous les hôpitaux où la consommation du bouillon
dépasse celle du bouilli, on pourra transformer l'excédant de celui-ci en
une nouvelle quantité de bouillon. Il est inutile d'ajouter qu'après cette
seconde coction le résidu de la viande est impropre à l'alimentation.
(Fonssagrives.)
446 BOUILLONS. — bouillons aluieintaires.
Bouillon de viande (suivant la formule adoptée dans les établisscmenls de Duval).
Bœuf ordinaire 5 kil. 500 gram.
Eau (2 lit. 85 cenlil. par kilog. de viande) .... 10 — »
Sel marin » 75 —
Légumes : carottes, poireaux, panais, navets.. . » 000 —
Trois clous de girofle.
Bouillon de viande (formule de Chevrcul).
Dans un vase en terre vernissée de la capacité de 6 litres on introduit :
Viande de bœuf privée d'os. . 1 kil. 433 sr. ) , . -, 0,,_
r, «,a ° 1 kd. 8bo «;ram.
Os » 4j0 — ) °
Sel marin » 40 —
Eau 5 »
Après avoir chauffé graduellement jusqu'à l'ébullition, on remue, puis
on ajoute :
Légumes : carottes, navets, oignon brûlé, 551 grammes.
En maintenant sans interruption un bouillonnement léger pendant
cinq heures et demie, on obtient :
Bouillon d'excellente qualité 4 litres.
Bouilli excellent 858 grammes.
Os 592 —
Légumes cuits 548 —
La densité de ce bouillon est de 1,0157.
Un litre renferme :
Eau 985«'6Û0
Matières organiques 16 917
Sels solubles (sulfates, chlorures et phosphates alcalins). 10 721
Sels insolubles (phosphates de chaux et de magnésie). » 559
1,015^ 777
Les parties du bœuf auxquelles on donne généralement la préférence
pour la préparation du bouillon, sont : la culotte, la tranche, le gîte à la
noix et la côte d'aloyau.
Le bouillon préparé pour les malades ou les convalescents doit être
dépouillé aussi complètement que possible de la graisse qui le surnage.
Cet enlèvement peut se pratiquer à froid, alors que la matière grasse est
figée, ou à chaud, alors qu'elle affecte encore la forme d'œi/s.
Il est à peine nécessaire d'ajouter que le bouillon doit, autant que pos-
sible, être préparé au fureta mesure des besoins et de la consommation.
Comme tous les liquides riches en matières organiques, il est prompt à
subir la décomposition, principalement par les temps chauds et orageux,
et passe très-vite à un état d'acidité fort désagréable. On prévient souvent
ce dernier inconvénient en projetant dans le bouillon qu'on désire con-
server un ou deux gros fragments de charbon incandescents.
Le choix des légumes est une affaire de goût quand il s'agit de bouillon
destiné à des gens valides ; mais lorsque le bouillon est préparé pour des
malades, quelques légumes doivent être interdits à raison de leurs qua-
lités indigestes : les choux et les navets sont dans ce cas; les carottes,
BOUILLONS. — bouillons médicinaux. 447
les poireaux, le céleri, sont les seuls dont il faille faire usage. Quant aux
oignons brûlés destinés à colorer le bouillon, ils peuvent être remplacés
avec avantage par le caramel. (Fonssagrives.)
Bouillon Liebig. — Liebig indique le procédé suivant pour obtenir, en
moins d'une heure, un bouillon riche en principes tirés de la viande et
doué d'une saveur très-agréable :
Un kilogramme de viande de bœuf, dépourvue de sa substance grasse,
étant coupé en morceaux très-menus, ou haché, est chauffé lentement,
jusqu'à l'ébullition, avec un kilogramme d'eau : les écumes sont enlevées,
puis on ajoute le sel, et au bout de quelques minutes d'une ébullition
légère, on obtient un bouillon très-sapide.
Le bouillon évaporé au bain-marie donne un extrait d'une consistance
molle, susceptible de se conserver.
Bouillon dit fortifiant de Liebig. — On prend 250 grammes de viande
fraîche de bœuf : on hache cette viande ; on la délaye dans 560 grammes
d'eau distillée, additionnée de 4 gouttes d'acide hydrochlorique et de
3 grammes de sel; on laisse macérer pendant une heure; on passe en-
suite sur un tamis de crin ou un linge serré.
M. Debout a fait remarquer que la couleur et l'odeur de cette prépara-
tion peuvent répugner à bon nombre de malades. Si on le chauffe, on
sépare l'albumine, et on a un bouillon moins chargé de matière azotée;
pris froid, au contraire, il est très-propre à rendre de l'albumine au sang.
Il serait hors de propos de faire entrer dans le cadre de cet article la
description des diverses espèces de bouillons préconisés par quelques
médecins ou chimistes, et les formules employées pour obtenir les pré-
parations connues sous les noms de conserves de bouillon, tablettes de
bouillon, etc. Nous nous bornerons à signaler le bouillon fortifiant de
Gielt et Pieufer de Munich; le bouillon dit thé de bœuf, de Beneke; le
bouillon concentré (Portable soup), les conserves de bouillon de Martin
de Lignac, les tablettes de bouillon de Cadet de Gassicourt, et Yextractum
carnis de Liebig.
Bouillons médicinaux. — Les bouillons dits médicinaux ont, en
général , pour base la viande d'animaux jeunes, à chair moins ser-
rée et moins sapide que la viande de bœuf. La cuisson doit avoir lieu à
un feu très-modéré, et mieux encore au bain-marie. On ajoute quelque-
fois des légumes aux bouillons médicinaux, dans le but de rehausser leur
saveur généralement assez fade.
Les bouillons médicinaux les plus employés sont ceux de veau (rouelle
et mou), de poulet, de grenouilles, de tortue et de limaçons.
Bouillon de veau.
Rouelle de veau 125 grammes.
Eau 1 litre.
On fait cuire à un feu modéré, ou au bain-marie, pendant deux heures,
et on passe après refroidissement.
On prépare de même les autres bouillons.
448 BOUILLON-BLANC.
On coupe la tête de la tortue, on sépare par la scie la carapace du
plastron, et après avoir enlevé la chair musculaire on rejette les intestins.
On coupe la tête de la grenouille au-dessous des pattes antérieures, on
dépouille sa peau et on rejette les intestins.
La chair des escargots doit aussi être séparée des intestins et de la
coquille.
Sous le nom de bouillon d'herbes, bouillon aux herbes, on fait fréquem-
ment usage de la décoction suivante, usitée surtout comme adjuvant des
purgalions ordinaires.
Bouillon d'herbes.
Oseille 120 grammes.
Cerfeuil 10 _
Eau 1,000 —
Sel de cuisine 12 —
Beurre frais 10 —
On fait cuire les plantes avec une petite quantité d'eau, en agitant con-
tinuellement; on ajoute ensuite le reste de l'eau, le sel et le beurre, et
l'on porte à l'ébullition pendant quelques minutes.
Bouchardat (A.), Mémoire sur l'hygiène des hôpitaux et hospices civils de Paris [Annales d'hygiène
publique, 1837, t. XVIII, p. 56).
Socbeiran, Traité de pharmacie théorique et pratique.
Liebig, Mémoire sur les principes des liquides de la chair musculaire [Annales de chimie et de
physique, 3e série, t. XXIII, juin 1848).
Tardieu, Dictionnaire d'hygiène publique et de salubrité, 2e édition, t. I, p. 297.
Girardin, Leçons de chimie élémentaire, t. II, p. 400.
Moleschott (J .), De l'alimentation et du régime, traduit de l'allemand sur la 3e édition, par Fer-
dinand Flocon.
Bulletin de thérapeutique, t. XL VII, p. 572.
Fonssagrives (J. B.), Hygiène alimentaire des malades, des convalescents et des valétudinaires,
Paris, 1861.
Levy (Michel), Trailé d'hygiène publique et privée, 4e édition. Paris, 1802, t. I, p. 800.
Païen, Précis théorique et pratique des substances alimentaires, 4e édition, p. 92.
Z. Roussus.
BOUILLON-BLANC — Le Bouillon-blanc, Verbascum thapsus
Linn., est une plante de la famille des solanées, que l'on connaît encore
sous le nom de Molène et de CÀerge de Notre-Dame.
Description. — C'est une plante bisannuelle qui peut atteindre jusqu'à
deux mètres de haut ; elle est remarquable par ses longs épis chargés de
fleurs jaunes, dorées, d'un vif éclat et par ses larges rosettes de feuilles
qui s'étalent sur la terre. Toute la plante est couverte d'un épais duvet
de poils blancs, c'est ce qui lui a valu son nom. — Les fleurs ont une
odeur douce et suave. Le calice est gamosépale à 5 divisions, la corolle
est monopétale, irrégulière, à tube court à cinq lobes concaves ; il y a
cinq étamines, trois d'entre elles portent à leur base de petites houppes
de poils roides et blancs. Au centre se trouve le pistil (fig. 36).
Récolte. — On emploie les feuilles et les fleurs. La récolte des pre-
mières ne présente aucune particularité intéressante. On se les procure au
mois de juin ou de juillet. Pour les fleurs, on les peut prendre complètes ;
BOUILLON-BLANC.
449
mais on fait]fmieux de ne cueillir que les corolles. La cueillette est plus
longue; mais elle ne présente aucune difficulté, surtout si l'on attend que
la fécondation des fleurs ait eu
lieu; car, après ce moment, elles
se séparent d'elles-mêmes et
tombent, en sorte que la plus
légère traction suffit pour les
arracher. On doit, si l'on tient
à ce que les fleurs conservent
leur couleur brillante, les faire
sécher rapidement et les con-
server dans des flacons bouchés
et à l'abri de la lumière.
Usages. — L'emploi du Bouil-
lon-blanc remonte très-loin ; les
anciens vantaient cette plante
dans l'épilepsie. Tragus indique
l'eau distillée de fleurs du Bouil-
lon-blanc dans les brûlures, l'é-
rysipèlc, la goutte et les maladies
de peau. Du temps de Dodoneus,
on les employait pour teindre
les cheveux et pour guérir les
fistules. Matthiole prétend que
ces fleurs, mêlées à un jaune
dceuf, guérissent les hémor-
rhoïdes, et il ajoute : « Le Bouillon-blanc, pris en eau, est bon contre les
inflammations du gosier, la toux, les crachats. » C'est, de toutes les indi-
cations données par les anciens, la seule, à peu près, qui nous soit restée.
Le Boaillon-blanc est un remède populaire. On emploie, dans toutes
nos campagnes, les fleurs comme pectorales et adoucissantes dans les ca-
tarrhes pulmonaires, l'hémoptysie et la phthisie. Cazin dit avoir donné
avec succès dans les diarrhées accompagnées de ténesme et de coliques,
des lavements de décoction de bouillon-blanc.
Les feuilles en cataplasmes soulagent, dit-on, les douleurs des hémor-
rhoïdaires. Enfin, Gaspard Hoffmann prétend, et Dubois (de Tournai) con-
firme cette assertion, que les gueux se guérissent, avec cette plante, les
faux ulcères, qu'ils se sont causés par la Renoncule bulbeuse, dans l'in-
tention d'abuser de la charité publique. Quelques lotions, faites avec l'eau
qui a servi à faire bouillir les feuilles de Bouillon-blanc, suffisent pour
amener la disparition des ces plaies.
Préparation, doses et mode d'administration. — 1° Macération : 8 à 15
grammes de fleurs par litre d'eau, en tisane. — 2° Infusion : 10 à 50
grammes par litre d'eau, en tisane. — 5° Décoction : 50 à 00 grammes
de feuilles, pour lotions. — 4° Huile (1 partie de fleurs pour 2 parties
d'huile) pour frictions et embrocations.
nouv. dut. micd. et cm?.. V. — 29
Fig. 36
450 BOULIMIE. — pathologie.
Quand on administrera l'infusion des fleurs à l'intérieur, on éloignera
tout ce que nous avons appelé le calice, et, pour plus de précaution, on
fera bien de faire passer le liquide à travers un linge, car les poils qui
couvrent cette enveloppe florale, et même ceux qui se trouvent à la base
des étamines, peuvent s'arrêter dans la gorge et provoquer la toux.
Analyse. — On ne possède pas encore d'analyse bien faite de cette
substance; on y a trouvé une huile essentielle jaune, et on y a décrit un
principe assez mal connu qu'on appelle Verbasciue.
Succédanés : — Plusieurs plantes voisines: le Bouillon-noir, Verbascum
nigrum Linn.; la Molène sinnée, Verbascum sinnatum Linn.; la Molène
lychinis, Verbascum lychnis Linn. Léon Marchand.
HOUIjOIIE (BouXijiia., de (3ouç, bœuf, et aijxoç , faim, faim de
bœuf) .
pathologie.
En pathologie générale on doit considérer la boulimie comme un phé-
nomène de physiologie pathologique consistant en un trouble de sen-
sation, par suite duquel les malades sont en proie à une faim excessive, à
un besoin de prendre une quantité d'aliments plus grande qu'à l'ordinaire.
L'étude de ce phénomène ne devrait pas porter seulement sur la quan-
tité, la qualité, la nature des aliments; mais encore il faudrait passer en
revue ces troubles des fonctions digestives, désignés sous le nom de ma-
lade, de pica, autres perversions de sensations qui portent les individus à
se nourrir de matériaux de toute nature. Mais, comme ces épiphénomènes
seront étudies avec la gastralgie, nous les laisserons de côté pour le mo-
ment, nous bornant à dire qu'ils accompagnent assez souvent la bou-
limie. Aussi n'étudierons-nous dans cet article qu'un des côtés de la
question, c'est-à-dire nous ne nous occuperons que de la boulimie.
Certains auteurs ont voulu considérer la boulimie comme le synonyme
de gastralgie, c'est ainsi qu'ils ont englobé sous ce nom impropre de
gastralgie, et la douleur de l'estomac proprement dit, et les divers trou-
bles désignés par les noms de pica, malacia, boulimie. Quant à nous,
nous ne considérerons la boulimie que comme un trouble fonctionnel,
qui, quoique plus spécialement dépendant d'une lésion nerveuse de l'es-
tomac, n'en constitue pas moins un simple accident que l'on doit ratta-
cher à un grand nombre de maladies diverses, et qui survient notamment
dans le cours de plusieurs névroses distinctes des fonctions digestives.
C'est ainsi qu'on trouve cette perversion des fonctions de l'estomac dans
l'aliénation mentale, l'hystérie, la grossesse; dans certaines affections
cérébrales, telles que le ramollissement cérébral, l'hémorrhagie cérébrale.
La boulimie n'est pas toujours le signe d'une maladie. Cet appétit dé-
sordonné se trouve chez certaines personnes ; la voracité est dans leur
état normal. Mais il ne faudrait pas conclure que chez elles l'embonpoint
sera toujours porté à un degré extrême; les aliments pris en trop grande
quantité ne profitent pas à l'économie ; les individus atteints de boulimie
sont ordinairement très-maigres. D'autrefois cet appétit vorace n'est que
BOULIMIE. — pathologie. 451
momentané, et alors il est sous l'influence d'une médication. C'est ainsi
qu'il m'est donné de voir, dans ce moment, à la consultation de l'hôpital
de la Charité, un homme atteint d'une ostéite de l'annulaire droit. Mon
maître, le professeur Natalis Guillot, a soumis ce malade à l'usage de l'io-
dure de fer; sous cette influence, cet homme raconte qu'il a un appétit
vorace, rien ne peut le rassasier, il éprouve le besoin de manger à
chaque instant; auparavant il était assez sobre, un rien lui suffisait. Ma-
gendie avait du reste, appelle l'attention sur ce sujet, quand il a donne pour
la première fois soit l'iodure de potassium, soit l'iodure de fer. D'autres
fois, enfin, on a pu rapporter cette exagération de la faim à une dispo-
sition anatomifjue du tube digestif. On connaît ces faits rapportés par
tous les auteurs; c'est ainsi que Vesale etLieutaud ont noté l'ouverture du
canal cholédoque dans l'estomac; que Percy a signalée le peu de longueur
du tube digestif; que Leroux signale le développement extrême des val-
vules conniventes ; enfin Landré-Ëeauvais, Ollivier (d'Angers), ont noté
l'absence de la vésicule du fiel. A côté des faits que je viens de signaler,
et qui, à mon avis, ne constituent pas un phénomène morbide, mais bien
un phénomène physiologique, je placerai ces appétits voraces que l'on
voit survenir parfois chez la femme pendant la grossesse, chez les jeunes
gens qui se livrent à des exercices violents, chez les chasseurs, chez les
voyageurs qui gravissent à jeun de hautes montagnes, ce qui dépend soit
de l'ascension en elle-même, soit de l'air extrêmement vif qu'ils respirent
(Beau); enfin je signalerai ces appétits qui se montrent pendant la conva-
lescence des maladies aiguës, après une diète rigoureuse, et principale-
ment après les inflammations du tube digestif. Ce phénomène pourra
parfois devenir dangereux, car les malades résistant peu à leur entraîne-
ment pour les aliments, mangent trop, et souvent des rechutes se pro-
duisent par suite de leur intempérance.
Ces préliminaires étaient nécessaires pour nous permettre d'étudier la
boulimie en tant que trouble fonctionnel pouvant aider, pour sa part,
bien faiblement il est vrai, à la connaissance des divers états morbides
dans lesquels on le rencontre.
La boulimie est caractérisée par une faim excessive, un appétit vorace.
« Le malade éprouve, dit le professeur Trousseau, constamment une sen-
sation de vide dans l'estomac; à peine a-t-il mangé, que deux heures, une
heure même après son repas, l'appétit se fait de nouveau vivement sentir,
sinon un appétit réel, du moins un faux besoin. Alors même qu'elle est
satisfaite, cette faim est accompagnée d'un sentiment de faiblesse très-
prononcée. » Tant que cet appétit immodéré n'est pas satisfait, les ma-
lades sont tourmentés par un malaise indéfinissable, par de la cardialgie,
des défaillances pouvant aller jusqu'à la syneope, l'obscurcissement de la
vue, l'agitation, le délire même. La faim satisfaite, ils tombent dans une
torpeur d'où ils ne sortent que pour se livrer de nouveau à leurs appétits
voraces. La boulimie présente différents degrés: quelquefois l'appétit dé-
passe à peine les limites de l'état normal, d'autres fois l'appétit, qui s'était
fait sentir comme excessif, se calme subitement après l'ingestion d'une ou
455 BOULIMIE. — pathologie.
deux bouchées d'aliments; dans d'autres cas, enfin, la voracité de certains
malades est véritablement sans bornes : on en a vu manger douze kilogram-
mes de pain dans les vingt-quatre heures (Rostan). Dans ces cas on peut voir
les malades manger jusqu'à ce que l'estomac se débarrasse par le vomisse-
ment du fardeau qui le surcharge ; on a alors une variété de boulimie dési-
gnée sous le nom de cynorexie, faim canine (famés canina); chez d'autres
malades, les aliments dévorés avec promptitude sont presque aussitôt reje-
tés par l'anus : autre variété de boulimie désignée sous le nom de faim de
loup, lycorexie (famés lupina). Dans la boulimie, on n'observe ni éructa-
tions, ni llatuosités, ni vomissements, si ce n'est dans la variété que nous
venons de signaler. La constipation en est un phénomène habituel; toute-
fois, dans quelques circonstances, il y a, au contraire, de la diarrhée, et
ce flux intestinal plus ou moins abondant provient, dit Trousseau, de ce
que les aliments sont trop rapidement chassés de l'estomac dans le duo-
dénum, avant que le premier travail de la digestion, celui de la digestion
gastrique, ait eu le temps de s'accomplir; les selles sont fétides ; le corps
du malade exhale parfois une odeur forte et désagréable. A la boulimie,
surtout celle qui se montre dans la gastralgie, vient se joindre souvent
une perversion du goût qui porte les malades à se nourrir exclusivement
d'aliments inusités : sel, poivre, cornichons, etc., ou à avaler les corps
les plus divers, les plus grossiers, les plus immondes : du charbon, du
plâtre, de l'encre, des insectes, de l'urine, des matières fécales. Ces deux
nouveaux troubles fonctionnels qui se montrent en môme temps que la
boulimie, ont reçu : le premier, le nom de malade; le deuxième, celui
de pica; on les observe surtout dans la boulimie qui se montre chez les
femmes enceintes, et chez les enfants à la seconde dentition; Percy a
décrit sous le nom à'omophagie {ù[xéq, cru, et tpavo, je mange), cette
dépravation du goût qui porte quelques mangeurs insatiables à se nourrir
d'aliments crus.
Les individus atteints de boulimie conservent quelquefois de l'embon-
point; on conçoit, en effet, que puisque ce trouble fonctionnel résulte de
causes très-différentes, si la lésion est légère ou si elle consiste en un
simple trouble nerveux, le corps offrira toutes les apparences de la santé.
Mais si l'affection est grave, de longue durée, on voit les individus, mal-
gré leur appétit vorace, maigrir énormément, ne présenter bientôt qu'un
véritable squelette, et succomber, non à la boulimie, mais bien à l'affec-
tion qui lui a donné naissance. En effet, dans la boulimie, en même
temps que le médecin étudie les caractères de ce trouble fonctionnel, il
constate des désordres aussi nombreux et aussi variables que le sont les
lésions dont la boulimie n'est que le symptôme.
Quelles sont donc les maladies où l'on rencontre ce phénomène mor-
bide? Ces maladies sont nombreuses ; aussi afin de les citer avec ordre et
méthode, nous les diviserons en plusieurs groupes. Dans un premier
groupe nous placerons les maladies, soit aiguës, soit chroniques, qui ont
des caractères anatomiques bien tranchés ; dans un deuxième, nous ran-
gerons les affections nerveuses, les névroses; dans un troisième, les affec-
BOULIMIE. — pathologie. 455
tions vermineuses ; eniin, dans un quatrième groupe, nous citerons
toutes les causes qui, en agissant soit directement, soit indirectement sur
l'estomac, sont susceptibles de provoquer la boulimie. Ceci étant connu,
la valeur diagnostique et pronostique, ainsi que le traitement de ce phé-
nomène morbide, seront plus faciles à établir.
Premier groupe. — Les maladies aiguës ou chroniques siégeant dans
l'estomac, telles que gastrite, cancer, s'accompagnent très-rarement, pour
ne pas dire jamais, de boulimie. Broussais, ainsi que nous le verrons, du
reste, lorsque nous nous occuperons de la nature de ce trouble fonctionnel,
pensait pourtant que la simple irritation de la muqueuse pouvait y donner
lieu. Aujourd'hui que la gastrite aiguë est peut-être un peu trop rejetée
du cadre de la nosologie, on ne constate jamais de boulimie dans cette
affection. Les affections des organes environnants peuvent parfois y donner
lieu ; ainsi le professeur Rostan cite un cas d'affection organique du foie
et du dujodenum chez un jeune médecin ayant donné lieu à de la boulimie.
Les affections chroniques de la poitrine, principalement la phthisie pul-
monaire, présentent assez souvent ce phénomène. Guersent l'a signalé
chez les enfants. Qui n'a vu chez les phthisiques un appétit vorace se
déclarer peu de jours, peu d'heures avant la mort? Les rachitiques le pré-
sentent de même; Sauvages en a fait une variété à part, qu'il a décrite
sous le nom de boulimia addephagia.
Les individus atteints d'affections cérébrales, telles que ramollissement,
hémorrhagie; ceux qui sont atteints de la paralysie générale des aliénés,
présentent parfois à un très-haut degré ce phénomène. Dans les asiles
de vieillards, à la Salpétrière, à Bicètre, on l'observe fréquemment. En
ville, de même, on le rencontre ; parfois il annonce le début de l'affec-
tion, et il se continue pendant toute la durée de la maladie.
Chez les personnes atteintes de goitre exophthalmique, le professeur
Trousseau a constaté souvent une boulimie intense. Les malades mangent
trois ou quatre fois plus que de coutume, ce qui ne les empêche pas,
dit-il, de maigrir.
Enfin nous ne devons pas oublier que la boulimie est un symptôme
presque constant du diabète.
Dans ce groupe je ferai rentrer les aliénés. Nous avons vu que dans
l'une des variétés de l'aliénation mentale, dans la paralysie générale des
aliénés, on rencontrait assez souvent ce phénomène; de même, dans les
autres variétés et principalement chez les maniaques, on voit, en certains
moments, pendant les accès, ces malheureux éprouver de la soif, du dégoût
pour les aliments, ou bien un appétit vorace, rien ne peut les rassasier.
Deuxième groupe. — Les névroses de l'estomac, la gastralgie, la dys-
pepsie, sont surtout celles où l'on rencontre le plus fréquemment la bou-
limie ; c'est encore le groupe d'affections qui le présente au plus haut
degré. Nous avons même dit que plusieurs auteurs avaient fait de ce
trouble fonctionnel une véritable maladie. Quoi qu'il en soit, la boulimie
se rencontre ici avec ses diverses variétés : elle se présente avec une in-
tensité très-variable, tantôt à peine prononcée, tantôt portée à un degré
454 BOULIMIE. — pathologie.
extrême. Elle n'est presque jamais continue; elle précède souvent les exa-
cerbations de la maladie ou annonce son invasion. Enfin elle s'accom-
pagne d'autres troubles fonctionnels, tels que le pica, la malacie.
Parmi les névroses convulsives, l'hystérie présente parfois ce phéno-
mène morbide. On sait que les fonctions digestives, chez les hystériques,
subissent presque constamment une altération ; mais rien de moins con-
stant, dit Axenfeld, que le degré d'intensité et la nature des accidents
qu'on observe. C'est ainsi qu'à côté de ces appétits voraces, on trouve
l'appétit diminué, ou bien une anorexie complète. Ce sont les hystériques
qui ont fourni ces exemples à peine croyables d'abstinence prolongée ou
de voracité extrême qu'on trouve cités dans tous les traités de physiologie
et de pathologie. Dans la classe des névroses, je citerai encore la chlorose,
rivypochondrie. Dans ces maladies, dit le professeur Monneret, les nerfs
de l'estomac sont influencés sympathiquement par l'irritation du rachis
ou de l'encéphale. Enfin, dans ce groupe, je signalerai les faits de Sar-
cone. Cet auteur, dans sa relation de l'épidémie de Naples, a vu les ma-
lades, tantôt se privant totalement d'aliments, tantôt en dévorant d'abon-
dantes quantités, peu de jours avant la manifestation du fatal symptôme
d'hvdrophobie. Je ne saurai me porter garant de ces faits. Parmi les cas
d'hydrophohie signalés, et dans un cas qu'il m'a été donné de voir en
1863, à l'hôpital des Enfants, ce trouble n'a pas existé.
De même, je ne fais que signaler les faits rapportés par J. Frank, où
il s'agit d'une lésion du nerf pneumogastrique et du plexus cœliaque,
pendant laquelle il serait survenu de la boulimie.
Troisième groupe. — Les affections vermineuses, en même temps
qu'elles sont accusées par des coliques, des pincements de ventre, sont
accompagnées de boulimie ; aussi voit-on le malade inaigrir, perdre ses
forces, et pourtant il mange au delà de l'ordinaire. Ce trouble fonctionnel se
montre surtout chez les personnes atteintes de fcenia. Dans ce moment,
il m'est donné d'observer, à la Charité, une malade présentant depuis
quelques mois un appétit vorace ; rien ne pouvait la rassasier; à chaque
instant du jour et de la nuit, elle éprouvait, suivant son dire, une fringale
qu'elle parvenait à calmer difficilement. Deux doses de kousso, de quinze
grammes chacune, sont parvenues à la débarrasser d'un tœnia solium.
Quatrième groupe. — Nous rangerons dans le quatrième groupe toutes
les causes capables d'exciter d'une manière passagère ou continue les
fonctions d'absorption intestinale, telles que : abus des épiées et d'une
alimentation stimulante, excès de boissons, abus des purgatifs drastiques.
D'après certains auteurs, l'impression du froid, en agissant sur l'enve-
loppe cutanée, la provoquerait; la faim, est plus vive, et l'assimila-
tion plus rapide en hiver qu'en été ; dans les pays froids, que dans les
pays chauds ou tempérés. Broussais a démontré, en effet, que l'énergie
fonctionnelle de l'appareil gastrique tient au refoulement des liquides de
l'extérieur à l'intérieur, en particulier dans l'estomac et le poumon. La
sensation de la faim, dit Monneret, n'est, dans ce cas, qu'un des effets
de la surexcitation de l'estomac.
BOULIMIE. DIAGNOSTIC, NATURE. 455
Enfin on a signalé le chagrin, la chasteté absolue, ou bien l'abus des plai-
sirs vénériens, comme pouvant donner lieu passagèrement à la boulimie.
Diagnostic. — Pour établir le diagnostic du symptôme de la boulimie,
c'est moins de la quantité d'aliments qu'il faut tenir compte que de Tinsa-
tiabilité, d'un sentiment d'inanition, des lipothymies, du vomissement et de
la diarrhée, tous phénomènes que nous avons vus accompagner la véritable
boulimie, et qui nous ont servi à séparer, en commençant cette étude, la
boulimie physiologique de la boulimie morbide. En effet, ie sujet atteint
de cette dernière, et offrant de tels symptômes, diffère diamétralement
du gourmand qui mange beaucoup, mais seulement pour satisfaire sa
gloutonnerie. De même il diffère de ces individus qui présentent un plus
grand appétit, soit par suite de l'ingestion de certains médicaments, soit
par suite de violents exercices, tels que l'escrime, la chasse; soit enfin
par suite de la grossesse, ou par suite de la convalescence d'une longue
maladie. La boulimie peut être confondue avec certains cas de gastrite
chronique; dans ce cas, dit Andral, le besoin de réparation se traduis par
des appétits d'une violence telle que, s'ils ne sont pas immédiatement
satisfaits, les malades tombent en défaillance. Cette fringale peut revenir
plusieurs fois par jour, et, pour l'apaiser, il suffit ordinairement que les
malades prennent peu de chose, car ce n'est pas là une véritable faim,
et dans la plupart des cas, ce besoin impérieux d'introduire quelque ali-
ment dans l'estomac, se change en un prompt dégoût.
Cette différence étant établie, l'existence de la boulimie étant parfaite-
ment constatée, sa valeur diagnostique offrira parfois un certain intérêt;
son existence éveillera l'attention du médecin sur telle ou telle affection;
mais jamais ce trouble fonctionnel ne suffira à lui seul pour permettre
d'établir un diagnostic précis; en un mot la boulimie n'est pas le carac-
tère pathognomonique de telle ou telle affection. Pour que ce phénomène
serve utilement, il faut grouper autour de lui les autres caractères de
l'affection. Par conséquent, le clinicien devra s'aider des phénomènes con-
comitants pour faire rentrer la -boulimie dans un des groupes que nous
avons mentionnés. On peut comprendre quelle en sera l'utilité pour con-
naître la valeur pronostique de ce phénomène. Suivant que la boulimie
sera sous l'influence d'une lésion, soit des organes digestifs, soit de l'en-
céphale, ou bien sera le fait d'une névrose, on comprend que la valeur
pronostique ne sera plus la même. De même si elle dépend d'une affection
vermineuse ou d'une cause extérieure. Par elle-même, la boulimie peut
offrir une certaine gravité comme pronostic. Ainsi, lorsqu'à la faim dévo-
rante se joignent des vomissements et de la diarrhée, d'autres symptômes
ne tardent pas à paraître ; il survient une hydropisie, de la lienterie et la
consomption fait périr rapidement le malade. Ces faits sont très-rares ;
la mort est plutôt le résultat de la maladie qui a donné lieu à la boulimie.
Mature. — Question bien controversée et qui n'est pas encore élucidée
de nos jours. Hunter attribuait la faim à l'action immédiate exercée sur
l'estomac par le suc gastrique. « Ne voit-on pas, dit-il, lorsqu'on a faim, la
salive être sécrétée en excès dans la bouche? N'v aurait-il pas là une
456 BOULIMIE. — traitement, bibliographie.
synergie liant la sécrétion salivaire à celle du suc gastrique? » Broussais
range la boulimie au nombre des névroses gastriques, par irritation de la
muqueuse. Barras la place sous l'influence d'une excitation nerveuse de
l'appareil digestif. « Dans les dyspepsies, dit Gendrin, la faim se mani-
feste souvent comme phénomène morbide ; tantôt elle existe à un degré
insolite; d'autrefois elle arrive sans nécessité, lorsque l'estomac vient de
recevoir des aliments. Aussi, lors même qu'on ne voudrait attribuer la
faim de l'état sain et la faim de l'état morbide qu'à une simple action
nerveuse, il est impossible de méconnaître qu'elle se lie à une modification
réelle des sécrétions du tube digestif, modification surtout prononcée dans
la boulimie qui se rattache principalement comme trouble fonctionnel
aux dyspepsies cardialgiques. Dans l'état physiologique, toutes les sécré-
tions sont vivement influencées par les impressions perçues parle système
nerveux, les sécrétions de l'estomac autant et même plus que beaucoup
d'autres; il ne serait pas surprenant, dès lors, que la même influence se
retrouvât et fût même exagérée dans l'état de maladie. » Cette explication
de la faim et de la boulimie par l'exagération des liquides gastriques, ne
me répugnerait nullement à admettre, surtout si l'on rattache cette exagé-
ration à l'action du système nerveux. De cette manière, l'explication de
tous les faits, ou de presque tous les faits de boulimie, serait aussi satis-
faisante que possible. L'éréthisme nerveux de Barras, de Monneret, l'ir-
ritation de Broussais, trouveraient même, dans ce fait physiologique, une
explication plausible.
Traitement. — D'après le point de vue où nous nous sommes placé
dans l'étude de ce phénomène morbide, on comprend que le traitement
doive peu nous occuper. En effet, il s'agit de traiter principalement l'af-
fection qui lui a donné naissance, et non le phénomène ; par conséquent
je n'ai pas à m'étendre là-dessus; toutefois la boulimie qui se montre
chez les dyspeptiques a été, de la part de nos principaux thérapeutistes,
du professeur Trousseau, entre autres, l'objet d'une thérapeutique spé-
ciale qu'il ne m'est pas permis de passer sous silence. C'est ainsi que le
célèbre professeur de clinique médicale de l'Hôtel-Dieu, dans la forme de
boulimie caractérisée par de la diarrhée survenant presque immédiate-
ment après le repas, conseille l'opium. Il prescrit de prendre avant
chaque repas, d'abord une goutte, et si celle-ci ne suffit pas, plusieurs
gouttes de laudanum de Sydenham. Il pense que, prise avant le repas,
cette petite quantité d'opium ingéré dans l'estomac avant que le travail
de la digestion ait commencé, suffit pour endormir, pour régulariser
l'excitabilité musculaire, sans endormir la sensibilité organique dont
l'exagération était cause des accidents qu'on veut arrêter. Quant aux
autres causes de boulimie, le traitement, comme je l'ai dit, devra porter
sur l'affection, et non sur le phénomène lui-même.
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L. Martineau.
BOUIjOU (lie). Voy. Amélie-les-Bains, t, II, p. 2.
BiOliUtO^ IiilUKIVIBtllI/1 - (Allier, arrondissement de
Moulins), à 539 kilomètres de Paris, à 26 de Moulins, à 180 de Lyon et
70 de Vichy. — Chemin de fer de Paris à Moulins, '515 kilomètres. De
Moulins à Bourbon -l'Archambault, route de terre, 26 kilomètres. — Alti-
tude : 270 mètres. — Température : 52" centigrades. — Eaux chlorurées
sodiques moyennes.
Deux sources : source Chaude, dont se tire la caractéristique de la sta-
tion, et source Jouas.
L'eau de la source Chaude (52°) ou chlorurée sodique, qui alimente
les appareils balnéaires de l'établissement thermal, n'est pas d'une limpi-
dité et d'une transparence complètes. Elle tient en suspension des corps
étrangers d'un assez petit volume, ressemblant à de la rouille ou plutôt à
de l'ocre , agités par le dégagement d'assez grosses bulles de gaz qui
viennent s'épanouir à sa surface. Elle est inodore lorsqu'elle est chaude,
dégage , par le refroidissement, une légère odeur d'hydrogène sulfuré.
Elle ramène au bleu lorsqu'il y séjourne un certain temps, le papier de
tournesol rougi par un acide.
Son débit, qui serait, d'après l'Annuaire, de 2,400 mètres cubes par
vingt-quatre heures, ne serait en réalité, selon Grellois, que de 1 ,100 mètres
cubes. L'eau des sources dérivées de la source mère ou puits, celle du
bassin, contient des conferves (oscillaires) qui ont été, de la part de
Grellois, l'objet d'études spéciales. Elles forment une couche verte to-
menteuse, membranoïde, qui tapisse les Grands-Puits et s'élève jusqu'au
458 BOURBON-L'ARCHAMBAULT.
niveau habituel de l'eau. L'abondance de leur production est subordonnée
à l'intensité de l'action de la lumière. Dans le bassin, la coloration verte
est tachée de gris par l'interposition d'une grande abondance de cristaux
de chaux.
Ces conferves, qui présentent au toucher un caractère d'onctuosité,
reçoivent, en cataplasmes, les mêmes applications qu'à Rourbon-Lancy.
(Voy. ce mot, page 464.)
Voici, d'après 0. Henry (1842), la composition de la source Chaude.
Gaz : Acide carbonique libre, environ l/6e du volume.
Principes fixes : 4 grammes, 557 milligrammes de minéralisation;
chlorure de sodium, 2gr,240, de calcium et de magnésium, Og!',070;
bicarbonate de chaux, 0gl',507, de magnésie, 0gr470, de soude, 0gr567;
sulfate de chaux, de soude, 0gr,220, de potasse, Ogr,011 ; bromure al-
calin, 0gr,025; silicate de chaux et d'alumine, Ogr,570, de soude,
0gr,020- crénate, 0*r,017.
Aux résultats de cette analyse, .il faut ajouter, d'après les recherches
de Boursier et de l'un des auteurs du Dictionnaire des eaux minérales, la
présence de l'iode (Ogr, 000055 par litre) et du manganèse. Grellois y nie
la présence de l'arsenic, admise par Boursier.
Analyse de la source Jonas ferrugineuse (12° centigrades). Gaz : Acide
carbonique libre, l/5e du volume. — Substances fixes : 977 milligrammes
de minéralisation ; bicarbonate de chaux, 0gr,20 1 , de magnésie, 0gr,076 ;
sulfate de soude, 0gI*,028, de chaux, 0gr,012; chlorure de sodium, de
magnésium, 0gl',100, silicate de chaux, d'alumine, 0gr,500, de soude,
0gr,020 ; carbonate et crénate de fer, 0gl',04 ; oxyde de manganèse,
traces sensibles. (O. Henry, 1842.)
Les oscillaires de la source Jonas ont été décrites par Brébisson et par
Grellois. (Sur les conferves, voy. Eaux minérales.)
L'eau de la fontaine de Jonas, dont le débit a été évalué à 2,400 litres par
24 heures (J. François), est un puissant adjuvant du traitement à Bour-
bon-l'Archambault. On l'emploie en boisson, en injections et en douches.
Les eaux de la source Chaude sont également employées en boisson, et
il est remarquable que, malgré la quantité notable de chlorure de sodium
qu'elles renferment, elles ne sont pas purgatives. Leur effet le plus ha-
bituel paraît même être la constipation. (Regnault.) Mais elles trouvent,
dans le traitement externe, leurs principales applications. On les donne
en bains de baignoire (16 cabinets), en bains de piscines (deux piscines),
en injections et en douches.
Propriété de l'État et administré en régie, l'établissement de Bourbon-
rArchamhault ne possède pas une installation en rapport avec l'impor-
tance de ses eaux. Deux piscines sont destinées aux indigents.
Bourbon-l'Archambault est un poste thermal militaire ; mais les mili-
taires qui y sont envoyés sont compris dans le service civil.
Trois groupes de maladies, les paralysies, les rhumatismes et les scro-
fules, forment le contingent principal des affections traitées à Bourbon-
l'Archambault.
BOURBON-L'ARCHAMBAULT. 459
C'est particulièrement au traitement des paralysies qu'elles doivent
leur notoriété, et, parmi celles-ci, c'est surtout sur les troubles du mouve-
ment et du sentiment d'origine encéphalique que se concentre l'iniérèt des
discussions soulevées par l'étude de cette station.
Les diverses espèces de paralysies, paraplégies, paralysies localisées
ou généralisées, portant à la fois ou isolément sur la motilité ou la sensi-
bilité, d'origine périphérique ou liées à un état général de l'organisme, du
moment qu'elles sont indépendantes de lésions organiques, de mouve-
ments inflammatoires actifs vers les centres nerveux, font essentiellement
partie du domaine de la thérapeutique énergique représentée à Bour-
bon-) 'Archambaul t .
Le mémoire de Corne contient des faits intéressants de diverses espèces
de paralysies de cette classe.
Quant aux paralysies générales liées à l'existence d'une péri-méningo-
encéphalite diffuse, il n'en saurait être question ici. (Voy. Eaux minérales
et Paralysies.)
Depuis des temps reculés, il est de tradition d'adresser à Bourbon,
comme à quelques autres eaux minérales telle que Bourbonne, Balaruc,
les malades hémiplégiques à la suite d'apoplexie.
Jusqu'à notre époque, on ne s'était peut-être pas suffisamment expliqué
sur les conditions d'énergie, d'opportunité, de chances de succès, et
même d'utilité formelle dans lesquelles devait être institué le traitement,
lorsqu'en 1856, à l'occasion d'une discussion sur le traitement des para-
lysies, portée à l'ordre du jour de la Société d'hydrologie, deux médecins
de Bourbon, Begnault et Caillât, vinrent exposer, devant ce corps savant,
leurs opinions sur ce point délicat de pratique thermale.
Formulant contre l'usage des émissions sanguines dans le traitement de
l'hémorrhagie cérébrale, une proscription déjà ancienne et reproduite à
l'heure qu'il est, avec une exagération que ne saurait trop réprouver tout
clinicien éclairé; novateur en apparence, mais continuateur en réalité,
d'une tradition qui, avec Isaac Cattier, remontait déjà à plus de deux siècles
de date et avait pour représentants J. H. Chomcl (1734), Faye (1768),
P. P. Faye (1804), Pouzaire, Farjon, Daquin, Regnault vint exprimer des
opinions qui ne laissèrent pas que de produire une certaine émotion, et
qui peuvent se résumer dans les propositions suivantes :
1° Dans les hémiplégies apoplectiques, la guérison sera d'autant plus
prompte que le malade aura été moins saigné.
2° Le traitement thermal sera d'autant plus efficace qu'il sera appliqué à
une époque plus rapprochée de l'accident.
Regnault réclamait, en outre, un traitement thermal énergique.
Tout en se séparant de son collègue sur la manière dont devait être di-
rigé le traitement, sur la nécessité de le surveiller attentivement et de
chercher à développer surtout des propriétés altérantes, un peu hypothé-
tiques peut-êlre, Caillât lui apporlait l'appui de son expérience en ce qui
touchait aux points fondamentaux de sa thèse, à savoir :
Amélioration d'autant plus prompte que la paralysie était moins an-
460 BOURBON-L'ARCHAMBAULT.
cienne et avait été combattue par des moyens moins nombreux, moins
énergiques, moins débilitants.
Aucun effet fâcheux produit par les eaux, non-seulement dans les hémi-
plégies anciennes, mais encore dans les plus récentes, datant de 30, 28 et
môme 20 jours.
Examiner l'opportunité de la saignée dans l'hémorrhagie cérébrale,
établir même une discussion complète sur le traitement hydro-thermal
des paralysies, serait dépasser les limites de cet article. Ces considérations
seront présentées aux articles Eaux minérales, IIémorrhagie, Emrolies,
Ramollissement du cerveau, Paralysies.
Ce qu'il importe de constater, en ce qui concerne la pratique de Bour-
bon, c'est qu'elle n'offre pas les dangers qu'on pourrait redouter a priori.
Il est bon, toutefois, de ne point partager la sécurité de Regnault sur les
conséquences d'une thérapeutique très-active, et de surveiller avec soin
le traitement qu'on institue généralement de la manière suivante : d'un à
quatre verres d'eau minérale par jour, en prenant la précaution d'entre-
tenir la liberté du ventre avec de l'eau de Jonas qui jouit de propriétés
laxatives, ou quelque autre eau purgative, de l'eau de Pullna, notamment ;
bains de piscine de 54° à 55°, pendant dix ou quinze minutes ; douches
sur les membres paralysés de dix minutes à une demi-heure de durée,
d'une hauteur de 2 mètres, et de 53° à 40°, ou même 45° ou 48° de tempé-
rature ; bains de jambes, le soir, dans l'eau minérale de 44° à 47°; ap-
plications d'eau froide sur la tête pendant le bain et la douche. On fait,
en outre, un large usage d'une pratique propre à quelques stations, qui
consiste dans l'application sur les extrémités de cornets, sortes de ven-
touses qui consistent en de petites cornes creuses, percées à leur extrémité
mince d'une ouverture à travers laquelle l'opérateur aspire l'air par suc-
cion.
Corne a publié sur les précautions à prendre dans l'emploi du traite-
ment thermal dirigé contre les paralysies d'origine organique, des ré-
flexions judicieuses, et qui montrent que la pratique de tous les médecins
de Bourbon-l'Archambault, est loin d'être celle de Regnault.
Le traitement de la scrofule est traditionnel à Rourbon. Il y est conduit
avec rapidité (20 ou 25 jours), à l'aide de douches et de bains à tempéra-
ture élevée. Les formes de la scrofule qui trouvent ici des applications
utiles sont spécialement la scrofule des glandes, du tissu cellulaire et des
os. Lorsqu'il existe des plaies ou des fistules dont le traitement local exige
des ménagements particuliers, on se sert des douches dans le bain, con-
nues à Rourbon sous le nom de sous-marines.
L'eau de la source Jonas jouit d'une grande réputation contre les
ophthalmies chroniques qui sont si souvent d'origine scrofuleuse. Elle
est employée sous forme de douches. Regnault nous fournit quelques
renseignements sur la manière dont elles sont données. L'appareil
qui sert à les administrer se compose d'une espèce d'entonnoir sou-
tenu verticalement par un support horizontal qui se fixe au mur par
des pitons convenablement dirigés. Dans le goulot, l'eau ne s'échappe
BOUBBON-L'ARCHAMBAULT. 461
que par gouttes grosses et bien formées. On modifie l'intervalle qui
sépare la chute de chaque goutte en comprimant plus ou moins l'é-
ponge dans le tube de l'entonnoir. Le malade assis dans un fauteuil dont
le dos est disposé pour offrir un point d'appui commode à la partie pos-
térieure de la tète, présente successivement chaque œil à la chute de la
goutte pendant un temps qui varie de cinq à vingt-cinq minutes. Il est in-
téressant de rapprocher cette pratique et les résultats qu'elle fournit des
effets obtenus par Tillot par la pulvérisation de l'eau de Saint-Christau
dirigée dans l'œil, de ceux de Chassaignac, avec les douches oculaires
données avec de l'eau simple, et on peut se demander quelle part il y a
probablement à faire au procédé hydrothérapique, considéré en lui-même,
abstraction faite de la composition de l'eau.
Quant aux guérisons d'amauroses obtenues par l'action de la source
Jonas, et annoncées avec tant d'éclat, nous ne nous considérons pas
comme édifié sur ce point et nous partageons, à cet égard, la réserve de
Grellois.
Le rhumatisme musculaire opiniâtre, lombago, torticolis, le rhumatisme
articulaire à forme fixe, avec engorgements péri-articulaires, ou épanche-
ments synoviaux, trouvent dans des eaux puissantes par leur minéralisa-
tion et leur température, comme celle de Bourbon-l'Archambault, une
médication d'autant mieux appropriée que le rhumatisme s'est développé
chez des individus lymphatiques ou scrofuleux. Regnault range également
parmi les affections avantageusement trailées près de cette station le rhu-
matisme goutteux, dénomination par laquelle il faut entendre le rhuma-
tisme noueux. Nous ne doutons pas qu'on n'y obtienne, en effet, des
succès contre cette affection rebelle. Mais nous ne saurions trop rappeler
quelle susceptibilité on observe chez un grand nombre de sujets atteints
de rhumatisme noueux, et la difficulté, l'impossibilité même devant les-
quelles on vient souvent se heurter pour leur faire supporter des eaux
très-minéralisées. {Voy. Eaux minérales et Rhumatisme noueux.)
Regnault parle encore des bons effets des eaux de Bourbon dans la
goutte, l'ascite, l'hydropisie enkystée des ovaires, les affections convul-
sives rebelles, les maladies chroniques des viscères abdominaux. Faye
avait mentionné bien d'autres états morbides encore. Mais il ne faut pas
confondre des applications accidentelles et accidentellement heureuses
avec le champ réel des applications spéciales des eaux de Bourbon. (Dictlon-
tionnaire des eaux minérales.)
Quelques auteurs rattachent à l'histoire des sources de Bourbon-l'Ar-
chambault, celle des sources Saint-Pardoux et de la Trollière, situées
l'une et l'autre dans le département de l'Allier, dans la même commune,
(arrondissement de Montluçon), à 12 kilomètres sud-est de Bourbon-l'Ar-
chambault, et administrées par la régie de rétablissement thermal de
cette ville.
Ces deux sources n'ont, du reste, jusqu'à ce jour, qu'un intérêt pure-
ment local. On en transporte l'eau et on l'emploie à Bourbon comme ad-
juvant de la cure thermale, à titre d'eau digestive, d'eau de table, comme
462 BOURBON-LANCÏ.
de l'eau de Saint-Galmier, de Chateldon, de Saint-Alban ou de Bussang.
L'eau de Saint-Pardoux qui seule a été analysée par 0. Henry, est, en
effet, une eau bicarbonatée, gazeuse, ferrugineuse.
Sur 1 gramme 184 milligrammes de minéralisation, elle contient:
7/6 du volume d'acide carbonique libre; (F 02 de carbonates de chaux et
de magnésie, 0gr 02 de carbonate de soude et 0gr 02 de crénate de fer.
Pâtissier, Manuel des Eaux minérales, art. Bourbon-l'Archambault (Indications bibliographiques,
1837).
Regnault, Précis sur les eaux de Bourlion-l'Archambault. Moulins, 1842. — Note sur l'effet des
eaux de Bourbon-l'Archambault, appliquées au début des hémiplégies apoplectiques (Annales
delà Soc. d'hydrol., t. II, 1855-1856).
Caillât, Notes sur le traitement des paralysies par les eaux de Bourbon-l'Archambault (Ibid.,
p. 83-91 et 156-158).
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bert-d'IIercourt, V. Boullay, Dufresse de Chassaigne, Sandras, Moutard-Martin : Discussion
sur le traitement des paralysies (Ibid).
Rotureau (Armand), Eaux minérales de l'Europe (France), art. Bourbon-l'Archambault. 1859.
Durand-Fardel, Le Bret, Lefort (J.) et François (J.) : Dictionnaire des Eaux minérales, art.
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Durand-Fardel, Billout : Traitement du rhumatisme (Annales de la Soce'té d'hydrol., t. VII,
1860-1861).
Grellois, Etudes sur les oscillaires de Bourbon-l'Archambault (Annales de la Soc. dlujdrol.,
t. VI, p. 332-543, 1859-1860). — Études sur les Eaux minérales de Bourbon-l'Archambault.
Paris, 1860.
Verjon, Rapport sur un travail de M. Périer, inspecteur des eaux de Bourbon-l'Archambault,
intitulé : Observations d 'hémiplégies cérébrales recueillies à l'établissement et à l'hôpital
thermal de Bourbon-l'Archambault en 1861 et en 1862 (Annales de la Soc. d'hydrol., t. IX
1862-1863 : Indications bibliographiques) .
Corne (H te), Études sur les Eaux thermales de Bourbon-l'Archambault. Observations de névro-
ses et de paralysies réflexes. Paris, 1864.
Tillot, De la pulvérisation aux eaux de Saint-Christau, principalement dans les ophthalmies
chroniques (Annales de la Soc. d'hydrol., t. XI, 1864-1865).
L. Desnos.
BOVRBON-LA]lTC¥, chef-lieu de canton (arrond. de Charolles,
Saône-et-Loire). — Chemin de fer de Paris à Moulins, 313 kilomètres.
De Moulins à Bourbon-Lancy, route de terre, 56 kilomètres. — Tempéra-
ture de 54° à 28° centigrades. — D'une minéralisation peu puissante, les
eaux de Bourbon-Lancy doivent, à cause de la prédominance du chlorure
de sodium dans leur composition, trouver place parmi les chlorurées so~
diques faibles.
Six sources, Descure, 54°, 5; la Pleine, 54°, 5; Marguerite, 49°; Saint*
Léger, 50°; Limbe, 56°; la Rose, 28°, alimentent l'établissement thermal.
Il faut ajouter aux précédentes la source Innommée, 46°, qui n'est pas
utilisée. (Rotureau.)
Les docteurs Tellier et Laporte (1858) ont donné l'analyse suivante,
d'une des principales sources, la source Descure, dont la composition ne
présente pas avec celle des autres sources, de différences importantes :
Substances fixes, 2 grammes 27 centigrammes de minéralisation par
litre; chlorure de sodium, lgr,30, de calcium, 0gr,05, de magnésium,
0gr,40; sulfate de soude, Orr,25, de chaux, 0gr,02; carbonate de chaux,
BOURBON-LANCY. 465
0gr,06, de magnésie, 0gl',15, silice, O«r,02, oxyde de 1er, 0«r,02, iodure
de sodium et arsenic, traces.
A ces résultats obtenus par Tellier et Laporte, il faut ajouter l'existence
de l'acide carbonique libre, qui se dégage de plusieurs sources. (Berthier.)
et de la potasse, que ce chimiste a également démontrée. La réaction de
la fontaine Descure est acide.
Les bassins qui reçoivent les eaux de diverses sources et notamment
de celle de. Descure sont tapissés de conferves vertes, formant de petits
mamelons élevés de 2 ou 5 centimètres, distants les uns des autres de 4 ou
5 centimètres, et partant tous d'une couche commune de 1 centimètre
d'épaisseur environ. (Rotureau.)
« L'incinération de ces conferves du genre osciîlaire, variété utricu-
lée, qui flottent, en larges flocons, à la surface de l'eau, a donné des
traces évidentes d'iodure de sodium.
« L'appareil de Marsch démontre aussi, dans ces conferves, l'existence
de l'arsenic, mais en quantité si faible, qu'il n'a pu être dosé. » (Tellier
et Laporte.)
Les conferves, à Bourbon-Lancy, comme dans plusieurs stations ther-
males, trouvent, dans un certain nombre de cas, leur application à titre
de topiques.
Les eaux de Bourbon-Lancy sont employées en boisson, en bains et en
douches. 24 cabinets de bains et le cabinet de grande douche, dont
l'installation laisse à désirer, une piscine, représentent l'appareil hydro-
balnéaire de cette station.
La piscine, qui n'a pas moins de 17 mètres 50 centimètres de longueur,
sur 9 mètres 45 centimètres de largeur et 1 mètre 36 centimètres de
profondeur, mérite de fixer l'attention par ses dimensions, par l'abon-
dance du courant continu qui l'alimente, et elle peut offrir dans un cer-
tain nombre de circonstances de précieuses ressources hydro-théra-
piques.
Légèrement diurétiques, diaphoniques, déterminant, par leur usage
tant interne qu'externe, le phénomène de la poussée (voy. Eaux miné-
rales), pouvant même produire des phénomènes d'excitation qui peuvent
être portés jusqu'à l'état fébrile, les eaux de Bourbon-Lancy représentent
cependant, d'une manière générale, une médication qui n'est pas d'ordi-
naire l'apanage des eaux très-actives.
C'est ainsi que si on les recommande dans le rhumatisme, jusqu'à les
présenter même comme un spécifique de cette maladie (Reyrolle), il
faut reconnaître que leur spécialisation s'adresse plus particulièrement au
rhumatisme (articulaire), actuellement douloureux, ou dans lequel les
accidents aigus reparaissent volontiers sous l'influence du traitement
thermal. L'état nerveux qui accompagne cette forme de rhumatisme en
rend le traitement difficile à instituer. Il arrive souvent que des eaux
très-actives, comme celles d'Aix, en Savoie, ne sont pas supportées. Les
eaux de Bourbon-Lancy, qui font partie d'un groupe d'eaux, telles que Néris
Plombières, Bains, d'une minéralisation faible, souvent indécise et beau-
464 BOURBON-LANCY.
coup mieux tolérées dans les cas de cette nature, peuvent rendre des ser-
vices considérables à la thérapeutique.
Elles réussissent également contre le rhumatisme primitivement chro-
nique avec déformation des jointures, ou rhumatisme noueux. Bien que
celui-ci réclame, en certains cas, des eaux très-actives, fortement miné-
ralisées ; souvent aussi il s'offre sous une forme irritable qui oblige à re-
courir au groupe d'eaux minérales auquel nous venons de faire allusion.
Le rhumatisme musculaire ancien et fixe résiste longtemps aux eaux
de Bourbon-Lancy. (Dictionnaire des eaux minérales.)
Les névralgies crurales, et surtout les névralgies sciatiques, qui relèvent
souvent du rhumatisme, paraissent y trouver, comme à Néris, une médi-
cation efficace.
Les rhumatismes viscéraux, surtout ceux qui portent sur l'estomac ou
les intestins, sont avantageusement traités dans cette station thermale.
L'eau de la source Descure, à cause de ses propriétés laxatives, doit être
de préférence prescrite à l'intérieur lorsqu'il s'agit d'obtenir des selles et
de ramener l'intestin à des fonctions régulières.
Différentes manifestations de la scrofule, écrouelles, ulcères strumeux,
affections du périoste et des os, ressortissent aux eaux de Bourbon-
Lancy. Pâtissier les recommande principalement dans les formes subai-
guës, éréthiques de cette diathèse. L'usage interne de l'eau de la source
Saint-Léger, combiné avec celui des bains et des douches, est surtout usité
dans les engorgements des ganglions lymphatiques, indolents ou abcédés.
La même eau en boisson, les bains d'eau courante, les douches et les
cataplasmes résolutifs faits avec les conferves des sources, sont les
moyens qu'on oppose avantageusement, aux hydarthroses, aux tumeurs
blanches, aux caries et aux nécroses osseuses.
Les moyens externes conviennent également dans les blessures par
armes de guerre, dans les suites de luxations, d'entorses, de fractures,
alors que celles-ci ne sont pas ou sont mal consolidées, et même qu'elles
sont récentes. (Tellier, cité par Rotureau.)
Bien que faiblement minéralisées et qu'offrant des ressources hydro-
thérapiques qui peuvent être utiles dans le traitement des accidenls
névropathiques, les eaux de Bourbon-Lancy ne méritent pas cependant
d'être placées dans le traitement de ces maladies, sur un rang aussi élevé
que celles de Néris, de Bains, de Luxeuil, de Plombières, par exemple.
L'établissement de Bourbon-Lancy appartient à l'administration des
hospices de cette ville, et l'hôpital possède des installations balnéaires
particulières.
DuFouB,Note sur les eaux de Bourbon-Lancy [Conipt. rend, des travaux de la Soc. des Se. de
Mâcon, 1823).
Puvis, Note sur les eaux de Bourbon-Lancy [ibid., 1825).
Berthier, Analyse des eaux de Bourbon-Lancy [Annales de chimie et de physique. t. XXXVI,
p. '28D).
Pâtissier, Manuel des eaux minérales : Indications bibliographiques-, 1857. — Traitement de la
scrofule [Annales de la Société d'hydrologie médicale de Paris, t. V, 1858-1859).
Reyf-olle, Notice sur les eaux de Bourbon-Lancy. Lyon, 1849.
BOURBONNE-LES-BAÎNS. 465
Roti'read (Armand), Principales eaux minérales de l'Europe (France). 1859.
Durand-Faroel, Le Bret, Lefort el François {L), Dictionnaire des Eaux minérales, art.
Bourbon-Lancy, t. I. 18G0.
L. Desnos.
BOURBORnSTE-IjES-BAINS. — Haute- Marne , arrondissement
de Langres, à 544 kilomètres de Paris, à 50 de Langres, 60 de Nancy et
de Besançon. — Chemin de fer de Paris à la Ferté-Bourbonne (ligne de
l'Est, section de Mulhouse), 528 kilomètres ; de la Ferté à Bourbonne, route
de terre, 16 kilomètres. — Altitude : 504 mètres. — Température de 50°
à 58°, 75 centigrades. — Eaux chlorurées sodiques fortes.
Trois sources : la fontaine de la Place ou fontaine Chaude, 58°75 cen-
tigrades, alimentant la buvette ; la fontaine des Bains civils ou du Puisard,
57°, 50; celle de Y Hôpital militaire, 50°.
Analyse de la fontaine Chaude ou de la Place (Mialhe et Figuier, 1848) :
Gaz: Acide carbonique, 18; oxygène, 4,51; azote, 77,49. Substances
fixes : 7 grammes, 546 milligrammes de minéralisation par litre ; chlorure
de sodium, 5gr,785, de magnésium , 0gr,592; carbonate de chaux ,
0gr,108; sulfate de chaux , 0gr,899, de potasse , 0gr149 ; bromure de so-
dium, 0B'065 ; silicate de soude, 0f,120,; alumine, 0gl',050.
Chevalier a trouvé de l'arsenic dans le produit d'évaporation de
50 litres. Athénas a trouvé 0gr,051 d'oxyde de 1er par litre.
Aux substances susénoncés, il faut ajouter du cuivre (Tamisicr et
Béchamp) du manganèse (Drouot, Pressoir), de la litliine, de la stron-
tiane, du caesium et du rubidium, dont Grandeau a découvert l'existence
dans l'eau de Bourbonne, par l'analyse spectrale. Un litre contient 0gr052
de chlorure de caesium et 0gr,019 de chlorure de rubidium.
L'eau de Bourbonne est employée en boisson, en bains, en douches de
toutes directions et avec des ajutages variés, en étuves, en fomentations
dans les affections articulaires.
La boue grasse et noire, d'une odeur assez désagréable, qui se dépose à
la longue au fond des puisards, est appliquée topiquement en guise de
cataplasmes.
Bougard a insisté sur ce fait que l'eau de Bourbonne, chaude de 40°
à 50° centigrade, non-seulement ne purge pas, mais amène de la consti-
pation, tandis que refroidie, à une température moyenne de 18° cen-
tigrade, elle est laxative. Trois ou quatre verres de cette eau, pris le
matin à jeun à cette température, à dix minutes d'intervalle, procurent
une purgation légère, qui peut être continuée assez longtemps sans causer
d'accidents du côté des voies digestives.
La médication externe est celle qui a reçu le plus de développement
près de cette station.
L'établissement thermal considérable, mais dont l'installation laisse
beaucoup à désirer, propriété de l'Etat et administré en régie, renferme
soixante-neuf baignoires, deux grandes piscines dans lesquelles trente-six
personnes peuvent se baigner à la fois, et quatre piscines plus petites
NOUV. WCT. MÉD. ET CUIR. V. — 30
466 BOURBONNE-LES-BAINS.
pouvant recevoir chacune vingt personnes. Les cabinets de douches sont
au nombre de sept.
L'hôpital thermal militaire très-important possède, au contraire, une
installation fort bien entendue. Il peut recevoir cent officiers et trois
cents soldats. Outre un système de douche complet, on y compte cin-
quante-quatre baignoires et deux piscines pour les sous-oiïîciers et sol-
dats. Quelques baignoires sont consacrées aux bains sulfureux.
La cure à Bourbonne développe, quelquefois, au bout de deux à six
jours, en général, une fièvre thermale, tantôt assez légère pour passer
inaperçue, d'autrefois fort intense, avec embarras gastrique. La sus-
pension momentanée du traitement, la diète et les boissons délayantes,
quelques purgatifs suffisent, d'ordinaire, pour en faire justice.
L'exaspération des douleurs chez les rhumatisants et les névralgiques,
phénomène d'excitation du même ordre que la fièvre thermale, peut
apparaître à toutes les époques du traitement.
La poussée caractérisée par un exanthème rubéoliforme, pouvant
siéger sur toutes les parties du corps, mais principalement aux membres
et à la poitrine, est un résultat plus exceptionnel du traitement.
Les indications thérapeutiques des eaux de Bourbonne sont à peu de
chose près, les mêmes que celles des eaux de Bourbon-l'Archambault
dont elles représentent également, mais par une minéralisation plus
puissante, la composition chimique. Aussi renvoyons-nous relativement
au traitement par les eaux de Bourbonne, du rhumatisme, des para-
lysies, de la scrofule, des plaies, des suites de blessures par armes de
guerre, à ce que nous venons de dire à l'article Bourbon-l'Archambault.
Quelques observations doivent, toutefois, trouver place ici. Les unes
ont trait à la thérapeutique des paralysies de cause organique, et surtout
des paralysies d'origine cérébrale ; les autres sont afférentes au traitement
de la scrofule à Bourbonne.
Il est intéressant, en effet, de faire remarquer la distance qui sépare
la pratique des médecins de Bourbonne de celle des médecins de Bourbon-
l'Archambault, en ce qui concerne la manière dont doivent être dirigés
les hémiplégiques pendant l'usage des eaux. Tandis que les médecins de
Bourbon ou, tout au moins, un certain nombre d'entre eux à la tète
desquels figurait Regnault, poussent à une médication énergique, nous
voyons les médecins de Bourbonne conseiller leurs eaux avec beaucoup
de circonspection, redouter les mouvements congestifs vers les centres
nerveux. Loin de réclamer les paralytiques dès le début de la maladie,
ils désirent attendre qu'une première période pleine de périls soit
dépassée.
Plus les sujets sont jeunes et sanguins, dit Renard, plus on doit se
tenir en garde contre l'action excitante de l'eau de Bourbonne, à l'inté-
rieur surtout. Les bains à douce température, peu prolongés peuvent
être considérés comme une préparation utile à l'action de la douche qui est
ici la forme la plus efficace de l'administration de ces eaux. Le malade
la reçoit tantôt couché sur un lit de sangle, et tantôt assis; ce dernier
B0URBONNE-LES-BAINS. 467
mode est préféré, dans le cas où la tendance à un raptus sanguin vers
le cerveau paraîtrait encore à craindre. On n'emploie même souvent que
les bains de siège et les demi-bains ; et l'on fait un usage fréquent de
laxatifs.
Le traitement de la scrofule est loin d'avoir reçu, près de Bourbonne,
le développement que mérite l'efficacité de ses sources contre cette dia-
tbèse. Bougard, a revendiqué, à juste titre, cette spécialisation pour ces
eaux chlorurées sodiques puissantes, et nous ne doutons pas que l'ad-
jonction au traitement actuellement en usage à Bourbonne, de l'emploi
des eaux mères des salines, et de bains à l'eau courante, ne permît à cette
station de rivaliser à ce point de vue avec les eaux renommées de l'Alle-
magne.
L'application des eaux de Bourbonne aux dermatoses, ne s'étend pas
au delà du cercle des scrofulides.
Bourbonne est en possession d'une antique réputation dans le traitement
des accidents consécutifs aux fractures, tels que l'empâtement et le gonfle-
ment des tissus au niveau de la solution de continuité ; l'œdème si fré-
quent et parfois si tenace; l'atrophie du membre provenant soit d'une
longue suppuration, soit d'une compression trop forte de l'appareil ou
d'une suppuration prolongée; l'engorgement et la roideur des articula-
tions; la contracture, la rétraction des muscles et des tendons ; la gêne,
la difficulté et la faiblesse du mouvement; les douleurs plus ou moins
vives, tantôt sourdes, tantôt aiguës, rémittentes ou intermittentes, subis-
sant l'influence des variations de la température atmosphérique.
Depuis longtemps aussi sur de simples assertions, de Baudry (1736), de
Magistel (1828), lesquelles ne reposaient pas sur des observations précises,
l'opinion s'est répandue parmi les médecins qu'il ne faut adresser que
tardivement à Bourbonne, les blessés atteints de fractures, dans la crainte
de voir l'action des eaux provoquer le ramollissement du cal, et c'est sous
l'empire de cette opinion qu'une circulaire ministérielle, en date du
6 mars 1857, et provoquée par une décision du Conseil de santé des ar-
mées, prescrivait de n'envoyer aux eaux aucune fracture avant que dix-
huit mois se fussent écoulés depuis l'accident.
Depuis cette époque cette manière de voir a été soumise à l'examen et
au contrôle des faits, elle a occupé la Société d'hydrologie, elle a été par-
ticulièrement étudiée par les médecins militaires de Bourbonne, par
Cabrol, par Patézon. Il résulte de ces recherches que si quelques faits
exceptionnels observés, soit à Bourbonne, soit près d'autres stations ther-
males, de Baréges, par exemple (Duplan), militent en faveur de ceux qui
professent le danger du ramollissement du cal par l'action des eaux, l'en-
semble des faits dépose, au contraire, contre leur opinion. Il montre que,
si la question n'est pas complètement résolue et appelle de nouvelles recher-
ches, les périls d'un traitement hàtif ont tout au moins été singulièrement
exagérés, et que la décision du Conseil de santé n'a peut être pas été
suffisamment fondée, dans un ordre de faits, où la temporisation est loin
d'être toujours exempte d'inconvénients.
468 BOURBONNE-LES-BAINS.
Magistel, lui-même, appliquait le traitement de Bourbonne cinq ou six
mois après l'accident.
Il résulte de la statistique de Patézon que, sur 89 fractures traitées à
Bourbonne et ayant de six à douze mois de date, on a obteuu 24 guéri-
sons, 48 améliorations. 15 fois les résultats ont été nuls, et il y a eu
2 aggravations. S'appuyant sur ces chiffres, Patézon conseille d'envoyer
les blessés aux eaux de quatre mois et demi à cinq mois à partir de l'acci-
dent, en faisant toutefois des réserves : 1° sur les fractures par projectiles
de guerre; 2° sur celles où un levain d'activité inflammatoire existerait
encore dans le foyer de la lésion ; 5° sur celles enfin où un état diathé-
sique du malade serait susceptible de retarder la consolidation.
(Voyez, en outre, les articles Cal, Eaux minérales et Fractures.)
Fodéré, Mémoire sur les eaux de Bourbonne-les-Bains (Journal compl. du Dictionnaire des
sciences médicales, Paris 182G).
Magistel, Essai sur les Eaux minérales de Bourbonne-les-Bains (Paris, 1828).
Chenu, Essai sur les eaux minérales en général, suivi de quelques considérations sur celles
de Bourbonne (Thèse de Strasbourg 1855).
Bastien et Chevallier, Essai sur les eaux minérales thermales de Bourbonne-les-Bains (Journal
de chimie, de pharmacie et de toxicologie, 1854).
Magnin, Les eaux thermales de Bourbonne-les-Bains (Paris, 184 i).
Duplan, Mémoires sur l'emploi des eaux naturelles de Baréges dans le traitement des maladies des
os, (Mém. de méd. chirurg. etpharm. milit., t. V, 2e série, 1850).
Mathieu. Des eaux thermales de Bourbonne. (Thèse de Paris, 1655).
Renaud, Note sur l'emploi des eaux thermales de Bourbonne, dans les cas de paralysie [Annales
de la Soc. d'hydrologie médic. de Paris, t. II, 1855-1856).
Villaret, Note sur le traitement des paralysies à Bourbonne-les-Bains [ibidem).
Bougard, Les eaux de Bourbonne (Thèse de Paris, 1857). — Bibliographie de Bourbonne. —
Les eaux salées chaudes de Bourbonne-les-Bains (Paris, 1865). — Le calorique des eaux
thermales, son importance. — De l'action purgative des eaux de Bourbonne (Ann. de la
Soc. d'hydrol. méd. de Paris, t. X, 1865-1864).
Dutroulau, Rapport sur un travail adressé par M. le docteur Cabrol, médecin en chef de l'hô-
pital thermal de Bourbonne, sous le titre suivant : Rapport médical de l'hôpital de Bourbonne,
année 1855-1856, ibidem, t. IV, 1857-1858.
Tamisier, Des fractures de la rotule (Thèse de Paris 1858).
Henry, Clinique et thérapeutique thermo-minérales de l'hôpital militaire de Bourbonne (Divi-
sion de M. Cabrol, Mirecourt, 1858).
Cabrol et Tamisier, Eaux tbermo-minérales chlorurées sodiques de Bourbonne-les- Bains
(1858).
Rotureau, Rapport sur un mémoire de M. le docteur Bougard, intitulé: Les scrofuleux à Bour-
bonne-les-Bains (Ann. de la Soc. d'hydrologie méd. de Paris, t. V, 1858-1859).
Dutroulau, Rapport sur un mémoire de M. Patézon intitulé: A quelle époque faut-il envoyer
les fractures aux eaux de Bourbonne? (Ibidem.)
Drouot, Pressoir, Revue d'hydrologie médicale française et étrangère (juillet et octobre 1860).
Bompard (ibid. août 1860).
Renard (Emile), Des eaux thermo-minérales chlorurées sodiques de Bourbonne-les-Bains, 1860.
Durand-Fardel, Le Bret, Lefort et François (Jules), Dictionnaire des eaux minérales, articles
Bourdonne et Cal. t. I, 1860.
Grandeau, Des applications de l'analyse spectrale à l'hydrologie (Ann. de la Soc. d'hydrologie
méd. de Paris, t. VIII, 1861-1862). — Recherches sur la présence du rubidium et du caesium,
dans les eaux naturelles, les minéraux, etc. (Ann. de chimie et de physique, tome LXV.II.
Paris, 1865). (Voyez la bibliographie de l'article Bourbon-l'Archambault.)
L. Desnos.
BOURBOULE (la). 409
BOlTKBOfJIiE (La) (Puy-de-Dôme, arrondissement de Clcrmont-
Ferrand), à 7 kil. du Mont-Dore et à 50 kil. de Clermont. — Chemin de
fer de Paris à Lyon et à la Méditerrannée (ligne du Bourbonnais), de
Paris à Clermont, 400 kil.; de Clermont à la Bourboule, service de mes-
sageries, 50 kil. — Altitude, 846 mètres.
Eaux chlorurées sodiques, bicarbonatées gazeuses et arsenicales. —
Température de 25 à 52', 5 centigrades.
Les eaux de la Bourboule, déjà analysées par Lecoq (1828), et par
Thénard, qui y avait découvert et dosé l'arsenic (1854), ont été plus ré-
cemment étudiées, au point de vue chimique, par Lefort, au nom de la
Société d'hydrologie (1862). Ce chimiste a assigné la composition sui-
vante à l'une des sources principales, celle du Bagnassou, très-peu dif-
férente, d'ailleurs, de toutes les autres :
Gaz : acide carbonique libre, 88 centigrammes.
Sels, 6 grammes 10 centigrammes; chlorure de sodium, 5 grammes
20 centigrammes; chlorures de potassium, de magnésium, de lithium,
de caesium et de rubidium, 26 centigrammes; bicarbonate de soude,
2 grammes ; bicarbonates de chaux, de fer, do manganèse et d'ammo-
niaque, 20 centigrammes; sulfate de soude, 28 centigrammes; arsé-
niate de soude, 15 centigrammes; acide silicique, 10 centigrammes;
alumine, 2 centigrammes; phosphate de soude, iodure et bromure de
sodium, indices; matière organique bitumineuse, traces.
Trois caractères principaux concentrent un intérêt particulier sur les
eaux de la Bourboule : leur haute thermalité, leur riche minéralisation
et la nature des substances qu'elles renferment.
La température des eaux, au moment où elles jaillissent du sol, est,
dans presque toutes les sources, supérieure à la température moyenne
des bains ordinaires ; et dans la source la plus importante, elle s'élève au
chiffre considérable de 50°. Aussi peut-on obtenir une action excitante
énergique, qu'il est d'ailleurs facile de tempérer à volonté, soit par le
mélange avec l'eau des sources moins chaudes, soit par l'exposition à
l'air libre.
Les eaux sont également pourvues d'une grande quantité de principes
minéralisateurs : 6 grammes 10 centigrammes de sels par litre consti-
tuent une puissante minéralisation, si Ton a égard à la nature des sub-
stances qui la composent.
Quant à leur constitution chimique, elle est très-remarquable. La
grande quantité de chlorures que renferment les eaux de la Bourboule,
les a fait ranger parmi les eaux chlorurées sodiques fortes; et en elfet,
sous ce rapport, elles peuvent être mises en parallèle avec nos meilleures
sources chlorurées. En outre, la proportion de bicarbonate de soude
qu'elles contiennent en fait des eaux alcalines encore assez puissantes.
Mais ce qui doit surtout fixer l'attention, c'est l'énorme quantité d'arse-
nic ou de sels arsenicaux qu'on y trouve : relativement à ce principe mi-
néralisateur important, aucune autre eau minérale ne peut leur être com-
parée, pas même celle du Mont-Dore, qui en renferme quinze fois
470 BOURBOULE (la).
moins, ni celle d'Hammam-Meskoutin, qui en contient moins encore. Si
l'on prend en considération l'action puissante de l'arsenic, peut-être
faudrait-il considérer les eaux de la Bourboule comme avant tout arse-
nicales.
Quelques auteurs ont même mis en doute la proportion d'arsenic ré-
vélée par les analyses chimiques (Réveil), en disant que, dans ces préten-
dues conditions, l'eau de la Bourboulc devrait être toxique, même à une
dose relativement peu élevée. Cependant, la pratique démontre que l'u-
sage des eaux n'a jamais été suivi d'empoisonnement; ce qui tient sans
doute, soit à l'état sous lequel se trouve l'arsenic, soit à la présence des
autres substances qui peuvent en détourner les effets nuisibles.
L'application usuelle des eaux de la Bourboule se trouve parfai-
tement en rapport avec leur constitution; nous trouvons, en effet, que
c'est dans la scrofule, le rhumatisme et les suites de fièvres intermit-
tentes, qu'elles sont surtout administrées ; ce qui concorde avec ieurs
qualités d'eaux chlorurées sodiques, d'eaux à température élevée et
d'eaux arsenicales. (Durand-Fardeî.) Ces eaux, se trouvant d'ailleurs très-
notablement bicarbonatées sodiques, conviennent dans des cas où le
trouble des fonctions digestives, ou l'état dyspeptique, réclament une at-
tention spéciale.
L'emploi avantageux des eaux de la Bourboule dans le traitement de
la scrofule est un des plus anciennement connus et des mieux établis.
Bertrand (du Mont-Dore) proclame leur supériorité dans les termes sui-
vants : « Quant aux affections strumeuses, quels qu'en soient le siège, la
forme, et jusqu'à un certain point le degré d'intensité, je ne crois pas,
telle est du moins ma conviction, que nulles eaux minérales, jusqu'à
présent connues, puissent le disputer à celles de la Bourboule. »
Peyronnel, médecin inspecteur des eaux de la Bourboule, a montré
l'efficacité remarquable de ces eaux dans les formes graves et avancées de
la scrofule. Il a cité des observations d'adénites cervicales énormes, de
vastes caries osseuses, d'ophthalmies rebelles et de mal vertébral de Pott,
qui avaient été guéris ou très-heureusement modifiés par leur emploi.
intus et extra.
Dans le rhumatisme, les eaux qui nous occupent sont encore très-net-
tement indiquées, en raison de leur haute température et de leur com-
position chimique. Elles sont particulièrement applicables aux rhuma-
tismes accompagnés d'engorgements articulaires ; en même temps que
leur action reconstituante et stimulante les rend très-efficaces contre le
lymphatisme et l'atonie générale dont dépend souvent la chronicité de
ces engorgements.
Les succès obtenus par Noël Gueneau de Mussy, au moyen du traite-
ment arsenical et salin, dans une des formes les plus tenaces et les plus
chroniques du rhumatisme, dans le rhumatisme noueux, ne semblent-ils
pas indiquer encore les eaux de la Bourboule, et faire heureusement pré-
sager de leur eflicacité dans cette variété du rhumatisme?
Depuis très-longtemps, on a appliqué aussi ces eaux au traitement des
BOURBOULE (la). 471
fièvres intermittentes ; les résultats heureux qu'on en obtient sont dus
sans doute à l'arsenic qu'elles renferment. Aujourd'hui, elles sont moins
employées dans cette affection, que l'on traite plus facilement par le sul-
fate de quinine. Peut être auraient-elles une action utile dans la cachexie
paludéenne invétérée.
Enfin, la présence de l'arsenic en très-grande quantité semble indi-
quer spécialement la Bourboule dans quelques maladies où le traitement
par les composés arsenicaux artificiels jouit d'une grande efficacité.
Ainsi, sans parler du rhumatisme noueux, certaines dermatoses, les né-
vralgies surtout périodiques, plusieurs névroses, et en particulier la cho-
rée, doivent y trouver un très-puissant modificateur. Quelques observa-
tions, déjà faites dans ce sens, justifient cette opinion.
La situation de la Bourboule est digne de remarque, non-seule-
ment au point de vue pittoresque, mais encore au point de vue clima-
tologique. Bien qu'à une élévation considérable, 200 mètres seulement
au-dessous du Mont-Dore, cette station thermale, abritée de toutes parts
par des montagnes, et en particulier, au nord, par une sorte de mu-
raille granitique d'où sortent immédiatement les sources, se trouve
exposée au midi; aussi, jouissant d'un climat presque exceptionnel dans
ces régions élevées, le séjour peut y être prolongé pendant plus de trois
mois, du mois de juin au mois de septembre, tandis qu'à une heure
à peine de distance, le Mont-Dore ne peut être fréquenté que pendant sept
ou huit semaines. (Dictionn. des eaux minérales.)
L'établissement est alimenté par cinq sources principales :
1° Le Grand bain, la plus chaude des sources (50°), celle qui fournit
la majeure partie de l'eau chaude pour les bains et les douches.
2° Le Baynassou, que nous avons pris pour type de la composition
minérale, a précisément la température moyenne des bains (56°).
5° La source des Fièvres, dont le débit présente des intermittences
régulières toutes les minutes; sa température est de 50°, 6.
4° La Rotonde, 55°. L'eau de ces deux dernières sources se rend dans
un bassin où elle se refroidit et sert à atténuer la température de l'eau
des autres sources pour les bains. On la prend aussi en boisson.
5° La source du Coin, 41°; elle jaillit au fond d'une baignoire.
Les eaux se prennent en boisson, en bains (18 baignoires) et en
douches.
Presque inconnue pendant longtemps, et fréquentée à peu près exclu-
sivement parles gens du pays, la station de la Bourboule n'a eu, jusqu'à
ces dernières années, qu'une installation très-insuffisante. Mais les travaux
qui y ont été faits, les nouveaux chemins qui en rendent désormais l'a-
bord très-facile, ont beaucoup contribué à son développement. Si les
améliorations commencées continuent, nul doute que l'avenir lui réserve
la place qu'elle mérite dans les eaux minérales.
Lecoq (H.), Recherches sur les eaux minérales de la Bourboule (Annales scientifiques de V Au-
vergne, juin 1828).
Choussy, Établissement thermal de la Bourboule. Clermont, 1828.
472 BOURDONNEMENT.
Thénard, Rapport à l'Académie dos sciences, octobre 1854.
Lefort, Étude physique et chimique des eaux minérales et thermales de la Bourboule. Paris,
1862. [Annales de la Société d'Hydrologie médicale de Paris, t. II, t. V et surtout t. IX,
passim.)
Dura>i>-Fardel, Lerret, Lefort et J. François, Dictionnaire des Eaux minérales, art. la Bour-
boule. 1860, t. I.
Peyronnel, La Bourboule, sa station thermale, ses eaux minérales et son établissement. Clcrmont-
Ferrand, 1865.
L. Desnos.
BOURDOM^EIIEXT. — On donne le nom générique de bour-
donnement d'oreilles à des bruits subjectifs d'un caractère varié, soit à
ton grave, soit à ton aigu, que l'on peut observer à l'état sain, mais qui
se rencontrent fréquemment dans différentes affections de l'appareil au-
ditif, et que les malades désignent sous les noms de bourdonnement, de
roulement, ^miaulement, de sifflement, de tintement, de bruissement, etc.,
en les comparant avec certains bruits connus.
Les bourdonnements résultent de causes variables souvent très-obscures :
tantôt ils sont déterminés par des bruits réellement perçus provenant des
mouvements du sang dans les vaisseaux des diverses parties de l'oreille ;
tantôt ils sont provoqués par des contractions spasmodiques des muscles
des osselets ; tantôt ils dépendent d'une perversion des fonctions, d'un
ébranlement ou d'une irritation des nerfs auditifs qui donnent lieu à des
sensations sonores, à des ballucinations de l'ouïe, de même que les nerfs
optiques font percevoir des sensations lumineuses lorsqu'ils se trouvent
dans certains états morbides; enfin, les bruits subjectifs peuvent être
occasionnés par une excitation très-vive ou prolongée des nerfs.
Le mécanisme de la production des bourdonnements a été peu étudié
jusqu'ici. Il me semble intéressant de rapporter quelques expériences
destinées à indiquer quelques circonstances dans lesquelles on les produit
artificiellement, et qui rendent compte de leur étiologie.
Quand on refoule le tragus vers la conque, ou quand on se bouche le
trou de l'oreille avec le doigt, on entend un bruit de bourdonnement, ou
un bruit de roulement d'autant plus intense, que le méat auditif est plus
complètement fermé. Si l'on presse peu à peu plus fort, de manière à
comprimer l'air du conduit et à refouler, à tendre ainsi la membrane
tympanique, le bruit de roulement disparaît progressivement dans un
bruit de tintement qui devient de plus en plus dominant. Cette expé-
rience paraît devoir s'expliquer de la manière suivante. Lorsque le con-
duit auditif est simplement obstrué, les vibrations sonores de l'extérieur
ne peuvent plus venir couvrir les vibrations produites par la circulation
du sang dans les artères qui pénètrent dans le temporal ou qui sont situées
dans le voisinage, parce que les bruits forts masquent les bruits faibles :
le bruit artériel, devenu prédominant, est alors perçu et donne la sensation
d'un bourdonnement d'autant plus prononcé, que les artères sont plus
développées.
La compression de l'artère carotide primitive, de l'artère auriculaire
postérieure, etc., anormalement dilatées, font cesser ces bourdonnements
BOURDONNEMENT. 475
dans certains cas, et on peut dire d'une manière générale qu'ils résultent
de la perception de bruits vasculaires. Ils n'existent jamais, d'après Kra-
mer, lorsque la surdité qui les accompagne le plus souvent dépend d'un
état torpide du nerf auditif, et lorsque la membrane tympanique est
complètement détruite.
Les bourdonnements précèdent ordinairement la surdité et accompa-
gnent la dysécéc produite par les obstructions du conduit auditif, de la
caisse et de la trompe. La sensibilité acoustique reste intacte, d'ordinaire,
et redevient manifeste dès que le méat, la caisse ou la trompe ont été
désobstrués. On les observe dans l'obstruction du conduit auditif par des
corps étrangers, par un abcès, par des tumeurs polypiformes, par un
gonflement de sa paroi, etc.; dans l'inflammation, dans l'obstruction et
dans la distension de la caisse; dans l'obstruction, l'oblitération, la com-
pression de la trompe; dans les affections et dans les circonstances dans
lesquelles l'intensité des bruits artériels est exagérée, soit par l'accéléra-
tion, ou par l'augmentation de la force d'impulsion du cœur, soit par une
maladie des artères, soit par une disposition vasculaire anormale.
On produit un bruit de bourdonnement en serrant fortement, au milieu
du silence profond de la nuit, les màcboires l'une contre l'autre par la
contraction musculaire. Les muscles et les os deviennent alors fortement
résonnants et communiquent au temporal les bruits de la circulation
artérielle.
La production des tintements, ou des bruits subjectifs à tons aigus,
s'opère, en général, lorsque la membrane tympanique se trouve fortement
tendue : les propriétés vibratoires de cette membrane sont alors changées,
et elle devient plus ou moins inapte à transmettre les tons graves.
C'est ainsi qu'il survient des tintements, lorsqu'on refoule fortement
de l'air dans le conduit auditif, ou que l'on distend d'une manière quel-
conque la membrane tympanique. Cependant, à l'état physiologique, dans
le silence profond de la nuit, on perçoit un léger bruit de tintement mo-
dulé comme un chant qui paraît produit par la circulation du sang dans
les capillaires de la membrane tympanique de l'oreille interne et du nerf
auditif: l'intensité et la gravité de ce bruit augmentent dans les congestions
céphaliques et lorsque la circulation est activée. L'exagération de ces bruits
constitue probablement quelques-unes de ces sensations acoustiques sub-
jectives, dont se plaignent les individus affectés de congestion cérébrale,
de méningite, d'inflammation de l'oreille, d'aliénation mentale.
Si après avoir introduit le doigt mouillé dans l'oreille, on fait avec son
extrémité un vide dans le conduit, il se produit encore des tintements
par le refoulement de dedans en dehors de la membrane tympanique sous
l'influence de l'inégalité de pression atmosphérique : la membrane refoulée
sous la pression intérieure se trouve distendue ainsi.
Des tintements se manifestent aussi par un mécanisme analogue, lors-
qu'on fait un effort d'expiration ou un mouvement de déglutition en se
bouchant le nez et en fermant la bouche.
Un bruit d'un caractère spécial se produit dans les circonstances sui-
474 BOURDONNEMENT.
vantes : certaines personnes peuvent contracter à volonté le muscle du
marteau et produire ainsi un bruit subjectif qui a quelque analogie avec
le roulement lointain du tonnerre, le bouillonnement de l'eau en ébulli-
tion ou le sifflement du vent. Ce bruit dépend certainement de la contrac-
tion du muscle du marteau ; car, si on observe le manomètre de Politzer
introduit dans mon oreille pendant que je produis le bruit, on constate
aisément que la goutte d'eau chemine vers l'oreille, ce qui accuse une aug-
mentation de capacité du conduit auditif qui ne peut être produite que
par la contraction du muscle tenseur de la membrane tympanique. Le
bruit de roulement est accompagné d'un bruit de frottement qui paraît
résulter du glissement du tendon du muscle susdit sur l'extrémité du
canal osseux qu'il traverse.
On provoque encore, dans des circonstances analogues, la production
de tintements, de sifflements, de bourdonnements, en faisant passer un
courant électrique à travers l'oreille. Un spasme, une contracture du
muscle du marteau doivent donner lieu au même résultat. Ilyrtl attribue
certains tintements à un spasme du muscle de l'étrier. Il est probable
que la contraction spasmodique de ce muscle, en imprimant au liquide
labyrinthique et au nerf auditif des vibrations brusques, provoque des
sensations subjectives, mais leur caractère est indéterminé jusqu'ici.
Des bruits subjectifs surviennent aussi par le contact d'une tumeur ou
d'un corps étranger avec la membrane tympanique : on entend alors par
moments des claquements que certaines personnes comparent à des ex-
plosions d'armes, etc. On peut artificiellement reproduire ces bruits en
touchant la membrane tympanique avec un stylet, etc., ou dans l'action
de se moucher, d'éternuer, lorsqu'un corps étranger est placé près de la
membrane tympanique.
Dans l'obstruction incomplète de la trompe et de la caisse par des hu-
meurs, le bourdonnement qui existe, dans des cas assez rares, est mêlé
par intervalles à des bruits de sifflement, de râle, etc., produits par
l'ébranlement des humeurs de la trompe ou de la caisse par le passage
de quelques bulles d'air.
Une excitation incessante du nerf auditif par un son répété ou une
excitation violemment ressentie chez des personnes d'une grande impres-
sionnabilité, finit par imprimer au nerf auditif, ou à l'encéphale, une
sensation durable. L'ouïe devient par là le siège d'hallucinations, de sensa-
tions subjectives continues qui peuvent devenir le point de départ d'idées
lixes, de monomanies. D'autre part, chez les aliénés, certaines hallucina-
tions de l'ouïe naissent directement du trouble de l'encéphale. C'est ainsi
que des malades sont tourmentés par des bruits divers : bruits de timbre,
de cloches, de détonations d'artillerie, de machines à vapeur, de flammes,
de moulin, de chants divers, de sifflements variés, etc., auxquels l'ima-
gination prête souvent une signification fantastique et qui peuvent donner
lieu à des associations d'idées délirantes.
Les bourdonnements et les tintements que les malades accusent dans
l'inflammation du tympan paraissent devoir s'expliquer par l'épaississe-
BOURDONNEMENT. — bibliographie. 475
ment de la membrane tympanique et par sa moindre vibratilité sous l'in-
fluence des sons venus de l'extérieur, tandis qu'elle reste conductrice des
sons graves des grosses artères du voisinage transmis par les os voisins
et des sons aigus de ses vaisseaux capillaires.
Outre les circonstances déjà énumérées, des bourdonnements et des tin-
tements s'observent encore à la suite des grandes hémorrhagies, dans la
chlorose, dans l'anémie, où les bruits vasculaires sont exagérés; dans
l'hystérie; dans les fièvres graves, au début, et môme pendant toute leur
durée; dans les affections où l'on observe des congestions cérébrales;
dans l'intoxication par la quinine, etc.
Le diagnostic du bourdonnement et de ses diverses variétés ne peut
être établi que sur les renseignements fournis par les malades. Excep-
tionnellement les bourdonnements peuvent être constatés directement,
au moyen de l'otoscope de Toynbee, lorsqu'ils dépendent d'un bruit de
souffle d'une artère anévrysmalique. En tant que symptômes d'affections
très-diverses de l'ouïe, leur pronostic est très-variable, comme ces affec-
tions elles-mêmes.
D'après ce qui précède, les bourdonnements dépendent d'affections
aiguës et chroniques de l'oreille externe, de la caisse et de l'appareil laby-
rintbique, aussi bien que d'un certain nombre d'affections étrangères à
l'organe auditif. Une exploration attentive des diverses parties de l'appa-
reil auditif et des organes voisins, l'histoire de la maladie, le caractère
particulier des bruits subjectifs pourront mettre sur la voie de leur étio-
logie, et partant du traitement à leur opposer. Leur traitement est le
même que celui des diverses affections auxquelles ils se rapportent. Les
bourdonnements disparaissent en même temps que ces dernières lors-
qu elles sont susceptibles de guérison.
Certains bourdonnements sont quelquefois une cause d'insomnie. Ils
deviennent alors extrêmement incommodes et pénibles pour les malades.
Lorsqu'ils peuvent être couverts par les bruits extérieurs intenses, les ma-
lades éprouvent parfois du soulagement au milieu du bruit, en voiture,
dans un lieu bruyant, tel qu'un moulin, par un bruit artificiel, etc. Dans
quelques cas,, le séjour du malade dans un endroit bruyant, à même pu,
comme dans une observation rapportée par Itard, amener la guérison
d'un bourdonnement consécutif à une impression vive.
Lorsque le bourdonnement n'est pas compliqué de surdité, il résiste
le plus souvent à tous les moyens de traitement.
Itard, Traité des maladies de l'oreille. Paris, 1842.
Saissy, Essai sur les maladies de l'oreille. Paris, 1828.
Rau, Lehrbuch der Ohrenheilkunde. Berlin, 1856.
Lincke, Handbuch der theor. and prakt. Ohrenheilkunde. Leipzig, 1857.
Denonvilliers et Gosselin, Compcnd. de chir. pratique. Paris, 1858, t. III.
Triquet, Traité pratique des maladies de l'oreille. Paris, 1857.
Erhard, Rationelle Otialrik. Erlangen, 1859.
Bonnafoxd, Traité théorique et pratique des maladies de l'oreille. Paris, 1800.
V. Troltsch, Die Krankheiten des Ohres. Wihzburg, 1802.
Toynbee. TheDiseases of the Ear. Londres, 1800. — Die Krankheiten des Gehororgans. Trad. al-
lemande par Moos. Wiirzburg, 1805. EuGÈNE KCEBERLÉ.
476 BOURRACHE. — BOURSES SÉREUSES.
BOURRACHE. — Borrago officinalis, Linn., donne son nom à la
famille des Borraginées.
Description. — La Bourrache est une plante annuelle, à racine allon-
gée pivotante ; à tige arrondie, ramifiée au sommet. Les feuilles sont éta-
lées, ovales, obtuses, sinueuses, retrécies en un pétiole ailé, canaliculé,
élargi à la base. Les fleurs sont disposées en cymes scorpioïdes termi-
nales, elles sont portées par de longs pédoncules réfléchis. Le calice est
à cinq divisions, étalées ; la coro//£ bleue, rose ou violette, est monopé-
tale, à tube très-court, à limbe de cinq lobes aigus, lancéolés, présentant
chacun une saillie en doigt de gant. Les etamines, au nombre de cinq,
alternes avec les divisions de la corolle, sont dressées, rapprochées vers le
centre, de façon à former un cône aigu au milieu duquel passe le style.
L'ovaire est gynobasique. Toute la plante est couverte de poils très-rudes.
Propriétés et usages. — On emploie les feuilles et les fleurs. Toute
la plante renferme un suc mucilagincux abondant. On l'administre
comme diurétique, sudorifique et émolliente; tous les jours on la prescrit
encore dans les fièvres éruptives. Mais elle n'a aucune action spécifique
particulière, aussi nous bornerons-nous à cette simple indication.
Doses et modes d'administration. — Infusion de fleurs, décoction des
feuilles 50 à 60 grammes par litre d'eau. Suc exprimé de 50 à 100 gram-
mes.
Léon Marchand.
BOURSES SÉREUSES SOUS-CUTANÉES. — Les cavités
closes sous-cutanées, creusées dans l'épaisseur du tissu cellulaire sous-
dermique, qui se rencontrent partout où la peau, où les tissus fibreux
sont sujets à des pressions et à de fréquents mouvements, ont été dé-
crites sous des noms très-variés. Padieu les a désignées sous le nom de
bourses séreuses sous-cutanées. On les a aussi appelées improprement
bourses muqueuses, synoviales, mucilagineuses. Bleynie a proposé de
leur donner le nom de bourses celluleuses sous-cutanées, qui est égale-
ment peu rigoureux au point de vue de l'étymologie. Il vaut mieux leur
conserver le nom de bourses séreuses, sous lequel on les connaît géné-
ralement, quoique cette désignation ne soit pas très-exacte.
Les bourses séreuses ont une structure analogue à celle des cavités
séreuses, mais elles en diffèrent cependant par l'absence de revêtement
épithélial de leurs parois, ou, du moins, elles ne présentent quelquefois
qu'un épithélium incomplet. La peau qui les recouvre jouit d'une mobilité
plus considérable que sur les parties voisines, et est ordinairement
épaissie, dure, calleuse. Elles résultent des frottements que les éléments
du tissu connectif exercent les uns sur les autres : les fibres finissent par
s'user, par se déchirer réciproquement, de manière à former une cavité
qui sert ensuite à faciliter les mouvements. Elles ont le même mode
d'origine que les bourses séreuses sous-aponévrotiques et les bourses
tendineuses ou gaines synoviales des tendons, qui n'en sont qu'une tran-
sition, mais dont les dernières principalement se distinguent néanmoins
BOURSES SÉREUSES. 477
par la présence d'un épithélium pavimenteux assez constant, parfois
clair-semé ou interrompu en certains endroits. I/histoire des gaines ten-
dineuses et de leurs affections, diffère d'une manière notable de celle des
bourses séreuses sous-cutanées, et donne lieu à des considérations spé-
ciales, qui seront exposées à l'article Gaines tendineuses. Outre les bourses
séreuses sous-cutanées et tendineuses, on trouve quelquefois, dans di-
verses parties du corps, des cavités closes creusées également au milieu
du tissu connectif, qui renferment de la sérosité ou des produits variés.
On les trouvera décrits à l'article Kystes séreux.
Les bourses séreuses sont, en quelque sorte, creusées au milieu du
tissu connectif. A l'état normal, elles ne contiennent aucun amas de
liquide ; elles sont simplement humectées par une petite quantité d'une
humeur visqueuse, analogue à la matière colloïde. Leur cavité est tantôt
régulière, arrondie, tantôt anfractucuse, réticulée, cloisonnée par des
lames, par des brides de tissu connectif condensé. Quelquefois plusieurs
loges isolées sont groupées les unes à côté des autres. Au-devant de la
rotule, j'ai rencontré jusqu'à cinq de ces loges isolées. Leurs parois sont,
en général, minces, mais on les trouve épaissies, condensées dans cer-
tains cas. Lorsque leurs parois sont minces, elles communiquent parfois
avec le tissu connectif ambiant, et ne forment plus des cavités délimitées.
Ces parois sont lisses et sont formées par du tissu connectif dont les
fibres sont tassées, condensées, dépourvues de graisse, et dans l'épaisseur
desquelles rampent des vaisseaux peu abondants et d'un calibre très-
grèle, ce qui leur donne un aspect blanchâtre.
Des bourses séreuses se développent partout où la peau est soumise à
des pressions fréquentes et à des mouvements prononcés, à des frotte-
ments répétés sur les parties sous-jacentes, surtout au voisinage des os
sous-cutanés, soit dans les conditions ordinaires, soit par suite d'habi-
tudes spéciales, par suite de l'exercice d'une profession, du maniement
d'un outil, d'un instrument, etc., soit dans certaines conditions patholo-
giques, telles sont les bourses séreuses développées sur les saillies anor-
males chez les individus aflectés de pieds bots, de gibbosités de la colonne
vertébrale, etc.
La grandeur des bourses séreuses est variable de un à cinq centi-
mètres et au-dessus, suivant l'étendue de la surface où elle se trouve
située et l'étendue du mouvement que les tissus subissent habituellement.
Leur nombre varie suivant les individus. On les a divisées en normales et
anormales, mais les classifications qu'on en a données jusqu'ici sont peu
rigoureuses. On en connaît une cinquantaine, et leur nombre tend à
augmenter encore chaque jour, à mesure qu'on en découvre de nouvelles.
Il est important de signaler celles qui sont connues jusqu'à présent, et
dont quelques-unes sont très-rares, afin d'être par là moins exposé à
commettre des erreurs de diagnostic lorsqu'elles sont dans un état mor-
bide. Les plus connues et les plus constantes sont celles que l'on ren-
contre au-devant de la rotule et derrière Tolécrane. Leurs affections ont
été confondues jusqu'à la fin du dernier siècle sous le nom de ganglions
478 BOURSES SEREUSES.
et de tumeurs fongeuscs des articulations, avec les affections des cavités
synoviales des tendons et des articulations. Depuis que les travaux de
Camper et de Monro ont attiré l'attention sur cette partie de la chirurgie,
de nombreux et importants documents ont été publiés sur ce sujet avec
des développements très-étendus, et les maladies des bourses séreuses ont
été étudiées dans presque tous leurs détails. Les notions que l'on possède
actuellement permettent d'en faire une description commune, appli-
cable à toutes les bourses séreuses, quel que soit leur siège.
Les bourses séreuses que l'on est à même d'observer à l'état normal,
en dehors de toute circonstance pathologique, sont situées aux endroits
où il s'exerce le plus ordinairement des pressions : au-devant du genou,
où se trouve la bourse séreuse prérotulienne, qui est la plus constante;
en arrière de l'olécrane ; sur le grand trochanter; sur l'ischion; sous le
coccyx; derrière l'angle de la mâchoire inférieure ; au bord inférieur de
la symphyse du menton ; sur l'angle du cartilage thyroïde ; sur l'acromion;
sur l'épitrochlée; sur l'épicondyle ; sur l'apophyse styloïde du radius;
sur l'apophyse styloïde du cubitus; sur la face dorsale des articulations
métacarpo-phalangiennes ; sur la saillie des articulations phalangiennes;
sur la face palmaire des articulations métacarpo-phalangiennes; sur la
tubérosité externe du fémur; sur la face externe de la tête du péroné; sur
la tubérosité interne, sur la tubérosité antérieure et sur la surface anté-
rieure du tibia; sur la malléole externe; sur la malléole interne; au côté
interne et au côté plantaire de l'articulation métatarso-phalangienne du
gros orteil; sur la face dorsale des articulations phalangiennes; sous la
face plantaire de la tête du cinquième métatarsien ; sous les tubérosités
du calcanéum; en arrière du calcanéum ; sur la face dorsale du pied; sur
le tubercule interne du scaphoïde ; sur la saillie du cinquième métatarsien ;
sur l'apophyse épineuse de la septième vertèbre cervicale; sur la protu-
bérance occipitale externe; sur la face externe de l'articulation temporo-
maxillaire; au-devant de la clavicule; sur le rebord de la crête iliaque;
sur le sommet des gibbosités de la colonne vertébrale ; sur la saillie de la
tête de l'astragale, chez les individus affectés de pieds plats; sur la face
dorsale ou latérale du pied, chez les individus affectés de pieds bots; à
l'extrémité du moignon des amputés, entre le bout de l'os et la cièatrice;
sur la surface de tumeurs sous-cutanées; sur la face externe du muscle
grand dorsal ; sur l'épine de l'omoplate ; sur la région lombaire et sur les
côtés de la colonne vertébrale, chez des individus habituellement chargés
de fardeaux ; sur le devant du sternum et sur le bord radial de la première
phalange de l'indicateur du côté droit, chez des menuisiers ; sur la partie
supérieure du cubitus gauche, ainsi que sur la face postérieure du
deuxième et du cinquième métacarpiens de la main droite, chez les ou-
vriers en papiers peints ; sur la face antérieure et externe de la cuisse,
chez les joueurs d'orgues ; dans l'épaisseur des grandes lèvres, chez les
femmes qui ont abusé du coït; parfois au-dessous de brides cicatri-
cielles, etc. Les habitudes particulières, la manière de se servir de divers
instruments, pourront rendre compte de la production d'une série d'au-
BOURSES SÉREUSES. — blessures et contusions. 479
très bourses séreuses que l'on peut être à môme de rencontrer accidentel-
lement.
Les bourses séreuses sont formées par du tissu connectif constitué par
des faisceaux et par des lames de fibres parallèles disposées dans divers
sens, entremêlées de cellules plasmatiques et de fibres élastiques. Dans
les endroits où la pression est plus considérable, leur paroi est plus
épaissie. On trouve fréquemment, dans l'intérieur de leur cavité, des
prolongements vasculaires en forme de franges synoviales qui ne diffèrent
pas de celles que l'on rencontre dans les articulations.
On observe rarement des communications de bourses séreuses avec des
gaines tendineuses ou des cavités articulaires, au voisinage desquelles
elles peuvent être situées. Au genou, la bourse séreuse prérotulienne
sous-cutanée communique quelquefois avec une bourse séreuse sous-apo-
névrotique, située immédiatement au-dessous d'elle, entre la rotule et le
surtout ligamenteux, lequel dépend en majeure partie du fascia lata.
Quoique toutes les bourses séreuses soient susceptibles d'être atteintes
par des affections variées, deux d'entre elles, celles qui sont situées au-
devant de la rotule et derrière Polécrane y sont plus fréquemment
exposées ; ce sont surtout les altérations présentées par ces dernières
qui serviront de types pour la description générale des différentes
lésions qui vont être passées en revue.
Nous aurons lieu d'examiner successivement les blessures et les con-
tusions, l'inflammation, les épanchements de sérosité, de pus, de
sang, les concrétions, les fistules et les ulcères fistuleux.
Blessures et con taisions. — Les plaies par instruments piquants
et tranchants ne donnent lieu à aucune considération particulière ; elles
guérissent par première intention si l'on en opère de suite la réunion,
aussi bien que s'il ne s'agissait que d'une plaie simple des téguments,
pourvu qu'on ne les irrite pas et que l'on n'y ait point introduit de corps
étrangers en opérant des recberches intempestives avec un stylet, ou en
eberebant à les nettoyer ou à les panser avec un topique irritant. A la
suite de la guérison de ces plaies, lorsqu'il n'est pas survenu d'inflam-
mation, la cavité de la poche séreuse, malgré répancliement de sang
dont elle a pu être le siège, ne se trouve point oblitérée. Il faut avoir
soin d'en évacuer par des pressions méthodiques ia majeure partie du
sang, qui peut s'y être épanché, et opérer ensuite une légère compression
sur la circonférence de la bourse séreuse, tout autour de la plaie, dont
on maintiendra les lèvres exactement réunies par une suture sèche ou
une suture entortillée, disposée convenablement.
Les corps étrangers introduits sous la peau, jusque dans une bourse
séreuse ou dans son voisinage, doivent être extraits de suite. Quelquefois
ils n'occasionnent pas d'inflammation et peuvent s'enkyster. J'ai ren-
contré dans les parois de la bourse séreuse prérotulienne deux fragments
d'une épine d'acacia, d'un centimètre de longueur, qui étaient enkystés
depuis longtemps dans le tissu connectif, sans aucune trace d'irritation.
Les plaies contuses présentent une gravité plus considérable : elles
480 BOURSES SÉREUSES. — blessures et contusions.
donnent ordinairement lieu à une inflammation aiguë de leurs bords et
de la cavité de la bourse séreuse. Vers le deuxième ou le troisième
jour elles donnent écoulement à un liquide filant, rougeâtre, séro-puru-
lent, dont la quantité n'est pas en rapport avec l'étendue des surfaces
traumatiques. Si la désorganisation des parties contuses a été peu grave
l'inflammation se calme sous l'influence d'un traitement convenable, la
sécrétion séro-sanguinolente ou séro-purulente diminue progressivement et
la cicatrisation s'opère encore comme dans une plaie contuse ordinaire ;
mais quelquefois la cicatrisation se borne aux téguments et les liquides
s'amassent dans l'intérieur de la bourse séreuse, qu'ils distendent en
formant une tumeur fluctuante. Le liquide peut être résorbé ou bien il
continue a s'accumuler, et finit alors par se frayer par intervalle une
voie au debors à travers la cicatrice, en donnant lieu chaque fois à une
recrudescence d'inflammation. Finalement la solution de continuité per-
siste et il s'établit une plaie fistuleuse. Souvent alors, disent Bérard
et Denonvilliers, « les malades, ignorant l'importance de leur blessure,
continuent à travailler, se livrent à des efforts, exposent la petite plaie à
des constrictions ou à des frottements plus ou moins rudes, et l'inflam-
mation s'étend de la bourse séreuse aux parties voisines : le membre
tout entier s'engorge et se couvre d'une rougeur érysipélateuse, le tissu
cellulaire est affecté de phlegmon diffus, un ou plusieurs abcès se forment
autour de la poche membraneuse, qui fournit elle-même de la matière
purulente; des troubles généraux peuvent survenir. La guérison est plus
difficile à obtenir et ne survient qu'après que les parois de la bourse
séreuse se sont couvertes de granulations, par l'accollement même de ses
parois qui entraîne l'oblitération de sa cavité et entretient le membre
dans un état de roideur et de gêne plus ou moins durable. »
Les contusions simples sont loin d'être aussi graves. Elles donnent lieu
à un froissement des parois de la bourse séreuse sans déchirure des
téguments, comme il arrive à la suite d'un coup, d'une chute. Elles
exposent à des suffusions sanguines sou^-cutanées, ainsi qu'on l'observe
également pour d'autres parties de la peau. Lorsque le sang épanché fait
irruption dans la cavité de la bourse séreuse il s'y accumule librement
avec rapidité et donne lieu à des tumeurs sanguines, qui peuvent quel-
quefois masquer des lésions plus profondes, ainsi qu'il peut arriver à la
suite d'une contusion du coude, compliquée de fracture de l'olécrane.
D'autres fois les contusions ont pour conséquence une inflammation et
donnent lieu à un épanchement de sérosité.
Les pressions, même faibles, mais permanentes, comme celles qui
résultent d'attitudes habituelles, ou du maniement de certains instru-
ments, en exposant les bourses séreuses ta des froissements continuels et
en déterminant des rougeurs de la peau qui les recouvre, ont ordinaire-
ment pour conséquence la formation d'épanchements séreux répétés
et de dépôts de concrétions fîbrineuscs, dans l'intérieur de leur cavité.
Le diagnostic des affections précédentes n'est pas entouré de difficultés.
Le siège de la lésion suffit déjà pour éveiller l'attention. Lorsqu'il y a une
BOURSES SEREDSES. — inflammation. 481
blessure, la mobilité des bords de la plaie, comme si les parties sous-
jacentes étaient décollées, et parfois l'écoulement d'un liquide analogue à
la synovie, achèvent d'éclairer le chirurgien. Il est en général inutile de
sonder la plaie, à moins qu'on ne soupçonne la présence d'un corps
étranger. On pourrait confondre le liquide filant, renfermé dans les
bourses séreuses dans un état pathologique, avec celui d'une articulation
voisine ou sous-jacente; mais l'erreur ne saurait avoir lieu que dans des
circonstances exceptionnelles. D'ailleurs les indications thérapeutiques
resteraient les mêmes.
Le traitement des contusions et des plaies des bourses séreuses ne
diffère guère de celui des lésions analogues de la peau en général. Dans
les cas de contusion simple, d'érythème consécutif à des pressions, les
lotions résolutives et astringentes, le traitement antiphlogistique local
suffiront dans la plupart des cas, soit pour prévenir, soit pour calmer
l'irritation. Les plaies simples devront être nettoyées avec soin et réunies
immédiatement avec des bandelettes agglutinatives, ou au moyen de
quelques points de suture entortillée, ne comprenant point la bourse
séreuse et laissés à demeure pendant un à deux jours seulement. Il faut
également laver avec soin les plaies contuses et exprimer, au moyen de
pressions méthodiques, les caillots sanguins et les liquides qui peuvent
être renfermés dans la cavité de la bourse séreuse, et faire un pansement
simple, en laissant la solution de continuité à découvert, tout en exerçant
autour d'elle, sur la circonférence de la bourse séreuse, une compression
légère, de manière à empêcher la stagnation des liquides dans sa cavité
et à favoriser leur issue par la plaie. S'il y avait lieu de craindre une
inflammation intense, par suite de lésions graves, il faudrait entourer les
bords de la plaie avec de la charpie imbibée de sulfate de fer, ou faire
des irrigations continues avec de l'eau froide. Si malgré ces moyens
l'inflammation s'est emparée des bords de la plaie, on aura soin de main-
tenir cette dernière ouverte et de laisser une libre issue à la suppuration.
On aura recours en même temps aux lotions émollientes, narcotico-
émollientes, aux cataplasmes et même aux émissions sanguines locales, si
la tuméfaction inflammatoire devenait menaçante. Lorsque la suppuration
est bien établie on traite le cas comme une plaie suppurante simple, en
favorisant par une compression méthodique la réunion de la solution de
continuité, et en empêchant la stagnation du pus et des liquides sécrétés
dans la cavité de la bourse séreuse. Si la plaie continue à fournir une
quantité de pus, qui n'est pas en rapport avec l'étendue apparente de la
plaie, il faut maintenir une issue libre à la suppuration, au moyen d'un
tube en caoutchouc, largement fenestré, introduit jusque dans la cavité
de la bourse, ou débrider largement de manière à mettre le fond de la
poche suppurante à découvert et à en obtenir la cicatrisation à partir de
sa profondeur, afin d'éviter ainsi la formation d'une plaie fistuleuse ou
d'une tumeur fongueuse.
inflammation. — V inflammation des bourses séreuses offre des
caractères analogues à celle des cavités séreuses en général. Elle est or-
NOUV. DICT. MÉD. ET CHIR. V. — 31
482 BOURSES SÉREUSES. — inflammation.
dinairement consécutive à une pression continue, à un frottement vio-
lent ou prolongé, à une contusion, à une blessure ; elle survient parfois
sous l'influence de frottements exagérés, dans les circonstances qui ont
donné lieu à la formation de la bourse séreuse; elle peut encore être
consécutive à l'inflammation des tissus voisins ou sous-jacents ; elle est
rarement le résultat d'une cause interne.
Dès le début de l'inflammation, on observe une tuméfaction doulou-
reuse de la bourse séreuse, dont la cavité devient de suite le siège d'une
sécrétion de sérosité, qui distend rapidement ses parois. Les téguments
qui la recouvrent sont rouges, œdémateux, tendus et gênent les mouve-
ments des parties voisines. La bourse séreuse enflammée forme une
tumeur rénitente, fluctuante, bornée par ses limites naturelles. Si l'in-
flammation a envabi une surface considérable, elle s'accompagne d'une
réaction générale plus ou moins prononcée. Lorsque l'inflammation tend
à se calmer et que la résolution arrive, ainsi que cela s'observe d'ailleurs
à l'ordinaire ; les accidents locaux diparaissent progressivement et la
iuméfaction, produite par l'épanchement de sérosité, diminue à mesure
que cette dernière est résorbée, ce qui s'opère tantôt d'une manière
très-rapide, ainsi que l'ont observé Bérard et Denonvilliers, cbez un
jeune garçon qui présentait une inflammation aiguë et une tuméfaction
assez considérable de la bourse séreuse prérotulienne, et chez lequel le
repos au lit et les cataplasmes émollients suffirent pour faire disparaître
du jour au lendemain toute trace de fluctuation, et pour amener une
guérison, qui ne se fit pas attendre plus de vingt-quatre heures ; tantôt
la sérosité ne diminue qu'avec lenteur, et il en reste une partie qui
donne lieu à une tumeur permanente, à laquelle on donne le nom
d'hygroma. Lorsque rinflammation est abandonnée à elle-même ou est
très-vive, et que le repos et des soins convenables n'ont pas été employés,
elle s'étend et se propage sous forme d'un érysipèle phlegmoneux; la
sérosité épanchée dans la bourse séreuse ne tarde pas à devenir
purulente; en même temps les tissus ambiants sont également envahis
par la suppuration ; l'état local s'aggrave jusqu'à ce que finalement la
peau se perfore et livre passage au pus, si l'on tarde à intervernir et à
faire une ouverture artificielle.
Le diagnostic de rinflammation d'une bourse séreuse, au début, ne
présente pas en général de difficultés. Cette affection pourrait être con-
fondue avec un simple phlegmon ; mais son siège, les circonstances dans
lesquelles elle s'est développée, l'épaississement de la peau, la formation
rapide d'une tumeur fluctuante dans un espace circonscrit avant que le
pus n'ait eu le temps de se former, fournissent un ensemble de carac-
tères qui ne permettent pas de confondre ces deux affections. Si on n'a
pu suivre l'évolution de la maladie, on peut en méconnaître le point de
départ, le rapporter à une affection des parties sous-jacentes, d'une arti-
ticulation, d'un os, etc. ; mais on est bientôt mis sur la voie par la mar-
che de la maladie.
Le pronostic varie suivant l'intensité de l'inflammation, son étendue,
BOURSES SÉREUSES. — épaacheme.nt séreux. 483
son siège, les circonstances dans lesquelles elle s'est développée, les
complications et suivant que le malade est à même de se donner des soins
convenables.
La médication antiphlogistique secondée par une position élevée, au-
tant que possible, et par le repos de la partie malade, forment la base du
traitement. Les topiques résolutifs, les lotions avec de l'acétate de plomb
ou du sulfate de fer dans les cas où l'inflammation est peu prononcée,
suffisent ordinairement pour amener la résolution. Si le travail inflam-
matoire est intense, et la suppuration imminente, on aura recours aux
cataplasmes émollients, aux émissions sanguines locales, et même à la
saignée du bras, autant que l'état du malade le permettra, si les acci-
dents locaux s'accompagnent de symptômes de réaction générale. Vel-
peau a employé avec succès, comme moyen perturbateur, le vésicatoire
volant, renouvelé à plusieurs reprises pendant les 8 ou 10 premiers
jours, aussi longtemps que la peau n'est pas amincie et que la suppura-
tion n'est pas évidemment déclarée. Le vésicatoire agit en entretenant une
irritation superficielle de la peau et l'activité de la circulation capillaire,
ce qui favorise la résorption des liquides épanchés.
Épaiiclicments séreux. — Les épanchements séreux ont été dé-
signés sous le nom d'hygroma, d'hydropisie des bourses muqueuses,
de fungus, etc. Ils peuvent être aigus ou chroniques. Sous le nom d'hy-
groma que Heister a appliqué aux kystes séreux du cou, on a décrit
spécialement les épanchements séreux dans la bourse prérotulienne et
dans la bourse olécranienne, où on les observe presque exclusivement;
cependant ils sont aussi très-communs chez les individus affectés de
pied bot varus sur la face dorsale du pied qui supporte habituellement
le poids du corps, et chez les tailleurs au côté externe des malléoles. Les
autres bourses séreuses sont plus rarement affectées.
Les épanchements séreux sont consécutifs, tantôt à une inflammation
aiguë, tantôt à une irritation chronique sous l'influence de pressions,
de froissements répétés, et qui souvent ne donnent lieu qu'à des trou-
bles locaux tellement peu prononcés que les malades ne soupçoanent
pas même leur action sur le développement de leur maladie. L'hygroma
de la bourse prérotulienne est le plus commun. On l'observe chez les per-
sonnes qui ont l'habitude de se tenir habituellement à genoux, chez les
blanchisseuses, les personnes pieuses, les maçons, les couvreurs, les pa-
veurs, etc. ; chez les terrassiers, les botteleurs, etc., qui ont l'habitude
de se servir de la pression du genou dans l'exercice de leurs professions.
Les épanchements séreux dans les autres bourses séreuses ont lieu dans
des circonstances analogues. Le mode de formation et la marche de la
maladie ont été parfaitement décrits dans le Compendium de chirurgie
dont je transcris le passage suivant : « Entretenue par l'action insensible
mais persistante des pressions et des froissements répétés dans un état
d'irritation sourde et continuelle, la membrane séreuse verse dans la
poche qu'elle tapisse un excédant de liquide qui détermine en s'y amas-
sant la formation d'une tumeur subordonnée, quant à son progrès, au
48 i BOURSES SEREUSES. — épanchements séreux.
degré d'irritation. L'accroissement en est souvent lent et graduel; ce n'est
qu'au bout d'un ou de plusieurs mois qu'elle atteint des dimensions assez
considérables pour fixer l'attention, et cela a lieu sans qu'on remarque
pendant son évolution, ni douleurs très-vives, ni phénomènes inflamma-
toires bien appréciables. Quelquefois pourtant, le travail sous l'influence
duquel se produit l'épancliement semble plus actif, la partie malade est
chaude et sensible, et la tumeur parvient assez vite à son maximum de
développement; c'est ce qu'on observe surtout quand les causes habituel-
les ont été secondées par quelque circonstance accessoire, comme une
chute, un coup, une contusion plus ou moins forte. Il est enfin des cas
où la tumeur ne grossit que par saccades, et en passant par des alterna-
tives de repos et d'activité. » La tumeur parvient ainsi à un volume par-
fois énorme, surtout au genou, où elle peut atteindre la grosseur du poing
et même d'une tête d'enfant, et contenir jusqu'à 500 grammes de sérosité.
La forme de la tumeur est en général arrondie, aplatie ; quelquefois elle
est irrégulière, à surface inégale, lorsque la bourse séreuse elle-même,
est irrégulière, cloisonnée, etc.
Le contenu de la cavité est très-variable : tantôt le liquide, très-séreux,
est jaunâtre, incolore, sanguinolent, laiteux et tient en suspension des
flocons de fibrine, tantôt le liquide est épais, filant, très-albumineux, ana-
logue à de la synovie ou gélatiniforme, transparent, jaunâtre ou laiteux.
Quelquefois on rencontre dans le liquide épanché des concrétions de con-
sistance libro-cartilagineuse analogues à celles des cavités articulaires, des
gaines synoviales tendineuses. Les parois de la cavité séreuse sont tantôt
normales, tantôt injectées, épaissies, incrustées de dépôts de fibrine déplus
d'un centimètre d'épaisseur parfois qui lui donnent une consistance carti-
lagineuse; mais malgré ces modifications la bourse séreuse ne contracte
que très-rarement des adhérences avec les parties voisines.
L'hygroma une fois formé, peut rester stalionnaire pendant un temps
illimité, et n'incommoder le malade que par la difformité et la gêne qu'il
occasionne. Il est rare de le voir disparaître spontanément. Plus souvent
il devient le siège d'une recrudescence inflammatoire, et donne alors lieu
aux mêmes accidents consécutifs que l'inflammation simple mais avec-
une intensité et une gravité plus considérables que dans ce dernier cas.
Sous l'influence d'une chute, d'une contusion, les parois de la poche dis-
tendue peuvent éclater. Une partie du liquide s'infiltre alors dans le tissu
cellulaire; mais la déchirure ne tarde pas à se cicatriser et l'épanche-
ment persiste. Par suite de la rupture des parois il peut se former une
hémorrhagie qui distend rapidement la cavité en se mêlant à la sérosité
qu'elle renferme. Les blessures donnent lieu aux mêmes conséquences que
celles des bourses séreuses à l'état normal, mais la réaction est plus vive,
proportionnellement au volume de l'hygroma, et elles sont suivies de
complications plus graves. On observe quelquefois des hygromas qui
naissent sous l'influence de causes internes et qui disparaissent sponta-
nément. C'est ainsi que dans l'affection goutteuse, dans l'infection puru-
lente, on voit se montrer des épanchements qui se résorbent du jour au
BOURSES SEREUSES. — épanciiemeints séreux, 485
lendemain en alternant quelquefois avec des épanchements d'autres cavi-
tés séreuses. Asselin a même rapporté un cas dans lequel un hygroma de
la bourse prérotulienne disparaissait chaque ibis que le malade était pris
de vomissements glaireux, et qui recommençait à paraître dès que les vo-
missements cessaient.
Le diagnostic de l'hygroma ne présente pas de difficultés. Lorsque
l'affection est de date récente et que les parois de la poche n'ont pas subi
d'altération prononcée, on peut aisément constater la fluctuation. La forme
arrondie de la tumeur, sa mollesse, son indolence, l'intégrité de la peau
qui la recouvre, l'épaississement de L'épidermé, son siège dans une région
où l'on a observé des bourses séreuses, les habitudes professionnelles, con-
slituent un ensemble de caractères qui ne permette guère de se mépren-
dre sur la nature de l'affection. Si l'épaississement et la dureté des parois
de la poche pouvaient dans certains cas en imposer pour une tumeur so-
lide, les renseignements obtenus sur la durée et la marche de la maladie,
ne manqueraient pas de la faire reconnaître; mais l'erreur même n'aurait
pas de conséquence grave dans ce cas, puisque la tumeur ne pourraitalors
être traitée avec avantage que par l'extirpation.
Le traitement est variable suivant les cas.
Si l'affection résulte de causes internes sous l'influence d'une diathèse
goutteuse ou rhumatismale, etc., on aura recours aux médications usitées
dans ces divers états morbides. On pourra, dans certains cas, imiter les
procédés de la nature: Asselin ayant remarqué dans le cas cité plus haut
que la disparition de l'hygroma coïncidait chaque fois avec des vomisse-
ments glaireux, et pensant qu'il devait exister une relation entre les sécré-
tions de la bourse séreuse et celles de l'estomac, eut l'idée d'administrer
un vomitif chaque fois que l'hygroma reparaissait et parvint ainsi à en
obtenir la guérison.
Lorsque Tépanchement résulte d'une cause externe, la première indi-
cation à remplir est d'amoindrir autant que possible son action si on ne
peut pas l'éloigner complètement. L'hygroma est rarement susceptible de
résolution complète lorsqu'il n'est pas de date récente. On a essayé avec
succès un grand nombre de médicaments résolutifs sous diverses formes,
l'alcool camphré, la teinture d'iode, les pommades iodurées, mercuriel-
les, l'application d'un emplâtre de Vigo, de coton saupoudré de sel
ammoniac, l'application de compresses imbibées d'une solution aqueuse
concentrée de sel ammoniac, les lotions saturnées, les liniments rubé-
fiants, le vésicatoire volant, la compression, etc.
Ces moyens, parmi lesquels le badigconnage avec la teinture d'iode
est préférable, réussissent d'autant mieux que l'épanchemcnt est de date
plus récente, que le liquide est plus séreux et que les parois de la tumeur
sont moins altérées, épaissies. La résorption du liquide est d'autant plus
lente que l'épanchement est plus ancien. On ne saurait conseiller la cau-
térisation transcurrente et les moxas qui ont été également employés. Ces
moyens douloureux et cruels échouent constamment là où les médications
précédentes n'ont pas réussi.
486 BOURSES SÉREUSES. — épakciiebiests séreux.
Quand la résolution de la tumeur ne peut être obtenue, si d'ailleurs
elle reste stationnaire et ne cause qu'une gêne supportable, il faut aban-
donner la maladie à elle-même, ou recourir à une opération si le malade
manifeste la volonté formelle d'en être débarrassé. On a pratiqué avec
des résultats divers, l'écrasement, la ponction, l'injection d'un liquide
irritant, l'introduction d'un séton, l'incision, l'excision partielle et l'ex-
tirpation totale.
L'écrasement a été pratiqué avec succès par divers cbirurgiens. Ce
moyen est en général violent et d'une application difficile : il est avanta-
geux lorsqu'on peut l'appliquer sans violence, lorsque les parois de la
tumeur sont minces et que son volume est peu considérable.
La ponction sous-cutanée avec une aiguille à cataracte, proposée par
Cunin, ou avec un ténotome, avec incision sous-cutanée des parois, pro-
posée par Barthélémy, combinée avec la pression des doigts, est préfé-
rable à l'écrasement brusque. On se propose de refouler ainsi dans les
mailles du tissu cellulaire le liquide contenu dans la poche et d'en obtenir
la résorption.
La ponction simple avec le trocart ou avec le bistouri, en donnant issue
au liquide, ne produit souvent, de même que l'écrasement, qu'une amélio-
ration temporaire-, cependant des tumeurs même volumineuses, à parois
minces, arrivées à un état stationnaire, ont pu être traitées ainsi avec
succès, en ayant soin, toutefois, d'éloigner complètement les causes qui
leur ont donné naissance.
La ponction avec injection d'un liquide irritant a été pratiquée à di-
verses reprises. Cette opération n'est applicable qu'aux tumeurs volumi-
neuses à parois minces. Asselin rapporte un cas deguérison d'un hygroma
du genou, au moyen d'une injection vineuse. Vassilière a également
traité avec succès un hygroma de la bourse olécranienne avec une injec-
tion de vin chaud miellée.
Velpeau donne la préférence aux injections iodées, avec de la teinture
d'iode étendue de trois à six fois son volume d'eau. J'ai réussi également
avec une solution de 5 grammes d'iode et de 5 grammes d'iodure de
potassium dans 100 grammes d'eau, que j'emploie habituellement dans le
traitement des kystes séreux.
L'introduction d'un séton à travers les parois de l'hygroma a été mise en
usage à diverses reprises ; mais ce moyen très-infidèle expose aux graves
accidents qui ont été signalés à l'occasion des plaies des bourses séreuses.
L'incision a été fréquemment mise en usage. La tumeur doit être fen-
due largement dans toute son étendue, à sa partie moyenne, ou en croix,
suivant la pratique de Gerdy, de manière à pouvoir être complètement
débarrassée de son contenu et à pouvoir être maintenue ouverte large-
ment jusqu'à la cicatrisation complète de sa cavité. On s'oppose à la
réunion, par première intention, en interposant de la charpie entre les
lèvres de la plaie' et dans la cavité, afin d'y exciter un certain degré
d'inflammation et la formation de bourgeons charnus, ce que l'on
n'obtient, dans certains cas, où les parois sont épaissies que par des
BOURSES SÉREUSES. — épakchements purulents, abcès. 487
cautérisations plus ou moins énergiques, avec l'iode, le nitrate d'argent,
le perchlorure de fer, le nitrate acide de mercure ou le cautère actuel.
L'emploi de ces derniers moyens peut donner lieu à une réaction locale
très-vive, compliquée d'érysipèle, de phlegmon diffus, et accompagnée
d'accidents généraux graves. L'incision est surtout indiquée lorsque la
bourse séreuse contient des concrétions fîbrineuses, dans les cas où les
parois de la poche ne sont pas notablement épaissies.
L'excision partielle, modification du procédé suivant, est applicable
dans les cas de tumeur volumineuse à parois épaissies, implantée sur
des parties importantes auxquelles elle est adhérente, que Ton risquerait
d'intéresser par l'extirpation totale : elle consiste à retrancher une partie
des parois de la tumeur et à laisser suppurer celle qui est restée intacte.
L'extirpation totale devra être pratiquée chaque fois que la tumeur,
unie seulement aux parties voisines par du tissu connectif lâche, offre
des parois épaissies. L'opération, dans ces conditions, ne présente pas
de difficultés. On mettra la tumeur à découvert au moyen d'une incision
suffisante parallèle à l'axe du membre ; la peau sera disséquée dans une
partie de l'étendue de la bourse séreuse que l'on ouvrira ensuite pour en
évacuer le liquide et pour faciliter la dissection de sa base. Les parties
seront réunies comme dans les cas d'une plaie ordinaire. Naturellement
la gravité de l'extirpation est subordonnée au siège de la bourse séreuse,
à son volume et à ses rapports avec les parties voisines. C'est ainsi que
l'extirpation de la bourse prérotulienne, parfois pratiquée avec succès,
dans certains cas, a été suivie de mort.
Lorsque la guérison a été obtenue par l'un des moyens précédents, le
malade n'est pas à l'abri de la récidive s'il reste exposé aux mômes causes
qui ont donné lieu à son affection. Peu à peu il se formera une nouvelle
bourse séreuse, soit aux dépens de la cavité primitive qui a été oblitérée,
soit à côté de celle-ci, parle mécanisme qui donne lieu à la production des
bourses séreuses en général ; partant aussi un hygroma est susceptible de
se reproduire alors sous l'influence des mêmes causes qui lui ont donné
lieu précédemment.
En résumé, si la bourse séreuse a des parois souples, minces, si l'é-
panchèment a résisté à l'emploi des topiques et est arrivé à un état sta-
tionnaire, si le liquide est séreux ou peu épais, il faut d'abord tenter la
ponction. En cas de récidive, on essayera une injection iodée. Enfin, on
aura recours à l'incision, à l'excision partielle ou à l'extirpation dans les
conditions spéciales qui ont été indiquées.
Épancliements purulents, abcès. — Lorsque l'inflammation
des bourses séreuses est très-vive dès le début et qu'elle s'accompagne de
troubles généraux, elle est ordinairement suivie de suppuration. La séro-
sité épanchée dans la cavité de la bourse séreuse devient purulente en
même temps qu'il se forme dans le tissu cellulaire, envahi par l'inflam-
mation phlegmoneuse, des foyers purulents qui s'ouvrent au dehors,
ou qui communiquent avec la cavité séreuse en donnant lieu à un foyer
commun. Quelquefois, au contraire, la bourse séreuse trop distendue
488 BOURSES SÉREUSES. — épanchesients purulents, abcès.
se rompt elle-même et s'ouvre dans le tissu cellulaire voisin où les
liquides qu'elle renferme viennent ensuite s'épancher. Padieu a rapporté
deux cas de ce genre; toutefois, la guérison eut lieu sans qu'il soit sur-
venu d'autre accident. Cependant, si le liquide épanché s'infiltre au loin
dans le tissu cellulaire, il peut avoir pour conséquence une inflammation
phlegmoneuse étendue et amener les suites auxquelles celte complication
peut donner lieu. Lorsque la hourse séreuse repose sur des gaines tendi-
neuses, ces dernières peuvent également être envahies par l'inflammation
et par la suppuration, et communiquer avec le foyer primitif. Enfin Blan-
din a observé l'ouverture d'un abcès consécutif à l'inflammation de la
bourse prérotulienne, dans l'intérieur de l'articulation du genou, chez un
malade qui succomba aux suites de cette lésion. Le plus souvent la collec-
tion purulente s'ouvre à l'extérieur en se comportant comme un abcès
des tissus sous-cutanés.
Dès que le pus a trouvé une issue libre au dehors, il change rapidement
de caractère et ne tarde pas à devenir de plus en plus séreux. Les parois
affaissées de la bourse séreuse reviennent peu à peu sur elles-mêmes, et
la guérison s'opère comme dans les cas d'un abcès ordinaire. Néanmoins
iïecht a observé, à la suite d'un hygroma suppuré, ouvert spontanément
au dehors, une perforation consécutive de l'articulation du genou qui
s'est compliquée d'accidents généraux graves. Si la marche de la cicatri-
sation est mal dirigée, il peut en résulter, comme à la suite des plaies
contuses, soit une fistule, soit un ulcère fistuleux.
Le pronostic d'une collection purulente dans une bourse séreuse aban-
donnée à elle-même est grave. Une intervention active est nécessaire avant
les accidents qui peuvent survenir, et avant que le pus ne se fraye lui-
même une voie.
Le diagnostic d'un épanchement purulent dans une bourse séreuse ne
peut guère être établi qu'en se basant sur la marche de la maladie. Lors-
qu'on n'a pas été appelé dès le début, l'affection peut être confondue avec
un simple phlegmon, une affection de l'articulation voisine ou des parties
sous-jacentes, mais le siège de la fluctuation et de la tumeur, les commé-
moratifs, la marche de la maladie aideront à en reconnaître le véritable
point de départ. Lorsque la collection purulente s'est ouverte au dehors
et qu'il existe des trajets fistuleux, l'exploration au moyen du stylet
permettra encore de reconnaître la nature de l'affection, l'étendue du
décollement et les dispositions que présentent le foyer de la suppura-
tion.
Le traitement ne diffère pas de celui d'un abcès ordinaire. Il faut donner
une large issue au pus afin de prévenir la rupture de la poche séreuse,
et l'extension de l'inflammation et de la suppuration.
La plaie devra être maintenue largement béante, afin de faciliter l'écou-
lement du pus, et de laisser la cicatrisation s'opérer peu à peu de la pro-
fondeur vers la superficie, comme dans les cas de plaies contuses sup-
purées, de manière à ne pas s'exposer à voir l'ouverture qu'on a faite,
dégénérer en un trajet fistuleux.
BOURSES SÉREUSES. — épanchements sanguins, tumeurs. 489
Épanchemeiits sanguins. — Tumeurs hématiques. — Les
épanchements sanguins ont été observés presque exclusivement dans la
bourse séreuse prérolulienne et dans la bourse olécranienne. Ils sont
presque toujours consécutifs à des lésions traumatiques, à des contusions,
à des froissements brusques, et résultent de la rupture des vaisseaux
capillaires sanguins, dont le contenu se déverse librement dans la bourse
séreuse, jusqu'à ce que cette dernière en soit complètement distendue.
J'en ai rencontré deux cas à l'olécrane chez des sujets scorbutiques.
On les observe aussi chez les individus affectés d'hygroma d'une bourse
séreuse, à la suite d'une chute, d'une contusion ou d'une pression.
Sous l'influence de la contusion, la bourse séreuse, distendue par l'hu-
meur qu'elle renferme, éclate, une partie du liquide s'infiltre dans le
tissu cellulaire, les vaisseaux rompus donnent lieu à une hémorrhagie,
et le sang s'épanche dans la cavité séreuse, où il se mélange au liquide
restant.
Si on examine les tumeurs à différentes époques de leur évolution, on
constate des transformations nombreuses de leur contenu. Le sang y subit
les modifications analogues à celles des foyers sanguins en général. Le
coagulum se décolore peu à peu très-lentement, de la circonférence vers
le centre, à la manière des corps jaunes des ovaires, etc., la sérosité dis-
paraît peu à peu, ainsi que la matière colorante, et il finit par rester un
noyau compact adhérent formé par de la fibrine et par des globules du
sang en partie décolorés, parsemés de cristaux d'hématine. au centre,
le caillot peut rester noir, pulpeux, ramolli. C'est dans ces conditions
que j'ai observé une tumeur sanguine de la bourse prérotulienne, chez
un malade qui était tombé de son lit sur le genou quelques jours avant sa
mort, et chez lequel l'épanchement sanguin n'avait donné lieu à aucune
réaction locale. Lorsque la tumeur sanguine a été malaxée, le caillot san-
guin se réduit en fragments qui nagent dans la sérosité albumineuse,
qui prend une coloration plus ou moins foncée, tandis que les fragments
de caillots se décolorent de même de leur surface vers leur centre. D'au-
tres fois le liquide prédomine et tient en suspension des concrétions
fîbrineuses compactes ou floconneuses. Dans certains cas, la cavité de la
bourse séreuse contient une matière analogue à une bouillie brunâtre,
ou de couleur chocolat, plus ou moins épaisse. Enfin on y rencontre
parfois une matière grumeleuse, grisâtre, formée, ainsi que les dépôts
précédents, par du sang et de la fibrine mélangés à du pus, à divers états
de transformation. Velpeau a donné le nom de tumeurs hématiques aux
tumeurs qui succèdent à ces épanchements sanguins transformés.
Les épanchements sanguins se forment ordinairement avec rapidité ;
la tumeur paraît, en quelque sorte, instantanément, et prend une cer-
taine rénitence, due à la distension de la poche ; s'il n'existe pas en
même temps une infiltration sanguine des parties voisines, ses contours
accusent nettement la forme de la bourse séreuse. D'ailleurs, les jours
suivants, la tuméfaction produite par le sang infiltré dans les mailles du
tissu cellulaire diminue, l'ecchymose se décolore, et la tumeur, dont la
490 BOURSES SÉREUSES. — épakchements sanguins, tumeurs.
tension a également diminué, apparaît avec sa forme caractéristique.
Il devient alors possible de percevoir, en malaxant la tumeur, une sen-
sation particulière de crépitation due à l'écrasement du caillot et à la
collision de ses fragments. Quelquefois une inflammation aiguë, provoquée
par la décomposition du sang ou par le traumatisme, s'empare de la
bourse séreuse. La maladie parcourt alors les mêmes phases que l'inflam-
mation simple, et expose aux accidents qui ont été signalés précédem-
ment. Lorsque le caillot se ramollit ou se désagrège en bouillie, sous
l'influence des pressions réitérées, la tumeur paraît mollasse, pâteuse ;
elle prend une consistance ferme lorsque, au contraire, la sérosité dispa-
raît, et qu'il ne reste qu'un noyau dur et résistant. Le diagnostic peut
alors être très-obscur, si l'on ne peut obtenir de renseignements sur
l'origine et l'évolution de l'affection.
Le traitement varie suivant que l'épanchement sanguin est de date ré-
cente ou qu'il a subi des transformations.
Au début, il faut exercer une compression exacte, pour s'opposer, au-
tant que possible, à la continuation de Fhémorrhagie, puis faire des
applications résolutives dans le but de favoriser la résorption des liquides
et de s'opposer au développement de l'inflammation.
Si l'épanchement est peu considérable, on peut abandonner la maladie
à elle-même et continuer l'emploi des résolutifs, et, plus tard, des lini-
ments rubéfiants, de la teinture d'iode, des vésicatoires volants, pour
activer la résorption de la sérosité. L'absorption des liquides sera favo-
risée, dès le début, par le massage de la tumeur, dans le but d'écraser
le caillot qu'elle contient, de le pétrir, en quelque sorte, de manière à le
réduire en bouillie, ainsi que l'a conseillé Velpeau. Lorsque l'on parvient
à obtenir le retrait de la tumeur, il ne reste plus qu'un noyau mollasse
ou induré formé par les résidus de l'épanchement.
On n'a rien à attendre des moyens résolutifs, lorsque la tumeur san-
guine est considérable, ou lorsqu'il s'est fait un épanchement sanguin
dans un hygroma déjà volumineux. Dans ces cas, la tumeur persiste
et n'éprouve qu'un retrait médiocre, si toutefois il ne survient pas d'in-
flammation. Lorsqu'on est appelé dès le début, le meilleur parti à prendre
est de faire une ponction dans la tumeur avec le bistouri, et de donner
issue au sang épanché, en empêchant l'entrée de l'air dans la poche, et
de faire la réunion immédiate de la petite plaie. Si, néanmoins, il sur-
venait de l'inflammation, et s'il s'établissait un épanchement dans la
bourse séreuse, on traiterait cette complication comme il a été exposé
ci-dessus. L'évacuation immédiate du sang est surtout indiquée lorsque
les tissus ont été fortement contusionnés, et si l'inflammation est immi-
nente.
Lorsque l'inflammation s'est établie, et qu'elle s'est étendue en don-
nant lieu à un érysipèle, à un phlegmon, on aura recours à une médi-
cation antiphlogistique active, afin de combattre et de prévenir les acci-
dents graves que cette redoutable complication entraîne le plus souvent.
On donnera une position élevée à la partie malade, qui sera maintenue en
BOURSES SEREUSES. — concrétions. 491
repos, on prescrira des applications émollientes, des sangsues, des sai-
gnées, suivant les cas. Si, malgré tous ces moyens, il se produit des
foyers de suppuration, il ne faut pas hésiter à ouvrir largement la tumeur
et à donner issue au pus et aux liquides épanchés. Le traitement consé-
cutif consistera, comme dans les cas d'épanchements purulents, à main-
tenir la plaie ouverte et à obtenir une cicatrisation régulière à la suite
du bourgeonnement de la cavité séreuse.
Lorsque l'épanchement sanguin est ancien, les parois du kyste épais-
sies, le contenu épais, grumeleux, mélangé de parties compactes, on
devra, suivant les circonstances, ainsi que dans les cas d'épanchements
séreux, recourir à l'incision ou à l'extirpation des tumeurs hématiques.
L'extirpation est indiquée lorsque les parois de la poche sont épaissies,
indurées, et ne sont pas susceptibles de cicatrisation régulière.
Si, au contraire, les parois ont conservé de la souplesse, et si le con-
tenu peut être évacué par une simple ponction ou par une petite incision,
on peut, après avoir bien vidé la poche, se contenter de pratiquer une
injection irritante.
Concrétions. — Les concrétions que l'on observe dans les bourses
sous-cutanées, sont très-variables et résultent de causes diverses. Elles
sont consécutives, soit à un épanchement sanguin, soit à un épanche-
ment séreux, soit à une sécrétion purulente.
Les concrétions sanguines donnent lieu aux tumeurs hématiques, et
ont déjà été passées en revue. Elles sont formées par des caillots plus ou
moins concrets et décolorés, dont la matière colorante a été en partie
dissoute dans la sérosité.
Les concrétions que Ton rencontre dans les épanchements séreux sont
ordinairement blanchâtres, lisses, irrégulières, arrondies, de consistance
fibro- cartilagineuse, et sont constituées par de la fibrine. La sérosité ren-
fermée dans les hygromas, subit souvent, peu de moments après son
extraction, une coagulation en masse due à la fibrine dissoute qu'elle
renferme. Cette coagulation s'opère aussi spontanément dans l'intérieur
des cavités séreuses. La fibrine se précipite, se concrète alors sur les
parois ,du kyste, qui s'épaississent ainsi par des couches successives,
ou bien elle donne lieu à des concrétions libres, plus ou moins volumi-
neuses, en nombre variable, quelquefois à plusieurs centaines, suivant
que le caillot fibrineux primitif a été plus ou moins écrasé et divisé en
fragments. Ces derniers peuvent s'accroître par des couches successives
de fibrine provenant de la sérosité exhalée pendant les alternatives de re-
crudescence et de résorption de l'épanchement. Les mêmes concrétions
se rencontrent dans les gaines tendineuses et dans les synoviales articu-
laires, qui sont, ou qui ont été, le siège d'un épanchement séreux. Ces
concrétions ont de la tendance à s'incruster de sels calcaires, à se créti-
fier partiellement, de même que les dépôts analogues des articulations,
de la cavité pleurale, du péricarde, les phlébolithes.
Les concrétions consécutives à des épanchements purulents sont ordi-
nairement blanchâtres, et se présentent sous forme d'un magma plus ou
492 BOURSES SÉREUSES. — fistules, ulcères, bibliographie.
moins épais, dans lequel les globules de pus sont encore reeonnaissables.
J'ai rencontré, dans une tumeur de la bourse prérotulienne, une matière
complètement blanche,' analogue à de l'amidon humecté d'un peu d'eau,
en forme de bouillie épaisse, plastique, crépitante et très-effervescente en
présence des acides. Les parois de la cavité qui contenait cette matière
étaient un peu épaissies.
Les concrétions une fois formées, la bourse séreuse s'habitue à leur
contact, et elles n'occasionnent plus, en général, qu'une gêne plus ou
considérable.
Les indications thérapeutiques sont les mêmes que dans les cas d'épan-
chements sanguins anciens.
Fistules, ulcères fistuleux. — Les fistules et les ulcères fistuleux
des bourses séreuses sont consécutifs, soit à des plaies simples ou con-
tuses, soit à des épanchements purulents, soit à des opérations, lorsque
le malade n'a point été soumis à un repos assez prolongé, lorsque la ma-
ladie a été abandonnée à elle-même, ou lorsque la marche de la cicatri-
sation n'a pas été convenablement surveillée et dirigée. Ces affections
peuvent être entretenues par l'indocilité du malade, par les mouvements
communiqués sans cesse à la partie affectée, par la disposition de la plaie,
par les pansements irréguliers.
Les ouvertures fistuleuses donnent issue à un liquide séro-purulent,
dont la quantité n'est pas en relation avec l'étendue apparente du mal.
En introduisant un stylet dans le trajet fistuleux, on pourra reconnaître
les limites de la cavité suppurante, et en déterminer les rapports avec les
parties voisines, ce qui permettra d'éviter de les confondre avec une
affection des tissus sous-jacents, d'un os, d'une articulation, etc.
Le traitement consiste à donner une libre issue aux liquides sécrétés,
et à modifier la surface sécrétante lorsque le pus est séreux et mal lié. La
première indication est d'empêcher la stagnation du pus et des liquides
sécrétés, en opérant une compression régulière tout autour du trajet fis-
tuleux sur les limites du décollement, de telle sorte que l'ouverture fistu-
leuse dans laquelle on introduira un tube en caoutchouc fenestré, reste
parfaitement libre. Si ce pansement simple ne suffit pas pour amener la
guérison, on injectera par l'ouverture fistuleuse une solution irritante,
iodée. Enfin, si les injections échouent, il faudra fendre la fistule et
mettre le fond de la bourse séreuse à découvert, et cautériser directement
ses parois avec du nitrate d'argent, du perchlorure de fer, ou même avec
des caustiques plus énergiques. La plaie devra être maintenue largement
ouverte pour obtenir peu à peu le bourgeonnement et la cicatrisation du
fond vers l'extérieur. Lorsque les parois de la bourse séreuse sont très-
épaissies, de consistance fibro-cartilagincuse, et se prêtent difficilement
au recollement, il vaut mieux recourir à leur extirpation totale ou par-
tielle.
Les affections des bourses séreuses ont été décrites, pour la première fois, par Camper, au
genou et au coude. Jusqu'alors elles avaient été confondues avec d'autres maladies et signalées
en passant, en tant que tumeurs, abcès, etc.
BOUTON D'ALEP. — définition. 495
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Eugène Kœbeklé.
BOUTON D'AIiEP. — uëfinition. — Le bouton d'Alep, nommé
en arabe liabab el seneh (ulcère d'un an), est un exanthème tuberculeux
se développant dans le tissu cellulaire sous-cutané, et envahissant ensuite
la peau qu'il ulcère; la durée de son évolution est d'un an; il siège
habituellement à la face et aux extrémités; il est apyrétique et rarement
douloureux.
La dénomination de bouton d'Alep est vicieuse ; car, d'une part, elle
est vague, peu scientifique, ne désignant pas convenablement l'altération
qui se forme à la peau ; d'autre part, elle porte à croire que cette maladie
s'observe exclusivement à Alep ou dans ses environs, tandis qu'on la con-
state encore dans d'autres contrées, telles que le Liban, Bagdad, Ispahan,
l'Egypte, etc. Aussi l'expression de bouton ou ulcère d'Orient, proposée
par le docteur Villemin, serait sans doute préférable.
Causes. — L'étiologie de cet exanthème a donné lieu à de nombreux
travaux.
La plupart des médecins et des voyageurs qui ont écrit sur le bouton
d'Alep, ne l'ont étudié que dans cette ville; ne supposant pas qu'il pût
naître dans d'autres contrées, ils ont été entraînés à chercher et à Irouver
sa cause prochaine dans le seul pays qui fut l'objet de leurs explorations.
Obligés d'élaguer de son étiologie les influences climatériques, si puissantes,
dans le développement des maladies endémiques, puisque cet exanthème
se manifeste dans toutes les saisons, dans des localités placées à des alti-
tudes variées, et dans les conditions atmosphériques les plus disparates,
ils pensèrent que la cause génératrice de cette endémie était inhérente
au sol. Adoptant une opinion populaire d'une grande valeur pour Alep,
494 BOUTON D'ALEP. — définition.
ils ont invoqué comme élément étiologique réel et unique l'usage des
eaux de la rivière Koïq qui traverse la ville.
Cette idée très-ancienne, admise par un certain nombre d'écrivains,
parmi lesquels je citerai Al. Russel, Volney, B. Poujoulat, Guilhou, Tho-
masini, Villemin, etc., etc., repose sur des faits qui, au premier abord
paraissent très-probants. Le docteur Villemin, qui a publié un mémoire
très-intéressant sur le bouton d'Alep, rapporte que de hauts fonctionnaires
turcs, obligés de résider dans cette ville, ont eu la précaution de ne faire
boire à leurs femmes et à leurs enfants que l'eau de la source nommée
Ayn Beyda, et aucune personne de leur famille n'a été atteinte de la ma-
ladie. Guilhou, dans une carte tracée par Germain, jointe à sa thèse
inaugurale, montre la marche du bouton calquée sur celle du Koïq; d'a-
près ce médecin, les habitants des localités arrosées par cette rivière,
qui n'ont à boire que les eaux qu'elle fournit, en sont atteints, tandis
que les individus demeurant loin de son cours, et qui, par conséquent,
ne peuvent faire usage de ses eaux, en sont exempts.
Malgré ces faits, il importe de rappeler que la maladie dite bouton
d'Alep se rencontre à Orpha, à Mossoul, à Bagdad, à Ispahan, dans le
Liban, à Beyrouth, dans l'île de Candie, en Egypte, etc. Ces diverses
localités offriraient-elles des influences identiques à celles qui régnent
dans le pachalick d'Alep? Leurs eaux potables auraient-elles la même
composition que les eaux limoneuses du Koïq? Les eaux du Koïq ont été
analysées par le professeur Bussy; elles ne contiennent que des sels ordi-
naires et en faible quantité ; mais elles donnent par le repos un dépôt
très-abondant de matières organiques. Darcet fils, qui a aussi examiné
ces eaux, les a reconnues alcalines. Cette alcalinité a été considérée par
Guilhou comme la cause productrice de l'exanthème alépin. Cette simili-
tude, ou analogie des causes, serait admissible, mais il faudrait des
preuves suffisantes, et ces preuves font défaut. On observe en Egypte une
maladie qui a beaucoup de rapports avec le bouton d'Alep ; elle porte le
nom de bouton du Nil, parce que les riverains de ce fleuve l'attribuent
à l'usage de ses eaux ; il existe pourtant de grandes différences entre les
eaux du Nil et celles du Koïq; les premières sont limpides et d'une saveur
très-agréable, qualités qui expliquent la préférence qu'on leur accorde
sur les autres eaux potables du pays, tandis que les secondes sont sou-
vent troubles et terreuses.
L'exanthème égyptien présente une certaine analogie avec celui d'Alep.
Un de mes collègues de la marine impériale m'a raconté que pendant un
voyage au Caire, il eut l'occasion de voir le docteur Ernest Godard, de
regrettable mémoire, qui, atteint d'un ulcère à la partie antérieure d'une
des jambes, fut obligé de séjourner dans cette ville durant l'hiver 1861-
1862. Ce médecin distingué appelait sa maladie bouton du Nil, et lui
reconnaissait des points de ressemblance avec celui d'Alep; néanmoins il
y avait cette différence, que son ulcère était douloureux, tandis qu'ordi-
nairement celui d'Alep est indolore.
Il est vrai de dire que la majorité des médecins et des voyageurs re-
BOUTON D'ALEP. — définition. 495
connaît comme cause principale du bouton d'Alep l'usage des eaux du
Koïq. Néanmoins des auteurs recommandables, tout en tenant compte de
leur action, pensent qu'elles ne peuvent à elles seules provoquer le déve-
loppement de cette singulière maladie. Comment, en effet, expliquer sa
présence dans des localités éloignées du cours du Koïq? Les écrivains qui
se sont le plus attachés à faire prévaloir cette étiologie, émettent presque
tous, quoique indirectement, des doutes sur l'unicité de la cause pro-
ductrice. Guilhou, qui ne reconnaît d'autre influence que l'usage des eaux
du Koïq, et qui pourtant constate une conformité parfaite entre l'exan-
thème d'Alep et celui qu'on observe dans d'autres contrées, explique
cette identité par l'existence dans les fleuves et les sources qui fournissent
les eaux potables, d'un principe semblable à celui que charrie le Koïq.
Willemin, grand partisan de l'influence nocive des eaux de cette rivière,
en proposant de nommer la maladie d'Alep bouton ou ulcère d'Orient,
admet implicitement que son étiologie peut être diverse. Ed. Estienne,
médecin de la marine, dans sa thèse inaugurale sur le bouton d'Alep,
s'élève avec force contre cette étiologie exclusive qu'il taxe d'erreur gros-
sière, propagée par des voyageurs qui n'ont tenu compte que des idées
populaires répandues dans les localités qu'ils visitaient; cet auteur con-
clut en disant qu'il est rationnel d'avouer que jusqu'à ce jour on n'a pu
fixer d'une manière rigoureuse l'influence productrice de cette maladie,
et que son étiologie est encore enveloppée d'une profonde obscurité.
Enfin mon excellent ami et confrère, le docteur Suquet (de Beyrouth),
dans une note qu'il m'a adressée sur ce sujet, après avoir discuté la pré-
tendue influence des eaux du Koïq, formule ainsi son opinion : « Les
causes du bouton d'Alep, comme celles de plusieurs maladies, sont encore
un mystère que la science pourra éclairer un jour, il faut l'espérer, mais
qu'elle ne peut encore expliquer. »
Le bouton attaque à Alep tous les indigènes sans exception ; il se déve-
loppe ordinairement pendant la première enfance ; on a dit qu'il ne se
présentait presque jamais sur les enfants à la mamelle; néanmoins on l'a
quelquefois observé pendant les premiers mois de la vie; il sévit avec
plus d'énergie sur les sujets d'un tempérament lymphatique et affaiblis
par des maladies diathésiques, par une nourriture insuffisante en qualité
ou en quantité, et par de mauvaises conditions hygiéniques.
Tous les auteurs s'accordent pour refuser au bouton d'Alep toute pro-
priété contagieuse. Villemin rapporte l'observation d'une jeune enfant
âgée de quinze mois, atteinte du mal à la joue gauche depuis dix mois,
et depuis quinze jours d'un exanthème occupant tout le menton, ainsi
qu'une partie de la joue opposée, et présentant tous les caractères de cette
maladie cutanée que l'on nomme communément croûte de lait ; la mère
de l'enfant attribuait cet exanthème à l'action irritante du pus provenant
du bouton. Villemin adopte cette manière de voir; le produit spécifique
n'a pas développé un exanthème semblable à celui qui le fournissait, et a
déterminé une éruption d'une nature bien différente; ce fait, dit ce mé-
decin, est une preuve de la non-contagion du bouton d'Alep.
496 BOUTON D'ALEP. — symptômes.
D'après Guilhou cet exanthème n'épargne personne; il atteint les étran-
gers comme les indigènes, sans distinction de race, de sexe, de tempéra-
ment, d'âge, de profession, pourvu que les sujets aient subi pendant un
temps suffisant l'influence des causes endémiques auxquelles il faut rap-
porter son origine. Cette opinion est trop absolue; les études récentes
faites sur cette maladie ont établi qu'il existait de nombreux cas d'immu-
nité; Guilhou lui-même cite le fait très-remarquable de Germain père,
qui, ayant résidé soixante-neuf ans à Alep, y est mort à l'âge de quatre-
vingt-cinq ans sans avoir payé son tribut à cette triste endémie. Requin
raconte que Disant, ancien consul à Alep, qui avait quitté cette ville de-
puis près de vingt ans, était demeuré indemne jusqu'au moment de la
publication du troisième volume de ses Eléments de pathologie interne
(1852). Le docteur Villemin rapporte plusieurs exemples d'individus que
le bouton a épargnés, malgré un séjour plus ou moins long à Alep; le
docteur Thomasini, qui, en 1852, exerçait la médecine dans cette ville
depuis plus de quatorze ans, n'en avait jamais été atteint; le docteur
Villemin, qui a séjourné un mois à Alep, en 1852, a présenté jusqu'à ce
jour une immunité semblable; enfin le docteur Suquet (note inédite) dit
qu'il connaît plusieurs Européens habitant Beyrouth, qui sont allés plu-
sieurs fois à Alep, y ont séjourné des mois et des années, et n'ont jamais
eu le bouton, bien qu'ils aient bu de toutes les eaux du pays. Néanmoins
il est des personnes qui ont contracté cet exanthème peu de temps après
leur arrivée à Alep : ainsi presque tous les Hongrois qui suivirent Bem
dans cette ville et y restèrent après la mort de ce général, furent atteints
du bouton, qui ne parvint cependant chez aucun au même développement
que sur les indigènes.
De ce qui précède, on peut conclure que, si le séjour à Alep expose
l'Européen à contracter l'exanthème, il n'entraîne pas cependant ce
fâcheux résultat d'une manière fatale.
Quelques auteurs ont avancé que le bouton pouvait se développer sur
des individus longtemps après leur départ d'Alep ; cette assertion a été
repoussée absolument par les uns, et admise par les autres avec de nom-
breuses réserves. Néanmoins il existe des observations qui prouvent l'exi-
stence réelle de la longue latence de cette maladie. Villemin cite, dans
son mémoire, six faits qui lui ont été affirmés par les sujets eux-mêmes
ou par des personnes digues de foi. En recherchant les limites extrêmes
de l'apparition de l'exanthème dans ces cas, on a constaté que l'époque la
plus hâtive a été de huit mois, et la plus reculée de trente-cinq ans.
Symptômes. — Le bouton d'Orient se développe inopinément sans
être précédé d'aucune espèce de prodromes ; il poursuit son évolution
sans mouvement fébrile.
Dans sa marche lente, mais progressive, cet exanthème présente trois
périodes distinctes : 1° période de formation; 2° période de ramollisse-
ment; 3° période de cicatrisation.
Première période. — Le bouton d'Alep commence par une légère
élévation que l'on perçoit à la peau, ne déterminant, quand on la com-
BOUTON D'ALEP. — symptômes. 497
prime, aucune douleur : sa surface est d'un rose pâle ; dans les premiers
mois de son apparition, cette tumeur est tout au plus du volume d'un
pois ou d'une petite fève; plus tard elle fait une plus grande saillie au-
dessus des téguments, et offre une coloration rouge bien marquée; elle
se recouvre ensuite de petites écailles ou furfures blanchâtres qui tombent
et se reproduisent promptement ; quand la tumeur a acquis un certain
volume, elle est parfois le siège d'un prurit très-incommode.
Deuxième période. — Cette période est annoncée par la cessation de
la sécrétion furfuracée et par l'exhalation d'un liquide séreux ; celui-ci,
d'abord peu abondant, très-limpide, devient ensuite plus plastique, se
coagule et donne naissance à une croûte ayant la forme d'une coquille de
Lepas ; au début, peu épaisse, elle acquiert graduellement une plus grande
consistance : tantôt elle est sèche et se détache facilement, tantôt elle est
humide et plus adhérente, alors elle se crevasse et tombe par fragments;
elle se reproduit, du reste, avec une très-grande rapidité ; au-dessous
d'elle se remarque un fond situé quelquefois au niveau des téguments,
quelquefois, et plus souvent, creusé dans leur épaisseur ; il est lisse et
presque plan, sans bourgeons charnus ; les bords en sont irréguliers, d'un
rouge terne et unis au fond de l'ulcère par une pente peu apparente; l'au-
réole qu'ils circonscrivent est parsemée de petites élevures tuberculeuses, en
nombre variable et augmentant progressivement de volume; cette auréole
est insensible. « Cette anesthésie très-limitée, que je crois avoir signalée
le premier, est pour moi le caractère distinctif du bouton d'Alep ; il rap-
procherait cet exanthème des excroissances tuberculeuses de la lèpre. »
(Suquet, note inédite.) Dans quelques cas le fond de l'ulcère repose
sur une base indurée qui s'étend au delà de ses limites. Pendant cette
période le malade n'éprouve que des douleurs très-légères, mais quand
la croûte est détachée par accident ou volontairement par les doigts
du sujet, la plaie devient le siège de douleurs assez vives qui, du reste,
n'ont pas une longue durée.
Le liquide que fournit l'ulcère d'Orient est séreux ou séro-purulent9
quelquefois très-limpide, et parfiis, mais plus rarement, ayant la con-
sistance et l'aspect du pus ; il est ordinairement inodore. Ce produit, ainsi
que je l'ai déjà dit, est très-plastique. Aussi à peine la croûte est-elle
tombée, qu'elle se rétablit pour se détacher et se renouveler encore; cette
exfoliation se répète six à huit fois et même davantage. Elle s'accompagne
d'une sensation de prurit plus ou moins pénible.
Troisième période. — La cicatrisation est annoncée par la diminution
de la tumeur et la disparition de la rougeur qui l'entoure , une dernière
croûte recouvre l'ulcère; n'étant plus pénétrée par le liquide dont la
sécrétion diminue et tarit ensuite, elle reste plus adhérente, puis tombe
en fragments et laisse voir le fond de l'ulcère parfaitement sec. La cica-
trice est constituée par un tissu inodulaire rougeâtre, prenant plus tard
et peu à peu une teinte pâle qui débute par le centre. Les petits tubercules,
qui entouraient l'ulcère ne se résolvent qu'à une époque plus avancée
la sensibilité des parties sur lesquelles ils s'étaient développés, ne se réta-
NOUV, DICT. MÉD. ET CIIIB. V. — 52
498 BOUTON D'ALEP. — variétés, siège, étendue et durée.
blit qu'ultérieurement et avec une extrême lenteur. D'après Villemin, si
on examine à la loupe le champ de la cicatrice, on voit qu'il est couvert
de petites lamelles blanchâtres, comme écailleuses, égales entre elles et
exactement juxtaposées.
La cicatrice définitive est d'un blanc mat et a l'aspect de celle qui suc-
cède à une brûlure; elle est ordinairement au niveau des téguments; ses
bords sont irréguliers; elle est indélébile.
Quand le bouton se développe sur des téguments minces comme aux
paupières, ceux-ci sont détruits, et il en résulte une difformité plus cho-
quante que lorsqu'il siège sur des parties épaisses et suffisamment dou-
blées de tissu cellulaire.
Aucun symptôme général ne s'observe pendant la durée de cette ma-
ladie; elle ne détermine pas de douleur bien notable, si ce n'est quand
elle s'est développée sur les articulations et dans les points où la peau est
presque directement appliquée sur les os.
La marche du bouton n'est nullement influencée par les affections
intercurrentes.
Variétés. — L'exanthème d'Orient présente de nombreuses variétés
qui dépendent du nombre des boutons, de leur siège, de leur étendue.
Nombre des boutons. — Le nombre des boutons est variable ; quand il
n'en existe qu'un, les Alépins le nomment mâle; quand il yen a plusieurs,
on les nomme femelles. Il est rare de n'en rencontrer qu'un seul ; les
boutons femelles sont les plus fréquents : Guilhou rapporte en avoir con-
staté sur un Français soixante-dix-sept principaux, entourés d'une mul-
litude de plus petits. On aurait cru au premier aspect à une variole con-
tinente. Les habitants d'Alep admettent une troisième variété de bouton
qu'ils nomment neutre; celui-ci est peu volumineux et suppure peu de
temps, sa cicatrisation plus régulière s'opère plus promptement.
«ipgc — Le bouton d'Alep se développe sur toutes les parties de la
peau, mais il se présente de préférence à la face et aux membres; les
Alépins l'ont presque tous au visage, et, le plus ordinairement, au côté
gauche. Sur les étrangers il se manifeste le plus habituellement aux extré-
mités et presque toujours à leurs faces dorsales.
Étefiiclue. — L'ulcère, qui est le produit du ramollissement du tuber-
cule, a une étendue très-variable; le docteur Villemin en a mesuré qui
avaient quatre ou cinq centimètres de diamètre : ce médecin cite un
Hongrois dont le nez entier et la portion contiguë des deux joues étaient
envahis par la maladie ; elle avait eu pour rudiments trois tubercules en
triangle. Heureusement ces cas sont fort rares, ordinairement les ulcères
ont de petites dimensions. Villemin dit avoir vu assez souvent à Alep de
jeunes iilles qui portaient aux lèvres, aux joues, aux avant-bras, de petites
cicatrices arrondies de la grandeur d'une pièce de cinquante centimes,
à peine plus pâles que le tégument voisin, dont elles atteignaient presque
le niveau.
Durée. — La durée du bouton d'Alep est ordinairement d'un an,
cependant quelquefois cet exanthème n'arrive pas à ce terme, et dans
BOUTON D'ALLP. — diagnostic et récidives. 499
•quelques cas il le dépasse. Villemiii rapporte l'observation d'un Alépin
dont la maladie avait duré quatre ans ; chez un autre, qui eut le visage
entièrement envahi, elle avait duré cinq ans.
Les individus doués d'un tempérament robuste n'ont, en général, le
bouton qu'à un faible degré, et son développement est plus lent que chez
les sujets débiles.
La durée des périodes que parcourt cet exanthème est difficile à appré-
cier. Néanmoins en consultant les observations recueillies par divers mé-
decins, on peut établir approximativement que la période d'évolution
dure quatre mois, celle de ramollissement, six mois, et celle de répara-
tion, deux mois.
Diagnostic. — Pendant la période de ramollissement, le bouton
d'Àlcp présente parfois certains caractères particuliers se développant
sous l'influence de conditions spéciales dérivant de la constitution des
malades et de l'existence de maladies diathésiques.
D'après Yillemin, cet exanthème peut emprunter les traits de toutes
les maladies de la peau, et celles-ci sont fréquentes à Alep ; il est souvent
difficile d'établir un diagnostic précis, mais en observant, pendant quelque
temps, leur marche et leurs caractères, on pourra presque toujours les
différencier avec facilité. Les affections cutanées qui déteignent le plus
communément sur le bouton d'Alep, sont : l' impétigo, l'echtyma, le lupus,
et surtout les syphilides pustuleuse et tuberculeuse.
Malgré ces complications, on pourra presque toujours établir le dia-
gnostic d'une manière convenable, en s'appuyant sur les caractères géné-
raux de l'ulcère d'Orient, qui consistent dans son siège à peu près con-
stant à la face et à la partie dorsale de l'avant-bras, de la main et du
pied; dans sa durée assez régulière d'un an; dans la lenteur de son dé-
veloppement; dans l'absence de douleurs; dans l'apparition tardive du
ramollissement; dans l'insensibilité des bords de l'ulcère; dans l'aspect
lisse, sec, uni de son fond après la chute successive des croules.
Pronostic. — L'ulcère d'Orient n'est pas le plus ordinairement une
maladie grave; mais quand il atteint des sujets dont la constitution est
altérée par des affections passées ou actuelles, par de mauvaises condi-
tions hygiéniques, il peut devenir dangereux et même se terminer par la
mort.
Les cicatrices vicieuses et difformes qu'il occasionne, surtout quand
il siège à la (ace , altèrent les traits d'une manière notable et les dé-
forment quelquefois complètement. Quand le mal siège aux extrémités,
aux environs des articulations, il peut déterminer une gène plus ou moins
marquée dans les mouvements, et s'il s'est développé aux membres infé-
rieurs, amener un certain degré de claudication.
D'après le docteur Thomasini, qui exerce la médecine à Alep depuis
plusieurs années, la maladie a perdu graduellement de son intensité dans
cette ville, tandis qu'elle serait la même à Orpha, à Mossoul, à Bagdad,
où parfois elle a occasionné la mort.
Récidives. — Les médecins et les voyageurs qui ont observé le
500 BOUTON D'ALEP. — traitement.
bouton d'AJep ont presque tous admis qu'il ne se développait qu'une
seule lois sur le même sujet; cependant, par suite de travaux récents, il
paraîtrait qu'une seconde évolution peut avoir lieu; d'après Villemin, le
boulon contracté à Orpha et à Bagdad ne préserve pas de celui de Mos-
soul et d'Alep, et réciproquement, bien que l'affection paraisse identique
dans ces différentes localités.
A Alep la récidive est commune, surtout chez les femmes, les enfants
lymphatiques et les individus dont la constitution est affaiblie ; elle se
manifeste par une éruption tuberculeuse dont la durée est d'un an, ayant
la même marche, se recouvrant d'une croûte pins sèche, plus adhérente
que dans la première évolution, et présentant une plus grande bénignité.
Au milieu du siècle dernier, le médecin anglais Al. Russel avait fait
mention de cette récidive : « Outre les boutons mâle et femelle, dit-il, il
existe une troisième espèce qui, bien qu'elle soit habituellement attri-
buée à la morsure du mille-pieds, me semble être absolument de la même
nature, seulement d'un plus faible degré. »
D'après les auteurs qui ont visité Alep, cet exanthème de seconde date
est attribué dans le pays à la morsure du cloporte (en arabe, Khars-el-
Umm-Aly). Des expériences faites par Villemin et par X , consul
sarde, ont suffisamment prouvé que cet insecte ne produit rien de sem-
blable au bouton d'Alep.
Traitement. — Les habitants des pays où cette maladie est endé-
mique, ne la traitent pas, car on ne peut considérer comme moyens de
traitement les pratiques superstitieuses et souvent bizarres auxquelles ils
ont recours avec la confiance la plus absolue, mais, en même temps, ils
maintiennent l'ulcère dans un grand état de propreté, en le lavant très-
souvent avec de l'eau tiède savonneuse. Pour le préserver de l'action de
l'air et des corps extérieurs, ils le recouvrent avec des feuilles de ci-
tronnier, et quelquefois avec des tranches de citron; ils se servent aussi,
pendant la suppuration, de la pulpe de casse et du suc du prunier épi-
neux : en somme ces topiques sont très-innocents, et on peut conclure
que l'expeetation est la méthode la plus répandue; elle est, du reste,
fondée sur cette opinion universellement adoptée dans les pays où règne
l'exanthème spécifique, à savoir : que des maladies graves pourraient
se manifester si l'on réussissait à entraver sa marche.
Par suite de cette idée populaire, les médecins européens sont rarement
appelés à traiter le bouton; du reste presque tous s'accordent à admettre
qu'aucune médication ne saurait modifier son évolution fatale; l'expérience,
dit Volney, a enseigné que le meilleur remède est de n'en point faire.
D'après le docteur Suquet, les caustiques et les incisions employées par
quelques médecins n'ont eu pour résultat que d'étendre l'ulcère, de re-
tarder sa marche, et de produire des cicatrices plus profondes.
On a proposé de faire avorter le bouton tout à fait au début, en prati-
quant une incision sur la peau et en cautérisant plusieurs lois la plaie
avec le nitrate d'argent ou la pâte de Vienne ; plusieurs tentatives ont été
faites et ont été couronnées de succès : « Je crois plus à la bonne foi des
BOUTON DES ZiBANS OU DE BISKRA. 501
médecins qui ont appliqué ce traitement qu'à la valeur de leur médication
abortive, dit Suquet, car ils peuvent avoir pris pour le bouton d'Alep un
exanthème bénin qui aurait disparu sans les cautérisations. »
Inoculation. — On a cherché à inoculer le pus de l'ulcère d'Orient ;
dans le siècle dernier et au commencement de celui-ci, des essais furent
tentés sans réussites bien avérées; ils ont été renoulevés en 1859, lors
de l'occupation égyptienne; d'après les rapports des médecins de l'expé-
dition, les inoculations déterminèrent un bouton bénin et de courte durée.
Villemin, pendant son séjour à Alep, en 185c2, n'ajoutant pas une
grande confiance aux faits que je viens de citer, désira faire de nouvelles
inoculations, il avait l'intention de les pratiquer avec du pus fourni par
l'ulcère d'un chien (cet animal est sujet au bouton), mais les individus
que ce médecin avait ta sa disposition ne consentirent pas à se soumettre
à cette expérience, et on fut obligé d'employer le liquide recueilli sur
l'ulcère d'un homme.
Les résultats de l'inoculation pratiquée par trois incisions à la région
deltoïdienne, ont été peu concluants; chez les quatre sujets qui présen-
tèrent une éruption manifeste, on observa un fait très-remarquable; c'est
que sur les trois boutons pustuleux qui apparurent, deux se desséchèrent
promptement, tandis que l'autre prit du développement; celui-ci sup-
pura pendant quelques jours et se cicatrica au bout de deux ou trois
semaines : un Alépin qui avait eu antérieurement le bouton, et qui se
soumit à l'inoculation, a présenté cette pustule comme ceux qui n'avaient
jamais eu la maladie, de sorte qu'on pouvait conclure de ce fait que le
premier exanthème ne préserverait pas d'une seconde éruption.
Al. Ri ssel, Histoire naturelle d'Alep el des pays voisins. 1756.
D. IIollanmie, Du Bouton d'Alep [Jour, de med. de lloux-Deslillets. 1782, t. XLVIII).
VoLis-EY, Voyage en Egypte et en Syrie; état politique de la Syrie, du pachalick d'Alep. 1787.
Alibert, Noie sur la pyrophlyctide endémique, ou pustule d'Alep (Revue médic. juillet 18*29).
Ed. Estienne (médecin de la marine), Du Bouton d'Alep. Thèse pour le doctorat. Montpellier, 1850.
n"6.
Requin, Du Bouton d'Alep (Gaz. med. 1852), et Éléments de pathologie interne. 1852, t. III.
Guilhou, Du Bouton d'Alep, Thèse pour le doctorat. Paris, 1855, n° 165.
B. PoijouLAT, Voyage dans l'Asie Mineure, en Syrie, en Palestine et en Egypte. Bruxelles, 1841.
A. Villemin, Mémoire sur le Oouton d'Alep. Paris, 1854.
A. Barrallier (de Toulon).
bouton des zibans ou de biskba. — Depuis 1844, époque de
l'occupation par l'armée française des parties de l'Algérie avoisinant le
Sahara, les médecins de l'armée ont observé dans ces régions, et surtout
dans la zone des Zibans, à Biskra, une éruption particulière, ayant cer-
taines analogies avec le bouton d'Alep; cette maladie régnerait aussi dans
l'ouest de la province d'Oran, dans le Maroc, et, d'après E. Bertherand,
dans tout le Sahara.
Le bouton de Biskra, nommé par les Arabes aba, frina, khabb, bien
étudié dans ces dernières années par les médecins de l'armée d'Afrique,
commence, comme celui d'Alep, par un petit tubercule arrondi, et pré-
502 BOUTON DES ZIBANS OU DE BISKRA,
sente ensuite trois formes principales, la première ulcéreuse, la seconde
fongueuse, la troisième croûteuse.
Ces formes ont des points de ressemblance avec les périodes que par-
court le bouton d'Alep, néanmoins elles en diffèrent par l'existence
dans la maladie des Zibans d'un état fongueux précédant l'encroûtement
de l'ulcère, par les douleurs éprouvées par les malades, par l'absence de
l'ancsthésie de son pourtour, caractéristique de l'ulcère d'Orient, et par
l'épaisseur très-considérable, dans quelques cas, de la croûte, épaisseur
qui a porté le docteur Valette à considérer le bouton de Biskra comme
analogue aux rupia simplex et proéminents.
Unique parfois, le bouton africain est souvent multiple; son siège le
plus habituel est aux membres et à la face.
Sa durée est moindre que celle du bouton alépin ; elle est de quatre
mois d'après Masnou, de six à dix d'après Bédié.
Il attaque les indigènes et les étrangers sans distinction (.Vàge et de
sexe, et a une incubation qui varie d'après Masnou, de deux mois à un
an, et qui reste en puissance même loin des localités suspectes.
Il n'est du reste pas impossible qu'on rencontre le bouton de Biskra
accidentellement chez des sujets soumis à l'observation sur notre propre
territoire. A. Favre (de Lyon) a recueilli une observation de ce genre, et
le malade qui en fait le sujet a été présenté à la Société des sciences mé-
dicales de Lyon.
Les Arabes attribuent aux dattes fraîches et non mûres, le développe-
ment du bouton de Biskra, qu'ils nomment, pour cette raison, Bess-el-
Temenr (maladie des dattes) ; les médecins de l'armée, frappés des ana-
logies que cette éruption avait avec le bouton d'Alep, adoptant l'opinion
émise par Guilhou, qui attribuait aux eaux potables de cette ville la pro-
duction de cette maladie, ont pensé que l'endémie cutanée des Zibans
devait avoir un mode de production semblable, et ont considéré les eaux
de l'Oued-el-Kantara chargées de chlorure de sodium et de matières or-
ganiques, comme en étant la cause réelle ; cette manière de voir a été
soutenue par Massip, Quesnoy, Hoffmann, Bevlot, etc.
On a aussi accusé l'atmosphère pulvérulente des Zibans (Sonrier), l'ac-
tion dépuralive qui s'exercerait par la peau sous l'influence des chaleurs
excessives du pays (Bertherand), etc.
En résumé, il n'y a rien de déterminé sur les causes productrices des
boulons d'Asie et d'Afrique ; le problème étiologique de ces singulières
maladies, n'aura sa solution qu'à la suite d'une étude patiente et atten-
tive des conditions hygro-thermo-électriques des localités où elles sont
endémiques.
Le tempérament lymphatique, les maladies diatliésiques, les excès de
tous genres, favorisent, dans les deux pays, l'apparition du bouton ; la
contagion ne peut être invoquée pour expliquer sa propagation, et l'expé-
rience populaire repousse tout traitement et recommande l'expectation.
Néanmoins les médecins militaires qui ont observé le bouton de Biskra,
l'ont combattu sans succès par divers moyens, entre autres par la cauté-
BRAS. ANATOWIE CHIRURGICALE. 50o
risation, les frictions générales, les bains de vapeur sulfureux ou aroma-
tiques.
Le docteur Massip considère les mercuriaux administrés à l'intérieur
et à l'extérieur comme l'antidote de cette éruption.
Il existe donc des analogies réelles entre les deux maladies, mais il y a
aussi des différences; j'ai dit plus haut que l'ulcère africain était dou-
loureux, et qu'il ne présentait pas l'anesthésie qu'offre l'ulcère d'Orient,
le bouton alépin se développe dans toutes les saisons, et celui de Biskra
ne se montre qu'en automne ; déplus, le bouton des Zibans diffère encore
de celui d'Alep par sa bénignité relative et sa moindre durée.
Il est évident que ces deux maladies ont de nombreux points de rap-
ports, mais ils sont insuffisants pour établir leur complète identité ; aussi
je dirai en terminant, avec le docteur Henri Hamel, qui a été assez heu-
reux pour les observer toutes les deux, qu'il n'est pas possible actuelle-
ment de décider cette question d'une manière scientifique.
Poggioli, Essai sur une malidic cutanée nouvelle observée à Biskra. Thèse de Paris, 4847.
Quesnoy, Relation médico-chirurgicale de l'expédition de Zaatcha [Recueil de mémoires de mé-
decine militaire, 2e série, t. VI).
Beylot, Topographie de Biskra [Recueil de médecine militaire, 2e série, t. "XI).
Massip. Essai sur le bouton de Biskra [Recueil de médecine militaire, 2e série, t. XI).
E. Bertherand, Notice sur le chancre du Sahara. Lille, 1854.
Sonrier, Du boulon des Zibans [Gazette médicale de l'Algérie, mars 1857).
Boldix, Traité de géographie et de statistique médicales, Paris, 1857, t. II.
Masnou, Du bouton des Zibans [Gazette médicale de l'Algérie, janvier 1859; .
Hamel (Henri), Étude comparée des boutons d'Alep et de Biskra [Recueil de mémoires de méde-
cine militaire, 5e série, t. IV).
Favre (A.), Du boulon de Biskra [Mémoires et Comptes rendus de la Société des sciences
médicales de Lyon, années 1861-1802, t. I, p. 129).
A. Barrallier (de Toulon).
BIMN — Pour l'anatomiste et le chirurgien, le bras est la première
section du membre supérieur, et constitue une région bornée en haut par
l'épaule et en bas par le coude.
AKATOMIE CHIRURGICALE,
Le bras est le plus long des segments du membre supérieur, sa lon-
gueur est un peu plus grande que celle de Favant-bras , d'un cinquième
environ sur l'adulte, car dans le fœtus il est, au contraire, plus court,
n'atteint que graduellement, pendant l'enfance, ses proportions défini-
tives.
La forme du bras est à peu près celle d'un cylindroïde, comprimé sur
les côtés, mais de façon que le demi-cylindre antérieur est d'un diamètre
moindre que le postérieur. La face antérieure, fortement convexe, oftre
une saillie arrondie, dont l'extrémité supérieure se cache sous le re-
lief oblique produit par le bord antérieur du grand pectoral, tandis que
son extrémité inférieure s'amincit et va se perdre en s'enfonçant, au pli du
coude, entre les masses musculaires de lavant-bras. Cette saillie est formée
par le muscle biceps qui repose sur le brachial antérieur, et elle augmente
504 BRAS. ANATOMIE CHIRURGICALE.
par la contraction de ces muscles au point de devenir presque globuleuse
chez les sujets à muscles vigoureux.
La face postérieure, moins convexe transversalement que l'antérieure,
est également moins bombée dans le sens vertical ; à sa partie inférieure,
elle devient presque plane dans le point où le corps musculaire du biceps
s'arrête et se transforme en un tendon étalé sur la surface de l'humérus,
devenu plus large en ce point.
Les faces latérales du bras sont planes et môme légèrement concaves,
de façon qu'elles représentent deux gouttières longitudinales, gouttières
bicipitales, importantes à considérer au point de vue chirurgical. Ces
gouttières sont formées par l'intervalle qui sépare en dedans et en dehors
les bords du biceps et du triceps; rapprochées l'une de l'autre à la partie
inférieure, elles convergent, au pli du coude, dans la fossette qui se re-
marque entre les reliefs des muscles rond pronateur et long supinateur.
A la partie supérieure, la gouttière bicipitale interne, plus inarquée que
l'externe, se perd dans le creux de l'aisselle. La gouttière bicipitale externe,
au niveau du sommet du deltoïde, se continue avec les dépressions qui
répondent aux bords antérieur et postérieur de ce muscle. Au-dessus de ce
point, la dépression de la face externe du bras est remplacée par la
convexité de la partie inférieure du deltoïde qui se continue avec la saillie
de l'épaule.
Les différents détails de forme dont nous venons de parler, très-visibles
sur les hommes vigoureux, sont effacées chez les femmes et les enfants,
et en général sur les sujets dont les muscles sont peu développés et le tissu
adipeux considérable, dans ces cas le bras s'arrondit, au lieu des dépres-
sions latérales, il n'y a qu'un léger aplatissement toujours plus marqué
à la face interne. Cependant la fossette qui se trouve à la pointe du del-
toïde est toujours reconnaissable. Une cause tout opposée fait encore dispa-
raître la forme comprimée du bras, chez les sujets émaciés, lorsque les
muscles eux-mêmes ne forment plus qu'une couche mince appliquée sur
l'humérus, dont la configuration est presque reproduite par la forme ex-
térieure du membre.
La peau du bras est line et dépourvue de poils en avant et surtout en
dedans, où elle devient si mince qu'elle laisse apercevoir par transparence
la moindre inflammation des vaisseaux lympatiques sous-jacents. Son
épaisseur augmente en dehors et encore plus à la face postérieure qui
participe, principalement en haut, aux caractères des téguments de la
force dorsale du tronc, et présente souvent un développement considé-
rable de poils chez les hommes à système pileux abondant.
La couche sous-cutanée est formée d'un tissu cellulaire dans lequel on
peut distinguer deux couches, l'une superficielle aréolaire, l'autre pro-
fonde et lamelleuse ; elle renferme toujours du tissu adipeux, et acquiert,
chez les sujets gras, une très-grande épaisseur. Cette couche est très-
làche et donne à la peau une très-grande mobilité, surtout en dedans.
Cette laxilé est beaucoup moins grande au point de réunion des gouttières
deltoïdiennes interne et externe avec la gouttière bicipitale externe, c'est
BRAS. ANATOMIE GHIRDRGÎdALE. 505
celle disposition, et l'absence de fibres musculaires dans ce point, qui l'a
l'ait choisir pour l'application des cautères. Le tissu cellulaire sous-cu-
tané du bras se continue avec celui de l'aisselle et celui de l'avant-bras,
ce qui rend facile l'extension des ecchymoses, des œdèmes et des suppura-
tions'diffuses d'une de ces régions dans l'autre.
L'aponévrose du bras forme une enveloppe complète, mais générale-
ment mince et cclluleuse, surtout en avant, elle offre plus d'épaisseur et
de consistance en arrière et sur les côtés, mais c'est au niveau de la gout-
tière bicipitale interne qu'elle offre le plus de densité. Intérieurement,
elle se continue avec l'aponévrose anti brachiale ; supérieurement, avec
l'aponévrose qui recouvre le deltoïde et les muscles grand dorsal et
grand pectoral ; entre les bords de ces deux derniers, elle se continue avec
l'aponévrose axillaire. A sa face profonde, elle forme des cloisons qui
vont s'insérer à l'humérus et forment autant déloges spéciales. Deux de ces
cloisons répondent, dans une grande partie de leur longueur, aux gout-
tières bicipitales, et s'insèrent au bord de l'humérus, jusqu'aux tubéro-
sités de son extrémité inférieure. L'interne forme la gaine de l'artère et
du nerf médian, qui l'abandonnent en bas pour se porter en avant; en
haut, elle se termine en adhérant au tendon du grand rond. L'externe
aboutit en haut à la pointe du deltoïde, et reçoit dans ce point les cloisons
qui bornent en avant et en arrière la loge de ce dernier muscle.
L'aponévrose brachiale forme donc trois loges, une supérieure externe,
loge deltoïdienne, qui n'appartient à la région brachiale que par sa partie
inférieure; une postérieure, occupée en entier par le triceps, et une an-
térieure, partagée en deux loges secondaires, pour le brachial antérieur et
le biceps, entre lesquels on trouve un feuillet celluleux renfermant à peine
quelques éléments fibreux.
La région brachiale antérieure, comme nous l'avons vu, en nous occupant
des aponévroses, renferme deux muscles, le biceps, partagé à sa partie
supérieure en deux faisceaux, l'un, courte portion, qui s'insère à l'apo-
physe coracoïde, l'autre, longue portion, qui s'attache à la partie supé-
rieure de la cavité glénoïde, après avoir glissé dans la coulisse bicipitale
et sur la tète de l'humérus, seul point où ce muscle soit en rapport avec
l'os du bras. Son insertion inférieure se fait sur le radius ; il sert à pro-
duire la flexion de l'avant-bras sur le bras, et à le porter en supination;
aussi ces mouvements amènent de la douleur dans la gaine de sa longue
portion, lorsqu'elle a été enflammée soit par une cause rhumatismale,
soit comme j'en ai observé plusieurs exemples par la contraction violente
du muscle ou par une cause traumatique directe.
Sous le biceps, on trouve le brachial antérieur couvrant les faces in-
terne et externe de l'humérus, et remontant jusqu'au deltoïde dont il em-
brasse la pointe dans le V formé par ses insertions supérieures; à partir
de ce point ses fibres charnues s'insèrent sur toute la surface de l'hu-
mérus qu'il recouvre jusqu'auprès du coude et sur la face antérieure des
cloisons aponévrotiques interne et externe. A la partie inférieure, dans
le point où îe brachial antérieur se rétrécit, il se trouve, ainsi que le
506 BRAS. ASATOMIE CHIRURGICALE.
biceps, entre deux masses musculaires appartenant à l'avant-bras, et qui
sont formés, en dedans, par l'extrémité supérieure du rond pronateur,
et en dehors par celles des long supinateur et premier radial externe, à
leurs insertions au-dessus des tubérosités humérales.
La région postérieure est occupée par un seul muscle, le triceps bra-
chial, formé de trois portions, deux qui, sous les noms de vaste externe
et vaste interne, recouvrent, en s'y insérant, toute la face postérieure du
corps de l'os et des cloisons intermusculaires internes et externes, et une
troisième, longue portion qui prend son point d'attache à la partie infé-
rieure de la cavité glénoïde, en se confondant, comme la longue portion
du biceps, avec le bourrelet glénoïdien. Nous n'avons rien à ajouter à ce
que nous avons dit du deltoïde, qui appartient moins à la région externe
du bras qu'à celle de l'épaule. Enfin, le dernier muscle du bras est le
coraco-brachial , caché sous le deltoïde et le grand pectoral, en arrière
du biceps, en avant du grand dorsal et du grand rond. Il s'attache en haut
à l'apophyse coracoïde en dehors de la courte portion du biceps, et en
bas au bord et à la face interne de l'humérus vers sa partie moyenne.
L'artère du membre supérieur prend le nom d'humérale ou brachiale
au niveau du bord antérieur de l'aisselle ; elle suit une ligne étendue de
la réunion du tiers antérieur avec les deux tiers postérieurs de l'aisselle,
au milieu du pli du coude ; dans tout ce trajet, elle n'est séparée de la
peau que par l'aponévrose qui lui forme une gaine, et, chez les sujets for-
tement musclés, par quelques fibres du bord interne du biceps. D'abord
située en arrière du coraco-brachial, entre lui et le grand dorsal, elle se
place plus bas entre le biceps et le triceps, séparée de ce dernier parla
cloison intermusculaire interne, et répondant à la gouttière bicipitale in-
terne ; plus bas, lorsqu'elle arrive à la pointe du rond promoteur, elle
suit l'intervalle qui sépare ce muscle du biceps. Dans sa gaine cellulo-fi-
breuse, elle est accompagnée par le nerf médian et par deux veines dont
les anastomoses nombreuses la croisent et peuvent gêner le chirurgien
qui veut en faire la ligature. Dans tout son trajet, jusqu'auprès de sa partie
inférieure, l'humérale n'est séparée de la peau que par l'aponévrose, et
repose presque à nu sur la face interne de l'humérus, de façon qu'elle est
facile à comprimer dans cette région. Parmi les branches nombreuses
qu'elle donne, les suivantes seules méritent une mention spéciale :
l'humé raie profonde ou collatérale externe, la plus volumineuse, naît au
niveau du grand rond, se porte en bas et en arrière, contourne l'hu-
mérus avec le nerf radial, recouverte d'abord par le triceps, elle sort de
dessous ce muscle au-dessous de l'insertion du deltoïde. Elle fournit
deux branches terminales dont une accompagne le nerf radial et l'autre
se termine en s'anastomosant au-dessus de l'épicondyle avec les récur-
rentes externes du coude.
La collatérale interne, bien moins importante que la précédente et sou-
vent multiple, se sépare de l'humérale à sa partie inférieure et s'anasto-
mose avec la récurrente cubitale antérieure.
L'artère humérale présente de nombreuses anomalies dans le lieu de
BRAS. ANATOMIE CHIRURGICALE. 507
sa bifurcation, qui se fait souvent très-haut, et même quelquefois presque
à son origine; dans ce cas, il peut arriver que Tune des branches de-
vienne sous-cutanée, tandis que l'autre suit le trajet normal de l'artère.
Le plus souvent ces deux branches sont la radiale et la cubitale ; mais
dans quelques cas il n'en est pas ainsi, et Cruveilhier en cite un où l'une
des branches de la bifurcation prématurée donnait ces deux artères, tan-
dis que l'autre fournissait les interosseuses. On comprend combien il est
important de tenir compte de ces anomalies lorsqu'on doit faire la ligature
de l'humérale pour une plaie ou un anévrysme.
Nous avons parlé des veines profondes; les veines superficielles for-
ment deux troncs qui rampent dans la couche profonde du fascia sous-
cutané, ou même dans l'épaisseur de l'aponévrose ; la basilique suit le
trajet de l'artère le long de la gouttière bicipitale interne; elle se jette
dans l'axillaire ou quelquefois dans une des veines profondes. La cépha-
lique remonte le long du bord externe du biceps, puis dans l'interstice
qui sépare le deltoïde du grand pectoral, et traverse cet interstice pour
aller s'aboucher dans l'axillaire.
Les lymphatiques profonds suivent le trajet de l'artère et présentent
trois ou quatre ganglions le long de la gouttière bicipitale interne. Les
lymphatiques superficiels sont nombreux; ils se réunissent dans la
gouttière bicipitale interne et suivent la veine basilique, mais ils restent
sous-cutanés et ne s'enfoncent pas dans l'aponévrose comme la veine.
Des cinq nerfs qu'on rencontre au bras, le médian est le plus important
à considérer au point de vue de la médecine opératoire, à cause de ses
rapports avec l'artère. D'abord situé en dehors de ce vaisseau, à sa sortie
de l'aisselle, il lui devient bientôt antérieur jusqu'auprès du pli du coude,
où il le croise de nouveau pour se placer à son côté interne.
Le cubital, situé dans toute sa longueur en dedans de l'artère et dans
une autre gaine, se porte en arrière à la partie inférieure et perce la cloi-
son intermusculaire interne pour se placer dans la région postérieure du
bras et aller passer derrière l'épitrochléc; il ne donne pas de branches
au bras.
Le radial se porte en arrière et se place bientôt dans la gouttière de
l'humérus, à laquelle il donne son nom, et qu'il parcourt recouvert par le
triceps, auquel il donne des filets; arrivé au bord externe de ce muscle,
il perce la cloison intermusculaire externe, se place dans la gouttière bi-
cipitale externe, et arrive ainsi au coude en fournissant des branches au
brachial antérieur, au long supinateur et aux radiaux externes.
Le musculo-cutané, ou cutané externe, croise le faisceau vasculo-ner-
veux, traverse le muscle coraco-brachial en lui laissant un rameau, puis
passe sous le biceps, auquel il fournit également, et gagne enfin la face
externe du bras à sa partie inférieure et les régions voisines du coude et
de l'avant-bras.
Le cutané interne s'accole à la basilique et l'accompagne pour aller
se distribuer à la peau de la partie interne du coude et des régions
voisines. Ces filets nombreux sont quelquefois atteints par la lancette
508 BRAS. — vices de conformation.
dans les saignées de la basilique. Les téguments de la partie interne
et supérieure du bras reçoivent encore des rameaux des 2e et 5e nerfs
intercostaux.
Le corps de l'humérus est prismatique et triangulaire; il s'aplatit et
s'élargit à sa partie inférieure en approchant de la surface articulaire du
coude, et se courbe en même temps un peu en avant. Ses faces interne
et externe, ainsi que son angle antérieur, sont embrassés par les inser-
tions du brachial antérieur, sa face postérieure est recouverte par le tri-
ceps, et ses bords latéraux donnent attache aux cloisons intermusculaires
interne et externe, de sorte que dans une grande partie de sa longueur
il est entièrement couvert d'insertions musculaires. La face interne,
tournée en avant et en dedans, est en rapport avec l'artère que l'on com-
prime sûrement sur elle, et présente le trou nourricier vers l'union du
tiers moyen de l'os avec le tiers inférieur.
Les extrémités supérieure et inférieure de l'humérus seront décrites aux
articles épaule et coude, nous n'aurons h nous en occuper qu'en parlant
des fractures.
Vices de conformation. — Le bras offre rarement des dimensions
moindres que celles indiquées plus haut, cependant on le voit quelque-
fois, par un véritable arrêt de développement, rester plus court que
l'avant-bras, et présenter ainsi dans l'âge adulte les proportions qui
appartiennent à la période fœtale. D'autres fois le bras ne fait que parti-
ciper a un arrêt de développement qui porte sur l'ensemble du membre
supérieur. Vel peau rapporte que sur deux malades qu'il a observés, le bras
se trouvait ainsi atrophié, ou pour mieux dire offrait un véritable défaut
de croissance, l'un de ces malades avait subi, avant son entier développe-
ment, l'amputation au-dessus du coude, et on sait qu'en pareil cas
le membre cesse plus ou moins de s'accroître; chez l'autre malade,
le membre était paralysé depuis l'enfance, dans ce cas encore la crois-
sance s'arrête dans les parties paralysées. J'ai eu, l'année dernière,
dans mon service de l'hôpital Necker, un malade dont le membre supé-
rieur gauche était d'un tiers au moins plus petit que le droit dans toutes
ses dimensions; il était en même temps beaucoup plus faible, mais cette
faiblesse m'a semblé tenir au défaut de développement des organes plutôt
qu'à une paralysie véritable.
Ces vices de conformation ne sont pas, à proprement parler, des
monstruosités. Il n'en est plus de même lorsqu'il y a absence congénitale
d'une portion plus ou moins grande du bras et de la totalité de l'avant-
bras et de la main. Dans ces avortements du membre supérieur qui
constituent, suivant leur degré, YEctromélie et Yhémimélie d'Isidore
Geoffroy Saint-lliliaire, il n'existe qu'un tronçon du bras ou quelquefois
un bras presque entier, mais souvent imparfait ta sa partie inférieure.
Les sujets affectés d'ectromélie ou d'bémimélie des membres thoraci-
qucs, offrent souvent aux membres inférieurs des vices de conformation
semblables ou des phocomélies ; car cette dernière monstruosité est plus
fréquente aux membres pelviens, tandis que l'ectromélie et l'hémimélie
BRAS. — VICES DE COïNFOIîMATION.
509
se voient plus souvent aux membres thoraciques. C est ce qui avait lieu
sur un enfant de neuf ans dont Breschet à publié la description (fig. 57),
Nous n'en reproduisons
que ce qui concerne les
membres supérieurs. —
« ...Les membres tbora-
ciques sont formés de
deuxmoignons coniques ;
celui du coté gauehe est
un peu plus long et plus
pointu que celui du côté
droit. Les tronçons sont
composés d'une omo-
plate, d'une clavicule bien
conformée et de la partie
supérieure de l'humérus.
L'extrémité du moignon
droit est molle et n'offre
aucune espèce de cica-
trice; à sa partie anté-
rieure, on voit un petit
tubercule cutané. Du côté
gauche, le moignon pré-
sente à son sommet une
petite portion de l'extré-
mité de l'humérus, qui
est nécrosé. Le moignon
comme le précédent et dans le même point offre un tubercule cutané.
« L'enfant fait mouvoir ces deux tronçons en tous sens, il peut même
les porter à sa bouche, ce qui indique que tous les muscles de l'épaule
existent... »
Cette description peut donner une idée suffisante de ce genre de vice
de conformation.
Dans d'autres cas les membres thoraciques sont seuls affectés, comme
dans l'observation d'Ambroise Paré (figure 58) ; d'après ce dessin, les
bras manqueraient presque complètement, et les membres supérieurs se-
raient réduits au moignon de l'épaule. Suivant la coutume de la plupart
des auteurs, A. Paré insiste surtout sur la perfection avec lequelle cet
homme suppléait aux membres qui lui manquaient, et c'est, en effet, là
un sujet curieux d'observation. Il se servait d'une cognée, d'un fouet
qu'il saisissait entre sa tète et son épaule, il mangeait avec ses pieds,
jouait aux cartes et aux dés et, qui plus est, il trouva moyen d'être voleur,
meurtrier et de mériter la potence.
A côté de ces cas se placent ceux qu'on a désignés sous le nom d'am-
putations spontanées et qui sont, comme Ta surtout démontré Montgo-
mery, le résultat de l'étranglement, soit par le cordon ombilical enroulé
Fig. 37. — Ectromélie bithoracique cl phocomélïe biabdomi-
nable asymétrique (Breschet, Bulletin de la Faculté, t. VI).
510
BRAS.
VICES DE CONFORMATION.
autour du membre, soit par des brides accidentelles formées dans les
membranes. Dans la figure 50, qui représente un fœtus de 4 mois présenté
à la Société pathologique de Dublin
par Beaty, on remarque une ampu-
tation presque complète du bras
gauche, causée par la constriction
d'un nœud du cordon qui agissait
comme une ligature.
Ce n'est pas ici le lieu d'entrer
dans des détails qui trouveront leur
place à l'article Monstruosités ; nous
Fig. 58 — Ectromélie bithoracique (àmbroise
Paré, t. III, p. 25),
Fig. 59. — Fœtus de quatre mois
(Beaty).
ferons seulement observer que, suivant la remarque de Debout, on peut
distinguer les arrêts de développement des amputations spontanées, par
l'absence de cicatrice au bout du moignon, par l'existence à peu près
constante de tubercules, d'excroissances, qui sont les rudiments des
parties manquantes, et dans lesquels on peut souvent reconnaître des
doigts, soit à leur forme, soit aux ongles qui les garnissent et, lorsqu'on
peut disséquer les membres, par la terminaison des nerfs et des vaisseaux
dont la continuité est brusquement interrompue dans le cas d'ampu-
tations spontanées, tandis qu'ils se terminent dans l'autre cas par des
extrémités périphériques véritables, quoique anormales.
I. Geoffroy Saint-IIilaire regardait les ectromélies et hémimélies d'un
seul membre comme beaucoup plus rares que celles qui affectent les deux
côtés à la fois; mais Debout a démontré, au contraire, qu'elles sont beau-
coup plus communes. Pour mon compte, j'en ai rencontré plusieurs, je
me souviens, entre autres, d'une ouvrière fort habile qui n'avait qu'un
bras et de l'autre côté un moignon qui avait le tiers environ de la longueur
du bras sain.
L'avortement ou l'arrêt de développement, au lieu de faire disparaître
BRAS. VICES DE CONFORMATION.
511
l'extrémité du membre supérieur en même temps qu'une partie du bras,
peut porter exclusivement sur les segments intermédiaires, bras et avant-
bras en laissant la main à l'état normal ou à peu près. Il en résulte alors
le vice de conformation que I. Geoffroy Saint-Hilaire désigne sous le
nom de phocomélie, et dans lequel la main, plus ou moins normalement
conformée, paraît tenir immédiatement h l'épaule ou, du moins, s'y ratta-
cher par un pédicule à peine développé. De même que l'hémimélie et
l'ectromélie du bras, la phocomélie peut porter sur les quatre membres
à la fois, comme cela avait lieu sur le nommé Cazotte, qui est devenu
célèbre dans les ouvrages de tératologie; mais on trouve un plus grand
nombre de cas de phocomélie thoracique sans difformité des membres
inférieurs.
Nous empruntons au musée Dupuytren la pièce suivante qui peut être
regardée comme un type de phocomélie bithoraciijue (lig. 40).
rj-^h-:
c?,
^:<^cv\.r\>
Fig. 40. — Phocomélie bilhoracique (Musée Dupuylren).
(( Enfant mort-né, du sexe féminin, ne présentant d'autre anomalie
que l'arrêt de développement des membres supérieurs. Les mains sont
complètes et bien conformées; le reste du membre est constitué par
un bourrelet de peau qui semble être le prolongement de l'épaule. Les plis
profonds qu'on y remarque sont produits par des brides musculaires E,
qui viennent adhérer au tégument, comme pour le faire concourir à la
solidité du membre. La préparation de cette pièce tératologique montre
que les muscles du cou sont normalement développés. La partie supérieure
du grand pectoral A, se joint au deltoïde C. et va s'insérer à la face ex-
terne du bras; sa partie inférieure se réunit au grand dorsal: quant à sa
portion moyenne, elle vient se fixer à une intersection fibreuse qui donne
également attache aux masses musculaires destinées à mouvoir la main.
On distingue trois de ces masses; une médiane plus volumineuse H,
51 "2 BftAS. — INFLAMMATIONS.
destinée à la flexion des doigts et deux latérales, qui sont les vestiges des
muscles radiaux G, et des muscles cubitaux L. Entre ces masses sont
placées, au côté externe le nerf médian K, qui va fournir deux rameaux
au pouce, à l'index et au médius, et au côté interne le nerf cubital I,
qui se termine dans l'annulaire et le petit doigt. A la partie postérieure
du membre, le muscle le moins incomplet est l'extenseur des doigts, et
encore il nous a paru moins développé que les fléchisseurs. » (Debout.)
Debout pense que, dans la phocomélie thoracique, l'humérus ne man-
que jamais. Dans un certain nombre de cas il est facile de reconnaître cet
os. Mais dans la pièce dont nous lui avons emprunté la figure, de même
que sur Cazotte, dont la description a été donnée par Duméril, cette opi-
nion nous paraît difficile à soutenir. Duméril regardait la pièce osseuse
qui réunit la main à l'épaule comme représentant un os du carpe. Et
pour nous, nous sommes très-disposés à n'y pas considérer comme un
humérus, pas plus que dans l'observation que nous avons citée, cette pièce
osseuse dont la forme ne rappelle pas l'os du bras. Ce qui nous paraît le
plus probant contre l'opinion de Debout, c'est que, s'il y avait un
humérus, les muscles grand pectoral, grand dorsal et une partie des
muscles qui se rendent à la main, devraient s'y insérer; or, nous avons
vu que ces muscles, sans points d'attache osseuse du côté du bras, s'in-
sèrent sur une intersection fibreuse intermédiaire. Ce serait cette inter-
section que nous serions tenté de regarder comme représentant l'humé-
rus avorté.
PATHOLOGIE CHIRURGICALE.
inflanaafiisuioifis. — Les dispositions anatomiques des différentes ré-
gions du bras ont une grande influence sur la nature, et surtout sur la
forme des affections inflammatoires qui s'y développent. Ainsi c'est
presque exclusivement sur les faces postérieure et externe que se
montrent les furoncles et les anthrax, qui trouvent, dans la peau et le
tissu sous-cutané de ces régions, les mêmes conditions de structure
qu'à la région dorsale du tronc où ces affections sont, comme on le sait,
très- fréquentes. Les conditions de structure expliquent aussi la fréquence
plus grande des inflammations diffuses dans les parties antéro-internes, et
des phlegmons circonscrits dans la région postéro-externe. Mais il ne
faudrait pas voir, dans cette fréquence, une loi invariable, carie phlegmon
diffus gagne souvent la face postérieure du membre, et il n'est pas rare
de trouver des phlegmons circonscrits à la face antérieure. En effet, le
caractère diffus vient moins des conditions anatomiques que de la nature
même de la maladie, qui s'étend seulement plus vite et plus loin si elle
rencontre des dispositions favorables, mais qui n'en reste pas moins dif-
fuse, pour être ralentie dans sa marche par les obstacles que lui oppose
la résistance des parties. Du reste, ce n'est guère qu'en avant et eu
dedans que les affections phlegmoneuses offrent des caractères parti-
culiers sur lesquels nous devons insister.
Les inflammations du bras ont souvent une cause locale dans la partie
BUAS. I.NFL.UIMATIONS. 513
elle-même, telles que des plaies, des contusions, des fractures compli-
quées, etc., les vésicatoires, les cautères qu'on applique de préférence
dans ce point deviennent parfois le point de départ d'érysipèles, d'éry-
sipèles phlegmoneux, d'angioleucites. On a encore observé ces accidents
à la suite de la vaccine, qu'on a trop l'habitude de pratiquer sans s'oc-
cuper des influences épidémiques qui peuvent exister et de l'état de santé
du sujet. Si légère que soit l'opération, on ne devrait pas oublier que c'est
une opération qui expose, dans certaines limites, aux mêmes accidents
que les autres. Mais, outre ces causes locales, les inflammations du bras
ont souvent leur point de départ à la main, au poignet, au coude; l'in-
flammation de la bourse séreuse olécrànienne expose beaucoup au phlegmon
diffus du bras qui, dans ces cas, se déclare surtout à la partie postérieure
du membre; d'autrefois, un phlegmon diffus de l'avant-bras remonte
en suivant le tissu cellulaire sous-cutané ou profond ; ou bien une angio-
leucite partie de la main détermine l'érysipèle phlegmoneux dans le voisi-
nage des vaisseaux lymphatiques que nous avons vus remonter en suivant
la gouttière bicépitale interne. Les lymphatiques deviennent encore une
cause de plegmons profonds dans cette région, par l'inflammation des
ganglions que nous y avons signalés ; dans ce cas, chaque ganglion de-
venant un centre d'inflammation, on trouve quelquefois une série de
phlegmons rangés le long du bord du biceps : cette disposition n'est pas
très-rare. Il n'y a pas longtemps que j'en avais un exemple remarquable
dans mon service. La suppuration peut encore se propager de haut en
bas, du tissu cellulaire de l'aisselle à celui du bras, et cette communi-
cation a lieu aussi bien dans la couche sous-aponévrotique que dans la
couche sous-cutanée. Le pus vient même parfois d'encore plus loin. J'ai
soigné, il y a quelques mois, un malade sur qui un abcès développé dans
la région sus-claviculaire avait fusé dans l'aisselle, par derrière la clavi-
cule , et de là à la région interne du bras, entre l'aponévrose et les
muscles biceps et brachial antérieur, de façon à former une vaste collec-
tion étendue de la base du cou à la partie moyenne du bras. Mais on voit plus
souvent le phlegmon et la suppuration se diriger en sens inverse et gagner
le creux de l'aisselle, surtout lorsqu'ils siègent dans la couche sous-apo-
névrotique ; car, dans la couche sous-cutanée, la peau est si mince et si
délicate, que le pus la perce souvent avant d'avoir produit de grands décol-
lements dans le tissu cellulaire de cette région, malgré le peu de résistance
qu'il oppose.
La laxité du tissu cellulaire surtout à la région antérieure, rend souvent
difficile le diagnostic des collections purulentes à la suite du phlegmon
diffus, comme l'a fait observer Yelpeau. En effet, si le pus est sous-cu-
tané, il repose sur une aponévrose mince presque celluleuse qui ne lui
fournit pas un point d'appui solide, et dans la couche celluleuse molle ou
il se développe, répanchement éprouve trop peu de résistance pour for-
mer une collection où la fluctuation soit bien évidente; si, au contraire,
la suppuration se fait entre les muscles, le biceps par sa mobilité, masque
la présence d'un abcès toujours mou et mal limité et reposant le plus
NOUV. DICT. MIÎD. ET CHIP.. . V. 33
514- BRAS. — contusions, plaies.
souvent sur le brachial antérieur qui ne lui fournit pas un point d'appui
solide. Il en résulte qu'on est très-exposé, à prendre pour une collection
purulente, l'œdème inflammatoire qui accompagne le phlegmon diffus, et,
par contre, à ne pas reconnaître la fluctuation d'un abcès. Il est surtout très-
difficile, et souvent impossible de reconnaître si le pus est superficiel ou
s'il est sous-musculaire, principalement lorsque le biceps est peu déve-
loppé. Ces remarques ne s'appliquent qu'à la région antérieure du bras,
car en arrière, les tissus offrent plus de fermeté et les collections liquides
trouvent, sur l'aponévrose, sur le biceps et sur la face postérieure de l'hu-
mérus, une base assez résistante pour qu'on sente facilement la fluctuation.
L'ouverture des abcès du bras n'offre pas de difficultés; les seules
veines superficielles à ménager sont la basilique et la céphalique dont la
position est constante; l'artère est facile à éviter ainsi que les nerfs mé-
dian et cubital, mais il faut se rappeler la possibilité d'un division pré-
maturée de l'artère, et s'assurer qu'une de ses branches ne rampe pas
sous la peau dans le point qu'on veut inciser. A la face externe, on n'a
à ménager que le nerf radial et l'artère numérale profonde, qui l'accom-
pagne, au moment où ils sortent de dessous le biceps pour se placer dans
la partie inférieure de la gouttière bicépitale externe. Lors donc qu'on
aura à pratiquer l'ouverture d'un abcès profond, on devra, autant que la
position du pus le permettra, faire l'incision vers le bord externe du biceps.
Lorsqu'on doit faire des incisions multiples pour un phlegmon diffus
de la région interne du bras, il faut prendre en considération la finesse
des téguments dans ce point, et la facilité avec laquelle ils se gangrènent
et s'ulcèrent lorsqu'ils sont décollés. Si les incisions trop rapprochées ne
laissent entre elles que d'étroites bandes de peau, on risque de voir ces
points détruits par la gangrène. Il en est de même encore des bords de
l'incision, lorsqu'elle est très-étendue. On devra donc, tout en ouvrant
au pus un écoulement suffisant, ne faire les incisions, ni trop grandes,
ni trop multipliées. Je me souviens d'avoir vu, plusieurs fois, lorsque
j'étais étudiant, dans le service d'un chirurgien qui ne ménageait pas
assez les incisions, les téguments de la face interne du bras tomber
complètement en gangrène et laisser à nu les muscles dans un tiers ou
un quart de la circonférence du membre.
Contusions, niaies. — Par sa position et ses usages, le bras est
très-exposé aux blessures ; il se porte, soit instinctivement, soit de propos
délibéré, au-devant des corps vulnérants pour couvrir la tête ou la poitrine
contre leur atteinte. Aussi, quoiqu'il échappe dans bien des cas par sa
mobilité, il est néanmoins encore une des parties où l'on observe le
plus de plaies et de contusions.
Dans les contusions, le sang s'infiltre avec la plus grande facilité sur-
tout à la région interne, et on voit des ecchymoses qui gagnent jusqu'à
l'aisselle et quelquefois jusqu'aux parties voisines du thorax. Cependant
cette facilité d'infiltration ne met pas les parties à l'abri des épanche-
ments et des collections sanguines qui décollent la peau et la disposent à
la gangrène, surtout si elle a été fortement contuse. En outre, il n'est pas
UfiAS. C0XTUS10NS, PLAIES. 515
rare, dans ces circonstances, que l'inflammation s'empare des tissus, que
la suppuration s'y développe et produise des abcès diffus, qui s'étendent
au loin dans les tissus pénétrés de sang. Nous avons vu qu'il est souvent
difficile de diagnostiquer les abcès du bras, mais la difficulté est plus grande
encore lorsqu'il s'agit de reconnaître le moment où l'épancliement san-
guin se change en abcès. On doit y apporter la plus grande attention; car,
s'il est très-important d'ouvrir de bonne beure l'épancliement suppuré
pour éviter la formation des clapiers, il l'est peut-être encore plus de ne
pas inciser les collections sanguines simples tant qu'on peut en espérer
la résorption. Il ne faut pas oublier que l'épancliement de sang n'offre
pas une grande gravité, tant qu'il n'est pas exposé au contact de l'air,
mais qu'une fois ouvert le danger devient beaucoup plus grand, et que
l'ouverture d'un semblable foyer expose bien plus que celle d'un foyer
purulent. De là, le principe général d'attendre, pour inciser les collections
sanguines, que la suppuration y soit bien établie et les ait transformées
en abcès.
La position du faisceau vasculo-nerveux principal, à la face interne
du bras, le protège contre l'action des corps vulnérants, de sorte qu'il est
rarement al teint, mais il n'en est pas de même du nerf radial, à sa partie
inférieure où il est exposé à être atteint par une cause traumatique agis-
sant sur la région externe du membre. Il peut, dans ce point, èlre faci-
lement divisé par un instrument tranchant, ou désorganisé par l'action
d'un corps contondant. Il en résulte uu^ paralysie des parties auxquelles
il se distribue ; aussi ne manque-t-on pas d'exemples de perte des mou-
vements de supination de la main et d'extension des doigts à la suite de
violences sur la face externe du bras. Les contusions dans cette région,
lorsqu'elles sont légères produisent souvent des douleurs plus ou moins
persistantes dans la portion correspondante de l'avant-bras, et dans le
pouce, l'index et le médius; pins fortes, elles sont suivies d'une paralysie
des muscles indiqués plus haut, paralysie qui se dissipe habituellement
avec du temps et un traitement convenable, lorsque la lésion n'a pas été
jusqu'à détruire la continuité du nerf. Les exemples \\cn sont pas très-
rares j'ai eu l'occasion d'en observer plusieurs fois après des morsures de
cheval. Le musculo-culané est également assez exposé, mais on s>sl
moins occupé de ses lésions traumatiques parce que les paralysies qui
en résultent ont moins de gravité par rapport aux fonctions du membre.
Les plaies du bras ne donnent pas souvent lieu à des bémorrhagies
inquiétantes, l'humérale profonde, dans le point où elle est le plus expo-
sée, à sa sorlic de dessous le triceps, offrant un faible volume, et l'hu-
mérale étant rarement atteinte par suite de sa position. Du reste la
ligature de l'artère ouverte est rarement difficile, et le plus souvent
rhémorrhagie s'arrêterait d'elle-même ou par la compression des pièces
de pansements, lorsqu'elle n'est pas fournie par le tronc principal.
A la suite des plaies de l'humérale il n'est pas rare d'observer l'ané-
vrysme diffus, malgré la position superficielle du vaisseau, parce que la
laxité du tissu cellulaire voisin permet au sang de s'infiltrer avec la plus
516 BRAS. — contusion:, plaies.
grande facilité, pour peu qu'il éprouve de résistance à sortir par la plaie
des téguments. On trouve encore assez souvent des anévrysmes consécutifs
ce qui peut bien tenir, en partie, du moins, à ce que la facilité avec
laquelle on peut comprimer l'artère, engage souvent à tenter ce moyen
pour éviter la ligature; on obtient ainsi la cessation immédiate de l'hé-
morrhagie, mais la guérison est rarement solide. La présence des deux
grosses veines, satellites de l'artère, explique comment les anévrysmes
varriqueux, ne sont pas rares au bras, bien que moins fréquents qu'au
pli du coude.
L'humérus lui-même peut être divisé complètement ou en partie par
un instrument tranchant. Tour que la solution de continuité soit com-
plète, il faut une telle division des parties molles, qu'on a peine à croire
à la possibilité de la réunion d'une semblable plaie. La science en possède
cependant des exemples bien avérés; le suivant, qui nous a été conservé
par de la Faye avec des détails assez complets, suffit pour prouver qu'en
pareil cas il ne faut pas désespérer de la conservation du membre. Un homme
reçut un coup de hache qui coupa obliquement l'os même avec les mus-
cles qui l'environnent ne laissant d'entier que le cordon des vaisseaux
avec une bande de peau large d'un pouce, les deux parties coupées
étaient séparées par un espace de huit pouces. On le conduisit à de la
Peyronie qui maintint les parties affrontées au moyen d'un appareil
convenable, en observant de le faire fenestré, pour pouvoir panser la
plaie sans toucher à ce qui tenait les os en sujétion. Il fit des pansements
rares; le quatorzième jour la cicatrisation commençait; l'appareil fut levé
le cinquantième jour, et la guérison était complète au bout de deux mois,
à un peu iV engourdissement près dans la partie. On voit par ce fait que,
quoi qu'en aient dit certains auteurs, la consolidation des os, après leur
section, n'est pas nécessairement plus lente que la formation du cal dans
les fractures.
De semblables guérisons prouvent que le membre supérieur et le bras,
en particulier, offre de bien grandes ressources pour la guérison des
plaies, mais, d'un autre côté, on éprouve souvent de grandes difficultés
pour obtenir la réunion immédiate; en effet, la peau si fine de la région
antéro-interne, soutenue par un tissu cellulaire qui lui permet de glisser
avec une grande facilité, est très-difficile à maintenir eu place après qu'on
a affronté les bords d'une solution de continuité, parce que ces bords se
roulent en dedans avec une facilité extrême, et que, d'un autre côté l'élasti-
cité des téguments, qui s'exerce sur toute l'étendue du membre, sans être
arrêtée par aucune adhérence, les écarte le plus souvent, malgré les
moyens employés pour les retenir. La suture entortillée qui empêche bien
le renversement des lèvres de la plaie, ne réussit pas toujours à assurer
leur contact, et, lors même qu'on peut y arriver, la réunion manque
souvent encore par suite de la gangrène qui se déclare facilement dans
la peau décollée, et forme un liséré qui s'oppose à toute adhérence.
La suture entortillée bien faite s'oppose efficacement au renversement
de la peau, mais elle expose, dans une région où la peau est délicate, au
BRAS. — fractures de l' humérus. .M 7
danger presque infaillible de former dans les points serrés contre les
épingles, des escharcs qui empêchent la réunion. Il vaut donc mieux
recourir à la suture à points séparés surtout si on la fait au moyen de
fils métalliques qui soutiennent les lèvres de la plaie presque aussi bien
que les épingles. Mais je préfère encore les scrrefines lorsque la peau
n'est pas trop tendue, et en ayant soin de les enlever de bonne heure.
Dans les plaies profondes, qui divisent plus ou moins complètement les
muscles, la position du membre est de la dernière importance; on le
mettra dans la flexion pour les plaies de la face antérieure et dans l'ex-
tension pour les plaies de la face postérieure. Cette position bien main-
tenue suffit, le plus souvent, pour obtenir l'affrontement des bouts du
muscle divisé. Lorsqu'un nerf a été coupé, la position suffit encore, le
plus souvent, pour en rapprocher les deux extrémités; mais si, par suite
d'une perte de substance ou par quelque autre cause, elles restent à dis-
tance, on pourra les amener au contact en faisant la suture du nerf, qui
a déjà réussi plusieurs fois.
Je n'ai pas besoin de dire que dans les sections presque complètes du
membre, y compris l'humérus, pourvu qu'il reste entre les deux portions
un lambeau contenant l'artère et les nerfs qui raccompagnent, on doit
suivre l'exemple de la Peyronie. Le plus grand risque que l'on puisse
courir, est d'échouer, et l'on en sera quitte, en cas d'insuccès, pour
faire l'amputation dès que le développement de la gangrène montrera
l'inutilité d'efforts plus longtemps prolongés.
Antonin Desormeaux.
Luxai ions de l'huniérus. — Les luxations de l'humérus sont les
plus fréquentes des luxations trauinatiqucs.
Il n'est pas de place que la tête de l'humérus luxé ne puisse occuper
autour de la cavité glénoïde; mais, malgré le nombre infini et la variété
des rapports possibles, il existe des types principaux qui sont au nombre
de deux pour l'humérus : type antérieur, type postérieur. [Voij. Épaule.)
Fractures de l'humérus. — L'humérus appartient par sa tête à
la région, de l'épaule; par son corps, à la région du bras, et par son
extrémité inférieure à la région du coude. Il serait donc, de prime abord,
plus raisonnable de diviser l'étude de ses fractures en trois parties, qui
seraient successivement étudiées à l'article Épaule, Bras, Coude. C'est
l'ordre que nous avons adopté dans le travail ex professo que nous avons
publié sur les luxations et les fractures. Mais ici, il nous parait plus
simple de décrire dans un même chapitre toutes les fractures de
V humérus.
L'humérus se brise à toutes les hauteurs. Les fractures de l'humérus
peuvent consister en une solution de continuité complète du corps de l'os,
ou constituer un arrachement ( arrachement de la grosse tubérosité ,
complication fréquente des luxations, etc.).
Les fractures incomplètes se produisent assez souvent à. l'humérus; à
la suite des traumatismes de la région du bras, il n'est pas rare de voir
518 BRAS. FRACTURES DE L'HUMÉRUS.
le corps de l'os se plier et conserver une position plus ou moins déviée d<
l'axe ordinaire.
Les fractures par armes à feu ne présentent au bras aucune considé-
ration qui ne rentre dans l'histoire générale des fractures par armes à feu
des membres.
Après ces quelques généralités, divisons l'élude des fractures de l'hu-
mérus en : 1° fractures du corps ; 2° fractures de l'extrémité supérieure,
5° fracture de l'extrémité inférieure.
Fracture du corps de l'humérus. — Les fractures du corps de l'humérus
s'observent presque aussi souvent que la fracture de jambe. Elles sont donc
très-communes.
Causes et mécanisme. — Les causes et le mécanisme des fractures sont
ce qu'il y a de moins connu dans l'histoire si intéressante de ces lésions.
Aussi ne nous paraît-il point nécessaire d'entrer à ce sujet dans des dis-
cussions qui ne conduiraient à aucun résultat. Quelques faits présentés
en raccourci permettront mieux de comprendre la diversité des forces
vulnérantes et les difficultés qui surgissent quand on veut se rendre un
compte satisfaisant de leur mode d'action :
Deux individus veulent éprouver la force de leur poignet, ils se placent
en face l'un de l'autre, les doigts entrelacés, et cherchent, dans cette po-
sition, à renverser en dehors le poignet et Pavant-bras de leur adversaire.
Il existe dans la science cinq ou six observations de fractures de l'hu-
mérus par une cause de ce genre; elle siège alors habituellement à 6 ou
8 centimètres au-dessus des condyles.
La fracture de l'humérus a quelquefois été produite dans un effort pour
lancer une pierre, ou un autre projectile.
Dans un cas rapporté par Lonsdale, nous voyons un individu glisser et
cherchant à se retenir, étendre la main contre une muraille voisine. L'hu-
mérus se brisa à son tiers supérieur, près de l'insertion du deltoïde.
Voici encore quelques faits que nous avons consignés dans notre mono-
graphie des luxations et des fractures.
Une femme se casse l'humérus en étendant le bras pour saisir un enfant
avec qui elle jouait. (Liston.)
Une dame descend de voiture, et sentant le marchepied se rompre sous
elle, se retient fortement à une des poignées de la voiture : l'humérus se
brise juste au-dessus du deltoïde. (Larrey.)
Il existe des observations de fracture de l'humérus par action musculaire.
Un enfant se brise le bras dans un accès d'épilepsie. (Volcamer.)
Direction de la ligne de fracture. — Les fractures du corps de l'hu-
mérus peuvent affecter, comme direction de la ligne de fracture, toutes
les sinuosités que l'on observe dans les fractures des os longs ; elles
peuvent être transversales, non pas que la cassure soit jamais perpendi-
culaire à l'axe du corps de l'os, ce qui constituerait la fracture en rave
dont l'existence est contestable; mais elle peut s'en rapprocher beaucoup
présentant cependant toujours des dentelures. Pour rappeler ces différentes
conditions anatomiques que présentent les fractures dites transversales
BRAS. — FRACTURES I>K L:iiUMÉRUS. 519
par les anciens auteurs, nous les appellerons fractures transversales-den-
telées , mot composé rappelant deux qualités qui se trouvent ensemble,
et qui aura l'avantage d'éviter toute discussion.
Les fractures du corps de l'humérus présentent souvent une grande
obliquité de la ligne de fracture ; mais quand on étudie avec soin ces frac-
tures obliques, on s'aperçoit que, dans presque tous les cas, la ligne de
cassure contourne le corps de l'os, de manière à décrire une spire plus
ou moins régulière, plus ou moins allongée (fracture spiroide).
La fracture transversale est toujours dentelée, ce qui justifie le nom
de transversale-dentelée que nous lui avons donnée , de môme , dans
l'immense majorité des cas , la fracture oblique est en même temps
spiroide : de là, l'utilité incontestable du mot oblique-spiroïde. Il y a
au corps de l'humérus des fractures multiples ou comminutives , des
écrasements, etc., etc.
Fractures dourles du corps de l'humérus. — Dans les fractures doubles
du corps de l'humérus, l'os est brisé du même coup dans deux points de sa
longueur. Ces fractures sont assez communes, et la physionomie qu'elles
présentent est assez souvent celle des figures 41, 42 et 45.
Dans ce cas, la consolidation était parfaite, et on peut voir combien
le cal était solide en examinant avec soin la ligure qui présente une
coupe sur la ligne médiane de l'os atteint de double fracture consolidée.
Déplacements. — Les déplacements dans la fracture du corps de l'hu-
mérus peuvent se produire avec une égale facilité dans tous les sens.
Il peut y avoir :
1° Déplacement angulaire;
2° Rotation ;
3° Chevauchement, etc., etc.
Il peut se faire de plus que tous ces modes de déplacements existent
ensemble, ou se combinent deux à deux.
Il n'y a donc là rien de spécial, et il faut regarder comme peu scienti-
fique le tableau de l'action musculaire régulier et prévu que Boyer a
tracé.
« Lorsque l'humérus est fracturé au-dessus de l'insertion du deltoïde,
le fragment inférieur est porté en dehors par l'action de ce muscle, pen-
dant que le supérieur est tiré en dedans par le grand pectoral, le grand
dorsal et le grand rond. Le poids du bras est cause sans doute que tous
ces déplacements n'ont lieu que selon l'épaisseur de l'os, ou du moins
qu'ils sont très-peu étendus selon la longueur.
« Quand la fracture est située au-dessous de l'insertion du deltoïde, ce
muscle entraîne en dehors et un peu en avant le fragment supérieur,
tandis que l'inférieur est entraîné légèrement dans le sens contraire par
les triceps.
« Quand elle a lieu dans l'étendue de l'attache du brachial antérieur, le
déplacement est peu considérable, parce que ce muscle contre-balance
l'action du triceps, et que les fragments ne peuvent guère être entraînés
dans aucun sens. Mais quand elle est située très-près de l'articulation du
520
BRAS.
FRACTURES DE L HUMERUS.
coude, le déplacement des fragments ne peut avoir lieu qu'en arrière ou
en avant, attendu que les muscles brachial, antérieur et triceps ne s'insè-
rent point à l'os dans cette région, et que la largeur de l'humérus dans
cette partie multiplie l'étendue du contact des fragments dans le sens
transversal. » (Boyer.)
J^^loiu
Fig. 4L
Fig. 42.
Fig. 45.
Fig-. 41. — Fracture oblique -spiroïde de l'humérus. — A, Grosse tubérosilé. —
B, Petite tubérosilé. — B, Pointe du fragment supérieur. — S, Pointe du fragment
inférieur. — E. Epicondyle. — T, Épitrochlée.
Fig. 42. — Coupe médiane de la fracture double de l'humérus vue par son côté externe
(fig. 5.) A, Petite tubérosité. — I, Pointe du fragment supérieur. — E, Lame com-
pacte du cal. — J, Pointe supérieure du fragment moyen. — K, Partie spongieuse
du cal. — G-II, Coupe au niveau de la seconde ligne de fracture.
Fig. 43. — Vue externe de l'humérus atteint de fracture double. — A, Petite tubéro-
sité. — B, Grosse tubérosité. — C, Trochlée. — D, Epicondyle. — E, Pointe du frag-
ment supérieur. — F, Pointe supérieure du fragment moyen. — G-IÎ, Ligne de frac-
ture inférieure. — I, Tendons des muscles de la coulisse bicépitale. — (i, fibres
tendineuses d'insertion du deltoïde. (Benjamin Anger, Luxations et fractures.)
Boyer exagère manifestement l'importance et la fréquence des déplace-
ments qui en^réalité acquièrent rarement une grande étendue. Le tableau
qu'il a tracé, et que nous rapportons ici dans son entier est très-inté-
ressant à bien connaître ; car ces idées un peu trop théoriques, sans
BRAS. FRACTURES DE l'hUJIÉRUS. 521
doute, ayant été pendant quelques années aeceptées sans contrôle, il est
important de bien voir à quoi Malgaîgne s'attaquait dans ses critiques qui
avaient beaucoup de vrai ; mais qui par un excès peut-être inévitable dans
ce genre, étaient par trop entachées du génie paradoxal. — Nous avons
vu, comme Malgaigne, que pour que des déplacements se produisent, il
faut que le périoste soit entièrement rompu ou décollé dans une grande
étendue. Le périoste de l'humérus est très-fort, et l'os est quelquefois
éclaté en plusieurs fragments que le périoste a peu souffert et n'est point
rompu.
Symptômes et diagnostic. — La mobilité anormale, la déformation du
membre, la crépitation, véritables et uniques signes de certitude seront
facilement découverts, le corps' de l'os étant accessible à la palpation dans
toute son étendue. La douleur, les ecchymoses, l'impossibilité de se servir
du membre, pourront bien éveiller l'attention du chirurgien et constituer
des signes de probabilité, mais ne pourront jamais fournir un diagnostic
certain.
La mensuration n'a que peu d'intérêt. Cependant, nous avons vu dans
un cas Nélaton diagnostiquer par la mensuration une fracture ci é j à an-
cienne du corps de l'humérus. Le membre était très-gonflé, très-doulou-
reux, le sujet extrêmement gras ; l'humérus peu accessible à la palpation ;
le diagnostic était donc douteux si on s'en rapportait aux seuls symptô-
mes locaux. Nélaton appliqua le long du membre, une bande qui partant
de l'angle antérieur de l'acromion se dirigeait en bas jusqu'à l'épitro-
chlée; l'expérience répétée plusieurs fois donna, comme résultat constant,
un raccourcissement de deux centimètres.
Nélaton faisait observer à cette occasion que pour que les résultats de
la mensuration aient une certaine valeur, il était nécessaire que la men-
suration accusât constamment une différence de longueur portant au moins
sur une longueur de deux centimètres.
De la réduction et des appareils dans les fractures du corps de Vhu-
mérus.
La réduction des fractures du corps de l'humérus n'est point nécessaire
dans le plus grand nombre de cas, puisqu'il n'y a pas toujours de dépla-
cement.
Quand, en raison des déplacements, il devient nécessaire d'opérer la
réduction, un aide placé à côté du blessé, saisira dans ses deux mains
l'extrémité supérieure de l'humérus en l'immobilisant d'une façon com-
plète; un second aide saisira l'extrémité inférieure du même os et le
coude (l'avant-bras étant fléchi) . L'extension et la contre-extension étant
ainsi opérées, et conduites avec une force en rapport avec la force de con-
traction des muscles qui, s'ils sont incapables dans l'immense majorité
des cas, de produire des déplacements, agissent très-énergiquement pour
maintenir les déplacements, quand les fragments ont été écartés par la
violence qui a brisé l'os.
Là comme ailleurs, le chloroforme peut rendre les plus grands services;
mais c'est un moyen qui en raison de ses dangers ne doit pas être em-
K9.9
BRAS. FRACTURES DE l'hUMÉKUS.
ployé dans les cas ordinaires, et doit être réservé pour les cas difficiles.
Le chirurgien, placé en dehors du blessé, aidera par des pressions
l'action de l'extension et de la contre-extension et opérera la cooptation.
Une fois la coaptation obtenue, l'extension et la contre-extension agissant
toujours, le membre sera entouré de coussins, & attelles, débandes, etc., etc.
Le membre sera, en un mot, mis dans un appareil.
Le génie du chirurgien lui fera, suivant les cas, employer les bandes
séparées de Scultet (fig. 44), tes gouttières, les attelles de bois, de gutta-
percha, de carton, etc. Il pourra, pensons-
nous, retirer un grand avantage des attelles
en toile métallique, que nous avons fait
construire pour le bras, par Mathieu, après
qu'il nous a indiqué tout le parti que Ton
pouvait tirer en chirurgie de toiles métalli-
ques à mailles serrées et cependant flexibles.
Le docteur Le Maux, qui s'occupe avec
succès du traitement des traumatismes des
os et des articulations, nous a présenté der-
nièrement des attelles de plomb, qui ont cela
de commun avec les attelles métalliques,
qu'elles peuvent se mouler facilement sur le
membre auquel elles forment un excellent
Fig. 44. — Appareil ordinaire pour i ,« , > • at < c
les fractures du corps de Yhu- squelette extérieur. Nous préférons cepen-
mérus. dant les attelles en toiles métalliques plus
légères, plus faciles à travailler, plus rési-
stantes et permettant de passer au travers de leurs mailles les lacs qui
réunissent les coussins et les attelles en un corps d'appareil régulier.
Pseudarthroses du corps de V humérus. — Les fractures du corps de
l'humérus ne se consolident pas toujours : il existe un nombre assez con-
sidérables de pseudarthroses du corps de l'humérus, suites de fracture,
et ayant persisté pendant toute la durée de la vie. Ces pseudarthroses en-
traînent quelquefois une grande infirmité; dans d'autres cas la pseudar-
throse a paru compatible avec le libre exercice des fonctions du membre
supérieur. Ce n'est point ici le cas de décrire entièrement le traitement
applicable aux pseudarthroses, nous dirons seulement que s'il s'est écoulé
un grand laps de temps depuis la fracture, que toute trace d'inflammation
ait disparu, on devra supposer que les extrémités des fragments sont
éburnées et que la guérison est impossible sans avivement des os. Vavi-
vement des os suivi de la réunion, constitue le seul et unique mode de
traitement des pseudarthroses.
Cet avivement, du reste, peut être produit de bien des façons; le chi-
rurgien pourra essayer d'enflammer de nouveau les parties par le séton,
par des aiguilles laissées à demeure (D. Brainard), par des aiguilles ù
acupuncture, par des injections irritantes, par des vésicat'ons des tégu-
ments, par le frottement des fragments, etc., etc. Mais les os étant ébur-
nés à leurs extrémités néarthrodiales, si la néarthrose est bien organisée.
BRAS. — ■ fractures de l'humérus. 525
tout est fibreux autour, et il n'y a pas d'autre avivement actif à proposer
que la résection.
La résection, comme nous l'ayons dit dans un autre lieu, devra retran-
cher toute la partie éburnée des deux os, puis un bon appareil sera appli-
qué et l'on aura alors une sorte de fracture compliquée, qui pourra en-
traîner, il est vrai, tous les accidents de ces fractures; mais si le cas est
grave; on est bien justifiable de faire courir au malade quelque péril.
Si pareil cas se présentait dans notre pratique, nous essayerions dans
la résection, de tailler en pointe le fragment inférieur, et de le faire pé-
nétrer de un ou deux centimètres dans le canal médullaire du fragment
supérieur préalablement avivé. On imiterait ainsi les fractures par péné-
tration qui guérissent très-bien; ce serait unir du même coup une excel-
lente suture à une résection complète.
Roux traita autrefois une pseudarthrose du corps de l'humérus par le
procédé indiqué ci-dessus. L'humérus se consolida; mais il est dit que
l'os se brisa plus tard, et, si j'ai bonne mémoire, la pseudarthrose aurait
reparu. Le seul fait clinique n'est donc pas convainquant.
Procédé du docteur Jordan (de Manchester). — Jordan a eu l'idée
séduisante, au premier abord, de traiter les pseudarthroses par l'auto-
plastie périostique; il s'est livré à un grand nombre d'expériences cada-
vériques sur le bras. Il décolle en haut et en bas deux manchons pério-
stiques, puis pratique la résection des extrémités des fragments ainsi
dénudés. Les manchons périostiques sont réunis par la nature, et le
membre est fixé dans un appareil. Ce procédé n'a pas tenu ce qu'il pro-
mettait ; il est d'une exécution difficile, ce qui, certainement, ne serait
pas une objection si la consolidation s'obtenait ainsi plus facilement;
mais, après avoir été expérimenté plusieurs fois sur le vivant, on a vu
que la réunion ne se faisait ni mieux, ni plus mal qu'à la suite d'une
simple résection.
Jordan, dans un récent voyage à Paris, a annoncé, avec la probité scien-
tifique des hommes de génie, que le procédé qu'il avait tant étudié et si
honnêtement expérimenté n'était pas bon, et qu'il l'abandonnait lui-
même.
Dans le cas où le malade se refuserait à l'opération de la pseudarthrose,
ou bien encore si le chirurgien, en raison des conditions d'âge et de
santé du sujet, ne croyait pas l'opération indiquée, un appareil appliqué
d'une manière permanente pourrait faire disparaître en partie les incon-
vénients de la néarthrosc. Il faudrait alors avoir recours à nos fabricants
qui construiraient sans difficultés un brassard plus commode et plus so-
lide que nos appareils ordinaires pour les fractures de l'humérus.
Fractures de l'extrémité supérieure de l'humérus. — Les fractures de
1 extrémité supérieure de l'humérus ont été partagées par les auteurs en
fractures du col anatomique ou de la tète humérale, et en fractures du col
chirurgical. Cette division de fracture du col de l'humérus ne nous paraît
pas d'une grande utilité. Quand riiumérus est brisé très-haut, il est
bien difficile souvent de préciser si c'est le col anatomique ou le col chi-
524 BRAS. — fractures de l'humérus.
rurgical qui est brisé. C'est déjà bien assez de se demander si dans ce
cas il y a luxation ou fracture.
Les fractures du col anatomique s'étendent souvent au col chirurgical.
Le pronostic et les indications thérapeutiques sont les mêmes. Il y a bien
cependant une question spéciale intéressante, la pseudarthrose est très-
commune à la suite des fractures intra-capsulaires ; elle est même la
règle; mais la pseudarthrose, quoique très-rare, existe à la suite des
fractures extra-capsulaires, et nous eu avons recueilli un exemple. C'est
assez pour être affîrmatif dans cette assertion. Ainsi donc il y a pour nous
peu d'utilité à conserver dans le langage chirurgical ces divisions, frac-
turcs du col anatomique, fracture du col chirurgical.
Les fractures de l'extrémité supérieure de l'humérus sont le plus sou-
vent transversales au col anatomique et au col chirurgical. Au voisinage
du corps, elles deviennent généralement obliques et spiroïdes, du reste il
y a des variétés nombreuses. Souvent, dans le cas de solution de conti-
nuité à la ligne chirurgicale, il se fait un renversement delà tête, et con-
sécutivement une pénétration de la diaphysc en dehors dans les tubéro-
sites (fracture par pénétration du col de l'humérus).
Nous ne voulons point insister davantage sur toutes ces variétés anato-
miques non susceptibles d'êtres diagnostiquées.
Les exemples de fracture de l'extrémité supérieure de l'humérus par
armes à feu ne sont pas rares. Nous en représentons plus loin quelques
cas d'après Legouest. (Voy. Fracture de F humérus par armes à feu,
p. 552.)
Déplacements dans la fracture de V extrémité supérieure de l'humérus.
— Les déplacements ne sont pas rares dans la fracture de l'extrémité su-
périeure de l'humérus ; mais il est encore plus fréquent d'observer cette
fracture sans déplacement.
Nous avons observé : 1° le déplacement du fragment inférieur en dedans,
dans l'aisselle, de manière que ce fragment dépassait en dedans la tète
numérale du quart ou de la moitié de son épaisseur; 2° le déplacement
du fragment inférieur dans l'aisselle, ce fragment ayant complètement
abandonné la tête; 5° le déplacement du fragment inférieur en avant, au-
dessous du bord antérieur de l'acromion et de la clavicule, sous la peau
ayant traversé les fibres du deltoïde.
Nous avons produit expérimentalement quelques autres déplacements
plus rares, mais cependant observés déjà plusieurs fois : 1° le déplacement
du fragment supérieur en arrière et en dehors ; 2° le renversement, avec
rotation, de la tête, en avant, en arrière, etc. ; 5° la luxation de la tête
fracturée dans l'aisselle, dans le dos.
Rappelons, en terminant, l'étude des caractères anatomiques de la
fracture et l'histoire des déplacements , les propositions formulées à la
page 90 de l'ouvrage déjà cité. C'est le résultat d'un grand nombre d'ex-
périmentations laborieusement et scientifiquement exécutées : 1° « Dans
le plus grand nombre des cas de fracture du col de l'humérus, les frag-
ments ne s'abandonnent point entièrement. 2° La conservation de la con-
BRAS.
FRACTURES DE L HUMERUS.
521
tinuité du membre, après la fracture, peut tenir à une pénétration de la
partie externe de la diaphyse, dans la partie externe de la tête. 5° Les
fractures du col de l'humérus présentent quelquefois une grande obliquité
de la ligne de fracture. 4° Les fractures du col de
l'humérus sont quelquefois incomplètes. 5° Dans
un grand nombre de cas, le périoste est conservé
et , quoique décollé , il unit encore solidement les
différents fragments. (La fig. 45 représente, d'a-
près Vircbow, une fracture presque transversale
de la partie supérieure de l'humérus. Le périoste
avait maintenu les fragments unis et fourni une
virole osseuse ou cal périphérique.) 6° Un coup
porté au-dessous de la tète humérale, l'os portant
à faux, peut briser l'humérus à une certaine dis-
tance du lieu frappé, par exemple, au voisinage
de l'insertion deltoïdienne; dans ce cas, la ligne
de fracture peut être spiroide ou mieux oblique-
spiroïde. » (Anger, p. 90.)
Causes et théorie des déplacements dans la
fracture du col de l'humérus. — Les fractures du
col de l'humérus sont le plus souvent produites
par des causes directes, c'est-à-dire par des vio-
lences appliquées dans l'endroit même où l'os se
rompt; c'est tantôt un coup porté sur l'épaule,
tantôt une chute dans laquelle cette région sup-
porte tout le poids du corps.
Il existe des fractures du col de l'humérus de
cause indirecte, c'est-à-dire produites par une
violence appliquée sur un autre point de l'hu-
mérus, au coude, par exemple.
Nous avons décrit ailleurs comme déplacement
principal dans les fractures du col de l'humérus
le déplacement dans lequel le fragment inférieur
fait saillie dans l'aisselle.
Boyer regarde comme cause du déplacement
principal l'action des muscles de la coulisse bieé-
pitale : « Les muscles grand pectoral, grand dor-
sal et grand rond portent l'extrémité supérieure
du fragment inférieur en dedans, pendant que
les muscles sus-épineux, sous-épineux et petit
rond font exécuter au fragment supérieur un mouvement qui dirige la
surface de cassure en dehors. Ainsi le déplacement a lieu suivant l'épais-
seur de l'os et il est extrêmement rare, ou plutôt il n'arrive jamais qu'il
soit porté assez loin pour que les fragments cessent de se toucher. Mais si
cela arrivait, le fragment inférieur serait tiré en haut par les muscles
coraco-brachial, biceps, de l'ioïde et triceps brachial, dont la direction est
Fig. 45. — Fracture transver-
sale de .l'humérus; cal en
voie de formation, âgé d'en-
viron quinze jours. — On
voit au dehors la capsule
poreuse du cal produite par le
périoste et les parties molles
environnantes. A droite, la
couche la plus interne est
encore cartilagineuse. A
gauche, on voit une coquille
libre provenant de la por-
tion corticale de l'os. Les
deux extrémités de la frac-
ture sont réunies par une
couche fibrincuse et hémor-
rhagique, qui est d'un brun
foncé ; la moelle des deux
côtés est d'un rouge noirâtre
(par suite de l'hyperémie et
de l'extravasation). — Dans
le fragment inférieur, on voit
plusieurs ilôts poreux de cal
produits par l'ossification de
la moelle. (Ynuaiow, Patho-
logie cellulaire, Iig. 135.)
526 BRAS. — fractures de l'humérus.
presque parallèle à l'axe de l'humérus, et le déplacement suivant la lon-
gueur de l'os se joindrait bientôt au déplacement suivant l'épaisseur. »
(Boyer.)
Ainsi, d'après Boyer, L'extrémité supérieure du fragment inférieur doit,
quand il y a déplacement, se porter en dedans, et la cause de ce mouve-
ment se trouve dans les muscles. Il y a là un abus du raisonnement et
de la théorie; ce sont des déductions anatomiques forcées comme nous
l'avons dit d'ailleurs dans notre longue étude des fractures du col de
l'humérus. Malgaigne l'avait bien compris; mais cette erreur ne saurait
effacer l'éclat du nom de Boyer.
Le déplacement n'est point, comme paraissait le croire Boyer, la con-
séquence de l'action musculaire, mais bien le résultat de la violence qui,
après avoir brisé l'os sépare les fragments en continuant son action.
Pseudarihroses du col de l'humérus. — Les pseudarthroses si com-
munes au col du fémur sont relativement très-rares au col de l'humérus.
Nous en avons observé et figuré ailleurs deux exemples remarquables.
Dans un premier cas observé par nous, la fracture du col de l'humérus
avait brisé l'os en trois fragments. Le plus petit de ces trois fragments
formait une longue esquille unie au corps de l'humérus, par en haut et
par en bas seulement; elle était séparée du corps de l'os dans la plus
grande partie de son étendue.
La partie supérieure de l'humérus était terminée par une facette arron-
die et éburnée; elle était en contact avec une facette analogue que pré-
sentait la tête de l'humérus. Une capsule de nouvelle formation limitait
les mouvements des surfaces néarthrodiales. Enfin nous avons fait repré-
senter (fig. 11, page 92), un exemple unique jusqu'à présent de pseudar-
throse du col chirurgical, observé par nous à l'amphithéâtre de l'école de
Nantes. Le fragment inférieur avait été entraîné en dedans par son extré-
mité supérieure, et la surface de fracture du fragment supérieur avait
suivi son mouvement de telle sorte, que les deux fragments formaient un
angle ouvert en dehors. C'était par conséquent un exemple du déplace-
ment principal dans la fracture du col de l'humérus.
Circonstance bien intéressante, cette néarthrose, véritable articulation
inter-humérale avait entièrement remplacé l'articulation scapulo-humérctle,
qui était le siège d'une lésion curieuse. Les cartilages de la cavité glé-
noïde et de la tête numérale étaient adhérents par de véritales néo-mem-
branes allant de l'une des surfaces articulaires à l'autre, susceptibles de
s'allonger, mais présentant une certaine résistance aux tractions. On par-
venait cependant à les arracher en employant la force, et le cartilage ap-
paraissait dépoli, plus mat qu'à l'ordinaire, mais présentant à peu près
son épaisseur normale; l'altération ne portait que sur sa couche la plus
superficielle.
Symptômes et diagnostic de la fracture du col. — Deux cas; il y a ou
il n'y a pas de déplacement. Quand il n'y a pas de déplacement, la frac-
ture se reconnaît : 1° à l'ecchymose qui d'ordinaire envahit rapidement
l'épaule, le bras, l'aisselle et môme la poitrine; 2° à la crépitation.
BRA.S. — fractures de l'humérus. 527
Dans le second cas, c'est-à-dire quand il y a déplacement ; on sent en
dedans ou en avant ou en dehors la pointe du fragment inférieur, etc.
Dans le déplacement principal, le fragment inférieur se portant en de-
dans, il y a vide sous ïacromion et tumeur clans Vaisselle; la maladie res-
semble donc beaucoup à une luxation de l'humérus en avant; mais il n'y
a pas identité complète entre les deux symptômes de la fracture du col de
l'humérus et les deux symptômes principaux de la luxation de l'humérus
en avant. Quand on pousse, en effet, l'analyse plus loin, on aperçoit que
le vide sous-acromial, dans la luxation, est immédiatement au-dessous de
l'apophyse, tandis que, dans la fracture, le vide ne se prononce bien
qu'à 2 ou 5 centimètres plus bas. La cavité glénoïde, en effet, n'est pas
vide, elle contient encore sa tête. Quant à la tumeur axillaire, dans la
fracture, elle ne donne pas la sensation d'une boule bien arrondie comme
dans la luxation, c'est un angle d'ordinaire aigu; quand on suit avec le
doigt la face interne de l'os, on trouve qu'elle finit à pic.
Disons, du reste, qu'il n'est pas toujours possible de faire un diagnos-
tic certain. Dans le doute, on se conduira pour la réduction comme s'il
y avait luxation; si la luxation existe, on la réduira; s'il y a fracture on
la réduira encore souvent, mais la réduction ne se maintiendra point le
plus souvent. Cela est si vrai que, dans le cas où le diagnostic de la luxa-
tion et de la fracture était incertain, Dupuytren donnait ce précepte im-
portant : Rendez au membre, par des manœuvres convenables, sa forme
et sa longueur naturelles; retournez auprès du malade sept ou huit
heures après; si vous trouvez l'épaule déformée, soyez assuré que vous
avez affaire à une fracture. (Dupuytren.)
Réduction des fractures du col. — Appareils. — La réduction des frac-
tures du col de l'humérus, quand le déplacement est considérable, pré-
sente les plus grandes difficultés. La difficulté de la réduction nous paraît
consister en ce que le chirurgien n'a de prise que sur le fragment infé-
rieur. Le fragment supérieur, qui est toujours très-court, est en même
temps très-mobile dans tous les sens, et. ne peut être fixé par aucun
moyen.
Au col de l'humérus comme au corps, on pratiquera l'extension sur
l'humérus, la contre-extension sur l'épaule et l'aisselle, ei le chirurgien
essayera la coaptation en pressant fortement sur le fragment, de manière
à lui faire parcourir, en sens inverse, la route qu'il a déjà suivie.
La fracture de l'humérus, accompagnée de luxation est une lésion le
plus souvent irrémédiable. Cependant un homme, dont le mérite est ap-
précié de tous, Richet, a réussi dans plusieurs cas, le malade étant
préalablement chloroformé à repousser avec les mains la tète numérale
séparée du corps de l'os et luxée dans l'aisselle, et à la faire rentrer
dans la cavité glénoïde.
Quand, dans le cas de luxation avec fracture, la réduction ne peut être
obtenue, la tête se soude au col, et il se fait une néarthrose entre le sca-
pulum et l'humérus; nous avons reproduit (planche XX1Ï) un exemple
bien curieux de fracture du col de l'humérus avec luxation de la fête
528
BRAS. FRACTURES DE L HUMÉRUss.
humérale en avant; l'union de la tête avec le col était intime, et il y
avait une néarthrose seapulo-humérale des plus parfaites.
Appareils pour les fractures de l'extrémité supérieure de l'humérus. —
La réduction des fractures du col de
l'humérus obtenue, il faut entou-
rer le membre d'un appareil solide
qui maintienne la réduction. Dé-
sunit entourait le bras d'une bande
roulée, il disposait ensuite autour
du bras trois attelles : l'une en avant,
la seconde en dessous, la troisième
en arrière, et les fixait dans cette
position au moyen de lacs. Un cous-
sin était placé entre le bras et le
tronc, et ces deux parties rappro-
chées l'une de l'autre au moyen de
bandes. Cet appareil est surtout
avantageux dans les cas de déplace-
ment principal (fig. 46).
Bonnet (de Lyon) a fait construire
un appareil très-compliqué (fig. 47
et 48) composé de deux gouttières, dont l'une (fig. 47) embrasse la* moitié
de la poitrine du côté malade, dont l'autre (fig. 48) soutient le membre su-
périeur fléchi au niveau du coude. La gouttière pectorale que l'on voit par
Fig. 40. — Appareil de Desault pour le traite-
ment de la fracture du col.
pIG 47, — Gouttière pectorale de Bonnet pour Fig. 48. — Gouttière brachiale faisant corps
fractures de l'humérus (face interne), munie avec celle qui entoure la poitrine. (Bonnet,
d'une ceinture horizontale qui l'assujettit au- Thérapeutique des maladies articulaires.
tour du tronc. (Bonnet, Thérapeutique des ma- fig. 08.)
ladies articulaires, fig. 07.)
sa face interne (fig. 47), est munie d'une ceinture horizontale qui l'assu-
jettit autour du tronc, et d'une bretelle qui passe au-dessus de l'épaule.
BHAS. — FRACTURES DE L'HUMERUS.
521
La gouttière brachiale fait corps avec celle qui entoure la poitrine, d'où
résulte que le bras suit le tronc dans tous les mouvements que ce dernier
exécute. La figure 49 montre l'appareil applique. On y a ajouté des
Fig. 49. — Appareil de Bonnet pour fractures du col de l'humérus. (Bonnet. 1 Itéra ■
peutique des maladies articulaires, fig. 71.)
moyens accessoires propres à opérer l'extension; c'est-à-dire qu'on a fixé
un tourniquet à un prolongement de la gouttière brachiale et que l'on a
enroulé sur ce petit treuil une courroie fixée à une chaus-
sette qui entoure l'extrémité inférieure du bras, etc.
(Vidal.)
Cet appareil a rendu de grands services dans quelques
cas de fractures du col à déplacements difficiles à main-
tenir réduits.
Appareil de Ant.
Desormeaux. —
Dans les cas ordi-
naires, on pourra
se contenter de
l'excellent appa-
reil de Antonin
Desormeaux ( fi-
gure 50); il est
NOUV. DICT. MÉO. ET CHIC
Fig. 50. — Gouttière de Antonin Besoin .eaux pour
la fracture du col.
V. - U
BRAS.
FRACTURES DE L HUMERUS.
composé d'une gouttière en gutta-percha moulée sur le membre et fixée
au moyen d'une bande ordinaire ou de bandelettes.
Fractures de l'extrémité inférieure de l'humérus. — Les fractures de
l'extrémité inférieure de l'humérus nous paraissent devoir être divisées
ainsi qu'il suit : 1° fracture sus-condylienne; — 2° fracture à trois
fragments de l'extrémité inférieure de l'humérus ; — 5" fracture de la
trochlée ; — 4° fracture du condyle ; — 5° fracture de l'épicondyle ; —
6° fracture de l'épitrochlée.
La fracture sus-condylienne, divisant transversalement le corps de l'hu-
mérus au-dessus des tubérosités ou à leur niveau, est très-intéressante
comme diagnostic; elle simule parfaitement la luxation du coude en
arrière.
Quand, en effet, l'humérus se trouve brisé à sa partie inférieure, si les
os de l'avant-bras se trouvent portés en arrière, entraînant avec eux l'hu-
mérus qui forme le fragment inférieur de la fracture, comme cela arrive
ordinairement, l'observateur constatant une saillie en avant du coude
et une tumeur osseuse en arrière aura grande tendance à conclure à la
luxation du coude en arrière; mais si le diagnostic présente de la diffi-
culté, il y a des moyens certains de diagnostiquer la luxation du coude
en arrière de la fracture de l'extrémité inférieure de l'humérus. Sans par-
ler, en effet, de la crépitation qui existera quelquefois dans la fracture
mais qui n'existe pas nécessairement, nous trouvons dans les déforma-
tions seules le moyen de différencier deux maladies chirurgicales,
qui, ont entre elles une parenté incontestable.
fracture de l extremite inferieure de
l'humérus.
La tumeur osseuse antérieure est située
au-dessus du pli du coude, parce que l'hu-
niérus est raccourci par la fracture.
Tumeur antérieure irrégulière.
Les mouvements de flexion et d'extension
sont possibles, l'articulation étant conser-
vée.
Réduction facile, mais ne se maintenant
|ias.
LUXATION DU COUDE EN ARRIERE
Comme l'humérus n'a rien perdu de sa
longueur, la tumeur osseuse antérieure se
trouve dans un point qui représente exac-
tement la position de l'extrémité inférieure
de Los.
Tumeur antérieure reconnaissais par ses
caractères pour l'extrémité inférieure de
l'humérus.
Mouvements de flexion et d'extension
impossibles.
Réduction demandant une grande force,
mais se maintenant.
Fracture à trois fragments de V extrémité inférieure de l'humérus, —
Sous ce titre, nous décrirons un genre de fracture signalé, dit-on, pour
la première fois, par Desault, et qui consiste dans une fracture sus-con-
dylienne de l'extrémité inférieure de l'humérus, dans laquelle le fragment
inférieur est partagé en deux par une ligne de fracture verticale. Ce sont
là des variétés anatomiques qu'on ne diagnostique point. Au milieu des
parties molles épaisses qui recouvrent l'articulation, comment se per-
mettre de diagnostiquer une ligne de fracture verticale séparant en deux
Bu AS. — FRACTURES DE L'HUMÉRUS. 554
un fragment inférieur qui ne peut avoir plus de 2 ou 5 centimètres de
hauteur ?
Fracture de la trochlée. — Voici les symptômes assignés par Astley-
Cooper à la fracture de la trochlée : 1° Le cubitus paraît luxé à cause
de la saillie que cet os et le condyle fracturé font derrière l'humérus pen-
dant l'extension de l'avant-bras. 2° Le cubitus reprend sa position natu-
relle lorsqu'on place l'avant-bras dans la flexion. o° Si l'on applique la
main sur le condyle de l'humérus, tandis qu'on fléchit et qu'on étend
successivement l'avant-bras, on perçoit une crépitation qui correspond
au condyle interne. 4° Quand on opère l'extension de l'avant-bras, l'ex-
trémité inférieure de l'humérus fait au-devant du cubitus une saillie facile
à sentir à la 'partie antérieure de l'avant-bras.
Fracture de répitrochlée de ï épicondyle , etc. — Nous arrêtons là
l'étude des fractures de l'humérus; il n'y a que peu d'intérêt à décrire
en détail les fractures de l'épitrochlée, qui sont tantôt produites par des
causes directes, d'autres fois par des arrachements, et qui souvent ne se
consolident pas, le fragment enlevé se trouvant écarté du corps de l'os
par la contraction musculaire.
Tout cela a un certain intérêt; mais dans ce cas la pralique a peu à
bénéficier de la théorie. Le diagnostic sera presque toujours impossible, en
ce sens qu'on ne pourra pas préciser toutes ces variétés; mais on saura
qu'il y a une fracture; c'est tout ce qu'il faut pour la pratique.
Appareil pour les fractures de V extrémité Inférieure de ï humérus. —
Les fractures de l'extrémité
inférieure de l'humérus étant
réduites, on entourera le
membre demi- fléchi d'un
bandage roulé, on placera
sur le bandage roulé des at-
telles de carton mouillé,
l'une du côté de la flexion,
l'autre du côté de l'exten-
sion, en les fendant de côté F,c- M- —Bandage «le floyer pour les fractures de l'ex-
et d'autre dans le quart de
leur largeur, au niveau du
coude ; ces attelles sont assujetties le long du bras et de l'avant-bras
au moyen d'une seconde bande roulée, etc. (lig. 51).
On pourra fléchir l'avant-bras sur le bras et entourer le membre supé-
rieur d'une bande : une attelle coudée et concave sera placée le long de
la face postérieure du bras et de l'avant-bras ; une autre du côté de la
face antérieure du membre. Les deux attelles étant assujetties au moyen
de courroies (pratique d'Astley Cooper).
On pourra encore, à l'exemple de Velpeau, placer une compresse gra-
duée en avant du pli du coude , une autre compresse en arrière sur l'o-
lécrâne. Sur ces compresses, [étant appliquées deux attelles de carton
mouillé ; en recouvrant le tout d'une bande dextrinée , on obtient un ap-
trémité intérieure de l'humérus. [Vidal.
552 BRAS. — FRACTURES de l'humérus.
pareil inamovible solide et remplissant parfaitement les indications que
présente le traitement de la fracture de l'extrémité inférieure de l'humérus.
Ce n'est point sans inconvénient qu'une articulation reste longtemps
immobilisée; aussi, Morel Lavallée
a-t-il rendu un service réel à bien
des malades en construisant ses
appareils articulés. La figure 52
représente l'appereil articulé que
Morel-Lavallée employait pour les
fractures de l'extrémité inférieure
de l'humérus. Cet appareil est
formé de trois parties : une bra-
chiale, une antibrachiale mobile
sur la partie médiane qui enve-
loppe le coude.
Fractures par armes à feu. —
Les fractures par armes à feu sont,
bien entendu, très-fréquentes au
bras; nous en représentons des exemples observés à la tête de l'humérus
(lig. 55), quand elles ne s'accompagnent pas de trop grands délabrements
Fig. 52. — Bandage avec anneaux imbriqués qui se
meuvent les uns sur les autres. (Morel-Lavali.ée.)
— A, coude; B, poignet.
Fig. 55. — Fractures de la tête de l'humérus par coups de feu. — L'humérus a éle
réséqué dans les cas qui ont, fournijes pièces a, b, c,d et e. (Musée du Val-do-
Gràce et Legouest, Chirurgie d'armée.)
elles guérissent très-bien ; mais, en raison de leurs complications fré-
quentes, elles constituent souvent un cas cï 'amputation du bras. Les frac-
tures par armes à feu de la tête humérale nécessitent souvent la résection
(von. Épaule), et la pratique des chirurgiens d'Amérique dans la dernière
BRAS
NECROSE ET TUMEURS DE L HUMERUS.
OOJ
pierre a montré que la résection de la tète de l'humérus, dans ce cas,
pouvait donner les plus beaux succès.
Nécrose cie l'humérus. — La nécrose de l'humérus se présente
souvent dans la pratique. On rencontre à l'humérus toutes les formes de la
nécrose. Nécrose superficielle , nécrose
largement invaginée (fig. 54), etc. Nous
avons observé une fois une nécrose cir-
culaire du corps de l'os ; séparant une
rondelle parfaitement régulière de un
centimètre d'épaisseur et comprenant
toute la diaphyse. Le travail d'élimination
était très-avancé, et si le malade n'avait
pas succombé à une affection vésicale, il
se serait fait une élimination de un cen-
timètre environ du corps de l'os; élimi-
nation qui aurait ainsi diminué la lon-
gueur du corps de l'humérus. Nous re-
produisons deux beaux types de nécroses
invagïnécs de l'humérus (fig. 54).
Tumeurs cBe l'Iiuinerc:». — Toutes
les tumeurs des os peuvent s'attaquer à
l'humérus. Nous avons observé deux exem-
ples de grosses tumeurs à myéloplaxes du
corps de l'humérus, et on connaît le
développement énorme que peuvent ac-
quérir les enchondronics de la région. On
voyait, il y a trois ans, dans Je service
de^Velpcau, un enchondrome de l'humé-
rus dont le volume était plus gros que le
corps du malade. La tumeur avait envahi
l'épaule, et Yelpeau refusa l'opération,
qui, exécutable sans doute au point de
vue de, la médecine opératoire, aurait
certainement été rapidement suivie de
mort. Si la tumeur avait été d'un volume
moins considérable, la résection ou l'am-
putation aurait dû être exécutée.
Résection de l'humérus. — Les maladies de l'humérus peuvent indi-
quer la résection de cet os. La tète de l'humérus est la partie qui a été
le plus souvent enlevée dans les opérations. La résection de la tête de
l'humérus est une des opérations les plus importantes de la région de
1 épaule (voy. Epaule). La résection de l'extrémité inférieure de l'humérus
fait partie de la résection du coude (voy. Coude).
Résection de la partie moyenne. — La disposition des chairs invite à
attaquer le membre par sa partie externe; c'est donc entre le bord externe
g. 54. — A Une nécrose de L'humérus.
— Lm nécrose affecte la partie moyenne
de l'os ; il y a eu extraction de séquestre.
On voit l'os nouveau encore incomplet,
mince et fragile. — B La presque tota-
lité de l'humérus est mortifiée. L'os
nouveau est complètement solide. On
voit les cloaques, ouvertures qui lais-
sent apercevoir le grand séquestre mo-
bile, libres dans la cavité de l'os nou-
veau. (Musée Dupuytren.)
du brachial antérieur et le bord antérieur du ti
iceps
ou mieux dans les
554 BRAS. ANEV-RYSOES ET KYSTES AKÉVRYSMOÏDES.
libres les plus externes du brachial antérieur, que l'incision sera prati-
quée , l'os dénudé dans une étendue en rapport avec la longueur de la
partie malade , et la scie appliquée au-dessus et au-dessous de la lésion.
La scie à chaîne permettra de couper les os avec facilité, sans exposer le
moins du monde les parties molles.
Procédé de Y auteur. — Dans la résection de la partie moyenne de
l'humérus nous avons l'habitude dans nos cours de faire suivre une
marche qui permet de donner à l'opérateur plus de facilité et en même
temps plus de sécurité. Nous commençons par faire pratiquer à la partie
externe du membre une petite incision, trois à quatre centimètres au
plus ; l'os est légèrement dénudé , et la scie à chaîne passée autour de la
diaphyse. La section de l'humérus est pratiquée ainsi au milieu de la
partie dont l'ablation doit être faite. La section de l'humérus étant prati-
quée, nous plions'le membre dans sa continuité à angle droit et nous fai-
sons sortir par la plaie un seul des fragments dont la dissection complète
se fait avec la plus grande facilité, et qui, étant saisi avec une tenaille à
son extrémité libre, est facilement divisé à la limite du mal avec la scie or-
dinairement employée dans les amputations. Le fragment inférieur est
ensuite attaqué de la même façon et avec plus de facilité, puisque la
place où manœuvre le chirurgien s'est trouvée très-agrandie par l'ablation
d'une certaine longueur de l'os.
Nous pratiquons ainsi avec facilité la résection de l'humérus, et il n'est
jamais nécessaire d'avoir recours à ces instruments complexes (Ostéo-
tome de Heine, etc.) inventés pour sectionner les os en respectant les
parties molles et qui, bons en théorie, sont inapplicables en pratique.
Malle a guéri par la résection du corps de l'humérus un militaire qui
depuis longtemps était tourmenté d'abcès fîstuleux par suite de nécroses.
Cette opération a encore été pratiquée par Pétrequin (de Lyon).
Anëvrjsmes du bras. — Les anévrysmes des bras sont très-rares
comme anévrysmes spontanés, plus communs comme anévrysmes trau-
matiques. Ils peuvent porter sur l'humérale, et l'anatomie indique qu'ils
peuvent siéger aussi sur l'humérale profonde ; mais , jusqu'à présent ,
du moins, nous n'en connaissons pas d'observation. L'artère humérale
étant superficielle, tous les symptômes des anévrysmes doivent se pro-
noncer de bonne heure, et le diagnostic peut être porté dès le début.
Les anévrysmes du bras peuvent être attaqués par la compression, par
la ligature, etc., etc.
Kystes anéi r> smoïdes. — Nous donnons le nom de kystes anévrys-
moïdes à une maladie non décrite avant nous, et dont nous avons déjà pu
recueillir deux observations, une au bras, l'autre à Tavant-bras.
Un soldat reçoit à Malakoff une balle dans le biceps brachial; l'extrac-
tion de la balle est pratiquée, la plaie se cicatrise, trois ans après il entre
à rilôtel-Dieu de Nantes pour une tumeur soulevant la peau de la région
brachiale antérieure, et ne s'accompagnant d'aucune coloration anor-
male; cette tumeur est molle, fluctuante, diffuse; aucune pulsation, mais
un bruit de souffle bien perceptible se manifeste à l'auscultation.
BRAS. KYSTES ANÉVRYSMOÏDES. 535
Cette tumeur paraît s'être montrée quelque temps après la cicatrisa-
tion de la plaie produite par la balle, et s'être accrue régulièrement et
continuellement.
On diagnostiqua un anévrysme faux consécutif de l'artère numérale,
et l'ouverture du sac fut décidée. Une incision fut pratiquée à la peau et
divisa une assez grosse artère comprise dans la paroi antérieure de la tu-
meur ; la ligature en fut faite sans difficulté, puis le sac fut ouvert. Il
sortit une quantité considérable de caillots noirs et diffluents, que l'on
peut évaluer au volume du poing; ces caillots furent projetés en quelque
sorte à l'extérieur par une ondée sanguine qui s'écoulait de tous les
points de la paroi du sac. On chercha avec le plus grand soin d'où venait
le sang, mais il ne fut pas possible de reconnaître une seule branche ar-
térielle ouverte, et cependant l'hémorrhagie était menaçante. On recourut
au tamponnement; des boulettes humectées de perchlorure de fer furent
introduites dans la plaie, et un bandage compressifen maintint l'appli-
cation. L'hémorrhagie ne s'arrêta point, le sang s'infiltra dans tous les
tissus, le délire survint, et il fallut prendre une décision ; l'amputation
fut résolue, et le bras fut coupé par le docteur Patureau à la réunion
du tiers supérieur avec les deux tiers inférieurs. L'amputation fut pra-
tiquée au milieu de tissus infiltrés de sang.
On comprend tout l'intérêt qui s'attachait à la dissection du membre;
elle fut faite avec le plus grand soin. L'artère numérale lut injectée avec
une matière solidifiable, et aucun écoulement notable de l'injection ne se
lit à la surface du sac anévrysrral. L'artère numérale était intacte dans
toute sa longueur; les troncs artériels musculaires étaient également in-
tacts ; il n'y avait pas d'anomalie de l'humérale. Les parois du kyste san-
guin étaient formées en partie par les fibres du biceps, en partie par le
tissu cellulaire. Les fibres du biceps, au voisinage du sang, étaient cou-
pées, rougeâtres, vascularisées et comme villeuses dans quelques points;
elles étaient recouvertes de fausses membranes rouges et adhérentes dans
plusieurs parties.
L'écoulement sanguin si menaçant avait donc été fourni par les parois
d'un kyste consécutif à une plaie profonde du bras, cicatrisée à sa sur-
face. La vascularisation des parois avait été assez considérable pour
donner lieu à la production du bruit de souffle.
Ce fait, observé avec soin, réveilla notre attention, et, en 1865, nous
eûmes l'occasion d'observer dans le service de Velpeau un deuxième
exemple de cette maladie. A la suite d'une blessure de Pavant-bras,
une tumeur se manifeste. Celte tumeur n'était point sur le trajet de l'ar-
tère radiale, qui battait bien, ni sur le trajet de la cubitale. Pas de bat-
tements, mais un bruit de souffle bien marqué. La tumeur menaçant de
s ouvrir, Velpeau l'incise ; il sort une masse considérable de caillots,
puis, la poche vidée, on découvre un kyste bien organisé, ayant même
dans quelques points des parois fibreuses, et donnant du sang par tous
les points de sa surface, etc.
Aucune artère un peu importante n'était intéressée dans ce cas. La
556 BRAS. — KYSTES AM3VRYSM0ÏDES.
compression produite dans le sac réussit, et le blessé guérit sans ampu-
tation.
Ces observations justifient le titre de kystes anévrysmoïdes ; c'est une
maladie dont l'histoire est encore incomplète, puisqu'elle se réduit aux
deux cas que nous produisons en ce moment, mais qui paraît par sa gra-
vité et la difficulté de son diagnostic digne de fixer d'une façon toute
particulière l'attention du chirurgien.
Ligature de l'artère hcméràle au milieu du bras. — Le chirurgien
ayant déterminé, par la palpation, la position précise du bord interne du
biceps, de l'aponévrose intermusculaire interne, qui se sent très-bien et
forme un repère, du nerf médian, du nerf cubital, qui quelquefois sous-
tendent la peau et, dans d'autres cas, roulent sous le doigt à la palpation.
Les battements de l'artère ayant surtout été bien reconnus, une incision de
cinq centimètres divise longitudinalement la peau de la région brachiale
interne.
L'aponévrose superficielle est ouverte avec le plus grand soin, et le nerf
médian apparaît. On sait que ce nerf est au côté externe de l'artère dans
l'aisselle, en avant, au milieu du bras et en dedans, au pli du coude.
Le nerf médian croise donc l'artère en formant un x très-allongé.
Le nerf médian est écarté avec précaution, et au-dessous on aperçoit
l'artère numérale, accompagnée de deux veines. Les plus grandes pré-
cautions sont indispensables pour séparer l'artère numérale de ses deux
veines. Un fil est jeté sur l'artère, et l'opération est terminée.
Il faut toujours avoir présente à l'esprit la possibilité ^anomalies
de l'artère numérale. Ces anomalies consistent dans la bifurcation pré-
maturée de l'artère; bifurcation qui se fait ou dans l'aisselle ou le long
du bras. D'après Broca, dans tous les cas d'anomalie, il existe constam-
ment, à la place de l'humérale, un canal vasculaire qui en reproduit par-
faitement la direction et les rapports (canal de Meckel).
Quelque facile que soit la ligature de rhumérale, cette opération
peut présenter des difficultés et être suivie d'accidents. 1° On peut prendre
le nerf cubital pour le médian ; 2° le nerf médian peut passer en arrière
de l'artère; 5° on peut prendre pour l'artère une veine ; un nerf, une
bande anévrotique, une bandelette de tissu cellulaire; 4° on peut dé-
coller les muscles, ouvrir trop largement les gaines, ce qui prédispose aux
abcès et aux fusées purulentes.
La ligature de rhumérale peut entraîner la gangrène des membres;
mais c'est là un accident excessivement rare. L'humérale profonde et les
anastomoses des articulaires ramènent si rapidement le sang au bout in-
férieur, que ce qu'il y a de plus à craindre dans une ligature de l'humé-
rale, c'est de manquer le but par le retour trop rapide du sang.
Pour éviter le retour du courant sanguin anastomotique, on remplacera
avec avantage, dans les hémorrhagies de l'humérale et les anévrysmes des
bras, la ligature simple au-dessus de la plaie et de l'anévrysme par la
ligature double au-dessus et au-dessous, etc., etc.
Amputation du bras. —L'amputation du bras et celle de la cuisse doivent
BRAS.
KYSTES ANEVRYSM01DES.
DO,
être regardées comme le triomphe de la méthode circulaire. La facile ré-
traction de la peau, la disposition des muscles donnent dans ces régions,
à l'amputation circulaire (fig. 55), des avantages réels comme exécution, et
Fie. 55. — Amputation circulaire du bras. — Procédé de Béclard et Dupuytren.
comme résultat secondaire, sur les méthodes ovalaires ou à lambeaux.
La peau est rétractée avec soin par un aide ; un second aide main-
tient l'avant-bras. Premier temps : Le chirurgien, placé en dehors du
membre, coupe circulairemènt la peau et l'aponévrose sans toucher aux
muscles. La peau rétractée s'écarte. Deuxième temps : Le chirurgien, re-
portant le couteau dans la plaie, coupe toutes les chairs du membre
jusqu'à l'os.
L'aide continuant la rétraction, le moignon prend la forme d'un cône
à sommet en dehors. Pour obtenir un résultat satisfaisant, l'opérateur
doit donner un dernier coup de couteau qui retranche toute la moitié
externe du cône, et scier Los au niveau de cette dernière section des
parties molles. Le résultat donné par ce procédé de la méthode circulaire
(procédé de Béclard et de Dupuytren) est constamment très-beau.
Les ligatures d'artères sont faciles à exécuter, et quelques minutes i>uï-
lisent pour achever l'opération.
Exemples de méthodes à lambeaux, d'après Malle. — 1° Une incision
transversale et deux incisions longitudinales, de manière à tailler un
lambeau aux dépens de la partie antérieure et externe du deltoïde; une
fois ce lambeau obtenu, il faut le relever et diviser ce qui reste des par-
ties molles à l'aide d'une incision circulaire. 11 ne reste plus qu'à
isoler les os et à les scier. (Sabatier.)
L'opérateur, placé en dedans, soulève les chairs avec la main gauche
pour le bras droit, et réciproquement, s'il agit sur le bras gauche; il
taille deux lambeaux, l'un interne, et l'autre externe, de 8 centimètres
environ et en procédant de dehors en dedans; une fois les parties molles
538 BRAS. — prothèse.
relevées et l'os isolé, la scie en fait la section à l'endroit désigné d'avance.
(Langenbeck.)
Le couteau est introduit au bord radial du membre, et rase la surface
de l'os pour aller sortir au bord cubital. Section d'un lambeau circulaire
long de 5 centimètres. Un autre lambeau de même forme est taillé à la
partie postérieure, etc., etc. (Klein.)
On a également pratiqué l'amputation du bras par la méthode ovalaire.
Nous recommandons la méthode oblique- elliptique de Marcellin Duval
(de Brest), comme un procédé un peu long peut-être, mais sûr, et per-
mettant de pratiquer l'opération sans crainte d'hémorrhagie, et avec un
résultait très-beau au point de vue de la réunion.
PROTHÈSE
Les infirmités auxquelles donnent lieu les amputations du bras, les
phocomélies du membre supérieur, sont nécessairement très-graves;
aussi la pensée de suppléer au membre supérieur par un mécanisme sous
la dépendance du sujet qui le porte, a-t-elle dû venir depuis longtemps
déjà aux chirurgiens et aux ingénieurs qui fabriquent les instruments de
chirurgie.
Le nombre des bras artificiels est considérable, et Debout, dans un
remarquable mémoire, en a fait dessiner un grand nombre de modèles.
Quoiqu'il y ait encore beaucoup à faire dans cette voie, et que l'art de
la prothèse des membres n'ait pas dit son dernier mot; on a obtenu
des résultats importants et les noms de Charrière, de Mathieu, de Martin,
de Duval, etc., rappellent autant d'ingénieuses dispositions dont pour-
ront bénéficier les blessés qui ont subi l'amputation d'un bras ou des
deux bras.
Dans le cas si remarquable de Roger, Mathieu construisit l'appareil
(fig. 56), avec lequel le célèbre ténor put continuer de figurer sur la
scène.
Le problème était complexe; il s'agissait : 1° de faire mouvoir en tous
sens les doigts, le poignet et l'avant-bras; 2° de permettre à l'avant-bras
de se plier sur le bras, de venir s'appliquer sur la poitrine; de pouvoir
l'étendre, l'élever au-dessus de la tête, le porter en arrière, en dehors et
faire les saluts d'usage. Mathieu a obtenu tous ces mouvements à l'aide
d'un système de courroies unissant le membre opposé et les épaules au
bras artificiel. Ces courroies s'étendant d'une épaule à l'autre avaient
déjà été utilisées dans un bras artificiel, construit longtemps avant par van
Peeterssen (voy. Avant-Bras, t. IV, p. 301), mais le bras de ce dernier
inventeur était extrêmement compliqué et bien inférieur à l'appareil de
Mathieu.
Grâce au mécanisme ingénieux employé par Mathieu, Roger pouvait
obtenir dans son membre artificiel: 1° la pronation et la supination;
2° l'ouverture de la main et le rapprochement des doigts ; 5° l'extension
de l'indicateur indépendant ou solidaire à volonté des autres doigts, etc.
BRAS. PROTHÈSE.
539
La légèreté de l'appareil prothétique de Mathieu a été obtenue en com-
binant l'aluminium et l'acier au bois le plus léger.
Fig. 56. — Bras artificiel (modèle Mathieu) dont se sert Roger. — a, Corde
qui sert à produire le mouvement de flexion de l'avant-bras sur le bras,
et qui vient se fixer en avant à la ceinture du pantalon, en traversant la
partie dorsale en a. — e, Coupe de l'avant-bras à l'endroit où le mouve-
ment de pronation et de supination se l'ait au moyen de la corde t qui
passe en b et vient se fixer en f à l'épaule opposée. — c, Corde qui fait
manœuvrer l'index et qui vient s'attacher à la couture du pantalon en c.
— L'ouverture de la main se fait par le mouvement de torsion de l'avant-
bras. — a, Double virole concentrique disposée de manière à produire
le double mouvement de rotation du bras, moyen qui permet de pouvoir
passer l'avant-bras derrière le dos et le porter derrière la tète.
Charrière construisit au même moment pour Roger le bras artificiel des-
siné (fig. 57); nous n'en donnerons pas la description minutieuse; l'exa-
men attentif du dessin suffira pour faire comprendre les dispositions prin-
cipales du mécanisme. L'appareil prothétique de Charrière est en cuir
préparé, terminé au poignet par deux charnières qui permettent la flexion
de la main.
Une courroie placée sur le dos d'après le système déjà rapporté à son
inventeur van Pecterssen, unit le bras au tronc et rend ses mouvements
dépendants du moignon de l'épaule du côté amputé, enfin du membre
sain, etc., etc.
540 BRAS. PROTHÈSE.
Le bras artificiel construit par Charrière est très-ingénieux, mais
parait moins simple que celui construit par Mathieu. La simplicité de
l'appareil de ce dernier inventeur nous paraît assurer à son œuvre une
supériorité incontestable.
Fig. 58. — A, L'un des deux bras artificiels (mode
Charrière) qui ont été employés pour Roger, avec l'ad
dition de l'ancien principe de traction de van Pee
terssen. — B, Vue de la coupe de l'avant-bras d
même.
La main est en bois, très-évidée, pour en diminuer 1
poids. Les phalanges qui doivent former les doigts sont
en acier et recouvertes en bois, assemblées et assez
serrées pour rester dans toutes les positions qu'il con-
vient de le*ur donner. Une corde à boyau A, fixée à
l'avant-bras au point C, sert à attirer ce dernier, en
prenant son point fixe sur le brassard, au niveau d
l'épaule, du côté sain. On fléchit alors le coude et
poignet en élevant le moignon. Le triangle que forme
cette corde de traction avec le bras et l'avant-bras s
évité à l'aide d'une poulie de renvoi.
Ce mouvement fera tirer sur
une deuxième corde D qui est
iixée à l'excentrique E de la
charnière du coude; l'extré-
mité de cette corde, munie
d'un fort ressort en spirale
étant fixée dans la main au
point F, la fera fléchir à l'ar-
ticulation du poignet. Mais
aussitôt que la traction ne se
fait plus sur la corde fixée
derrière l'épaule, l'avant-bras
se redresse par la force de
deux élastiques GG placés der-
rière le coude. Le poignet se
redresse en même temps que
l'avant-bras par le tirage d'un
ressort en spirale plus faible
lixé en dehors de la main au
point H et à l'avant-bras au
point I.
Les mouvements de prona-
tion et de supination s'exécu-
tent par l'une des saillies J
placées à l'avant-bras, au-des-
sous de la jonction K des par-
ties inférieures et supérieures
de ce dernier. Les mouvements
de rotation s'exécutent facul-
tativement en poussant avec la
hanche ou avec l'autre main
l'un des points saillants J.
Fig.
Appareils prothétiques après l'amputation des deux bras. — Ange
Duval de (Brest) a fait construire pour un cas d'amputation des deux
BRAS. PROTHÈSE.
541
bras, un appareil (fig. 59 et 60), qui a rendu a l'opéré de biens grands
services ; cet appareil se compose :
Fjg. 59. — Appareil d'Ange Duval. — Jacques
Bonin au repos. (Debout, observ. 72.)
Fjg. GO. — Appareil d'Ange Duval. Jacques
Bonin prenant une cuillerée de potage. De-
bout, observ. 72.)
D'une main de bois, évidée à l'intérieur, pour diminuer sa pesanteur,
terminée par quatre doigts, réunis entre eux et dans la demi-flexion,
taillés dans le même morceau de bois. Au centre de la main, un trou
reçoit une spirale d'acier : un ressort d'une grande force qui est solide-
ment fixé et qui, d'autre part, est uni au pouce. Celui-ci, D, est donc
rapproché énergiquement des extrémités des doigts, imlex et médius. La
face palmaire de ces doigts présente une surface presque plane et non
convexe, taillée obliquement afin de s'opposer au pouce dans une plus
grande étendue; une fossette ovalaire, assez profonde, creusée sur le bord
externe de la main, reçoit le premier métacarpien qui est lormé avec le
pouce d'un seul morceau de bois. J'avais, dit Duval, articulé dans le
principe la main avec le cône de l'avant-bras; les mouvements de flexion
et d'extension se faisaient avec facilité ; mais, peu avant le départ du
blessé, préférant la solidité du mouvement, j'ai fixé la main à l'avant-
bras.
Les autres parties de l'appareil sont formées :
D'un tube conique, sorte de manchon de quinze centimètres environ,
T)42 BRAS. BIBLIOGRAPHIE.
qui reçoit le moignon et s'articule au coude avec le brassard en cuir, qui
prend son point d'appui sur le moignon et sur l'épaule.
Enfin, un bracelet entoure le moignon du bras gauche et sert de point
fixe à un cordon de traction qui réunit, les deux membres.
Ange Duval a eu Jacques Bonin plusieurs mois sous les yeux, et l'ap-
pareil que ce chirurgien a mis en usage fonctionne depuis assez long-
temps pour que l'on puisse en apprécier l'utilité.
Quelque imparfaits que soient généralement les appareils prothétiques
destinés à remplacer les membres, ils ont déjà rendus d'immenses ser-
vices, ils ont rendu la vie possible à des malheureux qui, sans cette pré-
cieuse ressource, en étaient réduits à regretter le succès de l'opération
qui les avait guéris. Là ne s'arrêtera pas la prothèse, et nous pouvons
déjà prévoir tout ce qu'elle pourra donner, si les chirurgiens ne dédai-
gnent pas de se faire un peu mécaniciens, ou si les mécaniciens s'inspi-
rent de la physiologie.
Hippocrate, (Fuvres, traduction nouvelle par E. Littré : Des fractures. 8 Fractures du bras
(avec fig.). Paris, 1841, t. III, p. 445.
Paré, Œuvres. Paris, 18 K>, t. II. liv. XIII : Delà fracture de l'os du bras, p. 317 ; t. III, liv. XIX :
Des monstres, p. 15, édit. Malgaigne.
Manne, Lettre sur les fractures dépendantdes muscles [Journ. deméd. de Sédillot. 1805, t. XXIII,
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Bottentuit, Observation de fracture de l'humérus par le seul effort des muscles [Journ. de méd.
de Sédillot. 1805, t. XXIV, p. 575).
Mothe (de Lyon), Mélange de médecine et de chirurgie ou mémoires sur les pansements, luxa-
tions, opérations chirurgicales, etc. Lyon. 1812.
Jacquemine Observation sur une fracture de l'humérus, causée par la forte contraction des muscles
moteurs de la jambe [Recueil de mémoires de méd., de chirur. et dephar. militaires. 1820,
1- série, t. VII, p. 245).
KuTTiNGER. Observations sur deux fractures de 1 humérus produites par l'action musculaire [Recueil
de mémoires de méd., chirur. et pharm. militaires. 1820, t. VIII, p. 258).
Caffort, Fractures de l'humérus par la puissance musculaire [Arch. génér. de méd., 1827.
lre série, t. XV, p. 150).
Cloquet, Absence des deux tiers supérieurs de l'humérus [Arch. de méd., 1829, lre si'rie.
t. XIX, p. 619).
Baffos, Fracture de l'humérus [Arch. génér. de méd., 1829, lre série, t. XXI p. 449).
Dupuytren, Fracture du bras sans violence extérieure, et produite par le seul effet de la con-
traction musculaire, articulation contre nature, traitement [Gaz. des hôp., 1835, p. 29).
Laugier (S.), Sur une espèce rare de luxation incomplète de la tète de l'humérus en haut et en
avant [Arch. génér. deméd., 2e série, 1854, juin, t V).
Geoffroy-Saint-Hilaire, Histoire générale et particulière des anomalies de l'organisation chez
l'homme. Paris, 1836* t. II (Indications bibliographiques).
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A. Lenoir ; (fractures et luxations du), par Sédillot.
C. Sédillot, De l'anatomic pathologique d'une nouvelle espèce ou variété de luxation du bras.
Note lue à l'Académie de médecine, le 29 octobre 1839 [Ann. de la chirur. française et
étrangère. Paris, 1841, t. III, p. 62. — Voyez aussi le rapport fait à l'Académie de médecine
par Bouvier [Bull, de l'Acad. de méd., t. V, p. 432).
Malgaigne, Anatomie chirurgicale. — Traité des fractures et des luxations.
Lekert (de Nogent-le-Rotrou), Quelques remarques sur la meilleure méthode de réduction des
luxations de la cuisse et du bras [Bull, génér. de thérap., 1850, t. XXXVIII, p. 177).
Bonnet (de Lyon), Traité de thérapeutique des maladies articulaires. Paris, 1855.
Brainard, Mémoire sur le traitement des fractures non réunies et des difformités des os. Pa-
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Jordan (de Manchester), Traitement des pseudarthroses par l'autoplastie periostique. Paris, 1860.
Morel-Lavallée, Moyen nouveau et très-simple de prévenir la roideur et l'ankylose dans les fractures,
BROME. — pnorr.iÉTÉs physiques et chimiques. 545
bandage articulé. Note lue à l'Académie de médecine [Bull, de thêrap., 1860, t. LY11I, p. 207).
Virchow ^R.), La pathologie cellulaire basée sur l'étude physiologique et pathologique des tissus,
traduit de l'allemand par P. Picard. Paris, 1866, p. 370.
Legouest, Traité de chirurgie d'armée. Paris, 1866, illustré de ligures. Nous avons emprunté à
ce livre une figure de pièces pathologiques de la collection du musée du Yal-de-Grâce .
Trelat, Etude sur les résultats statistiques des opérations pratiquées dans les hôpitaux de Paris, lu
à l'Académie impériale de médecine le 22 mars 1862 (Mémoires de VAcad. imp. de méd. Pa-
ris, 1865, t. XXVII, p. 13'* (Amputât, du bras).
Debout, Coup d'oeil sur les vices de conformation produits par l'arrêt de développement des
membres et sur les ressources mécaniques offertes par la prothèse pour rétablir leurs fonctions
{Mémoires de la Société de chirurgie. Paris, 1864, t. VI, et BuU.de thérap., t. LXIII).
Anger (Benjamin), Traité iconographique des maladies chirurgicales, 1866, lre monogr. Luxa-
tions et fractures, p. 139 et suiv., pi. XXXVI. XXXVII., color. et fig. 34, intercalée dans le
texte p. 145.
Benjamin Anger.
BRIGHT (Mal de). Voy. Reins.
BTCOJ?IFi. — Corps simple que Bâtard découvrit en 1826, et dont il
fit connaître les principales propriétés.. Son nom lui vient de la mauvaise
odeur qu'il exhale (gpw[;.oc, fétidité).
Propriétés physioues et chimiques.. — Le brome est liquide à la
température ordinaire. Sa couleur est d'un rouge brun, qui paraît presque
noir quand on le regarde en masse, mais qui est jaune rougeâtre quand
on l'observe en couche mince et par transmission. Exposé à la tempéra-
ture de 20 degrés, il se congèle en une masse cristalline feuilletée d'une
teinte grisâtre. Il entre en ébullilion à 63 degrés, mais il émet des vapeurs
abondantes môme à la température ordinaire. La densité de ces vapeurs
est considérable et égale à 5,59. Celle du brome liquide est 2,9 1 .
Le brome est peu soluble dans l'eau, mais il se dissout assez bien dans
l'alcool, et l'éther le dissout en toutes proportions. Mis en contact avec
l'amidon, il le colore en rouge orangé : cette réaction peut servir à le
distinguer du chlore, qui est sans action sur l'amidon, et de l'iode qui
le colore en bleu. Le chloroforme, agité avec une solution aqueuse de
brome, se colore en rouge plus ou moins foncé, suivant la richesse de la
solution : il forme ainsi une couche colorée surnagée par un liquide inco-
lore. Si l'on agite cette couche chloroformique avec un léger excès de
potasse, elle perd elle-même sa couleur, et la reprend ensuite lorsqu'on
sature l'alcali par un acide étendu. Le sulfure de carbone se comporte
avec les dissolutions de brome comme le chloroforme; seulement, lorsque
la couleur a disparu par l'action d'un alcali, elle ne reparaît pas par l'ac-
tion d'un acide.
L'histoire chimique du brome peut se calquer sur celle du chlore et de
l'iode. L'extrême analogie qui se révèle entre ces trois corps, est encore
si frappante, quand on considère leur origine ou leur manière d'être dans
la nature, qu'on est tenté de se demander si ce ne sont pas trois modifi-
cations de la môme substance. Leur étal physique n'est pas le môme, il
est vrai; car le chlore est gazeux, le brome liquide, et l'iode solide. Mais
ils n'en peuvent pas moins se remplacer en toutes proportions dans les
composés définis, dont ils n'altèrent notablement ni la forme, ni la con-
stitution chimique, ce qui prouve leur isomorphisme.
544 BHOME. — préparation.
Toutefois les affinités du chlore paraissent plus puissantes que celles du
brome : si l'on introduit une certaine quantité de chlore dans une disso-
lution de bromure alcalin, on voit la liqueur se colorer en rouge orangé
par la mise en liberté du brome. Agite-t-on la solution avec de Féther,
celui-ci enlève le brome, se colore à son tour en rouge orangé, et la li-
queur redevient presque incolore.
Le brome tache la peau en rouge foncé ; il décolore la teinture de
tournesol, l'encre ordinaire et la dissolution sulfurique d'indigo. Il agit
comme poison sur l'économie animale, et attaque vivement les organes
de la respiration.
PrÉPARATioN. — On soumet à l'action d'un courant de chlore les eaux
mères des marais salants, dans lesquelles le brome existe à l'état de bro-
mure. Le brome est éliminé. On le sépare de l'eau au moyen de Féther,
et on traite la solution éthérée par la potasse caustique, qui transforme
le brome en bromate et en bromure. On calcine et on obtient tout le
brome sous forme de bromure.
On mêle le bromure de potassium ainsi obtenu avec du bioxyde de
manganèse ; on introduit le mélange dans une cornue, et on le traite par
un petit excès d'acide sulfurique préalablement étendu de la moitié de
son poids d'eau. Par une légère élévation de température, on voit le brome
se dégager en vertu d'une réaction analogue à celle qui produit le chlore :
KBr -h 2 (S05HO) -f MnO2 == KOSO3 -f- MnOSO3 -f- 2IIO + Br.
Acide bromique, acide bromhydrique. — Le brome peut se combiner
avec l'oxygène et avec l'hydrogène pour former des composés analogues
à ceux qu'on obtient avec le chlore et l'iode.
L'acide bromique, BrO5, s'obtient en décomposant le bromate de baryte
par une quantité proportionnelle d'acide sulfurique, et en évaporant la
liqueur surnageante jusqu'à consistance sirupeuse.
L'acide bromhydrique, IIBr, se prépare ordinairement par l'action de
Feau sur le bromure de phosphore. C'est un gaz incolore, fumant à l'air,
aussi soluble dans l'çau que Facide chlorhydrique, décomposable par le
chlore qui s'empare de son hydrogène, et met le brome à nu.
Cet acide, comme le précédent, est intéressant au point de vue chi-
mique; mais les deux composés sont restés jusqu'ici sans emploi médical.
Bromure de potassium. — Lorsqu'on introduit dans une dissolution de
potasse assez de brome pour que la masse devienne légèrement colorée,
on obtient un mélange de bromate de potasse et de bromure de potas-
sium. Il suffit d'évaporer le mélange et de le calciner dans une capsule
de platine, pour obtenir à l'état de bromure de potassium tout le brome
mis en expérience. On reprend ce sel par Feau et on le fait cristalliser.
Le bromure cristallise en cubes. Sa densité est 2,14. Il est très-solublc
dans Feau, et donne une solution que le chlore colore immédiatement
par la séparation du brome.
Le bromure de potassium que l'on trouve dans le commerce, est souvent
mêlé de chlorure et d'iodure. La présence du chlorure se reconnaît par
Faction successive du nitrate d'argent et de l'ammoniaque en excès. La
BROME, — BROMURES BE FER, BE PLOMB ET PL MERCUKE. <H5
solution ammoniacale, sursaturée par l'acide nitrique, reproduit à l'état
de chlorure d'argent tout le chlorure de potassium primitivement mêlé
au hromure. Quanta l'iodure de potassium, ce n'est qu'accidentellement
qu'il peut se trouver mêlé au bromure, son prix étant plus élevé que celui
de ce dernier sel. On le reconnaît en traitant la solution suspecte par le
bichlorure de mercure, qui ne donne rien avec le bromure pur, et qui
l'orme avec l'iodure de potassium un très-beau précipité rouge de biodure
de mercure.
Bromures de fer. — Le brome l'orme avec le 1er deux composés
correspondant aux deux chlorures de ce métal.
Le protobromure, FeBr, se prépare en traitant le brome par un excès
de 1er, soit par voie humide, soit par voie sèche. A l'état anhydre, ce sel
est d'un jaune clair; il fond très-facilement par la chaleur, et présente,
après refroidissement, une structure cristalline et lamelleuse. Sa solution
dans l'eau possède une teinte verdàtre peu sensible; mais une partie du
fer s'oxyde sous l'influence de l'air, et il se dépose du sesquibromure de
1er basique sous l'orme d'une poudre jaune. Cette facile altération du pro-
tobromure de fer a porté les pharmacologistes à préparer une solution
normale, analogue à celle de proto-iodure de fer. Voici la formule de cette
solution :
Brome. . 10 I Eau distillée. . 140
Fil de fer 4, '25 Sucre 90
F. S. A. et conservez dans des petits flacons qui en soient exactement
remplis.
Le sesquibromure de fer, Fe2Br*, s'obtient en faisant passer de la vapeur
de brome sur du fer préalablement chauffé. Il se forme du sesquibro-
mure de fer qui se sublime et se condense sous forme de cristaux rouges
foncés.
Bromure fie plomb. — Ce sel s'obtient par double décomposition
en versant du bromure de potassium dans un sel de plomb soluble. 11 a
pour formule PbBr, et ressemble au chlorure de plomb. Il est presque in-
soluble dans l'eau froide; mais il se dissout en quantité notable dans
l'eau bouillante, et se dépose par le refroidissement sous forme de pe-
tites aiguilles blanches.
Le bromure de plomb, soumis à l'action de la chaleur, se fond en un
liquide rouge qui devient jaune citron en se solidifiant.
Bromures «le mercure. — Il existe deux bromures de mercure
analogues aux deux iodures et aux deux chlorures.
Le protobromure, Hg2Br, s'obtient par double décomposition en trai-
tant un protosel de mercure par la quantité équivalente de bromure de
potassium, ou mieux encore en combinant directement le brome et le
mercure au contact de l'alcool. C'est un sel blanc, volatil, qui devient
jaune quand on le chauffe, et qui reprend sa couleur par refroidissement.
On doit le conserver à l'abri de la lumière.
NOUV. DICT. MÉD. ET CUIR. V. — 55
546 1JK0ME. — BROMOFORME. — THÉRAPEUTIQUE.
Le de uto bro mure de mercure, HgBr, s'obtient en sublimant un mé-
lange à parties égales de brome et de mercure. Le produit sublimé est du
deulobromure cristallisé en aiguilles. Il se dissout dans l'eau, dans l'al-
• ool et dans I'étber. Il est très-vénéneux et très-irritant.
Bromoforraie. — Le brome entre comme élément dans un grand
nombre de composés organiques, parmi lesquels se trouve le bromoforme,
C2HBr3, liquide incolore que les alcalis transforment facilement en for-
miate et en bromure alcalin. Sa densité est 2,10. On l'obtient en faisant
agir le brome sur les citrates de potasse et de soude. Il correspond au
chloroforme par sa composition. Il jouit des mêmes propriétés que l'iodo-
forme, mais il est irritant.
Thérapeutique. — L'introduction du brome et de ses composés dans la
matière médicale, a été déterminée par le prix successivement croissant
de l'iode et de ses préparations. L'extrême analogie que les deux métal-
loïdes présentent au point de vue chimique, a conduit à penser que leurs
composés jouiraient des mêmes propriétés médicales. On a constaté, en
effet, que le brome pouvait être employé dans tous les cas où l'iode avait
été jusque-là indiqué; mais on a reconnu que son action était plus irri-
tante, et qu'on devait se montrer plus réservé dans son emploi.
Un résultat bien remarquable des observations d'Andral et Fournet,
est que le brome fait cesser parfaitement et avec rapidité la douleur dans
les articulations malades.
Pourché (de Montpellier) a expérimenté le brome et le bromure de
potassium dans le traitement des scrofules, et en a obtenu de très-bons
effets, qui ont été confirmés depuis par Glover et Horing. L'emploi du
bromure de fer a été préconisé par Magendie. Aux Etats-Unis, on l'a
employé dans le traitement des dartres, des scrofules, de l'érysipèle et
de l'aménorrhée. Dillwyn Parrish propose d'employer la solution normale
de protobromure de fer à la dose de 20 à 40 gouttes trois fois par jour.
Nous avons donné plus haut la formule de cette préparation.
Les expériences de Werneck, en Autriche, ont montré que le deutobro-
mure de mercure avait, dans la syphilis, une incontestable utilité.
En 1856, Ozanam annonça avoir obtenu les succès les plus remar-
quables de l'emploi du brome dans les affections pseudo-membraneuses.
Les cas de guérison qu'il rapporta furent si nombreux et si constants, que
le brome fut considéré par lui comme un véritable spécifique doué d une
action particulière pour désagréger les fausses membranes. La prépa-
ration employée par Ozanam était l'eau bromée, et surtout le bromure
de potassium donné au malade depuis la dose de 0gr,05 jusqu'à celle
de 0»",50.
Selon Bartholoz, le bromure de potassium, après avoir été absorbé
dans le sang, exerce sur l'axe cérébro-spinal une action particulière qui
a pour conséquence une sédation du cœur et différents phénomènes de
sédation locale : cette action n'est toutefois bien manifeste qu'autant que
les centres nerveux ne sont le siège d'aucune altération anatomique ap-
préciable. Le docteur Fallani a également constaté que le bromure de po»
BROME. — THÉRAPEUTIQUE.
)4 /
lassiuin a le pouvoir de tempérer l'irritabilité nerveuse, et il regarde
même l'action calmante obtenue en pareil cas comme préférable à celle
de l'opium et des substances vireuses, en ce qu'elle ne donne lieu à au-
cune excitation ni à aucun trouble général de l'économie. Ce praticien
ajoute, il est vrai, que, si l'effet sédatif du bromure est plus exempt d'in-
convénients, il est, en définitive, moins sur et moins bien démontré.
Voici maintenant les diverses formules se rapportant à l'emploi médi-
cal du brome et de ses composés :
I. Le brome en nature a été employé à la dose de deux à vingt gouttes
dans des potions ou dans l'eau. A l'extérieur, la dose a été de dix gouttes
à \ grammes.
Potion bromée (Ozanam).
liau bromée u«r,5U
Potion gommeuse. I50*r,00
Mêlez et conservez dans l'obscurité.
Eau bromée (Ozanam).
Brome 0^,10
Bromure de potassium. 0«r,10
Eau distillée I00*r,00
V. S.A.
II. Le bromure de potassium a été employé sous forme de pilules et de
pommade :
Pilules de bromure de potassium (Pourché).
Bromure de potassium: 0*r,5U
Lycopode Ur,00
V. S. A., et partagez en six pilules dont on prendra deux par jour.
Pommade de bromure de potassium (Pourché).
Bromure de potassium. 5er,00
Axonge récente 40*r,00
K. S. A. Deux ou trois frictions par jour.
III. A l'état de bromure de plomb, le brome a été employé sous forme
de pilules par Van den Corput pour combattre les érections. Voici la for-
mule :
Pilules de bromure de plomb (Van den Cohih t).
Bromure de plomb ) .. . ... na . n ...
hxtrait de belladone '
Lupulin i>r.0;>
Pour une pilule. En faire six semblables. On en prend deux à trois
par jour pour les uréthrites ou les balano-postbites accompagnées d'érec-
tions douloureuses.
IV. Les deux bromures de mercure ont été employés dans les maladies
syphilitiques par Biett, Mageiidie, Ricordet Cazenave.
548 BRONCHES.
Pilules de protobromure de mercure.
Protobroniure de mercure lsr,00
Extrait de réglisse (). S.
Y . S. A., et divisez en soixante pilules. Trois par jour.
Solution de deutobromure de mercure.
Deutobromure de mercure 0«r,05
Eau distillée 60<r,00
F. S. A. On emploie cette solution à la dose de 20 gouttes par jour.
On augmente progressivement.
Ces formules si nombreuses et si diverses montrent que les composés
du brome sont fréquemment employés en médecine. Mais il ne faut pas
perdre de vue que leur emploi exige une grande réserve, et qu'ils peu-
vent, dans certains cas, produire des inconvénients sérieux, de véritables
accidents toxiques que l'on a désignés sous le nom de bromisme. C'est ce
(jue montre surtout une observation récente, recueillie par le docteur
Léon Marcq. Il s'agit d'un malade atteint d'une laryngite ulcéreuse, au-
quel on avait donné avec succès une solution de bromure de potassium
dans de l'eau sucrée (0gr,10 par jour). Pour compléter la guérison, on
pensa devoir augmenter l'action locale du bromure, en le portant direc-
tement sur les parties affectées, au moyen d'un pulvérisateur.
Bien que la quantité de bromure ainsi introduite à l'état de poussière
liquide fût très-faible, des symptômes graves se présentèrent immédiate-
ment : teint jaune, yeux excavés avec une extrême fixité dans le regard,
visage sans expression, considérablement amaigri, jambes vacillantes,
mains tremblantes, etc.
Le docteur Léon Marcq parvint à conjurer ces accidents en supprimant
immédiatement l'emploi du bromure, et prescrivant une tisane diuré-
tique, des bains sulfureux, un régime exclusivement lacté.
Grange, Sur la présence de l'iode et du brome dans les aliments et les sécrétions (Archives gé-
nérales de médecine, 4e série, t. XXIX, p. 113).
Ozanam, Emploi du brome dans les affections pseudo-membraneuses (Comptes rendus de l'Aca-
démie des sciences, l26 mai 1856, t. \Lll; Bulletin de thérapeutique, 1850, t. LI, p. 55). —
Formule pour l'emploi du brome contre les affections pseudo-membraneuses (Répe toire de
pharmacie, 1856; Bulletin de thérapeutique, 1856, t. LI, p. 75; Gazette des hôpitaux,
mai 1859).
Babtholoz (Cincinnati Lancet, novembre 1865).
Fallam (Gazetta medica italiana Venele, 5 maggio 1866).
L . Marcq (Art médical de Bruxelles, 1866).
H. BuiGINET.
imONCHES. — Les anciens désignaient sous le nom de bronches
([ips^/oç, gorge ou gosier), la tracbée-artère et ses divisions; aujourd'hui
on appelle ainsi les deux branches de bifurcation de la trachée, destinées
l'une au poumon droit, l'autre au poumon gauche.
BRONCHES. — bronches proprement dites. 549
ANATOMIE ET PHYSIOLOGIE.
L'histoire anatomique des bronches comprend deux parties bien dis-
tinctes, dont il est facile de simplifier la description en étudiant : 1° les
bronches proprement dites ou extra-pulmonaires, c'est-à-dire cette partie
des conduits aérifères qui s'étend de la trachée à la face interne des
poumons; 2° les ramifications bronchiques elles-mêmes ou bronches in-
tra-pulmonaires .
Il sera donc ici question : 1° des bronches proprement dites aux divers
points de vue de leur forme, de leur direction, de leur longueur, de leur
calibre et de leurs rapports; 2° des ramifications bronchiques au point
de vue de leur distribution et de leurs rapports avec le parenchyme pul-
monaire; 3° de la structure des canaux aériens.
Bronches proprement dites. — Les conduits membraneux qui
constituent les grosses bronches sont formés d'une série d'anneaux cartila-
gineux incomplets qui font immédiatement suite aux anneaux analogues de
la trachée. La partie moyenne du dernier cerceau de la trachée, au lieu
de rester horizontale, s'infléchit très-fortement de haut en bas en même
temps qu'elle se recourbe en arrière, de telle sorte qu'elle forme dans
l'intérieur de la trachée un éperon saillant beaucoup moins prononcé chez
l'homme que chez certains animaux.
Parties de ce point, les bronches se dirigent vers la face interne des
poumons, et constituent, avec les nerfs et les vaisseaux, ce faisceau court
et un peu aplati d'avant en arrière qu'on désigne sous le nom de pédicule
du poumon. Elles pénètrent ensuite dans le parenchyme pulmonaire, et
s'y divisent successivement en une foule de branches de plus en plus pe-
tites, les ramifications bronchiques, qui ont été, comme nous le verrons
plus tard, divisées en plusieurs ordres, d'après leur diamètre.
Certains points de l'histoire anatomique des bronches sont les mêmes
pour ces deux conduits ; d'autres offrent au contraire des différences
telles, selon qu'on examine la bronche droite ou la bronche gauche,
que l'on est obligé d'insister sur ces derniers d'une façon toute spé-
ciale.
Longueuh et volume. — Aucun doute ne peut s'élever au sujet des diffé-
rences qui existent dans la longueur et le calibre des deux bronches. Les
anatomistes ont fait de très-nombreuses recherches pour les fixer d'une
manière exacte; lluschkc est celui qui, par la rigueur de ses procédés,
et par le très-grand nombre de sujets sur lesquels il a observé, paraît
s'être le plus rapproché de la vérité. Il est arrivé aux chiffres suivants :
Bronches droites.
Bronches gauches
LONGUEUR.
i, Aiun. un.
de 1 1 à 15 Lignes.
de 18 à 21 lignes.
8 li»nes.
7 lignes.
L'air inspiré arrive donc au poumon droit par une voie pins courte et
plus large que celle qui le mène au poumon gauche, ce qui explique
pourquoi, chez les enfants qui meurent peu de temps après leur nais-
,'»50 BRONCHES. — rronches proprement dites.
sance, le poumon droit est généralement plus ou moins imprégné d'air,
tandis que le gauche paraît encore tout à fait compacte.
Rapports. — Les bronches comprises dans la portion supérieure du
médias tin, offrent avec les organes voisins des rapports extrêmement im-
portants ; ces rapports sont communs aux deux bronches ou spéciaux à
chacune d'elles.
La bronche est la plus volumineuse de toutes les parties qui contri-
buent à former le pédicule du poumon ; ce pédicule est recouvert en
partie sur ses deux faces par la plèvre. Dans sa migration d'arrière en
avant, cette séreuse se réfléchit de dedans en dehors derrière ce pédi-
cule, revêt une petite portion de la région postérieure du péricarde,
revient ensuite, en suivant la face interne du poumon, jusqu'à la partie
antérieure du pédicule qu'elle recouvre, pour se réfléchir enfin sur les
cotés du péricarde, au-devant duquel elle s'adosse à la plèvre du coté
opposé.
En avant des bronches, se trouvent les veines et les artères pulmo-
naires. L'artère pulmonaire droite dirigée un peu plus horizontalement que
la gauche se place devant la bronche correspondante et derrière les veines
pulmonaires du même côté. L'artère pulmonaire gauche un peu plus
oblique que la précédente, se dirige comme elle vers le pédicule du pou-
mon, passe en avant de la bronche gauche et en arrière des deux veines
pulmonaires.
La direction un peu oblique de ces deux branches artérielles a donné
lieu à une petite remarque anatomique qu'il est bon de faire ressortir,
c'est que les artères pulmonaires croisent les bronches dans leur par-
cours de telle façon qu'inférieures à celles-ci à leur point de départ, elles
leur deviennent supérieures à leur entrée dans l'épaisseur du poumon :
il existe, en un mot, un véritable entre-croisement en X.
En avant des artères pulmonaires se trouvent placées les veines du
même nom. Elles forment le plan antérieur du pédicule pulmonaire et ne
sont en contact avec la bronche que tout à fait à la partie supérieure et
antérieure. Elles en sont ensuite séparées par les artères pulmonaires et
s'en éloignent d'ailleurs sensiblement au fur et à mesure qu'elles se rap-
prochent de l'oreillette gauche.
En somme, les conduits aérifères et les vaisseaux pulmonaires forment
donc trois plans superposés, et Sappey n'a peut être pas eu complète-
ment raison quand il a écrit que l'artère pulmonaire et les deux veines du
même côté sont contenues dans un seul et même plan.
Les nerfs bronchiques antérieurs, branches thoraciques du pneumo-
gastrique, forment un lacis de rameaux anastomosés auxquels on a donné
le nom de plexus pulmonaire antérieur. Les branches de division de ce
plexus s'appliquent immédiatement sur la face antérieure des bronches
et pénètrent ensuite dans le poumon où elles se comportent comme il
sera dit plus bas.
Les branches du plexus pulmonaire postérieur, au lieu d'affecter,
comme les branches du plexus antérieur, une direction rectiligne, eu-
BRONCHES. — BRONCHES proprement dite*. r>51
globent, pour ainsi dire, les faces postérieure et inférieure de la bron-
che de telle sorte que les conduits aérifères se trouvent entourés par un
très-grand nombre de filets nerveux du pneumo-gastrique.
Quant au plexus cardiaque qui résulte de l'anastomose et de l'entrela-
cement des branches cardiaques des pneumo-gastriques et des six nerfs
cardiaques du grand sympathique, il n'est en rapport avec les bronches
qu'en arrière et tout à fait à leur partie supérieure, près de leur bifur-
cation.
Les bronches sont enfin en rapport dans tout leur parcours, mais
.surtout à leur partie supérieure avec une très-grande quantité de gan-
glions lymphatiques (ganglions bronchiques), particulièrement nombreux
au niveau de l'origine des bronches, variables par leur nombre, leur
volume, et remarquables surtout par leur coloration noirâtre, d'autant
plus appréciable que les sujets sont plus avancés en âge. Les rapports de
ces ganglions avec les bronches sont tellement immédiats, que lorsqu'ils
deviennent malades, soit qu'ils s'enflamment chroniquement, soit qu'ils
s'infiltrent de matière tuberculeuse (phthisie bronchique), ce qui est plus
fréquent, leur maladie retentit nécessairement sur les bronches. L'aug-
mentation de volume de ces ganglions peut amener la déformation ou le
rétrécissement des canaux aériens, et l'on a même vu assez fréquem-
ment les foyers tuberculeux ramollis des ganglions bronchiques, s'ouvrir
dans les bronches elles-mêmes.
La bronche droite a des rapports médiats avec la veine cave supérieure.
La face postérieure de ce vaisseau est séparée de la bronche par quel-
ques-uns des ganglions lymphatiques dont il vient d'être question. La
même bronche a aussi des rapports avec la grande veine azygos qui la
contourne pour venir s'ouvrir dons la veine cave supérieure, et s'applique
ainsi d'abord à sa partie postérieure, puis à sa partie supérieure.
La bronche gauche a des rapports assez étendus avec l'aorte : ce vais-
seau l'embrasse en effet dans sa concavité qui répond successivement et
tour à tour k sa partie antérieure et interne, à sa partie supérieure et
enfin à sa partie postérieure. Ces rapports sont immédiats en avant et en
haut, mais en arrière, la bronche et l'aorte sont séparés par le plexus
pulmonaire postérieur et par la plèvre.
Inutile enfin de dire que les bronches sont en rapport aussi immédiat
que possible avec les artères bronchiques, qui nées près de la crosse
de l'aorte se portent immédiatement dans la bronche correspondante,
sur laquelle elles se distribuent comme il sera dit plus loin.
Divisions bronchiques. — Parvenues à la face interne du poumon et au
moment où elles cessent de faire partie du pédicule de cet organe pour
s'enfoncer dans son parenchyme, les bronches se bifurquent. Certains au-
teurs ont écrit que la bronche droite donne trois branches dès son entrée
dans le poumon, une pour chacun de ses lobes; le fait n'est pas tout à
fait exact, et voici plutôt comment se fait cette distribution. Tandis que
la branche supérieure de division se rend en se courbant un peu en haut,
au lobe supérieur du poumon correspondant, la division inférieure, plus
.'i5c2 BRONCHES. — ramifications bronchiques.
volumineuse que la précédente, suit la direction primitive de la grosse
bronche elle-même; celle du côté gauche se rend directement dans le
lobe inférieur, tandis que celle du côté droit se bifurque de nouveau après
un trajet de près de trois centimètres, et envoie la plus petite de ces deux
nouvelles branches dans le lobe moyen. La plus volumineuse suit le tra-
jet primitif et se rend au lobe inférieur.
Etant locations bronchiques. — Les ramifications bronchiques
présentent dans toute leur étendue des divisions dichotomiques; grâce à
la saillie anguleuse qui se trouve au niveau de ces dichotomisations, la
colonne d'air est facilement divisée, et cette disposition est la plus favo-
rable à la circulation des fluides aériens.
Cette facilité de circulation de l'air est encore augmentée par cette dis-
position sur laquelle les anatomistes n'ont peut-être pas assez insisté, et
qui est telle que la somme de deux ramifications bronchiques quelcon-
ques, donne un conduit d'un diamètre plus considérable que celui de la
division unique qui leur a donné naissance, de telle sorte que plus l'air
pénètre profondément dans les poumons, plus l'espace dans lequel il
circule est large.
Les ramifications bronchiques qui sont d'ailleurs exactement les
mêmes des deux côtés, peuvent comme les bronches, être examinées
aux divers points de vue de leur forme, de leur calibre, de leur direction
et de leurs rapports.
Au point de vue de leur forme, elles diffèrent notablement des bron-
ches et de la trachée, car elles se présentent sous la forme de cylindres
complets et non pas de cylindres incomplets et aplatis sur une partie de
leur pourtour :
Ces conduits aérifères se divisent dans l'épaisseur du poumon, en
branches de plus en plus petites, jusqu'à leur terminaison dans les lobu-
les pulmonaires eux-mêmes.
Au fur et à mesure qu'elles se subdivisent, les ramifications bronchi-
ques diminuent de volume et leurs parois s'amincissent de plus en plus.
Kobin, refuse de donner le nom de ramifications bronchiques à ces
conduits aériens ultimes, à cause de leur structure spéciale et com-
plètement différente de celle des bronches plus volumineuses; leur dia-
mètre a été diversement apprécié par les auteurs; pendant que certains
prétendent que ce diamètre est extrêmement petit, d'autres soutiennent
au contraire, que les conduits de sixième ordre ont encore au moins un
millimètre de diamètre. Sappey explique cette divergence par les diverses
manières dont les auteurs s'y sont pris pour obtenir les chiffres qu'ils
ont indiqués; les uns ayant examiné des poumons à l'état frais, dans les-
quels les derniers conduits aérifères reviennent sur eux-mêmes et s'obli-
tèrent presque, les autres s'étant toujours servis pour leurs recherches
de poumons secs et insufflés. Ces ramifications peuvent d'ailleurs acqué-
rir dans certains cas pathologiques, de bronchites capillaires par exemple,
un volume beaucoup plus considérable.
L'étude des dernières ramifications bronchiques, qui comporte né-
BRONCHES. RAMIFICATIONS BRONCHIQUES. 555
cessai rement l'étude de leur terminaison dans le parenchyme pulmonaire,
a donné lieu à de nombreuses théories.
La structure du poumon est considérée par les uns comme vésiculaire,
par les autres comme aréolaire.
Le Fort accepte la seconde opinion ; il distingue dans les extrémités
bronchiques, que quelques auteurs ont désignées sous le nom de bron-
ches lobulaires, deux parties bien distinctes auxquelles il donne le nom
de bronche intralobulaire et de bronche intercellulaire. « Les bronches,
dit le même auteur, arrivées au sommet du lobule primitif, pénètrent
dans son intérieur avec une branche de l'artère pulmonaire. Le tissu fi-
breux que nous avons vu à la racine de l'organe former une sorte d'étui
protecteur pour ces deux conduits, et qui s'était converti, en se raréfiant
peu à peu en tissu cellulaire, les abandonne et se confond avec le tissu
cellulaire interlobulaire. Devenant ainsi plus mince et presque réduite à
sa muqueuse, la bronche se dilate aussitôt son entrée dans le lobule et
prend immédiatement un autre caractère. Sa surface extérieure, qui était
jusque-là lisse et cylindrique, présente dans toute son étendue et sur
toute sa circonférence, des boursouflements très-facilement appréciables
sur un fragment corrodé. Ces boursouflements ne sont autre chose que
les saillies produites par les cellules pariétales qui commencent à paraî-
tre. En effet, si nous examinons une coupe faite selon l'axe de la bron-
che, nous verrons manifestement que la face interne de la bronche pré-
sente partout de petites cavités qui ne sont autre chose que l'intérieur de
ces cellules ; leur bord vient former sur toute la surface une sorte de mo-
saïque assez régulière. »
L'examen microscopique à la lumière directe et sur des pièces prépa-
rées par corrosion, permet d'apercevoir les parois propres, imperforées
de ces divisions bronchiques, qui arrivent ainsi jusque dans l'intérieur
de cette partie, que L. Le Fort désigne sous le nom de Pyramide tabu-
laire.
« Ensuite, dit-il, cette bronche continue son trajet vers la superficie,
en donnant de distance en distance des bronches pour chacun des lobules
secondaires qui entrent dans la composition du lobule principal. Jusque-
là, elles conservent les caractères que je viens de décrire, c'est-à-dire une
paroi propre, mais garnie de cellules; il n'en est plus de même dès leur
entrée dans le lobule secondaire, où l'on retrouve le mode de structure
indiqué par Rainey. Ces bronches se terminent en une sorte de bouquet
finement granulé, mais dont les granules sont cependant assez gros pour
être distincts à l'œil nu. Cet épanouissement irrégulier, c'est le lobule
secondaire.; les granules, ce sont les cellules ou vésicules pulmonaires.
Lorsque cette bronche est arrivée au lobule secondaire, ses carac-
tères changent : les cellules pariétales qui, primitivement ne s'ouvraienl
(jue dans la bronche, communiquent maintenant par des ouvertures
existant sur une des parois opposées à l'ouverture bronchique avec d'au-
tres cellules placées tout à fait en dehors de l'axe du conduit aérien ;
toutes prenant ce caractère, il en résulte que la paroi de la bronche
554 BRONCHES. — ramifications bronchiques.
n'est plus représentée que par les losanges que forment les parois com-
munes des cellules contiguês qui s'y ouvrent directement et n'existe plus
à l'état de tube distinct, mais seulement de passage intercellulaire; il
arrive bientôt un moment où l'intérieur même de ce passage se cloisonne
à son tour, de sorte qu'il finit en un cul-de-sac qui s'ouvre à la fois par
son extrémité et par tous les points de sa circonférence, dans un grand
nombre de cellules. Ces cellules, qui ne sont jamais complètes, communi-
quent entre elles, c'est-à-dire avec toutes celles d'un même lobule secon-
daire, mais seulement avec elles, de telle sorte que les lobules secondaires
d'un même lobule principal sont indépendants les uns des autres.
C'est pour distinguer cette distribution particulière et cette différence
notable dans la constitution du tube bronchique aux différents points de
sa longueur, que Le Fort distingue, comme il a déjà été dit, cette bronche
en deux parties distinctes : la bronche intralobulaire, partie appartenant
au lobule principal ayant des parois propres, continues, garnies de cel-
lules pariétales, mais sans perforation, et la bronche interçellulaire, por-
tion appartenant au lobule secondaire et qui n'est plus représentée que
par une sorte d'intervalle cylindrique entre les cellules, tube manquant
en définitive de paroi propre, ou du moins perforé par un grand nombre
de cellules communiquant toutes les unes avec les autres.
Structure. — La structure des bronches se modifie très-sensiblement
au furet à mesure qu'on s'approche de leurs extrémités. Pour simplifier
son étude on peut commencer par décrire complètement la structure des
grosses bronches ou bronches proprement dites, pour indiquer ensuite les
modifications que subissent chacun des éléments constitutifs dans les ra-
mifications bronchiques et dans les bronches lobulaires.
Il entre dans la structure des grosses bronches : 1° des cerceaux car-
tilagineux incomplets, reliés entre eux par un véritable étui fibreux
élastique ; 2° des fibres musculaires ; 7>° une membrane muqueuse ;
4° des glandes très-multipliées ; 5° des éléments anatomiques communs
à tous nos organes : artères, veines, lymphatiques et nerfs.
Les cerceaux cartilagineux des bronches situés dans l'épaisseur de leurs
parois, et formant les trois quarts d'un cercle, se présentent sous la forme
d'anneaux incomplets à leur face postérieure. Leur nombre est différent
dans les deux bronches : la gauche en possède 10 à 12, la droite, plus
courte et plus grosse, 6 à 8.
Ces anneaux donnent aux tuyaux aériens une certaine rigidité, les
maintiennent toujours ouverts, ce qui est d'une haute importance pour
la partie mécanique de la respiration. Comme l'expansion du poumon
pendant l'inspiration est la conséquence d'une ampliation de la poitrine,
cl qu'elle obéit par conséquent à la loi du vide, si ces cartilages n'exis-
taient pas, les bronches s'affaisseraient sur elles-mêmes chaque fois que
l'air tendrait à se précipiter dans les poumons, ainsi que le fait très-ju-
dicieusement remarquer Sappcv, et il n'y aurait pas possibilité de faire
une inspiration large et rapide.
A chaque inspiration, les extrémités de ces cartilages se rapprochent.
BRONCHES. - - RAMIFICATIONS RRONCHIQUFS. 555
et les anneaux s'éloignent les uns des autres. L'importance et la nature
«lu rôle que ces cerceaux sont appelés à jouer sont surabondamment dé-
montrés par ce fait, que ces cartilages, variables de forme chez les divers
individus de l'échelle animale, manquent complètement chez les animaux,
qui introduisent l'air dans les poumons, non par des mouvements d'in-
spiration, mais par simple déglutition. Leur développement est en raison
directe de l'ampleur et de la rapidité des mouvements respiratoires ; c'est
ainsi que chez les oiseaux, dont le thorax se dilate très-largement et très-
rapidement, ils entourent tout le calibre des bronches et se rapprochent
au point de se toucher.
La hauteur de ces cartilages est variable ; elle mesure généralemenl
4 millimètres, et leur épaisseur 1 millimètre. Cette épaisseur n'est pas la
même sur les divers points de l'étendue d'un même cartilage ; leur coupe
verticale présente, comme on l'a fait remarquer, l'aspect que donnerait
la section d'un œuf fendu longitudinalement en deux portions égales,
c'est-à-dire qu'elle offre en dehors une surface plane, et en dedans une
surface convexe de haut en bas ; cette disposition semble accroître en-
core leur élasticité.
La coloration de ces cartilages est légèrement rosée, et leur structure
interne est la même que celle des cartilages en général ; elle n'offre rien
de particulier.
Les extrémités de ces cartilages sont nettement terminées, et leurs
bords sont réunis aux bords supérieur et inférieur des cerceaux corres-
pondants par la gaine fibreuse qui se présente avec la disposition sui-
vante.
Cette gaine fibreuse, très-intimement unie aux cerceaux, semble se dé-
doubler au niveau de chacun d'eux pour leur constituer un périchondre,
et se reconstituer dans leur intervalle pour former autant de ligaments
qui les réunissent les uns aux autres. Elle est composée en majorité de
libres de tissu conjonctif plus ou moins condensées, et renferme en
outre, dans son épaisseur, un assez grand nombre de fibres élastiques.
Ces deux sortes de fibres sont entre-croisées dans divers sens, s'enche-
vêtrent les unes avec les autres, et cet entre-croisement contribue à
donner à cet étui fibreux l'élasticité dont il jouit.
fl existe encore dans l'épaisseur des bronches un deuxième ordre de
libres élastiques tout à fait distinctes des précédentes, et qui sont sépa-
rées de l'étui fibreux par des fibres musculaires qui seront décrites plus
loin.
Ces dernières fibres élastiques sont longitudinales ; elles se présentent
sous forme de faisceaux situés entre la couche dos fibres musculaires et
la muqueuse; ces faisceaux sont intimement unis et font au-dessous
d'elle une saillie tellement prononcée, que lorsqu'on ouvre les bronches
longitudinalement par leur partie antérieure et qu'on écarte les lèvres
de la solution de continuité, ces faisceaux de fibres longitudinales se
présentent sous la forme de colonnes qui soulèvent la muqueuse. Us
existent surtout à la partie postérieure des bronches, vis-à-vis des points
556 BRONCHES. — ramifications bronchiques.
où les cerceaux cartilagineux sont incomplets ; on en trouve encore
quelques-uns moins volumineux sur tout le reste du pourtour. Ces fibres
longitudinales s'envoient réciproquement des bandelettes plus petites,
de telle sorte qu'elles constituent ainsi un réseau à mailles très-larges.
Les filaments constitutifs de ces bandelettes sont très-minces, aplatis, à
contours opaques et mesurent de 0mm,0050 à 0mm,0035 de large; ils
paraissent jouer un rôle important dans le retrait du poumon pendant
l'expiration, en diminuant la longueur de l'arbre aérifère.
Comme les fibres élastiques longitudinales, les fibres musculaires lisses
des grosses bronches, occupent surtout leur portion membraneuse.
Elles se trouvent, comme il a déjà été dit, entre l'étui fibreux et les
libres élastiques, offrant une disposition tout à fait inverse de ces der-
nières, puisqu'au lieu d'être longitudinales, elles sont complètement
transversales. La couche qu'elles forment et qui mesure de0""",7 à l mil-
limètre d'épaisseur a été désignée par quelques auteurs sous le nom
de muscle trachéal. Elles se fixent, non pas comme on l'a prétendu,
aux extrémités des cerceaux cartilagineux qu'elles ont pour mission de
rapprocher, mais à la partie avoisinante de leur face interne par de
petits tendons élastiques visibles à la loupe, et, dans l'intervalle de ces
cerceaux cartilagineux, à l'étui fibreux lui même.
Ces fibres lisses mesurent de 0m,u,005 à 0mm,009 d'épaisseur, Haller,
Bérard, Trousseau, Kôlliker, Varner les ont décrites comme des libres
musculaires et cette dernière opinion, qui est la vraie, est la seule qui
ait cours aujourd'hui dans la science. Elles ont pour usage de rétrécir le
calibre des bronches et d'aider à l'expulsion des mucosités bronchiques.
Leur rôle est par conséquent assez important.
La muqueuse des grosses bronches adhère d'une manière très-intime
aux parties sous-jacentes. Elle est tellement mince qu'elle laisse aperce-
cevoir par transparence toutes les parties situées au-dessous d'elle. Cette
muqueuse qui jouit d'une sensibilité spéciale, exquise, et dans la struc-
ture de laquelle entrent les parties habituelles à toute muqueuse en géné-
ral, est recouverte d'un épithélium vibratile. Les cellules qui consti-
tuent cet épithélium mesurent en moyenne 0mm,01 4 de longueur ; elles
sont cylindriques où coniques comme celles qui tapissent les parois
latérales des fosses nasales, la cavité du col utérin et les trompes jusqu'à
la surface extérieure des franges. Elles sont par conséquent essentielle-
ment différentes des cellules vibratiles arrondies qui constituent l'épitlié-
liimi vibratile pavimenteux simple des cavités du cerveau de l'embryon,
du quatrième ventricule du cerveau des adultes et de la cavité du tym-
pan.
En examinant cette muqueuse à la loupe, on la voit criblée d'une infi-
nité de petits pertuis qui ne sont autres que les orifices des conduits ex-
créteurs de glandes extrêmement nombreuses, plus ou moins profondé-
ment situées, et dont le volume est d'autant plus considérable qu'elles
sont plus profondes.
Chaque glande possède un nombre variable <l<> lobules dont les canaux
BRONCHES. — RAMIFICATIONS BRONCHIQUES.
excréteurs se réunissent pour former un canal unique. Ce sont ces glandes
qui fournissent le liquide transparent et peu consistant connu sous le
nom de mucus bronchique. La sécrétion exagérée et viciée de ce liquide
fournit toutes les variétés de coloration et de consistance que nous offrent
les mucosités expectorées dans l'inflammation chronique des bronches.
Les diverses parties qui viennent d'être successivement décrites et qui
entrent dans la structure des grosses bronches, se modifient sensible-
ment au fur et à mesure que les canaux aériens se ramifient dans l'épais-
seur des poumons.
Ainsi les cartilages, après avoir formé des anneaux presque complets,
deviennent seulement des demi-anneaux, et plus loin ils se trouvent ré-
duits à de simples lamelles fort irrégulières, curvilignes, quadrilatères
ou triangulaires, réparties non plus seulement sur la face antérieure des
bronches, mais encore sur tout le pourtour des canaux bronchiques. Ces
lamelles sont d'abord assez grandes et très-rapprochées les unes des au-
tres ; peu à peu elles s'écartent davantage et les intervalles qui les sépa-
rent deviennent de plus en plus larges; puisonneles retrouve que de dis-
tance en distance, et surtout à l'origine des petites bronches, enfin elles
disparaissent complètement. Elles cessent d'être visibles sur les ramifica-
tions qui ont moins de 1 millimètre de diamètre, c'est-à-dire sur les bron-
ches lobulaires. Gerlach, prétend cependant les avoir rencontrées encore
sur des bronches de 0mm,5 de diamètre, mais son assertion n'a pu être
vérifiée par aucun autre anatomiste.
Si on étudie au microscope ces cartilages à mesure qu'ils se modifient
dans leur aspect extérieur, on constate des faits curieux. Dans les grosses
bronches, ils présentent à leur superficie une couche de cellules plates à
grand axe dirigé dans le même sens que les faces, et un peu plus gran-
des que les cellules centrales ; mais ceux des ramifications bronchiques,
au contraire, sont constitués par un tissu finement granulé et dont les
cellules sont d'un égal diamètre dans toute l'épaisseur.
Au dire de Kôlliker, les fibres musculaires lisses, transversales des con-
duits aériens, dont le nombre et le volume diminuent au fur et a mesure
qu'on avance en âge, se retrouveraient sur des rameaux de un cinquième
à un sixième de millimètre et s'étendraient jusqu'aux lobules pulmonaires.
L'opinion de Kôlliker est partagée par Le Fort, tandis que d'après
Ch. Robin, au contraire, les ramifications bronchiques qui n'ont plus
que 1 millimètre de diamètre cessent d'avoir des fibres musculaires. Les
recherches de Moleschott et Milne-Edwards tendent à faire admettre que
les fibres musculaires existent dans les parties terminales du svstème.
Quant aux glandes, tous les micrographes s'accordent à accepter
qu'elles disparaissent sur les ramifications bronchiques qui n'ont que
2 à 5 millimètres de diamètre.
Enfin la muqueuse, qui dans les grosses bronches a la même structure
(pie dans la trachée elle-même, s'amincit peu à peu et graduellement, de
telle sorte (pie les bronches au-dessous de 1 millimètre n'ont que des
parois extrêmement délicates.
558 BRONCHES. — ramifications bronchiques.
Mais ici encore les auteurs sonl en désaccord ; ainsi Rainey « ne
croit pas à la continuité de cette muqueuse jusque dans les lobules pul-
monaires, et il pense que dans les ramifications ultimes, les vaisseaux
sanguins sont réunis seulement par des fibrilles interposées. » Sommering
et Magendie prétendent que les parois des cellules pulmonaires sont
constituées seulement parle réseau vasculaire, ce qui fait que, selon tous
ces auteurs, le contact entre le sang et l'air atmosphérique est aussi par-
lait que possible. Le Fort tire de ses recherches la conclusion qu'il n'en
est pas ainsi et il dit que quelque parfaite que soit l'injection vasculaire,
l'examen au microscope laisse encore apercevoir dans leur intervalle,
une membrane très-mince, mais bien distincte.
L'épithélium vibratile de cette muqueuse qui, dans les bronches au-
dessus de o millimètres a plusieurs couches, se réduit peu à peu à une
simple couche de cellules.
D'après Rossignol et Todd, cet épithélium disparaîtrait complètement
dans les bronches lobulaires. D'après certains autres analomistes, au
contraire, ces dernières ramifications posséderaient encore une couche de
cellules épithéliales, mais seulement pour les uns (Williams et Mandl),
ce serait un épithélium hyalin à granules obscurément délimités, et
pour les autres (Adriani, Schrôder van der Kolk et Kôlliker), on ne
trouve plus dans les vésicules pulmonaires et sur les dernières ramifica-
tions bronchiques, qu'un épithélium pavimenteux ordinaire sans cils
vibratiles.
Les vaisseaux qui se rendent dans les diverses parties des conduits
aérifères sont artériels, veineux et lympathiques.
Les premiers naissent des artères bronchiques ordinairement au nom-
bre de deux, une droite et une gauche; ces artères ont des origines va-
riables. Quelquefois elles naissent de l'aorte par un tronc commun, mais
le plus souvent la gauche seule naît de l'aorte, tandis que la droite vient
de la première intercostale ou de la sous-clavière, parfois de la mam-
maire interne. Il existe, en outre, assez fréquemment des artères bron-
chiques supplémentaires.
Les artères bronchiques se distribuent surtout aux bronches, ainsi que
leur nom l'indique, mais elles donnent aussi des branches à la plèvre,
au tissu cellulaire interlobulaire et aux ganglions bronchiques. Elles
fournissent encore aux vaisseaux propres du poumon leurs vasa-vasorum.
Essentiellement destinées aux bronches qu'elles accompagnent dans
tout leur trajet, jusqu'à leur conversion en bronches intralobulaires, en
se divisant et se subdivisant comme elles, les artères bronchiques pénè-
trent dans les bronches par la partie inférieure de leur face postérieure
et sont accompagnées dans tout leur trajet par les veines et les nerfs bron-
chiques. Elles cheminent d'abord sous la couche fibreuse et enveloppent
les conduits aériens dans un réseau très-serré. Bientôt elles perforent les
diverses (uniques des bronches et se placent sous la muqueuse, au-des^
sous de laquelle elles forment un deuxième réseau aussi serré que le pre-
mier. Ces branches artérielles conservent dans tout leur trajet cette si-
BKOINCHES. RAMIFICATIONS BKOJNCHIQUfcS. 559
luatiou sous-muqueuse, de telle sorte que dans les bronches de cinquième
et de sixième ordre, on les trouve sur leur face externe. Les artères
bronchiques cessent de donner des rameaux aux bronches, à partir du
point où commencent les bronches intralobulaires, qui ne reçoivent
plus alors leurs vaisseaux que des artères pulmonaires.
Ces ramifications de l'artère bronchique accolées aux parois des con-
duits aériens donnent des artérioles au tissu cellulaire interlobaire et
viennent s'épanouir sous la plèvre par sa face profonde. Dans certains cas
pathologiques même, de fausses membranes pleurales anciennes et orga-
nisées, il est facile de constater que les rameaux artériels de ces fausses
membranes viennent des artères bronchiques.
Les branches auxquelles ces artères donnent naissance tout le long de
leur trajet et qui se rendent dans les parois des artères et des veines pul-
monaires pour leur constituer des vasa-vasorum ont induit en erreur
certains anatomistes qui ont cru que c'étaient là de véritables anastomo-
ses. Ces anastomoses existent, il est vrai, mais seulement entre les ramifi-
cations ultimes qui constituent le réseau sous-pleural et les ramifications
correspondantes de l'artère et des veines pulmonaires.
Les veines bronchiques, ordinairement au nombre de deux, vont se
jeter : celle du côté droit à la face inférieure de la veine azygos, quelque-
fois dans la première intercostale; celle du côté gauche plus souvent dans
l'intercostale que dans la petite azygos. Ces veines tirent leur origine de
trois points principaux : 1° des bronches; 2° du tissu cellulaire sous-
pleural et intralobulaire; 5° des ganglions bronchiques.
L'origine aux bronches se fait par un réseau très-serré correspondant
au réseau artériel sous-muqucux et formé comme lui de branches très-
fines. Elles n'accompagnent pas aussi longtemps que lui les ramifications
bronchiques, car jamais elles ne dépassent leurs trois ou quatre premiè-
res divisions. Elles se réunissent de façon à former de petits troncs vei-
neux qui marchent en sens inverse des branches artérielles, suivent la cou-
che fibreuse et viennent se placer sur la face postérieure de la bronche
s'aceolant ainsi à la division artérielle et suivant un trajet tout à fait in-
verse.
L'artère pulmonaire ne donne aucune branche au canal aérien dans
toute la partie où existent des artères bronchiques ; mais arrivé au niveau
du lobule primitif, là où cesse l'artère bronchique, le rameau artériel pul-
monaire commence à se distribuer à la bronche intralobulaire. D'après Le
Fort, il se ramifie sur les parois de ce tube, forme des mailles polygonales
visibles sur un poumon bien injecté et qui entourent la circonférence de
chacune des cellules pariétales, en envoyant un réseau très-serré sur toute
la partie convexe de cette cellule. Ces branches montent avec les bronches
dans l'intérieur du lobule, arrivent aux bronches intercellulaires et aux
Cellules où les capillaires artériels se tranformant en capillaires veineux,
constituent l'origine des veines pulmonaires.
Ces mêmes artérioles pulmonaires dont la distribution sera étudiée
ailleurs (voy. art. Poumon) pénètrent ensuite entre les cellules et se
560 'BRONCHES. — ramifications bronchiques.
distribuent à leurs parois en formant un réseau qui couvre leur péri-
phérie.
« Cette existence dans le réseau veineux des bronches de deux ordres de
vaisseaux si différents au point de vue physiologique, puisque l'un renferme
du sang veineux et l'autre du sang artériel est extrêmement remarquable,
ditL. Le Port. L'artère bronchique apporte au canal aérien le sang néces-
saire à sa nutrition ; peu à peu ce sang perd ses propriétés vivifiantes à
mesure qu'il pénètre dans la trame des tissus; à la racine des poumons, il
se trouve séparé du contact de l'air par toute l'épaisseur de la bronche, il
devient veineux et doit par conséquent retourner aux cavités droites du
cœur, de là l'existence des veines bronchiques, mais à partir de la
deuxième ou troisième division des conduits aériens, il n'en est plus de
même : réduits en quelque sorte à des tubes membraneux, ils permettent
au sang de l'artère bronchique un contact assez intime avec l'air qui cir-
cule dans leur intérieur, pour que ce sang reste artériel et puisse en consé-
quence aller directement aux cavités gauches du centre circulatoire pour
remplir de nouveau son rôle de fluide vivilicateur ; il passe alors parles
veines pulmonaires; mais qu'une maladie quelconque donne à ces parties
une épaisseur anormale qui ne permette plus à l'air d'exercer sur lui son
action, ce sang deviendra veineux et devra retourner aux cavités droites ;
c'est alors que les anastomoses, véritables soupapes de sûreté, fonctionne-
ront et lui permettront, par l'intermédiaire des veines bronchiques, d'ac-
complir ce trajet rétrograde, qui sans elles eût été impossible. »
Lymphatiques. — Les vaisseaux lymphatiques des poumons sont divisés
an profonds et en superficiels, les premiers seuls suivent les bronches et
se réunissent en troncules, qui arrivent ainsi jusqu'à la racine de l'arbre
aérien; ils suivent assez exactement le trajet des bronches et des vaisseaux
sanguins, et sejettent dans les ganglions bronchiques.
Ces vaisseaux lymphatiques des bronches prennent naissance dans l'é-
paisseur de la muqueuse bronchique elle-même, et ils forment au-des-
sous d'elle un réseau extrêmement serré: ces réseaux ont d'ailleurs des
anastomoses assez nombreuses avec les réseaux superficiels, qui seront
étudiés plus tard, lorsqu'il sera question de la structure du poumon ; les
troncs communs que fournissent ces deux sortes de réseaux se réunissent
vers le hile du poumon pour se jeter dans les ganglions bronchiques.
NEUFS# — Les filets nerveux destinés aux bronches appartiennent à la
fois au pneumo- gastrique et au grand sympathique, ils descendent avec
les bronches qu'ils entourent de toutes parts ; arrivés au hile du poumon
ils traversent l'enveloppe fibreuse des bronches et marchent ainsi jus-
qu'aux divisions de troisième ordre, mais à partir de ce point ils se
placent directement sous la muqueuse; il est permis de présumer que ces
blets nerveux sont exclusivement destinés à la muqueuse, et qu'ils des-
cendent jusque dans l'intérieur des lobules pulmonaires eux-mêmes.
Bazin Sur la structure et la terminaison des bronches pulmonaires (Comptes rendus de l'Aca-
démie des sciences, t. 11, p. 284, 590, 515, 570).
ijiHALDËs, Sur la terminaison des bronches (Bulletin de la Société unatomitjue, 1859).
BRONCHES. — bronchite aiguë (étiologie). 561
àlquié, Dispositions des ramifications et des extrémités bronchiques démontrée à l'aide d'injec-
tions métalliques (Comptes rendus de l'Académie des sciences, t. XXV. p. 745).
Robin (Ch.), Comptes rendus de la Société de biologie, 1853, p. 93, et Dictionnaire de médecine
12e édition. Paris, 1805.
Le Fort (Léon). Recherches sur l'anatomie du poumon de l'homme. Thèse de doctorat. Paris,
1858 (Indicat. bibliogr.). — Voyez en outre la bibliographie de l'article Poumon.
Oré.
pathologie .
Considérée dans son ensemble, la pathologie des bronches comprend:
1° la bronchite aiguë des grosses bronches ; 2° la bronchite des dernières
ramifications bronchiques (bronchite capillaire) ; 5° la bronchite chroni-
que; 4° la bronchorrhée; 5° la dilatation des bronches; 6° leur rétrécis-
sement ; 7° les broncliolithes (concrétions et calculs); 8° l'a bronchite
pseudo-7nembrcmeuse (croup bronchique); 9° la bronchite convulsive (co-
queluche) ; 10° la bronchite épidémique (grippe); 11° la bronchorrhagïe;
12° l'emphysème broncho-pulmonaire. Ces deux dernières affections, ainsi
que la coqueluche, seront traitées dans des articles spéciaux.
Bronchite aiguë. — Définition. — On appelle en général bronchite
l'inflammation de la muqueuse des bronches et des rameaux bronchi-
ques, c'est-à-dire de toute la partie membraneuse du conduit aérifère
comprise entre la trachée cl les vésicules pulmonaires. Toutefois, l'expres-
sion de bronchite aiguë est spécialement consacrée à désigner l'inflam-
mation plus ou moins vive de la membrane qui tapisse les grosses bron-
ches, par opposition à celle de bronchite capillaire, qui représente la
phlegmasie de la muqueuse des dernières ramifications bronchiques.
Synonymie. — Angine bronchique, catarrhe, catarrhe pulmonaire,
catarrhe rnuqueux, lièvre catarrlialc, rhume de poitrine, catarrhus,
distillatio pectoris, peripneumonia catarrhalis, etc., etc., telles sont les
principales dénominations qui ont été données à la maladie dont je
m'occupe. Laënnec appelle catarrhe toutes les inflammations de la mu-
queuse des bronches, préférant ce mot à celui de bronchite, parce
que les catarrhes forment la nuance qui réunit les inflammations aux
congestions et aux flux passagers, et parce que, dans certains cas de
catarrhe chronique, il est au moins douteux que la maladie soit réelle-
ment de la nature des inflammations. Le terme générique de bronchite
me semble préférable à celui de catarrhe pulmonaire, qui indique un flux
muqueux souvent indépendant d'un travail inflammatoire, et parce qu'il
peut y avoir phlegmasie de la muqueuse des bronches sans qu'il y ait
nécessairement augmentation dans la sécrétion de cette membrane. En
outre, le mot de bronchite exprime mieux le caractère et le siège de la
maladie, il ne heurte nullement les principes d'une saine nomenclature;
aussi est-il accepté par les pathologistes modernes.
Etiologie. — Causes prédisposantes. — La bronchite s'observe à tout
âge, elle est cependant plus fréquente aux deux extrémités delà vie ; elle est
favorisée chez les enfants par deux phénomènes physiologiques, la dentition
et la croissance ; chez les vieillards, parla lenteur et les difficultés de
NOUV, DICT. WÉD. ET CHIR. V. — 5G
56:2 BRONCHES. — bronchite aiguë (étiologie).
l'hématose pulmonaire, de la circulation cardiaque artérielle, et surtout
de la calorification ; elle est plus commune chez les hommes que chez les
femmes; elle est entretenue par une hypersthénie vasculaire ou nerveuse
générale, par une constitution molle, lymphatique, une convalescence
imparfaite, une vie sédentaire, une éducation trop délicate, circonstances
qui rendent très-vive la sensibilité de la peau aux changements de tem-
pérature, et qui augmentent en môme temps l'impressionnabilité de la
muqueuse bronchique. Elle se montre comme symptôme dans le cours
de certaines fièvres éruptives (rougeole, scarlatine, variole), dans le
deuxième septénaire de la fièvre typhoïde ; elle survient encore à la suite .
des fièvres intermittentes. Elle peut être entretenue par des granulations
pharyngées, un allongement de la luette; souvent elle succède à unelaryn-
gite ou bien à une trachéite, par suite de la marche progressive de l'in-
flammation; elle apparaît, d'après Peters, du troisième au dixième jour
de la diphthérie laryngée; elle se retrouve dans la coqueluche, dans
l'asthme ; elle se rattache à des altérations chroniques du parenchyme
pulmonaire, à des maladies organiques du cœur qui entraînent une gêne
plus ou moins grande dans la circulation ; elle est un symptôme fréquent
et opiniâtre des troubles de l'estomac, et même des lésions rénales con-
firmées. Elle est quelquefois l'aboutissant d'un érysipèle, qui, ayant dé-
buté au visage, s'est propagé au pharynx, au larynx, et a gagné succes-
sivement les ramifications bronchiques. Enfin il importe de rappeler que,
pendant l'administration de l'iodure de potassium à haute dose, il se
développe une bronchite liée fréquemment à un exanthème, sans qu'au-
cune influence morbifique ait atteint la peau ou les muqueuses.
Causes efficientes. — Il est des causes plus immédiates de la bron-
chite. Elles sont produites par des agents irritants qui atteignent la mu-
queuse directement, tels que l'introduction dans les voies aériennes de
poussières, de vapeurs irritantes, des éclats de voix, le chant, la décla-
mation; dans ces cas, la bronchite résulte d'une cause que l'on pourrait
appeler chimique ou mécanique, et dont il est facile de se rendre compte ;
mais, de toutes les causes, la plus commune est le froid, surtout le froid
humide. Les variations brusques de l'atmosphère, l'immersion du corps
dans un milieu trop froid; la transition brusque d'un endroit chauffé
dans un autre qui ne l'est pas, l'arriyée d'un couraut d'air froid dans un
appartement trop chaud, l'inspiration d'un air frais ou humide, l'ingestion
d'un liquide froid dans l'estomac le corps couvert de sueur, l'abandon
prématuré de vêtements de laine aux premiers beaux jours du printemps,
telles sont les causes déterminantes les plus ordinaires de la bronchite;
aussi cette maladie sobserve-t-elle principalement en automne et au
printemps, dans les climats humides, froids et brumeux, dans ceux où
régnent de nombreuses variations barométriques. La bronchite provient
donc, le plus souvent, de l'impression vive exercée par le froid, soit sur
la peau, soit sur la muqueuse aérienne. « Je sais bien, dit Graves,
que la nature a pris de grandes précautions pour maintenir à une tempé-
rature toujours égale l'air qui est introduit dans la poitrine à chaque
BHOlNCHES. — BRONCHITE AIGUË (SYMPTOMES). 565
inspiration; cet air traverse la bouche, les fosses nasales et le pharynx;
là il est réchauffé par son contact avec une muqueuse très-étendue. De
plus, après une expiration ordinaire, il reste dans les poumons une petite
proportion de fluide aérifère. Ce sont là des conditions qui compensent
avantageusement l'abaissement de température de l'air inspiré dans une
atmosphère très-froide. Néanmoins il doit exister sous ce rapport une
différence considérable entre l'air inspiré et l'air expiré; conséquemment
les voies aériennes sont exposées, plus que toute autre partie du corps,
à des alternatives rapides de chaleur et de froid. 11 faut ajouter que la
nature a sagement approprié la vitalité de la "muqueuse bronchique à ces
conditions exceptionnelles, et que l'influence toute-puissante d'une habi-
tude de tous les instants permet aux voies aériennes d'affronter avec im-
punité les changements brusques de température. » Les rapports de cause
à effet dans le refroidissement sont faciles à saisir. La pathologie ne nous
montre-t-elle pas les relations sympathiques qui existent entre la peau
et la muqueuse bronchique? Il y a entre elles analogie de structure, ana-
logie et correspondance fonctionnelles ; aussi rien n'est plus commun que
de voir la bronchite et les affections herpétiques alterner pendant de
longues années, la bronchite persister tout l'hiver et ne cesser que pen-
dant l'été, c'est-à-dire lorsque la chaleur sollicite le réveil des éruptions
périphériques ou l'augmentation de la perspiration cutanée.
Symptômes. — La bronchite aiguë se présente sous deux formes dis-
tinctes, elle peut être légère, apyrétique, ou bien intense, fébrile,
s'accompagner alors de phénomènes généraux et locaux d'une certaine
intensité. Ces deux formes ont des symptômes différents, de là la nécessité
de les étudier séparément.
Bronchite aiguë légère. — L'inflammation débute souvent par la mu-
queuse des fosses nasales, puis elle gagne le larynx et les bronches; dans
sa marche extensive, elle perd souvent de son acuité ; d'autres fois bénigne
dès le principe, elle devient ensuite plus intense; elle se manifeste par de
renchifrènement, une certaine raucité, un timbre nasillard de la voix, une
toux plus ou moins fréquente. A ce moment, la bronchite est constituée,
elle se reconnaît par les symptômes suivants : sensation de chaleur sous
le sternum, toux quinteuse, sèche, plus tard légèrement humide; il se
fait dans les voies respiratoires comme une exsudation qui semble avoir
pour but de déplacer un corps étranger irritant. La percussion ne fournit
aucun signe anormal. Le bruit respiratoire qui était d'abord naturel,
s'accompagne de quelques râles humides qui se dissipent avec une grande
facilité. Cette forme de bronchite dure un ou deux septénaires, elle est
apyrétique, sans phénomènes généraux; elle se juge le plus souvent
par des sueurs, des urines abondantes ou des selles plus ou moins nom-
breuses.
Bronchite aiguë intense. — Elle témoigne dès son début de la gravité
qu'elle offrira dans son évolution. Tantôt elle commence d'emblée, tantôt
elle succède à un coryza, à une angine ou bien encore à une laryngite.
On constate les prodromes des maladies aiguës : frissons irréguliers,
564 BRONCHES. — bronchite aiguë (symptômes).
malaise, céphalalgie, courbature générale, horripilations, sensibilité au
froid, soif, anorexie, urines rouges, etc., puis la fièvre se prononce, elle
est continue avec des exacerbations le soir; la toux est fréquente, courte,
sèche, elle provoque une dyspnée légère. Ces phénomènes morbides con-
stituent la période d'invasion delà bronchite, ils deviennent plus accen-
tués, ils forment la période à'état qui se subdivise en deux, l'une de
crudité et l'autre de maturation ou de coction. Examinons les symptômes
de chacune de ces deux périodes. Et d'abord de celle de crudité.
La douleur est souvent le premier indice de la bronchite. Elle siège
derrière le sternum, suit la direction de la trachée et remonte jusqu'au
larynx. Quelquefois elle se propage vers la base et sur les côtés de la
poitrine, simule un point pleurétique ou une névralgie intercostale.
D'autres fois elle s'irradie sous forme de courbature dans les régions dor-
sale et lombaire. Elle consiste en une gêne, une pesanteur, une tension,
elle peut être obtuse, contusive ou déchirante.
La toux est le plus souvent précédée par un chatouillement qui a pour
siège la partie supérieure de la trachée. Tantôt elle est spontanée, tantôt elle
est provoquée par un usage intempestif de la parole, une émotion morale,
l'impression d'un courant d'air froid ; elle naît de l'excitation produite à
la surface des bronches irritées par les mucosités qu'elles sécrètent. Elle
se montre le premier ou le deuxième jour sous forme de quintes; une
inspiration profonde, prolongée est suivie de cinq ou six secousses suc-
cessives ; le malade fait en quelque sorte provision d'air pour le temps
qu'elles doivent durer, la toux représente assez exactement le degré de
sensibilité morbide développée dans les bronches enflammées, elle est
difficile, sèche, rauque, parfois bruyante, d'autant plus forte et fréquente
que l'inflammation est plus vive, d'autant plus profonde que celle-ci a
pour siège le centre de l'organe, enfin elle a un timbre qui varie suivant
la proportion et la consistance du mucus sécrété. Elle augmente après
le repas, trouble les digestions et détermine par la contraction forcée
du pharynx, du diaphragme et de l'estomac, des vomissements de matières
alimentaires. Elle augmente en général le soir, interrompt la nuit le
sommeil. Par sa fréquence, elle provoque des douleurs au niveau des
attaches du diaphragme vers les fausses côtes, à l'appendice xiphoïde et
dans la région dorso-lombaire.
L'expectoration est un des symptômes les plus importants à consulter.
Dans l'état de santé, la sécrétion des bronches ne nécessite point d'expec-
toration. Bien qu'elle ne soit jamais interrompue, cette sécrétion n'est
point surabondante parce qu'une certaine quantité du liquide est em-
portée par l'air de l'expiration ou par l'absorption pulmonaire. Un indi-
vidu en bonne santé respirant un air pur n'éprouve pas le besoin de
l'expectoration. Dans ces conditions, les liquides sécrétés ne renferment
rien que l'air expiré ne puisse entraîner sous forme de vapeur, de sorte
qu'il ne reste aucun résidu qui doive être éliminé par les secousses de la
toux. Mais la phlegmasie détermine la production d'un mucus anormal
qui ne peut plus être emporté par les procédés naturels. L'expectoration
BRONCHES. — BRONCHITE AIGUË (SYMPTOMES) . 565
est indispensable ; elle est constituée par des crachats transparents,
écumeux à leur surface, dilués dans une certaine quantité de salive,
comparables à du blanc d'œuf ou à une solution de gomme arabique;
elle peut contenir des stries de sang, ce qui est dû à la rupture de
quelques vaisseaux capillaires lors des efforts de la toux, mais ce sang
n'est jamais combiné au mucus comme dans la pneumonie, ou bien des
grumeaux blanchâtres. Ces grumeaux sécrétés par les cryptes mucipares
du pharynx et de la bouche, s'écrasent facilement sous le doigt et ne
doivent pas être confondus avec la matière tuberculeuse. Plus tard
les crachats deviennent visqueux, consistants, muqueux, ils prennent plus
de cohésion, adhérent aux parois du vase qui les reçoit. Cette viscosité
indique, comme l'a fait remarquer avec juste raison James Copland, une
certaine intensité de l'inflammation. Étudiés au microscope, ces crachats
muqueux contiennent des débris d'épithélium pavimenteux et quelquefois
cylindriques, de jeunes cellules finement granulées en quantité considé-
rable ce qui indique une exfoliation épithéliale plus active qu'à l'état
normal, entraînant non-seulement la chute des cellules vieilles mais aussi
celle des cellules épithéliales en voie de formation. Le plasma lui-même
est expulsé sous forme d'une matière albumineuse plus ou moins
liquide. (Schùtzenberger. )
Dans la bronchite qui accompagne la rougeole, l'expectoration se com-
pose quelquefois d'un liquide séro-purulent très-abondant, à la surface du-
quel surnagent des crachats muqueux, épais, jaunâtres, puriformes. Il
importe d'être prévenu du caractère de ces crachats qui semblent être
fournis par des cavernes tuberculeuses. Chez l'enfant, l'expectoration
manque le plus habituellement pendant tout le cours de la bronchite.
La dyspnée est peu considérable pendant les premiers jours ; à mesure
que l'inflammation augmente en intensité et en étendue, la respiration
devient difficile, pénible, il semble que l'air ne peut pas pénétrer au delà
des grosses bronches, ou du moins son entrée et sa sortie déterminent
un bruissement appréciable à distance. Cette dyspnée est produite par les
douleurs thoraciques ; les muscles fatigués ne soulèvent qu'incomplète-
ment les côtes et ne donnent pas à la poitrine un degré suffisant d'ampli-
tude; elle est due surtout à la présence de mucosités abondantes et
épaisses dans les canaux bronchiques. La dyspnée est un symptôme très-
fréquent de la bronchite chez l'enfant et chez le vieillard.
Vinspection de la poitrine ne fournit ainsi que la mensuration aucun
renseignement particulier.
Il n'en est pas tout à fait de même de la palpation. Lorsqu'on applique
la main sur la paroi thoracique, on perçoit un frémissement vibratoire
différent de celui que l'on retrouve dans les maladies du cœur ; il répond
aux mouvements respiratoires, il est surtout distinct au moment de
l'inspiration.
La percussion est, en général, sonore dans toute la poitrine; ce signe,
quoique négatif, est précieux sous le rapport du diagnostic comparatif.
Cependant la sonorité pourrait être exagérée, ce qui tiendrait à un em~
566 BRONCHES. — bronchite aiguë (symptômes).
physème conséquence de la bronchite, ou bien diminuée, et cette matité
serait le résultat d'un engouement pulmonaire lié à la phlegmasie bron-
chique.
V auscultation fournit des signes d'une valeur incontestable. Au début
de la maladie, le bruit respiratoire est rude; plus tard il est masqué ou
remplacé par des râles sonores. Ces râles sont essentiellement caracté-
ristiques : ils attestent la présence d'un obstacle au passage de l'air
dans les bronches, mais ils prouvent que l'oblitération est incomplète.
Dans le cas contraire, il y aurait absence du bruit respiratoire dans toute
la circonscription du poumon desservie par le rameau obstrué. Les râles
et l'absence du bruit respiratoire peuvent alterner; l'obstruction com-
plète dans un moment, cesse dans un autre. Cette suspension du bruit
respiratoire doit être connue du praticien; elle pourrait l'induire en
erreur et lui faire soupçonner un épanchement ou une pneumonie, si la
percussion n'intervenait pas pour assurer le diagnostic. Les râles patho-
gnomoniques de la bronchite offrent des nuances; ils ont été appelés
vibrants par Beau et Raciborski ; ils consistent en une vibration plus ou
moins prolongée qu'éprouve la colonne d'air en franchissant un obstacle
placé sur un point rétréci des bronches. Piorry les appelle rhonchus larges.
D'après Laennec, Barth et Roger, le râle de la bronchite est sonore; il
comprend deux variétés principales, le sonore aigu ou sibilant, le sonore
grave ou ronflant. Le râle sibilant est un sifflement musical d'un ton
plus ou moins aigu; il accompagne ou masque le murmure respiratoire.
Le râle ronflant est caractérisé par un bruit musical plus grave, il imite
le ronflement d'un homme endormi, le roucoulement de la tourterelle,
le son que rend une corde de basse sous le doigt qui la touche. Le râle
sibilant semble se passer dans les petites bronches, le râle ronflant dans
les grosses. Ces deux râles, désignés sous le nom de râle sec, sont sou-
vent réunis; ils se remplacent quelquefois. Ils se produisent pendant
l'inspiration et l'expiration; ils sont sujets à de fréquentes intermittences,
varient à chaque instant de siège, de force, de caractère. Cette variabilité
est la conséquence de la nature de la cause qui les produit; ils s'expli-
quent l'un et l'autre par le rétrécissement des bronches, lequel est dé-
terminé, soit par un gonflement de la membrane muqueuse, soit par
des mucosités. Ces râles, rarement circonscrits, se perçoivent ordinai-
rement des deux côtés de la poitrine ; ils retentissent du sommet à la base.
Lorsque la muqueuse des bronches s'humecte de liquides, le râle sonore
est remplacé par le sous-crépitant. Ce râle humide, qu'on a comparé au
bruit qu'on fait en soufflant avec un chalumeau dans de l'eau de savon, est
caractérisé par des bulles un peu grosses, humides, inégales entre elles; il
se perçoit aux deux temps de la respiration, surtout à l'inspiration, dans
toute la poitrine, principalement à la base et en arrière. Par le volume de
ses bulles, il indique quelle est la partie des tuyaux bronchiques qui est
plus spécialement affectée; à bulles moyennes, il dénote une phlegmasie
des ramifications moyennes; à bulles petites, il signifie que la maladie ré-
side dans les dernières ramifications bronchiques. Le gros râle sous-crépi-
lîRONCHKS. BRONCHITE AIGUË (SYMPTOMES). 567
tant atteste qu'il s'agit d'une bronchite des grosses bronches; quant «à la
fréquence de ce râle à la partie inférieure de la poitrine, elle s'explique
par ces diverses circonstances. A la base les bronches sont plus nom-
breuses qu'au sommet, les chances d'inflammation y sont plus grandes, les
liquides sécrétés y séjournent plus longtemps ; enfin, vu leur direction
et leur disposition anatomique, les canaux bronchiques à la partie infé-
rieure se débarrassent plus vite par l'expectoration, tandis que ceux de
la partie supérieure se vident avec plus de difficulté. (Barth et Roger.)
L'auscultation ne se borne pas à faire reconnaître l'existence d'une
bronchite, elle en fait découvrir le siège et l'étendue. Lorsqu'elle est
partielle, le râle se limite au point affecté ; si elle est plus étendue, le
râle se distingue dans toute la partie du poumon qui est desservie par
les tuyaux phlogosés ; enfin, si la bronchite est généralisée, les râles
sonores et sous-crépitants se feront entendre dans toute la poitrine.
Symptômes généraux. — La fièvre varie beaucoup d'intensité; elle
est en rapport avec la gravité et l'étendue de l'affection. Tantôt elle pré-
cède les symptômes locaux, tantôt elle les suit. Dans le premier cas, la
maladie s'annonce par des frissons plus ou moins répétés, auxquels suc-
cède une chaleur générale, puis la lièvre devient continue ; elle est quel-
quefois le symptôme le plus saillant, elle efface en quelque sorte la phleg-
masie locale, qui ne se montre que secondairement. C'est à cette forme
de bronchite, avec prédominance de l'élément fébrile, qu'a été appliqué
le nom de fièvre catarrhale. La bronchite s'accompagne souvent de
quelques symptômes particuliers qui se rapportent aux organes digestifs;
ils consistent en une abolition complète ou une diminution de l'appétit,
delà soif, des nausées, des vomissements, de la constipation.
Tels sont les principaux phénomènes qui caractérisent la période de
crudité. Mais l'affection tend à se résoudre graduellement, les symptômes
offrent alors une physionomie nouvelle ; ce changement constitue la
période de coction ou de maturation.
A ce moment l'inflammation de la muqueuse bronchique a diminué, le
mouvement fébrile, le malaise, la rougeur et la turgescence de la face ont
presque cessé ; la peau se recouvre d'une légère moiteur ou même de
sueur; les urines deviennent troubles et déposent un sédiment abondant.
La douleur sous-sternale est remplacée par un endolorissement sourd au
niveau des attaches du diaphragme; la toux est moins fréquente, humide;
mais l'indice le plus certain de cette période de coction ou de maturation
est une expectoration plus facile de crachats abondants, volumineux,
opaques, grisâtres, jaune-verdàtres ; ils sont lourds, gagnent le fond du
vase quand on les met dans l'eau, ne sont point aérés ou ne présentent
(pic quelques bulles d'air; quelquefois ils nagent dans un liquide transpa-
rent, d'autres fois ils paraissent se mêler à une petite quantité de salive
battue ; ils ne répandent aucune odeur ; l'examen microscopique révèle
l'existence d'une certaine quantité de pus. A l'auscultation on constate
des râles nombreux, à bulles grosses, irrégulières; quelquefois ils se rap-
prochent du gargouillement; ainsi, les râles humides et muqueux, les
568 BRONCHES. — bronchite ak;uë (variétés).
crachats abondants et épais, constituent les symptômes significatifs de la
période de maturation delà bronchite.
Marche, durée, terminaison. — Une bronchite aiguë avec ou sans
fièvre tend habituellement vers la guérison, surtout lorsqu'elle survient
chez un adulte. Si elle est apyrétique, elle disparaît au bout de dix à
douze jours; accompagnée de fièvre et de quelques phénomènes géné-
raux, elle peut se prolonger plusieurs semaines; elle est souvent entre-
tenue par des attaques successives qui en prolongent la durée. Chomel et
Blache reconnaissent à cette maladie trois périodes : la première caracté-
risée par une toux fréquente, une douleur sous-sternale et une expecto-
ration d'un liquide écumeux; la seconde par l'humidité de la toux et une
plus grande consistance des crachats; dans la troisième, les crachats
sont plus opaques, les symptômes ordinaires de la bronchite diminuent,
et il survient des urines plus abondantes et sédimenteuses, de la diarrhée
ou des sueurs copieuses. v
La bronchite passe souvent à l'état chronique. Chez les vieillards,
chez les personnes délicates, convalescentes ou habituellement malades,
les récidives sont fort à craindre, et les approches de l'biverles rendent
dans nos climats pour ainsi dire périodiques. Elle peut se terminer par la
gangrène. Ce mode de terminaison, qui est rare, a été observé par Gué-
neau de Mussy et Martin-Solon : les crachats répandaient une odeur par-
ticulière et offraient une teinte grisâtre. Elle peut avoir une issue fatale,
soit parce que se manifestant chez des sujets affectés d une maladie orga-
nique du cœur ou des bronches, elle hâte la marche de ces maladies,
soit parce que survenant chez des enfants ou des vieillards, et s'étanl
rapidement propagée aux dernières ramifications bronchiques, elle occa-
sionne une sécrétion de mucosités assez considérable, pour amener leur
obstruction et produire l'asphyxie.
Variétés et eormes. — La bronchite peut offrir certaines variétés ou
formes spéciales. Quelquefois elle prend le caractère spasmodique ou
convulsif. Elle se montre alors par accès, et chaque accès se caractérise
par une toux rauque, stridente, quinteuse, avec une sorte de convulsion
du diaphragme, des muscles intercostaux et de ceux de la glotte. Bien
différente de la bronchite simple qui a une marche régulière, cette toux
nerveuse est brusque dans son début, sèche, capricieuse, elle produit une
certaine turgescence de la face, des efforts de vomissements, une véritable
suffocation; elle se termine sans expectoration, quelquefois cependant
par le rejet d'une salive blanchâtre et écumeuse. Elle ne s'accompagne
d'aucune altération d'organe, n'entraîne aucune modification morbide
dans les résultats de la percussion et de l'auscultation. L'accès passé, le
malade présente toutes les apparences de la santé. Cette toux spasmo-
dique qui rappelle la coqueluche, mais qui en diffère sous bien des rap-
ports, se maintient un temps plus ou moins long, sa cause est difficile à
déterminer : elle paraît devoir se rattacher à une disposition spéciale des
sujets. Le plus souvent elle se montre dès l'origine de la maladie et ne cesse
qu'avec la période de maturation; puis l'expectoration devient mu-
BRONCHES. — BRONCHITE AIGUË ( VARIÉTÉS). 569
qucuse, abondante, facile ; les quintes sont rares et la bronchite reprend
son caractère classique.
La bronchite peut-elle affecter une forme intermittente? Boisseau l'ad-
met sans hésitation. Broussais et Laennec s'accordent à la reconnaître.
Boche constate dans son évolution une marche aiguë ou chronique conti-
nue ou intermittente; Mongellaz a réuni dans son ouvrage sur les Irrita-
tions intermittentes plusieurs exemples de bronchites périodiques qui
avaient été signalés par ces auteurs sous le nom de toux, fièvres càtar-
rhales et catarrhes intermittents. Andral, Chomel, Blache (en France),
Williams, James Copland (en Angleterre), ne mentionnent pas cette va-
riété de bronchite. En 1857, Bougard (de Bruxelles), a rapporté un
exemple remarquable de bronchite intermittente. Exerçant la médecine
dans une contrée où les maladies présentent souvent le génie intermit-
tent, j'ai quelquefois observé cette bronchite périodique. En général,
elle est quotidienne, elle a lieu le soir; le froid est peu vif, mais la cha-
leur de la peau est assez élevée. A ce moment la toux devient plus in-
tense, l'expectoration plus abondante et l'oppression plus grande; l'accès
se termine par de la sueur. Traitée par la médication ordinaire (révulsifs,
narcotiques, etc.), cette bronchite persiste avec une certaine opiniâtreté;
elle cède au contraire assez facilement à l'usage du quinquina et de la
quinine.
Je mentionnerai deux variétés de bronchite que l'on rencontre dans
l'enfance, l'une se manifeste périodiquement la nuit, l'autre se rattache
à la dentition.
11 existe chez les enfants, dit le docteur Behrend, une tonx nocturne
assez fréquente et d'un caractère particulier. Elle s'observe le plus sou-
vent au printemps et en hiver. Les enfants sans aucun vestige de toux
pendant le jour s'endorment le soir à l'heure ordinaire; après deux ou
trois heures de sommeil ils s'agitent, toussent fortement avant de s'éveil-
ler, ils jettent des cris et pleurent, la toux devient de plus en plus vio-
lente jusqu'à produire des vomissements; après une ou deux heures de
tourment ils s'endorment de nouveau et paraissent bien le reste de la
nuit. La toux revient à la même heure les nuits suivantes, dure pendant
des semaines et des mois, elle finit par diminuer et disparaître complète-
ment et spontanément; les accès deviennent peu à peu plus courts et se
déclarent à des heures plus avancées dans la nuit, en sorte que le som-
meil qui précède la toux se prolonge davantage. Cette toux nocturne est
le plus souvent catarrhale, accompagnée de râles muqueux. Quelquefois
elle est sèche, sifflante; les quintes courtes, isolées, uniformes, se ré-
pètent toutes les cinq minutes ou se bornent à une ou deux. Cette toux
périodique ne saurait être confondue avec le croup qui a des symptômes
bien tranchés, avec la coqueluche qui s'observe autant le jour que la
nuit et qui se fait remarquer par une dyspnée particulière. Dans la
toux périodique il n'y a pas de suffocation véritable. Elle ressemble
plutôt à la bronchite ordinaire, mais elle s'en distingue par l'absence
presque complète des signes physiques, par la périodicité nocturne
570 BRONCHES. — bronchite aiguë (complications).
des accès. Le docteur Behrend regarde cette toux comme dépendant
d'une affection des nerfs, peut-être du nerf vague qui préside plus par-
ticulièrement à la vie nerveuse des poumons.
Chez les enfants de quelques mois à deux ou trois ans, le travail de
dentition imprime à la bronchite un caractère particulier qui ne doit pas
être ignoré des médecins. Il n'est pas rare de rencontrer des enfants de
cet âge, qui, loin de présenter le flux diarrhéiforme sympathique du
travail dentaire, sont au contraire constipés; ils offrent souvent alors une
hypersécrétion de la muqueuse bronchique, se traduisant par un rhonchus
spécial. Ce flux doit être rapporté à révolution dentaire, il commence
avec la dentition, en suit les phases de repos et de progrès, et finit avec
elle. Il coïncide avec la constipation et semble incompatible avec le flux
diarrhéique. Le rhonchus est en général plus marqué lorsque l'enfant est
au repos éveillé, il augmente lors des mouvements, mais il est surtout
bruyant, renforcé pendant le sommeil, ce qui provient sans doute du
ralentissement que le sommeil apporte à l'absorption bronchique, de là
la stagnation et l'augmentation relative des mucosités. Ce flux bronchique
doit être assimilé au flux intestinal, ces deux flux chez les enfants à l'é-
poque de la dentition ont une même signification, ou si l'on veut, sont
deux groupes de phénomènes du même ordre, la seule différence réside
dans le lieu d'élection de l'hypersécrétion ; il est déterminé par la pré-
disposition organique particulière à chaque enfant et en vertu de la-
quelle l'influence sympathique du travail dentaire est dirigée chez l'un
sur l'appareil folliculaire bronchique, chez l'autre sur l'appareil follicu-
laire intestinal. La toux n'est point en proportion avec l'intensité du
rhonchus, elle manque même quelquefois malgré l'abondance du flux bron-
chique. (Semanas.)
Complications. — La bronchite peut offrir dans ses diverses périodes
des complications plus ou moins sérieuses. Dans son début, elle s'accom-
pagnera d'une angine, d'une laryngite, plus tard l'inflammation se pro-
pagera des grosses bronches aux petites, la bronchite capillaire est une
des complications les plus graves de la bronchite simple chez les vieil-
lards et les enfants. La bronchite aiguë peut avoir pour conséquence
l'emphysème pulmonaire ou une lésion organique du cœur ; j'insisterai
sur ces états morbides à propos de la bronchite chronique.
Plus fréquemment la bronchite se montre comme complication. Elle
se retrouve dans la plupart des pneumonies ou des pleurésies. Elle est la
compagne presque inévitable de la phthisie pulmonaire, c'est elle qui le
plus souvent en accélère la marche. Fonssagrives l'a comparée avec rai-
son à une bougie allumée qu'on promène au milieu d'un sac de poudre.
Elle intervient fréquemment dans l'asthme, la coqueluche, dans le croup.
Elle est une complication presque constante dans la lièvre typhoïde.
Latente au début elle se généralise plus tard, se caractérise par de la dys-
pnée et des râles surtout distincts à la partie postérieure de la poitrine.
Cette bronchite typhoïde se distingue de la bronchite ordinaire par l'ab-
sence de toux et de crachats, absence qui serait due, d'après Beau, à un
BRONCHES. — bronchite aiguë (diagnostic). 571
état analgésique des muqueuses ; celles-ci auraient perdu une partie de
leur sensibilité comme la peau et la plupart des organes des sens. La
bronchite se retrouve dans la plupart des fièvres éruptives, spécialement
dans la rougeole, elle est un des éléments presque constants de cette ma-
ladie, se révèle par les symptômes les plus manifestes et persiste même
après la disparition des phénomènes cutanés.
Anatomie pathologique. — Les lésions anatomiques de la bronchite ne
sont réellement bien dessinées que lorsque la maladie a atteint un cer-
tain degré d'intensité. Comme toutes les phlegmasies des muqueuses, la
bronchite se caractérise anatomiquement par des altérations de tissus et
par des produits de sécrétion.
Parmi les altérations de la muqueuse bronchique, la rougeur doit être
signalée en première ligne; tantôt cette rougeur est distribuée par petites
plaques, par bandes étroites, par îlots ; tantôt elle est uniformément ré-
partie. Celte coloration varie depuis le rose jusqu'au rouge vif et aux
nuances plus foncées du pourpre et du brun. Elle paraît être le résultat
d'une injection qui occupe les vaisseaux de la muqueuse, et qui quelque-
fois s'étend jusqu'au tissu sous-muqueux. Le lavage ne la fait point dis-
paraître. La muqueuse offre souvent un aspect granulé ; elle est épaissie,
cet épaississement tient à l'injection vasculaire et à un certain afflux de
matière coagulable. Elle peut être ramollie; ce mode d'altération est plus
fréquent chez l'enfant; rarement elle offre des traces d'ulcération ou de
gangrène.
Si l'on examine les produits de sécrétion versés à la surface de la mu-
queuse des bronches, on constate dans les divisions bronchiques enflam-
mées des mucosités diaphanes, visqueuses, filantes, et en quantité assez
considérable. Plus tard, ces mucosités deviennent verdàtres, elles sont
mêlées de stries jaunes, puis elles s'épaississent et finissent par prendre
un aspect purulent. Elles peuvent obstruer complètement les ramifications
bronchiques, surtout celles d'un moyen ou d'un petit calibre; cette ob-
struction est d'autant plus redoutable, que le mucus a plus de consistance
et de ténacité. Chomel et Blache ont constaté le gonflement et la rou-
geur des ganglions bronchiques.
Requin fait remarquer que l'étendue et l'intensité des altérations ana-
tomiques ne sont pas en rapport constant avec la violence des symptômes;
ainsi, dans la bronchite latente qui accompagne la fièvre typhoïde, la
muqueuse bronchique est souvent rouge, tuméfiée dans presque toute
son étendue, ramollie en divers points ; tandis que dans une bronchite
idiopathique aiguë, la muqueuse ne se montrera altérée que partiel-
lement.
Diagnostic. — Le diagnostic de la bronchite semble ne présenter
aucune difficulté. La toux, la nature de l'expectoration, les résultats de
la percussion et de l'auscultation constituent un ensemble de symptômes
suffisamment caractéristiques; cependant il est quelques maladies qui
peuvent avoir avec elle une certaine analogie. Etablissons à leur égard le
diagnostic différentiel.
572 BRONCHES. — bronchite aiguë (diagnostic).
Laryngite. — Elle se caractérise par une douleur au niveau du carti-
lage thyroïde, une certaine gêne dans la déglutition des liquides, une mo-
dification spéciale de la voix quiestrauque et même complètement éteinte,
une toux quinteuse, pénible, parce que le larynx est riche en nerfs, une
expectoration peu abondante de crachats blancs et écumeux, une inspi-
ration sifflante. La laryngite striduleuse des enfants pourrait- elle en im-
poser pour une bronchite? Mais le début qui a lieu le plus souvent la
nuit, la raucité de la toux et de la voix, le caractère de la dyspnée, l'ab-
sence de raies dans la poitrine, sont autant de signes qui permettent
d'éviter l'erreur. Quant à la laryngite pseudo-membraneuse, elle se tra-
duit par des symptômes qui manquent complètement dans la bronchite,
c'est-à-dire le timbre particulier de la toux et de la voix, souvent
l'aphonie, la dyspnée revenant par accès, la diminution du murmure res-
piratoire avec mélange de rhonchus et de râles, ce bruit de soupape si
caractéristique, enfin et surtout par l'existence de fausses membranes sur
la muqueuse du pharynx et leur rejet par l'expectoration ou le vomis-
sement.
Trachéite. — La plupart des auteurs ne la mentionnent que pour mé-
moire, ils l'admettent théoriquement, et on lui donne dans la prati-
que le nom de bronchite; et cependant ces deux affections se présentent-
elles avec des caractères identiques? Beau a parfaitement établi ce
diagnostic différentiel. La toux et l'expectoration offrent dans ces deux
maladies, a-t-il écrit, une grande analogie, mais l'auscultation fournil
des signes très-importants et véritablement distinctifs. Dans la trachéite,
les râles sont rares, leur absence tient à ce que la capacité de la trachée
est considérable, les mucosités peuvent se déposer en quantité notable
sur ses parois sans faire obstacle au passage de l'air. Ces râles, s'ils exis-
tent, sont généralement éphémères, fugaces; ils se distinguent à la partie
moyenne du cou ; un mouvement de toux les produit, un mouvement de
toux les fait disparaître. Dans la bronchite, au contraire, les râles sont
permanents, très-communs à cause de la disposition anatomique des ca-
naux bronchiques; ils siègent sur toutes les régions du thorax. La dyspnée,
symptôme fréquent de la bronchite, en rapport avec le nombre et l'in-
tensité des obstacles que le mucus produit dans les voies bronchiques,
est au contraire rare dans la trachéite. On en comprend le motif. L'em-
physème, conséquence possible de la bronchite, manque dans la trachéite.
11 existe donc une différence notable entre la trachéite et la bronchite,
cependant rien n'est plus ordinaire que de voir la bronchite se compli-
quer de trachéite et même de laryngite; on trouve alors réunis les
symptômes de ces trois maladies.
Lorsque la bronchite offre la forme spasmodique, elle pourrait avoir
quelque analogie avec la coqueluche, maladie spécifique, à la constitution
de laquelle concourent deux éléments, une névrose d'une part, une in-
flammation de l'autre. La coqueluche a de la ressemblance, en effet, avec
la bronchite, à cause du catarrhe qui marque son début, mais elle s'en
sépare par la nature des quintes, lesquelles se reproduisent à des inter-
BRONCHES. BRONCHITE AIGUË (diagnostic). 575
valles plus ou moins courts, sous tonne d'accès, et se terminent par une
inspiration longue, sifflante, l'expectoration d'un liquide incolore filant,
des vomissements de matières alimentaires. Dans l'intervalle des accès,
la respiration est libre, le murmure respiratoire est parfaitement naturel,
exempt de toute espèce de râle. Une intermittence aussi marquée ne se
retrouve jamais dans la bronchite. J'ajouterai que la coqueluche est une
maladie de l'enfance, qu'elle est rare chez l'adulte, qu'elle est contagieuse
• et n'attaque les sujets qu'une seule fois, circonstances qui ne se retrou-
vent pas dans la bronchite.
La bronchite à forme spasmodique pourrait-elle être confondue avec la
toux hystérique? Cette toux hystérique, si bien décrite par Graves, Lasè-
gue et Trousseau, est bien différente de cette variété de la bronchite, elle
ne s'accompagne jamais de ces spasmes violents qui déterminent des accès
de suffocation, des menaces d'asphyxie, et entraînent à leur suite des
congestions pulmonaires ou encéphaliques. Cette toux ressemble à celle
que provoque l'inspiration de certains gaz, le chlore, par exemple; sou-
vent précédée d'un chatouillement laryngé, habituellement sèche, elle
affecte un rbythme monotone ; quelquefois sonore, retentissante, elle ne
laisse point de relâche, elle se présente avec une telle violence, une telle
continuité, qu'on s'étonne de ne pas voir se produire quelques ruptures
des cellules aériennes ou des vaisseaux sanguins. Dans d'autres circon-
stances, la toux est incessante, elle revient toutes les deux ou trois se-
condes, elle est comparable, pour l'intensité et pour le timbre, à un hem
qui revient constamment, et qui, par cela môme, est très-pénible. Ordi-
nairement, le pouls est fréquent, mais c'est le pouls fréquent de l'hysté-
rie, et non pas celui de l'inflammation ou de la fièvre. En général, la
toux cesse la nuit, et se rapproche ainsi des convulsions chorciques.
L'examen de la poitrine ne révèle aucun signe particulier. Cette toux
hystérique, remarquable par sa ténacité, peut durer plusieurs mois, des
années entières, elle n'est influencée ni par la menstruation ni par les
phénomènes physiologiques ou pathologiques qui ont lieu durant son
cours. Cependant, lorsqu'elle se prolonge longtemps, elle peut avoir un
retentissement sur la santé générale; j'ai vu cette toux hystérique pré-
céder une tuberculisation pulmonaire. Le praticien ne doit donc pas la
considérer d'un œil indifférent.
Pour rendre plus complet ce diagnostic différentiel, je comparerai
encore quelques formes de bronchite ou de toux qui ont été signalées par
(i raves et par Jaccoud.
La syphilis atteint la muqueuse bronchique aussi bien que les autres
tissus de l'organisme. La toux syphilitique n'est pas très-rare; elle offre
des symptômes analogues à ceux de la phthisie; aussi, ces deux maladies
sont-elles facilement confondues. Le diagnostic s'établit par l'étude des
antécédents. La toux syphilitique coïncide en général avec des accidents
secondaires (périostite, angine, éruptions cutanées, etc.). Elle peut en-
traîner des phénomènes généraux qui rappellent ceux de la phthisie pul-
monaire à la deuxième période; quant aux phénomènes locaux, ils sont
574 BRONCHES. — bronchite aiguë (diagnostic).
légers : l'auscultation et la percussion ne laissent découvrir aucun des
signes physiques des tubercules. Un traitement mercuricl dissipe assez
rapidement l'affection bronchique.
La toux due à la présence des vers dans l'intestin se présente avec les
caractères d'une bronchite grave. Cette toux verm'mease, sèche, sonore,
creuse, d'une violence extraordinaire, revient le jour comme la nuit, pen-
dant le sommeil comme pendant la veille, toutes les cinq ou six minutes.
Cependant, les malades ne perdent pas leur embonpoint, ils n'ont pas de
lièvre, et l'auscultation ne fait entendre que les ràlcs ordinaires de la
bronchite sèche. La toux disparaît quand les vers intestinaux sont expul-
sés. Cette toux, causée par les vers intestinaux, a été signalée depuis long-
temps par Mercurialis, Sennert, Mercatus et Van den Bosch. Indépen-
damment de cette toux, dite sympathique par les anciens, et dans laquelle
on ne voit aujourd'hui qu'un phénomène réflexe déterminé par l'irri-
tation de la muqueuse gastro-intestinale, les entozoaires, ou, pour
mieux dire, les ascarides loinbricoïdes, peuvent déterminer une toux
dont la signification est bien autrement grave, puisqu'elle révèle un
accident qui met immédiatement en danger la vie du malade; je veux
parler de la toux causée par l'introduction des vers dans les voies
aériennes.
Une irritation de la muqueuse bronchique peut naître sous l'influence
de la diathèse goutteuse. La goutte, en effet, atteint presque tous les tis-
sus; elle parcourt successivement les articulations, les muscles et leurs
aponévroses, le cœur, l'estomac, le foie, les intestins, les reins ; elle af-
fecte souvent la muqueuse de la trachée et des bronches. La toux gout-
teuse est sèche, fatigante, opiniâtre. Si elle survient en même temps que
des phénomènes d'arthrite, sa véritable nature est méconnue ; on l'attri-
bue à un refroidissement, on la considère comme une bronchite ordi-
naire. Mais, quelle que soit la cause qui produise une phlegmasie chez
un goutteux, quel que soit l'organe intéressé, l'affection revêt presque
toujours les caractères de l'inflammation goutteuse franche. Cela tient à
ce qu'elle est modifiée par la disposition constitutionnelle qui se localise
dans la partie malade. La même relation existe entre la bronchite com-
mune qui se développe sous l'influence du froid chez un individu gout-
teux, et la bronchite goutteuse dont elle devient la cause indirecte. Ordi-
nairement, l'inflammation goutteuse des bronches a une marche chronique,
elle persiste jusqu'à ce qu'une attaque de goutte articulaire la fasse
disparaître.
Une irritation bronchique peut dépendre de la diathèse scorbutique.
La toux scorbutique coïncide avec le purpura, avec une tendance aux
hérnorrhagies par le nez, l'estomac, les intestins, la vessie; elle s'accom-
pagne d'hémoptysie, elle reconnaît pour causes l'habitation dans un lieu
humide, mal aéré, une nourriture insuffisante ; elle réclame un traite-
ment spécial soit pendant la période d'état, soit pendant la convales-
cence.
Une phlegmasie de la muqueuse bronchique procède quelquefois de la
BRONCHES. — bronchite aiguë (diagnostic). 575
scrofule. La toux scrofuleuse présente les formes les plus variées, de-
puis la bénignité la plus grande jusqu'à la gravité la plus sérieuse. Elle
coïncide avec quelques autres manifestations de cette diathèse. (Graves.)
La toux gastrique ou stomacale est produite par l'embarras gastrique,
ou bien elle coïncide avec une dyspepsie. Elle est fréquente chez les
vieillards qui passent leur vie dans l'oisiveté. Elle est précédée et accom-
pagnée de troubles de la digestion, d'un sentiment de pesanteur à l'épi-
gastre, de nausées, de vomissements; le plus ordinairement elle est sèche,
elle cesse après un vomissement. Elle a pour condition palhogénique
l'impression anomale subie parmi les rameaux gastriques du nerf vague ;
transmise par un trajet rétrograde jusqu'aux centres nerveux, cette im-
pression retentit sur les rameaux bronchiques du même nerf. L'examen
de la poitrine ne donne que des résultats négatifs.
La toux hépatique présente deux variétés : elle peut être le résultat
i'une gène mécanique causée par l'augmentation de volume du foie; elle
est brève, petite, sèche, s'accompagne d'un sentiment de pesanteur dans
l'hypochondre droit. Elle est aussi la conséquence d'une affection orga-
nique du foie : elle est forte, très-pénible, douloureuse, entrecoupée,
enchaînée comme dans l'inflammation de la plèvre. (Jaccoud.)
La bronchite pourrait-elle être confondue avec une pneumonie? Chez
l'adulte, la confusion me semble impossible. La pneumonie est trop nette-
ment établie par ses symptômes généraux (frissons irréguliers, fièvre,
chaleur élevée de la peau, etc.), par ses symptômes locaux (douleur de
côté, crachats rouilles, jus de pruneaux, râle crépitant, souffle tubairc,
dyspnée, etc.). — Le diagnostic différentiel est plus difficile chez le vieil-
lard. A cette époque de la vie, le tableau de la pneumonie est incomplet ;
les signes fournis par l'inspection des matières expectorées manquent
souvent; le râle crépitant est rare, ou, du moins, mal caractérisé; il est
remplacé par des bulles assez grosses, humides ; la dyspnée est peu pro-
noncée ; les phénomènes généraux se réduisent à de l'anorexie et à une
faiblesse insolite. Il faut alors s'appuyer sur les résultats de la percussion ;
elle acquiert une certaine importance; une matité circonscrite indique
presqu'à coup sûr l'existence d'une pneumonie. Il est un signe sur
lequel insistent avec raison Hardy et Béhier. A un âge avancé, dit le
professeur Béhier dans sa Clinique médicale, la pneumonie est fréquem-
ment latente. Un vieillard présente du malaise, de la sécheresse de la
langue, de l'inappétence, un peu de toux, il mange encore, et même il
sort. Néanmoins méfiez-vous, peut-être bien ce vieillard promène-t-il une
pneumonie. Les phénomènes caractéristiques de celle affection sont peu
accentués, parce que l'inflammation n'est pas franche, que l'effort in-
flammatoire local a peu de retentissement, et que la sensibilité est plus
ou moins torpide; mais dans ces pneumonies des vieillards, il est un
symptôme d'une grande valeur comme diagnostic, c'est la rougeur avec
sécheresse de la langue. Cet état particulier de la langue coïncide sou-
vent avec une phlegmasic plus ou moins considérable du parenchyme pul-
monaire. — Cette difficulté de diagnostic entre la bronchite et la pneu-
r>70 BRONCHES. — bronchite aiguë (thérapeutique).
monie, se retrouve plus grande chez les enfants. Dans ces deux affec-
tions, les signes physiques relatifs à la percussion et à l'auscultation sont
identiques, le bruit respiratoire offre des altérations semblables de timbre
et d'intensité, ce sont les mêmes râles sibilants et muqueux. On sait, en
outre, que, chez les enfants, les signes pathognomoniques de la pneumonie
(râle crépitant, bronchophonie, souffle tubaire, expectoration rouillée)
manquent fréquemment. Le diagnostic serait donc entouré de difficultés
peut-être insurmontables, si l'on ne savait que lorsque la phlegmasie
s'arrête aux bronches, la réaction fébrile est le plus souvent légère,
tandis que si le parenchyme pulmonaire est envahi, la fièvre et les sym-
ptômes généraux sont très-prononcés. Donc la prédominance des signes
physiques sur les signes fonctionnels locaux et généraux, doit faire songer
à une bronchite, et l'exagération des phénomènes généraux indiquera plutôt
l'existence d'une pneumonie.
La phthisie à marche aiguë offre quelques symptômes qui pourraient
en imposer pour une bronchite; mais les douleurs plus ou moins vives
au sommet du thorax, les bémoptysies, la matité et les craquements cir-
conscrits dans les fosses sus et sous-épineuses, sous les clavicules,
l'amaigrissement général, la perte des forces, la fièvre continue avec
exacerbation le soir, dissiperont toute incertitude.
Proxostic. — La bronchite légère apyrétique est à peine une modifi-
cation de l'état habituel de santé ; elle se dissipe avec une facilité très-
grande. La bronchite fébrile se termine aussi d'une manière favorable.
Cependant on est généralement trop disposé à lui prêter une chimérique
bénignité. Andral a dit : S'il est parfois des bronchites si légères qu'elles
constituent à peine un état morbide, elles sont souvent si intenses qu'elles
égalent comme danger une pneumonie aiguë, une phthisie pulmonaire,
un anévrysme du cœur. C'est qu'en effet la bronchite a parfois sa gravité
et ses périls. Sans parler des affections qu'elle provoque, de sa tendance
déplorable aux récidives et à la chronicité, on ne peut disconvenir
qu'elle est souvent fatale pour les enfants et les vieillards. En effet, le
danger de la bronchite dépend surtout de l'âge des sujets. Plus les enfants
sont jeunes, plus les bronches sont étroites, plus facilement aussi elles
peuvent s'obstruer. Chez les adultes, la bronchite ne menace presque
jamais la vie, mais chez les vieillards, elle prend rapidement un caractère
de gravité, si surtout elle s'accompagne d'un mouvement fébrile. Il est
donc nécessaire de ne pas se montrer dans tous les cas à l'égard de la
bronchite d'une trop grande sécurité.
Thérapeutique. — La bronchite légère apyrétique n'exige qu'un traite-
ment simple, elle cède à des soins hygiéniques, à des tisanes pectorales,
à quelques préparations calmantes ; mais si la bronchite s'accompagne
de fièvre, d'une toux plus ou moins vive, d'oppression, il est nécessaire
d'avoir recours à une médication active.
Antiphlogistiques. — La plupart des auteurs les recommandent; la sai-
gnée du bras est heureusement secondée par des émissions sanguines
locales (sangsues ^ ventouses scarifiées), lorsqu'il existe une douleur
BKOJNCHES. BliOINCHITE AIGUË (THERAPEUTIQUE). 577
thoracique. — Dans les cas d'intensité moyenne une application de sang-
sues à l'anus est suffisante.
Révulsifs cutanés. — Ils constituent un des agents les plus énergiques
dans le traitement de la bronchite, ils ne sont conseillés que lorsque les
phénomènes aigus étant dissipés, la dyspnée persiste ainsi que la toux el
les autres symptômes fournis par les méthodes physiques d'exploration.
Ce sont des vésicatoires placés sur la poitrine ou aux membres inférieurs,
des applications locales d'huile de croton tiglium ou de tartre stibié.
Laennec préconise les ventouses sèches ; en les laissant appliquées assez
longtemps pour que la tuméfaction qu'elles déterminent ne s'affaisse pas
trop vite, on obtient une diminution notable de l'oppression et des au-
tres symptômes nés de la congestion de la muqueuse bronchique. Les
révulsifs sont très-utiles chez le vieillard; bien des praticiens les redou-
tent pour les enfants, j'ai souvent constaté leur efficacité à cette époque
de la vie; administrés avec discernement, ils sont exempts d'incon-
vénients.
Vomitifs. — Ils sont réservés pour les bronchites qui s'accompagnent
d'un état saburral ou qui se rapprochent du catarrhe suffocant. Ils pro-
voquent l'expectoration, débarrassent les bronches des mucosités qui les
remplissent, ils activent la transpiration cutanée si utile dans le cours des
maladies aiguës de la poitrine. Le vomitif le plus habituellement employé
est le tartre stibié à la dose de cinq à quinze centigrammes. Laennec, Girard
(de Marseille) ont insisté sur cette médication. Fon-ssagrives a préconisé
la potion rasorienne dans la bronchite : lorsque cette affection, dit-il,
n'est ni très-profonde, ni très-étendue, qu'elle n'a pas élu domicile dans
un poumon d'une étoffe suspecte, elle tend d'elle-même à la guérison.
Mais quand ces conditions rassurantes n'existent pas, il faut avoir recoins
à la potion émétisée qui a le triple avantage de solliciter quelques vo-
missements toujours favorables dans ce cas, d'éteindre le travail phleg-
masique, dont la muqueuse est le siège et de prévenir le passage toujours
si regrettable de l'état aigu à l'état chronique. Pécholier, dans un travail
lu à l'Académie de médecine en 1864, sur l'action thérapeutique de
l'ipécacuanha, affirme que dans la bronchite aiguë avec fièvre, ce médi-
cament hâte la cessation de la fièvre et de la toux et avance l'époque de
la convalescence.
Les vomitifs sont en général, très-efficaces chez les enfants, souvent on
préfère pour eux l'ipécacuanha qui, répété tous les deux ou trois jours,
détermine un amendement notable. Beau a insisté d'une manière toute
spéciale sur l'utilité de la méthode vomitive dans le jeune âge. Chez
les enfants affectés de catarrhe, dit-il, il se développe après la période
d'irritation, ou de crudité des symptômes d'embarras gastrique ou in-
testinal qui sont dus à l'introduction dans le tube digestif de la matière
sécrétée par la muqueuse bronchique. Or, ces accidents ne pourraient-ils
pas être déterminés par la matière du catarrhe laryngo-bronchique? Qui
oserait nier que les fièvres typhoïdes chez les enfants, ne proviennent pas
d'une affection gastro-intestinale due primitivement à l'ingestion de la
NOUV. UICT. MÊD. ET CHIR. V. — T>7
578 BRONCHES. — bronchite capillaire (historique).
matière catarrhale? Ces matériaux ne doivent pas rester impunément
dans l'estomac et les intestins ; ils ne sont pas assimilés comme une sub-
stance alimentaire, ils peuvent irriter la muqueuse digeslive par leur
contact, ou affecter d'une manière funeste toute l'économie par leur
transport dans les vaisseaux. Les chirurgiens s'opposent à la stagnation
des liquides délétères dans les plaies. Pourquoi les médecins n'agiraient-
ils pas aussi sagement dans les limites de leurs moyens, pour expulser
les différents produits qui peuvent affecter gravement l'économie? N'ou-
blions pas que chez les enfants, les différentes sécrétions morbides sont
plus irritantes que chez l'adulte, témoins ces flux puriformes de la con-
jonctive, de la vulve, et ceux des affections impétigineuses et eczémateuses.
Purgatifs. — Ils ont été prescrits de tout temps ; ils sont indiqués sur-
tout quand il existe de la constipation ; ils n'agissent que d'une manière
indirecte sur l'affection principale. Je citerai l'huile de ricin (15 à 50
grammes), la manne (30 à 60 grammes), le calomel (1 gramme), etc.
Narcotiques. — Ils sont utiles lorsque l'inflammation offre peu d'in-
tensité ou que celle-ci a été calmée par une émission sanguine. — Parmi
les agents narcotiques je signalerai l'opium et ses alcaloïdes, la bella-
done recommandée par Laennec, le datura stramonium, l'eau de laurier-
cerise, la jusquiame. On a essayé à l'aide de fumigations de porter le nar-
cotique sur la muqueuse bronchique; ces fumigations sont faites avec des
feuilles de belladone ou de datura stramonium, elles ont souvent produit
des effets très-avantageux.
Parmi les médicaments usités dans la bronchite, je citerai les anti-
nioniaux ; en particulier, l'oxyde blanc d'antimoine (2 à 6 grammes),
le kermès (20 centigrammes à 1 gramme), quelques stimulants diffusi-
bles (le carbonate et l'acétate d'ammoniaque). Les alcooliques, véritable
remède populaire (eau-de-vie de 50 à 45 grammes dans 100 grammes
d'infusion de violettes chaude), provoquent quelquefois une sueur abon-
dante et amènent une guérison rapide; toutefois, il ne serait pas pru-
dent d'y recourir s'il y avait de la fièvre ou quelques symptômes d'irrita-
tion des organes digestifs. De pareils moyens purement empiriques, ne
doivent être conseillés qu'avec une grande circonspection.
isroiiciiite capillaire. — Définition. — La bronchite capillaire est
l'inflammation aiguë de la muqueuse qui tapisse les dernières ramifica-
tions bronchiques.
Historique. — Cette maladie était connue des auteurs anciens, mais
les dénominations diverses qu'ils lui avaient assignées, les différents points
de vue sous lesquels ils l'avaient envisagée, prouvent combien était grande
leur incertitude à son égard. Sydenham, Boerhaave et van Swieteu la
désignaient sous le nom de peripneumonia notha. Sauvages, considérant
sa fréquence dans les fièvres exanthématiques, l'appelait peripneumonia
exanthematica ou catarrhalis. Cullen la décrivait sous le litre de fausse
péripneumonie^ et J. P. Frank sous celui de catarrhus bronchiorum. C'est
Laennec qui le premier, après avoir éclairé le diagnostic de cette affection,
l'a nommée catarrhe suffocant. Andral, dans sa Clinique médicale , en a
BKOiNCHES. — bronchite capillaire (causes). 579
rapporté un exemple, et en a placé le siège dans les petites bronches. La
bronchite capillaire a été étudiée dans ces dernières années par un grand
nombre de médecins, nous citerons les noms de Fauvel, Foucart, de Mahol,
Bonamy, Marcé et Malherbe, de Hardy et Behier. La plupart des méde-
cins qui se sont occupés de la pathologie de l'enfance, Barrier, Bailly et
Legendre,Rilliet et Barthez, II. Roger, Bouchut, ont fait de cette variété
de la bronchite une étude très-attentive. Enfin, nous signalerons quelques
travaux publiés à l'étranger par Ch. Badham, Elliotson, James Copland,
Gairdner, West et Friedleben.
Causes. — La bronchite capillaire est plus fréquente dans l'enfance
et surtout dans les cinq premières années de la vie ; elle est assez com-
mune dans la vieillesse. Chez l'enfant la densité du tissu pulmonaire, les
modifications nombreuses qu'éprouve la circulation, la rapidité avec la-
quelle s'effectue l'hématose pulmonaire, la difficulté de l'expectoration,
sont autant de circonstances qui favorisent son développement et qui
augmentent sa gravité. Chez le vieillard, la fréquence des affections ca-
(arrhales, les altérations si communes des organes de la circulation,
l'abondance des matières sécrétées par les bronches expliquent la dispo-
sition à l'inflammation des petites bronches.
La plupart des auteurs admettent qu'une constitution débile, appau-
vrie, un tempérament lymphatique, sont des causes prédisposantes
non douteuses. Cependant Fauvel fait remarquer que le plus grand nom-
bre des enfants observés par lui étaient bien constitués; ils n'avaient pas
été soumis à une mauvaise hygiène.
La bronchite capillaire succède très-fréquemment à une bronchite or-
dinaire, elle résulte de l'extension de la phlegmasie. Les affections qui se
compliquent de bronchite capillaire secondaire sont, par ordre de fré-
quence, les lièvres éruptives, surtout la rougeole, la coqueluche, la fièvre
typhoïde. Elles offrent toutes une circonstance commune, le catarrhe,
et la complication est d'autant plus fréquente et facile que le catarrhe
joue un rôle important dans l'affection primitive, témoins la rougeole et
la coqueluche.
Parmi les causes déterminantes se rangent le froid, l'humidité, les
vicissitudes atmosphériques; aussi l'influence des saisons est-elle évi-
dente sur la production de cette maladie ; et règne-t-elle plus fréquem-
ment pendant l'hiver, le printemps et l'automne.
Le décubitus dorsal prolongé, surtout chez les sujets naturellement dé-
biles ou affaiblis par une longue maladie, favorise la production des lé-
sions pulmonaires décrites sous le nom A* état fœtal ou congestionne!.
La bronchite capillaire peut régner épidémiquement. Ce caractère, re-
gardé comme possible par Rilliet et Barthez, est aujourd'hui mis hors de
doute. Fauvel a publié dans sa thèse huit observations recueillies dans un
espace de temps assez court à l'hôpital des enfants. Les docteurs Mahot,
Marcé, Bonamy et Malherbe ont donné la relation de l'épidémie de bron-
chite capillaire qui a sévi à Nantes en 1840. Depuis lors, bien des méde-
cins ont signalé le caractère épidéniique de cette maladie.
580 BRONCHES. — kkonchite capillaire (symptômes).
Symptômes. — La bronchite capillaire débute de deux manières, tautùl
elle succède à une inflammation des grosses bronches et s'établit graduel-
lement, tantôt son invasion est brusque et s'annonce par des symptômes
d'une haute gravité. Ce dernier mode est le plus rare, surtout chez l'a-
dulte. Quelquefois elle apparaît dans le cours d'une lièvre éruptive, la
rougeole, par exemple, ou d'une maladie grave, la fièvre typhoïde.
Quand la bronchite capillaire succède à une bronchite des grosses
bronches, qu'elle survient sans cause déterminée, elle débute par des fris-
sons bientôt suivis d'une chaleur incommode, et la fièvre s'établit. Les
symptômes fonctionnels locaux sont les suivants : douleur tantôt bor-
née à la région sous-sternale, tantôt vague et disséminée dans toute la
poitrine, tantôt fixée au niveau des attaches du diaphragme, simulant un
point pleurétique; toux d'abord sèche, pénible, quinteuse, plus tard ac-
compagnée de crachats visqueux, transparents, ordinairement recouverts
d'une écume blanchâtre spumeuse. La poitrine conserve sa sonorité à
peu près normale. L'auscultation fait distinguer un râle sonore qui,
d'abord borné au trajet des principaux rameaux bronchiques, prend en-
suite une plus grande extension, puis il devient plus humide, et il est
remplacé par des râles sous-crépitants.
Quand la bronchite capillaire débute brusquement, les symptômes ac-
quièrent de suite toute leur violence, à cause de la gêne extrême de l'hé-
matose qu'entraîne l'envahissement subit de l'arbre bronchique dans sa
totalité. Les malades sont agités, changent à tout moment de position.
La position qu'ils prennent est variable selon leur âge et selon l'état
de leurs forces. Les enfants au-dessous de quatre ans restent couchés
sur le dos ou sur le côté. Ils ne se relèvent que lors des quintes. A
un âge plus avancé, ils évitent le décubitus dorsal, les uns ont la tête
penchée en avant comme dans l'orthopnée, les autres se couchent à
droite et à gauche; on en a vu affecter les attitudes les plus bizarres.
Les adultes ont le plus souvent la tête relevée, ceux qui sont affai-
blis conservent le décubitus latéral, la face offre l'expression d'une vive
anxiété, de la souffrance et de l'abattement, elle est rouge violacée,
les yeux sont cernés et saillants, les paupières tuméfiées, les narines
se dilatent fortement comme pour ouvrir une voie plus large à l'air
inspiré; la dyspnée est considérable, sa fréquence est en raison inverse
de l'âge; on compte chez les enfants jusqu'à quatre-vingt-quatre inspira-
tions par minutes et chez les adultes jusqu'à soixante-quatre. L'inspiration
est sifflante, courte, précipitée, elle se fait avec toutes les forces possibles :
les muscles de la face, de la poitrine, des bras, tout y concourt; on re-
marque surtout la contraction des muscles de la région sus-claviculaire, et
les mouvements de l'abdomen indiquent combien est énergique l'action
du diaphragme ; mais l'air ne pénètre pas, l'hématose est incomplète,
l'expiration un peu allongée est accompagnée de bruits trachéaux, la voix
est brève, saccadée, elle s'éteint et devient difficile La toux est fréquente,
humide, plutôt sourde que rauque ou éclatante; l'expectoration rare,
difficile au début, ne se fait en général que vers le troisième ou le qua-
IMONCIIES. — BRONCHITE CAPILLAIRE (SYMPTOMES). 581
trième jour; des quintes longues, pénibles, entraînent des crachats mu-
queux, mucoso-purulents ou spumeux; l'expectoration présente un aspect
tout particulier, quand on la reçoit dans de l'eau ; la sécrétion ca-
tarrhale des petites bronches étant moins mélangée d'air, elle est plus
lourde que l'eau, et tombe au fond de ce liquide; comme elle est très-
visqueuse, non-seulement elle conserve la forme des petites bronches,
mais encore s'attache aux crachats mêlés d'air, écumeux, qui proviennent
des grosses bronches et nagent à la surface du liquide.
La percussion fournit habituellement un son normal, quelquefois
même il est exagéré. L'auscultation fait distinguer des râles sonores
et des raies bullaires; ces derniers sont les signes stéthoscopiques les
plus constants. Le râle qui appartient plus particulièrement à la bron-
chite capillaire est le râle sous-crépitant; il se retrouve surtout à la partie
postérieure et inférieure de chaque poumon, quelquefois il est gros et
abondant; par le nombre de ses bulles et par son mélange avec le râle
ronflant, il simule un bruit que Récamier a voulu caractériser par l'ap-
pellation pittoresque de bruit de tempête. Fauvel a constaté chez les
enfants et chez les adultes une modification remarquable des râles sono-
res. C'est, tantôt un ronflement se produisant pendant l'expiration, acqué-
rant par moment les caractères d'un cri plutôt que d'un râle; tantôt un
bruit rude très-fort, une sorte de râclement existant aux deux temps et
semblant tenir à la fois du râle crépitant sec et du râle ronflant.
Dans quelques cas, on a trouvé au début un râle crépitant lin, analogue
à celui de la pneumonie; c'est lorsque la bronchite débute d'emblée par
les petites bronches. Ce râle crépitant occupe presque toute la partie pos-
térieure de la poitrine, il est bientôt remplacé par un râle sous-crépitant
que l'on pourrait bien appeler muqueux ramuscidaïre, dénomination qui
aurait l'avantage d'indiquer son siège probable. Si le râle sous-crépitant
a été précédé d'un râle muqueux gros, c'est que la phlegmasie a affecté
les grosses bronches avant les petites.
Le pouls est en général fréquent ; cette fréquence est proportionnée
à la gravité de la maladie. Plein, large et résistant au début, il présente
une accélération eu rapport avec les mouvements respiratoires, il atteint
quelquefois chez l'enfant cent vingt-quatre et cent soixante pulsations,
chez l'adulte cent trente-deux; il devient faible, dépressihle, irrégulier,
si la maladie doit se terminer d'une manière fatale.
Les voies digestives n'offrent aucun symptôme important, la soif est
vive, la déglutition souvent pénible, interrompue par la toux qu'elle
excite, l'anorexie est complète, la langue large et humide, blanche au
centre, la constipation ordinaire.
Les troubles cérébraux sont rares, l'intelligence reste presque toujours
intacte, cependant un certain nombre d'enfants sont pris vers la fin de
la maladie d'un délire nocturne ; quelquefois la mort est précédée de
convulsions générales ou partielles. Il est un symptôme d'une signiiication
pronostique plus fâcheuse, c'est une somnolence alternant avec de l'agi-
lation, elle se montre ordinairemen! vers la lin de la maladie,
582 BRONCHES. — bronchite capillaire (marche, durée).
Marche, durée, terminaison. — Si l'on considère les principaux sym-
ptômes de la bronchite capillaire, leur ordre d'apparition, on peut établir
dans la marche de cette maladie deux périodes : dans la première, la
toux est quinteuse; l'expectoration pénible, peu abondante est consti-
tuée par des mucosités filantes, mousseuses. La voix a son timbre nor-
mal, la parole est brève, saccadée, le pouls donne de cent à cent qua-
rante pulsations, la peau est sèche, brûlante, la dyspnée suit une
marche ascendante continue, le pouls et les mouvements de la respiration
s'accélèrent en même temps et le malade dont les forces ne sont pas épui-
sées lutte de toute son énergie contre les obstacles qui s'opposent à
l'accomplissement régulier de l'acte respiratoire; il contracte violemment
tous ses muscles inspirateurs pour introduire de l'air dans ses poumons
et se livre à des efforts puissants pour expectorer, mais bientôt ses
forces s'épuisent, la lutte devient impossible et il tombe en proie à une
asphyxie progressive, dont la mort sera bientôt le terme. C'est là ce qui
constitue la deuxième période dite asphyxique. Il ne faut pas croire
cependant qu'il existe une limite nette et tranchée entre ces deux pério-
des, la marche générale de la maladie est essentiellement continue. Dans
la deuxième période, tous les symptômes acquièrent une gravité extrême,
l'agitation et l'anxiété sont portées au plus haut degré, les malades
épuisés sont dans une prostration profonde, le pouls qui est très-faible
présente une fréquence extraordinaire. La respiration s'embarrasse de
plus en plus, devient stertoreuse, l'expectoration se supprime, la face
livide se couvre souvent d'une sueur abondante, toute la surface du
corps prend une teinte violacée et la température s'abaisse. Au milieu
de ces graves symptômes l'intelligence reste souvent intacte et la mort
arrive sans secousses au milieu d'une tranquillité trompeuse. Chez les
enfants, les convulsions surviennent quelquefois avant le terme fatal.
La bronchite capillaire se termine fréquemment d'une manière funeste,
surtout chez les enfants et chez les vieillards.
Quand elle guérit, des raies sonores et sibilants font place peu à peu
à des râles sous-crépitants, qui sans changer de rhythme deviennent
plus humides et finissent par disparaître de la partie supérieure à la base
de la poitrine. Les crachats diminuent de quantité sans perdre de leurs
caractères primitifs. La décroissance des phénomènes généraux se fait
aussi d'une manière régulière, c'est le mode de terminaison par résolution.
La bronchite capillaire suit quelquefois une autre marche, elle passe
à l'état chronique. Elle reste stationnaire un certain temps avec des
exacerbations et des rémissions alternatives; puis l'expression de la face
est moins anxieuse, l'expectoration plus facile, l'oppression moindre, la
fréquence du pouls et des mouvements respiratoires diminue, l'appétit
renaît et les forces se rétablissent graduellement; mais la toux et l'ex-
puition des crachats abondants persistent.
La bronchite profonde ne s'épuise pas toujours dans les rameaux
qu'elle a primitivement affectés. Elle se transporte sur de nouvelles sur-
faces, elle suit une marche ascendante et remonte vers les grosses bronches.
BRONCHES. BRONCHITE CAPILLAIRE (ANATOMIE PATHOLOGIQUE), 583
Longtemps on a cru que la bronchite passait fréquemment à l'état
de pneumonie surtout lorsqu'il s'agissait de la bronchite capillaire. Cli.
Robin (1858) a très-nettement établi les causes de l'indépendance de la
bronchite par rapport à la pneumonie. Ces deux maladies peuvent appa-
raître simultanément sous l'influence de la même cause, mais elles ne
se succèdent pas soit par extension de la phlegmasie des bronches à
une portion plus profonde de l'appareil respiratoire, soit par propagation
du parenchyme pulmonaire aux bronches. De plus, elles se comportent
dans leur marche, leurs symptômes et leurs terminaisons comme spéci-
fiquement distinctes lorsqu'elles coexistent. Les différences qui les sépa-
rent, quant à leur marche et à la rareté de leur propagation, resteraient
incompréhensibles et conserveraient quelque chose de mystérieux, si Ton
considérait l'arbre aérien comme tapissé par une membrane non inter-
rompue depuis le larynx jusqu'à l'extrémité en cul-de-sac de ses subdivi-
sions. Cli . Robin a parfaitement démontré qu'il existe entre les bronches et
le parenchyme pulmonaire, tant dans la profondeur qu'à la surface des con-
duits aériens, une différence de composition anatomique et de texture aussi
grande que celle qui sépare un conduit sécréteur glandulaire du tissu de
cette glande et dès lors n'est-il pas naturel d'admettre que les affections qui
portent sur l'une ou l'autre de ces portions de l'appareil respiratoire, dont
l'organisation diffère tant, soient très-distinctes? 0 est, dit-il, une autre
cause plus importante à prendre en considération, qui rend surtout rai-
son delà rareté de l'extension de l'inflammation des bronches jusqu'aux
poumons. Dans la bronchite, la portion du système capillaire qui est le
siège de l'inflammation appartient au système capillaire proprement dit
en général et reçoit le sang qui lui arrive des artères aortiques, géné-
rales ou à sang rouge. Dans la pneumonie, au contraire, ce sont les ca-
pillaires du système de la circulation, recevant le sang noir par l'artère
pulmonaire, qui sont le siège de l'inflammation. Cette doctrine a pour elle
la sanction que lui apportent les travaux de Le Fort sur la structure du
poumon. Elle est acceptée par Hardy et Behier. Ces différences dans la
texture des organes, dans le mode de circulation, dans l'organisation du
poumon expliquent l'indépendance de la bronchite et de la pneumonie
malgré le voisinage si immédiat des bronches et du parenchyme pul-
monaire et malgré leurs relations fonctionnelles si intimes.
Anatomie pathologique. — Altérations des bronches. — La muqueuse
bronchique est le plus souvent rouge, épaissie, rugueuse, granulée, dé-
polie. Elle offre des arborisations étendues, des plaques rouges, irrégu-
lières; elle peut être ramollie. Dans un cas, Fauvcl a constaté des ulcérations
sur la muqueuse des bronches moyennes ; ces ulcérations, au nombre de
huit ou dix, de forme irrégulière, arrondies ou ovales, à fond jaunâtre,
occupaient le lobe inférieur du poumon droit, presque toujours à l'ori-
gine d'une division bronchique centrale et de moyen calibre. Rarrier a
signalé une altération qu'il ne faudrait point prendre pour des ulcéra-
tions de la muqueuse; c'est l'agrandissement des orifices externes des
cryptes muqueux. Ces follicules, dont la fonction est surexcitée, aug-
584 BRONCHES. — bronchite capillaire (anatomie pathologique).
mentent de volume, et leur orifice, largement ouvert, peut simuler une
ulcération; ces orifices sont faciles à distinguer si l'on considère leur
forme régulière et arrondie, la présence du mucus dans leur cavité.
Les lésions que j'ai signalées (rougeur, épaississement, ramollisse-
ment, etc.) sont surtout marquées dans le larynx et la trachée. A mesure
qu'on avance vers les petites ramifications bronchiques, elles disparaissent
peu à peu, et dès les divisions du quatrième ordre la muqueuse reprend
son aspect ordinaire et sa coloration normale. Barthez et Rilliet disent que
dans la bronchite capillaire la muqueuse des petites ramifications bron-
chiques est pâle, exempte d'inflammation, d'une intégrité parfaite; il n'y
aurait, d'après ces auteurs, qu'une lésion de sécrétion. Peut-on admettre
que la membrane qui tapisse les petites bronches ait été pendant la vie
le siège d'une phlegmasie, alors même qu'après la mort il soit impos-
sible d'en trouver quelques traces? Fauvel répond affirmativement ; il
appuie son opinion sur les différences de structure que présente la mu-
queuse des voies aériennes. Si dans la trachée et les grosses bronches la
muqueuse offre bien accentués les caractères des membranes villeuses,
elle subit des modifications profondes à mesure qu'on s'approche des di-
visions les plus ténues, dételle sorte qu'en ces derniers points elle a plus
de rapport avec les séreuses qu'avec les muqueuses. Or, quand une sé-
reuse a été le siège d'une inflammation, on la trouve fréquemment re-
couverte d'une exsudation plastique plus ou moins épaisse, mais son
tissu n'a subi aucune modification sensible. Avec Hardy et Behier, je
ferai remarquer d'ailleurs que les altérations qui consistent seulement en
des changements de couleur sont susceptibles de disparaître après la mort.
Les bronches sont remplies tantôt par des mucosités purulentes,
épaisses, jaunâtres ou blanchâtres, tantôt par un liquide grisâtre. A me-
sure qu'on s'approche des ramifications les plus ténues, les matières de-
viennent moins aérées, plus jaunâtres, plus tenaces, plus visqueuses et
plus abondantes. Elles contiennent quelquefois des concrétions pseudo-
membraneuses. Ces fausses membranes sont rares; toutefois elles ont été
notées par Thomas Bartholin, signalées par Amiral, Cazeaux, Gendrin, Le-
gendre et Bailly, Hardy et Behier, et par les médecins qui ont décrit l'é-
pidémie de Nantes.
Les bronches capillaires sont-elles dilatées par suite de la phlegmasie
dont elles sont le siège? Cette dilatation est considérée comme fréquente
par Fauvel, Rilliet et Barthez, et Barrier. Quant à Lcgendre et Bailly, sans
la nier, ils pensent qu'on en admet l'existence trop facilement. Ils signa-
lent plusieurs circonstances qui peuvent rendre possible une erreur ; ils
font remarquer qu'à l'état normal les parties les plus éloignées des ra-
cines des bronches, tels que la languette du lobe supérieur gauche, le
bord postérieur des lobes inférieurs, sont parcourues parles canaux bron-
chiques, qui conservent jusqu'à la périphérie de l'organe un calibre uni-
forme, lequel, pour les enfants de deux à cinq ans, égale celui d'une
plume de corbeau. Quand le poumon est sain, l'affaissement des pa-
rois de ces canaux empêche d'en constater le volume; lorsque le tissu
I
CCS
BRONCHES. BRONCHITE CAPILLAIRE (aNATOMIE PATHOLOGIQUE ) . 585
pulmonaire a augmenté de densité, ces tuyaux restent béants. L'observa-
tour non prévenu de cette disposition prend pour une dilatation morbide
es dimensions normales qu'il ignorait. Hardy et Behier n'admettent pas
causes d'erreur; pour eux, il est hors de doute que les petites bron-
ches sont dilatées par suite d'un état phlegmasique. Cette dilatation peut
être considérable. Barthez et Rilliet ont mesuré des bronches ayant, près
de la surface pulmonaire, jusqu'à un centimètre et demi; ils ont encore
signalé la dilatation de la bronche principale de la languette qui contourne
le cœur et de celles de la partie supérieure et inférieure des poumons,
f/abondance de la sécrétion morbide, l'inflammation de la muqueuse et
l'imperméabilité des vésicules pulmonaires environnantes, telles sont,
d'après Rilliet et Barthez, les trois causes principales de la dilatation des
bronches. Laennec expliquait cette dilatation par le séjour prolongé des
mucosités purulentes. Grisolle et Fauvel admettent cette explication mé-
canique. A la présence de ces mucosités, ne faut-il pas ajouter, disent Hardy
et Behier, la pression' violente exercée par l'air extérieur dans les efforts
d'inspiration si énergiques, efforts qui, opérant sur une colonne de liquide
visqueux tout à fait impénétrable pour l'air atmosphérique, représentent
en quelque sorte la force appliquée sur un coin qu'on cherche à faire pé-
nétrer, les mucosités opaques formant le corps étranger poussé dans
toutes les divisions qu'il occupe, et où il s'accumule par l'effort inspira-
teur? William Stokes propose une autre explication de la dilatation
des bronches. Selon lui, toute inflammation d'une membrane muqueuse
produit dans le système musculaire qui lui est adjacent d'abord une
surexcitation nerveuse qui entraîne les douleurs et les spasmes, et bien-
tôt une paralysie plus ou moins marquée, et dès lors il se demande jus-
qu'à quel point la dilatation des bronches n'est pas le fait de la paralysie
consécutive des muscles de Reisseissen. « Cette opinion, ajoutent Hardy
et Behier, n'a jusqu'ici que la valeur d'une hypothèse, mais elle cadre
ingénieusement avec certains faits de pathologie et avec certaines obser-
vations thérapeutiques; elle fait comprendre l'utilité des vomitifs, des
stimulants et des toniques dans les cas de réplétion des bronches par des
mucosités' abondantes.
Altérations des poumons . — En ouvrant la poitrine, on trouve les pou-
mons volumineux distendus, comme insufflés. Cette distension tient à ce
que l'air introduit par l'inspiration dans les bronches et les vésicules n'a
pas pu être chassé par l'expiration au delà du mucus épais qui obstrue
les bronches; elle peut tenir à ce que le parenchyme pulmonaire a perdu
son élasticité normale ; elle résulte encore d'un emphysème vésiculaire
ou interlobulaire, dont Rilliet, Barthez et Fauvel, ont observé des
exemples.
Le poumon est, en outre, parsemé à sa surface et dans son épaisseur
de granulations opaques, d'un jaune grisâtre, dont le volume varie entre
celui d'un grain de millet et celui d'un grain de chènevis. Si Ton pique
ces granulations, il en sort un liquide jaunâtre, puriforme : au niveau de
la granulation saillante, on voit une dépression à laquelle aboutit près-
586 BRONCHES. — bronchite capillaire (anatomie pathologique).
que toujours une ramification bronchique pleine du même liquide. Ces
caractères empêcheront de confondre ces granulations avec les grains de
matière tuberculeuse. Considérant la friabilité du parenchyme pulmo-
naire, la teinte grisâtre qu'offre son tissu lorsqu'il est divisé, la quantilé
de liquide puriforme dont il est imprégné, on pourrait croire à l'existence
d'une hépatisation grise. Mais les éléments du tissu pulmonaire ne
sont pas confondus comme dans l'hépatisation, l'insufflation rend à ces
parties, sinon complètement, au moins à peu près, leur volume et leur
aspect naturels. Fauvel compare le poumon ainsi occupé par ces granu-
lations au foie atteint de cirrhose. Ces granulations, plus fréquentes chez
l'enfant que chez l'adulte, s'observent surtout dans la languette du lobe
supérieur gauche et au bord antérieur des poumons. Elles sont souvent
limitées à quelques cellules ou lobules ; elles se rencontrent plus habi-
tuellement à gauche qu'à droite.
Quel est le mécanisme de la formation des granulations purulentes?
Deux théories sont ici en présence.
Billiet et Barthez ont pensé que le pus est sécrété sur place dans les
vésicules enflammées, et que les granulations sont dues à la distension
des vésicules enflammées. Telle est encore l'opinion de BaillyetLegendre.
La granulation serait donc, d'après ces auteurs, le deuxième degré de
l'inflammation catarrhale des vésicules pulmonaires.
ïl est une deuxième théorie qui cherche à établir comme cause de
cette dilatation le refoulement du pus des premières bronches dans les
vésicules dilatées. Cette théorie est en germe dans l'ouvrage deBertin;
elle a été soutenue avec talent par Fauvel. Je considère, dit ce dernier,
cette lésion (granules purulents) comme résultant du passage de la
sécrétion bronchique dans un petit groupe de cellules pulmonaires di-
latées ; le mécanisme est facile à concevoir. Par un effort expirateur,
il peut arriver qu'une ou plusieurs cellules se débarrassent de l'air
qui les distendait, mais si une inspiration vigoureuse survient, alors ces
matières bronchiques, refoulées par la colonne d'air qui ne peut les
traverser facilement, avancent vers la périphérie et peuvent envahir les
cellules du poumon.
Hardy et Behier proposent de désigner cette altération sous le nom de
granules gris; et ils rattachent les granulations purulentes à deux con-
ditions : la sécrétion muco-purulento abondante des bronches d'une part,
et de l'autre la non-aération du poumon permettant son envahissement de
plus en plus profond par le muco-pus qui dilate d'abord les bronches, et
plus tard les trabécules du parenchyme lui-même. Ces granulations pour-
raient être confondues avec des tubercules, mais il est facile de les dis-
tinguer : elles se laissent aisément diviser, et il s'échappe, lors de la
section, un liquide puriforme; elles offrent à leur centre un point dé-
primé qui est l'orifice du canal bronchique s'ouvrant dans cette granu-
lation. Les tubercules, au contraire, fuient sous le tranchant du scalpel,
font saillie à la surface incisée, et contiennent dans leur centre un noyau
plein et résistai! 1.
BRONCHES. — BRONCHITE CAPILLAIRE (aNATOMIE PATHOLOGIQUE). 587
Le poumon présente une autre altération : ce sont des vacuoles, c'est-
à-dire des cavités non anfractueuses, situées à sa surface ou dans sa pro-
fondeur, communiquant avec les bronches, et contenant de l'air ou du
muco-pus, ou même ces deux éléments réunis. Elles offrent à la surface
de l'organe l'aspect de bulles s'affaissant quand on les pique. Elles va-
rient dans leurs dimensions, depuis le volume d'un pois jusqu'à celui
d'un œuf de pigeon. Leurs parois sont minces, lisses, transparentes : si
elles ne sont pas sous-pleurales, elles sont appenducs au rameau bron-
chique principal comme des grains de raisin à la grappe ; elles commu-
niquent entre elles et avec les bronches ; un stylet introduit dans les
bronches pénètre dans les vacuoles; elles sont tapissées par une mem-
brane qui se continue avec celle des bronches, et présente des vasculari-
sations très-fines.
Selon Barrier, Bailly et Legendre, cette altération constitue le troi-
sième degré de l'inflammation catarrhale des vésicules, et elle serait
formée par la fonte purulente des vésicules d'un ou de plusieurs lobules.
Ililliet et Barthez les considèrent comme le résultat d'une dilatation des
bronches ; Hardy et Behier admettent que les vacuoles constituent une
lésion de nature complexe, participant surtout de la dilatation des bron-
ches et de l'emphysème pulmonaire.
Le Fort fait de la vacuole une dilatation de la bronche intracel-
lulaire, et, à un degré plus avancé, de la bronche intra-lobulaire.
Je crois devoir consigner ici l'opinion de cet analomiste distingué, sur
le mode de développement des vacuoles : « Les vacuoles peuvent être
formées de deux manières : si la sécrétion de matière muco-purulente
continue à se faire, une nouvelle quantité tend à chaque inspiration
à pénétrer dans le lobule; lorsque toutes les cellules ont été remplies,
l'effet principal porte alors sur le tube bronchique placé au milieu de ces
cellules, et communiquant avec elles. Ses parois, refoulées excentri-
quement, arrivent au contact avec la paroi postérieure ou la plus éloi-
gnée des aréoles qui s'ouvrent directement dans son intérieur, et effacent
leur cavité en faisant refluer dans le conduit bronchique compresseur le
muco-pus contenu d'abord dans la cellule. Ce refoulement, se conti-
nuant de proche en proche, vient constituer une cavité plus souvent
lisse, quelquefois aufractueuse lorsque quelques cloisons ont résisté,
formée par cette dilatation de la bronche en vacuole. Que cette action
se continue, qu'au lieu de porter sur un lobule secondaire, elle porte sur
le lobule principal, nous aurons alors une plus large vacuole, communi-
quant directement avec une bronche d'un certain calibre, lisse, souvent
injectée, renfermant de l'air et du mucus, car la largeur de l'orifice permet
facilement à Pair et au liquide de s'y introduire en même temps, et la
vacuole sera alors constituée par la bronche intralobulaire. Lorsque cette
lésion siège à la surface, la plèvre semble recouvrir directement la cavité
anormale, c'est que la bronche interccllulaire se prolonge presque jusqu'à
la superficie, de sorte que c'est surtout sur les parties latérales que se
fait le refoulement des cellules. En outre, les cloisons qui les constituent
*»88 BRONCHES. — bronchite capillaire (anatomie pathologique).
sont si minces, que la compression entre deux verres, lors de l'étude, la
réduit en une membrane transparente et très-mince. »
La plupart des auteurs qui ont étudié la bronchite capillaire, mention-
nent parmi ses complications certaines altérations du parenchyme pul-
monaire, lesquelles sont tantôt bornées à quelques lobules isolés, tantôt
envahissent une grande étendue du poumon. Ces altérations, décrites
sous les noms de pneumonie tabulaire, tabulaire généralisée, pseudo-
lobaire, marginale, offrent des caractères distincts de ceux que présente
l'hépatisation pulmonaire, mais, en général, elles ont été attribuées à la
phlegmasie du parenchyme pulmonaire, à la pneumonie tabulaire. Voici
le tableau de cette lésion anatoinique tel que le tracent Hardy et Behier :
« Le tissu qui environne les bronches malades est à l'extérieur déprimé,
souple, tlasque et charnu; il plonge au fond de l'eau, sa couleur est d'un
rouge violacé, d'un rouge plus pâle ou d'un rouge noirâtre, selon que le
sang est en plus ou moins grande proportion. Sa surface est marbrée par
des raies blanches disposées en losange ou en carrés qui dessinent les
tabules, lesquels sont pris indépendamment les uns des autres, et peuvent
être entièrement isolés. A la loupe, le tissu de ces points est sec, coriace,
rouge ou violacé, lisse, uniforme, résistant sous le doigt, bien loin d'être
ramolli. La pression fait suinter un peu de liquide séreux, sanguinolent,
non aéré, et on distingue parfaitement la texture de l'organe et des diffé-
rentes parties qui le composent. Si on gratte sa surface, au lieu d'entraîner
une portion du parenchyme avec la matière lîbrineuse et plastique comme
dans l'hépatisation, on n'enlève que du sang en petite quantité, et le
parenchyme reste parfaitement intact.
Hardy et Behier refusent le nom de pneumonie à cet état maladif: ils
voient une plus grande analogie entre cette apparence du poumon et l'as-
pect d'un poumon comprimé par un ancien épanchement pleurétique ou
bien avec la congestion des agonisants ou des asphyxiés qu'avec l'hépati-
sation pulmonaire. Cette altération spéciale a été appelée carnification ou
état d'affaissement pulmonaire simple par Rilliet etBarthez qui la compa-
raient à un poumon comprimé par un épanchement ou bien encore au
poumon de fœtus qui n'a pas respiré ; elle a été décrite par Legendre et
Railly sous le nom d'état frétai. Cet état fœtal peut bien ressembler au pre-
mier aspect à l'hépatisation par sa couleur foncée, sa densité, son défaut de
crépitation ; projeté dans l'eau il se précipite au fond du vase, il est fa-
cile de comprendre comment on a pu se laisser imposer et prendre cette
altération pour une pneumonie mamelonnée, mais avec un examen plus
attentif l'erreur se découvre et on constate que l'état fœtal et l'hépatisa-
tion sont deux états distincts impossibles à confondre. Dans l'hépatisation
la trame cellulaire, les éléments anatomiques, artères, veines, ont dis-
paru. En outre, elle n'est pas bornée par la délimitation des lobules.
Dans l'état fœtal, les éléments du tissu pulmonaire sont distincts, on re-
trouve les divisions tabulaires, les bronches, les vaisseaux, et la lésion
est strictement limitée au lobule. Le tissu est dense et compact dans les
deux cas, mais dans le premier il est rénitent, dur au toucher, dans le
BRONCHES. HR0NCH1TE CAPILLAIRE (aNATOMIK PATHOLOGIQUE) . <r>X9
second il existe toujours un certain degré de flaccidité et de souplesse.
La friabilité est un caractère pathognomonique de la pneumonie. Dans
l'état fœtal le tissu pulmonaire offre une cohésion plus grande que dans
l'état normal, il ne se laisse que difficilement déchirer, le doigt ne le pé-
nètre qu'avec peine si on le presse. Les parties hépatisées offrent à la
loupe un aspect grenu, tandis que la surface de la section de l'état fœtal
est lisse.
Ces caractères différentiels ont une grande importance ; il en est un
décisif, c'est celui fourni par l'insufflation. A l'aide d'un souffle modéré,
on rend aux lobules atteints d'état fœtal leur volume, leur souplesse et
leur couleur rosée; il est impossible de distinguer ces lobules des lobules
sains qui les entourent. Les noyaux d'hépatisation, au contraire, n'é-
prouvent aucune modification malgré les efforts prolongés de l'insuffla-
tion, ils restent bruns, durs, pesants, friables et contrastent plus mani-
festement encore avec les lobules environnants distendus. Bouchut a
voulu diminuer la valeur de ce dernier mode d'examen, mais la discus-
sion qui a eu lieu à la Société médicale des hôpitaux en 1854, ne laisse
aucun doute sur l'utilité de ce mode d'investigation. On comprend facile-
ment, disent Hardy et Behier, comment l'insufflation rend l'apparence
normale au tissu pulmonaire revenu à l'état fœtal et ne parvient pas à ce
résultat pour l'hépatisation, puisque c'est seulement une sorte de retrait
et d'affaissement des vésicules les unes sur les autres qui constitue la pre-
mière altération sans exsudât soit à l'intérieur des vésicules, soit dans le
tissu cellulaire environnant le lobule. L'hépatisation, au contraire, est
constituée par l'épanchement en dedans des vésicules et dans le tissu in-
terlobulaire de Texsudat plastique qui agglutine les unes avec les autres
les différentes parties qui constituent le poumon ; dès lors cet organe ne
formant plus qu'une seule masse est imperméable à l'air qu'on y insuffle.
Il est encore une autre forme d'altération du parenchyme pulmonaire
que l'on rencontre dans la bronchite capillaire. Il n'y a pas seulement af-
faissement des vésicules, mais il s'y joint encore une congestion des ré-
seaux péri-vésiculaires au lieu de l'épanchement intra et extra-vésiculaiir
qui constitue l'hépatisation. Lebert a prouvé que les vésicules n'étaient
pas malades dans leur intérieur, et qu'il existait seulement une hyperé-
mie avec exsudation simplement séreuse autour des vésicules pulmo-
naires, en un mot il s'est produit en divers points une simple congestion,
qui par sa durée a entraîné autour d'elle un épanchement de sérum gra-
nuleux et sans globules distincts. Cette variété, serait selon Bailly et Le-
gendre, la seule que présentent les enfants nouveau-nés. Elle correspond
à la pneumonie lobulaire généralisée de Rilliet et Barthez, pseudo-
lobaire deBarrier. Elle a été désignée par Bailly et Legendre sous le nom
d'état fœtal congestionne!.
Ces diverses altérations pourraient être confondues avec l'hépatisa-
tion, mais dans celle-ci, le tissu pulmonaire est plus dense, plus pe-
sant, plus friable, moins souple, d'un rouge acajou, il offre par suite de
la section une surface granuleuse, peu humide, ne laissant rien suinter
590 BRONCHES. — bronchite capillaire (diagnostic).
par une pression modérée. Enfin l'insufflation ne détermine aucun chan-
gement dans l'aspect des poumons qui restent imperméables, tandis que
pratiquée sur les tissus affectés de ce genre d'altération qui complique la
bronchite capillaire, le poumon reprend ses qualités normales.
La pneumonie véritable a été quelquefois constatée chez les individus
qui avaient succombé à la bronchite capillaire. Bailly et Legendre l'ont
trouvée six fois sur vingt-neuf cas qu'ils ont examinés.
Les ganglions bronchiques sont presque toujours rouges, tuméfiés, ra-
mollis. Une fois sur huit Fauvel y a trouvé de la matière tuberculeuse;
les poumons ont été rarement le siège de cette dernière altération.
Les autres organes n'ont pas offert de lésions bien remarquables. Ce-
pendant Fauvel a souvent observé la distension sanguine des cavités
droites du cœur, du système veineux général et des ramifications de l'ar-
tère pulmonaire, la congestion de l'encéphale et de ses enveloppes, enfin
la turgescence sanguine du foie et de la rate, toutes lésions propres à la
mort par asphyxie.
En résumé, les altérations propres à la bronchite capillaire sont une
sécrétion mucoso-purulente, la présence de fausses membranes dans les
bronches, la dilatation de ces conduits, l'existence des granules qui pas-
sent ensuite à l'état de granulations purulentes, la" présence combinée de
la dilatation bronchique et de l'emphysème (vacuoles pulmonaires), alté-
rations qui, la dernière exceptée, peuvent se rencontrer avec l'état fœtal
ou la congestion lobulaire.
Diagnostic. — Le diagnostic de la bronchite capillaire s'appuie sur un
ensemble de symptômes qui lui donnent une physionomie spéciale. En
voici les principaux traits : dyspnée intense, anxiété, toux humide, vio-
lente, revenant souvent par quintes, expectoration difficile d'une matière
épaisse, non aérée, d'un blanc jaunâtre et de mucosités filantes, parfois
mousseuses et striées de sang, voix non altérée, parole brève et saccadée,
râles sous-crépitants disséminés dans toute la poitrine, etc., etc. Néan-
moins recherchons les maladies qui peuvent avoir avec elle quelque ana-
logie.
Bronchite simple. — Que l'inflammation occupe les grosses ou les
petites bronches, elle est dans ces deux cas de nature identique, elle ne
diffère que par son siège et son étendue, mais elle se traduit par des phé-
nomènes morbides distincts. L'absence de fièvre intense, de phénomènes
généraux, de gêne de la respiration, le caractère particulier de la toux,
de l'expectoration, les râles sibilants et sous-crépitants indiquent que la
phlegmasie occupe les grosses bronches.
L'auscultation est, d'après Graves, le moyen le plus sûr d'arriver au
diagnostic différentiel. Lorsque l'inflammation réside dans les grosses
bronches, les bruits perçus sont relativement peu nombreux, on en dis-
tingue rarement plus de deux ou trois sous le champ du stéthoscope. Au
contraire, si les bronches capillaires sont affectées on entend des bruits
très-nombreux, ils procèdent d'une portion restreinte du poumon, ils sont
circonscrits dans une étendue très-limitée. Rien ne sera donc plus sim-
BRONCHES. BRONCHITE CAPILLAIRE (DIAGNOSTIC) . 5'J 1
plè, dit le professeur de Dublin, que de reconnaître le siège, l'étendue de
la lésion ainsi que l'état des dernières ramifications des bronches. Faites
d'abord une exploration générale rapide en appliquant successivement le
stéthoscope sur la région supérieure moyenne et inférieure de chaque
poumon, soit en avant, soit en arrière. Si vous entendez partout quelque
bruit anormal, concluez que la bronchite est généralisée. Étudiez avec
attention les caractères des sifflements que vous percevez, si vous trouvez
que chaque portion du poumon donne lieu à un grand nombre de bruits
morbides, si vous entendez un sifflement distinct sur plusieurs points
très-rapprochés les uns des autres, vous pouvez être assuré que ces sons
proviennent d'une phlegmasie des petites bronches, car dans l'étroit
espace que recouvre le stéthoscope, les grosses bronches ne peuvent pas
être assez nombreuses pour produire des bruits aussi multipliés. Toutes
les fois donc que l'on perçoit dans une petite étendue un très-grand nom-
bre de sons distincts, on est certain que les bronches capillaires sont af-
fectées. J'ai eu souvent occasion de constater la vérité de ces notions
cliniques.
Une bronchite simple bornée aux grosses bronches peut s'accompagner
de dyspnée, c'est lorsqu'elle coïncide avec une affection du cœur, un
épanchement pleurétique, un emphysème pulmonaire, ou lorsqu'elle sévit
chez un enfant, un vieillard, un sujet affaibli et surtout lorsque les ma-
tières de l'expectoration sont abondantes et difficilement expectorées;
l'exploration de la région du cœur, la percussion et l'auscultation, l'étude
des symptômes concommittants font distinguer ces états maladifs.
Pneumonie lobaire. — Le frisson initial, la fièvre intense, la douleur
sur l'un des côtés de la poitrine, le caractère de la toux, la nature des
crachats, la matité circonscrite, le raie crépitant, le souffle tubaire sont
autant de symptômes qui affirment le diagnostic. Il est des pneumonies
qui, par le lieu qu'elles occupent, ne se dévoilent pas aux yeux de l'obser-
vateur par les symptômes que je viens d'énuinérer. Dans ces pneumonies
centrales ces symptômes font souvent défaut, mais l'hésitation ne peut
être de longue durée, une pneumonie ne reste pas latente longtemps pour
un médecin attentif, grâce aux méthodes physiques d'observation. Il est
deux circonstances à noter sous le rapport du diagnostic comparatif. La
dyspnée dans la bronchite est différente de celle que l'on observe dans
la pneumonie; dans cette dernière maladie les mouvements respiratoires
sont précipités et incomplets, la dilatation latérale du thorax est impar-
faite, quelquefois nulle, souvent même la respiration ne se fait qu'à l'aide
du diaphragme. Dans la bronchite capillaire, le développement du thorax
est complet, toutes les puissances inspiratrices sont en jeu, la dyspnée
offre la plus grande analogie avec celle des asthmatiques. En outre, la
pneumonie, type des phlegmasies, a des allures franches et rapides, elle
suit ses périodes, elle augmente, persiste, décline et marche vers une
convalescence légitime. Enfin la bronchite capillaire affecte une marche
essentiellement irrégulière, elle est exacerbante, insidieuse, elle sV
mende en un point pour reparaître en un autre.
592 BRONCHES. — bronchite capillaire (diagnostic).
Pneumonie lobulaire. — Existe-t-il quelques caractères distinctifs
entre la pneumonie lobulaire et la bronchite capillaire? Cette der-
nière affection se caractérise par une dyspnée intense, une grande
anxiété, une teinte violacée, par des symptômes qui témoignent de
l'asphyxie, par une sonorité normale à la percussion, par des râles
sous-crépitauts disséminés dans toute l'étendue de la poitrine. Dans la
pneumonie lobulaire, les symptômes de suffocation, d'asphyxie, sont
moins prononcés, il existe de la matité, et le râle sous-crépitant n'oc-
cupe qu'un espace restreint ; à mesure que la pneumonie lobulaire l'ait
des progrès, le diagnostic devient plus précis, il s'affirme par une
inatité plus considérable et par de la respiration bronchique; or
celle-ci ne se retrouve point dans la bronchite capillaire. Bouchul
établit le diagnostic différentiel de ces deux affections d'après cer-
tains troubles respiratoires qu'il désigne sous le nom de respiration
expiratrice. Il y a un intervertissement complet du rhythme des mou-
vements respiratoires ; chaque respiration commence par un mouve-
ment actif et brusque d'expiration gémissante et saccadée, suivie d'une
inspiration passive ; chaque expiration est accompagnée du resserrement
latéral de la base du thorax, de la saillie du ventre et de la dépression
du sternum et des parties latérales de la poitrine. On imite facilement
ce mode de respiration en exécutant un mouvement brusque d'expi-
ration immédiatement suivi dune inspiration; telle est la perturbation
que l'on constaterait lorsque plusieurs lobules pulmonaires sont af-
fectés. Ce mode de respiration est, il est vrai, fort remarquable, mais
il n'a peut-être pas la valeur diagnostique que lui attribue Bouchut;
il peut se rencontrer dans des maladies autres que la pneumonie lo-
bulaire.
Un œdème des poumons, qui se manifeste par une dyspnée considérable
et un râle sous-crépitant abondant, pourrait simuler la bronchite capil-
laire, mais l'œdème pulmonaire ne survient que dans des circonstances
spéciales, alors qu'il existe déjà de l'infiltration dans quelques parties du
corps ; il ne s'accompagne pas ordinairement d'un appareil fébrile, intense,
de douleur sternale; il ne détermine pas d'expectoration, ou celle qu'il
produit n'a point d'analogie avec les crachats de la bronchite capil-
laire.
Lorsqu'il est signalé par du râle sibilant, Y emphysème pulmonaire
peut être confondu avec la bronchite capillaire; mais la dyspnée plus ou
moins grande, l'absence de phénomènes fébriles, l'aspect des crachats
moins abondants et moins spumeux, la déformation du thorax, la so-
norité exagérée, la diminution du bruit respiratoire, voilà un certain
nombre de signes qui indiquent d'une manière précise la nature de la
maladie.
Phthisie aiguë. — Cette affection est d'un diagnostic diflicile. En
général, lorsque les granulations miliaires envahissent rapidement le
parenchyme pulmonaire, elles s'accompagnent presque toujours de bron-
chite capillaire. Or ces granulations n'ont par elles-mêmes aucun symp-
BUONCHES. BRONCHITE CAPILLAIRE (DIAGNOSTIC) . 595
tome propre, aussi les phénomènes d'auscultation et de percussion
sont-ils ceux de la bronchite capillaire. Il sera dès lors bien difficile de
reconnaître si cette dernière affection est simple ou subordonnée à une
éruption miliaire au sein du parenchyme pulmonaire. Les bases du dia-
gnostic seront empruntées à diverses circonstances; la bronchite capil-
laire est rare chez les sujets tuberculeux, mais on pourra, pour le dia-
gnostic, s'aider des considérations suivantes :
1° La phthisie miliaire n'est pas, en général, bornée aux poumons,
elle a envahi le plus souvent le péritoine, les intestins, d'où ballonne-
ment du ventre, diarrhée, etc.;
2° Elle se produit spécialement chez les entants débiles, dont la généa-
logie est suspecte, qui sont mal nourris, chez ceux qu'on élève au biberon ;
de là la nécessité de consulter les antécédents et les commémoratifs.
Chez l'adulte, le diagnostic est plus difficile. Fauvel, comme résultat
de ses observations, donne les deux propositions suivantes, dont j'ai plu-
sieurs fois constaté l'exactitude :
1° Lorsque la bronchite capillaire s'accompagne de râles bullaires
dont la grosseur va en diminuant de la base au sommet, elle n'est pas
symptomatique de l'existence de granulations miliaires;
2° Au contraire, dans les cas où les râles sont plus gros au sommet
que partout ailleurs, la plus grande probabilité sera pour une bronchite
symptomatique des tubercules.
Lorsque la phthisie aiguë affecte la forme catarrhale, elle se rapproche
beaucoup par ses symptômes de la bronchite capillaire. Voyons plutôt la
description qu'en a donnée Waller : la maladie débute soit par un frisson
violent, soit par une toux plus ou moins vive durant plusieurs jours, et
devenant graduellement de plus en plus fréquente. Les mouvements respi-
ratoires sont pénibles, augmentés de nombre ; la respiration est courte et
si gênée que le malade demeure dans une position assise ou inclinée en
avant. Les crachats sont abondants, la douleur qui manque rarement
n'offre rien de caractéristique. La percussion donne un son normal ou
même tympanique, la respiration est vésiculaire, rude, accompagnée des
râles du catarrhe. La face du malade est pâle, anxieuse, la peau très-
chaude,' le pouls très-accéléré, la dépression des forces considérable. En
peu de jours les accidents augmentent d'intensité, on observe de l'or-
thopnée, une pâleur des extrémités et des lèvres remplacée bientôt par une
teinte asphyxique, et le malade meurt au bout de quelques jours d'une
paralysie des poumons. Ce tableau de la phthisie aiguë ne rappelle-t-il
pas d'une manière assez exacte celui de la bronchite capillaire?
E. Leudet a tracé de la manière suivante le diagnostic différentiel de
la bronchite capillaire et de la phthisie aiguë (1851) : « Quand les phéno-
mènes de bronchite dominent seuls, le diagnostic est plus facile à établir,
et nous en donnerons pour preuve le fait suivant : c'est que la maladie a
été nettement reconnue dans tous les cas de cette espèce. Quand on
observe les malades dès le début, on remarque immédiatement une dif-
férence tranchée qui distingue la phthisie aiguë de ia bronchite capillaire ;
NOIIV. DICT. MÉD. ET CUIR. V. 38
504 BRONCHES. — broischite capillaire (pronostic, thérapeutique).
l'anxiété, la dyspnée, sont souvent fort marquées avant que l'examen
local ne lasse reconnaître les bruits anormaux ordinaires de la bronchite,
et même quand on reconnaîtrait épars dans le poumon quelques râles
sifflants et sonores, cet état local serait encore insuffisant pour rendre
compte du trouble général de la santé. L'expectoration a bien quelque
analogie, mais l'état local et l'état général ne sont pas en rapport, et les
phénomènes généraux indiquent que l'auscultation peut induire en erreur.
C'est donc l'étude isolée et comparée des dérangements fonctionnels qui
peuvent mettre le médecin sur la route du diagnostic. Quand la maladie
atteint une période plus avancée, la percussion peut encore faire soup-
çonner la maladie : en effet, la poitrine n'est pas sonore partout, mais
mate par place. Ce moyen de diagnostic ne peut pas, à beaucoup près,
être regardé comme suffisant pour arriver à la connaissance de la lésion.
Piorry reconnaît lui-même que lorsque les tubercules sont à l'état mi-
liaire et séparés par des tissus fins, le sentiment de résistance perçu au
doigt pendant la percussion est moins évident que dans les masses
tuberculeuses ordinaires, et il n'y a guère que de l'obscurité dans le son.
Dans la bronchite, on ne rencontre pas, d'ailleurs, les modifications
indiquées dans le timbre du bruit respiratoire. »
Fièvres éruptives. — Elles peuvent quelquefois, dès le début, coïncider
avec des symptômes de bronchite capillaire, mais bientôt les phénomènes
morbides qui accompagnent l'éruption se produisent. Le coryza et le lar-
moiement dans la rougeole, l'angine dans la scarlatine, la douleur lom-
baire dans la variole, enlèvent toute incertitude, et si, dans ces fièvres,
des râles sous-crépitants se perçoivent, ils sont bornés à une faible
étendue de la base des poumons.
Pronostic. — La bronchite capillaire est en général grave. Sa gra-
vité est plus grande chez l'enfant et le vieillard que chez l'adulte, dans
la forme suffocante que dans la forme congestive. Survenant dans le cours
d'une maladie sérieuse, d'une pyrexie, dune fièvre éruptive, chez un en-
fant débile, pendant une saison froide ou humide, elle est presque toujours
mortelle. Une augmentation dans la fréquence de la respiration coïncidant
avec une accélération plus grande, et la petitesse des battements du pouls,
une diminution ou une suspension brusque de l'expectoration, devront
faire pressentir une terminaison funeste. Une diminution de la fréquence
du pouls et de la respiration, une expectoration facile, une anxiété
moins grande, une teinte violacée moins forte devront être considérées
comme l'indice d'une terminaison heureuse. Lorsque la bronchite se
complique de quelque affection étrangère, le pronostic varie en raison
de la gravité de l'affection concomitante ; cependant on peut dire d'une
manière générale que toute complication, quelle qu'en soit la nature,
est une circonstance fâcheuse.
Thérapeutique. — Le traitement de la bronchite capillaire se réduit aux
quatre indications suivantes : modérer l'intensité de la phlegmasie bron-
chique, favoriser l'expulsion des produits de sécrétion, en diminuer
l'abondance, soutenir les forces du malade.
BRONCHES. — bronchite cai'illaihe (thérapeutique) . 595
Antiphlogistiques. — Ils ne doivent être employés qu'avec une grande-
réserve ; le pouls n'est pas développé comme dans une maladie fran-
chement inflammatoire, il est simplement accéléré; cette fréquence du
pouls n'est pas en raison de l'intensité de la phlegmasie, mais bien
de la gène de la respiration. Àndral a signalé l'inutilité et même les
mauvais effets de la saignée du bras, qu'il accuse de déprimer les
forces, et par là même d'augmenter l'asphyxie. Grisolle exprime une
opinion semblable. Fauvel conseille la saignée au début de la maladie
et lorsque l'âge le permet, mais il faut, dit-il, chez les enfants, chez les
vieillards et chez les sujets affaiblis, être sobre de pertes de sang qui
épuiseraient rapidement les forces. Les médecins de Nantes consta-
tèrent que les émissions sanguines produisaient un effet avantageux dans
la bronchite capillaire simple; elles n'obtinrent qu'une amélioration
momentanée dans la bronchite capillaire suffocante; elles étaient formel-
lement contre-indiquées lorsque cette bronchite capillaire venait se
greffer sur une fièvre éruptive. L'état des forces, la période de la maladie,
son caractère primitif ou secondaire, voilà les points qu'il faut examiner
sérieusement avant de conseiller des émissions sanguines.
VomUifs. —Ils forment la base du traitement de la bronchite capillaire.
C'est la médication par excellence. Ils conviennent dans presque tous
les cas et réussissent souvent seuls. Laennec, Andral, Grisolle, Trousseau,
préconisent l'emploi de l'émétique. Les uns l'emploient concurrem-
ment avec la saignée, les autres l'administrent à haute dose. Fônssa-
grives le conseille à dose élevée; mais une condition de succès, dit il,
est que le médicament soit donné dans la période de réaction. Si on
attend que la peau soit refroidie, que les mains soient devenues violacées,
les lèvres bleuâtres, on ajoutera aux dangers de l'asphyxie ceux d une
dépression vasculaire et nerveuse redoutable; on fera plus de mal que
de bien. Il importe donc de saisir l'opportunité. J1ai souvent employé
l'émétique à dose rasorienne, et j'en ai constaté l'efficacité. Michel Lévy
l'a administré seul à dose nauséeuse, 5 à 10 centigrammes, concurren-
ment avec l'alimentation, malgré la vivacité du mouvement fébrile. Il
s'est basé sur ce fait que la fréquence du pouls dépend plutôt de l'accu-
mulation des mucosités dans les bronches que de l'inflammation de ces
canaux. Sous l'influence de cette médication, dit M. Lévy, la gêne de la
respiration diminue d'une manière notable, les râles sonores, sibilants
ou sous crépitants deviennent plus gros, plus humides, la toux est moins
sèche, l'expectoration plus visqueuse, plus abondante, le pouls perd de
sa fréquence ; en un mot, tous les phénomènes qui révèlent une bron-
chite profonde subissent une rémission notable. Chez les enfants, les vo-
mitifs présentent peut-être plus d'avantages que chez les adultes. Par les
efforts qu'ils provoquent, ils favorisent le mouvement des mucosités dans
l'arbre bronchique, les font cheminer des petites ramifications dans les
grosses et facilitent leur expulsion; par les secousses que ces efforts im-
priment aux organes pectoraux, le poumon éprouve des alternatives de
compression et de dilatation brusques, l'air circulant avec plus de force
596 BRONCHES. — bronchite capillaire (thérapeutique).
dans ses conduits, pénètre dans des tuyaux obstrués par des mucosités,
peut même dilater des lobules qui commençaient à s'affaisser et à pren-
dre les caractères de l'état fœtal. A la stimulation passagère que provo-
que le vomitif succède presque toujours un temps de repos, une période
de calme, de sédation dans laquelle les malades soulagés respirent plus
librement: la peau devient moins chaude, le mouvement fébrile se mo-
dère, et Tentant peut se livrer à un sommeil réparateur. Chez les jeunes
sujets, l'ipécacuanba (0,50 à 1,0) doit être préféré : son action est plus
sûre, plus prompte, il est sans inconvénients pour la muqueuse intesti-
nale. Chez les adultes, on associe le tartre stibié et l'ipécacuanba, et
cette association est souvent heureuse.
Expectorants. — Ils ont pour but de débarrasser les bronches des mu-
cosités qui les remplissent. J'ai souvent administré le kermès à la dose
de 10 à 80 centigrammes; ce médicament m'a paru rendre l'expectora-
tion facile. Dans le catarrhe suffocant, les préparations kermétisées ne pa-
raissent pas exercer une action contro-slimulante notable sur la muqueuse
bronchique enflammée, elles ne modifient nullement la sécrétion bron-
chique dans sa nature et surtout dans sa densité ; elles exercent une in-
fluence avantageuse dans la bronchite capillaire simple. Parmi les ex-
pectorants, je mentionnerai encore la gomme ammoniaque, l'acétate
d'ammoniaque, qui sont en même temps stimulants diffusibles, l'oxymel
scillitique, le polygala, etc.
On cherchera à tarir la source des sécrétions morbides en donnant des
décoctions de bourgeons de sapin, de baies de genièvre, du sirop de gou-
dron, de térébenthine, etc.
Les révulsifs cutanés sur les parois de la poitrine ou sur les membres
inférieurs ont souvent diminué la gène de la respiration. Toutefois, les
praticiens ne sont pas d'accord sur ce point de thérapeutique. Foucart,
dans un mémoire couronné en 1859 par la Faculté de médecine de Paris,
avait noté l'inefficacité des vésicatoires dans la bronchite capillaire. Je
crois cependant qu'ils peuvent être utiles, ils achèvent avec succès l'œuvre
des antiphlogistiques et des vomitifs, ils triomphent de la ténacité de la
maladie et préviennent le passage à l'élat chronique.
Il peut arriver que des mucosités abondantes, accumulées dans la par-
tie supérieure des voies aériennes, déterminent un râle trachéal intense,
des accès de suffocation, l'asphyxie, en un mot un état de mort appa-
rente; Valleix propose de pratiquer l'insufflation, d'extraire les muco-
sités qui obstruent le larynx, de provoquer par les titillations de la
glotte des mouvements d'expulsion. Dans ce but il introduit le petit
doigt dans la bouche en suivant la face supérieure de la langue ; il arrive
au niveau de l'isthme du gosier et pénètre, derrière l'épiglotte, sur l'ou-
verture du larynx. A l'instant surviennent des efforts de toux et de vo-
missement ; les mucosités sont expulsées du conduit aérien, on en retire
une partie avec le doigt, il en sort aussi entre les lèvres sous forme de
mousse à grosses bulles. Après cette extraction, l'individu est fort agité
pendant un moment; il paraît suffoqué et la face s'injecte fortement,
BRONCHES. — bronchite chronique (définition', causes, symptômes). 597
mais le calme ne tarde pas à renaître, jusqu'à ce que de nouveaux avant-
coureurs d'asphyxie viennent réclamer derechef cette petite opération.
Enfin il importe de soutenir les forces du malade, dès que la prostration
devient imminente. Cette indication est surtout impérieuse chez les en-
fants et chez les vieillards. Elle est remplie par les préparations de quin-
quina, des tisanes toniques et expectorantes, et une alimentation suffi-
samment réparatrice.
Broiiciiiio ciaroMïqtie. — Définition. — La bronchite chronique
est l'inflammation de la muqueuse des bronches dont la marche est lente
et dont la durée dépasse quarante jours.
Elle était connue des anciens sous les noms de toux chronique, catar-
rhus, catarrhe muqueux, pituiteux, etc. Sauvages distinguait le rhume
(rheuma), le catarrhe, et l'anaeatharsis divisée en bilieuse, phthisique,
produite par une vomique, puriforme et asthmatique. Laennec a admis
des catarrhes chroniques muqueux, pituiteux, latent, enfin un catarrhe
sec extrêmement commun à l'état chronique.
Causes. — La bronchite chronique, rare dans l'enfance, est commune
dans la vieillesse, elle s'observe plus spécialement chez les sujets d'une
constitution molle, d'un tempérament lymphatique, elle est souvent la
conséquence de bronchites aiguës réitérées, elle a pour causes plusieurs des
circonstances qui déterminent la bronchite aiguë, c'est-à-dire les chan-
gements brusques de température, un refroidissement, l'introduction
dans les voies aériennes de poussières et de vapeurs irritantes, la sup-
pression d'une hémorrhagic, d'un écoulement muqueux habituel ; elle est
favorisée dans son développement et entretenue par une angine granu-
leuse chronique, une tuberculisation pulmonaire; elle peut accompagner
une lésion organique du cœur, une gène de la circulation pulmo-cardiaque,
une altération du sang, elle peut coïncider ou alterner avec une maladie
diathésique (rhumatisme, goutte, syphilis) ou une affection cutanée chro-
nique.
Symptômes. — La bronchite chronique se montre, quelquefois dès le
début, avec tous ses caractères de chronicité; plus souvent elle succède à
une bronchite aiguë, alors la fièvre se dissipe, la toux et l'expectoration
diminuent, mais le moindre exercice, l'action de parler ou de marcher,
la plus légère cause suffisent pour provoquer le retour de la toux. Cette
alternative d'augmentation et de diminution dans l'intensité des sym-
ptômes est l'un des caractères de cette période de transition de l'état
aigu à l'état chronique.
Le plus souvent il n'existe point de douleur thoracique : quand elle se
fait sentir, elle occupe l'épigastre, le sternum, la région inter-scapulaire,
elle consiste en un sentiment de gène, de pesanteur, de constriction ; elle
devient vive, déchirante s'il se manifeste une recrudescence.
La toux ne manque jamais ; tantôt qninteuse, pénible, fatigante, tan-
tôt grasse, facile, elle est ordinairement plus fréquente le matin et le
soir.
598 BRONCHES. — bronchite chronique (symptômes).
L'expectoration est un symptôme prédominant de la bronchite chro-
nique ; elle est habituellement formée de crachats abondants, opaques
grisâtres ou jaune verdàtre, tantôt pelotonnés, mamelonnés, tantôt apla-
tis, nummulaires, à bords ronds ou déchiquetés. Ils sont quelquefois
mêlés à une certaine quantité de liquide blanchâtre semblable à de la sa-
live plus ou moins aérée. Dans la bronchite désignée par Laennec sous le
nom de catarrhe muqueux, les crachats sont jaunes, grisâtres, opaques,
cohérents, puriformes. Dans le catarrhe pituiteux, ils sont séreux, trans-
parents, spumeux à leur surface, semblables à du blanc d'œuf délayé dans
de l'eau ou à de l'eau de savon épaisse. Dans le catarrhe sec, ils sont pe-
tits, perlés, globuleux, ils ont la consistance de l'empois.
Bamberger a déterminé la proportion des éléments inorganiques conte-
nus dans les matières expectorées pendant le cours de diverses affections de
l'appareil respiratoire. Ces éléments constituent à ses yeux le squelette chi-
mique des crachats. Voici le résultat de l'analyse qu'il a faite. Dans la bron-
chite chronique, les crachats contiennent pour 1 00 parties : eau, 95,022 ;
substances organiques, 5,705; sels minéraux, 0,675. — 100 parties
des éléments inorganiques sont représentées par : chlorure de sodium,
67,176; phosphate dépotasse, 25,414; sulfate de potasse, 2,709; car-
bonate de potasse, 2,055 ; phosphate de chaux, 2,457 ; phosphate
d'oxyde de fer, 0,095; phosphate de magnésie, des traces; carbonate
et sulfate de chaux et de magnésie, 0,475 ; acide silicique, 1,056;
perte, 0,605.
Il est certaines bronchites dans lesquelles les excrétions fournies par la
muqueuse des voies respiratoires offrent de la fétidité. Le professeur Lay-
cock, d'Edimbourg, a constaté par l'analyse chimique, que cette fétidité
comme gangreneuse des matières expectorées était due à la présence de
l'acide butyrique. Il est important de connaître cette circonstance pour
ne pas confondre la bronchite à sécrétion iétide avec la gangrène pulmo-
naire. Laycock attribue ces bronchites avec altération du produit de sécré-
tion à une perversion du système nerveux du genre de celles reconnues
par Cl. Bernard, dans ses recherches physiologiques sur l'apparition
du sucre dans le sang après la lésion du plancher du quatrième ven-
tricule.
La dyspnée est en général peu considérable; toutefois, si un mucus
épais s'accumule en certaine quantité dans les bronches, et forme par sa
présence un obstacle au passage de l'air, la respiration devient pénible,
précipitée; il survient même de l'orthopnée. Tous les auteurs n'attri-
buent pas au mifleus seul la dyspnée intermittente qui simule l'aspect de
l'asthme, il en est qui la rattachent à une congestion subite de la mu-
queuse bronchique ou à une névrose de l'appareil respiratoire.
La conformation de la poitrine a été étudiée avec soin par Niemeyer
dans la bronchite chronique : « Par suite de la dyspnée persistante e!
des efforts continus et exagérés des muscles inspirateurs, ces derniers
s'hypertrophient. Cette hypertrophie est le plus fortement prononcée dans
les muscles sterno-cleido-mastoïdiens et dans les scalènes qui font de
BRONCHES. BRONCHITE CHRONIQUE (MARCHE, DURÉE, TERMINAISON). .r»(,)9
fortes saillies au cou. De même que tous les muscles hypertrophiés, les
muscles inspirateurs sont constamment dans un état de contraction
modérée. Tout comme on reconnaît facilement un serrurier, un forgeron,
à l'état de flexion légère et permanente des bras, même au repos, de
même, dans le catarrhe chronique, le thorax est continuellement dans la
position qu'il a au moment de l'inspiration. Le cou en apparence court,
la poitrine bombée, se rencontrent ici, sans que l'emphysème com-
plique le catarrhe chronique des bronches. Pendant les exacerbations
violentes et de longue durée, les veines jugulaires des malades sont sou-
vent extrêmement distendues, la cyanose se produit, et, dans beaucoup
de cas, on voit même se développer une hydropisie assez considérable.
Comme l'engorgement des veines jugulaires, la cyanose et l 'hydropisie
disparaissent avec la rémission du catarrhe lui-même, et non d'une com-
plication intercurrente. »
La percussion ne révèle aucun signe important. L'auscultation fait en-
tendre à !a partie postérieure et inférieure de la poitrine, des deux cotés,
des raies tantôt secs (sibilants et ronflants), tantôt humides (sous-crépi-
tants etmuqueux). D'après Laennec, dans certains catarrhes chroniques
le bruit respiratoire acquiert le. caractère puéril. Dans le catarrhe pitui-
feux, on distingue un mélange de râles sonores, sibilants et ronflants,
qui imitent le bruit d'une corde de violoncelle ou le chant de la tourte-
relle, quelquefois des raies sous-crépitants. Dans le catarrhe sec, le râle
sibilant prédomine. Laennec a constaté dans cette variété un cliquetis
analogue à celui d'une petite soupape; ce bruit est rare; il ne se perçoit
(pie dans les inspirations profondes, avant ou après la toux ; il serait dû
au mouvement d'un crachat perlé, qui serait déplacé par le passage de
l'air.
Les symptômes généraux sont peu prononcés. La bronchite chro-
nique n'éveille presque aucune sympathie; elle ne s'accompagne pas de
fièvre, ni de troubles graves du côté des fonctions digestives et, assimi-
latrices. Toutefois, si la sécrétion bronchique est considérable, si un
mouvement fébrile se manifeste, il peut survenir de l'amaigrissement,
une dépression notable des forces, la perte de l'appétit et du sommeil,
en un mot des symptômes de fièvre hectique.
Marche, durée, terminaison. — La marche de la bronchite chronique
n'a rien de fixe : tantôt eile persiste d'une manière continue, tantôt elle
offre des exacerbations, surtout aux approches de l'hiver et lors des
temps humides ; elle cesse avec les chaleurs de l'été pour reparaître
dans des conditions atmosphériques contraires. Sa durée est indéter-
minée.
Souvent la bronchite persiste bien des années sans exercer une in-
fluence fâcheuse sur la santé générale. Il n'en est pas toujours ainsi.
Lorsqu'elle se répète fréquemment, non-seulement elle produit des alté-
rations plus ou moins profondes de la muqueuse des voies aériennes, mais
encore elle entraîne d'autres conséquences non moins graves. L'inflam-
mation peut se propager aux extrémités des canalicules bronchiques ;
600 BRONCHES. — bronchite chronique (marche, durée, terminaison).
rien n'est pins commun que de voir le vieillard et l'entant succomber
à des bronchites capillaires dont le point de départ avait été une phleg-
masie chronique des grosses bronches. D'autres fois la bronchite chro-
nique amène comme conséquences la dilatation ou le rétrécissement
des bronches, l'emphysème pulmonaire, l'asthme, et diverses lésions
organiques du cœur. L'influence de la bronchite sur la production de
l'emphysème et des altérations cardiaques, reconnue par Laennec, a
été surtout étudiée par Louis, Beau, Valleix, Gallard, Gairdner, Graves,
Gouraud, etc.
La bronchite chronique peut-elle déterminer la formation des tuber-
cules, ou bien ceux-ci se développent-ils indépendamment de la phleg-
masie chronique des bronches? La première opinion fut soutenue par
Baglivi, Stoll, Pringle, Avenbrugger, Corvisart, Broussais. La seconde fut
exprimée par Bayle, Laennec; elle est défendue, de nos jours, par Louis.
« Des 80 malades., dit-il, qui avaient pu me rendre compte des affections
qu'ils avaient éprouvées antérieurement au début de la phthisie, 25 seu-
lement étaient fort sujets au catarrhe pulmonaire ; 50, ou les deux tiers
environ, en étaient rarement atteints. Que conclure, sinon que la phthisie
se développe indifféremment chez les personnes sujettes au catarrhe pul-
monaire et chez celles qui n'y sont pas exposées ; que, par conséquent,
ou ne saurait considérer la phthisie comme une des suites de cette ma-
ladie, qu'il n'existe pas entre elles une relation évidente. »
Àndral ne nie pas l'influence des phlegmasies des bronches sur la pro-
duction des tubercules. Il pense que Broussais a été trop loin en affirmant
que ces phlegmasies les engendraient toujours. Dans un autre passage, il
ajoute : Pour qu'une inflammation de la muqueuse aérienne soit suivie
de la production de tubercules, il faut nécessairement admettre une pré-
disposition. Telle est l'opinion à laquelle se range la majorité des auteurs,
entre autres Bouillaud, Chomel, Piorry, Grisolle. Graves fait remarquer
que des diverses formes de bronchite qui s'accompagnent de tuberculi-
sation, c'est surtout l'inflammation scroiuleuse de la muqueuse bron-
chique.
L'expression populaire de rhume négligé semblerait militer en faveur
de l'antériorité de la bronchite dans le plus grand nombre des cas. Mais
la bronchite qui conduit aux tubercules ou plutôt qui éveille une prédis-
position tuberculeuse latente, n'est pas la phlegmasie des grosses bron-
ches, mais bien la bronchite capillaire. L'observation démontre, dit
J. Cruveilhier, que la phlegmasie catarrhale des grosses bronches peu!
persister de longues années sans amener la tuberculisation ; ce qui a fait
lire que le catarrhe pulmonaire était en quelque sorte un préservatif
outre la tuberculisation. Si la phthisie était la conséquence fréquente
le la bronchite chronique, elle devrait être l'un des apanages ordinaires
le la vieillesse, tandis qu'elle est l'un des plus cruels attributs de l'âge
adulte.
Une inflammation chronique des bronches ne sera donc, eu général,
suivie de tubercules pulmonaires que si elle est accompagnée de circon-
BRONCHES. BRONCHITE CHRONIQUE (DIAGNOSTIC). 601
stances générales on diathésiques qui en favorisent le développement;
et Laennec a en raison de comparer les bronches on les poumons en-
flammés à une terre qui, labourée après un long repos, fait germer une
multitude de graines qu'elle renfermait dans son sein depuis plusieurs
années.
La mort peut arriver brusquement dans la bronchite chronique. Cette
terminaison rapide est due à une véritable asphyxie, laquelle résulle le
plus souvent d'une impuissance des bronches à expulser les mucosités qui
les obsl ruent. Cette impuissance, Stokes l'attribue à la paralysie de l'ap-
pareil musculaire des bronches. D'après l'auteur anglais, cette théorie
expliquerait les succès cpie l'on obtient par les stimulants pectoraux dans
la dernière période dc^ bronchites chroniques, et le danger de continuer
les antiphlogistiques qui ne peuvent que favoriser la stagnation des mu-
cosités dans les conduits de la respiration.
Anatomie pathologique. — Quand l'inflammation des bronches est
passée à l'état chronique, la membrane muqueuse offre une teinte livide
violacée, ardoisée, uniforme ou irrégulièrement disposée par plaques.
La muqueuse est granulée, quelquefois ramollie. C'est à tort qu'on a
mentionné comme fréquentes les ulcérations dans la bronchite chronique ;
en dehors des tubercules, elles n'existent qu'à titre d'exception. — Une
altération plus constante, c'est l'épaississement des parois qui peut tenir
à une hyperémie de la membrane muqueuse, à l'hypertrophie de son
tissu, ou bien encore à l'induration de la couche musculcuse des liss; s
cellulaire et fibreux sous-jacents.
En même temps que ces tissus s'épaississent, l'élasticité de la muqueuse
et de la couche fibreuse longitudinale disparait, les muscles des bronches
perdent la faculté de se contracter. Comme conséquence du relâche-
ment des parois bronchiques, il survient une dilatation diffuse des bron-
ches. — L'épithélium normal manque dans la plupart des bronchites
chroniques; la muqueuse peut être couverte d'une couche abondante
d'une sécrétion jaune puriforme au lieu d'un mucus visqueux, glaireux, à
moitié transparent.
Diagnostic. — Le diagnostic de la bronchite chronique est en général
assez simple : toux habituelle, expectoration abondante de crachats mu-
queux, épais, jauncs-verdàtres, respiration le plus souvent facile, sono-
rité à la percussion, raies sous-crépitants et muqueux à la base de la
poitrine, etc., tels sont les principaux signes qui la caractérisent.
La bronchite chronique ne sera jamais confondue avec la pneumonie
chronique; elle ne présente aucun des symptômes qui accompagnent l'in-
flammation chronique du parenchyme pulmonaire, c'est-à-dire matité,
respiration bronchique, mouvement fébrile, dépérissement, etc.
Elle se distingue facilement de la pleurésie chronique. Presqu'aucun
des symptômes de cette dernière affection (matité circonscrite sur un des
côtés de la poitrine, absence du bruit respiratoire, égophonie, souille
tubaire, dyspnée, toux sèche) ne se retrouve dans l'inflammation chro-
nique des bronches.
602 BRONCHES. — bronchite chronique (diagnostic).
La bronchite chronique, avec expectoration abondante, épaisse, puri-
forme, pourrait elle eu imposer pour une phthisie pulmonaire? Exami-
nons les différences qui séparent ces deux maladies dans leurs symptômes
locaux et généraux :
La douleur est rare dans la bronchite, elle occupe l'épigastre, le ster-
num ; elle donne une sensation de chaleur ou de constriction. Elle est
très-commune dans la phthisie; elle existe principalement sous les clavi-
cules, sur les parties latérales du thorax, entre les épaules; elle est spon-
tanée ou provo |uée par la pression, et simule une névralgie intercostale
ou un point pi curé tique.
La toux débute dans la première période de la phthisie, sans cause ap-
préciable, au milieu des apparences de la sanlé; elle persiste, petite et
sèche, souvent un ou deux mois. Dans la bronchite chronique, elle est
quinteuse et toujours humide.
L'expectoration fournit des signes d'une certaine importance. De la
matière tuberculeuse dans les crachats, tel serait le véritable symptôme
pathognomonique de la phthisie. Très-difficilement on l'y reconnaît,
parce qu'elle est ordinairement ramollie et combinée à des mucosités
abondantes, et qu'elle n'entre que pour une faible partie dans la com-
position des crachats. Laennec dit bien avoir constaté, dans un cra-
chat, la présence de la matière tuberculeuse à laquelle adhérait un frag-
ment de tissu pulmonaire ; ce caractère manque le plus souvent ; on est
alors obligé d'en rechercher d'autres.
La présence du pus a été longtemps considérée comme un signe pa-
thognomonique de l'affection tuberculeuse. Comment reconnaître sa
présence dans la matière expectorée? On a dit que les crachats mis dans
l'eau se séparent en deux couches, dont l'une surnage, c'est du mucus,
et l'autre tombe au fond du vase, c'est du pus. Mais ce résultat n'est
ni constant ni décisif. Darwin avait affirmé que traité par l'acide sulfu-
rique, le pus forme un sédiment grisâtre toujours reconnaissable. Amiral
a répété cette expérience sans obtenir le même résultat. Donné a constaté
que soumis à l'action de l'ammoniaque, les crachats contenant du
mucus deviennent visqueux, tandis que ceux formés par du pus se chan-
gent en une gelée consistante. Je ferai remarquer que la présence du
pus dans les crachats n'est pas un signe pathognomonique de l'existence
des tubercules, puisque des crachats analogues se retrouvent dans la
bronchite chronique. Kuhn prétend avoir trouvé dans les crachats de la
phthisie des fils hyaloïdes et de petites granulations de détritus du tuber-
cule. Lebert déclare qu'il n'y a dans les matières expectorées des phthi-
siques aucun signe microscopique qui les distingue des crachats fournis
par la muqueuse bronchique enflammée. Toutefois, ayant analysé les
fluides des cavernes, il a constaté des globules de pus, des pyoïdes,
des globules tuberculeux, des fibres pulmonaires et beaucoup de frag-
ments de fausses membranes. La plupart de ces produits ne se trouvant
qu'en très-faible quantité dans les crachats, il faut en conclure qu'ils
se dissolvent ou se détruisent dans les bronches, et que celles-ci four-
BRONCHES. — BRONCHITE CHRONIQUE (DIAGNOSTIC) . 605
nissent la plupart dos éléments qu'on trouve clans les matières expec-
torées par les phthisiques.
Scbrôder van dcr Kolk a indiqué un moyen de distinguer les crachats
de la phthisie de ceux de la bronchite chronique. Le professeur d'Utrecht
a ohservé au microscope, dans les crachats des phthisiques, des fibres par-
ticulières constantes qu'il a reconnues pour être des fibres élastiques
entourant les cellules pulmonaires. Ces fibres avaient bien été entrevues
par Simon, Vogo!, fbilkmann et Lebert, mais elles avaient peu fixé leur
attention. D'après Schrôdér van der Kolk, elles se retrouvent dans l'ex-
pectoration de tous les phthisiques, quelle que soit l'époque de la mala-
die. C'est surtout quand la caverne est à son début que les fibres sont
plus abondantes, elles en sont le signe le plus certain; plus la caverne
se creuse, moins les fibres deviennent apparentes.
Le caractère que signale Schrôdér van der Kolk aurait donc l'immense
avantage de fournir des indices certains quand la plupart des autres
symptômes font encore défaut. Pour découvrir les fibres caractéristiques
de la phthisie, on place sur le porte-objet du microscope mie petite por-
tion de la partie blanche et opaque des crachats, on les recouvre d'une
lame de mica très-mince ou de verre, on comprime et on expose d'abord
à un grossissement de deux cents fois: quand on a découvert les fibres,
on les expose à un grossissement de quatre à cinq cents fois, atin de bien
étudier leur direction et leur composition. Ces fibres ont une direction ar-
quée très-caractéristique, sont très-minces et à bords un peu aigus, dont
l'un est plus obscur que l'autre. Elles se présentent ordinairement eu
faisceaux. Elles sont parfois épaissies par de la graisse qui s'accumule
sur elles, l'éther dissout celle graisse et les fibres reprennent leur aspect
primitif. Quand on examine les produits de l'expectoration, il faut bien
prendre garde aux corps étrangers qui s'y trouvent très-souvent mélangés;
une conferve s'y développe en très-peu de temps et pourrait être prise
pour des fibres élastiques, mais on la reconnaît assez facilement à ses
ramifications terminées par des -cellules renflées. Elle se développe sur-
tout dans les crachats qui contiennent de la graisse.
Schùtzenberger arrive à ces conclusions : Au début de la phthisie, l'ex-
pectoration est analogue à celle de la bronchite chronique; l'examen di-
rect, le microscope ne révèlent aucune différence sensible. Quand les tu-
bercules commencent à se ramollir, ou bien ont subi un certain degré de
ramollissement, l'aspect extérieur des crachats ne diffère point encore de
ceux de la bronchite chronique, mais à l'examen microscopique on trouve,
à coté des jeunes cellules des différentes phases de leur évolution grais-
seuse, des libres de tissu élastique. Ces fibres, tantôt assez longues, pré-
sentent leur forme normale, tantôt au contraire, elles sont courtes et for-
mées par de simples débris. Le nombre plus ou moins considérable de
ces éléments annonce l'étendue plus ou moins grande du ramollissement.
La présence de ces fibres dans l'expectoration a donc une véritable im-
portance diagnostique, elle permet d'aflirmer l'existence d'une affection
tuberculeuse dans sa deuxième période. Toutes les parties de l'expectora-
604 BRONCHES. — bronchite chronique (diagnostic).
tion ne contiennent pas de fibres élastiques, ajoute Schùtzenberger ; pour
faciliter leur recherche, voici le procédé qu'il faut suivre : On prend une
certaine quantité de la matière expectorée qu'on mélange a de l'eau dans
un flacon. On a soin d'agiter la masse de manière à désagréger les cra-
chats; les parties les plus denses qui, sous la forme de filaments, gagnent
le fond de l'eau, sont celles qui contiennent la plus forte proportion d'é-
léments élastiques. Quand le ramollissement tuberculeux est plus étendu,
les crachats contiennent de petits grumeaux. Ceux-ci, d'un blanc mat,
jaunâtres, ont un volume qui varie d'un grain de millet à celui d'un
pois. Placés dans l'eau, ils se déposent au bas du liquide, ils se rattachent
à l'expulsion d'une certaine quantité de matière tuberculeuse.
D'après Andral, la matière tuberculeuse ramollie pourrait apparaître
sous forme de stries jaunâtres, l'examen microscopique démontre que ces
stries ne sont formées que de graisse, de pus et de jeunes cellules. Les
expériences chimiques entreprises pour établir la nature tuberculeuse
des grumeaux et des stries ont été complètement insuffisantes. A la der-
nière période de la phthisie la forme des crachats, leur coloration, la
présence du pus attestée par l'examen microscopique et les réactions
chimiques, indiquent bien la présence des cavernes, mais à l'aide de ces
caractères, on ne peut pas acquérir de certitude diagnostique absolue,
puisque l'expectoration offre des qualités analogues dans la bronchite
chronique.
L'hémoptysie, assez commune dans la phthisie, n'a pas lieu dans la
bronchite chronique.
La conformation extérieure de la poitrine ne subit point de change-
ment dans la bronchite chronique. Il n'en est pas de même dans la
phthisie pulmonaire. Hirtz et Woillez ont signalé l'étroitessc du thorax
dans cette dernière maladie. J'ai voulu déterminer d'une manière exacte,
à l'aide de la mensuration, le rapport qui peut exister entre les dimen-
sions de la poitrine et la marche de la tuberculisation pulmonaire. Afin
de donner à cette étude séméiotique une base solide, j'ai d'abord établi
1rs dimensions de la poitrine chez les individus qui n'avaient aucun in-
dice d'affection pulmonaire; c'était un terme de comparaison indispen-
sable. Puis je les ai constatées chez quatre-vingts phthisiques. Voici le
résumé des recherches que j'ai présentées à l'Académie de médecine dans
sa séance du 23 septembre 1 86c2 :
1° La poitrine chez les phthisiques offre une circonférence moindre
que chez les individus dont les poumons sont exempts de tubercules ,
2° Cette diminution dans la largeur de la poitrine, appréciable dès le
début de la tuberculisation, augmente avec les progrès de la maladie.
Elle peut atteindre à la deuxième période : 10 centimètres pour la cir-
conférence supérieure, 8 pour la circonférence mammaire, et 6 pour
l'inférieure;
5° La circonférence supérieure du thorax présente, à très-peu d'excep-
tions près, à toutes les périodes de l'affection tuberculeuse, une étendue
plus grande que les circonférences mammaire et inférieure;
BRONCHES. BRONCHITE CUROMQUE (THÉRAPEUTIQUE). 605
4° Si la circonférence supérieure se maintient plus évasée, c'est celle
cependant qui tend le plus à se rétrécir. Ainsi, la circonférence supé-
rieure diminue de 7 à 9 centimètres dans la deuxième période, tandis
<jue l'inférieure n'offre qu'une diminution de 5 à 7 centimètres;
5° L'intervalle qui sépare les deux mamelons chez l'homme donne une
idée exacte des dimensions du thorax. Il représente le quart de la cir-
conférence mammaire. Chez l'adulte, il mesure 20 centimètres à l'état
normal, 19 centimètres à la première période de la phthisie, 17 centi-
mètres à la deuxième période.
Donc la mensuration de l'espace intermammaire mérite l'attention du
praticien, et doit entrer comme élément important pour établir le dia-
gnostic différentiel de la bronchite chronique et de la phlhisie pulmonaire.
Les tubercules ayant leur siège au sommet du poumon, c'est dans les
régions sous-claviculaires, dans les fosses sus et sous-épineuses que se
trouvent la matité, les craquements et les râles, indices de la lésion tuber-
culeuse. Dans la bronchite chronique, les signes fournis par la percus-
sion et l'auscultation sont principalement constatés à la base de la
poitrine.
Les phénomènes généraux ont la plus grande valeur : la lièvre hecti-
que avec redoublement le soir et sueur la nuit, l'amaigrissement progres-
sif, la pâleur, la faiblesse générale, sont des symptômes à peu près con-
stants de révolution tuberculeuse; ils ne se rencontrent pas dans la bron-
chite chronique.
11 résulte de la comparaison qui vient d'être établie, que la bronchite
chronique, soit par ses symptômes locaux, soit principalement par
l'état général du sujet, se distingue nettement de la phthisie pulmo-
naire.
Pronostic. — La bronchite chronique qui pourrait être considérée
comme une infirmité sénile, semble quelquefois compatible avec une
certaine forme de santé; toutefois, elle peut devenir une cause d'in-
commodité ou de maladies, parce qu'elle a une tendance indéfinie à s'ac-
croître avec le temps, parce qu'elle est sujette à des paroxysmes plus ou
moins fréquents, parce qu'elle est le point de départ d'accès de dyspnée,
enfin parce qu'elle crée pour l'individu qui en est atteint une condition
spéciale eu vertu de laquelle il est plus apte à contracter des phlegmasies
aiguës de l'appareil respiratoire.
Thérapeutique. — Émissions sanguines. — Elles ne sont que rarement
indiquées; en général peu efficaces, elles affaiblissent les malades, favo-
risent les sécrétions morbides et l'engouement des bronches. Si cependant
le sujet est assez vigoureux, d'un âge peu avancé, et s'il se manifeste
quelque douleur persistante dans un des côtés de la poitrine, des sangsues
ou mieux des ventouses scarifiées deviennent utiles.
Les révulsifs cutanés sont souvent avantageux, ils consistent en des
frictions sèches aromatiques sur le thorax, des emplâtres rubéfiants ou
même vésicants (poix de Bourgogne, vésicatoires), des frictions avec
l'huile de croton tiglium ou la pommade émétisée.
606 BRONCHES. — bronchite chronique (thérapeutique).
Narcotiques. — Entre tous les remèdes employés contre la toux, il
n'eu est pas de plus universel, ni de plus efficace que l'opium. Il est
essentiellement palliatif de la bronchite chronique, il parvient souvent «à
la guérir en supprimant les éléments qui la constituent. Il convient
moins aux personnes sanguines, pléthoriques; il est plus avantageux aux
personnes d'un tempérament nerveux et lymphatique. Il produit de bons
effets chez les enfants, mais son emploi réclame beaucoup de prudence
et de ménagements. Il en est de même pour les vieillards. 11 est indiqué
lorsque la fièvre est nulle ou légère, la toux quinteuse, la respiration libre.
fl est contre-indiqué lorsqu'il existe de l'oppression, des crachats abon-
dants et visqueux, alors il aggrave les symptômes en supposant à
l'expulsion des crachats. Parmi les préparations d'opium, je citerai
X* extrait aqueux ou gommeilx, l'un des plus usités et des plus utiles; la
morphine, la codéine, l'action de celle-ci est plus faible; enfin, la nar-
céine, qui a été récemment employée avec quelque succès.
Les autres sédatifs du système nerveux mis en usage contre la bron-
chite chronique, sont : la belladone, la jusquiame, le datura stramo-
nium, la ciguë, Yaconït, etc., etc.
Le Phellandrium aquaticum, qui avait été vanté en Allemagne par
Herz et llufeland comme un spécifique de la phthisie pulmonaire, a été
préconisé par Michéa dans la bronchite chronique. Les semences de celte
plante calment la toux, diminuent ou font cesser l'oppression, faci-
litent l'expectoration; elles paraissent exercer une influence favorable
sur les organes de la respiration.
Le tartre stibié a été souvent conseillé dans la bronchite chronique.
Laennec le donnait à la dose de 5 à 10 centigrammes tous les deux ou
trois jours. Bernardeau (de Tours) se contentait également de doses très-
faibles (tartre stibié, 0gr,05 centigrammes; extrait de réglisse, 6 grammes,
en 25 pilules : trois par jour, jamais au delà de six). Thompson ad-
ministrait 5, 10, 15 centigrammes toutes les deux ou trois heures,
suivant les circonstances.
A la clinique interne de l'hôpital Saint-André (de Bordeaux), le tartre
stibié a été fréquemment employé à haute dose dans la bronchite chro-
nique, et ses effets thérapeutiques ont été l'objet d'une étude toute par-
ticulière. Déjà, dans le service clinique de mon père, j'en avais appréei
les résultats, et j'avais cherché à en déterminer l'action. Plus tard, charg
de ce service, j'ai continué cette expérimentation, et j'en ai suivi le
effets avec un grand intérêt.
J'ai recueilli quarante-un faits (59 hommes, c2 femmes) de bronchite
traitée par cette méthode dont l'importance et l'utilité pratique m'aulo-
risenl à entrer dans quelques détails :
8 malades avaient de , . v20 à ~»0 ans,
14 — — de. 30 à 40 ans.
6 — — de •. 40 à .")') ans,
t(» — de 50 à 60 ans.
2 — — de 60 à 70 ans.
1 — — de 70 à 80 ans.
IHiONCHtëS. — BRONCHITE CHRONIQUE (THÉRAPEUTIQUE) . fit»?
Ces cas de bronchite ont donc été plus communs chez les individus qui
avaient moins de cinquante ans, que chez ceux qui avaient dépassé cet
âge; ils ont été plus fréquents de vingt à trente ans que de soixante à
quatre-vingts ans.
La plupart des malades avaient des professions qui les exposaient aux
vicissitudes atmosphériques, et les obligeaient à des travaux pénibles.
Ainsi, il y avait 16 terrassiers, T> charpentiers, 2 scieurs de long et 2 por-
tefaix.
Presque tous avaient été atteints d'affections diverses avant leur entrée
à l'hôpital ; quelques-uns avaient eu des lièvres intermittentes, d'autres
une pleurésie, une pneumonie ou une hémoptysie. En général, ils avaient
été déjà atteints de bronchite, soit aiguë, soit chronique, dette maladie
remontait à un an, trois ans, quatre ans, cinq ans, six ans, sept ans,
onze ans et quinze ans : une fois elle existait depuis l'enfance.
La dernière attaque, celle pour laquelle les malades venaient à l'hôpi-
tal, datait 18 fois, de 2 mois; 7 fois, de 5 mois; 3 fois, de \ mois; au-
tant de 5 et 6 mois ; 1 fois d'un an ; 2 fois de 5 ans.
Chez un grand nombre, la bronchite s'était renouvelée avec une grande
facilité. C'est ordinairement en hiver que cette phlegmasie récidive :
toutefois les malades ont été ainsi distribués : il y en a eu 8 en hiver,
12 au printemps, 14 en été, et 7 en automne.
Chez tous, on observait une toux fréquente, opiniâtre, qui souvent
s'exaspérait la nuit, et déterminait, par son intensité, des vomissements,
des douleurs dans quelques points du thorax ou de l'abdomen.
L'expectoration était très-abondante; plusieurs fois les crachats, au
début, avaient été teints de sang; dans les autres cas, ils avaient été
d'abord aqueux, muqueux; ils avaient pris ensuite de la consistance,
et étaient devenus épais, jaunâtres, et d'aspect purulent. J'insiste sur
ces caractères, parce qu'ils méritent de fixer l'attention. La quantité de
l'expectoration était considérable. Tous les matins, de larges surfaces
étaient recouvertes de ces crachats, que l'on eut dit provenir de vastes
cavernes pulmonaires.
En général, la respiration n'était pas gênée; il n'y eut d'oppression
que chez peu d'individus.
Le thorax, percuté, offrait de la sonorité dans presque toute son éten-
due ; cependant quelques points circonscrits présentaient de la matité,
soit d'un côté, soit de l'autre; parfois, vis-à-vis de l'angle inférieur du
scapuluni; plusieurs autres fois, sous l'une des clavicules.
Le murmure respiratoire s'entendait assez bien dans toute la poitrine,
surtout en avant et sous les clavicules; il était plus faible sur les cotes,
Quelques râles se firent distinguer, plus souvent le muqueux que le sibi-
lant; parfois des craquements aux fosses sus et sous-épineuses. 11 y avait
une bronchophonie bien manifeste.
Les battements du cœur étaient réguliers, le pouls était plus ou moins
fréquent; il y a eu, néanmoins, des exacerbations prononcées et même;
des accès fébriles, qui disparurent sans le secours du sulfate de quinine;
608 BRONCHES. — - bronchite chronique (thérapeutique).
mais cette fréquence du pouls était bien différente de celle qui a lieu dans
la phthisie pulmonaire; elle n'augmentait pas le soir, il n'y avait pas de
sueur la nuit.
Les voies digestives n'ont présenté que de faibles ou passagères alté-
rations.
Plusieurs moyens avaient été employés sans succès. La saignée,
les ventouses scarifiées, les vésicatoires aux membres inférieurs et
sur la poitrine, les emplâtres stibiés, les cautères, le kermès, l'oxyde
blanc d'antimoine, l'opium, à doses diverses, l'oxymel scillitique, etc.,
n'avaient changé en rien l'état des malades.
Le tartre stibié fut donné aux doses de 30, 40, 50 et 60 centigrammes,
avec 5 ou 4 centigrammes d'opium ou sans opium. Quatre malades en
prirent en tout moins d'un gramme; huit, de 1 à 2 grammes; six, de
2 à 5 grammes; quatre, de 5 à 6 grammes: trois, de 7 à 8 grammes;
un, plus de 8 grammes; deux, plus de 9, et un en prit 10 grammes et
19 centigrammes.
Ce traitement stibié dura chez neuf malades, moins de 5 jours; chez
treize, de 5 à 10 jours; chez neuf, de 10 à 15 jours; chez quatre, de 15
à 20 jours; chez trois, de c20 à 25 jours, et chez trois encore, de 25 à
7)0 jours.
Les effets obtenus furent assez prompts ; la toux céda la première. Ce
changement s'est effectué chez treize malades dès le deuxième jour; chez
dix, le troisième ; chez huit, le quatrième; chez six, le sixième; chez
quatre, du huitième au douzième jour.
La diminution de l'expectoration s'est montrée en mémo temps, mais
les crachats n'ont cessé de présenter l'aspect purulent que quelques jours
après. Cette transformation s'est opérée 11 fois avant le quatrième jour ;
21 fois du cinquième au dixième jour; 8 fois du onzième au trentième
jour. On peut donc dire que ces changements ont été assez facilement
obtenus le plus généralement heureux et exempts d'inconvénients.
Chez un seul, sur 41 malades, le tartre stibié n'a apporté aucune
modification, soit dans la toux, soit dans les crachats.
Le pouls, qui était en général calme et peu fréquent, a conservé le
même caractère chez 52 malades; 5 fois il a été sensiblement ralenti, et
4 fois accéléré.
Les effets sensibles du tartre stibié sur les organes digestifs ont été
peu considérables et par cela môme fort remarquables.
La tolérance s'est établie d'emblée chez 11 malades ; elle ne s'est main-
tenue que 8 fois. L'intolérance a persisté pendant toute la durée du trai-
tement stibié, chez 5 malades.
Les vomissements ou les selles liquides ont ordinairement cessé dès le
deuxième ou le troisième jour; alors le tartre stibié était supporté avec la
plus grande facilité, les fonctions digestives n'étaient nullement trou-
blées; les malades ont pu prendre de la soupe, du riz au lait, du pain,
et même, dans les derniers temps de l'emploi prolongé du tartre stibié,
ils ont pris la demi- portion et l'ont très-bien digérée.
BRONCHES. — BROKCiiiTE chronique (thérapeutique). 609
11 est survenu des indices d'irritation à l'entrée des voies digestives. 11
y a eu de la rougeur dans le pharynx chez un malade, éruption pustu-
leuse chez quelques autres. Ces affections ont cessé rapidement.
Après les résultats qui viennent d'être indiqués et qui remontent déjà
à plusieurs années, le tartre stibié a été employé maintes fois à la clinique
interne de Bordeaux, dans les cas spéciaux de bronchite opiniâtre, avec
expectoration très-abondante et purilbrmc, exempte d'irritation vive des
voies respiratoires.
Schùtzenberger a insisté sur l'utilité des expectorants ; il a cherché à
en expliquer l'action. Deux circonstances, selon lui, réclament cette
médication : 1° l'accumulation des mucosités dans les bronches par dé-
faut d'expectoration ; 2° une sécrétion très-abondante qui verse incessam-
ment des fluides dans les voies aériennes, les obstrue et rend l'asphyxie
imminente. L'expectoration a longtemps été considérée comme le résultat
d'un acte de compression purement mécanique qu'éprouvent les pou-
mons par le resserrement du thorax, ayant pour effet l'entraînement des
crachats par le courant de l'air, lors des efforts de la toux. Ces actes, dit
le professeur de Strasbourg, concourent bien à l'expulsion des liquides
arrivés dans la trachée, le larynx ou les grosses bronches ; mais com-
ment la toux peut-elle débarrasser les ramifications bronchiques les plus
déliées, celles qui avoisinentles vésicules pulmonaires? Les canaux aériens
ne sont pas des tubes inertes, ils sont doués d'élasticité et jouissent
d'une certaine contractilité. Or, quand l'expectoration est diflicile ou
impossible, il surgit une indication rationnelle, celle de provoquer, d'ex-
citer la contraction des canaux dont le concours est nécessaire à l'expul-
sion des liquides. Cette indication est remplie par les expectorants; en
tète se placent les antimoniaux, en particulier le tartre stibié, dont il
vient d'être fait mention, mais qui, comme simple expectorant, s'admi-
nistre à la dose de 1 à 5 centigrammes dans une potion ou en pilules;
le kermès minéral qu'on donne à la dose de 5 à 50 centigrammes ; Y oxyde
blanc d'antimoine, à celle de 1 à 4 grammes.
Le polygala de Virginie est donné à la dose de 2 à 10 grammes dans
un litre d'eau pour tisane, et dans 150 grammes pour une potion.
La (jomme ammoniaque fait la base des bols de Galien (styrax, galba-
num, gomme ammoniaque, castoréum, opium), des pilules dites balsa-
miques de Morton (gomme ammoniaque, benjoin, safran, baume de Tolu,
soufre anisc). Elle est conseillée par Van deu Corput sous la forme sui-
vante : extrait de scille, 5 à 8 centigrammes ; gomme ammoniaque,
10 centigrammes; chlorhydrate de morphine, 5 milligrammes ; pour une
pilule, on en donne de 2 à 4 par jour. La gomme ammoniaque, associée
à l'ipécacuanha, est encore utile dans la bronchite chronique quand la
sécrétion est visqueuse et l'expectoration diflicile.
Delvaux donne, dans la bronchite chronique, le chlorhydrate d'ammo-
niaque à la dose de 1 à 5 grammes par jour; il en résulte, dit-il, ordi-
nairement une forte transpiration, des urines abondantes, un mouvement
fébrile momentané ; puis la dyspnée diminue, la toux devient moins pé-
NOUV. DICT. MÉD. ET CHIB. V. 50
610 BRONCHES. — bronchite chronique (thérapeutique).
nible, l'expectoration plus facile et moins abondante. Saucerotte (de Lu-
néville) a fait usage de ce médicament avec succès; il apporte cependant
à son emploi quelques restrictions. Il l'a vu déterminer parfois une
hémoptysie, et il considère comme contre-indication formelle l'état fé-
brile ou une certaine activité dans les organes centraux de la circu-
lation.
Les excitants balsamiques sont administrés avec avantage dans la
bronchite chronique, mais tout phénomène inflammatoire doit être com-
plètement dissipé. Au premier rang se place la térébenthine. Elle est
donnée surtout chez les vieillards affectés de bronchite mucoso-puru-
lente, sans toux notable, sans symptôme d'irritation. Elle est suspendue
dans une émulsion d'amandes, à la dose de 2 à 16 grammes pour
250 grammes de véhicule, ou dissimulée dans des capsules gélatineuses.
Le professeur Trousseau lui accorde une valeur thérapeutique importante.
C'est en bains et en inhalations que Chevandier (de Die) l'emploie dans
le catarrhe pulmonaire. Il a imaginé pour cet usage un appareil spécial
décrit à l'article Bains (voy. t. IV, p. 489).
Veau de goudron est une des boissons les plus recommandées dans les
flux muqueux et muco-purulents, dans les phlegmasies chroniques de la
membrane trachéo-bronchique. Elle est conseillée par Laennec comme
boisson habituelle (goudron, 1,000 grammes; eau, 10 litres. Faites ma-
cérer dix jours, décanter, filtrer, à prendre par tasses, coupée avec du
lait). Comparant l'action de la créosote et du goudron dans les affec-
tions chroniques de la poitrine, Pétrequin a constaté, à la suite d'expéri-
mentations cliniques multipliées, que le goudron produisait des effets
plus avantageux. Sales-Girons a vivement préconisé les fumigations de
goudron contre la bronchite. Emollientes et toniques, ces vapeurs de-
viennent un topique spécifique ; c'est le baume sur la plaie.
L'infusion de bourgeons de sapin, les baumes de Tolu, du Pérou, de
la Mecque, le benjoin, sont des agents utiles de la médication balsa-
mique.
L'influence salutaire du baume de copahu dans la blennorrhagie a
donné l'idée de l'employer dans la bronchite chronique avec expectora-
tion abondante et puriforme. Halle, Armstrong, Ribes, Delpech, Laroche,
lui ont dû de belles guérisons. Bretonneau fit disparaître une bronchite
chronique très-intense à l'aide du baume de copahu administré en la-
vement. Comment agit ce médicament? Est-ce en modifiant par une
propriété spécifique la vitalité des membranes muqueuses, ou bien en
déterminant une action stimulante sur l'intestin? En un mot, est-il spé-
cifique ou révulsif? Ce n'est pas ici le lieu de reproduire les discussions
soulevées à cet égard depuis longtemps.
Astringents. — Ils sont administrés dans le but de donner du ton à la
membrane muqueuse relâchée et d'arrêter une sécrétion trop abondante.
Le tannin, le cachou, la ratanhia, la monésia, Y acétate de plomb, rem-
plissent ces indications.
Headlam Greenhow recommande la teinture (ïécorce de mélèze contre
BRONCHES. — bronchite chronique (thérapeutique). Gil
l'hypersécrétion bronchique. Il prescrit cette teinture à la dose de 20 à
30 gouttes dans une potion composée de teinture de gentiane, d'acide
chlorhydrique et d'eau ; il y ajoute, suivant les indications, du vin
d'ipécacuanha, de la teinture de jusquiamc ou de la teinture de camphre
composée.
L'éther acétique est peu employé. Turnbull l'ayant prescrit dans plu-
sieurs cas de bronchite chronique, à la dose de 20 à 40 gouttes par jour,
affirme qu'il exerce une action prompte et efficace sur la muqueuse des
voies aériennes, il calme l'irritation de cette membrane, en diminue les
sécrétions trop abondantes. Je l'ai quelquefois conseillé, et il m'a paru,
dans plusieurs circonstances, mériter les éloges qui lui ont été décernés
par le médecin de Liverpool.
Laborde a étudié l'action du chlorate de potasse dans la bronchite aiguë
et chronique. D'un certain nombre de faits cliniques, il conclut que ce
médicament, à la dose de 10 grammes dans une assez grande quantité
de véhicule, exerce une action modificatrice incontestable sur la mu-
queuse bronchique enflammée. Cette action se manifeste par les effets
suivants : modification rapide de l'expectoration, qui devient d'abord plus
liquide, plus diluée, perd ensuite de son abondance et enfin se supprime
complètement; diminution presque immédiate des bruits morbides,
amendement de la toux, excitation particulière de l'appétit.
La notion des bons effets de Y arsenic contre les affections pulmonaires
chroniques remonte à l'antiquité la plus reculée, puisque Dioscoride le
donnait à l'intérieur contre la toux invétérée. De nos jours, ce médica-
ment, entre les mains de médecins qui le manient à la fois avec hardiesse
et avec prudence, a donné d'excellents résultats. Il est indiqué lorsque
la bronchite chronique coïncide ou alterne avec des éruptions cutanées
chroniques; ces deux affections étant une double expression de l'état
constitutionnel désigné sous le nom de diathèse herpétique. C'est Trous-
seau qui a vulgarisé cette médication. L'arsenic à l'intérieur et en fumi-
gations, sous forme de cigarettes, produit souvent d'excellents résultats
(voy. Arsenic, t. III, p. 120).
Graves regarde le mercure comme un agent très-efficace dans quel-
ques formes de bronchite, toutefois il ne faudrait pas en conseiller l'usage
dans tous les cas indistinctement. On ne sait pas assez peut-être, dit ce
professeur, que les mercuriaux peuvent amender et même guérir les
phlegmasies chroniques des bronches, entre autres les catarrhes anciens
compliqués de symptômes asthmatiques.
Le soufre et surtout ses préparations sont fréquemment mis en usage
dans la bronchite chronique, et ils rendent des services incontestables.
Le soufre pris à l'intérieur est éliminé par les reins sous forme de sul-
fate, parla peau et les muqueuses sous forme d'hydrogène sulfuré, c'est
ainsi qu'on a expliqué les effets qu'il produit dans les phlegmasies chro-
niques des bronches. Hoffmann avait l'habitude d'ajouter du soufre à ses
prescriptions toutes les fois qu'il avait à combattre la toux chez des
sujets affaiblis. Graves affirme que le soufre à la dose de 0,s'50 à 0gr,60
612 BRONCHES. — bronchite chronique (thérapeutique).
répétée trois ou quatre fois par jour est un des meilleurs agents thérapeu-
tiques contre les toux rebelles compliquées d'hypersécrétion bronchique.
La médication sulfureuse est une de celles que les praticiens conseillent le
plus fréquemment, et qui dans les phlegmasies chroniques des bronches
compte le plus de succès, toutefois il importe de ne l'employer que lors-
que tout phénomène phlegmasique est dissipé, et d'en mesurer la dose
avec un grand soin.
Eaux minérales. — Celles qui ont pour base le soufre sont en général
douées d'une grande efficacité contre la bronchite chronique. Elles ont,
pour but de combattre un catarrhe habituel et persistant ou d'empêcher
la tendance aux récidives. Je mentionnerai les eaux de Bonnes, de Cau-
terets, de Labasserre, d'Enghien, du Vernet, d'Amélie (Pyrénées-Orien-
tales), d'Aix (Savoie), de Pierrefonds, d'Aix-la-Chapelle, qui me paraissent
plus spécialement indiquées. Les eaux du Mont-Dore, d'Ems, ont été sou-
vent utiles dans des circonstances analogues. (Voy. les articles consacrés
à ces diverses stations thermales.)
Les fumigations sont souvent utiles dans la bronchite chronique. On
peut se passer d'un appareil particulier. Il suffît pour cela de maintenir
les parties malades exposées au-dessus de la substance qui laisse dégager
la vapeur. Les appareils de Mulki et de Traube usités en Allemagne, l'ap-
pareil deMandl, de Mayer, l'aspirateur hygiénique de Baillemont seront
décrits à l'article Fumigation.
Toulmouche (de Rennes) a employé des fumigatious de chlore, il con-
clut de ses observations que le chlore ainsi administré dans la bronchite
chronique abrège beaucoup la durée de cette maladie.
Rouxeau a été conduit par le hasard à user des inhalations d'éther.
Evidemment, dit-il, les vapeurs d'éther doivent se rapprocher de tous
les médicaments introduits sous forme de gaz dans les voies respira-
toires modifiées pathologiquement. Leur action n'est point différente
quant au fond de celle des vapeurs de benjoin, d'arsenic, de goudron,
de chlore, d'ammoniaque. Moins insupportables, moins violentes, plus
maniables que ces dernières, elles sont plus efficaces, plus profondé-
ment modificatrices, bien que plus fugaces. Cette action lui semble de-
voir être comparée à celle du nitrate d'argent dans les phlegmasies ou les
catarrhes des muqueuses. Les vapeurs d'éther peuvent au moyen de fortes
inspirations envahir jusqu'aux dernières divisions des bronches. Leur ex-
trême volatilité est, d'un autre côté, une sûre garantie contre une action
trop profonde et trop prolongée.
Pulvérisation. — C'est à Sales-Girons que revient l'honneur d'avoir
constitué cette méthode et de l'avoir vulgarisée. Les substances employées
sous forme de liquide pulvérisé dans la bronchite chronique sont l'eau
sulfureuse, le goudron, les solutions d'iode, de chlore, de tannin, de
perchlorure de fer. Souvent ce mode d'administration a obtenu d'excel-
lents résultats. Toutefois, je ferai remarquer (pie si quelques méde-
cins, comme O'IIcnry père, Demarquay, Moura-Bourouillou, Tavernier,
admettent la pénétration des poussières liquides jusque dans les princi-
BRONCHES. — bronchite chronique (thérapeutique). 613
pales ramifications bronchiques, Briau, de Pietra-Santa, Delore, Fournie,
la contestent dune manière absolue. {Voy. Pulvérisation.)
Injections dans les bronches. — Ce fut en 1816 que Charles Bell, le
premier, cautérisa la glotte avec succès au moyen d'une solution concen-
trée de nitrate d'argent. En 1818, Bretonneau appliquait aux maladies
du larynx cette médication topique, que Trousseau a plus tard préconisée
avec un grand talent. Mais Horace Creen (de New-York), avec plus d'au-
dace probablement que de bonheur, a voulu généraliser à toute l'éten-
due des voies aériennes cette application de la méthode substitutive. Il a
injecté, du moins le croit-il, une solution de nitrate d'argent dans la tra-
chée, les bronches et même les cavernes pulmonaires. L'appareil de
Grcen consiste en un cathéter ordinaire de gomme élastique flexible
et une petite seringue de verre ou d'argent. La sonde de gomme élas-
tique a environ 52 centimètres, et comme la distance des dents inci-
sives à la bifurcation des bronches est, chez l'adulte, d'environ 24 centi-
mètres, si le cathéter est introduit jusqu'à ce qu'il n'en reste plus que
6 centimètres environ hors de la bouche, son extrémité inférieure, pourvu
qu'elle ait pénétré dans la trachée, parvient nécessairement à Tune ou
l'autre de ses divisions. Green prépare ses malades en introduisant pen-
dant une ou deux semaines la sonde de gomme élastique à l'entrée de la
glotte, jusqu'à ce que la sensibilité du larynx soit de beaucoup diminuée.
Alors, courbant légèrement cette sonde, il la plonge dans l'eau froide, ce qui
la durcit momentanément et rend inutile l'emploi d'un mandrin; la tète
du malade est maintenue renversée en arrière; il abaisse la langue et porte
l'extrémité courbée de l'instrument sur la face laryngienne de l'épiglotte ;
puis, la glissant rapidement à travers la glotte, il la pousse jusqu'à la
bifurcation trachéale ou au delà, s'il est nécessaire. Le malade doit con-
tinuer à respirer; l'intromission de la sonde est plus facile pendant l'in-
spiration. La canule de la seringue est alors portée dans l'ouverture de la
sonde, et l'on pousse l'injection. Ce dernier temps de l'opération doit
s'effectuer aussi vite que possible, car le spasme de la glotte est immi-
nent. En effet, si la sensibilité de l'ouverture de la glotte n'a pas été cal-
mée déjà, par des injections de nitrate d'argent, ou si le tube touche rude-
ment les lèvres de la glotte, il se produit inévitablement un spasme qui
s'oppose d'une manière absolue à la suite de l'opération. L'épiglotte qui
est presque insensible sert de guide pour l'introduction de la sonde. La
force de la solution injectée est de 6 à 15 décigrammes par 50 grammes
d'eau. On peut successivement élever la dose
Dans les cas de bronchite, d'asthme et de tubercules, l'injection faite
une ou deux fois par semaine, diminue presque infailliblement, assure
Green, la toux et l'expectoration, notamment dans les deux premières
de ces maladies; beaucoup de malades ont guéri par ce traitement local,
après que tous les autres moyens avaient échoué. Les applications de la
sonde doivent être continuées dans l'intervalle des injections.
Hugues Bennett (d'Edimbourg) annonce avoir publiquement introduit
une sonde dans le conduit trachéal chez sept malades. Cinq des sujets
614 BRONCHES. — bronchite chronique (thérapeutique).
étaient phthisiques à divers degrés, .un était atteint de laryngite chroni-
que avec bronchite et un de bronchite chronique avec accès *ô° asthme.
Chez la plupart, l'opération a été exécutée assez facilement; chez quel-
ques-uns, cependant, il ne fut pas possible de pratiquer le cathétérisme,
tantôt l'épiglotte ne pouvait être convenablement découverte, tantôt
l'isthme du gosier était trop irritable, ou bien encore, la pression de la
spatule produisait trop de toux et d'irritation. Le sujet affecté d'asthme a
subi onze fois le cathétérisme trachéal avec injection au moyen d'une se-
ringue de verre de 8 grammes d'une solution caustique contenant 2 gram-
mes de nitrate d'argent par 50 grammes d'eau. Ce traitement a amené la
suppression momentanée de l'expectoration, calmé la toux et éloigné
les accès d'asthme. Au moment de l'injection, la malade (femme de vingt-
quatre ans) accusait un agréable sentiment de chaleur dans la poitrine. Grie-
singer rapporte l'observation détaillée d'un individu âgé de vingt-cinq ans,
atteint de bronchite chronique avec dilatation assez uniforme des grosses
bronches particulièrement développées dans le lobe inférieur droit avec
induration des tissus voisins et hypersécrétion de la muqueuse. Après
avoir employé inutilement un certain nombre de remèdes, Griesinger se
décida à essayer le traitement de Bennett. Yoici comment il procéda :
Du 10 au 22 février 1845, il introduisit deux fois par jour une éponge
fixée au bout d'une baleine, d'abord sur l'épiglotte, puis à travers la
glotte. Le 8 mars, il y poussa une sonde élastique, et tous les jours plus
profondément. Le 19 mars, la sonde pouvait être introduite très-libre-
ment. L'expérience avec la flamme d'une bougie prouva que l'opération
avait réussi, et il injecta successivement une solution de nitrate d'ar-
gent (1,0 pour eau 50,0), de plomb et de sulfate de fer. On n'a pas fait
connaître le résultat de cette médication.
Ce mode de traitement suscita en Amérique des débats passionnés, et
une vive critique de la part des écrivains.
L'Académie de médecine de New-York, après une discussion sérieuse,
adopta les conclusions suivantes d'un rapport que lui avait soumis une com-
mission nommée dans le but de contrôler les expériences d'Horace Green :
1° le cathétérisme des voies aériennes remonte au temps d'Hippocrate; 2° le
meilleur témoignage du passage de l'instrument dans les conduits de Pair
est fourni par les signes rationnels (et non par les signes physiques);
3° la facilité de l'opération dépend de la bonté de l'instrument; le meil-
leur est un tube à grande courbure; la tige de baleine munie d'une
éponge est moins bien disposée pour pénétrer dans la trachée ; 4° la baleine
porte-éponge peut pénétrer dans les cordes vocales et au delà ; 5° il n'est
pas démontré aux yeux de la commission que l'instrument puisse être
introduit à volonté dans la bronche droite ou dans la bronche gauche;
6° dans la majorité des cas où l'on a cru que les injections avaient pé-
nétré dans le poumon, elles avaient passé directement dans l'estomac;
7° quant à l'utilité des injections au nitrate d'argent dans les poumons,
les faits recueillis dans les expériences de la commission lui font regarder
l'opération comme aussi dangereuse que difficile à pratiquer.
BRONCHES. BRONCHORRHÉE (historique, causes). 615
Ces conclusions furent combattues par plusieurs membres de la com-
mission. Barker surtout affirmait qu'un chirurgien habile parviendra tou-
jours aisément à introduire le porte-éponge dans la trachée, et quant au
cathétérisme des bronches et à l'injection du poumon, il les regardait
comme une des conquêtes de la médecine moderne.
Pour être sûr d'avoir réellement pénétré dans la trachée, Green et
Griesinger avaient recours à l'épreuve de la flamme d'une bougie pré-
sentée à l'extrémité libre du cathéter. Comme cette flamme était attirée
par l'inspiration, et repoussée lors de l'expiration, ils n'avaient pas hé-
sité à admettre que le cathéter portait librement les injections dans les
voies aériennes. Mais une contre-épreuve, faite dans le but de bien con-
stater que le cathéter était introduit dans les voies aériennes, vint jeter
quelque trouble au milieu de ces expérimentations. En portant une
sonde dans l'œsophage, on constata que les mouvements imprimés à
la flamme étaient absolument les mêmes que dans les essais anté-
rieurs, et ce résultat inattendu se présenta dans tous les cas où l'on
fit le cathétérisme de l'œsophage. Le moyen véritablement décisif, eût
été, ainsi que l'a proposé Dechambre, de faire inspirer le sujet à l'air
libre, puis de recueillir dans l'eau les gaz chassés par le tube pen-
dant l'expiration, et de répéter ainsi l'épreuve cinq ou six fois. Il eût été
facile de s'assurer si ces gaz venaient des voies respiratoires ou des voies
digestives.
En résumé, le succès des injections médicamenteuses dans les pou-
mons reste douteux et illusoire; les observations rapportées par Green,
Bennett et Griesinger, ne sont pas suffisamment concluantes. Je dirai
avec Dechambre : Parcourir le larynx, la trachée et les bronches avec
une éponge ou un cathéter, injecter un liquide caustique dans les bron-
ches, constituent une opération qui n'est pas précisément à la portée de
tout le monde, et dont les avantages ont besoin d'être démontrés d'une
façon plus péremptoire.
Bronciiorrbée. — La bronchorrhée est une maladie caractérisée
par l'apparition, fréquemment subite, d'une expectoration très-abondante,
incolore, transparente, spumeuse, avec dyspnée intense, sans mouvement
fébrile ni phénomènes inflammatoires sensibles.
Historique. — C'est Laennec qui le premier a décrit cette maladie sous
le nom de catarrhe pituiteux ou phlegmorrhagie pulmonaire. Il en a établi
les caractères avec une telle précision, que les auteurs, qui depuis s'en
sont occupés, n'ont apporté à sa description que très-peu de change-
ments. Alard mentionne cette affection sous le titre de phlegmatorrhagie
pulmonaire. Andral a donné quelques observations de flux séreux des
bronches. Roche, Delaberge etMonneret, Copland, Bricheteau, Trousseau,
Grisolle et Cruveilhier ont consacré des articles spéciaux à l'étude de
cette maladie.
Causes. — La bronchorrhée s'observe surtout chez les individus d'un
tempérament lymphatique, dont la constitution a été affaiblie par la mi-
sère, des fatigues ou des excès de tout genre; elle se rencontre chez les
610 BRONCHES. — diiOugiiorreée (symptômes).
vieillards, chez les goutteux ; elle est quelquefois héréditaire; elle-sur-
vient après des rechutes Fréquentes de bronchite aiguë ; elle succède à une
bronchite chronique; alors les caractères inflammatoires sont effacés, et
la sécrétion catarrhale persiste par suite d'une habitude morbide des
tissus. Elle est produite par l'impression du froid, de l'humidité, par
l'inspiration de vapeurs irritantes; elle se manifeste et se perpétue sous
l'influence de la diathèse herpétique ; dans ce cas, elle peut alterner avec
des éruptions cutanées chroniques. Elle coïncide avec des lièvres érup-
tives, la rougeole en particulier. Elle peut s'associer à la plupart des ma-
ladies des poumons, principalement à la phthisie tuberculeuse dans
toutes ses périodes. Elle accompagne souvent, d'une manière intercur-
rente, la laryngite, la laryngo-trachéite chronique, la bronchite, et sur-
tout la bronchite capillaire chronique.
Symptômes. — La bronchorrhée se distingue en aiguë et chronique; ces
deux formes impriment aux symptômes et à la marche de la maladie des
différences notables; de là, la nécessité de l'étudier dans ces deux états.
Puis je dirai quelques mots d'une variété spéciale.
Bronchorrhée aiguë. — Elle n'est point, en général, précédée de troubles
des fonctions respiratoires ; habituellement, elle a un début assez brusque.
En quelques instants, le malade est pris d'une toux fréquente et convul-
sive, d'une dyspnée extrême, il sent distinctement que sa poitrine est
remplie de liquide, il éprouve un sentiment d'angoisse fort pénible, sa
face se congestionne, devient violacée, les veines du cou se tuméfient,
l'asphyxie est imminente. A ce moment, survient, une expectoration subite
et très-abondante de crachats presque incolores, demi-transparents, plus
ou moins mélangés d'air, semblables à de l'albumine. Si l'on renverse le
vase dans lequel les crachats sont accumulés, ils tombent en masse et
laissent le vase complètement vide, à peine s'il y reste un peu d'écume.
Ces crachats sont rejetés en telle quantité, que les malades semblent vo-
mir. Immédiatement après cette expulsion, la respiration devient libre,
le visage offre sa coloration normale, l'individu reprend toutes les appa-
rences de la santé. Cette suspension des accidents n'est que momentanée,
ils se reproduisent à des intervalles d'une durée variable.
La percussion ne fournit, en général, que des signes négatifs; l'aus-
cultation fait entendre un râle sonore, grave ou sibilant, qui imite tantôt
le chant des oiseaux, tantôt le son vibrant d'une corde de violoncelle,
quelquefois le roucoulement d'une tourterelle. Elle fait distinguer encore
quelques râles muqueux. Ces râles peuvent exister dans l'intervalle des
attaques, mais ils sont moins retentissants; ils consistent en un sifflement
sourd qui se prolonge dans toute l'étendue des bronches. La nuance de
ce phénomène a été exprimée par Laennec sous le nom de respiration
snbsibilante. Ces divers râles sont le résultat des obstacles qu'oppose à
la circulation de l'air un mucus visqueux et adhérent dans les rami-
fications bronchiques. Par leurs caractères et leur degré d'intensité, ils
font pressentir la qualité et la quantité de ce mucus. Toutefois, ils ne
constituent point des signes palhognomoniques, puisqu'ils se retrou-
BRONCHES. BRONCHORRHÉE (sïMPTOMEs). 617
vent dans d'autres affections, l'œdème pulmonaire, la bronchite capil-
laire, etc., etc.
La bronchorrhée aiguë peut n'être qu'un accident passager; plus fré-
quemment elle se manifeste sous forme d'accès répétés; elle jette l'indi-
vidu dans un état très-pénible, et en apparence fort grave, mais qui se dis-
sipe rapidement. L'accès terminé, toute apparence de maladie cesse, la
guérison s'effectue sans transition, sans convalescence. Dans certains cas
rares, la bronchorrhée s'est montrée comme une crise heureuse ; elle a
pu opérer la guérison en quelques jours, ou même en quelques heures,
d'une anasarque, d'une ascite, d'un hydrothorax.
Le flux muqueux, par son abondance, pourrait engouer les voies
aériennes et devenir alors cause de mort par asphyxie. La mort est
plus rapide encore, si au flux muqueux se joint un flux séreux vésicu-
laire (œdème pulmonaire); c'est ce que l'on observe chez les vieillards
à poitrine humide sujets à des accès de bronchorrhée. Tout l'arbre
aérien, bronches grosses et petites, trachée, larynx, et même pharynx,
sont remplis de mucosités.
Bronchorrhée chronique. — Andral a caractérisé de la manière sui-
vante la bronchorrhée chronique : « il est un certain nombre de bronchites
chroniques qui sont surtout remarquables par l'extrême abondance de la
sécrétion bronchique. Cette sécrétion bronchique semble être dans beau-
coup de cas la cause principale de l'épuisement et de la mort des malades.
Ces flux muqueux, séreux ou purulent constituent le principal élément
de la maladie. On serait porté à séparer ces flux des affections inflam-
matoires, sous le triple rapport de la nature, des symptômes et du trai-
tement. »
La bronchorrhée chronique a rarement une invasion brusque, elle
succède le plus souvent à des bronchites aiguës répétées, ou bien à une
bronchite chronique. Elle se caractérise par des accès, qui d'abord assez
éloignés reviennent à des intervalles plus rapprochés ; ces accès ont lieu
principalement le matin et le soir, souvent après les repas; ils durent
souvent plus d'une heure. Le liquide expectoré est tantôt incolore, filant,
spumeux, semblable, sous le rapport de la couleur et delà consistance, à
de l'eau de gomme, tantôt épais, opaque, muco-albumineux, puriforme.
Sa quantité est souvent d'un kilogramme. Lacnnec assure avoir observé
des sujets qui en crachaient plusieurs livres dans un seul accès d'une ou
deux heures. Andral parle d'un vieillard qui mourut au bout de cinq
mois, après avoir expectoré chaque jour environ un kilogramme de mu-
cosités. 11 peut advenir pour le flux bronchique ce qui arrive pour d'au-
tres produits de sécrétion ; il est susceptible d'acquérir, sous l'influence
de circonstances particulières une extrême fétidité. Il existe de la toux,
de la gêne de la respiration. La dyspnée est en rapport avec la quan-
tité et la qualité des mucosités bronchiques; elle ne cesse que lorsque
les bronches sont à peu près libres. Dans l'intervalle des accès, les ma-
lades jouissent, en apparence, d'une bonne santé. Le retour de chaque
accès donne à la maladie une forme aiguë, augmente l'intensité des sym-
618 BRONCHES. — bronchorrhée (symptômes).
ptomes, en suscite même d'accidentels. Plus tard, au lieu de se ralentir,
les accès se renouvellent fréquemment; l'expectoration qui était inter-
mittente, continue toute la journée, comme dans les formes ordinaires
de la bronchite ; elle est très-abondante, épaisse, d'un jaune verdàtre.
Sans forcer l'analogie, n'est-il pas permis de comparer les affections ca-
tarrhales des voies respiratoires accompagnées de flux muqueux abon-
dants, aux affections catarrhales chroniques des organes génito-urinaires?
C'est cette idée que le professeur Trousseau a rendue par l'expression
pittoresque de blennorrhées ou blennorrhagies pulmonaires et bron-
chiques.
La bronchorrhée chronique a une marche irrégulière, une durée in-
déterminée. Elle n'exerce pas toujours sur la santé générale une influence
fâcheuse. C'est une chose remarquable, dit Laennec, que l'énorme dé-
perdition journalière qui peut avoir lieu par des flux pituiteux, et le
nombre d'années qu'ils peuvent durer sans que le malade succombe ;
mais il n'en est pas toujours ainsi. Les accès de toux, s'ils se prolongent
et se renouvellent fréquemment, peuvent faire de la bronchorrhée une
infirmité sérieuse et même une maladie grave. Quelquefois ils favorisent
le développement d'une dyspnée habituelle, d'un asthme, d'un œdème
du poumon, de la dilatation des bronches, d'un emphysème pulmo-
naire, etc. Par suite de la faiblesse du sujet ou de l'abondance et de la
viscosité des mucosités, l'expectoration peut devenir impossible, la mort
a lieu par asphyxie. J'en ai constaté des exemples.
D'autres fois, les individus atteints de bronchorrhée chronique per-
dent l'appétit, deviennent pâles, les fonctions digestives s'altèrent; il en
résulte une perte notable des forces, un amaigrissement général, et la
mort arrive par une sorte d'état cachectique. Ces conséquences fâcheuses
ne sont pas rares dans les hôpitaux.
Bronchorrhée estivale. — Il est une variété de bronchorrhée qui ne
doit point être passée sous silence. Bronchorrhée estivale, asthme, ca-
tarrhe, fièvre de foin, catarrhe d'été, asthma-hay, astlima-fever, telles
sont les dénominations principales qui lui ont été assignées. Etudiée en
Angleterre par Bostock (1828), Gordon et Ellioston (1829), Wakefield
Scott (1842); en Allemagne, par Alfter (1855); en France, par J. J.Caze-
nave (1857), Fleury, Laforgue, Théry (1859), Dechambre (1860 et 62),
Germain Sée (1866), elle a été de la part de Philipp Phœbus (de Giessen)
l'objet d'une monographie remarquable (1862), dans laquelle l'auteur a
réuni, non-seulement les observations qui lui sont propres, mais encore
celles qui lui ont été fournies par un certain nombre de médecins fran-
çais, anglais, allemands et belges. C'est le document le plus complet sur
ce sujet.
Cette bronchorrhée se manifeste pendant les mois de mai et de juin;
elle est produite par l'action des odeurs et des poussières végétales, sur-
tout par les émanations du foin. Phœbus et Dechambre croient que l'on a
exagéré Faction de cette cause. Mais pourquoi lui refuser une influence
que l'on accorde volontiers à certaines substances animales, végétales ou
BRONCHES. — bronchorrhée (anatomie pathologique). 619
minérales? La période de floraison des plantes exerce sans nul doute une
influence réelle sur la production de cette maladie. Un de mes clients,
qui occupe un rang élevé dans la société bordelaise, est sujet à cette
bronchorrhée estivale; il a parfaitement constaté que c'est la floraison des
hautes graminées qui lui procure cette dyspnée fatigante. Aussi, pendant
l'époque de la fenaison, s'est-il interdit le séjour même le plus court dans
ses propriétés rurales; c'est à ce point qu'habitant le centre de la ville,
il ne peut, sans éprouver quelques atteintes de son asthme de foin, aller
respirer dans la banlieue les émanations des prairies pendant qu'on les
fauche.
Cette affection débute par un coryza d'assez longue durée, par la pré-
dominance des étcrnuements et une abondance excessive du flux nasal ;
puis survient une ophthalmie catarrhaîe, la sécrétion lacrymale est abon-
dante, les yeux sont le siège de picotements ; du côté du pharynx on ob-
serve des symptômes d'irritation. Il existe en outre de la céphalalgie,
des douleurs nerveuses dans le front et la face, parfois même une né-
vralgie bien localisée, des picotements au visage et surtout au menton,
des vertiges, des bourdonnements d'oreilles, des signes de congestion
vers la tête, mais qui n'ont jamais abouti à l'apoplexie. Les accidents
laryngo-bronchiques se manifestent bientôt, s'accompagnant de dyspnée
et se terminant par une sécrétion muqueuse assez abondante. C'est donc
une réunion de congestions et de flux vers les conjonctives et les mu-
queuses nasale, laryngée et bronchique. L'accès peut se prolonger
quelques heures; en général il cesse le soir; la nuit, le sommeil est
calme. Ainsi le catarrhe d'été est une forme morbide née de circon-
stances spéciales ; il est caractérisé par des symptômes assez saillants
qui s'enchaînent dans un ordre déterminé. La surexcitation des voies
aériennes sans phlegmasie réelle, la dyspnée diurne, la durée des at-
taques, leur retour à des époques prévues, la sécrétion bronchique
très-copieuse mais simplement muqueuse qui les termine, rapprochent
cette maladie des affections catarrhales, et particulièrement de la bron-
chorrhée.
Anatomie pathologique. — Bronchorrhée aiguë. — D'après Laennec,
les lésions anatomiques se réduisent à une faible rougeur de la muqueuse
bronchique, avec léger gonflement et apparence de ramollissement. Sous
ce rapport, ajoute l'illustre inventeur de l'auscultation, la maladie dont
il s'agit semblerait être sur la limite qui sépare les congestions séreuses
des congestions sanguines ; elle appartiendrait plutôt aux premières qu'aux
dernières. Amiral, ayant eu occasion d'ouvrir des individus morts dans
le cours d'une bronchorrhée, a trouvé la muqueuse paie dans toute son
étendue. Grisolle a constaté un état analogue; la muqueuse bronchique,
entièrement pâle, avait son épaisseur et sa consistance normales. Cru-
veilhier affirme que l'anatomie pathologique ne donne que des résultats
négatifs. J'ai eu l'occasion de faire quelques nécropsies d'individus atteints
de lésions organiques du cerveau et de la moelle, et chez lesquels la
bronchorrhée avait été la cause probable de la mort ; j'ai pu constater un
620 BRONCHES. — rrox^horrhée (diagnostic).
état absolument normal des bronches, mais elles étaient tapissées d'une
couche épaisse de mucosités blanchâtres et visqueuses.
Bronchorrhée chronique. — Les lésions anatomiques ont encore ici très
peu d'importance. Le flux fourni par la muqueuse résulte d'un mélange
plus ou moins intime, et dans des proportions diverses, de mucus, de
matière albumineuse, et parfois de matière d'aspect purulent, mais la
membrane muqueuse est pcàle, et n'offre ni phlegmasie ni traces de
lésion organique. Cruveilhier insiste sur ce fait, et il rapporte un exemple
remarquable de bronchorrhée purulente avec intégrité parfaite de la mem-
brane muqueuse. La desquamation épithéliale est le seul caractère ana-
tomique que permette de constater l'inspection microscopique.
De cette absence de lésions, il est permis de conclure que la bron-
chorrhée appartient bien à la classe des flux. C'est une lésion idiopa-
thique de sécrétion et non une phlegmasie.
Diagnostic. — L'apparition soudaine de la maladie, sa marche rapide,
l'expulsion prompte des crachats, leur nature particulière, l'absence de
lièvre, tels sont les caractères de la bronchorrhée aiguë.
Peut-on confondre cette maladie avec une attaque de croup? — Laennec
raconte avoir assisté à l'ouverture du corps d'un enfant qu'on disait mort
de cette dernière affection : les bronches ne contenaient qu'une sérosité
(ilante et spumeuse, la membrane interne présentait çà et là quelques
légères rougeurs. Cruveilhier dit avoir vu chez un enfant de six mois qui
éprouvait les symptômes du croup, la trachéotomie n'amener autre chose
qu'un mucus transparent et très-abondant. Le soulagement fut immédiat
et la guérison rapide. La fièvre plus ou moins intense, la voix sourde
et éteinte, la toux rauque et sèche, l'inspiration sifflante, l'expiration pro-
longée, la présence sur les amygdales de fausses membranes se prolon-
geant dans le larynx, le rejet de ces fausses membranes par l'expecto-
ration et le vomissement, l'engorgement des ganglions du cou, tels sont
les symptômes qui attestent l'existence du croup et permettent de ne pas
le confondre avec la maladie dont je m'occupe.
La bronchorrhée, avec sa Jyspnée sp éciale, son expectoration muqueuse
et fort abondante, constitue, au dire de Laennec, une des variétés les plus
graves du catarrhe suffocant. Bronchorrhée et bronchite capillaire se-
raient donc des maladies analogues. Il y a bien, en effet, dans les deux cas
une grande gêne de la respiration, de l'anxiété, de la suffocation, une
teinte violacée du visage et des extrémités, des râles ronflants et mu-
queux; mais, dans la bronchite capillaire, la marche de la maladie, la
ténacité des accidents, leur extrême gravité, l'absence de cette expectora-
tion comme albumineuse, dont l'abondance même est une cause de sou-
lagement, sont autant de circonstances qui distinguent cette maladie de la
bronchorrhée aiguë.
La bronchorrhée chronique pourrait être confondue avec une bronchite
chronique, une phthisie pulmonaire à la deuxième période, un accès
d'asthme, un épanchement pieu rétique ouvert dans les bronches.
La bronchorrl ée chronique a sans doute quelques rapports avec la
BRONCHES. BltONCHORRÉE (thérapeutique). 021
bronchite chronique et la dilatation des bronches, principalement par les
produits de l'excrétion morbide. Elle en diffère essentiellement par son
invasion brusque, la nature albumineuse de l'expectoration, la quantité
considérable de fluide rapidement évacué, le caractère de la dyspnée, la
cessation rapide des accidents, enfin, par l'absence de lésions anato-
miques.
Elle pourrait faire supposer, malgré tous les perfectionnements de nos
moyens de diagnostic local, une phthisie pulmonaire. Celle-ci se dis-
tinguera par les phénomènes généraux et par les résultats de l'ausculta-
tion plus prononcés au sommet des poumons qu'à la base.
Elle a une certaine ressemblance avec l'asthme humide, mais celui-ci
s'en sépare par l'invasion, surtout nocturne, des accidents, par un sen-
timent de constriction de la poitrine, par le caractère convulsif de la toux
la difficulté de l'inspiration, de l'expiration, enfin, par la forme de
l'orthopnée.
Pourrait-elle être confondue avec un épanchement purulent ouvert
dans les bronches? Mais les circonstances commémoratives, la marche
de la maladie, la dilatation de l'un des côtés du thorax, la matité cir-
conscrite, le souffle amphorique, le tintement métallique, l'aspect du
fluide évacué, la coïncidence de cette expectoration avec la diminution
des signes de l'épanchement, enlèveront toute incertitude.
La bronchorrhée et la pneumorrhée vésiculaire (œdème pulmonaire)
sont souvent réunies. Est-il possible de différencier ces deux flux? La
gène modérée de la respiration, la nature de la toux, les caractères de
l'expectoration, la matité thoracique, la persistance des raies sous-crépi-
tants, la continuité des phénomènes morbides, la coïncidence d'un flux
séreux, d'une anasarque, sont des symptômes suffisamment pathogno-
moniques de l'hypersécrétion des vésicules pulmonaires, et qui serviront
à établir le diagnostic différentiel.
Sera-t-il possilde de confondre une bronchorrhée avec une gastror-
rhée? Cette dernière affection se caractérise, il est vrai, par l'expulsion
d'un fluide albumineux qui a beaucoup d'analogie avec celui de la bron-
chorrhée, mais le liquide dans la gastrorrhée est rejeté à la suite d'efforts
de vomissements ; ce rejet est précédé ou accompagné de phénomènes
qui dénotent un trouble dans les fonctions digestives.
Thérapeutique. — N'y a-t-il pas quelque inconvénient à supprimer un
flux bronchique invétéré, qui pourrait être considéré comme un émonc-
toire nécessaire à l'équilibre général de réconomie?A l'aide d'une thérapie
prudente, il est possible d'arrêter sans danger cette fonction accidentelle
et pathologique, et on ne devra point craindre de voir surgir des acci-
dents dans un autre appareil de l'organisme.
Les émissions sanguines, générales ou locales, sont rarement indi-
quées; elles pourraient affaiblir 1 individu et ne pas lui permettre de
faire les efforts d'expectoration nécessaires pour débarrasser les voies res-
piratoires.
Des révulsifs cutanés (vésicatoires volants, teinture d'iode, huile de
622 BRONCHES. — dilatation (iiistoiuque).
çrotpn-tiglium, tartre stibié) sont parfois utiles; des dérivatifs externes
plus puissants (cautères, sétons, etc.), peuvent devenir nécessaires pour
opérer une révulsion énergique, empêcher le retour des accès et prévenir
les fâcheux effets de la suppression d'une ancienne sécrétion morbide.
L'administration d'un vomitif (ipécacuanha ou tartre stibié) est un
des moyens les plus efficaces ; il favorise l'expulsion des liquides épan-
chés dans les voies aériennes, modifie la circulation pulmonaire et mo-
dère l'hypersécrétion bronchique. C'est bien souvent l'ancre de salut.
J'ai employé le tartre stibié à haute dose (0,50) dans la bronchorrhée,
et j'en ai obtenu d'excellents effets. Copland donnait la préférence au
sulfate de zinc.
Les purgatifs énergiques, substituant la sécrétion intestinale aux flux
bronchiques, peuvent pendant un temps donné remplir une indication
précieuse.
Les vomitifs et les purgatifs ont surtout pour but de prévenir un ac-
cident grave, l'obstruction des rameaux bronchiques; mais dans l'in-
tervalle des accès, il importe de modifier l'état sécrétoire de la muqueuse
bronchique à l'aide des préparations balsamiques. L'expérience a sanc-
tionné l'efficacité de ces médicaments. Ils s'administrent sous forme de
capsules gélatineuses, et Trousseau se félicite de les avoir conseillés de
cette manière.
Les eaux sulfureuses de Bonnes, de Cauterets, celles du Mont-Pore,
d'Ems, rendent encore d'utiles services.
Le kermès à dose modérée, la gomme ammoniaque, l'acétate d'ammo-
niaque, sont conseillés avec avantage.
L'écume bronchique peut, pendant un accès de bronchorrhée aiguë,
déterminer par son abondance une asphyxie ; il est alors urgent de dé-
barrasser de suite les bronches par des moyens mécaniques irritants. On
porte le doigt, une barbe de plume sur l'arrière-bouche, on promène ra-
pidement sur l'isthme du gosier et sur le pharynx un pinceau imbibé
d'ammoniaque étendu ; ces titillations provoquent un mouvement con-
vulsif des bronches, le rejet des mucosités, et la menace d'asphyxie est
ainsi conjurée.
Il est une médication topique dont l'action a été souvent fort utile.
Ce sont les inspirations de vapeurs médicamenteuses (goudron, térében-
thine, etc.). Elles jouent, d'après Trousseau, le rôle des injections ca-
thérétiques dans la blennorrhagie des organes génito-urinaires. Elles se
font à l'aide d'appareils fumigatoires ou pulvérisateurs. Trousseau a en-
core préconisé dans ces circonstances les fumigations mercurielles (mer-
cure métallique jeté sur un carreau chauffé), les cigarettes de papier ar-
senical et nitré.
L'hygiène doit occuper une place importante dans le traitement de la
bronchorrhée. Appliquée avec intelligence, elle peut en arrêter les pro-
grès et en prévenir les retours.
Dilatation des bronches. — Historique. — La dilatation des bron-
ches ou bronchectasie, terme qui porte avec lui sa définition; n'a point été
BRONCHES. — dilatation (causes, symptômes). 625
signalée par les auteurs anciens. Elle fut décrite pour la première fois par
Laennec, et pour me servir des expressions de Barth, cette description,
comme tout ce qu'a fait cet homme de génie, est sortie de sa plume si
nette et si claire, au point de vue anatomique et sous le rapport de la
symptomatologie, que depuis lors on n'a fait qu'ajouter peu de chose à ce
que le maître avait si bien ébauché. On doit néanmoins citer comme
ayant contribué à donner au diagnostic une certaine précision : Andral,
Reynaud, Louis, les auteurs du Compendïum de médecine, Jamin et
Gelez, Barthez et Rilliet, Beau et Maissiat, Fauvel, Grisolle, Valleix,
Cruveilhier, Lebert, Barth, Gombault, Cazalis et Katz; je peux mentionner
encore les noms de Williams, W. Stokes, Corrigan, Gairdner, Black en
Angleterre; de Rokitansky, Bamberger, Rapp, Hasse, Biermer en Allema-
gne. Grâce à tous ces travaux, la dilatation bronchique a pris aujourd'hui
une place définitive dans le cadre nosologique, elle y occupe un rang
important non-seulement au point de vue clinique, mais encore sous le
rapport de la physiologie pathologique.
Causes. — La dilatation des bronches s'observe à tout âge; elle n'est
point rare dans l'enfance (Grisolle), elle se rencontre chez les adultes,
chez ceux surtout qui toussent depuis un certain nombre d'années ; elle
est commune à un âge plus avancé. Il est facile de comprendre cette fré-
quence quand on sait que cette affection est la conséquence habituelle
de la bronchite chronique, triste privilège de la vieillesse. Chez l'enfant,
les bronches n'ont pas encore acquis leur résistance et leur élasticité nor-
males; chez le vieillard, elles les ont en grande partie perdues; de là un
double genre de prédisposition à la dilatation de ces conduits.
La dilatation bronchique se rencontre principalement chez les sujets à
tempérament lymphatique, à constitution molle ; elle est indépendante de
toute disposition native ou héréditaire, elle se développe plutôt sous l'in-
fluence de causes accidentelles, des alternatives de froid et de chaud.
Conséquence habituelle de la bronchite chronique, elle serait, d'après
Grisolle, fréquente à la suite de la bronchite capillaire chez les enfants et
les adultes, mais rare comme lésion concomittante de la pneumonie chez
l'adulte.
Dietrich et Virchow ont publié des observations de dilatations bronchi-
ques, suites de rétrécissements consécutifs à des ulcérations syphili-
tiques.
Il est certaines conditions matérielles qui favorisent d'une manière
toute spéciale l'élargissement des bronches ; elles résideraient, d'après
Barth, dans les bronches, dans le parenchyme pulmonaire et dans les
plèvres. Je reviendrai sur ces conditions à propos du mécanisme de la
dilatation.
Symptômes. — La dilatation des bronches est presque toujours précédée
d'une bronchite qui a offert une certaine intensité et une durée plus ou
moins grande. La bronchite chronique serait donc la période prodromi-
que de la maladie dont je m'occupe. Cette dilatation constituée, en voici
les symptômes :
62i BRONCHES. — dilatation (symptômes).
1° Une toux fréquente, revenant par quintes plus ou moins éloignées,
humide, rarement douloureuse.
2° Une expectoration facile, souvent tellement abondante, que les ma-
tières s'échappent avec violence et comme par flots de la bouche et du nez.
On dirait une vomique ou un épanchement pleurétique s'ouvrant dans
les bronches. Barth évalue de 150 à 450 grammes la quantité de cra-
chats rendus dans les vingt-quatre heures. Biermer cite un de ses ma-
lades chez lequel le poids de la sécrétion a atteint 20 onces en vingt-
quatre heures. Les crachats sont en général muqueux, parfois mousseux
à la surface, plus souvent opaques, d'un jaune verdàtre, puriformes ou
purulents, ou constituant souvent une masse homogène; ils ont d'autres
fois la forme nummulaire des cracbats des phthisiques, ils peuvent encore
être épais, pelotonnés, adhérents aux parois du crachoir, non aérés ou
couverts de bulles qui semblent prêtes à éclater à leur surface.
Versés dans l'eau, assez souvent ils surnagent en large nappe ou des-
cendent en masse à une certaine profondeur, ne se dissolvant qu'en pe-
tite partie, en raison de la combinaison intime du mucus et du pus, ils
ne plongent que rarement sous forme de petits globules pelotonnés ; par
l'agitation, il s'en détache des parcelles ténues et des filaments blan-
châtres, nageant dans le liquide ou descendant lentement au fond du
vase, mais presque jamais on ne voit des grumeaux opaques et lourds se
précipiter au fond de l'eau. (Barth.)
Schûtzenberger, traçant les caractères des crachats dans la dilatation
des bronches s'exprime ainsi : « L'expectoration est d'un jaune verdàtre,
d'une consistance peu considérable; la laisse-t-on pendant un certain
temps sans l'agiter, il se forme différentes couches; au fond du vase, on
remarque un sédiment de matière puriforme, au-dessus duquel se trouve
une couche de matière muqueuse d'une certaine fluidité au milieu de la-
quelle nagent des flocons contenant des bulles d1air. Au microscope, la
partie inférieure est composée presque exclusivement par des globules
purulents, la supérieure renferme des quantités notables de graisse libre,
des cellules envoie de dégénérescence graisseuse, quelques cellules d'épi-
thélium, une proportion considérable de granulations moléculaires, enfin
les autres éléments de l'expectoration muqueuse. Les crachats sont sou-
vent d'une excessive fétidité ; celle-ci peut s'expliquer par la fermentation
putride que les crachats subissent pendant leur séjour prolongé dans la
cavité dilatée des bronches. »
Bamberger a analysé les crachats dans la dilatation des bronches, afin
de déterminer la nature des éléments volatils qui leur communiquaient
une odeur spéciale. Les résultats obtenus par l'analyse permettent de
conclure que ces crachats sont formés par des acides appartenant au
groupe C"II"04, c'est-à-dire les acides butyrique, acétique et formique.
Ils contiennent en outre de l'ammoniaque et de l'hydrogène sulfuré.
Toutes ces substances proviennent de la décomposition des matières or-
aniques qui se fait dans ces bronches dilatées.
5° L'hémoptysie n'est point rare. Elle a été constatée parLaennec, par
BRONCHES. — DILATATION (symptômes). 625
Trousseau ; Barth l'a observée chez sept de ses malades, deux fois le cra-
chement de sang a été assez copieux pour déterminer la mort. Deux fois,
chez des malades atteints de bronchectasie, j'ai noté cette expectoration
hémorrhagique, qui n'a jamais été assez abondante pour inspirer des in-
quiétudes. Ces hémoptysies s'expliquent, le plus souvent, par la gêne que
la compression du tissu pulmonaire apporte à la circulation dans cet or-
gane. Ne pourraieut-elles pas être aussi le résultat d'une congestion pul-
monaire momentanée?
4° La voix n'est pas altérée ; si elle le devient, il faut songer à la coïnci-
dence de tubercules pulmonaires, ou du moins à une laryngite chronique.
5° La dyspnée est en général modérée, elle se manifeste par intervalles
lors des accès de toux, après une marche fatigante; elle est produite en-
core par la coïncidence d'une bronchite aiguë ou par la stagnation de
mucosités épaisses dans les ramitications bronchiques. Elle devient con-
tinue s'il existe quelque complication grave du côté du cœur ou des
poumons.
6° Il n'y a pas habituellement de douleur au niveau du sternum et sur
les côtés du thorax, à moins d'un état maladif de la plèvre.
7° La conformation extérieure de la poitrine ne subit en général aucun
changement notable. Barth toutefois a noté des dépressions partielles:
la mesure de la circonférence des deux côtés de la poitrine donnait 1
et même 2 centimètres de moins pour le côté malade. Ces dépressions
résultent de l'oblitération de la cavité pleurale et de l'atrophie du pou-
mon; cependant, s'il existe comme complication, un emphysème pul-
monaire ou un hydropéricarde, le thorax offre au lieu d'une dépression
une sorte de voussure.
8° La percussion aurait, d'après Laennec, peu de valeur. Telle est
encore l'opinion de Louis. La sonorité du thorax n'est, d'après Barth,
sensiblement exagérée que lorsqu'il existe quelque complication d'emphy-
sème pulmonaire ; elle est, au contraire, diminuée par suite de l'atrophie
ou de la condensation du parenchyme pulmonaire, par le retrait des parois
thoraciques, parla compression du poumon ou par des indurations de son
tissu consécutives à d'anciennes pneumonies incomplètement guéries, soit
enfin par la coïncidence d'une congestion sanguine, d'un engouement
œdémateux ou d'une pleuro-pneumonie de date encore récente. Lorsqu'une
dilatation ampullaire considérable refoule le poumon, on constate, au point
où se trouve la dilatation, une sonorité qui tranche avec lamatité des parties
voisines. Dans la dilatation en chapelet (seconde observation de Gom-
bault), on a entendu sous la clavicule, dans l'endroit même où siégeaient
les lésions, un bruit qui avait une telle ressemblance avec celui du pot fêlé
que l'on pouvait croire à l'existence d'une vaste caverne tuberculeuse. Barth
a distingué ce bruit chez l'un de ses malades, et il le différencie de celui
de pot fêlé par l'absence du claquement caractéristique. J'ai constaté que
les phénomènes fournis par la percussion variaient selon le degré de plé-
nitude ou de vacuité de la dilatation bronchique, absolument comme pour
les cavernes tuberculeuses.
IÎOCV. DICT. MÉD. F.T CHW. V. — il)
t>26 BRONCHES. — dilatation (marche, durée, terminaisons).
9° L'auscultation fournit des résultats qui sont eu rapport avec les
formes et les degrés de la dilatation bronchique. Le murmure respiratoire
peut être affaibli, altéré ou masqué par des bruits anormaux (râles sonores
ou bulleux), il peut prendre le caractère tubaire ou broncho-caverneux,
constituer un souffle caverneux, suivant l'étendue et l'ampleur des dila-
tations, suivant la quantité de mucus qu'elles contiennent.
Dans les dilatations cylindriques, le murmure respiratoire est d'abord
diminué, puis il fait place à une respiration rude, sonore, se rapprochant
du souffle tubaire ; elle est due au passage de l'air dans des canaux di-
latés entourés d'un parenchyme induré. En même temps on constate des
râles sibilants, ronflants et muqueux, résultant de la présence de muco-
sités dans les bronches.
Les dilatations ampullaires se distinguent par de gros râles muqueux,
véritable gargouillement qui alterne ou coïncide avec un souffle tubaire
ou caverneux, et se prolonge surtout pendant l'expiration.
La voix produit au niveau des parties affectées une résonnance pro-
noncée. C'est de la bronchophonie dans les dilatations cylindriques, c'est
un retentissement caverneux avec pectoriloquie dans les dilatations am-
pullaires.
J'ajouterai que les caractères des râles et des souffles dépendent de la
grandeur des excavations, de la quantité de mucus accumulé dans les
bronches, et que toutes les distinctions établies pour les variétés de bruits
fournis par les cavernes tuberculeuses, s'appliquent aux phénomènes de
sonorité qui se produisent dans les dilatations ampullaires. Ces râles sont
essentiellement mobiles, ils diminuent par moments, ou disparaissent
même après des quintes de toux qui ont pour résultat de vider les bron-
ches des mucosités qui les remplissaient.
10° Les phénomènes généraux sont à peu près nuls. C'était l'opinion de
Laenncc. En effet, on ne retrouve en général dans le cours de la dilatation
bronchique, ni amaigrissement, ni fièvre, ni sueurs, ni altération des
traits du visage, ni trouble des fonctions digestives. Ces phénomènes,
quand ils ont été constatés, s'expliquaient presque toujours par la coïn-
cidence d'une affection diathésique concomittante (cancer, phthisie),
d'une lésion organique du cœur, d'une maladie de l'estomac, du foie
ou des intestins. La dilatation des bronches n'aurait d'après Barth, au-
cune influence fâcheuse sur la régularité de la menstruation.
Marche, durée, terminaisons. — La dilatation bronchique a une marche
et une durée difficiles à préciser. Rarement on peut remonter à la date
exacte de son origine. Elle succède à diverses maladies des organes respi-
ratoires, à des bronchites, des pneumonies, des pleurésies qui n'ont été
guéries qu'incomplètement. Cette période prodromique est toujours fort
obscure et douteuse. La deuxième période commence avec l'élargissement
des canaux bronchiques au sein du parenchyme pulmonaire plus ou
moins compacte. Cette affection souvent stationnaire n'est pas encore
incompatible avec les apparences de la santé. Dans la troisième période,
l'état général s'altère souvent par le développement d'états morbides qui
BRONCHES. — dilatation (marche, «urée, terminaisons). 627
semblent en être la conséquence plus ou moins directe. De ces états mor-
bides, les uns sont aigus, intercurrents (bronchite, pneumonie, gan-
grène pulmonaire); les autres sont chroniques ou cachectiques (phthisie,
cancer, lésions organiques du cœur).
La durée de la dilatation bronchique est indéterminée. Sur 52 cas dont
Barth a pu h'xer avec quelque précision l'origine, la maladie remontait
7 fois à moins de 1 an, 4 fois elle durait de 1 à 2 ans, 5 fois elle
existait depuis 2 à 5 ans, 5 fois elle datait de 5 à 10 ans, 6 fois elle re-
montait à 18, 25, 27, 54, 55 et 40 ans. Enfin, 7 fois le nombre d'années
n'a pas pu être précisé. La dilatation des bronches est donc une maladie
qui peut se prolonger presque indéfiniment.
La bronchectasie est-elle susceptible de guérison? L'expérience cli-
nique et les observations anatomo-pathologiques font connaître le mé-
canisme à l'aide duquel se rétablit le calibre normal des bronches di-
latées. Ce mode de guérison peut s'effectuer : 1° par la crétification du
contenu des dilatations ; 2° par le déversement au dehors du contenu et
la disparition de la cavité anormale.
Dans les dilatations ampullaires, la matière muco-purulente qui remplit
le sac bronchique s'épaissit, se concrète, et par le dépôt de ses sels cal-
caires, finit par ne plus constituer qu'une masse crétacée que la paroi
de la bronche enveloppe à la façon d'une capsule fibreuse plus ou moins
adhérente. Dès lors, si le sac est unique, ou si la transformation s'est
opérée dans toutes les dilatations, la guérison est définitive, et, à l'ex-
ception d'une matité persistante, tous les signes qui révèlent la présence
des ectasies disparaissent. Cette transformation permet de comprendre le
mécanisme d'après lequel peut s'effectuer la guérison de grandes dilata-
tions bronchiques, et l'existence à l'autopsie dans les poumons de masses
crétacées d'origine nullement tuberculeuse.
Il est un autre mode de terminaison fort remarquable ; témoin ce fait
queKatz a emprunté à Bamberger : une bronchectasie ulcérée avait déter-
miné par son contact avec la plèvre une pleurésie aiguë, et comme il
existait en même temps des adhérences de la même partie du poumon
avec la paroi costale, le contenu du sac ne s'était pas répandu dans la
cavité des plèvres ; il avait détruit la paroi pectorale correspondante qu'il
soulevait en formant une tumeur de la grosseur d'un œuf de pigeon.
Une ponction y fut pratiquée, et après six semaines, pendant lesquelles
il s'en était écoulé à chaque inspiration du pus mêlé d'air, l'ouverture
se cicatrisa, l'épanchement fut résorbé, tous les symptômes d'une caverne
disparurent, et la santé se rétablit complètement.
Ces deux modes de guérison sont, il faut en convenir, exceptionnels.
Briquet et Dietrich ont noté comme une des terminaisons de la bron-
chectasie, la gangrène des dernières ramifications bronchiques dilatées.
Celle-ci, indépendante de toute altération du poumon, résulterait bien
plutôt de la nature de l'inflammation, de la constitution du sujet, que de
l'intensité de la phlogose. Elle se révèle par la fétidité de l'haleine et
des crachats, mais n'entraîne aucune modification dans la percussion et
628 BRONCHES. — dilatation (anatomie pathologique).
l'auscultation. Après avoir duré un certain temps, les accidents dimi-
nuent peu à peu, puis disparaissent, et le malade revient à son état de
santé habituelle. Voyant guérir une affection généralement considérée
comme mortelle, on en avait conclu que la fétidité de l'haleine et des cra-
chats n'était point un signe de gangrène pulmonaire. S'appuyant sur les
faits qu'il a observés, Briquet établit qu'il s'agissait bien d'un véri-
table sphacèle des extrémités bronchiques dilatées. Dietrich, recherchant
la relation causale qui peut exister entre la bronchectasie et la gan-
grène pulmonaire, considère celle-ci comme produite par une sécrétion
bronchique altérée. Les parois des bronches dilatées, en contact incessant
et immédiat avec cette matière putride, deviennent le siège d'un pro-
cessus inllammatoire qui amène des pertes de substance plus ou moins
profondes ou une fonte gangreneuse sans inflammation préalable. Mais
cette altération ne se borne pas aux bronches, elles se propage au tissu
pulmonaire environnant. La combinaison de ces deux maladies (dilata-
tion des bronches et gangrène) serait fréquente, puisque des divers cas
de gangrène pulmonaire observés par Dietrich, un septième se rattachait
à la bronchectasie. Bien que la gangrène pulmonaire succédant ou coexis-
tant avec une dilatation bronchique soit souvent fatale, Dietrich et Bri-
quet admettent leur curabilité pour les cas de moyenne intensité.
La mort, dans le cours de la dilatation des bronches, peut survenir à la
suite d'une bronchite, d'une pneumonie qui, se greffant sur l'affection
chronique, restreint le champ si limité de la respiration ; elle peut être
la conséquence d'hémoptysics foudroyantes ou de quelque lésion orga-
nique du cœur.
Katz mentionne encore parmi les exemples de terminaison fatale, les
faits suivants : les parois bronchiques, distendues et amincies par l'ectasie,
s'ulcèrent ou se mortifient; leur contenu s'épanche dans les plèvres, d'où
résulte une pleurésie purulente qui se termine rapidement par la mort ;
ou bien encore des accidents pyémiques se déclarent subitement par suite
de la résorption de la matière altérée qui remplit les ampoules bron-
chiques. Le malade est pris de frisson, sa physionomie s'altère, et il meurt
avec tous les symptômes delà septicémie, dont on retrouve à la nécropsie
les traces irrécusables.
Anatomie pathologique. — L'anatomic pathologique comprend l'étude
des altérations : 1° des bronches ; 2° des matières qu'elles contiennent;
5° du tissu pulmonaire environnant.
I. Altérations des bronches. — Les dilatations bronchiques présentent
des différences nombreuses sous le rapport de leur siège, de leur éten-
due, de leur largeur, de leurs formes.
Elles occupent en général un seul poumon (dans la proportion de 20
à 17. Barth), sont un peu plus fréquentes à gauche qu'à droite, se ren-
contrent plus souvent à la base qu'au sommet. Laennec regardait le lobe
supérieur et le bord antérieur du poumon, comme le siège de prédilec-
tion de cette maladie.
Elles sont rarement limitées à un seul rameau ou à un petit nombre
BRONCHES. — DILATATION (aNATÔHIE PATHOLOGIQUE). G'20
do divisions bronchiques; elles affectent ordinairement la plupart des ra-
mifications d'un lobe, mais à des degrés plus ou moins prononcés.
Les rameaux élargis peuvent acquérir jusqu'à 20 et 25 millimètres de
circonférence; ce sont ces dilatations ampullaires qui offrent les varia-
tions les plus grandes, depuis le volume d'un pois jusqu'à la dimension
d'un noisette, d'un œuf de pigeon.
Le plus souvent la bronche dilatée est précédée d'un rétrécissement,
et l'entrée des ramuscules distendus en forme d'ampoule est souvent tel-
lement étroite qu'il est difficile de trouver le tuyau qui fait communiquer
la cavité avec le reste du système bronchique. A leur extrémité termi-
nale, les bronches tantôt se rétrécissent plus ou moins rapidement, par-
fois s'oblitèrent brusquement ou se terminent en culs-de-sac, au delà
desquels on ne reconnaît plus leur structure. D'après Gombault, elles re-
prennent leur calibre normal ou bien elles se dilatent progressivement
jusqu'à la surface du poumon qui devient emphysémateux. Louis fait re-
marquer à ce sujet qu'il ne faudrait pas conclure qu'il y eût commu-
nauté d'affection entre les bronches et les vésicules, c'est-à-dire que
la dilatation des unes entraînât nécessairement l'élargissement des
autres.
Les dilatations bronchiques se montrent sous des formes très-variables:
on a cherché sous ce rapport à établir quelques classifications.
Laennec en distingue deux variétés principales. Dans la première, la
bronche* est dilatée uniformément dans toute son étendue; elle ne change
point d'aspect et conserve sa forme cylindrique. Dans la deuxième, elle
présente sur le trajet du même rameau un ou plusieurs renflements suc-
cessifs susceptibles de loger un grain de chenevis, un noyau de cerise,
une amande, même une noix.
Andral décrit trois types principaux :
1° Dilatation uniforme et souvent considérable des bronches (hypertro-
phie du tissu des parois) ;
2° Dilatation d'un point seulement de la bronche, formant une cavité
qu'on dirait creusée dans le poumon et offrant l'aspect d'une caverne tu-
berculeuse ;
5° Dilatation en série de renflements fusiformes ou en chapelet.
Cruveilhier dislingue une dilatation générale et une dilatation partielle.
Cette dernière présente deux formes, qu'on trouve tantôt réunies, tantôt
séparées : la dilatation eylindroïde et la dilatation ampuilaire. Celle-ci
occupe tantôt toute la circonférence de la bronche (dilatation ampuilaire
circonférentielle), tantôt une moitié, un tiers de la circonférence (dilata-
tion ampuilaire latérale).
Gombault propose une modification de la classification établie par Cru-
veilhier; il reconnaît trois espèces principales :
1° Une dilatation uniforme générale ou partielle;
2J Une dilatation d'une portion de bronche fusiforme ou ampuilaire;
5° Une dilatation successive de plusieurs points de la bronche ou dila-
tation en chapelet.
050 BRONCHES. — dilatation (anatomie pathologique).
Barth n'a point voulu créer de nouvelles divisions ; il ne discute même
pas celles qui sont établies par les auteurs.
C'est à la classification de Cruveilhier que je donne la préférence; elle
me paraît plus simple et plus complète.
1° La dilatation générale, uniforme, n'existe le plus souvent que d'un
seul côté, rarement des deux à la fois. Les tuyaux bronchiques ont dans
toute leur étendue un volume égal, double, triple et même quadruple du
calibre normal. Deux exemples de cette forme, qui est assez rare, ont été
cités par Barth et par Barlow, de l'hôpital de Guy. Il est quelquefois dif-
ficile de déterminer si cette dilatation est normale ou accidentelle. Les in-
tervalles moindres qui existent entre ces divisions des bronches, le dé-
faut d'harmonie entre le volume du poumon presque toujours notablement
diminué et la capacité des conduits, entre le diamètre de la trachée et
celui des bronches, peuvent jeter quelque lumière sur cette apprécia-
tion.
2° La dilatation partielle siège surtout au sommet des poumons. Cette
forme, plus fréquente que la précédente, était, avant Laennec, confondue
anatomiquement et cliniquement avec les excavations tuberculeuses.
La dilatation partielle des bronches peut affecter la forme cylindroïde
et ampullaire.
La dilatation partielle cylindroïde occupe toute la longueur ou une
bonne partie de la longueur d'une division bronchique, qui se renfle
brusquement, mais d'une manière uniforme, en doublant, triplant de ca-
libre. Elle s'accompagne ordinairement de l'hypertrophie des fibres
musculaires et des bandes longitudinales des bronches.
La dilatation partielle ampullaire ressemble quelquefois à une caverne
tuberculeuse ; tantôt c'est un renflement siégeant en un point d'une ra-
mification bronchique, variant du volume d'un grain de chenevis à celui
d'un œuf de poule, communiquant avec un certain nombre de tuyaux
aériens; tantôt c'est une espèce de cul-de-sac situé à l'extrémité termi-
nale d'une bronche, constitué par un accolement de plusieurs bronches
dilatées, au milieu desquelles il n'y a plus trace de tissu pulmonaire.
Cruveilhier la décrit ainsi : « Si elle- occupe toute la circonférence de la
bronche, c'est la dilatation ampullaire circonférentielle. Si elle n'occupe
que la moitié, le tiers de la circonférence de la bronche, c'est la dilata -
tion ampullaire latérale. » Puis il ajoute : « Sous le rapport de la struc-
ture, il existe deux espèces distinctes de dilatation ampullaire latérale :
une première espèce, dont les parois sont constituées par tous les tissus
qui entrent dans la composition de la bronche hypertrophiée ou atrophiée,
c'est une simple dilatation. Une deuxième espèce, qui est formée par la.
hernie ou protrusion de la muqueuse de la bronche, à travers un érail-
lure des autres tuniques, c'est une véritable hernie tuniquaire, un sac
ou appendice muqueux qui ne communique avec la bronche que par un
orifice très-étroit. »
5° La dilatation d'une bronche en plusieurs points a été appelée en cha-
pelet par Elliotson, moniliforme par Cruveilhier. La bronche offre une
BROACHES. DILATATfOlS (anatomie pathologique). Col
série d'ampoules séparées les unes des autres par un tuyau à calibre nor-
mal ou rétréci; elle présente alternativement des étranglements et des
dilatations à la manière d'une file d'aludel ou des grains d'un chapelet.
II. Matières conteimes dans les bronches. — Les bronches dilatées sont
remplies par un mucus jaunâtre, verdàtre, puriforme, quelquefois rou-
geàtre, lie de vin, souvent inodore ou d'une odeur fade, quelquefois
d'une odeur repoussante.
Dietrich s'est occupé des modifications que subit la sécrétion bronchi-
que ; il en décrit trois principales :
1° Cette sécrétion perd ses éléments aqueux, s'épaissit, elle conserve sa
couleur jaune sale et prend la consistance d'un sirop épais ;
2° Elle peut se transformer, ainsi que je Tai déjà dit, par le dépôt de
sels terreux en une masse crétacée, calcaire; il en résulte une concrétion
qui adhère plus ou moins intimement à la paroi interne du canal dilaté.
Cette transformation a été aussi décrite par Roldtansky, et, d'après lui,
elle se produirait chaque ibis que le sac bronchique s'est isolé de ses ra-
musculeset du tronc dont il dépend pour former une cavité complètement
close, une sorte de capsule fibreuse ;
3° Une dernière modification consiste dans une sorte de décomposi-
tion putride du liquide muco-purulent qui séjourne dans les bronches
dilatées. Elle se trahit pendant la vie par des crachats fétides, confluents,
d'abord jaunes verdàtres, plus tard d'un gris sale, tantôt agglutinés sous
forme de bouchons, tantôt difflucnts.
Ce mucus contient quelquefois des cristaux de margarine qui se pré-
sentent sous forme d'aiguilles, solubles dans féther et l'alcool bouillant,
insolubles dans l'eau et dans les acides. D'après Biermcr (de Wurzbourg)
cité dans la thèse de Schùtzenberger, chaque fois qu'on trouve de ces
cristaux dans les crachats, on est en droit de conclure à la putridité de
ceux-ci ; aussi la dilatation des bronches est-elle, avec la gangrène pul-
monaire, la maladie dans laquelle on les trouve le plus fréquemment.
On peut rencontrer encore, mais plus rarement, des cristaux de cho-
lestérine.
La muqueuse qui tapisse les bronches affectées de dilatation est en gé-
néral d'un rouge plus ou moins intense, livide, ou d'une teinte grise
ardoisée, tantôt lisse et polie, tantôt finement grenue. Habituellement
elle a augmenté d'épaisseur, perdu sa transparence naturelle, elle est de-
venue friable, ramollie, rarement elle est parsemée d'ulcérations superfi-
cielles. L'épithélium vibratile, d'après Rapp, a disparu dans les espaces
dilatés, on ne trouve plus que l'épithélium pavimenteux. Barth a vu une
pellicule pseudo-membraneuse déposée à l'intérieur d'une bronche dila-
tée, mais à un examen attentif il a constaté surtout dans les cavités am-
pullaires une disposition remarquable consistant dans des espèces de
stries irrégulièrement circulaires, sous forme de petites arêtes à peine
saillantes, ayant toute l'apparence des fibres contractiles des bronches.
Le tissu sous-muqueux est important à considérer dans les dilatations
ampullaires et dans les dilatations cylindriques un peu considérables. Les
632 BRONCHES. — dilatation (anatomie pathologique).
fibres élastiques et le tissu musculaire sont en voie d'atrophie et difficiles
à reconnaître, dès lors toute la paroi des bronches a diminué d'épaisseur.
D'autres fois, elle aurait augmenté de volume, ce qui tient à un boursou-
flement, à un épaissi ssement de la muqueuse, au renforcement de la
bronche véritablement atrophiée dans ses éléments par l'adjonction du tissu
oonnectif. Les tissus fibreux jaunes élastiques deviennent le siège de pro- '
ductions cartilagineuses, ainsi que Barth en a constaté des exemples.
En général dans ces dilatations un peu considérables, le tissu élastique
a perdu son ressort, le tissu musculaire sa contractilité.
Ces diverses altérations ne sont pas le résultat direct de la dilatation
bronchique, mais bien plutôt de la phlegmasie chronique qui a favorisé le
développement de cet état morbide.
III. Altérations des poumons. — Il est un point sur lequel tous les au-
teurs sont d'accord, c'est l'absence de tubercules dans le ■ parenchyme
pulmonaire. Barth n'en a rencontré qu'une seule fois dans quarante au-
topsies cadavériques. Bamberger n'en a jamais constaté. D'après J. Cru-
veilhier, il existerait un double antagonisme. La dilatation des bronches,
suite de bronchite chronique, serait comme exclusive de la dégénération
tuberculeuse, elle serait également opposée à la production de l'emphy-
sème pulmonaire.
En général, dans la dilatation bronchique, le poumon a diminué de vo-
lume, le tissu de cet organe fuit en quelque sorte devant la bronche dilatée,
et devient tel que Laennec l'a comparé au poumon qu'un épanchement
pleurétique abondant aurait refoulé contre la colonne vertébrale.
Barth dit avoir constaté vingt-sept fois sur trente, dans la partie qui
était le siège de la lésion, une diminution de volume due à une espèce
de retrait du parenchyme pulmonaire. Le tissu de cet organe est le plus
ordinairement revenu sur lui-même, condensé, plus pesant, moins aéré
que dans l'état naturel ; il a quelquefois une certaine analogie avec le
tissu de la matrice après l'accouchement, .ferme et grisâtre, ardoisé ou
infiltré de matière noire, dans quelques cas il est induré de manière
à crier sous le tranchant du scalpel. Chez quelques sujets, continue
Barth, le poumon était atrophié dans l'intervalle des dilatations, dans
trois cas le tissu vésiculaire comprimé entre les ampoules adossées les
unes aux autres, avait à peu près complètement disparu, de sorte qu'il
ne restait plus qu'un assemblage de vacuoles, et ces portions du poumon
distendues par l'insufflation ressemblaient à des espèces de kystes multi-
loculaires se dessinant en relief à la surface de l'organe. Grisolle a vu
chez un enfant cette disposition occuper tout le sommet d'un poumon.
Luys a étudié avec soin l'état anatomique du poumon dans la dila-
tation des bronches, et il trouve la plus grande analogie entre les modifi-
cations que présente cet organe et celle qu'a subies le foie dans la dégé-
nérescence appelée cirrhose. Il propose de désigner par ce nom toute
production de tissu plasmatique par exsudation. Or, cette altération se
trouve dans les poumons sous deux formes : l'une extra, l'autre intra-lo-
bulaire. — Dans la première forme, les traînées de tissu fibreux sont
BRONCHES. — dilatation (anatomie PATIIOLO(ÏIQUe). 6Ô3
largement espacées, sinueuses ; elles isolent des groupes de vésicules et
de lobules, oblitèrent les conduits vasculaires de façon à frapper de
mort les parties isolées et à provoquer la formation rapide de vastes ca-
vités. — La deuxième forme de développement du tissu fibroïde dans
le parenebyme pulmonaire peut être rapprochée anatomiquement de la
dégénérescence spéciale qui caractérise la cirrhose intra-lobulaire. Dans ce
cas les tractus fibreux enserrent de toutes parts les lobules et les cellules
pulmonaires, et amènent une condensation très-notable du tissu pulmo-
naire qui a perdu sa perméabilité et sa densité propres. Les effets pro-
duits parla dégénérescence fibreuse du parenchyme pulmonaire offriraient
des variétés en rapport avec le siège même occupé par la production
plastique. C'est ainsi que tantôt la lumière des canaux bronchiques serait
effacée, aplatie, tantôt le tissu nouveau engainant un tuyau bronchique se
rétracterait à la manière du tissu inodulaire et produirait ainsi la dilata-
tion bronchique, qui sera ampullaire, cylindrique, etc., suivant le siège,
rétendue, le degré de rétractilité de l'exsudation plasmatique primor-
diale. La bronchectasie se produirait dès lors par un mécanisme ana-
logue à celui de la dilatation des canaux biliaires dans la cirrhose
hépatique.
Les plèvres ont été trouvées presque constamment altérées, épaissies,
intimement adhérentes au poumon auquel elles forment comme une coque
fibreuse et résistante. Cette coexistence est très -fréquente; pour preuve,
qu'il me suffise de dire que, vingt-huit fois sur trente, Barth a constaté
cette altération de la plèvre à un degré généralement très-avancé.
Ainsi, les deux altérations qui coïncident plus souvent avec la dilata-
tion bronchique sont : l'induration ou cirrhose pulmonaire et l'épaississe-
ment des plèvres. A ces deux états morbides il faut joindre la bronchite
chronique.
En dehors du poumon on a noté la dilatation du cœur droit.
IV. Quelques altérations pulmonaires pourraient être prises pour des
dilatations bronchiques, bien que les caractères qui viennent d'être ex-
posés soient faciles à saisir. Il n'est pas inopportun de les comparer.
Cette comparaison a été faite avec une grande exactitude par Gombault.
Elle porte sur les altérations laissées par la gangrène ou par des abcès
pulmonaires ou par des cavernes tuberculeuses.
Les cavités qui résultent d'une gangrène pulmonaire, irrégulières à
l'intérieur, contiennent un détritus noirâtre et sont tapissées par une
lausse membrane. Elles n'ont pas de communication avec les bronches,
ou du moins si celles-ci s'ouvrent dans une cavité, elles sont coupées
comme par un emporte pièce. Le liquide contenu a l'odeur caractéris-
tique de la gangrène. Enfin, il est possible de distinguer assez nettement
la limite qui sépare la partie vivante de celle qui est sphacélée.
Les abcès du poumon ont leurs foyers recouverts par une membrane
pyogénique; ils ne communiquent pas avec les bronches, et si on les di-
vise, on constate que le pus provient du parenchyme pulmonaire lui-
même et non point d'une bronche. Il n'y en a pas d'ouverte en continuité
654 BRONCHES. — dilatation (physiologie pathologique).
avec la cavité de l'abcès; ou si une ouverture existe, on reconnaît qu'elle
est pathologique.
Il est souvent plus difficile de distinguer une dilatation des bronches
d'une caverne tuberculeuse. Dans cette dernière, les excavations occupent
le plus souvent le sommet du poumon, elles ont des parois inégales, dé-
chirées, sont traversées par des brides, formées des débris de vaisseaux,
elles sont tapissées par une fausse membrane molle, communiquent entre
elles et les tuyaux bronchiques qui y aboutissent sont comme taillés à
pic. Le tissu pulmonaire qui forme la paroi de cette cavité est induré,
souvent parsemé de tubercules à l'état de crudité.
Par opposition à ces remarques, on peut résumer ainsi les caractères
anatomiques de la bronchectasie : cavités le plus souvent ovoïdes et sy-
métriques à parois lisses, tapissées par une muqueuse qui est continue
avec celle des bronches, remplies de matières muco-purulentes plus ou
moins abondantes qui suintent par les extrémités des tuyaux bronchi-
ques; tissu cellulaire sous-muqueux épaissi, induré, parenchyme pulmo-
naire atrophié, condensé, altéré à divers degrés par l'inflammation chro-
nique, mais non infiltré de productions hétéromorphes.
Physiologie pathologique. — Le mode de formation des dilatations
bronchiques a vivement excité l'attention des pathologistes. Bien des
théories diverses ont été émises à cet éga'rd. Les difficultés et le désaccord
résultent de la texture spéciale de l'organe affecté, de la nature com-
plexe de la maladie, des conditions variées qui président à son dévelop-
pement.
Laennec attribuait la dilatation des bronches à l'accumulation et au
séjour prolongé des mucosités dans ces canaux, à la pression que ces
mucosités exercent sur leurs parois. La stagnation de ces sécrétions dé-
terminerait l'hypertrophie ou l'amincissement de la paroi bronchique, de
même qu'un obstacle mécanique à la circulation du sang entraîne tantôt
la dilatation, tantôt l'hypertrophie du cœur. Dans un autre passage de son
ouvrage, l'illustre inventeur de l'auscultation s'exprime ainsi : Les petits
rameaux bronchiques sont obstrués par les crachats ou le gonflement
de la muqueuse. Or, comme les muscles qui servent à l'inspiration sont
forts et nombreux, que l'expiration, au contraire, n'est produite que par
l'élasticité des parties et la faible contraction des muscles intercostaux,
il doit souvent arriver que dans l'inspiration l'air, après avoir forcé la
résistance que lui opposent les mucosités ou la tuméfaction de la mu-
queuse, ne peut la vaincre dans l'expiration et se trouve emprisonné. Les
inspirations suivantes ajoutent encore à la dilatation des rameaux aux-
quels se rend la bronche obstruée. Enfin, la dilatation par la chaleur
pulmonaire de Pair introduit froid dans la poitrine, contribuerait à la
distension des canaux aériens.
Andral considère le séjour des sécrétions et les efforts de la toux,
comme insuffisants pour expliquer la dilatation, il attache une grande
importance aux altérations primitives de nutrition, telles que Pépai-
sissement ou l'amincissement des parois, leur diminution d'élasticité et
BRONCHES. — dilatation (physiologie pathologique). G55
il considère comme la cause primordiale de la dilatation bronchique,
l'inflammation chronique des bronches.
Dans un mémoire lu en 1858, au Collège des médecins de Dublin,
Corrigan rattache la dilatation des bronches, à cet état particulier que
j'ai déjà signalé et qui a reçu le nom de cirrhose du poumon. Le tissu de
cet organe devenu dense, blanchâtre, ferme, est parcouru par des bron-
ches dilatées. Sous l'influence d'un travail phlegmasique le tissu pulmo-
naire interstitiel et le tissu élastique situé en dehors de la couche mus-
culaire des bronches, deviennent le siège d'une infiltration de lymphe
plastique, celle-ci s'organise en un tissu fibreux nouveau, lequel en se
condensant, écarte les parois bronchiques, et en dilatera cavité. — C'est
le même mécanisme qu'invoquait Leudet (de Rouen) dans une séance de
la Société anatomique (mars 1855), pour expliquer une dilatation bron-
chique dont Maingault présentait un exemple. Le tissu du poumon était
dense, carnifié; cette altération du poumon, cette cirrhose était, d'après
Leudet, primitive et avait amené la dilatation bronchique. C'est encore
la même opinion que formulait Luys, lorsque devant la même Société
(avril 1861), il exposait le résultat de ses recherches sur l'état anato-
mique du poumon dans la dilatation des bronches.
Dans son traité des maladies de poitrine, William Stokes consacre un
chapitre à la dilatation des bronches ; il considère également la phleg-
masie des bronches comme la cause essentielle de la dilatation. Cette
phlegmasie amène une diminution dans l'élasticité des fibres longitudi-
nales, la paralysie des fibres musculaires ou des muscles de Reisseissen,
enfin la cessation des mouvements des cils vibratiles. Or, ces cils vi-
bratiles, dont le rôle a été surtout établi par Purkinje, Yalentin et
Sharpey, ont pour but d'expulser la sécrétion des bronches. Ce mou-
vement vibratile étant détruit, la sécrétion pulmonaire stagne dans le
point affecté et détermine une dilatation par son accumulation sur une
paroi privée d'élasticité et de contractilité. Si l'action phlegmasique
n'a lieu qu'en un seul point de la bronche, la dilatation est unique; si
elle intéresse plusieurs parties, la dilatation est multiloculaire ou moni-
liforme.
Vers l'année 1840, C. J. Williams publiait le résultat de ses recher-
ches sur la dilatation des bronches. Il en attribuait la formation, moins à
la diminution de l'élasticité et de la contractilité de ces canaux qu'aux
alternatives de nutrition produites par l'inflammation, ou bien à un effort
dilatateur exercé par la pression atmosphérique.
liasse attribue les trois sortes de dilatations qu'il a décrites : la pre-
mière à la bronchite ou à la coqueluche; elle s'observe à la suite de
dépôts d'exsudations fibrineuses, qui, en amenant l'oblitération des bron-
chioles et des vésicules pulmonaires, favorisent le développement d'une
dilatation complémentaire; la deuxième, à la phthisie ; la troisième, à la
pleuro-pneumonie, forçant les bronches à suppléer au vide produit par
l'oblitération des vésicules pulmonaires avant l'affaiblissement graduel
des parois thoraciques.
656 BRONCHES. — dilatation (physiologie pathologique).
Rokitansky considère la dilatation cylindrique des bronches comme
résultant de l'action simultanée de la pression atmosphérique et des accès
de toux sur les parois bronchiques, lesquelles seraient préalablement
comme paralysées, ou du moins très-affaiblies. Quant à la dilatation sac-
ciforme, elle ne se développerait point dans la partie des poumons affectée
d'inflammation, mais au-dessus; elle serait due à l'obturation bron-
• chiale, à l'affaissement du tissu pulmonaire qui en résulte, et enfin à la
dilatation compensatrice des ramifications moyennes.
Beau etMaissiat ont discuté la formation des dilatations bronchiques. Ils
ne croient pas que l'accumulation des mucosités soit suffisante pour expli-
quer la dilatation* les mucosités auront plus de facilité à remonter de
proche en proche dans les points les plus spacieux de l'arbre bronchique,
qu'à exercer une action compressive contre les parois qui les auront sé-
crétées. Mais que l'air intra-bronchique soit soumis à des compressions
puissantes et répétées, comme dans les toux quinteuses, il agira, en vertu
de sa propriété éminemment expansive et de la compression qu'il subit,
contre les parois des bronches déjà affaiblies par l'inflammation chro-
nique.
Mendelssohn, en Allemagne, soutint une théorie à peu près analogue;
il attribuait la dilatation des bronches à la pression que l'air exerce sur
les parois bronchiques pendant les accès de toux. L'air agit énergique-
ment par les secousses de la toux sur les mucosités qui remplissent les
bronches ou sur les parois bronchiques paralysées par l'inflammation ; il
détermine ainsi la production d'une dilatation en ampoules.
Barthez et Rilliet distinguent deux variétés de dilatation bronchique :
l'une, aiguë, fréquente chez les enfants, due à l'abondance de la sécrétion,
à la phlegmasie de la muqueuse et à l'imperméabilité du tissu environnant ;
l'autre, chronique, rare chez les enfants, et résultant, soit du passage à
l'état chronique d'une dilatation aiguë, soit de l'action graduellement dila-
tatrice d'une bronchite chronique. Ils ajoutent : « L'abondance de la sécré-
tion, la phlegmasie de la muqueuse, l'imperméabilité du tissu environ-
nant, sont les trois conditions d'existence de la dilatation des bronches.
Toutes les trois se réunissent le plus souvent et accompagnent l'altération
du calibre, mais aucune d'elles n'est absolument nécessaire. La première,
celle qui manque le moins souvent, l'imperméabilité du tissu, est la
.moins indispensable, mais peut suffire à elle seule. Quel est le rôle de
chacune d'elles, et par quel mécanisme se produit la dilatation? Elle peut
s'expliquer d'une manière toute physique par la sécrétion abondante et
le séjour prolongé des mucosités purulentes sans cesse poussées par les
efforts inspirateurs des gros canaux bronchiques dans les plus petits.
Aussi, lorsque la mort est survenue très-rapidement, la dilatation est-elle
très-rare. Cette opinion a été partagée par Fauvel et Grisolle; la phleg-
masie de la muqueuse favorise la dilatation des bronches en diminuant la
consistance de leurs tuyaux, ou, suivant l'idée de William Stokes, en pa-
ralysant les muscles circulaires de Reisseissen et en activant la sécrétion.
A cette action, il faut joindre sans doute celle qui résulte de l'affaisse-
BRONCHES. — dilatation (physiologie pathologique). G57
ment des vésicules pulmonaires. En se rétractant, le tissu intermédiaire
aux surfaces pleurale et bronchique tend à les rapprocher et détermine
ainsi, d'une part, la dépression de la première, et d'autre part, la dilata-
tion de la bronche au niveau des tissus condensés. En effet, la dilatation
est en général plus considérable dans les tissus carnifiés ; c'est même là
que nous avons vu les bronches de la surface acquérir plus d'un centi-
mètre de circonférence. C'est dans ce cas aussi que la phlegmasie manque
souvent, en sorte que la dilatation n'est pas rare sans inflammation de la
muqueuse, mais c'est dans un tissu carnifié. »
La dilatation bronchique, dit Cruveilhier, n'est point une altération
primitive, elle est toujours consécutive à une bronchite chronique, et sur-
tout à la bronchite capillaire ; elle s'explique surtout par les efforts con-
sidérables de la toux, et par les mucosités accumulées dans les tuyaux
bronchiques. La dilatation bronchique suppose à la fois et la perte de con-
tractilité musculaire des tuyaux bronchiques, et la perte de leur élasticité.
Elle affecte plus souvent les dernières divisions bronchiques, car, d'une
part, c'est contre ces dernières divisions que porte plus particulièrement
le contre-coup des efforts de la toux, et, d'autre part, leur structure est
moins résistante, dépourvues qu'elles sont de squelette cartilagineux.
Gombault regarde comme concourant à la production de cette maladie :
1° l'inflammation chronique de la muqueuse; 2° la diminution d'élasticité
de cette membrane et la paralysie des fibres circulaires de Reisseissen;
5° l'accumulation des produits de sécrétion, qui, n'étant plus chassés par
la contraction musculaire, séjournent et s'épaississent; 4° un rétrécisse-
ment dû, soit au pincement de la muqueuse, soit au rapprochement des
deux points opposés du tuyau bronchique, par suite d'une phlegmasie
plus vive en ce point que partout ailleurs ; 5° l'air contenu qui, ne circu-
lant pas librement, s'échauffe ; 6° enfin des adhérences pleurales et la
fixité du poumon.
Barth admet que trois états morbides distincts amènent la dilatation
des bronches : 1° la pleurésie à résolution lente, dont les adhérences, at-
tirant la paroi thoracique d'un côté et amenant son retrait incomplet, ti-
raillent d'une autre part le tissu pulmonaire et finissent ainsi par élargir
les canaux aériens; 2° les engorgements pulmonaires chroniques. Ces
divers états maladifs détruisent l'expansibilité du parenchyme, lui don-
nent comme au tissu des cicatrices une propriété rétractile qui tend à le
faire revenir sur lui-même. Alors, si les côtes ne se dépriment pas suffi-
samment, ce sont les bronches qui se dilatent ; 5° les bronchites fréquentes
et répétées; elles tendent à détruire peu à peu la souplesse et le ressort
des parois bronchiques.
Que l'on suppose, ajoute Barth, ces trois ordres de conditions réunies
par l'existence simultanée de la bronchite, de la pneumonie et de la pleu-
résie ; pour peu que ces états morbides se prolongent au delà de leur durée
habituelle, le poumon, longtemps comprimé et altéré dans sa structure,
tend à revenir sur lui-même ; d'autre part il est accolé aux parois pecto-
rales par des adhérences solides, et si les côtes ont perdu leur flexibilité
638 BRONCHES. — dilatation (physiologie pathologique).
de manière à ne pouvoir céder, le tissu pulmonaire est attiré sans cesse
de dedans en dehors; enfin les bronches, souvent enflammées, perdant
leur ressort, comme l'aorte chez les vieillards, se laissent facilement
distendre sous l'influence du retrait du poumon et de son attraction vers
la plèvre; cet effet se trouve encore accru par l'action mécanique des
mucosités accumulées dans leur intérieur. Une dernière influence enfin,
inhérente à l'acte de la respiration, c'est que si l'air, pénétrant au delà
du mucus par une inspiration énergique, ne traverse pas de nouveau ce
même mucus dans l'expiration, il s'échauffe derrière lui, et par là même
il augmente de volume et contribue à rendre la dilatation des rameaux
bronchiques de plus en plus considérable.
Si Ton considère les diverses théories que j'ai cru devoir exposer avec
détails à cause des noms qui les protègent, on trouve que la dilatation
des bronches a été successivement attribuée : 1° à une phlegmasie chro-
nique de la muqueuse des bronches ; 2° à la pression produite par l'ac-
cumulation et le séjour prolongé des mucosités; 3° à l'action de l'air
emprisonné dans les bronches et exerçant contre leurs parois une pression
expansive ; 4° à la traction extra-bronchique effectuée par l'induration
et le retrait du tissu pulmonaire ; 5° à l'influence des adhérences pleu-
rétiques.
Je pourrais m'en tenir à ce simple résumé; mais l'intérêt qui s'attache
à cette étude m'autorise à examiner si une de ces théories est la véritable,
ou bien si la dilatation bronchique n'émane pas plutôt d'un ensemble de
circonstances diverses.
1° Une phlegmasie de la muqueuse des bronches peut-elle produire
une dilatation des bronches? Si l'on considère ce qui se passe dans la
bronchite chronique, on voit que l'inflammation de la muqueuse se pro-
page au tissu sous-muqueux ; que ce tissu et surtout l'élément muscu-
laire qui entre dans sa composition se ramollit par l'effet de cette inflam-
mation et ne forme plus aux bronches qu'une paroi flasque et inerte; dès
lors celles-ci, privées de toute contractilité, sont incapables de résister
aux forces qui tendent à les dilater. Il se passe dans ce cas pour l'appa-
reil musculaire des bronches ce que l'on observe pour le corps et le col
de la vessie à la suite d'une phlegmasie de cet organe, c'est-à-dire une
paralysie partielle. La paralysie des muscles bronchiques, conséquence
d'une ancienne phlegmasie de la muqueuse, permet aux mucosités de
stagner. Celles-ci, par leur accumulation, dilatent les tuyaux privés de
leur contractilité et de leur élasticité. Trois causes se trouvent ainsi
réunies : une phlegmasie chronique de la muqueuse, la paralysie des
muscles, et la pression dilatatrice des mucosités. La bronchite chronique
joue donc Un rôle important dans la pathogénie de la dilatation bron-
chique.
Une bronchite aiguë peut-elle amener une dilatation des bronches?
Telle est l'opinion de Barthez et Rilliet. Les canaux aériens obstrués par
l'accumulation de mucosités peuvent bien subir dans ce cas une dilatation
momentanée ; mais tant que les parois bronchiques ne seront pas altérées,
BRONCHES. — dilatation (physiologie pathologique). 639
cette dilatation ne pourra pas être une lésion constante, un état morbide
caractérisé, puisqu'elle disparaîtra avec la cause qui la produit.
Existe-t-il une relation entre la bronchite capillaire et la dilatation des
bronches? Fauvel a constaté, dans huit autopsies d'enfants morts de bron-
chite capillaire, sept fois une dilatation partielle ou générale des bron-
ches. Rilliet et Barthez ont observé cette même coïncidence, et à cet
égard ils s'expriment ainsi : « Si nous considérons l'abondance et la re-
production incessante des mucosités bronchiques chez des enfants dont la
difficulté naturelle d'expectoration est encore augmentée par la position
horizontale et plus tard par l'affaissement nerveux résultant du défaut
d'hématose, si nous réfléchissons de plus "que cette accumulation se fait
dans les canaux dont les petites ramifications présentent des parois natu-
rellement moins résistantes chez les jeunes sujets, et qui sont encore ra-
mollies par l'inflammation, nous n'aurons pas de peine à comprendre
pourquoi ces deux affections (bronchite capillaire et dilatation des bron-
ches) se trouvent si fréquemment réunies. »
2° La bronchectasie est-elle le résultat de mucosités accumulées dans
les bronches? Cette assertion est peut-être trop absolue, la sécrétion mu-
queuse abondante ne se retrouve pas toujours dans les dilatations des
bronches. W. Stokes cite des faits de dilatations sans sécrétion morbide
accumulée dans les bronches, il en conclut que le rôle des mucosités est
secondaire. D'autre part, Reynaud cite le fait d'un rétrécissement consi-
dérable des bronches gauches avec accumulation de mucosités. Biermer
rapporte l'observation d'un individu mort d'une bronchite chronique,
avec expectoration abondante et fétide, l'autopsie ne démontra aucune
trace de dilatation. Donc l'accumulation des mucosités ne détermine pas
nécessairement la dilatation des bronches, elle peut cependant devenir
dans certaines circonstances, une cause adjuvante. — Il ne faut pas ou-
blier que la production des sécrétions bronchiques, leur séjour dans ces
canaux constituent un phénomène secondaire, consécutif à certaines alté-
rations des rameaux aériens.
5° L'air emprisonné dans les bronches peut-il en déterminer la dila-
tation? — Lebert analysant les recherches de Gairdner sur l'affaissement
des vésicules pulmonaires, a démontré l'erreur de cette opinion. Les
expériences de Hutchinson et de Mendelssohn prouvent que l'expiration
est d'un tiers environ plus puissante que l'inspiration. Dans les efforts de
la toux, cette puissance de l'expiration est augmentée par tout l'avantage
mécanique d'une impulsion soudaine et de la force expansive qu'acquiert
l'air comprimé. La quantité d'air comprimé derrière un obstacle bron-
chique ne peut pas augmenter ; au contraire, elle diminue. Mais que
devient cet air? il est peu à peu expulsé par les efforts expirateurs et
n'est point remplacé parce que le bouchon formé par les matières sécré^
tées a été repoussé vers les bronches plus petites qu'il ferme complète-*
ment. Donc, si de l'air est emprisonné par des mucosités bronchiques,
loin d'augmenter en quantité, il finit par disparaître, et la partie du pou-
mon qui n'est pas en communication avec l'air atmosphérique s'affaisse
640 BRONCHES. — dilatation (physiologie pathologique).
au lieu de se dilater. L'air emprisonné peut-il, par la chaleur qu'il ac-
quiert dans le poumon, se dilater au point de déterminer un élargisse-
ment des bronches? Cette idée est hypothétique, car dans les limites de
température auxquelles est soumis cet air, le changement de volume ne
peut jamais être considérable.
4° Les engorgements chroniques des poumons, la cirrhose en particu-
lier, peuvent-ils devenir cause de la dilatation des bronches? Lebert,
dans son ouvrage d'anatomie pathologique, s'inscrit contre une telle as-
sertion. — Lorsqu'on a examiné, dit-il, avec soin un certain nombre
de poumons qui étaient le siège à divers degrés de la dilatation des
bronches, on peut se convaincre que celle-ci est l'action dominante
et que les modifications du tissu pulmonaire ne sont que consécutives,
aussi ne comprend-il pas qu'on ait établi en principe une analogie entre
la condensation pulmonaire dans ces circonstances et la cirrhose du foie,
et qu'on ait envisagé la dilatation bronchique comme consécutive, causée
par une espèce de retrait ou de résistance moindre du tissu pulmonaire
ambiant. En face d'assertions aussi contradictoires, il est difficile de se
prononcer nettement, cependant il me semble qu'avec une induration
pulmonaire, la formation des ectasies des bronches se comprend facile-
ment. Les parois de ces canaux sont tiraillées, écartées mécaniquement
l'une de l'autre, par la traction qu'exerce sur elles le tissu connectif de
nouvelle formation; leur élasticité et leur contractilité étant épuisées,
elles doivent subir une dilatation permanente. — Le tissu connectif après
avoir condensé les cellules pulmonaires ne pouvant exercer sa retractilité
en comprimant concenlriquement les bronches, ce qui éloignerait les
poumons des parois costales, les tiraille au contraire excentriquement,
et cette traction prolongée amène leur dilatation. J'ajouterai que la
bronchectasie, venant à la suite d'un induration chronique du poumon,
s'explique sans qu'il soit néce-saire d'admettre une altération préalable
des parois bronchiques ; cependant, s'il existait un ramollissement, il ne
pourrait que favoriser ce mécanisme.
5° Les adhérences pleurétiques ont-elles une influence notable sur la pro-
duction de la dilatation des bronches? Sur trente malades atteints de dila-
tation bronchique, Barth n'en a trouvé que deux ne présentant pas d'adhé-
rences pleurales. Ces chiffres permettent de conclure que les adhérences
de la plèvre doivent avoir une part d'action importante dans la formation
de la dilatation. Si donc, elles n'ont pas formé les dilatations, elles ont joué
un certain rôle dans leur production. Lors de l'épanchement pleurétique
qui a précédé les adhérences, le poumon comprimé a perdu son élasticité,
son tissu s'est condensé,, un certain nombre de vésicules pulmonaires sont
devenues imperméables, conditions nécessaires à la formation des dila-
tations. Puis, le poumon, forcé de rester en contact avec les parois thora-
ciques, étant tiraillé en tout sens, les deux feuillets de la plèvre, par leur
union, le maintiennent toujours dans les mêmes limites. L'organe res-
piratoire, malgré les obstacles apportés à l'accomplissement de ses mou-
vements, continue ses fonctions ; il s'établit alors une lutte entre l'inertie
BRONCHES. — dilatation (diagnostic). 541
que tendent à donner au poumon les adhérences, et le mouvement d'ex-
pansion qui se fait à chaque inspiration. L'augmentation d'activité fonc-
tionnelle du poumon, et les tractions incessantes qu'il subit, finissent par
développer le calibre des bronches. Tel doit être le rôle des adhérences
pleurales dans la pathogénie des dilatations bronchiques.
Ainsi la dilatation des bronches ne résulte pas d'une seule cause;
elle est produite par un ensemble de circonstances diverses, qui, la plu-
part, ont une origine phlegmasique ; tels sont les épanchements pleuré-
tiques anciens, les altérations chroniques des poumons, les bronchites
chroniques, d'où il suit que la bronchectasie est moins une entité morbide
qu'une lésion consécutive à divers états maladifs des poumons et des
bronches; toutefois, elle a ce caractère particulier qu'en persistant, elle
devient le point de départ d'altérations nouvelles masquant ou rempla-
çant celles qui lui avaient donné naissance.
Diagnostic. — Malgré toute la précision que les procédés modernes
d'investigation permettent d'apporter dans la détermination exacte des
lésions de l'appareil respiratoire, le diagnostic de la dilatation des bron-
ches offre encore de sérieuses difficultés. Il ne s'appuie, en effet, sur au-
cun symptôme réellement pathognomonique. Les phénomènes locaux et
généraux, les résultats de la percussion et de l'auscultation attestent bien
l'existence, au centre du parenchyme pulmonaire, d'une cavité anormale
communiquant avec les bronches, mais aucun de ces signes n'appartient
exclusivement à la dilatation de ces canaux. C'est donc plutôt sur la
marche de la maladie, sa durée, l'étude des causes, que le médecin doit
s'appuyer pour émettre une opinion.
Est-il possible de reconnaître les différentes variétés de dilatation? La
dilatation uniforme aurait pour caractères la matité, le souffle bronchique
et la bronchophonie mêlés fréquemment d'un râle muqueux assez pro-
noncé. La dilatation ampullaire donnerait lieu à une respiration caver-
neuse, au râle inuqueux limité, à la pectoriloquie. Quant à la dilatation
en chapelet, elle présenterait tous ces signes à la fois. (Valleix.)
La dilatation bronchique se distingue assez facilement des autres mala-
dies de l'appareil respiratoire, qui peuvent avoir avec elle quelque analogie.
L'emphysème pulmonaire en diffère par la dilatation de la poitrine,
l'exagération du son à la percussion, l'affaiblissement du murmure respi-
ratoire, des accès de dyspnée plus ou moins violents, une toux peu fré-
quente, des crachats mousseux, aérés, semblables à une solution de
gomme, ou quelquefois perlés et nacrés.
La pneumonie se distingue par le frisson initial, par le râle crépitant,
le souffle tubaire, une coloration spéciale des crachats et des symptômes
généraux plus ou moins prononcés.
La pneumonie chronique par la connaissance des antécédents (pneu-
monie aiguë préexistante), la marche de la maladie, un affaiblissement
général, une fièvre lente, etc.
Une vomique par l'étude des antécédents, les frissons répétés, le rejet
brusque d'une grande quantité de pus.
NOUV. DICT. MÉD. ET CHin. V. — 41
642 BRONCHES. — dilatation (diagnostic).
Une gangrène pulmonaire diffère, par la nature des crachats sanieux,
purulents, d'une odeur particulière, par des symptômes généraux d'une
certaine gravité. Dans la dilatation bronchique quelquefois, dans la gan-
grène pulmonaire toujours, l'haleine et les crachats exhalent une extrême
fétidité, mais dans la gangrène pulmonaire, cette fétidité très-forte rap-
pelle exactement celle du sphacèle, tandis que dans la bronchectasie
elle a l'odeur des matières animales en putréfaction.
Une pleurésie chronique avec épanchement purulent ouvert clans les
bronches se reconnaît par la nature des crachats et leur mode d'expul-
sion. En effet, les crachats de la dilatation bronchique ne sont pas aussi
uniformément purulents que dans l'empyème ; ils sont souvent muqueux,
mêlés d'air; ils surnagent à l'eau et ne s'y dissolvent pas comme le pus
séreux des plèvres, c'est toujours à la suite d'une quinte de toux qu'ils
sont rejetés; tandis que dans l'abcès pletirétique, le pus est liquide, sans
mélange d'air, fétide, souvent il s'échappe sous forme de jet de la bouche
du malade lorsque celui-ci incline suffisamment la tête. Enfin, l'abcès
pleural ouvert dans les bronches se dénote par une résonnance tympa-
nique, la succussjon du thorax, le souffle amphorique, le tintement mé-
tallique.
Quant à la phthisie pulmonaire le diagnostic différentiel est beaucoup
plus difficile. On comprend, dit Barth, combien il est important de
poser un diagnostic précis toutes les fois qu'il s'agit d'une affection qui
entraîne de si graves conséquences, et s'il est urgent de reconnaître les
tubercules quand ils existent, il est non moins intéressant en pratique de
ne pas les admettre quand ils n'existent pas, en un mot il faut éviter de
confondre avec une maladie aussi souvent mortelle que la phthisie pul-
monaire un état morbide curable, ou qui, du moins, peut durer nombre
d'années, sans danger sérieux pour la vie.
Dans la phthisie pulmonaire et dans la dilatation bronchique, se retrou*
vent des symptômes identiques, toux, crachats épais et puriformes, hémo-
ptysies, oppression, matité, respiration caverneuse, gargouillement, pec-
toriloquie. L'analogie est plus grande encore lorsque la dilatation des
bronches occupe le sommet d'un poumon, qu'elle s'accompagne d'une
expectoration inucoso-purulente, d'un amaigrissement général, etc. Barth
et Gombault ont tracé avec beaucoup de netteté ce diagnostic différentiel.
Je vais le tenter à mon tour, en comparant dans ces deux affections,
non-seulement les phénomènes locaux et les signes physiques, mais en-
core la marche de la maladie et toutes les conditions étiologiques ap*
préciables.
D'abord, quant aux antécédents, qu'il est toujours bon d'interroger,
on doit noter que si la phthisie pulmonaire est souvent héréditaire, et fré-
quente de vingt à quarante ans, la dilatation des bronches est plus com-
mune après qu'avant l'âge de cinquante ans, et qu'elle est exempte
d'influence héréditaire. Si la dernière succède d'emblée à une bronchite
intense accompagnée de grands efforts de toux, la première arrive insen-
siblement sans toux préalable, ou du moins, à la suite d'une toux telle-
BRONCHES. — DILATATION (diagnostic). 645
ment légère que souvent elle a échappé à l'attention du malade et de ses
parents.
La phtbisie se présente avec les formes rétrécies du thorax déjà dé-
crites (page 604), avec une toux souvent sèche au début, douloureuse,
fatigante, continue, ou du moins se répétant à de courts intervalles avec
une expectoration d'abord peu abondante, plus tard composée de crachats
isolés, nummulaires, déchiquetés ou pelotonnés, plongeant dans l'eau et
mêlés de grumeaux plus ou moins solides. Dans la dilatation des bronches,
la poitrine n'est nullement rétrécie, la toux est grasse, humide, facile;
elle se reproduit par accès séparés par de longs repos ; les bronches sem-
blent se vider de loin en loin ; il se fait alors une expectoration abon-
dante de crachats muco-purulents, fondus en une masse homogène qui
surnage en nappe à la surface de l'eau, ou ne plonge qu'en partie dans
le liquide.
Si des hémoptysies se montrent, c'est près du début dans la phthisie,
et c'est quand son cours est avancé dans la dilatation bronchique.
La voix, si souvent éteinte dans la phthisie, est toujours conservée dans
la dilatation ; ce fait s'explique facilement quand on réfléchit que cette
maladie est toute locale, tandis que l'affection tuberculeuse envahit suc^
cessivement le poumon, le larynx, etc. y
Dans la phthisie, on observe de la dyspnée, surtout dans une période
avancée de la maladie, des douleurs thoraciques, intercostales et inter-
scapulaires ; dans la dilatation bronchique, la dyspnée est habituelle-
ment modérée; il n'existe pas de douleur fixe sur les parois de la
poitrine.
Le siège le plus constant des tubercules étant le sommet des poumons,
c'est là, et assez souvent des deux côtés, que les signes physiques sont
recueillis avec le plus de netteté ; la dilatation des bronches a lieu le plus
ordinairement d'un côté, autant et plus vers la base que vers le sommet.
La percussion y donne un son clair, l'oreille y perçoit un souffle caver-
neux, du gargouillement, et même de la pectoriloquie; mais ces phéno-
mènes ont lieu dès le début de la maladie, tandis que dans la phthisie
ils en marquent la troisième période.
Les phénomènes généraux sont de plus en plus graves dans la tuber-
culisation : mauvaises digestions, vomissements, diarrhée, sueurs par-
tielles, lièvre hectique, consomption des forces, amaigrissement, pâleur,
changement de la forme des doigts, etc., présages certains d'une ter-
minaison inévitablement funeste, tandis que la dilatation des bronches
est loin de présenter un tableau aussi inquiétant, une détresse physique
aussi significative. Elle peut faire périr, sans doute, mais ce n'est jamais
qu'au bout d'un temps plus ou moins long et par l'effet de coïncidences
rares et fortuites.
Chacun de ces caractères différentiels pris séparément n'a, il est vrai,
qu'une importance restreinte; mais, réunis, ils acquièrent une certaine
valeur et établissent d'une manière positive le diagnostic différentiel de
la phthisie pulmonaire et de la dilatation des bronches.
04i BRONCHES. — dilatation (pronostic et thérapeutique).
Pronostic. — La dilatation des bronches peut se prolonger indéfini-
ment sans déterminer des troubles sérieux dans la santé du malade. Elle
occupe une certaine étendue du parenchyme pulmonaire ; si elle affecte les
deux poumons, le danger est réel; il est facile d'en comprendre le motif.
Le malade n'ayant plus pour les besoins de l'hématose qu'une faible partie
du tissu pulmonaire, si une bronchite ou une pneumonie surviennent,
la respiration devient très-difficile, et la mort peut être la conséquence
de la diminution progressive et continue du champ de l'hématose. Lorsque
les dilatations sont nombreuses et remplies d'un ichor putride, la mort
peut être le résultat des pertes considérables que fait chaque jour le ma-
lade par la suppuration bronchique ; ne peut-on pas craindre que cet
ichor putride, en contact avec les surfaces malades, transporté par des
inspirations successives dans les tuyaux aériens qui aboutissent aux parties
demeurées saines, ne devienne une cause d'infection pour l'économie,
d'autant plus puissante que les surfaces respiratoires ont une facilité
d'absorption très-grande; du reste, on comprend que le degré d'extension,
la largeur des dilatations, l'ancienneté de la maladie, l'âge, la consti-
tution du sujet, sont autant d'éléments qui font nécessairement varier le
pronostic.
Thérapeutique. — La dilatation des bronches n'étant jamais primitive,
le traitement préservatif consiste à combattre énergiquement les maladies
qui peuvent lui donner naissance. Mais quelquefois, malgré l'emploi de
cette prophylaxie, l'affection est déclarée. L'art est-il encore impuissant?
Non, la médecine offre des ressources qui, si elles ne guérissent pas, du
moins soulagent et prolongent l'existence. Débarrasser les voies de la
respiration des mucosités qui les obstruent, modérer le flux catarrhal
afin d'arriver s'il est possible à en tarir la source, favoriser la résolution
complète des lésions pulmonaires ou pleurétiques qui souvent persistent
encore à cette époque, activer autant que l'on peut y contribuer le retrait
graduel et progressif des parois bronchiques élargies, surveiller et com-
battre les incidents pathologiques qui ont surtout pour effet de ranimer
les catarrhes mal éteints et deviennent ainsi la cause d'une aggravation
nouvelle, enfin soutenir les forces, telles sont les principales indications
que le médecin doit s'étudier à remplir.
Les agents thérapiques susceptibles de débarrasser les bronches des
mucosités qui les remplissent sont : le kermès, 20 à 50 centigram-
mes dans un julep ou un looeh; l'ipécacuanha, sous forme de sirop,
à la dose de 15 à 25 grammes, ou de poudre 1 gramme 50 centi-
grammes; le tartre stibié, 5 à 50 centigrammes dans eau, 125 grammes.
Les laxatifs (manne, huile de ricin) sont employés avec avantage.
Les opiacés (extrait gommeux, morphine, etc.) calment assez bien la
toux et assurent le repos.
Les substances dites balsamiques (tolu, goudron, térébenthine, co-
pahu, etc.) exercent une influence réelle sur l'abondance des sécré-
tions.
Les astringents (cachou, ratanhia, diascordium) combattent à la fois
BRONCHES. — RÉTRÉCISSEMENT (CAUSES).
'(.)
et la sécrétion bronchique et d'autres accidents tels que l'hémoptysie et
la diarrhée.
Les eaux sulfureuses (Bonnes, Cauterets, Vernet, Àmélie-les-Bains) sont
souvent utilisées pour combattre les complications pulmonaires qui en-
tretiennent ou aggravent la dilatation bronchique.
Quelques révulsifs cutanés (vésicatoires sur le thorax, onctions avec la
teinture d'iode, l'huile de croton tiglium, le tartre stibié) ont souvent
produit une amélioration manifeste.
Trousseau attache une grande importance aux inspirations de substances
médicamenteuses. Il compare leur action sur la muqueuse des bronches
à celle que produisent sur la muqueuse uréthrale les injections cathéré-
tiques.
Chez les malades épuisés par la toux et l'exagération de la sécrétion
bronchique, les préparations de quinquina agiront utilement en réveil-
lant la tonicité des tissus, et en relevant les forces générales.
Rétrécissement des nroificlies. — Définition. — Le rétrécisse-
ment des bronches ou broncho sténo si le ou bronehiartie, consiste en une
diminution dans le calibre des bronches, capable d'apporter un obstacle
au passage de l'air et de produire des troubles plus ou moins marqués
dans les phénomènes de la respiration et de l'hématose.
Cet état morbide n'est le plus souvent que la conséquence de diverses
affections aiguës ou chroniques, dont le conduit aérien peut être le siège;
aussi la plupart des auteurs .classiques ne lui consacrent-ils qu'un cha-
pitre très-court.
Causes. — Le rétrécissement des bronches a pour causes principales :
une compression extérieure, une lésion organique des parois, un spasme
des fibres musculaires, ou bien la présence dans ces canaux de corps
étrangers.
1° Les bronches peuvent être rétrécies par des corps extérieurs qui,
appliqués contre leurs parois, en diminuent le calibre. Ces corps sont
nombreux et de nature diverse.
En premier lieu se placent les ganglions lymphatiques qui entourent
les bronches et surtout ceux qui sont situés à l'angle de bifurcation
et à la racine des poumons. Ils offrent des dégénérations multiples
(hypertrophie simple, mélanique, tubercules, cancer, etc.). En augmen-
tant de volume et de consistance, ils dépriment les canaux bronchiques.
Louis, qui d'abord n'avait pas attaché d'importance à cette altération, a
reconnu plus tard que ces glandes bronchiques subissent fréquemment
la transformation tuberculeuse non-seulement dans l'enfance, mais en-
core dans l'âge adulte, et il s'exprime ainsi : « La situation de ces gan-
glions dans le voisinage des gros vaisseaux, des bronches, de l'œsophage
et de la trachée, entraîne la compression de ces canaux et par conséquent
des difficultés dans la respiration, la déglutition, la circulation et même
des hémorrhagies mortelles. » Cette altération des ganglions bronchiques
avec ses conséquences symptomatologiques passa quelque temps inaper-
çue. Plus tard elle a été signalée chez les enfants par Becker, Leblond,
(H6 BRONCHES. — rétrécissement (causes).
II. Ley, Berton, Rilliet et Barthez, et dans ces dernières années chez les
adultes |>ar Marchai (de Calvi), Richel, Duriau et Glaize, Fonssagrives,
Le Boy de Méricourt, Woillez, etc.
Les ganglions bronchiques peuvent devenir cancéreux ; ils acquièrent
alors un volume assez considérable et atteignent les canaux aériens dont
ils diminuent le calibre. Cruveilhier a vu un cancer encéphaloïde des
ganglions lymphatiques qui de la racine des poumons s'était propagé le
long des tuyaux bronchiques et les avait notablement rétrécis.
Certaines tumeurs se développent dans le médiastin antérieur et
compriment plus ou moins vivement les bronches. Stokes en rapporte
des exemples. Cruveilhier a donné la description d'une tumeur située
derrière le sternum et les côtes gauches, qui refoulait en arrière le cœur,
les poumons et la trachée ; elle envoyait en outre un prolongement en-
veloppant la bronche gauche et l'aplatissant fortement. j
Une cause assez fréquente de compression de la partie inférieure de la
bronche gauche est l'anévrysme de la partie ascendante de la crosse de
l'aorte. Robert Spittal a rapporté des faits de ce genre. Legendre a donné
(1854) l'histoire d'une tumeur anévrysmale de l'aorte thoracique qui
comprimait la bronche gauche. Mon père a publié une observation d'ané-
vrysme de l'aorte qui, par la compression qu'il exerçait sur la bronche
gauche, avait produit des accès de suffocation, etc. J'ai vu a l'hôpital
Saint-André, dams son service de clinique, un anévrysme de la crosse de
l'aorte, comprimant la partie inférieure de la trachée et la bronche
gauche, et déterminant une oppression très-considérable. La compression
s'effectue avec d'autant plus d'intensité que l'aorte dilatée se trouve
placée entre le sternum qui résiste et des organes qui cèdent et se laissent
facilement refouler en arrière.
D'autres fois, c'est le cœur hypertrophié ou quelque partie de cet or^
gane dilaté qui fait office de corps comprimant. King a publié cinq ob-
servations d'aplatissement de la bronche gauche par suite de la dilatation
de l'oreillette gauche. Barlow a rapporté le fait d'un jeune homme chez
lequel existait un rétrécissement notable de la trachée et des bronches,
par suite d'une hypertrophie du cœur.
Enfin, des tumeurs volumineuses, des kystes acéphalocystes, en se
se développant dans le poumon ou la plèvre, exercent sur les bronches
une compression suffisante pour intercepter la respiration dans la portion
du poumon correspondante. Baron, Hérard (1850) ont relaté des faits de
ce genre.
2° La cause du rétrécissement peut occuper les divers éléments qui en-
trent dans la structure des bronches. L'origine la plus ordinaire de cette
lésion de canalisation est une inflammation chronique ; celle-ci amène
un épaississement de la membrane muqueuse, une hypertrophie des
fibro-cartilages des bronches. Mon père a publié, en 4844, un exemple
de rétrécissement des bronches par suite de cette dernière altération.
Dans un cas rapporté par Lebert, les anneaux cartilagineux avaient triplé
d'épaisseur. Andra! a mentionné un cas semblable ; la bronche princi-
BRONCHES. — RÉTRÉCISSEMENT (sYMPTOMEs). 647
pale était tellement rétrécie qu'un stylet fin pouvait à peine franchir l'ob-
stacle,
La muqueuse est quelquefois le siège d'ulcérations syphilitiques; et
comme celles-ci se manifestent surtout dans les grosses bronches, en se
cicatrisant elles amènent des rétrécissements qui gênent la respiration
dans le côté correspondant de la poitrine.
Dans la partie des bronches qui sont munies de glandes mucipares,
l'hypertrophie porte de préférence sur ces corps. La muqueuse bron-
chique pourrait être encore le point de départ de productions polypeuses,
mais ces excroissances sont rares.
5° Le spasme doit jouer un certain rôle dans la production du rétré-
cissement des voies aériennes ; ainsi que le fait remarquer Cruveilhier,
il agit dans toute sa plénitude aux deux extrémités des canaux aériens,
c'est-à-dire au larynx et aux divisions ultimes des bronches.
Beau n'admet pas le spasme des bronches ; il explique la dyspnée par
la présence de mucosités visqueuses et tenaces dans l'arbre aérien. Ces
mucosités, en rétrécissant les tuyaux bronchiques, produisent les râles
bruyants qu'on entend dans cette affection. Cette hypersécrétion n'cst-
elle pas soumise à la perturbation nerveuse? Lorsque, avec Cruveilhier,
on considère, d'une part, la disposition des segments cartilagineux qui
semblent avoir été taillés tout exprès pour s'emboîter les uns dans les
autres par leurs extrémités, et pour constituer un appareil de mouve-
ment, et d'autre part, l'existence des libres contractiles circulaires, pla-
cées à la face interne de ces segments, on ne saurait révoquer en doute
les mouvements de ces segments les uns sur les autres ; l'étendue de ces
mouvements peut être mesurée par l'espace qu'ils doivent parcourir pour
arriver au contact. Or, l'arrivée au contact doit avoir pour résultat la
presque oblitération de ces conduits si leurs parois sont épaissies et en-
duites de mucus. Ces faits anatomiqucs expliquent les phénomènes de
l'asthme nerveux et de la suffocation nerveuse. Le spasme bronchique
joue un rôle très-important dans presque toutes les maladies des voies
respiratoires; il explique les alternatives si rapides d'oppression extrême
et de respiration libre, les quintes suffocantes de la coqueluche, l'asthme
symptomatique des maladies du cœur; il constitue à lui seul l'asthme
idiopathique, l'asthme nerveux.
4° L'obstacle au passage de l'air dans les bronches peut être produit
par la sécrétion modifiée de la muqueuse ou par des corps étrangers for-
tuitement introduits dans les voies aériennes. Dans la première catégorie
se placent les mucosités abondantes et concrétées, les tubes pseudo-
membraneux, des concrétions plastiques, fibrineuses ; dans la deuxième,
se rangent les corps étrangers venus du dehors ; les annales de la science
renferment un grand nombre d'exemples de cette dernière catégorie. Que
ces corps étrangers se soient développés dans les bronches, qu'ils y aient
été introduits, ils en rétrécissent nécessairement le calibre.
Symptômes. — Les symptômes auxquels donne lieu le rétrécissement
des bronches sont les suivants :
648 BRONCHES. — rétrécissement (symptômes).
Une toux sonore, bruyante, quinteuse, habituellement sèche ou suivie
d'une expectoration spumeuse;
Une respiration saccadée, irrégulière, par moments très-gênée. — La
dyspnée revêt alors la forme paroxystique, elle rappelle l'angoisse et
l'orthopnée de l'accès d'asthme;
Des douleurs ou plutôt un sentiment de gêne au-devant de la poi-
trine;
Une voix faible, voilée, comme enrouée.
La percussion ne fournit aucun signe d'une valeur réelle.
L'auscultation est plus significative. Parmi les symptômes qu'elle per-
met de constater, il en est un pathognomonique de la compression des
bronches : c'est le cornage broncho-trachéal ; ce bruit particulier avait
bien été signalé par Laennec, par Chomel, par Bouillaud, parPiorry, par
Bouchut, par Monneret; mais c'est Empis qui, dans ces dernières années,
en a décrit avec une grande exactitude tous les caractères, et en a fait
connaître la valeur séméiologique.
Ce cornage broncho-trachéal est entendu à distance, il est lié aux deux
temps de la respiration, il a néanmoins son maximum d'intensité dans
l'inspiration, il se perçoit dans toute l'étendue de la poitrine surtout à
la partie antérieure et médiane, puis en arrière entre les deux sca-
pulums.
Il se distingue du ronflement que détermine la respiration dans les af-
fections gutturales, en ce que ce dernier a besoin pour se produire que
l'air inspiré passe par les narines et traverse les fosses nasales. Aussi,
pour le distinguer, il suffit de pincer le nez, de fermer les narines, et dès
que l'air est intercepté par les fosses nasales, le ronflement cesse immé-
diatement; il continue, s'il s'agit du cornage broncho-trachéal.
Ce cornage diffère de la respiration bruyante à distance, qui se fait en-
tendre dans la phthisie laryngée, l'angine striduleuse, le croup, l'œdème
de la glotte, et se caractérise par un timbre spécial de la toux et de la
voix; dans ces dernières affections, la voix est enrouée, rauque, voilée,
éteinte, tandis que dans le cornage broncho-trachéal, le larynx reste
libre, et la voix n'éprouve pas les modifications dont je viens de
parler.
Il se distingue de la respiration bruyante que l'on observe dans les accès
d'asthme, dans le catarrhe suffocant des vieillards, dans la dyspnée des
emphysémateux. Chez ces malades, la respiration bruyante a son maxi-
mum d'intensité pendant l'expiration qui devient très-prolongée ; dans la
compression broncho-trachéale, le bruit de cornage a son maximum d'in-
tensité pendant l'inspiration. Ainsi, dans les premiers cas, le bruit pa-
thologique est expirateur, tandis que dans le second, il est inspirateur.
En outre, dans les accès d'asthme, dans l'emphysème pulmonaire, le sif-
flement expirateur est moelleux, prolongé, il se perçoit surtout en avant
au-dessus des mamelles, en arrière, en dedans, et au niveau des fosses
sous-épineuses, et dans les régions sous-scapulaires. Le ronflement
inspirateur du cornage broncho-trachéal, est au contraire sec, rude, il
BRONCHES. — rétrécissement (diagnostic) . 649
est sensible principalement en avant sur la ligne médiane, au niveau du
sternum, puis en arrière, entre les deux scapulums.
La respiration bruyante ou sifflante de l'angine striduleuse, du croup
a des traits qui la spécilient. En même temps que l'inspiration est
bruyante, la toux et la voix prennent un timbre métallique, sui generis,
et deviennent voilées et étouffées, éteintes et aphones; signes de haute
valeur qui n'appartiennent pas au cornage du râle trachéal produit par
des corps étrangers (mucus, sang, pus, etc.), contenus dans la trachée;
ce râle trachéal est toujours très-humide, il a de très-grosses bulles; en
outre, il est modifié par les secousses de la toux, tandis que le ronfle-
ment du cornage est tout à fait sec et ne présente aucun de ces carac-
tères.
Le diagnostic différentiel du cornage broncho-trachéal s'appuie donc
sur le caractère de ce bruit, sur le temps de la respiration et la région
de la poitrine où il a son maximum d'intensité.
Diagnostic — Les détails dans lesquels je viens d'entrer peuvent servir
d'éléments importants pour le diagnostic; actuellement il faut essayer de
faire connaître le siège et la nature de l'obstacle qui produit le rétrécis-
sement.
Il est toutefois une question importante qu'il me paraît nécessaire
d'examiner. Des corps étrangers peuvent-ils séjourner quelque temps
dans les bronches sans déterminer des symptômes particuliers? Les
exemples attestant l'innocuité de ces corps étrangers sont rares mais
incontestables. Dans une observation de Dupuytren, il est fait mention
d'une pièce d'or qui séjourna dans une bronche un temps assez long
sans produire d'accident. Royer-Collard a rapporté à la Société anatomi-
que (1827) le fait suivant : un clou long d'un pouce et demi resta engagé
dans la bronche gauche pendant deux ou trois ans sans occasionner de
phénomène morbide. Il mentionne encore cet autre exemple : un os
de côtelette séjourna dix ans dans une bronche sans déterminer de
maladie des organes respiratoires. W. Rose cite le cas d'un enfant de
six ans chez lequel un fruit de hêtre fut retenu pendant près de dix ans
dans les voies aériennes, sans entraîner une lésion de ces organes. Mas-
lieurat-Lagemard lut à l'Académie de médecine, en 1844, l'histoire d'un
corps étranger qui demeura neuf mois dans les bronches sans inconvé-
nient.
1° Détermination du siège de l 'obstacle. — C'est l'auscultation qui per-
met de le reconnaître. Lorsque la compression a lieu sur l'une des deux
bronches ou sur l'une des principales divisions, le poumon correspondant
à la bronche comprimée, ou le lobe pulmonaire correspondant à la divi-
sion bronchique comprimée, devient le siège d'une respiration affaiblie.
Cette particularité avait été notée par Stokes. Elle a permis à Empis d'an-
noncer que, chez un malade atteint de cornage, c'était la bronche gauche
qui était aplatie par une tumeur anévrysmale ; à la nécropsie on vérifia
l'exactitude du diagnostic.
Lorsque la respiration est affaiblie des deux côtés à la fois, si du
650 BRONCHES. — rétrécissement (diagnostic.)
moins l'auscultation ne permet de découvrir aucune différence de force
entre le murmure respiratoire de l'un et de l'autre côté de la poitrine et
si en même temps il existe un cornage intense, il y a lieu de penser que
la compression se trouve à l'angle de bifurcation des bronches.
L'obscurité du bruit respiratoire dans la partie du poumon où va se
ramifier la bronche comprimée paraît à Fonssagrives un signe déduit
plutôt théoriquement de la nature de la lésion que constaté par l'expé-
rience. Cette faiblesse du murmure respiratoire, généralisée à un pou-
mon ou aux deux simultanément, a une valeur incontestable : elle a été,
pour Barth et Roger, le symptôme principal sur lequel ils se sont appuyés
pour formuler un diagnostic. Il s'agissait d'un jeune homme de dix-sept
ans, qui offrait les symptômes généraux de l'affection tuberculeuse. Le
sommet du poumon gauche était mat à la percussion, et dans les mêmes
points, le bruit respiratoire était presque nul. On pouvait difficilement
admettre, soit un épanchement circonscrit au sommet, à cause de la ra-
reté de cette situation du liquide, soit des tubercules crus avec densité
du parenchyme pulmonaire. Ces états morbides se traduisant plutôt par
la respiration rude ou bronchique, Barth et Roger diagnostiquèrent un
rétrécissement de la bronche qui se distribue au sommet du poumon
gauche. Le malade mourut d'une hémoptysie foudroyante, et ta la nécrop-
sie, on trouva effectivement cette bronche comprimée par de gros tu-
bercules, ses parois étaient froncées au point que l'orifice avait à peine
le diamètre d'une plume à écrire. Il y a donc lieu de considérer la fai-
blesse du bruit respiratoire comme un signe réel de la compression des
bronches.
2° Détermination de la nature de V obstacle. — Chercher à déterminer
la nature de l'obstacle dont le siège est connu, c'est établir le diagnostic
différentiel des diverses affections qui peuvent produire le rétrécissement
bronchique.
Les ganglions bronchiques, lorsqu'ils forment une tumeur plus ou
moins considérable, compriment certains organes, avec lesquels ils sont
en contact, et modifient leurs fonctions. Lorsqu'en 1826, Andral, dans
sa Clinique médicale, esquissait l'histoire de cette grave lésion chez
l'adulte, il en faisait ressortir la rareté, et craignait que l'on n'arrivât
jamais à la reconnaître pendant la vie. Mais les travaux des médecins
dont j'ai déjà cité les noms ont éclairé ce diagnostic, et permettent de
l'établir sur des bases assez solides. Les ganglions bronchiques compri-
ment-ils la veine cave supérieure, ils déterminent l'œdème de la face, la
dilatation des veines du cou, la coloration violacée du visage. Pressent-
ils les vaisseaux pulmonaires, ils produisent l'hémoptysie, l'œdème du
poumon? Agissent-ils sur le nerf pneumo-gastrique, ils entraînent des
altérations dans le timbre de la voix, des quintes de toux qui simulent
la coqueluche, des accès d'asthme?
Compriment-ils les bronches? cette compression se manifeste par des
symptômes particuliers : une toux quinteuse, sèche, bruyante, des dou-
leurs qui se montrent le plus souvent du côté de la poitrine correspon-
BRONCHES, — rétrécissement (diagnostic). 651
dant à la lésion, et qui quelquefois affectent la forme d'une névralgie
cervico-occipitale, un sentiment de gêne à la partie antérieure de la poi-
trine, qui prend parfois la proportion d'une véritable angoisse, la faiblesse
de la voix et même l'aphonie ; une oppression à forme paroxystique, qui
dépasse celle des accès d'asthme les plus pénibles ou de l'angine de poi-
trine.
La percussion ne fournit que des signes négatifs.
La palpation permet de constater un accroissement des vibrations tho-
raciques normales et de sentir sous l'une ou l'autre clavicule des frotte-
ments dus à de gros râles sonores.
A l'auscultation, le murmure vésiculaire est affaibli dans la partie du
poumon où va se ramifier la bronche comprimée ; il est quelquefois mas-
qué par des râles vibrants. C'est à Rilliet et Barthez que revient l'honneur
d'avoir parfaitement décrit la nature de ces râles. « Lorsque les ganglions,
disent-ils, compriment la partie inférieure de la trachée ou les bronches,
il existe un symptôme spécial à cette compression, c'est un gros ron-
chus bruyant, sonore, masquant tout bruit respiratoire, s'entendant à
distance, différant par son timbre et son intensité des râles sibilants et
ronflants, et remarquable par sa persistance; tandis que le râle sibilant,
résultat d'une simple bronchite, disparaît, en général, au bout de peu
jours et avec une grande facilité.
Marchai (de Calvi) a noté dans les cas de cette catégorie trois fois sur
quatre des hydropisies partielles. Leur mécanisme est facile à expliquer;
elles étaient dues aux ganglions qui, s'appuyant sur les vaisseaux de la
poitrine, apportaient un obstacle au cours du sang.
Quand on a reconnu que ce sont les ganglions bronchiques qui s'op-
posent au passage de l'air, il reste à déterminer quel est leur mode de
lésion. Le diagnostic est à ce moment entouré de difficultés. L'hyper-
trophie ganglionnaire simple n'a pour la caractériser aucun symptôme
particulier, on devra néanmoins la soupçonner, si cette altération affecte
déjà les ganglions externes, comme dans le fait rapporté par Bonfils.
Même difficulté pour l'hypertrophie pigmentaire, qui est heureusement
fort rare. La dégénérescence tuberculeuse étant pour les ganglions une
affection fort commune, on a une tendance à admettre ce genre d'alté-
ration; cette tendance sera plus grande encore, et, selon toute probabi-
lité, on sera dans le vrai s'il existe en même temps les indices d'une
phthisie pulmonaire.
Stokes résume ainsi les signes communs aux tumeurs du médiastin ;
dysphagie, sentiment striduleux de la trachée, faiblesse d'un des pouls,
différence du bruit respiratoire par suite de la compression des canaux
bronchiques, déplacement du diaphragme et du cœur, dyspnée. Il si-
gnale comme symptôme d'une tumeur cancéreuse, une respiration sif-
flante sans altération de la voix; mais ce n'est point un signe particu-
lier à ce genre de tumeur. Iïeyfelder a appelé l'attention sur un autre
signe, dont l'importance est bien plus grande, c'est la coexistence de
tumeurs multiples et disséminées chez l'individu atteint de cornage
652 BRONCHES. — rétrécissement (diagnostic).
broncho-trachéal; l'apparition de ces tumeurs éclaire la nature de celles
qui peuvent occuper le médiastin, et qui sont souvent de même espèce.
L'engorgement des ganglions bronchiques étant une affection de nature
essentiellement mécanique, n'éveille dans les autres appareils que des
symptômes obscurs.
Si la compression des bronches est due à un anévrysme de l'aorte,
elle se traduit par les phénomènes suivants : au niveau du troisième
espace intercostal, matité exagérée, bruit de souffle ou de frémisse-
ment vibratoire, battements insolites, forts, éclatants, isochrones au
pouls, simples, quelquefois doubles, plus ou moins voisins de l'oreille,
siégeant sur le sternum à droite ou à gauche de cet os, perçus d'autres
fois dans le dos seulement; pouls large et vibrant, dyspnée, congestion
de la face, œdème, etc. Le diagnostic de la dilatation aortique ne sera
pas mis en doute si une tumeur ou une voussure se montre dans l'espace
qui sépare la clavicule gauche du troisième espace intercostal du même
côté. Quant à la compression bronchique, elle entraînera les symptômes
que j'ai déjà énumérés.
Grisolle fait remarquer que la compression produite sur les organes
pectoraux par une tumeur anévrysmale de l'aorte offre ceci de remar-
quable, que les phénomènes morbides varient d'un instant à l'autre; c'est
ainsi que la dyspnée peut être extrême, puis diminuer et devenir presque
nulle. Le bruit respiratoire affaibli dans un côté du thorax peut y re-
prendre de la force, l'inspiration sifflante cesser tout à coup. Cette
variabilité s'expliquerait, d'après l'honorable professeur, par les change-
ments de volume que la tumeur anévrysmale présente d'un instant à
l'autre, suivant qu'elle contient plus ou moins de sang, et suivant que
les caillots sont plus ou moins revenus sur eux-mêmes. Woillez accorde
également une grande valeur à cette variabilité des phénomènes morbides
sur lesquels Grisolle a fixé l'attention, et il dit avoir pu plusieurs fois, à
l'aide de ce signe, diagnostiquer un anévrysme lorsque le malade ne pré-
sentait que de la dyspnée et du cornage. Quant à moi, je n'ai pas constaté
cette mobilité de symptômes dans les cas que j'ai observés.
Le rétrécissement des bronches produit par un anévrysme de l'aorte
pourrait-il être confondu avec une laryngite œdémateuse?
Rien, en effet, ne ressemble davantage à un accès de suffocation par un
œdème de la glotte que la dyspnée déterminée par la compression qu'exerce
sur les bronches l'aorte dilatée? Dans un cas cité par Rayle et recueilli
par Cayol, un anévrysme de l'aorte qui comprimait les bronches, fut pris
pour un œdème de la glotte. Cruveilhier a vu un chirurgien distingué se
refuser à pratiquer la bronchotomie dans une suffocation qu'on supposait
produite par l'angine œdémateuse. Il n'avait pas, disait-il, la certitude
que la dyspnée eût pour siège le larynx. Le malade ayant succombé, on
trouva un anévrysme de la crosse de l'aorte comprimant la partie infé-
rieure de la trachée et les bronches. Le même professeur fut sur le point
de pratiquer la trachéotomie, croyant avoir affaire à une angine œdéma-
teuse, tandis qu'il s'agissait d'un anévrysme aortique. Un chirurgien pra-
BRONCHES. — rétrécissement (diagnostic). 655
tique la bronchotomie et, au lieu d'une affection du larynx, il trouve un
anévrysme de l'aorte aplatissant une bronche. L'instrument avait ouvert
l'anévrysme. (Cheyne.) En 1845, un malade de l'hôpital Beaujon est opéré
de la trachéotomie, parce qu'on le croyait atteint d'angine œdémateuse;
on trouve un anévrysme de la crosse de l'aorte. (Sestier.)
Comment donc distinguer ces deux affections, laryngite œdémateuse et
compression des bronches par un anévrysme de l'aorte.
Les symptômes qui les rapprochent sont : la douleur, la gêne au la-
rynx, la dysphagie, la raucité ou l'extinction de la voix, la toux, la diffi-
culté et la sibilance de l'inspiration faisant contraste avec la facilité de
l'expiration, de violents accès de suffocation revenant plus particulière-
ment le soir et la nuit.
Malgré ces analogies, il existe des différences assez nombreuses. La
douleur, qui dans l'anévrysme consiste en un resserrement continu, en
une constriction, un picotement rapporté au larynx, est, dans l'angine
œdémateuse, la sensation d'un corps étranger siégeant au fond de la
gorge. Dans l'anévrysme aortique, la toux est forte, sonore, revenant par
accès longs et suffocants, la voix est aiguë ou simplement voilée; dans
l'œdème de la glotte, la toux est petite, rauque, la voix enrouée et très-
affaiblie. L'inspiration est bien sifflante dans les deux maladies, mais
dans l'angine œdémateuse, il existe un contraste entre l'extrême diffi-
culté de l'inspiration et la facilité de l'expiration. Dans celte angine, le
malade est assis sur son lit, la tète penchée en arrière, les membres su-
périeurs contractés prennent leur point d'appui sur les objets environ-
nants; les individus atteints d'anévrysme de l'aorte ont le corps penché
en avant, la tête fléchie; ils semblent par cette position vouloir diminuer
la pression que la tumeur anévrysmatique exerce sur les canaux de la
respiration. Dans l'angine œdémateuse la marche est rapide, les accidents
présentent presque instantanément un très-haut degré de gravité; l'ané-
vrysme aortique a, au contraire, des périodes successives, une marche
lente, et ce n'est qu'après un temps assez long qu'il se produit des phé-
nomènes qui annoncent que la vie est compromise. Enfin, les signes phy-
siques de ces deux affections permettent de fixer d'une manière précise
le diagnostic. Si l'auscultation, la percussion, font reconnaître la tumeur
aortique, la vue et le toucher font constater à leur tour la tuméfaction
de l'épiglotte et des replis arythéno-épiglotliques. Enfin il ne faut pas
oublier qu'un sujet peut être affecté à la fois d'un anévrysme de l'aorte et
d'une angine œdémateuse. Green a rapporté deux observations de ce genre.
Le rétrécissement des bronches est-il le résultat d'une contraction
spasmodique des fibres musculaires de ces canaux? L'accès de dyspnée
se manifeste avec instantanéité ; il arrive immédiatement à un très-haut
degré de gravité, disparaît avec une rapidité surprenante, se reproduit
avec irrégularité ; dans les intervalles, la respiration est libre, la santé
générale paraît excellente; tels sont les caractères à laide desquels il
est permis de rattacher la coarctation des bronches à un état spasmo-
dique.
654 BRONCHES. — oblitération ou bronchiathésie.
Le rétrécissement est-il dû à la présence de corps développés dans les
bronches ou venus de l'extérieur? Les commémoratifs, les antécédents,
l'origine de la maladie, sa marche, formeront les bases principales du
diagnostic.
Pronostic. — La terminaison est bien différente suivant la nature de
la cause qui produit la bronchosténosie.
En général, heureuse lorsque le rétrécissement est dû à un spasme des
bronches, quelquefois encore favorable lorsqu'il a pour cause la présence
d'un corps étranger, la terminaison est, au contraire, nécessairement
fatale s'il est déterminé par un anévrysme de l'aorte, par une lésion or-
ganique des parois bronchiques, ou par quelque tumeur plus ou moins
volumineuses.
Dans les altérations des ganglions bronchiques, la mort peut être su-
bite; elle s'explique par l'excès ou l'étendue du rétrécissement des bron-
ches et par la compression des nerfs respirateurs, c'est-à-dire la paralysie
des nerfs pneumo-gastriques et récurrents. On connaît le rôle des pneumo-
gastriques dans l'acte de la respiration et plus particulièrement l'in-
iluence directe que le nerf récurrent exerce sur le larynx. Or, tous les
lymphatiques du poumon et des conduits aériens aboutissent à des gan-
glions répandus sur l'origine des bronches, autour de la crosse de l'aorte
et des autres gros vaisseaux. C'est au milieu de cet amas ganglionnaire
que passent les pneumo-gastriques et les récurrents; ils doivent être
comprimés par les tumeurs qui les enveloppent.
Les ganglions altérés et hypertrophiés peuvent se souder aux canaux
bronchiques avec lesquels ils sont en rapport comme ils se sont soudés
entre eux. Leur action la plus ordinaire, c'est la destruction des parois
bronchiques; on ne peut mieux la comparer qu'à une usure lente, suc-
cessive. La bronche se détruit par une érosion, la paroi est remplacée
dans ce point par la membrane externe du ganglion. Si le développe-
ment continue, la bronche est de plus en plus détruite, elle finit par l'être
complètement. La bronche ulcérée s'ouvre, le ganglion tuberculeux peut
s'engager à travers l'ouverture et être énucléé au dehors. Becquerel et
Guersant ont cité des faits de ce genre. Kerstein a observé treize fois la
communication des glandes bronchiques avec les bronches perforées ou
cicatrisées: huit fois avec les bronches droites, trois fois avec les gauches,
et deux fois avec celles des deux côtés.
Thérapeutique. — Le traitement du rétrécissement bronchique varie sui-
vant la nature de la cause qui l'a produit ; il sera plus spécialement dirigé
contre la maladie qui en a provoqué le développement. Le rétrécissement
qui résulte d'un spasme des bronches peut être combattu avec quelque
avantage par les vomitifs et les antispasmodiques. Quant aux autres for-
mes', il est probable que les agents thérapeutiques, même énergiques,
resteront sans efficacité.
Oblitération <le* nroaiclies on lironchlatréslc. — Ce genre
d'altération auquel on n'a porté qu'une faible attention, si ce n'est Rey-
naud qui en a fait le sujet d'un travail remarquable, offre cependant un
BRONCHES. OBLITÉRATION 0 BKOXCIIIATRÉSIE. 655
certain intérêt par l'influence qu'il exerce sur l'acte de la respiration. En
effet, il n'en est pas des bronches comme des vaisseaux sanguins ou
lymphatiques qui ont entre eux de fréquentes anastomoses et peuvent se
suppléer, si l'un d'eux a cessé d'être perméable. Les bronches se distri-
buent à la manière des branches d'un arbre, et lorsque l'une d'elles est
oblitérée, la partie du poumon dans laquelle elle se divise, est privée
d'air de la manière la plus absolue. Si les canaux aériens n'avaient pas
une immense étendue, si dans leur distribution ils ne mesuraient pas une
très-vaste surface, la perte de quelques rameaux bronchiques aurait une
influence désastreuse relativement à l'hématose. Cependant, si la bronche
oblitérée est volumineuse, il doit nécessairement en résulter des consé-
quences graves quant aux fonctions que les poumons ont à remplir.
Les causes des oblitérations des bronches sont très-analogues à celles de
leurs rétrécissements. Toutes s'y retrouvent, sauf le spasme, qui ne saurait
être, du moins quant aux bronches d'un certain calibre, assez énergique
pour en effacer complètement la cavité. Mais les tumeurs développées au-
tour des bronches, qui dans un point les ont aplaties, peuvent, par une
nouvelle augmentation de volume, produire un rapprochement plus im-
médiat, un contact plus intime de leurs parois, en d'autres termes, leur
oblitération. Cette conséquence doit accompagner assez souvent le déve-
loppement des tubercules, lorsque, malgré leur extension, ils conservent
une assez grande consistance.
L'inflammation, en produisant Tépaississement des tissus constitutifs
des bronches entraîne d'abord la coarctation de ces conduits, plus tard
leur occlusion complète. Ainsi, une bronchite très-aiguë ou une bronchite
chronique circonscrite, appelant dans un point déterminé du poumon d'in*
cessantes fluxions, peut créer des changements considérables d'organisa-
tion, de forme et de capacité dans les tuyaux bronchiques. Si, en même
temps, il se fait une sécrétion librineuse dans les canaux, et que ce fluide
se concrète, l'oblitération est inévitable ; ou encore si le parenchyme pul-
monaire lui-même est le siège de l'inflammation, si les vaisseaux intersti-
tiels sont gorgés de sang, si le parenchyme s'en infiltre, il s'exerce néces-
sairement une compression énergique sur les petites bronches, qui non-
seulement sont rétrécies, mais encore oblitérées.
Enfin on comprend que le mucus épaissi, endurci, accolé aux parois de
quelque bronche volumineuse peut l'obstruer, que les concrétions calcai-
res ou broncholithes peuvent encore par leur accroissement exagéré fer-
mer complètement la bronche, sechatonner dans cette cavité amplifiée, et,
interrompant complètement l'accès de l'air vers les vésicules pulmonaires,
rendre inutiles les canaux intermédiaires qui ne tardent pas à se soli-
difier.
Dans ces diverses circonstances, il est facile déjuger que l'oblitération
n'est que la période extrême du rétrécissement ; il est probable que dans
les efforts de l'inspiration l'obstacle à l'entrée de ce fluide dans la portion
de bronche rétrécie, lutte vivement contre la pénétration de l'air, et ce
qui prouve l'effort du gaz vivement inspiré, c'est la dilatation bronchique,
656 BRONCHES. — broscholiihie.
qui le plus ordinairement se trouve immédiatement au-dessus du rétré-
cissement ou de l'oblitération.
Les signes de l'oblitération des bronches sont peu saillants. L'ausculta-
tion ne donne ni râle ni bruit particulier, mais elle ferait connaître l'ab-
sense totale du murmure respiratoire, si l'oblitération était considérable.
La dyspnée serait dans ce cas observée ; le soulèvement des côtes serait
moindre du coté correspondant à la lésion. Il peut encore survenir un
aplatissement plus ou moins prononcé du thorax, comme le prouve l'ob-
servation de pathologie comparée rapportée par Reynaud.
Les modifications de texture introduites dans les poumons par l'oblité-
ration de quelques bronches de fort calibre présentent des particularités
assez curieuses. Lorsqu'on introduit un stylet dans la partie supérieure de
cette bronche, il s'y meut avec facilité, il y rencontre même un espace
assez large, mais tout à coup il se trouve arrêté, un obstacle l'empêche
d'aller au delà, c'est le cul-de-sac que forme la bronche. Si alors on ouvre
cette cavité, on trouve une interruption complète dans la continuité du
canal. Dans le lieu de ce resserrement la membrane fibro-muqueuse est
devenue à la fois épaisse et dense, tandis que les canaux placés au-dessous,
qui vont en se divisant et en se subdivisant sont atrophiés et convertis en
des cordons de plus en plus fins, bien que fort résistants. Ils peuvent pro-
duire sur le tissu pulmonaire une sorte de rétraction, de dépression, en
même temps qu'a lieu la compacité complète du parenchyme environnant.
Ce parenchyme du reste peut, selon les circonstances, se trouver dans un
état d'hépatisation, d'œdème, de cirrhose ou d'induration comme squir-
rheuse.
Il u'y a pas de traitement spécial à opposer à l'oblitération des bronches,
si ce n'est celui qui a pour but de combattre les maladies qui la font
naître.
Broncitoiâtiiie. — La broncholithie est une affection qui résulte de la
production de concrétions calcaires dans les bronches. Ces corps étran-
gers (broncholithes) qui ont pour caractère spécial de s'être formés de
toutes pièces dans les canaux bronchiques, d'y avoir séjourné un temps
plus ou moins long, doivent être distingués de ceux qui ont pour origine
et pour siège le parenchyme pulmonaire (pneumolithes) ou bien de ceux
qui proviennent du dehors.
Les calculs bronchiques ont été signalés pour la première fois par Morga-
gni; il s'exprime ainsi dans sa lettreXV n° 19 : « Sans doute, je n'ignore pas
que les glandes bronchiques s'endurcissent quelquefois comme de la chaux,
à l'intérieur comme à l'extérieur des poumons ; et cependant je crois que
la même chose arrive bien plus souvent à une humeur épaisse, ou au pus
retenu longtemps dans les cellules de ces viscères, et je sais positivement
que cela a lieu dans les ramifications des bronches. » Andral rapporte
deux exemples de concrétions calculeuses dans les poumons exempts de
tubercules. « J'ai trouvé, dit-il, à la Charité, dans les poumons d'un
homme d'une soixantaine d'années, qui n'avait jamais présenté aucun
signe d'affection de poitrine, plusieurs calculs d'une dureté pierreuse, et
BRONCHES. — BRONCHOLITHIE. 657
offrant plusieurs embranchements comme en offrent souvent les calculs
rénaux. En raison de leur forme, ces calculs, qui avaient, terme moyen,
le volume d'une noisette, ne devaient-ils pas être considérés comme
ayant pris naissance plutôt dans les ramifications bronchiques que dans
le parenchyme pulmonaire ? Ce parenchyme était d'ailleurs partout très-
sain. »
Dans deux de ses séances (1865), la Société médicale des hôpitaux de
Paris a mis à l'étude la question des concrétions des voies respiratoires,
et Besnier a lu un rapport intéressant sur ce point de pathologie.
Les calculs intra-bronchiques donnent-ils lieu à des accidents particu-
liers qui puissent faire soupçonner leur existence? 11 est positif que sou-
vent des concrétions, même volumineuses, sont restées latentes pendant
toute la vie et n'ont été constatées qu'à l'autopsie. Solfanelli a publié
l'histoire d'un individu mort d'une pleuro-pneumonie droite. A la né-
cropsie il fut surpris de trouver dans la bronche droite, à l'endroit ou
elle se bifurque pour pénétrer dans les lobes moyen et inférieur, un calcul
volumineux. Ce calcul était comme enveloppé d'un kyste de consistance
membraneuse, attaché à la paroi bronchiale-, il avait évidemment agi par
sa présence sur le tissu de la bronche qui avait perdu de son élasticité. Placé
à cheval sur la division du canal, il se composait d'une partie plus large
et d'une autre plus étroite, laquelle pénétrait dans la division bronchiale
secondaire; il avait la forme d'un triangle irrégulier, à surface convexe,
rugueuse, mamelonnée, une couleur d'un blanc cendré, la consistance
d'une matière calcaire; il mesurait 3 centimètres et demi en longueur,
1 centimètre et demi en largeur; sou poids était de ir>(.) grains; il était
formé de carbonate, de sulfate de chaux, d'albumine et de mucus. Or,
affirme Solfanelli, ce calcul si volumineux cl si dangereusement situé,
n'avait déterminé, pendant la vie de l'individu, aucun symptôme parti-
culier.
La difficulté du diagnostic résulte de l'analogie qui existe entre les
symptômes de la broncholithie et ceux de la bronchite chronique oujie
la phthisie pulmonaire; en effet, les symptômes de la broncholithie con-
sistent en une toux fréquente, une expectoration copieuse, épaisse et pu-
riforme, de l'oppression, des hémoptysies qui, même quelquefois parieur
abondance, ont déterminé rapidement la mort. Il est cependant un phé-
nomène qui doit avoir une certaine valeur séméiologique, en ce qu'il a
été noté dans presque tous les faits de broncholithie; c'est une douleur
profonde, persistante, circonscrite, au niveau du point qu'occupe le corps
étranger.
Les broncholithes se présentent sous la forme de corps arrondis, d'un
volume qui varie de la grosseur d'un grain de millet à celle d'une noi-
sette, plus ou moins durs, friables, constitués par du phosphate et du
carbonate de chaux; ils offrent, et c'est là ce qui les distingue, une dis-
position cristalline, une stratification en couches concentriques, et au
centre un noyau constitué, soit par du mucus concrète, soit par du sang
(Gubler).
NOUV. DICT. MÉD. ET CUIR. V. — 42
058 BRONCHES, — mioncholituie.
Ce noyau central serait, selon quelques pathologistes, un corps étranger
fortuitement introduit dans les bronches. Cette explication est admis-
sible pour les individus qui, par leur profession, sont obligés de vivre
dans une atmosphère pulvérulente. En effet, les molécules peuvent péné-
trer dans les voies aériennes, s'y arrêter, s'y accumuler, et devenir ainsi
l'origine d'une production calculeuse ; mais elle ne peut pas être ac-
ceptée pour les malades qui ne sont point placés dans ces conditions
particulières.
Tous les auteurs admettent l'existence de concrétions développées dans
le parenchyme pulmonaire ou dans les ganglions bronchiques. On est
d'accord sur le mécanisme d'élimination par lequel ces concrétions ar-
rivent dans les bronches, pour être ensuite expulsées au dehors. Le dis-
sentiment survient lorsqu'il s'agit des calculs primitivement formés dans
les bronches. Barth affirme n'en avoir jamais rencontré dans ces canaux ;
il les a constamment trouvés, soit dans les cavernes tuberculeuses, soit
au niveau des ganglions bronchiques. Les calculs bronchiques seraient
aussi dus à des tubercules siégeant primitivement dans les ganglions, puis,
subissant une transformation crétacée, ils corroderaient les bronches et
pénétreraient dans leur intérieur. D'un autre côté, les faits cités p3r Gui-
bout, Vidal, Bcsnier, Gublcr, ceux de Morgagni, Laennec, Andral, prou-
vent dune manière positive que ces productions calcaires se forment
souvent de toutes pièces dans les bronches, alors même que les poumons
et les ganglions bronchiques sernt exempts d'altération tuberculeuse. Ils
se produisent par un mécanisme analogue à celui qui donne naissance
aux calculs rénaux.
Le pronostic de cette affection est essentiellement variable. Tantôt le
broncholithe, après avoir séjourné dans les voies respiratoires, provoque
des accidents qui entraînent la mort du malade ; tantôt il est expulsé à la
suiîe d'une quinte de toux, d'une hémoptysie ; ce rejet est le plus sou-
vent suivi d'une amélioration notable dans la santé ; quelquefois d'une
guérison définitive. J'ai eu occasion de voir, avec mon père, un jeune mé-
decin allemand qui, pendant plusieurs années, avait offert les symptômes
généraux et quelques-uns des phénomènes locaux de la phthisie pulmo-
naire. Il avait eu, à diverses reprises, des crachements de sang, il éprou-
vait d'une manière presque permanente une douleur au-dessus du sein
droit, près du bord externe du sternum. L'auscultation seule, par ses résul-
tats négatifs, empêchait d'affirmer l'existence de tubercules pulmonaires.
Pendant une hémoptysie, il rejeta un calcul bronchique : dès ce moment,
tout phénomène morbide cessa, la santé se rétablit; depuis lors elle s'est
maintenue excellente.
Le traitement de la broncholithie est très-limité. La nature se charge
seule du travail qui a pour but l'expulsion du calcul ; mais à ce moment
peuvent se produire des phénomèues résultant d'une excitation locale
vive, c'est-à-dire de la toux, de l'oppression, des hémoptysies, quelque-
fois de la fièvre; or il importe de modérer les efforts de ce travail élimi-
natoire; la médication calmante et émolliente doit alors intervenir.
BRONCHES. BRONCHITE pseudo-membraneuse (synonymie, historique). 659
Broncliife pseudo-membraneuse. — Définition. — La bron-
chite pscudo-membrancuse est l'inflammation des bronches ayant pour
conséquence la production de fausses membranes à l'intérieur de ces
canaux.
Synonymie. — Polypes des bronches, polypes pulmonaires, bronchite
polypeuse, bronchite plastique, bronchite croupale, plastic bronchitis,
bronchite ou pneumonie fîbrineuse. Le nom de bronchite pseudo-mem-
braneuse est aujourd'hui presque exclusivement adopté. L'idée qu'il
implique du siège et de la nature de la maladie justifie la préférence de
la plupart des pathologistes.
Historique. — Les concrétions pseudo-membraneuses des bronches ont
été signalées dès la plus haute antiquité.
Hippocrate paraît les avoir observées. Un de ses malades, Phérécide,
après avoir eu des douleurs dans le côté droit de la poitrine, des fris-
sons, de la fièvre, eut une petite toux qui amena des matières sèches.
Après un léger amendement, la fièvre augmenta le neuvième jour, s'ac-
compagna de délire, et peu avant la mort il expectora, dit le vieillard de
Cos, une espèce de champignon formé de mucosités et entouré d'une
pituite blanche. Ne serait-ce pas là une concrétion pseudo-membraneuse?
Galien, le premier, émit une opinion sur la nature de ces concrétions ;
il les considéra comme des fragments de vaisseaux pulmonaires expecto-
rés. Cette hypothèse de Galien a trouvé quelques adhérents.
Tulpius rapporte deux exemples, l'un d'un fragment de veine, l'autre
d'une veine très-ramiiïée rejetés, par l'expectoration, il donne même le
dessin de celle-ci et s'écrie : « Divulsas autem hasce venas, ceu miracu-
lum inauditum, equidem coram vidi, publiée examinari, a prseceptore
meo Petro Pawio, plane eadem forma qua illas expressit sculptor. »
Thomas Bartholin (1648) etMoèllcnbrocck (1650) citent des cas dans
lesquels les corps solides expectorés furent considérés comme des vais-
seaux artériels des poumons.
La doctrine de Galien, aujourd'hui complètement inadmissible, fut
combattue à la fin du dix-septième siècle par Martin Lister.
Rob. Clarke observait un malade qui depuis trois ans rendait par la
bouche de temps à autre des concrétions solides, rameuses. Il en envoya
un échantillon à Lister pour avoir son avis sur leur nature. Voici la ré-
ponse de ce dernier : Les corps que rend votre malade sont formés dans
les dernières ramifications des bronches et doivent par conséquent avoir
bien de la peine à sortir. Us ne sont autre chose que l'humeur muqueuse
des petites glandes, laquelle se durcit dans ces conduits où elle prend la
forme qu'elle présente.
L'opinion de Lister fut successivement acceptée par Bussière, chirur-
gien français, réfugié à Londres (1704), par Samber, par Nichols. Elle
le fut aussi par Haller, car, après avoir admis que la muqueuse trachéale
peut se détacher, être expectorée et se reproduire, il attribue au mucus
la matière solide rendue par les voies respiratoires : « Is idem mucus, sed
aliquo ut videtur transsudante sero mixtus, huic tenuior, nonnumquam
060 BRONCHES. BRONCHITE PSEUDO-MEMBRANEUSE (HISTORIQUE) .
liguram bronchi ramorumque exprimit, atque ramosa vasis aliqua effigie
conspicuus, screando redditus est. »
Marcorelle, de Toulouse, soignait, en 1751, un maître de danse qui,
après avoir offert tous les symptômes d'une pneumonie, rejeta des corps
ramifiés de trois pouces de longueur, tubuleux. Il traitait en 1762, avec
Barthez, une femme présentant le même phénomène. 11 se demande si
ces masses solides étaient constituées par les membranes internes des
bronches ou par une substance moulée dans leur cavité. L'Académie des
sciences consultée (1762), ne se prononça pas. Plus tard l'Académie de
chirurgie adopta la dernière opinion sur un rapport de Sue à la suite
d'une communication du chirurgien Lebœuf.
Leraery, comparant ces sortes de concrétions à ce que de son temps
on appelait polypes du cœur, les prend pour des polypes formés dans la
veine ou dans l'artère pulmonaire. « Elles doivent être sorties, dit-il, par
quelque ouverture qui s'était faite aux vaisseaux ; aussi étaient-elles ac-
compagnées de sang. »
Murray se servant des mêmes expressions, en leur donnant une signi-
fication différente, désigne sous le nom de polypes des bronches des con-
crétions sanguines formées dans les voies aériennes par suite d'attaques
réitérées d'hémoptysies. Le fait relaté avec détail par ce savant médecin,
et offert par un jeune homme de vingt et un ans, ne laisse aucun doute
sur le mode de production du corps étranger multifide, que, comme Tul-
pius, il a fait représenter dans son mémoire. Murray pense que le sang,
ou du moins la partie coagulable de ce fluide, successivement déposé
dans la trachée et dans les bronches, y forme une gelée épaisse ; mais il
admet que cette lymphe coagulable peut à elle seule former des fausses
membranes, comme celles du croup.
Les idées de Murray furent adoptées par quelques observateurs, entre
autres par Hunter, Canstatt, Michaelis, Senac, Reil.
Selon Louis, les fausses membranes eroupales peuvent se prolonger
jusque dans les ramifications bronchiques.
Horteloup (1828), Barth, en citent des observations.
Lobstein divise les maladies dans lesquelles se forment des fausses
membranes en trois catégories : croup laryngé, croup bronchique, croup
vésiculairc. 11 fait remarquer que plus l'individu est jeune, plus l'inflam-
mation attaque un point élevé de l'appareil pulmonaire ; plus il est avancé
en âge, plus cette inflammation descend. Dans le croup des enfants, la
force plastique agit de haut en bas; dans le croup des adultes, l'activité
pathologique agit de bas en haut.
Nonat a observé, dans l'épidémie de grippe de 1857, huit cas de bron-
chite librincuse se montrant comme complication de la pneumonie. Il n'y
eut pas de fausses membranes expectorées, mais à la nécropsie on en
trouva les bronches remplies jusque dans les dernières ramifications.
En 1849, Thore a publié un travail sur la bronchite fibrineuse.
Thicrfeldcr relate des observations de bronchite croupale et regarde
les fausses membranes comme un produit de sécrétion.
BRONCHES. BRONCHITE PSEUDO-MEMBRANEUSE (CAUSES). 661
Rapprochant tous ces faits et considérant que les concrétions sont
constituées en grande partie par de la fibrine, Rokitansky les réunit en
une même famille sous le titre d'inflammation croupale des voies respi-
ratoires, en les distinguant de la phlegmasie catarrhale dont le mucus est
le produit.
Dans ces dernières années, Remak, ayant trouvé d'une manière presque
constante des concrétions ramifiées dans les petites bronches chez des
individus morts de pneumonie, en conclut que ces concrétions plasti-
ques sont le phénomène essentiel de cette affection, de telle sorte que
pour lui la pneumonie pourrait, ajuste titre, être considérée comme une
bronchite tibrineuse.
Je signalerai encore dans cet historique succinct les travaux de Blaud
(de Beaucaire), deFauvel,de Leudet (de Rouen), de Michel Peter. Je dois
une mention spéciale aux recherches cliniques de Schùtzenberger (de
Strasbourg) ; ce sont les notions puisées dans l'enseignement de ce pro-
fesseur savant qui ont inspiré les thèses de Wiedemann (Strasbourg,
1854) etdeCadiot (Paris, 1855).
Causes. — Les causes de la bronchite pseudo-membraneuse sont diffi-
ciles à déterminer.
Cette maladie s'observe à tout âge; elle semble cependant plus fré-
quente chez l'homme que chez la femme ; elle frappe de préférence les
adultes, ceux qui sont restés plus ou moins longtemps exposés au froid ou
à l'humidité, qui vivent dans des conditions hygiéniques mauvaises, elle
affecte les individus affaiblis par des peines morales, par d'anciennes
maladies et surtout par des affections chroniques des voies respiratoires.
Peacock a insisté sur l'importance de cette cause prédisposante.
La bronchite pseudo-membraneuse peut se présenter d'une manière
isolée : les accidents diphthéri tiques constituent alors toute la maladie.
Plus souvent elle apparaît comme une extension, une complication,
ou bien encore un mode de terminaison d'un autre état maladif; elle
peut être la plus haute expression et le caractère spécial d'une influence
épidémique. Ainsi elle a été une complication grave dans certaines épi-
démies de, bronchite capillaire (Fauvel; Mahot Bonamy, Marcé et Mal-
herbe), dans l'épidémie de grippe de 1837 (Nonat).
Elle se retrouve dans la pneumonie; ces concrétions bronchiques ap-
paraissent du troisième au cinquième jour de la maladie. Depuis long-
temps cette lésion anatomique de la pneumonie est consignée dans les
traités allemands de pathologie. Elle est également inscrite dans nos ou-
vrages classiques; elle a été dernièrement étudiée par Cornil dans son
travail sur l'anatomie pathologique de la pneumonie.
La bronchite pseudo-membraneuse est souvent la conséquence d'une
laryngite de même nature. La diphthérie ne se concentre pas toujours
exclusivement dans le larynx : elle parcourt de proche en proche, et sou-
vent avec une grande rapidité, les divers segments de l'arbre respira-
toire ; aussi lorsque le larynx est tapissé de fausses membranes, la tra-
chée et les bronches sont menacées d'être envahies à leur tour. Millard
662 BRONCHES. — bronchite pseudo-membraneuse (symptômes).
a signalé la diphthérite des bronches comme complication fréquente du
croup; il rapporte dans sa thèse 16 cas de cette complication sur 55 ob-
servations de croup. Peter a examiné l'état des bronches dans 105 né-
cropsies de croup ; 52 fois il a trouvé des fausses membranes dans les
canaux bronchiques. Il ne s'est pas borné à démontrer cette fréquence,
il a fait encore voir avec quelle rapidité s'effectue l'envahissement di-
plithéritique de la muqueuse des bronches. C'est habituellement de deux
à quatre jours après l'existence de la laryngite pseudo-membraneuse que
se développe la diphthérite des bronches.
Symptômes. — La bronchite pseudo-membraneuse parcourt ses périodes
tantôt avec rapidité, tantôt avec une certaine lenteur; de là, ses deux
formes aiguë et chronique.
La bronchite pseudo-membraneuse à forme aiguë débute de deux
manières. Elle est quelquefois précédée d'une bronchite simple qui se
traduit par une toux sèche, sans fièvre prononcée et sans oppression, et
qui, d'une manière subite, en quelques heures, acquiert un très-haut degré
de gravité. D'autres fois elle n'a point de prodromes, elle est foudroyante
et constitue une sorte de catarrhe suffocant.
En voici les principaux symptômes :
Un frisson plus ou moins violent auquel succède une fièvre continue
d'une certaine intensité.
Une douleur dans l'un des côtés de la poitrine.
Une oppression très-grande, qui précède habituellement l'expectoration
des fausses membranes, et diminue lors de leur expulsion, c'est-à-dire
après qu'a été rétabli le passage de l'air dans les bronches. Cette dyspnée
se présente sous forme d'accès et les accès se reproduisent à des inter-
valles d'autant plus éloignés que la maladie marche vers une solution
favorable.
Une toux quinteuse, fréquente, surtout pénible lors du rejet des con-
crétions bronchiques.
Une expectoration, d'abord muqueuse, jaunâtre, visqueuse, qui plus
tard consiste, et c'est là le symptôme pathognomonique, en fausses
membranes ramifiées, cylindriques, souvent canaliculées. Ces productions
membraniformes sont blanches ou rougeàtres, comme pelotonnées; elles
peuvent avoir 5 à 15 centimètres de long, la forme d'un ruban aplati,
ce qui les a fait comparer au tamia (Brenau), ou d'un tube creux, ce qui
leur donne quelque analogie à cause de cette disposition, de la couleur et
de la consistance, avec du macaroni bouilli (Starr). Lorsque ces fausses
membranes sont canaliculées, leurs cavités se démontrent par l'introduc-
tion d'un stylet; elles contiennent des mucosités spumeuses et des bulles
d'air qui se déplacent : en général les plus petites n'ont pas de tubu-
lures, ce sont des cordons pleins. La forme réelle de ces membranes ne
devient bien distincte que lorsqu'on les met dans l'eau : alors se déroulent
le tronc et les divisions et subdivisions. Elles semblent composées de
fibres allongées et résistantes, superposées en couches concentriques, ne
cédant que dans une certaine mesure à la traction ou à une compression
BRONCHES. — bronchite pseudo-membraneuse (symptômes). G63
assez forte. Maintenues dans l'eau un certain temps, elles se ramollissent.
Par leurs caractères physiques elles offrent, d'après Valleix, la plus grande
analogie avec la fausse membrane du croup ; cependant Thore affirme
que les concrétions bronchiques s'en distinguent par leur couleur qui est
d'un blanc mat ou légèrement rosé, par leur structure qui est comme
fibreuse, par leur résistance, leur élasticité.
Dans la bronchite pseudo-membraneuse, la percussion ne fournit en
général aucun signe déterminé, si ce n'est une certaine matité, comme
dans la bronchite intense.
1/ auscultation donne quelques résultats d'une certaine valeur. Elle
permet de constater au début, surtout si la pseudo-membrane est sèche,
un rhonchus sonore; plus tard un mélange de rhonchus et de râles mu-
queux quand se fait une sécrétion plus ou moins abondante de mucosités.
Barth et Cazeaux ont signalé comme symptôme pathognomonique un bruit
particulier que l'on a nommé de soupape, de tremblotement ou de dra-
peau. C'est probablement ce même bruit que Thore a comparé au son
que produirait une pelure d'oignon vibrant à l'intérieur des bronches.
Mais ce bruit peut-il être considéré comme pathognomonique? Ne doit-il
pas s'observer chaque fois que du mucus épaissi et en certaine quantité,
séjournant dans les bronches, est agité par l'air? Ce bruit, qui a pour
siège la trachée et les grosses bronches, n'est point constant : il n'a lieu
que si la fausse membrane est peu étendue et libre par quelques-uns de
ses bords. Il ne se produit pas si elle est adhérente et si elle remplit
exactement le calibre bronchique.
Quand l'inflammation est bornée aux bronches, la voix ne subit aucune
modification, et malgré la dyspnée, il ne survient aucun phénomène
morbide du côté du larynx.
De l'anorexie, de la soif, de la constipation, un peu de céphalalgie,
quelquefois du délire, sont les symptômes concomittants principaux que
l'on observe dans le cours de la maladie.
Parfois la bronchite pseudo-membraneuse peut affecter la forme chro-
nique. Les symptômes ne sont pas alors permanents; ils se reproduisent
à des intervalles plus ou moins éloignés, et, pendant les intervalles, la
santé paraît assez bonne. Du reste les accès se caractérisent par les phé-
nomènes morbides que je viens de signaler.
Marche, durée, terminaisons. — La bronchite pseudo-membraneuse
aiguë peut être précédée d'une période prodromique, pendant laquelle
aucun symptôme ne fait pressentir la gravité de l'affection. Mais, dès
qu'elle est sérieusement constituée, les accidents progressent avec une
grande rapidité ; ils rappellent assez exactement la marche de la bron-
chite capillaire. D'autres fois l'invasion est brusque, et les accidents, dès
le début, présentent une grande intensité. La maladie dure, en général,
de six à huit jours. Dans sa forme chronique, la bronchite pseudo-membra-
neuse peut persister un temps plus ou moins long, quelquefois plusieurs
années; alors elle s'interrompt dans sa marche pour reprendre ensuite.
Doit-on admettre que, pendant une période aussi considérable, la maladie
664 BRONCUES. — bronchite pseudo-membraneuse (anat. patholoc).
continue, mais à un faible degré; qu'elle sommeille, en quelque sorte,
pour se réveiller ensuite? Ou bien, ces accès, qui se reproduisent tous
les mois, ou plus rarement, sont-ils une véritable récidive et comme un
retour de l'état aigu? J'accepte ces deux suppositions.
La guérison a lieu par l'expulsion des fausses membranes lors des
vomissements. Elle peut s'effectuer par un autre mécanisme; les con-
crétions librineuses qui remplissaient les bronebes se dissolvent ; la
fonte qui en résulte favoriserait leur expulsion ; mais l'expectoration
n'augmente nullement, et l'analyse n'y découvre pas de fibrine. C'est
sans doute par une autre voie que la masse plastique, qui entravait les
fonctions des poumons, se trouve éliminée. On pense qu'une résorption
active s'empare des produits exsudés, les fait rentrer dans le torrent cir-
culatoire, qui les expulse par les filtres sécréteurs des glandes, et prin-
cipalement par les reins. Martin Solon et Grisolle, ont signalé comme
phénomènes critiques très-heureux dans ces circonstances l'augmen-
tation de la sécrétion urinaire et l'apparition de l'albumine dans les
urines.
On a noté comme terminaison possible de la bronchite pseudo-mem-
braneuse, une oblitération des canaux aériens avec atrophie et cirrhose
du poumon (Watts); on a encore parlé, comme suite, de l'emphysème
pulmonaire, de l'œdème pulmonaire (Rokitansky).
La mort est une terminaison fréquente de la bronchite pseudo-mem-
braneuse.
Anatomie pathologique. — Les fausses membranes constituent la véri-
table lésion anatomique de cette variété de bronchite. Elles affectent la
forme de cordons ou de tubes, et se ramifient dans les divisions bronchi-
ques les plus ténues. Elles sont constituées par un tronc duquel naissent
des branches qui se subdivisent, s'épanouissent en fils capillaires, et res-
semblent ainsi à une racine avec son chevelu (North). D'après Rokitansky,
les concrétions des grosses bronches seraient formées de tubes creux,
tandis que dans les petites, les cylindres seraient pleins. Il est facile de
comprendre que les grosses bronebes ne fournissent pas suffisamment de
matière plastique pour constituer des cylindres compactes ; quant aux
petites bronches, les concrétions ne restent creuses que si l'exsudation
plastique est très-peu abondante. Cependant il existe des faits qui prou-
vent que les concrétions des grosses bronches peuvent être complètement
solides, tandis que celles des bronches d'un ordre inférieur ont été trou-
vées tabulaires.
Plusieurs fois, dans des nécropsies d'individus morts de bronchite
pseudo-membraneuse, j'ai pu constater la forme canaliculée. La section
transversale mettait à découvert deux cercles concentriques : l'interne,
grisâtre, assez épais, formé par la fausse membrane; l'externe, par la
bronche elle-même. Quelquefois la bronche ayant subi une sorte de retrait,
rendait plus saillant le tube de la fausse membrane, lequel d'ailleurs, peu
adhérent à la membrane interne, pouvait en être détaché dans la longueur
ÔV quelques millimètres.
BRONCHES. — bronchite pseudo-membraneuse (anat. pathoi.og.). 605
Ces concrétions pseudo-membraneuses se composent de filaments pa-
rallèles, unis fortement entre eux, renfermant dans leur intérieur et re-
couverts de cellules granuleuses. Elles sont constituées par de la fibrine
et de l'albumine unies en proportion variable à d'autres éléments. Elles
sont insolubles dans l'eau chaude ou froide, ainsi que dans les acides;
solubles dans les alcalis; l'alcool les rend plus denses; desséchées, elles
brûlent en crépitant sur le feu (Rokitansky).
Elles offrent une consistance qui varie depuis celle du caillot sanguin
jusqu'à la consistance élastique et dure du cuir (Rokitansky). Elles sont
en général plus fermes et plus élastiques vers le tronc principal que vers
les derniers rameaux, plus molles et moins denses dans la partie qui se
trouve en rapport avec la muqueuse bronchique, probablement à cause
de la sécrétion visqueuse dont celle-ci est imprégnée.
Elles ont, quant à leurs caractères physiques, la plus grande analogie
avec celles du croup (Remak).
Quelquefois la fausse membrane est ténue, blanche, peu adhérente,
en quelque sorte pelliculaire, disposée en plaques partielles ou en petits
îlots mamelonnés, confluents, tranchant par leur couleur blanche avec le
fond rouge violet de la muqueuse et rappelant les sudamina de la peau.
C'est comme une suette de diphthérite (Peter).
D'autres fois elle est diffluente, d'aspect puriforme. Examinée au mi-
croscope, elle se compose d'un amas énorme de cellules épithéliales cy-
lindriques à cils, de globules pyoïdes et de matière granuleuse sans mé-
lange de globules de mucus et de pus. Cette matière, semi-liquide, a la
même composition élémentaire que la fausse membrane solide. C'est de
la diphthérite coulante (Peter).
Les fausses membranes sont assez souvent constituées par des feuillets
superposés. On remarque à leur surface externe des globules de pus et
de sang; à l'intérieur ce ne sont plus des globules de sang, mais bien
des noyaux moléculaires et des corpuscules de pus. Ces derniers se
trouvent principalement aux deux extrémités des concrétions. De nom-
breux globules de pus, des cellules isolées à noyaux et des conglomérats
de nucléoles forment la base du liquide muqueux recueilli dans le centre
des cylindres membraneux.
Dans les grosses bronches, les fausses membranes sont composées sur-
tout de fibrine et de cellules épithéliales ciliées. Dans les bronches de
moindre calibre, les concrétions diphthéritiques, reconnaissables à leur
petit volume, offrent de l'épithélium pavimenteux ; les granulations pig-
mentaires y sont rares (Laboulbène).
Suivant une opinion admise généralement, les concrétions se dévelop-
pent par couches successives. Un épanchement de matière croupale, de
pseudo-membrane, se forme dans une certaine étendue des canaux bron-
chiques. Puis cette fausse membrane se détache de la surface muqueuse;
elle est soulevée par une deuxième couche qui se développe entre elle et
la muqueuse.
Ces productions pseudo-membraneuses bronchiques sont en général
666 BRONCHES. — bronchite pseudo-membraneuse (diagnostic).
le résultat d'un travail phlegmasique spécial développé à l'intérieur des
bronches. Il faut donc bien les distinguer des simples concrétions fibri-
neuses provenant d'une hémorrhagie bronchique. Celles-ci résultent
d'hémoptysies qui précèdent la maladie : ce sont deux états morbides fort
différents, deux conséquences pathologiques parfaitement distinctes déri-
vant, dans un cas, d'une phlegmasie, et, dans l'autre, d'une hémorrhagie.
Diagnostic. — Le rejet par la bouche de fausses membranes ramifiées,
la perception du bruit de soupape qui masque le murmure respiratoire,
sont deux symptômes pathognomoniques de la bronchite pseudo -mem-
braneuse ; et cependant le diagnostic de cette affection est souvent en-
touré de très-graves difficultés. Elle peut se confondre avec une laryngite
pseudo-membraneuse, une bronchite convulsive, une bronchite capil-
laire généralisée, un emphysème pulmonaire, une pneumonie fibrineuse.
La diphthérie reconnue, il importe de savoir si elle est laryngée ou
bronchique. Cette distinction est quelquefois difficile à établir; aussi de
nombreuses erreurs ont-elles été commises à cet égard par les praticiens
les plus éminents. Axenfeld fait remarquer que l'obstruction diphthéri-
tiqne du larynx suffit pour affaiblir et même abolir le bruit vésiculaire,
et pour que, dans toute l'étendue du poumon, l'oreille ne perçoive que
le sifflement de l'air traversant la glotte. Les signes physiologiques ne
sont pas plus certains, et un desnré avancé d'asphyxie ne permet nulle-
ment d'affirmer que le croup a envahi les bronches, puisque l'obstruc-
tion de la glotte produit seule le même résultat; cependant, si l'on se
rappelle que, dans la bronchite pseudo-membraneuse, la voix a conservé
son timbre normal, que la respiration quoique gênée n'est pas sifflante,
que la toux n'a pas de caractère particulier, si ce n'est qu'elle s'accom-
pagne de l'expulsion de fausses membranes ramifiées et canaliculées,
que le bruit respiratoire est mêlé d'un rhonchus sonore très-étendu, et
souvent d'un bruit de soupape; si, d'autre part, on a présent à la mé-
moire que, dans le croup, la voix est modifiée dans son timbre, rauque,
souvent éteinte, que l'inspiration est rapide, sifflante, l'expiration lente,
assez libre, se faisant sans bruit, que la toux est rauque, accom-
pagnée à chaque quinte d'un sifflement, que le bruit respiratoire est
souvent masqué, que des fausses membranes sortent par lambeaux, et ne
sont jamais ramifiées, on aura les bases sur lesquelles devra être posé
le diagnostic différentiel.
Pourrait-on confondre la bronchite pseudo- membraneuse avec l'œdème
de la glotte? Mais la douleur au-devant du larynx, la gêne de la déglu-
tition, le rejet des boissons par le nez, la toux sèche, déchirante, la
voix rauque, pénible, la gène de la respiration, l'inspiration longue^
aiguë, sifflante, difficile, l'expiration courte, facile, le râlement, ou plutôt
le ronflement guttural pendant l'inspiration ; enfin, l'existence des bour-
relets arythéno-épiglottiques, sont autant de symptômes caractéristiques
de la laryngite œdémateuse, et qui empêchent toute incertitude.
La bronchite convulsive se présente sous forme de quintes plus ou
moins vives. Ces accès se reproduisent à des époques rapprochées, sac-
BRONCHES. BRONCHITE PSEUDO-MEMBRANEUSE (DIAGNOSTIC). 667
compagnent d'un sifflement laryngo-bronchique assez fort, de dyspnée ;
ils se terminent par une expectoration de crachats abondants, épais,
muqueux. Dans les intervalles, la respiration est calme, le pouls peu fré-
quent. Dans la bronchite pseudo-membraneuse, il peut y avoir par mo-
ment exagération de la toux, sifflement laryngé, gène plus grande de la
respiration ; il n'y a jamais un véritable calme, l'état fébrile est perma-
nent, et les phénomènes généraux conservent toujours une certaine gra-
vité.
Dans la bronchite capillaire générale il existe, comme dans la bron-
chite pseudo-membraneuse, de la fièvre, de la dyspnée, de la toux; mais
on ne trouve, dans la première de ces maladies, ni l'expectoration de
fausses membranes, ni les résultats de 1 auscultation que l'on observe
dans la seconde. L'embarras augmente si la bronchite capillaire se
complique de fausses membranes, ainsi que Nonat et Fauvel en ont cité
des exemples. Mais cette production n'est qu'un des traits accessoires de
la maladie. Ce qui la caractérise surtout, c'est une tendance à se pro-
pager dans toute l'étendue des deux poumons, et à amener l'asphyxie.
La bronchite pseudo-membraneuse, au contraire, se limite habituelle-
ment à une partie de l'un des poumons.
L'emphysème pulmonaire, enté sur une bronchite ancienne, offrant
des accès de dyspnée, la voussure du thorax, avec une sonorité exa-
gérée, la diminution du bruit respiratoire, les raies sibilants et sous-
crépitants, se distinguera facilement de la bronchite pseudo-membra-
neuse.
Le diagnostic différentiel sera plus difficile à l'égard de la pneumonie.
Schùtzenberger, en s'appuyant sur des données fournies par l'anatomie
pathologique, cherche à établir que, dans certaines pneumonies, l'exsu-
dation, au lieu d'être séreuse, séro-sanguinolentc ou mucoso-sanguino-
lente, est solide, iibrino-albumineuse ; qu'elle oblitère complètement la
lumière des petites bronches sous forme de cylindres et y empêche l'accès
de l'air. Il appelle cette forme de pneumonie, croupale ou librineuse.
Selon le professeur de Strasbourg, « le croup, la trachéite pseudo-mem-
braneuse, la bronchite plastique, la pneumonie fibrineuse, sont des
affections identiques quant à la nature du travail pathologique, diffé-
rentes seulement par leur siège. Le tégument épithélial des bronches
est le siège primitif de l'affection. L'inflammation et le farcissement crou-
pal s'étendent quelquefois d'une manière ascendante jusqu'aux bronches
lombaires. A la période d'engouement, il se fait dans les vésicules bron-
chiques une sécrétion abondante de sérum mêlée de fibrine spontanément
coagulable, en petite quantité, colorée par de la matière colorante, du sang
et des corpuscules sanguins isolés. A la période d'hépatisalion rouge, la
fibrine séparée du sang farcit les vésicules et les petites bronches. Le
poumon est anémique par la compression des vaisseaux, opérée par la
matière plastique. La surface de section offre des lignes blanches formées
par le tissu pulmonaire, et un aspect granuleux résultant du groupement
de la matière plastique. Une pression latérale fait saillir un certain
668 BRONCHES. — bronchite pseudo-membraneuse (diagnostic).
nombre de points du volume d'une lentille ou d'une tète d'épingle, glo-
buleux, blancs, jaunâtres, et quelquefois comme purulents; c'est en tirant
sur un de ces globules qu'on amène ces cylindres blancs, vermicelles,
contenus dans les bronchioles. Par l'effet de la résorption ou de la trans-
formation de la matière colorante du sang, l'iiépatisation rouge passe à
l'hépatisation jaune ou grise. La fibrine subit alors une transformation
purulente, condition essentielle de la guérison. Cette fonte purulente
s'opère sans destruction des parois des vésicules. Le produit est rejeté
sous forme de crachats purulents composés de globules de pus au mi-
croscope. »
Gubler a parfaitement démontré (1858) que l'on a compris sous la
dénomination de pneumonie librineuse les faits les plus dissemblables,
des bronchites pseudo-membraneuses et des pneumonies franches avec
concrétions hémoplastiques abondantes. Ces concrétions consistent en
des filaments allongés, cylindriques, pleins dans toute leur épaisseur.
Elles sont ramifiées à la manière des bronches, et offrent une touffe de
filaments à leur extrémité ou bien encore forment de très-petits lobes qui
se sont moulés sur les cellules pulmonaires. Leur couleur varie du rouge
sombre ou du brunâtre au jaunâtre et au blanc rosé par suite de leur
séjour plus ou moins prolongé dans les bronches.
A l'examen microscopique on retrouve dans les concrétions non-seule-
ment un réseau fibrineux mais encore de la fibrine granuleuse et des
globules sanguins, parfois à peine altérés lorsque la concrétion d'un rouge
sombre paraît récemment formée. Puis les globules sanguins s'altèrent
et la matière colorante disparaît par l'absorption à mesure que se pro-
longe le séjour dans les voies respiratoires ; en un mot les caillots
bronchiques subissent toutes les transformations par lesquelles passent
les coagulations sanguines dans les veines. Quand ces productions fibri-
neuses hématiques, comparables aux concrétions polypiformes valvu-
laires, aux coagulums veineux, se désagrègent, elles forment des amas,
des espèces de flocons qui finissent, au dernier terme de leur dissolu-
tion, par n'être plus qu'une sorte de pulpe rougeàlre ou jaunâtre. On
peut donc admettre que l'existence d'une pneumonie librineuse est loin
d'être démontrée. La matière qui serait la caractéristique de cette espèce
de pneumonie se retrouve dans toutes les pneumonies franches. Elle est
formée par du sang coagulé dans les bronches, et n'est que l'expression
de la tendance hémorrhagique qui appartient à la pneumonie propre-
ment dite.
Mais comment reconnaître alors la présence de cette fibrine concrétée?
Si chez un individu atteint de pneumonie on constate vers le deuxième ou
le troisième jour une matité considérable accompagnée de souffle tubaire
et de bronchophonic intense, si les râles crépitants ou sous-crépitants
n'ont eu qu'une durée éphémère, si l'expectoration a brusquement cessé,
si des phénomènes généraux d'une certaine gravité se sont manifestés, on
doit craindre la production de ces concrétions fibrineuses dans les rami-
fications bronchiques.
BRONCHES. BRONCHITE PSEUDO-MEMBHANEUSF (PRONOSTIC, THERAP.). 669
Pronostic. — Le pronostic de la bronchite pseudo-membraneuse est
toujours grave. Moins sérieuse lorsqu'elle est idiopathique, elle est le
plus souvent mortelle quand elle complique un autre état maladif, et
surtout qu'elle succède à un croup laryngé. En général, la gravité est
plus grande dans la forme aiguë que dans la forme chronique ; elle dépend
moins de l'étendue des phénomènes locaux que de la forme des sym-
ptômes généraux concomittants. Thierfelder a constaté sur treize cas de
bronchite pseudo-membraneuse onze décès. Un résultat aussi malheureux
ne tiendrait-il pas à ce que l'on aurait quelquefois confondu cette ma-
ladie avec la bronchite capillaire compliquée de la production des fausses
membranes bronchiques?
Thérapeutique. — La diphthérie bronchique se lie à un travail morbide,
dont la nature n'est pas toujours parfaitement connue. De là la difficulté
du traitement. En général, les émissions sanguines, lorsque la maladie
est constituée, ne produisent point de résultats heureux. La théorie
ne justifie-t-elle pas au besoin les données de l'expérience? Andral et
Gavarret n'ont-ils pas démontré que le nombre des saignées augmente
le chiffre de la fibrine? et cette augmentation ne se traduit-elle pas
par une couenne plus ou moins abondante et épaisse? Toutefois il
faudrait bien se garder de proscrire toujours les émissions sanguines.
Employées au début, avant la formation de l'exsudat plastique, elles
peuvent rendre de grands services, diminuer l'engouement et arrêter
le travail inflammatoire qui précède la formation de la pseudo-mem-
brane.
Les vomitifs ont été conseillés, et spécialement le tartre stibié, l'ipéca-
cuanha, le sulfate de cuivre, le vin antimonié. Lorsque les fausses mem-
branes se trouvent dans les grosses bronches, les efforts des vomisse-
ments peuvent détacher le cylindre fibrineux, en favoriser l'expulsion ;
mais si elles remplissent les petites bronches, le vomitif reste le plus sou-
vent insuffisant.
Les purgatifs, ainsi que les révulsifs sur la peau, n'ont jamais eu que
des effets indirects très-incertains.
Le calomel a élé plus particulièrement conseillé ; son effet est complexe
et douteux. Les préparations mercurielles seraient, d'après Canc,Corrigan,
Puchelt, Schônlein et Schiitzenberger, les meilleurs moyens de combattre
la bronchite plastique; elles jouissent de la faculté de diminuer la plasti-
cité du sang, d'amener sa fluidité. Schiitzenberger préconise les frictions
avec l'onguent napolitain, et à l'intérieur le sublimé, qui posséderait
des propriétés antiplastiques plus énergiques que le calomel, et qui n'au-
rait pas, autant que celui-ci, l'inconvénient de déterminer des salivations
souvent si fâcheuses.
Le chlorate de potasse, conseillé d'abord par Hunt et West, en Angle-
terre, par llerpin (de Genève), contre la salivation mercurielle, plus tard
parBlache, Barthez, E. J. Bergeron et Isamhert, dans les affections diphthé-
ritiques, a été essayé dans la bronchite pseudo-membraneuse. Son action
est encore assez problématique, mais il peut être employé comme un ad-
070 BRONCHES. — bibliographie.
juvant; aussi ne faut-il pas négliger d'avoir recours en même temps à
des agents thérapeutiques d'une plus grande énergie.
Ozanam a préconisé le brome dans les affections pseudo-membra-
neuses; il n'agirait pas seulement comme fluidifiant, mais il modifierait
la force vitale dans son action pathogénique et déterminerait la désagré-
gation de la fausse membrane. C'est un moyen sur lequel il ne faudrait
pas trop compter.
L'iodure de potassium, à la dose de 2 grammes par jour, a rendu de
bons services (Thierfelder).
L'inspiration de vapeur d'eau chargée d'éther, l' introduction des pous-
sières liquides chargées de tannin, ou d'autres substances astringentes,
ont obtenu quelques effets avantageux.
Dans une maladie qui s'accompagne souvent d'une profonde adynamie,
les excitants diffusibles, les toniques, le quinquina en particulier,
peuvent être utiles.
En présence d'une asphyxie menaçante, y aurait-il quelque espérance
de succès à faire la trachéotomie? Peter pense qu'il y a plutôt indication
que contre-indication à pratiquer cette opération quand le croup coexiste,
parce que le rejet des fausses membranes bronchiques est impossible,
le larynx étant oblitéré. Dans une complication aussi grave, la guérison
n'est pas impossible. Millard en a relaté quatre exemples. Néanmoins
j'ai peu de confiance dans la trachéotomie. Ne serait-ce pas plutôt le cas
de tenter dans les bronches les injections caustiques dont j'ai parlé en
traitant de la bronchite chronique?
Bronchite énidémique. Voy. Grippe.
Itroncliotomie. Voy. Trachéotomie.
La littérature ancienne est mentionnée dans les Dictionnaires et Encyclopédies publiés au
commencement de ce siècle. Nous bornerons, à dessein, nos indications bibliographiques aux
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Voyez en outre la bibliographie des articles Catarrhe, Coqueluche, Grippe. Phthisie, Poumon
(pathologie).
Henri Gintisac
BROIVXÉG (maladie) ou maladie d'Addison. — Les divers états
morbides ou accidentels, caractérisés par un dépôt anormal de pigment
noir, peuvent être réunis en une seule classe sous la dénomination com-
mune de mélanopathies, laquelle, précisant simplement le phénomène
analomique, ne préjuge rien touchant l'origine et la signification patho-
logique de ses conditions, d'ailleurs entièrement disparates. Cette classe
des mélanopathies admet naturellement trois genres fondés sur le siège
du pigment, qui peut occuper les viscères, le sang ou les éléments de la
peau; de là les mélanopathies viscérales, la mélanémie, et les mélano-
pathies cutanées ou mélanodcrmies. Les deux premiers genres sont hors
de cause en ce moment, je ne m'y arrête pas davantage ; le troisième
renferme plusieurs espèces : telle est, par exemple, la mélanodermie
quasi physiologique de la grossesse; telle est encore celle qui est pro-
duite par l'insolation, par l'exposition à un foyer de chaleur (ephelis
ignealis), celle qui accompagne les dermatoses (pityriasis, ichthyose),
celle qui succède à l'absorption des sels d'argent ou de l'aniline. Or, à
côté de ces espèces bien définies, dans lesquelles la coloration noire du
tégument externe, simple épiphénomène, ne présente aucun caractère
spécifique, aucune relation constante avec un état constitutionnel déter-
miné, il en est une autre qui se distingue entre toutes par des modalités
précisément inverses; ici la pigmentation affecte une disposition presque
BRONZEE (maladie). 677
toujours la même, et cette constance de la forme devient pour elle un
critérium spécifique de premier ordre ; d'autre part, cette mélanodermie
est liée à un complexus morbide dont les traits fondamentaux sont tou-
jours identiques ; enfin ce groupe de symptômes se rattache, dans l'im-
mense majorité des cas, à des lésions variables dans leur nature, mais
coustanles dans leur siège; ces lésions occupent les capsules surrénales et
les plexus nerveux qui s'y distribuent.
Cet ensemble pathologique que Thomas Addison a dégagé, par la cli-
nique, du groupe vague des anémies, et par l'anatomie pathologique,
du genre hétérogène des mélanoses cutanées, a reçu diverses dénomina-
tions : maladie bronzée, maladie d'Addison, mélasma supra-rénale, telles
sont les principales d'entre elles ; la désignation de mélanodermie asthé-
nique, que j'ai proposée il y a deux ans, n'est pas moins exacte que les
précédentes au point de vue clinique, mais je m'arrêterais plus volontiers
encore à une qualification à la fois clinique et anatomo-pathologique,
telle que asthénie surrénale, si l'on pouvait, sans amphibologie, se servir
de cette épithète pour indiquer, non pas les capsules surrénales exclusi-
vement, mais ces organes et les plexus sympathiques qui y sont unis.
Que si je me sers de cette dernière expression, il doit être en tout cas
bien entendu que c'est dans le sens que je viens de préciser.
Quoi qu'il en soit de cette question de terminologie, l'étude de cet état
morbide est l'objet de cet article. Or, comme l'individualité nosologique
de cette maladie est mal établie encore, comme des observations contra-
dictoires ont pu être opposées à la relation découverte par Addison,
comme le mode paèhogénique de ce processus a soulevé des débats, dont
la solution ne peut être donnée que par l'appréciation et la comparaison
attentives des faits isolés, il m'a paru qu'il ne suffit pas de procéder a
une description dogmatique ; celle-ci doit ressortir de l'analyse impartiale
des cas particuliers, seule méthode qui, en pareille matière, puisse
fournir quelques conclusions autorisées. C'est pour permettre au lecteur
de contrôler les éléments de cette espèce d'instruction médicale que j'ai
réuni dans les tableaux suivants les observations avec autopsie, qui se rap-
portent à l'histoire de l'asthénie surrénale. Je me suis efforcé de dresser
des tableaux complets, mais j'en ai écarté volontairement un certain
nombre de faits, soit parce que la coloration noire observée à la surface
du corps ne répondait point du tout à la description d'Addison, soit
parce que les altérations constalées dans les capsules surrénales pouvaient
être regardées comme des phénomènes purement cadavériques.
678 BRONZÉE (maladie). — observations de mélanodermie avec lésions.
I. Observations de mélanodermie avec lésions des capsules surrénales.
BlîlGHT.
A prison.
Apdison.
Addison.
Addison.
Addison.
Addison.
SOURCE
BUILIOGRAPHIQ.
Me die. Ca-
ses, 1829.
Son mémoi-
re de 1855.
Obs. de Th.
FULLER.
Eod. loco.
Observât, de
Goll.
Eod. loco.
Obs. de Wil-
liams.
Mémoire de
1855.
Obs.deWARD
Clerk.
Eod. loco.
Eod. loco.
Eod. loco.
Observât, de
Lloyd.
SEXE
ET
DUREE
AGE
F.
9
9
H.
5 ans.
52
ans.
H.
6
55
mois.
ans.
H.
7
2G
mois.
ans.
H.
9
22
ans.
H.
1 an.
?
?
F.
9
F.
9
60
ANTECEDENTS
ET SYMPTÔMES
DOMINANTS
OUTRE
A MÉLANODERMIE
Affaiblissement
Amaigrissem. Dé-
lire et coma deux
jours avant la mort.
Affaiblissement.
Amaigrissem. Dou-
leurs lombaires et
épigastriques.
Rhumatisme, an-
técédent. Affaiblis-
sement. Délire. Vo-
missements. Dou-
leurs épigast. Con-
stipât. Engourdis-
sement des doigts,
des jambes, du bout
de la langue.
Affaiblissement
Amaigrissement.—
Vomiluritions. Yer-
tiges. Syncopes. —
Douleurs lombaires.
Leucémie.
Prostration ex
trême. Vomisse
ments. Mort dans
le collapsus.
Anémie. Affai-
blissement crois-
sant. Vomissements
opiniâtres. — Mort
brusque.
Débilité. Vomis-
sements. Amaigris-
sement. Céphalal-
gie, délire, verti-
Mélanodermiepar-
tielle (sur les bras).
LESIONS
DES
CAPSULES
La gauche con
tient 2 drachmes
de pus jaunâtre. La
droite, épaissie, in
durée , augmentée
de volume, a subi
la transformation
scrofuleuse.
Hypertrophie et
induration des deux
capsules.
Concrétions fibi
neuses semblables
à des tubercules
dans les deux cap
suies.
Transformation
strumeuse des deux
capsules.
Atrophie et indu
ration des deux cap-
sules.
Hypertrophie. In-
durat. Noyaux jau-
nâtres, graisseux,
regardéscommedes
tubercules, dansles
deux capsules.
Tubercules dans
les deux capsules.
Cancer des deux
capsules.
AUTRES LESIONS.
Atrophie céré-
brale avec hydrocé-
phalie interne et
externe.
Pneumonie an
cienne
Péricardite ré-
cente.
Épaississementet
érosion de la mu
queuse gastrique
Tubercules pul
monaires. — Cari
vertébrale. Abcès
du psoas.
Épaississementet
ulcération de la
muqueuse gastri-
que. Tuméfaction
des ganglions mé
sentériques et delà
rate. Foiegras.
Induration des
sommets des pou-
mons.
Péritonite an-
cienne. Abcès de la
poitrine. Paroti-
dite. Arachnitis.
Cancer du sein,
du poumon, de la
plèvre, du foie.
BRONZÉE (maladie)
OBSERVATIONS DE MELANODERMIE AVEC LESIONS.
679
il)
13
14
13
18
Addison.
Addison.
Addison.
Addison.
Burrows.
Barlow.
Bakewell.
Thompson.
Curling.
I'arre.
Mémoires de
1855.
Obs. deWARD
Clerk.
SOURCE
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Eod. loco.
Obs. de Bar-
low.
Eod. loco.
Eod. loco.
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Rapporté par
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and Cas., 1856.
Medic. Times
andGaz.A&SQ.
SEXE
ET
AGE
DURÉE
F.
55
ans.
H.
58
ans.
5
mois.
?
F.
28
ans.
H.
9
?
0
H.
M
ans.
8
mois.
II.
24
ans.
mois.
H.
27
à
28
ans.
II.
20
ans.
?
6
semai-
nes.
H.
20
ans.
II.
57
ans.
3
mois.
lan.
ANTECEDENTS
ET SYMPTÔMES
DOMINANTS
OLTRE
LA MELANODERMIE
Pbénomènes gas-
triff. uniquement,
Phénomènes gas-
triques. Marasme.
Coloration à
face seulement.
Spondylarthi'oca-
ce aiitéced. Dou-
leurs épigaslriques,
Vomissem. Amai-
grissement.
Affaiblissement
Nausées, vomisse-
ments. Leucémie
Urine non albumi-
lieuse.
Affaiblissement
extrême.
Affaiblissement
subit. Agitation
Douleur dan> l'Iiy-
pochondre droit
Affaiblissement
Diarrhée avec ac-
cès épileptiformes
Vomissements. Dé
tire. État coma
teux.
Alcoolisme et de
liriuni tremens.
Do ti le lus lombaires
Fiat typhoïde arec
agitation et délire
LESIONS
DES
CAPSULES
Cancer de la cap-
sule nauche.
Tubercules clans
l'une des capsules.
Cancer de la cap-
sule gauche.
Cancer de l'une
des capsules.
Fonte purulente
tuberculeuse (?) des
deux capsules.
Transformât ioi
kystique de la cap-
sule gauche. La dr
contient plusieurs
aoyaus dursde'con
sistance fibreuse.
Atrophie et dégé
uérescence calcaire
Hypertrop. énor-
me. Le tissu nor-
mal remplacé pai
une masse jaune ,
opaque, de consi-
stance caséeuse. Le
microscope a mon-
tré que ce n'est pas
du tubercule.
Atrophie et dégé
îresc. ( aséeuse.
Collection pùru
lente dans le centre
dés capsules.
AUTRES LESIONS
Cancer do l'esto-
mac.
Tubercules de la
rate, des reins et
du péritoine. Dé
générescence grais-
seuse de l'un des
reins.
Cancer de l'uté
us.
Cancer
mon.
pou
Hypertrophie du
thymus. Tuinéfac
tion et hyperémie
des reins. Ankylose
incomplète de^.Vel
6° vert, dorsales.
Rétraction et in
durationdufoie.Dé-
générescence grais-
seuse du caëur.
Forte hyperémie
du foie. Tuméfac-
tion étendue des
follicules intesti-
naux isolés. A la
lin de l'iléumdeux
ulcérations superfi-
cielles.
Arthrite scrofu-
leuse du genou
Anémie des reins
Abcès de lagro:
seur d'une orang
,|;ui> le lobe droit
du foie.
080 BRONZÉE (maladie). — observations de mélanodermie avec lésions.
19
20
24
Rorertson.
Ciiristie.
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W.Monro.
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Journal, 1850.
Il
26
ans.
F.
56
ans.
1 an.
i
moi
semai-
nes.
6
moi:
Attaquesdegoutte
etérysipèletrauma-
tique. Affaiblisse-
ment. Accès irré-
guliers de perte de
connaissance arec
convulsions de la
face et du côté
gauche du corps.
Mort brusque dans
le coma après dé-
lire violent. Colo-
rât, un peu claire.
ANTECEDENTS
ET SYMPTÔMES
DOMINANTS
OUTRE
LA MÉLANODERMIE
Affaiblissement.
Vomissements. Dou-
leurs dais les jam-
bes et dans l'hypo-
chondre droit Urine
non albumineuse
Leucémie légère.
Bronchite. Dou-
leurs dans la tête
et dans les lombes
Amaigrissement.—
Semi-paralysie de
la face à droite
LESIONS
DES
CAPSULES
Intumescence et
transformation ca-
séeusedescapsules.
{Examen microsco-
uique par Quain).
Affaiblissement.
Amaigrissement. —
Douleurs dans les
jointures, dans 1rs
membres , dans le
cou. Plus tard dé-
lire et coma.
Suppuration des
ganglions du cou.
Fièvreintermilt.kî-
faiblissement phy-
sique et intellec-
tuel. Mort dans le
coma. Urine sans
albumine.
Habitudes alcoo-
liques. Affaiblisse-
ment progressif.
Mort dans le coma.
Urine albumm.
Affaiblissement
croissant. Lipothy-
mies. Diarrhée.
Menstr. et urine
normales. Pas de
leucémie.
Transformation
kystique. Une petite
partie de la subst.
corticale est seule
restée intacte.
Tuméfaction con-
sidérai).; à la coupe,
aspect d'une glan-
de tuberculeuse.
Tuméfaction et
dépôts tubercul.
Dégénérescence
tuberculeuse, mar
quée surtout dans
la capsule gauche
11 ne reste pas trace
de la subst. médul
laire. A peine quel-
ques vestiges de la
corticale.
AUTRES LESION?
Tubercules pul
monaircs.
Tuméfaction et
ramollissement de
la rate. Le crâne
non ouvert.
Dégénérescence
graisseusedu cœur.
Hyperémie et ra
mollissemont des
reins. Crâne non
ouvert.
Tuberculisation
du rein droit. j
Destruction totale
delà substance mé-
dullaire. Au micro-
scopedes, corpuscu-
les, des cellules ir-
régulières , de la
matière amorphe,
quelquesgouttesde
graisse. La capsule
gauche n'a plus que
le quart de sa gros-
seur normale.
La capsule droite
est quadruplée de
volume; la gauche,
moins volum. Sub-
stance médullaire
remplacée par des
dépôts de matière
scrofuleuse.
Dégénérescence
graisseuse desrein
et du foie. Tumé-
faction de la rate
Cicatrices et tuber
cules miliaires ai
sommet des pou-
mons.
Intumescence et
injection des nerf
et des ganglions du
plexus solaire. Tu
hercules au som-
met des poumons
BRONZÉE (maladie). — observations de mélanodermie avec lésions. 681
26
28
S. Féréol
Trousseau.
Malheiiue.
2!»
Metten-
iii un i;
MlNGONI.
Wallace.
Breiime.
SOURCE
RJRLIOGRAHIIQ.
jEXE
ET
AGE
PURÉE
ANTÉCÉDENTS
ET SYMl'TpMES
DOMINANTS
OUTRE
LA MÉLANODERMIE
LÉSIONS
DES
CArSl'LES
Gaz. hôpit.,
1856.
H.
35
ans.
H.
37
ans.
F.
48
ans.
11.
47
ans.
H.
?
F.
48
ans.
H.
?
20
mois.
Fièvre intermit-
tente. Fièvre ty-
phoïde. Ictère. Af-
faiblissement. Dou-
leurs dans les lom-
bes, les membres et
fèpigastre , cépha-
lalgie, Nausées, vo-
missements, diar-
rhée. Mort sansago-
nie par faiblesse
croissante.
Hypertrophie et
induration. Trans-
formation grais-
seuse.Quelques glo-
bules de pus, pas de
tubercules (Robin).
Bulletin île
/' Acad.de mal.,
1856.
quel-
ques
mois,
Affaiblissement.
Diarrhée. Refroi-
dissement des mem-
bres, Subdelirium-
Urine normale.
Augmentation de
volume et tubercu-
ljsation.
Moniteur des
hôp. et Gazette
hebdom,,\8S6.
18
mois.
Affaiblissement.
Amaigrissement.
Diarrhée et vomis-
sements.
Tuberculisation
générale.
Deutsche Kli-
nik, 1856.
L'autop. dale
de 1853.
•)
Affaiblissement.
Douleurs lombaires
continues. Consti-
pai, opiniâtre. Mort
dans le coma.
Les capsules sont
remplac. par deux
masses cancéreu-
ses. A gauche.dépôt
graisseux et choles-
térine.
Gazzet. me-
dica italiana.
Lombar.tWif}.
20
mois.
Hémiplégie passa-
gère à l'âge de huit
ans. Plusieurs fois
des fièvres intermit-
tentes. Doul. épi-
fiaslriques et lom-
baires. Affaiblisse-
ment. Refroidisse-
ment. Ralentissent.
croissant du pouls.
Vomissements.
Tuberculisation.
A gauche on recon-
naît encore un peu
de substance corti-
cale.
Assoc. med.
Journal, 1856.
7à8
mois.
Prostration. Vo-
missements. Syn-
copes nombreuses.
Convulsions ulti-
mes.
Àtrophie.état gra-
nuleux des deux
capsules?
Deutsche Kli-
nik, 1857.
?
9
Hypertrophie de
la capsule droite.
Atrophie et tuber-
culisation (?) de la
gauche.
AUTRES LESIONS
Estomac rétracté
a parois épaissies, à
muqueuse mame-
lonnée. Foie gras
induré et icténque.
Tubercules dans
l'intestin grêle et
dans les glandes
mésentériq. Aug-
mentation de vo-
lume de la rate et
des reins.
Hypertrophie des
reins, quelques tu
hercules au som
met d'un poumon.
Tubercules dans
tous les ganglions
lymphatiques. In
tumescence et hy
perémie du rein
droit. Atrophie et
tuberculisation du
rein gauche. Rien
dans les poumons
Foie muscade.
Rate grosse et ra-
mollie. Rein de
Bright. Dégénéres-
cence graisseuse du
cœur. Ossification
des artères coro-
naire.
Cœur fiasque et
mou. Tubercules au
sommet du pou-
mon gauche. Lé-
gère augmentation
de volume du rein
gauche.
Double hydropi-
sie de l'ovaire
Reins gros mai;
normaux. Pancréas
petit.
Transformation
lardacée du gan-
glion lymphatique
voisin de la cap
suie gauche. Tu-
bercules dans les
poumons.
682 BRONZKE (maladie). — observations de mélanodermie avec lésion;
g
55
AUTEURS
SOURCE
B1BLIOGIÏAPMQ.
SEXE
ET
AGE
DURÉE
ANTÉCÉDENTS
ET SYMPTÔMES
DOMINANTS
OUTRE
LA MÉLANODERMIE
LÉSIONS
DES
CAPSULES
AUTRES LÉSIONS
Fresne et
Levhat-
Perroton.
Abeille mèd.
et Gaz. hôpil.,
1857.
F.
50
ans.
F.
51
ans.
H.
45
ans.
F.
14
ans.
F.
18
ans.
H.
II.
56
ans.
1 an.
Origin.d'un pays
de fièvres, mais n'a
pas eu de fièvre.
Douleurs vagues
dans les membres.
Douleurs lombaires
pendant la marche
et dans la station
assise. Affaiblisse-
ment. Amaigrisse-
ment. Menstruation
et urine normales.
Bruits vasculaires
très -marqués. Vo-
missements.
Hypertrophie des
deux capsules. In-
jection de la sub-
stance médullaire
qui estpar.semée de
petites masses jau-
nâtres résistantes.
Au microsc, masse
amorphe avec cor-
puscul. granuleux ;
dans la substance
corticale , grosses
cellules pigmentai-
res.
Légère hyperé-
mie du foie. Dislo-
cation du rein
droit un peu atro-
phié dans la fosse
iliaque.
54
55
56
57
58
59
Gromier.
Gaz. médic.
Lyon, 1857.
9
Fièvres intermit-
tentes pendant la
jeunesse et un an
avant la mort. Dou-
leurs dans les mem-
bres et d. les reins.
Voihissem. Doul.
épigastriques. Con-
tracture du biceps
gauche. Crampes d.
lesjambes,plustard
aneslhésie du bras
gauche. Attaques de
convulsions.
Tuberculisation
des deux capsules.
Foie petit. Cer-
veau et moelle nor-
maux.
Tubercules mi-
liaires au sommet
des poumons.
Page.
British med.
Journal. 1857.
semai-
nes.
?
Carie du ster-
num. Douleurs lom-
baires. Rétraction
du testicule. Affai-
blissement. Insom-
nie. Urine normale.
Tubercules crus
etramollis desdeux
côtés.
Cavernes pulmo-
naires. Perforation
du sternum et in-
duration des tissus
dans le médiastin
antérieur.
Cowan.
Rapporté par
Ferme. British
med. Journal,
1857.
5
ans.
Affaiblissement.
Vomissements in-
coerciblesjusqu'àfa
mort. Mélanodermie
non uniforme.
État caséeux, cré-
meux par places ;
sur un point, dépôt
calcaire.
Quelques rares
tubercules au som-
met des poumons.
Addison.
Me die. Times
and Gaz.ASSl.
2
ans.
Affaiblissement.
Eblouissement. Pro-
stration croissante.
Désorganisation
des deux capsules
par la suppuration.
-
COTTON.
Medic. Times
and Gaz.,lSBl.
5
ans.
En 1847, abcès
lombaire.
En 1854, altérât,
génér. de la santé,
palpitations, verti-
ges, constipation,
vomissements.
Enl856,mélano-
derm. Mort en 1857
par affection pul-
monaire aiguë.
Tuberculisation
générale.
Foie et pancréas
gros.
Teissieh
et Guuian.
Gaz. médic.
Lyon, 1857.
9
Mélanodermie,
symptôme initial.
Fièvre typh. Pneu-
ii km ne. bon leur fixe
au niveau des 10'' et
11" v. dorsales.
Tuberculisation
totale.
Lésion des pla-
ques de Peyer.
Pneumonie. Tuber-
cules dans les gan-
glions bronch., non
dans les poumons.
Foie gros et gras.
BRONZÉE (maladie). OBSERVATIONS de mélanodermie avec lésions.
ANTÉCÉDENTS
SOURCE
SEXE
ET SYMPTOMES
LESIONS
>w
ET
DUREE
DOMINANTS
DES
AUTRES LESIONS
BIBLIOGRAPHIE».
z
AGE
OUTRE
LA MÉLANODERMIE
CAPSDLES
40
Fletciier.
Assoc. med.
H.
18
Affaiblissement.
Tuméfaction et
Le rein droit pré-
Journal, 185G.
45
ans.
mois.
Syncopes répétées.
Douleurs dansl'hy-
pochond. droit. Vo-
missements. Amai-
induration.
sente le premier
st.adr* de la lésion
de Bright; le gauche
est pâle. Dégénéres-
grissent. Urine lé-
cence graisseuse du
gèrement albumin.
cœur. Lésions (les-
Leucémie peu mar-
quelles?) de toute
quée.
La mère serait
morte à 5V2 ans avec
les mêmes phéno-
la muqueuse gas-
tro-intestinale.
Injection de la
base de l'hémi-
mènes (?).
sphère céréb. droit.
41
Fletciier.
Eod. loco.
F.
4
Accouchement pé-
Les capsules ne
Congestion des
'61
ans.
nible, déchirure du
peuvent être trou-
rems.
ans.
périnée.
Affaiblissement.
vées.
|
Vomissements.
42
Jenffreson.
British med.
H.
9
Douleur thoraci-
Un kyste dans la
Légère intumes--
Journal, 1857.
4U
ans.
mois.
que et ictère. Affei-
blissement.iStfraco^.
Céphalalgie. Refroi-
dissement. Ralen-
tissement du pouls.
capsule gauche ; le
contenu est ea-
sleux.
cence du foie.
Convulsions ultim.
43
Jenffreson.
Eod. loco.
II.
1 an.
Douleurs dans l'é-
Transformation
Reins gros et
63
paule droite. Vomis-
kystique de l'une
flasques. Enorme
ans.
sements. Asthénie
des capsule-.
surcharge grais-
croissante.
seuse du cœur. Le
foie normal pré-
sente une cicatrice.
Opalescence et œdè-
me de la pie-mère.
44
Kent
British med
F.
1 an.
Asthénie. Amai-
Pus et tubercules
Pas d'autres lé-
Spender...
Journal, 1857.
ïll
grissement, lie [rai-
dissement. Consti-
pât. Nausées. Dou-
leurs dans l'hypo-
dans les deux cap-
sules [Examen mi-
croscopiq. par Mar-
tigne).
sion-.
chondre droit.
45
HoCHGES-
Cité par Wa-
gner dans sa
11.
5
Pérityphlite et ca-
Augmentation de
Hypertrophie de
!
ANDT.
16
mois.
tarrhe de l'estomac.
volume et transfor-
la raie, des glandes
dissertât. sur la
ans.
Phénomènes ty-
mation caséeuse.
solitaires et de
1
maladie d'An-
phoïdes.
Peyer. Gonflement
DISON.
des ganglions mé-
4G
Giessen, 1858.
H.
senteriques.
Addison.
Rapporté par
5
Syphilis.
Transformation
Injection de la
1
Lqvegrove.
5*2
ans.
Asthénie crois-
scrofuleuse."
muqueuse gastri-
1
Medic.Times
ans.
sante.
que. Tumétaction
des glandes soli-
1
andGa^.,1858.
Si
taires et de Peyer.
1
Atrophie des nerfs
1
efférents des gan-
47
F.
glions semi-lunair.
Kent
British med.
g
Asthénie. Diar-
Absence des cap-
Pigmentation des
1
Sl'E.NUER.
Journal, 1858.
53
ans.
mois.
rhée.
sules.
poumons, des gan-
glions bronchiques
et mésentériques.
684 BRONZÉE (maladie:
OBSERVATIONS DE MELANODERMIE AVEC LÉSIONS.
©
■S
48
ACTEURS
SOURCE
BIBUOGRAl'HIQ.
SEXE
ET
AGE
H.
45
ans.
F.
50
ans.
DURÉE
ANTÉCÉDENTS
ET SYMPTÔMES
DOMINANTS
OUTRE
LA MÉLANODERM1E
LÉSIONS
DES
CAPSULES
AUTRES LÉSIONS
Y IRC HO W.
Sitzung der
med. Gesellsch
zuBerl.,m8.
Canstatt's
Jahresbericht ,
1858.
6
semai-
nes.
Refroidissement
antérieur.
Douleurs dans le
thorax et dans les
membres. Diarrhée,
vomissements. Fiè-
vre.
Albuminurie. Co-
ma.
Tuherculisation
de la capsule gau-
che. Conservât de
quelques points de
suhst.médullaireet
d'une bonne partie
de la corticale.
Tuberculose ai-
guë des poumons.
49
50
51
52
55
54
55
56
Martin.
British med.
Journal, 1858.
18
mois.
Asthénie. Vomis-
sements.
Atrophie totale de
la capsule gauche.
La droite est trans-
forméeen poche pu-
rulente.
Thorax et crâne
non ouverts.
Brittane.
British med.
Journal, 1858.
H.
19
ans.
H.
31
ans.
H.
H.
11
ans.
F.
19
ans.
F.
53
ans.
II.
57
ans.
9
?
Augmentation de
volume et dépôts
d'apparence tuber-
culeuse.
Hypertrophie du
cœur. Calculs du
rein et néphrite
chronique.
Brittane.
Eod, loco.
9
Asthénie. Hémo-
ptysie.
Tubercules ra-
mollis danslesdeux
capsules.
Cavernes pulmo-
naires.
Holmes.
Transact.Pa-
th. Society IX,
1858.
1
Mélanoderm. par-
tielle et en taches.
Pneumothorax.
Tuherculisation.
Abcès du rein.
Calculs rénaux.
Risdon
Bennett.
Me die. Times
and Gaz.,lH58.
Transact. Pa-
th. Soc. IX.
Rapporté par
Uutchinson.
Asthénie. Amai-
grissent. Diarrhée.
Accès convuls. pen-
dant la dernière se-
maine de la vie.
Désorganisation
totale. Transforma-
tion crétacée de tu-
bercules anciens.
Tuherculisation
des ganglions mé-
sentériques.
WlLKS.
Med. Times
and G a:-. ,1851.
2
ans.
Rhumatisme chro-
nique.
Asthénie.
Les capsules du
volume d'un œuf de
poule sont remplies
de pus.
Nulles.
Mackensie
et
Sanderson.
Rapporté par
H a rle y, Lan-
cet.-Brit. and
for. med. ehir.
Revieiv, 1858.
1 an.
Dyspepsie.
Asthénie.
Tuherculisation.
Adhérences in-
testinales. Tuber-
cules du foie. Tu-
méfaction îles gan-
glions niésenléri-
ques.
Thorax et crâne
non ouveits.
Buss.
Lancel ,1858.
0
mois.
Carie vertébrale
et paraplégie in-
complète il y a 4
ans.
Mélanoderm. par-
tielle.
Phénomènes gas-
triques Vomissent.
ksÙiènie.Amaigris-
sement. Doul. dor-
sale.Urine normale.
Transformat, ca-
séeusede la totalité
des capsules.
Tubercules au
sommet des pou-
mons.
BRONZÉE (maladie). — observations de mélainodermie avec lésions. 685
lio
Page.
Welford.
Pavv.
Mackensie
Bacoiv.
'il
62
63
source
RIliLTOGKAPIIIQ.
British med.
Journal, 1S5'J.
Medic. Times
andCaz.ASbd.
Laurel, \X>9.
Medic. Times
and G'«s.,1859.
II.
17
ans
jeune
honi-
e.
15
ans.
X. Cas île
Reading
hospital.
Grey (îlo-
61 SCHMIDT
(de Rotter-
da
Lflncg/,1859.
H.
16
ans.
Medic.Times
II.
and Gaz., 1859.
S»U
ans.
Edinburgh
H.
med. Journal,
39
1859.
aq>.
Arch. f. d.
Hollandische
BêUràge,1859.
ïx
mois.
quel-
ques
mois.
ANTECEDENTS
ET SYMPTÔMES
DOMINANTS
OUTRE
A MÉLANODERMIE
Vomissent. Dou-
leurs lombaires et
tpigastriqv.es. Con-
stipation. (Jrinenor-
male. Délire et coma.
Asthénie. Vomis-
sements.
Asthénie. Pas d'à
maigrissement. Vo-
missements. Quel-
que mouvements
clioréiformes.
LESIONS
DES
CAPSULES
Tuberculisation
totale.
Autops.p. Wilks
Transformation al-
Itumino-crétacéede
l'une des capsule
quel-
ques
.Asthénie. Vomis-
sements. Ulcères ca-
chectiques sur les
membr. inférieurs.
Céphalalgie. Verti-
ges. Dans les deux
dern. jours , anes-
thésie des pieds et
d. jctmbes, douleurs
danslesdoigtsetles
orteils.
bthénie.
Asthénie. Vomis-
sements jusqu'à la
mort.
5
ans.
quel-
ques
semai-
nes.
Carie vertébral
(de la 10" dorsale à
la 2' lombaire), ab-
cès des deux psoas.
Asthénie. Amai-
grissement. Vomis-
sements. Constipa-
tion.
Les deux capsules
comprises dans une
masse d'exsudation
solide égale aux 3/4
du volume d'une
orange ordin. La
Iroite est ramollie
en totalité, la gau-
che contientdu pus
AUTRES LESIONS
Tuberculisation
des ganglions mé-
entériques. Tumé-
faction des glandes
intestinales solitai-
res et agminées. Tu
hercules crus dans
le poumon droit
Nulles
Hypostasc pul-
monaire. Pigmen-
tation du foie.
Quelques ecchy-
moses dans la por-
tion cardiaque de
l'estomac.
Tuberculisation
totale.
Tuberculisation
totale.
Augmentation de
volume et désorga
nisation complète
Mélange de dépôt
calcaires et de por
lions diffluentes.
Asthénie. Amai-
f/rissement. Fièvre.
Troubles digestifs.
Melanoderm. par-
tielle.
Transformation
casée use des deux
capsules; plus
plète "
rauche.
Tuberculisation.
L'autopsie est de
is:,
Tuméfaction de:
ganglions mésenté
riques.
Quelques adhé
rences pleurales.
Anciennes adhé-
rences pleurales à
droite.
Lésions de la ca-
•ie vertébrale.
Tubercules pul-
monaires. Ulcéra-
tions intestinales.
Tuberculisation de
la rate et des gan-
glions mésentéri-
ques.
686 BRONZÉE (maladie). — observations de mélanodermie avec lésions.
i;;>
ut;
68
ScHMIDT.
SCHMIDT.
VOGEL.
Il')
SOUliCE
lSllSLlOGIiAPllIQ.
Eod.
1859.
loco,
Eod. loco,
1859.
Rapporte par
Buhl. In Wie-
ner medic.Wo-
chens, 1800.
Wiener med
Wqchenschrift
1860.
Buhl.
70 Buul
Eod. loco.
Eod. loco.
5
mois.
ji'iiin'
honi-
ANTECEDENTS
ET SYMPTÔMES
DOMINANTS
OUTRE
LA SIÉLANODERMIE
Fièvres intermit-
tentes.
Asthénie. Amai-
grissement. Vomis-
sements.
Mélanoderm. par-
tielle.
Choléra, 4 ans au-
paravant; 5 mois
avant la mort; ar-
rêt des règles par
frayeur.
Asthénie. Amai-
grissement. Refroi-
dissement . Douleurs
lombaires intenses.
Palpitât. Vomisse-
ments, diarrhée. Ac-
cès de hoquet.
Asthénie.
Asthénie et amai-
grissement. Leucé-
mie. Absence totale
de fibrine dans le
sang.
Mélanoderm. par-
tielle.
LESIONS
DES
CAPSULES
Fonte tubercu-
leuse.
Transformation
caséeuse.
Çà et là quelques
vertiges de la sub-
stance corticale et
de la médullaire.
Transformation
caséeuse.
Asthénie. Pneu-
monie. Pleur, dou-
ble. Absence presque
complète de fibrine
dans le sang. Leu-
cémie.
Mélanoderm. par-
tielle.
Asthénie. Amai-
grissent. Sang dif-
fluent. Œdème des
extrémités.
Mélanoderm. par-
tielle.
Tuherculisation
totale.
AUTUES LESIONS
Tubercules pul-
monaires. Erosions
glandulaires dan
la dernière portion
de l'iléum. Foie
gros et congés
tionné.
Atrophie consi-
dérable du sympa
thique autour de
l'aorte abdominale.
Tuméfaction de
glandes intestinales
(petit et gros). In-
duration lardacée
(sans tubercules
des ganglions mé-
sentériques. Bâte
grosse. Pannicule
adipeux assez épais.
{Examen microsco-
pique par Boogard).
Tubercules pul-
monaires. Pigmen-
tation des glandes
bronchiques et des
follicules intesti-
naux.
Cavités remplies
d'une bouillie dif-
fluente. Quelq. tra-
ces des deux sub-
stances.
Atrophie des élé-
ments propres par
polifér. du stroma.
Tuherculisation
des poumons.
Intumescence et
tubercules du foie,
de la rate et des
ganglions mésenté-
riques.
Tous les ganglions
lymphatiques de-
puis la mâchoire
jusqu'aux aines
sont tuberculeux.
Atrophie du cer-
veau. Dilatation et
hydropisie des ven-
tricules.
Tubercules i
lianes du foie et de
la rate. Atrophie d<
la substance corti-
cale des reins.
tubercules nu-
liaires du foie, de
la rate et des pou
nions. Tuméfaction
des ganglions bron
chiques et mésen
tériques.
BRONZÉE (maladie). — observations de mélanodermie avec lésions. 687
ANTÉCÉDENTS
©
SEXE
ET SYMPTOMES
LESIONS
—.
AUTEURS
SOURCE
ET
durée
DOMINANTS
DES
AUTRES LÉSIONS
g
AGE
OUTRE
CAPSULES
71
LA MELANODERMIE
Addison.
Rapporté par
II.
4
Asthénie. Vomis-
Transformat, en
Nulles.
Aldis. Medic.
12
mois.
sent. Douleurs lom-
une masse jaunât.
Times, 1860.
ans.
baires. Incontinence
Tissu normal com-
72
H.
d'urine.
plètement disparu.
ROLLESTO.V.
Rapporté par
quel-
Asthénie. Amai-
Tuberculisation
Tubercules mi-
C.ray. M éd. Ti-
47
ques
grissent. Douleurs
totale.
liaires, tubercules
mes and Gaz.,
ans.
mois.
lombaires. Vomis-
ramollis et ancien-
1860.
sements. Constipa-
nes cavernes dans
75
H.
tion.
les poumons.
IloUSLLY.
Lancet,iHG0.
10
Asthénie. Doul.
Dépôts scrofuleux
Quelques dépôts
33
mois.
épigastriq. et lom-
dans les capsules,
crétacés dans le
ans.
baires. Vomissent.
Constipation. Méla-
nodermie presque
transform. en mas-
ses libro-alhumin.
(VVilks).
foie.
74
H.
générale.
Peacock.
Medic. Times
3
Dans l'enfance, tu-
Abcès scrofuleux
Autres organes
and Gaz., 1860.
20
ans.
mois.
meur blanche coxo-
fémorale.Epilepsie.
Asthénie. Mort a-
près 8 attaques de
(Bristowe).
non examines.
75
F.
convulsions.
Leeming.
Medic. Times
2
Asthénie. Amai-
Tuberculisation
Tubercules des
andGaz.,iS6i).
47
ans.
grissent. Douleurs
complète, surtout à
poumons, du pan-
ans.
lombaires avec irra-
diations utérines.
Constipation. Urine
normale.
droite.
créas et de la raie.
Dégénérescence
graisseuse du cœur.
76
Dalton .
New-York
H.
7
Asthénie. Amai-
Transformation
Nulles.
Journal, 1860.
17
ans.
mois.
grissent. Douleurs
dans les lombes et
dans les membres.
Vertigcs.lmtemenl
d'oreilles. Deux ac-
calcaire des deux
capsules.
cès épilepti formes.
77
H.
Délire. Coma.
Henoch.
Med. central
3 1/2
Asthénie. Vomis-
Transformation
Pigmentation et
Zeitung, 1860.
12
mois.
sements. Constipa-
caséeuse (A peine
hypertrophie des
ans.
tion. Respirai, ex-
trêmementfréquente
jusqu'à 80. Souffle
vasculaire au cou.
Mort ap. une érlam-
vsie de 12 heures.
quelques vestig. du
tissu normal). Proli-
fération conjonctiv.
ganglions bron-
chiques et mésen-
tériques. Hypertro-
phie du foie et de
la rate. Tuméfac-
tion des glandes de
l'intestin. Dégéné-
rescence graisseuse
78
H.
du Cœur.
HlRZEL.
Rapporté par
1 an.
Asthénie. Vomis-
Tuberculisation
Tubercules mi-
Dem.me.
21
sements devenus in-
complète, pas trace
liaires et petits ca-
Schwciz.Mo-
ans.
coercibl. Diarrhée.
de tissu normal.
vernes dans les pou-
nalschrifl,,1860
Quelques accès con-
vulsifs. Très-peu de
temps av. la mort,
exanthème rubéoli-
forme sur la partie
supérieure delà poi-
trine et autour des
genoux.
mons. Tuméfaction
et pigmentation de
la muqueuse intes-
tinale. Quelques ul-
cérations glandu-
laires dans l'iléum,
ulcérations éten-
dues dans le cœ-
cum. Tuméfaction
des ganglions ab-
dominaux.
688 BRONZÉE (maladie). — observations de mélanodermie avec lésions.
ANTÉCÉDENTS
SOURCE
b;rliograi'iiiq.
SEXE
ET SYMPTÔMES
LÉSIONS
AUTEURS
ET
AGE
DUREE
DOMINANTS
OUTRE
DES
CAPSULES
AUTRES LÉSIONS
LA MÉLANODERMIE
79
GlLL.
Rapporté par
F.
2
Aslhênie.Ni sucre
Transformation
Pigmentation du
FoRMAN.
57
ans.
ni albumine dans
purulente des cap-
péritoine et de la
Medic. Times
ans.
Vurine.
sules, quisont unies
muqueuse gastri-
andGas.,ifS6i.
par des adhérences
inflammatoires aux
organes voisins.
que dans la région
du pylore. Tumé-
faction des glandes
isolées et de Peyer.
Pneumonie chroni-
80
F.
que non tubercul.
Seaton
Medic. Times
6
Asthénie. Doul.
Transformation
Tuberculisation
Reid.
andGaz.,i8Ql.
28
mois.
êpigaslriques. Lipo-
enmassescaseeuscs
pulmonaire éten-
ans.
thymies. Syncopes.
Urine normale. Vo-
semblables à du tu-
bercule.
due. Autres orga-
nes non examinés.
SI
H.
missements.
Valentine.
Medic. Times
quel-
Douleurs dorso-
Transformation
Autres organes
andGàz.,m\.
r>.rj
ques
lombaires. Parésie
lardacée complète ;
non examines.
ans.
mois.
tempor.desmembr.
inférieurs. Asthén.
pas trace de tissu
normal (Wilks).
82
II.
Vomissements.
Valentine.
Eod. loco,
4
Asthénie. Doul.
Transformation
Nulles.
1861.
bO
mois.
épiyastriq. et lom-
scrol'uleuse compl.
83
ans.
H.
baires.
Trier.
Bibliothek.
Près
Asthénie. Abais-
Dégénéresc. tu-
Tuméfaction de
for Loger XIV.
24
de
sement, de la tem-
berculeuse ; prolifé-
toutes les glandes
Communiq.
ans.
2 ans.
pérature. Faiblesse
ration conjonctive.
de l'intestin sans
par von den
de la circulation.
Pas trace de tissu
inliltration tubercu-
Buscii de Brè-
Douleurs èpigasîr.
normal.
leuse. Quelques tu-
me à Meissner,
et lombaires. 1 o-
bercules ramollisau
el rapporté par
missements. Souffle
sommet des poum.
ce dernier.
vaseulaire au cou.
InSclmiidt's
Secousses dans 1rs
Jahrbucher
merahv . dont la sen-
0X111,1862.
sibilité est obtuse.
Pas de leucémie.
84
Parker.
M éd. Times
H.
4
Asthénie. Vomis-
Tuberculisat. to-
Tubercules pul-
andGaz.,i861.
14
mois.
sements. Douleurs
tale.
monaires.
85
ans.
H.
dans l'hypochondre
droit.
Ulrich.
Verhandlun ■
2à5
Troubles qaslriq.
Tuberculisat. to-
Légère tuméfac-
(/en der Berli-
24
ans.
depuis plusieurs an-
tale. Pas trace de
tion des glandes de
ner med. Ge-
ans.
nées. Suppuration
tissu sain.
Peyer et de quel-
se/ls. Sitzung
de plusieurs gan-
ques ganglions nie-
von 18. Dec.
glions cervicaux.
sentériques.
1861. Deutsche
Aggravation des
Pas d'autres lé-
Klinik, 1862.
phénomènes gastri-
ques.Vomissements
devenant incoerci-
sions.
II.
bles. Asthénie. Con-
stipation. Céphalal-
gie. Urine normale.
Dans les derniers
jours Je poulsmonte
à 140. Refroidiss.
8fi
Stedman.
Rapporté par
4
Vomissements el
Abs.de la droite.
Nulles.
Wilks in Guy's
24
ans.
diarrhée dès le dé-
La gauche transfor-
Ilosp. Reports
ans.
but. Asthénie crois-
mée en une poche
'■
VJI1, 1862.
sante. Pas d'amai-
grissement notable.
rempl. d'une masse
diffluente a'vecquel-
ques corpusc. cale.
BRONZÉE (maladie). — obsekvatioins de mélanodermie avec lésions. 689
87
80
90
91
92
*>:,
Harkis.
WlLh
Seitz.
VAN ANDEL.
Macker.
Davin.
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SOURCE
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Strasb., 1862.
Hygiên XXI,
1SK2. Rapporté
par Meissner.
Lfl«f<;/,1861
bEXE
ET
AGE
H.
46
ans.
F.
26
ans .
F.
47
ans.
F.
F.
27
ans.
F.
34
ans.
H.
25
ans.
DURÉE
ANTÉCÉDENTS
ET SYMPTÔMES
DOMINANTS
OUTRE
LA MÉLANODERMIE
2
ans.
Asthénie. Nau-
sées. Vomissements.
Pendant les 3 der-
niers jours, les vo-
missent, n'ont pas
présenté un instant
d'interruption.
3
ans.
Cyphose angul.
dep. l'enfance. Nau-
sées. Douleurs lom-
baires intenses. As-
thénie prof. Mort
brusque 5 jours a-
près l'entr. à l'hôp.
15
mois.
Phénomènes gas-
triques dès le dé-
but. Vomissements
de plus en plus jrè-
qnents. Douleur épi-
gastrique. Tumé-
faction indolore des
ganglions de Faine.
4à5
mois.
Deux ictères qui
avaientdisparusans
laisser aucune alté-
ration de la peau.
Phénomènes gas-
triq. Vomissements.
Asthénie. Amaigris-
sement. Mort après
des accès convuls.
2
ans.
Phénomènes gas-
triques dès le dé-
but. Douleurs rives
àl'épigastre et dans
les lombes. Vomis-
sements. Asthénie et
marasme.{7rme sans
albumine.
1S
mois.
Fièvre intermit-
tente. Amaigrissent.
Douleurs à l'épig.
et dans lesmembres.
Asthénie. Dans les
dernières semain.,
vomissements.
15
mois.
Depuis plusieurs
années, cpistaxis a-
bondantes.
Tuméfaction du
foie. Ascite. Œdème
des jambes. Aggra-
vation desépisiaxis.
Asthénie. Leucémie.
LESIONS
DES
CAPSULES
Augmentation de
volume et transfor-
mation en masses
scrofuleuses.
Transformation
lardac. et caséeuse
complète.
Transformat, en
une masse tubercu-
leuse envoie de ré-
gression.
Tubercules à div.
degrés de dévelop-
pement.Plus de tis-
su normal.
Tuberculisat. gé-
nérale.
Tuherculisation
complète. Dans la
caps, gauche, quel-
ques débris du tis-
su normal.
Augmentation de
volume et conges-
tion.
AUTRES LESIO.V
Tubercules
poumons.
des
Carie des der-
nières vertèbres
dorsales et de:
2 premières loin
baircs.
Quelques rares
tubercules crétacés
au sommet des pou-
mons. Quelque
noyaux lenticu-
laires tuberculeux
sur le péritoine et
dans la rate. Etat
mamelonné de la
muqueuse gastri-
que. Foie gras.
Alrop. du plexus
solaire. Pigmenta
lion brune des cel-
lules ganglionnai-
res. Pigmentai, du
péritoine. Catarrhe
purul. d'une trompe
utérine.
Foie petit etaén
inique, infiltration
granulo -graisseuse
des cellules de. la
substance corticale
des reins. Thon
non ouvert.
Adhérences du
foie et de la rate
avec les parties
voisines.
Thorax non ou-
vert.
NOUV. DICT. MED. ET C1I1H.
Petits abcès du
poumon semblables
à des cavernes, mais
sans tubercules
caillots cardiaque
ne contenant dan:
leurs mailles que
des globules blan
Hypertrophie du
foie, de la rate, des
reins et de quel
ques ganglions mes
entériques.
V. — 44
690 BRONZÉE (maladie). — observations de mélanodermie avec lésions.
ANTÉCÉDENTS
©
soi hce
B1BLIOGKAPBIQ.
SEXE
ET SYMPTÔMES
LESIONS
AUTEURS
ET
DUREE
DOMINANTS
DES
AUTRES LÉSIONS
OUTRE
CAPSULES
LA MELANODERMIE
94
KÔHLER.
Mediz. Cor-
F.
5
Depuis 4 à 6 ans,
Simple congestion
Œilème et infil-
respon. Blatt,
40
mois.
troubles gastriques
des capsules dont le
tration, inflamma-
1862.
ans.
et vomissements. De-
)uis 5 mois, affai-
jlissement considé-
rable après un ac-
couchera, avec hé-
morrhagie abond.
Deux jours avant la
mort, douleurs épi-
gastriques et tom-
bai r.,v omissent ents,
mélanodermie géné-
tissu est normal au
microscope.
toire du tissu cellu-
laire sous-périto-
néal de la 2° à la 5e
lombaire. Sérosité
transparente dans
le péritoine. Ra-
mollissement de la
rate. Augmentation
de volume du foie.
95
F.
rale. Délire et coma.
Mackenzie.
M éd. Times
2
Asthénie.
Transformat, en
Autres organe?
aiulGaz.,lSm.
18
ans.
masses purulentes
non examines.
96
ans.
F.
avec dépôts calcair.
Erichsen.
Petersburg
8
Début par la mé-
Dégénéresc. ca-
Exsudation vas-
medic.Zeitsch,
21
ans.
lanodermie. Symp-
séo-graisseuse.Cor-
cularisée à la face
1863.
ans.
tômes généraux plu-
puscules calcaires.
Cristaux de chole-
interne de la dure-
sieurs années après.
mère. Pigmentation
Vomissements, as-
stérine. Pas trace
du cerveau, des
thénie, dans les
de tissu normal.
poumons, du cœur,
derniers jours cé-
de la rate et du
phalalgie, syncopes,
foie. Tuméfaction
délire, convulsions,
catarrhale de' la
dilatation des pu-
muqueuse intesli-
!>7
pilles.
nale.
Ploss.
Kiichcnmeis-
11.
8
Refroidissement,
Tubercules. En
Tubercules pul-
ker Zeitsch. f.
40
mois.
catarrhe gastrique,
outre, un foyer hé-
monaires. Catarrhe
Médecin, 1865.
ans.
arthrite du genou
gauche. Ulcérations
buccales. Douleurs
lombaires. Vomis-
sements. Asthénie.
Amaigrissement. —
Délire. Coma. Méla-
morrhagïque dans
la capsule droite.
gastrique. Exsuda-
tion arachnoïdienne
analogue à des tu-
bercules miliaires.
98
H.
nodermie partielle.
GUSSMANN.
Archiv. der
4
Troubles gast. et
Augmentation de
Tubercules du
Heilkunde,
33
ans.
vomissements. As-
volume et transfor-
poumon. Sarcocèle
1865.
ans.
thénie. Vomisse-
ments. Diarrhée.
Dix-huit mois avant
la mort tumeur du
testicule droit; six
mois plus tard ab-
cès au niveau du
coude droit et du
grand trochanter.
Mélanodermie par-
tielle mais très-
mation caséeuse. A
droite il reste une
partie de la sub-
stance corticale.
testieulaire.
99
11.
étendue.
Oppolzei .
Rapporté par
2
Catarrhe bron-
Transformat, en
Opacités de l'a-
Lonuon.
52
ans.
chique.
une masse homo-
rachnoïde. Tuber-
Oesterreich.
uns.
Douleurs dans les
gène, jaune, casé-
cules et pigmenta-
Zeits. f.prakt.
deux hypochondres.
euse.
tion des poumons.
Heilkunde,
7 mois avant la mort
Ramollissement de
1865.
fièvre intermittente
pendant trois se-
maines. Asthénie.
Dyspnée subite. Dé-
la rate. Hypertro-
phie et pigmenta-
tion des glandes
mésentériques.
lire, coma. Urine
non albvmineuse.
BRONZKE (maladie). — observations de mélanodermie avec Lésions.
691
100
101
102
103
104
105
KuSSMAUL.
SOURCE
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Huile tin de
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British med.
Journal, 1865.
British med.
Journ., 1865.
Presse med.
1865.
SEXE
ET
AGE
DURÉE
H.
19
H.
53
ans .
10
mois.
18
mois.
F.
36
ans.
F.
44
ans.
H.
65
ans.
F.
57
ans.
10
mois.
4
mois.
1
mois.
mois.
ANTECEDENTS
ET SYMPTÔMES
DOMINANTS
OUTRE
LA MÉLANODERMI
Douleurs à Vèpi
yaslre et dans les
membres. Asthénie.
imaigrissement.Ne
;arde le lit que le
jour de sa mort. An-
goisse thoracique
Perte de connais-
sance. Convulsions.
Chute de cheval
trois ans aupara-
vant; elle nécessita
un séjour de pi
sieurs mois à l'hô-
pital, c'est la région
lombaire qui aurait
le plus souffert.
Asthénie. Dysp
née croissante. Ago-
nie longue. Mélano
dermie partielle.
Asthénie. Dou
leurs lombaires per-
sistâmes. Des nau
sées et des vomis
sements constituent
le phénomène ul-
time. Souffle au
cœur et dans les
vaisseaux du cou
Urine normale.
Vsthénie. Doit'
leurs lombaires. Vo
missemenls. Mor
six semaines après
le développement
de la mélanodei
Goutte.
Asthénie. Hyper
trophie du foie. As-
cite. Amaigrisse
ment. Diarrhée.
Asthénie. Amai
grissement. Dou-
leurs épigastriques
Leucémie légère.
Pigment dans le
sang. (Mélanémie) .
LESIONS
DES
lAPSULES
Augmentation de
volume Transfor-
mat, caséeuse pres-
que complète. La
partie qui ne l'a pas
encore subie pré-
sente l'aspect d'une
crème puriforme
d'un blanc jaunàt.
Prolifération con-
jonctive à la péri-
phérie. Dans le con-
tenu, noyauxlibres,
cellules à plusieurs
noyaux.
Tuberculisation,
Augmentation de
volume et dégéné-
resc. cancéreuse
Capsules complè-
tement difflu entes.
L'enveloppe seule
est intacte.
AUTRES LESION-
Dégénérescence
colloïde du corps
thyroïde. 1 uber-
cules pulmonaires.
Tubercules^du foie.
Ramollissement de
la rate. Tuméfac-
tion considérable
des glandes gastro-
intestinales.
Quelques tuber-
cules miliaires dans
les poumons.
Augmentation de
volume et tubercu-
lisation.
Tuberculisation.
La substance corti-
cale seule conserv.
Insignifiantes.
Nulles.
Granulations du
péritoine, du foie
et de la rate. Ces
deux derniers or-
ganes très-gros
Rien dans les pou-
mons.
Pigmentation de
la couche corticale
du cerveau, des
poumons et des gan-
glions bronchiques
Quelq. tubercules
crétacés a.; sommet
du poumon gauche.
Corpuscules pig-
mentaires abon-
dants surtout dans
le sans de la rate.
692 BROiNZÉË (maladie). — odservatioiNs de mélanodermie avec lésions.
[06
107
108
10!»
110
ni
112
Martineau.
SOURCES
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Lasègue
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Addison.
décemb. ans.
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ET
AGE
Rapporté par
Martineau.
Eod. loeo.
Rapporté par
Martineau.
Eod. loco.
Med. Times
id Gaz., 18G4.
Rapportépai
Wilks.
Eod. loco.
Rapportépai
Wilks.
Eod. loco.
mois
H.
42
a no.
F.
23
ans.
II.
ans.
Rapporté par
Wilks.
Eod. loco.
11
mois.
2
ans.
9
mois.
ANTECEDENTS
ET SYMPTÔMES
DOMINANTS
OUTRE
LA MÉLANODERMJ.E
Apparition des
symptômes géné-
raux quinze mois
après la mél ano-
de rmie.
Asthénie. Amai-
grissement. Dou-
leurs dans les hy-
pochondres. Vomis-
sements. Urine nor
maie. Convulsiom
générales. Coma.
Pigmentât, anor-
male de la cho-
roïde .
Apparition simul-
tanée des symp-
tômes généraux et
de la mélanoder-
mie. Souffles vas-
CUlaires. Asthénie.
Amaigriss. Dou<
leurs abdominales
et lombaires. Dou-
leurs à l'épigastre
et dans les articu-
lations.
Quatre ans avant
carie vertébrale ,
cyphose, abcès ossi-
fluent ouvert dans
le rectum. Guéri -
son. Signes de tu-
berculisalion. As-
thénie. Amaigris-
sement. Céphalal-
gie. Douleurs lom-
baires intenses. Con-
stipation. Vomis-
sements. Pas de
souffles vasculaires.
Pas d'album, dans
l'urine. Coma.
Asthénie. Amai-
grissement. Nau-
sées.
Carie vertébrale
antérieure.
Asthénie. Accès
épileptif ormes. Con-
vulsions légères.—
Vomissements. Ab-
cès du psoas et de
la région lombaire.
Aslhén
asme.
Ma
Asthénie. Vomis-
sements.
LÉSIONS
DES
CAPSULES
AUTtlEs LÉSIONS
Tuberculisation.
Au niveau de la fa-
ce antérieure de la
caps, gauche, foyer
purulent qui com-
munique avec l'in-
térieur de l'organe.
Augmentation de
volume et conges-
tion du foie et de
la rate. Congestion
des reins. Quelques
tubercules pulmo-
naires.
Augmentation de
volume, dégénéres-
cence graisseuse.
Epaississemeut de
l'enveloppe et du
stroma.
Tubercules pul-
monaires.Foiegras.
Congestion et aug-
mentation de vo-
lume des reins.
Tuberculisation.
La droite est aug-
mentée de volume.
La gauche est très-
atrophiée.
Congestion des
reins, du foie et du
cerveau. Hypertro-
phie et diftluence
de la rate.
Quelques tuber-
cules pulmonaires.
Autres organes
non examinés.
Transformat, en
masses jaunes a-
morphes avec dé-
pôts calcaires.
Nulles.
Tuberculisation.
Lésion des ver-
tèbres lombaires.
Transform. com-
plète en une masse
grise, lardacée.
Nulles.
Transformat, en
une masse caséeuse
molle, de couleur
grise et jaune.
Nulles.
BRONZÉE (maladie). — orservations de mélanodermie avec lésions. 69f>
un
114
115
n;
118
119
AUTEURS
SOIR TE
MBLIOGKAI'IIIQ.
sexe
ET
AGE
H.
24
ans.
F.
45
ans.
F.
32
ans.
F.
40
ans.
F.
53
ans.
F.
19
ans.
H.
17
ans .
DURÉE
ANTÉCÉDENTS
ET SYMPTÔMES
DOMINANTS
OUTRE
LA MÉLANODERMIE
Greenhow.
M éd. Time h
and Gaz., 1864.
mois.
Six mois avant,
abcès dans le flanc
gauche.
Asthénie. Nau-
sées. Vomissements.
Doul. èpigastriqnes.
Constipation. Ten-
dance aux syncopes.
Syncopes dans les
derniers jours.
J. Meyer.
Deutsche K/i-
nik< 1804.
5
mois.
Asthénie. — Nau-
sées. — Vomisse-
ments. Doul. lom-
baires et èpigas-
triqnes. Syncopes.
Epuisement et cya-
nose.
DVSTER.
lancet,\%U.
?
Fièvres intermit-
tentes.
Asthénie. Vomis-
sements. Constipa-
tion, pas de leucé-
mie.
DUNCAN.
Dublin quart.
Journal, 1864.
Près
de
2 ans.
Asthénie. Pasd'a-
maiyrissemenl. Ir-
ritation gastrique.
Vomissements. Mé-
lanodermie par-
tielle.
Page.
Lancet,iSU.
?
Entrée à l'hôpi-
tal pour une pneu-
monie dont elle est
morte.
Mélanodermie par-
tielle.
Habershon.'
Guy'sHospi-
tal He ports,
1864.
ans.
Douleurs gas-
triques et mélano-
dermie simultanées.
Asthénie. Arrêt
de la menstruation
qui se rétablit eu-
suite. Vers la fin
douleurs abdomi-
nales. Céphalalgie.
Après un accès de
céphalalgie plus vio-
lent que d'habitude
perte de connais-
sance et mort.
Sturges.
Laricet ,1864.
4
mois.
Asthénie. Amai-
grissement. Plus
tard, vomissements.
Douleurs lombaires
et épigaslriques. Dé-
lire. Coma. Méla-
nodermie partielle.
LESIONR
DES
CArSULES
Augmentation de
volume et transfor-
mation en une mas-
se d'un blanc jau-
nâtre parsemée de
dépôts caséeux. Le
microscope montre
dans ceux-ci desgra-
nulat. amorphes,
des cellules eninvo-
iulion, des noyaux
et quelques gouttes
de graisse.
Transform. grais-
seuse de prod. in-
flammatoires qui
ont détruit le tissu
normal.
Tuberculisat. to
taie.
AutopsieparWilk:
et Utterson.
Inflammat. chro
nique et infiltration
tuberculeuse.
Augmentation de
volume et nombr.
tubercules.
Pas trace du tissu
normal dans la cap-
sule gauche, qui est
transformée en une
masse adipo-créta-
cée.
Tuberculisation
Augmentation con-
sidérable de volu-
me, surtout à gau-
che.
AUTRES LESION*
Carie de l'articu-
lation sacro-iliaque
jauche. Etat ca-
séeux et tuméfac-
tion des ganglions
mésentériques. In-
tumescence de tou-
teslesglandesintes-
inales.
Coloration du
ang plus foncée
u'à l'état normal
Injection notable
des ganglions semi-
lunaires et des bran
ches du sijmpathi
que, surtout de cel
les qui vont aux cap
suies.
Nulles.
Autres organes
non examinés.
Pneumonie tabu-
laire.Exsudatspleu-
raux récents. Séro-
sité péri tonéale. Pas
d'antres lésions.
Atrophiedes ovai-
res. Surcb. grais-
seuse du cœur.
Crâne non ou-
vert.
Hypertrophie des
glandes isolées et
agminéesàla partie
inférieure de l'i-
léum. Quelques tu-
bercules dans le
poumon droit.
f>94 BRONZÉE (maladie). — observations de mélanodermie avec lésions,
1-2(1
Habershon.
121
Stdrges.
l 22
Stirges.
SOURCES
BIBLIOGRAPHIQ.
Lancet,lSCA.
iEXE
ET
agi;
123
Eod. loco.
Eod. loco.
Sturges.
1 an.
Eod. loco.
F.
59
ans.
12:
Stark.
Ienaïsche-
zeitschrift,
1864.
Dublin Jour-
nal, 1864.
H.
16
an-.
ANTECEDENTS
ET SYMPTÔMES
DOMINANTS
OUTRE
LA MÉLANODERMIE
L'asthénie crois-
sante a été le seul
phénomènependant
toute la durée de la
maladie.
10
mois.
LESIONS
DES CAPSULES
Transformat, ca-
séeuse et calcaire
des deux capsules.
AUTRES LESIONS
Le ganglion semi
lunaire gauche est
tout prés de la cap
suie et plusieurs des
rameaux qui enpar-
tent sont englobés
dans la masse m or
bide. Le microscope
ne montre aucune
altération dans les
cellules ganglion-
naires. Deux tuber-
cules crétacés dans
le poumon droit.
Pas d'autres lé-
sions.
Asthénie. Pas d' a-
Augmentation de
maigrissement. Yo- volume et rempla-
missements incoer- cemeat du tissu
cibles dans les der- normal par une ma-
niers jours. Urine tière caséeuse sem-
légérement albumi- blable à du tuber-
neuse. Coma. cule.
Asthénie. 18 mois
avant la mort, ap-
parition des vomis-
sements. — Phéno-
mènes chorèiformes
pendant quatre se
moines. Mort par
les progrès de l*a
thénie.
Asthénie. Vomis-
sements jusqu'à la
mort . Remplace
ment des cheveux
châtain foncé par
des cheveux noirs
Cinq jours avant la
mort, convulsions.
Coma.
Une hvdatirle
dans le foie.
Transformat, ca-
seeusp.
Augmentation du
volume, surtout à
gauche. Transfor-
mation purulente,
épaississement et
induration des par-
ties périphériques.
Autopsie cl exa-
men microscopique
par Dickinson.
Nulles
6
mois.
Deux ans avant
le début entérite
chronique qui gué-
rit.
Céphalalgie, ver-
tiges. Doul. lom-
baires. Asthénie.
Amaigrissement.
Céphalalgie. Con
Slipation. [Nausées
Plus tard vomisse-
ments. — Douleurs
abdominales vires
Urine normale. As-
thénie, croissante,
mort.
Inflammat. chro-
nique. Pus concret
à l'intérieur, proli-
fération conjoncti-
ve. Pas trace de tis-
su normal. {Examen
microscopique par
E. Wagner.)
Quelques rares
tubercules dans le
poumon droit. E
paississement de la
valvule mitrale, di-
latation des deux
ventricules.
Lésions sembla-
bles dans les pou-
mons, le foie, la
rate et les ganglions
lympathiques.
Transformat, ca-
séeuse de la capsule
gauche, au centre
une masse purifor-
me. Au miser os-
cope, petites cellu-
les granuleuses m
contours mal défi-
nis. Débris de cel-
lules. Granulations
crayeuses.
Nulles.
BRONZÉE (maladie). — observations de mélanodermie avec lésions. 695
©
ce
>E9
K
126
127
AUTEURS
SOURCE
BIBLIOGRAPHIQ.
SEXE
ET
AGE
F.
57
ans.
F.
ans.
DURÉE
ANTÉCÉDENTS
ET SYMPTÔMES
DOMINANTS
OUTRE
LA MÉLANODERMIE
LÉSIONS
DES
CAPSULES.
AUTRES LÉSIONS
Child.
Lancet, 1865.
4à5
mois.
Asthénie. Vomis-
sements. Constipa-
tion. Céphalalgie et
tendance au som-
meil. Douleurs ab-
dominales. Délire.
Mélanoderm. par-
tielle.
Tuberculisation.
Quelques tuber-
cules pulmonaires.
Injection de la mu-
queuse intestinale.
Tuméfaction des
ganglions mésen-
tériques au niveau
des reins.
PlTMAN.
Lancet,im.
5
ans.
A l'âge d'un an
apparition de poils
courts et noirs sur
toute la surface du
corps ; développe-
ment considérable
du tissu graisseux
et des organes gé-
nitaux externes. As-
thénie.— Vomisse-
ments.
La mère présen-
tait une coloration
un peu foncée de
la peau. Les autres
membres de la fa-
mille étaient sains.
Augmentation de
volume et cancer de
la capsule gauche;
constaté par le mi-
croscope.
Petite production
encéphaîoïde dans
le foie et au som-
met du poumon
gauche.
Les huit, dernières observations de ce tableau sont, empruntées au remarquable travail de II, Meissncr
in Schmidl's Jahr bûcher, CXXVI, 1865.
Pour fournir au lecteur les éléments nécessaires à une appréciation
éclairée et légitime, ce n'est point assez d'avoir mis sous ses yeux les cent
vingt-sept observations précédentes, dans lesquelles l'autopsie a constam-
ment justifié le rapport établi par Addison entre l'astbénie et la colora-
tion noire d'une part, et certaines lésions profondes des capsules surré-
nales d'autre part. Tout débat suppose des arguments contradictoires, et
puisque la relation patliologique signalée par le médecin de Londres a pu
être niée., il faut bien qu'un certain nombre de faits soient venus ébranler
la théorie. Malgré l'aridité d'un tel labeur, je me suis décidé à consigner
également ici ces observations, car il m'a paru qu'il y avait à cela un
double avantage. Il ne sera pas inutile de réunir et de présenter en un
seul faisceau tous les faits affirmatifs ou négatifs qui se rapportent à la
mélanodermie d'Addison ; mais, de plus, l'examen attentif et impartial
des observations réfractaires en dégagera la valeur réelle, et partant, nous
permettra d'estimer exactement l'atteinte qu'elles portent à la doctrine.
Cette classe de faits se divise naturellement en deux groupes : dans les
uns il y a eu mélanodermie sans lésion des capsules surrénales, dans les
autres on a constaté une altération de ces organes, bien que la coloration
de la peau fût restée normale pendant la vie. Or le premier de ces groupes
a été arbitrairement grossi d'un grand nombre d'observations qui n'ont
en réalité rien à voir avec la maladie bronzée d'Addison ; il ne suffit pas,
096 BRONZÉE (maladie). — observations de mélanodermie sans lésions.
on effet, pour constituer un cas réfractaire, que la peau ait été colorée
en brun ou en noir pendant les derniers mois de la vie, et que les cap-
sules surrénales soient trouvées saines lors de l'examen cadavérique, il
faut que cette coloration ait présenté les caractères particuliers qui font
de la mélanodermie d'Addison une forme toute spéciale de chromo-
dermie. C'est avec cette réserve rigoureuse que j'ai dressé les tableaux
qui vont suivre ; aussi ai-je éliminé du groupe des mélanodermies sans
lésion des surrénales un bon nombre de faits qui ont été à tort portés à la
charge d'Addison ; et, dans le groupe des lésions surrénales sans symp-
tômes caractéristiques, j'ai élagué de même tous les faits dans lesquels
la prétendue lésion pathologique peut être, à bon droit, regardée comme le
résultat naturel de l'évolution régressive subie par les capsules chez les
individus d'un certain âge ; la transformation graisseuse pure et l'atrophie
simple tombent sous le coup de cette remarque, ainsi que le professeur
Virchow l'a signalé le premier. — Cela dil, voici les faits :
II. Observations de mélanodermie sans lésions des capsules surrénales.
ANTÉCÉDENTS
©
•S
AUTEURS
SOURCES
BIBLIOGI'.APHIQ.
SEXE
ET
AGE
DURÉE
ET SYMPTOMES
DOMINANTS
OUTRE
ÉTAT
DES CAPSULES
ETAT
DES AUTRES
ORGANES
1
F.
57
ans.
LA MELANODERMIE
Lutox.
Mémoires de
la Soc. de Bio-
logie, 1856.
9
Tuberculis. très-
avancée.
Mélanodermie par-
tielle.
Normal.
Tubercules et ca-
vernes pulmonai-
res.
2
May.
Britishmed.
Journal, 1856.
H.
46
ans.
?
Asthénie. Vomis-
sements. Diarrhée.
Coma.
Normal.
9
3
4
TlGRI.
Gazzett. me-
dica ital. Tos-
can a, 1857.
F.
8
ans.
H.
9
9
9
Mélanodermiepar-
lielle.
Normal.
Pas d'examen mi-
croscopique.
Mélanose du foie
et de la rate.
Tir.p.i.
Eod. loco.
?
Mort de pneumo-
nie. •
Normal.
Pas d'examen mi-
Mélanose du foie
et de la rate.
5
H.
50
ans.
Mélanodermie par-
tielle non constatée
pendant la vie.
croscopique.
Charcot et
V'ULPIAN.
Mémoire de
laSoc.de Bio-
logie et Gaz.
liebdom.,ifô7.
9
Tuberculis. avan-
cée. Asthénie. Algi-
dité. Diarrhée. Al-
buminurie.
Mêlanoder. par-
tielle.
l'as de pigment
dans le sang.
En raison de leurs
caraetèreslesmodi-
Normal à l'œilnu.
Aumicroscope,gra-
nulat. graisseuses,
les unes libres, les
autres répandues
dans les éléments
anatomiq. La sub-
stance médullaire
ne se colore plus en
rose par l'action de
Tubercules et ca-
vernes pulmonai-
res.
Ulcérations tu-
berculeuses de l'in-
testin.
Etat granul. des
reins. Atrophie lé-
gère du l'oie.
licalions microsco-
piques des capsules
ne me paraissent
pas suffisantes pour
l'iode.
constituer une lé-
sion pathologique
de ces organes.
BRONZÉE (maladie). — observations de mélanodermie sans lésions. 697
10
11
12
13
SOURCES
BIBLlOGRAl'HIQ.
IlOANE.
Fricke.
HUTCHINSOX.
Simpson.
Fl.ETCHER.
L.OMRARD.
Parkes et
Hakley.
VlRCHOW,
Poi.LOCK.
Harley.
Med. Times
and Gaz. ,1857.
Amer ic. med,
chir. Review .
1857.
Pat h. Tran-
mct., VIII, 1857
Cité par Har-
LEY.Èrilishand
for Review,
1858.
Britishmed.
Journal, 1857.
Moniteur des
hôpil., 1858.
Med. Times
and Gaz., 1858.
Lettre à Har-
ley.
British and
for. med. chir.
Review, 1858.
LnncetAWï.
Med. Times
MdGas.,1862.
SEXE
ET
AGE
F.
21
ans .
H.
25
ans.
H.
25
ans.
F.
19
ans.
H.
9
DURÉE
5
mois.
4
mois.
?
9
?
H.
2G
ans.
?
H.
G6
ans.
5
ans.
II.
?
H.
F.
9
0
jours.
4
ans.
ANTECEDENTS
ET SYMPTOMES
DOMINANTS
OUTRE
LA MÉLANODERMIE
Rhumatisme. Ma-
ladie du foie. Ana-
sarque.
Asthénie. Vomis-
sements. Diarrhée,
Aphonie.
Céphalalgie. Nau
sées. Asthénie. Con-
stipation.
Mort par mala-
die aiguë intercur-
rente.
Phthisieavancée.
Melanoder. par-
tielle.
Selles graisseu-
ses.
Rhumatisme. Fiè-
vresintermittentes
Onze ictères.
Melanoder. par-
tielle en plaques.
Érysipèle ultime.
Ictère sept ans
avant. Cirrhose du
l'oie et ascite.
Asthénie crois-
sante. Ni leucémie
ni mélanémie.
Mélanodermie en
taches.
Cinq sem. avant
la mort eczéma gé-
néralise. Troisjours
avant la mort dé-
veloppement rapide
d'Une mélanoder-
mie générale avec
nausées et vomisse-
ments.
Asthénie. Vomis-
sements. Diarrhée.
Convulsions.
ETAT
DES CAPSULES
Normal.
Pas d'examen mi
croscopique.
Normal.
Pas d'examen mi-
croscopique.
Normal.
Un seul tuber-
cule de la grosseur
d'un grain de mou-
tarde dans l'une des
capsules.
Modifications in-
-ignifiantes?
Capsules noirâ-
tres, friables, ra-
mollies.Sanstuber-
cules.
Parfaitement nor-
mal. (Examen mi-
croscopiq. par Har-
ley.)
Normal.
Normal.
Pas d'examen mi-
croscopique.
Normal.
ÉTAT
DES AUTRES
ORGANES
Tubercules des
poumons de Pintes
tin , des ganglion
mésentériq. et des
reins.
Cirrhose du foie.
Tubercules pul-
monaires. Hyper-
trophie du foiéet de
la rate.
Transformat, lar-
dacée du pancréas.
Quelques noyaux de
substance lardacée
dans le foie. Com-
pression du réser-
voir de Pecquet et
du canal thoraciq.
Tubercules pul-
monaires. Hyper-
trophie du foie et du
cœur.Epanchement
dans le péricarde.
Crâne non ouvert.
Atrophie granu-
leuse du foie. Intu-
mescence et indu-
ration de la rate,
lndurat. des reins.
Nul h
698 BRONZÉE (maladie). — observations de lésions sans mélanodebmif.
en
O
es
s
X
16
17
AUTEURS
sources
bibliographie.
SEXE
ET
AGE
H.
59
ans.
F.
77
ans.
DURÉE
ANTÉCÉDENTS
ET SYMPTÔMES
DOMINANTS
OUTRE
LA MÉLANODERMIE
ÉTAT
DES CAPSULES
ÉTAT
DES AUTRES
ORGANES
Martineau.
De la maladie
d'Addison. Pa-
ris, décembre
1865.
9
Mélanoder. par-
tielle quelq. jours
avant la mort.
Normal.
(Examen micros-
copiq. par Gubler).
Cancer de l'œso-
phage.
Vernois.
Cité par Mar-
TINEAU.
Eod. loco.
9
Asthénie. Gan-
grène sénile. Diar-
rhée. A son entrée
à l'hôpitalla malade
est couverte de ver-
mine, mais la mé-
lanodermierésiste à
un bain de sublimé.
Normal.
Pas d'examen mi-
croscopique.
Modifications in-
signifiantes dans les
viscères.
III. Observations de lésions des capsules surrénales
sans mélanodermie.
Addison.
Delpierre,
Grimsdale.
sources
bibl10graphiq,
Med. Times
and Gaz., 1855.
Moohe.
Bazi;
Martini et
Mortone.
Gaz. hôpit.
1856.
Med. Times
andGaz.Miï.
Rapporté par
Sibley.
Médical Ti-
mes and Gaz.,
1856.
Revue m éd.,
1850.
Gaz.médic.
1856.
ANTECEDENTS
ET SYMPTÔMES
PRINCIPAUX
? — On note seu-
lement l'absence de
coloration bronzée.
Cachexie cancé-
reux. Color. jaune
paille de la peau.
Mort trois jours
après l'accouche-
ment par éclamp-
ETAT
DES CAPSULES
Noyaux cancer.
Dégénérescence
cancéreuse.
Surface noueuse
et dure. Coupe jau-
ne avec taches rou
ges.Plusdedistinc
tion entre la cor-
ticale et la médul
laire. Infiltr. grais
seuse compl. (Exa-
men microscopique
par Inman).
Apoplexie 5 ans
avant la mort. Can-
cer thoracique. Hé-
miplégie partielle.
Mort.
Cachexie scrofu-
leuse.
Cachexie
culeuse.
tuber
Dégénérescence
cancéreuse.
ETAT
DES AUTRES
ORGANES
Cancers multipl
Ont débuté par le
clitoris.
Foie et rate gros.
Infarctusurique des
reins. Caillot à la
surface de la moelle
cervicale.
Tuberculi^ation.
Absence congé-
niale,
Cancer du crâne
av. ramollissement
du cerveau. Anciens
foyers hémorrhagi-
ques. Noyaux can-
céreux du foie et
des ganglions més-
rntériques.
Un seul rein
5 lobes à cheval sur
le promontoire. Tu
hercules pulmonai
r©s.
BRONZÉE (maladie). — observations de lésions sans mklanodermie. 699
Dayot.
S. Féréol.
Besnier.
Il)
Peacock.
Peacock.
Senhouse
KIRKES.
SOURCES
BIBLIOGRAPHIO.
Ballet, de la
Soc. anatom.,
1857.
Bnllet. de la
Soc. anatom.,
1857.
Bullet. de la
Soc. anatom
1857.
13 Senhouse
KlRKES.
Il
16
Médical Ti-
mes and Gaz.,
1856-1857.
Médical Ti-
mes and Gaz.,
1856-1857.
Eod.
1857.
loco
Eod. loco
1857.
Senhouse
Kirkes.
Senhouse
Kirkes.
Reks.
Eod. loco
1857.
Eod.
1857.
Médical Ti
mes and lia:.
1857.
^exe
et
AGE
DURÉE
ANTÉCÉDENTS
ET SYMPTÔMES
PRINCJPAUX
ÉTAT
DES CAPSULES
ÉTAT
DES AUTRES
ORGANES
H.
55
ans.
Abcès froid. Mort
)ar congestion pul-
nonaire.
Augmentation de
volume. Induration,
iouges au centre
aunes, à la péri-
phérie. Matière gra-
îuleuse amorphe
étouffant les cellu-
les. Elles sont plus
libres à la périphé-
rie. (Examen mi-
<T0SC0//.parRolin).
II.
45
ans.
2
ans.
Cachexie cancé-
reuse.
Dégénérescence
cancéreuse. Sub-
stance médullaire
détruite.
Cancer de l'esto-
mac, du foie, des
poumons.
H.
48
ans.
F.
16
ans.
11.
55
ans.
11.
25
ans.
H.
47
ans.
11.
54
ans.
H.
45
ans.
M.
2
ans.
Cachexie cancé-
reuse.
Pas de vomisse-
ments. Pas de con-
vulsions. Pas de
leucémie. — Urine
normale.
Dégénérescence
cancéreuse totale.
Cancer des reins,
du duodénum et du
poumon.
7
mois.
Cachexie cancé-
reuse.
Dégénérescence
encéphaloïde totale.
Cancer des reins,
du foie, de l'épi -
ploon, de> ganglions
lymphatiques.
5
mois.
Cachexie cancé-
reuse. — Vomisse-
ments.
Dégénérescence
encéphaloïde.
Cancer des côtes,
du poumon , du
cœur et de l'un des
reins.
6
semai-
nes.
Asthénie , ané-
mie. — Vomisse-
ments, syncopes.
\ugmentat.devo-
lume.Quelq. noyaux
d'une mat. jaune,
caséeuse , crétacée
par places.
Quelques tuber-
cules pulmonaires.
Cachexie tuber-
culeuse.
La capsule gau-
che contient quel-
ques noyaux jaunes
opaques. La droite,
non examinée.
Tubercules du la-
rynx, delà trachée,
des poumons et de
l'intestin.
Mort dans un ac-
cès d'épilepsie.
Dans la capsule
droite, quelq. tu-
bercul. jaunes opa-
ques. La gauche est
saine.
Tuberculisation
généralisée.
2
ans.
Cachexie cancé-
reuse et hémiplé-
gie.
Dégénérescence
totale de la capsule
gauche, qui a le vo-
lume d'une poire.
La droite saine.
Cancer des reins,
des poumons et du
cerveau.
—
Cachexie. Le>
parties exposées à
l'air ont une colo-
ration un peu plus
foncée.
Augmentation dé
volume et transfor-
mât, fibreuse com-
plète.
—
700 BRONZER (maladie). — observations de lésions sans mélanodermie.
o
si
>H
VU
AUTEURS
SOURCES
BI1U.10GP.APIIIQ.
17
Ogle.
Médical Ti-
mes and Gaz.,
1857.
18
VlRCHOW.
Soc. méd. do
Berlin et Cans-
tatt's Jahres-
beriht, 1857.
19
GOOLDEN.
Lancet,\%f6~.
Empr. à Wih-
cnow.Canstalfs
Jahresb, 1857.
20
Letenneuk.
Gaz. hôpit.,
1858.
21
Friedreich.
Archio.f.pa-
th. Anat. und
Phys. XL Em-
pr. à VlRCHOW
CanstatCs Jah-
resb, 1858.
22
Friedueicii.
Eod. loco.
23
VlRCHOW.
Canstatt's
Jahresb, 1858.
24
Brinton.
Pat h. Tran-
sact. IX, 1858.
25
Ogle.
Eod. loco.
26
MURCHISON.
Eod. loco.
Laycock.
Médical Ti-
mes and Gaz.,
1858.
sEXE
ET
AGE
îl.
62
ans.
F.
62
il Ils.
AMTECEDENTS
ET SYMPTÔMES
PRINCIPAUX
Cachexie tuber-
culeuse. Leucémie.
Cachexie cancé-
reuse.
Anémie profonde.
Battements épigas-
triques. Vomisse-
ments. Douleurs
dans la région de
l'estomac.
Cachexie cancé-
•euse.
Cachexie tuber
culeuse.
Cachexie tuber-
culeuse.
Néphrite chro-
nique et hydropi-
sie.
Plusieurs atta-
ques d'apoplexie.
Cachexie cancé-
reuse.
Cachexie cancé-
ETAT
DES CAPSULEi
Les capsules aug-
mentées de volume
sont presque entiè-
rem. remplies d'un
dépôt scrofuleux
blanc-jaunâtre trè
consistant.
Dégénérescence
cancéreuse totale.
La droite, trans-
formée en un sac
rempli d'une ma-
tière granul. cou-
leur chocolat. La
gauche contient en-
core un peu de sub-
stance médullaire.
Transformat, en-
céphaloïde totale s
droite. Quelq. reste;
de tissu normal ;'
gauche.
Dégénérescence
amyloïde.
Idem.
Idem.
La substance mé-
dullaire remplacée
par une masse adi-
po-calcaire.
Augmentation de
volume. Nodosités
et granulations à la
surface et à la cou-
pe. (Au microscope.)
transformat, libro-
raisseuse.
Dégénérescence
de la caps, droite.
La oauclie saine.
Noyaux cancéreux
dans les deux.
ETAT
DES AUTRES
ORGANES
Tubercules pul
monaires. Rate vo
lumineuse et ra
mollie. lnflamma
tion de la vessie et
des reins.
Cancer de Futé
rus, des ganglion;
lombaires et de:
reins.
Nulles, mais le
crâne n'a pas et
ouvert,
Cancer des reins
du pancréas et de-
là parotide.
Tuherculisatioi
et transformation
amyloïde de plu-
sieurs organes.
Idem.
Lésions rénales.
Foyer de ramol-
lissement dans le
cerveau. Foyer pu-
rulent derrière l'uiï
des reins.
Cancer des pou-
mons, du foie et de
la nuque.
Cancer de tous
les ganglions abdo-
minaux.Tumeur de
la rate.
BRONZÉE (maladie). — observations de lésions sans mélanodermie. 701
28
29
50
r>3
55
38
38
5*1
40
Ball.
Van der
Byl.
Klob.
Davis.
Davis.
Br.lTTAN.
H A RLE Y.
Wallmann.
Wallmann.
Wallmann.
Wallmann,
Wallman:
Wallmann
SOURCES
B1BLIOGRAPMQ.
Bullct. de la
Société anal.,
1858.
Cité par Har-
ley. Brit. and
for. med. ehir.
Review, 1858.
Cité par Har-
LEY.
Eod. loco.
Eod. loco.
Eod. loco.
Brilish med.
Jour n., 1858.
Brilish and
for med. ehir.
Review, 1858.
Wiener
Zeitsch, 1859,
Eod. loco.
Eod. loco.
Eod. loco.
Eod. loco.
Eod. loco.
SEXE
ET
AGE
H.
56
ans.
H.
40
ans.
DURÉE
-
H.
19
ans.
11.
11.
50
ans.
H.
27
ans.
H.
70
ans .
II.
24
ans.
H.
24
ans.
H.
22
ans.
-
-
-
-
"
-
ANTECEDENTS
ET SYMPTÔMES
PRINCIPAUX
Cachexie cancé-
reuse.
Cachexie scro-
fuleuse.
Pas de détaih
l'as de détails
Idem.
Cachexie tuber
cnleuse.
Tuberculisation
aiguë.
Mal de Bright.
Anasarquc. Ascite.
Cachexie cardia-
que.
Marasme sénile,
Cachexie palus
tre.
Mort de fièvre
typhoïde.
Affection cancé-
reuse. Œdème de
la glotte.
ETAT
DES CAPSULES
Cancer de la cap-
sule gauche. La dr.
Transformat, gra-
nulo-graisseuse.
Dégénérescence
des deux capsules.
Idem.
Idem.
Tuberculisation
complète.
Tuberculisation
complète.
La droite saine.
La gauche contient
un caillot sanguin
qui occupe toute la
substance médul-
laire. Athéromasie
des vaisseaux cap-
pilaires.
Hémorrhagie ré-
cente dans la cap-
sule gauche.
Kystesércuxdans
la capsule gauche.
La droite saine.
Evsudat inflamma-
toire en régression
dans la capsule gau-
che.
Tuméfaclion.Con-
gestion. Friabilité.
Infiltration typhi-
que des deux cap-
sules.
Squirrhe de la
cap=ule droite.
ETAT
DES AUTRES
ORGANES
Cancer de l'esto-
mac.
Abcès scrofuleux
au cou , aux ais-
selles. Dégénéres-
cence graisseuse du
cœur, du foie, de
la rate.
Tubercules pul
monaires.
Tubercules pul-
monaires.
Dégénérescence
graiss. des reins.
Insuffisance mi
traie.
Tumeur de la
rate. Hydropisie gé-
nérale. Œdème pul-
monaire.
Cancer des voies
biliaires. Atrophie
du foie. Hydrop.
702 BRONZÉE (maladie). — observations de lésiuns sans mélanodermiè.
13
44
i;>
16
17
48
49
:,i
AUTEURS
SOI RCES
U1DU0GRAPIIIQ.
SEXE
ET
AGE
H.
60
ans.
H.
26
ans.
F.
34
ans.
41.
67
ans.
F.
18 à
19
ans.
H.
26
ans.
H.
47
ans.
DURÉE
ANTÉCÉDENTS
ET SYMPTÔMES
PRINCIPAUX
Wallmann.
Eod. loto.
Fièvre intermit-
tente trente -huit
ans avant. Cachexie
cancéreuse.
Wallmann.
Eod. loco.
4
ans.
Affection cancé-
reuse. Anasarque.
Ascite.
Ogle.
Archiv. of.
med., 1859.
—
Affection cancé-
reuse.
MoNNERET.
Union med.
et Arch.de mé-
decine, 1859.
9
mois.
Asthénie. Amai-
grissement. Infil-
tration œdémateuse
ultime
Norris
Davey.
Medic. Ti-
mes and Gaz.,
1859.
Mort subite deux
jours après un ac-
couchent, à terme.
DoEDER-
LE1N.
Zur Diagnose
d. Krebsgesch-
ivulsle. Erlan-
gen, 18G0.
Cachexie cancé-
reuse.
DoEDEK-
LEIN.
Eod. loco.
L'obs. est de
KusSMAUL.
Tumeur abdomi-
nale. Mort par em-
bolie pulmonaire.
DoEDER-
LEIN.
Eod. loco.
II.
45
ans.
F.
22
ans.
mois.
Cachexie cancé-
reuse.
DoEDER-
LEIN.
Eod. loco.
-
Cachexie tuber-
culeuse.
Ogle.
Medic. Ti-
mes a ni Gaz.,
1860.
11.
45
ans.
11.
9
-
Épilepsie an-
cienne. Coma.
Haldane.
Ediiiburglt
med. Journal,
1861.
-
Cachexie cancé-
reuse.
ETAT
DES CAPSULES
Cancermédullai-
e des deux capsu-
es.
Cancer médullai-
re des deux capsu-
les.
Cancer médullai-
re des deur capsu-
les.
Ramollissement
pulpeux diflluent
des deux capsules.
Dégénérescence
graisseuse avec dé-
pôts caséeux. Au mi-
croscope, pas trace
de tissu normal.
Dégénérescence
complète de la cap-
sule droite. La gau-
che, augmentée de
volume, n'est pasal-
térée dans sa struc-
ture.
Tumeur sarcoma-
teuse de la capsule
droite.
Infiltration can-
céreuse de la sub-
stance médullaire,
complète à droite
Substance corticale
normale.
Tuberculisation
complète.
llémorrhag. mul-
tiples à l'intérieu
des deux capsules
Di^énérescence
complète.
ETAT
DES AUTRES
ORGANES
Cancer des pou-
mons , des gan-
glions bronchi-
ques, du cœur, des
deux reins et de
plusieurs muscles.
Cancer du rein
gauche, du foie, du
pancréas et de la
rate.
Cancer des gan-
glionsabdominaux
du foie et de la plè
vre.
Altération com-
plexe de la rate.
Congestion. Hémor-
rhagie-phlegmasie
exsudative et sup-
purative. Phlébite.
Dégénérescence
graisseuse du foie
et des reins. Ascite.
Cancer médul-
laire du péritoine,
du foie, de l'un des
reins, etc.
Déplacement du
ibieetdureindroit.
Thrombose de la
veine cave inf. em-
bolie de l'art, pul-
monaire.
Noyaux cancé-
reux dans le cer-
veau, les poumons,
les ganglions bron-
chiques, le foie et
le rein gauche.
Tubercules pul-
monaires. Gastrite
hémorrhagique.
Congestion vei-
neuse de l'encé-
phale.
Cancers viscé-
raux multiple^.
BHOiNZfcE (MALADIE). OBSERVATIONS DE LESIONS SANS MÉLAN0DERM1E. 705
-
AUTEURS
SOURCES
BIBLIOGRAPH1Q.
SEXE
ET
AGE
Enfant
de 7
ours.
H.
DURÉE
ANTÉCÉUEVJ's
ET SYMPTÔMES
PRINCIPAUX
ÉTAT
DES CAPSULES
ÉTAT
DES AUTRES
ORGANES
52
Stkiten.
Spital's Zei-
iiny, 1803.
Liec-de-lièvre, di-
visiondelavoûlepa-
atine. Opérât. Mort
:inq semaines après
)ar diarrhée et nu-
rition insuffisante.
Le vol. des cap-
sules égale la moi-
tiéde celui d. reins.
F ransformation pu-
tr. d'un foyer san-
guin. (Examen mi-
croscopique).
Dégénérescence
amyloïde commen-
çante du foie et des
reins.
53
IIaldane.
Edinb. med.
Journal, 1803.
Empruntée,
ainsi que les
trois suivants,
au travail déjà
cité de Meiss-
NER.
Mort par rupture
de l'aorte ascen-
dante.
La droite saine.
La gauche n'a plus
de tissu normal.
Masse granuleuse
amorphe avec cris-
taux de cholesté-
rine. (Examen mi-
croscopique).
:,.i
GULL.
Med. Times
andGaz.,186Z.
H.
31
ans.
H.
30
ans.
F.
20
ans.
H.
60
ans.
mois.
Asthénie. Dou-
leurs lombaires
continuelles. Sensi-
bilité abolie dans
une moitié de la
face, obtuse dans
les membres infé-
rieurs. — Inconti-
nence d'urine. Pas
de leucémie.
Transform. com-
plète en masses al-
bumineuses blan-
ches, à coupe lisse,
de consistance lar-
dacée. Cette lésion
est jugée récente vu
l'absence de matière
jaune et crétacée.
Augmentation de
volume. Autopsie en
présence de Wilks.
Le ganglion se-
mi-lunaire droit et
ses rameaux elïc-
rents sont englobés
dans la masse ; à
gauche le ganglion
est libre, mais ses
rameaux sont en-
tourés par la tu-
meur.
Pas d'autres lé-
sions.
55
IIULKE.
Med. Times
andGaz.,lHG7>.
Abcès par con-
gestion occupant la
région lombo-in-
guino-crurale gau-
che.
Augmentation de
volume. Nodosités.
Induration. Infiltra-
tion récente par une
matière amorphe
presq. transparente.
11 reste un peu de
tissu normal (Exa-
men microscopiq.).
Carie vertébrale.
Quelques tubercu-
les pulmonaires.
56
51
58
1\)LAND.
H apporté par
Meissner.
Schmidt's
Jahrbûcher,
1865 CXXV1.
Carie vertébrale.
Abcès par conges-
tion.
Augmentation di
volume. Transfor-
mation albumino-
crétacée.
Mattei.
Lo Sperimen-
taie, 1864.
Ulcères anciens
aux jambes. Dou-
leurs abdominales
subites, mort au
bout de 24 heures.
Hémorrhagie des
deux capsules; lu
substance corticale
seule conservée.
Lésions nulles.
Mattei.
Eod. loco.
Fret
né
usmort-
i terme.
-
Foyers hémorrha
giq. multiples dan?
les deux capsules.
l'as d'autre lésion
qu'une légère con-
gestion du foie.
J'ai omis à dessein le l'ait rapporté par Bright concernant une femme
tuberculeuse de trente-huit ans, à l'autopsie de laquelle on trouva
outre les lésions pulmonaires une augmentation de volume des deux-
capsules surrénales, qui étaient transformées en une masse jaunâtre
ramollie par places. La relation de Bright est muette quant à la coloration
704 BRONZÉE (maladie). — symptômes et marche.
des téguments externes, de sorte que cette observation ne peut prendre
place dans aucun des groupes précédents.
Tel est le bilan casuistique de l'état morbide connu sous le nom de
maladie d'Addison, maladie bronzée ou melasma supra-renale. Quelle que
soit l'importance qu'on veuille accorder aux observations contradictoires
dont nous rechercherons plus tard la signification véritable, les cent
vingt-sept de la première classe sont amplement suffisantes pour établir
et soustraire à toute contestation l'existence d'un syndrome particulier,
dont la caractéristique est la relation qui unit les phénomènes sympto-
matiques à certaines lésions de l'appareil surrénal. Que cette relation
soit obscure dans son mode, insaisissable même dans ses conditions
efficaces, c'est là une circonstance accessoire qui ne peut amoindrir la
portée du fait en lui-même. Au surplus, cette question de modalité
pathologique viendra en son lieu ; en ce moment, laissant de côté toute
théorie, toute conception pathogénique, je veux simplement exposer les
caractères cliniques de la maladie bronzée d'Addison. Cette étude n'a plus
pour nous de difficultés, elle est tout entière dans la synthèse des faits
qui ont été analysés en tête de ce travail.
Symptômes et marche. — Une asthénie croissant jusqu'à la mort,
une mélanodermie à caractères spéciaux, des troubles gastriques, des
douleurs lombo-abdominales, tels sont les quatre ordres de phénomènes
qui constituent essentiellement la symptomatologie de la maladie d'Ad-
dison. Les deux premiers sont constants, ils peuvent exister seuls pen-
dant toute la durée de la maladie ; les autres sont assez fréquents
pour être caractéristiques et venir utilement en aide au diagnostic ;
voici, du reste, les chiffres. Sur les cent vingt-sept faits analysés plus
haut, les vomissements ont été notés soixante-quatorze fois, et il ne
s'agit pas de vomissements fortuits ou accidentels, mais de vomis-
sements opiniâtres, parfois incoercibles, et qui, en raison même de leur
persistance, occupent le premier plan dans la scène pathologique. Les
douleurs lombo-abdominales sont signalées 71 fois comme phénomène
dominant, savoir : douleurs lombaires, 54 ; douleurs épigastriques, 26 ;
douleurs dans les hypochondres, 11; chez neuf malades il y avait en
outre des irradiations douloureuses dans les membres.
A côté de ces symptômes fondamentaux, se place un groupe de phéno-
mènes que leur fréquence moindre ne permet pas de faire entrer dans la
classe précédente, mais qui néanmoins, comme l'asthénie, comme les
vomissements, comme les douleurs, se rattachent à une perturbation pro-
fonde du système nerveux ; je veux parler de la céphalalgie, des convul-
sions, des vertiges, du délire et du coma. Comme accident passager, la
douleur de tête a été observée chez un grand nombre de malades, mais je
la trouve signalée comme persistante et opiniâtre dans onze observations.
Les convulsions sont plus fréquentes; elles sont notées d'une manière spé-
ciale dans dix-neuf cas. Ces convulsions sont très-rarement générales; si
nous avons soin de laisser de côté certains faits dans lesquels les attaques
convulsives reconnaissaient pour cause immédiate des lésions du cerveau
BRONZÉE (maladie). — symptômes et marche. 705
ou de la moelle, tout au plus trouverons-nous un ou deux exemples de con-
vulsions épileptiformes et choréiformes ; le plus ordinairement, les mou-
vements convulsifs sont partiels ; ce sont des secousses agitant un ou
deux membres, parfois même quelques groupes musculaires seulement,
les muscles de la face ou les fléchisseurs des avant-bras, par exemple. Il
n'existe, du reste, aucun rapport entre l'apparition de la céphalalgie et
des convulsions, et l'âge de la maladie ; mais il n'en est plus ainsi pour
le délire et le coma, accidents le plus souvent ultimes; ce sont en tous
cas des phénomènes tardifs qui caractérisent la dernière phase du mal.
Laissant de côté les observations 1, 7 et 97, dans lesquelles le délire et le
coma doivent être rapportés aux lésions encéphaliques constatées à l'au-
topsie, et les observations 21 et 22, dans lesquelles la signification de
ces symptômes reste douteuse, parce que le crâne n'a pas été couvert, je
trouve que le délire a été signalé chez dix malades, et que le coma est
noté dans douze cas. Quant aux vertiges, ils sont plus rares encore, car
ils n'ont été que six fois l'objet d'une mention spéciale; mais les lipothy-
mies sont très-communes, et les syncopes se sont reproduites avec une
fréquence variable chez neuf malades. Abstraction faite des cas de com-
plications cérébro-spinales, les troubles de la sensibilité et de la motilité
sont vraiment exceptionnels ; une asthénie partielle des bras ou des jambes
a été vue quatre fois, un malade a présenté une parésie temporaire des
membres inférieurs (encore la moelle n'a-t-elle pas été examinée), chez
un autre on a observé une parésie de la face à droite (obs. 20), enfin,
dans un cas, il y a eu incontinence d'urine ; je signale ce fait, parce que,
bien qu'isolé, il a son importance; l'observation 71 est d'Addison, et
l'autopsie, faite avec soin, n'a pas montré d'autres lésions que celles des
capsules surrénales.
Les appareils de la vie végétative ne sont pas à l'abri des troubles de
l'innervation que nous étudions en ce moment; dans trois cas il y a eu
de violents accès de palpitations, et une dyspnée véritable, à retours plus
ou moins fréquents, a été mentionnée trois fois ; j'aurais pu facilement
grossir ces chiffres, si je n'avais rigoureusement écarté les faits dans les-
quels les palpitations et les troubles de la respiration incombent naturel-
lement à des lésions matérielles du cœur et des poumons. Toutefois ces
désordres fonctionnels sont moins exceptionnels peut-être que cette pro-
portion restreinte ne le ferait supposer; car pour laisser à ces chiffres
leur valeur réelle, il est bon d'ajouter que la plupart des observations sont
muettes sur l'état de la respiration et de la circulation, et nous ne pou-
vons décider si ce silence est dû à l'intégrité de ces fonctions chez les
malades, ou à une lacune dans l'observation. Dans deux autres cas, le
pouls s'est maintenu à 90 et à 140 pendant plusieurs jours, mais c'était
chez des tuberculeux, et les détails manquent pour permettre d'apprécier
la valeur sémiologique de cette accélération.
En présence d'une maladie dont le caractère constant est une asthénie
tellement profonde qu'elle peut amener la mort par elle-même, sans
intervention d'aucun autre phénomène, on serait tenté de croire à l'exis-
KOIV. DICT. MÉD. F.T CH1R. V. — 45
706 BRONZÉE (maladie). — symptômes et marche.
tence non moins constante de l'amaigrissement, de l'albuminurie, de la
leucocytose, des hémorrhagies, des souffles vasculaires et de la diarrhée,
qui forment le cortège ordinaire des asthénies cachectiques; cette pré-
somption, si légitime en apparence, est absolument démentie par les
faits, et l'absence de ces phénomènes est, au contraire, un des meilleurs
caractères de l'asthénie surrénale.
Sur nos 127 observations, l'amaigrissement n'est signalé que 52 fois,
et, dans la plupart de ces faits, il s'agit de phthisiques, chez lesquels
l'émaciation ne peut être imputée à la maladie d'Addison. Pour l'albumi-
nurie, les chiffres sont encore plus éloquents ; l'état de l'urine n'est indiqué
que dans vingt-trois cas, or, sur ce total, quatre fois seulement l'urine a
été trouvée légèrement albumineuse, et cela dans des cas tellement com-
plexes que l'on n'est point autorisé à rattacher le trouble de la sécrétion
urinaire à la maladie bronzée : dans l'un de ces cas (obs. 24), il y avait
une dégénérescence graisseuse des reins et du foie chez un homme en
puissance de l'alcoolisme; dans le second (obs. 40), le rein droit présen-
tait le premier stade de la lésion de Bright, le gauche était anémique;
dans le troisième (obs. 47), il y avait une tuberculose aiguë des pou-
mons ; reste donc le seul fait de Sturges (obs. 122), dans lequel l'urine
ayant été trouvée légèrement albumineuse, on ne constata, avec les lésions
des capsules surrénales, d'autre altération viscérale qu'une hydatide du
foie.
Nos réserves sont plus vraies encore pour la leucocytose. A ne consi-
dérer que les chiffres bruts, il semble tout d'abord que ce phénomène
soit beaucoup plus fréquent que l'albuminurie, puisque le sang ayant été
examiné à ce point de vue chez onze malades, on a constaté huit fois
l'existence d'une leucémie plus ou moins avancée. Mais, si l'on prend la
peine d'y regarder d'un peu plus près, on voit bientôt que dans aucun de
ces huit cas l'excès des globules blancs n'est imputable à la maladie sur-
rénale elle-même. Que montre, en effet, l'analyse de ces observations?
Dans la première, par ordre de date (obs. 4), il s'agit d'une scrofulose
ancienne avec tubercules pulmonaires et carie vertébrale; dans la seconde
(obs. 14), les capsules surrénales ont seules été examinées à l'autopsie;
ce fait est donc sans valeur. Même remarque pour le troisième cas
(obs. 19) ; dans le quatrième (obs. 40), je trouve, avec les altérations des
capsules, les lésions du mal de Bright, des lésions généralisées de toutes
les glandes intestinales, c'est-à-dire d'une des parties de l'appareil
hémato-poiétique ; dans le cinquième (obs. 68), les résultats de l'au-
topsie sont plus significatifs encore, car, avec une tuberculisation pul-
monaire, il existait une intumescence et des tubercules du foie, de la
rate, des ganglions mésentériques, et tous les ganglions lympathiques,
depuis la mâchoire jusqu'aux aines, étaient tuberculeux ; dans le sixième
fait (obs. 69), le foie et la rate étaient le siège de tubercules miliaires;
dans le septième (obs. 95), on a noté une hypertrophie de la rate, du
foie et des ganglions mésentériques ; dans le huitième enfin (obs. 105), il
y avait des lésions des ganglions bronchiques et une altération de la rate
BRONZÉE (maladie). — symptômes et marche. 707
assez profonde pour donner lieu à de la mélanémie. Il ressort naturelle-
ment de cette étude que la leucémie, dans les faits connus jusqu'ici, doit
être considérée comme le résultat des altérations organiques coexistant
avec les lésions surrénales, et non point comme le symptôme direct de
ces dernières.
Quant aux hémorrhagies, elles sont tellement rares qu'elles ne sont
signalées qu'une fois ; dans l'observation 95 nous voyons que le ma-
lade était sujet à des épistaxis abondantes, mais cet homme présentait
une hypertrophie du foie avec ascite, de sorte que les épistaxis doivent
être rattachées à l'altération de la glande hépatique. Il est même remar-
quable que dans les deux cas (obs. 68 et 69) où l'on a constaté
l'absence de fibrine dans le sang, il n'est pas question d'hémorrhagies
dans la relation clinique.
Voyons ce qui a trait aux souffles vasculaires, et nous serons conduit
encore à leur dénier toute valeur symptomatique dans la maladie qui
nous occupe. Combien de fois a-t-on cherché ce phénomène dans les cent
vingt-sept faits analysés plus haut, je ne puis le dire; mais il n'en est fait
mention que sept fois, et dans six cas sur sept on a constaté l'existence
d'un souffle plus ou moins fort dans les varsseaux du cou. Or, dans un
de ces cas (obs. 53), le malade avait passé une partie de sa vie dans
un pays à fièvres; dans un autre (obs. 77), il s'agit d'un garçon de
douze ans qui présenta une hypertrophie des ganglions bronchiques et
mésentériques, du foie et de la rate, et une dégénérescence graisseuse du
cœur; c'était donc un scrofuleux, et la valeur du souffle vasculaire reste
au moins douteuse; le troisième fait (obs. 85) concerne un phthi-
sique; de même pour le quatrième (obs. 107). Reste un seul cas
(obs. 10c2) dans lequel on ne constata d'autre lésion qu'un cancer des deux
capsules ; encore le squelette ne parait-il pas avoir été examiné, et le
souffle n'était peut-être que l'un des effets de la cachexie cancéreuse.
D'autre part, dans l'obs. 108, il est dit expressément que le souffle a été
cherché et n'a pas été trouvé. On voit donc que ce phénomène, jusqu'à
plus ample informé du moins, ne peut être mis au nombre des symptômes
ordinaires de la maladie d'Addison.
Reste la diarrhée, et ici encore l'étude des faits donne un démenti aux
prévisions les plus justifiées en apparence. L'état des selles a été noté
d'une façon spéciale dans 28 observations, et sur ce total nous trouvons
dans 15 cas la constipation comme phénomène prédominant; dans 10 cas
seulement la diarrhée. Voilà certes une proportion bien restreinte, mais
ce n'est pas tout ; sur ces dix cas huit se rapportent à des tuberculeux,
un concerne un scrofuleux, et le dixième (obs. 66) se rapporte à une
fille de seize ans, chez laquelle on a trouvé une tuméfaction notable de
toutes les glandules intestinales, avec induration lardacée (non tubercu-
leuse) des ganglions mésentériques.
L'absence des phénomènes que je viens de passer en revue donne à
l'asthénie surrénale une physionomie particulière qui apparaît clairement
dans les cas types, c'est-à-dire lorsque la maladie existe seule, dégagée des
708 BRONZEE (maladie). — symptômes et marche.
états morbides auxquels elle vient s'ajouter d'ordinaire. C'est par ces
caractères négatifs qu'Addison a distingué d'abord sans préoccupation
anatomique cette forme d'asthénie des autres formes de débilité ; c'est là
qu'il faut chercher le critérium clinique et nosologique de cette forme
morbide; il importe donc d'être parfaitement fixé sur ce point, ne fût-ce
que pour éviter les erreurs qui ont été commises, et restreindre à ses
limites naturelles le domaine de l'asthénie mélanodermique.
En fait, cette débilité procède insidieusement et à bas bruit, sans raison
saisissable, sans cause suffisante. L'individu touché se plaint d'une fatigue
insolite qui lui rend de plus en plus pénible l'accomplissement de ses
travaux ordinaires ; ce n'est point une torpeur morale, ou l'apathie née
du découragement ou de l'ennui, c'est une lassitude purement physique
qui domine impérieusement l'énergie de la volonté et inspire au malade
une anxieuse sollicitude pour l'avenir. Craintes légitimes, car cette im-
puissance mystérieuse, qui trahit ses efforts, domptera toute résistance et
le condamnera aune inertie absolue. Ce résultat est fatal; seule, la durée
de la lutte varie. Contraint tôt ou tard de renoncer à toute espèce de tra-
vail, le patient conserve à peine la force de faire un peu d'exercice; bien-
tôt tout mouvement lui devient une fatigue, tout déplacement un danger,
car sa faiblesse en est arrivée à ce point que le moindre effort est suivi de
lipothymie ou de syncopes. Cependant, l'examen le plus attentif ne révèle
aucune lésion organique grave ; bien plus, il n'y a pas ordinairement d'é-
maciation, et chez les individus mômes qui sont tourmentés par des vomis-
sements et des douleurs épigastriques rebelles, les fonctions digestives ne
sont pas nécessairement troublées, et l'appétit est le plus souvent conservé
jusqu'aux derniers jours. Dans quatre cas, on a noté un abaissement notable
de la température, mais nous ne savons pas si le silence des autres obser-
vations sur ce point tient aux résultats négatifs de l'exploration, ou à
l'omission de ce genre de recherches.
Je le répète, la coloration spéciale de la peau, les vomissements, les
douleurs lombo-ab dominâtes et quelques accidents nerveux sont les seuls
phénomènes liés à cette débilité remarquable; encore faut-il ajouter que,
dans un certain nombre de cas (10 fois sur les 127 analysés), l'asthénie a
été le seul symptôme observé avec la pigmentation cutanée, pendant toute
la durée de la maladie. De signes de cachexie dans le sens classique du
mot, point ; et c'est précisément en me fondant sur les caractères si tranchés
de cette asthénie surrénale que, dans un travail antérieur, j'ai opposé la
mélanodermie cachectique, qu'on observe incidemment dans certaines
cachexies avancées, à la mélanodermie asthénique, qui constitue la maladie
d'Addison proprement dite.
Pour terminer l'exposé symptomatique de cet état morbide, je dois
maintenant indiquer les caractères spéciaux de la coloration noire. Elle
n'en présente pas de plus important que sa généralisation à toute l'étendue
du tégument externe. Déjà Addison insistait sur ce fait; Wilks, un peu
plus tard, en démontrait la vérité par un très-grand nombre d'observa-
tions, et c'est pour avoir trop oublié ce caractère fondamental qu'on a
BRONZÉE (maladie). — symptômes et marche. 709
grossi outre mesure la casuistique de la maladie bronzée; c'est aussi pour
cela qu'on a pu présenter comme difficile le diagnostic clinique de la mé-
lanodermie d'Addison, alors qu'en réalité il n'en est pas de plus aisé,
puisque cette coloration ne ressemble a aucune autre. Il est vrai de dire
qu'au début de ses recberches le médecin de Londres, entraîné par l'en-
tbousiasme naturel à l'homme qui observe un fait nouveau, a souvent fait
preuve d'une complaisance trop paternelle pour certains cas au moins
douteux; mais dans ses travaux ultérieurs, il est revenu à une plus sage
réserve, et, appuyé sur un plus grand nombre de faits complets, il a fixé
avec une précision absolue les conditions que doit remplir la coloration de
la peau pour qu'on soit en droit de la rattacher à la maladie surrénale.
Donc, la mélanodermie d'Addison est le plus souvent générale; en
outre, elle est uniforme dans sa distribution; ce second caractère ne le
cède pas en importance au premier. Il peut bien arriver qu'en regardant
de très-près certaines régions du tégument, la face, par exemple, on dé-
couvre, sur un fond plus ou moins foncé, de petits points plus colorés
qui donnent à l'ensemble une disposition ponctuée ; mais la distribution
de la teinte anormale n'affecte presque jamais la forme tachetée; une fois
la maladie confirmée, on ne voit pas la surface du corps présenter des
taches brunes ou noires alternant avec des portions blanches ; foncée ou
claire, la teinte se répand sur tout le corps, et la disposition en taches
peut être tout au plus observée comme forme passagère et transitoire a
l'époque du début de la maladie. Sur les 127 faits que j'ai analysés, la
disposition en taches (qu'il ne faut pas confondre avec la mélanodermie
partielle) n'est signalée que deux fois (obs. 56 et 52); or, dans l'obs. 52,
l'âge de la coloration n'est pas indiqué, et comme il s'agit d'un tubercu-
leux mort rapidement d'un pneumo-thorax, il est bien permis de supposer
que la pigmentation n'était pas très-ancienne, et clans l'obs. 30, la
disposition signalée était due à des différences dans la teinte de la colora-
tion, et non pas à une distribution tachetée proprement dite.
L'examen de notre tableau analytique n'est pas moins instructif en ce
qui touche la généralisation de la couleur brune. La mélanodermie n'est
indiquée comme partielle que quatorze fois, et si nous ajoutons à ces faits
les deux cas de coloration tachetée dont nous venons de parler, nous
voyons que sur 127 cas, la pigmentation a été 111 fois générale et uni-
forme dans sa distribution. Il est d'ailleurs une autre circonstance qui ne
contribue pas peu à amoindrir l'importance des seize cas exceptionnels ;
dans aucun d'eux, la maladie d'Addison n'était simple; il s'agit une fois
d'un cancéreux, quatorze fois de tuberculeux, une fois enfin les capsules
surrénales ont seules été examinées. En revanche, dans les cas où une
autopsie bien complète ne montre aucune autre lésion que celle des cap-
sules, la mélanodermie présente avec une netteté typique les deux carac-
tères que nous venons d'étudier.
La coloration morbide n'est pas toujours limitée cala peau; on l'a vue dans
bon nombre de cas occuper aussi la muqueuse labiale, buccale et vaginale;
rien n'est plus fréquent que la pigmentation des ganglions lymphatiques,
710 BRONZÉE (maladie). — symptômes et marche.
des poumons et des viscères abdominaux ; on a même observé des plaques
brunes sur le péritoine ; dans un cas (obs. 36), les ongles participaient à
la coloration brune; une fois (obs. 54), les dents ont présenté une teinte
semblable à celle de la peau; enfin, chez la malade de Sturges (obs. 125),
des cheveux châtains ont été remplacés par des cheveux noirs.
La teinte de cette coloration est d'un brun foncé, et les variétés qu'elle
présente sont contenues dans d'étroites limites. La couleur est parfois un
peu claire, dans d'autres cas elle présente des reflets qui rappellent le
vert olive; ailleurs encore c'est une teinte sépia, mais en somme il est
une comparaison qui s'applique avec rigueur à l'immense majorité des
cas, et qui, comme le dit justement "Wilks, vaut mieux que toutes les des-
criptions ; le malade a l'aspect d'un mulâtre. Comme chez le mulâtre, la
couleur est toujours plus foncée aux aines, au pubis, aux aisselles; comme
chez le mulâtre, elle résiste au frottement, aux lavages, aux bains sim-
ples ou médicamenteux ; comme chez le mulâtre, elle survit à l'ablation
des couches superficielles de l'épiderme, parce que l'infiltration pigmen-
taire occupe les cellules des couches plus profondes, dites réseau mu-
queux. Mais, contrairement à ce qui a lieu chez les gens de couleur, la
coloration pathologique est toujours plus foncée à la face, aux mains, et
d'une manière générale sur toutes les parties exposées habituellement à
l'action de l'air et de la lumière. C'est aussi sur ces régions qu'elle se
montre d'abord pour s'étendre de là plus ou moins rapidement au reste
de la surface tégumentaire. Enfin cette coloration n'est jamais plus
intense que dans les points qui ont été le siège d'une irritation superfi-
cielle (vésicatoires, application d'huile de Croton). Qu'on prenne en con-
sidération l'ensemble de ces caractères, et l'on verra comme moi, je le
pense du moins, que cet état de la peau n'offre aucune analogie avec les
autres formes de mélanodermic.
Bien que trop irrégulier pour que l'on puisse formuler à ce sujet des
propositions absolues, l'enchaînement des symptômes présente cependant
une particularité fort importante au point de vue du diagnostic, je veux
parler du mode de début de la maladie. Il est extrêmement rare que la
coloration de la peau en soit le premier accident; sur nos 127 cas,
le début par la mélanodermic seule n'est signalé que 6 fois, chez deux
autres malades, la pigmentation cutanée est apparue en même temps
que d'autres phénomènes, et dans toutes les autres observations nous
voyons le mélasma tégumentaire être précédé pendant un temps plus
ou moins long de quelques-uns des autres symptômes ; ce fait cli-
nique était bien connu d'Addison ; pour le mettre en lumière, il avait
opposé dans la symptomatologie de l'asthénie surrénale la couleur de la
peau à l'ensemble des autres accidents, qu'il désignait en bloc parla qua-
lification d état constitutionnel, et maintes fois il est revenu sur cette
proposition : l'état constitutionnel précède la coloration noire.
En tant que phénomènes initiaux, les symptômes dits constitutionnels
sont loin de présenter une égale fréquence, et l'examen de nos tableaux
nous fournit encore sur ce point quelques conclusions intéressantes.
BRONZEE (maladie). — symptômes et marche. 71
Onze cas doivent être laissés de côté, parce que le mode de début n'est
pas précisé, huit autres sont à éliminer, parce que le début a eu lieu
par la mélanodermie, restent donc cent huit cas. Or, sur ce total, l'asthé-
nie a été cinquante fois le symptôme initial, et dans un bon nombre de
faits, cette débilité a précédé de plusieurs mois et même de plusieurs
années le développement des autres phénomènes. Les autres observations,
au nombre de 58, se décomposent ainsi, quant au mode de début : par les
vomissements, 17; — par les douleurs lombaires, 16; — par les douleurs
épigastriques, 14; — par la diarrhée, 4; — par les syncopes, 5; — par
des douleurs dans les hypochondres, 1; — par des douleurs dans les
membres, 1; — par de la céphalalgie et des vertiges réunis, 1; — par la
céphalalgie seule, 1 .
La durée de la maladie offre de grandes différences qui ressortent
clairement du tableau suivant ou j'ai groupé, à ce point de vue, les 94 ob-
servations dans lesquelles ce renseignement est donné.
REE DE LA MALADIE.
6 semaines. . . .
NOMBRE DES CAS.
2
DUREE
1
15
15
18
20
2
5
4
5
8
9
DE LA MALADIE,
an
NOMBRE DES CAS
... -U
7 semaines. . . .
... 1
mois
mois
mois
mois
ans
1
9 semaines . . .
... 1
1
5 mois.
... 11
c
4 mois
9
2
5 mois.
... 2
11
6 mois.
... 5
9
7 mois.
... 4
. . . 4
8 mois
... 2
ans
ans
ans
r>
9 mois
... 2
i
10 mois
... 4
1
11 mois.
... 1
On voit par ces chiffres que 55 fois, sur 94, la durée de la maladie a
été comprise entre six semaines et douze mois, et 21 fois entre treize mois
et deux ans. Mais, malgré leur rigueur apparente, ces chiffres n'ont pas
une valeur bien précise. La maladie surrénale, comme nous le verrons
bientôt, est le plus souvent un état secondaire, et les différences dans sa
durée, peuvent bien tenir, au moins pour une large part, à la nature et à
la période des affections qu'elle vient compliquer. Il est donc prudent,
pour fixer ce point de pathologie, d'interroger exclusivement les obser-
vations de maladie surrénale primitive et isolée. Ces observations pré-
cieuses sont au nombre de 55; mais 5 sont muettes sur la durée du mal ,
les autres se répartissent ainsi :
DUREE DE LA MALADIE.
C semaines. . . .
NOMBRE
DES CAS.
1
2
5
2
2
1
1
2
DURÉE DE LA MALADIE.
Quelques mois. . .
1 an .
NOMBRE DES CA
. . . 2
4
4 mois.
2 ans
. . . 2
5 mois.
Entre 2 et 5 ans. .
3 ans
4 ans. . .
. . 1
0 mois.
. . . 3
7 mois.
. . . 1
9 mois.
5 ans
. . 1
10 mois.
Dans plus des deux tiers des cas (20 sur 28), la durée de la maladie est
712 BRONZEE (maladie). — diagnostic et drOiNOstic.
comprise entre 6 semaines et 12 mois, savoir : 10 cas de 6 semaines à
6 mois, et 10, de 6 à 12 mois inclusivement; chez deux individus elle
s'est prolongée pendant 2 ans, chez six seulement elle a dépassé ce
terme.
La marche de la maladie bronzée n'est pas toujours continue ; on ob-
serve assez fréquemment des temps d'arrêt caractérisés par une amélio-
ration plus ou moins grande dans l'état constitutionnel, et même par une
atténuation dans la teinte de la mélanodermie ; ces rémissions, qui peu-
vent durer plusieurs mois, sont parfois assez complètes pour que le ma-
lade puisse reprendre son genre de vie habituel ; puis, sans cause occa-
sionnelle appréciable ou à la suite d'une trop grande fatigue, les symptômes
caractéristiques se montrent de nouveau, et le retour des accidents géné-
raux coïncide toujours avec l'apparition d'une teinte plus foncée, ou
avec l'extension de la couleur bronzée"] à des parties qu'elle n'avait pas
atteintes jusqu'alors. C'est en raison de ces rémissions qu'il est difficile
de se prononcer sur la valeur réelle des quelques faits qui ont été cités
comme des exemples de guérison, et jusqu'à plus ample informé, on
peut dire que la terminaison de la maladie d'Addison est constamment
fatale. Le plus ordinairement la mort est lente, elle est amenée par l'ag-
gravation graduelle des phénomènes antérieurs, et surtout de l'asthénie;
dans quelques circonstances, elle est précédée de symptômes nouveaux,
tels que le délire et le coma (10 cas pour le premier — 12 [pour le
second), ou bien encore d'accès convulsif (19 cas.). Dans certains cas
bien plus rares, la mort a lieu brusquement par syncope ; ailleurs enfin
elle résulte d'une maladie aiguë intercurrente.
Diagnostic et pronostic. — Les détails qui précèdent me dispensent
de m'arrêter sur le pronostic ; l'imminence du danger est mesurée par l'état
des forces, par l'apparition et la fréquence des accidents nerveux, par la
persistance des vomissements et surtout par l'âge de la maladie, lorsqu'il
peut être rigoureusement établi. Quant au diagnostic, j'en dirai quelques
mots, encore bien que l'erreur soit difficile, si l'on a soin de juger, non
d'après un seul symptôme, mais d'après l'ensemble des phénomènes carac-
téristiques que nous venons d'étudier.
L'élude analytique des faits nous a montré que, dans la grande majorité
des cas (108 sur 116), la mélanodermie est un symptôme tardif; on ne
peut donc compter absolument sur lui pour établir le diagnostic, et il y a
nécessité de reconnaître à ce point de vue, dans la maladie surrénale,
deux périodes distinctes. Durant la première, qui est caractérisée par l'as-
thénie, les vomissements, les douleurs lombo-gastriques, le diagnostic ne
peut être fait que par exclusion. En voici le principe. Un individu pré-
sente une débilité qui ne peut être attribuée ni à l'âge, ni à l'influence
d'une maladie actuelle ou antérieure; cette débilité va croissant, sans
s'accompagner d'ailleurs des phénomènes qui forment le cortège ordinaire
des cachexies proprement dites ; cependant, l'examen le plus minutieux
ne révèle dans les viscères aucun désordre qui puisse rendre compte de
cette asthénie profonde; les vomissements, lorsqu'ils existent, présentent
BRONZEE (maladie). — diagnostic et pronostic. 713
certains caractères qui les rapprochent positivement des vomissements
d'origine cérébrale; ils se font sans efforts, souvent sans nausées; ils ont
lieu le plus ordinairement le matin à jeun; lorsqu'ils deviennent plus
fréquents, il suffit parfois d'un mouvement brusque pour en déterminer
la production, et même alors, fait capital, les matières alimentaires sont
habituellement conservées, ce qui explique l'intégrité relative des fonctions
de nutrition ; si les vomissements deviennent continuels, il n'en est plus
ainsi, cela va sans dire, mais cela n'arrive guère que dans les périodes
ultimes de la maladie. Eh bien! lorsqu'un malade présente cet ensemble
de caractères positifs et négatifs, on est autorisé, même en l'absence de
la mélanodermie, à songer à la maladie d'Addison, qui ne mérite guère
alors, comme on le voit, le nom de maladie bronzée; ce diagnostic est
encore plus légitime si, à ces symptômes, s'ajoutent les douleurs lom-
baires et gastriques, ou quelqu'un des accidents nerveux précédemment
étudiés.
Dans la pratique, malheureusement, il faut en convenir, les choses ne
se présentent pas toujours avec cette netteté. Le diagnostic précédent, en
effet, se rapporte uniquement à la maladie d'Addison primitive ou essen-
tielle, et nous verrons bientôt, en étudiant Pédologie, que cet état morbide
est le plus souvent secondaire ou symplomatique. Or, dans ces cas-là, les
phénomènes caractéristiques existent encore, cela est vrai, mais ils per-
dent toute valeur précise, par ce fait qu'ils se développent chez des sujets
atteints déjà depuis un temps plus ou moins long d'une affection éminem-
ment asthénique, la scrofule, la tuberculisation ou le cancer, par exem-
ple. A supposer même que ces affections ne soient pas parvenues encore à
un degré très-avancé, il est évident que l'asthénie sera logiquement rap-
portée à l'évolution naturelle de la maladie première, et que l'idée d'une
complication, rare d'ailleurs, ne devra se présenter à l'esprit que comme
une simple possibilité. Je sais bien qu'on a conseillé de faire alors une
appréciation comparative de l'état des forces du sujet et des désordres
causés par la maladie primitive; puis, dit-on, si l'asthénie est hors de
proportion avec les lésions viscérales bien et dûment constatées, on sera
en droit d'admettre le développement de la maladie d'Addison à titre de
complication ; mais, sans nier d'une manière absolue la valeur de ce mode
de jugement, je ne puis m' empêcher de faire remarquer que ce calcul de
probabilités ou de rapports proportionnels peut difficilement servir de
base à un diagnostic rigoureux.
Il en va bien autrement lorsque la pigmentation tégumentaire est ap-
parue; alors, à vrai dire, il n'y a plus d'erreur possible, si l'on ne perd
pas de vue les caractères spéciaux de la mélanodermie d'Addison. D'une
teinte variant du brun clair au brun noir, cette coloration est le plus sou-
vent générale et uniforme. Lorsqu'elle est partielle, elle se présente sous la
forme de larges plaques séparées par des intervalles plus ou moins éten-
dus, dans lesquels le tégument est normal ; dans aucun cas authentique,
jusqu'ici du moins, elle n'a offert la disposition de petites taches dissé-
minées plus ou moins confluentes sur la peau saine. D'un autre côté, lors-
714 BRONZÉE (maladie). — diagnostic et pronostic.
que cette mélanodermie n'a pas son uniformité habituelle, elle revêt l'un
des deux aspects que voici, ou bien la teinte brune est parsemée çà et là
de taches claires à dimensions variables, mais à forme généralement cir-
culaire; ou bien le fond uniformément sombre du tégument présente en
nombre plus ou moins considérable des points ou des taches notablement
plus foncés. Dans le premier cas, dont j'ai en ce moment même un très-
bel exemple sous les yeux, le pigment est moins abondant ou fait défaut
par places ; dans le second, il est réparti plus richement sur certains points;
la raison de ces variétés n'est d'ailleurs pas connue. Enfin, il faut toujours
se délier de ces cas dans lesquels la pigmentation anormale est exclusive-
ment limitée à la face et aux parties découvertes ; si alors les autres symp-
tômes de la maladie ne sont pas parfaitement accusés, il est prudent de
garder une certaine réserve dans le diagnostic. En revanche, il n'est pas
de cas plus positifs et plus nets que ceux où la coloration très-prononcée
sur tout le tronc et sur la partie supérieure des membres respecte préci-
sément la face et les mains; ces cas sont exceptionnels, mais la femme
que j'observe actuellement dans mon service répond rigoureusement à
cette description, bien que chez elle la mélanodermie ait au moins quatre
mois de date.
Avec ces données précises, je le répète, le diagnostic est facile; je signa-
lerai pour mémoire les plaques brunes produites sur les cuisses par l'abus
des chaufferettes, la teinte brune du visage et des mains résultant de
l'insolation ou de l'exposition prolongée à un foyer de chaleur, la pigmen-
tation temporaire des femmes grosses, les taches brunes disséminées que
produisent certaines maladies de la peau (pityriasis nigra, vitiligo), la
teinte jaune paille ou terreuse, et le chloasma des cachexies, de la cancé-
reuse, entre autres, et je m'arrêterai avec plus de détails sur quelques
formes de mélanodermie pouvant plus aisément prêter à l'erreur.
Généralement ardoisée et limitée à la face et aux mains, la coloration
produite par l'usage interne prolongé des sels d'argent peut cependant se
généraliser et prendre une teinte positivement brune et même noire ; c'est
alors par les commémoratifs et l'absence des symptômes caractéristiques
de la maladie d'Addison que le diagnostic devra être assuré. Il en* est de
même pour la coloration produite par l'absorption des préparations d'ani-
line; ici, d'ailleurs, la teinte franchement violacée s'éloigne beaucoup
déjà de la mélanodermie proprement dite.
On a beaucoup dit que l'ictère pouvait être une source de confusion ;
pour moi, je ne vois guère la possibilité d'une telle erreur. En admettant
même que l'on ait à faire à ces ictères tellement foncés, qu'ils sont
plus près du noir que du vert jaunâtre, on aura toujours pour se guider
deux phénomènes certains. Dans l'ictère, la conjonctive participe constam-
ment à la coloration morbide, tandis que dans la maladie bronzée elle
tranche par sa couleur normale, souvent d'un blanc mat ou perlé, sur la
teinte des téguments. De plus, l'examen de l'urine chez l'ictérique mon-
trera qu'elle contient du pigment biliaire. En raison de la fréquence des
lésions du foie chez les individus qui succombent à la maladie d'Addison,
BRONZÉE (maladie). — diagnostic et pronostic. 715
on concevrait à la rigueur la possibilité de la coexistence d'un ictère véri-
table, mais cette présomption n'est justifiée par aucune des nombreuses
observations que j'ai analysées.
La nigritie, qui peut être générale ou partielle, est une simple malfor-
mation souvent congénitale; c'est une hypersécrétion pigmentaire qui
n'est accompagnée d'aucun phénomène morbide.
La mélanémie (voyez ce mot) est surtout caractérisée par une teinte
qui varie du gris cendré au brun grisâtre, par la présence de corpus-
cules pigmentaires plus ou moins abondants dans le sang et dans
plusieurs viscères, enfin, par une relation constante avec une intoxi-
cation palustre antérieure. Ainsi, teinte plus claire, plus profonde, si je
puis ainsi dire, toujours générale; constatation facile du corps du délit
dans le sang, extrait par une piqûre ; maladies paludéennes dans les anté-
cédents de l'individu, voilà les signes diagnostiques qui distinguent la
mélanémie de la maladie d'Addison. Le dernier toutefois est loin d'avoir
la même valeur que les deux autres, car nous verrons bientôt que sur nos
127 cas, 9 fois les malades avaient eu des fièvres intermittentes plus ou
moins prolongées. En présence de ces caractères différentiels, on ne peut
nier que la mélanémie ne soit un état distinct de l'asthénie surrénale;
mais il est impossible aussi de contester l'étroite analogie qui les rapproche.
Déjà, dans une de mes annotations à la clinique de Graves, j'appelais l'at-
tention sur cette affinité; dans l'un comme dans l'autre cas, il s'agit d'une
hypergénèse pigmentaire ; dans la mélanodermie d'Addison, le produit
morbide siège à la surface de la peau et la colore ainsi directement ; dans
la mélanémie, il est dans le liquide en circulation, et la coloration anor-
male qui en trahit la présence est une coloration par transparence, c'est
pour ainsi dire un phénomène indirect. D'un autre côté, il n'est pas dé-
montré que le sang ne contienne pas de pigment en excès dans la maladie
d'Addison, car les observations sont muettes sur ce point; deux fois seule-
ment ce fait est l'objet d'une mention spéciale, et deux fois la mélanémie
a été constatée; dans l'obs. 105, les corpuscules pigmentaires ont été obser-
vés directement, et trouvés surtout dans le sang de la rate; dans l'obs.
115, on s'est borné à noter une coloration très-foncée du sang. Mais dans
plusieurs autres observations où l'état du sang n'a pas été examiné, nous
trouvons signalée une pigmentation anormale des viscères ou des gan-
glions lymphatiques chez des sujets encore adultes, et c'est justement là le
caractère anatomique principal des trois premières formes de mélanémie
décrites par Frerichs. Il est donc tout au moins probable que la mélanémie
et la maladie d'Addison coexistent plus fréquemment qu'on ne l'a cru
jusqu'ici; tout au moins est-il sage d'attendre d'observations plus com-
plètes une réponse définitive à cette question.
Il est enfin une forme de cancer mélanique qui doit trouver place dans
cette étude diagnostique ; je veux parler de la mélanose sous-cutanée
dont Delvaux, Eccles, Ferber, Demarquay et Wagner ont publié de remar-
quables exemples. Ici la coloration plus ou moins brune du tégument est
encore un effet de transparence; elle se présente sous forme de taches
716 BRONZEE (maladie). — étiologie.
plus ou moins larges, parfaitement isolées les unes des autres par des
intervalles de peau saine; au niveau de ces taches colorées, on sent une
nodosité, une petite tumeur dure siégeant dans le tissu cellulaire sous-
cutané; or si la saillie de ces tumeurs n'est pas appréciable à la vue, et si
ces productions sont très-nombreuses (plusieurs centaines dans le cas
d'Eccles), un examen superficiel pourrait faire croire à la mélanodermie
d'Addison ; il ne faut pas compter ici, pour faire le diagnostic, sur une
différence dans la teinte, car cette différence peut être très-légère ; le ma-
lade de Demarquay, par exemple, avait l'aspect d'un Quarteron ou d'un
Indien. Mais la disposition franchement tachetée de la coloration, la con-
statation des noyaux d'induration sous-cutanée au moyen de la palpation,
les douleurs dont ces tumeurs sont le siège, enfin l'amaigrissement rapide
et proportionnel au nombre des productions mélaniques, constituent un
ensemble de signes qui préviendra toute erreur. Souvent aussi des désor-
dres fonctionnels graves permettent de reconnaître l'existence de produits
semblables dans les principaux viscères.
La maladie d'Addison une fois reconnue, le diagnostic n'est point encore
achevé; il reste à déterminer si elle est primitive ou secondaire. Or, si
avec la mélanodermie on n'observe que l'asthénie surrénale pure qui a été
précédemment étudiée dans ses caractères positifs et dans ses caractères
négatifs, ce sera déjà une forte présomption en faveur d'une maladie
bronzée primitive; le jugement sera suspendu, ou plutôt inverse si le
malade présente quelques-uns des phénomènes qui appartiennent aux
cachexies ordinaires (émaciation, albuminurie, hydropisies,hémorrhagies,
leucémie, etc.). D'autre part, la maladie d'Addison secondaire n'a été vue
jusqu'ici que dans trois affections : la scrofule, le tubercule et le cancer,
dont elle constitue alors une manifestation plus ou moins tardive ; si donc
l'individu observé ne présente aucun vestige de ces affections, on pourra
conclure avec certitude qu'il s'agit d'une asthénie surrénale primitive et
essentielle. C'est là, du reste, le cas le plus rare, ainsi que le démontre
péremptoirement l'examen des conditions étiologiques, dont nous allons
maintenant nous occuper.
Étiologie. — La maladie bronzée est notablement plus fréquente chez
l'homme que chez la femme ; sur le total de nos observations, 79 concer-
nent des individus du sexe masculin et 48 des sujets féminins. Quant à
l'âge, il est compris entre deux limites très-éloignées, trois ans et soixante-
neuf ans, mais la fréquence n'est pas la même pour les différentes pério-
des de cet intervalle; ainsi, de 5 à 10 ans, je ne trouve qu'un seul fait;
de 10 à 20 inclusivement, 24 cas; de 20 à 50, 50 cas; de 50 à 40, 51 cas;
de 40 à 50, 18 cas; de 50 à 60, 8 cas; puis 2 à 65 ans et 1 à 69 ans;
d'où l'on voit que la fréquence, augmentant de 10 à 20 ans, reste sensi-
blement la même entre 20 et 40 pour décroître assez rapidement de 40 à
50, et plus rapidement encore de 50 à 60. Le tableau ci-dessus ne com-
prend que 115 cas; les renseignements font défaut dans les douze autres
observations.
Il est vraisemblable que les conditions climatériques ne sont pas sans
BRONZÉE (maladie). — étjologie. 717
influence sur le développement de la maladie, car jusqu'ici elle s'est mon-
trée incomparablement plus fréquente en Angleterre que dans toute autre
contrée ; l'Italie, les Pays-Bas et l'Allemagne viennent ensuite, et la
France au dernier rang. Est-ce coïncidence, lacune dans l'observation,
silence sur les faits observés, ou influence climatérique réelle? Il serait
téméraire de le décider dès aujourd'hui.
Sur nos 127 observations, il y en a "20 dont l'insuffisance ne permet pas
de décider s'il s'est agi d'une maladie d'Addison primitive ou secondaire.
Les 107 faits restants, étudiés à ce point de vue, se décomposent ainsi :
dans 33 cas la maladie a été certainement primitive; — dans 9 cas elle a
été probablement primitive ; — dans 65 cas, enfin, elle a été positivement
secondaire. Pour plus de rigueur, laissons de côté les 9 cas dont le carac-
tère n'est que probable ; et nous arrivons à cette conclusion intéressante :
sur 98 cas la maladie a été secondaire 65 fois, elle a été primitive «53 fois,
c'est-à-dire dans le tiers des cas exactement. Ce n'est pas tout : l'analyse
plus approfondie des faits nous apprend que les relations qui unissent la
maladie bronzée à certaines affections constitutionnelles ou diatbésiques
sont loin d'être également fréquentes pour chacune d'entre elles. En
effet, sur les 65 observations de maladie d'Addison secondaire, 45 res-
sortissent à l'affection tuberculeuse, 15 à l'affection scrofuleuse, et 5 seu-
lement à l'affection cancéreuse. La faiblesse de ce dernier chiffre permet
de comprendre que quelques auteurs aient nié tout rapport entre le cancer
et la maladie surrénale ; la proposition ne pèche que par son absolutisme.
Il importe d'ajouter, pour conserver aux proportions précédentes toute
leur valeur, que cette répartition a été basée, non sur les renseignements
cliniques souvent très-incomplets, mais sur les lésions constatées à l'au-
topsie.
Voyons maintenant dans quelles conditions s'est développée la maladie
d'Addison, dans les 35 cas où elle a été positivement primitive; cet exa-
men complétera utilement cette étude étiologique. Et d'abord quant au
sexe, nous trouvons vingt hommes et treize femmes; l'âge des malades
est compris entre 12 ans et 69 ans, savoir : de 12 à 20 ans inclusivement,
6 cas ; — de 21 à 50, 10 cas ; — de 31 à 40, 8 cas ; —de 41 à 50, 2 cas ;
— de 51 à 60, 2 cas ; — 1 cas à 65 ans et 1 à 69. Dans 5 cas l'âge
n'est pas indiqué. Ces résultats ne s'éloignent pas de ceux que nous avons
obtenus en étudiant plus haut la totalité des observations.
Quant à l'état antérieur des individus atteints par la maladie, voici les
résultats que donne l'analyse. Dans 23 cas rien n'est signalé touchant
les conditions antérieures des malades, et l'asthénie surrénale paraît s'être
développée au milieu d'un état de santé parfait; les 10 autres observa-
tions indiquent comme antécédents les conditions pathologiques les plus
disparates; en voici rénumération : chez des rhumatisants sans attaque
actuelle, 2 cas; — chez un goutteux, 1 cas ; — chez un syphilitique, 1 cas ;
— après des fièvres intermittentes, 1 cas; — chez un individu originaire
d'un pays palustre, mais n'ayant jamais eu de fièvre, 1 cas ; — un malade
était tourmenté depuis des années par une dyspepsie habituelle; chez lui le
718 BRONZÉE (maladie). — anatomie pathologique.
début de la maladie a été marqué par l'aggravation des phénomènes gas-
triques. — Chez une femme, le développement du mal surrénal a positi-
vement coïncidé avec un arrêt subit des règles à la suite d'une frayeur.
— Enfin, dans deux cas, il y avait eu quelques mois auparavant un ictère
dont la cause n'est pas spécifiée.
Des résultats aussi dissemblables ne peuvent fournir aucune déduction
certaine, retenons donc simplement ce fait capital que la maladie bron-
zée peut être spontanée et primitive, et apparaître chez des individus
dont l'état de santé était jusque-là très-satisfaisant.
Anatomie pathologique. — Deux ordres de faits doivent être étu-
diés ici; les lésions des capsules surrénales, et celles des autres organes;
ces dernières, variables dans leur nature, tirent de leur extrême fré-
quence une importance réelle, et cette fréquence est la démonstration
anatomique du caractère secondaire ou symptomatique que présente,
dans la majorité des cas, la maladie bronzée, ainsi que je l'ai établi plus
haut.
Si nous faisons abstraction de deux cas (obs. 41 et 48), dans les-
quels les capsules étaient absentes, nous voyons que dans toutes nos ob-
servations les capsules surrénales ont été plus ou moins profondément
altérées. Sur ces 125 faits, neuf fois l'altération portait sur une seule
capsule, dans les 116 autres cas, les deux organes étaient lésés. Très-
différentes dans leur nature, ces lésions se répartissent ainsi pour les
116 cas où l'altération était double. Transformation scrofuleuse ou ca-
séeuse, 58 fois; — tubercules, 45 fois; — abcès, 10 cas; — atro-
phie, 7; — hypertrophie, 6; — cancer, 4; — dégénérescence grais-
seuse, 5; — transformation kystique, 2; — congestion simple, 1.
Dans les neuf cas où une seule capsule était atteinte, les lésions con-
statées sont les suivantes : Transformation scrofuleuse ou caséeuse, 1; —
tubercules, 3; — cancer, 5; — kystes, 2.
Ces chiffres permettent de juger dès maintenant l'assertion de Wilks,
touchant la caractéristique anatomique de la maladie surrénale. D'après
lui, on ne devrait accorder cette valeur qu'à la lésion spéciale que
nous décrirons dans un instant, et qui est connue sous le nom de
transformation ou dépôt scrofuleux ; les autres altérations des capsules
ne seraient point liées à l'asthénie et à la mélanodermie spéciales par
cette relation, qui est le propre de la maladie d'Addison. Or, il est clair
que cette assertion est fort exagérée. Que la relation soit constante avec
la transformation scrofuleuse, et inconstante, au contraire, avec les
autres lésions, cela est possible, et c'est l'observation ultérieure seule
qui peut nous l'apprendre. Mais ce qui est certain, c'est que les cas du
second ordre sont déjà en nombre très-considérable. Dans le relevé pré-
cédent, en effet, nous ne trouvons que 59 exemples de la lésion dite scro-
fuleuse sur 125 faits; et si l'on réunit à ces 59 cas les 10 exemples
d'abcès qui peuvent, à la rigueur, être considérés comme des formes un
peu déviées de la lésion type, cela ne fait encore que 49 observations
contre 76.
BRONZEE (maladie). — anatomie pathologique. 710
Conséquent avec les prémisses posées par lui, Wilks a particulièrement
contesté l'importance de la tuberculisation des capsules surrénales.
« Dans les cas les plus nets, dit-il, il n'y avait aucune apparence de
tubercule dans un point quelconque du corps. Dans quatre cas seulement
on trouva des tubercules pulmonaires, encore dans deux de ces cas exis-
tait-il simplement, au sommet du poumon, une induration chronique qui
présentait à la coupe une surface granuleuse. » Voilà une proposition qui
est tout à fait inconciliable avec les résultats positifs que donne l'analyse ri-
goureuse de nos observations : en laissant de côté deux ou trois faits dans
lesquels on trouva seulement quelques tubercules crétacés, nous avons
57 cas de tuberculose pulmonaire plus ou moins étendue, et si nous te-
nons compte en outre de quelques faits dans lesquels, en l'absence de
tubercules pulmonaires , il existait une tuberculisation des ganglions
lymphatiques ou de quelque viscère, nous voyons que 45 fois sur
125, la maladie bronzée avec lésions surrénales a coïncidé avec une
tuberculisation de siège et d'étendue variables.
Les assertions trop absolues de Wilks tiennent, sans doute, à l'in-
suffisance du nombre des observations, ou encore à l'omission des cas
dans lesquels la maladie était symptomatique. Cette double modalité,
par suite de laquelle le mal surrénal peut être primitif ou secondaire, ne
me semble pas, en effet, avoir fixé l'attention du savant médecin de
Londres.
Je ne veux pas aborder l'étude de toutes les lésions qui ont été obser-
vées dans les capsules surrénales, car je serais conduit ainsi à passer en
revue la presque totalité des altérations anatomiques ; mais il en est une
qui nécessite une description spéciale, parce que ses caractères ne ressor-
tent pas suffisamment de la dénomination qu'elle porte, je veux parler de
la transformation scrofuleuse à laquelle Addison, et Wilks après lui,
ont attaché une si légitime importance ; je transcris textuellement la des-
cription de ce dernier observateur.
« Lorsque la maladie est récente, l'organe est un peu augmenté de vo-
lume, et il est changé en une masse demi-transparente, de couleur grise,
molle et homogène; examinée au microscope, cette masse ne présente sou-
vent aucune structure, parfois elle est légèrement fibrillaire, ou bien elle
contient quelques cellules et quelques noyaux avortés. Ce dépôt de matière
lardacée est le premier stade de la lésion, elle ressemble alors à ce qu'on
observe si souvent dans les premières périodes de l'hypertrophie scrofu-
leuse des ganglions lymphatiques. Ultérieurement, cette matière subit,
comme dans ces ganglions, une régression ou dégénérescence, et elle se
transforme en une substance opaque et jaunâtre ; alors les deux matières
sont constamment trouvées associées, savoir : la matière grise, transpa-
rente avec la substance jaune, opaque. A une époque plus avancée, cette
matière peut se ramollir, et prendre l'aspect du mastic, comme cela a lieu
dans un ganglion scrofuleux, ou bien elle peut se dessécher en abandon-
nant ses éléments minéraux, sous forme de dépôt calcaire, dans la trame
de l'organe. — Quelquefois aussi on trouve, autour des capsules, du tissu
720 BRONZEE (maladie). — anatomie pathologique.
fibroïde, résultant du travail inflammatoire, qui a uni ces organes au rein,
au foie et aux parties adjacentes. On n'a pas assez remarqué que plu-
sieurs années sont nécessaires pour l'accomplissement de l'évolution pré-
cédente ; si donc le dépôt morbide présente de la matière calcaire, on ne
peut douter qu'il ne s'agisse d'une lésion d'ancienne date. Ce fait répond
à ce que nous savons de la durée des symptômes dans les cas les mieux
caractérisés. »
Je n'ajouterai rien à cette description dont la précision est pleinement
satisfaisante; on trouvera dans notre tableau des exemples de cette lé-
sion à ses diverses périodes, avec indication des résultats de l'examen
microscopique.
Pour apprécier avec justesse l'état des capsules surrénales après la
mort, il importe d'être parfaitement renseigné sur les conditions normales
de ces organes, et surtout sur leur volume, qui présente des variations
notables aux différents âges. Evaluant ce volume par le poids, Brown-
Séquard avait assigné aux capsules, cbez l'adulte, un poids variant entre
7 et 12 grammes. Le professeur Mattei (de Sienne) est arrivé à des résultats
différents, auxquels le nombre considérable des observations donne une
importance incontestable. Voici la moyenne des poids obtenus :
>
VIE FŒTALE.
AGE.
POIDS MOYEN EN
GRAMMES.
AGE. POIDS
MOYEN EN GRAMMES
3e mois.
. . 0,392
8e mois
1,767
5e mois.
. . 0,490
9e mois
2.454
6e mois.
. . 1,423
VIE EXTRA-UTÉRINE.
A 1 an.
. . 2,074
De 51 à 60 ans. . .
4,901
De 2 à
10 ans.
. . 2,194
De 61 à 70 ans. . .
5,596
De 11 à
20
ans.
. . 5,000
De 71 à 80 ans. . .
5,886
De 21 à
30
ans.
. . 4,550
De 81 à 90 ans. . .
5,251
De 31 à
40
ans.
. . 4,340
De 91 à 100 ans. .
6,184
De 41 à
50
ans.
. . 4,697
Ce tableau montre que les capsules augmentent de volume, non-seu-
ment pendant la vie fœtale, mais aussi après la naissance, et, de plus,
que cette augmentation n'a pas lieu d'une manière régulière. C'est dans
l'âge adulte qu'elle paraît le plus grande. On conçoit combien ces notions
sont importantes pour le jugement à tirer du volume des capsules dans
un cas donné.
Il est un autre critérium auquel il ne faut jamais négliger d'avoir re-
cours dans les cas douteux, je veux parler des réactions chimiques dont
la connaissance est due aux travaux de Vulpian et Virchow. Au contact de
la teinture d'iode, le tissu des glandes surrénales prend une teinte d'un
rouge plus ou moins foncé, qui souvent ne dépasse pas le rose. Ces
organes, d'après mon savant collègue Vulpian, contiendraient une matière
spéciale, répandue surtout dans la substance médullaire. Traitée par le
sesquichlorure de fer ou par les sels de sesquioxyde, cette matière prend
une teinte glauque, quelquefois noirâtre, tirant un peu sur le bleu ou le
BRONZÉE (maladie). — anatomie pathologique. 721
vert. Virchow a vérifié ces diverses réactions, et s'est assuré en même
temps qu'elles appartiennent au liquide, plutôt qu'aux éléments cellu-
laires de l'organe. Le suc épaissi se couvre de pellicules d'un brun violet,
et donne avec le réactif de Pettenkofer (sucre et SO5; voy. Bile) une réac-
tion positive ; avec l'acide nitrique il prend une coloration verte. Ces faits
sont en rapport avec la présence de l'acide taurocholique signalé dans les
glandes surrénales par Vulpian et Gloez. D'après Virchow, elles contien-
nent aussi beaucoup de leucine, et de la graisse composée de margarine,
de myéline, et dune huile qui se colore par l'acide sulfurique; en re-
vanche, il n'y a pas de trace de substance amylacée ou amyloïde. Les
recherches de Seiigsohn, sur les glandes surrénales du bœuf, y ont dé-
montré la présence de l'acide benzoïque et d'une matière sulfurée, qui est
vraisemblablement de la taurine.
Les lésions constatées dans les autres organes sont très-nombreuses, et
à ce point disparates que je dois me borner à une énumération pure et
simple. Voici donc ce qui découle de l'analyse des faits.
Dans l'appareil digestif il n'est pas un organe qui n'ait été trouvé lésé
un plus ou moins grand nombre de fois, et ces altérations de nature di-
verse se groupent ainsi :
Estomac. — Hyperémie de la muqueuse, 3 cas ; érosions, 2 cas ; état
mamelonné, 2 cas; cancer, 1 cas (total, 8 cas).
Foie. — Augmentation de volume, 8 cas; tubercules, 7; état grais-
seux, 5; hyperémie, 4; atrophie et induration, 3; foie muscade, 1;
abcès, 1; cancer, 1 (total, 30 cas).
Bâte. — Augmentation de volume, 15 cas; tubercules, 8 (total,
23 cas).
Pancréas. — Augmentation de volume, 1 cas ; atrophie, 1 ; tuber-
cules, 1 cas (total, 3 cas).
Intestin. — Tuméfaction des glandes, 17 cas; ulcérations, 4 (total,
21 cas).
Péritoine. — Péritonite ancienne, 2 cas; tubercules, 2 (total, 4 cas).
Dans l'appareil respiratoire les lésions ont porté sur les poumons seu-
lement, savoir :
Poumons. — Tubercules à divers états, 37 cas; cancer, 3 ; pneumo-
nie, 3; abcès, 1 (total, 44 cas).
Dans l'appareil circulatoire, on a trouvé des altérations du cœur et des
ganglions lymphatiques.
Cœur. — Surcharge ou dégénérescence graisseuse, 8 cas; ramollisse-
ment, 1; hypertrophie, 1 ; péricardite récente, 1 (total, 11 cas).
Ganglions mésentériques. — Tuméfaction, 13 cas; tubercules, 6; état
lardacé, 1 (total, 20 cas).
Ganglions bronchiques. — Tuméfaction, 2 cas; tubercules (sans tuber-
cules pulmonaires), 1. En outre, 2 cas de tuberculisation généralisée de
tous les ganglions lymphatiques (total, 5 cas).
Dans l'appareil génito-urinaire, les lésions ont intéressé les reins et
l'utérus.
NOUY. DICT. MLD. ET CUIR. V. 46
722 BRONZÉE (maladie). — anatomie pathologique.
Reins. — Congestion, 8 cas; hypertrophie, 5; rein de Bright, 4;
tubercules, 5; état graisseux, 2; calculs, 2 ; anémie, 1 (total, 25 cas).
Utérus. — Cancer, 1 cas ; inflammation purulente d'une des trompes, 1 ;
hydropisie des deux ovaires, 1 (total, 5 cas).
Le système osseux a présenté huit fois des caries (scrofuleuses) plus
ou moins étendues, et dans dix cas on a constaté une lésion qui est plus
directement en rapport avec la maladie bronzée, savoir une pigmentation
d'un ou de plusieurs viscères.
Ces dix cas ne se prêtent pas au groupement, et pour être complet, je
suis obligé d'indiquer pour chacun d'eux le siège de l'altération.
1. Poumons, ganglions bronchiques et mésentériques (femme de
53 ans); — 2. Foie (femme de 26 ans); — 5. Ganglions bronchiques et
follicules intestinaux (homme de 20 ans); — 4. Ganglions bronchiques et
mésentériques (garçon de 12 ans); — 5. Muqueuse intestinale (homme
de 21 ans); — 6. Péritoine et muqueuse gastrique (femme de 57 ans); —
7. Péritoine (femme sans indication d'âge); — 8. Cerveau, poumons,
cœur, rate et foie (femme de 21 ans); — 9. Poumons et ganglions mésen-
tériques (homme de 52 ans); — 10. Cerveau, poumon et ganglion bron-
chiques (femme de 57 ans). On remarquera que, à l'exception des cas 1 et
9, la pigmentation ne peut être mise sur le compte de l'âge.
Reste l'appareil d'innervation. Indépendamment des deux cas dans les-
quels on a constaté une pigmentation anormale de la couche corticale du
cerveau, les lésions observées dans ce viscère sont rares et n'offrent avec
le mal bronzé d'autre rapport que celui de la coïncidence ; c'était, dans
deux cas, une atropine des hémisphères, deux fois une arachnitis, une fois
une hyperémie notable; inutile de nous arrêter sur ces altérations. En
revanche, les lésions observées dans le plexus solaire et le sympathique
abdominal, méritent toute notre attention.
Il y a aujourd'hui, à ma connaissance, sept exemples positifs et au-
thentiques de ces lésions. Le premier en date a été mentionné par Addison
lui-même, mais cette mention purement incidente et reléguée dans l'in-
troduction de son mémoire, ne permet pas de déterminer quelle est,
parmi les 1 1 observations citées, celle qui a présenté cette lésion ; toutefois,
la valeur du fait, au point de vue anatomo-pathologique, n'en est point
diminuée ; on peut en juger, du reste ; voici le passage : « Je dois faire
remarquer que, dans un cas récemment examiné, le cœur avait subi la
transformation graisseuse, et que M. Quekett, après un examen micro-
scopique, a constaté la même dégénérescence dans une portion des gan-
glions semi-lunaires et du plexus solaire. »
Le second fait est celui de W. Monro (obs. 25); une femme de
42 ans, chez laquelle la maladie avait duré de 8 à 9 ans, présenta à l'au-
topsie la transformation scrofuleuse des capsules, des tubercules pulmo-
naires, et, de plus, une intumescence et une injection notables des nerfs
et des ganglions du plexus solaire.
Le troisième cas, observé par Addison, rapporté par Lovegrove
(obs. 40), concerne un homme de trente-deux ans qui succomba par
BRONZÉE (maladie). — anatomie pathologique. 725
asthénie croissante au bout de trois ans de maladie. On trouva la transfor-
mation scrofuleuse des glandes surrénales, quelques tubercules pulmo-
naires crétacés et une atrophie totale des nerfs efférents, qui, des gan-
glions semi-lunaires, se rendaient aux capsules. Les ganglions eux-mêmes
étaient sains ; l'examen microscopique a été pratiqué par Wilks.
Le quatrième fait est celui de Schmidt (de Rotterdam), (obs. 66)
que j'ai déjà rapporté, avec celui de Quekctt, dans un travail antérieur.
Il s'agit d'une fille de seize ans morte au bout de cinq mois, chez laquelle
l'autopsie montra une transformation casécuse des glandes surrénales, une
tuméfaction de toutes les glandes intestinales, une induration non tuber-
culeuse des ganglions mésentériques, une hypertrophie de la rate et une
atrophie générale (de quelle nature?) des nerfs sympathiques qui enlacent
l'aorte abdominale. L'examen microscopique a été fait par Boogard.
Le cinquième exemple appartient à van Andel (obs. 90). Chez une
femme morte au bout de quatre à cinq mois, il trouva une tuberculisation
des capsules, une pigmentation du péritoine et une atrophie du sympa-
thique et du plexus solaire; les cellules nerveuses étaient atrophiées sur
plusieurs points, ailleurs elles présentaient une pigmentation brune telle-
ment abondante que le noyau n'était plus reconnaissable que par le nu-
cléole. Examen microscopique par van Andel.
Le sixième cas a été observé par J. Meyer (obs. 114). Il s'agit d'une
femme de quarante-trois ans qui succomba au bout de trois mois de ma-
ladie, et qui présenta à l'autopsie les glandes surrénales en voie de trans-
formation graisseuse, et, de plus, une injection considérable des ganglions
cœliaques et des branches du sympathique ; cette injection était surtout
marquée sur les rameaux qui se rendaient aux capsules (ils étaient forte-
ment surchargés de sang, dit l'auteur). La structure des ganglions n'était
pas altérée. Examen microscopique par Meyer.
La septième observation est celle d'Habershon (obs. 1 20). Sur un
homme de dix-huit ans, mort au bout d'un an de maladie, il trouva une
transformation caséeuse des deux capsules, et il constata en outre que le
ganglion semi-lunaire gauche était situé tout près de la capsule correspon-
dante hypertrophiée ; les rameaux efférents étaient englobés dans la niasse
morbide, les cellules ganglionnaires n'étaient pas altérées. Examen mi-
croscopique par Habershon.
L'importance de ces données anatomo-pathologiques est de premier ordre,
et justifie les détails dans lesquels je suis entré touchant ces faits nou-
veaux. Je montrerai bientôt que c'est précisément dans l'altération du
sympathique qu'il faut chercher l'interprétation pathogénique des phéno-
mènes, qui caractérisent cliniquement le mal bronzé.
En étudiant l'étiologie, nous avons vu que, sur 98 cas par lesquels nous
possédons des renseignements suffisants, la maladie a été secondaire
65 fois, et primitive, 55 fois. Or, en présence de la multiplicité des lésions
observées chez les individus qui succombent au mal d'Addison, il est inté-
ressant de rechercher quelles sont les altérations qui ont été observées en
dehors des glandes surrénales dans ces 55 cas simples.
724 BRONZÉE (maladie). — anatomie pathologique.
Dans quatorze observations (44, 54, 58, 71, 76, 82, 86, 105, 109,
111, 11^, 115, 122, 125) il est dit expressément que l'on ne trouva pas
d'autres lésions que celles des glandes surrénales, et les noms des obser-
vateurs qui ont procédé à l'examen cadavérique, donnent à ce résultat
une valeur indiscutable. D'autre part, dans quatre cas, les lésions consta-
tées en dehors des capsules sont de telle nature qu'elles peuvent, sans
erreur, être assimilées à des lésions nulles ; ainsi, dans l'obs. 62, il
s'agit d'anciennes adhérences pleurales dans le côté droit du thorax ; dans
l'obs. 73, on a trouvé de petits dépôts crétacés dans le foie; dans
l'obs. 105, il est dit que les poumons et les reins étaient normaux, et il
n'est pas fait mention d'autres désordres; enfin, dans l'obs. 121, on
trouva une hydatide dans le foie. On le voit, il n'y a dans tout cela que
des lésions insignifiantes ou des faits de pure coïncidence, etnous pou-
vons réunir ces 4 cas aux 14 observations de tout à l'heure; d'où cette
conclusion que, sur les 55 cas de maladie bronzée simple ou primitive,
il y en a 18 dans lesquels les glandes surrénales étaient seules lésées.
Quant aux 15 autres cas, ils ont présenté les lésions suivantes :
Obs. 2, Pneumonie ancienne, péricardite récente. Obs. 5, Épaississe-
ment et érosion de la muqueuse gastrique. Obs. 15, Rétraction et indu-
ration du foie, dégénérescence graisseuse du cœur. Obs. 16, Hyperémie
du foie, tuméfaction des follicules intestinaux, deux ulcérations dans
l'iléum. Obs. 21, Tuméfaction de la rate. Obs. 55, Hyperémie du foie.
Obs. 42, Hyperémie du foie. Obs. 45, Hypertrophie de la rate, des glandes
solitaires et de Peyer et des glanglions mésentériques. Obs. 46, Injection
de la muqueuse gastrique, tuméfaction des glandes solitaires et de Peyer,
atrophie du sympathique. Obs. 59, Pigmentation du foie, quelques ecchy-
moses dans l'estomac. Obs. 60, Tuméfaction des ganglions mésentériques.
Obs. 66, Atrophie du plexus solaire, induration des ganglions mésenté-
riques, rate grosse. Obs. 85, Tuméfaction des glandes de Peyer et des
sanglions mésentériques. Obs. 90, Atrophie du plexus solaire, pigmen-
tation du péritoine. Obs. 114, Injection des ganglions semi-lunaires et
de leurs branches efférentes.
Les lésions les plus fréquentes sont donc celles des glandes intestina-
les et des ganglions mésentériques, et les congestions du foie et de la
rate. Or, la maladie bronzée ayant été simple et primitive dans tous ces
cas, il est permis de penser que ces lésions y sont rattachées par une tout
autre relation que celle de coïncidence. Quant aux altérations du sympa-
thique abdominal, il est intéressant de noter que sur les sept exemples
connus, quatre se rapportent précisément à des cas de maladie bronzée
primitive ; deux autres concernent des tuberculeux (encore chez l'indi-
vidu de l'observation 120, il n'y avait que deux tubercules crétacés au
sommet du poumon droit); le septième enfin (celui de Quekett) ne per-
met pas de détermination.
Quant à la cause anatomique de la mélanodermic, c'est comme je l'ai
dit déjà, l'accumulation plus ou moins abondante de corpuscules pig-
mentaires dans la couche dite muqueuse de la peau. Ce fait complète la
BRONZÉE (maladie). — pathogénie. 725
similitude qui existe entre la coloration bronzée d'Addison et la teinte
des mulâtres et des hommes de couleur. Dans le plus grand nombre des
cas le dépôt de pigment est limité aux parties les plus profondes du ré-
seau muqueux, mais quelques faits prouvent qu'il peut occuper aussi les
couches plus superficielles de l'épiderme.
Patiiogénie. — L'état morbide, connu sous le nom de maladie d'Ad-
dison est le résultat d'une altération du système sympathique abdominal.
Cette proposition, par laquelle je me ralliais en 1864 à l'opinion de
Schmidt (de Rotterdam), résume toute la théorie pathogénique de la
maladie bronzée, et une étude plus complète a changé ma présomption à
une conviction arrêtée.
La réalité d'une altération primordiale du système nerveux est démon-
trée par trois ordres de faits, savoir : 1° les symptômes; 2° les lésions de
la maladie; 5° la structure des glandes surrénales. Examinons rapide-
ment ces diverses preuves.
Une asthénie croissant au point de causer la mort, des douleurs épi-
gastriques et lombaires avec ou sans irradiation dans les membres in-
férieurs, des vomissements parfois aussi incoercibles que ceux de la
grossesse, des palpitations, des syncopes et des vertiges voilà avec la
mélanodermie les phénomènes symptomatiques les plus ordinaires.
Qu'on songe maintenant que dans les cas simples, ces symptômes se
développent et progressent en l'absence de toute lésion viscérale impor-
tante, sans anémie, sans albuminurie, sans hémorrhagie, sans diar-
rhée, et l'on y verra sans doute, avec moi, le résultat direct et immédiat
d'une perturbation du système nerveux. Il en est de même pour l'exa-
gération de la production pigmentaire qui cause la coloration spéciale ;
elle ne peut être mise, comme on l'a prétendu, sur le compte d'une alté-
ration préalable du sang (les cas.de mélanémie réservés) puisqu'elle
n'envahit pas au même instant et avec la même intensité toute l'étendue
du tégument externe. Elle résulte donc d'un travail morbide qui a lieu
sur place, et l'intégrité de la peau à tous les autres points de vue con-
clut nécessairement à rapporter cette perturbation à cette partie du sys-
tème nerveux, qui intervient dans les actes sécrétoires.
La preuve tirée des lésions anatomiques est plus péremptoire encore
puisque nous possédons sept autopsies dans lesquelles les nerfs sympa-
thiques abdominaux ont été trouvés matériellement altérés; dans bien
d'autres cas, peut-être, on eût constaté des lésions analogues si des re-
cherches spéciales eussent été dirigées sur ce point, mais il n'est pas be-
soin de recourir à cette probabilité ; car dans toutes les circonstances
où les capsules sont profondément lésées, on peut par cela seul affirmer
une altération du système sympathique, et cela, en raison de la structure
des glandes surrénales. Ici intervient notre preuve du troisième ordre.
Déjà, en 1839, Bergmann appelait l'attenlion sur le nombre considé-
rable de nerfs qui se rendent aux glandes surrénales ; la plupart d'entre
eux proviennent du ganglion semi-lunaire et du plexus rénal, quelques
filets sont envoyés sur le nerf vague et le phrénique.Surla capsule droite
720 BRONZÉE (maladie). — pathogénie.
de l'homme, Kolliker a compté trente-trois petites branches nerveuses,
composées exclusivement ou du moins en grande partie de tubes à bords
foncés, de tous les calibres ; ces nerfs portent des ganglions de différentes
grosseurs, et ils sont spécialement destinés à la substance dite médul-
laire, qui présente dans les trabécules du stroma conjonctif un réseau ex-
trêmement riche de tubes nerveux fins. De là, cette conclusion par la-
quelle l'illustre anatomiste de Wûrzburg assimile la substance corticale au
tissu des glandes vasculaires sanguines, tandis qu'il regarde la substance
médullaire comme un appareil faisant partie du système nerveux, et dans
lequel les éléments celluleux et les plexus nerveux agissent les uns sur les
autres comme dans la substance nerveuse grise. Les faits anatomiques sur
lesquels se base cette conclusion ont été vérifiés par tous les micrographes,
et les recherches de Virchow ont positivement établi que la substance
médullaire contient , indépendamment des plexus nerveux , un certain
nombre de cellules ganglionnaires. Conséquemment la séparation entre
la substance corticale et la médullaire est légitime, et l'assimilation de
cette dernière à un appareil nerveux dépendant du système sympathique
abdominal n'est que l'expression incontestable d'un fait anatomique.
On le sait donc, toutes les fois que les glandes surrénales sont altérées
dans leur substance médullaire, c'est le système sympathique qui est lésé
dans un de ses organes, et notre proposition de tantôt : la maladie d'Ad-
dison est le résultat d'une altération du nerf sympathique abdominal,
reçoit une consécration qui lui donne la valeur d'un axiome. Aussi les au-
torités ne font-elles pas défaut à cette manière de voir qui rallie les noms
d'Addison, Wilks, Schmidt, Ilarley, llabershon, Mattei, Taylor, etc. C'est
cette opinion que j'ai cherché à faire prévaloir dans mon premier tra-
vail, c'est à la même conclusion qu'est arrivé, de son côté, notre colla-
borateur Martineau dans son intéressant mémoire sur ce sujet.
Mais avec cette proposition tout n'est pas dit encore et la question pa-
thogénique présente un second problème qui n'a pas été franchement
abordé : comment la lésion de l'appareil nerveux surrénal produit-elle les
symptômes caractéristiques de la maladie bronzée?
Or, on peut affirmer tout d'abord que l'inertie fonctionnelle de ce dé-
partement nerveux limité ne suffit pas pour rendre compte des phéno-
mènes morbides. Les expériences variées d'un grand nombre de physio-
logistes, entre lesquels je citerai Gratiolet, Berruti, Perosino, Harley et
Schiff, ont prouvé que ces organes ne sont pas indispensables à la vie, 'et
que lorsque la mort survient rapidement après leur ablation, elle résulte
ou bien du traumatisme et de ses suites (péritonite par exemple) ou bien
de la lésion simultanée des ganglions semi-lunaires ou de leurs plexus ;
ces expériences pratiquées tour à tour sur des chevaux, des chiens, des
chats, des cochons d'Inde et des rats, ne permettent pas d'accepter les
conclusions opposées de Brown-Séquard, car dans des expérimenta-
tions de cet ordre, le fait de la survie est beaucoup plus démonstratif que
le fait de la mort, cela ne peut faire question.
Ce premier point fixé, voici comment je conçois la relation pathogé-
BRONZÉE (maladie). — pathogénie. 727
nique qui unit la lésion des glandes surrénales aux symptômes de la ma-
ladie bronzée. Tout processus morbide qui se passe dans ces organes, et
notamment dans leur substance médullaire, est une cause permanente
d'excitation agissant à la périphérie du plexus solaire sur un département
nerveux qui est relié directement à ce vaste plexus, et qui se distingue
entre tous par l'abondance des nerfs et des cellules ganglionnaires. Cette
assertion n'a rien d'hypothétique, elle résulte de la structure même des
capsules.
Or, vu les lois bien connues de la conductibilité nerveuse, cette ex-
citation anormale est incessamment transmise aux organes qui repré-
sentent pour les nerfs surrénaux des centres d'innervation, c'est-à-dire
aux ganglions semi-lunaires; suivant l'intensité de l'excitation, ou la
susceptibilité (excitabilité) de ces premiers récepteurs, cette étape ini-
tiale pourra être dépassée, et l'impression anormale s'étendre à des
centres ganglionnaires plus éloignés, et môme au centre cérébro-spinal ;
mais cela importe peu en ce moment, il me suffit d'avoir établi que la lé-
sion des glandes surrénales a pour premier et constant effet de maintenir
les ganglions semi-lunaires dans un état permanent d'excitation. Je puis
dès lors faire un pas de plus. En vertu de la transmission réflexe, cette
excitation, qui arrive aux ganglions par les nerfs surrénaux, impressionne
secondairement les nombreux rameaux qui partent de ces centres d'in-
nervation; et nous avons ainsi un vaste circuit diastaltique qui a pour por-
tion afférente les glandes et les nerfs surrénaux, pour centre de réflexion les
ganglions semi-lunaires, et pour portion efférente les innombrables ra-
meaux qui, de ces ganglions, se distribuent aux viscères abdominaux, no-
tamment à l'estomac, au foie, à la rate, au mésentère et à l'intestin. Les
rapports des nerfs surrénaux avec le petit splanchnique qui naît des gan-
glions thoraciques, les connexions intimes des divers territoires du grand
sympathique les uns avec les autres et avec la moelle, enfin les relations
anatomiques des capsules et des ganglions semi-lunaires avec les pneumo-
gastriques, nous montrent que les voies réflexes de l'excitation anormale
subie par ces ganglions, s'étendent bien au delà de la cavité abdominale,
et qu'elles' peuvent n'avoir d'autres limites que celles du système ner-
veux lui-même. Ainsi l'anatomie et la physiologie contemporaines justi-
fient les dénominations de centre nerveux de la vie nutritive, de cerveau
abdominal que les anciens avaient attribuées au plexus solaire.
Avec ces données l'interprétation des symptômes n'a plus de difficulté
sérieuse. A l'impressionanormale d'un département nerveux répond tou-
jours une modalité fonctionnelle anormale dans les points correspondants
de la périphérie, et les douleurs gastriques, hypochondriaques, intesti-
nales et lombaires, les vomissements, les nausées, sont l'expression di-
recte de l'excitation morbide des plexus stomachiques, hépatiques et
mésentériques. L'activité nutritive exagérée d'où dérivent la tuméfaction
des ganglions mésentériques et celle des glandes intestinales résulte
vraisemblablement de la même cause, opinion à laquelle la découverte
des plexus intestinaux sous-muqueux de Meissner et des plexus inventé-
728 BRONZÉE (maladie). — pathogénie.
riques d'Auerbach donne un haut degré de probabilité. Les palpitations,
qui sont bien plus rares d'ailleurs que les symptômes précédents, sont la
conséquence de la participation des ganglions thoraciques à l'excitation
anormale ; les syncopes et la mort par syncope peuvent être imputées à
l'inertie subite des ganglions semi-lunaires, ainsi que nous l'ont appris
les recherches de Lobstein, de Brown-Séquard et de Mattei ; enfin la
dyspnée observée chez quelques malades n'a rien qui puisse surprendre,
si l'on ne perd pas de vue les rapports des glandes surrénales et des
ganglions cœliaques avec les nerfs vagues.
On sait que la puissance d'innervation n'est pas illimitée, et que le
sympathique, en dernier ressort, tire son activité de l'appareil cérébro-
spinal ; si donc le sympathique est dans un état permanent d'excitation
anormale, si, par suite, il fait incessamment appel aux sources de son
innervation, ce sont les centres nerveux, en définitive, qui feront les frais
de cette dépense exagérée, et par une compensation fatale résultant de
ce déplacement de forces, les fonctions qu'ils tiennent directement sous
leur dépendance ne pourront être maintenues à leur degré physiologique.
De là cette asthénie générale si caractéristique, qui, en l'absence d'amai-
grissement notable, finit par condamner les malades à Un repos absolu.
Une réserve cependant doit être faite. Les observations sont muettes
quant à l'état de la moelle; c'est une lacune qu'il est indispensable de
faire disparaître ; il se peut que des lésions secondaires se développent
dans cet organe, en particulier dans la substance grise, et que l'asthénie
caractéristique en soit la manifestation directe. En l'état actuel des choses,
les éléments font défaut pour le jugement de cette présomption; mais je
tenais néanmoins à la signaler à l'attention des observateurs. A mon sens,
l'histoire anatomique et pathogénique de la maladie d'Addison ne sera
complète que lorsqu'on aura soumis la moelle à l'analyse microscopique
dans un grand nombre de cas non douteux.
Reste la mélanodermie. J'ai montré plus haut que l'hypersécrétion
pigmentaire ne peut être mise sur le compte d'une altération préalable
du sang, et qu'elle doit être rapportée à cette partie du système nerveux
qui intervient dans les actes sécrétoires; précisant davantage, je dirai
que c'est le système des nerfs sympathiques vaso-moteurs qui est ici en
cause; ils participent nécessairement, eux aussi, à l'excitation qui a son
point de départ dans les glandes surrénales, et son centre d'irradiation
dans les ganglions semi-lunaires, et l'hyperémie pigmentaire, sur la
muqueuse et dans les viscères, est le résultat de cette modalité fonction-
nelle anormale. Je rappelle que, chez quelques malades, on a constaté
un abaissement de la température, fait qui vient à l'appui de mon opi-
nion. Du reste, l'influence des nerfs sur la production du pigment, est
bien connue comme fait général ; Érasmus Wilson et Barlow, ont tous
deux rappelé l'attention sur ce point. Quelques faits tendent même à
prouver que la surexcitation des nerfs périphériques est accompagnée
d'hyperémie pigmentaire, tandis que l'inertie de ces mêmes nerfs a pour
résultat la diminution de cette sécrétion. Ainsi Barlow a observé un homme
BRONZEE (maladie). — pathogénie. 729
qui, après avoir ressenti pendant une année des douleurs prurigineuses
sur la presque totalité de la surface cutanée, devint peu à peu brun comme
un mulâtre. Il ne présentait, du reste, aucun autre symptôme de la
maladie d'Addison. Un peu plus tard une paraplégie vint compliquer son
état et en éclairer l'origine. Dans un autre cas, qui est rapporté dans
les Annales médicales de Vlnde, il s'agit d'une anesthésie persistante de
la cinquième paire; au bout d'un certain temps, le pigment avait disparu
dans toutes les parties innervées par le rameau frontal ; puis la guérison
eut lieu, et la coloration normale reparut peu après la sensibilité.
Je ne sais quel accueil est réservé à l'interprétation pathogénique que
je viens de formuler; je ferai simplement remarquer que, fondée tout
entière sur Panatomie et la physiologie, elle me paraît mieux que toute
autre rendre compte de la totalité des phénomènes. Elle a, en outre,
deux conséquences extrêmement importantes.
Ce n'est pas par elles-mêmes que les lésions des glandes surrénales
donnent lieu aux symptômes de la maladie d'Addison, c'est par l'influence
qu'elles exercent sur le plexus solaire ; on conçoit donc que d'autres
lésions abdominales puissent produire les mêmes phénomènes, du mo-
ment qu'elles auront sur les nerfs et les ganglions cœliaques un effet
analogue ; mais on conçoit aussi que cette condition sera bien plus rare-
ment réalisée, vu qu'aucun organe abdominal ne présente avec le plexus
solaire des connexions aussi intimes et aussi multipliées que les capsules
surrénales.
D'un autre côté, le mode de production que j'ai assigné aux symptômes
montre clairement que la mélanodermie est celui dont l'apparition exige
le plus de temps ; les douleurs, les vomissements, la faiblesse, sont des
phénomènes qui peuvent succéder immédiatement à la perturbation ner-
veuse qui les cause, mais une hypersécrétion suffisante pour altérer la
teinte normale de la peau, ne peut être l'œuvre d'un instant ; aussi con-
çoit-on que des individus, à l'autopsie desquels on trouve des lésions sur-
rénales, aient succombé, après avoir présenté tous les symptômes de la
maladie d'Addison, sauf la mélanodermie. Les observations récentes de
Hulke, Gull et Haldane, le prouvent péremptoirement. Ces deux ordres de
faits, pour lesquels manquait une explication satisfaisante, n'ont plus rien
d'anormal dans la théorie que j'ai exposée; et muni de ces données, nous
pouvons examiner d'un peu plus près les cas réfractaires dont j'ai donné
plus haut les tableaux. Cet examen est le complément logique de cette
étude de pathogénie.
Dans un premier groupe j'ai réuni 17 observations de mélanodermie
sans lésions des capsules surrénales. Or je me suis attaché à le montrer,
la mélanodermie, et surtout la mélanodermie partielle, ne suffit pas pour
constituer le mal d'Addison; il y a d'autres symptômes qui, pour être
moins frappants, ne sont pas moins nécessaires, et si j'examine à ce point
de vue ces 17 observations, je vois que, dans six cas seulement (obs. 2,
6, 7, 12, 14, 15), les malades ont présenté l'ensemble des phénomènes
750 BRONZÉE (maladie): — pathogénie.
caractéristiques. Les autres faits sont donc des exemples de coloration
brune plus ou moins étendue des téguments, ce ne sont pas des exemples
de maladie d'Addison. Malheureusement, dans les six cas qui ne tombent
pas sous le coup de cette objection, il n'y a pas eu d'examen microsco-
pique, de sorte que l'intégrité des capsules peut bien n'avoir été qu'appa-
rente; il est bien certain que dans l'observation 14, due à Pollock, par
exemple, les lésions ne devaient pas être bien considérables, puisque la mé-
lanodermie, les nausées et les vomissements ne se sont montrés que trois
jours avant la mort. Enfin, dans plusieurs des cas où la mélanodermie a
été le seul phénomène, il y avait dans l'abdomen d'autres lésions pouvant
agir indirectement sur le plexus solaire, ainsi que je le disais plus haut.
Cette première série de faits ne prouve donc rien ni contre les 127 obser-
vations positives sur lesquelles est basée notre étude, ni contre la théorie
que j'ai exposée.
Le second groupe comprend 58 faits dans lesquels on a constaté des
lésions des capsules surrénales, chez des individus qui n'avaient pas pré-
senté de mélanodermie. Eh bien, tous ces faits, à l'exception de trois
(obs. 12, 19, 54), présentent une lacune qui en diminue singulièrement
la valeur. Il est bien dit que la mélanodermie a fait défaut, mais il n'est
pas dit si les autres symptômes de la maladie d'Addison ont également man-
qué, et l'absence de ce renseignement important rend le jugement difficile
et l'appréciation douteuse. D'autre part, dans douze cas, une seule capsule
était lésée, et il est permis de croire que l'unité ou la dualité de la lésion
n'est pas indifférente quant aux résultats produits. Puis, dans neuf autres
cas où la mort a été plus ou moins brusque, il est dit expressément que
la lésion capsulaire était de date récente, de sorte que la mélanodermie a
bien pu manquer, ainsi que cela a eu lieu chez les malades des obs. 12,
19 et 54, qui ont présenté, eux, les symptômes du mal surrénal, sauf la
coloration. Notons en passant que dans un de ces cas (obs. 54), le ganglion
semi-lunaire droit et ses rameaux efférents étaient englobés dans la masse
morbide formée par la capsule; à gauche le ganglion était libre, mais ses
rameaux étaient entourés par la tumeur. L'autopsie a été faite par Gull,
en présence de Wilks.
Je ferai remarquer en outre que, dans un grand nombre de cas, la
lésion des capsules était partielle, et que l'insuffisance des détails ne per-
met pas de juger de l'état de la substance médullaire^ On conçoit toute
la gravité de cette lacune.
Enfin, un dernier point me frappe, qui mérite d'être signalé, c'est la
grande fréquence des lésions cancéreuses dans les cas de ce second groupe; sur
58 faits il y en a 21 dans lesquels on a trouvé avec un cancer des capsules
des cancers viscéraux plus ou moins nombreux. Or, en étudiant plus haut
les cas de maladie d'Addison symptomatique, nous avons vu que sur 65,
5 seulement se rapportaient à la diathèse cancéreuse; ainsi, sur 127 ob-
servations positives de maladie bronzée complète avec lésions surrénales,
5 fois seulement le mal a coïncidé avec l'affection cancéreuse, et sur les
58 cas dits négatifs de lésion sans symptômes, 21 appartiennent à cette
BRONZÉE (maladie). — traitement. 731
diathèse. Il y a vraiment lieu de s'arrêter sur cette différence de chiffres,
et l'on peut se demander si la nature de la lésion n'a pas, aussi bien que-
son siège, une influence réelle sur le développement des accidents consti-
tutionnels et cutanés. L'observation ultérieure répondra à cette question,
mais je tenais d'autant plus à la poser qu'elle permet déjuger plus exac-
tement la portée des faits négatifs dont nous venons de nous occuper.
En résumé, les observations complètes et probantes sont aujourd'hui
assez nombreuses pour dissiper tous les doutes sur la réalité de la maladie
d'Addison. Tout imparfait qu'il est, ce nom serait préférable peut-être à
celui de maladie bronzée, qui a l'inconvénient de désigner la maladie par
un symptôme unique, lequel, comme tous les symptômes, peut manquer ;
mais la dénomination de maladie ou d'asthénie surrénale me paraît la meil-
leure, à condition qu'on attache à cette expression l'idée d'une maladie
dépendant d'une perturbation de l'appareil nerveux surrénal et du plexus
solaire. Ainsi précisée, la relation pathogénique est juste, mais elle ne
l'est pas dans les termes d'Addison et des auteurs qui établissent un rap-
port direct et immédiat entre la lésion des glandes surrénales et les phé-
nomènes symptomatiques. Ce rapport est médiat, la lésion de ces organes
n'est pas la seule qui puisse le mettre en jeu, et le foyer de production
des symptômes est, dans tous les cas, le plexus solaire et ses dépendances.
C'est là, du moins, ce que j'espère avoir établi, et ce qui me paraît res-
sortir directement de l'étude des faits. On peut donc assimiler le com-
plexus morbide, maladie surrénale, à une névrose, qui, chez les individus
prédisposés, se développe, suivant un mécanisme, toujours le même, soit
sous l'influence de lésions des glandes surrénales, soit sous l'influence
d'autres lésions abdominales, agissant sur les ganglions semi-lunaires à la
manière des altérations surrénales. Cette névrose peut-elle naître sponta-
nément en l'absence de toute lésion remplissant le rôle de cause excitante,
et par le seul fait d'une excitabilité exagérée du sympathique abdominal ?
La chose est possible, mais elle n'est point démontrée.
Traitement. — Ce paragraphe doit malheureusement être très-court;
ce que nous avons dit du pronostic en fait assez comprendre la raison.
Une médication puissamment reconstituante, telle est l'indication formelle
que fournit l'asthénie, et cette indication sera remplie par les préparations
de fer et de quinquina, auxquelles on joindra quelque vin riche en alcool,
du Banyuls, par exemple. Si la maladie est symptomatique, le traitement
devra être subordonné à celui de l'affection génératrice ; ainsi, chez les
scrofuleux, chez les tuberculeux, on administrera concurremment l'huile
de foie de morue. Lorsque la maladie est primitive, il faut avoir soin de
se renseigner complètement sur les antécédents du patient, car si l'on
découvre chez lui des traces d'intoxication palustre, de syphilis, de
goutte ou de rhumatisme, le quinquina, l'iodure de potassium, les pré-
parations alcalines et arsenicales pourront être utilement adjoints à la
médication tonique. Dans certains cas, les vomissements et les douleurs
gastriques sont tellement prédominants, qu'il faut les combattre directe-
ment; en raison de leur origine, c'est aux révulsifs cutanés et aux moyens
732 BRONZEE (maladie). — bibliographie.
dits antispasmodiques qu'il convient d'avoir recours; je crois qu'on pour-
rait obtenir de bons résultats avec les injections sous-cutanées d'atropine
dans la région épigastrique.
Le bromure de potassium a produit parfois une rémission favorable
dans la marche des accidents, et le bromure d'ammonium, entre les mains
de Gibb, a amené également une amélioration momentanée. Je n'oserais,
pour ma part, insister sur l'emploi de ces agents; leur action hyposthéni-
sante n'est certainement pas limitée à la sphère du sympathique, et je
craindrais qu'elle ne contribuât à augmenter la torpeur des centres ner-
veux. Mais, en raison de la genèse probable des symptômes, on pour-
rait tenter de combattre l'influence du processus local qui y donne
lieu, au moyen de vésicatoires ou de cautères dans la région des glandes
surrénales. Enfin, si cette médication révulsive, qui n'est applicable
que dans les premières phases de la maladie, reste inefficace, si l'asthénie
torpide de la dernière période apparaît, on devra recourir à l'emploi
méthodique de l'électricité, dans le but de réveiller et de soutenir
l'excitabilité défaillante du système nerveux central.
Dans l'index qui suit, je n'ai pas reproduit les indications bibliographiques contenues dans mes
tableaux; mais j'ai consigné les travaux et les mémoires qui ne se bornent pas à la simple re-
lation de quelques faits.
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Jaccoud.
BRUCINE. CHIMIE ET PHARMACOLOGIE. 755
Ititl 4 D \ E. — La brucine est un alcaloïde qui accompagne la stry-
chnine dans la noix vomique, et qui s'en distingue par la coloration
rouge qu'elle acquiert au contact de l'acide nitrique. Son nom lui vient
de ce que l'écorce de la fausse angusture, d'où elle fut d'abord retirée
en 1819, par Pelletier et Caventou, était improprement appelée Brucea
dijsenterica (voy. Angusture fausse, torne II, 512).
Chimie et pharmacologie. — La brucine est une substance blanche,
solide, cristallisable en prismes droits, à base rhomboïdale , qui ren-
ferment 8 équivalents ou 14,45 pour 100 d'eau de cristallisation. Sa for-
mule chimique est C46H2GAz2Os8HO. Obtenue d'une dissolution alcoolique
saturée, elle a la forme d'écaillés nacrées, et présente l'apparence de
l'acide borique. Sa saveur est très-amère ; elle est peu soluble dans l'eau,
quoiqu'elle s'y dissolve mieux que la strychnine. L'alcool la dissout très-
facilement, et la solution dévie à gauche le plan de polarisation de la lu-
mière. Le pouvoir rotatoire de la brucine est exprimé par : [a],. =
— Gl°27. L'éther et les huiles grasses ne la dissolvent pas; elle est peu
soluble dans les huiles volatiles.
Exposée aune température un peu supérieure à celle de l'eau bouillante,
la brucine fond dans son eau de cristallisation, et présente alors l'appa-
rence de la cire en fusion.
L'acide nitrique concentré donne, avec la brucine, une réaction carac-
téristique; même à froid, il la colore immédiatement en rouge foncé, et
si l'on ajoute du protochlorure d'étain au mélange, on voit la coloration
rouge se changer en un beau violet.
Le chlore ne produit aucun effet immédiat sur une solution de bru-
cine ; mais; au bout de quelque temps, il y fait naître une coloration
jaune, qui vire progressivement au rouge. La teinture d'iode, versée dans
une solution alcoolique de brucine , y détermine un précipité orange
à'iodobriitine, combinaison d'iode et de brucine.
Pour obtenir la brucine, on prend les eaux mères de la préparation
de la strychnine, on les évapore en consistance sirupeuse, et on y
ajoute de l'acide sulfurique, de manière à dépasser légèrement le terme
de la saturation. Le mélange, abandonné à lui-même pendant quelques
jours, dépose des cristaux de sulfate de brucine. Ces cristaux sont
redissous dans l'eau bouillante, et la solution, décolorée par le char-
bon animal, abandonne de la brucine à peu près pure par l'action de
l'ammoniaque.
La brucine se combine avec les acides en donnant des sels cristalli-
sables, caractérisés par la coloration rouge qu'ils prennent au contact de
l'acide nitrique. Ces sels sont décomposés, non-seulement par les alcalis
minéraux, mais encore par la morphine et par la strychnine qui en préci-
pitent la brucine. Étendus d'eau et mélangés avec un léger excès d'acide
tartrique, ils ne se troublent pas par l'addition des bicarbonates alcalins.
Thérapeutique. — La brucine agit sur l'économie animale à la manière
de la strychnine, mais avec beaucoup moins d'énergie. C'est précisément
en raison de cette circonstance, que Bricheteau regarde son emploi théra-
736 BïlUCINE. — bibliographie.
peutique comme très-précieux, puisqu'elle peut être maniée plus facile-
ment que la strychnine, et qu'elle est moins sujette à occasionner des
accidents.
C'est surtout dans les diverses espèces de paralysies que Bricheteau a
employé la brucine avec succès. Il cite des cas de paralysie saturnine et de
paralysie datant de plusieurs mois, où l'emploi de la brucine a complè-
tement réussi. Il en a également obtenu de bons effets dans le traitement
des hémiplégies survenues à la suite d'apoplexie; mais il fait remarquer
qu'en pareil cas il est nécessaire d'attendre que six mois se soient écoulés
depuis l'attaque. Toute tentative de guérison avant ce terme est dange-
reuse et peut entraîner des accidents graves, par suite d'une action toxique
de la brucine sur le système cérébro-spinal.
Les premières observations de Bricheteau l'avaient porté à croire qu'on
devait commencer par donner au malade 1, 2 ou 5 centigrammes de bru-
cine, et s'arrêter à 10 centigrammes. Mais depuis, cet habile praticien
s'est assuré qu'on pouvait commencer sans inconvénient par 6 et même
10 centigrammes, et augmenter progressivement de 1 à 2 centigrammes
par jour jusqu'à 50 centigrammes, en suivant, toutefois, avec attention,
les effets du médicament, et en se préparant à réduire la dose, si les
secousses sont trop fortes.
Dans un travail récent adressé à l'Académie de médecine , Lepelletier
a cherché à résumer les effets physiologiques et thérapeutiques de la bru-
cine. Les effets physiologiques, quoique analogues sous certains rapports
à ceux de la strychnine, présenteraient, selon lui, des particularités
dignes d'intérêt. Jamais la brucine ne détermine cette roideur tétanique
que l'on observe si fréquemment après l'emploi de la strychnine, ni les
spasmes produits par le dernier agent dans les muscles élévateurs de la
mâchoire, le pharynx et l'œsophage. Les muscles du pénis sont, au con-
traire, manifestement influencés par la brucine.
Sous le rapport thérapeutique, Lepelletier a cru reconnaître que la
brucine réussit surtout dans la paralysie succédant à une myélite arrêtée
dans sa marche, ou à une simple congestion de la moelle. C'est sous
forme pilulaire qu'on doit l'administrer, afin de déguiser son amertume.
On la donne d'abord à la dose de 2 centigrammes ; le lendemain, on la
porte à 4 centigrammes, et on augmente ainsi progressivement en propor-
tionnant les doses aux effets produits. On peut, suivant Lepelletier, arriver
jusqu'à 75 et même 90 centigrammes, sans crainte de voir survenir
d'accidents.
Bricheteau, Emploi de la brucine dans les paralysies (Gazette des hôpitaux, janvier 1845; Bull,
de thérapeutique, t. XXVIII, p. 157). — De l'emploi de la brucine dans le traitement de la
paralysie (Bull, de thérapeutique, 184G, t. XXX, p. 65). — Paraplégie datant de plusieurs
mois; emploi de la brucine à haute dose (Bull, de thérapeutique , Paris, 1848, t. XXXIV.
p. 559). — Bons effets de la brucine dans la paralysie saturnine (Bull, de thérapeutique, 1850,
t. XXXIX, p. 524).
Lepelletier, Sur les effets physiologiques et thérapeutiques de la brucine (Bull, de thérapeutique.
1851, t. XL, p. 154).
II. BuiGNET.
BRULURE. 737
BRULURE. — On doit donner le nom de brûlure à l'inflammation
et à la désorganisation que produit sur les tissus vivants l'action intense ou
prolongée du calorique. Cette action d'un corps chargé de calorique sur
nos tissus s'exerce à distance ou au contact ; de là deux variétés des brû-
ures, brûlure par rayonnement, brûlure au contact. L'effet de la brûlure
à distance ou par rayonnement varie avec la chaleur du foyer et la pro-
longation de son action. La distance peut être énorme puisque les rayons
solaires la produisent ; ils donnent lieu au coup de soleil le plus souvent
simple érythème, mais par exception accompagné d'une vive inflam-
mation et même parfois de gangrène (Dupuytren), un foyer ardent à pe-
tite distance agit de la même manière : la vive irritation qu'il cause sur
une partie découverte est utilisée dans la thérapeutique chirurgicale ; la
peau devient rapidement rouge et cuisante, cette irritation n'est alors
que temporaire, mais on observe souvent chez les femmes qui font usage
de chaufferettes, et les vieillards, qui restent pendant des heures au coin
du feu sans garantir leurs jambes, un autre effet de l'action modérée, et à
la fois prolongée et répétée du calorique à distance, la peau des parties
exposées soit à nu, soit même revêtues; se couvre de plaques brunes,
violacées, marbrées, irrégulières, qui ne disparaissent plus, et quelquefois
d'ulcérations rebelles.
La brûlure au contact est produite dans des circonstances si variées
qu'il est nécessaire d'entrer dans quelques détails sur les diverses con-
ditions des corps, qui transmettent par contact le calorique à nos tissus.
Ils sont solides, liquides, ou gazeux.
Les solides produisent des brûlures d'autant plus profondes qu'ils ont
plus de capacité pour le calorique, et que leur application a plus de du-
rée. Leur faculté conductrice joue un grand rôle; aussi les métaux en
ignition sont de tous les solides, ceux qui produisent les brûlures les
plus profondes dans le plus court espace de temps. La rapidité de leur
action est prodigieuse quand ils sont en fusion, Bégin a rapporté l'his-
toire d'un jeune homme, qui ayant posé par mégarde le pied dans une
rigole où le métal en fusion allait couler, fut atteint par le flot delà fonte,
et n'en retira qu'un membre privé du pied et de la partie inférieure de
la jambe. Les verriers, les forgerons, sont exposés aux brûlures causées
par les solides en ignition. Parmi ces solides, il en est qui fondent en brû-
lant, et s'attachent aux tissus qu'ils consument, tels sont le phosphore,
le soufre, les résines ; leur effet se rapproche de ceux de la flamme, qui
résulte de la combustion des gaz, du bois, des vêtements. Or la flamme,
dont l'intensité peut varier suivant les corps, qui la fournissent, a pour
caractère de s'attacher aux tissus, qu'elle embrasse, et suivant Dupuytren,
de les entraîner à partager le mouvement de combustion, dont elle est
animée; elle dessèche et racornit les téguments, les fait éclater, et arrive
aux couches graisseuses, qui bientôt bouillonnent en quelque sorte, et
produisent une flamme nouvelle, dont l'effet s'ajoute à la première et
étend ses ravages ; aussi les brûlures produites par la flamme des vête-
ments sont-elles aussi profondes qu'étendues en surface.
NOi:V. DICT. WÉD. ET CHIP. V. 47
758 BRULURE.
La conflagration des gaz donne lien à des brûlures remarquables par
leur rapidité et leur étendue en surface : l'alcool, l'éther, la térébenthine^
la benzine, le gaz des latrines, l'huile de pétrole enflammée par impru-
dence offrent fréquemment l'occasion d'observer cette variété de brûlure.
La poudre à canon produit un effet semblable, et par le fait de l'explo-
sion introduit dans les téguments une plus ou moins grande quantité de
grains de poudre et de poussière de charbon; comme je l'ai dit plus haut,
c'est plus encore par leur étendue en surface que par leur profondeur
que les brûlures causées par les gaz enflammés sont dangereuses. Les
gaz en s'enflammant font une explosion soudaine accompagnée d'un dé-
gagement de calorique instantané, qui agit largement, mais dont l'effet
se dissipe promptement. On peut en dire autant de la vapeur d'eau lors
de l'explosion des machines à vapeur; cependant si le jet de la vapeur
continue pendant quelques minutes sur les mêmes parties, les brûlures
sont très-profondes ; les tissus brûlés, imbibés d'eau bouillante, sont ra-
pidement cuits et se détachent à une traction modérée ; leur résistance
n'est pas supérieure à celle des aliments que, dans l'art culinaire, on dit
cuits au court bouillon. Lors de l'horrible accident du chemin de fer de
Versailles en 1842, qui coûta la vie à Dumont Durville, le cadavre d'une
jeune femme fut tellement cuit par la vapeur d'eau, que l'un de ses pieds
resta dans la main d'un homme chargé d'extraire des wagons les corps
des brûlés. 11 n'avait fallu que quelques minutes pour produire un pareil
degré de ramollissement des tissus trempés par la vapeur.
Aucun récit ne peut donner une idée plus juste et plus terrible des
effets de la vapeur de l'eau bouillante que la relation consignée dans le
Traité de chirurgie navale de Saurel (1861) de l'explosion de la chau-
dière du yacht royal le Comte d'Euj Je 2 août 1847, et de celle de la
chaudière du Roland, le 24 septembre 1858.
On y constate à la fois la brûlure et pour ainsi dire la coction des tégu-
ments extérieurs et intérieurs, car, dans Tévaporation, la vapeur a péné-
tré profondément dans le pharynx, le larynx, la trachée et les bronches,
en arrêtant toutefois son action en deçà des dernières ramifications bron-
chiques, ce qui a été démontré par l'autopsie des cadavres, et qui s'ex-
plique, ce me semble, plutôt par la moindre étendue de l'inspiration dans
la vapeur que par l'épuisement de son action pendant son trajet dans les
voies aériennes, ainsi que cela a été avancé. Il suffira de citer les lésions
observées après quelques minutes de l'immersion des malheureux blessés
dans la vapeur pour avoir une idée de la rapidité et de la profondeur de
son action. Trois cadavres et seize blessés sont retirés de la chambre des
machines et portés sur le pont du yacht le Comte d'Eu. A la place où le
cadavre d'un des chauffeurs a été relevé du parquet de la machine, se
trouve un vaste lambeau représentant la surface de toute la partie pos-
térieure du corps de cet homme, qui était nu au moment de l'accident.
En déshabillant les brûlés, on entraîne avec leurs vêtements des portions
de peau et il apparaît de vastes surfaces dénudées... Plusieurs de ces
malheureux sont entièrement dépouillés d'épiderme, les ongles des pieds
BRULURE. 739
et des mains pendent à l'extrémité des lambeaux ; en quelques heures,
six des blessés succombent, deux dans le coma, deux autres à la douleur
et dans un délire furieux, deux enfin en présentant des accidents compa-
rés par le narrateur aux accès d'une véritable laryngite diphthéritique,
tous avaient respiré la vapeur et se plaignaient à des degrés différents
d'une ardeur insupportable au larynx et de suffocation, plusieurs étaient
pris de toux convulsive; l'un deux, matelot-chauffeur, en proie à d'af-
freux accès de suffocation, mourut au bout de quelques heures dans
une véritable asphyxie, au milieu d'une lutte effrayante; un autre, au bout
de cinq mois et après une toux continuelle, succomba à la phthisie pul-
monaire; enfin un contre-maître, qui survécut, toussa continuellement
depuis cette époque et présentait dix ans après une laryngo-bronchite
chronique.
Des phénomènes analogues à peu près identiques sont observés à la suite
de l'explosion de la chaudière du Roland, le 2i septembre 1858. « La
peau de la face était chez presque tous, blanche, sans ressort, comme
bouillie... Chez quelques-uns, la brûlure était générale, toute la peau
humide et grisâtre perdait son épiderme comme un cadavre de plusieurs
semaines, les ongles pendaient au bout des doigts avec l'épiderme déta-
ché en gantelets. Ceux dont les voies aériennes étaient profondément
atteintes avaient la voix rauque et entrecoupée, faisaient entendre de
sourds gémissements, ils rendaient avec effort l'épiderme de la langue,
des parois de la bouche et même de l'épiglotte ; on voyait au fond du
gosier l'épithélium roulé en faisceaux blanchâtres, etc., etc. »
Une autopsie faite pour constater l'état des voies aériennes et de la
partie supérieure du tube digestif, donna les résultats suivants : la mu-
queuse des lèvres est pâle, comme macérée, il est très-facile de la déta-
cher des tissus sous-muqueux et glanduleux. La langue, complètement
dépouillée, est rouge et saignante; on distingue assez facilement la direc-
tion des fibres du génio-glosse mis à nu. La voûte palatine et le voile du
palais sont également privés de muqueuse. Celle du pharynx est ré-
duite en une espèce de pulpe blanchâtre mêlée à du mucus gluant; la
muqueuse de l'épiglotte, boursoufflée, surtout vers sa surface supérieure,
semble avoir disparu sur les bords de ce fibro-cartilage.
La cavité du larynx est rouge-brun... La muqueuse se détache avec
la plus grande facilité, même au simple contact du doigt. Mêmes désor-
dres dans la trachée et les bronches, mais à un moindre degré ; la surface
extérieure des poumons est d'une teinte générale lie de vin, leur paren-
chyme coloré comme la rate est gorgé de sang noir; cependant ils surna-
gent, et la pression en exprime un mucus spumeux.
L'incendie du bagne flottant le Santi-Petri, dans la nuit du 5 au 6
janvier 1862, a fourni l'observation de lésions des voies respiratoires
produites dans des conditions un peu différentes. L'atmosphère dans
laquelle les victimes ont été plongées, était une forte fumée entraînant des
matières en ignition; le nez, la bouche, le larynx, la trachée ont été en
contact avec un air très-chaud chargé de poussières de charbon bru-
740 BRULURE.
lantes. Sur les quarante-deux forçats entrés à l'hôpital et sur lesquels
cinq sont morts, on a observé la rhinite, la stomatite et la pharyngite, la
larvngo-bronchite et la pneumonie; à l'autopsie, on ne trouve pas le
ramollissement de la muqueuse comme sur les victimes de l'explosion
du Roland; ce sont des brûlures par places, des érosions, des ulcérations
disséminées sur une rougeur érythémateuse. Elles sont l'effet du contact
des parcelles charbonneuses, et c'est à ces brûlures qu'ont été attribués
les symptômes d'asphyxie, à des degrés divers, constatés sur les quinze
malades reçus à l'hôpital le premier jour, la toux suffocante, la dyspnée,
la teinte violacée de la face et enfin les bronchites et pneumonies aux-
quelles quelques-uns ont succombé, accidents qui se sont présentés soit
d'emblée soit consécutivement. La peau n'a été le siège que d'une éry-
thème analogue à l'effet de l'insolation et encore tous les malades n'en
ont-ils pas offert l'exemple.
Les liquides bouillants dans lesquels une partie plus ou moins grande
du corps est plongé quelques instants, et qui imbibent les vêtements, pro-
duisent aussi des brûlures très-étendues ; en général, les brûlures ne pé-
nètrent pas au delà des couches superficielles de la peau. Pour apprécier
leur profondeur probable, il ne faut pas seulement tenir compte de la du-
rée de l'immersion, mais encore delà nature du liquide et de sa capacité
pour le calorique. Ceux qui sont épais et visqueux, comme le sucre fondu,
les huiles, les graisses ; ceux qui, comme les solutions salines, demandent
pour leur ébullition une grande quantité de calorique, enfin les caus-
tiques liquides comme l'acide sulfurique, etc., causent de vastes et pro-
fondes brûlures, tous parce que, en raison de leur fluidité, ils s'étalent sur
une large surface, quelques-uns parce que, en vertu de leur viscosité, ils
s'attachent et adhèrent aux tissus, les autres enfin par leurs qualités caus-
tiques. Ph. Bevan a signalé, en 1860, un genre de brûlures internes, ob-
servées chez les enfants auxquels on ingère, à l'aide des longs tuyaux mé-
talliques des biberons, des liquides trop chauds. Ces enfants succombent
à ces lésions, quelquefois sans qu'on ait soupçonné la cause de leur mort.
Nous aurons à revenir, en étudiant l'anatomie pathologique des brûlures,
sur certaines particularités relatives à celles des membranes muqueuses.
Enfin la foudre produit des brûlures à divers degrés sur les tissus vi-
vants que l'on ne peut certes attribuer à la durée de son application,
mais à l'intensité du calorique qu'elle contient.
Quant à la cautérisation par les cautères potentiels, malgré une no-
table analogie d'action, elle diffère cependant essentiellement de la brû-
lure par cela seul qu'elle n'est pas le produit du calorique, et que ces
agents détruisent la texture des organes en se combinant avec leurs élé-
ments chimiques, de telle sorte qu'ils y éteignent la vie; elle produit né-
cessairement des escarrhes.
Certaines circonstances favorisent, ou au contraire modèrent l'effet du
calorique. Une peau fine et délicate est plus rapidement brûlée, tout le
monde sait par contre que les forgerons ont l'épiderme de la paume des
mains tellement épais qu'ils peuvent impunément saisir le bout des
BRULURE. — division des brûlures suivant leur profondeur. 741
barres de fer dont l'autre extrémité est rougie au feu. Des vêtements lé-
gers, de gaze par exemple, non-seulement sont attirés vers le foyer d'une
cheminée ou d'une rampe de théâtre par le courant d'air qui s'établit vers
le foyer, mais ils brûlent avec flamme, et une rapidité, qui quelquefois
permet de les éteindre, mais qui répand cette flamme sur de larges sur-
faces, comme je l'ai déjà dit plus haut. Les vêtements ont aussi pour effet
fâcheux de s'imbiber des liquides bouillants et de prolonger la durée de
leur application, par conséquent de rendre leur action plus profonde.
L'hiver multiplie les occasions de brûlures; non-seulement les foyers
sont plus nombreux, mais le froid conduit beaucoup d'individus à user
de liqueurs alcooliques, qui les portent au sommeil auprès des poêles, des
chaufferettes, des réchauds. L'asphyxie, volontaire causée par l'acide car-
bonique n'aboutit quelquefois qu'à produire de profondes et larges brû-
lures, qui causent une mort plus cruelle et plus sûre que le charbon :
même chose arrive aux épileptiques qui tombent sur un foyer et dont les
vêtements prennent feu.
ni vision des brûlures suivant leur profondeur. — C'est
à Fabrice de Hilden qu'appartient la première étude méthodique de
la brûlure. Il signale dans le titre de son traité sur ce genre de lé-
sions la brûlure par la foudre. « De ambustionibus quse oleo et aquà fer-
vidis, ferro candente, pulvere tormentario, fulmine et quâvis alia materia
ignita fiunt. » Il admet trois degrés : le premier comprend la rougeur
de la peau et la formation des phlyctènes ; dans le second, les phlyc-
tènes sont immédiates, et de plus la peau est contractée et épaissie, enfin
dans le troisième, les phlyctènes sont rompues; au-dessous d'elles, la
peau est noire, et des plaies avec suppuration succèdent à la chute des
escarrhes.
Heister reconnaissait quatre degrés de brûlure ; dans les deux pre-
miers, inflammation plus ou moins vive de la peau ; dans le troisième, la
peau, la graisse et la chair même sont réduites instantanément en
croules ; enfin, dans le quatrième la chaleur est telle que toutes les par-
ties sont détruites jusqu'aux os. Boyer n'a, comme Fabrice de Hilden, ad-
mis que trois degrés, mais il les a mieux délimités. Le premier degré est
une inflammation de la peau, qui tient du caractère de l'érysipèle; le se-
cond présente des phlyctènes suivies, d'un ulcère superficiel comme les
vésicatoires ; dans le troisième il y a désorganisation, production d'es-
carrhe, qu'environne plus tard un cercle inflammatoire, véritable travail
d'élimination. On voit que ces divers essais de classification sont tous
fondés sur la profondeur de la brûlure et la variété des lésions produites
sur les tissus en rapport avec cette profondeur.
La classification de Dupuytren, aujourd'hui généralement adoptée, n'est
qu'un perfectionnement des divisions précédentes : on y retrouve l'éry-
thèine, la vésication et rescarrhification des degrés adoptés par Boyer.
Le quatrième degré de Heister est reproduit mot pour mot dans les cin-
quième et sixième degrés de Dupuytren. Mais il faut reconnaître que cet
éminent chirurgien, en analysant avec plus de détails les lésions de ï'enve-
742 BRULURE. — division des brûlures suivant leur profondeur.
loppe tégumentairc externe, est arrivé à une description plus exacte et
plus méthodique des brûlures qu'on observe d'ordinaire au lit du malade,
et des accidents qui se manifestent le plus souvent en rapport avec la
profondeur de l'altération de la peau. Il a établi six degrés de la brûlure.
Le premier degré est, en général, produit dans la brûlure à distance,
ou par l'application instantanée de vapeurs brûlantes ou l'immersion dans
un liquide au-dessous de cent degrés. Il est caractérisé par une sensation
de chaleur cuisante, qui persiste après la cessation de la cause, une rou-
geur érysipélateuse plus ou moins foncée, qui dure avec la cuisson quelques
heures, quelquefois un petit nombre de jours, et qui est suivie d'une légère
dcsquammation de l'épiderme, qui se fendille et se détache par écailles.
C'est ce degré de brûlure souvent répété, et devenu, pour ainsi dire, ha-
bituel à certaines parties du corps, qui cause des taches brunes et mar-
brées dues au développement du réseau vasculaire sous-épidermique et
à peu près indélébiles.
Le second degré reconnaît une cause plus énergique ou plus prolongée.
C'est la flamme d'un corps en ignition, d'un gaz, le contact de l'eau
bouillante, d'un corps métallique non rougi, mais déjà fort chaud, comme
un tuyau de poêle.
Le caractère de ce degré est la formation immédiate ou du moins ra-
pide de phlyctènes, remplies de sérosité claire, jaunâtre et limpide; une
douleur vive, acre, brûlante, se fait sentir ; elle devient tensive après la
formation des phlytènes. Celles-ci se déchirent ou sont percées, la sérosité
s'écoule, puis se reproduit pour s'écouler encore, sa quantité diminue, sa
sécrétion se tarit, l'épiderme soulevé se dessèche, et bientôt tombe par
lambeaux et laisse voir au-dessous de lui un épiderme de nouvelle for-
mation, qui protège le corps muqueux mis à nu par la brûlure.
Si l'épiderme a été détaché du corps muqueux, déchiré, et n'a pas
formé d'ampoules, les douleurs sont des plus vives, et une légère suppu-
ration de la surface dénudée est inévitable, mais elle n'est pas de longue
durée, et bientôt le derme cesse de suinter, et il he reste plus qu'une
rougeur, qui disparaît et ne laisse aucune trace.
Le troisième degré est caractérisé par une escarrhe superficielle du
derme. Il est dû à l'action un peu plus prolongée des causes du deuxième
degré ou par l'action des corps gras, résineux, qui adhèrent à la peau;
à celles du phosphore ou du cautère transcurrent. La brûlure, dans ce de-
gré, se présente sous deux aspects : tantôt, comme dans le cas précédent,
ce sont des phlyctènes, seulement la sérosité qui les remplit, au lieu
d'être citrine et limpide, est trouble, sanguinolente, violacée, roussàtre;
si l'épiderme a été déchiré, le derme dénudé laisse voir immédiatement
ou à l'époque du travail inflammatoire des plaques insensibles, grisâtres,
blanchâtres, encore adhérentes, ou molles et moljiles ; tantôt (et c'est l'effet
du cautère transcurrent, du moxa, qui brûle vite comme celui qui est im-
prégné de nitrate de potasse, enfin de la déflagration de la poudre de
guerre) la brûlure a opéré si rapidement la dessiccation du tissu touché, que
l'épiderme, desséché lui-même, est resté combiné avec le corps papillaire,
BRULURE. — division des brûlures suivant leur profondeur. 743
converti en escarrhes souples, jaunâtres. Quelle que soit la première forme
de la brûlure, au bout de peu de jours, les douleurs, d'abord très-vives,
mais qui s'étaient calmées après la première ou la seconde journée, se ra-
niment en même temps que l'inflammation éliminatoire se développe;
les escarrhes se détachent peu à peu et tombent par fragments; à leur
chute, succède une plaie inégale baignée d'une suppuration abondante,
et dont la base est formée des couches du derme, qui ont résisté à l'action
du calorique. Après avoir fourni une quantité de pus souvent considérable,
la plaie se dessèche, et laisse après elle une cicatrice d'un blanc mat,
ordinairement d'inégale épaisseur, qui restera toujours apparente, mais
sans être bridée, comme celle qui suit les brûlures du quatrième degré.
Le quatrième degré est signalé par la destruction de toute l'épaisseur
de la peau. Le corps en ignition est resté appliqué sur la partie plus ou
moins longtemps, ou bien c'est la flamme des vêtements, comme cela se voit
chez des individus retirés du milieu de l'incendie. La douleur a d'abord
été violente, mais elle a cessé dès que la cause a cessé elle-même. La peau
brûlée est devenue sèche, insensible au toucher, jaunâtre, brune ou noi-
râtre, assez semblable aux plaques desséchées qu'on voit sur la peau d'un
cadavre dans les places dépouillées d'épiderme. Souvent on y reconnaît de
petites veinules ou artérioles dans lesquelles le sang est coagulé, ce qui
indique qu'une couche du tissu cellulaire sous-cutané a été aussi morti-
fiée et comprise dans l'escarrhe. Celle-ci donne à la percussion le son du
cuir tanné, ou même du bois. La peau saine qui l'environne est froncée,
et forme des plis rayonnes, qui prouvent la désorganisation de toute l'épais-
seur de la peau, et marquent le degré de racornissement qu'elle a subi.
Autour de l'escarrhe, Christison a bien décrit une zone rouge, large de
6 à 12 millimètres, séparée du point brûlé par un espace d'un blanc mat,
bornée de ce côté par une ligne de démarcation bien nette, et de l'autre
côté se fondant insensiblement dans une rougeur générale et graduelle-
ment décroissante.
Au bout de quelques jours, un cercle inflammatoire commence autour
de l'escarrhe, dont l'élimination aura lieu du quinzième au vingtième
jour. Des douleurs, qu'on pourrait appeler phlegmoneuses, accompagnent
ce travail, et dès son début ou peut constater qu'il n'a point lieu seule-
ment autour de l'escarrhe, mais sous elle; en effet, si on la comprime, on
cause au malade des douleurs, qui sont dues à l'irritation déjà produite
des parties sous-jacentes. Ce phénomène est beaucoup plus marqué dans
le quatrième degré que dans le troisième, et on le retrouve encore, quoi-
que plus tard et plus profondément, dans le cinquième degré.
Au cercle rouge qui cerne les escarrhes, succède un sillon entre elles
et les parties vivantes, une abondante suppuration est sécrétée autour et
au-dessous des tissus désorganisés peu à peu détachés; après leur chute,
un travail de réparation commence, les bourgeons charnus végètent avec
vigueur, et la perte de substance se comble en même temps par la con-
traction de la .membrane des granulations, qui rapproche la circonférence
de la plaie de son centre avec une énergie qu'aucun autre genre de plaie
744 BRULURE. — diagnostic.
ne surpasse et même ne présente au même degré. La cicatrice une fois
formée, le tissu modulaire qui la constitue continue ce rapprochement
des bords vers le centre; de là ces saillies et cet aspect chagriné des cica-
trices de certaines brûlures, ces brides saillantes dont leur surface est
parsemée, les tiraillements des parties environnantes mobiles, les adhé-
rences et les rétractions des membres, les oblitérations ou le renverse-
ment des orifices naturels, etc.
Dans le cinquième degré, l'escarrhe comprend les aponévroses, les
muscles, leurs tendons, les vaisseaux et les nerfs jusqu'aux os; elle met
beaucoup plus de temps à se détacher, et au moment de sa séparation
surviennent quelquefois des hémorrhagies, qui prouvent que les vaisseaux
ont en quelques points résisté à l'action du feu. La cicatrice qui ne se
forme qu'après un long travail de suppuration est enfoncée, informe,
adhérente, et entraîne des pertes de mouvements aussi étendues qu'irré-
médiables.
Le sixième degré ne diffère du précédent que parce que toute l'épais-
seur des membres est envahie, y compris les os. Malgré sa profondeur,
il est quelquefois produit avec une rapidité extrême, ainsi que le prouve
l'observation de Bégin, citée plus haut. Au tronc, ce serait la mort pres-
que immédiate, aux membres, c'est une indication formelle d'amputation
primitive, quand elle est possible.
Diagnostic. — Les descriptions précédentes rendent, en général, le
diagnostic très-facile, et il semblerait même qu'il est impossible d'hésiter
sur le degré de la brûlure qu'on a sous les yeux; cependant, il n'est pas
toujours aisé de déterminer à l'avance quels seront les changements d'as-
pect et de profondeur qu'amènera l'inflammation ; telle partie rubéfiée
passera promptement à la vésication ; la gangrène parviendra dans une
autre, qui ne paraissait pas devoir être atteinte aussi profondément; telle
est l'origine de la croyance populaire que les brûlures font des progrès,
jusqu'au neuvième jour, époque à laquelle, en effet, l'inflammation a
atteint son plus haut degré d'intensité, et a opéré les modifications qui
peuvent justement lui être attribuées. Suivant Dupuytren, il faut toujours
considérer une partie mortifiée par le feu comme reposant sur une couche
de parties qui passeront à la gangrène par l'effet de l'inflammation ; il
en est de même des tissus situés à sa circonférence. L'escarrhe détachée
est toujours plus grande qu'elle ne paraissait au moment de la brûlure.
L'incertitude que l'on peut éprouver touchant la profondeur de l'escarrhe
est particulièrement intéressante quand la brûlure occupe les tissus péri-
articulaires. L'articulation à la chute de la partie morte sera-t-elle ou
non ouverte? Il faut observer une sage réserve, car l'irritation de voisi-
nage, qui peut donner lieu à un éjianchement articulaire, n'est pas tou-
jours une preuve de la pénétration, et ce n'est souvent qu'à la séparation
de Fescarrhe que l'ouverture de l'article donne lieu à des accidents graves,
qui, du reste, même quand il s'agit d'une grande articulation, comme le
genou, ne se manifestent pas toujours. J'en ai en ce moment un exemple
sous les yeux.
BRULURE. PHÉNOMÈNES GÉNÉRAUX. 745
Dans les premiers degrés, la connaissance de la cause est quelquefois
indispensable pour le diagnostic. Il peut se rencontrer telle circonstance
où cette cause soit dissimulée par le malade, ou cachée au chirurgien par
d'autres personnes. Il est exposé à confondre alors le premier degré avec
l'érysipèle ou l'érythème, qui vient de l'application d'un sinapisme, le
deuxième degré avec l'effet des substances vésicantes, l'escarrhe de la
brûlure avec celle de la contusion au troisième et quatrième degrés, car
la contusion est susceptible de divisions analogues à celles de la brûlure,
suivant la profondeur de l'altération des téguments.
Mais, somme toute, les circonstances dans lesquelles le chirurgien
ignore le fait de la brûlure, quand il existe, sont si rares, qu'on ne voit
guère de méprise de ce genre ; c'est au médecin légiste de déterminer si
la brûlure a été produite sur un individu décédé, avant ou après la mort.
En ce dernier cas, ni la zone rouge à la circonférence de l'escarrhe, ni les
phlyctènes n'existent. Sont-elles constantes, d'autre part, quand la mort
a suivi de près la brûlure? Renvoyons la solution de cette question aux
articles de médecine légale. (Voyez Plaies, médecine légale.)
Phénomènes généraux. — Quand la brûlure est très-peu éten-
due, quel que soit son degré, la maladie peut être regardée comme locale,
et ses suites n'ont d'importance que par rapport à l'organe affecté.
Les trois premiers degrés ne donnent alors lieu à aucune réaction,
mais déjà le quatrième degré, si la surface brûlée atteint un pouce et
demi à deux pouces carrés, exige un travail d'élimination, qui pourra
causer de la fièvre. Le cinquième et le sixième degrés, s'ils pouvaient se
rencontrer circonscrits dans la surface d'un moxa, comme on le conçoit
à la rigueur par l'introduction à travers un membre d'une barre de fer
rougie à blanc, seraient graves par les accidents phlegmoneux et la des-
truction de muscles ou de tout autre organe important, tels que les vais-
seaux et les nerfs.
Lorsque la brûlure est étendue, tous les degrés sont graves; le pre-
mier degré lui-même est accompagné de douleurs si vives, qu'il peut
causer la mort en quelques instants; mais les premières vingt-quatre
heures passées, et surtout les deux premiers jours, ainsi que Ta remarqué
Dupuytren, tout le danger cesse, parce qu'alors la résolution de la rubé-
faction commence à s'opérer.
La brûlure, au second degré, est beaucoup plus grave, surtout quand
les phlyctènes ont été déchirées. Plusieurs individus, et notamment des
femmes recueillies à l'hôpital Necker, à la suite de l'accident du chemin de
fer de Versailles, déjà signalé plus haut, avaient rapidement succombé à
des brûlures du second degré, étendues à presque toute la surface du
Corps. J'ai vu, entre autres, le cadavre d'une jeune modiste de Rouen,
venue à Paris en partie de plaisir, et qui trouva cette horrible mort sans
avoir du reste subi aucune autre lésion ; mais si, par un traitement quel-
conque, la période de la dessiccation commence, les accidents se dissipent
et la guérison est prompte.
Le troisième degré expose les blessés à tous les dangers des deux pre
746 BRULURE. — aNatomïe pathologique.
miers, et de plus à la série d'accidents qui viennent de l'inflammation
éliminatoire ; la lièvre, les vomissements, la constipation et la douleur con-
tinue et sans cesse exaspérée par l'élimination successive des escarrhes;
l'insomnie, les convulsions, et parfois le tétanos, en sont le résultat.
Les trois derniers degrés donnent lieu à des accidents d'un autre genre.
Ainsi que je l'ai dit plus haut, l'irritation et la douleur primitives ne
durent que le temps de l'application de la cause; elles peuvent amener la
mort du malade presque immédiatement, mais la cause enlevée, la dou-
leur et l'irritation cessent. Ce n'est plus alors à ces accidents que la mort
est due dans les premières vingt-quatre heures ; souvent les malades
restent plongés dans la stupeur, ils sont envahis par un froid glacial et
s'éteignent après vingt-quatre ou quarante-huit heures au plus ; chez
d'autres, avec une brûlure moins profonde et d'une moindre surface, la
vie se soutient, mais du cinquième au neuvième jour, le travail élimina-
toire les enlève à son début ; d'autres encore ont résisté, mais ils suc-
combent à l'abondance de la suppuration, aux complications qui sur-
viennent, à un phlegmon diffus qui s'étend au delà des escarrhes dans les
parties voisines, à une hémorrhagie au moment de leur chute, à la lièvre
purulente, aux abcès métastatiques, à Férysipèle, à la pourriture d'hô-
pital, aux congestions des organes internes du thorax ou de l'abdomen, que
je vais signaler en faisant l'anatomie pathologique des brûlures, à l'épui-
sement qui résulte de l'impossibilité de fournir la sécrétion du pus pen-
dant des semaines et des mois, et quelquefois enfin, chose remarquable,
à la cessation de cette sécrétion, quand de larges plaies ont fini par se
cicatriser, la sécrétion du pus devenue habituelle étant remplacée par
des épanchements séreux considérables dans les grandes cavités.
Dupuytren avait désigné quatre époques différentes dans lesquelles, à la
suite des brûlures étendues, la vie des malades est successivement mena cée :
période d'irritation, période d'inflammation, période de suppuration, et
période d'épuisement. Ses remarques sont admirablement justifiées dans la
pratique, et n'ont pas moins de valeur, à nos yeux, que sa classification de
la brûlure en six deurés.
ANATOMIE PATHOLOGIQUE.
Les autopsies cadavériques ont démontré chez les malheureux qui suc-
combent peu d'instants ou d'heures après la brûlure, l'existence de con-
gestions sanguines viscérales multiples. Dupuytren, en résumant les
altérations cadavériques, attribuait la plupart des phénomènes morbides
observés pendant la vie, tels que la fièvre, les vomissements, la consti-
pation, les convulsions, la fièvre hectique, plus tard la diarrhée, etc., à
l'irritation gastro-intestinale dont les traces offrent des différences suivant
l'époque de la maladie. Après la mort presque immédiate dans les flam-
mes, afflux considérable vers la membrane muqueuse, qui est injectée et
gorgée de sang, hémorrhagie par exhalation a sa surface, altérations sem-
blables de la membrane muqueuse des bronches, enfin sérosité sanguino-
lente dans l'arachnoïde, les plèvres, le péricarde, b péritoine et toutes
BRULURE. ANATOMIE PATHOLOGIQUE. 747
ces séreuses à la fois. Après quelques jours de survivance, l'ouverture du
corps fait reconnaître, disait-il, la gastro-entérite la mieux caractérisée,
et enfin si le sujet n'a succombé que beaucoup plus tard, le tube intes-
tinal est généralement décoloré, et on n'y trouve plus que quelques
plaques d'un rouge plus ou moins vif, avec ou sans ulcération, engorge-
ment des ganglions lymphatiques du mésentère, etc., Dupuytren attribuait
ce retentissement des brûlures à une irritation sympathique, ce qui ne veut
pas dire, comme on l'a pensé, à l'effet de la douleur. Follin admet que ces
congestions internes viennent plutôt d'un arrêt subit de la circulation dans
les vaisseaux superficiels, mais cette explication ne pourrait convenir, ce
me semble, qu'aux brûlures profondes des quatrième et cinquième degrés,
tout au plus dans certains cas du troisième, car pour le premier et le
deuxième degrés anatomiques, qui peuvent être aussi suivis de congestions
sanguines internes mortelles, elle me paraît inadmissible. Les recherches
ont un peu modifié les assertions de Dupuytren ; son idée favorite delà gas-
tro-entérite était en partie une adhésion trop absolue aux opinions de l'école
de Broussais. En effet, on constate plus souvent des congestions vasculaires
dans le cerveau, la protubérance annulaire, les viscères thoraciques;
celle des viscères abdominaux est moins fréquente; on a noté, comme je
l'ai déjà exposé plus haut, de profondes altérations des membranes mu-
queuses du pharynx et du larynx par inspiration d'air chaud, de la va-
peur d'eau, et peut-être même de la flamme. 11 en résulte de l'œdème du
tissu sous-muqueux, de la dysphagie, et pour le larynx une dypsnée la-
ryngienne, du spasme de la glotte. (Follin.)
Si le malade survit du deuxième jour au quinzième, on voit encore le
cerveau congestionné, de la sérosité abondante dans les ventricules, un
état congestif phlegmoneux du poumon. Les lésions intestinales sont fré-
quentes; la muqueuse intestinale est enflammée, épaissie. Les recher-
ches de Long, de Curling et surtout d'Erichsen ont établi que c'est surtout
vers le duodénum qu'on observe une congestion avec hyperthrophie glan-
dulaire de la muqueuse, et qu'on voit plus tard des ulcérations. Cette
ulcération du duodénum a été reconnue seize fois sur cent vingt-cinq cas
de brûlure terminée par la mort; cinq malades avaient succombé dans la
première semaine, cinq dans la seconde, les six derniers plus tard,
un d'eux le soixante-quinzième jour. C'est immédiatement au-dessous
du pylore que se voit l'ulcération; elle est indolente, tantôt unique,
tantôt formée de plusieurs ulcères réunis par un point de leur circon-
férence. Au début, elle n'attaque que la muqueuse, et semble faite par
un emporte-pièce ; mais elle pénètre plus profondément , et on trouve
une fausse membrane à son niveau sur la face péritonéale de l'in-
testin. L'ulcère commence t-il par un élargissement d'une glande de
Brunner? Ces glandes ont augmenté de volume. Le diagnostic est incertain
puisque les symptômes sont souvent nuls; pas de douleurs, pas de tension
de l'abdomen ; cependant, quelquefois y a vomissement, et on a observé
la péritonite par perforation de l'intestin, l'hématemèse ou le mélœna
par ulcération de l'artère pancréatico-duodénale. Dans ces cas de perfo-
748 BRULUKE. — prokostic, traitement.
ration intestinale ou vasculaire, la mort arrive; mais l'ulcère du duodénum
n'est pas constamment mortel puisqu'on Ta trouvé en voie de cicatrisation
dans des cas où le brûlé avait péri sans avoir présenté de troubles gas-
triques.
Wilks, qui a particulièrement étudié la cause de la mort chez les
enfants brûlés, a signalé la fréquence de l'altération du sang manifestée
par des taches de purpura sur les plèvres, dans la substance corticale du
rein et autres parties du corps. Il a trouvé des dépôts fibrineux dans divers
organes, et surtout dans les veines ; mais la cause de mort la plus fré-
quente est la pneumonie avec hépatisation, et la broncho-pneumonie; les
bronches sont pleines de mucosités.
Pronostic. — Ce que j'ai dit plus haut des accidents de chaque degré
de la brûlure suffit en grande partie à établir le pronostic de ce genre de
lésions. Il est évident qu'il résulte de l'étendue en largeur et en profon-
deur; mais il peut dépendre aussi de l'âge, de la constitution, du siège
et même de la nature de la cause. Les entants et les femmes résistent
moins aux accidents primitifs; si les sujets sanguins et vigoureux sont
plus exposés à une violente réaction inflammatoire, ils supportent mieux
les suites d'une abondante suppuration que ne pourraient le faire des
vieillards débilités ; la cause de la brûlure peut être un caustique véné-
neux ; enfin, le siège de l'accident a une grande portée sur le pronostic,
et il peut être considéré alors soit au point de vue du danger pour la vie
des blessés, soit par rapport aux organes atteints et aux altérations de leurs
fonctions. La brûlure du cuir chevelu peut être suivie de délire et de pro-
pagation de l'inflammation au cerveau, et les brûlures de l'œil compro-
mettent l'existence même de l'organe ; celles qui intéressent des parties
délicates et mobiles, comme les paupières, les narines, la bouche , en-
traînent des déformations, des déviations à la suite desquelles l'œil sain
d'ailleurs reste à nu, exposé à mille contacts nuisibles, les narines sont
oblitérées, les lèvres tiraillées, ou la bouche rétrécie; les doigts et les
orteils sont renversés, adhérents entre eux, etc., enfin de la situation de
la brûlure résulte un grand nombre de déplacements d'organes mobiles
et d'adhérences des parties contiguës, dont une histoire détaillée sera faite
à l'article Cicatrice.
Traitement. — Les indications à remplir varient avec le degré de la
brûlure. Dans les trois premiers, c'est la douleur, qu'il s'agit tout d'a-
bord de calmer afin de prévenir et d'arrêter les accidents nerveux, aux-
quels elle donne lieu. Le premier soin dans ce but est de débarrasser le
malade de ses vêtements avec les précautions convenables ; il faut les en-
lever sans précipitation, les fendre avec des ciseaux, les retirer lente-
ment afin d'éviter l'arrachement de l'épidémie, s'il a été soulevé par la
sérosité. Gela fait, on enlève, à l'aide de l'eau fraîche, les substances étran-
gères et quelquefois caustiques, qui pourraient être restées adhérentes. Les
parties brûlées étant complètement à nu, on ouvre dans les deuxième et
troisième degrés les phlyetènes avec une aiguille, la pointe d'un bistouri ;
on les vide ainsi de la sérosité dont la présence cause, comme je l'ai ditr
BRULURE. TRAITEMENT. 749
une douleur tensive; selon Aviccnne, on pourrait même en prévenir la
formation dans le second degré par l'application répétée de l'eau glacée.
On combat la douleur par des applications locales, et par des calmants
pris à l'intérieur. Les moyens locaux agissent de diverses manières : sui-
vant leur nature, ce sont les réfrigérants qui produisent sur la surface
brûlée un refroidissement proportionné à leur température, les astrin-
gents, qui resserrent les tissus et empêchent l'afflux du sang, les topiques
qui protègent contre l'action de l'air, enfin les émollients, qui combattent
et restreignent l'inflammation.
Réfrigérants. — On compte en première ligne la glace, l'eau froid i,
l'eau de Goulard, et les liquides, qui produisent le froid par leur vapori-
sation rapide comme l'éther, l'alcool, l'ammoniaque étendu d'eau, l'huile
essentielle de térébenthine ; mais ces derniers liquides exercent sur les
tissus vivants une action irritante, surtout si l'épiderme a été enlevé, et on
doit leur préférer de beaucoup l'eau froide soit par immersion, en plon-
geant, s'il est possible, la partiebrûlée dans ce liquide, soit en appliquant
incessamment des compresses mouillées sur la brûlure, soit, mieux en-
core, en dirigeant sur la région malade une irrigation continue. Larrey
accuse l'eau froide de produire dans les brûlures profondes la gangrène,
mais d'abord il faut faire remarquer que dans les brûlures profondes la
mortification est déjà produite puisqu'elle est un de leurs caractères;
d'autre part on peut la réserver pour les brûlures plus superficielles, et il
ne faut aussi s'en servir que dans des portions limitées des membres, à la
face et jamais au tronc, surtout si la surface brûlée est étendue. On peut
alors lui préférer les bains d'eau tiède qui n'appartiennent plus, il est
vrai, à la classe des réfrigérants, mais a celle des topiques émollients.
Les astringents usités sont la dissolution de sulfate de fer, d'alun,
l'encre, le vinaigre étendu d'eau, etc., etc.; mais ces liquides sont plus
ou moins irritants, et quelques-uns relativement coûteux, il n'y aurait
donc aucune raison de les préférer à l'eau pure ; mais celle-ci peut aussi
être remplacée par un troisième ordre de moyens, dont l'effet est de sous-
traire la partie brûlée au contact de l'air, car ce contact est des plus dou-
loureux. Les substances, qui jouissent de cette propriété sont les unes
pulvérulentes comme l'amidon, la farine, le carbonate de chaux, qui pro-
jetées, et étalées à la surface de la peau brûlée préalablement humectée
forment à la surface une couche impénétrable à l'air, et jouent le rôle
d'un nouvel épiderme dans les deuxième et troisième degrés de la brû-
lure. H y a déjà longues années que pour atteindre le même but, j'ai ima-
giné de verser sur la partie brûlée et autour d'elle une solution sirupeuse
de gomme arabique, qui me sert à coller sur cette partie un ou deux feuil-
lets de peau de baudruche qui s'applique avec facilité, adhère et consti-
tue comme un épiderme nouveau. Avant d'en étudier la valeur relative,
indiquons parmi les applications analogues les plus vantées et les plus
employées, celles des bandelettes de diachylon gommé, du typha, du co-
ton cardé, dont l'avantage signalé par la plupart des chirurgiens, n'est
pas seulement de soustraire la brûlure au contact de l'air, mais de for-
750 BRULURE. — traitement.
mer une sorte de pansement inamovible d'une utilité incontestable dans
le premier et même le secontl degré. Enfin, on petit avec J. Cloquet con-
sidérer la brûlure comme une inflammation ordinaire de cause externe,
notamment dans les deux premiers degrés, soit même quand ces degrés
environnent des parties plus profondément attaquées, c'est-à-dire escarri-
fiécs. Partant de cette vue qu'il faut avant tout borner l'inflammation, on
peut, suivant le conseil de cet éminent chirurgien, essayer d'emblée la
méthode antiphlogistique, poser de trente à quarante sangsues autour des
surfaces brûlées, au lieu de débuter par des répercussifs, dont l'action est
plus que douteuse et quelquefois dangereuse. Ce genre de traitement pa-
raît surtout applicable aux individus forts, sanguins, et lorsque déjà une
tuméfaction considérable existe. Malheureusement il arnve trop souvent
que les brûlures étendues en surface, quelle que soit leur profondeur, s'ac-
compagnent d'une profonde débilité, et d'une véritable stupeur qui ne
permettraient pas l'emploi d'une méthode dont les applications heureuses
sont possibles, puisque, du consentement unanime des chirurgiens, il est
des cas où la saignée générale peut convenir. Remarquons d'ailleurs que
dans les brûlures larges et profondes, il faut penser à la longueur cer-
taine du traitement, et à la nécessité pour le malade de pourvoir aux
frais d'une longue et abondante suppuration, qui trop souvent l'épuisé,
quelques efforts que l'on fasse pour soutenir ses forces.
Au nombre des moyens du traitement abortif de l'inflammation, il faut
signaler aussi la compression préconisée dès l'année 1815 parBretonneau
et depuis par Velpeau, qui en a fait un bon emploi dans les trois premiers
degrés de la brûlure, et lui a reconnu des avantages soit pour calmer la
douleur, soit pour prévenir la formation des phlyctènes, ou obtenir leur
disparition, soit enfin pour empêcher ou résoudre l'érysipèle, quand il
vient à compliquer les brûlures. Bretonneau la pratiquait à l'aide d'une
bande roulée, imbibée d'un liquide résolutif, laissée en place jusqu'à la
guérison. Avant l'application les phlyctènes ont été vidées, et le derme
dénudé recouvert d'un taffetas ciré très-fin. Velpeau a substitué à la bande
roulée, les bandelettes de diachylon gommé, qui lui ont donné des gué-
risons très-rapides. Comme je viens de le dire, la compression, qui fait
partie du traitement abortif peut aussi constituer un pansement définitif
répondant aux diverses périodes de la brûlure. Il en est de même du co-
ton et de la baudruche rendue adhérente par la solution de gomme : sous
ce rapport le coton a l'assentiment général, il est vanté jusqu'ici sans
restriction, non-seulement comme préservatif de la douleur primitive, ce
qui est réel dans le plus grand nombre des cas, mars comme curatif dans
tous les degrés de la brûlure. Anderson, de Glasgow, a fait, il y a au
moins une trentaine d'années, un mémoire dans lequel il cherche à faire
prévaloir les qualités du coton dans les brûlures, et à faire considérer ce
topique déjà fort ancien en Ecosse, et populaire presque en tous lieux
comme un véritable spécifique. Son utilité toutefois, il le reconnaît, varie
suivant le degré de la lésion. La'guérison a lieu en quelques jours dansle
second degré ; il faut plus de temps nécessairement dans les degrés sui-
BRULURE. — T.RA1TEMEKT. 751
vants, mais, suivant Anderson, avec le coton la réaction est toujours très-
modérée, et la suppuration beaucoup moins abondante qu'avec les panse-
ments ordinaires des plaies. Aussi en fait-il un pansement inamovible
que toutefois il faudra changer tous les douze ou quinze jours à partir du
troisième degré, parce que la suppuration à cette époque prend une odeur
fétide, ce qui n'empêche pas de trouver la plaie dans de bonnes condi-
tions, c'est-à-dire, pourvue de bourgeons charnus, sains et vermeils. Il
est à peine besoin de dire comment il procédait au pansement : il com-
mençait par évacuer la sérosité des phlyetènes, puis il lavait à l'eau tiède
les brûlures superficielles, à l'alcool de Lavande ou l'huile essentielle de
térébenthine les brûlures plus profondes ; cela fait, une couche mince de
coton cardé était posée sur la surface de la plaie, puis une seconde, une
troisième, de manière à la garantir de toute impression extérieure; un
bandage approprié maintenait en place le coton. C'est, en effet, de cette
manière que le pansement des brûlures par le coton est encore fait au-
jourd'hui ; et comme à F envi tous les ouvrages, même les plus récents,
en font valoir les avantages, cela sans aucune restriction, comme si ce
procédé de pansement convenait à toutes les régions du corps et n'avait
en réalité jamais aucun inconvénient. Il n'en est pourtant pas ainsi, la
pratique donne d'autres résultats : comment se servir du coton cardé dans
une brûlure, qui occupe la face entière et surtout la région des orifices de
la bouche, des narines et les paupières? Dans les autres régions du corps
le coton convient admirablement pour les deux premiers degrés de la brû-
lure, mais à partir du troisième son action n'est pas irréprochable : après
quelques jours si le coton adhère aux bords de la plaie, il est séparé par
la suppuration dans son centre ; imbibé par le pus il ne tarde pas à se
transformer en une plaque dure, imperméable, adhérente, comme je
viens de le dire, aux bords qu'elle blesse par son contact, et ne protégeant
plus la surface de la brûlure ; aussi les douleurs vives, l'insomnie repa-
raissent et le pansement doit être renouvelé, mais comme il est difficile à
détacher, ce renouvellement demande beaucoup de temps et occasionne
une grande douleur : dira-t-on que pour le rendre plus facile on pourrait
plonger le malade dans un bain local ou général suivant le siège et l'é-
tendue de la partie brûlée? Il est visible que dans une foule de brûlures
étendues, un bain ne pourrait être supporté. L'état général des forces, et
les vives douleurs causées par les mouvements ne le permettraient pres-
que jamais. Aussi, à partir du troisième degré, je préfère de beaucoup le
pansement fait avec la baudruche et la solution de gomme arabique ; j'ai
vérifié un grand nombre de fois la supériorité de ce pansement sur l'em-
ploi du coton, notamment dans des cas où j'avais d'abord employé celui-
ci sans pouvoir assurer la tranquillité et le sommeil des malades ; j'ai la
conviction profonde d'avoir ainsi sauvé un grand nombre de brûlés voués
à une mort certaine. Des articles faits sans ma participation dans divers
journaux, en particulier dans la Gazette des Hôpitaux, constatent l'exacti-
tude de ces faits, et il me semble, sans partialité, qu'il y a lieu de s'étonner
que ce mode de pansement soit assez peu connu pour qu'il n'en soit fait
752 BRULURE. — traitement.
aucune mention dans les derniers traités de pathologie chirurgicale pu-
bliés en France. L'épiderme nouveau constitué par la baudruche est assez
protecteur pour que dans toute espèce de plaie il soit possible de prome-
ner les doigts sur sa surface une fois revêtue de cette membrane sans cau-
ser au blessé la moindre sensation douloureuse. La transparence de la
baudruche est d'ailleurs très-commode pour l'observation. On voit la plaie
et on peut constater son état sans lever le pansement. En certains points,
la baudruche adhérente recouvre un épiderme déjà formé, et permet de
reconnaître la cicatrisation obtenue; en d'autres places, la suppuration
plus ou moins plastique, plus ou moins liquide s'accumule entre elle et
la plaie : dans ce cas, elle ne tarde pas à décoller la baudruche sur un
point déclive de la circonférence de la plaie, et le trop plein s'écoule, où
bien, si ce décollement n'a pas lieu, rien de plus simple que de donner
issue au pus accumulé en incisant la baudruche, où en l'excisant partout
où elle a été soulevée par ce liquide. On verse de nouveau la gomme ara-
bique sur la partie de la plaie découverte, et on réapplique la baudruche.
On la laisse, au contraire, en place dans tous les points où elle adhère à
un tissu cicatriciel plus ou moins avancé; rien de plus facile que d'appli-
quer ce pansement sur le front, les paupières, les narines, les lèvres : on
l'enlève avec la plus grande facilité par des lotions d'eau tiède, et jamais
son adhérence n'occasionne de douleur; il faut s'abstenir d'environner la
partie pansée avec des compresses ou pièces de linge quelconques, parce
qu'elles adhèrent à la baudruche et la déchirent quand on veut les en sé-
parer. Il faut convenir que c'est là une difficulté quand il s'agit des brû-
lures des régions postérieures du tronc, mais on y échappe en plaçant
les malades sur le ventre dans une position un peu inclinée ; je pour-
rais citer à l'appui de ce que j'avance l'observation recueillie à la
Pitié d'un jeune garçon dont les reins, les fesses, les cuisses en arrière
étaient brûlées au troisième degré, et qui pendant plusieurs jours pansé
avec le coton remplissait la salle de plaintes incessantes, et privait de
sommeil les autres malades. J'avais hésité à employer la baudruche à
cause de la situation des brûlures, mais convaincu que le blessé allait ra-
pidement succomber épuisé par la douleur, je le plaçai sur le ventre un
peu de côté; la baudruche fut appliquée, et une demi-heure après le
sommeil s'emparait de lui pour vingt-quatre heures : la guérison fut ob-
tenue. Ce que je viens de dire de l'utilité de la baudruche dans les brû-
lures est applicable aux autres plaies, aux phlegmons diffus avec ou sans
perte de substance, mais ce n'est pas ici le lieu d'insister sur les diverses
applications de ce mode de pansement.
Dans les brûlures au quatrième et cinquième degrés ce n'est plus la
douleur qui fournit les indications du traitement, c'est l'inflammation
qui doit présider à Uélimination des escarrhes. Suivant Dupuytren, il y a
cette différence entre la gangrène produite par le feu et celle qui est due
à toute autre cause que, dans ce dernier cas, il faut presque toujours ex-
citer l'inflammation, et dans le premier la modérer. Il est certain qu'à
l'époque de son développement on couvre la partie brûlée de cataplasmes
BKULURE. — traitement. 755
émollients au double point de vue de borner l'inflammation et de favo-
riser la séparation des escarrhes. Il ne convient d'employer les balsa-
miques et les suppuratifs tels que l'onguent styrax, ainsi que le conseille
Larrey, qu'autant que l'inflammation deviendrait languissante, auquel
as il est utile aussi de donner au malade quelques toniques à l'intérieur,
le l'eau rougie pour tisane, et môme un peu de vin pur, en même temps
qu'on lui accorde une alimentation suffisante au travail d'élimination
|ui doit s'accomplir ; il s'exécute par les seules forces de la nature. L'es-
carrhe doit se détacher d'elle-même; quand elle est large, détachée à sa
circonférence, où elle forme des lambeaux mobiles et flottants, mais en-
core adhérents au centre, il ne faut pas croire qu'il soit avantageux de
couper ces lambeaux à l'aide de ciseaux sous prétexte de régulariser et
de déblayer la plaie, d'enlever une cause d'infection, et de faciliter le
pansement de la partie de la plaie sous-jacente aux escarrhes.
Cette pratique, qui n'est que rarement avantageuse, peut avoir de
graves inconvénients, donner lieu à des douleurs vives ou à des hémor-
rhagies fâcheuses chez des individus déjà fort débilités, s'il est arrivé que
des nerfs ou des vaisseaux aient continué à vivre dans l'épaisseur des
escarrhes. Il est donc mieux d'attendre la séparation complète et spon-
tanée des parties mortifiées. Si toutefois on avait reconnu une collection
purulente au-dessous d'une escarrhe, il n'y aurait aucune raison pour n'y
pas pratiquer une incision et donner issue à la suppuration. Quand les
escarrhes sont complètement séparées, on trouve au-dessous d'elles une
plaie en général inégale, quelquefois anfractueuse et qui fournit une
quantité abondante de pus : il ne s'agit plus (pie du traitement des plaies
ordinaires, et il faut renoncer aux cataplasmes émollients, dont l'usage
prolongé aurait l'inconvénient d'accroître la suppuration, et de rendre
les bourgeons charnus blafards, volumineux et mollasses. Le pansement
sera fait suivant les procédés ordinaires avec le linge cératé, la charpie,
quelquefois la charpie sèche après des lotions de décoction de quin-
quina, ou de vin aromatique. L'exubérance des bourgeons charnus sera
réprimée par la cautérisation à l'aide du crayon de nitrate d'argent, la
poudre d'alun et la compression. Des précautions particulières seront
prises pour empêcher l'oblitération ou le rétrécissement des orifices dont
le contour a été brûlé, tels que les narines, la bouche, le conduit auditif:
dans ce but on fait usage de mèches de charpie cylindriques, de fragments
d'épongé et mieux de canules de gomme élastique ou d'os ramolli.
Il faut tâcher d'empêcher aussi l'adhérence de parties contiguës comme
les doigts, les orteils, dont les commissures ont élé attaquées au troisième
et quatrième degrés; la flexion permanente complète ou incomplète de
parties mobiles les unes sur les autres au moyen d'articulations gingly-
moïdales ou orbiculaires, et qui dans l'état sain jouissent de mouvements
libres de flexion, d'extension et de circumduction. Les moyens dont l'art
dispose dans ce but sont avec la cautérisation déjà indiquée les emplâtres
a ggluti natifs, la position et les bandages. Les emphàtres agglutinatifs ser-
vent de deux manières ; tantôt on les emploie pour opérer directement
NOUV. DICT. MÉU. ET tlllli. V. — i8
754 BRULURE. — traitement.
la compression sur des chairs trop saillantes et qui tendent à combler
des intervalles qu'il faut ménager, et à produire des adhérences vicieuses
de parties contiguës comme les doigts ; on pose alors sur les bourgeons
saillants de petits cylindres de charpie assez fermes que l'on maintient
fortement par de longues bandelettes de diachylon gommé : tantôt on
s'en sert pour écarter l'un de l'autre les bords de la solution de continuité
attirés vers son centre par la contraction de la membrane des bourgeons
charnus. La position destinée à rendre la cicatrice la plus large possible
doit être telle qu'elle donne aux parties une situation opposée à celle que
la cicatrice, qui se forme, tend à leur faire prendre ; c'est ainsi que dans
les brûlures de l'aisselle, le bras sera placé sur un coussin épais et
résistant pour le maintenir éloigné du tronc, que la jambe sera main-
tenue dans l'extension pour la guérison régulière des brûlures du
jarret, etc.
Mais si la position exige pour être continue l'action des muscles,
dont la permanence ne serait pas possible, il faut y suppléer par l'action
des bandages et même de certaines machines appropriées. Ces bandages
qui ne diffèrent pas de ceux, dont on se sert pour la réunion des plaies,
bien que leur traction soit employée dans un sens opposé devront
être décrits à l'article des plaies en général, et ne peuvent être ici qu'in-
diqués.
Enfin quand un membre est largement et profondément brûlé, le
danger, qu'entraînerait, si on en attendait le moment, la réaction in-
flammatoire , ou la suppuration prolongée qui devrait infailliblement
succéder à l'élimination des escarrhes, devient une indication positive de
l'amputation. 11 est rare cependant qu'en pareille circonstance elle soit
pratiquée, parce que presque toujours des brûlures profondes et étendues
du tronc compliquent la lésion du membre et rendraient le sacrifice inutile.
On cite toutefois des exemples extraordinaires dans lesquels la vie a été
conservée au prix de l'amputation successive delà cuisse gauche et du bras
droit; de la jambe et de l'avant-bras, des deux bras, et même des deux
cuisses mortifiées, quoique d'autres brûlures existassent à la face, à la
poitrine et aux mains (Larrey. Mémoires de chirurgie militaire). Ce qui
arrive plus souvent, c'est qu'en pratiquant la désarticulation d'un mem-
bre, on soit forcé de conserver des lambeaux en partie brûlés, d'où ré-
sulte une cicatrice moins régulière, comme j'ai été obligé de le faire chez
une épileptique de dix-neuf ans, à laquelle j'ai désarticulé le bras droit.
La guérison n'en fut pas moins obtenue, bien que des brûlures très-
profondes, mais peu étendues en surface, existassent à la main gauche et
à d'autres parties du corps.
Si on doit s'abstenir de l'amputation des membres dans une foule de
cas, où il existe en même temps sur le tronc des brûlures étendues, il
n'en est pas moins certain que, considérée en elle-même et bornée à un
membre ou à une de ses portions plus ou moins étendues, le pied, la
jambe, la cuisse, la brûlure au sixième degré, comprenant, comme on
sait, une grande partie des chairs et les os eux-mêmes, est une indication
BRULURE. BIBLIOGRAPHIE. 755
formelle d'amputation immédiate, si l'état général des forces ne contraint
pas à la différer d'un ou deux jours.
J'ai parlé avec assez de détails du traitement local de la brûlure, et les
moyens que j'ai indiqués ont une grande portée sur les accidents généraux
observés en pareils cas; cependant il est quelques indications à suivre qui
diffèrent des applications locales, et qu'il est bon d'indiquer succinctement.
Comme je l'ai dit plus haut, Dupuytren a distingué les accidents des
brûlures en primitifs et en consécutifs. Les accidents primitifs sont la
douleur, l'agitation, les spasmes, la lièvre, qui, suivant lui, caractérisent
la période d'irritation, qu'il rapporte aux brûlures superficielles ; celles
qui sont profondes ont en général pour accident primitif la stupeur. A la
période d'irritation, indépendamment des répercussifs , il conseillait
d'opposer la diète, la saignée, les boissons calmantes, les antispasmo-
diques, et même les bains ; à la stupeur, les cordiaux, les toniques, le
vin, donnés en petites quantités à la fois, mais assez répétées pour ra-
nimer le plus promptement possible la sensibilité générale et la circula-
tion. Le corps du malade doit, en sus, être enveloppé dans des draps
chauds dont la température sera entretenue.
Les accidents consécutifs sont d'abord l'inflammation, qui doit être
modérée et contenue dans les justes bornes nécessaires à l'élimination
des escarrhes : aux topiques émollients déjà indiqués s'associe le traite-
ment général antiphlogislique ; puis arrive, après la chute des escarrhes,
la période de suppuration dont l'abondance est en proportion des pertes
de substance, et à laquelle il faut pourvoir par un régime fortifiant cal-
culé suivant les forces digestives; c'est à l'aide d'aliments analeptiques,
de vins généreux, du quinquina, etc., que l'on prévient, s'il est possible,
la période d'épuisement pendant laquelle le même régime doit être con-
tinué, jusqu'à ce que la nature ait pu suffire au travail de la cicatrisation,
toujours prolongé dans les brûlures des troisième, quatrième et cin-
quième degrés, et trop souvent même interrompu çà et là par l'ulcération
et, la destruction de la membrane des bourgeons charnus, ce qui exige
des efforts réitérés de la part de l'organisme.
Fabhice de Hilden, De ambustionibus, quœ oleo et aquà fervidis, l'erro candeule, pulvere tormen-
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S. Laugier.
BIWOIVIv — Description. — Le genre Bryonia, de la famille des
Cucurbitacées, contient un grand nombre d'espèces, mais une seule est
utilisée, c'est la Bryonia dioica, Jacq. — C'est une plante très-commune
dans les haies ; elle grimpe le long des arbres à l'aide de vrilles; ses tiges
sarmenteuses portent des feuilles palmées et des fleurs d'un vert blan-
châtre donnant pour fruits de petites baies de la grosseur d'un pois,
vertes d'abord, devenant rouges plus tard. La racine, qui est la seule
partie employée, est grosse comme le bras, pivotante, charnue, jaunâtre
à l'extérieur, blanche à l'intérieur. Sa saveur, surtout prononcée quand
la plante est fraîche, est amère, nauséeuse et désagréable. Dans les
pharmacies, on la trouve sous forme de rondelles sèches qui conservent
encore une amertume très-grande.
Propriétés et usages. — On a fait plusieurs fois l'analyse de cette
plante, et toujours on y a trouvé un principe particulier qu'on a appelé
Bryonine. Mais les caractères de ce principe ont varié suivant les ob-
servateurs, de telle sorte qu'on ne peut rien avancer de positif sur sa
nature.
Quoi qu'il en soit, l'expérience a démontré que la Bryone, employée
à trop haute dose, est un poison irritant. A dose médicamenteuse, elle
n'est que purgative, et certains auteurs ont été jusqu'à la placer sur le
même rang que le Jalap. Il serait utile d'étudier cette substance sous
ce point de vue. Beaucoup de praticiens en vantent l'emploi dans l'hy-
dropisie, le rhumatisme chronique, les paralysies atoniques, la pneu-
BUBON. SYNONYMIE, APERÇU HISTORIQUE, 757
îiionie bilieuse, etc. On reconnaît là toutes les maladies où les drastiques
sont indiqués.
La Bryone broyée a été prescrite comme topique excitant pour ame-
ner la dérivation.
Des auteurs rapportent qu'en lui faisant subir certaines préparations
un peut l'utiliser comme aliment.
Doses et mode d'administration. — Au printemps, les paysans de quel-
ques contrées creusent au sommet de la racine une petite cavité; celle-ci
se remplit d'un liquide qu'ils appellent eau de Bryone, et dont ils se ser-
vent à la dose d'une cuillerée pour se purger.
On peut administrer la poudre de racine sèche en pilules, «à la dose de
50 centigrammes à 4 grammes; l'extrait à la dose de 0,25 centigrammes
à 0,75 centigrammes; enfin, on mettra 15 à 30 grammes de racines sè-
ches pour un litre d'eau, quand on voudra la donner en décoction.
Léon Marchand.
Ml' BOA — Le terme de bubon (de gôuêwv, aine) ne désignait origi-
nairement que les tumeurs glandulaires des régions inguinales ; plus tard
et par extension, cette dénomination devint synonyme d'affection gan-
glionnaire en général et fut indistinctement appliquée, en dépit de sa si-
gnification étymologique, aux engorgements des glandes lymphatiques de
toutes les régions.
Ce terme n'a pas de sens bien précis. On ne saurait dire ce en quoi
le bubon diffère de l'adénite. Toutefois, dans le langage vulgaire comme
dans la langue médicale, on paraît désigner plus particulièrement sous
le nom de bubon les adénopathies auxquelles se rattache l'idée d'une
spécificité diathésique ou virulente (bubons vénérien, syphilitique, scrofu-
leux, scarlatineux, morveux, pestilentiel, etc.), et l'on réserve plus vo-
lontiers le nom à'adéniie aux inflammations simples des ganglions lym-
phatiques.
Nous n'avons à traiter ici que des bubons vénériens, c'est-à-dire des
affections ganglionnaires symptomatiques de maladies primitives d'ori-
gine vénérienne ou résultant du simple rapprochement sexuel.
Synonymie $ gou6o>v, bubo ; apostema inguinis; dragunzelus, dra-
gonneau de l'aine; ulcéra qu«e fiunt in inguine ; tumores gallici; poulain
(dénomination triviale, paraissant reconnaître ' pour origine une assi-
milation singulière de la démarche embarrassée des malades affectés de
bubon avec l'allure des jeunes chevaux ou poulains) ; adénite ; adénite
vénérienne, spécifique, virulente; bubon sympathique, inflammatoire,
chancreux, virulent; ganglionnite ; adénopathie vénérienne; chancre
ganglionnaire, etc.,
Aperçu historique, — I. Le bubon a été connu dès la plus haute
antiquité. Sa relation pathogénique avec les maladies des organes génitaux
se trouve indiquée jusque dans Hippocrate, Son caractère vénérien paraît
même avoir été de connaissance vulgaire dans la société romaine. Ainsi,
nous voyons un satirique, Martial, reprocher à une courtisane, comme
758 BUBON. — aperçu historique.
un stigmate de débauche, les cicatrices qu'elle portait aux régions ingui-
nales.
Les Arabes et les arabistes mentionnèrent de même les tumeurs, les
apostèmes et les ulcères de l'aine, en indiquant les rapports du bubon
avec les maladies de la verge et de la vulve. Pour ne citer qu'un
exemple, Guillaume de Salicet signale, au chapitre xlii de sa Chirurgie
(De apostematibus) , le bubon de l'aine ou dragonneau qui survient à la
suite d'un commerce impur ou qui est provoqué par des lésions de la
verge : « Haec segritudo vocatur bubo, vel dra'gunzelus, vel apostema
inguinis... Cumhomo infirmatur in virgâ propter fœdam meretricem vel
aliam causam, redit materia ad locum inguinum, propter affinitatem
quam habent ista loca cum virgâ corruptâ. »
On trouve de même le bubon vénérien parfaitement indiqué par
Lanfranc (de Milan), par Guy (de Chauliac), par Pierre Argelata (de Bo-
logne), etc.
ÏI. L'antiquité et le moyen âge ne connurent que le bubon inflamma-
toire, celui qui fait tumeur, qui s'abcède, qui produit ou peut produire
un ulcère de l'aine. Avec la syphilis parut une nouvelle espèce de bubon,
le bubon froid, indolent, qui ne suppure pas et qui n'est pas suivi d'ul-
cérations inguinales.
Ce bubon fut observé dès les premiers temps de l'invasion du mal
français. Ainsi Gaspard Torella nous a transmis l'observation d'un de
ses malades chez lequel « un ulcère virulent de la verge avait déterminé
une sorte de callosité longitudinale qui s'irradiait vers les aines. » Nul
doute qu'il ne s'agisse dans ce fait d'une lymphangite indurée avec un
double bubon inguinal. Néanmoins, les auteurs qui assistèrent à la nais-
sance de la syphilis méconnurent ou négligèrent presque tous cette adé-
nopathie ; ils ne la signalèrent pas parmi les symptômes du mal français,
ce qui, du reste, trouve son explication toute naturelle dans les carac-
tères mêmes du bubon syphilitique, lequel, indolent de sa nature, peu
volumineux, non inflammatoire, etc., pouvait facilement passer inaperçu
au milieu des manifestations nombreuses et plus saillantes de la maladie
nouvelle (Bassereau).
Le bubon syphilitique toutefois ne tarda guère à être reconnu et décrit.
On fît même cette remarque qu'il différait des bubons que Ion avait ob-
servés autrefois, que c'était un état morbide nouveau, dont les médecins
de l'antiquité n'avaient pas eu connaissance : « In inguinibus, dit Fallope,
tumores gallici suboriuntur, quos non novit antiquitas. » De plus, nombre
d'auteurs furent frappés de ce fait que ce bubon symptomatique du mal
français (tumor gallicus) ne se conduisait pas comme les adénites ordi-
naires, qu'il ne suppurait pas, « qu'il s'en retournait au dedans par dé-
litescence » (A. Paré), tandis que les bubons qui suppuraient n'étaient
pas suivis des symptômes propres au mal français ( Nicolas Massa,
Ant. Gallus, Thierry de lléry, Rondelet, etc.).
JIJ. La pathogénie du bubon n'était pas explicable avant la découverte
des lymphatiques. On considérait vaguement les engorgements glandu-
BUBON. APERÇU HISTORIQUE. 759
laires comme une manifestation du vice vénérien, comme un accident « dû
à la rétrocession du virus vers les glandes de l'aine, » comme une lésion
sympathique « analogue à la production de la hernie humorale (orchite)
dans la gonorrhée », comme « un émonctoire naturel du poison vénérien,
un effet de la force répulsive de la nature, » etc., etc.. Tout cela n'é-
tait que théories et hypothèses spéculatives. La découverte du système
lymphatique vint ouvrir une ère nouvelle au buhon. Alors seulement,
comme le dit Hunter, on put comprendre, de par l'anatomie, la rela-
tion qui rattachait les affections ganglionnaires aux accidents dont elles
étaient la conséquence et le rôle que jouait l'absorption dans leur déve-
loppement.
IV. Si les différentes espèces d'adénopathies vénériennes ont été dès
longtemps reconnues et signalées, ce n'est guère que dans notre siècle
qu'elles ont été différenciées les unes des autres, étudiées séparément,
classées, catégorisées, et que chacune d'elles a été rapportée ta sa véritable
origine.
Du moyen âge jusqu'à une époque voisine de la nôtre, tous les bubons
vénériens ont été considérés comme des expressions diverses d'une seule
et même maladie. On admettait sans hésitation qu'ils relevaient tous
d'une même cause, d'un même virus, qu'ils étaient tous identiques, si-
non comme forme, du moins comme nature, et partant qu'ils pouvaient
tous entraîner à leur suite les mêmes accidents. Il n'y avait pas, à vrai
dire, plusieurs bubons; il n'en existait qu'une seule espèce, susceptible
de variétés et de modifications symptomatologiques d'importance secon-
daire. Ce bubon unique, qu'il se manifestât avec tels ou tels caractères,
qu'il succédât à un chancre ou à une blennorrhagie, qu'il se produisît
même isolément et d'emblée sans accident primitif, était toujours et in-
variablement le témoignage d'une infection vénérienne et pouvait être
suivi des symptômes propres à ce qu'on appelait la vérole confirmée.
Cette doctrine ou, pour mieux dire, cette confusion, se perpétua
d'âge en d'âge jusqu'à notre siècle. Ce fut Ricordqui jeta la lumière sur
ce chaos, et qui, par ses observations, par ses expériences, sépara les
diverses espèces du bubon étrangement réunies et assimilées jusqu'à lui.
Non-seulement Ricord reconnut et décrivit plus complètement qu'on
ne l'avait encore fait les espèces multiples du bubon vénérien, mais de
plus il démontra qu'elles constituent des types pathologiques très-diffé-
rents comme nature et comme origine ; que les unes sont de simples
adénites inflammatoires, ne présentant rien que d'analogue, d'identique
avec les adénites non vénériennes; que les autres sont des adénopathies
spéciales et même spécifiques; qu'en outre ces espèces diverses ne se dé-
veloppent pas indifféremment à la suite de tout accident vénérien ;
que bien au contraire chacune d'elles est soumise dans son expression
symptomatologique à la nature de la lésion dont elle dérive; que le bu-
bon virulent ou spécifique ne se produit jamais (V emblée, primitive-
ment; que toutes les adénopathies vénériennes ne comportent ni les
mêmes dangers immédiats, ni les mêmes conséquences d'avenir, ni les
760 BUBON. — division.
mêmes indications thérapeutiques, etc, En un mot, il établit, contradic-
toirement aux idées anciennes, qu'il existe des bubons multiples et
divers, tout comme il y a des symptômes primitifs multiples et dif-
férents.
A dater du jour où ces idées pénétrèrent dans la science, l'histoire
pathologique du bubon s'éclaira d'un jour tout nouveau. Des espèces in-
dépendantes furent distinguées et décrites ; chacune d'elles fut rapportée
à son origine respective, et l'ordre nosologique s'établit là où ne ré-
gnaient anciennement que l'anarchie et la confusion.
Je crois pouvoir le dire en toute justice, la connaissance du bubon
vénérien, telle que nous la possédons aujourd'hui, est presque entière-
ment due aux travaux et à l'enseignement de Ricord.
Division. — Le bubon ne constitue pas à lui seul une maladie, une
entité morbide, au moins dans l'énorme majorité des cas. Ce n'est pres-
que jamais qu'un symptôme, qu'un phénomène consécutif, qu'une mani-
festation secondaire. Très-exceptionnellement il existe seul, sans lésion
antérieure; il est dit alors essentiel ou idiopathique.
Les affections d'origine vénérienne peuvent exercer sur les ganglions
lymphatiques deux modes d'action très-différents :
1° Tantôt elles n'agissent qu'au titre d'irritations communes, non spé-
ciales ; elles, influencent alors les ganglions à la façon des excitants vul-
gaires, tout comme le fait une phlegmasie simple, une lésion acciden-
telle, un traumatisme, etc. Dans ce cas, ce qu'elles déterminent, c'est
une inflammation ganglionnaire dépourvue de toute spécificité, c'est
une véritable adénite. — Le bubon qui se développe dans ces conditions
est dît bubon simple ou inflammatoire. On le trouve encore décrit sous les
noms de bubon bénin, bubon sympathique, bubon cl irritation, bubon par
retentissement inflammatoire, etc.
2° Tantôt, au contraire, ces maladies agissent sur les ganglions au
titre d'affections spécifiques, pour y développer des lésions spécifiques
que les causes d'irritation vulgaire ne sauraient produire.
Deux d'entre elles seulement (chancre simple et syphilis) sont sus-
ceptibles de ce mode d'action.
Ajoutons aussitôt que le bubon spécifique qu'elles déterminent est
essentiellement différent pour chacune d'elles, comme nous l'établirons
par ce qui va suivre. Ce que produit le chancre simple, c'est le bubon
ehunereux, le chancre ganglionnaire ; ce que développe la syphilis, c'est
une adénopathie spéciale, froide, indolente, ayant son individualité
propre aussi nettement accusée que possible.
En résumé, donc, les bubons d'origine vénérienne peuvent, ce me
semble, être classés très-naturellement comme il suit :
ï. Bubon simple (adénite inflammatoire).
11. Buboins spécifiques, comprenant: 1° le bubon chaîicreux; T Yadéuo-
pathie syphilitique.
Nous allons étudier en détail ces espèces diverses.
IHJHON. — BUROlN SIMPLE OU INFLAMMATOIRE (CAUSES, SYMPTOMES). 7(M
I, BUBON SIMPLE OU INFLAMMATOIRE.
(rosi, comme nous l'avons dit, une adénite simple, purement inflam-
matoire, dépourvue de toute spécificité virulente,
Ce bubon se produit à la suite des lésions vénériennes primitives, tout
comme l'adénite se développe à propos d'irritations de la peau ou des
muqueuses, d'excoriations, de plaies, de brûlures, de vésications, etc.
Vénérien d'origine, il n'offre ni dans ses symptômes, ni dans sa mar-
che, ni dans ses modes de terminaison, rien qui le distingue de l'adé-
nite simple ou vulgaire. Nous n'avons donc à le décrire que très-Succinc-
tement, l'histoire pathologique de l'adénite devant être exposée en détail
dans un autre article de cet ouvrage.
Causes. — les causes qui peuvent déterminer ce bubon sont les
suivantes :
1° Excitations, irritations mécaniques de la verge, résultant du com-
merce sexuel;
2° Déchirures, érosions, plaies du pénis produites dans le coït, puis
entretenues ou irritées par de mauvais pansements, par des cautérisa-
tions intempestives, par la non-interruption ou la reprise prématurée des
rapports, etc. ;
5° Blennorrhagie (voy. ce mot); urétrites; lésions de l'urètre;
4° Balanite (voy. ce mot); posthite; balano-posthite;
5° Enfin et surtout, chancre simple, lequel peut agir sur les gan-
glions au titre de plaie simple, d'irritant vulgaire, indépendamment
de sa spécificité virulente.
De même, cette adénite peut encore résulter de lésions non véné-
riennes de la verge : herpès, furoncles, eczéma, érysipèle, traumatisme,
opérations chirurgicales, etc.
Dans l'énorme majorité des cas, ce bubon simple reconnaît pour ori-
gine une lésion apparente, et son point de départ est facilement consta-
table. Mais il n'en est pas toujours ainsi. Certaines adénites inguinales
paraissent pouvoir être légitimement considérées comme vénériennes,
alors même qu'il n'existe pas de lésions appréciables des parties sexuelles.
Il est vrai, comme on l'a dit, que la lésion primitive peut être assez su-
perficielle, assez éphémère pour passer inaperçue. Mais rien ne répugne,
ce me semble, à admettre qu'elle puisse faire absolument défaut. 11 n'est
pas impossible que l'excitation du coït retentisse sur les ganglions au
même titre que la marche, l'exercice forcé, la fatigue musculaire. Tou-
jours est-il que cette adénite, dite par quelques auteurs essentielle ou
idiopathique, est excessivement rare et véritablement exceptionnelle.
Symptômes. — Les symptômes de ce bubon sont ceux de l'adénite
simple (voy. Lymphatique (ganglion).
Ils se présentent sous deux formes :
4° La première consiste simplement en une tuméfaction légère avec
endolorissement d'un ou de plusieurs ganglions. C'est une fluxion, une
762 BUBON. — p.ubon simple ou inflammatoire (pronostic).
tension ganglionnaire, plutôt qu'une véritable adénite. Elle se termine
toujours par résolution dans l'espace de quelques jours.
Cette forme s'observe très-communément dans la blennorrhagie uré-
trale. On la rencontre aussi à la suite des balanites, des balano-posthites,
des érosions simples de la verge, des déchirures produites mécanique-
ment dans le coït et irritées par des causes diverses. Elle est beaucoup
plus rare au contraire avec le chancre simple, qui, très-généralement,
retentit sur les ganglions d'une façon bien plus aiguë.
2° La seconde forme est une adénite vraie, se caractérisant par les
symptômes habituels des inflammations ganglionnaires : tuméfaction
d'une ou plus rarement de plusieurs glandes, avec empâtement des tissus
périphériques, rougeur plus ou moins vive des téguments, sensibilité
très-douloureuse à la pression, difficulté de la marche, etc. — Ces symp-
tômes persistent plusieurs jours avec une intensité variable, puis abou-
tissent à des terminaisons diverses, soit à une résolution graduelle, soit
à la formation d'un abcès, soit à l'induration chronique. — Une seule
chose est à remarquer ici, c'est que, dans les cas où ce bubon arrive à
suppurer, le pus qu'il fournit est un pus simple, phlegmoneux, non vi-
rulent, non spécifique, non susceptible de convertir en ulcère chancreux
le foyer qui le contient et les tissus périphériques.
Ce bubon peut d'ailleurs subir diverses complications qui n'offrent non
plus rien de spécial et que l'on observe à la suite des adénites de tout
genre : passage à la forme chronique; — dégénérescence strumeuse chez
les sujets lymphatiques ou scrofuleux ; — ■ décollements de la peau plus
oumoinsétendus; — fusées; — fistules persistantes; — accidents diversd'ir-
radiation inflammatoire; érysipèle; phlegmon diffus, etc.
Cette seconde forme d'adénite s'observe surtout avec le chancre
simple.
Le chancre simple, en effet, peut agir sur les ganglions indépendam-
ment de sa spécificité virulente. Comme l'a dit Ricord, « il constitue à la
fois pour les glandes lymphatiques une cause d'irritation commune et une
source de virulence spécifique. Il est susceptible de retentir sur elles à la
façon d'une plaie simple, d'un excitant quelconque, ou bien au titre
d'ulcère virulent... Dans le premier cas, le bubon qu'il produit est une
adénite simple, qui présente dans son développement et dans sa marche
les caractères propres aux adénites non spécifiques ; c'est une phlegmasie
ganglionnaire qui suit les phases de toutes les phlegmasies, qui peut
se terminer par résolution, qui peut suppurer, mais dont le pus ne pré-
sente jamais aucun caractère de spécificité virulente... Dans le second, ce
qu'il détermine, c'est un bubon d'un tout autre genre, virulent par ex-
cellence, non susceptible de résolution : c'est un bubon chancreux, un
véritable chancre ganglionnaire. »
Pronostic. — A de très-rares exceptions près, ce bubon ne présente au-
cun accident sérieux. Les complications qu'il peut subir ne sont pas dif-
férentes de celles que comporte l'adénite simple. Il diffère essentiellement
à ce point de vue de l'espèce que nous allons décrire.
BUBON. — BUBON CHANCREUX (ÉTIOLOGIE, PATHOGÉNIE). 763
Nous exposerons, à la fin de cet article, le traitement qui lui est ap-
plicable.
II. BUBONS SPÉCIFIQUES.
I. Bubon cliancrewx — Espèce très-distincte, différente à tous égard s
et de celle qui précède et de celle que nous étudierons plus loin sous le
nom d'adénopathie syphilitique.
Ce bubon est dit chancreux, non pas en raison du chancre qui le pré-
cède, mais en raison de ce fait que lui-même est constitué par un
chancre. C st moins, en effet, une adénite qu'un chancre ganglion-
naire.
Spécifiât chancreuse, tel est le caractère essentiel de ce bubon. Ce
caractère est réel, incontestable. Il ressort à la fois et de l'examen cli-
nique et des résultats fournis par l'inoculation.
La clinique, en effet, nous montre la plaie consécutive à l'ouverture
de ce bubon revêtant l'aspect et la forme du chancre.
L'expérimentation d'autre part nous apprend que le pus sécrété par
cette plaie reproduit par inoculation un accident spécial qui est le
chancre simple.
De plus, et cela n'est pas moins important à spécifier, cette es-
pèce de bubon appartient en propre et exclusivement au chancre simple.
On ne l'observe jamais ni avec le chancre infectant, ni avec la blennor-
rhagie, ni avec aucune affection soit vénérienne, soit d'autre nature.
C'est en quelque sorte la propriété, l'apanage d'une entité morbide spé-
ciale, le chancre simple.
Étiologie, pathogénie. — Le bubon chancreux se produit à la suite du
chancre simple comme un épiphénomène spontané. Il n'est pas de cause
occasionnelle, provocatrice, qui en détermine le développement. Les fati-
gues, le défaut d'hygiène, les pansements irritants, les influences diverses
qui exercent une action manifeste sur la production de l'adénite, sem-
blent ne jouer aucun rôle dans la pathogénie de ce bubon. On le voit se
produire sur tels sujets en dépit du traitement le plus méthodique, de
l'hygiène, la mieux observée, et faire défaut inversement chez tels autres
dans les conditions les plus aptes en apparence à en provoquer la mani-
festation.
Il est probable qu'une cause unique préside au développement de ce
bubon, et que cette cause est Y absorption du pus chancreux à la surface
des ulcérations chancreuses. Très-vraisemblablement, les choses se pas-
sent de la façon suivante : le pus est absorbé par les vaisseaux lym-
phatiques ulcérés ; puis de là il est charrié et transporté de proche
en proche par ces vaisseaux jusque dans le ganglion le plus voisin, qu'il
inocule alors et qu'il convertit en foyer chancreux. Ce qui milite en fa-
veur de cette absorption, c'est que le pus ganglionnaire présente exac-
tement les mêmes caractères que le pus de l'ulcération primitive. Ce qui,
d'autre part, démontre encore la réalité d'un transport s' opérant du
chancre au ganglion, c'est que le pus virulent contamine parfois au pas-
704 BUBON. — - BUBON chancreux (fréquence).
sage les vaisseaux lymphatiques, de façon à y développer de véritables
abcès chancreux [lymphangites chancreuses). Dans les cas de cette nature,
on a la piste, pour ainsi dire, du pus chancreux et le témoignage de sa,
migration dans le système absorbant.
Si tel est son mode de pathogénie, le bubon chancreux mérite bien la
dénomination qui lui a été donnée de bubon d'absorption,
Comme corollaire naturel de ce qui précède, la richesse d une région
en vaisseaux lymphatiques doit favoriser éminemment la production du
bubon chancreux. Cette induction théorique se trouve confirmée. Ainsi
ce bubon est une complication particulièrement fréquente p jrles chan-
cres situés sur des points où les lymphatiques abondent, forment un
lacis serré ou des foyers de convergence (rainure, méat uréti I, et surtout
région du frein).
Quant aux conditions qui entravent ou favorisent l'absorption à la
surface des ulcérations chancreuses, elles sont restées inconnues jus-
qu'à ce jour; elles nous échappent absolument.
Fréquence. — Le bubon chancreux est bien loin de se produire à la
suite du chancre simple avec le même degré de fréquence que l'adéna-
pathie syphilitique à la suite du chancre infectant. En effet :
lu D'une part, le chancre simple n'exerce pas sur les ganglions une
action constante et presque fatale, comme le chancre syphilitique. Sou-
vent, le plus souvent même, il n'a pas de retentissement ganglionnaire.
D'après une statistique personnelle, il ne se compliquerait de bubon que
1 fois sur 5 environ, comme le montrent les chiffres suivants :
Malades atièctés de chancres simples . 207
Chancres simples s'élant compliqués de bubon 65
— — ne s'étant pas compliqués de bubon 442
Diverses statistiques publiées dans ces derniers temps (Belhomme et
Martin, Nayrand, etc.), fournissent une proportion peu différente de la
nôtre.
2° D'autre part, lorsque le chancre simple affecte les ganglions, ce
n'est pas toujours un bubon chancreux qu'il détermine; c'est souvent,
comme nous l'avons dit, une adénite simple, dépourvue de toute spécifi-
cité virulente.
La fréquence relative de ces deux espèces de bubons serait curieuse a
déterminer. Malheureusement, la science est loin d'être fixée sur ce
point, et nous ne pouvons que signaler cette lacune à l'attention des
observateurs.
On s'accorde généralement à considérer le bubon chancreux comme
notablement plus rare chez la femme que chez l'homme; mais sur ce
point encore nous manquons de documents précis et de statistiques suf-
fisantes. Ce qui est très-certain, c'est que le bubon, en général, est moins
fréquent chez la femme que chez l'homme ta la suite du chancre simple.
Ce fait peut s'expliquer par la différence du genre de vie, des habitudes
sociales, des fatigues professionnelles, etc.; mais il est difficile de com-
BUBOÎN. — buboïn ghamcreux (siège). 7(55
prendre que le bubon chancreux résultant d'un acte physiologique,
l'absorption, soit moins commun dans un sexe que dans l'autre. Si la ra-
reté relative de cet accident chez la femme est bien réelle, elle est due
sans doute à quelque condition particulière, restée méconnue jusqu'à ce
jour.
Siège. — Le bubon chancreux a pour siège presque constant la région
inguinale et les ganglions superficiels de cette région.
Exceptionnellement on la observé sur d'autres points : dans la région
de l'aisselle, à la suite d'inoculations pratiquées sur le bras; à la région
parotidienne, à la suite d'un chancre inoculé sur la joue (Huebbenet de
Kieff).
Dans l'aine, il affecte le plus souvent les ganglions situés au centre
même du groupe glandulaire, au-devant des vaisseaux cruraux; bien
plus rarement il se développe sur ceux qui sont internes ou externes par
rapport à ces derniers.
Le bubon chancreux de l'aine est habituellement unilatéral. Dans ce
cas, il siège en général du même côté que le chancre dont il dérive. Par-
ibis cependant il est croisé, c'est-à-dire (pie le chancre occupant, je sup-
pose, la moitié droite de la verge, le bubon se fait à gauche, ou inverse-
ment. Cette anomalie apparente est simplement due à l'entrecroisement
des lymphatiques sur la ligne médiane.
Plus rarement, ce bubon est bilatéral ou double. On l'observe dans
trois conditions différentes : soit avec des chancres multiples siégeant sur
l'un et l'autre côté de la verge ; — soit avec un chancre unique situé
sur la ligne médiane (exemple, chancre du frein); — soit même avec un
chancre unique limité à l'un des côtés du pénis, ce qui s'explique par
une anastomose et un entrecroisement des lymphatiques.
Du reste, ces dispositions diverses n'ont rien de spécial au bubon
chancreux; on les rencontre soit avec l'adénite simple, soit avec le bubon
symptomatique du chancre infectant.
Un fait bien plus intéressant, c'est que ce bubon, ou, d'une laçon plus
générale le bubon symptomatique du chancre simple, « ne se produit
jamais, comme l'avait déjà signalé llunter, que sur les ganglions superfi-
ciels; c'est qu'il se borne toujours au premier groupe de glandes où
viennent se rendre les lymphatiques de la partie malade.
« Jamais dans les ganglions profonds, jamais dans les lymphatiques
qui viennent y aboutir ou qui en émanent, vous ne rencontrerez ce qui
caractérise le bubon spécifique, c'est-à-dire le pus virulent, inoculable,
primitif. Il est comme une sorte de barrière que le pus chancreux ne
peut franchir, et cette barrière, c'est le premier groupe de ganglions
qui se trouve en rapport direct avec le chancre.
«Mais, chose plus remarquable encore, alors même que l'une des
glandes superficielles suppure spécifiquement à la suite d'un chancre,
c'est-à-dire se trouve convertie en un véritable foyer chancreux, l'absorp-
tion qui doit s'exercer sur le pus de ce bubon n'infecte point les vaisseaux
lymphatiques qui en émergent non plus que la glande qui leur fait suite.
766 BUBON. — bubon chancreux (époque d apparition, symptômes).
Comme si l'infection virulente ne pouvait se transmettre d'un ganglion
à un autre par la voie des lymphatiques inter-ganglionnaires.
« Ce résultat singulier de l'observation clinique la plus rigoureuse, la
théorie ne peut en rendre compte. Hunter, qui l'interprétait ou croyait
l'interpréter « par une inaptitude des (/landes profondes à devenir le
« siège de l'irritation vénérienne, » n'a fait en réalité que reculer la
question sans la résoudre. A cette hypothèse, j'en préférerais peut-être
une autre que repousse cependant le même auteur : c'est que la matière
vénérienne se trouve modifiée et altérée dans son trajet à travers les pre-
mières glandes, ce qui expliquerait pourquoi elle n'infecte pas une se-
conde et une troisième série de ganglions. Mais ce n'est là, je le répèle,
qu'une hypothèse dont je suis loin de m'exagérer la valeur.
« Quelle qu'en soit l'interprétation, le fait subsiste, et je puis vous
donner comme incontestable cette proposition : le rayonnement morbide
du chancre simple se limite au premier groupe de ganglions le plus voi-
sin de la surface ulcérée; il ne le dépasse jamais; il ne s'étend jamais
au delà » (Ricord, Leçons sur le chancre).
Époque d'apparition. — Le bubon chancreux se manifeste très-géné-
ralement dans les premières semaines qui suivent l'apparition du chancre.
Mais son développement n'a rien de fixe, de régulier; il peut être pré-
coce ou tardif; il peut même ne se faire qu'à une époque très-reculée.
Ainsi, le docteur Puche a vu se produire une adénite virulente après
trois ans de durée d'un chancre simple à forme serpigineuse ; le pus de
cette adénite, interrogé par l'inoculation, fournit la pustule spécifique du
chancre.
Symptômes. — Le bubon chancreux se présente avec l'ensemble des
symptômes qui caractérisent l'adénite aiguë : développement inflamma-
toire d'un ganglion, tuméfaction périphérique, rougeur des téguments,
endolorissement local et sensibilité très-vive à la pression, troubles fonc-
tionnels (gène des mouvements, difficulté delà marche), etc.
En un mot, c'est une adénite, une adénite aiguë, vivement inflamma-
toire. 11 n'est pas un signe qui, dans les premiers temps de son déve-
loppement, distingue ce bubon d'une simple phlegmasie ganglionnaire.
Règle presque absolue, les symptômes se localisent sur une des glandes
de la région. « Le bubon chancreux, dit Ricord, est essentiellement
mono-ganglionnaire {monadénite chancreuse). » A ce point de vue, il
diffère donc complètement de l'adénopathie syphilitique, laquelle, dans
la région inguinale, a pour caractère habituel d'affecter plusieurs gan-
glions.
Une fois déclaré, ce bubon évolue avec rapidité. Les symptômes in-
flammatoires s'accroissent d'une façon continue, et s'accroissent quoi
qu'on puisse faire pour les modérer. La tumeur augmente de volume,
la peau se distend, les douleurs deviennent de plus en plus vives; tout
annonce la formation d'un abcès, alors même que la fluctuation n'est
pas encore perceptible.
C'est qu'en effet un abcès se prépare. 11 se forme, il se constitue
BUBON. — BUliOlN CHANCREUX (SYMPTÔMES). 767
dès îes premiei instants de la maladie ; mais, renfermé dans la coque
ganglionnaire, L ne devient manifeste que plus tardivement.
Cet abcès est fatal, inévitable. Rien n'entrave la marche de la ma-
ladie vers la suppuration, rien ne peut empêcher la genèse du pus.
« Avec le bubon chancreux, dit Ricord, la résolution est impossible.
La suppuration est fatale, nécessaire; c'est qu'en effet elle est Pexorde
même de la maladie, c'est qu'elle en constitue la manifestation essen-
tielle et primitive... Le bubon chancreux est moins une adénite qu'un
chancre ganglionnaire. Son point de départ, c'est une inoculation de la
glande, c'est une suppuration établie dans le ganglion. » La preuve de
ce fait, c'est que, dans les cas où Ton ouvre la glande longtemps avant
l'époque où la fluctuation peut être perçue, dans les premiers jours même
où le bubon se déclare, on voit presque toujours s'écouler par l'incision
un liquide paraient. Ce phénomène a été très-nettement constaté par
Broca dans ses observations sur le traitement abortif du bubon. Ponc-
tionnant des ganglions qui n'avaient encore que « le volume d'une noi-
sette, » et exerrant sur eux une très-forte pression, ce chirurgien en fai-
sait sourdre « une matière demi-liquide, jaunâtre, visqueuse, laquelle,
dit-il, est du pas encore mal élaboré. »
Ce qui succède à l'inoculation du parenchyme ganglionnaire par le
virus chancreux est facile à prévoir. C'est d'abord la fonte purulente du
ganglion ; c'est ensuite, comme conséquence, l'inflammation de l'atmo-
sphère cellulo-adipeuse qui entoure la glande.
Or, cette inflammation de voisinage, sorte de phlegmon simple péri-
ganglionnaire (péri-adénite), aboutit presque toujours à suppuration. De
la sorte, à un instant donné, deux foyers purulents distincts se trouvent
constitués et superposés : l'un renfermé dans la coque ganglionnaire,
véritable kyste chancreux; l'autre libre, diffus, périphérique à la glande
et plus superficiel que le précédent. Le premier contient un pus spéci-
fique, chancreux; le second un pus simple, dépourvu de toute spécificité
virulente.
Cette distinction des deux collections purulentes juxtaposées n'est pas
seulement théorique, elle est réelle et démontrable expérimentalement.
« A l'époque, dit Ricord, où les deux foyers sont encore distincts, vous
pouvez instituer la très-curieuse expérience que voici : attaquez prudem-
ment le bubon en divisant les tissus couche par couche ; recueillez une
gouttelette de la première nappe purulente que vous rencontrerez sous le
bistouri, et pratiquez avec elle une inoculation; puis plongez profondé-
ment le bistouri dans la tumeur, et faites une seconde inoculation avec
le pus sortant du ganglion. Si l'expérience a été bien conduite et si les
deux pus n'ont pas été mélangés, je vous prédis sans crainte que la pre-
mière de vos inoculations restera stérile, et que la seconde vous fournira
la pustule caractéristique du chancre. »
Mais, on le conçoit sans peine, ces deux nappes purulentes ne restent
pas longtemps distinctes. Bientôt une communication s'établit entre elles
par l'ulcération et la rupture de la coque ganglionnaire. Le pus virulent
768 BUBON. — bubon chancreux (symptômes^
se mêle alors au pus phlegmeneux et inocule les parois du loyer super-
ficiel, qui se trouve de la sorte converti secondairement en un loyer
chancreux.
A cette époque, si l'on n'ouvre pas la voie au pus par le bistouri
ou les caustiques, il se produit ee qu'on observe dans tous les abcès :
ramollissement progressif de la tumeur inflammatoire, «'étendant de
proche en proche; fluctuation devenant de plus en plus manifeste;
amincissement rapide de la peau, laquelle, ulcérée et détruite dans ses
couches profondes, se réduit à l'état d'une pellicule épidermique et
finit par se perforer sur un ou plusieurs points ; puis issue d'une quantité
de pus toujours assez considérable. Ce pus n'est pas lié, jaune et homo-
gène comme le pus simple, phlegmoneux; il a mauvais aspect, il est
en général diffluent, sanieux, jaune grisâtre ou jaune roux; souvent
aussi il est mêlé de détritus organiques et comme panaché de stries d'un
brun cliGcolat.
Tout n'est pas fini avec l'ouverture de l'abcès. Loin de là. Un nouvel
ordre de phénomènes commence. L'abcès chancreux est à découvert;
un véritable chancre inguinal se trouve constitué ; que va-t-il devenir?
Souvent les choses se passent d'une façon très-simple et très-heu-
reuse. Les lèvres de la plaie, converties en surfaces chancreuses, ne
s'ulcèrent que sur une très-petite étendue ; le fond du foyer s'élève, se
déterge, perd son aspect spécifique et bourgeonne; la perte de substance
se comble peu à peu; finalement, la cicatrisation se fait après un temps
plus ou moins long.
Mais, en d'autres cas tout aussi fréquents, des complications diverses
entravent et retardent la guérison.
Ainsi, parfois les téguments amincis et décollés dans une étendue plus
ou moins considérable se perforent sur plusieurs points, se criblent et
se détruisent irrégulièrement. Le foyer profond, découvert en partie seu-
lement, offre une vaste surface ulcérée, inégale, anfractueuse, à bords
durs et engorgés, à diverticules sous-cutanés difficilement accessibles aux
agents modificateurs, etc. Toutes ces conditions sont éminemment défa-
vorables au travail de cicatrisation.
D'autres fois, il s'est produit une énorme perte de substance, au point
qu'on pourrait loger une noix ou même un petit œuf dans l'excavation
creusée par l'abcès. La peau, dans ce cas, se trouve séparée du fond de
l'ulcère par un espace vide considérable; elle forme une sorte de pont
au-dessus de la caverne chancreuse. Cette disposition rend impossible
l'accolement des parois opposées; elle entretient la rétention du pus, elle
favorise la production de fusées en divers sens, elle entrave indéfiniment
la guérison.
Souvent encore, les surfaces ulcérées conservent longtemps leur spé-
cificité virulente. En dépit de tous les traitements, elles restent chancreuses
pendant des semaines, pendant des mois entiers, sans subir la moindre
modification. Parfois même ces ulcérations deviennent envahissantes. Non-
seulement alors elles détruisent la peau qui recouvre le foyer (ce qui peut
BUBON. — iîubon chancreux (symptômes). 769
constituer une disposition favorable à la cicatrisation), niais elles s'é-
tendent sur les téguments voisins, créant ainsi un chancre cutané qui
s'ajoute au foyer primitif; ou bien encore elles se creusent, s'excavent et
détruisent en profondeur. Elles peuvent enfin revêtir cette terrible forme
<pie nous décrirons plus loin sous le nom de pbagédénisme chancreux
d'origine ganglionnaire.
Quant aux caractères que revêt l'ulcération du bubon chancreux, ce
sont exactement ceux du chancre simple : surface inégale, déchiquetée,
vermoulue, offrant une teinte grisâtre ou d'un gris brun, souvent re-
couverte en partie de dépôts pultacés ou pseudo-membraneux ; bords
irréguliers, taillés à pic sur certains points, et sur d'autres décollés, ren-
versés, enroulés sur eux-mêmes et repliés vers le fond de l'abcès; —
suppuration abondante, sanieuse, non homogène, parfois roussàtre, et
ne prenant l'aspect du pus phlegmoneux qu'à l'époque où la répa-
ration commence à se faire ; — sécrétion inoculable au malade et repro-
duisant un chancre simple, etc. — L'évolution de cet ulcère est généra-
lement assez lente, comme celle du chancre simple, et présente la même
série de phases successives [augmenta étal, réparation) . Seulement, à sa
dernière période, elle est le plus souvent retardée par des complications
locales que nous avons mentionnées précédemment (décollements de la
peau, irrégularités de la surface ulcérée, fusées, fistules, etc.), et qui,
sans l'intervention de l'art, pourraient prolonger presque indéfiniment la
durée de la maladie.
Enfin la cicatrice que laisse à sa suite le bubon chancreux est néces-
sairement variable suivant les cas : petite, restreinte, et devenant
presque invisible avec le temps si l'ulcération s'est limitée; large, irrégu-
lière, gaufrée, enfoncée, blanchâtre et indélébile, s'il s'est produit des
destructions considérables en surface et en profondeur.
Accidents et complications . — Le bubon chancreux est sujet à toutes
les complications des adénites suppurées : accidents inflammatoires, dé-
collements consécutifs, fistules persistantes, érysipèle, phlegmon dif-
fus, etc.
De plus, il est exposé à un accident tout spécial que Ton n observe ja-
mais avec aucune autre variété d'adénite. Cet accident, qui lui appartient
en propre, qui lui est exclusif, c'est le phagédénisme (voy. ce mot).
Ce phagédénisme se produit à la suite du chancre ganglionnaire
comme à la suite du chancre primitif. Ce n'est pas une complication
propre au bubon, c'est un accident du chancre, quel qu'en soit le siège.
Remarque curieuse : le phagédénisme d'origine ganglionnaire n'est
qu'assez rarement la conséquence du phagédénisme chancreux. S'il
succède parfois à des chancres phagédéniques, il se développe plus sou-
vent à la suite de chancres ne présentant qu'une étendue moyenne, sui-
vant une évolution régulière, complètement dépourvue en un mot de
cette malignité spéciale qui constitue le phagédénisme. C'est là du moins
une remarque qui résulte de mon observation personnelle.
Comme symptômes, le phagédénisme ganglionnaire est l'analogue du
NOUV. D1CT. MÉD. ET CHIR. V. — 4(J
770 BUBON. — bubon chancreux (symptômes).
phagédénisme ch-ancreux, dont il reproduit les différentes variétés. Tan-
tôt il s'étend en surface; tantôt, ce qui est heureusement plus rare, il
creuse en profondeur; d'autres fois encore, il creuse et s'étale en même
temps.
Le plus habituellement, il affecte la forme dite serpigineuse, c'est-à-
dire qu'il s'étend en surface, en présentant cette particularité singulière
de progresser par une extrémité de l'ulcération et de se cicatriser par
l'autre.
De l'aine comme point de départ, l'ulcère phagédénique s'irradie en
divers sens. Il se porte vers l'abdomen, vers la crête iliaque, vers la ré-
gion pubienne, vers la cuisse, etc. Parfois il se bifurque ou se divise en
ramifications multiples et divergentes qui font chacune leur voie iso-
lément et envahissent des surfaces plus ou moins considérables.
Cette ulcération n'offre rien de fixe ni de régulier dans sa marche.
Assez souvent elle progresse avec rapidité dans les premiers temps de son
existence pour prendre ensuite une allure plus lente. D'autres fois, elle
s'étend d'une façon continue et égale. D'autres fois encore elle procède
par poussées successives et intermittentes, c'est-à-dire qu'elle s'accroît et
se limite tour à tour par saccades inattendues.
Le trajet qu'elle parcourt n'est également soumis à aucune règle. Elle
s'étend en ligne droite ou bien se contourne en demi-cercle, s'inlléchit
capricieusement en divers sens et revient même parfois sur ses pas en
détruisant la traînée de cicatrice qui s'est formée derrière elle.
Sa durée est très-variable et non susceptible de limitation. Certaines
ulcérations se cicatrisent en quelques semaines, d'autres en plusieurs
mois, d'autres persistent des années entières, deux, trois, quatre années
et même au delà. J'ai dans mes notes l'observation d'un ulcère serpigi-
neux, consécutif à un chancre ganglionnaire, qui n'était pas encore cica-
trisé après quatorze ans d'existence!
Un autre point curieux de l'histoire symptomatologique de ces ulcéra-
tions, ce sont les recrudescences , les rechutes inattendues, se produisant
à une époque où la guérison parait acquise, et cela sans provocation
aucune, sans la moindre cause appréciable. J'ai vu pour ma part plu-
sieurs cas de ce genre où le phagédénisme, après s'être limité, après
avoir paru s'éteindre, se réveillait brusquement en quelque sorte, ulcé-
rait les cicatrices déjà formées et déterminait de nouveaux envahisse-
ments. Tout récemment encore j'ai eu l'occasion d'observer un fait sem-
blable. Un malade était entré dans mon service, il y a quelques mois,
porteur de trois vastes ulcérations de l'aine, de l'abdomen et de la cuisse,
consécutives à un bubon chancreux phagédénique. Sous l'influence du
traitement qui fut dirigé contre elles, ces plaies s'étaient modifiées assez
rapidement et cicatrisées presque en totalité ; une guérison complète pa-
raissait ne pouvoir tarder au delà de quelques jours, lorsque tout à coup,
sans aucun motif, sans aucune imprudence, sans aucun changement ap-
porté dans la médication, la tendance phagédénique se reproduisit ino-
pinément, les cicatrices se rompirent sur tous les points, s'ulcérèrent,
BUBON. — bubon chancreux (diagnostic). 771
s'élargirent, si bien qu'en moins d'une semaine les trois plaies se trou-
vèrent reconstituées dans l'état où elles étaient lors de l'entrée du malade
à l'hôpital.
Le phagédénisme d'origine ganglionnaire est quelquefois terrible. Il
peut labourer, détruire les téguments sur une étendue considérable. On
l'a vu remonter de l'aine jusqu'à l'ombilic, contourner l'abdomen jus-
qu'aux lombes, descendre au périnée, dépouiller la cuisse jusqu'au ge-
nou. De plus, et ceci est bien autrement grave, il peut détruire en pro-
fondeur, fouiller, creuser les tissus, rongeant le tissu cellulaire et les
aponévroses, disséquant les muscles, dénudant les nerfs et les vaisseaux,
notamment l'artère fémorale qu'on a vu parfois battre à nu dans le fond
de la plaie. Non-seulement alors il détermine des pertes de substance irré-
parables, non-seulement il expose les malades à des accidents immédiats
de la plus haute gravité, mais de plus il devient l'origine de suppurations
excessives qui se prolongent, qui s'éternisent, qui finalement peuvent
aboutir au marasme et à la mort.
J'ai vu, dans le service de Ricord, en 1856, le plus déplorable
exemple de phagédénisme ganglionnaire. Un malade avait contracté,
en 1849, un chancre de la verge, chancre simple qui se cicatrisa sans
accidents, mais se compliqua d'un bubon aigu. Ce bubon s'abcéda, s'ou-
vrit et suppura plusieurs mois sans présenter de tendance à s'élargir. Puis,
à un moment donné, l'ulcération inguinale commença à s'étendre et prit
le caractère du phagédénisme serpigïneux. Dès lors, en dépit de tous
les traitements, malgré l'intervention de l'art la plus énergiquement ré-
pressive, cette ulcération ne cessa de progresser; elle envahit toute la
région de l'aine, contourna le flanc, remonta vers les lombes et dépouilla
toute la fesse; puis, toujours rebelle, redescendit sur la cuisse, dont elle
laboura les faces postérieure et externe dans toute la longueur du
membre, parvint jusqu'au genou, le dépassa, et s'étala finalement à ce
niveau sur une énorme surface. Tout fut mis en œuvre contre cette hor-
rible plaie, tout échoua. Le malade quitta l'hôpital non guéri et déses-
péré. Plusieurs années après, je rencontrai ce malheureux dans les rues
de Paris, pâle, affaibli, se traînant avec peine; il me raconta qu'il avait
été soumis sans succès à divers traitements et que son ulcération per-
sistait toujours. De plus, la jambe s'était coudée sur la cuisse à angle
droit par la rétraction des cicatrices de la face postérieure du membre.
La maladie datait à cette époque de plus de quatorze ans !
Diagnostic. — Le bubon chancreux ne peut guère être confondu qu'a-
vec l'adénite aiguë symptomatique du chancre simple.
Or, comme nous l'avons laissé pressentir par ce qui précède, il n'est
de diagnostic certain à établir entre ces deux bubons que consécutive-
ment à l'ouverture de l'abcès, d'après l'aspect et les tendances de la
plaie qui lui succède. C'est dire qu'on ne constate la nature chancreuse
du bubon qu'à l'époque où l'on a le chancre sous les yeux.
On a prétendu toutefois que ce diagnostic différentiel pouvait être
institué dès la première période de la maladie. Il y a tout lieu, a-t-on dit^
772 BUBON. — bubon chancreux (diagnostic).
de supposer l'existence d'un bubon chancreux si les symptômes inflam-
matoires présentent un haut degré d'acuité (douleurs intenses, rougeur
et chaleur vives de la peau, gêne plus grande des mouvements, etc.),
s'ils affectent une marche rapide, si la suppuration s'établit hâtivement,
si la tumeur se ramollit presque simultanément dans toute sa masse,
si la complication ganglionnaire s'est développée au delà de la seconde
semaine après le chancre, etc. Ces divers signes, à part le dernier peut-
être, n'ont à mon sens aucune valeur séméiologique. Ils ne sauraient au
plus que fournir de vagues présomptions, mais pas de certitude réelle
sur la nature de l'engorgement ganglionnaire.
En revanche, lors de l'ouverture de l'abcès, il est deux signes qui per-
mettent d'établir le diagnostic.
C'est d'abord la nature du pus qui s'écoule de la tumeur, la suppu-
ration chancrcuse étant notablement différente de celle que fournit l'a-
dénite simple (voy. pages 767 et 768); ce premier signe toutefois est loin
d'être absolu; il ne donne qu'une probabilité et rien de plus.
C'est en second lieu et surtout V aspect de la plaie consécutive. Si
cette plaie présente une surface inégale, irrégulière, déchiquetée, sa-
nieuse, grisâtre, recouverte çà et là de dépôts pseudo-membraneux,
circonscrite par des bords abrupts et taillés à pic, si surtout elle tend à
s'élargir et manifeste une tendance ulcéreuse, tous les doutes sont le-
vés; c'est bien un bubon chancreux auquel on a affaire.
Encore faut-il tenir compte de certains cas difficiles et embarrassants
qui sont loin d'être rares en pratique. Les caractères objectifs de l'ulcéra-
tion ne sont pas toujours assez nettement accusés pour permettre un dia-
gnostic différentiel. Une plaie chancreuse ne se présente pas toujours
avec l'aspect classique du chancre; et réciproquement il est des foyers
ganglionnaires consécutifs à des bubons simples qui simulent à s'y mé-
prendre les foyers chancreux.
Ajoutez que la tendance ulcéreuse de la plaie, c'est-à-dire le signe dé-
monstratif par excellence de la spécificité virulente, peut faire absolu-
ment défaut avec le bubon chancreux, lequel se concentre parfois dans
son siège primitif sans envahir les parties voisines. L'absence de ce signe
ajoute une incertitude de plus au diagnostic.
Dans les cas de ce genre, l'inoculation seule pourrait juger la question
en litige; mais il n'est pas toujours permis, il n'est même ni prudent ni
utile pratiquement d'y avoir recours.
Donc, il est des cas où, même après l'ouverture de l'abcès, le médecin
se trouve dans l'impossibilité de déterminer la nature du bubon. S'agit-il
d'un bubon simple ou d'un bubon chancreux, on ne saurait le dire.
Plus d'une fois pour ma part, je me suis trouvé en face de cette difficulté
diagnostique, que je m'étonne de ne pas voir signalée dans les traités
spéciaux ; plus d'une fois il m'est arrivé de traiter des bubons abeédés à
la suite de chancres simples, sans parvenir à en préciser le caractère
même après guérison.
A un point de vue tout différent, il est certaines conditions qui peuvent
BUBON. BUBON SYMTTOMATIQUE DE l'aCCFDENT INITIAL (FRÉQUENCE). 775
donner le change sur la nature du bubon chancreux. Tels sont les cas où
le chancre est cicatrisé, disparu même, à l'époque où l'on est appelé à
constater l'engorgement ganglionnaire ; tels sont encore ceux où l'accident
initial, en raison de son siège insolite ou larvé, court risque de passer
inaperçu. Les commémoratifs et l'examen minutieux des parties per-
mettent seuls alors de remonter à l'origine du bubon et d'en soupçonner la
spécificité.
Pronostic. — Le bubon chancreux est le plus grave de tous les bu-
bons vénériens. En tant qu'adénite, il est susceptible de tous les acci-
dents qui peuvent compliquer les inflammations ganglionnaires ; en
tant que foyer virulent, il comporte tous les dangers du chancre
simple.
Ce n'est pas à dire toutefois qu'il soit toujours grave et toujours plus
grave que les autres espèces d'adénopathies. Loin de là. Il est des bubons
chancreux qui se terminent d'une façon rapide et heureuse; il est au
contraire des bubons simples qui présentent parfois des complications
plus ou moins sérieuses (décollements, fistules, fongosités, accidents
inflammatoires de voisinage, etc.), et qui affectent une durée bien autre-
ment longue.
Mais ce qu'il ne faut pas oublier, c'est que le bubon chancreux peut
devenir l'origine d'un accident spécial et terrible, c'est qu'il contient en
puissance un germe de phagédénisme.
IL Bubon sypliili tiquai*. — La syphilis détermine des adénopathies
de deux ordres : 1° les unes précoces, immédiates, se produisant à la suite
de l'accident originel de la maladie, se développant comme des épiphé-
nomènes locaux à l'occasion du chancre initial, dont elles sont en quelque
sorte les satellites; — 2° les autres plus tardives, ultérieures, n'apparais-
sant qu'à une époque plus ou moins éloignée du début de l'infection, se
manifestant loin du siège du chancre, au titre d'accidents diathésiques
soit essentiels, soit symptomatiques de lésions consécutives.
Nous n'étudierons ici que celles du premier ordre, c'est-à-dire celles
qui se produisent à la suite du chancre.
Bubon symptomatique de l'accident initial de la syphilis. — Il diffère
essentiellement, comme nous allons le voir, soit de l'adénite simple, soit
du bubon chancreux.
Fréquence. — A de très-rares exceptions près, c'est un symptôme
constant de l'infection syphilitique primitive.
« Le bubon, dit Ricord, accompagne invariablement, fatalement, l'ac-
cident initial de la syphilis; il suit le chancre comme l'ombre suit le
corps; c'est le compagnon fidèle, obligé, du chancre infectant... Sans
doute il peut offrir des variétés de forme et de degré, sans doute il peut
être plus ou moins développé, plus ou moins manifeste aux différentes
époques de son existence ; mais il ne fait jamais défaut... Pas de chancre
infectant sans bubon, voilà ce qu'on peut donner hardiment comme une
loi pathologique. »
Nous avons vu précédemment que tout au contraire le bubon fait sou-
774 BUBON. — bubon symftomatique de l'accident initial (fréquence).
vent défaut à la suite du chancre simple, qui n'exerce pas sur les gan-
glions d'action fatale et nécessaire.
Toutefois, il est certains cas qui font exception à la loi formulée par
Ricord. Il est très-positivement des chancres syphilitiques qui ne déter-
minent pas d'engorgement ganglionnaire. Ce sont là des faits très-rares,
tout à fait exceptionnels, que l'on n'observe certes pas plus d'une fois ou
deux sur cent malades, mais dont cependant il importe de tenir un
compte sérieux au point de vue séméiologique.
11 serait très-curieux de déterminer les conditions qui, dans les cas de
ce genre, empêchent l'action syphilitique de se porter sur les ganglions.
Or, sur ce point, nous devons avouer notre ignorance absolue. Tout au
plus nous a-t-il été permis de saisir quelques-unes des circonstances
dans lesquelles cette immunité ganglionnaire a été observée et qu'il
n'est pas sans intérêt de faire connaître.
En premier lieu, Ricord a remarqué et j'ai remarqué après lui d'une
façon très-certaine que le chancre infectant phagédénique n'exerce parfois
aucun retentissement sur les ganglions. Lephagédénisme paraîtrait donc
être une des conditions qui empêchent l'action syphilitique de s'irradier
sur les ganglions.
En second lieu, « le système ganglionnaire, dit Ricord, est assez ha-
bituellement en relation inverse de développement avec le système adi-
peux. Chez les individus très-gras, les ganglions sont petits; à la suite
du chancre infectant, ils sont souvent peu développés; parfois même,
mais rarement, ils font défaut » {Communie, orale).
De même encore, d'après notre maître, l'adénopathie peut manquer
avec le chancre induré de récidive, c'est-à-dire se développant à nouveau
sur des sujets autrefois syphilitiques.
Enfin elle paraît avoir fait défaut, en quelques cas très-rares, à la suite
du chancre infectant à forme d'érosion superficielle ou de papule exul-
cérée, ne présentant qu'une induration à peine perceptible ou même
presque douteuse.
J'ai voulu me rendre un compte exact et numérique de la fréquence
du bubon à la suite de l'accident initial de la syphilis. Or, voici ce que
m'a fourni sur ce sujet l'analyse de 265 observations très-soigneusement
étudiées à ce point de vue spécial :
Sur 205 cas de chancres indurés, suivis d'accidents non douteux de syphilis constitu-
tionnelle, j'ai constaté :
229 fois Tadénopathie classique que nous allons décrire, très-nettement formulée;
15 fois des adénopathies médiocrement accusées, non douteuses, mais peu significatives
au point de vue séméiologique;
5 fois des adénopathies de développement moindre et sans valeur séméiologique véri-
table ;
9 fois des adénopathies à dégénérescence strumeuse;
2 fois des bubons suppures à la suile de phénomènes inflammatoires ou de dégénéres-
cence strumeuse.
Cinq fois seulement sur 265 cas, le bubon fit défaut ou ne put être constaté. — Or,
ces 5 cas sont curieux à analyser :
BUBON. — mjbon symptomatjqtje dk l'acgtdent initial (siège). 775
1° Dans l'un, le malade était affecté d'un chancre phagédénique de la verge, horrible,
monstrueux; il ne présentait aucun développement ganglionnaire dans les régions ingui-
nales;
2° Dans deux autres cns, les malades offraient un embonpoint tel qu'il était fort diffi-
cile, pour ne pas dire impossible, d'explorer l'état des ganglions. Peut-être l'adénopathie
s'était-elle développée et n'était-elle que masquée par la surabondance du tissu adipeux ;
en tout cas, elle ne put être constatée;
5° Le quatrième fait est relatif à un jeune homme qui présenlait sur la rainure glnndo-
prépûtiale un chancre d'étendue moyenne, reposant sur un énorme noyau d'induration
cartilagineuse. Je ne pus saisir dans les aines le moindre développement ganglionnaire.
4° Dans le dernier cas, au contraire, le début de l'infection se fit par des érosions
herpétiformes, aussi limitées et aussi superficielles que possible, offrant à peine à leur
base un très-léger degré de rénitence. Ces érosions, que je pris tout d'abord pour des
herpès, ne s'accompagnaient d'aucun engorgement des ganglions; elles n'en devinrent
pas moins l'origine d'une syphilis des mieux caractérisées.
Au total, donc, sur 265 cas j'ai rencontré 260 fois l'adénopathie. Cinq
fois elle ne put être constatée, mais trois fois seulement elle lit défaut
d'une façon certaine.
Cette proportion est assez significative pour n'avoir pas besoin de com-
mentaires. Il est peu de symptômes donnés en pathologie comme con-
stants qui présentent un égal degré de fréquence.
Siège. — Comme tous les bubons, l'adénopathie spécifique du chancre
infectant est en relation directe de siège avec l'accident dont elle dérive.
Or, ce chancre pouvant, comme nous l'établirons ailleurs, se développer
sur n'importe quel point des surfaces tégumentaires ou muqueuses ac-
cessibles au contact du virus syphilitique, il suit de là que son bubon
doit s'observer sur les régions les plus diverses. C'est en effet ce qui a
lieu. Les chancres de la région génitale étant de beaucoup les plus fré-
quents, c'est à l'aine que Ton rencontre le plus communément le bubon
syphilitique. C'est à l'aine que se produisent également les adénopathies
symptomatiques des chancres de l'anus, de l'extrémité antérieure de
l'urèthre, du périnée, du col utérin (Ricord, Uobert, Bernutz, Legendre,
etc.), des fesses, des cuisses, de la portion inférieure de l'abdomen, etc.
Mais ce bubon s'observe sur bien d'autres points : assez souvent à la ré-
gion sous-maxillaire (chancres de la bouche, des lèvres, de la langue, du
menton, etc.); — plus rarement dans l'aisselle (chancres du sein, chan-
cres des doigts); — exceptionnellement sur d'autres ganglions de siège
divers : ganglions cervicaux, sus-hvoïdiens, parotidiens, pra?-auriculaire,
épitrochléen, etc.
Dans un cas de chancre occupant la voûte palatine, j'ai constaté l'exis-
tence d'un gros ganglion dans l'épaisseur même de la joue. Dans un
autre cas, où l'infection fut très-certainement transmise par le cathété-
risme de la trompe d'Eustache, il existait à la région parotidienne
deux ganglions volumineux, situés l'un exactement au-dessous du lo-
bule de l'oreille, et l'autre un peu plus intérieurement sous la branche du
maxillaire.
A l'aine, le bubon du chancre infectant peut, comme celui du chancre
776 BUBON. — rubon symptomatïque de l'accident initial (symptômes).
simple, être direct ou croisé; il peut aussi être unique ou double, c'est-
à-dire affecter une seule des régions inguinales ou les deux à la fois.
Mais ce qu'il présente de spécial, c'est sa tendance à se porter à la fois
sur les ganglions des deux aines. Très-fréquemment, alors même que le
chancre d'origine est unique et ne siège que sur un des côtés de la verge,
le bubon est double, bi-inyuinal.
Cette adénopathie double est parfois égale d'un côté à l'autre; mais
bien plus souvent on rencontre la disposition suivante : du côté corres-
pondant au chancre une pléiade bien formulée, et de l'autre un seul
ganglion ou un petit nombre de ganglions d'un développement moins
considérable.
Epoque d'apparition. — Tandis que le bubon du chancre simple n'a
pas de période fixe pour son développement, l'adénopathie syphilitique
se manifeste au contraire à la suite du chancre infectant avec une régula-
rité, avec une ponctualité chronologique qui constitue l'un de ses carac-
tères différentiels. Elle coïncide presque invariablement avec l'époque où
se produit l'induration chancreuse ou la suit de très-près. C'est dire
qu'elle apparaît dans le cours du premier ou du second septénaire après
le début du chancre ; il est très-rare qu'elle tarde davantage à se mani-
fester (Ricordh
Sur ce point, les données de l'expérimentation sont d'accord avec les
résultats de la clinique. A la suite des inoculations de pus syphilitique,
c'est en moyenne dans le cours du second septénaire qu'on a vu se déve-
lopper le bubon.
Symptômes. — Considéré dans ses caractères les plus généraux, le bu-
bon du chancre infectant est simplement constitué par une tuméfaction
ganglionnaire, présentant une dureté spéciale et complètement dépourvue
de phénomènes inflammatoires.
Etudions en détail ces trois signes qui forment la caractéristique de
ce bubon .
I. La tuméfaction n'est guère que moyenne. Règle presque générale,
le bubon syphilitique présente un développement très-inférieur à celui
de l'adénite simple ou du bubon chancreux. Le plus communément, le
ganglion affecté n'est que doublé ou tout au plus triplé de volume; de
plus, il n'offre pas d'engorgement périphérique. A l'aine, par exemple,
chacune des glandes qui constituent ce qu'on appelle la pléiade ne dépasse
guère le volume d'une petite noisette. Il en est de même pour celles qui
constituent les pléiades axillaires à la suite des chancres du sein. Les
ganglions sous-maxillaires, symptomatiques des chancres buccaux, sont
généralement un peu plus volumineux; cependant ils ne sont pas plus
gros qu'une amande ou qu'une moitié de noix.
R n'est pas rare toutefois que ce bubon présente un développement
plus considérable, et cela, soit par l'exagération de volume d'un seul gan-
glion, soit par l'agglomération de plusieurs glandes en une seule masse,
soit encore en raison de complications inflammatoires ou de dégénéres-
cence strumeuse des glandes. Nous aurons à revenir sur ces divers points.
BUBON. — BUBON SYMPTOMATIQUE DE L'ACCIDENT INITIAL (SYMPTOMES). 777
II. La dureté de la glande affectée est remarquable; elle est même
spéciale, comme ledit Ricord. Pressé entre les doigts, le ganglion four-
nit absolument la même sensation que la base du chancre induré; c'est
une dureté sut generis, chondroïde, élastique, résistante; « c'est, pour
ainsi dire, l'induration chancreuse transportée dans le ganglion. »
(Ricord.)
III. Ce qu'offre de plus caractéristique le bubon du chancre infectant,
c'est V absence de tout phénomène inflammatoire.
Ce bubon se produit et se développe, non pas comme une adénite,
mais comme un simple engorgement ganglionnaire froid et indolent. Il
naît, évolue et se termine sans le plus léger signe de réaction locale.
Le ganglion se tuméfie et s'indure; c'est là tout le bubon syphili-
tique.
De là, quelques conséquences d'un haut intérêt séméiologique :
1° L'indolence remarquable de la région où siège l'adénopathie. Le
ganglion malade n'éveille aucune douleur spontanée; il n'est pas senti,
il passe souvent inaperçu. Il n'est guère plus douloureux à la pres-
sion; très-communément, il présente même une insensibilité absolue
sous le doigt.
2° La conservation de la teinte normale des téguments qui ne présentent
jamais la rougeur inflammatoire qu'on observe dans l'adénite ou le bubon
chan creux.
3° Uintégrité de forme, la mobilité et V indépendance du ganglion.
Tout en se tuméfiant, le ganglion conserve sa forme anatomique. De
plus, il ne s'entoure jamais de cette atmosphère d'empâtement et d'en-
gorgement diffus qui englobe habituellement les glandes enflammées. Il
reste libre, mobile, indépendant des parties voisines avec lesquelles il ne
contracte pas d'adhérences.
Lorsque le bubon est poly-ganglionnaire, les différentes glandes qui
le composent restent de même indépendantes les unes des autres et
forment autant de petites tumeurs isolées qui glissent librement sous la
peau.
A ces points de vue divers, l'adénopathie syphilitique diffère essen-
tiellement soit de l'adénite simple, soit du bubon chancreux.
IV. Aux signes qui précèdent s'ajoute souvent un caractère moins gé-
néral, mais non moins intéressant; c'est la multiplicité des glandes affec-
tées par le bubon syphilitique.
A l'aine notamment, comme du reste dans toutes les régions où plu-
sieurs glandes lymphatiques se trouvent réunies, l'action du chancre ne
s'exerce pas seulement sur une de ces glandes ; elle s'étend à plusieurs, à
trois, à quatre, à six, voire même à dix ou à douze, c'est-à-dire à l'en-
semble du groupe ganglionnaire. C'est à cet engorgement multiple que
Ricord a donné le nom très-pittoresque de pléiade.
La pléiade se compose donc d'une série de ganglions affectés spécifique-
ment et offrant l'ensemble des caractères que nous venons de décrire.
Ces ganglions sont inégalement développés comme volume, mais ils pré-
778 BUBON. — bubon symptomatique de l'accident initial (marche, etc.).
sentent tous comme caractères communs l'indolence et l'induration spé-
cifique. Mobiles et indépendants, ils figurent comme une série de petites
noisettes qu'on peut avec le doigt faire rouler sous la peau.
Dans cette pléiade, on trouve presque toujours, remarque curieuse, un
ganglion plus saillant et plus développé que les autres. « C'est celui, dit
Ricord, auquel viennent aboutir directement les lymphatiques qui éma-
nent de la partie ulcérée; c'est celui qui deviendrait ou pourrait devenir,
dans le cas d'un chancre simple, le siège d'une suppuration spécifique.
Je Tappelle le ganglion anatomique ou direct de la pléiade, supposant
qu'il subit directement l'influence du chancre par voie de continuité,
tandis que les glandes environnantes ne seraient affectées que par sym-
pathie diathésique. »
Le nombre de glandes qui constituent la pléiade est très-variable sui-
vant les sujets, comme aussi d'un côté à l'autre sur le même individu. Il
ne paraît influencé ni par le tempérament du malade, ni par le nombre
des chancres, ni par le volume de l'induration. Il est même remarquable,
en certains cas, de voir un chancre unique et restreint développer une
pléiade aussi riche et aussi volumineuse que pourrait le faire une série de
chancres multiples et étendus (M. Robert).
Du reste, ce caractère de multiplicité des glandes n'est pas absolu. Par-
fois, on ne rencontre dans l'aine qu'un seul ganglion. Dans ce cas, le
ganglion unique qui constitue le bubon prend généralement un dévelop-
pement assez considérable ; il présente le volume dune grosse noisette ou
même d'une petite noix.
Ce bubon monoganglionnaire est assez rare à l'aine; il s'observe d'une
façon plus fréquente relativement à la région axillaire.
V. Ajoutons, pour compléter ce tableau, que fréquemment le bubon
est relié au chancre dont il dérive par de petits cordons durs, suivant
l'axe de la verge, facilement perceptibles sous la peau et donnant au doigt
à peu près la même sensation que le canal déférent. Ces cordons ne sont
autres que des lymphangites indurées, servant, pour ainsi dire, de trait-
d'union entre les ganglions et le chancre.
Nous renvoyons à un autre article de cet ouvrage la description de ces
lymphangites chancreuses (voy. Chancre).
Marche, durée, terminaison. — I. Ce bubon s'accroît assez vite. En
huit, dix ou quinze jours, il a généralement acquis son développement
complet. Il reste ensuite stationnaire et persiste sans modification no-
table pendant un temps toujours assez long, plusieurs semaines, par-
fois même deux ou trois mois. De telle sorte que, règle presque générale,
il survit au chancre et coexiste avec les premières poussées des manifesta-
tions secondaires. Puis il diminue, mais lentement, si bien qu'il n'est pas
rare de le rencontrer encore, à des degrés atténués, dans le quatrième,
le cinquième, le sixième mois de la maladie, et même bien au delà.
Ricord dit en avoir retrouvé « des vestiges non équivoques à plusieurs
années d'intervalle du début de l'infection. »
Il est des cas, toutefois, où l'adénopathie diminue et disparaît assez
BUBON. BUBON SYMPTOMATIQUE DE L ACCIDENT INITIAL (TERMINAISON). 770
rapidement; ce sont là, je ne dirai pas des exceptions, mais des faits
assez rares.
La persistance habituelle du bubon à la suite du chancre offre un grand
intérêt séméiologique. Le chancre, en effet, est parfois éphémère et super-
ficiel; il peut disparaître en quelques jours sans laisser de traces; il peut
être ignoré, méconnu, dissimulé. Le bubon, au contraire, subsiste avec
des caractères facilement saisissables. C'est un signe posthume, en quelque
sorte, par rapport à l'accident initial de l'infection; c'est un indice qui
lui survit, qui l'accuse quand il n'est plus, qui en décèle à la fois et la
nature et le siège. « Ne négligez jamais, nous disait Ricord dans ses cli-
niques, d'interroger les ganglions, lorsqu'un malade affecté d'accidents
constitutionnels se présente a vous en niant toute espèce d'antécédent
suspect. L'adénopathic spécifique est pour le chancre infectant l'effet qui
suit la cause. Eh bien, remontez à la cause par l'effet... De la sorte, vous
serez mis sur la voie des chancres à siège insolite, de ceux dont le ma-
lade aura méconnu l'existence ou la nature, comme de ceux qu'il vou-
drait vous cacher. C'est ainsi qu'une adénopathie épitrochléenne ou axil-
laire vous indiquera un chancre siégeant sur le membre supérieur et le
plus généralement un chancre digital; que le bubon sous-maxillaire vous
révélera un chancre de la bouche; que l'engorgement des ganglions ex-
trêmes des pléiades inguinales vous fera suspecter un chancre de l'anus ;
et de même pour tant d'autres accidents à siège plus ou moins insolite,
plus ou moins immoral, dont les malades cherchent souvent à dissimu-
ler l'existence. »
Ce précepte de Ricord trouve son application fréquente en pratique.
Plus d'un cas obscur et extraordinaire ne reçoit son explication naturelle
que grâce aux données fournies par les ganglions. Le plus souvent, en
effet (je pourrais dire presque toujours), la nature d'un chancre situé en
dehors de la région génitale est méconnue par les malades, et lorsque ce
chancre a disparu, il ne reste plus que les ganglions pour en attester le
passage. J'ai eu l'occasion, par exemple, de voir trois jeunes gens qui,
présentant des accidents syphilitiques non douteux, soutenaient de la
meilleure foi du monde n'avoir jamais eu de chancres. Ce fut l'état des
ganglions épitrochléens et axillaires qui me conduisit, dans ces trois cas,
à découvrir que l'infection reconnaissait pour origine des chancres di-
gitaux.
II. Il n'est guère pour le bubon syphilitique qu'un mode presque uni-
que de terminaison, la résolution progressive.
Cette résolution se fait en général avec une grande lenteur, comme
nous l'avons dit précédemment. Le ganglion diminue de volume ; il perd
insensiblement sa dureté pathologique, puis rentre dans ses conditions
normales.
C'est dire qu'il n'offre aucune tendance à s'abeéder, à suppurer. La
suppuration, en effet, est pour le bubon du chancre infectant une termi-
naison aussi rare que possible et véritablement exceptionnelle.
Ainsi, sur le nombre considérable de chancres indurés qui, pendant
780 BUBON. — bubon symptomatique de l'accident initial (terminaison).
l'année 1856, furent traités soit dans le service de Ricord soit aux
consultations du Midi, trois seulement s'accompagnèrent de bubons sup-
pures. Dans ces trois cas, la suppuration ne se produisit qu'à la suite
d'une dégénérescence strumeuse des ganglions.
De même la statistique que j'ai citée précédemment ne fournit que deux
cas de bubons abcédés pour un total de 265 chancres infectants (Rap-
port : :1: 152).
Aussi, tout en tenant compte de certains faits exceptionnels, peut-on
accepter comme vraie et comme applicable a l'énorme majorité des cas
cette loi formulée par Ricord :
Le bubon qui suppure n'est pas syphilitique.
Le fait seul de la suppuration d'un bubon à la suite d'un chancre a
donc une importance considérable au triple point de vue du diagnostic,
du pronostic et du traitement. De ce seul indice, il y a tout lieu de con-
clure : 1° que le chancre n'est pas syphilitique; — 2° que des accidents
constitutionnels ne se développeront pas à sa suite; — 5° qu'un traite-
ment général antisyphilitique ne doit pas être prescrit.
L'absence de manifestations constitutionnelles à la suite du bubon ab-
cédé n'avait pas échappé aux anciens observateurs. C'était un fait connu
de longue date, dont on croyait même avoir l'explication. Si la vérole,
disait-on, ne se développe pas à la suite de ïapostème suppuré de l'aine,
c'est que de la sorte la suppuration débarrasse l'organisme du principe
virulent; c'est que le virus est expulsé de l'économie par un émonctoire
naturel ; c'est que le sang infecté chasse ainsi sa gourme au dehors.
Aujourd'hui, au contraire, nous disons avec Ricord : Si le bubon sup-
puré n'est pas suivi d'accidents constitulionnels, c'est que ce bubon n'est
pas lui-même une manifestation syphilitique ; c'est qu'il est l'expression
d'états pathologiques étrangers à la syphilis.
III. De plus, et ceci n'est pas moins important à établir, dans les cas
très-rares où ce bubon s'enflamme et s'abcède, le pus qu'il fournit n'est
pas susceptible de reproduire un chancre par auto-inoculation; jamais
non plus il ne convertit en ulcère chancreux le foyer qui le contient ni
les tissus qui l'environnent.
Cela ressort rigoureusement de la clinique et de l'expérimentation.
Ainsi, l'on n'observe jamais comme cortège du chancre induré ni l'ulcère
chancreux ni le phagédénisme ganglionnaire. De même, le pus de ce bu-
bon inoculé au malade ne reproduit jamais une ulcération chancreuse.
Ricord a même dit que le pus de l'adénopathie syphilitique « est un
pus simple, phlegmoneux, vulgaire, et sans mélange de virus. » Cela
peut être, mais cela n'est pas démontré. Je ne sais et personne ne sait
encore ce que produirait l'inoculation de ce pus à un sujet sain. Il est
bien possible que, résultant d'une inflammation simple ou d'une dégéné-
rescence strumeuse de la glande, cette suppuration soit innocente et dé-
pourvue de toute spécificité. Cependant, sécrétée par un organisme infecté,
fournie par une glande qui s'est abeédée à l'occasion, sinon par l'effet
d'un chancre, elle pourrait à bon droit, ce me semble, être tenue pour
BUBON. - — BUBON SYMPTOMAT1QUE DE l'aCCIDEJN'T INITIAL (VARIÉTÉS). 781
suspecte. En tout cas, l'expérience n'a pas été faite, et elle est assez
périlleuse pour qu'on ait garde de l'instituer.
Variétés. — Après avoir décrit la l'orme type du bubon, il me reste à
signaler les modifications qu'elle peut subir et les quelques variétés d'im-
portance secondaire dont elle est susceptible.
I. Il est d'abord des différences de degré dans le développement du
bubon.
xVinsi, l'aciénopathie peut s'accuser faiblement, ne consister qu'en une
glande ou un petit nombre de glandes légèrement augmentées de volume.
D'autres fois, et plus souvent, la tuméfaction ganglionnaire dépasse les
proportions que nous lui avons assignées comme habituelles. La glande
prend alors le volume d'une noix on d'un petit œuf. On dit même avoir
rencontré des bubons beaucoup plus considérables ; mais dans ces cas
exceptionnels le développement excessif de l'adénopathie n'était proba-
blement du qu'à des complications inflammatoires ou à des lésions scro-
fuleuses des ganglions.
Disons, à ce propos, qu'il n'est pas de relation à établir entre la tumé-
faction ganglionnaire et l'induration cbancreuse. Si parfois l'on observe
avec une induration volumineuse un bubon volumineux, très-souvent
aussi l'on constate un bubon moyen ou petit avec un noyau d'induration
considérable, et inversement. Il n'est rien de régulier, rien de fixe à cet
égard.
II. En second lieu, des variétés nombreuses tiennent à des modifications
de caractères que peut subir le bubon.
1° Les ganglions ne présentent pas toujours cette dureté cliondroïde
que nous avons donnée comme spécifique. Ils n'offrent parfois qu'une
simple rénitence peu différente de celle* des glandes qui commencent à
s'enflammer ou des autres variétés d'adénopathies.
2° L'indolence n'est pas absolue dans tous les cas. Il n'est pas rare que
le bubon devienne légèrement douloureux sous des influences diverses
(fatigue, marche, excitation du chancre par des pansements irritants ou
des cautérisations intempestives, complications inflammatoires, etc.).
Mais cette sensibilité pathologique n'est jamais que de très-courte durée;
elle disparaît généralement en quelques jours, soit d'une façon sponta-
née, soit à l'aide du repos et de quelques soins très-simples (cataplasmes,
bains, etc.).
5° Des symptômes inflammatoires peuvent se produire. Le plus souvent,
ils ne sont que légers et éphémères. Très-rarement ils persistent et pren-
nent une certaine intensité. Une adénite vraie tend alors à se substituer
à l'engorgement froid et indolent qui constitue le bubon syphilitique.
« Il ne faudrait pas croire, en effet, que l'existence d'un bubon induré
constituât pour les ganglions une immunité contre les différentes causes
d'inflammation vulgaire. Loin delà, c'est plutôt une prédisposition. L'état
morbide des glandes affectées par la syphilis est très-certainement un appel
pour les diverses influences pathologiques qui peuvent s'exercer sur elles...
C'est ainsi qu'il n'est pas rare de voir le bubon du chancre infectant de-
78*2 BUBON. — bubon symptomatique de l'accident initial (variétés).
venir l'origine d'un engorgement strumeux chez les sujets prédisposés
à la diaihèse scrofuleuse. De même les causes multiples d'inflammation
peuvent traduire à leur façon leur influence spéciale sur les ganglions
indurés par la vérole, et y provoquer, en dehors de toute action viru-
lente, un travail phlegmasique susceptible même d'aboutir à suppura-
tion » (Ricord).
L'adénite qui complique ainsi le bubon du chancre infectant se résout
presque toujours. Elle n'arrive à suppuration que d'une façon très-excep •
tionnelle, comme nous l'avons établi précédemment. Parfois encore elle
offre une particularité très-intéressante. Elle se ramollit et devient fluc-
tuante clans une certaine étendue, puis elle ne s' ouvre pas; elle reste fluc-
tuante quelque temps, diminue, se concentre, se résout et disparaît. Elle
constitue de la sorte un abcès qui, chose surprenante, est susceptible de
se résorber. Plusieurs fois déjà j'ai été témoin de faits de ce genre. J'ai
cru tout d'abord m'être laissé abuser par un sentiment de fausse fluctua-
tion, mais dans les cas ultérieurs qui se sont présentés à moi et que j'étu-
diai avec une attention minutieuse, j'ai constaté dûment une fluctuation
très-manifeste, ne pouvant laisser de doute sur l'existence d'un abcès, et
j'ai très-positivement vu cet abcès disparaître sans s'ouvrir, se résorber
progressivement.
Je dois ajouter que jusqu'à ce jour je n'ai, pour ma part, rien observé
de semblable pour le bubon du chancre simple.
4U Les ganglions qui composent la pléiade ne sont pas toujours isolés
et indépendants les uns des autres. Parfois ils se groupent, deviennent
cohérents et se confondent en une seule masse.
Cette disposition altère la forme du bubon qui, bien que polygan-
glionnaire, n'est plus alors constitué que par une tumeur unique. Cette
tumeur est volumineuse; elle fait dans l'aine une saillie très-marquée,
globuleuse, généralement ovoïde et à grand axe parallèle au pli de la
cuisse. Elle est mobile en totalité, mais moins mobile que ne le sont habi-
tuellement les ganglions isolés de la pléiade ; parfois même elle est fixée
par des adhérences aux tissus ambiants.
En d'autres cas, cette tumeur est cylindroïde, fusiforme, moniliforme.
Souvent elle constitue une sorte de crête ou de corde dure qui suit le pli
de l'aine dans l'étendue de plusieurs cenlimètres.
Bassereau, qui a eu l'occasion de disséquer plusieurs de ces tumeurs,
les a trouvées formées par des ganglions cohérents, que réunissaient les
uns aux autres de gros vaisseaux lymphatiques indurés et des couches
épaissies de tissu cellulaire.
III. Il est certaines conditions qui modifient les caractères normaux
du bubon. Nous avons déjà signalé les complications inflammatoires; il
nous reste à parler de la dégénérescence strumeuse des ganglions et des
coïncidences pathologiques .
1° La dégénérescence strumeuse des glandes affectées par le bubon sy-
philitique est loin d'être rare. Elle s'observe non-seulement chez les su-
jets manifestement scrofuleux* mais chez les individus à tempérament
BUBON. BUBON SYMPTOMATIQUE DE L ACCIDENT INITIAI, (VARIÉTÉS). 785
lymj)hatique, à constitution affaiblie, «à tendance scrofuleuse latente.
— Lorsqu'elle se produit, le bubon spécifique perd ses caractères pour
prendre ceux de l'engorgement strumeux. Les ganglions augmentent de
volume; ils se réunissent, ils se soudent les uns aux autres, deviennent
cohérents, de façon à ne plus constituer qu'une seule masse; de plus ils
contractent adhérence avec le tissu cellulaire périphérique et même avec
la peau qui devient immobile à leur surface; la dureté spécifique fait
place à un empâtement diffus; plus tard la tumeur devient mollasse,
fongueuse, se ramollit et suppure, en suivant l'évolution propre aux en-
gorgements ganglionnaires de la scrofule (voy. ce mot).
Ce bubon sypkilo -strumeux peut se produire sur tous les ganglions;
mais il a plus de tendance à se développer à l'aine que partout ailleurs.
2° Les caractères du bubon peuvent encore être modifiés par la coïn-
cidence avec le chancre infectant de lésions diverses : chancre simple,
blennorrhagie, balauite, balano-posthite, inflammations, cancer, états
morbides variés de la région où s'est développé l'accident initial, etc.
Ces lésions de coïncidence sont le plus souvent des affections véné-
riennes, soit antérieures en développement, soit simultanées, soit posté-
rieures. Il en est une spécialement qui, réagissant d'une façon active sur
les ganglions, peut altérer complètement la forme du bubon syphilitique
et même se substituer à lui; c'est Je chancre simple.
Or, il n'est pas excessivement rare que le chancre simple coexiste avec
le chancre infectant, soit qu'il ait été contracté dans le même rapport,
soit qu'il dérive d'une contagion ultérieure. On l'a même vu se dévelop-
per sur la surface ulcérée de ce dernier chancre ou sur la cicatrice indu-
rée qui lui succède. Que dans ces conditions il vienne à réagir sur le
système ganglionnaire et à développer le bubon qui lui est propre, ou
trouve alors associées des manifestations pathologiques que nous avons
données comme incompatibles, à savoir : l'induration spécifique de la sy-
philis et le bubon chancreux, le bubon chancreux et les manifestations
consécutives de l'infection constitutionnelle.
Ces combinaisons fortuites peuvent être la source d'erreurs pratiques et
doctrinales. Il importe d'appeler sur elles l'attention des observateurs.
Qu'il me soit donc permis de citer comme exemple le fait suivant.
Un jeune homme était traité à la consultation du Midi pour un chancre
induré de la rainure giaudo-préputiale. Ce chancre avait déterminé dans
les aines son bubon classique, c'est-à-dire une adénopathie bi-inguinale
à ganglions multiples, durs et indolents. Tout allait pour le mieux; l'ul-
cération se réparait, se cicatrisait, lorsque le malade eut commerce avec
une femme affectée de chancres simples. Il contracta dans ce rapport
cinq chancres simples, dont l'un s'implanta précisément sur le noyau
d'induration du premier chancre. Quelques jours plus tard, l'une des
pléiades inguinales se transformait en un bubon aigu, vivement inflam-
matoire, qui s'abeéda, et dont l'inoculation démontra le caractère vi-
rulent.
IV. Enfin, au point de vue de sa marche, de son évolution, l'adéno-
784 BUBON. — bubon symitomatique de l'accident initial (pronostic, etc.).
pathie syphilitique présente encore quelques variétés intéressantes à si-
gnaler.
Elle peut tarder à se produire. Je l'ai vue, dans un cas (cas unique, il
est vrai), n'être bien appréciable que vers le vingt-septième jour après Le
début du chancre.
Il est moins rare qu'après s'être annoncée dans le délai normal, elle ne
s'accroisse plus tard qu'avec une certaine lenteur. Je trouve dans mes
notes que sur plusieurs malades elle n'acquit son développement complet
que vers le vingt-septième, le trente-cinquième, le quarante-deuxième
jour.
On l'a vue encore s'accroître par saccades, par poussées successives.
En certains cas, paraît-il, ce développement consécutif a coïncidé d'une
façon manifeste avec la première explosion des accidents constitutionnels.
Pronostic, diagnostic. — I. L'adénopathie du chancre infectant est
essentiellement bénigne. Elle se résout d'elle-même; elle ne présente
aucun accident sérieux.
Vient-elle à s'enflammer, son pronostic est celui d'une adénite simple,
qui peut se résoudre et suppurer, mais qui reste toujours indemne des
dangers propres au bubon chancreux (ulcération spécifique consécutive à
l'ouverture de l'abcès, phagédénisme).
Sa seule complication un peu importante, c'est la dégénérescence stru-
meuse, laquelle, à vrai dire, est moins imputable à la maladie qu'à la
constitution même du malade.
En revanche, ce bubon est l'indice d'une affection grave. Au même
titre que l'induration chancreuse, il annonce l'infection de l'organisme;
c'est un indice précurseur des manifestations dites constitutionnelles ;
c'est un symptôme de syphilis.
II. Le diagnostic n'offre ni embarras, ni difficultés. Ce bubon, en ef-
fet, a des caractères tellement nets, tellement accentués, qu'il se dis-
tingue aisément de toute autre tumeur. Il reçoit d'ailleurs sa signification
propre du chancre qui le précède et dont il dérive.
En tant qu'engorgement glandulaire, il ne saurait être confondu
qu'avec certains états morbides des ganglions de caractère non inflam-
matoire, indolent et chronique (hypertrophie ganglionnaire, adénite
chronique, adénite, etc.). Il est, par exemple, certains sujets qui en de-
hors de toute contamination syphilitique, présentent dans les aines un ou
plusieurs ganglions hypertrophiés, durs, indolents et assez analogues à
ceux du bubon spécifique. C'est là ce que Ricord appelait les ganglions
du malade, par opposition aux ganglions de la maladie.
Ces diverses adénopathies peuvent bien se rapprocher plus ou moins
du bubon syphilitique par quelques-uns de leurs caractères ; mais elles
en seront facilement distinguées par l'ensemble des phénomènes mor-
bides, par les commémoratifs, et surtout par l'absence du chancre ou
de l'induration cicatricielle qu'il laisse après lui.
Quant au bubon du chancre simple, il ne court pas risque d'être con-
fondu avec le bubon syphilitique. Il en diffère à ce point, sous Tune ou
BUBON. BUBON SYPHILITIQUE (DIAGNOSTIC). 785
l'autre de ses formes, qu'on aurait peine à l'en rapprocher par quelque
analogie de symptômes. Cela ressort des caractères que nous avons as-
signés à chacune de ces entités morbides et qu'il ne sera peut-être
pas sans avantage, au point de vue doctrinal, de résumer ici parallè-
lement.
BUBON DU CHANCRE INFECTANT :
I. C'est un symptôme constant ,à de très-
rares exceptions près. Il se produit presque
fatalement à la suite de l'accident originel
de la syphilis.
II. 11 a son époque cl 'apparition fixe, ré-
gulière. Il se développe toujours dans le
cours du premier ou du second septénaire
après le début du chancre.
III. C'est une adénopathie toute spéciale,
spécifique même, ayant pour caractères dis-
tinctifs :
1° Une tuméfaction ganglionnaire de vo-
lume moyen ou peu* considérable;
2° Une dureté spéciale de la glande ou
des glandes affectées ;
5° U absence de phénomènes inflamma-
toires, sinon toujours, du moins dans ré-
norme majorité des cas. Ainsi :
Pas de rougeur des téguments ;
Indolence presque absolue ;
Indépendance de la glande qui ne con-
tracte pas d'adhérence, reste mobile et glisse
librement sous le doigt. — L'état morbide
de la glande ne retentit pas sur le tissu
cellulaire périphérique.
4° Dans les régions à ganglions multiples,
le bubon est le plus souvent poly ganglion-
naire, et forme des pléiades spécifiques.
IV. Terminaison presque constante par
résolution progressive. — Jamais de sup-
puration, si ce n'est en des cas très-excep-
tionnels et sous l'influence de complications
étrangères (phénomènes inflammatoires,
dégénérescence strumeuse) .
V. Dans les cas très-rares où la suppura-
tion se fait, fie pus du bubon n'est ja-
mais inoculable au malade ;
NOl'V. DÏCT. MÉD. ET CH1U.
BUBON DU CHANCRE SIMPLE '.
I. C'est une complication éventuelle du
chancre simple. Il ne se produit environ
que dans un cas sur trois.
II. 27 n'a pas d'époque fixe de déve-
loppement. S'il se produit, en général, dans
les premières semaines qui suivent l'appari-
tion du chancre, il peut aussi bien ne se ma-
nifester qu'à une période plus reculée.
III. C'est tantôt une adénite simple, tan-
tôt une inoculation ganglionnaire par le pus
chancreux (bubon chancreux). — Sous
l'une ou l'autre de ces formes, ce bubon
diffère essentiellement, comme symptômes,
de l'adénopathie syphilitique :
1° Tuméfaction bien plus considérable,
la phlegmasie n'affectant pas seulement la
glande, mais retentissant sur les tissus pé-
riphériques.
2° La tumeur ne présente que la réni-
tence propre aux engorgements inflamma-
toires ;
3° Bubon essentiellement inflamma-
toire. Ainsi :-
Rougeur plus ou moins vive des tégu-
ments ;
Phénomènes douloureux del'adénite aiguë;
Empâtement général de la région (péri-
adénite) ; la glande se trouve englobée et
confondue dans le phlegmon périphérique.
4° Ce bubon est le plus souvent mono-
ganglionnaire (monadénite de Ricord ).
Jamais on ne rencontre de pléiades inflam-
matoires ou chancreuses, analogues aux
pléiades syphilitiques.
IV. Le bubon simple peut se résoudre
ou suppurer. — Le bubon chancreux sup-
pure fatalement.
V. Lorsque le bubon est chancreux, l°le
pus qu'il fournit est inoculable au malade
et reproduit un chancre simple ;
Y. — r.o
786
BUBON.
DU PRETENDU BUBON D EMBLEE.
BUBON DU CHANCRE INFECTANT '.
2° L'abcès ganglionnaire ne se convertit
jamais en ulcère choncreux;
5° Il n'est jamais envahi par le phagé-
dénisme.
VI. Pronostic essentiellement bénin. Ja-
mais de complications sérieuses.
En revanche, ce bubon est l'indice, au
même titre que l'induration chancreuse,
d'une infection constitutionnelle.
VII. Ce bubon se résout de lui-même,
sans traitement.
Inutilité absolue d'une médication locale,
.sauf dans les cas de complications.
Le traitement général lui-même par les
antisyphilitiques n'exerce sur ce bubon
qu'une action très-peu marquée, lente, et
presque contestable.
BUBON DU CHANCRE SIMPLE :
2° Le foyer ganglionnaire est un véritable
chancre, qui peut s'étendre aux parties voi-
sines;
3° Le chancre ganglionnaire peut être
l'origine de complications pkagédéniques.
VI. Pronostic plus sérieux, parfois grave.
Ce bubon est susceptible de complications de
deux ordres: 1° complications communes de
l'adénite (décollements, fistules consécuti-
ves, fusées, accidents inflammatoires, etc.);
— 2° complications spéciales, propres au
chancre simple (tendance exlensive, pha-
gédénisine).
En revanche, pronostic d'avenir très-
favorable. Pas d'accidents ultérieurs à re-
douter.
VII. Utilité évidente, nécessité d'une
médication locale, laquelle peut enrayer
le bubon simple, limiter le bubon chan-
creux, prévenir ou atténuer les complica-
tions.
Inutilité absolue de la médication anti-
syphilitique.
Du prétendu bubon d'emblée. — Je ne consacrerai qu'une courte mention
au prétendu bubon d'emblée, qui, après avoir soulevé de nombreux débats,
ne saurait plus ôtre considéré de nos jours comme constituant une espèce
nosologique distincte.
On décrivait autrefois sous ce nom un engorgement ganglionnaire
se produisant d'emblée comme premier symptôme de l'infection véné-
rienne, c'est-à-dire sans être précédé d'aucune lésion locale.
Ce bubon, de nature virulente et à pus auto-inoculable, était con-
sidéré comme pouvant, au même titre que le chancre ou la blennorrha-
gie, servir de prélude à l'infection constitutionnelle. C'était un des modes
de la pénétration du virus dans l'économie, une des formes primitives de
la vérole.
La doctrine du bubon d'emblée a joui d'une longue faveur. Acceptée
par des hommes éminents (Fallope, Astruc, Hunter, etc.), elle a été vive-
ment soutenue dans notre siècle par Baumes, H. de Castelnau, Bertherand,
Aug. Vidal, etc. Elle n'est tombée que sous les attaques et la critique de
notre maître.
Je ne crois pas devoir reproduire ici toutes les objections qui ont été
dirigées contre cette doctrine. C'est là une de ces questions épuisées qu'il
serait superflu de discuter à nouveau. Je ne ferai donc que mentionner
d'une façon sommaire les arguments principaux qui ont exclu le bubon
d'emblée du cadre pathologique.
BUBON. TRAITEMENT. 787
I. Tout d'abord il est faux, absolument faux, que le virus syphilitique
pénètre dans l'économie par une sorte d'absorption latente, qu'il traverse
l'enveloppe cutanée ou muqueuse pour s'insinuer jusqu'aux ganglions
sans laisser trace de son passage sur les surfaces où il a été primitivement
appliqué. Tout ce que nous apprend la clinique, tout ce que nous ensei-
gne l'inoculation, dément un tel mode de pathogénie. Dans tous les faits
qui ont été sérieusement et complètement observés, on a toujours con-
staté le développement d'une lésion locale sur le point même où le virus
syphilitique avait été déposé. Dans les expériences d'inoculation, jamais
l'on n'a vu la piqûre se cicatriser et les ganglions s'affecter primitivement.
Toujours, au contraire, l'évolution pathologique s'est faite de la façon
suivante : production au niveau de la piqûre d'une lésion spéciale, d'un
chancre, lequel, pour ainsi dire, ouvre la scène sans jamais faire dé-
faut; et secondairement, invasion des glandes par l'adénopathie sympto-
matique.
C'est qu'en effet, comme l'a dit Ricord, la syphilis ne pénètre jamais
sans effraction. Elle fait son empreinte sur le point qui lui sert de porte
d'entrée dans l'organisme, et cette empreinte, c'est l'accident initial de
la diathèse, c'est le chancre. Quant à l'engorgement ganglionnaire, il
n'est jamais que consécutif ; jamais surtout il ne se produit seul, à l'ex-
clusion du chancre.
II. Il est tout aussi faux que la syphilis puisse débuter par un bubon
virulent, à pus auto-inoculable. Le propre du bubon syphilitique, c'est,
comme nous l'avons établi précédemment, de ne pas suppurer ou de ne
suppurer que par le fait de complications accidentelles ou étrangères ;
et de plus, le propre des suppurations syphilitiques, c'est de ne pouvoir
être inoculées aux malades qui les fournissent.
III. Quant aux quelques faits qui ont été donnés comme exemples de
bubons d'emblée, ils ne résistent pas à une analyse sérieuse. S'ils pou-
vaient déjà passer pour suspects à une époque où les connaissances sy-
philiographiques étaient bien moins avancées qu'elles ne le sont de nos
jours, ils ont en vérité perdu toute valeur pour les pathologistes con-
temporains. Ce sont, il faut le dire, des faits mal observés ou mal inter-
prétés. En les relisant aujourd'hui on se convainc facilement que ces pré-
tendus bubons d'emblée n'étaient que des adénites simples, réputées
vénériennes pour cette seule raison qu'elles siégeaient à l'aine, ou bien
des bubons symptomatiques de chancres méconnus, ou bien encore
des adénopathies d'ordre divers développées chez des sujets syphili-
tiques, etc.
En somme, il n'existe pas de bubon d'emblée ; il n'est pas d'adéno-
pathie à laquelle on puisse appliquer cette dénomination.
Traitement. — On s'est ingénié à traiter le bubon de cent façons
différentes. On a préconisé contre lui les méthodes thérapeutiques les plus
diverses, méthodes prophylactiques, abortives, palliatives, curatives, etc.
Il eût été plus sage de rechercher tout d'abord si tous les bubons ont
besoin de traitement pour guérir, s'ils sont tous susceptibles des mêmes
788 BUBON. — traitement (bubon syphilitique; bubon inflammatoire).
accidents, et s'ils donnent lieu conséquemment à des indications iden-
tiques.
Or, au point de vue thérapeutique comme à tant d'autres égards, des
différences profondes séparent les trois espèces d'adénopathie que nous
avons caractérisées précédemment. C'est là ce que nous allons essayer
d'établir.
I. Bubon syphilitique. — Cette espèce est la moins embarrassante à
traiter. Elle fait le triomphe de toutes les méthodes thérapeutiques, par
la raison qu'elle guérit seule et spontanément.
Dix-neuf fois sur vingt pour le moins, elle ne réclame aucune inter-
vention de l'art, parce qu'elle ne gêne en rien les fonctions, parce qu'elle
n'offre qu'une disposition exceptionnelle à s'enflammer, parce qu'enfin
elle se résout seule et sûrement en un temps donné.
Dans la grande majorité des cas, la conduite à tenir se résume donc
à ceci : s'abstenir de toute médication locale; recommander simplement
au malade d'éviter la fatigue, les marches forcées, et toutes les causes
d'excitation qui pourraient retentir sur l'engorgement ganglionnaire.
Se manifeste-t-il une légère tendance inflammatoire dans les ganglions,
quelques soins d'hygiène en ont promptement raison : repos, bains ré-
pétés, cataplasmes émollients, etc. — Si l'inflammation devenait plus
intense, il y aurait lieu de recourir à des antiphlogistiques plus actifs et
de mettre en œuvre le traitement de l'adénite aiguë ; mais ce cas ne se
présente que très-rarement.
Lorsqu'après s'être enflammée, la tumeur (ce qui est plus rare encore)
se ramollit et suppure, elle doit être ouverte et évacuée comme un
abcès. Toutefois, l'incision n'est pas toujours indispensable, car cette
variété de bubon, ainsi que nous l'avons dit précédemment, est encore
susceptible de se résoudre après avoir offert des signes non douteux
de suppuration. Si donc le foyer ne parait pas considérable, s'il n'y a
pas menace de décollements étendus, on peut attendre et différer l'ou-
verture. J'ajouterai que dans ce cas l'application d'un large vésicatoire
sur la tumeur m'a semblé n'être pas sans avantage pour favoriser la ré-
sorption purulente.
La dégénérescence strumeuse qui complique parfois le bubon syphili-
tique donne lieu à des indications d'un ordre spécial. Elle appelle l'in-
tervention d'un traitement général destiné à combattre l'élément scrofu-
leux : iodiques, huile de foie de morue, ferrugineux, toniques, amers,
bains salés ou sulfureux, alimentation reconstituante, campagne, aéra-
tion, etc..
II. Bubon inflammatoibe. — Le traitement du bubon vénérien inflamma-
toire est celui de l'adénite aiguë simple [voy. ce mot). Que ce bubon soit
symptomatique d'une blennorrhagie, d'une balanite, d'un traumatisme,
ou même d'un chancre, peu importe; les indications qu'il réclame ne
varient pas en raison de son origine. C'est une inflammation simple qu'il
faut traiter comme une inflammation.
Donc, au début : traitement antiphlogistiqve, proportionné à Tintcn-
BUBON. TRAITEMENT (CUBON INFLAMMATOIRE). 789
site de la phlegmasie (repos, cataplasmes émollienls, onctions calmantes,
bains répétés, et même, au besoin, émissions sanguines locales, etc.).
Pins tard, de deuxeboses rime : ou bien le bubon tend à se résoudre,
ou bien la suppuration s'établit. Dans le premier cas, insister quelque
temps sur les moyens qui précèdent et qui suffisent en général à com-
pléter la guérison. Si la résolution est un peu lente, on peut l'activer
par des badigeonnages à la teinture d'iode et par la compression appli-
quée suivant un procédé que nous décrirons plus loin. — Dans le second
cas, évacuer le pus dès que la fluctuation devient manifeste.
A ce dernier propos, comment et à quelle époque donner issue à la
suppuration?
L'incision est le procédé le plus simple et le plus rapide. Elle est moins
douloureuse que les caustiques ; elle a l'avantage sur ces derniers de ne
pas laisser de larges cicatrices; elle assure au même degré la libre éva-
cuation du pus, pour peu qu'on ait le soin de faire l'ouverture un peu
large et de la maintenir béante dans les premiers temps.
Elle doit être pratiquée, ai-je dit, dès les premiers temps où la fluc-
tuation devient manifeste. Devancer cette époque est s'exposer à ouvrir
un bubon qui peut se résoudre ou dans lequel le pus n'est pas encore
collecté. Temporiser, différer plus ou moins longtemps au delà de ce
moment, c'est entretenir la maladie, provoquer des fusées purulentes,
favoriser des décollements de la peau, etc. ; c'est créer, en un mot, les con-
ditions les plus défavorables au travail ultérieur de cicatrisation.
L'incision faite, surveiller et assurer l'évacuation du pus; continuer
encore pendant quelques jours l'emploi des antiphlogistiques (bains, ca-
taplasmes, etc.); puis, dès que les symptômes inflammatoires sont amen-
dés, recourir aux résolutifs (notamment badigeonnages à la teinture d'iode
et compression métbodique).
Ce très-simple traitement suffit presque toujours à la guérison.
Une seule réserve doit être faite aux indications que je viens de for-
muler. Elle est relative à l'emploi des sangsues dans le cas de bubon
symptomatique d'un ebancre simple. Elle présente une excessive impor-
tance en pratique.
L'application des sangsues ta la surface des bubons qui compliquent la
blennorrbagie, la balanite, les lésions traumatiques de la verge, ou même
le chancre induré, ne présente jamais le moindre danger. Elle est très-
périlleuse, au contraire, sur le bubon du chancre simple ; elle expose à
ïinoculation des piqûres, qui, contaminées par le pus ganglionnaire, peu-
vent se transformer en autant d'ulcérations virulentes.
Ricord a fort bien exposé ce point important de pratique. « Soit, dit-il,
un bubon symptomatique d'un chancre simple. Qu'allez-vous faire en
appliquant des sangsues sur une tumeur dont vous ne connaissez pas la
nature? Est-ce un simple engorgement inflammatoire, est-ce un foyer
chancreux-, vous l'ignorez. S'il ne s'agit que d'une adénite simple, tout
sera pour le mieux; vous soulagerez le malade, vous préviendrez souvent
la suppuration, ou pour le moins vous modérerez le travail inflamma-
790 BUBON. — traitement (bubon chancreux).
toire. Mais si, par contre, c'est un bubon virulent que vous attaquez de
la sorte, que va-t-il arriver? Dans quelques jours, avant que la cicatri-
sation des piqûres soit achevée, ce bubon s'ouvrira; le pus qu'il contient
pourra toucher quelques-unes ou la totalité de ces piqûres, les inoculer
et les convertir en autant d'ulcérations chancreuses. Quel résultat! Pour
un espoir incertain de prévenir la suppuration, voilà cinq, dix, quinze
plaies virulentes que vous aurez produites!... J'ai vu les conséquences
les plus déplorables de ces applications intempestives de sangsues sur les
bubons. J'ai vu les chancres inguinaux ainsi produits s'accroître déme-
surément, puis se réunir en une large plaie de caractère phagédénique.
Je me rappelle ainsi l'observation d'un malade sur lequel trente piqûres
• de sangsues se convertirent en trente chancres inguinaux, qui prirent la
marche serpigineuse !
« Tel est le danger des sangsues. Renoncerez-vous pour cela, dans tous
les cas et de parti pris, à cette médication? Nullement. Mais, avant d'y
recourir, il est quelques indications importantes que vous devrez con-
sulter.
« Tout d'abord, si vous arrivez au début ou dans les premiers jours de
la maladie, ce danger n'est pas à craindre ; car si le bubon doit suppurer,
vous êtes encore assez éloigné de l'époque où le pus se fera jour au de-
hors pour que les piqûres aient le temps de se cicatriser avant l'ouver-
ture du foyer.
« Etes-vous appelés, au contraire, à une période déjà avancée de la
maladie, abstenez-vous, car peu de temps vous sépare du moment où le
foyer peut s'ouvrir.
« Enlin, imposez-vous comme règle de ne jamais placer de sangsues
sur un bubon où la suppuration s'est faite.
« Ce n'est pas tout. Si vous vous décidez à une application de sang-
sues, placez-les toujours plutôt sur la circonférence de la tumeur que sur
le centre ou sur le point où vous supposez que l'ouverture pourra se
faire.
« Que si, par malheur, la suppuration se produit plus tôt que vous ne
l'aviez supposé, différez l'incision tant que vous pourrez le faire sans
inconvénient. Le bubon ouvert, garantissez les piqûres encore récentes ;
protégez-les contre la possibilité d'une inoculation par tous les moyens
que vous jugerez applicables. Aucune précaution ici ne sera superflue. »
{Leçons sur le chancre.)
III. Bubon chancreux. — C'est Fcspèce la plus délicate et la plus diffi-
cile à traiter.
Trois périodes doivent être établies dans le traitement du bubon chan-
creux : 1° période de début s'étendant de l'origine même du bubon à
l'époque où la suppuration devient manifeste; — 2° période de suppura-
tion confirmée; — 3° période d'ulcération consécutive à l'ouverture du
foyer.
1° Dans la première, le caractère chancreux du bubon ne peut être
que soupçonné. Ce que l'on constate, c'est une adénite, et rien de plus.
BUBON. TRAITEMENT (BUBON CHANCREUX). 791
Or, sans pouvoir être taxé d'optimisme, le médecin doit régler sa con-
duite sur un légitime calcul de probabilités. Il est des chances nom-
breuses pour que cette adénite ne soit pas un bubon chancreux, et rien
ne démontre qu'on n'ait pas affaire à une simple phlegmasie. C'est dans
cette dernière hypothèse que, très-rationnellement, la médication doit
être instituée tout d'abord.
A cette époque donc, le traitement sera celui d'une adénite simple.
Aucune indication spéciale ne se présente encore à remplir.
2° Plus tard, la suppuration se manifeste. Par ce seul fait, les chances
en faveur de l'adénite diminuent, et le bubon chancreux est d'autant plus
à craindre. Cependant il n'est rien encore de démontré, de certain, puisque
le bubon le plus simple est susceptible de s'abcéder.
Que faire à ce moment? Sans hésitation, sans retard, donner issue à
la suppuration.
L'indication d'ouvrir la tumeur est aussi précise, aussi formelle que
possible. C'est la seule pratique rationnelle. Elle répond avantageusement
aux deux éventualités qui sont en présence.
D'une part, en effet, s'il ne s'agit que d'une adénite simple, l'ouverture
du foyer, à l'époque où la suppuration est devenue manifeste, ne peut
qu'être opportune et favorable.
D'autre part, le bubon est-il chancreux, il y'a un intérêt énorme à évacuer
de bonne heure le pus virulent, sans lui donner le temps d'inoculer les
tissus de proche en proche et de constituer un vaste chancre à la fois
întra et extra-ganglionnaire. L'évacuation hâtive de l'abcès présente alors
cet avantage capital de circonscrire le foyer virulent.
On a même conseillé, pour atteindre ce but plus sûrement, de pré-
venir, de devancer en quelque sorte la fluctuation, et d'inciser la tumeur
avant même que la présence du pus soit démontrée par son signe patho-
gnomonique. Ce qui fait, a-t-on dit, le danger principal du bubon viru-
lent, c'est l'extension du chancre en dehors du foyer ganglionnaire, c'est
l'inoculation transmise aux tissus péri-adéniques, ce sont les fusées, les
décollements de la peau , toutes les conditions, en un mot, qui ont pour
résultat la formation d'un vaste clapier chancreux. Or, n'est-il pas ra-
tionnel d'aller au-devant de ces complications en attaquant le bubon
dès son origine, en évacuant le foyer glandulaire avant qu'il ait eu le
temps de retentir sur les parties voisines et de franchir les limites du
ganglion ? Broca, surtout, a développé cette idée et préconisé l'ouverture
précoce du bubon virulent. Voici comment cet auteur expose sa mé-
thode :
« Dès que la tumeur naissante, dit-il, a acquis le volume d'une petite
noisette, on la saisit entre deux doigts de la main gauche, de manière à
fixer à la fois la peau et le ganglion, puis on plonge directement un
bistouri jusqu'au centre du ganglion. Sans lâcher prise, on retire le
bistouri, qu'on remplace par une sonde cannelée; alors on exerce une
très-forte pression latérale sur la petite tumeur. On voit bientôt glisser
dans la cannelure de la sonde une matière demi-liquide, jaunâtre, vis-
792 BUBON. — traitement (bubon chakcreux).
queuse; c'est le pus encore mal élaboré qui existait au centre du gan-
glion. Il y en a quelquefois fort peu, mais j'en ai toujours trouvé une ,
quantité appréciable, quelque précoce du reste que fût l'opération. On
exprime la tumeur jusqu'au sang, afin d'être bien certain de n'y pas
laisser de pus. Cette manœuvre est ordinairement assez douloureuse.
S'il existe plusieurs ganglions engorgés, on les vide ainsi successive-
ment, dans une seule séance, par autant de ponctions distinctes... Le
lendemain, la tumeur s'est légèrement accrue, mais elle est ordinairement
moins volumineuse qu'avant l'opération. Il s'est formé une petite quan-
tité de pus qu'il faut évacuer. La petite ouverture de la peau s'est déjà
refermée, mais on y pénètre aisément avec la sonde cannelée, qu'on
pousse jusqu'au centre du ganglion. On comprime de nouveau très-forte-
ment la tumeur pour évacuer la totalité du pus, et on recommence ainsi
chaque matin pendant plusieurs jours, jusqu'à ce que la suppuration soit
tarie ou que la petite ouverture soit devenue fistuleusc. » Dans le but de
protéger l'incision contre l'inoculation cbancreuse, Broca fait suivre
chaque jour l'évacuation du pus d'une injection iodée. Il ne considère
du reste cette injection que comme accessoire, et attribue tout le mérite
des résultats obtenus à l'incision prématurée de la tumeur. « J'ai traité,
jusqu'ici, ajoute-t-il, neuf bubons par cette méthode, avec ou sans injec-
tion iodée, et dans aucun cas je n'ai vu survenir le moindre accident. La
suppuration du tissu cellulaire, le décollement et l'ulcération de la peau
ont été constamment évités. Une fois la guérison complète a été obtenue
en 4 jours, trois fois en 5 jours, une fois en 6 jours, c'est-à-dire que plus
de la moitié des cas ont été guéris en moins d'une semaine. Je pense
qu'aucune méthode n'a fourni d'aussi beaux résultats. Dans les autres
cas, la guérison a été moins prompte; elle s'est fait attendre 12, 13,
57 jours ; une fois enfin elle n'a été complète qu'au bout d'un mois et
demi... Le traitement abortif que j'ai mis en usage n'a pas la prétention
de faire avorter le bubon à proprement parler; mais en l'arrêtant à sa
première période, en empêchant le développement des complications qui
lui donnent sa gravité, il en modifie entièrement la marche, il en abrège
considérablement la durée ; il transforme une affection sérieuse en une
affection légère. On peut dire par conséquent que, s'il ne fait pas avorter
V adénite, il fait réellement avorter le bubon. »
Que penser de cette méthode?
Si tous les bubons qui se développent à la suite du chancre simple
étaient fatalement destinés à devenir chancreux, l'incision prématurée
serait parfaitement rationnelle et légitime. Mais, fort heureusement, les
choses ne se présentent pas ainsi. C'est souvent, très-souvent, une adénite
simple que produit ce chancre. Or, à l'époque où cette incision doit être
faite pour réaliser ce qu'on attend d'elle, il n'est pas de diagnostic pos-
sible à établir entre l'adénite et le bubon chancreux. A supposer donc
que ce mode de traitement soit appliqué comme méthode générale, qu'ar-
rivera-t-il? C'est qu'une fois sur deux environ, le bistouri portera sur
une adénite simple, laquelle avait chance de se résoudre et ne réclamait
BUBON. — TRAITEMENT. 793
en rien une intervention chirurgicale; c'est qu'une fois sur deux on
condamnera les malades à une opération inutile.
Ajoutons que cette opération est très- douloureuse si on la pratique
comme l'indique Broca. Au dire même de ce chirurgien, un des malades
soumis à ce traitement ne cessa « pendant toute l'opération de pousser
de véritables hurlements. » C'est qu'en effet on n'exerce pas sur un gan-
glion enflammé « une très-forte pression jusqu'au sang » sans éveiller
de très-vives souffrances. Si, de plus, il importe au succès de la mé-
thode que cette pression soit répétée plusieurs jours de suite, la douleur
devient alors une objection avec laquelle il faut compter.
Puis, il n'est pas toujours facile, comme j'ai pu m'en convaincre en
expérimentant la méthode de Broca, de tomber juste sur le ganglion, qui,
même à une époque assez rapprochée du début de l'inflammation, est
parfois englobé et confondu dans l'empâtement des tissus périphériques.
On ne sait guère alors où porter le bistouri, et, l'incision faite, on n'est
pas toujours sûr d'avoir pénétré, comme le recommande Broca, « jus-
qu'au centre du ganglion. »
L'ouverture prématurée peut prévenir certaines complications, telles
que les fusées purulentes, les décollements, les vastes collections péri-
ganglionnaires; mais elle ne saurait mettre à l'abri d'autres accidents
qui sont les conséquences de la nature même de l'affection, à savoir :
l'inoculation de la plaie par le pus virulent, l'extension du chancre aux
parties voisines, la déviation phagédénique, etc. Elle a les avantages
d'une incision faite en temps opportun, mais elle ne modifie nullement
le caractère essentiel de la maladie, c'est-à-dire la spécificité chancreuse
qui en constitue l'élément pronostique le plus important et le plus re-
doutable.
De la discussion qui précède, il résulte pour nous au point de vue
pratique : 1° Que tout bubon symptomatique d'un chancre simple doit
être ouvert dès le premier instant où l'on est en droit de soupçonner la
présence du pus (incision hâtive) ; — 2° qu'il n'y a pas nécessité à
l'ouvrir avant d'avoir reconnu la présence du pus (incision prématurée),
parce que d'une part ce bubon a chance de se résoudre s'il n'est qu'in-
flammatoire, et que d'autre part, s'il est virulent, l'incision hâtive réa-
lise à peu près les mêmes avantages que l'incision prématurée. Cette
dernière n'est légitimement applicable que dans les cas très-rares où la
nature chancreuse du bubon peut être suspectée d'après quelques pré-
somptions rationnelles.
La nécessité d'ouvrir le bubon une fois reconnue, il se présente plu-
sieurs questions à résoudre.
Comment ouvrir ce bubon? faut-il l'inciser; faut-il donner la préfé-
rence aux caustiques sur le bistouri?
Quelle que soit la méthode à laquelle on ait recours, la plaie d'ouverture
sera certainement inoculée par le pus du bubon, si ce pus est virulent.
Ce serait en effet s'abuser étrangement que de considérer l'eschare
produite par les caustiques comme une barrière opposée à l'inoculation.
794 BUBON. — traitement.
— Donc, toutes choses égales d'ailleurs, il est légitime de donner la
préférence au procédé qui, ouvrant à la suppuration une voie suffisante,
expose à son contact une surface de moindre étendue. Le bistouri faisant
une plaie moindre que les caustiques me semble à ce titre d'un emploi
plus rationnel.
Une simple ponction suffit en général. Ce n'est que dans les cas où le
foyer est considérable qu'il est nécessaire de pratiquer une incision
d'une certaine étendue pour assurer le libre écoulement de la suppura-
tion.
Il y a de même intérêt à ne faire qu'une seule ponction, sauf indica-
tions particulières. Si le pus, en effet, qui sort du bubon est de nature
virulente, multiplier les ouvertures, c'est offrir à l'inoculation autant de
surfaces à contaminer, c'est créer autant de chancres nouveaux. Les
ponctions multiples ne sont que très-rarement indispensables ; elles ne
sont indiquées que par l'étendue considérable du foyer, l'évacuation
difficile de l'abcès, les décollements, les fusées, etc.
5° Le bubon ouvert, de nouvelles indications se présentent à remplir :
surveiller l'écoulement du pus en protégeant contre son contact les
parties susceptibles d'inoculation (piqûres de sangsues, excoriations de
voisinage, etc.); — assurer la libre évacuation du foyer (pressions répé-
tées plusieurs fois dans les vingt-quatre heures; injections détersives;
au besoin, mèche de charpie ou tube à drainage laissé dans l'ouver-
ture, etc.); — enfin et surtout, modifier le caractère des surfaces
ulcérées.
Cette dernière indication sera remplie par des injections lancées à
l'intérieur du foyer. Ces injections seront faites soit avec une dissolution
de nitrate d'argent (un, deux ou trois grammes de ce sel pour cent
grammes d'eau distillée), soit avec la teinture d'iode plus ou moins
étendue, soit enfin avec divers liquides usuellement prescrits comme
modificateurs du chancre simple (vin aromatique, tartrate de fer et de
potasse, etc.).
Si l'ulcération s'étend au dehors sur les téguments, ou bien si le fond
du foyer se découvre par usure progressive et destruction de la peau, les
surfaces seront pansées à plat, exactement comme un chancre. C'est le
traitement du chancre simple (voy. ce mot), qui doit alors être institué.
Le plus souvent, huit fois sur dix environ, il suffit de ces quelques
soins pour que l'ulcération, après avoir évolué comme fait le chancre
et présenté les phases successives qui lui sont habituelles, perde son
aspect spécifique, se répare et se cicatrise.
Il est toutefois un certain nombre de cas où l'emploi de médications
plus énergiques devient indispensable. Ainsi :
1° Parfois l'ulcération demeure stationnaire. En dépit de tous les
modificateurs, elle ne se modifie pas; elle semble tendre à se prolonger
d'une façon indéfinie. Il devient alors indiqué, pour activer une guérison
qui pourrait tarder très-longtemps, d'intervenir d'une façon violente. Les
caustiques en fournissent le moyen. Ce qu'il y a de mieux à faire en pa-
BUBON. — TRAITEMENT. 795
reil cas, c'est d'étaler à la surface du bubon une large couche de
pâte de Vienne, de façon à détruire toute l'étendue de l'ulcération. L'es-
cliare tombée, il ne reste plus qu'une plaie simple, laquelle, dépourvue
de toute virulence et n'ayant plus de cause d'entretien, se cicatrise alors
sans difficulté.
Il est indispensable au succès de cette petite opération que toute la
surface ulcérée soit atteinte par le caustique ; car si le moindre point, la
moindre anfractuosité lui échappe, tout est perdu, tout est à refaire. Si
minime que soit ce point oublié, c'est une étincelle qui rallume l'incen-
die, c'est un germe chancreux qui réinocule les parties cautérisées et re-
constitue le chancre primitif.
Or, il n'est pas toujours facile d'étendre sûrement l'action du caus
tique à toute la surface du chancre ganglionnaire, surface irrégulière,
anfractueuse, et dérobée partiellement à la vue. Il convient donc de
procéder avec une circonspection excessive. Il faut avant d'agir, explorer
soigneusement le foyer, le sonder en tous sens, en relever le plan, pour
ainsi dire, dans ses moindres détails. Souvent même il sera nécessaire de
pratiquer des débridements ou de sacrifier des portions de peau saine,
pour mettre à découvert des diverticules ou des trajets fistuleux et rendre
accessible au caustique toute 1 étendue de l'ulcération.
2° D'autres fois, des conditions toutes locales et dépourvues de tout
caractère spécifique retardent ou même entravent complètement le travail
de cicatrisation. Ce sont, par exemple : des décollements étendus de la
peau qui se trouve séparée du fond du foyer par un espace plus ou moins
considérable et forme ainsi une sorte de soufflet où s'accumule et stagne
la suppuration; — l'amincissement excessif de cette membrane qui,
privée en partie de ses connexions vasculaires, n'a plus de vitalité suffi-
sante pour bourgeonner et contracter des adhérences avec les parties
sous-jacentes ; — des diverticules sinueux, des trajets fistuleux entre-
tenus par diverses causes, etc. Dans tous ces cas, la guérison se ferait
attendre d'une façon presque indéfinie si Ton n'intervenait par des
moyens chirurgicaux. Le meilleur parti à prendre, c'est d'agir sans
retard, de sacrifier les portions de peau décollées et amincies, d'ouvrir
les fistules, de mettre largement le fond du foyer à découvert, etc. Les
caustiques sont fort utiles pour remplir ces indications diverses, et leur
emploi est presque toujours suivi d'un succès rapide.
5° Enfin, si l'ulcération menace d'envahir les parties voisines, si sur-
tout elle manifeste la moindre tendance au phagédénisme, l'indication
des caustiques devient aussi formelle que pressante. Quelque difficile,
quelque douloureuse que puisse être leur application, il n'est pas à hé-
siter; toute demi-mesure, toute temporisation est une faute grave qui
permet au mal d'étendre ses ravages et de créer des complications re-
doutables.
C'est ici surtout que la cautérisation doit être employée dans toute sa
rigueur. Les caustiques légers, superficiels, seront rejetés comme insuffi-
sants ; c'est aux caustiques profonds et réellement destructeurs qu'il faut
796 BUBON. — traitement.
s'adresser pour avoir raison de la virulence (pâte de Vienne, pâte carbo-
sulfurique, chlorure de zinc).
Il n'est pas moins essentiel de faire choix d'un caustique qui puisse
s'adapter, pour ainsi dire, à la configuration des surfaces ulcérées, en
pénétrer tous les diverticules, toutes les anfractuosités, en un mot se
mouler sur elles en quelque sorte. Les pâtes caustiques (pâte de Vienne,
pâte carbo-sullurique) répondent parfaitement à cette indication, que le
fer rouge au contraire ne saurait remplir.
Dans certains cas où des portions considérables de tissus doivent être
sacrifiées, la cautérisation s'élève presque au rang d'une grande opéra-
tion chirurgicale et légitime l'emploi des anesthésiques.
II. Je viens d'exposer les princip.es généraux qui président au traite-
ment du bubon. Il me reste, pour compléter cette étude, à examiner en
particulier certaines méthodes thérapeutiques qui ont été préconisées
contre cette affection, et dont il importe de déterminer la valeur.
I. MétJiode dite abortive. — Prévenir ou faire avorter le bubon serait
un résultat considérable. Un tel but à atteindre ne pouvait manquer
d'appeler l'attention des palhologistes et de solliciter l'expérimentation.
Nombre de méthodes, en effet, ont été imaginées et appliquées au trai-
tement abortif du bubon. La plupart, il est vrai, ont été discréditées ra-
pidement; mais quelques-unes ont paru fournir des succès merveilleux,
et se sont même imposées dans la science. Voyons si elles ont'droit de
conserver la faveur dont elles ont longtemps joui.
11 est tout d'abord une objection capitale à opposer aux prétendus suc-
cès des méthodes dites abortives; c'est que toutes ou presque toutes ont
été appliquées au traitement du bubon en général, et non de telle ou telle
espèce de bubon.
C'était une opinion acceptée autrefois que tous les engorgements gan-
glionnaires d'origine vénérienne étaient également aptes et enclins à sup-
purer; partant de là, on se félicitait comme d'un succès de la résolu-
tion d'une adénopathie ; tout bubon était considéré comme avorté alors
qu'il n'avait pas abouti à former un abcès, ou qu'il n'avait pas présenté
ce développement considérable et ces allures inflammatoires qui sont le
propre seulement de certaines variétés. Si donc, après l'emploi d'une
médication quelconque, on voyait un bubon se résoudre, on ne manquait
pas d'attribuer ce résultat à l'action du traitement; puis, additionnant
une série de faits semblables, on arrivait à constituer une statistique des
plus satisfaisantes en l'honneur de la médication dont les vertus abortives
étaient alors proclamées.
De telles illusions ne sont plus permises aujourd'hui. On sait que tous
les bubons ne sont pas destinés à s'enflammer et à suppurer ; on sait
qu'un très-grand nombre se résolvent sans le secours d'aucun traitement,
et l'on ne fait plus honneur à la médication de ce qui est la marche na-
turelle et la terminaison spontanée de la maladie.
Pour apprécier à leur juste valeur les méthodes prétendues abortives,
il faut les étudier séparément dans leur application à chacune des espèces
BUBON. TRAITEMENT. 797
d'adénopathie dont nous avons établi précédemment les caractères dif-
férentiels.
Or, 1° le bubon du chancre infectant n'est pas susceptible d'avorter.
Quoi qu'on puisse faire pour le prévenir, il se développe, il évolue fatale-
ment à la suite de l'accident initial dont il est en quelque sorte « le com-
pagnon obligé. » Il se produit alors même que l'on supprime le chancre
soit par les caustiques, soit par l'excision. Pour ma part, je puis affirmer
qu'en plusieurs cas où j'ai eu l'occasion de détruire ab ovo l'érosion
chancreuse syphilitique, je n'en ai pas moins vu les ganglions se prendre
et le bubon se constituer, comme si j'avais laissé le chancre suivre ses
périodes normales.
Ce qu'on peut faire, c'est de prévenir les complications inflammatoires
ou autres qui s'ajoutent parfois à l'adénopathie spécifique; mais quant à
prévenir le bubon lui-même, il n'y faut pas songer; c'est là un résultat
au-dessus des ressources de l'art.
J'ajouterai du reste que, possédât-on une méthode réellement abortive,
il n'y aurait pas grand intérêt à l'appliquer au traitement du bubon sy-
philitique, lequel, comme on le sait, est le bubon bénin par excellence
et se résout très-habituellement sans le secours d'aucune médication.
2° Le bubon chancreux n'est pas plus apte à subir l'action des mé-
thodes abortives.
D'une part, si le bubon résulte, comme il y a tout lieu de le croire,
de l'absorption du pus chancreux par les lymphatiques ulcérés, il n'est
pas en notre pouvoir d'empêcher un acte physiologique de se produire.
La section des lymphatiques (Diday) pourrait seule s'opposer mécanique-
ment au transport du pus dans les ganglions; mais c'est là réellement
une opération impraticable, qui ne doit pas franchir le domaine de la
théorie.
D'autre part, l'absorption une fois produite a pour conséquence fatale,
nécessaire, l'inoculation de la glande et la formation d'un foyer virulent.
Il n'est pas de traitement qui puisse enrayer cette évolution pathologique
et faire avorter le chancre ganglionnaire.
On a trop facilement accordé la dénomination de méthodes abortives à
quelques procédés chirurgicaux qui n'ont pour résultat que de prévenir
certaines complications de la maladie, sans exercer sur elle une action
réellement abortive. L'incision prématurée, par exemple, peut réussir à
limiter, à concentrer le foyer chancreux, à éviter les suppurations péri-
glandulaires, les fusées, les décollements, etc. ; mais elle fait si peu avor-
ter le bubon qu'elle n'en modifie en rien le caractère virulent, et qu'elle
laisse subsister les dangers spéciaux qui relèvent de cette virulence.
Ce n'est qu'un mode de traitement, ce n'est qu'un procédé curatif, et rien
de plus.
Il n'est qu'une méthode préventive du bubon chancreux, c'est la des-
truction du chancre. Détruire le chancre, c'est tarir la source où les lym-
phatiques puisent le pus virulent pour le transporter aux ganglions, c'est
supprimer la cause dont le bubon est l'effet.
98 BUBON. — TRAITEMENT.
3° Seul, le bubon inflammatoire peut réellement avorter ; il le peut
comme l'adénite d'origine non-vénérienne, comme toute phlegmasie
simple.
C'est ainsi que les adénopathies symptomatiques de la blennorrhagie,
de la balanite et même du chancre simple, etc., sont très-souvent en-
rayées dans leur développement par l'emploi de médications diverses,
seules dignes du titre d'abortives.
Quelles sont ces médications? Il en est une foule de préconisées dans la
science : antiphlogistiques (émissions sanguines locales, bains, émol-
lients, etc.) ; — vésicatoires ; — applications d'eau froide ou de glace ; —
compression; — topiques astringents (tannin, eau blanche, etc.); —
pommade au nitrate d'argent (Lutens) ; — incisions prématurées, dites
résolutives; — ponctions multiples; — vésicatoires suivis de panse-
ments avec une solution de sublimé (Malapert) ou de badigeonnages à
la teinture d'iode (S. Pirondi) ; — collodion; — émétique à l'inté-
rieur, etc., etc.
De toutes ces médications, il n'en est guère que deux dont l'action
soit bien certaine ; ce sont les antiphlogistiques, en première ligne, et les
vésicatoires. Toutes les autres n'ont qu'une efficacité bien plus douteuse;
quelques-unes même (telles, par exemple, que le tannin, le collodion et
l'émétique) sont absolument inertes et tombées dans un juste discrédit.
Ces divers modes de traitement seront étudiés en détail à l'article Lym-
phatiques (ganglions); je ne fais donc que les signaler ici.
En résumé, il ressort de la discussion précédente : 1° que les mé-
thodes abortives n'ont aucune influence sur les bubons vénériens spécifi-
ques (bubon syphilitique, bubon chancreux) ; — 2° qu'elles n'ont d'ac-
tion que sur le bubon inflammatoire, c'est-à-dire sur l'adénite simple,
à laquelle l'origine vénérienne ne confère ni symptômes spéciaux ni gra-
vité particulière.
II. Résolutifs, fondants. — On a préconisé sous ce titre d'âge en âge
une foule de remèdes : onctions mercurielles ; pommades de toute sorte,
dites fondantes; emplâtres de savon, deVigo;de ciguë, etc.; cataplasmes
froids, applications d'eau froide ou de glace ; liniments astringents (acé-
tate de plomb, alun, chlorhydrate d'ammoniaque, tannin, noix de galle,
sels de cuivre, etc.); iodiques (iodure de potassium, iodure de
plomb), etc., etc. Bien que consacrés par la tradition, ces divers re-
mèdes n'ont qu'une action très-secondaire; la plupart même sont absolu-
ment inertes. Celui de tous auquel s'est attaché le plus de faveur et qui
conserve encore le plus de crédit, c'est le mercure, appliqué sous forme
de frictions à la surface des engorgements ganglionnaires. Or, le mer-
cure, tant célébré depuis des siècles, est bien loin de mériter dans le
traitement du bubon les éloges qu'on lui a décernés. Il ne possède
aucune action spécifique sur l'adénite simple ni sur le bubon chan-
creux. En tant qu'agent résolutif, il ne me semble avoir qu'une effica-
cité très-douteuse et très-contestable; du moins je n'ai jamais rien vu,
BUBON. TRAITEMENT. 799
pour ma part, qui légitime les vertus résolutives qu'on lui a peut-être
trop facilement attribuées.
III. Médication révulsive. — Sous ce chef viennent naturellement se
ranger plusieurs méthodes thérapeutiques qui ont été vivement préco-
nisées dans le traitement du bubon.
1° Baditjeonnages à la teinture d'iode. — Ces badigconnages, répétés
une ou deux fois par jour à la surface du bubon, constituent une sorte
de vésicatoire lent, dont Faction résolutive ne saurait être mise en doute.
Ils sont particulièrement utiles contre les engorgements froids et indo-
lents qui succèdent parfois aux phlegmasies ganglionnaires, ou contre
les adénopathies qui revêtent d'emblée la même forme avec tendance à
la chronicité.
2° Vésicatoire. — Il n'est pas d'agent thérapeutique qui ait été vanté
dans le traitement du bubon à l'égal du vésicatoire. Non-seulement on a
attribué à la méthode vésicante une action abortive et résolutive, mais
on lui a accordé en plus des vertus de tout genre. On a dit qu'elle pou-
vait déterminer la résorption d'abcès phlegmoneux, évacuer le pus sans
incision, résoudre le bubon chancrem, guérir tous les bubons sans laisser
de cicatrices, etc. Examinons ce qu'il y a de vrai dans ces diverses as-
sertions.
Il n'est pas contestable tout d'abord que le vésicatoire exerce une ac-
tion résolutive sur l'élément inflammatoire du bubon. Tout le monde est
d'accord sur ce point. « Voilà plus de trente ans, dit Velpeau, que j'ex-
périmente cette médication; j'y ai eu recours si souvent qu'il m'est per-
mis aujourd'hui d'en affirmer nettement l'importance... Les vésicatoires
ont une action fondante et résolutive sur l'adénite; ils arrêtent, ils font
souvent rétrograder l'inflammation; dans les cas moins heureux, ils cir-
conscrivent au moins le foyer morbide et le concentrent en quelque sorte
autour des ganglions... Ce sont des résolutifs puissants. »
A ce titre donc, le vésicatoire est applicable à l'adénite vénérienne
simple, comme aussi à l'adénopathie syphilitique qui vient à se compli-
quer accidentellement de phénomènes inflammatoires.
De plus, cette action résolutive du vésicatoire est également très-remar-
quable sur les engorgements ganglionnaires subaigus ou à forme froide
et languissante. C'est dire qu'on peut en tirer un utile parti dans plu-
sieurs cas d'ordre divers : contre les bubons qui, primitivement aigus,
tendent plus tard à prendre les allures de l'état chronique; contre ceux
qui d'emblée revêtent les mêmes caractères ; contre les complications
strumeuses des bubons vénériens (bubon blenno-strumeux, syphilo-stru-
meux, etc.).
Il est positif encore qu'on a vu le vésicatoire déterminer, en certains
cas de bubons inflammatoires abcédés, une véritable résorption du pus.
« Des foyers ganglionnaires dûment fluctuants, recouverts de larges vé-
sicatoires volants, se sont dissipés par résolution simple, sans incision,
sans ouverture d'aucune sorte. La possibilité de ce fait n'est pas contes-
table aujourd'hui » (Velpeau).
800 BUBON. — TRAITEMENT.
Si réel cependant qu'il puisse être, ce fait n'est pas moins une rareté
pathologique. La règle, c'est que le vésicatoire ne prévienne pas l'ouver
ture des abcès en général, non plus que celle des abcès ganglionnaires
en particulier.
Enfin, d'après quelques auteurs, les vésicatoires auraient parfois pour
effet d'évacuer les foyers ganglionnaires par un mécanisme tout particu-
lier. Ils détermineraient une sorte de transsudation purulente, c'est-à-dire
qu'ils permettraient au pus de filtrer à travers le derme « de la même
façon que le mercure traverse une peau de chamois. » Très-surprenant
au premier abord, ce phénomène n'a rien d'impossible ni d'invraisem-
blable. Il ne répugne nullement d'admettre que le derme, entamé dans
ses couches superficielles par une vésication prolongée, usé et aminci
dans ses couches profondes par l'abcès sous-jacent, puisse subir une série
de petites perforations et se convertir en une sorte de crible qui tamise,
pour ainsi dire, le pus du bubon.
Quant à l'action que l'on a attribuée aux vésicatoires sur le bubon
chancreux, elle est beaucoup plus hypothétique, et j'oserai même dire
qu'à mon sens elle est absolument illusoire.
Certains auteurs ont avancé que la méthode vésicante peut prévenir
ou faire avorter ce bubon. Ce n'est là qu'une assertion dénuée de preuves
et complètement injustifiable.
On a dit encore que les vésicatoires « faisaient rétrograder la suppura-
tion du bubon chancreux et provoquaient la résorption du pus virulent. »
A cela se présente une objection toute naturelle : Les bubons que l'on a
guéris de la sorte étaient-ils véritablement chancreux? Rien ne saurait
le démontrer.
D'après Alph. Guérin, les vésicatoires coup sur coup constitueraient le
traitement par excellence du bubon. « Ce sont, dit-il, de puissants abor-
tifs ; ils arrêtent la suppuration du bubon, quelle que soit sa nature,
quelle que soit sa période... Il n'est jamais trop tard pour empêcher l'ou-
verture de l'abcès ganglionnaire... Qu'il soit virulent ou non, le bubon
ne suppurera pas si vous avez recours à ce traitement... Il nest pas un
seul bubon traité par moi qui laisse une cicatrice. » Admirons de si mer-
veilleux résultats, en regrettant de n'être ni assez habile ni assez heureux
pour en avoir jamais obtenu de semblables.
Une dernière remarque peut avoir son importance pratique. Est-il
prudent d'appliquer une série de vésicatoires à la surface d'un foyer dont
il y a lieu de suspecter le caractère chancreux? Si ce foyer vient à s'ou-
vrir, qu'adviendra-t-il de cette vaste étendue de téguments dépouillée
d'épiderme et exposée sans défense au contact du pus virulent? L'inocu-
lation n'est-elle pas à redouter? N'est-ce pas là un danger sérieux, dont il
importe d'éviter les chances aux malades ?
Ce que je viens de dire du vésicatoire s'applique également à cer-
taines méthodes mixtes où la vésication est combinée avec l'emploi de
topiques divers (teinture d'iode, sublimé, etc.). Ces méthodes ont une
action révulsive et résolutive qui ne saurait leur être contestée. Elles
BUBON. — TRAITEMENT. 801
peuvent avoir fourni des suceès dans le traitement, de l'adénite simple,
mais elles n'ont aucune action spéciale sur le bubon chancreux dont
elles ne sont nullement aptes, quoi qu'on ait pu dire, à modifier le carac-
tère virulent. Ajoutons que ce sont des procédés douloureux; la méthode
de Malapert notamment (vésicatoire suivi de pansements au sublimé)
provoque parfois d'atroces souffrances, ce qui l'a très-justement discré-
ditée.
5° Caustiques. — L'action révulsive des caustiques a été également
exploitée dans le traitement du bubon. C'est tantôt au fer rouge que l'on
s'est adressé (cautérisation transcurrente, cautérisation ponciuée), tantôt
aux caustiques chimiques (pâte de Vienne, potasse, etc.).
Le regrettable Melch. Robert a beaucoup vanté cette dernière méthode,
qu'il appliquait de la façon suivante : il faisait sur la tumeur une série
de mouchetures à la pâte de Vienne (de trois à dix, suivant les cas), et
déterminait ainsi de petites escharres intéressant tonte l'épaisseur de la
peau et le tissu cellulaire sous-cutané; après la chute des escharres, il
entretenait les plaies en suppuration par des pansements à l'onguent épi-
spastique, ou même il les transformait en cautères. Cette méthode, dit-il,
fournit d'excellents résultats; elle présente pour avantages : « 1° d'agir
avec assez d'énergie sur les engorgements chroniques pour les réduire à
un très-petit volume; 2° d'amender avec une incroyable rapidité les acci-
dents inflammatoires locaux; 5° de faire rétrograder dans quelques cas la
suppuration du bubon ; 4° de prévenir le décollement des parois du
foyer en établissant de bonne heure des adhérences entre la peau, le
tissu cellulaire et les parties sous-jacentes ; 5° d'ouvrir un écoulement
facile au pus sans faire de larges plaies, et, dans les cas de virulence,
de s'opposer, autant que faire se peut, à l'inoculation des bords de la
plaie. )>
Nul doute que plusieurs de ces avantages ne soient réels; nul doute
que les caustiques, appliqués d'après le procédé de Robert ou de toute
autre façon, ne possèdent une action résolutive sur les engorgements
inflammatoires aigus ou chroniques, qu'ils ne préviennent les décolle-
ments, qu'ils ne préparent au pus une issue facile, etc. Mais ces avan-
tages sont-ils de tel ordre qu'ils ne puissent être réalisés par d'autres
méthodes thérapeutiques plus simples et moins douloureuses ; ne sont-ils
pas compensés d'ailleurs par des inconvénients sérieux dont il faut tenir
compte (douleurs, suppurations multiples, longueur du traitement, cica-
trices indélébiles, etc.)? Voyons du reste quels sont les cas qui légiti-
ment ou contre-indiquent l'emploi de cette médication :
1° L'application des caustiques sur le bubon syphilitique, qui guérit
seul, serait aussi irrationnelle, aussi déplacée que possible.
T En tant que résolutifs, les caustiques ne sont d'aucune utilité
contre le bubon chancreux. Ils ne le font pas plus résoudre que tonte
autre méthode; ils n'en modifient en aucune façon le caractère virulent.
En tant qu'évacuants, nous les avons jugés dans les pages qui précèdent.
5° Ils ne sauraient avoir d'action résolutive que sur le bubon inlïam-
NOUV. MCT. MÉD. ET CHIR. V. 51
802 BUBON. — TRAITEMENT.
matoire, dépourvu de toute virulence. Mais l'adénite réclame-t-elle un
tel mode de traitement? N'avons-nous pas contre elle des moyens moins
pénibles et tout aussi sûrs? Qui de nous consentirait à se laisser couvrir
laine de cautères pour une affection qui peut se résoudre ou qui ne de-
mande au pis aller qu'une incision pour guérir?
4° En revanche, l'emploi des caustiques est parfaitement légitime
dans les cas d'adénopathies froides, tendant à la forme chronique ou
subissant la déviation strumeusc. Ici cette méthode offre des avantages
incontestables ; elle exerce une révulsion puissante sur les engorgements
ganglionnaires de cette nature; elle les anime, elle les fouette, pour ainsi
dire ; elle y provoque très-certainement une excitation résolutive.
Dans les cas de ce genre, le fer rouge est, je crois, préférable aux
agents chimiques. La cautérisation ponctuée surtout est éminemment
résolutive. Elle se pratique très-simplement avec une tringle de rideau
dont on fait chauffer à blanc l'extrémité coudée. Elle est à peine doulou-
reuse lorsqu'elle est faite rapidement et elle est d'autant mieux sup-
portée que le 1er est plus chaud. Elle ne laisse pas de cicatrices, si l'on
a soin de mouclieter la peau sans la cautériser profondément. On fait
quinze à vingt de ces mouchetures sur la surface du bubon, et l'on ré-
pète cette petite opération tous les huit ou dix jours. Ce mode de trai-
tement a été très-vivement préconisé parHicord; je lui dois, pour ma
part, de nombreux succès.
IV. Compression. — C'est, après le vésicatoire, la méthode qui a été
le plus vantée dans le traitement du bubon. On est allé jusqu'à dire dans
un enthousiasme immodéré « qu'elle triomphait sans peine de tous les
bubons, à toutes périodes, et particulièrement à l'état de suppuration ac-
tive ; qu'il n'était plus de bubon à ouvrir depuis son introduction dans la
pratique, etc. » (Sergcant, Fergusson). Malheureusement cette « infail-
lible » méthode est bien loin de réaliser de tels prodiges.
Divers procédés de compression ont été mis en usage : compresses gra-
duées, disques d'agaric, etc., soutenus par un spica; plaques de plomb;
planchette de bois adaptée à un appareil de courroies ; bandages her-
niaires, etc. Le mode le plus simple consiste en une série de compresses
en pyramide appliquées sur la tumeur, puis solidement fixées et immobi-
lisées par une forte bande de toile ou mieux encore de caoutchouc.
La compression a, comme toutes les méthodes thérapeutiques, ses in-
dications légitimes et ses contre-indications formelles.
Elle est inutile contre le bubon syphilitique; — dangereuse dans les
cas d'adénite aiguë et intolérable même en raison des douleurs qu'elle
détermine ; — dépourvue de toute action contre le bubon cliancreux; —
inopportune au dernier degré contre toutes les variétés de bubons à la
période de suppuration confirmée.
Elle se présente au contraire avec des avantages très-sérieux dans
deux ordres de cas : 1° contre les décollements consécutifs aux vastes
foyers de suppuration ; — 2° contre les adénopathies à forme chronique ou
strumeusc, et les indurations qui succèdent souvent aux bubons aigus.
BUBON. — BIBLIOGRAPHIE. 805
Combinée aux révulsifs locaux (badigeonnages à la teinture d'iode, vési-
catoires, ou même au besoin cautérisation ponctuée), elle constitue le
traitement par excellence de ces variétés d'engorgements ganglionnaires.
D'après quelques auteurs, une compression méthodique, appliquée
tout à fait au début sur un bubon inflammatoire, suffirait parfois à en
arrêter le développement. Si ce fait ne peut être contesté, il n'est pas
moins exceptionnel.
Enfin on a émis cette idée que la compression pourrait bien en certains
cas jouer le 'rôle de méthode préventive. « Une observation, dit Ri-
cord, que j'ai été à même de répéter très-souvent, c'est que, chez les in-
dividus portant des bandages herniaires bien faits, ce n'est presque ja-
mais du côté de cet appareil compressif que se développent les bubons. »
Remarque curieuse, mais peu susceptible, je pense, d'application pra-
tique.
V. Si j'avais à tracer le tableau complet de la thérapeutique du bu-
bon, il me resterait à parler d'une foule de traitements qui ont été préco-
nisés contre cette maladie : incision sous-cutanée des ganglions, ponc-
tions à l'aiguille, écrasement, excision, extirpation, drainage, séton
filiforme, électro-puncture, etc.; remèdes internes, fondants, résolutifs,
ciguë, calomel, vomitifs, etc., etc.. De ces innombrables méthodes qui
encombrent la science plutôt qu'elles ne l'enrichissent, les unes, je puis
dire la plupart, sont tombées dans un juste oubli ; les autres n'offrent
rien de spécial au bubon vénérien et seront étudiées dans un autre ar-
ticle de cet ouvrage. Von. Lymphatiques (ganglions), etc. Je crois donc
devoir me restreindre aux indications générales que j'ai formulées pré-
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Consultez de plus la bibliographie des articles Chancre, Syphilis, Balanïte, IIlexxorrhagie, Gan-
glions, Scrofule, etc,
Alfred Fournier.
BULLES, BULLEFSES (affections). 807
BUIjIjES, BUULEUSES (affections). — En dermatologie on
donne le nom de bulle à une saillie élevée au-dessus du niveau de la peau
et due à un soulèvement de l'épidémie distendu par la collection d'un
liquide séreux, sero-purulent ou sero-sanguin.
La dimension des bulles varie depuis le volume d'un pois, jusqu'à ce-
lui d'une noix et même d'une orange; quelquefois elles sont régulières,
ovales ou arrondies; plus souvent leurs contours sont inégaux et leur
forme est irrégulière. Le liquide contenu dans la poche épidermique qui
forme la bulle est tantôt une sérosité claire, transparente, d'une couleur
citrine, semblable au sérum du sang, produit albumincux se coagulant
par la chaleur et l'acide azotique; tantôt c'est un mélange de pus et de
sérosité, blanc, verdàtre ou jaune; souvent ce liquide contient des flocons
pseudo-membraneux. Dans quelques cas plus rares la sérosité est rouge
ou brune par l'addition d'une certaine quantité de sang.
La bulle développée spontanément par l'effet d'un travail morbide res-
semble complètement dans son apparence extérieure au soulèvement de
l'épiderme qui suit l'action momentanée du calorique dans la brûlure au
second degré et surtout l'application d'un emplâtre vésicant. La ressem-
blance est telle que des médecins ont été trompés par des individus simu-
lant une maladie huileuse à l'aide d'une préparation de cantharides main-
tenue appliquée sur la peau pendant quelque temps.
La bulle diffère de la vésicule par son volume plus considérable et aussi
par son isolement habituel; les vésicules sont le plus souvent réunies,
groupées les unes à côté des autres; les bulles sont ordinairement dis-
tinctes et séparées. La pustule se distingue de la bulle par son volume
moins considérable, par sa forme plus régulière et par son liquide plus
franchement purulent.
La bulle atteint dans un temps assez court le volume qu'elle doit
avoir, dans l'espace de quatre à cinq jours. Au début, à l'endroit où doit
se développer la bulle, on voit l'épiderme se rider, se soulever sous
forme de petites saillies inégales, lesquelles en augmentant de volume et
en se réunissant forment promptement une bulle qui grossit par l'accu-
mulation'graduelle du liquide sécrété. Tantôt à la place que doit occu-
per la bulle il existe d'abord une tache rouge, tantôt la rougeur ne se
développe que sous forme d'auréole autour de la bulle et à mesure que
cette dernière se forme; d'autres fois il n'y a aucun changement de colo-
ration ni à la place de la bulle ni à ses contours.
Une fois formée et arrivée à son volume, il est rare que la sérosité se
résorbe sans la rupture de la poche; le plus ordinairement, après un in-
tervalle plus ou moins long, l'épiderme se rompt et le liquide s'épanche
au dehors; il survient alors à la place occupée par la bulle une ulcération
superficielle recouverte par des débris d'épidémie et par une partie du
liquide concrète, laquelle plaie tantôt se dessèche assez vite par la for-
mation d'un nouvel épidémie, tantôt se recouvre de croûtes plus ou moins
épaisses, variant du jaune clair au noir et tombant au bout d'un temps
variable. À la place occupée antérieurement par les inities et par ses lé-
808 BULLES, BULLEOSES (affections).
sions consécutives, il existe plus tard une tache violette qui ne tarde pas à
s'effacer complètement pour ne laisser aucune trace. Les croûtes sont
surtout épaisses et elles persistent pendant un temps assez long lorsque
le liquide contenu dans la bulle est épais et purulent.
La formation de la bulle est souvent accompagnée d'un sentiment de
chaleur, de picotement, d'élancements à l'endroit où elle se développe.
Cette douleur peut se prolonger jusqu'à la rupture de la bulle et même
un peu au delà ; quelquefois elle n'existe qu'au début de la bulle ; chez
quelques malades, le soulèvement de l'épiderme est complètement indo-
lent. Dans certains cas, il existe en même temps que les bulles un vif
sentiment de démangeaisons auquel les malades résistent difficilement;
l'espèce de pemphiques, désignée par quelques auteurs sous le nom de
pemphiques prurigineux, offre un exemple de cette démangeaison associée
au développement des bulles.
Nous ne parlerons pas ici des phénomènes généraux qui peuvent accom-
pagner la formation des bulles, ils varient dans chaque cas particulier;
nous dirons seulement que la formation des bulles, continuée pendant
un certain temps, finit par amener de la faiblesse, de l'amaigrissement
et tous les signes d'une altération profonde de la nutrition, altération
qui est commune à toute sécrétion exagérée prolongée pendant un cer-
tain temps.
La formation des bulles paraît être le résultat de l'inflammation de la
couche la plus superficielle du derme, du corps muqueux; quelques au-
teurs ont voulu aller plus loin dans cette question et ont cherché à spécilier
davantage le siège anatomique de la bulle en accusant l'inflammation spé-
ciale d'un des éléments de l'enveloppe cutanée. C'est ainsi que Cazenave,
considérant la formation des vésicules comme le résultat de l'inflammation
d'un conduit sudoripare, pense que ia bulle, qu'il regarde comme l'exagéra-
tion de la vésicule, est le résultat de l'inflammation d'un grand nombre de
conduits sudoripares atteints en même temps et sur un point donné. Au-
cune recherche d'anatomie pathologique ni de micrographie ne nous au-
torise à spécifier ainsi le siège élémentaire de la bulle, et, pour notre
part, sans nous prononcer absolument sur ce point qui exige de nou-
velles recherches, nous croyons que dans les affections huileuses comme
dans les affections vésiculeuses la lésion anatomique siège dans plusieurs
éléments de la peau. La seule chose que nous ayons pu constater sur une
petite parcelle de peau appartenant à un sujet mort d'un pemphigus
chronique, c'est une vascularisation considérable de la peau et un déve-
loppement très-marqué des papilles nerveuses.
Affections huileuses. — Les bulles se rencontrent dans un assez grand
nombre d'états morbides ; on les voit se développer artificiellement à la
suite de l'application d'un emplâtre vésicant et particulièrement des pré-
parations de cantharides ; elles existent dans la brûlure au second degré,
sous forme de phlyetènes dans la gangrène de la peau et des tissus sous-
jacents; on les voit assez fréquemment dans l'érysipèle ; on peut les ren-
contrer dans quelques cas rares d'eczéma et particulièrement aux mains
BUSSANG. 809
et aux pieds, elles ne sont là que le résultat de la réunion de plusieurs
vésicules agminées se réunissant par la rupture des cloisons qui les sépa-
raient primitivement; suivant les auteurs qui partagent les opinions de
Willan, ce sont alors de fausses bulles. Mais on rencontre surtout les
bulles dans le pemphigus, et la plupart des auteurs contemporains ad-
mettent également la bulle comme la lésion élémentaire du rupia (voyez
ce mot).
A proprement parler les affections huileuses devraient être celles dans
lesquelles on rencontre des bulles ; mais les dermatologistes modernes
qui ont cherché à classer les maladies cutanées d'après les lésions de la
peau, ont rétréci davantage ce champ et ne considèrent comme affections
huileuses que celles qui sont caractérisées essentiellement et au début par
cette lésion. Même ainsi définies, les maladies huileuses ne sont pas les
mêmes pour tout le monde : c'est ainsi que Plenck place parmi les mala-
dies huileuses qui constituent sa quatrième classe le phyma (eethyma ou
tourniolle), les bullx (les bulles des vésicatoires, de la gelure, du calo-
rique), etc., le pemphigus; tandis que Willan comprend dans sa classe
des bulles l'érysipèle et le pemphigus; Bateman, dans les dernières édi-
tions de son ouvrage, place l'érysipèle dans les exanthèmes, considérant
avec raison la phlyetène qu'on rencontre souvent dans cette maladie
comme une lésion accessoire, et ne compte parmi les maladies huileuses
que le pemphique et le rupia. Tous les auteurs contemporains, Biett,
Cazenave, Gibert, Devergie, Bazin, ont imité Bateman dans la déter-
mination des espèces constituant la classe des alfections huileuses; moi
seul j'ai cru devoir faire une réserve relativement au rupia que je ne con-
sidère pas comme une espèce nosologique distincte et que je rattache à
l'ectyma, suivant sur ce point l'exemple déjà donné par Willan. Mais ce
n'est pas le lieu d'entrer dans cette discussion, ni dans le détail des
maladies huileuses, nous renvoyons pour cela aux articles Pemphigus et
Bupia. Alfred Hardy.
BUSSAltfGr (Vosges, arrond. de Bcmiremont), à 40 kilomètres de
Plombières.
L'eau dé Bussang, froide (15 degrés centigrades), ferrugineuse, bicar-
bonatée, est limpide, d'une saveur aigrelette et ferrugineuse.
Les sources qui la fournissent {F ontaine-d' en-haut et F ontaine-cT en-
bas), dont le débit est de 2,500 litres par journée de vingt-quatre heures,
sont situées à deux kilomètres de Bussang même. La F ontaine-d' en-bas
seule est ferrugineuse et offre de l'intérêt. L'eau de Bussang a été ana-
lysée par Barruel (1829) et par 0. Henry (1840). G. Henry a donné dans
V Annuaire les résultats suivants pour la F 'ont aine-d en-bas :
Gaz. — Acide carbonique libre, 41 centilitres.
Sels. — lgr,486 de minéralisation par litre d'eau; carbonate de
soude, 0gr,789; de chaux, 0S'',540 ; de magnésie, 0gr,15O ; de strontiane,
traces de fer, 0g,,017 ; crénate de fer, manganèse et traces de chlorure
de sodium, 0=r,078 ; sulfates de soude et de chaux, chlorure de sodium
810 BUSSEROLE. — description.
et crénate de soude, 0gr,110; silicate de soude, de chaux, d'alumine,
0gr,002.
Chevallier et Schaeuffele ont, cri outre, trouve de l'arsenic dans les deux
sources de Bussang.
Il n'y a pas d'établissement à Bussang. Celui qui fut incendié en 1799
n'a pas été reconstruit. Aussi on n'utilise l'eau de Bussang que trans-
portée. Elle supporte les voyages sans subir d'altérations notables, et
surtout sans perdre son acide carbonique.
Ses qualités d'eau légèrement bicarbonatée sodique et gazeuse, sa
saveur assez agréable, la rendent d'un usage fréquent comme eau de
table et comme eau digestive. La quantité notable de principes martiaux
qu'elle renferme marque sa place parmi les agents de la médication fer-
rugineuse. Aussi est-ce principalement chez les dyspeptiques, chez les
gastralgiques, dans la chlorose, l'anémie, chez ceux qui supportent diffi-
cilement des préparations de fer et des eaux bicarbonatées sodiques
puissamment minéralisées, que l'eau de Bussang trouve particulièrement
ses applications.
Chez les individus affaiblis, anémiques, à digestions languissantes,
comme on en observe beaucoup parmi ceux qui sont affectés de catarrhe
de la vessie, les eaux bicarbonatées sodiques ferrugineuses, telles que
celles de Bussang, des sources ferrugineuses de Vichy, peuvent, selon la
remarque de Durand-Fardel, être employées avantageusement pour modi-
fier l'état local et la disposition générale au catarrhe, à condition toute-
fois que les symptômes dysuriques soient peu développés.
L. Desxos.
BUSKEROIjE. — Arbutus uva ursi, Linn. vulg., Raisin d'ours.
Famille des Éricinées. C'est un petit arbrisseau toujours vert, commun
dans les montagnes, les Alpes, le Jura, les Pyrénées, les Vosges.
On n'emploie que ses feuilles.
Desciuptio^. — Ces feuilles sont entières, ovales, oblongues, épaisses,
coriaces, luisantes, d'un vert foncé en dessus, d'une couleur plus claire
en dessous, un peu élargies au sommet qui est émoussé et même quel-
quefois marqué d'une échancrure peu profonde, ne présentant pas de
nervures transversales saillantes. Sèches, elles conservent leur couleur
verte; elles sont comme chagrinées des deux cotés. En examinant la face
inférieure avec soin, à la loupe, on y distingue un réseau très-délié, rou-
geàtre, dû à des nervures secondaires très -fines. Triturées avec de l'eau,
ces feuilles donnent une liqueur jaunâtre qui, par le sulfate de fer, préci-
pite en bleu.
On leur substitue souvent la feuille du buis ou celle de l'airelle ponc-
tuée. Voici à quels caractères on pourra reconnaître la fraude.
Les feuilles de Buis, Buxus sempervirens, Linn., Buxinêes, sont
ovales, oblongues, très-souvent échancrées au sommet, jamais chagri-
nées; la face inférieure présente une nervure médiane, saillante, d'où
partent des nervures secondaires transversales, parallèles, non ramifiées
BUSSLROLL. — doses et mode d'administration. 811
cl non saillantes, mais qui sont très-apparentes, grâce au fin duvet blanc
qui les recouvre. Triturées avec de l'eau, elles donnent une liqueur qui,
par le sulfate de fer, précipite en gris verdàtrc.
Les feuilles d'airelle, Vaccinium vitis-id&a, Linn., famille des Vacci-
iniées, sont d'un vert brunâtre, moins épaisses que celles de Bussérole, à
bord quelque peu denté, et repliées en dessous, les nervures transversales
sont très-saillantes; l'épiderme de la face inférieure est lisse, uni, blan-
châtre et marquée de points bruns très-apparents. Si on les triture avec
de l'eau, on obtient une liqueur qui filtrée donne, par le sulfate de fer,
un beau précipité vert qui se dépose par la suite.
Propriétés et usages. — La Bussérole, telle qu'on la délivre dans les
pharmacies, a une odeur assez forte et désagréable, une saveur astrin-
gente très-marquée, due à ce qu'elle contient une grande quantité de
tannin.
La présence de ce principe explique l'emploi de la Bussérole comme
astringent, mais elle a été vantée dans bien d'autres circonstances, sur-
tout dans les maladies des voies urinaires, gravelle, colique néphrétique,
catarrhe chronique de la vessie, albuminurie.
Ilarris, Béarnais et Cazin l'ont indiquée comme succédanné du seigle
ergoté, et ont constaté son action sur la matrice. Costilhes a publié une
observation qui vient à l'appui de l'assertion de Beauvais, et j'ai moi-
même rapporté (Médecine contemporaine) un fait récent qui vient en-
core s'ajouter aux précédents. Cependant on doit dire qu'il est néces-
saire d'expérimenter de nouveau avant de placer la Bussérole dans les
excitants certains des libres musculaires de l'utérus.
Doses et mode d'administration. — 1° En infusion ou en décoction
15 à 50 grammes pour un litre d'eau; 2° en poudre, 2 à 8 grammes;
5° en extrait, 1 à 4 grammes.
Costilhes, Gazelle hebdomadaire de méd. et de chirurg. Paris, 18G2, t. VIII, n° 32, p. 514.
Marchand (L.), Médecine contemporaine. Taris, 18(32, t. IV, p. 417.
Léon Marchand.
E IN DU ! 0 M E G t N Q U t È H E .
ERRATA.
Article Bile, p. 28, ligne 2, au lieu de: (Valentiner) , lisez : (Valciilincr, — Ncubauer et Vogel);
Même page, ligne 15, au lieu de : agiter, lisez : agiter trop violemment*
TABLE DES AUTEURS
AVEC INDICATION DES ARTICLES CONTENUS DANS LE TOME CINQUIÈME
ANGER (Be.nj.)-- • • Bras (palhologie.chirurgicale [luxations, fractures, nécrose, tumeurs, ané-
vrysmes, kystes anévrysmoïdes, amputation, prothèse]), 517.
BARRALLIER. . . . Bouton d'Alep, 493. — Bouton des Zibans ou de Biskra, 501.
BUIGNET (II.) . . . Bismuth (chimie et pharmacologie), 105. — Borax ou Bon a te de soude
(chimie, pharmacologie et thérapeutique), 592. — Brome (propriétés
physiques et chimiques, thérapeutique), 545. — Bhucine (chimie, phar-
macologie, thérapeutique), 735.
DESNOS (L.). . . . Boues minérales, 451. — Bourdon- l'Archambault, 457. — Bourbox-
Lancy, 462, — Bourbonne-les-Bains, 405. — Bourboule (La), 409. —
Bussang, 809.
DESORMEAUX (Ant.) Bougie, 432. — Bras (anatomie chirurgicale [anomalies], pathologie chi-
rurgicale [contusions, plaies]), 503.
FERNET (Cu.). . . . Bouchf. (considérations analomiques, séméiotique), 399.
FOURNIER (A.). . . Blennorriiagie et ses complications. 129. — Bubon, 757.
GINTRAC (H) Bismuth (thérapeutique), 108. — Bonnes (Eaux de), 379. — Bronches
(pathologie [bronchite aiguë, bronchite capillaire, bronchite chronique,
bronchorrhée, dilatation des bronches, rétrécissement des bronches,
oblitération ou bronchiatrésie, broncholilhie, bronchite pseudo-mem-
braneuse]), 561.
GOSSELIN (L.).. . . Blli'harite, 262. — Blépharoptose, 291. — Blépuarospiiasme, 294.
HARDY (A.) Bulles, Bulleusus (affections), 807.
HÉBERT (L.) Boissons (Boissons alcooliques fermentées [vin, cidre et poiré, bière, bois-
sons économiques]; boissons distillées [eaux-dc-vie, rhum et tafia,
kirschenwasser, gin ou genièvre, absinthe, liqueurs : cassis, curaeo,
anisetlc, chartreuse, élixir de Garus] ; boissons spiritueuses; boissons
acidulés gazeuses et non gazeuses; boissons aromatiques [thé, caféj), 327.
— Bols, 576.
JACCOUD Bile (Caractères physiques, chimiques, oiigine et mode de production,
évaluation quantitative de la sécrétion biliaire, évolution et résorption
physiologiques, action pathogénique, réactifs de la bile), 1. — Bronzée
(maladie), 676.
KŒBERLÉ Bourdonnement, 472. — Bourses séreusls sous-cutanées (anatomie, bles-
sures et contusions, inflammation, épanchements séreux, épanchcmcnls
purulents, abcès, épanchements sanguins, tumeurs hématiques, concré-
tions, fistules, ulcères fisluleux), 476.
LAUGIER (S.). . . . Brûlures, 757.
LUTON (A.) Billiaires (Voies] (anatomie et physiologie [anomalies et vices de conforma-
tion], pathologie médico-chirurgicale [lésions traumatiques : plaies, rup-
ture; inflammation; dégénérescences diverses : atrophie de la vésicule,
ossification, cancer, hydatides; affection calculeuse, enlozoaires, occlu-
sion], 55.
MARCHAND (Léon). . Bistorte, 122. — Bouillon-Blanc, 448. —Bourrache, 476. — Bryone, 756.
— BlSSEROI.E, 810.
MARTINEAU (L.). . Bobborygmes, 5Ç6. — Boulimie, 450.
ORÉ Bronches (anatomie et physiologie), 548.
ROUSSIN Bonbons, 376. — Bouillons (bouillons alimentaires, bouillons médici-
naux), 55.
SARAZIN (Cu.).. . . Bistouri, 125.
TARDIEU (A.). . . . Blessures (médecine légale), 297.
PARIS. — 1MP. SIMON BACON ET COMP-, RUE D ERFURTH,
La BlbtlotkçLquz
Université d'Ottawa
Echéance
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Date Due
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