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PROVO, UTAH
LES MUSICIENS CELEBRES
PAGANINI
A LA MEME LIBRAIRIE
LES MUSICIENS CELEBRES
COLLECTION D'ENSEIGNEMENT ET DE VULGARISATION
Placée sous le Haut Patronage de V Administration des Beaux-Arts.
Directeur : M. Élie POIRÉE,
Conservateur honoraire à la Bibliothèque Sainte-Geneviève.
Ghaque volume de format in-8 (21 X l4) contient 128 pages et 12 planches hors texte-
Auber, par Ch. Malherbe.
"Beethoven, par Vincent d'Indy.
Berlioz, par Arthur Coquard.
Bizet, par Henry Gauthier- Villars.
Boïeldieu, par Lucien Auge de Lassus.
Chopin, par Elie Poirée.
Félicien David, par René Brancour.
Glinka, par M.-D. Calvocoressi.
Gluck, par Jean d'Udine.
Gounod, par P.-L. Hillemacher.
Grétry, par Henri de Curzon.
Haendel, par Michel Brenet.
Herold, par Arthur Pougin.
Liszt, par M.-D. Calvocoressi.
Lully, par Henri Prunières.
Méhul, par René Brancour.
Mendelssohn, par P. de Stcecklin.
Meyerbeer, par Henri de Curzon.
Mozart, par Camille Bellaigue.
Musique Chinoise (La), par L. Laloy.
Musique Grégorienne (La), par Dom
Augustin Gatard.
Musique militaire (La), par Michel
Brenet.
Musique des Troubadours (La), par
Jean Beck.
Paganini, par J.-G. Prod'homme.
Primitifs de la Musique française
(Les), par Amédée Gastoué.
Rameau, par Lionel de la Laurencie.
Reyer, par Adolphe Jullien.
Rossini, par Lionel Dauriac.
Schubert, par L.-A. Bourgault-Ducou-
dray.
Schumann, par Camille Mauclair.
Verdi, par Camille Bellaigue.
Violonistes (Les), par Marc Pin-
cherle.
Weber, par Georges Servières.
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Benserade et Lully, par Henry Pru-
nières, 1 volume in-8°, 16 planches
hors texte, nombreuses notations mu-
sicales 9 Ir.
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Qu'est-ce quela Danse, par Jean D'UniNE.
1 vol. in-8°, 16 planches hors texte, en
souscription 12 fr.
Wagner, par E. Poirée. 1 vol. in 8a
16 planches hors texte ... 20 (r
TABLE DES GRAVURES
NicoLÔ Paganini (Gravé par Galamatta, d'après Ingres, 1818). . . 9
Maison natale de Paganini a Gênes . ...... 17
Nicolô Paganini (Portrait par Isola. Musée Municipal de Gênes). . 33
Paganini acclamé a la fin d'un concert (a Un' Accademia di Nicole
Paganini nel 1804 », d'après le tableau de Gatti) 41
Charges de Paganini (Lithographie de Mantoux) ...... -s . . 49
Charges de Paganini (Lithographie de Granville, d'après la terre
cuite de Dantan) 49
Moulage de la main de Paganini (Musée instrumental du Conser-
vatoire). 65
Paganini dans sa prison (Lithographie de Louis Boulanger, 1832). 73
Le violon de Paganini (Musée Municipal de Gênes) ....... 81
Casino Paganini a Paris, Chaussée d'Antin (1837) (Lithographie
de G. Laviron) . 89
Lettre de Paganini a Berlioz (Communiqué par M. Charles Mal-
herbe) 97
Autographe musical de Paganini. (Extrait des Streghe (partie de
violon) (Communiqué par M. Charles Malherbe). ...... 105
Paganini jouant sur son stradivarius. D'après une aquarelle de
Poterlet intitulée « Le violon de Crémone ». (Collection A.
Morel-d'Arleux) ......' 113
J
TABLE DES MATIÈRES
I. Jeunesse de Paganini et premiers voyages en Italie (1784-1828). 5
II. L'homme et l'artiste 24
III. Voyages hors d'Italie. I. Autriche, Pologne, Allemagne (1828
1830) . . 47
IV. Voyages hors d'Italie. II. Paris, Londres, etc. (1831-1834). . . 68
V. Retour en Italie; dernier séjour en France; mort de Paganini
(1834-1840); ses aventures posthumes (1840-1896). . . \ . . 87
VI. Paganini compositeur |. H5
Œuvres de Paganini 124
Bibliographie 125
./!
*VREUX, IMPRIMERIE CH. HÉRISSEY ET PIT.S
m
■vtj LES MUSICIENS CÉLÈBRES
PAGANINI
PAR
J.-G. PROD'HOMME
sm
I
PARIS
LIBRAIRIE RENOUARD
HENRI LAURENS, ÉDITEUR
6, RUE DE TOURNON (vie)
Tous droits de traduction et de reproduction
réservés pour tous pays.
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PROVO, UTAH
NIGOLO PAGANINI
Il est certains noms dans l'histoire, qui, jouissant
d'une popularité universelle, ont le rare privilège de sym-
boliser toute une époque ou tout un art. Les plus igno-
rants même les connaissent et les répètent comme un
vocable qui synthétise tout un ordre d'idées. Quel nom
plus populaire que celui de Raphaël ? Ne représente-t-il
pas pour beaucoup la perfection même dans l'art de
peindre? Celui de Mozart, en musique, jouit du même pri-
vilège. Quant au nom de Paganini plus encore que celui
de Liszt, dont la renommée de virtuose a si longtemps
étouffé celle du compositeur, il est devenu presque légen-
daire. « Jouer comme Paganini », comme ce Paganini
dont le seul souvenir lui reste, est, pour la foule, le plus
grand éloge qui puisse être décerné à un artiste musi-
cien.
Quand naquit cette renommée universelle? Cela est
assez difficile à démêler en Fabsence de documents
certains. On constate néanmoins que, jusqu'en 1828, la
gloire de Paganini ne fut guère qu'une gloire italienne;
6 PAGAN1NI
son premier voyage à l'étranger, à Vienne, fut le coup
de foudre qui enflamma l'enthousiasme européen. Aussi
est-il assez malaisé de retracer avec beaucoup de détails
les trente premières années de la vie mouvementée de
l'artiste dont la légende s'était déjà emparée avant même
qu'il sortît de sa patrie.
Né à Gênes, le 18 février 1784, Nicolô Paganini était
fils d'Antonio Paganini et de Teresa Bocciardi, « tous
deux, amateurs de musique, dit-il dans une courte
autobiographie; à cinq ans et demi, j'appris la man-
doline de mon père, courtier de commerce \ Vers ce
temps le Sauveur apparut en songe à ma mère, et lui
dit de demander quelque grâce ; elle désira que son fils
devînt un grand violoniste, ce qui lui fut accordé. Quand
j'eus atteint ma septième année, mon père, dont l'oreille
était anti-musicale, mais qui n'en était pas moins pas-
sionné pour la musique, m'enseigna les premiers élé-
ments du violon ; en peu de mois, je fus en état d'exé-
cuter toute sorte de musique à première vue. »
Les premiers maîtres du jeune Nicolô furent Gio-
vanni Servetto, homme de peu de mérite, écrit Rétis,
sous lequel il ne resta pas longtemps ; puis Giacomo
Costa, maître de chapelle et premier violon des princi-
pales églises de Gènes, avec lequel il prit trente leçons
1 Ouvrier du port, dit Fétis, avec exagération. (Revue musicale,
13 février 1830, p. 33.) Modeste facteur du port, d'après Escudier.
PAGANINI 7
en six 'mois. A huit ans, il composait déjà une sonate
pour violon ; à huit ans et demi, il jouait un concerto
de Pleyel dans une église. Depuis ce temps jusqu'à l'âge
de onze ans, il exécuta régulièrement des ouvrages de
ce genre dans les cérémonies religieuses. Paganini atta-
chait beaucoup d'importance à cette circonstance, le
service de Féglise l'obligeant à de constantes études sur
son instrument. Il se reconnaissait aussi redevable à
l'un de ses compatriotes, Francesco Gnecco, compo-
siteur de drames de style facile, dit Conestabile, et qui
eut une grande influence sur sa culture musicale.
Vers l'âge de onze ans et demi, peut-être même deux
ans plus tôt, le jeune Nicolô donna son premier concert,
au théâtre San Agostino ; la cantatrice Teresa Bertinotti et
le sopraniste Marchesi y chantèrent; quant à lui, il joua,
entre autres choses, à ses compatriotes, des variations
sur la Carmaynole, fort populaire à Gênes en ce temps-là ;
son succès fut immense. Un certain marquis Di Negro
(chez lequel Kreulzer l'entendit vers 1795) s'intéressa au
petit virtuose et ce fut sur ses conseils, sans doute, qu'An-
tonio Paganini se mit « à la recherche de bons maîtres » ;
en 1796, il conduisit son fils à Parme, muni de recom-
mandations pour la cour, pour Rolla et pour l'illustre
Paër. A Florence, il fut présenté à Salvator Tinti, qui
s'émerveilla de l'entendre exécuter les variations sur
la Carmagnole. A Parme, « ayant trouvé, dit-il, dans
la chambre de Rolla un nouveau concerto composé par
lui, je le jouai à première vue, Rolla en fut étonné, et
au lieu de m'enseigner le violon, me conseilla d'étudié1*
8 PAGANINI
le contre-point sous la direction du maestro Ghiretti,
Napolitain, violon de la cour et célèbre contrapuntiste.
qui fut aussi le maître de Paër. » Ainsi raconte Paga-
nini, mais il paraît, d'après Gervasoni, que le jeune vir-
tuose prit effectivement des leçons d'Alessandro Rolla,
et cela pendant plusieurs mois.
Quant à Paër, qui, de 1792 à 1797, passa une partie
de Tannée à Parme, il lui donna « trois leçons par se-
maine pendant six mois ». Paganini composa sous sa
direction vingt-quatre fugues à quatre mains et son
maître se montra fort satisfait, un jour, d'un duo qu'il
lui avait donné à mettre en musique, « Ghiretti, qui
m'avait pris en amitié, me combla de soins et de leçons
de composition et je composai sous ses yeux une grande
quantité de musique instrumentale/Vers ce même temps
j'exécutai deux concertos de violons dans un concert
du grand théâtre, après avoir joué dans la maison de
plaisance des souverains à Colonie et à Sala, qui me
récompensèrent magnifiquement. Le propriétaire d'un
violon de Guarnerio me dit : si voies jouez à première
vue ce concerto de violon, je vous donnerai cet instrn-
ment ; je le gagnai. » Cette première tournée achevée,
au cours de laquelle le jeune Paganini donna douze con-
certs, à Parme, Milan, Bologne, Florence, Pise et Li-
vourne, il revint à Gênes, probablement dans l'hiver de
1797-1798; il y composa ses premières études dont il
devait travailler certaines difficultés jusqu'à dix beures
par jour. Après s'en être rendu maître, dit-il. il com-
posa d'autres concertos etdes variations. Son père, appa-
NICOLÔ PAGAiMNI
(Gravé par Calamatta, d'après Ingres, 1818.
PAGANINI 11
remment, l'obligeait à ces études, renfermant des jour-
nées entières et le surveillant étroitement. C'est ainsi qu'il
passa le siège mémorable de Gènes. Il n'en fallait pas
plus pour que le jeune homme cherchât à s'échapper
de chez ses parents. D'une habileté extraordinaire sur
son instrument, ayant étudié les ouvrages de tous les
grands maîtres, Corelli, Vivaldi, Tartini, Pugnani et
Viotti, il ne manquait pas de ressources pour gagner sa
vie. A dix-sept ans, poursuit l'autobiographie, il fît
un tour « dans la Haute-Italie », ce qui signifie qu'un
beau jour, il quitta la maison paternelle et gagna la
ville de Lucques ; il y obtint un grand succès dans un
festival qui eut lieu en novembre 1800, le jour de la
Saint-Martin. Il se fit ensuite applaudir dans plusieurs
villes toscanes, à Pise notamment, et séjourna quelque
temps à Livourne « pour y composer de la musique de
basson à l'usage d'un amateur suédois, qui se plaignait
de ne pas trouver de musique assez difficile. » L'ama-
teur Scandinave fut satisfait par le jeune maestro, au
delà même de ses désirs....
Mais ce dernier, au milieu des succès qu'il recueillait
partout sur sa route, menait une vie rien moins qu'exem-
plaire. Loin de la surveillance paternelle, le jeu et les
femmes occupaient tous ses loisirs, et il arriva qu'un
jour, ayant tout perdu au jeu, jusqu'à son violon, un
amateur dont il nous a conservé le nom, M. Livron, lui
prêta un superbe Guarnerio pour se présenter devant le
public. Après le concert, enthousiasmé, l'amateur fit
cadeau à Paganini de l'instrument. Légué par Paganini
12 PAGANINI
à sa ville natale, le Guarnerio est aujourd'hui conservé
au palais municipal de Gênes '.
Après cette iugue dont nous ne connaissons pas la
durée, mais qui fut sans doute assez prolongée, Paga-
nini nous apprend que, « quatre années avant le couronne-
ment de Napoléon, à Milan, » en 1801 par conséquent,
il se rendit à Lucques pour la fête de la Sainte-Croix
(14 septembre). «Ayant été examiné d'après les statuts,
tout le monde se moqua de mon long archet et de la
grosseur de mes cordes (il montait son violon avec des
cordes de violoncelle) ; mais après l'expérience, j'eus de
si grands applaudissements que les autres candidats
concertistes ne se hasardèrent plus à se faire entendre.
Dans une grande cérémonie nocturne d'église, mon con-
certo excita un tel enthousiasme, que tous les religieux
coururent au dehors pour commander le silence au
peuple. »
Ici, toutes les biographies du virtuose présentent une
lacune de trois à quatre années qu'il semble impossible
de combler. Entre le mois de septembre ou octobre 1801
et Tannée 1805, date d'un nouveau séjour à Gênes,
que fit-il? L'autobiographie nous apprend en deux mots
que son auteur « s'adonna à l'agriculture et qu'il prit
goût à jouer de la guitare ». Tout ce que nous pouvons
ajouter, c'est qu'il vécut de temps en temps dans le châ-
1 Cf. l'autobiographie : « Dans mes annonces de concert {avvisi
d'accademia), je m'engageais toujours à exécuter quelque pièce de
musique qu'on voulût me présenter. Me trouvant un jour à Livourne,
par passe-ttmps et sans violon, un M. Livron m'en prêta un pour
jouer un concerto de Viotti et m'en fit ensuite présent. »
PAGANINI 13
teau d'une grande dame qui jouait de cet instrument.
Plusieurs compositions, ses op. 2 et 3, qui forment six
sonates pour violon et guitare, datent de cette époque.
De retour à Gênes, il se remit avec la plus grande
ardeur à l'étude du violon, notamment de YArte di
naova modidazione, de Locatelli, et composa six autres
Quart etti a Violino? Viola , Chitarra e Violoncelle* . op. 4
et 5, ainsi que des variations di bravura, toujours avec
accompagnement de guitare.
Rapprochant de son voyage à Lucques en 1801 i sa
nomination en 1805, à la cour de Lucques, où régnaient
depuis le mois de mai, Félix Bacciochi et Elisa Bona-
parte, Paganini poursuit : « La République de Lucques
me nomma premier violon de la cour ; j'y restai pendant
trois ans et je donnai des leçons à Bacciochi. Ma place
m'obligeant à jouer dans deux concerts qui se donnaient
chaque semaine, je jouais toujours de fantaisie, accom-
pagné parle piano pour lequel j'écrivais une basse, et
sur cette basse j'imaginais un thème en improvisant. Un
jour, il était midi, la cour demanda un concerto de
violon et de cor anglais pour le soir ; le maître de cha-
pelle refusa, parce qu'il n'avait pas le temps matériel ;
on me pria de la faire, je composai en deux heures un
accompagnement d'orchestre que j'exécutai le soir avec
le professeur Galli, et qui fit fureur. Cherchant la
variété dans les choses que je faisais entendre à la cour,
un soir, après avoir ôté deux cordes à mon violon (la
1 Niggli le place avec plus de vraisemblance en 180^.
44 PAGANINI
2e et la 3e), j'improvisai une sonate intitulée Scena amo-
rosa, supposant que la 4° corde était l'homme (Adonis)
et la chanterelle la femme (Vénus). Telle est l'origine
de Fhabitude que je pris de jouer sur une corde ; car
après les éloges qu'on me donna sur cette sonate, on me
demanda si je pouvais jouer sur une seule corde ; ma ré-
ponse fut certo, je composai une sonate avecdes variations
qui fut exécutée dans le grand concert du jour de Saint-
Napoléon (1S août). J'en écrivis ensuite plusieurs dans la
même genre1. La princesse Elisa, qui avait quelquefois
des évanouissements en m'éooutant, s'éloignait souvent
pour ne pas priver les autres du plaisir de m'entendre.
J'ai aussi dirigé à Lucques un opéra entier avec un
violon monté seulement de deux cordes, et cela me fit
gagner un pari d'un déjeuner de vingt-cinq personnes.
Sans cesser d'être attaché à cette cour, je voyageai en
Toscane. Dans un concert donné à Livourne, un clou
m'entra dans le talon de sorte que j'arrivai en boitant sur
la scène (rires du public); au moment où je commençais à
jouer, les lumières de mon pupitre tombèrent (nouveaux
rires) ; dès le commencement du concerto, la chante-
relle se rompit, et sous les rires du public je jouai mon
concerto sur trois cordes, et je fis fureur. » Conestabile
place cet incident en 1806, lors du second concert donné
en cette ville, où Paganini s'était rendu, muni de recom-
mandations pour le^consul britannique2.
* Paganini a rapporté ces faits dans une lettre reproduite par La
Gazzetta musicale di Milano, du 18 octobre 1846. La scène de Vénus et
Adonis était dédiée à une dame de la cour dont il était amoureux.
* Peu après, il paraissait à Turin, chez Pauline Borghese, dont la
PAGANINI 45
Lorsque la princesse Elisa était devenue grande-du-
chesse de Toscane, en 1809, Paganini l'avait suivie à
Florence, « où il devint l'objet d'une admiration fana-
tique. Son talent, dit Fétis, prenait chaque jour de nou-
veaux développements ; mais il n'avait point encore ap-
pris à en régler l'usage. Ce fut en 1810 qu'il fitentendre
pour la première fois, dans un concert de la cour, des
variations sur la quatrième corde, dont il avait porté
l'étendue à trois octaves, au moyen des sons harmoni-
ques. Cette nouveauté eut un succès prodigieux, sur-
tout quand il l'eut rendue publique, dans un concert
qu'il donna à Parme, le 16 août 1811. »
C'est à cette époque que Paganini visita la Lombar-
die et la Romagne; il se fit entendre à Cesena, à Rimini
(22 janvier 1810), à Ravenne, Forli, Imola, Faenza,etc.
Il est presque impossible de le suivre dans tous ses
déplacements ; aussi d'anciens biographes ont-ils avancé
que de 1808 à 1813, une nouvelle lacune de cinq années
se remarquait dans sa vie. Dans l'ignorance où l'on fut
longtemps de ses faits et gestes, on inventa mille absur-
dités qu'il eut, plus tard, toutes les peines du monde
à démentir. On l'accusa d'être affilié aux Carbonari,
d'avoir commis un assassinat sur une de ses maîtresses ,
et c'est pendant un séjour de trois ou quatre ans en pri-
son, qu'il aurait acquis sa prodigieuse habileté à jouer sur
une seule corde, le geôlier de sa prison, de peur qu'il ne
se pendît, lui ayant permis de jouer du violon, mais sur
musique était dirigée par Blangini. Il fut ensuite arrêté quelque temps
à Florence par la maladie.
16 PAGANINI
une seule corde! La vérité est qu'on mit sur le compte
de Paganini une aventure du violoniste polonais Dura-
nowski ou Durand, qui, devenu aide de camp d'un
général français, fut emprisonné quelque temps à Milan,
jusque vers 1814. Paganini avait d'ailleurs souvent
entendu et admiré le violoniste polonais.
Il faut imputer plus simplement l'ignorance où nous
sommes de l'histoire exacte de Paganini, pendant ces
quatre on cinq années, à sa santé déjà très débile, par
suite d'excès prématurés, à une maladie nerveuse qui
Fobligeait à des repos forcés de plusieurs mois. Nonob-
stant il était toujours attaché à la cour de Florence, qu'il
abandonna à la suite d'un incidept assez amusant. ALuc-
ques, la princesse Bonaparte l'avait nommé capitaine
de gendarmerie, grade qui lui fut conservé dans la rési-
dence toscane et lui donnait le droit de porter un
uniforme. Or, un soir, il parut au concert de la cour
dans cette tenue militaire. La princesse lui enjoignit à
l'instant de revêtir l'habit noir ; Paganini refusa, faisant
observer que le rescrit lui conférant le titre de capitaine
l'autorisait à porter l'uniforme et qu'aucune restric-
tion n'y était stipulée. A la suite de cet incident, le
capitaine de gendarmerie Paganini osa se promener
dans la salle de bal où la cour se rendit à l'issue du con-
cert. Puis, jugeant prudent de quitter Florence, il partit
la nuit même, et, malgré les démarches que fit faire la
princesse pour le ramener, jamais Paganini ne consentit
à reparaître à la cour d'Elisa Bonaparte.
Un thème du ballet qui se jouait alors (1813), à Milnn,
Cliché Noack.
MAISON NATALE DE PAGAMNI A GÈNES
PAGANINI 19
le Noyer de Benévent, de Vigano, lui donna l'idée des
variations, le Streghe, qu'il promena dans toute l'Italie,
avant de les faire applaudir par toute l'Europe. Dans cette
seule ville où, jusqu'en 1828, il donna 37 concerts, il
débuta à la Scala, le 29 octobre, et donna une dizaine de
concerts en six semaines. Il était dès lors considéré
comme le premier violon de l'Europe. Plus de cent con-
certs dans toutes les parties de l'Italie consacrèrent cette
réputation, « changeant chaque lustre, dit-il, le genre de
ma musique, à Bologne (en 1814), j'improvisai avecRos-
sini au piano, dans la maison Pegnalver. N'étant point
permis de donner à Rome un seul concert les vendredis
du carnaval, le vicaire d'alors, qui depuis fut pape sous
le nom de Léon XII (1829-1830) autorisa par grâce un
seul concert : voyant l'enthousiasme que j'avais excité,
il m'envoya de son propre mouvement unrescrit flatteur
par lequel il m'accordait le droit de donner des concerts
tous les vendredis. Je me fis aussi entendre dans un
concert qui se donna dans le palais du prince de Kau-
nitz, ambassadeur d'Autriche. Le prince de Metternich,
alors à Rome, ne pouvant à cause d'une indisposition,
aller à cette soirée, vint au palais le matin. Pour satis-
faire à son désir, je pris le premier violon qui me tomba
sous la main ; après que j'eus exécuté un morceau, il en
parut si satisfait qu'il revint encore le soir. La femme
de l'ambassadeur me dit : « Cest vous qui êtes toute la
fête, » et ce fut en cette occasion que le prince de Metter-
nich m'invita à me rendre à Vienne ; je lui promis que
cette ville serait la première où j'irais en quittant l'Italie.
20 PAGANINI
Ce voyage d' Autriche fut retardé par les maladies qui
me survinrent et qui n'ont jamais été connues des méde-
cins. »
Le 24 mars 1814, avec son élève Catarina Carcagno,
âgé de dix-sept ans, Paganini se faisait entendre de nou-
veau à Milan, au théâtre Rè ; il y était encore en mai
et en septembre ; puis à Bologne, au théâtre communal,
à l'époque où il connut Rossini. En 1815, il parcourut
la Romagne et fut retenu plusieurs mois à Ancône par
une maladie nerveuse. En mars 1816, se place la lutte
qu'il soutint contre l'illustre Lafont, dont il avait entendu
parler à Gênes. Paganini vint aussitôt à Milan, et, à la
suite d'un tournoi public, où les deux virtuoses exécu-
tèrent un concerto de Rode, un duo concertant de
Kreutzer, des solos, — Paganini joua le Streglie pour
terminer, — Lafont fut déclaré son égal pour le cbant,
mais Paganini le surpassa pour le brio, les difficultés et
le mécanisme, d'une façon incomparable.
En août, se trouvant à Parme il exécuta pour la pre-
mière fois une série de variations sur la quatrième corde ;
il parut ensuite à Ferrare avec Gandi-Giani de Bologne
et la Marcolini. Une facétie, injurieuse pour les Ferra-
rais, faillit le faire lyncher par la foufe.
Au mois d'octobre, Spohr, qui voyageait en Italie, fit
sa connaissance h Venise.
« Hier, écrit-il le 17 octobre, Paganini est revenu de
Trieste et il a aussitôt, à ce qu'il semble, renoncé à son
projet d'aller à Vienne. Ce matin, il est venu chez moi,
et je pus enfin faire la connaissance personnelle de cet
PAGANINI 21
homme prodigieux dont j'entendais parler tous les jours
depuis que j'étais en Italie. Aussi bien, jamais aucun
instrumentiste n'a enlhousiasmé les Italiens, et bien
qu'ils n'aiment pas beaucoup les « académies » instru-
mentales, il en a bien donné plus d'une douzaine à Milan
et cinq ici. On cherche maintenant à savoir exactement
comment il enchante son public; aussi raconte-t-on sur
lui des choses qui n'ont rien de musical, on lui décerne
des louanges hyperboliques, on dit que c'est un véritable
sorcier, et qu'il tire de son violon des sons qu'on n'avait
encore jamais entendus avant lui. Les connaisseurs pen-
sent au contraire qu'on ne peut lui dénier une grande
agilité de la main gauche dans les doubles cordes et les
passages de toute sorte, mais que ce qui intéresse le
gros public vulgaire, l'abaisse au rang de charlatan et ne
parvient pas à le dédommager de ses défauts : un son
fort, un grand coup d'archet, et un phrasé du chant qui
manque de goût1. »
Après une année passée à Venise, Paganini revint à
Milan et à Gênes ; peu après, il retrouva, à Rome, Ros-
sini qui y faisait représenter la Cenerentola. C'est alors
qu'il fit la connaissance du prince de Metternich, et non
en 1814, comme Le dit l'autobiographie. Il visita ensuite
toute la Toscane, Plaisance, Turin, Florence, Vérone.
Dans cette ville, il lui arriva une plaisante aventure avec
le chef d'orchestre Valdobrani : il devait exécuter des
variations de ce maestro; à la répétition, il se permit
* G
polir, Se lus t biographie, I, p. 30 i.
22 PAGANINI
de telles fantaisies que Valdobrani, ne reconnaissait
plus son ouvrage. « N'ayez crainte, lui dit le virtuose,
demain vous le reconnaîtrez tout à fait. » En effet, au
concert, dont le programme se terminait par les varia-
tions de Valdobrani, Paganini parut tenant son violon
d'une main, et de l'autre, une canne de jonc, dont il se
servit en guise d'archet, au grand applaudissement de
l'auditoire.
A Florence, il renouvela avec Lipinski, son rival polo-
nais, la lutte engagée jadis avec Lafont (17 et 23 avril).
En décembre 1818 et janvier 1819, il paraissait au Cari-
gnano, à Turin, et à Florence, en février. Il passait l'été
à Naples, donnant des concerts au théâtre del Fondo. Là
encore, il se trouva dans une situation fort critique au
point de vue de la santé; le propriétaire des deux cham-
bres qu'il avait louées dans le quartier Petraio, craignant
la peste, l'avait transporté sur son lit, en pleine rue !
C'est là que le rencontra son élève, le violoncelliste
Ciandelli, qui lui procura un logement plus sain et plus
confortable, non sans avoir administré au préalable, une
correction méritée au barbare Napolitain. Bientôt réta-
bli, Paganini donna une nouvelle série de concerts. En
mars 1820, il se retrouvait à Milan, ville qu'il affection-
nait comme une seconde patrie ; il y conduisit les con-
certs de Gli Orfei, qui lui firent don d'une médaille. A
Rome, au mois de décembre, il dirigeait la première
représentation de Matilda di Shabran, de Rossini, le chef
d'orchestre Bello étant mort subitement pendant les der-
nières répétitions. Après avoir paru dans plusieurs con-
PAGANINI 23
certs à FArgentina (printemps de 1821), et, dans un cercle
d'amis, donné des soirées où il montrait sa virtuosité
de guitariste, Paganini s'en fut de nouveau à Naples, où
il joua aux théâtres del Fondo et Nuovo. « Enfin, écrivait
Candler au Morgenblatt^ j'ai entendu et admiré au
théâtre del Fondo le premier violoniste de l'Italie, Ereole i
Paganini. Cet hercule des violons italiens a donné ici
deux concerts, le premier le 20 juillet, le second le
1er septembre, ainsi qu'un troisième vers le milieu du
mois au Teatro Nuovo ; — tout fait de Paganini un
artiste qui a sa manière absolument propre, qui, ne
dépendant d'aucune école, se fraie un chemin bien à lui,
sinon sanctifié par Apollon. »
Après l'hiver de 1821-1822 passé à Palerme, « où il
ne trouva, dit Niggli, que des admirateurs isolés »,
Paganini revint à Rome vers le carnaval, qu'il passa
joyeusement avec Rossini et Massimino d'Azeglio et la
Liparini. Puis, par Venise et Plaisance, il regagna Milan
(mars-avril 1822). Il projetait alors le voyage d'Allemagne
qu'il n'accomplit que six ans plus tard. En janvier 1823,
la maladie le retint à Parme au moment où il se prépa-
rait à faire une nouvelle campagne de concerts dans la
péninsule. Il donna ensuite plusieurs concerts à Turin
et regagna Gênes, où il prit quelque repos. Au mois de
mai 1824, il parut à San Agostino devant ses compa-
triotes, qui lui firent l'accueil le plus enthousiaste et le
plus cordial. Il s'absenta quelque temps pour aller se
1 L'auteur de l'article donne par erreur au célèbre virtuose le prénom
dErcole porté par un violoniste italien du même nom.
24 PAGANINI
faire applaudir à la Scala le 12 juin, et revint donner
deux concerts à Gênes (30 juin et 7 juillet). Il reprit
à l'automne la route de Milan, d'où il regagna Venise.
C'est là qu'il fît la connaissance de la signora Antonia
Bianchi, native de Corne, qui devint sa compagne pen-
dant plusieurs années et lui donna un fils, Achillino,
né à Palerme le 23 juillet 1825. Le séjour de la Sicile
avait en effet été rendu indispensable à l'artiste pour
rétablir sa santé toujours très précaire; il y resta en 1825
et 1826, non cependant sans se montrer à Rome (trois
concerts en 1825) età Naples (15 avril, concert au théâtre
del Fondo, avec la Tosi, Novelli, Fioravanti et Lablache) ,
A Palerme, il fut froidement accueilli.
Il remonta ensuite au Nord de l'Italie, passant à
Trieste, Venise (été de 1826), Rome (printemps de 1827),
à Florence, à Pérouse, à Bologne, où, souffrant d'une
jambe, il dut séjourner huit mois; enfin après un der-
nier voyage à Gênes, il revenait à Milan, vers la fin
de 1827, avant d'entreprendre son voyage à travers
l'Europe centrale.
II
Au cours de ces pérégrinations, dont peu à peu les
échos lointains parvenaient en Allemagne, en France,
en Angleterre, les légendes commencent à se former
autour du virtuose dont le type fantastique, funambu-
lesque, se dégage, tel que la postérité voudra le voir. C*1
« mage du Midi », ce « sorcier », comme l'appellent les
PAGANINI 25
Allemands, ce « roi du violon », comme le baptisera
toute l'Europe, compte alors une quarantaine d'années.
Sans doute, la figure n'a-t-elle pas encore cette expres-
sion triste, misanthropique, presque misérable que nous
présentent les portraits de Paganini gravés vers 1830.
Mais l'être bizarre que tant d'écrivains ont décrit, dont
tant de dessinateurs ou caricaturistes nous ont conservé
la physionomie, est déjà formé.
« Cinq pieds cinq pouces, taille de dragon, visage
long et pâle, fortement caractérisé, bien avantagé au
nez, œil d'aigle, cheveux noirs, longs et bouclés, flot-
tant sur un collet, maigreur extrême; deux rides, on
pourrait dire qu'elles ont gravé ses exploits sur ses joues
car elles ressemblent aux ff d'un violon ou d'une
contre-basse. Les prunelles, étincelantes de verve et de
génie, voyagent dans l'orbite de ses yeux et se tournent
lentement vers celui de ses accompagnateurs dont l'at-
taque lui donne quelque sollicitude. Son poignet tient
aux bras par des articulations si souples que je ne sau-
rais mieux comparer qu'à un mouchoir placé au bout
d'un bâton, et que le vent fait flotter. » Tel est le portrait
que fait de Paganini Castil-Blaze, en 1831.
« Il est aussi maigre qu'on peut l'être, écrivait, avant
Castil-Blaze, son biographe Schottky ; avec cela, un teint
blême, un nez d'aigle pointant en avant et de longs
doigts osseux. A peine paraît-il pouvoir supporter ses
habits, et quand il fait la révérence, son corps se meut
d'une façon si singulière, que Ton craint à tout moment
de voir ses pieds se séparer du corps et l'homme tout
26 PAGANINI
entier s'écrouler en un tas d'ossements. Quand il joué,
le pied droit est placé en avant et, dans les mouvements
accélérés, marque la mesure avec une vivacité comique,
sans que cependant le visage perde de son impassibilité
de mort, sauf lorsqu'il s'éclaire d'un certain sourire en
entendant les tonnerres d'applaudissements ; alors les
lèvres s'avancent et les yeux, avec une expression pro-
fonde, mais sans bienveillance, errent de tous côtés.
Pendant les repos, son corps forme une sorte de triangle
se courbant d'une manière inouïe, tandis que la tète et
le pied droit se tiennent en avant. »
Une Notice physiologique publiée à la même époque par
le D1 Bennati l, nous permet, mieux que n'importe quelle
page plus « littéraire », de démêler les « secrets » de
cette organisation presque monstrueuse, par ses obser-
vations pathologiques, scientifiques, qui réduisent aux
proportions humaines l'homme sur lequel couraient tant
de légendes absurdes, propagées parla mauvaise foi de
ses ennemis ou la jalousie de quelques rivaux.
«Je n'analyserai pas les traits de son visage, dit le
Dr Bennati, je ne parlerai pas de la bosse de la mélodie
qui est chez lui très développée à l'angle extérieur du
front ; je ne veux le considérer que dans l'ensemble de
son organisation disposée, on dirait tout exprès, pour le
faire arriver à la haute perfection instrumentale à laquelle
il est parvenu, et par là je parviendrai, je l'espère, à dé-
montrer la vérité d'une opinion que j'ai émise, c'est que
4 Revue de Paris, mai 1831, pages 52-60. Je dois l'indication de cet
article si intéressant à l'érudition de M. Adolphe Boschot.
PAGANINI 27
la supériorité du célèbre violoniste est moins le résultat
d'un exercice prolongé, comme on Ta dit, que celui d'une
organisation spéciale. Sans doute il a fallu de grands
tâtonnements pour créer ce mécanisme nouveau et
incompréhensible au moyen duquel il s'est mis hors de
toute comparaison ; mais son génie préexistait. Paga-
nini, pour être ce qu'il est, a dû réunir une intelligence
musicale parfaite et des organes d'une délicate sensibi-
lité pour la servir. Par son cerveau, Paganini aurait été
compositeur distingué, musicien du plus grand mérite;
mais sans son tact exquis et la disposition de son corps,
de ses épaules, de ses bras et de ses mains, il n'aurait
pu être le virtuose incomparable que nous admirons.
« ... Paganini est pâle et maigre, et d'une taille
moyenne. Quoiqu'il ne soit âgé que de quarante-sept ans,
sa maigreur et le manque de dents, en faisant rentrer sa
bouche et rendant son menton plus saillant, donnent à
sa physionomie l'expression d'un âge plus avancé. La
tête volumineuse, soutenue sur un cou long et maigre,
offre au premier aspect une disproportion assez forte
avec ses membres grêles. Un front haut, large et carré,
un nezaquilin fortement caractérisé, des sourcils arqués
d'une manière parfaite, une bouche pleine d'esprit et
de malice, et rappelant un peu celle de Voltaire, des
oreilles amples, saillantes et détachées, des cheveux noirs
et longs retombant en désordre sur ses épaules et con-
trastant avec un teint pâle, donnent àPaganiniune phy-
sionomie qui n'est pas ordinaire, et qui représente jus-
qu'à un certain point l'originalité de son génie.
28 PAGANINI
« On a dit à tort que l'expression de la douleur phy-
sique donnait aux traits de Paganini un caractère sau-
vage de mélancolie qui partait du chagrin de vivre.
J'avoue que la fréquentation de Paganini ne m'ajamais
donné une semblable idée de son caractère; je Fai tou-
jours vu gai, spirituel, rieur même avec ses amis,
se livrant avec son charmant petit Achille à des jeux
d'enfant; et mieux que personne je puis parler de
Paganini ; admis depuis plus de dix ans dans l'intimité,
et ayant été mille fois en position de l'observer, d'abord
en Italie, et puis surtout à Vienne, où j'eus l'occasion de
lui donner mes soins pendant quelques mois, aucune
circonstance physiologique de sa vie ne m'est étrangère.
Je suis porté à croire que tout autre qu'un ami n'eût pu
obtenir les détails nécessaires pour connaître, soit par
sa santé, soit par ses maladies antérieures, sa constitu-
tion physiologique; il ne fût point parvenu surtout à
examiner ses organes et la disposition de son corps et
de ses membres, et il n'aurait eu ainsi aucune donnée
pour chercher à se rendre compte des phénomènes que
présente l'admirable mécanisme de son jeu. Mais avant
de parler de ce mécanisme qui constitue, je crois, en
grande partie le secret dont Paganini se prétend posses-
seur, je vais aborder ces questions plus importantes. »
Paganini n'était pas phtisique, comme on l'avait
craint longtemps. Bennati s'en assura, à Paris, avec le
Dr Miquel : il est maigre, dit-il, non parce qu'il est tuber-
culeux, mais parce que sa nature est de l'être. L'épaule
gauche est plus haute que l'autre, « ce qui, lorsqu'il
PAGANINI 29
se tient debout, et les bras pendants, fait paraître le
droit beaucoup plus long" que l'autre ». On remarque en
lui F ce extensibilité des ligamens capsulaires des deux
épaules, le relâchement des ligamens qui réunissent
le poignet à l'avant-bras, le carpe au métacarpe et les
phalanges entre elles... La main n'est pas plus grande
qu'elle ne doit l'être ; mais il en double l'étendue par
l'extensibilité que toutes ses parties présentent. Ainsi,
par exemple, il imprime aux premières phalanges
des doigts de ]a main gauche qui touchent les cordes,
un mouvement de flexion extraordinaire, qui les porte,
sans que sa main se dérange, dans le sens latéral à leur
flexion naturelle, et crlm avec facilité, précision et
vitesse ». L'art de Paganini résulte simplement de la
nature et de l'exercice. « Le cervelet est énorme chez
Paganini. Son sens auditif est des plus développés : il
entend ce qu'on dit, même à voix basse, à une distance
très grande et la sensibilité de son tympan est telle qu'il
éprouve une véritable douleur, lorsqu'on parle à haute
voix auprès de lui, et par côté. Tl est obligé alors de se
tourner exactement en face de l'interlocuteur. La sensa-
tion est beaucoup plus forte du côté de l'oreille gauche :
c'est celle qui correspond à la pose du violon. Les pa-
villons de ses oreilles sont en effet admirablement dis-
posés pour recevoir les ondes sonores, sa conque est
large et profonde; ses saillies sont fortement accusées ;
toutes ses lignes sont tranchées. Il est impossible de voir
une oreille plus ample, mieux proportionnée dans toutes
ses parties et plus fortement dessinée. »
30 PAGANINI
ce La délicatesse de l'ouïe de Paganini surpasse tout ce
qu'on pourrait imaginer, poursuit Bennati. Au milieu de
l'assourdissante activité des instrumens de percussion
de l'orchestre le plus nombreux, il lui suffit d'un léger
toucher du doigt pour accorder son violon ; il juge éga-
lement, dans les mêmes circonstances, de la discordance
d'un instrument des moins bruyants, et cela à une dis-
tance incroyable. Dans plusieurs occasions, il a montré
quelle est la perfection de son organe musical, en jouant
juste sur un violon qui n'était pas d'accord.
« La musique pénètre Paganini ; nous tenons de lui
qu'à l'âge de cinq ans, le carillon des cloches, tel qu'il a
lieu en Italie, lui procurait tantôt une grande jouissance,
tantôt un étrange sentiment de mélancolie; ilne pouvait
surtout à l'église entendre le son de l'orgue sans être
ému jusqu'aux larmes. 11 a beau être souffrant et débile, le
premier coup d'archet est comme une étincelle électrique
qui vient lui donner une nouvelle vie, tous ses nerfs ont
vibré comme les cordes de son violon, et son cerveau n'a
pas d'autre faculté que celle d'exprimer les transports
de son âme musicale ; son instrument et lui ne forment
plus qu'un . Pendant deux heures il vit par son violon ; son
âme s'est portée toute là : c'est de là qu'elle nous parle,
c'est de là qu'elle commande en souveraine, et alors les
membres de Paganini, maîtrisés par son ascendant irré-
sistible, forcent leur nature à se plier aux exigences qui
doivent produire les ravissants accords qui l'obsèdent. »
Tel était Paganini, considéré du ooint de vue physio-
logique.
PAGANINI 31
D'autres témoins de sa vie, comme son secrétaire
Georges Harrys, vont nous aider à pénétrer sa psycho-
logie. Au moral, Paganini fut souvent tout autre qu'il
parut à ses contemporains, trompés parles apparences.
Le plus grand reproche qui lui fut fait est Favarice ;
Favarice de Paganini est devenue proverbiale, et sa for-
tune, à une certaine époque, fut évaluée à 7 millions1.
La vérité est bien en deçà, quoiqu'il soit très difficile,
en Fabsence de documents probants, d'évaluer l'héri-
tage que recueillit, en 1840, Achille Paganini. Mais ces
légendes avaient des prétextes, sinon des raisons. Paga-
nini demandait toujours un prix fort élevé au public qui
se pressait pour l'applaudir. En Autriche et en Alle-
magne, la moindre place se payait 2 thaler (7 fr. 50).
Partout, il doublait ou triplait le prix des places ; à Lon-
dres seulement il dut se contenter des prix ordinaires,
fort supérieurs d'ailleurs à ceux du continent. Mais
qu'on n'oublie pas que Paganini était Italien, dit le
Dr Kohut, et que la plupart des Italiens sont, à quelques
rares exceptions près, sinon avares, du moins fort éco-
nomes. Comment le maestro eût-il fait exception à la
règle?. ..Il habitait le premier hôtel delà ville où il don-
nait des concerts, louait les deux plus belles pièces, buvait
du vin, donnait de généreux pourboires et faisait des
aumônes aux pauvres. »2 Sa maladie, ses infirmités,
plutôt, l'empêchant de manger, il paraissait se nourrir
1 J. Janin, feuilleton du Journal des Débats sur la mort (présumée)
de Paganini (14 février 1835).
2 Ad. Kohut, Aus Zauberlande Polyhymnias, p. 215-238, Neues iiber
Nicolo Paganini.
32 PAGANINI
chichement : « // poco rnangiar e il poco ber hanno
mai fatto maie (Peu manger et peu boire n'ont jamais
fait de mal) », disait-il.
Bien que fixant à un taux élevé le prix de ses concerts,
il donnait volontiers des billets de faveur aux jeunes
musiciens et aux amateurs peu fortunés qui désiraient
Fentendre, et bien des artistes lui empruntèrent des
sommes qu'il ne réclama jamais.
A Tégard de sa famille, nous avons vu comment Paga-
nini s'était comporté ; après la mort de son père, sur-
venue vers 1817 ou 1818 (vers 1825, d'après Niggli), il
prit soin de sa mère et d'une de ses sœurs restée avec
elle, tandis qu'il prêtait à l'autre 5.000 francs qui ne lui
furent jamais rendus, et payait les dettes de jeu de son
mari. Lorsqu'il se sépara, à Vienne, d'Antonia Bian-
chi, il donna un concert à son bénéfice et lui laissa
2.000 écus (3.731 florins papier). Après sa mort, il lui
assura 1.200 francs de rente. Sans doute, ce ne sont pas
là des sommes énormes; mais il semble bien que
l'avarice légendaire, de Paganini se réduisît simplement
aune stricte économie, et à une gestion sérieuse delà
fortune qu'il amassait, après avoir tout dissipé pendant
sa jeunesse.
Après s'être séparé d'Antonia, au bout de quatre ans
de vie commune, Paganini continua de voyager avec son
jeune enfant; il nele quittait jamais etne consentaitque
rarement à ce qu'il fût loin de lui.
Les contemporains parlent du jeune Achille-Cyrus-
Alexandre Paganini comme d'un enfant très beau, aux
Cliché Noack.
N I C 0 L Ô P A G A. N I N I
(Porlrait par Isola. Musée Municipal de Gênes.)
PAGANINI 35
yeux noirs, à la longue chevelure brune, à la physio-
nomie charmante et intelligente ; ayant hérité de sa
mère d'une jolie voix, il donnait dès l'âge de deux ans,
des preuves d'une finesse et d'une justesse d'oreille extra-
ordinaires. A sept ans, il parlait couramment l'italien,
le français et l'allemand d'une manière suffisante pour
servir d'interprète à son père, qui ne s'exprimait guère
qu'en italien et en français. Un jour qu'on demandait à
Paganini s'il ferait apprendre la musique à son fils :
« Et pourquoi pas? répondit-il; si cela lui fait plaisir,
je la lui apprendrai à moi tout seul. Je l'aime beaucoup
et suis littéralement jaloux de lui. S'il me fallait le per-
dre, je serais perdu moi-même, car il m'est absolument
impossible de me séparer de lui. La nuit comme le jour,
il est mon unique pensée. »
Lorsqu'on entrait dans l'appartement de Paganini, on
voyait Achillino au milieu des jouets les plus divers,
que la sollicitude paternelle s'ingéniait à lui prodiguer.
Parfois, l'enfant s'amusait avec un violon, dont il tirait
de jolies mélodies. C'était à mourir de rire, ditun témoin
oculaire, de voir Paganini en pantoufles, s'amusant avec
son enfant, qui lui venait au genou. Souvent il arrivait
que l'enfant tirait son grand sabre contre son père;
Paganini se reculait en riant : « Angelo mio, je suis
déjà blessé! » gémissait-il; mais l'enfant n'était content
que lorsque le géant chancelait et, vaincu, se laissait
tomber à terre...
Quand Achillino eut quatre ans, il se montra capri-
cieux et récalcitrant ; il avait par-dessus tout horreur de
36 PAGANINI
se laver les mains. Son père, loin de perdre patience,
ne le grondait pas, mais priait et suppliait, l'accablait de
caresses, le comblait de douceurs et obtenait ainsi de lui
obéissance et soumission. Jamais il ne s'emportait contre
lui, le laissant vivre à sa guise; à une personne qui lui
faisait des observations sur la « mauvaise éducation »
qu'il donnait à Achillino, Paganini répondit un jour :
« Le pauvre enfant s'ennuie ; je ne sais ce que je dois
faire; je me suis déjà épuisé en jeux de toute sorte. Je
le portais, je lui faisais du chocolat; je ne sais plus quoi
inventer. » Il ne laissait à personne le soin de l'habiller;
un matin, devant se rendre de très bonne heure à un
concert, Paganini s'était mis en retard en jouant avec
Achillino. Lorsqu'il voulut à la hâte faire sa toilette, il
eut toutes les peines du monde à retrouver les effets
qu'il avait soigneusement préparés la veille : cravate,
habit, tout avait disparu. A la mine de l'enfant, s'amu-
sant à voir son père fureter en vain dans tous les coins
Paganini n'eut plus de doute : « Où as-tu mis mes effets,
angelo ?nio? » demande le père d'une voix douce. Le
petit fait l'étonné, lève les épaules et fait signe qu'il ne
comprend pas. Après de longues recherches, le père
retrouve enfin ses bottes, cachées sous des coussins,
puis l'habit, enseveli dans une malle, le gilet, dans un
tiroir de table... Paganini agitait triomphalement chaque
objet retrouvé, prenait une prise et continuait ses inves-
tigations, en compagnie d'Achillino, que ce manège amu-
sait prodigieusement.
Parcourant l'Europe avec son jeune compagnon, et
PAGANINI 37
un secrétaire1, Paganini, en voyage, exigeait que sa
voiture fût close hermétiquement et, même par une
température de plus de 20 degrés, il s'enveloppait de sa
fourrure, dont il ne se séparait pas plus que de son
enfant. Dans son appartement, au contraire, il ouvrait
immédiatement portes et fenêtres ; c'était ce qu'il
appelait « prendre un bain d'air ». Les boîtes à violon,
qui ne lui servaient plus à enfermer son Guarnerio,
devenaient autant de sacs de voyage ; il y mettait son
linge et son argent. Dans un portefeuille rouge, il notait
ses comptes, recettes et dépenses, en signes hiérogly-
phiques que lui seul pouvait déchiffrer. Ses chambres
étaient dans le désordre le plus classique, dit son secré-
taire. Musique, vêtements, chaussures, tout gisait pêle-
mêle; aussi avait-il le plus grand mal à habiller son
enfant et à revêtir son habit de concert.
Aux répétitions d'orchestre, il se montrait de la plus
grande sévérité, faisant recommencer plusieurs fois un
solo ou un tutti pour la plus petite faute ; ses yeux
jetaient alors des éclairs sur [les musiciens terriiiés, et
si l'orchestre avait le malheur de partir trop tôt, à la
fin d'une cadence, il éclatait en injures. Quand au con-
traire, tout allait bien, il exprimait sa satisfaction avec
empressement: « Bravissimo! » s'écriait-il, parfois, au
beau milieu d'un concerto, « siete tutti cirtnosi » ; ou
1 L'un d'eux, George Harrys, attaché d'ambassade hanovrien, d'ori-
gine anglaise, dit Niggli, lui servit en 1830 d'imprésario et d'interprète
dans la tournée de l'Allemagne du Nord. C'est à sa brochure sur Paga-
nini en voyage que les biographes ont emprunté les anecdotes rap-
portées ci-dessus.
38 PAGANINI
bien, se contentant d'indiquer quelques mouvements,
il se tournait en souriant vers l'orchestre, en disant :
« Et cœtera, messieurs. »
Ces anecdotes, qu'on pourrait multiplier à l'infini,
suffisent à nous faire entrevoir J'homme dont l'analyse
du Dp Bennati nous avait dévoilé la physiologie. Celle-
ci et celles-là s'accordent à montrer Paganini comme
un être extrêmement nerveux, impressionnable, capable
de bons mouvements et de beaux sentiments, malgré
les apparences contraires. Pour connaître l'artiste, nous
avons, par bonheur, un ensemble d'observations faites
par un observateur minutieux. Karl Guhr, maître de
chapelle et directeur du théâtre de Francfort, qui lui-
même violoniste distingué, publia, en 1829, le résultat
de ses remarques et de ses expériences personnelles1.
« J'ai été assez heureux, il y a quelques années,
dit Guhr, pour entendre, pendant mon séjour à
Paris, les plus grands maîtres de l'école française:
Baillot, Lafont, Bériot, Boucher, et plusieurs autres, et
je conserve encore un vif souvenir de la profonde impres-
sion que fit sur moi leur magique talent; mais leur jeu
ne différait pas essentiellement de celui des autres
grands maîtres alors connus, et quoique le genre de
chacun fût plus ou moins modifié, ils se ressemblaient
plus ou moins entre eux dans le mode de conduite de
l'archet, de la production du son, de l'exécution, et ne
1 L'Art de jouer du violon, de Paganini (Paris, 1830). Un article de
Guhr, sur le même sujet, parut dans la Caecilia (n° 14 ou 41, analysé
par Fétis, Revue musicale, décembre 1829, p. 505-512).
PAGANINI 39
différaient pas tellement qu'ils ne fussent commensu-
rables. 11 n'en est pas de même de Paganini : chez lui,
tout est nouveau, inouï, il sait produire sur son instru-
ment des effets dont on n'avait jusqu'alors aucune idée,
et qu'aucune parole ne peut rendre Rode, Kreutzer,
Baillot, Spohr, ces géants parmi les violonistes, sem-
blaient avoir épuisé tout ce qu'on pouvait faire sur cet
instrument. Ils en avaient étendu le mécanisme, intro-
duit la plus grande variété imaginable dans la conduite
de l'archet, qui se prêtait docilement à toutes les nuan-
ces de l'expression et de l'exécution; ils avaient réussi,
par la magie de leur son, qui rivalisait avec la voix
humaine, à peindre toutes les passions, tous les mouve-
ments de la sentimentalité ; enfin, s'avançant à grands
pas dans la route tracée par les Corelli, les Tartini, les
Viotti, ils avaient élevé le violon à ce rang, qui lui
assure le pouvoir de dominer l'âme humaine. Dans leur
genre, ils sont et demeurent grands et non surpassés.
« Mais quand on entend Paganini et qu'on le compare
avec les autres maîtres, on doit avouer qu'il a franchi
toutes les barrières que l'habitude avait élevées jusqu'à
présent, et qu'il s'est frayé une voie nouvelle qui lui est
propre, et le sépare essentiellement de ces grands artis-
tes, de telle sorte, que quiconque l'entend pour la
première fois est étonné, ravi par tout ce qu'il entend
de neuf et d'inattendu; étonné parle pouvoir diabolique
avec lequel il domine son instrument ; ravi de ce
qu'auprès de cette docilité de mécanisme à laquelle
aucune difficulté ne résiste, il ouvre en même temps à la
40 PAGANINI
fantaisie un espace sans bornes et donne au violon le
souffle le plus divin de la voix humaine, et remue pro-
fondément les sentiments les plus intimes de l'âme. »
Guhr rapporte ensuite qu'il eut souvent l'occasion
d'entendre Paganini et de causer avec lui pendant les
huit mois qu'il passa à Francfort; mais, évitant avec
soin la moindre explication, Paganini répondait invaria
blement à toutes les questions qu'on lui posait sur les
moyens qu'il employait et les études qu'il avait faites :
« Ognuria saoi segreti ». Ces « secrets », le kapell-
meister allemand résolut de les pénétrer. En obser-
vant attentivement le jeu du maître, il réussit à décou-
vrir la clé de plusieurs qui paraissaient à la première
audition autant d'énigmes même aux artistes. Guhr
concluait ainsi :
a Paganini se distingue principalement des autres
violonistes : 1° par la manière dont il accorde son instru-
ment; 2° par un maniement d'archet qui lui est propre;
3° par le mélange et la liaison des sons produits par
l'archet avec le pizzicato de la main gauche ; 4° par
l'emploi tips sons harmoniques, doubles ou simples ;
5° par son exécution sur la corde de sol [ ; 6° par ses
incroyables tours de force. »
« La manière de jouer de Paganini, poursuit-il, exige
des cordes faibles par les raisons suivantes : 1° parce
1 Cette fameuse quatrième corde, Paganini, quelquefois, notamment
pour les variations sur la Prière de Moïse, la montait à coté delà chan-
terelle, au lieu de la corde de la. Suivant l'exemple de son maître,
l'éminent violoniste Camille Sivori, employait le même « truc » pour
jouer ces variations.
P A G A N I N I ACCLAMÉ A LA FIN I) ' U N CONCERT
(« Un' accadcmia di Nicole Paganini nel 18-04 », d'après le tableau de Gatti.
PAGANINI 43
qu'il emploie fréquemment les tons les plus aigus dont
les autres violonistes font un usage très rare ; 2° parce
que les sons harmoniques, surtout les artificiels, par-
lent mieux sur des cordes faibles dans les positions
élevées ; 3° parce que, si les cordes étaient plus fortes
le 2e doigt, le 3e et le 4e n'auraient pas assez de vigueur
dans le pizzicato de la main gauche pour les maîtriser
convenablement ; 4° tantôt il accorde les quatre
cordes un demi-ton plus haut, tantôt c'est le sol qu'il
fait monter d'une tierce mineure. Il faut pour cela que
toute la monture soit faible, car les cordes fortes ne
supporteraient pas cette tension exagérée sans devenir
dures et criardes, ce qui nuirait à l'exécution (il est vrai
qu'une monture faible donne moins de sonorité)1. »
1 « Outre qu'on tire des sons plus nourris d'un violon monté avec
des cordes fortes, les cordes faibles ont encore cet inconvénient,
surtout dans les temps humides, que le mi est très exposé à siffler.
Cet accident est souvent arrivé à Paganini, et a toujours eu une
fâcheuse influence sur la hardiesse de son exécution.
« Une condition essentielle de sa manière de monter l'instrument,
relative aux sons harmoniques, est que les cordes soient bien propor-
tionnées entre elles, ou, en d'autres termes, que les quintes soient
parfaitement justes; sans cela, plusieurs sons harmoniques doubles
seraient impraticables. »
Guhr remarque ensuite que Paganini, avant de la faire filer, choi-
sissait soigneusement la quatrième corde de grosseur moyenne si elle
devait recevoir l'accord habituel (sol), plus line si elle devait monter
soit au la bémol, soit au si bémol.
« D'après ce que je viens de dire, continue l'auteur allemand, on
conçoit facilement que Paganini, lorsqu'il joue en public, change son
sol suivant le besoin, et que, grâce à la précaution indiquée ci-dessus,
cette corde tient toujours bien Paccord. Son adresse à accorder ou à
désaccorder au milieu d'un morceau est un conte.
« Il fait entourer ses sols d'un fil faible, mais très serré; il ne les
tord jamais, ce qui leur nuirait; cependant, quand la corde est recou-
verte, il la tire fortement entre le doigt indicateur et le pouce, de
manière que l'ongle de celui-ci racle légèrement le fil, ce qui fait
44 PAGANINI
a Le maniement d'archet de Paganini est surtout
remarquable par le sautillement qu'il sait lui donner
dans certains passages. Son staccato n'a rien de sem-
blable à celui qu'on fait ordinairement. Il jette l'archet
sur la corde et parcourt des suites de gammes avec
une incroyable rapidité, pendant que les sons sortent
sous ses doigls ronds comme des perles. La variété de
ses coups d'archet est merveilleuse : je n'avais jamais
entendu marquer avec cette netteté, sans le moindre
trouble dans la mesure, le temps faible le plus bref
dans les mouvements les plus pressés. Et cependant
quelle force il doit lui donner dans les sons prolongés,
avec quelle profondeur il exhale, dans Y adagio, les sou-
pirs amers d'un cœur déchiré. »
Sur le « mélange que fait Paganini des sons produits
par l'archet avec le pizzicato de la main gauche, Gulir
remarque que ce moyen d'effet fut fréquent dans l'an-
cienne école italienne, particulièrement au temps de
Mestrino ; mais que les écoles françaises et allemandes
l'avaient dédaigné et laissé tomber dans l'oubli. « Paga-
nini, en faisant revivre cet effet, y a ajouté des décou-
vertes comme dans toutes les parties de son art, et y a
multiplié les difficultés. Ces difficultés consistent à
faire sonner avec force et netteté les cordes ré et sol;
la ténuité des cordes de Paganini lui permet de faire, h
cet égard, ce qu'il serait difficile d'exécuter sur des
violons montés d'une manière plus énergique. » En outre
qu'elle parle ensuite plus facilement, et perd de la dureté qu'elle a
toujours dans le commencement. »
PAGANINI 45
le chevalet de Paganini était moins convexe que celui
des autres violonistes, surtout vers la chanterelle, ce
qui lui permettait de toucher trois cordes à la fois dans
le haut. *
L'emploi des sons harmoniques était une des parties
les plus remarquables de son jeu; il en usait avec
« une habileté immense : gammes chromatiques ascen-
dantes et descendantes, trilles simples et doubles,
traits entiers en double corde, il exécutait tout cela en
sons harmoniques « avec la plus grande facilité J».
Examinant ensuite le jeu sur la corde de sol, qui fît
tant pour la réputation de Paganini, Guhr écrit : « Pour
exécuter des morceaux entiers sur la corde sol, Paga-
nini, comme nous F avons déjà fait remarquer, la hausse
1 « Dès longtemps, ajoute Fétis, les sons harmoniques ont été décou-
verts et employés par les violonistes; toutefois, les chefs d'école, tels
que Tartini, Pugnani, Viotti, Gaviniès, Rode et Baillot, les ont négligés
parce qu'ils les considéraient plutôt comme des moyens artificiels et
faciles que comme des ressources dignes de l'objet élevé de l'art. La
largeur du style et l'élévation des idées ne leur paraissaient pas devoir
s'allier à des effets qui, tels qu'on les pratiquait alors, n'exigeaient
qu'une certaine habitude et des cordes de bonne qualité. Ce n'est point
ainsi que Paganini a considéré l'art de jouer du violon. Bien plus
désireux de varier les effets de son instrument que de s'élever par les
moyens ordinaires à une grande hauteur de style, tels qu'il en conce-
vait l'emploi, les sons harmoniques ne devaient plus être ce moyen
facile auquel les violonistes de troisième force avaient eu recours
autrefois pour dissimuler les petites proportions de leur talent, en y
cherchant des ressources; il en comprit toute l'étendue et y introduisit
des difficultés qui auraient etfrayé tout autre que lui; car il ne se
borna point aux sons harmoniques simples, employés d'une manière
uniforme; il imagina les harmoniques doubles, les combinaisons des
uns et des autres avec les sons naturels, les effets de corde pincée, et
sut tirer de tout cela des nouveautés non moins remarquables par les
découvertes de l'artiste que par son adresse dans la pratique. » (lievue
musicale, 21 nov. 1830, p. 79. Cf. 20 nov. 1830 et décembre 1829.)
46 PAGANINI
d'une tierce mineure au si bémol, ou même d'une tierce
majeure au si bécarre, et emploie une corde beaucoup
plus fine. Les compositions faites pour être exécutées
ainsi, ont ordinairement la forme de pots-pourris : elles
commencent par un récitatif, après lequel viennent quel-
ques thèmes de différents genres, et se terminent par
des variations1. »
Enfin, expliquant quelques « tours de force » du
grand virtuose, Guhr rectifiait d'abord une erreur géné-
ralement répandue, à savoir, que la main de Paganini
était démesurément grande : « La main de Paganini,
dit-il, n'est rien moins que grande ; mais il a appris,
comme les pianistes qui, dès l'enfance, exercent leur
main à une grande extension, à Fétendre au point de
lui faire embrasser trois octaves » 2. Et le violoniste
allemand cite des exemples de cette extension prodi-
gieuse qui permettait à Paganini de frapper d'un seul
coup d'archet quatre ut à l'octave, ou quatre re ou qua-
tre mi bémols, en se servant des quatre cordes, sur
lesquelles il posait le 1er, le 2% le 3e et le 4e doigt.
1 « II faut certainement beaucoup d'exercice pour jouer cette espèce
de composition; cependant l'étude n'en est pas, à beaucoup près,
comme chacun peut s'en convaincre, aussi difficile qu'on se le figure.
Paganini est devenu célèbre parmi les connaisseurs et le vulgaire des
amateurs par son exécution sur la corde sol. Est-ce à juste titre? Je
laisse la réponse à mes Jecteurs, quand ils se seront suffisamment
exercés à ce genre d'exécution; car on ne peut nier que Paganini ne
cherche souvent à surprendre l'oreille par des difficultés apparentes
qui, lorsqu'elles sont expliquées, peuvent être jouées par un médiocre
violon. » (Guhr, L'Art de jouer du violon de Paganini.)
2 Paganini plaçait le pouce de la main gauche au milieu du mancha
du violon et, grâce à l'extensibilité de la main, pouvait jouer indiffé-
remment dans les trois premières positions sans « démancher ».
PAGAN1NI 47
Reprenant maintenant sa biographie, nous allons voir
comment le public accueillit Paganini, dans les nom-
breuses villes qu'il traversa, en Autriche, en Allema-
gne, en Angleterre et en France.
III
Parti de Milan au début du mois, Paganini, avec la
signora Bianchi et son fils, arrivait à Vienne, le 16 mars
1828. Huit jours plus tard, le 23, eut lieu dans la salle
des Redoutes, un premier concert, qui « mitla population
de Vienne dans une ivresse d'enthousiasme qui ne s'est
pas renouvelée depuis » *. Le prix des places était de
cinq et dix florins ; la recette s'éleva à 12.000 (de 25 à
26.000 francs). Dès que le premier coup d'archet de Paga-
nini attaqua le Guarnerio, les spectateurs éclatèrent en
applaudissements frénétiques. « Les morceaux qu'il a fait
entendre, dit la Revue ?nusicale de Fétis, sont le premier
concerto de sa composition en si mineur, une sonate mili-
taire qu'il joua en entier sur la quatrième corde, et dans
laquelle il a placé des difficultés qui semblent demander
l'usage des quatre cordes de l'instrument, et un larghetto,
suivi de variations sur une corde de La Cenerentola.
L'orchestre a partagé le transport du public, et a accablé
le virtuose d'applaudissements de tout genre2. »
La presse viennoise ratifia à l'unanimité le jugement
du public et des artistes sur Paganini.
1 Kohut, loc. cit.
2 Revue musicale, mai 1828, p. 354, corresp. de Vienne.
48 PAGANINI
« Ce que nous avons entendu dépasse toute croyance
et ne peut se décrire avec des mots, écrivait, le 7 mai.
la Musiker Zeitung ; il suffit que ses confrères artisti-
ques, même les plus estimables, se creusent la tête pour
chercher à le comprendre. Une majesté sublime jointe
à une pureté sans tache, des passages en octaves
et en dixièmes, lancés comme des flèches rapides, des
traits en quadruples croches, dont l'un pizzicato est
toujours suivi par une autre colFarco, et tout cela si
exact et si précis, que la nuance la plus fugitive
n'échappe pas à l'auditeur ; des cordes montées et
descendues sans interruption, dans les morceaux de
bravoure les plus difficiles, — tout cela qui, en d'autres
circonstances, toucherait aux limites du charlatanisme,
transporte jusqu'au ravissement muet, tant l'exécution
est d'une perfection inégalable. »
Le 13 avril eut lieu le second concert du « Mage du
Midi » avec la collaboration de sa compagne Antonia
Bianchi. Trois heures avant le début de la séance, la
salle des Redoutes était comble; plus de trois mille
personnes s'y pressaient; une chaise se payait 5 florins
argent. Tous les membres de la famille impériale pré-
sents dans la capitale étaient dans l'assistance, qui fut
des plus brillantes.
A la date du 11 mai, Paganini en était à son sixième
concert. « On écrit de Vienne (à la Revue de Fétis) que
l'enthousiasme a été excité au plus haut degré par
Paganini et qu'on en a même fait un sujet démode, qui
îi détrôné momentanément, dit Y Observateur autrichien,
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PAGANINI 51
la girafe nouvellement envoyée par le pacha d'Egypte,
et dont on commençait à s'occuper beaucoup. Toutes
les puissances se disputent le bonheur d'en faire l'or-
nement de leurs soirées. On ne connaissait encore que
le prince de Metternich qui eût été favorisé. Quoi qu'il
en soit, Paganini a donné le H mai son sixième con-
cert qui devait être le dernier et dont voici le pro-
gramme : 1° Ouverture de Lodoïska, de Cherubini;
2° Concerto de Rode, consistant en un allegro maes-
toso, un adagio cantabile en doubles cordes, ajouté et
composé exprès pour ce concert par l'exécutant, et une
polacca exécutée par Paganini; 3° Dernier air de Y Ul-
time) giorno di Pompeia, chanté par la signora Bian-
chi ; 4° Sonate sur la prière de Mosè (redemandée),
exécutée sur la quatrième corde par Paganini ; 5° Varia-
tions sur un thème d'Armide, de Rossini, chanlée par la
signora Bianchi ; 6° Caprice sur le thème La ci darem
la mano, composé et exécuté sur le violon par le béné-
ficiaire. Ce concert, qui devait avoir lieu dans le milieu
de la journée, avait attiré une foule d'auditeurs, qui, en
quelques instants, ont occupé toutes les places, deux
heures à l'avance. Un certain nombre de places seule-
ment avaient été réservées à S. M. l'Impératrice, les
archiducs, les archiduchesses, et autres personnes de la
Cour. Le virtuose a renouvelé les transports qui avaient
éclaté aux séances précédentes. On disait qu'il allait
partir pour Munich. *»
1 Revue musicale, juin 1828, p. 452.
52 PAGANINI
L'enthousiasme des dilettantes gagnait la foule. La
mode viennoise était toute « à la Paganini ». Au restau-
rant, pour offrir ce qu'il y avait de meilleur et de plus
cher, le garçon demandait au client s'il désirait manger
à la Paganini ; on faisait des côtelettes à la Paganini,
des petits pains à la Paganini, en forme de violon ; les
femmes portaient des rubans, des écharpes, des bou-
tons à la Paganini ; on fumait des pipes, des cigares à
la Paganini ; on prisait dans des tabatières à la Paga-
nini ; on jouait sur des billards à la Paganini, etc., etc.
Des admirateurs écrivirent, en italien, en allemand,
des sonnets, des pièces de vers acrostiches à Nicolô
Paganini, et Fiedrich August Kanne composa même un
poème en douze chants en son honneur. Le poète Cas-
telli écrivit ses Pagani?iiana, dialogue sur le « dieu du
violon ». La parodie s'en mêla, et le théâtre an cler
Wien représenta le 22 mai, Le faux Virtuose ou le Con-
certo sur la corde de soi, farce en deux actes de Meisel,
musique du kapellmeister Glaser.
Enfin, Paganini fut nommé « kammervirtuos » par
l'empereur, et la ville de Vienne lui décerna une mé-
daille gravée par Joseph Lang, et portant cette inscrip-
tion : VIENNE, MDGCCXXV1II ; au verso sont figurés
le violon et F archet du maître, entourés d'une couronne
de chêne et posés sur un cahier de musique sur lequel
on lit les premières mesures de l'air de La Clochette.
L'inscription du revers porte ces mots : « Perituris
sortis non peritura gtoria. »
Jusqu'au 24 juillet, Paganini ne se fit pas entendre
PAGANINI 53
moins de vingt fois à Vienne l. Ses programmes com-
prenaient exclusivement des œuvres de sa composition ;
les plus applaudies, les plus souvent répétées furent ;
les variations sur les Streghe, sur la prière de Mosè,
sur Nelcorpiu non mi sento et le rondo de la Clochette.
« Aucun des violonistes viennois, Mayseder, Janka,
Léon de Saint-Lubin, Strebinger, Bôhm, etc., n'osa se
mesurer avec lui, dit Kohut; seuls, quelques artistes
comme Treichler, de FOpéra impérial, chercha à l'imi-
ter dans ses nouveautés. » Le 26 décembre, il donna
avec grand succès un concert « à la Paganini ».
Mais la santé du virtuose était toujours très précaire.
Il dut recourir aux soins du célèbre médecin militaire
Marenzeller, qui le traita d'après la méthode homéopa-
thique de Hahnemann,etlui conseilla les bains de Carls-
bad. Paganini quitta donc Vienne pour la Bohême,
dans les premiers jours du mois d'août.
Revenu à Vienne après sa cure en Bohême, à la fin de
novembre, Paganini « chargé de lauriers et de florins »
(d'après Kohut), se dirigea vers Prague, où il était invité.
En trois semaines, les 1er, 4, 9, 13, 16 et 20 décembre, il
donna une série de six concerts. L'accueil qu'il reçut
dans la ville musicale qui se rappelle non sans orgueil
le mot dont Mozart l'a honorée : « Les Pragois m'ont
compris », ne fut pas moins enthousiaste qu'à Vienne.
Mais, par contre, Paganini y trouva des critiques sévè-i
1 Le 12 juin, au Kârnthnerthortheater, un concert eut lieu au profit
de la signora Bianchi, qui avait chanté à tous les précédents. La
recette fut de 3.000 florins. Elle chantait encore les 24, 27 et 30 juin.
54 PAGANINI
res, agressifs, qui, comparant son jeu à celui des
maîtres classiques, le blâmaient pour ses sons d'une
énergie souvent rude et exagérée, trouvaient ses
cadences et fioritures démodées, et s'attaquaient sur-
tout au charlatanisme de son jeu sur la corde de sol,
ainsi que dans les harmoniques, d'un « génie » souvent
fâcheux. Parmi les plus violents adversaires de Paga-
nini se remarquait le correspondant de la Hamburger
Bœrsenhàlle, qui écrivit à son journal : « Je fus une fois
à ses concerts, et jamais plus il ne m'y reverra; il a une
grande agilité dans la main gauche, qu'on peut acqué-
rir par l'exercice, sans talent, ni génie, ni esprit, ni
intelligence, — ce n'est qu'une habileté purement méca-
nique. Les choses qu'il répète surtout sans cesse sont
un inexprimable amalgame sur le chevalet qui ne forme
nullement des sons réguliers, mais un gazouillement
de moineaux, puis à la fin de chaque variation un piz-
zicato rapide de six notes avec la main gauche. Il con-
duit son archet aussi pauvrement qu'on peut l'imaginer.
Pas un seul musicien, ici. n'a eu l'envie de briser son
violon, comme cela est arrivé, dit-on, à Vienne, mais
ils se moquent de lui et des Viennois. Certes, il y a
ici des hommes qui se laissent éblouir par cette renom-
mée et s'imaginent que tout cela doit être beau ; sans
doute, une dame pleine de sensibilité a pleuré ; mais,
comme personne, sauf elle, n'a fondu en pleurs, per-
sonne n'y veut ajouter foi ».
Cette critique ne fit aucune impression sur le grand
public. Malgré les prix quintuplés des places, tous se
PAGAN1NI 55
pressaient aux concerts de Paganini. Le dernier, le
20 décembre 1828, fut annoncé en ces termes par un
journal de Prague :
« Le chevalier Paganini, virtuose de S. M. l'Empe-
reur d'Autriche, aura l'honneur de donner samedi
20 décembre à la demande générale, encore un concert
qui sera le dernier, et dans lequel on exécutera entre
autres morceaux, Y Orage, sonate dramatique à grand
orchestre, avec solos et variations de violon par Paga-
nini, sur la quatrième corde : 1° l'approche de Forage;
2° commencement de la tempête; 3° la prière; 4° fureur
de la mer ; 5° l'ouragan ; 6° le désordre à son comble;
7° le retour du calme ; 8° l'explosion de la joie la plus
vive1. »
Le même jour, le professeur Mùller écrivait dans les
Prager Unterhaltungsblàtter :
« Celui-là qui pourrait comparer aux gazouillements
des moineaux les sons d'une si admirable pureté de
Paganini, doit trouver le summum de l'harmonie dans
I-A-J-A. » Et le professeur Max Julius Schottky, profi-
tant du séjour prolongé de l'artiste à Prague, amassait
les matériaux de sa célèbre biographie du roi du vio-
lon, un gros volume qui parut en 1830. Paganini en
effet resta en Bohême au delà du terme qu'il s'étail
fixé. Une opération mal réussie avait produit une lésion
à la mâchoire inférieure ; il dut alors se faire soigner à
Prague ; l'extraction des dents de cette mâchoire fui
* Revue musicale, juin 1829, p. 594-595.
86 PAGANINI
jugée nécessaire ; une inflammation du larynx s'ensui-
vit. Vers le 15 janvier 1829, Paganini put enfin quitter
Prague. Les six séances qu'il y avait données lui avait
rapporté 3.650 florins.
Il gagna d'abord le royaume de Saxe, et se fît enten-
dre à Dresde, le 23 janvier, avec un succès qui se tra-
duisit par une recette de 1250 thalers (4.700 fr. environ)
et le cadeau d'une tabatière offerte par le roi de Saxe.
Le 12 février, il était à Leipzig, où il devait se faire
entendre au théâtre le 16 ; mais, par suite de difficultés
d'ordre matériel, le concert projeté ne put avoir lieu.
Paganini demandait que l'orchestre fût réduit de moitié
et n'acceptait pas la cantatrice que l'administration des
concerts lui imposait ; le prix des places devant être
triplé, il refusa de se plier à une coutume très louable,
établie en faveur des musiciens de l'orchestre, à savoir,
que les cachets de ceux-ci étaient doublés, lorsque le
tarif ordinaire des places était augmenté. Ne pouvant
obtenir d'exception à cette règle, Paganini quitta Leip-
zig, y laissant une réputation d'avarice, et arriva bientôt
après à Berlin.
Toujours mal portant, fort éprouvé, en outre, par le
climat germanique, il s'y trouvait dès le 18 février, mais
son premier concert n'eut lieu que le 4 mars ; il fut
suivi de quatre autres pendant un mois, puis de con-
certs et « demi-concerts » à l'Opéra royal.
Dès la première audition, au Schauspielhaus, Paga-
nini dissipa les préventions qui régnaient contre lui à
Berlin. Le premier mouvement d'un concerto de sa
PAGANINI 57
composition à peine terminé, l'auditoire lui fit une ova-
tion enthousiaste.
« Paganini réalise l'incroyable, écrivait Ludwig Rell-
etab dans la Vossische Zeitung . Il ne surmonte pas les
difficultés : il n'y en a pas pour lui. Il ne dépasse aucun
violoniste : il s'est créé un instrument absolument nou-
veau, sur lequel il est unique ; les doubles cordes sont
pour lui jeux d'enfants ; il ne s'en sert que pour se
reposer ; mais jouer à deux ou trois parties à la fois, c'est
autre chose. Jouer des morceaux à deux parties pizzi-
cato, en même temps qu'une mélodie avec l'archet,
voilà un des petits jeux enchanteurs de ce vieux maî-
tre des Streghe (sorcières). Mais, que dis-je ? Écoutez,
écoutez ! Voilà le mot de l'énigme. Mais venez, prêtez
une oreille attentive, exercée, car Paganini résout et
propose toutes les difficultés qu'on n'avait jamais encore
osé aborder. Un succès incomparable, que jamais vir-
tuose n'a éprouvé, a montré à l'incommensurable
artiste qu'on cherchait au moins à trouver une mesure
à ses productions. »
Au deuxième concert, le 13 mars, où l'on ne loua
pas moins de 2.000 places à 2 thalers, le public fut aussi
enthousiaste qu'au précédent.
En avril, le « Mage du Midi » donna deux concerts
de bienfaisance, le 6 et le 29, à l'Opéra, au profit par
moitié des victimes des inondations en Prusse ; il y
joua un concerto de Rode ; à peine avait-il commencé
que la corde de mi de son instrument se rompit ; il con-
tinua sur les trois autres, sans se troubler un seul ins-
58 PAGANINI
tant. Au huitième concert, il joua le Streghe, et le H cil
dir im Siegerkranz (God save the King), sur lequel il
venait, à Berlin même, de composer des variations.
Comme à Vienne, Paganini inspirait les poètes ; l'un
d'eux, Karl Holtei, publia au mois de mars, une pièce de
vers en son honneur. Il eut le don, en outre, de provo-
quer quelques critiques, de Fhumoriste Saphir, par
exemple, qui, mécontent de n'avoir pas reçu de billets
gratuits pour les concerts de Paganini, s'en plaignit
ironiquement dans un article de la Schnellpost : « Paga-
nini, deux Thaler et moi, » dont la conclusion était :
« Nous avons raison tous les deux, lui sur une corde
(Saite), moi, sur plusieurs pages (Seiten) ».
De Berlin, Paganini partit vers le milieu du mois de
mai, pour Varsovie ; à son passage à Francfort- sur-
Oder, il donna un concert, « beaucoup mieux organisé
qu'on ne devait s'y attendre, dit la Gazette musicale,
le virtuose étant arrivé la veille à onze heures. Il a
excité l'enthousiasme le plus vif1 ». A Francfort, Paga-
nini fut l'hôte de la générale Zielynska.
Souffrant toujours, il arriva dans la capitale polonaise
le vendredi 22 mai, et y donna dès le lendemain son
premier concert, dont la recette fut de 1.833 thalers de
Prusse (environ 6.900 francs). Chopin y assistait. C'est
à Varsovie que Paganini rencontra son ancien rival de
1818, Lipinski. Cette fois, la lutte perdit la courtoisie
qu'elle avait eue jadis à Turin ; on opposa ouvertement
4 Revue musicale, juin 1829, p. 430, lettre de Berlin, 19 mai.
PAGANINI 59
Lipinski à Paganini ; le Polonais et le Génois avaient
leurs partisans ; et la rivalité dégénéra en une brouille
définitive1.
Après son dernier concert, le 14 juillet, eut lieu un
banquet, le 19, à la fin duquel le directeur du Conser-
vatoire, Elsner, lui remit au nom d'un groupe d'ama-
teurs, une tabatière d'or avec cette inscription : « Au
Chevalier Paganini, les admirateurs de son talent,
19 juillet 1829».
Des propositions furent faites à Paganini pour conti-
nuer son voyage jusqu'en Russie, mais sa santé lui inter-
disait absolument de se rendre aux instances pressantes
qui lui venaient de Pétersbourg et de Moscou. Il pen-
sait, au contraire, aller aux eaux d'Ems, en passant par
Breslau et Berlin. Il rentre donc en Allemagne que,
durant deux mois, il va visiter avant de se fixer à
Francfort-sur-Mein pour un temps beaucoup plus long.
A la fin de juillet, nous le trouvons à Breslau, d'où il
écrit, le 31, au maestro Onorio De-Vito, à Naples, qu'il
« vient de Varsovie où il a été appelé pour le couronne-
ment de l'empereur Nicolas comme roi de Pologne et
où il a donné dix concerts. Il retourne à Berlin, l'ayant
promis au public 2. »
Il y arrive vers le 15 août; il adresse ce jour-là à
Giacomo Trivelli, une lettre en faveur d'un de ses élèves,
1 Quelqu'un ayant demandé à Paganini quel était le premier violo-
niste de son temps, le virtuose parut réfléchir et répondit : « Le pre-
mier je ne sais pas. Mais le second, c'est certainement Lipinski. »
2 Analyse d'une lettre autographe communiquée par M. Charavay.
60 PAGANINI
Gaetano Ciandelli, violoncelliste de grand talent. Dix
jours plus tard, a lieu à Francfort-sur-Mein, le premier
de ses quatre concerts, dont il touche les deux tiers de
la recette, qui était de 9.500 florins. En septembre, il
était à Darmstadt, à Mayence et à Mannheim.
Dans les trois mois qui suivirent, Paganini parcou-
rut l'Allemagne du Sud, visitant successivement plus de
vingt villes : Leipzig, Halle, Magdebourg, Halberstad,
Dessau, Erfurt, Weimar, Gotha, Wùrzbourg, Rudol-
stadt, Cobourg, Bamberg, Nurenberg, Regensbourg,
Munich, Augsbourg, Stuttgart, Mannheim, Mayence et
Dùsseldorf1.
Son apparition à Leipzig fît l'objet d'un long article
de YAllgemeine musikalische Zeitang : « Paganini est
ici, écrivait un de ses rédacteurs, et nous a donné la
joie de trois concerts au théâtre », et racontant sa vie
d'après les récits de Paganini lui-même et ceux de son
« homme d'affaires », le lieutenant Couriol, il s'attachait
à démontrer que le virtuose italien n'avait rien de dia-
bolique dans son jeu, mais était au contraire, très
humain. Ce fut les 9, 12 et 21 octobre que Paganini se
fit entendre à Leipzig. Entre autres morceaux, il exé-
1 Une jolie lettre de Paganini à Donizetti est datée de Leipzig,
8 octobre : « Achille, mon cher Achille, écrit-il, fait tous mes délices;
il croît en beauté et en talent; il parle à merveille l'allemand et me
sert d'interprète; il m'aime tendrement et moi je l'adore. Je donne
demain, au théâtre de cette ville, mon second concert; le troisième
sera pour le prochain lundi. Je partirai le lendemain, pour aller donner
un concert à la ville prochaine, Halle, puis à Magdebourg, Weimar.
Erfurt, Nurenberg, Stuttgart, Carlsruhe, Mannheim... » Il parle, en outre,
dans cette lettre, de diverses personnes et du comte de Dietrichstein
(analyse communiquée par M. Gharavay).
PAGANINI 61
cuta sa Sonate militaire sur la corde de sol, son con-
certo en si bémol mineur, une sonate de Rode, les
variations sur la prière de Moïse et sur le La ci darem de
Don Juan, qui furent surtout appréciées des amateurs.
A Weîmar, le 31 du même mois, il jouait au théâtre de
la Cour, avec l'assistance de Hûmmel; àNurenberg, ses
deux concerts des 9 et 12 novembre soulevaient un vif
enthousiasme (on y applaudit particulièrement ses varia-
tions sur la chanson napolitaine Oh ! mamma!1 et sur
le Streghe); le rédacteur de YAllgemeine fait remarquer
avec satisfaction que Paganini se montra très content
de l'orchestre du théâtre (lui qu'on disait si difficile sous
ce rapport), non moins que des trois séances qu'il donna
aux Munichois, du 17 au 25 novembre.
Avant de quitter, le 27, la capitale bavaroise, la reine
l'invita au château de Tegernsee. « Au moment où le
concert allait commencer, on entendit un grand tumulte
au dehors. La reine ayant fait demander la cause de ce
bruit, on vint lui dire qu'une soixantaine de paysans
des environs, ayant appris l'arrivée du célèbre violo-
niste italien, étaient venus dans l'espoir de l'entendre,
et qu'ils demandaient qu'on laissât les fenêtres ouvertes,
afin qu'ils pussent aussi jouir de son talent. La bonne
reine, toute disposée à leur faire plaisir, fit mieux que
leur accorder leur demande, car elle donna ordre qu'on
les fit entrer dans le salon, où ils ne se firent pas moins
remarquer par la manière judicieuse avec laquelle ils
1 Ce sont les variations sur le Carnaval de Venise.
62 PAGANINI
témoignaient leur satisfaction, que par la décence de
leur tenue \ »
Parti le 27 de Munich, où il avait fait une recette de
8.500 florins, Paganini était le lendemain à Augsbourg ;
le 3 et le 7 décembre, il jouait à Stuttgart, où il reçut en
présent 100 louis du roi de Wurtemberg ; après une
dernière halte à Karlsruhe, il rentrait à Francfort vers
le milieu de décembre. Dès le 18, il se faisait entendre
au Muséum, dont il fut nommé membre honoraire;
mais il ne se produisit que longtemps plus tard devant
le grand public, si nous en croyons une note adressée
au journal musical de Leipzig2.
Cependant, il parut peu de temps après au théâtre ;
l'orchestre était dirigé par Guhr, l'indiscret obser-
vateur qui, nous Favons vu, devait examiner si minu-
tieusement le jeu du maître pendant son séjour prolongé
aux bords du Mein 3. Il fît de cette ville, pour sa cam-
pagne de 1830, comme le centre de ses opérations en
Allemagne, avant de se décider à entrer en France.
Toute la presse continuait à s'occuper de lui; on
prétendait que depuis son premier départ de Franc-
fort, c'est-à-dire en moins de trois mois, il avait gagné
plus de 3.000 florins et qu'il avait placé 44.000 écus
de Prusse (thaler), environ 150.000 francs, dans une
banque anglaise. « Il passe pour aimer beaucoup
1 Revue musicale, janvier 1830, p. 551-552.
2 Allg. musik. Zeit., 27 janvier 1830, col. 57.
3 D'après Conestabile, Paganini fît 8.000 florins de bénéfice à Franc-
fort. 11 faut sans doute comprendre dans ce chiffre les concerts de 1829
eL ceux de 1830, dont nous allons parler.
PAGANINI 63
l'argent, ajoute la Revue musicale, ce qu'on lui par-
donne volontiers quand on reconnaît qu'il amasse pour
un fils de quatre ans, qu'il paraît chérir avec la plus
vive tendresse * ».
Retenu à Francfort par la maladie d'Achille, Paga-
nini s'occupa, l'hiver de 1829 à 1830, d'écrire de nou-
velles compositions, entre autres un morceau « dans
lequel il a employé des thèmes de Spohr, qu'il ne veut
faire entendre qu'à Paris », dit la Revue musicale. Le
14 février, il commençait une série de concerts, avant
de se remettre en route; le dernier eut lieu le 26 avril;
au dire delà Revue musicale, il n'attira presque personne
et ne produisit que 600 florins, alors que la recette
moyenne des précédents était de 3.000. Pendant ce
temps, on annonçait à plusieurs reprises son départ
prochain pour la Hollande, où il devait rester jusqu'à la
fin de Tannée, pour n'arriver à Paris qu'au milieu de
décembre et y rester quatre mois. On publiait qu'il avait
pris sa route pour l'Allemagne du Nord, dont il visitait
les petites résidences et les villes libres.
En effet, après Cologne et Dûsseldorf, invité par
Spohr, il était à Cassel au mois de mai. Le résultat du
premier concert ne lui ayant pas semblé satisfaisant, il
1 Revue musicale, janvier 1830, p. 551. D'après Harrys, Paganini
avait déposé, dans l'été de 1830, 169.000 florins dans une banque de
Vienne. Ses derniers concerts (dans le Nord de l'Allemagne) lui avaient
rapporté de 9 à 10.000 thalers (37.000 francs environ). Mais il était faux
qu'il eût placé 40.000 ducats à Londres. De l'aveu de Paganini lui-
même, ses recettes, en 1828, avaient été de : 11.500 florins à Milan,
12.000 à Bologne, 10.000 à Gênes, 30.000 à Vienne et 5.300 à Prague,
Eoit, au total : 68.300 florins, c'est-à-dire environ 140.000 francs.
H4 PAGANINI
écrivait, le 26, à Spohr, un billet en italien dont voici
l'analyse : « Le produit du concert d'hier soir, disait-il
à son collègue, ne se monte pas même à la moitié des
1.800 thalers qu'il lui a garantis dans sa lettre d'invita-
tion reçue à Francfort. Il le prie, en conséquence, de le
dispenser du second concert de dimanche, puisqu'il
paraît qu'on se soucie peu des artistes étrangers. Il esti-
mera infiniment un souvenir de S. À.R., si elle veut
bien lui en faire l'honneur, et il lui sera toujours
reconnaissant de lui avoir procuré l'honneur d'avoir fait
entendre son violon à Cassel. i »
Ce second concert eut lieu pourtant, le 30, témoin ces
lignes extraites de l'Autobiographie de Spohr :
ce En juin 1830, Paganini vint à Cassel et donna au
théâtre deux concerts que je suivis avec le plus vif
intérêt. Sa main gauche comme ses intonations toujours
pures me parurent admirables. Dans ses compositions
et son jeu, je trouvai cependant un certain mélange de
génialité et d'un manque de goût enfantin ; de sorte que
l'impression totale, après plusieurs auditions, ne me
satisfit pas complètement. Comme sa présence coïnci-
dait avec les fêtes de la Pentecôte, je l'invitai à déjeu-
ner le second jour, à Wilhelmshœhe ; il se montra fort
gai, voire même très expansif 2. »
Les 3 et 6 juin, il parut au Hoftheater de Hanovre.
Le 13, il arrivait à Hambourg et y donnait deux ou
trois concerts; le premier eut lieu le 2o et le second le
* Analyse d'autographe communiquée par M. Charavay.
* Spohr, Selbstbiographie, II, p. 180.
fin S>
O
a £
o
PAGANINI 67
28 ; on y applaudit surtout ses variations sur la prière
de Moïse et la chanson napolitaine Oh ! mamma ! Le
grand-duc d'Oldenbourg était présent. Le 27, Paganini
prêtait son concours, à Féglise Saint-Pierre, aux fêtes du
Jubilé de la Confession d'Augsbourg1. Vers le même
temps, il visita Brème, où le public se pressa aux
deux concerts qu'il donna au Schauspielhaus de cette
ville.
Après cette tournée dans PAllemagne du Nord, Paga-
nini revint se reposer à Francfort, où il retrouvait son
cher petit Achillino, laissé depuis deux ou trois mois à
la garde de sa propriétaire. Peut-être est-ce vers cette
époque, plutôt que Tannée précédente, qu'il faut placer
son apparition à Karlsruhe.
La Revue musicale du 14 août nous le montre visitant
« dans ces derniers temps les différents établissements
d'eaux thermales dans la principauté de Nassau et dans
le grand-duché de Bade. Il y était comme malade et ne
s'y est pas fait entendre. Cependant il excitait un tel
intérêt de curiosité qu'aux bains d'Ems un artiste
voyageur, ayant donné un concert auquel il annonçait
que Paganini assisterait, fit une excellente recette ».
Quelques mois plus tard, il quittait Francfort et se
dirigeait vers la France. Plusieurs fois déjà, le bruit de
son séjour incognito à Paris avait été répandu, des
légendes malveillantes venaient s'ajouter aux récits mer-
veilleux dont Paganini était le héros ; une lettre reçue
4 Allg. musik. Zeit., 10 novembre 1830, col. 738-739.
68 PAGANINI
fl'un de ses compatriotes, Fontana Pino, le pressant de
mettre une fin à toutes les absurdités dont il finirait par
être la victime, le fit sans doute se décider à partir
directement pour Paris.
Il ne s'arrêta qu'une fois en route, le temps de don-
ner deux concerts au théâtre de Strasbourg, les 14 et
17 février 1831.
Le samedi 19, il débarquait enfin à Paris. Le soir
même, il allait aux Italiens applaudir « avec transport
les belles inspirations de Mme Malibran » dans Otello1.
IV
Six mois à peine après la Révolution qui avait porté
Louis-Philippe au trône, Paganini arrivait à Paris, au
lendemain du sac de Saint-Germain-l'Auxerrois et de
Farchevêclié. La politique, qui faisait l'objet de violentes
polémiques de presse, était loin d'être calme. Le monde
littéraire et artistique commençait à bouillonner de la
fièvre du romantisme : Notre-Dame de Paris allait paraître
le 15 mars ; le 9, Paganini donnait son premier concert.
Il devait auparavant paraître à la cour du Palais-
Royal, qu'habitait encore le roi-citoyen, le 2 mars. « Il
signor Paganini, dit le Courrier des Théâtres du 3,
avait été invité par M. Paër à se faire entendre, hier,
chez le roi. Une subite indisposition du virtuose Ta
privé de cet honneur. » Paganini avait prié, le jour
1 Revue musicale, 26 lévrier 1831.
PAGANINI 69
même, son ancien maître de l'excuser auprès du Roi,
« sa toux l'empêchant de se faire entendre en ce moment
de Sa Majesté J».
Le concert du mercredi 9 mars fut donc sa première
apparition devant les Parisiens. Après avoir cherché
plusieurs jours une salle (son choix n'était pas encore
arrêté le 5), il put obtenir l'Opéra, dont le Dr Véron
venait à peine de prendre la direction (1er mars).
«Les conditions, ditBœrne, étaient deux concerts par
semaine, le mercredi et le dimanche; Paganini devait
recevoir les deux tiers de la recette des concerts du
mercredi et, contre une redevance de 3.000 francs, la
recette totale du dimanche ».
Cependant, le virtuose avait assisté à plusieurs repré-
sentations lyriques de l'Opéra, des Italiens, au concert
du Conservatoire du 27 février, dont on le disait émer-
veillé (on y avait exécuté, entre autres, YUt mineur de
Beethoven). Le 8 enfin, le Courrier des Théâtres annon-
çait : « C'est demain que le célèbre Paganini se fera
entendre. Il y aura une représentation extraordinaire
pour célébrer cette solennité. Un ballet terminera le
spectacle. Soirée de gourmets. »
Ce fut une soirée inoubliable dans les annales de
l'Académie royale de Musique, une salle comble de tout
ce que Paris comptait d'illustrations et de notabilités de
tout genre ; la cour, l'aristocratie, la politique, la litté-
rature et les beaux-arts étaient également réprésentés.
1 Autographe analysé par M. Charavay: 7 mars 1831, à Paër.
70 PAGANINI
L'enthousiasme indescriptible de cette assemblée se tra-
duisit par une recette de 19.069 francs.
« ... Le violon entre les mains de Paganini, disait
Fétis, n'est plus l'instrument de Tartini ou de Viotti, c'est
quelque chose à part, qui a un autre but. Une organi-
sation spécialement formée pour les merveilles de ce
jeu singulier n'a point suffi pour arriver à de pareils
résultats, il a fallu aussi des études suivies, profondes,
persévérantes ; un instinct propre à découvrir les
secrets de l'instrument, et sa volonté inébranlable qui
seule peut triompher de tous les obstacles \ »
Castil-Blaze (XXX pour les lecteurs du même Journal
des Débats) s'exprimait ainsi après le troisième concert :
ce Paganini est très savant sans doute ; ses composi-
tions, ses découvertes, fruit d'un calcul qui paraît au-
dessus de la portée de l'esprit humain, l'attestent. Il a
présenté aux connaisseurs l'hommage d'un concerto
composé tout exprès pour la France, et qui ne devait
être produit en public qu'à Paris. Est-ce encore ce
prodigieux instinct qui lui a fait deviner que nous
avions un goût décidé pour la musique noble, élégante,
passionnée, gracieuse, pour les compositions traitées
avec toute la vigueur de coloris que l'harmonie peut
donner, et tout le charme, la rêverie, le badinage, le
grandiose, l'intrépidité foudroyante de la mélodie et
des traits ? Ce concerto en ré mineur est d'une forme
originale, et renferme des effets, des contours très
4 Revue musicale, mars 1831.
PAGANINl 71
pittoresques. Le violon principal, attaquant les sons les
plus aigus, répond aux trombones qui mugissent au
grave ; il saisit le trait que la trompette vient de son-
ner, et le dit en sons harmoniques de manière à faire
croire que ce trait n'a pas changé d'interprète ; le son
est toujours le même ; il semble répété par un écho
lointain. Le prestige, la magie du jeu de Paganini me
confond chaque jour davantage1 ».
Le premier jour, Paganini avait fait entendre son
concerto en mi bémol : il exécuta au second concert
(le dimanche 13 mars), un concerto en ré qu'il réser-
vait pour les Parisiens : « Lo voglio sverginare à Pari-
gi », disait-il. Il joua le même soir Ja Clochette et les
variations sur la prière de Moïse. Nourrit, Levasseur,
Dabadie et Mlle Dorus parurent à ses côtés. Fétis déclara
qu'il y avait chez Baillot « plus de passion, plus de sen-
timent intime lorsqu'il exécute un adagio de Mozart ou
de Beethoven, que Paganini n'en met dans tout son
jeu \ »
Le troisième concert, remis à cause d'une soirée à la
cour, n'eut lieu que huit jours plus tard, le 20 ; la recette
atteignit le chiffre le plus élevé parmi les onze concerts
de Paganini : 21.895 francs. Le mercredi 23, la recette
ne fut guère inférieure (20.869 francs). Pour le diman-
che 27,1e virtuose sollicitait la duchesse d'Orléans d'as-
sister à son concert, et écrivait à Véron : « Je désire que
ce concert soit plus honorable qu'utile », et à cetelïet, il
1 Journal des Débats, critique musicale, 2° et > concerts de Paganini.
* Revue musicale, mars 1831.
72 PAGANIN1
demandait à Sa Majesté de lui faire l'honneur d'y assister ;
il priait en outre le directeur de l'Opéra d'y faire chanter
Mme Damoreau : « tant pour vos intérêts que pour mon
orgueil, je vous prierai aussi de la faire afficher en
grosses lettres sur vos affiches de la semaine, comme
aussi de mettre un joli ballet1 ». Le résultat matériel de
cette soirée fut de 16.014 francs. Les suivantes (1er, 3, 89
et 15 avril) produisirent : 14.436, 14.113, 16.063 et
9.144 francs. Le dimanche 17 avril, un concert extraor-
dinaire au profit des pauvres fît descendre à 6.105 francs â
la recette, qui ne se releva pour le dernier (24 avril),
qu'à 11.502 francs. Le total des onze fut de 165.741 fr.
Paganini avait dû abandonner l'Opéra le 10, à cause
d'une fête de bienfaisance qui s'y donnait le lendemain.
Il alla donc jouer au Théâtre Italien. On l'accusa de
refuser son concours à cette œuvre charitable ; Paganini
s'en disculpa dans une lettre datée du 9 avril et publiée
par les journaux. Il perdait du temps, disait-il, en aban-
donnant sa soirée du 10, mais, nonobstant, il exprimait
rinlcntion de donner avant son départ de Paris un con-
4 Autographe analysé par M. Charavay.
2 Sur cette somme, dit Le Moniteur, Paganini distribua lui-même
3.000 francs à un établissement de bien (aisance et à diverses familles
malheureuses. Les frais déboursés par l'administration de l'Opéra
furent de 3.336 fr. 50, il restait donc à distribuer aux indigents, par
l'administration des secours publics, 2 768 fr. 50. « MM. Nourrit. Dabadie,
Al. Dupont, MUo Dorus, voulant s'associer à l'acte de bienfaisance de
M. Paganini, ont fait abandon de leurs feux, montant au total de
290 francs » (3 mai). « Cette fois, écrit Le Courrier des tliéûtres, la
langue italienne n'a pas fait tous les frais de la soirée, on a entendu
des paroles françaises, l'oasis s'est trouvé au milieu du désert.
Malheureusement, le désert s'est, à son tour, trouvé dans la salle. On
n'a fait que quatre mille francs. » (12 mai).
PAGANINI DANS SA PRISON
(Lithographie de Louis Boulanger, 1832.)
PAGANINI 75
cert de bienfaisance, comme il avait fait dans toutes les
villes étrangères où il était passé.
Paganini quitta Paris à la fin d'avril, se dirigeant vers
l'Angleterre. Le 27, il faisait ses adieux à Paër, dont il
se disait le « très obligé élève ». Il avait écrit, le 6, à un
M. Guillain qu'il irait se faire entendre à Douai et à
Lille \ Nous ne savons s'il tint cette promesse ; en tout
cas, il recueillit, « dans deux concerts donnés à Calais
et à Boulogne près de 10.000 francs, selon l'assertion
d'un journal de Londres », nous apprend le Moniteur du
20 mai, et il refusa de se faire entendre à Douvres,
moyennant 200 livres (5.000 francs)2.
Arrivé à Londres, Paganini signait, le 28 mai, un traité
par lequel il s'engageait à donner six concerts au théâtre
du Roi3. Le public de Londres, comme naguère celui de
Paris, attendait avec impatience l'arrivée du grand vio-
loniste. Plusieurs jours avant le premier concert, toute
la salle était louée, bien que le prix des places fût d'une,
deux ou trois guinées ; on racontait que Paganini rece-
vrait 2.000 livres (50.000 francs) par soirée.
Engagé par Laporte, il devait se produire pour la
1 Autographes analysés par M. Gharavay.
2 Revue musicale, 21 mai 1831.
3 Une lettre adressée en français le 1er juin, au Courrier et au Globe,
et qui fit partie des collections Fillon et Bovet, est ainsi analysée par
M. Gharavay : « Ayant l'habitude, dans totutes les villes du continent
où il a donné des concerts, de doubler les prix ordinaires des places
des théâtres, il avait voulu faire de même à Londres; mais, comme on
lui a représenté avec raison, que ces prix y étaient de beaucoup plus
élevés qu'au delà de la Manche, il s'empresse de se conformer à l'usage
du public anglais. » Cette lettre, de 2 pages in-4°, signée deux fois, a
été mise en venle par Liepmannsohn, à Berlin, le 7 mars 1907.
76 PAGANINI
première fois le 21 mai sur la scène du Théâtre Royal
mais la veille, se trouvant indisposé, il dut remettre son
début.
Le journal musical The Harmonicon rapporte toutes
les polémiques de presse auxquelles l'arrivée de Paga-
nini donna lieu sur la simple annonce de ses prétentions
exorbitantes. En général, toute question artistique mise
de côté, la presse anglaise ne se montrait guère bien dis-
posée en sa faveur. Tout ce bruit, toutes ces polémiques
nous expliquent mieux que n'importe quelle indisposi-
tion, d'ailleurs possible, pourquoi le premier concert
fut remis de quinze jours. La Revue musicale s'en fai-
sait elle-même l'écho. « Les journaux traitent Paganini
d'insolent, d' audacieux , lui mande un correspondant de
Londres; Laporte, entrepreneur de l'Opéra italien, a
doublé le prix des places. Jamais on ne touche aux petites
places à Londres. » Et quelques jours plus tard, la
Revue annonce que Paganini a été obligé de baisser le
prix des places pour un concert. C'est ce qui explique la
lettre par laquelle il s'excuse d'avoir demandé que ce
prix fût doublé.
Enfin le premier concert eut lieu, le vendredi 3 juin,
dont le produit fut de 700 livres. On applaudit le concerto
en mi bémol et la Sonate militaire sur la quatrième
corde. Huit jours plus tard, deuxième concert, 1.200 li-
vres de recette. Paganini joua un nouveau concerto en
si bémol mineur, le Carnaval de Venise, la Prière de
Moïse. Le lundi, il reparut avec un nouveau concerto; la
recette fut de 900 livres. Le 16, il exécuta un cantabile
PAGANINI 77
de sa composition sur deux cordes, un Rondo scherzoso
de Kreutzer, des variations sur la Cenerentola; au cin-
quième concert, annoncé comme le dernier, la salle était
archi-comble ; mais ce dernier concert fut suivi de dix
autres annoncés comme « dernier dernier » [final las ï)9
« irrévocablement dernier », réellement dernier; etc.
(27 et 30 juin, 4, 15, 25, 27 juillet, à l'Opéra, etc.). Enfin,
le 20 août, il était « furieusement bissé » (raptously enco-
red) pour sa dernière apparition devant le public londo-
nien. La recette des quinze concerts avait été de 9.000 li-
vres, dont Paganini s'était assuré les deux tiers.
Entre temps, il se faisait applaudir à London Tavern
(13 et 16 juillet) et dans plusieurs salons de la haute aris-
tocratie (le 21 juin, chez Lord Holland, etc.), et, de plus,
ne dédaignait pas de donner des leçons particulières,
grassement payées, à plusieurs ladies désireuses de
contempler autrement qu'aux feux de la rampe, celui
que Y Athœneum appelait « un véritable Zamiel in appa-
rence, et sans aucun doute un démon in performance».
Engagé à Norwich pour Y assise week, Paganini quitta
Londres pour quelques jours, à la fin de juillet. Son
imprésario, Pellet, « y a perdu, dit The Harmonicon;
Signor Paganini a empoché environ 800 livres sterling! »
La recette des trois concerts avait été, d'après le même
journal, de 867 livres1.
On raconte que le roi George IV ayant voulu réduire
1 The Harmonicon, sept. 1831, p. 217 et 226. Paganini joua aussi à
Cheltenham, le 6 août; un incident le força à s'enfuir devant l'hostilité
du public (Revue musicale, 5 nov., p. 315).
78 PAGANINI
de 50 p. 100 les honoraires de 100 livres qu'il demandait
pour se faire entendre à la cour, Paganini répondit que
Sa Majesté pouvait Fentendre pour beaucoup moins cher,
si Elle désirait assister à son concert au théâtre, mais
qu'il ne voulait pas qu'on marchandât avec lui.
A la fin d'août, Paganini était engagé au festival de
Dublin, d'où il semble avoir rayonné vers différentes
villes de l'Irlande. Il parut d'abord le 1er septembre au
festival (la recettte fut de 682 livres, 10 shillings), puis
donna plusieurs concerts au théâtre dont le premier seul
lui rapporta 700 livres. Le 1er octobre, il était à York,
et quelques jours plus tard, il écrivait de Limerick à
son caro Pacini : a ... Questà seradarô il secondo concerto
e domani partira per Dublino. » Il resta dans la capitale
irlandaisejusqu'au milieu du mois, et, le lundi 17, « à une
heure, le splendide équipage de l'Orphée moderne vint à
sa demeure de Fleet-street prendre le signor pour le faire
voyager de la métropole à travers le sud de l'Irlande * ».
Il revint ensuite dans la grande île qu'il parcourut en
tous sens avant de regagner le continent. Vers la fin de
novembre, il joua à Brighton (il avait reçu pour y venir
200 guinées d'avance). Le 1er décembre, à Londres, il
dut subir une opération au Saint-Bartholomeus Hospital,
opération sur laquelle VHarmonicon ne nous donne aucun
détail précis, mais dont il parle avec un humour impi-
toyable : Paganini in the surgical Théâtre. Le 17 dé-
cembre, le Court Journal annonçait la réapparition du
1 l.'ie Rcmonicon, novembre 4834, p. 38S-.
PAGANINI 79
virtuose; Ecce iterum Crispinus, imprime Y Harmonicon,
qui nous apprend que Paganini a refusé 1.800 guinées
d'un manager de Liverpool pour six soirées. Il demandait
16.000 livres pour quinze soirées aux Vaux Hall Gardens.
« On a proposé de lui donner le titre de Marchese di Cre-
mona ; d'autres prétendent qu'on devrait plutôt le créer
Duca d' Inghilterra-Stolla1 . » Enfin le Courier nous mon-
tre Paganini à Winchester vers le 10 février 1832, gagnant
200 livres en vingt-huit minutes c'est-à-dire 12 livres
10 shillings par seconde, « tandis qu'on paie dans cer-
tains pays un laboureur 4 shillings 6 pence par semaine ! »
Et lorsque trois mois plus tard, on apprit le concert
donné à l'Opéra de Paris en faveur des indigents, le
journal musical anglais se plaignit avec quelque raison,
il faut l'avouer, que le Signor Paganini avait amassé
20.000 livres en Angleterre et n'y avait pas donné un
seul concert de charité 2.
Avant de quitter Londres, Paganini conclut un traité,
avantageux sans nul doute, avec un imprésario qui,
moyennant une redevance ou des « appointements »
fixes, se chargeait de toute l'organisation matérielle des
tournées qu'il allait entreprendre en Belgique et dans le
Nord de la France. Paganini fut le premier, paraît-il,
qui se « loua » ainsi à un entrepreneur. La chose fit
presque scandale à l'époque ; il semblait peu digne d'un
artiste de vendre ainsi son talent à un tiers qui se char-
geait de l'exploiter à ses risques et périls. Mais, devant
i The Harmonicon, janvier 1832, p. 21.
2 Ibid., mai 1832, p. 119.
GO PAGANINI
les résultats probants, on fut bien obligé de reconnaître
le côté pratique de ce procédé, fort honorable du reste,
et bientôt d'autres l'imitèrent.
Paganini, dit Grove, « excita plus de curiosité que
d'enthousiasme». Lui-même, dans une lettre manuscrite
datée de Londres, le 16 août 1831, se plaint de l'ad-
miration excessive et bruyante dont il fut victime
à Londres. « Quoique la curiosité de me voir, dit-
il, soit depuis longtemps satisfaite, quoique j'aie joué en
public au moins trente fois, et que mon portrait ait été
reproduit dans toutes les formes et styles possibles, je ne
puis sortir de chez moi sans ameuter la foule qui est con-
tente de me suivre et de m'accompagner, et marche avec
moi, devant moi, me parle en anglais dont je ne com-
prends pas un mot, et me touche comme pour se rendre
compte si je suis en chair et en os. Et cela, non seule-
ment la populace, mais les gens bien élevés. »
Quoi qu'il en soit, il avait fait une profonde sensation
en Angleterre, et malgré qu'il eût indisposé la presse,
sinon le public, par ses prétentions exorbitantes et les
sommes fantastiques qu'on payait pour l'entendre, les
journaux reconnaissaient son génie prestigieux et cher-
chaient avec curiosité à en découvrir le « secret ».
Vers le 10 mars, Paganini revint à Paris où des
succès plus certains l'attendaient1. Après un concert
donné le 25 aux Italiens, sa première manifestation
1 « Je vais enfin entendre un peu de musique », aurait-il dit en débar-
quant au Havre [Galignanus-Messenger). Il donna un concert au Havre
le 8 ou le 9 mars.
Cliché Xoack.
LE VIOLON DE P A G A N I N I
(Musc'e municipal de Cônes.)
PAGANINl 83
publique fut un concert de bienfaisance qu'un journal
anglais devait bientôt lui reprocher amèrement. Paga-
nini arrivait dans une ville décimée par le choléra.
« Pénétré de douleur pour les maux qui accablent l'hu-
manité, écrit-il le 8 avril, je désirerais donner un con-
cert dont le produit serait consacré aux victimes du
cruel fléau qui désole la capitale *. » — « M. le Ministre
du Commerce et des Travaux publics a accepté cette offre,
dit le Moniteur du 13, et se propose de mettre mercredi
prochain à la disposition de cet artiste si distingué, une
des salles des grands théâtres de Paris. » Le concert eut
lieu le 22 à l'Opéra, au milieu d'un enthousiasme uni-
versel et d'acclamations « auxquelles il a répondu avec
autant de modestie que de sensibilité », déclare le journal
officiel, le 23. Le résultat pécuniaire fut de 9.728 fr. 40,
dont il resta, après déduction des frais, 9.154 fr. 20 pour
les « pauvres indigents atteints du choléra ».
D'autres concerts suivirent bientôt celui de l'Opéra,
le 27 avril, les vendredis et lundis 4, 7, 14, 21, 25 mai et
1er juin, dont les registres de l'Opéra ne mentionnent pas
les recettes, probablement inférieures à celles <3fe Tannée
précédente. Quelque temps après, il était de nouveau à
Londres, où il donna toute une série de concerts dont les
« quatre positivement derniers » eurent lieu au mois
d'août à Covent-Garden. Il faut noter le peu d'atten-
tion que la presse feint alors d'accorder à Paganini, bien
que le succès qu'il remporte auprès du public ne laisse
4 Lettre avec une apostille, analysée par M. Charavay. Le destinataire
devait être le ministre de l'Intérieur.
84 PAGANINI
pas d'être aussi considérable que Tannée précédente.
Paganini termina en France Tannée 1833. Il fut
dangereusement malade vers le mois de décembre,
mais, nous apprend la Gazette musicale du 5 janvier,
« il se porte mieux et sera bientôt rendu à Tart et à ses
admirateurs ». Indisposition de courte durée sans doute,
car Paganini avait assisté le 22 décembre au concert de
Berlioz, à qui il commandait vers ce temps une sym-
phonie avec alto principal, « Paganini dont la santé
s'améliore de jour en jour, dit encore la Gazette, le 16,
vient de demander à Berlioz une nouvelle composition
dans le genre de la Symphonie Fantastique que le célèbre
virtuose compte donner à son retour d'Angleterre. Cet
ouvrage serait intitulé : Les derniers instants, de Marie
Stnart9 fantaisie dramatique avec orchestre, chœurs et
alto principal. Paganini remplira pour la première fois
en public la partie d'alto. » On sait par les Mémoires de
Berlioz que Paganini ne fut pas satisfait du premier mor-
ceau que lui montra le compositeur; et Marie Stuart se
changea en Harold, joué Tannée suivante.
Au début de mars, sans s'être fait entendre de l'hiver
à Paris, le virtuose partait pour Amiens, Lille, Valen-
ciennes et Bruxelles.
A Bruxelles, où il parut trois fois, à partir du
15 mars, après avoir joué chez Fétis, Paganini essuya
l'un des rares insuccès de sa carrière triomphale. Ici et
là, il avait bien rencontré de l'hostilité, mais nulle part
Tindifférence qu'il provoqua au théâtre de la Monnaie.
Dès qu'il parut sur la scène, un éclat de rire parcourut
PAGANINI 85
l'auditoire ; ce grand homme noir, squelettique, provo-
qua, avant môme d'avoir touché son violon, les lazzis
de la foule, et son jeu ne fit que redoubler l'hilarité bra-
bançonne... A Bruges, qui comptait alors 33.000 habi-
tants, une souscription pour un concert ne recueillit que
quatorze signatures. Il valait donc mieux traverser au
plus tôt le détroit. A Londres, une série de dix concerts
attira la foule, comme les années précédentes.
Un incident bizarre, comme il s'en produisit plus
d'un dans son existence, vint attirer d'une manière
scandaleuse l'attention sur Paganini, à son retour de
Londres. Il se trouvait à Boulogne-sur-Mer, au mois de
juillet, lorsqu'un M. Watson, chez lequel il avait demeuré
à Londres, Calthope street, Gray's Inn Lane, s'ima-
gina qu'il lui avait enlevé sa fille, et se mit à poursui-
vre Paganini, qu'il rejoignit d'abord à Douvres, puis à
Boulogne. Watson prétendit que Paganini, avait pro-
mis à sa fille de l'épouser sur le continent, avec une dot
de 4.000 livres, qu'il lui avait donné, à Londres, un dia-
dème de 50 guinées et des diamants estimés 300guinées.
Paganini répliqua dans ï 'Annotateur 'de Boulogne, et sa
lettre fit le tour de la presse parisienne, vers le 15 mars
1834. Loin d'avoir voulu enlever miss Watson, disait-il,
celle-ci, maltraitée par son père et par une marâtre,
avait voulu trouver un refuge auprès du virtuose,
qu'elle suivait et poursuivait, bien malgré lui, de Lon-
dres à Douvres, de Douvres à Calais, de Calais à Boulo-
gne. Finalement Paganini s'étant disculpé, Waston
retourna à Londres avec safille....Cependantlesjournaux
86 PAGANINI
de musique annonçaient que Paganini avait inventé, lès
uns disent une contraviola, les autres « un nouvel ins-
trument qu'il essaye à Londres, et sur lequel il prétend
produire des sons qui imitent la voix humaine beaucoup
mieux qu'on a pu le faire jusqu'à présent sur aucun
instrument de musique. ! »
De retour à Paris, Paganini dut essuyer quelques
escarmouches de presse. L'année précédente, l'Europe
littéraire , journal auquel collaborait Berlioz, l'avait
accusé violemment de n'avoir pas voulu « jouer un
petit air à la représentation » qu'on donnait au bénéfice
de Miss Smithson2. Cette année, le 15 septembre, Jules
Janin l'attaquait dans un feuilleton des Débats, et huit
jours plus tard, il revenait à la charge, avec une
demi-douzaine de colonnes, un feuilleton tout entier :
Paganini et les Inondés de Saint-Etienne. « Paganini,
disait le Figaro du même jour, n'a pas entendu l'appel
direct que lui avait adressé J. Janin dans un spirituel
feuilleton des Débats. 11 est aujourd'hui certain que
l'illustre virtuose refuse de jouer un quart d'heure
pour les victimes de l'inondation de Saint-Etienne,
Paganini peut, s'il veut, annoncer un concert à son
bénéfice, il n'aura personne ». C'était un feu croisé
d'attaques non dissimulées, de tentatives de « chan-
tage » que semblait trop bien justifier ou du moins excu-
ser la légendaire avarice du virtuose. Une lettre de lui,
4 Gazette music, 6 juillet 1834; Ménestrel, 25 mai.
* Feuilletons des Débats, 15 et 22 sept. ; Figaro, 22 sept. La réponse
de Paganini parut dans Le Moniteur du 24.
PAGANINI SI
en réponse à ces attaques, rectifia les faits. Depuis plus
de trois mois, disait-il en substance, je n'ai donné qu'un
seul concert en France. Je retourne à Gênes. J'ai déjà
donné à Paris deux concerts au bénéfice des pauvres1.
Rentré dans sa patrie vers le mois d'octobre 1834,
Paganini, parmi les propriétés qu'il acquit de son im-
mense fortune, fit sa résidence préférée de la villa
Gaiona, près de Parme. Il avait depuis longtemps en
tête plusieurs projets d'importance et de nature
diverses : la publication de ses œuvres d'abord ; pen-
dant son dernier voyage à Londres, l'éditeur parisien
Troupenas avait été lui proposer un traité pour cette
publication, mais Paganini avait demandé un prix tel
que, en escomptant le plus grand succès, la vente de
plusieurs années ne l'eût pu couvrir ; d'après Fétis, au
contraire, Paganini voulait être son propre éditeur, et
comme il n'entendait pas encore renoncer au métier de
virtuose, il avait conçu le projet assez bizarre d'arran-
ger ses concertos pour le piano. Une autre idée qui lui
était chère était la fondation d'un Conservatoire, ou
mieux, d'une école de violon, dans laquelle il aurait
enseigné les « secrets » de son art.
Cependant, il se faisait applaudir de nouveau par ses
1 L'Europe littéraire, 19 avril 1833.
88 PAGANINI
compatriotes : le 14 novembre, il donnait à Plaisance,
un concert au bénéfice des indigents et se rendit le
mois suivant à Parme, sur le désir de Marie-Louise : le
12 décembre, il paraissait à la cour de Tex-impératrice;
celle-ci lui fît alors cadeau d'une bague ornée de la cou-
ronne princière et de son chiffre en brillants; elle le
nomma en oulre intendant du théâtre de la cour, ce qui
inspirait cette réflexion à la Revue musicale de Fétis :
« Nous ne voyons pas sans regret ce roi des artistes
descendre jusqu'au niveau des courtisans1 ». Plus tard,
le 3 janvier 1836, Marie-Louise devait encore le nommer
chevalier de Saint-Georges.
Il passa Tannée 1835, tantôt à Gènes ou à Milan, tan-
tôt dans sa villa Gaiona. Le 28 juillet, le marquis Gian-
carlo Di Negro, l'un de ses plus chauds admirateurs,
donna en l'honneur de Paganini, une grande fête dans
sa villa des environs de Gênes, qu'il avait nommée le
Paradis terrestre. Un buste en marbre du virtuose fut
inauguré solennellement, avec des discours et des poésies
enthousiastes inspirés par les triomphes qu'il venait de
remporter clans toute l'Europe.
C'est environ six semaines après cette apothéose à
laquelle prit part toute la haute société génoise, que le
bruit de la mort de Paganini se répandit à Paris. Comme
pour Liszt en 1825, et, dix ans plus tard, pour la Mali-
bran2, la nouvelle était fausse. Le choléra régnant à
* Revue musicale, 25 janvier 1835.
* La Revue musicale du 2o janvier 1835 avait annoncé son assassinat
à Milan.
1-
GO
PAGANINI 91
Gênes avait seul pu faire croire à la réalité du « fatal
événement. »
Le 9 juin, il donnait même un concert de bienfai-
sance à Turin, au théâtre Carignano, avec le guitariste
Luigi Legnani ; et le poète Romani écrivait une canzone
en son honneur.
Un mois plus tard, il était à Paris, où l'attendaient des
tribulations d'un genre nouveau pour lui. Des spécula-
teurs, Tardif de Petitville et Rousseau-Desmelotries
avaient projeté de fonder, chaussée d'Antin, à deux pas
du boulevard, un casino. « La société a pour objet,
disait le prospectus, l'exploitation d'un établissement
musical et littéraire sous la dénomination de Casino.
Elle se propose de concentrer dans cet établissement les
plaisirs que peuvent offrir au public et aux nombreux
étrangers qui affluent à Paris la musique, la danse, les
beaux-arts, la conversation, la lecture, la promenade, et
de mettre en même temps à leur disposition les délasse-
ments les plus utiles et les agréments les plus variés... »
Pour installer cet établissement pour ainsi dire ency-
clopédique, Petitville avait acheté l'hôtel de la Gui-
mard1, devenu sous la Révolution celui du financier
Perrégaux, et depuis l'Empire celui d'Arrighi, duc de
Padoue, où s'était installée la banque Laffitte.
Dans les vastes jardins qui s'étendaient presque jus-
qu'à la rue des Mathurins, c'est-à-dire à peu près tout
1 Chaussée d'Antin, 9, sur l'emplacement de la rue Meyerbeer
actuelle. Escudier indique les numéros 7, 9 et il. Il semble bien que
le casino n'occupa jamais que l'immeuble portantle n° 9 ou 11, selon les
époques. Il fut remplacé par les bureaux de la Compagnie d'Orléans.
92 PAGANINI
le long do la rue Meyerbeer actuelle, on construisit une
rotonde dont une lithographie du temps nous a conservé
les lignes; jardins, anciens salons, et rotonde devaient
former le Casino -Paganini, où, le samedi 25 novem-
bre 1837, on convia le public pour la première fois.
Paganini était non seulement actionnaire pour une bonne
part de ce Casino auquel il venait de prêter assez légè-
rement son nom, lui d'ordinaire si prudent, mais il
devait s'y faire entendre, et jamais il n'y joua. « L'état
de sa santé ne lui permet pas encore de se faire enten-
dre au public », dit la Gazelle musicale1. Et Berlioz,
annonçant dans la Chronique de Paris l'ouverture pro-
chaine de l'établissement, écrivait le 8 octobre 1837 :
« Quant à la part personnelle que prendra le célèbre
violoniste à l'exécution musicale, elle consistera en
ceci : Paganini, à certains jours, fera trois fois le tour
du jardin... s'il fait beau temps. »
L'existence éphémère du Casino, sa principale attrac-
tion étant absente, ne rapporta à Paganini que des
procès et des dettes.
La Gazette des Tribunaux enregistrait, le 16 mars,
dans sa chronique, la condamnation par défaut de
Paganini « à jouer deux fois par semaine dans les
salons du Casino, sous peine de 6.000 francs de dom-
mages-intérêts par chaque refus d'exécution ». Le juge-
ment était déclaré exécutoire par provision et avec
contrainte par corps.
1 Gaz. music, 3 déc. 1837, p. 529.
PAGANINI 93
Paganini fit opposition immédiatement. Cependant,
au tribunal correctionnel, de Petitville, en compagnie
d'un nommé Fleury, ancien policier, se voyait con-
damner à 300 francs d'amende pour tentative de corrup-
tion faite au mois de novembre précédent sur le secré-
taire général de la préfecture de police Mallevai et le
chef de bureau Simonet. Fleury avait adressé à cha-
cun d'eux une dizaine d'actions du Casino, dans le bul
de se concilier les bonnes grâces de l'administration qui
tardait à donner l'autorisation d'ouverture. Il y avait eu,
au tribunal civil, le 7 mars, des contestations entre
Petitville et son administrateur Rousseau-Desmelotries.
Un certain Fumagalli revendiquait la propriété des
meubles dont Rousseau réclamait le paiement. Des
ouvriers demandaient 200.000 francs pour travaux non
encore payés...
Paganini dut encore se défendre. Il expliqua que
64 actions seulement avaient été placées par les gérants
du Casino, de Petitville et Fumagalli ; lui seul en avait
pris et payé 60, soit pour 60.000 francs. L' « affaire
Paganini » était d'ailleurs supprimée du rôle delà pre-
mière chambre, le 30 mars, à la demande de l'un des
avoués.
Le Casino, portant toujours le nom du grand artiste,
devint une salle de bal, quand elle trouvait locataire.
Une chanteuse, engagée naguère par les fondateurs,
Mme San Felice, tentait d'en faire saisir la recette, le
soirdu mardi-gras. Enfin, le 31 août, Paganini était
assigné parle sieur Escudier (le môme qui devait ton-
94 PAGANINI
der la France musicale et laisser deux biographies du
virtuose), qui lui réclamait une somme de 2.000 francs
à titre d'honoraires « comme ayant été chargé de la
direction des nombreuses affaires du maestro, et notam-
ment de toutes celles relatives au Casino, mort-né.
Selon M. Coutard, avocat d'Escudier, Paganini lui
avait fait de brillantes promesses et ne voulait considé-
rer que comme des actes de complaisance les nom-
breux services de son mandataire. Néanmoins il avait
fait offre réelle d'une somme de 400 francs ». Finale-
ment, le tribunal fixa à 600 francs la somme due par
Paganini, sur laquelle il serait fait une déduction de
486 francs1.
De musique, il n'était plus question, depuis Fan-
nonce, en juin, d'un concert qui n'eut pas lieu, avant
un voyage à Londres, qui resta aussi à l'état de projet.
Les journaux n'imprimaient plus le nom de Paganini que
pour narrer ses mésaventures financières. Le virtuose
était d'ailleurs dans un état de santé très précaire ;
atteint d'une maladie du larynx qui le rendait presque
aphone, il se soignait dans un établissement de la rue
de la Victoire, fort en vogue à l'époque, les Néo ther-
mes. Une histoire absurde, incompréhensible, vint
s'ajouter à tous les démêlés issus de la création du
Casino. La Gazette musicale du 24 juin publiait, sous
toutes réserves, une lettre adressée par Paganini à un
M. Douglas Loveday, le père de la jeune pianiste qui
* Gaz. des Tribunaux, 1«r octobre 1838.
PAGANINI 95
avait joué au concert d'inauguration du Casino. Par
cette lettre, dont « le sujetet les expressions » pouvaient
en effet sembler étranges à la Gazette, Paganini récla-
mait à Douglas Loveday une somme de 26.400 francs
pour leçons données à sa fille. Six semaines après,
cette publication, Paganini donnait Pexplication de
cette histoire et, s'adressant à Loveday, il disait :
« Monsieur, vous vous êtes plu à publier une lettre
que vous avez prise au sérieux et que je vous adres-
sais dans le seul but de vous prouver combien il est
facile de chicaner quelqu'un lorsqu'il nous en prend fan-
taisie. Ma lettre n'était que la revanche plaisante du
compte que vous aviez établi au profit de votre ami
M. Cr 5 médecin célèbre, comme vous dites. En
effet, décidé à lui faire gagner de l'argent à tout prix,
vous avez été assez habile pour métamorphoser en
visites à 10 francs quelques comment allez-vous, que
votre ami, médecin célèbre, m'avait adressés en me
saluant, lorsque je demeurais chez vous, politesse que
je me hâtai de faire cesser en faisant défendre au célè-
bre médecin la porte de mon appartement, aussitôt que
je vis que ses salutations devenaient sérieuses, et qu'il
se préparait à les doubler d'ordonnances, dont, pour le
bien de mon corps, je redoutais l'efficacité...1))
Loveday réclamait 37.800 francs pour avoir logé
Paganini pendant quatre-vingt-dix-neuf jours, et
18.000 francs pour leçons de piano données par Mlle Lo-
1 Gazette musicale, 24 juin et 12 août 1838.
96 PAGANINI
veday au fils de Paganini. Celui-ci se moquait, non sans
esprit, dans sa réponse, du style et des expressions
françaises de son adversaire, et finalement mit les
rieurs de son côté.
Néanmoins, tous ces «potins», où il n'était question
que d'argent et de procès d'intérêt, contribuaient encore
à la légende de l'avarice du maestro. Une circonstance
s'offrit de faire taire toutes les malveillances plus ou
moins intéressées, toutes les convoitises qui entouraient
l'artiste millionnaire. Le 16 décembre, Berlioz donnait
un concert au Conservatoire. Le vaincu de Benvenuto
Cellini, odieusement sifflé à l'Opéra, reparaissait ce
jour-là à la tête de sa « vieille garde ». A l'issue de la
séance, où Ton avait exécuté Harold en Italie, écrit à
son intention, Paganini vint se jeter aux pieds du jeune
compositeur et s'écria, comme il pouvait, car sa voix
était presque perdue : « C'est un prodige! ».
« Apres le concert, écrit Berlioz à son père, Paga-
nini, ce noble et grand artiste, est monté au théâtre et
m'a dit que pour cette fois il était ému et étonné, qu'il
avait envie de s'agenouiller devant moi ; comme je me
récriais sur cette expression outrée, il m'a entraîné vers
le milieu de la scène, et là, en présence des quelques
musiciens de mon orchestre qui n'étaient pas encore sor-
tis, malgré mes efforts, il s'est mis à genoux devantmoi,
déclarant que j'étais allé plus loin que Beethoven.
« Ce n'est pas tout. A présent, il y a cinq minutes,
voilà son fils, le petit Achille, charmant enfant de douze
ans, qui vient me trouver et me remet de la part de son
S2**'* (*^* &M4^t*l~0
4y#A>i+ ^> JL<L^p &4^/jl^ j&^rlà y ï0 ;
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LRTTRK DE TAC AN INI A BERLIOZ
(Communiqué j ;i i- M. Cliail» s Mallici l«c.)
PAGANINI 99
père la lettre suivante, avec un présent de vingt mille
francs » Voici la traduction de cette lettre.
« Mon cher ami,
« Beethoven mort, il ri y avait que Berlioz qui put le
faire revivre ; et moi qui ai goûté vos divines composi-
tions dignes d\in génie tel que vous êtes, je crois de
mon devoir de vous prier d'accepter, comme un hommage
de ma part, vingt, mille francs qui vous seront remis
par M. le Baron de Bothschild dès que vous lui aurez
présenté l'incluse.
« Croyez-moi toujours
Votre très affectionné ami,
« Nicolô Paganim »1
« Je cite le fait, voilà tout », dit Berlioz dans ses
Mémoires. Tel est le fait, dont la presse parla avec éton-
nement, qui inspira à Jules Janin un feuilleton, répa-
rateur de toutes les injures qu'il avait naguère déco-
chées à Paganini, et une lettre à Berlioz, qui fut
autographiée avec celle de Paganini, dans la Gazette
musicale, puis dans YAllgemeine musikalische Zeitung
de Leipzig, et fît le tour de l'Europe.
Ce cadeau royal fait à Berlioz a servi de texte à de
longues et fréquentes polémiques, du vivant même de
Berlioz. On a dit que, sur les conseils de Jules Janin,
Paganini ayant refusé de jouer dans un concert au
profit des pauvres, aurait fait ce présent pour se conci-
4 Lettre de Berlioz à son père, du « 18 décembre 1838 ». Voir le fac
simile italien, page 97.
100 PAGAN1NI
lier le public, au moment de donner quatre concerts ;
or. Paganini ne jouait plus en public, et rien ne prouve
qu'il eût l'intention de le faire bientôt ; sa mauvaise
santé persistante devait le chasser incessamment de
Paris. Suivant une autre version, non moins vraisem-
blable, il n'aurait été que le prête-nom d'une personne
généreuse, admiratrice du compositeur, et voulant lui
prouver de la reconnaissance ; et l'on prononçait le
nom de Bertin, propriétaire des Débats, dont la fille
avait fait jouer à l'Opéra la Esmeralda, mise en scène
par Berlioz en 1836. En outre, dans son billet à
Rothschild donnant Tordre au caissier, le mardi 18, de
« remettre au porteur de la présente, M. Hector Ber-
lioz, les 20.000 francs que j'ai laissés en dépôt chez
vous hier », ce dernier mot, hier, ne laisse-t-il pas sup-
poser que, dans la journée du 17, entre Jules Janin,
Bertin et Paganini, fut préparé le coup de théâtre
du lendemain ? Grammatici certant... Ajoutons que la
première version émane de Liszt, dont il est difficile
de révoquer en doute la parole et l'autorité morale et
que servait une mémoire très fidèle. La seconde, fort
vraisemblable et plus économique pour Paganini, a dû
se faire jour dès les premiers jours, colportée avec joie
par les ennemis des Débats et de Berlioz, qui Fa lui-
même combattue1. Quoi qu'il en soit, ces 20.000 francs
allaient assurer au compositeur « trois années de repos,
4 Voir L Illustration, 4 mars 1854, 26 juillet 1856; Les Débats, 8 dé-
cembre 1894, et les ouvrages de Cônes tabile, Paganini; Ad. Jullien,
J. Tiersot et J.-G. Prod'homme, sur Berlioz.
PAG AN IN l 101
de facile travail, de liberté, de bonheur » (J. Janin),
et lui permettre de créer un chef-d'œuvre nouveau,
Roméo et Juliette. Quant à Paganini lui-même, il aurait
expliqué ainsi son acte généreux :
« J'ai fait cela pour Berlioz et pour moi. Pour Ber-
lioz, car j'ai vu un jeune homme plein de génie dont la
force et le courage auraient peut-être fini par se briser
dans cette lutte acharnée qu'il lui fallait soutenir chaque
jour contre la médiocrité jalouse ou l'ignorance indiffé-
rente, et je me suis dit : « Il faut venir à son secours».
Pour moi, car plus tard on me rendra justice à ce
sujet, et quand on comptera les titres que je puis avoir
à la gloire musicale, ce ne sera pas une des moindres
d'avoir suie premier reconnaître un homme de génie et
de l'avoir désigné à l'admiration de tous l. »
Le jeudi qui suivit le concert, Berlioz ayant pu quit-
ter la chambre qu'il gardait depuis deux jours, alla
remercier son bienfaiteur. « Je l'ai trouvé seul dans une
grande salle des Néo-Thermes, où il demeure, écrit le
soir même Berlioz à sa sœur. Tu sais qu'il a depuis un
an complètement perdu la voix et que, sans l'intermé-
diaire de son fils, on a beaucoup de peine à l'entendre.
Quand il m'a aperçu, les larmes lui sont venues aux
yeux (je t'avoue que les miennes n'étaient pas loin de
mes paupières) ; il a pleuré, ce féroce mangeur d'hom-
mes, cet assassin de femmes, ce forçat libéré, comme on
'la dit tant de fois, il a pleuré à chaudes larmes en
* Journal de Paris, 18 janvier 1839, feuilleton de Aug. Morel.
102 PAGANINI
m'embrassant. « Ne me parlez plus de tout ça, — m'a-
t— il dit, — je n'ai aucun mérite : c'est la plus profonde
joie, la satisfaction la plus complète que j'ai éprouvée de
ma vie ; vous m'avez donné des émotions que je ne
soupçonnais pas, vous avez fait avancer le grand art de
Beethoven ». — Puis, s'essuyant les yeux et frappant*
sur une table avec un singulier éclat de rire, il s'est
mis à parler avec volubilité, mais, comme je ne l'en-
tendais plus, il est allé chercher son fils pour servir
d'interprète: alors, le petit Achille m' aidant, j'ai com-
pris qu'il disait : « Oh ! je suis heureux : je suis au
comble delà joie, en songeant que toute cette vermine
qui écrivait et parlait contre vous ne sera plus si hardie,
car on ne pourra pas dire que je ne m'y connais pas,
moi, et je suis cité pour n'être pas facile à séduire ».
Peu après cet événement, dont la presse s'occupa
pendant plusieurs semaines, Paganini quittait Paris,
qu'il ne devait plus revoir, pour se rendre dans le Midi,
dont sa santé réclamait impérieusement le climat enso-
leillé.
Il s'arrêta à Marseille pendant quelque temps. Dans
une lettre du 26 avril adressée de cette ville, il donnait
à un de ses amis, Aliani, chef d'orchestre à Vicence,
des nouvelles de sa mauvaise santé et le priait de lui
procurer deux violons, l'un de Giuseppe Guarneri del
Gesu, l'autre de Stradivarius \ Une correspondance
adressée au Moniteur, le mois suivant, assurait qu'il
4 Analyse d'autographe communiquée par M. Gharavay.
PAGANINI 103
aurait voulu contribuer au bénéfice donné en faveur des
victimes de la Martinique1. En juillet, il traversait Mont-
pellier, venant des bains de Balaruc; « il paraît devoir
incessamment partir, écrit-on au Moniteur2. Le célèbre
artiste a opposé des refus constants aux sollicitations
qui lui ont été de nouveau adressées par les premiers
amateurs de notre ville touchant un concerta donner.
Ces refus sont fondés sur les prescriptions sévères de la
Faculté. » Paganini, en effet, ne devait jamais plus se
faire entendre en public. Il consentait parfois, à Mar-
seille, à jouer des quatuors de Beethoven en petit
comité, et c'est tout.
Le 22 août 1839, le même journal signalait son arrivée
à Vernet-les-Bains, en compagnie du Dr Lallemand :
« Paganini n'est plus qu'une ombre, tant il est épuisé ;
il a perdu la voix et ne s'exprime que par ses yeux
flamboyants et ses gestes anguleux. Son violon, instru-
ment de sa gloire, a été descendu de voiture en même
temps que lui. On destine au malade les bains de la
source Elisa, à 22 degrés de chaleur3. »
Ces différentes stations dans les villes d'eaux des
Pyrénées eurent-elles l'effet espéré ? C'est peu proba-
ble. Revenu à Marseille, vers la fin de septembre, à
ce qu'il semble, on ne signalait pas d'amélioration dans
son état4. Il adressait vers cette époque une der-
1 Moniteur, 22 mai 1839, lettre du 16.
2 Moniteur, 28 juillet 1839.
3 Moniteur, 22 août 1839.
* Moniteur, 11 octobre 1839.
104 PAG AN INI
niere lettre, « avant de quitter la France1», au Dr Lai-
lemand. Au début d'octobre, il était à Gènes ; une
attaque de nerfs qu'il eut peu après son arrivée, ins-
pira de vives craintes à ses « nombreux amis2 ». L'hi-
ver approchant, Paganini revint à Nice. « Je vois ici
M. Paganini presque tous les jours, écrit le 11 janvier,
un correspondant de la Gazette musicale. Il n'est pas
mis en fort bonne humeur par le jugement de la cour
royale, dans l'affaire du Casino3 ; il a cependant beau-
coup de vigueur encore, et je l'entends jouer quelque-
fois tout seul, et avec une sourdine. Il parle toujours
d'une nouvelle méthode pour le violon, qu'il voudrait
publier, et qui abrégerait considérablement les études,
sous le rapport du mécanisme, et donnerait le moyen
d'obtenir une intonation plus parfaite que celle de tous
les autres violonistes. Enfin, c'est aux éditeurs à lui
arracher ses secrets, et je crois que cela en vaut la
peine \ » La Gazette qui publiait cette correspondance,
ne devait plus désormais imprimer le nom de Paga-
nini que pour annoncer sa mort.
1 Catalogue d'autographes XXVII, Halle, Munich, 1906; lettre indi-
quée par erreur comme/étant du 29 août 1839,
2 Moniteur. 21 octobre 1839.
3 « Le tribunal de première instance avait condamné Paganini à
20.000 francs de dommages-intérêts pour inexécution du traité par
lequel il s'était engagé à donner un certain nombre de concerts au
casino auquel on avait donné son nom. Mais, aujourd'hui, sur l'appel
des créanciers des entrepreneurs du casino, la cour royale, ajoutant à la
condamnation prononcée par les premiers juges, a éluvé à 50.000 francs
le chiffre des dommages-intérêts que paiera Paganini, et a fixé à dix
ans la durée de la contrainte par corps. » [Gazette musicale, o jan-
vier 1840, p. 27-28.)
i Gazette musicale, 23 janvier 1840, p. 68.
t^
PAGANINI 1G7
« Paganini est mort à Nice, le 27 mai 1840, laissant
un grand nom et une grande fortune à son fils unique,
jeune et joli garçon de quatorze ans. Son corps est
embaumé et sera envoyé à Gênes sa patrie. Nous espé-
rons bien qu'il en sera de cette mort comme de tant
d'autres qui ont été heureusement démenties1 ».
Cette fois, le démenti ne vint pas, et ce fut Liszt qui
se chargea de prononcer pour les lecteurs de la Gazette
musicale, l'oraison funèbre du grand artiste dont il fut,
comme tant d'autres, le disciple :
« Que l'artiste de l'avenir renonce donc, et de tout
cœur, concluait Liszt, à ce rôle égoïste et vain dont
Paganini fut, nous le croyons, un dernier et illustre
exemple ; qu'il place son but, non en lui, mais hors de
lui; que la virtuosité lui soit un moyen, non une fin;
qu'il se souvienne toujours, qu'ainsi que noblesse et
plus que noblesse sans doute :
« GÉNIE OBLIGE.
ce F. Liszt2. »
Lorsque, le 1er juin 1840, on ouvrit le testament de
Paganini, daté du 27 avril 1837, on constata que sa
fortune s'élevait à 1.700.000 francs, partie en immeubles,
partie en rentes d'Etat, de France, d'Angleterre et des
Deux-Siciles. Parmi les légataires, se trouvaient : sa
1 Gazette musicale, 7 juin 1840, p. 334.
2 Gazette musicale, 23 août, p. 431-432 : Sur Paganini, à propos de
sa mort.
108 PAGANINI
sœur aînée, pour un usufruit de 75.000 francs; s;r
sœur cadette, pour un usufruit de 50.000 francs ; une
dame demeurant à Lucques, pour une rente viagère de
6.200 francs; la mère de son fils, Antonio Bianchi.
pour une rente viagère de 1.200 francs. Achille Paganini
était nommé héritier universel, le marquis Lorenzo
Parento, son tuteur, Giambattista Giordani, Lazzaro
Rebizzo et Pietro Torrigliani, de Gènes, exécuteurs tes-
tamentaires. Un peu plus tard, la Gazette musicale de
Paris se faisait l'écho « d'un de ces bruits ridicules dont
Paganini sera longtemps le prétexte » et qu'elle enre-
gistrait « seulement pour compléter l'histoire de l'absur-
de.... On dit que Paganini a légué par testament ses
8 excellents violons à 8 violonistes de premier mérite,
à savoir de Bériot, Ernst, Lipinski, Mayseder, Molique,
Ole Bull, Spohr et Vieux-Temps1. »
Mais l'histoire de Paganini ne s'arrête pas à sa mort,
et comme si la nature avait voulu que tout chez cet
homme fût extraordinaire et prêtât à la légende, elle
réservait au grand virtuose génois des tribulations pos-
thumes qui n'ont pris fin qu'en 1896, plus d'un demi-
siècle après sa mort.
Cette histoire posthume de Paganini a, comme son exis-
tence terrestre, provoqué de nombreuses et fréquentes
discussions dans la presse; les plus anciennes, peut-
être, datent de 1854, et les plus récentes, de 1905.
j Paganini étant mort à Nice, son fils voulut tout natu-
* Gazette musicale, 25 octobre 1840, p. 509.
PAGANINI d09
rellement ramener à Gênes le corps de son père. Une
lettre adressée de Nice, le 5 juin, au Moniteur, appre-
nait qu'on n'était pas encore fixé sur le lieu de repos qui
devait être assigné à la dépouille mortelle de Paganini1.
En effet, des difficultés s'étaient, au lendemain de la
mort, élevées de la part de l'évêque de Nice, dont un
journal contemporain, le Journal historique et littéraire
de Liège, parle en ces termes :
« Paganini est mort à Nice l'an dernier. Il était noté
pour le désordre de ses mœurs et pour son irréligion.
Non seulement il n'avait point accompli le devoir pas-
cal, mais avait repoussé les secours de l'Eglise au lit
de mort. Ces faits ont motivé, de la part de l'évêque de
Nice, un refus de sépulture ecclésiastique. Sur les solli-
citations des exécuteurs testamentaires, le prélat a dû
instruire un procès en suite duquel la privation de la
sépulture ecclésiastique a été prononcée par sentence.
Les exécuteurs testamentaires ont insisté et porté la
cause en appel devant S. E. le cardinal-archevêque de
Gênes, métropolitain, qui a confirmé pleinement, au mois
d'août dernier, la sentence de l'évêque de Nice. Le corps
de Paganini, après être resté longtemps embaumé et
exposé dans ses appartements, a été, par ordre du
gouvernement, déposé dans la cave, puis au lazaret de
Villefranche, à raison de l'odeur fétide qu'il exhalait.
Jl sera maintenant enterré hors du cimetière, et le
nom de Paganini demeurera rayé du registre parois-
1 Moniteur universel, 16 juin 1840, p. 1436.
110 PAGANINI
sial où une note marginale indique la cause de celte
mesure L
La vérité est que Paganini, « brutalement mis en
demeure de se confesser, avait répondu qu'il ne se
croyait pas si près de la mort qu'il eût besoin des con-
solations de l'Eglise ; que quand le moment serait venu
il ne manquerait pas à ce devoir suprême » 2. La sépul-
ture ayant été refusée, malgré les instances du comte de
Cessole, du comte de Maistre, alors gouverneur de la
province, et d'Achille Paganini, le corps fut embaumé et
exposé sur une estrade devant laquelle les curieux défi-
lèrent; on avait enveloppé la tête de façon assez grotes-
que, dans un large faux-col entouré d'une cravate blan-
che, et surmonté d'une sorte de bonnet de coton orné
d'un ruban bleu avec large rosette, comme le représente
une lithographie contemporaine. Après quelques jours,
le corps mis dans un cercueil, il fallut, pour satisfaire à
la curiosité des voyageurs accourus à Nice, pratiquer
devant la tête, une ouverture munie d'une vitre. Et la
foule continua de se presser pour contempler les traits
de l'illustre défunt, jusqu'à ce que l'Eglise donnât l'or-
dre de faire enlever le cadavre,, qui fut transporté au
lazaret de Villefranche à la pointe de Saint-Hospice 3 ; ce
transfert eut lieu de nuit, sous escorte militaire. Entre
temps, un brocanteur juif avait proposé au comte de
1 Journal historique et littéraire, 4Br décembre 1841.
2 V Illustration, mars 1854, article de Frédéric Lacroix.
3 Certains narrateurs ont confondu ce nom de Saint-Hospice avec
l'hôpital de Nice.
PAGANINI 111
Cessole, moyennant 30.000 francs, d'emporter le cada-
vre et de l'exhiber -en Angleterre.
Une autre version prétend que le corps fut transporté
par mer, de la Santé de Nice à celle de Gênes, mais que,
le navire s'étant vu refuser l'entrée du port de Gênes à
cause de l'épidémie cholérique qui sévissait alors à Mar-
seille, il vint faire relâche aux îles de Lérins. Le com-
mandant de ce navire fit descendre le cercueil de Paga-
nini sur l'îlot de Saint-Ferréol, où il le fit inhumer. Six
ans après, un autre navire serait venu prendre les restes
de Paganini et les transporter en Italie. On voit encore,
dit-on, au centre de l'îlot de Saint-Ferréol, le trou béant
de ce qui fut la tombe de Paganini, le nivellement des
terres n'ayant pas été opéré. Les amateurs de pêche qui
fréquentent ces parages savent qu'on désigne couram-
ment sous le nom de Tron de Paganini l'excavation qui
se trouve au milieu de Saint-Ferréol1.
Cette légende semble assez suspecte, quoiqu'elle émane
d'un (( vieux Cannois ». Si nous nous en tenons, en effet,
au récit de Y Illustration^ postérieur seulement de dix ou
douze ans aux événements, et confirmé par le récit
d'un contemporain, l'un des matelots du navire2, le
corps de Paganini n'aurait quitté le lazaret de Villefran-
che, dans la nuit du 15 août 1843 et non en 1846, que
pour être transporté à Gênes, dans une barque.
Cependant, Achille Paganini continuait ses démarches
tendant à faire inhumer les restes de son père en terre
1 Intermédiaire des chercheurs, 10 juin 1905, col. 871.
2 ld., 30 avril 1905, col. 645-64G.
112 PAGANINI
sainte. En octobre 1841, il arrivait à Rome avec un juris-
consulte, pour obtenir du pape la revision de la décision
de l'archevêque de Nice, en date du 28 juillet 1840. déci-
sion confirmée par l'archevêque de Gênes1. Le pape
cassa la décision épiscopale et fit faire, par Farchevêque
de Turin et deux ecclésiastiques génois, une enquête sur
les sentiments catholiques du défunt. Le résultat de
cette enquête semble n'avoir jamais été connu. Alors,
dans la nuit du 15 août 1 843, — en mai 1 844, suivant une
autre version, — un homme, muni d'un papier signé de
l'intendant de la province, accompagné de deux bateliers
et de deux portefaix, entra dans le pavillon du lazaret
de Villefranche, à la pointe Saint-Hospice. On enleva le
cercueil, qui fut placé sur une barque, et l'on partit pour
Gênes, en faisant escale à Bordighera, San Remo, Port-
Maurice, Savone, etc. Le corps fut déposé dans la villa
Polevra, propriété de Paganini, près de Gênes, où le
pape autorisa une sépulture provisoire. Une nouvelle
exhumation eut lieu en 1853, après laquelle les restes
de Paganini furent transportés dans le duché de Parme,
à sa villa Gaïona. Achille Paganini put alors faire faire,
à Parme, un service religieux à la mémoire de son père,
qui (tai chevalier de Saint-Georges, dans l'église de la
Steccala, appartenant à cet ordre de chevalerie, mais
sans aucune pompe. Enfin, en 1876, troisième exhuma-
tion delà villa Gaïona, suivie de ré-inhumation au cime-
tière de Parme. Mais là encore, Paganini ne devait pas
* Gazette musicale, 7 nov. 1841, lettre de Rome, 12 octobre.
PAG A NI NI JOUANT SUR SON STRADIVARIUS
D'après une aquarelle de Poterlet intitulée « Le violon de Crémone)).
(Collection A. Morel d'Arleux.)
PAGAN1NI 115
trouver une paix sans trouble; car, en 1893, son cercueil
fut ouvert une fois encore, en présence de son fils et
du violoniste hongrois Ondriczek ; et, trois années plus
tard, au mois d'août 1896, une dernière exhumation fut
provoquée par la création du nouveau cimetière de
Parme. Cette exhumation est-elle bien la dernière ? Il
est permis de l'espérer, sinon de l'affirmer, car il semble
bien qu'une destinée impitoyable se soit acharnée pour
ne pas permettre en ce monde un repos, pourtant bien
mérité, à celui qui fut Paganini.
VI
Paganini composa environ une cinquantaine d'œuvres,
si Ton s'en rapporte au catalogue dressé par Conesta-
bile, une dizaine d'années après la mort du grand vir-
tuose. Mais, il n'en reste qu'un petit nombre1.
Tous les violonistes savent quelle est l'importance
des 24 Capricci, que Liszt et Schumann transcrivirent
en partie pour le piano 2. Le numéro 1 est une étude en
arpèges (les Caprices de Locatelli commencent de même).
Paganini y fait un emploi fréquent de la modulation,
comme dans presque toutes ses études. Plusieurs pas-
1 Voir p. 124.
2 Schumann publia en deux cahiers 12 transcriptions des Caprices
de Paganini, en 1833 et 1835; puis Six études de concert d'après des
Caprices de Paganini, Op. 10. Les Bravourstudien nach Paganinis
Capricen fur das Piano forte bearbeitet , de Liszt, parurent en 1842.
Voir sur ces différents ouvrages, Schumanns Gesam. Schriflen, édit
Reklam II, p. 11-12 et III, p. 98-100. Le violoniste français Pierre Rod.
avait déjà écrit 24 Caprices en forme d'études.
116 PAGANINI
sages (par exemple, mesures 14, 15, 16, 25, 26, etc.,
p. 2, édition Peters) montrent que Paganini était un
virtuose de la guitare. Il y a là des dispositions d'accords
qui se trouvent souvent sur cet instrument.
Guhr dit que Paganini faisait les arpèges avec moins
de la moitié de son archet, avec sûreté et rondeur.
Le numéro 2 est caractérisé par des groupes de tier-
ces, sixtes et dixièmes, par des écarts de notes considé-
rables, nécessitant le saut rapide d'une corde.
On sait avec quelle hardiesse, pour son temps, Paga-
nini modulait. Dans le presto du numéro 3 on trouve
quelques-unes de ces tournures, alors fort audacieuses.
Guhr nous apprend que, dans le numéro 7, Paganini
jouait tous les passages en staccato, en faisant sauter
l'archet, en le jetant sur la corde ; il faisait surtout le
staccato en raclant et ne le commençait que rarement
avec la pointe de Farchet, comme les autres grands
maîtres.
Dans le numéro 8, on rencontre une quantité innom-
brable de difficultés d'intonation.
Il faut citer le rythme original in presto du numéro 11,
où très fréquemment la première moitié de la mesure
(2/4) est composée d'un cursus saccadé, l'autre de triolets.
Ce presto ne figure pas dans la transcription de Schu-
mann qui le jugeait intraduisible au piano, peut-être
aussi un peu vulgaire.
Dans le numéro 15, la mélodie en octaves sert de thème
à une variation disposée en accords arpégés, comme
on les écrirait pour le piano.
PAGANINI 117
Le numéro 24 contient dans une de ses variations un
exemple remarquable de l'usage du pizzicato.
« Il est singulier cependant, que l'effet caractéristique
qui fît le grand succès de Paganini, les sons harmoni-
ques, ne paraisse pas dans les Caprices1. »
Les compositions de concert les plus importantes de
Paganini sont, sans contredit, ses concertos. Il y en avait
huit; sur les quatre dont il avait écrit l'orchestre, il
n'en reste que deux, en mi bémol (ré) 2 et en si mineur,
op. 6 et 7, qui furent publiés par Schonenberger à
Paris, en 1851.
Ses variations ne sont pas moins célèbres ; le même
éditeur publia celles composées sur Di tanti palpiti
(Tancrède), Non più mesta (Cenerentola), le God save
the King (ou Heil Dir im Siegerkranz), le Carnaval de
Venise (Oh! Mamma!) ainsi que le Moto perpetuo, qui
comprend 3.040 doubles croches, sans aucune pause.
Avant l'époque où Schonenberger entreprit l'édition
des ouvrages de Paganini, on n'avait encore gravé que
les Caprices, op. 1, Sei Sonate, op. 2, Sei Sonate, op. 3,
Tre gran Quart etti, op. 4, et Tre gran Quartetti, op. 5.
« Un grand mérite se révèle dans les compositions
de Paganini, dit Fétis : nouveauté dans les idées, élé-
gance dans la forme, richesse dans l'harmonie et variété
dans les effets de l'instrumentation. Ces qualités brillent
1 G. Wilting.. Geschichte des Violinspiels, p. 43-49.
* Paganini a écrit l'accompagnement d'orchestre en mi bémol et la
paftie de violon en ré9 l'instrument solo étant accordé un demi-ton plus
haut que de coutume.
118 PAGANINI
surtout dans ses concertos. Ces concertos ont exercé
de l'influence sur ce qui a été fait postérieurement dans
ce genre de composition. Leur forme est différente en
plusieurs points de la forme classique du concerto de
Viotti. On y trouve un mérite d'unité et d'accroissement
d'intérêt qui mérite d'être médité par les violonistes
compositeurs. En général, sans détourner l'attention du
solo par un travail trop compliqué, l'instrumentation a
un intérêt qui se lie fort bien avec le dessin principal.
Les entrées n'y sont pas froides et symétriques ; enfin,
les effets y sont neufs et variés. »
Le premier concerto, en mi bémol, dont la partie de
violon solo est écrite en ré, se rapproche davantage de
l'ancien concerto. « Je crois me souvenir, dit Fétis, qu'il
le composa en 1811. » Il contient peu de nouveautés;
dans les détails, on remarque une multitude de choses qui
font de cet ouvrage une œuvre du plus haut intérêt.
Paganini s'y sert de la quatrième corde dans le second
solo.
h' adagio (ut mineur) est un dialogue entre la qua-
trième corde et les trois autres. Le rondo, avec un coup
d'archet staccato jeté et rebondissant, est original. On y
remarque aussi des traits en dixième, pour la première
fois combinés de diverses manières, dont Paganini tirait
des effets extraordinaires par sa merveilleuse sûreté de
mécanisme.
Le second concerto, en si mineur, débute par un
morceau large et passionné; l'harmonie y est souvent
intéressante dans ses successions, l'instrumentation
PAGANINI 119
intelligente et riche d'effets. Les tutti sont peu dévelop-
pés et n'ont d'autre but que de lier les diverses parties
des soli. La phrase du début du premier solo est gran-
diose et d'un large développement.
Paganini y fait preuve d'une grande audace par la
combinaison des difficultés, tant de l'archet que de la
main gauche. On y trouve un double trille descendant
en tierces, dans lequel le virtuose était incomparable,
tant par le brillant que par la justesse irréprochable des
intonations. Le thème du second solo est entièrement
différent du premier : la mélodie en est expressive et
mêlée d'effets de staccato auxquels Paganini donnait un
caractère particulier. Le trait qui suit ce thème, tout en
double corde, est d'un grand effet : ces combinaisons
offrent: d'immenses difficultés dont le grand artiste se
jouait comme de badinages1.
L'adagio (en ré) est un cantabile du plus beau carac-
tère. Plus simple que les autres compositions de Paga-
nini, il ne faisait pas un grand effet, parce qu'on recher-
chait toujours en lui le prestige de l'extraordinaire ;
néanmoins, les formes de la mélodie sont distinguées,
expressives et remplies de charme. L'instrumentation
1 « Dans tous ses premiers morceaux, ajoute Fétis, les traits en double
corde et en coups d'archet sautés sont d'un genre neuf, et n1ont rien
de la forme ordinaire du concerto. Deux choses sont également remar-
quables par la manière dont Paganini les exécutait : la première était
la justesse parfaite de la double corde, écueil des violonistes les plus
habiles, surtout dans la rapidité excessive des traits, la seconde était
la merveilleuse adresse avec laquelle l'archet tombait d'aplomb sur les
cordes, quelle que lût la distance des intervalles. Il y avait, dans cette
seule partie du talent de l'artiste, une prédestination évidente et toute
une vie d'exercices. »
120 PAGANINI
est de très bon goût. Le rondo avec accompagnement
obligé de clochette, est une délicieuse fantaisie où les
tours de force les plus invraisemblables sont combinés
avec un goût exquis. Le motif principal est d'une élé-
gance remarquable. Tout est neuf dans ce morceau,
soit par les détails, soit par le plan général.
\J allegro de sonate pour violon et orchestre, intitulé
Moto perpetao, n'est remarquable que comme étude d'ar-
chet détaché, d'un mouvement très rapide qui ne s'arrête
qu'à la dernière mesure. Ce genre de difficulté exige
une grande souplesse de bras pour éviter la fatigue, et
un ensemble parfait de la main gauche et de l'archet.
Ce morceau, considéré comme composition, a peu d'im-
portance, mais comme étude, il est intéressant.
L'introduction des Streghe est courte ; la première
variation, toute en double et en triple corde, est fort
difficile : c'est une excellente étude pour la justesse d'in-
tonation. Dans la seconde, on trouve un mélange de
sons harmoniques et de pizzicati, d'un effet original. La
troisième est un dialogue entre la quatrième corde et
les sons harmoniques doubles, « effet neuf, qui a tou-
jours été salué par les acclamations du public ». Le
finale qui suit cette variation est terminée par des traits
rapides sur la quatrième corde et en sons harmoniques
de la plus grande difficulté.
Le God save the King rassemble tous les effets nou-
veaux découverts par Paganini. Le thème est écrit à
trois et quatre parties ; la mélodie est jouée par l'archet
et les parties d'accompagnement sont pincées. La pre-
PAGANINI 121
mière variation, toute en double corde, présente des
successions de tierces et de dixièmes. Paganini la jouait
d'un mouvement vif et léger qui ajoutait beaucoup à la
difficulté. La seconde variation est en triolets rapides,
entremêlés de traits en double corde et de staccato sau-
tés. Dans la troisième, le chant est soutenu d'un mou-
vement très lent, pendant que l'accompagnement exé-
cute, sur les troisième et quatrième cordes, des batteries
dans un mouvement très rapide. La quatrième est d'un
genre très original ; elle consiste en des traits vifs en
sons pinces dans la partie supérieure, pendant que
l'accompagnement est joué sur les cordes inférieures
par l'archet staccato. La cinquième variation, écrite en
doubles, cordes, est un effet d'écho à l'octave aiguë ; la
basse est pincée sur les cordes inférieures. Enfin, la
sixième et dernière est tout en arpèges staccato sautés,
dont l'exécution est fort difficile, à cause des positions
compliquées de la main gauche. K
Les variations sur Di tanti palpiti sont écrites en si
bémol ; la partie du violon solo, accordé dans ce ton, est
donc écrite en la. Dans la seconde variation, la quatrième
corde est descendue jusqu'au si bémol en bas. Paganini
faisait ce changement d'accord avec tant d'adresse et de
sûreté, que personne ne s'en apercevait dans ses con-
certs1. Le morceau commence par une introduction
larghetto, suivie d'un récitatif. Le thème est joué sim-
plement sans aucune combinaison d'effets. Dans la
* Nous avons rapporté plus haut l'opinion contraire de Guhr.
122 PAGANINI
seconde variation, des passages en doubles cordes pré-
sentent de grandes difficultés pour l'archet ; la troisième
est la plus curieuse et la plus difficile, avec ses succes-
sions de tierces en sons harmoniques, qui reproduisent
le thème, ses traits et ses grands arpèges.
Dans les variations de la Cenerentola (Nonpiii mesta\
en mi bémol, le violon solo est accordé comme précé-
demment; il joue en ré, ainsi que dans le premier con-
certo. La seconde variation rappelle des effets déjà
employés dans les autres ouvrages de Fauteur. La troi-
sième, en mineur, est presque entièrement écrite en
octaves. La quatrième est en écho ; les effets d'écho sont
en sons harmoniques doubles. Elle est suivie d'un final
en tierces et en octaves, de l'effet le plus brillant, mais
d'une exécution difficile.
Les vingt variations du Carnaval de Venise, sur l'air
populaire Oh! mammal ne sont pas toujours de très bon
goût. Celles sur l'air de Barucaba offrent chacune une
étude spéciale sur chacun des coups d'archet. La plupart
sont dans des tons différents.
Telle est brièvement résumée l'opinion de Fétis1, écrite
il y a un demi-siècle, lorsque le célèbre écrivain musical
présenta au public français l'édition des œuvres de
Paganini. Sans doute, aujourd'hui, la technique du vio-
lon ayant fait de nouveaux progrès, grâce surtout au
grand virtuose génois, beaucoup de Tétonnement de nos
pères n'est plus de mise, en présence de ces composi-
4 Fétis, Paganini (Paris, Schonenberger, 1851).
PAGANINI 122
lions. D'autre part, le goût musical est devenu plus
sérieux, et nous ne voyons plus que la virtuosité pure
dans des compositions qui soulevèrent jadis tant d'admi-
ration et d'enthousiasme. Il n'en reste pas moins que
Paganini, dont l'œuvre était beaucoup plus considérable
que celle qui nous est parvenue jusqu'ici sous son nom.
était non seulement un "grand virtuose, mais aussi un
compositeur, dont le style, s'il n'est pas supérieur à celui
de ses contemporains italiens, ne leur est pas, non plus,
inférieur, sous le rapport de l'orchestration.
Paganini n'a pas, à proprement parler, fondé d'école;
on ne lui connaît qu'un seul élève direct, Camillo
Sivori, de Gênes comme lui, et qui continua sa tradi-
tion presque jusqu'à notre époque.
OEUVRES DE PAGANINI
Conestabile a, le premier, établi ainsi la liste des œuvres de
Paganini :
I. Quatre concertos pour violon, avec les accompagnements.
II. Quatre concertos dont l'orchestre ne fut pas composé. Le der-
nier a été écrit par Paganini peu de temps avant sa mort.
III. Variations sur un thème comique continué par l'orchestre.
IV. Sonate pour la grande viole avec orchestre.
V. God save the King, varié pour le violon, avec orchestre.
VI. Le Streghe, variations sur un air de ballet de S. Mayer et
Vigano, avec orchestre.
VII. Variations sur Nonpiù mesta, de la Cenerentola.
VIII. Grande sonate sentimentale.
IX. Sonate avec variations.
X. La Primavera, sonate sans accompagnement.
XI. Varsovie, sonate.
XII. La cidarem la mano, variations d'après un air de Mozart
(Don Juan).
XIII. Le Carnaval de Venise.
XIV. Variations sur Di tanti palpiti (Rossini).
XV. Marie-Louise, sonate.
XVI. Romance pour le chant.
XVII. Cantabile pour violon et piano,
XVIII. Polonaise avec variations.
XIX. Fantaisie vocale.
XX. Sonate pour violon seul.
XXI. Six quatuors pour violon, alto, violoncelle et guitare (op. 4
et 5, intitulés Gran quartetti a violino, viola, chitarra e
violoncello).
XXII. Cantabile et valse.
XXIII. Trois duos pour violon et violoncelle.
XXIV. Autres duos et petites pièces pour violon et guitare.
OEUVRES DE PAGANINI 125
Les ouvrages suivants seulement sont complets et ont été publiés:
Les vingt-quatre caprices (op. 1) que ne mentionne pas la liste
précédente ; deux concertos, en mi bémol [ré majeur] et en si mineur
(op. 6 et 7) ; — dans ce dernier, se trouve la fameuse Clochette ou
Campanella; douze sonates pour violon et guitare (op. 2 et 3) ;
six quatuors (op. 4 et 5) ; un allegro de sonate, avec orchestre,
intitulé Movimento perpetuo (op. 11) ; le Sùreghe, avec orchestre
(op. 8); God save theKing, avec variations, pour orchestre (op. 9) ;
Di tanti palpiti, avec orchestre (op. 13) ; Non più mesta, avec
orchestre (op. 12) ; le Carnaval de Venise, vingt variations sur
un air populaire vénitien : Oh ! mamma! (op. 10).
Soixante variations dans tous les tons, en trois suites, avec
accompagnement de piano ou guitare, sur l'air : Barucaba. C'est
un des derniers ouvrages de Paganini, écrit à Gênes en 1835 et
dédié à l'avocat L.-G. Germi.
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J.-W. Wasielewski. Die Violine undihre Meister (3e édit., 1893).
Paganini a été mis deux fois au moins à la scène , à Paris : dans un
« à-propos anecdotique en un acte mêlé de couplets » de Dervergers
et Varin : Paganini en Allemagne Nouveautés, 10 avril 1831; et
dans la Chambre de Rossini « canevas à l'italienne » de Merle et
Simonnin, Variétés, février 1834. L'acteur Lhérie remplissait
dans cette dernière pièce le personnage du grand virtuose.
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