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Full text of "Victor Hugo à Fourqueux"

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University  of  Ottawa 


http://www.archive.org/details/victorhugofourOObour 


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Victor   Hugo 


à  Fourqueux 


1) 


La  curiosité  historique  s'attache  avec  une  ardeur  toujours 
croissante  à  e'tudier  les  plus  minces  détails  de  la  vie  intime  des 
hommes  célèbres;  elle  ne  deviendrait  regrettable  que  si  les 
indiscrétions  allaient  jusqu'à  mettre  à  nu  des  faiblesses  secrètes 
ou  à  compromettre  des  personnes  tierces.  Au  reste,  dans  cette 
voie  des  révélations  intimes,  Victor  Hugo  lui-même,  précurseur 
en  tout,  n'a-t-il  pas  donné  un  peu  l'exemple  et  montré  la  route, 
en  faisant  publier,  lui  vivant,  le  Victor  Hugo  raconté  par  un 
témoin  de  sa  vie?  Que  sa  mémoire  ne  s'étonne  donc  pas  si  tant 
d'autres  travaux  de  biographie  et  de  critique  ont  suivi  celui-là, 
les  uns  témoignant  d'un  culte  fervent,  les  autres  (parmi  lesquels 
ceux  d'Edmond  Biré)  sévères  presque  jusqu'à  l'excès. 

Dans  ces  derniers  temps,  on  s'est  beaucoup  occupé  des  villé- 
giatures dont  le  poète  égaya  la  première  partie  de  sa  vie  :  à  Gen- 
tilly,  où  s'écoula  l'heureux  temps  de  ses  fiançailles;    à  Saint- 

(i)  Ce  chapitre  de  la  biographie  intime  de  Victor  Hugo  peut  être  consi- 
déré comme  une  suite,  —  ou  un  pendant,  —  à  celui  que  nous  avons  donné  sur 
'(  Victor  Hugo  à  Gentilly  ».  Nous  le  réimprimons  ici,  avec  d'assez  nom- 
breuses adjonctions,  après  l'avoir  publié  d'abord  en  Variété  dans  le  Journal 
des  Débats  (5  décembre  1908). 


—    2    — 

Prix;  aux  Roches,  chez  les  Berlin;  à  Fourqueux,  enfin,  village 
où  il  passa,  lui  et  sa  famille,  —  sa  famille  surtout,  —  l'été' 
de  i836,  et  sur  lequel  une  char  mante  chronique  de  M.  Jules  Cla- 
retie  [Le  Temps  du  ii  septembre  1908)  a  attiré  l'attention  de 
la  façon  la  plus  aimable. 

Fourqueux  est  un  bourg  assez  important  de  l'arrondissement 
de  Versailles,  situé  sur  le  plateau  boisé  qui  domine  la  vallée  de 
la  Seine  entre  Bougival  et  Saint-  Germain,  à  l'extrémité  nord 
de  la  forêt  de  Marly,  et  d'un  promontoire  qui  surplombe  les 
«  Fonds  de  Saint-Léger  »,  ravin  séparant  cette  forêt  de  celle 
de  Saint-Germain.  Du  sommet  du  plateau,  la  vue  est  une 
des  plus  belles  que  puissent  offrir  les  environs  de  Paris.  Bien 
que  le  village  soit  desservi,  depuis  une  vingtaine  d'années,  par 
deux  voies  ferrées,  la  Grande-Ceinture  et  la  ligne  de  Paris  à 
Saint-Germain  par  Marly,  la  rareté  des  trains  lui  épargne  l'enva- 
h'ssement  bruyant  des  jours  de  fête;  mais  de  nombreuses  villas 
se  sont  bâties  à  l'usage  des  gens  paisibles,  amoureux  de  la  belle 
nature.  En  1 836,  les  moyens  de  transport  n'y  existaient  à  aucun 
degré;  il  fallait  prendre  un  des  nombreux  coucous  suivant  la 
route  de  Saint-Germain,  et,  à  partir  du  point  où  Alexandre 
Dumas  construisit  plus  tard  son  fameux  château  de  Monte- 
Cristo,  monter  pédestrement  pendant  une  bonne  demi-lieue. 

Dans  le  Victor  Hugo  raconté,  il  n'est  pas  dit  mot  de  la  rési- 
dence que  fit  à  Fourqueux  la  famille  Hugo,  mais  un  curieux 
livre  d'Alfred  Asseline  :  Victor  Hugo  intime,  publié  au  moment 
même  de  la  mort  du  maître,  y  supplée  suffisamment.  Asseline 
était  cousin  germain  de  M™*  Victor  Hugo,  sa  mère  étant  la  sœur 
Je  M.  Foucher;  il  vint  lui-même  à  Fourqueux  pendant  cet 
été  de  i836,  et  le  chapitre  qu'il  y  consacre,  accompagné  de 
lettres  de  M.  Foucher,  de  Victor  Hugo  et  de  ses  propres 
souvenirs,  est  aussi  attrayant  que  documenté.  C'est  après  l'avoir 
lu  que  M.  Claretie  accomplit  en  ces  lieux  charmants  le  pèle- 
rinage qu'il  a  si  agréablement  conté  aux  lecteurs  du  Temps.  Il 
aurait  souhaité  découvrir,  identifier  la  maison  du  village  qui 
avait  abrité  cette  tribu  de  Parisiens  dont  le  chef  portait  un  nom 
déjà  illustre  à  Paris,  sinon  à  Fourqueux;  il  avoue  n'y  avoir  pas 
réussi,  faute  de  rencontrer  les  personnes  qui  auraient  pu  !e 
renseigner,  ou  du  moins  le  mettre  sur  la  voie. 

Le  problème  était  tentant.  M.  Mareuse,  —  toujours  prêt 
à  «  marcher  «quand  il  s'agit  d'une  question  intéressant  l'histoire 
parisienne  ou  suburbaine,  —  et  moi,  nous  tentâmes,  à  la  fin  de 


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LÉOPOLDINE     HUGO 

d'après     un     dessin     appartenant    a     M""-     GILLON 


cet  automne,  d'en  avoir  la  solution  et  nous  y  sommes  arrive's. 
Instruits  par  Texpe'rience,  nous  avions  informe'  de  l'objet  de 
notre  visite  le  maire  et  le  cure'  afin  de  n'avoir  pas  le  même 
me'compte  que  Te'minent  acade'micien.  Son  article,-  d'ailleurs, 
nous  avait  pre'céde's,  et  même  avait  e'veille'  chez  les  notables  habi- 
tants de  Fourqueux  des  passions  littc'raires  jusque-là  inconnues. 
Plusieurs  villes  se  disputent  l'honneur  d'avoir  vu  naître  Homère; 
deux  maisons  de  Fourqueux  paraissaient  pre'tendre  au  privilège 
d'avoir  abrite'  la  famille  Hugo. 

C'est  ce  que  nous  apprit  le  curé,  M.  l'abbe'  Godde',  jeune 
prêtre,  fort  instruit  et  très  attentif,  du  fond  de  son  presbytère,  à 
tout  ce  qui  se  passe  et  se  produit  dans  le  monde  intellectuel.  Bien 
entendu,  il  avait  lu  l'article  de  M.  Claretie.  Mieux  que  cela,  il 
l'avait  de'jà  paraphrase'  et  commente'  dans  un  Bulletin  paroissial 
de  Fourqueux  et  de  Mareil-Marly  (les  deux  paroisses  n'ont 
qu'un  seul  curé),  qu'il  publie  régulièrement  chaque  mois 
depuis  le  commencement  de  l'année.  Mais  il  ne  put  fournir  une 
précision  sur  la  vraie  maison  historique.  En  revanche,  il  avait 
eu  l'obligeance  d'emprunter,  pour  le  mettre  sous  nos  yeux,  un 
fusain  dessiné  par  M™"  Hugo  et  représentant  sa  fille  Léopoldine 
—  la  triste  victime  de  Villequier  —  au  jour  de  sa  première 
communion,  qui  eut  lieu,  en  effet,  à  Fourqueux,  pendant  ce 
séjour  de  la  famille.  Au  dos,  se  lit  la  dédicace  suivante  : 


^/OtOft^  (Am- 


—  4    - 

Ce  curieux  document  appartient  aujourd'hui  à  M"""  Gillon, 
proprie'taire  à  Saint-Germain. 

Les  archives  de  la  fabrique  pouvaient,  par  hasard,  à  propos 
de  cette  ce're'monie,  donner  une  indication  sur  le  logis  de  la 
jeune  communiante;  elles  sont  muettes.  De  même,  les  archives 
communales  —  et  le  maire  actuel  (qui  te'moigna  aussi  de 
beaucoup  d'empressement)  —  ne  purent  davantage  nous  rensei- 
gner exactement. 

En  e'tudiant  le  re'cit  d'Asseline  comme  le  feraient  les  e'rudits 
pour  une  chronique  du  moyen  âge,  c'est-à-dire  par  la  me'thode 
critique,  on  en  de'gage  les  donne'es  suivantes.  La  maison  e'tait 
voisine  de  la  forêt,  «  à  la  Porte  de  Saint-Germain  »  ;  elle  e'tait 
suffisamment  vaste.  M.  Foucher  écrit  à  son  beau-frère,  le 
14  juin,  «  qu'il  a  fallu  coucher  quatorze  personnes  »;  ce  n'e'tait 
certainement  ni  le  château  ni  une  de'pendance  du  château,  puis- 
qu'une autre  lettre  fait  connaître  que  le  propriétaire  de  ce  châ- 
teau, M.  de  Monteynard,  vint  offrir  gracieusement  à  la  famille 
Hugo  «  la  promenade  chez  lui  »;  enfin,  l'acte  de  location  dut  être 
fait  par  M.  Foucher,  qui  écrit  encore  :  «  J'ai  fait  sur  la  proprié- 
taire la  conquête  d'un  cabinet  derrière  ma  chambre  à  coucher. 
Cettepetitepièce  complète  les  compartiments  dont  j'ai  besoin...  ». 

Des  deux  maisons  rivales  dans  ce  grave  conflit,  l'une  est 
située  tout  en  haut  du  village,  à  gauche  dans  la  grande  rue, 
c'est-à-dire  tout  près  de  l'entrée  de  la  forêt;  elle  appartient  à 
M.  Marret;  l'autre,  dite  villa  Bellevue,  est  plus  bas,  au-dessous 
de  l'église,  dans  une  rue  latérale  qui  conduit  de  la  grande  rue  à 
la  route  de  Saint-Nom.  Nos  conjectures  étaient  déjà  en  faveur 
de  la  première;  elles  se  changèrent  en  certitude,  quand 
M.  Mareuse  eut  été  assez  heureux  pour  rencontrer  deux  octo- 
génaires du  village,  MM.  Cayeux,  ancien  maire^  et  Castille, 
dont  les  souvenirs  furent  très  catégoriques.  Bien  qu'âgés,  l'un  de 
quatre-vingt-deux,  l'autre  de  quatre-vingt-six  ans,  ils  se  rap- 
pellent très  bien  qu'étant  enfants  de  chœur,  ils  portèrent  l'eau 
bénite  chez  Victor  Hugo,  qui  occupait  dix  pièces  environ  sur 
le  jardin  de  la  maison  du  haut  du  village,  celle  dont  M.  Marret 
est  aujourd'hui  propriétaire.  Celui-ci,  consulté  par  lettre,  a  d'ail- 
leurs confirmé  l'exactitude  de  cette  double  déposition,  et  même 
ajouté  qu'un  salon  de  l'immeuble  avait  reçu  et  gardait  le  nom 
du   poète(i). 

(i)  La  publication  de  ces  recherches  dans  W  Journal  des  Débats  m'a  valu,  à 


—  5  — 

Voilà,  dira-t-on,  une  enquête  bien  minutieuse  sur  un  simple 
épisode  de  la  vie  d'Hugo  ;  mais,  en  matière  historique,  rien  n'est 
indiflfe'rent,  et  il  nous  e'tait  particulièrement  agre'able  de  satis- 
faire à  la  curiosité'  qu'avait  fait  naître  M.  Jules  Glaretie. 

Les  extraits  des  lettres  de  M.  Foucher,  cités  par  M.  Asseline, 
attestent,  par  la  forme  et  par  le  fond,  que  dans  ce  logis,  enfin 
retrouvé  maintenant,  la  famille  Hugo  ne  connut  que  de  gais 
moments,  demai  à  septembre.  Les  deuxfils,  Charles  et  François- 
Victor,  et  les  fillettes,  Didine  et  Dédé,  s'en  donnèrent  à  cœur 
joie  de  se  promener  à  travers  la  forêt;  on  leur  avait  loué  une 
petite  voiture  que  traînait  un  âne,  et  les  grandes  personnes  sui- 
vaient, ayant  «  chacune  une  monture  à  longues  oreilles  ». 
Mme  Hugo  restait  volontiers  à  la  maison,  crayon  en  main  : 
«  Adèle  est  toujours  enfouie  dans  son  dessin.  Pas  possible  de  la 
faire  remuer,  et  [il  ne  faudra  rien  moins  que  la  présence  de  sa 
tante  pour  qu'elle  reprenne  ses  promenades  ».  Mais,  à  certains 
jours,  on  organisait  de  griindes  excursions,  à  Bougival  ou  à 
Saint-Germain  :  «  Asseline  a  dû  vous  mander  que  nous 
avons  été  tous,  y  compris  Victor,  faire  un  déjeuner  à  Saint- 
Germain.  Nous  sommes   revenus   à   pied  par  la  forêt;  Victor 

propos  de  la  maison  de  M.  Marret,  l'intéressante  lettre  suivante,  dont  je  res- 
pecte le  demi-anonymat,  facile  à  transpercer  : 

«...  Je  n'ai  pas  la  prétention  d'éclairer  d'une  certitude  les  renseignements 
que  vous  avez  recueillis;  je  puis  seulement  vous  dire  que  j'avais  fort  sou- 
vent entendu  ma  mère  en  parler  lorsque  j'étais  enfant.  Elle  était,  ainsi  que 
sa  famille,  assez  liée  alors  avec  la  famille  Hugo.  Son  père,  le  colonel  du 
génie  P***,  qui  avait  été  directeur  du  Conseil  de  guerre,  lorsqu'il  n'était 
que  commandant,  était  le  chef  de  M.  Foucher,  père  de  M">«  Hugo;  des  rela- 
tions suivies,  dues  à  l'habitation  commune  au  Conseil  de  guerre,  s'étaient 
établies  entre  les  deux  familles. 

«  En  i836,  le  colonel  P***  commandait  les  sapeurs-pompiers  de  Paris, 
et,  comme  il  possédait  à  Mareil-Marly,  dont  il  était  maire,  une  modeste 
propriété,  qui  existe  encore,  le  séjour  des  familles  Hugo,  Foucher  et  Asse- 
line à  Fourqueux  donnait  lieu  à  de  fréquentes  visites  de  voisinage.  C'est 
ainsi  que  ma  mère,  M"'  P***,  qui  avait  alors  19  ans,  avait  été  priée  de 
tenir  l'orgue  à  la  messe  de  première  communion  de  Léopoldine  Hugo.  Or, 
elle  avait  souvent  dit  devant  moi  que  Victor  Hugo  avait  habité  la  maison 
d'un  M.  Foucault  [Fricotelle],  qui  était  alors  notaire  à  Fourqueux.  Peut- 
être  est-ce  aussi  cette  maison  qui  vous  a  été  indiquée  par  les  rares  vieilles 
gens  qui  vivent  encore  et  ont  conservé  quelque  souvenir  de  ce  temps  si 
éloigné...  » 

«  L.  B.  » 

La  maison  de  ce  notaire  est  bien  celle  que  possède  aujourd'hui  M.  Marret. 
M.  Albert  Bonneau,  le  zélé  et  lettré  bibliothécaire  de  la  ville  de  Saint-Ger- 
main-en-Laye,  a  pris  la  peine,  sur  ce  point  comme  sur  d'autres  du  séjour  de 
la  famille  Hugo  à  Fourqueux,  de  taire  à  mon  intention  d'obligeantes 
démarches  et   recherches,  dont  je  lui  exprime  toute  ma  gratitude.  S'il  n'a 


„.  6  — 

Hugo  a  été  enchanté  de  cette  promenade.  A  notre  retour,  cette 
morvasse  de  Dédc  (i)  n'était  pas  fatiguée,  et  pourtant,  nous 
avions  fait  près  de  trois  lieues  ». 

Il  s'en  faut  que  l'auteur  d'He?'nani  soit  resté  sédentaire  parmi 
les  siens,  malgré  le  charme  qu'il  disait  y  trouver;  au  contraire, 
les  séjours  qu'il  y  fit  paraissent  plutôt  avoir  été  l'exception  : 
«  Victor  vient  toujours  nous  voir  de  temps  à  autre  ;  mais  le 
diable  d'homme  ne  tient  pas  sur  pieds;  à  peine  arrivé,  il  songe 
à  son  départ...  »  (2). 

Il  revenait  à  l'improviste,  amenant  pour  dîner  et  pour  coucher 
des  amis  de  Paris.  C'est  là-dessus  que  la  correspondance  du 
beau-père  offre  le  plus  d'intérêt.  Les  amis  se  nommaient  Théo- 
phile Gautier,  Auguste  de  Châtillon,  alors  peintre,  et  plus  tard 
poète,  —  le  poète  de  la  Levrette  eripaTtoteide  la  Grande  Pinte, 
—  Alexandre  Dumas,  Paul  Foucher,  Alfred  Asseline,  d'autres 
encore.  Dumas  faisait  la  joie  de  la  maisonnée  parsa  verve  intaris- 
sable. Un  jour,  il  arriva  sous  une  pluie  battante;  il  fallut  pour 
le  sécher  lui  faire  revêtir  une  camisole  ouatée  de  M.  Foucher, 
et  le  soir,  au  dîner,  le  curé,  qui  ne  connaissait  pas  les  hommes 
célèbres,  le  prit  pour  Victor  Hugo,  «  comme  étant  celui  qui 
paraissait  êtrele  pluschezlui.  Dumas  a  étourdi,  ébloui,  enchanté 
le  bon  prêtre  par  ses  saillies^  ses  bourdes  et  ses  manières.  » 

Et  l'on  ne  se  faisait  pas  faute  de  potiner,  autour  de  cette  table 
de  campagne.  Les  petits  scandales  parisiens  furent  souvent  le 
sujet  des  conversations.etdes  commentaires  :  Granier  de  Cass,,. 
tout  doucereux,  bien  bichonné,  bien  musqué,  vit  comme  un 
tourtereau  avec  M"""***,  du  Français;  Listz  se  montre  à  tout 
Paris  avec  une  grande  dame  du  faubourg  Saint-Germain,  dont 
il  est  très  fier  d'avoir  fait  la  conquête;  la  duchesse  d'Abrantès  a 

pu  trouver  dans  l'étude  de  M^  Greban,  notaire  à  Saint-Germain,  —  qui 
possède  les  minutes  des  notaires  de  Fourqueux  de  1629  a  1869 — l'acte  de 
location  par  M.  Foucher  de  la  maison  Marret,  c'est  que  sans  doute  il  n'y 
eut  pas  d'acte  notarié.  En  revanche,  M.  Bonneau  a  vu  M.  Favrel,  principal 
clerc  de  l'étude  de  M"  Duval,  qui  se  rappelle  fort  bien  qu'en  i865  l'étude 
Fricotelle  occupait  le  corps  de  logis  de  droite  de  la  maison  Marret,  et  à 
cette  époque  on  se  souvenait  parfaitement  que  Victor  Hugo  avait  habité  là. 

(i)  Adèle,  la  dernière  enfant  du  ménage  Hugo,  née  en  i83o. 

(2)  Ces  fugues  réitérées,  qui  en  i836  eurent  la  Normandie  et  la  Bretagne 
pour  but,  ont  du  moins  laissé  une  trace  littéraire  sous  la  forme  d'une  quin- 
zaine de  lettres  adressées  par  le  poète  à  sa  femme  à  Fourqueux,  lettres  un 
peu  contraintes  et  nerveuses  (le  voyageur  n'était  pas  seul,  nous  allons  le 
voir  tout  à  l'heure),  qui  ont  été  recueillies  dans  le  volume  des  œuvres  iné- 
dites de  Victor  Hugo  :  France  et  Belgique  (Paris,  Hetzcl  et  Quantin,  1892, 
in-8'',  pp.  41-91). 


rompu  avec  le  marquis  de  Cust...;  Eugène  Sue,  en  plein  Jardin 
des  Tuileries,  a  e'te'  traité  d'âme  de...  par  une  dame  bretonne,  etc. 
Cette  bonne  humeur  dans  le  ton  de  M.  Foucher,  le  doyen  pour- 
tant de  tous  ces  jeunes  gens,  l'austère  chef  de  bureau  des  Con- 
seils de  guerre,  —  ne  montre-t-elle  pas  combien  la  vie  s'écoulait, 
pour  eux,  facile  et  gaie? 

Gautier  et  Auguste  de  Chàtillon  assistèrent  à  la  cérémonie  de 
la  première  communion  de  Léopoldine.  Leur  attitude  fut 
recueillie  et  pleine  de  componction,  comme  il  convenait.  Chàtil- 
lon, qui  n'avait  pas  de  livre  de  messe,  s'était  muni  d'un  volume 
in-8°,  format  qui  n'est  guère  celui  des  Paroissiens;  par-dessus 
son  épaule,  Asseline  eut  la  curiosité  d'en  regarder  le  titre,  et  il 
lut  :  Mémoires  de  A^"«  Quinault.  —  Victor  Hugo  était  revenu 
tout  exprès  d'une  de  ses  courses  lointaines  pour  cette  fête  de 
famille;  c'est  encore  Asseline  qui  raconte  l'avoir  entendu  dire  à 
sa  femme  :  «  Nos  amis  ne  sont  pas  riches;  qu'il  n'y  ait  pas  de 
quête  dans  l'église;  je  donnerai  au  curé  ce  qui  est  conve- 
nable (i).  » 

(i)  M.  Adolphe  Jullien  veut  bien  me  signaler  qu'il  a  rendu  compte  de  cette 
fête  de  famille  dans  son  livre  :  Le  Romantisme  et  l'éditeur  Renduel  (Paris, 
Charpentier,    1897,  P^^-  in-8°j-  ^  oici  les  souvenirs  de  Renduel  à  ce  sujet  : 

«  ...  Le  20  août  i836,  Victor  Hugo  faisait  envoyer  au  curé  de  Fourqueux 
ses  œuvres  complètes  en  20  volumes,  reliés  pour  4o  francs...  »   (pp.   io2-3). 

«  Les  Hugo  passaient  l'été  à  Fourqueux  et  voulurent  faire  de  cette  céré- 
monie, fixée  au  8  septembre  iSSy  [lise:^  i836]  une  véritable  fête  de  famille 
où  tous  les  amis  seraient  conviés,  Renduel  et  Gautier  en  première  ligne. 
.\ussitôt  après  le  dîner,  le  maître  de  la  maison  s'éclipse,  et  l'on  apprend 
bientôt  qu'il  a  couru  prendre  la  voiture  de  Paris.  Les  convives  se  récrient 
sur  cette  fuite  inattendue  :  Hugo,  disent-ils,  aurait  bien  pu  les  attendre  et 
revenir  avec  eux;  mais  ils  se  rappellent  bientôt  que  toutes  les  places  de  la 
diligence  étaient  retenues  dès  le  matin  et  qu'eux-mêmes  n'en  avaient  pu 
louer  que  pour  le  dernier  départ  :  a  Ne  faites  pas  attention,  leur  dit  tristement 
i\l™°  Hugo,  Victor  saura  bien  se  tirer  d'embarras;  vous  n'avez  pas  pu  avoir 
de  places  pour  vous,  il  saura  en  trouver  une  à  tout  prix  pour  aller  où  il  va  » 
(pp.  117-8). 

On  sait,  de  reste,  la  cause  de  cette  hâte  du  poète  (si  l'anecdote  est  réelle 
comme  elle  en  a  bien  l'air)  :  il  était  alors  dans  le  feu  le  plus  ardent  de  sa 
passion  pour  la  belle  actrice  de  la  Porte  Saint-Martin,  M"«  Juliette  Drouet, 
et  l'on  voit  que  M">«  Hugo  n'en  était  plus  aux  soupçons. 

Mais  elle-même  n'avait- elle  rien  à  se  reprocher?  L'ami  qui,  quelques 
années  plus  tôt,  eût  été  le  premier  invité,  Sainte-Beuve  n'était  pas  là  :  une 
brouille  implacable  l'avait  sépare  de  Victor  Hugo,  précisément  à  cause  de 
ses  sentiments  trop  tendres  pour  M™"  Hugo,  et  celle-ci,  néanmoins,  n'avait 
pu  s'interdire  de  continuer  avec  lui  des  relations  épistolaires.  C'est  ainsi 
qu'elle  lui  rit  connaître  le  jour  de  la  première  communion  de  sa  fille,  et  «  lui 
demanda  d'aller,  à  la  même  heure,  prier  dans  une  église  où  ils  se  sont 
retrouvés  plusieurs  fois  »  (Gustave  Simon  :  Le  Roman  de  Sainte-Beuve 
p.  283). 


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Voilà,  pour  les  «  Hugophiles  »,  un  pèlerinage  tout  indiqué 
pour  l'année  prochaine;  et,  sans  doute,  ils  ne  négligeront  pas 
non  plus  d'obtenir  qu'une  inscription  commémorative  rappelle 
aux  touristes  de  la  forêt  de  Marly  que,  dans  cette  maison,  durant 
l'été  de  i836,  Victor  Hugo,  sa  famille  et  ses  amis  passèrent  des 
jours  heureux. 

Fernand  Bournon. 


SAlN'T-DEiNIS.    —    IMP.    H.  BOUILLANT,   47,    BOULUVARI)    DIC    CI) ATEAUDL'N.    —   l7.8jS. 


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